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Full text of "Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel"

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HARVARD  LAW  SCHOOL 
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TRAITÉ 

THÉOaiQm  KT  PHATI<}I7I 


DES  PREUVES 


EN  DROIT  CIVIL 


ET  EN  DROIT  CRIMINEL 


L'aateur  et  les  éditeurs  déclarent  réserver  leurs  droits  de  traduction 
et  de  reproduction  à  Téiranger. 

Cet  ouvrage  a  été  déposé  au  ministère  de  l'intérieur  (sectioQ  de  la 
Hbrairie)  en  juillet  4873. 


PARIS.   TYPOGRAPHIE  DB  HENRI  PLON,   8,   RUE  GARANCIÂRK. 


TRAITE 

THÉOIIQCE  ET  PSMIQCl! 

DES  PREUVES 

EN  DROIT  CIVIL 
ET  EN  DROIT  CRIMINEL 


EDOUARD  BONNIER 


T  NIH  4D  CODUMT  »  U  kifilSLlTIlHI  KT  I»  U  JVUflHUMIl» 


TOME   SECOND 


PARIS 

BEMRl 

PLON, 

tD 

ITEUR       1       MAHESCQ 

AINE 

ÉDITEDH 

iai 

roui 

1873 

éraitÈ  r4$»*viê 

p 


TRAITÉ 


DES  PREUVES 

EN  DROIT  CIVIL 

ET  EN  DROIT  CRIMINEL 


LIVRE  DEUXIÈME 


PREUVES  PRÉCONSTITUÉES 

(OénénkmeBl  éoritof). 

SonumE.  —  4M.  Utilité  des  prenres  prëconstitnèes.  —  453.  DisUnetion  de  la  preuve 
frèconsUtnèe  et  de  la  preave  littérale.  —  4U.  Confnsion  qn'entratnenl  les  divers  sens 
ies  nots  mcte  et  iitte.  ~  454.  DivisioD  de  la  matière  :  acte  asthentiipie,  aele  privé,  re- 
fistres  des  marchands.  —  455.  Preuve  littérale  ao  second  degré  :  copies,  actes  récognitifs. 

481.  Nous  avons  reconnu  qu'il  devient  nécessaire,  dans 
^  état  de  civilisation  avancée ,  d'établir  k  l'avance  certaines 
preuves ,  faciles  \  conserver,  que  l'on  puisse  retrouver  ulté- 
rieurement ,  lorsque  le  besoin  viendra  k  s'en  faire  sentir. 
Sur  quelle  base  reposeraient  la  foi  des  contrats  et  la  stabi- 
lité des  propriétés',  si,  pour  constater  les  droits  les  plus 
importants ,  on  n'avait  d'autre  ressource  que  les  souvenirs 
des  tiers  ou  les  déclarations  des  parties  intéressées?  Nous 
^vons  déjà  vu ,  en  nous  occupant  de  la  preuve  par  témoins, 
<I^e,  plus  les  rapports  sociaux  se  sont  compliqués ,  plus  on  a 

'  Nom  «Tons  en  vue  sortont  la  propriété  des  immeubles  et  celle  des 
iBeobles  incorporels;  car  pour  les  meubles  corporels  (C.  ^,^  art.  2279), 
^  force  «ttriboée  à  la  possession  rend  beaucoup  moins  utile  la  production 
i^mi  titre. 

n.  1 


"  % 


2  PREUVES  PRÉGONSTITUÉES. 

reconnu  l'utilité  de  preuves  qui  échappent  k  ces  chances  de 
corruption ,  d'erreur  ou  de  mortalité  qui  rendent  si  dange- 
reux l'emploi  de  la  preuve  testimoniale.  L'utilité  des  preuves 
précoustituées  n'est  contestée  par  personne.  Un  seul  point 
peut  donner  lieu  à  controverse.  L'usage  de  ces  preuves 
doit-U  rester  facultatif,  ou  bien  peut-il  être  imposé  aux 
parties?  Depuis  trois  siècles,  c'est  à  ce  dernier  système  que 
s'est  attachée  la  législation  française ,  mue  surtout  par  le  dé- 
sir de  prévenir  les  procès  (n^  151).  Aujourd'hui  que  ce  sys- 
tème est  entré  dans  nos  mœurs  \  il  est  difficile  qu'il  puisse 
donner  lieu  k  des  surprises,  si  ce  n'est  dans  des  cas  excep- 
tionnels. Mais  peutK)n  mettre  en  balance  le  danger  de 
fraudes  accidentelles  avec  l'avantage  général  d'empêcher  une 
foule  de  contestations ,  ou  du  moins  de  donner  au  juge  une 
base  fixe  de  décision,  toutes  les  fois  que  la  chose  est 
possible? 

C'est  là,  du  reste,  une  idée  bien  ancienne,  puisqu'en 
Egypte,  au  témoignage  de  Diodore  de  Sicile  (iiv.  I,  §  79), 
une  loi  de  Bocchoris  voulait  que  le  prêteur  exigeât  une  re- 
connaissance par  écrit  de  la  somme  prêtée ,  et  qu'autrement 
le  prétendu  débiteur  en  fût  cru  sur  son  serment. 

452.  La  preuve  préconstituée  se  confond  d'ordinaire  avec 
la  preuve  littérale.  Cela  tient  à  ce  que ,  de  temps  immémo- 
rial,  on  a  employé  l'écriture  pour  perpétuer  le  souvenir  des 
événements  juridiques ,  comme  de  tous  les  autres  faits  dont 
on  désire  conserver  la  trace  dans  un  intérêt  public  ou  privé. 
Mais  il  peut  y  avoir  preuve  préconstituée  sans  écriture, 
pourvu  que  l'on  use  de  signes  auxquels  on  attache  une  idée 
bien  nette  ^  car  la  signification  que  l'on  donne  aux  carac- 

1  Dans  la  discassion  qui  eut  Ueu  à  l'Assemblée  législative ,  en  1851 ,  sur 
l'abrogation  de  l'article  1781  du  Code  dvil  (n«  486),  quelques  objections 
furent  faites  contre  le  système  de  nos  lois  sur  la  preuve  testimoniale  ;  maii 
éUes  ne  paraissent  pas  avoir  fait  impression  sur  la  grande  majorité  des 
esprits.  (Moniteur  du  10  mai  1851.) 


PltEUTBS  PRÉCONSTITCteS.  3 

ikes  écrits  n'est ,  après  toat,  que  Teffet  d'une  convention. 
Il  rien  n'empêche  dans  la  nature  des  choses  que  nous  n'a- 
^options  d'antres  signes  pour  exprimer  nos  idées.  Sans  par- 
ier des  hiér^lyphes ,  qui  paraissent  avoir  été  l'enfance  de 
.'feritnre ,  on  sait  que  les  Péruviens  employaient ,  pour  con- 
stater les  iaits  les  plus  importants,  des  çutpos,  cordons  de 
Mérentes  conlenrs ,  qu'ils  nouaient  de  différentes  manières. 
Qiaque  couleur,  chaque  nœud  avait  une  valeur  particulière. 
Cétait  là  évidemment  une  preuve  préconstituée.  Les  taiUes, 
(;ui  sont  encore  consacrées  par  le  Gode  civil,  sont  un  pro- 
câié  tout  à  fait  analogue;  au  fond,  l'écriture  n'étant  que 
l  expression  de  nos  idées  par  certains  signes ,  on  peut  faire 
rentrer  ce  procédé  dans  l'expression  générale  d'écriture. 
M&^  k  part  cette  concession  faite  à  d'anciens  usages,  nos 
lois  exigent  l'emploi  de  l'écriture  proprement  dite ,  toutes 
h  fois  qu'on  veut  s'assurer  une  preuve  k  l'avance-,  et  en 
ce  sens  il  est  vrai  généralement  chez  nous ,  comme  chez 
toQs  les  peuples  civilisés,  que  la  preuve  préconstituée  se 
coorond^avec  la  preuve  littérale.  Il  est  bien  entendu,  cepen- 
dant, que  tout  écrit  ne  constitue  pas  une  preuve  littérale  dans 
1^  sens  légal  de  ce  mot.  Pour  avoir  cette  autorité ,  il  faut 
p'ï\  réunisse  certains  caractères ,  en  l'absence  desquels  il 
génère  en  une  simple  note ,  qui  peut  tout  au  plus  devenir 
luie  présomption  contre  celui  qui  en  est  l'auteur,  mais  qui  n'a 
]imk  contre  lui  la  force  d'une  preuve  régulière.  Il  y  a  alors 
^6  que  Bentham  appelle  une  preuve  par  écriture  casuelle,  au 
'i^a  d'une  preuve  préconukuée.  C'est  ainsi  que  des  lettres 
nussives,  si  on  les  suppose  produites  en  justice  avec  le  con- 
sentement du  tiers  k  qui  elles  sont  adressées,  constituent 
^^ement  un  élément  de  conviction,  que  le  juge  a  un  pou- 
voir discrétionnaire  pour  admettre  ou  pour  repousser,  sui- 
^^t  les  circonstances ,  ainsi  que  nous  le  verrons  quand  nous 

lierons  spécialement  des  écrits  privés. 

i. 


4  PREUVES  PRÉGOMSTITUÉES. 

483.  Il  n'y  a  malheureusement  pas,  dans  notre  langue , 
d'expression  spéciale  pour  désigner  les  écrits  revêtus  d^ 
certaines  formes,  qui  servent  k  constater  telle  ou  telle  con^ 

I 

vention,  tel  ou  tel  fait.  Le  mot  latin  instnmentum,  qui  rendait 
fort  heureusement  cette  idée,  ne  se  retrouve  chez  nous  que 
dans  le  verbe  instrt/mienter,  relatif  aux  fonctions  des  notaires, 
et  dans  l'adjectif  instmmentaire,  appliqué  aux  témoins  qui 
les  assistent.  Il  est  vrai  que  Boileau  (sat.  x)  emploie  instru- 
ment dans  le  sens  du  mot  latin  instrumèntum  : 

Et  déjà  le  notaire  a,  d'un  style  énergique, 
jjriffonnë  de  ton  joug  YinstrumerU  authentique. 

Mais  le  mot  a  trop  vieilli  aujourd'hui  dans  cette  accep- 
tion, pour  qu'il  soit  possible  d'en  faire  usage.  On  est  donc 
obligé  d'employer  avec  la  loi  des  expressions  qui  sont  égale- 
ment usitées  dans  un  autre  sens.  Ainsi ,  le  mot  acte  désigne 
k  la  fois  ce  qui  s'est  passé,  quod  actum  est,  et  l'écrit  rédigé 
pour  constater  ce  qui  s'est  passé.  Le  même  mot  tUre^  dé- 
signe  k  la  fois  la  cause  en  vertu  de  laquelle  je  possède  un 
bien,  telle  qu'une  vente  ou  une  donation,  et  l'écrit  destiné 
k  constater  l'existence  de  cette  cause.  De  là ,  de  fréquentes 
équivoques.  Car  en  droit,  comme  en  métaphysique,  bien  des 
controverses  ne  roulent  que  sur  des  disputes  de  mots.  Ces 
équivoques  n'ont  pas  lieu  seulement  dans  les  écoles,  où 
elles  ne  sauraient  avoir  de  bien  graves  conséquences-,  elles 
se  sont  reproduites  dans  la  pratique  judiciaire  et  jusque  dans 
la  rédaction  des  lois. 

Un  notaire  avait  dressé  Vacte  qui  constatait,  en  faveur 
d'une  personne  interposée,  la  cession  d'une  créance,  dont  il 
était  lui-même  le  véritable  cessionnaire.  On  provoqua  contre 

*  L^expression  de  titre  s'applique  plus  spécialement  aux  actes  authen- 
tiques. C'est  ainsi  que  le  Code  civil  intitule  les  deux  premiers  paragraphes 
de  la  section  de  la  preuve  littérale  :  Du  titre  authentique,  et  De  l'acte 
sous  seing  privé. 


PRECYES  PRÉCOlfSTITCÉBS.  O 

Ir  l'application  de  Tarticle  175  da  Code  pénal,  lequel  pro- 
sùQce  des  peines  assez  graves  contre  l'officier  public  qui 
«mtëresse  dans  les  odes,  entreprises,  adjudications,  dont  il 
nnut,  au  temps  de  Vacu,  en  tout  ou  en  partie,  l'adminis- 
tration on  la  surveillance.  Eh  bien ,  les  poursuites  du  minis- 
tère publie,  ainsi  que  l'a  décidé,  après  une  longue  procé- 
èsre,  la  Cour  de  cassation,  le  18  avril  1817,  ne  reposaient 
êvideminent  que  sur  une  équivoque.  Vacte  dont  le  notaire 
»ait.  l'administration,  la  surveillance ,- c'était  l'acte  écrit, 
Ymsinanentum  :  Vacte  dans  lequel  il  avait  pris  intérêt,  c'était 
itf  quod  actum  erat,  la  cession ,  dont  il  n'avait  nullement  la 
sârreillance ,  puisque  le  cédant  était  lui-même  présent  pour 
Tdller  à  ses  intérêts.  D  y  avait,  dans  l'espèce,  deux  opéra- 
tions bien  distinctes,  quoique  simultanées  :  l'une,  la  cession 
dle-même  faite  au  profit  du  notaire,  parfaitement  licite,  dès 
que  le  droit  n'était  pas  litigieux  *  ^  l'autre ,  la  rédaction  de 
Taete  constatant  la  cession ,  rédaction  que  le  notaire  inté- 
ressé dans  la  cession  n'avait  pu  foire  lui-même  sans  com- 
mettre une  nullité.  (Loi  du  25  ventôse  aii  XI,  art.  8  et  68.) 
Mais  cette  nullité  de  l'acte  qui  devait  faire  preuve  de  la 
cession ,  ne  pouvait  la  rendre  illicite  après  coup ,  ni  surtout 
placer  l'officier  public  sous  le  coup  de  dispositions  pénales 
destinées  à  atteindre  des  prévarications  bien  autrement 
graves  qu'une  simple  contravention  disciplinaire.  On  voit 
que  les  poursuites  portaient  complètement  à  faux  '. 

^  Eftt-U  été  litigieux,  œ  qui  ne  parait  pas  avoir  été  allégué  dans  l'espèce, 
il  7  aurait  eu  nullité  de  la  cession ,  si  le  droit  était  de  la  compétence  du 
tribunal  dans  le  ressort  duquel  le  notaire  exerçait  ses  fonctions  (G.  ciy., 
art.  1597)  :  mais  les  poursuites  n'auraient  pas  été  pour  cela  mieux  fondées, 
puisque  le  Code  pénal  ne  frappe  d'aucune  peine  la  cession  illicite  de 
créancea  litigieuses. 

'  L'artide  213  du  Code  pénal  napolUain,  en  prononçant  des  peines 
«nalogaes  contre  l'officier  public  dans  la  même  hypothèse ,  a  fait  cesser 
réquivoque ,  par  la  suppression  du  mot  acte  :  il  mentionne  spécialement 
les  opérations  (aggiudicoiUmi ,  appalii  o  amminUtrfizioni)  dont  l'officier 
avait  la  direction  ou  la  sarveUlance. 


6  PRBUVBS  PRÉC0NST1TUÉE&. 

Nous  trouvons  dans  la  loi  elle-même  cette  confusion  dé- 
plorable entre  le  fait  et  la  preuve  du  fait.  «  Les  servitudes 
c<  continues  et  apparentes  »,  dit  l'article  690  du  Gode  civil, 
a  s'acquièrent  par  titre  ou  par  la  possession  de  trente  ans.  » 
Si  par  titre  il  fallait  entendre  dans  cet  article  le  mode  d'ac- 
quisition de  la  servitude  au  fond ,  la  prescription  serait  un 
titre  tout  aussi  bien  qu'une  donation  ou  une  vente ,  puisque 
c'est  également  une  manière  d'acquérir.  En  opposant  le  titre 
k  la  prescription,  le  Gode  a  eu  en  vue  l'acte  écrit,  qui  sçrt 
habituellement  à  constater  l'aliénation  volontaire  de  la  ser- 

• 

vitude,  par  opposition  à  la  possession  trentenaire,  base  de  la 
prescription,  qui  se  prouve  par  téttoins.  Mais  alors  la  ré* 
daction  est  aussi  vicieuse  qu'inexacte  :  vicieuse ,  puisque  ce 
n'est  point  par  le  titre,  instmmentum,  que  l'on  acquiert,  mais 
par  le  mode  de  constitution ,  que  prouve  ce  titre  -,  inexacte, 
en  ce  que  les  actes  écrits  ne  sont  pas  le  seul  moyen  d'établir 
Texis  tence  de  la  servitude,  qui  peut  fort  bien  être  constatée  par  j 
l'aveu,  par  le  serment,  et  par  la  preuve  testimoniale  même,  I 
$i  la  valeur  ne  dépasse  pas  cent  cinquante  francs,  ou  s'il  ;  a 
commencement  de  preuve  par  écrit.  (Rej. ,  i6  décembre 
1863.  )  Tout  cela  vient  d'une  confusion,  fréquente  dans  la 
pratique,  mais  qu'on  ne  devrait  point  retrouver  dans  la  loi, 
entre  le  mode  de  constitution,  qui  sert  de  titre,  au  fond,  k  la 
servitude,  et  le  titre  écrit,  destiné  à  perpétuer  la  mémoire 
de  cette  constitution  \  Il  en  est  de  même  du  mot  acte,  qui, 
dans  l'article  778 .  du  même  Gode ,  relatif  à  celui  qui 
prend  la  qualité  d'héritier  dans  un  acte,  ou  qui  fait  acte 
d'héritier,  signifie  successivement  Vnutrumentum,  et  id  quod 
actim  est.  Les  sages  observations  de  l'école  de  Condillac, 

'  CPest  «n  tombent  dans  la  même  oonfiisioii  que  certains  anteoM  exigent 
un  écrit  pour  établir  le  juste  titre ,  à  Pappni  de  la  prescription  de  dix  on 
Tingt  ans,  comme  si  i^on  devait  entendre  pM  juste  titre  autre  chose  qu'une 
j«te  cause  de  possession ,  sauf  à  pronyar  par  les  Toies  ordinaires  l'exis- 
tence de  cette  cause. 


PRBUYBS  PBÉGOMSTITUÉBS.  7 

dont  nous  répudions  d'aiUeurs  les  tendances  sensualistes, 
sur  l'utilité  d'une  langue  bien  faite  dans  les  sciences,  reçoi- 
vent ici  parfaitement  leur  application.  Malheureusement  il 
ne  nons  est  pas  donné  de  réformer  la  langue  du  droit.  Nous 
emploierons  donc  avec  la  loi  les  mots  usités,  en  nous  tenant 
seulement  en  garde  contre  les  équivoques  de  la  nature  de 
celles  que  nous  venons  de  signaler. 

4SA.  Les  preuves  préconstituées  ne  sont  que  l'expression 
du   témoignage  de  Thomme,  revêtu  de  certaines  formes. 
Nous  avons  vu  que  le  témoignage  peut  émaner  de  tiers 
étrangers  au  litige,  du  défendeur,  ou  du  demandeur  même. 
La  circonstance  que  le  témoignage  intervient  ici  au  moment 
de  l'opération  légale  qu'il  atteste ,  au  lieu  d'être  provoqué 
après  coup ,  n'empêche  pas  qu'il  n'émane  toujours  de  l'une 
de  ces  trois  sources.  La  division  de  ce  livre  sera  donc  la 
même  que  celle  du  livre  précédent.  Nous  trouverons  dans 
l'acte  authentique  le  témoignage  préconstitué  de  tiers  dés- 
intéressés-,  dans  l'acte  sous  seing  privé,  auquel  nous  ratta- 
eherons  les  tailles,  le  témoignage  préconstitué  du  défen- 
deur^ enfin  celui  du  demandeur  même,  dans  les  registres 
des  marchands.  La  force  de  ces  trois  modes  de  preuves  suit 
une  progression  décroissante.  Le  témoignage  de  tiers,  con- 
signé dans  un  acte  authentique,  bien  loin  d'être  suspect, 
comme  le  témoignage  oral  proprement  dit,  est  la  preuve 
légale  par  excellence,  ï  raison  de  la  confiance  que  provoque 
le  caractère  de  l'officier  public  de  qui  il  émane.  Vient  ensuite 
l'aveu  consigné  dans  l'acte  sous  seing  privé ,  qui ,  entouré 
de  moins  de  garanties ,  se  place  k  un  degré  inférieur.  Enfin 
les  déclarations  que  font  les  marchands  en  leur  faveur,  dans 
leurs  registres ,  n'ont  nécessairement  qu'une  foi  relative  et 
restreinte. 

4SS.  Nous  nous  occuperons  en  dernier  lieu  des  copies  et 
des  actes  récognitifs,  c'est-k-dire  de  la  preuve  littérale  au 


8  PREUVES  PRtGONSTITUÉBS. 

second  degré.  Quant  aux  actes  car^irmatifSf  c^est  mal  à  propos 
que  le  législateur,  entraîné  par  une  ressemblance  trompeuse 
entre  ces  actes  et  les  actes  récognitifs,  a  traité  également 
des  premiers  sous  la  rubrique  de  la  preuve.  Â  la  vérité,  ces 
deux  sortes  d'actes  ont  cela  de  commun  qu'ils  tendent  à 
donner  force  k  un  droit  antérieur,  et  c'est  en  ce  sens  gue 
les  interprètes  appellent  l'acte  récognitif  lui-méjfne  confir- 
matào.  Mais  la  confirmation  qui  se  trouve  dans  l'acte  réco- 
gnitif tend  seulement  à  conserver  la  preuve  d'un  droit  dont 
la  validité  n'est  pas  contestée,  tandis  que  la  confirmation 
proprement  dite,  celle  dont  il  est  question  dans  les  arti- 
cles 1338',  1339  et  1340  du  Code  civil,  tend  a  valider  au 
fond  une  opération  entachée  de  nullité.  La  place  naturelle 
de  cet  article  eût  donc  été  dans  la  section  7  du  chapitre 
précédent,  section  qui  traitç  de  l'action  en  .nullité  ou  en 
rescision ,  jst  non  dans  celle  de  la  preuve  littérale.  Cest 
encore  le  double  sens  du  mot  acu  qui  a  trompé  ici  le  légis- 
lateur. L'acte  confirmatif  dont  parle  le  Gode,  c'est  la  confir- 
mation au  fond ,  id  quod  actum  est ,  tandis  qu'il  ne  devrait 
être  question  que  de  l'acte  écrit,  instrumerount,  destiné  k 
prouver  le  droit.  Pothier  n'est  pas  tombé  dans  cette  confu- 
sion. Les  actes  récognitifs  sont  les  seuls  qu'il  rattache  k  la 
preuve  littérale.  Nous  suivrons  son  exemple,  et  nous  nous 
abstiendrons  d'empiéter  sur  la  théorie  des  nullités  et  des 
rescisions ,  qui  est  tout  k  fait  étrangère  k  la  matière  des 
preuves. 

1  On  peut  dire  toutefoU  que  le  premier  alinéa  de  Partide  1338,  qui 
exige  diTenes  mentions  pour  la  yaUdité  de  Pacte  confirmatif,  rentre  dans 
la  matière  des  preuves ,  en  tant  que  ces  mentions  sont  nécessaires  pour 
prouver  un  consentement  sérieux.  Mais  c^est  là  la  partie  la  moins  impor- 
tante du  sujet.  Les  questions  délicates ,  par  exemple ,  Peffet  de  la  confir- 
mation à  Pégard  des  tiers,  sont  toutes  de  fond,  et  dès  lors  complètement 
en  dehors  de  notre  matière. 


PREMIER  MODE  DE  PREUVE  PRÉCONSTITTJÉE 

TÉMOIGNAGE  DB  TIERS.  —  ACTE  AUTHENTIQUE. 

SODAm.  —  4M.  Ce  que  e»t  ipe  Vautkentieiti,  —  457.  Double  base  sur  la<pieUe 
repose  la  présomption  d'aatheaticitè.  ^  488.  DWisioa. 

456.  La  preuve  préconstituëe  qui  doit  inspirer  le  plus 
de  confiance,  c'est  celle  qui  est  Tœavre  d'oflBciers  publics, 
chai^  spécialement  de  recevoir  les  déclarations  des  par- 
ties. Les  actes  rédigés  par  ces  officiers  sont  nommés  authen^ 
f>7»Oi  II  raison  de  la  présomption  de  sincérité  qui  s'y  ratta- 
che. Le  mot  authentique,  qui,  dans  son  sens  le  plus  large, 
iésigne  tout  écrit  public  ou  privé  dont  la  véritable  origine 
est  bien  constisitée,  comme  lorsqu'on  se  demande  si  tel  livre 
attribué  li  tel  auteur  est  bien  authentique,  reçoit  dans  notre 
pratique  judiciaire  un  sens  idus  restreint.  Suivant  l'ar- 
ticle 1311  du  Code  civil  ^  «  Tacte  authentique  est  celui  qui  a 
«  été  reçu  par  officiers  publics  ayant  le  droit  d'instrumenter 
-  dans  le  lieu  où  l'acte  a  été  rédigé ,  et  avec  les  solennités 
*  requises.  » 

457.  L'ionmense  utilité  de  cette  preuve  a  porté  les  rédac- 
teurs du  Gode,  préoccupés  de  la  pratique  bien  plutôt  que  de 
^  rignenr  de  la  théorie,  à  la  placer  en  première  ligne  parmi 
les  preuves  consacrées  par  la  loi.  Et  cependant  l'aéte  authen- 
tique est  loin  de  présenter  la  démonstration  directe  des  faits 
V^'il  tend  à  établir.  La  foi  qui  s'y  attache  repose  sur  une 
double  supposition  :  1**  que  le  papier  produit  en  justice  est 
iHen  l'œuvre  de  Tofficier  dont  il  porte  la  signature  apparente  ; 
^  que  le  témoignage  rendu  par  cet  officier  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions  est  sincère.  La  première  supposition  se 
toDde  sur  la  difficulté  d'imiter  les  actes  authentiques ,  en- 
tourés de  si  nombreuses  formalités ,  et  sur  la  plus  grande 


10  ACTE  ADTHENTIOUE. 

sévérité  du  Gode  péual  (art.  147  et  150),  qui  punit  des  tra- 
vaux forcés  à  temps  le  faux  en  écriture  publique,  et  de  la 
réclusion  seulement  le  faux  en  écriture  privée.  La  seconde 
supposition  repose  sur  les  garanties  que  présentent  le  carac- 
tère et  la  position  de  Tofflcier  public ,  et  sur  la  pénalité 
rigoureuse,  les  travaux  forcés  à  perpétuité  (Und.^  art.  145 
et  146),  qui  l'atteint  au  cas  de  prévarication.  Cette  dernière 
supposition  rentre  dans  les  règles  ordinaires  sur  la  foi  au 
témoignage.  Mais  la  première  n'est  ^'une  présomption  de 
fait ,  une  probabilité ,  que  les  besoins  de  la  pratique  ont 
transformée  en  présomption  légale.  Cette  foi  qui  s'attache, 
non  pas  seulement  k  Tacte  authentique,  mais  k  l'apparence 
même  de  cet  acte,  acta  probaru  se  ipta,  suivant  l'expression 
de  Dumoulin,  est  le  caractère  le  plus  saillant  qui  le  dis- 
tingue de  Facte  sous  seing  privé,  lequel  n'a  de  force  qu'au- 
tant qu'il  est  reconnu  ou  dûment  vérifié. 

458.  L'authenticité  se  retrouve  dans  tous  les  actes  qui 
émanent  de  l'autorité  publique,  dans  les  lois»  dans  les  actes 
administratifs.  Nous  n'avons  k  nous  occuper  ici  que  de  l'au- 
thenticité des  actes  juridiques,  soit  au  civil,  soit  au  criminel. 

Nous  allons  examiner  quelles  sont  les  formes  et  quelle  est 
l'autorité  des  actes  authentiques,  d'abord  au  civil,  puis  au 
criminel.  Nous  traiterons  ensuite  de  la  procédure  au  moyen 
de  laquelle  on  fait  tomber  la  foi  qui  s'attache  k  l'authenti- 
cité, c'est-à-dire  de  l'inscription  de  faux. 

PREMIÈRE  SECTION. 

ACTE  AUTHENTIQUE  EN  MATIÈRE  CIVILE. 

SoviiAiBE.  -^  489.  Type  de  l'acte  authentique,  acte  notarié. 

459.  Les  actes  authentiques  par  excellence ,  ceux  aux- 
quels se  réfèrent  surtout  les  dispositions  du  Code  civil ,  ce 
sont  les  actes  notariés,  dont  nous  nous  occuperons  en  pre- 


ACTES  IVOTARIÉS.  ii 

inier  lieu.  Les  développements  que  nous  donnerons  sur  ces 
actes  nous  dispenseront  d'entrer  dans  des  détails  peu  inté- 
ressants sur  les  actes  authentiques  reçus  par  d'autres  offi- 
ciers publics ,  actes  qui  sont  régis  au  fond  par  les  mêmes 
principes.  Mais  nous  examinerons  k  part  les  questions  déli- 
cates que  soulève  la  foi  des  actes  de  l'état  civil. 

PREMIÈRE  DIVISION. 

ACTBS  HOTARlis. 

■ 

SonuusB.  —  uo.  Caractère  spécial  du  notariat  français.  —  464.  Tabellions  h  Rome, 

insinnatioii.  —  462.  TabellioM  et  notaire*  dans  notre  ancien  droit.  —  463.  Constitution 

actoelle  du  notariat.  —  464.  Pays  où  le  notariat  a  moins  d'importance  qu'en  France.  — 

465.  Pays  où  le  recoar»  à  on  officier  public  est  plus  fréquemment  exigé.  —  466.  Division. 

460.  L'institution  d'officiers  spéciaux  ayant  caractère 
pour  donner  Fauthenticité  aux  actes  qui  constatent  les 
conventions  des  parties  est  tellement  enracinée  dans  nos 
mœurs  judiciaires;  qu'elle  nous  semble  devoir  exister  chez 
tous  les  peuples  civilisés.  «  Periret  omnis  judiciorum  vis  », 
ditChassanée  {Catal.  gloriœ  mundi,  liv.  lY,  consid.  19), 
«nisiessent  notarii,  qui  acta  conscriberent  ^  periret  ipsa 
K  Veritas  et  fides  in  contractibus  et  commerciis.  »  Et  cepen- 
dant le  notariat,  tel  qu'il  est  constitué  chez  nous,  n'existait 
pas  k  Rome ,  et  aujourd'hui  encore  nous  ne  le  retrouvons 
pas  en  Angleterre  et  en  Autriche  ^ 

Cette  foi  exorbitante  donnée  aux  actes  notariés,  qui  ne 
pennet  de  les  faire  tomber  que  par  la  voie  coûteuse  et  pé* 
rilleuse  de  l'inscription  de  faux ,  produit  souvent  des  résul- 
tats iniques  dans  la  pratique.  Ainsi  nous  voyons  la  Cour 
d'Amiens  (28  avril  1859)  reconnaître  qu'en  faisant  une  vente 
^  qualité  d'héritier,  par  acte  authentique ,  le  contractant 

'  £n  Prasse ,  conformément  an  droit  commun  allemand ,  les  actes  reçus 
par  les  notaires  ou  par  d^autres  officiers  n^ont  pas  la  même  force  que  nos 
actes  notariés  ;  ils  ne  font  foi  que  jusqu^à  preuTO  contraire.  H  n'y  a  de 
Téritables  actes  authentiques  que  ceux  qui  sont  reçus  par  les  membres  des 
tribunaux.  (Fœlix,  Droit  international  privé,  s*  éd.,  n«  228.) 


Lj 


12  ACTES  NOTARIÉS. 

n'avait  eu  nullement  l'intention  d'accepter  une  succession 
onéreuse,  et  décider  néanmoins  que,  par  la  force  de  l'acte , 
la  qualité  d'héritier  lai  avait  été  imprimée  jusqu'à  inscrip- 
tion de  faux. 

461.  Il  y  avait  bien  k  Rome  des  tabellions  qui,  établis 
m  forum,  rédigeaient,  sur  la  demande  des  parties,  des 
écrits  constatant  leurs  conventions.  Mais  ces  écrits,  même 
dans  le  dernier  état  du  droit,  lorsque  l'écriture  avait  acquis 
une  grande  importance ,  n'avaient  point  l'autorité  qui  s'at- 
tache k  nos  actes  notariés.  Il  fallait  que  le  tabellion  vint 
lui-même  reconnaître  l'écriture  et  en  affirmer  avec  ser- 
ment la  sincérité;  s'il  était  mort,  on  appelait  le§  témoins 
qui  avaient  assisté  k  l'acte ,  et  on  procédait  k  une  vérifica- 
tion d'écriture.  (Voy.  Nov.  44,  et  Nov.  73,  ch.  vn.)  On 
voit  que  les  actes  des  tabellions,  scripturœ  forenses,  n'of- 
fraient aux  parties  qu'une  garantie  extrêmement  imparfaite. 
Ce  n'était,  en  définitive,  que  la  preuve  testimoniale  appliquée 
k  la  confection  de  l'acte,  dont  le  tabellion  et  les  témoins 
venaient  déposer,  comme  ils  auraient  déposé  de  tout  autre 
fait.  Quant  aux  notarii,  ce  n'étaient  pas  des  officiers  ayant 
mission  de  recevoir  les  conventions  des  parties ,  c'étaient 
de  simples  scribes ,  ordinairement  des  esclaves  publics ,  qui 
écrivaient  en  abréviation  (notU,  d'où  est  venu  leur  nom  ) 
des  actes  de  toute  nature.  Il  y  en  avait  d'attachés  aux  ta- 
bellions, comme  aux  magistrats.  Ils  rédigeaient  le  brouillon, 
que  le  tabellion  mettait  ensuite  au  net,  in  mundum.  (Yoy. 
Just.,  L.  i7,  God.,  Defid.  instrum.)  C'est  de  ces  notarii  que 
parle  Paul  dans  la  loi  40,  pr.,  D. ,  De  te$t.  mil.  :  a  Lucius  Ti- 
ft  tins  miles  testamentum  scribendum  notis  dictavit,  et 
((  antequam  litteris  prsescriberetur,  vita  defunctus  est.  »  Cet 
emploi  n'avait  pas  plus  d'importance  que  n'en  a  aujourd'hui 
celui  de  sténographe. 

Dans  le  dernier  état  de  la  législation  romaine,  on  ima- 


ACnS  NOTARIÉS.  i3 

gina  on  moyen  de  suppléer  à  Tauthenticité ,  que  les  tabel- 
lions n'avaient  pas  mission  de  conférer.  Ce  fut  Yimimuuion, 
qui  consistait  k  déposer,  entre  les  mains  du  magùter  cenms, 
à  Rome  et  k  Constantinople ,  des  magistrats  municipaux 
dans  les  provinces ,  les  imtrumenta  dont  on  voulait  mettre  la 
sincérité  k  Tabri  de  toute  contestation.  Ce  dépôt  que  fai- 
saient de  récrit  original  les  parties  intéressées  dispensait  de 
toute  vérification  ultérieure.  Il  ne  fallait  alors  ni  tabellion 
ni  témoins^  Tintervention  de  l'autorité  publique  assurait  à 
elle  seule  la  foi  de  l'acte  qui  lui  était  confié.  «  Superfluum 
«  est  »,  dit  Zenon  (L.  31 ,  Cod.,  De  donat,  ) ,  «  privatum  tes- 
«  timonium,  quum  publica  monumenta  sufBciant.  »  L'utilité 
de  ces  saipturœ  publicœ  ^  se  fit  si  bien  sentir  dans  les  der- 
niers temps ,  que  Justinien  ordonna  la  création  d'archives 
dans  toutes  les  villes  où  il  n'en  existait  pas  encore.  (Nov.  15, 
ch.  v,§2.) 

462.  Au  moyen  &ge ,  on  distinguait  aussi ,  dans  le  même 
sens  qu'au  Bas-Empire  (  voy.  Mabillon ,  De  re  diplom.,  liv.  III , 
ch.  iv),  les  noHdœ  privatœ  et  les  notitiœ  publicœ.  Les  écri- 
tures privées  étaient  celles  qui  étaient  dressées  en  présence 
de  témoius,  ou  même  du  tabellion,  qui  chez  nous,  dans 
l'origine,  n'était,  comme  k  Rome,  qu'un  témoin  jouissant 
d'un  peu  plus  de  crédit.  On  trouve  peu  d'actes  rédigés  de- 
vant un  tabellion  avant  le  onzième  siècle.  Les  écritures  pu- 
bliques étaient ,  soit  des  actes  privés  insinués  aux  archives, 
comme  dans  le  Bas-Empire ,  soit  des  actes  rédigés  en  pré- 
sence du  juge  ou  de  l'évéque. 


*  Jastimen  (L.  20,  Cod.,  J)e  JicL  instr.)  appeUe  tMUipubliCB  c(xnfecta 
les  actes  des  tabeUions.  Mais  il  prend  alors  le  mot  fvbWce  dans  un  sens 
matériel ,  pour  désigner  les  rédactions  faites  au  forum.  Ce  mot ,  dans  son 
sens  technique,  Teot  dire  au  nom  de  Paulorité  publique.  C'est  ainsi  que 
certains  jurisconsultes  avaient  le  droit  de  répondre  publiée  ($  8 ,  Inst.»  De 
jwr,  nat,  gent.  et  eiv,),  c'est-à-dire  offleiellement.  Les  actes  insinués  sont 
les  seuls  qui  êoieai  publics  en  ce  dernier  sens. 


14  ACTES  NOTARIÉS. 

Ce  fut  de  cette  dernière  institution  que  tira  son  origine 
le  caractère  tout  particulier  qu'a  revêtu  le  notariat  dans  les 
temps  modernes.  Au  moyen  &ge,  lorsque  les  transactions 
sociales  n'étaient  pas  compliquées,  les  mêmes  notarii,  qui 
minutaient  les  actes  des  fonctionnaires  laïques  ou  ecclésias- 
tiques ,  prirent  l'habitude  de  rédiger  également  les  conven- 
tions des  parties  :  ce  qui  n'était  d'abord  que  rexercice 
même  de  leur  office,  puisque  le  dignitaire,  auquel  ils  étaient 
attachés,  recevait  des  actes  de  juridiction  gracieuse,  mais 
ce  qu'ils  firent  ensuite ,  même  hors  de  la  présence  de  ce 
fonctionnaire  ^  «  Nous  avons  pris  l'habitude  »,  dit  Loyseau 
{Offices,  liv.  Il,  ch.  v,  §  80  et  suiv.),  a  d'expédier  nos  con- 
«  trats  hors  de  la  présence  du  juge-,  mais  quoi  qu'il  en  soit, 
«  c'est  toujours  le  juge  qui  parle  en  iceux,  et  y  est  intitulé, 
n  ainsi  qu'aux  sentences ,  et  en  plusieurs  provinces ,  le  style 
«  des  contrats  porte  :  que  les  parties  soru  comparues  devant 
a  le  notaire  comme  en  droit  ou  en  jugement,  et  encore  en  quel- 
«  ques  lieux  il  porte  :  qu^ elles  sont  jugées  et  condamnées  de  leur 
«  consentement ,  à  entretenir  tout  ce  qui  est  contenu  au  contrat  : 
((  qui  est  aussi  la  cause  pourquoi  les  contrats  en  France  ont 
«  exécution  parée,  ainsi  que  les  sentences...  Aussi  j'ai  re- 
((  marqué  soigneusement  qu'en  toutes  les  anciennes  ordon- 
«  nances  jusqu'à  celles  de  Louis  XII ,  les  greffiers  sont 
((  appelés  communément  notaires  * ,  aussi  bien  que  les  tabel- 
«  lions.  »  L'autorité  quasi  judiciaire  des  actes  authentiques 
(voy.  aussi  sur  ce  point  Pothier,  Traité  de  la  procédure  dvile, 
part.  IV,  ch.  ii,  sect.  2,  art,  1)  s'explique,  on  le  voit, 
historiquement,  puisque  le  notariat  n'était,  dans  l'origine, 


*  Ai^oard'hiii  encore,  en  Espagne,  les  escrivanos  sont  à  la  fois  notaires 
des  parties  et  greffiers  des  tribonaux  ;  en  Russie,  c'est  un  greffier  qui  rédige 
les  actes  relatifs  aux  immeubles.  (Fœlix ,  loc»  cit.) 

*  Des  ordonnances  de  1304  et  de  1315  parlent,  en  effet,  de  notaires 
établis  par  le  roi ,  portant  les  arrêts  sur  leurs  protocoles  et  en  déUvrant  dci 
expéditions  aux  parties.  * 


ACnS  MOTABIÉS.  15 

qo'ane  branche  in  pouvoir  jndiciaire ,  que  l'exercice  de  la 
juridiction  gradeose.  Oo  retrouve,  même  soas  Louis  XIV, 
des  traces  bien  marquées  de  cette  origine.  Ainsi  un  édit  de 
mars  1673  créa  des  charges  de  eonseiUers  de  Sa  Majesté,  gref- 
fm  des  conventions,  charges  qui,  par  un  second  édit  du  mois 
d'août  de  la  même  année,  furent  réunies  k  celles  des  notaires 
d«  Chàlelet. 

Tandis  qne  les  scribes  des  tribunaux  se  transformaient 
peu  à  pen  en  notaires,  les  anciens  tabellions  subsistaient 
toujours.  Mais  le  notariat  proprement  dit  se  rattachait  k  la 
justice  royale ,  depuis  que  Philippe  le  Long  avait  déclaré , 
par  une  ordonnance  de  1319',  que  les  sceaux  et  écritures 
(serikaus)  étaient  de  son  propre  domaine.  Le  tabellionâge , 
au  contraire,  était  devenu  une  institution  municipale.  C'est 
ee  qui  apparaît  bien  clairement  dans  les  raisons  et  artides 
envoyés  en  1470  par  les  échevins  de  la  commune  de  Saint- 
Diàer  k  ceux  de  la  ville  d'Ypres.  (Voy.  ce  curieux  document 
dans  le  second  volume  des  Olim  de  M.  Beugnot,  p.  718.) 
Ces  échevins  se  plaignent  (art.  290)  qu'on  ne  les  laisse  pas 
jouir  et  user  patribUment  du  tabellionaige,  beaucoup  de  bour- 
geois prenant  l'habitude  de  faire  passer  leurs  lettres  par-Hkvant 
deux  notaires  royaux.  Ainsi,  le  tabellionage  était  l'institution 
locale ,  et  le  notariat  l'institution  centrale ,  qui  finit  par  ab- 
sorber l'autre. 

n  arriva ,  du  reste ,  que  le  tabellionage  se  dédoubla  lui- 
même  ,  si  on  peut  s'exprimer  ainsi ,  et  donna  lieu  à  la  créa- 
tion d'officiers  qui  prirent  également  le  titre  de  notaires. 
Unque  les  affaires  se  moltiplièrent ,  chaque  tabellion  un 
peu  accrédité  eut  besoin  d'employer  des  clercs,  qui  rédi- 
geaient la  première  note  ou  minute  des  actes,  que  leur 
patron  mettait  ensuite  au  net ,  et  dont  il  délivrait  des  expé- 
ditions. «Finalement  )>,  dit  Loyseau  (même  ch.  v,  §  64 
^t  suiv.  ) ,  «  et  comme  il  arrive  en  toutes  conditions ,  que 


16  ACTES  M0T4R1ÉS. 

«  ceux  qui  font  la  besogne  s'accroissent  et  s'augmentent 
«  toujours ,  même  supplantait  enfin  leurs  maîtres  qui  sont 
«  négligents,  ces  clercs,  qui  avaient  yécu  sous  leurs  maîtres 
«  comme  domestiques,  voyant  que  leurs  charges  méri- 
a  taient  bien  d'être  continuées,  après  qu'ils  étaient  mariés 
<(  et  séparés  de  demeure  d'avec  leurs  maîtres,  se  faisaient 
«  par  eux  commettre  et  substituer,  tant  en  présence  qu'ab- 
<(  sence.  »  Ces  clercs  des  tabellions  obtinrent  donc  le  droit 
de  rédiger  seuls  la  minute ,  avec  le  titre  de  notaires ,  le  pri- 
vilège de  grossoyer  l'acte  étant  réservé  aux  tabellions.  Un  édît 
de  François  I",  en  1542,  qui  établit  des  notaires  là  où  il  n'y 
avait  que  des  tabellions,  et  réciproquement,  sanctionna  cet 
état  de  choses ,  en  défendant  respectivement  aux  notaires 
d'empiéter  sur  la  grosse,  et  aux  tabellions  d'empiéter  sur  la 
minute.  Toutefois  les  notaires  du  Ghàtelet  de  Paris  (décl. 
du  6  juillet  1543),  qui  pouvaient  instrumenter  dans  tout  le 
royaume ,  continuèrent  à  exercer  dans  toute  sa  plénitude  la 
juridiction  volontaire,  qui  leur  avait  été  déléguée  de  temps 
immémorial. 

L'intérêt  d'une  bonne  discipline  et  d'une  sage  répartition 
des  pouvoirs  fit  cesser,  sous  Henri  II ,  la  confusion  qui  s'était 
perpétuée  jusqu'alors  entre  les  fonctions  de  greffier  et 
celles  de  notaire.  Un  édit  du  4  octobre  1554,  renouvelant 
des  règlements  antérieurs  mal  exécutés,  défendit  aux  juges, 
lieutenants  et  grefBers ,  de  recevoir  k  l'avenir  aucun  con- 
trat volontaire  ^  Au  contraire,  il  ne  pouvait  y  avoir  qu'avan- 
tage et  économie  k  réunir  les  fonctions  de  notaire  et  celles 
de  tabellion  :  réunion  qui  fut  en  efiet  opérée  par  Henri  IV 
en  1597.  Le  notariat,  nom  qui  prévalut,  excepté  dans  cer- 
taines localités  rurales,  devint  alors,  comme  la  plupart  des 

*  n  a  été  jugé,  en  conséquence,  qu^un  acte  de  transaction,  reçu  en  1633 
par  deux  majeurs  ou  maires,  n'avait  point  le  caractère  authentique.  (Rej., 
27  janTîer  1825.) 


ACTES  NOTARIÉS.  17 

autres  charges  poblîques,  un  office  vénal  et  héréditaire. 
463.  La  loi  du  16  octobre  1791  supprima  la  Ténaltté  et 
l'hérédité,  et  ordonna  que  les  places  de  notaire  flissent 
données  ao  concours.  Il  est  douteux  que  ce  mode  de  nomi- 
Dation ,  si  précieux  k  tant  d'autres  égards ,  fût  convenable 
ponr  des  emplois  de  cette  nature  ' .  Mais  la  loi  du  2S  ven- 
tôse an  XI ,  qui  nous  régit  aujourd'hui ,  est  tombée  dans 
Fexeès  contraire,  en  n'exigeant  plus  que  des  conditions 
d'aptitnde  toutes  pratiques ,  c'est-à-dire  un  certain  nombre 
d'années  de  stage  chez  un  notaire  (art.  37  et  38),  sans  re- 
qiérir  la  justification  d'aucunes  connaissances  théoriques. 
Cette  latitude  dans  le  choix  des  candidats,  qui  pouvait  se 
concevoir  en  l'an  XI ,  lorsque  les  écoles  de  droit  n'étaient 
pas  encore  réorganisées,  est  devenue  une  anomalie,  aujour- 
d'hui qne  l'élude  de  la  science  du  droit  est  si  florissante  et 
si  répandue.  La  justification  d'un  diplôme  serait  d'autant 
plus  utile,  que  la  loi  du  28  avril  1816  (art.  91)  a  rétabli 
indirectement  la  vénalité  pour  les  offices  de  notaire ,  comme 
pour  plusieurs  autres  :  ce  qui,  en  l'absence  de  toute  condi- 
tion sérieuse  de  capacité ,  transforme  souvent  en  pure  spé- 
colatioD  l'acquisition  de  ces  offices.  Les  vices  de  la  loi  ont 
produit  les  résultats  auxquels  on  devait  s'attendre ,  et  les 
désordres  du  notariat  n'ont  que  trop  fait  sentir  l'utilité  d'une 
réforme.  Une  ordonnance  du  4  janvier  1843  a  fait  un  pas 
dans  cette  voie,  en  fortifiant  l'action  disciplinaire,  et  en 
interdisant  aux  notaires  les  spéculations  qui  ont  donné  lieu 
à  tant  de  scandales.  Mais,  lors  de  la  crise  de  1848,  de 
nouveaux  désastres  sont  venus  affliger  le  notariat  :  pour 


*  n  a  été  cependant  établi  à  Naples  par  Tarticle  55  de  la  loi  sur  le  notariat. 
Aiijoiird*hm  le  notariat,  en  Italie,  est  en  Toie  de  réorganisation  sur  des  bases 
Doirormes.  (Voyez  sur  le  notariat  dans  les  divers  pays ,  le  Bulletin  de  la 
Sftciété  de  législation  comparée,  n««  de  février  et  de  mai  1870.) 

II.  î 


i8  ACTES  NOTARIÉS. 

que  la  reforme  soit  complète  et  efficace,  il  faut  une  loi 
qui  augmente  les  garanties  sous  le  rapport  de  la  capacité. 
464.  Si  l'institution  du  notariat,  telle  que  nous  la  con- 
cevons aujourd'hui,  n'est  pas  bien  ancienne,  elle  n'est 
pas  non  plus  universelle  en  Europe.  En  Angleterre ,  les  no- 
taires ,  charges  surtout  de  la  rédaction  des  contrats  d'assn- 
rance  et  des  protêts,  ne  donnent  l'authenticité  aux  actes 
qu'en  tant  qu'il  s'agit  de  les  employer  k  l'étranger.  A  Tinté- 
rieur,  tous  les  actes  doivent  être  vérifiés  en  justice  par 
témoins  ou  par  comparaison  d'écritures.  L'attestation  du 
notaire  n'a  pas  plus  de  force  que  n'en  avait  celle  du 
tabellion  dans  les  premiers  temps  :  ce  sont  toujours  des 
actes  sous  seing  privé.  Mais  on  prend  habituellement 
pour  rédiger  ces  actes,  soumis  en  Angleterre  k  des 
formes  très-compliquées,  des  hommes  de  loi  proprement 
dits,  les  attomeys,  qui  sont  en  même  temps  procureurs  : 
cumul  de  fonctions  qui  n'est  pas  sans  danger  pour  les 
parties,  puisqu'on  donne  la  mission  de  prévenir  les  procès 
aux  mêmes   officiers  qui  sont   chargés  de  les  diriger. 
L'absence  d'actes  authentiques  notariés  fait  d'ailleurs  recou- 
rir à  des  moyens  analogues  à  ceux  qu'on  employait  k  Rome 
et  au  moyen  âge.  «  La  sûreté  de  la  possession  que  l'on  tient 
((  d'un  acte  public  »,  dit  Blackstone  (liv.  II,  ch.  xxi),  «  ne 
((  dépend  pas  seulement  de  l'acte  même,  ni  du  consente- 
«  ment  des  parties  contractantes,  mais  encore  de  la  sanc- 
((  tion  d'une  cour  de  justice ,  dans  les  registres  de  laquelle 
<(  l'acte  est  consigné.  »  Des  actes  de  cette  nature  sont  reçus 
par  le  parlement,  et  enregistrés  sous  le  nom  à' actes  privés, 
par  opposition  k  ceux  qui  ont  un  caractère  politique.  L'or- 
ganisation judiciaire  de  T Angleterre  présente,  sous  ce  rap- 
port ,  la  plus  grande  analogie  avec  celle  qui  existait  au  Bas* 
Empire.  Le  système  anglais  est  en  vigueur  dans  l'Amérique 
du  Nord.  En  Danemark  également,  l'authenticité  est  incon- 


ACTB8  NOTARIÉS.  19 

nue,  loote  convention  se  prouve  par  le  témoignage  de  denx 
personnes. 

46S.  Certains  pays^  au  contraire,  ont  enchéri  sur  la  lé- 
gislation française,  et  attaché  plus  de  prix  encore  k  F  au- 
thenticité. Ainsi  tandis  que  chez  nous ,  la  rédaction  notariée 
est,  en  général ,  purement  facultative ,  en  Prusse  (voy.  Gode 
prussien,  part.  I,  tit.  X,  art.  6)  et  dans  le  canton  de  Yaud 
(Code  du  canton  de  Yaud,  art.  liiS),  il  faut  un  acte  au- 
thentique pour  la  transmission  de  la  propriété  immobilière. 
La  législation  qui  a  été  le  plus  avant  dans  cette  voie  est  le 
Code  italien  (art.  1314),  qui  exige  la  rédaction  par  acte 
public  pour  toutes  les  conventions  de  quelque  importance , 
y  compris  les  baux  au-dessus  de  neuf  ans.  Peut-être  cette 
exigence  n  Vt-elle  aucun  inconvénient  eu  égard  aux  habitudes 
de  la  population  italienne.  Mais,  chez  nous,  les  parties 
s'adressent  volontairement  au  notaàre  dans  toutes  les  occa- 
sions graves ,  et  les  actes  sous  seing  privé  n'interviennent 
généralement  que  pour  afEaires  d'un  intérêt  modique,  et 
entre  personnes  capables  d'exprimer  leur  volonté   sans 
ivoir  recours  au  style,  souvent  encore  aujourd'hui  trop 
prolixe,  du  notariat.  H  n'y  a  donc  pas  lieu  k  innover  en  ce 
sens,  pas  plus  que  dans  celui  de  la  loi  anglaise.  (Voyez  le 
Q"  de  mai  1870,  déjk  cité,  du  BuUetin  de  la  SodéU  de  tégisloHon 
comparée.  ) 

An  surplus,  les  principes  de  la  législation  française  sur  le 
notariat  ont  été  adoptés  dans  plusieurs  États,  notamment  en 
Belgique  et  dans  les  Pays-Bas ,  où  une  loi  spéciale  a  été 
rendue  sur  ce  point  le  9  juillet  1842,  en  Bavière,  et  tout 
récemment  en  Autriche. 

466.  Nous  allons  présenter  une  analyse  succincte  des 
principales  formes  auxquelles  sont  soumis  les  actes  nota- 
riés *,  puis  nous  nous  demanderons  quelle  est  la  foi  de  ces 

^tes,  et,  en  général,  des  actes  authentiques. 

s. 


20  ACTES  NOTARIÉS. 

PREHIEE  POINT. 
Fofme  dei  aotei  notarîéf . 

SOMiiAiRS.  —  467.  Distinction  des  solennités  intrinsèques  et  extrinsèques. — 468.  Division. 

467.  Notre  intention  n'est  point  de  parcourir  ici  en 
détail  les  nombreuses  formalités  prescrites  aux  notaires 
par  la  loi  du  25  yentôse  an  XL  Nous  laisserons  de  côté  les 
prescriptions  réglementaires,  dont  Tinobservation  donne 
lieu  k  des  peines  disciplinaires  contre  le  contrevenant,  pour 
nous  attacher  aux  dispositions  substantielles. 

Les  solennités  qui  doivent  se  trouver  dans  Tacte  notarié, 
pour  qu'il  puisse  produire  tous  les  effets  dont  il  est  suscep- 
tible, sont  de  deux  sortes  :  les  unes  sont  intrinsèques, 
nécessaires  pour  la  foi  de  Tacte ,  solemnia  probantia  ;  les 
autres  sont  extrinsèques,  nécessaires  seulement  pour  Texé- 
cution ,  solemnia  completoria.  On  sent  combien  il  importe  de 
distinguer  ces  deux  natures  de  solennités  ^  autre  chose  est, 
en  effet,  Fabsence  de  foi  d'un  acte,  autre  chose  est  Tabsence 
de  force  exécutoire.  Or,  les  solennités  requises  (C.  civ. , 
art.  1317)  pour  que  Tacte,  reçu  par  un  notaire  ou  par  tout 
autre  officier,  fasse  foi  en  justice,  sont  seulement  celles 
de  la  première  espèce  ^  car  il  y  a  des  actes  qui  ne  sont  pas 
destinés  k  être  exécutés ,  et  qui  n'en  sont  pas  moins  authen- 
tiques, bien  que  revêtus  seulement  des  formes  intrinsèques, 
les  certificats  de  vie ,  par  exemple. 

C'est  faute  d'avoir  fait  cette  distinction  fondamentale  que 
certains  auteurs  ont  dénié  l'authenticité  au  procès-verbal  de 
conciliation  dressé  par  le  juge  de  paix.  L'article  34  du  Gode 
de  procédure  dit  bien ,  il  est  vrai ,  que  les  conventions  des 
parties,  insérées  au  procès-verbal,  ont  force  (t  obligation  fni^ 
vie  ;  mais ,  si  on  recherche  le  but  que  s'est  proposé  le  légis- 
lateur en  ajoutant  cette  restriction,  on  reconnaît  aisément 
qu'il  n'a  pas  voulu  refuser  au  procès-verbal  du  juge  de  paix 


ACTES  NOTABIÉS.  il 

la  foi  qui  s'attache  aux  déclarations  dûment  reçues  par  un 
foncdonnàîre  public,  mais  seulement  empêcher  qu'il  ne  fût 
rendu  exécutoire  :  ce  qui  eût  porté  atteinte  aux  prérogatives 
des  notaires  '.  Aussi  admet-on  généralement  aujourd'hui  que 
ce  procès-rerbal  constitue  une  véritable  preuve  authentique, 
mais  que  seulement  il  n'est  pas  susceptible  d'exécution 
forcée  -,  ce  qu'on  a  voulu  dire  en  employant  ces  expressions 
Tagues  et  mexactes  :  force  d'obligation  privée  *. 

Cette  force  exécutoire ,  que  nous  sommes  habitués  à  rat- 
tacher en  quelque  sorte  à  l'authenticité ,  comme  en  étant  le 
corollaire  obligé ,  est  loin  d'être  attribuée  partout  aux  actes 
notariés  (Fœlix,  n*  474)  \  elle  ne  se  retrouve  que  dans  les 
pays  qui  ont  reproduit  le  système  de  la  législation  fran- 
çaise, tels  que  la  Belgique,  la  Prusse  rhénane,  le  canton  de 
Geoève,  le  royaume  de  Grèce*  Dans  les  pays  qui  n'attachent 
pas  la  même  importance  au  notariat  (n**  464),  tels  que 
VÀDgleterre  et  la  plupart  des  pays  allemands,  les  actes 
notariés  ne  sont  point  exécutoires  par  eux-mêmes.  Seule- 
ment, dans  la  pratique  de  ces  pays,  et  notamment  en 
Saie,  en  Danemark,  on  s'adresse  aux  tribunaux,  qui  rendent 
exécutoires  d'une  manière  plus  expéditive  les  conventions 
constatées  par  des  actes  publics.  C'est  ce  que  l'on  appelle 
procès  d'exécution  (executive  process), 

468.  Nous  allons  examiner  d'abord  quelles  sont  les  con- 
ditions eu  l'absence  desquelles  un  acte  notarié  est  nul ,  du 
moins  comme  acte  notarié  -,  puis  nous  nous  demanderons 
ce  qui  arrive  quand  l'acte  est  annulé  k  défaut  de  quelqu'une 
de  ces  conditions  ;  enfln  nous  parlerons  des  formalités  pure- 
nient  extrinsèques. 

^  Si  uùQB  reproduisons  ce  motif,  c'est  sans  entendre  aucunement  Pap- 
ProuTer.  Loin  de  nous  la  pensée  que  les  lois  doivent  être  faites  pour  les 
officiers  publics,  et  non  les  officiers  publics  pour  les  lois. 

*  U  Code  de  procédure  italien  de  1866  (art.  7)  attribue  au  proeès- 
^^fbal  dressé  par  le  conciliateur  force  exécutoire ,  mais  seulement  si  la 
^cv  ne  dépasse  pas  trente  livres. 


22  ACTES  NOTARIÉS. 

S  I.  COITDmOBfS  BMElfTIBI.LB8  A  LA  VALIDITÉ  ilTrftlIISBQIIB 

DBS  ACTB8  HOTABliS. 

SomAmB.  —  469.  Conditions  essentielles  pour  cette  Yalidilé.  —  470.  Cas  où  la  qnalité 
de  notaire  manquerait  totalement.  —  474.  Cas  où  un  incapable  aurait  été  institaé.  — 
472.  Cas  où  le  notaire  anrait  cessé  ses  fonctions.  —  473.  Limites  dn  ressort  où  le 
notaire  peat  instrumenter.  —  474.  Personnes  k  l'égard  desquelles  son  ministère  est 
interdit  -*  478.  Solennités  requises.  —  476.  Assistance  du  second  notaire  on  des 
témoins;  loi  da  24  juin  4843.—  477.  Quels  notaires  peuvent  concourir  ii  l'acte.  — 
478.  Nécessité  que  les  témoins  soient  citoyens  français.  —  479.  Capacité  putative  des 
témoins.  —  480.  Nécessité  de  savoir  signer.  —  484.  Domicile.  -^  482.  Parenté  oa 
alliance.  —  483.  Date.  —  484.  Mention  des  parties  et  des  témoins.  —  485.  {Signature 
des  parties ,  des  témoins  et  du  notaire.  —  486.  Nécessité  de  garder  minute.  —  487.  Sor^ 
charges ,  additions  et  ratures.  —  488.  Emploi  de  la  langue  française. 

409.  En  tête  de  toutes  les  conditions  exigées  pour  la 
yalidité  de  l'acte ,  se  trouve  la  capacité  légale  de  l'officier 
qui  le  rédige.  «  L'acte  authentique  »,  dit  l'article  1317  du 
Cknle  civil ,  a  est  celui  qui  a  été  reçu  par  officiers  publics , 
«  ayant  le  droit  d'instrumenter  dans  le  lieu  où  l'acte  a  été 
a  rédigé.  »  Il  feut  donc,  pour  avoir  qualité,  afin  de  constater 
les  conventions  des  parties  :  l""  être  notaire  ;  2"  instrumenter 
dans  les  limites  du  ressort  déterminé  par  la  loi. 

470.  La  qualité  de  notaire  peut  manquer  au  rédacteur 
de  l'acte  dans  diverses  hypothèses. 

Écartons  tout  d'abord  le  cas  le  plus  grave ,  mais  le  plus 
difficile  à  supposer  dans  la  pratique,  celui  où  un  homme 
complètement  étranger  au  notariat  en  aurait  usurpé  les  fonc- 
tions. Alors  l'erreur  des  parties,  qui  auraient  pris  pour 
notaire ,  sur  sa  simple  déclaration ,  celui  qui  n'avait  pas 
même  de  caractère  officiel  apparent ,  serait  tellement  gros- 
sière ,  qu'elle  ne  mériterait  aucune  indulgence. 

Ce  qui  est  moins  extraordinaire,  et  ce  qui  s'est  présenté', 
en  effet,  dans  la  pratique,  c'est  que  les  parties  accordent 
leur  confiance  ^  un  officier  qui  n'aurait  pas  été  dûment  in* 
Btitué.  C'est  ainsi  qu'avant  l'organisation  régulière  du  notariat 
en  Algérie ,  un  notaire  avait  été  institué  k  Boue  par  un  sous^ 
intendant  militaire,  qui  ne  l'avait  pas  même  astreint  k  la 
prestation  de  serment.  Un  jugement  du  tribunal  supérieur 


ACTES  NOTARIÉS.  23 

d'Alger,  qui  avait  déclaré  valables  les  actes  de  cet  oflScier, 
a  été  cassé  le  9  mai  1842  :  a  Attendu  que  si  la  nécessité 
«  de  prévenir  les  désordres  dans  les  premiers  moments  de 
«  roccupation  d'un  pays  conquis,  peut  autoriser  les  agents 
«  militaires  k  prendre  les  mesures  de  police  et  de  sûreté 
«  que  la  gravité  et  l'urgence  des  circonstances  peuvent  rendre 
«indispensables,  leur  autorité  ne  peut  s'étendre  jusqu'à 
<  cré^,  sans  délégation,  des  officiers  publics  dont  le  carac- 
«  tère  propre  est  de  revêtir  de  l'autbenticité  les  conventions 
c  des  parties ,  et  de  donner  aux  actes  qu'ils  reçoivent  la  force 
«  de  l'exécution  parée  '  ;  que ,  d'ailleurs,  aucun  événement, 
«  quelque  extraordinaire  qu'il  puisse  être ,  ne  saurait  auto- 
«  riser  un  notaire  à  entrer  en  fonctions ,  sans  avoir  prêté 
«lie  serment  prescrit  par  la  loi.  »  Il  est  à  croire  que,  s'il  y 
avait  eu  prestation  de  serment ,  la  Cour  de  cassation  eût  été 
moins  sévère. 

471.  Ce  qui  arrivera  plus  souvent,  c'est  une  nomination 
«abonne  forme,  mais  accordée  à  une  personne  incapable, 
priîée,  par  exemple,  de  la  qualité  de  Français.  C'est  ainsi 
qu'à  Rome ,  un  esclave  avait  réussi  à  se  faire  nommer  pré- 
teur, ce  qui  donna  lieu  à  cette  décision  d'Ulpien,  si  souvent 
ôtée  (L.  3,  D.,  De  off.  prœu)  :  a  Barbarius  Philippus,  quum 
«  servus  fugitivus  esset,  Rom»  praeturam  petiit,  et  praetor 
«desipatns  est  :  sed  nihil  ei  servitutem  obstitisse,  ait 
«Pomponius,  quasi  prsetor  non  fuerit.  Atquin  venim  est, 
«praetura  eum  functum,  et  tamen  videamus  si  servus, 
«quamdiu  latuit,  dignitate  prsetoria  fonctus  sit,  quid  dice* 
«mus?  quae  edixit,  quse  decrevit,  nullius  fore  momenti? 
«  An  fore ,  propter  utilitatem  eorum  qui  apud  eum  egerunt, 
«  Yel  lege ,  vel  quo  alio  jure  ?  Et  verum  puto ,  nihil  eorum 
«reprobari.  Hoc  enim  bumanius  est,  quum  etiam  potuit 

'  On  Toit  que  la  Cour  de  cassation  unit  Tolontiers  les  deux  idées  d'au- 
^entlcité  et  de  force  exécutoire.  (N»  467.) 


24  ACTES  NOTARIÉS. 

c(  populas  romanas  servo  deceroere  banc  potestatem  -,  sed 
«  et  si  scisset  servum  esse,  liberam  effecisset  :  quod  jus 
((  multo  magis  in  imperatore  observandum  est.  » 

Faut-il  admettre  cette  décision ,  géaéralement  reçue  dans 
notre  ancienne  jurisprudence,  ou  dire,  au  contraire,  que 
nous  sommes  dans  le  cas  de  Vincapacité  prévue  par  l'ar- 
ticle 1318,  et  que  l'acte  peut  tout  au  plus  valoir  comme  acte 
sous  seing  privé  ?  On  ne  peut  nier  que  la  même  nécessité 
pratique,  qui  a  dicté  à  Rome  la  loi  Barbarius  Philippus^ 
n'existe  encore  aujourd'hui.  Ceux  qui  traitent  avec  un  offi- 
cier public  ne  peuvent  faire  une  enquête  sur  son  âge,  sur 
ses  antécédents ,  etc.  \  ils  doivent  s'en  rapporter  h  l'autorité, 
qui  lui  a  donné  l'investiture  de  ses  fonctions.  A  ne  s'attacher 
qu'au  Code  civil,  quelque  doute  pourrait  s'élever,  l'ar- 
ticle 1318,  qui  n'accorde  qu'un  effet  restreint  à  l'acte,  par- 
lant de  Vincapacité  en  général.  Mais,  si  nous  nous  reportons 
k  la  loi  du  25  ventôse  an  XI,  qui  est  le  siège  de  la  matière, 
et  à  laquelle  il  est  peu  vraisemblable  qu'on  ait  voulu  déro- 
ger, nous  y  voyons  que  l'article  68,  qui  énumère  expressé- 
ment les  dispositions  dont  l'inobservation  emporte  nullité, 
ne  vise  ni  l'article  35,  relatif  aux  conditions  de  capacité 
exigées,  ni  l'article  7,  relatif  à  l'incompatibilité  des  fonc- 
tions de  notaire  avec  certaines  autres  fonctions.  C'est  k  Tad- 
ministration  qu'il  convient  de  s'adresser  alors,  afin  d'obtenir 
le  retrait  de  la  commission  (L.  de  vent.,  art.  45  et  46) 
délivrée  au  mépris  de  la  loi  ^  mais,  tant  que  cette  commis- 
sion n^est  pas  retirée ,  foi  est  due  au  titre  apparent.  Jusque- 
là,  il  faut  dire  avec  Tacite  (Annal. ^  liv.  VI,  §  8)  :  «  Non 
((  est  nostrum  cestimare  quem  mpra  cœteroSf  et  quibus  de  causis 
«  extoUas.  TiU  summum  rerumjudicium  Dii  dedere;  nobis  obse- 
((  quii  gloria  relicta  est.  »  C'est  ainsi  que  tous  les  publicistes 
enseignent  que  les  actes  et  jugements,  passés  sous  l'empire 
de  l'autorité  la  plus  illégitime,  doivent  être  maintenus^  et 


àCTES  NOTARIÉS.  25 

Doos  oroyODS ,  tonjoors  en  vertu  de  la  même  théorie ,  qu'il 
n'appartient  pas  aax  tribunaux  de  se  refuser  à  l'exécution 
d'one  loi  ',  sons  prétexte  de  son  inconstitutionnalité  (Cass., 
11  mai  1833)  ;  autrement,  le  pouvoir  judiciaire  absorberait 
tOQs les  autres'. 
472.  L'incapacité  à  laquelle  fait  allusion  l'article  1318, 
la  seule  de  nature  k  vicier  l'acte ,  c'est  celle  dont  les  parties 
ont  pu  être  informées,  celle  qui  résulte,  non  d'un  vice 
latent,  mais  d'une  déclaration  officielle  de  l'autorité.  En 
effet,  l'article  52  de  la  loi  sur  le  notariat,  auquel  cette  fois 
se  réfère  expressément  l'article  68 ,  relatif  aux  nullités ,  est 
mi  conçu  :  «  Tout  notaire  suspendu,  destitué  ou  remplacé, 
«devra,  aussitôt  après  la  notification  qui  lui  aura  été  faite 

'  Noos  supposons  une  loi  Totée  en  la  fonne  régulière  par  les  pouvoirs 
NDpétents.  La  question  est  bien  plus  délicate ,  lorsquMl  y  a  eu  usurpation 
<h  pouToir  législatif ,  et  que  Pacte  irrégulier  a  été  inséré  au  Bulletin  des 
^  sans  réclamation,  ainsi  que  cela  est  anÎTé  pour  un  assez  grand  nombre 
^décrets  impériaux.  Même  dans  cette  hypothèse,  la  Cour  de  cassation  n'a 
PB  admettre  que  Pacte  inconstitutionnel  fût  nul  ipso  facto,  et  n'en  a 
repoussé  l'autorité ,  là  où  il  s'agissait  d'appliquer  la  peine  de  mort  (iVoy. 
Itaénatus^.  du  3  avril  1814),  qu'en  se  fondant  sur  l'incompatibilité  du  décret 
an  1  »  mai  1812  avec  les  principes  consacrés  par  la  charte.  (Cass. ,  2 1  mai  1 847 .) 

'  On  admet  cependant  aux  États-Unis  que  le  pouvoir  judiciaire  peut 
i^aser  d'appliquer  une  loi  qu'il  estime  inconstitutionnelle.  M.  Tocqueville 
ifif  la  démocratie  en  Amérique,  tom.  I,  ch.  vi)  explique  cette  attribution 
fi  importante  de  la  magistrature  américaine  par  cette  considération  que , 
larérision  des  constitutions  étant  admise  en  Amérique,  s'il  y  a  conflit  entre 
la  eonsUtution  et  la  loi ,  il  est  toujours  possible  de  reviser  la  constitution. 
Maig  nous  ne  Toyons  pas  qu'en  France ,  sous  les  diverses  constitu lions  qui 
oflt  aotorisé  la  révision  du  pacte  fondamental  (const.  de  1791 ,  de  1793 , 
<^Faii  ni,  de  1848  et  de  1852),  on  ait  permis  aux  tribunaux  de  statuer 
^la  constitntionnalité  des  lois.  Il  faut  donc  expliquer  la  législation  amé- 
ncaine  par  un  motif  plus  grave ,  le  besoin  de  tempérer,  à  l'aide  de  cette 
ûitenention  de  la  magistrature ,  l'omnipotence  de  la  démocratie,  de  même 
(pi'aatrefois,  chez  nous,  le  reftis  d'enregistrement  des  ordonnances  de  la 
part  des  parlements  était  un  moyen  irrégulier,  mais  souvent  efiicace ,  de 
opérer  l'onmipotence  de  la  royauté.  (Voyez  sur  ce  point  l'intéressant  cha- 
pitre des  commentaires  de  M.  Story  sur  la  constitution  des  États-Unis 
iv-  m ,  ehap.  iv  :  Who  is  fauU  Judge  or  interpréter  in  constitutional 
ontrooersies  ?)  C'est  dans  le  même  esprit  que,  lors  de  récentes  discussions 
'(^73),  on  a  proposé  à  notre  Assemblée  nationale  le  système  américain 
imr  oontre-balancer  le  pouvoir  d'une  assemblée  unique. 


26  ACTES  NOTARIÉS. 

<(  de  sa  suspension ,  de  sa  destitution  ou  de  son  remplace- 
«  ment,  cesser  Texercice  de  son  état.  »  Il  est  à  remarquer 
que  cet  article,  bien  d'accord  avec  la  théorie  que  nous  venons 
d'exposer,  admet  que,  jusqu'il  la  notification  de  la  décision 
prise  par  l'autorité  supérieure,  l'exercice  des  fonctions  con- 
tinue ;  dès  lors  tout  ce  qui  est  fait  antérieurement  à  cette 
notification  demeure  valable.  C'est  ce  qui  a  été  décidé  (Rej., 
25  novembre  1813)  pour  une  sipification  faite  par  un  huis- 
sier dont  l'interdiction  avait  été  prononcée,  sans  être  encore 
notifiée.  Mais,  une  fois  que  cette  notification  a  eu  lieu,  l'offi- 
cier perd  tout  caractère  ^  il  y  a  faute ,  surtout  dans  un  pays 
où  les  décisions  de  l'autorité  sont  rendues  publiques  par  la 
voie  de  la  presse ,  k  ignorer  la  destitution  ou  la  suspensioa 
dûment  notifiée. 

473.  La  seconde  condition  exigée  de  l'officier ,  pour  que 
l'authenticité  soit  conférée  à  l'acte,  condition  consacrée  par 
un  édit  de  novembre  1542,  c'est  qu'il  instrumente  dans  les 
limites  de  son  ressort.  Cette  règle  était  observée  au  seizième 
siècle  comme  elle  l'est  aujourd'hui.  On  tenait  alors  stricte- 
ment, suivant  ce  que  nous  rapporte  Boiceau  {Preuve  par 
témoins ,  liv.  II ,  ch.  iv) ,  à  ce  que  le  notaire  n'instrumentât 
point  hors  de  son  ressort,  cum  taheUiones,  extra  territorium , 
omnino  privati  censeantur,  siciu  et  judices.  Mais ,  dans  le  der- 
nier état  de  l'ancien  droit ,  indépendamment  de  la  préroga- 
tive dont  jouissaient  certains  notaires ,  notanmient  ceux  des 
Chàtelets  de  Paris,  Orléans  et  Montpellier,  qui  pouvaient 
instrumenter  dans  tout  le  royaume,  la  règle  que  chaque  ncK 
taire  devait  exercer  dans  son  ressort  n'était  pas  considérée 
comme  prescrite  k  peine  de  nullité ,  et  n'avait  pour  sanction 
qu'une  amende  *.  (Voy.  loi  du  16  octobre  1791,  tit.  I. 
sect  1,  art.  5  ;  Rej.,  5  avril  1836.)  Les  lois  modernes  son^ 

^  Pothier  atteste  {ObUg.,  n»  792)  que  les  règlements  prohU>itifs  k  ci 
égard  Quêtaient  coosidérés  que  comme  des  lois  bttrsales. 


ACTES  NOTARife.  27 

menjÈts  rigoarenseinent  an  principe  qui  Yeut  qu'un  fonc- 
tiofliaiiB,  hors  du  territoire  qui  lui  est  assigné,  ne  soit  plus 
qu'un  simple  particulier,  et  dès  lors  la  nullité  des  actes  reçus 
hn  de  ce  territoire  a  dft  être  prononcée.  (Loi  de  vent., 
vt.  6  et  68.)  C'est  pour  cela  qu'on  eiige  la  mention  du  lieu 
Ni  Pacte  est  passé  (tMd.,  art.  12),  mention  qui  serait  utile, 
Qois  non  substantielle ,  dans  les  actes  sous  seing  privé ,  que 
r»ii  peut  faire  partout.  En  exigeant  cette  mention,  la  loi 
Ibrcele  notaire  qui  instrumenterait  hors  de  son  ressort,  ou 
iiien  k  faire  un  acte  évidemment  nul ,  s'il  s'abstient  d'y  insé* 
^  renonciation  mensongère ,  ou  bien ,  dans  le  cas  con* 
tnire,  ^  faire  un  faux,  en  dissimulant  la  nullité,  et  à  s'ex- 
poser ainsi  aux  peines  les  plus  graves  ' . 
474.  Dans  le  ressort  même  qui  est  affecté  aux  notaires, 
ils  ne  peuvent  exercer  leur  ministère  k  l'égard  de  toute  per- 
sonne. II  leur  est  défendu  {Und. ,  art.  8)  de  recevoir  des 
actes  dans  lesquels  leurs  parents  ou  alliés ,  en  ligne  directe 
^  tons  les  degrés ,  et  en  collatérale  jusqu'au  degré  d'oncle 
^de  neveu  inclusivement,  seraient  parties  :  de  plus,  ils 
^  peuvent  recevoir  des  actes  où  ils  seraient  intéressés  eux- 
iQêmes.  C'est  ce  qu'a  voulu  exprimer  la  fin  de  l'article  8, 

^1  ajoute  :  ou  qui  contiendraient  quelques  dieporitiom  en  leur 
/<v<ur ;  expressions  qui,  grammaticalement,  pourraient  se 
'spporter  aux  parents  des  notaires ,  aussi  bien  qu'aux  no- 
ires eux-mêmes,  mais  qui,  en  raison ,  ne  peuvent  s'appli- 
^er  qu'à  ces  derniers ,  puisque  autrement  elles  ne  contien- 

*  C'est  ce  que  la  Cour  de  cassation  a  décidé  plusieurs  fois ,  notamment 
^  16  novembre  1892.  MM.  Cbaaveaa  et  Hélie  {Théorie  du  Code  pénal, 
^-  n,  eh.  xxn ,  §  3)  veulent,  pour  qu'il  y  ait  faui  dans  l'espèce ,  con- 
l^noément  à  un  arrêt  de  la  même  Cour  du  4  mars  1825,  qu'il  y  ait  eu 
>>Moa  de  noire  à  l'intérftt  des  parties.  Cette  doctrine  nous  semble  trop 
^^^àiée,  n  font  répondre,  aTec  l'arrêt  de  1832  ,  «  que  cette  fausse  énon- 
ôition,  ayant  pour  but  de  tromper  et  d'éluder  la  prévoyance  et  la  volonté 
^  légiilatenr,  et  d'aiUeurs  étant  préjudiciable  à  autrui  (puisque  Pacte  est 
^^);enkporte  par  cela  seul  l'intention  et  la  moralité  criminelle  du  crime  de 
Un.  M 


28  ACTES  NOTARIÉS. 

draient  qa'une  redondance  inutile.  Rien  de  plus  juste 
d'ailleurs  que  d'interdire  au  notaire  la  faculté  de  rendre 
témoignage  dans  son  propre  intérêt.  C'est  ce  qui  a  été  jugé 
par  deux  arrêts  de  cassation»  en  date  du  15  juin  1853. 
(Yoy..  aussi  Rej.,  16  décembre  1836.)  Toutefois  nous  avons 
vu  (n""  453)  que  c'était  bien  mal  à  propos,  et  par  suite  d'une 
véritable  confusion  de  langage ,  qu'on  avait  voulu  appliquer 
l'article  175  du  Gode  pénal  k  un  notaire  qui  avait  pris  un 
intérêt  à  la  créance  constatée  par  un  acu  qu'il  avait  reçu 
lui-même.  Il  y  a  Ik  une  nullité  et  une  infraction  disciplinaire, 
mais  nullement  un  délit  caractérisé,  délit  qui  ne  saurait 
exister  que  si  le  notaire  avait  eu  la  surveillance  de  la  créance 
même»  à  laquelle  il  avait  pris  intérêt,  et  non  de  l'acte  des- 
tiné k  la  constater. 

475.  L'officier  supposé  capable  et  compétent,  il  faut 
encore  que  l'acte  soit  reçu  avec  les  solennités  requises.  (G.  civ. , 
art.  1317.)  Ges  solennités  se  rattachent,  soit  k  la  qualité  des 
personnes  qui  le  reçoivent ,  soit  aux  règles  k  suivre  dans  la 
rédaction. 

476.  «  Les  actes  »,  dit  l'article  9  de  la  loi  de  ventôse, 
«  seront  reçus  par  deux  notaires ,  ou  par  un  notaire  assisté 
a  de  deux  témoins»  citoyens  français,  sachant  signer,  et 
((  domiciliés  dans  l'arrondissement  communal  où  l'acte  sera 
«  passé.  »  Gette  disposition,  dont  le  principe  remonte  k  une 
ordonnance  de  Philippe  le  Bel  de  1304,  est  nécessaire  pour 
donner  aux  parties  des  garanties  contre  la  prévarication  des 
officiers  publics.  L'accord  de  deux  notaires  pour  falsifier  les 
conventions  des  parties  est  infiniment  moins  probable  que 
la  malversation  d'un  seul.  La  présence  des  témoins,  que 
l'on  a  appelés  instrumentaires  k  raison  de  leur  concours  k 
Tacte  (instrumentum)  ^  se  justifie  par  le  même  motif. 

Mais  il  est  souvent  difficile,  dans  la  pratique,  d'obtenir 
l'assistance  de  deux  notaires  -,  aussi  la  prescription  de  l'or- 


ACTES  NOTAKIÉS.  29 

donnaoee  de  1904,  bien  que  renouvelée  en  1437 ,  élait-elle 
KMnbée  en  désuétude  dans  Fancien  droit,  excepté  pour  cer* 
tÛDs  actes  d*one  hante  importance,  tels  que  les  testaments. 
L'article  14  des  statuts  et  règlements  de  la  communauté  des 
lioUires  au  CSiâtelet  de  Paris,  homologués  par  un  arrêt  du 
Mement  du  13  mai  1681 ,  portait  que  les  notaires  seraient 
%és  de  signer  l'un  pour  l'autre  les  actes  et  contrats  non 
contraires  aux  ordonnances  et  bonnes  mœurs,  dont  ils 
seraient  requis,  sans  le  pouvoir  refuser  ^  et  cette  jurispru- 
dence avait  été  convertie  en  loi  par  des  édits  de  1691  et 
n06.  Depuis  la  promulgation  de  la  loi  de  ventôse,  les 
oêmes  habitudes  se  sont  conservées  dans  la  pratique  quant 
u  notaire  en  second ,  et  nos  mœurs  répugnant  souvent  k 
l^admissitm  de  témoins  dans  le  secret  de  nos  affidres,  l'usage 
^est  également  introduit  de  faire  signer  l'acte  après  coup 
!>ar les  témoins  instrumentaires.  C'était  là,  nous  persistons 
)le  croire,  une  violation  manifeste  de  la  loi  :  violation  long- 
teps  tolérée  par  la  jurisprudence,  qui  se  fondait  sur  un 
^ier  motif  ^  la  prétendue  abrogation  par  désuétude  de 
Indisposition  de  la  loi  de  ventôse,  mais  enfin  condamnée 
pv  QQ  arrêt  de  cassation  du  25  janvier  1841.  Cet  arrêta 
^Ti  d'une  autre  décision  conforme  (16  novembre  1841), 
Bût  le  législateur  dans  la  nécessité  de  sauvegarder  les  inté- 
^ts  compromis  par  ce  changement  de  jurisprudence ,  et 
^  statuer  pour  l'avenir  ;  tel  a  été  l'objet  de  la  loi  da 
^  jmn  1843. 

Quant  au  premier  point,  il  est  vrai  que  certains  esprits 
^t  contesté  au  législateur  le  pouvoir  de  rendre  de  véritables 
^  interprétatives ,  de  nature  à  régir  le  passé  ' .  Mais  cette 

'  fl  n'y  aurait  empiétement  sur  le  pouToir  jvdidaire  qu'autant  que  le 
Nroir  législatif  intenriendrait  dans  des  causes  particulières  pour  inter- 
^  la  loL  (Voy.  notamment  le  décret  du  19  pluviôse  an  II,  par  lequel 
*  Cmrentbn  annula,  sur  la  demande  des  parties,  un  jugement  du  tribunal 


30  ACTES  NOTARIÉS. 

théorie,  contraire  d'aiUeurs  &  celle  des  anteurs  les  plus 
exacts ,  ne  pouvait  prévaloir  contre  le  désir  bien  légitime 
d'assurer  la  paix  des  contrats  et  la  stabilité  des  familles ,  en 
défendant  a  d'annuler  les  actes  notariés  passés  depuis  la  pro- 
ie mulgation  de  la  loi  du  25  ventôse  an  XI,  par  le  motif  que 
«  le  notaire  en  second  ou  les  deux  témoins  instrumentaires 
«  n'auraient  pas  été  présents  a  la  réception  desdits  actes.  » 
C'est  ce  qu'a  fait  l'article  !•'  de  la  loi  nouvelle ,  contre  lequel 
il  ne  saurait  s'élever  d'objections  sérieuses. 

Pour  l'avenir ,  le  législateur ,  bien  qu'il  prétende  ne  faire 
qu'expliquer  la  loi  de  ventôse  (loi  de  1843,  art.  3),  Ta  réel- 
lement modifiée ,  puisqu'il  a  donné  raison  k  la  pratique ,  en 
dispensant  généralement  les  parties  de  l'assistance  du  second 
notaire  et  des  témoins.  [Ibid.^  art.  1  et  3.)  Soit  lors  de  la 
discussion  de  la  loi  de  1843,  soit  depuis  cette  époque,  on  a 
accusé  le  pouvoir  législatif  d'avoir  manqué  d'énergie ,  et  de 
n'avoir  pas  même  su  être  conséquent  dans  un  système  vi-> 
cieux.  Ces  reproches  ne  nous  paraissent  pas  fondés.  D'abord, 
il  n'y  avait  pas  de  motifs  suffisants  pour  se  roidir  contre  les 
difficultés  pratiques  qu'offrait  la  présence  réelle  du  second 
notaire  et  des  témoins,  puisqu'il  était  avéré  que  les  désordres 
du  notariat  ne  tenaient  nullement  au  défaut  9e  cette  pré- 
sence réelle.  Mais,  dit-on,  il  serait  alors  plus  simple  et  plus 
logique  de  faire  rédiger  les  actes  par  le  notaire  seul.  Cette 
idée  a  été  repoussée  en  connaissance  de  cause  par  le  légis- 
lateur. «  On  a  considéré,  d'une  part  )»,  dit  M.  Philippe  Du- 
pin,  dans  son  rapport  k  la  Chambre  des  députés  (Moniteur 
du  9  mars  1843) ,  «  que  la  formalité  de  la  signature  après 

«  coup  du  second  notaire  ou  des  témoins  était  sans  inconvë- 

I 

de  cassation  portant  sur  la  compétence.)  Quant  à  la  faculté  d'interpréter  la 
loi  d'une  manière  générale,  même  pour  le  passé,  elle  ne  saurait  appartenir 
^'au  pouYOir  législatif  :  or,  les  besoins  sociaux  exigent  quelquefois,  ainsi 
que  cela  est  arriYé  en  1848  pour  les  actes  notariés,  qu'U  soit  fait  usage  à» 
cette  faculté. 


ACTES  IfOTARIÉS.  31 

nient  poor  les  parties  et  d'un  accomplissement  fedle  pour 
les  notaires.  D*nn  autre  côté ,  et  bien  que  ce  ne  soit  pas 
ane  garantie  puissante,  cet  usage  a  cependant  quelques 
avantages.  Ainsi  le  notaire  en  second,  sans  pénétrer  indi- 
rectement dans  le  secret  des  actes ,  Térifie  si  les  formes 
eitérieores  sont  observées,  si  le  protocole  est  régulier, 
si  les  renyois  et  l'énoncé  des  mots  nuls  sont  exactement 
parafés,  si  l'acte  ne  contient  pas  des  blancs  ou  des  mter- 
lignes  dont  on  puisse  abuser.  L'obligation  d'imiter  la  signa- 
ture du  notaire  ou  des  témoins  rendrait  le  faux  plus  diffi- 
cile, si  quelque  main  était  tentée  d'en  commettre,  ou 
mettrait  plus  vite  sur  la  trace  du  crime.  Enfin  c'est  un 
obstacle  aux  retranchements  ou  aux  intercalations  de  ren* 
vois  qu'on  voudrait  faire  par  la  suite  au  détriment  des 
parties  et  du  fisc.  On  n'a  pas  voulu  enlever  sans  motifs 
ces  garanties,  quelque  feibles  qu'elles  puissent  paraître.  » 
Toutefois,  la  loi  de  i843  maintient  (art.  4)  les  règles 
spéciales  du  Gode  civil  sur  la  forme  des  testaments  \  De 
phis,  elle  exige  (art.  S)  la  présence  du  notaire  en  second 
OQ  des  deux  témoins  pour  les  actes  notariés  les  plus  impor- 
tants, ceux  qui  contiennent  donation  entre-vife,  donation 
^tre  époux  pendant  le  mariage  * ,  révocation  de  donation 
OQ  de  testament ,  reconnaissance  d'enfknts  naturels ,  et  les 
piocurations  pour  consentir  ces  divers  actes.  Cette  présence 
Mt  être  mentionnée  k  peine  de  nullité  (même  art.  2).  Mais, 
^e  pour  ces  actes  ainsi  places  dans  une  catégorie  spé- 
^de,  la  loi  nouvelle  n'exige  point  qu'il  y  ait  assistance,  soit 

^  1)808  lei  testaments,  la  plus  légère  absence  dhin  témoin  suffit  pour 
^i^l'icte.  (Bordeaux,  S  mai  1860.) 

'  On  vnix  proposé  d'appliquer  la  même  règle  anx  donations  faites  par 
^tnt  de  mariage  et  aux  contrats  de  mariage  en  général.  Mais  il  a  été 
^^^oam  qa^U  y  aYait  une  garantie  suffisante  dans  Passistanee  des  deux 
j^es  à  ces  stipulations  solenneUes ,  aux  détails  desquelles  nous  ne 
1^9008  point  toujours  oonyenable  d'immlsoer  des  tiers. 


32  ACTES  NOTARIÉS. 

aux  pourparlers  préliminaires»  soit  k  la  rédaction  de  la  mi- 
nute, a  La  présence  du  notaire  en  second  ou  des  deux 
«  témoins  »,  dît  Tarticle  2,  «  n'est  requise  qu'au  moment 
((  de  la  lecture  des  actes  par  le  notaire  et  de  la  signature 
a  des  parties  '.  »  On  voit  que  l'esprit  de  la  loi  est  toujours 
de  garantir,  autant  que  faire  se  peut,  le  secret  des  conven- 
tions ,  qui  est  essentiellement  dans  nos  mœurs. 

477.  Une  disposition  qui  a  toujours  été  rigoureusement 
observée,  c'est  celle  de  l'article  8  de  la  loi  de  ventôse,  re- 
nouvelée d^un  arrêt  de  règlement  de  1550 ,  qui  interdit  aux 
notaires  parents  ou  alliés,  a  l'infini  en  ligne  directe,  et  jus- 
qu'au troisième  degré  en  ligne  collatérale,  de  concourir  au 
même  acte  -,  mais  aucune  décision  moderne  ne  reproduit  la 
défense,  faite  aux  notaires  par  le  parlement  de  Paris,  le 
iO  février  i615,  de  se  réunir  au  nombre  de  plus  de  deux 
pour  la  passation  de  leurs  actes ,  de  crainte  que  le  secret 
des  parties  ne  fût  compromis.  Cet  abus,  du  reste,  si  tant  est 
qu'il  y  eût  abus,  est  peu  k  craindre ,  les  officiers  publics 
n'étant  guère  disposés  à  venir  assisteir  bénévolement  k  des 
opérations  d'où  ils  ne  pourraient  retirer  aucun  émolument. 
La  Cour  de  Reims  a  effectivement  déclaré  valable,  le  7  fé- 
vrier 1855,  un  acte  de  donation  reçu,  comme  un  testament 
(C.  civ.,  art.  971),  en  présence  de  deux  notaires  et  de  deux 
témoins. 


*  La  loi  de  1843  ajoatant  :  «  Elle  sera  mentioiinée  à  peine  de  nullité  i», 
on  s'est  demandé  si  c'était  la  présence  du  notaire  en  second  et  des  témoins, 
on  bien  la  lecture  de  l'acte,  ainsi  que  le  Code  (art.  972)  le  décide  pour  les 
testaments,  qui  doit  être  mentionnée.  Il  est  sans  doute  plus  sage  de 
toujours  mentionner  la  lecture  du  présent  acte  par  le  notaire  en  présence 
du  second  notaire  et  des  témoins,  suivant  le  formulaire  prescrit  par  une 
circulaire  de  la  chambre  des  notaires  de  Paris,  en  date  du  24  juin  1843. 
Mais  nous  pensons ,  avec  un  jugement  du  tribunal  de  Dijon ,  du  30  juin 
1857,  que  le  pronom  die,  dans  la  loi  de  1843 ,  se  rapporte  grammaticale- 
ment à  la  présence  exigée ,  et  non  pas  à  la  lecture  de  Pacte ,  et  que  dès 
lors  il  n'est  point  permis  de  suppléer  une  nullité  que  le  texte  ne  prononce 
pas.  (Voy,  en  sens  contraire  M.  Demoly,  Meime  critique,  tom.  XTV,  p.  434.) 


ACTI8  NOTARIÉS.  33 

478.  Qout  aux  conditions  de  capacité  que  doivent  réunir 
les  lémoins,  l'article  9  exige  d'abord  qu'ils  soient  dfoyoït 
frïïMçm.  Pour  soutenir  qne  ces  mots ,  ainsi  qne  l'a  jogé  un 
ffrét  de  rejet  dn  10  juin  1824,  ne  doivent  pas  être  pris  ^  la 
lettre,  on  invoque,  soit  la  nature  des  fonctions  de  témoin, 
ivi  n'a  rien  de  politique,  soit  le  vocabidaire  en  usage  sous 
h  pemière  république  française,  qui  tendsdt  ^  généraliser 
le  sens  du  mot  €itasea\  (On  sait  que  les  fenunes  mêmes 
étaient  aj^lées  dtoyames.  )  Mais  il  n'y  a  rien  d'extraordi- 
uire  à  considérer  conune  une  sorte  de  mission  publique  le 
linistère  de  celui  qui  est  appelé  ^  contrôler  la  gestion  d'un 
«fficier  public ,  avec  la  £aiculté  d'appeler  sur  sa  tête  la  peine 
h  Eux,  en  cas  de  prévarication.  Adoptée  par  un  arrêt  de 
BiMien  du  13  mai  1839,  cette  doctrine  est  d'ailleurs  en 
bnnonie  a^ec  celle  que  nous  avons  admise  en  matière 
^expertise  (n*  lU).  Les  articles  34  et  42  du  Gode  pénal 
ftettent,  en  effet,  sur  la  même  ligne  l'incapacité  d'ê(re  expert 
et  celte  d'être  employé  comme  témoin  dans  les  actes.  Quant 
>v  sens  même  du  mot  ekoyen,  il  ne  faut  pas  transporter  les 
'Âominations  et  les  idées  qui  avaient  cours  sous  la  Con- 
^tion,  à  l'époque  du  Consulat,  sous  lequel  les  idées  répu- 
Ucaioes  étaient  singulièrement  ef&tcées.  N'est-ce  pas  d'ail- 
leurs l'article  7  du  Code  civil ,  promulgué  le  27  ventôse  an  XI, 
c'est-à-dire  presque  en  même  tanps  que  la  loi  sur  le  notariat, 
^'  a  déclaré  l'exercice  des  droits  civils  indépendant  de  la 
<Nité  de  citoyen?  Aussi  est-ce  en  connaissance  de  cause 
^e  l'article  980  du  même  (!ode  n'a  exigé  des  témoins  aux 
testaments  que  la  qualité  de  T^pui&oJet,  remplacée  dans 
les  rédactions  postérieures  par  celles  de  n^eu  de  Cemperettr, 
ÏW8  es  rot.  Le  projet  de  Code  (titre  De$  domaunu  et  «««o- 


n. 


34  ÀGTBft  ROTARléa* 

nieras,  art.  73)  exigeait  (esperdcù  de$  drok^poUUqueti;  ce  qui 
fut  supprimé  par  le  Goaseil  d'État.  Le  rapport  de  M.  Jaubert 
au  Tribvnat  sur  le  titre  Oas  domoians  fait  bien  ressortir  le  droit 
commun  et  l'exception  en  cette  matière  :  «  Quelques  obser* 
«  vations  sur  les  témoins  testamentaires  » ,  dit  l'orateur  : 
«  il  soSit  qu'ils  jouissent  des  droits  civils,  tandis  que,  pour 
«  les  actes  publics  ordinaires,  où  k  la  vérité  il  n'en  faut  que 
«  deux,  il  est  indispensable  qu'ils  jouissent  des  droits  polî<-% 
«tiqueté  v  Si  notre  ancienne  législation  n'exigeait  dans 
tous  les  cap  que  la  qualité  de  régnioole,  c'est  qu'il  n'y  avait 
guère  lieu  alora  1^  s'occuper  des  droits  politiques,  lea 
états  généraux  n'étant  pas  même  ccaivoqués  une  fois  par 
siècle. 

Noua  considérons,  du  reste,  comme  citoyen  firançais  tout 
majeur  de  vingt  et  un  ans,  qui  n'est  pas  dans  un  cas  d'inea^ 
paclté.  Telle  était  notre  opinion  sous  l'empire  de  la  charte 
de  4830,-  et  il  y  a  encore  moins  de  doute  à  cet  égard,  aujour- 
d'hui que  la  condition  exigée  par  la  constitution  de  l'an  VIII 
(art.  2),  d'une  inscription  pendant  un  an  sur  les  registres 
civiques ,  k  partir  de  la  majorité ,  a  été  formellement  abolie 
par  la  constitution  de  i848,  qui  a  conféré  le  droit  électoral 
à  tous  les  Français  âgés  de  vingt  et  un  ans  et  jouissant  de 
leurs  droits  civils  et  politiques  :  principe  consacré  de  nouveau 
par  le  décret  du  2  février  i%S&  (art.  i2) ,  et  toujours  suivi 
depuis.  Dès  lors  sont  tombées  toutes  les  restrictions  anté^ 
rieures  quant  k  l'exercice  des  droits  de  citoyen,  notamment 
celles  qui  résultaient  des  articles  4  et  5  de  la  constitution  de 
l^an  VIII  \  La  qualité  de  citoyen  français  appartient  donc 
aujourd'hui  k  tous  ceux  qui  n'ont  pas  perdu  d'une  manière 

'  Il  faut  remarquer  surtout  celle  qui  frappait  les  serviteurs  à  gages , 
lesquels  ont  recouvré  depuis  1S48  la  plénitude  des  droits  politiques,  sans 
toutefois  pouvoir  être  appelés  aux  fonctions  de  juré.  (Loi  du  21  novembre 
1872,  art.  4*) 


▲GTBS  IfOTàRliS.  35 

générale  la  capacité  politique  par  suite  ^  soil  d'une  oondaiiH 
ntiûo  ï  une  peine  emportant  dégraidation  civique,  soit  même 
i'one  interdiction  judiciaire.  Quant  aux  conditions  spéciales 
d'ipdtude  pour  Télectorat  et  pour  l'éligibilité ,  elles  ne  sau- 
mnt  être  requises  pour  les  finictions  publiques,  et  spéciale* 
Beat  pour  le  simple  ministère  des  témoins  instrumentaires, 
(Test  ainsi  qu'aux  termes  de  la  constitution  de  i848  (art.  37), 
il  kâ  électorale  devait  déterminer  les  causes  qui  peuvent 
prirer  ui  dioyai  faunçau  du  droit  d'âire  éi  d'être  éiu.  On 
Feol  donc  demeurer  citoyen  français  en  cessant  d'être  éleo 
t^.  n  n'y  a  point  dès  liMrs  k  se  préoccuper,  en  ce  qui 
tmfae  les  témoins  instramentaires,  des  restrictima  spé* 
Aies,  phtt  00  moins  ffraves,  établies  par  les  lois  électo* 
nies. 

479.  Ce  que  nous  avons  dit  de  la  capacité  putative  du 
B5tùre,  doit  s'appliquer  également  k  la  capacité  putative 
^  témoins.  Ainsi ,  quand  ils  auront  encouru  une  condaoH 
Bttioii  ignovée  de  tous  ceux  avec  qui  ils  se  trouvaient  en 
Kbtion,  l'erreur  des  parties,  étant  invincible,  ne  devit 
ps  entrains  la  nullité  de  l'acte.  La  Cour  de  cassation  (Rej., 
Sjaillet  i831  et  24  juillet  4839)  s'est  prononcée  en  ce 
sens.  Mais  la  Cour  d'Aix  a  été  trop  loin,  quand  eOe  a 
décidé,  le  90  juillet  1898,  que  Terreur  commune  suffisait 
pour  valider  Tacte  qu'avait  signé  comme  témoin  un  cordon- 
lùer  patenté,  mineur  de  vingt  et  un  ans,  qui  passait  dans  le 
pjys  pour  majeur.  B  est  facile  de  se  faire  représenter  un 
extrait  des  registres  de  l'état  civil ,  et  c'était  un  singulier 
i&ojei  de  vérification  pour  un  netaire,  que  de  s'en  rapporter 
^  la  raneur  publique  pour  Pexistence  d'une  qualité  qu'ail 
pomnt  si  aisément  constater.  Ce  serait  seulement  dans  le 
os  de  production  d'un  faux  acte  de  naissance,  qu'il  serait 
possible  d'elfacer  favorablement  la  nullité.  Il  faut  reconnaître 
i^éainnoins  que  ta  question  de  savoir  s'il  y  a  eu  erreur  invin- 


36  ACTES  NOTARIÉS. 

cible  comporte  une  appréciation  de  pur  fait,  qui  n'est  point 
susceptible  d'être  revisée  par  la  Cour  de  cassation.  (Rej.., 
24  juillet  4839  et  4  février  1850.) 

480.  La  seconde  condition  de  capacité,  requise  des 
témoins,  sur  laquelle  il  ne  peut  y  avoir  d'équivoque,  parce 
qu'elle  est  toute  de  fait,  c'est  celle  qui  consiste  k  savoir 
signer.  L'ordonnance  de  Blois,  de  1579  (art.  166) »  voulait 
que  dans  les  villes  et  gros  bourgs  il  y  eût  un  des  témoins 
qui  sût  signer ,  mais  seulement  dans  le  cas  où  les  parties  ne 
signeraient  point  elles-mêmes.  L'usage  de  l'écriture  étant 
bien  plus  répandu  de  nos  jours,  la  loi  de  ventôse  a  voulu 
que,  dans  tous  les  cas,  les  deux  témoins  fussent  capables  de 
signer  :  mais  une  tolérance,  analogue  k  celle  de  l'ordonnance 
de  Biois,  existe  quant  aux  testaments  authentiques,  pour 
lesquels  un  plus  grand  nombre  de  témoins  est  exigé.  L'ar- 
ticle 974  du  Code  civil  se  contente  alors  de  la  signature  de 
la  moitié  des  témoins,  dans  les  campagnes.  Aujourd'hui, 
comme  jadis ,  les  tribunaux  ont  un  pouvoir  discrétionnaire 
pour  apprécier,  d'après  l'importance  de  la  localité,  si  elle 
doit,  ou  non,  être  considérée  comme  campagne.  (Rej., 
10  juin  1817  et  10  mars  1829.) 

481.  En  troisième  lien,  ils  doivent  être  domiciliés  dans 
l'arrondissement  communal  où  Tacte  est  passé.  Des  per- 
sonnes du  pays  sont  plus  k  même  de  reconnaître  la  sincérité 
des  déclarations  faites  par  les  parties.  Il  est  aussi  plus  facile 
de  les  retrouver  ensuite ,  quand  on  a  besoin  d'invoquer  leur 
témoignage, 

482.  Le  même  degré  de  parenté  ou  d'alliance,  qui  ne 
doit  pas  exister  entre  le  notaire  et  les  parties,  ne  doit  pas 
exister  non  plus  entre  les  témoins  et  le  notaire,  ni  entre  les 
témoins  et  Tune  des  parties  contractantes.  (Loi  de  vent. , 
art.  8.  )  Mais  il  n'y  avait  aucun  motif  sérieux  pour  interdire 
k  deux  parents  de  porter  témoignage  ensemble  :  «  Nihil 


ACTB8  NOTARIÉS.  37 

■  jiocet  ex  ana  domo  plnres  testes  alieno  negotio  adhiberi.  » 
(  Yoy.  Instit. ,  §  8,  />«  letl.  orcfin.) 

Les  témoins  ne  doivent  pas  non  plus  (même  art.  8)  être 
dercs  on  serviteurs  du  notaire.  Mais  le  simple  fait  d'avoir 
rédigé  des  expéditions  pour  un  notaire ,  lorsqu'on  n'est  point 
attaché  2i  son  service  habituel ,  ne  constitue  point  une  véri- 
table clérieatnre.  (Rej.,  5  février  1829  et  10  avril  1855.)  Il 
en  serait  autrement  si  les  rapports  étaient  permanents, 
bîes  qu'il  n'y  eût  point  eu  inscription  au  stage,  le  tout 
soÎTSiBt  l'appréciation  des  juges  du  fait.  (Rej.,  S5  jan- 
vier 1858.) 

Nous  avons  achevé  ce  qui  concerne  les  personnes  dont  le 
ministère  donne  l'authenticité  k  l'acte  notarié.  Parlons  main- 
teDani  des  formalités  matérielles  requises  pour  la  validité 
intrinseqoe  de  cet  acte. 

483.  On  doit  y  énoncer  (loi  de  vent.,  art.  12)  le  lieu, 
raimée  et  le  jour  où  il  est  passé  ^  ce  qu'on  appelle  la  date , 
do  mot  daium,  usité  dans  le  style  latin  de  la  chancellerie  du 
saint-siége,  pour  indiquer  que  la  pièce  avait  été  émise  k 
telle  époque.  On  ne  parle  pas  du  mois ,  que  cependant  il 
n'est  pas  possible  d'omettre  au  fond ,  peut-être  pour  empê- 
cher qo'on  n'annule  un  acte  daté  par  relation  k  une  fête  dont 
il  serait  facile  de  vérifier  la  date,  par  exemple,  de  la  veille 
de  la   Totusanu.  L'ordonnance  de  Blois  voulait  de  plus 
(art.  167)  qu'on  indiquât  si  l'acte  avait  été  passé  avant  ou 
après  midi.  Cette  mention,  qui  n'est  plus  exigée,  avait  alors 
mie  hante  importance,  puisqu'il  était  essentiel  de  constater 
exactement  la  date  des- actes  notariés,  qui  emportaient  hypo- 
thèque k  partir  de  cette  date.  Elle  peut  être  utile  aujourd'hui 
ponr  établir  la  préférence  entre  deux  acheteurs  qui  auraient 
acheté  le  même  immeuble,  le  même  jour,  de  la  même  per- 
sonne, sans  que  ni  l'un  ni  l'autre  eût  fait  opérer  la  transcrip* 
tion  \  on  entre  deux  acheteurs  d'effets  mobiliers,  dont  aucun 


38  AGTKê  NOTARttS. 

n'aurait  été  mis  en  possession  effective  des  objets  vendus. 

La  même  ordonnance  exigeait  (même  article)  la  mention 
de  la  maison  où  Tacte  était  passé,  de  ce  que  Dumoulin 
appelle  le  lociu  lod.  La  loi  de  ventôse  parle  simplement  du 
lieu;cequis*entendordinairementdelacommuneoùlenotaire 
instrumente.  On  a  voulu  seulement  bien  constater,  ainsi  que 
nous  Tavons  remarqué,  qu'il  agit  dans  les  limites  de  son 
ressort.  Aussi  la  Cour  de  Riom  a-t-elle  décidé,  le  18  mai  1841 , 
conformément  k  plusieurs  arrêts  antérieurs  de  diverses 
Cours ,  que  la  mention  du  locus  lod  n'est  pas  indispensable  : 
mais  elle  peut  être  utile,  pour  le  cas  où  l'acte  serait  attaque 
par  la  voie  de  Tinscription  de  faux. 

484.  La  mention  des  noms  et  demeure  des  témoins  in-* 
strumentaires  est  également  requise  (t6ûi.);  il  faut  qu'on 
puisse  les  retrouver  au  besoin.  D'ailleurs ,  c'est  la  meilleure 
garantie  que  le  notaire  n'emploiera  que  des  témoins  domi- 
ciliés ,  puisque  autrement  il  serait  dans  Taltemative  de  faire 
un  acte  nul,  ou  de  commettre  un  faux.  On  a  prétendu,  il 
est  vrai,  que  les  prescriptions  de  la  loi  de  ventôse  sur  la 
mention  de  la  demeure  des  témoins  ont  été  virtuellement 
abrogées  par  la  loi  interprétative  de  1843  (n"*  476),  qui 
n'exige  plus  la  présence  effective  des  témoins  -,  mais ,  lors 
même  que  cette  nullité  serait  contraire  à  l'esprit  de  la  loi  de 
1843 ,  il  eût  fallu  que  cette  loi  eût  statué  d'une  manière 
précise  pour  anéantir  une  disposition  formelle  de  la  législa- 
tion sur  le  notariat.  (Nîmes,  22  avril  1857.) 

En  ce  qui  toucbe  le  notaire,  sa  signature  le  faisant  suffi* 
samment  reconnaître,  l'insertion  de  ses  noms  et  lieu  de 
résidence  dans  le  corps  de  l'acte  n'est  pas  substantielle. 
Quant  aux  parties ,  elles  doivent  être  désignées  clairement  ; 
sinon  l'écrit  serait,  en  fait,  insuffisant  comme  preuve.  Mais 
la  mention  de  leur  demeure  n'a  pas  d'importance ,  puisque 
la  compétence  de  l'officier  n'est  pas  personnelle,  mais  terri- 


ACTES  HOfÀftttlS.  39 

tDJMie.  Enfin  li  règle  qiâ  enjoint  au  notaire  {ilM.  ^  art.  11), 
s'il  ne  eonnait  point  les  parties ,  de  se  faire  attester  leurs 
DOiDs  ,  état  et  demeure ,  par  deux  citoyens  ayant  les  qualités 
requises  poor  être  témoins  instnimenUiires ,  a  trait  k  la  res- 
poosabilité  de  Tofficier  quant  k  l'identité  des  parties,  mais 
naliemeni  k  la  iralidité  de  Tacte  en  lui-même* 

Jasqn'k  Tordonnance  de  1360  (art.  84)  ^  la  signa- 
des  parties  n'était  pas  exigée,  lors  même  qu'elles  savaient 
signer.  La  connaissance  de  l'écriture  étant  peu  répandue  an 
moyed  jkge  %  le  cas  où  les  parties  savaient  signer  était  rare, 
et   dès  lors  on  ne  s'en  était  pas  occupé.  La  décision  de 
Cliarles  IX  fut  provoquée  par  le  nombre  de  faux  qu'avait 
occâsionDés ,  dans  le  seizième  siècle ,  cette  trop  grande  latt- 
tiide  laissée  aux  notaires.  C'est  de  la  législation  de  eette 
^K>qae ,  où ,  sods  l'inspiration  du  chancelier  de  L'Hospital , 
s'opérèrent  tant  d'importantes  réformes ,  que  nous  est  venue 
l'obligation  (loi  de  vent.,  art.  14)  de  faire  signer  les  parties, 
si  elles  Bavent  le  fidfe,  et  de  mentionner  leurs  signatures, 
ou  dd  moins,  si  elles  ne  peuvent  signer,  de  mentionner 
cette  impossibilité.  Nous  ai^ns  déjk  fait  observer  combien 
la  nécessité  de  la  mention  est  salutaire,  en  aggravait  la 
responsabilité  de  l'officier  qui  contreviendrait  k  la  loi.  De 
plus ,  en  matière  de  testaments ,  la  signature  est  si  impor- 
tante ,  qu'on  exige ,  lorsqu'elle  manque ,  mention  expresse , 
non-seulement  dé  la  déclaration  que  le  testateur  ne  petit 
signer ,  mais  encore  de  la  cause  qui  l'empêche  de  le  faire. 
(C.  civ. ,  art,  973.) 

La  règle  que  les  parties  doivent  signer  n'est  pas,  du  reste, 
applicable  k  tous  les  actes  authentiques.  Quand  le  législa- 


■  On  Toit  par  des  lettres  patentes  de  mai  1358  qu'à  cette  époque, 
plusieurs  membres  du  conseil  même  du  roi  ne  sachant  pas  signer,  â  suffi- 
sait de  la  suscription  de  trois  persomies  présentes ,  les  autres  se  contentant 
d^apposer  leurs  sceaux  aux  actes  du  conseil. 


40  ACTES  NOTARIÉS. 

leur  autorise  purement  et  simplement  un  officier  à  faire  un 
acte  de  son  ministère ,  il  est  présumé  avoir  reçu  pouvoir  de 
ses  clients ,  tant  que  le  contraire  ne  soit  prouvé.  Telle  est 
la  pratique  constante  en  ce  qui  concerne  les  avoués  et  les 
huissiers.  La  signature  des  parties  n'est  exigée  k  leur  égard 
qu'exceptionnellement,  par  exemple,  pour  l'exploit  d'oppo- 
sition k  un  mariage  (C.  civ.,  art.  66),  et  pour  rinscription 
au  greffe  du  désaveu  d'un  officier  ministériel.  (C.  de  proc., 
art.  353.) 

Quant  aux  témoins,  il  faut  toujours  qu'ils  signent,  sauf 
l'exception  que  nous  avons  signalée  pour  les  testaments 
(n*  480),  et  que  mention  soit  faite  de  leur  signature,  on 
bien ,  si  on  se  trouve  dans  le  cas  de  l'exception ,  de  l'impos- 
sibilité où  ils  sont  de  signer.  (Loi  de  vent.,  art.  14.)  Uu 
arrêt  de  cassation  du  16  juillet  1833  a  décidé  que,  même 
dans  l'ancien  droit,  la  mention  de  la  signature,  tant  des 
parties  que  des  témoins,  était  prescrite  k  peine  de  nullité. 

Enfin  la  signature  du  notaire  lui-même  est  évidemment 
essentielle.  Elle  seule  engage  sa  responsabilité,  et  donne  k 
l'écrit  le  caractère  de  l'authenticité ,  qui  s'attache  k  la  noto- 
riété de  cette  signature.  Un  arrêt  de  rejet  du  12  no- 
vembre 1807  a  décidé,  en  conséquence,  qu'un  acte  auquel 
manque  cette  formalité  essentielle  n'est  pas  même  passible 
du  droit  d'enregistrement.  La  nécessité  de  la  signature  du 
notaire  ne  s'est  également  établie  que  dans  les  temps  mo*- 
demes.  Ces  officiers  n'étant  dans  l'origine  que  les  rédacteurs 
des  actes  (n**  461  et  462) ,  les  parties  y  apposaient  leurs  sceaux , 
et  il  n'y  avait  aucune  attestation  de  la  présence  du  rédac- 
teur, qui  n'avait  point  de  caractère  officiel  '.  Mais  les  rotu- 
riers ,  qui  n'avaient  point  de  sceaux,  devaient  faire  passer 

■  «  Infioita  pêne  Tidi  antiqua  instramenta  »,  dit  Boioean  (Préface,  S  S), 
«  qaœ  nuUo  tabeUionU  signo ,  8ed  sola  «njusdam  antiqui  sigUU  appensLone 
«  munita  erant.  » 


ACTES  NOTARIÉS.  41 

leors  actes  devant  un  officier  publie  (Beaumanoir,  ch.xxxv, 
1 22)  j  et  il  devint  dès  lors  fort  utile  de  donner  le  caractère 
f  officier  public  au  rédacteur  de4'acte.  Les  notaires  eurent 
donc  uo  sceau ,  qui  dut  être  apposé  aux  actes ,  aux  termes 
d'une  ordonnance  de  juillet  1304.  Si  la  signature  du  notaire 
s'introdoisit  peu  k  peu  dans  la  pratique»  cette  formalité 
se  devint  obligatoire  qu'à  partir  de  l'ordonnance  de  1535  ; 
la  règle  ne  fut  même  généralement  observée  qu'après  avoir 
été  reproduite  par  l'ordonnance  de  1560.  Jusqu'alors,  le 
seeaiL,  ainsi' que  l'a  jugé  la  Cour  de  Toulouse,  le  10  mai  1838, 
était  chez  nous»  comme  jadis  k  Rome,  la  seule  garantie  de 
Ja  aincérité  de  l'acte.  Aujourd'hui  chaque  notaire  doit  encore 
avoir  «n  sceau  particulier  (loi  de  vent.,  art.  27)  ^  mais  nous 
verrons  que  l'apposition  de  ce  sceau  n*est  pas  même  néces- 
saire comme  formalité  extrinsèque. 

La  lettre  de  l'article  14  de  la  loi  de  l'an  XI  prescrivait 
aussi  la  mention  de  la  signature  du  notaire  ^  mais  le  conseil 
d'État  (avis  du  SO  juin  1810)  a  reconnu  que  cette  mention 
est  tout  k  fait  surabondante.  Si  la  signature  du  notaire  est 
véritable,  la  mention  de  cette  signature  est  parfaitement 
inutile  ^  si  elle  n'est  pas  véritable ,  il  y  a  faui  caractérisé  par 
cela  même,  et  le  second  faux,  que  contiendrait  la  mention 
meosongère,  n'ajouterait  rien  k  la  pénalité  encourue  par  le 
fait  seul  de  la  fausse  signature. 

486.  Pour  que  les  actes  reçus  par  le  notaire  aient  le 
caractère  de  stabilité  qui  les  distingue  spécialement  des 
actes  sous  seing  privé,  il  faut  que  le  notaire  en  demeure 
dépositaire.  De  là  l'obligation  de  garder  minute,  et  de  ne 
délivrer  aux  parties  que  des  expéditions.  Mais  que  faut-il 
entendre  par  cette  obligation  ?  et  k  quels  actes  est-elle 
applicable  ? 

Si  on  prenait  k  la  lettre  l'expression  de  garder  minute , 
employée  par  la  loi  sur  le  notariat,  on  croirait  que  le  notaire 


42  âCTBi  HOTAttlÉS. 

doit  notHsettlement  rédiger,  mais  conserver  dtitts  sôù  élude, 
k  peine  de  nullité,  la  minute  même  de  l'acte.  C'est  ce 
qu'avait  décidé  la  Cour  de  Bastia ,  dans  une  espèce  où  la 
minute  d'un  contrat  de  mariage,  retrouvée  plus  tard,  avait 
été  momentanément  égarée.  Une  pareille  doctrine  serait 
éminemment  dangereuse  pour  les  intére^séd,  dont  les  droits 
seraient  exposés  h  périr,  sans  aucune  faute  k  eux  imputable, 
par  la  négligence  de  Tofficier  public.  Heureusement  la  loi 
de  ventôse  n'a  point  une  portée  aussi  exorbitante.  Il  fout 
distinguer  l'obligation  de  garder  minuie,  c'est-k^dire  de  rédi- 
ger une  minute  destinée  k  demeurer  en  la  possession  du 
notaire,  prescrite,  en  effet,  k  peine  de  nullité,  par  la  com- 
binaison des  «articles  20  et  68 ,  et  l'obligation  dé  ne  point  se 
desiawr  de  la  minute,  établie  par  l'article  22,  qui  n'est  qu'une 
prescription  disciplinaire.  Aussi  l'arrêt  de  la  Cour  de  Bastia 
a-t-il  été  cassé  le  6  décembre  1882. 

La  prescription  même  de  la  rédaction  en  minute  ne  s'in- 
troduisit que  lentement  dans  l'ancienne  jurisprudence ,  et 
seulement  pour  certains  actes  d'une  plus  haute  importance. 
Sous  la  loi  de  ventôse  (art.  20) ,  c'est  l'obligation  de  garder 
minute  qui  est  devenue  la  règle;  il  n'y  a  d'exception 
(même  art.)  que  pour  «  les  certificats  de  vie,  procurations, 
R  actes  de  notoriété,  quittances  de  fermage,  de  loyers,  de 
((  salaires ,  arrérages  de  pensions  et  rentes ,  et  autres  actes 
K  simples,  qui,  d'après  les  lois,  peuvent  être  délivrés  en 
«(  brevet,  ut  Mais  par  actes  simples  il  faut  entendre  ici  ceux 
qui  n'ont  qu'un  intérêt  faible  et  passager,  et  non  pas,  comme 
on  Ta  prétendu,  ceux  qui  émanent  d'une  seule  volonté,  tels 
que  les  testaments.  Cette  interprétation,  aussi  dangereuse 
qu'erronée,  a  été  proscrite  avec  raison  par  un  avis  du  Con- 
seil d'État  du  7  avril  1821. 

487.  Une  dernière  nullité,  qui  n'est  que  partielle,  frappe 
les  mots  surchargée ,  interlignés  ou  ajoutés.  (Ibid. ,  art.  16.) 


ACfËfl  KOTiRtÉB.  Id 

Cette  nullité  peut  réagir  sur  Tacte  tout  entier,  si  les  mots 
Tideux  sont  essentiels,  par  exemple,  s'il  s'agit  de  la  date  ', 
(Rej. ,  27  mars  1812.)  Le  notaire  doit  s^abstenir  de  toute 
addition  dans  le  corps  de  l'acte  ;  les  reuToiS)  si  leur  Ion*- 
goear  n'oblige  point  k  les  transporter  k  la  fin  de  l'acte, 
doirent  être  écrits  en  marge,  avec  la  signature  ou  le  parafe 
des  notaires  et  des  autres  signataires.  {Ibid. ,  art.  15.)  Le 
Qombre  des  ratures  doit  être  également  constaté  en  marge 
ou  b  la  fin  de  l'acte,  et  approuvé  (ibid. ,  art.  16) ,  solvant 
l'Ancienne  pratique ,  attestée ,  en  ces  termes ,  par  Mascardus 
(GoDCl.  1261 ,  nM6)  :  Si  notariuê  atravit  in  Bùripiura,  débet, 
td  eintandam  stutridanern,  in  fine  âcripturm  ac  chirographi  eontt* 
mauto  faeere  nufntiùnem,  quaiiter  ipsê  abrasU  taie  ifetbum,  in 
laU  Unea,  velfecit  totem  lineam  in  margine.  Mais  il  faut  distin* 
goer  entre  les  additions  et  les  ratures.  Les  additions  non 
approuvées  sont  nulles  (même  art.  IS).  Pour  les  ratures, 
d'abord  la  loi  sur  le  notariat  ne  reproduit  pas  un  règlement 
beaucoup  trop  rigoureux  de  1683 ,  qui  prononçait  la  nullité 
de  Tacte  k  raison  des  ratures  qu'il  contenait.  Si  un  acte 
rempli  de  ratures  non  approuvées  doit  être  écarté  comme 
sQspect ,  il  n'en  est  pas  de  même  au  cas  où  Ton  ne  signale 
que  quelques  ratures  sans  importance ,  conformément  a  la 
Tieille  doctrine  '  :  Si  ratura  non  eU  in  loco  substantiatî  et  mt^ 
pecto,nonfacitfiUsuminstrumentum,  (Mascardus,  i6îd.,  n*9.) 
Bien  plus ,  les  ratures  elles-mêmes ,  sauf  amende  contre  le 
notaire  (même  art.  16),  ne  sont  point  considérées  comme 
non  avenues,  par  cela  seul  qu^elles  n'ont  pas  été  approuvées. 
Il  peut  résulter,  en  effet,  avec  évidence,  des  termes  de 
l'acte  qu'elles  ont  été  faites  lors  de  sa  rédaction ,  cum  verba 

*  Mais  Pacte  non  régnUèremeiit  daté  aitfait  aa  moina  date  du  jour  de 
l^enregistreiDent.  (Rej.,  6  mars  1827.) 

>  M.  Greealeaf  oonstate  (tom.  I ,  p.  697,  noie  i)  la  eoùtensAié  du  droit 
CMnmiui  ûufiaiB  atec  la  doctrine  de  Maaeafdo»,  qu'il  qualifie  aasea  mal  à 
propos  de  roman  civU  Uxw, 


44  ACTES  NOTARIÉS. 

antecedentia  et  êequentia  demomtrant^  ita  esse  legendum,  ut  in 
ratura  scripturœ  reperitur.  (Mascardas,  ibid.^  n*  19.)  Qae  si 
les  ratures  n'ont  été  faites  que  postérieurement  k  la  rédac- 
tion de  Tacte,  elles  doivent  être  considérées  comme  non 
avenues.  Mais,  dans  le  doute,  que  devra^-t-on  présumer? 
Que  le  notaire  s'est  conformé  aux  prescriptions  de  la  loi , 
et  que  dès  lors  il  n'y  a  de  ratures  faites  du  consentement 
des  parties  que  celles  qui  ont  été  approuvées.  Autrement, 
il  suffirait  de  la  malveillance  d'un  tiers,  qui  se  trouverait 
accidentellement  détenteur  de  la  minute,  pour  détruire  la 
preuve  des  droits  les  plus  importants.  Il  faudra  donc  en 
général,  et  sauf  l'appréciation  des  circonstances,  maintenir 
les  mots  rayés  sans  approbation ,  tant  qu'on  n'établira  pas 
que  la  radiation  a  eu  lieu  lors  de  la  confection  même  de 
l'acte. 

Le  seul  fait  de  laisser  des  blancs  dans  un  acte  notarié 
n'emporte  point  nullité.  Mais  ces  lacunes  pouvant  facile- 
ment prêter  k  des  intercalations ,  les  blancs,  lacunes  et 
intervalles  sont  interdits  k  peine  d'amende  par  la  loi  de 
ventôse  (art.  13).  Il  est  d'usage,  dans  la  pratique  des  no- 
taires, lorsque  des  blancs  ont  été  laissés  k  l'avance,  de  tirer 
des  barres  pour  les  remplir.  Mais  alors,  pour  éviter  tout 
arbitraire ,  l'officier  doit  faire  approuver  ces  barres  par  les 
parties ,  k  peine  d'encourir  la  même  amende  qui  serait  pro- 
noncée k  raison  des  blancs  ou  lacunes.  (Rej.,  21  juillet  1852.) 

488.  En  dehors  des  prescriptions  de  la  loi  de  ventôse, 
il  parait  constant  que  la  disposition  de  l'ordonnance  de  1539 
(art.  10  et  11),  qui  veut  que  tous  les  actes  soient  rédigés 
en  langage  maternel  français ,  est  encore  en  pleine  vigueur. 
Beaucoup  de  décisions  du  gouvernement  français,  tant  an- 
cien que  moderne,  ont  maintenu  impérieusement  cette  règle, 
qui  est  en  parfaite  harmonie  avec  notre  tendance  k  la  centra- 
lisation et  k  la  régularité  administrative.  La  loi  du  2  ther- 


ACTK8  ROTABIÉS.  45 

■idor  9m  n  (art.  3)  est  vernie  y  donner  une  noaTelle  sanc» 
QOD ,  en  proDOQçaot  la  peine  de  six  mois  d'emprisonnement 
ei  lai  destitntion  c<Hitre  tout  fonctionnaire  ou  officier  publie 
^  rédigerait  on  recenait  des  actes  quelconques  en  une  autre 
bi^liie  qiie  la  firançaise.  Indépendamment  de  cette  sanction 
spéciale  ,  doit-on  considérer  la  rédaction  en  langue  firançaise 
comme   prescrite  k  peine  de  nullité  ?  La  nullité  avait  été 
pronoocée  autrefois  par  un  édit  de  décembre  1683  pour  la 
Flandre ,  et  par  un  arrêt  du  conseil  du  30  janvier  1685  pour 
rAlsaee-  D  est  vrai  que  la  nullité  n'est  formellement  pro- 
Booeée   ni  par  Tordonnance  de  1539,  ni  par  Tarrélé  du 
24  prairial  an  XI,  qui  en  a  prescrit  l'exécution  dans  les  pays 
léaiiîs.  Aussi  un  rejet  du  1*  mars  1830,  rendu,  il  est  vrai , 
dans  des  circonstances  particalières  %  avait-il  écarté  cette 
sanction.  Mais,  plus  récemment,  la  cbambre  des  requêtes 
(Rej. ,  4  août  1859)  s'est  prononcée  dans. le  sens  de  la  nul- 
lité, en  reconnaissant  «  qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  de  ces 
«  f<MiDes  secondaires  et  de  ces  nullités  de  procédure  aux- 
«  quelles  s'appUqoe  l'article  1030  da  Code  de  procédure, 
■  mais  d'un  principe  essentiel  et  de  droit  public,  qui  importe, 
c  a  un  haut  degré,  2i  la  bonne  administration  de  la  justice, 
c  et  garantit  l'unité  de  la  langue  nationale,  y 

L'arrêté  du  gouvernement  du  24  prairial  an  XI,  en  repro- 
duisant cette  règle  poor  les  pays  réunis,  a  prescrit  aux 
offiders  publics  de  mettre,  k  mi-marge  de  l'original 
français,  la  traduction  en  idiome  du  pays,  lorsqu'ils  en 
sont  requis  par  les  parties  :  prescription  encore  applicable 
aujourd'hui,  soit  pour  les  étrangers,  soit  pour  les  parties 
de  la  France  où  le  français  n'est  pas  la  langue  populaire. 

*  n  s'agîfiMit  d'aocoider  Vexequaimr  à  une  acntence  Aibitiale  écrite  en 
laupie  étrangère,  à  lac[DeDe  on  awt  joint  une  tndaction  Mie  pur  on 
interprète  jnré.  On  peat  dire»  à  Pappui  de  la  doctrine  de  Parrèt,  que  ]a 
icntenoe  arbitrale  ne  reçoit  de  caractère  officiel  qoe  par  Fordonnanoe 
é*cxequatur,  laquelle  n^est  délivrée  que  sur  le  tu  de  la  traduction. 


4$  àcna  MOTABiÉs. 

Mtis  utile  prescription,  qui  concilie  les  nécessités  de  la 
piatique  avec  les  exigmioes  légales ,  suppose  que  le  notaire 
eniend  la  langue  de  son  client,  qui  ne  sait  pas  le  Trançais. 
S'il  en  est  autrement,  il  fiut  prendre  nn  interprète,  ei 
alors,  suivant  certains  auteurs,  Tkiterprète  doit  réunir  les 
conditions  4^  capacité  exigées  des  témoins  instnimentaires* 
Qr,  c'est  Ik,  suivant  nous,  faire  la  loi.  Sans  dente  il  eon- 
viendra  de  prendre,  si  on  le  peut,  Tinterprète  parmi  les 
témoins  instrumentaires  eux-*mémes.  Au  cas  contraire ,  le 
tiers  appelé  rend  un  service  qui  n'a  aucun  caractère  officiel, 
et  on  ne  saurait,  sans  arbitraire,  lui  imposer  aucune  con- 
dition de  capacité.  Souvent  des  étrangers  seront  ceux  qui 
rempliront  le  mieux  cet  oiBce  ^  comment  dès  lors  exiger  la 
qualité  de  citoyen  firançais  ?  D  nous  semble  que  l'interprète 
joue  ici  purement  et  sim[demmt  le  rôle  d'un  sapiêeur  âxos 
une  expertise.  (Voy.  n*  414.) 

Quant  aux  tésioins  instrumentaires,  la  Covr  de  cassaCioD 
a  jugé  (arr.  de  rej.  du  44  juillet  4848),  conformément  ii  de 
nombreux  arrêts  de  Cours  d'appel,  que  c'est  au  juge  & 
examiner  en  fait  si,  bien  qu'ignorant  la  langue  dont  se 
servmt  les  parties,  ils  ont  été  siflBsammeEtt  instruits  par  le 
notaire  de  ce  qui  se  passait  en  leur  présence.  Et  cependant 
il  est  diftdleque  le  ministère  de  pareils  témoins  soH  sârieux, 
puisqn*ils  reçoivent  tous  leurs  renseignements  du  fonction^ 
naire  même  qu'ils  (mt  mission  de  surveiller.  D'un  autre  côté, 
exiger,  d'une  manière  absolue,  que  les  témoins  connaissent 
la  langue  dont  se  servent  les  parties,  ce  serait  souvent 
demander  11mpossible«  D  hnt  avouer  que  la  législation 
laisse  quelque  chose  ii  désirer  sur  ce  point.  Peut-être  con-^ 
viendraîl41  de  dislînguer  suivant  les  localités,  et  d'exiger^ 
par  exemple»  que  les  témoins  entendent  Titalien  ï  Nice,  si 
le  testateur  ne  sait  que  l'italieB  -,  tandis  que ,  pour  les 
autres  parties  de  la  France,  où,  à  part  quelques  grandes 


Acns  mTABiÉfl.  47 

TiUes,  la  eonnaifisanee  de  l'italien  ^t  assez  rare,  on  devrait 
éire  BOÎBs  rigeureu. 

9  i,  irVET  wm  L*ABtBmS  BM  OORMUOlfS  MCSlVriILLM  A  LA  TALI»1TA 

SES  AGTB»  VQTAAliS. 

SOBiAW,  —  Ài%.  Ofigii^  de  U  doctrine  qii  attribue  )|  r«ete  letarlè  nul  ta  T«te«r  aql^ti- 
diaire  d'acte  privé.  —  490.  Nécessité  de  la  signature  des  parties.  —  494.  L'acte  doit-it 
rèoiiir  les  conditions  exigées  par  les  articles  4  32»  et  4326?  —  492.  Cas  où  l'aele  Bli 
pas  même  l'apparence  de  l'aalhentlcilé.  —  493.  Cas  où  le  notaire  a  on  intérêt  persqiviel. 
-^  494.  SésmiA. 

489.  L'absence  de  quelqu'une  des  conditions  nécessaires 
pour  qu'il  y  ait  authenticité  suffit  pour  enlever  tout  effet  k 
Tacte ,  quand  la  convention ,  k  raison  de  sa  nature  spéciale  ^ 
comme  une  donation  ou  un  contrat  de  mariage,  devait  être 
revêtue  des  formes  authentiques  k  peine  de  nullité ,  ainsi 
que  l'a  décidé  la  Cour  de  Bourges,  le  97  mars  1859^  poqr 
no  coqtrat  de  mariage  auquel  manquait  la  signature  du 
notaire  en  second  \  Mais  lorsque  Tauthenticité,  comme 
cela  arrive  d'ordinaire ,  n'était  requise  que  pour  la  preuve  y 
l'effet  de  la  nullité  n'est  plus  nécessairement  absolu.  Il  faut 
voir  alors  si  la  volonté  des  parties  a  été  de  subordonner 
leur  consentement  k  Texistence  d'un  acte  notarié ,  ou  bien 
si  elles  ont  entendu  traiter  k  tout  événement.  Pana  le 
prenûer  cas,  il  n'y  a  rien  de  fait.  Dans  le  second,  au  con- 
traire, non-seulement  la  convention  existe  et  peut  être 
prouvée  par  tous  les  moyens  légaux ,  indépendamment  dç 
Vacte  -,  mais  l'acte  lui-même  peut  encore  être  invoqué,  si  on 
y  retrouve  Félément  essentiel  pour  qu'il  puisse  valoir  au 
moins  comme  acte  sousjseing  privé,  la  signature  des  parties, 
<(  l'acte  qui  n'est  pas  autbentiqne  »,  dit  l'article  1318  du 
Code  civil ,  qui  ne  fait  que  reproduire  l'article  68  de  la  loi 

'  La  Cour  fait  remarquer  que ,  suiTant  un  abus  non  prévu  par  hi  loi ,  et 
qm  n'est  pas  saiu  exemple  daoa  la  pratique ,  le  second  notaire  eût  pft»  à  la 
Tigneur,  signer  après  coup;  malheureusement,  depuis  1834,  date  du  contrat, 
&  anit  cessé  d^exeieer  ses  fenelîoBs* 


48  ACTES  NOTARIÉS. 

de  ventôse,  «  par  rincompéteneé  ou  rincapacité  de  Tofficier, 
«  oa  par  un  défaut  de  forme,  vaut  comme  écriture  privée, 
«  s'il  a  été  signé  des  parties.  »  Nous  avons  expliqué  plus 
haut  (n*  471),  qu'il  ne  faut  pas  entendre  ici  par  ineapacUé 
celle  qui  tiendrait  à  un  vice  que  les  parties  n'auraient  pu 
soupçonner,  et  qu'en  ce  cas  l'acte  dent  conserver  toute  sa 
force. 

Cette  doctrine  raisonnable ,  qui  ne  veut  pas  que  l'abseDce 
de  certaines  formes  puisse  détruire  la  convention ,  lorsque 
ces  formes  n'ont  été  considérées  par  les  parties  que  comme 
une  précaution  complémentaire,  est  fort  ancienne  en  juris- 
prudence. Les  jurisconsultes  romains  avaient  déjk  résolu 
par  l'afBrmative  (L.  8,  pr.,  D.,  De  acceptU.)  la  question  de 
savoir  an  inutUû  acceptiUuio  utile  kabeai  pactum,  mais  toujours 
en  supposant  qu'il  y  avait  concours  de  volontés  pour 
remettre  la  dette  k  tout  événement.  On  faisait  déjk  an 
seizième  siècle  l'application  de  cette  doctrine  aux  actes 
notariés  entachés  de'quelque  nullité ,  ainsi  que  nous  le  rap- 
porte Boicéau  (Preuve  par  Umoim^  liv.  II,  ch.  iv)  :  «  Num- 
«  quid  ex  tali  scripto  »,  dit-il,  «  tanquam  ex  chirographo 
«  privato,  creditor,  uti  poterit  in  debitorem,  hoc  modo  : 
«  Peto  a  Titio,  ut  signum  suum  agnoscat,  tali  instrumente 
«  appositum,  quo  fassus  est,  se  mihi  debere  centum,  eique 
«  hoc  nomine  subscripsit,  ut  agnitione  facta  solvere  compel- 
«  latur  ?  Puto  quod  haec  actio  inepta  non  esset ,  non  quidem 
«  virtute  et  authoritate  notariorum,  sed  virtute  solius  sub- 
«  scriptionis  factaa  per  debitorem,  quam  denegare  viro  probo 
«  indignum  erit.  »  Et  cette  théorie  avait  été  ainsi  formulée 
par  Dumoulin  {Adleg.  i,  §  %  D.,  De  verb.  oblig.^  n*  34)  : 
Si  actut  non  valet  ut  agitur,  valeat  ut  vaUre  potest,  concurrente 
voUintate. 

490.  Pour  que  l'acte  puisse  avoir  ainsi  subsidiairement 
la  valeur  d'un  écrit  privé,  il  faut  qu'il  soit  signé  des  parties, 


ACTES  NOTARIÉS.  49 

et  même ,  d'après  Varticle  68  de  la  loi  de  ventôse ,  de  umtet 
les  parties  corUractantet.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  l'acte  qui 
constate  un  contrat  unilatéral ,  tel  qu'un  prêt ,  doive  avoir 
été  signé  du  créancier,  aussi  bien  que  du  débiteur.  U  s'agit, 
comme  le  dit  Boiceau,  de  la  wbicnptio  faaa  per  debkorem. 
Si  ia  loi  sur  le  notariat  parle  de  toutes  les  parties,  c'est 
qu'elle  a  en  vue  les  contrats  synallagmatiques ,  pour  la 
preuve  desquels  il  importe  que  chacune  des  parties  ait  signé, 
les  deux  engagements  étant  cause  l'un  de  l'autre.  Il  y  a  plus 
de  doute  dans  le  cas  où,  plusieurs  personnes  devant  s^enga- 
ger  solidairement  par  un  même  acte,  l'une  d'entre  elles 
seolement  a  signé.  Des  auteurs  graves  pensent  que  le  créan- 
cier peut  s'emparer  de  cette  signature  isolée,  en  soutenant 
que  l'accession  des  codébiteurs  solidaires  n'était  exigée  que 
dans  son  intérêt  k  lui ,  intérêt  auquel  il  lui  est  loisible  de 
renoncer.  Mais  la  position  du  codébiteur ,  qui  se  trouve  seul 
engagé ,  et  privé  du  recours  sur  lequel  il  pouvait  compter 
Tis-k-vis  des  codébiteurs  qui  ont  disparu ,  n'est-elle  pas  sin- 
gulièrement aggravée  ?  Il  faut  dès  lors  décider,  avec  un 
arrêt  de  rejet  du  26  juillet  1832,  que,  sauf  la  preuve  con- 
traire résultant  des  circonstances ,  et  notamment  de  celle 
qne  les  codébiteurs  dont  les  signatures  manquent,  ne 
seraient  que  des  cautions,  le  défaut  de  signature  de  la  part 
de  l'un  des  codébiteurs  dénature  entièrement  la  convention, 
et  par  conséquent  rend  l'acte  nul. 

491.  Avant  que  la  jurisprudence  du  dernier  siècle  eût 
introduit  la  théorie  des  doubles  et  la  nécessité  du  bon  ou 
approuvé  pour  la  preuve  de  certains  engagements ,  décider 
qne  l'acte  authentique  signé  des  parties  valait  comme  acte 
sons  seing  privé,  c'était  tout  simplement  dire  que,  sauf  le 
cas  où  les  parties  n'auraient  entendu  traiter  qu'en  forme 
authentique ,  il  restait  toujours  un  acte  ayant  les  conditions 
requises  pour  valoir  conmie  écrit  privé  :  Ex  taU  scriptop 

II.  4 


30  ACTBS  NOTARIÉS. 

tanquam  ex chirographo privato,  dit  Boiceau  {loc. dt.),  cre(Uior 
mi  poterU  in  debitorem.  Mais,  depuis  que  des  conditions  spé- 
ciales ont  été  exigées,  comme  nous  le  verrons  (C.  civ. , 
art.  1325, 1326),  pour  la  preuve  des  contrats  synallagma- 
tiques  et  de  certains  contrats  unilatéraux ,  on  se  demande 
s'il  faut  que  ces  conditions  spéciales  se  retrouvent  dans  Facte 
auquel  manque  Tauthenticité. 

Exiger  toujours  l'observation  de  ces  conditions,  ce  serait 
retirer  d'une  main  ce  que  Ton  accorde  de  l'autre  ^  car  il  est 
évident  que  les  parties  qui  se  sont  adressées  k  un  notaire 
afin  de  constater  leurs  conventions ,  n'ont  pas  pu  s'assujettir 
k  des  formes  qui  ne  sont  pas  requises  dans  les  actes  publics. 
U  n'y  a  point  de  difficulté  sérieuse  en  ce  qui  touche  le  bon 
ou  approuvé  :  la  présence  d'un  oflicier  public,  malgré  l'irré- 
gularité de  l'acte,  est  une  garantie  suffisante  contre  les  sur- 
prises en  vue  desquelles  on  a  introduit  cette  formalité.  Pour 
ce  qui  est  de  la  rédaction  en  double  original,  Tronchet  a  dit 
au  Conseil  d'État  (séance  du  2  frimaire  an  XIII)  :  «  Lorsque 
((  l'acte  est  retenu  dans  un  dépôt  public ,  il  n'y  a  plus  de 
«  raison  pour  exiger  qu'il  soit  double,  puisqu'il  n'est  plus  U 
«  la  disposition  d'une  seule  des  deux  parties,  y»  En  s'atta- 
cbant  k  cette  idée ,  qui  est  fort  raisonnable ,  on  serait  con- 
duit k  décider  que  l'acte  authentique  irrégulier,  s'il  constate 
des  conventions  synallagmatiques ,  n'est  dispensé  de  la 
rédaction  en  double  original  qu'autant  qu'il  en  est  resté 
minute.  Mais  la  loi  sur  le  notariat,  k  laquelle  on  s'est  référé 
dans  la  discussion  au  Conseil  d'État  \  mentionne  précisé- 
ment (art.  20  et  68)  le  cas  où  on  aurait  délivré  en  brevet  un 
acte  qui  aurait  dû  être  rédigé  en  minute,  parmi  ceux  oii 
l'acte  revêtu  de  la  signature  des  parties  vaut  comme  acte 
sous  signature  privée.  Et  puisque,  dans  les  autres  bypo^ 

*  M.  Regoaud  de  Saint-Jean  d^Angely  dit  (même  séance)  «  que  la  questioi 
est  décidée  par  l'article  68  de  la  loi  dn  25  ventôse  an  XI  sur  le  notariat.  i 


A€TB6  NOTARIÉS.  51 

(bèses,  l'acte  est  dispensé  de  TobservatioD  des  fonnes  par- 

ticolières  aax  actes  prirés ,  nous  pensons  en  définitive  qu'il 
n'est  point  pennis  d'introduire  dans  le  texte  une  distinction 
à  laquelle  le  législateur  n'a  pas  songé. 

498.  Mais,  pour  le  dédder  ainsi ,  il  faut  supposer  que 
l'acte  est  au  moins  revêtu  des  apparences  de  l'authenticité. 
Or,  l'incapacité  de  l'officier  peut  être  telle  qu'il  y  ait  faute 
grossière  de  la  part  des  parties  li  l'ignorer,  si  elles  chargent, 
par  exemple,  un  honune  étranger  au  notariat,  tel  qu'un 
huissier,  de  f»re  un  acte  notarié.  Sans  doute,  l'acte  reçu 
par  cet  huissier  peut  valoir  comme  écrit  privé ,  en  ce  sens 
qae  je  serai  autorisé  k  m'en  prévaloir ,  si  celui  qui  a  traité 
ayee  moi  a  entendu  s'obliger  indépendamment  de  la  forme 
notariée.  Mais ,  comme  l'officier  auquel  on  s'est  adressé  ne 
présente  pas  les  garanties  qui  pouvaient  dispenser  de  Tob^ 
ser? ation  des  règles  sur  les  écritures  privées ,  il  faudra  en 
revenir  à  ces  règles,  et  exiger  que  l'écrit  soit  fait  double, 
lorsque  la  loi  l'exige ,  de  même  qu'il  y  aura  lieu  de  vérifier 
la  signature  des  contractants.  On  devrait  en  dire  autant  dans 
ie  cas  où  manquerait  la  signature  du  notaire.  Il  n'y  a  plus 
rien  qui  ressemble  k  l'authenticité,  en  Tabsence  de  cette 
formalité  essentielle ,  qui  seule  constate  la  présence  de  l'offi- 
der,  et  engage  sa  responsabilité.  Conune  l'k  jugé  la  Cour  de 
Reims,  le  13  juin  4855,  l'exception  faite  par  la  loi  de  ven- 
tôse et  par  le  Code  aux  principes  généraux  ne  saurait  pro- 
léger l'acte ,  lorsqu'il  n'a  pas  été  signé  du  notaire,  qui  aurait 
pu ,  sans  doute ,  être  incompétent  ou  inca pable'pour  le  recevoir , 
mais  dont  la  signature  n'en  présenterait  pas  moins  la  garantie 
d'un  homme  public,  confident  des  parties  et  témoin  de  leurs 
engagements  respectifs. 

La  question  est  beaucoup  plus  délicate ,  si  l'on  suppose , 
ee  qui  est  arrivé  plus  d'une  fois  dans  la  pratique ,  l'acte  reçu 
par  ie  clerc  du  notaire ,  puis  signé  par  le  notaire  et  mis  au 


5â  ACTES  NOTARIÉS. 

rang  de  ses  minutes.  La  Cour  de  cassation  avait  d'abord 
jugé  (Rej.,  16  avril  1845)  que,  les  parties  s'étant  adressées 
k  un  individu  sans  caractère  légal ,  il  n'était  possible  d'attri- 
buer à  l'acte  que  les  effets  d'un  acte  sous  seing  privé.  Mais 
cette  décision ,  parfsdtement  exacte  lorsque  l'acte  n'a  point 
été  signé  par  le  notaire,  nous  parait  contraire  k  l'utilité 
pratique,  lorsque  le  notaire  s'est  approprié  l'acte  en  le 
signant  et  en  le  mettant  au  rang  de  ses  minutes.  Alors,  s'il 
n'y  a  point  authenticité,  il  y  a  du  moins  conservation  de 
l'acte  dans  un  dépôt  public,  qui  permet  à  chacune  des  par- 
ties d'en  user  et  d'y  recourir  selon  ses  intérêts.  La  théorie 
des  doubles  cesse  dès  lors  de  recevoir  son  application ,  ainsi 
que  l'a  décidé  en  définitive  la  Cour  régulatrice  par  un  arrêt 
de  cassation  du  24  novembre  1869  ^ 

483.  Enfin,  ne  doit-on  pas  considérer  comme  radica- 
lement nul ,  du  moins  en  ce  qui  concerne  l'officier  public , 
racle  où  il  se  trouve  avoir  un  intérêt  personnel ,  et  qui  est 
en  conséquence  frappé  de  nullité  (n*  474),  suivant  l'inter- 
prétation généralement  admise  de  l'article  8  de  la  loi  sur  le 
notariat  ?  La  négative  a  été  jugée  par  un  arrêt  de  la  Cour 
d'Orléans,  du  10  février  1851 ,  qui  a  cru  devoir  appliquer  k 
cette  hypothèse,  comme  à  toute  autre,  les  dispositions  des 
articles  8  et  68  combinés,  et  valider  en  conséquence  comme 
acte  privé  l'acte  revêtu  de  la  signature  de  toutes  les  parties, 
sauf  k  prendre  en  considération  l'intérêt  personnel  du  no- 
taire ,  si  l'acte  venait  k  être  impugné  pour  cause  de  dol  ou 
de  fraude.  Mais  la  Cour  de  cassation  a  consacré  la  doctrine 
contraire,  par  deux  arrêts  de  cassation,  tous  deui  du 
15  juin  1853,. en  se  fondant  sur  cette  grave  considération 
que  ((  si  l'acte  public ,  nul  pour  incompétence  ou  incapacité 

■  Voyez  cependant  en  sens  opposé  une  dissertation  remarquable  de  H.  Van- 
geois,  professeur  à  la  Facalté  de  droit  de  Nancy.  Du  sort  des  actes  sous 
seing  privée  non  conformes  aux  prescriptions  du  Code.  Nancy,  1873. 


ACTES  H0TARIÉ8.  53 

«  de  Tofficier  public ,  vaut  comme  ëcritare  privée ,  s'il  est 

«  signé  des  parties  contractantes,  ces  dispositions,  établies 

«  en  Êiveur  des  parties  qui  ne  doivent  pas  être  victimes  de  la 

ce  faute  du  notaire,  ne  peuvent  être  invoquées  que  par  elles 

a  et  jamais  par  le  notaire,  dont  la  loi  qu'il  a  violée  n'a  pu 

«  vouloir  sauvegarder  les  intérêts  nés  de  Tacte  même  où 

«  cette  violation  a  eu  lieu.  »  Il  faut  donc  reconnaître  que  l'acte 

notarié  constatant  une  convention  dans  laquelle  Fofficier 

rédacteur  est  intéressé,  devient  suspect  de  fraude,  et  ne 

peut  dès  lors  valoir  même  comme  acte  sous  seing  privé  ^ . 

494.  On  peut  donc  distinguer  quatre  hypothèses  bien 

distinctes  : 

1*  L^aete  est  reçu  par  un  officier  capable  et  compétent , 
et  revêtu  de  toutes  les  formes  intrinsèques  voulues  par  la 
loi  ^  —  alors  il  fait  pleine  foi. 

2*  Il  est  signé  des  parties  -,  mais  il  est  reçu  par  un  notaire 
destitué  ou  incompétent ,  ou  bien  il  y  manque  une  formalité 
importante,  mais  non  constitutive  de  l'authenticité,  telle  que 
riiisertion  des  noms  des  témoins  ;  — r  alors  il  a  besoin  d'être 
vérifié,  mais,  comme  il  a  l'apparence  de  l'authenticité,  il  est 
dispensé  des  règles  spéciales  aux  écrits  privés ,  notamment 
de  la  théorie  des  doubles. 

3*  L'acte  est  signé  des  parties,  mais  il  est  reçu  par  un 
olBcier  radicalement  incompétent,  ou  bien  il  y  manque  la 
signature  du  notaire  ; — alors,  n'ayant  pas  même  l'apparence 
de  l'authenticité,  il  ne  peut  valoir  que  comme  écrit  purement 
privé,  soumis  k  toutes  les  r^les  applicables  k  cette  nature 
d'écrits. 

'  Suivant  l'im  des  arrêts  rendus,  le  25  juin  1853,  par  la  chambre  dvile, 
Pacte  serait  tellement  nul  qu'il  ne  pourrait  pas  même  servir  de  commence- 
ment de  preuve  par  écrit.  Mais  il  nous  semble  que  c'est  là  une  exagération 
de  rigueur,  le  législateur  de  ventôse  n'annulant  point  la  convention  entre  le 
notaire  et  son  client,  et  les  termes  de  l'acte  pouvant  être  de  nature  à  la 
icndre  vraisemblable. 


84  ACTES  NOTARIÉS. 

4*  L'acte  vicieux  n'est  pas  même  signé  des  parties  ;  — 
alors  il  ne  peut  valoir  évidemment,  ni  comme  acte  public, 
ni  comme  acte  privé,  sauf  à  établir,  s'il  est  possible,  par 
d'antres  voies ,  l'existence  de  la  convention.  Même  décision, 
dn  moins  au  regard  de  l'officier,  lorsqu'il  s'agit  d'un  acte 
où  il  se  trouve  avoir  un  intérêt  personnel. 

§  S«  Founs  KxnnsiQCw  bis  aciss  botaiiés. 

SOIUAIIIE.  -*  495.  Fomalités  nécessaires  pour  rexëcation.  —  496.  Signature  da  notaire  » 
dans  tonte  expédition.  —  497.  Formes  spéciales  pour  les  expéditions  exécutoires.  — 
49S.  Orifine  de  Vexécution  parée.  —  499.  Sceau;  son  importance  autrefois.  ~  800.  Foi^ 
mule  exécutoire.  Variations  de  la  législation  à  cet  égard.  L'observation  des  décrets 
de  4852  et  de  4870  est-eiie  prescrite  ï  peine  de  nollité?  —  B04.  L^isatlon.  --- 
502.  Enregistrement. 

48tf  •  Les  formalités  dont  il  nous  reste  k  parler  ont  beau- 
coup moins  d'importance,  puisqu'elles  n'ont  pas  trait  k  la 
foi  de  l'acte  en  lui-même ,  mais  seulement  k  sa  force  exté- 
rieure. Les  formalités  intrinsèques  suffisent,  en  effet,  pour 
la  validité  de  la  minute,  qui  est  l'original  auquel  on  doit 
recourir  en  cas  |de  contestation.  C'est  seulement  lorsqu'on 
veut  exécuter  qu'il  devient  nécessaire  de  se  faire  délivrer 
une  expédition  revêtue  de  certaines  formes  additionnelles  ^ 
la  minute  restant  entre  les  mains  du  notaire.  Cette  règle  est 
commune  d'ailleurs  aux  jugements ,  qui  ne  s'exécutent  pas 
sur  la  minute,  mais  sur  une  expédition  délivrée  par  le 
greffier.  Le  texte  du  Code  de  procédure  (art.  811)  ne  fait 
exception  k  cette  règle  que  pour  les  ordonnances  de  référé , 
dont  le  juge  peut  autoriser,  au  cas  d'absolue  nécessité, 
l'exécution  sur  la  minute.  Plusieurs  décisions  de  la  jurispru- 
dence (Rej.,  10 janvier  1814-,  Nîmes,  1*'  avril  1838)  auto- 
risent les  juridictions  ordinaires  k  procéder  de  même ,  lors- 
quHl  y  a  urgence  bien  constatée  ^  et  il  faut  avouer  que  se 
reftiaer  k  accélérer  ainsi  l'action  de  la  justice,  quand  la 
nécessité  l'exige,  ce  serait  sacrifier  le  fond  k  la  forme.  Mais 
cette  décision  ne  doit  pas  s'étendre  aux  actes  notariés,  dont 


ACTE8  HOTAKIÉS.  55 

rexécntioD  est  difficilement  de  nature  à  exiger  célérité.  On 
n'exécute  ces  actes  que  sur  la  grosse,  ainsi  nommée  par 
opposition  h  la  minute^  parce  qu'on  l'écrit  en  plus  gros  carac- 
tères ^ 

496.  Une  formalité  essentielle  k  toute  expédition ,  qu'elle 
soit  ou  non  destinée  k  être  exécutée ,  c'est  la  signature  du 
notaire,  sans  laquelle  rien  ne  constaterait  que  Técrit  émane 
du  dépositaire  légal  de  la  minute. 

487.  Voyons  quelles  sont  les  formes  spécialement  exi- 
gées pour  les  expéditions  exécutoires. 

498.  Vexécution  parée,  expressions  qui  viennent ,  suivant 
Loyseau,  de  celles  qu'emploie  le  Digeste  (L.  40,  pr.,  D., 

De  minorib.)  :  Parta  ex  causa  judieaH  persecutio,  dont  on  a  fait 
par  corruption  perseciUio  ou  execuHo  parata,  n'était  attachée 
dans  l'origine  qu'aux  jugements.  Les  notaires  étant  primiti- 
vement, ainsi  que  nous  l'avons  vu ,  des  délégués  de  l'auto- 
rité judiciaire ,  on  imagina  de  se  faire  condamner  k  l'avance 
par  eux,  en  avouant  la  dette  :  ce  qui  donnait  k  l'acte  volon- 
taire l'autorité  d'une  sentence.  L'ordonnance  de  1539 
(art.  65),  supprimant  ces  circuits  frustratoires ,  disposa  que 
les  lettres  obligatoires  passées  sous  le  scel  royal  seraient 
exécutoires  sur  tous  les  biens  meubles  et  immeubles  des 
obligés.  (Voy.  Loyseau,  De  la  garantie  des  rentes,  ch.  xii.) 
Toutefois ,  lors  même  que  les  actes  notariés  cessèrent  d'avoir 
un  caractère  judiciaire,  on  laissa  subsister  l'intitulé  primitif, 
qui  devint  commun  aux  jugements  et  k  ces  actes.  Au  sur- 
plus,  Tordonnance  de  1539  n'était  pas  exécutée  dans  toute 
la  France.  II  y  avait  des  ressorts  où  les  actes  notariés 
n'étaient  exécutoires  qu'en  vertu  de  lettres  de  chancellerie 
ou  de  commissions  du  juge  délivrées  au  greffe.  C'est  seule- 

*  Les  notaires  étaient  tenus  piimitiyement  de  grossoyer  eux-mêmes 
leurs  actes;  ce  ne  fat  que  par  des  lettres  patentes  du  l«'  septembre  1541 
qu^ils  furent  autorisés  à  employer  le  ministère  de  leurs  clercs. 


56  ACTES  NOTARIÉS.  ,  ! 

ment  la  loi  du  6  octobre  1791  (tit.  II,  sect.  2,  art.  13  et  IS) 
qui  a  rendu  exécutoires  dans  toute  retendue  du  territoire 
national  les  actes  revêtus  du  même  intitulé  que  les  jugements 
et  les  lois  ' . 

488.  D'après  Tordonnance  de  1539,  le  sceau,  qui,  dans 
l'origine,  était  la  plus  importante  des  formalités  intrin- 
sèques, puisqu'il  remplaçait,  nous  l'avons  vu  (n*  485),  la 
signature  du  notaire ,  était  devenu  une  formalité  purement 
extrinsèque ,  mais  nécessaire  pour  l'exécution.  Dans  la  suite, 
on  ne  considéra  plus  la  nécessité  du  sceau  que  comme  une 
exigence  purement  fiscale ,  et  tout  se  borna  k  l'acquittement 
de  certains  droits.  c<  Il  n'est  plus  d'usage  aujourd'hui  »,  dit 
Pothier  (  Traité  de  la  procédure  civile,  part.  IV ,  ch.  ii ,  sect.  2 , 
art.  1",  §  4),  ((  d'apposer  aucun  sceau  aux  jugements  ou 
«  actes  par-devant  notaires  *,  il  suffit,  pour  pouvoir  exécuter 
«  en  vertu  de  ces  actes,  que  le  droit  de  sceau  ait  été  acquitté, 
«  et  qu'il  en  soit  fait  mention  sur  l'expédition  de  l'acte  en 
(€  vertu  duquel  on  saisit.  »  Les  droits  de  sceau  ont  été  abolis 
par  la  loi  du  19  décembre  1790.  Le  sceau  dont  parle  la  loi 
de  ventôse  (art.  27)  n'est  plus  maintenant  qu'un  signe  de 
reconnaissance ,  utile ,  k  la  vérité ,  pour  rendre  le  faux  plus 
difficile  %  mais  dont  l'absence  ne  saurait  mettre  obstacle  k 
l'exécution  d'un  acte  non  suspect.  C'est  ainsi  que  la  Cour  dô 
Lyon  a  validé ,  le  7  mai  1825,  un  emprisonnement  effectué 
sur  le  vu  de  l'expédition  d'un  jugement  qui  n'était  pas  revêtu 
du  sceau  du  tribunal.  Ce  n'est  que  pour  les  actes  du  gou- 
vernement que  le  sceau  a  de  l'importance  conmie  marque 
de  l'autorité  publique  '  :  aussi  la  contrefaçon  du  sceau  de 

^  La  loi  hessoise  du  81  décembre  1829  et  le  nouTeaa  Code  yaudois 
(art.  540)  permettent  de  rendre  exécutoires  les  actes  sous  signature  privée. 

3  II  présente  surtout  de  ^importance  dans  les  relations  internationales , 
où  la  Térification  du  sceau  d*un  tribunal  ou  d'un  notaire  étranger  établit 
prima /adê  la  sincérité  de  l'acte.  (M.  Greenleaf ,  tom.  I,  p.  7.) 

^  Encore  faut-il  reconnaître  que  le  sceau  de  l'État  n'est  point  apposé  à 


ACnS  NOTARIÉS.  87 

rËtat  esl-dle  punie  des  travaux  forcés  à  perpélnité.  (C.  pén., 
art.  439). 

SOO.  Aa  contraire ,  l'intitulé  portant  le  nom  du  souve- 
rain, qui  commence  l'acte,  et  le  mandement  aux  officiers 
de  justice,  qui  le  termine,  sont  exigés,  k  peine  de  nullité 
de  l'exécution,  par  le  Gode  de  procédure  civile.  «  Nul  juge- 
«  ment  ni  acte  »,  dit  l'article  545  de  ce  Code,  «  ne  pour- 
«  ront  être  mis  à  exécution,  s'ils  ne  portent  le  même  intitulé 
«  que  les  lois  et  ne  sont  terminés  par  un  mandement  aux 
d  officiers  de  justice.  »  La  loi  du  16  octobre  1791  (tit.  I, 
sect.  2,  art.  14)  avait  établi  uoe  formule  exécutoire,  tout  k 
&it  analogue  à  celle  qui  est  en  vigueur  aujourd'hui.  Mais 
cette  formule  n'avait  pas  survécu  k  l'abolition  de  la  royauté, 
prononcée  par  la  loi  du  22  septembre  1793,  et  dans  l'inter- 
valle qui  s'est  écoulé  entre  cette  loi  et  celle  du  25  ventôse 
an  XI,  qui  a  prescrit  de  nouveau  l'emploi  de  la  formule 
exécutoire  (art.  25),  il  a  pu  être  procédé  valablement  à 
l'exécution  (Gass.,  25  mai  1807  et  8  août  1808)  en  l'ab- 
sence de  l'intitulé  et  du  mandement.  Aujourd'hui  c'est  cette 
formule  qui  est,  pour  ainsi  dire,  le  cachet  de  l'autorité 
publique,  et  le  défaut  de  toute  formule  exécutoire  mettrait 
obstacle  k  la  force  extrinsèque  de  l'acte.  Aux  termes  du 
décret  du  16  septembre  1870,  la  forme  actuellement  requise 
commence  par  Fintitnlé  :  u  La  République  française,  au 
«  nom  du  peuple  français  » ,  et  se  termine  ainsi  :  «  En  con- 
«  séquence ,  la  République  mande  et  ordonne  » ,  etc. 

La  formule  exécutoire  a  été  nécessairement  modifiée 
chaque  fois  qu'il  y  a  eu  un  changement  dans  la  forme  du 
gouvernement.  Mais  fallait-il  rectifier  après  coup  les  expédi- 

tons  les  actes  de  rautorité ,  qu'il  serait  d'ailleurs  difficile  d'imiter,  même 
en  contrefaisant  le  sceau.  La  sévérité  du  Code  pénal  est  une  tradition  de 
randenne  jurisprudence ,  qui  punissait  ce  crime  de  mort ,  comme  [einpor- 
tant  Uâ^-majesté  au  second  chef. 


58  ACTES  NOTARIÉS. 

tions  délivrées  sous  un  autre  régime,  pour  y  tntroduire  un 
intitulé  en  harmonie  avec  le  régime  nouveau  ?  Une  ordon- 
nance du  30  août  1815,  contraire  à  un  avis  du  Conseil  d*État 
du  2  frimaire  an  IIII,  auquel  s'était  conformée  la  pratique 
antérieure,  prescrivit  la  rectification  des  grosses  délivrées 
au  nom  d'autorités  considérées  alors  comme  usurpatrices, 
et  n'en  permit  l'exécution  qu'autant  que  l'intitulé  en  serait 
rétabli  au  nom  du  souverain  actuel.  Lors  de  la  révolution  de 
Juillet,  bien  qu'une  ordonnance  du  16  août  1830  eût  établi 
une  nouvelle  formule  exécutoire,  une  circulaire  du  garde  des 
sceaux  du  20  décembre  1830  revint  à  la  première  pratique, 
beaucoup  plus  raisonnable,  qui  respectait  le  caractère  des 
faits  accomplis ,  en  laissant  subsister  la  formule  exécutoire 
dont  les  grosses  antérieurement  délivrées  se  trouvaient 
revêtues.  Mais  les  gouvernements  postérieurs ,  bien  que  se 
fondant  sur  le  principe  de  la  volonté  nationale,  et  non  sur 
celui  de  la  légitimité ,  ne  se  sont  pas  montrés  moins  exclusifs 
que  celui  de  la  Restauration.  Une  disposition  de  l'arrêté  du 
13  mars  1848,  reproduite  par  le  décret  du  2  décembre  1852 
(art.  3  et  4)  et  par  celui  du  6  septembre  1870,  prescrit 
aux  porteurs  de  grosses  et  expéditions  délivrées  avant  le 
nouveau  régime,  de  les  présenter,  avant  de  les  faire  mettre 
k  exécution,  aux  greffiers  et  notaires,  qui  ajoutent,  sans 
frais,  la  formule  nouvelle  k  celle  dont  l'acte  était  précé- 
demment revêtu  * .  Il  est  à  remarquer  cependant  qu'à  la  diffé- 
rence de  l'ordonnance  de  1815,  ni  l'arrêté  de  1848  ni  les 
décrets  de  1852  et  de  1870  ne  déclarent  statuer  à  peine  de 
nullité.  Cette  nullité  doit-elle  être  suppléée  ?  La  Cour  de 
Paris  a  jugé  une  première  fois  l'affirmative,  le  20  jan- 
vier 1849 ,  en  se  fondant  sur  ce  que  la  formule  exécutoire 
donne  seule  la  puissance  légale  aux  officiers  ministériels. 

'  La  môme  mesure  a  été  prescrite ,  pour  les  pays  italiens  réunis  à  la 
France,  par  le  décret  du  12  juin  1860.  (Art.  3.) 


ACTES  NOTARIÉS.  59 

Mats  il  est  facile  de  répondre  que  l'emploi  de  telle  ou  telle 
formule  n'équivaut  nullement  à  l'absence  de  toute  formule. 
Nous  pensons  donc  que  la  Cour  de  Paris  est  rentrée  dans 
les  vrais  principes  lorsqu'elle  a  décidé,  au  contraire,  le 
3  janvier  i85â,  qu'en  l'absence  de  toute  pénalité,  on  doit 
considérer  le  défaut  de  renouvellement  de  la  formule  comme 
use  simple  infraction  disciplinaire ,  qui  ne  saurait  vicier  les 
actes  d'exécution. 

SOI.  Gonmie  il  y  avait  autrefois  autant  de  souverainetés 
judiciaires  distinctes  qu'il  y  avait  de  parlements ,  lorsqu'on 
Toulait  exécuter  tin  acte  au  delk  du  ressort  où  il  avait  été 
rendu,  U  fallait  obtenir  un  pareatû  du  grand  sceau  de  la 
ebancellerie  royale ,  ou  du  moins  un  pareatù  spécial  de  la 
chancellerie  du  parlement  dans  le  ressort  duquel  on  voulait 
exécuter.  Si  cette  exécution  devait  être  bornée  à  une  cer- 
taine localité,  on  se  contentait  du  vita  du  juge  du  lieu,  mis 
au  bas  d'une  requête.  L'Assemblée  constituante,  en  établis- 
sant l'unité  judiciaire  comme  l'unité  administrative,  dut 
supprimer  ces  derniers  vestiges  de  souveraineté  locale ,  et 
déclara,  par  la  loi  du  16  octobre  1791  (tit.  I,  sect.  3, 
art.  13  et  15),  que  les  actes  des  notaires  seraient  exécu- 
toires dans  tout  le  royaume ,  sans  aucun  visa  ni  scel  :  ce 
qu'a  répété  formellement  l'article  547  du  Code  de  procé- 
dure. 

Toutefois ,  d'après  cette  même  loi  de  1791  (tAid.,  art.  18), 
et  d'après  l'article  28  de  la  loi  actuelle  sur  le  notariat,  la 
légalisation  \  c'est-à-dire  l'attestadon  par  le  président  du 
tribunal  de  l'arrondissement  ou  par  le  juge  de  paix  du  can- 
ton *  où  est  délivrée  l'expédition,  que  la  signature  du  notaire 

^  Formalité  très-ancienne ,  puisqu'on  trouve  dans  le  Trésor  des  chartes 
une  copie  des  statuts  des  tailleurs  de  Montpellier,  à  la  date  de  1323, 
signée  par  deux  notaires  royaux ,  dont  les  signatures  sont  légalisées  par  un 
juge  royal  et  par  un  officiai  (juge  ecclésiastique). 

>  D'après  la  loi  du  20  ayril  1861 ,  la  législation  peut  être  donnée,  non 


60  ACTES  NOTARIÉS. 

est  bien  véritable ,  devient  nécessaire ,  toutes  les  fois  qu'on 
veut  employer  Facte  au  delà  de  certaines  limites.  Ces  limites 
sont  le  ressort  de  la  Cour  d'appel  pour  les  notaires  établis 
au  chef- lieu  de  cette  Cour,  et  l'étendue  du  département 
.pour  tous  les  autres  notaires.  La  légalisation  ne  doit  pas  se 
confondre  avec  lepareatis,  puisqu'elle  existait  déjà  autrefois, 
indépendamment  de  cette  formalité ,  qui  ne  pouvait  en  tenir 
lieu.  En  effet,  la  légalisation  était  donnée  comme  elle  l'est 
aujourd'hui ,  par  le  juge  du  lieu  où  avait  été  passé  l'acte , 
tandis  que  le  pareatis  était  délivré  par  le  pouvoir  central ,  ou 
par  le  magistrat  du  lieu  de  l'exécution.  Le  pareatU  n'était 
exigé  que  pour  les  grosses  ^  la  légalisation ,  qui  a  trait  à  la 
sincérité  de  l'acte,  était  et  est  encore  requise  pour  tout 
brevet  ou  expédition,  même  non  exécutoire,  que  l'on  veut 
employer  au  delà  des  limites  déterminées  par  la  loi.  Enfin, 
quant  à  ces  limites,  la  légalisation  n'est  exigée  (loi  de  vent., 
art.  28),  même  en  ce  qui  touche  les  notaires  d'arrondis- 
sement et  de  canton,  qu'autant  qu'il  s'agit  d'employer  l'acte 
au  delà ,  non  pas  de  l'arrondissement  ou  du  canton ,  mais 
du  département  :  preuve  évidente  qu'il  s'agit,  dans  cette 
institution ,  du  plus  ou  moins  de  notoriété  de  la  signature 
du  notaire,  et  nullement  de  la  force  exécutoire.  Aussi  l'ab- 
sence de  légalisation  ne  peut-elle  mettre  obstacle  à  l'exécu- 
tion qu'autant  que  la  partie  défenderesse  élève  des  doutes 
sur  la  signature,  et  exige  une  grosse  légalisée.  Mais,  une 
fois  la  saisie ,  par  exemple ,  opérée  sans  réclamation ,  on  ne 
peut  l'annuler  à  raison  de  ce  vice  de  forme.  Un  arrêt  de  rejet 
du  10  juillet  1817  n'a  considéré  avec  raison  l'obstacle  résul- 
tant de  ce  vice  que  comme  purement  prohibitif. 


plus  seulement  par  le  président  du  tribunal  ci?il ,  mais  par  le  juge  de  paix  ; 
cette  innoTation  ne  fait  d'ailleurs  que  remettre  en  vigueur  Pancienne  pra- 
tique, qui  autorisait  la  légalisation  par  les  officiers  municipaux  du  Ueu. 
(Merlin,  Bépert.,  y«  Légalisation,  n»  i.) 


ACTES  NOTARIÉS.  61 

QoaDt  aax  actes  reçus  par  les  officiers  étrangers,  bien  que 
dûment  légalisés  suivant  les  formes  du  pays ,  et  revêtus  de 
la  signature  de  l'agent  diplomatique  français,  l'exécution  ne 
peut  en  avoir  lieu  en  France  sans  un  jugement  qui  l'autorise. 
(C.  de  proc.,  art.  547.)  On  applique  alors  de  nation  à  nation 
ce  qu'on  appliquait  autrefois  de  province  à  province. 

Il  a  été  jugé  toutefois  par  la  Cour  d'Aix ,  le  8  juillet  1840, 
qu'une  procuration  reçue  devant  un  officier  étranger,  n'étant 
point  productive  d'obligation ,  n'a  pas  besoin  d'être  déclarée 
exécutoire.  La  Cour  de  Dijon  a  jugé  d'une  manière  plus 
générale  (3  avril  1869)  «  que,  sans  doute,  un  acte  notarié 
K  passé  en  pays  étranger  et  produit  en  France  n'y  est  pas 
K  susceptible  d'exécution  forcée,  mais  que,  quant  à  la  preuve 
«  des  &its  qu'il  est  destiné  à  constater,  il  jouit  en  France  de 
«  la  même  force  probante  que  les  actes  reçus  par  un  notaire 
«  français  ^  que  ce  principe  est  la  garantie  des  rapports  inter- 
«nationaux.  » 

SOS.  Enfin  il  est  une  dernière  formalité  tout  extrin- 
sèque, qui  n'a  plus  aujourd'hui  l'importance  qu'elle  avait 
autrefois.  Le  contrôle,  qui  correspondait  k  notre  enregis- 
trement, établi  pour  les  actes  notariés  dès  1581,  avait  alors 
pour  objet  d'en  assurer  la  date.  Aussi  était-il  incontestable 
qn'im  ne  pouvait  exécuter  sur  une  expédition  non  contrôlée. 
La  loi  du  19  décembre  1790,  en  créant  l'enregistrement, 
en  avait  fait  aussi  une  condition  de  validité  intrinsèque,  à 
défaut  de  laquelle  (art.  9)  a  l'acte  passé  par-devant  notaires 
^  ne  pouvait  valoir  que  comme  acte  sous  signatures  pri- 
«  vées.  »  Mais  cette  règle  était  peu  en  harmonie  avec  la  foi 
dont  jouissent  les  notaires ,  foi  qui  ne  peut  être  raisonnable- 
ntent  subordonnée  k  l'accomplissement  postérieur  d'une  for- 
malité fiscale.  Aussi  la  loi  du  22  frimaire  an  YII  n'a-t-elle 
pais  reproduit  cette  rigueur.  Il  résulte  de  la  combinaison  des 
Gicles  33  et  34  de  cette  loi  que  l'absence  d'enregistrement 


62  FOI   DES  ACTES  AUTHSIITIQUES. 

I 

d'un  acte  notarié  ne  peut  entraîner  que  la  condamna- 
tion k.une  amende  (Rej.,  23  janvier  1810-,  Bastia,  26  dé- 
cembre 1849),  tandis  qu'il  en  est  autrement  pour  les  exploits 
d'huissiers. 

DEUXIÈME  POIlfT. 
9m  àm  aelM  BOtaiîéf ,  «t  âm  aotes  aollieiilîqiMt  en  général. 

80MXAIBE.  —  SOS.  Principes  sur  la  foi  db  Tacte  autbenti({ae.  —  M4.  Écarter 

les  fonnalitès  extrinaèiiafts.  —  S05.  DiTlsion. 

803.  En  supposant  l'acte  revêtu  de  toutes  les  formalités 
intrinsèques  substantielles ,  voyons  quelle  est  la  foi  qui  y 
est  attachée.  Les  principes  que  nous  allons  essayer  d'établir 
ne  s'appliqueront  pas  seulement  aux  actes  notariés ,  mais  k 
tout  acte  authentique ,  du  moins  en  matière  civile  '  *,  car 
nous  verrons  qu'en  matière  criminelle  la  même  foi  n'est 
pas  attribuée  aux  déclarations  de  tous  les  ofQciers  publics. 

804.  Nous  laissons  de  côté  maintenant  ce  qui  concerne 
les  formalités  extrinsèques.  Nous  n'avons  donc  pas  it  nous 
occuper  ici  des  cas  où  l'exécution  de  l'acte  peut  être  arrêtée 
pour  des  causes  qui  n'en  attaqueraient  pas  l'autorité  au  fond  -, 
k  rechercher,  par  exemple ,  si  la  faculté  d'accorder  des  délais 
k  un  débiteur  malheureux  (C.  civ.,  art.  1244)  peut  s'exer- 
cer ,  lors  même  que  le  créancier  est  porteur  d'un  titre  exé- 
cutoire. Ce  sont  là  des  difficultés  qui  touchent  k  l'exercice 
du  droit,  et  nullement  k  sa  preuve.  Si  nous  devons  parler 
plus  tard,  quand  nous  en  viendrons  k  l'inscription  de  faux, 
de  la  suspension  de  l'exécution  (tfrtd.,  art.  1319),  c'est 
qu'alors  la  contestation  porte  sur  la  foi  de  l'acte ,  et  non  pas 

1  nous  derons  sîgnder  des  actes  ayant  un  caractère  tout  spécial ,  ceux 
des  cadis  en  Algérie  :  ces  actes  sont  bien  authentiques ,  aux  termes  de 
Parrèté  du  9  septembre  1830,  en  ce  sens  qu^ils  font  foi  des  faits  y  relatés; 
mais  cette  foi  n'existe  que  jusqu'à  preuve  contraire,  les  musulmans  étant 
demeurés  fidèles  au  vieux  principe  qui  fait  de  la  preuve  testimoniale  la 
preuve  par  excellence.  (Rej.,  23  novembre  1858.) 


.      FOI  DES  ACTES  AITrHBIlTIQnBft.  63 

sôfepleibeiift  sur  le  plus  ou  moins  de  rigueur  qui  doit  présider 
à  1-ezëcution  d'un  acte  supposé  valable. 

SOU.  Nos  développements  sur  la  foi  de  l'acte  authen- 
tique se  rattacheront  k  deux  questions  bien  distinctes  : 
i*"  Quelle  est,  en  général,  la  foi  d'un  acte  de  cette  nature? 
â*  quelle  foi  peuvent  mériter  les  actes  secrets  destinés  à 
modifier  un  acte  ostensible,  ordinaiftment  authentique,  c'est- 
Mire  les  contre-lettres? 

s  I.  QUE  PROUVENT  LBM  ACTES  AUTBEUTIQUES. 

SoMSAiBE.  —  806.  Point  de  vërifleation  de  l'écritare.  —  507.  De  qaels  faits  l'acte  doit 
faire  foi.  —  508.  Foi  k  l'égard  des  tiers.  —  508  bis.  Foi  des  titres  établissait  la  pro- 
priété. —  509.  foi  des  éaonciations  entre  les  parties.  —  540.  Point  de  foi  à  l'égard  des 
tiers.  Ifaxime  :  In  mtiquii  enuntiativa  probani.  «~  544.  Maxime  :  In  mUiquis  emnin 
frtenamtntur  solemniter  acta. 

â06.  Rappelons  d'abord  une  distinction  fondamentale 
entre  les  actes  authentiques  et  les  actes  sous  seing  privé  : 
distinction  que  nous  avons  signalée  ea  abordant  le  sujet. 
(N*  457.  )  Les  actes  privés  ont  besoin  d'être  vérifiés  en  jus- 
tice. Aq  contraire ,  l'appar^ce  de  l'acte  authentique  suffit 
pour  faire  présumer  l'authenticité,  sauf  la  faculté  de  s'in^ 
serire  en  faux.  Dès  lors ,  en  premier  lieu ,  l'acte  se  prouve 
Ini-mâne,  cota  probant  se  tpsa,  suivant  l'expression  de  Du- 
moulin ;'en  d'autres  termes^  l'écrit  produit  en  forme  authen- 
tique fait  foi ,  en  ce  sens  qu'il  est  présumé  être  réellement 
Fœuvre  de  Toffider  dont  il  porte  la  signature  apparente.  En 
supposant  maintenant  ce  premier  point  constant,  voyons 
quelle  foi  s'attache  au  témoignage  de  l'oiBcier  rédacteur  de 
l'acte. 

S07.  Le  fonctionnaire  qui  reçoit  un  acte  auquel  il  a  qua- 
lité pour  donner  l'authenticité ,  est  un  témoin  revêtu  d'un 
caractère  ofBciel ,  à  l'etfet  de  constater  ce  qui  se  passe  en 
sa  présence.  Cette  mission  a  une  haute  importance,  mais 
elle  est  toute  spéciale ,  car  il  ne  peut  attester  après  tout  que 
ce  qu'il  a  vu  et  entendu  dans  l'exercice  de  ses  fonctions^ 


64  FOI   DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

Dumoulin ,  auquel  il  faut  souvent  remonter  poui  saisir  dans 
son  origine  '  la  doctrine  qui  a  passé  ensuite  avec  plu&  ou 
moins  d'altération  dans  les  écrits  de  Pothier  et  dans  le  Gode 
civil ,  s'exprime  en  ces  termes ,  dans  son  commentaire  sur 
la  coutume  de  Paris  (tit.  I,  §  8,  n*  9)  :  «  Quod  ego  intel- 
«  ligo  et  limito  esse  verum,  ad  limites  et  substantiam  facti, 
a  tempore  instrumenti  gesli ,  et  in  ejus  tenore  contenti  et 
c(  affirmati  \  secus  qnoad  facta  vel  circnmstantias ,  quae  tune 
«  nec  fiunt,  nec  disponuntur ,  sed  tantum  recitantur.  »  L'au- 
thenticité ne  s'attache  qu'k  la  constatation  des  faits  dont 
l'ofBcier  a  été  personnellement  témoin  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions,  quorum  notkiam  et  ictentiam  habet,  propriis  ten- 
sibus,  vUus  et  audkus,  suivant  les  expressions  si  souvent  ci- 
tées de  Dumoulin  *.  (Ibid.»  §  64.)  Cette  doctrine  a  été  con- 
vertie en  loi  par  l'article  1317  du  Code  italien,  aux  termes 
duquel  l'acte  public  ne  fait  foi  que  des  faits  qui  se  sont  pas- 
sés en  présence  de  l'officier.  Nous  y  reviendrons  en  parlant 
des  actes  de  l'état  civil ,  k  l'égard  desquels  son  application 
soulève  de  graves  difficultés. 

En  ce  qui  touche  spécialement  les  actes  notariés ,  la  ju- 
risprudence  a  eu  fréquemment  l'occasion  d'appliquer  la 
théorie  de  Dumoulin.  Et  d'abord,  lorsque  le  notaire  con- 
state des  faits  qu'il  n'a  point  qualité  pour  constater ,  notam- 
ment lorsqu'il  affirme,  dans  la  rédaction  d'un  testament, 
que  le  testateur  est  sain  d'esprit'  (Rej.,  27  février  1821), 

*  Nous  ne  voulons  pas  dire  que  ce  soit  Dumoulin  personnellement  qui 
ait  créé  toute  la  théorie  relative  à  la  foi  des  actes  ;  mais  il  a  le  premier 
rassemblé  et  fondu  les  notions  qui  se  trouvaient  éparses  et  confuses  danB 
les  écrits  des  anciens  auteurs. 

'Ha  soin  d'ajouter  qu'il  en  serait  de  même  du  témoignage  des  autres 
sens,  du  tact,  du  goût  et  de  l'odorat.  C'est  ainsi  que  les  dégustations 
opérées  par  les  courtiers  gourmets-piqtieurs  de  vin  (décret  du  25  décembre 
1813)  ont  un  caractère  authentique. 

^  Le  notaire  doit  refuser  de  signer  je  testament,  lorsqu'il  est  convaincu 
que  le  testateur  ne  jouit  point  de  l'intégrité  de  ses  facultés.  (Bordeaux , 
3  août  1841.) 


FOI   DES  ACTES   ÂUTRElf TIQUES.  65 

soD  attestation  n'a  aucnn  caractère  officiel.  Il  faudrait,  au 
contraire ,  prendre  la  voie  de  l'inscription  de  faux ,  si ,  con- 
trairement à  l'assertion  de  l'acte  notarié,  portant  que  le 
testateur  a  dicté  lui-même  son  testament ,  on  voulait  sou- 
tenir qu'il  pouvait  à  peine  articuler  des  mots  qui  fussent 
entendus.  (Cass.,  19  décembre  1810;  Rej.,  1"  décembre 
1851.)  D'autre  part,  l'inscription  de  faux  est  inutile  lorsque 
l'on  veut  contester,  non  pas  le  fait  de  la  déclaration,  mais 
la  sincérité  de  cette  déclaration.  Ainsi,  on  est  recevable  k 
prouver  par  témoins  que  le  contrat  de  mariage  a  été  reçu 
après  la  célébration  du  mariage ,  lorsque  l'heure  n'a  pas  été 
mentionnée  dans  l'acte,  et  que  le  notaire  a  reçu  seulement 
la  déclaration  que  les  contractants  avaient  la  qualité  de 
fuMrt  époux.  (Rej.,  18  août  1840.)  Même  décision  (Rej., 
23  décembre  1853-,  26  novembre  1858),  au  cas  où  l'on  de- 
mande a  prouver,  notamment  en  matière  de  prêts  usuraires, 
que  la  numération  d'espèces  devant  l'officier  public  n'a  été 
qu'un  simulacre.  «  Si  la  foi  est  due  k  l'acte  authentique 
«jusqu'à  inscription  de  faux»,  dit  la  Cour  de  cassation 
(Rej. ,  22  novembre  1869) ,  «  ce  n'est  que  pour  les  faits  qui 
«  y  sont  énoncés  par  l'officier  public  comme  s'étant  passés 
«  en  sa  présence  \  mais  la  sincérité  ou  la  vérité  des  décla- 
»  rations  des  parties  peut  toujours  être  débattue  par  la  preuve 
«  contraire ,  et  cette  preuve  peut  résulter  même  de  simples 
«  présomptions ,  alors  qu'il  s'agit  d'établir  une  fraude  k  la 
«  personne  ou  à  la  loi.  » 

En  général,  toutes  les  fois  qu'on  articule  des  faits  de 
fraude,  la  preuve  testimoniale  est  admissible  de  piano  contre 
toute  espèce  d'acte  (Rej.,  12  mars  1839),  ainsi  que  nous 
l'avons  reconnu  en  parlant  de  l'admissibilité  de  la  preuve 
testimoniale.  (N**  141.)  La  Cour  de  Poitiers  a  même  été 
jusqu'à  décider  qu'en  pareille  hypothèse,  l'inscription  de 
faux  non-seulement  n'est  pas  nécessaire,  mais  n'est  pas 

II.  5 


66  FOI   DES  ACTES   AUTHENTIQUES. 

même  admissible  (arr.  du  i3  février  1855)  :  ce  qai  nous 
parait  rationnel ,  une  longue  et  dispendieuse  procédure  ne 
devant  pas  être  introduite  là  où  elle  n'est  pas  indispensable. 

Observons,  au  surplus,  que  dans  les  cas  même  où  la  dé- 
claration de  Tofficier  ne  fait  pas  foi  jusqu'à  inscription  de 
faux,  il  n'est  pas  toujours  permis  de  prouver  par  témoins  le 
contraire  de  ce  qui  est  énoncé  dans  l'acte.  Cette  preuve 
sera,  sans  doute,  recevable  lorsqu'il  s'agira  d'un  point 
complètement  en  dehors  du  ministère  du  rédacteur  de 
l'acte ,  tel  que  l'état  moral  du  testateur.  Mais  lorsqu'il  s'agit 
de  circonstances  dont  l'officier,  s'il  n'en  a  pas  été  person- 
nellement témoin,  a  dû  s'assurer  pour  la  régularité  de 
l'acte ,  on  retombe  sous  l'empire  de  la  règle  qui  défend  de 
prouver  par  témoins  contre  et  outre  le  contenu. aux  actes. 
(C.  civ.,  art.  1341.  )  C'est  ce  qu'a  jugé  un  arrêt  de  cassa- 
tion du  3  juillet  1838,  en  ce  qui  concerne  le  domicile  des 
témoins  instrumentaires. 

808.  Mais  vis-îi-vis  de  qui  l'acte  authentique  fait-il  foi? 
Si  nous  nous  en  rapportions  au  texte  de  l'article  1319  du 
Code  civil,  il  semble  que  la  foi  en  serait  bornée  aux  parties 
contractantes,  et  à  leurs  héritiers  ou  ayants  cause.  Ici ,  il  est 
vrai ,  le  mot  ayants  cause  comprend ,  de  Faveu  de  tous ,  les 
ayants  cause  même  à  titre  singulier,  tels  qu'un  acheteur, 
lequel  est  incontestablement  lié  par  toute  opération  trans- 
lative de  propriété  émanée  de  son  auteur,  dès  qu'elle  se 
trouve  authentiquement  constatée.  Mais  faut-il  s'en  tenir  Ik , 
et  admettre  que  la  foi  de  l'authenticité  n'existe  pas  vis-k-vis 
des  tiers  qui  ne  sont  pas  ayants  cause  des  contractants  ;  que 
notamment  l'acquéreur,  invoquant  la  prescription  de  dix  ou 
vingt  ans ,  ne  pourra  pas ,  pour  établir  la  date  de  la  vente , 
opposer  un  acte  authentique  à  l'ancien  propriétaire,  qui 
pourtant  n'est  nullement  l'ayant  cause  des  parties  contrac- 
tantes? Une  pareille  proposition  serait  insoutenable.  L'un 


POl  DES  ACTES  AUTHENTIQUES.  67 

des  plus  grands  avantages  du  caractère  public  dont  sont 
reyêtos  certains  officiers ,  c'est  que  leur  témoignage  a  au- 
torité vis-ii-Tis  de  tous,  et  non  pas  seulement  vis-à-vis  des 
parties  contractantes  ou  de  leurs  ayants  cause.  On  ne  peut 
donc  s'en  tenir  aux  termes  de  l'article  4319. 

Maintenant  est-il  plus  exact  de  dire  avec  Pothier  {Oblig.y 
n*  739),  ce  qu'on  répète  souvent  d'après  lui,  que  l'acte 
prouve  seulement  contre  un  tiers  rem  ipsam^  c'est-h-dire 
que  la  convention  qu'il  renferme  est  intervenue?  Mais  l'acte 
ne  prouve  pas  autre  chose  contre  les  parties  elles-mêmes. 
€e  qu'il  y  a  de  plus  pour  les  parties  que  pour  les  tiers,  c'est 
qu'elles  sont  obligées.  Elles  ne  le  sont  toutefois  qu^en  vertu 
de  la  convention ,  dont  l'écrit  est  la  preuve.  Et  c'est  de  cette 
coDYention  qu'il  est  vrai  de  dire  qu'elle  ne  peut  pas  nuire 
aux  tiers.  C'est  ce  qu'a  voulu  exprimer  l'article  1319,  qui 
confond  la  preuve  avec  le  fond  du  droit,  et  qui  répète  assez 
inutilement  ce  que  l'article  1165  avait  dit  beaucoup  plus  à 
propos,  en  parlant  de  l'effet  des  conventions,  qu'elles  n'ont 
d'effet  qu'entre  les  parties  contractantes,  qu'elles  ne  nui- 
sent point  aux  tiers,  et  ne  leur  profitent  point  en  général, 
n  est  donc  inexact  de  soutenir,  soit  que  l'acte  authentique 
ne  prouve  rien  vis-k-vis  des  tiers,  soit  même  qu'il  prouve 
moins  vis-k-vis  d'eux  que  vis-k-vis  des  contractants.  Il  prouve 
k  l'égard  de  tous  ce  que  le  notaire  a  mission  de  constater, 
et  rien  de  plus,  a  Acta  vel  quaecumque  scripta  publica  pro- 
a  bant  seipsa ,  id  est  rei  taliter  gestse  fidem  faciunt  inter 
«  quoscumque.  »  Telles  sont  les  expressions  de  Dumoulin 
(foc.  cti.,  §  8),  que  Pothier  a  traduites  fort  inexactement, 
lorsqu'il  a  dit  que  l'acte  prouvait  rem  ipsam  k  Tégard  des 
tiers-,  car  c'est  k  l'égard  de  tous  que  Dumoulin  attribue 
cette  force  à  l'acte,  en  tant  qu'il  s'agit  de  la  preuve,  quoad 
verùatem  seu  probationem  rei  gestœ.  Si  maintenant ,  continue 
ce  puissant  logicien  (iWrf.,  §  10),  on  examine  au  fond  les 

5. 


68  FOI   DES  ACTES   AUTHENTIQUES. 

effets  de  l'acte,  c'est-k-dîre  de  la  convention,  quoad  jus  et 
effectum  actus  getti,  alors  il  est  évident  qu'il  ne  peut  nuire 
ni  profiter  qu'aux  parties  contractantes,  quia  res  inter  alzos 
acta  non  nocet,  nec  obUgat,  nec  facit  jus  inter  alios.  Mais  il 
montre  très-bien  que  ce  n'est  pas  là  une  question  de  preuve. 
c(  Et  ita  exponenda  sunt  dicta  doctorum,  ubicumque  per- 
ce functorie  et  crasse  (ut  plerumque  soient)  loquendo,  di- 
((  cunt  instrumentum  publicum  inter  extraneos  non  probare, 
n  quia  ibi  verbum  probare  per  catachresin ,  sive  improprie , 
«  pro  jus  efficere,  sive  prsejudicare  accipitur-,  cseterum  vere 
«  et  proprie  loquendo,  publicum  instrumentum  erga  onmes 
a  est  aeque  publicum  et  probans.  »  Il  est  bien  k  regretter 
que  ce  langage  grossier ,  si  justement  critiqué  dès  le  seizième 
siècle ,  se  retrouve  encore  dans  le  Code  civil ,  où  il  donne 
lieu  k  de  fôcheuses  confusions.  La  jurisprudence,  du  reste, 
admet,  et  ne  pouvait  pas  ne  pas  admettre  que  l'acte  au- 
thentique fait  foi  k  regard  de  tous,  en  réservant  seule- 
ment la  preuve  de  la  fraude ,  mais  non  celle  de  l'erreur. 
(Bordeaux,  25  août  1810-,  Amiens,  28  avril  1869.) 

508  bis.  Ne  faut-il  pas  aller  plus  loin ,  et  reconnaître 
qu'en  ce  qui  touche  V établissement  de  la  propriété,  suivant  le 
style  des  notaires,  l'acte  a  force,  même  k  l'égard  des  tiers? 
La  question  s'est  présentée  dans  la  pratique  relativement  k 
un  acte  de  partage  d'où  le  demandeur  en  revendication  fai- 
sait ressortir  l'origine  de  son  droit  de  propriété.  Le  défen- 
deur lui  opposait  l'article  1165,  qui  veut  que  les  conven- 
tions n'aient  d'effet  qu'entre  les  parties  contractantes. 
Conformément  k  la  doctrine  de  Pothier  {Droit  de  propriété, 
part.  II,  chap.  i,  art.  3),  on  juge  constamment  (Cass., 
22  juin  1864;  Riom,  i  juillet  1857;  Rouen,  1*'  février 
1865),  que  l'article  1165  n'est  opposable  au  demandeur 
qu'en  tant  qu'il  s'agirait  d'établir  une  obligation  k  la  charge 
des  tiers  en  vertu  d'un  acte  qui  lui  serait  étran^rer.  Mais , 


FOI   DES  ACTES   AUTHENTIQUES.  69 

lorsque  le  demandeur  se  borne  à  justifier  par  un  titre  régu- 
lier de  la  transmission  de  la  propriété  en  sa  faveur,  le  dé- 
fendeur ne  saurait  être  recevable  à  récuser  de  piano  l'autorité 
de  ce  titre ^  il  ne  peut  le  combattre  qu'en  lui  opposant,  soit 
un  autre  titre ,  soit  la  prescription.  «  Le  droit  de  propriété  », 
dit  la  Cour  de  cassation ,  «  serait  perpétuellement  ébranlé , 
0  si  les  contrats  destinés  k  l'établir  n'avaient  de  valeur  qu'à 
a  l'égard  des  personnes  qui  y  auraient  été  parties,  puisque 
«  de  l'impossibilité  de  faire  concourir  les  tiers  à  des  cou- 
«  trats  ne  les  concernant  pas,  résulterait  l'impossibilité 
«  d'obtenir  des  titres  protégeant  la  propriété  contre  les 
«  tiers.  »  Nous  avons  vu  (n*  37  r^)  les  mêmes  principes 
consacrés  par  la  Cour  de  cassation  quant  k  l'autorité  des 
jugements'. 

S09.  Dans  tous  les  cas,  il  est  prouvé  a  l'égard  de  tous, 
dans  an  acte  authentique ,  que  telles  déclarations  ont  eu 
lieu  devant  l'officier  public.  Actus  plene  probat,  dit  Dumou- 
lin (loc.  or.,  §  19),  etiam  in  enuntiadvis.  Peu  importe  que  ces 
déclarations  aient  été  conçues  en  termes  purement  énoncia- 
tifs-,  elles  n'en  sont  pas  moins  constatées  officiellement,  et 
les  tiers  peuvent  en  tirer  tel  parti  que  de  raison,  par 
exemple,  prendre  acte  de  cette  circonstance  que  l'un  des 
contractants  a  pris  la  qualité  d'héritier,  même  en  faisant  un 
acte  purement  conservatoire.  La  force  de  l'acte  notarié  en 
tout  ce  qu'il  énonce  est  telle  qu'il  fait  foi  même  de  la  ponc- 
tuation des  phrases  qu'il  renferme.  (Limoges,  14  août  1810.) 

n  n'en  est  point  de  même  en  ce  qui  touche  la  vérité  des 
faits  énoncés.  Cette  vérité,  que  l'officier  public  n'a  point  qua- 
lité pour  attester,  n*étant  établie  que  par  l'aveu  des  par- 
ties qui  ont  souscrit  l'acte ,  cet  aveu  doit  être  sérieux ,  et 

■  La  chambre  des  requêtes  aTait  rendu  en  sens  contraire  un  arrdt 
d^admission  (2  juillet  1872);  mais  la  chambre  civile  a  déanitivement  rejeté 
le  pourvoi,  le  17  mars  1873. 


70  FOI  DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

n'être  point  le  résultat  d'une  surprise  ou  d'une  erreur.  De 
là  la  règle ,  commune  aux  actes  publics  et  aux  actes  privés , 
et  susceptible  de  s'appliquer  également  aux  déclarations  ver- 
bales dûment  constatées ,  parce  qu'elle  se  rattache  unique- 
ment k  l'intention  des  parties,  règle  qui  veut  que  Ton  dis- 
tingue ,  quant  k  la  foi  des  simples  énonciations ,  si  elles  ont 
ou  non  un  rapport  direct  k  la  disposition  (C.  civ.,  art.  1320), 
c'est-k-dire  k  l'objet  que  les  contractants  avaient  en  vue  ' . 
Si  ce  rapport  existe ,  la  foi  de  renonciation  est  la  même 
que  celle  de  la  disposition  principale.  «  Si  quelqu'un  » ,  dit 
Pothier  (Oblig.,  n""  737),  c(  par  un  acte  passe  reconnais^ 
«  sance  d'une  rente  en  ces  termes  :  reconnaît  qu'une  telle 
«  maison  par  lui  poesédée  est  chargée  envers  Robert,  présent  »  de 
((  tant  de  rentes  par  chacun  an,  dont  les  arrérages  ont  été  payés 
«jusqti^à  ce  jour,  et  en  conséquence  a^obUge  de  la  tm  continuer, 
n  ces  termes ,  dont  les  arrérages  ont  été  payés,  quoiqu'ils  ne 
«  soient  qu'énonciatifs ,  et  qu'il  ne  soit  pas  exprimé  que 
«  Robert  reconnaît  les  avoir  reçus ,  font  néanmoins  foi  du 
a  payement  contre  Robert ,  partie  a  l'acte ,  parce  qu'ils  ont 
«  un  trait  au  dispositif  de  l'acte,  et  qu'il  devait  être  question 
(c  dans  l'acte  de  ce  qui  était  efiectivement  dû  des  arrérages 
«  de  cette  rente.  »  Si,  au  contraire,  ce  rapport  n'existe 
pas;  si,  par  exemple,  dans  l'acte  qui  constate  la  vente  d'un 
héritage ,  le  vendeur  a  énoncé  qu'il  provenait  de  telle  suc- 
cession, cette  énonciation  n'a  plus  la  même  force  que  celle 
qui  concernait  les  arrérages  dans  Tespèce  précédente ,  parce 
que  l'attention  de  l'acheteur  ne  s'est  pas  portée  sur  une  cir- 
constance qui  n'avait  qu'un  trait  indirect  k  la  convention 
principale.  On  ne  pourrait  donc  pas  plus  tard,  en  récla- 
mant cet  immeuble  comme  faisant  partie  de  la  succession 
indiquée,  se  prévaloir  contre  l'acheteur  de  ce  qu'il  a  sou- 

■  G'eet  aux  juges  du  fait  qu'il  appartient  d'apprécier  ai  ce  rapport  direct 
existe  ou  non  dans  Peipèce.  (Rej.,  4  mars  18S4.) 


FOI  DBS  ACTES  AUTHBNTIQDBS.  71 

scrit  Tacte  eu  se  trouvait  cette  énonciation  incidente.  (Po* 
thier,  ibid.,  n*  738.)  Cette  doctrine  remonte  encore  ^  Du- 
moulin :  «  Actus  plene  probat  »,  dit-il  {loc.  cit.,  §  10), 
c  nedom  in  tenore  et  dispositivis  instrumenti,  sed  etiam  in 
a  ennntiativis.. .,  in  quantum  tamen  respicit  vires  et  effectum 
ff  actus  principaliter  gesti,  secus  si  de  ennntiativis  et  prae- 
«  sumptionibus  instrumenti ,  seorsum  a  principali  actu ,  dis- 
«  putaretur  :  tune  enim  taie  instrumentum  non  facit  plenam 
afidem,  sed  solnm  pnesumptionem.  »  Le  Gode  (même 
art.  i320)  dit,  dans  le  même  sens:  k  Les  énonciations 
«  étrangères  à  la  disposition  ne  peuvent  servir  que  d'un  ' 
c  commencement  de  preuve.  »  Elles  ne  suffisent  donc  pas 
à  elles  seules-,  mais  elles  peuvent  servir  d'adminicule ,  afin 
de  permettre  la  justification  du  fait  énoncé ,  à  Taide  de  la 
preuve  testimoniale.  Cette  mention  se  trouve  efiectivement 
dans  un  acte  auquel  a  concouru  la  partie  contre  qui  on  l'in- 
voque ,  et  elle  rend  ordinairement  vraisemblable  le  fait  al- 
légué (Und.j  art.  1347),  l'homme  étant  naturellement  porté 
\  dire  la  vérité,  surtout  si  rien  ne  prouve  qu'il  ait  eu  intérêt 
à  la  déguiser.  Du  reste ,  nous  le  répétons ,  la  question  du 
plus  ou  du  moins  de  foi  de  renonciation  contenue  dans  un 
acte  authentique  n'est  point  de  nature  k  augmenter  la  res- 
ponsabilité de  l'oificier  public.  L'écrit  par  lui  dressé  prouve 
jtasqu'k  inscription  de  faux  que  telle  énonciation  a  eu  lieu  ^ 
c'est  au  juge  à  reconnaître,  d'après  les  circonstances  (Rej., 
18  août  1840) ,  si  elle  a  ou  non  trait  k  la  disposition  princi- 
pale, et  même,  en  la  supposant  incidente,  si  elle  pourra 
servir  de  commencement  de  preuve  :  car  la  mention  pour- 
rait être  si  peu  précise  et  si  vague ,  qu'on  dût  lui  refuser 
même  cette  force  subsidiaire. 

810.  Â  regard  des  tiers,  nous  l'avons  reconnu,  l'acte 
authentique  prouve  d'une  manière  invincible  que  telles 
déclarations  ont  eu  lieu  'levant  tel  ofiicier^  mais  ces  décla- 


7â  FOI   DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

rations  ne  peuvent  lier  que  les  parties  de  qui  eHes  émanent. 
C'est  dans  le  même  sens  que  Farticle  13â0  borne  aux  parties 
la  foi  des  énonciations,  eussent-elles  un  rapport  direct  au 
dispositif  de  l'acte.  Les  tiers  ne  peuvent  nier  l'existence  de 
ces  énonciations,  la  déclaration  du  payement  des  arrérages, 
dans  l'espèce  citée  par  Pothier^  ainsi,  les  créanciers  chiro- 
graphaires  du  créancier,  bien  que  considérés  k  certains 
égards  comme  des  tiers  (n*  517),  ne  sauraient  contester 
renonciation,  et  se  trouvent  liés  par  elle,  s'ils  n'en  peuvent 
constater  la  fraude.  Ici,  en  effet,  la  date  se  trouve  établie,  k 
la  différence  des  énonciations  d'un  acte  sous  seing  privé. 

Bien  plus,  d'après  la  doctrine  qui  a  prévalu  devant  la 
Cour  de  cassation  quant  au  dispositif  de  Tacte  authentique 
(n*  508  6»),  les  énonciations  contenues  dans  un  acte  de 
cette  nature  prouvent  prima  fade  l'origine  d^  la  propriété* 
Nous  avons  cité  l'arrêt  de  cette  Cour,  qui,  contrairement  k 
sa  jurisprudence  antérieure  (Rej.,  21  janvier  1857),  admet 
le  droit  d'établir  par  un  acte  de  partage  l'origine  de  la  pro- 
priété, même  à  rencontre  des  tiers.  (Cass.  22  juin  1864.) 
Mais  il  est  bien  entendu  que  de  pareilles  déclarations  ne 
font  foi  que  jusqu'à  preuve  contraire. 

Ce  qui  est  incontesté,  c'est  que  les  dispositions  énoncJsC'- 
tives,  pas  plus  que  les  dispositions  principales,  ne  sauraient 
établir  directement  une  charge  au  préjudice  d'un  tiers.  Ota 
l'admettait  cependant  dans  l'ancienne  jurisprudence,  du 
moins  lorsque  renonciation  était  soutenue  par  la  possession 
aux  termes  de  la  maxime  In  antiquis  enunHativa  probant, 
maxime  qui,  suivant  Toullier  (tom.  YIII,  n""  64  et  suiv.), 
serait  encore  en  vigueur  sous  l'empire  du  Code  civil.  Dumoulin 
enseigne ,  en  effet ,  que  les  énonciations ,  même  incidentes, 
font  foi  dans  les  actes  anciens,  et  au  préjudice  même  des 
tiers.  «  In  antiquis  » ,  dit-il  (toc.  cU, ,  n*76),  «  verba  enuntiativa 
«  plene  probant ,  etiam  contra  alios ,  et  in  prasjudicium 


FOI  DES  ACTES  AUTHENTIQUES.  73 

«  tertii....,  etiam  si  essent  incidenter  et  propter  aliud  pro- 
«  lata,  ut  enoBtiatio  coDfinium.  »  Cette  doctrine  n'était  pas 
adtnise  sans  contradiction.  (Mascardus,  Concl.  i06,  m/ne.) 
Pour  concilier  les  opinions  opposées  sur  ce  point,  Cravettus 
{De  long,  temp.,  part.  P%  cbap.  iv,  n"*  8)  distinguait  s'il 
s'agissait  pour  les  tiers  d'un  préjudice  grave  ou  d'un  préju- 
dice léger.  Dans  le  premier  cas,  renonciation  ne  faisait 
qu'une  demi-preuve  vis-à-vis  des  tiers.  Sans  s'expliquer  sur 
cette  distinction  un  peu  arbitraire,  Potbier  (06%.,  n*  740) 
reproduit  sur  un  autre  point  la  doctrine  de  Cravettus  {De 
long,  temp.^  ibid.^  n""  20)-,  il  admet  la  pleine  foi  des  énon- 
ciations,  lorsque  ces  énonciations,  s'il  s'agit  d'un  droit  réel, 
sont  soutenues  par  une  longue  possession  *.  Ainsi,  du  temps 
de  Potbier,  renonciation  d'un  droit  de  vue  dans  un  acte 
ancien ,  bien  que  cet  acte  fût  tout  k  fait  étranger  au  pro- 
priétaire du  fonds  prétendu  asservi ,  pouvait  établir  l'exis- 
tence  de  ce  droi^  s'il  y  avait  longue  possession,  même  sous 
l'empire  de  coutumes  qui,  comme  celle  de  Paris,  consi- 
déraient le  droit  de  vue  comme  imprescriptible.  Comment 
concevoir  cette  doctrine  de  la  part  d'un  esprit  aussi  juste 
que  celui  de  Potbier,  et  cbez  un  logicien  aussi  serré  que 
Dumoulin,  qui  a  soin  de  nous  dire  lui-même  (ibid. ,  n""  76)  : 
d  Non  potest  antiquitas  de  novo  inducere  in  totum  probatio- 
«  nem ,  quse  nulla  est ,  sed  eam  demum ,  quae  aliqua  est, 
«  coadjuvare?  »  On  peut  comprendre,  sinon  la  tbéorie  de 
Dumoulin*,  du  moins  l'opinion  de  Cravettus  et  de  Potbier, 

*  Le  laps  de  temps  exigé  pour  cette  ancienneté,  pour  cette  longue  posses- 
sîaa,  n'était  pas  une  des  moindres  difficultés  de  la  matière.  Il  y  avait  une 
extrême  divergence  dans  les  opinions  des  auteurs  sur  ce  point,  depuis  celle 
qui  se  contentait  de  dix  ans ,  jusqu'à  celle  qui  exigeait  un  siècle.  (Voy. 
DomouUn ,  ibid. ,  n«*^l  et  suiv.)  Le  Code ,  là  où  il  s'attache  à  l'ancienneté 
(art.  1335  2»,  et  1337),  s'est  fixé  à  la  limite  de  trente  ans. 

3  La  tbéorie  de  Dumoulin  n'est  pas  aussi  absolue  qu'on  pourrait  le 
croire,  en  isolant  le  passage  que  nous  avons  cité  :  In  antiquis  verba  enun- 
Iki^wa  p2en«  profroit^  Ce  jurisconsulte  dit  également  (même  n<*  76): 


74  FOI  DBS  âctbs  authentiques. 

si  Ton  s'attache  à  cette  idée  que  les  éoonciations  émanées 
de  tiers  avaient  dans  l'ancienne  jurisprudence  plus  d'effet 
qu'elles  n'en  ont  aujourd'hui.  Nous  avons  vu  (n*  165) 
qu'elles  pouvaient  servir  de  commencement  de  preuve  par 
écrit ,  parce  qu'on  se  contentait  jadis  d'un  adminicule  quel- 
conque pour  autoriser  la  preuve  testimoniale.  Or,  la  pré- 
somption fondée  sur  la  longue  possession  était  admise, 
comme  elle  l'est  encore,  là  où  la  preuve  par  témoins  était 
admissible.  Elle  était  même ,  en  matière  de  servitudes ,  an 
correctif  de  la  règle  coutumière  :  ffuLU  semtude  sans  titre. 
Mais  aujourd'hui  l'opinion  des  auteurs  qui  voulaient  que  le 
commencement  de  preuve  par  écrit  émanât  de  la  partie 
adverse,  a  été  convertie  en  loi.  (G.  civ.,  art.  i347.)  Les 
énonciations  sont  dès  lors  complètement  nulles  en  tant  qu'il 
pourrait  en  résulter  une  charge  ii  rencontre  des  tiers. 
Dumoulin  et  Pothier  décideraient  donc  aujourd'hui  que 
pareille  mention ,  dénuée  de  tout  effet  obligatoire  vis-à-vis 
de  ceux  qui  n'y  ont  pas  souscrit,  ne  saurait  acquérir  par  le 
temps  la  force  qui  lui  manque.  Non  potest  antiquitas  de  novo 
inducere  in  totum  probationem  quœ  nuUa  eH. 

Il  faut  dès  lors  reconnaître  dans  le  droit  actuel  que ,  les 
servitudes  qui  ne  sont  pas  à  la  fois  continues  et  apparentes 
étant  déclarées  par  la  loi  imprescriptibles  (C.  civ.,  art.  691), 
on  ne  saurait  en  établir  l'existence  par  la  possession  même 
trentenaire,  combinée  avec  une  déclaration  contenue  dans 
un  ancien  titre,  si  cette  déclaration  est  étrangère  au  pro- 
priétaire du  fonds  prétendu  servant.  Toullier  n'est  pas  non 
plus  allé  jusque-lk,  bien  qu'il  croie  encore  en  vigueur  la 
maxime  In  andquis  enuntiativa  probant.  Mais  il  l'applique  aux 
énonciations  sur  Tàge,  sur  la  parenté,  qui  se  trouvent  dans 

In  quantum  autem  antiquitas  eoadjuvet,  totum  id  in  arbitrU»  judicis 
situm  est;  ce  qui  rentre  dans  la  faculté  plus  large  d'appréciation  qui  appar- 
tenait autrefois  aux  juges. 


roi  DBS  àcns  authentiques.  75 

des  actes  anciens  passés  entre  des  tiers.  S'il  voulait  seule- 
ment dire  par  Ik  que,  lorsque  les  juges  peuvent  se  déter- 
miner par  des  présomptions ,  ces  mentions  doivent  avoir  de 
la  force,  et  qu'elles  peuvent  en  fait  en  avoir  d'autant  plus 
qu'elles  se  trouvent  dans  des  actes  plus  anciens,  qui  prêtent 
moins  k  la  fraude ,  son  assertion  n'aurait  rien  que  de  plau- 
sible. Mais  quand  il  va  jusqu'à  dire  (tom.  YIII,  n*  166)  que 
telle  énonciation^  qui  serait  considérée  comme  non  avenue 
dans  un  acte  récent ,  pourra  servir  à  prouver  l'état  des  per- 
sonnes ,  si  elle  est  renfermée  dans  un  acte  ancien ,  ce  qui 
mènerait  k  reconnaître  que  la  filiation,  même  naturelle, 
pourrait  résulter  d'indices  puisés  dans  un  acte  de  cette  na- 
ture, il  transporte  dans  notre  législation  des  idées  qui  ne  sont 
plus  en  harmonie  avec  le  droit  moderne ^  Si,  comme  nous 
le  verrons  en  parlant  de  la  preuve  littérale  au  second  degré, 
le  Code  civil  (art.  1335  2",  et  art.  1337)  a  quelquefois 
donné  plus  de  force  k  des  écrits  anciens,  le  soin  qu'il  a  pris  de 
spécialiser  les  cas  où  il  s'attache  ainsi  k  l'ancienneté  montre 
bien  qu'il  n'entend  pas  établir  d'une  manière  générale  que 
les  actes ,  comme  les  vins ,  acquièrent  une  nouvelle  force 
en  vieillissant.  Si  cela  était  vrai  d'ailleurs,  il  faudrait,  comme 
ja^s,  décider  de  même  en  toute  matière,  tandis  que  Touiller 
établit  une  distinction  tout  k  fait  déraisonnable  entre  ce  qui 
touche  les  droits  réels  et  ce  qui  est  relatif  k  l'état  des  per- 
sonnes. C'est  faire  justice  soi-même  d'une  doctrine,  que  de 
reculer  ainsi  devant  les  conséquences  qui  en  découlent  for- 
cément. 

Sil.  Un  autre  vieil  adage,  qui  se  rattache  intimement 
au  premier,  c'est  celui  qui  veut  que  les  actes  anciens  soient 
présumés  revêtus  de  toutes  les  solennités  requises  :  «  In 

*  n  n'est  plus  possible  de  dire  aujourd^ni,  avec  Mascardus  (Concl.  103, 
B*  11)  :  Infaetis  tmtiquis  non  requiri  exaetam  et  plenam  probationem, 
ut  in  novis  et  recentibus  exigitur,  sed  leviores  probationes  sttffteete. 


76  FOI   DES  ACTES   AUTHENTIQUES. 

antiquîs  omnia  prsesumunlur  solemnitcr  acta.  »  (Dumoulin, 
ibid,^  n*"  75-79.)  Cet  adage  ne  s'entendait  pas,  du  reste, 
en  ce  sens  que  Tancienneté  pût  faire  considérer  comme  noa 
avenues  les  nullités  qui  apparaîtraient  évidemment  dans  les 
actes,  mais  en  ce  sens  seulement  que,  dans  le  doute,  elle 
devait  faire  supposer  l'observation  de  toutes  les  formes 
requises.  FacU  prœmmi,  dit  Dumoulin,  iolemnitutem  requiiitam 
intervenire,  quamvis  non  appareai.  C'est  ainsi  qu'il  est  entendu 
dans  la  jurisprudence  anglaise  et  américaine,  où  il  est  encore 
en  vigueur.  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  25  et  suiv.)  Lors- 
qu'un acte  sous  seing  privé  a  trente  ans  de  date,  les  témoins 
.qui  l'ont  souscrit,  ainsi  que  nous  le  verrons,  suivant  l'usage 
du  pays ,  sont  présumés  décédés ,  et  dès  lors ,  tous  ou  quel- 
ques-uns fussent-ils  vivants,  il  n'y  a  point  lieu  de  les  faire 
entendre  à  l'appui  de  l'acte,  lequel  est  réputé  régulier \  De 
même,  lorsque  des  officiers  publics  ont  reçu  mission  de 
vendre  des  biens  suivant  certaines  formalités ,  qui  chez  les 
Anglais  n'çnt  pas  besoin  d'être  constatées  dans  l'acte,  au 
bout  de  trente  ans,  il  n'est  plus  besoin  de  justifier  de  l'ob- 
servation de  ces  formalités.  Ces  deux  applications  de  l'an- 
cienne maxime  ne  sauraient  avoir  lieu  dans  notre  droit  :  la 
première ,  parce  qu'il  n'est  pas  d'usage  chez  nous  d'appeler 
des  témoins  aux  actes  privés  -,  la  seconde,  parce  que  le  droit 
français  prescrit,  à  peine  de  nullité,  dans  les  actes  publics, 
la  mention  des  formalités  importantes.  Il  n'est  évidemment 
point  permis  de  considérer  comme  équivalant  k  cette  mention 
le  fait  seul  que  l'acte  aurait  vieilli. 

Dans  les  législations,  comme  celles  de  Rome  et  d'An- 
gleterre, où  Ton  a  recours  à  la  preuve  testimoniale  pour 
établir  l'observation  des  formes,  la  mention  des  formalités 

*  Toutefois  cette  présomption  est  moins  absolue  dans  la  doctrine  anglaise 
qu'eUe  ne  l'était  chez  nos  anciens  auteurs  ;  elle  a  besoin  d'être  corroborée 
par  quelques  adminicules. 


FOI  DES  ACTES  AUTHENTIQUES.  77 

qui  se  ratlachent  à  des  formalités  précédentes,  Tait  naturelle- 
ment présumer  rexistence  de  ces  dernières  formalités ,  sans 
qu'il  soit  besoin  d'en  justifier  par  témoins.  Ainsi,  dans  les 
textes  sur  lesquels  nos  vieux  interprètes  ont  appuyé  leur 
adage,  et  notamment  au  §  17  De  inutUibus  stiputaUonilms,  aux 
Insûtntes  de  JusUnien ,  on  suppose  qu'un  écrit  mentionne 
que  telles  parties  se  sont  réunies  et  qu'une  promesse  est 
iflteryenue-,  la  mention  de  la  promesse  fait  supposer  l'inter- 
rogation précédente ,  nécessaire  pour  la  validité  de  la  stipu- 
lation :  a  Si  scriptum  in  instrumenta  Juerit  promisisse  ati4ptem, 
«  perinde  habetur  atque  si  interrogatione  prœcedente  responsum 

t  sk.  »  Comme  le  fait  justement  observer  M.  Greenleaf 
{loc.  rà.),  ce  n*est  ïk  que  l'application  de  cette  maxime  de 
raison  :  Probatis  eoctremis  prœsumuntur  média.  Et  cette  pré- 
somption existe  également  chez  nous  pour  les  formalités  dont 
la  loi  n'exige  pas  la  mention.  Ce  qu'ont  ajouté  nos  anciens 
auteurs,  suivis  parla  pratique  anglaise,  c'est  la  fixation  d^un 
temps  au  bout  duquel  l'acte  se  trouve  protégé  par  cette 
présomption.  Cette  fixation  est  tout  à  fait  étrangère  au  droit 
mnain ,  et  par  cela  seul  qu'elle  n'est  point  reproduite  dans 
notre  législation  moderne,  elle  y  est  inadmissible. 

On  voit  que,  suivant  notre  pratique,  la  maxime  In  antiquis 
amnia  prœsumuntur  solemniter  acta  serait  beaucoup  trop  rigou- 
reuse, s'il  s'agissait  de  formalités  dont  la  mention  n'est  pas 
exigée,  et  dont  il  faut  supposer  l'observation,  quelle  que  soit 
la  date  de  l'acte  ^  qu'elle  serait  beaucoup  trop  relâchée ,  au 
contraire,  là  où  certaines  mentions  sont  prescrites  k  peine 
de  nullité.  Ici  Toullier  (tom.  YIII,  n""  i63)  commet  une 
grave  erreur,  lorsqu'il  dit  que  cette  maxime,  qu'il  semble 
approuver  en  principe ,  ne  peut  plus  guère  recevoir  d'appli- 
cation, maintenant  que  l'action  en  nullité  se  prescrit  par 
dix  ans.  (C.  civ.  art.  1304.)  La  restriction  à  dix  ans  de 
l'action  en  nullité  ne  concerne  que  les  vices  du  consente- 


78  FOI  DES  àCTBS  àUTHBNTIQUBS. 

ment  au  fond  :  Terreur,  la  violence ,  le  dol ,  Tincapacité  ^ 
elle  n'a  nullement  trait  à  l'absence  des  formes  prescrites 
pour  la  validité  d'un  acte.  Toutes  les  fois  que  des  formes  de 
cette  nature  n'auront  pas  été  mentionnées,  comme  elles 
devaient  l'être,  l'acte  sera  radicalement  nul,  quelle  qu'en 
soit  l'ancienneté.  Jamais  on  ne  sera  reçu  k  en  réclamer 
l'exécution.  Seulement,  si  en  fait  il  a  été  exécuté,  on  ne  sera 
plus  recevable  k  revenir  sur  l'exécution  après  trente  ans  ^ 
non  qu'elle  ait  couvert  le  vice  de  forme,  mais  parce  que 
l'action  en  répétition  de  l'indu  est  elle-même  prescriptible, 
conune  elle  le  serait  au  cas  où  il  n'y  aurait  pas  eu  même 
l'apparence  d'un  acte.  Il  ne  faut  donc  pas  se  rejeter  sur  la 
prescription  de  dix  ans,  tout  h  fait  étrangère  au  sujet  qui 
nous  occupe  ;  il  faut  attaquer  de  front  la  maxime  In  mûqim 
ommia  prcetamuntar  êolemniter  acta,  et  reconnaître  qu'il  ne 
peut  plus  en  être  question  dans  notre  droit,  où  elle  n'a  pas 
même  laissé  de  traces ,  comme  la  maxime  précédente. 

S  t.  QUBI.I.B  BfT  LA  VOl  BEI  OOimB-LSTTlIS  '. 

SonAiRE.  —  543.  Foi  de  Tacte  ostensible»  secrètement  révoqué.  —  51  s.  Ce  qne  c'est 
qa'une  oontre-leitre.  —  m A.  Effet  des  contre-lettres  entre  les  parties.  —  515.  Elles  ne 
pea?ent  nuire  anx  tiers.  —  516.  Que  fkut-il  entendre  ici  par  tiers?-'  517.  Droit  des 
créanciers  ctairographaires.  ^518.  Distinction  de  la  doctrine  sor  les  contre-lettres  et  dn 
principe  de  la  publicité.^  549.  Faculté  pour  les  tiers  d'invoqaer  la  contre-lettre. — 
520.  Effet  Tis-Si-Yis  de  la  régie  d'une  contre-lettre  portant  augmentation  de  prix.  —  524. 
Cas  où  une  diminution  est  stipulée.  —  522.  Contre-lettres  en  matière  de  conventions  ma- 
trimoniales. —  528.  En  matière  de  cession  d'office.  —  524.  Déclaration  de  command.  -- 
525.  Délai  de  vingt-quatre  heures  vis-à-vis  de  la  régie  pour  les  contre-lettres  revenant  sur 
une  notation. — 526.  L'explication  d'nne  convention  antérieure  n'est  pas  une  contre-lettre. 

512.  Non-seulement  les  actes  dûment  rédigés  ont  force 
probante  k  l'égard  de  tous,  lorsque  ces  actes  sont  l'expres- 
sion sincère  de  la  volonté  des  parties  ;  le  législateur  va  plus 
loin  :  il  veut  qu'à  certains  égards  les  dispositions  ostensibles 

*  On  peut  consulter  le  Traité  des  eontre^lettm  par  M.  Plasman  (2*  édi^ 
tion ,  1889),  résumé  oonsdencieux  des  documents  sur  cette  matière ,  mais 
où  Pauteur  procède  trop  souvent  par  <iuestious  détachées ,  sans  foudre  et 
coordonner  suffisamment  sa  doctrine. 


FOI  DBS  AGTK8  àUTHENTIQUSS.  79 

de  ees  actes,  bien  que  secrètement  révoquées,  conservent 
toute  leur  validité.  Il  fait  ainsi  prévaloir,  dans  un  intérêt 
d'ordre  et  de  sécurité  sociale ,  l'apparence  sur  la  réalité.     . 
tfI3.  Le  mot  eontre^iettre ,  dans  son  acception  primitifre, 
conforme  à  Tétymologie ,  désignait  tout  acte  qui  en  modifie 
on  premier,  soit  que  les  clauses  modifiées  n'aient  jamais  été 
sérieuses  dans  l'intention  des  parties,  soit  que  les  parties  y 
renoncent  après  coup.  C'est  ainsi  que  Domat  (liv.  III, 
tit.  VI,  sect.  3,  §  i4)  qualifie  de  contre-lettre  la  convention 
par  laquelle  un  acheteur  déclare  faire  remise  après  coup  à 
son  vendeur  de  l'obligation  de  garantie.  Aujourd'hui,  sauf 
l'exception  que  nous  signalerons ,  la  loi  entend  par  contre- 
lettre  un  écrit  destiné  à  demeurer  secret,  qui  annule  ou 
modifie  les  clauses  d^un  acte  ostensible.  L'acte  sur  lequel 
les  parties  reviennent  au  moyen  de  la  contre-lettre ,  est  le 
plus  souvent  un  acte  authentique  -,  c'est  pour  cela  qu'on  a 
rattaché  cette  matière  k  l'authenticité.  Mais  il  pourrait 
s'agir  aussi  d'un  acte  privé  ayant  acquis  date  certaine,  et 
susceptible  dès  lors  de  produire  efiet  vis-k-vis  d'autres  que 
les  signataires.  (Loi  du  22  frimaire  an  YII ,  art.  40.)  II  n'y 
a  pas  lieu  non  plus  k  examiner,  comme  autrefois,  si  la 
contre-lettre  elle-même  est  un  acte  authentique  ou  privé , 
afin  d'attribuer  efiet  à  celle  qui  serait  rédigée  dans  la  pre* 
mière  forme.  Un  acte  notarié  est  tout  aussi  secret  qu'un 
acte  privé,  et  puisque  l'on  voulait  protéger  les  tiers,  toute 
distinction  devait  être  rejetée  * .  11  suit  de  Ik  qu'une  contre- 
lettre  faite  par  acte  privé  n'acquerrait  point  plus  de  force 
parce  qu'elle  aurait  date  certaine.  Aussi  un  arrêt  de  la  Cour 
de  Paris  qui  avait  donné  efiet  h  une  contre-lettre  de  cette 
nature ,  comme  ayant  acquis  date  certaine  par  la  mort  du 


*  L^Tticle  1S19  du  Code  italien  ne  limite  Peffet  des  contre-lettres 
qu'autant  qu'elles  sont  faites  par  acte  sous  seing  priTé. 


80  FOI  DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

signataire  %  a  été  cassé  le  âO  avril  1863,  «  attendu  qne  les 
a  contre-lettres  n'ont  d'effet  contre  les  parties  contraetantes 
(^  qa'à  regard  des  tiers,  c'est-k-dire  de  ceux  qui  ne  les  ont 
«  pas  souscrites ,  elles  ne  peuvent  prévaloir  sur  les  actes , 
((  soit  authentiques ,  soit  sous  seing  privé ,  auxquels  elles 
«.  dérogent  ;  qu'il  n'importe ,  vis-k-vis  de  ces  tiers ,  qu'elles 
«  aient  acquis  une  date  certaine ,  cette  date  ne  pouvant , 
«  comme  les  contre-lettres  elles-mêmes ,  avoir  d'effet  que 
«  contre  ceux  de  qui  elles  émanent  ou  leurs  ayants  cause.  » 

Peu  importe  également  que  la  contre-lettre  soit  souscrite, 
ainsi  que  cela  arrive  d'ordinaire,  en  même  temps  que  l'acte 
ostensible,  ou  seulement  après  un  certain  intervalle.  C'est 
aux  juges  k  apprécier,  d'après  les  circonstances ,  si ,  dans 
l'intention  des  parties,  les  deux  actes  (c'est-k-dire  ici  les 
deux  conventions)  étaient  destinés  k  se  confondre,  ou  s'il  y 
a  eu  un  changement  fait  après  coup  de  bonne  foi. 

514.  a  Les  contre-lettres  »,  dit  l'article  1321  du  Code 
civil,  <(  ne  peuvent  avoir  leur  effet  qu'entre  les  parties 
«  contractantes.  » 

Sans  doute,  aux  yeux  d'une  morale  rigide,  les  simulations 
doivent  être  complètement  réprouvées.  Pline  le  Jeune  nous 
dit  (liv.  Y,  lett.  1),  en  parlant  d'un  arrangement  de  cette 
nature  qu'on  lui  avait  proposé  :  Refpondebam  ^  non  convenire 
moribut  mm,  aliud  palam,  aliud  agere  secreto.  Et  il  n'est  que 
trop  vrai  que  souvent  les  contre-lettres  sont  destinées  k 
couvrir  des  fraudes,  et  surtout  des  fraudes  aux  droits  du  fisc. 
Cependant  il  peut  y  avoir  des  circonstances  où  l'emploi  de 
pareils  moyens  n'a  rien  de  blâmable.  Un  père  peut  vouloir 
avantager  l'un  de  ses  enfants,  sans  dépasser  la  quotité  dis- 
ponible ,  mais  en  dissimulant  sa  libéralité ,  pour  éviter  les 


«  C^est  ainsi  que  les  contre-lettres  aTaient  été  CQTisagées  par  l'artide  3  267 
du  Code  de  Parme  et  de  Plaisance. 


FOI   DBS  ACTES  AUTHENTIQUES.  81 

qoerelles  que  ferait  naitre  de  la  pari  des  intéressés  la  con- 
oaissaDce  de  cet  avantage.  Dans  cette  circonstance,  comme 
dans  tonte  autre  semblable,  une  contre-lettre  est  licite 
entre  les  parties  :  doctrine  en  parfaite  harmonie  avec  celle 
qui  maintient  les  libéralités  déguisées  jusqu'à  concurrence 
de  la  quotité  disponible,  et  que  Ton  admet  généralement 
aujourd'hui  sous  l'empire  du  Code  civil  (art.  911),  quelque 
contestable  qu'elle  soit  en  législation. 

La  Cour  de  cassation  (Rej.,  20  décembre  185â)  a  ap- 
pliqué cette  doctrine  aux  contre-lettres  modifiant  les  condi- 
tions ,  fixées  par  acte  notarié ,  d'une  société  de  commerce , 
malgré  les  principes  spéciaux  du  droit  commercial  (n*  185), 
qoi  prononcent  la  nullité  des  conventions  non  publiées,  même 
dans  les  rapports  des  associés.  Que  s'il  s'agissait  d'un  acte 
complètement  irrévocable,  tel  que  l'adoption  (Rej.,  14  juin 
1869),  les  contre-lettres  ne  pourraient  avoir  effet,  même 
entre  les  parties. 

SI 5.  Dans  l'ancien  droit,  le  sens  du  mot  contre-lettre 
n'étant  pas  encore  fixé  d'une  manière  bien  précise,  et 
pouvant  par  conséquent  comprendre  des  conventions  non 
suspectes,  on  n'avait  point  prononcé  d'une  manière  générale 
la  nullité  de  pareils  actes  vis-à-vis  des  tiers ,  comme  semble 
le  supposer  un  arrêt  de  la  Cour  de  Trêves ,  du  22  février 
1806.  Il  est  plus  exact  de  dire,  avec  Merlin  (Répert.,  v* 
CoNTRK-LETTRE ,  u'  3),  quo  la  justicc  Ics  vojait  d'un  œil 
défavorable.  On  trouve  seulement  le  germe  du  principe 
consacré  par  le  Code  dans  un  acte  de  notoriété  certifié  par 
les  gens  du  Roi  du  parlement  d'Aix,  en  date  du  2  juillet  1698, 
et  conçu  en  ces  termes  : 

«  Les  contre-lettres  ou  déclarations  volantes ,  secrètes  et 

«  clandestines,  qui  ne  sont  point  couchées  et  insinuées  dans 

«  les  registres  des  notaires,  quoique  reçues  par  ces  officiers, 

«  n'ont  leur  effet  et  leur  date  que  du  jour  de  Tenregistre- 

II.  ®  ' 


82  POl  DKS  ACTES  ÀCTHBNTiQUES. 

((  ment,  h  l'égard  des  tiers,  et  n'ont  hypothèque  que  du 
t(  jour  qu'elles  ont  été  enregistrées.  » 

L'article  1331  du  Code  décide  d^une  manière  plus  géné- 
rale que  les  contre-lettres  n^ont  point  dPeffeU  contre  les  tiers. 

816.  Or,  que  faut-il  entendre  par  tiers?  Cette  expression 
a-t-elle  ici  la  même  signification  que  nous  lui  avons  donnée, 
lorsque  nous  disions,  dans  le  paragraphe  précédent,  que  les 
conventions  constatées  par  un  acte,  même  authentique, 
lient  les  contractants ,  mais  ne  lient  pas  les  tiers  ?  Nous 
entendions  alors  par  tiers  ceux  qui  sont  penitus  extranei, 
comme  le  voisin  sur  le  fonds  duquel  je  déclarerais  avoir 
une  servitude.  Mais  les  successeurs,  même  k  titre  parti- 
culier, tels  que  les  tiers  acquéreurs,  sont  incontestablement 
liés  par  les  conventions  de  leur  auteur,  pourvu  qu'elles 
soient  légalement  constatées.  Us  ne  sont  donc  pas  des  tiers, 
mais  des  ayants  cause,  dans  le  sens  de  l'article  1319  du 
Code  civil  :  ce  qui  est  authentiquement  prouvé  vis-k-vis  da 
vendeur.  Test  également  vis-à-vis  de  l'acheteur.  Tel  n*estpas 
le  sens  du  mot  tiers  en  matière  de  contre-lettres.  D  ne  s*agit 
plus  alors  des  personnes  complètement  étrangères  aux  con- 
tractants, personnes  k  qui  ni  l'acte  apparent  ni  la  contre- 
lettre  ne  pourraient  nuire,  par  cette  raison  bien  simple  qu'il 
ne  nous  est  pas  permis  de  disposer  des  droits  d'autrui.  Il 
est  question  cette  fois  des  ayants  cause  des  parties  contrac- 
tantes, lesquels  ont  dû  compter  sur  l'existence  de  l'acte 
modifié  secrètement  par  la  contre-lettre.  Ainsi,  les  tiers 
acquéreurs,  lors  même  qu'on  les  oblige,  ainsi  qu'on  le 
faisait,  même  en  matière  immobilière,  dans  le  système  du 
Code,  à  respecter  l'acte  authentique  souscrit  par  leur  au- 
teur antérieurement  k  celui  qui  est  leur  titre,  peuvent, 
au  contraire ,  faire  déclarer  non  avenue  k  leur  égard  la  re- 
connaissance occulte  qu'il  aurait  souscrite  k  son  propre  ven- 
deur, par  exemple,  pour  coni>tater  que  la  vente  n'était  que  fie- 


roi  DBS  Acns  authentiques.  83 

tire.  El  c'est  précisément  parce  qu'ils  sODt  les  ayants  cause 
de  la  personne  qui  aurait  ainsi  annulé  par  une  contre^-lettrë 
son  propre  titre  d'acquisition ,  qu'ils  ont  intérêt  k  critiquer 
cette  contre-lettre,  dont  n'auraient  nullement  k  se  préoccu- 
per des  tiers  peninu  extmnei.  Ce  droit  appartient  incontes- 
tablement à  tous  les  ayants  cause  à  titre  panicalier,  aux 
créanciers  hypothécaires,  comme  aux  tiers  acquéreurs. 
(Rej.,  25  avril  1826;  Douai,  10  mars  1849.)  Il  n'est  pas 
moins  certain  qu'on  doit  le  refuser  aux  successeurs  à  titre 
universel,  qui,  continuant  la  personne  du  défunt,  ne  peuvent 
décliner  aucune  des  obligations  par  lui  consenties  '  «  Il  en 
est  de  même  du  mandant  ii  l'égard  de  son  mandataire. 
(Bordeaux,  9S  juillet  1836.)  Ayant  complètement  suivi  sa 
foi ,  il  s'est ,  pour  ainsi  dire ,  identiâé  avec  lui ,  et  doit  en 
conséquence  exécuter  tous  les  actes ,  publics  ou  secrets , 
qu'il  a  souscrits  avant  la  révocation  du  mandat. 

tfl7.  11  y  a  plus  de  doute  quant  aux  créanciers  chiro- 
graphaires  de  l'une  des  parties.  Sont-ils  liés  par  la  contre- 
lettre  de  leur  auteur,  quand  ils  viennent  exercer  ses 
droits  ?  Le  vendeur  pourra-t-il  opposer,  par  exemple ,  aux 
créanciers  de  l'acheteur,  qui  réclament  l'immeuble  au  nom 
de  leur  débiteur,  un  acte  secret  portant  augmentation  du 
prix  ostensible  P  En  faveur  de  l'afBrmative ,  on  invoque  le 
principe  général  que  les  créahciers  n'ont  pas  plus  de  droits 
que  leur  débiteur,  dont  ils  sont  censés  suivre  la  foi.  C^est 
effectivement  ce  qu'il  convient  de  décider,  lorsqu'on  se 
demande  k  l'égard  de  qui  sont  exigées  certaines  formes  de 
publicité  pour  la  transmission  de  propriété,  la  tradition  pour 
les  meubles ,  sous  le  Code  civil ,  la  transcription  pour  les 
immeubles ,  dans  le  système  des  lois  du  1 1  brumaire  an  VII 

>  An  )lea  de  parier  de  tien,  le  Gode  italien,  plus  prédt  (art.  1319),  limite 
l^cflet  des  contre-lettre»  aux  parties  oontractantes  et  à  leurs  siÊCceueurs  à 
tUre  tanverêel. 

6. 


84  FOI   DES  ACTES  AUTHEKTIOUES. 

et  du  23  mars  1866.  La  question  n'est  pas  douteuse  en  ce 
qui  concerne  les  meubles  ;  il  est  constant  que  l'acheteur 
d'un  meuble  corporel  '  est  propriétaire  par  l'effet  de  la  con- 
vention vis-2i-\is  des  créanciers  chirographaires ,  et  que  la 
possession  de  bonne  foi  ne  peut  être  invoquée  que  par  les 
tiers  qui  ont  acquis  un  droit  spécial  sur  l'objet  vendu. 
(C.  civ.,  art.  1141 ,  2279.)  Pour  les  immeubles,  il  pouvait 
s'élever  quelque  doute  sous  l'empire  de  la  loi  du  11  bru- 
maire an  YQ,  aux  termes  de  laquelle  (art.  26)  les  actes  non 
transcrits  ne  pouvaient  être  opposés  aux  tiers  qui  avaient 
coniracté  avec  le  vendeur.  Nous  pensons  cependant  que  le 
législateur  de  brumaire  n'avait  en  vue  que  les  tiers  acqué- 
reurs et  les  créanciers  hypothécaires ,  puisqu'il  ajoutait  i  et 
qui  se  êeraient  conformés  aux  dispositions  de  la  présente^  c'est-à- 
dire  qui  auraient  fait  connaître  leur  droit  suivant  les  formes 
établies  pour  la  mutation  de  propriété  et  pour  l'inscription 
des  hypothèques.  Mais  aucun  doute  ne  saurait  subsister 
sous  l'empire  de  la  loi  du  23  mars  1855,  dont  la  rédaction , 
modifiée  à  dessein  pour  exclure  les  créanciers  chirogra- 
phaires,  n'admet  à  se  prévaloir  du  défaut  de  transcription 
que  ceux  qui  ont  des  droiu  sur  l'immeuble  *.  Dès  lors,  ainsi 
que  l'a  jugé  le  tribunal  de  Nancy,  le  8  décembre  1856,  la 
priorité  même  de  transcription  de  la  saisie  (C.  de  proc, 


*  En  ce  qui  touche  la  transmission  des  créances,  on  entend  généralement 
par  tiers,  dans  l'article  1690,  d'après  l'ancienne  pratique,  même  les  créan- 
ciers du  cédant,  s'ils  ont  opéré  saisie-arrêt  antérieurement  à  la  signification 
faite  par  le  cessionnaire  ;  mais  c'est  là  une  doctrine  particulière,  tenant  à 
la  facilité  des  fraudes  en  matière  de  cession  de  créances. 

^  Le  projet  portait  simplement  des  droits.  »  On  a  voulu,  dit  le  rappor- 
teur, M.  de  Belleyme,  écarter  la  prétention  des  créanciers  chirographaires, 
qui  auraient  pu  Touloir  opposer  le  défaut  de  prescription.  Ce  droit  leur  est 
refusé  par  le  projet  de  loi.  »  Nous  ne  parlons  point  des  donations  à  l'égard 
desquelles  il  s'élève  une  difficulté  toute  spédale.  (C.  cit.,  art.  941  ;  loi 
de  1855,  art.  il.)  On  consultera  avec  fruit,  sur  le  système  général  des 
lois  de  l'an  VII  et  de  1855,  le  travail  de  notre  coUègue  et  ami  M.  Daverger. 
(Mevue pratique,  tom.  X,  p.  161  et  suiv.) 


FOI  DBS  ACTES  AUTHENTIQUES.  85 

art.  686)  n'empêcherait  point  Facquérenr  de  revendiquer 
rimmenble  vis-à-vis  des  créanciers  chirograpbaires ,  pourvu 
que  la  vente  eût  date  certaine  antérieurement  à  cette  tran-- 
scription.  (Même  art.  686.) 

Mais  l'esprit  de  la  loi  sur  les  contre-lettres  nous  con- 
duit à  adopter  un  système  tout  différent.  Il  s'agit  d'un 
acte  ostensible  qui  était  de  nature  k  induire  en  erreur  les 
créanciers  chirograpbaires,  aussi  bien  que  les  ayants  cause 
k  titre  particulier.  Or,  le  vendeur  a  participé  à  la  réticence 
dont  il  veut  aujourd'hui  se  prévaloir.  C'est  son  propre  fait 
qui  a  donné  naissance  aux  droits  qu'il  prétend  aujourd'hui 
détruire.  Si  les  créanciers  sont  représentés  par  leur  débiteur, 
ce  n'est  pas  lorsqu'il  s'agit  précisément  de  conventions  qui, 
tendant  k  leur  soustraire  une  partie  du  patrimoine  de  ce 
débiteur,  sont  suspectes  de  fraude  à  leur  égard  ^  Il  n'est 
pas  exact  d'ailleurs  de  comparer  les  principes  sur  les  contre- 
lettres  avec  ceux  qui  régissent  la  transmission  de  la  pro- 
priété vis-à-vis  des  créanciers.  Si  le  tiers  détenteur,  même 
dans  le  système  de  la  publicité  des  droits  réels,  l'emporte 
sur  les  créanciers  chirograpbaires,  c'est  qu'il  n'a  pas  à  se 
reprocher  d'avoir  usé  de  simulation  k  leur  égard  -,  tandis 
que,  dans  l'espèce,  on  peut  reprocher  au  vendeur  de  leur 
avoir  volontairement  laissé  croire  que  leur  auteur  n'était 
redevable  que  d'un  prix  inférieur  au  prix  réel.  Telle  est , 
en  effet,  la  doctrine  de  la  jurisprudenc  (Cass.,  23  février 
1835)^  elle  pose  en  principe  qu'en  matière  de  contre- 
lettres,  les  tiers  sont  ceux  qui  n'ont  pas  souscrit  ces  actes, 
lors  même  qu'ils  n'auraient  pas  traité  spécialement  en  vue 
du  droit  apparent  (Cass.,  16  décembre  1840),  et  assimile, 

'  Bfais ,  si  lea  créanciers  ne  faisaient  qu'exercer  les  droits  de  leur  débi- 
teur (art.  1166,  Cod.  civ.),  notamment  sMls  invoquaient  une  stipulation 
llûte  à  leur  profit ,  quand  l'importance  de  cette  stipulation  aurait  été  fixée 
par  une  contre-lettre,  cette  contre-lettre  leur  serait  opposable.  (Rej., 
7,3  mai  f870.) 


86  FOI   DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

du  reste,  aux  souscripteurs  de  l'acte  secret  ceux  qui  sont 
tenus  de  leurs  obligations,  comme  les  héritiers  et  le  man- 
dant '.  (Yoy.  dans  le  même  sens  Paris,  39  avril  1837.) 

Cette  doctrine  reçoit  cependant  un  tempérament  en  ce 
qui  concerne  la  masse  de  la  faillite.  La  masse  est  bien  assi- 
milée k  un  successeur  in  universum  jus  »  en  ce  qu'elle  lOe 
saurait  critiquer  les  billets  du  failli  qui  n'auraient  point  date 
certaine  (voy.  n^  697)  ^  mais  les  contre^lettres  ne  peuvent 
lui  être  opposées  qu'au  cas  où  elles  auraient  été  passées 
sincèrement  et  de  bonne  foi  entre  le  débiteur  in  bonis  et 
celui  qui  les  invoque.  (Comp.  Rej.,  10  mars  1847,  et 
Dijon,  13  juin  1864.) 

tfl8.  Le  fait  de  dissimulation  personnelle,  invoqué  contre 
celui  qui  veut  se  prévaloir  de  la  contre-lettre ,  peut  servir 
de  réponse  à  Tobjection  qu'on  présente  quelquefois  contre 
cette  doctrine ,  lorsque  l'on  fait  observer  qu'elle  est  en  con- 
tradiction avec  l'absence  de  publicité  qui  existait  dans  le 
système  du  Gode  pour  les  actes  les  plus  importants.  La 
défaveur  des  contre-lettres  a  commencé  dans  l'ancienne 
jurisprudence,  alors  qu'on  se  préoccupait  peu,  sauf  les 
règles  particulières  aux  coutumes  de  nantissement,  de  la 
publicité  pour  la  transmission  de  la  propriété;  il  n'y  a 
donc  point  de  rapport  nécessaire  entre  l'article  1321  et  le 
système  de  la  loi  du  11  brumaire  an  YII,  sur  lequel  les 
rédacteurs  du  Gode  n'étaient  point  fixés  lorsqu'ils  ont 
rédigé  cet  article,  et  auquel  on  n'est  revenu  qu'en  1855. 
D'ailleurs  la  vente  d'un  même  immeuble  k  deux  acheteurs 
successifs  est  une  fraude  grossière,  heureusement  peu  fré- 
quente dans  la  pratique ,  tandis  que  les  contre-lettres  ont 

'  Une  potition  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celle  du  titulaire  nominal 
dessaisi  par  une  contre-lettre,  est  celle  du  prête-nom.  Il  ne  faut  point 
confondre  avec  le  mandataire  ordinaire  le  prête-nom,  avec  qui  les  tiers  ont 
le  droit  dq  traiter  en  toute  sécurité ,  soit  quUls  aient  ignoré ,  soit  même 
qu'ils  aient  connu  sa  qualité.  (Rej.,  25  jauTier  1864  et  28  juillet  t869.} 


FOI  ras  ACTES  iUTQEMTIOUES.  87 

ioQjoars  été  usitées  pour  masquer  des  conventiona  que  les 
parties  avaient  intérêt  k  dissimuleri  et  ont  dû  par  cela  même 
éveiller  la  sollicitude  du  législateur.  II  a  donc  bien  fait  de 
proscrire  à  Tégard  des  tiers ,  indépendamment  du  système 
qu'il  adopterait  ultérieurement  sur  la  transmission  de  la 
propriété,  des  réserves  dont  Texpérience  avait  fait  ressortir 
les  graves  abus. 

518.  n  ne  faut  pas  croire  cependant  que  les  contre- 
lettres  soient ,  à  Tégard  des  ayants  cause  dont  nous  venons 
de  constater  les  droits,  des  actes  complètement  étrangers, 
comme  le  sont  les  conventions  des  parties  k  Tégard  des 
tiers  penitus  extrane  ,  auxquels  elles  ne  peuvent  ni  nuire  ni 
profiter.  (C.  dv.,  art.  1165.)  En  principe,  les  contractures, 
ayant  efiet  vis-*à-vis  des  parties  contractantes,  peuvent  en 
avoir  vis-à*<vis  de  leurs  ayants  cause,  S'ils  peuvent  les  faire 
réputer  non  avenues  en  ce  qui  touche  leur  intérêt,  il  n'y  a 
pas  lieu  k  rétorquer  contre  eux  cette  faculté,  qui  n'est 
introduite  qu'en  leur  faveur.  Ce  n'est  que  contre  U$  tiers 
[ilrid,^  art.  13S1)  que  les  contre-lettres  n'ont  point  d'effet. 
Si,  au  lieu  de  les  combattre,  ils  les  invoquent,  si  ce  sont, 
par  exemple  t  lea  créanciers  du  vendeur  qui  etigent  de 
l'acheteur  un  supplément  de  prix  porté  dans  un  acte  secret, 
celui-ci  ne  peut  refuser  le  payement ,  pas  plus  qu'il  ne  le 
pourrait  vis^-«vis  du  vendeur  lui-même,  ainsi  que  l'a  jugé  un 
arrêt  de  la  Cour  de  Paris  du  2  germinal  au  XIII,  De  même , 
la  régie  est  fondée  à  s'emparer  d'une  eontre^lettre  qui 
déclare  qu'une  vente  antérieure  n'est  point  sérieuse,  pour 
exiger,  sur  la  contre^lettre  même,  un  droit  proportionnel 
de  rétrocession.  (Rej.,  SO  juillet  1859,) 

Mais  si  la  contres-lettre  était  inhérente ,  en  quelque  sorte , 
au  titre  lui-même,  elle  en  affecterait  le  caractère,  et  il 
faudrait  alors  appliquer  le  principe  que,  là  où  aucune  fraude 
n*est  articulée,  la  régie  prend  l'acte  protu  icmai.  (Voy. 


88  FOI   DES  ACTES  AUTHEMTIOUES.     * 

n""  i40  bu.)  C'est  ainsi  que  le  tribanal  de  la  Seine  (1*'  août 
i868)  a  refusé  d'autoriser  la  perception  du  droit  de  muta- 
tion après  décès  sur  des  valeurs  au  porteur  dont  le  pos- 
sesseur reconnaissait  un  tiers  propriétaire  dans  une  contre- 
lettre  ,  qui  se  trouvait  confirmée  par  la  déclaration  faite  sur 
l'enveloppe  renfermant  ces  valeurs. 

820.  Dans  les  diverses  solutions  que  nous  avons  adop- 
tées jusqu'ici ,  nous  avons  supposé  qu'une  contre-lettre , 
portant  augmentation  du  prix  stipulé  dans  une  vente, 
produit  effet  entre  les  parties  contractantes.  Cette  proposi- 
tion ne  serait  pourtant  vraie  qu'avec  distinction ,  s'il  fallait 
s'attacher  k  l'article  40  de  la  loi  du  22  frimaire  an  VU, 
ainsi  conçu  :  «  Toute  contre-lettre  faite  sous  signature 
«  privée,  qui  aurait  pour  objet  une  augmentation  de  prix 
«  stipulé  dans  un  acte  public  ou  dans  un  acte  sous  signature 
«  privée  précédemment  enregistré ,  est  déclarée  nulle  et  de 
a  nul  effet.  »  Les  contre-lettres  ayant  habituellement  lieu 
dans  la  pratique  pour  frauder  les  droits  du  fisc,  le  législateur 
de  l'an  YII  avait  voulu  les  réprimer,  en  refusant  toute  action 
au  vendeur  ou  au  bailleur  (car  le  texte  parle  de  prix  en 
général),  afin  d'obtenir  les  prestations  supplémentaires  dont 
on  serait  secrètement  convenu.  Cette  nullité  n'existait  toute- 
fois qu'à  deux  conditions  :  1**  que  la  contre-lettre  fût  sous 
signature  privée  ;  les  contre-lettres  notariées  n'offrent  aucun, 
danger  pour  le  fisc,  puisqu'elles  doivent  être  enregistrées 
dans  un  bref  délai,  tandis  qu'on  n'enregistre  les  autres 
contre-lettres  que  lorsqu'on  a  besoin  de  les  produire  en 
justice  \  2""  que  le  prix  eût  été  stipulé  d'abord  par  un  acte 
public  ou  par  un  acte  sous  signature  privée  précédemment 
enregistré,  et  par  conséquent  destiné  à  servir  de  base  pour  la 
perception  des  droits  ^  si  les  droits  n'avaient  pas  été  perçus 
d'abord  sur  un  pied  inférieur  au  prix  réel ,  les  intérêts  du 
lise  n'étaient  nullement  compromis. 


FO!   DBS  AGTB8  AUTHENTIQU1S&.  89 

Meflm  enseigne  (Queitwnê  de  droit,  y*  Gontrb-lettres  , 
§  3),  et  la  Cour  de  cassation  avait  d'abord  jugé ,  que  cet 
article  40,  appartenant  à  une  législation  spéciale,  n'était  pas 
abrogé  par  l'article  1321  du  Gode  civil.  D'ailleurs,  ajoute- 
t-oo,  les  expressions  mêmes  de  l'article  :  «  Les  contre-lettres 
De  peuvent  avoir  leur  effet  qu'entre  les  parties  contractantes  » , 
n'impliquent  pas  leur  validité  dans  tous  les  cas,  mais 
seulement  la  possibilité  de  cette  validité.  Il  est  vrai  que  ces 
expressions,  si  on  ne  savait  pas  dans  quelle  intention  elles 
ont  été  employées  par  le  législateur,  ne  seraient  point  par 
elles-mêmes  assez  précises  pour  emporter  dérogation  au 
texte  d'une  loi  spéciale.  Mais  ce  qui  en  explique  bien  le 
sens,  c'est  la  discussion  qui  eut  lieu  au  Conseil  d'État,  et  ^ 
la  suite  de  laquelle  fut  rédigé  l'article  1321 ,  qui  n'existait 
pas  dans  le  projet.  M.  Duchàtel ,  directeur  général  de  l'en- 
registrement, demanda,  dans  la  séance  du  2  brumaire  an  XII, 
qu'on  proscrivit  l'usage  des  contre-lettres  :  mais  il  fut  le 
seul  de  son  avis.  «  Les  contre-lettres  »,  dit  Berlier,  «  ont 
«  souvent  lieu  pour  éluder  ou  affaiblir  les  droits  dus  au 
«  trésor  public  -,  mais  c'est  par  des  amendes ,  et  non  par  la 
«  peine  de  nullité,  que  cette  espèce  de  fraude  doit  être 
«  atteinte  et  punie  :  dans  aucun  cas ,  le  législateur  ne  peut 
«  mettre  sa  volonté  k  la  place  de  celle  des  parties,  pour 
«  augmenter  ou  diminuer  les  obligations  respectives  qu'elles 
«  se  sont  posées.  »  Le  consul  Cambacérès  rappela  alors ,  en 
le  critiquant,  l'article  40  de  la  loi  de  frimaire.  Et  Tronchet 
dit  :  «  Il  faut  distinguer  :  une  contre-lettre  doit  être  valable 
«  entre  les  parties ,  et  nulle  contre  les  tiers  ;  or,  la  régie  de 
«  l'enregistrement  est  un  tiers  par  rapport  k  l'acte.  »  La 
rédaction  qui  fut  faite  ensuite  par  la  section  de  législation , 
n'a  été  évidemment  que  la  reproduction  de  la  doctrine 
de  Tronchet.  Et  c'est  bien  mal  à  propos  qu'on  accuse  cette 
interprétation  de  faire  empiéter  le  Gode  civil  sur  le  domaine 


90  FOI  DBS  ACTES  AUTHENTIQUES. 

des  lois  spéciales.  C'était,  au  contraire i  dans  l'espèce,  la 
loi  fiseale  qui  avait  empiété  sur  le  droit  commun,  en  appelant 
la  mauvaise  foi  k  l'appui  de  ses  combinaisons.  Un  arrêt  de  rejet 
du  10  janvier  1819  a  justement  repoussé  cet  empiétement. 
Plusieurs  Cours,  notamment  celle  de  Dijon,  le  9  juillet  1828, 
et  celle  d'Aix,  le  21  février  1832,  ont  adhéré  k  la  même 
doctrine.  Et  ce  qu'il  y  a  de  remarquable ,  c'est  que  l'arrêt 
de  la  Cour  de  Dijon  a  donné  lieu  k  un  recours  en  cassation, 
mais  sur  un  autre  chef  seulement ,  le  moyen  tiré  du  main- 
tien prétendu  de  l'article  40  de  la  loi  de  frimaira  n'ayant  pas 
été  considéré  comme  soutenable. 

Une  nouvelle  tentative  pour  obtenir  l'annulation ,  dans 
l'intérêt  dufisc,  des  contre-lettres  portant  augmentation,  soit 
du  prix  d'une  vente,  soit  de  la  soulte  d'un  échange  ou  d'ifn 
partage,  a  été  faite  lors  de  la  présentation  du  projet,  qui 
est  devenu  la  loi  du  33  août  1871 ,  sur  l'enregistrement. 
Aux  termes  de  l'article  12  de  ce  projet,  le  vendeur  de  biens 
immeubles  et  l'échangiste  de  la  plus  forte  part  n'avaient 
aucune  action  en  justice  pour  le  payement  de  ce  qui  aurait 
été  stipulé  en  sus  du  prix  de  vente  ou  de  la  soulte  énoncée 
dans  l'acte.  Toute  somme  payée  par  suite  de  stipulations  de 
cette  nature  était  sujette  k  répétition.  L'Assemblée  nationale 
a  écarté  ces  dispositions,  comme  donnant  une  prime  k  la 
mauvaise  foi.  Elle  s'est  contentée  de  substituer  a  l'amende, 
triple  du  droit  sur  les  valeurs  dissimulées,  que  portait  la 
seconde  partie  de  l'article  40  de  la  loi  de  frimaire ,  une 
amende  égale  au  quart  de  la  somme  dissimulée  dans  le  prix 
ou  dans  la  soulte.  (Loi  du  23  août  1871,  art.  12.) 

521.  S'il  s'agissait,  en  sens  inverse,  d'une  diminution 
de  prix  portée  dans  une  contre-lettre ,  il  n^y  aurait  pas  de 
difficulté  -,  le  fisc  aurait ,  aussi  bien  que  tout  autre  intéressé , 
le  droit  de  la  faire  considérer  comme  non  avenue. 

899.  Il  est  un  cas  où  le  Code  civil  lui-même  (art.  1396) 


FOI  DES  AGTE8  AUTHEIlTIOinSS.  Ot 

prononce  la  nullité  des  contre-lettres  entre  les  parties  eon-* 

* 

tractantes.  C'est  lorsqu'il  s'agit  de  changements  ou  de  contre* 
lettres  qui  auraient  lieu ,  après  la  rédaction  du  contrat  de 
mariage,  sans  Taothenticité  requise,  ou  bien  sans  le  consen- 
tement de  tous  ceux  qui  étaient  parties  k  ce  contrat.  Cest 
qu'alors  le  mot  contre^lettre  reprend  le  sens  général  qu'il 
arait  dans  Tancienne  jurisprudence,  et  désigne  simplement 
un  acte  postérieur  k  un  premier  acte ,  qui  le  modifie  d'une 
manière  quelconque.  Et  en  effet ,  lors  même  qu'il  s'agirait 
d'un  changement  fait  après  coup  aux  conventions  matrimo- 
niales ,  sans  qu'il  y  eût  eu  aucune  intention  de  déguisement 
chez  les  parties ,  ce  qui  ne  rentrerait  nullement  dans  l'hypo- 
thèse de  l'article  1321  du  Gode,  il  faudrait  encore  décider 
qu'il  y  a  nullité  à  l'égard  des  parties  elles-mêmes ,  si  les 
conditions  voulues  par  la  loi  n'ont  pas  été  observées.  Ce 
n'est  pas  la  dissimulation  seulement,  mais  le  changement 
non  revêtu  de  certaines  formes ,  que  Ton  a  voulu  proscrire 
en  cette  matière.  Il  est  donc  inexact  de  présenter,  comme 
on  le  faisait  dans  la  rédaction  proposée  par  le  Tribunat  sur 
rartide  1321,  les  règles  sur  les  contre-lettres  dans  les 
contrats  de  mariage ,  comme  faisant  exception  au  principe 
général  de  cet  article.  L'article  1396  est  une  disposition 
spéciale,  qui  restreint  la  capacité  des  parties;  tandis  qu'il 
est  évident  que  l'article  1321 ,  en  prononçant  k  leur  égard 
la  validité  des  contre-lettres,  les  a  supposées  capables. 
L'article  1321  proscrit  les  contre-lettres  comme  déguise- 
ment h  regard  des  tiers  seulement  ;  l'article  1396  interdit, 
même  h  l'égard  des  parties ,  en  l'absence  de  certaines  con- 
ditions, les  changements  au  contrat,  changements  dont  les 
contre-lettres  proprement  dites  ne  sont  qu'une  espèce.  Au 
contraire,  le  mot  contre-lettre  reprend  sa  signification 
propre  dans  la  disposition  suivante  (art.  1397),  qui  déclare 
sans  effet  h  l'égard  des  tiers  les  changements  et  contre- 


92  FOI   DES  ACTES  AUTHENTIQUES. 

lettres ,  même  réguliers  vis-k-vis  des  parties  contractantes , 
s'ils  n'ont  été  rédigés  k  la  suite  de  la  minute  du  contrat  de 
mariage. 

823.  EnGn ,  une  jurisprudence  constante  (voy.  notam- 
ment Cass.  )  28  mai  1851  et  2  mars  1864)  annule, 
même  entre  les  parties  contractantes,  les  contre-lettres 
ayant  pour  but  de  substituer  un  autre  prix  au  prix  osten- 
sible porté  dans  le  traité  que  les  contractants  ont  soumis  à 
la  chancellerie  pour  la  cession  d'un  office.  Ce  changement 
fait  en  fraude  de  la  loi  n'a  pas  même  reffet  d'une  obligation 
naturelle ,  ainsi  que  la  Cour  suprême  Ta  jugé  bien  des  fois , 
notamment  par  l'arrêt  de  cassation  du  4  janvier  1846.  Ce 
qui  est  k  remarquer,  c'est  que  le  même  abus  avait  été 
proscrit  autrefois  avec  la  même  sévérité ,  et  que  le  parle- 
ment de  Paris  (arr.  de  règl.  du  7  décembre  1691  et  du 
8  août  1714)  avait  dû  également  frapper  de  nullité  toute 
contre-lettre  relative  k  l'acquisition  des  offices  de  procureur, 
notaire ,  ou  autres  semblables. 

524.  II  ne  faut  pas  confondre  avec  les  contre-lettres  les 
réserves  faites  expressément  dans  l'acte  au  profit  d'un  tiers, 
telles  que  la  déclaraiion  de  commande  par  laquelle  l'acheteur 
se  réserve  d'élire,  dans  un  certain  délai,  une  personne  qui 
reprendra  l'affaire  pour  son  propre  compte.  II  n'y  a  point  Ik 
de  modification  secrète  d'un  acte  ostensible,  puisque  l'acte 
lui-même  annonce  la  réserve.  La  déclaration  de  command 
produit  donc  effet  k  l'égard  de  tout  le  monde  *,  mais  il  est 
nécessaire,  si  on  veut  éviter  le  double  droit  de  mutation,  de 
la  notifier  dans  les  vingt-quatre  heures  k  la  régie  de  l'enre- 
gistrement. (Loi  du  22  frimaire  an  VU,  art.  68,  §  1",  24«.) 

825.  C'est  k  ce  même  délai  de  vingt-quatre  heures  qu'il 
faut  s'attacher  lorsqu'il  s'agit  d'une  contre-lettre  tendant  k 
feire  considérer  la  mutation  comme  non  avenue.  Les  parties 
ne  peuvent  éviter  le  payement  du  double  droit  proportionnel, 


FOI  DES  ACTES  AUTHENTIQUES.  93 

qu'autant  qu'elles  se  sont  désistées  de  leurs  conventions  par 
acte  authentique ,  passé  dans  les  vingt-quatre  heures  k  partir 
de  l'acte  résilié.  {Ibid.,  40\)  Ce  délai  expiré,  on  pourrait,  en 
matière  pivile,  eiaminer  s'il  y  a  eu  contre-lettre  ou  rétro- 
cession ^  mais  en  matière  fiscale ,  la  rétrocession  est  pré- 
sumée. Autrement,  toutes  les  fois  qu'un  acheteur  viendrait 
k  revendre  k  son  vendeur  l'immeuble  qu'il  lui  aurait  acheté, 
on  éluderait  facilement  les  droits  de  mutation ,  en  présentant 
Tacte  nouveau  comme  une  contre-lettre.  Il  resterait,  sans 
doute,  la  faculté  d'établir  la  fraude*,  mais,  en  matière  de 
perception  de  droits ,  il  importe  de  partir  de  règles  fixes  et 
immuables.  C'est  en  ce  sens  que  s'est  prononcée  la  Cour  de 
cassation,  le  7  août  1807  et  le  25  octobre  1808.  (Voy.  dans 
une  espèce  analogue  l'arrêt  de  cassation  rendu,  sections 
réunies,  le  29  décembre  18S1 .  ) 

826.  Outre  les  cessions  ou  rétrocessions  faites  sans 
fraude ,  il  faut  également  considérer  comme  valable ,  même 
à  l'égard  des  tiers,  la  déclaration  par  laquelle  les  parties 
règlent  l'effet  d'une  convention  antérieure.  C'est  ce  qu'a 
décidé  la  Cour  de  Douai ,  le  1*'  mai  1851 ,  à  l'égard  de  l'acte 
par  lequel  un  des  codébiteurs  solidaires  déclarait  que 
l'obligation  ne  concernait  que  lui  seul  *,  la  Cour  s'est  fondée 
sur  ce  motif  que  la  contre-lettre,  dans  notre  droit,  est  «  un 
«  acte  par  lequel  les  parties  contractantes  constatent  qu'une 
«  convention  insérée  dans  un  autre  acte  n'est  pas  sincère 
«  et  réelle,  et  restituent  a  cette  convention  le  véritable 
ce  caractère  qui  lui  appartient,  n  Or,  il  n'y  avait  rien  de  pareil 
dans  l'espèce,  la  dette  solidaire  n'ayant  rien  de  fictif,  et  la 
déclaration  faite  postérieurement  n'étant  que  l'application 
de  l'article  1216  du  Code  civil,  qui  suppose  formellement 
que  la  dette  solidaire  peut  ne  concerner  que  l'un  des  débi- 
teurs. 


94  FOI   DBS  ACTB8  DB  L'ÉTàT   GiYIL. 


DEUXIÈME  DIVISION. 

DES   ACTSS   BB   L'ÉTAT   CIYIL,  RT    SPBCtALEMENT  DB   lA  FOI 

QUt  s'attache  a  CBS  ACTES. 

SOMMAIRE. — 527.  Ne  point  s'attacher  strictement  attx  formes  en  cette  matière.  —  S88.  Ap. 
plleation  de  la  théorie  de  Dumoulin  sur  la  foi  due  à  rofficier.  —  529.  Confusion  du  Caux 
témoignage  et  du  faux.  —  530.  Faux  d'après  le  Code  pénal  de  4844.  —  531.  Système 
du  Code  pénal  sur  les  déclarations  mensongères.  —  532.  Notion  extensive  du  faux , 
consacrée  par  la  jurisprudence.  —  533.  Dans  quelles  limites  s'applique  cette  jurispru- 
dence aux  actes  de  l'ètit  ci?ii.  ^  534.  Lacune  de  la  loi  quant  aux  déclarations  mensCNiigèrefi 
faites  extrajudiciairement.  —  536.  Simulation.  —  536.  Preuve  de  l'idenlilè  du  porteur 
de  l'acte.  —  537.  Division. 

527.  Notre  intention  n*est  pas  de  nous  livrer  ici  à  Véinàe 
minutieuse  des  formes  qui  sont  tracées  par  la  loi  pour  la 
rédaction  des  actes  de  Tétat  civil  '.  Cette  étude  offrirait  peu 
d'intérêt  quant  au  but  que  nous  nous  proposons  dans  cet 
ouvrage,  puisque  aucune  de  ces  formes  n'est  prescrite  & 
peine  de  nullité ,  et  qu'on  peut  dès  lors  toujours  se  prévaloir 
des  mentions  que  renferme  Tacte,  sauf  h  le  rectifier,  s'il  y 
a  lieu.  Les  droits  des  parties  intéressées ,  étrangères  la  plu- 
part du  temps  k  la  rédaction  de  ces  précieux  documents ,  ne 
sauraient  dépendre  de  la  négligence  ou  de  l'ignorance  d'offi- 
ciers qui,  surtout  dans  les  campagnes,  présentent  bien 
moins  de  garanties  que  les  notaires  :  c'est  ce  qui  résulte  de 
la  discussion  au  Conseil  d'État  (séance  du  6  fructidor  an  XI), 
et  ce  qu'ont  expressément  jugé  la  Cour  de  cassation  (Rej., 
13  fructidor  an  X  et  21  juin  1814) ,  la  Cour  de  Bruxelles  * 

<  On  peut  consulter  sur  Phistorique  de  cette  matière ,  déjà  Indiqué  plus 
haut  (no  189),  les  Recherches  sur  la  législation  et  la  tentie  des  actes  de 
l'état  civil,  par  Berrlat  Saint-Prix.  (1842.)  Il  résulte  de  ce  travail  que  les 
registres  les  plus  anciens,  constatant  les  naissances,  mariages  et  décès,  sont 
ceux  de  la  paroisse  de  Saint- Jean-en-GrèTe,  à  Paris,  qui  datent  de  1515.  Le 
mémoire  de  M.  Loir,  déjà  cité,  sur  Vétat  religieux  et  dvil  des  catholiques 
en  France  avant  1792  (Revuedu  droit  français  et  étranger,  t.  YI,  p.  701 
et  suÎY.),  contient  des  documents  encore  plus  complets. 

'  Dans  Pespèce  jugée  par  la  Cour  de  BruxeUes,  il  s^agissait  d*un  acte  de 
naissance  où  il  n'était  fait  mention  ni  de  l'âge  du  père  et  de  la  mère,  ni 
de  celui  des  témoins ,  ni  de  la  présentation  de  l'enfant  à  l'ofQder  de  l'état 
dvil ,  Di  même  du  lieu  de  la  naissance. 


FOI   DEfi  ACTES  DE   L'ÉTAT  CIVIL.  95 

(le4  juillet  1811),  et  celle  d'Angers  (le  S5  mai  18S2).  Il 
est  vrai  que  la  Cour  de  Caen,  le  13  juin  1819,  a  annulé  un 
mariage  dans  lequel  trois  femmes  avaient  figuré  au  nombre 
des  témoins  ;  mais  c^est  que  la  Cour  a  vu  dans  cette  cir- 
constance, jointe  à  l'absence  de  signature  du  quatrième 
témoin,  un  indice  du  défaut  de  publicité.  Si  ce  principe  fon- 
damental de  la  matière  n'est  guère  contesté  en  thèse  géné- 
rale, nous  aurons  occasion  de  remarquer  que  certaines  théo- 
ries tendent  k  le  méconnaître  dans  l'application. 

D'après  Topinion  que  nous  avons  déjà  eu  occasion  d'énon-- 
cer  en  ce  qui  touche  la  preuve  du  mariage  (n""  300),  nous 
pensons  qu'on  ne  doit  pas  rejeter ,  comme  dénués  de  toute 
foi,  les  actes  écrits  sur  feuilles  volantes  :  ce  qu'a  jugé  la 
Cour  de  Metz,  le  19  août  1824,  relativement  k  une  recon- 
naissance d'enfant  naturel.  Il  faut  remarquer  d'ailleurs  le 
peu  de  gravité  de  la  peine  dont  se  trouve  frappée  cette  con- 
travention par  l'article  192  du  Code  pénal ,  qui  ne  prononce 
qu'un  emprisonnement  d'un  mois  à  trois  mois,  et  une 
amende  de  seize  k  deux  cents  francs.  Les  expressions  de 
Texposé  des  motifs  sur  cet  article  viennent  encore  k  l'appui 
de  notre  opinion,  a  Dans  ce  cas  »,  dit  Berlier ,  «  les  officiers 
«  compromettent  l'état  civil  des  personnes  *,  ils  se  rendent 
«  coupables  au  moins  de  négligence ,  et  le  besoin  de  régu- 
«  lariser  une  partie  aussi  importante  justifiera  aisément  les 
v  peines  de  police  correctionnelle  qui  leur  sont  infligées.  » 
Comment  le  lé^slateur  eût-il  cru  nécessaire  de  justifier , 
dans  l'espèce,  l'application  de  peines  correctionnelles,  si 
l'inscription  sur  une  feuille  volante  suffisait  pour  ôter  k  l'acte 
toute  force  probante  ;  ce  qui  est  bien  autre  chose  que  l'irré- 
gularité dont  parle  Berlier  ? 

Nous  pensons  aussi  avec  Merlin  [Rép&rt.,  v*  État  civil, 
§  5,  n*  8)  qu'il  n'y  aurait  pas  nullité,  au  cas  où  l'officier 
civil  recevrait  l'acte  de  naissance ,  de  mariage ,  ou  de  décès 


96  FOI   DES  ACTES  DE  l'ÉTAT   CIVIL. 

de  ses  parents  les  plus  proches,  ou  même  celui  qui  consta- 
terait Taecouchement  de  sa  femme ,  bien  qu'il  convienne  de 
s'abstenir  en  pareille  hypothèse,  comme  le  prescrit  une  lettre 
du  garde  des  sceaux  du  21  juillet  1818.  La  seule  limite  que 
la  nature  même  des  choses  apporte  k  sa  compétence,  sous 
ce  rapport ,  c'est  qu'il  ne  pourrait  évidemment  exercer  ses 
fonctions ,  relativement  à  son  propre  mariage ,  ainsi  que  l'ont 
fait  Certains  pasteurs  protestants  -,  il  y  aurait  impossibilité 
matérielle  et  morale  k  ce  qu'il  figurât  dans  le  même  acte 
comme  interrogateur  et  comme  interrogé  tout  à  la  fois. 

528.  Nous  laisserons  donc  de  côté  les  formes ,  pour  nous 
occuper  uniquement  de  la  foi  qui  s'attache  aux  actes  de 
l'état  civil.  Et  d'abord  nous  nous  demanderons,  en  général, 
quelle  confiance  peut  mériter  l'officier  civil  dans  l'exercice 
de  son  ministère. 

U  est  évident  que  cet  officier,  comme  le  notaire,  atteste 
seulement  ce  dont  il  a  été  témoin,  c'est-k-dire  que  tdle 
déclaration  a  eu  lieu ,  que  tels  faits  se  sont  passés  devant 
lui.  Mais  quant  k  la  réalité  des  faits  qui  lui  sont  seulement 
déclarés,  quœ  nonfiuru,  nec  disponuntur,  sed  tantum  recUaniur, 
comme  le  dit  Dumoulin,  il  ne  peut  la  garantir.  Dès  lors 
aucune  poursuite  en  faux,  du  moins  contre  l'officier  civil, 
ne  peut  se  fonder  sur  l'inexactitude  des  assertions  consignées 
dans  l'acte ,  pourvu  que  ces  assertions  elles-mêmes  aient  été 
fidèlement  reproduites.  Il  semble  dès  lors ,  ainsi  que  l'ont 
jugé  les  arrêts  de  rejet  du  12  juin  1823  et  du  16  mars  1841 , 
que  ce  qui  est  prouvé  jusqu'k  inscription  de  feux,  c'est  que 
telles  personnes  ont  déclaré  l'existence  de  tels  ou  tels  faits 
au  fonctionnaire  rédacteur,  mais  nullement  que  ces  décla- 
rations soient  conformes  a  la  vérité  -,  ce  dernier  point  ne 
serait  établi  que  jusqu'k  preuve  contraire. 

529.  Suivant  l'arrêt  de  1823,  dont  la  doctrine  a  été 
reproduite  par  la  Cour  de  Nimes,  le  13  juin  1860,  «  la 


FOI  DBS  ACTES  DE   l'ÉTâT   GIVIt.  97 

«  fausseté  de  la  déclaration  des  témoins  n'est  qu'on  men- 
«  songe ,  qui  n'altère  point  la  substance  de  l'acte.  »  Hais 
ime  doctrine  admise  par  beaucoup  d'auteurs,  et  qui  prévaut 
anjourd'hui  dans  la  jurisprudence,  voit,  au  contraire,  dans 
les  fausses  déclarations  de  cette  nature  un  faux  caractérisé. 
L'origine  de  cette  extension  si  large  de  l'idée  de  faux 
remonte  au  droit  romain ,  auquel  on  sait  que  nos  anciens 
crimioalistes  faisaient  de  fréquents  emprunts.  Ce  n'est  pas 
que  la  loi  Comelia  De  faim  eût  considéré  comme  faux  la 
simple  énonciation  mensongère,  sans  aucune  contrefaçon 
d'écriture.  « Quid sit  falsum  quseritur  »,  dit  Paul,  (L.  23,  D., 
D«  leg.  Corn,  de  faU.)  a  et  videtur  id  esse,  si  quis  alienum 
«  chirographum  imitetur,  aut  libellum ,  vel  rationes  intér- 
im cidat,  Tel  describat  :  non  qui  a)ias  in  computatione ,  vel 
«  ratione  mentiuntur.  »  Mais  plus  tard ,  on  vit  par  extension 
une  sorte  de  faux,  quari  faUum,  dans  le  faux  témoignage 
(Modest.,  L.  27,  pr.,  ibid.)^  dans  le  simple  exposé  de  faits 
faux,  contenu  dans  un  mémoire ^Modest.,  L.  2Q,  ibid.)^  enfin 
jusque  dans  le  fait  de  vendre  k  faux  poids  ou  k  fausse  mesure. 
(Modest.,  L.  32,  §  1,  ibid.)  Cette  extension  a  passé  dans  les 
lois  barbares  \  FaUum  est,  dit  la  loi  danoise,  $i  terminum, 
finesue  quis  moverit,  monetam  nisi  venta  vel  mandato  regio  cusserk, 
mmrmve  reprobis  dolo  malo  emat  vendatque,  vel  argento  adul- 
terino,  (Ancher,  Lex  cimbrica,  liv.  III,  chap.  Lxv.) 

Ce  fut  en  s' attachant  k  ces  errements  que  notre  ancienne 
jurisprudence  (voy.  Muyart  de  Vouglans,  Traité  des  aimes, 
tit.  YI)  confondit  sous  la  dénomination  de  faux  tout  fait 
frauduleux  tendant  k  altérer  la  vérité,  afin  de  tromper 
autrui  :  a  Âctus  dolosus  animo  corrumpendae  veritatis  ad 


^  Le  crimen  falsi ,  qui  emporte  incapacité  de  témoigner,  soiTant  la  loi 
anglaise,  ne  s^entend  pas  d'une  manière  anssi  large;  mais  il  comprend 
encore  le  faux  témoignage,  et  les  interprètes  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  492 
et  sait.)  sont  embarrassés  pour  le  caractériser  avec  précision. 

II.  y 


98  FOI   DES  ACTES  DE   L'ÉTAT   CiViL. 

ce  decipiôûdumalteramâdhibitus.  »  Alors  le  faux  témoignage 
n'était  qu'une  branche  du  hux.  Celte  extension  d'est  main- 
tenue incontestablement,  par  cela  seul  qu'elle  n'élàit  pas 
abolie,  jusqu'à  la  promulgation  du  Code  pénal  de  1810  -,  car 
le  Code  pénal  de  1791  (!!•  part.  tit.  II,  sect.  2,  art.  41  et 
suiv.)  punissait  le  faux  sans  le  définir,  et  prononçait  seule- 
ment des  peines  spéciales  contre  la  vente  h  faux  poids  ou  k 
fausse  mesure.  Quant  au  Code  du  3  brumaire  an  IV,  il  s'oc- 
cupa de  la  procédure  sur  le  faux,  sans  s'expliquer  davantage 
quant  k  la  définition  de  ce  crime,  tl  n'y  a  donc  pas  lieu  de 
s'étonner  que  la  jurisprudence  antérieure  au  Code  pénal  de 
1810  ait  considéré  comme  constituant  un  faux  les  énoncia- 
tions  mensongèi'eâ  destinées  à  être  insérées  dans  un  acte 
public ,  par  exemple ,  les  feusses  déclarations  sur  la  filiation 
dans  un  acte  de  naissance.  (Voir  les  arrêts  cités  dans  le  Bépert. 
de  Merlin,  aux  mots  Faux  et  MATERNîtÉ.) 

550.  Mais  le  Code  pénal  de  1810  a  pris  soin  de  définir  le 
faux,  qui  a  Cessé  dès  lors  d^ avoir  le  caractère  vague  et  indé- 
terminé quMl  avait  conservé  sous  les  législations  précédentes* 
Ce  Code  consacre  une  section  entière  au  faux  (11  v.  III,  tit.  I, 
chap.  m,  séct.  1),  qui  comprend  encore,  dans  l'acception  la 
plus  large  du  mot  *,  les  crimes  relatifs  h  la  fausse  monnaie, 
à  la  contrefaçon  des  sceaux  de  l'Ëtat,  des  billets  de 
banque,  etc.  Mais  le  faux  proprement  dit  n'est  plus  que  le 
faux  en  écritures.  Nulle  allusion  au  faux  par  paroles,  dont 
s'occupaient  nos  anciens  criminalistes.  (Voy.MuyartdeVou- 
glâns»  loc.  cit.)  Le  faux  témoignage  et  la  calomnie,  consi- 
dérés jadis  comme  de  véritables  faux ,  sont  renvoyés  à  une 
autre  partie  du  Code  pénal  (art.  361  et  suiv.).  Toutefois,  en 

*  Cette  assimilation  n^est  pas  purement  théorique.  Aux  termes  des  ar^ 
ticles  164  et  165  du  Code  pénal ,  le  faussaire ,  lato  soisu,  est  frappé  d^une 
amende  qui  peut  être  portée  au  quart  du  bénéfice  illicite  quUl  s^est  procuré  ; 
et,  avant  le  décret  du  12  avril  1848,  s'il  était  condamné  aux  travaux  forcés 
à  temps  ou  à  la  réclusion,  il  devait  toujours  subir  Pexposition  pubUque. 


FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CITIL.  99 

ce  qui  touche  les  fonctionnaires  publics ,  le  faux  matériel  et 
ie  faux  intellectuel  ont  été  spécialement  prévus ,  et  punis  éga- 
lement des  travaux  forcés  k  perpétuité.  L'article  145  parle 
du  premier,  qui  consiste  dans  les  fausses  signatures ,  dans 
l'altération  des  écritures,  etc.  L'article  i46  parle  du  second, 
qui  suppose  qu'un  officier  public ,  en  rédigeant  des  actes  de 
son  ministère ,  en  a  frauduleusement  dénaturé  la  substance 
ou  les  circonstances.  Puis  vient  Tarticle  147,  qui  est  le  siège 
de  la  difficulté ,  puisqu'il  est  relatif  aux  faux  commis  par  de 
simples  particuliers. 

«  Seront  punis  des  travaux  forcés  k  temps  » ,  dit  cet 
article,  «  toutes  autres  personnes  qui  auront  commis  un 
«  faux  en  écriture  authentique  et  publique ,  ou  en  écriture 
«  de  commerce  ou  de  banque.  »  Yoilk  quelle  est  la  propo- 
sition principale  de  l'article.  Or,  par  faux  en  écriture,  on  a 
toujours  entendu  le  faux  commis ,  soit  par  le  rédacteur ,  qui 
dénature  l'écrit  lors  de  sa  confection ,  ou  qui  Taltëre  après 
coup ,  soit  par  le  faussaire  proprement  dit ,  qui  fabrique  un 
écrit  tout  k  fait  supposé.  Quant  aux  déclarations  menson- 
gères, elles  n'ont  jamais  constitué  un  faux  en  écriture,  mais 
un  faux  commis  par  paroles,  faux  qui  n'est  plus  prévu  comme 
tel  par  le  Code  pénal  de  1810.  Si  donc  l'article  147  s'en 
était  tenu  k  cette  proposition  générale ,  qui  punit  le  faux  en 
écriture  publique,  aucun  doute  sérieux  ne  pourrait  s'élever 
sur  le  sens  de  la  loi.  Malheureusement  il  entre  ensuite  dans 
les  développements  suivants ,  sur  la  manière  dont  le  faux 
peut  avoir  été  commis  :  «  Soit  par  contrefaçon  ou  altération 
«  d'écritures  ou  de  sipatures  *,  —  soit  par  fabrication  de 
«  c<mventions ,  dispositions,  obligations  ou  décharges,  ou 
^  par  leur  insertion  après  coup  dans  ces  actes  ;  —  soit  par 
«  addition  ou  altération  de  clauses ,  de  déclarations  ou  de 
«  faits,  que  ces  actes  avaient  pour  objet  de  recevoir  et  de 
«  constater.  »  On  s'est  emparé  de  ces  dernières  expressions 

7. 


100  FOI   DES  ACTES   DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

pour  soutenir  que  les  fausses  déclarations ,  notamment  dans 
les  actes  de  Tétat  civil,  constituent  encore  aujourd'hui  un 
Faux  caractérisé.  Mais  est-il  vraisemblable  que  le  législateur, 
voulant  définir  le  faux  en  écriture  commis  par  des  particu- 
liers ,  ait  été  donner  pour  exemple  des  cas  où  le  prétendu 
faussaire  n'a  fait  qu'une  déclaration  verbale?  Tout  ce  déve- 
loppement n'est-il  pas  dominé  par  la  proposition  principale, 
quine  parle  que  d'écriture?  Si  le  dernier  alinéa  del'article  Hl , 
en  parlant  d'une  altéraiUm  de  déclarations,  semble  faire 
allusion  k  un  mensonge  oral ,  il  est  facile  de  répondre  que 
l'alinéa  précédent  parle  aussi  de  \2l  foAricaiwn  d obligations, 
mais  que  la  suite ,  où  il  est  question  à! insertion  après  coup 
dans  les  actes,  fait  bien  voir  que  par  obligations  le  législateur 
entend  ici,  dans  le  style  de  la  pratique,  l'écriture  qui  prouve 
les  obligations.  La  même  confusion  a  bien  pu  avoir  avoir  été 
commise  k  propos  des  déclarations ,  et  Yaltération  de  ces  décUi- 
rations  parait  signifier  tout  simplement  l'altération  de  l'acte 
qui  en  est  la  preuve.  On  voit  que  cette  équivoque  fâcheuse, 
sur  un  point  aussi  essentiel,  tient  encore  à  l'abus  du  langage, 
emprunté  par  le  Code  pénal  aux  praticiens,  qui  tend  k  con- 
fondre la  preuve  du  fait  avec  le  fait  lui-même  '.  Mais  le  sens 
général  de  Tarticle  147  résulte  bien  de  l'exposé  des  motifs, 
qui,  après  avoir  distingué,  quant  aux  officiers  publics,  le 
faux  matériel  et  le  faux  intellectuel,  ajoute  que  la  peine 
n'est  que  temporaire  k  l'égard  du  simple  particulier  contrefac- 
teur iécriiures  authentiques.  Il  s'agit  donc  d'une  contrefaçon, 
d'un  faux  matériel ,  et  non  pas  d'un  simple  mensonge. 

551.  L'examen  de  l'économie  générale  du  Gode  pénal 
vient  encore  confirmer  l'opinion  qui  résulte  d'une  analyse 
exacte  de  l'article  147.  En  efiet,  le  genre  de  fausse  décla- 
ration qui  ofire  le  plus  de  danger  pour  la  société ,  la  suppo^ 

'  C'est  ce  qui  prouve  le  grave  danger,  même  au  point  de  vue  praUque, 
de  l'introduction  d'expressions  inexactes  dans  le  text«  des  lois.  (Voy.  n«  45S.) 


FOI  DES   ACTES  DE   L^ÉTAT   CIVIL.  101 

tition  de  part^  n'est  puni  qae  de  la  réclusion  par  rariicle  345, 
tandis  que  la  peine  des  travaux  forcés  à  tenaps  est  prononcée 
contre  le  faux.  Comment  concevoir,  s'il  y  avait  réellement 
&UX  dans  la  supposition  de  part,  que  Ton  eût  prononcé  une 
peine  plus  faible  contre  celui  des  faux  de  cette  nature  qui 
offrait  le  plus  de  gravité?  C'est  faire  injure  au  législateur 
que  de  lui  prêter  une  pareille  contradiction.  On  ne  trouve 
rien  de  pareil  dans  la  jurisprudence  romaine,  laquelle, 
après  avoir  fait  rentrer  la  supposition  de  part  dans  la  quali- 
fication de  faux. prise  lato  unm  (n*  529-,  voy.  Dig.  et  Cod. 
pamm,  ad  leg.  Corn,  defaU.)^  ne  se  contentait  point,  pour 
la  supposition  de  part,  de  la  peine  ordinaire  du  faux,  c'est- 
à-dire  de  la  déportation  (Marc,  L.  I,  §  13,  D«,  A.  <.),  mais 
prononçait  la  peine  capitale  :  «  01>^^tricem  quae  partum  alie- 
«  num  attulit,  ut  supponi  possit,  s>ummo  supplicio  afBci  pla- 
«  cuit  »,  dit  Paul.  (Seni.,  liv.  Il,  tit.  XXIV,  §  9.)  De  même 
le  Code  pénal  de  1791  (liv.  II,  tit.  II,  sect.  1,  art.  3S)  pu- 
nissait de  douze  ans  de  fers  celui  qui  avait  détruit  la 
preuve  de  l'état  civil  d'une  personne ,  tandis  qu'il  ne  pu- 
nissait le  faux  {ilnd.^  sect.  2,  art.  44)  que  de  huit  ans  de 
fers.  Et  Ton  veut  que  celui  de  1810  ait  établi  la  classifica- 
tion des  crimes  dans  un  sens  diamétralement  opposé  I  La 
réclusion  était,  du  reste,  avant  la  révision  de  1863,  la  peine 
du  faux  témoignage  en  matière  civile.  (C.  pén.,  anc.  art.  363.) 
La  supposition  de  part  a  donc  été  assimilée  au  faux  témoi- 
gnage, et  non  pas  au  faux.  Dès  lors,  les  autres  déclarations 
mensongères,  moins  graves  d'ordinaire  par  leurs  consé- 
quences que  la  supposition  de  part,  ne  peuvent  pas  non 
plus  constituer  un  faux. 

832.  Mais  cette  opinion  n'a  pas  prévalu  dans  la  pra- 
tique ,  qui  s'est  attachée  à  une  interprétation  littérale  des 
expressions  de  l'article  147  :  altération  de  déclaration  que  le% 
actes  avaient  pour  objet  de  recevoir  et  de  constater.  L'arrêt  de 


103  FOI   DES  ACTES  DE  l'ÉTAT  CrVIL. 

rejet  du  12  juin  1833,  qui  ne  regardait  comme  prouvés 
jusqu'à  inscription  de  faux  que  les  faits  attestés  par  Tofifi- 
cier  public  de  vûu  et  audUu,  n'a  malheureusement  pas  fait 
jurisprudence.  Nous  ne  connaissons  dans  le  sens  de  celte 
doctrine  que  l'arrêt  de  la  Cour  de  Nîmes,  du  13  juin  1860, 
cité  plus  haut,  et  un  arrêt  de  la  Cour  de  Paris,  du  30  jan- 
vier 1830,  qui  a  refusé  de  voir  un  faux  par  supposition  de 
personne  dans  le  fait  de  s'être  fait  emprisonner  pour  autrui, 
le  prétendu  faussaire  n'ayaxu  point  concouru  à  la  rédaction  de 
récrou  argué  de  faux.  La  Cour  de  cassation  a  maintenu 
dans  toute  sa  rigueur  le  principe ,  fondé  sur  une  interpréta- 
tion erronée  du  Code  pénal ,  qui  considère  comme  faux  la 
fausse  déclaration  destinée  k  être  consignée  dans  un  acte 
public;  elle  est  revenue  ainsi,  en  grande  partie,  à  l'exten- 
sion que  donnaient  à  la  notion  de  faux  (n*"  529}  nos  anciens 
criminalistes.  Aussi  a-t-elle  vu  (Cass.,  10  février  1827)  un 
faux  caractérisé  dans  le  fait  de  s'être  fait  écrouer  pour  au- 
trui ^  Plus  sévère  qu'elle  ne  l'était  avant  la  promulgation 
du  Code  de  1810  (Cass.,  27  juillet  1809),  elle  considère 
aujourd'hui  comme  faussaire  (Cass.,  2  septembre  1831 , 
7  mars  1835  et  10  juillet  1851)  celui  qui  fait  une  fausse 
déclaration  en  matière  de  recrutement,  bien  qu'il  n'ait  rien 
écrit  ni  rien  signé ,  par  cela  seul  que  là  déclaration  devait 
être  reçue  et  constatée  dans  un  acte.  La  Cour  de  Grenoble  (arr. 
du  19  février  1831)  a  fait  l'application  de  cette  jurispru- 
dence ,  en  considérant  comme  faussaire  le  donateur  qui , 
pour  opérer  une  prétendue  révocation  par  survenance  d'en* 
ftints,  avait  faussement  déclaré  l'accouchement  de  sa  femme 

*  On  a  combattu  la  décision  de  la  Cour  de  cassation ,  dans  l'espèce ,  en 
se  plaçant  à  un  autre  point  de  Tue.  On  a  dit  que,  si  le  remplacement  arait 
été  gratuit,  il  ne  supposait  point  un  dol,  mais  un  acte  de  générosité.  Cette 
critique  ne  nous  parait  point  fondée ,  un  acte  dirigé  contre  Tordre  public 
étant  toujours  fhiuduleux ,  an  point  de  Tue  de  la  loi,  quel  qu*ait  été  le 
mobile  de  l'agent. 


FOI.D^  ACTES  DC   l'ÉTAT  CITIL.  i03 

k  Tofficier  civil  \  Mais  cette  application  accusa  toute  la 
bizarrerie  du  système ,  puisque ,  nous  venons  de  le  voir, 
la  supposition  d'un  enfant  k  une  femme  qui  ne  serait  pa^ 
accouchée,  est  littéralement  prévue  et  punie  seulement 
de  la  réclusion  par  l'article  345  du  Code  pénaP,  Enfin,  un 
arrêt  de  rejet,  du  28  mai  1857,  considère  comme  faussaire 
celui  qui  fait  de  fausses  déclarations  à  Tofficier  civil  relatif 
vement  au  domicile  des  futurs  épou^  et  au  décè9  de  leurs 
ascendants ,  bien  que  ces  énonciations  n'aient  trait  qu'aux 
actes  de  publication  du  mariage. 

535.  Toutefois,  même  en  adoptant  l'interprétation  qui 
s'attache  à  la  lettre  de  l'article  147,  il  n'est  pas  exact  de  dire 
que  toute  déclaration  mensongère  constitue  un  Aux.  Il  ne 
faut  donc  point  prendre  k  la  lettre  les  expressions  d'un  ar« 
rêt  de  rejet  du  18  juillet  1835,  qui,  pour  caractériser  las 
éléments  du  faux  prévu  et  puni  par  la  loi ,  reproduit  la  défl«- 
nition  de  l'ancienne  jurisprudence  (n°  539),  en  la  tradui- 
sant en  ces  termes  :  l'aUératwn  de  la  vérUé,  danM  une  inimifm 
ermineUe,  qui  a  porté  ou  pu  porter  préjudiep  d  autrui,  l\  con- 
vient de  distinguer,  et  cette  distinction,  du  reste,  était  déjà 
faite,  même  avant  la  promulgation  du  Code  de  1810,  si 
Taete  avait  ou  non  pour  okjet  de  conuaur  ce  qui  a  été  déclaré 
contrairement  k  la  vérité.  C'est  ainsi  que  la  Cour  de  cassa^ 
iioo  avait  dcjk  jugé,  le  30  juillet  1809,  qu'il  n'y  a  pas  faux 
dans  l'assertion  contenue  en  l'acte  de  naissance  que  les  en-- 
fants  sont  légitimes ,  l'acte  de  naissance  n'étant  pas  destiné 
à  constater  ia  légitimité,  A  plus  forte  raison ,  sous  l'empire 
do  Code  pénal  actuel ,  art-^elle  rendu  une  décision  semblable 

*  Toutefois,  la  Cour  de  Grenoble  a  bien  jugé,  eu  reftfgant  de  suspendre 
les  poursuites  criminelles  jusqu^au  jugement  de  la  question  d'état  par  les 
tribunaux  civils  (C.  civ.,  art.  327),  toute  réclamation  d'état  étant  impossible 
dans  respèce ,  puisque  la  oaissaoce  était  imaginaire. 

'  Dans  l'ancien  droit,  coramfi  h  Rome,  la  euppositÛMi  de  part  était  uoa  es^ 
pècedefaux.  (MuyartdeYouglans,Xoé<erimifi^;e«,liT.  m,tit.V,eba9«iii.) 


104  FOI   DES   ACTES  DE   L^ÉTAf  GITIL. 

(Gass.,  30  ayril  1841),  relativement  k  une  femme  qui  avait 
pris  la  qualité  d'épouse  dans  un  acte  qui  n'était  pas  destiné 
^  faire  preuve  du  mariage.  (Yoy.  aussi  Casd.,24mai  1845.) 
Lors  même  que  les  énonciations  se  rattachent  a  l'acte  reçu 
par  Tofflcier,  si  elles  ne  sont  pas  de  sa  substance,  comme  la 
mention,  lors  de  la  célébration  du  mariage,  de  la  filiation  de 
l'un  des  époux,  elles  ne  font  point  foi  jusqu'à  inscriptioa 
de  faux.  (Rej.,  SS  février  1841.)  Au  cas  même  où  l'acte 
serait  destiné  k  constater  le  fait,  il  faut  le  supposer  de  na- 
ture k  en  faire  preuve  légalement  '.  Ainsi ,  la  Cour  de  cassa- 
tion a  décidé  (Cass.,  13  octobre  1809)  qu'il  n'y  a  plus  faux 
dans  la  fabrication  d'un  acte  constatant  qu'un  prêtre  a 
donné  la  bénédiction  nuptiale ,  depuis  que  les  registres  de 
l'état  civil  ont  cessé  d'être  confiés  aux  ecclésiastiques.  U 
en  serait  autrement  si  l'on  avait  fabriqué  l'extrait  d'un  acte 
de  mariage ,  portant  la  signature  d'un  maire  et  la  mention 
d'une  commune,  lorsqu'il  n'existait  ni  maire  ni  commune  de 
ce  nom  ^  il  n'est  pas  nécessaire  qu'il  y  ait  imitation  d'une 
signature  déterminée ,  dès  que  l'écrit  argué  de  faux  pré- 
sente les  caractères  extérieurs  d'un  acte  public.  (Rej., 
5  juin  1818.)  Il  n'est  pas  même  indispensable  que  l'acte 
fobriqué ,  en  le  supposant  vrai ,  soit  de  nature  k  faire  preuve 
complète  :  ce  qu'ont  décidé  les  arrêts  de  cassation  du  16  no- 
vembre 1850  et  du  8  août  1851 ,  relativement  k  des  docu- 
ments non  signés,  intercalés  dans  les  archives  d'Angers, 
dont  le  faussaire  s'était  fait  délivrer  un  extrait  par  l'archi- 
viste, afin  de  leà  invoquer  dans  un  procès  relatirk  des  droits 
anciens.  Même  décision,  quant  k  des  livres  de  commerce 
irréguliers,  rendue  par  la  Cour  de  cassation ,  sections  réu- 
nies, le  22  juillet  1862. 

*  C*e8t  ainsi  qu'en  matière  d'actes  privés,  un  billet  souscrit  d'une  croix 
ne  pouvant  prouver  un  engagement,  la  fabrication  d'un  tel  billet  ne  saurait 
constituer  un  faux.  (Cass.,  !«'  juin  1827.) 


FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL.  105 

* 

Une  seconde  limitation ,  qui  ne  permet  plus  de  donner  k 
h  notion  de  faux  toute  l'extension  qu'elle  recevait  jadis, 
c'est  que  le  faux  doit  avoir  lieu  m  écriture,  en  ce  sens  du 
moins  que  la  déclaration  mensongère  doit  avoir  été  consta- 
tée dans  un  acte  :  c'est  ce  qu'a  jugé  la  Ck)ur  de  cassation 
(Rej.,  17  décembre  1831)  au  cas  où,  un  frère  étant  porté 
comme  soldat  au  lieu  de  son  frère ,  cette  substitution  n'avait 
donné  lieu  k  aucune  rectification  dans  les  actes ,  parce  que 
tous  deux  portaient  le  même  prénom.  Mais  s'il  y  avait  en 
signature,  le  signataire  alléguerait  vainement  qu'il  n'a 
fait  que  signer  son  véritable  nom,  en  se  présentant  pour  un 
homonyme*,  il  y  aurait  faux  caractérisé,  d'après  la  doctrine 
de  la  Cour  de  cassation.  (Cass.,  30  juillet  1836^  Besançon, 
13  octobre  1855.)  Enfin,  s'il  ne  s'agissait  point  d'une  véri- 
table écriture,  bien  qu'il  y  eût  une  altération  k  laquelle  l'in* 
culpé  aurait  directement  participé ,  le  principe  qui  repousse 
toate  interprétation  extensivê  en  matière  pénale  ne  per- 
mettrait point  d'appliquer  la  peine  du  faux.  Aussi  la  Cour 
de  Paris  a-t-elle  jugé,  le  3  mars  1854,  qu'il  n'y  a  point 
£siax  dans  le  fait  d'un  boulanger  qui  altère  frauduleusement 
la  taille  et  l'échantillon.  Bien  que  les  tailles  soient  assimilées 
aux  écritures  quant  k  la  preuve ,  il  est  impossible  de  consi- 
dérer comme  faux  en  écriture  la  confection  de  coches  dépassant 
le  nombre  des  fournitures  eflectives. 

834.  On  peut  toutefois  reprocher  k  notre  opinion 
de  laisser,  au  contraire,  impunis,  si  ce  n'est  dans 
le  cas  de  supposition  de  part,  des  mensonges  qui  sont 
de  nature  k  entraîner  les  plus  fâcheuses  conséquences 
pour  la  société.  Afin  d'échapper  k  ce  résultat,  nous  avions 
pensé  d'abord  (l'*  édition,  n*  414)  qu'on  pouvait  appliquer 
la  peine  du  faux  témoignage  en  matière  civile,  la  réclusion , 
remplacée,  depuis  la  loi  du  13  mai  1863  (Cod.  pén.,  nouv. 
art.  363),  par  des  peines  correctionnelles,  k  toute  per- 


106  FOI   DES  ACTES   DE   l'ÉTàT   CIVIL. 

sonne  qui ,  en  attestant  certains  faits ,  non*sealement  dans 
les  débals  judiciaires ,  mais  devant  un  fonctionnaire  quel^ 
conque,  altère  sciemment  la  vérité.  C'est  ce  qu'avait  égale- 
ment jugé  la  Cour  de  cassation ,  en  appliquant  la  peine  de 
la  réclusion  dans  des  espèces  où  il  n'y  avait  point  eu  de  pour* 
suites  en  faux  :  au  cas  de  fausse  déclaration,  soit  de  décès, 
devant  un  juge  de  paix ,  afin  de  faciliter  un  second  mariage 
(Rej.,  6  novembre  1806),  soit  des  circonstances  du  nau- 
frage d'un  navire ,  devant  le  juge  auquel  le  capitaine  faisait 
son  rapport  sur  ce  naufrage  \  (Gass.,  17  septembre  1836.) 
Mais  nous  ne  persistons  point  dans  cette  doctrine ,  que  la 
Cour  suprême  a  repoussée  par  un  arrêt  de  rejet  du  7  dé- 
cembre 1838,  portant  «  qu'on  ne  peut  considérer  comme 
«  témoins  en  matière  civile  que  les  individus  appelés  judi- 
«  ciairement  par  la  partie  pour  déclarer  et  attester  les  faits, 
«  sous  la  foi  du  serment.  »  Bien  que  fondée  sur  les  plus 
graves  motifs  en  législation ,  cette  extension  du  faux  témol* 
gnage  répugne  aux  principes  constants  sur  l'interprétation 
des  lois  pénales ,  et  à  la  pensée  des  rédacteurs  du  Code  de 
1810,  qui  nous  est  révélée  par  ces  paroles  de  l'orateur  du 
Corps  législatif  :  a  Le  faux  témoignage  ne  peut  avoir  lieu 
«  que  de  la  part  de  ceux  qui  sont  interpellés  en  justice,  ou 
«  en  vertu  de  ses  ordonnances.  »  Au  surplus,  même  sui- 
vant la  première  jurisprudence  de  la  Cour  de  cassation ,  la 
loi  pénale  ne  pouvait  atteindre  les  fausses  déclarations  de  la 
nature  la  plus  dangereuse ,  celles  qui  se  rattachent  aux  actes 
de  l'état  civil,  sans  avoir  la  gravité  du  faux.  En  effet,  ces 
déclarations  n'ont  point  lieu  sous  la  foi  du  serment ,  et  il  est 
constant,  dans  toutes  les  opinions,  qu'il  n'y  a  point  de  faux 


<  En  ce  .dernier  cas ,  on  eût  pu ,  sniTant  la  jarispradence  de  la  Cour, 
Yoir  un  faux  dans  la  déclaration  mensongère ,  puifqu^elle  devait  ôtre  con- 
statée devant  le  juge  ayant  spécialement  qualité  pour  recevoir  le  rapport  : 
ce  qui  n'arait  pas  lieu  dans  Tespèce  de  Parrét  de  1806. 


FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTAT  CIVIL.  107 

témo^ge  Ik  où  il  n'y  a  pas  eu  de  sennent  prêté.  (N""  330.  ) 
Il  faat  donc  reconnaître  une  lacune  f&cheuse  dans  la  loi , 
qui  ne  punit  les  déclarations  mensongères ,  faites  extrajudi- 
ciairement,  qu'an  cas  de  supposition  de  part^  mais  ce  n'est 
pas  k  rinterprète  qu'il  appartient  de  combler  cette  lacune. 

SSS.  Ce  qui  n'est  pas  douteux ,  en  législation  comme  en^ 
droit  positif,  c'est  que  la  simulation  ne  doit  pas  se  con- 
fondre avec  le  faux.  Il  est  vrai  que  cette  confusion  a  été 
faite  par  Farinacius,  qui  disait  (quest.  162,  n""  12)  :  Pœna 
simulationU  videtur  eise  pconafaki.  Mais  cette  opinion,  com- 
battue par  Dumoulin,  qui  disait  avec  plus  de  raison  (sur 
Tart.  3,  chap.  xxxi,  de  la  Coût,  du  Nivernais)  :  Aliud  me- 
nmfnUum,  aliud  tUnulatio,  n'a  point  prévalu  dans  notre  an- 
cienne pratique.  Le  faux  suppose  l'altération  des  dispositions 
arrêtées  entre  les  parties;  la  simulation  est,  au  contraire, 
renonciation  de  dispositions  qui ,  pour  être  frauduleuses  ou 
meDsongëres,  n'en  sont  pas  moins  la  volonté  des  contrac*- 
taiits.  En  conséquence,  suivant  Muyart  de  Vouglans  (  Traité 
incnmeg,  tit.  V,  chap.  ii),  tandis  que  le  faux  était  puni  de 
peines  ligoureuses,  la  peine  de  la  simulation  était  celle  de 
«  ladmonition,  du  blâme  ou  du  bannissement  contre  le  no^ 
«  taire,  et  celle  des  dommages  et  intérêts  contre  les  parties.  )» 
Chez  nous ,  la  loi  étant  muette  sur  ce  point ,  k  part  l'anti- 
date dans  les  ordres ,  sorte  de  simulation  punie  des  peines 
du  faux  (C.  de  comm.,  art.  189),  k  raison  de  ses  graves  con- 
séquences en  matière  commerciale^,  la  simulation  n'est 
(rappée  d'aucune  peine.  Dès  lors  la  reconnaissance  simulée 
d'aoe  dette ,  lors  même  qu'elle  peut  nuire  k  un  tiers ,  con- 
stitue un  acte  réprébensible ,  mais  n'est  point  un  faux.  (Rej. , 

^  Cette  disposition  étant  exorbitante ,  on  admet  volontiers  dans  la  pra- 
tique (Pardetais,  Droit  commercial,  tom.  I,  n»  ass)  qa*eUe  ne  doit  pas 
tirer  à  conséquence  quant  à  la  preuve  de  Tautidate ,  et  que  dès  lors  cette 
preuve ,  constituant  celle  d'une  fraude ,  peut  être  administrée  de  piano 
pv  tous  1m  mtyflos  possibles. 


108  FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

12  floréal  an  XIII.)  Et  pour  en  revenir  à  notre  matière  spé- 
ciale ,  il  n'y  a  point  de  faux  dans  un  mariage  simulé ,  tel  que 
celui  sur  lequel  a  statué,  k  un  autre  point  de  vue  (n*"  142) , 
Tarrét  de  la  Cour  de  Lyon,  du  10  avril  1856,  contracté  le 
4  floréal  an  III  entre  un  jeune  homme  de  vingt-trois  ans  et 
une  femme  de  soixante-huit  ans ,  afin  d'échapper  aux  lois 
sur  le  recrutement.  Il  n'y  a  eu  Ik,  en  eflet,  aucune  altéra- 
tion de  conventions,  aucun  faux  matériel  ou  intellectuel; 
seulement  les  parties  n'avaient  aucune  intention  sérieuse  en 
déclarant  contracter  mariage  devant  l'ofiicier  civil.  Â  plus 
forte  raison  faut-il  reconnaître,  comme  nous  le  verrons  en 
parlant  de  la  date  des  actes  sous  seing  privé,  que  la  simple 
antidate  d'un  testament  olographe  ne  saurait  être  assimilée  k 
un  faux  ( n"*  702  bi$)^  et  qu'en  conséquence  les  intéressés 
n'ont  nullement  besoin  de  recourir  k  la  voie  de  l'inscription 
de  faux  pour  faire  tomber  renonciation  de  la  date  dans  un 
testament  de  cette  nature. 

536.  Une  observation  commune  k  toutes  les  pièces  pro- 
duites en  justice,  mais  que  l'on  fait  surtout  k  propos  des 
actes  de  l'état  civil ,  k  cause  de  la  faculté  qui  appartient  k 
toute  personne  de  s'en  faire  délivrer  des  extraits  (compar. 
G.  civ.,  art.  45,  et  loi  du  25  ventôse  an  XI,  art.  23),  c'est 
que  l'identité  du  porteur  de  l'extrait  et  du  véritable  ayant 
droit  doit  être  préalablement  établie.  Cette  preuve,  étant 
celle  d'un  simple  fait,  ne  peut  se  faire  que  par  témoins. 
Quelques-uns,  s'imaginant  que  la  preuve  testimoniale  n'était 
pas  admissible  de  piano,  ont  voulu  considérer  l'extrait  pro- 
duit comme  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  (Bor- 
deaux, 18  février  1846.)  Mais  c'est  Ik  une  pétition  de  prin- 
cipe évidente  ;  car  il  s'agit  de  démontrer  qu'il  existe  un  lien 
entre  la  personne  et  l'acte  qu'elle  invoque.  Or,  tant  que  ce 
lien  n'est  pas  établi,  la  pièce,  pouvant  concerner  tout  autre 
que  celui  qui  en  est  le  porteur,  est  absolument  sans  eflet 


FOI  DES  ACTES  DE  L'ÉTAT  CIVIL.  109 

SOUS  le  rapport  de  la  preuve.  (Voy.  en  ce  sens  un  autre  arrêt, 
parfaitement  motivé,  de  la  Cour  de  Bordeaux,  en  date  du 
19  février  1846,  et  un  arrêt  de  cassation  du  28  mai  1810.) 

537.  Entrons  maintenant  dans  Texplication  des  règles 
spéciales  sur  la  foi  des  principaux  actes  de  Tétat  civil.  Pour 
nous  conformer  a  l'ordre  que  nous  avons  déjà  suivi  en  trai- 
tant de  la  preuve  testimoniale  de  Tétat,  nous  allons  examiner 
quelle  application  reçoit  la  preuve  littérale,  d'abord  aux 
simples  faits  de  Tordre  de  la  nature,  k  la  naissance  et  au 
décès-,  puis  k  ceux  qui  constituent  des  relations  sociales,  au 
mariage  et  k  la  filiation. 

g  1.  naissaucb  et  décès. 

SoiiAiRE.  —  538.  Foi  des  éDonciations.  —  S39.  Qualité  des  déclarants.  —  540.  Déiai 
prescrit  par  le  Code.  Qiûd  s'il  a  été  dépassé?  —  544 .  Délai  prescrit  pour  les  inhumations. 
—  542.  Traasport  de  l*offlcier  en  cas  de  décès.  —  543.  Foi  de  la  date  dans  les  actes  de 
décès.  —  544.  Constatation  simultanée  de  la  naissance  et  du  décès. 

538.  Suivant  la  doctrine  que  nous  venons  d'exposer  sur 
le  faux,  l'acte  de  naissance  prouve,  jusqu'à  inscription  de 
faux,  que  tel  enfant  a  été  présenté  k  l'officier  civil,  que  telles 
déclarations  ont  été  faites  sur  l'époque  de  sa  naissance, 
qu'on  lui  a  donné  tels  noms ,  enfin  qu'il  est  de  tel  sexe  \  car 
Toffider  a  mission  de  vérifier  cette  dernière  circonstance, 
bien  qu'il  s'en  abstienne  le  plus  souvent  dans  la  pratique. 
Quant  aux  déclarations  elles-mêmes,  elles  ne  font  foi  que 
jusqu'k  preuve  contraire  (Nimes,  13  juin  1860),  et  seule- 
ment de  ce  qui  doit  être  déclaré  a  l'officier  civil.  La  mention 
de  la  filiation  ne  devant  point  se  retrouver  dans  tous  les  actes 
de  naissance,  il  n'y  a  d'essentiel  k  ces  actes  que  l'indication 
du  nom^  du  sexe  et  de  l'&ge.  L'ordonnance  de  1539  (art.  5) 
ne  parlait  même  que  du  temps  et  de  l'heure  de  la  nativité.  Ce 
n'est  que  celle  de  1667  qui  a  prescrit  des  énonciations  plus 
détaillées.  (Voy.  n"*  189.)  El  encore  la  tenue  des  registres 
était-elle  si  peu  régulière,  que,  même  depuis  1667,  on  faisait 


110  FOI  DES  ACTES  DE   L*ÉTAT  CIVIL. 

souvent  prévaloir  les  registres  domestiques  sur  ceux  de  la 
paroisse  pour  établir  la  date  de  la  naissance.  (Rodier,  sur 
le  tit.  XX,  art.  9  de  Tord.) 

539.  L'obligation  de  faire  les  déclarations  de  naissance  est 
imposée  k  des  personnes  déterminées  par  la  loi,  qui  doivent 
généralement  avoir  assisté  k  Taccouchement  '  (C.  civ., 
art.  56)  ;  mais  comment  s'assurer  que  le  déclarant  a  réelle- 
ment assisté  k  l'accouchement,  ainsi  qu'il  l'affirme?  L'officier 
civil  n'est  pas  dans  la  même  position  que  le  notaire,  qui  doit 
connaître  les  parties  intéressées  dans  les  actes  qu'il  reçoit, 
ou  du  moins  se  faire  attester  leur  identité.  La  loi  ne  le 
charge  nullement ,  ce  qui  d'ailleurs  serait  impraticable  dans 
les  communes  populeuses,  de  vérifier  la  qualité  des  décla- 
rants. Leur  affirmation  sur  leur  qualité  même  doit  donc, 
comme  leurs  autres  assertions,  être  crue  jusqu'k  preuve 
contraire.  Ainsi ,  il  est  impossible  d'empêcher  que  le  pre- 
mier venu  ne  puisse  venir  au  bureau  de  l'état  civil  rendre 
cet  important  témoignage.  C'est  Ik  un  motif  de  plus  pour  ne 
pas  croire  jusqu'k  inscription-  de  faux  k  la  vérité  de  faits 
ainsi  déclarés.  C'est  bien  assez  qu'il  faille  l'admettre  jusqu'k 
preuve  contraire. 

540.  Le  Code  civil  fixe  k  trois  jours,  k  compter  de  l'ac- 
couchement ,  le  délai  dans  lequel  doivent  être  faites  les  dé- 
clarations de  naissance.  Le  motif  de  cette  prescription  est 
facile  k  saisir.  Il  est  vrai  que  l'acte  de  naissance  ne  fait  pas 
foi  de  l'âge  jusqu'k  inscription  de  faux-,  mais,  l'enfant  devant 

*  Aux  termes  du  Code  civil,  lorsque  la  mère  accouche  hors  de  son 
domicile,  la  déclaration  doit  être  faite  par  la  perswme  chez  qui  elle  est 
aeeouckéé.  En  conséquence,  un  arrêt  de  rejet  du  7  novembre  1823  a  décide 
que  cette  personne  est  passible  des  peines  portées  par  le  Code  pénal  pour 
défaut  de  déclaration,  sans  qu'on  puisse  les  appliquer  au  chinirgien  qui  au-» 
rait  assisté  la  mère.  Cette  décision  a  été  critiquée,  comme  contraire  h 
Part.  346  du  Code  pénal ,  qui  porte  :  Toute  personne  ayant  assisté  à  un 
accouchement;  mais  cette  critique  nous  semble  mal  fondée  ;  cet  article  se 
référant  formeUement  à  l'article  S6  du  Gode  dril»  ne  doit  pas  être  pré* 
sumé  y  déroger. 


FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTAT  ClYtL.  111 

être  présenté  dans  un  bref  délai,  ToISBcier  peut  s'assurer  imr 
Im-même  s'il  est  né  récemment.  Il  n'est  pas  possible  dès 
lors,  du  moins  11  quelques  jours  prèS)  de  ne  point  considérer 
conmie  exact  l'àge  indiqué.  La  preuve  contraire  serait 
admissible,  sans  doute,  en  principe;  néanmoins,  an  delk  de 
certaines  limites,  elle  supposerait  chez  cet  officier  une  erreur 
si  grossière ,  qu'on  réussira  difficilement  dans  la  pratique  k 
soutenir  que  l'enfant  est  véritablement  plus  âgé  que  ne  le 
porte  le  titre.  Il  est  donc  essentiel  de  ne  point  laisser  passer 
le  délai  de  trois  jours.  Toutefois  cette  obligation  légale 
n'avait  pad  de  sanction  pénale  lors  de  la  promulgation  du 
Code  civil;  on  avait  craint  d'éloigner  de  la  mère  les  secours 
que  sa  position  réclamait,  en  menaçant  éventuellement  d'une 
peine  ceux  qui  auraient  assisté  U  un  accouchement  sans  le 
faire  promptement  connaître  k  l'autorité.  Mais  les  dissimu- 
lations qui  eurent  lieu  sons  l'Empire ,  ainsi  que  le  constate 
l'eiposé  des  motifs  du  Code  pénal,  afin  de  soustraire  aux 
ligueurs  de  la  conscription  ceux  dont  on  cachait  la  nais- 
sance (car  ce  n'est  pas  seulement  en  matière  de  mariage 
(voy.  n*  H2)  que  de  nombreuses  fraudes  eurent  lieu  &  cette 
époque),  obligèrent  les  rédacteurs  du  Code  pénal  de  1810 
(art.  346)  k  prononcer  de  nouveau  pour  cette  omission  des 
peines  correctionnelles ,  ainsi  que  Tavait  déjk  fait  la  loi  du 
19  décembre  1792  (sect.  I,  art.  1"). 

Il  y  avait  toutefois  intérêt,  même  avant  1810,  k  ce  que 
Pinscription  de  l'enfant  ne  fût  pas  retardée.  On  avait  senti 
que  la  même  présomption  de  vérité,  qui  s'attache  aux  décla- 
rations de  faits  tout  récents ,  ne  saurait  être  invoquée  lors- 
qu'on a  laissé  s'écouler  un  long  intervalle  avant  de  les  faire 
connaître.  Et  si  on  pouvait  tout  aussi  bien  se  présenter  après 
les  trois  jours  que  pendant  le  délai,  où  ^'arrêter  ensuite? 
Aussi  un  avis  du  Conseil  d'État  du  12  brumaire  an  XI  a-t-il 
décidé  fort  sagement  que  l'inscription,  une  fois  le  délai 


lia  FOI  DES  ACTES  DE  L*ÉTàT  CIVIL 

expiré,  ne  doit  plus  être  opérée  qu*en  vertu  d'un  jugement  '  ; 
et  bien  que  cet  avis  soit  antérieur  au  Gode,  il  est  encore  par- 
faitement applicable  aujourd'hui.  (Colmar,  26  juillet  1828.) 
Quelques  auteurs  ont  conclu  de  Ik  que,  si  Finscription  avait 
eu  lieu  en  fait,  sans  autorisation  judiciaire,  après  les  trois 
jours,  Tenfant  ne  devait  être  censé  né  qu'au  jour  de  l'in- 
scription :  fiction  intolérable,  qui  tendrait  à  considérer  une 
personne  âgée  de  vingt  ans  comme  venant  de  naître,  si  on 
ne  l'inscrivait  sur  le  registre  que  vingt  ans  après  sa  nais- 
sance. Ce  qui  a  donné  lieu  à  cette  erreur,  c'est  qu'on  a  pris 
k  la  lettre  une  décision  rendue  par  la  Cour  de  Paris,  le 
9  août  1813.  Il  s'agissait,  dans  l'espèce,  du  mois  qui  est 
donné  au  mari  pour  le  désaveu ,  k  partir  de  la  naissance  de 
l'enfant.  (C.  civ.,  art.  316.)  Or,  l'enfant  qui  était  désavoué 
n'avait  été  inscrit  que  cinq  ans  après  sa  naissance.  La  Cour 
a  décidé  qu'une  naissance  déclarée  aussi  tardivement  devait 
être  présumée  occulte,  et  n'avait  pu  dès  lors  faire  courir  le 
délai  de  l'action  en  désaveu.  Mais  tout  ce  qui  résulte  de  là,, 
c'est  qu'une  déclaration  tardive  ne  peut  faire  foi  de  la  date 
de  la  naissance  vis-à-vis  des  tiers  intéressés.  Quant  k  l'âge 
de  l'enfant,  considéré  en  lui-même,  il  n'est  pas  possible 
de  le  fixer  arbitrairement  â  l'époque  de  l'inscription^  il 
faut  laisser  aux  tribunaux  l'appréciation  des  faits  (Caen , 
3  mars  1836),  sauf  â  admettre  plus  facilement,  dans  ce  cas, 
la  preuve  de  la  fausseté  d'une  déclaration  toujours  suspecte 
lorsqu'elle  a  été  ainsi  différée'.  Au  surplus,  l'inscription 
tardive  de  la  naissance  d'un  enfant ,  si  elle  n'a  pas  eu  lieu 
dans  un  but  frauduleux ,  ne  constitue  point  un  faux ,  même 

1  Ce  serait  également  à  Tautorité  Jadiciaire  qa^il  faudrait  s'adresser,  A 
l'officier  civile  ainsi  qu'il  y  a  eu  un  exemple ,  refusait  d'opérer  l'inscription 
dans  le  délai  légal.  (Paris,  16  mars  1853.) 

*  Dans  l'espèce,  la  Cour  a  réservé  la  preuve  par  témoins  de  la  date  de  la 
naissance,  conformément  aux  usages  de  la  Hollande,  où  les  faits  s'étaient 
passés. 


FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTâT   CmL.  113 

de  ]a  part  de  ToflBcier  civil  (Cass.,  S  messidor  an  XII),  parce 
que  ce  n'est  point  actu»  dolonu  anima  corrvmpendœ  veritatis 
adhibim.  (N»  529.) 

Cest,  en  principe,  le  tribunal  du  lieu  de  la  naissance  qui 
doit  statuer,  lorsqu'il  est  nécessaire  de  suppléer  ainsi  k 
l'onûssion  d'un  acte  de  naissance.  Mais  que  décider  si  le  lieu 
de  la  naissance  est  inconnu ,  ainsi  que  cela  est  arrivé  dans 
l'espèce  fort  curieuse  de  Marie  Lambert?  Le  tribunal  de 
Fontainebleau ,  lieu  de  la  résidence  de  la  requérante,  s'était 
déclaré  incompétent  pour  fixer  l'époque  de  sa  naissance  : 
ce  qui  équivalait  pour  elle  k  un  déni  de  justice-,  car  elle 
avait  intérêt  k  faire  établir  son  âge,  pour  le  mariage,  pour  la 
majorité,  etc.  L'arrêt  de  la  Cour  de  Paris  qui  avait  con- 
firmé cette  décision,  a  été  cassé  le  14  juin  1858,  et  l'afiaire 
renvoyée  devant  la  Cour  de  Rouen.  Cette  Cour,  le  8  dé- 
cembre 1858,  a  déclaré  constant  le  fait  de  la  naissance  de 
Marie  Lambert,  puisque  cette  personne  existe,  et  autorisé  son 
tuteur  à  produire  tous  les  documents  propres  k  en  établir  la 
date  vraisemblable. 

541.  Les  mêmes  difficultés  ne  peuvent  s'élever  pour  le 
décès,  k  l'égard  duquel  le  Code  n'a  pas  prescrit  de  délai, 

a 

ainsi  que  l'avait  fait  la  loi  du  20  septembre  1792  (tit.  V, 
art.  1*").  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  puisse  avoir  souvent  intérêt 
k  cacber  un  décès,  aussi  bien  qu'k  dissimuler  une  naissance , 
mais  le  législateur  arrive  au  même  but  par  un  autre  moyen. 
L'inhumation  ne  peut  avoir  lieu  sans  l'autorisation  de  l'offi- 
cier de  l'état  civil  (C.  civ.,  art.  77),  et  des  peines  correct 
tionnelles  (C.  pén.,  art.  358)  sont  la  sanction  de  cette 
prescription,  qui  amène  indirectement  la  constatation  du 
décès. 

$42.  Quant  aux  personnes  qui  ont  qualité  pour  faire  la 
déclaration ,  il  est  évident  qu'on  est  également  obligé ,  quant 
au  décès ,  de  s'en  rapporter  k  la  foi  de  ceux  qui  affirment 

11.  8 


114  FOI  DES  ACTES  DE  L'ÉUT   CltlL. 

être  parents  du  dëfant  oa  l'avoir  reçu  chez  eux.  Toutefois, 
pour  bien  s'assurer  de  la  réalité  du  décès,  et,  s'il  est  pos- 
sible, de  Fidentité  de  la  personne  décédée,  ToiBcier  civil 
doit,  aui  termes  de  la  loi  (G.  civ.,  art.  77),  se  transporter 
lui-môme  auprès  du  cadavre.  Mais  cette  obligation  pénible 
est  tombée  en  désuétude  dans  la  pratique  -,  on  ne  saurait 
raisonnablement  imposer  une  aussi  triste  tâche  k  des  fonc- 
tionnaires dont  l'emploi  est  gratuit.  Le  soin  de  constater  le 
décès  est  délégué ,  dans  l'usage ,  à  un  officier  de  santé ,  qu'il 
aurait  fallu ,  après  tout,  appeler  pour  procéder  à  la  vérifica- 
tion ,  souvent  si  délicate ,  du  fait  de  la  mort. 

543»  La  seule  question  grave  que  l'on  puisse  agiter, 
quant  h  la  force  probante  des  actes  de  décès,  consiste  à 
savoir  si  c'est  bien  k  dessein  que  le  législateur  n*a  pas 
signalé ,  parmi  les  mentions  quje  doivent  contenir  ces  actes , 
la  date  même  du  décès.  {Ibid.^  art.  79.)  Le  silence  gardé  sur 
un  point  de  cette  importance  a  semblé  k  beaucoup  d'auteurs 
trop  significatif  pour  ne  pas  iaire  présumer  qu'on  avait  voulu 
laisser  toute  latitude  au  juge ,  en  lui  donnant  mission  d'éta- 
blir plus  tard  cette  date  k  l'aide  des  documeiits  les  plus 
exacts.  Ils  font  remarquer  combien  il  est  utile  de  ne  pas 
enchaîner  son  indépendance ,  Ik  où  une  difiérence  de  jour , 
et  m^e  d'heure,  peut  exercer  une  influence  décisive  sur 
les  droits  des  intéressés  \  Mais  il  faut  avouer  que  des  actes 
destinés  k  constater  le  décès ,  qui  n^en  contiendraient  pas  la 
date,  offriraient  une  étrange  anomalie  '.  Plus  la  date  de  l'évé* 
nement  est  importante,  plus  il  convient  de  la  constater  k 
une  époque  rapprochée  du  moment  où  il  a  eu  lieu.  Telle 

*  Un  seul  moment  de  survie  change  Tordre  des  successions ,  en  en  dilTë* 
rant  Touyertnre ,  tandis  qu'un  enfant  né  quelques  heures  plus  t6t  ou  plus 
tard  n'en  est  pas  moins  habile  à  snocéder,  puisqu'il  succède  avant  de  naître, 
par  cela  seul  qu'il  est  conçu.  (G.  cit.,  art.  725.) 

*  Le  Code  italien  (art.  387)  prescrit  d'énoncer  le  lieu ,  le  Jour  et  Vheun 
du  décès. 


FOI  DES  ACTfiS  DE  L'ÉTàT  CIVIL.  115 

était  la  pensée  des  anciennes  ordonnances ,  qui  désignaient 
Tacte  de  décès  précisément  par  l'indication  de  cette  mention 
substanUelle.  L'ordonnance  de  1667  (lit.  XX,  art.  7)  était 
conçue  en  ces  termes  :  «  Les  preuves  de  V&ge,  du  mariage, 
A  et  du  tempe  du  décès,  seront  reçues  par  des  registres  en 
A  bonne  forme,  qui  feront  foi  et  preuve  en  justice.  »  Écarter 
la  date,  c^eût  été  innover  d'une  manière  tout  ^  fait  radicale, 
en  supprimant  précisément  ce  qui  était  jadis  substantiel, 
Rien  n'indique  une  pareille  intention.  Nous  voyons  Tronchet, 
au  contraire,  indiquer  au  Conseil  d'État  (séance  du  6  fruc- 
tidor an  IX)  la  date  comme  une  des  parties  les  plus  essen- 
tielles de  l'acte  de  décès  et  de  l'acte  de  naissance.  L'ar* 
ticle  79,  qui  contient  l'omission  dont  on  se  prévaut,  fut  voté 
sans  discussion.  On  ne  peut  donc  tirer  qu'un  argument 
extrêmement  faible  de  sa  rédaction ,  comparée  k  celle  de 
l'article  B7 ,  qui  prescrit  de  mentionner  la  date  de  la  nais* 
sauce.  Peut-être  y  a-t^il  quelque  inconvénient,  nous  en 
convenons,  k  donner  force  probante  k  la  mention  du  décès, 
dans  l'opinion  de  ceux  qui  veulent  que  la  déclaration  de 
décès  fasse  foi,  jusqu'à  inscription  de  faux,  des  faits  déclarés. 
Mais  pour  nous,  qui  ne  considérons  les  faits  déclarés  devant 
Tofflcier ,  mais  non  vérifiés  par  lui ,  que  comme  établis  jusqu'à 
preuve  contraire ,  ce  danger  n'existe  pas.  Du  reste ,  les  for- 
mulaires délivrés  aux  officiers  de  l'état  civil  prescrivent  cette 
mention ,  et  elle  a  toujours  eu  lieu  dans  la  pratique ,  bien 
que  la  loi  de  1702  gardât  le  même  silence  que  le  Code. 

544.  Enfin  il  peut  y  avoir  k  constater  tout  k  la  fois  une 
DWsance  et  un  décès ,  lorsqu'un  enfant  vient  k  mourir  avant 
que  sa  naissance  ait  été  enregistrée.  Mais  l'enfant  présenté 
sans  vie  à  l'officier  de  l'état  dvil  était-il  venu  au  monde 
vivant?  C'est  là  une  question  fort  importante,  à  raison  des 
drcHts  qui  peuvent  avoir  été  acquis  et  transmis  par  cet  enfant, 
s'il  a  réellement  vécu.  Un  décret  du  4  juillet  1806  a  statué 

8. 


116  FOI  DBS  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

sur  cette  hypothèse.  L'offîcier  doit  exprimer ,  non  que  l'en- 
fant est  décédé,  mais  qu^il  lui  a  été  présenté  sans  vie.  II 
reçoit  seulement,  quant  k  la  naissance,  la  désignation  des 
an ,  jour  et  heure  auxquels  l'enfant  est  sorti  du  sein  de  sa 
mère,  et  inscrit  l'acte  k  sa  date  sur  les  registres  de  décès, 
sans  qu'il  en  résulte  aucun  préjugé  sur  la  question  de  savoir 
si  Tenfant  a  eu  vie  ou  non.  (Comp.  Cod.  ital.,  art.  374.) 
L'obligation  de  déclarer  la  naissance  s'applique  d'ailleurs  k 
l'enfant  mort-né  comme  k  l'enfant  né  vivant.  (Rej.,  27  juil- 
let 1872.) 

8  s.  MAmiAGB. 

SOHHAiBE.  —  845.  Le  mariage  n'est  point  un  contrat  par  écrit  —  546.  Inscription  sar 

une  feuille  volante. 

545.  Nous  avons  déjk  reconnu  (n*  197)  que  l'écriture 
n'est  pas  de  l'essence  du  mariage ,  qu'eUe  n'est  requise  que 
pour  la  preuve.  Nous  avons  surtout  invoqué  l'article  46  du 
Gode  civil ,  qui  admet  la  preuve  testimoniale ,  <'t/  fCa  ptu 
existé  de  registres,  et  l'article  75  du  même  Code,  qui  veut 
que  l'officier  civil ,  après  avoir  reçu  de  chaque  partie  la 
déclaration  qu'elles  veulent  se  prendre  pour  mari  et  femme, 
proTionce  qu'elles  sont  unies  par  le  mariage  S  et  en  dresse  acte 
sur-le-champ.  Pothier  est  formel  sur  ce  point.  «  Ce  sont  ces 
actes  » ,  dit-il  {Traité  du  contrat  de  mariage,  n*  388),  a  qui 
«  font  la  preuve  des  mariages ,  et  qui  établissent  les  parentés 
«  qui  en  naissent.  Néanmoins,  s'il  était  constaté  que  les 
c(  registres  ont  été  perdus  ou  qu'il  n'en  a  pas  été  tenu,  la 
a  preuve  en  ce  cas  pourrait  s'en  faire,  tant  par  témoins  que 
«  par  les  registres  et  papiers  domestiques  des  père  et  mère 
a  décédés.  La  raison  est  que,  le  mariage  étant  parfait  par 
«  le  consentement  que  les  pardes  se  donnent  en  présence 
«  de  leur  curé,  avant  que  l'acte  ait  été  rédigé,  il  s'ensuit 

■  Cette  formule  est  imitée  de  celle  qui  est  prescrite  en  droit  canoniqae 
IMir  le  concile  de  Trente  :  Ego  vos  in  fnatrimonium  conjungo* 


FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL.  117 

ff  qu'il  n'est  pas  de  TesseDce  du  mariage  et  qu'il  n'est  requis 
«  que  pour  la  preuve  du  mariage.  Lorsque  la  preuve  que  fait 
«  cet  acte  devient  impossible,  il  est  juste  d'avoir  recours  k 
«  des  preuves  d'une  autre  nature.  » 

LMntérêt  de  la  question  ne  se  présente  pas  seulement 
dans  le  cas,  heureusement  assez  rare  aujourd'hui,  où  il 
s'aurait  pas  été  tenu  de  registres.  L'une  des  parties  pourrait 
venir  k  mourir  après  que  les  consentements  auraient  été 
échangés,  mais  avant  la  signature  de  l'acte.  H  peut  surtout 
arriver,  et  c'est  dans  cette  hypothèse  que  la  question  a  été 
agitée,  qu'après  avoir  consenti  verbalement,  l'un  des  con- 
tractants refuse  de  signer.  La  Cour  de  Montpellier  a  jugé 
avec  raison,  le  4  février  1840,  que  le  contrat  est  légalement 
formé  par  le  consentement  respectif  et  par  le  prononcé  de 
l'union,  et  que  le  refus  de  signature  ne  saurait  dès  lors 
produire  aucun  eflTet.  La  Cour  de  Riom ,  au  contraire,  s'était 
teDement  attachée  au  système  opposé,  qui  regarde  la  signa- 
ture comme  essentielle  k  la  célébration,  qu'elle  avait  validé 
un  mariage  où  le  consentement  n'avait  pas  été  échangé  en 
présence  de  l'officier,  mais  où  il  y  avait  eu  simplement  signa- 
ture des  parties.  Mais  cet  arrêt,  qui  tendait  k  détruire  la 
publicité,  en  concentrant,  pour  ainsi  dire,  la  solennité  du 
mariage  dans  une  rédaction  d'écritures ,  k  laquelle  les  assis- 
tants sont  étrangers,  a  été  cassé  le  22  avril  1833. 

546.  Nous  avons  aussi  rattaché  (n*  200)  k  la  preuve  tes- 
timoniale du  mariage,  afin  de  ne  pas  interrompre  la  suite  de 
nos  développements ,  la  question  de  savoir  si  on  doit  refuser 
tonte  foi  k  la  feuille  volante  sur  laquelle  serait  inscrit  un 
acte  de  mariage.  Nous  n'avons  rien  k  ajouter  aux  arguments 
par  lesquels  nous  avons  essayé  d'établir  (voy.  aussi  n""  527), 
contre  l'opinion  commune ,  que  les  mots  acte  de  célébration 
îmerit  mr  le  registre  (C.  civ.,  art.  194)  ne  doivent  pas  être 
pris  dans  un  sens  restrictif.  Nous  ferons  seulement  remar- 


il8  FOI  DSS  ACTES  DB  L'ÉTAT  CIVIL. 

quer  que  TopioioD  qui  admet  ce  sens  restrictif  n'est  point 
parfaitement  conséquente.  Car»  s'il  est  constant  que  Ton 
peut,  en  l'absence  de  tout  acte,  prouver  la  célébration  du 
mariage  k  l'aide  des  souvenirs  des  témoins ,  ne  serait-il  pas 
singulier  qu'on  ne  dût  tenir  aucun  compte  d'un  acte  revêtu 
de  toutes  les  formalités  requises,  par  cela  seul  qu'il  n'aurait 
pas  été  inscrit  sur  un  registre  ?  H  ne  nous  semble  pas  dflik 
teux,  du  moins,  que  le  vice  de  l'inscription  sur  une  feuille 
volante  ne  soit  couvert  par  la  possession  d'état,  puisque  Tar- 
ticle  196  du  Code,  qui  parle  du  concours  du  titre  et  de  la 
possession,  n'a  pas  reproduit  la  nécessité  de  l'inscription  sur 

■ 

le  registre ,  et  que  l'esprit  de  la  loi  est  de  ne  point  permettre 
d'élever  des  dilBcuItés  de  pure  forme ,  lorsqu'il  y  a  eu  exé- 
cution volontaire  du  mariage.  Aussi  l'absence  même  de 
signature  de  l'officier  se  trouve-t-elle  couverte  par  la  pos« 
session  d'état ,  ainsi  que  Ta  jugé  un  arrêt  de  la  Cour  de  Douai, 
maintenu  par  la  Cour  de  cassation,  le  10  février  18tii. 

9  9*  nuAHov, 

SoipiAtiuSt  —  M7.  PistiQctioQ  de  la  filialiOQ  lèfitioe  et  de  ta  QllaUon  Mtarelle.  <»- 
54*.  Preuve  de  ridentitè  du  porteur  de  l'acte.  —  849.  DIfflcaltè  spéciale  en  matière  de 
reconnaUaaoce  tf'an  «Q(ant  natqrel.  —  580.  Preuve  de  ridmitité  do  l'auteor  de  la  reepn* 
naissance. 

S47,  C'est  relativement  k  la  filiation  que  s'élèvent  les 
questions  les  plus  délicates  sur  la  foi  des  actes  de  l'état  civil. 
Pour  la  preuve  littérale,  comme  pour  la  preuve  testimoniale 
de  cette  filiation ,  il  importe  de  distinguer  si  elle  est  légitime 
ou  naturelle.  Dans  le  premier  cas,  les  déclarations,  même 
émanées  de  tiers  étrangers  aux  parents ,  suffisent ,  pourvu 
qu'elles  soient  reçues  par  l'officier  civil  dans  la  forme  ordi« 
naire.  pour  établir  un  état  dont  la  constatation  est  favorable. 
Dans  le  second  cas,  la  preuve  littérale  d'une  filiation  dont 
a  vérification  est  toujours  scandaleuse  et  souvent  difficile , 
doit  régulièrement  émaner  des  parents  eux-mêmes  ;  l'in* 


FOI  DBS  ACTES  DE   l'ÉTAT  CIVIL.  il 9 

scription  8or  les  registres  n'est  plus  que  facultative ,  au  lieu 
d'être  le  mode  ordinaire  de  constatation. 

548.  Avant  d'examiner  ce  qui  concerne  chacune  de  ces 
filiations,  rappelons,  pour  n'avoir  plus  à  revenir  sur  ce 
point,  ce  que  nous  avons  dit  en  général  (n«  536)  sur  les 
actes  de  l'état  civil ,  qu'ils  ne  peuvent  être  probants  qu'au* 
tant  que  le  porteur  de  l'extrait  '  justifie  de  son  identité  avec 
la  personne  dénommée  dans  l'acte.  Or,  cette  difficulté  s'élève 
surtout  en  matière  de  filiation.  Ceux  qui  contractent  mariage 
sont  généralement  d'un  âge  assez  avancé  pour  qu'il  soit  aisé 
de  constater  leur  identité  \  des  précautions  spéciales  sont 
prises  en  cas  de  décès ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  \  tandis 
qu'il  est  extrêmement  difficile  de  reconnaître  nn  enfant, 
après  un  long  espace  de  temps.  L'identité  dans  ce  cas  peut 
être,  nous  l'avons  dit,  prouvée  par  témoins.  Un  arrêt  de  la 
Cour  de  Paris  du  13  floréal  an  Xlli  a  jugé  avec  raison  qu'on 
doit  être  reçu  de  piano  k  administrer  cette  preuve,  puisqu'il 
ne  s'agit  que  d'un  simple  fait.  Suivant  d'autres  arrêts,  au 
contraire  (Rej.,  27  janvier  1818  -,  Bordeaux,  25  août  1825), 
il  faut  que  l'enfant  qui  se  présente  ait  en  sa  feveur,  soit  un 
commencement  de  preuve  par  écrit,  soit  du  moins  des  pré** 
somptionsou  indices  graves.  (C.  civ.,  art.  325.)  On  retrouve 
dans  cette  doctrine  la  confusion  que  nous  avons  souvent 
signalée  entre  la  preuve  testimoniale  directe ,  celle  du  fiit 
que  telle  femme  est  accoucbée  de  tel  enfant ,  et  la  preuve 
testimoniale  indirecte  ^  celle  de  la  possession  d'état.  Les 
restrictions  de  l'article  325  sont  tout  k  fait  inapplicables  k 
cette  dernière  nature  de  preuve,  (Voy.  n*  203.)  Il  en  est  de 
même  si  l'enfant,  suivant  la  judicieuse  observation  de 
M.  Yalette  (S«r  Prouctton,  t.  U,  p.  79),  sans  avoir  la  poneirion 
iém  proprement  dite ,  prétend  du  moins  être  en  possession 

1  NoQfi  TeTrons ,  quand  nons  traiterons  de  la  preare  de  prenre ,  que  la 
foi  de  Peitralt  se  confond  avec  celle  de  Pacte  original.  (0.  dT.,  art.  45.  ) 


lâO  FOI  DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

d'être  le  même  que  l'enfant  désigné  dansVacte  de  naissance. 
Cette  possession  de  l'identité  est  on  simple  fait  susceptible 
d'être  établi  par  témoins  \ 

848.  Il  est  évident  que  cette  nécessité  de  prouver  l'iden- 
tité du  porteur  de  l'acte  avec  l'enfant  qui  y  est  désigné ,  est 
commune  k  la  filiation  légitime  et  k  la  filiation  naturelle. 
La  difficulté  s'élèvera ,  k  la  vérité ,  plus  rarement  dans  ce 
dernier  cas ,  la  reconnaissance  étant  souvent  faite  par  un  acte 
notarié ,  dont  il  n'est  délivré  expédition  qu'aux  parties  inté- 
ressées :  mais  lorsqu'elle  s'élèvera ,  l'admissibilité  de  piano 
de  la  preuve  par  témoins  aura  beaucoup  plus  d'importance. 
En  effet,  pour  la  filiation  légitime,  lors  même  qu'on  se  pla- 
cerait sous  l'empire  de  l'article  325  du  Code  civil ,  la  ques* 
tion  serait  plus  théorique  que  pratique,  les  tribunaux  ayant, 
après  tout,  un  pouvoir  discrétionnaire  pour  reconnaître  en 
fait  l'existence  A'indices  graves,  et  pour  autoriser  l'enquête  en 
conséquence.  (Yoy .  Rej . ,  S7  janvier  1818.)  Mais  l'enfant  natu- 
rel se  trouverait  dans  la  plus  fausse  position,  si ,  porteur  d'un 


*  TeUe  est  la  doctrine  professée  par  d'Aguesseaa,  dans  son  Tingt-denxième 
plaidoyer  :  «  H  peut  être  certain,  dit-il,  qu'il  y  a  eu  une  Marie-Claude 
Chamois,  baptisée  sous  ce  nom  dans  l'église  de  Saint-Gervais,  fille  d'Honoré 
Chamois  et  de  Jacqueline  Girard,  sans  qu'il  soit  assuré  que  ceUe  qui  parait 
aujourd'hui  sous  ce  nom  soit  la  même  que  celle  qui  l'a  reçu  autrefois ,  et 
la  malice  d'un  imposteur  pourrait  être  assez  grande  pour  prendre  l'extrait 
baptistaire  aussi  bien  que  le  nom  d'une  personne  absente....  Nous  sommes 
néanmoins  obligés  de  reconnaître  que,  quoique  cette  preuve  ne  soit  pas 
précisément  par  eUe-mème  absolument  dédsîTe ,  die  forme  toujours  une 
présomption  yiolente  en  faTeur  de  celui  qui  la  produit,  et  tant  que  l'on  ne 
pourra  point  représenter  celui  qui  aurait  droit  de  se  servir  de  cet  extrait 
baptistaire ,  tant  qu'on  ne  peut  montrer  un  extrait  mortuaire ,  en  un  mot , 
tant  qu'on  ne  peut  justifier  ni  sa  yie  ni  sa  mort ,  bien  loin  de  pouvoir 
accuser  d'imposture  celui  qui  se  sert  d'un  pareil  acte,  il  semble  au  contraire 
qu'il  doit  être  écouté  favorablement  jusqu'à  ce  qu'on  l'ait  convaincu  de  faus- 
seté et  de  supposition,  en  représentant  celui  dont  il  emprunte  le  nom.  » 
D'Àguesseau  conclut  à  l'admission  de  la  preuve  testimoniale  de  l'identité, 
qui  a  été  autorisée  dans  l'espèce.  L'hypothèse  où  il  serait  justifié  du  décès  de 
la  personne  dénommée  dans  l'acte  s*est  présentée  dans  la  jurisprudence 
moderne,  et  il  a  été  jugé  (Rej.,  5  avril  1830)  qu'alors  l'acte  de  naissance 
doit  tomber  en  présence  de  l'acte  de  décès ,  qui  en  détruit  l'effet. 


FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTàT   CITIL.  121 

acte  de  reconnaissance  en  bonne  forme,  il  n'était  pas  admis, 
sans  un  commencement  de  preuve  par  écrit ,  k  prouver  son 
identité  avec  la  personne  dénommée  dans  cet  acte ,  sous  pré- 
texte que  ce  commencement  de  preuve  lui  est  nécessaire 
pour  rechercher  même  la  maternité.  (Ibid.^  art.  345.)  Cette 
restriction  ne  s'applique  qu'k  ta  recherche,  et  on  n'a  jamais 
qualifié  de  recherche  l'action  par  laquelle  on  tend  simple- 
ment à  se  faire  appliquer  une  reconnaissance  préexistante. 
La  question  s'est  présentée  dans  la  pratique  en  ce  qui  con- 
cerne la  reconnaissance  de  la  paternité.  On  s'est  demandé 
d'abord  si  l'identité  de  l'enfant  naturel  vis-k-vis  de  l'auteur 
de  la  reconnaissance  peut  être  établie  au  moyen  de  la  preuve 
testimoniale.  Cette  première  question  a  été  résolue  affirma- 
tivement par  la  Cour  de  Bordeaux  (le  18  février  1846), 
attendu  que ,  a  si  la  paternité  est  un  mystère  qui  n'est  pas 
«  susceptible  d'une  démonstration  positive,  l'identité  résulte 
«  de  circonstances  de  fait  qui  tombent  sous  les  sens,  qui 
«  naturellement  peuvent  être  prouvées  par  témoins.  »  La 
Cour  a,  an  contraire,  résolu  négativement  la  question  de 
savoir  si  un  commencement  de  preuve  par  écrit  est  néces- 
saire \  «  attendu  que,  si  l'article  341  du  Code  civil  dispose 
«  que  l'enfant  qui  réclame  sa  mère  ne  peut  être  admis  k 
<  prouver  son  identité  que  lorsqu'il  a  déjk  un  commence- 
«  ment  de  preuve  par  écrit ,  celte  disposition ,  restreinte  au 
a  cas  oii  il  s'agit  de  la  recherche  de  la  maternité,  est  spé- 
«  dale,  et  ne  peut  s^étendre  k  la  question  d'identité  d'un 
«  enfant  dont  la  filiation  naturelle  a  été  reconnue  par  son 
«  père.  »  C'est  dans  le  même  esprit  que  la  Cour  d'Âix ,  le 

*  La  Ck>iiT  de  Bordeaux  déclare  surabondamment,  et  fort  mal  à  propos 
soiTant  nous  (n*  5S6),  que  le  titre  inToqué  par  l'enfont  est  un  commence- 
ment de  preuve  de  son  identité.  Ainsi  que  l'a  décidé  pour  l'acte  de  nais- 
sance la  Cour  de  Toulouse ,  le  13  juillet  1846 ,  la  production  d'un  acte  ne 
rend  auconement  Traisemblable  l'identité  actueUe  de  l'enfant  qui  se  pré- 
sente, avec  la  personne  portée  en  Pacte. 


i^  FOI   DES  ACTES   DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

22  décembre  4852,  a  autorisé  l'auteur  de  la  reconnaissanee 
d'un  enfant  naturel  k  établir  par  témoins  qu'il  s'était  trompé 
sur  ridentité  de  l'enfant. 

550.  La  question  d'identité  peut  se  présenter  k  un  point 
de  vue  inverse  :  on  peut  contester  l'identité,  non  plus  de 
l'enfant,  mais  des  parents  désignés  par  le  titre.  La  difficulté 
n'est  guère  de  nature  k  se  présenter  en  matière  de  filiation 
légitime ,  et  si  elle  se  présentait ,  point  de  doute  que  l'enfant 
ne  fût  recevable  ï  justifier,  par  témoins  aussi  bien  que  par 
titres  9  de  Tindividualilé  de  ses  parents.  Nous  pensons  qu'il 
n'y  a  point  non  plus  de  doute  quant  k  la  maternité  natu*- 
relie,  le  commencement  de  preuve  par  écrit  n'étant  eiigé 
que  pour  la  preuve  de  l'identité  de  Tenfant ,  lorsqu'il  re« 
cberche  la  maternité  sans  alléguer  un  titre  de  reconnais* 
sauce.  (G.  civ.,  art.  341.)  Hais  si  c'est  la  paternité  natu- 
relle qui  est  en  question,  sera-t«il  permis  d'établir  par 
témoins  que  tel  individu  est  bien  l'auteur  de  la  reconnais* 
sance?  Suivant  un  arrêt  de  cassation  du  48  juin  48B4 , 
autoriser  cette  preuve  en  dehors  de  l'acte  de  naissance, 
c'est  virtuellement  rechercher  la  paternité.  Mais  comment 
un  titre  établiraitril  l'identité  de  celui  qui  y  est  dénommé? 
La  nature  même  des  choses  s'y  oppose.  L'arrêt  rendu  par 
la  Ck)ur  de  Lyon,  le  30  août  4848,  nous  semble,  bien  qu'il 
ait  été  cassé,  être  dans  le  vrai,  lorsqu'il  déclare  «  qu'en 
«  autorisant  k  constater  l'identité  d'un  individu  qui  a  paru 
«  dans  un  acte  de  l'état  civil ,  on  n'autorise  pas  la  recherche 
((  de  la  paternité ,  qui  serait ,  au  contraire ,  reconnue  par  un 
a  acte  authentique.  »  La  doctrine  de  l'arrêt  de  4851 ,  prise 
dans  toute  sa  rigueur,  tendrait  a  rendre  illusoires,  au 
moyen  d'une  contestation  d'identité,  les  reconnaissances 
les  plus  formelles.  Toutefois ,  la  Cour  de  Riom ,  devant  la* 
quelle  avait  été  renvoyée  r^flaire,  ayant  jugé,  en  fait  (il  y 
avait  identité  de  nom  et  de  prénoms),  que  l'identité  de  l'au- 


FOI  DKS  ACTES  ht  L'^AT  CIYIL..  128 

tew  de  la  reconoaissaoee  était  suffisamment  établie  (14  juil- 
let 1853),  la  chambre  civile,  qui  avait  rendu  l'arrêt  de 
18S1,  a  rejeté,  le  7  novembre  1855,  le  pourvoi  formé 
contre  la  décision  de  la  Cour  de  Riom,  comme  reposant  sur 
une  pure  appréciation  defoUM.  Et  cependant,  si  le  jnge  peut 
apprécier  Tidentité,  pourquoi  lui  serait-il  interdit  d'éclairer 
sa  religion  par  une  enquête?  La  Cour  de  Paris  (11  juillet 
1868)  a  rejeté  la  preuve  de  l'identité,  mais  dans  une  espèce 
bien  plus  dé&voraUe  à  l'en&nt,  la  reconnaissance  étant 
fidte  avee  des  prénoms  intervertis  et  sans  indication  du  nom 
deftmaiUe. 

SomuiHE.  —  SS4.  Pranre  préalable  da  mariage.  —  ssa.  Foi  de  Taete  de  naissance  quant 
à  la  mtatioQ  lèfiliflM.  «-  m.  System»  do  l'indif iaiWité  dn  titre,  ^  im.  MQtalloQ  de  ee 
système.  —  855.  Irrëgnlaritès  diverses  qne  p^at  présenter  l'acte.  —  556.  Absence  de 
«mtloii  dt  mtrt.  «-  BST.  Mmiiia»  d*im  pèr»  ioeonnii.  •*<  Ui.  Mettlon  d'one  paternité 
adultérine.  —  559.  Inscription  sous  le  nom  de  fille  de  la  mère,  r-  560.  Tendance  dn 
système  de  rindivi8a>Uité  du  titre.  —  8«4.  Peo(<^  reconnattro  un  enfipt  légitime  f 

Wfl.  On  l'a  dit  avec  raison,  la  preuve  de  la  filiation 
n'emporte  pas  k  elle  seule  celle  de  la  légitimité.  Deux  élé- 
ments, en  eCbt,  constituent  la  légitimité  :  le  mariage  et  la 
filiation.  Pour  être  admis  k  Justifier  du  second  élément,  U 
l'aide  des  moyens  institués  par  la  loi  dans  ce  but,  il  faut 
eoramencer  par  établir  l'existence  da  premier,  a  La  filiation 
c  des  enfants  légitimes  »,  dit  l'article  310  dn  Gode  civil, 
t  se  prouve  par  les  actes  de  naissance  inscrits  sur  le  re- 
«  gistre  de  l'état  civil.  »  Le  législateur  veut  dire  par  Ik  que 
les  actes  rédigés  sar  la  déclaration  de  tiers ,  actes  qui  ne 
prouvent  essentiellement  que  le  nom ,  le  sexe  et  l'âge  de 
i'enlant,  prouvent  de  plus  la  fifiation,  lorsqu'il  s'agit  d'un 
enfant  légitime.  Il  faut  donc  que  Teuftini  qui  veut  constater 
son  état  an  moyen  de  cea  actes ,  commence  par  établir  sa 
légitimité  hypothétique,  c'est-k-dire  par  démontrer  qu'il 


124  FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTàT  CIVIL. 

eustait  entre  ses  prétendus  parents  un  mariage ,  lequel  sub- 
sistait encore  le  trois  centième  jour  avant  celui  de  sa  nais- 
sance  ^  Seulement,  Fenfant,  pouvant  ignorer  le  lieu  où  se 
sont  mariés  ses  parents,  est  admis  k  prouver  leur  mariage 
par  la  possession  d'état.  (Art.  i97.) 

552.  Le  mariage  une  fois  établi,  Tacte  de  naissance  de- 
vient la  preuve  de  la  filiation.  Les  personnes  chargées  par 
la  loi  de  déclarer  la  naissance  sont  crues  quant  k  la  dési- 
gnation des  parents  de  Fenfant,  du  moins  jusqu'à  preuve 
contraire,  dans  notre  opinion.  Mais  cet  acte  prouve-t-il  la 
maternité  seulement,  sauf  k  en  induire  la  paternité  au 
moyen  de  la  présomption  légale  qui  donne  le  mari  pour  père 
k  l'enfant  conçu  pendant  le  mariage?  Ou  bien  prouve-t-il  k 
la  fois  la  maternité  et  la  paternité  légitimes?  Voilk  la  ques- 
tion essentielle,  qu'il  faut  aborder  préalablement,  et  dont  la 
solution  nous  conduira  facilement  k  celle  des  difficultés  de 
détail  que  présente  le  sujet. 

553.  Pour  soutenir  que  l'acte  de  naissance  prouve  k  la 
fois  la  paternité  et  la  maternité ,  on  fait  remarquer  qu'il 
doit  énoncer  les  noms  des  père  et  mère  (ibid.,  art.  57),  ce 
qui  suppose  que  les  déclarants ,  qui  connaissent  habituelle- 
ment les  époux,  attestent  non-seulement  le  fait  de  la  ma- 
ternité, mais  celui  même  de  la  paternité,  en  ce  sens  que, 
d'après  la  conduite  de  la  mère,  la  paternité  du  mari  ne 
pourrait  être  contestée.  La  mention  des  deux  époux  comme 
père  et  mère  de  l'enfant  est  donc ,  dit-on ,  constitutive  de  la 
légitimité ,  en  tant  qu'on  peut  l'induire  de  l'acte.  Si  le  mari 
est  omis ,  le  silence  sur  un  point  aussi  essentiel  semble  bien 


*  Noos  n'ajoutons  pas  que  le  mariage  doit  aToir  commencé  au  plus  tard 
le  cent  qoatre-Tingtième  jour  qui  précède  la  naissance  ;  car,  aux  termes  de 
l'article  314  du  Code  civil,  Penfant  né  dans  les  cent  soixante-dix-neuf 
premiers  jours  du  mariage  est  présumé  légitime,  ou  plutôt  légitimé,  tant 
qu'il  n'est  pas  désavoué  par  le  mari. 


FOI   DES  ACTES  DE  l'ÉTAT  CIVIL.  125 

indiquer  qae  l'enfant  n'a  pas  été  considéré  comme  légitime. 
Or,  les  enfants  légitimes  sont  les  seuls  dont  la  filiation  se 
prouve  par  les  actes  de  Tétat  civil.  (Ibid.,  art.  319.)  Dès 
lors  une  déclaration  qui  ne  mentionne  pas  le  mari  se  con- 
tredit, se  détruit  elle-même^  et  si  elle  n'établit  pas  l'exis- 
tence d'une  filiation  adultérine,  qu'il  serait  impossible  de 
constater  légalement,  elle  n'établit  pas  non  plus  celle  d'une 
filiation  légitime,  puisque  l'écrit  n'a  pas  été  rédigé  suivant  le 
vœu  de  la  loi ,  et  que  cette  circonstance  suffit  pour  rendre  la 
légitimité  au  moips  douteuse.  Il  n'est  pas  permis  de  scinder 
la  foi  du  titre ,  qui  doit  établir  tout  k  la  fois  la  paternité  et 
la  maternité.  Si  donc  le  titre  parait  supposer  une  paternité 
autre  que  celle  du  mari ,  ou  bien  on  y  ajoutera  foi ,  et  alors 
on  arrivera  k  reconnaître  l'existence  d'une  filiation  adulté- 
rine ,  ce  qui  eût  été  possible  dans  l'ancienne  jurisprudence  -, 
ou  bien  on  refusera  d'y  ajouter  foi ,  la  législation  actuelle 
n'admettant  point  la  preuve  de  pareils  faits,  et  alors  on 
devra  le  rejeter  en  totalité,  puisque  ce  n'est  plus  Pacte  de 
naissance  d'un  enfant  légitime. 

o54.  Ce  système  de  l'indivisibilité  du  titre  n'est  pas  nou- 
veau. Il  a  été  souvent  reproduit  et  réfuté,  dans  les  nom- 
breuses discussions  sur  les  questions  d'état  qui  ont  eu  lieu 
devant  nos  anciens  parlements.  Dès  1664,  l'avocat  général 
Talon  y  avait  déjk  répondu  que ,  «  comme  la  preuve  de  la 
a  filiation  avait  été  estimée  par  les  jurisconsultes  une  chose 
a  presque  impossible,  ils  avaient  tous  résolu  qu'il  suffisait  k 
«  un  enfant ,  pour  se  dire  fils  légitime ,  de  prouver  qu'il 
«  était  né  pendant  le  mariage.  »  Et  de  nombreux  arrêts  du 
parlement  de  Paris  (Merlin,  Répert.^  v*  Légitimité,  secl.  2, 
§  2)  avaient  sanctionné  cette  doctrine.  Efiectivement,  ce  qui 
est  susceptible  d'être  vérifié  par  le  témoignage  des  hommes  » 
c'est  l'accouchement.  On  ne  peut  arriver  k  la  preuve  de  la 
paternité  que  par  une  induction  tirée  de  ce  que  la  conception 


196  FOI  DEft  ACTES  DE  L^ÉTIT  GiViL. 

a  ett  lieu  pendant  le  mariage  et  doit  être  dès  lors  attri- 
buée au  mari ,  tant  qu'il  n'y  a  pas  désaTeu.  Comment  pour- 
rait-il en  être  autrement?  Gomment  l'acte  de  naissance 
pourrait-il  prouver  directement  la  paternité?  Quelles  In^ 
mières  ont  les  témoins  de  l'accouchement  sur  le  feit  de  la 
conception?  Si  k  Rome,  où  le  système  des  preuves  était  si 
large ,  la  déclaration  de  la  mère  elle-même  ne  faisait  pas 
foi  contre  son  enfant  (Scaev.,  L.  29,  §  1 ,  D.,  D$  probat.)^ 
serait-il  raisonnable  chez  nous  d'accorder  plus  de  confiance, 
sur  la  question  de  paternité ,  au  médecin ,  h  la  sage-femme, 
ou  même  à  tout  individu  qui  se  sera  trouvé  assister  à  la 
naissance?  Tout  au  plus  ces  personnes  peuvent-elles  avoir 
connaissance  d'un  commerce  adultérin.  Mais  vouloir  con- 
clure d'une  manière  absolue  de  l'adultère  k  la  non-pater- 
nité du  mari,  c'est  une  prétention  aussi  contraire  à  la  lo- 
gique  qu'à  l'esprit  et  au  texte  de  la  loi^  Toutes  les  fois 
donc  que  les  déclarants  indiquent  explicitement  ou  impli- 
citement un  autre  père  que  le  mari ,  ils  attestent  ce  qu'ils 
n'ont  pas  mission  d'attester,  ce  qu'il  leur  est  même  impos- 
sible de  savoir  avec  certitude.  Un  titre  est  indivisible,  quand 
il  contient  deux  énonciations  légales  qui  doivent  se  combi- 
ner. Il  cesse  de  l'être,  quand  l'une  des  énonciations  est 
prohibée  parla  loi,  et  doit  en  conséquence  être  réputée 
non  avenue. 

Il  est  vrai  qu'on  invoque  l'article  S7,  qui  prescrit  la  men- 
tion du  père.  Mais  le  même  article  veut  qu'on  mentionne 
les  prénoms ,  noms ,  profession  et  domicile  des  témoins  : 
énonciation  qui  n'est  rien  moins  que  substantielle.  D'ailleurs 

*  Le  même  principe  est  admis  dans  la  législation  anglaise  :  Where  thé 
hnsba/id  and  ^fé,  dit  M.  Greenleaf  (tom.  I,  p.  S8),  eohablted  together, 
M  tuch,  and  no  impoUney  is  prm>ed,  the  issuê  U  conclusely  prtsumed 
to  be  legitinuUe,  though  the  v)\fe  is  proved  to  hâve  been  at  the  same 
tîme  çuUty  ofinfM^tg. 


FOI  DES  ACTES  DE  l'ÉTâT  CIVIL.  127 

cet  article  prouverait  trop;  car  il  ne  distingue  pas  entre  la 
ffliation  *  légitime  et  la  filiation  naturelle  y  ^  Tëgard  de  la«* 
quelle  il  n'est  nullement  permis  de  déclarer  le  père.  De 
plus,  refuser  toute  foi  k  l'acte,  à  défaut  de  l'indication  dta 
père,  qu'il  est  si  facile  de  suppléer,  lorsque  la  maternité  est 
bien  établie ,  c'est  créer,  contre  l'intention  formelle  du  lé- 
gislateur, des  nullités  dans  les  actes  de  l'élat  civil,  c'est 
faire  dépendre  le  sort  des  enfiints  d'une  inexactitude  de  ré- 
daction \  L^opinion  qui  rejette  la  prétendue  indivisibilité  du 
titre  avait  déjk  prévalu  dans  l'ancien  droit;  alors  cependant 
la  loi  ne  prohibait  pas ,  comme  aujourd'hui,  la  constatation 
d'une  filiation  adultérine,  et  nous  avons  vu  (n*  206)  que 
Marie-Aurore  avait  obtenu  du  parlement  de  Paris  un  arrêt 
qui  la  déclarait  fille  adultérine  du  maréchal  de  Saxe.  C'est 
ce  qui  explique  les  décisions ,  peu  nombreuses  du  reste,  qui 
se  sont  attachées  aux  énonciations  destructives  de  la  légiti- 
mité ,  contenues  dans  l'acte  de  naissance.  Il  était  tout  simple 
qu'il  fût  permis  de  s'y  attacher ,  puisqu'elles  pouvaient  faire 
foi,  suivant  les  circonstances.  Néanmoins  l'immense  majo- 
rité des  arrêts  s'en  est  tenue  h  la  présomption  de  la  légiti* 
mité  jusqu'il  désaveu.  Aujourd'hui  nous  n'avons  plus  la 
raison  de  douter  qui  existait  alors ,  puisque  les  énonciations 
indiquant  une  paternité  adultérine  sont  repoussées  par  la 
législation  actuelle.  Â  une  époque  même  od  la  subversion 
des  principes  constitutifs  de  la  famille  avait  singulièrement 
afiSaibli  l'honneur  de  la  légitimité,  le  19  floréal  an  II,  la 
Convention  nationale  approuva  le  refus  fait  par  un  officier 
de  l'état  civil  de  recevoir  la  déclaration  d'une  femme  qui 
attribuait  h  son  enfant  un  autre  père  que  le  mari.  Depuis 
est  intervenu  le  Code  civil ,  qui  a  expressément  prohibé  ^ 
sauf  le  cas  de*  désaveu ,  toute  reconnaissance  et  toute  re- 

«  C^eftt  dans  cet  esprit  qu'on  «  déclaré  Talable  mi  acte  dA  naJMMice  oft 
U  ûgnatiire  dn  père  était  omise.  (Rej.,  23  juin  1869.) 


i28  FOI  DES  ACTES  DE   L^ÉTÂT  CIVIL. 

cherche  d'une  filiation  adaltérine.  Les  déclarants  n'ont  donc 
pas  à  déposer  sur  la  paternité,  puisqu'ils  ne  sont  nullement 
autorisés  à  déclarer  un  autre  père  que  le  mari ,  qui  seul  a 
qualité  pour  combattre  la  présomption  légale.  La  désigna- 
tion du  père  légitime  de  l'enfant  n'est  dès  lors  qu'une  afiaire 
de  forme.  Si  l'omission  a  été  involontaire,  il  serait  par 
trop  injuste  qu'elle  pût  nuire  à  l'enfant;  si,  au  contraire, 
elle  se  rattachée  Tindication ,  plus  ou  moins  explicite,  d'une 
paternité  adultérine,  les  déclarants  ont  excédé  leurs  pou- 
voirs, puisque,  de  simples  narrateurs  du  fait  de  l'accouche- 
ment, ils  se  sont  transformés  en  vérificateurs  de  la  paternité. 

S&&.  Appliquons  maintenant  celte  solution  aux  diverses 
irrégularités  que  peut  présenter  l'acte  de  naissance ,  sous  le 
point  de  vue  qui  nous  occupe. 

556.  Le, cas  le  moins  grave  est  celui  où  l'enfant  ^  été 
inscrit  comme  né  de  telle  femme ,  désignée  par  son  nom  de 
femme  mariée,  sans  que  le  nom  du  mari  lui-même  ait  été 
ajouté.  Il  est  difficile  en  ce  cas,  même  dans  l'opinion  con- 
traire \k  la  nôtre,  de  considérer  l'acte  comme  ne  faisant 
point  preuve  complète.  Bien  qu'on  ne  se  trouve  pas  littéra- 
lement dans  les  termes  de  l'article  57,  il  faut  reconnaître 
que  le  mari  a  été  virtuellement  désigné  comme  père ,  par 
cela  seul  que  rien  n'indique  un  autre  père  que  lui ,  et  que 
c'est  précisément  par  le  nom  qu'elle  tient  du  mari  qu'on  a 
désigné  la  mère.  Nous  ne  pensons  donc  pas  que  cette  pre- 
mière espèce  puisse  donner  lieu  à  des  doutes  sérieux  dans 
la  pratique. 

887.  En  second  lieu,  l'enfant  peut  avoir  été  inscrit 
comme  né  de  telle  femme  mariée  et  d'un  père  inconnu.  Les 
déclarants  émettent  ici  des  doutes  sur  la  légitimité.  Mais, 
lors  même  qu'ils  auraient  qualité  pour  émettre  des  doutes, 
on  devrait  toujours  décider,  puisqu'il  n'y  a  que  doute,  que 
la  présomption  de  la  loi  doit  l'emporter.  Aussi  un  arrêt  de 


FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL.  129 

rejet  du  19  mai  1840  a-l-îl  considéré  en  pareille  circonstance 
Facte  comme  prouvant  suffisamment  la  légitimité  ^  bien  que 
la  mère  elle-même  fût  désignée  d'une  manière  inexacte 
dans  le  titre  :  mais  son  identité  n'était  pas  douteuse. 

SSS.  Le  troisième  cas  est  celui  où  l'enfant  a  été  inscrit 
comme  né  de  telle  femme  mariée  et  d'un  père  déterminé 
autre  que  le  mari.  Ici  le  mariage  se  trouve  encore  attesté  par 
l'acte  de  naissance  même ,  mais  on  ajoute  la  mention  posi- 
tive d'une  paternité  adultérine.  Cette  mention  ne  pourrait 
avoir  de  force  pour  détruire  la  légitimité  qu'autant  que  le 
titre  serait  considéré  comme  indivisible.  Mais  nous  croyons 
avoir  démontré  qu'il  est  impossible  de  considérer  comme  un 
senl  et  unique  témoignage  cette  déclaration  compleie ,  que 
l'enfant  est  né  de  telle  femme,  et  qu'il  a  tel  père  autre  que 
le  mari.  Autant  il  est  raisonnable  d'attribuer  aux  témoins 
de  l'accouchement  qualité  pour  attester  le  premier  point, 
autant  il  serait  dangereux  et  arbitraire  de  les  en  croire  sur 
le  second.  L'opinion  qui  veut  rejeter  l'acte  dans  son  entier, 
tendrait  à  réduire  dans  l'espèce  le  réclamant  (s'il  n'a  pas  de 
possession  d'état)  à  prouver  par  témoins  le  fait  de  l'accou- 
chement, pourvu  toutefois  qu'il  eût  en  sa  faveur  un  com- 
mencement de  preuve  par  écrit  ou  des  indices  graves.  Mais 
l'article  323  du  Code  civil  ne  réduit  à  cette  dernière  res- 
soorce  que  tenfaru  inscrit,  soit  sous  de  faux  noms,  soit  comme 
né  de  père  et  mire  inconnus.  Alors  seulement  on  peut  dire 
qo'il  7  a  défaut  de  titre  aux  yeux  dû  la  loi.  Or,  celui  qui  est 
inscrit  sous  le  nom  de  sa  mère  n'est  placé  dans  aucune  de 
ees  deux  hypothèses;  il  peut  donc  se  prévaloir  de  la  preuve 
littérale  de  la  maternité ,  pour  arriver,  \  l'aide  de  la  pré- 
somption légale ,  à  démontrer  la  paternité  légitime.  Il  en 
serait  ainsi,  lors  même  qu'une  reconnaissance  formelle  ten< 
drait  à  établir  une  paternité  autre  que  celle  du  mari  \  c'est 
ce  qu'a  jugé  la  Cour  de  Paris,  le  12  juillet  1856,  et  le 

II.  0 


130  FOI   DES   ACTES  DR   l'ÉTAT  CIVIL. 

pourvoi  formé  contre  cet  arrêt  a  été  rejeté  le  27  janvier  1857. 
La  Cour  de  Paris ,  qui  avait  déjk ,  contrairement  k  son  an- 
cienne jurisprudence ,  repoussé  le  principe  de  l'indivisibilité 
du  titre  par  un  arrêt  fortement  motivé  du. 6  janvier  1834, 
s'est  encore  prononcée  dans  le  même  sens,  le  11  janvier 
1864,  en  décidant  que  <(  Tenfant  qui,  par  un  acte  de  nais- 
«  sance  régulier,  établit  qu^il  est  né  d'une  femme  mariée, 
«  justifie  par  cela  seul  sa  légitimité,  quelles  que  soient  les 
«  autres  indications  contenues  audit  acte  ^  que  sans  doute  ces 
«  énonciations  pourraient  venir  en  aide  a  l'action  en  désaveu 
«  formée  par  le  mari  de  la  mère,  soit  pour  prouver  le  recel 
a  de  la  naissance,  soit  pour  toute  autre  justification  k  l'appui 
tt  de  ladite  action  (voir  n'  559),  mais  qu'elles  ne  peuvent 
«  abolir,  par  le  fait  ou  l'erreur  d'un  tiers ,  la  présomption 
a  légale  de  l'article  312 ,  règle  essentielle  et  principale  du 
«  droit  en  matière  de  paternité  et  de  filiation.  »  La  Cour  de 
cassation  a  rejeté,  le  13  juin  1865,  le  pourvoi  formé  contre 
ce  dernier  arrêt,  en  condamnant  formellement  le  principe 
de  l'indivisibilité. 

558.  Enfin  le  cas  le  plus  grave  est  celui  où  l'enfant  est 
inscrit  sous  le  nom  de  fille  de  sa  mère.  La  position  de  l'en- 
fant est  alors  plus  équivoque,  surtout  si  l'acte  indique  un 
père  adultérin,  bien  que,  suivant  les  arrêts  les  plus  récents, 
cette  indication  doive  être  réputée  non  avenue.  Certaines 
décisions  judiciaires ,  se  préoccupant  des  circonstances  du 
fait  plutôt  que  des  principes  du  droit,  ont  refusé  d'appli- 
quer \k  une  pareille  situation  la  présomption  de  légitimité. 
C'est  ce  qui  a  été  jugé  relativement  k  la  célèbre  affaire  Vir- 
^rntf  (Paris,  15  juillet  1808-,  Rej.,  22  janvier  1811),  dans 
laquelle  la  réclamante  a  écboué,  en  invoquant  un  acte  de 
naissance  où  elle  était  inscrite  sous  le  nom  de  fille  de  sa 
mère  et  sous  celui  d'un  père  adultérin  *.  Toutefois  le  premier 

'  Il  est  à  remarquer  que  l'acte  de  naissance  était  du  16  pluviôse  an  II, 


FOI   DBS  ACTES  DE  l'ÉTâT  CIVIL.  131 

considérant  de  Paxrét  de  rejet  ^  se  fonde  sur  ce  que  l'identité 
de  la  mère  dénonunée  dans  Tacte,  avec  la  femme  dont  Vir- 
ginie se  prétendait  fille,  n'était  pas  établie.  En  l'absence  de 
preuve  de  Tidentité,  point  souverainement  jugé  par  la 
Cour  de  Paris,  puisqu'il  n'impliquait  qu'une  question  de 
fait,  la  question  du  plus  ou  moins  de  force  probante  de  l'acte 
n'avait  plus  d'intétét.  Quoi  qu'il  en  soit ,  on  peut  opposer 
avec  avantage  à  certains  considérants  de  la  Cour  de  Paris 
et  de  la  Cour  de  cassation  dans  l'arrêt  Virginie  :  d'abord, 
dans   l'ancienne   jurisprudence,  l'arrêt  la  Plissonnière , 
rendu  en  1712  par  le  parlement  de  Paris  dans  une  espèce 
identique;  et  dans  la  jurisprudence  moderne,  les  arrêts  plus 
récents  (n**  558),  qui  consacrent  formellement  la  doctrine, 
qu'on  ne  doit  rechercher  dans  l'acte  de  naissance  qu'une 
seule  preuve ,  la  preuve  que  l'enfant  a  été  conçu  pendant 
le  mariage.  De  plus,  l'arrêt  de  rejet  du  19  mai  1840  (n""  557) 
a  statué  sur  une  espèce  bien  voisine  de  celle  qui  nous  occupe. 
L'enfant  n'était  pas  inscrit,  il  est  vrai,  sous  le  nom  de  fille 
de  sa  mère ,  mais  il  l'était  sous  un  prénom  :  ce  qui  n'a  pas 
empêché  la  Cour  de  le  déclarer  légitime,  l'identité  de  la 
fiemme  mariée  et  de  la  femme  dénommée  en  l'acte  étant  bien 
établie.  Nous  admettrons  seulement,  avec  la  Cour  de  Paris 
(arrêts  du  4  décembre  18S0,  du  5  juillet  1843  et  du  11  jan- 
rier  1864),  que  le  fait  même  d'une  inscription  aussi  irrégu- 
lière  (voy.  n""  211)  peut  être  considéré  comme  constituant 
recel  de  la  naissance,  et  autoriser  (C.  civ.,  art.  313)  l'action 

et  que  ee  ne  fat  qne  le  19  floréal  suivant  qne  la  Oonvention  déclara  qu'on 
ne  pouTait  reconnaître  une  paternité  adultérine,  comme  on  le  faisait  sourent 
ja^  ;  Pespèce  a  donc  un  caractère  transitoire ,  qui  en  atténue  singulière- 
ment rimportance. 

*  L'arrêt  de  rejet  ne  reproduit  point  la  singulière  doctrine  de  la  Cour  de 
Paris ,  qui  opposait  à  Virginie  une  fin  de  non-receyoir  tirée  du  concours  de 
Pacte  de  naissance  et  de  la  possession  d'état.  L'application  de  l'article  822 
du  Code  à  la  filiation  naturelle  a  été  repoussée  depuis  par  la  Cour  de  cassa- 
tion (n»  218);  mais,  dans  tous  les  cas,  cet  article  n'eût  pu  tendre  à  pro- 
téger la  possession  d'une  filiation  adultérine. 

9. 


132  FOI  DES  ACTES  DE   l'ÉTAT  CIVIL. 

en  désaveu  fondée  sur  l'impossibilité  morale  ' .  Mais  il  y  a  loin 
de  cette  plus  grande  facilité  de  désaveu  à  la  destruction 
complète  de  la  présomption  de  légitimité. 

560.  Le  système  que  nous  combattons  n'est,  après  tout, 
qu'une  réaction  déguisée  contre  les  principes  restrictifs  du 
Code  civil,  quanta  la  faculté  de  désaveu  pour  le  mari.  Pour 
multiplier  les  cas  d'exception  a  la  règle  qui  veut  que  le 
mari  soit  présumé  le  père  de  l'enfant  conçu  pendant  le  ma- 
riage, on  attribue  aux  témoins  de  l'accouchement  la  faculté 
de  détruire  la  preuve  de  l'état  légitime ,  par  cela  seul  qu'ils 
font  plus  ou  moins  clairement  allusion  à  l'existence  d'une 
paternité  adultérine.  Du  moins,  dans  l'ancien  droit,  lorsqu'on 
s'attachait  ii  la  déclaration  d'une  paternité  de  cette  nature, 
ainsi  que  le  parlement  de  Paris  le  fit ,  conformément  aux 
conclusions  de  l'avocat  général  Joly  de  Fleury,  le  31  mai 
1745,  on  pouvait,  sans  violer  aucune  loi,  décider  qu'il,  y 
avait  impossibilité  morale  de  paternité ,  et  constater  autbenti* 
quement,  d'après  le  dire  des  déclarants,  la  paternité  adul- 
térine. Aujourd'hui  une  décision  semblable  serait  une  double 
violation  du  Code ,  qui  n'admet  pas  que  la  simple  impossi- 
bilité morale  puisse  faire  tomber  la  paternité,  et  qui  permet 
encore  moins  d'attribuer  à  l'enfant  un  père  autre  que  le 
mari  de  sa  mère.  Aussi  en  est-on  réduit  k  prétendre  que 


*  Il  y  avait  recel  bien  plus  caiactérisé  encore  dans  une  autre  espèce. 
(Rej.,  4  féyrier  1851.)  Un  enfant,  que  toutes  les  circonstances  de  la  cause 
faisaient  présumer  adultérin,  avait  été  inscrit  sous  le  nom  d'une  femme  qui 
n'était  pas  sa  mère,  et  qui  probablement  même  n'existait  pas.  On  soutenait 
que  le  mari  n'était  pas  receyable  à  faire  rétablir  sur  les  registres  la  mater- 
nité véritable,  afin  de  contester  ensuite  la  légimité  de  l'enfant.  Si  ce  sys- 
tème ,  admis  par  le  tribunal  de  la  Seine ,  avait  prévalu ,  l'enfant  adultérin 
eût  choisi  ensuite  le  moment  le  plus  opportun  pour  faire  rectifier  son  acte 
de  naissance  et  s'introduire  dans  la  famille  légitime.  Mais  la  Cour  de  Paris 
et  la  Cour  de  cassation  ont  reconnu  au  mari  un  intérêt  né  et  actuel  à  pré- 
venir cette  fraude.  (Voy.  en  sens  contraire,  Angers,  21  mai  1852.)  Elles 
ont  ainsi  implicitement  reconnu  le  droit  de  rechercher  la  maternité ,  dans 
un  intérêt  opposé  à  celui  de  l'enfant.  (N^  215.) 


^ 


FOI  BE8  ACTES  DE   l'ÉTâT  CIVIL.  133 

l'acte  ne  prouve  pas  même  la  maternité  :  ce  qu'on  n'a  jamais 
soutenu  autrefois,  et  ce  qui  est  contraire  à  toute  vraisem- 
blance; car  quel  rapport  y  a-t-il  entre  les  conjectures  plus 
ou  moins  exactes  que  font  les  déclarants  sur  le  fait  de  la 
paternité,  et  la  réalité  de  l'accouchement,  qu'ils  ont  vu  de 
leurs  propres  yeux?  Enfln,  jadis  l'enfant  pouvait  obtenir  au 
moins  des  aliments  des  parents  adultérins  qui  lui  étaient 
attribués,  tandis  qu'on  le  prive  aujourd'hui  de  toute  res- 
source, en  déclarant  qu'il  n'est  ni  l'enfant  légitime  ni  l'en- 
fant adultérin  de  la  femme  que  le  bon  sens ,  que  l'évidence 
des  faits  proclament  sa  mère. 

S61.  Pour  terminer  ce  qui  concerne  la  preuve  écrite  de 
la  filiation  légitime,  nous  avons  k  nous  demander  si  cette 
filiation ,  comme  la  filiation  naturelle ,  k  l'égard  de  laquelle 
ce  mode  est  le  seul  prévu,  est  susceptible  de  s'établir,  même 
longtemps  après  la  naissance  de  l'enfant,  au  moyen  d'une 
reconnaissance  authentique,  opérée  sans  l'intervention  des 
tribunaux. 

En  faveur  de  l'affirmative,  on  invoque  (Merlin,  Répen.^ 
v*  Légitimité  ,  sect.  2 ,  §  4 ,  n"*  3  )  l'ancien  principe  suivant 
lequel  le  père  ou  la  mère,  s'ils  ne  peuvent  nuire  k  leur 
enfant  par  leurs  déclarations ,  peuvent  assurer  son  état  par 
leur  suffrage.  Grande  prcejudidim,  dit  Ulpien  (L.  1,  §  12,  D., 
De  agnosc.  et  aUnd.  liber.),  affert  profilio  confesrio  patris. 

Sans  doute,  dans  une  réclamation  d'état,  un  pareil  aveu, 
s'il  est  fait  sans  fraude,  aura  une  grande  autorité  en  faveur 
de  l'enfant;  mais  il  ne  saurait  constituer  une  preuve  légale, 
dans  le  système  de  notre  législation,  qui  n'autorise  l'inscrip- 
tion des  enfants  sur  le  registre  de  l'état  civil  que  dans  les 
trois  jours,  en  prescrivant  le  recours  aux  tribunaux,  lorsque 
ce  délai  est  dépassé.  (N""  540.)  Quant  k  un  acte  notarié,  il 
est  inusité  et  suspect  en  matière  de  filiation  légitime.  Ces 
retards  calculés  pourraient  bien  n'être  qu'un  moyen  d'éluder 


i34  FOI  DES  ACTES  DE   L'ÉTAT  CIVIL. 

les  règles  sur  l'adoption.  (Rej.,  9  novembre  1809;  Paris, 
11  juin  1814.) 


2o  irUûition  natordle. 

SOMMAIRE.  —  562.  PreQve  écrite  de  la  filiation  naturelle  simple.  ^  U3.  Quelle  est  la  foi 
de  l'acte  de  naissance  relativement  à  cette  filiation  ?  —  564.  Défense  de  mentionner  la 
paternité  non*  reconnue.  —  565.  Qtiid  relativement  k  la  maternité?  —  566.  Quelle  est  la 
foi  de  la  mention  du  nom  de  la  mère?  Changement  en  4872  de  la  jurisprudence  de  la  Cour 
de  cassation  sur  la  preuve  de  raccouchement  et  de  l'identité.  —  667.  Forme  de  la  recon- 
naissance. Quel  officier  peut  recevoir  la  reconnaissance.  —  568.  Reconnaissance  faite  par 
testament.  Est-elle  révocable?  —  566  bis.  Procuration  podr  la  reconnaissance.  —  560. 
Quelle  peut  être  la  valeur  d'une  reconnaissance  par  acte  sons  seing  privé  ?  —  570.  Quid 
relativement  aux  aliments?  —  574.  Peut-on  reconnaître  une  flliatioa  incestueuse  oo 
adultérine  ?  ^  574  ^i>.  Concours  de  plusieurs  reconnaissances  dont  la  combinaison  foit 
ressortir  le  vice  de  la  filiation. 


862.  L'acte  de  naissance  constate  sans  difficulté  la  fllia- 
tion  naturelle  simple,  lorsqu'il  est  rédigé  avec  le  consente- 
ment du  père  ou  de  la  mère. 

tf63.  La  déclaration  des  personnes  qui,  sans  être  fondées 
de  pouvoir  du  père  ou  de  la  mère,  disent  avoir  assisté  k  l'ac- 
couchement, ne  semble  pas  avoir  pour  but  essentiel  de 
prouver  la  filiation  naturelle,  comme  elle  prouve  la  filiation 
légitime,  aux  termes  de  l'article  319  du  Gode  civil.  Il  est 
certain ,  du  moins ,  qu'en  ce  qui  touche  la  preuve  écrite  de 
la  filiation  naturelle,  le  Code  parle  de  reconnautance^  et  nulle- 
ment de  déclaration  faite  par  un  tiers.  Mais  l'indication  du 
père  ou  de  la  mère  peut  avoir  lieu  en  fait ,  et  alors  on  se 
demande  si  elle  a  quelque  force. 

864.  On  est  d'accord  en  ce  qui  touche  le  père.  Bien  que 
les  énonciations  de  l'article  57  comprennent  le  nom  du  père, 
sans  distinguer  s'il  s'agit  ou  non  d'un  enfant  légitime,  on 
ne  doit  jamais  indiquer  le  père  naturel,  lorsqu'il  ne  se  déclare 
pas.  En  effet,  le  premier  projet  de  loi  sur  les  actes  de  l'état 
civil,  présenté  en  l'an  X,  contenait  un  article  ainsi  conçu  : 
a  S'il  est  déclaré  que  l'enfant  est  né  hors  mariage,  et  si  la 
«  mère  en  désigne  le  père ,  le  nom  du  père  ne  sera  inséré 
<K  dans  l'acte  de  naissance  qu'avec  la  mention  formelle  qu'il 


FOI  DBS  ACTBB   DB   L*ÉTAT   CIVIL.  135 

c  a  écé  dësigné  par  la  mère.  »  Hais  cette  disposition  fut 
Tivement  combattue  par  le  Tribunal ,  comme  tendant  indi- 
rectement k  faire  revivre  la  recherche  de  la  paternité ,  et  le 
projet  fut  retiré.  L'article  fut  retranché  Tannée  suivante, 
lors  de  la  rédaction  définitive,  et  il  ftat  dit  expressément, 
dans  les  discours  qui  précédèrent  le  vote  de  la  loi ,  que  la 
mention  du  père  dans  l'article  57  n'a  trait  qu'à  la  filiation 
lé^time.  Il  ne  peut  y  avoir  de  doute  que  dans  le  cas  d'enlè- 
Yement,  où  la  recherche  de  la  paternité  est  admise.  Mais  qui 
garantira  k  l'officier  civil  que  le  fait  de  l'enlèvement  est  réel, 
que  la  personne  qu'on  lui  désigne  est  bien  le  ravisseur  de  la 
mère ,  enfin  que  l'époque  de  la  conception  se  rapporte  h 
celle  de  l'enlèvement?  Il  vaut  mieux  ne  rien  préjuger  sur  ces 
questions  délicates,  en  s' abstenant  d'énonciations  de  cette 
nature,  jusqu'k  ce  que  les  tribunaux  aient  prononcé. 
Ainsi,  dans  toutes  les  hypothèses,  la  mention  du  père  n'a 
aucune  force  probante  à  son  égard. 

56tf .  Les  opinions  sont  partagées  en  ce  qui  concerne  la 
mère.  Puisque  la  recherche  de  la  maternité  est  admise ,  il 
semble  que  la  révélation  du  nom  de  la  mère  n'a  rien  de 
contraire  k  l'esprit  de  la  loi.  Et  si  la  mention  du  père  a  été 
proscrite  dans  la  pensée  du  législateur,  aucune  difBculté  n'a 
été  soulevée  quant  à  celle  de  la  mère,  à  l'égard  de  laquelle 
il  n'y  a  pas  la  même  incertitude.  Il  est  d'usage,  effective- 
ment ,  dans  la  rédaction  des  tictes  de  naissance ,  surtout  k 
Paris,  de  désigner  la  mère,  sans  s'être  assuré  au  préalable 
de  son  consentement.  Cette  mention  est- elle  obligatoire^ 
est-elle  proscrite-,  est-elle  simplement  facultative? 

La  première  opinion  avait  été  consacrée  par  plusieurs 
Cours  d'appel  qui ,  assimilant  la  maternité  naturelle  k  la 
maternité  légitime,  avaient  été  amenées,  par  voie  de  con- 
séquence ,  k  appliquer  les  peines  portées  par  l'article  346  du 
Code  pénal  (n*  540) ,  au  cas  où  il  y  avait  eu  déclaration  de 


136  FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIYIL. 

la  naissance  de  Tenrant  sans  indication  du  nom  de  la  mère 
(Dijon,  U  août  1840^  Paris,  20  avril  1843).  Mais  la  Cour 
de  cassation  a  jogé  qae  la  révélation  de  la  maternité  n'est 
obligatoire  pour  personne,  l'article  346  dn  Code  pénal  ne 
prescrivant  que  la  déclaration  du  fait  de  la  naissance-,  que 
spécialement  k  l'égard  des  médecins  et  sages-femmes,  elle 
constitue  une  violation  du  secret  que  leur  impose  leur  pro- 
fession (C.  pén.,  art.  378),  et  que  tout  règlement  tendant  k 
provoquer  cette  révélation'  est  frappé  d'illégalité*.  (Rej., 
16  septembre  1843, 1»  juin  1844  et  18  juin  1846.)  —  Sui- 
vant une  seconde  opinion ,  que  nous  avions  admise  d'abord , 
l'indication  de  la  mère ,  faite  sur  la  simple  foi  des  décla- 
rants, doit  être  proscrite,  comme  présentant  de  graves  dan- 
gers. Si  la  déclaration  est  fausse,  c'est  une  injure  adressée 
gratuitement  à  une  femme  honnête-,  si  elle  est  vraie,  en 
supposant  que  la  mère  ne  soit  pas  fondée  à  se  plaindre , 
n'est-il  pas  k  craindre  que  l'avortement  ou  l'infanticide  ne 
préviennent  une  révélation  accablante? — Nous  pensons  au- 
jourd'hui, conformément  k  l'opinion  la  plus  généralement 
admise,  que  l'officier  civil,  s'il  ne  doit  pas  exiger  l'indica- 
tion de  la  mère ,  ne  doit  pas  non  plus  l'omettre ,  lorsqu'elle 
est  ofiTerte  spontanément.  Cette  indication ,  nous  allons  le 
reconnaître,  n'est  pas  sans  intérêt  pour  l'enfant,  et  elle  a 
lieu  dans  la  pratique  sans  offrir  le  danger  dont  nous  nous 
étions  préoccupé,  danger  qui  n'existerait  qu'autant  que 
la  déclaration  serait  obligatoire.  L'article  336  du  Code  civil, 
en  limitant  les  effets  de  la  reconnaissance  du  père  faite 

*  L'arrêt  de  rejet  du  !•*  juin  1853  (cité  pag.  139)  est  en  opposition  avec 
cette  doctrine  dans  on  de  ses  considérants  ;  mais  Parrèt  de  1853  n'avait 
point  à  juger  la  question,  tandis  qu'eUe  a  été  tranchée  in  terminis  par  ceux 
de  1843,  de  1844  et  de  1846. 

*  Un  arrêté  du  préfet  de  la  Manche,  du  10  ayril  1845,  en  supprimant  les 
tours ,  astreignait  les  propriétaires  des  maisons  d'accouchement  à  inscrire 
sur  un  registre  les  noms  des  femmes  qu'ils  y  recevaient ,  sous  les  peines 
portées  par  l'article  475,  n»  2 ,  du  Code  pénaî. 


FOI   DES  ACTF8  DE   l'ÉTAT   ClYIL.  437 

sans  l'indication  et  Taveu  de  la  mère,  ne  suppose-t-îl  pas 
qae  cette  indication  peut  avoir  lieu? 

566.  Lorsqu*en  fait  la  maternité  a  été  déclarée ,  quelle 
sera  la  foi  de  celte  déclaration?  11  faut  examiner,  avant  tout, 
si  elle  a  eu  lieu  avec  le  consentement  de  la  mère.  Une  pro- 
curation spéciale  et  authentique  est  exigée  par  le  Code 
(art.  36),  au  cas  où  il  s'agit  de  remplacer  une  partie  qui 
devait  comparaître ,  par  exemple ,  un  ascendant  lors  du  ma- 
riage de  son  enfant^  mais  lorsqu'une  personne  a  qualité 
pour  déclarer  la  naissance ,  il  nous  semble  qu'il  n'y  a  plus 
qu'k  apprécier  y  d'après  les  règles  du  droit  commun  sur  le 
mandat  {ibid.,  art.  1985) ,  si  elle  a  été  autorisée  par  la  mère 
k  déclarer  son  nom.  Telle  est,  du  moins,  la  doctrine  con- 
sacrée par  les  jugements  du  tribunal  de  la  Seine  du  A  jan- 
vier 4850  et  du  tribunal  de  Versailles  du  8  mai  1857,  con- 
llnnés  sur  appel.  (10  mai  1851  et  30  avril  1859.  )  Observons 
d'ailleurs  que  la  loi  de  1843,  qui  parait  exiger  une  procura- 
tion authentique  pour  la  reconnaissance  (n""  476),  n'est 
applicable  qu'aux  actes  notariés. 

En  supposant  qu'il  n'apparaisse  point  de  mandat  exprès 
on  tacite  de  la  mère ,  la  mention  de  son  nom  dans  l'acte  de 
naissance  ne  sera-t-eile  qu'une  simple  indication,  dépourvue 
de  toute  valeur  juridique-,  sera-t-elle  un  commencement  de 
preuve  par  écrite  ou  bien  fera-t-elle  foi ,  sinon  de  l'identité, 
do  moins  de  l'accouchement? 

Une  opinion  que  nous  avons  longtemps  partagée,  con- 
sidère cette  mention  comme  constituant  tout  au  plus  un 
simple  renseignement,  de  nature  k  mettre  l'enfant  sur  la 
trace  de  son  origine.  Elle  se  fonde  surtout  sur  le  silence  du 
Code,  qui  parle  toujours  de  recormaissance,  et  jamais  d'acte 
de  naissance ,  dans  la  section  consacrée  k  la  preuve  de  la 
filiation  des  enfants  naturels.  Elle  signale  une  différence 
sensible  entre  la  maternité  légitime,  fait  honorable ,  dont 


138  FOI   DES   ACTES   DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

on  peut  emprunter  la  preuve  k  des  déclarations  émanées  de 
tiers,  et  la  maternité  naturelle,  fait  déshonorant,  qu'il  ne 
d(Ht  pas  être  permis  d'imputer  k  une  femme  sans  son  aveu. 
Tel  est,  en  effet,  le  système  de  nombreux  arrêts  de  Cours 
d'appel  (voy.  Rouen,  24  juillet  1862-,  Lyon,  20  juin  1867|; 
et  Grenoble,  26  décembre  1867),  qui  considèrent  l'acte  de 
naissance  comme  ne  faisant  pas  même  preuve  de  l'accou- 
chement. Suivant  un  arrêt  de  la  Cour  de  Bourges,  du 
2  mai  1837,  la  réunion  même  de  l'acte  de  naissance  et  de 
la  possession  d'état  ne  suiBrait  point  pour  établir  la  filiation 
naturelle,  en  l'absence  d'un  commencement  de  preuve  par 
écrite  et  nous  allons  voir  qu'un  arrêt  récent  de  la  chambre 
civile  de  la  Cour  de  cassation ,  rompant  avec  les  précédents 
de  la  Cour,  est  revenu  k  ce  système. 

Suivant  une  opinion  intermédiaire,  renonciation  de  la 
mère  constituerait  du  moins  le  commencement  de  preuve 
par  écrit  exigé  pour  la  recherche  de  la  maternité.  C'est  ce 
qui  a  été  jugé  quelquefois ,  notamment  par  la  Cour  de  Paris, 
le  19  mars  1850.  On  pourrait,  en  effet,  voir  dans  l'acte  de 
naissance ,  bien  que  non  émané  de  la  mère ,  un  commence- 
ment de  preuve  de  l'accouchement,  en  admettant,  comme 
nous  l'avons  fait  en  définitive  (n""  210),  que  l'écrit  ou  l'on 
puise  ce  commencement  de  preuve  puisse  être  l'œuvre  d'an 
tiers.  Mais,  dans  tous  les  cas,  on  ne  saurait  y  trouver,  pas 
plus  en  matière  de  filiation  naturelle  qu'en  matière  de  filia- 
tion légitime  (n""*  536  et  548),  le  commencement  de  preuve 
par  écrit  de  l'identité ,  second  élément  de  la  recherche  de 
la  maternité  :  c'est  ce  qu'ont  décidé  un  arrêt  de  rejet  du 
28  mai  1810  et  un  grand  nombre  d'arrêts  de  Cours  d'appel. 
(Voy.  surtout  Douai,  14  décembre  1864.)  Aussi  le  législateur 
a-t-il  abandonné  la  première  rédaction  de  l'article  341 , 
ainsi  conçue  :  a  Le  registre  de  l'état  civil  qui  constatera  la 
((  naissance  de  l'enfant  né  de  la  mère  réclamée ,  et  duquel 


FOI  BES  ACTES  DE   L'ÉTÂT   CIYIL.  139 

«  le  décès  ne  sera  pas  prouvé ,  pourra  servir  de  commence- 
«  ment  de  preuve  par  écrit.  »  Cet  alinéa  a  été  supprimé  sur 
Tobservation  de  Cambacérès,  a  que  la  question  sera  de  sa- 
«  voir  si  le  registre  s'applique  à  l'enfant,  et  que  l'on  tom* 
abait  ainsi  dans  un  cercle  vicieux.  »  11  ne  faut  donc 
point  s'arrêter  k  ce  système  intermédiaire  \  (Yoy.  Paris  » 
30  avril  1859.) 

Suivant  une  jurisprudence  suivie  pendant  près  de  vingt 
ans  par  la  Cour  de  cassation,  l'acte  de  naissance  fait  preuve 
de  Taccouchement.  Un  arrêt  de  rejet  »  rendu  par  la  chambre 
civile,  le  1*'  juin  1853,  pose  en  thèse  que  l'accouchement 
est  on  fait  manifeste,  dont  on  peut  rendre  témoignage  avec 
certitude.  Il  invoque  ensuite  divers  arguments  de  texte, 
dont  on  peut  contester  la  valeur  :  1"*  l'article  346  du  Code 
pénal,  qui  punit  le  défaut  de  déclaration;  mais,  d'après  la 
jurisprudence  constante  de  la  chambre  criminelle  (n"*  565), 
cet  article  346 ,  ne  se  référant  pas  à  Tarticle  57  du  Code 
civil ,  n'exige  point  la  déclaration  de  la  maternité  *,  2*  l'ar- 
ticle 345  du  Code  pénal ,  qui  frappe  d'une  peine  sévère  la 
supposition  d'un  enfant  k  une  femme  qui  ne  serait  pas  ac- 
couchée ,  sans  distinguer  si  la  maternité  imputée  est  natu* 
relie  ou  légitime;  mais  on  pourrait  répondre  que  nos  lois, 
en  parlant  d'enfant,  ont  habituellement  en  vue  l'enfant  lé- 
gitime. Ce  qui  nous  touche  plus  que  ces  arguments ,  c'est 

I  Une  nooTeUe  distinction  se  trouve  indiquée  dans  nn  arrêt  de  la  Cour 
de  Caen ,  da  24  mai  18  58  ,aax  tenues  duquel  la  déclaiation  de  raocouchei> 
ment,  non  contredite  par  la  mère  ni  par  la  famille,  ferait  foi  à  V égard 
da  tien  de  la  filiation  de  Penfant.  Le  tiers,  dans  Vespèce,  était  le  préfet 
qui  contestait^  dans  l'intérêt  du  recrutement,  Pexemption  d'un  enfant 
naturel  dont  le  frère  était  mort  sous  les  drapeaux.  Mais  comment  une 
dédaration  non  probante  Tis-à-yis  des  intéressés  le  deviendraii^lle  ris*^* 
Tîs  des  tiers  ?  C'est  ]k  une  erreur,  en  sens  opposé  de  celle  qui  attribue  à 
l'acte  authentique  une  foi  plus  pleine  à  l'égard  des  parties  qu'à  l'égard  des 
tiers.  Si  la  maternité  n'est  point  établie  Tis^vis  de  la  mère,  elle  ne  l'est 
Tia-à-Tis  de  personne  ;  si ,  comme  nous  le  pensons ,  l'acte  fait  foi  yis-^-Tia 
de  la  mère,  il  est,  yis-à-Tis  des  tiers,  suiyant  les  expressions  de  Dumoulin 
(a*  MB),  agne  puMiemm  et  probant. 


140  FOI   DES  AGTBS   DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

ê 

que  la  mention  de  racconchement  a  lien  en  pratique,  et 
est  presque  toujours  conforme  k  la  vérité. 

Ajoutons,  suivant  une  observation  ingénieuse  de  M.  Va- 
lette (Coun  de  Code  civil,  tom.  I,  p.  423),  que  Far- 
ticle  341  du  Code  civil ,  relatif  îi  la  recherche  de  la  ma- 
ternité, en  fixant  la  marche  a  suivre  pour  la  preuve  de 
l'ideùtité  de  l'enfant,  suppose  implicitement  le  fait  de  Tac- 
couchement  préalablement  établi  par  l'acte  de  naissance. 

Le  point  délicat,  sur  lequel  l'arrêt  de  1853  était  loin  d*étre 
satisfaisant,  c'est  ce  qui  touche  la  preuve  de  l'identité. 
Cette  preuve  ne  résulte  point  de  l'acte ,  qui ,  même  en  ce 
qui  touche  la  filiation  légitime,  ne  saurait,  par  la  force 
même  des  choses,  établir  l'identité  du  réclamant  avec  la 
personne  y  dénommée.  Or,  l'arrêt  de  1853  supposait  qu'aux 
termes  de  l'article  341 ,  l'enfant  porteur  d'un  acte  de  nais- 
sance indicatif  de  la  maternité  ne  serait  tenu  de  prouver 
son  identité  qu'en  cas  de  contestation  sur  ce  point  :  ce  qui 
semblait  conduire  à  cette  conséquence  que  l'acte  prouve 
prima  fade  l'identité.  Mais  la  chambre  civile  avait  développé 
sa  doctrine,  d'une  manière  plus  complète  et  plus  rationnelle, 
dans  un  autre  arrêt  de  rejet  du  19  novembre  1856,  où  elle 
déclare  que,  <c  si  l'acte  de  naissance  fait  foi  de  l'accouche- 
«  ment ,  c'est-k-dire  du  fait  même  de  la  maternité ,  cepen* 
«  dant  cet  acte  ne  constitue  pas ,  par  lui-même  et  k  lui  seul , 
a  la  preuve  de  l'état  de  l'enfant  qui  prétend  s'en  appliquer 
«  le  bénéfice;  qu'il  doit,  en  outre,  établir  son  identité  avec 
tt  l'enfant  dont  la  mère  est  accouchée;  que  la  constatation 
«  de  cette  identité  ne  peut  résulter  que  d'une  reconnaissance 
«  formelle  ou  tacite  de  celle-ci ,  ou  d'une  action  en  re- 
«  cherche  de  maternité,  admise  par  justice.  »  Ainsi,  l'acte 
de  naissance  fournit  le  premier  élément  ;  le  second  peut  ré- 
sulter d'une  reconnaissance  même  toci^»  c^est-à-dire,  le  plus 
souvent,  de  la  possession  d'état.  C'est  ainsi  que  la  juiispru- 


FOI   DES  ACTBS  DB   l'ÉTAT   CIVIL.  Hl 

dence  arrivait  à  compléter  par  la  possession  d'état  les  élé- 
ments de  preuve  fournis  par  le  titre.  Repoussant,  comme 
MM.  Demolombe  et  Valette ,  la  doctrine  étroite  qui  subor- 
donne à  un  commencement  de  preuve  par  écrit  la  justifica- 
tion de  la  possession  d'état  (n*  âl6) ,  nous  nous  unissions  à 
DOS  honorables  collègues  pour  accepter  subsidiairement  le 
système  qui  donnait  k  cette  possession  une  grande  force , 
puisqu'il  en  faisait  un  moyen  de  corroborer  renonciation 
souvent  contenue  en  fait  dans  Pacte  de  naissance. 

La  jurisprudence  de  la  chambre  civile  semblait  bien  fixée. 
Elle  avait  cassé,  le  1*'  décembre  i869,  Tarrét  précité  de  la 
Cour  de  Lyon,  du  20  juin  1867,  en  posant  en  principe  que 
«  Tacte  de  naissance  dressé  dans  les  conditions  de  l'art.  56, 

w 

«Cod.  Nap.,  fait  foi  de  l'accouchement.»  La  Cour  de 
Montpellier  ne  faisait  donc  que  se  conformer  \k  la  doctrine 
delà  Cour  régulatrice,  lorsqu'elle  jugeait,  le  13  juillet  1870, 
que  Tacte  de  naissance,  qui  indiquait  la  maternité,  confirmé 
par  des  faits  de  possession  d'état,  équivalait  à  une  recon- 
naissance formelle.  Grande  a  été  la  surprise  parmi  les  juris- 
consultes, lorsqu'ils  ont  appris  que  cet  arrêt  avait  été  cassé 
par  la  chambre  civile,  le  3  avril  1872.  Aux  termes  de  cet 
arrêt,  «  un  enfant  naturel  n'est  légalement  reconnu  que 
«  par  la  déclaration  volontairement  faite  dans  un  acte  au- 
«  thentique  aux  termes  des  articles  334  et  336  du  Code  Napo- 
«  léon,  ou  par  la  déclaration  de  paternité  ou  de  maternité 
«  judiciairement  prononcée  dans  les  cas  prévus  et  sous  les 
«  conditions  déterminées  par  les  articles  340  et  341  du  même 
«  Code.  —  Cette  reconnaissance  authentique  ne  peut  être 
*  suppléée  par  une  possession  d'état  conforme  k  l'acte  de 
«  naissance.  » 

Ce  revirement  de  jurisprudence  n'est  justifié  par  aucun  mo- 
tif nouveau  -,  c'est  Taflirmation  pure  et  simple  d'une  doctrine 
qui  paraissait  abandonnée,  doctrine  trop  souvent  contraire  k 


142  FOI  DE8  ACTES  DE   l'ÉTÀT   CIVIL. 

révidence  des  faits  mettant  en  lumière  la  filiation.  La  dé- 
cision de  1872  est  d'autant  plus  extraordinaire  que,  dans 
une  autre  partie  des  considérants ,  la  Cour  adoptait  comme 
moyen  de  cassation  une  fin  de  non-recevoir,  puisée  dans  la 
doctrine  que  nous  avons  signalée  (n*  215),  qui  refuse  aux 
héritiers  de  Tenfant  le  droit  de  rechercher  la  maternité , 
lorsqu'il  a  gardé  le  silence.  C'est  donc  sans  aucune  néces- 
sité que  la  chambre  civile  est  revenue  sur  ce  qu'elle  avait 
constamment  jugé  relativement  ^  l'acte  de  naissance  corro- 
boré par  la  possession  d'état  '.  Espérons  que  cette  question 
sera  portée  devant  les  chambres  réunies  de  la  Cour  de  cas- 
sation, et  y  recevra  une  solution  meilleure. 

K67.  Le  mode  de  preuve  préconstituée  consacré  pomr  la 
reconnaissance  volontaire  de  la  paternité  ou  de  la  maternité 
naturelle  consiste ,  soit  dans  l'inscription  de  cette  reconnais- 
sance sur  les  registres  de  l'état  civil,  soit  dans  la  rédaction 
d'un  acte  authentique,  destiné  à  la  constater.  (C.  civ., 
art.  34  et  334.)  Cette  dernière  forme  a  été  établie  afin  de 
permettre  les  déclarations  secrètes,  qui  assurent  le  sort  de 
l'enfant  sans  compromettre  la  réputation  de  ceux  qui  les 
souscrivent.  Si  on  n'a  pas  été  plus  loin ,  si  on  n'a  pas  ad- 
mis comme  titre  valable  un  acte  sous  seing  privé,  c'est 
qu'on  a  pensé  qu'afin  de  s'assurer  de  la  liberté  de  la  recon- 
naissance;, il  fallait  que  la  présence  d'un  officier  public  vint 
attester  que  la  déclaration  avait  été  faite  sérieusement,  et 
non  sous  l'empire  d'un  entraînement  passager*.  Rappelons 

'  La  Cour  de  cassation  ne  parait  pas  du  moins  être  reTenue  sur  sa  juris- 
prudence beaucoup  plus  ancienne,  qui  yoit  dans  la  possession  d^état, 
comme  dans  tout  sutre  a^eu ,  exprès  ou  tacite ,  de  la  mère  la  confirmation 
,  de  l'indication  faite  par  le  père  de  la  maternité  aux  termes  de  Partide  536 
du  Code  civil.  (N»  217.) 

'  Les  frais ,  d'aiUenrs  ^  sont  trop  peu  considérables  pour  qu'on  puisse 
supposer  qu'ils  fassent  reculer  les  parents  naturels  devant  l'accomplisse- 
ment  d'un  devoir  :  la  régie  de  l'enregistrement  ne  perçoit  sur  les  actes  de 
reconnaissance  qu'un  droit  fixe  de  cinq  francs  (loi  du  28  avril  1816,  art.  45), 


FOI   DES   ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL.  143 

que  la  loi  da  2i  jnin  1843  (art.  2)  exige  pour  les  actes  por- 
tant reconnaissance  d^enfant  naturel,  la  présence  du  no- 
taire en  second  ou  des  témoins.  (N""  476.  ) 

On  ne  peut  considérer  comme  acte  authentique  que  l'acte 
émané  d*un  officier  qui ,  ayant  qualité  pour  recevoir  les  dé- 
clarations des  parties ,  offre  les  garanties  dont  la  loi  a  voulu 
entourer  la  reconnaissance.  Les  notaires  '  sont  incontesta- 
blement dans  cette  catégorie.  Nous  pensons  qu'il  en  est  de 
même  des  juges  de  paix ,  assistés  de  leurs  greffiers ,  et  cette 
décision ,  consacrée  par  la  jurisprudence ,  est  en  harmonie 
avec  le  droit  attribué  k  ces  fonctionnaires  de  recevoir  d'au- 
tres actes  relatifs  k  Fétat  des  personnes,  tels  que  ceux 
d'adoption  et  d'émancipation.  (C.  civ.,  art.  353  et  477.) 
Vainement  a-t-on  combattu  cette  doctrine ,  en  invoquant  un 
arrêt  de  la  Cour  de  Dijon,  du  24  mai  1817,  qui  refuse  aux 
coinmissaires  de  police  qualité  pour  recevoir  un  acte  de  re- 
connaissance. Ces  commissaires  sont  étrangers  k  la  juridic- 
tion civile,  tandis  qu'un  acte  semblable  rentre  assez  natu- 
rellement dans  les  attributions  du  juge  de  paix ,  qui  peut  le 
recevoir,  on  en  convient,  lorsqu'il  préside  un  conseil  de  fa- 
mille. (Douai,  22  juillet  1856.)  Nous  pensons  toutefois  que 
la  Cour  de  cassation  a  été  trop  loin  lorsqu'elle  a  attribué 
(Rej.,  15  juin  1824)  au  greffier  seul  de  la  justice  de  paix 
qualité  pour  donner  acte  de  la  reconnaissance  d'un  enfant 
naturel.  Si  les  déclarations  de  grossesse  pouvaient  se  faire 
autrefois  au  greffe ,  c'était  pour  faciliter  aux  femmes  en- 
ceintes hors  mariage  le  moyen  de  se  soustraire  k  la  terrible 
présomption  d'infanticide  qu'entraînait,  aux  termes  de  l'édit 

et  Ut  sont  enregistrés  gratuitement  (loi  du  15  mai  1S18,  art.  77)  quand  les 
parents  sont  dans  un  état  d'indigence  notoire. 

^  Ancun  texte  ne  prescrit  la  transcription  de  Pacte  de  reconnaissance 
notarié  sur  les  registres  de  Pétat  dyil.  Cette  exigence  serait  contraire  à 
Vesprit  de  la  loi ,  qui  a  tooIu  ,  surtout  pour  la  mère ,  qu'on  pOt  éviter  la 
pubUcité. 


144  FOI   DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CIVIL. 

de  i556,  le  recel  de  la  grossesse.  Il  n'existe  aucune  attri- 
bution semblable  pour  les  greffiers  dans  le  droit  actuel. 
Mais  nous  admettons  Tolontiers ,  avec  un  arrêt  plus  récent 
de  la  Cour  de  cassation  (Cass.,  1*'  décembre  i869),  que 
cette  déclaration  reçue  par  le  greffier  vaut  commencement 
de  preuve  par  écrit  (art.  341  ),  pour  autoriser  la  recherche 
de  la  maternité. 

De  plus,  puisque,  nous  Tavons  vu  (n""  467),  Tarticle  54 
du  Gode  de  procédure  n'a  voulu  refuser  au  procès-verbal 
de  conciliation  que  la  force  exécutoire,  et  non  raulhenticité 
intrinsèque ,  une  reconnaissance  pourrait  être  valablement 
constatée  par  ce  procès- verbal.  (Pau,  5  prairial  an  XIII; 
Golmar,  25  janvier  1859.)  Il  faut  supposer  que  les  parties 
se  sont  volontairement  présentées  au  bureau  de  paix, 
puisque  les  causes  non  susceptibles  de  transaction  sont 
dispensées  du  préliminaire.  (G.  de  proc.,  art.  48.)  Des 
doutes  assez  graves  se  sont  pourtant  élevés  dans  cette  hypo- 
thèse, Taveu  de  paternité  intervenu  k  la  suite  de  pour- 
suites ,  même  illégales ,  paraissant  manquer  de  spontanéité  -, 
la  Cour  d'Angers  a ,  en  conséquence ,  déclaré  nulle  en  de 
pareilles  circonstances  une  transaction  portant  reconnais- 
sance de  la  paternité.  (Arr.  du  17  juillet  1828.)  Mais  on 
peut  répondre  que,  la  recherche  de  la  paternité  n'étant 
plus  admise,  il  n'est  pas  ^  craindre  dans  le  droit  actuel  que 
la  reconnaissance  soit  extorquée  par  la  menace  d^un  procès. 
C'est  en  ce  sens  que  la  Cour  de  cassation  a  déclaré  valable 
une  reconnaissance  précédée  de  poursuites  judiciaires  (Rej., 
6  janvier  1808),  et  il  en  serait  de  même,  k  plus  forte  rai- 
son, si  la  reconnaissance  avait  été  faite  à  l'audience.  (Col- 
mar,  24  mars  1813.)  Au  surplus,  il  est  difficile  qu'il  inter- 
vienne en  ce  cas  un  arrêt  de  cassation,  les  tribunaux  ayant 
un  pouvoir  discrétionnaire  pour  apprécier  la  spontanéité  de 
l'aveu  ;  on  peut  craindre  le  scandale  d'un  procès,  même  mal 


FOI   DBS  ACTES  DE   l'ÉTAT   GIYIL.  i45  i 

timdé ,  lorsqu'il  est  d'une  nature  aussi  scandaleuse.  Ce  qui 

I 

est  évident ,  du  reste ,  c'est  qu'on  ne  devrait  attribuer  au- 
cune force  \i  la  déclaration  faite  devant  un  fonctionnaire 
administratif  (Pau,  i8  juillet  iSlO),  ni,  à  plus  forte  rai- 
son, k  celle  qu'aurait  reçue  un  ministre  du  culte.  (Paris, 
22  avril  1833.) 

868.  L'acte  authentique  ne  doit  pas  nécessairement  être 
spécial.  Il  n'est  pas  douteux  qu'un  testament  ou  un  contrat 
de  mariage  ne  puisse  contenir  accessoirement  la  reconnais- 
sance d'un  enfant  naturel.  Si  le  testament  n'est  pas  authen- 
tique, mais  seulement  mystique,  c'est-à-dire  remis  avec 
certaines  formes,  en  présence  de  six  témoins,  entre  les 
mains  d'un  notaire ,  qui  en  constate  le  dépôt  par  un  acte  de 
suscription  (C.  civ.,  art.  976),  des  auteurs  graves  pensent 
que  ces  garanties  équivalant  k  celles  qu'offre  le  testament 
authentique,  la  reconnaissance  est  encore  valable.  Mais  cette 
opinion  n'est  pas  exacte ,  si  l'acte  contient  seulement  men- 
tion, en  la  forme  ordinaire,  que  le  testament  a  été  déposé 
avec  les  solennités  requises  ;  car  rien  n'indique  au  notaire 
et  aux  témoins  cette  reconnaissance ,  dont  l'insertion  dans 
le  testament  mystique  peut  fort  bien  n'avoir  pas  été  l'œuvre 
d'une  volonté  libre.  Il  nous  semble  donc  nécessaire ,  pour 
satisfaire  au  vœu  de  la  loi ,  que  l'acte  de  suscription  con- 
tienne la  mention  expresse  que  tel  enfant  naturel  a  été 
reconnu  par  le  testateur.  A  plus  forte  raison  refuserons- 
nous  tout  effet  sous  ce  rapport  à  un  testament  purement 
olographe.  La  Cour  de  cassation  avait  jugé  le  contraire  sous 
l'empire  de  la  coutume  de  Paris,  qui  réputait  (art.  289) 
iolennel  ce  testament.  Mais  sous  l'empire  du  Code  civil ,  qui 
ne  dit  rien  de  semblable,  elle  décide  (Rej.,  7  mai  i833  et 
18  mars  1862)  qu'un  acte  de  cette  nature  ne  peut  être 
considéré  comme  authentique.  En  effet,  il  y  a  bien  date 
certaine  -,  mais  nous  avons  vu  que  la  question  n'est  point  % 

II.  io 


146  FOI   DES   ACTES  DE   l'ÉTAT   CITIL. 

f 

et  que  le  législateur  a  exigé  comme  garantie  de  liberté  la 
présence  d'un  o£Scier  public.  Or,  un  testament  olographe 
offre  autant  de  prise  k  l'entraînement  et  à  la  suggestion  qu'un 
acte  sous  seing  privé  ordinaire. 

Lorsque  la  reconnaissance  d'un  enfant  naturel  a  été  ainsi 
faite  par  un  acte  révocable,  notamment  par  un  testament, 
la  révocation  du  testament  fait-elle  tomber  la  reconnaissance? 
Merlin  (fl^p.,  v^  Filiation ,  §  7)  a  soutenu  l'affirmative,  et 
sa  doctrine ,  à  cet  égard ,  se  rattache  k  la  théorie  générale 
qu'il  professe ,  sur  la  question ,  déjk  débattue  autrefois ,  qui 
consiste  k  savoir  si  Taveu  d'une  dette,  confirmé  dans  un  tes- 
tament, est  susceptible  d'être  révoqué.  (/fri(f.,v* Testament, 
sect.  2,  §  6.)  Mais,  loin  de  s'attacher  k  cette  théorie,  Pothier 
(Don.  test.^  chap.  vi.  sect.  2,  §  3)  enseignait,  avec  raison  sui- 
vant nous,  que  l'aveu  doit  être  réputé  sincère,  et  que  dès 
lors  il  ne  saurait  être  révoqué ,  sauf  aux  héritiers  k  le  faire 
tomber  en  établissant  l'intention,  chez  leur  auteur,  de  faire 
une  libéralité  déguisée.  Lors  même  que  l'on  regarderait 
comme  suspectes  de  pareilles  reconnaissances  de  dettes,  il 
nous  semble  qu'il  faudrait  attribuer  un  caractère  autrement 
sérieux  k  une  reconnaissance  d'enfant  naturel  ;  il  est  peu 
probable  qu'on  fasse  une  fausse  reconnaissance  pour  couvrir 
une  libéralité,  et  dès  lors  l'aveu  de  la  paternité  fait  par  tes* 
tament  a  en  sa  faveur  une  présomption  de  vérité,  aussi  bien 
que  s'il  avait  eu  lieu  par  acte  entre-vifs.  La  jurisprudence 
s'est  prononcée  en  ce  sens.  (Amiens,  9  février  1826;  Caen, 
5  juillet  1826 -,  Bastia,  17  août  1829.)  L'opinion  contraire 
reconnaît  qu'on  peut  voir  dans  le  testament  révoqué,  s'il 
émane  de  la  mère,  un  commencement  de  preuve  par  écrit. 
Mais  c'est  Ik  une  inconséquence  manifeste  ^  car,  si  la  révo- 
cation a  pour  effet,  ainsi  qu'on  le  prétend,  de  faire  consi- 
dérer l'acte  comme  non  avenu,  il  n'est  point  permis  de  le 
faire  revivre,  contrairement  k  la  volonté  du  testateur.  Que 


FOI   DES  ACTES   DE    l'ÉTAT   ClflL.  147 

si  l'on  peut  y  puiser  une  preuve,  la  preuve  est  complète  par 
elle-même.  Ou  a  égalemeot  maintenu  (Grenoble,  6  mai  1861  ) 
la  reconnaissance  d'un  enfant  naturel  faite  dans  un  contrat 
de  mariage  demeuré  caduc,  faute  de  célébration  de  ma- 
riage entre  les  contractants. 

jf68  bjf.  La  procuration  k  l'effet  de  reconnaître  un  enfant 
naturel  doit  être  authentique  (L.  du  21  juin  1843,  art.  2) 
et  spéciale  (Cod.  civ.,  art.  36).  Mais  la  spécialité  doit-elle 
s'entendre  avec  une  telle  extension  qu'il  soit  nécessaire  dé 
désigner  la  mère,  si  la  reconnaissance  a  lieu  durant  la  gros- 
sesse? Le  nom  de  la  mère  peut-il  alors  être  rérélé  confiden- 
tiellement au  mandataire ,  sans  figurer  dans  la  procuration 
anthentique?  L'espèce  s'est  présentée  devant  la  Cour  d'Aix, 
un  capitaine  de  marine ,  avant  de  partir  pour  un  voyage  de 
long  cours,  où  en  effet  il  a  péri,  ayant  donné  k  un  de  ses 
amis  «  pouvoir  exprès  et  spécial  de  reconnaître  l'enfant  qui 
«  naîtrait,  pendant  son  absence,  de  la  personne  par  lui  dési^ 
«  gnée  et  indiquée  audit  sieur  N<,  et  dont  ladite  personne 
«  était,  k  cette  époque  enceinte  des  œuvres  dudit  capitaine, 
c  qui  le  déclarait.  y>  Quelque  favorables  que  fussent  ces  cir- 
constances ,  l'arrêt  de  la  Cour  d'Aix  (30  mai  1866),  qui  avait 
déclaré  la  procuration  suffisante,  a  été  cassé,  le  12  fé- 
vrier 1868,  par  ce  motif  que,  s'il  est  permis  de  reconnaître 
un  enfant  non  encore  conçu ,  c'est  au  moyen  de  la  désigna- 
tion précise  de  cet  enfant  par  Tiodication  de  la  personne 
enceinte  des  œuvres  du  mandant  -,  et  que  cette  désignation 
cesse  d'être  authentique  et  spéciale  si  elle  n'est  exprimée 
que  par  nne  simple  communication,  verbale  et  confiden-* 
tielle ,  dn  mandant  au  mandataire. 

ff69.  Lorsque  l'enfant  est  porteur  d'un  acte  de  recon-* 
naissance  sous  seing  privé,  peut-il  utilement  assigner  en 
vérification  d'écriture  le  signataire  de  cet  acte  ?  Toullier 
(tom.  in,  n*  951)  soutient  Taflârmative  sans  distinction, 

10. 


448  FOI   DES  AGTBS   DE   l'ÉTAT  CIVIL. 

parce  qu'il  ne  regarde  pas  comme  impérative  la  disposition 
du  Code  qui  exige  une  reconnaissance  authentique  ^  mais 
cette  opinion  paradoxale,  bien  qu'adoptée  par  la  Cour  de 
Rennes,  le  3i  décembre  1834,  est  universellement  rejetée. 
Si  Tauthenticité  est  exigée  comme  garantie  du  libre  consen- 
tement, celui  qui  a  souscrit  un  acte  sous  seing  privé  réco- 
gnitif de  la  paternité ,  quelque  blâmable  que  puisse  être  en 
conscience  sa  conduite,  peut  fort  bien,  aux  yeux  de  la  loi, 
refuser  purement  et  simplement  de  répondre  k  la  demande 
dirigée  contre  lui.  Les  mêmes  motifs  n'existent  pas  k  l'égard 
de  la  mère^  la  surprise  est  peu  k  craindre  lorsqu'il  s'agit  de 
faits  aussi  positifs  que  la  grossesse  et  l'accouchement.  On 
peut  donc  faire  vérifier  en  justice  l'écrit  émané  de  la  préten- 
due mère,  et  s'il  est  reconnu  ou  tenu  pour  reconnu,  il  aura 
indubitablement  contre  elle  la  force  d'un  commencement 
de  preuve  par  écrit.  Mais  prouvera-t-il  a  lui  seul  la  mater- 
nité ?  S'il  la  prouve ,  k  quoi  bon  dire ,  en  ce  qui  concerne  la 
mère,  qu'un  acte  authentique  est  exigé?  Il  faut  distinguer, 
suivant  nous,  si  la  mère  a  reconnu  sa  signature  sans  faire 
aucune  réserve,  ou  bien  si  la  signature  a  été  seulement 
vérifiée  contre  elle.  Dans  le  premier  cas,  la  reconnaissance 
est  authentique,  puisqu'il  y  a  aveu  judiciaire.  Dans  le  second 
cas,  il  y  a  bien  commencement  de  preuve,  mais  il  n'y  a  pas 
reconnaissance  dans  les  formes  légales,  et  il  faudra  d'autres 
preuves  pour  fortifier  celle  qui  résulte  de  l'acte.  (Paris, 
17  juillet  1858.) 

570.  L'écrit  sous  seing  privé  par  lequel  ou  reconnaît  la 
paternité,  peut-il  au  moins  valoir  pour  autoriser  l'enfant  k 
réclamer  des  aliments  ?  La  négative ,  combattue  dans  les 
premiers  temps  qui  ont  suivi  la  promulgation  du  Code ,  est 
tenue  aujourd'hui  pour  certaine  (Douai,  3  décembre,  et  Aix, 
14  juillet  1853),  puisque  les  aliments  ne  sauraient  être 
exigés  qu'en  vertu  d'une  qualité  que  l'acte  est  insuffisant 


FOI   DBS  ACTES  DB   l'ÉTAT   CIYIL.  i49 

poar  ëlablir.  Mais  on  admet  assez  volontiers  la  validité  d'une 
promesse  d'aliments  faite  par  Tacte  même  à  l'enfant  qui 
aurait  été  ainsi  reconnu.  Vainement  dira-t-on  que  la  pro- 
messe, n'ayant  pour  cause  que  la  qualité  de  père,  tombe 
avec  la  déclaration  de  paternité,  k  laquelle  elle  était  inti- 
mement liée.  (Bourges,  il  mai  184i.)  Le  fait  se«l  que  le 
signataire  a  pu  considérer  comme  probable  sa  parenté  avec 
l'enfant,  suffit  pour  que  la  promesse  d'aliments  ne  soit  pas 
sans  cause  :  on  sait  d'ailleurs  combien  les  aliments  sont  tou- 
jours favorables  (Rej . ,  iO  mars  1 808  *,  Bordeaux,  5  août  1 847 
et  S  janvier  1848  -,  Paris,  24  novembre  1860.) 

571.  11  nous  reste  k  parler  de  la  filiation  incestueuse  ou 
adultérine.  Suivant  une  opinion  émise,  ainsi  que  nous  l'avons 
vu ,  par  l'orateur  du  Tribnnat,  et  adoptée  par  plusieurs  Cours 
d'appel  (n*  212) ,  il  serait  permis  de  constater  une  filiation 
de  cette  nature,  soit  afin  de  faire  obtenir  k  l'enfant  des  ali- 
ments, soit,  au  contraire,  afin  de  faire  réduire  les  libéra- 
lités dont  il  aurait  été  l'objet.  Ce  système ,  qui  tend  k  donner 
effet  dans  une  certaine  mesure  k  une  reconnaissance  pro- 
hibée par  un  teite  formel  (C.  civ.,  art.  335),  est  proscrit 
par  la  jurisprudence  constante  de  la  Cour  de  cassation. 
(Yoy.  les  nombreux  arrêts  rendus  en  ce  sens,  dont  le  pre- 
mier est  du  28  juin  1835,  et  les  derniers  du  30  avril  et  du 
1"  mai  1861 .)  Néanmoins ,  en  ce  qui  touche  les  dons  et  legs, 
plusieurs  arrêts  de  cette  Cour,  conformément  k  une  doctrine 
enseignée  par  Merlin  (Répert.,  v*  Filiation,  §  20),  ont  établi 
(Rej.,  4  janvier  1832  et  7  décembre  1840;  Cass.,  3  fé- 
vrier 1841  -,  Rej.,  31  juillet  1860  et  22  janvier  1867)  une 
distinction  entre  le  cas  où  la  reconnaissance  et  la  libéralité 
ont  eu  lieu  par  des  actes  séparés ,  et  celui  où  c'est  un  seul 
et  même  acte,  notamment  un  testament,  qui  constate  la 
filiation  de  l'enfant  et  contient  une  libéralité  en  sa  faveur. 
Dans  la  première  hypothèse,  la  Cour  maintient  strictement 


150  FOI  PB6  ACTES  PB  l'ÉTAT   GIYIL. 

le  principe  suivant  lequel  la  reconnaissance  est  réputée  non 
avenue,  et  elle  valide  dès  lors  la  libéralité  faite  par  acte 
séparé.  Dans  la  seconde  hypothèse,  touchée  du  scandale 
que  présente  un  don  fait  ostensiblement  au  fruit  de  Fadulr 
tère  ou  de  l'inceste ,  elle  annule  la  donation  ou  le  testament, 
en  se  foQdant  sur  un  motif  nouveau ,  sur  ce  que  la  recon- 
naissance et  la  libéralité  étant  indivisibles  dans  l'espèce, 
dette  dernière  doit  tomber  comme  ne  reposant  que  sur  une 
cause  illicite.  (C,  civ.,  art.  1131.)  Mais,  ainsi  qu'on  l'a  lait 
observer  ^ ,  c'est  là  confondre  la  cause  de  l'obligation  avec 
le  motif.  Dans  une  disposition  à  titre  gratuit ,  la  cause  n'est 
autre  que  l'intention  de  faire  une  libéralité ,  et  les  tribu- 
naux n'ont  nullement  le  droit  de  scruter  les  motifs  du  dis« 
posant,  comme  s'il  s'agissait  de  rechercher  la  cause  d'un 
billet.  C'est  ainsi  que  la  jurisprudence  moderne  n'hésite  pas 
à  proclamer  valables  les  dons  et  legs  motivés  expressément 
sur  le  concubinage ,  même  sur  l'adultère  ou  sur  l'inceste , 
quoiqu'il  y  ait  une  immoralité  bien  autrement  flagrante  k 
gratifier  en  quelque  chose  le  complice  qu'à  assurer  le  sort 
du  fruit  de  ces  déplorables  unions.  D'un  autre  côté ,  il  n'est 
point  parfaitement  rationnel  de  s'attacher  uniquement  à  cette 
circonstance  de  fait  que  la  reconnaissance  et  la  libéralité  se 
trouvent  dans  un  seul  et  même  acte.  N'est-il  pas  souvent 
manifeste ,  à  part  cette  circonstance ,  que  le  don  ou  le  legs 
n'a  été  motivé  que  par  la  parenté  ?  Aussi  Merlin  finit-il  par 
admettre  (Ibid.,  §  23)  que  la  reconnaissance  faite  par  acte 
authentique  doit ,  dans  tous  les  cas ,  assurer  des  aliments  à 
l'enfant.  La  Cour  de  cassation  refuse  d'aller  aussi  loin,  et 
cependant  c'est  consacrer  implicitement  ce  système  que  de 
refuser,  ainsi  que  l'a  fait  l'arrêt  de  1832,  a  à  l'enfant  adul- 

*  M.  DevilleneuTe^(l846,  part,  I,  p.  721),  reproduisant  les  arguments  de 
Marcadé,  avait  viTement  critiqué  cette  distinction  ;  mais  ses  continuateurs 
(1860,  part.  I,  p.  232)  ont  adikéré  à  la  jurisprudence  de  la  Cour  suprême. 


FOI    DES  ACTES  DE   l'ÉTAT   CITIL.  i5i 

a  térin  ou  incestueux,  reconnu  par  acte  testamentaire,  la 
«  faculté  de  recevoir  au  delà  des  aliments  que  Tarticle  762 
c  lui  accorde.  »  Nous  pensons  que  Tarticle  762  ne  peut 
avoir  d'application  qu'au  cas  où  la  filiation  adultérine  ou 
incestueuse  résulte  de  la  force  même  des  choses  (n""  214), 
mais  que  toute  reconnaissance  volontaire  doit  être  réputée 
non  avenue. 

571  bii.  En  admettant  la  nullité  d'une  reconnaissance  de 
cette  nature ,  il  reste  k  se  demander  ce  qu'on  doit  décider 
dans  l'hypothèse  de  deux  reconnaissances,  dont  le  concours 
donne  à  la  filiation  un  caractère  adultérin  ou  incestueux, 
qu'elle  n'aurait  point  si  l'on  s'attachait  seulement  a  l'une 
des  reconnaissances. 

Si  les  deux  reconnaissances  sont  faites  par  le  même  acte, 
on  pourrait  sans  doute,  dans  l'intérêt  de  l'enfant,  maintenir 
celle  qui  ne  lui  attribue  qu'une  filiation  naturelle  simple, 
par  exemjrfe,  la  déclaration  de  paternité,  au  cas  de  recon- 
naissance d'un  enfant  par  un  individu  libre  et  par  une 
femme  mariée  -,  mais  il  est  bien  k  croire  en  réalité  que  les 
deux  reconnaissances  se  tiennent  intimement.  Il  convient, 
en  conséquence,  de  les  rejeter  toutes  deux  conune  enta- 
chées du  même  vice.  La  jurisprudence  (voy.  les  arrêts,  l'un 
de  cassation,  l'autre  de  rejet  du  1"  mai  i86i)  applique 
même  cette  décision  au  cas  où  la  reconnaissance  a  été  faite 
par  l'un  des  parents,  mais  avec  indication  de  l'autre. 

Que  si  les  deux  reconnaissances  sont  isolées  et  sans  cor- 
rélation l'une  avec  l'autre,  iln'y  a  aucune  raison  pour  faire 
prévaloir  l'une  d'elles,  sauf  peut-être ,  toutes  choses  égales, 
à  donner  la  préférence  à  la  reconnaissance  de  la  femme,  la 
maternité  étant  beaucoup  plus  certaine.  Dans  le  silence  de 
la  loi ,  ce  sera  au  juge  k  apprécier  les  faits.  C^est  ce  que  l'on 
décide  d'ailleurs  au  cas  de  plusieurs  reconnaissances  de 
paternité.  (Rej.,  10  février  1845.) 


i52  ACTE   AUTHENTIQUE 

Observons,  en  terminant,  qu'il  y  a  une  certaine  incon- 
séquence dans  le  système  de  la  loi ,  qui  établit  des  prohibi- 
tions rigoureuses ,  et  permet  en  même  temps  de  les  éluder , 
en  n'autorisant  point  la  preuve  des  faits  auxquels  elles  s'ap- 
pliquent. <(  Cette  ignorance  affectée  de  la  loi  »,  dit  avec  rai- 
son M.  Demolombe  (tom.  V,  n*  561  ),  «  est  en  contradiction 
c(  avec  l'évidence  des  faits,  et  produit  un  scandale  souvent 
«  beaucoup  plus  grand  que  la  vérité  même  qu'on  n'a  pas 
«  voulu  reconnaître  et  qu'on  n'a  pas  pu  dissimuler.  » 

DEUXIÈME  SECTION. 

ACTE  AUTHEIfTIQUE  EN  MATIÈRE  CRDnmSLLE. 

SoHMAiBE.  ~  873.  Existence  en  matière  criminelle  de  preuves  prèconstituées.  —  873. 
Preuve  légale  en  ce  <pii  touche  le  droit.  —  874.  Actes  authentiques  spéciaux ,  et  emploi 
des  actes  authentiques  ordinaires.  —  878.  Division. 

572.  Il  semble,  au  premier  coup  d'œil,  que,  dans  la 
législation  actuelle,  l'usage  de  preuves  préconstituées,  aux- 
quelles le  juge  est  obligé  d'ajouter  foi,  doive  être  rejeté 
d'emblée  en  matière  criminelle.  En  effet,  l'article  342  du 
Code  d'instruction  criminelle ,  s'attachant  uniquement  à  l'in- 
time conviction ,  abroge  formellement  l'ancien  système  des 
preuves  légales  *,  et  d'après  une  jurisprudence  aujourd'hui 
constante  (voy.  un  arr.  de  cass.  du  7  février  1835),  cet 
article ,  bien  que  placé  sous  la  rubrique  des  affaires  qui  doivent 
être  soumises  au  jury,  est  applicable  \i  toutes  les  juridictions. 
Mais ,  quelque  importante  que  soit  cette  disposition ,  il  ne 
faut  pas  s'en  exagérer  la  portée.  Tout  ce  qui  en  résulte^ 
c^est  qu'en  général  le  juge  ou  le  juré  doit  obéir  aux  inspi- 
râlions  de  sa  conscience ,  sans  que  sa  conviction  soit  soumise 
k  des  règles  préconçues.  Cela  est  incontestable  ^  mais,  il  faut 
le  dire,  cela  est  également  vrai  en  matière  civile,  où  l'on 
doit  reconnaître  aussi  que  la  libre  conviction  du  juge  est  la 


EN  MÂTiftRB  CRIHIRELLB.  153 

règle,  et  la  preuve  légale,  Teiception.  Sealement,  dans  les 
matières  miles,  où  la  preuve  écrite  et  les  présomptions 
légales  se  trouvent  presque  toujours  en  jeu ,  Texception  se 
rencontre  si  fréquemment  qu'elle  semble  y  être  la  règle. 
Dans  les  matières  criminelles,  au  contraire,  où  c'est  la 
preuve  testimoniale  qui  joue  le  plus  grand  rôle ,  l'instruc- 
tion, pour  celui  qui  né  l'envisage  que  superficiellement, 
semble  ne  laisser  aucune  prise  ^  la  preuve  préconstituée. 
L'emploi  de  preuves  légales  est  cependant  beaucoup  moins 
rare  qu'on  ne  l'imagine  devant  les  juridictions  criminelles. 
573.  Si  nous  avions  à  nous  occuper  ici  de  la  preuve  du 
droit,  il  nous  serait  facile  d'établir  que  les  questions  rela- 
tives ,  non  pas  à  la  constatation  des  faits ,  mais  k  la  détermi- 
nation de  la  catégorie  légale  à  laquelle  ils  appartiennent, 
comme  lorsqu'il  s'agit  de  savoir  si  tels  faits,  en  les  suppo- 
sant établis ,  constituent  un  vol,  un  meurtre,  etc.,  ne  donnent 
pas  lieu  k  une  appréciation  plus  ou  moins  arbitraire ,  mais 
bien,  k  l'application  de  principes  rigoureux  et  d'une  stricte 
logique.  Nous  aurions  dès  lors  k  nous  demander  jusqu'k  quel 
point  il  convient  de  soumettre  aux  simples  particuliers  qui 
composent  le  jury ,  ainsi  que  parait  le  faire  l'article  337  du 
Gode  d'instruction,  une  question  complexe,  posée  en  ces 

termes  :  Vaccusé  est^il  coupable  (t avoir  commis  tel  crime?  ce 

qui  les  rend  juges  tout  k  la  fois  de  la  question  de  fait  :  Te 
acte  a4'il  été  commis?  et  de  la  question  de  droit  :  Cet  acte  constir- 
tue4'U  un  meurtre,  un  assassinat,  etc.  ?  Mais  cet  examen  nous 
entraînerait  au  delk  des  limites  de  notre  sujet ,  qui ,  nous 
l'avons  dit  en  commençant  (n""  3),  est  étranger  k  la  preuve 
du  droit,  et  par  conséquent  aux  questions  de  compétence 
qui  s'y  rattachent  ' . 

*  On  peut  oonsolter,  sur  cette  théorie  de  )a  séparation  du  point  de  droit 
et  da  point  de  fait,  Particle  qne  nous  avons  publié  dans  la  Eevue  de  légis- 
kUUm  et  de  Jurisprudence,  n«  de  mara  1S43 ,  et  les  observations  impor- 


i84  PROCÈS-VERBAUX. 

574.  Pour  en  revenir  au  but  de  cet  ouvrage,  c'est-iinlire 
k  la  constatation  des  points  de  fait,  il  est  facile  de  recon- 
naître que,  même  sou3  ce  rapport,  la  preuve  préconstituée 
se  retrouve  devant  les  tribunaux  criminels ,  sous  deux  poiats 
de  vue  : 

1*  Il  y  a  des  officiers  appelés  h  constater  certaines  infra<>- 
tions,  et  dont  les  déclarations  ont  un  véritable  caractère 
d'authenticité  ; 

^  Les  actes  authentiques  ordinaires ,  tels  que  les  actes 
notariés,  peuvent  être  invoqués  au  criminel. 

575.  Nous  nous  occuperons  d'abord  de  l'authenticité 
spéciale  aux  matières  criminelles ,  puis  de  l'application  à  ces 
matières  de  l'authenticité  ordinaire. 

PREMIÈRE  DIVISION. 

ACTES  AUTHENTIQUES  PROPRES  AUX  MATIÈRES  CRIMINELLES  ', 

PROCÈS- VERBAUX  *. 

Sommaire.  ~  576.  Procès-verbaux.  Lear  origine.  ^  S77.  Lear  foi  en  matifere  crimUiéUe. 
—  578.  Système  remontant  à  l'ordonnance  de  4349.  —  579.  Critiques  dont  il  a  été 
l'objet.  —  580.  Division. 

576.  Tous  les  fonctionnaires  qui  ont  qualité  pour  consta- 
ter des  infractions  à  la  loi  pénale  peuvent  dresser  des  actes 
destinés  k  relater  exactement  les  faits  dont  ils  ont  été 
témoins ,  actes  qu'on  appelle  dans  la  pratique  procès-verbaux. 
L'origine  de  cette  dénomination  tient  k  ce  que ,  dans  le  prin- 
cipe, les  officiers  le  plus  habituellement  chargés  de  faire 
rapport  des  faits  en  justice,  les  sergents,  étant  illettrés, 
donnaient  une  déclaration  purement  orale.  «  Pour  la  vileté 

tantes  publiées  par  M.  Beudant,  en  1861,  sur  Vindicaticn  de  la  M  pénale 
dans  la  discussion  devant  le  jury. 

^  Noas  avons  déjà  en  occasion  de  citer  l'onvrage  spécial  de  M.  Mangin , 
snr  lesproeès^verbaux  en  matière  de  délits  et  de  contraventions.  M.  Faustin 
Hélie  a  déreloppé  de  nouyeau  cette  matière  avec  soin ,  dans  son  Draité  sur 
VinstruetUm  crimiinelle.  (Tom.  IH,  chap.  x  et  sut.) 


piiocto*vERiiux.  iK5 

de  leurs  offices  )»,  dit  Loyseau  (Officesf  liv,  I,  ebap.  iv,  n'*  34), 
c  et  pour  la  difficulté  qu'il  y  avait  anciennement  d'en  trouver, 
«  on  ne  les  a  pas  rendus  sujets  à  Texamen.  Même,  le  temps 
«  passé ,  ils  n'étaient  pas  seulement  reçus  qu'ils  sussent  lire 
«  ni  écrire,  non  plus  qu'à  présent  les  prévôts  des  archers 
t  des  maréchaux  *,  mais  ils  faisaient  verbalement  devant  le 
fl  juge  le  rapport  et  relation  de  leurs  exploits ,  ainsi  appelés 
c  pour  cette  cause,  et  non  pas  actes  :  parce  qu'ils  con- 
c  sisteot  en  fait,  non  écriture  :  c'est-à-^dire,  procédures 
t  verbales,  et  non  par  écrit.  »  Même  après  que  Charles  VIII, 
en  1485,  eut  prescrit  que  les  sergents  sussent  lire  et  écrire  *  ; 
même  après  que  Henri  IV,  en  i567,  eut  étendu  aux  gardes 
cette  prescription,  l'expression  ie procèê^erbal,  bien  que  ne 
se  référant  plus  k  un  rapport  écrit,  s'est  maintenue  dans  la 
pratique. 

S77.  Les  écrits  de  cette  nature  sont  tous  authentiques 
en  ce  sens  qu'on  ne  pourrait  les  imiter  ni  les  falsifier  sans 
s'exposer  aux  peines  portées  contre  le  faux  en  écriture  pu- 
blique. Hais  la  foi  qui  s'attache  aux  actes  authentiques  civils 
ne  s'attache  pas  de  droit  commun  aux  procès-verbaux ,  qui 
ne  sont,  en  thèse  générale,  que  des  documents  de  la  cause, 
susceptibles  d'être  débattus ,  tout  aussi  bien  que  les  témoi- 
gnages oraux,  n  en  est  toujours  ainsi  pour  les  crimes  et 
délits  prévus  par  le  Code  pénal  :  l'accusé,  on  le  prévenu,  peut 
faire  tomber  les  actes  les  plus  réguliers  dressés  dans  l'in- 
struction préparatoire,  quand  même  ces  actes  auraient  eu 
pour  objet  de  constater  le  flagrant  délit  (C.  d'instr.,  art.  32), 
sans  être  obligé  de  prendre  la  voie  de  l'inscription  de  faux. 
Cet  important  principe  était  déjà  constant  dans  l'ancienne 
procédure  criminelle ,  qui  n'admettait  que  comme  de  simples 
documents  à  consulter  les  procès-verbaux  dressés  avant  le 

*  Praeriptkm  mtH  obserfée,  et  qa*n  (iaUnt  reDoavtier  en  1667. 


i  86  progès-verbàux  . 

récolement  Aussi  la  Cour  de  cassation  décide-t-elle,  en  prin- 
cipe (Cass.,22  octobre  1818),  qu'on  est  toujours  admissible 
k  prouver  la  non-culpabilité,  nonobstant  les  procès-verbaux 
dressés  pour  constater  le  fait. 

Mais,  pour  certains  délits  et  contraventions,  on  a  depuis 
longtemps  senti  la  nécessité  d'établir  des  officiers,  revêtus 
d'un  caractère  public,  k  l'effet  de  constater,  par  de  véri- 
tables actes  authentiques,  les  infractions  dont  la  fréquence 
tend  k  détruire  les  sources  de  la  richesse  nationale ,  en  dé- 
gradant les  forêts  de  l'État,  en  fraudant  le  Trésor,  etc.  Les 
délits  et  contraventions  de  cette  nature,  connus  sous  le  nom 
de  déUts  ipédaux,  appellent  une  répression  toute  particu- 
lière. Ils  ne  sont  pas  isolés,  comme  les  délits  ordinaires,  et 
ils  se  reproduisent  presque  toujours  systématiquement. 
Ceux  qui  les  commettent,  et  qui  en  font  quelquefois  leur 
profession,  recherchent  la  solitude,  souvent  les  ténèbres  de 
la  nuit ,  afin  de  se  soustraire  k  la  vigilance  de  l'autorité.  De 
Ik  une  extrême  difficulté  pour  les  agents  de  les  constater 
par  témoins  :  «  Il  convient  »,  dit  naïvement  une  ordonnance 
de  1402  sur  les  forêts,  a  que  les  sergents  quièrent  les  mal- 
K  faiteurs  le  plus  coyement  qu'ils  pèvent,  et  s'ils  alloient 
«  querre  tesmoings,  les  malfaiteurs  s'en  pourroient  aller 
«  avant  qu'ils  revinssent,  ni  ne  pèyent  pas  toujours  mener 
«  tesmoings  pour  tesmoigner  leurs  prinses.  »  Enfin ,  lors 
même  que  l'infraction  a  eu  lieu  en  présence  de  témoins,  il 
n'est  pas  toujours  facile  d'obtenir  des  dépositions  sincères , 
un  préjugé  malheureusement  trop  répandu  considérant 
comme  excusable  toute  déprédation  qui  ne  s'attaque  qu'aux 
intérêts  collectifs  de  la  société.  Et  cependant  on  ne  saurait 
négliger  ces  intérêts,  la  richesse  forestière,  par  exemple, 
ou  bien  l'exacte  perception  des  revenus  publics ,  sans  com- 
promettre au  plus  haut  degré  la  prospérité  du  pays.  Bien 
plus,  souvent  l'acte  de  dégradation  fait  un  mal  incalculable, 


PROCiS-YERBÀOX.  1K7 

tSDdis  qu'il  ne  rapporte  qu'an  profit  extrêmement  faible  k 
celui  qui  le  commet.  Pour  protéger  d'aussi  graves  intérêts 
contre  les  attaques  incessantes  de  la  cupidité,  et  quelque- 
fois, il  &ut  le  dire,  de  la  misère,  on  a  dû  créer  des  agents 
spéciaux. 

578.  La  première  trace  d*une  institution  de  cette  na- 
ture se  trouve  dans  l'ordonnance  rendue,  le  2  juin  1319, 
par  Philippe  le  Bel  '  sur  l'administration  des  forêts  royales. 
IL  Ordené  est  que  chascun  sergent  sera  creu  par  serment , 
«  des  forés  des  prises  que  il  sera,  où  il  ne  charra  que 
«  amende  pécuniaire.  »  Nous  venons  de  voir  qu'à  cette 
époque  les  déclarations  des  sergents  se  faisaient  verbalement 
en  justice ,  sous  la  foi  du  serment.  Cette  institution  a  reçu 
plus  tard  de  grands  développements ,  et  la  faculté  d'en  être 
crus  jusqu'à  inscription  de  faux  a  été  accordée  à  im  assez 
grand  nombre  d'ofBciers.  D'autres  ont  reçu  seulement  le 
pouvoir  de  dresser  des  procès-verbaux  faisant  foi  jusqu'à 
preuve  contraire.  «  Nul  ne  sera  admis,  à  peine  de  nullité  », 
dit  l'article  154  du  Code  d'instruction,  «  à  faire  preuve  par 
«  témoins  outre  ou  contre  le  contenu  aux  procès-verbaux 
<i  ou  rapports  des  officiers  de  police  ayant  reçu  de  la  loi  le 
«  pouvoir  de  constater  les  délits  ou  les  contraventions  jus- 
«  qu'à  inscription  de  faux.  Quant  aux  procès- verbaux  ou 
u  rapports  faits  par  des  agents,  préposés  ou  officiers  aux- 
«  quels  la  loi  n'a  pas  accordé  le  droit  d'en  être  crus  jusqu'à 
«  inscription  de  faux ,  ils  pourront  être  débattus  par  des 
«preuves  contraires,  soit  écrites,  soit  testimoniales,  si  le 
«  tribunal  juge  à  propos  de  les  admettre.  » 

579.  Des  doutes  ont  été  émis  (voy.  M.  Faustin  Hélie, 
IrMr.  crim.y  tom.  III,  §  1365)  sur  la  valeur  du  système 

*  Ce  fat  sous  ce  règne  que  le  parlement  deyint  sédeotaire  et  que  l'admi- 
nistration ,  alors  intimement  liée  à  la  justice ,  commença  à  se  constituer 
sons  des  formes  régulières. 


158  pftocftft-vEUBAtnt. 

qui  investit  d'au  ponvoir  anssi  exorbitant  des  employés 
souvent  fort  subalternes,  tels  que  les  portiers^consignes  des 
places  de  guerre.  Il  est  certain  que  la  législation  sur  celte 
matière,  composée  d'une  foule  de  lois  spéciales  rendues  & 
des  époques  différentes,  est  loin  d'être  coordonnée  d'une 
manière  satisfaisante,  et  qu'il  est  impossible  de  détermi- 
ner avec  précision  k  quels  caractères  on  recmnaitra  si  on 
procès-verbal  fait  foi  jusqu'à  inscription  de  faux  on  seule- 
ment jusqu'à  preuve  contraire.  Mais,  tout  en  faisant  des 
vœux  pour  l'amélioration  et  la  simplification  de  cette  légis' 
lation  spéciale,  nous  ne  saurions  considérer  comme  une 
pure  tradition  de  l'ancienne  jurisprudence  le  principe  qui 
accorde  aux  procès-verbaux  revêtus  de  certaines  garanties 
la  même  foi  qui  s'attache  aux  actes  notariés.  Les  motifs  tirés 
de  la  nature  fugitive  des  contraventions  ainsi  constatées 
(n*  577 J,  le  peu  de  chance  d'erreur  que  présente  générale^ 
ment  le  caractère  tout  matériel  des  faits  relatés  dans  les 
procès-verbaux,  le  peu  d'intérêt  qu'a  l'agent  à  altérer  la 
vérité  dans  son  rapport ,  eu  égard  aux  peines  sévères  aux-^ 
quelles  l'expose  la  peine  de  faux,  ce  sont  là  autant  de  graves 
considérations  qui  n'ont  rien  perdu  de  leur  force  dans  le 
droit  moderne.  Disons-le,  pour  rendre  hommage  à  la  vé^ 
rite ,  il  y  a  moins  de  faux  commis  par  les  gardes  forestiers 
que  par  les  notaires  :  les  procès-verbaux  mensongers  sont 
chose  rare  dans  la  pratique.  Nous  verrons  de  plus  que  les 
lois  spéciales  ont  établi  de  sages  précautions  pour  garantir 
la  sincérité  de  ces  actes.  Les  abus  de  cette  institution  sont 
donc  peu  à  craindre  en  fait.  Les  heureux  effets,  au  con- 
traire ,  en  sont  extrêmement  sensibles.  La  statistique  atteste 
une  diminution  constante  des  délits  spéciaux,  et  notam^^ 
ment  des  délits  forestiers  ' .  L'affaiblissement  de  moyens  de 

*  Malgré  Paugraentfltion  générale  des  délits  correctionnels,  la  stati2(tlqii6 
atteste  une  diminution  très-sensible  des  délits  forestiers.  î\  est  rrai  qae  là 


répreâftion  qai  produisent  d'aossi  importants  résaltats  ne 
nous  parait  donc  ni  safflsamment  motivé,  m  surtoat  op* 
portun. 

580.  Nons  parlerons  d'abord  des  conditions  exigées 
pour  la  validité  des  procès-verbaux,  et,  en  second  lien,  de 
la  foi  qui  s*y  attache. 

a  4.  coubitiohs  i^shtibllis  poua  lâ.  vaubitA 

DES   PROCÈS-VERBAUX. 

SOHXAIBE.  —  S8I.  Règles  générales  sor  la  rédaction  des  procès-yerbaoï.  —  usa.  Compé- 
teace  de  Tofficier.  ^  5M.  Effet  de  la  parenté  et  de  l'alliajioe  sor  la  foi  de  l'acte.  —  SS4« 
Cas  où  il  fant  deux  agents.  --  585.  Délais  pour  la  rédaction.  —  586.  Écriture  et  signa- 
ture. —  S87.  Mentloa  des  formalités  requises.  —  188.  AlSmattott  ee  justice.  •—  5iM. 
MentioD  de  la  date.  —  590.  Enregistrement.  —  594.  Admissibilité  de  l'aveu,  i  défaut 
de  proeès-TerteL  —  Ma.  Pe«t-on  sUèguer  la  forte  majeare  poitr  l'inobservation  det 
formes? 

581.  Nous  n'avons  pas  l'intention  d'entrer  dans  le  détail 
des  nombreuses  formalités  prescrites  par  les  lois  spéciales 
sur  les  procès-verbaux.  Mais  nous  allons  signaler  les  règles 
générales  dont  l'observation  est  requise  dans  ces  actes ,  ou 
du  moins  dans  presque  tous  ces  actes,  et  qui  servent  de 
garantie  contre  les  abus  que  pourrait  entraîner  l'importante 
prérogative  attribuée  à  certains  officiers* 

582.  La  première  condition  requise  pour  la  validité  des 
procès-verbaux,  c'est  qu'ils  aient  été  dressés  par  un  officier 
public  compétente  Ainsi  un  arrêt  de  cassation  du  22  avril 

loi  du  18  juin  1859,  en  autoriBant  les  transactions,  a  beanconp  contribué 
k  ee  dernier  réraltat.  Pour  se  rendre  compte  anjonrd'hui  dn  monyement 
de  la  criminalité ,  il  (aut  ajouter  le  chiffre  des  transactions  à  celui  de» 
poursuites.  Ainsi,  la  statistique  de  1868  offre  une  augmentation  apparente, 
s  l'on  s'attache  aux  poursuite»  (11^782,  ou  lieu  de  10,361),  mais  cette 
augmentation  est  plus  que  compensée  par  la  diminution  du  nombre  dee 
transactions.  Au  surplus,  la  diminution  des  poursuites  s'est  accentuée  de 
nonreau  en  1S69«  (9,028,  au  Uea  de  11,783.)  Blous  ne  parlons  pas  de 
Tannée  1870 ,  trop  exceptionnelle  pour  qu'il  y  ait  lieu  d'en  relever  la 
statistique. 

>  Bien  que  les  proeè»-Terbaux  qui  se  rattachent  à  Phistniction  prépara- 
tolie  n'aient  pas  la  même  autorité  que  les  procès^verbaux  dressés  en  matière 
^éciale  (n»  677),  il  importe  de  distinguer  s'ils  émanent,  ou  non,  d'un  offi- 
cier compéteat.  Lon  donc  que  le  ministère  pubUe  a  fait  procéder  k  une 


160  PROGÈS-TERBÂUX. 

1820  a  déclaré  nul  un  procès-verbal  dans  lequel  un  garde 
champêtre  avait  constaté  une  contravention  h  la  loi  du  I8110- 
vembre  1814  sur  la  célébration  des  dimanches  et  fêtes  : 
contravention  qui ,  d'après  cette  loi ,  doit  être  constatée  par 
les  maires ,  adjoints  ou  commissaires  de  police.  (Yoy.  aussi 
Rej.,  1"  avril  1854  et  17  février  1859.)  De  même  les  gardes 
champêtres,  les  gendarmes,  et  en  général  les  officiers  de 
police  judiciaire  chargés  de  constater  les  délits  ruraux, 
n'avaient  point  qualité  pour  verbaliser  quant  aux  délits 
commis  dans  les  bois  non  soumis  au  régime  forestier,  avant 
la  loi  du  18  juin  1859  (C.  forest.,  nouv.  art.  188),  qui  leur 
a  donné  ce  pouvoir  dans  l'intérêt  de  la  conservation  des 
bois.  La  compétence  des  gardes  forestiers,  agents  des  con- 
tributions indirectes,  etc.,  n'embrasse,  du  reste,  comme 
celle  des  notaires ,  que  le  territoire  pour  lequel  ils  sont  in- 
stitués et  assermentés. 

Il  est  de  jurisprudence  constante  que  ces  agents  peuvent 
dresser  des  procès-verbaux  réguliers  sans  être  revêtus  de 
leur  costume.  Néanmoins  l'agent  qui  verbaliserait  sans  cos- 
tume officiel  courrait  un  grave  danger-,  car,  k  moins  qu'il 
ne  fût  bien  établi  que  sa  qualité  était  connue  du  délinquant, 
s'il  était  en  butte  k  quelque  outrage  ou  k  quelque  voie  de 
fait ,  il  ne  pourrait  invoquer  les  dispositions  (G.  pén. ,  art.  3S4 
et  suiv.)  qui  protègent  le  fonctionnaire  dans  l'exercice  de 
ses  fonctions ,  puisque  son  caractère  n'aurait  pas  été  appa- 
rent. C'est  ce  qu'a  décidé  un  arrêt  de  rejet  du  23  frimaire 
an  XIV,  relativement  k  un  commissaire  de  police  qui  s'était 
trouvé  par  sa  faute  dans  cette  fâcheuse  position. 

883.  Dans  le  silence  des  lois  spéciales,  on  ne  peut 


coDStatation  en  dehors  da  cas  de  flagrant  délit  ou  de  réquisition  d*an  chef 
de  maison  (0.  d%str.,  art.  32  et  46),  le  procès-yerbal  dressé  en  Tertu  d^une 
pareille  réquisition  ne  peut  être  joint  à  la  procédure  comme  acte  d'instruc- 
tion, mais  comme  simple  renseignement.  (Rej.,  19  avril  1855.) 


PROCÈS-VERBAUX.  161 

étendre  mx  agents  qui  dressent  les  procès-verbaux ,  ni  les 
motifs  d'exclusion  ou  de  reproche  qui  concernent  les  té-* 
moins ,  ni  les  motifs  de  récusation  qui  s'appliquent  aux 
jages.  La  Cour  de  cassation  a  donc  fait  une  stricte  mais 
exacte  application  du  droit  positif,  en  déclarant  valables  des 
procès-verbaux  dressés  par  le  beau-frère  et  même  par  le 
frère  des  prévenus.  (Cass.,  7  novembre  1817  et  18  octobre 
1822.)  Toutefois,  suivant  l'interprétation  admise  par  les 
mêmes  arrêts,  et  qu'il  convient  d'étendre  aux  autres  ma- 
tières spéciales,  la  constatation  des  délits  forestiers  n'a 
plus  la  même  autorité  lorsqu'elle  est  l'œuvre  d'un  agent 
dont  la  position  permet  de  suspecter  l'impartialité.  «  Il  ne 
«sera  admis»,  dit  l'article  176  du  Code  forestier,  con- 
forme k  la  loi  du  29  septembre  1791  (tit.  IX,  art.  13), 
«  aucune  preuve  outre  ou  contre  le  contenu  des  procès-ver- 
«  baux  faisant  foi  jusqu'à  inscription  de  faux,  k  moins  qu'il 
«  n'existe  une  cause  légale  de  rêctuation  '  contre  l'un  des  signa- 
«  taires.  »  En  ce  cas ,  il  est  possible  que  l'agent  ait  verba- 
lisé d'une  manière  régulière,  malgré  les  liens  qui  l'unis- 
saient à  l'inculpé ,  mais  il  n'a  plus  l'indépendance  nécessaire 
pour  que  ses  déclarations  soient  crues  jusqu'à  inscription  de 
foux  ^  son  procès-verbal  ne  fait  plus  foi  dès  lors  que  jusqu'à 
preuve  contraire.  Et  puisque  ne  s'agit  point  ici  d^annuler  le 
procès-verbal,  mais  d'en  débattre  la  validité,  on  pourra  ad- 
mettre d'autres  causes  de  reproches  que  celles  qui  sont 
énoncées  par  la  loi»  notamment  l'intérêt  personnel  de  l'agent. 
(Rej.,  7  novembre  1817  et  5  décembre  1834.) 

S84.  Les  procès-verbaux  peuvent  habituellement  être 
dressés  par  un  seul  agent  -,  ceux  qui  sont  de  nature  à  entraî- 
ner des  condamnations  d'une  certaine  gravité  doivent  être  ré- 


*  Cesf-à-dire  de  reproche;  car  on  garde  forestier  doit  être  assimilé  à 
m  témoin  ou  à  un  expert  (C  de  proc,  art.  8i0),  bien  plutôt  qu'à  un  Jugé. 

II.  ii 


163  PROGÈS-VERBÀtX. 

digés  par  deux  personnes.  C'est  ainsi  qae  l'article  177  do 
Code  forestier  exige  la  signature  de  deux  agents  ou  gardes , 
pour  que  Tacte  puisse  faire  foi  jusqu'h  inscription  de  faux^ 
si  le  délit  peut  amener  une  condamnation  k  plus  de  cent 
francs,  tant  pour  l'amende  que  pour  les  dommages  et  intérêts  ^ 
il  en  est  de  même»  k  plus  forte  raison  (Rej.,  31  décembre 
1819))  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'emprisonnement.  De 
même,  la  loi  du  5  ventôse  an  XII  (art.  84)  exige  la  signa- 
ture de  deux  employés  de  la  régie  pour  que  les  procès*ver- 
baux  en  matière  de  contributions  indirectes  fassent  foi  jus-^ 
qu'k  inscription  de  faux.  Enfin,  en  matière  de  douanes,  la 
même  autorité  est  accordée  aux  actes  par  lesquels  deux 
préposés  ou  autre$  citoyeni  français  (loi  du  9  floréal  an  VU, 
tit.  IV,  art.  1  )  constatent  les  contraventions  aux  lois  rela- 
tives aux  importations,  exportations  et  circulations  prohi- 
bées, dans  toute  l'étendue  du  rayon  frontière  \  On  voit  que 
la  répression  de  cette  dernière  nature  d'infractions  est  con- 
sidérée comme  tellement  urgente,  qu'on  investit  momenta- 
nément de  simples  particuliers  d'un  caractère  public,  afin 
de  pouvoir  les  constater  officiellement. 

58tt.  Il  importe  k  l'autorité  morale  du  procès-verbal  qu'il 
soit  rédigé  incontinent  après  la  perpétration  du  délit.  Aussi 
l'ancien  droit  voulait-il  que  la  rédaction  eût  lieu  dans  un  bref 
délai,  et  notamment  en  matière  forestière  (Ord.  de  1669, 
tit.  X,  art.  9),  le  rapport  devait  avoir  lieu  deux  jours  au  plus 
tard  après  le  délU  commis.  Nos  lois  modernes  ont  également 
établi  de  brefs  délais  pour  la  rédaction  des  procès-verbaux. 
Ce  délai  est  fixé  k  trois  jours  pour  les  contraventions  pré- 
vues par  le  Code  d'instruction  criminelle  (art.  15, 18  et  20), 
et  il  est  plus  restreint  encore  aux  termes  de  plusieurs  lois 

*  Rayon  qui  est  de  deux  myriamètres ,  à  partir  de  la  frontière ,  et  qui 
peut  même  être  étendu  par  le  gouyernement  jusqu^à  deui  myriamètrea  et 
demi.  (Loi  sur  les  douanes  du  28  ayrll  1816 ,  art.  86.) 


PR0CÈ6-VRRBÂDX.  163 

spéciales.  Malheureusement,  dans  une  des  matières  où  la 
prompte  rédaction  offre  le  plus  d'intérêt,  en  ce  qui  touche 
les  délits  forestiers,  le  Code  forestier,  infidèle  aux  traditions 
de  1669,  garde  le  silence-,  et  la  Cour  de  cassation  a  dû  re- 
connaître valable  (Gass.,  H  janvier  1850)  un  procès*verbal 
dressé  trente-six  jours  après  la  perpétration  des  faits  y  con- 
statés. Une  pareille  irrégularité  appelle  sans  doute  une 
répression  admiuistrative ,  l'article  181  de  l'ordonnance 
d'exécution  du  Gode  forestier  prescrivant  aux  agents  de 
dresser  iour  par  jour  les  procès-verbaux  des  délits  et  contra- 
ventions-, mais  une  nullité  prononcée  par  la  loi  offrirait  plus 
de  garantie  aux  intéressés.  De  même ,  si  la  loi  du  6  octobre 
1791  (sect.  8,  tit  VII,  art.  1*')  rend  le  garde  champêtre 
responsable  du  dommage  dont  il  a  négligé  de  faire  le  rap- 
port dans  les  vingt-quatre  heures,  elle  ne  prononce  point  de 
nullité.  (Cass.,  27  avril  1860.) 

586.  Quant  aux  formes  du  procès-verbal,  il  convient, 
pour  en  garantir  la  sincérité,  qu'il  soit  écrit  de  la  main  de 
Tofficier  qui  en  est  l'auteur»  Mais  la  loi  ne  l'exige  pas  tou- 
jours, lors  même  qu'elle  pose  en  principe,  ainsi  qu'elle  le 
&it  pour  les  gardes  forestiers  (G.  forest.,  art.  165),  que 
l'agent  doit  rédiger  lui-même  son  rapport,  sauf  empêche^ 
ment;  l'empêchement  s'entend  non-seulement  d'un  obstacle 
accidentel  «  mais  même  de  l'impossibilité  permanente  résul- 
tant de  ce  que  le  garde  ne  sait  pas  écrire.  (Gass.,  18  juin 
1829.)  Néanmoins ,  on  ne  saurait  justifier  de  l'empêchement 
en  invoquant  des  preuves  en  dehors  du  rapport  lui-même  ; 
l'impossibilité  de  remplir  la  formalité  doit  y  être  mentionnée 
à  peine  de  nullité.  (Gass.,  2  octobre  1846.)  Dans  tous  les 
cas,  le  rapport  doit  être  signé  par  l'agent,  sauf  dispense 
spéciale ,  comme  celle  qui  est  établie  par  la  loi  du  6  oc- 
tobre 1791  (Ut.  I,  sect.  7,  art.  6)  en  faveur  des  gardes 

champêtres  :  ces  gardes,  ne  sachant  pas  toujours  écrire  et 

il. 


164  PROGÈS-VBRBÀUX. 

étant  souvent  hors  d'état  de  rédiger  un  procès-verbal  régu- 
lier,  peuvent  se  contenter  de  faire  leur  déclaration  devant  le 
juge  de  paix  ou  devant  les  officiers  de  police  désignés  par 
l'article  11  du  Code  d'instruction  criminelle,  lesquels  sont 
alors  chargés  de  la  rédaction  du  rapport.  C'est  ainsi  que 
ceux  qui  admettent  une  femme  ou  un  mineur  aux  fonctions 
d'expert ,  pensent  que  le  rapport  doit  alors  être  rédigé  par 
le  greffier  de  la  justice  de  paix.  (NM14.  ) 

887.  Tout  procès-verbal  doit  emporter  avec  lui  la  preuve 
de  sa  validité.  Les  formalités  non  mentionnées  sont  dès  iors 
présumées  avoir  été  omises.  (Arr.  deCass. ,  du  29  mars  1810.) 
Ici  le  législateur,  ainsi  qu'il  le  fait  en  général  pour  les  actes 
authentiques ,  a  mis  l'officier  qui  voudrait  prévariquer  dans 
l'alternative  de  commettre  un  faux  ou  une  nullité.  (C.  forest., 
art.  165.) 

Il  n'y  avait  aucun  motif  non  plus  pour  distinguer  entre 
les  matières  criminelles  et  les  matières  civiles,  quant  a  la 
nullité  des  ratures,  surcharges  et  interlignes  non  approuvées. 
L'application  qui  est  faite  de  cette  règle  (C.  d'inst. ,  art.  78) 
au  procès-verbal  d'information  dressé  par  le  juge  d'instruc- 
tion, a  paru  si  raisonnable  qu'on  est  d'accord  pour  l'étendre 
aux  procès-verbaux  de  toute  nature.  Mais  la  Cour  de  cassa- 
tion (Cass.,  23  juillet  1824)  restreint  avec  raison  au  procès- 
verbal  d'information  la  règle  qui  exige ,  pour  les  ratures  et 
renvois,  une  approbation  avec  signatures;  le  parafe,  qui 
suffit  pour  les  actes  notariés,  doit  suffire  pour  tous  les  cas 
où  un  texte  formel  n'exige  pas  davantage. 

588.  Presque  tous  ceux  de  ces  actes  qui  font  foi  jusqu'à 
inscription  de  faux  sont  soumis,  dans  un  délai  qui  est  ordi- 
nairement de  vingt-quatre  heures,  à  l'affirmation  en  justice. 
Cette  formalité  n'est  que  la  reproduction,  sous  un  autre  nom, 
du  serment  qui  autrefois  (Ord.  de  1319)  constituait  a  lui  seul 
toute  la  solennité,  la  déclaration  étant  verbale.  Aujourd'hui 


PROCftChYEBBAUX.  165 

le  serment  est  une  garantie  additionnelle,  mais  une  garantie 
sérieuse;  la  nécessité  de  se  présenter  k  bref  délai  devant  un 
juge,  pour  réitérer  son  témoignage,  appelle  l'attention  de 
l'agent  sur  la  gravité  de  la  mission  qui  lui  est  confiée.  Les 
termes  qui  constatent  cette  affirmation  ne  sont  point  sacra- 
mentels, mais  il  faut  qu'on  puisse  en  induire  une  préstation 
de  serment.  S'il  est  seulement  dit  que  le  rédacteur  persiste 
dans  le  procès-verbal ,  qu'il  en  confirme  le  contenu ,  qu'il  le 
déclare  sincère  et  véritable,  il  y  aura  nullité ,  toujours  d'après 
le  principe  qu'une  formalité  qui  n'est  pas  constatée  est 
censée  omise.  (Rej.,  29  février  et  20  mars  18i2.)  Du  reste, 
l'aifirmation  est  le  complément  du  procès-verbal,  et  on  décide 
ayec  raison  (Rej.,  1"  avril  1830;  20  novembre  1863)  que, 
si  la  signature  est  nécessaire  pour  la  validité  de  l'acte  affirmé, 

• 

l'acte  d'affirmation  doit  être  signé  lui-même,  k  peine  de 
oallité,  par  l'agent,  aussi  bien  que  par  le  magistrat  qui  reçoit 
l'affirmation.  Cette  décision,  qui  n'avait  point  prévalu  tout 
d'abord ,  est  consacrée  pour  la  vérification  des  poids  et  me- 
sures par  l'ordonnance  du  17  avril  1839  (art.  1*')  :  «  L'affir- 
«  mation  est  signée  tant  par  les  maires  et  adjoints  que  par 
«  les  vérificateurs.  » 

589.  Dans  les  matières  spéciales ,  la  mention  de  la  date 
du  procès-verbal  est  exigée  k  peine  de  nullité,  soit  que  la  loi 
prescrive  expressément  cette  mention,  ainsi  que  le  fait  en 
matière  de  douanes  la  loi  du  9  floréal  an  Vil  (tit  TV,  art.  3), 
soit  que  la  date  du  procès-verbal  soit  le  point  de  départ  du 
délai  prescrit  pour  l'observation  d'une  formalité  essentielle, 
comme  en  matière  forestière ,  où  l'affirmation  doit  avoir 
lieu  au  plus  tard  le  lendemain  de  la  clôture  du  procès-verbal. 
(G.  forest.,  art.  165.)  Mais  dans  les  matières  ordinaires,  la 
date,  bien  qu'il  soit  toujours  fort  utile  de  ne  point  l'omettre, 
n'étant  pas  mentionnée  par  le  Code  d'instruction  (art.  11 
et  16),  n'est  point  essentielle  k  la  validité  du  procès-verbal. 


166  PROCiS-TEttBAUX. 

K  la  différence  des  matières  civiles,  où  l'aaibenticitë  suppose 
la  mention  de  la  date.  (Loi  da25  ventôse  an  XT,  art.  12  et  68.) 

590.  Quant  k  l'enregistrement,  les  lois  spéciales  n'en  font 
expressément  une  condition  de  validité  des  procès-verbaux 
qu'en  matière  de  douanes ,  en  matière  forestière ,  de  pèche 
fluviale  et  de  roulage.  La  Cour  de  cassation  appliquait  d'abord 
cette  règle  à  tous  les  procès -verbaux  qui  font  foi  jusqu'à 
inscription  de  faux,  et  ne  considérait,  par  conséquent,  Ten- 
registrement  comme  une  mesure  purement  fiscale  qu'k 
l'égard  des  procès-verbaux  qui  ne  font  foi  que  jusqu'à  preuve 
contraire.  Mais  les  meilleurs  esprits  se  sont  accordés  pour 
repousser  cette  distinction  comme  arbitraire.  Si  l'article  34 
de  la  loi  du  22  frimaire  an  Vil,  qui  déclare  nul  l'exploit  ou 
le  procès-verbal  qu'un  huissier  ou  autre  officier  n'aurait  pas 
fait  enregistrer  dans  un  certain  délai,  est  applicable  aux 
procès -verbaux  en  matière  spéciale,  tout  procès-verbal, 
quelle  qu'en  soit  la  foi,  est  soumis  k  l'enregistrement,  k 
peine  de  nullité.  Si,  au  contraire,  il  faut  restreindre  cette 
disposition  aux  procès-verbaux  dressés  dans  un  intérêt  privé, 
ainsi  que  parait  le  décider  l'article  47  de  la  même  loi ,  qui 
défend  aux  juges  et  aux  administrations  de  rendre  aucune 
décision  en  vertu  d'actes  non  enregistrés  en  faveur  des  parti' 
culiers,  il  faut  dire  que,  partout  où  l'enregistrement  n'est 
pas  formellement  prescrit  k  peine  de  nullité,  on  ne  doit  y 
voir  qu'une  mesure  purement  fiscale;  et  c'est  en  ce  sens 
que  s'est  définitivement  prononcée  la  Cour  suprême.  (Cass., 
4  janvier  1834,  31  mars  1848,  et  10  avril  1865.) 

891.  Les  nullités  des  procès-verbaux  ne  doivent  pas  être 
comparées  k  des  nullités  d'exploits.  Elles  ne  se  couvrent 
point  par  le  silence  des  parties  in  limine  Utîs,  et  on  peut  s'en 
prévaloir  pour  la  première  fois  soit  en  appel,  soit  même 
devant  la  Cour  de  cassation.  (Cass.,  25  octobre  1824.)  Au 
surplus,  la  question  de  nullité  ne  présente  d'intérêt  que 


PROCiS-VBRBAUl.  167 

lorsque  la  condamnation  se  base  uniquement  sur  le  procès-- 
▼erbal.  C'est  ce  qui  arrive  toujours  dans  certaines  matières, 
telles  que  les  douanes  et  les  contributions  indirectes,  où, 
aiosi  que  nous  l'avons  vu  (n""  236),  le  procès-verbal  est  la 
base  nécessaire  des  poursuites.  Mais ,  dans  la  plupart  des 
cas  (C.  d'inst.,  art.  154),  d'autres  preuves  sont  admissibles, 
et  la  condamnation  peut  être  maintenue  malgré  l'annula- 
tion du  procès^-verbal.  Nul  doute  dès  lors  qu'on  ne  soit  rece^ 
vable ,  en  général ,  k  prouver  par  témoins  les  délits  spéciaux 
en  l'absence  d'un  procès-verbal  régulier,  comme  en  l'absence 
de  tout  procès-verbal.  Mais  faut-il  excepter  le  cas  où  il  y  a 
simplement  aveu  de  la  part  du  prévenu?  On  l'a  soutenu,  en 
prétendant,  d'après  l'ancienne  jurisprudence,  que  l'aveu  peut 
établir  la  culpabilité,  mais  jamais  le  corps  du  délit.  Nous 
ne  pouvons  que  nous  référer  h  ce  que  nous  avons  dit  k  cet 
égard ,  lorsqu'en  traitant  de  Taveu  nou3  avons  invoqué  les 
principes  modernes  sur  la  preuve  pour  repousser,  avec  la 
jurisprudence  de  la  Cour  de  cassation  ' ,  cette  application  de 
l'ancienne  théorie  des  preuves  légales.  (N*  365.)  La  consta- 
tation d'un  corps  de  délit  est  ici  moins  nécessaire  que  par- 
tout ailleurs,  en  présence  d'une  confession  formelle.  Les 
aveux  mensongers,  déjk  rares  en  matière  ordinaire,  sont 
moralement  impossibles  en  matière  fiscale,  en  matière  fores- 
tière, etc.  Les  motifs  extraordinaires  qui  ont  pu  quelquefois, 
dans  les  afiaires  de  grand  criminel ,  amener  des  déclarations 
fausses,  sont  bien  difficiles  à  supposer  lorsqu'il  s'agit  de 
délits  qui  n'attirent  pas  l'attention  publique,  et  qui  ne 
peuvent  donner  lieu  qu'à  des  peines  de  peu  d'importance. 

*  C^eflt  mal  à  propoB  qn^on  invoque  en  faveur  de  l'opinion  opposée  un 
arrêt  de  rejet  du  16  avril  1835 ,  où  il  est  dit  que  Taveu,  ^oin^  atix  autres 
faits  matériels  constatés  par  le  procès-verbal,  ne  laissait  point  de  doute 
sur  la  contravention.  Cet  arrêt  constate  que,  dans  Tespèce,  il  y  avait 
d^antres  preuves  que  l'aveu  :  oe  qui  ne  veut  pas  dire  que  l'aveu  n'eût  pu 
suffire.  (Voy.  les  arrêts  dtés,  n«  365.) 


168  PROCiS- VERBAUX. 

C'est  donc  ici  le  cas  d'admettre ,  avec  les  anciens  docteurs, 
que  l'aveu  est  la  meilleure  des  preuves,  probatio  probatissma. 
(Cass.,  15  octobre  1853  et  18  mars  1854.) 

592.  Il  est  certain  que  le  prévenu  ne  peut  arguer  des 
vices  de  forme,  lorsque  c'est  son  propre  fait  qui  a  amené 
l'irrégularité  dont  il  se  plaint,  par  exemple,  si  c'est  sa  résis- 
tance qui  a  empêché  de  dresser  un  procès-verbal  régulier. 
(Rej.,  8  mars  1821.)  Mais  ce  qui  est  beaucoup  plus  douteux, 
c^est  qu'on  puisse  considérer,  ainsi  qu'on  le  fait  dans  la  pra- 
tique (Gass.,  12  juillet  1834),  l'inobservation  des  formes 
comme  provenant  d'une  force  majeure,  lorsque  Tofficier 
s'est  trouvé  empêché  de  les  accomplir,  notamment  d'affirmer 
dans  les  vingt-quatre  heures,  par  un  ordre  administratif  qui 
l'appelait  dans  un  autre  lieu.  Sans  doute,  cette  circonstance 
doit  suffire  pour  mettre  k  couvert  sa  responsabilité,  puisqu'il 
était  tenu  d'obéir.  Mais  qu'importe  au  prévenu  cette  néces- 
sité administrative,  plus  ou  moins  réelle,  qui  a  exigé  un  dé- 
placement immédiat  de  l'agent?  La  loi  n'en  a  pas  moins  été 
violée  k  son  égard.  On  devra  donc  annuler  le  procès-verbal, 
sauf  la  responsabilité  du  fonctionnaire  dont  les  injonctions 
ont  occasionné  cette  nullité.  (Yoy.  G.  pén.,  art.  114.) 

S  9.  FOI  DBS  PAOCBS-VimBAlIX* 

SOMM AIRB.  —  593.  Toiit  procès-Ycrbal  ne  fait  poiut  foi  jnsqa'ii  inscription  de  faux.  —  894. 
Division  de  la  matière.  —  S98.  Foi  des  procès-verbanx  bornée  aux  fitits  matériels. 
^«96.  Exclusion  des  délits  communs.  —  S97.  Faits  qae  l'ofacier  n'établit  que  par  indoc 
Uon.  —  598.  Aveux.  —  599.  Quelles  ffrewet  contraires  peuvent  être  administrées.  — 
eoo.  Pouvoir  du  tribunal  pour  i'admission  de  ces  preuves.  —  604.  Procés-verbaux  qui 
ne  valent  que  comme  simples  renseignements. 

595.  Suivant  le  projet  de  Gode  d'instruction  criminelle, 
tout  procès-verbal  rédigé  par  un  officier  de  police  faisait  foi 
jusqu'à  inscription  de  faux.  Mais  on  fit  observer,  au  Conseil 
d*État,  que  des  formalités  aussi  graves  que  celles  de  l'inscrip- 
tion de  faux  ne  sont  point  proportionnées  aux  délits  légers 


PROCiS-TBRBAUZ.  169 

dont  connait  le  tribunal  de  police-,  qu'attribuer  dans  tous 
les  cas  une  pareille  autorité  k  la  déclaration  d'un  simple 
agent,  ce  serait  lui  donner  plus  de  pouvoir  qu'aux  juges, 
dont  les  procès- verbaux  ne  font  point  foi  en  justice  s'ils  ne 
sont  signés  du  greffier.  On  posa  dès  lors  en  principe  qu'une 
pareille  foi  ne  serait  attribuée  qu'aux  rapports  des  officiers 
ayant  reçu  spécialement  de  la  loi  le  pouvoir  de  constater  les 
délits  ou  les  contraventions  jusqu'à  inscription  de  faux.  Et 
ce  pouvoir  n'est  point  mesuré,  comme  on  pourrait  le  croire, 
sur  la  position  hiérarchique  des  officiers,  puisque  cette  pré* 
rogative  n'appartient  point  (n""  577)  aux  procès -verbaux 
dressés  par  le  juge  d'instruction.  Cela  tient  uniquement  au 
caractère  fugitif  des  infractions ,  en  matière  forestière ,  en 
matière  de  douanes,  etc.,  qui  n'admettent  guère  d'autre 
preuve  que  celle  des  procès-verbaux. 

584.  Nous  allons  examiner  d'abord  ce  que  prouvent  en 
général  les  procès-verbaux,  qu'ils  soient  ou  non  susceptibles 
d'être  combattus  par  la  preuve  contraire.  Puis  nous  verrons 
ce  quMI  faut  entendre  par  cette  preuve  contraire ,  dans  les 
cas  où  elle  est  admissible.  Quant  k  l'inscription  de  faux, 
elle  doit  faire  l'objet  de  la  section  suivante. 

S9S,  Le  principe  fondamental  sur  la  foi  des  procès- 
verbaux,  principe  en  harmonie  avec  ce  qui  a  été  établi  pour 
l'authenticité  en  général ,  c'est  qu'ils  ne  prouvent  que  les 
faits  matériels  relatifs  aux  délits  et  contraventions  quHls  constatent. 
Telles  sont  les  expressions  de  l'article  176  du  Code  fores- 
tier, qu'on  retrouve  dans  l'article  53  de  la  loi  sur  la  pèche 
fluviale  :  expressions  qu'a  introduites  dans  ce  Code  la  com- 
mission de  la  Chambre  des  députés,  afin  de  consacrer  offi- 
ciellement une  doctrine  déjà  reçue  dans  la  pratique,  et  com- 
mune du  reste  à  tous  les  procès-verbaux  :  a  Cet  article  176 
du  projet  » ,  dit  dans  son  rapport  M.  Favard  de  Langlade, 
«  attribue  k  certains  procès -verbaux  réguliers  l'effet  de 


170  PROGÈS-TEMACX. 

(c  faire  foi  jusqu'à  inscription  de  faux  des  faits  relatifs  aux 
<c  délits  et  contraventions  qu'ils  constatent.  Cette  disposition 
«  nous  a  semblé  trop  générale-,  elle  pourrait  faire  croire 
«  qu'aucune  preuve  n'est  admise  contre  une  déclaration 
«  quelconque  consignée  dans  un  procès-verbal,  tandis  qu'elle 
«  ne  doit  s'appliquer  qu'à  la  maténcdité  du  délit  ou  de  la  con^ 
«  travention.  Vous  sentirez ,  Messieurs ,  combien  il  serait 
«  dangereux  d'admettre  que  des  énonciations  relatives  k  des 
«  injures ,  à  des  violences  ou  k  toute  autre  circonstance , 
((  pussent  interdire  au  prévenu  la  faculté  d'administrer  la 
«  preuve  contraire.  Pour  lever  toute  espèce  de  doute  sur  ce 
ff  point,  nous  proposons  de  dire  dans  l'article  :  faits  matériels. 
«  Celte  addition  est  conforme  k  une  jurisprudence  consacrée 
«  par  la  Cour  de  cassation.  » 

Ce  principe  n'est  pas  contesté,  mais  il  donne  matière  a  de 
sérieuses  difficultés  dans  l'application.  Que  faut-il  entendre 

par /ai/<  matérieU? 

896.  Il  est  d'abord  évident  que  ces  faits  doivent  avoir 
directement  trait  au  délit  ou  k  la  contravention.  C'est  ainsi 
que  M.  Favard  de  Langlade,  d'accord  avec  une  jurisprudence 
constante,  exclut  les  énonciations  relatives  k  des  injures,  k 
des  violences.  Ce  sont  Ik  des  délits  communs,  que  l'agent 
n'a  plus  aucun  pouvoir  spécial  pour  constater. 

597.  Pour  le  délit  même  dont  la  preuve  rentre  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions,  la  matérialité  seule  se  trouve 
légalement  établie.  Le  rédacteur  ne  mérite  donc  confiance, 
ainsi  qu'un  notaire,  que  pour  les  faits  qu'il  a  perçus  pfoprtis 
sensibus,  et  non  lorsqu'il  se  livre  k  des  inductions  plus  ou 
moins  hasardées.  C'est  ainsi  qu'un  arrêt  de  rejet  du  30  mai 
1831  a  reconnu  qu'on  était  reçu  k  prouver,  sans  s'inscrire 
en  faux,  l'origine  française  d'un  cheval  saisi  dans  le  rayon- 
frontière,  bien  que  les  préposés  affirmassent,  dans  leur  rap- 
port, qu'il  provenait  de  l'étranger.  C'était  Ik  une  question 


PltOCiS-VERBÀTIX.  171 

d'identité,  qui  ne  pouvait  être  résolue  li  ia  simple  inspection 
de  Tobjel  en  litige.  Une  décision  plus  significative  encore, 
c'est  un  arrêt  du  !•'  mars  1822,  par  lequel  la  même  Cour 
déclare  qu'un  procès-verbal  qui  constate  la  saisie,  au  domi- 
cile d'un  pêcheur,  d'un  filet  prohibé ,  encore  mouillé ,  ne 
peut  établir  qu'on  s'en  soit  servi  pour  la  pêche.  Toujours 
dans  le  même  esprit,  la  Cour  de  cassation  refuse  k  un  com- 
missaire de  police  le  pouvoir  de  constater  que  des  eaux  jetées 
sur  la  voie  publique  sont  insalubres,  mais  elle  lui  permet 
d'établir  qu'elles  sont  infectes-,  cette  dernière  qualité  pou- 
vant s'apprécier  directement  par  les  sens,  tandis  que  la 
seconde  exige  l'examen  des  gens  de  l'art.  (Compar.  les  arr. 
du  27  aoftt  1825  et  du  17  juin  1832.)  Enfin,  l'asserlion  des 
préposés  des  douanes  qui,  après  avoir  saisi  un  b&timent 
chaîné  de  contrebande,  dont  le  propriétaire  alléguait  s'être 
approché  de  la  côte  par  force  majeure',  affirmaient  que  le 
temps  était  au  contraire  favorable  pour  tenir  le  large,  a  été 
jugée  n'être  qu'une  simple  induction,  k  laquelle  on  peut 
directement  opposer  la  preuve  contraire.  (Rej.,  28  jan- 
vier 1851.) 

La  jurisprudence,  il  est  vrai,  ne  s'est  pas  toujours  aussi 
strictement  renfermée  dans  le  principe  que  l'agent  ne  peut 
constater  que  les  faits  matériels  qu'il  a  actuellement  sous 
les  yeux.  On  peut  critiquer  un  arrêt  de  la  même  Cour  du 
14  janvier  1830,  qui  admet  qu'un  procès- verbal  peut  faire 
foi  d'un  fait  déjk  ancien ,  notamment  du  fait  que  tel  terrain 
était  précédemment  en  nature  de  bois.  Mais  d'autres  déci- 
sions nous  semblent  mal  k  propos  critiquées  par  les  auteurs 

'  L*aU<^gation  de  la  force  majeure  est  toujours  recerable  même  contre  un 
procès-verbal  faisant  foi  jusqu'à  inscription  de  faux.  C'est  là  expliquer  les 
faits,  et  non  les  dénier,  ainsi  que  l'a  jugé  la  Cour  de  cassation  (Rej., 
U  juillet  t850)  dans  l'espèce  assez  curieuse  de  l'introduction  dans  une 
ferme  du  Luc,  par  un  temps  d'orage,  de  cinquante-huit  moutons  sujets  au 
droit  d'octroi* 


172  PROGÈS-YERBÀDX. 

qui  ont  écrit  sur  les  procès-verbaux.  Ces  auteurs  nous  pa- 
raissent s'être  attachés  trop  strictement  k  l'idée  de  fahi  ma-^ 
tériels.  Lorsqu'il  s'agit  de  points  sur  lesquels  les  agents  pos- 
sèdent des  connaissances  spéciales,  c'est  avec  raison, 
suivant  nous,  qu'on  s^en  rapporte  k  leur  témoignage,  non- 
seulement  quant  aux  apparences  grossières,  mais  même 
quant  aux  qualités  moins  évidentes ,  de  nature  toutefois  à 
pouvoir  être  appréciées  par  des  personnes  expertes.  Rien 
d'exorbitant  dès  lors  k  ce  qu'on  ne  puisse ,  sans  prendre  la 
voie  de  l'inscription  de  faux,  soutenir  qu'une  boisson  saisie, 
comme  étant  du  vin,  par  les  employés  des  contributions 
indirectes,  n'était  que  de  l'eau  jetée  sur  des  mûres-,  ou 
bien  que  la  chaudière  saisie  chez  un  brasseur,  comme 
propre  k  la  fabrication  de  la  bière,  n'était  pas  réellement 
propre  k  cet  usage.  (Yoy.  les  arr.  de  la  Cour  de  cassation 
du  SI  novembre  1817  et  du  15  juillet  1826.)  A  quoi  servi- 
rait, dans  le  système  opposé,  l'institution  d'agents  ayant 
des  connaissances  toutes  particulières,  si,  en  pareille  cir- 
constance, ils  devaient  se  borner  k  constater  l'existence 
d'un  liquide  de  couleur  rougeàtre,  ou  bien  d'une  chaudière 
quelconque?  On  ne  doit  pas  sortir  des  faits,  sans  doute; 
mais ,  pour  que  le  rapport  soit  utile ,  il  faut  bien  qu'il  carac- 
térise les  faits ,  pourvu  qu'en  les  caractérisant  il  ne  s'écarte 
pas  des  données  fournies  par  l'expérimentation  directe. 
Cette  expérimentation,  après  tout,  n'est  pas  celle  du  pre- 
mier venu,  mais  celle  de  gens  ayant  des  lumières  spéciales. 
(Voy.  aussi  Cass.,  12  février  1847.)  Il  en  est  autrement,  et 
tout  le  monde  est  d'accord  sur  ce  point,  si  l'officier  n'ap- 
puie son  témoignage  que  sur  la  notoriété  publique.  Il  n'a 
pas  qualité  pour  constater  cette  prétendue  notoriété ,  et  fût- 
elle  constatée,  ce  ne  serait  point  une  preuve  légale,  mais 
une  présomption  vague ,  qu'il  serait  permis  de  combattre 
par  tous  les  moyens  possibles.  «  Les  procès- verbaux  »,  dit 


PROGÈS-TEBBAUX.  i73 

la  Cour  de  cassation  (arr.  da  13  avril  1861  ),  «  ne  sont  que 
Il  de  simples  rapports  dont  Tappréciation  est  abandonnée  à 
«  la  conscience  des  juges,  lorsque  les  agents  qui  les  ont 
«  rédigés  n'ont  été  témoins  de  rien  et  n'ont  fait  qu'y  con- 
«  signer  les  renseignements  par  eux  recueillis.  » 

598.  On  se  demande  enfin  si  Ton  peut  faire  rentrer  dans 
les  faits  matériels  les  aveux  et  déclarations  des  prévenus. 
Des  auteurs  graves  (M.  F.  Hélîe,  tom.  III,  §  145)  sou- 
tiennent la  négative.  Ils  pensent  que  les  faits  externes,  qui 
laissent  des  traces  sensibles ,  peuvent  seuls  être  établis  par 
procès-verbal ,  k  l'exclusion  des  aveux,  qui,  ne  laissant  au- 
cune trace  de  cette  nature ,  tendent  à  prouver  le  délit ,  mais 
ne  le  constituent  point.  Néanmoins  la  jurisprudence  de  la 
Cour  de  cassation  (voy.  notamment  un  arrêt  rendu,  cbam- 
bres  réunies,  le  6  août  1834)  s'est  prononcée  dans  le  sens 
de  l'affirmative,  qui  nous  semble  plus  fondée.  La  restriction 
de  la  foi  de  l'acte  aux  faits  matériels  a  pour  but  de  repous- 
ser des  inductions  puisées  ailleurs  que  dans  l'expérience 
personnelle  du  fonctionnaire ,  mais  non  de  borner  l'autorité 
de  ce  fonctionnaire  k  quelques-uns  seulement  des  faits  qu'il 
perçoit  dans  l'exercice  de  ses  fonctions.  «  On  doit  entendre 
«  par  faits  matériels  )>,  dit  fort  bien  M.  Mangin  {Procès-ver- 
baux,  n*  32) ,  «  tous  ceux  qui  frappent  les  organes-,  or,  com- 
0  ment  établir  une  distinction  entre  les  faits  qui  frappent  tel 
a  organe  des  employés  plutôt  que  tel  autre,  et  ne  pas  ajou- 
«  ter  foi  k  ce  qu'ils  disent  avoir  entendu  aussi  bien  qu'k  ce 
«  qu'ils  disent  avoir  vu?  »  Seulement,  il  ne  faut  pas  oublier 
que  l'aveu  du  délit  n'est  pas  le  délit  même,  et  l'on  sera 
toujours  reçu  a  établir  que  cet  aveu  n'a  été  que  le  résultat 
de  la  surprise  ou  de  Terreur.  Aussi  est-ce  bien  mal  k  propos 
qu'on  a  signalé  comme  une  inconséquence  dans  la  doctrine 
de  la  Cour  suprême ,  la  règle  posée  par  un  arrêt  de  cassa- 
tion du  30  juillet  1835,  suivant  lequel  la  réalité  seule  de 


174  PROCà&-yBRBÀCX. 

l'aveu  est  établie  jusqu'à  inscription  de  faux,  la  sincérité 
pouvant  toujours  en  être  débattue  par  la  preuve  contraire. 
Ce  n'est  la  que  l'application  pure  et  simple  des  principes 
élémentaires  sur  l'authenticité,  la  constatation  légale  ne 
portant  jamais  que  sur  les  faits  dont  l'officier  public  a  per- 
sonnellement connaissance. 

599.  Il  nous  reste  maintenant  k  examiner  quelles  sont 
les  preuves  que  Ton  peut  administrer  contre  les  procès-ver- 
baux qui  ne  font  pas  foi  jusqu'à  inscription  de  faux.  La  diffi- 
culté ne  parait  pas  sérieuse  au  premier  coup  d'œil.  Habi- 
tuellement, toutes  les  fois  que  tel  ou  tel  document,  tel  ou 
tel  témoignage  admet  la  preuve  contraire,  cette  preuve,  si 
on  ne  se  trouve  pas  dans  un  cas  d'exclusion  de  la  preuve 
testimoniale ,  peut  se  faire  par  tous  les  moyens  propres  k 
convaincre  l'esprit  du  juge.  La  justification  de  la  non-culpa- 
bililé  du  prévenu  n'est  donc  soumise,  de  droit  commun,  b 
aucune  condition  restrictive.  Sans  doute,  on  le  décide  avec 
raison ,  la  simple  dénégation  du  prévenu  ne  doit  pas  être 
considérée  comme  une  preuve  contraire.  De  même ,  pas  plus 
ici  qu'ailleurs,  la  conviction  du  juge  ne  saurait  se  former 
d'après  les  éléments  pris  en  dehors  des  débats.  Mais  ne  faut- 
il  pas  aller  plus  loin  et  s'attacher  à  ces  expressions  de  l'ar- 
ticle 154  du  Code  d'instruction  :  «  Ils  pourront  être  débattus 
«  par  des  preuves  contraires,  soit  écrites,  soU  testimoniales f 
«  si  le  tribunal  juge  à  propos  de  les  admettre?  i»  Nous  avions 
pensé  d'abord,  avec  plusieurs  auteurs,  qu'en  signalant  la 
preuve  écrite  et  la  preuve  testimoniale,  cette  disposition 
n'était  point  limitative,  et  devait  s'entendre  de  toute  espèce 
de  preuve,  comme  l'article  46  du  Code  civil  et  bien  d'autres 
articles  de  nos  lois ,  qui ,  en  permettant  de  prouver  tant  pat 
titres  que  par  témoins,  n^en tendent  point  exclure  les  preuves 
d'une  autre  nature.  Mais ,  en  y  réfléchissant  plus  mûrement, 
nous  avons  reconnu ,  avec  la  jurisprudence  de  la  Cour  de 


PROCÈS-VERBAUX.  178 

cassation  et  avec  les  auteurs  spéciaux,  qu'ici  le  procès- 
Yerbal  a  le  caractère  d'une  preuve  légale ,  susceptible  seule- 
ment d'être  combattue  par  des  moyens  déterminés,  dont 
l'appréciation  écbappe  à  l'arbitraire  du  juge.  On  ne  saurait 
donc  invoquer  le  droit  commun ,  qui ,  comme  nous  le  ver* 
rons ,  met  les  présomptions  sur  la  même  ligne  que  la  preuve 
testimoniale  ' ,  et  qui  considère  les  tribunaux  de  police 
comme  une  sorte  de  jury  quant  k  l'appréciation  des  faits. 
n  est  dans  l'esprit  de  la  législation  spéciale  de  ne  s'attacher 
ni  aux  dénégations  du  prévenu,  ni  k  la  notoriété  publique, 
ni  aux  notions  personnelles  (voy.  n""  102)  que  pourrait  avoir 
le  juge  (Cour  de  cass.,  arr.  des  15  juillet  1820, 17  dé- 
cembre 1824,  24  juillet  1835  el  9  août  1838) ,  lors  même 
que  ces  notions  ne  seraient  point  extrajudiciaires.  (Cass., 
7  décembre  1855.)  On  ne  saurait,  en  effet,  permettre  au 
juge  de  substituer  une  appréciation  personnelle  à  la  preuve 
résultant  d'un  procès-verbal,  non  combattu  par  des  preuves 
écrites  ou  testimoniales,  sans  retomber  dans  le  système  des 
présomptions  abandonnées  aux  lumières  et  k  la  prudence 
du  magistrat  (Cod.  civ.,  art.  1353)*,  et  c'est  précisément  ce 
que  Ton  a  voulu  éviter.  (Cass.,  2  juin  1864  et  21  mars  1865.) 
Néanmoins  la  jurisprudence,  en  écartant  de  simples  ren- 
seignements ou  certificats,  admet  comme  preuve  contraire 
légale  le  rapport  d'experts  dûment  assermentés  et  la  visite 
des  lieux  régulièrement  opérée  par  le  juge.  Ce  sont  Ik  des 
témoignages  lato  sensu,  (Arr.  du  1*'  juin  1844  et  du  12  jan- 
vier 1856.)  Dans  tous  les  cas,  le  juge  doit,  k  peine  de  nul* 
lité  (Cass.,  26  mars  1858),  indiquer  nettement  en  quoi  la 

'  On  inTCMiae  souTent  en  ce  sens  un  arrêt  de  cassation  du  5  janvier  1810, 
d'où  il  résulterait  qu^une  présomption  de  droit  ne  peut  être  détruite  par  des 
présomptions  simples.  Cette  doctrine,  dans  sa  généralité,  est  erronée  ;  mais, 
<inoi  qu'il  en  soit ,  cet  arrêt  est  étranger  à  Tinterprétation  de  Pàrticle  1S4 
du  Code  d^instrncUon ,  puisqu'il  statue  sur  une  espèce  régie  par  le  droit 
anUiiear. 


176  PROGÈS-YEBBÀinL. 

preuve  administrée  devant  lai  parait  ébranler  la  foi  due  au 
procès-verbal.  (Voy.  aussi  Cass.,  27  juillet  1872.) 

Au  surplus,  puisque  les  procès-verbaux,  lors  même  qu'ils 
font  foi  jusqu'à  inscription  de  faux ,  ne  constatent  que  la 
matérialité  des  faits  (n""  597),  ce  n'est  point  méconnaître  la 
foi  du  procès-verbal  d'un  commissaire  de  police,  consta- 
tant l'existence  d'un  amas  d'eau  stagnante,  que  de  puiser 
dans  les  documents  du  procès  et  les  explications  de  l'in- 
culpé les  éléments  de  la  conviction  du  juge  sur  l'origine  et 
la  nature  delà  stagnation  des  eaux.  (Rej.,  25  juin  1869.) 

600.  L'article  144  ajoute,  en  parlant  des  preuves  con- 
traires, <i  le  tribufial  Juge  à  propos  de  les  admettre.  Boitard 
(Inst.  crim.,  comment,  sur  cet  art.)  parait  induire  de  Ik  que 
que  l'on  accorde  ici  plus  spécialement  au  juge  un  pouvoir 
indéfini  pour  admettre  ou  rejeter  ces  preuves.  Mais,  dans  la 
pratique  (arr.  du  17  février  et  du  23  septembre  1837),  en 
ce  point  parfaitement  d'accord  avec  la  doctrine  générale  sur 
l'admissibilité  de  l'enquête,  on  n'entend  ce  pouvoir  que  de 
la  faculté  de  rejeter  une  preuve  frustratoire ,  c'est-k-dire 
l'allégation  de  faits  qui  ne  seraient  pas  concluants  (n"*  61), 
absolument  comme  en  matière  civile.  (C.  de  proc.,  art.  253 
et  264.  )  Il  n'y  a  donc  Ik  rien  d'arbitraire  ni  d'exceptionnel. 
On  a  voulu  seulement  empêcher  la  chicane  d'éterniser  les 
procès  les  plus  simples,  en  sollicitant  l'admission  d'enquêtes 
complètement  inutiles,  mais  qu'il  serait  impossible  au  tri- 
bunal de  refuser.  Nous  avons  interprété  de  la  même  ma- 
nière (n""  313)  les  expressions  s'il  y  a  lieu  Aes  articles  153 
et  190.  Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  que  la  preuve  testi- 
moniale, lorsqu'elle  est  admise,  est  soumise  au  droit  com- 
mun ,  et  que  dès  lors  un  témoin ,  même  unique ,  peut  dé- 
truire l'autorité  du  procès-verbal.  (Rej.,  11  décembre  1851.) 

601.  Il  y  a  des  procès-verbaux  qui  ne  font  pas  même  foi 
jusqu'k  preuve  contraire.  Ce  sont  ceux  des  agents  ou  appa- 


ACTE  AOTHENTIQUE  AU   GRUillfEL.  177 

riteurs  de  police,  des  gendannes,  dans  les  cas  où  ils  u'ont 
pas  de  délégation  légale,  ainsi  que  l'a  jugé  la  Cour  de  cas- 
sation, le  30  juin  1838  et  le  S8  septembre  1849-,  des  offi- 
ciers publics  qui  n'ont  pas  mission  pour  constater  les  in- 
fractions^ enfin,  des  officiers  qui  ont  cette  mission,  mais 
qni  ont  agi  en  dehors  de  leur  mandat,  ainsi  que  nous  avons 
TU  qu'on  l'a  jugé  pour  le  ministère  public  lui-même,  le 
i9  ayrii  18S5.  De  pareils  procès-verbaux  ne  valent  que 
comme  simples  renseignements;  habituellement  le  tribunal 
entend  le  rédacteur,  et  ce  témoignage  supplée,  suivant  les 
circonstances ,  au  défaut  d'autorité  de  son  rapport. 

DEUXIÈME  DIVISION. 

FOI  DBS  ACTES  AUTHENTIQUES  ORDINAIRES  DEVANT   LES   TRIBUNAUX 

,        CRIMINELS. 

SonuiBB.  —  <0S.  ProdacUon  A*actes  authentiques  aa  crimlDel.  —  603.  Procès-verbaux 
dressés  par  les  greffiers  des  tribunaux  criminels.  —  604.  Leur  foi  en  matière  de  délits 
d'audience.  ~  605.  Droit  du  jury  de  connaître  des  actes,  même  authentiques. 

002.  La  foi  des  actes  authentiques,  rédigés  en  la  forme 
ordinaire  par  les  notaires  ou  par  tous  autres  officiers  pu- 
blics, est  évidemment  la  même  au  criminel  qu'au  civil.  Et 
en  effet,  le  Code  d'instruction  (art.  458)  trace  la  marche 
k  suivre,  lorsque ,  dans  le  cours  d'une  procédure  criminelle, 
une  pièce  produite  est  arguée  de  faux  :  ce  qui  montre  bien 
qae  l'inscription  de  faux  est  nécessaire  en  matière  crimi- 
nelle, lorsqu'on  attaque  un  acte  authentique.  Sans  doute 
les  points  qui  exigent  le  plus  souvent  une  vérification  de 
titres,  tels  que  ceux  relatifs  aux  propriétés  immobilières, 
doivent  être,  ainsi  que  nous  l'avons  reconnu  (n""  227),  ren- 
voyés aux  tribunaux  civils.  Mais,  dans  une  foule  de  cir- 
constances, des  actes  authentiques  peuvent  être  produits 
incidemment  devant  les  juridictions  criminelles ,  qui  doivent 
II.  « 


178  ACTE  AUTHENTIQUE  AU   CEIlimEL. 

se  décider  d'après  leur  autorité ,  tant  qu'il  n'y  ait  inscription 
de  faux. 

603.  Nous  devons  reproduire  ici  l'observation  impor- 
tante que  nous  avons  faite  sur  le  caractère  restreint  de  la 
foi  qui  s'attache  il  l'authenticité.  Cette  foi  n'existe  que  dans 
les  limites  de  la  compétence  de  Tofficier  qui  instrumenté. 
Aussi  le  fait  direct  de  l'infraction  k  la  loi  pénale  sera-t^l  ra- 
rement constaté  par  un  fonctionnaire  de  Tordre  civil ,  tel 
qu'un  notaire.  Ce  fonctionnaire  n'aura  le  plus  souvent  au- 
cune qualité  pour  dresser  acte  d'un  délit)  pas  plus  qu'un 
garde  forestier  n'aurait  qualité  pour  rédiger  un  procès^ver* 
bal  destiné  k  prouver  une  transaction  sur  Taction  civile. 
Seulement,  un  notaire  pourrait  être  appelé  k  donner  l'au- 
thenticité k  un  aveu  -,  mais  alors  ce  qu'il  attesterait  vim  et 
auditu,  ce  ne  serait  pas  le  délit,  mais  Taveu  du  délit:  aveu 
dont  on  peut  contester  la  sincérité  et*la  force  sans  prendre 
la  voie  de  l'inscription  de  faux.  (N*  598.)  Quelquefois  ce- 
pendant une  infraction  pourra  se  trouver  directement  et 
officiellement  établie  par  des  actes  notariés ,  notamment  par 
ceux  qui  constateraient  des  prêts  usuraires.  Quelque  blâ- 
mable que  fût  le  notaire  qui  aurait  prêté  son  ministère  k  de 
pareilles  conventions,  il  en  aurait  néanmoins  dressé  acte 
dans  Texercice  de  ses  fonctions,  et  il  y  aurait  lieu  dès  lors  Si 
l'application  de  la  loi  du  3  septembre  1807,  k  moins  qu'on 
ne  prouv&t  la  fausseté  du  titre.  Mais ,  dans  la  plupart  des 
cas ,  les  actes  authentiques  serviront  seulement  k  établir  des 
circonstances  de  nature  k  augmenter  ou  ii  diminuer  la  peine  ; 
c^est  ainsi  qu'on  prouvera  par  les  actes  de  naissance  l'âge 
de  l'accusé  ou  celui  de  la  victime,  quand  l'âge  pourra  influer 
sur  la  gravité  du  délit  ou  sur  la  nature  de  la  condamnation. 

604.  Les  greifiers  des  tribunaux  criminels  ont  évidetn- 
ment  qualité  pour  constater,  comme  ceux  des  tribunaux 
civils,  l'accomplissement  des  formalités  prescrites  par  la  loi. 


▲GTE  AUTHENTIQUE  AU  CRIMINEL.  179 

Le  procès- verbal  de  la  séance  d'une  Cour  d'assises  (G. 
d'instr.,  art.  372)  fait  donc  foi  jusqu'à  inscription  de  faux, 
et,  congae  l'a  jujgé  la  Cour  de  cassation,  le  3  décembre 
iStô,  on  ne  peut  en  faire  tomber  les  allégations  autrement 
que  par  cette  roie,  lors  même  que  l'on  se  fonderait  sur  un 
acte  notarié.  Bien  plus,  aucune  preuve  testimoniale  n'est 
admissible  pour  suppléer  k  cette  constatation.  Toute  forma-^ 
lité  dont  l'existence  n'est  pas  mentionnée ,  est  présumée  par 
cela  seul  n'avoir  pas  été  accomplie ,  sans  qu'aucune  preuve 
contraire  puisse  être  reçue.  (Voy.  notamment  Cass.,  il  sep- 
tembre 1845  et  12  décembre  1851.)  Ici  encore  l'authen- 
ticité ne  peut  s'attacher  qu'aux  faits  dont  l'oiBcier  a  été 
lui-même  témoin.  Ainsi,  Tàge  d'un  témoin  ne  peut  être 
établi  à  l'aide  de  ce  procès-verbal.  L'authenticité  ne  peut 
s'attacher  davantage  aux  points  que  le  grefQer  n'a  pas  qua- 
lité pour  constater.  Ainsi ,  la  mention  que  telle  chose  a  été 
faîte  conformément  à  tel  article  du  Code  itinBtruction  erifàinelle, 
ne  peut  être  considérée  que  comme  un  renvoi  fait  à  l'article 
par  le  rédacteur  du  procès-verbal ,  mais  nullement  comme 
la  preuve  que  tout  s'est  passé  conformément  aux  dispositions 
de  la  loi. 

Il  est  k  remarquer,  en  ce  qui  concerne  les  procès-ver- 
baux dressés  par  les  greffiers  des  Ck)urs  d'assises,  que  les 
mentions  relatives  aux  réponses  des  accusés  ou  aux  dépo- 
sitions ne  sont  pas  simplement  considérées  comme  non 
avenues^  elles  annulent  (G.  d'inst.,  art.  372)  le  procès* 
verbal  même,  qui  ne  doit  transmettre  k  la  Cour  de  cassa- 
tion aucune  impression  des  débats ,  en  dehors  de  l'accom- 
plissement des  formalités  légales.  C'est  ce  qu'a  jugé  un 
arrêt  de  cassation  du  14  mars  1856,  relativement  k  la 
simple  mention  que  l'accusé  avait  protesté  de  son  innocence. 
Mais  un  aveu  pourrait  et  devrait  être  constaté  (Rej.,  19  août 

12. 


180  ACTE  AUTHENTIQITB  AU  CRimNEL. 

1837),  s'il  était  nécessaire  de  le  mentionper  afin  de  motiver 
un  arrêt  incident. 

Au  surplus ,  le  procès-verbal  des  débats  n'est  gf int  as- 
treint à  des  formalités  rigoureuses.  Ainsi,  il  n'est  point 
vicié  par  l'omission  de  la  date,  si  Ton  peut  suppléer  à 
cette  omission  par  les  énonciations  y  relatées.  (Rej. , 
19  juin  1828.) 

Quelle  que  soit  l'autorité  du  greffier,  elle  ne  saurait  pré- 
valoir sur  celle  du  président  de  la  Ck>ur  d'assises.  Dès  lors 
on  a  jugé  avec  raison  (Cass.,  2  juillet  1835)  que  lorsque  le 
procès-verbal  constate  le  doute  du  ffrésident  sur  l'observation 
d'une  formalité  y  mentionnée,  la  formalité  doit  être  réputée 
non  accomplie.  Il  est  plus  douteux  que  l'attestation  du  pré- 
sident suffise,  lorsqu'elle  n'est  point  corroborée  par  celle  du 
greffier,  et  que  l'accomplissement  d'une  formalité  essen- 
tielle puisse  résulter  seulement  de  la  pUîne  et  ferme 
croyance  du  prérident  ' ,  comme  Ta  jugé  un  arrêt  de  rejet  da 
30  novembre  1824.  Enfin,  il  n'y  a  pas  le  moindre  doute 
dans  le  sens  de  la  nullité,  s'il  y  a  contradiction  entre  la 
déclaration  du  greffier  et  un  arrêt  de  la  Cour  d'assises. 
( Cass.,  20  mars  1846;  voy.  aussi  18 mai  1865.) 

604  bis.  Il  s'élève  une  question  fort  grave  sur  l'autorité  du 
procès-verbal  d'un  crime  ou  d'un  délit  commis  à  l'audience, 
dressé  par  le  greffier  d'un  tribunal  criminel,  ou  même  civil. 
{Ibid,,  art.  508.)  Ce  procès- verbal  prouve-t-il  le  crime  ou 
le  délit  jusqu'à  inscription  de  faux,  bien  qu'aucun  texte  ne 
1  e  mette  au  nombre  des  documents  auxquels  est  attribuée 
cette  autorité?  Merlin  a  soutenu  l'affirmative,  dans  une  af- 
faire soumise  k  la  Cour  de  cassation ,  le  31  décembre  1812. 

I  Ces  qnesUons  délicates  ne  pourraient  s'élerer  si  la  pratique  n'autori- 
sait point ,  dans  le  silence  de  la  loi ,  la  rédaction  après  un  long  intenralle 
du  procès-verbal  des  débats;  c'est  ainsi  qu'elle  a  déclaré  valable  (Rej., 
21  mars  1836)  un  procès-yerbal  rédigé  après  plus  de  vingt  jours. 


ACTB  AUTBXHTIQUB  AU  CRIMOfEL.  481 

n  a  pensé  qu'on  devait  accorder  la  foi  la  plus  entière  au 
procès-Terbal  dressé  par  le  greffier  d'une  Cour  d'assises, 
d'où  il  résultait  que  les  magistrats  avaient  été  insultés  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions.  L'espèce  était  favorable  k  cette 
prétention ,  puisque  les  juridictions  supérieures ,  telles  que 
les  Cours  d'assises,  ont  qualité,  en  pareille  hypothèse,  pour 
juger  sans  désemparer,  lors  même  qu'il  s'agirait  d'un 
crime  \  (Ibid.,  art.  506.)  Dès  lors,  dit-on,  la  Cour  avait  au 
moins  qualité  pour  constater  les  faits ,  puisqu'elle  aurait  pu 
frapper  immédiatement  l'accusé  de  la  peine  légale.  Mais 
autre  chose  est  une  vérification  publique,  k  l'aide  d'un  dé* 
bat  contradictoire-,  autre  chose  est  la  simple  rédaction  d'un 
procès- verbal ,  que  les  parties  intéressées  ne  sont  pas  ap- 
pelées a  contrôler.  Remarquons  qu'il  peut  s'agir  de  crimes , 
et  qu'une  condamnation  capitale  serait  ainsi  forcément  en- 
courue, sans  que  l'accusé  eût  été  mis  en  demeure  de  s'ex- 
pliquer sur  les  faits;  car  si  le  procès-verbal  faisait  foi 
jusqu'à  inscription  de  faux,  la  juridiction  saisie  de  Taffaire 
n'aurait  plus  quia  appliquer  la  peine,  et  la  prétendue  modé- 
ration de  la  Cour  d'assises  aboutirait  à  priver,  en  définitive , 
l'accusé  de  la  faculté  de  se  défendre ,  à  moins  de  prendre  la 
Yoie  périlleuse  de  l'inscription  de  faux.  Aussi  la  Cour  de 
cassation  n'a-t-elle  pas  admis  la  doctrine  de  Merlin-,  elle 
n'a  considéré  le  procès-verbal  dans  l'espèce  que  comme 
faisant  foi  jusqu'à  preuve  contraire.  Ce  n'est  que  lorsque  le 
rédacteur  agit  tout  k  fait  en  qualité  de  greffier,  lorsqu'il 
constate  les  opérations  du  tribunal  auquel  il  est  attaché, 
que  l'authenticité  la  plus  complète  doit  s'attacher  k  son 
témoignage.  Cette  solution  est,  du  reste,  parfaitement  rai- 
sonnable. Le  greffier  n'a  pas  la  même  certitude  de  l'exis- 

*  La  facnlté  de  statuer  ainsi  sans  désemparer,  critiquée  par  plusieurs 
crimiiiaUstes,  a  été  supprimée,  à  Naples,  par  l'artiele  S47  de  la  loi  de 
procédure  pénale. 


482  ACTE   AOTHBNTIQinS   AU  GRIMIlfEL. 

tence  d'un-délit  qai  se  passe  peut-être  k  rextrémité  de  la 
salle  d'audience ,  que  de  raccomplissement  des  formalités 
qui  ont  lieu  sous  ses  yeux  k  la  barre  du  tribunal. 

605.  Il  nous  reste  k  examiner  une  grave  question  de 
compétence,  en  ce  qui  touche  l'examen  des  actes  authen- 
tiques, produits  devant  une  Cour  d'assises.  Est-ce  aux 
magistrats  ou  bien  au  jury  qu'il  convient  d'en  attribuer  la 
connaissance  ?  Bien  qu'il  ne  s'agisse  que  d'établir  un  fait  à 
Taide  de  ces  pièces,  il  faut  avouer  que  le  jury  n'est  guère 
apte  k  la  vérification  des  preuves  légales,  dont  la  validité 
est  subordonnée  k  l'existence  de  conditions  toutes  tech- 
niques ,  et  que  sa  véritable  mission  consiste  k  discuter  les 
témoignages  et  documents  sur  lesquels  on  peut  se  former 
une  conviction,  indépendamment  de  tout  principe  de  droit. 
D'où  la  théorie  professée  par  M.  Rauter  (  Traité  de  droit  cri- 
minel, n*  777),  suivant  laquelle  le  jury  ne  serait  appelé  k 
connaître  que  des  éléments  matériels  de  l'accusation,  k  l'ex- 
clusion des  preuves  préconstituées.  Mais  cette  distinction 
ne  saurait  se  soutenir  en  présence  de  l'article  34i  du  Gode 
d'instruction ,  qui  prescrit  la  remise  aux  jurés  des  procès- 
verbaux  et  des  pièces  en  général  :  preuve  évidente  qu'ils 

• 

sont  appelés  k  apprécier  même  des  actes  authentiques.  La 
scission  d'ailleurs  serait  presque  toujours  impraticable,  les 
pièces  et  les  témoignages  concourant  k  opérer  la  conviction, 
de  manière  k  former  un  ensemble  moralement  indivisible. 
Tout  ce  que  Ton  peut  admettre,  c'est  que  les  questions  pré- 
judicielles qui  touchent  au  droit  civil  seront  de  la  compé- 
tence exclusive  de  la  Cour.  C'est  ainsi  qu'une  jurisprudence 
aujourd'hui  constante  (Cass.,  30  juin  1831)  admet  que  les 
magistrats  seuls  ont  qualité  pour  décider,  dans  les  ques- 
tions de  faux ,  si  le  faux  a  été  ou  non  commis  en  écriture 
publique.  Cette  jurisprudence  est  contestable,  sans  doute, 
en  présence  de  l'article  337  du  Code  d'instruction,  qui 


INSGRIPtION  DE   FAUX.  483 

parait  s^en  remettre  purement  et  simplement  au  jury  sur  la 
question  de  savoir  «  si  Taccusé  est  coupable  de  tel  crime , 
«  avec  toutes  les  circonstances  comprises  dans  le  résumé  de 
a  l'acte  d'accusation.  »  Mais,  en  supposant  que  rimpossibi-^ 
lité  où  se  trouve  le  jury  de  statuer  sur  des  questions  de  pur 
droit  doive  faire  détacher  de  sa  juridiction  les  questions  de 
droit  préjudicielles,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'en  général 
les  actes  doivent  être  appréciés  par  la  Cour,  et  les  témoi- 
gnages par  le  jury.  La  question  principale  doit  toujours  être 
décidée  par  le  jury  seul,  ii  l'aide  de  tous  les  documents  de 
la  cause.  Aussi,  la  Cour  de  cassation  a-*t-elle  cassé,  le 
1*'  octobre  1834,  la  condamnation  prononcée  par  une  Cour 
d'assises,  sur  le  vu  de  l'acte  de  naissance  de  la  victime  d'un 
attentat  (il  s'agissait  de  constater  l'âge  d'une  jeune  fille) , 
sans  que  le  jury  eût  été  interrogé  sur  les  circonstances 
aggravantes.  Quant  aux  questions  civiles  préjudicielles ,  c'est 
Il  raison  de  leur  nature,  et  non  de  la  manière  dont  s'admi** 
nifitre  la  preuve  des  points  qui  s^y  rattachent  \  qu'elles 
seront  de  la  compétence  des  magistrats. 

TROISIÈME  SECTION. 

MARCHE  A  SUIVRE  POUR  FAmE  TOMBER  l' AUTHENTICITE  ; 

INSCRIPTION  dfa  FAUX, 

90M]|À]BE.  —  €06.  Nèeeititè  d'âne  proeèdore  spéciale.  ^  «or.  Ganetère  criminel  da 
faax.  —  608.  Faux  principal  et  faux  incident.  ~  609.  Y  a-t-il  an  faux  principal  eiPitt 
—  640.  Origine  de  Yinscriplion  de  faux.  —  644.  Influence  de  la  proeèdore  de  fbnx  snr 
l'exteatioD  de  l'acte.  —  642.  Simple  saspension  de  la  force  extrinsèque  de  l'acte.  —  643. 
Caractère  de  la  procèdare  criminelle  de  faux.  —  644.  Division  de  la  matière. 

606.  La  foi  qui  s'attache  à  l'authenticité,  et  même  à 
l'apparence  de  l'authenticité  (n*  457),  n'est  point  susceptible 

■  Ainsi,  an  arrêt  de  rejet  du  22  septembre  1821  a  jugé  qo'il  n'appartient 
((u'à  la  Cour  de  décider  si  des  pièces  de  soixante-quinze  centimes  sont  des 
monnaies  d'argent  on  de  biilon  :  question  qui  n'est  nullement  susceptible 
de  se  résoudre  au  moyen  de  la  preuve  littérale. 


i84  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

d'être  détruite  par  la  simple  administration  de  la  preuve 
contraire  *,  la  fausseté  de  l'acte  attaqué  doit  être  spéciale- 
ment établie.  C'est  même  la  une  règle  d'ordre  public,  dont 
le  consentement  des  parties  ne  saurait  autoriser  l'infraction. 
(Bordeaux,  7  décembre  1866.) 

607.  Le  faux,  qui  a  constitué  de  tout  temps  un  véritable 
crime  ',  peut  donner  lieu  k  des  poursuites  criminelles ,  aussi 
bien  qu'k  une  action  purement  civile.  La  faculté  accordée 
aux  particuliers,  dans  notre  plus  ancienne  jurisprudence, 
de  poursuivre  eux-mêmes ,  ainsi  qu'ils  le  faisaient  k  Rome , 
les  accusations  qui  les  concernaient,  a  laissé  plus  d'une  trace 
en  cette  matière.  Les  expressions  àe  faux  principal  et  de/aux 
incident,  ainsi  que  la  formalité  même  de  l'inscription ,  n'ont 
pas  d'autre  origine. 

608.  L'article  1319  du  Gode  civil  appelle  plainte  en  faux 
principal  la  poursuite  du  faux  devant  les  tribunaux  criminels. 
Le  Code  de  procédure  appelle ,  au  contraire ,  faux  incident 
dvil  (part.  I,  liv.  II,  tit.  XII,  l'attaque  dirigée  au  civil  contre 
l'acte,  abstraction  faite  de  toutes  poursuites  contre  ceux  qui 
l'auraient  fabriqué  ou  falsifié.  Il  peut  y  avoir  aussi  faux  inci- 
dent criminel,  si,  dans  le  cours  d'une  procédure  criminelle, 
une  pièce  produite  est  arguée  de  faux.  (C.  d'inst.,  art.  458.) 
La  distinction  de  ces  deux  espèces  de  faux  incident  se  con- 
çoit parfaitement  ;  mais  ce  qui  est  moins  facile  k  comprendre, 
c'est  l'expression  de  faux  principal,  appliquée  comme  elle 
l'est  ici.  Quel  rapport  y  a-t-il  entre  l'idée  de  faux  prin- 
cipal et  celle  de  poursuites  criminelles  pour  faux  ?  On  dit 
qu'une  action  est  principale  ou  incidente,  suivant  qu'elle  se 


*  Ce  crime  était  considéré  autrefois  comme  si  odieux ,  quMl  n'était  pas 
compris  dans  les  abolitions  générales  acc^^rdées  par  les  princes  à  l'occasion 
de  grands  événements,  tels  que  leur  avéneiQent  au  trône  ou  leur  mariage. 
(Voy.  Farinacius,  quest.  150.)  Beaucoup  d'anciens  auteurs  regaidaient»  en 
effet ,  le  faux  comme  plus  grave  que  le  meurtre. 


INSCRIPTION  BE  FAUX.  185 

présente  comme  le  but  spécial  d'un  procès,  ou  comme  un 
épisode  qui  Tient  se  rattacher  à  un  procès  préexistant.  Ainsi, 
la  garantie  réclamée  par  Tacheteur  contre  le  vendeur  est 
principale,  lorsqu'elle  est  poursuivie  directement,  et  inci- 
dente, lorsqu'elle  est  invoquée  dans  le  cours  d'un  procès 
dirigé  contre  l'acheteur  par  des  tiers.  Mais,  dans  l'un  et 
l'autre  cas,  le  but  de  l'action  est  le  même,  les  conclusions 
sont  identiques.  Rien  de  pareil  dans  le  faux  principal  com- 
paré au  faux  incident.  La  première  de  ces  poursuites  tend 
k  punir  un  crime ,  la  seconde  à  obtenir  satisfaction  pour  des 
intérêts  purement  privés.  Sans  doute,  l'action  civile  peut 
s'intenter  en  matière  de  faux  comme  en  toute  autre  matière 
criminelle ,  devant  les  mêmes  juges  que  l'action'  publique 
(C.  d'inst.,  art.  3)  ^  et  alors  les  mêmes  conclusions  qu'on 
aurait  pu  porter  k  la  barre  des  tribunaux  civils  seront  pré- 
sentées devant  la  Cour  d'assises.  Mais  c'est  Ik  une  circon- 
stance tout  k  fait  accidentelle,  en  ce  qui  concerne  la  pour- 
suite du  Êiux.  L^action  du  ministère  public,  tendant  k  l'ap- 
plication de  la  peine,  action  qui  est  la  seule  essentielle, 
s'exerce  indépendamment  de  toute  intervention  des  inté- 
re^és.  Or,  peut-on  raisonnablement  qualifier  cette  action 
de  principale,  conmie  si  les  mêmes  conclusions  pouvaient 
jamais  se  présenter  incidemment  devant  les  tribunaux  civils  ? 
Les  expressions  de  faux  principal  et  de  faux  incident  ne 
peuvent  se  comprendre  qu'autant  que  l'on  se  reporte  a 
l'ancien  système  des  accusations  privées,  emprunté  aux 
Romains.  Dans  ce  système ,  la  partie  lésée  pouvait ,  k  son 
choix,  agir  devant  les  tribunaux  criminels  ou  devant  les 
tribunaux  civils.  (Diocl.  et  Maxim.,  L.  16,  Cod.,  Ad,  leg. 
Corn.  defaU.\  Lorsqu'elle  saisissait  la  juridiction  criminelle 
non-seulement  de  la  demande  en  indemnité ,  mais  de  l'ap- 
plication de  la  peine,  c'était  toujours  une  réparation  qu'elle 
demandait  ;  car ,  dans  ce  système  ^  la  peine  était  une  satis- 


i86  llfSCRIPTION   DE  FAUX. 

factioD  accordée  aux  intérêts  privés  ;  mais  cette  réparation 
était  poursuivie  par  action  principale ,  tandis  que ,  devant  la 
juridiction  civile,  la  question  ne  se  présentait  d'ordinaire 
qu'incidemment,  k  l'occasion  d'une  affaire  où  était  produite 
la  pièce  arguée  de  faux. 

Telle  est  l'origine  de  la  confusion  qui  s*est  introduite  dans 
la  pratique  entre  l'idée  de  faux  principal  et  celle  de  faux  cri- 
minel. Et  lors  même  qu'un  ministère  public  eut  été  institué 
pour  poursuivre  les  crimes  au  nom  de  la  société ,  cette  con^ 
fusion  se  maintint  encore ,  parce  que ,  si  le  ministère  public 
avait  le  droit  d'agir  seul ,  il  n'en  était  pas  moins  vrai  que , 
dans  le  cas  de  jonction  de  la  partie  publique  h  la  partie  civile, 
la  partie  civile  était  toujours  préférée  k  la  partie  publique 
pour  la  poursuite  de  l'accusation.  (Jousse,  Traité  de  la  justice 
criminelle,  tom.  III,  p.  71.)  Mais,  aujourd'hui  que  l'action 
pour  l'application  des  peines  n'appartient  qu'aux  fonction- 
naires auxquels  elle  est  confiée  par  la  loi ,  on  sent  combien 
l'expression  de  faux  principal,  employée  dans  le  sens  de  faux 
criminel ,  est  inexacte. 

609.  Il  suffirait  que  cette  observation  eût  un  intérêt  de 
doctrine  pour  qu'il  ne  fût  pas  inutile  de  rectifier  les  idées 
sur  ce  point.  Mais  l'erreur  de  ceux  qui  font  la  confusion  que 
nous  venons  de  signaler,  n'est  pas  purement  spéculative  ; 
elle  a  de  fâcheuses  conséquences  dans  la  pratique,  puis- 
qu'elle conduit  k  décider  que  le  faux  civil  ne  peut  être 
qu'incident.  On  fait  rémarquer,  k  l'appui  de  cette  opinion, 
que  le  titre  du  Code  de  procédure  où  il  est  question  du  faax 
est  intitulé  :  Du  faux  inddeat  dvil,  et  que  les  dispositions  de  ■ 
ce  Gode  (art.  214  et  215)  supposent  évidemment  une  pour- 
suite principale  sur  laquelle  vient  s'enter  la  procédure  acces- 
soire ,  tendant  k  la  suppression  de  la  pièce  suspecte.  Dans 
ce  système ,  quelque  intérêt  que  j'eusse  k  établir  aujourd'hui 
la  fausseté  d'une  pièce  qu'on  se  propose  de  faire  valoir  contre 


niSGRIPTlON   DE  FAUX.  187 

moi ,  %B|ielë  qu'il  me  sera  peut-être  impossible  de  démon- 
trer plas  tard ,  je  ne  serais  pas  reçu  k  l'attaquer  au  civil  par 
action  principale.  Cette  impossiblité  d'intenter  au  civil  une 
action  principale  pour  faux  pouvait  se  concevoir  jadis,  lors- 
que la  partie  lésée  avait  qualité  pour  poursuivre  l'accusation 
au  criminel.  Mais  aujourd'hui  elle  ne  peut  plus  que  se 
joiadre  éventuellement  à  la  partie  publique ,  dont  elle  n'est 
pas  libre  de  diriger  la  marche.  Il  serait  donc  souveraine- 
ment injuste  de  lui  enlever,  dans  ce  cas ,  l'option  que  lui 
donne  en  général  le  Ck>de  d'instruction  (art.  3)  entre  les 
deux  juridictions ,  puisque  l'une  de  ces  juridictions  peut  fort 
bien  ne  pas  lui  être  accessible.  D'ailleurs  il  suffit,  pour 
démontrer  que  Farticle  214  du  Code  de  procédure  n'est  pas 
restrictif  9  de  poser  une  hypothèse ,  où ,  malgré  les  termes  de 
cet  article,  l'action  principale  en  faux  doit  être  reçue  au 
civil.  Or,  il  en  est  ainsi  incontestablement,  lorsque  l'auteur 
du  faux  est  mort ,  et  que  les  poursuites  criminelles  sont  en 
conséquence  devenues  impossibles  -,  on  est  d'accord  pour 
reconnaître  alors  que  les  parties  intéressées  peuvent  agir 
civilement  contre  les  héritiers  pour  leur  demander  la  sup- 
pression de  la  pièce.  (C.  d'inst,,  art.  2.)  Il  peut  donc  être 
permis  de  s'inscrire  en  faux ,  sans  qu'il  y  ait  une  instance 
préalablement  engagée.  Si  on  l'admet  dans  un  cas,  pourquoi 
ne  Tadmettrait-on  pas  également  toutes  les  fois  qu'il  y  a 
intérêt  à  intenter  ainsi  une  action  principale ,  ainsi  que  le 
décide  le  nouveau  Code  de  procédure  italien  (art.  296)? 

On  présente  généralement  l'opinion  contraire  k  la  nôtre 
comme  consacrée  par  la  jurisprudence  :  ce  qui  serait  assez 
extraordinaire  en  présence  des  arrêts  qui  admettent ,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu  (n"  254  et  255),  des  enquêtes  d'examen 
à  futur  et  des  expertises  in  fvtunm.  Mais ,  dans  les  espèces 
où  a  été  écartée  la  demande  en  faux  principal  (Cass., 
25  juin  1845-,  Rej.,  13  février  1860),  cette  demande  ne 


188  INSCRIFTION  DE  FAUX. 

tendait  pas  à  prévenir  une  contestation  future ,  mais  k  revenir 
sur  une  contestation  passée.  La  partie  qui  intentait  une 
action  en  faux  principal  civil ,  voulait  se  ménager  un  moyen 
de  requête  civile ,  en  attaquant  comme  fausses  les  pièces  sur 
lesquelles  se  fondait  un  arrêt  passé  en  force  de  chose  jugée. 
L'arrêt  de  cassation  du  25  juin  iStë  refuse  d'admettre 
«  une  action  civile  en  faux  spéciale  k  l'efTet  d'arriver  k  la 
«  requête  civile,  c'est-^-dire  une  action  tendant  uniquement 
«  k  se  créer  un  moyen  de  requête  civile,  action  dont  le 
a  résultat  d'ailleurs  pourrait  être  de  donner  k  un  tribunal 
<(  non  saisi  de  la  requête  civile  le  pouvoir  d'ébranler  la  foi 
«  due  k  la  chose  jugée.  »  D  veut  que  le  faux  soit  déclaré 
par  un  jugement  criminel,  ou  du  moins  qii'il  se  rattache  k 
une  instance  civile  à  laquelle  Cexception  de  chote  jugée  n*aura 
pu  être  légalement  opposée. 

n  est  vrai  que  Tarrêt  de  rejet  rendu  par  la  chambre  des 
requêtes,  le  i3  février  1860,  va  plus  loin  et  déclare  in  ter- 
miniê  a  que  l'instance  en  faux  principal  n'est  admise  que 
c<  dans  la  juridiction  criminelle,  et  qu'en  matière  civile  Tin- 
«  scription  de  faux  n'est  autorisée  que  par  voie  d'incident.  » 
Mais ,  au  fond ,  c'était  toujours  la  même  question  qu'avait 
jugée  la  chambre  civile  en  1845  (voy.  aussi  Rej.,  14  no- 
vembre 1860)  ^  c'était  pour  faire  indirectement  tomber  un 
arrêt  solennel  rendu  sur  une  question  d'état  qu'on  arguait  de 
faux  par  voie  principale  l'acte  de  naissance  sur  lequel  se  fon- 
dait cet  arrêt.  11  eût  suffi  dès  lors  de  dire ,  avec  un  autre 
considérant  de  l'arrêt  de  1860,  qu'une  pareille  procédure 
deviendrait  a  un  moyen  banal  d'attaquer  de  nouveau ,  sous 
«  prétexte  de  faux ,  des  actes  déclarés  valables  par  des  déci- 
«  sions  souveraines.  » 

Le  système  de  la  chambre  des  requêtes,  appliqué  d'une 
manière  absolue ,  serait  une  grave  dérogation  au  principe  qui 
autorise  la  partie  lésée  par  un  délit  k  intenter,  k  son  choix. 


IHSCBlPTIOIf  DE  FAUX.  i89 

l'action  en  réparation  devant  la  juridiction  civile  ou  devant 
la  juridiction  criminelle.  L'arrêt  rendu  en  1845  par  la 
chambre  civile  fait,  au  contraire,  cette  réserve  formellement. 
U  déclare  que ,  «  suivant  rarlicle  3  [du  Code  d'instruction 
«  criminelle ,  l'action  en  réparation  du  dommage  causé  par 
a  un  crime  ou  par  un  délit,  peut  être  poursuivie  devant  les 
ic  tribunaux  civils  \  mais  que  cette  action  ne  peut  pas  con- 
«  sister  uniquement  k  faire  constater  le  crime  ou  le  délit 
«  par  les  tribunaux  civils  ^  qu'il  faut  encore  que  cette 
«  demande,  k  fin  de  constatation  judiciaire  du  crime  ou  du 
«  délit ,  soit  incideiàte  k  une  action  en  réparation  du  dom- 
«  mage  qui  en  résulte.  » 

La  Cour  de  Bordeaux,  le  30  août  1841 ,  a  statué  sur  l'hy- 
pothèse ,  rare  en  pratique ,  où  la  demande  en  faux  principal 
se  présente  en  dehors  de  toute  contestation  antérieure ,  en 
adaiettant  l'inscription  contre  Texpédition  d'un  concordat 
suspecte  d'interpolation  d'un  article.  Alors,  le  demandeur 
ne  saurait  être  accusé  de  vouloir  ébranler  par  des  voies  dé- 
tournées l'autorité  de  la  chose  jugée  ^  Aussi  peut-on  fort 
bien  approuver  la  jurisprudence  de  la  Cour  de  cassation , 
en  tant  que  la  demande  en  faux  principal  aurait  trait  a  un 
jugement  inattaquable  par  les  voies  ordinaires,  et  admettre 
la  possibilité  d'attaquer  directement  un  acte  non  encore  pro- 
duit par  la  partie  adverse  (M.  Pont,  Revue  de  législation, 
1846,  t.  II,  p.  344  et  suiv.),  surtout  au  moyen  du  tempé- 
rament ingénieux  imaginé ,  comme  nous  le  verrons  (n""  620) , 
par  M.  Thomine  Desmazures. 

'  n  faut  remarquer,  en  effet ,  que  le  faux  criminel  n*est  pas  régi  par  le» 
mêmes  principes  que  le  faux  cîtîI,  et  que  telles  circonstances  peuvent 
détruire  la  culpabilité,  qui  n'influeraient  en  rien  sur  le  droit  à  réclamer  une 
indemnité,  et  surtout  à  faire  supprimer  la  pièce.  (Cass.,  11  avril  1837.) 

>  Un  arrêt  delà  Cour  d'Agen,  qui  avait  été  jusqu'à  refuser  la  faculté  d'a^r 
en  faux  principal,  lorsqu'elle  avait  été  formeUement  réservée  dans  une  instance 
antérieure  portant  sur  la  nuUité  de  l'acte,  a  été  cassé  le  21  avril  1840. 


190  msGRiPTioit  DE  ràxsi. 

610.  Uo  second  vestige  du  système  des  accnsations  pri- 
vées en  cette  matière,  c*est  Vinscription  même  de  faut,  qui 
rappelle  la  procédure  criminelle  des  Romains.  L'accusateur 
k  Rome  (Paul,  L.  3,  D.,  De  accuM.)  était  obligé  de  se  pré- 
senter devant  le  préteur  ou  le  président  de  la  province ,  et 
d'inscrire,  avec  certaines  formes  solennelles,  son  nom, 
celui  de  l'accusé ,  et  les  circonstances  du  crime  qu'il  ^e  fai- 
sait fort  de  prouver  :  inscription  qui  entraînait  pour  lui  la 
peine  du  talion,  si  son  accusation  était  jugée  calomnieuse. 
Ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  qu'à  Rome  la  nécessité  de 
l'inscription  fut  abolie  précisément  en  matière  de  faux. 

Quamvis  inêcriptionh  nécessitas  accusatori  de  faUù  remissa  sil, 
dit  Gratien  (L.  2,  Cod.  Théod.,  Ad  leg.  Com.  défais.),  pœm 
tamen  accusatorem  etiam  sine  solemnibus  occupât.  En  France , 
au  contraire ,  l'inscription  fut  admise  spécialement  pour  le 
crime  de  faux,  et  cette  inscription  exposait  légalement, 
dans  l'origine,  à  la  peine  du  talion  l'accusateur,  qui  était 
obligé,  en  conséquence,  de  se  constituer  prisonnier.  Cette 
rigueur  avait  cessé  au  seizième  siècle ,  ainsi  que  nous  rap- 
prend le  président  Favre  {Ad  leg.  Com.  de  fais.  ^  def.  9)  : 
«  Jampridem  vêtus  illa  judiciorum  consuetudo ,  qU9e  induxe- 
«  rat,  ut  quisquis  falsi  accusationem  criminaliter  institùere 
((  vellet,  non  aliter  audiretur  quam  si,  solemnis  inscriptionis 
a  tempore ,  seipsum  carceribus  manciparet ,  nam  et  talionis 
<(  pœna,  quae  hujus  solemnitatis  necessitatem  induxisse  vide- 
ce  batur,  in  usu  esse  desiit  :  solentque  qui  in  hujus  modi 
((  accusatione  succumbunt,  gravissimis  quidem  pœnis  sub- 
((  jici,  sed  tamen  longe  mitioribus  quam  si  faisum  ^dmi- 
«  sissent.  »  L'inscription  ne  parait  pas  d'ailleurs  avoir  jamais 
été  imposée  k  la  partie  publique,  qui  n'était  pas  responsable 
envers  l'accusé.  Mais  elle  demeura  imposée  k  la  partie  civile, 
qui,  encore  au  seizième  siècle,  à  ce  que  nous  apprend  tou- 
jours le  président  Favre ,  était  obligée  de  prendrela   voie 


INSCRIPTION   DE  FAtï.  491 

criminelle  :  «  Eo  perventum  ei^t ,  ut  de  falso  ne(|ue  agi , 
<c  neque  excipi  civiliter  possit ,  sed  criminalem  accâsationem 
«  insiituere  necesse  sit.  »  Cette  dernière  exigence  tomba 
elle-même  en  désuétude  ;  mais  la  procédure  de  foux  con- 
serva toujours  un  caractère  criminel ,  même  lorsqu'elle  était 
suivie  devant  les  tribunaux  civils.  Ainsi,  il  n'est  pas  ques- 
tion da  faux  dans  l'ordonnance  criminelle  de  1667,  mais 
seulement  dans  l'ordonnance  de  1670  (titre  IX),  sous  cette 
singulière  rubrique  :  Du  crime  de  faux  ^  tant  principal  qu'inci-^ 
dent.  Les  règles  sur  le  faux  civil  ne  furent  dégagées  et  trai- 
tées spécialement  que  dans  l'ordonnance  de  1737  sur  le  faux, 
œuvre  remarquable  du  cbancelier  d'Âguesseau ,  qui  a  passé 
en  grande  partie  dans  le  Gode  de  procédure.  Cette  ordon** 
nance  dispensa  la  partie  civile  de  souscrire  en  faux  en 
matière  criminelle  (voy.  tit.  I,  art.  1),  tandis  que  l'inscrip- 
tion fut  maintenue ,  on  ne  sait  trop  pour  quelle  raison ,  en 
matière  civile ,  où  cette  formalité  est  encore  exigée  aujour- 
d'hui ^ 

611.  Voyons  maintenant  quelle  influence  peut  exercer 
sur  l'exécution  de  l'acte  la|  procédure  de  faux,  soit  civile, 
soit  criminelle.  Faut-il  attendre ,  pour  arrêter  cette  exécu- 
tion ,  qu'un  jugement  définitif  ait  déclaré  la  pièce  fausse  ? 
On  croît  d'ordinaire  que  l'affirmative  était  admise  ^  Rome 
d'une  manière  absolue.  Tel  n'est  pourtant  pas  le  sens  du 
rescrit  d'Alexandre  Sévère,  qui  forme  la  loi  S,  au  Code, 
Ad  legem  Comeliam  de  faim  :  «  Satis  aperte  divorum  paren- 
a  tum  meorum  rescriptis  declaratum  est ,  quum ,  morand» 
«  solntionis  gratia,  a  debitore  fhlsi  crimen  objicitur,  nibilo- 
«  minus,  salva  executione  criminis,  debitorem  ad  solutio- 


'  On  comprend  bien  toutefois,  à  raison  de  la  gravité  d'nne  telle  procédure, 
Ia  nécessité  d'un  acte  spécial ,  signé  de  la  partie  ou  de  son  fondé  de  procu- 
ration Spédale  et  authentique;  mais  la  formalité  de  l'inscription  au  greffe 
est  parement  traditionnelle. 


192  II9SGRIPTI0N  DE   FAUX. 

ft  nem  compelli  oportere.  »  Ce  rescrit  établit  évidemment 
une  règle  exceptionnelle  pour  le  cas  où  Tallégation  de  faux 
semblerait  dictée  par  la  mauvaise  foi  :  d'où  il  semble  résul- 
ter  qu'en  principe  »  au  contraire,  cette  allégation,  si  eUe 
paraissait  fondée ,  pourrait  arrêter  l'exécution.  Et  il  en  était 
de  même  dans  notre  ancienne  jurisprudence  française ,  si 
nous  nous  en  rapportons  au  témoignage  de  Serpillon ,  qui  a 
publié  un  ouvrage  spécial  sur  le  faux.  Suivant  cet  auteur 
(sur  Fart.  29  du  titre  II  de  Tord,  de  1737),  «  le  juge  peut 
a  ordonner  que ,  par  provision ,  Tacte  contre  lequel  Finscrip- 
((  tion  de  faux  est  formée  sera  exécuté  k  caution.  »  Ce  n'est 
donc  pas  une  innovation  que  la  disposition  de  l'article  1319 
du  Code  civil,  d'après  laquelle,  «  en  cas  d'inscription  de  fiiux 
((  faite  incidemment,  les  tribunaux  pourront,  suivant  les 
«  circonstances,  suspendre  provisoirement  l'exécution  de 
«  l'acte.  )>  Et  si  nos  tribunaux  peuvent  suspendre  provisoi- 
rement l'exécution,  ils  peuvent,  à  plus  forte  raison,  comme 
jadis  (Serpillon,  sur  Fart.  29,  tit.  II,  de  Ford,  de  1737), 
ordonner  F  exécution  moyennant  caution  '.  Remarquons 
d'ailleurs  que  ce  qui  est  dit  du  faux  incident  doit  s'en- 
tendre ,  suivant  nous ,  de  tout  faux  civil ,  lors  même  que  Fon 
aurait  intenté  une  action  principale  pour  le  faire  constater. 
Que  veut  donc  dire  Pothier,  lorsqu'il  décide  {Oblig., 
n*"  735)  que  les  actes  authentiques  font  foi  par  provision, 
jusqu'à  ce  que  l'inscription  de  faux  ait  été  jugée?  Rien  autre 
chose,  si  ce  n'est  que  l'autorité  de  l'acte  ne  tombe  jamais 
de  droit ,  tant  qu'il  n'y  a  pas  eu  de  condamnation  pour  faux  ; 
mais  il  n'entend  pas  pour  cela  nier  le  pouvoir  discrétionnaire 
du  juge.  Quant  k  la  suspension  forcée,  elle  n'avait  jamais 
lieu ,  ni  dans  l'ancienne  jurisprudence ,  ni  sous  l'empire  de 

■  LMnscription  de  faux  ne  suffisant  pas  pour  suspendre  Pexécution,  U  ne 
faut  pas  prendre  à  la  lettre  ce  que  disent  nos  lois,  qu'un  actefait  foi  jusqu'à 
intcription  de  /aux. 


mSGtlPTION  DE  FACt.  193 

la  législation  intermédiaire  (Loi  da  6  octobre  i  791 ,  tit.  I , 
sect.  2,  art.  14),  quelque  avancée  que  fût  l'instruction  du 
faux,  même  au  criminel.  L'innovation  de  la  loi  sur  le  nota- 
riat (art.  19),  reproduite  par  le  Code  civil,  consiste  ^  pro- 
noncer cette  suspension  à  une  certaine  époque  de  la  procé- 
dure criminelle  \  car  la  procédure  civile  n'entraîne  jamais 
qn'une  suspension  facultative,  a  En  cas  de  plainte  en  faux 
principal  »,  dit  Tarticle  1319  de  ce  Code,  «  l'exécution  de 
M  l'acte  argué  de  faux  sera  suspendue  par  la  mise  eu  accu- 
«  sation.  »  L'arrêt  rendu  par  la  chambre  des  mises  en  accu- 
sation 9  après  «ne  procédure  préparatoire  déjk  fort  compli- 
quée, offre  assez  de  garanties  pour  que  récrit  puisse,  ^ 
partir  de  cette  époque,  être  considéré  comme  légalement 
suspect. 

Néanmoins  on  n'applique  dans  la  pratique  (Rej.,  25  fé- 
vrier iSlO)  la  nécessité  d'une  mise  en  accusation  pour  la 
suspension  de  l'exécution  qu'aux  actes  authentiques  suscep» 
tibles  d'exécution  forcée,  comme  les  actes  notariés.  Lorsque 
des  poursuites  criminelles  en  faux  sont  dirigées  contre  un 
acte  authentique  non  exécutoire,  notamment  contre  un 
exploit,  on  applique,  non  plus  l'article  1319  du  Code  civil, 
mais  l'article  250  du  Code  de  procédure ,  suivant  lequel  la 
seule  plainte  en  faux  emporte  suspension  de  la  procédure 
civile. 

612.  Gardons-nous,  du  reste,  de  confondre  la  suspen- 
sion de  la  foi  de  l'acte  avec  la  simple  suspension  de  sa  force 
extrinsèque,  de  Veocequatur.  Lorsqu'un  débiteur,  se  disant 
malheureux  et  de  bonne  foi ,  demande  qu'il  soit  sursis  aux 
poursuites  dirigées  contre  lui  (Cod.  civ.,  art.  1244),  ou  lors- 
qu'une personne,  sous  le  coup  d'une  expropriation  forcée, 
se  fait  autorisera  en  arrêter  l'effet,  en  offrant  de  satisfaire  au 
payement  intégral  de  la  dette ,  an  moyen  de  la  délégation 
d'une  année  de  revenus  (Ibid.,  art.  2212),  ni  dans  Tune,  ni 

II.  i8 


194  INfiCRIPTlOll  DE   FAUX. 

dans  l'autre  de  ces  hypothèses ,  la  foi  intrinsèque  de  l'acte 
n'est  en  jeu ,  mais  on  invoque  des  considérations  d'éqnité 
pour  en  faire  cesser  la  force  exécutoire  \  De  pareils  cas  de 
suspension  sont  donc  tout  k  fait  étrangers  k  la  matière  des 
preuves.  Ils  ne  peuvent  s'appliquer  qu'aux  actes  susceptibles 
d'exécution  forcée,  dont  il  s'agit  d'arrêter  les  rigueurs,  la 
foi  de  l'authenticité  demeurant  entière.  L'effet  des  poursuites 
de  faux,  au  contraire  »  est  précisément  de  faire  tomber  cette 
foi,  lors  même  qu'il  ne  s'agit  point  d'exécution  matérielle ^ 
par  exemple  ^  quand  on  révoque  en  doute  la  sincérité  d'un 
acte  de  l'état  civil. 

615.  Nous  n'avons  rien  à  ajouter  en  ce  qui  concerne  la 
poursuite  criminelle  de  faux ,  qualifiée  par  les  praticiens  de 
faux  principal.  La  marche  tracée  par  nos  lois  (G.  d'instr., 
art.  448  et  suiv.)  pour  l'instruction  de  cette  nature  de  crime 
n*est  que  la  reproduction  des  règles  que  nous  allons  poser 
quant  au  faux  civil.  Elle  est  empruntée,  en  effet,  k  l'ordon- 
nance de  i  737,  où  d'Aguesseau  statuait  sur  le  faux,  tant  civil 
que  criminel.  Mais  il  importe  de  signaler  une  difi*érence 
essentielle  entre  la  procédure  civile  et  la  procédure  crimi- 
nelle telle  que  l'a  organisée  le  Gode  d'instruction.  «  Sous  le 
a  Gode  de  brumaire  an  lY  »,  a  dit  l'orateur  du  gouvernement 
dans  l'exposé  des  motifs  du  Code  de  1808,  «  la  plus  légère 
«  infraction  des  formes  prescrites  pour  assurer  l'état  des 
((  pièces  arguées  de  faux ,  ou  même  des  pièces  de  comparai- 
«  son ,  entraine  la  peine  de  nullité.  Ainsi ,  en  quelque  nombre 
«  que  soient  ces  pièces ,  elles  doivent  être  parafées  k  cha- 
«  que  page  par  les  personnes  que  la  loi  désigne ,  et  l'omission 
((  du  parafe  de  l'une  d'elles,  k  une  seule  page. d'un  volu- 
«  mineux  cahier,  peut  faire  tomber  toute  la  procédure.  Cette 

'  En  dehors  de  ces  hypothèses,  Topposition  aux  poursuites  ne  saurait 
arrêter  l'exécution ,  sauf  les  domnuiges  et  intérêts  contre  le  créancier  qui 
aurait  procédé  en  yertu  d'un  titre  nul.  (Poitiers,  29  juiUet  1851.) 


INBCRIPTION  DE  FAUX  195 

H  sollicitude  de  la  loi  à  semblé  excessive.  Toute  infraction 
c<  de  Tespèce  que  je  viens  de  décrire ,  donnera  lieu  désor- 
(c  mais  à  une  amende  contre  le  greffier.  (Voy.  C.  d'instr., 
et  art  ^18  et  suiv.)  Toutefois,  la  punition  du  greffier  pourrait 
«  être  considérée  comme  insuffisante ,  relativement  aux  par- 
ce lies  et  notamment  à  l'accusé ,  si  celui-ci  ne  pouvait  pas 
«  pourvoir  à  rentier  accomplissement  d'une  formalité  qu'il 
ce  regarderait  comme  utile  ii  ses  intérêts  ;  mais  il  le  peut, 
«  c'est  son  droit  -,  et  s'il  en  réclame  l'application ,  et  qu'il 
c  n'y  ait  pas  été  statué,  il  y  aura  ouverture  à  cassation.  » 
Ainsi ,  les  intéressés  pourront  réclamer  l'accomplissement 
des  formalités  légales  *,  mais  si  elles  ont  gardé  le  silence ,  le 
Code  d'instruction  ne  prononce  point  de  nullité ,  comme  le 
fait  le  Code  de  procédure  civile. 

614.  Nous  allons  nous  attacher  à  reproduire  la  marche 
établie  par  le  Code  de  procédure  pour  l'instruction  du  faux. 
Puis  nous  verrons  comment  on  fait  tomber,  en  matière  cri- 
minelle, la  foi  d'un  acte  authentique  :  ce  qu'on  appelle /oua; 
incident  crimineL  Au  surplus,  nous  ne  parlons  actuellement 
que  des  actes  authentiques  -,  mais  l'inscription  de  faux ,  ainsi 
que  nous  le  verrons ,  est  également  applicable  aux  actes  sous 
seing  privé. 

PREMIÈRE  DIVISION. 

FAUX  CIVIL. 

SOMMAOE.  —  64 B.  Système  empnmtë  ï  rordonnance  de  4787.  ^  e46.  GonpUcaUoik 

spéciale  de  la  procédure. 

61K.  C'est  à  l'ordonnance  de  1737  que  les  rédacteurs 
du  Code  de  procédure  ont  emprunté  le  système  compliqué 
qu'ils  ont  organisé  en  matière  d'inscription  de  faux.  Ils  y 
ont  toutefois  introduit,  ainsi  que  nous  le  verrons,  de  no- 
tables améliorations ,  qui  étaient  nécessaires  pour  mettre  ce 

13. 


t96  INSCRIPTION  DE  FAUX» 

système  en  hanuonie  avec  les  chaDgements  opérés  dans  la 
législation. 

Il  semble  qu'on  se  soit  étudié  h  hérisser  de  difficultés  la 
marche  de  cette  procédure ,  afin  de  mieux  protégejf  la  foi 
des  actes  authentiques.  Bien  que  la  loi  actuelle  ait  supprimé 
quelques  entraves,  celles  qui  subsistent  sont  encore  assez 
sérieuses  et  assez  multipliées  pour  rebuter  souvent  les  plai- 
deurs qui  voudraient  s'engager  dans  une  pareille  voie.  Dans 
la  pratique ,  les  demandes  k  fin  d'inscription  sont  assez  dif- 
ficilement accueillies,  et  elles  arrivent  plus  difficilement 
encore  à  un  résultat  favorable  pour  le  demandeur.  N'estH^e 
point  là  dépasser  le  but  ?  C'est  ce  qu'ont  pensé  les  rédac- 
teurs du  projet  de  réforme,  qui  ont  proposé  un  système  plus 
simple,  commun  k  la  vérification  d'écritures  et  à  l'inscrip- 
tion de  faux.  (Voy.  n"*  636  bis.)  Sans  nous  astreindre  k  par- 
courir minutieusement  toutes  les  formalités  de  détail  que 
renferme  la  procédure  actuelle  de  faux,  nous  nous  appli- 
querons à  en  suivre  avec  soin  les  diverses  phases,  dans  ce 
qu'elles  ofirent  de  plus  intéressant. 

616.  Ordinairement,  lorsqu'une  partie  demande  à  admi- 
nistrer la  preuve  de  certains  faits,  il  intervient  une  seule 
décision  interlocutoire,  qui  prononce  sur  l'admissibilité  de 
ces  faits ,  et  qui  délègue  les  pouvoirs  du  tribunal  à  un  juge- 
commissaire.  Celui-ci  ne  ressaisit  les  juges  de  l'affaire  que 
lorsque  ses  opérations  sont  complètement  terminées.  Telle 
est  la  marche  que  nous  avons  vue  adoptée  dans  les  expertises 
et  dans  les  enquêtes,  et  que  nous  retrouverons  encore  en  ma- 
tière de  vérification  d'écrilures.  En  ce  qui  concerne  le  faux, 
le  législateur  procède  d'une  manière  beaucoup  plus  compli- 
quée. Le  premier  jugement  interlocutoire,  qui  admet  l'in- 
scription de  faux  et  nomme  un  juge-commissaire,  ne  des- 
saisit pas  le  tribunal.  Un  second  interlocutoire  est  nécessaire 
pour  statuer  sur  l'admission  des  moyens  de  faux.  On  procède 


INSCRIPTION  DE  FAOT.  i97 

eosuite  à  l'instruction  du  faux  devant  le  joge-commissaire. 
Enfin  le  tribunal  rend  sa  décision  définitive. 

On  voit  qu'il  y  a  trois  phases  successives,  terminées  toutes 
par  un  jugement  : 

i**  Procédure  k  fin  d'être  admis  à  s'inscrire  en  faux  ; 

2*  Procédure  k  fin  d'être  admis  à  la  preuve  des  moyens 
e  faux  -, 

3*  Procédure  à  fin  d'établir  l'existence  du  faux. 

Nous  verrons  toutefois  (n""  626)  qu'il  n'est  pas  absolument 
nécessaire,  pour  arrivera  une  solution  définitive,  que  ces 
trois  phases  soient  épuisées. 

Après  avoir  parcouru  ces  trois  périodes,  nous  parlerons, 
en  quatrième  lieu,  du  résultat  final  de  la  procédure,  qu'elle 
se  termine  par  un  jugement  définitif  ou  bien  par  une  tran- 
saction. 

s  I.  FiocAvvKE  A  Pin  d'âtrb  adxis  a  s'inscrire  bm  faux* 

SonURBE.  ^$47.  Contre  quels  actes  on  peut  s'inscrire  en  faux.  —  648.  Distinction  dn 
Êiox  matériel  et  da  fanx  inteUeciuel.  —  649.  Inscription  de  faux  devant  la  Conr  de 
cassation.  —  620.  Manière  d'entamer  le  fonx  principal  civil.  —  624.  Procédure  commune 
an  faux  principal  et  an  faux  incident.  ~  622.  Sommation  préalable.  —  623.  Déclaration 
exigée  da  défendenr.  —  624.  Cas  où  il  garde  le  silence.  —  62S.  Inscription  an  greffe.  — 
636.  Jogemeat  qui  admet  on  rejette  l'inscription.  —  627.  Suppression  de  la  consignation 
d'amende.  —  628.  Conclusions  du  ministère  public. 

M 7.  Une  question  préalable,  dont  la  solution  négative 
devrait  déterminer  le  tribunal  k  rejeter  de  prime  abord  Tin- 
scription  de  faux ,  quelque  vraisemblables  que  fussent  les 
faits  allégués ,  c'est  celle  qui  consiste  à  savoir  si  l'acte  est  de 
nature  k  pouvoir  être  attaqué  par  cette  voie. 

Il  faut  reconnaître  que  tous  les  actes  publics  (nous  ne 
parlons  pas  encore  des  actes  privés),  de  quelque  autorité 
qu'ils  émanent ,  sont  passibles  de  l'inscription  de  faux.  Ce 
fut  ainsi  que  le  Pailement  de  Paris  admit,  le  7  février  1740, 
l'inscription  de  faux  contre  la  minute  d'un  arrêt ,  malgré  les 
efforts  de  Cochin ,  qui  prétendait  «  qu'il  n'y  aurait  plus  d'asile 


i98  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

((  pour  les  hommes,  sila  tempête  régnaitdansleportmème.  » 
Plus  Facte  est  important,  pltts  il  est  essentiel  de  le  mettre 
à  l'abri  de  la  falsification.  Vainement  a-t-on  dit  de  nos  jours, 
en  reproduisant  la  doctrine  de  Gochin ,  qu'un  jugement  ne 
saurait  être  attaqué  que  par  la  voie  de  Tappel  ou  du  recours 
en  cassation.  C'est  là  une  véritable  pétition  de  principe, 
puisque  le  demandeur  en  faux  soutient  que  l'acte  attaqué 
n'a  que  l'apparence  d'un  jugement.  La  Cour  de  cassation 
s'est  prononcée  dans  ce  sens ,  le  1 3  juin  1 838  '  et  le  20  jan- 
vier 1857  *.  Encore  moins  devons-nous  admettre  l'opinion 
d'anciens  docteurs ,  qui  prétendaient  qu'on  ne  pouvait  arguer 
de  faux  une  pièce  ayant  cent  ans  de  date  :  opinion  contredite 
formellement  par  les  articles  448  et  488  du  Code  de  procé- 
dure ,  qui  font  courir  les  délais  de  l'appel  ou  de  la  requête 
civile ,  lorsqu'il  s'agit  d'un  faux ,  du  jour  oii  il  a  été  reconnu, 
sans  s'occuper  de  la  date  de  l'acte. 

618.  La  foi  qui  s'attache  k  l'acte  en  forme  authentique 
repose,  nous  l'avons  vu  (n**  457),  sur  deux  présomptions  : 
l"*  que  l'acte  présentant  les  apparences  de  l'authenticité  est 
réellement  l'œuvre  d'un  officier  public ,  et  n'a  point  d'alté- 
rations matérielles  -,  2"  que  cet  officier  n'a  point  prévariqué 
dans  l'exercice  de  ses  fonctions.  Lorsque  l'on  s'inscrit  en 
faux  contre  la  première  de  ces  présomptions ,  l'acte  est  argué 
de  faux  matériel  ;  lorsque  l'on  s'inscrit  en  faux  contre  la 
seconde ,  l'acte  est  argué  de  faux  intellectuel.  Nous  verrons 
que  cette  distinction  n'est  pas  sans  intérêt. 

*  Toutefois  l'arrêt  de  1S3S  ajoute  «  qu'une  inscription  de  faux  incident 
contre  une  mention  d'arrêt  conforme  à  la  feuille  d'audience  ne  doit  être 
déclarée  admissible  qu'avec  une  extrême  réserve ,  parce  qu'>l  serait  trop 
dangereux  de  faire  dépendre  de  souvenirs  éloignés ,  incertains  et  fugitifs, 
l'autorité  et  la  fol  dues  aux  arrêts  revêtus  de  toutes  les  formalités  voulues 
par  la  loi.  » 

'  La  Cour  a  également  cassé ,  le  8  novembre  1864 ,  un  arrêt  de  la  Ck>ur 
de  Dijon  signalant  une  prétendue  violation  de  la  chose  jugée  dans  un  ju- 
gement qui  avait  admis  Vinsoription  de  faux  contre  un  acte  dont  la  validité 
intrinsèque  avait  été  judiciairement  reconnue.  (Voy.  art.  214,  Cod.  de  proc.) 


INSCRIPTION  DE  FAUX.  199 

619.  On  peut  s'inscrire  en  tout  état  de  cause,  en  appel 
comme  en  première  instance.,  et  même  devant  la  Cour  de 
cassation.  Néanmoins,  devant  cette  dernière  Cour,  on  ne 
saurait  être  reçu  à  critiquer  des  pièces  que  l'on  pouvait 
attaquer  de  prime  abord  auprès  des  tribunaux  appréciateurs 
des  faits  :  autrement,  l'ordre  des  juridictions  se  trouverait 
interverti.  (Rej.,  31  décembre  1812  et  31  mai  1831.)  Mais 
il  y  a  des  pièces  qui ,  par  leur  nature  même ,  ne  peuvent 
être  produites  que  devant  la  Cour  régulatrice ,  et  k  l'égard 
desquelles  on  ne  saurait  lui  interdire  d'admettre  l'inscription 
de  faux ,  \k  moins  de  vouloir  rendre  impossible  tonte  pour- 
suite civile  pour  des  faux  de  cette  nature.  Ce  sont  précisé- 
ment les  expéditions  ou  les  minutes  des  jugements  attaqués^ 
si  ces  documents  importants  étaient  à  l'abri  de  l'inscription 
de  faux ,  les  nullités  les  plus  graves  pourraient  se  couvrir 
après  coup,  par  la  mention  que  ferait  le  greffier  de  l'ac- 
complissement de  formalités  qui  auraient  été  omises. 
(Cass.,  13  juin  1838  et  13  mai  18>i0.)  Aussi  la  procédure 
de  faux  devant  le  conseil  des  parties  avait-elle  été  organisée 
par  le  règlement  de  1738,  qui  sert  encore  aujourd'hui  de 
base  k  la  procédure  de  la  Cour  de  cassation.  Mais  la  Cour, 
tout  en  admettant  l'inscription ,  délègue  k  un  tribunal  d'un 
rang  égal  k  celui  qui  a  rendu  la  décision  attaquée  l'instruc- 
tion du  faux ,  qui  ne  rentre  pas  dans  les  attributions  ordi- 
naires de  cette  Cour.  (Voy.  Règl.  de  1738,  part.  II,  tît.  X, 
art.  4.)  C'est  ainsi  que  procède  le  Conseil  d'État  en  pareille 
circonstance,  aux  termes  de  l'article  20  du  décret  du  22  juil- 
let 1806.  Seulement,  le  Conseil  d'État  ne  peut  évidemment 
que  renvoyer  au  tribunal  compétent,  sans  avoir  jamais, 
comme  la  Cour  de  cassation ,  la  faculté  de  désigner  un  tri- 
bunal déterminé.  Mais,  en  sens  inverse,  lors  même  qu'un 
tribunal  civil  n'est  saisi  qu'incidemment  d'un  acte  adminis- 
tratif, il  doit  renvoyer  devant  l'autorité  administrative,  pour 


200  INSCRIPTION   DE  FAUX. 

qu'elle  statue  sur  l'admissibilité  de  l'inscription  de  faux. 
(Cass.,  21  mai  1827-,  Douai,  6  juin  1853.) 

620.  Le  texte  du  Gode  de  procédure  (art.  214)  suppose 
que  la  pièce  contre  laquelle  on  veut  s'inscrire  apparaît  dans 
le  cours  d'une  instance  principale,  où  elle  est  ngnifiée  par 
un  officier  ministériel,  communiquée  sur  récépissé  ou  par 
dépôt  au  greffe  {ibid.,  art.  189),  ou  produite^  c'est-à-dire 
employée  contre  l'adversaire,  sans  signification  ni  commu- 
nication préalable ,  par  exemple ,  dans  une  plaidoirie.  Il  est 
permis  cependant,  ainsi  que  l'a  reconnu  implicitement  la 
Cour  de  cassation  dans  les  motifs  de  l'arrêt  du  25  juin  1845 
(n""  609),  de  saisir  la  juridiction  civile  d'une  demande  prin- 
cipale en  faux.  Il  faudra  évidemment  alors  (Rennes,  19  dé- 
cembre 1815)  entamer  la  procédure  par  une  assignation , 
qui  tiendra  lieu  de  l'acte  d'avoué  à  avoué,  que  prescrit  Tar- 
ticle  215  du  Code  de  procédure  pour  le  cas  de  faux  incident. 
Néanmoins,  puisque  l'on  n'est  pas  d'accord  sur  l'admissi- 
bilité du  faux  principal  civil,  la  prudence  doit  porter  à 
suivre  dans  la  pratique  la  marche  imaginée  par  M.  Thomine 
Desmazures,  suivant  le  système  des  actions  provocatoires 
(n""'  254  et  255),  pour  faire  rentrer  le  faux  principal  dans 
le  faux  incident.  Cette  marche  consiste  k  assigner  celui  que 
Von  suppose  détenir  une  pièce  fausse,  afin  de  déclarer  qu'il  ne 
possède  aucun  titre  contre  le  demandeur.  (Yoy.  notre  Comm. 
wr  le  Code  de  procédure^  n""  253.)  Si  la  déclaration  est  faite» 
il  n'y  a  aucun  danger.  Si  l'acte  est  produit ,  on  prend  la  voie 
du  faux  incident.  Il  est  vrai  que  le  défendeur  peut  ne  pas 
produire  la  pièce  et  ne  pas  faire  non  plus  de  déclaration ,  et 
qu'alors ,  s'il  n'est  pas  possible  de  saisir  la  pièce ,  la  procé- 
dure n'amènera  aucuu  résultat  sérieux.  Mais  cet  inconvé- 
nient est  inévitable-,  il  pourrait  se  présenter  également,  si 
l'action  était  intentée  au  criminel.  D'ailleurs,  après  tout,  la 
procédure  n'est  pas  frustratoire  ^  car,  si  le  défendeur  produit 


INSCRIPTION  DE  PAUX.  201 

plos  tard  les  pièces  que  j'avais  arguées  de  fausseté ,  le  refus 
qu'il  aura  fait  de  les  communiquer  sera  une  grave  présomp- 
tion de  Fexistence  du  faux.  Enfin  il  peut  arriver  qu'une 
pièce  fausse  soit  employée  autrement  que  dans  une  in- 
stance. Ainsi ,  un  jugement  faux  peut  être  signifié  '  et  servir 
de  base  à  des  poursuites  extrajudiciaires ,  c'est-k-dire  à  des 
actes  d'exécution  forcée.  Il  est  évident  qu'on  ne  saurait,  en 
pareil  cas,  procéder  par  acte  d'avoué  k  avoué,  ainsi  que  le 
suppose  l'article  Hi.  Il  faut  demander  la  nullité  des  pour- 
suites, et  lorsque  la  partie  adverse  produit  son  titre,  pro- 
céder contre  elle  suivant  les  formes  prescrites  pour  le  faux 
incident. 

621.  Revenons  maintenant  k  la  marche  suivie  par  le 
Code  de  procédure ,  qui  sera  la  même  pour  le  faux  prin- 
cipal que  pour  le  faux  incident,  quand  une  fois  l'instance 
aura  été  liée  par  une  assignation  et  par  une  constitution 
d'avoué  de  la  part  du  défendeur. 

622.  La  position  de  celui  qui  fait  sciemment  usage  d'une 

■ 

pièce  fausse  est  si  grave,  puisqu'il  .s'expose  k  subir  la  peine 
des  travaux  forcés  k  temps  (C.  pén.,  art.  148),  qu'il  con- 
vient, dès  l'origine  de  la  procédure,  de  le  sommer  de  dé- 
clarer bien  positivement  s'il  entend  se  servir  de  la  pièce 
arguée  de  faux.  Cette  sommation  est  faite  par  l'acte  même 
qui  indique  l'intention  de  s'inscrire,  au  cas  où  il  serait  fait 
usage  de  la  pièce.  (C.  de  proc.,  art.  215.)  Cet  avertisse- 
ment essentiel  est  en  harmonie  avec  ce  qui  se  pratique, 
lorsqu'on  somme  également  le  défendeur  k  l'enquête  d'avouer 
ou  de  dénier  les  faits  sur  lesquels  une  enquête  est  provoquée. 

623.  Dans  les  huit  jours  {ibid.,  art.  216) ,  la  partie  som- 


>  C'est  ainsi  qn^on  signifia  anx  Jésuites  de  Paris,  le  8  mars  1759,  un  faux 
arrêt  du  Conseil  d'État,  portant  condamnation  solidaire  des  membres  de 
la  société  à  hait  militons  de  liTres.  (Clément  XIV  et  les  Jésuites ,  par 
M.  Crétinean-Joly,  p.  87.) 


202  IlfSCRIPTION  DE   FAUX. 

mée  doit  faire  la  déclaration  exigée ,  qui ,  trop  importante 
poar  être  comprise  dans  le  mandat  général  de  Tavoué,  doit 
être  signée  d'elle ,  ou  du  porteur  de  sa  procuration  spéciale 
et  authentique,  porteur  qui  peut  au  surplus  être  l'avoué  lui- 
même.  Il  n'est  pas  douteux,  malgré  le  silence  de  la  loi,  que 
ce  délai  de  huit  jours  ne  doive  être  augmenté  à  raison  des 
distances  *,  nous  avons  vu  (n""  S61  )  qu^on  le  décide  pour  l'en- 
quête, où  la  partie  ne  joue  pourtant  qu'un  rôle  purement 
passif,  et  il  doit  en  être  de  même  k  plus  forte  raison  lors- 
qu'elle est  appelée  k  faire  une  déclaration  toute  personnelle. 
La  jurisprudence  a  également  admis,  après  quelques  hési- 
tations, que  ce  délai  de  huit  jours  n'est  point  fatal,  et  que, 
suivant  la  pratique  généralement  reçue  dans  les  cas  où  la  loi 
prescrit  un  délai  sans  ajouter  à  peine  de  nullité  ^  Taudience 
peut  être  poursuivie  dès  l'expiration  de  la  huitaine,  mais 
que  le  défendeur  est  toujours  k  temps  de  faire  sa  déclara- 
tion ,  tant  que  le  rejet  de  la  pièce  n'a  pas  été  prononcé. 
(Rej.,  24  janvier  1842.) 

624.  Lorsque  le  défendeur  garde  le  silence ,  ou  déclare 
qu'il  ne  veut  pas  se  servir  de  la  pièce  {Md.,  art.  217) ,  cette 
pièce  est  rejetée.  Toutefois  le  législateur  a  soin  d'ajouter 
qu'elle  ne  l'est  que  par  rapport  m  défendeur,  c'est-k-dire  en 
tant  que  celui-ci  prétendrait  en  faire  usage  *,  mais  elle  est 
acquise  au  procès  dans  l'intérêt  du  demandeur ,  qui  peut  en 
tirer  telles  conséquences  qu'il  juge  k  propos ,  et  réclamer 
des  indemnités  pour  le  préjudice  qu'elle  pourrait  lui  avoir 
causé.  D  n'est  pas  douteux  non  plus  que  la  poursuite  crimi- 
nelle du  faux ,  s'il  y  a  lieu ,  ne  demeure  entière ,  lors  même 
que  l'abandon  de  la  pièce  n'aurait  pas  été  dicté  par  la 
crainte,  mais  par  le  repentir  :  jamais,  aux  yeux  du  législa- 
teur civil ,  le  repentir  n'a  été  considéré  comme  faisant  dis- 
paraître la  faute. 

Toutefois  le  silence  ou  la  déclaration  du  défendeur  ne 


INSCRIPTION  DB  VÂVl.  SOS 

sauraient  avoir  la  force  qu'on  ne  pourrait  attribuer  à  un  aveu 
formel.  Lorsque  la  procédure  porte  sur  des  points  pour  les- 
quels il  n'y  a  point  de  transaction,  notamment  lorsque  c'est 
un  acte  de  mariage  qui  est  attaqué  par  la  voie  de  Tinscrip- 
lion  de  faui ,  le  tribunal  doit  passer  outre ,  ainsi  que  l'a  jugé 
la  Cour  de  Riom  le  26  juin  i828,  contrairement  à  un  pré- 
cédent arrêt  du  8  juillet  1826.  La  décision  contraire  ouvri- 
rait la  voie  à  une  sorte  de  divorce  par  consentement  mutuel. 

625.  Si ,  au  contraire ,  le  défendeur  déclare  qu'il  veut  se 
servir  de  la  pièce  {ibid.,  art.  218),  alors  le  demandeur 
s'inscrit  au  greffe  par  un  acte  qui  doit  être ,  comme  la  dé- 
claration de  la  partie  adverse,  signé  de  lui  ou  de  son  fondé 
de  pouvoir  spécial  et  authentique.  Il  poursuit  ensuite  l'au- 
dience, à  l'effet  de  faire  admettre  Tinscription  et  d'obtenir 
la  nomination  d'un  juge-commissaire. 

686.  Bien  que  la  partie  demanderesse  n'ait  pas  encore 
proposé  ses  moyens,  on  reconnaissait  autrefois,  et  on  re- 
connaît aujourd'hui  au  tribunal,  la  faculté  de  rejeter  de  pfano 
l'inscription.  (Rej.,  17  juin*1868.)  Suivant  un  arrêt  de  la 
Cour  d'Alger  du  21  avril  1853,  la  procédure  en  inscription 
de  faux  aurait  trois  périodes  successives ,  auiquelles  corres- 
pondraient nécessairement  trois  instances  distinctes  et  sé- 
parées. Mais  cette  doctrine  rigoureuse  et  formaliste  n'a 
point  prévalu.  Elle  prêterait  aux  abus  les  plus  graves, 
puisqu'elle  permettrait  d'entraver,  au  moyen  d'une  in- 
scription dont  les  tribunaux  ne  pourraient  arrêter  les  ef- 
fets, l'exécution  des  actes  les  plus  réguliers.  (Comp. 
n*"  639.  )  Toujours  peu  favorable  aux  demandes  en  inscrip- 
tion de  faux,  qu'elle  considère  comme  une  arme  dange- 
reuse entre  les  mains  de  la  chicane,  la  jurisprudence  va 
plus  loin  encore.  Elle  admet  (Rej.,  9  juillet  1839, 1*'  avril 
1844  et  25  avril  1854)  que  le  tribunal  peut  passer  outre, 
s'il  croit  Tallégalion  de  faux  dénuée  de  fondement,  sans 


204  INSPRIPTION  DE  FAUX. 

tenir  compte  de  la  sommation  faite  par  Tune  des  parties  k 
son  adversaire  de  déclarer  s'il  entend  se  servir  de  la  pièce  , 
et  sans  même  attendre  l'expiration  du  délai  de  huitaine  k 
partir  de  la  sommation.  Cette  décision,  qui,  an  premier 
coup  d'œil ,  parait  exorbitante,  se  justifie  aisément,  si  on  se 
reporte  à  l'historique  de  la  matière. 

Sous  l'ordonnance  de  1737,  la  première  démarche  qui  était 
prescrite  an  demandeur,  c'était  de  se  faire  autoriser  k  fin  d'in- 
scription. 11  est  clair  que  dans  ce  système  le  juge  avait  tou- 
jours la  faculté  d'arrêter  la  procédure  dès  le  premier  pas. 
Les  rédacteurs  du  Code  de  procédure  ont  pensé  avec  raison 
qu'aucune  autorisation  ne  devait  être  exigée  avant  la  som- 
mation adressée  au  détenteur  de  la  pièce  fausse ,  puisque  la 
justice  ne  devait  être  appelée  k  statuer  qu'autant  qu'il  y 
aurait  par  le  fait  intérêt ,  c'est-k-dire  contestation  de  la  part 
du  défendeur.  Mais,  de  ce  qu'ils  ont  dispensé  le  demandeur 
de  présenter  tout  d'abord  une  requête  qui  pouvait  en  défi- 
nitive n'avoir  aucune  utilité,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'ils 
aient  voulu  dessaisir  le  juge  du  pouvoir  qu'il  a  toujours  de 
passer  outre ,  lorsqu'une  réclamation  incidente  lui  semble 
mal  fondée.  Autre  chose  est  la  faculté  accordée  k  la  partie 
d'adresser  de  piano  une  sommation  k  son  adversaire  ^  autre 
chose  est  la  suspension  forcée  de  l'instance  principale  par 
Peffet  de  celte  sommation ,  suspension  que  la  loi  n'a  nulle 
part  prononcée. 

De  plus,  suivant  la  doctrine  de  la  Cour  de  Poitiers,  qui 
nous  a  paru  fondée  (n*S07),  le  tribunal  doit  écarter  dès 
l'abord  l'inscription  de  faux ,  comme  inutile ,  aux  cas  où  il 
est  permis  d'attaquer  l'acte  directement. 

Il  ne  faudrait  cependant  point  abuser  de  cette  faculté  at- 
tribuée aux  tribunaux  de  rejeter  de  piano  l'inscription  de 
faux.  C'est  ainsi  que  le  tribunal  de  Bordeaux  ayant  écarté 
d'emblée  la  demande  en  inscription  contre  un  testament, 


INSCRIPTION  DE  FAUX.  205 

malgré  l'articalatioa  du  fait  grave  que  les  témoins  auraient 
qnâtté  la  chambre  du  testateur  pendant  que  le  notaire  écrivait  le 
testament  j  sou  jugement  a  été  réformé,  le  9  mars  1859,  par 
la  Cour  de  Bordeaux ,  qui  a  invoqué ,  avec  raison ,  les  motifs 
suivants  :  «  Qu'il  ne  s'agit  pas,  quant  k  présent,  d'examiner 
«  les  moyens  de  faux,  les  faits,  circonstances  et  preuves, 
a  qui,  concourant  k  les  rendre  vraisemblables,  peuvent  dé- 
«  terminer  le  juge  k  ouvrir  au  demandeur  la  voie ,  toujours 
«  périlleuse,  des  enquêtes-,  qu'on  est  encore  k  la  première 
«  phase  de  la  procédure ,  et  qu'il  échet  seulement  de  déci- 
de der  si  l'inscription  de  faux  doit  être  admise,  c'est-k-dire 
«  s'il  sera  permis  au  demandeur  de  proposer  ses  moyens  de 
«  faux^  qu'il  est  évident,  et  qu'il  résulte  d'ailleurs  de  l'éco- 
«  nomie  de  la  loi ,  que  cette  première  épreuve  ne  doit  pas 
<c  être  environnée  de  la  même  rigueur  que  la  seconde  ^  que 
«  l'office  du  juge  consiste  principalement  k  vérifier  si  le  fait 
«  allégué  est  concluant,  s'il  est  de  nature  k  entraîner  la 
«  nullité  de  la  pièce  ou  k  influer  sur  la  décision  du  procès  -, 
«  que,  hors  de  Ik,  ce  n'est  qu'autant  qu'il  est  pleinement 
«  démontré  que  l'inscription  de  faux  est  téméraire  et  ne 
«  saurait  aboutir,  qu'on  peut  la  repousser  dès  l'abord  et 
fc  sans  autre  vérification  :  car,  s'il  est  vrai  qu'il  ne  faut  pas 
ic  que  la  foi  due  aux  actes  publics  soit  facilement  ébranlée , 
«  il  faut  encore  moins  s'exposer  a  fermer  l'accès  k  la  lumière 
«  et  k  la  vérité.  » 

627.  Le  Code  de  procédure  a  supprimé  une  autre  en- 
trave, qui  existait  pour  le  demandeur  sous  l'ordonnance 
de  1737  :  la  nécessité  de  consigner  préalablement  l'amende, 
k  laquelle  il  peut  être  condamné.  «  Pourquoi  donc  payer 
(c  d'avance  »,  dit  M.  Treilhard  dans  l'exposé  des  motifs, 
«  pour  user  d'un  moyen  avoué  par  la  loi?  »  Cette  observa- 
tion est  juste;  mais  alors,  pour  être  conséquent,  on  ne 
devrait  pas  non  plus  exiger  une  consignation  préalable  des 


206  INSCRIPTION  DB  FAUX. 

parties  qui  emploient  les  voies  légales  de  l'appel ,  de  la  requête 
civile  et  du  recours  en  cassation-,  ou  même  (ord.  de  1788, 
part.  II,  tit.  X,  art.  1*')  de  celles  qui  s'inscrivent  en  faux 
(n°  619)  contre  des  pièces  produites  devant  la  Cour  régulatrice. 
628.  Au  surplus ,  le  jugement  qui  admet  ou  rejette  Tin* 
scription  doit,  comme  tous  ceux  qui  interviennent  dans  cette 
procédure,  être  rendu  sur  les  conclusions  du  ministère  public. 
(C.  deproc.,art.  351.) 

1  9.  PEOCiBUaK  A  FIN  D'ÈTKK  ADHtS  A  LA  9MMXJVE  »Et  MOYEBI 

DB  FAUX. 

Sommaire.  —  639.  InstrnctioD  préalable,  emprantée  aa  système  de  4737.  —  eso.  DèpAt  de 
la  pièce.  —  C34 .  Quand  l'apport  de  la  minute  est  nécessaire.  —  632.  Procès-verbai  con- 
statant l'état  de  la  pièce.  ^  633.  Cette  partie  de  la  procédure  particoUère  aa  faux  maté- 
riel —  634.  Signification  des  moyens.  —  63S.  Modification  apportée  au  système  de  4737. 
—  636.  Nécessité  d'articuler  des  moyens  précis.  —  6S6  Ht.  Projet  de  suppression  de 
cette  phase  de  la  procédure. 

689.  Admettre  le  demandeur  à  l'inscription,  ce  n'est 
pas  encore  l'admettre  k  la  preuve  du  faux.  U  faut  qu'une 
procédure  préalable,  dirigée  par  le  juge-commissaire,  en 
rende  l'existence  vraisemblable.  Il  y  a  ici  quelque  chose 
d'analogue  k  l'instruction  préparatoire,  dans  les  ^ifiEatires  de 
grand  criminel ,  qui  se  termine  par  un  arrêt  de  mise  en  ac- 
cusation ou  par  un  arrêt  de  non-lieu.  Gela  s'explique  par 
l'intime  connexité  qui  existait,  sous  l'empire  de  l'ordonnance 
de  1737,  dont  le  Ck)de  de  procédure  a  reproduit  la  sub- 
stance ,  entre  la  procédure  civile  et  la  procédure  criminelle 
de  faux.  La  pièce  est  accusée  de  faux,  disait  Potbier.  {Proc. 
civ.,  cbap.  VI,  §  6.)  f 

Pour  préparer  et  pour  éclairer  la  décision  du  tribunal , 
la  loi  prescrit  diverses  opérations  appropriées  au  but  qu'il 
s'agit  d'atteindre.  On  prend  d'abord  des  mesures  pour  obte- 
nir la  représentation  de  la  pièce ,  qui  est ,  en  quelque  sorte, 
le  corps  du  délit.  On  en  constate  l'état  par  un  procès-ver- 
bal ,  auquel  sont  appelés  les  intéressés.  Les  moyens  de  faux 


INSCRIPTION  DK  FAUX.  S07 

sont  signifiés  par  le  demandeur  k  son  adversaire.  Enfin,  le 
tribunal  prononce  sur  l'admission  ou  sur  le  rejet  de  ces 
moyens. 

630.  Le  dépôt  au  greffe  de  la  pièce  arguée  de  faux  doit 
être  efiectué  par  le  défendeur  dans  les  trois  jours  de  la  signi- 
fication du  jugement  qui  admet  l'inscription,  et  dénoncé 
dans  les  trois  jours  suivants  au  demandeur,  parla  significa- 
tion de  l'acte  de  mise  au  greffe.  (C.  de  proc,  art.  âi9;) 
Ces  deux  délais  ne  sont  pas  susceptibles  d'augmentation  à 
raison  des  distances ,  comme  celui  qui  est  donné  au  défen- 
deur pour  déclarer  s'il  entend  se  servir  de  la  pièce.  Il  ne 
s'agit  plus ,  en  effet ,  d'une  sommation  toute  personnelle , 
mais  simplement  de  la  remise  d'une  pièce  qui  doit  être  dans 
les  mains  de  l'avoué  du  défendeur,  ou  bien  d'une  simple 
notification,  qui  se  fait  toujours  d'avoué  à  avoué.  Mais  il  est 
également  vrai  ici  que  l'expiration  du  délai  n'emporte  point 
déchéance,  tant  que  le  rejet  de  la  pièce  n'a  pas  été  pro-* 
nonce.  (Rej.,  2  février  4826.  )  Seulement,  le  demandeur  a 
la  faculté  de  faire  effectuer  le  dépôt  au  greffe ,  aux  frais  du  * 
défendeur,  n  n'est  plus  temps  pour  celui-ci ,  comme  le  dit 
fort  bien  l'orateur  du  Tribunat ,  de  se  remettre  dans  la  posi^ 
tion  où  il  était  avant  sa  déclaration^  il  faut  que  l'affaire  soit 
suivie,  si  le  demandeur  l'exige.  Toutefois  le  dépôt  ne  peut 
être  ainsi  ordonné  qu'autant  qu'il  existe  un  double  de  la 
pièce  entre  ses  mains ,  ou  bien  qu'une  tierce  personne  pos- 
sède, soit  un  double,  soit  l'original.  Autrement,  on  ne 
serait  pas  reçu ,  en  matière  civile ,  à  faire  ordonner  une  per- 
quisition dans  le  but  de  saisir  la  pièce  chez  l'adversaire.  Il 
n'y  aurait  alors  d'autre  ressource  que  la  demande  en  rejet. 

631.  Lorsqu'il  s'agit  d'une  pièce  dont  il  y  a  minute,  ce 
qui  arrive  presque  toujours  pour  les  actes  authentiques 
dont  nous  nous  occupons  maintenant ,  l'apport  de  la  minute 
parait  nécessaire ,  puisque ,  tant  qu'elle  existe ,  c'est  k  elle 


208  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

seule  qu'il  convient  de  s'en  référer  pour  la  preuve.  (C.  cîv. , 
art.  1334.^)  Aussi  Tordonnance  de  1670  exigeait-elle  cet 
apport  sans  distinction.  Mais  l'ordonnance  de  1737,  suivie 
en  ce  point  par  le  Code  de  procédure  (art.  221,  222),  a 
laissé  au  tribunal  la  faculté  de  statuer  suivant  les  circon- 
stances. La  minute  peut  se  trouver  k  une  distance  fort  éloi- 
gnée, ou  l'altération  alléguée  peut  être  de  telle  nature  qu'elle 
ne  tombe  évidemment  que  sur  l'expédition.  Lorsque  l'ap- 
port est  exigé,  les  dépositaires  de  la  minute,  fonctionnaires 
publics  ou  simples  particuliers,  peuvent  être  contraints  k 
Tefiectuer  dans  un  délai  qui  est  déterminé  par  le  juge<;om- 
missaire  ou  par  le  tribunal ,  suivant  que  l'un  ou  l'autre  a  été 
saisi  de  la  question. 

632,  La  pièce  remise  au  greffe ,  il  faut  procéder  k  en 
constater  l'état  contradictoirement ,  dans  un  bref  délai. 
Lorsque  c'est  le  défendeur  qui  a  fait  la  remise ,  ainsi  que 
cela  arrive  le  plus  ordinairement,  il  doit,  dans  l'acte  même 
de  signification  de  la  mise  au  greffe ,  sommer  le  demandeur 
d'être  présent  au  procès-verbal  de  l'état  de  la  pièce,  et  le 
procès-verbal  doit  être  dressé  trois  jours  après  cette  signifi- 
cation. Celte  opération  a  lieu  dans  les  trois  jours  de  la 
remise,  sommation  préalablement  faite  au  défendeur,  si 
c'est  le  demandeur  qui  a  opéré  le  dépôt.  (C.  de  proc, 
art.  225.  )  L'expérience  a  fait  reconnaître  l'utilité  de  ces 
brefs  délais,  qui  existaient  déjk  sous  l'empire  de  l'ordon- 
nance de  1737.  Il  importe  de  ne  pas  perdre  de  temps ,  lors- 
qu'il s'agit  de  constater  les  vices  d'une  pièce  dont  l'anéan- 
tissement peut  être  d'un  si  grand  intérêt  pour  celui  qu'elle 
compromet.  Le  procès-verbal  est  dressé  par  le  juge-commis- 
saire, en  présence  du  ministère  public,  du  demandeur  et 
du  défendeur.  (Ibid,,  art.  227.)  On  ne  saurait  trop  recom- 
mander k  ce  juge,  ainsi  qu'au  greffier,  de  ne  pas  perdre  de 
vue  la  pièce  qui  est  l'objet  du  procès.  Dans  une  espèce  qui 


INSCRIPTION   DE   FAUX.  209 

donila  lieo  k  un  arrêt  du  parlement  de  Paris  du  17  mars 
1668,  un  billet  argué  de  faux  fut  adroitement  soustrait  au 
greffier,  et  avalé  par  la  partie  à  laquelle  ce  billet  pouvait 
nuire.  Les  juges  se  vengèrent  en  prononçant  contre  elle  la 
peine  des  travaui  forcés  k  temps  ^-,  mais  il  eût  mieux  valu 
garder  plus  soigneusement  le  billet. 

Le  procès-verbal  doit  mentionner  et  décrire  les  ratures, 
surcharges  et  interlignes.  Boncenne  ajoute  qu'il  convient 
d'entrer  dans  plus  de  détails,  de  noter  les  endroits  où 
l'écriture  se  resserre  et  ceux  où  elle  s'éhrgit,  les  teintes 
différentes  de  l'encre,- les  altérations  du  papier,  ses  cou- 
pures, ses  déchirures,  les  traces  du  grattoir,  etc.  On  ne 
doit  rien  négliger  de  ce  qui  peut  mettre  sur  la  trace  du 
faux. 

633.  n  importe  d'observer,  du  reste,  que  toute  cette 
partie  de  la  procédure ,  depuis  le  jugement  qui  a  admis 
rinscription  jusqu'à  la  signification  des  moyens,  parait  se 
référer  uniquement  à  l'hypothèse  d'un  faux  matériel.  Lors- 
que les  parties  sont  d'accord  sur  la  teneur  de  l'acte,  qui  n'a 
évidemment  subi  aucune  altération,  et  que  la  difficulté 
porte  uniquement  sur  un  faux  intellectuel,  k  quoi  bon 
opérer  le  dépôt  de  la  pièce  au  grefie  ?  A  quoi  bon  surtout 
dresser  procès- verbal  de  son  état,  qui  n'est  pas  en  question  ? 

634.  Huit  jours  après  la  confection  du  procès- verbal , 
s'il  a  dû  en  être  dressé  un,  sinon,  huit  jours  après  la  signi- 
fication du  jugement  d'admission ,  le  demandeur  doit  signi- 
fier ses  moyens  -,  le  défendeur  doit  répondre  dans  un  délai 
qui  est  également  de  huitaine.  Trois  jours  après  les  réponses, 
la  partie  la  plus  diligente  peut  poursuivre  l'audience.  (Ibid., 
an.  229-331 .)  L'audience  peut  également  être  poursuivie  h 


i 


La  peine  serait  aujourd'hui  celle  de  la  réclusion.  (Cod.  pén.,  art.  255. 
u.  ** 


2i0  INSCRIPTION   DB   FAUX. 

respiration  de  la  première  huitaine,  s  il  n'y  a  pas  en  de 
signification  de  la  part  du  demandeur,  afin  de  le  faire  déclarer 
déchu  de  son  inscription;  ou  bien,  au  contraire,  k  l'expira-* 
lion  de  la  seconde  huitaine  sans  réponse  de  la  part  du 
défendeur,  afin  de  faire  prononcer  le  rejet  de  la  pièce.  Ces 
décisions  dérogent  à  la  règle  ordinaire,  qui  permet  aux 
parties  de  s'abstenir  d'écritures,  si  elles  le  jugent  con- 
venable, {ïbid.,  art.  80.)  Les  questions  de  faux  offrent  une 
telle  gravité,  qu'on  a  voulu  mettre  le  demandeur  dans  la 
nécessité  d'articuler  ses  moyens  k  peine  de  déchéance,  et 
obliger  également  le  défendeur  à  s'expliquer,  k  peine  de 
rejet  immédiat  de  la  pièce.  Les  moyens  qui  appuient  ou  qui 
combattent  la  demande  doivent  donc  être  développés  de 
part  et  d'autre,  pour  que  le  tribunal  puisse  rendre  en  con- 
naissance de  cause  la  décision  interlocutoire  qui  termine  la 
la  seconde  phase  du  procès. 

635.  Il  faut  remarquer  que  cette  dernière  partie  de  la 
procédure  a  été  refaite  à  neuf.  Dans  le  système  de  l'ordon- 
nance de  1737  (tit.  Il,  art.  27  et  28),  les  moyens  de  faux 
étaient  mis  au  greffe,  et  il  ne  devait  en  être  donné  ni  copie 
ni  communication  au  défendeur.  C'était  un  vestige  du  carac*- 
tère  criminel  qu'avait  primitivement  l'instruction  du  faux  : 
on  s'attachait  encore,  bien  que  les  conclusions  ne  fussent 
qu'à  fins  civiles,  aux  errements  de  la  justice  pénale  d'alors, 
qui,  de  crainte  que  l'accusé  n'eût  trop  de  facilité  pour 
préparer  une  défense  mensongère ,  lui  refusait  toute  com- 
munication des  moyens  employés  contre  lui.  Un  double 
motif  devait  faire  rejeter  aujourd'hui  cette  marche  :  d'abord, 
le  faux  civil  est  maintenant  tout  k  fait  distinct  du  faux  cri* 
minel*,  en  second  lieu,  notre  système  d'instruction  crimi- 
nelle est  loin  de  reposer  sur  les  mêmes  bases  que  celui  qui 
existait  en  1737. 

636.  Pour  en  revenir  aux  moyens  de  faux ,  ils  seront 


INSCRIPTION   DE   FAUX.  2ii 

m 

généralement  faciles  à  préciser  lorsqu'il  '  s'agira  de  faux 
matériel.  On  fera  ressorlir  les  signes  extérieurs  qui  en 
dénotent  Texistence  d'une  manière  plus  ou  moins  frappante. 
Quand,  au  contraire,  il  s'agira  d'un  faux  intellectuel,  sera- 
t^îl  permis  de  considérer  conune  moyen  suffisant  de  faux  la 
simple  dénégation  des  faits  constatés  par  l'officier  public, 
sauf  k  en  prouver  ultérieurement  la  fausseté?  Si  cette  pré- 
tention était  fondée,  l'inscription  de  faux  ne  serait  que 
Tadministration  de  la  preuve  contraire,  soumise  seulement 
h  quelques  entraves  de  plus.  Mais  alors  k  quoi  bon  exiger 
l'articulation  des  moyens?  Pour  que  l'on  puisse  élever  des 
doutes  sur  la  véracité  d'un  officier  public,  l'esprit  de  la  loi 
exige  que  l'on  articule  des  faits  contraires  k  ceux  énoncés 
dans  l'acte,  un  alibi,  par  exemple,  si  Ton  veut  nier  la  pré- 
sence des  parties ,  contrairement  k  la  foi  d'un  acte  authen- 
tique. Aussi  l'article  129  du  Code  de  procédure  veut-il  que 
l'acte  qui  signifie  les  moyens,  relate  les  fitits,  circonstances 
et  preuves^  par  lesquels  on  prétend  établir  le  faux.  Si  l'on 
pouvait  se  contenter  d'un  simple  démenti  donné  aux  asser- 
tions de  l'officier  par  le  demandeur  en  faux,  quel  acte 
pourrait  échapper  aux  attaques  d'un  plaideur  éhonté,  décidé 
a  tout  nier  avec  une  impudente  énergie?  Aussi  a-t-il  été 
jugé,  conformément  aux  conclusions  de  Merlin  (voy.  Repère 
taire,  v*  MoTENS  de  faux),  par  un  arrêt  de  cassation  du 
i8  février  1813,  que  ce  n'est  pas  Ik  un  point  abandonné  au 
pouvoir  discrétionnaire  des  tribunaux,  et  que  leurs  déci- 
sions doivent  être  annulées,  lorsqu'ils  admettent  comme 
moyen  suffisant  de  faux  la  dénégation  pure  et  simple  de 
faits  authentiquement  constatés.  L'arrêt  de  1813  est  relatif 
k  un  procès- verbal  des  préposés  des  droits  réunis,  mais 
nous  verrons  que  les  règles  sur  l'articulation  précise  des 
moyens  de  faux  sont  communes  aux  matières  civiles  et  cri- 
minelles. La  Cour  a,  du  reste,  consacré  la  même  exigence 

14. 


212  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

9 

relativement  a  rinscriptioo  de  faux  contre  les  actes  notariés, 
par  l'arrêt  de  cassation  du  31  janvier  1825,  dont  la  doctrine 
a  été  confirmée  par  de  nombreux  arrêts  postérieurs.  «  Le 
«  but  de  la  loi  »,  dit  Tarrêt  de  1825,  v  est  facile  à  saisir  : 
«  elle  a  voulu  que  les  faits  articulés  contre  l'acte  attaqué 
«  fussent  tellement  précis  et  circonstanciés,  que  les  magis- 
«  trats  pussent  en  apprécier  le  mérite ,  et  les  parties  elles- 
tt  mêmes  connaître  positivement  quels  sont  les  seuls  points 
«  sur  lesquels  porterait  la  preuve  ^  cette  disposition  tend  en 
«  même  temps  k  prévenir  tout^  collusion  avec  des  témoins , 
a  que  l'on  ferait  déposer  sur  des  faits  inconnus,  concertés 
«  avec  eux,  après  coup,  et  qui  n'auraient  pas  été  annoncés 
c(  dans  les  moyens.  » 

Remarquons  toutefois  qu'il  ne  faut  pas  pousser  trop  loin 
cette  doctrine,  et  rendre  k  peu  près  impossible  la  preuve 
du  faux  intellectuel,  en  exigeant,  comme  l'a  fait  la  Cour  de 
Poitiers,  le  27  novembre  1850,  l'articulation  de  faits  qui 

excluent   invindblenient   l'exiitence  et  la  possibilité   des   faits 

énoncés  dans  l'acte  argué  de  faux.  On  a  prétendu  \  par 
exemple,  qu'il  fallait,  conformément  à  la  décision  de  Jus* 
tinien  (L.  14,  Cod.,  De  contr.  stipul.)^  pour  prouver  un  alibi, 
établir  l'absence  des  parties  ou  des  témoins  instrumentaires 
pendant  la  journée  entière,  lors  même  que  le  notaire  aurait 
indiqué  l'heure  de  la  rédaction  de  l'acte,  sa  montre  pouvant 
être  en  avance  ou  en  retard.  Ainsi,  l'arrêt  précité  de  la 
Cour  de  Poitiers  a  rejeté  comme  insuflisante  l'articulation 
du  fait  qu'un  témoiii  n'^aurait  signé  un  acte  de  donation  que  deux 
jours  après  $a  confection ,  et  hors  la  présence  des  parties  *,  sous 

'  CD  peut  voir  ce  système  longuement  développé  devant  la  Cour  8upé« 
rleure  de  Bruxelles  par  l'avocat  Kockaert ,  dont  Merlin  (foc.  oit,)  reproduit 
les  arguments.  Mais  la  Cour  de  Bruxelles  (comp.  les  arrêts  du  20  février 
1820  et  du  13  j  uin  1821)  a  repoussé  les  conséquences  extrêmes  de  la 
théorie  de  Kockaert. 

'  On  se  rappelle  qu'aux  termes  de  la  loi  du  21  juin  1843  (art.  2),  pour 


INSGRIPTIOll  DE  FACX.  213 

prétexte  que  Theure  de  cette  signature  n'était  pas  men- 
tionnée. Si  cet  arrêt  n'a  pas  été  déféré  à  la  Cour  de  cassa- 
tion ,  le  système  qo'il  consacre  n'en  a  pas  moins  été  formel- 
lement réprouvé  par  la  Cour  régulatrice.  Ainsi  elle  a  jugé 
(Rej.,  20  avril  1837)  qu'on  avait  pu  admettre  contre  les 
énonciations  de  l'acte  la  preuve  de  l'absence  de  Tune  des 
parties,  sans  qu'il  fût  nécessaire  d'établir  l'impossibilité 
absolue  de  sa  présence.  Ainsi,  elle  a  reconnu  (Rej.,  12  no- 
vembre 1856)  dans  l'articulation  de  l'absence  des  témoins 
instrumentaires  à  l'heure  où  leur  présence  était  signalée  un 

■ 

fait  pertinent  et  admissible. 

Néanmoins,  si  les  faits  articulés  sont  insuffisants,  vaine- 
ment le  demandeur  en  faux  proposerait-il  au  juge  de  corro- 
borer ses  assertions  par  la  délation  du  serment  supplétoire. 
Une  pareille  prétention  est  inconciliable  avec  la  marche 
tracée  par  le  Code  de  procédure,  qui  n'admet  point  de 
demi-preuve  en  matière  de  faux  ;  aussi  a-t-elle  été  repoussée 
par  Tarrêt  de  Poitiers,  du  27  novembre  1850,  et  en  ce 
point,  du  moins,  la  Cour  s'est  strictement  conformée  à 
l'esprit  de  la  loi. 

636  Iriê.  Le  projet  de  réforme  (art.  200  et  suiv.)  sup- 
prime cette  phase  de  la  procédure,  comme  étant  une 
source  de  complications  et  de  frais  peu  justifiés.  Dans  le 
système  de  ce  projet,  commun  à  la  vérification  d'écritures 
et  k  la  procédure  de  faux ,  le  tribunal  auquel  l'inscription 
de  faux  est  représentée,  statue  immédiatement,  ou  ordonne 
la  comparution  des  parties.  Le  jugement  qui  ordonne  la 
comparution ,  prescrit  en  même  temps  l'apport  de  la  pièce 
arguée  de  faux,  soit  par  les  parties,  soit  par  le  dépositaire, 
public  ou  autre,  si  elle  est  entre  les  mains  d'un  tiers. 

les  actes  notariés  les  plus  importants,  comme  ceux  qui  contiennent  dona- 
tion entre-Tifs,  la  présence  des  témoins  est  requise  au  moment  de  la  lecture 
des  actes  par  le  notaire  et  de  la  signature  par  les  parties. 


214  INSGKIPTION  DE  FAUX. 

L'état  de  la  pièce  est  constaté ,  séance  tenante ,  dans  an 
procès-verbal  signé  par  les  parties,  le  président  et  le 
greffier.  On  procède  alors  directement  k  la  preuve  da  faax  , 
sans  renvoi  devant  un  juge-commissaire,  sans  aucune  dis- 
cussion préalable  sur  l'admissibilité  des  moyens  de  faux. 


s  3.  PBOGÉDUKE  TENDANT  A  LA  PEBUVS  »U  FAUX. 

SOVMAIBE.  —  G37.  Divers  modes  de  preuves  admissibles.  —  638.  Leur  camal  n*est  point 
nécessaire.  ~  630.  Faciillé  pour  le  juge  d'admellre  de  piano  l'existence  du  faux.  —  640. 
Latitude  accordée  aux  experts.  —  G4i.  Suspension  de  1  exécution  de  l'acte.  —  642.  Exa- 
men des  trois  modes  de  preuve.  —  643.  Preuve  par  titres.  —  644.  Preuve  par  témoins. 
>-  645.  Peut-on  entendre  contre  l'acte  les  témoins  instrumentaires ,  et  le  notaire  lui- 

>    même?  —  646.  Marche  de  l'enquête.  -^  647.  Expertise.  Renvoi. 


637.  Le  jugement,  rendu  sur  les  conclusions  du  minis- 
tère public ,  qui  admet  le  demandeur  k  la  preuve  du  faux , 
détermine  comment  se  fera  cette  preuve,  et  sur  quels  points 
elle  devra  porter. 

La  preuve  se  fait  par  titres,  lorsqu'on  démontre  la  fausseté 
de  l'acte  au  moyen  d'autres  actes,  dont  la  sincérité  est 
inattaquable ,  et  qui  établissent  des  faits  incompatibles  avec 
la  vérité  des  allégations  contenues  dans  la  pièce  argdée  de 
faux.  Elle  se  fait  au  moyen  d'une  enquête,  lorsqu'on 
entend  des  témoins  qui  déclarent  avoir  assisté  k  la  fabrica- 
tion ou  k  l'altération  de  l'écrit,  s'il  s'agit  d'un  faux  matériel, 
ou  savoir  de  science  certaine  que  les  faits  se  sont  passés 
tout  autrement  qu'ils  ne  sont  relatés  dans  l'acte,  s'il  s'agit 
d'un  faux  intellectuel.  Enfin  la  preuve  se  fait  par  experts, 
lorsqu'on  appelle  des  hommes  versés  dans  la  connaissance 
des  écritures  k  donner  leur  avis  sur  les  inductions  qu'on 
peut  tirer  de  l'état  matériel  de  la  pièce. 

638.  Ces  trois  modes  de  preuves  ne  peuvent  pas  toujours 
se  cumuler.  Il  est  clair,  par  exemple,  que  l'expertise  n'est 
d'aucune  utilité ,  s'il  s'agit  de  faux  purement  intellectueL 


ntSGRIPTlON   DE  FAUX.  215 

Les  témoins,  et  surtout  les  titres,  peuvent  ne  pas  exister 
dans  Fespèce.  Mais  lorsque  le  cumul  des  preuves  indiquées 
par  la  loi  est  possible,  le  tribunal  est-il  tenu  de  les  ordonner 
conjointement?  La  négative  était  certaine  sons  Tordonnance 
de  1737  (titre  II,  art.  30),  qui,  après  avoir  indiqué  les  trois 
genres  d'informations ,  ajoutait  :  Le  tout  selon  que  le  cas  U 
requerra.  Bien  que  cette  addition  ne  se  retrouve  pas  dans  le 
Code  de  procédure  (art.  232),  rien  n'indique  qu'elle  y  ait 
été  omise  k  dessein  *,  si  un  seul  mode  de  vérification  suffit 
pour  atteindre  complètement  le  but,  si,  par  exemple,  un 
titre  d'une  authenticité  incontestable  démontre  clairement 
la  fausseté  de  celui  qui  est  attaqué,  on  ne  voit  pas  pourquoi 
on  obligerait  le  tribunal  à  multiplier  les  moyens  d'investiga- 
tion d'une  manière  frastratoire.  La  Cour  de  cassation  s'est 
plusieurs  fois  prononcée  en  ce  sens.  (Yoy.  les  arrêts  du 
25  mars  1835  et  du  11  mars  1840.) 

659.  On  se  demande  même  s'il  est  toujours  nécessaire 
d'ordonner  une  vérification  en  forme,  et  si  les  juges  ne 
peuvent  pas  de  piano  admettre  l'existence  du  faux,  ainsi 
qu'ils  peuvent  certainement  *  rejeter  de  piano  Tinscription. 
(N*  626.)  Il  ne  saurait  y  avoir  de  doute  sérieux  en  ce  qui 
concerne  le  faux  matériel.  On  a  constaté  souvent  dans  la 
pratique  des  surcharges  et  des  altérations  tellement  évidentes 
qu'il  eût  été  vraiment  frustratoire  d'ordonner  une  enquête 
Constante  dans  l'ancienne  jurisprudence  (voy.  Meriin, 
Questions  de  droit,  y  Inscription  de  faux,  §  1 ,  n*  1) 
cette  doctrine  a  été  consacrée  par  de  nombreux  arrêts  dans 
le  droit  actuel.  (Voy.  notamment  Rej.,  20  février  1821-, 


^  Nous  ayons  vu  (n«  626)  qu'un  arrêt  de  la  Cour  d'Alger,  du  21  avril 
1853 ,  refuse  au  juge  la  faculté  de  statuer  en  môme  temps  sur  Pinscription 
de  faux  et  sur  la  pertinence  des  faits,  pour  rejeter  à  la  fois  Tinscription et 
la  preuve  ;  mais  que  la  doctrine  contraire  est  depuis  longtemps  consacrée 
par  la  Cour  de  eaasation.  (Yoy.  Rej.,  25  avril  1854.) 


216  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

12  janvier  1833^  20  janvier  1857.)  L'arrêt  de  la  Cour  de 
Caen,  maintenu  par  la  Cour  de  cassation,  le  20  janvier 
1857,  pose,  en  thèse  générale,  a  que  rien  n'oblige  le  juge 
c(  à  épuiser  tontes  les  formalités  du  Ck)de,  lorsque  sa  con- 
<(  viction  est  formée,  et  qu'il  trouve  dans  les  faits  déjà 
«  exposés  par  les  parties  une  preuve  suffisante  de  la  faus- 
«  seté  de  l'acte  contre  lequel  l'inscription  est  demandée.  » 

Ce  pouvoir  discrétionnaire  du  juge  est  généralement 
reconnu  en  ce  qui  touche  le  faux  matériel.  Hais  il  a  été 
contesté  en  ce  qui  concerne  l'existence  du  faux  intellectuel, 
qui  ne  se  révèle  point  par  des  signes  aussi  palpables  et  qui 
tend  k  ébranler  la  foi  due  aux  officiers  publics.  On  a  pré- 
tendu que  le  faux  intellectuel  exige  toujours  une  instruction. 
Mais  cette  distinction  n'est  point  fondée ,  en  principe.  Le 
faux ,  même  intellectuel ,  peut  ressortir  avec  évidence  des 
données  de  la  cause,  ainsi  que  l'a  décidé  plusieurs  fois  la 
Cour  de  cassation ,  notamment  au  cas  où  un  alibi  détruisant 
les  énonciations  de  Tacte  était  établi  par  des  faits  avoués  ou 
non  contestés  (Rej.,  17  décembre  1835),  et  dans  un  cas  où 
le  faux  était  plus  manifeste  encore,  celui  où  un  prétendu 
témoin  de  l'acte  n'avait  point  assisté  k  sa  réception,  aux 
termes  de  la  déclaration  même  de  ToflGcier  public.  (Rej., 
10  avril  1838^  voy.  aussi  Bordeaux,  21  juillet  1851.)  Il 
n'y  a  donc  point  de  différence ,  en  principe ,  entre  le  faux 
matériel  et  le  faux  intellectuel ,  sauf  aux  juges  k  user  avec 
plus  de  sobriété,  quant  k  ce  dernier,  du  pouvoir  discrétion- 
naire qui  leur  appartient. 

Nous  insistons  sur  ces  questions  d'admissibilité  ou  de 
rejet  de  la  demande  de  piano,  parce  que  ce  sont  k  peu  près 
les  seules  qui  se  présentent  dans  la  pratique,  le  faux  étant 
le  plus  souvent  écarté  ou  admis  d'emblée,  et  la  procédure 
compliquée  du  faux  incident  étant  fort  rarement  mise  en 
œuvre.  Le  projet  de  réforme,  bien  que  simplifiant  beaucoup 


é 


INSCRIPTION   DB  FàUX.  217 

eette  procédure,  attribue  formellement  au  juge  (art.  200, 
181),  le  pouvoir  de  statuer  de  piano. 

640.  Le  même  jugement  (ibid.,  art.  233)  qui  statue  sur 
•la  nature  des  preuves  k  administrer,  énonce  dans  son  dis- 

positir  les  moyens  de  Taux  jugés  admissibles  * ,  les  seuls  sur 
lesquels  doive  porter  la  preuve.  Cette  restriction  était  telle- 
ment de  rigueur  sous  Tempire  de  Tordonnance  de  1670,  que 
les  experts,  lorsqu'ils  découvraient  dans  l'écrit  à  eux  soumis 
quelque  vice  matériel  qui  ne  se  rattachait  pas  aux  moyens 
de  faux  énoncés,  n'osaient  en  faire  mention  dans  leur 
rapport,  de  peur  d'être  pris  à  partie,  comme  s'écartant  de 
la  mission  qui  leur  était  assignée.  Pour  obvier  k  cet  abus , 
l'ordonnance  de  1737  a  apporté  au  principe  restrictif  de  la 
preuve  un  tempérament,  qui  se  retrouve  dans  l'article  233 
du  Code  de  procédure  *  :  «  Pourront  néanmoins  les  experts 
«  faire  telles  observations  dépendantes  de  leur  art  qu'ils 
«  jugeront  k  propos  sur  les  pièces  prétendues  fausses,  sauf 
«  aux  juges  k  y  avoir  tel  égard  que  de  raison.  » 

641.  C'est  ordinairement  aussi  ce  même  jugement  qui 
suspend  l'exécution  de  l'acte,  aux  termes  de  l'article  1319 
du  Code  civil. 

64S.  Reprenons  maintenant  chacune  des  trois  preuves 
indiquées  par  la  loi. 

643.  La  preuve  par  titres  est  extrêmement  simple. 
Lorsque  des  actes  non  suspects  établissent  un  fait  qui 
détruit  complètement  la  vérité  des  allégations  de  l'of&cier 
public,  comme  un  alibi ^  le  faux  est  démontré  de  la  manière 
la  plus  palpable.  C'est  ainsi  que  les  énonciations  d'un  acte 


*  Le  texte  àî\ pertinents  et  admissibles;  mais  nous  avons  reconnu  (n«  61) 
qae  la  première  de  ces  conditions  rentre  dans  la  seconde. 

*  Cet  article  deviendrait  inutile  dans  le  système  du  projet  de  révision , 
qui  tapprime  renonciation  des  moyens. 


SI 8  INSCRIPTION   DE   FAUX. 

de  naissaDce  '  ont  été  yictorieusement  contredites  par  la 
teneur  d'un  acte  de  mariage  non  contesté.  (Cass.,  13  dé- 
cembre 1842.)  L'administration  de  cette  preuve  ne  donne 
lieu  k  aucune  difficulté.  Seulement,  les  titres  produits  k 
l'appui  de  la  demande  en  faux  peuvent  eux-mêmes  être 
attaqués  par  la  voie  de  l'inscription  de  faux ,  de  même  que 
les  témoins  entendus  à  l'appui  d'un  reproche  peuvent  être 
eux-mêmes  reprochés.  Les  doutes  émis  par  quelques  auteurs 
sur  l'admissibilité  de  cette  inscription  incidente,  k  raison 
de  la  complication  qui  en  résulte  dans  la  procédure,  ne 
peuvent  prévaloir  contre  le  texte  général  (C.  de  proc, 
art.  214),  qui  permet  de  s'inscrire  contre  toute  pièce  pro- 
duite dans  le  cours  d'une  instance.  L'intérêt  de  la  célérité 
est  grave,  sans  doute,  mais  on  ne  doit  pas  lui  sacrifier  celui 
de  la  vérité. 

644.  La  preuve  par  témoins  peut  porter  sur  le  fait 
même  du  faux  matériel,  ou  du  faux  intellectuel  ;  elle  peut 
aussi  porter,  comme  la  preuve  par  titres,  sur  des  faits 
pouvant  servir  k  la  découverte  de  la  vérité.  La  loi  le  dit 
spécialement  pour  la  vérification  d'écritures  (titU,  art.  211), 
et  on  ne  voit  pas  pourquoi  il  en  serait  autrement  en  ce  qai 
touche  le  faux. 

Cependant,  quoique  le  texte  ne  fasse  aucune  distinction, 
on  a  quelquefois  douté  de  l'admissibilité  des  témoins  quand 
il  s'agit  de  vérifier  un  faux  intellectuel.  On  a  craint  que  ce 
ne  fût  un  moyen  indirect  d'éluder  la  loi  qui  défend  de  prou- 
ver contre  le  contenu  aux  actes.  (C.  civ.,  art.  1341.)  N'est- 
ce  pas  Ik ,  dit-on ,  préférer  le  témoignage  de  simples  par- 
ticuliers, qui  offrent  souvent  peu  de  garanties,  k  celui  des 
oificiers  institués  par  la  loi  pour  la  constatation  des  faits  ju- 

'  Il  faut  supposer,  dans  notre  opinion,  un  fait  attesté  de  visu  et  auditu 
par  Tofficier  civil  :  autrement,  il  n*y  aurait  plus  de  difficulté,  l'acte  ne 
faisant  pas  foi  jusqu'à  inscription  de  faux.  (N«  528.) 


IHSGRIPTION  DE  FAUX.  219 

ridignes?  Mais,  malgré  les  conclusions  formulées  par  Tavo- 
cat  général  Daniel ,  qui  a  soutenu  qu'en  l'absence  d'indices 
de  faux  matériel ,  la  preuve  testimoniale  n'était  admissible 
dans  l'espèce  qu'au  moyen  d'un  commencement  de  preuve 
par  écrit  (en  ce  sens,  Riom,  17  mars  1819),  ces  considé- 
rations n'ont  pas  prévalu  devant  la  Cour  de  cassation  -,  la 
Cour,  de  même  qu'elle  a  refusé  (n*  639)  de  distinguer  entre 
le  faux  matériel  et  le  faux  intellectuel,  quant  à  l'ad- 
mission de  faux  de  piano,  a  refusé,  le  39  juillet  1807,  d'ad- 
mettre cette  distinction  quant  à  la  faculté  de  prouver  par 
témoins.  Et  en  effet ,  lorsque  la  loi  défend  de  recevoir  la 
preuve  par  témoins  contre  le  contenu  aux  actes,  elle  n'en- 
tend parler  que  de  la  preuve  contraire  que  l'on  voudrait  ad- 
ministrer ^p/ano,  mais  nullement  de  l'inscription ,  garantie 
extrême  toujours  réservée  contre  la  prévarication  des  offi- 
ciers publics.  Comment  cette  prévarication  pourrait-elle, 
sauf  dans  quelques  cas  exceptionnels,  être  prouvée  par 
écrit?  Il  ne  s'agit  évidemment  que  d'un  fait  frauduleux,  et 
jamais  l'exclusion  de  la  preuve  testimoniale  n'a  été  appliquée^ 
des  faits  de  cette  nature.  (N**  141.)  C'est  le  cas  de  dire,  avec 
Boiceau  (Part.  I,  chap.  vu ,  n*  6)  :  Cum  hœc  omnia  dolo9a  et 
frttudulenta  videantur  et  crminis  speciem  habentia,  huic  legi  subjici 
non  debeni,  into  testibue  omnique  alto  probandi  génère  hujusmodi 
fraude»  detegi  debere  exUtimo.  La  Cour  de  Poitiers,  dans  l'ar- 
rêt de  1850  (n'^ôSÔ),  où  elle  a  touché  incidemment  ce  point, 
se  préoccupe  beaucoup  du  danger  de  détruire  la  foi  qui  doit 
s'attacher  k  l'authenticité,  elle  craint  d'ébranler  une  des 
principaleê  bases  de  la  propriété:  mais  ce  danger  nous  semble 
tout  k  fait  chimérique-,  les  inscriptions  de  faux  sont  rare- 
ment  admises  par  Ja  jurisprudence,  et  dans  tous  les  cas 
elle  exige  les  preuves  les  plus  convaincantes  pour  prononcer 
la  fausseté.  Mais ,  quand  les  témoignages  sont  précis  et  po- 


290  mSGRIPTION   DE  FAUX. 

sitifs,  la  présomption  de  véracité  de  l'officier  public  doit 
céder  a  l'évidence. 

645.  Pourra-t-on  entendre  les  témoins  instrumentaires 
eux-mêmes?  Point  de  doute,  s'ils  déposent  en  faveur  de  la 
sincérité  de  Tacte?  Un  jugement  du  tribunal  de  Schelestadt, 
qui  les  avait  déclarés  reprocbables  comme  ayant  donné  des 
certificats  sur  les  faits  relatifs  au  procès  (C.  de  proc, 
art.  283),  a  été  cassé,  le  23  novembre  1812  :  c'était  con- 
fondre avec  l'administration  de  certificats  officieux  le  mi- 
nistère légal  des  témoins  instrumentaires.  Hais  seront-ils 
reçus  k  déposer  en  sens  inverse ,  c'est-à-dire  \k  démentir  ce 
qu'ils  ont  attesté  par  leurs  signatures?  Ce  démenti  judiciaire 
donné  à  une  déclaration  solennelle  paraît,  au  premier  coup 
d'œil ,  difficile  à  admettre.  Et  cependant ,  le  danger  même 
auquel  s'expose  le  témoin  qui  fait  une  pareille  déclaration , 
puisqu'il  peut  être  poursuivi  comme  complice  d'un  faux , 
u'est-il  pas  une  forte  présomption  en  faveur  de  sa  véracité? 
D'ailleurs  n'arrive-t-il  pas  souvent  que  des  témoins  simples 
et  ignorants  souscrivent,  sans  aucune  espèce  de  dol,  de 
fausses  énonciations ,  dont  ils  ne  comprennent  pas  la  por- 
tée, celle,  par  exemple,  que  le  testament  a  été  dicté  lors- 
qu'il a  été  seulement  lu  au  testateur  en  présence  des 
témoins;  et  que  plus  tard  ces  mêmes  témoins,  interrogés 
en  justice ,  exposent  sincèrement  la  manière  dont  les  faits 
se  sont  passés?  C'est  ce  qui  avait  lieu  précisément  dans  une 
a&ire  jugée  en  1810  par  la  Cour  spéciale  de  la  Seine,  af- 
faire où  le  procureur  général  Legoux  a  exposé  avec  beau- 
coup de  netteté  les  principes  sur  ce  point.  (Voy.  Merlin, 
Questions  de  droit,  V  Témoin  instrdmbntaire,  §  3.) 

Néanmoins,  sous  l'influence  du  système  des  preuves  lé- 
gales, l'ancienne  jurisprudence  '  considérait  généralement 

*  Cette  opinion  était  pourtant  combattue  par  les  meUleurs  interprètes  du 
droit  romain,  qui  n*a  jamais  admis  de  semblables  restrictions,  n  Adrersus 


INSCRIPTION   DE  FAUX.  2S1 

les  témoins  comme  liés  k  FavaDce  par  leurs  dépositions 
écrites.  L'avocat  général  Séguier,  qoe  nous  avons  déjk  vu 
(n*  343)  soutenir  avec  tant  d'énergie  la  maxime  qui  accor- 
dait foi  absolue  k  la  déposition  de  deux  témoins  conformes, 
eut  également  occasion  de  donner  ses  conclusions  sur  la 
question  des  témoins  instrumentaires ,  en  1786  :  «  On  ne 
«  peut  absolument ,  dit-il ,  recevoir  ni  déclaration ,  ni  dépo- 
«  siUon  d'un  témoin  instrumentaire  ;  sa  déclaration  n'est 
«  point  juridique,  elle  est  déclarée  nulle  par  la  loi,  sans 
«c  qu'il  y  ait  à  examiner  si  elle  est  ou  non  conforme  à  son 
«  premier  témoignage.  Elle  n'y  ajoute  aucune  force ,  si  elle 
«  contient  les  mêmes  faits;  elle  ne  l'ébranlé  point,  si  elle 
ft  en  contient  de  contraires.  D'ailleurs,  quelle  inégalité  n'y 
«  a*t-il  pas  entre  la  foi  due  au  témoin,  lorsqu'il  signe  un 
«  testament  comme  revêtu  d'un  caractère  légal,  comme 
a  exerçant  une  fonction  publique,  et  celle  qu'on  pourrait 
«  ajouter,  soit  à  la  déclaration  extrajudiciaire  du  même 
«  homme  redevenu  une  personne  privée,  soit  même  à  ce 
«  qu'il  déclare  sous  la  religion  du  serment,  lorsqu'il  est  in- 
«  terrogé  par  la  justice?...  Et  si  les  mœurs  du  témoin 
fc  doivent  influer  sur  la  foi  due  à  sa  déposition ,  quelle  idée 
«  présente  de  lui-même  le  témoin  instrumeutaire  qui  vient 
a  démentir  le  contenu  de  l'acte  qu'il  a  signé?  Lorsqu'il 
«  signait  le  testament,  la  loi,  qui  consacrait  son  ministère, 
«  le  présumait  honnête  et  digne  de  toute  confiance.  Le  les- 
tt  tateur  qui  l'appelait,  confirmait,  par  sa  confiance,  cette 
«  présomption  de  probité.  Mais,  à  l'instant  même  où  il 
<c  ouvre  la  bouche  pour  déposer  contradictoirement  au  tes- 
«  tament  qu'il  a  signé ,  il  se  place  dans  l'alternative  d'être 

«  testimonia  »,  dit  Cujas  {Ùbserv.,  lib.  XVI, cap.  xxy),  «  interrogentur  testes 
«  ipsi ,  quorum  sunt  testimonia ,  et  testimoDiis  fides  non  habeatur,  uisi  eis 
«  suffragetur  tox  testium  ipsorum.  »  Godefroy  dit  également  (sur  la  loi  l'«, 
Cod.  De  testHnu)  :  «  lidem  testes  qui  in  instiumento  interfûenmt ,  ejus 
«  falsitatem  possunt  arguere.  » 


222  INSCRIPTION  DE  FAUX. 

«  OU  d'avoir  été  un  parjure*,  la  justice  indignée  voit  évidem- 
«  ment  que  Tbomme  qui  lui  parle  est  un  imposteur-,  sa 
a  seule  incertitude  est  de  savoir  si  c*est  dans  le  moment 
«  actuel  ou  à  l'époque  précédente  qu'il  Ta  trompée,  et  cette 
«  incertitude  même  fait  qu'elle  ne  peut  prononcer  la  faus- 
«  seté  du  premier  acte  sur  la  seule  confiance  de  cet  être 
«  vil,  parce  que  c'est  peut-être  en  disant  que  l'acte  est  faux 
«  qu'il  commet  un  mensonge.  »  Ces  conclusions,  conformes 
k  la  jurisprudence  anlérieure,  furent  adoptées  en  1786  par 
le  parlement  de  Paris ,  et  telle  était  généralement  la  doc- 
trine de  nos  anciens  auteurs  ^  Elle  était  conforme  k  Pesprit 
de  notre  ancienne  jurisprudence  en  matière  de  preuves. 
«Loin  de  faire  la  critique  de  l'arrêt  de  1786  n,  disait, 
en  1810,  le  procureur  général  Legoux  (cité  par  Merlin, 
loc.  cit.)^  ((  il  est  très-possible  qu'assis  parmi  les  juges, 
((  nous  en  eussions  été  d'avis...  Nous  ne  sommes  pas  sur- 
it pris  qu'on  fit  de  grandes  difficultés  pour  convaincre  un 
((  notaire  de  faux  sur  la  déposition  de  deux  témoins  instru- 
((  mentaires...  Mais  aujourd'hui,  nulle  distinction  à  faire 
«  entre  les  preuves  admissibles  en  matière  de  faux,  et  celles 
»  qui  servent  k  constater  les  autres  délits.  Les  témoins  qui 
((  peuvent  être  administrés  pour  le  crime  de  faux  ne  sont 
((  dès  lors  reprochables  que  dans  les  cas  prévus  et  spécifiés 
«  par  la  loi.  » 

Il  y  a  eu  cependant  des  Cours  qui  ont  reproduit  la  prohi- 
bition de  l'ancien  droit.  Les  Cours  de  Riom  (19  mars  1819) 
et  de  Toulouse  (26  mai  1829)  ont  déclaré  la  déposition  des 
témoins  instrumentaires  suspecte,  comme  attestant  leur 

'  C^est  toutefois  mal  à  propos  qu'on  a  invoqué  dans  ce  sens  Pautorité 
de  Domat.  Il  dit  bien  (liv.  Ill ,  tit.  YI ,  sect.  2 ,  n«  7)  «  qu'on  n'écouterait 
pas  même  une  partie  qui  prétendrait  faire  ouïr  en  justice  les  témoins  d'un 
acte ,  pour  y  apporter  quelque  changement  ou  pour  s'expliquer.  »  Mais , 
dans  ce  passage ,  il  ne  s'occupe  point  du  faux  ;  son  assertion  a  trait  à  la 
preuYe  contre  et  outre  le  contenu  aux  actes,  et  eUe  est  dès  lors  incontestable. 


mSCBIPTION   DE  FACl.  223 

propre  turpitude.  L'arrêt  précité  de  la  Cour  de  Poitiers 
(n*"  636)  signale  également  le  scandale  judiciaire  de  dé- 
mentis directs  donnés  k  leur  propre  signature  par  les  témoins 
instrumentaires.  Aujourd'hui  cependant,  l'exclusion  absolue 
de  ces  témoins  étant  reconnue  par  trop  arbitraire,  on  se 
rabat  k  soutenir,  suivant  la  doctrine  de  d'Aguesseau,  con- 
forme aux  principes  sur  Taveu  dans  l'ancien  droit  (n**  366), 
que  leur  déposition  ne  suffit  pas  à  elle  seule  pour  faire 
preuve,  ainsi  que  l'a  jugé  la  Cour  de  Grenoble,  le  15  juin 
i852.  Mais  la  Cour  de  cassation,  qui  a  toujours  fait  préva- 
loir les  principes  rationnels  quant  k  l'admissibilité  de  la 
preuve  testimoniale  ' ,  n'a  admis  ni  l'exclusion  absolue  des 
témoins  instrumentaires,  ni  le  système  subsidiaire  qui  ne 
voit  dans  leur  déposition  qu'une  sorte  de  demi-preuve.  Elle 
a  posé  en  principe  (Rej.,  12  mars  1838  et  12  novembre 
4836)  qu'on  ne  saurait  articuler  des  reproches,  en  se  fon- 
dant  sur  des  souvenirs  de  l'ancien  droit,  en  dehors  d'aucun 
texte.  Enfin  elle  décide  formellement ,  dans  les  considérants 
de  l'arrêt  de  1838,  que  u  le  pouvoir  d'admettre  les  témoins 
«  instrumentaires  une  fois  reconnu  aux  juges ,  c'est  k  eux , 
c(  k  eux  seuls ,  qu'il  appartient  d'apprécier  la  portée  et  le 
«  résultat  de  leur  déposition,  de  manière  qu'ils  peuvent,  sur 
«  cette  déposition  unique ,  et  sans  le  secours  d'aucun  autre 
c(  élément  de  preuve ,  déclarer  la  nullité.  » 

Nous  voyons  également  la  jurisprudence  anglaise,  après 
s'être  longtemps  fondée  sur  ce  prétendu  principe  du  droit 

*  La  doctrine  qui  exclut  les  témoins  instramentaires  se  rattache  intime* 
ment  à  celle  qae  nous  ayons  également  combattue  (n°  636)  avec  la  Cour  de 
cassation,  et  suivant  laquelle  il  serait  interdit  d'établir  un  faux  intellectuel 
sans  prouver  Pimpossibilité  absolue  de  la  vérité  des  énonciations  de  Tacte. 
Aussi  voyons-nous  le  môme  Kockaert,  qui  professe  cette  dernière  doctrine, 
s'efforcer  de  faire  revivre  la  vieille  thèse  de  la  turpitude  des  témoins  dépo^ 
sant  contre  leur  propre  signature.  (Voy.  Merlin,  Répert.,  v«  Moyens  de 
TAUX.)  Le  même  rapprochement  se  trouve  dans  les  considérants  des  arrêts 
de  Poitiers  et  de  Toulouse,  qui  exagèrent  les  prérogatives  de  l'authenticité. 


S24  INSCniPTIOM   DE   FAUX. 

romain  qae  le  témoin  doit  être  repoussé  comme  alléguant 
sa  propre  turpitude,  revenir,  en  définitive,  à  cette  règle  de 
bon  sens,  qu'il  faut  apprécier  le  témoignage  du  témoin  instru* 
mentaire,  et  non  Texclure  à  priori.  Le  même  mouvement  de 
doctrine  a  eu  lieu  aux  États-Unis,  sauf  une  hypothèse,  celle 
où  le  souscripteur  d'un  effet  commercial  serait  appelé  à  dé- 
poser contre  la  sincérité  de  cet  effet,  au  détriment  d'un 
porteur  de  bonne  foi  -,  l'opinion  qui  le  déclare  non  recevable 
l'a  emporté,  en  Amérique,  par  des  motifs  d'utilité  pratique. 
(H.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  504  et  suiv.) 

Pour  être  conséquent  dans  la  doctrine  qui  a  prévalu,  il 
faut  faire  un  pas  de  plus,  et  admettre  le  témoignage  du  no- 
taire, bien  qu'il  allègue  sa  propre  turpitude.  On  sent  bien 
qu'autrefois  le  notaire  devait  être  repoussé  h  plus  forte  rai- 
son. Sinon  auditur  perire  voletis,  disait  le  président  Favre, 
multo  minus  audieiur  qui  id  agit  ut  et  ipse  et  alius  pereat.  Ce 

n'était  là  que  l'application  k  la  procédure  de  faux  des  doutes 
élevés  jadis  sur  la  force  probante  de  l'aveu  * ,  doutes  qui 
nous  ont  paru  inadmissibles  dans  le  droit  moderne.  (N*  366.) 
On  peut  donc  recevoir  contre  l'acte  la  déclaration  du  notaire 
lui-même,  lorsqu'elle  parait  sincère.  La  Cour  de  Bordeaux, 
le  3  décembre  1857 ,  a  repoussé  de  piano  le  témoignage  du 
notaire  même  eu  faveur  de  l'acte,  à  raison  de  Tinlérèt  qu'a 
l'officier  rédacteur  à  en  soutenir  la  validité.  Mais  admettre 
comme  motif  de  reproche  un  intérêt  indirect,  bien  que 
grave,  c'est  consacrer  le  système  des  reproches  illimités» 
que  nous  avons  combattu.  (M**  281.)  Les  exclusions  à  priori 
servent  mal  la  découverte  de  la  vérité.  Il  peut  arriver,  du 
reste,  pour  le  notaire,  comme  pour  les  témoins,  qu'il  y  ait 
une  mauvaise  rédaction  sans  dol.  Il  importe  de  consulter  à 
cet  égard  l'arrêt  de  rejet,  du  26  juin  1854,  rendu  à  la  suite 

*  L^ancienne  doctrine  française  sur  ce  point  s'est  consenrée  dans  la 
Louisiane. 


1H8GRIPT10II  1>K  FàOX.  225 

d'un  rapport  de  M.  Hardouin,  où  les  principes  sont  nette- 
ment poses. 

646.  La  marche  de  Tenquéte,  en  matière  de  faux,  est 
régie  par  les  mêmes  principes  que  dans  les  autres  matières. 
Toutefois  9  les  témoins  devant  déposer  ici  sur  les  pièces  pré- 
tendues fausses ,  il  importe  qu'ils  les  aient  sous  les  yeux. 
Elles  doivent  donc  leur  être  représentées  :  ce  que  le  juge- 
commissaire  constate ,  en  faisant  parafer  les  pièces  par  les 
témoins ,  ou  bien ,  s'ils  ne  peuvent  ou  ne  veulent  le  faire , 
en  faisant  mention  de  cette  circonstance.  On  procède  de 
même,  soit  pour  les  pièces  de  comparaison,  lorsqu'on  juge 
convenable  de  les  représenter  aux  témoins ,  soit  pour  celles 
que  les  témoins  eux-mêmes  auraient  produites.  (C.  de  proc. , 
art.  534  et  235.) 

647.  Enfin  le  faux  peut  se  prouver  par  expertise.  Mais 
l'expertise  s'applique  surtout  aux  écritures  privées ,  et  c'est 
à  propos  de  ces  écritures  que  la  science  des  écrivains  experts 
a  donné  lieu  à  de  vives  critiques.  Nos  développements  sur 
ce  point  se  rattacheront  donc  mieux  k  la  vérification  d'écri- 
tures, dont  la  marche,  sous  ce  rapport,  est k  peu  près  iden- 
tique k  celle  de  la  procédure  de  faux.  La  seule  disposition 
importante  qui  soit  spéciale  au  faux ,  c'est  celle  qui  veut 
que  les  experts  soient  toujours  nommés  d'ofiice.  (Ibid.^ 
art.  232.)  L'avis  qu'ils  doivent  émettre  peut  avoir  de  si  gra- 
ves conséquences,  qu'il  convenait  d'attribuer  au  tribunal 
seul  la  faculté  de  les  désigner. 

%  4.  18SUB  »B  LA  PmOCKDCBK. 

SoMMAiBE.  —  648.  SolotiODS  diYerses  de  la  proeëdnre  de  fonx.  —  649.  Sanis  q«*entratne 
le  foaz  crimiDei.  —  6S0.  Prescription  en  matière  de  (ànx.  —  651.  Cas  où  le  fanx  n'est 
qne  partiel.  —  653.  Mesures  relatives  ^  la  pièce  jugée  ùinsse.  ~  65S.  Suspension  de 
l'exécotion  de  ces  mesures.  —  654.  Amende  encourue  par  le  demandeur  qui  succombe. 
~  65S.  Règle  particulière  sur  la  transaction. 

648.  L'instruction  du  faux  peut  prendre  une  (elle  gra- 
vité ^  qu'il  y  ait  lieu  de  poursuivre  au  criminel  le  défendeur, 

II.  45 


S96  IHSCRIPTIOM   DB   PàUX. 

et  qae  dès  lors  la  juridiction  civile  se  trouve  provisoirement 
dessaisie.  Si,  au  contraire,  Tinstruction  ne  met  pas  sur  la 
trace  d'un  crime  ^  on  revient  à  l'audience ,  et  un  jugement 
définitif  tranche  la  contestation.  Il  peut  toutefois  intervenir 
une  transaction  qui  prévienne  ce  jugement.  Nous  allons 
reprendre  successivement  chacune  de  ces  hypothèses. 

649.  Lorsqu'il  résulte  de  la  procédure  des  indices  de 
faux  ou  de  falsification  {ibid.,  art.  239),  «i  les  auteurs  ou 
complices  sont  encore  vivants ,  on  applique  le  principe  gé* 
néral  qui  veut  que  le  criminel  tienne  le  civil  en  état.  On 
Burseoit  k  statuer  sur  le  civil ,  tant  que  la  procédure  crimi- 
nelle ne  soit  terminée.  Le  président  du  tribunal ,  ou  même 
le  procureur  de  la  République  (C.  d'instr.,  art.  462)  délivre 
contre  le  prévenu  un  mandat  d'amener  devant  le  juge  d'in- 
struction compétent.  Nous  verrons  plus  tard,  en  traitant  de 
la  chose  jugée ,  quelle  influence  peut  exercer  le  résultat  de 
la  procédure  criminelle  sur  la  décision  du  tribunal  civil. 

650.  L'article  239  du  Code  de  proc^ure  parait  supposer 
que  Taclion  civile  subsiste ,  lors  même  que  la  poursuite  du 
crime  est  éteinte  par  la  prescription.  Mais,  si  la  prescription 
de  l'action  publique  est  accomplie,  il  semble  que  l'action 
civile  doit  être  éteinte  elle-même,  aux  termes  de  l'ar- 
ticle 637  du  Code  d'instruction  ' ,  qui  attribue  aux  deux 
actions  la  môme  durée  de  dix  ans.  On  peut  d'abord  répondre 
simplement  que  l'action  civile  peut  très-bien  avoir  été  con- 
servée par  des  poursuites  faites  pendant  ce  laps  de  dix  ans, 
tandis  que  l'action  publique  aurait  été  prescrite.  Mais  il  faut 
aller  plus  loin,  et  reconnaître  que,  le  silence  eût-il  été  gardé 
pendant  dix  ans  par  la  partie  civile ,  comme  par  la  partie 
publique*,  l'inscription  de  faux  doit  toujours  être  rece- 

*■  L'article  239  du  Code  de  procédure  renvoie  au  Code  pénal;  c'est 
qu'alort  le  même  Code,  celui  du  S  brumaire  an  lY,  réglait  à  la  fois  la 
pénalité  et  la  procédure. 

>  Mais,  dira-t-on,  l'action  pubUque  eU^mème  n'est  pas  prescrite. 


INSGRIPTION  DE  FAUX.  ^7 

m 

vable.  Il  ne  s'agit  pas,  en  efiet,  d'une  action  civile  piopre^ 
ment  dite,  d'une  deinande  en  dommages  et  intérêts,  suscep- 
tible d&  s'éteindre  au  bout  d'un  certain  laps  de  temps ,  mais^ 
d'une  défense  contre  un  acte  entaché  de  la  plus  radicale  de 
toutes  les  nullités.  Car  quelle  nullité  plus  grave  peut-on 
invoquer  que  celle  qui  consiste  à  démontrer  que  l'acte  m'est 
complètement  étranger,  aussi  étranger  que  s'il  était  revêtu 
de  la  signature  d'un  tiers?  Le  temps  peut-il  avoir  la  puis» 
sauce  de  transformer  le  faux  en  vrai?  Suffira-t-il  k  un  faus- 
saire de  préparer  dix  ans  à  l'avance  une  fraude  et  de  trans- 
mettre ensuite  l'acte  k  un  tiers  de  bonne  foi ,  pour  que  le 
mensonge  devienne  une  vérité  judiciaire?  Que  je  ne  puisse 
phis  pQursuivre  en  dommages  et  intérêts  l'auteur  du  fauXf 
soit;  mais  la  faculté  de  repousser  l'attaque  dirigée  contre 
moi  au  moyen  d'un  écrit  de  cette  nature  est  un  droit  de  dé-* 
fense  naturelle ,  qui  doit  durer  aussi  longtemps  que  subsiste 
en  fait  la  faculté  de  m'attaquer  avec  ces  armes  déloyales.  La 
Cour  de  cassation  a  consacré  cette  doctrine ,  aussi  conforme/ 
à  l'utilité  sociale  qu'aux  r^les  d'une  saine  logique,  par  ur 
arrêt  du  25  mars  18S9. 

651.  Une  question  souvent  débattue  jadis,  c'est  celle  ê 
savoir  si  le  faux  partiel  doit  détruire  en  totalité  la  foi  ie 
l'acte.  L'opinion  la  plus  raisonnable  sur  ce  point  consise  à 
distinguer,  comme  on  le  faisait  k  Rome ,  si  les  parties  de 
l'acte  qui  ne  sont  pas  infectées  de  faux  peuvent  ou  nonsub* 
sister  indépendamment  de  celles  qui  sont  ftiusses.  «  SU  ex 
«  falsis  instmmentis  »,  dit  Tempereur  Léon  (L.  41,God.) 
De  tramact.  ) ,  «  transactiones  vel  pactiones  înitae  fierint , 

imisqne  louage  d*iine  pièce  faïuse  oonsUtae  on  yéritable  délit  suicessif ,  et 

que  dès  Iotb  la  prescription  ne  court  qu^à  partir  de  Pusage  mAne  fait  de 

cette  pièce  dans  la  procédure.  Cela  est  vrai,  quand  un  plaideur  le  mauvaise 

foi  use  sciemment  d^une  pièce  de  cette  nature  ;  mais  on  peut  trM-bien  croire 

léritable  une  pièce  fausse  :  alors  il  n'y  a  ni  crime  ni  délit  ie  la  part  du 

plaideur,  et  l'auteur  du  faux  peut,  de  son  c6té,  se  trouver  à  couvert  au 

moyeu  de  la  prescription. 

15* 


\ 


I 


2â8  INSCBIPTIOM   DE   FAUX. 

((  quamvis  jusjarandum  de  his  interpositum  sit,  etiam  civi- 
L  liler  falso.  revelato ,  eas  retractari  praeeipimus  ;  ita  demum 
«  ut ,  si  de  pluribus  causis  vel  capitulis  eaedem  pactiones 
<(  seu  transactiones  initse  faeriDt,  illa  tautummodo  causa  vel 
((  pars  retractetur,  quse  ex  faiso  instrumento  composita 
d  convicta  fuerit,  aliis  capitulis  firmis  manentibus  :  nisi 
«  forte  etiam  de  eo ,  quod  falsum  dicitur ,  controversia  orta 
«  decisa  sopiatur.  »  Si  Tacte  partiellement  faux  est  encore 
susceptible  d'une  validité  partielle,  ë  plus  forte  raison  doit- 
on  repousser  la  jurisprudence  arbitraire  de  certains  parle- 
ments, qui  faisaient  perdre  son  procès  au  faussaire,  lors 
même  que  sa  cause  était  bonne  indépendamment  de  la  pièce 
fausse.  De  pareilles  décisions  rappellent  trop  celle  du  singe 
devant  qui  plaidaient  le  loup  et  le  renard  (La  Fontaine, 
liv.  Il,  fable  m)  : 

Le  juge  prétendait  qu'à  tort  et  à  travers, 

On  De  saurait  manquer,  condamnant  un  pervers. 

65fi.  Si  la  pièce  est  reconnue  fausse,  le  tribunal  (C.  de 
l^c,  art.  S41)  doit  prendre  des  mesures,  soit  pour  em- 
p^her  qu'on  ne  puisse  jamais  en  faire  usage,  soit  pour 
réiblir  la  vérité,  s'il  y  a  lieu.  Afin  d'atteindre  le  premier 
de^^s  résultats,  il  ordonne  la  suppretsian  ou  lacération  de  la 
pièc^,  si  elle  est  isolée^  la  radicuian,  s'il  y  a  eu  falsification 
part^lle  d'un  titre  ou  d'un  registre  qu'on  ne  peut  détruire 
en  totalité  -,  enfin  la  réformation  \  acte  de  destruction  mo- 
rale, ^ue  l'on  prononce,  si  l'écrit  n'est  pas  au  pouvoir  du 
tribund ,  ou  si  la  loi  n'en  permet  pas  la  radiation ,  comme 
lorsqu' j  s'agit  d'un  acte  de  l'état  civil ,  sauf  à  faire  meo- 


*  Tel  est  e  sens  donné  au  mot  riformalUm  par  SerpiUon  dans  son  com- 
mentaire surVordonnance  de  1737,  et  il  n^est  pas  probable  que  les  mêmes 
expressions  aient  nn  autre  sens  dans  le  Code  de  procédure.  (Voy.  M.  Colmet 
d'Aage,  Leçons  sur  le  Code  de  procédure,  $  460.) 


INSCRIPTION  DE  FAUX.  S29 

tion  da  jugement  en  marge  de  l'acte  supprimé.  (C.  civ., 
art.  101.)  Quant  au  rétablissement  de  la  vérité,  les  pièces 
sont  rétablies  lorsqu'il  y  a  lieu,  soit  de  reproduire  en  entier 
des  dispositions  effacées,  soit  du  moins  de  remanier  l'acte, 
pour  le  remettre  dans  l'état  où  il  était  primitivement,  sMi 
s'agit  d'un  faux  matériel ,  et  dans  l'état  où  il  devait  être 
d'après  l'intention  des  parties,  s'il  s'agit  d'un  faux  intel- 
lectuel. 

683.  Toutes  ces  opérations  se  font  à  la  diligence  du 
greffier.  Mais  toutes ,  sauf  la  réformation ,  qui  ne  produit 
pas  d'effet  matériel,  sont  de  nature  k  causer  un  préjudice 
irréparable  à  la  partie  condamnée.  Or,  la  condamnation 
peut  ne  pas  être  en  dernier  ressort-,  elle  peut  être  du 
moins  passible  de  voies  de  recours  extraordinaires.  Aussi 
la  loi  a-t-elle  voulu  qu'il  fût  sursis  k  l'exécution  du  chef 
du  jugement  qui  porte  sur  Pétat  matériel  de  la  pièce,  tant 
que  le  condamné  est  dans  le  délai  de  se  pourvoir  par  appel, 
requête  civile  ou  cassation.  (Même  art.  241.)  On  ne  parle 
pas  du  délai  pour  former  opposition,  parce  qu'il  est  généra- 
lement suspensif  en  toute  matière.  Quant  aux  voies  extraor- 
dinaires dont  l'emploi  est  fort  rare,  la  tierce  opposition  et  le 
désaveu  y  le  législateur  ne  parait  pas  en  tenir  compte. 

En  sens  inverse ,  si  la  pièce  est  déclarée  vraie ,  il  n'y  a, 
sans  doute,  aucune  opération  matérielle  k  effectuer-,  mais 
il  serait  dangereux  de  restituer,  soit  l'écrit  argué  de  faux, 
soit  les  pièces  de  comparaison ,  tant  que  le  jugement  peut 
être  attaqué  par  l'une  des  voies  indiquées.  On  doit  donc, 
en  principe,  différer  cette  restitution.  Mais  l'application  de 
cette  dernière  règle  peut  cesser  sur  la  demande  des  dépo- 
sitaires, ou  de  toute  partie  intéressée  à  la  réintégration  des 
pièces,  pourvu  qu'il  soit  suffisamment  garanti  au  tribunal 
qu'elles  seront  représentées  k  la  première  réquisition.  {Ibid.^ 
art.  242  et  243.) 


230  INSCRIPTlOn  DE  FAUX. 

De  plus,  le  ministère  public,  qui  assiste  au  jugement 
déflnitif,  comme  k  toutes  les  autres  phases  de  la  procédure, 
peut  toujours ,  en  faisant  des  réserves  k  fin  de  poursuites 
criminelles ,  s'opposer  soit  k  la  destruction ,  soit  au  retrait 
des  documents  utiles  ou  nécessaires  pour  l'exercice  de 
l'action  publique ,  laquelle  demeure  parfaitement  indépen- 
dante ,  quelle  que  soit  Tissue  du  procès  civil. 

654.  Quand  le  demandeur  succombe,  il  encourt  de 
droit,  le  jugement  eût-il  gardé  le  silence  sur  ce  point,  une 
amende  de  trois  cents  francs,  indépendamment  des  dom- 
mages et  intérêts  qui  peuvent  être  alloués  par  le  tribunal  au 
défendeur.  Le  désistement  volontaire  n'empêcherait  pas 
l'inscrivant  de  subir  cette  amende;  il  en  serait  de  même,  a 
plus  forte  raison,  s'il  avait  été  déclaré  déchu  de  sa  demande, 
pour  défaut  d'observation  des  formalités  légales'.  Mais  il 
faut  que  l'inscription  ait  été  admise  -,  sinon ,  la  procédure 
aurait  avorté  dans  son  germe.  Il  suffit  au  surplus  que  la 
pièce,  sans  avoir  été  positivement  déclarée  fausse,  ait  été 
rejetée ,  ou  même  qu'un  faux  partiel  ait  été  constaté ,  pour 
que  l'amende  ne  soit  pas  encourue.  (Ibid.,  art.  246-248.) 

655.  Enfin  le  procès  peut,  comme  la  plupart  des  con-- 
testations  civiles,  se  terminer  par  une  transaction.  Nul 
doute  que  l'accord  des  parties  ne  soit  sans  effet  en  ce  qui 
touche  l'exercice  de  l'action  publique.  (C.  d'instr.,  art.  4.) 
Mais  l'efiet  de  la  transaction  entre  les  parties  elles-mêmes 
parait  subordonné  ici  k  une  condition  toute  particulière. 
«  Aucune  transaction  sur  la  poursuite  du  faux  incident  », 
dit  l'article  249  du  Code  de  procédure,  «  ne  pourra  être 

*  L'article  247  da  Code  de  procédure  suppose  que  les  parties  penreot 
avoir  été  mises  hors  de  procès.  C'est  là  un  vestige  de  Pancieu  droit,  oix  la 
mise  hors  de  cause,  dont  nous  avons  eu  occasion  de  parler  (n«  56),  s'ap- 
pliquait au  demandeur  en  faux,  à  cause  du  caractère  semi-criminel  de  la 
procédure.  Aujourd'hui,  la  mise  hors  de  procès  ou  hors  de  cause  ne  serait 
que  de  Parbitraire,  tant  au  criminel  qu'au  civil. 


mSORIPTiOïV   DIS  FAUX.  331 

«  exécutée ,  si  elle  n'a  été  homologuée  en  justice ,  après 
«  ayoir  été  communiquée  au  ministère  public ,  lequel 
a  pourra  faire,  à  ce  sujet,  telles  réquisitions  qu'il  jugera 
«  k  propos.  )> 

Dans  le  premier  état  de  notre  jurisprudence  française , 
à  la  différence  du  droit  romain,  qui  permettait  de  transiger, 
même  sur  Faccusation  de  faux  (Diocl.,  L.  18,  Cod.,  De 
traruact.)^  toute  transaction  sur  le  faux  était  défendue.  Il  n'a 
jamais  été  permis  chez  nous  de  transiger  en  matière  de 
crimes,  et  nous  atons  vu  que  la  poursuite,  même  civile, 
do  faux  avait  un  caractère  criminel.  Sous  l'ordonnance 
de  i737,  la  transaction  fiit  permise-,  mais,  bien  que  Tar- 
iicle  53  du  titre  II  de  cette  ordonnance  ne  parl&t  que  A^exêcu- 
tion,  on  pensait  généralement  que  la  validité  de  la  transac- 
tion au  fond  était  subordonnée  k  l'homologation  du  tribunal. 
C'est  qu'alors  la  partie  civile  pouvait  agir  comme  partie 
principale  au  criminel,  et  que  dès  lors  les  droits  auxquels 
elle  renonçait  n'étaient  pas  purement  privés,  sous  l'empire 
d'une  législation  qui  n'avait  pas  encore  nettement  discerné 
l'action  publique  de  l'action  civile.  (N*  608.)  Mais  aujour- 
d'hui que  la  même  confusion  n'existe  plus,  l'action  pour  la 
réparation  du  crime,  qui  n'appartient  qu'au  ministère  pu- 
blic, demeurant  entière,  on  ne  voit  pas  pourquoi  le  tribunal 
serait  autorisé  à  refuser  au  fond  son  homologation  a  une 
transaction  intervenue  entre  parties  capables  sur  des  intérêts 
purement  privés.  Ce  que  le  tribunal  peut  accorder  ou  re- 
fuser, c'est  V exécution  de  la  transaction,  en  tant  qu'elle  pour- 
rait compromettre  Faction  publique,  c'est-k-dire  en  tant 
qu'elle  aurait  trait  k  l'enlèvement  ou  k  la  destruction  des 
pièces,  dont  le  ministère  public  peut  requérir  le  maintien 
au  greffe.  L'exposé  des  motifs  est  tout  k  fait  dans  le  sens 
de  cette  opinion  :  «  Les  parties  ne  sont  pas  libres  »>  dit 
Treilhard ,  «  par  des  conventions  privées  et  secrètes,  de  faire 


232  FAUX   INCIDENT   CRIMINEL. 

((  disparaître  les  traces  d'un  crime  et  de  soustraire  les  coo- 
«  pables  aux  peines  qu'ils  ont  encourues.  » 

DEUXIÈME  DIVISION. 

FAUX  INCIDEnT  CRXMINSL. 

Sommaire.  —  656.  DisUnction,  aa  criminel,  do  faax  principal  et  da  £inx  incident.  —  687. 
Hardie  ordinaire  da  faux  incident  criminel.  —  688.  Rigoenr  particulière  anx  matières 
spéciales.  —  659.  Quand  il  faut  appliquer  le  droit  commun.  —  660.  Marche  de  Tincideot 
en  matière  spéciale.  —  664.  Disposition  de  l'article  484  du  Gode  forestier. 

'656.  Devant  les  juridictions  criminelles,  Tinscription  de 
faux,  nous  l'avons  vu,  ne  peut  jamais  se  présenter  qu'inci- 
demment. L^instruction  du  faux  principal  criminel,  ou  foux 
principal  proprement  dit,  tend  k  faire  appliquer  la  loi  pé- 
nale, et  non  plus  seulement  k  détruire  la  foi  d'un  acte, 
comme  l'inscription  de  faux. 

657.  La  marche  tracée  pour  attaquer  incidemment  une 
pièce  fausse  au  criminel  difl%re  peu  de  celle  qui  est  suivie 
devant  les  juridictions  civiles.  La  partie  qui  attaque  la  pièce 
comme  fausse  doit  préalablement  sommer  l'adversaire  de 
déclarers'il  entend  ou  non  s'en  servir.  (G.  d'instr.,  art.  458.) 
Les  plaideurs  n'étant  pas  ici  représentés  par  des  avoués,  la 
sommation  doit  se  faire  par  exploit,  et  par  conséquent  nul 
doute  que  le  délai  de  huitaine  ne  doive  être  augmenté]  k 
raison  des  distances.  Du  reste,  la  partie  à  qui  on  impose 
cette  sommation  n'est  que  la  partie  civile.  Le  ministère 
public  n'est  jamais  forcé  de  mettre  l'accusé  en  demeure 
de  déclarer  s'il  entend  ou  non  employer  tel  moyen'.  (Rej., 
20  juin  1847.) 

*  Lots  même  que  la  pièce  aurait  disparu  par  le  fait  de  Pinculpé ,  les 
poursuites  du  ministère  public  ne  sauraient  être  arrêtées,  ainsi  que  l'a  jugé 
la  Cour  de  cassation,  et  sous  le  Code  actuel  (arr.  du  14  mai  18S6),  et  même 
sous  Pempire  du  Code  de  brumaire,  qui  prescrivait  à  peine  de  nulUté 
Paooomplissement  de  toutes  les  formalités  de  cette  procédure.  (Rej., 
6  mars  1807.) 


FAUX  INCIDENT  CRIMINEL.  233 

Si  celui  qoi  reçoit  la  sommation  renonce  k  faire  usage 
de  la  pièce,  elle  est  rejetée  do  procès,  sans  préjudice  des 
poursuites  criminelles  auxquelles  elle  peut  donner  lieu. 
Si ,  au  contraire ,  il  persiste  k  en  faire  usage ,  le  faux  est 
poursuivi  criminellement  au  cas  où  il  y  a  eu  faux  inten- 
tionnel-, sinon,  rinstruction  du  faux  est  suivie  incidem- 
ment, dans  les  formes  ordinaires,  devant  le  tribunal  saisi 
de  raf&ire  principale.  (Ibid.,  art.  439  et  460.)  Cette  der- 
nière proposition  n'est  pas  vraie  toutefois  d'une  manière 
générale.  Il  ne  faut  l'appliquer  qu'aux  Cours  d'assises  et 
aux  tribunaux  de  police  correctionnelle.  On  n'a  jamais  con- 
sidéré un  tribunal  de  simple  police  comme  offrant  assez  de 
garanties  pour  pouvoir  être  saisi  d^une  procédure  de  faux, 
dont  la  marche  est  si  compliquée. 

658.  En  matière  ordinaire,  le  faux  criminel  n'est  plus 
soumis,  nous  l'avons  vu  (n""  613),  à  peine  de  nullité,  it  l'ob- 
servation des  règles  compliquées  prescrites  par  la  loi  civile. 
n  n'en  est  point  de  même  dans  les  matières  spéciales  dont 
nous  avons  déjà  parlé,  en  nous  occupant  de  l'authenticité  en 
matière  criminelle,  c'est-k-dire  en  ce  qui  touche  les  procès- 
verbaux  constatant  certains  délits  et  certaines  contraventions, 
k  l'égard  desquels  l'inscription  de  faux  a  été  soumise  k  des 
règles  particulières.  Tout  est  de  rigueur  dans  la  procédure 
qui  tend  k  détruire  l'autorité  de  ces  procès-verbaux,  a.  L'in- 
«  observation  de  ces  formalités  )> ,  dit  un  arrêt  de  cassation 
du  i8  novembre  18i3,  «  emporte  la  déchéance  de  l'inscrip- 
«  tion  de  faux  ;  elle  éteint  donc  et  anéantit  l'action ,  sans 
«  qu'il  soit  possible  de  la  reprendre  ;  par  une  conséquence 
«  nécessaire ,  les  nullités  qui  résultent  de  l'inobservation 
«  d'une  telle  formalité  sont  absolues  et  d'ordre  public  ^ 
«  elles  ne  peuvent  être  couvertes  ni  par  le  silence,  ni  par  le 
«  consentement,  soit  des  parties  intéressées,  soit  du  minis- 
«  tère  public  -,  elles  peuvent  être  proposées  en  tout  état  de 


S34  FAUX   INCIDENT   CRIMINEL. 

«  cause  comme  exceplîon  préjudicielle  et  përemptoire 
a  éteignant  l'action,  et  il  est  même  du  devoir  des  juges  de 
a  les  suppléer  dans  le  silence  des  parties.  »  Ces  formalités 
rigoureuses  ont  été  empruntées  k  Fancienne  législation, 
dont  les  dispositions  se  trouvaient  résumées  dans  une  dé- 
claration du  28  mars  1732,  réglant  la  procédure  k  suivre 
sur  Tinscription.  Indépendamment  des  règles  empruntées  k 
la  procédure  civile  sur  Tinscription  de  faux  et  sur  le  dépôt 
des  moyens,  la  faculté  de  s'inscrire  doit  être  exercée  dans 
des  délais  très-brefs ,  qui  varient  suivant  les  matières ,  mais 
qui  ne  vont  jamais  au  delk  de  l'audience  indiquée  par  la 
citation.  «  Dans  tous  les  temps  » ,  dit  Merlin  {Rêpert.,- 
y^  Inscription  de  faux  ,  §  6 ,  n""  2  ) ,  «  le  législateur  s'est 
a  attaché  k  restreindre,  avec  une  inflexible  sévérité,  le  délai 
((  dans  lequel  peuvent  être  attaqués  par  inscription  de  faux 
«  les  rapports  et  procès-verbaux  des  préposés',  et  Ton  en 
<c  conçoit  sans  peine  le  motif  :  c'est  que  plus  la  loi  accor- 
«  derait  d'intervalle  au  prévenu  de  contravention  pour 
«  s'inscrire  en  faux  contre  un  procès-verbal,  plus  elle  lai 
((  faciliterait  les  moyens  de  forger,  de  revêtir  de  toutes  les 
«  couleurs  de  la  vraisemblance,  et  de  prouver,  par  de  faux 
«  témoins,  des  faits  contraires  aux  faits  constatés  par  le 
«  procès-verbal  des  employés-,  c'est  que  les  premiers  mo- 
((  ments  qui  suivent  la  rédaction  et  l'affirmation  d'un  procès- 
ce  verbal  sont  toujours  ceux  où  la  vérité  peut  le  plus  aisément 
((  en  être  reconnue,  où  les  erreurs  peuvent  le  plus  aisément 
«  être  dévoilées^  c'est  qu'il  importe  de  ne  pas  laisser  long- 
ée temps  l'intérêt  pécuniaire  du  prévenu  aux  prises  avec  sa 
et  conscience.  » 

659.  Mais,  k  raison  même  de  la  rigueur  de  ces  forma- 
lités, il  faut  reconnaître  que  les  règles  relatives  aux  procès- 

<  Il  «^agissait  de  contributions  indirectes  ;  mais  le  principe  est  éyideiib» 
ment  le  même  dans  toutes  les  matières  spéciales. 


FAUX   INCIDENT  GRIVIKEL.  S35 

yerbaax  sont  placées  en  dehors  du  droit  commun.  Il  n'est 
donc  pas  permis  de  les  compléter,  en  faisant  des  emprunts 
aux  dispositions  du  Code  de  procédure  sur  Tinscription  de 
faux.  Ainsi,  dans  le  silence  des  lois  spéciales,  il  n'y  a  point 
lieu  d'adresser  au  rédacteur  du  procès-verbal  une  somma- 
tion préalable ,  tendant  à  lui  faire  déclarer  s'il  veut  se  servir 
de  la  pièce  :  c'est  ce  qu'a  jugé  un  arrêt  de  cassation  du 
i4mai  1813,  d'après  ce  motif  que,  les  agents  de  Tadminis* 
tration,  à  la  différence  des  plaideurs  ordinaires,  n'étant 
point  libres  de  s'abstenir,  une  pareille  sommation  ne  saurait 
avoir  k  leur  égard  aucun  effet  utile.  Néanmoins ,  s'il  n'est 
pas  permis  de  se  référer  au  Code  de  procédure  en  ce  qui 
concerne  Tinstruction  de  l'affaire,  il  y  a  identité  de  motirs 
pour  appliquer  au  plaideur  téméraire  l'amende  de  trois  cents 
firancs,  lorsqu'il  s'agit  d'un  faux  incident  criminel.  C'est  ce 
qu'a  décidé  un  arrêt  de  cassation  du  8  février  1845,  dans 
le  cas  d'une  inscription  de  faux  dirigée  contre  un  procès- 
verbal  d'employés  des  contributions  indirectes. 

660.  Celui  qui  veut  s'inscrire  en  faux  doit  le  déclarer  en 
personne,  ou  du  moins  par  le  ministère  d'un  mandataire,  por- 
teur d'une  procuration  spéciale  et  notariée.  L'inscription  a 
lieu,  tantêt  an  greffe,  tantôt  k  l'audience,  mais  toujours 
dans  de  brefs  délais.  Au  jour  indiqué  par  la  citation ,  le 
tribunal  donne  acte  au  prévenu  de  sa  déclaration  d'inscrip- 
tion de  faux ,  et  fixe  un  délai  assez  court ,  pendant  lequel 
il  est  tenu  de  faire  au  greffe  le  dépôt  des  moyens  de  faux , 
avec  l'indication  des  noms,  qualités  et  demeures  des  té- 
moins qu'il  veut  faire  entendre.  Ces  moyens  doivent  être , 
comme  en  matière  civile,  des  faits  de  nature  k  contredire 
le  procès-verbal ,  et  non  pas  une  dénégation  pure  et  simple. 
Nous  avons  même  vu  (n'  636)  que  c'est  k  l'occasion  d'un 
procès-verbal  des  agents  des  droits  réunis  que  la  Cour  de 
cassation,  en  1813,  sur  les  conclusions  de  Merlin,  a  fixé 


â36  FAUX  INCIDENT   CRIMINEL. 

sa  jarisprudence  sur  ce  point.  Les  principes  sont  d'ail- 
leurs les  mêmes  (Rej.,  8  mars  1850)  pour  l'inscription  de 
faux  contre  tout  acte ,  formée  devant  la  Cour  de  cassation. 
C'est  dans  ce  sens  que  l'article  179  du  Code  forestier  veut 
que  les  moyens  soient  de  nature  à  détruire  Ceffet  du  procès- 
verbal. 

  l'expiration  du  délai  fixé ,  les  parties  viennent  k  l'au- 
dience, et  le  tribunal  décide  si  l'inscription  est  admissible. 
Ce  n'est  qu'alors  qu'il  est  autorisé  à  faire  cesser  la  foi  du 
procès-verbal  attaqué.  Quand  l'inscription  de  faux  est  ad- 
mise ,  s'il  y  a  des  indices  de  faux  criminel ,  et  que  l'actioa 
publique  ne  soit  pas  prescrite  ou  éteinte  par  la  mort  du 
prévenu,  le  tribunal  doit  surseoir,  et  renvoyer  l'affaire  de- 
vant le  juge  d'inscription  compétent.  Il  en  est  autrement  si 
la  poursuite  ne  tend  plus  k  l'application  d'une  peine,  mais 
seulement  a  la  preuve  du  faux  ;  rien  alors  n'empêche  que  le 
tribunal  correctionnel,  saisi  de  l'incident,  ne  paisse  le  vi- 
der. 11  doit  procéder  suivant  les  règles  ordinaires,  quant  à 
la  vérification  de  l'existence  du  faux. 

661.  En  principe  général,  l'inscription  de  faux,  dirigée 
par  un  prévenu  contre  le  procès-verbal  d'où  peut  résulter 
sa  culpabilité,  est  personnelle  à  ce  prévenu,  et  ne  doit  pas 
pouvoir  profiter  aax  autres  prévenus  qui  se  trouvent  dé- 
signés dans  ce  même  procès-verbal.  C'est  Ik  l'application 
du  principe  bien  constant,  suivant  lequel  une  procédure, 
quelle  qu'elle  soit,  ne  saurait  profiter  aux  personnes  qui  y 
sont  étrangères.  Néanmoins  on  lit  dans  l'article  181  du 
Code  forestier,  et  dans  l'article  58  de  la  loi  sur  la  pêche 
fluviale  :  «  Lorsqu'un  procès-verbal  sera  rédigé  contre  plu- 
«  sieurs  prévenus,  et  qu'un  ou  quelques-uns  d'entre  eux 
((  seulement  s'inscriront  en  faux ,  le  procès-verbal  continuera 
«  de  faire  foi  k  l'égard  des  autres,  à  moins  que  le  fait  sur 
«  lequel  portera  l'inscription  de  faux  ne  soit  indivisible  et 


FAUX  mCIDBlIT  CRIMINBL.  S37 

«  commun  aux  antres  prévenus.  »  On  a  probablement  pensé 
qu'il  pouvait  y  avoir  quelque  chose  de  choquant,  lorsque  le 
fait  eSt  indivisible,  k  voir  un  procès-verbal  déclaré  faux,  et 
cependant  des  prévenus  condamnés  k  l'amende ,  ou  même 
à  la  prison,  sur  la  foi  de  ce  procès-verbal.  Et  cependant  ce 
n'est  Ik ,  après  tout ,  que  l'application  logique  du  principe 
qui ,  même  en  matière  indivisible ,  ainsi  que  nous  le  ver- 
rons, ne  permet  d'attacher  k  la  chose  jugée  qu'une  foi  toute 
relative.  Il  nous  parait  difficile  d'étendre  k  d'autres  matières 
la  disposition  favorable,  mais  exceptionnelle,  du  Code  fo- 
restier et  de  la  loi  sur  la  pêche  fluviale. 


DEUXIÈME  MODE  DE  PREUVE  PRÉCONSTITUÉÉ 

AVEU  DU  DÉFENDEUR.  --  ÉCRITURES  PRIVÉES. 

SomUIBS.  —  662.  DiTision. 

662.  Quelque  précieuse  que  soit  Tauthenticité  pour  as- 
surer la  stabilité  des  conventions,  il  n'était  pas  possible  de 
l'imposer  généralement,  sans  astreindre  les  parties  k  des 
embarras  et  k  des  frais  qui  auraient  singulièrement  entravé 
les  transactions  sociales.  (Voy.  n*  465.)  Aussi  l'aveu  con- 
signé dans  un  écrit  privé  est-il  une  preuve  extrêmement 
usuelle. 

Les  plus  importantes  des  écritures  émanées  de  simples 
particuliers  sont  les  actes  sous  seing  privé ,  ainsi  nommés  ' 
k  raison  de  la  signature  qui  les  caractérise.  C'est  k  ces  actes 
que  nous  devons  spécialement  nous  attacher.  Nous  dirons 
ensuite  quelques  mots  des  écritures  non  signées ,  qui  n'ont 
de  foi  régulière  que  dans  certaines  circonstances  détermi- 
nées ,  en  dehors  desquelles  elles  dégénèrent  en  simples  in- 
dices :  nous  traiterons  en  même  temps  des  signes  matériels 
encore  employés  pour  constater  certaines  fournitures,  des 
tailles,  qu'on  peut  considérer  comme  une  sorte  d'écriture 
grossière. 

Les  règles  que  nous  allons  établir  sur  la  nature  des  écri- 
tures privées,  ont  trait  surtout  aux  matières  civiles. 
Nous  aurons  seulement  quelques  observations  k  faire, 
pour  compléter  le  sujet ,  sur  la  foi  de  ces  écritures  devant 
les  tribunaux  criminels. 

^   *WvvV4  1  Le  mot  seing  est,  en  effet,  opposé  à  celui  de  sceau  par  l'ordonnance  de 

.ly^  \^  Moulins,  et  employé  souTent  par  nos  anciens  auteurs  dans  le  sens  de  signa» 

^^^    /*  f  ture.  Boiceau  emploie  continuellement  dans  cette  acceptation,  peu  conforme 

|i ^  Iv  »> Il  4  ^  gi^nç  latinité,  le  mot  signum,  d'où  seing  est  évidemment  dérivé. 


▲GTE  S0D8  SEING  PRIYÉ.  S39 

PREMIÈRE  SECTION. 

ÉCRITURES  SIGNÉES.  —  ACTE  SOCS  SEING  PRIVÉ. 

SomuiBE.  —  «63.  Éeritares  privées  k  Rome.  —  664.  En' France,  «obstilntion  de  la 
signature  an  sceau.  —  665.  Législalion  anglaise.  —  666.  Marque  admise  en  Piémont  et 
en  Aatriebe.  —  667.  Intervention  dn  tribunal  en  Pnuse.  —  668.  L'acte  privé  ne  ae 
prouTe  point  lui-même. 

663.  La  signature  des  parties ,  qui  est  chez  nous  le  ca- 
ractère distinctif  des  actes  sous  seing  privé,  n'existait  pas  à 
Borne  dans  l'origine.  Quant  au  sceau ,  qui  pouvait  en  tenir 
lieu,  et  qu'on  employait,  par  exemple,  dans  le  testament 
prétorien,  pour  attester  la  présence  des  témoins,  il  ne  pa- 
nit'pas  avoir  été  exigé  dans  les  écrits  privés.  (Scaev.,  L.  34, 
§  i ,  D.,  Depign.)  Mais  il  parait  qu'on  les  rédigeait  habi- 
tuellement en  présence  de  témoins  :  usage  fort  naturel  pour 
les  Romains,  qui  avaient  l'habitude  d'initier  leurs  conci- 
toyens au  secret  de  leurs  affaires,  puisque  leurs  conven- 
tions les  plus  importantes  avaient  lieu  verbalement ,  et  exi- 
geaient, par  conséquent,  dans  la  pratique,  l'emploi  de  la 
preuve  orale.  Justinien,  dans  la  Novelle  73,  donna  une 
force  toute  particulière  aux  écrits  revêtus  de  la  signature  de 
trois  témoins  \  Il  voulut  que  seuls  ils  pussent  être  vérifiés 
par  experts ,  le  témoignage  des  personnes  qui  avaient  con- 
couru h  l'acte  rendant  l'expertise  moins  dangereuse  :  «  tJt 
«  non  in  sola  scriptura  et  ejus  examinatione  pendeamus ,  sed 
«  sit  judicantibus  etiam  testium  solatium.  »  Au  contraire , 
la  sincérité  des  écrits  qui  étaient  rédigés  sans  témoins 
ou  en  présence  de  moins  de  trois  témoins,  ne  pouvait 
s'établir  que  par  la  preuve  directe ,  et  non  pas  indirectement 


^  On  retrouTait  cette  disposition  de  la  NoTeUe  73  dans  les  constitutions 
ÛVL  duché  de  Modène  (Ut.  I,  tit.  XX,  art.  2),  qui  attribuaient  la  force  de 
Pacte  anthentiiiQe  à  Pécrit  revêtu  de  la  signature  de  trois  témoins  de  bonne 
renommée. 


S40  ACTE   SOUS  SEING  PRIVÉ. 

au  moyen  de  la  comparaison  d'écritures.  I^on  avait  déjà 
décidé  (L.  4,  Cod.,  Qui  pot.  inpign.)  qu'en  matière  de  gage 
ou  d'hypothèque,  les  écritures  rédigées  en  présence  de  trois 
témoins  l'emporteraient,  bien  que  postérieures  en  date,  sur 
celles  qui  seraient  dépourvues  de  cette  formalité.  Du  reste , 
bien  que  la  signature  se  fût  introduite  k  Constantinople ,  elle 
ne  pouvait  pas,  comme  chez  nous,  tenir  lieu  de  l'écriture 
de  la  propre  main  de  celui  qui  s'engageait.  Celui  qui  ne  sa- 
vait pas  écrire,  ou  qui  savait  ;kzuc(u  liueras  (Nov.  73,  ch.  viii), 
devait  faire  rédiger  par  autrui  ses  conventions  en  présence 
de  témoins,  qui  attestaient  la  fidélité  de  la  rédaction. 

664.  En  France,  nous  avons  vu  (n''485)  que,  jusqu'au 
seizième  siècle ,  les  actes  publics  eux-mêmes  n'étaient  pas 
signés,  mais  revêtus  d'un  sceau.  Dumoulin  admet  encore 
pour  les  actes  privés  {Comm.  sur  la  covt.  de  Paris,  tit.  Des 
fiefs,  §  8,  n**  13  et  14),  que  le  sceau  peut  valoir  sans  si- 
gnature ,  pourvu  qu'il  soit  constant  que  le  sceau  a  été  bien 
apposé  par  celui  qui  s'engage.  La  nécessité  absolue  de  la 
signature  parait  n'avoir  prévalu  que  dans  le  siècle  suivant. 
L'usage  de  remplacer  la  signature  par  l'apposition  d'un  sceau 
en  présence  de  témoins  s'était  même  conservé  dans  le 
Luxembourg  et  dans  la  Toscane,  jusqu'à  la  réunion  momen- 
tanée de  ces  pays  à  la  France  ^  (Merlin,  Répert.,  V"  SiGNii^ 
TURE,  §  1,  n""  8.)  Il  est  facile  de  reconnaître  combien  la 
pratique  de  la  signature  est  préférable  k  celle  du  sceau , 
dont  Tusage  frauduleux  n'exige  point  du  faussaire  des  con- 
naissances spéciales  et  difficiles ,  comme  la  fabrication  des 
écritures ,  et  devient  impossible  k  constater ,  s'il  a  eu  lieu 

*  ce  Le  cachet,  tabab,  pour  les  Arabes  »,  dit  le  général  Daumas  (La  vie 
arabe,  p.  61),  «  remplace  la  sigoatore.  Ce  peuple  en  est  encore  au  temps 
«  où  nos  ancêtres  déclaraient  ne  pas  savoir  signer  en  leur  qualité  de  gen- 
«  tilsbommes.  Le  gentilhomme  arabe,  même  lettré,  est  toujours  accompagné 
«  d*uu  secrétaire,  khodja,  chargé  de  sa  correspondance  ;  quant  à  lui,  son 
«  rôle  se  borne  à  opposer  son  cachet  sur  la  lettre  quand  elle  est  écrite.  » 


ACTE  SOCS  SEING  PRIVÉ.  241 

secrètement,  puisque  Tempreinte  est  toujours  identique. 

665.  En  Angleterre  (voy.  Blaekstone,  liv.  Il,  ch.  ix), 
la  formalité  du  sceau  est  encore  la  seule  qui  soit  requise  en 
général  dans  les  actes  privés  '  dont  la  formule  porte  :  zcelU 
et  délivré.  La  signature  est  en  outre  exigée  par  le  29*  statut 
de  Charles  II  (ch.  m),  pour  les  conventions  les  plus  impor- 
tantes ,  telles  que  les  ventes  d'immeubles  \  On  a  recours 
d'ailleurs ,  pour  constater  ce  qui  se  passe  lors  de  la  confec- 
tion des  actes,  au  même  expédient  qu'on  employait  dans  la 
législation  romaine,  à  l'assistance  de  témoins*.  Mais  ce  té- 
moignage ,  utile  pour  la  preuve ,  n'est  pas  de  Tessence  de 
l'acte.  Depuis  Henri  VIII,  lorsque  les  témoins  sont  appelés, 
ils  doivent  signer  au  bas  ou  au  dos  de  l'écrit.  Enfin  il  est  de 
principe  que  lorsqu'un  acte  est  signé  par  des  témoins ,  les 
mêmes  témoins  déposent  pour  en  certifier  l'existence.  Quand 
s'agit  d'établir  cette  existence ,  la  preuve  testimoniale  est 
toujours  celle  qu'on  invoque  de  préférence  \  on  n'emploie  la 
vérification  d'écritures  qu'k  la  dernière  extrémité.  C'est  le 
système  de  la  Novelle  73.  (Voy.  Blaxland,  Cod.  ter,  Angl., 
pag.'492.)  Toutefois,  ce  qu'il  y  a  de  particulier  k  la  légis- 
lation anglaise ,  c'est  qu'au  bout  de  trente  ans ,  les  témoins 
étant  présumés  décédés ,  l'acte  se  prouve  lui-même.  (N*  51 1 .) 

666.  Le  Code  sarde,  prévoyant  le  cas  où  les  contrac- 
tants ne  savent  ni  lire  ni  écrire ,  leur  permettait  de  rédiger 
un  acte  sous  seing  privé  en  apposant  une  marque  '  en  pré- 

*  «  &çning,  dit  Philipps  (liv.  I,  part.  I,  chap.  yui,  aect.  l),  is  not 
m  essential  part  of  a  deed  in  commoa  law  ;  but  it  has  been  required  in 
«  some  cases  by  act  of  parliament...  SeaUng  is  essential  to  a  deed.  »  Les 
deeds  sont  des  écrits  destinés  à  constater  les  conyentions,.  rédigés  soit  par 
les  parties,  soit  par  des  cUtomeys.  (rY«  464.)  Ils  doiyent,  ponr  être  parfaite- 
ment réguliers,  contenir  les  noms  et  qualités  des  parties,  la  cause  et 
Pobjet  de  la  convention,  etc. ,  être  écrits  sur  papier  ou  parcbemin  timbré,  et 
être  revêtus  de  la  signature  et  du  sceau ,  tant  des  parties  que  des  témoins. 

2  Depuis  Ricbard  Cœur  de  lion,  le  roi  est  son  propre  témoin.  {Teste  me 
ipso.) 

*  L'usage  d'apposer  ainsi  une  marque,  ordinairement  une  croix,  assez 

II.  4^ 


i 


242  ACTE  80US  SEING  PRIVÉ. 

sence  de  témoins.  (Art.  1433.)  La  marque  était  vérifiée  ea 
justice  )  comme  le  serait  l'écriture  '.  (Ibid.,  art.  1428, 1429.) 
Mais  ce  procédé,  encore  suivi  en  Autriche  (God.  civ., 
art.  886) ,  ne  se  retrouve  plus  dans  le  Gode  italien  de  1866. 

667.  En  Prusse,  autrefois,  d'après  le  Gode  prussien 
(part.  I'*,  tit.  y,  art.  171),  on  ne  s'en  rapportait  pas  même 
à  l'attestation  du  notaire,  en  ce  qui  touchait  les  aveugles, 
les  sourds-muets  et  les  illettrés  -,  ces  personnes  ne  pouvaient 
contracter  que  devant  le  tribunal.  Ge  n'était  Ik,  du  reste, 
qu'une  des  applications  de  cette  tutelle  judiciaire  des  inca- 
pables, qui  joue  un  si  grand  rôle,  dans  les  législations  ger- 
maniques. Mais  une  loi  du  11  juillet  1843  y  a  réorganisé  le 
notariat  sur  la  base  de  notre  loi  de  ventôse. 

668.  Une  distinction  fondamentale  entre  l'acte  authen- 
tique et  l'acte  sous  seing  privé,  c'est  que  l'apparence  seule 
d'un  acte  authentique  prouve  l'authenticité,  acta  probant  $e 
ip9a,  suivant  l'énergique  expression  de  Dumoulin^  tatdis 
que  l'écriture  privée,  que  l'on  prétend  émanée  d'une  partie, 
ne  fait  foi  qu'autant  qu'elle  est  reconnue  ou  vérifiée  en  jus- 
tice. Mais,  pour  suivre  une  marche  semblable  à  celle  que 
nous  avons  adoptée  en  ce  qui  touche  les  actes  authentiques, 
nous  allons  supposer  d'abord  la  sincérité  de  l'acte  k  l'abri 

fréquent  encore  dans  les  campagnes ,  et  qni  pent  dénoter  le  consentement , 
lorsqu'U  est  étabU  qne  la  marque  n*a  été  apposée  qu'en  connaissance  de 
cause,  est  déjà  consacré  dans  le  droit  de  Justinien.  (L.  ult.,  $  2,  Cod.,  jD« 
jur.  delib.)  Cet  empereur,  supposant  que  Phéritier  qui  dresse  un  iuTentaire 
ne  sait  pas  écrire ,  yeut  alors  qu'on  appeUe  un  tabellion  pour  écrire  en  sa 
place;  venerabili  signo  antea  manu  heredis prceposito.  Les  Anglo-Saxons 
faisaient  également  usage  de  la  croix  ;  l'usage  du  sceau  a  été  importé  en 
Angleterre  par  les  Normands ,  puisque  la  plus  ancienne  charte  sceUée  est 
d'Edouard  le  Ck>nfesseur,  qui  avait  été  élevé  en  Normandie.  (Blackstone , 
même  ch.  xx ,  n»  8.) 

*  Il  est  vrai  que  le  Code  sarde  (art.  1412),  comme  aujourd'hui  le  Code 
italien  (voy.  n»  465),  imposait  à  toute  personne  la  rédaction  authentique 
pour  les  conventions  d'une  certaine  importance  :  ce  qui  atténue  le  danger 
que  peut  présenter  la  prérogative ,  accordée  à  de  simples  témoins,  de  certifier 
ainsi  la  présence  et  le  consentement  des  parties. 


▲CTS  SOUS  SEING  PRIVÉ.  243 

de  tonte  controverse ,  et ,  dans  cette  supposition ,  examiner 
k  qnelles  conditions  il  peut  faire  foi«  Nous  nous  demande- 
rons ensuite  conunent  on  procède  dans  la  pratique  pour  éta- 
blir la  sincérité  de  l'acte ,  lorsqu'elle  est  contestée,  c'est-k- 
dire  pour  vérifier  la  écritures. 


PREMIÈRE  DIVISION. 

FOI  DK  l'àCTB  80U8  IBHIG  Faivi. 

SomuiBE.  —  669.  Foi  de  l'acte ,  soit  entre  les  parties ,  soit  Ti»4hTi5  des  tiers. 

669.  L'acte  authentique ,  sauf  ce  qui  touche  les  contre- 
lettres,  a  la  même  autorité  k  l'égard  des  tiers  qu'entre  les 
parties  contractantes.  Nul  n'est  reçu ,  s'il  ne  prend  la  voie 
pénible  et  difficile  de  l'inscription  de  faux,  k  contester  la 
vérité  des  déclarations  de  l'officier  rédacteur.  Les  écritures 
privées,  en  les  supposant  sincères,  sont  bien  aussi,  dans 
notre  législation ,  des  preuves  légales.  Mais  cette  preuve  est 
susceptible  en  quelque  sorte  de  deux  degrés.  Certaines  con«> 
ditions  suffisent  pour  la  validité  de  l'acte  sous  seing  privé 
entre  les  parties  contractantes.  Mais,  k  l'égard  des  tiers, 
l'expérience  a  fait  sentir  le  danger  des  antidates ,  si  faciles 
k  pratiquer  et  si  difficiles  k  reconnaître.  L'aveu  écrit  ne  peut 
donc  faire  foi  complète  sous  ce  dernier  rapport,  en  Tab- 
sence  de  certaines  conditions  qui  le  mettent  k  l'abri  de  tout 
soupçon  de  fraude.  On  volt  que  la  forme  et  la  foi  de  l'acte 
sont  ici  intimement  unies  \  nous  traiterons  donc  simultané- 
ment des  formalités  requises  et  de  la  foi  qui  s'attache  k 
l'acte  revêtu  de  ces  formalités,  d'abord  entre  les  parties, 
puis  vis-k-vis  des  tiers. 


16. 


244  FOI  DE  l'acte  sous  seing  privé. 


Si.    FOI  BHTRB  LB8  PARTIES. 

SOHMAIRE.  —670.  Signature  essenUelle.  UUlité  de  te  date.—  674.  VaUditè  da  blanc 
seiDg.  Peine  contre  l'abus  du  blanc  seing.  —  672.  Peut-on  prouver  par  témoins  la  remise 
du  blanc  seing  ?  —  673.  Nécessité  du  bon  ou  approwé.  —  674.  A  quels  actes  elle 
s'applique.  —  675.  A  quels  objets.  —  676.  Quand  il  y  a  exception  à  cette  règle.  —  677. 
Cas  où  il  y  a  divergence  entre  Vapprowi  et  le  corps  de  l'acte.  —  678.  Valeur  du  billet 
non  approuvé.  —  679.  Absence  de  mention  de  la  cause.  —  680.  Qui  doit  bire  la  preuve 
dans  cette  hypothèse.  Droit  romain.  —  684.  Discussion  de  la  question  dans  notre  droit. 
—  682.  Réfulation  de  l'opinion  intermédiaire.  —  683.  Preuve  des  conventions  synallag- 
matiques.  Charte-partie.  Actes  dentelés.  —  684.  Origine  de  la  théorie  des  doubles.  — 
68S.  Comment  cette  théorie  est  formulée  par  le  Gode.  —  686.  Eflet  de  l'exécution.  — 
687.  Pays  où  cette  théorie  a  été  introduite.  —  688.  L'écrit  non  fait  double  peut-il  servfr 
de  commencement  de  preuve?  —  689.  Preuve  de  la  convention  en  dehors  de  l'acte.  — 
690.  Quel  doit  être  le  nombre  des  originaux.  —  694.  Ce  qu'il  faut  entendre  par  contrats 
Sffnaltagmatiques.  —  692.  La  théorie  des  doubles  étrangère  aux  tiers.  —  693.  Est-elle 
applicable  en  matière  de  commerce  ?  —  694.  Correspondance  en  matière  commerciale. 
QÛid  en  matière  ordinaire? 


670.  La  seule  condition  ordinairement  exigée  entre  les 
contractants,  c'est  la  signature  de  la  partie  qui  s'engage. 
Cette  règle,  qui  remonte  au  droit  romain  (Just.,  Inst.,  pr.. 
De  empt,  vendit.)^  a  passé  dans  nos  anciens  usages.  Subscrip-^ 
tio  opmuur,  dit  la  Rote  de  Gênes.  (Dec.  126,  n**  6),  ac  si 
iota  scrîptura  esset  manu  iubicriberuis. 

La  signature  ne  peut  pas  être  remplacée  par  une  croix  ^ 
il  en  a  été  ainsi  depuis  la  promulgation  de  l'ordonnance 
de  1667,  même  dans  les  pays  où  l'usage  local  consacrait 
cette  pratique.  (Rej.,  10  thermidor  an  XIÎ.)  Les  marques 
ou  croix,  ne  constituant  point  une  écriture  susceptible  d'être 
reconnue ,  ne  peuvent  pas  même  servir  de  commencement 
de  preuve  par  écrit.  (Bruxelles,  27  janvier  1807.)  Mais, 
en  matière  commerciale,  les  simples  présomptions  étant 
admissibles,  nous  adoptons  avec  M.  Massé  {Droit  commer- 
cial, tom.  VI,  n*34)  l'opinion  de Casaregis  (Disc.  X ,  nMlS), 
qui  ne  repousse  point  d'une  manière  absolue  un  connaisse- 
ment qu'un  capitaine  illettré  n'avait  signé  que  d'une  croix  : 
Apocha  oneratoria  subscripta  ab  aliquo^  soloque  crucis  signo  ap^ 
posito  per  patronum  scribendi  ignarum^  non  probat^  nisi  aliis 
conjecturis  comprobetur. 


FOI  DE  l'acte  sous  SEING  PRIVÉ.  24S 

Mais  il  n'est  pas  indispensable  que  la  signature  de  l'au- 
teur de  l'acte  soit  conforme  k  son  acte  de  naissance,  pourvu 
que  les  nom  et  prénoms  soient  ceux  sous  lesquels  il  est 
connu  :  c'est  ainsi  que  l'on  a  jugé  valable  le  testament  d'un 
évéque,  signé  d'une  croix,  des  initiales  de  ses  prénoms  et 
du  nom  de  son  évéché.  (Rej.,  23  mars  1824;  Bourges, 
i9  août  1824.)  La  même  difficulté ,  soulevée  dans  l'ancienne 
jurisprudence  k  l'égard  du  testament  de  Massillon,  s'était 
terminée  par  une  transaction.  Il  y  avait  plus  de  doute  alors, 
\k  raison  de  l'article  211  de  l'ordonnance  de  1629,  qui  or- 
donnait, à  peine  de  nullité,  de  signer  tons  les  actes  et  con- 
trats du  nom  de  famille  et  non  de  celui  des  seigneuries*, 
mais  cette  ordonnance,  enregistrée  dans  un  lit  de  justice, 
était  peu  observée  par  les  {parlements.  Dans  le  droit  inter- 
médiaire, les  lois  des  19  juin  1790  et  6  fructidor  an  II 
ont  également  prescrit  d'employer  le  vrai  nom  de  famille, 
mais  sans  ajouter  la  sanction  de.  nullité.  La  loi  du  28  mai 
1858,  en  punissant  de  peines  correctionnelles  le  change* 
ment  ou  l'altération  des  noms  qu^assignent  k  chacun  les 
documents  de  l'état  civil ,  n'infirme  en  rien  la  validité  des 
actes  dans  lesquels  auraient  été  commis  ce  changement  ou 
cette  altération. 

La  date  n'est  pas  requise;  ce  qui  était  vrai  k  Rome 
(Scaev.,  L.  34,  §  1 ,  D.,  De  pign.)^  même  k  l'égard  des  tiers, 
mais  ce  qui  n'est  plus  vrai  chez  nous  que  dans  les  rapports 
des  parties  entre  elles.  Toutefois ,  même  sous  ce  point  de 
vue ,  si  la  date  n'est  pas  nécessaire ,  il  serait  souverainement 
imprudent  de  ne  pas  l'insérer  ;  car  le  signataire  peut  avoir 
été  incapable ,  et  comment  constater  alors  que  l'écrit  a  été 
signé  k  une  époque  de  capacité?  Le  demandeur  serait  chargé 
de  la  preuve,  qu'il  lui  serait  peut-être  impossible  d'admi- 
nistrer. Si,  au  contraire,  il  y  a  une  date,  elle  sera  réputée 
véritable  :  c'est-k-dire  que  le  souscripteur  ne  pourra  pas 


246  FOI  DE  l'acte  socs  seing  pbité. 

dénier  purement  et  simplement  la  date ,  ainsi  que  le  ferait 
un  tiers.  Hais  il  est  permis  de  constater  la  date  d'un  écrit 
sous  seing  privé  sans  prendre  la  voie  de  l'inscription  de 
faux;  cet  écrit  diffère  de  Pacte  authentique  en  ce  qu'il  ne 
fait  foi  de  sa  date,  même  entre  les  parties,  que  jusqu'à 
preuve  contraire.  Il  est  toujours  loisible  au  tribunal  de  con- 
stater la  date  réelle  en  connaissance  de  cause.  (Rej.,  19  jan- 
vier 18U.) 

671.  Puisque  la  loi  n'exige  que  la  signature  de  celui  qm 
veut  s'engager,  on  peut  donner  cette  signature  à  l'avance, 
en  laissant  en  blanc  un  espace  qui  doit  être  rempli  par  le 
mandataire,  suivant  les  intentions  du  mandant.  C'est  ce 
qu'on  appelle  un  blanc  seing  :  pratique  qui  peut  être  dange- 
reuse, mais  qui  n'a  rien  en  soi  de  répréhensible.  Il  y  a  eu, 
\k  la  vérité,  jusque  dans  le  dernier  siècle  (Merlin,  Répert., 
T^  Blàng  seing)  ,  des  arrêts  qui  ont  déclaré  nuls  des  blancs 
seings  non  ratifiés ,  tandis  que  d'autres  décisions  en  main- 
tenaient la  validité.  Mais  aujourd'hui ,  indépendamment  du 
principe  général  qui  ne  permet  pas  de  faire  revivre  d'an- 
ciennes prohibitions  relatives  à  des  matières  réglées  par  le 
Gode  civil ,  nos  lois  modernes  ont  reconnu  implicitement , 
mais  bien  clairement,  la  validité  des  blancs  seings,  puis- 
qu'elles en  punissent  l'abus.  L'article  407  du  Code  pénal 
punit  effectivement  de  peines  correctionnelles  «  quiconque , 
«  abusant  d'un  blanc  seing  qui  lui  aura  été  confié ,  aura 
<c  frauduleusement  écrit  au-dessus  une  obligation  ou  dé- 
«  charge ,  ou  tout  autre  acte  pouvant  compromettre  la  per- 
«  sonne  ou  la  fortune  du  signataire.  » 

Remarquons  qu'il  y  a  au  fond ,  dans  tout  abus  de  blanc 
seing,  une  sorte  de  faux  intellectuel,  puisque  le  mandataire 
écrit  autre  chose  que  ce  que  le  mandant  entendait  signer  ; 
de  même  qu'un  notaire  commet  un  faux,  lorsqu'il  écrit 
dans  un  testament  des  dispositions  qui  ne  lui  ont  pas  été 


POI  DE  L'aGTB   socs  SEING  PRIYÉ.  247 

dictées.  Mais  les  mêmes  motifs  qui  font  dégénérer  le  vol  en 
abas  de  confiance,  lorsque  le  propriétaire  avait  remis  lui- 
même  la  chose  entre  les  mains  de  celui  qui  Ta  détournée, 
d'un  dépositaire,  par  exemple,  font  qu'il  n'y  a  pas  faux 
lorsque  le  blanc  seing  a  été  volontairement  confié  k  la  per- 
sonne qui  en  a  abusé ,  le  mandant  ayant  pu  prévoir  Fabus 
d'un  pouvoir  illimité  en  fait,  bien  que  limité  dans  l'intention 
des  parties.  11  en  serait  autrement,  aux  termes  du  même 
article  407 ,  si  le  blanc  seing  n'avait  pas  été  confié  à  celui 
qui  l'a  rempli  -,  il  y  aurait  alors  un  véritable  faux ,  passible 
de  la  réclusion.  C'est  qu'alors  il  n'y  aurait  plus  eu  un  simple 
abus  de  confiance,  mais  une  véritable  fabrication  d'écri- 
tures; car,  l'écrit  faisant  corps  avec  la  signature,  peu  im- 
porte que  je  fabrique  le  billet  tout  entier  ou  que  j'adapte 
après  coup  des  dispositions  à  une  signature  que  vous  n'avez 
jamais  eu  l'intention  de  me  confier.  Cette  distinction,  con- 
stante en  jurisprudence ,  a  été  nettement  formulée  par  le 
législateur  même ,  dans  l'exposé  des  motifs  du  Code  pénal. 
C'est  avec  raison  que  la  Cour  de  cassation  considère  comme 
n'ayant  pas  confié  le  blanc  seing  celui  qui  ne  l'avait  remis 
que  comme  adresse ,  comme  souvenir,  ou  dans  l'intention 
de  souscrire  un  acte  qui  ne  l'obligeait  pas ,  tel  qu'une  péti- 
tion. (Cass.,  22  octobre  1812  et  2  juillet  1829.)  A  plus 
forte  raison  y  aurait-il  faux ,  et  non  pas  simple  abus  de  blanc 
seing,  dans  le  fait  de  celui  qui  aurait  fait  signer  en  blanc  un 
acte  de  vente,  en  le  présentant  comme  un  acte  de  partage. 
(Rej.,  13  avril  1837.)  Enfin,  la  Cour  de  cassation  a  eu  à 
statuer,  par  voie  de  règlement  de  juges,  le  20  septembre 
1855,  sur  l'hypothèse  singulière  où,  un  individu  ne  sachant 
ni  lire  ni  écrire,  on  lui  avait  guidé  la  main  et  fait  écrire  un 
bon  pour  une  somme,  lorsqu'il  croyait  donner  seulement  sa 
signature  au  bas  d'un  papier  en  blanc.  Elle  a  décidé  qu'il 
n'y  avait  point  Ik  abus  de  blanc  seing ,  le  papier  n'ayant  pas 


' 


248  FOI  DE  l'acte  sous  seing  privé. 

été  confié  au  prévenu ,  mais  une  fabrication  étobligation  par 
la  plume  même  du  prétendu  obligé,  passible  des  peines  du 
faux ,  aux  termes  de  l'article  147  du  Code  pénal. 

672.  Si  Ton  est  d'accord  sur  les  éléments  constitutifs 
du  délit  de  blanc  seing,  une  question  fort  controversée  est 
celle  de  savoir  si  le  fait  même  de  la  remise  du  blanc  seing 
est  susceptible  d'être  établi  au  moyen  de  la  preuve  testi- 
moniale. La  Cour  de  cassation  (  18  janvier  et  5  mai  1831  ) , 
assimilant  la  remise  volontaire  du  blanc  seing  à  un  dépdt,  a 
vu  dans  ce  fait  une  convention  qui  doit  être  prouvée  par 
écrit  pour  toute  valeur  supérieure  à  cent  cinquante  francs, 
suivant  la  doctrine  aujourd'hui  constante  sur  la  preuve  tes- 
timoniale devant  les  tribunaux  criminels.  (N""  225.)  Cette 
jurisprudence  a  été  vivement  critiquée  par  plusieurs  au- 
teurs ,  qui  prétendent  que  la  remise  d'un  blanc  seing  n'est 
point  une  convention,  et  qu'exiger  une  preuve  écrite,  c'est 
entraver  les  relations  d'afiEaiires,  où  il  est  d'usage  de  confier 
un  blanc  seing  k  un  commis  sans  exiger  aucune  constatation 
de  cette  remise.  Nous  ne  pensons  pas  que  ces  objections 
soient  fondées.  La  remise  dont  il  s'agit  est  si  bien  un  fait 
conventionnel ,  que  c'est  cette  circonstance  seule  qui  fait  de 
l'acte  du  blanc  seing  un  simple  délit,  puisque  autrement  il 
dégénérerait  en  un  véritable  faux.  Qu'est-ce  après  tout  que 
la  remise  d'un  acte  signé  k  l'avance  et  destiné  à  être  rem- 
pli? Un  mandat.  Or,  le  mandat  est  soumis  par  le  Code  civil 
(art.  1986)  aux  règles  du  droit  commun  sur  la  preuve, 
règles  qui  ne  s'appliquent  point ,  du  reste ,  au  mandat  com- 
mercial (Rej.,  26  septembre  1861  et  22  avril  1864),  ce 
qui  répond  k  l'objection  tirée  des  relations  des  patrons  avec 
leurs  commis.  En  dehors  de  ces  relations,  l'usage  des 
blancs  seings  est  souvent  une  grave  imprudence ,  qu'il  ne 
convient  point  d'encourager  en  s'écartant  des  règles  ordi- 
naires sur  la  preuve.  Il  faut  observer  toutefois  que,  d'après 


FOI   DE   l'acte   sous  SEING  PRIYÉ.  249 

les  principes  généraux ,  il  est  permis  de  combattre  la  sincé- 
rité des  énonciations  du  blanc  seing  au  moyen  de  présomp- 
tions graves,  appuyées  d'un  commencement  de  preuve  par 
écrit.  (Rej.,  5  avril  1864.) 

673.  Pour  en  revenir  au  droit  civil ,  si ,  dans  la  doctrine 
qui  a  prévalu ,  les  blancs  seings  ont  été  généralement  auto- 
risés y  le  danger  qu'ils  présentent  a  dû  appeler ,  dans  cer- 
tains cas,  l'attention  du  législateur.  De  nombreuses  fraudes 
pratiquées  au  commencement  du  dernier  siècle ,  soit  au 
moyen  de  blancs  seings ,  soit  au  moyen  de  signatures  sur- 
prises après  coup,  ont  donné  lieu  aux  déclarations  du 
30  juillet  i730  et  du  22  septembre  1733,  dont  la  substance 
est  reproduite  par  l'article  1326  du  Gode  civil  :  a  Le  billet 
A  on  la  promesse  sous  seing  privé,  par  lequel  une  seule 
«  partie  s'engage  envers  l'autre  à  lui  payer  une  somme  d'ar- 
«  gent  ou  une  chose  appréciable,  doit  être  écrit  en  entier 
«  de  la  main  de  celui  qui  le  souscrit-,  on  du  moins  il  faut 
«  qu'outre  sa  signature,  il  ait  écrit  de  sa  main  un  ban  ou  un 
«  approuvé*  portant  en  toutes  lettres  la  somme  ou  la  quan- 
«  tité  de  la  chose.  » 

Il  est  à  remarquer  que  le  même  motif  a  dicté  le  §  122  du 
Code  de  procédure  d'Autriche ,  aux  termes  duquel  le  billet 
constatant  un  prêt  de  quantités  doit  être  écrit  en  entier  de 
la  main  du  débiteur,  k  moins  que  sa  signature  ne  soit  cor- 
roborée par  la  signature  de  deux  témoins  irréprochables. 

674.  La  disposition  de  l'art.  1326  ne  s^applique  qu'aux 
actes  où  une  seule  partie  s'engage^  c'est-k-dire  aux  actes  uni- 
latéraux^ car  un  acte  peut  être  unilatéral,  bien  que  souscrit 
par  plusieurs  débiteurs.  C'est  donc  bien  mal  à  propos  que 
les  Cours  de  Paris  et  de  Douai  avaient  déclaré  valable ,  quant 
à  la  femme ,  le  billet  non  approuvé  par  lequel  une  femme 
s'obligeait  solidairement  avec  son  mari.  Aussi  leurs  déci- 
sions ont-elles  été  cassées  le  8  août  1815  et  le  6  mai  1816. 


250  FOI   DIS   L^ACTE   SOCS  SEING  PRIVÉ. 

675.  La  déclaration  de  1733  ne  parlait  que  des  vateun 
en  argent.  Le  Gode  ajoute  ou  une  chose  appréciable.  Ces  ex- 
pressions sont  expliquées  par  ce  qui  suit  :  la  somme  ou  la 
quantité  de  la  chose.  Il  s'agit  donc  d'une  obligation  de  quan- 
tités, c*est-à^dire  de  denrées,  de  marchandises,  que  Ton 
s'engage  à  livrer  au  porteur  du  billet.  L'obligation  de  trans- 
férer un  corps  certain  est  en  dehors  des  prescriptions  de  la 
loi.  L'expérience  a  fait  reconnaître  que  le  danger  était  sur- 
tout dans  l'extorsion  de  billets,  qui  donnent  au  prétendu 
créancier  le  droit  de  réclamer  de  l'argent  ou  des  valeurs 
facilement  réalisables.  La  prescription  du  Code  est-elle  ap- 
plicable, lorsqu'il  s'agit  d'une  valeur  indéterminée,  par 
exemple,  du  cautionnement  donné  k  l'avance  pour  les  effets 
que  souscrira  telle  personne?  L'affirmative  a  été  jugée  par 
plusieurs  arrêts.  (Paris,  24  mai  1855-,  Orléans,  24  dé- 
cembre 1864.)  Mais  nous  pensons  que,  lorsqu'il  s'agit  d'une 
valeur  indéterminée,  une  surprise  sur  le  chiffre  de  la  dette 
n'est  plus  k  craindre ,  et  que  dès  lors  le  bon  ou  approuvé , 
ne  portant  sur  rien  de  précis,  n'est  prescrit  ni  par  la  lettre 
ni  par  l'esprit  de  la  loi.  (Poitiers,  17  juin  1867^  dans  le 
même  sens,  Rej.,  6  février  1861.)  C'est  k  tort  d'ailleurs 
que  certains  auteurs  ont  accusé  le  législateur  d'inconsé- 
quence en  ce  qu'il  n'exige  point  en  toute  matière  le  bon  ou 
approuvé  -,  il  n'a  voulu  atteindre  que  les  fraudes  les  plus  fré- 
quentes dans  la  pratique,  parce  qu'elles  étaient  les  plus  dif- 
ficiles k  prouver  et  les  plus  lucratives. 

676.  Un  reproche  plus  fondé ,  mais  qu'il  était  peut-être 
impossible  d'éviter,  c'est  qu'aujourd'hui,  comme  sous  la 
déclaration  de  1733,  la  nécessité  du  bon  ou  approuvé  ne 
s'applique  pas  aux  personnes  qui  ont  le  plus  besoin  de  la 
protection  de  la  loi ,  aux  marchands ,  artisans ,  laboureurs , 
vignerons,  gens  de  journée  ou  de  service.  (C.  civ.,  art.  1326.) 
Ces  personnes  savent  souvent  signer  sans  savoir  écrire ,  et 


FOI  DE  L*AGTE  SOUS  SEING  PRIVÉ.  251 

exiger  quelque  chose,  de  plus  que  leur  signature ,  c'eût  été 
les  obliger  de  recourir  au  notaire  pour  les  actes  les  plus 
simples.  Mais  ces  exceptions,  motivées  par  les  besoins  du 
commerce ,  doivent  cesser  avec  la  cause  qui  y  donnait  lieu. 
Il  est  donc  impossible  d'approuver  un  arrêt  de  la  Cour  de 
Paris  du  18  février  1808,  qui  dispense  de  la  formalité  de 
l'approbation  les  billets  souscrits  par  un  ex^maçon,  comme  si 
la  qualité  de  maçon  pouvait  survivre  à  l'exercice  de  cette 
industrie.  Aussi  la  Cour  de  Caen  a-t-elle  déclaré  avec  rai- 
son (le  15  décembre  1824)  soumis  à  la  règle  ordinaire  les 
billets  souscrits  par  un  ancien  cordonnier. 

Le  commerçant  est  d'ailleurs  dispensé  de  la  formalité  du 
bon  ou  approuvé,  même  lorsqu'il  signe  un  acte  purement  civil  : 
ce  qu^a  décidé  la  Cour  de  cassation  (Rej.,  30  juillet  1868) 
pour  un  reçu  de  quatre  actions  du  chemin  de  fer  de  Lyon , 
donné  par  un  marchand  de  chocolat. 

A  l'inverse ,  un  acte  commercial  en  la  forme ,  bien  que 
souscrit  par  un  non-commerçant ,  ne  tombe  pas  sous  l'ap- 
plication de  l'article  1326.  Autrement,  le  Gode  de  com- 
merce aurait  établi  des  formes  spéciales  pour  les  lettres  de 
change  souscrites  par  de  simples  particuliers.  C'est  ce  qu'a 
jugé,  sous  l'empire  de  la  déclaration  de  1733,  la  Cour  de 
cassation  (Rej.,  10  messidor  an  XI),  et,  quant  k  la  légis- 
lation moderne,  la  Cour  de  Montpellier,  le  20  janvier  1835. 
Celui  qui  souscrit  un  acte  de  cette  nature  est,  pour  ainsi 
dire,  momentanément  commerçant ,  puisqu'il  se  soumet  à  la 
juridiction  commerciale  et  même  à  la  contrainte  par  corps, 
avant  l'abolition  prononcée  en  1867.  Mais  il  y  a  plus  de 
diflSculté  pour  les  billets  k  ordre  souscrits  par  des  non-com- 
merçants, billets  qui  ont  bien  la  forme  commerciale,  mais 
qui  n'entraînent  qu'accidentellement  la  compétence  des 
tribunaux  de  commerce.  La  jurisprudence  établit  une  [dis- 
tinction exacte  entre  le  corps  même  du  billet  k  ordre ,  qui 


25S  FOI  DE  l'acte  sous  seing  privé. 

doit  être  revêta  du  bon  ou  approuvé,  et  rendossement ,  qui, 
n'étant  qu'une  cession  de  valeurs  où  se  trouve  contenue 
implicitement  une  obligation  de  garantie ,  ne  constitue  point 
une  promesse  de  payer.  Deux  arrêts  de  cassation  (du  7  ther- 
midor an  XI  '  et  du  27  janvier  1812)  ont  également  annulé 
comme  contraires  k  la  loi  la  décision  qui  dispensait  de  cette 
formalité  le  non-négociant  souscripteur  d'un  billet  à  ordre , 
et  la  décision  qui  voulait  y  soumettre  les  endosseurs  non 
négociants. 

677.  La  somme  mentionnée  dans  l'approbation  peut 
différer  de  celle  qui  est  exprimée  au  corps  de  l'acte.  {Ibid., 
art.  1327.)  Le  Gode,  consacrant  la  doctrine  de  Pothier 
(Obiig,,  n**  746  et  747),  veut  qu'on  s'attache  toujours  k  la 
somme  moindre.  Si  c'est  le  chifire  porté  dans  l'approbation 
qui  est  supérieur,  on  suppose  qu'il  y  a  eu  erreur  dans  cette 
approbation^  si,  au  contraire,  il  est  inférieur,  on  suppose 
que  le  débiteur  a  voulu  restreindre  l'étendue  de  son  enga- 
gement. Ce  n'est  là  néanmoins  qu'une  règle  subsidiaire 
d^interprétation.  Toutes  les  fois  que  les  éléments  de  la  cause, 
par  exemple,  un  calcul  arithmétique,  permettront  de  recon- 
naître quel  est  le  véritable  chiffre,  il  faudra  s'y  attacher, 
fût-il  de  beaucoup  le  plus  fort.  (Même  art.  1327.) 

678.  L'omission  de  la  précaution  exigée  pour  la  régula- 
rité du  billet  ne  peut  annuler  la  convention  dont  ce  billet 
est  la  preuve,  si  cette  convention  peut  être  établie  par 
d'autres  moyens ,  notamment  par  l'aveu  et  par  le  serment. 
Cette  opinion  pouvait  être  soutenue,  même  sous  l'empire  de 
la  déclaration  de  1733,  qui  voulait  que  les  billets  [de  cette 
nature  fussent  nuls  et  de  nul  effet.  U  était  raisonnable  d'ad-* 


<  Cet  arrêt  a  été  rendu  sons  Tempire  de  la  déclaration  de  1783,  qui  arait 
prévu  formellement  le  billet  à  ordre;  mais,  ainsi  que  Ta  reconnu  Merlin 
dans  les  conclusions  qui  ont  précédé  Parrèt  de  1822  (Répert.y  to  Billbt  a 
ORDRE,  $  i«r,  n«  5),  la  doctrine  du  Gode  sur  ce  point  est  absolument  la  même. 


FOI  DE  l'acte  sous  SEING  PKIYÉ.  2o3 

mettre  que,  les  termes  de  la  loi  ne  s'appliquant  qu'au  billet, 
la  convention  même  n'était  point  frappée  d'une  présomption 
absolue  de  fraude,  et  qu'il  n'était  point  interdit  de  la  prou- 
ver, abstraction  faite  de  ce  billet.  C'est  du  moins  ce  qu'avait 
décidé,  par  un  arrêt  du  5  juillet  1748,  le  parlement  de 
Paris,  moins  sévère  en  cette  matière  qu'il  ne  l'a  été,  ainsi 
que  nous  le  verrons  bientôt,  relativement  k  la  théorie  des 
doubles  :  décision  en  harmonie  avec  la  disposition  finale  de 
la  déclaration  de  1733,  ainsi  conçue  :  «  Voulons  néanmoins 
«  que  celui  qui  refusera  de  payer  le  contenu  auxdits  billets 
«  ou  promesses,  soit  tenu  d'affirmer  qu'il  n'en  a  point  reçu 
«  la  valeur.  »  Si  le  Gode  ne  s'exprime  point  dans  les  mêmes 
termes,  c'est  qu'il  n'avait  point  dit,  comme  la  déclaration  : 
Le  billet  doit  être  écrit  de  la  mainf  etc.,  et  que  dès  lors  il  n'y 
avait  point  de  motif  aujourd'hui  pour  arguer  de  nullité  la 
convention.  En  fait,  la  raison  et  Texpérience  attestent  que 
le  défaut  d'approbation  peut  aussi  bien  être  le  résultat  d'une 
inadvertance  que  celui  de  la  fraude.  On  pourra  donc  établir 
l'existence  de  la  convention  unilatérale  par  l'aveu ,  par  le 
serment,  ou  même  par  la  preuve  testimoniale,  si  la  valeur 
ne  dépasse  pas  cent  cinquante  francs. 

Mais  ne  faut-il  pas  aller  plus  loin,  et,  puisque  le  billet 
même  n'est  point  frappé  de  nullité  par  la  loi  moderne,  y 
voir  un  commencement  de  preuve  par  écrit,  et  admettre  dès 
lors  la  preuve  testimoniale,  quelle  que  soit  la  valeur,  afin 
de  constater  la  cause  réelle  de  l'engagement?  Le  billet  non 
approuvé  est,  en  effet,  par  lui-même  de  nature  à  rendre 
vraisemblable  le  fait  allégué.  (G.  civ.,  art.  1347.)  La  fraude 
est  possible,  sans  doate;  mais,  si  elle  existe,  elle  ressortira 
de  l'enquête  que  les  juges  n'ordonneront  d'ailleurs  qu'en 
connaissance  de  cause-,  si  elle  n'existait  pas,  au  contraire, 
ne  serait-il  pas  souverainement  injuste  de  déclarer  le  billet 
de  nul  effet,  k  raison  d'une  simple  inadveriance?  G'est  ce 


284  FOI  J>E  l'acte  sous  seing  privé. 

qu'avait  jugé,  malgré  les  termes  de  la  déclaration,  le  Parle- 
ment de  Paris  par  Tarrét  du  5  juillet  1748.  Le  système 
rigoureux  établi  en  1733  tenait  à  une  réaction  contre  des 
abus  tout  récents.  Sous  Fempire  du  Code,  la  jurisprudence, 
qui  semblait  se  prononcer  d'abord  pour  l'avis  le  plus  sévère, 
est  aujourd'hui  fixée  dans  le  sens  de  l'opinion  des  auteurs 
les  plus  exacts  ;  elle  considère  le  billet  non  approuvé  conmie 
pouvant  constituer  un  commencement  de  preuve  par  écrit 
(Rej.,  13  décembre  1853  et  10  janvier  1870.) 

679.  Une  autre  question  qui  s'élève  sur  la  forme  des 
écrits  constatant  une  obligation  unilatérale,  c'est  celle  de 
savoir  si  ces  écrits  doivent  régulièrenient  mentionner  la 
cause  pour  laquelle  ils  ont  été  souscrits,  de  manière 
qu'en  l'absence  de  cette  mention ,  ce  soit  au  créancier  à 
prouver  l'existence  de  la  cause-,  ou  bien  s'ils  font  foi  com- 
plète malgré  l'absence  de  cette  mention,  sauf  au  débiteur  ii 
prouver  qu'il  n'y  a  pas  effectivement  de  cause  de  Tobliga» 
tion.  En  pure  théorie,  cette  question  pourrait  s'élever  aussi 
bien  à  propos  d'un  acte  notarié  qu'à  propos  d'un  simple 
billet.  Mais,  dans  la  pratique,  il  ne  peut  guère  arriver  qu*un 
acte  authentique  ne  mentionne  pas  formellement  la  cause 
pour  laquelle  le  débiteur  s'oblige.  Nous  sommes  donc  fondé 
à  considérer  la  question  cooune  spéciale,  en  fait,  aux  actes 
sous  seing  privé.  Elle  devrait  d'ailleurs  recevoir  la  même 
solution,  s'il  s'agissait  d'un  acte  authentique. 

680.  Ceux  qui  pensent  que  c'est  au  créancier  à  prouver 
la  cause,  lorsqu'elle  n'est  pas  énoncée  dans  le  billet,  invo- 
quent en  leur  faveur  l'autorité  du  droit  romain.  Ds  ne  peu- 
vent cependant  se  fonder  sur  les  formes  habituellement 
usitées  à  Rome  pour  contracter  une  obligation  unilatérale. 
La  manière  même  dont  est  conçue  la  stipulation,  qui  con- 
state le  plus  souvent  les  engagements  de  cette  nature  : 
Centum  dore  spondeif  —  Sponâeo;  exclut  évidemment  la 


FOI  DE  l'acte  socs  SEING  PRITÉ.  2S5 

nécessité  d'une  pareille  mention.  Quiconque  était  régulière- 
ment obligé,  était  censé  ne  s'être  pas  obligé  sans  cause. 
Mais  le  droit  prétorien  permettait  au  défendeur  d'alléguer 
l'exception  non  numeratœ  pecuniœ  :  exception  dans  laquelle, 
par  des  motifs  tout  particuliers ,  ainsi  que  nous  l'avons 
m  (n""  46) ,  on  rejetait  sur  le  demandeur  le  fardeau  de  la 
preuve.  Cette  interversion  des  rôles  ne  tenait  pas  néanmoins 
k  la  circonstance  que  la  cause  n'avait  pas  été  mentionnée, 
mais  à  une  présomption  de  fraude ,  qui  subsistait  en  pré- 
sence même  de  cette  mention ,  du  moins  jusqu'à  Justin.  Ce 
fut  cet  empereur  qui  voulut  le  premier  que  la  mention  de 
la  cause  rétablit  la  présomption  en  faveur  du  créancier. 
«  Generaliter  sancimus  (L.  13,  Cod.,  De  non  ntim.  pec,)  ut, 
«  si  quid  scriptis  cautum  fuerit,  pro  quibuscumque  pecuniis> 
«  ex  antécédente  causa  descendentibns ,  eamque  causam 
«  specialiter  promissor  edixerit,  non  jam  ei  licentia  sit  caussB 
«  probationem  stipulatorem  exigere ,  cum  suis  confessio- 
a  nibus  acquiescere  debeat  :  nisi  certe  ipse  e  contrario  per 
«  apertissima  rerum  argumenta  scriptis  inserta  religionem 
«  judicis  possit  instruere,  quod  in  alium  quemquam  modum, 
«  et  non  in  eum  quem  cautio  perhibet,  negotium  subsecu- 
«  tum  sit.  Mimis  enim  indignum  esse  judicamus,  quod  sua 
«  quisqne  voce  dilucide  protestatus  est ,  id  in  eamdem  cau- 
«  sam  infinnare ,  testimonioque  proprio  resistere.  m  C'est  à 
cette  législation  qu'appartient  le  texte  si  souvent  cité ,  qui 
est  inscrit  sous  le  nom  de  Paul  au  Digeste ,  dans  la  loi  25, 
§  4,  De  probatianibtu  :  «  Sin  autem  cautio  indebite  exposita 
«  esse  dicatur,  et  indiscrète  loquitur,  tune  eum  in  quem 
«cautio  exposita  est,  compelli  debitum  esse  ostendere, 
«  quod  in  cautionem  deduxit  :  nisi  ipse  specialiter,  qui  eau- 
a  tionem  exposuit ,  causas  explanavit  pro  quibus  eamdem 
«  conscripsit  :  tune  enim  stare  eum  oportet  suae  confes- 
«  sioni ,  nisi  evidentissimis  probationibus  in  scriptis  habitis 


256  FOI  DB  l'acte  sous  seing  privé. 

«  ostendere  paratas  sit,  sese  hsec  indebite  promisisse.  » 
Le  style  de  ce  texte  indique  évidemment  une  interpo- 
lation. Les  expressions  :  cautio  indebile  expoHta,  indiscrète 
loquitur,  indebite  pramiiisse,  etc.,  appartiennent  k  la  langue 
du  Bas-Empire.  La  distinction  k  laquelle  on  prétend  que 
Paul  fait  allusion ,  entre  le  cas  où  la  cause  est  exprimée  et 
celui  où  le  billet  indiscrète  loqukur,  est  présentée  par  Justin, 
ainsi  que  nous  venons  de  le  voir,  comme  une  innovation. 
Enfin ,  la  restriction  qui  exige  des  preuves  écrites ,  eindeoF^ 
tissimis  probationibus  in  êcriptis  habitts,  est  tout  k  fait  étrangère 

k  l'époque  des  jurisconsultes  classiques,  et  a  été  évidem- 
ment insérée  après  coup  dans  le  texte.  Le  prétendu  fragment 
de  Paul  n'est  donc  qu'une  seconde  édition  de  la  constitution 
de  Justin.  Or,  cette  constitution  n'était  elle-même  qu'un 
tempérament  apporté  au  principe  exceptionnel,  qui  auto- 
rise celui  qui  allègue  l'exception  non  numeratœ  pecuniœ,  k 
rejeter  la  preuve  sur  l'adversaire.  Chez  nous,  ce  principe 
exceptionnel  (n""  46)  n'existe  plus  depuis  longtemps*  : 
«  Exception  d'argent  non  nombre  n'a  point  de  lieu  » ,  dit 
Loisel.  {InstU.  coût.,  liv.  Y,  tit  II,  §  6.)  Il  n'était  utile  de 
mentionner  la  cause  que  pour  éviter  l'intervention  des  rôles 
qu'entraînait  cette  ancienne  exception,  qui  tendait,  suivant 
les  expressions  de  la  coutume  du  Berry  (tit.  II,  art.  31),  k 
«  charger  de  preuve  le  demandeur  qui  a  une  obligation  ou 
«  cédule  reconnue.  )>  L'exception  non  numeratœ  pecuniœ  oysM 
disparu  de  notre  droit  coutamier,  la  modification  apportée 
au  principe  a  dû  disparaître  avec  le  principe  lui-même*. 


*  Beanmanoir  (ch.  xxxYi,ii«  23)  semble  pourtant  obliger  le  créancier  à 
faire  la  preuve  de  la  cause  non  mentionnée  dans  Pécrit  :  «  Le  letre  qui  dist 
«  que  je  doi  deniers  et  ne  fet  pas  mention  de  quoi  je  les  doi ,  est  souspe- 
«  chonneuse  cose  de  malice»  et  quant  tele  lettre  vient  en  cort,  si  doit  savoir 
«  li  juge  le  cose  dont  tele  dete  vint ,  avant  qu'il  le  face  paier.  » 

'  L^exception  non  numeratœ  pecuniœ  avait  été  momentanément  rétablie 
à  Pégard  des  juifs  par  Partide  4  du  décret  du  17  mai  1808,  ainsi  conçu  : 


FOI  DB  l'aCTB  sous  SEING  PRITÉ.  257 

681.  Le  Code  civil,  au  chapitre  de  la  preuve  des  obli- 
gations, est  maet  en  ce  qui  concerne  la  constatation  de  la 
cause.  Mais  plus  haut,  dans  la  section  où  il  traite  spéciale- 
ment de  la  cause,  on  lit  (art.  113S)  :  «  La  convention  n'est 
«  pas  moins  valable,  quoique  la  cause  ne  soit  pas  exprimée.  » 
Cet  article  veut-il  dire  que  la  validité  de  la  convention  n'est 
pas  subordonnée  à  Feipression  de  la  cause?  Hais  quel  doute 
sérieux  pouvait  s'élever  sur  ce  point?  La  validité  de  la  con- 
vention n'est  pas  même  subordonnée  à  l'existence  du  billet, 
qui  n'en  est  que  la  preuve.  Les  expressions  du  législateur, 
pour  avoir  un  sens,  doivent  s'entendre  de  la  validité  de 
l'acte  qui  prouve  la  convention.  Lorsqu'il  s'agit  d'une  lettre 
de  change  ou  d'un  billet  k  ordre ,  la  mention  de  la  cause  est 
exigée  par  le  Code  de  commerce  (art.  110  et  188)  pour  la 
validité  de  l'effet.  Il  est  vrai  qu'on  avait  tenté  autrefois  (arr. 
du  pari,  de  Paris,  du  13  février  1511)  d'introduire  la  même 
exigence  dans  la  pratique  pour  les  simples  billets-,  mais 
cette  opinion  n'avait  point  prévalu,  et  dès  le  temps  de  Boi- 
ceau  (liv.  II,  chap.  m),  la  question  qu'on  posait  en  défini- 
tive était  celle  de  savoir  si  la  cause  devait  ou  non  se  pré- 
sumer ' .  Déjà  la  question  avait  été  résolue  afiBrmativement 
par  des  arrêts  de  1567  et  de  1582,  et  l'avocat  général 
Denain  disait  au  Parlement  de  Paris ,  le  20  juillet  1 706  : 
(c  Par  notre  usage ,  tout  homme  qui  a  signé  une  promesse 
«  volontairement,  sine  meta  et  sine  dolo,  est  lié  naturellement 
«  et  civilement,  et  est  astreint,  par  sa  signature,  à  remplir 
«  son  obligation ,  indépendamment  du  défaut  d'expression 


«  Aucune  lettre  de  change,  aocui  billet  à  ordre,  avcune  obligation  ou 
promesse ,  souscrite  par  un  de  nos  sujets  non  commerçants  au  profit  d'un 
juif,  ne  pourra  être  exigée,  sans  que  le  porteur  prouve  que  la  valeur  en  a 
été  fournie  entière  et  sans  fraude.  » 

■  Ce  qui  prouve  bien  que  le  billet  sans  mention  de  la  cause  n'était  point 
nul,  c'est  qu'on  prenait,  pour  le  faire  tomber,  des  lettres  de  rescision  : 
nmnuUi  rescripto  restitutorio  uti  soient,  dit  Boiceau  (loc.  cit.). 

II.  17 


358  FOI  DE  l'acte  sous  seing  priyé. 

«  de  la  cause.  »  C'est  évidemmeot  cette  doctrine,  la  seule 
qui  pût  faire  question  dans  notre  siècle,  qu'ont  entendu 
consacrer  les  rédacteurs  du  Gode«  La  validité  du  titre  n'est 
autre  chose  que  la  foi,  jusqu'à  preuve  contraire,  en  faveur 
du  créancier.  La  discussion  du  Conseil  d'État,  bien  qu'assez 
confuse,  a  porté  explicitement  sur  la  force  probante  du 
billet.  C'est  donc  k  cette  force  que  l'article  1133  faitallu- 
sion.  Cette  présomption  est  y  du  reste ,  en  harmonie  avec  le 
prmcipe  rappelé  par  l'avocat  général  Denain ,  que  le  dol  ou 
l'erreur  ne  se  présument  pas,  et  qtie  dès  lors  quiconque  signe 
un  engagement  est  présumé  l'avoir  signé  sciemment,  tant 
que  le  contraire  n'apparaisse.  Il  est  vrai  qu'on  se  retranche 
sur  la  prétendue  imposûbilité  où  se  trouve  le  débiteur  de 
prouver  une  proposition  négative.  Mais  nous  ne  pouvons  que 
nous  référer  ici  aux  développements  que  nous  avons  donnés 
(n"^  39  et  suiv.)  en  traitant  spécialement  ce  points  sans 
oublier  le  tempérament  que  nous  avons  indiqué  dans  l'appli- 
cation, lequel  consiste  k  obliger  le  créancier,  non  k  prouver 
la  cause,  mais  k  l'indiqueri  afin  que  le  débiteur  puisse  établir 
qu'elle  n'existe  pas.  Quant  k  la  faculté  de  dissimuler  ainsi 
l'existence  d'une  cause  illicitOi  il  est  facile  de  répondre  qu'en 
fait,  les  causes  de  cette  nature  sa  révèlent  facilement,  et 
que  les  tribunaux  ont  toujours  un  pouvoir  discrétionnaire 
pour  déclarer  l'obligation  nulle  ou  pour  en  réduire  le  montant, 
ainsi  que  l'a  fait  la  Cour  de  Bordeaux,  le  17  décembre  1849  \ 
689.  Il  existe  une  opinion  intermédiaire,  puisée  dans 
certains  arrêts  de  nos  anciens  Parlements ,  ra[^elée  dans  la 
discussion  du  Conseil  d'État,  et  admise  encore  aujourd'hui 
par  des  auteurs  graves.  Suivant  cette  opinion,  dont  la  pre- 
mière trace  se  retrouve  dans  le  commentaire  de  Danty  sur 


*  Cette  doctrine  est  consacrée  par  le  Code  italien  (art.  1  la l)  :  «  La  cause 
est  présumée  exister  tant  que  le  contraire  n'est  pas  prouyé.  » 


roi  DE  l'acte  tous  SEING  PRIYÉ.  289 

Boieean  (addit.  sar  le  chap.  m  du  liv.  II),  il  faudrait  dii^ 
tinguer  entre  le  cas  où  le  souscripteur  du  billet  aurait  dit  : 
Je  recannm  devoir^  reconnaissaDce  qui  impliquerait  l'afeu 
d'une^cauae ,  et  le  cas  où  il  aurait  dit  :  Je  jmnnetê  payer,  ce 
qui  n'indiquerait  pas  aussi  clairement  l'existence  d'une 
dette.  lie  serait  seulement  dans  ce  dernier  oas^  ou  dans 
d'autres  analogues,  que  la  preuve  incomberait  au  créancier* 
Mais  Daniy  confient  que  plusieurs  auteurs  rejetaient  cette 
distinction  )  et  elle  n'était  nullement  admise  par  Boieean» 
qui  emploie  précisément  les  expressions  :  Fateor  me  debere, 
pour  indiquer  l'hypothèse  où  récriture  n'est  pas  causée,  s'il 
est  permis  d'employer  le  langage  barbare  de  la  pratique. 
Mais,  quelle  que  soit  l'autorité  qui  a  imaginé  cette  distinct 
tion^  il  fautafouer  qu'elle  est  bien  frivole.  Est-ce  que  oelui 
qui  promet  payer,  ne  reconnidt  pas  virtuellement  devoir?  et 
celui  qui  reconnaît  devoir,  veut41  après  tout  faire  autre 
chose  que  s'engager  k  payer?  Ou  bien  la  mention  est  né- 
cessaire ,  et  alors  confesser  la  dette ,  ce  n'est  nullement  en 
exprimer  la  cause  *,  ou  bien  la  mention  est  superOue,  et  alors 
les  deux  formules,  je  reeontiais  devoir  eije  promeu  payer,  ont 
une  valeur  identique«  Suivie  par  de  nombreux  arrêts  de 
C!ours  d'appel ,  la  doctrine  qui  tnet  le  fardeau  de  la  preuve  k 
la  charge  do  débiteur  a  été  consacrée  m  termniê  par  un 
arrêt  de  cassation  du  16  août  1848.  Aux  termes  de  cet 
arrêt,  il  résulte  de  l'article  1132  a  que,  bien  que  la  cause 
«  ne  soit  pas  exprimée  dans  une  obligation,  il  y  a  présomp«- 
«  tion  qu'elle  existe  et  qu'elle  est  vraie  et  licite ,  k  moins 
«  que  le  contraire  ne  soit  prouvé  \  qu'il  suit  de  Ik  que ,  si 
«  celui  contre  lequel  l'exécution  d'une  telle  obligation  est 
«  poursuivie  prétend  qu'il  y  a  défaut  de  cause ,  ou  cause 
«  fausse  ou  illicite ,  c'est  k  lui  d'en  fournir  la  preuve.  »  Il 
s'agissait,  dans  l'espèce,  d'un  billet  portant,  non  je  reconnais 
devoir,  mSihje  payerai.  (Voy.  dans  le  même  sens  une  disser- 

17. 


260  FOI  DE  l'acte  sous  seing  privé. 

talion  spéciale  de  H.  Dejaêr,  dans  la  Revue  étrangère  etjran^ 
cake,  tom.  VIII,p.  929.) 

En  consacrant  de  nouveau  cette  doctrine,  un  arrêt  de  rejet 
du  9  février  1864  ajoute  cependant,  ce  qui  est  généralement 
admis  dans  la  doctrine ,  que  «  si  le  titre  énonce  une  cause 
a  reconnue  fausse,  le  prétendu  débiteur,  en  prouvant  que 
«  cette  cause  n'existe  pas,  a  satisfait  k  tout  ce  qu'on  pouvait 
c(  exiger  de  lui.  Sans  doute  Tobligation  alléguée  demeure 
«  valable,  malgré  renonciation  d'une  fausse  cause,  si  elle 
«  a  une  cause  réelle  et  licite  :  niais  c'est  au  bénéficiaire  k 
«  prouver  que  cette  cause  existe ,  et  faute  par  lui  de  faire 
«  cette  preuve,  la  fausseté  de  la  cause  exprimée  enlève 
«  tout  effet  k  l'obligation.  >> 

683.  Passons  maintenant  k  la  preuve  par  acte  sous  seing 
privé  des  conventions  synallagmatiques. 

Bien  avant  le  dix-huitième  siècle,  on  avait  reconnu  que, 
lorsque  les  deux  contractants  sont  k  la  fois  créanciers  et 
débiteurs,  il  convient  de  faire  l'acte  double ,  pour  donner  k 
chacun  d'eux  le  moyen  de  constater  la  convention.  La 
charte-partie,  par  laquelle  on  établissait  jadis  Tafirétement 
des  navires ,  et  dont  le  nom  se  retrouve  encore  dans  notre 
Code  de  commerce  (art.  273),  était  un  acte  rédigé  sur  une 
feuille  de  papier  ou  de  parchemin,  dont  chacune  des  parties 
gardait  la  moitié^  les  deux  moitiés  étaient  ensuite  rappro- 
chées, lorsqu'il  s'agissait  de  demander  l'exécution  du  con- 
trat. Cette  pratique  serait  vicieuse  si  l'acte  n'était  pas  écrit 
en  entier  sur  chaque  moitié;  car,  si  l'une  des  moitiés  de 
l'acte  était  supprimée  par  la  partie  qui  l'aurait  en  sa  posses- 
sion, il  deviendrait  fort  difficile  de  prouver  le  contenu  de 
l'écrit  k  l'aide  de  l'autre  moitié  seulement.  Il  faut  mettre  k 
la  disposition  de  chacune  des  parties  un  original  complet,  et 
cette  pratique  est  la  seule  usitée  depuis  longtemps.  En 
Angleterre,  on  a  nommé  actes  dentelés  les  écrits  faits  en 


FOI  DE  l'acte  sous  SEING  PHIYÉ.  261 

aotanl  de  doubles  qu'il  y  a  de  contractants.  On  place  ces 
doubles  les  uns  sur  les  autres,  et  on  les  coupe  sur  le  som* 
met  ou  sur  le  côté  en  forme  de  dents  correspondantes,  afin 
d'en  vérifier  aisément  Tidentité.  L'acte  qui  constate  un  enga- 
gement unilatéral  est  nommé  par  opposition  acu  tondu  ou 
rasé,  ou  bien  acte  simple.  (Blackstone,  liv.  II,  ch.  xx.)  Mais 
la  rédaction  en  double  original  n'est  qu'une  précaution  dont 
l'omission  ne  peut  compromettre  la  validité  de  l'écrit. 
(Blaxiand,  Cod.  rer,  AngL,  p.  493.)  Il  en  est  de  même  en 
Autricbe. 

684.  Tel  était  aussi  le  droit  de  la  France,  avant  qu'un 
arrêt  dn  pariement  de  Paris  eût,  ^  la  date  du  30  août  1736  ' , 
exigé,  k  peine  de  nullité,  non-seulement  que  l'acte  con- 
statant une  vente  fût  fait  double,  mais  même  qu'il  men- 
tionnât la  circonstance  de  la  rédaction  en  double  original  : 
car,  dans  l'espèce ,  les  deux  doubles  étaient  représentés ,  il 
n'y  avait  que  la  mention  d'omise.  Plusieurs  arrêts  conformes 
vinrent  consolider  cette  doctrine,  qui  prévalut  dans  le  ressort 
dn  parlement  de  Paris  et  dans  quelques  autres ,  mais  qui 
fut  repoussée  par  les  parlements  de  Flandre  et  de  Grenoble, 
comme  confondant  ce  qui  appartient  au  contrat  avec  ce  qui 
n'est  relatif  qu'^  la  preuve.  (Merlin,  Répert.,  v*  Double  écrit, 
n*  1  ;  Questions  de  droit,  eod.  V",  §  1 .)  Il  fallait  avoir  la  manie, 
trop  commune  chez  nous,  de  tout  réglementer,  pour  trans- 
former ainsi  une  mesure  de  précaution  en  une  nécessité  de 
droit. 

Telle  qu'elle  était  formulée  alors,  la  théorie  des  doubles 
avait  une  rigueur  tout  k  fait  déraisonnable.  Le  parlement  de 
Paris  semble,  en  effet,  si  l'on  en  croit  M.  de  Grainville 

>  Cette  JQrîspradeace  parait  toutefois  ayoir  pris  son  origine  an  Châtelet, 
ee  sanctuaire  de  la  TieiUe  pratique.  «  Quelques-uns  de  ces  messieurs  qui 
avaient  servi  au  Chàtelet  attestèrent  que  ces  principes  y  étaient  invariable- 
ment suivis.  »  Telles  sont  les  expressions  de  M.  de  Grainville,  un  des 
magistrats  qui  concoururent  à  Parrôt  de  1736. 


S62  FOI  DB  l'acte  socs  seing  privé. 

(voir  dans  le  Bépert.  de  Merlin,  r  Dodble  écrit,  ses  dé- 
veloppements k  Tappni  de  rarrét  de  1736),  avoir  confondu 
l'acte  écrit  avec  la  convention  dont  il  est  la  preuve.  «  Un 
«  acte  est  absolument  nécessaire  »,  dit-il,  «  pour  établir 
«  qu'il  y  a  eu  une  convention  entre  les  parties.  Il  est  établi 
«  par  le  principe  naturel  des  engagements  que ,  si  l'acte  est 
«  sous  seing  privé ,  il  doit  être  double  quand  il  contient  des 
tt  conventions  réciproques  :  si  Tune  des  parties  ou  toutes 
«  les  deux  ont  pu  soustraire  la  preuve  que  l'acte  a  été  fait 
«  double ,  l'acte  est  nul  et  ne  peut  prouver  qu'il  y  a  eu  une 
«  convention  ^  il  n'a  formé  aucun  engagement  entre  les 
«  parties.  »  Mais  où  a*t-on  vu  qu'il  fût  défendu  k  l'un  des 
contractants  de  se  mettre  k  la  merci  de  l'autre  '  ?  Peut-on 
considérer  comme  une  nullité  la  difficulté  de  fait  qu'on 
éprouve  k  justifier  d'une  convention  qui  n'est  pas  établie 
par  écrit?  Môme  en  admettant  l'idée  fondamentale  de  cette 
théorie,  en  supposant  que  l'écrit,  pour  être  valable,  doive 
pouvoir  servir  de  titre  k  l'une  comme  k  l'autre  des  parties , 
il  est  impossible  de  subordonner  la  validité  intrinsèque  de 
la  convention  k  cette  égalité  de  position  entre  les  contrac- 
tants. 

M.  de  Grainville  poursuit  l'exposition  de  sa  théorie,  afin 
de  Justifier  la  nécessité  absolue  de  la  mention  que  l'acte  a 
été  fait  double.  «  Il  n'est  pas  difficile  d'appliquer  ces  prin- 
«  cipes  au  défont  d'énonoiation  de  foU  double  dans  les  deux 
K  actes.  L'une  ou  l'autre  des  parties  pouvait  supprimer  son 
«  double  ',  celui  qui  aurait  voulu  exécuter  n'avait  aucun 
a  moyen  pour  prouver  qu'il  avait  été  fait  double,  et  que  par 
<t  conséquent  l'engagement  était  obligatoire  ou  réciproque.  •  • . 

*  0*«st  dans  le  même  esprit  que,  de  nos  jours,  eertains  arrAts  (Angers , 
27  août  1829 1  Lyon,  27  join  18S2)  ont  déclaré  nulle  une  promesse  unilaté- 
rale de  vente ,  parce  qu'il  n*y  avait  pas  lien  de  part  et  d'antre  ;  conune 
s'U  était  nécessaire  qu'un  contrat»  pour  être  valable >  fût  synallagmaUqne. 
(Voy.  au  contraire,  Rej.  12  juillet  1847;  Paris,  20  août  1847.) 


FOI  DB  l'acte  sous  SEING  PRIVÉ.  263 

«  Il  est  vrai  que  les  deux  doubles  étaient  représentés  \  mais 
«  cette  représentation  ne  rectifiait  pas  le  défaut  d'énoncia- 
«  tion  qu'ils  avaient  été  faits  doubles.  Cette  représentation 
fc  ne  donnait  point  h  Tacte  le  caractère  qu'il  n'avait  pas.  Il 
«  était  nul  dans  son  principe,  parce  que  ni  l'un  ni  l'autre 
a  de  ces  doubles  ne  donnait  aux  parties  la  preuve  que  la 
«  convention  était  réciproque  et  par  conséquent  obligatoire.  » 
Ce  raisonnement  n'est  autre  chose  que  l'application  aux 
actes  sous  seing  privé  de  la  règle  catonienne ,  tendant  à  en 
soumettre  la  rédaction  k  des  solennités  rigoureuses,  dont 
rien  ne  pourrait  couvrir  l'omission.  C'est  conformément  aux 
principes  posés  par  ce  magistrat,  que  le  parlement  de  Paris 
décida  en  1767  que  l'exécution  volontaire  ne  pouvait  couvrir 
l'absence  de  la  mention,  et  que  celui  de  Rouen  jugea', 
en  1785,  que  l'existence  même  de  la  mention  ne  suflSsçiit 
pas  pour  la  régularité  de  l'acte,  si  l'on  parvenait  k  prouver 
qu'il  n'avait  pas  réellement  été  fait  double  :  décisions  par- 
faitement conséquentes,  dès  qu'on  admettait  la  nullité 
radicale  de  la  convention  par  cela  seul  qu'elle  n'était  pas 
constatée  dans  les  formes  requises. 

68â.  Mais  cette  nullité  de  la  convention ,  qui  ne  reposait 
que  sur  une  confusion  de  principes,  n'a  pas  été  reproduite 
par  l'article  1325  du  Code  civil.  «  Les  actes  sous  seing  privé 
«  qui  contiennent  des  conventions  synallagmatiques  » ,  dit 
cet  article,  «  ne  sont  valables  qu'autant  qu'ils  ont  été  faits 
«  en  autant  d'originaux  qu'il  y  a  de  parties  ayant  un  intérêt 
a  distinct. 

((  n  suffit  d'un  original  pour  toutes  les  personnes  ayant  le 

*  La  théorie  des  doubles,  ;|^Unise  anssi  par  le  parlemeat  de  Bordeaux , 
en  1759,  n'ayait  point,  nous  Payons  remarqué  (p.  261),  préyalu  partout; 
eUe  ayait  été  repoussée  à  Douai,  en  1777;  à  Grenoble,  en  1779.  Q  faut 
donc,  pour  s^en  prévaloir  ayant  le  Code,  prouver  Pusage  du  lieu,  ainsi  que 
l*a  Jugé  la  Cour  suprême,  le  17  août  1814,  en  rejetant  le  pourvoi  CQQtre  m 
arrêt  de  la  Cour  de  Nîmes. 


264  FOI  DE  l'acte  sous  seing  privé. 

«  même  intérêt.  Chaque  original  doit  contenir  la  mention 
<(  du  nombre  des  originaux  qui  en  ont  été  faits. 

((  Néanmoins,  le  défaut  de  mention  que  les  originaux  ont 
«  été  faits  doubles,  triples,  etc.,  ne  peut  être  opposé  par 
((  celui  qui  a  exécuté  de  sa  part  la  convention  portée  dans 
«  l'acte*  » 

Le  législateur  déclare  que  les  actes  non  faits  doubles  ne 
seront  pas  valables.  Mais  il  ne  porte  pas  atteinte  an  principe 
que  la  convention  peut  toujours  être  constatée  par  tout  lùode 
de  preuve  légal  ^  si  la  perfection  n'en  a  pas  été  subordonnée 
\i  la  rédaction  de  l'écrit. 

686.  Le  Code,  en  reproduisant  l'obligation  de  rédiger 
autant  d'originaux  qu'il  y  a  de  parties  ayant  un  intérêt  dis- 
tinct, reproduit  également  la  nécessité  de  mentionner  sur 
chaque  original  le  nombre  des  originaux  qui  ont  été  faits  ^ 
fait  double,  triple,  etc.  Mais  cette  mention  est-elle  aujourd'hui 
une  formalité  indispensable  ?  On  y  attachait  autrefois  une 
telle  importance  que  l'exécution  volontaire,  qui  suffisait, 
comme  aujourd'hui  {ibid.,  art.  1338),  pour  couvrir  les  vices 
de  dol  et  de  violence ,  ne  pouvait  réparer  l'absence  d'une 
pareille  mention.  Sur  ce  point,  les  rédacteurs  du  Code  se 
sont  écartés  ouvertement  deà  errements  de  l'ancienne 
jurisprudence.  Bigot  Préameneu  (exposé  des  motifs)  justifie 
leur  décision  en  ces  termes  :  c<  Conmient  se  plaindre  après 
fc  avoir  agi  en  vertu  de  l'acte ,  et  par  conséquent  renoncé 
((  au  moyen  qu'on  aurait  pu  tirer  de  la  nullité  ?  »  Dès  que 
l'on  se  trouve  placé  sous  l'empire  des  principes  généraux 
sur  la  ratification  tacite  résultant  de  l'exécution ,  puisque  la 
convention  n'est  point  viciée  dans  son  principe,  il  ne  faut 


*  Il  ne  faut  Toir  qu^ane  réminiBcence  de  l'ancienne  doctrine  dans  ces 
paroles  de  l'exposé  des  motifs  :  «  Lorsque  tontes  les  parties  n'ont  pas  un 
droit  qu'elles  puissent  réaliser,  l'engagement  doit  être  considéré  comme 
a'U  n'était  pas  réciproque ,  et  dès  lors  il  est  nul.  » 


FOI  DE  l'acte  sous  SEING  PRIVÉ.  265 

point  hésiter  à  décider  que  l'irrégularité  de  la  rédaction , 
quelle  qu'elle  soit,  cesse  par  le  seul  fait  de  l'exécution 
volontaire.  La  mention  n'étant  exigée  après  tout  que 
comme  preuve  que  l'acte  a  été  réellement  fait  double,  le 
Code,  en  déclarant  le  défaut  de  mention  couvert,  décide 
implicitement  que  les  mêmes  faits  de  ratification  couvriraient 
le  défaut  de  rédaction  en  double  original.  (Rej.,  i*'  mars 
1830  et  39  février  1833.) 

Ne  faut-il  pas  aller  plus  loin  encore?  L'arrêt  de  1767, 
qui  refusait  tout  effet  k  l'exécution  volontaire,  n'était,  en 
définitive,  qu'un  colloraire  de  celui  de  1736,  qui  prononçait 
la  nullité  de  l'acte  \k  défaut  de  mention ,  bien  que  les  deux 
doubles  fussent  représentés.  Ces  deux  décisions  étaient  la 
conséquence  du  principe  qui  transformait  l'écrit  sous  seing 
privé  en  un  acte  solennel ,  en  dehors  duquel  il  était  défendu 
de  rechercher  les  éléments  nécessaires  pour  la  validité  de 
la  convention.  La  confection  d'un  double  original  étant 
nécessaire,  la  mention  du  double  était  requise  à  son  tour, 
'  comme  le  seul  moyen  légal  de  certifier  cette  confection , 
absolument  comme  s'il  s'agissait  d'un  acte  notarié.  En 
rejetant  une  des  conséquences  du  principe ,  le  Code  n'a-t-il 
pas  rejeté  le  principe  lui-même  ?  Ne  faut-il  pas  dès  lors 
admettre  que  la  mention  du  nombre  des  originaux  n'est 
exigée  que  pour  la  preuve ,  et  que ,  si  les  deux  doubles 
sont  représentés,  comme  cela  est  arrivé  dans  l'espèce 
de  1736,  on  devra  aujourd'hui  exécuter  la  convention, 
puisqu'il  apparaît  par  l'évidence  du  fait  que  les  parties 
ont  été  dans  une  position  égale?  (Yoy.  Grenoble,  8  avril 
1829.) 

687.  On  doit  considérer  comme  un  acte  d'exécution ,  de 
nature  Ji  couvrir  le  vice  résultant  du  défaut  de  rédaction  en 
double  original  (voy.  n""'  491  et  492),  le  dépôt  entre  les 
mains  d'un  notaire,  effectué  du  consentement  de  toutes  les 


S06  FOI  DE  l'agtb  sous  seing  punrÉ. 

parties.  (Rej.,  25  février  1835^  29  mars  1852.)  En  est-il  de 
même  si  le  dépôt  a  été  fait  entre  les  mains  d'un  simple 
particulier,  qui  n'a  pu  assurer  la  conservation  de  l'acte  en 
le  plaçant  au  rang  des  minutes?  La  négative  a  été  jugée  par 
la  Cour  de  Caen,  le  24  avril  1822.  Mais  nous  pensons  que 
la  Cour  de  Grenoble  est  mieux  entrée  dans  l'esprit  de  la  loi, 
en  décidant  l'affirmative,  le  2  août  1839.  Puisque  l'absence 
de  double  n'annule  point  la  convention  écrite,  il  est  évident 
que  les  parties  y  ont  vu  plus  qu'un  simple  projet,  lors- 
quelles  ont  rendu  leur  position  égale,  en  déposant  l'acte 
entre  les  mains  d'un  mandataire  commun.  Il  n'en  serait 
plus  de  même  si  le  dépôt  avait  été  effectué  par  un  seul  des 
intéressés ,  même  entre  les  mains  d'un  notaire.  (Bordeaux , 
13  mars  1829.)  Tout  au  plus  pourrait-on  admettre  en  ce 
cas  une  adhésion  tacite  de  l'autre  partie,  si  le  dépôt  lui 
avait  été  notifié  et  qu'elle  n'eût  point  réclamé. 

688.  Si  les  rédacteurs  du  Code  n'ont  pas,  comme  le 
parlement  de  Paris,  fait  rejaillir  la  nullité  de  l'acte  sur  la 
convention  elle-même,  ils  ont  maintenu  l'idée  fondamentale 
de  la  théorie  des  doubles,  qui  n'accorde  d'effet  k  l'écrit 
qu'autant  qu'il  a  pu  servir  également  de  titre  h  l'un  et  à 
l'autre  des  contractants.  C'est  Ik  une  protection  exorbitante 
accordée  k  des  majeurs  contre  la  possibilité  d'une  fraude  : 
protection  qui  peut  elle-même  donner  lieu  k  des  fraudes 
contre  ceux  qui,  ignorant  la  loi,  croiraient  l'autre  partie 
sérieusement  engagée  par  sa  signature  sur  un  original 
unique.  Aujourd'hui  cependant  cette  théorie  donne  plus 
rarement  lieu  k  des  surprises ,  parce  qu'elle  est  extrême- 
ment connue  '  -,  nous  devons  même  ajouter  que  plusieurs 

*  On  a  invoqué  cependant  un  usage  contraire  à  cette  théorie ,  en  ce  qui 
touche  les  souscriptions  de  librairie ,  qu'on  voulait  forcer  le  signataire  du 
bulletin  à  exécuter,  bien  que  l'éditeur  n^eût'pris,  de  son  cAté,  aucun  enga- 
gement ;  on  prétendait  que  l'envoi  des  prospectus  de  librairie  équivalait  à 
un  engagement  de  la  part  de  l'éditeur.  Cette  doctrine ,  qui  ne  reposait  sur 


FOI  DE  L'aCTB  bous  SEING  PRIVÉ.  267 

légisIadODs  étrangères,  qui  ont  modifié  en  beaucoup  d'autres 
points  les  dispositions  de  notre  Code ,  en  ont  reproduit  la 
théorie  sur  ce  point.  (Voy.  Code  holland.,  art.  1914.) 
Mais  le  Code  italien  de  1866  a  complètement  abandonné  la 
doctrine  des  doubles. 

688.  La  doctrine  des  doubles  tendant  ainsi  k  maintenir 
l'égalité  de  position  entre  les  contractants,  on  se  demande 
si  cette  égalité  peut  subsister  au  cas  où  Ton  accorderait 
quelque  force  à  l'original,  présumé  unique  k  raison  de 
Fabsence  de  la  mention  faU  dùubU,  qui  serait  représenté  par 
Tune  des  parties?  Faut-il  ou  non  voir  dans  cet  original  an 
commencement  de  preuve  par  écrit,  afin  d'admettre  notam* 
ment  la  preuve  testimoniale?  Nous  ne  nous  arrêterons  pas 
k  un  argument  peu  sérieux,  sur  lequel  se  fonde  Touiller 
pour  soutenir  Taffirmative  (t.  VIII,  n*  318),  lorsqu'il  fait 
remarquer  que  l'article  déclare  les  actes  non  valabUê^  et  non 
pas  nti/i  :  nuance  imperceptible ,  k  laquelle  il  est  impossible 
d'attribuer  aucune  importance,  le  mot  vaiable  étant  con- 
stamment opposé  au  mot  ml  dans  les  dispositions  de  nos 
lois.  (C.  civ.,  art.  48  et  170.)  Mais,  si  l'acte  n'est  pas 
valable,  peut-on  le  faire  rentrer  dans  les  termes  de  l'ar- 
ticle 1347,  qui  considère  comme  commencement  de  preuve 
par  écrit  tout  acte  par  écrit  émané  du  défendeur  et  qui  rend 
vraisemblable  le  fait  allégué?  Pour  soutenir  la  négative,  on 
fait  remarquer  que ,  suivant  la  présomption  de  la  loi ,  l'acte 
non  fait  double  ne  doit  être  considéré  que  comme  un  simple 
projet,  et  que  l'on  ne  saurait  admettre  que  cet  acte  fait  foi 
sans  7  voir  une  preuve  complète  :  ce  qui  est  précisément 
contraire  au  système  légal.  Il  est  trop  évident,  ajoute-t-on, 


aucoii  motif  Jnridlque ,  a  été  repoiiS8ée  par  la  jurispnideiice.  (ReJ.,  8  no- 
vembre 1848  {  Paria,  1"  mai  1848.)  Seulement ,  suiyant  l'opinion  qui  tend 
à  prévaloir  (n«  689),  le  bulletin  peut  être  luToqué  comme  commencement 
de  pieaye  par  écrit  contre  le  souscripteur. 


S68  FOI  DE  l'acte  socs  seing  privé, 

que  la  partie  qui  pourrait  s'emparer  de  cet  acte ,  afin  de  le 
corroborer  par  la  preuve  testimoniale  ou  par  de  simples 
présomptions ,  aurait  un  avantage  immense  sur  Tautre ,  qui 
serait  dans  l'impossibilité  d'user  de  la  même  faculté  :  ainsi 
se  trouverait  forcément  rompu  l'équilibre  que  le  législateur 
a  voulu  établir.  Cette  opinion  est  la  plus  strictement  logique; 
mais  je  dirais  volontiers  avec  les  jurisconsultes  romains  (Jul. , 
L.  âO,  D.,  De  reb.  cred.)  :  Hœc  inteUigenda  $unt  propter  mtbti^ 
Utatem  verbarum.  Si  l'on  s'en  réfère  au  simple  bon  sens ,  il 
est  impossible  de  méconnaître  dans  l'acte  non  fait  double 

un  acte  par  écrit  émané  du  défendeur  et  qui  rend  vraùemblable  le 

fait  allégué.  Simple  projet,  soit!  Mais  on  est  parfaitement 
reçu  k  se  prévaloir  d'une  note  annonçant  un  simple  projet, 
pour  prouver  ensuite  par  témoins  la  réalisation  du  projet 
indiqué.  Un  acte  non  valable  est  donc  susceptible  de  servir 
de  commencement  de  preuve  par  écrit,  puisque  l'article  1347 
a  trait  k  une  simple  vraisemblance  de  fait,  indépendamment 
de  toute  condition  de  droit.  Il  vaut  mieux,  après  tout,  laisser 
aux  juges  la  faculté  d'apprécier  les  faits  que  de  puiser  une 
fin  de  non-recevoir  dans  les  conséquences,  plus  ou  moins 
directes,  d'une  théorie  contestable.  La  pratique  a  fini  par 
se  prononcer  dans  le  sens  de  cette  opinion ,  qu'a  consacrée 
in  terminis  un  arrêt  de  cassation  du  28  novembre  1864. 

Qaoi  qu'il  en  soit,  si  la  convention  a  pu  être  subordonnée 
k  la  rédaction  d'un  écrit ,  elle  a  pu  fort  bien  être  indépen- 
dante de  cette  rédaction.  Dans  cette  hypothèse,  il  doit  être 
permis  au  demandeur,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  du  moins 
depuis  la  promulgation  du  Code ,  de  laisser  de  côté  l'écrit  et 
d'user  des  moyens  de  preuve  qui  lui  sont  toujours  réservés 
comme  dernière  ressource,  de  l'interrogatoire  et  du  serment, 
ainsi  que  Ta  jugé  la  Cour  de  Lyon,  le  16  juillet  1827.  (Voy. 
aussi  Rej.,  16  mai  1859.)  On  a  cependant  quelquefois  sou- 
tenu que  c'était  encore  Ik  violer  l'égalité  de  position  entre 


FOI  DE   l'aGT£  socs  SEIKG  PRIVÉ.  269 

les  parties,  parce  que  celui  k  qui  on  opposerait  un  écrit 
revêtu  de  sa  signature  n'oserait  pas  jurer  qu'il  n'est  pas 
obligé.  Mais,  fût-il  vrai  que  le  seiment  devint  moralement 
impossible,  Tinégalité  de  position  des  parties  ne  serait  après 
tout  que  morale  et  non  point  légale,  puisque  le  sort  du  dé- 
fendeur serait  toujours  entre  ses  mains.  Bien  plus,  Tobjec- 
tion  n'est  pas  même  fondée  \  car  celui  qui  dit  n'avoir  signé 
qu'un  projet,  peut  très-consciencieusement,  si  son  alléga- 
tion est  vraie,  prêter  serment  qu'il  n'a  pas  entendu  s'engager* 
Il  est  impossible ,  après  tout,  que  la  partie  nantie  d'un  acte 
dont  elle  renonce  k  se  prévaloir,  se  trouve  dans  une  condi- 
tion inférieure  k  celle  de  la  partie  qui  ne  pourrait  absolu- 
ment rien  invoquer  en  sa  faveur  '. 

690.  Voyons  maintenant  quel  doit  être  le  nombre  des 
originaux.  Suivant  le  texte  du  Gode,  il  doit  être  égal  k  celui 
des  parties  ayant  un  intérêt  distinct.  Le  Tribunat  a  fait  sub- 
stituer ces  expressions  k  celles  à'intérêt  particulier,  qui  se 
trouvaient  dans  le  projet.  Ainsi,  plusieurs  vendeurs  ou 
plusieurs  acheteurs  d'un  bien  ont  un  intérêt  particulier, 
mais  non  distinct ,  dans  le  sens  qu'a  ici  en  vue  le  législa- 
teur, et  il  suffira  qu'il  soit  dressé  pour  tous  un  seul  original, 
sauf  k  eux  k  s'entendre  pour  la  conservation  de  l'acte.  L'in- 
térêt sera  distinct,  au  contraire,  si  l'on  suppose  plusieurs 
héritiers  dressant  un  acte  sous  seing  privé  pour  constater 
le  partage  de  la  succession  :  il  faudra  alors  autant  d'originaux 
qu'il  y  a  d'héritiers. 

691.  La  doctrine  moderne,  comme  la  doctrine  ancienne, 
n'applique  la  nécessité  des  doubles  qu'k  la  preuve  des  con- 
trats synallagmatiques ,  c'est-k-dire  qui  produisent  des 
engagements  de  part  et  d'autre.  Il  ne  faut  pourtant  pas 

1  Suivant  nn  mage  constant  (Nancy,  23  juin  1849  ;  Rennes,  15  novembre 
1869),  il  suffit  que  le  double  remis  à  Tune  des  parties  porte  la  signature  de 
Tautre. 


270  FOI  DE  l'aCTB  80C8  SEING  MltÉ. 

s'attacher  h  la  dénomination  de  Tacte,  mais  k  la  nature  de 
l'engagement  qui  en  résulte.  Si  donc  on  a  qualifié  de  vente 
un  contrat  où  il  y  a  quittance  du  prix,  il  est  clair  que 
Tacbeteur  seul  a  intérêt  k  avoir  un  original  en  sa  possession, 
puisque  le  vendeur  est  complètement  indemne  et  qu'il  ne 
reste  plus  qu'un  engagement  unilatéral.  (Montpellier, 
aO  juin  1828;  Bordeaux,  30  janvier  1834.)  Mais  en 
serait-il  de  même  dans  le  cas  inverse,  c'est-k-^ire  si  un 
actO)  unilatéral  de  sa  nature,  engendrait  en  lait  des  obU* 
gâtions  réciproques?  Tels  sont  les  contrats  qu'on  a  nommés 
gynaUagmatiquef  imparfaiu»  le  mandat,  le  gage,  etc.,  qili 
n'obligent  dans  le  principe  que  le  mandataire  ou  le  créan* 
cier  gagiste ,  mais  d'où  peuvent  naître  plus  tard  des  obliga* 
tions  pour  le  mandant  ou  pour  le  débiteur.  Rien  de  plus 
prudent,  sans  doute,  pour  le  créancier  ou  pour  le  manda- 
taire, que  de  se  faire  remettre  un  double.  Mais  l'article  1 325 
ne  l'exige  pas ,  puisqu'il  ne  parle  que  des  contrats  synallag- 
matiques ,  et  qu'aucune  disposition  de  nos  lois  n'autorise  k 
comprendre  dans  cette  classe  les  contrats  synallagmatiques 
imparfaits ,  qui  ne  sont  qu^une  variété  des  contrats  uniiatë*- 
raux» 

Il  en  serait  autrement  si  le  contrat,  bien  qu'habituellement 
unilatéral,  engendrait,  en  vertu  même  de  ses  clauses,  des 
engagements  réciproques  :  si ,  par  exemple ,  une  caution  ne 
s'engageait  que  moyennant  un  terme  ou  une  remise  partielle 
accordée  par  le  créancier,  l'acte  de  cautionnement  devrait 
être  rédigé  en  double  original.  (Rej.,  23  août  1856;  Nîmes, 
28  novembre  1851.) 

699.  Quant  aux  tiers,  ils  ne  sauraient  se  prévaloir  de 
l'inobservation  de  la  formalité  des  doubles^  lorsque  les 
parties  gardent  le  silence.  C'est  ainsi  que  la  Cour  de  Paris 
a  jugé,  le  13  août  1823,  que  les  débiteurs  ou  détenteurs, 
poursuivis  par  un  cessionnaire ,  ne  sauraient  le  faire  dé- 


POI  DE  l'acte  sous  SSIHG  PRITÉ.  271 

clarer  non  recevable,  sous  prétexte  que  l'acte  sous  seing 
priyé  constatant  la  cession  ne  porterait  pas  la  mention  : 
yôû  double. 

MaiS)  ï  l'inverse,  un  tiers,  s'il  y  a  intérêt ,  peut  invoquer 
l'acte,  bien  que  non  fait  double.  En  conséquence,  la  théorie 
des  doubles  ne  saurait  être  opposée  k  la  régie  de  l'enregis^ 
trement.  L'inobservation  de  la  formalité  du  double  écrit 
n'entraînant  point  la  nullité  de  la  convention ,  la  régie ,  tant 
que  les  parties  ne  se  sont  point  prévalues  de  la  nullité  de 
l'acte,  est  fondée  k  s'en  emparer  contre  elles,  pour  établir 
l'existence  de  l'engagement,  afin  de  les  soumettre  aux 
droits  dont  U  est  passible.  (Rej.,  S4  juin  1806.) 

693.  Enfin,  l'application  de  cette  théorie  nous  semble 
incompatible  avec  la  célérité  et  la  simplicité  qui  caracté- 
risent les  opérations  commerciales.  U  est  vrai  que  certains 
arrêts  (Ckilmar,  28  août  18i6;  Lyon,  18  décembre  1896; 
Rouen ,  23  novembre  1846)  ont  exigé  le  double  original , 
même  en  matière  de  commerce;  et  M.  Massé  (DroU  comm., 
tom.  YI,  p.  32  et  suiv.)  soutient  cette  opinion  avec  une  con- 
viction très-arrêtée.  Son  principal  argument  consiste  dans 
cette  circonstance  que  l'article  109  du  Code  de  commerce , 
énumérant  les  actes  sous  seing  privé ,  renvoie  virtuellement 
aux  conditions  que  le  droit  civil  impose  pour  la  validité  de 
ces  actes.  Mais  cette  exigence ,  qui ,  bien  que  critiquable , 
se  comprend  dans  le  droit  commun,  là  où  la  preuve  est 
soumise  k  certaines  restrictions,  n'a  plus  de  raison  d'être 
dans  le  droit  commercial ,  où  la  preuve  testimoniale  (C.  de 
comm.,  art*  109)  et,  par  contre,  les  présomptions,  sont  indé- 
finiment admissibles.  La  loi  a  pris  soin  de  rappeler  (ibid., 
art«  89)  que  les  sociétés  en  nom  collectif  ou  en  comman- 
dite ,  constatées  par  des  actes  sous  signature  privée ,  doivent 
être  rédigées  conformément  k  Tarticle  1326  du  Gode  civil. 
11  convient  d'appliquer  la  même  décision  k  certains  contrats 


27S  FOI   DE  l'acte  S0U8  SEING  PRIVÉ. 

commerciaux  synallagmatiques ,  tels  que  celui  d'assurance 
maritime,  qui,  soumis  k  la  rédaction  par  écrit,  doivent 
rentrer  dans  les  prescriptions  du  droit  commun  \  En  seos 
inverse,  il  est  des  actes  synallagmatiques  pour  lesquels  il 
est  constant  que  le  double  original  n'est  point  requis  :  le 
bordereau  à'un  agent  de  change,  la  facture  du  vendeur 
acceptée  par  l'acheteur,  aux  termes  de  l'article  i09  du  Gode 
de  commerce.  M.  Massé  reconnaît  qu'il  en  est  de  même  pour 
la  lettre  de  voiture.  La  question  ne  touche,  en  définitive,  que 
certaines  opérations  usuelles,  telles  que  les  ventes,  pour  la 
preuve  desquelles  l'esprit  de  la  loi  commerciale  est  de  laisser 
toute  latitude  aux  parties.  Telle  est  l'opinion  de  la  grande 
majorité  des  auteurs.  (Voy.  Trêves,  30  mai  1820,  ainsi  que 
les  considérants  de  l'arrêt  de  rejet  du  8  novembre  1843.) 

684.  Ce  qui  n'est  pas  douteux ,  c'est  que ,  devant  la  juri- 
diction consulaire,  il  est  permis  de  prendre  en  considération 
toute  espèce  d'écrits.  Il  est  naturel,  après  tout,  que  la 
correspondance  soit  un  mode  de  preuve  régulier  pour  les 
commerçants,  qui  sont  obligés  de  mettre  en  liasse  les 
lettres  qu'ils  reçoivent  et  de  copier  sur  un  registre  celles 
qu'ils  envoient  (G.  de  comm.,  art.  8  et  i09)  :  d'où  cette 

m 

décision  un  peu  exagérée  de  la  Rote  de  Gènes  (déc.  i  42 , 

n^  2)  :  Litterœ  quœ  mUturUur  inter  mercatores  habent  vires 
ptélicorum  insirumentorum.  Toutefois,  la  correspondance 
n'établit  régulièrement  une  convention  commerciale  qu'au 
cas  où  il  y  a  demande  et  réponse,  sauf  l'appréciation  des 
circonstances  çù  le  silence  emporterait  acceptation  tacite. 
(Comp.  les  arrêts  de  la  Cour  de  cass.,  25  mai  1870,  et  de  la 
Cour  de  Bordeaux ,  3  juin  1867.) 
En  est-il  de  même  devant  la  juridiction  civile?  La  raison 

'  Si  habitaeUemeat  la  police  d^assnrance  n^est  point  rédigée  en  double 
original,  c'est  que  le  prix  est  payé  comptant,  et  qu'alors  (n»  691)  le  contrat 
devient  unilatéral.  (Voy.  Rej.,  19  décembre  1816.) 


FOI   DE   l'acte  sous  SEING  PRIVÉ.  3T3 

de  douter  se  tire  précisément  de  la  doctrine  des  doubles. 
Aucun  article  du  Gode  ciyil ,  dit-on ,  ne  mentionne  spéciale- 
ment la  correspondance,  ainsi  que  le  fait  l'article  i09  du 
Code  de  commerce.  Mais  il  est  constant  que  les  ventes, 
mêmes  verbales,  aujourd'hui  comme  autrefois,  sont  par- 
fiaiitement  valables.  Le  double  original  n'est  requis,  d'après 
le  texte  même  de  la  loi ,  que  lorsque  les  parties  font  un  acte 
sous  seing  privé.  Lorsqu'elles  traitent  par  correspondance , 
elles  ne  peuvent  s'astreindre  à  des  formes  qui  répugnent  k 
la  nature  des  lettres  missives.  Il  n'y  avait  point  lieu,  au  sur- 
plus, de  se  défier  de  la  correspondance  conmie  on  se  défie 
des  témoins  :  ce  qu'indique  bien  clairement  Tarticle  1355 
du  Gode  civil,  qui  déclare  inutile  l'allégation  d'un  aveu 
extrajudiciaire  purement  verbal,  toutes  les  fois  qu'il  s'agit 
d'une  demande  dont  la  preuve  testimoniale  ne  serait  point 
admissible.  Il  est  donc  permis  d'établir  l'existence  d'une 
vente  d'immeubles  au  moyen  de  lettres  du  vendeur  et  de 
l'acheteur  produites  en  justice.  (Rej.,  26  janvier  1842.)  On 
a  même  constaté  par  des  lettres  d'une  femme  mariée  le  fait 
du  recel  de  la  grossesse.  (Rej.,  31  mai  1842^  Alger,  12  no- 
vembre 1866.)  Suivant  Merlin,  toutefois  {Répert.,  v""  Lettre, 
n""  6) ,  une  lettre  missive  devrait  être  réputée  confidentielle, 
par  cela  seul  qu'elle  est  écrite  à  un  tiers  ;  les  lettres  missives 
ont  été,  en  efiet,  écartées  par  un  arrêt  de  rejet  du  5  mai 
1858  et  par  les  arrêts  de  la  Cour  d'Aix,  du  5  juin  1852  et 
de  la  Gour  de  Gaen ,  du  31  juillet  1856.  Mais  la  doctrine  de 
Merlin  est  trop  absolue  :  la  lettre,  bien  qu'adressée  k  un 
tiers,  peut  avoir  été  écrite  dans  l'intérêt  même  de  celui  qui 
veut  s'en  servir,  et  alors  rien  n'empêche  qu'elle  ne  soit 
produite  en  justice.  (Rej.,  3  juillet  1850  et  26  juillet  1864.) 
Dans  tous  les  cas,  l'usage  ne  saurait  s'entendre  d'une 
publication  indiscrète,  faite  sans  le  consentement  de 
l'auteur  des  lettres  ou  de  ses  représentants,  ainsi  que  Ta 

II.  18 


274  FOI  DE  L^AGTE  80DS  ftEING  PRIVÉ. 

décidé  un  arrêt  du  10  septembre  1S50,  relativement  ^  la 
correspondance  de  Benjamin  Ck>nstant  ^ . 

ce.  Considérant,  dit  la  Cour  de  Paris,  qu'une  lettre  confi* 
ft  dentielle  n'est  pas  une  propriété  pure  et  simple  dans  les 
«  mains  de  celui  k  qui  elle  a  été  écrite  ;  que  le  secret  qu'elle 
fc  renferme  est  un  dépôt  dont  ce  dernier  ne  peut  disposer 
ft  seul  ^  qu'en  livrant  sa  pensée  k  un  tiers  dans  une  corres* 
((  pondance ,  une  personne  peut  imposer  pour  condition  à 
(c  cet  acte  de  confiance  qu'il  restera  renfermé  dans  le 
«  domaine  de  l'intimité  ;  que  cette  condition  a  tous  les 
fc  caractères  d'un  pacte  véritable  ;  qu'elle  est  virtuellement 
ft  renfermée  dans  toute  lettre  missive  d'une  nature  conflden- 
ft  tielle  ^  que  si ,  contre  le  vœu  de  cette  convention  tacite , 
«  le  secret  d'une  lettre  était  divulgué,  ce  serait,  non-seule- 
ft  ment  manquer  aux  engagements  naturels  de  ce  genre  de 
ft  rapports,  mais  porter  l'inquiétude  dans  le  commerce 
«  privé ,  et  briser  un  des  liens  de  la  société  des  hommes  ; 
ft  —  Considérant  que  ces  principes  ne  reçoivent  pas 
«  d'exception ,  alors  même  que  l'auteur  d'une  correspond 
ft  dance  confidentielle  aurait  rempli  un  rôle  public  ;  que , 
«  quelque  étendus  que  soient  les  droits  de  l'histoire  sur  les 
ft  personnages  qui  relèvent  d'elle,  ils  doivent  s'arrêter  devant 
ft  le  sanctuaire  du  for  intérieur  ;  qu'il  peut  y  avoir,  dans  la 
ftvie  privée  des  hommes  publics,  des  sentiments,  des 
ft  affections,  des  épanchements  que  le  respect  de  soi-même 
ft  et  des  autres  leur  fait  ensevelir  dans  le  mystère*,  que 
ft  l'intérêt  des  familles  a  le  droit  de  veiller  sur  ce  domaine 
«  inaccessible ,  et  de  le  défendre  contre  les  empiétements 
ft  d'une  indiscrète  publicité.  » 

1  on  peut  voir,  dans  la  Revue  critique  (tom.  I,  n»  104)^  les  excellentes 
observations  de  M.  Connenin  sur  cet  arrêt  y  obgerrationa  plus  opportunes 
que  jamais,  aujourd'hui  que  les  petits  scandales,  les  petites  anecdotes, 
sont  avidement  recherchés  par  on  certain  poblic. 


FOI  A  l'égard  des  tiers.  275 

En  ce  qai  touche  le  droit  des  créanciers,  la  Cour  d'Angers 
(arr.  du  4  février  1869)  distingue  entre  les  lettres  ayant  un 
caractère  purement  confidentiel,  qu'elle  a  interdit  de 
mettre  aux  enchères,  lors  même  qu'elles  auraient  une 
yaléUr  vénale  ^  titre  d'autographes,  et  celles  qui  ont  un 
caractère  vraiment  historique,  pour  lesquelles  elle  a  admis 
le  droit  des  créanciers ,  si  tout  autre  actif  se  trouve  épuisé. 

Mous  reviendrons  sur  le  secret  des  lettres ,  en  traitant  de 
la  foi  des  actes  sous  seing  privé  devant  la  juridiction  crimi- 
nelle. (N-  768.) 

8  f .  VOI  A  L'iGAkD  fttS  TIBUI. 

SoniAnc.  —  698.  Dfflcoltés  sur  la  foi  de  la  date  ii  l'égard  des  tien.  —  696.  Ne  point 
comprendre  parmi  les  tiers  l'incapable.  Quand  on  doit  y  comprendre  les  héritiers.  —  697. 
Date  des  actes  vis-à-vis  de  la  masse  des  créanciers.  —  698.  Vis-îi^vis  de  la  régie  de 
l'enregistrement.  —  699.  Droit  incontestable  des  tiers  penitut  eitrauei.  —  700.  Droit 
des  ayants  caose  il  titre  particulier,  mal  k  propos  contesté  par  Touiller.  —  70i.  QiUi 
relattyement  an  quittances  opposées  an  cas  de  cession  ou  de  saisie-arrêt  ?  —  702. 
Exception  en  matière  de  commerce.  —  702  bis.  Date  du  testament  olographe.  —  703. 
Enregistrement  des  actes  sons  seing  privé.  ^  704.  Autres  moyens  de  donner  ï  l'aete 
date  certaine.  —  709.  Aveu  exprès  ou  tacite  suppléant  à  la  certitude  de  la  date.  —  706. 
Régie  spéciale  en  matière  d'expropriation  pour  otilité  publique. 

695.  II  n'est  pas  douteux  que  l'acte  sous  seing  privé, 
lorsque  la  sincérité  en  est  également  établie,  n'ait,  à  l'égard 
des  signataires,  la  même  foi  que  l'acte  authentique.  Mais 
l'article  1322  lui  accorde  cette  autorité  entre  ceux  qui  l'ont 
souscrit  et  entre  leurs  héritiers  et  ayanu  came.  De  graves 
difficultés  s'élèvent  sur  cette  disposition ,  comparée  k  celle 
de  l'article  1328,  qui  veut  que  les  actes  sous  seing  privé 
ne  fassent  point  foi  de  leur  date  k  l'égard  des  tien.  Quels 
sont  les  ayants  cause  des  parties?  Quels  sont  ceux  qu'il 
faut  considérer  comme  des  tiers?  Parlons  d'abord  des 
successeurs  et  ayants  cause  k  titre  universel^  puis  nous 
aborderons  la  question  si  débattue  des  ayants  cause  k  titre 
particulier. 

696.  Les  successeurs  k  titre  universel  sont  teniis  de  tous 

18. 


276  FOI  A  l'égard  des  tiers. 

les  engagements  souscrits  pendant  la  vie  de  leur  auteur. 
Ils  n'ont  dès  lors,  en  général,  aucun  intérêt  à  contester  la 
date  de  l'écrit,  puisqu'ils  sont  liés  par  la  signature  du 
défunt,  lorsqu'elle  est  bien  constatée,  k  quelque  époque 
de  sa  vie  qu'elle  ait  été  donnée.  Mais,  lorsque  leur  auteur 
a  été  frappé  d'une  incapacité  qui  ne  l'empêchait  pas  en  fait 
de  souscrire  des  actes,  par  exemple,  s'il  a  été  interdit,  les 
héritiers  sembleraient  fondés  à  exiger  du  porteur  de  l'écrit 
qu'il  prouvât  une  date  certaine,  antérieure  à  l'interdic- 
tion prononcée.  Et  par  voie  de  conséquence,  il  faudrait  dire 
que  l'interdit  lui-même,  de  son  vivant,  peut  se  refuser  à 
exécuter  des  engagements  dont  on  ne  saurait  prouver  l'an- 
tériorité à  l'époque  où  son  incapacité  a  commencé.  Les 
héritiers  ne  sont  après  tout  les  ayants  cause  du  défunt,  il 
n'est  leur  auteur,  que  tant  qu'il  a  eu  le  pouvoir  de  con- 
tracter. L'incapable  lui-même  n'est,  si  l'on  peut  s'exprimer 
ainsi,  son  propre  ayant  cause  que  pour  les  actes  qu'il  a 
souscrits  avant  de  devenir  incapable.  Ce  serait  donc  au 
créancier,  qui  joue  le  rôle  de  demandeur,  à  établir  que  la 
date  de  l'écrit  est  antérieure  à  l'événement  qui  a  changé 
la  position  du  signataire. 

Telles  seraient  les  conséquences  rigoureuses  auxquelles 
il  faudrait  ejTectivement  arriver,  si  la  doctrine  relative  à  la 
certitude  de  la  date  était  un  de  ces  principes  de  raison  qui 
dominent  la  science ,  et  auxquels  on  ne  doit  pas  hésiter  à 
donner  toute  la  portée  dont  ils  sont  susceptibles  dans  l'appli- 
cation. Mais  cette  nécessité  d'une  date  certaine  a  l'égard  des 
tiers  n'est  autre  chose  qu'une  précaution  qui,  inconnue 
pendant  longtemps  en  jurisprudence,  n'a  été  introduite 
dans  notre  ancien  droit  que  par  des  considérations  d'utilité 
pratique.  (Yoy.  les  arrêts  du  parlement  de  Rouen  du  2  mars 
1629,  et  du  pariement  de  Paris  du  19  août  1729.)  Il  faut 
donc  voir  quels  sont  les  intérêts  qu'on  a  voulu  garantir  ce 


FOI  A  l'égard  des  tiers.  277 

établissant  cette  doctrine.  Or,  en  consaltant  les  arrêts  et  les 
auteurs ,  il  est  facile  de  reconnaître  que  le  but  qu'on  s'est 
proposé  a  été  de  protéger  les  tiers  proprement  dits ,  c'est- 
k-dire  ceux  qui  traiteraient  avec  les  parties  contractantes , 
contre  le  danger  d'antidatés,  pratiquées  après  coup  en 
fraude  de  leurs  droits.  Mais  on  n'a  jamais  entendu  par  tiers^ 
ni  les  héritiers  dont  l'auteur  aurait  été  frappé  d'incapacité 
pendant  une  partie  de  sa  Tie,  ni  surtout  l'incapable  lui- 
même.  On  a  toujours  voulu  que,  dans  les  rapports  du 
créancier  avec  le  signataire  de  l'acte  ou  avec  ses  héritiers , 
il  n^y  eût  pas  nécessité  de  donner  à  l'écrit  une  date  certaine  : 
autrement,  il  serait  impossible  d'avoir  la  moindre  sécurité, 
lorsque  l'on  traite  avec  une  personne ,  sans  faire  les  frais  de 
l'enregistrement,  puisque,  d'un  moment  à  l'autre,  cette 
personne  peut  devenir  incapable.  Et  pour  remédier  à  une 
fraude  eiceptionnelle ,  dans  le  cas  où  l'incapable  aurait 
souscrit  des  actes  antidatés  sans  qu'il  fût  possible  de 
reconnaître  l'antidate,  on  tomberait  dans  l'immense  incon- 
vénient d'annuler  tout  écrit  antérieur  à  l'incapacité ,  mais 
dont  la  date  ne  serait  pas  légalement  établie.  Une  doctrine 
conçue  dans  un  intérêt  tout  pratique  ne  doit  pas  recevoir 
une  extension  que  l'utilité  pratique  désavoue.  Après  tout , 
les  héritiers  de  l'incapable  ayant  habituellement  avec  lui 
des  rapports  bien  plus  intimes  que  les  tiers,  ont  plus  de 
facilité  pour  établir  l'antidate ,  qui  peut  toujours  être  con- 
statée en  connaissance  de  cause.  (Voy.  Cass.,  5  avril  1842; 
Rej.,  15  juin  1843.)  Il  en  est  de  même,  à  l'inverse,  de  l'in- 
capable, devenu  capable,  lorsqu'on  lui  oppose  les  actes 
souscrits  par  celui  qui  administrait  ses  droits.  Aussi  un 
arrêt  qui  voulait  que  les  baux  souscrits  par  un  tuteur  eussent 
date  certaine  pour  pouvoir  être  opposés  au  pupille  devenu 
majeur,  a-t-il  été  cassé  le  8  juin  1859.  Et,  si  la  Cour  de 
cassation  (Rej.,  30  juin  1868)  a  mis  h  la  charge  du  porteur 


278  FOI  A  l'égard  des  tiers. 

de  récrit  la  preuve  de  rantériorité  de  sa  date  k  la  nomination 
d'un  conseil  judiciaire  donné  au  souscripteur,  c'est  qu'eo 
fait  l'antidate  ressortait  des  circonstances  de  la  cause. 

Toutefois,  les  héritiers  doivent  être  considérés  comme 
des  tiers,  lorsqu'ils  n'agissent  pas  au  nom  du  défunt,  mais 
comme  exerçant  un  droit  à  eux  appartenant,  que  l'antidate 
aurait  eu  pour  but  de  frauder,  par  exemple,  lorsqu'ils 
attaquent  une  [vente  faite  par  leur  auteur  au  profit  de  son 
conjoint,  mais  dont  la  date  apparente  est  antérieure  au 
mariage  :  les  héritiers  invoquent  alors  un  intérêt  spécial  et 
distinct ,  qu'a  eu  pour  but  de  protéger  l'interdiction  de  la 
vente  entre  époux  (C.  civ. ,  art.  1595)  *,  ils  ont  dès  lors  qualité 
pour  invoquer  l'article  13S8.  (Cass.,  31  janvier  1837;  Rej., 
6  février  1838.) 

697.  Ceux  qui,  sans  être  successeurs,  sont  ayants  cause 
à  titre  universel  du  signataire  de  l'acte,  ne  sauraient  être 
considérés  comme  des  tiers.  C'est  ainsi  que  la  masse  des 
créanciers  dans  une  faillite  (Cass.,  4  juillet  1854-,  Metz, 
1"  février  1860)  ne  saurait  repousser  un  titre  produit, 
parce  qu'il  n'aurait  point  date  certaine.  Une  pareille  exi- 
gence rendrait  impossibles  les  transactions  commerciales ,  à 
l'égard  desquelles  d'ailleurs  nous  verrons  que  la  certitude 
de  la  date  n'est  point  exigée.  La  masse  n'est  point  un  ayant 
cause  k  titre  singulier,  et  elle  ne  peut  dès  lors  repousser  un 
acte  sous  seing  privé  qu'en  faisant  preuve  de  l'antidate.  On 
pourrait  cependant  objecter  l'article  1410  du  Code  civil,  aux 
termes  duquel  la  communauté  n'est  tenue  des  dettes  anté- 
rieures de  la  femme  qu'autant  qu'elles  résultent  d'un  acte 
ayant  date  certaine  avant  le  mariage.  Mais  il  faut  voir  dans 
cet  article  une  disposition  spéciale ,  tendant  k  prévenir  les 
fraudes,  et  non  un  principe  absolu  :  aussi  les  Cours  de 
Limoges  (28  novembre  1849)  et  de  Paris  (10  juillet  1866), 
ont-elles  admis  les  cessionnaires  d'une  femme  commune  k 


FOI  ▲  l'égard  des  tiers.  S79 

invoquer  des  preuves  autres  que  des  actes  ayant  date  cer- 
taine antérieurement  au  mariage. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  la  Cour  de  cassation  a 
refusé  d'appliquer  Tartiele  1410,  lorsque  c'est,  au  contraire, 
k  la  femme,  après  la  dissolution  de  la  communauté,  qu'on 
présente  des  billets  du  mari  n'ayant  point  date  certaine, 
fc  La  femme  »,  dit  la  Cour  (Rej.,  13  mars  1854),  «  ne  peut 
«  ôtre  considérée  conune  un  tiers  à  l'égard  des  actes  con- 
«  cernant  une  communauté  qu'elle  a  acceptée.  »  Nous 
lisons  également  dans  un  arrêt  de  Nancy  du  25  juillet  1868 
que  «  dûment  représentée  par  le  chef  de  la  communauté , 
«  la  femme  ne  peut  se  dire  un  tiers  et  invoquer  l'art*  1338.  » 

Lorsque  la  femme  veut  exercer  son  hypothèque  légale 
sur  les  biens  de  son  mari  à  la  date  d'un  engagement  qu'elle 
aurait  contracté  avec  lui  (C.  civ.,  art.  SI  35),  est-elle  tenue 
de  produire  un  acte  ayant  date  certaine?  Quand  elle  se 
présente  vifr*k^vis  des  créanciers  hypothécaires,  qui  sont 
de  véritables  tiers,  elle  doit  justifier  de  la  date  ;  la  dispense 
d'inscription  de  l'hypothèque  n'emporte  nullement  dis- 
pense d'établir  régulièrement  la  date  de  l'engagement. 
(Gass.,  5  février  1851.)  11  en  est  autrement  lorsqu'elle  se 
trouve  vis-k->vis  de  la  masse  chirographaire ,  notamment 
dans  une  faillite,  de  simples  créanciers  ne  pouvant  avoir, 
hors  le' cas  de  fraude,  plus  de  droits  que  le  débiteur  lui- 
même.  (Cass.,  15  mars  1859-,  Amiens,  S6  mars  1860.) 

698.  n  faut,  d'autre  part,  assimiler  aux  parties  la  régie 
de  l'enregistrement,  laquelle,  pour  la  réception  des  droits 
sur  les  actes ,  même  sous  seing  privé ,  doit  les  prendre  tels 
qu'ils  sont,  avec  la  date  qui  ressort  de  leur  contexte.  Autre- 
ment, on  ne  comprendrait  pas  comment  l'enregistrement, 
qui  est  précisément  le  moyen  le  plus  habituel  pour  donner 
date  certaine  k  un  acte  privé ,  serait  exigé  quelquefois  dans 
le$  trois  mois  de  sa  date,  (Loi  du  32  frimaire  an  VU,  art.  32.) 


280  FOI  A  l'égard  des  tiehs. 

Lorsque  le  législateur  a  cru  devoir  eiciger,  Tis-à-vis  de  la 
régie,  dans  des  hypothèses  particulières,  la  certitude  de  la 
date,  il  a  eu  soin  de  le  déclarer  formellement.  (Ibid.^ 
art.  62et70,§3,16*.) 

699.  Voyons  maintenant  quels  sont  les  tiers  k  l'égard 
desquels  est  requise  la  certitude  de  la  date.  Nous  savons 
déjà  que  le  mot  tiers  n'est  pas  toujours  employé  dans  la 
même  acception.  Lorsque  le  Gode  civil  dit  que  les  conven- 
tions ne  nuisent  point  aux  tiers  (art.  1165),  il  entend  parler 
des  tiers  penitus  extranei^  qu'aucun  lien  ne  rattache  aux 
parties  contractantes-,  lorsqu'il  dit  que  les  contre-lettres 
n'ont  point  d'effet  contre  les  tiers  (art.  1321),  il  a  en  vue, 
au  contraire,  les  ayants  cause  des  parties,  du  moins  à  titre 
particulier.  (N*  516.) 

n  nous  semble  d'abord  incontestable  qu'à  la  différence 
de  l'acte  notarié ,  l'acte  sous  seing  privé  n'a  point  de  date 
vis-à-vis  des  tiers  penitus  extrand.  Il  n'y  a  point  même  lieu 
d'y  voir  un  commencement  de  preuve  par  écrit,  en  s'atta- 
chant  à  un  arrêt  rendu  par  le  parlement  de  Paris,  le  29  dé- 
cembre 1716,  en  faveur  d'un  acquéreur  qui  invoquait  comme 
titre,  pour  la  prescription  de  dix  ou  vingt  ans,  un  acte  privé 
non  enregistré.  Aujourd'hui  (n"*  165),  le  commencement  de 
preuve  par  écrit  doit  émaner  de  celui  contre  qui  la  demande 
est  formée  (Cod.  civ.,  art.  1347)  :  or,  le  propriétaire  qui 
revendique  l'immeuble  à  l'égard  duquel  on  invoque  la 
prescription,  est  complètement  étranger  à  l'acte  sous 
seing  privé  portant  vente  de  cet  immeuble.  La  date  énoncée 
en  cet  acte  est  donc  pour  lui,  k  tous  égards,  res  inter  altos  acta. 

700.  Ne  faut-il  pas  aller  plus  loin ,  et  comprendre  ici , 
comme  en  matière  de  contre-lettres,  sous  la  dénomination 
de  tiers,  les  ayants  cause  k  titre  particulier  du  signataire  de 
l'acte?  Pouvait-on  notamment,  avant  la  mise  en  vigueur  de 
la  loi  du  23  mars  1855,  opposer  à  l'aclieteur  d'un  immeuble 


FOI   A   L^ÉGARD   DES  TIERS.  281 

(car  c'est  sur  cette  espèce  si  simple  que  se  sont  élevées  les 
plas  vives  controverses),  s'il  justifiait  de  son  droit  par  un 
acte  ayant  date  certaine,  un  écrit  non  enregistré,  d'où  il 
résultait  une  vente  antérieure  du  même  immeuble  au  profit 
d'une  autre  personne?  TouUier  (tom.  YIII,  n"^  244  et  suiv., 
et  dissert,  k  la  fin  du  tom.  X)  a  soutenu  avec  opiniâtreté 
raflBrmative,  en  se  fondant  sur  la  lettre  de  l'article  1322, 
qui  parle  des  héritiers  et  ayants  cause ,  sans  distinguer  s'il 
s'agit  d'ayants  cause  à' titre  particulier  ou  \k  titre  universel. 
Or,  l'acheteur  est  l'ayant  cause  de  son  vendeur  ;  donc  les 
actes  faits  par  le  vendeur  ont  date  certaine  à  l'égard  du 
vendeur. 

Les  auteurs  distingués  qui  ont  combattu  cet  étrange  para* 
doxe  se  sont  surtout  attachés  à  en  démontrer  les  fôcheuses 
conséquences,  à  faire  ressortir  la  contradiction  qu'il  offrirait 
avec  la  disposition  de  l'article  1328,  destinée  à  protéger  les 
tiers.  Par  tiers,  il  ne  faudrait  entendre,  suivant  Toullier, 
que  les  créanciers  saisissants,  lesquels,  tenant  leurs  droits 
non  du  débiteur,  mais  de  la  loi,  ne  sont  pas  ses  ayants  cause, 
et  ne  sauraient  dès  lors  être  écartés  par  un  acheteur  qui  ne 
représenterait  pas  un  acte  ayant  date  certaine  antérieure  à 
la  saisie.  Cet  exemple  est,  en  effet,  celui  que  donne  Pothier. 
(Oblig.,  n""  715.)  Mais  il  est  évident  que  les  créanciers  sai- 
sissants sont  des  ayants  cause,  tout  aussi  bien  que  les  ache- 
teurs i  car  le  droit  qu'ils  exercent  n'est  qu'un  reflet  de  celui 
de  leur  débiteur  ',  et  la  distinction  imaginée  par  Toullier  est 

'  Le  créancier  saisissant ,  à  la  différence  de  la  masse  des  créanciers  en 
cas  de  faillite  (n«  697),  devient  à  certains  égards  un  tiers,  puisquUl  acqoiert 
par  le  fait  même  de  la  saisie  un  droit  propre  et  personnel.  Aussi  l'ar- 
ticle 684  du  Code  de  procédure  autorise-t-il  le  saisissant ,  aussi  bien  que 
raâjudicataire,  au  cas  de  saisie  immobilière,  à  faire  annuler  les  baux  qui 
n'ont  pas  acquis  date  certaine  avant  le  commandement.  De  même,  la  vente 
consentie  par  le  débiteur  saisi  doit  avoir  une  date  certaine ,  antérieure  à 
la  transcription  de  la  saisie.  {IHd.,  art.  686.)  Il  ne  faudrait  cependant  pas 
assimiler  d'une  manière  absolue  le  créancier  saisissant  à  un  tiers ,  puisque 


282  FOI  ▲   L^ÉGARD  DES  TIERS. 

tout  ^  fait  arbitraire.  Toutefois  il  n'est  pas  exact  de  soutenir, 
comme  l'ont  fait  ceux  qui  ont  combattu  TouUier,  que  le 
texte  de  Tarlicle  1322  doit  nécessairement  se  restreindre 
aux  ayants  cause  k  titre  universel.  Cela. parait  bi«i  peu 
vraisemblable;  car  l'article  1322  s'exprime  exactement 
comme  l'article  1319,  qui,  en  parlant  des  actes  authen- 
tiques, mentionne  les  héritiers  et  ayants  cause,  et  il  n'a 
jamais  été  douteux,  dans  ce  dernier  cas,  que  la  convention 
ne  liât  même  les  successeurs  à  titre  particulier.  Il  faut  donc 
convenir  que  l'acheteur  est  l'ayant  cause  de  son  vendeur. 
Mais  cela  veut-il  dire  qu'il  soit  tenu  de  respecter  des  actes 
n'ayant  point  de  date  certaine?  Nullement;  car  toute  l'argu- 
mentation de  Toullier  repose  sur  une  pétition  de  principe. 
Le  successeur  particulier  n'est  pas  l'ayant  cause  de  son 
auteur  pour  toute  la  vie  de  cet  auteur,  comme  le  serait  un 
successeur  universel  ;  il  ne  l'est  que  pour  les  actes  antérieurs 
à  la  date  de  l'écrit  sur  lequel  repose  son  droit.  Que  celui  qui 
invoque  le  bénéfice  de  l'antériorité  de  date ,  prouve  qu'il  a 
traité  en  effet  le  premier  avec  le  vendeur,  et  il  l'emportera, 
son  adversaire  fût-il  pourvu  d'un  titre  authentique.  Autre- 
ment, il  faudrait  soutenir  que  Tacheteur  est  l'ayant  cause  de 
son  vendeur  pour  les  actes  par  lui  consentis  postérieurement 
k  la  vente ,  système  qui  se  réfute  assez  de  lui-même.  C'est 
ainsi  que  se  concilient  les  articles  1322  et  1328^  On 
comprend  bien,  au  surplus,  que  la  pratique  n'ait  jamais 


la  loi  du  23  mars  1855  n'autorise  point  ce  créancier  à  opposer  le  défaut  de 
transcription  du  contrat  de  l'acquéreur  (p.  84,  not.  2),  pourvu  que  la  date 
du  contrat  d'acquisition  soit  antérieure  à  celle  de  la  transcription  de  la 

saisie. 

*  On  a  BiQiiié  surabondamment  que  l'application  du  principe  posé  par 
l'arlide  U28  se  trouve  dans  l'article  1747,  qui  accorde  la  faculté  de  ne 
pouvoir  être  expulsé  au  preneur  dont  le  bail  a  date  certaine.  Or,  pourquoi 
la  certitude  de  la  date  vis-à-vis  des  tiers  serait»elle  exigée  à  l'égard  dn 
preneur,  plutôt  qu'à  l'égard  de  l'acheteur  ? 


poi  A  l'égard  des  tiers.  S83 

admis  la  doctrine  de  Touiller.  (Rej.,  20  février  i827; 
Cass.,28jailleti858.) 

Aujourd'hui ,  du  reste ,  la  controverse  a  beaucoup  perdu 
de  son  intérêt ,  puisqu'à  l'égard  des  droits  immobiliers ,  la 
loi  du  23  mars  i855  exigeant  la  transcription,  c'est  de  la 
date  de  la  transcription ,  et  non  plus  de  la  date  du  titre , 
qu'il  y  a  lieu  de  se  préoccuper,  dans  le  conflit  entre  deux 
acheteurs  d'un  même  immeuble.  La  question  ne  se  présente 
,  plus  que  pour  les  droits  non  soumis  k  la  transcription ,  tels 
que  le  droit  de  bail ,  du  moins  lorsque  la  durée  du  bail 
n'excède  pas  dix-huit  ans  (loi  du  23  mars  1855,  art.  2,  4"*), 
ou  bien  (Rej.,  22  février  1854)  le  payement  anticipé  de 
loyers  ou  de  fermages  antérieurement  à  la  transcription, 
quand  l'importance  de  ce  payement  n'équivaut  pas  à  trois 
années  de  revenu.  (Même  loi,  art.  2, 5*.) 

701.  Celui  qui  acheté  un  bien,  ou  qui,  en  général,  se 
feit  concéder  un  droit  réel ,  a  dû  immédiatement  prendre 
les  précautions  nécessaires  afin  de  consolider  son  acquisi- 
tion, puisque  la  nature  même  de  son  droit  le  mettait  en 
rapport  avec  les  tiers.  Mais  faut-il  être  aussi  rigoureux  k 
l'égard  de  celui  qui  devait  s'attendre  k  n'avoir  affaire  qu'k 
une  seule  personne,  vis-k-vis  de  laquelle  il  était  en  règle, 
et  qui  se  trouve  tout  k  coup  en  relation  avec  des  tiers? 
Nous  voulons  parler  d'un  débiteur  qui  se  serait  contenté , 
ainsi  que  cela  se  pratique  tous  les  jours ,  d'une  quittance 
non  enregistrée,  en  faisant  k  son  créancier  un  payement 
total  ou  partiel.  Lorsqu'il  opposera  cette  quittance  k  un  ces- 
sionnaire,  ou  k  un  créancier  de  son  créancier,  qui  viendra 
saisir  la  créance  entre  ses  mains,  ceux-ci  pourront-ils  lui 
répliquer  qu'ils  sont  des  tiers  k  l'égard  du  cédant  ou  du  dé- 
biteur saisi ,  et  que  dès  lors  il  n'est  permis  de  les  repousser 
qu'en  leur  représentant  une  quittance  ayant  date  certaine? 
De  nombreux  arrêts  ont  été  rendus  en  sens  divers  sur  cette 


284  FOI  A  l'égard  des  tiers. 

question ,  et  il  est  évident  que  les  circonstances  ont  dû 
beaucoup  influer  sur  la  solution'  qu'elle  a  reçue  dans  les 
différentes  espèces.  Mais,  en  prenant  la  substance  de  ces 
décisions,  on  peut  les  concilier  presque  toutes  au  moyeo 
de  la  distinction  suivante  :  ou  bien  les  quittances  ont  été 
immédiatement  opposées  par  le  débiteur,  et  alors,  si  riai 
n^indique  une  fraude  préméditée ,  on  doit  présumer  la  quit- 
tance antérieure  à  la  signification  -,  ou  bien ,  au  contraire ,  le 
débiteur  a  tardé  à  la  faire  valoir,  et  alors  l'antidate  devient 
vraisemblable ,  la  présomption  est  contre  la  sincérité  de  la 
date,  et  l'on  rentre  dans  le  droit  commun.  Cette  distinction, 
que  nous  ne  présentons  point  comme  un  principe  de  droit , 
mais  seulement  comme  une  considération  utile  dans  la  pra- 
tique, est  assez  en  harmonie  avec  l'article  1298  du  Ck>de 
civil ,  aux  termes  duquel  le  débiteur  qui  a  accepté  purement 
et  simplement  la  cession  que  le  créancier  a  faite  de  ses  droits 
à  un  tiers,  ne  peut  plus  opposer  au  cessionnaire  la  compen- 
sation qu'il  eût  pu ,  avant  l'acceptation ,  opposer  au  cédant. 
La  cession  frauduleuse  d'une  créance  ou  d'une  portion  de 
créance  déjk  éteinte,  est  un  événement  extraordinaire; 
contre  lequel  on  ne  peut  exiger  que  le  débiteur  se  mette 
en  garde  en  prenant  des  précautions  inusitées.  Il  suffit  que, 
dès  qu'il  se  trouve  en  rapport  avec  les  tiers,  il  leur  fasse 
connaître  sa  position.  (Yoy.  Rej.,  5  août  1839-,  Gass., 
23  août  1841.) 

702.  Un  point  sur  lequel  on  est  assez  d'accord  dans 
cette  matière  si  controversée ,  c'est  que  la  certitude  de  la 
date  n'est  pas  requise,  même  à  l'égard  des  tiers,  dans  les 
opérations  commerciales,  qui,  sous  le  double  rapport  de  la 
célérité  et  de  l'économie ,  ne  peuvent  être  soumises  à  la 
nécessité  de  l'enregistrement.  M.  Massé  fait  observer  avec 
raison  (Droit  commerciat,  tom.  IV,  n*  24'35)  que  les  com- 
merçants n'ont  point  l'habitude  de  rédiger  des  actes,  comme 


FOI  k  l'égard  des  tiers.  285 

on  le  fait  dans  les  affaires  civiles.  Les  modes  de  preuve  les 
plas  usuels  dans  les  relations  commerciales  sont  les  factures, 
les  correspondances ,  la  preuve  testimoniale  :  modes  qui  ne 
se  prêtent  point  à  la  formalité  de  Fenregistrement.  Scripturœ 
mercatanan^  dit  Casanova  (Disc.  10,  n*  51),  prœmmutaur 
confeetœ  tempore  non  tuspecto,  niri  arguantur  defaUo.  Ainsi, 
OB  admet,  nonobstant  la  règle  posée  par  l'article  1410  du 
Ode  (n*  697),  l'action  contre  la  communauté  des  créan- 
ciers d'une  femme  qui  faisait  le  commerce,  bien  que  leurs 
titres  n'aient  point  de  date  certaine  antérieure  au  mariage. 
(Angers,  2  avril  1851.)  Et  la  Ck)ur  de  cassation  reconnaît, 
en  général  (Rej.,  17  juillet  1837  et  14  décembre  1858), 
qu'en  matière  commerciale  il  est  permis  aux  juges  de  s'as- 
surer, même  à  Fégard  des  tiers ,  de  la  vérité  de  la  date  ap- 
posée k  un  acte  sous  seing  privé ,  à  l'aide  des  pièces,  faits  et 
circonstances  de  la  cause ,  et  de  présomptions  non  établies 
par  la  loi.  U  en  est  autrement  là  où  le  Code  de  commerce 
exige  un  acte  sous  seing  privé  en  bonne  forme ,  par  exemple 
(C.  de  comm.,  art.  39),  pour  la  formation  d'une  société  en 
nom  collectif  ou  en  commandite. 

En  matière  civile,  la  règle  n'admet  point  d'exception 
pour  les  actes  entre-vifs  ;  on  n'admet  plus,  comme  autrefois 
en  Normandie  et  en  Navarre  (Rej. ,  20  janvier  1837)  que  les 
contrats  de  mariage  signés  des  parties  et  de  leurs  parents 
aient  par  eux-mêmes  date  certaine  k  l'égard  des  tiers. 

702  bis.  Mais  il  faut  mettre  dans  une  classe  k  part  le  tes- 
tament olograpbe ,  qui ,  bien  que  sous  forme  d'écrit  privé ,  a 
date  certaine,  et  d'après  l'ancienne  doctrine  (Coût,  de  Paris, 
art.  S89),  et  d'après  la  jurisprudence  postérieure  au  Code. 
La  nécessité  de  l'enregistrement  aurait  enlevé  au  testament 
olograpbe  la  liberté  et  le  secret  qui  lui  sont  essentiels.  Dès 
lors  il  est  constant  que  celui  qui  se  prévaut  d'un  acte  de 
cette  nature,  établit  par  sa  date  même,  sans  qu'il  soit  besoin 


286  FOI  A  l'égard  des  tiers. 

d'autre  preuve,  que  le  testament  a  été  fait  à  une  époque 
de  capacité.  (Rej.,  8  juillet  1823  et  20  avril  1824;  Tou- 
louse, 9  décembre  4867.) 

Mais  comment  peut-on  prouver  l'erreur  ou  la  fausseté  de 
la  date?  Par  des  documents  empruntés  au  testament  loi- 
mènïe,exipiometteêtammto,  nonaliunde,  suivant DumouIiD* 
La  Cour  de  cassation  s'est  constamment  prononcée  en  ce 
sens.  (Voir  notamment  Rej.,  14  mai  1867  et  28  juin  1869.) 
Vouloir  établir  par  des  documents  extrinsèques  l'erreur 
du  testateur,  ce  serait  contrevenir  au  principe  qui  ne 
permet  qu'en  cas  de  fraude  ou  de  violence  de  prouver  contre 
le  contenu  aux  actes.  (N***  140  et  suiv.) 

Si  l'on  prétend  maintenant  que  le  testateur  a  donné  sciem^ 
ment  une  date  fausse  à  l'acte ,  sera-t-on  recevable  k  en  ad- 
mettre la  preuve  en  debors  des  termes  de  l'acte?  Et  dans 
tous  les  cas,  n'y  sera-t-on  recevable  qu'en  s'inscrivant  en 
faux  contre  le  testament? 

Suivant  Mi  Demolombe  {Dimations  et  teatamentu^  tom.  lY, 
n""  160  et  suiv.),  c'est  seulement  lorsque  le  testament  est 
attaqué  pour  insanité  d'esprit  ou  pour  captation  qu'on  peut 
chercber  en  dehors  de  l'acte  la  preuve  de  sa  date  réelle , 
parce  qu'alors  l'antidate  n'est  pas  l'objet  direct  du  procès , 
puisqu'elle  n'est  alléguée  que  comme  un  des  éléments  de  la 
fraude.  La  Cour  de  cassation  semble  admettre,  au  contraire 
(Rej.,  11  août  1851),  qu'on  peut  prouver  dans  tous  les  casr 
en  dehors*  même  du  testament,  que  le  testateur  lui  a  donné 
une  fausse  date,  ce  qui  équivaut  k  l'absence  de  date. 

Toutes  les  fois  que  l'on  est  recevable  à  établir  la  faus- 
seté de  la  date ,  nous  pensons  que  la  preuve  est  recevable 
de  piano;  sans  qu'il  soit  besoin  de  s'inscrire  en  faux  contre  le 
testament.  Il  nous  est  impossible  d'admettre,  malgré  la 
qualification  de  solennel  donnée  au  testament  olographe  par 
l'article  289  de  la  Coutume  de  Paris  (  voy.  n^  568) ,  la  doc- 


FOI  A  l'égard  des  tiers.  287 

trine  de  Merlin  {Rêpen.,  y*  Testament,  sect.  2,  g 4,  art.  7), 
reproduite  par  un  arrêt  de  la  Cour  de  cassation  (Rej., 
S9  août  1824')  qui  considère  le  testateur  comme  a  placé 
«  momentanément  dans  la  classe  des  fonctionnaires  publics , 
«  pour  imprimer  Tauthenticité  k  la  date  de  l'acte.  » 

Et  d'abord ,  il  serait  difficile  de  comprendre  l'obligation 
de  s'inscrire  en  Taux  pour  celui  qui  demande  à  faire  la 
preuve  d'une  fraude ,  soit  que  le  testateur  ait  touIu  éluder 
une  incapacité ,  soit  qu'il  ait  cherché  h  dissimuler  des  faits 
de  captation  au  moyen  de  l'antidate.  Comme  nous  le  disions, 
c'est  alors  contre  le  testateur  bien  plus  que  contre  l'acte 
qu'est  dirigée  l'action.  Ne  peut-on  pas  prouver  par  témoins 
ou  par  présomptions  contre  le  contenu  d'un  acte,  même  au- 
thentique (Rej.,  4 février  1836  et  12  mars  1839),  lorsqu'on 
articule  la  fraude?  La  Cour  de  cassation  a  fini  par  le  recon- 
naître. (Rej.,  22  février  1853^  voy.  aussi  Toulouse,  9  dé- 
cembre 1867,  contrairement  à  un  arrêt  du  11  juin  1830.) 

Il  ne  reste  donc  plus  que  l'hypothèse ,  bien  rare  en  pra- 
tique, où  l'on  allègue  que  le  testateur  a  donné  sciemment 
une  date  fausse  au  testament,  sans  que  l'antidate  ait  eu 
pour  but  de  déguiser  la  fraude  ou  l'incapacité  de  tester. 
C'est  là,  a-t-ondit  (Toulouse,  11  juin  1830),  un  faux,  bien 
que  non  atteint  par  la  loi  pénale  ^  mais  ce  faux ,  purement 
civil ,  est  imaginaire.  Lorsque  la  loi  commerciale  a  voulu 
assimiler  au  faux  l'antidate  dans  les  actes  (Cod.  de  comm., 
art.  139) ,  elle  a  eu  soin  de  prononcer  contre  cette  antidate 
la  peine  du  faux.  C'est  un  principe  élémentaire  que  la  simple 
simulation  n'est  point  un  faux.  (Poitiers,  13  février  1865.) 
Cette  simulation ,  dans  le  testament  olographe  comme  ail- 
leurs, sera  dès  lors  susceptible  d'être  établie  pour  tous  les 

*  Cette  déclaratioii  de  principes  était  inutile  dans  Tespèce  ;  l'inscription 
de  faux  était  nécessairement  admissible ,  le  testament  étant  impugné  pour 
fàux  matériel. 


288    '  FOI  A  l'égard  des  tiebs. 

genres  de  preuve.  Telle  est  aussi  la  coqcIusîod  de  M.  De- 
molombe.  {Ibid,,  n*  162, ) 

703.  Quant'  à  la  manière  de  donner  date  certaine  aux 
actes,  le  procédé  nbimal,  le  seul  employé  habituellement, 
c'est  l'enregistrement.  L'application  de  cette  formalité  aux 
actes  sous  seing  privé  n'est  pas  ancienne  dans  notre  droit. 
Le  contrôle,  qui  correspond  k  l'enregistrement  actuel,  ne 
fut  appliqué  à  ces  actes  que  par  un  édit  du  mois  d'oc^ 
tobre  17.05.  Entre  les  parties,  l'enregistrement  n'est  exigé 
qu'autant  qu'on  veut  faire  usage  en  justice  des  écrits  privés 
(loi  du  22  frimaire  an  XII,  art.  23),  sauf  les  actes  portant 
transmission  de  propriété  ou  d'usufruit  des  biens  immeu- 
bles, les  baux  à  ferme  ou  k  loyer,  sous-baux,  cessions, 
subrogations  de  baux  et  enregistrements  de  biens  de  même 
nature,  qui  doivent  être  enregistrés  dans  les  trois  mois  de 
leur  date,  (iWrf.,  art.  22.) 

Pour  les  actes  «ous  seing  privé  auxquels  s'applique  la 
règle  générale ,  qui  rend  le  droit  exigible  lorsque  l'acte  est 
produit  en  justice,  cette  nécessité  de  payer  des  droits  pro* 
portionnels,  souvent  considérables,  k  raison  de  la  seule 
mention  de  Tacte,  a  donné  lieu  k  une  pratique  tendant  k 
éluder  la  rigueur  de  la  loi  fiscale.  Cette  pratique  s'est  sur- 
tout propagée  en  matière  commerciale.  Suivant  une  note 
du  tribunal  de  commerce  de  la  Seine,  citée  dans  l'exposé 
des  motifs  de  la  loi  du  11  juin  1859  (fixant  le  budget  de 
1860),  f(  la  plus  grande  partie  des  demandes  formées  de- 
«  vaut  les  tribunaux  consulaires  s'appuie  sur  renonciation 
K  que  la  convention  est  verbale ,  lors  même  qu'un  écrit 
«  existe  entre  les  parties.  Le  juge  consulaire  lui-même  ne 
((  peut  exiger  la  production  d'un  acte  qui  rendrait  sa  tache 
i(  plus  facile,  mais  ruinerait  le  plaideur.  » 

L'article  22  de  la  loi  du  11  juin  1859  a  fait  cesser  ce 
«xave  inconvénient,  en  substituant,  non  pour  tous  les  actes 


i 


FOI  A  l'égard  DBS  TIERS.  289 

de  commerce ,  car  il  n'a  point  été  ifinoyé  en  ce  qni  touche 
les  engagements  unilatéraux,  tels  que  les  billets,  mais  pour 
les  actes  synallagmatiques,  le  payement  d'un  droit  fixe  k . 
celui  du  droit  proportionnel,  tant  qu'if  ll'y  a  point  eu  con- 
damnation ,  liquidation ,  collocation  ou  reconnaissance  »  soit 
pax  jugement,  soit  par  acte  public  : 

«  Les  marchés  et  traités  réputés  actes  de  commerce  par 
«  les  articles  633,  633  et  634,  n*  i",  du  Code  de  com- 
<c  merce,  faits  ou  passés  sous  signatures  privées  et  donnant 
«  lieu  au  droit  proportionnel ,  suivant  l'article  69,  §  3,  n*  1 , 
«  et  §  5,  nM,  de  la  loi  du  22  frimaire  an  VU,  seront 
«  enregistrés  provisoirement  moyennant  un  droit  fixe  de 
«  deux  francs  et  les  autres  droits  fixes  auxquels  leurs  dis- 
«  positions  peuvent  donner  ourerture  d'après  les  lois  en  vi- 
«  gueur.  Les  droits  proportionnels  édictés  par  ledit  article 
«  seront  perçus  lorsqu'un  jugement  portant  condamnation , 
«  liquidation,  collocation  ou  reconnaissance,  interviendra 
«  sur  ces  marchés  et  traités,  ou  qu'un  acte  public  sera  fait 
«  ou  rédigé  en  conséquence ,  mais  seulement  sur  la  partie 
«  du  prix  ou  des  sommes  faisant  l'objet  soit  de  la  condamna- 
«  6on,  collocation  ou  reconnaissance,  soit  des  dispositions 
«  de  l'acte  public.  » 

704.  Outre  l'enregistrement,  l'article  1328  mentionne 
deux  circonstances  qui  assurent  la  date  des  actes  :  la  pre-- 
mière  est  la  mort  de  celui,  ou  de  l'un  de  ceux  qui  les  ont 
souscrits  '  *,  peu  importe  que  ce  soit  l'une  des  parties  ou  un 
témoin.  (Rej.,  28  juillet  1858.)  La  seconde  est  la  consta- 
tation de  la  substance  de  l'écrit  dans  un  acte  dressé  par  un 
officier  public.  Ce  sera  le  plus  souvent ,  comme  le  suppose 


*  n  ne  suffit  pas  que  Pacte  ait  acquis  date  certaine  le  jour  même  de 
l'aliénation  «  notamment  par  le  décès  dn  Tendeur,  surrenu  le  jour  de  la 
Tente  ;  il  faut  que  rantériorité  soit  établie ,  le  porteur  de  Facte  étant 
demandeur.  (Douai,  IS  féTrier  1865.) 

II.  i» 


( 


290L  FOI  A  l'AGàRD  DBS  TIERS. 

le  texte,  dans  un  procès^yerbal  de  teellés  oa  d'inventaire 
qae  récrit  privé  se  trouvera  ainsi  relaté  ;  oa  bien  dans  un 
procès-verbal  -de  saisie ,  comme  Ta  jugé  la  Cour  de  cassa- 
tion, le  22  novembre  1864.  Néanmoins,  on  a  admis  favo- 
rablement (Riom,  34  janvier  1842)  que  cette  mention  peot 
être  utilement  fafte ,  non-seulement  dans  un  acte  authen- 
tique, mais  dans  une  décision  ministérielle  faisant  remise 
aux  parties  du  double  droit  dû  pour  défaut  d'enregistrement 
dans  les  délais.  Il  en  serait  autrement  ( Rouen,  24  mars 
1832)* d'une  requête  d'avoué,  dont  les  énonciations  n'ont 
nullement  le  caractère  de  Tauthenticité. 

Ces  circonstances  sont-elles  les  seules?  TouUier  (tom.  VIO, 
n*  242)  suppose  que  le  signataire  a  perdu  les  deux  bras ,  et 
il  décide  qu'à  partir  de  ce  moment  les  actes  qu'il  avait  sou* 
scrits  auront  date  certaine.  Mais  on  sait  qu'il  n'est  pas  im- 
possible d'écrire  avec  le  pied  *,  il  y  a  même  un  artiste  con- 
temporain chez  qui  cet  organe  avait  acquis  assez  de  souplesse 
pour  manier  le  pinceau ,  et  qui  a  exécuté  des  ouvrages  assez 
remarquables.  Bien  plus,  (duH  certain,  dans  l'espèce,  qu'il 
y  a  pour  le  signataire  de  l'acte  impossibilité  matérielle 
d'écrire,  il  serait  toujours  très-dangereux  d'ajouter,  k  rai- 
son de  positions  exceptionnelles,  de  nouvelles  circonstances 
à  celles  que  mentionne  l'article  1328.  On  en  viendrait  à 
décider,  comme  l'avait  fait  la  Cour  de  Grenoble ,  par  un 
arrêt  qui  a  été  cassé  le  27  mai  1823,  que  la  connaissance 
qu'aurait  eue  l'acheteur  postérieur  de  l'acte  sous  seing 
privé  qu'on  lui  oppose  suffit  pour  donner  k  cet  acte  date 
certaine  à  son  égard.  Alors  la  certitude  de  la  date  ne  serait 
plus,  comme  dans  l'ancien  droit  (Rej»,  10  avril  1838), 
qu'une  affaire  d'appréciation ,  contrairement  à  ce  que  dé- 
cide le  Code  pour  la  publicité  h  propos  de  la  transcription. 
(G.  civ.,  art.  1071»)  Et  cependant  l'utilité  pratique  de  l'en- 
registrement consiste  précisément  en  ce  qu'il  donne  une 


FOI  A   l'égard  BBS  TIERS.  291 

base  fiie  wx  droits  des  parties.  L'application  de  cette  règle 
peut  être  rigoureuse ,  la  certitude  de  la  date  pourrait  résul- 
ter, en  fait)  de  livres  régulièrement  tenus  (Aix,  27  avril 
i865)}  mais,  à  peine  de  tomber  dans  l'arbitraire,  il  faut 
s*en  tenir  k  la  lettre  de  l'article  1328.  L'intention  du  légis- 
lateur a  été  évidemment  restrictive;  car  le  cas  de  mort  d'un 
des  signataires  de  l'acte  était  le  seul  prévu  dans  le  projet , 
et  ce  n'est  qu'après  discussion  (séance  du  2  frimaire  an  XII) 
qu'on  a  ajouté  le  second  cas,  celui  de  la  constatation  des 
écrits  privés  dans  les  actes  publics  :  addition  qui  n'aurait  eu 
aucun  sens,  si  l'article  n'avait  été  qu'énonciatif. 

705.  Ajoutons  cependant  que  l'absence  de  date  certaine 
ne  constitue  point  vis-k-vis  des  tiers  un  moyen  d'ordre  pu- 
blic auquel  il  leur  soit  permis  de  renoncer.  Dès  lors,  s'il  y 
avait  eu  de  leur  part  aveu  judiciaire  de  la  sincérité  de  l'acte, 
ou  même  s'ils  l'avaient  exécuté  d'une  manière  patente, 
comme  au  cas  où  un  locataire  principal  viendrait  contester 
l'existence  d'un  sous*bail  n'ayant  point  date  certaine,  après 
avoir  perçu  lui-même  les  loyers  (Rej.,  19  mai  1857),  il  ne 
serait  plus  permis  d'invoquer  l'article  1328.  Mais  il  faut  que 
les  faits  d'exécution  soient  personnels  a  celui  qui  les  in- 
voque. Aussi  la  Cour  de  cassation  a-t-elle  cassé,  le  28  juil- 
let 1858,  un  arrêt  de  la  Ck)ur  d'Alger  qui  avait  considéré 
comme  équivalant  k  la  certitude  de  la  date,  vis-k-vis  de  l'ac- 
quéreur, le  fait  d'exécution ,  avant  l'aliénation,  de  travaux 
destinés  k  l'établissement  d'une  servitude,  lorsque  la  con- 
stitution de  cette  servitude  n'était  constatée  que  par  un  écrit 
non  enregistré  '.  Notons  d'ailleurs,  en  ce  qui  touche  l'Algé- 

*  De  même,  Pacquéreiir  ne  pouvait,  ayant  la  loi  dn  23  mars  1855, 
sappléer  à  Tabsenee  de  certitude  de  la  date  de  Bon  titre,  en  alléguant  une 
poBfleseioii  de  Pimmeuble  remontant  à  la  date  apparente  de  Tacquisition 
(Ntmes,  27  mai  1840);  et  sous  Tempirede  la  législation  de  1855,  la  pos- 
session ne  pourrait  davantage  suppléer  au  défout  de  transcription.  Cest  éga- 
lement sur  une  espèce  antérieure  au  système  nouveau  sur  la  transcription 
que  statue  Farrèt  du  28  juillet  1858. 


^ 


292  FOI  ▲   l'ÉGâBB  des  TIBII8. 

rie,  que  si  la  loi  musulmane  n'exige  point,  comme  la  ndtrei^ 
la  certitude  de  la  date  vis-à-yis  des  tiers,  on  ne  saurait  dn 
moins  permettre  à  un  musulman  d'opposer  à  un  non-musul- 
man un  acte  n'ayant  point  date  certaine.  (Rej.,  27  octobre 
i86(>.)  Celte  situation  présente  une  certaine  analogie  avec 
celle  du  commerçant  qui  voudrait  invoquer  vis-U-vts  d'on 
non-commerçant  les  règles  sur  la  preuve  en  droit  commer* 
cial.  (NH74.) 

706.  Terminons  par  l'examen  d'une  question  fort 
usuelle.  Les  principes  ordinaires  sur  la  certitude  de  la  date 
sont-ils  applicables  à  l'expropriation  pour  utilité  publique, 
lorsque  l'État,  ou  la  Compagnie  substituée  à  ses  droits,  se 
trouve  avoir  affaire  a  un  locataire  dont  le  bail  n'a  point  date 
certaine? 

Au  premier  coup  d'œil ,  on  est  tenté  de  décider  l'affirma- 
tive ,  et  de  considérer  l'expropriant  comme  un  acquéreur  k 
titre  particulier,  vis-à-vis  duquel  on  ne  saurait  se  prévaloir 
d'un  titre  qui  peut  être  antidaté.  C'est  ce  qu'avaient  en  effet 
jugé  plusieurs  arrêts,  et  notamment  un  arrêt  de  cassatiou 
du  2  février  i847. 

Mais,  en  y  réfléchissant,  on  reconnaît  qu'il  n'est  pas  pos- 
sible d'assimiler  ici  aux  aliénations  ordinaires  l'expropriation 
pour  utilité  publique.  Lorsque  le  propriétaire  consent  une 
vente  volontaire,  il  est  passible  d'un  recours  en  indemnité 
vis-à-vis  du  locataire  expulsé,  auquel  il  a  consenti  un  bail 
non  enregistré.  Mais  il  ne  saurait  être  passible  d'aucun  re- 
cours, lorsqu'il  est  soumis  à  l'expropriation,  qui  est  un  cas 
de  force  majeure.  C'est  pour  cela  que  l'article  31  de  la  loi 
du  3  mai  1841  veut  que  le  propriétaire,  dans  la  huitaine  de 
la  notification  du  jugement  d'expropriation,  appelle  et  fasse 
connaître  à  l'administration  ses  fermiers  ou  locataires,  et 
qu'à  défaut  de  le  faire  il  reste  seul  chargé  envers  eux  des 
indemnités.  D'où  la  conséquence  que,  s'il  a  fait  cette  déda- 


\ 


VÉRIFICATION  DES  ÉGB1TURE8.  393 


',  il  demeure  déchargé,  et  rexproprianf  se  trouve 
4Wlp6|Roé  à  ses  obligations.  Quant  au  danger  de  la  fraude,  il 
y  est  jpourvu  par  la  latitude  accordée  au  jury  d'eipropria- 
tion  p^ur  la  fiiation  des  indemnités.  Qefe  raisons ,  admises 
par  des'auteurs  graves,  ont  Uni  par  prévaloir  dans  la  juris- 
prudei|ce,  et  la  même  chambre  civile  qui  avait  cassé, 
eîi/1847,  un  arrêt  conforme  à^cette  doctrine,  a,  au  con- 
tiaife,  le  17  avril  186f ,  rejeté  le  pourvoi  contre  un  arrêt 
d€(|la  Cour  dé  (iSl«iioble,'da  9  novembre  1858,  qui  avait 
tAnbné  droit  à  l'indemnité  en  vertu  d'un  bail  n'aj^t  point 
date  certaine ,  |iiais»reconnu  sbacère. 


«'V'- 


*  ;  DEDXIÈMB  DIVISION. 

viRIFICATION  DS8  iCBITUBlS. 

SOMVAIBI.  —  T07.  BUBrence  eatre  li  foi  de  rëerit  pilTë  et  celle  de  l'acte  aathenaqne 
^-—  708,  Qittà  relitiTement  au  porteur  d'an  testament  olognphe,  envoyé  en  possession 
»t  ?  —  709.  YërifieatioD  principale  on  Incidente.  •«  710.  Trois  pliases  de 


^''foi".  La  'présomption  exorbitante  qui  fait  repu  ter  au- 
thentique, jusqu'à  inscription  de  faux,  l'écrit  revêtu  des 
app^rebces- de  l'authenticité,  n'a  jamais  existé  en  ce  qui 
eoncerneies  écrits  privés,  dont  la  falsification  est  k  la  fois 
plus  facife  et  moins  sévèrement  punie  '.  Tandis  que  celui  k 
qui  on  oppose  un  acte  authentique  apparent  est  obligé  de 
s'inscrire  en  faux  pour  en  détruire  Tautorité ,  celui  auquel 
on  oppose  uo  écrit  privé  revêtu  de  sa  signature  apparente 
peut  se  contenter  de  le  méconnaître,  et  c'est  alors  au  por- 
teur de  récrit  qu'incombe  le  fardeau  de  la  preuve.  «  Quant 
'«aucuns  »,  dit  Beaumanoir  (ch.  xxxv,  §  3),  «  est  ajorné  à 

■  Cette  règle  n'est  pas  nniTerseUement  admise.  Dans  la  Virgiiiie  (St. 
ràr.  de  1849,  cb.  xctiii,  $  75)  et  dans  plusieurs  autres  États  américains, 
toat.  écrit  portant  la  signature  apparente  d'une  personne  viTante  est  réputé 
sincère ,  tant  que  cette  personne,  n'en  atteste  pas  la  fausseté  par  serment.' 


294  VÉRIFICATION   DES  ÉGR1TUB88 

a  se  lettre ,  et  il  nie  pardevaot  juge  qa'il  ne  bailla  oncqaes 
«  celé  lettre ,  et  que  ce  n'est  pas  son  seaus ,  il  convient  que 
«  li  demanderes  le  proeve.  »  Certum  ut,  dit  Boiceau  (part,  n, 
chap.  I ,  n*  2) ,  et  communi  GalUœ  usu  receptum,  niUlam  priva- 
tam  scripturam  nullumque  ehirographutn  fidem  habere,  nid  priui 
agnoêeatur. 

708.  Mais  en  sera-t-il  de  même  lorsque  le  porteur  de 
l'acte  sous  seing  privé  sera  défendeur?  Ainsi ,  sera-ce  au  lé- 
gataire universel  \k  prouver  la  sincérité  d'un  testament  olo- 
graphe, bien  qu'k  défaut  d'héritiers  a  réserve  il  ait  obtenu 
l'envoi  en  possession  en  vertu  de  ce  testament'?  (C.  civ., 
art.  i008.  )  Observons  qu'en  toute  autre  hypothèse,  les  hé- 
ritiers du  sang  seraient  saisis,  et  le  légataire  demandeur 
incontestablement  obligé  de  faire  vérifier  l'écriturei  Ceux 
qui  soutiennent  l'affirmative,  fout  remarquer  que  l'ordon- 
nance du  président  n'est  pas  rendue  contradictoirement , 
et  qu'elle  ne  constitue  qu'un  acte  de  juridiction  gracieuse, 
qui  ne  peut  être  refusé  au  requérant,  à  moins  que  l'écrit  ne 
porte  des  marques  évidentes  de  fausseté  ;  la  présomption 
de  vérité  ou  de  fausseté  du  testament  ne  saurait  être  le  prix 
de  la  course.  Dans  le  sens  de  la  négative,  consacrée  par  la 
jurisprudence  constante  de  la  Cour  de  cassation  (voy.  Cass*, 
21  juillet  1852,  23aoûtl853, 25 juin  1857 et5aoùt  1872), 
on  répond  que  la  possession  ne  doit  pas  nécessairement  pro- 
venir d'un  jugement  proprement  dit  pour  établir  en  faveur 
de  celui  qui  l'invoque  une  présomption  de  droit;  qu'il  suffit 
qu'elle  soit  régulière,  ce  qui  est  incontestable  dans  l'es- 
pèce ,  pour  que  le  fardeau  de  la  preuve  incombe  au  noQ- 

*  Il  est  yrai  qne  la  saisine  du  légataire  uniTersel ,  dans  Tespèce ,  procède 
de  la  loi,  et  non  de  Penyoi  en  possession,  qui  n*est  qu^une  affaire  d*exéca- 
tion.  Mais  lorsqu*U  agit  Tis^-yis  des  héritiers  du  sang,  sans  s'être  fait 
envoyer  en  possession,  il  ne  peut,  pour  se  dispenser  de  la  preuve,  invoquer 
la  saisine.  Cette  prétention  serait  une  véritable  pétition  de  principe, 
puisqu'il  s'agit  d'établir  la  qualité  qui  peut  seule  lui  attribuer  cette  saisine. 


'4 


VÉRIFICATIOM  DBS  tCRITORIg.  898 

possesseur.  Si  les  héritiers  se  plaignent  d'avoir  été  prévenus 
par  l'envoi  en  possession ,  n'ont-ils  pas  aussi  quelque  négli- 
gence 2i  se  reprocher,  sauf  le  cas  exceptionnel  où  aucun 
d'eux  ne  se  trouverait  sur  les  lieux?  L'envoi  en  possession 
D'est  pas  une  affiiire  de  pure  forme  ' ,  et  le  président  doit 
s'y  refuser,  si  la  sincérité  de  l'écriture  lui  parait  douteuse. 
(Rej.,  S7  mai  1886.)  Enfin,  si  c'est  toujours  au  légataire  à 
faire  vérifier  récriture,  où  s'arrêter  dans  cette  voie?  On 
pourra  donc,  pendant  trente  ans,  et  même  après  trente  ans, 
si  quelqu'un  des  intéressés  était  mineur  ou  interdit,  obliger 
ce  légataire  k  prouver  la  vérité  de  l'écrit,  lorsque  toutes  les 
preuves  auront  péri,  et  qu'une  longue  possession  aura  dû 
lui  assurer  une  parfaite  sécurité?  Cette  dernière  considéra*- 
tion  nous  parait  décisive.  Ajoutons  toutefois,  avec  la  Cour 
de  cassation  (Rej.,  6  mai  18Bd)v  Q^^)  s'il  y  a  des  indices 
de  fraude,  le  fardeau  de  la  preuve,  même  après  l'envoi  en 
possession,  peut  être  imposé  au  légataire. 

709.  La  vérification  d'écritures  se  conçoit  comme  d^ 
mande  principale,  ou  comme  demande  incidente.  Le  C!ode 
de  procédure,  qui,  relativement  à  l'enquête  et  k  l'inscrip- 
tion de  faux,  parait  supposer  (art.  315  et  3B2)  que  ces 
procédures  ne  se  présenteront  jamais  que  d'une  manière 
incidente ,  ne  considère ,  au  contraire ,  la  vérification  d'écri- 
tures que  comme  étant  l'objet  d'une  demande  principale. 
{Ibid.,  art.  193.)  C'est  qu'en  effet  l'édit  de  1684,  qui  était 
jadis  la  loi  de  la  matière,  avait  voulu  qu'on  ne  pût  obtenir 
en  justice  l'exécution  des  conventions  constatées  par  actes 
privés,  sans  avoir  au  préalable  assigné  son  adversaire  en 
reconnaissance  d'écriture.  Seulement,  une  déclaration  de 


>  lâ  prittqve  tend  à  admettre  (Nmcy,  S  février  1870;  MootpelUer, 
S  décembre  1S70)  que  Tordonnance  du  président,  qui  accorde  on  refuse 
Penyoi  en  possession,  est  une  décision  contentieuse,  et  dès  lors  susceptible 
é^Hipel. 


296  VÉRIFICATION  DES  ÉGRITCRB8. 

1703  avait  autorisé,  en  matière  d'effets  de  commerce,  «  à 
«  obtenir  condamnation  sur  de  simples  assignations  dans  la 
«  manière  ordinaire ,  sans  qu'an  préalable  il  fût  besoin  de 
K  procéder  en  reconnaissance,  sinon  au  cas  que  le  défendeur 
«  déniât  la  vérité  des  actes.  »  Il  n'est  pas  douteux  aujour- 
d'hui que  cette  faculté  ne  doive  être  accordée  en  toute  ma- 
tière, la  restriction  de  l'édit  de  1684  n'ayant  pas  été  repro- 
duite par  le  Code  de  procédure.  La  jurisprudence  (Gass., 
7  janvier  i814;  Rej.,  27  août  1835)  consacre  k  cet  égard  le 
système  raisonnable,  trop  souvent  méconnu  par  les  prati- 
ciens, suivant  lequel  on  ne  doit  pas  considérer  comme 
limitatives  les  dispositions  des  lois  de  procédure,  lorsqu'elles 
prévoient  certains  cas  plus  fréquents  dans  la  pratique»  sans 
exclure  formellement  les  autres. 

710.  La  procédure  en  vérification  d'écritures  est  moins 
compliquée  que  celle  de  faux.  Elle  comprend  trois  phases  ; 
i*  une  procédure  préalable  tendant  k  obtenir  la  reconnais- 
sance de  récriture,  procédure  qui  n'est  nécessaire  que 
lorsqu'on  conclut  spécialement  k  la  vérification  de  récrit; 
2*  rinstruction ,  qui  a  pour  objet  de  vérifier  l'écriture ,  si 
elle  est  déniée-,  3*  le  jugement  définitif.  Nous  dirons  quel- 
ques mots,  en  terminant,  sur  l'application  de  l'inscription 
de  faux  aux  actes  s6us  seing  privé. 


S  I.  progAburb  tbii»aht  a  OBfmnm  RBOoiniAmAiiGB 

DE   L'éCRIT. 

SoimaIre.  —  714.  Mise  eo  demenre  de  ridTemlre.  —  742.  Nécessité  d'iTea  m  de 
déssTea  fonnel.  —  743.  Position  des  héritiers  on  ayants  eanse.  —  744.  Cas  où  le 
défendear  fait  défiint.  —  749.  Jugement  qoi  ordonne  la  Térificaiion.  —  74B  to.  Portée 
de  la  reconnaissance. 

711.  Ici  comme  dans  la  procédure  de  faux,  on  a  pensé  qu'il 
fallait,  avant  de  procéder  k  des  investigations  difficiles  et 
compliquées  sur  la  sincérité  de  l'écrit,  mettre  le  défendeur 
en  demeure  de  le  dénier  ou  de  le  reconnaître.  Et  on  a  voulu 


VÉRIFICATIOM  DES  ÉCRITURES.  297 

simplifier  cette  procédare  préalable  dès  Tédit  de  1684,  qui 
a  autorisé  le  demandeur  en  vérification  à  assigner  son  ad- 
versaire à  un  délai  de  trois  jours  seulement.  Cette  abrévia- 
tion, reproduite  par  nos  lois  (G.  de  proc.,  art.  193),  a  de 
plus  aujourd'hui  l'avantage  d'emporter  dispense  du  prélimi- 
naire de  conciliation  {Ibid.,  art.  49,  2»),  ordinairement 
exigé  par  le  droit  moderne.  Si  la  demande  est  formée  inci- 
demment, on  la  notifie,  non  plus  par  assignation,  mais  par 
acte  d'avoué  à  avoué,  en  observant  le  même  délai.  Mais, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit  (n*  709),  il  faut  supposer  que  le 
porteur  de  l'écrit  conclmt  spécialement  k  la  vérification,  soit 
que  la  dette  ne  soit  pas  encore  échue  (  loi  du  3  septembre 
i807,  art.  1*),  soit,  en  tout  cas,  que  cette  marche  lui 
semble  plus  utile.  Celui  qui  produit  purement  et  simple*- 
ment,  k  l'appui  d'une  demande  principale,  un  acte  sous 
seing  privé,  n'est  pas  obligé  de  conclure  a  la  reconnaissance 
de  cet  acte,  tant  qu'il  n'y  a  pas  de  contestation  sur  ce  point 
de  la  part  de  l'adversaire. 

712.  «  Celui  auquel  on  oppose  un  acte  sons  seing 
«  privé  »,  dit  l'article  1323  du  Code  civil,  a  est  obligé 
«  d'avouer  ou  de  désavouer  formellement  son  écriture  ou 
«  sa  signature.  »  En  Angleterre,  il  lui  est  permis  de  garder 
le  silence,  sans  se  compromettre.  (Blaxland,  Cod.  rer. 
AngL,  p.  493.)  Notre  pratique  est  préférable^  tel  plaideur 
qui  ne  se  ferait  pas  scrupule  de  garder  le  silence ,  pourra 
reculer  devant  un  mensonge  formel.  C'est  pour  mieux  at- 
teindre ce  but  que  la  loi  de  procédure  de  Genève  (art.  232) 
prescrit,  en  pareille  hypothèse,  la  comparution  personnelle 
des  parties.  Elle  n'est  point  indispensable  dans  le  droit 
actuel  (Dijon,  3  avril*! 868);  mais  rien  n'empêche  nos  tri- 
bunaux d'ordonner  celte  mesure,  lorsqu'ils  la  jugent  utile  k 
kl  manifestation  de  la  vérité.  Elle  est  prescrite  formellement 
parle  projet  de  révision.  (Art.  181.)  Le  texte  parle  du  dé- 


S98  VÉBIFICATIOM  DES  ÉGRITQRBS. 

savea  de  l'écriture  ou  ifa  te  iignaturô»  la  «goature  seule  étant 
exigée  pour  la  validité  d'un  acte  sous  seing  privé ,  de  même 
qu'autrefois  c'était  sur  le  iceau,  comme  nous  l'apprend 
Beaumanoir  (voy.  n*  707),  que  portait  le  désaveu.  Il  est 
évident  toutefois  que,  s'il  s'agit  d'un  billet  constatant  ren- 
gagement unilatéral  de  payer  une  certaine  quantité  (  ibid., 
art.  i3â6),  on  doit  provoquer  la  reconnaissance,  non-seo* 
lement  de  la  signature ,  mais  encore  du  6on  ou  apfmnwè 
exigé  par  la  loi. 

713.  Néanmoins,  on  ne  peut  imposer  cette  .obligation 
qu'à  celui  qui  est  poursuivi  comm^  personnellement  signa- 
taire de  l'acte*.  «  Ses  héritiers  ou  ayants  cause  »,  ajoute 
l'article  i323,  «  peuvent  se  contenter  de  déclarer  qu'ils  ne 
((  connaissent  point  Récriture  ou  la  signature  de  leur  auteur.  » 
Ici  le  mot  ayant  caus$  comprend  évidemment,  et  les  succès 
seurs  à  titre  universel ,  et  les  successeurs  k  titre  particulier  : 
un  aciieteur,  par  exemple,  qu'on  voudrait  évincer  de  l'im* 
meuble  acheté ,  en  invoquant  un  acte  sous  seing  privé  qui  au- 
rait une  date  certaine  antérieure  à  celle  de  son  titre.  Il  en 
serait  évidemment  de  même  des  administrateurs  qui  repré- 
senteraient le  signataire ,  notamment  du  tuteur  de  Tinterdit. 

714.  Si  le  défendeur  reconnaît  l'écriture ,  on  en  donne 
acte  au  demandeur.  S'il  fait  début ,  ici ,  contrairement  k  la 
règle  générale  qui  veut  que  les  conclusions  du  demandeur 
ne  lui  soient  adjugées  que  si  elles  se  trouvent  justes  et  bien 
vérifiées  (G.  de  proc,  art.  150),  l'écrit  est  tenu  pour  re- 
connu (ibid,,  art.  194),  sauf,  bien  entendu,  le  droit  de 
former  opposition.  Il  en  est  autrement  en  matière  d'enr 
quête  :  le  Code  de  procédure  dit  seulement  alors  (art.  282) 


*  Et  même  dans  les  cas  exeeptiomiels  où  una  partie  IntaipeUéa  mr  mu 
propre  Hait  se  trouve  dans  des  circonstances  telles  qu'elle  puisse  l'avoir 
oublié  (n*  412),  le  défendeur  serait  reçu  à  déclarer  qu'il  ne  reconnaît  point 
■a  propre  teiUire,  par  exemple,  ei  une  maladie  lui  avait  aiieji  la  oiteoii*. 


VÉRIFICàTIOM  0E8  tCBITURSS,  299 

qne  les  faits,  s'ils  ne  sont  ni  déniés  ni  reconnus,  peweru 
être  tenu»  pour  confessés  on  avérés*  C'est  que  la  simple  ar« 
ticulation  des  faits  dont  la  preuve  par  témoins  est  offerte,  ne 
suffit  point  pour  rendre  probable  l'eiistence  de  ces  faits 
(voj.  n*  256),  tandis  que  la  production  d'un  écrit  est  une 
circonstance  d'une  certaine  gravité.  On  comprend  que,  le 
silence  de  l'adversaire  venant  se  joindre  à  cette  circonstance, 
la  loi  moderne,  comme  l'édit  de  1684,  présume  la  sincérité 
de  l'écrit.  Mais  cette  règle  n'est  pas  tellement  absolue  que 
le  juge  ne  puisse  et  ne  doive  s'en  écarter,  lorsqu'il  s'agit 
d'un  incapable,  que  le  silence  de  ses  représentants  ne  doit 
pas  compromettre. 

715.  Enfin ,  si  le  défendeur  dénie  récriture ,  la  preuve 
peut  en  être  ordonnée^  aux  termes  de  l'article  195  du  Code 
de  procédure.  Les  expressions  du  Code  civil  semblent  plus 
impératives  :  la  vériflcation  en  ut  ordonnée  en  juMtke,  dit 
Farticle  1324  de  ce  Gode.  Quelques  auteurs  ont  conclu  de 
ces  dernières  expressions  que  la  vérification  est  indispen- 
sable ;  ce  qui  est  vrai  en  ce  sens  qu'il  est  interdit  au  juge 
de  passer  outre ,  tontes  les  fois  qu'une  écriture  est  déniée , 
sans  s'être  prononcé  sur  la  sincérité  de  cette  écriture. 
(Cass.,  6  février  1837.)  Mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il 
faille  absolument  une  expertise  ou  une  enquête  pour  faire 
tomber  la  foi  de  l'écrit.  Le  tribunal  doit  statuer  sur  la  de- 
mande qui  lui  est  soumise,  mais  il  peut  le  faire  sans  len- 
teurs et  sans  frais,  d'après  ses  propres  lumières,  lorsque  la 
sincérité  de  l'écrit  lui  parait  évidente  (Rej.,  3  décembre 
i839;  26  juillet  1864),  ou  bien,  au  contraire,  lorsque  la 
fausseté  en  est  palpable.  (Rej.,  14  mars  1837.)  Puisqu'on 
le  décide  pour  les  poursuites  en  faux ,  où  l'instruction  est  si 
compliquée  (n**  626  et  639),  k  plus  forte  raison  doit-on  le 
décider  pour  la  vérification,  dont  la  procédure  est  beaucoup 
plus  simple. 


300  YÉftlFlGATIOM   DES  ÉCRITURES. 

Suiyant  le  droit  commun  allemand ,  11  est  permis  au  jage 
de  déférer  au  défendeur  le  serment  négatoire  {diffessionseid) , 
et ,  s'il  le  prête ,  la  pièce  est  rejetée  du  procès  sans  examen 
Mais  cette  pratique ,  trop  favorable  au  défendeur ,  ne  trouve 
aucun  appui  dans  nos  lois,  sauf  pour  les  parties  le  droit  de 
se  déférer  le  serment  décisoire,  si  elles  le  jugent  cooTe- 
nable. 

71tf  bji^.  Une  observation  importante,  consacrée  en  loi 
par  le  Code  italien  (art.  1324),  c'est  que  celui  qui  a  re- 
connu  un  acte  privé,  a  toujours  le  droit  de  produire  ses 
raisons  contre  le  contenu  de  cet  acte,  bien  qu'il  n'ait  fait 
aucune  réserve  au  moment  de  la  reconnaissance.  Admettre 
la  validité  extrinsèque  de  l'acte,  ce  n'est  point  en  approuver 
le  contenu. 

S  s.  riMincLnom  bb  l'Acut. 

SomAiiiE.  —  716.  Modes  de  Tèrifleation.  ^  747.  Tltns.  ^  748.  Témoins.  Fmt-fl  foir 
dans  l'écrit  en  litige  on  commencement  de  preoTeT  —  749.  Sar  qnels  points  doivent 
déposer  les  témoins.  —  790.  Rapprochement  de  renqnête  et  de  l'expertise.  — 1%*.  Ex- 
pertise. —  72S.  Formes  générales.  —  79s.  Procès-verbal  de  Tétat  de  la  pièee.  —  734. 
Apport  des  pièces  de  comparaison.  —  7SS.  Quelles  pièces  peuvent  être  admises.  —  TSt. 
Signatures  dans  les  actes  publies.  —  727.  Signatures  d'actes  privés.  —  7M.  ObUgatioa 
imposée  ani  dépositaires  de  pièces.  —  728  bis.  Admission  de  pièces  étrangères.  —  72». 
Quand' ils  peuvent  s'y  soustraire.  »  7S0.  Préliminaires.  Corps  d'écritnre.  —  7S4. 
Travail  des  experts.  Quelle  est  la  foi  de  l'expertise.  —  734  Mt.  Innovation  proposée 
dans  le  projet  de  révision. 

716.  Les  modes  de  vérification  sont  ici  les  mêmes  qu'en 
matière  de  faux.  On  vérifie  l'écrit  tant  par  titres  que  par 
experts  et  par  témoins.  (C.  de  proc.,  art.  195.)  U  faut  dé- 
cider également  que  le  concours  de  ces  trois  preuves  n*est 
pas  exigé ,  d'abord  parce  qu'il  n'est  pas  toujours  possible , 
et  en  second  lieu,  parce  qu'il  peut  se  faire,  notamment 
lorsqu'on  prouve  par  titres,  l'écrit  privé  se  trouvant  relaté 
dans  un  acte  authentique,  que  l'on  arrive,  au  moyen  d'un 
seul  mode ,  k  une  démonstration  parfaitement  concluante. 

717.  Nous  n'avons  rien  k  ajouter  en  ce  qui  concerne  la 
preuve  par  titres.  Ce  mode  de  vérification  est  encore  id  le 


I^ÉRIFICATIOM  DES  ÉCBITURES.  301 

plus  sûr  et  le  plus,  expéditif ^  malheureusement  il  n'arrive 
pas  fréquemment  qu'on  ait  occasion  d'en  faire  usage. 

718.  Quant  à  la  preuve  par  témoins,  on  se  demande  si 
Tadmettre,  quelle  que  soit  l'importance  du  litige,  pour  vé- 
rifier un  écrit  suspect,  ce  n'est  pas  détruire  le  principe  res- 
trictif posé  par  l'ordonnance  de  Moulins.  Cette  objection 
n'avait  pas  échappé  à  Boiceau ,  le  premier  commentateur  de 
Tordonnance.  «  Gertum  est  »,  dit-il  (part.  II,  chap.  i),  «  et 
«t  communi  usu  Galli^e  receptum,  nullam  privatam  scrip- 
te turam  nuUumque  chirographum  fidem  habere ,  nisi  prius 
«  agnoscatur  :  quod  si  denegetur ,  testibus  ex  necessitale 
«  opus  erit,  ad  probandum  signum,  vel  sigillum  manu- 
<K  scriptum  vel  appositum  fuisse  ab  eo  qui  denegat  scrip- 
«  turam  ;  et  sic  ad  testes  semper  erit  recurrendum ,  immi- 
«  nebitque  periculum  et  suspicio  subomahdorum  testium  : 
<ff  hinc  interlocutiones ,  allegationes  et  involutiones  innu- 
«  merae,  ut  antea,  locum  habebunt.  Quocirca  haec  lex  regia, 
<c  hoc  respectu ,  illusoria  videbitur  et  sibi  ipsi  contraria.  » 
La  réponse  de  Boiceau,  qui  a  été  reproduite  de  nos  jours 
par  Toullier,  et  que  nous  avons  déjà  eu  occasion  de  com- 
battre, n^est  rien  moins  que  satisfaisante.  Elle  consiste  h 
dire  que  l'écrit  même,  dont  il  s'agit  d'établir  la  sincérité, 
est  un  commencement  de  preuve,  de  nature  à  autoriser 

l'enquête  :  Princeps  hanc  probationem  recipit,  propter  juris 
prœsumpdonem,  quœ  pro  scriplura  store  videtur.  Mais  c'est  Ik 
faire  une  pétition  de  principe  manifeste,  puisque  le  litige 
porte  précisément  sur  l'écrit  :  erreur  qui,  moins  grave  dans 
l'ancien  droit,  lorsque  le  commcDcement  de  preuve  par 
écrit  n'était  pas  encore  défini,  est  bien  plus  sensible  au- 
jourd'hui que  la  loi  a  déclaré  formellement  que  l'écrit  doit 
émaner  de  l'adversaire.  (C.  civ.,  art.  4347.)  La  véritable 
réponse  à  l'objection  se  trouve  dans  la  nature  même  du  prin- 
cipe restrictif  de  la  preuve  testimoniale.  Le  vœu  du  législa- 


30S  VÉRIFICATION  DES  ÉCRITURES. 

teur  est  qu'an  écrit  soit  rédigé  pour  constater  les  conven- 
tions des  parties ,  mais  comment  prouver  le  fait  même  de  la 
confection  de  Técrit?  Ce  serait  exiger  Timpossible  que  de 
demander  une  preuve  écrite  de  cette  confection.  Car  où  s*ar* 
rèter  dans  cette  voie?  Il  n*y  a  donc  pas  k  motiver  ici  par 
quelque  circonstance  eiceptionnelle  l'admission  de  l'en- 
quête ,  puisqu'on  ne  se  trouve  pas  sous  l'empire  de  la  règle, 
applicable,  nous  Tavons  souvent  répété,  aux  conventions 
des  parties,  et  non  pas  aux  simples  foits,  tels  que  la  rédac- 
tion d'un  acte.  Ajoutons  que  le  témoignage  de  personnes  qui 
ont  vu  signer  l'écrit  offre  bien  plus  de  garanties  que  l'art 
conjectural  des  experts.  «  La  preuve  la  plus  simple  et  la 
«  plus  (ïicile  {the  simpleU  andmoH  obvUms)  »,  dit  Philipps 
(liv.  I,  part.  II,  cbap.  vni,  sect.  1),  «  c'est  l'attestation 
«  d'un  témoin  qui  a  vu  signer  l'écrit.  »  Aussi  est-il  k  regret- 
ter que  nos  mœurs  n'admettent  point  l'appel  des  témoins 
aux  actes  privés ,  usité  dans  l'ancienne  Rome  et  en  Angle- 
terre. (N^' 663  et  665.  ) 

7i9.  Dans  l'opinion  contraire,  il  faudrait  dire,  pour  être 
conséquent,  que,  puisqu'il  y  a  commencement  de  preuve 
par  écrit,  les  tiers  peuvent  déposer  sur  l'existence  même 
de  la  créance,  ainsi  que  cela  se  pratiquait  sans  difficulté  du 
temps  de  Beaumanoir,  lorsque  la  preuve  par  témoins  était 
indéJSniment  admise.  Les  témoins  pouvaient  en  effet  dé- 
clarer (ch.  XXXV,  §  3)  ((  se  cil  qui  a  le  niance  fête  avoit 
a  reconnut,  par  devant  bone  gent,  avant  le  niance,  que  cil 

((  avoit  ses  lettres  et  qu'il  utoU  tenus  àli  à  ce  qui  est  reconnut 
a  en  la  teneur  des  lettres.  »  Quelques  arrêts  (Douai ,  28  juin 
1841  ;  Montpellier,  10  juin  1848)  ont  adopté  aujourd'hui  la 
même  décision ,  en  s'appuyant  sur  les  termes  généraux  de 
l'article  211  du  Code  de  procédure  :  «  Pourront  être  en- 
«  tendus  comme  témoins  ceux  qui  auront  vu  écrire  ou 
«  signer  l'écrit  en  question,  ou  qui  auront  connaissance  de 


▼illII^ICATIOlf  DES  tCHrtORKS.  90S 

«  finie  pcavant  servir  à  découTrir  h  vérité.  »  Mais  ce  serait 
là  une  violation  manifeste  de  la  règle  suivant  laquelle  l'allé- 
gation  d'un  aveu  eitrajudiciaire  purement  verbal  est  inutile, 
1&  où  la  preuve  testimoniale  n'est  point  admissible.  (G.  civ., 
art  i3S5.)  Les  faits  sur  lesquels  doit  porter  l'enquête  ne 
peuvent  avoir  trait  qu'k  la  confection  de  l'écrit'.  Ainsi,  les 
témoins  peuvent  dire  qu'ils  reconnaissent  l'écriture  ou  la 
signature ,  bien  qu'ils  n'aient  pas  vu  écrire  ou  signer  l'écrit 
en  question  (Rej.,  25  juillet  1833);  ils  peuvent  d'ailleurs 
avoir  été  appelés  immédiatement  après  la  confection  de 
l'écrit  i  suivant  la  maxime  du  moyen  âge  :  Si  in  confectionê 
êharUê  prmenkè  nonjkerinu  ivfficit  ri  poitmodum,  in  prcêsenUa 
donùio^is  ei  donatoHi,  fuerit  recUata;  mais  il  sera  interdit  de 
les  interroger  sur  la  convention  même ,  indépendamment 
de  l'écrit  qui  la  constate.  Si  la  mission  du  juge-commissaire 
peut  être  délicate  en  cette  occasion ,  la  question  de  la 
sincérité  de  l'écrit  se  rattachant  intimement  k  celle  de  la 
validité  de  la  convention,  les  principes  généraux  qui  doivent 
le  guider  dans  sa  marche  ne  sont  pas  douteux. 

720.  En  se  plaçant  k  un  autre  point  de  vue,  k  celui  de 
la  confiance  que  méritent  les  experts,  on  s'est  demandé,  au 
contraire ,  s'il  doit  être  permis ,  comme  le  suppose  Tarrêt 
du  S5  juillet  1833,  d'interroger  des  témoins  n'ayant  point 
assisté  k  l'acte  sur  le  point  de  savoir  s'ils  reconnaissent  ou 
non  telle  ou  telle  signature.  N'est-ce  point  Ik,  a-t^n  dit, 
confondre  l'enquête  avec  l'expertise?  Il  faut  néanmoins 
reconnaître,  en  fait,  que  des  personnes  vivant  dans  l'inti-^ 
mité  du  prétendu  signataire  de  l'écrit  peuvent  souvent  don- 
ner des  renseignements  plus  certains  que  des  experts  fon- 
dant  leur  conviction  sur  des  données  abstraites*  On  sait  que 

A  «  La  dépoiltion  des  témoins  »,  dit  le  rapporteur  du  Triimnftt,  «  doit 
singulièrement  porter  sur  le  fait  qn*il  s^Agit  de  Térifler,  sur  la  formation 
matérieUe  de  l'acte.  • 


304  YÉRIFIGATION  DES  ÉGR1TCRES. 

Feipertise  ne  lie  point  les  juges  (G.  de  proc.,  art.  323), 
qui  peuvent  dès  lors  former  leur  conviction  d'après  des 
renseignements  de  toute  nature.  De  plus,  le  législateur,  en 
ordonnant  la  représentation  aux  témoins  des  pièces  déniées 
ou  méconnues  '  (ibid.,  art.  S12),  indique  suffisamment  Tib- 
tention  de  ne  point  tracer  une  ligne  de  démarcation  absolue 
entre  les  fonctions  des  témoins  et  celles  des  experts*.  Celte 
doctrine  a  .été  consacrée  par  la  jurisprudence  dans  une 
espèce  fort  remarquable.  La  Cour  de  Montpellier  avait  dé- 
claré sincère  l'écriture  d'un  testament  olographe,  reconnue 
par  un  grand  nombre  de  témoins,  nonobstant  l'avis  unanime 
des  experts  en  sens  contraire.  Le  pourvoi  formé  contre  cet 
arrêt  a  été  rejeté,  le  25  juillet  1833,  a  attendu  que  la  eom- 
«  binaison  des  articles  21 1  et  234  du  Code  de  procédure 
«  civile  justifie  la  mesure  qui  a  pour  objet  de  présenter  la 
«  pièce  signée  aux  témoins,  et  de  recevoir  leurs  témoi- 
((  gnages  sur  cette  pièce.  » 

721.  Le  troisième  mode  de  vérification  est  Texpertise, 
qui  consiste  ici  dans  la  comparaison  de  l'écriture  contestée 
avec  d'autres  écritures,  émanées  incontestablement  du  dé- 
fendeur. Cette  comparaison  est  faite  par  des  experts,  c'est- 
à-dire  par  des  hommes  ayant  des  connaissances  spéciales 
en  cette  matière. 

782.  Nous  n'avons  pas  à  revenir  ici  sur  les  améliorations 
générales  introduites  par  le  droit  moderne  quant  à  l'exper- 
tise, et  dont  le  Code  de  procédure  (art.  196  et  210)  fait 
l'application  à  la  vérification  des  écrits  :  la  nomination  d'of- 
fice de  trois  experts,  quand  les  parties  ne  sont  pas  d'accord  ^ 
la  rédaction  d'un  seul  procès- verbal,  k  la  majorité  des  voix; 

*  Déniées ,  s^il  s'agit  du  prétendu  signataire  ;  méconnues,  s'il  s'agit  d'an 
ayant  <^ase.  (N»  713.) 

'  En  Angleterre,  on  impose  aux  témoins  Poblig&tion  d^apporter  les  pièces 
utiles  au  procès,  en  les  conToquant»  non  pas  par  le  unit  ordinaire  subpcaia, 
mais  par  le  writ  spécial  sub  pcena  duces  iecum. 


VÉRIFICATIOM  DES  AGRITURBS.  305 

enfin  Findication  des  avis  divers,  s'il  y  a  lien,  sans  qu'il  soit 
permis  de  faire  connaître  l'avis  personnel  de  chaque  expert. 
Occupons -nous  de  ce  qui  est  spécial  aux  vérifications 
d'écritures. 

723.  Le  jugement  interlocutoire  qui  admet  la  vérifica- 
tion désigne  le  juge-commissaire  devant  lequel  il  sera  pro- 
cédé ,  et  ordonne  le  dépôt  de  la  pièce ,  qui  doit  être  signée 
et  parafée  du  demandeur  ou  de  son  avoué,  et  du  greffier, 
afin  que  l'identité  n'en  puisse  être  douteuse.  Le  procès- 
verbal  qui  constate  l'état  de  la  pièce  n'est  pas  dressé,  conune 
en  matière  de  faux ,  contradictoirement  avec  le  défendeur, 
ni  même  par  le  juge-commissaire.  Il  est  simplement  rédigé 
par  le  greffier,  en  présence  du  demandeur,  puis  communiqué 
a  l'adversaire.  (Ibid.,  art.  196  et  198.) 

724.  Le  procès-verbal  ainsi  dressé  et  communiqué  au 
défendeur,  la  base  de  l'expertise  se  trouve  établie.  Mais 
l'appréciation  k  laquelle  doivent  se  livrer  les  experts  est 
toute  relative.  Il  s'agit  de  comparer  l'écriture  en  litige  avec 
d'autres  écritures  incontestablement  émanées  du  défendeur, 
qu'on  nomme,  dans  la  pratique  judiciaire,  pUcei  de  campa- 
raUon.  Le  juge-commissaire  fixe  un  jour,  afin  que  les  parties 
comparaissent  devant  lui  pour  s'entendre  sur  ces  pièces. 
Au  cas  de  défaut  de  l'une  ou  de  l'autre  des  parties ,  il  est 
statué  par  le  tribunal,  sur  le  rapport  du  juge-commissaire. 
Si  le  demandeur  fait  défaut,  la  pièce  est  rejetée*,  le  défaut 
de  l'autre  partie  permet  seulement  au  tribunal  de  tenir  la 
pièce  pour  reconnue.  (IMd.»  art.  199.)  Le  défaut  du  deman- 
deur devait  avoir  des  conséquences  plus  graves,  puisqu'il 
implique  de  sa  part  une  sorte  de  rétractation. 

Si  les  parties  s'accordent  sur  les  pièces  de  comparaison, 
les  opérations  des  experts  peuvent  conunencer  immédiate- 
ment. Au  cas  contraire,  les  pièces  sont  reçues  par  le  Juge 
(itrid.,  art.  200),  c'est-k-dire  par  le  tribunal.  En  effet,  la 
II.  so 


306  ▼ÉRIPICATION  DES  ÉCRRDRES. 

rédaction  de  ce  titre  ayant  été  modifiée  d'après  les  obserra- 
tions  du  Tribunat,  on  a  eu  soin  d'y  employer  l'expression  de 
juge-canmUsaire,  toutes  les  fois  que  la  mesure  concerne  ce 
juge  seul,  en  réservant  la  dénomination  Aejuge  au  tribunal 
tout  entier.  D'ailleurs  Tarticle  236  du  Gode  de  procédure, 
relatif  à  l'expertise  en  matière  de  faux,  qui  renvoie  précisé- 
ment  k  l'article  200,  parle  An  jugement  par  lequel  les  pièces 
ont  été  reçues.  Enfin ,  une  considération  plus  grave  encore 
que  ces  arguments  de  texte,  c'est  que  la  dédsion  sur  Tad-- 
missibilité  des  pièces  est  loin  d'être  purement  réglementaire  ; 
elle  préjuge  évidemment  le  fond ,  et  doit  dès  lors  oStir  ans 
parties  les  garanties  d'un  jugement  interlocutoire.  (Bourges, 
26  juillet  1832;  Metz  A  août  et  30  novembre  1869.) 

725.  Dès  le  temps  de  Justinien,  on  a  senti  la  nécessité  de 
déterminer  les  écrits  qu'il  serait  loisible  au  juge  d'admettre 
comme  pièces  de  comparaison  ^  Cet  empereur  (L.  20, 
God. ,  De  fid.  but.)  ne  permit  d'admettre  k  ce  titre  que  les 
actes  publics ,  ou  les  actes  privés  rédigés  en  présence  de 
trois  témoins.  Plus  tard ,  dans  la  Novelle  49 ,  chapitre  ii ,  il 
considéra  comme  actes  publics  les  actes  privés  déposés 
dans  les  archives,  et  autorisa  l'admission  d'écrits  privés 
dressés  en  présence  de  moins  de  trois  témoins,  lorsque  l'ad-* 
versaire  avait  lui-même  employé  ces  écrits.  Dans  la  législation 
anglaise ,  on  n'admet  point  comme  pièces  de  comparaison 
des  écritures  non  reconnues  par  la  partie  ;  en  Amérique, 
les  diverses  législations  ne  sont  point  d^accord.  (M.  Green- 
leaf,  tom.  I,  pag.  728  et  suiv.)  Chez  nous,  on  admet 
conune  pièces  ayant  un  caractère  authentique  (G.  de  proc., 
art.  200)  : 


*  Il  faut  remarquer  tontefoia  que  ces  restrictions  ont  trait  au  ministère 
des  experts,  et  non  à  celni  des  juges,  qni  peuvent  se  déterminer  d'aprte 
tout  document  qu'ils  estiment  sincère  en  leur  âme  et  conscience.  (Bruxdles, 
20  février  1S17.) 


TÉMFICATIOn  AES  ÉCHITURËS.  307 

«  1*  Les  signatures  apposées  aux  actes  par-devant  no- 
«  taires,  ou  celles  apposées  aux  actes  judiciaires  en  présence 
«  du  juge  et  du  greflSler,  ou  enfin  les  pièces  écrites  et  signées 
«  par  celui  dont  il  s'agit  de  comparer  l'écriture ,  en  qualité 
«  de  juge ,  greffier,  notaire ,  avoué ,  huissier,  ou  comme  fai- 
«  sant,  à  tout  autre  titre,  fonction  de  personne  publique; 

«  2"  Les  écritures  et  signatures  privées,  reconnues  par 
«  celui  k  qui  est  attribuée  la  pièce  it  vérifier,  mais  non 
«  celles  déniées  ou  non  reconnues  par  lui,  encore  qu'elles 
«  eussent  été  précédemment  vérifiées  et  reconnues  être 
«  de  lui. 

«  Si  la  dénégation  ou  méconnaissance  ne  porte  que  sur 
«  une  partie  de  la  pièce  k  vérifier,  le  juge  peut  ordonner 
«  que  ladite  pièce  servira  de  pièce  de  comparaison.  » 

726.  En  ce  qui  touche  les  actes  publics,  le  Code  de 
procédure  est  moins  large  que  ne  Tétaient  le  droit  romain 
et  notre  ancien  droit.  Il  distingue  entre  les  signatures  appo- 
sées k  de  tels  actes  par  de  simples  particuliers  et  celles  dont 
l'auteur  faisait  fonction  de  personne  publique. 

Dans  le  premier  cas ,  il  énumère  limitativement  les  actes 
qui  peuvent  servir  de  pièces  de  comparaison.  Tandis  que 
Pothier  {Proc.  civ.,  part.  I,  ch.  m,  sect.  2,  art.  i)  met  sur 
la  même  ligne  que  les  minutes  des  actes  de  notaires ,  les 
actes  des  grefi*es ,  les  registres  des  baptêmes ,  mariages  et 
sépultures,  la  loi  actuelle  ne  mentionne  plus  que  les  signa- 
tures apposées  aux  actes  par-devatu  notaires,  ou  celles  qui 
sont  apposées  aux  actes  judiciaires,  en  présence  du  juge  et  du 
greffier*  Ainsi ,  la  signature  d'une  partie  sur  un  acte  authen- 
tque  extrajudiciaire,  autre  qu'un  acte  notarié,  celle  qui 
serait  donnée,  par  exemple,  sur  les  registres  de  Tétat  civil, 
ne  peut  plus  être  employée  comme  pièce  de  comparaison  \ 

*  Mais  les  registres  qui  avaient  un  caractère  d'authenticité  dans  Tanden 

M. 


308  YÉaiFICATION  DES  ÉGRITOBBS. 

La  loi  ne  prescrit,  en  effet,  aux  officiers  de  Tétat  civil, 
aucune  précaution  de  nature  à  garantir  l'identité  des  parties 
et  celle  des  témoins,  ainsi  qn'elle  le  fait  en  ce  qui  concerne 
les  notaires.  (Loi  du  25  ventôse  an  XI,  art.  2.)  De  même, 
les  signatures  doivent  avoir  été  apposées  k  un  acte  judiciaire, 
non  en  présence  du  greffier  seul,  comme  dans  le  procès- 
verbal  de  dépôt  d'une  pièce  k  vérifier  (C.  de  proc. ,  art.  196), 
mais  en  présence  du  juge  et  du  greffier,  comme  dans  un 
procès-verbal  d'enquête.  (Ibid.,  art.  275.)  Hais  ce  serait 
abuser  du  mot  acte  judiciaire  que  de  ne  point  admettre  les 
signatures  apposées  k  un  procès-verbal  de  conciliation.  Nous 
avons  reconnu  (n*  467)  que  ce  procès-verbal  a  tous  les  ca- 
ractères de  l'authenticité,  caractères  indépendants  de  la 
force  exécutoire,  qui  seule  lui  est  refusée.  Aussi  est-on 
généralement  d'accord  pour  faire  figurer  parmi  les  pièces 
de  comparaison  les  signatures  ainsi  données  en  présence  do 
juge  et  du  greffier. 

Lorsqu'il  s'agit,  au  contraire,  non  plus  des  parties,  mais 
de  celui  qui  a  signé'  l'acte  comme  personne  publique, 
l'usurpation  de  fonctions  étant  beaucoup  moins  présumable 
qu'une  simple  contrefaçon  d'écritures  privées,  on  admet  la 
signature  apposée  k  toute  espèce  d'acte.  Dès  lors,  les  r^is- 
tres  de  l'état  civil  fourniront  d'excellentes  pièces  de  compa- 
raison, lorsqu'il  s'agira  de  vérifier  la  signature,  non  plus 
d'un  déclarant  ou  d'un  témoin,  mais  de  l'officier  civil  même. 
II  n'est  point  d'ailleurs  nécessaire  que  le  fonctionnaire  public 


droit,  comme  ceux  des  commimantés  religieuses,  pearent  fournir  des  pièces 
de  comparaison ,  le  Code  de  procédure  n^ayant  pu  détruire  leur  caractère 
pour  le  passé.  (Paris,  2  janner  1808.) 

'  Le  texte  porte  :  écrites  et  signées;  mais  ces  expressions,  dans  le  Gode 
de  procédure  comme  dans  Pordonnance  de  1737,  doirent  s^entendre  même 
de  la  seule  signature.  Autrement ,  on  ne  pourrait  tenir  aucun  compte  de  la 
signature  du  président  sur  la  minute  du  jugement,  puisque  cette  minute 
est  habituellement  écrite  par  le  greCfier. 


VÉRIFICATION  DBS  ÉCRITURES.  309 

qui  a  signé  appartienne  k  l'ordre  judiciaire.  C'est  ainsi  que 
l'on  a  admis  comme  pièce  de  comparaison ,  pour  vérifier 
récriture  de  son  testament,  une  des  nombreuses  lettres  de 
cachet  délivrées  par  le  duc  de  la  Yrillière,  en  qualité  de 
ministre  d'État  sous  Louis  XY.  (Paris,  28  juin  i808.) 

726  bis.  On  peut  prendre  pour  pièces  de  comparaison 
même  des  actes  authentiques  reçus  par  des  notaires  étran- 
gers ,  si  leur  signature  a  été  dûment  légalisée ,  aux  termes 
de  l'ordonnance  du  25  octobre  1833.  La  Cour  de  Dijon  s'est 
fondée  pour  le  juger  ainsi,  par  l'arrêt  du  3  avail  i868,  sur  ce 
que  «  l'article  200  du  Gode  de  procédure  civile,  qui,  ^ 
«  défaut  de  l'accord  des  parties,  n'admet  comme  pièces  de 
«  comparaison  que  les  signatures  apposées  aux  actes  par- 
«  devant  notaire ,  ou  aux  actes  judiciaires  en  présence  du 
«  juge  et  du  greffier,  n'a  fait  aucune  exception  pour  les 
«  actes  de  même  nature  passés  en  pays  étranger  ^  qu'une 
«  pareille  exception  n'aurait  pu,  en  effet,  se  justifier,  puisque 
«  la  force  probante,  étant  accordée  aux  conventions  que  ces 
«  actes  constatent,  existe  nécessairement  et  au  même  degré 
«  en  ce  qui  concerne  l'identité  des  parties  qui  y  ont  con- 
«  couru,  et  que  c'est  précisément  la  garantie  de  cette  iden- 
«  tité  qui  a  motivé  les  dispositions  restrictives  de  l'ar- 
«  ticle  200.  » 

727.  Quant  aux  écrits  privés,  notre  législation  est  moins 
large  que  celle  de  Justinien,  en  ce  qu'elle  ne  fait  plus  figurer 
au  rang  des  écritures  publiques  les  actes  privés  signés  par 
trois  témoins-,  elle  est  plus  large,  en  ce  qu'elle  admet  toute 
pièce  reconnue  par  l'adversaire,  tandis  qu'à  Constantinople 
on  exigeait  qu'il  eût  produit  la  pièce  pour  être  non  rece- 
vable  k  la  rejeter.  Mais,  k  l'exemple  de  l'ordonnance  de  1737 
(art.  14),  la  loi  actuelle  confesse  bien  manifestement  l'in- 
certitude de  l'art  des  experts,  puisqu'elle  ne  permet  pas 
d'admettre  comme  pièces  de  comparaison  les  écrits  par  eux 


310  VÉBIFICATlOIf  PES  ÉCRITUBK6. 

vérifiés  '.  L'aveu  tacite  qui  résulte  de  Tabsence  de  dénéga* 
tion  n'est  pas  oon  plus  assez  formel  pour  qu'on  puisse  en 
induire  avec  certitude  la  sincérité  de  la  pièce.  Les  écritures 
émanées  de  l'adversaire  doivent,  du  reste,  avoir  été  pro- 
duites par  l'action  du  même  organe  qui  aurait  servi  k  tracer 
les  caractères  de  l'écritare  méconnue.  C'est  ainsi  qn'un 
arrêt  du  parlement  de  Dijon  du  10  février  1735  jugea  qu'on 
ne  pouvait  fournir  des  pièces  écrites  de  la  main  droite,  pour 
pièces  de  comparaison  d'une  écriture  de  la  même  personne, 
écriture  que  l'on  disait  tracée  de  la  main  gauche,  parce  que 
cette,  personne,  blessée  à  la  main  droite,  s'était  accoutumée 
à  écrire  de  la  gauche, 

7Ji8.  Lorsque  les  pièces  de  comparaison  sont  k  la  dispo- 
sition du  demandeur,  il  n'y  a  pas  de  difficulté  pour  en  opérer 
le  dépôt.  Quand  elles  sont  entré  les  mains  de  dépositaires 
publics  ou  privés,  le  juge-commissaire  en  ordonne  l'apport 
au  jour  désigné  pour  la  vérification.  (Ibid.,  art.  âOl  et  902.) 

729.  Les  dépositaires  privés  ne  doivent  pas  souffrir  de 
l'obligation  qui  leur  est  imposée  dans  un  intérêt  particulier. 
Si  la  production  de  la  pièce  entraine  pour  eux  quelque  pré- 
judice, par  exemple,  le  payement  d'un  double  droit  d'en- 
registrement pour  contravention  aux  lois  fiscales  (Loi  do 
22  frimaire  an  VU,  art.  22  et  38),  le  demandeur  est  obligé 
de  les  en  indemniser.  Il  faut  même  décider,  avec  Justinien 
(L.  22,  Cod. ,  Defid.  instr.)^  et  avec  Pothier  {Proc.  eb., 
P*  part.,  ch.  III,  sect.  2,  art.  2),  que,  si  la  production  de 
l'écrit  devait  occasionner  pour  les  tiers  un  dommage  irré- 
parable ,  comme  s'il  devait  en  résulter  la  divulgation  d'no 
secret,  ils  pourraient  être  dispensés  de  représenter  la  pièce. 
Quant  au  défendeur,  il  est  généralement  tenu  de  remettre 

*  «  Tel  est  »,  dit  le  rapport  au  Corps  lésldatif,  «  l'hommage  que  la  loi 
rend  elle-même  à  Pincertitade  des  moyens  qu'elle  adopte  pour  découvrir  U 
^rlté.  » 


VÉRIPICÀTIOIf  DES  ÉCRinmES.  3ff 

la  pièce  qu'il  aurait  k  sa  disposition,  sans  pouvoir  invoquer 
le  vieil  adage  :  Nemo  tenetur  edere  corura  te.  Cet  adage  s'entend 
de  la  production  des  titres  qui  noas  sont  défavorables  sous 
le  rapport  moral ,  mais  non  de  la  production  matérielle  de 
pièces  qui  doivent  seulement  servir  de  points  de  compa- 
raison ',  sauf  toutefois  la  même  exception  que  nous  venons 
de  faire  pour  les  tiers. 

730.  Aux  lieu ,  jour  et  heure  indiqués  par  le  juge*com- 
missaire  pour  la  prestation  de  serment  des  experts,  la  partie 
la  plus  diligente  fait  sommer  par  exploit  les  experts,  et  les 
dépositaires ,  s'il  y  a  lien ,  de  se  trouver  réunis.  La  partie 
adverse  doit  être  également  appelée.  Les  experts  reçoivent 
d'abord  l'investiture  de  leurs  fonctions  par  la  prestation  de 
germent.  Puis  les  dépositaires  représentent  les  pièces  de 
comparaison;  (G.  de  proc,  art.  204  et  205.) 

A  dé&ut,  ou  en  cas  d'insuffisance  de  ces  pièces,  le  juge- 
commissaire  peut  ordonner  qu'il  sera  fait  un  corps  d'écri* 
iure  dicté  par  les  experts.  Le  mérite  de  cette  mesure  a  été 
contesté.  «  Ce jserait  un  mauvais  expédient  » ,  disait  Rodier 
(sur  le  tit.  Xn,  art.  8,  de  l'ord.),  a  que  de  faire  écrire  ou 
«  signer  la  partie  devant  le  juge ,  pour  comparer  ensuite 
((  cette  écriture  avec  l'autre,  parce  que  la  partie  pourrait  la 
«  contrefaire.  »  Le  Tribunat  a  fait  également  observer  que 
le  défendeur,  même  de  bonne  foi,  pourrait  être  intimidé, 
que  son  écriture  pourrait  avoir  changé.  On  voit  qu'il  con^ 
vient  de  n'user  de  cette  faculté  que  comme  d'une  ressource 
extrême ^  Ce  qui  nous  semble  essentiel,  bien  que  la  Cour 
de  Rennes  (16  juillet  1817)  n'ait  point  estimé  cette  prescrip- 
tion établie  k  peine  de  nullité,  c'est  que  le  défendeur  soit 
appelé  k  assister  lui-même  îi  la  confection  du  corps  d'écri* 
ture.  {Ihii.y  art.  206.)  C'est  la  partie  intéressée  qui  peut  le 

*  En  Antricbe,  dans  le  silence  de  la  loi,  cette  pratique  n'est  point 
admise.  (M.  Gennari,  Twria  dette  provei  %  S9.) 


348  térificàtiou  des  écritures. 

mieux  surprendre  et  signaler  des  poses  da  corps  on  de  la 
main  plus  ou  moins  suspectes,  comme  s'éloignant  des  habi- 
tudes de  son  adversaire.  Que  si  le  défendeur  se  refuse  k  faire 
un  corps  d'écriture,  le  juge-commissaire  doit  dénoncer  son 
refus  au  tribunal ,  qui  pourra  tenir  la  pièce  pour  reconnue. 
(Arg.deTart.  199,î«rf.) 

Enfin  j  tous  les  préliminaires  exigés  par  la  loi  se  trouvant 
accomplis,  il  importe  que  les  experts  puissent  travailler  dans 
le  recueillement  k  Toeuvre  importante  qui  leur  est  confiée. 
Les  parties  doivent  donc  se  retirer,  après  avoir  fait  sur  le 
procès-verbal  du  juge-commissaire  —  telles  réquisitions  et 
observations  qu'elles  jugent  convenables.  {Ibid,,  art.  207.) 

731.  C'est  alors  que  les  experts  commencent  leurs  opéra- 
tions, en  présence,  soit  du  jugeHM>mmissaire  et  du  greffier, 
soit  du  greffier  seulement,  jstiivant  ce  que  le  juge-commis- 
saire aura  ordonné.  (Ibid.,  art.  208.)  Les  règles  d'après 
lesquelles  ils  doivent  se  guider  dans  la  mission  difficile  dont 
ils  sont  chargés,  soit  en  matière  de  vérification  d'écritures, 
soit  en  matière  de  faux ,  reposent  entièrement  sur  l'expé- 
rience pratique.  Le  meilleur  ouvrage  qui  existât  dans  l'an- 
cienne jurisprudence  sur  ce  sujet,  est  le  traité  de  Raveneaa, 
écrivain  juré  du  parlement  de  Paris ,  sur  Ui  inscriptioni  de 
faux  et  la  reconmiuance  des  écritures,  traité  qui  fut  supprimé 
par  un  arrêt  du  môme  parlement  du  10  février  1670,  parce 
qu'en  donnant  des  principes  pour  découvrir  le  faux ,  il  en- 
seignait en  même  temps  les  moyens  de  le  commettre.  Les 
principaux  points  sur  lesquels  doit  se  porter  l'attention  des 
experts,  ont  été  exposés  de  nos  jours  dans  un  opuscule  assez 
lucide  de  M.  Lévéque  (  Vér^icatian  des  écritures,  Agen,  1840), 
qui  paraît  pratiquer  avec  zèle  et  conscience  cet  art  difficile. 

Aujourd'hui  que  la  chimie  a  fait  tant  de  progrès,  et  que  la 
coupable  industrie  des  faussaires  a  mis  ces  progrès  à  profit, 
les  experts  ne  devraient  plus  être  versés  seulement  dans  la 


YÉKIFICATIOlf  BES  ÉCRITURES.  313 

connaissance  des  écritures,  mais  assez  exercés  dans  la 
pratique  des  manipulations  pour  pouvoir  reconnaître  les 
diverses  altérations  qu'on  a  pu  faire  subir  au  papier  ou  aux 
caractères  tracés  \  Il  est  donc  fîicheux  qu'on  soit  obligé 
de  recourir  tous  les  jours ,  pour  les  expertises ,  à  de  simples 
maîtres  d'écriture,  faute  de  personnes  réunissant  k  un  degré 
suffisant  les  deux  genres  de  connaissances  requis  dans  cette 
matière.  Peut-être  conviendrait-il  dès  lors  de  faire  de  Texper- 
tise  une  profession  k  part,  k  laquelle  on  n'arriverait  qu'après 
avoir  justifié  de  sa  capacité.  Puisqu'on  a  jugé  nécessaire  de 
créer  des  officiers  spéciaux  pour  apprécier  la  valeur  des  meu- 
bles, doit-on  s'entourer  de  moins  de  précautions  lorsqu'il 
s'agit  d'une  opération  moins  usuelle ,  mais  bien  autrement 
importante  dans  ses  résultats?  On  pourrait  ainsi  rendre 
moins  fréquentes  les  erreurs  qu*ont  si  souvent  présentées 
les  rapports  des  experts,  depuis  le  célèbre  rapport  des 
experts  d'Arménie ,  détruit  par  la  déclaration  formelle  des 
témoins,  et  qui  donna  lieu  k  la  Novelle  73*,  jusqu'au  procès 
contemporain  de  La  Roncière,  où  les  bévues  des  maîtres 
écrivains  ont  été  clairement  signalées. 

731  6w.  Ces  reproches  adressés  depuis  si  longtemps  k 
l'expertise  ont  déterminé  les  rédacteurs  du  projet  de  révision 
k  proposer  une  innovation  importante  dans  la  procédure  de 
vérification.  Le  tribunal  examinerait  lui-même  (art.  184) 
l'écriture  déniée  et  les  pièces  de  comparaison.  Il  entendrait 
les  parties  k  l'audience,  et  ce  ne  serait  qu'k  défaut  d'élé- 
ments suffisants  de  conviction  (art.  188)  qu'il  pourrait  or- 
donner, soit  l'expertise,  soit  l'enquête.  L'enquête  aurait  lieu 

*  Yoy.  les  détails  intéressants  donnés  sur  cette  matière ,  au  point  de  yue 
chimique ,  dans  le  TraUé  de  médecine  légale  de  M.  Devergie ,  tom.  m , 
p.  1S2  etsulTantes. 

'  La  contradiction  des  experts  avec  la  déclaration  des  témoins  est  derenne 
si  fréquente  qu'on  n'est  plus  tenté  de  dire  aujourd'liui ,  avec  Justinien  : 
quoddam  inopknaHle  ex  Armenia  nobU  exortum  est. 


314  TÉRIFIGATION  DES  ÉCRITURES. 

en  audience  publique,  en  chambre  de  conseil,  ou  au  greffe. 
(Art.  190.)  Un  corps  d'écriture  pourrait  être  dicté  par  le 
président  (art.  184),  lors  même  qu'une  expertise  n'aurait 
pas  été  ordonnée. 

La  même  marche  serait  suivie  dans  la  vérification  qui  se 
rattache  à  Tinscription  de  faux.  (Art.  â04.) 


S  9.  roQwmwm  vàwtxmw, 

SonoUB.  •o  Tsa.  Força  compantjTe  des  dîTers  modei  de  preave.  —  Tss.  Abolition 

proposée  de  lliypolbèque  judiciaire  qui  s'attache  ^  la  reconnaissance  et  k  la  Tèriflcation 
de  rècritore.  Loi  da  s  septembre  ^807.  —  7t4.  Qui  est  tcmi  des  frais.  —  rs9.  Amends 
contre  celai  qui  dénie  ï.  tort  sa  signatare. 

752.  Ce  n'est  qu'avec  une  extrême  précaution  que  les 
juges  doivent  s'attacher  aux  conclusions  de  l'expertise.  Indé- 
pendamment de  la  preuve  par  titres,  qui  est  la  meilleure  de 
toutes,  la  preuve  testimoniale  doit  être  préférée  aux  conjec<- 
tures  des  experts,  quelque  instruits  qu'ils  puissent  être.  Le 
témoignage,  en  effet,  atteste  directement  le  fait  en  question, 
tandis  que  la  comparaison  des  écritures  ne  repose  que  sur 
une  vraisemblance ,  sur  un  calcul  de  probabilités.  Saiptmra 
ex  quaftt  comparatb,  dit  Balde,  nihil  aliud  eH  ni$i  argumêntum 
a  iimili  H  verisimili.  Aussi  Justinien  avait-il  voulu ,  comme 
nous  l'avons  dit ,  qu'on  appel&t  des  témoins  aux  actes  squs 
seing  privé ,  a  ut  non  in  sola  scriptura  et  ejus  examinatione 
ce  pendeamus,  sed  sit  judicantibus  etiam  testium  solatium.  » 
(Nov.  73,  ch.  I.)  Nous  avons  également  vu  que  cette  marche 
est  encore  suivie  aujourd'hui  en  Angleterre.  Dans  le  conflit 
de  la  preuve  testimoniale  et  de  l'expertise,  Justinien  veut 
que  les  témoins  l'emportent.  (Ibid.,  ch.  m)  :  «  Nos  quidem 
«  existimavimus  ea  quae  viva  dicuntur  voce  et  cum  jure- 
«  jurande,  hsec  digniora  fide  quam  scripturam  ipsam  per  se 
«  subsistere.  »  Notre  ancienne  jurisprudence  a  rendu  de 
nombreux  arrêts  dans  ce  sens.  Maintenant  les  juges  sont 


TiRIFICATIOlf  DES  ÉCRITURES.  3iK 

parfaitement  libres  d'accorder  telle  foi  que  de  raison  au 
rapport  des  experts,  et  ils  doivent  surtout  s'en  écarter 
lorsqu'il  est  combattu  par  des  témoignages  positifs.  Nous 
avons  déjà  cité,  k  ce  sujet  (n""  720),  l'arrêt  remarquable  de 
la  Cour  de  Montpellier,  vainement  attaqué  en  cassation  le 
25  juillet  1833,  qui  a  déclaré  sincère  un  testament,  d'après 
la  déclaration  des  témoins,  contrairement  à  l'avis  unanime 
des  experts. 

En  Àutricbe,  l'expertise  qui  lie  habituellement  les  juges, 
ne  les  lie  point  en  matière  de  comparaison  d'écritures. 
(M.  Gennari,  Tearia  délie  prove,  §  39.)  Suivant  la  loi  de 
Genève  (art.  250  et  251),  ils  font  eux-mêmes  la  vérification, 
avec  la  faculté  d'invoquer  les  lumières  d'experts.  Telle  est 
également  la  marche  suivie  par  le  jury  en  Angleterre  et  aux 
États-Unis  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  pag.  721  et  suiv.)^ 
l'idée  que  le  jury  n'a  point  les  lumières  suffisantes  pour 
procéder  h  cet  examen  a  été  définitivement  abandonnée. 
Ce  système  a  l'avantage  de  mettre  plus  en  relief  le  pouvoir 
qui  appartient  au  tribunal  d'examiner  lui-même  l'écriture  : 
l'expertise  technique  s'y  trouve  placée  sur  le  second  plan, 
sans  toutefois  être  exclue ,  car  il  ne  faut  ni  abuser  des  con^ 
naissances  spéciales ,  ni  les  proscrire. 

Chez  nous  il  est  certain  que,  même  après  l'expertise  con* 
sommée,  il  est  permis  aux  juges  d'ordonner  une  enquête,  ou 
même  une  prestation  de  serment  (Rej.,  19  décembre  1827), 
suivant  le  principe  général  que  nous  avons  posé  sur  les  in- 
terlocutoires. (S"  301 .)  Mais,  en  définitive,  il  n'y  a  point  de 
motif  pour  préférer  telle  ou  telle  espèce  de  preuve  à  primu 
comme  le  dit  fort  bien  le  tribun  Perrin  :  a  Lorsque  le  légis« 
«  lateur  admet  trois  genres  de  preuves,  il  écarte  ces  sabti- 
«  lités  de  droit  par  lesquelles  on  prétendait  pouvoir  mesurer 
«  l'influence  de  chacnn  sur  la  conviction  du  magistrat,  et 


3i6  VÉRIPIGATION   DBS  ÉCRITURES. 

ce  assujettir  sa  conscience  à  la  précision  da  calcul  géomé- 
«  trique;  sources  éternelles  de  débats  et  de  raisonnements 
«  métaphysiques,  qui  tous  viennent  échouer  contre  la  variélé 
«  infinie  des  circonstances,  les  nuances  imperceptibles  da 
«  langage  des  experts  et  des  témoins,  et  qui  n'avaient  d'autre 
«  utilité  que  de  jeter  de  l'incertitude  dans  la  jurisprudeoce 
«  et  d'enfanter  des  sophismes  en  faveur  de  la  mauvaise  foi. 
ce  Le  projet  environne  le  magistrat  de  tout  ce  qui  peut  le 
«  diriger  *,  il  en  épure  la  source ,  et  il  laisse  à  sa  conscience 
«  éclairée  par  la  réflexion  et  le  recueillement,  k  prononcer 
v  sur  les  résultats.  »  Néanmoins ,  les  sages  préceptes  de 
Justinien  et  de  nos  anciens  auteurs  ont  conservé  l'autorité 
de  la  raison  et  de  l'expérience,  et,  toutes  choses  égales,  on 
doit  admettre  l'infériorité  de  la  preuve  par  experts. 

735.  Un  effet  commun  k  toute  reconnaissance  ou  vérifi- 
cation faite  en  justice  d'un  acte  sous  seing  privé  portant 
obligation  de  la  part  du  souscripteur,  c'est  d'emporter 
hypothèque  sur  tous  ses  biens  présents  et  k  venir.  (C.  civ., 
art.  2123.)  Ce  serait  sortir  de  notre  sujet  que  d'examiner 
ici  les  avantages  et  les  inconvénients  de  l'hypothèque  judi- 
ciaire, dont  a  proposé  autrefois  la  suppression,  lorsqu'on 
s'est  occupé  de  la  réforme  du  système  hypothécaire.  Faiscms 
seulement  remarquer  qu'un  des  arguments  les  plus  graves 
invoqués  par  les  adversaires  de  cette  innovation,  c'est  préci- 
sément l'utilité  pratique,  au  point  de  vue  du  crédit  personnel, 
de  ces  billets  qui ,  au  moyen  d'une  simple  présentation  en 
justice,  se  transforment,  pour  ainsi  dire,  en  titres  hypothé- 
caires. Sans  doute,  k  ne  consulter  que  la  logique,  il  est 
bizarre  que,  les  actes  authentiques  n'ayant  plus  le  privil^e 
de  conférer  hypothèque,  cette  prérogative  continue  d'appar- 
tenir aux  actes  sous  seing  privé  par  cela  seul  qu'ils  se  trou- 
vent assimilés  aux  actes  authentiques.  (Ibid.,  art.  1332.) 


ySRIFICÀTION  DES  ÉCRlTUfiES.  317 

Mais  des  considérations  purement  logiques  doivent-elles 
l'emporter  sur  des  motifs  puisés  dans  T  utilité  sociale  '? 

Dans  tous  les  cas  »  ce  qui  était  intolérable,  c'est  que, 
diaprés  le  texte  du  Gode  civil ,  qui  ne  faisait  aucune  distinc- 
tion, lors  même  que  la  vérification  était  demandée  avant 
l'échéance,  le  créancier  pouvait  prendre  inmiédiatement 
inscription  en  vertu  du  jugement,  et  se  procurer  ainsi,  au 
moyen  d'un  simple  billet,  une  hypothèque  générale,  que  le 
débiteur  n'avait  jamais  eu  l'intention  de  lui  accorder.  Renou- 
velant une  déclaration  de  janvier  1717,  la  loi  du  3  septem- 
bre 1807  a  fait  cesser  cet  abus,  en  ordonnant  qu'il  ne  fût 
pris  aucune  inscription  hypothécaire,  en  vertu  d'un  pareil 
jugement,  qu'k  défaut  de  payement  de  l'obligation  après 
l'échéance. 

734.  De  plus,  d'après  l'article  193  du  Code  de  procé- 
dure, le  demandeur  devait  supporter  sans  distinction  tous 
les  frais,  dans  le  cas  où  le  défendeur  ne  déniait  pas  sa  si- 
gnature. Mais  l'article  2  de  la  loi  de  1807  distingue  entre 
les  frais  de  jugement  et  ceux  d'enregistrement.  Les  pre- 
miers demeurent  k  la  charge  du  créancier,  toutes  les  fois 
que  le  débiteur  ne  dénie  pas  sa  signature^  l'événement  a 
prouvé  que  la  précaution  du  créancier  était  superflue ,  et 
peu  importe  sous  ce  rapport  que  le  payement  n'ait  pas  eu 
lieu  k  l'échéance.  Il  n'en  est  pas  de  même  en  ce  qui  touche 
les  frais  d'enregistrement.  Dès  que  le  débiteur  n'a  pas  payé 
h  l'époque  indiquée,  le  créancier  a  dû  produire  l'acte  en 
justice,  et,  par  conséquent,  le  faire  enregistrer.  C'est  k 

■  «  L*aboUtion  de  Phypothèqne  jndidaire  »,  a  dit  le  président  du  tribunal 
de  commerce  de  la  Seine  (discours  de  rentrée  du  27  décembre  1851), 
«  fiidliterait  la  liquidation  de  quelques  successions  qui  pourraient  se 
trouTer  sous  le  coup  d^hypothèques  judiciaires;  mais  est-ce  une  raison 
pour  abolir  une  institution  qui  est  pour  le  commerce  la  base  d*un*  crédit 
pour  lûnsi  dire  incalculable  ?  » 


318  VÉRIFICATION  DES  ÉCKITnRBS. 

l'adversaire  k  supporter  les  frais  d'une  mesure  qu'il  a  rendue 
par  le  fait  indispensable. 

735.  Celui  qui  dénie  mal  k  propos  sa  signature,  est  don- 
damné  k  cent  cinquante  francs  d'amende ,  outre  les  dom- 
mages et  intérêts  et  les  dépens.  Cette  amende  est  fort  ancienne 
dans  notre  droit.  On  la  retrouve ,  en  tenant  compte  de  la 
différence  de  valeur  du  numéraire,  dans  Beaumanoir. 
(Chap.  XXIV,  §  4.)  «  Moult  est  vilaine  coze  de  nier  son 
«  seel ,  et  por  ce  en  est  le  paine  grans  de  celi  qui  en  est 
«  atains ,  car  il  en  est  renommés  de  triquerie ,  et  l'amende 
«  en  est  au  souverain  de  soissante  livres.  )>  De  plus,  la  mau- 
vaise foi  du  demandeur  amenait  un  redoublement  de  riguear 
contre  lui,  dans  l'exécution  des  diverses  condamnatûms 
qu'il  encourait.  La  loi  le  déclarait,  pour  toutes  ces  condamna- 
tions ^  contraignable  par  corps.  (C.  de  proc,  art.  2i3.)  La 
loi  du  SS  juillet  1867  a  aboli  la  contrainte  par  corps  en 
matière  civile  et  en  matière  de  commerce. 

^  S  4.  ISI8GUPTI0H  DB  rACTX  QUAMT  AUX  tCMJTÈ  PRlViS. 

SOMiuiBE.  —  786.  Faculté  de  sobstitaer  la  procédore  de  faux  ^  la  yërification.  —  7S7. 
Quand  cette  procèdnre  détient  nécessaire.  •*  798.  Véritable  sens  de  Tartide  M4  ia 
Gode  de  procédure.— 789.  Marche  ordinaire. 

736.  Si  la  partie  à  qui  on  oppose  une  écriture  privée 
peut  simplement  la  dénier  ou  la  méconnaître,  en  laissant  la 
vérification  à  la  charge  de  l'adversaire,  c'est  là  une  faculté 
introduite  en  sa  faveur,  dont  il  lui  est  libre  de  se  départir. 
Elle  peut  donc ,  si  elle  le  juge  convenable ,  procéder  comme 
sHl  s'agissait  d'un  acte  authentique»  et  prendre  la  voie  de 
l'inscription  de  faux,  qui,  dans  l'ancien  conmie  dans  le  nou- 
veau droit,  s'applique  k  toute  nature  d'écrits.  (Ord.  de  1737, 
tit.  II,  art.  l^]  C.  de  proc.,  art.  214.)  Mais  il  arrivera  rare- 
ment, à  moins  qu'on  ne  veuille  rechercher  les  traces  du 


«sGRinioBr  DE  rADx  QUAirr  Act  ÉCRITS  raivÉs.    349 

&ax ,  afin  de  préparer  les  éléments  d'un  procès  criminel, 
qu'on  échange  ainsi  volontairement  le  rôle  de  défendeur 
contre  celui  de  demandeur,  dans  une  procédure  pénible  et 
compliquée. 

737.  Toutefois  Tinscription  de  faux  peut  être  nécessaire 
pour  faire  tomber  la  foi  d'un  écrit  privé  :  c'est  lorsqu'il  a 
été  vérifié  en  justice.  La  loi ,  qui  n'a  pas  voulu  admettre  au 
nombre  des  pièces  de  comparaison  les  écrits  dont  la  sincé- 
rité n'est  établie  que  par  la  voie  suspecte  de  la  vérification 
d'écritures  (Und,,  art.  ^2, 2*),  a  dû,  pour  être  conséquente, 
permettre  aux  intéressés  de  s'inscrire  en  faux  contre  ces 
mêmes  écrits.  Un  arrêt  du  parlement  de  Paris,  du  12  juin 
1691,  a  reçu  effectivement  l'inscription,  malgré  plusieurs 
vérifications  faites  antérieurement  de  la  pièce  en  litige, 
ic  Et  ne  serait-ce  pas  encourager  le  crime  »,  dit  l'orateur  du 
Tribunat,  <c  si  une  simple  vérification,  dirigée  par  le  cou- 
tt  pable  lui-même,  pouvait  lui  assurer  Timpunité?  »  Il  est 
vrai  que  le  ministère  public  ne  serait  pas  désarmé.  Mais  les 
indices  du  faux  n'apparaissent  souvent  avec  évidence  qu'à  la 
suite  des  poursuites  civiles.  L'espèce  s'est  présentée  d'ailleurs 
de  nos  jours  devant  la  Ck>ur  de  cassation.  (Rej. ,  22  mars  1869.) 

«  Celui  qui  prétend  »,  dit  l'article  214  du  Gode  de  pro- 
cédure, <c  qu'une  pièce  signifiée,  communiquée  ou  produite, 
Cl  est  fausse  ou  falsifiée,  peut,  s'il  y  échet,  être  reçu  k  s'in*- 
«  scrire  en  faux,  encore  que  ladite  pièce.ait  été  vérifiée,  soit 
a  avec  le  demandeur,  soit  avec  le  défendeur  en  faux,  k  d'au- 
a  très  fins  que  celles  d'une  poursuite  de  faux  principal  ou 
«  incident,  et  qu'en  conséquence  il  soit  intervenu  un  juge^^ 
a  ment  sur  le  fondement  de  ladite  pièce  comme  véritable.  » 

738.  Cet  article  n'est  que  la  reproduction  des  articles 
1  et  2  du  titre  II  de  l'ordonnance  de  1737  sur  le  faux.  II 
faut  donc  l'interpréter  conmie  on  interprétait  cette  ordon- 


390    msciuPTiON  de  fadx  quant  aux  écrits  priyAs. 

nance.  Dès  lors  il  ne  faut  pas  donner  une  portée  exagérée  & 
la  restriction  indiquée  par  ces  expressions  :  à  ftautres  fim 
que  celles  dune  pourwite  defauxfnincipal  ou  tnddeiUf  et  s'ima- 
giner que  le  jugement  rendu  sur  cette  poursuite  aurait  l'an- 
ton  té  de  la  chose  jugée  contre  les  tiers ,  s'il  avait  déclaré 
la  pièce  véritable.  Les  commentateurs  de  Tordonnance 
(voy.  Serpillon,  sur  l'art.  2  de  Tord,  de  1737,  tit.  Il)  ne 
voient  dans  ces  expressions  que  l'application  de  la  maxime 
Non  bis  in  idem,  c'est-k-dire  la  défense  de  s'inscrire  en  faux 
pour  la  partie  qui  a  déjà  succombé  dans  une  procédure  de 
faux  sur  la  même  pièce.  Rien  n'indique  que  les  rédacteurs 
du  Code  de  procédure ,  en  reproduisant  les  mêmes  termes, 
aient  eu  l'intention  d'innover.  Les  droits  des  tiers  demeu- 
reront donc  intacts.  Si  le  faux  n'a  été  instruit  que  civile- 
ment, la  chose  jugée  ne  pourra  avoir  effet  qu'entre  ceux  qui 
ont  été  parties  dans  l'instance.  S'il  y  a  eu  des  poursuites 
criminelles,  nous  verrons,  en  traitant  de  la  chose  jugée, 
l'influence  que  peuvent  avoir  ces  poursuites  sur  les  droits 
des  tiers.  Dans  tons  les  cas,  il  est  impossible  d'admettre 
l'autorité  absolue  qu'une  interprétation  littérale  attribuerait 
k  toute  décision  civile  ou  criminelle  qui  aurait  déclaré  véri- 
table une  pièce  arguée  de  faux  \ 

738.  La  procédure  de  faux  sera  du  reste  absolument  la 
même,  quand  il  s'agira  d'un  écrit  sous  seing  privé,  que  s'il 
était  question  d'un  acte  authentique. 


<  Dans  le  système  dn  projet  de  réfonne,  qui  assimUe  Ut  procédure  de 
faux  à  celle  de  Térification  d^écritures,  la  restriction  de  Partlde  314  n'a 
pins  de  raison  d'être.  Aussi  l'article  197  du  projet  déclare-t-il  simplement 
l'inscription  de  faux  non  recerable  contre  un  acte  privé,  dont  la  vérifieatk» 
a  été  faite  entre  les  mimes  parties  ^  ou  sur  une  poursuite  criminèUe  ea 
faux. 


ÉCRITURES  NON  SIGNÉES.  321 

DEUXIÈME  SECTION. 

ÉCRITURES  NON  SIGNÉES. 

SomAiBE.  —  740.  Elles  ne  font  foi, en  principe,  que  contre  lear  antenr.  —  740  bis. 
Quand  la  production  de  ces  écritures  peut  constituer  un  faux.  —  744 .  Deux  natures 
d'écrits  non  signés.  —  743.  Cas  on  les  registres  domestiques  font  foi  contre  Tauteur  de 
récriture.  —  743.  Dans  quelle  mesure  ils  peuvent  être  iuTOqués  en  sa  fayeur.  —  744. 
FeniUes  Tolantes.  —  748.  Notes  signées.  Lettres  missives.  —  746.  Production  des  re- 
gistres. —  747.  Écriture  se  rattachant  îi  un  titre.  —  748.  Mentions  tendant  k  la  libération. 
Doctrine  de  Pothier.  —  749.  Cette  doctrine  a-t-elle  passé  dans  le  Code?  —  750.  Faut-U 
que  le  titre  soit  demeuré  en  la  possession  du  créancier?—  784.  Mention  sur  une 
pièce  destinée  9i  demeurer  en  la  possession  du  débiteur.  —  782.  Résumé.  —  783.  Cas  on 
la  mention  a  été  rayée  après  coup.  —  784.  Écriture  tendant  ^  établir  un  supplément  de 
créance.  —  788.  Foi  des  notes  non  signées,  en  dehors  des  hypoUièses  prévues  par  la 
loi.  —  786.  Nécessité  de  Térifler  l'écrituie. 

740.  Un  acte  sous  seing  privé,  nous  l'avons  dit,  n'est 
en  général  valable,  d'après  nos  lois,  qu'autant  qu'il  est 
revêtu  de  la  signature  de  la  partie  qui  s'oblige.  Néanmoins 
les  écritures  non  signées  peuvent,  dans  certaines  circon- 
stances, faire  foi  contre  celui  qui  en  est  l'auteur,  mais  jamais 
en  sa  faveur.  (C.  civ.,  art.  1331.)  «  Exemple  pemiciosum 
a  est,  ut  ei  scripturae  credatur  qua  unusquisque  adnota- 
c(  tione  propria  debitorem  sibi  constituit.  »  (Gord.,  L.  7, 
Cod.,  Deprobat.)  Aussi  la  Cour  suprême  a-t-elie  cassé,  le 
2  mai  1810,  un  jugement  qui  avait  permis  de  déférer  le 
serment  supplétoire  k  une  partie  n'ayant  que  des  livres  do- 
mestiques par  elle  tenus  pour  justifier  de  sa  créance.  Il  y 
avait  exception  h  Rome  pour  les  nomina  tramcrifOitia,  d'où 
naissait  l'obligation  littérale,  et  il  y  a  encore  exception  chez 
nous  pour  les  registresdes  marchands,  dont  nous  parlerons  en 
traitant  de  la  preuve  préconstituée  au  profit  du  demandeur. 

740  bia.  Puisque  les  registres  domestiques  ne  font  point 
foi  en  faveur  de  celui  qui  les  tient,  le  fait  seul  de  tenir  des 
registres  domestiques  altérés,  s'il  n'en  a  point  été  fait 
usage,  ne  saurait,  comme  la  confection  d'un  acte  public  ou 
privé  où  la  vérité  serait  altérée  (comp.  Cod.  pén.,  art.  147, 
148, 150, 151),  constituer  le  crime  de  faux.  (Cass.,  27  jan- 
vier 1827.)  Mais  il  en  est  autrement  lorsque  la  falsification 
II.  «i 


323  JËCRITOflBfi  nON  6IGNÉKS. 

du  registre  a  eu  lieu  en  vue  d'une  production  préjudiciable 
k  autrui,  notamment  devant  un  arbitre  rapporteur,  et  qu'en 
réalité  cette  production  a  été  effectuée.  «  Si  les  énonciations 
«  d'un  registre  de  cette  nature  »,  dit  la  Coar  de  cassatioo 
(RoJm  7  octobre  1858),  a  ne  peuvent,  d'après  Tartide  1331, 
ft  former  un  titre  pour  celui  de  qui  elles  émanent ,  il  peut 
ft  en  résulter  des  présomptions  ou  des  indices  nai^bles  aoi 
«  tiers«  » 

Cette  décision  s'applique  à  fortiori  aux  livres  de  com- 
merce, qui  peuvent  faire  foi  contre  les  commerçants,  même 
lorsqu'ils  sont  irréguliers,  (N°  717.)  Les  Cours  de  Lyon  et 
de  Bourges  ayant  refusé  de  voir  un  faux  dans  l'espèce ,  la 
Cour  de  cassation  s'est  prononcée  cootre  leur  doctrine,  toutes 
sections  réunies,  le  32  juillet  1862* 

741*  Les  écritures  privées  non  signées,  susceptibles  de 
faire  foi  contre  celui  qui  eo  est  l'auteur,  sont  de  deux  na- 
tures. Les  unes  consistent  dans  les  documents,  plus  ou  moins 
réguliers,  k  l'aide  desquels  un  particulier  établit  l'état  de  ses 
affaires  \  les  autres  dans  certaines  mentions  se  rattachant  k 
un  titre  en  règle,  dont  elles  tendant  à  modifier  ou  k  détruire 
les  effets. 

74S.  Parlons  d'abord  des  écritures  qui  se  trouvent  sur  les 
registres  domestiques*  Bédigées  par  un  particulier  qui  veut 
sa  rendre  compte  de  ses  afËâres,  mais  sans  être  astreint  k 
aucune  forme,  k  aucun  ordre  régulier,  elles  ne  peuvent  habi- 
tuellement qu'être  tout  au  plus  un  commencemant  de  preuve 
par  écrit.  Boiceau  (part.  II,  chap.  viii,  n*  14}  leur  accorde 
néanmoins  foi  entière,  lorsqu'elles  énoncent  un  payement 
reçu  :  Seeuip  si  tcUit  confessio  etiam  non  9ub»ignata  vergat  ad 
libmmém.  Cette  première  exception,  reproduite  par  le 
Code  civil  (art.  1331),  se  justifie  soit  par  la  faveur  de  la 
libération ,  soit  par  l'extrême  vraisemblance ,  en  fait ,  de  la 
réalité  du  payement,  qu'il  n'est  guère  d'usage  d'inscrire 


ÉCBITKJRES  90^  SiaM|E8.  3S3 

avant  qu'il  ait  eu  lieu.  La  Cour  de  cassation  a  même  admis, 
le  9  janvier  1865,  la  foi  d'une  mention  de  payement  faite 
par  le  débiteur  lui-même  sur  le  registre  du  créancier, 
mais  au  vu  et  su  de  ce  dernier.  —  Une  seconde  exception, 
que  les  rédacteurs  du  Code  ont  empruntée  k  Potbier  (Oblig.^ 
n""  759),  existe  dans  le  cas  où  le  registre  du  débiteur  contient 
la  mention  expresse  que  la  note  a  été  faite  pour  suppléer  le 
défaut  de  titre  en  faveur  de  celui  au  profit  duquel  Tobliga- 
tion  est  contractée  :  comme  s'il  était  dit  que  le  créancier 
n'a  pas  voulu  recevoir  de  billet,  La  mention,  en  ce  cas, 
n'étant  plus  simplement,  pour  celui  qui  l'a  faite ,  un  moyen 
de  se  reconnaître  dans  ses  comptes,  mais  devant  tenir  lieu 
de  titre  au  créancier,  il  est  à  supposer  qu'on  prendra  soin 
de  la  rayer,  lorsque  l'obligation  sera  éteinte.  Dans  l'espèce 
précédente\  au  contraire ,  la  radiation  faite  après  coup  de  la 
mention  du  payement  sur  le  registre  ne  pourrait  en  général 
détruire  la  preuve  qui  résultait  de  cette  mention.  Mais  le 
créancier  est  recevable  a  justifier  de  son  erreur,  et  jamais 
d'ailleurs  les  énonciations  portées  dans  des  papiers  pure- 
ment domestiques  n'ont  la  foi  des  actes  authentiques  ou 
sous  seing  privé  *,  la  prohibition  de  prouver  contre  et  outre 
le  contenu  aux  actes  (art.  1341),  qui  n'est  pas  applicable 
aux  écritures  de  conunerce,  l'est  encore  moins  aux  registres 
domestiques. 

743.  Les  registres  ne  foQt  jamais  foi  en  faveur  de  celui 
qui  les  tient,  en  ce  sens  (seulement  qu'il  ne  peut  y  puiser  un 
titre  de  créance,  même  de  nature  à  autoriser  le  serment 
supplétoircr  Mais,  si  la  même  mention  énonce  la  formation 
de  la  créance  et  un  payement  total  ou  partiel ,  elle  ne  peut 
pas  plus  être  scindée  que  si  elle  se  trouvait  sur  les  registres 
d'an  marchand.  (Art.  1329,)  Il  en  serait  autrement  si  k  la 
mention  qui  constate  l'extinction  de  la  créance  se  rattachait 
la  mention  d'une  dette  contrstctée  en  foveur  du  débiteur  par 

21. 


324  ÉCRITURBS  MON   SIGNÉES. 

son  ancien  créancier  :  tes  deux  mentions  peavent  parfai- 
tement s'isoler.  (Gass.,  16  décembre  1833.)  Ce  n'est  Ik,  da 
reste,  que  l'application  des  règles  ordinaires  sur  l'indÎTisî- 
bilité  de  l'aveu.  (N*  356.) 

Au  surplus,  de  ce  que  les  papiers  domestiques  ne  font 
point  foi  en  faveur  de  celui  qui  les  a  rédigés ,  il  ne  faudrait 
point  conclure  qu'ils  ne  peuvent  être  employés  que  contre 
lui.  Le  Code  civil  lui-même  (art.  46,  324)  signale  ces  pa- 
piers comme  pouvant  suppléer  aux:  registres  de  l'état  cinf. 
Et  lorsque  le  père  de  famille  a  tenu  des  comptes  réguliers, 
on  peut  puiser  dans  ces  comptes  les  renseignements  né- 
cessaires pour  régler  sa  succession  entre  ses  enfants.  Les 
papiers  domestiques  ont  donc  plus  d'importance  que  ne  le 
ferait  supposer  le  texte  de  l'ariicle  t331 . 

744.  La  loi  parle  de  registres  et  de  papiers  domestiques. 
En  général ,  on  attachera  plus  d'importance  aux  mentions 
que  portent  des  livres  ou  carnets  destinés  h  être  conservés 
qu'à  de  simples  notes  sur  feuilles  volantes.  Mais  les  termes 
de  la  loi  comprennent  les  papiers  domestiques  de  toute  na- 
ture ,  et  il  serait  peu  raisonnable  de  repousser  d'une  manière 
absolue  l'autorité  des  feuilles  volantes ,  surtout  dans  l'opi- 
nion de  ceux  qui ,  comme  nous ,  n'exigent  point ,  à  peine  de 
nullité,  l'inscription  sur  un  registre  des  actes  de  l'état  civil. 
(N*527.)  D'abord,  incontestablement,  les  juges,  ayant  m 
pouvoir  discrétionnaire  pour  déterminer  ce  qui  constitue  un 
commencement  de  preuve  par  écrit,  peuvent  trouver  ce 
caractère  dans  un  écrit  quelconque ,  pourvu  qu'il  soit  de  la 
main  du  débiteur.  II  y  a  plus  de  difficulté  dans  le  cas  oà  les 
papiers  doivent  faire  pleine  foi  contre  celui  qui  les  a  écrits. 
Le  tribunal  doit  examiner  avec  soin  les  circonstances  de  la 
cause  et  les  habitudes  de  celui  qui  a  rédigé  la  mention. 
Ainsi,  on  doit  admettre  plus  facilement  l'autorité  de  la 
feuille  volante ,  lorsqu'il  y  a  mention  expresse  que  la  note  a 


ÉCRITURES  NON  SIGNÉE  325 

été  faite  pour  suppléer  le  défaut  de  titre,  que  s*il  y  a  seu- 
lement énonciation  d'un  payement  reçu-,  cette  énonciation 
pourrait  n'être  qu'un  projet  de  quittance,  rédigé  par  le 
créancier  en  vue  d'un  payement  qui  ne  s'est  point  réalisé.  Il 
en  serait  autrement  si  la  même  énonciation  figurait  dans  un 
inventaire,  tel  que  les  particuliers  en  font  souvent  sur 
feuille  volante  pour  se  rendre  compte  de  leur  situation. 

745.  Si  la  note  par  laquelle  je  me  reconnais  débiteur 
d'un  tiers  est  signée,  cette  signature  équivaut,  selon  Boi- 
ceau  et  selon  Pothier  (foc.  c&.),  k  la  mention  expresse  que 
les  parties  ont  voulu  suppléer  au  défaut  de  titre.  L'opinion 
de  ces  auteurs ,  quelque  raisonnable  qu'elle  soit,  n'ayant  pas 
été  reproduite  par  le  Gode  civil,  les  juges  peuvent,  suivant 
les  circonstances ,  voir  dans  la  note  signée  une  preuve  com- 
plète, ou  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  (Rej., 
31  mai  1842.)  Du  reste,  les  écritures  signées  le  plus  en 
usage ,  en  dehors  des  actes  sous  seing  privé  en  forme ,  ce 
sont  les  lettres  missives,  dont  nous  avons  apprécié  la  va- 
leur en  justice.  (N""  695.)  Ces  lettres,  si  celui  qui  les  a 
écrites  avait  l'intention  de  s'obliger,  équivalent  à  des  actes 
en  forme.  Aussi  sont-elles  soumises  k  un  droit  de  deux 
francs  par  la  loi  du  28  avril  1816  (art.  43, 14"),  lorsqu'elles 
ne  contiennent  aucunes  conventions  donnant  ouverture  au 
droit  proportionnel. 

746.  Les  dispositions  de  nos  lois  sur  la  foi  des  registres 
domestiques  semblent  supposer  que  l'une  des  parties  peut 
contraindre  l'autre  k  exhiber  ses  registres.  11  est  évident 
néanmoins  qu'on  ne  saurait  ici,  comme  en  matière  com- 
merciale (C.  de  comm.,  art.  15  et  17),  ordonner,  même 
d'office,  la  représentation  des  registres  de  l'adversaire, 
puisque  les  particuliers  ne  sont  pas  obligés  d'en  tenir.  Le 
refus  de  représentation  ne  pourrait  pas  non  plus,  k  lui  seul, 
autoriser  le  juge  k  déférer  le  serment  au  demandeur.  Seu- 


326  ÉCRITURES  ItON   SIGNÉES. 

lement,  si  l'existence  de  pareils  livres  est  établie  en  fhit,  ce 
qui  arrivera  le  plus  souvent  k  la  suite  d'inventaires ,  le  jage 
aura  un  pouvoir  discrétionnaire  pour  en  ordonner  la  pro- 
duction ^  mais  ce  n'est  jamais  pour  lui  une  obligation  légale. 
(Rej.,  18  février  1837.) 

747.  L'écriture  non  signée  a  beaucoup  plus  d'impor- 
tance lorsqu'elle  se  rattache  h  un  titre  préexistant.  «  Avoir 
c(  miâ  cette  écriture  sur  le  titre  même  »,  dit  Bigot-f  rea- 
meneu  (Exposé  des  motifs),  «  c'est  lui  en  avoir  donné  la 
«  force;  c'est  une  sorte  de  déclaration  faite  ici  &  la  justice, 
<(  sous  les  yeux  de  laquelle  te  qui  a  été  ainsi  écrit  sur  le 
«  titre  ne  peut  être  divisé.  »  La  mention  faite  sur  ce  litre 
peut  tendre,  soit  à  prouver  ^extinction  de  la  créance  con- 
statée par  ce  titre,  soit ,  au  contraire,  \k  étabb'r  une  créance 
additionnelle.  Lé  premier  de  ces  cas  est  le  seul  qui  ait  été 
prévu  par  nos  lois. 

748.  En  ce  qui  touche  les  écritures  tendant  à  la  libéra- 
tion du  débiteur,  portant,  par  exemple,  r^çu  ou  pour^ acquit, 
voici  quelle  était  la  doctrine  de  l'ancien  droit,  telle  du 
moins  qu'elle  a  été  formulée  par  Potbier.  (ObUg.,  n*'  761 
et  762.)  Suivant  ce  jurisconsulte,  lorsque  des  écritures 
non  signées ,  tendant  ainsi  à  établir  la  libération ,  sont  mises 
k  la  suite,  en  marge  ou  au  dos  d'un  écrit  signé,  il  faut 
distinguer  si  l'acte  n'a  jamais  cessé  d'être  en  la  possession 
du  créancier  ou  s*il  est  en  la  possession  du  débiteur.  Dans 
le  premier  cas,  l'écriture  tendant  k  la  libération  fait  foi,  de 
quelque  main  qu'elle  ait  été  écrite ,  fût-ce  même  de  celle 
du  débiteur,  parce  qu'il  est  plus  que  probable,  dit-on,  que 
le  créancier  n'aurait  pas  laissé  écrire  ces  reçus  sur  le  billet, 
s'il  n'y  avait  pas  eu  en  réalité  payement.  Dans  le  second 
cas ,  l'écriture  ne  fait  foi  que  si  elle  est  de  la  main  du  créan- 
cier \  il  ne  doit  pas  être  au  pouvoir  du  débiteur  de  se  libé- 
rer, en  faisant  écrire  le  reçu  par  un  iiei*s. 


ÉCRITURES  NOM   SIGNÉES.  327 

749.  Ce  système  est-il  celai  da  Code  civil?  Il  est  diffig 
die  de  le  croire ,  lorsque  Ton  compare  la  rédaction  dëflni* 
the,  totée  par  le  Conseil  d'État,  avec  le  projet  de  Code, 
qui  était  conçu  en  ces  termes  :  «  L'écriture  sons  seing  privé 
«  mise  à  la  suite ,  en  marge  on  an  dos  d'un  titre  qui  est 
«  toujours  resté  en  la  possession  du  créancier,  quoique  non 
«  signée ,  ni  datée  par  celui-ci ,  fait  foi ,  lorsqu'elle  tend  k 
«  établir  la  libération  du  débiteur.  0  C'était  bien  Ib  consa- 
crer la  doctrine  de  Pothier.  Mais  la  section  de  législation  a 
singulièrement  modifié  cette  rédaction,  en  y  ajoutant  les 
mots  par  te  créancier,  qui  Ont  passé  danâ  le  texte  du  Code. 
Des  auteurs  graves,  dont  nous  avions  d'abord  partagé  l'opi- 
nion, n'ont  vn  dans  cette  addition  qu'un  simple  lapms,  une 
répétition  involontaire  de  ce  qui  avait  été  utilement  ajouté , 
comme  nous  allons  le  voir,  dans  la  seconde  partie  de  l'ar- 
ticle i332.  Mais  il  faut  observer  que  la  rédaction  du  projet 
avait  été  combattue  par  le  tribunal  d'appel  de  Bordeaux , 
suivant  lequel  «  toute  note  mise  k  la  suite ,  en  marge  on  au 
«  dos  d'un  titre ,  ne  doit  jamais  constater  la  libération ,  si  * 
«  elle  n'est  écrite  de  la  main  du  créancier ,  ou  du  moins 
«  signée  par  lui.  »  Il  est  bien  &  croire  que  c'est  k  cette  idée 
que  se  sont  arrêtés  les  rédacteurs  du  Code.  Quelle  que  soit 
l'autorité  de  Pothier,  peut-elle  prévaloir  sur  la  lettre  de  la 
loi?  Sans  doute  il  est  éminemment  vraisemblable  que  l'écri- 
ture mise  sur  un  titre  qui  est  toujours  demeuré  en  la  pos- 
session du  créancier,  n'y  a  été  mise  que  de  son  consente- 
ment. Mais  le  contraire  a  pu  arriver ,  pendant  une  maladie 
par  exemple.  Il  n'est  donc  pas  permis  de  transformer  en 
présomption  de  droit  une  simple  vraisemblance,  en  s'at- 
tachant  trop  exclusivement  aux  traditions  de  l'ancien  droit. 
(Voy.  Colmar  ' ,  6  mars  1816.) 

*  Dans  l'espèce  jugée  par  la  Cour  de  Colmar,  la  meotioA  était  ToeuTre 
du  débiteur  lui-même  ;  Pothier  étend ,  en  effet ,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  la  présomption  jusqu'à  cette  hypothèse.  (Oblig.f  n«»  761.) 


338  ÉCRITURES  nON  SIGNÉES. 

780.  D'une  autre  part,  lorsque  récriture  est  de  la  main 
du  créancier ,  il  semble  parfaitement  inutile  d'exiger  que  le 
titre  soit  toujours  resté  en  sa  possession,  ainsi  que  le  suppose 
le  texte.  Aussi  y  a  t-il  des  auteurs  qui ,  tout  en  mainte- 
nant purement  et  simplement  dans  l'article  1332  ces  mots, 
par  le  créancier,  n'attachent  aucune  importance  au  fait  de  b 
possession  du  titre  par  ce  même  créancier.  C'est  Ik ,  suivant 
eux,  un  vestige  du  projet  de  Gode,  suivant  lequel  cette 
possession  était  indispensable,  précisément  parce  que  l'écri- 
ture pouvait  être  de  la  main  d'une  personne  quelconque. 
Dès  que  c'est  le  créancier  lui-même  qui  a  fait  la  mention 
libératoire ,  à  quoi  bon  exiger  que  le  titre  soit  demeuré  en 
sa  possession?  N'y  a-t-il  pas  un  argument  à  fortiori  a  tirer 
de  la  présomption  de  libération  qui  s'attache  à  la  simple  re- 
mise du  titre?  (C.  civ.,  art.  1282.  ) 

Nul  doute  qu'une  pareille  mention  ne  rende  éminemment 
probable  la  libération  du  débiteur.  Mais  ce  n'est  encore  là 
qu'une  probabilité,  et  il  est  possible  que  le  titre  portant 
cette  mention  ait  été  confié  à  un  tiers  chargé  du  recouvre- 
ment de  la  créance^  car,  s'il  avait  été  remis  au  débiteur, 
le  fait  seul  de  la  remise  emporterait  libération,  et  la  men- 
tion serait  surabondante  :  ce  qui  répond  au  prétendu  ali- 
ment à  fortiori  tiré  de  l'article  1282.  Dès  que  nous  faisons 
abstraction  de  l'ancienne  doctrine  pour  nous  attacher  stric- 
tement au  texte  du  Gode,  il  est  certain  que  la  présomption 
de  droit  n'existe  qu'autant  que  le  titre  est  demeuré  en  la 
possession  du  créancier.  Que  s'il  a  passé  en  d'autres  mains, 
la  mention  est  toujours  au  moins  un  commencement  de 
preuve  par  écrit,  et  les  juges  peuvent  prononcer  la  libéra- 
tion du  débiteur ,  en  se  fondant  sur  la  preuve  testimoniale 
ou  sur  des  présomptions  de  fait  :  ce  qui  empêche  que  l'ap- 
plication littérale  de  la  loi  n'ait  de  graves  inconvénients 
dans  la  pratique. 


ÉCRITURES  MON   SIGNÉES.  329 

751.  Le  Code  suppose  ensuite ,  avec  Pothier  (ibid., 
n*  762),  que  récriture  tendant  a  établir  la  libération  a  été 
mise  sur  une  pièce  destinée  par  sa  nature  k  demeurer  entre 
les  mains  du  débiteur  :  par  exemple ,  en  marge  du  double 
d'un,  acte  de  vente,  qui  serait  entre  les  mains  de  l'acheteur 
débiteur  du  prix ,  ou  bien  à  la  suite  d'une  quittance  précé- 
dente régulièrement  signée,  que  le  débiteur  aurait  égale- 
ment en  sa  possession.  Ici,  on  a  dû  exiger,  même  dans 
l'ancienne  doctrine,  que  l'écriture  fût  mise  par  le  créancier, 
puisque  autrement  la  fraude  eût  été  trop  facile  pour  le  pos- 
sesseur de  l'écrit  :  aussi  le  Conseil  d'État  a-t-il  rétabli  les 
mots  par  le  créancier,  omis,  involontairement  sans  doute, 
dans  le  projet  de  Code. 

Le  législateur  veut  ici  que  l'écrit  auquel  a  été  ajoutée  la 
mention  libératoire  soit  entre  les  mains  du  débiteur  \  Des 
doutes  se  sont  élevés  sur  ce  point,  k  raison  de  l'expression 
vague  double  d'un  titre,  qui  est  employée  par  la  loi.  Il  est 
par  trop  évident  que,  s'il  s'agit  du  double  de  l'acte  de  vente 
possédé  par  le  vendeur  créancier  du  prix ,  l'écriture  mise 
par  lui  k  la  suite  de  ce  double  fait  foi  de  la  libération  de 
l'acheteur.  Mais  nous  retombons  alors  dans  l'hypothèse  pré- 
vue par  le  premier  alinéa  de  l'article  1332.  Pour  comprendre 
le  texte  du  Gode,  il  faut  se  reporter  au  passage  correspon- 
datft  de  Pothier,  où  il  n'est  question  que  du  double  du  traité 
de  vente  qui  se  trouve  entre  let  fnains  de  tacheteur  débiteur  du 


»  1  Le  remaniemeot  de  la  rédaction  de  l'article  1S32  a  été  fait  d'une 
manière  inexacte ,  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  l'obscurité  du  second  alinéa 
de  cet  article.  Après  avoir  mentionné  le  double  d'un  titre  ou  bien  la 
quittance,  il  eût  fallu  ajouter  :  Pourru  que  ce  double  ou  cette  quittance 
soit  entre  les  mains  du  débiteur,  tandis  que  le  texte ,  portant  simplement  : 
«  pourvu  que  ce  double  soit  entre  les  mains  du  débiteur  »,  pourrait  faire 
supposer  qu'il  s'agit  du  double  d'un  titre  ou  du  double  d^une  quittance , 
ee  qui  est  inadmissible,  une  quittance  ne  se  faisant  jamais  en  double 
original.  Mais  toute  difficulté  s'évanouit  si  l'on  se  réfère  au  passage  de 
PotMer  (no  763)»  qu'évidemment  cette  fois  le  législateur  a  voulu  reproduire. 


330  ÉCRITURES  NON  SIGNÉES. 

• 

prix.  En  te  qui  concerne  Fécritufe  ajoutée  par  le  créancier 
à  ce  double  ou  k  une  quittance  précédente ,  seuls  cas  que  le 
législateur  ait  eu  en  vue,  la  condition  que  la  pièce  soif 
entre  lesi  mains  du  débiteur  se  conçoit  parfaitement,  et  Aa- 
«  trement  »,  dit  M.  Demante  (Programmé,  t.  Il,  n*  809), 
«  on  pourrait  supposer  que  le  débiteur  a  remis  au  créancier 
«  un  double  ou  sa  quittance  précédente ,  en  vue  d'un  paye- 
ce  ment  annoncé,  pour  faire  préparer  la  quittance,  et  que 
a  celui-ci  n'a  retenu  la  pièce  (aprèd  avoir  fait  la  mention) 
«  que  parce  que  le  payement  n'a  pas  été  effectué.  » 

752.  En  résumé,  la  législation  moderne,  à  la  différence 
de  Tancien  droit,  n'attacbe  point  d'importance  \i  la  mention 
libératoire  ajoutée  k  un  titre  par  toute  autre  personne  que 
le  créancier.  En  supposant  que  la  mention  a  été  faite  par  le 
créancier,  il  faut  distinguer  si  la  pièce  k  laquelle  on  l'a 
ajoutée  devait  demeurer  en  la  possession  du  créancier  ou 
bien  en  celle  du  débiteur.  Dans  le  premier  cas,  la  mention 
fait  pleine  foi ,  si  la  pièce  est  toujours  demeurée  en  la  pos- 
session du  créancier.  Dans  le  second  cas,  il  faut,  au  con- 
traire, que  la  pièce  soit  entre  les  mains  du  débiteur.  Enfin, 
lors  même  qu'il  n'y  a  point  présomption  légale  de  libération, 
les  juges  auront  k  examiner  si  l'écriture,  étant  de  la  main 
du  créancier ,  ne  doit  pas  être  considérée  comme  un  corn-* 
mencement  de  preuve,  susceptible  d^étre  complété  ad 
moyen  de  la  preuve  testimoniale  ou  des  présomptions. 

753.  Supposons  maintenant  la  mention  libératoire  rayée 
après  coup.  S'il  s'agit  de  la  quittance  mise  par  le  créaacie» 
sur  un  titre  qui  est  demeuré  en  la  possession  du  débiteur, 
elle  ne  fait  point  foi,  si  elle  est  barrée.  Le  débiteur  ne  l'eût 
point  laissé  rayer,  si  le  payement  avait  eu  lieu  effective- 
ment, et  il  est  probable  qu'elle  avait  trait  k  un  projet  de 
payement  qui  ne  s'est  point  réalisé.  Telle  était  la  doctrine 
de  Potbier  (Oblig.,  n'  762),  qui  est  encore  suivie  aujoor- 


ÉCRITURES  NON   SfCNÉÊS.  331 

d'hai  dans  difficulté.  Il  n^en  est  plus  de  même  lorsque  ce 
jurisconsulte  ajoute  {ibid.,  n""  761  )  que  les  écritures  mises 
par  le  créancier  au  bas  d'ud  acte  demeuré  en  sa  possession 
font  foi,  lors  même  qu'elles  ont  été  barrées,  parce  qu'il  ne 
doit  pas  dépendre  de  lui  ou  de  ses  héritiers  de  détruire  la 
preuve  du  payement.  C'est  h  une  pétition  de  principe ,  car 
il  peut  fort  bien  se  faire,  comme  dans  l'espèce  précédente, 
que  la  mention  ait  eu  lieu  en  vue  d'un  payement  qui  né  s'est 
point  effectué.  Aussi  décide-t-on  généralement  que  la  men- 
tion rayée  doit  être  considérée  comme  non  avenue ,  sauf  au 
débiteur  &  faire  la  preuve  du  dol ,  s'il  y  a  lieu. 

76A.  Le  cas  où  l'écriture  non  signée  tendrait  a  établir 
un  supplément  de  créance  n'est  pas  prévu  par  nos  lois. 
Boiceau  (part.  H,  chap.  li,  n""  3)  fkit  sur  ce  point  une  dis- 
tinction fort  raisonnable.  Ou  bien  l'écriture  ajoutée  au  billet 
après  la  signature  est  un  développement  de  la  précédente 
obligation ,  comme  s'il  est  dit  :  Je  m'engage  de  plu$  k  ser- 
vir tels  intérêts,  ou  k  rembourser  la  créance  k  telle 
échéance-,  alors  l'addition  se  confond  avec  la  disposition 
principale.  Il  y  a  alors ,  suivant  Boiceau ,  untu  et  continuatus 
actug,  ad  idem  signum  pariter  relatus.  Ou  bien ,  au  contraire , 
l'addition  est  tout  k  fait  indépendante  dé  l'écrit  signé,  et 
alors  le  fait  que  cette  addition  n'a  pas  été  signée  également, 
doit  la  faire  considérer  comme  un  simple  projet,  auquel  on 
n'a  pas  donné  suite  :  Nudam  tantum  et  imperfectam  scriptur- 
ram,  dit  Boiceau  ,  in  quà  fartasse  scribens  perseverare  notuerit. 
Reproduite  littéralement  par  Pothier  (n*  763),  cette  doc- 
trine n'est,  sans  doute,  pas  obligatoire  pour  les  juges  dans 
le  silence  du  Code  ^  mais  les  décisions  qui  l'adopteraient  ne 
pourraient  être  regardées  comme  illégales ,  puisque  les  actes 
sous  seing  privé  n'ont  rien  de  solennel ,  et  que ,  si  Ton  doit 
exiger  dans  un  testament  olographe  que  tout  soit  terminé 
par  ta  signature  du  testateur,  il  n'y  a  pas  même  raison  de 


332  ÉCRITURES  NON  SIGNÉES. 

décider  pour  les  antres  écrits  privés ,  qui  ne  sont  assujettis 
à  aacane  forme  déterminée. 

766.  En  dehors  des  hypothèses  que  nous  venons  de  par- 
courir ,  une  note  non  signée  peut  valoir  tout  au  plus  comme 
un  commencement  de  preuve  par  écrit ,  afin  d'admettre  la 
preuve  testimoniale,  si  le  tribunal  le  juge  convenable.  C'est 
ainsi  que  la  Cour  de  Paris,  le  6  mars  1854,  a  refusé  de 
donner  suite  k  la  réclamation  d'un  notaire  fondée  sur  une 
note  non  signée ,  dans  laquelle  un  défunt  lui  avait  attribué 
la  propriété  de  62,000  francs  en  billets  de  banque ,  aucun 
indice  ne  justifiant  du  transport  de  cette  propriété  ^  titre 
onéreux ,  et  la  note  ne  pouvant  équivaloir  même  à  un  don 
manuel.  Le  pourvoi  contre  cet  arrêt  a  été  rejeté  le  30  juil- 
let i855.  Mais  nous  croyons  que  la  Cour  de  Paris  n'a  pas 
été  assez  loin,  lorsqu'elle  n'a  vu  (arr.  du  26  janvier  1867) 
qu'un  commencement  de  preuve  par  écrit  de  la  propriété  da 
titre  dans  une  note  non  signée,  mais  écrite  de  la  main  du 
détenteur,  attachée  k  un  titre  au  porteur.  Elle  a  permis  sea- 
lement,  en  ce  cas^  k  la  personne  désignée  dans  la  note,  de 
prouver  contre  la  maxime  :  En  fait  de  meubles  possession 
vaut  titre  (Cod.  civ.,  art.  2279}^  tandis  qu'il  eût  été  plus 
exact  de  voir  dans  la  note,  dont  l'écriture  n'était  point  con- 
testée, un  aveu  de  la  précarité  dans  la  possession,  qai 
faisait  cesser  l'application  de  la  maxime.  (Comp.  Cass., 
24  avril  1866.) 

756.  Dans  tous  les  cas ,  il  est  bien  entendu  que  l'écri- 
ture, si  elle  est  contestée,  doit  être  vérifiée,  puisqu'un 
écrit  non  vérifié,  ni  reconnu,  ne  peut  pas  même  servir  de 
commencement  de  preuve.  Et  peu  importe  que  la  nature  de 
la  note  rende  diOicile  la  preuve  de  son  authenticité.  De  sim- 
ples chiflres  peuvent  même,  ainsi  que  Ta  jugé  autrefois  un 
arrêt  du  conseil  du  23  juin  1773,  être  vérifiés  dans  la  forme 
ordinaire.  La  difficulté  de  la  preuve  ne  saurait  détruire  le 


ÉCRITURES  NON   SIGNÉES.  333 

principe  constant  qui  ne  permet  d'admettre  aacun  écrit 
dont  la  sincérité  n'est  pas  recomme. 

TROISIÈME  SECTION. 

TAILLES. 

SOHMAiBE.  —  757.  Foi  des  tailles.  —  758.  Ne  point  s'attacher  an  taux  de  la  preave  par 
témoins.  —  759.  Foi  ^  l'égard  des  tiers.  —  760.  Quid  si  l'éctiantillon  n'est  point  repré- 
senté? —  764.  Tailles  en  matière  pénale.  —  762.  Jetons  et  méreaux. 

757.  Le  mot  taille,  qui  vient  du  latin  talea  (c'est-à-dire, 
suivant  Ducange,  ramm  indsus),  désigne  un  morceau  de 
bois  fendu  en  deux  parties  égales.  L'une  des  moitiés,  qui 
conserve  le  nom  de  taille,  est  gardée  par  le  fournisseur^ 
l'autre  moitié,  qui  est  remise  au  consommateur,  reçoit  le 
nom  A' échantillon.  Au  moment  de  la  fourniture,  on  rap- 
proche la  taille  de  l'échantillon ,  et  on  y  fait  des  entailles 
transversales,  que  l'on  nomme  coches.  La  taille  et  Téchan- 
tillon  servent  à  se  vérifier  mutuellement,  comme  autrefois 
les  chartes-parties.  (N"*  683.)  * 

Lorsque  les  deux  moitiés  sont  représentées  et  se  corres- 
pondent, les  fournitures  se  trouvent  constatées  par  l'aveu 
du  consommateur,  tout  aussi  bien  que  si  cet  aveu  était  con- 
signé dans  un  acte  authentique. 

Les  tailles  corrélatives  h  leurs  échantillons»,  dit  l'ar- 
ticle i  333  du  Code  civil ,  «  font  foi  entre  les  personnes  qui  sont 
<i  dans  l'usage  de  constater  ainsi  les  fournitures  qu'elles  font 
«  ou  reçoivent  en  détail.  » 

Le  texte  suppose  la  taille,  c'est-k-dire  l'exemplaire  de- 
meuré entre  les  mains  du  fournisseur,  corrélative  à  l'échanr 
tUlon  :  hypothèse  analogue  à  celle  où  les  livres  de  deux 
commerçants  se  trouvent  d'accord.  S'il  n'y  a  qu'un  accord 
partiel ,  les  tailles  font  foi  jusqu'à  concurrence  du  nombre 
de  coches  qui  se  retrouve  de  part  et  d'autre  ;  les  autres  en- 


334  ÉCniTPRES  NON  SIGNÉES. 

tailles  sont  causées  provenir  de  quelque  erreur  ou  de 
quelque  accident. 

758.  Il  faut  décider,  avec  Boiceau  (part.  II,  chap.  ix, 
§  7),  ce  qui  résulte,  du  reste,  des  termes  généraui  de  la 
loi ,  que ,  même  au-dessus  du  taux  fixé  pour  l'admissibilité 
de  la  preuve  testimoniale,  c'estrh-dire ,  dans  le  droit  ac- 
tuel ,  au-dessus  de  cent  cinquante  francs ,  les  tailles  doivent 
faire  foi  entre  les  parties.  Suivant  Boiceau ,  il  serait  trop 
dur ,  la  valeur  des  fournitures  ne  dépassant  point  habituel- 
lement le  taux  légal ,  d'exclure  la  preuve  testimonial^  fvree 
que  ce  taux  se  trouverait  dépassé ,  même  à  Tinsu  des  par- 
ties. Mais  il  est  plus  exact  de  dire,  avec  Pothier  {Oblig., 
n*  765),  que  les  tailles  constituent  une  espace  de  preuve 
littérale  ;  et  c'est  en  effet  sous  la  rubrique  de  la  preuve  lit- 
térale  que  le  Code  traite  des  tailles. 

759.  Faut*-il  en  dire  autant  vis-à-vis  des  tiers?  Boiceaa 
nous  rapporte  (même  ohap.  ix)  que  l'affirmative  fut  décidée 
de  son  temps ,  dans  une  espèce  où  un  boucher ,  qui  avait 
fourni  des  peaux  k  un  tannefur,  fut  autorisé,  non  pas  seule- 
ment à  venir  par  contribution  avec  les  autres  créanciers, 
mais  même  k  exercer  la  revendication  de  ces  peau^ ,  faute  . 
de  payement  du  prix-,  le  tout,  sur  la  foi  de  tailles  corréla- 
tives aux  échantillons.  Danty  (addit.  sur  ce  chap.)  refuse, 
au  contraire,  toute  foi  aux  tailles  k  l'égard  des  tiers;  et  cette 
divergence  d'opinion  s'explique  historiquement ,  les  prin- 
cipes sur  la  certitude  de  la  date  n'étant  pas  encore  bien 
établis  dans  le  temps  où  Boiceau  écrivait.  La  décision  de 
Boiceau  doit  toutefois  être  admise  sans  difficulté  dans  Tes- 
pèce  qu'il  cite  ',  car  il  s'agissait  des  rapports  d^un  tanneur  et 
d'un  boucher,  et  il  est  constant  que,  dans  les  relations  com- 
merciales ,  on  n'exige  pas  de  date  certaine ,  même  k  l'égard 
des  tiers.  (N*  702.)  De  marchand  k  particulier,  l'opinion  de 
Danty  nous  avait  semblé  préférable,  en  tant  du  fnoins  qu'il 


iGBITURBS  NOH  8|6N]£BB.  335 

s'agit  d'eiercer  un  droit  de  reveDdication  ou  de  privilège 
spécial  *,  fiar  le  fourDisseur  lierait  incontestablement  admis  à 
venir  par  contribution,  puisque  entre  créanciers  cbirogra- 
pbaires  la  question  de  date  n'a  aucune  importance.  Nous 
nous  attachions  à  cette  idée  qu'il  n'est  pas  impossible  que 
l'échantillon  ait  acquis  unç  sorte  de  date  certaine  :  ce  qui 
arriverait  au  cas  où  il  aurait  été  mis  ik>us  scellés  après  dé- 
confiture ou  décès ,  et  où  l'existence  en  aurait  été  constatée 
par  l'inventaire.  Mais ,  après  mûre  réfleiion ,  cette  opinion 
nous  semble  trop  rigoureuse ,  et  pous  pensons .  avec 
11.  Massé  (^DroU  oomm.,  tom.  FV,  n*  2526),  que,  comme  il 
n'y  a  aucun  moyen  usuel  de  donner  date  certaine  aux  tailles, 
les  tribunaux  ont ,  dans  tous  les  cas ,  un  pouvoir  discrétiou- 
naire  pour  les  admettre  même  vis^-k-vis  de  tiers  non  m^- 
chands,  Tarticle  1335  n'étant  point  applicable. 

760.  Lorsque  sa  partie  que  le  fournisseur  attaque  en 
exhibant  la  taille,  ne  représente  pas  l'échantillon,  ou 
bien  elle  allègue  l'avoir  perdu ,  ou  bien  elle  prétend  qu'il 
n'y  a  jamais  eu  de  fourniture  ainsi  constatée.  Dans  la  pre- 
mière hypothèse ,  elle  est  en  faute ,  elle  devait  se  procurer 
.une  nouvelle  taille^  la  moitié  qui  est  entre  les  mains  du 
fournisseur  fera  foi ,  en  l'absence  de  l'échantillon ,  k  moins 
qu'on  ne  prouve  qu'il  y  a  fraude  de  sa  part.  C'est  en  ce  sens 
que  la  coutume  de  Tournai  {De  l'ampUation ^  art.  13)  déci* 
dait,  dans  l'espèce,  que  la  taille  exhibée  par  le  demandeur 
serait  tenu»  pour  vérifiée.  Dans  la  seconde  hypothèse ,  lorsque 
le  consommateur  nie  qu'il  y  ait  jamais  eu  d'échantillon 
entre  ses  mains,  la  taille  est,  rigoureusement  parlant ,  dé- 
nuée de  toute  force  probante ,  puisqu'elle  constitue  un  titre 
émané  du  marchand  seul.  (C.  civ.,  art.  1329.)  Néanmoins, 
si  le  fournisseur  jouit  d'une  bonne  renommée  et  que  les 
fournitures  soient  vraisemblables ,  nous  serions  disposé  k 
considérer  les  coches  faites  sur  la  taille  comme  équivalant 


336  ÉCRITURES  NON   SIGNÉBS. 

k  récriture  insérée  par.  le  marchand  sur  ses  livres,  de  ma- 
nière a  permettre  au  juge  de  déférer  le  serment  snpplé- 
toire  au  fournisseur  ou  à  son  adversaire.  (Même  art.  1329.} 

76i.  Au  surplus,  l'assimilation  des  tailles  à  récriture 
ne  saurait  être  admise  en  matière  pénale.  Aussi  est-ce  avec 
raison  que  la  Cour  de  Paris,  le  3  mars  1854,  a  refusé  de 
considérer  comme  faussaire  (n*  533)  un  boulanger  qui  avait 
fait  des  marques  frauduleuses  sur  la  taille  et  sur  Téchan- 
tillon. 

762.  Indépendamment  des  tailles,  il  peut  y  avoir  des 
marques,  des  jetons  représentant  une  certaine  valeur.  C'est 
une  institution  fort  ancienne.  Danty  (add.  sur  Boiceau, 
part.  Il ,  cbap.  ix)  cite  les  diverses  espèces  de  tesierœ  usitées 
k  Rome,  dont  la  plus  importante  était  la  testera  Jrumenuaria, 
bon  de  blé  distribué  au  peuple  par  les  empereurs.  »Chez 
nous,  les  méreaux,  tenant  à  la  fois  de  la  monnaie  et  du  jeton , 
avaient  un  caractère  semblable.  Ils  servaient  tantôt  de 
marque ,  tantôt  de  monnaie  de  compte  donnée  en  payement , 
et  c'est  à  ce  dernier  titre  qu'on  les  distribuait  aux  cha- 
noines ^  (Voy.  M.  Loir,  Recherches  star  tes  monnaies,  mé^ 
veaux  y  sceaux  de  la  ville  de  Mantes,  Paris,  1859.)  Les  signes 
de  cette  nature,  équivalant  h  des  présomptions,  peuvent  en- 
core être  invoqués  utilement  aujourd'hui,  lorsque  la  valeur 
réclamée  ne  dépasse  pas  cent  cinquante  francs.  Au  delà  de 
cette  valeur,  ils  ne  peuvent  l'être  que  par  celui  qui  a  en  sa 
faveur  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  Il  faut  ob- 
server, du  reste,  qu'un  bon  signé  ou  parafé,  si  l'écriture 
n'était  point  contestée,  renfermerait  en  lui-même  le  com- 
mencement de  preuve  exigé. 

1  Une  ordonnance  de  Charles  VI  sur  la  réforme  de  la  Sainte-Chapelle 
s'adresse  distributori  meréUorum. 


=^s-as 


'.  '.  «  r 


qH  DSS  ÉCRITS  PRIVÉS  EN  MATIÈRE  GRIMIMBLLlS.      337 


QUATRIÈME  SECTION. 

FOI  DES  ÉCRITS  PRITES  EN  MATIÈRE   CRIMINELLE. 

SOMMAiBE.  —  763.  Rôle  des  écrits  privés  sa  criminel.  —  764.  Cas  ok  l'écrit  est  le  corps 
du  délit.  —  76S.  Où  il  n'est  qu'an  doeoment.  Perquisition.  Saisie  des  lettres.  '—  766. 
Abas  de  cette  preoTe.  —  767.  Sartoot  il  l'égard  des  tiers.  —  768.  Renvoi  pour  la 
compéienee. 

'763.  Les  écrits  privés  peuvent  jouer  un  râle  important 
dans  une  procédure  criminelle ,  soit  que  le  corps  même  da 
délit  consiste  dans  un  écrit,  soit  que  l'écrit  soit  simplement 
invoqué  comme  preuve  d'un  délit  d'une  nature  quelconque. 
L'admissibilité  des  écrits  avait  été  consacrée  par  l'ordon- 
nance de  1670,  qui,  sans  s'arrêter  aux  doutes  soulevés  par 
certdns  interprètes,  autorisait  la  preuve  (tit.  XXY,  art.  6) 
par  pièces  authentiques  au  reconnues  par  C accusé. 

764.  Dans  la  première  hypothèse,  s'il  s'agit,  par  exemirie» 
de  faux,  de  correspondance  contre  la  sûreté  de  l'État  (C.  pén. , 
art.  76  et  suiv.  ) ,  de  menaces  faites  par  écrit  (i6t<f .,  art.  305), 
la  question  de  la  sincérité  de  l'écrit  est  capitale ,  puisc^u'en 
dehors  de  l'écriture  il  n'y  a  plus  de  procès.  Alors ,  si  l'écri- 
ture est  déniée,  la  vérification  est  d'une  extrême  gravité. 
Ici  l'art  conjectural  des  experts  ne  doit  être  consulté  qu'avec 
beaucoup  de  défiance,. et  l'on  doit  toujours  préférer  k  leur 
rapport  la  preuve  testimoniale ,  lorsqu'il  est  possible  de  se 
la  procurer.  De  nombreux  exemples ,  puisés  dans  notre  an- 
cienne jurisprudence ,  témoignent  assez  du  danger  de  s'en 
rapporter  aux  maîtres  écrivains.  Dans  trois  afEaiircs  presque 
identiques ,  celles  des  chanoines  de  Beauvais ,  du  vicaire  de 
Jouarre  et  du  curé  d'Orléans  (Merlin,  Répert.,  Comparaison 
d'écritures),  de  vénérables  ecclésiastiques  furent  accusés 
d'avoir  écrit  des  lettres  anonymes  injurieuses;  dans  chacune 
de  ces  espèces ,  quatre  experts  déclarèrent  unanimement 

II.  22 


338     FOI'  DBS  ÉCaiTS  FUVÉS  BN  MATIÈRB  CRIHIIIBLLB. 

que  les  lettres  étaient  de  la  main  des  accusés,  et  cependant 
rinnocence  de  ces  derniers  finit  par  être  clairement  établie, 
le  véritable  auteur  des  lettres  ayant  été  découvert. 

Bien  que  ces  faits  soient  postérieurs  à  la  rédaction  de 
l'ordonnance  criminelle  de  1670,  Texpérience  avait  fait  re- 
coonaitre  dès  lors  tout  le  danger  de  Texpertise*  Un  traité  de 
Levayer  sur  la  comparaison  d'écritures  ' ,  rédigé  k  Toccasioa 
du  procès  de  Fouquet,  avait  Tait  ressortir  avec  énei^ie  tout 
ce  qu'il  y  a  d'arbitraire  dans  ce  mode  de  vérification ,  sur- 
tout appliqué  aux  matières  criminelles.  Camparaih  Jack 
duntaaxu  fùmum,  telle  était  sa  conclusion.  Aussi  avait-m 
proposé  d'insérer  dans  le  titre  VU  de  l'ordonnance  de  1670 
un  article  ainsi  conçu  :  «  Sur  la  seule  déposition  des  experts 
(c  et  sans  autres  preuves ,  adminicules  ou  présomptions ,  ne 
a  pourra  intervenir  aucune  condamnation  de  peine  afflic- 
<(  tive  ou  difiamante.  »  Mais  l'avocat  général  Talon  fit  sen- 
tir combien  serait  dangereuse  une  disposition  de  cette  na- 
ture ,  qui  tendrait  souvent  k  détruire  la  seule  preuve  que  le 
juge  puisse  se  procurer  d'après  le  caractère  des  faits.  Sarses 
observations,  appuyées  par  le  président  Lamoignon,  l'ar- 
ticle fut  retrandié.  Aujourd'hui  le  Code  d'instruction  cri- 
minelle ne  fait  allusion  k  la  comparaison  d'écritures  qu^en 
matière  de  faux  ;  mais  il  n'est  pas  douteux  qu'on  ne  doive 
employer  la  même  voie ,  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  vé- 
rifier un  écrit.  Toutefois ,  la  vérification  d'écritures ,  au  cri- 
minel ,  n'est  point  soumise  k  des  règles  aussi  rigoureuses ,  à 
raison  du  pouvoir  souverain  d'appréciation  qui  appartient  k 
la  juridiction  pénale.  (Rej.,  20  juin  1846.)  Les  précédents 
de  l'ancien  droit  et  ceux  du  droit  moderne  (  voy.  notanumil 
l'affaire  La  Rondère)  doivent  rendre  les  jurés  et  les  juges 


*  On  le  trouve  à  la  fin  du  lYaité  de  lapreuvepar  témainSf  par  Boioean^ 
édiUoB  da  Dtiity. 


FOI  DBS  ÉCRITS  PRIYÉS  EN  aATlÈRB   CRIMINELLE.      339 

« 

très-drconspects  à  condamner  sur  un  simple  rapport  d'écri- 
vains; les  Ângbîs  pensent  également  qu'il  fout  ajouter  peu 
de  foi  (very  Hule^  if  any  reliance)  à  un  rapport  de  cette  nan 
ture  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  726,  net.  2)^  ma»  on  doit 
reconnaître  aussi  que ,  dans  beaucoup  de  cas ,  les  conclu- 
sions des  experts  se  sont  trouvées  exactes,  et  qu'il  serait 
fort  dangereux  de  les  rejeter  d'une  manière  absolue. 

Ce  que  nous  avons  dit  sur  l'importance  du  choix  des 
experts  dans  la  procédure  en  vérification  d'écritures  (a'  731), 
s'applique,  à  plus  forte  raison,  en  matière  criminelle.  Il 
parait  que  la  jurisprudence  allemande  n'est  pas  non  plus  à 
l'abri  de  la  critique  sous  ce  rapport.  «  On  voit  souvent,  et 
«  bien  k  tort  »,  dit  M.  Mittermaier  (De  la  preuve  en  matière 
crmineUe,  chap.  li),  «  l'inquisiteur  appeler  les  professeurs 
«  d'écriture  du  lieu  ;  ceux-ci ,  parfaitement  aptes  k  décider 
«  de  la  beauté ,  de  la  netteté  de  la  main ,  ne  le  sont  pas  too- 
«  jours  autant  lorsqu'il  s'agit  de  constater  la  ressemblance 
a  de  deux  corps  d'écritures.  Certes ,  des  individus  qui ,  par 
«  le  fait  même  de  leurs  fonctions  (des  employés  de  l'en* 
«  registrement,  des  archivistes,  des  teneurs  de  livres)  votent 
«  chaque  jour  passer  sons  leurs  yeux  des  écritures  de  toutes 
«sortes,  et  ont  l'occasion  fréquente ' d'en  faire  l'examen 
«  approfondi,  seront  bien  mieux  en  état  d'éclairer  la  religion 
«  du  juge.  D  M.  Wills  cite  également  l'exemple  d'un  nia- 
^strat  anglais  qui  refusa  d'employer  la  loupe  dont  se  ser- 
vaient les  experts  écrivains ,  en  faisant  remarquer  que  cet 
instrument,  bon  pour  les  expériences  physiques,  ne  mon- 
trait pomt  les  caractères  sous  leur  véritable  jour.  (Cbvtiiiur. 
évidence,  chap.  iv,  sect.  â.) 

76t(.  Quand  les  écrits  invoqués  ne  csostitiient  pas  le 
dâit ,  mais  seulement  des  documents  de  nature  à  l'étaUir, 
la  vérification  d'écritures  ofiEre  en  général  moins  d'intérêt , 
et  il  est  inutile  de  se  lancer  dans  les  embarras  et  les  lenteurs 

22. 


340     FOI  DES  ÉCRITS  PRIVÉS  EH  HATIÈKE   CRIMINELLE. 

d*une  expertise,  si  on  a  des  preuves  plas  directes  dans  la 
déposition  des  témoins.  Quelquefois  cependant  les  écrits 
sont  d'une  haute  importance.  Ainsi,  la  correspondance,  pour 
la  preuve  de  la  complicité  d'adultère,  est  le  seul  moyen  admis- 
sible, en  l'absence  du  flagrant  délit  (G.  pén.,  art.  338)  ou 
de  l'aveu.  (N*  366.)  Lorsque  les  papiers  ont  été  saisis  au 
domicile  de  l'inculpé ,  il  lui  devient  plus  difficile  d'en  nier 
la  sincérité.  Aussi  la  loi  veut-elle  qu'on  s'assure  le  plus  tôt 
possible  de  ces  pièces,  et  qu'on  en  constate  avec  soin  l'iden- 
tité. Dans  les  cas  réputés  flagrant  délit  \  le  procureur  de  la 
république  ou  sesofiiciers  de  police  auxiliaires  (G.  d'inst., 
art.  36  et  suiv.),  et  dans  tous  les  cas,  le  juge  d'instruction 
{ibid.,  art.  87  et  suiv.),  doivent  se  transporter  au  domicile 
de  l'inculpé  et  y  opérer  la  perquisition  de  tous  les  papiers 
jugés  utiles  ^  la  manifestation  de  la  vérité.  On  les  lui  pré- 
sente à  l'effet  de  les  reconnaître  et  de  les  parafer^  au  cas 
de  refus,  il  en  est  fait  mention  au  procès-verbal.  Ils  sont 
ensuite  clos  et  cachetés.  Plus  tard,  ils  figurent  parmi  les 
pièces  de  conviction  qu'on  représente  à  l'audience. 

Les  perquisitions  faites  en  cas  de  flagrant  délit  par  le 
procureur  de  la  république  ou  par  ses  auxiliaires  ne  peuvent 
avoir  lieu  qu'au  domicile  de  l'inculpé  ou  de  ses  complices 
présumés.  Le  juge  d'instruction,  au  contraire,  peut  se 
transporter  dans  tout  autre  lieu  ^  s'il  présume  qu'on  y  a 
caché  des  pièces  de  conviction.  {Ibid.,  art.  88.)  Toutefois  il 
est  clair  que ,  si ,  au  moment  où  une  visite  domiciliaire  va 
s'opérer,  les  papiers  suspects  étaient  frauduleusement  con- 
fiés à  des  tiers ,  tout  officier  ayant  qualité  pour  verbaliser  an 
cas  de  flagrant  délit  serait  autorisé  k  faire  une  perquisition 
au  domicile  de  ces  tiers.  Le  pouvoir  qu'on  a  entendu  réserver 

*  si  toutefois  il  s^agit  d'an  crime,  aux  termes  de  l*artide  32  da  Code 
dinstroction  ;  —  mais  nous  ayons  déjà  fait  observer  (tom.  I,  p.  123, 
note  1)  que  la  jurisprudence  étend  aux  déUts  proprement  dits  les  attribu- 
tions du  ministère  pnbUe. 


FOI  DES  ÉCRITS  PRITES  EN  HATIÈRE  CRIMINELLE.      341 

aa  jage  d'instruction ,  c'est  celai  d'opérer  des  recherches 
chez  des  tiers  contre  lesquels  il  ne  s'élèyerait  qu'un  simple 
soupçon,  ou  même  qui  se  trouveraient  posséder  ces  papiers 
sans  fraude. 

Le  pouvoir  du  juge  d'instruction  s'étend-il  jusqu'à  saisir 
à  la  poste  les  lettres  de  l'inculpé,  celles  qui  lui  seraient 
adressées,  ou  même  celles  des  tiers,  si  les  besoins  de 
l'instruction  l'exigent? 

Pour  soutenir  la  négative,  on  invoque  le  principe  du 
secret  des  lettres,  consacré  dans  l'ancien  droit,  reproduit 
dans  la  loi  du  4  août  1790,  et  sanctionné  par  l'article  187 
du  Gode  pénal ,  qui  punit  de  peines  correctionnelles  toute 
suppression,  toute  ouverture  des  lettres  confiées  à  la  poste, 
commise  ou  facilitée  par  un  fonctionnaire ,  ou  un  agent  du 
gouvernement  ou  de  l'administration  des  postes. 

Mais  les  articles  87  et  88  du  Gode  d'instruction,  qui 
autorisent  le  juge  k  saisir,  soit  chez  le  prévenu,  soit  ailleurs, 
les  papiers,  effets,  et  généralement  tous  objets  jugés  utiles  à  la 
manifestation  de  la  vérité,  ne  comportent  aucune  distinc- 
tion. Autre  chose  est  la  violation  administrative  du  secret 
des  lettres ',  qu'a  en  vue  le  Code  pénal,  autre  chose  est  la 
communication  de  tous  documents  nécessitée  par  le  service 
de  l'instruction  judiciaire.  Interpellé  sur  une  saisie  de  lettres 
opérée  par  le  juge  d'instruction,  M.  Odilon  Barrot,  alors 
président  du  conseil,  a  répondu  en  ces  termes  {Moniteur 
du  23  octobre  1849)  :  «  Si  vous  entendez  parler  de  ce  droit 
«  arbitraire ,  occulte ,  que  les  gouvernements  peureux  ont 
«  exercé  dans  certaines  circonstances ,  pour  chercher  dans 

*  Une  instnictioii  da  directenr  des  postes,  en  date  dn  20  mars  1854, 
autorise  les  agents  des  postes  à  saisir  les  imprimés  mis  à  la  poste  sous 
enTeloppe,  en  contravention  à  la  législation  spéciale.  Mais  les  agents 
penTent-lls,  comme  Pa  soutenu  M.  Vandal  à  la  tribune  (Moniteur  du 
23  férrier  1867),  reconnaître,  à  la  seule  inspection  extérieure,  si  la  lettre 
renferme  un  imprimé  ? 


342      FOI   DBS  ÉCRITS  PRIVÉS  EH  VATIÉRB   CRIMINBLLB. 

«  cette  violatioii  du  secret  des  lettres  des  révélatkms 
«  «ne  situation ,  sur  des  hostilités ,  sur  des  dangers  qui  les 
fc  menacent,  yous  avez  mille  fois  raison.  La  justice,  die,  a 
«  le  droit  de  pénétrer  dans  nos  domiciles  ^  car  l'inviolabiltié 
«  du  domicile  n'est  pas  faite  pour  elle  \  elle  a  le  droit  de 
«  pénétrer  dans  nos  secrets  domestiques,  car  il  n'est  pas  on 
<K  seul  de  nos  papiers,  quelque  intimes,  quelque  confidentiels 
((  qu'ils  soient,  dans  lesquels  elle  n'ait  le  droit  soQverain 
«  de  fouiller  pour  y  diercher  la  vérité  qui  importe  à  la 
«  société.  » 

Quelques  années  après,  lorsque  la  Cour  de  cassatum  a 
été  également  appelée  k  statuer  sur  une  question  de  saisie 
de  lettres,  si  la  chambre  criminelle  a  émis  sur  la  validité 
de  la  saisie  une  opinion  contraire  k  celle  qui  a  été  adoptée 
par  la  Cour  de  cassation ,  chambres  réunies,  le  21  novembre 
1853 ,  ce  n'est  pas  qu'on  ait  contesté  le  droit  en  lui-même; 
on  avait  douté  seulement  qu'un  tel  pouvoir,  hors  le  cas  de 
flagrant  délit,  pût  être  exercé  par  un  préfet,  a  Paris  par  le 
préret  de  police.  La  Cknir  de  cassation  a  pensé  que  l'article  10 
du  Code  d'instruction,  autorisant  ces  officiers  k  faire  umg 
actes  nécessaires  pour  constater  les  crimes ,  les  délits  ou  les 
contraventions,  comprend  le  droit  de  perquisition  daoDS 
toute  son  étendue  * .  Mais  ce  droit  lui-même  n'était  point 
mis  en  doute. 

Les  motifs  de  cette  décision  ne  permettent  point  de  dis- 
tinguer, comme  quelques-uns  l'ont  proposé,  entre  les  lettres 
adressées  k  l'inculpé  et  les  lettres  adressées  k  des  tiers, 
sauf  le  respect  dû  k  la  correspondance  dont  l'inculpé  ne 


>  Mais  ce  droit  de  perqiiiûtioii  oe  peât  être  délégué  à  des  directeurs  de 
poste,  placés  hors  de  la  compéteace  dn  préfet.  La  saisie  d'une  dreolaire 
da  comte  de  Chambord,  enjointe  admiDistrativement  dans  tous  les  iMneanx 
de  poste  en  vertn  dHin  ordre  donné  à  Paris ,  a  été  reconnue  illégale  pftr 
le  ministre  d*État,  M.  Rouh^r.  (Même  Moniteur  du  23  février  1867.) 


FOI  ]>ia  ÉCRITS  PRIVÉS  EN  HATIÉRE  CRIMINELLE.      343 

senit  que  dépositaire  »  et  dont  rinviolabilité  se  rattacherait 
an  secret  professioaiiel.  (Arg.  de  Fart.  378  du  Code  pénal.) 

Il  est  k  noter,  bien  que  la  Caillite  ne  puisse  être  assimilée 
à  one  proeédore  criminelle,  que  le  Code  de  commerce 
(art.  471)  autorise  les  syndics  k  ouvrir  les  lettres  adressées 
au  filiUi ,  mais  avec  son  assistance,  s'il  est  présent. 

76tt.  Les  écritures  ainsi  saisies  ne  sont  pas ,  en  général , 
des  preuves  jNréconstituées ,  mais  ce  que  Bentham  appelle 
des  écriures  camsUet^  c'est-k-dire  des  registres  ou  des  notes 
qui  n'étaient  pas  destinés  k  être  publiées.  On  trouve  dans 
le  publidste  anglais  (Preiwe»  jud.,  liv.  VI,  chap.  m)  de 
bonnes  observations  de  détail  sur  les  circonstances  qui 
peuvent  militer  pour  ou  contre  Tautorité  des  écritures  de 
cette  espèce,  qui  ne  sont  qu'une  des  formes  de  l'aveu  extra- 
judiciaire.  Notre  ancienne  pratique  criminelle  a  souvent 
abusé  de  ce  mode  de  preuve  en  matière  politique.  On  sait 
que  Lanbardemont  se  vantait  de  perdre  un  accusé ,  pourvu 

qu^im  lui  donnât  rix  lignes  de  son  écrintre» .  Il  est  certain 
d'ailleurs  qu'on  ne  pourrait  plus  aujourd'hui  fixer  un  délai 
dans  lequel  l'accusé  devrait  déclarer  si  tel  titre  est  ou  non 
de  son  écriture,  en  tenant  l'écrit  pour  reconnu  après  ce 
délai.  Ce  serait  renouveler  les  anciens  abus  quant  k  la  {nto- 
vocation  de  l'aveu.  (Yoy.  tom.  I,  p.  473,  not.  1,  sur  le 
procès  de  Jeanne  d'Arc.) 

767.  Si  les  écrits  saisis  au  domicile  de  l'inculpé  ou 
ailleurs  ne  doivent  être  consultés  qu'avec  précaution,  en 
tant  qu'il  s'agit  de  se  prononcer  sur  sa  culpabilité,  l'instruc- 
tion doit  procéder  avec  bien  plus  de  circonspection  encore 
lorsque  ces  écrits  tendent  k  incriminer  des  tiers.  Mirabeau 
ne  voulait  pas  (Moniteur  du  25  octobre  1791)  «  que  les  plus 
«  secrètes  communications  de  l'àme,  les  conjectures  les 
<(  plus  hasardées  de  l'esprit,  les  émotions  d'une  colère 
<c  souvent  mal  fondée,  les  erreurs  souvent  redressées  le 


344      FOI   DES  ÉCRITS  PRIVÉS  EN  MATIÈRE   CRIMIlfELLE. 

.  «  moment  d'après,  pussent  être  transformées  en  déposilions 
<c  contre  des  tiers.  »  Bien  plus ,  lors  même  que  récrit  tend 
à  inculper  directement  et  positivement  un  tiers ,  il  ne  faut 
y  ajouter  foi  qu'avec  les  plus  grandes  précautions.  C'est 
ainsi  que,  lors  de  la  fameuse  conjuration  Malet,  le  général, 
qui  paya  de  sa  vie  son  audace,  avait  porté,  sur  une  liste  de 
fonctionnaires  désignés  pour  le  nouveau  gouvernement, 
des  personnes  complètement  étrangères  au  complot.  De 
même,  les  Vendéens  qui  échouèrent  au  port  de  la  Claye, 
le  3  mai  183S,  avaient  arrêté  un  plan  d'organisation  mili- 
taire où  ils  faisaient  figurer  plusieurs  officiers  contre  lesquels 
on  ne  dirigea  aucune  poursuite,  parce  qu'il  fut  avéré  que 
c'était  également  sans  les  avoir  consultés  qu'on  les  avait 
ainsi  désignés. 

768.  Les  actes  sous  seing  privé  proprement  dits  ne  se 
présentent  guère  en  matière  criminelle  que  lorsqu'il  s'agit 
d'une  preuve  préjudicielle,  de  la  constatation ,  par  exemple, 
d'un  mandat,  d'un  dépôt,  dont  on  allègue  la  violation. 
Nous  avons  reconnu  (n""  225)  qu'en  thèse  générale,  la  juri- 
diction criminelle  demeure  compétente  pour  statuer  sur 
des  questions  de  cette  nature,  mais  que  l'exclusion  de  la 
preuve  testimoniale  s'applique  au  criminel,  de  la  même 
manière  qu'au  civil. 


' 


TROISIÈME  MODE  DE  PREUVE  ÉCRITE. 

DÉCLARATION  DU  DEMANDEUR.  --  LIVRES  DES  MARCHANDS. 

SOMHAïu.  —  769.  Foi  de  ees  liTres,  k  Rome  et  chex  nous.  —  no.  FonDslitès  preaerites. 
—  774.  Sanetion  de  lear  obsemtiOD.  —  772.  Diylsion. 

789.  A  Rome  »  une  foi  tonte  particulière  s'attachait  aux 
registres  tenus  par  les  banquiers,  argentarii,  officiers  publics 
dont  l'attestation  était  admise ,  soit  contre  eux ,  soit  même 
en  leur  faveur,  par  une  prérogative  assez  analogue  k  celle 
de  Fauthenticité  dans  notre  droit ,  quia  offidum  eorum  atque 
fnmistenum,  dit  Gaïus  (L.  10,  §  1 ,  D.,  De  edend.)^  publicam 
habeat  cu$am.  Aussi  le  préteur  ayait-il  introduit  contre  eux 
une  action  pour  les  forcer  à  donner  communication  de  leurs 
registres.  (UIp.,  L.  4,  Und.) 

Nos  marchands  n'ont  point  la  position  légale  qu'avaient 
les  argentarii.  Secundum  hoe,  dit  Boiceau  (part.  Il,  chap.  vill, 
n*  5),  judicari  non  possunt  mercatonan  nottrarum  iibri^  cum 
amnino  privati  videamur.  Néanmoins,  les  livres  de  commerce, 
étant  soumis  k  certaines  précautions  spéciales,  peuvent  faire 
foi ,  non-seulement  contre  le  marchand  qui  les  a  rédigés , 
mais  même  en  sa  faveur  :  ce  qui  n'est  jamais  admis  pour 
les  papier^  domestiques. 

770.  Pour  empêcher  l'altération  de  ces  livres,  la  loi 
prescrit  les  mêmes  formalités  (G.  de  conun.,  art.  10  et 
suiv.)  qui  sont  établies  pour  les  registres  publics.  Elle  veut 
qu'ils  soient  cotés,  parafés  et  visés,  soit  par  un  membre 
du  tribunal  de  commerce,  soit  par  le  maire  ou  adjoint  de  la 
conunune.  Le  Gode  de  commerce  ajoute  :  wm  fiait;  ce  qui 
a  toujours  été  vrai  en  ce  sens  qu'on  n'alloue  point  d'hono- 
raires aux  fonctionnaires  chargés  de  cette  opération.  Mais 
jusqu'en  1838  il  fallait,  pour  que  les  livres  pussent  être 


346  LIVRES  DES  HIRGHÀIIDS. 

présentés  au  visa,  qu'ils  eussent  été  préalablement  timbrés, 
et  l'impôt  du  timbre  pour  des  écritures  souvent  oonsidé- 
rables  deveniût  extrêmement  onéreux.  Aussi,  dans  la  pra- 
tique, se  dispensait-on  le  plus  souvent  de  faire  timbrer 
les  registres  ]  et  ce  qui  était  beaucoup  plus  fôcheux  qœ 
l'absence  du  timbre ,  c'est  qu'alors  les  importantes  forma- 
lités prescrites  par  la  loi   pour  assurer  l'intégrité  des 
registres  ne  pouvaient  être  accomplies'.  En  conséquence, 
les  livres  n'étant  pas  régulièrement  tenus ,  auraient  dû  ii  la 
rigueur  n'avoir  aucune  autorité.  {Ibid,,  art.  13.)  Mais  les 
tribunaux  de  commerce,  se  conformant  k  l'usage  constant 
plutôt  qu'aux  prescriptions  légales,  ne  refusaient  pas  d'ad- 
mettre les  registres  non  visés,  lorsqu'il  n'y  avait  aucun 
soupçon  de  fraude  dans  l'espèce.  Ainsi  les  sages  précautioDS 
de  la  loi  se  trouvaient  éludées.  Pour  faire  cesser  cette  grave 
irrégularité,  on  a  remplacé  par  une  augmentation  de  la 
contribution  des  patentes  l'impôt  du  timbre,  qui  était 
d'ailleurs  fort  inégal ,  puisqu'il  était  proportionnel  non  pas 
k  la  valeur  des  opérations,  mais  k  la  place  matérielle  qu'occu- 
pait la  mention  de  ces  opérations  sur  les  registres.  Ce  chan- 
gement s'est  effectué  le  i*'  janvier  i838.  (Loi  du  SO  juillet 
1837,  art.  4.)  Aujourd'hui  donc  le  visa  sans  frais  est  devenu 
une  vérité,  et  ceux  qui  se  dispenseraient  de  l'accomplisse- 
ment des  formalités  légales  n'auraient  plus  d'excuse*.  Les 
livres  doivent   de  plus  être  conservés  pendant  dix  ans. 
(C.  de  comm.,  art.  11.) 

771.  Une   sanction   extrêmement  rigoureuse   garantit 
l'exactitude  et  la  fidélité  des  écritures  commerciales.  Le 

'  n  en  était  de  même  eouB  Pempire  de  TordoDiiaDoe  de  167S,  dont  \m 
prescriptions  sur  ces  formalités  si  essentielles  étaient  tombées  en  désoé- 
tade,  depuis  <in^un  arrêt  du  Oonseil,  du  S  avril  1674,  avait  imposé  aux 
commerçants  l'obligation  fort  onéreuse  d'employer  du  papier  timbré. 

'  Aux  États-Unis,  les  livres,  avant  d'être  déclarés  admissibles,  sont  soumis 
à  un  examen  préalaMe  de  la  Cour.  (M.  Greenleaf ,  tom.  I,  p.  159,  note  i.) 


FOI  DBS  UVRES  SHTRB  COHHEBÇAIITS.  347 

failli  qni  n'a  pis  tenu  de  registres^  ou  qui  n'en  a  tenu  que 
d'irrégnliers,  même  sans  frande,  peut  être  déclare  banque- 
routier simple ,  et  frappé  eu  conséquence  de  peines  correc- 
tionnelles. (lUd.,  art.  ^6,  6*.)  Quant  aux  écritures  frau- 
dnleoses,  tendant,  soit  k  dissimuler  l'actif,  soit  k  simuler 
OB  passif,  elles  entraînent  la  peine  de  la  banqueroute 
frauduleuse,  c'est-à-di«e  les  travaux  forcés  k  temps.  (Ibid., 
art.  391  ;  €.  pén.,  art.  402.)  Lors  même  qu'il  n'y  a  point 
lanx  caractérisé,  la  simulation,  qui,  en  matière  civile, 
pourrait  tout  au  plus  dégénérer  en  escroquerie,  est  ici, 
à  raison  de  la  gravité  des  conséquences  qu'elle  entraîne, 
frappée  d'une  peine  identique.  C^est,  eu  effet,  également 
la  peine  des  travaux  forcés  à  temps  qui  est  prononcée  par  le 
Code  pénal  (art.  147)  pour  le  faux  en  écriture  de  commerce  ; 
et  TassimilatioB  de  ce  faux  k  celui  qoi  aurait  lieu  en  écriture 
puMique,  est  une  garantie  de  plus  contre  les  falsîficatious 
que  les  tiers  pourraient  commettre  sur  les  registres. 

772.  On  sent  que  l'autorité  des  livres  de  commerce  doit 
être  plus  grande  entre  deux  marchands ,  dont  les  écritures 
se  servent  de  contrôle  réciproque,  qu'entre  un  marchand 
ei  un  particulier,  puisque  ce  dernier  ne  pourrait  se  défendre 
è^  armes  égales,  n'ayant  pas  habituellement  de  registres ,  et 
ne  pouvant  pas  même  en  tenir  qui  fassent  foi  en  sa  faveur. 
Occupons-nous  d'abord  de  la  foi  des  livres  sous  le  premier 
point  de  vue. 

PREMIÈRE  SECTION. 

FOI   DES  LIVRES  ENTRE   COMUERÇANTS. 

SOHHAtBE.  —  773.  De  la  régularité  des  liyres.  —  774.  Nécessité  qu'il  s'agisse  de  faits 
de  eonmeree.  —  ns.  Cas  on  ils  ne  sont  poiit  coafornes.  —  776.  Leur  commuiiication 
en  jostice. 

773.  «  Les  livres  de  commerce  régulièrement  tenus  » , 
dit  l'article  12  du  Code  de  commerce,  «  peuvent  être  admis 


sis  FOI  DES  LITRES  EICTBE  COVIIERÇANTS. 

«  par  le  juge  pour  faire  preuve  entre  coflunerçants  ponr 
«  faits  de  commerce.  %  La  preuve  par  livres  n'est  donc  pas 
strictement  obligatoire  pour  la  juridiction  consulaire ,  qui 
peut  écarter  les  registres  comme  suspects,  même  lorsqa'ik 
sont  réguliers  en  la  forme  (Rej.,  iS  août  1833),  ou  même, 
sans  suspicion,  déclarer  que  les  juges  ont  tous  les  docn- 
ments  sufBsanls  pour  éclairer  leur  religion.  (Rej.,  10  dé- 
cembre 1862.)  La  simplicité  et  Téquité,  qui  sont  Tàme  de 
cette  juridiction,  ne  permettaient  pas  qu'on  y  astreignit  le 
f^      juge  à  certaines  preuves  légales  ;  on  lui  accorde  donc,  qaant 
au  moyens  qui  doivent  déterminer  sa  conviction,  une 
latitude  analogue  k  celle  qui  est  accordée  aux  jurés.  Mais, 
en  fait,  les  tribunaux  de  conunerce  ne  refusent  guère 
d'ajouter  une  foi  complète  aux  registres  régulièrmient 
tenus*  En  sens  inverse,  on  peut  combattre  par  la  produe* 
tion  des  livreis  une  présomption  de  la  loi ,  pourvu  que  ce  ne 
soit  pas  une  présomption  absolue ,  comme  celle  de  la  cbose 
jugée  :  ce  que  la  Cour  de  cassation  a  décidé  (Rej.,  18  août 
1852)  quant  à  la  présomption  résultant  de  la  cession  volon- 
taire du  titre.  (G.  civ.,  art.  1282.) 

La  loi  suppose  les  registres  régulièrement  tenus ,  et  l'on  est 
fondé  k  se  montrer  plus  sévère  sur  ce  point ,  depuis  la  sup- 
pression (n*  770)  des  conditions  fiscales  qui  rendaient  Mé- 
reux  l'accomplissement  des  formalités  légales.  Faut-jl 
cependant  considérer  tout  k  fait  comme  non  avenus  les 
livres  qui  n'ont  pas  été  visés  ni  parafés?  S'ils  paraissent 
d'ailleurs  en  règle,  cette  rigueur  serait  peu  en  harmonie 
avec  la  marche  simple  et  équitable  de  la  juridiction  com- 
merciale. La  Cour  de  cassation  a  pensé  (Rej.,  23  avril  1860) 
que ,  si  les  livres  ne  peuvent  alors  faire  k  eux  seuls  preuve 
complète ,  il  n'est  point  interdit  aux  juges  «  d'en  comparer 
«  les  énonciations  avec  celles  des  autres  pièces  justificatives 
c(  régulièrement  fournies  au  procès,  et  de  trouver  dans  la 


FOI  DES  LIVRES  ENTRE  COMMERÇANTS.  349 

<c  concordance  de  ces  énonciations  une  de  ces  présomptions 
«  abandonnées  par  la  loi  aux  lumières  et  à  la  prudence  des 
«  magistrats.  »  (Yoy.  aussi  Rej.,  S6  juillet  1869.)  Or,  on 
sait  qu'en  matière  commerciale ,  les  présomptions ,  comme 
la  preuve  testimoniale,  sont  toujours  admissibles.  A  plus 
forte  raison  doit-on  admettre  pour  faire  foi  dans  une  société 
civile  des  écritures ,  bien  que  non  conformes  aux  prescrip- 
tions du  Gode  de  commerce.  (Rej.,  il  février  1869.) 

774.  Il  ne  suflBt  pas  que  la  contestation  s'élève  entre 
commerçants,  il  faut  qu'elle  ait  lieu  pour  faits  de  commerce. 
Ainsi ,  un  négociant  ne  serait  pas  reçu  k  se  prévaloir  d'une 
mention  faite  dans  ses  livres ,  pour  justiBer  d'une  opération 
purement  civile,  telle  que  l'achat  d'un  immeuble.  Néanmoins, 
comme  le  livre-journal  doit  présenter  tout  ce  que  le  com* 
merçant  reçoit  ou  paye  à  quelque  titre  que  ce  soit  (G.  de 
comm.,  art.  8),  la  mention  faite  dans  ce  livre  peut  servir  à 
ison  adversaire  de  commencement  de  preuve  *,  et  en  sens 
inverse,  l'omission  sur  ce  livre  d'une  opération  civile  peut 
contribuer  k  faire  rejeter  la  prétention  du  négociant,  si  c'est 
lui  qui  est  demandeur.  C'est  donc  avec  raison  qu'un  arrêt  de 
rejet  du  25  nivôse  an  X  a  décidé  que  le  défaut  de  production 
de  livres,  même  en  matière  civile,  peut,  réuni  à  d'autres 
circonstances,  rendre  un  négociant  non  recevable  dans 
ses  prétentions.  Mous  avions  pensé  d'abord ,  avec  plusieurs 
auteurs,  que  les  livres  pouvaient  faire  foi,  même  sans  que 
l'opération  fût  commerciale  de  part  et  d'autre,  par  exemple, 
lorsqu'un  marchand  de  vin  vend  une  pièce  de  vin  k  un  ma- 
nufacturier. Nous  nous  fondions  sur  cette  considération  que 
Tacheteur,  étant  commerçant  comme  le  vendeur,  avait  dA 
également  constater  l'opération  sur  ses  livres.  Mais  il  nous 
semble  plus  exact  d'assimiler  les  principes  sur  la  preuve  aux 
règles  qui  régissent  la  compétence.  Or,  l'opération  étant 
civile  de  la  part  du  manufacturier,  il  ne  pourrait  être  tra- 


350  FOI  DES  LIVRES  ENTRE  COMMEI^ANTS. 

doit  devant  le  tribunal  de  commerce.  Quant  k  la  mention, 
elle  doit  avoir  lieu  seulement  sur  son  livre-journal ,  en  tant 
qu'il  s'agit  d'un  article  de  dépense  (C.  de  comm.,  art.  8), 
tandis  que  le  marchand  |de  vin  a  dû  relater  en  détail  les 
clauses  de  la  vente.  Les  livres  du  vendeur  pourront  donc 
faire  foi  contre  lui ,  mais  non  en  sa  fiiveur,  sauf  la  délaticm 
du  serment  (n*  780)  ;  et  la  mention  portée  sur  le  line- 
journal  de  l'acheteur  aura  contre  lui  la  force  d'un  commen- 
cement de  preuve  par  écrit. 

77tf .  Si  les  registres  sont  d'accord,  la  preuve  est  parfisle, 
à  moins  qu'une  falsification  ne  puisse  être  établie.  S'ils  ne 
sont  pas  conformes,  et  qu'ils  soient  d'ailleurs  régulièfmeDt 
tenus  de  part  et  d'autre ,  les  deux  autorités  se  balancent, 
et  il  feut  recourir  k'  d'autres  modes  de  preuve.  Si  un  seul 
des  registres  est  régulièrement  tenu ,  le  juge  peut  s'y  atta- 
cher ',  mais  U  est  toujours  libre  d'exiger  des  garanties  adti* 
tionnelles ,  telles  que  l'audition  de  témoins ,  ou  la  prestation 
de  serment.  Enfin,  d'après  l'article  17  du  Code  de  commerce, 
si  une  partie  refuse  de  produire  ses  livres ,  auxquels  l'antre 
partie  offre  d'ajouter  foi ,  le  juge  peut  déférer  te  sermait  à 
cette  dernière  partie.  Cette  disposition  ne  doit  pas  s' en- 
tendre seulement  du  cas  où  un  particulier  offrirait  d'ajouter 
foi  aux  livres  d'un  commerçant,  cas  où  il  y  aurait  évidem- 
ment lieu  au  serment ,  mais  que  les  rédacteurs  du  Code  de 
commerce  ne  devaient  pas  avoir  en  vue ,  puisqu'ils  ne  s'oc- 
cupaient que  des  procès  entre  commerçants.  C'est  surtout 
entre  commerçants  que  l'article  17  doit  recevoir  son  apjtf- 
cation.  Néanmoins,  nous  ne  pensons  pas  avec  Toullier 
(tom.  yni,  n*  383)  que  le  négociant  qui  représente  senl  ses 
livres  doive  obtenir  gain  de  cause  de  piano  f  s'il  offre  de  s'en 
rapporter  k  ceux  de  son  adversaire ,  et  que  celin-ci  ne  passe 
ou  ne  veuille  les  représenter.  Le  juge  peut  ordonner  tonte 
mesure  propre  à  l'éclairer  sur  la  réalité  des  faitsa  Uégué»  k 


FOI  DKS  UTUS  BIltRE  COMMERÇANTS.  %1 

l'appui  de  la  demande,  et  après  toat,  si  la  prëlention  da 
demandeur  loi  paratt  dénuée  de  fondement,  il  lui  est  loi- 
sible de  ne  pas  même  déférer  le  serment  supplétoire.  (Rej., 
18janYierl832.) 

776.  L'obligation  pour  on  commerçant  de  produire  ses 
livres  '  en  justice  eût  pu ,  si  la  loi  ne  Tavait  pas  restreinte 
dans  de  justes  bornes,  compromettre  singulièrement  le 
succès  des  opérations  commerciales,  pour  lesquelles  le 
secret  est  souvent  essentiel.  LUni  mercatorumt  dit  Gasaregis 
(dise.  30,  n*  79),  non  «uni  peneruUmdi,  ne  wdêantur  eorwn 
seereia.  Anssi  la  représentatif ,  même  ordonnée  d'office, 
n'a-t-elle  point  pour  effet  de  mettre  an  jour  la  situation  de 
la  partie  que  les  livres  concernent  ;  on  doit  se  borner  k 
eiiraire  des  registres  ce  qui  a  trait  au  différend.  (G.  de 
comm.,  art.  15.)  La  communication  complète  n'a  été  auto- 
risée que  d;uis  les  cas  oà  elle  est  indispensable ,  c'est-k-dire 
où  la  contestation  porte  sur  l'ensemble  de  la  gestion  com- 
merciale, dans  les  aflkires  de  succes»on,  communauté,  par- 
tage de  société,  et  faillite.  (Ibid.,  art.  14.)  Il  y  avait  moins 
de  doute  dans  le  dernier  cas,  puisqu'il  n'est  plus  temps  de 
songer  à  ménager  le  crédit,  lorsqu'il  y  a  eu  cessation  de 
payements.  Au  surplus,  une  société  ammyme  ne  saurait  être 
tenue,  plus  qu'un  particulier,  de  produire  ses  livres,  en 
deh<Mrs  des  cas  prévus  par  la  loi.  (Bordeaux,  6  août  1853.) 

Remarquons  d'ailleurs  que  si,  aux  tenues  de  l'article  11 
du  Gode  de  commerce ,  les  commerçants  ne  sont  tenus  de 
conserver  leurs  livres  que  pendant  dix  ans,  cela  ne  veut  pas 
dire  que  les  énoneiations  contenues  en  ces  livres  se  trouvent 
périmées  au  bout  de  ce  laps  de  temps,  oomoie  le  sendait 

«  Sniiraiit  le  droit  common  anglais  (M.  Greenleaf ,  tom.  I,  p.  615),  rîn- 
specUon  des  Urres  peut  être  lécUmée  par  un  particulier,  mais  senleiiieiA 
à  fins  dyiles,  nul  n'étant  tenu  tenu ,  an  crimind ,  de  produire  des  pionyoi 
contre  lui-même  :  restriction  que  repousse,  chez  nous,  le  principe  inquisi- 
toiial  admis  poor  la  rectathe  des  preuves. 


352  FOI  DBS  LITRES  ENTEE  COMIIERÇAIITS. 

des  inscriptions  hypothécaires  :  si,  en  fait,  les  livres  ont  été 
conservés,  le  commerçant  sera  tenu  de  les  produire. 

DEUXIÈME  SECTION. 

FOI  VIS-A-VIS  DES  PARTICULIERS. 

SOMMAIBE.  —  777.  Foi  contre  le  marehand ,  des  liyres ,  même  irrécolien.  —  778.  Indirl- 
stbilitè.  —  77».  Opinions  des  anciens  aotenrs  sur  la  foi  des  iivres  contre  lesptrtioifiers. 
—  780.  Quel  est  le  système  do  Code. 

777.  L'obligation  imposée  aux  marchands  de  teiûr  des 
écritures  régulières  existe  vis-k-vis  des  particuliers  tout 
aussi  bien  que  vis-k-vis  des  autres  marchands.  Aussi  leurs 
livres  font-ils  preuve  contre  eux  (C.  civ.,  art.  1330),  mais 
seulement  pour  faits  de  commerce ,  sauf  h  puiser  un  com- 
mencement de  preuve  par  écrit  dans  les  mentions  d'opéra- 
tions purement  civiles  qui  s'y  trouveraient  insérées.  (N*  774.) 
Le  Gode  civil  n'ajoute  point ,  comme  le  Gode  de  commerce 
(art.  12),  que  les  registres  doivent  avoir  été  régulièrement  tenus. 
Le  commerçant  ne  pourrait  se  prévaloir,  pour  repousser  la 
foi  des  écritures,  de  sa  propre  contravention  aux  règles  qui 
lui  étaient  imposées.  (Rej.,  7  mars  1837;)  Il  n'est  pas  non 
plus  nécessaire  ici  que  l'écriture  soit  de  la  main  du  négo- 
ciant; suivant  la  doctrine  de  Pothier  (06%.,  n*  757), 
elle  peut  être  l'œuvre  du  créancier  lui-même,  pourvu 
qu'elle  n'ait  pas  pu  être  ignorée  du  débiteur.  (Bonites, 
14  juillet  1831.) 

778.  Appliquant  k  cette  matière  le  principe  de  l'indivi- 
sibilité de  l'aveu ,  la  loi  ajoute  {ilnd,)  que  celui  qui  veut  tirer 
avantage  des  registres  ne  peut  les  diviser  en  ce  qu'ils  con- 
tiennent de  contraire  à  sa  prétention.  L'indivisibilité  s'en- 
tend d'ailleurs  ici  comme  en  ce  qui  touche  l'aveu  oral. 
(N*  356.)  La  déclaration  du  marchand  doit  être  acceptée 
par  la  partie  qui  s'en  rapporte  k  ses  livres ,  pour  tout  fait 


FOI  VIS-À-VIS  DES  PARTICULIERS.  3o3 

connexe  :  ainsi,  le  registre  qui  établit  l'existence  de  la  dette 
doit  également  faire  Toi  pour  en  établir  le  payement.  In  con- 
junciis  capUulii,  disaient  les  anciens  docteurs,  qui  unum  ad- 
probats  aikid  reprobare  nequU,  Mais  des  articles  tout  à  fait 

indépendants  de  l'article  allégué ,  dans  lesquels  le  commer- 
çant se  dirait  créancier  pour  toute  autre  cause ,  pourraient 
être  repoussés  par  le  particulier  qui  invoque  le  registre.  On 
ne  doit  cependant  appliquer  cette  doctrine  qu'avec  précau- 
tion en  matière  commerciale ,  là  où  des  opérations  diverses 
s'enchainent  souvent  de  la  manière  la  plus  étroite.  C'est 
ainsi  qu'un  compte  courant  régulièrement  tenu,  bien  que 
composé  d'articles  distincts,  sera  généralement  considéré 
comme  indivisible. 

778.  Arrivons  à  la  partie  la  plus  controversée  de  notre 
snjet,à  la  foi  que  peuvent  avoir  les  livres  eo  faveur  des 
marchands  contre  les  particuliers,  en  supposant  (Rennes, 
23  août  1821)  ces  livres  régiilièrement  tenus.  Les  opinions 
des  anciens  docteurs  étaient  très-partagées  sur  la  foi  pro- 
bante de  ces  livres.  (Danty,  sur  Boiceau,  part.  II,  chap.  viii, 
n*"  15  et  suiv.)  Suivant  une  première  opinion,  qui  remonte 
k  Barthole ,  les  livres  devaient  avoir  foi ,  même  vis-à-vis  des 
non-marchands,  et  c'était  le  système  qui  avait  prévalu  en 
Italie,  surtout  à  Milan.  D'après  l'article  96  des  statuts  de 
Milan ,  on  devait  ajouter  foi  aux  écritures  des  changeurs  et 
marchands  de  cette  ville ,  cum  causa  et  sine  causa,  etsi  dicantur 
essefactœt  vel  subscripiœ  in  absentia  partis.  Dans  une  seconde 
opinion,  admise  par  Boiceau  (ibid.,  n""'  7  et  8),  les  livres 
constituaient  une  demi-preuve,  susceptible  d'être  corro- 
borée par  la  preuve  testimoniale,  mais  seulement  s'il 
s'agissait  d'un  commerçant  bien  posé  et  jouissant  d'une 
bonne  réputation.  Une  troisième  opinion,  s'attachant  au 
principe  qu'on  ne  peut  se  faire  un  titre  à  soi-même,  repous- 
sait complètement  la  foi  des  livres  vis-à-vis  des  non-mar- 
II.  23 


354  FOI  YIS-À-^VIS  DES  PABTIGULIERS. 

chands,  et  tel  était  l'avis  de  Boiceau  (ibid,,  n""  11)  lorsqu'il 
s'agissait  de  petits  marchands  non  inscrits  dans  une  corpo- 
ration régulière.  Enfin  Damoulin ,  après  avoir  admis  d'abord 
l'opinion  de  Barthole ,  s'était  attaché  k  nne  opinion  inter- 
médiaire entre  les  deux  dernières  et  dont  le  germe  se  trom^ 
dans  on  statut  de  Venise  *  :  «  Rationes  ejns  »  (Ad  teg.  3, 
C,  De  Ttb.  cred.)^  ce  quamvis  non  plenam  probationem,  dm 
«  omnino  semiplenam  inducant,  tamen  insérant  aliqnam 
«  praesumptionem ,  ex  qua  possit  ei  deferri  juramentom ,  ita 
c(  ut  per  se  rationes  probent  *.  d  Ce  jurisconsulte  ne  parle 
point  de  la  preuve  par  témoins.  L'eût-il  admise  en  présence 
de  l'ordonnance  de  Moulins,  pronralguée  depuis  qu*il  avait 
écrit  ces  lignes?  C^est  ce  qui  est  assez  douteux.  Boicean 
admet  l'audition  des  témoins ,  nous  l'avons  vu ,  en  faveur 
des  marchands  qui  font  partie  d'une  corporation.  (Part,  n, 
chap.  VII,)  Danty  (Add.  sur  ce  chap.,  n"  46  et  47),  qui  écri- 
vait un  siècle  après ,  pense  que  le  sentiment  de  Boiceau  oe 
peut  être  suivi  que  dans  des  cas  rares,  où  la  bonne  foi  sera 
évidente.  Enfin  Pothier  (06%.,  n~  754  et  suiv.,  et  n*  807) 
reproduit  l'opinion  de  Boiceau ,  en  ajoutant  toutefois  que  la 
fourniture  alléguée  doit  être  vraisemblable.  Et  c'est  \  cette 
occasion  que  ce  grand  jurisconsulte  nous  révèle  toute  la 
simplicité  de  ses  mœurs ,  simplicité  si  admirable ,  surtout  au 
dix-huitième  siècle  :  «  Par  exemple  »,  dit-il  (n**  756), 
a  ce  ne  seraient  pas  des  fournitures  vraisemblables,  s'il 
<(  était  écrit  sur  le  livre  d'un  marchand  qu'il  m'a  vendu  et 
«  lii^ré  dix  aunes  de  drap  noir  dans  une  année ,  parce  que 


^  Tune  uMM  judàces  dabuni  saerammtum,  (Stat.  Téa.  de  sep- 
tembre 1252,préfac.,  2.) 

'  Les  jnriscoiisnltes  écossais  (Tait,  Onevidme$,  p.  373-277),  en  aâmel- 
tant  ce  genre  de  preuYe ,  le  définissent  :  not  merely  a  sutpîcion  ^  fnU 
9uch  évidence  as  produces  a  reasanàble  belieff  though  not  complet  eoi- 
dente* 


FOI  TIS-A-TIS  DES  PARTICULIERS.  355 

c(  je  n'ai  pas  besoin  de  plus  d'ua  habillement  dans  Tannée, 
«  pour  lequel  quatre  aunes  de  dmp  suffisent.  » 

Cette  opinion  de  Potbier,  qui  considère  les  registres 
comme  pouvant  servir  de  commencement  de  preuve ,  passe 
généralement  pour  l'expression  du  dernier  état  de  notre 
ancienne  jurisprudence.  Mais  il  en  était  autrement ,  si  nous 
en  croyons  l'annotateur  anonyme  de  Danty  (note  sur  le 
n*  44  du  ch.  vin),  qui  s'exprime  en  ces  termes,  après  RToir 
reproduit  le  passage  de  Pothier  :  «  Cet  auteur  donne  peut- 
«  être  un  peu  trop  de  faveur  aux  livres  des  marchands,  et 
«  il  semble  que  la  jurisprudence  du  Chàtelet  n'y  est  pas 
«  conforme.  Denisart,  qui  parle  ordinairement  d'après  cette 
«  jurisprudence,  dit  qu'ils  ne  forment  aucun  titre  contre 
«  des  bourgeois  non  négociants ,  qui  sont  crus  à  leur  affir- 
ic  mation  contre  les  livres  des  marchands.  »  Ainsi ,  il  parsdt 
qu'au  Chàtelet  on  déférait  le  serment,  mais  au  défendeur 
seulement,  et  qu'il  n'était  nullement  question  de  la  preuve 
testimoniale. 

On  doute  que  le  droit  commun  anglais  {common  ko») 
accorde  une  pareille  foi  aux  registres  des  marchands. 
L'affirmative  semble  toutefois  résulter  d^un  statut  de 
Jacques  P'  (stat.  7,  chap.  xn),  qui  admet  ce  genre  de 
preuve  vis-k-vis  des  non-marchands  en  le  limitant  aux 
transactions  de  l'année  courante  ' .  En  Ecosse  et  aux  États- 
Unis,  on  admet  sans  difficulté  les  registres  corroborés  par 
le  serment  suj^Iétoire  du  marchand.  La  plupart  des  États 
américains  ont  même  consacré  cette  faculté  par  des  dispo- 
sitions spéciales  de  leurs  statuts.  (M.  Greenleaf,  tom.  I, 
p,458,not.  2.) 

780.  Après  cet  exposé  des  diverses  opinions  anciennes 
et  modernes,  abordons  l'interprétation  du  Code. 

*  La  prescription  annale  da  Code  dvil  (art.  2274)  aboutit  à  peu  près  au 
luAme  TésuHat. 

23. 


356  FOI  vis-A-yis  des  particuliers. 

<c  Les  registres  des  marchands  » ,  dit  Tardcle  1329,  ne 
«  font  point ,  contre  les  personnes  non  marchandes ,  preuve 
«  des  fournitures  qui  y  sont  portées ,  sauf  ce  qui  sera  dit  ï 
H  regard  du  serment.  » 

Cette  réserve  du  serment  ne  saurait  s'entendre  du  ser- 
ment décisoire,  qui  est  de  droit-,  elle  suppose  forcément 
l'admission  du  serment  suppléloire.  Mais ,  puisqu'il  est  con- 
stant que  le  serment  supplétoire  n'est  autorisé  que  dans  les 
cas  où  la  preuve  testimoniale  est  recevable ,  plusieurs  au- 
teurs soutiennent  que  les  livres  des  marchands  constituent 
en  leur  faveur  un  commencement  de  preuve  par  écrit.  Ils 
font  remarquer  qae  le  serment  supplétoire  est  la  plus  faible 
de  toutes  les  preuves,  et  que,  s'il  est  permis  de  s'en  rap- 
porter k  la  déclaration  assermentée  du  demandeur,  il  doit 
l'être ,  k  plus  forte  raison ,  d'ouvrir  une  enquête ,  qui  offre 
incontestablement  plus  de  garanties.  Ils  invoquent  enfin 
Tautorité  de  Pothier,  qui  a  été  si  souvent  le  guide  des  ré- 
dacteurs du  Gode.  Il  nous  est  néanmoins  impossible  de 
partager  cet  avis.  D'abord ,  l'assimilation  du  serment  sup- 
plétoire à  la  preuve  testimoniale  ne  résulte  nullement  da 
texte  de  la  loi.  Tout  ce  qu'elle  dit  (G.  civ.,  art.  1367), 
c'est  que  le  serment  peut  être  déféré  d'office,  quand  la 
demande  n'est  pas  totalement  dénuée  de  preuves.  Or,  nous 
avons  bien  admis  avec  la  jurisprudence  (voy.  n*"  440),  que 
le  serment  supplétoire  ne  peut  être  ordinairement  déféré 
que  lorsqu'il  y  a  un  commencement  de  preuve  par  écrit  ^ 
mais  ce  n'est  point  Ik  un  principe  absolu ,  et  le  législateur 
a  pu ,  par  une  réserve  toute  spéciale ,  comme  semblent  l'in- 
diquer les  termes  de  l'article  1329,  autoriser  ce  serment 
dans  une  hypothèse  où  les  témoins  ne  sauraient  être  enten- 
dus. Y  a-t-il  Ih ,  ainsi  qu'on  le  prétend ,  une  contradiction  ? 
Oui,  si  on  suppose  que  le  serment  sera  ordinairement  déféré 
au  demandeur^  il  vaudrait  mieux  alors  ouvrir  une  enquête 


FOI   VIS-À-VIS  DES  PARTICULIERS.  357 

que  de  s'en  rapporter  purement  et  simplement  à  son  affir- 
mation. Mais  cette  supposition  est  toute  gratuite.  Les 
meilleurs  auteurs  Tont  toujours  reconnu,  c'est  au  défen- 
deur que  doit  être  déféré  de  préférence  le  serment  supplé- 
toire.  Ce  n'est  que  dans  des  cas  extrêmement  fayorables 
qu'il  est  permis  de  le  déférer  au  demandeur.  Au  contraire, 
si  la  preuve  testimoniale  est  jugée  admissible,  on  sera  tenté, 
toutes  les  fois  qu'il  y  aura  doute,  de  faire  entendre  des 
témoins,  afin  d'éclaircir  les  faits  ;  et  le  marchand  aura  tout 
l'avantage  dans  l'enquête,  puisqu'il  aura  pu  préparer  k 
l'avance  des  dépositions ,  d'où  il  résultera  de  la  manière  la 
plus  positive  que  telles  fournitures  ont  eu  lieu  k  telle  date, 
tandis  que  le  particulier,  qui  ne  pouvait  soupçonner  la 
demande  dirigée  contre  lui,  n'aura  pu  se  ménager  de  la 
même  manière  les  moyens  d'établir  la  négative.  Autre  chose 
est  l'admission  du  serment  supplétoire ,  qui  ne  sera  déféré 
au  marchand  que  quand  le  juge  aura  une  pleine  conviction 
de  sa  loyauté  ;  autre  chose  est  l'administration  de  la  preuve 
testimoniale,  qui  ferait  toujours  pencher  la  balance  en  sa 
faveur.  En  ce  qui  touche  l'argument  tiré  de  Pothier,  il  nous 
semble  suffisamment  réfuté  par  l'exposé  des  motifs  de 
M.  Bigot-Préameneu  :  «  Quant  aux  personnes  qui  ne  sont 
<(  pas  dans  le  commerce,  on  a  dû  maintenir  la  règle  suivant 
«  laquelle  nul  ne  peut  se  faire  de  titre  a  lui-même,  et  l'ordre 
«  que  les  marchands  sont  tenus  de  tenir  dans  leurs  registres 
«(  ne  saurait  garantir  que  les  fournitures  qui  y  sont  portées 
•»  soient  réelles.  Us  n'ont  k  cet  égard  d'autre  droit  que  celui 
«  d'exiger  le  serment  des  personnes  qui  contesteraient 
a  leurs  demandes.  » 

Ces  dernières  expressions  vont  trop  loin  sans  doute  ;  le 
texte  de  la  loi  étant  général ,  nous  ne  pensons  pas  que  le 
serment  ne  puisse  être  déféré  qu'au  défendeur'.  Mais,  en 

■  Le  Code  italien  (art.  1328)  considère  les  registres  comme  autorisant  le 
juge  à  déférer  le  serment  à  Pane  et  à  l'antre  partie. 


338  FOI  VIS-A-VIS  DES  PARTICULIERS. 

rapprochant  ces  paroles  de  la  jorispradence  du  Qiàteleli 
lorsqu'on  voit  l'exposé  des  motifs  poser  le  prindpe  que  ml 
ne  peut  se  faire  de  titre  k  lui-mâne ,  il  est  difficile  de  croire 
que  les  rédacteurs  du  Gode  n'aient  voulu  que  reproduire  h 
doctrine  de  Pothier,  suivant  lequel  (OUig.,  n*"  754)  la  regi^ 
trei  ne  peuvent  poM  foire  une  pnwoe  pleine  et  entière^.  Ajoutons 
que  du  temps  de  Pothier,  ainsi  que  nous  l'avons  souvent 
&it  remarquer,  la  nature  du  commencement  de  preuve  par 
écrit  n'était  pas  bien  déterminée,  tandis  qu'aujourd'hui  Tar- 
ticle  1347  du  Code  civil  veut  qu'il  émane  du  défaideur'. 
Cette  règle  souffre  k  la  vérité  des  exceptions,  mais  il  faut  du 
moins  que  ces  excepti^ms  soient  énoncées  dans  la  loi,  et 
comment  peut-on  voir  l'admission  de  la  preuve  testimoniale 
dans  un  simple  renvoi  k  ce  qui  sera  dit  sur  le  serment? 
N'était-il  pas  plus  simple  de  déclarer  expressément  que  les 
registres  serviraient  de  commencement  de  preuve  par  écrit? 

*  Le  rapport  fait  au  Tribnnat  par  M.  Jaubert  Tient  eocore  à  l'appui  de 
la  doctrine  énoncée  dans  Pexposé  des  motifs  :  «  Ces  registres  »,  dit-il, 
«  ne  peuvent  tout  au  plus  servir  qu'à  déterminer  le  juge  à  déférer  le 
«  serment.  »  L'intention  restrictive  ne  saurait  être  plus  manifeste. 

*  La  question  n'est  nullement  tranchée  en  jurisprudence.  Un  arrêt  de  la 
Cour  de  Paris  du  28  novembre  18S6,  que  l'on  cite  comme  favorable  k  notre 
opinion,  se  borne  à  écarter,  dans  l'espèce,  certains  registres  comme  ne 
constituant  point  un  commencement  de  preuve  par  écrit  D'une  autre  part, 
dans  l'espèce  d'un  arrêt  de  rejet  du  10  août  1840 ,  qui  a  admis  la  preuve 
par  témoins,  il  y  avait,  outre  les  livres,  des  écrits  constituant  un  commen- 
cement de  preuve,  conformément  à  la  lettre  de  l'article  1347. 


'APPENDICE. 


PREUVE  DE  PREUVE  LITTÉRALE. 

Sommaire.  —  78i.  Division. 

781.  Un  écrit  peut  se  référer  k  un  écrit  [rfns  ancien , 
soit  en  en  reproduisant  seulement  la  substance,  mais  en 
manifestant  l'intention  des  parties  de  maintenir  les  enga- 
gements constatés  par  le  premier  acte,  et  c'est  alors  un  acie 
récognitif-,  soit  en  le  transcrivant  littéralement,  et  c'est  alors 
une  copie  \ 

g  4.  A£TB8  BÉGOGHITIFS. 

Sommaire.  —  783.  Foi  de  ces  actes  en  raison.  —  783.  Doctrine  rigoorease  admise  par 
les  anciens  aatenrs.  ^  784.  jCe  qu'elle  a  d'excessif.  —  785.  Ce  qn'U  tant  entendie  par 
relater  la  teneur.  ~  786.  Exception  à  la  règle.  —  787.  Cas  où  le  titre  primordial  con- 
tient pins.  —  788.  Cas  où  il  contient  moins.  —  789.  Gode  sarde.  —  790.  la  règle  sans 
anptication  en  matière  de  commerce.  —  794.  Qiùd  en  matière  de  senitudes? 

782.  L'aveu  écrit,  comme  l'aveu  oral  (art.  1356),  doit 
(aire  pleine  foi  contre  celui  qui  en  est  l'auteur.  Si  donc  on 
ne  consultait  que  la  raison  sur  la  valeur  des  actes  récogni- 
tifs, on  n'hésiterait  pas  k  décider  que,  pourvu  qu'on  y  voie 
dairemait  énoncée  l'intention  de  maintenir  la  force  d'une 
déclaration  préexistante,  ils  doivent  avoir  la  même  foi  que 
le  titre  primordial.  Et  cependant,  le  Gode  ccHisacre  la  doc- 
trine d'anciens  interprètes,  suivant  laquelle  une  seule  recon- 
naissance ne  saurait  équivaloir  au  titre  primordial 

783.  Cette  doctrine  s'est  basée,  ainsi  que  cela  arrivait 

^  C'est  dans  la  même  partie  de  son  Commentaire  sur  la  coutume  de 
Paris  (tit.  I,  §  s),  que  Dumoulin  donne  les  développements  les  plus  étendus 
sur  les  actes  récogûtifs  et  sur  les  copies. 


360  ACTES  RÉCOGNITIFS. 

fréquemment  autrefois,  sur  une  décision  particulière  du 
droit  romain,  que  Ton  a  généralisée.  Justinien  avait  décidé, 
par  faveur  pour  la  liberté ,  qu'une  seule  reconnaissance  ne 
sufiBsait  point  pour  établir  la  qualité  de  serf  de  la  glèbe  : 
Sancimus  (L.  22,  Cod.,  pr.,  De  agric.  et  censit.)  solam  con- 
femonem  vel  aliam  quamcunque  tcripturam  ad  hoc  minime  suffira 
oere,  nec  adscriptitiam  conditionem  cuiquam  inferre,  sed  debere 
hujus  modi  9cripturam  aiiquod  advenir e  adjutorium  :  quatenui, 
vel  ex  publici  cenxuz  adjectione,  vel  aliis  legiiimis  modis  talis 
scriptura  adjuvetur.  Des  auteurs  d'un  grand  crédit,  notam- 
ment Bartbole,  ont  Conclu  de  ce  texte  qu'un  simple  acte 
récognitif  ne  fait  point  preuve  suffisante.  Il  est  vrai  que  les 
romanistes  les  plus  exacts,  tels  que  le  président  Favre, 
firent  remarquer  que  la  constitution  de  Justinien  n'était 
applicable  qu'à  l'état  des  personnes,  et  que,  de  droit  com- 
mun, l'aveu  est  la  meilleure  des  preuves  :  Intelligo  de  homagio 
penonali;  nam  ri  de  rei  conditione  ageretur,  unica  recogmtio 
sufficeret.  (Faber,  Ad  Cod.,  lib.  VII,  tit.  XI,def,  l9.)DanUno 
prœdii  licet  ex  sua  confesrione  et  enunciatione  probationem  adver- 
sario  prœbere;  nulla  enimfortior  probado  est,  quant  quœfit  per 
confessionem  partis.  (Ibid.,  lib.  IV,  tit.  XIV,  def.  10.)  Les 
canonistes,  dans  le  but,  k  ce  qu'il  parait,  de  révoquer  indi- 
rectement les  concessions  faites  trop  facilement  par  les  supé- 
rieurs ecclésiastiques^,  introduisirent  une  distinction  entre 
la  confirmation  simple,  m  forma  communi,  à  laquelle  on 
appliquait  la  constitution  de  Justinien ,  et  la  confirmation  m 
forma  speciaU,  qui  équivalait  au  titre  primordial.  La  recon- 
naissance était  faite  informa  spedali,  lorsque  le  signataire 
déclarait  agir  en  pleine  connaissance  de  cause,  ex  certa 
scientia.  Et  même  on  finit  par  exiger,  de  crainte  que  ces 
dernières  expressions  ne  devinssent  elles-mêmes  de  style, 

'  On  peut  consalter  sur  ce  point  le  26*  plaidoyer  de  d^Aguesseau. 


ACTES  RÉCOGNITIFS.  361 

que  toute  la  teneur  de  Facto  précédent  se  trouvât  insérée 
dans  l'acte  confirmatif,  de  manière  k  ne  laisser  aucun  doute. 
Dumoulin  était  un  esprit  trop  judicieux  pour  ne  point  recon- 
naître le  yéritable  caractère  des  actes  récognitifs.  Le  titre 
nouveau  ne  doit  pas,  sans  doute,  aggraver  l'obligation,  et 
en  ce  sens  il  est  toujours  vrai  de  dire  :  Cùt^rmatio  nihil  dot 
nom;  mais  il  a  force  probante.  C'est  ainsi  que,  supposant  un 
acte  récognitif  rédigé  devant  notaires,  Dumoulin  dit  positi- 
vement :  «  Simplex  titulus  novus  non  est  dispositorius,  sed 

«  declaratorius  seu  probatorius nec  aliquid  de  novo  in- 

((  ducit  circa  substantiam  obligationis,  sed  bene  circa  qusBdam 
«  ejLtrinseca  et  accidentalia,  videlicet  circa  probationem  et 
«  vim  executivam  ;  et  sic  hujusmodi  titulus  dao  tantum  ope- 
c(  ratur  :  primo  confessionem  et  probationem  recoguoscentis, 
a  secundo  vim  guarrentigiam.  »  (Comment,  sur  la  cota,  de 
Paris,  tit.  I,  §  18,  n""  19.)  Il  n'en  reproduit  pas  moins,  rela- 
tivement aux  concessions  féodales  (ibid.,  §  8,  n*"  87),  la 
distinction  entre  la  confirmation  simple  et  la  confirmation 
informa  epeciali.  Et  en  cette  matière,  il  faut  reconnaître  que 
la  distinction  était  assez  conforme  à  l'esprit  de  la  constitu- 
tion de  Justinien.  Mais  jusqu'à  quel  point  ce  jurisconsulte, 
dont  la  netteté  est  loin  d'égaler  la  profondeur,  a-t-il  géné- 
ralisé cette  doctrine?  C'est  ce  qu'il  est  assez  difficile  de 
décider^  car,  d'une  part,  on  trouve  dans  son  Commentaire 
sur  la  coutume  de  Paris,  et  dans  son  traité  Contractuum  et 
usurarum  (n""  SIO),  de  nombreux  passages  oi!i  il  attribue  à 
la  reconnaissance  la  forme  de  l'aveu,  sans  faire  aucune 
réserve^  d'une  autre  part,  il  renvoie,  dans  ce  même  traité 
(même  n*  210),  à  la  doctrine  précédemment  exposée  sur 
la  coutume  de  Paris.  Malheureusement  Potbier  {Oblig., 
w  778)  comprit  Dumoulin'  dans  le  sens  le  plus  restrictif, 
et  son  opinion  a  passé  dans  le  Code. 

■  TouUieT,  qui  a  parraitement  élucidé  cette  matière  (tom.  X,  n»*  315  et 


362  ACTES  RÉCOGMITIPS. 

Avant  d'être  consacrée  par  l'article  1337  dn  Gode  ciTÎI, 
cette  opinion  ayait-dle  déjk  prévalu  dans  rancienne  jnrid- 
prudence?  La  Gonr  de  Paris  a  rendu  sur  ce  point  deux 
arrêts  en  sens  inverse ,  l'un  le  30  janvier,  et  l'autre  k 
14  août  1828.  Si  nous  consultons  les  anciens  auteurs,  nous 
voyons  qu'ils  sont  loin  de  reproduire  la  doctrine  attribuée  à 
Dumoulin,  a  C'est  la  plus  commune  opinion  des  int^rètes  », 
dit  Henrys  (liv.  UI,  ch.  ii,  quest.  !**),«  qu'une  seule 
a  reconnaissance  suffit,  si  elle  est  assistée  de  quelques 
«  adminicules  ou  si  elle  a  été  suivie  de  la  possession.  » 
(Yoy.  aussi  Rousseaud  de  Lacombe,  Jumprudmce  civile, 

V*  RBCONNÀISSiUXGE.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'article  1337  du  Gode  porte  :  «  Les 
«  actes  récognitifs  ne  dispensent  pas  de  la  représentation 
«  du  titre  primordial ,  à  moins  que  sa  teneur  n'y  sok  spé- 
«  cialement  relatée.  » 

784.  Pour  justifier  cette  proposition,  le  rapporteur  du 
Tribunat  a  dit  que  «  les  actes  récognitifs  n'ont  point  été 
ce  faits  dans  l'intention  de  contracter,  leur  objet  n'étant  que 
«  de  rappeler  une  obligation  déjk  existante.  »  Tout  ce  qu'il 
est  permis  de  conclure  de  Ik,  c'est  que  l'acte  récognitif, 
comme  une  copie,  doit  être  censé  reproduire  le  titre  pri- 
mitif, et  que  les  différences,  s'il  y  en  a,  doivent  être  présa- 

m 

mées  provenir  d'une  erreur.  Mais  poivquoi  ne  pas  admettre, 
dans  tous  les  cas,  les  actes  récognitifs,  comme  les  copies 
régulières,  à  remplace  le  titre  original,  lorsqu'il  est  perdu? 
Après  tout,  la  reconnaissance  doit  raisonnabl^sient  faire  foi 
d'une  obligation  préexistante ,  tant  que  le  contraire  n'appa- 
rait  point.  Ge  n'est  Ik  qu'une  forme  de  l'aveu ,  et  pourquoi 


soir.),  pense  que  Domoiiliii  a  toujours  diaUogaé  entre  les  oonfinuatioas 
d'investitures  et  les  reconnaissances  proprement  dites  ;  mais  cette  distinc- 
tion ne  nous  a  point  paru  ressortir  avec  netteté  des  développements  de  ce 
savant  jurisconsniteu 


▲C1XS  RÉCMmTvs,  363 

Tafeii  écril  annit-il  moins  de  force  qu'un  areii  veAal  portant 
sur  l'existence  du  titre  primordial?  YainemaEit  dira-tH>n, 
avec  on  jmrisctmsalte  toujocrs  disposé  k  prradre  la  défense 
des  rédacteurs  de  nos  Codes  (M.  Demante,  Programme, 
tmn.  ni,  n*  819),  qu'une  simple  reconnaissance,  sans  expli- 
cation des  causes  qui  ont  produit  la  dette,  peut  avoir  été 
surprise  k  l'ignorance  ou  arrachée  à  la  faiblesse,  et  que  peut- 
être  aussi  fat  dette  recomuie  a  été  éteinte,  sans  qu'on  ait 
songé  k  faire  supprimer  toutes  les  recomuûssances.  Le  pre^ 
noier  de  ces  miitifs  tendrait  uniquement  k  faire  relater  la 
saiMstance  de  l'oMigatîon  constatée  par  le  titre  primitif, 
ainsi  que  la  loi  l'exige  pour  les  aetes  confirmatifs  (C.  cit., 
art.  1338),  maïs  nirilement  k  faire  reprodiure  ce  titre  en 
entier.  Quant  k  la  supposition  que  l'on  aurait  négligé  de 
retirer  les  recomnisfiances  après  la  libératîeii  du  déUteiu*, 
elle  nous  paraît  bien  gratuite^  car,  cette  libération  étant 
nécessairement  plus  récente  que  la  constitution  de  la  dette, 
la  perte  -du  titre  primordial  est  beaucoup  plus  probable  que 
celle  du  titre  constatant  la  libération.  En  somme,  nous 
aurions  compris  qu'cm  eût  exigé  certaines  conditions  pour 
que  l'acte  récognitif  pût  ranjdacer  le  titre  primordial,  et,  en 
ce. sens,  le  système  de  la  confirmation,  tel  que  l'enseignait 
Dumoulin ,  pouvait  se  concevoir.  Mais  c'est  aller  trop  loin 
que  d'exiger  la  représentation ,  ou ,  si  on  ne  peut  l'obtenir, 
la  reproduction  du  titre  primordial.  Néanmoins,  la  loi  est 
po^tive  :  le  simple  acte  récognitif,  dans  le  système  du  Ciode, 
n'a  plus  d'utilité  que  pour  interrompre  la  prescription. 
(/HdL,  art.  2S63.) 

78K.  Que  &ut-il  entendre  par  cette  exigence  de  la  loi , 
que  la  teneur  du  titre  primordial  ioU  spécialement  relatée  f 
Suivant  l'opûiion  commune^  il  faudrait  reproduire  k  peu 
près  littéralement  le  texte  de  l'acte  primitif,  et  c'est  ce  qui 
semble  résulter  d'un  passage  de  Dumoulin  (Cota,  de  Paris , 


364  ACTES  RÉCOGNITIFS. 

tit.  IT,  §  8,  D''  89),  où  il  suppose  une  reproduction  coin- 
plèle  :  enarrato  toto  tenore  confirmati.  C'est  encore  k  ce  pas— 
sage  que  Pothier  s'est  exclusivement  attaché.  Mais,  si  Toii 
étudie  dans  leur  entier  les  développements  de  Dumoulin, 
on  voit  qu'il  est  loin  d'exiger  l'entière  reproduction  de 
l'acte  primitif,  ce  qui  serait  bien  peu  raisonnable.  D  suffit 
que  la  reconnaissance  contienne  la  substance  de  l'acte  pri- 
mitif :  contineat  et  9pecifica  saltem  nJfstantialia  actut  (n*  92)..., 
ri  renovatio  esset  mdeterminaia ,  nihil  operaretur.  {Ibid.p  n*  93.) 
Ce  grand  jurisconsulte  nous  donne  lui-même  un  exemple 
d'une  reconnaissance  in  forma  tpedali,  en  ces  termes  :  Siau 
prœdecessor  nouer.,,  prœdecenori  tuo  concestit  taUm  rem  m 
fimdum,  ita  et  not  cancedimus.  Il  y  a  loin  de  là  à  une  repro- 
duction littérale  de  la  première  concession.  Il  faut  seulement 
que  la  reconnaissance  soit  certa  et  epee^ica  (tfrtU),  ce  qui 
n'est  autre  chose  que  l'application  des  principes  généraux 
sur  l'aveu. 

Le  texte  du  Code  est-il  assez  précis  pour  exclure  l'appli- 
cation dans  notre  droit  de  cette  doctrine  si  ralionnelle? 
Relater  la  teneur  n'est  point  la  reproduire.  Et  la  relation 
tpéciale  semble  même  une  traduction  de  la  reconnaissance 
certa  et  specifica  dont  parle  Dumoulin.  Après  tout,  les  actes 
récognitifs  ne  sont  point  des  copies,  et  le  rapporteur  du 
Tribunat  dit  avec  raison  que  ces  actes,  «  sans  retracer 
ic  entièrement  et  identiquement  tout  ce  qui  est  contenu 
((  dans  un  acte  précédent,  rappellent  néanmoins  cet  acte.  » 
C'est  donc  se  conformer  à  l'esprit  du  législateur  que 
d'entendre  par  la  teneur  de  Tacte  les  conditions  constitutives 
de  la  convention,  clairement  et  distinctement  articulées? 
Qu'a-t-on  voulu,  en  définitive,  en  exigeant  cette  mention? 
Prévenir  le  danger  de  confirmations  faites,  sans  connais- 
sance de  cause,  d'anciennes  concessions?  Or,  ce  danger 
n'existe  point,  dès  que  les  dispositions  substantielles  de 


ACTES  RÉCOGNITIFS.  365 

l'acte  primordial  se  trouvent  reproduites.  La  Cour  de  cassa- 
tion (Rej.,  11  juin  1833)  est  entrée  dans  cette  voie,  en 
considérant  comme  un  titre  récognitif  sufiBsant  l'arrêté  d'un 
conseil  de  préfecture  qui  rappelait  la  disposition  d'un 
ancien  titre  portant  concession  de  droits  sur  une  forêt 
domaniale,  mais  sans  en  renfermer  la  copie  textuelle.  Plus 
récemment,  le  15  avril  1867,  elle  a  jugé  «  qu'on  ne  saurait 
«  induire  des  dispositions  de  l'article  1 337  que  la  transcrip- 
«  tion  littérale  du  titre  primordial  soit  une  condition  essen- 
ce tielle  de  la  validité  du  titre  récognitif;  qu'il  suffit  que  la 
ce  convention  originaire  s'y  trouve  relatée  dans  ses  clauses 
«  principales.  »  L'arrêt  ajoute  que  c'est  au  juge  du  fait  à 
apprécier  souverainement  si  la  convention  constitutive  du 
droit  se  trouve  relatée  dans  ces  clauses  essentielles.  On 
voit  que  l'application  de  l'article  1337  est  peu  gênante  dans 
la  pratique.  De  plus,  les  tribunaux  peuvent  toujours  décider 
en  fait,  ainsi  que  l'a  fait  la  Cour  de  Pau  par  un  arrêt  du 
14  août  1828,  maintenu  en  cassation  le  29  janvier  1829, 
que  l'acte  intitulé  récognitif  avait  moins  pour  but  de  recon- 
naître que  de  remplacer  le  premier  titre,  dont  la  représen- 
tation ne  saurait  dès  lors  être  exigée,  puisqu'il  n'y  a  plus 
qu'à  appliquer  les  principes  de  la  novation. 

786.  Le  Gode ,  après  avoir  emprunté  k  Potbier  la  règle , 
lui  emprunte  une  exception,  puisée  également  dans  l'an- 
cienne doctrine  sur  les  confirmations  des  investitures. 

«  Néanmoins  »,  ajoute  l'article  1337,  «  s'il  y  avait  plu- 
((  sieurs  reconnaissances  conformes,  soutenues  de  la  pos- 
c(  session ,  et  dont  l'une  eût  trente  ans  de  date ,  le  créancier 
«  pourrait  être  dispensé  de  représenter  le  titre  primordial.  » 

D'après  cette  disposition,  le  créancier  pourrait  seulement 
élre  dispensé  de  représenter  le  titre  primordial ,  et  il  fallait 
effectivement,  suivant  Pothier  (Oblig.,  n*  788),  que  les 
circonstances  fussent  favorables ,  et  notamment  que  le  titre 


366  ACTES  RÉCOGNITIFS. 

primordial  fût  très-aDciea.  Cette  condition  n'est  pas 
tionnée  par  Dumoulin  (ibid.,  n*  90),  et  aujourdlmi  on 
n'hésitera  jamais  k  se  prononcer  en  fayeor  du  créaBcier 
qui  a  en  sa  faveur  plusieurs  reconnaissances  soutenues 
d'une  longue  possession,  puisqu'il  est  évident  que  c'est 
déjà  beaucoup  trop  que  de  restreindre  k  cette  hypothèse  la 
foi  du  titre  récognitif. 

787.  La  seconde  partie  de  la  doctrine  de  Dumoiriin  et 
de  Pothier  sur  les  actes  récognitife  est  beaucoup  plus 
raisonnable.  Elle  est  reproduite  en  ces  termes  par  Far- 
tide  1337  : 

«  Ce  qu'Us  contiennent  de  plus  que  le  titre  primordial , 
«  ou  ce  qm  s'y  trouve  de  différent,  n'a  aucun  effet.  » 

En  effet ,  l'acte  récognitif  n'ayant  point  pour  but  de  créer 
une  obligation  nouvelle,  mais  de  constater  une  obligalioii 
existante  (non  dUpoiUomu  ^  ted  declaratorius)  ^  par  cela  seul 
que  le  titre  primitif  est  représenté ,  ce  que  contient  de  plus 
ou  de  différent  le  titre  récognitif  est  censé  provenir  d'une 
erreur  (Pothier,  Obiig.,  n""  779),  k  moins  que  l'intention  de 
faire  novation  ne  soit  démontrée.  C'est  en  vertu  du  même 
principe  que  le  vice  du  titre  primordial  passe  au  titre  réco- 
gnitif, ainsi  que  Ta  jugé  la  Cour  de  cassation,  le  25  oc- 
tobre 1808,  pour  un  acte  entadié  du  vice  de  féodalité. 

Toutefois,  il  ne  faudrait  point  considérer  comme  une 
extension  de  l'obligation ,  que  l'on  devrait  attribuer  à  une 
erreur  la  stipulation  de  garanties  accessoires ,  telles  que 
la  solidarité.  Cette  stipulation  rentre  dans  la  nature  des 
actes  récognitifs,  qui,  d'après  la  doctrine  de  Dumoufin, 
peuvent ,  sans  changer  de  caractère ,  innover  eirca  quœdam 
exirmseeaet  aedderuaUa,  et  notamment  ajouter  des  garanties, 
vim  guarreiuigiam.  {Ibid.,  §  18,  n"*  19.)  Il  est  donc  pemas 
de  stipuler  la  solidarité ,  et  on  peut  également  rendre  exé- 
cutoire le  titre  récognitif,  bien  que  le  titre  primordial  ne 


AGTB8  RÉCOGNITIFS.  367 

soit  point  saseei^iUe  d'exécution  foreée.  (Toulonse,  5  avril 
i838.) 

788.  n  est  k  remarquer  qne  le  texte  ne  refuse  effet  qu'à 
ce  que  le  titre  nouvel  contient  de  plus.  Si  le  titre  nouvel 
énonce ,  au  contraire ,  une  créance  moindre ,  on  supposera 
facilement,  en  faveur  de  la  libération  (G.  civ.,  art.  116S), 
que  cette  énonciatkm  tend  k  remplacer  le  premier  titre 
d'après  la  volonté  |des  parties ,  et  elle  produira  immédiate- 
ment effet.  Que  s'il  n'y  a  pas  en  intentim  de  nover,  le  titre 
primordial  conserve  sa  force,  et  la  mention  d'une  dette 
moindre  est  présumée  erronée;  seulement,  la  prescription 
de  trente  ans  peut  réduire  la  dette  aux  proportions  fixées 
dans  ra(^  récognitif,  tandis  que  la  prescription  ne  ferait 
point  acquérir  au  créancier  un  excédant  de  créance,  non 
reconnu  par  l'acte  primordial.  Pothier  (ibid.,  n"*  780),  en 
permettant  au  débiteur  d'invoquer  la  prescription  dans 
l'espèce,  soumet  cette  prescription  k  des  conditions  arbi- 
traires, qui  pouvaient  être  exigées  lorsque  le  créancier 
invoquait  un  supplément  de  créance ,  mais  qui  ne  sauraient 
l'être  ici,  puisque  la  prescription  tend,  au  contraire,  k 
diminuer  le  droit  du  créancier.  Pothier  ajoute,  en  effet 
(n^  780),  après  avoir  énoncé  la  proposition ,  qu'il  peut  en 
être  autrement ,  s'il  y  a  mains  dans  la  reconnaissance  que 
dans  le  premier  titre  : 

«  S'il  y  a  plusieurs  reconnaissances  conformes  et  qui 
«  remontent  k  trente  ans ,  le  créancier,  en  rapportant  le 
«  titre  primordial ,  ne  pourra  pas  prétendre  plus  qu'il  n'est 
(c  porté  par  les  reconnaissances ,  parce  qu'il  y  a  prescription 
«  acquise  pour  le  surplus.  » 

On  a  fait  (^server  avec  raison  que  c'est  arbitrairement 
qpe  Pothier  exige  cette  fois  plusieurs  reconnaissances  c&n- 
formes.  Le  laps  de  trente  ans  suffit  pour  opérer  la  prescription, 
lOrs  même  qu'il  n'y  aurait  qu'une  seule  reconnaissance. 


368  ACTES  RÉCOGNITIFS. 

disons  mieux ,  lors  même  qu'il  n*y  en  aurait  aucune ,  si  le 
débiteur  justifiait,  par  la  reproduction  des  quittances,  qu'il 
a  payé  pendant  trente  ans  une  somme  inférieure  k  celle  qui 
avait  été  stipulée  dans  l'origine. 

789.  Le  Gode  italien,  éclairé  par  les  critiques  dont 
notre  Gode  a  été  l'objet  sur  ce  point,  est  revenu  au  seul 
système  que  la  raison  avoue  :  «  L'acte  récognitif  » ,  dit 
l'article  1340  de  ce  Gode,  «  fait  preuve  contre  le  débiteur, 
«  ses  héritiers  et  ayants  droit,  si  ceux-ci,  par  la  production 
«  du  titre  primitif,  ne  démontrent  pas  qu'il  y  a  eu  erreur 
a  ou  excès  dans  l'acte  récognitif.  » 

790.  La  règle  subtile  posée  par  l'article  1337  du  Code 
civil  répugne  à  l'interprétation  large  et  équitable  que 
requiert  la  simplicité  des  opérations  commerciales.  Elle  est 
en  harmonie  d'ailleurs  avec  un  système  de  législation  fondé 
presque  exclusivement  sur  la  preuve  écrite.  Là  où  la  preuve 
testimoniale  est  admise  indéfiniment,  une  pareille  r^le  ne 
saurait  recevoir  son  application  :  d'où  la  conséquence,  con- 
sacrée par  un  arrêt  de  rejet  du  27  décembre  183S,  qu'en 
matière  de  conunerce ,  les  Juges  ont  un  pouvoir  discrétion- 
naire pour  décider  s'il  y  a  eu  reconnaissance  valable  d'une 
dette  antérieure. 

791.  D'autre  part,  le  désir  de  restreindre  la  portée  d'une 
disposition  vraiment  exorbitante  a  fait  imaginer  une  distinc- 
tion, plus  spécieuse  que  solide,  entre  la  reconnaissance 
d'une  dette  et  celle  d'un  droit  réel.  L'article  695  du  Gode 
disant  simplement  que  le  titre  constitutif  d'une  servitude 
peut  être  remplacé  par  un  titre  récognitif  de  la  servitude , 
émané  du  propriétaire  du  fonds  asservi ,  d'après  une  opinion 
accréditée  dans  la  doctrine ,  suivie  même  par  la  jurispru- 
dence de  la  Cour  de  cassation  (arr.  du  16  novembre  1829 
et  du  â  mars  1836),  il  n'y  aurait  point  lieu  d'exiger  pour  le 
titre  récognitif  d'une  servitude  les  conditions  spéciales  de 


COPIES.  369 

Part  1337.  Cette  opinion  nous  semble  réfutée  par  une  con- 
sidération bien  simple,  c'est  que  les  règles  du  Gode  civil 
sur  la  preuve,  bien  que  placées  au  titfe  des  eontrau^ 
régissent  incontestablement  la  matière  des  droits  réels. 
Faire  mr  triage  entre  ces  règles  pour  n'appliquer  aux  droits 
réels  que  celles  qui  paraîtraient  raisonnables ,  c'est  tomber 
inévitablement  dans  l'arbitraire.  Gomment  la  simple  mention 
d'un  tUre  récognitif  aurait-elle  l'effet  de  déroger  par  avance 
aux  principes  établis  ultérieurement  sur  ce  qui  constitue  un 
titre  récognitif  valable?  En  admettant  une  exception  pour 
les  servitudes ,  on  ne  saurait ,  sans  faire  la  loi ,  étendre  cette 
dérogation  aux  autres  droits  réels,  et  d'autre  part,  se  refuser 
k  cette  extension ,  c'est  tomber  dans  une  véritable  contra- 
diction de  principes.  Ajoutons  enfin  que  la  confirmation  in 
foTPML  tpedaii  ayant  été  précisément  imaginée  pour  les  con- 
cessions de  droits  réels  (n*  783),  il  est  assez  singulier  de 
vouloir,  au  ccmtraire ,  borner  aux  créances  l'application  de 
cette  règle  spéciale.  Au  surplus^  la  jurisprudence  si  large 
qui  a  prévalu  sur  l'application  de  l'article  1337,  ôte  k  la 
question  beaucoup  de  son  intérêt. 

S  t.  OOMBS. 

SOMMAIRE.  —  793.  Qoelles  copies  peuvent  avoir  aotoritè.  —  79S.  Foi  exclusive  da  titre 
original.  —  794.  Seeut  ponr  les  actes  de  l'état  civil.  —  795.  Poar  les  exploits  d'huissier. 
—  796.  Foi  décroissante  des  copies.  —  797.  Premières  expéditions.  —  798.  Copies  <ini 
lenr  sont  assimilées.  —  799.  Celles  dont  la  foi  dépend  de  l'ancienneté.  —  800.  Copies 
qui  ne  servent  qoe  de  commencement  de  preuve.  —  804.  Copies  de  copies.  —  80S. 
Comment  les  copies  doivent  être  tirées.  —  803.  dmfulsoire.  —  804.  Cas  on  on  peut 
invoquer  la  transcription.  —  805.  Qmi  de  l'enregistrement?  —  806.  Fait-il  plus  de  foi 
poor  1m  actes  d'huissier? 

799.  La  nécessité  de  mettre  à  la  disposition  de  chacune 
des  parties  un  titre  qui  lui  permette  de  faire  valoir  ses  droits, 
en  laissant  l'original  entre  les  mains  de  l'officier  public, 
ainsi  que  l'avantage  de  multiplier  les  moyens  de  preuve, 
afin  de  ne  pas  mettre  k  la  merci  d'un  accident  les  intérêts 
II.  t* 


370  coFim. 

les  pliia  importSBls,  ont  fait  introdiiire  ^epnis  loBgtemfs 
dans  notre  droit  des  règleb  spéciales  sur  les  copies  des  aeies 
authentiques*  QiAnt  aux  écrits  prirés ,  Toriginal  seul  pest 
faire  foi,  et  les  copies  qui  en  seraient  délivrées,  même  par 
des  notaires,  n'auraient  aucune  autorité.  Personne  n'a 
qualité  oflBeielle  pMr  transcrire  ces  écrits.  D'un  autre  eôté^ 
la  reproduction  d'un  acte  authentique  par  un  simple  parti* 
culier  n'aurait  aucune  foi*  Nous  n'avons  donc  k  nous  occuper 
que  des  copies  d'actes  authentiques  délivrées  par  des  officiers 
publics ,  tels  que  les  notaires  et  les  greffiers. 

783.  Le  législateur  applique  d'abord  k  la  preuve  litlérale 
cette  vérité  de  raison  et  d'expérience,  que  le  témoignage 
direct  doit  toujours  être  préféré  au  témoignage  indireel* 

Ce  n'est  Ik  qu'une  application  du  principe  plus  général^ 
sur  lequel  insistent  avec  raison  les  jurisconsultes  anglais , 
qu'il  faut  toujours  avoir  recours  an  mrilleur  mode  de  preuve 
dont  une  aflbire  est  susceptible*  (Voy.  tom.  I,  p.  308, 
not.  1.) 

«  Les  copies  »,  dit  l'article  1334,  «  lorsque  le  titre 
a  original  subsiste ,  ne  font  foi  que  de  ce  qui  est  oontam 
«  au  titre,  dont  la  représentation  peut  toujours  être  exigée.  » 

Dès  que  la  partie  k  qui  l'expédition ,  même  la  plus  régu- 
lière, est  opposée,  demande,  afin  que  la  conformité  soit 
vérifiée,  l'apport  de  l'original,  les  juges  ne  peuvent  se 
diq[^nser  de  l'ordonner;  la  crainte  de  retarder  la  marche 
de  la  justice  ne  saurait  autoriser  le  refus  de  vérification  : 
Semper  oportet  ostentR  originale,  dit  Dumoulin  {Coût.  dePam^ 
tit.  VI,  §  8,  n""  32)  :  c'est  ce  qu'a  jugé  un  arrêt  de  cassation 
du  15  juillet  1829.  Mais  l'acte  est  également  perd«,  par 
cela  seul  que  le  titre  original  ne  se  retrouve  pas  au  lien  oè 
il  a  dû  être  déposé.  Celui  qui  produit  l'expédition  n'est  pa» 
tenu  de  rapporter  la  preuve  de  l'événement  qui  a  causé  ht 
perte  de  l'original.  (Rej.,  10  novembre  1830.) 


G0PIS8.  371 

784.  Les  extraits  des  registres  de  l'état  civil  ont  plus 
d'autorité.  La  foi  qui  leur  est  attribuée,  lorsqu'ils  sont 
déUvréi  conformée  aux  regUire»  (C.  civ.,  art.  45),  s'entend 
généralement  en  ce  sens ,  non  qu'il  faille  justifier  de  leur 
conformité  avec  les  registres,  ce  qui  obligerait  au  déplace- 
ment perpétuel  de  ces  précieux  documents,  mais  en  ce  sens 
que,  lorsqu'on  déclare  qu'ils  sont  déUuréê  conformei,  suivant 
la  formule  usitée ,  la  conformité  doit  se  présumer.  La  partie 
adverse  peut  prétendre  que  cette  conformité  n'existe  pas  ; 
mais  c'est  k  elle  k  en  faire  la  preuve  en  représentant  un 
nouvel  extrait  :  ce  qui  donnera  lieu  k  ordonner  l'apport  des 
registres,  s'il  y  a  désaccord  entre  les  divers  extraits  pré- 
sentés. (Bourges,  17  février  1845.)  L'opinion  contraire, 
professée  par  certains  auteurs,  aurait  des  inconvénients 
sensibles  dans  la  pratique,  où  les  actes  de  Tétat  civil  sont 
d'une  explication  si  usuelle. 

795.  Il  importe  aussi  d'observer  que  la  distinction  de 
l'original  et  de  la  copie  n'est  pas  applicable  aux  exploits 
d'huissier.  La  copie  d'un  pareil  acte  tient  lien  d'original  k 
celui  qui  la  reçoit ,  et,  toutes  les  formalités  requises  pour  la 
validité  intrinsèque  de  l'exploit  devant  être  accomplies  sur 
la  copie ,  k  peine  de  nullité ,  il  serait  frustratoire  d'exiger  la 
représentation  de  l'original. 

796.  Le  législateur  applique  ensuite  aux  copies  cet  autre 
principe ,  que  la  preuve  s'affaiblit  k  mesure  qu'elle  s'éloigne 
de  sa  source,  n  établit  en  conséquence ,  quant  k  la  foi  des 
copies,  au  cas  de  perte  de  l'originaK  une  progresûon  dé- 
croissante, dont  le  premier  terme  est  la  grosse  ou  la  pre- 
mière expédition ,  qui  est  k  peu  près  contemporaine  de  la 
minute,  et  le  dernier  terme  la  simple  copie  de  copie.  Il  est 
k  remarquer  que  les  copies  du  premier  degré  ont  une  force 
qui  n'appartient  point  au  témoignage  par  oui-dire,  ce  Le 
«déposant»,  dit  Bentham  (liv.  IV,  chap.  ix),  peut  avoir 

24. 


372  COPIES. 

a  saisi  k  la  volée  le  discours  qui  frappait  son  oreille ,  il  peat 
«  s'être  mépris  sur  le  sens.  Le  copiste  a  toujours  un  original 
«  sous  les  yeui ,  il  peut  y  revenir  pour  s'assurer  de  son 
«  exactitude.  » 

797.  «  Les  grosses,  ou  premières  expéditions  »,  dit 
l'article  1335,  «  font  la  même  foi  que  l'original.  » 

Nous  savons  déjà  que  la  grosse  est  la  première  expédition 
délivrée  en  forme  exécutoire  -,  mais  les  premières  expéditions 
où  cette  formule  ne  se  trouve  pas,  lorsqu'il  s'agit  d'un  acte 
qui  n'est  pas  destiné  à  être  exécuté ,  comme  celui  qui  con- 
state reconnaissance  d'une  servitude  au  profit  d'un  voisin , 
sont  mises  par  la  loi  sur  la  même  ligne  que  les  grosses,  et 
ont  eOectivement  la  même  force  probante  ^  (Rej.,  17  mes- 
sidor an  X.)  L'importance  de  ces  copies,  qui  doivent  servir 
de  titres  aux  contractants ,  et  le  peu  de  temps  qui  sépare 
habituellement  la  confection  de  la  minute  de  la  délivrance 
de  la  grosse,  garantissent  suffisamment  l'exactitude  de  la 
reproduction  du  titre  original.  In  effectu  et  vhrtiUe  probandi, 
dit  Dumoulin  (ibid,,  n*  42),  est  verum  originale.  L'officier 
public  ne  peut  délivrer  qu'une  seule  grosse  k  chacune  des 
parties  (Loi  du  25  ventôse  an  XI,  art.  26),  k  peine  de 
destitution.  Le  motif  de  cette  prescription,  qui  est  fort 
ancienne,  se  comprend  facilement.  La  délivrance  d*une 
seconde  grosse  au  créancier,  sans  l'intervention  du  débiteur, 
pourrait  lui  permettre  de  faire  revivre  une  créance  éteinte. 
Cela  a  été  établi  par  l'article  178  de  l'ordonnance  de  1559  : 
«  Propter  praejudicium  »,  dit  fort  bien  Dumoulin  {ibid., 
§  46) ,  «  quod  posset  fieri  alteri  parti  :  quae  forte  satisfecit , 
«  prout  apparere  posset  per  cancellationem  vel  apocham 
«  scriptam  in  dorso  prioris  instrument!.  »  Quant  aux  expé- 

I  Le  nom  de  groue  n'était  connu  avtrefois  que  dans  les  pays  coutamiers  ; 
on  se  servait  dans  les  pays  de  droit  écrit  des  termes  àepremière  expédition. 
(Merlin,  Répert.^  t*  Geossb,  $  1.) 


COPIES.  373 

ditions  non  exécutoires,  il  est  permis  sans  doute  d'en 
délivrer  plusieurs,  mais  la  première  seule  fait  pleine  foi, 
en  cas  de  perte  de  Poriginal. 

798.  a  II  en  est  de  même  »,  ajoute  l'article  1335  —  1*, 
«  des  copies  qui  ont  été  tirées  par  l'autorité  du  magistrat, 
«  parties  présentes  ou  dûment  appelées,  ou  de  celles  qui 
ce  ont  été  tirées  en  présence  des  parties  et  de  leur  consente- 
«  ment  réciproque.  » 

Dumoulin,  dont  la  doctrine  sur  les  copies  a  été  repro- 
duite par  Pothier,  dit  qu'il  faut  restreindre  aux  parties  et  k 
leurs  successeurs  la  foi  de  l'expédition  ainsi  tirée  de  leur 
consentement,  ou  elles  dûment  appelées,  et  qu'il  en  est 
autrement  k  l'égard  des  tiers.  <i  Hanc  conclusionem  limito  », 
dit-il  (ibid.j  n""  37),  «  ut  procédât  contra  eum,  cum  quo  vel 
«  quo  Yocato  solemniter  facta  est  exemplatio,  contra  quem 
tt  plene  probat,  sicut  originale,  et  rétro  trahitur  ad  datam 
«  originalis.  Secus  contra  alium,  quia  non  faceret  fidem.  » 
Quels  sont  les  tiers  dont  il  s'agit?  S'il  s'agit  d'un  coobligé, 
d'une  caution,  d'un  codébiteur  solidaire,  etc.,  il  est  clair 
qu'on  ne  saurait  le  forcer  k  reconnaître  pour  conforme  k 
l'original  une  copie  dont  il  n'aurait  pas  été  appelé  k  con- 
trôler la  confection.  En  cela,  la  doctrine  de  Dumoulin  est 
d'une  justesse  incontestable.  Sous  ce  rapport,  les  copies 
dont  nous  parlons  ont  moins  de  force  que  les  grosses  ou 
premières  expéditions,  que  le  créancier  peut  employer 
contre  tous  les  coobligés ,  bien  qu'il  les  ait  tirées  sans  se 
faire  donner  aucune  autorisation.  Mais  il  est  plus  difficile 
d'admettre  avec  ce  jurisconsulte  qu'il  soit  impossible  d'in- 
voquer contre  les  tiers  les  copies  dont  nous  nous  occupons, 
non  pour  les  obliger  personnellement,  mais  pour  les  forcer 
k  reconnaître  l'existence  de  l'acte  reproduit  dans  la  copie , 
s'il  s'agit,  par  exemple,  de  leur  opposer  la  prescription  de 
dix  ou  vingt  ans.  Suivant  Dumoulin,  la  prescription  ne 


374  COPIES. 

eourrait  que  de  la  dale  de  rexpédition,  et  non  de  la  jiate 
du  titre  original.  Et  eependaDt  la  date  de  cet  original  n'est- 
elle  pas  un  fait  dont  le  notaire  a  pu  se  convaincre  proprns 
iensibuB  ukus  et  auditu»,  comme  le  dit  ce  même  auteur?  Ainsi 
que  le  fait  très-bien  observer  MerWu  (fiue^ont  de  droit  ^ 
Y*  Triage,  §  1  ),  il  y  avait  une  raison  de  douter  plus  plau- 
sible du  temps  de  Dumoulin,  parce  qu'avant  Tédit  de 
mai  1597,  les  notaires  n'étaient  point  chargés  de  garder 
les  minutes  des  actes  qu'ils  avaient  reçus  (n*  462),  et  que 
dès  lors  ils  ne  pouvaient,  en  délivrant  la  copie,  attester  la 
sincérité  de  l'original.  Mais  depuis  que  les  mêmes  officiers 
délivrent  les  actes  et  en  gardent  minute,  ils  ont  qualité 
pour  certifler  la  sincérité  de  l'original  dont  ils  sont  déposi- 
taires. N'est-ce  pas  dès  lors  un  scrupule  exagéré  que  de  ne 
pas  admettre  la  date  de  l'original,  lorsque  la  copie  qui  la 
relate  offre  toutes  les  garanties  désirables?  Les  parties  qn*on 
doit  appeler  a  cette  opération  sont  donc  les  cointéressés 
dont  les  droits  sont  indirectement  en  jeu ,  mais  non  les  tiers 
inconnus ,  sur  les  intérêts  desquels  l'acte  ne  réagit  que  par 
contre-coup. 

789.  '(Les  copies  (iind.,  2*)  qui,  sans  l'autorité  du 
«  magistrat,  ou  sans  le  consentement  des  parties,  et  depuis 
«  la  délivrance  des  grosses  ou  premières  expéditions,  auront 
«  été  tirées  sur  la  minute  de  l'acte  par  le  notaire  qui  Ta 
«  reçu ,  ou  par  un  des  successeurs ,  ou  par  officiers  publies 
«  qui  en  cette  qualité  sont  dépositaires  des  minutes,  peuvent, 
«  au  cas  de  perte  de  l'original ,  faire  foi  quand  elles  sont 
«  anciennes. 

(c  Elles  sont  considérées  comme  anciennes  quand  elles 
«  ont  plus  de  trente  ans.  Quand  elles  ont  moins  de  trente 
«  ans,  elles  ne  peuvent  servir  que  de  commencement  de 

preuve  par  écrit.  » 

Deux  circonstances  empêchent  ces  copies  de  pouvoir 


COPIES.  375 

oMîiuiîrenieflt  faire  foi  complète.  Elles  ne  sonl  pas  tirées  k 
mie  époque  rapprodiée  du  contrai,  et  elles  ne  sMt  pas 
délivrées  du  consentement  de  la  partie  adverse  ou  par 
autorité  de  justice.  Aussi  Teiaclitude  en  est-eUe  moins 
assurée,  et  la  collusion  y  est^Ue  pins  k  craindre.  Toutefois 
ce  dernier  danger  était  le  plm  grave,  car  la  chance  d'erreur 
est  pen  considérable  an  fond,  lorsipe  la  copie  est  colla- 
tioonée  sur  la  minute  par  un  officier  daas  les  fonctions 
duquel   rentre  spécialement  la   dâivrance   de  pareilles 
^pédi tiens.  Noos  ne  ponrons  dcmc  admettre  le  motif  donné 
par  Dumoulin  (ibid.,  n*  64)  et  souvent  répété  :  «  Tempore 
«  exemplationis  non  fit  instrnmentam  originale ,  née  geritar 
«  actus  în  eo  eontentus ,  nec  possunt  tabeifiones  esse  rogati 
«  de  veritate  ftictî  in  eo  contenti ,  nec  ilKos  habere  notitiam 
«  propriis  sensibns,  et  hoc  est  impottsyWile,  quum  aetas 
«  transierit ,  et  sic  non  est  possftile  exemplum  esse  instru- 
«  mentum  authenticum  de  veritate  iacti  vd  actus  in  origi- 
«  nati  eoDtentî.  »  Cela  pouvait  être  vrai ,  coMne  nous 
venons  de  le  voir,  du  temps  de  Dumoulm ,  lorsque  l'ofBcier 
qui  délivrait   l'expédition    n'était  pas   le  même  que  le 
rédacteur  de  Tonginal.  Mais  aujourd'hui  il  est  difleile  de 
soutenir  que  le  notaire  k  la  fois  rédacteur  et  expéditeur 
n'ait  point  qualité  pour  certifier  la  conformité  de  sa  copie 
atec  l'original.  L'ofBcier  qui  opère  la  collation  atteste  des 
fidts  dont  il  a  connaissance  proftm  êenMus ,  et  sur  lesquels 
sa  profession  lui  donne  des  lumières  spéciales.  Le  véritable 
iBNHif  se  trouve  dans  la  possibilité  d'une  eollusio»,  quand 
f  autre  partie  n'a  pas  été  appelée ,  et  c'est  pour  cela  que , 
rasrcienneté  rendant  cet  accord  frauduleux  peu  vraisem- 
blable ,  les  copies ,  au  bout  de  trente  ans ,  font  foi  complète , 
quand  elles  ont  été  délivrées  par  le  dépositaire  légal  de  la 
minute.  Si,  au  contraire  »  c'était  la  présomption  d'inexac- 
titude qui  dominait,  il  serait  déraisonnable  de  transfonner 


376  COPIES. 

au  bout  de  trente  ans  Terreur  en  yérité.  «  Non  potest  anti- 
«  quitas  )i,  dit  Dumoulin  lui-même  (ibid.,  n""  76),  d  de  novo 
«  inducere  in  totum  probationem  quse  nulla  est,  sed  eam 
«  demum,  quae  aliqua  est,  adjuvare.  » 

Quant  Tacte  a  moins  de  trente  ans  * ,  le  législateur  le  con- 
sidère comme  un  commencement  de  preuve  par  écrit  ^  car, 
si  la  fraude  est  possible ,  elle  est  loin  d'être  certaine ,  et  la 
preuve  testimoniale  peut  permettre  d'arriver  à  la  vérité. 
C'est  là  une  des  exceptions  apportées,  dans  cette  matière, 
au  principe  que  le  commencement  de  preuve  doit  émaner 
de  la  partie  adverse.  La  présomption  de  Veiactitude  d'une 
copie  délivrée  par  un  officier  public,  bien  qu'en  l'absence 
de  la  partie  adverse,  égale  bien  la  force  des  indices  que 
peut  présenter  une  simple  note  émanée  de  cette  partie.  Au 
surplus,  les  présomptions  seront  admissibles,  par  cela  seul 
que  la  preuve  par  témoins  est  recevable,  et  ce  sera  à  ces 
présomptions  qu'on  aura  recours  pour  la  preuve»  lorsque 
l'acte  »  bien  qu'ayant  moins  de  trente  ans ,  sera  assez  ancien 
pour  que  l'enquête  ne  puisse  présenter  aucune  utilité 
sérieuse. 

800.  «  Lorsque  les  copies  {ibid.,  3*)  tirées  sur  la  minute 
«  d'un  acte  ne  l'auront  pas  été  par  le  notaire  qui  l'a  reçu, 
«  ou  par  l'un  de  ses  successeurs,  ou  par  officiers  publics 
«  qui,  en  cette  qualité,  sont  dépositaires  des  minutes,  elles 
«  ne  pourront  servir,  quelle  que  soit  leur  ancienneté,  que 
«  de  commencement  de  preuve  par  écrit.  » 

On  conçoit  qu'un  officier  public  qui  n'est  pas  dépositaire 
légal  de  la  minute,  n'ait  point  qualité  pour  délivrer  une  copie 
qui  puisse  faire  foi,  au  cas  de  perte  de  l'original^  et  en  effet, 
lorsqu'il  collationne  l'expédition,  il  peut  fort  bien  attester 
la  conformité  qui  existe  entre  les  deux  écrits,  mais  rien  ne 

*  n  n^est  pas  nécessaire  que  la  copie  soit  datée  ;  la  date  peut  en  être 
établie  par  les  circonstances  de  la  cause.  (Rej.,  lO  novembre  1830.) 


BB»^~"-  T- 


COPIES.  377 

lui  assure  que  la  prétendue  minute  qu'on  lui  présente  est  un 
véritable  original,  et  sans  aucun  dol  de  sa  part,  il  peut  Taci- 
lément  devenir  Tinstrument  d'une  fraude  \  On  a  donc  décidé 
avec  sagesse  qu'un  document  de  cette  nature  ne  peut  jamais 
servir  tout  au  plus  que  de  commencement  de  preuve  par 
écrit,  tt  Non  audeo  simpliciter  dicere  »,  dit  Dumoulin  (Urid., 
n*  7S),  n  quod  nullam  praesumptionem ,  nullum  indicium 
a  faciat.  » 

Cette  décision  recevait  de  fréquentes  applications  au 
seizième  siècle,  alors  que  la  conservation  des  actes  n'était 
pas  garantie ,  comme  aujourd'hui ,  par  la  défense  imposée 
aux  notaires  de  se  dessaisir  des  minutes  sous  aucun  prétexte. 
(Loi.  de  vent.,  art.  2S.)  A  cette  époque,  les  actes  les  plus 
importants  étaient  souvent  délivrés  en  brevet,  et  les  par- 
ties s'adressaient  ensuite  k  un  notaire  quelconque,  pour  s'en 
faire  délivrer  une  expédition.  Aujourd'hui  que  les  minutes 
demeurent  chez  le  notaire,  il  n'arrivera  que  dans  des  cas 
exceptionnels,  par  suite  de  la  violation  de  la  loi  ou  de  quelque 
accident ,  qu'une  expédition  soit  délivrée  par  autre  que  par 
le  notaire  dépositaire  de  la  minute  ou  par  son  successeur  -, 
puisque  dans  le  cas  où  le  greffier  se  trouve  momentanément 
investi  du  pouvoir  de  délivrer  copie  d'actes  déposés  au 
greffe,  il  en  est  le  dépositaire  légal,  et  que  ses  expéditions 
ont  alors  autant  d'autorité  que  celles  d'un  notaire.  (C.  de 
proc.,  art.  245.) 

801.  Enfin,  «  les  copies  de  copies  {ibid.,  4*)  pourront, 
«  suivant  les  circonstances,  être  considérées  comme  de 
a  simples  renseignements.  » 

Dumoulin  {ibid.,  n*  33)  compare  les  copies  de  copies  au 
témoignage  du  second  degré  :  «  Exemplum  exempli  nullo 

*  Ce  n'est  là,  suivant  les  expressions  des  praticiens,  qa'an  simple  vUilmus, 
auquel  certains  auteurs,  cités  par  Delapoix  de  Fréminyille  dans  son  Livre 
universel  des  terriers^  tom.  III,  refusaient  absolument  toute  autorité. 


378  copflu. 

€  modo  protal ,  ncnt  lee  lestiniODiiiiii  de  andittoi  aa^tos, 
«  Tel  de  auditu  riieno.  »  Aojoard'kui  que  ravdkiaii  des 
témoins  n'eit  plus  soomise  k  des  règles  préewiçHes ,  bovs 
aT<ms  TU  que  le  lëmoignage  du  second ,  4m  troMème  de^ 
gré,  etc.,  doit  être  accoeîUî  avec  défiance,  mais  ne  peot 
être  repoussé  de  piano.  La  foi  des  écrits  étant,  an  contraire, 
soumise  k  des  règles  fixes,  1m  Code,  toujours  fidèle  k  la 
doctrine  de  Dumoulin,  ne  voit  pas  même  un  commeAceaent 
de  preuve  dans  la  copie  de  copie,  que  nous  supposons  cepen- 
dant toujours  tirée  par  un  officier  public.  Il  serait  plus  exact 
de  dire  avec  Pothier  (ObUg^  nf  776),  qu'une  pareille  copie 
anra  tout  au  pins  la  foi  de  la  copie  sur  laquelle  elle  est  tirée, 
et  qu'elle  pourra  en  avoir  moins  suivant  les  circonstances. 
L'ancienne  jurisprudence,  du  reste,  était  loin  d'être  rigoa- 
reuse  pour  les  copies  de  c^ies ,  pwsqwe  Vmê  die  ma  arrêt 
du  parlement  de  Paris,  du  S2  juiDet  1763,  qvî  maintint  la 
princesse  de  Nassau  dans  les  droits  que  lui  concédait  une 
charte  du  24  juin  1339,  bien  que  l'existence  de  cette  charte 
ne  fût  constatée  qne  par  une  troisième  copie  collatîonnée, 
le  11  février  1746,  sur  «ne  seconde  copie,  eoHationnée 
dto^nême,  le  6  avril  1486,  sur  une  copie  première,  eoUa- 
tionnée  sor  l'original,  le  12  décembre  1429. 

Peu  importe  même,  ajoute  Dumoulin,  que  l'expédition 
dont  on  tire  une  nouvelle  copie  offre  toutes  les  garanties 
désirables  :  <c  Etiam  si  esset  sumptum  de  exemplo  solem- 
«  nissime  exemplato  cum  vero ,  et  pnblico ,  et  indubîlato 
«  originali,  et  jndice  authore,  etiam  partibus  praesentibus 
«  et  expresse  consentientibus.  )»  Il  y  a  de  l'exagération  dans 
cette  règle  absolue.  Si  la  copie  de  copie  a  été  tirée  par  l'of- 
fider  dépositaire  de  la  minute,  k  une  époque  voisme  de  la 
confection  de  cette  minute,  perdue  depuis  par  accident,  sur 
une  grosse  dont  la  foi  se  confond  avec  celle  de  la  minute, 
on  eût  pu  autoriser  le  juge  k  voir,  suivant  les  circonstances, 


cotpiBs.  379 

dans  celte  copie  du  second  degré  un  commencement  de 
prenve  par  écrit.  Ce  que  du  moins  l'on  pent  diffictlement 
nier  aujomd'hui ,  c'est  qne  le  consentement  des  parties  ne 
puisse  élcTcr  k  un  degré  supérieur  d'autorité  la  copie  de 
copie.  La  Cour  de  cassation  a  décidé  ayec  raison  (Bej., 
il  décembre  1838)  qne  des  copies  de  copies  peuvent  faire 
foi  lorsqu'elles  uni  été  reçoes  dans  le  procès  sans  contra- 
diction. Pourquoi  n'en  serait-41  pas  de  même  de  celles  qui 
siHit  tifées  du  consentement  réciproque  des  parties? 

Xais  que  veut  dire  la  loi ,  lorsqu'elle  dit  que  ces  copies 
pourront  servir  de  rimpUs  renndgnemenu?  Les  actes  les  plus 
informes  ne  seraient-ils  pas  des  renseignements,  ea  ce  sens 
que  le  juge  pourrait  les  consulter,  afin  de  se  mettre  sur  la 
trace  de  preuves  plus  sérieuses?  Le  principal  effet  que  Dv* 
moulin  (ifrûi.,  u*  35)  attribue  aux  copies  de  copies,  c'est  de 
permettre  k  cehii  qui  les  invoque  de  faire  les  fruits  siens  : 
avantage  qni  ne  saurait  résulter  d'un  document  informe, 
comme  une  copie  qui  serait  l'œuvre  d'un  simple  particulier. 
Rien  n'empêche  d'admettre  aujourd'hui  celte  solution.  On 
a  proposé  également  d'antoriser  le  juge  à  se  baser  sur  des 
renseignements  de  cette  nature  pour  déférer  le  serment 
supplétoire.  Il  n'est  pas  sans  exemple,  après  tout,  qu'un 
écrit  permette  de  déférer  le  serment  sans  autoriser  pour 
cela  l'administration  de  la  preuve  testimoniale,  puisque 
nous  avons  reconnu  (n*  780)  que  tel  est  le  système  de  la 
loi  quant  k  la  foi  des  marchands  vis-h-vis  des  particuliers. 
Cette  faculté  d'accorder  ainsi  une  certaine  valeur  judiciaire 
aux  copies  de  copies  tempérerait  ce  qu'a  de  trop  absolu  la 
proposition  générale  du  législateur. 

Il  ne  faut  pas  crafondre,  du  reste,  avec  les  copies  de 
copies  les  expéditions  prises  sur  les  copies  figurées,  que 
le  notaire  est  autorisé  à  tirer,  lorsque  la  minute  se  trouve 
r^raue  au  greffe  par  suite  d'une  procédure.  (Loi  de  vent. 


380  COPIES. 

art.  22-,  C.  de  proc,  art.  203.)  Ces  copies  figurées  sont 
placées  au  rang  des  minutes,  et  dès  lors  les  expéditions  qui 
en  sont  délivrées  sont  des  copies  du  premier  degré/ 

802.  Toutes  les  copies  dont  nous  ayons  parlé ,  sauf  les 
grosses  ou  premières  expéditions,  dont  la  délivrance  se 
rattache  au  ministère  du  notaire  dans  la  rédaction  de  h 
minute ,  doivent  être  tirées  par  deux  notaires ,  ou  par  un 
notaire  assisté  de  deux  témoins.  Autrement,  il  faut  dire 
avec  Dumoulin  et  Pothier  (Oblig.,  n*  775)  qu'elles  sont  coai- 
plétement  informes  :  «  Persona  publica ,  agens  contra  offi- 
«  cium  personse  publicse ,  non  est  digna  spectari  ut  persona 
«  publica.  » 

803.  Le  Code  de  procédure  (art.  839  et  suiv.)  a  déter- 
miné la  marche  qu'il  faut  suivre  pour  obtenir  l'expédition 
d'un  acte,  lorsqu'elle  est  refusée  par  l'ofBcier  dépositaire  de 
la  minute.  Cette  procédure,  connue  sous  le  nom  de  eam- 
puUoire»  n'offre  dans  ses  détails  aucune  particularité  intéres- 
sante ,  sur  laquelle  nous  devions  nous  arrêter. 

804.  Indépendamment  des  expéditions  que  peuvent  déli- 
vrer les  notaires  ou  greffiers  des  actes  dont  ils  sont  déposi* 
taires ,  ces  actes  sont  souvent  transcrits  au  bureau  du  con- 
servateur des  hypothèques  ':  opération  déjà  fort  usitée  avant 
que  la  législation  de  1855  l'eût  rendue  de  nouveau  néces- 
saire pour  la  translation  de  certains  droits  &  l'égard  des  tiers. 
Le  conservateur  des  hypothèques  ne  fait  en  réalité  qu'une 
copie  de  copie,  puisqu'onnelui  représente  pas  la  minute,  mais 
une  expédition,  et  si  Ton  s'en  tenait  k  la  rigueur  des  principes 
posés,  la  transcription  ne  pourrait  servir  qne  de  simple  ren- 
seignement. Mais  cette  reproduction,  qui  est  faite  ordinai- 
rement sur  la  grosse,  k  une  époque  très-rapprochée  de  la 
confection  de  l'acte ,  par  un  officier  chargé  spécialement  de 
cette  fonction,  a  paru  pouvoir  mériter  plus  de  confiance  que 
les  autres  copies  de  copies.  La  loi  permet  d'y  voir  un  com- 


COPIES.  381 

mencement  de  preuve  par  écrit  (art.  1336),  k  condition  : 

a  1*  Qu'il  soit  constant  que  toutes  les  minutes  du  notaire, 
a  de  l'année  dans  laquelle  Tacte  parait  avoir  été  fait ,  soient 
«  perdues,  ou  que  Ton  prouve  que  la  perte  de  la  minute  de 
«  cet  acte  a  été  faite  par  un  accident  particulier-, 

«  2*  Qu'il  existe  un  répertoire  en  règle  du  notaire,  qui 
n  constate  que  l'acte  a  été  fait  k  la  même  date.  » 

Ces  deux  conditions,  en  l'absence  desquelles  on  peut 
douter  qu'il  ait  jamais  existé  un  original ,  étaient  déjà  exi- 
gées par  Pothier,  quant  k  la  Toi  que  pouvait  mériter  de  son 
temps  le  registre  des  insinuations.  Le  Code  civil  ajoute  une 
troisième  précaution ,  qui  n'est  pas  moins  raisonnable. 

«  Lorsqu'au  moyen  du  concours  de  ces  deux  circon- 
«  stances,  la  preuve  par  témoins  sera  admise ,  il  sera  néces- 
«  saîre  que  ceux  qui  ont  été  témoins  de  l'acte ,  s'ils  existent 
«  encore,  soient  entendus.  » 

805.  Ce  qui  est  dit  de  la  transcription  peut-il  s'appliquer 
k  l'enregistrement,  lorsque  toutes  les  circonstances  que  nous 
Tenons  d'indiquer  se  trouvent  réunies?  Plusieurs  auteurs 
le  pensent,  en  se  fondant  sur  ce  qu'en  fait  l'existence  de 
récrit  est  assez  vraisemblable  pour  qu'on  puisse  décider 
qu'O  y  a  un  commencement  de  preuve.  Un  arrêt  de  rejet  du 
16  février  1837  s'est  prononcé  en  ce  sens,  mais  dans  une 
espèce  très-favorable  :  il  s'agissait  d'une  simple  procuration, 
et  l'enregistrement  relatait  la  date,  les  noms  des  parties  et 
l'objet  du  mandat.  On  doit  l'avouer,  il  est  peu  vraisemblable 
en  soi ,  lorsque  le  répertoire  du  notaire  s'accorde  avec  les 
registres  de  l'administration ,  qu'une  double  fraude  ait  été 
pratiquée.  Il  serait  donc  peut-être  k  désirer  que  telle  fût  la 
décision  de  la  loi.  Mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  le  prin- 
dpe  que  le  commencement  de  preuve  doit  émaner  de  celui 
contre  qui  la  demande  est  formée.  La  loi  fait  exception  k 
ce  principe  en  ce  qui  concerne  la  transcription  -,  mais  il  n'y 


382  GOPiBs. 

a  pas  même  raison  pour  l'enregistrement,  beaucrap  mmas 
sûr,  puisqu'il  ne  présente  qu'un  extrait  de  l'acte»  an  lieu 
d'en  reproduire  littéralement  la  teneur.  Il  nous  semble  dès 
lors  qu'on  ne  peut  Yoir  un  commencement  de  preuYe  dans 
l'enregistrement  sans  contrevenir  aux  règles  sévères,  mais 
positives,  qui  restreignent  chez  nous  l'admission  de  la  preuve 
testimoniale  et  des  présomptions. 

806.  Suivant  un  arrêt  de  la  Cour  de  Bordeaux  du  9  mai 
1848,  il  ne  faudrait  pas  être  aussi  sévère  pour  les  ex|rfoits 
d'huissier,  dont  l'original  peut  facilement  s'adirer,  et,  en 
restreignant  aux  actes  notauriés  l'application  de  l'article  1336, 
on  pourrait  justifier  de  l'existence  de  l'exploit  par  l'extrait 
des  registres  de  l'enregistrement  combiné  avec  le  répertoire 
de  l'huissier.  Mais  cette  opinion,  qui  n'a  pas  été  suivie  par 
la  Cour  de  cassation  (Rej.,  l*'  août  1810) ,  ne  nous  parait 
reposer  sur  une  aucune  base  solide.  Il  est  tout  à  £adt  arbi- 
traire de  tuppléer  la  teneur  de  l'exploit,  ainsi  qu'on  a  été  réduit 
k  le  faire  dans  l'espèce  jugée  par  la  Cour  de  Bordeaux,  la 
simple  mention  ne  pouvant  équivaloir  au  texte,  si  important 
dans  les  actes  d'huissier. 


TROISIÈME  PARTIE 


PRÉSOMPTIONS. 

SomuiBK.  —  807.  Distioction  des  ppeoveft  proprement  dites  et  des  présomptions.  -- 
S08.  Inductions  qui  se  confondent  avec  Fèvidence.  —  809.  Comparaison  des  présomptions 
et  da  tèmoJgBige  direct.  —  sio.  Présomptions  léssies.  —  M 4.  Division.  —  «43.  Poiitf 
de  procédure  spéciale  pour  les  présomptions. 

IH>7.  Noos  a¥OBS  éfuîsë  ee  qui  eoncerae  les  prooMt 
propraBOieiit  dites,  c'eat-Mire  celles  qui  reposent  sur  le 
téiiioigaage  de  rbaiQrae.  Nous  arriToas  aux  présomptioDSy 
c^esl4i-dire  aux  preuves  qui  se  foadeal  simptoEuent  isur  le 
rapport  qui  peut  exister  entre  certains  faits  constatés  dans 
rinstraetion,  et  d'autres  Mts  qu'il  s'agit  d'établir  :  preuves 
q«e  Bentham  appelle  cirecmmncidleê.  Ici  l'inteUigeaee  du 
juge  est  seule  en  jeu;  c'est  elle  qui,  sans  le  secours  d'aueun 

téai^nage,  Ure  la  cêntéqiuMCô  eu  fait  connu  au  fait  incmmu. 
(C.  eiv»,  arl.  4349.)  L'induction  est  toujours  au  fond  le 
procédé  aasployé,  nous  l'avons  reconnu  (n*  29),  dans  les 
preuves  propr^uent  dites,  aussi  bien  que  dans  les  présomp- 
ti(Mi8.  Mais  nous  avons  remarqné  que,  le  témoignage  ayant 
précisément  pour  but  d'établir  les  faits  litigieux ,  l'induction 
qui  conduit  du  témoignage  k  la  vérité  de  ces  faits  est  si 
rapide  qu'elle  passe  inaperçue.  C'est  le  t^oignage  lui- 
même  qu'il  faut  examiner  avec  soin,  pour  s'assurer  qu'il  n'a 
rien  de  suspect;  mais,  une  fois  le  tém(Hgaage  admis,  Topé- 
ratÎM  intellectaelle  qui  conduit  4u  témoignage  au  iail  est 
en  quelque  sorle  instantanée  :  aussi  Pothier  (Ob%o  a*  840), 
se  plaçant  au  point  de  vue  pratique^  eonsidère-t-il  une 
quittance  on  «ne  dépositiott  de  témoins  comme  faisant  foi 
érectmma  du  payement.  «  Yotie  procédé  ialeUe^uel  est  si 


1 


384  PRÉ80MPTI01I8. 

<c  rapide  »,  Ait  M.  Wills,  dans  son  remarquable  traité  sur  ce 
sujet  (Circumstantîal  évidence,  chap.  ii,  sect  1),  «  qu'il  est 
«  souvent  difficile  et  même  impossible  de  saisir  le  lien  qui 
«  rattache  le  jugement  au  raisonnement  dont  il  est  le  ré- 
«  sultat^  ils  semblent  se  succéder  instantanément  par  une 
«  sorte  de  nécessité ,  comme  le  tonnerre  suit  l'éclair.  »  Il 
n'en  est  pas  de  même  dans  les  présomptions.  Alors ,  non- 
seulement  l'existence  du  fait  sur  lequel  repose  rinducUon 
doit  être  au  préalable  clairement  établie ,  mais  cette  induc- 
tion elle-même  ne  repose  que  sur  une  probabilité,  dont  la 
force  peut  varier  k  Finfini.  Le  lien  qui  rattache  le  fiiit  connu 
au  foit  inconnu  est  purement  conjectural.  Il  importe  de 
vérifier  avec  soin  la  justesse  y  souvent  plus  solide  qu'appa* 
rente,  du  raisonnement  qui  conduit  de  l'un  k  l'autre.  (N*  16 
et  S9.)  Aussi  la  preuve  qui  se  fonde  sur  des  présomptions 
a*t-elle  été  souvent  nommée  artifideUe,  non  qu'elle  soit  pu- 
rement arbitraire ,  mais  ^parce  qu'elle  est  toujours  plus  ou 
moins  l'œuvre  de  la  raison  de  l'homme. 

808.  Nous  ne  considérons  pas  toutefois  comme  présomp- 
tions les  inductions  qui  sont  fondées  sur  des  lois  constantes 
de  la  nature.  Ainsi ,  une  femme  qui  serait  devenue  enceinte 
en  l'absence  de  son  mari,  ne  serait  pas  reçue  k  soutenir, 
pour  se  défendre  de  Faccusation  d'adultère,  que  sa  grossesse 
a  été  spontanée  :  les  faits  miraculeui  ne  sauraient  être  admis 
dans  la  pratique  judiciaire.  Des  inductions  aussi  concluantes 
ont  plus  de  force  que  le  témoignage  même,  et  se  confondent 
dans  Fusage  avec  l'évidence  immédiate.  La  présomption 
suppose  qu'il  y  a  doute ,  que  la  relation  de  certains  effets  k 
certaines  causes  n'est  pas  certaine ,  mais  plus  ou  moins 
probable.  C'est  ainsi  que  Quintillien  distingue  (InuU.  ont., 
liv.  V,  ch.  ix)  ce  qu'il  appelle  rigtia  en  deux  classes  :  «  Alia 
«  sunt  quse  necessaria  sunt,  quae  Graeci  vocant  ttxf&i^pia,  alia 
«  non  necessaria ,  quae  ai)(uîa.  Priora  illa  sunt  quae  aliter  ha- 


PRÉSOMPTIONS.  383 

a  bere  se  non  possnnt,  quae  mibi  vix  pertinere  ad  prsecepta 
a  artis  yidenlur.  Nam  ubi  est  signum  insolubile ,  ne  ibi  lis 
«  quidem  est...  Alia  sunt  signa  non  necessaria,  quaB,  etiamsi 
c(  ad  toUendam  dubitationem  sola  non  snfficiunt ,  tamen 
(t  adjuncta  caeteris  plurimum  valent.  » 

Les  inductions  de  cette  dernière  espèce  »  désignées  habi- 
tuellement sous  le  nom  A'indices,  que  leur  donnait  déjk  Quin- 
tilien,  sont  les  seules  dont  nous  ayons  &  nous  occuper.  Cette 
distinction  est  importante  en  Angleterre,  car,  dans  ce  pays, 
c'est  k  la  magistrature,  et  non  pas  au  jury  ' ,  qu'il  appartient 
de  statuer  sur  les  présomptions  qui  se  confondent  avec 
l'évidence.  (Blaxland ,  Cod.  ter.  AngL,  p.  500.) 

809.  Les  présomptions  méritent-elles  plus  de  foi  que  les 
témoignages  directs?  On  peut  être  tenté  de  leur  donner  la 
préférence,  si  on  se  préoccupe  du  danger  de  la  corruption 
des  témoins,  de  l'altération  des  écrits  :  d'où  l'axiome  de  la 
jurisprudence  anglaise ,  que  les  faits  ne  mentent  pas  (facu 
connût  lie).  Mais,  si  le  témoignage  muet  qu'on  puise  dans 
les  indices  ne  peut  être  suspect  de  mensonge  comme  le  té- 
moignage de  l'homme,  il  peut  cependant  quelquefois  être 
l'œuvre  du  dol  \  il  n'est  pas  sans  exemple  qu'une  perfide 
combinaison  ait  préparé  k  l'avance  certains  signes,  pour 
faire  croire  k  l'existence  d'un  délit  supposé.  Bien  plus,  lors 
même  que  les  indices  sur  lesquels  se  fonde  la  présomption 
sont  k  l'abri  de  tout  soupçon  de  fausseté ,  le  rapport  qui  peut 
exister  entre  ces  indices  et  la  réalité  du  fait  litigieux  est 
souvent  très-équivoque,  tandis  que,  la  sincérité  du  témoi- 
gnage une  fois  établie,  la  vérité  du  fait  attesté  en  ressort 
avec  évidence.  Du  reste,  il  est  difficile  de  poser  sur  ce 
point  des  règles  générales ,  la  foi  des  présomptions  variant 


*  Au  dTîl  comme  an  criminel ,  puisque  le  jury  existe  en  Augleterre  dans 
toutes  les  juridictions. 

II.  S5 


386  PRÉSOMPTlOlfS. 

a  rinfini  saivant  les  cireonstances ,  et  leur  réunion  leur 
donnant  souvent  une  force  dont  elles  seraient  complétemeiit 
dépourvues  si  elles  étaient  isolées. 

810.  La  question  de  savoir  jusque  quel  point  tel  élé- 
ment connu  rend  vraisemblable  Texistence  de  telle  on  telle 
cause  inconnue,  subordonnée  par  sa  nature  aux  lumières  de 
la  raison,  dépend  en  général  oniquement  de  Tappréciation 
du  juge.  Mais,  dans  les  cas  les  plus  importants,  la  loi ,  tod- 
lant  assurer  la  stabilité  de  certaines  positions  et  couper 
court  k  certaines  controverses,  a  établi  des  présomptions 
auxquelles  le  juge  est  obligé  de  se  conformer.  D  y  a  donc 
des  présomptions  légales,  comme  des  preuves  légales.  Ce 
n*est  pas  qu'il  résulte  des  présomptions  établies  par  la  loi 
une  certitude  complète  des  faits  qae  le  juge  est  obligé  d'en 
conclure  \  ainsi ,  la  circonstance  qu'un  enfant  est  conçu  pen- 
dant le  mariage  n'est  pas  une  preuve  absolue  de  la  pater- 
nité du  mari.  Mais,  dans  le  cours  ordinaire  des  choses,  la 
vertu  des  femmes  est  la  règle ,  le  vice  Texception  ^  le  marisf  e 
avec  la  mère  de  l'enfant  rend  donc  la  paternité  assex 
vraisemblable  pour  qu'on  ait  pu ,  dans  un  intérêt  de  sécu- 
rité sociale ,  établir  entre  ces  deux  événements  le  rapport 
de  cause  k  effet,  sauf  le  désaveu  dans  certains  cas  déter- 
minés. 

81  f.  Avant  de  parler  des  présomptions  auxquelles  la  Ich 
attache  une  forco  toute  particulière,  occupons-nous  des 
présomptions  simples ,  c'est-k-dire  de  celles  qui  sont  aban- 
données aux  lumières  et  k  la  prudence  du  magistrat. 

812.  U  faut  observer  que  nous  n'aurons  pas  k  développer 
ici  les  règles  d'une  procédure  spéciale.  Les  présompticms 
n'exigent  ni  l'audition  de  témoins ,  ni  la  vérification  d'écrits  : 
elles  donnent  simplement  lieu  d'ordinaire  k  une  discussion 
dans  les  requêtes  ^  ou  dans  les  plaidoiries.  Néanmoins ,  la 

*  En  fait,  à  part  certaines  procédures ,  telles  que  Pinscriptioii  de  taxa , 


PRÉSOMPTIONS.  387 

recherche  des  indices  est  souvent  l'objet  soit  d'une  vérifica- 
tion directe  par  le  juge,  soit  d'une  expertise,  points  dont 
nous  avons  traité  dans  la  première  partie  de  cet  ouvrage. 
L'instruction  préparatcnre,  en  matière  criminelle,  où  les 
indices  jouent  souvent  un  grand  rôle,  est  une  des  formes 
les  plus  usuelles  de  la  vérification  directe  et  de  l'expertise. 


oà  les  reqnétes  d'tToné  «oat  «ae  pliiddkie  par  éott,  U  y  a  rarement  une 
diBcnssion  aériense  dans  ces  actes ,  que  l'on  remplacerait  ayantageosement 
par  des  ùomhammê  motlTëes. 


«5. 


LIVRE   PREMIER 


PRÉSOMPTIONS  SIMPLES. 

SoiHAnB.  —  SIS.  Force  des  présomptions,  soit  ao  civil,  soit  aa  criaiMl. 

813.  Dans  les  législations  qui  abandonnent  en  tonte  ma- 
tière les  preuves  à  l'appréciation  du  juge,  c'est  à  lai  à  peser 
la  valeur  des  indices,  comme  celle  des  témoignages,  et  an- 
cune  règle  ne  vient  restreindre  a  priori  la  force  des  pré* 
somptions.  C'est  ce  qui  avait  lieu  k  Rome  :  «  Indicia  ceria  » , 
disait  Dioctétien  (L.  19,  Cod.,  De  rei  vind.  ) ,  «  non  minorem 
«  probationis  quam  instrumenta  continent  fidem.  »  Hais 
dans  notre  droit ,  qui  soumet  à  des  preuves  préconstituées 
les  conventions  des  parties,  il  fallait,  k  peine  d'inconsé- 
quence ,  exclure  les  présomptions  Ik  où  on  excluait  la  preuve 
par  témoins ,  afin  de  mettre  alors  les  contractants  dans  la 
nécessité  de  rédiger  un  écrit.  De  Ik  le  peu  d'autorité  des 
présomptions  en  matière  civile ,  où  la  plupart  des  procès 
se  rattachent  k  des  conventions.  Au  criminel  au  con- 
traire, où  il  s'agit  presque  toujours  de  simples  fiûts, 
elles  ont  une  extrême  importance,  puisqu'elles  peuvent  sou- 
vent motiver  une  condamnation  capitale.  Ici,  comme  pour 
la  preuve  testimoniale ,  il  faut  s'attacher  k  la  nature  des 
questions,  et  non  pas  au  caractère  de  la  juridiction  sai- 
sie :  les  présomptions  seront  admissibles  au  civil ,  lorsqu'il 
ne  s'agira  pas  de  dispositions  qui  doivent  être  constatées  par 
écrit ,  l<»isqu'on  demandera ,  par  exemple ,  la  réparation  ci- 
vile d'un  délit;  elles  seront,  au  contraire,  repoussées  an 


PRÉSOMPTIOIIS  SIMPLES  EN  MATIÈBE  GITILG.  389^ 

criminel,  lorsqu'il  s'agira  d'établir  préalablement  l'exis- 
tence d'une  convention  qui  devait  être  constatée  par  écrit, 
d'an  dépôt,  par  exemple,  dont  on  alléguerait  la  violation. 


PREMIÈRE  SECTION. 

PRÉSOMPTIONS   SIMPLES  EN   MATIÈBE  CFVILE. 

SOKMAiBE.  —  844.  Force  des  présomptions  simples  mal  dédiiie  dans  l'ancien  droit.— 
848.  Système  da  Gode.  —  846.  Admissibilité  des  présomptions  en  matière  commerciale. 
—  847.  Qoels  caractères  doirent  avoir  les  présomptions.  —  847  Hs.  Elles  peuvent 
être  pnisées  dans  nne  procédure  criminelle. 

814.  L'admissibilité,  en  matière  civile,  des  preuves  cir- 
constancielles n'était  pas  régie  par  des  principes  bien  cer- 
tains dans  l'ancienne  jurisprudence.  Rien  que  l'esprit  de 
l'ordonnance  de  Moulins ,  qui  voulait  des  preuves  stables  et 
fixes  9  dût  porter  k  exclure  les  présomptions  dans  tous  les 
cas  où  l'on  excluait  l'enquête ,  le  texte  de  l'ordonnance  ne 
les  repoussant  pas,  on  s'en  tenait  aux  règles  posées  par  les 
jurisconsultes  romains ,  et  par  conséquent  on  laissait  au  juge 
un  pouvoir  illimité  pour  se  décider  suivant  les  circonstances. 
Danty  (Âdd.  sur  le  chap.  vu  de  Roiceau,  §  62  et  suiv.)  ad- 
met bien  la  doctrine  qui  met  l'autorité  des  présomptions  sur 
la  même  ligne  que  celle  de  la  preuve  testimoniale  ^  ainsi ,  il 
applique  aux  présomptions  la  règle  testis  wius,  testis  nulbu 
(voy.  n*  817) ,  k  moins  qu'il  ne  s'agisse  d'une  présomption 
juris  et  de  jure;  mais  il  n'en  conclut  point  que  la  même  exclu- 
sion doive  s'appliquer  en  ce  qui  touche  l'une  et  l'autre 
preuve.  Pothier  s'exprime  d'une  manière  extrêmement 
vague  :  il  mentionne  certaines  présomptions  simples,  comme 
celle  qu'établit,  en  faveur  d'un  huissier  ou  d'un  procureur, 
la  possession  des  titres  de  la  partie,  qu'il  prétend  lui  avoir 
donné  pouvoir  d'agir  en  son  nom.  Puis  il  ajoute  (  Oblig., 
n*  849)  :  «  Les  autres  présomptions  que  nous  appelons 


l 


380  PBÉsoBfrnom  snPLBs 

r  ampU$  M  ionMBt  pis  sedes  et  par  énes-mémes  une 
«  pflpieute;  eHes  serrent  senlemenl  )i  eonfinn^  et  3t  ciHnplé- 
c  ter  la  preuve  qui  résulte  d'ailteurs.  »  Mais  quelles  étaient 
les  présomptions  non  établies  par  une  loi,  qui  pouYaient 
faire  preuve?  Quelles  étaient,  au  contraire,  celles  qui 
n'avaient  qu'une  forée  subsidiaire?  Il  est  évident  que  tout 
cela  dépendait  de  l'appréciation  arbitraire  du  Juge.  Aussi 
voyons-nous  quelquefois  l'ancienne  jurisprudence  s'attacher 
à  des  indices  très-fidbles  dans  des  cause&d'un  grand  intérêt. 
Ce  fut  ainsi  qu'un  arrêt  du  parlement  de  Paris  adjugea  à  la 
ville  d'Auxerre  une  maison  que  l'évéque  avait  commencé 
k  bâtir ,  et  dont  un  très-petit  nomlure  de  présomptions  an- 
nonçaient qu'il  avait  eu  le  dessein  de  faire  un  collège,  bien 
qu'il  n'eAt  ni  fait  ni  même  médité  aucnn  acte  de  dimation 
on  ée  fondation.  La  Cour  de  cassation  a  décidé  en  eonsé- 
qnenee,  pw  nu  arrêt  ée  rejet  du  2S  mars  1810,  que  le  Code* 
civil  a  innové  en  disant  dans  l'article  1353  : 

815.  «  Les  présomptions  qui  ne  sont  pas  établies  par  la 
«  loi  sont  abandonnées  a  la  lumière  et  ^  la  prudence  du 
f(  magistrat,  qui  ne  doit  admettre  que  des  présomptions 
<c  graves ,  précises  et  concordante;» ,  et  dans  les  cas  seule* 
K  ment  où  la  loi  admet  les  preuves  testimoniales,  k  moins 
«  qoe  l'acte  ne  soit  attaqué  pour  cause  de  fraude  ou  de  dol.  » 

Ces  dernières  expressi<His  :  à  mains  que  Pacte  ne  mi  atta- 
que  pour  came  de  fraude  ou  de  dol,  sont  une  véritable  redon- 
dance; car  il  n'est  pas  douteux  que  la  preuve  testimoniale 
ne  soit  admissible  pour  établir  la  fraude  on  le  dol ,  qui  sont 
de  simples  faits,  dont  on  n'a  jamais  exigé  qu^il  fût  repré- 
senté une  preuve  écrite.  Sans  doute,  comme  Tout  fait  re- 
marquer  nos  anciens  auteurs  (Merlin,  Bépen.,  y  Indices, 
§  S) ,  il  était  nécessaire  d'admettre  la  preuve  ctrconstan- 
cidle  de  la  fraude ,  qui  souvent  ne  peut  être  constatée  di- 
psetement ,  ni  par  écrit ,  ni  même  par  témoins.  Hais  k  plus 


EN  lUTlàRE   CIVILE.  391 

forte  raison  la  preuve  testimoniale  est-elle  admissible.  Il 
eût  donc  suffi  de  mettre,  en  général,  l'admissibilité  des 
présomptions  sur  la  même  ligue  que  celle  de  l'enquête.* 
(Yoy.  les  discours  des  orateurs  du  gouvernement  et  du  Tri- 
Ininat.)  Nous  disons  en  général,  parce  qu'il  n'est  pas  sans 
exemple  de  voir  admettre  la  preuve  testimoniale ,  sans  que 
les  présomptions  soient  admissibles ,  ainsi  qu'on  le  décide 
au  criminel  (n*  599)  pour  la  preuve  contraire  contre  les 
procès-verbaux  \  au  civil  même ,  pour  la  preuve  de  la  filia- 
tion. (N- 2H  *«.  ) 

Hais  une  pareille  dérogation  au  droit  commun  ne  doit  pas 
être  facilement  supposée.  (Voy.  n*  192.)  Dans  les  procès 
civils,  on  peut  établir  par  de  simples  présomptions  toute 
espèce  de  fraude  k  la  loi,  notamment  le  fait  qu'un  succès- 
sible  a  reçu  des  sommes  excédant  la  quotité  disponible. 
(Rej.,  20  mars  1865.)  On  peut  également  avoir  recours 
aux  présomptions  là  où  il  était  moralement  impossible  de 
se  procurer  une  preuve  écrite,  et  où,  par  conséquent,  la 
preuve  testimoniale  était  admissible.  G*est  ainsi  que  la  Cour 
de  cassation  a  reconnu,  en  principe,  qu'il  est  permis  de  faire 
tomber  une  adoption  rémunératoire,  en  établissant,  même 
par  de  simples  présomptions ,  la  fausseté  des  causes  qui  ont 
motivé  l'adoption  ^  mais  qu'k  cet  égard ,  l'appréciation  des 
juges  du  fait  est  souveraine.  (Rej.,  14  juin  1869.) 

Le  système  de  notre  Gode  sur  les  présomptions  n'est  point 
admis  dans  toutes  les  législations.  La  procédure  autrichienne 
(foy.  M.  Gennari,  TeoriadelUprove,  p.  63)  n'admet  point 
les  présomptions  simples,  Ik  où  la  preuve  testimoniale  est 
admissible  ^ ,  fossent--elles  fortifiées  par  le  serment  supplé» 
toîre  du  demandeur.  Sans  aller  aussi  loin,  la  jurisprudence 
de  Maples  (arrêt  de  k  Gour  suprême  du  11  mars  18S1 ,  cité 

*  Cela  ft*expli<iae,  du  reste,  par  la  fadttté  ayee  laqaeUe  la 
avliîcbieiiae  (a*  1S9)  admet  la  prewe  par  témoiaa. 


392  PRÉSOMPTIONft  8IMPLBS 

dans  la  traduction  sicilienne  de  ce  traité)  voulait  qu'avant  de 
faire  usage  des  indices ,  on  discutât  sur  Tadmissibilité  àe  la 
preuve  par  témoins.  Aujourd'hui  le  Code  italien  (art.  13K4) 
reproduit  purement  la  disposition  de  notre  Gode  civiK 

816.  Les  présomptions,  étant  sur  la  même  ligne  que 
la  preuve  testimoniale,  sont  toujours  admissibles,  suivant 
l'ancienne  coutume  (Merlin,  ibid.,  n*  1),  en  matière 
commerciale,  où  cette  preuve  est  recevable  par  cela  seul 
que  le  tribunal  croit  devoir  l'admettre.  (C.  de  conun., 
art.  109.)  D'où  cette  double  conséquence,  qu'on  peut  éta- 
blir par  de  simples  présomptions  l'existence  d'un  engage- 
ment commercial,  quelle  qu'en  soit  l'importance  (Rej., 
31  mai  1836  et  26  septembre  1861)-,  et  que,  suivant  la 
doctrine  qui  autorise  en  matière  de  commerce  l'adminis- 
tration de  la  preuve  testimoniale  contre  et  outre  le  contenu 
aux  actes  (n*  145),  on  peut  également  se  fonder  sur  des 
présomptions  pour  prouver  contre  les  énonciations  conte- 
nues dans  un  écrit  commercial.  (Rej.,  28  mars  1821  et 
10  avril  1860.) 

817.  Quels  caractères  doivent  avoir  les  preuves  circon- 
stancielles pour  faire  foi  en  justice?  Danty  {loc.  di,  ) ,  appli- 
quant aux  présomptions  les  règles  que  l'on  suit  pour  appré- 
cier les  dépositions  des  témoins ,  veut  qu'elles  soient  graves 
et  précises  -,  puis  il  ajoute ,  par  application  de  la  règle  tatù 
unus,  testis  nullus,  qu'une  seule  présomption  ne  sufiGt  pas, 
que  plusieurs  doivent  concourir  pour  établir  la  réalité  des 
faits  allégués.  Le  Code,  qui  veut  qu'elles  soient  grave$,  pré- 
cises et  concordantes ,  semble  un  écho  de  cette  doctrine ,  qui  a 
été  reproduite  par  Toullier;  (Tom.  X,  n*  21.)  Mais,  si  on 
pouvait  concevoir  jadis  qu'on  exigeât  ô  priori  une  certaine 
quantité  et  une  certaine  qualité  d'indices  ^  de  même  qu'on 
exigeait  tel  nombre  et  telle  nature  de  témoignages  poar 
opérer  la  conviction ,  aujourd'hui  que  l'administration  de  la 


BN  MATIÈRE  CIVILE.  393 

preuve  testimoniale  est  affranchie  de  ces  entraves ,  elles 
doivent  également  disparaître  en  ce  qui  touche  les  preuves 
circonstancielles.  Un  fait  isolé  peut  donner  lien  à  des  induc- 
tions d'une  extrême  gravité,  et,  il  faut  Tavouer,  la  plupart 
des  présomptions  légales  ne  reposent  effectivement  que  sur 
un  fait  unique.  Toutes  les  fois  que  la  loi  n'a  point  dit  le 
contraire,  les  anciens  principes  sur  la  preuve  légale  ont 
perdu  leur  force ,  au  civil  aussi  bien  qu'au  criminel  (n""  292), 
et  le  législateur  s'adresse ,  en  principe ,  aux  magistrats  aussi 
bien  qu'aux  jurés,  dans  l'instruction  du  21  octobre  1791 
sur  la  procédure  criminelle ,  dont  les  termes  sont  reproduits 
par  notre  Code  d'instruction  (art.  342)  :  «  La  loi  ne  de- 
(c  mande  pas  compte  aux  jurés  des  moyens  par  lesquels  ils 
«  se  sont  convaincus  ^  elle  ne  leur  prescrit  point  de  règles 
(c  desquelles  ils  doivent  faire  particulièrement  dépendre  la 
<c  plénitude  et  la  suffisance  d'une  preuve...  La  loi  ne  leur 
((  dit  point  :  Vous  tiendrez  pour  vrai  tout  fait  attesté  par  tel 
a  ou  tel  nombre  de  témoins-,  elle  ne  leur  dit  pas  non  plus  : 
(c  Vous  ne  regarderez  pas  comme  suffisamment  établie  toute 
tt  preuve  qui  ne  sera  pas  formée  de  tel  procès-verbal ,  de 
«  telles  pièces,  de  tant  de  témoins  ou  de  tant  (t indices  :  elle 
«  ne  leur  fait  que  cette  seule  question  :  Âvez-vous  une  in- 
«  time  conviction?  » 

En  ce  qui  touche  la  gravité,  la  précision  et  la  concor- 
dance, ce  sont,  k  la  vérité,  de  précieuses  qualités^  mats  on 
doit  les  rechercher  également  dans  les  dépositions  des  té- 
moins, bien  que  la  loi  n'en  parle  pas,  et  on  ne  peut  les 
considérer  ici  que  comme  indiquées  k  la  conscience  du  juge. 
Aussi  la  Cour  de  cassation  a-t-elle  rejeté,  le  27  avril  1830, 
un  pourvoi  fondé  sur  ce  singulier  motif  que  les  présomp- 
tions dans  l'espèce  n'étaient  pas  graves,  précises  et  concor- 
dantes ,  comme  s'il  était  possible  de  voir  là  une  question  de 
droit.   A  plus  forte  raison  a-t-elle  refusé  (Rej.,  5  dé- 


3d4  PRÉfiOMPTIOllB  SIMPLES 

cerabre  i849)  de  voir  an  excès  de  pouwrir  de  la  part  d'im 
juge  de  paix  qui  avait  refusé  d'admettre  des  {Nrésoiiq>tioiis 
que  Ton  disait  graves,  précises  et  eoDCordantes.  (Voy. 
aussi  Rej.)  14  juin  1869.) 

Un  système  moins  heureux  encore ,  dont  cette  même 
Cour  a  fait  justice  (Rej.,  11  novembre  1806),  consistait  à 
soutenir  que ,  dans  le  cas  prévu  par  un  texte  fameux  de 
Papinien  (L.  26,  D.,  De  prod.)^  cité  par  Pothier  et  fort  en 
honneur  dans  l'ancienne  jurisprudence,  Tinduction  n'était 
admissible  qu'autant  que  l'espèce  présentait  la  réunioB  des 
diverses  circonstances  énumérées  par  la  loi  romaine.  D  est 
par  trop  évident  que  la  loi  Prœula  n'a  chez  nous  qu'mie 
autorité  de  doctrine ,  et  que  la  prétendue  violation  de  cette 
loi  ne  saurait  donner  lieu  k  un  pourvoi  en  cassation. 

817  bis.  On  s'est  demandé  s'il  est  permis  au  juge  civil 
de  puiser  dans  une  procédure  criminelle  les  éléments  qui 
déterminent  sa  conviction.  La  Cour  de  cassation  a  reconnu , 
le  2  mai  1864,  que  rien  ne  limite,  k  cet  égard,  les  pou- 
voirs du  juge  :  ^  Attendu  que  l'article  1353  autorise  les 
«  tribunaux  k  admettre  les  présomptions,  pourvu  qu'dles 
c  soient  graves,  précises  et  conc<Nrdantes ,  lorsque  la  preuve 
«  testimoniale  est  elle-même  admissible^  qu'il  abandone 
(c  l'appréciation  de  ces  présomptions  k  la  conscience ,  qu'elles 
u  peuvent  résulter  pour  lui  d'une  procédure  criminelle, 
«  et  qu'aucune  loi  ne  lui  interdit  d'y  puiser  k  l'occasion 
«  d'une  instance  civile  les  éléments  de  sa  conviction.  »  La 
Ck)ur  de  Rouen  (90  février  1867)  a  consacré  cette  faculté, 
au  cas  même  où  la  procédure  qui  renferme  ces  éléments  de 
conviction  a  été  close  par  une  ordonnance  de  non-lien.  Des 
faits  insuffisants  pour  démontrer  la  culpabilité  peuvent  suf- 
fire pour  servir  de  base  k  une  condanmation  civile. 


BH  MÀTliRB  CMlfllIBIilJS.  308 


DEUXIÈME  SECTION. 

PRÉSOMPTlOlfS  SIMPLES  EN  MATIÈRE   CRIMINELLE. 
SomAiBE.  —  sa.  Imfortaiiee  des  indices  dans  le  droit  pénal.  —  SI9.  DivisloD. 

818.  Au  criminel,  les  présomptions,  qa'on  appelle  plus 
volontiers  indices,  ont  une  extrême  importance.  Les  délits 
étant  souvent  commis  sans  témoins ,  il  devient  nécessaire 
de  s'attacher  aux  preuves  circonstancielles,  quelque  inré- 
rieures  qu'elles  soient  aux  preuves  directes. 

819.  Nous  allons  parler  d'abord  de  l'admissibilité  des 
indices  -,  puis  nous  présenterons  quelques  observations  sur 
leur  classification ,  et  sur  la  manière  dont  il  convient  de  les 
discuter. 

%  1.  A»BIMIUI.ITB  BBS  IHBICBS. 

SOMMAIBE.  —  830.  IfflporUDce  des  indices  ^  Rome.  —  824.  Force  des  indices  compi  t  e 
pnr  It  toftim,  dans  notre  tnden  droit  —  82S.  Peine  extnordinairo,  et  mise  hors  de 
conr.  —  828.  Principe  posé  par  le  Code  d'instruction.  —  824.  Nécessité  d'nne  discussion 
emitndletoiro.  —  825.  Législation  antridiienne  sur  les  indices.  —  826.  Cas  oà  Ton  admet 
les  témoins  sans  admettre  les  indices. 


^  Qn  a  reeomin  de  tout  temps  que  la  preuve  par 
indiees  présente  de  graves  dangers.  «  Nec  de  suspicionibns 
«  debere  aliquem  damnari  divus  Trajanus  rescripsit  » ,  nous 
dit  Ulpien.  (L.  5,  D.,  De  poen.)  D'un  autre  côté,  Gratien 
pmmet  de  se  servir  «  indiciis  ad  probationem  indubitatis  et 
«  luce  darioribns  ».  (L.  ult.,  Cod.,  De probat.)  On  sait,  du 
reste ,  que  tes  juriscmisultes  romains  n'avaient  jamais  cher- 
ché k  fixer  la  limite  qui  sépare  le  doute  de  la  certitude.  En 
matière  de  présomptions,  comme  en  matière  de  témoi- 
gnages, ils  n'avaient  pas  la  prétention  déraisonnable  d'eur 
chaîner  la  conscience  du  juge  par  des  règles  de  droit, 
oonune  si  la  conviction  légale  reposait  sur  d'autres  bases 


396  PRÉSOMPTIONS  SIMPLES 

que  la  conviction  morale  ;  ils  ne  voulaient  que  lui  donner  de 
sages  conseils.  Nous  voyons,  par  les  écrits  de  Cicéron  et  de 
Quintilien ,  que  les  indices  jouaient  un  grand  rôle  dans  les 
accusations  criminelles  k  Borne.  Comme ,  dans  le  système  des 
accusations  privées ,  on  ne  procédait  pas  k  un  interrogatoire 
en  forme  de  l'accusé,  on  n'avait  d^autre  ressource,  après 
l'audition  des  témoins ,  que  la  discussion  des  preuves  cir- 
constancielles ,  discussion  qui ,  par  sa  nature  même ,  prêtait 
singulièrement  aux  effets  de  l'art  oratoire. 

881.  Dans  le  système  inquisitorial ,  qui  tend  ^  la  re- 
cherche  directe  de  la  vérité ,  l'examen  des  indices  n'est  pas 
seulement  un  texte  pour  les  plaidoiries,  c'est  un  moyen 
d'information  qu'il  faut  combiner  avec  les  dépositions  des 
témoins,  et  surtout  avec  l'interrogatoire  de  l'accusé.  Pro- 
voquer des  explications  orales  pour  éclairer  les  preuves  cir- 
constancielles, au  lieu  de  les  discuter  purement  et  simplement 
in  abttracto,  c'est  Ik  évidemment  un  progrès  sensible  en  lé- 
gislation. Malheureusement,  un  désir  exagéré  d'arriver  k  la 
découverte  de  la  vérité  fit  employer  la  voie  la  moins  propre 
a  atteindre  ce  but,  la  contrainte  physique.  Toutes  les  fois 
qu'il  n'y  avait  pas  confession  de  l'accusé,  ou  attestation  de 
deux  témoins  irréprochables,  les  indices,  quelque  graves 
qu'ils  fussent,  ne  pouvaient  pas  généralement  (voy.  n""  828) 
donner  lieu  à  une  condamnation  capitale ,  mais  seuleneat  k 
l'emploi  de  la  torture  :  singulier  scrupule,  qui,  pour  ne  pas 
condamner  trop  facilement  un  coupable ,  courait  risqne  de 
faire  subir  k  un  innocent  un  mode  d'instruction  qui  était  k 
lui  seul  un  véritable  supplice!  La  question  préparatoire  était 
une  sorte  d'épreuve  légale,  qui  avait  pour  ^ffet,  si  elle  était 
favorable  k  l'accusé,  de  purger  les  indices.  «  Torturae  tanta 
(c  vis  est  »,  dit  Farinacius  (Quest.  40,  n*  1*0)  «  Qt  in  ea 
«  persistens  negando  vel  non  persistons  fatendo ,  quidquid 
«  dixerit ,  puram  veritatem  dixisse  pnesumatur.  «  «  Lorsque 


EN  MATIÈRE   CRIMINELLE.  397 

c  l'accusé  » ,  dit  Polhier  (  Traité  de  la  proc.  crim.,  sect.  V , 
art.  2 ,  §  3) ,  «  n'a  point  confessé  k  la  question  le  crime 
fc  dont  il  est  accusé ,  si  le  jugement  qui  a  ordonné  la  ques- 
<t  tion  ne  fait  pas  réserve  de  preuves,  toutes  les  preuves  et 
f€  les  indices  qui  étaient  au  procès  contre  l'accusé  sont  pur- 
tt  gés  par  la  question  ;  et ,  s*il  n'en  survient  pas  de  nouvelles 
(t  entre  la  question  et  le  jugement,  il  doit  être  absous.  » 
Cette  faculté  de  réserver  les  indices  est  tout  ce  qu'on  peut 
concevoir  de  plus  arbitraire.  Aussi  plusieurs  auteurs  vou- 
laient-ils au  moins  que  le  manentibus  indiens  ne  pût  être  pro- 
noncé que  par  les  Cours  souveraines  '  ;  l'ordonnance  de  i670 
(tit.  X£K,  art.  â)  n'en  établit  pas  moins  cette  faculté  pour 
toutes  les  juridictions,  contre  l'avis  du  président  Lamoi- 
gnon.  Lorsque  cette  réserve  n'était  pas  faite,  l'énergie  mo- 
rale de  l'accusé,  ou  même  la  force  de  ses  nerfs,  avait  la 
vertu  d'anéantir  toutes  les  charges  qui  pouvaient  peser  pré- 
cédemment sur  lui.  Si,  au  contraire,  un  aveu  était  extorqué 
par  la  torture,  cet  aveu  donnait  une  fausse  sécurité  au  juge, 
qui  condanmait,  sans  s'imposer  l'obligation  de  scruter  la 
valeur  rédle  des  indices.  Jamais  il  n'y  a  eu  plus  de  con- 
damnations injustes  que  sous  l'empire  d'une  jurisprudence 
qui  défendait  de  prononcer  la  peine  capitale  sur  de  simples 
indices.  L'histoire  si  connue  de  la  Pie  voleuse  n'est  qu'un 
exemide  malheureusement  trop  réel  de  ces  déplorables  er- 
reurs judiciaires  '. 

822.  S'il  ne  peut  plus  être  question  aujourd'hui  de  sup- 
pléer, k  l'aide  de  la  torture ,  k  l'insuffisance  des  présomp- 


*  La  question  avec  i^rve  des  prenTes  était  ane  peine  qui  était  consi- 
dérée comme  plus  rigoureuse  que  celle  des  gitlères  perpétuelles.  (Ord. 
de  1670,  tit.  XXV,  art  13.)  Cette  réserre  permettait  d^i^pliquer  les  peines 
antres  que  la  peine  de  mort  {Ibid.,  tit.  XIX ,  art.  12.) 

'  On  sait  que  le  souvenir  de  ce  triste  événement  fût  consacré  à  Paris, 
jusqu'à  la  révolution  de  1789 ,  par  une  messe  connue  sous  le  nom  de  Messe 
de  la  PU,  à  laquelle  les  magistrats  assistaient  en  robes  rouges. 


398  PBÉSOMPTIONS  SnUPLKS 

tions  qui  militent  contre  raceusë ,  une  autre  erreur  qui  est 
loin  d'être  entièrement  déracinée ,  et  que  nous  avons  dé^ 
en  occasion  de  combattre  (n*  53),  c'est  celle  qui  consiste  à 
prononcer  dans  le  doute,  suivant  l'expression  bizarre  de 
Papon,  quelque  gradeuee  condamnation.  Ce  moyen  terme, 
aussi  contraire  k  la  justice  qu'k  lalogique,  bien  que  repoussé, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  dès  1737  par  le  chancefier 
d'Aguesseau,  s'est  longtemps  maintenu  dans  la  doctrine. 
Mous  le  retrouvons  encore  dans  Merlin  :  «  S'il  n'était  qoes- 
«  tion  »,  dit-il  en  parlant  des  délits  contraires  aux  mœars 
(Répert.,  V*  IifDiCBS,  n*  lY),  «  que  de  prononcer  une  peine 
((  légère,  et  plutôt  correcti<mnelle  qu'afflictive  ou  infamante, 
c(  on  ne  devrait  pas  être  aussi  rigoureux  sur  les  preuves, 
«  parce  que ,  quand  l'accusé  ne  serait  pas  coupable  du  délit 
<c  qu'on  lui  impute ,  il  serait  toujours  réprébensible  d'avoir 
tt  donné  lieu  par  sa  conduite  k  des  soupçons  scandaleux.  » 
On  trouve  encore  ce  systèmie ,  ainsi  que  la  mise  hors  de  eaw  ^ 
et  le  plus  amplement  informé,  dans  certaines  législations 
germaniques.  Mais  il  n'y  a  rien  de  pareil  dans  notre  droit 
français  moderne ,  qui  ne  reconnaît  pas  de  miliea  aitre  la 
culpabilité  et  l'innocence.  Aussi  l'article  737  du  Gode  cîvS 
ne  déclare-t-il  indigne  que  celui  qui  a  été  condamné  pour 
avoir  donné  ou  tenté  de  donner  la  mort  au  défont,  tandis 
qu'autrefois  de  simples  soupçons  suffisaient  pour  autoriser  k 
prononcer  l'indignité.  Ce  fut  ainsi  que,  dans  l'alEiire  de  la 
Belle  tonnelière,  le  parlement  de  Paris  déclara,  le  3  juin  1766, 
que  l'indignité  pouvait  résulter  d'un  simple  jugement  de 
plus  amplement  informé. 
823.  Toutes  les  restrictions  relatives  k  la  foi  des  indices 


*  nous  avons  vu  (tom.  I,  p.  S7,  not.  1)  que  II  mide  hors  de  pneè», 
en  Autriche,  après  a^oir  ét6  rétabUe  par  les  lettres  patentes  de  Pemptreor, 
en  date  du  81  décembre  1851 ,  a  été  ahoUe  par  la  loi  du  ift  noyenhie 

1867. 


ER  MATIÈRE  GRIMIffELLE.  399 

en  matière  crimioelle  ont  disparu  de  notre  législation  depuis 
l'abolition  da  système  des  preuves  légales.  Mous  avons  cité 
(n*  817)  l'instruction  de  1791 ,  reproduite  par  l'article  342 
du  G>de  d'instructi<Hi  criminelle ,  qui  applique  spécialement 
aux  indices  le  principe  moderne ,  commun  à  toutes  les  juri- 
dictions, d'après  lequel  la  conviction  du  juge  est  en  général 
dégagée  de  toute  entrave  :  «  La  loi  ne  dit  point  aux  jurés  : 
«  Vous  ne  regarderez  point  comme  suffisamment  établie 
«  toi^  preuve  qui  ne  sera  pas  formée  de  tel  procès-verbal, 
«  de  telles  pièces ,  de  tant  de  témoins  ou  de  tant  dmékeê  ; 
«  elle  ne  leur  fait  que  cette  seule  question ,  qui  renferme 
«  tonte  la  mesure  de  leurs  devoirs  :  Avez-vous  une  intime 
«  ccmviction  P  » 

Dès  lors,  s'il  n'y  a  plus  lieu  de  reproduire  les  limitations 
de  l'ancienne  jurisprudence  relativement  au  nombre  et  k  la 
nature  des  indices,  il  ne  &ut  pas  non  plus  déclarer,  avec 
certains  jurisconsultes  anglais  (n*  809),  que  la  preuve  cir- 
constancielle est  préférable  k  tonte  autre ,  parce  qu'elle  n'est 
point  susceptible  de  mensonge.  M.  Wills  (cbap.  ii,  sect*  3) 
fait  remarquer  avec  beaucoup  de  raison  que  les  faits  sur 
lesquels  se  base  cette  preuve,  en  les  supposant  concluants, 
ce  qui  n'est  pas  toujours  vrai  dans  la  pratique ,  reposent  sou- 
vent eux-mêmes  sur  la  foi  du  témoignage,  et  qu'il  est 
impossible  dès  lors  de  poser  en  thèse  la  supériorité  de  la 
preuve  par  indices  k  la  preuve  par  témoins. 

884.  Les  règles  tendant  k  déterminer  à  priori  la  valeur 
des  indices ,  comme  les  autres  applications  du  système  des 
preuves  légales,  sont  difficilement  compatibles  avec  l'insti- 
tution du  jury.  (Yoy.  n**  52.)  Il  est  vrai  que  le  jury  anglais 
ou  américain  reçoit  k  cet  égard  des  instructions  du  juge, 
mais  l'appréciation  des  preuves  circonstancielles  est  aban- 
donnée, en  définitive,  k  son  intelligence.  (M.  Greenleaf, 
tom.  I,  p.  59.)  On  comprend  davantage  l'utilité  de  ces  règles 


400  PaÉSOMPflOllS  SIMPLES 

là  où  la  juridiction  criminelle  est  exercée  par  une  magistra- 
ture permanente ,  surtout  Ik  où  la  procédure  est  écrite  et 
secrète.  «  L'accusé  et  son  défenseur  »,  dit  H.  Mittermaier 
(cbap.  Lxi,  not.  dernière),  «  ne  comparaissant  point  dans  la 
«  procédure  finale,  ne  peuvent  ni  contredire  les  indices  ni 
«  prévoir  quelles  circonstances  de  détail  relatées  aux  pièces 
«  feront  sur  l'esprit  du  juge  définitif  une  impression  pais- 
«  santé.  Celui-ci  d'ailleurs  leur  attribue  une  valeur  qu'elles 
((  n'ont  réellement  point  dans  la  cause  -,  ou  bien  H  se  laisse 
c(  aller  k  compter  machinalement  les  indices ,  au  lieu  d'exa- 
ct miner  le  personnage  de  l'accusé,  et  de  peser  l'importance 
((  réelle  des  circonstances.  Ici  encore,  il  feut  donner  la  pyré- 
a  fèreuce  au  système  du  débat  oral  et  public  où  tout  indice 
«  k  charge  est  relevé  et  articulé  séparément  par  l'accusa- 
«  teur  ;  où  l'accusé ,  k  son  tour,  est  mis  en  possession  de 
«  tous  les  moyens  de  produire  sa  défense  sur  chaque  point 
(f  de  détail  ^  pendant  que  le  juge ,  de  son  côté  »  considère 
ft  attentivement  sa  personne,  son  attitude,  qui  lui  four- 
tt  nissent  d'utiles  données,  et  prononce,  en  fin  de  cause, 
((  une  sentence  qu'on  peut  dire  le  produit  de  ses  impres- 
«  dons  d'ensemble  et  de  détail  k  la  suite  du  débat  tout 
a  entier.  » 

825.  Le  Code  de  procédure  pénale  autrichien  de  1853, 
reproduisant  en  grande  partie  les  dispositions  d'un  décret 
spécial  du  6  juillet  1833,  pose  (§  279)  les  principes  sui- 
vants : 

«  L'inculpé  qui  nie  le  fait  peut  être  tenu  '  pour  légale- 

*  Remarquons  qu'U  est  dit  que  Pacciué  peut  être ,  et  non  pas  qn'û  doive 
être  tenn  pour  légalement  conyaincn.  La  doctrine  des  preuves  Ugû» 
n'existe  plos  en  effet  aiqonrdniui ,  dans  les  pays  où  eUe  est  admise,  qn'ea 
farenr  de  l'accusé.  C'est  en  ce  sens  qu'elle  avait  été  soutenue  devant 
l'Assemblée  constituante,  dans  la  séance  du  4  ianvier  1701  par  Robes- 
pierre, qui  proposait  de  poser  en  principe  :  1«  que  l'accusé  ne  peut  être 
déclaré  couTaincn,  toutes  les  fois  que  les  preuves  déterminées  par  la  loi 
n'existent  pas;  2«  que  l'accusé  ne  peut  être  condamné  par  les  preuvei 


EN  MATlàaE   CRIMINELLE.  401 

«  ment  convaincu  par  le  conconrs  des  indices,  mais  seu- 
((  lement  lorsque  les  trois  conditions  suivantes  se  trouvent 
<(  conjointement  réunies  : 

«  I.  Il  faut  que  le  fait  ainsi  que  les  circonstances  qui  le 
a  constituent  délit,  soient  pleinement  prouvés  ; 

K  IL  II  faut  que  les  indices  concourent  contre  l'inculpé 
«  dans  le  nombre  déterminé  par  les  §  138  k  140  -, 

<c  in.  De  la  combinaison  des  indices,  des  circonstances 
«  et  des  rapports  établis  par  l'instruction ,  il  doit  résulter 
c(  une  conneiité  si  directe  et  si  claire  entre  la  personne  de 
c(  rinculpé  et  le  délit,  que,  suivant  le  cours  ordinaire  et 
«  naturel  des  choses ,  on  ne  puisse  pas  supposer  qu'aucune 
«  autre  personne  que  l'inculpé  l'ait  commis.  » 

La  première  de  ces  conditions,  la  constatation  préalable 
du  délit,  doit  être  raisonnablement  exigée  chez  nous,  toutes 
les  fois  qu'elle  est  possible ,  c'est-à-dire  quand  il  s'agit  des 
delictaJucU  permanenàs  (n*  109). 

La  troisième  est  de  l'essence  de  la  preuve  par  indices,  qui 
suppose  toujours  une  conviction  bien  arrêtée. 

Quant  à  la  seconde,  dont  le  développement  se  trouve  dans 
les  dispositions  du  Gode  d'Autriche  qui  énumèrent  beaucoup 
d'indices,  et  exigent  en  général  (§  283)  que  ces  indices  con- 
courent au  nombre  de  trois,  il  faut  avouer  qu'elle  est  pure- 
ment arbitraire.  Un  seul  indice  peut  être  décisif-,  trois  ou 
même  quatre  indices  peuvent  n'avoir  aucune  force.  Le  bon 
sens  veut  que,  comme  les  témoignages,  ils  soient  pesés,  et 
non  comptés.  Du  reste,  la  législation  autrichienne  est  con* 
séquente.  Elle  admet  encore  la  maxime  Te$tu  umu,  iesU$ 
nuUui  (§  269),  et  comme  les  présomptions  n'ont  pas  tout  k 
Mi  la  même  force  que  les  témoignages  directs ,  elle  a  cru 


légales ,  si  elles  sont  contraires  à  la  conliaissance  et  à  la  oonTiction  intime 
des  juges. 

II.  86 


i02  PRÉSOMPTIONS  SIMPLES 

devoir  exiger  trois  pré$omptioik&,  pour  tenir  liea  de  deux 
témoiiis.  Ce  n'est  Ui,  aa  surplus,  que  la  reproduction  de  la 
doctrine  des  anciens  interprètes,  qui  exigeaient  que  les  pré- 
somptions fussent  au  nombre  de  trois,  a  moins  qu'elles  ne 
fussent  extrêmement  fortes,  cas  auquel  deux  pouvaient 
suffire.  (Comparer  Dumoulin ,  Cota,  de  Pari$,  tit.  des  fiefs , 
§  33,  glos.  n,  n"  69,  et  le  décret  autrichien  de  1833,  §  6 
et  7.)  U  est  fâcheux  de  voir  ces  vieilles  idées  remises  en 
honneur  au  dix-neuvième  siècle.  (Yoy.  aussi  Ord.  crim.  de 
Bade  de  1845,  art.  261.) 

886.  Le  principe ,  vrai  au  criminel  comme  au  civil ,  qui 
admet  le^  présomptions  partout  où  les  témoins  sont  admis- 
sibles ,  nous  a  paru  souffrir  exception  lorsqu'il  s'agit  d'ad- 
ministrer la  preuve  contraire  à  certains  procès-verbaux.  On 
ne  peut  alors ,  aux  termes  de  rarlicle  154  du  Code  d'instruc- 
tion, administrer  que  des  preuves  soit  écrites,  soit  testimo- 
niales. Dès  lors ,  les  indices  ne  seraient  pas  considérés  dans 
cette  matière  c(Mnme  des  moyens  sérieux.  (N"*  599.)  Sans 
doute,  il  est  des  cas  où  les  indices  k  décharge,  opposés  à  un 
procès-verbal,  peuvent  être  extrêmement  graves.  Ainsi, 
supposons  qu'un  garde  champêtre  constate  un  délit  ou  une 
contravention  rurale ,  et  que  le  coupable  ait  d&  nécessaire* 
ment  laisser  l'empreinte  de  ses  pas  sur  la  neige  ;  si  la  per- 
sonne désignée  dans  le  procès-verbal  établit  clairement  que 
les  traces  que  Ton  a  trouvées  ne  correspondent  nullement  k 
ses  pieds  ou  k  sa  chaussure,  ne  serait-il  pas  souverainement 
injuste  de  maintenir  la  foi  du  procès-verbal  tant  qu'il  ne  soit 
attaqué  par  la  voie  coûteuse  et  compliquée  de  l'insGription 
de  faux  ?  Il  y  a  qudque  chose  d'arbitraire  k  exclure  ainsi  eià 
nasse  les  indices,  au  lieu  de  les  analyser^  mais  tel  nous  « 
paru  être  l'esprit  de  la  législation  spéciale. 


EN  MATIÈRE  CRIMINELLE.  403 


8  2.  GLASSIFlCATlOIf  DBS  UIDICBS. 

SoxMiniE.  —  S27.  ClassiflcatJon  des  interprètes,  suivie  par  diverses  lois.  —  S28.  Indices 
manifestes,  prochains,  éloignés.  —  829.  Indices  antécédents,  concomitants,  subsé- 
quent. —  836.  Caroline  et  G«de  autrichieii  de  48Sa. 


827.  Les  anciens  criminalistes ,  et  les  lois  qui  ont  été 
rédigées  d'après  leurs  théories,  ont  donné  diverses  classiâ* 
cations  des  indices. 

828.  On  les  a  divisés  d'abord  {InsL  au  droit  crim.  de 
Muyart  de  Youglans,  part.  YI,  cbap.  y)  en  manifestes  ou 
urgents,  prochains  et  éloignés. 

Les  premiers  sont  ceux  qui  ont  un  rapport  nécessaire  avec 
le  fait  allégué.  Dans  la  théorie  des  preuves  légales,  ils  ne 
pouvaient  être  combattus  parla  preuve  contraire.  On  donnait 
ordinairemeni  pour  exemple  d'indice  manifeste  le  cas  où 
deux  témoins  irréprochables  déposaient  avoir  vu  l'accusé, 
ayant  à  la  main  une  épée  nue  et  sanglante,  sortir  de  la 
chambre  où  une  personne  avait  été  trouvée  blessée  d'un 
coup  d'épée.  Toutefois  cet  indice  est  très-prochain ,  véhé- 
ment, si  Ton  veut,  mais  non  pas  manifeste  ^  car  on  pourrait 
établir  qu'il  y  a  eu  suicide,  ou  que  l'accusé  avait,  au  con- 
traire, défendu  la  victime  contre  le  meurtrier  qui  avait  dis- 
paru. Un  meilleur  exemple  est  celui  que  l'on  tire  du  cha- 
pitre XII  du  titre  De  premnptionibus  aux  Décvétales,  où  le 
déHt  ^'adultère  est  considéré  comme  clairement  établi ,  si 
l'accusé  a  été  trouvé  «o/iu  cun  doUk,  nuàM  cmu  nuda^  m  eodem 
lecto.  Dans  notre  législation ,  qui  n'admet  pas  d'autres  preuves 
que  le  flagrant  délit  ou  la  corre^iHmdance  \  ob  o'a  jamais 

*  Les  cours  ecclésîastiqaes  d* Angleterre  admettent ,  quant  à  la  preuve 
de  l'adultère ,  deux  pniicîpee^,  dent  Pur  est  très-rigonreux  et  Paotre  très- 
laige.  D'une  part,  ellee  exigent,  comme  nous  Pafons  tu  (n«  292),  deux 
téneÎDS,  lofs  même  que  le  fait  est  directement  constaté.  D'autre  part, 
elles  admettent  coHume  suffisante  la  déclaration  que  les  témoins  sont 
«DvaBicus  de  Taduttèfe  frwn  their  impression  and  beHef.  (M.  Greenlea  f ^ 
tom.  II,  p.  41.) 

26. 


404  PRÉSOMPTIONS  SIMPLES 

hésité  k  considérer  ces  circonstances  comme  équivalant  au 
flagrant  délit  '  ;  car  comment  les  expliquer  P  L'accusé  aurait 
mauvaise  grâce  k  soutenir  que,  nouveau  Robert  d'Ar- 
brissel  %  il  ne  s'exposait  k  la  tentation  que  pour  avoir  le 
mérite  d'y  résister-,  ou  bien  prétendrait-on,  avec  certains 
docteurs  (Mascardus,  De  probat.^  concl.  57,  n*  S),  que  de 
pareils  faits,  prouvant  plutôt  la  tentative  que  la  consomma- 
tion du  délit ,  suffiraient  pour  faire  prononcer  la  séparation 
de  corps,  mais  non  la  peine  de  l'adultère? 

Au  surplus,  en  ce  qui  touche  le  flagrant  délit  exigé  par 
la  loi,  il  ne  faut  pas  croire,  comme  on  l'imagine  souvent, 
que  le  flagrant  délit  lui-même  doive  ressortir  d'un  procès- 
verbal  dressé  par  un  ofBcier  public.  Il  suffit  que  le  fait  des 
rapports  intimes  soit  attesté  par  des  témoins  dignes  de  foi. 
a  Le  flagrant  délit  »,  dit  un  arrêt  de  rejet  du  là  avril  1866, 
«  peut  être  prouvé  non-seulement  par  les  procès-verbaux 
((  qui  le  constatent  au  moment  même ,  mais  encore  par  tous 
<c  témoignages  de  nature  k  établir  aux  yeux  du  juge  que  le 
«  prévenu  a  été  surpris  m  ipta  turpUudine,  sans  que  le  juge 
((  ait  k  rendre  compte  de  ses  moyens  de  conviction  *,  dans 
((  l'espèce ,  la  Cour  impériale  déclare  que  des  témoins  ont 
a  vu,  dans  cinq  circonstances  difiérentes,  le  prévenu  en 


'  Que  si  les  indices  sont  Tëhéments,  sans  aUer  toutefois  Jusqu'à  la  prenve 
de  la  consommation  de  l'adultère,  par  exemple,  s'il  y  a  eu  Yisite  à  une  heure 
indue,  désordre  dans  les  vêtements ,  etc.,  ces  faits  suffisent  pour  établir  un 
grave  préjudice  à  Phonnenr  du  maii  et  pour  motiver  One  action  en  dom- 
mages et  intérêts.  (Agen,  Il  mars  1850.) 

^  On  nous  a  fait  observer  que  la  réalité  de  l'épreuve  délicate  à  laqueUe 
nous  faisons  allusion  a  été  contestée  par  certains  critiques  ecclésiastiques, 
n  nous  suffira  de  répondre  que  les  lettres  adressées  à  Robert  d'Àrbrissd 
par  Geoffroi,  prieur  de  Vendôme,  et  par  Marbode,  évêque  de  Rennes,  sont 
des  documents  contemporains ,  dont  l'authenticité  est  reconnue ,  contraire- 
ment aux  assertions  de  Mainferme,  par  les  auteurs  de  VHistoire  littéraire 
de  la  France  (tom.  X ,  p.  161)  :  d'où  U  est  permis  de  conclure  la  probabi- 
lité, pour  ne  rien  dire  de  plus,  de  l'opinion  qui  attribue  à  Robert  l'invention 
de  ce  que  Geoffroi  appelle  un  nouveau  genre  de  martyre  :  navum  et  inatt- 
ditum  martyrii  genus* 


EN   MATIÈRE   CRIMINELLE.  405 

«  flagrant  délit  de  complîcilé  d'adultère  ;  cette  déclaration, 
<(  quels  que  soient  les  faits  sur  lesquels  elle  est  fondée,  est 
«  k  Fabri  de  toute  critique  de  la  part  de  la  Cour  de  cassa- 
it tion.  »  Tout  ce  que  veut  la  loi,  c'est  que  le  fait  du  flagrant 
délit  soit  sérieusement  constaté. 

Les  indices  prochains  sont  ceux  qui  ont  un  trait  direct 
au  délit,  sans  le  supposer  nécessairement.  On  en  donne 
pour  exemples  la  saisie  d'effets  suspects,  l'inimitié  capitale 
de  l'accusé ,  l'achat  d'instruments  propres  k  commettre  le 
crime,  etc. 

Les  indices  éloignés  sont  ceux  qui  n'ont  qu'un  rapport 
indirect  avec  le  délit,  tels  que  les  mauvais  antécédents  de 
l'accusé,  ou  sa  fuite.  On  allait  jusqu'à  mettre  au  nombre 
de  ces  indices  (Muyart  de  Youglans,  loc,  cit.)  la  mauvaise 
phynonomie  de  l* accusé,  ou  te  vilain  nom  qu*il  portait.  Mais 
c'étaient  & ,  il  faut  en  convenir,  des  indices  très-éloignés. 

Les  indices  devaient  être  manifestes  pour  que  l'on  pût 
prononcer  la  peine  capitale  ^  ils  devaient  être  prochains 
pour  donner  lieu  k  la  torture.  Aujourd'hui  la  distinction 
des  diverses  natures  d'indices  n'a  plus  le  même  intérêt. 
Mais  le  juge  doit  les  analyser  avec  soin  et  les  peser,  s'il 
n'est  plus  tenu  de  les  compter.  Que  si  les  indices  sont  mani- 
festes, comme  il  n'est  pas  obligé  de  croire  h  un  miracle 
dans  l'ordre  physique  ou  dans  l'ordre  moral,  on  ne  peut 
l'accuser  de  légèreté ,  quand  il  se  déclare  immédiatement 
convaincu. 

Muyart  de  Youglans,  voulant  mettre  les  principes  du  droit 
criminel  en  harmonie  avec  ceux  du  droit  civil ,  fait  des  in- 
dices manifestes  une  présomption  absolue  ]  des  indices  pro- 
chains, une  présomption  admettant  la  preuve  contraire  ;  des 
indices  éloignés,  une  présomption  simple.  Mais  ce  rappro- 
chement semble  plus  ingénieux  que  fondé.  Les  indices 
manifestes   n'emportent   point   toujours  cette    certitude 


406  PRÉSOMPTiONS  SIMPLES 

absol^ie,  qni  équivaut  k  une  présomption  jum  ei  dejure^  Les 
indices  prochains  n'équivalent  pas  k  une  présomption  de4roil. 
£niin ,  les  indices  élpîgnés  sont  nécessairement  loin  d'avoir 
l^autorité  que  présentent ,  au  civil ,  des  présomptions  graves, 
précises  et  concordantes.  On  retrouve  dans  ce  rapproche- 
ment Tesprit  de  rigueur  inflexible  des  derniers  défenseurs 
de  notre  vieux  droit  criminel,  battu  en  brèche  par  les  publîr 
cistes  du  dix-huitième  siècle» 

S29.  Une  division  assez  commode  dans  la  pratique,  pour 
établir  en  quelque  sorte  la  chronologie  de  raccusalion,  classe 
les  indices  en  antécédente,  concomitaxUê  et  subêét/uatu.  Les 
actes  préparatoires,  les  menaces ,  etc.,  sont  des  indices  anié- 
cédents.  Les  indices  concomitants  se  puisent  dans  les  cir- 
constances qui  accompagnent  le  délit,  dans  le  fiait,  par 
exemple,  qu'une  arme  appartenant  k  Taccusé  aura  été  trou- 
vée aujHrès  de  la  victime.  La  fuite,  les  tentatives  de  suborna- 
tion de  témoins,  etc.,  sont  des  indices  subséquents.  S'il  est 
utile  de  recberciàer  séparément  ces  trois  classes  d'indices, 
c'est  une  grave  erreur  que  de  vouloir,  comme  l'avait  fait  le 
Gode  criminel  de  Bavière  de  1813  '  (art.  328,  nM),  que 
ces  trois  sorles  d^indices  se  trouvent  réunies.  C'est  Ik  exiger 
unecondilion  souvent  impossible,  et  qu'on  devait  ètreoUigé 
d'éluder  dans  la  pratique  bavaroise. 

830.  La  fameuse  ordonnance  criminelle  de  Charles- 
Quint,  connue  sous  le  nom  de  Caroline^  éBuméraat  les  prin- 
cipaux indices  qui  pouvaient  donner  lieu  k  l'applîealîen  de 
la  torture  %  les  a  classés  en  indices  communs  et  en  îodîces 
propres ,  suivant  qu'ils  peuvent  se  rapporter  k  toute  espèce 

<  Ce  Code,  œnTre  dtt  célèbre  I^wrlndi,  pèctae  par  «ne  leniaaoa  fnf 

systématiqae  ;  il  a  été  modifié  par  une  lei  du  29  août  1848. 

'  Mais  la  CaroVine,  conformément  à  la  doctrine  des  anciens  crîmina- 
Ustes  (n«  821),  ne  permettait  point  de  fMder  la  «ondanmatMO  ééÉloitive 
sur  de  simples  indices.  Suivant  Tarticle  22  de  cette  ordonnance  »  il  ne  peut 
être  prononcé  une  condamnation  ni  décrété  de  peine,  ^il  n'y  a  contre 
l'aocuié  que  des  indices,  des  soupçnu,  des  préscmpiiêm,  qmeis  f«*ai 


EN    SAnÈRE  ClUmiŒLLE.  407 

de  délit,  ou  bien  qu'ils  s<mt  particuliers  au  ifoI,  k  rempoi- 
soDuement,  etc.  (Muyart  de  Youglaus,  loc.  dt.)  Les  chambres 
du  conseil  ou  des  mises  eu  accusation  qui  doifent  prononcer 
sur  la  gravité  des  indices,  peuvent  puiser  d'utiles  indications 
dans  ces  règles ,  dont  le  Code  autrichien  du  ^  juillet  1853, 
^ui  énumère  avec  soin  les  indices  généraux  et  spéciaux 
(1 138-140),  peut  être  oaasidéré  comme  la  dernière  édition. 
Ceux  qui  désirent  de  plus  amples  détails  sur  le  classe- 
ment des  indices,  consulteront  avec  fruix  le  livre  Y  des 
Preuve»  judiciaires  de  Bentham ,  consacré  aux  preuves  eircon- 
stancielles ,  où  le  sujet  est  traité  surtout  an  point  de  vue  du 
droit  criminel. 

%  |«    MtCOtM#>  MS  BIAIGBS. 

SOMMAiBE.  —  8M.  Précisifùi  désirable  (Uns  l'acte  d'accasatioa.  —  M%2.  nétacber  le  Ait 
principal  des  accessoires.  —  833.  Rattacher  les  indices  entre  eu.  —  834.  Modèles  à 
«onsaûer. 

831.  U  importe  de  procéder  avec  méthode  et  précision 
dans  la  discussion  des  indices  -,  autrement ,  lorsque  l'affaire 
est  un  peu  compliquée,  on  court  risque  de  s'égarer. 

L'acte  d'aoensation^  qui  est  la  base  de  la  prooédune  au 
grand  criminel,  doit  aboutir  k  des  conclusions  bien  nettes, 
éDumérant  chacune  des  charges  qui  pèsent  sur  Faceusé,  et 
les  moyens  k  l'appui  de  ces  cbarges.  U  doit  faire  itessortir 
les  inductions  que  l'on  pent  tirer  du  fait  allégué,  puis  dé- 
montrer comment  ce  fait  lui-même  est  établi ,  tandis  que 
trop  souvent  on  procède  afu  hasard,  en  insistant  sar  des 
dreonstances  insignifiantes ,  autant  que  sur  celles  éaai  la 
jusâfieatÎMi  serait  décisive.  Bans  Vitàkctment  anglais^  ja 

mHad  le  wm^bre  et  la  Miwe.  Ce  M  pour  élodier  Yapptififtm  «de  oet 

«rticle  que  les  juiiseonsultes  allemanâs  au  dU-septiène  siècle  InaginèDaiit 
d'appUqiier,  en  pareil  cas,  une  peine  extraordinaire.  (Voy.  n«  52.)  Au 
soridiis ,  PflBinrit  'de  la  Cantine  se  retroure  •dans  PerdoHBMoe  badoise 
de  1845,  dont  Particle  261  yeut  «  que  les  faits  n'aient  point  simplement 
les  indices  pour  base  de  leur  démonstration  ;  mais  que  des  preuves  immé- 
diates séries,  ou  •ombiDées  srec  d'autres  iadioes,  lienneut, à lenr'éssid, 
constituer  la  certitude  juridique.  » 


408  PRÉSOMPTIONS  SIMPLES 

partie  poursuivante  est  obligée  de  préciser  en  termes  tech  - 
niques  les  faits  incriminatirs  qu'elle  allègue.  Mais  on  tombe 
dans  Texcès  lorsqu'on  introduit  un  style  solennel,  dontl'û»* 
dictment  ne  peut  s'écarter  k  peine  de  nullité.  Il  y  en  eut  un 
d'annulé  le  10  août  18S4,  aux  assises  de  Hereford,  pajree 
qu'on  s'y  était  servi  des  mots  asmeg  générales,  au  lieu  de 
ceux  de  grandes  assises  :  ce  qui  rappelle  trop  le  système  des 
actions  de  la  loi ,  où  un  plaideur  succombait  en  agissant  de 
vkibus  sucdsisf  parce  qu'il  avait  nommé  les  vignes,  an  lieu 
([arbres  en  général.  (Gains,  Comm.^  IV,  §  11.)  H  y  a  an 
moyen  terme  entre  cetle  exagération  et  le  vague  qui  a  été 
quelquefois  reproché  avec  quelque  fondement  aux  actes 
d'accusation  français.  Il  importe  de  bien  articuler  les  faits, 
comme  on  le  fait  pour  ceux  dont'  on  demande  k  faire  la 
preuve  dans  une  enquête  civile.  L'acte  d'accusation  devient 
ainsi  le  cadre  dans  lequel  doit  se  mouvoir  le  débat.  On  a 
soin ,  k  mesure  qu'on  interroge  les  témoins,  de  faire  ressor- 
tir les  conséquences  de  telle  ou  telle  déposition,  en  mettant 
toujours  en  relief  le  rapport  du  fait  attesté  avec  la  culpabi- 
lité qu'il  s'agit  d'établir. 

838.  En  second  lieu ,  il  convient  de  détacher  le  fait  prin- 
cipal des  faits  accessoires,  afin  d'établir  le  premier  séparé- 
ment, sauf  k  fortifier  ensuite  la  preuve  qui  en  résulte,  k 
l'aide  de  la  démonstration  des  autres.  En  s'abstenant  de 
suivre  cette  marche ,  on  s'expose  k  conmiettre  des  pétitions 
de  principe.  Ainsi,  dans  une  affaire  de  complot,  on  cherche 
souvent  k  établir  le  complot  même  k  l'aide  d'une  foule  de 
circonstances  de  détail ,  qui  isolément  seraient  insignifiantes. 
Puis,  lorsque  l'accusé  répond  que  ces  circonstances  n'ont 
pas  la  portée  qu'on  leur  attribue,  on  prétend  établir  la  cri- 
minalité des  faits  k  l'aide  du  complot,  qui  pourtant  n'a  pas 
été  préalablement  démontré ,  et  qui  dès  lors  ne  repose  lui- 
même  que  sur  la  réunion  de  ces  circonstances.  Les  Anglais 


EN   MATIÈRE  CRIHINELLE.  409 

appellent  corutructive  offentu  les  délits  qui  résultent  ainsi 
d'une  réunion  d'éléments  qui,  pris  isolément ,  seraient  in- 
nocents. Un  Anglais,  accusé  d'un  délit  de  cette  nature, disait 
qu'il  ne  concevait  pas  comment  avec  dix  mille  morceaux  d'un 
cheval  blanc  on  pouvait  faire  un  cheval  noir.  Quand  on  veut 
établir  un  de  ces  délits  complexes,  il  faut  justifier  spéciale- 
ment de  Texistence  du  fait  principal,  autour  duquel  les  faits 
accessoires  viennent  se  grouper^  autrement,  les  indices 
légers ,  quelque  multipliés  qu'on  les  suppose ,  ne  sauraient 
faire  corps,  et  le  mot  de  l'Anglais  deviendrait  applicable. 

833.  Enfin,  une  troisième  observation,  qu'il  ne  faut  pas 
perdre  de  vue,  c'est  qu'aucun  anneau  ne  doit  pouvoir  se 
détacher  de  la  chaîne  qui ,  dans  l'induction ,  rattache  les 
circonstances  connues  au  fait  générateur  de  la  culpabilité. 
Ainsi ,  la  vente  que  Taccusé  aurait  faite  de  ses  habits ,  loin 
du  lieu  où  le  crime  aurait  été  commis ,  ne  saurait  être  une 
circonstance  inculpative  qu'autant  qu'elle  aurait  eu  lieu  peu 
de  temps  après  la  perpétration  du  délit;  faite  longtemps 
après,  elle  s'expliquerait  beaucoup  mieux  par  d'autres  mo- 
tifs que  par  la  crainte  d'être  découvert.  Il  faut  donc  tou- 
jours pouvoir  établir  qu'il  existe  une  relation  non  équivoque 
entre  le  fait  que  l'on  prouve  et  la  culpabilité  qu'il  s'agit  de 
démontrer;  car,  si  un  seul  anneau  vient  k  échapper,  la 
chaîne  se  brise. 

834.  Du  reste ,  l'avocat  qui  veut  s'exercer  à  la  discussion 
des  indices  ne  doit  pas  se  contenter  d'étudier  les  règles 
théoriques  de  la  matière,  dans  les  livres  de  droit  et  dans 
les  ouvrages  de  rhétorique;  il  doit  consulter  surtout  les 
chefs-d'o&uvre  du  barreau  ancien  et  moderne.  Le  plaidoyer 
de  Cicéron  pro  Milone  a  toujours  passé  pour  un  modèle  en 
ce  genre  '. 

■  Voy.  sur  la  discnssion  des  indices  une  excellente  note  dn  premier 
duc  de  Broglie ,  insérée  à  la  fin  du  1»  yolume  des  Preuves  judiciaires  de 
Bentham ,  édition  de  Dumont. 


LIVRE  DEUXIEME 


PRÉSOMPTIONS   LÉGALES. 

Sommaire.  —  835.  Elles  tendent  k  se  multiplier.  —  886.  Nécessité  de  noos  restreindre 

en  matière  ciyile. 


838.  Il  n'est  pas  toujoiors  possible  à  l'homme  d'arriver  à 
la  ooDnaissance  parfiiUe  de  la  vérité  dans  chaque  eas  parti- 
culier, et  cependant  les  nécessités  sociales  ne  lui  permettent 
pas  toujours  de  saspendre  son  jugeoneot  et  de  s'abstenir.  La 
stabilité  de  l'état  des  personnes,  celle  des  propriétés,  enfin 
le  besoin  de  calme  et  de  sécurité  pour  une  foule  d'intérêts 
précieux,  (AlîgenI  le  législateur  k  tenir  pour  vrais  un  grand 
nombre  de  points  qui  ne  sont  pas  démontrés,  mais  dofit 
l'existence  est  établie  par  une  induction  plus  ou  moins 
puissante.  L'ordre  politique,  comme  l'ordre  soddi,  ne  re- 
pose que  sur  des  prés^Msptions  légales.  L'aptitude  k  exercer 
certains  droits ,  à  remplir  certaines  fonctions ,  ne  se  recon- 
nait  qu'au  moyen  de  certaines  conditions  déterminées  à 
priori,  une  vérification  pédale  pour  chaque  individu  étant 
évidemment  impraticable.  Plus  les  relations  sociales  se 
compliquent,  plus  il  devient  nécessaire  de  multiplier  ces 
présomptions.  Aussi  y  en  a-i-il  beaucoup  plus  dans  notre 
droit  qu'il  n'y  en  avait  k  Rome. 
836.  Entrer  ici  dans  le  détail  des  diverses  présomptioBS, 
serait  s'imposer  la  nécessité  de  traiter  ex  profeno  presque 
toutes  les  matières  juridiques;  car  il  ai  est  peu  où  la  loi  ne 
s'attache  k  certaines  vérités ,  dont  elle  consacre  Texistence 


PlfSOKFTlOMS  LÉGAUS.  411 

en  la  faisant  découler  de  certaines  circonstances  déterminées. 
11  faudrait  nous  occuper  derétatdesperscnoes,  des  incapacités, 
de  la  prescription,  etc.  Ces  développements,  utiles  en  appa- 
rence pour  compléter  notre  cadre,  s'écartent  au  fond  du  but 
de  cet  ouvrage.  Car  les  motifs  qui  ootdëCermiiië  le  légîslaieiir 
à  établir  telle  ou  telle  présomption,  tiennent  le  plus  souvent 
au  droit  bien  plus  qu'au  lait.  Ce  qu'il  examine  surtout,  ce 
n^est  pas  si  le  fait  connu  réunit  tous  les  caractères  suffisants 
pour  rendre  probable  le  fait  inconnu,  mais  seulement  si 
l'intérêt  social  exige  que  l'on  conclue  de  la  constatation  de 
l'un  ^  rexîstence  de  l'autre.  Comme  le  Êdt  fort  bien  obser* 
ver  M.  Greenleaf  (tom.  i,  p.  41),  les  principes  sur  les 
piésomptions  légales  ne  se  rattachent  pins  îi  la  ft»  du  té- 
moignage, ee  sont  des  règles  de  protection  (mie  ofprotec^ 
tUm)^  établies  poer  le  bîoi  général.  On  comprend  dès  lors 
que  les  diva'ses  présomptions,  pour  être  bien  comprises 
dans  leurs  spécialités ,  doivent  se  rattacher  à  l'examen  spé- 
cial de  chaqve  matière.  Nous  ne  devons  poser  ici  que  les 
principes  généraux. 

Seulement,  après  avoir  parlé  des  présomptions  spéciales 
aux  matières  civiles  et  aux  matières  criminelles,  nous  tm- 
terons  avec  quelques  détails  d'une  présomption  commune  a 
loates  les  juridictions,  qui  est  la  base  de  tout  l'édifice  judi- 
ciiire,  de  raaCorité  de  la  chose  jugée. 


412  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

PREMIÈRE  SECTION. 

PRÉSOMPTIONS  LÉGALES  EN  MATIÈRE  CIVILE. 

SomiÀiRE.  —  8S7.  Nécessité  d'one  loi  spéciale.  ^  838.  Présomptions  menUorniées  par  le 
Code.  —  839.  Deox  degrés  de  présomption  légale.  —  840.  Que  doit  proorer  ceiiii  qni 
invoque  une  présomption  de  cette  nature?  —  841.  Quand  la  preuve  contraire  est-elle 
admissible?  —  842.  A  quoi  reconoatire  une  présomption ;irrf>  et  ie  jwre  f  —  843.  Trois 
points  signalés  par  le  législateur.  —  844.  Cas  où  la  loi  annule  certains  actes ,  on  dénie 
l'action  en  justice.  —  845.  Réserve  de  la  preuve  contraire.  —  848.  Quii  du  renvoi  aa 
serment  et  k  l'aven  f 

837.  «  La  présomption  légale  «»,  dit  l'article  i3S0  du 
Code  civil ,  «  est  celle  qui  est  attachée  par  une  loi  spéciale 
«  k  certains  actes  ou  k  certains  faits.  » 

Autrefois,  même  en  pays  coulumiers,  les  présomptions 
pouvaient  être  puisées  dans  certains  textes  du  droit  romain , 
aussi  bien  que  dans  les  sources  modernes-,  elles  pouvaient 
même,  suivant  Pothier  {Oblig.,  n*  843),  être  établies  par 
argument  de  quelque  texte  de  droit.  Un  pareil  système  offrait 
trop  d'inconvénients  pour  qu'il  fût  possible,  dans  une  légis- 
lation qui  tend  k  prévenir  toute  incertitude,  tout  arbitraire , 
de  laisser  k  la  jurisprudence  et  k  la  doctrine  le  pouvoir 
d'établir  des  présomptions  légales. 

On  pourrait  croire  cependant,  par  application  du  priju- 
cipe  de  la  non -rétroactivité  des  lois  sur  la  preuve  (n"^  920 
et  923),  que  l'ancienne  présomption  de  propriété,  existant 
au  profit  des  seigneurs  pour  les  biens  fonds  compris  dans 
leurs  seigneuries,  en  vertu  de  la  maxime  féodale  :  NuUe  terre 
MM  seigneur  f  peut  encore  être  invoquée,  du  moins  pour 
répoque  antérieure  au  décret  du  4  août  1789,  abolitif  de 
la  féodalité.  Mais  cette  maxime  elle-même,  tout  empreinte 
de  l'esprit  féodal,  a  été  déclarée  dénuée  de  tout  effet  par  la 
loi  du  25  août  1792,  qui  a  aboli  formellement  «  tons  les 
«  effets  qui  peuvent  avoir  été  produits  par  la  maxime  : 
«  NuUe  terre  tans  teigneur.  »  Aussi  la  Cour  de  cassation  a-t-elle 


EN  MATIÈRE  CIVILE.  413 

refasé,  le  7  mai  1866,  de  faire  Tapplication  de  l'article  1*'  de 
la  coutume  de  Chaumont,  qui  n'était  que  la  reproduction  de 
cette  maxime. 

Néanmoins ,  il  ne  faut  pas  imaginer  qu'aucune  présomp- 
tion légale  ne  puisse  être  établie  sans  une  Un  spéciale.  Cela 
est  vrai  pour  les  présomptions  absolues ,  celles  qui ,  comme 
nous  allons  le  voir,  n'admettent  point  la  preuve  contraire. 
Mais  les  présomptions  légales  du  premier  degré ,  qui  ad- 
mettent cette  preuve ,  peuvent  fort  bien  ressortir  de  l'en* 
semble  des  dispositions  de  la  loi.  Ainsi,  il  est  bien  constant 
que  le  possesseur  d'un  immeuble  en  est  réputé  propriétaire, 
bien  que  cela  ne  résulte  expressément  d'aucun  article  de 
nos  Codes'. 

838.  L'article  1350  donne  pour  exemple  des  actes  ou 
faits  auxquels  est  attachée  une  présomption  légale  : 

«  1*  Les  aptes  que  la  loi  déclare  nuls,  comme  présumés 
«c  faits  en  fraude  de  ses  dispositions,  d'après  leur  seule 
a  qualité.  »  La  présomption  de  nullité  se  rattache,  soit  k  la 
personne  de  celui  qui  a  fait  l'acte ,  comme  lorsqu'il  s'agit 
des  actes  translatifs  de  propriété  à  titre  gratuit,  faits  par  le 
failli  dans,  les  dix  jours  qui  précèdent  la  cessation  de  paye- 
ments (C.  de  comm.,  art.  4i6)^  soit  h  la  personne  de  celui 
bn  faveur  de  qui  l'acte  a  été  fait ,  comme  lorsqu'il  s'agit 
d'une  donation  faite  aux  plus  proches  parents  ou  au  conjoint 
d'un  incapable  (C.  civ.,  art.  911  et  1100);  soit  enfin  k  la 
nature  de  l'acte  jointe  à  la  qualité  de  la  personne,  comme 
lorsqu'il  s'agit  de  la  vente  k  fonds  perdu  faite  k  un  succes- 
sible  en  ligne  directe.  (Ibid.,  art.  918.) 

«  ^  Les  cas  dans  lesquels  la  loi  déclare  la  propriété  ou 
((  la  libération  résulter  de  certaines  circonstances  détermi- 


*  si  l'article  2279  du  Code  ciTil  a  dft  consacrer  formellement  cette  pré- 
somption appUquée  aux  meubles  »  c'est  que  précisément  alors  elle  n'admet 
point  la  preuve  contraire. 


414  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

«  nées.  »  La  prescription  à  fin  d'acquérir  ou  de  se  libérer , 
les  signes  de  mitoyenneté  ou  de  noo-miloyenneté,  e^e^, 
rentrent  dans  cette  catégorie, 
a  3*  L'autorité  que  la  loi  attribue  k  la  cbose  jagëe.  » 

■ 

Nous  en  parierons  spécialement  dans  notre  troisième  section. 
((  i?  La  force  que  la  loi  attache  à  Tavett  de  la  partie  ou  à 
«  son  serment.  »  Nous  avons  rangé  parmi  les  preuves  pro- 
prement dîtes  l'ayeu  et  le  serment ,  qui  sont  en  effet  des 
déclaratioBs  de  Thomne,  et  non  de  simples  indices  paîsés 
dans  Vétude  des  faits. 

839.  On  conçoit  deux  degrés  dans  la  présomption  légale. 
La  loi  peut  imposer  an  juge  certaines  preuves  circonstan* 
cielles ,  en  Tobligeant  k  tenir  pour  vrais  les  faits  qu'elles 
tendent  k  établir,  mais  en  laissant  aux  parties  intéressées  la 
faculté  de  démontrer  que  cette  inéuction  n'est  pa&  fondée. 
Elle  peut  aller  plus  loin ,  repousser  dès  l'abord  tonte  preuve 
contraire^  et  faire  nécessairement  résulter  de  telles  dreon* 
stances  l'existence  légale  de  tel  ou  tel  £ait.  Cette  distinction 
est  de  fous  les  temps  et  de  tous  les  pays  *,  elle  se  retrouve 
partout  où  des  présomptions  de  cette  nature  ont  été  intro- 
duites. C'est  ainsi  qu'on  a  toujours^  considéré  eonmie  abso- 
lument inattaquable  la  présomption  qui  résulte  de  la  chose 
jugée ,  quand  toutes  les  voies  de  recours  ont  été  épuisées. 
Mais  les  dénominations  dont  on  s'est  servi  pour  désigner  ces 
I    deux  degrés  de  présomption  n'ont  été  imaginées  que  par  les 
;    docteurs  du  moyen  âge.  Ce  sont  eux  qui  ont  appelé  les  pré- 
/     somp tiens  du  premier  degré  jurit  tmuxm ,  et  celles  du  second 
/     degré  juris  et  de  jure.  Henocbius  explique  ces  dénomina- 
tions ,  en  disant  que  la  présomption  est  juriê  dans  les  deux 
cas,  puisqu'elle  est  toujours  introduite  par  la  loi,  mais 
qu'elle  est  de  jure  dans  le  second  seulement ,  «  quia  super 
«  tali  prsesumptione  lex  indncit  firmum  jus  et  habet  eam  pro 
c(  veritate.  »  Ces  expressions  barbares  peuvent  être  coQsi- 


A 


BM  MATIÈRE   CIVILB.  4i5 

dérées  comme  une  langae  de  convenlkm.  Nous  aimons 
mieux  la  langue  des  jurisconsnlles  anglais,  qui  distinguent 
les  présomptions  péremptoires  (conckuive)  et  les  présomp- 
tions discutables  (dispuUible).  Maïs,  au  fond,  m  a  toujours 
reconnu  que  certaines  présomptions  ne  dohrent  pas  admettre 
la  preuve  contraire.  C'est  donc  bien  mal  à  propos  que  Toul- 
lier  (toBL  X,  n'  42)  prèle  à  d'Âguesseau  cette  singulière 
opinion ,  que  toutes  les  présomptions  admettrat  la  preuve 
contraire  9  parce  que  ce  juriseonsBlte,  dans  son  vingt-troi- 
sième plaidoyer,  déclare,  en  général,  que  l'autorité  des 
présomptions  n'est  pas  absolue.  Il  s'agissait,  dans  l'espèce, 
d'une  question  de  légitiflftité,  et  c'est  évidemment  en  se 
plaçant  à  ee.point  de  vue  spécial  que  d'Âguesseau  limitait 
l'autcNTité  des  présomptions  légales. 

&40.  Que  doit  prouver  celui  qui  invoque  une  présomption 
légale?  Il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  la  disposition  de 
l'article  1352  du  Code  civil ,  suivant  lequel  la  présomption 
légale  (Hspeme  de  touu  jmiue  celui  au  profit  duquel  elle 
existe.  Il  n'est  point  exact  de  dire  que  celui  qui  invoque 
une  présomption  légale  n'a  absolument  rien  ii  prouver.  Il 
iaut  qu'il  établisse  qu'il  se  trouve  en  position  d'invoquer  la 
présomption  de  la  loi-,  par  exemple,  celui  qui  invoque  l'ar- 
ticle 312,  aux  termes  duquel  Tenfant  conçu  pendant  le 
mariage  a  pour  père  le  mari ,  doit  prouver  deux  points,  sa- 
voir le  mariage,  et,  d'après  les  calculs  de  la  loi  sur  la  ges- 
tation (art.  314,  316),  une  date  de  la  naissance  qui  ne 
place  pas  la  conception  de  TenÊmt  avant  la  formation  du 
mariage  ou  après  sa  dissolution.  Cette  preuve  faite ,  la  légi- 
tînilé  de  l'enfant  est  établie  par  la  disposition  de  l'ar- 
ticle 312.  En  un  mot,  il  n'y  a  point  ^  justifier  l'exactitude 
de  la  présomption  légale ,  mais  à  constater  préalaUement  les 
Cûts  auxquels  elle  s'attache^ 

En  sens  inverse,  lorsqu'on  se  demande  s'il  est  permis  de 


416  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

prouver  contre  une  présomption  légale,  on  a  en  vue  la 
preuve  contraire  k  la  proposition  énoncée  dans  la  loi ,  dans 
l'espèce ,  k  la  légitimité  de  l'enfant  conçu  pendant  le  ma- 
riage-, mais  nullement  la  preuve  contraire  aux  faits  sur  les- 
quels repose  la  présomption ,  le  mariage  et  la  date  de  la 
naissance.  Cette  dernière  preuve  est  toujours  admissible , 
car  ce  n'est  pas  le  moins  du  monde  prouver^  contre  une 
présomption  légale  que  de  prouver  qu'on  n'est  point  dans  le 
cas  prévu  par  cette  présomption.  C'est  donc  biea  mal  à 
propos  qu'Âlciat  voit  Ik  une  preuve  indirecie  contre  la  pré- 
somption de  la  loi  '  Et  H  directa  probatio  regulariter  tum  ad- 
mittatur  contra  prœsumptionem  juris  et'  de  jure,  admUietur 
tamen  indirecta,  quia,  cum  lex  requirit  certas  qualkates  et  cir- 
cumstantias  ad  hanc  probadonem  constituendam,  semper  admii^ 
tuntur  probationes  quod  non  su  taliâ  casiu ,  veL  non  adsit  aliqua 
ex  requUitU  qualitatibus.  C'est  Ik  une  véritable  confusion 
d'idées.  Il  n'y  a  aucune  attaque,  directe  ni  indirecte,  contre 
la  présomption  de  légitimité,  dans  la  preuve  qu'il  n'y  a  ja- 
mais eu  de  mariage  ^  contre  l'autorité  de  la  chose  jugée , 
dans  la  preuve  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  jugement.  Une 
pareille  doctrine  mérite  d'être  reléguée  parmi  les  vmont 
d'Âlciat. 

841.  Quand  la  preuve  contraire  k  la  présomption  légale 
est-elle  admissible,  c'est-k-dire  quand  peut-on  prouver 
qu'en  se  plaçant  même  dans  l'hypothèse  prévue  par  le  légis- 
lateur, il  n'y  a  point  lieu  d'appliquer  sa  décision? 

La  présomption  légale  admet,  en  général,  la  preuve  con- 
traire; elle  est,  suivant  le  langage  barbare  des  interprètes, 
jîxris  tantum,  dans  les  cas  ordinaires.  Elle  n'est  alors  qu'une 
interprétation  de  volonté  ou  une  explication  des  faits,  qui 
tombe  lorsque  la  vérité  vient  k  être  démontrée.  Ainsi ,  bien 
qu'on  dise  que  la  vente  k  l'essai  est  toujaure  présumée  foile 
l     sous  une  condition  suspensive  (ibid.,  art.  1588),  il  n'ea 


EN  MATIÈRE  CIVILE.  417 

sera  pas  moios  permis  d'établir  que  les  contractants  ont 
entenda  traiter  sous  une  condition  résolutoire.  Le  plus  sou- 
vent, lorsque  la  présomption  n'est  que  du  premier  degré, 
le  seul  but  que  la  loi  se  propose,  c'est  de  faire  considérer 
certains  faits  comme  le  signe  apparent  du  droit ,  par  exemple 
la  possession  d'un  immeuble  comme  indiquant  la  propriété 
de  cet  immeuble ,  la  preuve  contraire  demeurant  toujours 
admissible.  Quelquefois  néanmoins ,  la  présomption ,  sans 
qu'il  tdi  raisonnable  de  la  considérer  comme  une  virile  ab- 
solue, a  paru  trop  grave  pour  pouvoir  être  ébranlée  par 
tante  espèce  de  preuve.  Ainsi,  en  matière  de  légitimité,  la 
preuve  contraire  k  la  règle  que  l'enfant  né  pendant  le  ma- 
riage a  pour  père  le  mari,  n'est  admise  que  dans  le  cas  d'im- 
possibilité physique,  ou  bien  dans  celui  où  l'on  peut  prou- 
ver k  la  fois  l'adultère  et  le  recel  dé  la  naissance  (ibid., 
art.  31â  et  313)  ;  cas  auxquels  il  faut  ajouter  aujourd'hui , 
aux  termes  de  la  loi  du  6  décembre  1850,  celui  où  la  con- 
ception serait  présumée  avoir  eu  lieu  pendant  le  temps  où 
la  femme  séparée  de  corps  a  un  domicile  distinct  de  celui 
du  mari.  Mais  habituellement  on  peut  administrer,  pour 
détruire  la  présomption  légale ,  la  preuve  contraire  avec  la 
plus  grande  latitude,  et  employer  même  la  preuve  testimo- 
niale et  les  présomptions,  lorsque  la  nature  de  l'affaire  ne 
s'y  oppose* point.  On  lit,  il  est  vrai,  dans  un  des  considé- 
rants de  l'arrêt  de  cassation  du  5  janvier  1810,  que  nous 
avons bité  (pag.  175,  not.  1  ),  que  «  si  une  présomption  de 
«  droite  peut  être  détruite  par  la  preuve  positive  d'un  fait 
«  contraire  k  celui  qu'elle  suppose ,  elle  ne  peut  du  moins 
«  pas  l'être  par  des  présomptions  non  autorisées  par  la  loi , 
«  et  purement  arbitraires.  »  Mais  il  s'agissait,  nous  l'avons 
vu  (n*  599),  dans  l'espèce,  de  certains  procès-verbaux 
contre  lesquels  la  preuve  contraire  doit  être  nécessairement 
écrite  ou  testimoniale.  Il  convient  donc  d'interpréter  l'ar- 

II.  87 


418  PRÉSOVPTIOUS  LBGALBS 

rêt  de  1810  secundum  mbjedam  wateriam.  Qaelqaefoifi  ausâ 
la  loi  eiclut  même  la  preuve  testUnoDiala.  Aîo^i,  la  pué-* 
somptioQ  de  mitoyemielé  ne  peut  être  détruite  que  par  «a 
titre  ou  par  une  marque.  (C-  civ.,  art.  663.  )  Mais  là  ou  la 
loi  n'a  point  fait  de  semblables  restrictions,  la  preuve  con- 
traire peut  consister  dans  des  présomptions ,  aussi  bîead  que 
dans  des  preuves  proprement  dites. 

842.  La  présomption  du  second  degré  est  généralement 
invincible.  Mais  à  quel  caractère  reconnaître  une  présomp^ 
tion  de  cette  nature,  dans  le  silence  du  législateur?  Ce 
point  était  très-obscur  dans  l'ancienne  doctrine.  Les  rédac- 
teurs du  Code  ont  essayé  de  déterminer  les  cas  où  la  preuve 
contraire  est  effectivement  inadmissible. 

«  Nulle  preuve  »,  dit  le  même  article  1352,  «  n*est  ad- 
((  mise  contre  la  présomption  de  la  loi ,  lorsque ,  sur  le  fon- 
ii  dément  de  cette  présomption ,  elle  annule  certains  actes 
«  ou  dénie  l'action  en  justice,  à  moins  qu'elle  n'ait  réservé 
tt  la  preuve  contraire ,  et  sauf  ce  qui  sera  dit  sur  le  serment 
«  et  l'aveu  judiciaires.  » 

Cette  disposition ,  destinée  k  faire  cesser  d'anciennes  con- 
troverses, est  elle-même  loin  d'être  claire,  et  donne  lieu  a 
des  difficultés  qui  partagent  les  meilleurs  esprits. 

843.  Le  législateur  signale  trois  points  :  l*"  la  détermi- 
nation des  cas  où  la  preuve  contraire  n'est  pas  admise^  2*  la 
réserve  de  certaines  exceptions  formelles  k  la  règle  posée; 
3''  une  dernière  réserve ,  en  ce  qui  touche  le  serment  et 
l'aveu  judiciaires. 

844.  n  y  a  présomption  légale  absolue,  nous  ditHm, 
lorsque,  sur  le  fondement  de  cette  présomption,  la  loi  an- 
nule certains  actes  ou  dénie  l'action  en  justice..  Le»  actes 
ainsi  annulés,  qu'a  en  vue  le  législateur,  ne  sont  pas  ceux 
qui  sont  entachés  d'une  nullité  radicale,  comme  manquant 
d'une  condition  essentielle  au  fond  pour  leur  validité*)  il  est 


EN  MATIÈftB  GITILB.  419 

clair  que  la  nullité  ne  résalte  pas  alors  d'une  présomption , 
mais  de  la  force  m&ne  des  choses.  Ce  ne  sont  pas  non  plus 
ceux  qui  sont  nuls  dans  la  forme  \  les  nullités  de  forme 
résultent  de  textes  impératife ,  contre  lesquels ,  dès  que  les 
faits  sont  bien  ecmstatés,  on  ne  saurait  s'élever  sans  fiadre 
le  procès  k  la  loi  elle-même.  Les  actes  dont  la  loi  veut  par- 
ler sont  ceux,  qu'elle  déclare  nuls  (art.  1350,  l""),  c<»nme 
présumés  Êiils  en  fraude  de  ses  dispositions ,  d'après  leur 
seule  qualité.  On  aurait  pu  soutenir  que  la  preuve  contraire 
ne  devait  pas  être  repoussée  ^  la  justification  de  la  bonne  foi 
étant  toujours  favorable.  Mais  le  législateur,  visant  plus  k 
couper  court  aux  procès  qu'k  rendre  une  stricte  justice,  a 
trouvé  plus  simple  de  repousser  cette  preuve,  sauf  la  res- 
triction dont  nous  allons  bientôt  parler.  Il  en  est  de  même 
des  cas  où  la  loi  dénie  l'action  en  justice,  ce  qui  s'applique 
notamment  k  la  prescription.  On  a  pensé  que  les  contro- 
verses devaient  avoir  un  terme.  Toutes  les  fois  donc  qu'une 
action  est  refusée,  il  y  a  un  intérêt  public  en  jeu,  et  je  ne 
serais  pas  reçu  k  prétendre ,  par  exemple ,  que  je  n'avais 
pas  l'intention  de  renoncer  k  un  droit  sur  lequel  j'ai  gardé 
le  silence  paidant  trente  ans.  Ces  deux  natures  de  présomp- 
tions ont  pour  but  de  faire  respecter  les  préceptes  du  droit 
civil  ;  ce  sont  plus  que  de  simples  interprétations  de  faits  ou 
de  volontés. 

84ff.  Dans  les  cas  mêmes  où  nulle  preuve  n'est  admise 
contre  la  présomption  de  la  loi,  l'artide  1352  ajoute  :  à 

moins  qu'elle  n'aU  réservé  la  preuve  cmUraire.  On  trouve  des 

exemples  de  cette  réserve  dans  les  cas  où  l'action  eu  justice 
est  déniée.  C'est  ainsi  que  la  remise  de  la  grosse  par  le 
créancier,  k  la  différence  de  celle  du  titre  or^nal ,  ne  Êdt 
foi  de  la  libération  que  josqu'k  preuve  contraire.  (Ibid^ 
art.  1983.)  Mais  on  n'a  pas  trouvé  de  cas  où  la  loi,  en  annu- 
lant certains  actes  comme  présuoiéa  frauduleux,  déclare  la 

27. 


420  PRÉSOMPTIONS   LÉGALES 

preuve  contraire  admissible.  La  restriction  de  Tarticle  doit 
être  considérée  sous  ce  rapport  comme  une  réserve  pour 
l'avenir,  et  non  comme  un  renvoi  k  des  textes  positifs. 

846.  Enfin  Tarticle  se  termine  par  une  réserve  plus 
obscure  encore  que  tout  ce  qui  précède  :  Muf  ce  qui  sera  dit 
9tir  le  serment  et  Vaveu  judiciaires.  Ou  peut  donner  deux  sens 
k  ces  expressions.  Ou  bien,  par  suite  de  Terreur  que  nous 
avons  signalée ,  le  législateur  considère  le  serment  et  l'aveu 
comme  des  présomptions,  dont  on  doit  traiter  plus  lard,  ou 
bien  il  les  regarde  comme  des  moyens  de  combattre  les  véri- 
tables présomptions  légales,  par  exception  au  principe  que 
nulle  preuve  n'est  admise  contre  elles. 

Dans  le  sens  de  la  première  opinion  on  fait  remarquer 
que  l'article  1350  a  déjà  rangé  mal  à  propos,  niais  d'une 
manière  bien  positive ,  l'aveu  et  le  serment  parmi  les  pré- 
somptions légales.  Or,  l'aveu  du  moins,  sinon  le  serment, 
est  susceptible  d'être  débattu,  et  n'est  pas  dès  lors  une 
présomption  invincible.  Le  renvoi  aurait  pour  but  de  faire 
remarquer,  ainsi  que  le  faisait  Potbier  (06%.,  n*  842),  ce 
caractère  spécial  de  Taveu.  On  ajoute  que,  si  la  loi  avait 
voulu  admettre  certaines  natures  de  preuves  contre  les  pré- 
somptions légales  qui  n'admettent  pas  la  preuve  contraire , 
elle  s'en  serait  expliquée  plus  clairement.  Mais  cette  inter- 
prétation nous  parait  k  la  fois  inexacte  en  elle-même,  et  peu 
en  harmonie  avec  le  texte  qu'il  s'agit  d'expliquer.  On  ne  voit 
pas  trop  quelle  serait  la  raison  de  douter  k  laquelle  la  loi 
voudrait  répondre.  Dût-on  considérer  l'aveu  comme  une 
présomption  légale,  rien  n'autoriserait  k  y  voir  une  pré- 
somption légale  absolue.  De  tout  temps  on  a  considéré  l'aveu 
comme  pouvant  être  modifié,  expliqué,  rétracté  par  la  partie 
qui  l'a  fait.  Où  serait  donc  la  nécessité  d'une  exception  pour 
l'aveu,  puisqu'il  n'était  pas  compris  dans  la  règle?  Hais  ce 
qui  s'explique  encore  moins  dans  cette  opufiion,  c'est  que  la 


EN  MÀTIÈBE   CIVILE.  4SI 

loi  mentionne  en  première  ligne  le  serment  décisoire  \ 
qui  précisément  n'admet  jamais  la  preuve  contraire.  (Art. 
1363.)  Inutile  pour  Taveu,  le  renvoi  serait  un  contre-sens 
en  ce  qui  touche  le  serment ,  et  il  faudrait  finir  par  décla- 
rer, avec  certains  auteurs,  que  ces  expressions  :  Mufce  qui 
sera  dit,  etc.,  se  sont  glissées  sous  la  plume  du  législateur, 
sans  qu'il  eût  le  moins  du  monde  la  conscience  de  ce  qu'il 
écrivait. 

Mais  nous  n'en  sommes  pas  réduits  à  cette  ressource 
désespérée ,  véritable  abdication  de  la  part  de  l'interprète. 
Rappelons-nous  qu'on  vient  de  parler  de  la  preuve  contraire, 
qui  n'est  admise  contre  les  présomptions  légales  absolues 
qu'au  cas  d'une  réserve  expresse  insérée  dans  la  loi  -,  il  est 
assez  naturel  de  voir  dans  les  mots  qui  suivent,  et  qui 
indiquent  grammaticalement  une  restriction ,  quelque  chose 
qui  modifie  la  proposition  précédente.  On  considérerait  dès 
lors  le  serment  et  l'aveu  comme  constituant  un  genre  de 
preuve  contraire  exceptionnel,  qui  pourrait  être  admissible, 
quand  les  antres  ne  le  seraient  pas  :  doctrine  qui  n'est  point 
nouvelle,  puisque  nous  lisons  dans  Mascardus  (De  probat. 
eoncl.  344)  :  Confessio  toUit  prœsumptionem  juris  et  de  jure, 
licet  alia  probatio  non  admituuur.  N'est-il  pas  de  principe ,  en 
effet,  que  le  serment  judiciaire  peut  être  déféré  sur  quelque 
espèce  de  contestation  que  ce  soit  (ibid.^  art.  1358),  que 
l'aveu  judiciaire  fait  pleine  foi  contre  celui  qui  l'a  fait  {ibid.^ 
art.  1386)?  Ces  deux  modes  de  preuves  n'entraînent  aucune 
procédure  compliquée ,  et  ils  n'offrent  aucun  danger  pour  le 
défendeur,  puisqu'ils  remettent  son  sort  entre  ses  mains. 
Enfin ,  par  le  même  motif,  ils  sont  parfaitement  concluants. 


*  n  ne  peut  être  question  du  serment  snpplétoire ,  auquel  ne  s'attache 
pas  la  même  présomption  de  Térité,  puisque  ce  n*est  qu'un  moyen  de 
Yériflcation  supplémentaire  employé  par  le  juge ,  ayec  faculté  pour  lui  e 
ne  pas  y  subordonner  sa  décision.  (N»*  443  et  444.) 


422  PRiSOVPTIONB  LÉGALES 

Il  esl  donc  possible  qu'on  ait  voulu  les  mettre  k  part. 
On  ne  prétend  pas  toutefois,  dans  le  système  que  nous 
admettons,  que  toute  présomplion  légale,  qudie  qu'en  soit 
la  nature,  puisse  être  combattue  par  l'aveu  et  par  le  ser- 
ment. Ce  qu'il  faut  rechercher,  c'est  si  la  loi ,  ra  repoussant 
la  preuve  contraire ,  a  voulu  que  la  question  ne  f&t  pas 
même  agitée,  parce  que  l'ordfe  public  l'exigeait  ainsi,  ce 
qui  a  lieu  incontestablement  pour  l'autorité  de  la  chose 
)Ugée  ;  ou  bien  si  elle  a  voulu  seulement  empêcher  que  le 
résultat  du  procès  ne  pût  contrarier  l'application  de  ses 
règles,  ce  qui  a  lieu  pour  les  prësomptions  d'interposition. 
Quel  but  a-t-on  voulu  atteindre  dans  ce  dermer  cas?  Qu'on 
ne  puisse  éluder  la  défense  d'avantager  un  incapable,  soit  ; 
anais  on  ne  voit  aucun  motif  plausible  pour  empèdier  que  la 
personne  prétendue  interposée  ne  puisse  établir  qu'elle  ne 
l'est  pas  réellement.  Si  le  législateur  interdit  en  général 
cette  preuve ,  craignant  qu'elle  ne  soit  elle-même  l'œuvre  de 
la  fraude,  une  pareille  crainte  cesse  d'être  fondée  quand  la 
personne  prétendue  interposée  interpelle  l'héritier  mémo , 
qui  demande  la  nullité  de  l'avantage,  et  s'en  rapporte  à  sa 
déclaratioD.  N'est-il  pas  évident  que,  lorsque  rhéritier 
refuse  de  jurer  qu'il  estime  l'interpositi^m  véritable,  cette 
déclaration  implicite,  si  désintéressée  de  sa  part,  est  l'ei* 
pression  de  la  vérité  ?  Le  législateur  n'a  ici  aucun  intérêt  à 
empêcher  la  controverse,  puisqu'il  ne  peut  jamais  en  résul- 
t^auoune  atteinte  aux  prohibitions  qu'il  a  établies.  Le  ser- 
ment déféré  dans  les  prescriptions  courtes  \  Ik  où  la  loi 

*  Toutefois,  en  matière  de  prescriptions  courtes ,  les  arrêts  de  cassation 
âo  27  jnlDet  1853  «t  du  7  Boirenibre  1860  décbreiit  ^*il  favt  s'ea  teaiT 
à  la  lettre  de  l'article  2275  du  Code,  lec[U6l,  dérogeant  à  ^ordonnance 
de  1673  (tit.  I",  art.  lO),  n'autorise  que  la  délation  du  serment,  à  Texclu- 
sioii  de  la  conrparution  personnelle  et  de  PinteRogatoîre  sur  fûts  et 
artideB.  A  plus  forte  raison ,  la  Cour  régulatrice  a4-elle  dft  casser  (9  mars 
1868)  des  jugements  du  tribunal  de  Mon^iellier,  qui  admettiieiit  k  preure 
témoins  ou  par  présomptions  de  ï»  recomiaîssaiMe  de  la  d«tte. 


SIC  XATdiRS  cfniK.  423 

déme  l'actû»!  en  justice,  ne  repose  pas  swr  une  aofve  base. 
(CL  m.,  arL  2375;  G.  de  conm.,  art.  188.)  On  ft'a  pas 
voulu  rendre  la  preuve  impossiUe,  comme  ei  ce  ^  fDveiie 
les  prescriptions  ordinaires,  on  a  seulement  présumé  le 
payement  *,  mais  il  est  toujours  permis  d'interpeller  l'adver- 
saire sur  la  réalité  de  ce  payement.  C'est  ainsi  encore  que 
Justinien  (!nstit.,  §  12,  I>efideic.  hœred.)  dit  que  les  fidéi- 
commâs  nuls  en  la  fome  n'entratneront  pas  le  rejet  absolu 
de  la  prétention  de  la  partie  qti  les  infoque,  mm  qu'ils 
pourront  donner  lieu  k  déférer  le  serment  k  l'héritier  '.  La 
réserve  de  l'aveu  et  du  serment  pour  combattre  la  pré- 
somption légale  nous  fonil  encore  mieux  justifiée  quant  \ 
la  remise  de  la  dette.  Quel  danger  y  a-t-il  à  ce  que  le 
créancier  puisse  dé£érar  le  serment  an  débiteur  sur  le 
point  de  savoir  si,  en  lui  remettant  le  titre  origiml  de  la 
créance,  il  a  enteiidi  le  Ubéver  *,  de  même  que  la  Gonr  de 
cassation  admet  (n*  773),  en  matière  de  commerce,  que 
cette  présomption  peut  être  délraite  par  le  lémmfjuge  des 
livres  ?  (Rej.,  18  aoftt  1853.) 

Cette  doctriae  n'est  pas  ssms  doute  à  l'abri  de  tout  re« 
proche.  La  distinction  des  présomptions  qui  entrahient 
l'interdiction  radicale  de  la  preuve  contraire,  et  de  celles 
contre  lesquelles  le  serment  et  l'aveu  sont  admissibles, 
peut  paraître  assez  délicate  *  ;  mais  notre  interprétation  est, 

<  SniTBiit  MM.  Aiibry  et  San,  on  ponrrait  déférer  le  serment  snr  le  fait 
de  Flnterpoeltion ,  mais  an  donateur  seulement,  et  non  aux  hérlfierB  du 
donateur  on  dn  testateur,  parce  que,  dans  ee  dernier  cas,  Tordre  pnMic 
serait  directement  intérevaé.  Hons  ne  comprenons  ftA  cette  distinetlott.  Si 
Potdre  pid>lic  exige  le  maintien  absolu  de  la  présomption  légale ,  c(n%n- 
porte  que  ce  soit  à  l'auteur  de  la  disposition  on  aux  héritiers  qu'on  TeuiDe 
déférer  le  serment P  Si,  an  contraire,  comme  nons  le  pensons,  Perdre  public 
nCexige  point  nécessairement  ce  maintien ,  lorsque  les  intéressés  eux-mêmes 
leconnaissenrt  que  la  présomption  n'est  point  applicable ,  la  distinction  n'est 
point  fondée  dans  l'esprit  de  la  loi  ;  ajoutons  que  le  texte  ne  f^  prête 
guère. 

'  Dans  son  ingénieuse  dissertatSon  sur  la  mauvaise  foi  de  Pacquérenr  en 
matière  de  transcriptions  {Revue  pratique,  tom.  XXX,  p.     37),  notre 


^^  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

après  tout,  raisonnable  en  elle-même,  et  surtout  nous  ne 
voyons  pas  d'autre  moyen  de  donner  un  sens  k  la  disposi- 
tion iSnale  de  Tarticle  1332  '. 


DEUXIÈME  SECTION. 

PRÉSOMPTIONS  LÉGALES  EN  MATIÈRE  CRIMINELLE. 

Sommaire.  —  847.  Épreuves  remplaçant  les  preuves  directes.  —  848.  Dans  raDtiqdtë.  — 
849.  Ordaliet  germaniques.  *-  850.  Leur  abolition.  —  884.  Combat  judiciaire.  —  882. 
Suppression  de  ce  combat.  —  888.  Aujourd'hui,  présomptions  légales  plus  rares  au 
criminel. 

847.  La  croyance  à  Fintervention  journalière  et  immé- 
diate de  la  Divinité  dans  les  événements  humains ,  se  combi- 
nant avec  la  difficulté  d'obtenir  des  preuves  directes  de  la 
culpabilité,  à  une  époque  où  l'administration  et  la  police 
judiciaires  étaient  k  peu  près  nulles,  a  amené  dans  les 
siècles  barbares  l'introduction  de  certaines  épreuves,  plus 
ou  moins  arbitraires ,  d'où  l'on  faisait  dépendre  l'innocence 
ou  la  culpabilité  de  l'accusé. 

848.  On  retrouve  l'appel  au  jugement  de  Dieu  avec  une 
très-grande  extension  chez  les  peuples  orientaux.  De  Ik 
cette  superstition  avait  passé  dans  la  Grèce.  «  Nous  étions 
«  tout  prêts  à  saisir  de  nos  mains  des  fers  rouges  »,  dit, 

coUègue  et  ami  M.  Boissonade,  pour  sootenir,  contrairement  à  Pargoment 
tiré  de  l'article  1071  du  Gode  ciril,  que  le  défaut  de  transcription  peut 
être  suppléé  par  la  connaissance  qu'auraient  eue  de  l'acte  les  tiers  acqué- 
reurs ,  considère  ce  défaut  de  transcription  comme  une  présomption  légale 
d'ignorance  de  l'acte , présomption  susceptible  d'être  combattue,  sniTant 
notre  doctrine ,  au  moyen ,  sinon  de  la  preuve  testimoniale ,  au  moins  de 
l'aTeu  et  du  serment.  Mais  il  nous  semble  que,  lorsque  la  loi  étabUt  des 
registres  publics  pour  établir  la  transmission  des  droits  réels ,  la  foi  de  ces 
registres  est  plus  qu'une  présomption  légale  ;  c'est  une  preuTO  péremptoire, 
instituée  pour  couper  court  à  toute  controverse.  Ainsi  entendu,  l'article  1071 
pose  un  principe  absolu,  bien  conforme  d'ailleurs  à  l'esprit  de  notre 
législation ,  qui  tend  à  préyenir  les  contestations  au  moyen  de  la  preuve 
écrite. 

*  Cette  disposition  finale  a  été  supprimée  dans  l'article  1353  du  Code 
italien. 


EN  MATIÈRE  CRIMINELLE.  425 

daos  YAfUigone  de  Sophocle,  le  garde  du  tombeau  de  Poly- 
nîce  (vers  264),  «  à  passer  par  le  feu,  et  à  prendre  les 
«  dieui  a  témoin  que  nous  n'avions  pas  fait  cette  chose,  que 
«c  nous  n'étions  pas  de  complicité  avec  celui  qui  Fa  méditée 
a  ou  qui  Ta  faite.  »  La  sévère  raison  des  Romains  parait  les 
avoir  mis  k  Tabri  de  ces  superstitions.  On  trouve  bien  k 
Rome  des  légendes,  telles  que  celle  de  la  vestale  qui  prouva 
sa  chasteté  en  attirant  par  sa  ceinture  le  vaisseau  qui  appor- 
tait d'Asie  la  statue  de  la  Bonne  Déuse.  Mais  il  n'existe  k 
notre  connaissance  aucun  fait  officiellement  constaté,  qui 
prouve  que  les  Romains  aient  jamais  fait  usage  de  preuves 
de  cette  nature  dans  la  pratique  judiciaire.  Toutefois,  an 
Bas-Empire,  du  moins  du  temps  de  Michel  Comnène,  la  su- 
perstition avait  repris  son  empire,  et  l'épreuve  du  fer  rouge 
était  en  pleine  vigueur. 

849.  Les  ordalies  (du  mot  allemand  urtheil,  jugement) 
se  sont  singulièrement  multipliées  au  moyen  âge,  sous 
l'influence  des  idées  germaniques.  On  connaît  les  épreuves 
de  l'eau,  du  feu,  du  fer  rouge,  etc.,  par  lesquelles  on  était 
admis  k  se  justifier  des  crimes  les  plus  énormes.  Dans  la 
plupart  de  ces  ordalies,  le  succès  parait  impossible,  et 
cependant  l'histoire  atteste  que  beaucoup  d'accusés  s'en 
sont  tirés  k  leur  honneur.  Il  faut  donc,  ou  bien  croire  k  de 
perpétuels  miracles ,  ou  bien  admettre  que  quelques  pieuses 
supercheries  permettaient  de  se  soustraire  k  un  danger  plus 
grave  en  apparence  qu'en  réalité  ^  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'épreuve  qui  parait  s'être  maintenue  le  plus  tard,  c'est  celle 
du  cercueil ,  dont  on  trouve  encore  des  exemples  au  seizième 

*  n  paraît  résulter  de  récentes  découvertes  qae  certaines  lotions  d'eau, 
d*a1cool  ou  d*éther,  permettent  de  mettre  la  peau  humaine  en  contact  ayec 
les  métaux  en  fasion.  (Voy.  les  séances  de  PAcadémie  des  sciences  du 
7  mai  et  du  29  octobre  1849.)  Or,  on  sait  qu'au  moyen  Age,  Albert  le 
Grand  et  un  médecin  de  Saleme,  nommé  Trotula,  ont  donné  des  recettes 
pour  supporter  sans  danger  l'épreuve  du  feu. 


436  nÉsolirriQtN»  iJtGàhn 

siècle.  Lorsqu'on  n'avait  p»  décoQfcîr  Tauteur  d'un  assaBaî- 
nat,  on  obligeait  tous  ceux  qui  étaient  BoupçeuBés  d'y  avoir 
participé ,  k  venir  toucher  le  corps  de  la  vietioie,  exposé  sur 
un  cercueil.  Si  le  cadavre  était  mia  en  contact  avec  le  nmir- 
trier,  il  devait  laisser  échapper  quelques  gouttes  de  saog. 
Cette  épreuve ,  de  nature  k  agir  vivement  sur  les  inagisa- 
tions,  était  loin  d*6tre  9Uê^  danger  pour  l'inMcence.  La 
cruentation,  qui  parait  en  eiet  s'être  quelquefois  opérée^ 
peut  s'expliquer,  lorsque  la  mctt  est  encore  récente,  par  des 
causes  naturelles,  notaunnent  par  Faction  du  grand  air. 
Dans  les  derniers  temps,  quand  des  doutes  counencèicnt 
k  s'élever  sur  l'origine  du  phénomène ,  on  donna  k  l'épreuve 
un  digne  cooqdément,  la  question  préparatoire  1 

8^.  Lorsque  les  usages  des  conquérants  de  l'Enrape 
moderne  se  furent  un  peu  transformés  par  l'infiaenee  du 
christianisme  et  d'mie  vie  plus  sédentaire ,  ht  pratique  des 
ordalies  fut  régularisée.  Oft  posa  en  principe  qu'elles  ne 
seraient  admises  qu'à  défaut,  soit  de  preuves  ordmaâres, 
soit  de  coujuraioriÊ.  (Voy.  W"  449).  L'Église  les  astreignit  a 
des  fermes  solennettes ,  et  voulut  y  procéder  eik>m«e , 
certains  membres  du  clergé  partageant  la  superstition  pofu- 
laire,  d'autres  considérant  k  direction  des  ordalies  comme 
un  puissant  moyai  d'iaiumice.  C'est  dans  cet  esprit  qfie 
Charlemagne  prescrit  de  ne  point  révoquer  en  dxMie  les 
jugements  de  Dieu,  ut  omms  judkh  Det  eredemt  i^tque  énU- 
uaUme,  (CapiU  i,  ano.  809,  cap.  xx).  A  mesuse  que  l'Église 
acquit  plus  d'autetité  et  que  les  psocédnres  devinrent  ptus 
régulières,  les  épreuves  forent  attaquées  par  fantorilé 
ecclésiastique,  jusqu'à  ce  qu'en  1215,  grâce  auK  efforts 
d'Innocent  IH ,  le  quatrième  concile  de  Latran  défendit  aux 
clercs  de  prêter  leur  mînîstèi^  k  des  aeles  de  eetle  nature. 
En  France ,  les  dernière  monuments  de  l'emploi  judicndre 
des  ordalies  sont  des  arrêts  du  parlement  de  Paris  du 


BU  «A1IÈIIB  cnmfBLUE.  427 

d*'  décembre  i601  et  do  10  août  1644,  anmilnt  des  seiH 
tences  qui  avaient  ofétmné  de  soumettre  k  l'épreave  de  l'eaB 
froide  des  personnes  accusées  de  scfrcellerie  ^ 

851.  De  tontes  les  institutions  jodiciaira»  ds  moyen 
âge,  celle  qui  a  laissé  le  plus  de  traces  dans  les  mœurs  de 
TEurope  moderne,  puisqu'elle  présente  une  extrême  ana- 
logie avec  le  duel,  c'est  le  combat  judiciaire*.  Par  une 
singulière  combinaison  de  l'esprit  guerrier  et  de  l'esprit 
légiste,  cette  épreove  avait  été  revêtue  des  formes  les  plus 
régulières,  le  combat  s'appliquait  systématiquement  k  toutes 
les  phas»  de  la  procédure.  On  se  battait  avec  l'accusé,  on 
se  battait  avec  les  juges ,  quand  on  se  plaignait  de  défaute  de 
droit;  puis,  si  on  avait  vaincu  le  juge  sur  le  rescindant,  il 
fallait  se  battre  de  nouveau  avec  l'adversaire  sur  le  resci- 
soire.  On  combattait  même  avec  les  témoins.  Toutefois 
cenz-ci  pouvaient  éviter  d'engager  leurs  personnes,  en  fai- 
sant la  déclaration  suivante  (Beaumanoir,  chap.  vi,  §  16)  : 
«  Je  ne  me  bée  pas  k  combatre  por  vostre  querele ,  ne  k 
entrer  en  plet  au  mien,  et  se  voz  m'en  volés  delfendre, 
volontiers  dirai  me  vérité.  » 

Le  combat  judiciaire  fut  un  progrès  dans  l'origine-,  il 
domia  des  règles  fixes  aux  guerres  privées ,  qui  étaient  le 
seul  mode  d'administration  de  la  justice  pénale  dans  les 
forêts  de  la  Germanie.  Nous  avons  vu  (n""  43S)  les  Lom- 
bards le  réclamer  a  grands  cris,  pour  remplacer  le  ser- 
ment, qui  était  en  quelque  sorte  l'épreuve  des  làcbes. 


<  En  1815  et  en  1916,  deux  îndiTÎdas  soupçonnés  éPètre  sorciers  forent 
aoumiA,  dans  k  Flandre  belge ,  par  la  populace  à  l'épreoTe  de  Vtm  «t  du 
fen.  Un  fait  semblable  a  en  lien  dans  la  Prusse  orientale  en  1855. 

'  M.  Cancby,  dans  son  livre  Du  duel,  où  il  a  fait  des  recbercbes  aussi 
ooDfcieMÂeues  qu^wppnUsmdlm  sur  Porigîiie  de  oe  déplorable  usage, 
s^attacbe  à  établir  que  le  duel  ne  se  rattache  pas  historiquement  an  combat 
judiciaire,  qui  était  onyert  à  tous,  nobles  ou  yilains,  mais  aux  guerres 
privées,  ^ni  étaient  xéntméa  à  la  noUcase. 


428  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

Montesquieu  (Eiprit  deê  lois,  liv.  XXVIII,  chap.  xyii)  justifie 
cette  institution  d'une  manière  fort  ingénieuse  :  «  La  preuve 
«  par  le  combat  singulier  avait  quelque  raison  fondée  sur 
ce  l'expérience.  Dans  une  nation  uniquement  guerrière,  la 
a  poltronnerie  suppose  d'autres  vices  ^  elle  prouve  qu'on  a 
c(  résisté  k  l'éducation  qu'on  a  reçue ,  et  que  l'on  n'a  pas  été 
((  sensible  ^  Thonneur,  ni  conduit  par  les  principes  qui  ont 
«  gouverné  les  autres  hommes  ^  elle  fait  voir  qu'on  ne  craint 
«  point  leur  mépris,  et  qu'on  ne  fait  point  de  cas  de  leur 
«  estime  :  pour  peu  qu'on  soit  bien  né,  on  n'y  manquera 
«  pas  ordinairement  de  l'adresse  qui  doit  s'allier  avec  la 
(r  force,  ni  de  la  force  qui  doit  concourir  avec  le  courage; 
«  parce  que,  faisant  cas  de  leur  honneur,  on  se  sera,  tonte 
c<  sa  vie,  exercé  a  des  choses  sans  lesquelles  on  ne  peut 
«  l'obtenir.  De  plus,  dans  une  nation  guerrière,  où  la  force, 
((  le  courage  et  la  prouesse  sont  en  honneur,  les  crimes 
((  véritablement  odieux  sont  ceux  qui  naissent  de  la  four- 
<(  berie,  de  la  finesse  et  de  la  ruse,  c'est-k-dire  de  la  pol- 
«  tronnerie.  »  Grotius,  en  se  plaçant  à  un  autre  point  de 
vue ,  a  pris  la  défense  des  législateurs  qui  ont  cru  devoir 
consacrer  cette  singulière  institution  :  «  Il  déplatt  k  quel- 
<(  ques-uns  »,  dit-il  {ProUg,  adhUtoriam  Gothorum,  p.  67), 
«  que  les  différends  douteux  aient  été  décidés  jadis  par  le 
u  duel.  Mais  ce  que  Solon  avait  dit,  qu'il  n'avait  pas  fait  les 
tt  meilleures  lois  absolument,  mais  les  meilleures  que  les 
«  Athéniens  pouvaient  supporter,  on  doit  le  supposer  chez 
c(  les  autres  législateurs.  Or,  ceux-ci  ont  été  forcés  de  per- 
a  mettre  beaucoup  de  mauvaises  choses ,  et  souvent  de 
«  combattre  le  poison  par  le  poison.  Car  c'était  un  moindre 
«  mal  de  combattre  en  duel ,  au  péril  de  la  vie  de  deux 
«  hommes,  surtout  après  qu'ils  avaient  été  sérieusement 
«  exhortés  à  ne  pas  tenter  Dieu  contre  leur  conscience,  et  à 
«  ne  pas  s'en  faire  un  ennemi  par  les  armes ,  que  de  laisser 


EN  MATIÈRE  CRIMINELLE.  429 

c(  lutter  des  familles  entières  et  de  faire  naître  une  guerre 
«  civile.  » 

852.  A  la  différence  des  ordalies  proprement  dites,  qui 
n'étaient  guère  pratiquées  qu'en  matière  criminelle,  le 
combat  judiciaire  s'appliquait  aux  matières  civiles  et  même 
^  la  solution  de  points  de  droit.  Ainsi,  en  Allemagne,  la 
question  de  la  représentation  dans  les  successions,  en  Es- 
pagne ,  celle  du  maintien  du  rit  mozarabique ,  furent  sou- 
mises k  répreuve  du  combat  singulier.  Contraire  k  l'esprit 
du  christianisme ,  le  duel  judiciaire  fut  attaqué  par  l'Église 
beaucoup  plus  tôt  et  avec  beaucoup  plus  d'énergie  que  les 
ordalies,  qui  ne  se  fondaient  point  sur  l'emploi  de  la  force 
matérielle.  Il  fut  combattu  dès  le  cinquième  siècle  par 
Avitus,  évêque  de  Vienne-,  au  neuvième,  Agobard,  arche- 
vêque de  Lyon ,  dédia  à  Louis  le  Débonnaire  un  livre  spé- 
cial :  «  Adversus  legem  Gondobaldi  ^  et  împia  certamina 
tt  quae  per  eam  geruntur.  i»  Enfin,  les  troisième  et  qua- 
trième conciles  de  Latran,  en  1179  et  en  1215,  consacrè- 
rent solennellement  la  réprobation  de  l'Église.  On  sait  qu'en 
France  l'œuvre  de  l'abolition  du  duel  judiciaire,  commencée 
par  saint  Louis,  fut  achevée  dans  le  quatorzième  siècle.  En 
Angleterre,  ce  duel,  aboli  par  Elisabeth,  en  matière  civile, 
dès  1571 ,  n'a  disparu  de  la  législation  criminelle  qu'en  1819. 

85S.  Aujourd'hui  qu'il  ne  peut  plus  être  question  de 
faire  dépendre  ainsi  la  culpabilité  ou  l'innocence  de  circon- 
stances qui  n'ont  aucun  trait,  au  fond  \k  la  réalité  du  délit, 
il  semble  que  les  présomptions,  en  matière  criminelle,  de- 
vraient toujours  être  abandonnées  k  l'appréciation  du  juge. 
Rien  ne  semble  plus  opposé  que  de  pareilles  présomptions 
^  l'essence  de  la  justice  pénale,  qui  ne  doit  pas  frapper  au 

*  n  est  aTéré  tijourd'hiii  que  la  loi  de  Gondeband,  roi  des  Bargondes , 
a,  non  pas  introduit,  comme  l'a  cra  Montesqoien,  mais  seulement  étendn 
rasage  da  oomt>at  judiciaire. 


4dO  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

hasard,  nais  en  parfaite  connaissance  de  caase.  a  An:  ci- 
ce  vil  »,  dit  M.  Mittennaier  (chap.  lui),  «  on  conçoit  que  le 
«  nœad  gordien  soit  ainsi  tranché,  et,  dans  une  sitnalion 
«  délicate^  il  vaut  mieux  peufi-étre  prendre  pour  guide  les 
c  analogies  et  F  expérience  quotidienne  de  la  vie;  maïs  il 
((  n'en  saurait  être  ainsi  en  procès  criminel...  La  loi  voulant 
tt  ici  la  manifestation  de  la  vérité  absolue,  n'a  pas  pu 
«  astreindre  le  juge  k  prendre  pour  base  obligatoire,  du 
«  moment  qu'ils  existent,  tels  ou  tels  faits  sonvait  équi- 
<(  voques,  auxquels  d'ailleurs,  en  raison  de  la  multiplicité 
«  infinie  des  incidents  si  complexes  de  la  vie  humaine,  ap- 
tt  pliquer  une  mesure  toujours  fixe  serait  agir  par  voie  d'ar- 
ec bitraire-,  décider  que  ces  faits  préétablis  prouveraient 
ce  nécessairement  l'existence  du  fiât  principal,  c'eût  été 
ce  ériger  en  certitude  des  probabilités  hiea  souvent  trom- 
«  penses.  » 

Il  ne  faudrait  cepaidant  point  conclure  de  ces  observa- 
tions que  les  présomptions  légales  répugnent  d'une  manière 
absolue  au  caractère  de  la  justice  pénale.  Seulement,  le 
législateur  ne  doit  introduire  qu'avec  une  certaine  réserve 
des  présomptions  propres  au  droit  criminel.  D'autre  part, 
j  toujours  d'après  les  mêmes  motifs,  les  présomptions  du 
droit  commun  ne  doivent  pas  être  appliquées  dans  toute 
leur  rigueur  aux  matières  criminelles.  Voilk  les  deux  points 
que  nous  avons  à  traiter. 

s  I.  FBAsoMPnoas  fbopabb  ad  skoit  fAsal. 


SoHMAiRE.  —  854.  Daos  quelles  limites  la  présomption  légale  est  admissible  an  crimineL 
-*859.  Présomption  d'intintieide  établie  par  l'édit  de  4566.  —  856.  Présomptions  de 
Tol  dans  l'ancien  et  dans  le  nouTeaa  drolL  —  857.  IndncUoA  tirée  de  k  fuite.  —  sss.  De 
la  présomption  de  dol. 

8S4.  Souvent  la  loi  pénale  conclut,  à  priori,  de  l'exis- 
tence de  certains  faits  qui  rendent  le  délit  vraisemblable , 
k  l'existence  même  du  délit.  Mais  la  légitimité  d'une  pré- 


EN  MÀTlàRB  CHIIIIKSLLE.  431 

somptÎM  mam  gnrve  est  snbordoiniée  k  deàx  conditions  : 
i*  que  le  fiiH  constaté  emporte  certitude  morale  du  fait  in- 
criminé par  la  loi  -,  2^  que  le  fait  constaté  soit  lui-même  im- 
patabk.  Ces  deux  eonâîtioDs  se  trouvent  réanies  dans  le 
ca»  préni  par  l'article  64  du  Code  pénal ,  qui  punit ,  comme 
complices  des  malfaiteurs  exerçant  des  violences  contre  la 
paix  publique ,  ceux  qui ,  cimnaiasant  leur  conduite  crimi- 
nelle ,  leur  fournissent  habituellement  une  retraite.  Le  fait 
de  loger  habitndlem^t  les  maHaiteurs  rend  éminemment 
vraâsemblable  une  coupable  association.  Ce  feit  est  parfaite- 
ment imputable;  la  loi,  en  le  frappant,  ne  fait  qu'aggraver 
la  pénalité  d'un  acte  déjk  répréhensible  en  lui-même.  C'est 
Ik  de  la  rigueur  peut-être ,  mais  ce  n'est  pas  de  l'iniquité. 
On  peut  justifiar  de  même  la  disposition  du  Code  pénal  mi- 
litaire de  1857  (  art.  â03 ,  Âi") ,  punissant  comme  coupable 
de  trahison  tout  militaire  qui ,  en  présence  de  l'ennemi , 
provoque  la  fuite  ou  empêche  le  ralliemrat.  La  vraisem- 
blance d'une  intelligence  crîmineUe  avec  l'ennemi  justifie 
rap{dication  de  la  peine  capitale  k  un  fait  qui ,  par  lui-même, 
est  déjk  d'une  extrtoe  gravité. 

8K&  n  est  plus  difficile  de  justifier  la  présomption  lé- 
gale d'infanticide  établie  par  notre  ancien  droit  k  raison  du 
seul  fait  de  recel  de  la  grossesse.  Un  édit  de  Henri  II ,  de 
février  1556,  renouvelé  par  des  ordonnances  postérieures 
et  publié  tous  les  trois  mois  aux  prênes  des  paroisses,  ré- 
potait  avoir  homicide  son  en&nt,  et  punissait  de  mort 
«  toute  femme  qui  se  trouvait  convaincue  d'avoir  celé,  cou- 
ce  vert  ^  occulté  tant  sa  grossesse  que  son  enfantement... 
«  et  qu'après  l'enfant  se  trouvât  avoir  été  privé  du  baptême 
«  et  sépulture.  »  Cette  présomption  de  meurtre ,  attachée  k 
une  simple  omission,  qu'excusait  souvent  la  pudeur,  avait 
été  introduite  en  Angleterre  par  Jacques  I"  (stat.  21 , 
chap.  xxvii)-,  elle  ne  se  retrouve  plus  dans  nos  lois  mo- 


432  .PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

dernes,  et  a  été  également  abolie  en  Angleterre  par  suite 
de  radoucissement  des  mœurs.  (Slat.  43  de  Georges  III, 
chap.  Lviii.  ) 

8S6.  Il  7  aurait,  k  plus  forte  raison,  injustice  flagrante 
k  réputer  complice  d'un  vol  celui  chez  qui  l'objet  volé  serait 
trouvé ,  ainsi  qu'on  le  faisait  k  Rome  pour  la  réparation  civile 
du  délit.  Notre  ancienne  jurisprudence  pénale  allait  plus 
loin ,  puisqu'elle  voyait  dans  cette  circonstance  une  preuve 
suffisante  pour  justifier  remploi  de  la  torture.  Furtum  prm^ 
sumitur,  dit  Mascardus  {De  probat.,  conc.  834) ^  connnissum 
ab  illo,  pênes  quem  resjurata  inventa  Juerit,  adeo  tU,  si  non  do- 
cuerit  a  quo  rem  habuerit,  juste,  ex  iUa  inventione,  poterit  sub- 
jidtormentis.  Présumer  la  culpabilité,  k  raison  de  circon- 
stances qui  peuvent  n'être  que  fortuites,  c'est  Ik  une 
marche  grossière»  appartenant  k  l'enfance  du  droit  pénal. 
Elle  est  réprouvée  par  la  jurisprudence  anglaise,  où  depuis 
longtemps  sir  Math.  Haie  a  fait  prévaloir  ce  principe  qu'il 
ne  faut  jamais  condamner  nn  homme  pour  vol  d'eflets,  par 
cela  seul  qu'il  n'explique  pas  comment  ces  effets  sont  en  sa 
possession.  M.  Wills  (Circumstantial  évidence,  chap.  m, 
sect.  4)  cite  plusieurs  exemples  de  condamnations  pour 
vol,  k  raison  de  la  possession  d'objets  volés,  prononcées 
contre  des  personnes  dont  l'innocence  a  été  ensuite  recon- 
nue. Nos  lois  suivent  cependant  encore  cette  mardie ,  lors- 
qu'elles punissent  sévèrement  le  mendiant  ou  vagabond  qui, 
porteur  d'effets  d'une  valeur  supérieure  k  cent  francs ,  ne 
peut  justifier  d'où  ils  lui  proviennent  (C.  pén.,  art.  278)*, 
mais  c'est  Ik  une  disposition  exceptionnelle,  qui  ne  s'ex- 
plique que  par  la  défaveur  de  l'inculpé.  On  peut  critiquer 
avec  plus  de  justice  les  statuts  anglais  (2,  Georg.  IV,  et 
1,  Guill.  IV,  chap.  lxvi)  qui  présument  la  culpabilité  du 
porteur  d'un  billet  de  banque  faux,  et  mettent  k  sa  chaîne 
la  preuve  de  la  bonne  foi. 


EN  MATIÈBE  GRIMINELLB.  43? 

857.  Un  indice  beaucoup  moins  grave  encore  que  la 
possession  d'objets  suspects ,  c'est  la  fuite  de  l'accusé.  Que 
d*esprits  timides  reculent  devant  la  crainte  d'une  accusa- 
tion, même  injuste!  On  ne  saurait  donc  trop  réprouver  la 
disposition  du  droit  commun  anglais ,  abrogée  seulement  de 
nos  jours,  qui,  dans  les  cas  de  trahison,  de  félonie  on 
même  de  petit  larcin ,  prononçait  la  confiscation  des  biens 
mobiliers 'de  celui  qui  avait  pris  la  fuite.  (Blackstone, 
liv.  IV,  chap.  xiix.)  (C'est  bien  Ik  un  indice  éloigné  (voy. 
pag.  406  et  suiv.,  la  classification  des  indices),  qu'il  est 
éminemment  inique  de  convertir  en  présomption  légale. 

858.  Une  question  fort  débattue  en  cette  matière  est 
celle  qui  consiste  k  savoir  si  l'on  doit  présumer  l'intention 
criminelle  à  raison  de  la  nature  de  Tacte ,  qui  serait  inex- 
plicable s'il  n'avait  pas  un  but  illicite.  Nous  l'avions  pensé 
d'abord,  et  l'on  trouve,  en  effet,  là  présomption  de  dol 
contre  celui  qui  a  commis  un  acte  illicite ,  érigée  en  principe 
par  l'ancienne  législation  bavaroise  :  «  Toute  action  crimi- 
nelle »,  disait  l'article  13  du  Code  pénal  de  Bavière,  a  sera 
«  légalement  présumée  commise  avec  une  volonté  crimi- 
<c  nelle ,  k  moins  que  la  certitude  ou  la  vraisemblance  du 
«r  contraire  ne  résulte  des  circonstances  particulières  de  la 
«  cause.  »  Tel  est  aussi  le  droit  commun  en  Angleterre  et 
en  Amérique  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  43)  \  Nous  li- 
sons également  dans  M.  Rossi  (Droit  pénal,  chap.  xxiv)  que 
certains  faits ,  sauf  le  cas  de  folie,  qu'il  faudrait  démontrer, 
impliquent  par  eux-mêmes  une  intention  criminelle,  re$ 
ipsa  in  se  dolum  habet,  suivant  l'expression  de  nos  anciens 
auteurs.  Ainsi ,  celui  qui  substitue  dix  mille  francs  à  mille 
francs  sur  le  billet  dont  il  est  porteur,  aurait  mauvaise 

■  Yoyeztoutefois,  même  page,  not.  2,  les  motifs  donnés,  avec  une  grande 
fbrce  de  raison,  oomm»  le  reconnaît  M.  Greenleaf,  en  lisTeur  de  TopiDion 
contraire. 

n.  » 


iSè  PEÉ80HPTI0NS  LÉGALES 

gr&ce  k  sommer  raecusartion  «de  hû  piovver  qu'il  a  agi  arec 
une  intentioD  crimÎBelle  *,  tandis  qoe  le  pfaannacien  qm  a 
fourni  une  sabstanee  vénéneuse,  pouvant  étie  de  bonne  foî^ 
ne  saurait  être  cendaucé  comme  cenplice  d'empoisonné-- 
ment,  tuai  que  son  întenlion  eou][Mèie  n'est  point  établie. 
Les  considérants  d'un  arrêt  de  cassatiou,  du  14  avril  1827, 
portent  également  que  «  si  les  faits  sont  de  telle  nature 
<c  qu'ils  supposent  nécessairement  de  la  oaâavaise  foi  de  la 
a  part  de  celui  qui  les  a  conunis,  le  jury  n'a  pas  besoin  de 
((  dédarer  que  Faccusé  est  eo^^dde  de  ces  faits  -,  il  suffit 
((  qu'il  déclare  que  les  fiiits  sont  constants.  » 

Mais  il  m>us  semble  in^[K)ssible  de  voir,  dans  aucune  des 
circonstances  de  pareiUe  nature,  quelque  défavorables 
qu'elles  soient  k  l'accusé ,  une  véritable  présomption  légale. 
Aucun  te&te  ne  consacre  chez  nous  cette  présomption  de 
dol ,  et  en  matière  pénale  »  plus  encoie  qu'en  matière  civile, 
il  ne  peut  y  avoir  de  présomption  légale  m.  l'absence  d'une 
loi  ipédcUe  qui  le  décide.  (C.  civ.,  art.  1350.)  Déplus  »  pair 
la  nature  même  des  choses,  l'inductien  qui  rattacbe  certains 
actes  k  une  volonl^  coupable ,  est  une  appréciation  pour  la- 
quelle les  magistrats  et  les  jurés  ont. un  pouvoir  discré* 
tionnaire,  et  il  n'est  pas  possible  de  déterminer  à  prîm  les 
actes  qui  doivent ,  ou  non ,  emporter  présomption  de  dol.  Le 
caractère  de  l'acte  incriminé  emporte  une  pore  présomption 
de  fait,  dont  la  force  varie  k  l'infiin,  et,  k  part  même  la 
folie,  telle  ou  telle  circonstance,  tel  ou  tel  état  moral  de 
l'accusé  peut,  en  définitive,  donner  une  explication  satis- 
faisante de  ce  qui ,  au  premier  abord ,  paraissait  najturelle- 
ment  criminel.  Ce  n'est  point  Ik  d'ailleurs  une  querelle  de 
mots.  S'il  s'agissait  d'une  présomption  légale,  l'accusé 
serait  obligé,  pour  la  faire  tomber,  d'établir  d'une  manière 
péremptûire  la  pureté  de  ses  intentions'.  Chr,  une  pareille 

1  C'est  ce  qu'a  senti  rarticle  précité  de  l'ancien  Code  pénal  de  Bavière', 


EK  MAnÈitt  «cnmufELM.  43S 

obligation  répvgiie  aux  principes  snr  la  preuve  en  droit 
pénal  (n*  ^  et  98),  d'après  lesquels  il  suffit  k  l'accusé  de 
faire  naître  le  doate  dans  resjMrit  de  ceux  qui  s(»it  appelés 
\  prononcer  sv  son  sort.  Gomme  le  dit  élégamment  H.  Mit- 
termaier  (diap.  Kvn) ,  s'il  y  a  là  une  exception  de  la  part  de 
Taccusé,  c'est  une  exception  analogue  k  l'exception  non  tm- 
mercaœ  fecuvàw,  c'est-k-dire  qui  rejette  sur  l'accusation  le 
fardeau  de  la  freaw. 

s 

i  2.  pwâftosrnoiis  mv  bboit  cohqk. 

So]aiAilu&.  —  SSfl.  Avec  quel  tesafiéiuneni  on  doit  JU[>pU4aer  ces  psësoii\ptions  ob  nutiâit 

pénale. 

859.  Lorsque  la  loi  civile  conclut^  de  certains  poÂnIs 
connus,  k  reiistence  d'autres  points  qui  sont  inconnus ,  par 
exemple,  du  iait  que  l'enlant  a  été  conçu  pendant  le  ma- 
riage ,  à  la  paternité  du  mari  -,  ou  bien ,  en  sens  .inverse , 
lorsqu'elle  présuppose  la  non-existence  de  certains  faits ,  en 
défendant  de  les  constater ,  comme  eUe  le  fait  po«r  la  pa- 
ternité naturelle  et  pour  la  filiation  incestueuse  ou  adulté- 
rine, ces  dispositions  exorbitantes  doivent- elles,  .en  toute 
hypothèse,  être  appliquées  devant  les  juridictions  erÎMÂ- 
nelles?  Ou  |^ut  invoquer,  en  faveur  de  l'affirmative ,  le 
principe,  codustant  avyourd'bui  dans  la  jurisprudence  de  kt 
Cour  de  cassaiioQ.,  et  d'ailleurs  parfaitement  raisimnabla, 
que  les  règles  sur  la  preuve  doivent  être  partout  les  .mêmes. 
C'est  ainsi  que  la  preuve  testimoniale  n'est  pas  plus  adaés» 
sible  devant  un  tribunal  correctionnel  que  devant  un  tribu- 
nal civil ,  lorsqu'il  s'agit  de  constater  un  dépôt  ou  un  man- 
dat relatif  à  une  valeur  de  plus  de  cent  «cinquante  franca. 
Dès  lors^  dira-t-on,  lorsque.,  déterminé  par  des  motifs 
d'ordre  supérieur,  le  législateur  nous  ordonne  de  x^roûre 

qui  parle  de  ceitftade  on  de  vraisemblance ,  quant  à  la  preuve  de  la  non* 
cnlpabîlilé. 

28. 


436  PRÉSOMPTIONS  LÉGALES 

cerlaÎDS  faits ,  et  nous  défend  d*en  rechercher  certains 
autres,  il  n'a  pas  en  vue  telle  ou  telle  application  particulière, 
mais  les  débats  judiciaires  en  général.  Nous  sommes  loin  de 
contester  le  principe  que  les  règles  de  la  loi  civile  sur  la  preuve 
sont  communes  k  toutes  les  juridictions,  et  c'est  en  vertu 
même  de  ce  principe  que  nous  admettons,  en  thèse  générale, 
même  au  criminel,  la  foi  qui  s'attache  aux  écrits  en  bonne 
forme.  Mais,  il  faut  en  convenir,  les  présomptions  légales, 
reposant  sur  une  supposition  préconçue,  sont  toujours  plus 
ou  moins  arbitraires,  et  ne  font  pas  naître  dans  Tesprit  du 
juge  la  même  conviction  que  les  preuves  proprement  dites. 
Or ,  peut-on  se  contenter  au  criminel  d'une  conviction  im- 
parfaite, fondée  sur  des  considérations  générales,  et  non 
sur  les  éléments  de  la  cause,  du  moins  lorsqu'il  s'agit  de 
condamner?  Dès  lors ,  une  distinction  ne  devient-elle  pas 
nécessaire? 

Toutes  les  fois  que  la  présomption  légale  sera  favorable 
à  l'accusé,  quand,  par  exemple,  une  recherche  prohibée 
par  le  droit  civil  tendra  à  lui  faire  encourir  une  peine  plusi 
rigoureuse,  comme  si  on  voulait  établir  que  celui  qui  a 
commis  un  simple  meurtre  était  le  fils  naturel  de  sa  vic- 
time, afin  de  faire  prononcer  contre  lui  la  peine  du  parri- 
cide, au  lieu  de  celle  des  travaux  forcés  k  perpétuité  (C. 
pén.,  art.  299,  302  et  304),  nul  doute  qu'une  pareille  pré- 
tention ne  dût  être  repoussée.  Ce  n'est  pas  pour  créer  en 
dehors  du  systènîe  de  la  loi  civile  des  crimes  et  des  cou- 
pables qu'il  convient  de  s'écarter  de  la  marche  ordinaire, 
et  d'en  revenir  k  des  investigations  dont  le  législateur  a 
supposé,  à  tort  ou  k  raison,  que  l'incertitude  égalait  le 
scandale.  Mais  les  choses  se  présentent  sous  une  tout  autre 
fece,  si  c'est  contre  l'accusé  que  milite  la  présomption  lé- 
gale, et  que  l'instruction  révèle  des  circonstances  de  nature 
a  faire  moralement  disparaître  cette  présomption ,  bien  que 


EN  MATIÈRB   CHIMINELLE.  437 

Ton  ne  soit  pas  dans  ane  hypothèse  où  la  preuve  contraire 
est  admise.  Ainsi ,  supposons  que  te  meurtre  dont  nous  par- 
lons ait  été  commis  sur  le  mari  de  la  mère  de  l'accusé ,  pré- 
sumé son  père  en  vertu  de  l'article  312  du  Code  civil.  On 
peut  ne  se  trouver  dans  aucun  des  cas  de  désaveu ,  l'accusé 
n'a  point  qualité  pour  attaquer  lui-même  sa  légitimité ,  enGn 
les  délais  seront  presque  toujours  expirés.  Mais  la  conduite 
et  la  position  de  la  mère  ne  peuvent-elles  pas  être  telles 
qu'il  soit  moralement  certain  que  l'enfant  n'appartient  pas 
au  mari?  N'est-il  pas  possible  que  la  cause  même  de  la 
haine  qui  existait  entre  l'enfant  et  son  père  putatif,  tienne 
à  la  notoriété  d'une  filiation  adultérine?  Dans  une  législation 
qui ,  comme  la  ndtre ,  rend  le  désaveu  fort  difficile ,  le  vice 
d'adultérinité  peut  trop  souvent  être  flagrant,  bien  qu'il  ne 
soit  pas  permis  de  le  constater.  (Comp.  Rej.,  23  mars 
1853.)  Mais  si,  dans  l'ordre  civil,  un  désir,  peut-être  exagéré, 
d'assurer  le  repos  des  familles  et  d'étouffer  le  scandale,  a 
fait  adopter  des  dispositions  singulièrement  restrictives  en 
matière  de  désaveu ,  il  faut  convenir  que  transporter  aveu- 
glément ce  système  dans  les  questions  criminelles  afin  de 
créer  un  parricide  fictif,  ce  serait  revenir  par  une  autre  voie 
^  l'ancienne  théorie  des  preuves  légales,  dans  ce  qu'elle 
avait  de  plus  déplorable. 

Nous  pensons  donc,  quelque  hasardée  que  puisse  paraître 
notre  opinion ,  et  en  convenant  qu'il  ne  faudra  l'appliquer 
qu'avec  une  extrême  réserve,  que  les  présomptions  légales, 
lorsque  l'existence  d'un  des  éléments  du  délit  ne  reposera 
que  sur  elles,  ne  seront  jamais  contre  l'accusé  des  présomp- 
tions absolues ,  et  qu'il  sera  toujours  reçu  ex  magna  et  proboh 
bili  causa  k  administrer  la  preuve  contraire.  Il  ne  s'agira  pas, 
après  tout ,  de  détruire  complètement  la  présomption  de  la 
loi ,  mais  seulement  de  faire  naître  des  doutes  assez  graves 
pour  qu'il  ne  soit  plus  moralement  possible  de  condamner. 


436  AOioiisÉ 

Oa  ae  doit ,  îi  fout  en  eoaTenîr,  s'écarter  q«'k  la  dernière 
extrémité  du  principe  qui  met  en  kusmouie  la  loi  cÎTÎle  et 
ia  loi  criminelle  sou»  le  rapport  de  la  [ureuye  ;  mais ,  quel- 
que fîkcheux  que  soit  ce  désaccord ,  il  serait  bien  aatrement 
déplorable  de  Taire  tomber  une  tête  en  vertu  d'une  ficiîon 
légale. 

TROISIÈME  SECTION. 

AUTORITÉ  DE  LA  CHOSE  JUGÉE.  \ 

SOMSAIBE.  —  860.  Importance  de  cette  prèsomptioD.  Quelle  en  est  h  portée.  ~  m. 
Quand  il  y  a  chose  jugée.  —  862.  Quels  Jugements  peuvent  avoir  celte  autorité.  —  863. 
DisUnctioQ  dn  dispositif  et  des  motlCB.  —  864.  Eiq>oser  le  sujet  fiommairemfsit. 

860.  Une  présomption  légale  qui  est  le  principe  fonda- 
mental de  la  jurisprudence ,  c'est  celle  qui  fait  considérer 
les  jugements  comme  la  vérité  même.  Le  plus  bel  hommage 
qui  ait  jamais  été  rendu  à  cette  règle  salutaire ,  c'est  ia  mort 
de  Socrate,  aimant  mieux  subir  une  condamnation  injuste 
que  de  donner  le  funeste  exemple  de  la  désobéissance  aux 
lois  de  son  pays. 

Une  fois  qu'une  décision  judiciaire  a  acquis  l'autorité 
irréfragable  de  la  chose  jugée,  on  n'est  plus  recevable  & 
invoquer  contre  elle  les  moyens  de  nullité  les  plus  péremp- 
toires  :  nous  ne  connaissons  point,  comme  les  Romains  {Quœ 
sententiœ  $ine  appellaUone  rescindantur)^  de  jugements  nuls  de 
plein  droit.  Tel  est  le  sens  de  l'adage  coutumier  (Loysel, 
liv.  Y,  tit.  II,  n*^  5)  :  Voies  de  nuLLité  n'ont  point  de  Ueu,  en 
France, 

On  s'était  cependant  demandé  autrefois  si  le  principe  de 
l'autorité  jugée  devait  prévaloir  sur  celui  de  l'inaliénabilité 
du  domaine  de  l'État. La  loi  du  {"décembre  1790  (art.  13} 

1  Pour  revoir  et  compléter  notre  tnvail,  n»m  aTon&  mis  à  praft 
PexceUente  monographie,  couronnée  à  Paris  et  à  Toulouse,  qu^a  publiée 
en*  1868  M.  Griolet  :  De  Vautorité  de  la  chose  jugée  en  matière  ^vUe  et 
mi  matière  crimineUe. 


DE  LÀ  GBMB  JUGÉE.  439 

a  4écii£  netteneiil  l'affirmative.  Àmei  que  le  dk  la  Cmt  de 
cassation  (Rej.,  6  décembre  1864),  il  est  ispossiUe  de  coo- 
fiidérer  comae  une  aliénation  la  reconnaissaDeei,  après  débat, 
d'un  droit  eontesté.  Il  e»  secait  de  même,  à  plus  favte  rai- 
iion,  quant  k  rinaliënabilité  d|U  fends  dotal,  qui  ne  louche 
que  des  intérto  privés. 

.  Ainsi,  quelque  respectable  que  soit  un  principe  de  droit, 
il  ne  saunûi  prévabÎT  sur  Tautorité  de  la  chose  jugée.  Une 
incompétence,  même  radicale,  ne  savait  faire  toaiber  un 
jugenest  deyemi  mattaquabte ,  ainsi  qu'on  l'a  décidé  (Rej. , 
29  janvier  1861  )  relativement  k  un  juganent  français  qui 
avait  statué  sur  l'état  dhm  étranger. 

Mais  il  est  des  taules  que  l'autorité  judiciaire,  dans  toute 
la  plénitude  de  ara  action,  ne  saurait  être  admise  k  dépasser  : 
ee  sont  celles  qui  séparent  le  pouvoir  judiciaire  du  pouvoir 
admiiiistratif.  Si  la  juridiction  civile  a  rendu  une  décision 
sur  des  points  réservés  par  la  loi  k  la  juridiction  administra- 
tive, on  Be  sauvait  considérer  cette  dernière  juridiction 
comme  dessaisie ,  par  cela  seul  qu'elle  n'aurait  pas  soulevé 
le  conflit  et  qu'elle  aurait  même  laissé  la  décision  du 
tribunal  civil  acquérir  force  de  chose  jugée.  La  Cour  de 
cassation  a  recomm,  en  pareille  hypothèse  (Gass., 
28  décembre  1835  et  29  janvier  1839)  qu'il  y  a  Ik  une 
incompéteiice  absokie  et  d'ordre  public,  que  ne  saurait 
couvrir  l'autorité  même  de  la  chose  jugée. 

Que  faudrait-il  décider  si  nous  allions  jusqu'k  supposer 
que  la  Cour  de  cassation ,  au  lieu  d'appliquer  elle-même  ces 
principes^  voidût  faire  {M^valoir  la  décision  judKdaire  sur  la 
décision  adinmstrative,  soit  en  s^attachant  k  la  force  de  la 
chose  jugée,  soit,  plus  généralemeni,  ai  méconnaissant 
d'une  nonière  quelcraqne  la  prépondérance  de  l'autorité 
«dmisistrative?  La  question  a  été  prévue  dès  l'origine  de 
la  nouvelle  oiganisatian  des  pouv(Hrs,  établie  en  1790i 


440  ADTORITÉ 

L'élément  politique  contrôlé  par  le  pouvoir  législatif,  doit 
l'emporter  sur  l'élément  traditionnel. 

fc  Les  réclamations  d'incompétence  k  l'égard  des  corps 
«  administratifs  »,  dit  la  loi  du  14  octobre  1790,  «c  ne  sont 
ft  en  aucun  cas  du  ressort  des  tribunaux  ;  elles  seront  por- 
«  tées  au  Roi,  cbef  de  l'administration  générale  \  et  dans  le 
«  cas  où  l'on  prétendrait  que  les  ministres  de  Sa  Majesté 
«  auraient  fait  rendre  une  décision  contraire  aux  lois,  les 
«  plaintes  seront  adressées  au  corps  législatif.  » 

861.  Dans  le  sens  usuel  de  la  procédure,  un  jugement 
a  l'autorité  de  la  chose  jugée,  c'est-à-dire  est  exécutoire, 
tant  vis-à-vis  des  parties  que  vi&-à-vis  des  tiers  (C.  de  proc., 
art.  548),  lorsqu'il  a  été  rendu  en  dernier  ressort,  ou  lors- 
qu'on a  laissé  expirer  les  délais  pour  l'attaquer  par  les  voies 
ordinaires  (l'opposition  et  l'appel).  C'est  en  ce  sens  que 
Pothier  (06%.,  n''  852  et  suiv.)  envisage ,  même  au  point  de 
vue  de  la  présomption  légale  qui  s'y  rattache,  l'autorité  de 
la  chose  jugée.  Mais  cette  manière  de  voir  n'est  pas  bien 
exacte  :  autre  chose  est  le  point  de  vue  de  la  procédure, 
autre  chose  est  le  point  de  vue  du  pur  droit  civil.  Quand  on 
examine  s'il  y  a  chose  jugée,  en  se  préoccupant,  avec  le  droit 
civil,  de  la  foi  qui  s'attache  au  jugement,  on  ne  se  demande 
pas  s'il  est  exécutoire,  mais  s'il  emporte,  comme  le  dit 
Pothier  lui-même  (t6id.,  n""  850),  une  présomption /tir»  et  de 
jure.  Or,  cette  présomption  n'existe  qu'autant  que  le  jugement 
se  trouve,  non-seulement  muni  de  l'autorité  de  la  chose 
jugée,  suivant  les  principes  de  la  procédure,  mais  k  l'abri 
de  tout  mode  de  recours,  même  extraordinaire.  Que  si  l'on 
veut  entendre  par  chose  jugée  l'autorité  provisoire  qui  s'at- 
tache k  un  jugement,  même  susceptible  d'être  attaqué,  il 
n'y  a  pas  de  raison  pour  distinguer  ici  entre  les  voies  ordi- 
naires et  les  voies  extraordinaires,  et  il  faut  dire,  avec  les 
jurisconsultes  romains,  que  tout  jugement,  dès  qu'il  est 


DE  Lk  CH08E  JUGÉE.  441 

rendu,  a  rautorité  de  la  chose  jugée.  Post  rem  judicatam, 
dit  Ulpien  (L.  7,  D.,  De  traruact.)^  tranModio  valet,  zi  vel 
dppellatio  ifUervenerit,  vel  appellare  potuerU.  Ce  n'est  que  le 
droit  canonique,  comme  le  fait  observer  Savigny  (Traité  du 
droit  romain,  §  265),  qui  a  donné  au  mot  autorité  de  chose 
jugée  le  sens  qu'il  a  reçu  dans  la  procédure  moderne.  Au 
surplus,  cette  distinction  n'a  qu'un  intérêt  purement  doc- 
trinal ,  puisque  l'on  est  d'accord  sur  les  résultats  pratiques. 

Une  observation  beaucoup  plus  importante,  c'est  qu'il  ne 
pent  jamais  y  avoir  chose  jugée  sur  la  question  de  droit  pré- 
sentée d'une  manière  abstraite  et  indépendamment  de  l'es- 
pèce sur  laquelle  a  statué  le  juge.  En  dehors  du  litige  tran- 
ché par  la  décision  judiciaire,  la  solution  de  droit  n'a  qu'une 
autorité  purement  morale  *,  elle  ne  saurait  avoir  dans  une 
autre  affaire  vim  sententiœ.  Ainsi,  la  Cour  de  cassation  a 
reconnu,  le  27  juillet  1858,  que  le  rejet  d'un  moyen  de 
nullité  opposé  b  une  citation  ne  saurait  avoir  force  de  chose 
jugée  relativement  au  même  moyen  proposé  contre  un  com- 
mandement. (Yoy.  n*  897.)  Cela  est  vrai,  même  des  arrêts 
rendus,  toutes  sections  réunies,  par  la  Cour  de  cassation, 
aux  termes  de  la  loi  du  1"  avril  1837  ;  ces  arrêts  n'ont  auto- 
rité que  dans  l'espèce  pour  laquelle  ils  ont  été  rendus.  En 
dehors  de  l'espèce ,  ils  ne  lient  aucune  juridiction ,  pas  même 
celle  d'où  ils  émanent.  Leur  valeur,  purement  doctrinale,  est 
fondée,  comme  le  disait  M.  Dupin,  non  ratione  imperii,  eed 
rationii  impeario. 

862.  Nous  avons  maintenant  à  nous  demander  quels  sont 
les  jugements  auxquels  peut  appartenir  l'autorité  de  la  chose 
jngée. 

Et  d'abord,  il  ne  saurait  y  avoir  autorité  de  chose  jugée 
qu'autant  qu'il  y  a  jugement  proprement  dit ,  c'est-a-dire 
décision  du  juge  en  matière  contentieuse.  Les  actes  de  juri- 
diction gracieuse  ne  sont  point  .de  vrais  jugements ,  mais 


44S  AUiQurÉ 

des  contrat» revêtus  de  formes  juâkiaires.  Ainsi,  Tarrét  qn 
autorise  défimtiTemait  une  adoption  (C.  cit.,  art.  357, 359) 
n'a  d'antre  effet  que  de  permettre  k  Vofficier  civil  de  receTohr 
acte  da  consentement  des  parties  ;  il  bisse  intacte  an  inté- 
ressés la  facnhé  de  faire  Taloir  tons  moyens  de  Eût  et  de 
droit  contre  la  validité  de  Tadoption.  (Gass.,  13  mai  1868). 
De  même,  nn  jugement  iPeoepédiem,  c'est-à-dire  qui  komo- 
logue  «ne  transaction  enlre  les  plaideurs,  a  bien  l'autorité 
de  la  convention ,  mais  non  pas  celle  de  la  cbose  jngée.  Et 
ce  n'est  point  là  une  question  de  mois,  puisque  les  conven- 
tions ne  sont  point  susceptibles  d'être  attaqnées  de  la  même 
manière  et  dans  la  même  forme  q«e  les  ji^menls.  De 
même ,  on  ne  saurait  attribuer  l'autorité  de  la  chose  jugée 
à  un  jugement  rendu  sur  reqnête ,  comme  celui  qui  ordonne 
l'envoi  en  possession  des  biens  d'us  absent  (Golmar,  18  jan- 
vier 18^)  ^  ce  n'est  point  par  «ne  voie  de  recours  ^  c'est  par 
action  directe  qu'il  y  a  lieu  d'attaquer  mi  pareil  jugement. 
A  plus  forte  raison  ne  samait-on  reconnaître  une  autorité, 
eiduant  tout  recours  pour  cause  d'empiétement  illégal» 
a  la  simple  autorisation  que  reçoit  de  la  justice  un  offider 
ministériel.  (Cass.,  18  novembre  186S  et  11  février  1863.) 
Mais ,  quand  il  s*agil  d'nne  décision  contentieuse ,  nous 
ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  iîen  de  distinguer  »  le  jugement 
est  définitif  on  interlocutoire ,  ou  simplement  provisoire.  On 
admet  bien  avjourd'hm ,  contrairement  à  la  doctrine  dv  droit 
romain,  reproduite  par  Pothier  {ibid.,  n*"  851),  qu'un  juge- 
ment interlocutoire,  par  eiemple,  celui  qui  ordonne  une 
enquête,  ne  saurait  être  rétracté  par  lé  juge,  et  que  par 
conséquent  il  a  l'autorité  de  la  chose  jugée.  (Gomp.  Rej., 
S5  avril  1842  et  30  JMvier  1856.)  C'est  dans  un  tout  autre 
sens  7  amsi  que  nous  l'avons  eipliqué  (nr*  299  et  soîv.), 
que  l'interlecvtoire  ne  lie  point  le  juge.  Mais  on  soutient 
eneore  qu'il  n'en  est  pas  de  même  des  jugements  provi- 


DE  LA  €BOn  JUGÉE.  443 

soires,  et  od  leprodoit  cette  assertioD  de  Polhier  (loe.  cit.) 
qu'an  jagement  qui  contient  une  oonâamnatîon  provisien- 
nelle ,  n'enqK)ite  peint  présonipCicKn  que  la  somme  perlée  en 
la  condamnation  soit  Tériiabtoment  due ,  puisque  la  partie 
condamnée  est  toqoirs  reçue  k  prouver  dans  le  cours  du 
procès  qu'elle  ne  doit  rien.  Quelque  respect  que  nous  devions 
k  l'autorité  de  Pollnery  nous  sommes  obligé  de  signaler  dans 
cette  proposition  une  véritable  con(nsi<m  d'idées.  De  ce  que 
odni  qui  a  été  condanmé  k  payer  wie  provision  peut  prouver 
ea  déishive  qu'il  ne  doit  rien ,  il  ne  s'ensuit  point  que  le 
jugement  qui  le  ccmdamne  k  iburnîr  une  provision  n'ait 
point  l'autorité  de  la  chose  }ugée«  Il  a  cette  autorité  poriUs 
ponauHt  ;  il  décide  irrévocablement  que  Prhnus  doit  payer 
telle  provision  k  SecunduM  (Rej.,  il  avril  1865),  mais  il  ne 
statue  ni  n'a  voulu  statuer  sur  la  question  de  savoir  si  Primm 
sera  reconnu  en  définitive  débiteur  de  son  adversaire. 

863.  Dans  le  jugement,  même  contentieux,  on  ne  saurait 
attribuer  l'autorité  de  la  chose  jugée  k  toutes  les  paroles 
du  juge.  Non  omnis  vox  jwdiek^  dit  Dioclétien  (L.  7,  God., 
De  <eitt.  el  ôtkr/.),  judicat  amtinet  auctarkatem. 

Faut-fl  cependant  admettre,  comme  on  l'enseigne  géné- 
ralement en  France,  que  l'autorité  de  la  chose  jugée 
appartieme  exclusi¥emeBt  au  diqK>sitif ,  et  que  les  motifs, 
simides  éléments  de  la  conviction  du  juge,  pouvant  être 
erronés  sans  que  la  décision  soit  critiquable,  n'aient  point 
force  de  jugement  '  ?  D'où  il  faudrait  tirer  cette  double 
conséqaenee,  qu'on  ne  saurait  jamais,  dans  une  antre 
instaDee,  se  prévaloir  des  motifs  contre  la  partie  k  laquelle 
ils  seraient  défavorables ,  et ,  par  contre ,  que  cette  partie 
ne  serait  point  reœvable,  fiiute  d'intérêt,  k  les  attaquer 

^  Nens  insistons  sur  cette  (joestion ,  essentiellement  pratique ,  noise  en 
lumière  par  Sayigny,  et  qne  M.  Griolet  n'a  traitée  que  d^e  manière  trop 


444  AirroRiTÉ 

devant  une  juridiction  supérieure.  (Voy.  Rej.,  29  janvier 
1834;  Aii:,  22  juillet  186S.) 

Savigny  (TraUé  du  droit  romain,  §  291  et  suiv.)  combat 
dans  sa  généralité  cette  doctrine,  en  s'attachant  k  l'idée, 
qu'a  soutenue  le  premier  Bôhmer  (Jus  ecdes.p  prokg.,  lib.  H, 
tit.  XXVII,  §  14),  que  les  raisons  déterminant  la  conscience 
du  juge  sont  l'âme  et  comme  le  nerf  de  la  sentence,  anima 
et  quaH  nervuê  sententiœ. 

Nous  ne  suivrons  pas  ces  doctes  interprètes  sur  le  terrain 
de  la  législation  romaine.  On  ne  saurait  rapprocher  util^ 
ment  des  formes  de  la  procédure  moderne  le  mode  de  pro- 
céder àujudex,  La  pronuntiado^  par  laquelle,  dans  les  actions 
arbitraires,  il  statuait  sur  le  droit  du  demandeur,  n*avait 
aucun  rapport  a^ec  nos  motifs ,  c'était  une  sorte  de  décision 
préjudicielle;  il  n'y  a  donc  rien  k  conclure  de  l'autorité  de 
cette  pronuntiatio  h  celle  des  motifs  dans  les  jugements 
modernes.  Quant  k  la  sentence  même,  il  semble  qu'elle 
était  rarement  motivée.  La  formule  de  condamnation  qui 
nous  est  donnée  dans  les  Institutei  de  Justinien  (§  i ,  De 
9ff'  j^dic,)  :  Publium  Mœvium  Ludo  Titio  decem  aureos  conr' 
4emno,  aut  noxam  dedere,  est  un  simple  dispositif.  Nous 
trouvons  seulement  dans  un  texte  de  Macer  (L.  1 ,  §  1  et  2, 
D. ,  Quœ  sentent,  sine  appell.  retàndj)  des  exemples  de  sen- 
tences motivées;  mais  Macer  est  un  jurisconsulte  des 
derniers  temps,  et  on  ne  peut  signaler  rien  de  semblable 
dans  ce  qui  nous  a  été  conservé  des  écrits  des  anciens 
jurisconsultes.  La  suppression  de  Vordo  judidorum  a  pu 
amener  l'institution  de  jugements  motivés,  mais  les 
documents  nous  manquent  sur  ce  point. 

Mentionnons  également  pour  mémoire  l'usage  de  certains 
tribunaux  allemands,  de  ne  point  communiquer  les  motifs 
aux  plaideurs,  i^sage  suivi  par  le  tribunal  suprême  de  Berlin, 
jusqu'à  Tordre  du  cabinet  du  19  juillet  1832.  Chez  nous, 


DE   LA  CHOSE  JUGÉE.  445 

depuis  la  loi  du  24  août  1790  (lit.  Y,  art.  15),  toutes  les 
décisions  judiciaires  doivent  être  motivées^  il  n'y  a  d'excep- 
tion que  pour  le  verdict  du  jury,  dont  le  laconisme  donne 
lieu  k  de  graves  difficultés ,  ainsi  que  nous  le  verrons  en 
parlant  de  la  chose  jugée  au  criminel. 

Savigny  a  précisé  la  doctrine  de  Bôhmer,  en  lui  donnant 
une  forme  empruntée  à  la  métaphysique  de  Kant.  Il  dis- 
tingue les  motifs  subjeoifs^  simples  mobiles  de  la  détermi- 
nation du  juge,  et  les  motifs  objectifs  \  qu'avait  en  vue 
Bôhmer,  lorsqu'il  parlait  de  raisons  de  décider  qui  sont 
l'àme  de  la  sentence. 

On  est  d'accord  pour  refuser  l'autorité  de  la  chose  jugée 
^us  motifs  purement  subjectifs.  Ces  motifs  sont  les  mobiles 
qui  ont  pu  agir  sur  la  conscience  du  juge ,  ils  contiennent , 
soit  l'opinion  du  juge  sur  telle  ou  telle  question  de  droit, 
opinîon  dont  la  valeur  n'est  que  doctrinale ,  soit  l'apprécia- 
tion de  certains  faits  qui  se  rattachent  au  litige ,  sans  con- 
stituer le  point  contentieux. 

*  Aucune  difficulté  sur  les  motifs  qui  portent  seulement 
sur  une  question  de  droii  dont  le  dispositif  n'implique  point 
la«olution.  Dès  que  l'on  arrive  au  même  résultat  par  d'autres 
motifs^  point  d'intérêt k  attaquer  ceux  qui  se  trouvent  énoncés 
dans  le  jugement.  (Rej.,  9  janvier  1866.)  Aussi  voyons-nous 
tous  les  jours  un  tribunal  d'appel  confirmer  la  décision  des 
premiers  juges,  bien  qu'en  réprouvant,  en  tout  ou  en  partie, 
les  motifs  par  eux  donnés.  C'est  ce  que  décide  d'ailleurs  le 
législateur^  quand  il  nous  dit  (Inst.  crim.,  art.  41 1)  :  <c  Lors- 
«  que  la  peine  prononcée  sera  la  même  que  celle  portée  par 
«  la  loi  qui  s'applique  au  crime,  nul  ne  pourra  demander 
«  l'annulatioa  de  l'arrêt,  sur  le  prétexte  qu'il  y  aurait  erreur 


>  Cette  distiiicUoo  est  tout  à  iàit  étrangère  à  la  iurispmdence  romaiee , 
malgré  let  efforts  de  Savigny  pour  y  pUer  les  textes  du  Digeste» 


446  lUTORITÉ 

a  daaala  citation  du  texte  de  la  loi.  »  Et  la  Co«r  de  eassatioD 
a  appliqué  cette  décisioB  an  civil ,  en  jugeant  fofmeiiemeiit 
(Rej.,  3  février  1864)  «  qae  la  Cour  de  cassation  ne  savradt, 
n  sans  dégénérer  en  un  troisième  degré  de  jnrididiM ,  sub* 
((  stituer  un  dispositif  à  celui  qui  lui  est  défëré  ^  qu'elle 
«  demeure,  au  cootnâi^,  fidèle  k  sa  mission  kirsqn'en 
((  présence  d'une  décision  conforme  au  vœu  de  la  kn,  die 
tt  maintient  cette  décision  et  se  borne  k  lui  donner  des 
«  motifs  réguliers^  ces  motifs  fusseutnils  contraires  aux 
A  motifs  exprimés  par  les  juges  de  la  cause.  » 

Si  les  parties  ne  peuvent  s'attaquer  aux  motifs  que  Savîgny 
appelle  objectifs  lorsque  Ton  ne  peut  les  critiquer  qa*aa 
point  de  vue  doctrinal ,  il  semble  qn'elles  ont  un  intérêt 
moral  k  réclamer,  lorsque,  sans  contrarier  le  dispositif,  les 
motifs  contiennent  des  allégations  dont  elles  penvent  avoir 
k  se  plaindre.  Si  ces  allégations  n'ont  rien  d'injvrienx ,  il 
ne  saurait  y  avoir  ouverture  k  une  réclamation  sérieuse. 
Mais  il  est  arrivé  que  les  juges,  tout  en  reconnaissant  le 
droit  du  plaidenr,  ont  infligé  k  sa  conduite,  au  point  de  vue 
moral ,  le  blâme  le  plus  explicite  :  ce  que  la  loi  antorise 
seulement  pour  le  président  de  la  Cour  d'asâses*  (Inst. 
crim.^  art.  37t.)  Yaineaient  a-t*on  employé,  pour  foire 
tomber  les  motifs  de  celle  nature,  la  voie  de  Tappd  et  celle 
du  recours  en  cassation.  Il  a  été  reconnu  (Colmar,  12  fé- 
vrier 1844)  qu'une  partie  ne  peut  rédamer  devant  le  jnge 
d'appel  la  suppreasiim,  comme  injurieuse,  des  motifr  d'un 
jugement,  puisque  ces  motifs  sont  r<Bnvre  des  magistrats 
qui  ont  rendu  le  jugement,  et  non  celle  de  la  partie  adverse. 
Quant  au  recours  en  cassation,  la  Gour  régulatrice  a  décidé 
(Bej.,  29  janvier  1S24)  ^  que  <  si  les  motife  d'un  jngenMnt 

<  Le  premier  considérant  de  cet  arrêt  suppose^  ce  qni  a  été  démenti, 
nous  le  Temns,  pv  la  jarisprvdeMe  de  la  Gov,  <iae  les  moUfs  4*0  ^Ige- 
ment  ne  peaTeMt  Jaiaais  violer  la  M. 


DE  LÀ  GflOSB  JUGÉE.  447 

a  étaient  Ae  nature  à  courtituer  «a  vérkable  dâit ,  la  partie 
«  lésée  aurait  le  droit  de  se  poRinmir,  mats  conlre  le  juge,  et 
a  noB  coDtie  le  }«geBKBt  ;  nais  par  les  voies  or(tiiiaires,  et 
<c  non  par  la  wtie  de  cassaftiaA.  »  Par  me  wdmawe,  il  faut 
entendre  id  la  prise  à  partie,  simnt  les  conclusions  de 
l'avocat  général  près  la  Coar  de  cassation. 

Ce  qui  ne  saurait  être  douteu,  c'est  que,  si  les  motife 
donnés  par  le  juge  sont  touit  à  Eût  en  dehors  de  la  mission 
qui  lui  est  confiée,  ils  doivent  être  considérés  conune  non 
avenus.  Ainsi,  un  jugement  correctionnel,  tout  en  renvoyant 
le  prévenu  au  point  de  vue  de  la  loi  pénale ,  avait  constaté 
qu'il  avait  vobntairement  cawé  préjudice  k  autrai ,  en  lui 
remettant  des  jetons  de  cuivre  au  lieu  de  pièces  d'or.  Un 
jugemem  du  tribimal  civil  de  Nogent-le-Rotrou,  aux  termes 
duquel  le  fait  ainsi  étaUi  s'imposait  au  juge  civil,  a  été 
cassé,  le  23  mai  1870,  attendu  que  l'appréciation  du  tri- 
bunal correctionnel,  complètement  inutile  pour  soutenir  les 
dispositife  de  son  jugement,  ne  pouvait  £iire  obstacle  au 
droit  eielusif  du  juge  civil  de  connaître  de  l'existence  dn 
fait  pouvant  donner  lieu  k  réparation. 

Une  décision  judiciaire  qui  contiendrait,  même  dans  ses 
motifs  seulement,  un  véritable  excès  de  pouvoir,  devrait- 
elle  conserver  son  autorité?  Il  appartiendrait  alors  au  pro- 
cureur général  près  la  Cour  de  cassation  de  se  pourvoir  dans 
l'intérêt  de  la  loi  »  et  même  au  ministre  de  la  justice  de 
dénoncer  k  la  Cour  de  cassation  l'excès  du  pouvoir.  (Loi 
du  27  ventdse  an  YUI,  art.  80  et  88.)  U  a  été  jugé,  en 
conséquence  (Caas.,  7  juillet  1849  et  2  avril  1851),  qu'un 
tribunal  qui ,  tout  en  se  conformant  dans  son  dispositif  k  la 
jurisprudence  de  la  Cour  de  cassation,  critique  cette  juris- 
prudaice  dans  les  motifs  de  son  jugement,  et  déclare  ne  s'y 
soumettre  que  pour  ne  point  pielonger  le  conflit,  <:ommet 
un  exicès  de  powvoir  qui  doîit  ètc e  réprimé  par  l'annulation 


448  AUTOâltÉ 

■ 

des  motifs  énonçant  nne  opinion  contraire  k  celle  de  la  Cour 
régulatrice.  (Loi  du  l*'  a^ril  1837,  art.  2.) 

Ajoutons,  avec  M.  Dupin  (conclusions  du  2  avril  1851), 
que  le  tribunal  supérieur,  lorsqu'il  y  a  un  intérêt  moral  pour 
les  parties,  peut  toujours  leur  donner  satisfaction,  en 
improuvant,  dans  les  considérants  de  sa  décision,  les  motifs 
donnés  par  les  premiers  juges. 

Arrivons  aux  motifs  qualifiés  objectifs,  c'est-à-dire  qui 
se  lient  intimement  au  dispositif,  k  ceux  que  Bôbmer 
appelle ,  dans  un  style  moins  métaphysique ,  le  nerf  de  la 
sentence. 

L'assertion  des  auteurs  et  des  arrêts  qui  veulent  réserver 
exclusivement  au  dispositif  Tantorité  de  la  chose  jugée,  ne 
soutient  point  un  examen  approfondi.  Savigny  (Traité  du  droit 
romain,  §  291)  la  combat  victorieusement,  en  l'amenant  k 
cette  conclusion  extrême  qu'un  jugement  aurait  l'autorité 
de  la  chose  jugée,  quels  qu'en  fussent  les  motifs,  s'il 
portait  simplement  dans  son  dispositif,  suivant  la  nature  de 
l'action  : 

Le  défendeur  est  condamné  à  payer  au  demandeur  telle 
somme,  ou  bien  à  lui  délivrer  telle  chose. 

Ou ,  si  le  défendeur  obtient  gain  de  cause  : 

Le  défendeur  est  renvoyé  de  la  demande  formée  contre  lui. 

Et  des  dispositifs  de  cette  nature  sont  loin  d'être  une 
abstraction.  Telle  était  probablement  dans  l'origine ,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu,  la  sentence  du  judex  romain.  Telle 
était  certainement  celle  que  l'on  rendait  dans  les  assises 
seigneuriales,  dont  Beaumanoir  (chap.  lxvh,  n*  34)  nous 
donne  la  formule*:  «  Lor  resons  oyes  et  provées  en  jugement 
«  noz  disons,  par  droit,  que  Pierres  enporterat  le  sai- 
ic  sine  ou  le  propriété  de  ce  dont  pies  estoit.  »  Comme  on 
reconnaissait  néanmoins  (chap.  i ,  n<>  20)  qu'il  ne  convenait 
pas  de  remettre  en  jugement  le  cas  qui  autrefois  avait  été 


DE  LÀ  eaOSB  JUGÉE.  449 

jagé,  il  fallait  bien ,  en  recourant,  suivant  Tusage  du  temps , 
aux  souvenirs  de  ceux  qui  avaient  assisté  aux  assises, 
rétablir  les  conclusions  des  parties  pour  savoir  quelle 
question  avait  été  jugée.  H  y  avait  également  un  simple 
dispositif  dans  nos  décisions  judiciaires  de  Fépoque  anté- 
rieure k  1789,  qui  n'était  point  motivé,  et  dont  il  fal- 
lait rechercher  le  sens  dans  les  pièces  du  procès.  Enfin, 
notre  juridiction  correctionnelle  rend  bien  des  décisions 
motivées ,  mais  le  dispositif  y  consiste  simplement  dans 
l'application  de  la  peine  :  Condamne,  etc.  Pour  savoir  ce  qui 
a  été  jugé,  il  faut  nécessairement  se  reporter  aux  motifs  : 

Attendu  que  N.  s^esl  rendu,  coupable  ^escroquerie,  etc.  Ici  la 
nécessité  a  bien  forcé  la  jurisprudence  de  la  Cour  de  cassa- 
tion k  reconnaître  (Rej«,  26  juillet  1865  et  8  novembre 
1866)  que  la  force  jugée  appartient  alors,  non-seulement 
au  dispositif,  mais  k  ceux  de»  motifs  qui  se  réfèrent  aux  qua- 
Ufteadons  pénales.  (Voy.  aussi  Paris,  2â  janvier  1864.)  Ces 
motifs  font  essentiellement  corps  avec  le  dispositif.  Ce  sont 
alors  les  motifs,  rédigés  parle  juge,  qui  nous  fournissent 
sur  la  portée  du  jugement  les  renseignements  qu'il  eût  fallu 
demander  autrefois  aux  souvenirs  de  Tassistance  ou  aux 
pièces  du  procès. 

Si  le  dispositif  est  généralement  plus  développé  dans  nos 
jugements  civils,  il  peut  cependant  fort  bien  arriver  que  les 
motifs  en  soient  le  complément  nécessaire.  C'est  ce  que  la 
Cour  de  cassation  reconnaît  implicitement,  mais  d'une 
manière  non  équivoque,  lorsque,  revenant  sur  ce  qu'avait  de 
trop  absolu  sa  première  jurisprudence ,  elle  pose  en  principe 
(Rej.,  25  juin  1869)  qu'on  ne  peut  attaquer  les  motifs 
s^ils  ne  sont  point  nécessaires  pour  soutenir  le  dispositif. 

Ainsi ,  lorsqu'un  débiteur  oppose  k  son  créancier  la  com- 
pensation, et  que  le  juge,  en  rejetant  la  compensation  dans 
son  dispositif,  motive  sa  décision  sur  la  nullité  de  la  créance 


480  iVfoaiTÉ 

m¥oquëe  par  le  demandeur,  ce  motif  «ooUeiit  ^vidanmeot 
le  dispositif,  et  il  y  a  elMse  jugée  quant  k  la  noHîlé  de  la 
créance.  Il  en  est  ainsi ,  sans  conteste,  toutes  les  fois  qoe  la 
4]«estîoii  résolue  sur  les  motifs  est  vraiment  préjudicielle^ 
et.,  en  effst^  si  Tou  détachait  la  questÎM,  comme  on  le 
faisait  &  Rome,  on  aurait  un  premier  dispositif  auquel 
s'attacherait  rautorité  de  la  chose  jugée  *,  or,  ce  serait,  comme 
le  fait  observer  Savigny,  un  yéritable  formalfeme  que  de 
Toaloir  donner  moins  de  force  à  la  décision  du  juge ,  parce 
qu'elle  se  produit  sous  la  fome  de  motif,  et  ion  sous  celle 
.  de  jogemeot  préjudicid.  (En  ce  se»,  Mtmes,  10  déceflAre 
1839.) 

n  y  a  plus  de  dilBcuité,  et  M.  Griolet  {Aïooràé  ék  ta  chose 
jugée,  p.  9)  combat  la  doctrine  de  Savigny,  lorsque  le  dis- 
positif peut  k  la  rigueur  se  soutenir  sans  les  motifs,  par 
eKomple,  lorsque  le  dispositif  affirme  la  créance  et  que  lefiiît 
du  payement  se  trouve  ni^dans  les  raotife.  4ja  diose  J9gée , 
dil-oa,  ne  porte  que  sur  la  relation  de  droit,  la  créance, 
relatK»  qui  a  effectivement  eiisté  nonobstant  le  fait  d«i 
payement,  liais  cette  doctrine  nous  parait  trop  subtile.  Il 
est  évident  que  le  motif  ici  n'est  point  parement  subjectif, 
puisqu'il  tranche  la  question  sur  laquelle  a  porté  le  débat, 
le  fait  du  payement.  Si  Seeundus  a  été  reconnu  débiteur  de 
Pfimui,  c'est  parce  qu'il  n'a  pu  justifier  do  payement.  La 
relation  de  droit  est  m  inséparable  du  fait,  ex  facto  jtm  nos- 
ckwr.  Au  fond,  M.  Griolet  ne  s'écarte  guère  de  la  doctrine 
de  Savigny,  puisqu'il  reconnaît  (p.  123)  qu'il  ftrat  con- 
sulter les  motifs,  toutes  les  fois  que  le  dispositif  est  sus- 
eeptible  d'interprétations  difiërentes. 

Savigny  applique  également  -sa  (béorie  mr  les  wotifs  dans 
14qp0tjbèse  où  le  défendeur  k  l'action  réelle  établirait  qu'il  est 
luimcime  propriétaire.  Dans  le  système  de  la légidation  ro- 
(,  le  défendeur  "nepeot  régulièrement  {airecettepreuve; 


DE  Vk  «CMSfE  JUGÉE.  45f 

£1  veto  ifui  p&mdet,  nim€st  actio  prodkuy  per  quant  neget  rrnn 
4U!tam  ssse.  (Jasl.,  Inst.y  §  2,  l^e  act.)  En  déclarant  la  pno- 
priétë  diidéfendear  dans  lestnotifs  de  la  sentence,  lejudex 
communiquerait  k  cette  déc!aTati4Mi  Tautorité  de  la  chose 
jugée.  Celle  «olorhé  donnée  à  Rone  aux  motifs ,  qui  ne 
nous  apparaissent  que  dans  le  dernier  état  du  droit,  est 
singulièrement  hasardée-,  tout  au  plus  pourrait-on  l'admettre 
dans  la  législation  de  totinien ,  et  par  eraséquent  dans  les 
pays  modernes  qui  suivent  le  droit  romain.  Mais,  aucun 
texte  du  droit  français  ne  reproduisant  la  doctrine  romaine^ 
d'après  laquelle  le  défendeur  n'est  point  admis  k  prouver  la 
propriété ,  nous  sommes  dispensés  de  recourir  k  cet  expé- 
dient. Le  défendeur  k  J'action  réeUe^peut  fort  bien  se  porter 
demandeur  reconventlonnellement,  et  par  conséquent  faire 
constater  son  droit  dans  le  dispositif.  (Voyez  l'arrêt  de  rejet 
du  22  mai  186S,  cité  n»  237  ter.) 

864.  Cette  importante  présoraptioo  se  rattachant  au 
fond  du  droit  autant  qu'k  la  preuve ,  les  règles  sur  l'effet 
des  jugements,  e'est-k*dire  sur  les  perscomes  -et  sur  ies 
objets  auxquels  elle  s'applique,  reposent  sur  les 'mêmes 
bases  que  les  règles  sur  l'effet  des  conventions.  On  l'a 
soumai  dit  avec  raison,  jtvdieiù  contrahimut\  Les  bornes 
eft  le  phm  4e  tet  ouvrage  ne  comportent  qu'mie  exposition 
sucGÎnete  ées  doctrines  sur  la  chose  jugée ,  que  nous  avions 
signadëes  comme  pouvant  faire  la  matière  d'un  Kvre:  vœu 
qui  "a  été  heureusement  réalisé  par  le  travail  de  M.  Griolet. 

Aussi  ne  traîterons-iious  point  de  l'effet  des  jugements 
rendus  en  pays  étrangers ,  sujet  qui  'se  rattadie  k  des  con- 
sidéralions  de  pur  droit  international ,  étrangères  k  l'objet 

*  Judicio contrahere  8^eatend,en  droit  romain,  non  de  la  sentence  da 
}oge,  mais  de  Tespèce  de  conTention  qui  s^opère  par  la  litis  contestatio, 
d'où  naît  Via&taaïce,fudicium,  Néanmoins  l'idée  est  au  fond  la  même,  la 
jugement  n'étant  que  le  complément  de  l'instance,  et  puûant  toute  sa  force- 
4tm  U  âeânotiôreik  in  judMtm. 

S9. 


453  GHOSB  JUGÉB 

de  cet  ouvrage.  Mais  il  faat  reconnaitre,  dans  tous  les  cas, 
que  les  jugements  étrangers,  en  dehors  de  tout  exequatur, 
font  foi,  jusqu'à  preuve  contraire,  des  faits  qui  y  sont 
constatés.  (Douai,  8  mai  1836.) 

Nous  nous  occuperons ,  suivant  notre  usage ,  d'abord  de 
la  juridiction  civile,  puis  de  la  juridiction  criminelle^  nous 
terminerons  par  Texamen  de  l'influence  que  peuvent 
exercer  les  jugements  civils  sur  les  jugements  criminels  et 
réciproquement. 


PREMIÈRE  DIVISION. 

CHOSE  JVetE  AU  CIVIL. 

Som aub.  —  865.  Limites  de  l'autorité  de  la  chose  Jagèe.  —  866.  Interprètatioii  erronée 

da  droit  romain. 

865.  La  fiction  nécessaire  à  la  conservation  de  l'ordre 
social ,  qui  fait  considérer  la  chose  jugée  comme  étant  la 
vérité ,  n'est  légitime  qu'k  condition  de  ne  jamais  dépasser 
les  limites  de  la  question  qui  a  été  posée  par  le  juge.  Au 
delk,  il  n'y  a  plus  d'autorité  de  la  chose  jugée,  par  cette 
raison  péremptoire  qu'il  n'y  a  plus  de  jugement.  C'est  ce 
qu'Ulpien  exprime  d'une  manière  bien  simple,  dans  le  texte 
suivant  (L.  3,  D.,  De  except,  rei  judic.)  :  Julianuê  reipondk 
exceptionem  rei  judkatœ  obstare,  quoHent  eadem  qucsitio  inUr 
eaêdem  penona»  revoeatur.  Le  Code  civil  eût  coupé  court  à 
bien  des  controverses  et  à  bien  des  embarras  dans  la  pra- 
tique, s'il  s'était  contenté  de  dire  (art.  135i)  :  «  L'autorité 
4<  de  la  chose  jugée  n'a  lieu  qu'k  l'égard  de  ce  qui  a  fait 

((  Tobjel  du  jugement il  faut  que  la  demande  soit  entre 

4(  les  mêmes  parties,  et  formée  par  elles  et  contre  elles  en 
«  la  même  qualité.  » 

866.  MalHbureusement  ici ,  comme  cela  arrive  trop  sou- 


^ 


-    AU  givilJ  453 

vent,  one  interprétation  erronée  du  droit  romain  a  passé  de 
la  doctrine  de  Pothier  dans  le  texte  du  Code. 

A  Rome ,  excepté  dans  les  judida  légitima  (Gaius ,  tom.  IV, 
§  i07) ,  tombés  en  désuétude  h  Tépoque  de  Justinien ,  le 
moyen  que  tirait  le  défendeur  de  la  chose  jugée  était  pré- 
senté comme  une  exception  '  de  nature  à  paralyser  Faction 
qui  serait  de  nouveau  intentée.  Ainsi  envisagée,  Yexceptio 
rd  jud&catœ  est  un  pur  moyen  de  procédure ,  comme  Yexceptio 
rei  in  judidum  deductœ,  que  Ton  donnait  s'il  y  avait  eu  Utis 
cantestatio,  puis  péremption  de  Tinstance.  (Gaius,  loc.  dt.) 
L'exception  de  la  chose  jugée,  ainsi  envisagée,  n'était  que 
l'extinction  de  l'action  par  suite  d'une  loi  de  la  procédure. 

Le  moyen  tiré  de  la  chose  jugée  se  présentait  d'une  ma- 
nière plus  nette,  lorsque ,  sans  se  prévaloir  d'une  extinction 
directe,  on  invoquait  la  déclaration  précédente  du  juge  sur 
le  fait  litigieux  comme  coupant  court  k  toute  controverse. 
Ainsi,  lorsque  le  juge,  vis-k-vis  lequel  le  défendeur  avait 
invoqué  une  créance  comme  moyen  de  compensation ,  avait 
repoussé  ce  moyen»  en  niant  l'existence  même  de  la  créance  \ 
bien  que  le  droit  allégué  par  le  défendeur  n'eût  pas  été  pré* 
cisément  déduit  in  judidum,  il  n'en  était  pas  moins  para- 
lysé, quari  re  judicata,  par  l'exception  de  la  chose  jugée. 
(Ulp.,  L.  8,  §  1 ,  Deneg.  gest.;  L.  7)  §  l,  Und,,  Deampem.) 
11  en  était  de  même  pour  le  part  et  pour  les  fruits  qui 
ataient  pris  naissance  après  la  litis  contestatio.  Le  demandeur 
qui  avait  échoué  dans  la  rd  dndicatio,  s'il  voulait  réclamer 
ce  part  ou  ces  fruits,  était  bien  recevable,  en  principe, 
puisque  son  droit  n'était  point  consommé,  n'ayant  point  été 
déduit  en  instance,  mais  il  était  repoussé,  au  moyen  de  la 

*  Ches  nous,  il  est  beaucoup  plus  simple  de  faire  toujours  produire  à  la 
chose  jusée  un  effet  direct,  et  c^est  ce  que  nous  dcTons  admettre  aujour- 
d'hui, bien  que  beaucoup  d^auteurs  répètent  encore,  sans  s'en  rendre 
compte,  la  Tidlle  expression  à^exceptUm  de  la  chose  jufét. 


iM  CHOSE  JUGÉE     ■ 

fonction,  noa  ploa  nëgaliTe,  mais-posUiTe,  de  Ve%eeftàouàt 
la  chose  jugée.  (Ulp.,  L.  1,  §  1  et  3,D.^l>edaBc«pt.  rdjwBc.) 

Les  interprètes  onl  eonfonda  ces  deux  applications  de 
Texception  de  la  chose  jugée  :  eonCiision  impulaUe  jusqifk 
un  certain  poîat  aux  juriseonsulLes  romains  eux-ménes^  91», 
plus  praticiens  que  rigoureux  analystes,  n'ont  nulle  part 
si(p&alé  nettement  la  distinction.  H  a  fallu,  pour  élueîdef  ce 
point,  la  sagacité  de  la  critique  allemande.  KeUeit,.le  pie- 
mîer ,  a  distingué  la /onction  négative  et  hkfanetwm  poiiâué  de 
l'exception.  Ces.  deux  fonctions  se  dessineni  nettement dflBft 
une  hypothèse  bien  connue  des  romanistes.,  mais  donl  on 
n'avait  point  su  tirer  parti. 

Le  défendeur,  dans  une  action  réelle,  OHnme  dans  toutes 
les  actions  arbitraires,  doit  être  absous,  s'il  satisfait  au  de- 
mandeur, bien  que  le  droit  du  demandeur  ait  été  reconnu 
par  le  juge.  Dès  lors ,  si  plus  tard  il  possède  de  nouveau 
l'objiet  du  litige,  actionné  une  seconde  fois,  il  invoque  l'ex- 
ception rdjudkatœ,  en  tant  qu'extinctive  de  l'action  pomi- 
tive.  Mais.,  ainsi  que  l'observe  Julien  (L.  16,  D.,  tftùiL),  il 
serait  singulièremeut  inique  que  l'exception  de  la  chose 
jugée  profitât  k  celui  contre  qui  a  été  rendue  ladéeiâon  ju- 
diciaire. Aussi  le  demandeur  répliquera-t-îl  à  l'exception 
négative,  en  invoquant  l'autorité  positive  de  la  chose  jugée  : 
Si  exceptio  objicietur  a  pos^essore  rei  judicaiœ,  nptieei^gi  se- 
cundwn  mejudicatum  non,  esL\  (Marc,  L.  16,  §  5,  D.,  De 
pign.  et  hypoth.) 

Les  textes ,  rapprochés  d'une  manière  plus  ou  moins  heu* 
reuse  au  Digeste,  qui  ont  servi  de  type  k  l'article  135A  du 

'  L'effet 'négatif  de  Pautorité  de  la  chose  jugée,  tenant  aa  caractère 
même  de  la  procédure ,  a  nécessairement  existé  à  Rome  de  tout  temps.  H 
n'en  était  peut-être  point  de  même  de  l'efCst  positif  y  qui  snppM»  vue 
civilisation  plus  a¥ancée,  et  qui  n^existe  point ..  dit^^Mi ,  dans  laloimnanl-' 
mane.  Ce  dernier  effet  parait  du  moins  avoir  été  consaaré  kRomo  »  dès  Is 
temps  de  Cicéron  „  qui  reproche  à  Yerrès  çpiad  ds  rej^iUcaia  ji 


jm  ۔Ta^  4B& 

Codfr,  flcnt  dtes  fragments  de  P»l  et  d'Ulpieik  (L.  19^  t3( 
et  lAy  De  èxcepi.  reijuiMcat.,},  ainsi  eeopis  : 

Cum  fwgrkar,  hœc  esœj^  noceoê,.  nec  oe^  ift^ÂdBmtkm 
ett,  «n.  idmn  corpus  9ii; 

Quantitas  eadmiridemjm;. 

El  an,  eadêOL  auua  petendi,  éttademccndkio  pentHianmi  :  q/us 
niri  omnia  concurrunt,  alia  res  est. 

Ainsi  que  Ta  tvès-bîai  fait  voir  M.  &riekt  {Àusonté  de  la 
chom  jugée  r.  pag.  12  et  suiv.),  ces  ta  tes  sont  rdatife  k  la 
confiommalion  de  Taetion  et  non  k:  Feffist  pesitîf  qae  peut 
entraîner  dans  d'antnes:  affaires  rantorité  de  la  ehese  jogéeu 
C'esl  au  pwit  de  yue  de  la  dèdfteiio  m  judùmm  qu'il  ÊiUail:, 
pouit  que  Ton*  fiikt  nna'  reeevable  à  repreduire  le  droit  lë* 
clamé,  identité  :  l""  dans  Vobjet  eorp(Nrel  ou  dans  la  qiian«^ 
tité^  2""  dans  le  droit-,  3*"  dans  la  cause-,  i""  dans  la  personne 
qui  était  le  sujet  du  droit. 

Nous  renvoyons  an  savant  travail  de  M.  Griolet  pour  le 
développement  de  ces  diverses  conditions  dans  lia  procédure 
romaine.  Ce  qu'il  nous  importe  de  constater,  c'est  que  ces 
conditions ,  dont  on  a  tant  abusé ,  sont  relatives  à  l'extinc^ 
tion  par  la  sentence  du  juge  du  droit  déduit  en  instance. 
Appliquer,  comme  l'ont  fait  les  anciens  commentateurs,  ces 
règles  &  l'autorité  positivé  de  la  chose  jugée,  c'était  se 
mettre  en  opposition ,  soit  avec  le  bon  sens ,  soit  avec  des 
textes  formels.  Ainsi,  pour  ne  parler  que  de  la  condition 
de  l'identité  de  l'objet,  an  corpus  idem  sit,  cette  identité 
n'existe  nullement  entre  la  réclamation  d'un  corps  certain  k  ' 
titre  d'héritier,  et  la  pétition  d'hérédité  exercée  contre  un 
débiteur  héréditaire.  Il  y  a  cependant  Ik  identité  d'objet,  au 
point  de  vue  de  l'autorité  de  la  sentence,  entre  l'une  et 
l'autre  réclamation.  C'est  ce  que  décide ,  d'accord  avec  la 
raison,,  un  te^Uâ  positif  d'Ulpîen.  (L.  7,  §  5,  D.,  As  estoeft. 
injufUcJ)  L'interprétation  a  été  plus,  malbemwuse:  encore, 


456  CB08B  hjgée 

ainsi  que  nous  le  Terrons,  lorsqu'elle  a  recherché  une  cmm 
proarima  actionu  en  dehors  du  litre  même  de  la  demande. 

Telle  est  l'origine  des  dispositions  de  Farticle  1351  : 

«  Il  faut  que  la  chose  demandée  soit  la  même;  que  la 
«  demande  soH  fondée  sur  la  même  cause.  » 

Dispositions  qui  ont  singulièrement  embarrassé  les  au- 
teurs et  la  jurisprudence. 

Nous  allons  traiter  d'abord  de  l'identité  de  la  question 
soumise  au  juge ,  en  tâchant  de  rétablir  les  vrais  principes 
de  la  législation  romaine ,  obscurcis  par  la  confusion  que 
nous  avons  signalée.  Nous  parlerons  ensuite  de  l'identité 
quant  aux  parties  et  k  leurs  qualités,  qui  soulève,  sans 
doute,  des  difficultés  sérieuses  dans  l'application,  mais  pour 
laquelle  du  moins  le  principe  général  ne  donne  lien  k  au- 
cune contestation. 

I  I.  I»BrnTlfc  BB  UL  QUBSTlOir* 

SoiauiRB.  —  867.  A  quelles  condUions  il  y  a  identité  de  la  qnesUon.  —  868.  Identité 
da  droit  —  869.  De  Tobjet  du  droit.  —  870.  Objet  individnel.  —  871.  QvaiiUtét.  — 
872.  Rapports  da  toatet  des  parties.  —  878.  Identité  dn  titre  de  la  demande.  Ciase.  — 
874.  Nécessité  de  la  mention  de  b  canse  dans  les  actions  réelles.  —  875.  Cas  oà  il  n'y  a 
point  diflcnlté  sar  le  caractère  de  la  canse.  Controverse  snr  la  bits  extinctib.  —  876* 
Actions  en  nnllité.  Réfntation  de  la  théorie  de  TonUier. 

867.  Est-ce  la  même  question  qui  s'agite  entre  les  plai- 
deurs, eadem  quœ^,  comme  le  dit,  avec  sa  netteté  babi- 
tuelle,  Ulpien,  dans  le  texte  cité  plus  haut  (n*  863)? 

La  question  sera  la  même ,  suivant  la  judicieuse  analyse 
de  M.  Griolet  (pag.  133  et  suiv.)i  s'il  y  a  identité  1*  dans 
la  nature  du  droit-,  2*  dans  son  objet;  3*  dans  le  titre  de  la 
demande,  c'est-à-dire,  dans  le  fait  juridique  sur  lequel  die 
est  fondée-,  nous  évitons  d'employer  le  mot  caïue,  qui  a  reçu 
une  extension  exagérée  dans  la  doctrine  moderne. 

1*  Identité  du  droit. 

868.  L'identité  du  droit  réclamé,  idem  jus,  dit  Ulpien 
(L.  13,  D.,  0«  except.  reijudie.)^  est  la  première  condition 


AU  CITIL.  457 

qui  se  présente  k  l'esprit.  Cette  expression  vague  de  Pothier 
et  du  Code,  la  chose  demandée,  semble  confondre  le  droit 
réclamé  avec  l'objet  du  droit.  Le  droit  peut  être  identique, 
et  la  chose  demandée  toute  différente ,  ainsi  que  nous  l'avons 
déjà  fait  observer  pour  la  pétition  d'hérédité.  (N*  866.) 

n  ne  s'élèvera  guère  de  difficulté  sérieuse  sur  l'identité 
du  droit  prétendu ,  quand  il  s'agira  du  cumul  du  droit  réel 
et  du  droit  personnel.  Il  est  difficile  de  supposer,  dans  la 
pratique ,  qu'on  invoque  sur  le  même  bien  un  droit  réel  et 
un  droit  personnel ,  sans  que  ces  droits  se  rattachent  k  des 
faits  juridiques  différents.  Ce  qui  peut  seulement  arriver 
sous  l'empire  de  notre  Code  (arL  1138) ,  c'est  que  la  même 
personne  soit  k  la  fois,  et  au  même  titre,  créancière  et  pro- 
priétaire d'un  corps  certain.  Il  est  évident  alors  qu'elle  ne 
saurait  présenter  sous  une  face  nouvelle  une  seconde  action 
tendant  au  même  but  que  la  première.  Les  jurisconsultes 
romains  ont  bien  reconnu  qu'en  pareille  hypothèse  il  faut 
s'attacher  au  fond  des  choses  plutôt  qu'à  la  forme.  De  eadem 
re  agere  videtur ,  dit  Ulpien  (L.  5,  D.,  ilndj)^  et  qui  non  eadem 
actione  agat,  qua  ab  inUio  agebat:  sed  etiam  $i  alia  experiatur, 
de  eadem  tamen  re.  Vt  puta  et  quie  mandati  aeturus,  cum  et  ad- 
venariuejudicio  sUtendi  cauea  promismet,  propter  eamdem  rem  agat 
negotiorum  gestorum  veL  vindicet,  de  eadem  re  aget.  On  peut 
citer,  k  l'appui  de  cette  doctrine,  un  arrêt  de  la  Cour  de 
cassation  (Rej.,  19  avril  1836)  qui  considère  l'action  en  re- 
vendication d'objets  mobiliers,  de  la  part  du  vendeur  non 
payé,  comme  se  confondant  dans  son  but  avec  l'action  en 
résolution  de  la  vente  \ 

Ce  qui  arrivera  plus  fréquemment ,  c'est  qu'après  avoir 

*  Remarques  qne  cet  arrêt  est  antérieur  à  la  noBTelle  rédaction  du  Ck>de 
de  commerce,  dont  Particle  550,  par  le  sens  général  qu'il  donne  an  mot 
revendication  f  fournit  un  paissant  argument  au  système  qui  ne  Toitdans 
la  roTendication  exercée  par  le  Tendeur  de  meubles  que  Texercice  »  Tia-à« 
Tis  des  tiers,  du  droit  de  résolution. 


4ÎS8  0HQ9»  JUGÉE 

revendiqué  un  droit  plus  étendii  sur  um  bien ,  je  reradiqi»' 
ua  droit  mains  étendu.,  ou  réciproquemenL  On  réclaneia, 
par  exemple ,  au  même  titre,  un  droit  d'usufruit  ou  de  aet- 
yitude  sur  un  bien,  aprë»  en  avoÎB  YaineBiait  réclamé  la 
pleine  propriété.  Il  fiaut  alors*  distinguer  si  k.  revendkation 
d'un  droit  moins  étendu  paor  cdm  qui  aédkouédaDs  la  reven- 
dication de  la  propriété  entière^  ne  fait  qtÊt  reprodiDre  la 
même  réclamatioQ  sous  une  autre  forme,  om  constîtiie  une 
préteation  toute  nouvelle.  Ainsi.,  après  afvair  été  iepoussé 
dans  la  revendication  d'un  inuneuble,  je  ue  pomrai  leveo- 
diquer  la  jouissance  de  ce  même  immeuble,  si  jrlarédaœ 
comme  partie  intégrante  du  droit  de  pniprîélé,  ce  que  k» 
commentateurs  ont  appelé  l'usufiruit  eamai.  Mai»  je  serai 
reçu  k  revendiquer  l'usufruit  proprement  dit,  rasufrnl 
formel^  sans  que  l'on  puisse  m'opposer  ce  qui  a  été  jugé  sur 
la  propriété  :  bien  que  rusuirak.  constitue  en.  fliéofie  ua  dé- 
membrement de  la  propriété ,  il  n'y  a  aucune  contradktioD 
dans  la  pratique  à  reconnaître  que  tel  titre  ne  m'a  point 
conféré  la  prc^riété ,  et  k  soutenir  en  même  temps  qu'il  m'a 
confiécé  un  droit  d'usufruit.  (Yoy.  Pon^).^  L.  21^  §  3,.D., 
Dûexcept.^  reijudic.)  Autre  chose  est  la  réclamalîea  paB^le 
d'un  droit  déjà,  réclamé  en.  totalité  y  autre  chose  est  la  réekh 
matîon  d'un  droit  distinct,  bien^,  que  compria  m  êhêrmto 
dans  le  premier.  C'est  ainsi  qu'un  aroét  de  rejet  du  SO^miH^ 
1837  a  jugé  que  le  non-succès  de  la  demande  dÉ  prc^ié- 
taire  d'un  fonds,  tendant  k.  s'affcancbic  d'une  servitud»  non 
œdificandi,  ne  faisait  pas  obrtacle  k  œ  que  ce  pfopriétaare 
réclamât  ultérieurement,  par  une  diemanda  spéciale  y  te 
droit  d'exploiter  son  mus  de  elâtune  en  y  douamit.de  la  pro- 
fondeur et  en  y  pratiquant  des  boutiques  sur  la  voie  pu- 
blique :  ((  Attendu  y  en  droit,,  qu'il  n'y  a  point  de  chose  jugée 
(c  toutes  les  fois  que  la  demande  sur  laquelle  a  statué  le 
«  second  arrêt  n'est  pas  la  même  que  cdle  j^gée  pac  le 


«  premier;  qpieteéeHande  génénde  par  laquelle  on  réclaune 
a  un  drok  absolu  et  sans  botnes,  est  tout  ii  fait  dMEérente 
«  de  h  éoBoade  spéeMe  par  laquelle  on  rëdMte  im  droit 
«  déterminé  dislmct  du  premiier ,  et  dont  il  n'a  été  ■de- 
ce  ment  qnestkm  à  roeeaaion  do  premier  arrêta  qn'^ifin  la 
«  disposition  générale  de  cet  arrêt  qui  rejette  la  demande 
«  générale,  ne  rejette  aueunement  la  demande  spéciale, 
<c  k  regard  de  laquelle  les  parties  n'ont  rien  réclamé  \  sen- 
a  tentia  generoHs  lata  mper'petUione  gênerait  restringitur  ope  re- 
«  plicationis }  ttd  prQweaOa  tantum  *  b  :  maiime  empruntée  par 
le  rappottenr,  M.  Lasagni,  k  la  Glose.  (^Aà  Ug.  2,  €od,.  De 

Le  droit  à  la  possession  est  essentiellement  distinct  dK 
drok  de  propriété.  Il  en  résulte  nécessairement  que  la 
chose  )ugée  a»  posseasoire  laisse  intacte  la  question  du 
pétitoire.  (Gass.,  22  août  1853.)  Et  lors  même  que  la  de- 
mande au  pétitoire  est  fondée  sm*  la  prescription ,  qui  a 
eUe-méme  pour  base  la  possession^  la  décision  du  juge  de 
paix ,  qui  constate  le  droit  du  réclamant  au  point  de  vue  de 
la  maintenue  possessoire ,  ne  saurait  préjuger  en  sa  firveur 
le  droit  de  possession  en  tant  qa'il  peut  conduire  k  la  près- 
cr^tion.  (Rej.^ 2a décembre  1857  et  11  avril  1865.)  Ajou- 
tons même  que,  si  le  juge  de  pair  s'est  bovné  k  maintenir 
en  possession  le  défendeur  k  une  action  en  complainte,  ce 
jugement  ne  lui  assure  point  le  droit  de  possession  au  point 
de  Tue  actif  V  car^  de  ce  que  le  demandeur  n-a  pu  justifier 
de  son  droit,  il  ne  s'osait  point  que  la  possession  appar- 
tienne  aft  défendeur.  (Rej.^  21  mars  1834.) 

*  La  repUctUio  dont  parle  la  Glose ,  est  la  répUqoe  du  demandevà 
^exception  de  la  chose  jugée. 

'*  Sumnt  M.  Cftiolêt,  Parrèide  1837  aurait  dA  être  mo^é  rar  ee  ^H 
s'agissait  plutôt,,  dana  Fespèee,  de  rexécution  de  la  première  dédsioo  que 
de  la  réclamation  d'un  droit  distinct  du  premier;  mais,  au  fond,  M.  Griolet 
admet  la  doetii«e  de  1a  Cour  légvhlrice. 


460  CHOSE  IU6ÉB 

S'il  n'est  point  permis ,  à  Tinverse ,  au  demandeur  au  pë- 
titoire  de  revenir  ultérieurement  au  possessoire  (Cod.  de 
proc,  art.  26),  ce  n'est  pas  que  la  question  possessoire  ait 
pu  être  jugée  par  le  tribunal  civil  -,  c'est  que  je  suis  censé 
avoir  renoncé  à  l'avantage  de  la  possession,  en  plaidant  sur 
le  fond  (Rej.,  2  février  1857) ,  supposition  qui  n'était  pas 
admise  à  Rome.  (Ulp.,  L.  12,  §  1 ,  D.,  De  adq.  pou.) 

2«  Identité  de  Pobjet. 

860.  Arrivons  k  l'identité  de  l'objet  du  droit. 

Il  importe  d'abord  de  nous  prémunir  contre  toute  équi- 
voque. Point  de  doute  qu'on  ne  puisse  réclamer  plusieurs 
fois  le  même  objet  en  vertu  de  titres  différents,  d'une  dona- 
tion ,  d'un  testament ,  etc.,  sans  que  le  rejet  de  l'une  de  ces 
demandes  soit  de  nature  k  préjuger  en  rien  le  sort  des 
antres.  Aussi  n'y  a-t-il  point  lieu  de' citer,  comme  relatif  k 
l'identité  d'objet,  un  arrêt  de  cassation  du  14  février  1831. 
Si  cet  arrêt  a  jugé  qu'on  peut,  après  avoir  échoué  dans  la 
demande  d'un  droit  de  propriété  exclusif,  réclamer  sur  le 
même  bien  un  droit  de  propriété  commune  et  indivise ,  c'est 
que  ce  dernier  droit,  ainsi  qu'on  peut  facilement  le  suppo-\ 
ser,  était  fondé,  dans  l'espace,  sur  un  autre  titre  que  le 
droit  précédemment  réclamé.  11  faut  donc  nous  placer  dans 
l'hypothèse  où ,  le  titre  demeurant  le  même ,  le  doute  porte 
sur  l'identité  de  l'objet  du  droit. 

n  ne  faut  pas  non  plus  considérer  comme  l'objet  du  droit 
la  chose  matérielle  actuellement  réclamée ,  si  la  réclamation 
se  rattache  k  une  qualité  sur  laquelle  porte  le  litige.  C'est 
ainsi  que,  dans  un  texte  d'Ulpien  (L.  7,  §  5,  D.,  De  except. 
reijudic.)  déjk  cité  (n*  866),  on  ne  permet  point  k  celui 
qui  a  vainement  intenté  la  pétition  d'hérédité  contre  un  dé- 
biteur héréditaire ,  de  renouveler  le  litige  en  revendiquant 
un  corps  héréditaire  ;  car  le  véritable  objet  du  procès  n'est 


AU   CIVIL.  461 

point  le  payement  de  la  dette ,  on  la  restitution  du  corps 
héréditaire ,  mais  bien  la  qualité  d'béritier  sur  laquelle  il  a 
été  statué  :  Nom,  cwn  hèredUatem  pe(o,  dit  Ulpien,  et  cor- 
para  et  aetiones  omne$t  quœ  tu  hereditate  sunt,  videntur  in  pe- 
titionem  dedud^ 

Il  en  serait  autrement  (I31p.,  L.  9,  pr.,  ibid.)  si  la  péti- 
tion d'hérédité  n'avait  échoué  que  parce  que  le  défendeur 
me  possédait  point ,  et  que  je  reproduisisse  ma  demande  en 
invoquant  le  fait  de  la  possession.  Ma  demande ,  n'ayant  été 
repoussée  que  par  une  fin  de  non-recevoir  temporaire ,  pour- 
rait être  renouvelée  avec  succès. 

L'idenifté  d'objet  s'entend  d'une  manière  plus  restreinte, 
si  nou9  nous  plaçons  au  point  de  vue  de  la  fonction  néga- 
tive de  l'autorité  de  la  chose  jugée,  c'est-k-dire  si  nous  re- 
cherchons ce  qui  a  été  déduit  directement  dans  l'instance 
(n*  866);  en  ce  sens,  il  est  vrai  de  dire,  avec  l'article  1351, 
que  la  dme  demandée  doit  être  la  même.  Cette  proposition 
cesse  d'être  vraie  si  on  se  place  au  point  de  vue  plus  large, 
qui  avait  fini  par  prévaloir  k  Rome  (même  n*  863),  k  celui 
de  la  fonction  positive  de  l'autorité  de  la  chose  jugée.  Bien 
que  l'objet  réclamé  soit  différent ,  pourvu  qu'il  se  soit  trouvé 
implicitement  compris  dans  la  même  demande  ' ,  c'est  la 
même  question  qui  est  reproduite,  eadem  quœstio  versatur, 
suivant  la  définition  de  Julien  (L.  3,  D.,  ibid.)»  et  le  procès 
ne  peut  alors  être  renouvelé ,  parce  qu'il  y  a  au  fond  iden- 
tité de  sujet  du  litige. 

En  nous  plaçant  au  premier  point  de  vue,  à  celui  de  l'iden- 
tité matérielle  de  l'objet,  il  faut  encore  examiner  si  le  «tcfr- 
etraium  du  procès  est  un  objet  envisagé  individuellement , 
ou  bien  une  quantité,  ou  bien  un  corps  considéré  dans 

É 

*  n  n*y  annit  point  de  décision,  même  implicite,  fi  Ton  avait  statué 
sur  Inapplication  d'un  titre,  mais  saos  en  reeoonattre  formellement  la 
TaUdité.  (R^.,  10  décembre  ise7.) 


462  OiCMB  JtKÎÉE 

kfl  Tafiparts  de  l'ensemble  avec  les  partiâs  otmstiiiilÎYeg. 
S90.  En  ce  ^  touche  Tobjet  eavisagë  «dans  son  îiiAri- 
dfis^ité,  il  Êiat  remarquer,  avec  les  juriseonsultes  lomains, 
que  l'ideatité  ne  doit  pas  s'eAteodre  trop  littëralemait. 
Idem  corpus,  in  hoc  exceptione,  dît  Paul  (L.  14,  pr.,  D.^  flUi/.), 
wm  utiqtie  omm  pristina  qualiUxte  tervata,  tmUà  (ulfectione  de-- 
minutioneve  fada,  âed  pinguiu$  pro  êommuni  tàUkate  aaipàmr. 
Ainsi,  lorsqu'il  s'agit  d'un  être  moral,  on  n'exige  pas  l'iden- 
tité absolue  des  éléments  q«  le  eomposent.  Les  change- 
ments 4>u  diminations  qui  s'opk^en^  dans  un  tronpean,  par 
exemple ,  n'en  changent  pas  la  substance ,  el  ne  pemetteiit 
pas  d'iiitieBter  une  action  nouvelle  k  cehû  qni  a  é^  fiuc- 
combé  dans  une  demuide^n  revendication.  (Pomp.,  I^  21, 
§l,D.,iAW.) 

871.  Relalivement  a«x  quantités,  il  est  éfident  qu'une 
quantité  svpérieiire,  due  ex  eadem  ^mtêa,  comprend  la 
•qualité  inférieure.  Si  j'ai  vjdnement  demandé  vii^t  en 
vertu  d'un  prèt^  je  ne  puis  dcHiander  dix  au  même  titre. 
<{ue  si  j'ai  demandé  et  obtenu  dix.,  je  conserve  mon  droit 
poar  le  reste.  Seulement,  à  Rome,  j'étais  repoussé  par 
l'exception  ikh  dividuœ^  si  je  voulais  agir  durant  le  oours 
delà  même  prétare  (Gains,  îngt.^  camm.IV,  §^),  et  cbez 
nous,  je  serais  non  recevable  k  prouver  ma  seconde  de- 
mande par  témoins ,  &\  elle  n'était  pas  eotièrement  justifiée 
parécrîL  (Cod.  civ.,  art.  1346.) 

872.  Arrivons  a  l'hypothèse  où  le  Uiîge  parle  Buccessî- 
ivement  sur  un  objet  malénel  et  sur  les  divers  é)imMA  qui 
le  constituenL 

€e  que  nous  avons  dit  de  l'auitorité  de  la  chose  juf^ 
jnehtivemeiii  k  l'^toadue  du  droil  (  n*"  868  ) .,  dok  :s'appliqMr 
également  au  corpm  qui  est  l'objet  du  droit  :  Nec  ituerest, 
éit  Ulpien  {L«  7,  pr.,  D.,  ibid,),  in  corpore  hoc  quceratur, 
m  quantUate  vel  injure.  De  même  «qu'afiràs  Avoir  wi&snËifBté 


jàJB  crfÊL,  463 

ia  pvopriélé  d'an  lonés^  je  «ne  puis  revendiquer  sur  oe  même 
fMds  TiisufriHt  caoïsal^  je  me  j^iîs,  après  aToir  échové  sur 
k  renoidicalMm  da  fioads  entier^  rœuvder  ma  denande 
pour  une  pari  dihrtae'Oii  iativise.  (Ulpt.,  toc.  oh.)  En  ce  sens, 
le  jwnscoBSttite  raman  a  parfakement  raÛBM  de  dire  {ihid.  ) 
iqw  da  partie  eât  caDteaae  daDs  le  tout  ::  Pars  m  toto  est.  Les 
aAtafaes  dîdgëes  par  k  regretitable  Mafcadé  oaotre  eolte 
praposkioD ,  n^furaduite  par  les  oemm^ntaleiirs ,  ne  reposent , 
.après  tout^  ipie  sur  une  éqoiToqne. 

Pour  eoBimaer  toujours  le  rapprodiement  du  drcHt  et  de 
Tabjet  matâriel ,  nous  avons  yu  que  je  puis  parfiiiteraent 
^B*  863)  revendiquer  rusufruât  foonel,  après  avoir  échoué 
sur  la  propriété,  parce  que  oe  ne  sont  poiot  là  des  quaa- 
tités  homogènes.  Estnce  à  dire  que  la  ouixime  Pwn  m  soto 
est  puisse  être  plus  douteuse  que  l-aiîme  Deux  et  deux  font 
-quaivef  La  vérité  est  -que  je  ne  réclame  peint  le  droit  d'usu- 
fruit aoume  nne  partie  intégranlie  du  dmît  de  propriété^  et 
que  je  me  trouve  ainsi  .placé  en  dehors  de  l'application  de 
la  maiime.  Hênae  décision  en  oe  qui  concerne  le  toat  com- 
paré aux  parties  matérielles  d'un  objet.  II  est  possible  que 
le  jttgement  rendu  qaant  à  l'objet  total  laisse  intacte  la 
<{uestion  de  la  propriété tdes  parties,  c  Is  qui  iasalam  petit  », 
dit  Ulpien  (même  L.  7^  §  2)^  «  m  ^csemeala  vel  tigna  vel 
«  quid  alîad  fiunm  petat ,  ia  ^ea  coaditione  est  ut  ^ideatur 
a  aliad  petere.  Ëtenim,  cujus  insulaest,  non  utique  et  csb- 
«  monta aunt  '.  d  En  toute  matière,  ce  qu'il  faut  examiner, 
<'est,  comme  le  dit  Pothier  {Pondect.^  De  except.  rei  jud^, 
§  5) ,  si  ce  qui  est  demandé  de  nouveau,  tatufiiam  pars  ejus 

il^uœ  petita  fuerU,  \peuaur.  Aloors  seulement  on  peut  appli* 


.  r  ^  Ajoutons  toiMTois  que,  4mi8  l^yfothèn  oè  les  iDatérianx  seroÉt 
réclamés  par  nne  action  postérieure ,  ils  le  seront  presque  toiûoof ^  «  ^ 
fait,  en  vertu  d*une  autre  cause  que  celle  qui  motiTait  la  rerendication  de 
i^édiao«. 


46é  CHOSE  I06ÉE 

quér  la  maxime  Pars  in  toto  eu;  mais,  de  ce  qae  plusiears 
commentateurs  modernes  se  sont  quelquefois  trompés  quant 
h  l'application  de  cette  maxime,  ce  n*est  pas  un  motif  pour 
révoquer  en  doute  une  vérité  aussi  élémentaire. 

Comme  corollaire  de  la  maxime  Pars  in  toto  est,  les  an- 
ciens commentateurs  ont  imaginé  de  dire  à  l'inverse  :  Totwn 
in  parte  non  est.  Cette  proposition ,  qui  n'appartient  point  aux 
jimsconsuUes  romains ,  est  loin  d'être  exacte ,  même  dans 
les  sciences  physiques  :  car ,  lorsqu'un  tout  se  compose  de 
parties  homogènes,  ce  qui  est  yrai  de  l'une  des  parties  est 
yrai  des  autres,  et  par  conséquent  du  tout.  Telle  est  même, 
nous  l'ayons  vu  (n*  14) ,  la  base  de  Tinduction ,  qui  se  fonde 
sur  des  observations  concordantes  pour  s'élever  de  la  con- 
naissance des  faits  particuliers  aux  lois  générales  de  la  na- 
ture. En  ce  qui  concerne  l'autorité  de  la  chose  jugée,  il 
faut  distinguer  trois  hypothèses  :  i*  celle  oii  le  premier  ju- 
gement a  statué  sur  un  droit  partiel ,  distinct  du  droit  gé- 
néral actuellement  réclamé-,  2*  celle  où  il  a  statué  sur  une 
partie  de  l'objet  de  la  demande  actuelle,  mais  sans  rien  pré- 
juger sur  le  tout-,  3*  celle  où  le  premier  jugement,  en  ne 
statuant  dans  ses  termes  que  sur  une  partie  de  ce  même 
objet ,  a  virtuellement  tranché  la  question  pour  la  totalité. 

Dans  la  première  hypothèse,  il  n'y  a  point  lieu  de  dire  : 
Totum  in  parte  non  est;  il  s'agit  de  droits  complètement 
distincts.  De  même  qu'après  avoir  vainement  revendiqué 
la  propriété ,  je  pouvais  revendiquer  l'usufruit  formel ,  de 
même  que  je  pouvais  revendiquer  les  matériaux  pris  isolé- 
ment, après  avoir  yainement  revendiqué  l'édifice  considéré 
dans  son  ensemble-,  en  supposant  l'espèce  inverse,  je  serai 
parfaitement  recevable  à  présenter  comme  une  demande 
nouvelle  la  revendication  de  la  propriété,  ou  bien  celle  de 
l'édifice. 

Dans  la  seconde  hypothèse,  il  est  vrai  de  dire  que  le 


AU  CIVIL.  46S 

jugement  relatif  li  une  partie  laisse  intacte  la  réclamation 
du  tout,  en  ce  sens  quMl  demeure  permis  de  réclamer  le 
tout,  moins  la  partie  comprise  dans  le  premier  procès. 
Ainsi,  lorsqu'il  a  été  jugé  que  je  ne  suis  point  propriétaire 
d'une  pièce  de  terre  faisant  partie  d'un  domaine,  je  puis  pré- 
tendre encore  U  la  propriété  du  domaine ,  moins  cette  pièce 
de  terre.  C'est  encore  là  une  vérité  mathématique,  puisque 
le  retranchement  d'une  quantité  comprise  dans  une  somme 
plus  considérable  laisse  nécessairement  intact  tout  ce  qui 
excède  cette  quantité.  Il  faut  supposer  toutefois  que  les 
conclusions  posées  dans  la  première  instance  ont  porté 
exclusivement  sur  la  propriété  de  la  pièce  de  terre ,  et  non 
sur  celle  du  domaine  entier  -,  autrement,  nous  retomberions 
dans  l'hypothèse  suivante. 

La  troisième  hypothèse  nous  ramène  k  la  fonction  posi- 
tive de  l'autorité  de  la  chose  jugée.  U  ne  s'agit  plus  d'une 
res  in  jtuUcbm  deducta,  puisque  nous  supposons  que  le  pre- 
mier jugement  n'a  statué  dans  ses  termes  que  sur  une  partie 
de  l'objet.  Si  l'on  se  plaçait  au  point  de  vue  primitif  de 
l'exception  de  la  chose  jugée,  le  litige  pourrait  être  renouvelé 
quant  à  la  partie  de  l'objet  non  comprise  dans  les  premières 
conclusions.  Ainsi,  il  est  évident  qu'on  n'a  pas  déduit  in 
judicium  une  chose  qui  n'avait  pas  encore  d'existence  dis- 
tincte, comme  les  fruits  du  fonds  réclamé  non  encore 
recueillis  à  l'époque  de  la  demande  ;  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  le  juge ,  en  statuant  sur  la  propriété  du  fonds,  a 
virtuellement  statué  sur  celle  des  fruits.  Hœc  enim  nondum 
erant  in  rerum  naiura,  dit  Ulpien  (  L.  1 ,  §  3,  ibid,),  sed  ex  re 
nmt  quœ  petita  est;  magieque  est  ut  ista  exeeptio  noceat. 

Il  en  sera  de  même,  k  plus  forte  raison,  si  la  nouvelle 
réclamation  porte  sur  un  droit  qui  aurait  déjà  eu  une  exis- 
tence effective  lors  du  premier  jugement ,  dont  la  décision 

en  emporte  forcément  la  négation.  C'est  ce  qu'ont  encore 
n.  30 


466  GH08B  njQiE 

recoDBU  les  juriscongultes  romains,  auxquels  on  prête  mal  it 
propos  la  maxime  générale  :  Totum  in  parte  non  m.  Voici 
l'espèce  élégante  que  pose  Africain  (L  26,  D.,  De  except. 
rdjudic.)  :  a  Egi  tecum  jus  mihi  esse  aedes  meas  altius  loi* 
«  1ère,  post  ago,  jus  mihi  esse  usque  ad  viginti  pedes  al£îus 
«  toUere*,  exceptio  rei  judicais  procul  dubio  obstabit.  Sed 
a  etsi  rursus  îta  agam ,  jus  mihi  esse  altius  ad  alios  decem 
«  pedes  toUere  »  obstabit  exceptio ,  quum  aliter  superior 
«  pars  jure  haberi  non  possit ,  quam  si  inferior  quoqae  jure 
«  habeatur.  » 

Ënûn,  pour  en  revenir  aux  quantités,  la  décision  relative 
k  une  certaine  valeur  peut  préjuger  la  question  relative  k 
une  autre  valeur  sur  laquelle  n'avaient  point  porté  les  pre- 
mières conclusions.  Ainsi ,  après  avoir  vainement  réclamé 
dix  mille  francs  en  vertu  d'un  billet  dont  le  chiffre  était  de 
vingt  mille  francs ,  je  ne  serai  plus  recevable  k  réclamer, 
en  vertu  de  ce  même  billet,  soit  vingt  mille  francs,  soit 
même  les  dix  mille  francs  d'excédant.  On  me  repoussera, 
en  invoquant  contre  moi  la  fonction  positive  de  l'autorité  de 
la  chose  jugée  * .  En  cesens  encore,  il  sera  permis  de  dire  : 
Totum  in  parle  eet.  (Voyez  Rej.,  20  décembre  1830.) 

Les  solutions  que  nous  venons  de  donner  supposent  que 
la  décision  judiciaire  a  statué  formellement  sur  le  droit  tout 
entier,  k  l'occasion  de  la  demande  partielle  qui  était  soumise 
au  juge.  Il  en  serait  autrement  si  l'on  voulait  faire  résulter 
l'autorité  de  la  chose  jugée  du  simple  silence  gardé  sur  un 
point  qui  donnerait  ultérieurement  lieu  k  réclamation.  Aussi 
la  Cour  régulatrice  a-t-elle  cassé,  le  28  décembre  1859,  un 
arrêt  de  la  Cour  de  Golmar  qui  avait  refusé  l'allocaiion 
ultérieure  des  intérêts ,  par  ce  seul  motif  qu'ils  avaient  été 
omis  dans  le  jugement  statuant  sur  le  capital. 

*  Lorsque  Ulpien  dit  (L.  13,  "D^^Deexcept,  rtijud.)  :  quantitas  eadem, 
U  86  place  au  point  de  rue  de  la  fonction  négative  de  Texception. 


AU  CIVIL.  467 

3»  Identité  du  titre  de  la  demande. 

873.  De  méaie  q^e  je  puis  être  repoussé  par  l'autorité 
de  la  chose  jugée,  lorsque  je  réclame  ua  objet  différent,  si 
^a  base  de  ma  prétention  est  identique  dans  les  deux  procès, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu  (n*  869)  pour  la  pétition  d'béré- 
dité,  je  puis,  à  Tinverse,  réclamer  identiqueatent  le  même 
objet  si  je  me  puésente  ea  vertu  d'an  autre  titre,  si  après 
avoir,  par  eiemple,  revendiqué  un  immeoUe  an  vertn 
d'HAevi»ile,je  le  revendà^e -en  vertu  d'uo  testamenL  Cest 
en  <^e  sens  qu'il  doit  y  avoir  eadem  causa  ^untU.  (Paul, 
L.  14,  D.,  De  except.  rei  judicj)  Mous  verrous  qtt'4ine  fausse 
interprétation  des  expressions  de  Neratias  (L.  27,  Ufid.)^ 
causa  praxkna  adionk ,  a  fait  donner  au  mot  cumm  un  sens 
subtil,  tout  }k  fait  inconnu  des  jurisconsukes  romains,  tandis 
que  Neradus  voulait  simplement  désigner  le  droit  qui  est 
la  base  de  Tactioii,  par  exemple,  le  testament  dans  Tactioo 

êx  Ustamenio,  id  ipmm  de  quo  agitur^  par  O^posîlioa  aux 

moyens  de  preuve.  Il  y  avait  dans  la  législation  romaine  sur 
la  cause,  au  point  de  vue  de  la  cbose  jugée^  une  diffidiUé,, 
mais  d'une  nature  lout  autre. 

874.  Il  fallait  distiiiguer,  quant  au  titre  invoqué  par  Je 
défiendeur,  entre  les  actions  réelles  et  les  actions  per- 
sonnelles. Celâû  qui  avait  intenté  une  action  réelle  sans 

faire  aucune  restriction  (ù  paret  baac  r^m  ex  jure  Quiritium 
AuU  Agerii  tfite),  s'il  intentait  ensuite  la  même  demande 
^  un  autre  titre,  était  repoussé,  parce  qu'il  avak  été 
jugé  d'une  manière  absolue  que  la  cbose  ne  lui  appar- 
tenait pas.  On  ne  courait  pas  le  mèone  danger  dans  les^ 
actions  personnelles.  La  même  cbose  pouvant  n'être  due 
plusieurs  fois  par  la  même  personne  pour  des  causes  diffé- 
rentes ,  le  rejet  de  ta  prétention  du  demandeur,  quand  il 
s'agissait  d'une  créance,  n'avait  jamais  qu'un  effet  relatif  : 

30. 


468  CHOSE  JUGÉE 

«  Actiones  in  personam  »,  dit  Paul  (L.  14,  §  2,  D. ,  D^ 
except.  reijudic.)y  «  al)  actionibus  in  rem  in  hoc  différant  : 
«  quod ,  quum  eadem  rcs  ad  eodem  mibi  debeatar,  sîngnhs 
«  obligationes  singulae  causas  sequuntur,  nec  ulla  earum 
«  allerius  petitione  vitiatur.  Ât  quum  in  rem  ago  non  expressa 
K  causa  y  ex  qua  rem  meam  esse  dico,  omnes  caus»  una 
«  petitione  adprehenduntur.  Neque  enim  amplius  quam 
«  semel  res  mea  esse  potest  ;  saepius  autem  deberi  potèst.  * 
Nous  laissons  aux  romanistes  le  soin  de  décider  si  Yadjectio 
causœ  dont  parle  Paul  devait  se  trouver  dans  Vhuentio  même, 
ou  dans  une  prescriptio  détacbée ,  comme  celles  dont  parle 
Gains.  (Comm,,  lY,  §  135  et  suiv.) 

La  même  difficulté  ne  peut  guère  s'élever  aujourd'hui, 
puisque  l'article  61  du  Code  de  procédure  exige  que  Texploit 
d'ajournement  contienne  l'exposé  sommaire  des  moyens,  et 
que  dès  lors  la  nature  de  la  cause  alléguée  se  trouve  toujours 
désignée  dès  le  début  de  la  procédure  ' .  Mais ,  lors  même 
que  les  moyens  n'auraient  pas  été  mentionnés  dans  l'origine, 
et  que  la  nullité  de  l'exploit  aurait  été  couverte,  faute  d'être 
proposée  in  limine  lUis,  il  suffirait  que  les  moyens  ressor- 
tissent  du  jugement  comparé  aux  conclusions,  pour  qu'on 
pût  apprécier  après  coup  quelle  était  la  prétention  do  de- 
mandeur. L'opinion  qui  voudrait  le  considérer  comme  déchu 
de  tout  droit  U  la  propriété,  k  quelque  titre  que  ce  fût,  parce 
qu'il  se  serait  dit  propriétaire  sans  énoncer  dès  l'abord  le 
titre  spécial  qu'il  devait  faire  valoir,  serait  rejetée  aujour- 
d'hui comme  une  pure  subtilité. 

Ce  qui  n'est  pas  douteux,  dans  la  législation  romaine  aussi 
bien  que  dans  la  nêtre,  c'est  que,  le  juge  ne  pouvant  jamais 
statuer  que  sur  l'état  de  choses  présent,  il  est  toujours 

*  Voyez  dans  Savigny  (appeod.  XVI)  la  controTerse  snr  le  point  de  saToir 
si,  ffuÎTant  le  droit  commun  allemand,  Paction  de  la  propriété  exige,  à  peine 
de  déchéance ,  Mionciation,  dans  Pacte  introductif  d*instance,  de  rorigine 
de  la  propriété. 


AU   GIYIL.  460 

permis  d'invoquer  une  cause  d'acquisition  survenue  après 
coup  :  ce  que  les  interprèles  ont  appelé  causa  supervenîent. 
Si  forte,  dit  Ulpien  (L.  11,  §  4,  D.,  Deexcept.  reijudic),  petiero 
funéan  vel  kominem,  mox  alla  causa  nova  post  petUionem  nûhi 
accenerit^  non  me  repelUt  uta  exceptîo, 

875.  Voyons  maintenant  ce  qu'il  faut  entendre  dans 
notre  droit  par  cause  de  la  demande. 

Ce  point  ne  donne  lieu  k  aucune  difficulté  sérieuse  lorsque 
les  conclusions  du  demandeur  portent  directement  sur  un 
corps  certain  ou  sur  une  quantité,  et  qu'il  s'agit  de  savoir 
quelle  est  la  base  de  sa  réclamation ,  causa  peundi.  On  dis- 
tingue alors  bien  nettement  la  cause  de  la  demande,  la  con- 
vention, le  testament,  etc.,  invoqués  k  l'appui  des  conclu- 
sions, et  l'objet  de  la  demande ,  qui  consiste  dans  le  corps 
ou  dans  la  quantité  que  réclame  le  demandeur.  C'est  dans 
cette  hypothèse  que  se  place  Polhier  (Oi%.»  n*"  893),  lors- 
qu'il traite  de  la  cause. 

A  ce  point  de  vue,  qui  est  le  plus  simple,  et  le  seul  qui 
se  présent&t  dans  la  procédure  romaine ,  s'il  n'y  a  point  de 
difficulté  sur  la  détermination  de  la  cause,  il  y  a  lieu  de 
résoudre ,  en  ce  qui  touche  la  portée  de  la  chose  jugée ,  une 
question  très-pratique.  Le  jugement  qui  affirme  l'eiistence 
du  droit  du  demandeur,  notamment  d'une  créance,  affirme- 
t-il  implicitement,  non-seulement  Tezistence  légale  du  droit 
dans  le  principe ,  mais  même  l'absence  de  toute  extinction 
ultérieure ,  par  payement ,  par  remise ,  ou  par  tout  autre 
mode? 

Dans  la  rigueur  des  principes,  on  pourrait  être  porté  à 
décider,  avec  M.  Griolet  (pag.  108  et  172),  qu'en  se  pré- 
tendant libéré  d'une  dette  dont  l'existence  a  été  judiciaire- 
ment constatée  sans  aucune  réserve',  le  défendeur  viole 

*  Point  de  difficulté  fti,  comme  dans  une  espèce  jugée  par  la  Cour  de 
cassation  le  24  frimaire  an  X,le  défendeur  n^arait  été  condamné  qn*à 


470  GBC^SB  JCnSÉE 

rantorîtë  de  Ta  ebose  jogëe.  Il  est  bien  entendu  qae  vous 
snpposoiTs  le  fait  d'extin-ction  allégué  antérieur  i  la  demande  ; 
autreflwnt,  nous  tomberions  dans  l'hypothèse  de  la  onua 
mpervemens  {n*  874),  qui  exclut  toute  autorité  de  la  chose 
jugée.  Lorsque  rextinclion  alléguée  existait  >ors  du  premier 
procès,  n'était-ce  pas  au  défendeur  ^  en  faire  la  preure? 
Celte  solution  rigoureuse  était  inévitable  dans  la  proeédvre 
revrame ,  où  la  question  posée  de  la  manière  la  plus  géné- 
rale :  ^  ffaret  Ifmnermm  Negn^um  Auto  Agerio  decem  dore 
^^portere,  comprenait  forcément  et  Texistence  légale  4t  ia 
dette,  et  Pabsence  de  tout  mode  d'extinctitm  consacré  par 
le  droit  crril. 

Mars,  dans  notre  procédure  française,  ancienne  et  m«H 
4erne ,  les  conclusions  ne  sont  point  habituellement  posées 
d^une  manière  aussi  compréhensÎYe.  Le  débat  porte  le  plus 
souvent  sur  Fexistence  légale  de  la  dette ,  et  te  défendenr 
condamné  à  la  payer,  s'il  se  prétend  plus  lard  libéré,  me 
rerient  point  sur  un  Ktige  qui  n'a  pas  été  précisément 
soulevé.  Aussi  élaic-il  admis  autrefois  k  se  prévaloir  âa 
payement  sans  avoir  besoin  de  se  pourvoir  par  requête  crvile 
contre  te  premier  jugement.  Les  cmiffomnartom  ak  poffëmeat, 
smvanft  un  texte  de  Duparc-P^ullain  sowent  cité,  s^mtmdau 
tùujinm  jmrtgrgent  m  quittances.  Telle  est  également  la  juris- 
prudence noderae.  La  Com-  de  cassation  (Rej.,  12  juillet 
18^1)  a  admis  la  partie  vis-ii-vis  de  laquelle  l'existence  ée 
la  dette  avait  été  judiciairement  constatée,  \  faire  pnsiiv« 
de  la  remise,  «  attendu  que,  dans  l'instance  terminée  par 
«  Tarrét  de  1856,  le  débat  ne  portait  que  sirr  Fexisteiiee  et 
«  ht  légitimité  de  la  dette,  et  qu'amcunes  GonclasioM  n'étaient 
Il  prises  alors  coocemant  la  renuse.  » 

charge  de  restitution ,  s^il  Tenait  à  fournir  la  preuve  du  i>ayement  :  pn- 
nque  fort  usitée  dans  l'ancien  droit,  sous  le  nom  A^aeHons  en  B^commi- 
notoire. 


AC  aviL.  471 

Si,  an  coDta^re,  le  débat  a  porté  sur  Textitictioii  même 
de  la  dette ,  tant  pis  pour  le  défendeur  s'il  n'a  pas  été  en 
éiat  de  prouver  le  payement  ou  la  remise  q«i  lui  en  aurait 
été  faite.  Il  ne  lui  reste  d'autre  Toie  qie  la  requête  civile, 
si  la  quittance  ou  tout  antre  acle  libératoire  a  été  retenu 
par  le  fait  de  la  partie  adverse.  (Cod.  de  proc.,  art.  480,  id^.) 
C'est  ce  qu'a  également  décidé  la  Cour  de  cassation  (Rej., 
29  juillet  1851)  dans  une  espèce  où  les  premiers  juges 
avaient  statué  tout  à  la  fm  titr  la  demande  et  wr  l'exoepAm  de 
pagemerU  opposée  par  le  défendeur. 

876.  Arrivons  maintenaot  au  genre  d'actions  pour  lequel 
Toullier  (tom.  X,  b**  61  et  suiv.)  a  imaginé  une  théorie 
subtile,  qui  a  bit  fortune  dans  la  jurisprudtence,  et  q«e  noos 
avons  enseignée  novs-^méme,  jusqu'à  ce  que  nous  ayms  été 
édifié  par  la  savante  critique  de  M.  Griolet^  C'est  spécia- 
lement aux  actions  em  nullité  qu'a  été  aq^iquée ,  dans  la 
]»ratiqne,  celte  théorie. 

Ce  qu'il  y  a  d'élrasge,  c'est  que  Toullier  se  soît  efforcé 
d'appuyer  sur  l'amlorité  des  jurisconsultes  romains  une 
doctriAe  complètement  étrangère  à  la  procédure  romaine. 
A  Rome  9  les  oonclusions  (Si  paret  rem  Auli  Agerii  esse;  si 
parti  Iftanerium  NegiéBum  Auto  Agerio  deeem  dore  cpontre) 
portaient  toujours  directement  sur  Tobjet  q«e  le  deman- 
deur avait  finalement  en  vue,  et  non  sut  la  nullité  de  ^I  on 
tel  acte,  qu'il  aurait  fallu  préabUement  fimre  pronwicer. 
Ainsi,  celui  qui  attaquait  on  testament  comme  nui  os  cMume 
inofficieux ,  revendiquait  directment  l'héré^té  «fr  imeetat  : 
ce  qui  permettait  de  distinguer  bien  nettement  Voijet  de  la 


^  Marcadé  nous  a  attaqné  à  cette  occaeioii  avec  «a  vivacité  ordittaiBe , 
nous  imputant  comme  faute  personnelle  des  obscurités  inhérentes  à  la 
daetrine  doit  il  n'avait  point  reconnu  le  vice.  S*il  anrait  fécu  anea  pour 
connaître  le  travail  de  H.  Griolet,  il  se  serait  convaincu  que  les  incobé- 
rences  signalées  par  lui  tenaient  à  la  théorie  même  de  Toullier,  qu*il  eût  falln 
combattre. 


472  CH08K  JUGÉE 

demande,  Thérédité,  et  la  cause  de  la  demande,  la  nnllîte  ou 
rinofficiosité  du  testament. 

Notre  procédare  ne  sait  point  la  même  marche.  Nous 
avons  rhabitude  à»  nous  attaquer  au  testament,  a  la  con- 
vention, etc.,  que  nous  nous  proposons  de  faire  annuler;  les 
résultats  auxquels  vise  finalement  le  demandeur,  et  qui  sont 
après  tout  V objet  qu*il  a  en  vue,  ne  se  produisent  que  par 
voie  de  conséquence.  Mais,  si  la  nullité  est  considérée  comme 
rbbjet  de  la  demande,  quelle  en  sera  donc  la  cause? 

Toullier  a  cru  trouver  la  solution  de  cette  dilBculté  dans 
le  texte  de  Neratius,  que  nous  avons  déjk  signalé  (n*  873), 
où  il  est  question  de  la  causa  proxhna  actionis.  (L.  27,  D., 
De  except.  rdjudic.)  La  cause  de  la  demande  serait  ce  qui 
détermine  immédiatement  les  conclusions  du  demandeur, 
par  opposition  aux  causes  éloignées,  appelées  par  les  inter- 
prètes causœ  remotœ,  simples  moyens,  sur  lesquels  il  n'est 
plus  permis  de  revenir  quand  on  ne  les  a  pas  fait  valoir  dans 
le  premier  débat.  Mais  cette  notion  de  la  causa  proxhna  est 
étrangère  à  Tesprit  de  la  procédure  romaine ,  elle  ne  trouve 
aucun  appui  dans  les  nombreux  textes  des  jurisconsultes 
sur  l'exception  de  la  chose  jugée  ;  enfin,  comme  nous  l'avons 
déjk  fait  observer,  elle  interprète  k  faux  le  fragment  de 
Neratius.  En  lisant  avec  attention  ce  texte,  il  est  facile  de 
se  convaincre  que  Neratius  n'oppose  point  la  causa  actionis  k 
l'objet,  id  ipsum  de  quo  agitur,  mais  qu'il  entend  tout  simple- 
ment par  causa  actionis  le  droit  même  du  demandeur,  id  ipsum 
de  quo  agittar.  Ce  qu'il  oppose  k  la  cause  de  l'action,  ce  sont 
les  moyens  de  preuve  sur  laquelle  l'action  se  fonde  :  ratio 

qua  qtds  eam  causant  actioms  sibi  competere  existimassH,  De 

meilleurs  romanistes  que  Toullier  ont  eu  tort  d'adopter  de 
confiance  une  interprétation  vraiment  insoutenable,  soit 
quant  au  sens  littéral ,  soit  quant  k  l'esprit  de  la  législation 
romaine. 


kv  CIVIL.  473 

Chez  nous,  si  on  veut  considérer  la  nullité  de  l'acte  comme 
étant  l'objet  de  la  demande,  la  cause  de  la  demande  sera 
le  vice  quelconque  qui  engendre  la  nullité,  Tincapacité, 
l'erreur,  le  dol,  la  violence,  etc.  On  ne  peut  méconnaître, 
dit  Dalloz,  cité  par  M.  Griolet,  que  ce  ne  soit  le  sens  simple 
et  naturel  de  la  loi.  Il  faut  avouer  cependant  que  cette  hypo- 
thèse n^avail  été  nullement  prévue  par  Pothier,  le  guide 
habituel  des  auteurs  du  Code. 

On  sent  qu'il  était  impossible  d'admettre  cette  consé- 
quence logique  des  prémisses  posées  par  Toullier,  sans 
anéantir  complètement  le  respect  dû  k  la  chose  jugée.  Aussi 
Toullier,  s'attachant  toujours  k  la  prétendue  doctrine  de 
Neratius  sur  la  causa  proxma^  a-t-il  émis  cette  opinion  qu'il 
fallait  grouper  les  moyens  de  nullité  de  manière  k  en  former 
diverses  catégories  :  vices  du  consentement,  incapacité, 
nullités  ^e  forme ,  etc.  Toutes  les  fois  que  le  juge  a  statué 
sur  un  des  moyens  compris  dans  la  catégori.e,  notamment 
sur  une  nullité  de  forme ,  la  catégorie ,  celle  des  nullités  de 
forme,  dans  l'espèce,  se  trouve  épuisée^  mais  il  reste  toujours 
au  plaideur  le  droit  de  reprendre  le  débat,  en  puisant  un 
moyen  dans  une  autre  catégorie,  notamment,  en  invoquant 
un  vice  du  consentement,  l'erreur,  la  violence  ou  le  dol. 
Marcadé  qualiûe  ce  qu'on  appelle  cause  dans  cette  doctrine, 
le  vice  de  forme  ou  le  vice  du  consentement,  de  base  immé- 
diate de  l'action,  tandis  que  les  éléments  particuliers,  tels 
que  l'erreur  ou  le  dol ,  n'en  seraient  qu'une  base  médiate  : 
théorie  ingénieuse  sans  doute,  mais  qui  ne  repose  sur  aucun 
fondement  solide,  soit  dans  les  précédents,  soit  au  point  de 
vue  rationnel. 

La  théorie  de  TouUier,  n'ayant  point  été  contredite  jusque 
dans  ces  derniers  temps,  a  été  admise  sans  diiBculté  par  la 
jurisprudence.  (Voy.,  notamment,  Rej.,  2  janvier  1851 , 
15  décembre  1856  et  19  janvier  1864.)  Toutefois,  la  for- 


474  GHOSB  JUGÉE 

matioD  des  groupes  dans  lesquels  on  classe  les  vices  donnant 
ouverture  k  l'action  en  nullité,  n'est  pas  sans  donner  lieu  k 
quelque  embarras  dans  la  pratique.  Ainsi,  tandis  que  Marcadë 
voit  un  vice  de  forme  dans  Tincapacité  d'un  témoin  însiro- 
mentaire,  la  Cour  de  cassation  (1*'  juin  1814)  fait  rentrer 
cette  incapacité  dans  une  catégorie  k  part,  ce  qui  permet 
de  renouveler  le  litige.  Cette  décision  de  la  Cour  de  cassa- 
tion nous  parait  fâcheuse  au  point  de  vue  pratique;  mais, 
dès  qu'on  prend  pour  base  le  système  de  Toullier,  il  n'y  a 
aucun  principe  certain,  comme  il  n'y  a  ancMilexte,  sur 
lequel  on  puisse  s'appuyer  pour  la  critiquer^. 

Ajoutons  que  cette  théorie ,  en  se  basant  uniquement  smr 
la  forme  des  conclurions,  conduit  k  une  singulière  consé- 
quence :  elle  fait  varier  la  cause  suivant  le  caractère  des 
conclusions  posées  par  la  demande.  Si  Théritier  ab  inte$mi 
demande  directement  la  nullité  du  testament,  la  cause  de  sa 
demande  sera  l'incapacité  du  testateur,  le  vice  de  forme,  etc. 
Si,  suivant  la  marche  de  la  procédure  romaine,  il  réclame 
diroctement  Tbérédité  ab  intestat,  en  ne  présentant  que 
comme  une  demande  incidente  l'action  en  nullité  du  testa- 
ment, Tobjet  de  sa  demande  sera  l'hérédité  ab  nueêtat,  la 
nullité  du  testament  sera  la  cause,  et  les  vices,  même 
groupés  en  catégories,  les  vices  de  forme,  l'incapacilé,  etc., 
dégénéreront  en  simples  moyens  :  ce  qui,  après  tout,  est 
bien  plus  rationnd.  Mais  comment  une  théorie  de  droit 
po«rrait-eile  varier  suivant  une  simple  modification  de  la 
procédure  ?  Une  pareille  conséquence  ne  révèle-t-elle  point 
tout  l'arbitraire  du  système? 

Évidemment,  pour  être  dans  le  vrai,  il  faut  aller  an  fond 

'  La  Cour  de  cassation,  dans  une  de  ses  décisions  les  plus  récentes 
(13  avril  1869),  a  inêMe  étitéde  «e  pranenoer  nrle  peint  de  saToir  a*U  eat 
permis  d*invoquer  contre  un  testament  une  seconde  nullité  de  forme,  après 
avoir  échoué  dans  une  première  demande,  fondée  également  sur  une  nullité 
de  A>nae  :  qoestian  que  la  Cour  de  Pam  avail  résolue  négatifeiMBt. 


AD  CIVIL.  47S 

des  choses,  et  coMÎdërer  eoimne  le  véritable  objet  de  la 
demande,  non  l'action  en  nullité,  mais  le  but  final  anqvel 
on  prétend  arriver  a«  moyen  de  celle  acikm.  Si  vo«s  atta- 
quez un  testament,  le  but  de  vos  oonclisioos,  quelle  qu'en 
soit  la  forme,  c'est  rbérédité  ai  hÊteatU;  la  cause  de  votre 
demande,  c'est  la  nullité  du  testament,  qu'il  faut  présenter, 
à  peine  de  décbéanoe,  sous  tontes  ses  faces  :  vices  de  forme, 
incapacité,  etc.  Le  sysiène  contraire,  si  Ton  ne  veut  tomber 
dans  l'arbilraire,  conduit  k  voir  autant  de  causes  qu'il  y  a  de 
vices  possibles  k  alléguer  :  ce  qui  permettrait  le  renouvel- 
lement des  procès  ii  Tinfini. 

Seulement ,  pour  être  conséquent  avec  nous-même,  nous 
déciderons  avec  M.  Griolet,  qui  lui  cependant  aurait  dû  être 
amené  k  une  autre  conclusion  par  sa  doctrine,  où  il  met  sur 
la  même  ligne  la  constitution  même  du  droit  et  les  causes 
d'exlinetîoB  (pag.  469),  que  la  nallilé  de  l'acte  «6  initio  n'a 
nen  de  comoHin  avec  la  résolution  ou  la  révocation  amenée 
par  des  causes  postérieures.  C'est  ainsi  qu^iMi  pe»t  fort  bien 
provoquer  la  résolution,  pour  inexécution  des  conditions, 
d''une  convention  donl  la  validité  a  été  irrévocablement 
jugée  (Rej.,  22  juin  1814),  ou  bien  demander  la  révocation, 
povrsurveoanced'enfenls,  d'une  donation  dont  la  régolauité 
êà  màh  ne  peut  plus  élre  contestée. 

9 

I  S.  jvEamÉ  »n  ràxmM  n  vn  QirALrnis. 

SOMM Anus.  —  877.  Principe  général.  Son  application.  —  878.  Représenté.  —  879.  Suc- 
ccseeort  à  tflre  particnlier.  ~  880.  Hiùd  ttMtvnmeni  au  crèaBdere  hypothécaires?  — 
884.  Cas  où  le  droit  réel  est  consiitaé  entre  la  demande  et  le  jugement.  —  882.  Le 
vendew  o'esi  point  lena  des  dèdsioBS  leidoes  eontre  l'acheteur.  »  Ms.  -Chose  Jigée 
vis-ii-Tis  du  propriétaire  apparent.  —  884.  Yi8-à-?is  du  dèbiiear,  quant  aux  créanciers 
éUrographaireo.  —  lis.  Des  cohiièresséo.  —  8M.  De  la  caatloi.  —  887.  Des  erèiflcien 
€t  dos  débiteurs  solidaires.  —  888.  Quid  an  cas  d'indivisibilité?—  889.  Théorie  do 
eontrêdieteur  légiHMe,  dan»  les  qaesUoiis  d'éiat. 

877.  Rien  de  ^s  raisonnable  que  le  principe  posé  par 
Paul  y  dans  ce  texte  devenu  célèbre  (L.  16^  D.,  Qui  pot.  m 


476  CHOSE  JUGÉE 

pign.)  :  «  Res  inter  alios  jadicata  aliis  prodesse  aut  oocere 
«  non  soleU  » 

L'applicaUon  de  ce  principe  ne  donne  lieu  k  aucune  diffi- 
culté ,  lorsqu'il  s'agit  d'une  personne  complétenaent  étran- 
gère à  celle  contre  laquelle  le  jugement  a  été  rendu.  Et  lors 
même  que  la  personne  physique  qui  plaide  est  la  même,  si 
la  qualité  a  changé ,  comme  si  je  réclame  en  mon  propre 
nom  ce  que  j'avais  déjk  réclamé  vainement  au  nom  de  mon 
pupille,  il  est  évident  que  je  suis  une  partie  nouvelle,  et 
qu'on  ne  peut  m'opposer  ce  qui  a  été  jugé  contre  moi  quand 
je  n'agissais  que  comme  représentant  d'autrui.  (Rej., 
28  août  1849.)  Il  n'y  aura  question  sérieuse  que  lorsqu'on 
prétendra  que  celui  k  qui  on  oppose  le  premier  jugement, 
et  qui  n'y  a  pas  figuré,  s'y  trouvait  virtuellement  partie, 
comme  étant  l'ayant  cause  de  ceux  qui  ont  succombé;  ou, 
en  sens  inverse,  lorsque  celui  qui  invoque  un  jugement  qui 
n'est  pas  rendu  en  sa  faveur,  se  présentera  conune  l'ayant 
cause  du  demandeur  qui  a  triomphé. 

Mais  il  y  a  certains  jugements  qui  ne  sont  point  déclaratifs 
d'un  droit  préexistant,  mais  constitutifs  d'un  état  nouveau , 
qui  s'impose  k  tous  les  intéressés.  Sans  parler  des  actes, 
tels  que  l'adoption  (n*  862),  revêtus  des  formes  judiciaires 
sans  constituer  un  véritable  jugement,  il  y  a  des  jugements 
contentieux  qui,  pour  l'avenir,  sont  obligatoires  vis-k-vis 
des  tiers.  Ainsi ,  la  séparation  de  corps ,  bien  que  prononcée 
vis-k  vis  du  mari  seul ,  modifie  l'état  de  la  femme  au  regard 
de  tous  les  intéressés.  Pour  la  faillite ,  il  y  a  lieu  de  faire 
une  distinction.  Bien  que  déclarée  sur  la  demande  de 
certains  créanciers,  elle  constitue  pour  le  débiteur  un  état 
dont  tous  sont  autorisés  k  se  prévaloir.  (Rej.,  28  avril  1846.) 
Mais,  si  un  créancier  a  poursuivi  inutilement  la  déclaration 
de  faillite,  la  décision  du  juge,  purement  négative,  est 
sans  efiet  vis-k-vis  de  tout  autre  que  le  demandeur  ;  on 


AU  cnriL.  477 

rentre  dans  la  règle  ordinaire,  et  les  autres  créanciers 
conservent  le  droit  de  poursuivre  la  faillite  du  débiteur 
commun. 

Ajoutons  enfin  que,  suivant  la  jurisprudence',  le  juge- 
ment qui  constate  l'existence  d'un  droit  réel  vaut  titre,  en 
ce  qu'il  équivaut  k  un  acte  authentique  (n*  808  fris),  même 
vis-k-vis  de  ceux  qui  n'y  ont  point  été  parties,  et  qu'il  fait 
dès  lors  foi  à  leur  égard ,  sauf  k  eux  k  faire  la  preuve  con- 
traire, soit  directement,  soit  par  la  voie  de  tierce  opposi- 
tion \  (N*  37  to-.) 

878.  Revenons  k  ce  qui  concerne  les  ayants  cause. 

Le  représenté  peut  incontestablement  invoquer  les  juge- 
ments qui  ont  été  rendus  contre  son  représentant,  par 
exemple,  contre  un  mandataire,  que  le  mandat  soit  conven- 
tionnel ou  bien  légal,  tel  que  celui  d'un  tuteur  ou  autre 
administrateur.  Le  représentant  peut,  k  l'inverse,  invoquer 
l'autorité  des  jugements  rendus  TÎs-k-vis  du  représenté, 
ainsi  qu^on  l'a  jugé  pour  l'avoué ,  relativement  k  une  action 
en  dommages  et  intérêts  formée  contre  son  client  pour  un  fait 
qui  lui  était  commun.  (Rej.,  23  avril  1855.)  C'est  pour  ce 
motif  qu'on  peut  appliquer  activement  et  passivement  aux 
successeurs  k  titre  universel  les  jugements  qui  ont  été 
rendus  contre  leur  auteur. 

Le  grevé  doit-il  être  considéré  comme  l'ayant  cause  des 

*  L'arr6t  du  17  mars  1873 ,  qne  nons  ayons  cité  (p.  69 ,  not.  i),  rejette 
le  pourvoi  par  des  motifs  particuUeis ,  sans  reproduire  la  doctrine  générale 
de  la  Cour  de  cassation.  Mais  cette  doctrine  a  été  récemment  consacrée ,  en 
ce  qui  touche  la  foi  des  actes  (n*  508  bis),  par  deux  arrêts  de  la  Cour 
d'Aix  (29  février  et  13  mars  1872).  On  lira  avec  intérêt  les  critiques 
dirigées,  soit  au  point  de  vue  des  actes,  soit  au  point  de  vue  des  juge- 
ments, contre  la  jurisprudence  dominante  par  notre  honorable  collègne 
M.  Naquet.  (De  Yillen.,  1873 ,  tom.  Il,  p.  49.) 

*  En  repoussant  la  théorie  qui  considère  les  jugements  comme  prouvant 
prima  facle  contre  les  tiers,  M.  Naquet  accorde  aux  jugements  rendus  inter 
àlios  une  autorité  bien  plus  considérable,  puisquHl  s^efforce  de  faire  revivre 
la  doctrine  de  Proudbon  suivant  laquelle  la  tierce  opposition  serait  toujours 
obligatoire.  (Eevue  critique  de  léifiskUUm,  nouv.  sér.,  tom.  U,  n»*  6  et  7.) 


478  CHOSB  JUGÉE 

appelés  k  la  siibsti talion ,  quant  aux  jogements  qni  peuvent 
être  rendu»  vb-^yis  des  tiers?  Nui  doute  qu'il  n'ait  qualité 
pour  rendre  meilleure  la  condition  des  appelés ,  si  le  juge- 
ment  est  rendu  en  sa  fiiveor  ;  le  grevé ,  qui  se  trouye  investi 
du  droit  réel,  est  plus  qu'un  propriétaire  sous  condition 
résolutoire,  vis-it-vis  duquel  on  admet  cette  décisioD. 
(N*  882.)  Que  «  le  jugement  est  défavorable,  il  Caudraîl 
décider,  dans  la  rigueur  des  principes,  avec  M«  Griolet 
(p.  162),  que  le  pouvoir  d'administrer  n'emporte  point  pour 
le  grevé,  ni  pour  le  tuteur  k  la  substitution ,  celai  de  repré- 
senter les  appelés  lorsqu'il  s'agit  de  perdre  leur  dn>îfc  au 
fond.  Mais  alors  les  procès  deviendront  interminables, 
puisque  buI  ne  voudra  s'aigager  dans  une  contestation  oà 
il  lui  est  loisible  de  perdre,  mais  jamais  de  gagner  utilement. 
Anssi  l'ordonnance  de  1747  (tit.  If,  art.  40  et  ^)  avait- 
elle  déclaré  opposable  aux  appelés  les  jugements  régulière- 
ment rendus  contre  le  grevé ,  sur  les  conclusions  du*  minis- 
ftèfe  public.  Celte  décision  présente  ane  telle  nécessité  pra- 
tique, qu'il  nous  semble  impossible  de  ne  point  l'admettre , 
malgré  le  silence  du  Code. 

879.  Quant  aux  successeurs  k  titre  particulier,  ils  ne 
peuvent  invoquer,  et  on  ne  peut  invoquer  contre  eux  qne 
ce  qui  a  été  jugé  avec  leur  auteur  anftérieurement  k  Tévéne- 
nent  qui  leur  a  transféré  ses  droits  en  tout  ou  en  partie. 
(B^.,  11  mars  1834  et  26  mars  1838.)  JU  en  est  des  déci- 
sions judiciaires  comme  des  conventions ,  qui  ne  sauraient 
avoir  d'efifet  k  l'égard  des  tiers  nantis  d'un  droit  réel  sur 
rimmeuble ,  que  si  elles  sont  antérieures  k  la  constitution 
de  ce  droit  réel. 

880.  11  y  a  au  fond  même  raison  de  décider  en  ce  qui 
toucbe  les  créanciers  dont  l'hypothèque  '  est  antérieure  an 

*  Toy«z,  sar  cette  qaestioii,  b  diwertatiMi  spéciale  de  BL  Talette. 
(Reoue  du  droit  français  U  étroÊfer,  «m.  1844,  f.  27.) 


AU  CIVIL.  479 

» 

jugement  qui  »  évincé  leur  débiteur.  L'hypothèque,  lors 
même  que  Toa  ne  cooaeuiirait  point  k  y  voir  un  démembre- 
ment de  la  propriété,  est  incontestablement  un  droit  réel 
(C.  eiv.^  art.  2114),  dont  la  conservation  ne  saurait  dé* 
pendre  du  plus  ou  moins  d'habileté  et  de  zèle  du  débiteur 
dans  la  défense  de  ses  intérêts.  Invoquer,  ainsi  qu'on  Fa 
fait  trop  souvent,  la  maxime  Resolutajure  donantis,  reêolvUwr 
jus  accipieiuii,  c*6st  faire  évidemment  une  pétition  de  prin- 
cipe, puisqu'il  s'agit  précisément  de  savoir  si  le  débiteur 
était  ou  non  propriétaire,  avait  ou  non  le  droit  de  constituer 
une  hypothèque.  Telle  était  la  doctrine  des  jurisconsultes 
romains.  Ainsi,  Papinien  dit  formellement  (L.  29,  §  1, 
D.,  De  except.  rei  juiUc,)  :  «  Credii<Nr  in  locum  victi  succes- 
«  sisse  non  videbitur,  quum  pigttoris  eonventio  sententiam 
«  prsecesserit.  »  Cette  décision  est  reproduite  par  Potbier. 
(Oblig.y  B*  90«^.)  Mais  on  trouve,  dans,  la  pratique,  que 
l'obligation  de  mettre  en  cause  tous  les  créanciers  hypothé- 
caires du  défendeur  est  extrêmement  gênante.  Bien  pins, 
elle  est  souvent  impossible  k  accomplir  dans  une  législation 
où  les  droits  hypothécaires  ne  sont  pas  tous  soumis  k  la 
publicité.  Sans  aller  ausû  loin  que  Merlin  (Questioiu  de  droit, 
V*  Tierce  opposition,  §  i),  qui*  a  qualifié  à'abêvrde  l'opinion 
contraire  k  celle  qu'il  a  dit  prévaloir  dans  la  jurisprudence 
(voy.  de  nombreuses  décisions  de  h  Cour  de  cassation, 
depuis  l'arrêt  de  cassation  du  12  fructidor  an  IX  jusqu'k 
celui  du  13  décembre  1861),  nous  persistons  k  croire  que 
l'utilité  pratique  est  ici  en  opposition  avec  la  rigueur  des 
principes.  (Voy.  toutefois  Rej.,  26  août  1849.)  Dira-t-on 
qu'il  est  également  incommode  de  mettre  en  cause  un  grand 
nombre  de  petits  propriétaires,  lorsque  l'immeuble  objet 
du  litige  aura  été  morcelé?  Mais  c'est  Ik  un  cas  excep- 
tionnel, tandis  qu'une  immense  quantité  d'immeubles  se 
trouvent  grevés  d'hypothèques.  Nous  sommes  porté  k  croire 


480  CHOSE  JUGÉE 

qu'à  Rome  également  on  n'appliquait  point  dans  tonte  sa 
rigueur  la  théorie  qui  accorde  an  créancier  hypothécaire  on 
droit  parfaitement  indépendant.  Nous  lisons  en  effet  dans  on 
rescrit  de  Garacalla  (L.  5,  Cod.,  De  pign.  et  hypotk.^  : 
f(  Praeses  prorincisB  vir  clarissimus  jus  pignoris  tui  e^^e- 
«  quentem  te  audiet,  nec  tibi  oberit  sententia  adversus 
«  debitorem  tunm  dicta,  si  eum  collusisse  cum  adversario 
A  tuo,  aut  (ut  dicis)  non  causa  cognita,  sed  pnescriptione 
<c  superatum  esse  constiterit.  »  Il  résulte  évidemment  de 
ce  texte  qu'un  jugement  sérieux.,  rendu  sur  le  fond  du 
droit ,  eût  été  opposable  au  créancier  hypothécaire. 

Ce  qui  est  incontestable ,  c'est  qu'au  cas  de  collusion , 
les  créanciers  hypothécaires ,  comme  tous  les  autres  créan- 
ciers (n*  884),  peuvent  former  tierce  opposition  au  juge- 
ment rendu  contre  leur  débiteur.  Enfin,  on  lenr  accorde 
sans  difficulté  le  droit  de  faire  valoir  des  moyens  personnels 
que  leur  débiteur  n'eût  pu  opposer  (Rej.,  90  juin  i854-, 
Cass.,  6  décembre  1859)  ;  alors  la  demande  repose  sur  nne 
cause  nouvelle. 

881.  Nous  avons  supposé,  soit  quant  aux  tiers  déten- 
teurs, soit  quant  aux  créanciers  hypothécaires,  l'acte 
constitutif  d'un  droit  réel  postérieur  au  jugement  rendu 
vis-à-vis  de  celui  qui  a  constitué  ce  droit.  Suivant  certains 
auteurs,  il  faudrait  aller  plus  loin  encore,  et  en  vertu  du 
vieil  adage  :  Judkiu  quasi  eontrahmue,  appliqué,  dans  le 
sens  du  droit  romain,  à  l'action  intentée  {judicimn\  consi* 
dérer  l'ayant  cause  comme  lié  par  le  jugement  rendu  vis-à- 
vis  de  son  auteur,  lorsque  la  constitution  du  droit  réel  a  eu 
lieu  entre  la  demande  et  le  jugement.  C'est  Ik,  suivant 
nous,  abuser  de  la  fiction  par  laquelle  on  fait  remonter  le 
jugement  au  jour  de  la  demande.  En  droit  romain,  où  la 
tUis  conteetatio  produisait  un  effet  tout  spécial ,  puisqu'elle 
emportait  novation,  on  comprend  qu'il  y  ait  eu  lieu  de  se 


AU  cnriL.  481 

référer  k  cette  époque ,  en  copsidéraDt  les  plaideurs  comme 
liés  par  un  véritable  contrat,  dont  les  effets  devaient  se 
réaliser  postérieurement.  (Ulp.,  L.  11,  §  9  et  10,  D.,  De 
epicept,  rei  judic.)  Et  cependant  nous  avons  vu  Papinien 
s'attacher  k  l'époque  du  jugement,  quum  pignorit  conventio 
sententiam  prœcesterii.  Merlin  {Rép„  y*  Question  d'état 
§  3,  art.  2,  n*  3),  après  avoir  rappelé  la  règle,  puisée  dans 
le  droit  romain ,  suivant  laquelle,  dès  qu'une  contestation 
était  engagée  entre  deux  parties,  elle  ne  pouvait  plus  être 
jugée  qu'entre  elles,  ajoute,  en  citant  l'autorité  des  anciens 
arrête  :  «  Mais  cette  règle  du  droit  romain  est  depuis 
«  longtemps  tombée  en  désuétude.  »  Il  nous  semble  bien 
dangereux,  en  effet,  d'attribuer  la  faculté  de  représenter 
le  véritable  intéressé  à  une  personne  qui  souvent  n'aurait 
plus  d'intérêt  dans  l'affaire,  n'étant  point  tenue  à  la  garantie, 
pat  exemple,  s'il  s'agit  d'une  donation,  ou  ayant  dissipé  le 
prix  de  la  cession ,  si  elle  a  eu  lieu  k  titre  onéreux.  Aucun 
texiB  de  nos  lois  ne  donne  k  la  demande  judiciaire  Teffet 
d'un  contrat  qui  soit  de  nature  à  lier  les  tiers.  Il  convient 
donc  de  considérer  comme  res  inter  oLiot  acta,  vis*k-vis  du 
cessionnaire  de  l'objet  en  litige,  ce  qui  a  été  jugé  vis-k-vis 
du  cédant  postérieurement  k  la  cession.  (Rej.,  26  mars 
1838-,  Bordeaux,  19  août  1840.)  Ajoutons  toutefois,  avec 
M.  Thomine-Desmazures  (Commentaire  sur  le  Code  de  procé- 
dure, n""  526),  qu'il  en  serait  autrement  si  le  cessionnaire, 
ayant  eu  connaissance  du  procès,  avait  eu  le  dessein  de 
t&ter,  en  quelque  sorte ,  la  justice ,  afin  de  se  donner  la 
chance  de  profiter  du  jugement,  s'il  était  favorable,  et  de 
l'attaquer,  s'il  était  contraire'.  C'est  alors  *le  cas  de  dire 
avec  Macer  (L.  63,  D.,  De  re  judic.)  :  Scientibu$  serUerUia, 
quœ  inUr  alioi  data  est,  obest,  cum  quis  de  ea  re^  cujus  actio 

<  Mais  le  simple  fait  de  la  connaissance  ne  suffirait  pas.  (Cass.,  19  aoàt 
1818.) 

11.  31 


48S  CHOSE  JCGÉB 

vel   defentio  primum    mbi   competit,  sequmui  agere  putiatur^ 

882.  Si  Tacheteup  est  tenu  des  déeisioiis  rendues  contre 
son  vendeur  antérieuremeat  a  la  date  de  l'acte  teanslatif , 
il  n'est  pas  Trai,  à  l'inverse,  qw  le*  vendeur  soii  tenir  des 
décisions  rendnes  contre  racheleiir,  au  cas ,  par  exemple , 
où  il  obtiendrait  akérieuremeDe  la  résottidan  de  la  vente 
pour  défaut  de  payement  du  prix  -,  car  le  jugement  rendu 
contre  le  successeur  n'est  pas  renda  contre  l'auteur. 
A  Julianas  scribit  (L.  9,  §  2,  ibid.)  exceptionem  rei  judicat» 
fi  a  persona  auctoris  ad  emptorem  transire  solere,  retm 
«  contra,  ab  emptore  ad  anctorem  reverti  non  debcM.  b 
(Yoy.  Rej.,  iGnovembre  1836.)  Et  l'on  ne  peut  ptsdtre  que 
le  vendeur,  en  reprenant  l'immeuble,  se  soit  rendu  l'^uint 
cause  d«  l'acheteur.  Il  est  vrai  que  la  condition  résdutoite 
effiice  tous  les  droits  qui  ont  pu  naître  du  chef  de  ce  dernier. 
(G.  ctv.,  arl«  1183.)  Mais  cette  résolution  ne  saurait  profiter 
qu'k  celur  en  faveur  de  qui  elle  a  été  établie.  Le  nendevr 
peut  très'-bien  s'emparer  des  décisions  iavorabies  rendnes 
vis->k^s  de  l'acheteur,  et ,  sons  ce  rapport ,  se  considérer 
comme  son  ayant  cause.  C'est  k  la  partie  qui  vent  obtenir 
un  succès  solide,  k  faire  mettre  en  cause  le  vendeur  non 
payé.  A  plus  forte  raison  faut-il  reconm^tre  que  le  bailleur 
ne  saurait  être  tenu  des  décisions  judiciaires  pendues  contre 
le  preneur,  lequel,  n'étant  que  délenteur,  doit  étoe  mis 
hors-  d'instance  en  nommant  cdui  peur  qui  il  possède. 
(Cod.  civ.,  art.  1727.)  C'est  ce  qu'a  jugé  u«  arrêt  de  cas^ 
sation  du  23  août  1854,  dans  une  espèce  eè  le  bailleor 
avait  été  mis  en  cause,  mais  n'avait  pu  être  représenfé,  h 
raison  d'un  cas  de  force  majeure. 

883.  Ce  que  nous  venons  de  dire  des  décisions  rendues 
vis-a-vis  du  propriétaire  suppose  que  i'on  se  place  en 
dehors  de  la  doctrine  de  la  jurisprudence,  qui,  préoccupée 
de  l'utilité  pratique  plutôt  que  de  la  déduction  rigoureuse 


ào  cnric.  493 

des  principes  ,.coB6iéère  comme  valables  les^  actes  d'aliéna- 
tion oonsenlis  par  an  héritier  apparent  (voy.  deux  arrêts  de- 
cassation  et  un  de  rejet,  en  date  du  16  janvier  \^4â<,  Rej.,, 
S§  novembre  1862ven.  sens  contraire,  Bennea,  12.  août: 
1844)  :  ce  qui  conduit  à  valider  les  jugements  rendiis  vis4h- 
vis  de  cet  héritier.  Si  maintenant  on  assimile  au  prétendu î 
héritier  tout,  propriétaire  a4>parent^  on  en  viendra  k  décider* 
comme  Tont  fait  plusieurs  arrêts  (voy.  notamment  BouoDi, 
16  juillet  1834-,  Paris,  3  mairs  1829  et  14  août  IftiO),  que 
la  chose  jugée  avec  le  propriétaire  apparent  peut  être  oppo- 
sée au  véritable  propriétaire..  En  s'attaohant  k  ce  système  y. 
on  pourrait,  à  plus  forte  raison,  maintenir  vi»-k-vis  du  pro- 
priétaire souseondition.suspensivela  décisicm  rendue  contre 
le  propriétaire  sous  condiiioa  résolutoire,  poisqa'on  adm«t 
que  celui-là  même  qui  n'a  aucune  espèce  da  droit  peu! 
plaider,  pourvu  qu'il  ait  des  droits  s^[)parenta. 

Mais,  tout  en  reconnaissant  les  vices  de  la  légialatio» 
existante ,  vices  qnfon  a-  voulu;  atténuer  en  faisant  du  pro^ 
priétaire  apparent;  un  propriétaire  incommntable  vis^k-^ia 
des  tiers,  noua  ne  voyons  rien. dans  la  loi  qui  justifié  oelte 
transformation  du  fait  en  droit.  U  nous  semble  d^ailieors 
que,  les  caractèrea  légaux  auxquels  on  pevt  reconnaître 
l'héritier  ou  le  propriétaire  apparent  n'étant  définis  nulle 
part,  les  tiers-  détenteurs  n'obtiennent  pas,  même  sont 
l'empire  de  la  jurisprad^tice  actuelle,  la  sécurité  qu'on 
veut  leur  assurer,  puisqu'on  ne  valide  pas  indistinctemem 
toua  les  actes  faits  par  un  possesseur  quelconque,,  maia 
seulement  ceux  qui  émanent  d'un  possesseur  dont  le  titre 
est  plua  ou  moins  coloré.  (Rouen,  16  juillet  1834*,  Paris, 
14  août  1840-,  Colmar,  18  janvier  1850.)  Ainsi  la  Cour  de 
cassation  a  cassé,  le  26  février  1867,  un  arrêt,  de  la.  Cour 
de  Besançon,  qui  avaitconsidéré  comme  donataire  universel 
apparent  le  porteur  d'un  acte  dont  l'expédition  était  réga«^ 

31. 


484  CHOSE  JUGÉE 

« 

lière,  mais  la  minute  entachée  de  nullité.  Repoussant  le 
principe,  nous  repoussons  la  conséquence,  et  nous  ne 
pouvons  accorder  au  possesseur  le  pouvoir  de  représenter 
le  propriétaire,  pas  plus  lorsqu'il  plaide  que  lorsqu'il  con- 
tracte ^  Seulement,  lorsque  le  propriétaire  aura  traité  avec 
le  possesseur,  notamment  lorsqu'il  s'agira  d'une  condition 
résolutoire,  il  aura  la  faculté  de  se  faire  considérer  comme 
son  ayant  cause,  k  l'effet  de  profiter  des  décisions  rendues 
en  sa  faveur*,  tandis  que»  si  aucun  lien  ne  rattache  le  pro- 
priétaire k  celui  qui  occupe  le  fonds,  la  chose  jugée  k 
l'égard  de  ce  dernier  sera  complètement  ret  inter  aUot  acta 
k  l'égard  du  propriétaire. 

884.  Ce  qui  est  incontestable,  c'est  que  les  créanciers  chi* 
rographaires,  relativement  aux  jugements  comme  relative- 
ment aux  conventions,  sont  tenus  des  faits  de  leur  débiteur. 
Ils  peuvent  cependant  former  tierce  opposition  aux  décisions 
qui  auraient  été  rendues  en  fraude  de  leurs  droits,  en  vertu 
du  principe  (C.  civ.,  art.  1167)  qui  les  autorise  en  générai 
k  faire  tomber  les  actes  frauduleux.  Même  au  cas  où  il 
s'agirait  d'un  jugement  constatant  un  privilège  au  profit  de 
l'un  d'eux,  ce  jugement,  ainsi  que  l'a  décidé  un  arrêt  de 
rejet  du  13  avril  1841,  est  valable  vis-k-vis  de  tous,  par 
cela  seul  qu'il  a  été  régulièrement  rendu  vis-k-vis  du  débi- 
teur, et  il  ne  peut  être  attaqué  qu'en  cas  de  fraude  par  voie 
de  tierce  opposition.  Cette  même  voie  appartient  au  tiers 
détenteur  pour  les  jugements  frauduleux  rendus  contradic- 
toirement  avec  son  auteur  antérieurement  k  l'acte  translatif 
de  propriété. 

Mais  le  débiteur,  sauf  le  cas  où  il  se  trouve  légalement 

■  n  en  serait  autrement ,  sUl  y  avait  eu  une  contre-lettre  ;  c'est  qu'alors 
la  condition  résolutoire,  précisément  parce  qu'elle  a  été  dissimulée  à 
dessein ,  ue  produit  aucun  effet  à  Tégard  des  tiers ,  qui  ne  doivent  pas  être 
induits  en  erreur  par  le  fait  de  celui  qui  prétend  aujourd'hui  l'invoquer  à 
leur  préjudice.  (Voy.  n**  516  et  suiv.) 


AU  CIVIL.  485 

représenté  par  les  syndics  de  la  faillite ,  n^est  point  tenu  des 
décisions  rendues  vis-ii-vis  de  ses  créanciers,  exerçant  ses 
droits  aux  termes  de  l'article  1166  du  Code  civil.  C'est  ce 
qu'a  jugé  la  Cour  de  cassation,  par  un  arrêt  de  rejet  du 
14  avril  1866.  Merlin,  sur  les  conclusions  duquel  a  été 
rendu  cet  arrêt,  fait  observer  avec  raison  que  le  débiteur 
n'est  point  Payant  cause  de  ses  créanciers,  pas  plus  que  le 
vendeur  n'est  l'ayant  cause  de  l'acheteur.  (N*  882.)  Il  appar- 
tient également  ici  k  la  partie  adverse  de  faire  mettre  en 
cause  le  débiteur,  pour  éviter  le  renouvellement  du  procès. 

88tf .  Lorsque  plusieurs  personnes  sont  intéressées  dans 
une  même  affaire,  comme  plusieurs  copropriétaires  ou 
plusieurs  codébiteurs ,  ce  qui  est  jugé  k  l'égard  de  Tun  ne 
l'est  pas  k  l'égard  des  autres  -,  car  ils  ne  sont  pas  ayants 
cause  les  uns  des  autres,  il  n'y  a  pas  entre  eux  filiation, 
mais  seulement  juxtaposition  d'intérêts.  Aussi  la  chambre 
civile  a-t-elle  cassé,  le  10  août  1858,  un  arrêt  de  la  Cour 
d'Angers  qui  avait  fait  profiter  des  cohéritiers  de  l'annu- 
lation d'un  testament  prononcée  au  profit  de  leurs  cohéri 
tiers. 

886.  Il  en  est  autrement  si  l'un  des  intéressés  s'est 
rendu  responsable  des  faits  de  l'autre.  Telle  est  la  position 
de  la  caution  relativement  au  débiteur  principal.  On  recon- 
naissait, en  effet,  k  Rome,  que  la  chose  jugée  vis-k-vis  du 
débiteur  avait  effet  vis-k-vis  de  la  caution.  (Pomp.,  L.  21 , 
§  4,  D.,  De  excepta  reijud.;  Marc,  L.  5,  pr.,  D.,  De  appell.) 
Telle  était  aussi  la  doctrine  de  l'ancienne  jurisprudence, 
ainsi  que  l'attestent  Pothier  (ObUg.,  n*  009)  et  le  nouveau 
Denisart  (V*  Chose  jugée,  §  3).  Suivant  M.  Griolet 
(p.  163),  «  Pothier  n'a  pu  affirmer  que  le  débiteur  principal 
«  doit  être  considéré  comme  le  mandataire  de  la  caution, 
«  qu'en  s'appuyant  sur  des  textes  romains  relatifs  au  cas 
«  bien  différent  du  fidéjuiseur.  »  Il  importe  d'éclaircir  ce 


986  *  cnosre  jugée 

feint,  piiisipie  h  doctrine  de  Pofbier  est  ln:lase  de  Ixnite 
fa  théorie  fiuine  par  la  jurisprudence  nr  les  débîtoars 
consorts.  Le  fidéjassenr  différait,  en  effet,  de  notre  caution 
«ous  le  rapport'des  poursuites  judiciaires,  le  seulqiû  nous 
intéresse,  en  ce  qu'avant  la  promulgation  de  la  loi  ^.au 
Code,  De  fid^uMoriha,  où  Jastinien  a  aboli  cette  subtilité  de 
TaBcien  droit,  la  litU  cantestatio  vis-à-yis  du  débiteur  prin- 
-cipal  (qpécaît  immédiatement  la  libération  de  la  caution. 
Mais  alovs  il  est  bien  dair  qii!il  n'y  avait  point  lieu  d 'agiter 
ia  question) de. rautorilé  de  la  chose  jugée.  Ce  n'est  évMem- 
ouent  point  dans  cette  hypothèse  que  «e  placent  »Poiiipwiius 
mt  Marcien  (iocL. ctr.),  lorsqu'ils  'décident  que  la  chose  jugée 
i«is-4-vis  du  débiteur  principal  a  effet  ns-à-vis  de  lacau- 
Inavils^upposent  le  droit  commun  modifié  par  une  comen- 
tîon,  qui  parait  avoir  été  fréquente  •  dans  la  pratique,  inua- 
«Mittf  plemmqut^  dit  Justinien  (m^.  rL.  .38),  €x  jneio  Ab^ 
'modi  oauue  otmmltmn.  Or,  depuis^qne  Justinien  a  truasfiirmé 
^oette  couTention  en  règlegénérak,  ouest  h  dîffémnce^.au 
point  de  «vue  des  .tiapports  judidaires,  entre  le  fidéjassenr 
romain  et  la  caution  française?  Il  n'y  a  donc  rien  que  de 
jpaifaitMient  eiact  dans  la  dodritteide.Pothier* 

.Sttiisant  la  d0etrîne> contraire,  la  caution  peut. bien  isio- 
4|iiedr  les  jugeoMiits. rendus  en. faveur  du  débiteur  pihieqpuL, 
tde  même  qu'elle  pn^e  de.  la  .remise  qui  lui  est  Mte  {dm., 
.art.  1287)  et  du  âeiment  déeisoire  par^lui  prêté  (art.  ijfë); 
imaîs,  ayant  persnnnellementle  droit  de  contaiter^la  validité 
.de  son  engagement,  elle  ne  saurait élre  liée  par  laidécision 
isendue  vis-à-vis  du  déUtevr»  iméme  quant  au  fond  de'hi 
icréflace.  On  iaît  remarquer  que  la  tcaulion' ne 'serait  foèit 
IMéeipar  lesnveux'^xlsajndîcîàîresidu  débiten, «^ -que  par 
coBBéqueUt  elle  n-est  point  son  agfmit  aaue,<«smiBe  l'héri- 
tier est  l'ayant  cause  du  défont.  Il  nous  purattiplus  Taîson- 
nable  deiconsidérer  fa  caution  coflUB64i^ant  accédéà  l'avance 


lanx  jogemeiitB  rendus  'vis-k^vis  du  débiteur  sur  le  fah  oBéme 
de  la  dette,  «ans  qae  le  eiéancier:soit  ebligé  de  renDiiveler 
k  lOûotestalion  avec  chacun  des  débîleurs  laoeessoires.  Il 
faut  donc  reconnaître  que  les  jugenenls  rendus  «is-à-fis  du 
débiteur  doivent  non-seulenent  profiter,  mais  même  noire  k 
Ja  caution.  (Cass.,  S7^nove■lbre  1811.)  Sans  doute,  eous  ne 
voudrions  pas  aller  aussi  loin  qu'un  arrêt  de  rejet  du  12  Té- 
vorier  i840,  ^ui  iieraiet  id'iiuvo^er  conire  la  camion  les 
déclarations  e&trapidiciaires  du  débiteur.  Mais  auture  chose 
lest  le  nandat  de  défendre  en  juslioe,  autre  chose  est  le 
mandat  de  faire  des  aveux  \  ainsi  que  le  prouvent  suffisam- 
ment les  règles  do  Gode  de  procédure  sur  ie  désaveu  des 
officiers  minMlériels.  (Art.  353.)  Ce  qui  est  inconleâtable , 
c'est  que  la  icantion  ipevt  toujows  opposer  les  moyens  qui 
lui  sont  persoméls  (voy.  n*  880),  coDMBe  la  nullité  du  eau- 
ilionnement,  -moyens  que  le  débiteur  principal  ne  pouvait 
-opposer.  (Même  air.  du  27  novembre  1814 ^  Grenoble, 
48  janvier  «882.) 

On  doit  'reeonnahre,  k  l'inverse,  que  des  jugements 
lendus  contre  la  caution  oe  peuivent  nuire  au  débiteur 
'principal,  qui  n''est  nullement  garuut,  vis-k-^ir  du  «créan- 
4àer,  de  la  conduite  que  peut  tenir  la  caution.  Seulement, 
puisque  le  serment  déféré  k  la  caution ,  lorsqu^il  est  déféré 
isur  4a  >dette,  profite  au  débiteur  piînoipiil  (<C.  oiv.«, 
;art.  136S),  iil  convient  de  lui  permeilre  également  d'in- 
voquer les  décisions  favorables  rendues,  sur  le  fond  >fle  la 
dette ,  an  profit  du  fidéjusseur.  «Celui-ci  est  le  mandataire 
du  principal  obligé ,  nra  pour  em|)trer  -sa  eondiliett^  viais 
)pour  l'améliorer*  Toutefois  cette  dernière  décision  ne  doit 


'*  n-faiit  ranannier  d'aflleors  que  tSfaez  nom ,  comme  'à'Rome'fPotliler, 
lÙbUg,,  B*  709),  la  eantioa  peut  attaquer  par  toute  Toîe  l^le  de  recours 
les  jogemento  rendus  contre  le  débiteur  principal,  tandis  qu'elle  ne  ponnait 
'fiâre  tomber  l*aven  extrqudidaire  qu'en  établissant  la  ooUnsîon. 


488     ~  CHOSE  JUGÉE 

être  admise  qu'avec  précaution ,  le  litige  entre  le  créancier 
et  la  caution  pouvant  être  purement  personnel. 

887.  Un  créancier  solidaire  est  également  un  mandataire, 
dont  le  mandat  peut  profiter  h  ses  cocréanciers  s(didaires, 
mais  ne  saurait  leur  nuire.  (Ibid.,  art.  1198  et  1365.^  Il 
faut  donc  distinguer,  de  la  même  manière ,  si  le  jugement  a 
été  rendu  contre  lui  ou  en  sa  faveur. 

Quant  aux  débiteurs  solidaires,  on  se  demande  jusqu'à 
quel  point  le  jugement  rendu  k  Tégard  de  l'un  d'eux  produit 
effet  k  l'égard  des  autres.  Si  le  codébiteur  actionné  a  été 
renvoyé  de  la  demande  pour  un  motif  qui  ne  lui  était  pas 
purement  personnel  »  on  reconnaît  volontiers  que  les  autres 
codébiteurs  peuvent  se  dire  libérés,  de  même  qu'ils  pro- 
fitent du  serment  déféré  k  leur  codébiteur  sur  la  dette,  et 
non  simplement  sur  le  fait  de  la  solidarité.  (G.  civ., 
art.  1365.)  Mais  il  y  a  plus  de  difficulté  quand  le  codébi- 
teur solidaire  a  été  condamné.  Il  n'est  pas  possible  d'ad- 
mettre d'une  manière  absolue  que  le  jugement  rendu 
contre  lui  ait  effet  contre  les  coîntéressés,  puisqu'ils  peuvent 
fort  bien  nier  l'engagement  solidaire ,  et  qu'on  ne  saurait 
alors,  sans  tomber  dans  un  cercle  vicieux,  leur  opposer  le 
jugement  rendu  contre  leur  prétendu  codébiteur.  Aussi 
est-on  d'accord  pour  admettre  (Rej.,  29  novembre  1836) 
que  le  débiteur  solidaire ,  comme  la  caution ,  peut  toujours 
invoquer  les  moyens  de  défense  personnels,  tels  que  l'erreur 
ou  la  violence,  qui  affectent  exclusivement  son  obligation. 
D'un  autre  côté,  Topinion  qui  isolerait  complètement  les 
codébiteurs  les  uns  des  autres,  serait  contraire,  soit  k  l'esprit 
de  la  solidarité,  qui  tend  k  éviter  au  créancier  la  multiplicité 
des  poursuites ,  soit  surtout  au  principe  qui  les  considère 
comme  étant  réciproquement  cautions  les  uns  des  autres. 
Toutefois  la  question  est  vivement  controversée,  au  casoà 
il  s'agit  de  moyens  communs  k  tous  les  codébiteurs.  Pour 


AU  GITIL.  489 

réserver  k  chacan  la  Taculté  de  défendre  la  cause  comme 
entière ,  on  invoque  le  danger  d'une  collusion  dont  il  serait 
difficile  d'administrer  la  preuve.  (Rej.,  11  février  1824; 
Cass.,  25  mars  1861  \)  Mais  alors  il  ne  faudrait  pas  per- 
mettre d'invoquer  contre  la  caution  le  jugement  rendu 
vis-à-vis  du  débiteur  :  et  c'est  cependant  ce  que  l'on  a  admis 
constamment  dans  notre  ancien  droit.  Suivant  M.  Griolet 
(p.  165),  les  jugements  relatifs  au  payement  et  à  l'exécution 
devraient  seuls  être  tenus  pour  communs  k  tous  les  codébi- 
teurs', et  il  est  difficile,  en  effet,  de  refuser  autorité  aux 
jugements.de  cette  nature,  en  présence  des  articles  1206 
et  1207  du  Code,  qui  permettent  de  s'adresser  h  un  seul, 
soit  pour  le  capital  de  la  dette,  soit  pour  les  intérêts.  Mais 
les  codébiteurs  solidaires  ne  sonjt  point  de  simples  consorts 
pour  les  poursuites;  le  lien  qui  les  unit  est  plus  étroit, 
puisqu'ils  répondent  de  la  faute  les  uns  des  autres. 
(Art.  1205.)  Sans  doute,  l'un  des  codébiteurs  poursuivis 
peut  nier  la  solidarité  comme  la  prétendue  caution  peut 
nier  le  cautionnement;  mais,  le  fait  de  la  dette  solidaire 
établi ,  nous  pensons  que  l'esprit  de  la  solidarité  commande 
de  considérer  les  débiteurs  solidaires  comme  mandataires 
les  uns  des  autres  en  ce  qui  touche  les  moyens  communs  k 
tous.  «  Les  codébiteurs  solidaires  » ,  dit  Merlin  (Quations 
de  droUp  v*  Chose  jugée,  §  18),  «  pour  ou  contre  lesquels  le 


'  C'est  mal  à  propos  que  Ton  inyoqae  dans  le  même  sens  un  arrêt  rendu 
par  la  Cour  de  cassation  le  15  janrier  1839.  Bien  que  Pexpression  de  soli' 
darité  se  trouye  dans  leSi^nsidérants  de  cet  arrêt  à  c6té  dé  ceUe  dUndivi- 
sibUité,  il  ne  s*agissait  dad»  Pespèce  que  d'indivisibilité,  et  nullement  d'une 
Yéritable  dette  solidaire.  En  décidant  dès  lors  que  rindivisibilité  de  cer^ 
taines  obligations  n'entraine  pas  comme  conséquence  Vindivisibilité  des 
procédures  et  des  jugements,  la  Cour  de  cassation  a  rendu  une  décision 
fort  rationnelle  en  soi ,  mais  qui  ne  préjuge  rien  en  ce  qui  concerne  les 
débiteurs  vraiment  solidaires. 

>  Ce  système  conduit  à  cette  conséquence  bizarre  que  le  créancier 
pourrait  saisir-arrèter  vis-à-vis  d'un  des  codébiteurs ,  mais  non  obtenir  un 
jugement  de  validité. 


490  GflOSI  JUGÉE 

f(  jugement  a  été  rendu,  ne  forment  mordenent  qu'un  seol 
c<  et  même  individu  avec  les  autres  codékileiirB.  »  Cette  doc- 
trine a  été  consacrée  dans  Tanci^  droit  par  un  arrêt  du 
conseil  du  13  juillet  1709,  et  dans  le  droit  noderue  par 
des  arrêts  des  Cours  de  Paris  (20  mars  1809),  de  Bovrges 
(18  mai  1859)*et  de  Dijon  (96  décembre  1871). 

888.  Que  facrt-il  décider  s'il  s'agit  4'un  objet  indivi- 
sible ?  Plusieurs  lois  romaines ,  -et  notamment  le  texie  de 
Harcien  qui  forme  la  loi  19,  au  Digeste,  Si  êervkmê  vindi- 
teiur,  décident  que  Tefiet  de  rindivisibilité  est  et  rendre 
commun  k  tons  les  ayants  droit  le  jngement  rendu  «outre 
un  seul ,  sauf  la  preuve  de  la  collusion.  Potbier  reprodnk 
cette  doctrine  *,  mais  il  ajoute  que ,  tumM  noê  utages,  il 
n'est  pas  besoin  d'alléguer  la  •cdhisim  pour  attaquer  le 
jugement.  (Oblig.f  n*  908.)  Aujourd'hui,  dans  le  silenoedu 
Code  civil ,  on  ne  voit  aucune  raison  pour<éleBdre  a  l'indi- 
Tisibilité  ce  que  nous  avons  décidé  pour  la  solidarité.  Jamais 
t)n  n'a  considéré,  par  exemple,  les  oodébiteurs  d^une  obli- 
gation indivisible  comme  cautions  les  uns  des  autres,  ils  ne 
répondent  pas  de  leurs  faits  respectifs^  ^Is  sont  raf  prodiës 
par  leur  position,  et  non  par  les  liens  d'une  ^Vigation 
commune.  B  txument  donc  de  laisser  an  copropriétaire  ou 
^u  codébiteur  (Pvne  chose  indiris^le  la  facuhé  de  repousser 
Fautorité  d'une  sentence  qui  lui  eat  complètement  étrangère. 
(Voy.  l'arrêt  du  15  janvier  1839,  p.  489,  not.  1.)  Quant  k 
la  difficulté  pratique,  gin  résulte  de  ce  qu^en  cas  de  décisions 
•apposées  on  ne  peut  ordonner  ^nmit  partie  l'exercice  4'uii 
droit  indivisible,  elle  peut  exister  dans  toiftes  les  opinions, 
f  uisqu'au  cas  de  oottusaon,  o4  la  tierce  eppositifiin  est  évi- 
demment recevalle,  le  coïntéressé  vicfime  de  cette  collusion 
pourrait  seul  faire  tomber  le  jugement,  qui  «ubaisteiMt  ^au 
regard  de  son  coïntéressé.  En  pareille  hypothèse,  il  faut 
voir  si  le  droit  est  de  nature  k  pouvoir  s'eseroer 


AU  camHm  4fld 

aux  autres  parties.  Ainfiî,  s'il  s'agît  d'undroit  de  passage  sur 
un  fonds  indivis,  la  partie  qui  aura  ttriamphé  vis-à-vis-d'un 
^es  eopropriétaires  seulement  ne  poncra  point  passer,  si 
l'autre  copropriétaire  justifie  qulil  a  ledroix  de' s'opposer  à 
l'exercice  de  la  servitude  ^  c'est  Ik  une  diiSculté  invincible 
qui  tient  k  la  natoie  des  choses.  Jikais^  après  tout,  cette 
isurtie  a  toujours  l'avantage  >d!avoir  diminué  le  nondire  de 
ses  adversaires.  On  arrivera  ài  une  solution  plus  satisËiisante 
s'il  s'agit  d'un  droit  qui»  bien  qu'indiviaiUe^  .peut  être 
eiercé  en  totalité,  sans  nuire  aux  ocôntéressés^  pstf 
eiemple^  de  l'obligation  de  construire  une  maison  ven  ce 
cas,  la  .marche  est  indiquée  par  la  loi  :  on  exigera  la  totalité 
du  codébiteur  seul  condamné ,  en  lui  payant  lune  indenmité 
pécuniaire,  icorrespondaot  à  la  part  des  codébiteurs  qui  ont 
triomphé.  (C.  iciv.,  art  1224.)  Un  arrêt  de  rejet  du  19  dé- 
eembre  .1882  consacre  la  doctrine  de  Pothôec,  c'est-à-dire  la 
£a»nlié  d'exécuter  le  jugement  contre  les  copropriétaires  ou 
eodébilears ,  ^ais'en  leur  réservant  la  tierce  oppositianu 

SuiqposDns  jnaiulenant  le  jugement  rendu  «n  faveur  de 
(I'hu  des  cofcopriétaires  d'une  chose  indivisible.  M'a-it^l  pas 
'BU  mandat  de  ces  oqpropriétures  pour  rendre  leur  position 
aneiUenreP'C'estKse  qu'a  décidé  laCkMrdecaasatioD,  même 
au  cas'de  simfde  éndivision  (R^.,  12  mars  1866),  et>cette 
décimn  parait  bien^en  harmonie  avec  l'article  709  du£ode, 
^a»x  termes  duquel  la  jouissaooe  d-one  servitode  par  l'un 
ides  «copropriétaires  d'un  fonds  indivis  empédie  la  prescrip- 
tioait^'égayd  des  tiens.  Il  doit  en  élre  de 'même  à  ptnstforte 
^fim,  dans  rhjpothèse  deriHdivi^Uiité,>qui  est  rMi¥isi<m 
par  excellence.  Il  convient  dès  lors  d'assimiler  les  copro- 
priétaires d'unl)ien  indivisible,  ou  .même  simplement  Indi- 
"VIS,  «UK  fidéjueseuffs  (n*  886)  lOt  aux  créanciers  solidaires 
(fl?  887^,  gui, peuvent  améliorer  la  position  des  coîntéressés, 
nrais  non  la  compremettre. 


492  CHOSB  JUGÉE 

On  a  quelquefois  soutenu  que  la  qualité  d'héritier  est  in- 
divisible, pour  expliquer  la  di^sition  de  l'articlç  800  da 
Code  civil ,  qui  semble  faire  dépendre  la  qualité  d'héritier 
vis-ii-vis  de  tous  les  créanciers ,  du  jugement  obtenu  par  un 
seul  '.  Mais  on  reconnaît  volontiers  aujourd'hui  que  cet 
article,  ainsi  que  cela  résulte  évidemment  de  la  discussion, 
n'a  voulu  établir  aucune  règle  spéciale,  en  ce  qui  touche 
les  effets  de  la  chose  jugée.  Telle  est  la  doctrine  de  la  juris- 
prudence. Quant  k  l'opinion  ingénieuse  qui  voit  dans  ce 
jugement  une  limite  au  delk  de  laquelle  l'acceptation  béné- 
ficiaire devient  impossible  *,  nous  avons  peine  k  l'admettre  ^ 
mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  la  discuter.  (Yoy.  nos  Éléments 
de  procédure  dvile^  n*  437.) 

889.  Signalons  enfin,  pour  terminer  cet  eiposé  som- 
maire des  principes  sur  la  chose  jugée  en  matière  civile, 
une  doctrine  admise  autrefois  sans  difficulté,  et  contestée 
aujourd'hui,  celle  du  contradicteur  légume^  en  ce  qui  touche 
les  questions  d^état.  Habituellement,  ce  qui  est  jugé  avec  le 
père  n'est  pas  jugé  avec  les  enfants.  Ainsi ,  une  personne  k 
qui  on  dénierait  la  qualité  de  Français,  et  qui  aurait  fait 
juger,  dans  une  première  affaire,  que  cette  qualité  lui 
appartient ,  serait  obligée  de  plaider  de  nouveau  contre  les 
fils  de  son  premier  adversaire ,  s'ils  venaient  k  la  lui  con- 
tester dans  un  autre  procès.  L'intérêt  de  la  stabilité  de  Tétat 
des  personnes  a  fait  décider,  au  contraire ,  par  les  anciens 
auteurs,  en  matière  de  filiation,  qu'il  suffit  de  triompher 
vis-k-vis  des  parents  du  premier  degré,  réputés  contraék- 
leurs  tégitimesy  pour  que  tous  ceux  des  degrés  subséquents 

I  Aux  termes  de  Tartide  964  de  Code  italien ,  l'habile  à  succéder  est 
considéré  comme  curateur  de  droit  de  l'hérédité  ;  il  peut  être  appelé  en 
justice  pour  la  représenter  et  répondre  ani  instances  introduites  contre 
rhérédité. 

'  L'article  96  S  du  même  Code  répute  héritier  simple  le  successible  qui, 
étant  nanti  de  l'hérédité ,  n'a  pas  achevé  J'inTentaire  dans  les  délais  fixés. 


AU  CIVIL.  493 

soient  lîës  par  la  décision  rendue  avec  les  chefs  de  la  famille. 
Julien  dit,  en  effet,  en  supposant  la  question  de  paternité 
soumise  k  la  justice ,  que  celui  qui  est  déclaré  héritier  sien 
Tis-k*Yis  de  son  père ,  Test  vis-à-vis  de  tous  :  «  Et  fratribus 
tt  suis  consanguineus  erit.  Placet  enim  »,  ajoute  Ulpien, 
«  ejus  rei  judicem  jus  facere.  »  (L.  2  et  3,  D.,De  agn.  Uber.) 
On  a  prétendu,  pour  détruire  l'autorité  de  ce  texte,  qu'il 
est  relatif  au  désaveu  du  mari ,  désaveu  évidemment  borné 
\  certaines  personnes  et  enfermé  dans  certains  délais.  Mais 
la  distinction  du  désaveu  et  de  la  contestation  d'état  est 
toute  moderne  -,  les  jurisconsultes  romains  avaient  trop  de 
sens  pour  ne  pas  être  pénétrés  des  motifs  d'utilité  sociale 
qui  ne  permettent  point  de  renouveler  k  chaque  génération 
les  questions  d'état.  Dans  tous  les  cas,  telle  était  la  doctrine 
de  nos  anciens  auteurs.  In  cau$a  itatus,  dit  Yinnius  {Partit. 
jur.^  liv.  4,  chap.  47),  mfficit  pronunciatum  este,  legitimo  con- 
tradictare  prœsente,  de  re  prindpalit  ut  vaUat  sententia  inter 
omne^  in  ii$  quœ  $tatuê  secum  affert  et  inde  pendent.  On  cite, 

dans  le  même  sens,  un  arrêt  du  parlement  de  Paris  du 
4  février  1689. 

Enseignée  encore  par  beaucoup  d'auteurs  dans  le  droit 
moderne ,  cette  doctrine  a  été  vivement  combattue ,  notam- 
ment par  Merlin  {Répert.^  v*  Question  d'état,  §  m).  Cet 
auteur  judicieux  ne  va  pas  toutefois  jusqu'à  enseigner  que 
chaque  génération  puisse  remettre  en  question  ce  qui  a  été 
jugé  avec  la  génération  précédente ,  de  manière  k  éterniser 
les  procès  sur  l'état  des  personnes.  Bien  que  défendue  par 
M.  Demolombe  (Filiation ^  2*  éd.,  n*  321  ),  une  opinion  aussi 
extrême  nous  paraît  tellement  contraire  au  bon  sens  pra- 
tique qu'elle  n'aurait  aucune  chance  de  succès  auprès  des 
tribunaux  '.Tout  ce  que  l'on  peut  raisonnablement  soutenir, 

<  Aussi  Varocat  général  Ricard ,  en  soutenaDt  devant  la  Coar  de  Mont- 
peUier,  le  24  janvier  1822,  la  doctrine  de  Parrét  de  cassation  du  9  mai 


404  CHOBH  lUGÉE 

c'est  qne  le»  eniknts^  né»  doivent  être  mis  en  cause*,  dany 
les  procès  qui  s'agitent  avec  leur  père  sur  des  droite  àb 
femille.  On  invoque  en  ce  sens  Tarticle  100  du  Code  civil, 
aux  termes  daquel  le  jugement  de  recUHcation  des  actes  de 
rétat  civil  ne  peut  être  opposé,  dans  aucun  temps,  aur  par- 
ties qui  n'y  ont  pa»étë  appelées.  C'est  aussi  ce  qui  paraîtrait 
résulter  des  considérants  d'un  arrêt  de  cassation  du* 
9  mai  18ât,  qui  déclare  «  que  les  droits  de  famille  sont* 
(c  acquis  aux  enfants  par  le  seul  fait  de  la  naissance  en  ma- 
«  riage  légitime  *,  que,  respectivement  k  ces  droits,  leurs 
«  auteurs  ne  peuvent  ni  les  obliger  par  leur  fait,  ni  les 
«  représenter  dans  les  instances  oà:  ces  enfants  n'ont  pas  été 
«  personnellement  appelés.  » 

Mais  nous  ne  voyons  rien  d'assez  formel  dans  Tarticle  iOO 
pour  faire  supposer  l'a)»andon,  sans  examen*,  san»  discus- 
sion ,  d'une  doctrine  apppuyée  sur  d'aussi  graves  motift  que 
l'ancienne  théorie  du  contradicteur  légitime.  Si  la  jurrspnr- 
dence  a  quetqnefbis  fait  une  sage*  et  utile  violence  à  éa*  lai 
(voy  n*  91  ),  pour  y  introduire  des  principes  nouveam,  elle 
doit  éprouver  moins  de  scrupule  Ik  où  il  s'agit  seulement 
de  modifier  une  règle  générale  par  un  tempérament  qui  y  a 
été  apporté  de  temps  immémorial. 

En  ce  qui  touche  l'arrêt  de  18S1,  lorsqu'on  examine 
l-espèce  dans  laquelle  a  été  rendu  cet  arrêt,  on  voit  quil 
s'agissait  de  revenir  sur  une  décision  scandaleuse  obtenue 
d'un  tribunal  de  famille,  en  1793,  décision  qui  attribuait  la 
légitimité  k  un  enfant  dont  la  bâtardise  était  manifeste  et 
dont  ce  tribunal  lui-même  reconnaissait'  que  les  parents 
n'étaient  point  mariés.  Cest  donc  Ik  évidemment  un  anfêt 

1821  f  a-t-il  soin  de  déclarer  qu'il  n'entead  réserver  les  droits  que  des 
enfants  nés  lors  du  procès ,  et  que  pour  ceux  qui  viendraient  k  nattre 
ultérieurement,  il  faudrait  leur  appliquer  le  principe  posé  en  1689  par  le 
parlement  de  Paris.  La  concession  est  périlleuse,  Ât  M.  nemolombe  ; 
mais  elle  eet  moralement  nécessaire. 


Ac  cnuu*.  498 

d'espèce^  et  il  faat  remarqnev de  plus  que  Tenfant  légitime, 
qm  n'avak  pas  été  dûs  ea  cause ,  étaâl  donataire  de  tous  les 
biens  présents  du  de  €ujm„tt  que  dès  lors  il  avait  un  intérêt 
tout  spécial  dans  le  procès  jugé  hocs  de  sa  ppéseuce.  Had)i- 
tudlemeat ,  an  conlcaive ,  dans  le»  questians  d*élat ,  la  réda- 
mation  enlraïae  un.  scandale  qa'il  est  dans  Tesprit  de  notre 
légistadon  d'étouffer  promfptement  :  de  \h  les  délais  sî  brefs» 
pour  le  désaTOUy  et  remarquoiis  qa'inconifistabiement,  dans 
ractiou  en  désavea ,  le  mafl  est  seul  oontradicteur  légitîne.. 
C'est  à  j^ropos  ménae  de  cette  action  en  désavea  que ,  dan» 
un  arrêt  du  6  juiUet  1836,  la  Cour  de  cassation,  en  repous* 
sant  l'action  des  créanciers^  semblait  piendre  k  tâche  de 
reproduire,,  da  moin»  par  ses  conûdérants,  la  théorie  qu'on 
prétend  repoussée  par  nos  lois  modecnes,  locsqa'elle  décla- 
rait «  qn  de  pareille»  acUons  intentée»,  exercées  et  jngéea 
«  avec  les  eantradictiÊtrB  lêgitimu,  Hiembre»  de  la  famille,. 
((  sans  dol  et  san»  fiande  au  préjudice  des  tiers  yficent  l!état 
((  de  la  mé»e  famille  k.  L'égard  de-  tous.  » 

Mais ,  plu»  récemment,  la  jocispradence  a  eu.  k  se  pro- 
noncer suc  la  question  d'une  manière  directe.  Une  réclama* 
tiott  d'état,  après  avoir  été  repoussée  vis-k-vis  du>  prétendu 
père  par  un  jugement  passé  en  force  de  chose  jugée,  a  été 
reproduite  contre  le  même  individu  et  contre  sa  fiHe ,  k 
raison  de  l'ouTerture  des  successions  de  la  prétendue  mère 
et  du  prétendu  frère  du  réclament.  La  Cour  de*  Montpellier, 
pour  repousser  cette  prétention,  a  posé  carrément  l'ancienne 
théorie,  en  déclarant ^  le  10  mai  1864,  a  que  celui  qui 
•  c<  réclame  l'état  d'enfimt  légitime,  doit  former  sa  demande 
«  eonUte  les  deux  époui  dont  il  se  prétend  issu ,  ou  leurs 
«  représentants^  parties  principalement  intéressées  -,  qiae  la 
«  décision  rendue  avec  ses  comradicuurs  natureU  et  légitimée^ 
a  fixe  irrévocablement,  et  envers  tous,  son  état  d'enfknt 
«  légitime,  si  su  demande  est  accueillie,  sauf  le  ca»  de 


496  CH08B  JUGÉE 

«  coUasion  et  de  fraude;  que,  par  la  même*  raison,  elle 
«  établit  irrévocablement,  et  envers  tous,  quHl  n*est  pas 
«  enfant  légitime  du  père  et  de  la  mère  dont  il  se  prétend 
«  issu ,  si  sa  demande  est  rejetée.  » 

La  Ck)ur  de  cassation,  saisie  du  pourvoi  contre  cet  arrêt, 
a  évité  sciemment  de  se  prononcer  sur  la  théorie  générale 
consacrée  par  la  Ck)ur  de  Montpellier  ;  elle  s'est  bornée 
(Rej.,  p  janvier  1866)  k  décider,  en  s'attachant  à  l'espèce  où 
l'action  en  réclamation  d'état,  après  avoir  été  rejetée,  se 
trouvait  ultérieurement  reproduite  ex  causa  nova,  r  gne  nul 
«  ne  peut  être  autorisé  ^  décliner  les  conséquences  néces- 
«  saires  de  la  situation  qu'il  a  créée  -,  que  procéder  contre  le 
«  mari  seul  en  semblable  matière ,  c'était  d'avance  accepter 
<i  pour  soi  comme  définitive  et  absolue  la  décision  k  inter- 
«  venir.  »  On  a  dès  lors  voulu  concilier  l'arrêt  de  1866  avec 
celui  de  1821,  en  s'attachant  à  la  distinction  proposée  par 
notre  savant  collègue  M.  Rodière  {SolidarUê  et  indimibUùé, 
n""  401),  entre  le  jugement  qui  admet  la  réclamation  d'état, 
jugement  suspect  de  collusion  et  susceptible  d'être  attaqué 
par  tout  intéressé,  et  le  jugement  qui  repousse  cette  même 
réclamation ,  lequel ,  rendu  vis-ii-vFs  du  contradicteur  légi* 
time ,  ferait  loi  k  l'égard  de  tous. 

Cette  distinction  nous  parait  plus  ingénieuse  que  fondée 
en  logique.  De  deux  choses  l'une  :  ou  bien  il  faut  s'attacher 
aux  articles  1351  et  100  du  Code  civil,  et  limiter  l'autorité 
du  jugement  aux  parties  en  cause  -,  ou  bien,  il  faut  recon- 
naître, avec  l'intérêt  social  et  le  bon  sens,  que  le^même 
procès  ne  peut  être  renouvelé  de  génération  en  génération.  * 

Le  premier  système  mène  à  celte  conséquence  étrange, 
signalée  par  M.  Demolombe,  que  celui-lk  même  qui  s'est  fait 
attribuer  une  filiation  pourrait  en  réclamer  une  difiérente. 
L'état  des  personnes  n'étant  point  susceptible  d'abdication , 
si  on  applique  rigoureusement  l'article  '351,  le  réclamant 


n^<'m u 


AU  aviL.  487 

lui-même  ne  serait  point  contradictear  légitime  qaant  k  son 
propre  état.  La  question  s'est  présentée  dans  la  pratique  ; 
un  jugement  du  tribunal  civil  du  Gers,  qui  avait  admis  cette 
singulière  doctrine,  a  été  cassé  le  5  prairial  anVII  :  «  Attendu 
c(  que  l'état  civil  de  Jean  Caries  a  été  irrévocablement  fixé 
c(  par  le  jugement  rendu  sur  sa  propre  réclamation,  le 
«  6  août  1790,  par  le  ci-devant  sénéchal  de  Bigorre,  qui  Ta 
«  déclaré  fils  naturel  de  Théodore  Caries  et  de  \ictoire 
((  Jubert,  mariés.  9 

Il  est  bien  entendu  qu^l  faut,  dans  notre  manière  de  voir, 
que  toutes  les  parties  principales  aient  été  mises  en  cause  : 
ainsi,  un  enfant  déclaré  légitime  vis-à-vis  de  sa  mère,  ne  le 
serait  point  par  cela  même  vis-à-vis  de  son  père ,  et  réci- 
prQquemenl\  (Rej.,  28  juin  1821.)  Quelque  indivisible  que 
soit  l'état  des  personnes  dans  la  nature  des  choses,  ii  doit 
cependant  être  considéré  comme  divisible  dans  la  pratique  ^ 
et  l'oB  peut  être  fils  légitime  d'une  femme  sans  être  légale- 
ment le  fils  de  son  mari.  (N*  211.) 

*  Nous  ne  saurions  admettre,  sur  ce  point,  la  doctrine  professée  par  la 
chambre  des  requêtes,  dans  Parrèt  du  3  janvier  1866,  suivant  laqueUe,  n  le 
mari  seul  a  été  mis  en  cause  par  le  réclamant ,  la  demandé  ne  peut  être 
reproduite  contre  la  femme  ou  les  enfants  de  celui  qui  aurait  été  jugé  n^être 
point  le  père.  Il  nous  semble  qu'U  y  a  là  une  confusion  d'idées  entre  le 
désaveu,  qui,  par  la  force  des  choses,  n'intéresse  que  le  mari,  et  la  con- 
testation d'état ,  dans  laquelle  le  mari  et  la  fenuue  sont  sur  la  même  ligne. 


II.  32 


498  AUTORITÉ  DE  LÀ  CHOSE  JUGÉE 

DEUXIÈME  DIVISION. 

AinOBITlâ  BE  LA  CHOSE  JUG^E  AU   CRIMIKBI.  ^. 

SomiAmE.  —  890.  Bègle  Non  bis  in  idem.  —  89< .  Législations  qui  s*eii  écartent ,  diree- 
temcnt  ou  indirectemeut.  —  892.  Autorité  de  celte  règle.  —  893.  Quand  elle  est  appli- 
cable. ^  894.  Division. 

890.  Le  priDcipe  qu'il  n'est  plus  permis  de  remettre  en 
question  un  point  souverainement  jugé,  est  plus  sacré  encore 
en  matière  criminelle  qu'en  matière  civile.  Que  devien- 
draient la  liberté  individuelle  et  la  sécurité  de  chaque 
citoyen ,  si  les  accusations  pouvaient  se  renouveler  indéfini- 
ment ?  Le  système  contraire  est  de  nature  k  entraîner  de 
trop  graves  perturbations  pour  n'être  pas  repoussé  par  la 
raison  politique  aussi  bien  que  par  l'équité.  «  Qui  de  crimine 
((  publico  »  (Diocl.,L.9,  Cod.,  De  accus.)  «  in  accusationem 
«  deductus  est,  ab  alio  super  eodem  crimine  deferri  non 
«  potest.  »  Et  notre  ancienne  jurisprudence  a  reproduit  la 
même  règle,  connue  dans  la  pratique  sous  le  nom  de  Non 
bU  in  idem.  Seulement,  la  requête  civile  était  admise  pour 
cause  de  dol  de  Taccusé  *,  ou  de  fausseté  des  pièces  pro- 
duites, tandis  qu'il  n'existe  plus  aujourd'hui  de  requête 
civile  en  matière  criminelle.  Cette  règle  n'était  établie, 
d'après  le  droit  commun  anglais,  que  pour  les  accusations 
emportant  la  peine  capitale  '.  Les  États-Unis  avaient  été  un 

*  Voyez,  sur  tout  ce  qui  concerne  la  chose  jugée  au  criminel ,  les  prin- 
cipes exposés  dans  le  Traité  de  Vaction  publique  et  de  Vaction  civile  de 
M.  Mangin.'(Cli.  ly.  sect.  3.)  Nous  verrons  néanmoins  que  le  dernier  état 
de  la  jurisprudence  tend  à  corriger  ce  quMl  y  avait  de  trop  absolu  dans  la 
doctrine  de  M.  Mangin  relativement  à  TinOuence  du  criminel  sur  le  civil. 
£n  cette  partie  encore ,  de  nouveaux  développements  ont  été  donnés  par 
M.  Griolet. 

'  Farinacius  permettait  même  de  revenir  sur  le  procès,  s^il  y  avait  aveu 
ultérieur  de  Paccusé  :  Posse  adhuc  absolutum  ex  sua  coi\fessione  con- 
demnari  sine  dubio  crederem.  (Quest.  4 ,  n»  43.) 

*  Suivant  une  observation  judicieuse  de  M.  Ortolan  (Éléments  de  droit 
pénal,  tom.  II,  n«  810),  on  peut  expliquer  par  le  moins  de  confiance 
quUnspire  l'accusation  privée  le  respect  moindre  de  la  chose  jugée  là  où 
la  procédure  est  accusatoire. 


AU  CRIMINEL.  499 

peu  plus  loin,  en  consacrant,  comme  principe  constitu- 
tionnel, qu'on  ne  pouvait  être  exposé  par  une  seconde  accu- 
sation, pour  la  même  offense,  à  perdre  la  vie  ou  un  membre 

(Comt.,  Amend.,  art.  ^)  :  No  penon  shall  be  9ubject,  for  the 
êome  offense  t  ta  be  twice  put  injeapardy  of  li/e  or  limb. 

Mais,  ainsi  que  nous  rapprend  Greenleaf  (tom.  III,  §  35), 
la  règle  a  été  généralisée  dans  la  pratique  anglaise  et  amé- 
ricaine S  qui ,  sous  la  dénomination  de  piea  of  autrefois  acquit^ 
ou  bien,  of  autrefois  eonvict^  ne  permet  point  de  remettre  en 
question  ce  qui  a  été  décidé  antérieurement  par  un  acquit- 
tement  ou  par  une  condamnation. 

881.  C'était  violer  indirectement  la  règle  Non  bis  m  ideai 
que  d'admettre,  avec  l'ancienne  jurisprudence  et  avec  le 
droit  allemand  (n*  57),  un  plus  amplement  informé  usquequoj 
ou  bien  une  absoUuio  ab  instantia,  qui  laissait  indéûniment 
l'accusé  in  reatu.  Le  verdict  du  jury  écossais,  consacré 
dcfpuis  deux  siècles,  non  prouvé  (^not  proved),  n'a  point  des 
conséquences  aussi  graves,  puisqu'il  ne  permet  point  une 
nouvelle  accusation  ;  mais  il  a  le  notable  inconvénient  d'in- 
fliger, comme  jadis  la  mise  hors  de  cour^  k  celui  qui  est  Tobjet 
de  cet  acquittement  imparfait ,  une  sorte  de  flétrissure  mo- 
rale (voy.  n""  56),  qu'il  ne  lui  est  pas  possible  d'efiacer. 
Et  cet  inconvénient  est  d'autant  plus  marqué  que  les  trois 
quarts  des  verdicts  rendus  en  faveur  de  l'accusé  par  le  jury 
d'Ecosse  portent  non  prouvé  au  lieu  de  non  coupahie.  Le  sys- 
tème anglais  et  français  est  plus  conforme  au  principe  qui 
veut  que  l'accusation  soit  complètement  purgée. 

Le  droit  criminel  autrichien ,  tel  qull  est  encore  consacré 
par  le  Gode  de  1853  (§  362  et  368),  ne  craint  point  d'aller 
ouvertement  k  rencontre  de  ce  principe,  puisqu'il  autorise 

*  Toutefois,  dans  le  Connecficat,  jusqu'à  la  rérision  de  18f8 ,  la  Cour, 
si  eUe  n'était  point  satisfaite  da  verdict  du  jwry,  pouvait  en  proroqMr  ub 
second  et  même  un  troisième.  (Story,  On  the  Constitution,  $  89.) 

32. 


SOO  AUTORITÉ  DE   LÀ  CHOSE  JUGÉE 

une  nouvelle  accusation ,  soit  après  une  condamnation  k  une 
peine  inférieure,  soit  après  un  acquittement  complet.  Le 
Code  de  procédure  pénale  napolitain  (art.  149  et  suiv.)  per- 
mettait de  revenir  pendant  deux  ans  sur  rarrèt,  lorsqu'il 
portait  simplement  :  Non  cotta. 

892.  Chez  nous,  le  respect  de  la  chose  jugée  a  une  telle 
influence  en  matière  criminelle,  que  ce  n'est  plus  alors  aux 
parties  seules,  comme  en  matière  dvile  (voyez  notamment 
Rej.,  16  novembre  1864, 12  mars  1866  et  2  février  1867), 
à  se  prévaloir  des  jugements  rendus  en  leur  faveur,  si  elles 
les  connaissent  et  si  elles  jugent  k  propos  de  les  invoquer  -, 
ce  moyen  péremptoire  doit  être  suppléé  d'oiBce  (Cass., 
3  mai  1860)  dans  l'intérêt  de  Taccusé.  Il  en  est  de  la 
chose  jugée  comme  de  la  prescription,  qui  n*est  pas  aban- 
donnée k  la  discrétion  des  parties  en  matière  criminelle. 

893.  Quant  k  l'application  de  la  maxime  Non  bis  in  idem, 
il  faut  distinguer  deux  degrés  dans  la  juridiction  criminelle. 
Si  une  ordonnance  de  non-lieu  a  été  rendue  parle  juge  d'in- 
struction \  ou  un  arrêt  de  non-lieu  par  la  chambre  des  mises 
eu  accusation,  le  prévenu  ne  peut  plus  être  traduit  en  jus- 
tice a  raison  des  mêmes  faits,  k  moins  qu'il  ne  survienne  de 
nouvelles  charges  (C.  d'inst.,  art.  246.)  Il  y  a  autorité  de 
la  chose  jugée,  mais  seulement  en  ce  qui  touche  les  charges 
soumises  k  la  chambre.  Enfin ,  l'autorité  de  la  chose  jugée 
protège  complètement  l'accusé,  s'il  y  a  eu  jugement  défi- 
nitif, c'est-k-dire  non-seulement  dans  le  cas  d'acquittement, 
dont  s'est  occupé  le  Code  d'instruction  criminelle  (art.  360), 
mais  en  cas  d'absolution ,  ou  même  de  condamnation ,  si  l'on 
prétendait  que  la  peine  prononcée  n'était  pas  suflisante. 

1  n  faut,  en  effet,  assimiler  aui  arrêts  de  non -lieu  les  ordonnasoes 
de  non-lieu  rendues  par  le  juge  d'instruction,  qui  n'auraient  pas  été 
attaquées  dans  les  délais ,  ainsi  que  Va,  déddé  la  Cour  de  cassation  pour  la 
chambre  du  conseil,  notamment  le  22  août  1847  et  le  25  juillet  1849. 


AU  CRimilEL.  ,  80i 

De  plus,  les  arrêts  de  la  chambre  des  mises  en  accusation 
ont  un  caractère  définitif,  en  tant  qu'ils  tranchent  des  ques- 
tions de  droit,  k  Tégard  desquelles  la  suryenance  de  non* 
velles  charges  est  une  circonstance  indifférente.  Ainsi ,  la 
décision  de  cette  chambre,  qui  déclare  n'y  ayoir  lieu  k  ren- 
voi, parce  que  le  fait  poursuivi  n'est  pas  punissable  aux 
termes  des  lois  pénales,  a  une  autorité  aussi  irréfragable 
que  celle  d'un  arrêt  d'absolution.  La  Cour  de  cassation  a 
jugé,  en  conséquence  (Cass.,  9  mai  1812),  que  la  décou- 
verte de  charges  nouyelles  ne  peut  détruire  l'autorité  d'un 
arrêt  de  non-lieu ,  fondé  sur  ce  que  le  bénéfice  de  la  pres^ 
cription  est  acquis  au  prévenu. 

II  n'y  a  chose  jugée  au  criminel  qu'autant  que  la  décision 
tranche  ainsi  la  question  irrévocablement,  et  non  lorsque, 
motivée  uniquement  sur  le  manque  de  preuves ,  elle  écarte 
certaines  charges,  sans  purger  l'accusation. 

894.  Les  caractères  que  doit  avoir  la  chose  jugée  sont 
les  mêmes  au  fond  qu'en  matière  civile.  L'identité  d'objet, 
de  cause  et  de  personne  est  également  nécessaire  pour 
rendre  non  recevables  de  nouvelles  poursuites,  sauf  cer- 
taines modifications  que  peut  subir,  en  matière  criminelle, 
l'application  des  principes  ordinaires. 

5  4.  IDEXTITB  «'objet. 

SOMMAIBE.  ~~  895.  Identité  d'objet  ao  criminel.  Caractère  des  poursuites  disciplinaires. 

895.  L'objet  de  l'action  criminelle ,  c'est  la  peine  qui  est 
réclamée  dans  l'intérêt  de  la  société.  L'objet  de  l'action 
civile,  souvent  jointe  à  l'action  publique  devant  les  tribu- 
naux de  répression,  c'est  l'indemnité  du  préjudice  causé 
aux  particuliers  par  le  délit.  Nous  verrons,  en  traitant  des 
rapports  de  l'action  publique  et  de  Faction  civile  au  point 
de  vue  de  la  chose  jugée,  que  ces  actions,  bien  qu'indépen- 


502  AWORITÉ  DB  LÀ  CHOSE  JUGÉE 

dante6  Tone  de  Fautre  parleurs  objets  respectifs,  ne  sont 
point  toujours  sans  influence  Tune  sur  l'autre. 

L'identité  de  l'objet  quant  k  Faction  criminelle  ne  saurait 
donner  lieu  k  de  sérieuses  difficultés.  II  est  difficile  de  sup* 
poser  qu'on  Tienne  réclamer  une  seconde  fois  l'application 
d'une  peine  pour  le  même  délit. 

La  jurisprudence  n'a  eu  k  statuer,  k  cet  égard ,  que  sur 
le  caractère  tout  particulier  des  poursuites  disciplinaires. 
Elle  a  reconnu  que  la  répression  disciplinaire, n'étant  qu'une 
simple  emendatio  domMica,  n'empêche  point  l'exercice  de 
l'action  publique,  et  réciproquement.  Il  est  ^rai ,  dès  lors, 
qu'au  fond  la  chose  demandée  n'est  plus  la  même.  Les 
principes  sur  ce  point  ont  été  posés  par  Farrét  de  cassation 
du  i2  juillet  1834,  aux  termes  duquel  «  l'action  en  disci* 
«  pline  pouvant  s'exercer  pour  des  faits  qui  ne  sont  pas 
a  qualifiés  par  le  Code  pénal,  et  étant  d'ailleurs  assujettie  à 
«  des  formes  spéciales,  les  punitions  qui  en  sont  la  suite  ne 
<c  sont  point  de  véritables  peines,  et  les  décisions  qui  les 
«  prononcent  ne  sont  point  de  véritables  jugements  ;  Tac- 
«  tion  en  discipline,  instituée  pour  maintenir,  dans  l'intérêt 
((  public,  cette  sévérité  de  délicatesse,  cette  dignité  de 
«  caractère ,  cette  intégrité  de  mœurs  qui  doivent  toujours 
«  distinguer  la  magistrature,  est  indépendante  de  la  vindicu  ' 
«  publique  en  matière  criminelle,  correctionnelle  et  de 
a  police,  comme  celle-ci  est  indépendante  de  Faction  en 
((  discipline.  »  Bien  que  posée  k  l'occasion  de  la  magistra- 
ture, cette  règle  s'applique  k  toute  espèce  d'infraction  disci- 
plinaire ,  et  elle  est  suivie  par  toutes  les  juridictions  de  dis- 
cipline. On  se  rappelle  (n*"  S38)  que  l'action  disciplinaire 
est  également  soumise  k  des  règles  spéciales  pour  l'admi- 
nistration de  la  preuve  testimoniale. 

*  Expression  peu  heoiense  pour  désigner  Paction  répressive. 


juj  CRimiiiL.  â03 

S  9.   IDENTITÉ  DB  CAUSE. 

Som AIRE.  —  896.  Caose  en  matière  criminelle.  Distinction  de  la  pluralité  des  faits  et  dn 
même  fait  envisagé  sous  diverses  faces.  —  897.  Délits  distincts,  délits  connexes ,  délits 
collectifs.  Quid  si  la  poursuite  a  lieu  dans  des  circoustances  idenliqnes  ?  Brevets  d'in- 
veDtion.  —  898.  Poursuites  successives  dirigées  à  raison  du  même  fait.  Droit  romain 
et  droit  intermédiaire.  —  899.  Cooiroverse  sur  le  lexie  du  Cod£  d'instruction.  —  900. 
Point  de  difficulté  an  cas  d'absolution. 

896.  De  «éme  que  la  cause ,  eu  matière  civile ,  est  Tacte 
juridique  qui  sert  de.base  a  Taciiou ,  par  exemple ,  la  dona*- 
tioo  ou  le  testament  qu'iuvoque  le  demaudeor  \  la  cause , 
en  matière  pénale  (  et  nous  devons  rectifier,  k  cet  égard ,  les 
idées. peu  exactes  émises  dans  nos  préeéd^ites  éditioas)^»  est 
le  fait  délictueux  qui  autorise  le  ministère  public  ^  provo- 
quer l'application  de  la  peine.  Les  diCBcultés  spéciales  qu'a 
soulevées,  sur  la  cause  devant  la  juridiction  civile,  la  marche 
de  certaines  actions,  notamment  des  actions  en  nullité 
(n*  876),  ne  sont  point  de  nature  à  se  présenter  devant  la 
juridiction  criminelle,  où  Im  conclusions  du  ministère  public 
tendent  toujours  diredieDient  k  l'objet  de  Ta/ction  criminelle, 
c'^st-àndire  k  h  fémli  té. 

La  question  de  J'identité  de  cause  peut  se  présenter,  soit 
dans  rhypothèise  de  plusieurs  faits  délictjueux,  successive^ 
DMut  poursmvis,  jsoit  dans  Thypothèse,  plus  délicate,  d^uo 
seul  fait  envisagé  sous  différentes  faces, 

807.  Lorsque  les  délits  sont  distincts  bien  qu'ils  se  rat- 
tadbent  par  une  certaine  corrélation ,  on  ne  peut  opposer  à 
raccusa4ion  la  maxime  Non  bis  in  idem,  Ce$i  ainsi  que  eelui 
qui  est  acquitté  de  Taccusation  de  meurtre  suivi  de  vol,  peut 
être  poursuivi  de  nouveau  pouf  le  fait  postériemr  et  distiiM^^ 
de  recel  des  dfete  provenant  du  vol.  (Gass.,  g  février  jl8â9.) 

La  circonstance  même  que  les  deux  délits  n'étaient,  pour 
ainsi  dire,  que  la  répétition  l'un  de  J'^aulre,  n'aiicait  pas 
pour  effet  de  les  confondre.  Aussi  ant-on  validé  (Bej., 
31  juillet  1823)  les  poursAÎtos  pour  faux  top^ngnage  contre 


504  AirroRiTÉ  de  la  cbose  iugée 

un  individu  qui  avait  déjk  subi  une  condamnation  pour  dé- 
nonciation calomnieuse,  dans  une  espèce  où  l'imputation 
mensongère  avait  été  d'abord  communiquée  k  un  maire, 
puis  réitérée  en  face  de  la  justice. 

Toutefois  il  ne  faudrait  pas  prendre  pour  des  faits  dis- 
tincts tous  les  éléments  particuliers  d'un  même  délit.  Celui 
qui  aura  commis  plusieurs  vols  dans  une  même  maûsoa 
pourra  bien  être  poursuivi  autant  de  fois  qu'il  aura  vQlé  de 
personnes  différentes  *,  mais  il  ne  pourra  Tétre  plus  d'une 
fois  k  raison  des  vols  qu'il  aurait  commis  en  même  temps 
au  préjudice  d'une  seule  personne. 

Les  délits  peuvent  être  connexes,  c'est-k-dire  que  les 
uns  peuvent  avoir  été  commis  (C.  d'inst.,  art.  227)  pour 
procurer  les  moyens  de  commettre  les  autres ,  pour  en  faci- 
liter, pour  en  consommer  l'exécution,  pour  en  assurer  l'im- 
punité. Il  faut  examiner  alors  s'il  y  a  une  indivisibilité  réelle 
entre  le  fait  jugé  et  le  fait  poursuivi.  Cette  indivisibilité 
existe ,  lorsque  la  culpabilité  de  l'un  des  faits  tient  nécessai- 
rement k  l'existence  de  l'autre.  Ainsi,  quand  une  personne, 
accusée  d'avoir  fait  un  faux  pour  parvenir  k  commettre  des 
concussions ,  a  été  reconnue  non  coupable  de  faux ,  comme 
ay^nt  agi  sans  dessein  de  nuire,  elle  ne  peut  être  ultérieu- 
rement inquiétée,  quant  aux  prétendues  concussions  dont  le 
faux  devait  être  le  moyen ,  puisque  l'intention  criminelle  a 
été  irrévocablement  écartée  par  le  jury.  (Cass.,  23  frimaire 
an  XIII.)  Mais  les  faits,  bien  que  connexes,  peuvent  être 
parfaitement  divisibles,  et  dès  lors  ils  sont  imputables  isolé- 
ment k  l'accusé.  Par  exemple,  la  décision  négative  sur  la 
question  de  viol  n'empêchera  pas  les  poursuites  pour  excès 
et  mauvais  traitements  qui  auraient  été  simultanément 
exercés  sur  la  personne  de  la  femme  outragée.  (Arr.  de  la 
Cour  de  cass.  du  30  mai  1812.) 

S'il  s'agit  d'un  délit  collectif  ou  d'habitude,  comme  Tha- 


AIT  CRIMINEL.  505 

bitode  d'excitation  k  la  débauche,  les  faits  antërieurs  à  la 
sentence,  quelque  nombreux  qu'ils  soient,  ne  constituent 
qu'un  seul  délit  -,  et  l'on  ne  pourrait  rechercher  ceux  qui 
viendraient  à  être  découverts  plus  tard  sans  violer  l'autorité 
de  la  chose  jugée ,  puisqu'ils  ont  été  virtuellement  compris 
dans  les  premières  poursuites.  Hais  les  poursuites  pourraient 
être  reprises  s'il  avait  été  commis  depuis  la  sentence  des  faits 
nouveaux ,  assez  considérables  et  assez  nombreux  pour  con- 
stituer une  nouvelle  habitude.  C'est  ainsi  qu'en  matière  civile 
la  demande  en  séparation  de  corps,  après  avoir  été  repoussée, 
ne  peut  être  reproduite  que  si  elle  est  motivée  sur  des  sé- 
vices ou  injures  postérieurs  au  premier  jugement. 

Au  délit  collectif  se  rattache  de  fort  près  la  perpétration 
du  même  fait  dans  des  circonstances  identiques. 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu  (n*  860),  c'est  une  règle  géné- 
rale ,  au  civil  aussi  bien  qu'au  criminel ,  que  l'autorité  morale 
on  doctrinale  d'une  décision  judiciaire  n'a  rien  de  commun 
avec  l'autorité  de  la  chose  jugée.  Pour  qu'il  y  ait  resjudkata, 
il  faut  que  la  même  question  ait  été  résolue  en  fait,  et  non 
pas  seulement  en  droit. 

Il  faut  donc  reconnaître  qu'une  exploitation  peut  être 
poursuivie  comme  insalubre  pour  des  faits  identiques ,  mais 
postérieurs  k  un  premier  jugement  qui  l'a  déclarée  non 
punissable.  (Gass.,  17  décembre  1864.)  On  a  critiqué  avec 
raison ,  comme  contraire  k  ce  principe ,  une  décision  de  la 
chambre  criminelle  de  laCourdecassation(Rej.,  18avrill839) 
qui  a  considéré  comme  faisant  obstacle  k  des  poursuites  pour 
exercice  illégal  de  la  médecine  un  premier  jugement  de  ren- 
voi pour  des  faits  antérieurs ,  fondé  sur  une  autorisation  du 
mmistre  de  Tiostruction  publique,  qui  n'avait  pas  été  révo- 
quée. La  même  question  a  été  agitée  dans  une  espèce  qui 
a  eu  plus  de  retentissement,  à  raison  de  son  importance 
pratique.  Aux  termes  de  l'article  46  de  la  loi  du  5  juillet  1844, 


506  AUTORITÉ  DE  Lk  CHOSE  JUGÉE 

le  tribunal  correctionnel,  saisi  d'une  action  pour  délit  de 
contrefaçon ,  statue  sur  les  exceptions  tirées  de  la  nullité  oa 
de  la  déchéance  du  brevet.  Une  pareille  décision  a-t-elle 
une  autorité  absolue?  Lorsque  le  législateur  a  voulu  auto* 
riser  la  juridiction  civile  k  prononcer  la  nullité  absolue  da 
brevet,  il  a  eu  soin  de  s'en  expliquer  par  une  disposition  foiw 
melle.  (Même  loi,  art.  87.)  Autrement,  on  se  trouve  placé 
sous  Tautorilé  du  principe  général ,  suivant  lequel  la  déci- 
sion du  juge,  notamment  lorsqu'il  statue  incidemment  eo 
matière  pénale  (n*"  233),  ne  peut  être  invoquée  au  delà  de 
Tespèce  sur  laquelle  il  statue.  U  est  vrai  que  la  cbasabre 
criminelle  (17  avril  1857)  avait  d'abord  interprété  dans  un 
sens  plus  large  l'article  46  de  la  loi  d<^  1844,  en  voyant  dans 
l'exception  un  moyen  de  droit  sur  lequel  le  juge  ne  pouvait 
être  appelé  k  prononcer  une  seconde  fois.  Mais  cette  doc- 
trine, repoussée  par  la  chambre  civile  (Cass.,  25  avril  1857 
et  11  février  1859),  a  fini  par  être  ahaBdonnée  par  la  chambre 
criminelle,  qui  a  reconnu  récemment  (Rej.,  22  janvier  1870) 
tt  que  la  décision  que  le  juge  correctionnel  rend  sur  ces  es- 
cc  ceptions  ne  s'étend  pas  au  deik  du  fait  incriminé  ;  qu'an 
«  cette  matière  comme  en  toute  autre,  le  tribunal  correc- 
((  tionnel  n'est  juge  de  l'exception  que  dans  la  mesure  et 
tt  dans  les  limites  de  l'action.  » 

898.  Arrivons  k  l'hypothèse  ou  des  poursuites  seraient 
dirigées  k  raison  du  même  fait,  envisagé  sous  diOérentes 
faces.  Ainsi,  pour  prendre  l'exemple  le  plus  frappant,  l'accusé 
acquitté  pour  meurtre  peiit41  être  poursuivi  correctionnelle* 
ment  pour  homicide  par  imprudence  ? 

En  l'absence  de  tout  texte ,  et  si  l'on  ne  raisonne  que 
d'après  les  principes  généraux ,  la  cause  de  la  demande  ne 
consiste  point  dans  les  £aûts  matériels  sur  lesquels  statue  le 
juge ,  mais  dans  ces  faits  envisagés  au  point  de  vue  juri- 
dique. On  n'a  jamais  contesté,  en  droit  civil,  qne  le  méoie 


àS   CRIVINEL.  807 

acte  qu'on  a  essayé  vaÎDement  de  faire  valoircomme  testa* 
ment,  ne  puisse  être  déclaré  valable  comme  donation,  sans 
qu'il  y  ait  \k  aucune  violation  de  l'autorité  de  la  chose  jugée. 
A  Rome ,  ce  principe  était  admis  incontestablement ,  même 
au  criminel,  a  Si  tamen  »,  dit  Dioclétien  (L.  9,  Cod.,  De 
acaa.),  <c  ex  eodem  facto  plurima  crimina  nascuntur,  et  de 
«  uno  crimine  in  accusationem  fuerit  deductus,  de  altero 
«  non  prohibetur  ab  alio  deferri.  »  Nos  anciens  criminalistes 
ont  constamment  professé  la  même  doctrine.  Mais  la  légis- 
lation intermédiaire  introduisit  un  système  tout  nouveau. 
Ce  qui  était  soumis  au  jury,  d'après  la  loi  du  29  septembre 
1791 ,  et  d'après  leCode  du  3  brumaire  an  IV,  ce  n'était  pas 
seulement  tel  délit,  par  exemple,  tel  meurtre,  tel  vol; 
c'était  le  fait  même,  dont  la  matérialité  et  la  moralité  devaient 
être  spécialement  appréciées  par  le  jury.  Dès  lors,  l'accusé 
acquitté  pour  meurtre  ne  pouvait  plus  être  poursuivi  pour 
liomieide  par  imprudence ,  puisque  l'accusation  d'bomicide 
et  celle  de  meurtre  se  rattachent  t(Mites  deux  k  un  même 
fait,  qui  avait  été  généralement  apprécié  sous  toutes  ses  faces, 
et  déclaré  non  punissable  ^ .  C'est  en  ce  sens  qu'on  interpré- 
tait constamment  alors  les  dispositions  légales  qui  ne  per- 
mettaient pas  de  reprendre  ou  d'accuser  le  même  individu 
à  rttson  du  même  fait.  (Loi  de  1791,  part.  II,  tit.  YIII,  art.  3  \ 
C.  de  brumaire,  art.  426.) 

899.  Or,  les  mêmes  expressions  se  retrouvent  dans  l'ar- 
ticle 603  du  Code  d'instruction  criminelle,  ainsi  conçu  : 
f(  Toute  personne  acquittée  légalement  ne  pourra  plus  être 
«  reprise  ni  accusée ,  à  raison  du  même  fait.  »  D'après  la 

maTÎiïiA  Hon  est  novum  ut  priores  leges  ad  poUeriores  trahantw 

*  n  parait  même  résulter  de  la  combinaison  des  articles  378 ,  374  et 
3S0  du  Code  de  brumaire,  que  la  question  subsidiaire,  résultant  des  débats, 
devait  être  posée  à  peine  de  nullité.  Mais,  au  cas  d'acquittement,  la  cas- 
sation, alors  comme  aujourd'hui,  ne  pouvait  être  prononcée  que  dans 
l'intérêt  de  la  loi. 


508  AUTORITÉ  DB   LÀ  CHOSE  JUGÉE 

(Paul,  L.  26,  D.,  De  legib.)^  plusieurs  auteurs  et  plusieurs 
Cours  d'appel  ont  soutenu  que  ces  expressions  doivent 
s'interpréter  de  même  aujourd'hui ,  s'atiachant  k  cette  idée 
qu'en  matière  criminelle  on  doit  faire  prévaloir  la  solution 
la  plus  favorable -à  l'accusé.  Mais  la  Cour  régulatrice  s'est 
depuis  longtemps  prononcée  pour  l'opinion  contraire,  et  un 
arrêt  de  cassation,  rendu  en  ce  sens,  sections  réunies,  le 
25  novembre  1841 ,  a  fixé  irrévocablement  sa  jurisprudence. 
Si  la  législation  nouvelle  doit  s'éclairer  par  celle  qui  l'a  pré- 
cédée, cela  n'est  vrai  qu'autant  qu'il  n'y  a  pas  entre  elles 
opposition  de  principes,  nui  contrariœ  tint  (Paul, L. 28,  ttrid.), 
et  cette  opposition  eiiste  réellement  dans  l'espèce.  Le  Code 
d'instruction  criminelle  (art.  337}  a  substitué  aux  opérations 
multiples  et  compliquées  du  système  antérieur  la  position 
de  cette  simple  question  :  «  L'accusé  est-il  coupable  d'avoir 
«  commis  tel  meurtre,  tel  vol  ou  tel  autre  crime,  avec  toutes 
«  les  circonstances  comprises  dans  le  résumé  de  l'acte  d'ac- 
«  cusation'?  »  Le  jury  ne  prononce  donc  plus  sur  le  fait, 
mais  sur  le  délit.  Pour  que  son  appréciation  s'étende  plus 
loin ,  il  faut  qu'on  lui  ait  posé  des  questions  subsidiaires. 
Il  n'est  donc  plus  vrai  aujourd'hui  que  toute  accusation  rela- 
tive au  fait  matériel  soumis  au  jury  se  trouve  purgée  par 
son  verdict.  Ainsi ,  lorsqu'il  a  résolu  négativement  la  ques- 
tion d'infanticide,  on  ne  saurait  admettre  qu'il  ait  résolu 
implicitement  celle  d'homicide  par  imprudence ,  qui  ne  lui 
était  pas  soumise ,  et  qui  a  pu  ne  pas  même  se  présenter  k 
sa  pensée.  Le  même  fait  doit  donc  s'entendre  dans  la  loi 
actuelle  du  même  délit.  L'opinion  contraire,  rationnelle  dans 
un  système  d'instruction  où  l'examen  du  jury  devait  porter 

*  Tel  était  le  texte  du  Code  d'instnictioD  de  1808  •  et  même  de  ce  Code 
révisé  en  1832.  Mais  aujourd'hui,  aux  termes  de  Particle  1»  de  la  loi  du 
13  mai  1886 ,  les  questions  relatives  aux  circonstances  aggrayantes  doîTest 
toujours  être  posées  séparément.  La  question  principale  n'en  a  pat  moins 
consenré  le  caractère  complexe  signalé  par  la  Cour  de  cassation. 


AU  CRimMEL.  S09 

sur  le  fait  envisagé  sous  toutes  ses  faces,  amèDerait  aujour- 
d'hui ce  singulier  résultat  qu'un  délit  correctionnel  qui  n'au- 
rait été  ni  discuté  ni  jugé,  se  trouverait  impuni ,  parce  que 
Tauteur  de  ce  délit  aurait  été  mal  à  propos  accusé  d'un 
crime.  Il  est  vrai  que  le  président  de  la  Cour  d'assises  peut 
toujours  poser  subsidiairement  la  question  de  savoir  s'il  a 
été  commis  un  simple  délit  ;  mais  on  sent  combien  ce  serait 
énerver  la  répression  que  de  faciliter  ainsi  les  voies  à  l'in- 
dulgence du  jury,  en  posant  des  questions  subsidiaires, 
auxquelles  il  s'arrêterait  souvent  pour  prendre  un  moyen 
terme  entre  l'acquittement  et  la  condamnation  complète. 
Dans  l'opinion  des  auteurs  qui  combattent  la  jurisprudence, 
il  faut  aller  jusqu'à  soutenir  que  c'est  une  obligation  pour 
le  président  de  poser  les  questions  subsidiaires.  Mangin 
tombe  dans  l'excès  contraire,  en  soutenant  que  le  Code 
actuel  n'admet  d'autres  questions  que  celles  par  lui  indi- 
quées. La  vérité  est  qu'il  y  a  là  pour  le  président  une  simple 
faculté,  et  ce  serait  vraiment  donner  une  trop  grande  lati- 
tude aux  pouvoirs  de  ce  magistrat  que  de  déclarer  l'action 
correctionnelle  éteinte  par  suite  de  l'omission  d'une  mesure 
facultative,  k  laquelle  la  loi  ne  fait  pas  même  allusion. 

On  pourrait  croire  que  le  ministère  public  a  un  moyen 
facile  de  trancher  la  question,  en  faisant  des  réserves  k 
fin  de  poursuites,  avant  la  clôture  des  débats.  (C.  d'inst., 
art.  361.)  Mais  ces  réserves  ont  simplement  pour  but, 
d'après  le  texte  et  l'esprit  de  la  loi,  d'empêcher  la  mise 
en  liberté  du  prévenu  acquitté;  elles  se  réfèrent  d'ailleurs 
aux  faits  révélés  par  les  débats,  faits  tout  a  fait  indépendants 
de  ceux  sur  lesquels  le  jury  va  prononcer.  Après  tout,  la 
valeur  légale  du  verdict  doit  dépendre  de  règles  fixes,  et 
non  de  la  circonstance  que  le  procureur  général  aura  pris 
telles  ou  telles  conclusions. 

L'objection  la  plus  grave  contre  le  système  qui  a  prévalu 


510  AUTORITÉ  DIS   LA  CHOSE  JUGÉE 

dans  la  pratique ,  c'est  qu'il  semble  conduire  k  cette  con- 
séquence ,  admise  dans  la  législation  anglaise ,  qu'une  per- 
sonne pourra  être  soumise  à  des  poursuites  criminelles  pour 
le  même  fait  k  raison  duquel  elle  aura  été  acquittée.  Outre 
ce  qu'il  y  aurait  d'exorbitant  à  faire  figurer  plusieurs  fois  la 
même  personne  pour  un  même  fait  sur  les  bancs  de  la  Coar 
d'assises,  il  y  aurait  k  ce  procédé  un  obstacle  de  droit  insur- 
montable; ce  serait  la  nécessité  d'obtenir  un  nouvel  arrêt 
de  la  cbambre  d'accusation,  arrêt  qui  serait  impossible  dans 
notre  système  de  procédure  criminelle,  puisque  l'article  246 
du  Code  d'instruction  suppose  que  la  chambre  ne  peut  être 
ressaisie  du  même  fait  ^  qu'autant  qu'il  survient  de  nouvelles 
charges. 

Nous  reconnaissons,  en  efiet,  que  la  pensée  de  notre 
législateur  a  été  de  faire  formuler  d'une  manière  dépnitive 
l'accusation  criminelle  par  la  chambre  de  la  Cour  d'appel 
dûment  saisie.  Toutes  les  questions  de  droit  qui  se  ratta- 
chent au  fait  incriminé  doivent  être  résolues  avant  l'ouver- 
ture des  assises,  qui  se  trouvent  forcément  saisies  de  l'aecn- 
sation,  telle  qu'elle  a  été  qualifiée,  si  le  ministère  public  ou 
l'accusé  n'ont  point  fait  modifier  cette  qualification  par  h 
Cour  régulatrice.  L'accusation  se  trouve  dès  lors  purgée  par 
le  résultat  des  débats  -,  il  n'est  plus  possible  de  la  remanier 
après  coup. 

Tout  autre  est  le  caractère  de  la  position  des  questions 
subsidiaires.  La  Cour  d'assises  n'était  point  saisie  directe- 
ment du  délit,  dont  la  connaissance  appartenait,  en  principe, 
k  la  juridiction  correctionnelle  -,  c'est  seulement  ex  accklenti 
qu'elle  était  appelée  k  en  connaître.  11  ne  s'agit  plus  de  la 

'  Le  même  faXt  se  prend  ici  dans  le  sens  littéral ,  parce  que  la  chambre 
d^accusation  n'est  point  appelée  à  prononcer  sur  une  question  déterminée, 
mais  doit  se  saisir,  même  d'office  (Inst.  crim.»  art.  231),  de  la  connais- 
sance de  tous  les  points  qui  se  rattachent  à  Paccusation  qui  lui  est  sou- 
mise. 


AU  GRIHIHBL.  SU 

mission  nécessaire  de  la  Cour  d'assises,  mission  qui  lui  est 
imposée  par  l'arrêt  de  mise  en  accusation,  mais  bien  d'une 
sorte  d'emprunt,  tout  facultatif,  fait  à  la  juridiction  correc- 
tionnelle, dans  un  but  de  simplification  et  de  célérité.  On 
peut  donc,  sans  se  contredire,  reconnaître  k  la  chambre 
d'accusation  le  droit  de  formuler  définitivement,  en  se 
liTranl  k  toutes  les  investigations  nécessaires,  l'accusation 
criminelle,  et  refuser  au  président  de  la  Cour  d'assises  le 
pouvoir  d'exercer  ou  de  supprimer  k  son  gré  l'exercice 
subsidiaire  de  la  juridiction  correctionnelle. 

Ce  n'e&t  pas  que  nous  regardions  ce  système  comme  bien 
satisfaisant.  Le  mieux  serait  peut^tre  d'abandonner  ce  mode 
de  questions  complexes ,  dont  nous  allons  encore  signaler 
les  inconvénients  en  traitant  des  rapports  du  criminel  et  du 
civiP.  En  voulant  simplifier  la  mission  du  jury,  on  a  amené 
de  f&cbeuses  complications. 

En  matière  correctionnelle,  il  faudra  étudier  les  motifs 
du  jugement,  pour  reconnaître  s'il  a  statué  sur  un  seul  délit, 
m  sur  le  fait  dans  son  ensemble ,  et  pour  en  déterminer  en 
conséquence  la  portée.  (N*  863.) 

900.  Dans  le  cas  d'absolution,  qui  donne  Heu  également 
k  l'application  de  la  maxime  Non  bU  in  idem,  bien  qu'il  ne 
soit  pas  compris  dans  la  lettre  du  Code  d'instruction  (voy. 
art.  960),  il  faut  décider,  au  contraire,  que  le  fait  se  trouve 
k  l'abri  de  toute  aecnsation  k  l'avenir,  sous  toutes  ses  faces. 
L'absohition  déclare,  en  général,  que  le  fait  dont  l'existence 
a  été  reconnue  par  le  jury  n'est  pas  défendu  par  une  loi 
pénale.  (Ibid.,  art.  36i.)  Toute  poursuite  devient  donc  im- 
possible k  raison  de  ce  feit. 

<  Une  propoaition  a  été  f&tte  en  ce  sens  par  M.  Parent  à  l'Assemblée 
nationale. 


512  AUTORITÉ  DE  Lk  CHOSE  J06ÉB 

$  8*  l»BimTi  DB  rBESOHRB. 

SonAiRB.  —  90f .  Ftcnlté  de  poursairre  direnes  personnes  poar  le  même  bit  —  M2. 
La  condamnation  de  l'antenr  principal  ne  préjuge  point  la  complicité.  —  903.  Quand 
l'acquiltement  dn  prétendu  antear  principal  met  obstacle  aox  poursuites  pour  eonplidlé. 
~~  904.  Identité  de  personne,  an  point  de  vue  actif.  Transition  k  la  division  sniTinte. 

901.  On  ne  peut  douter  que  le  même  meurtre,  le  même 
Yol,  ue  soit  susceptible  de  donner  lieu  à  des  poursuites  suc- 
cessives contre  diverses  personnes  soupçonnées  de  l'avoir 
commis ,  sans  que  la  condamnation  de  Tune  puisse  mettre 
obstacle  aux  poursuites  contre  Tautre.  Il  n'est  arrivé  que 
trop  souvent  jadis  qu'on  ait  poursuivi  le  véritable  meurtrier, 
après  que  le  faux  meurtrier  avait  été  non-seulement  con- 
damné,  mais  même  exécuté  -,  et,  si  cette  triste  conséquence 
des  erreurs  judiciaires  se  réalise  difficilement  aujourd'hui, 
cela  tient  à  ce  que  l'application  de  la  peine  capitale  est 
fréquemment  évitée  par  la  déclaration  des  circonstances 
atténuantes.  Mais,  en  principe,  une  première  condanmation 
ne  met  nullement  obstacle  k  une  seconde,  bien  qu'elles  soient 
moralement  inconciliables,  sauf  k  se  pourvoir  ensuite  contre 
toutes  deux  par  la  voie  de  la  révision.  (God.  d'insl.  crim., 
art.  443  et  suiv.) 

902.  Hais  le  principe  Res  inter  alios  jwUcaia  aliis  née  pro- 
deue  nec  nocere  tolet,  ne  s'applique  pas  toujours  avec  la  même 
rigueur,  lorsqu'il  s'agit  de  codélinquants  ou  de  complices. 

Il  est  hors  de  doute  que  la  condamnation  de  l'auteur  prin- 
cipal ne  saurait  préjuger  la  question  de  culpabilité  k  l'égard 
des  auteurs  secondaires.  Lors  même  que  le  corps  du  délit 
serait  constaté  de  la  manière  la  plus  formelle,  ainsi  que  cela 
peut  avoir  lieu  dans  les  jugements  correctionnels,  il  serait 
toujours  nécessaire  de  vérifier  de  nouveau,  vis-k-vis  de 
chacun  des  codélinquants  ou  complices ,  l'existence  de  tous 
les  éléments,  matériels  ou  moraux,  qui  constituent  ou  qui 
aggravent  le  délit.  11  est  de  principe,  en  droit  pénal,  que  les 


ÈJO  CRIMINEL.  513 

juges  ou  les  jurés  ne  peuvent  asseoir  une  Condamnation  que 
sur  des  documents  personnellement  appréciés  par  eux  dans 
Finstance  actuelle.  (  Voy.  Cass.,  29  brumaire  an  IX.) 

Si  Ton  a  jugé  (Besançon,  14  janvier  1859)  que  les  con- 
damnations civiles  portées  contre  Tauteur  principal  ont  force 
de  chose  jugée  vis-à-vis  des  personnes  civilement  respon- 
sables, c'est  qu'on  se  trouve  alors  placé  sous  l'empire  des 
principes  du  droit  civil ,  qui ,  du  moins  suivant  l'opinion 
dominante  daos  la  pratique  (n*  886),  veulent  que  la  caution 
soit  liée  par  la  chose  jugée  vis-k-vis  du  débiteur  principal. 

903:  Est-il  vrai  également,  en  sens  inverse,  que  la  dé- 
claration, portée  dans  un  premier  jugement,  qui  nie  com- 
plètement le  délit  vis-à-vis  d'un  délinquant,  ne  pourra  point 
profiter  aux  codélinquants  et  aux  complices,  comme  elle 
leur  profiterait  incontestablement,  si  elle  était  intervenue 
dans  un  seul  et  même  procès?  Bien  que  peu  suspects  de 
tendances  trop  indulgentes  vi&À-vis  des  accusés,  nos  anciens 
criminalistes  n'avaient  pas  craint  de  s'écarter,  dans  cette 
hypothèse,  de  la  rigueur  des  principes  sur  l'autorité  relative 
de  la  chose  jugée. 

«  Quoiqu'une  chose  passée  entre  certaines  personnes  », 
dit  Jfousse  (Inst.  crim.,  tom.  III,  p.  21),  «  ne  puisse,  en 
«  général,  profitera  d'autres,  cela  n'a  lieu  néanmoins  que 
«  dans  le  cas  où  les  droits  de  ces  personnes  différentes  sont 
«  distincts  et  séparés,  mais  non  quand  ces  droits  tirent  leur 
«  origine  d'un  seul  et  même  fait,  et  que  les  défenses  que 
«  les  accusés  peuvent  y  opposer  sont  les  mêmes.  » 

Cette  doctrine  a  été  également  consacrée  par  la  jurispru- 
dence moderne.  Ainsi,  l'on  a  jugé  (Cass.,  23  décembre  1825 
et  22  juillet  1830)  que  la  décision  négative  sur  la  circon- 
stance aggravante  de  faux  commis  par  un  officier  public  doit 
profiter  à  l'individu  poursuivi  ultérieurement  pour  com- 
plicité. Ainsi,  sous  l'empire  de  l'ancien  aclicle  597  du  Code 

II.  33 


514  AUTORITÉ  DS  LA  CHOSE  JUGÉE 

de  commerce,  qui  n'admettait  la  complicité  de  la  bangne* 
route  frauduleuse  qu'autant  qu'il  y  avait  concert  entre  le  failli 
et  le  prétendu  complice,  on  a  décidé  (Cass.,  17  mars  1834) 
que  la  déclaration  négative,  quant  k  la  banqueroute  fraudu- 
leuse, vis-à-vis  de  l'auteur  principal,  faisait  disparaître  le 
corps  même  du  délit,  le  concert  frauduleux  ne  pouvant 
exister  Ik  où  il  n'y  a  point  de  fraude  \ 

Cette  jurisprudence ,  admise  par  la  plupart  des  erimina- 
listes,  a  été  combattue,  avec  quelques  réserves,  par  M.  Or- 
tolan (Élémaiti  de  droit  pénale  tom.  II,  n"^  18(H  et  suiv.),  et 
d'une  manière  absolue  par  M.  Griolet.  (P.  285  et  suiv.) 

Avant  d'examiner  les  objections  de  ces  auteurs,  nous 
devons  faire  deux  observations  essentielles,  afin  de  bien 
fixer  le  terrain  de  la  discussion. 

La  première ,  c'est  que ,  suivant  les  termes  mêmes  de 
Jfousse,  sa  doctrine  cesse  d'être  applicable  lorsque  les  droits 
des  codélinquants  sont  diêtinctÈ  et  iéparét.  Ainsi ,  Tacquilte- 
mmt  de  l'auteur  principal  pour  défaut  de  disc^nerarat  ne 
saurait  profiter  à  un  codélinquant  on  k  un  complice.  Il  en 
serait  de  même  s'il  y  avait  eu  renvoi  faute  de  charges  suffi- 
santes. Peu  importe  alors  que  les  afl^res  soient  jugées  sépa- 
rément ou  simultanément. 

Cette  observation  nous  conduit  k  une  seconde ,  c'est  qae 
le  plus  souvent,  dans  les  afiaires  criminelles,  l'acquittement 
ne  peut  avoir  aucun  effet  in  rem  (Rej.,  9  février  1855  et 
7  octobre  1858),  parce  qu'il  intervient  k  la  suite  d'une  décla- 
ration de  non -culpabilité,  déclaration  toujours  équivoque 
dans  ses  motifs,  puisque  l'on  ne  sait  point  si  le  jury  s'est 
déterminé  par  la  non-existence  du  délit ,  ou  par  des  circon- 
stances personnelles  excluant  la  culpabilité  morale.  Lors 

1  n  en  est  autrement  (Rej.,  s  mars  1848  et  9  fëyTier  1855)  sous  l'empÀre 
du  Code  reyisé,  dont  Tarticle  593  punit  des  peines  de  la  baïupieroute  ûaa- 
doleuse  œax  qui  ont  soiutiait  dans  Vintérét  du  /êUà» 


ÈXT  CRIMinEL.  515 

donc  que  Ton  hit  remarqner  (M.  Ortolan,  n*  1804)  qu'au 
cas  de  bigamie,  le  jury  a  pu  admettre  Texistence  d'un  second 
mariage  contracté  avant  la  dissolution  du  premier,  et  cepea-*^ 
dant  déclarer  la  femme  ainsi  remariée  non  coupable  comme 
n'ayant  point  agi  en  parfaite  connaissance  de  cause*,  cela  est 
parfaitement  vrai ,  mais  n'est  nullement  en  opposition  avec 
la  doctrine  de  Jousse,  puisque  c'est  alors  pour  des  motifs 
tout  personnels  qu'on  est  fondé  ^  acquitter  la  fennne  et  k 
condamner  le  complice.  11  en  serait  autrement  s'il  arvah 
été  décidé  d'une  manière  préjudicielle  qu'il  y  avait  mriitté 
du  premier  ou  du  second  mariage,  puisqv'alors  le  crime  de 
bigamie  serait  devenu  impossible.  On  peut  également  sup^ 
poser  des  questions,  spécialement  posées,  depuis  1835,  sur 
les  eireoBstances^  aggravantes ,  telles  que  la  qualité  de  do- 
mestique ou  d'officier  public,  questions  pour  lesquelles  le 
jury  statue  in  rem.  Enfin,  les  jugements  des  tribunaux  cor- 
rectioDnds  ou  de  simple  police  étant  motivés,  il  peut  faci* 
lement  se  présenter  devant  ces^  juridictioBS'  des  questions 
résolues  d'une  manière  générale. 

Four  en>  venir  maintenant  an  fond  de  la  eontro^rse,  on 
dit  qu'il  y  a  contradiction  k  admettre  que  la  décision  affir- 
mative, lorsqu'elle  est  in  rem^  vis*h-vis  de  l'auteur  principal, 
ne  nuise  pas  au  codéKnquant  ou  complice,  tandis^  que  la 
décision  négative  lui  profite.  Mais  il  n'est  pas  sans  exemfde, 
même  en  matière  civile  (n"^  883,  886)  qu'un  negatiorum 
gegt&r  puisse  obtenir  un  jugement  qui  profite  à  un  tiers,  sans^ 
qu'il  l'inverse' la  condamnation  soit  opposable  au  dominm. 
rei,  A  plus  forte  raison  n'y  a-t-il  point  lieu  de  repousser,  ea 
matière  pénale,  où  doivent  prévaloir  les  systèmes  d'inter- 
prétation favorables  k  l'accusé,  la  distinction  entre  l'hypo- 
thèse où  une  décision  judiciaire  a  nié  l'existence  du  délit, 
et  l'hypothèse  où  cette  même  existence  a  été  affirmée  sans 
aucune  défense^  possible  de  la  part  de  Taccusé  actuel:  €e» 


516    AUTORITÉ  DE  LA  CHOSE  JUGÉE  AU  CRIMINEL. 

hypothèses,  loin  d'offrir  une  véritsible  réciprocité,  comme 
le  suppose  M.  Griolet  (p.  292),  toto  cœlo  distant. 

M.  Ortolan  (n""  1805)  admet  la  doctrine  de  Jousse  pour 
l'adultère  seulement,  k  cause  de  la  nature  intime  de  ce  délit, 
à  l'égard  duquel  la  paix  du  ménage  veut  que  l'acquittement 
de  la  femme  ne  soit  point  troublé  par  la  condamnation  du 
complice.  Mais  il  nous  semble  que ,  si  l'article  1 351  régit 
d'une  manière  absolue  la  juridiction  criminelle  comme  la 
juridiction  civile,  il  faut  déclarer,  avec  M.  Griolet,  que  toute 
exception  est  arbitraire.  Que  si,  au  contraire,  on  admet 
partiellement  la  doctrine  de  Jousse,  il  n'est  plus  interdit  de 
rechercher  si  le  fait  est  de  nature  à  ce  que  les  poursuites 
deviennent  moralement  impossibles,  quand  une  décision  in 
rem  est  intervenue  vis-à-vis  de  l'auteur  principal.  Dès  qu'on 
fait  brèche  k  la  règle  absolue  sur  la  relativité  de  la  chose 
jugée,  il  ne  faut  point  s'arrêter  à  moitié  chemin. 

Pour  nous,  il  nous  semble  contraire  au  bon  sens  et  à 
l'équité  de  condamner  Seamdxu  comme  complice  de  la  dé- 
sertion de  Primas,  lorsqu'il  serait  souverainement  jugé  que 
Primus  n'a  jamais  abandonné  le  drapeau  -,  de  punir  Secundus 
comme  complice  de  Primas  en  qualité  d'oiBcier  public, 
lorsqu'il  serait  souverainement  jugé  que  Primus  n*a  point 
agi  en  cette  qualité.  Nous  persistons  donc  à  approuver  la 
doctrine  de  la  jurisprudence  ancienne  et  moderne. 

904.  L'identité  de  personne  peut  être  considérée  non- 
seulement  passivement,  mais  même  activement,  c'est-à-dire 
au  point  de  vue  des  parties  poursuivantes.  Au  cas  où  la 
partie  civile  a  qualité  pour  prendre  l'initiative  des  poursuites, 
c'est-à-dire  devant  les  tribunaux  de  police  simple  oU  correc- 
tionnelle ,  il  est  évident  que  cette  initiative  lui  est  interdite 
lorsque  l'action  a  été  jugée  sur  les  conclusions  du  ministère 
public.  Mais  quel  sera  le  sort  de  l'action  civile,  lorsqu'il 
aura  été  ainsi  statué  sur  Taction  publique?  Ceci  nous  con- 


INFLUENGB  RESPECTIVE  DES  JUGEMENTS  CtV.  ET  CRIMINELS.  517  ^ 

duit  k  notre  dernière  division,  k  Tinfluence  de  ia  chose  jugée 
an  civil  snr  le  criminel ,  et  réciproquement 

TROISIÈME  DIVISION. 

INFLUENCE  RBSPBGTIVS  DES  JUGEMENTS  aVILS  ET  DES  JUGEMENTS 

CRIMINELS. 

SOMMAIBE.  —  909.  Division. 

905.  L'action  publique,  reposant  sur  des  motifs  d'ordre 
supérieur,  doit  être  en  général  indépendante  des  décisions 
rendues  dans  une  procédure  purement  civile.  On  conçoit, 
au  contraire,  que  l'action  civile,  qui  ne  protège  que  des 
intérêts  privés,  puisse  être  subordonnée  au  résultat  de 
Taction  publique.  Pothier  (Proc.  crim.,  §  7,  art.  1}  qualifiait 
l'action  civile  à'accessoire  de  [accusation  crminelie,  et  nous 
verrons  que  cette  idée  se  retrouve  encore  dans  le  droit  actuel. 

Parlons  d'abord  de  Tinfluence  du  civil  sur  le  criminel, 
qui  donne  lieu  à  peu  de  controverses. 

S  !•  IsrPLUBMCB  DB  LA  CHOSB  JUGÉB  AU  CIVIL  8DB  LB8  rOUBSUITBS 

CBIMIIIELLB8. 

SoioiAiBE.  ~  906.  Indépendance ,  en  principe ,  de  la  juridiction  criminelle.  —  907.  Cas 
où  la  décision  dn  tribunal  civil  lie  la  joridiction  criminelle.  —  908.  Quelle  est  la  force, 
an  criminel  I  des  preuves  produites  devant  le  juge  civil. 

906.  Le  seul  effet  que  produisent  habituellement  les 
jugements  civils  qui  se  rattachent  k  un  délit,  c'est  d^éteindre 
l'action  civile,  qui  ne  peut  plus  être  portée  incidemment 
devant  les  tribunaux  de  répression,  lorsqu'elle  a  été  intentée 
directement,  ainsi  que  l'a  jugé  d'une  maniëre  fort  nette  un 
arrêt  de  cassation  du  20  février  1847.  Mais,  suivant  la 
réserve  faite  par  ce  même  arrêt,  l'exercice  de  l'action  publi- 
que est  complètement  indépendant  du  sort  de  l'action  civile. 
Cestainsi  qu'il  est  de  jurisprudence  (Cass.,  28 octobre  1813) 


'^18       INSLISNCB  BBfiAsGUTE  JftES  JUatOÊBOTB  CrflLS 

». 

que  le  rejel  ou  radmission  d'ujie  inscription  de  £aiux  iiiei- 
dent  civil  n'empêche  pis  le  juge  criminel  de  déclarer  le  fiua 
constant,  ou  de  le  nier. 

907.  La  décision  des  tribunaux  civils  lie  néanmoins  la 
juridiction  criminelle  lorsque,  soit  certains  textes,  soit  du 
moins  les  inductions  tirées  de  ces  textes  (n**  226  et  suiv.), 
font  considérer  la  question  civile  comme  préjudicielle,  en 
ce  qui  touche,  par  exemple,  la  propriété  des  inuneubles 
ou  l'état  des  personnes.  Alors  il  est  évident  que  le  ministère 
public ,  bien  qu'il  ne  soit  point  partie  principale  devant  la 
Juridiction  civile,  où  se  porte  la  question  préjudicielle,  est 
lié  par  la  sentence  définitive  émanée  de  cette  juridiction  : 
ce  qui  est  encore  une  exception  k  la  règle  qui  veut  que 
l'autorité  de  la  chose  jugée  n'ait  lieu  qu'à  l'égard  des 
personnes  qui  ont  été  parties  dans  le  premier  jugement. 
<Voy.  n«  904.) 

En  ce  qui  touche  les  contestations  sur  la  nullité  ou  sur 
la  déchéance  des  brevets  d'invention,  qui,  aux  termes  de 
l'article  34  de  la  loi  du  5  juillet  1844,  doivent  être  portées 
devant  les  tribunaux  civils,  elles  ne  sont  point  préjudicielles 
«n  ce  sens  que  la  juridiction  correctionnelle  soit  tenue  de 
renvoyer  pour  leur  solution  devant  le  tribunal  civil,  suivant 
la  doctrine  consacrée  pour  les  questions  d'état  ou  de  pro- 
priété immobilière  ^  puisque  le  tribunal  correctionnel ,  saisi 
d'une  action  en  contrefaçon  (même  loi ,  art.  46),  a  qualité 
pour  statuer  incidemment  sur  les  questions  relatives  k  la 
propriété  du  brevet.  Mais  lorsque  c'est  le  tribunal  civil  qui 
a  été  saisi ,  sa  décision ,  comme  l'a  jugé  la  Cour  r^ulatrice 
(Cass.,  8  août  18S7),  «  tranche  définhirement ,  entre  les 
«  parties  en  cause,  les  questions  de  validité  de  brevet,  et 
«  régit,  entre  les  mêmes  parties,  les  débats  k  venir, 
«  aussi  bien  au  correctionnel  qu'au  civil.  »  Nous  avons 
reconnu,  au  contraire  (n*  897),  qu'il  n'y  a  point  lieu  d'attri- 


ET  CRIMINELS.  S19 

baer  la  même  autorité  auK  jugements  correctionnels  pro- 
nonçant incidemment  sur  des  questions  de  cette  nature,  il 
importe  d'observer  toutefois  qu'aux  termes  de  Tarticle  37 
de  la  loi  de  1844,  l'effet  du  jugement,  même  ciril,  n'est 
absolu  qu'en  tant  que  le  ministère  public  a  fait  prononcer 
la  nultUé  ou  la  déchéance  du  brevet,  nullité  ou  déchéance  qui 
ne  peut  nuire  qu'à  la  partie  en  cause.  Si  le  tribunal  civil 
^n  avait  prononcé  la  validité ,  cette  décision ,  étant  suscep- 
tible de  nuire  aux  tiers,  n'aurait  point  de  portée  au  delà  du 
litige  actuel. 

Dans  le  système  de  la  jurisprudence  (Cass.,  13  avril 
1867),  qui  oblige  la  juridiction  criminelle  k  rravoyer  aux 
tribunaux  civils^  comme  préjudicielle,  la  question  de  vali- 
dité eu  mariage,  où  cette  jurisprudence  voit  une  question 
d'état  (God.  civ.,  arL  326,  3S7),  il  est  évident  que  la  déci- 
sion du  tribunal  civil  sur  le  mariage  lie  la  juridiction  crimi- 
nelle. Hais,  pour  nous,  qui  avons  pensé  (n""  333)  qu'on  ne 
saurait  appliquer  en  dehors  des  questions  de  filiation  la 
règle  exorbitanle  qui  suspend  Faction  criminelle  jusqu'au 
Jugement  définitif  de  la  question  d'état  par  la  juridiction 
civile,  ne  devons-nous  pas  admettre  au  moins  que,  si  la  juri- 
diction civile  a  stataé  la  première  sur  la  validité  du  mariage,  la 
question  criminelle,  notamment  en  ce  qui  touche  l'adultère 
<iu  la  bigamie,  se  trouve  préjugée?  Il  semble  difficile  de  ne 
point  reconnaître  aux  tribunaux  civils  pour  les  questions 
d'état  lato  tenm  une  autorité  équivalente  à  celle  que  leur 
attribue  la  loi  de  1844  pour  les  brevets  d'invention.  Si  le 
Gode  (art.  198)  donne  aux  jugements  criminels  établissant 
Ja  preuve  du  mariage  la  même  foi  qu'aux  actes  de  l'état 
civil  ^  peut-il  en  être  autrement  des  décisions  rendues  par 
la  jiiridictioii  ordinaire?  La  logique  conduit  ii  décider  de 
même  en  ce  qui  touche  l'adoption. 

Mais  faut -il  aller  plus  loin  encore  e^  assimiler  aux 


520       INFLUENCE  RESPECTIVE  DES  JUGEMENTS  CIVILS 

jugements  civils  sur  l'état  ceux  qui  sont  constitutifs  d'un 
rapport  de  droit,  suivant  les  expressions  de  M.  Griolet  ? 
(P.  327.)  Ainsi,  en  supposant  qu'un  jugement  civil  ait 
attribué  k  Pierre  la  propriété  d'un  meuble  réclamé  par 
Paul  (s'il  s'agissait  d'un  immeuble,  la  question  serait 
évidemment  préjugée),  ce  jugement  ne  permettrait  point 
au  tribunal  correctionnel  de  déclarer  Pierre  coupable  du  vol 
de  ce  même  meuble  \  Si  cette  décision  est  exacte,  il  faut 
faire  un  pas  de  plus,  la  créance  étant  constitutive  d*un 
rapport  de  droit,  tout  aussi  bien  que  la  propriété,  et  con- 
sidérer la  juridiction  criminelle  comme  liée  par  la  juridictioQ 
civile,  quand  cette  dernière  a  statué  sur  la  validité  ou  sur 
l'extinction  d'une  créance.  Tranchons  le  mot,  on  se  trouve 
conduit  au  système  hardi,  mais  conséquent,  qui  attribue  au 
tribunal  civil  le  pouvoir  de  trancher  définitivement  les  con- 
testations portées  devant  lui  sur  des  droits ,  soit  réels ,  soit 
personnels.  Ce  qu'il  nous  est  diflBcile  de  comprendre,  c'est 
que  l'on  croie  pouvoir  concilier  cette  doctrine  avec  celle  que 
professe  la  Cour  de  cassation  en  matière  de  faillite.  (Voy. 
M.  Griolet,  p.  331.)  La  Cour  décide,  en  effet,  non-seule- 
ment que  l'exercice  de  l'action  publique  relativement  k  la 
banqueroute  n'est  point  subordonné  à  un  jugement  du  tri- 
bunal de  commerce  déclaratif  de  la  faillite  (Rej.,  24  juin 
1864)  :  point  peu  contestable,  puisqu'il  faudrait  un  texte 
pour  imposer  ainsi  un  sursis  k  la  juridiction  pénale  \  —  mais, 
ce  qui  est  plus  grave,  que  la  déclaration  de  faillite  passée 
en  force  de  chose  jugée  ne  lie  point  le  tribunal  criminel 


*  M.  Griolet  propose  seulemejit  une  distinction ,  qui  nous  pantt  inad- 
missible, entre  les  questions  de  mariage ,  que  la  juridiction  ciTile  préjuge- 
rait d^une  manière  absolue,  et  les  questions  de  propriété  mobitière,  à 
l'égard  desquelles  le  jugement  civil  ne  pouvait  être  invoqué  que  pour  les 
faits  postérieurs  à  sa  date.  Est-ce  que  les  jugements  sur  la  propriété  ne 
sont  pas ,  au  même  titre  que  tous  les  autres ,  déclaratifs ,  et  non  tianslatîâ 
du  droit  qu'ils  consacrent? 


ET   CRIMINELS.  521 

appelé  à  appliquer  les  peines  de  la  banqueroute  (Gass., 
23  novembre  18S7),  et,  k  l'inverse ,  que  le  prévenu  de  ban- 
queroute ne  peut  invoquer  la  décision  de  la  juridiction 
commerciale  portant  qu'il  n'y  a  point  lieu  de  déclarer  la 
faillite.  (Rej.,  6  mars  1857.)  Ces  décisions  ne  se  fondent 
point  sui'  des  motifs  particuliers ,  soit  à  la  juridiction  com- 
merciale, soit  à  la  faillite,  mais  sur  le  principe  général  de 
l'indépendance  de  l'action  publique.  L'arrêt  de  1864  a 
même  soin  de  signaler  les  motifs  particuliers  qui  ont  fait 
attribuer  une  compétence  exclusive  aux  tribunaux  civils 
pour  les  questions  d'état.  Cette  doctrine  nous  semble  la 
vraie;  il  faut  en  conclure  que,  toutes  les  fois  que  la  loi  est 
muette ,  le  jugement  civil ,  lors  même  quUl  statue  sur  un 
rapport  de  droit,  n'a  point  force  de  chose  jugée  au  cri- 
minel. 

908.  Si,  k  part  les  cas  exceptionnels,  le  jugement  civil 
ne  lie  point  là  juridiction  pénale ,  il  doit  en  être  de  même , 
k  plus  forte  raison,  des  simples  actes  d'instruction.  Les 
aveux  les  plus  formels  reçus  par  le  juge  civil  ne  sauraient 
avoir  foi  absolue  vis-à-vis  du  juge  criminel.  Ce  serait  un 
dangereux  abus  que  de  considérer  comme  acquises  k  l'ac- 
cusation les  déclarations  que  le  défendeur  a  pu  faire  avec 
trop  de  légèreté ,  dans  une  instance  où  il  ne  s'agissait  que 
d'intérêts  pécuniaires. 

%  t.  IHFLUERCB  DB  LA  CHOSB  JUGÂB  AU  CSIIHIIIBL 
SQR  L'ACriOH  CIVILB. 

SomAiBE.  —  909.  Discussion  générale  sur  cette  infloenee.  —  91  o.  Textes  qai  établissent 
l'infloence  des  Jagements  criminels  sor  les  intérêts  civils.  --  9H.  La  chose  jagée  an 
criminel  ne  peat  nuire  aox  tiers.  —  949.  Distinction  il  foire  qaant  ii  cent  qui  ont  été 
parties  an  jugement.  —  9i3.  Cas  on  il  y  a  déclaration  de  culpabilité.  —  944.  Cas  on  est 
niée  l'existence  du  fait  incriminé.  ~  949.  Cas  où  il  y  a  déclaration  de  non-culpabilité.  — 
946.  La  juridiction  civile  doit-elle  motiver  sa  décision  de  manière  à  exclure  toute  contra- 
diction? —  947.  Bésumé.  —  948.  Jurisprudence  anglaise  et  américaine  en  cette  matière. 
—  949.  Quelle  influence  peuvent  avoir  au  civil  les  documents  de  la  procédure  criminelle. 

908.  Faut-il  également  poser  en  principe  que  la  chose 
jugée  au  criminel  est  sans  influence  sur  l'action  civile? 


822       INFLUENCE  RESPECTIVE  BES  JUGEMENTS  GITILS 

Écartons  d'abord  le  cas  où  la  personne  lésée  par  le  délU 
s'est  portée  partie  civile  devant  le  tribunal  de  répression. 
U  est  évident  qu'alors  l'action  civile  elle-même  a  été  irré- 
vocablement jugée.  Lorsque  la  même  question  s'élève  entre 
les  mêmes  parties  (voy.  n*  867),  peu  importe,  dit  fort  bien 
Ulpien  (L.  5,  D.,  D«  except.  reijud.)^  qu'on  agisse  diveno 
génère  judicii.  C'est  la  juste  réciprocité  de  ce  que  nous  avons 
décidé  (n""  906)  au  cas  où  l'action  avait  été  intentée  d'abord 
devant  la  juridiction  civile. 

U  faut  supposer  que  le  ministère  public  a  seul  agi  au 
criminel.  C'est  alors  qu'on  se  demande  si  la  sentence  rendue 
sur  ses  conclusions  pour  ou  contre  Taccusé  doit  avoir  effet 
quant  aux  intérêts  civils.  Touiller  (tom.  YIII,  n""  30  et  suiv., 
et  tom.  X^  n**  240  et  suiv.)  soutient  avec  énergie  la  néga- 
tive, en  s'attachant  au  principe  posé  par  l'article  1351, 
d'après  lequel  l'autorité  de  la  cbose  jagée  ne  peut  avoir 
lieu  qu'autant  que  la  demande  a  le  même  objet  et  e^t  entre 
les  mêmes  parties.  Or,  dit-il ,  l'objet  de  l'action  civile  est 
essentiellement  différent  de  celui  de  l'action  publique ,  bien 
que  toutes  deux  se  rattachent  au  même  fait,  puisque,  dans 
l'une,  il  s'agit  de  la  réparation  d'un  dommage,  et  dans 
l'autre,  de  l'application  d'une  peine.  Quant  aux  parties^  il 
est  dair  qu'elles  ne  sont  pas  les  mêmes  ^  car  le  ministère 
public  représente  bien  la  société,  mais  il  ne  représente  pas 
spécialement  la  partie  civile ,  il  n'a  même  point  qualité  pour 
défendre  ses  intérêts  .pécuniaires.  Les  tribunaux  civils 
doivent  donc,  suivant  TonUier,  considérer  comme  rê$  koer 
ulioe  acta  les  décisions  rendues  par  les  tribunaux  criminels. 

Merlin,  au  contraire,  a  soutenu  (voy.  surtout  ses  Queriioru 
4e  droH,  y  Faux  ,  §  6)  et  fait  prévaloir  dans  la  jurisprudence 
le  principe  que  la  chose  jugée  au  criminel  doit  être  consi* 
dérée  comme  jugée  au  .civil.  U  oppose  aux  raisonneneots 
de  TouUier  cette  gnwe  considération,  qu'il  serait  déplorable 


ET  CUMIMEtS.  5S3 

qu'oa  pût  &ire  déclarer  au  âvil  l'innocence  d'an  homme 
qui  aurait  péri  sur  l'échafaud.  Et  lorsque  TouUier  répond 
que  l'innocence  peut  avoir  été  reconnue,  il  prouve  trop*, 
car,  pour  être  conséquent  alors,  on  devrait  permettre  au 
condamné  de  demander  la  révision  de  la  sentence  qui  l'a 
frappé ,  révision  qui  n'est  admise  que  dans  des  cas  excep- 
tionnels. On  doit,  suivant  Merlin,  considérer  le  ministère 
public,  lorsqu'il  intente  l'action  criminelle,  comme  repré- 
sentant tous  les  intérêts,  tant  généraux  que  privés,  en  tant 
qu'il  s'agit  de  faire  constater  judiciairement  l'existence  du 
délit 

C'est,  au  fond,  du  côté  du  système  de  Merlin  que  se 
trouve  la  vérité.  Seulement,  dans  sa  controverse  avec 
Touiller,  la  question  a  été  mal  posée,  et  comme  l'a  fait 
observer  avec  beaucoup  de  raison  ZacharisB  (trad.  franc., 
1"  édit,  tODL  V,  §  769,  2%  n*  4),  ce  n'est  point  k  l'ar- 
ticle 1351  qu'il  faut  s'attacher  pour  résoudre  la  difficulté. 
Toullier  n'a  point  tort  lorsqu'il  dit  que  l'objet  de  l'action 
publique  est  essentiellement  distinct  de  celui  de  l'action 
civile,  puisque  le  ministère  puUic  n'est  autorisé  à  présenter 
des  condusions  k  fins  civiles  que  dans  le  cas  exceptionnel , 
.  prévu  par  l'article  200  du  Code  civil,  où  l'on  a  craint  une 
collusion  entre  les  parties  intéressées  et  les  héritiers  de 
l'officier  public,  relativement  k  la  preuve  d'un  mariage. 
Dans  toute  autre  hypothèse,  il  serait  inexact,  et  nous  allons 
voir  que  Merlin  l'a  reconnu  lui-même ,  de  considérer  tous 
les  intérêts  «civils  qui  peuvent  se  rattacher  k  la  cause, 
comme  représentés  par  le  ministère  public.  Si  dès  lors  on 
se  préoccupait  de  l'article  1351 ,  on  aboutirait  infailliblement 
au  système  de  Toullier,  système  repoussé  par  de  graves 
motifs  d'intérêt  social  et,  nous  allons  le  voir,  aussi  par  de 
nombreux  textes.  Ce  qui  est  vrai ,  c'est  que  les  tribunaux 
criminels  ont  seuls  qualité  pour  décider  d'une  manière 


524       INFLUENCE  RESPECTIVE   DES  JUGEMENTS   CIVILS 

péremptoire  s'il  existe  un  corps  de  délit,  si  l'accusé  est 
l'auteur  des  faits  qui  lui  sont  reprochés,  s'ils  lui  sont  impu- 
tables d'après  les  règles  du  droit  péual,  enfin,  s'ils  tombent 
sous  l'application  du  texte  d'une  loi  répressive.  Leurs  déci- 
sions,  sur  ces  divers  points,  ont  un  caractère  absolu.  D'une 
part,  elles  profitent  a  l'accusé,  qui  ne  peut  être  soumis  à 
aucune  action  en  dommages-intérêts,  si  on  a  déclaré  qu'il 
n'existait  point  de  corps  de  délit.  D'autre  part,  elles  lui 
nuisent  en  ce  sens  qu'une  fois  déclaré  coupable ,  il  ne  peut 
plus  soutenir  devant  aucune  juridiction  qu'il  n'est  point 
l'auteur  des  faits  a  lui  imputés-,  il  est  seulement  admissible 
k  contester  relativement  aux  dommages  et  intérêts.  (C.  d'inst. 
crim.,  art.  363.)  Mais  ces  mêmes  décisions  ne  sauraient, 
nous  allons  le  voir  (n""  91  i),  réagir  d'une  manière  absolue 
sur  les  droits  des  tiers,  qui  sont  demeurés  étrangers  aux 
poursuites  criminelles.  Autrement,  il  faudrait  admettre  leur 
intervention,  ce  qui  compliquerait  singulièrement  la  marcbe 
de  la  procédure. 

Nous  avons  eu  la  satisfaction  de  voir  M.  Griolet  (p.  344 
et  suiv.)  arriver  k  des  conclusions  semblables,  eu  se  fondant 
sur  les  traditions  de  notre  ancien  droit.  11  fait  remarquer 
que  lorsque  l'accusation  privée  eut  dégénéré  en  une 
simple  action  civile,  exercée  soit  au  criminel  k  l'extraordi- 
naire, soit  au  civil  k  l'ordinaire,  cette  action  n'en  conserva 
pas  moins,  comme  marque  de  son  origine,  le  caractère 
d'une  poursuite  du  délit  ^ .  Cela  explique  la  doctrine  de  Pothier 
(n""  905),  reproduite  d'ailleurs  par  Jousse,  qui  considère 
l'action  civile  comme  un  accesioire  de  l'action  publique  : 
d'où  la  double  conséquence,  consacrée  par  l'ancienne  juris- 
prudence, que  l'action  civile  est  soumise  k  la  même  près* 
cription  que  l'action  publique^  et  que  la  chose  jugée  sur 

*  Aujourd'hui  encore  Paction  ciyile  suffit  pour  saisir  la  justice  péule, 
deyant  les  juridictions  correctionnelle  et  de  simple  police. 


i^w 


ET   CRIMINELS.  525 

l'action  publique  réagit  sur  Taction  civile,  de  manière  k 
rendre  celle-ci  nécessairement  recevable  après  la  condam- 
nation ,  irrecevable  après  racquittement. 

Or,  la  première  de  ces  conséquences  a  été  consacrée  de 
nouveau  par  le  Gode  d'instruction  criminelle  (art.  637 
et  638),  comme  elle  l'avait  été  par  le  Code  de  brumaire.  Il 
est  bien  naturel  de  supposer  que  notre  législateur  a  entendu 
établir  pour  l'autorité  de  la  chose  jugée  la  même  doctrine 
que  pour  la  prescription.  Les  mêmes  considérations  ont  dû 
dicter,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  une  solution  identique  :  on 
a  pensé,  d'une  part,  qu'il  y  aurait  scandale  k  révéler  offi- 
ciellement un  délit  qui  devrait  forcément  rester  impuni^ 
d'autre  part,  qu'il  serait  moralement  impossible  de  se  refuser 
à  la  réparation  civile  d'un  délit  qui  aurait  été  déclaré 
constant  par  la  juridiction  criminelle.  Ainsi  entendue,  la 
théorie  du  législateur  est  parfaitement  conséquente. 

910.  Voyons  quels  sont  les  textes  qui  établissent  l'in- 
fluence au  civil  des  décisions  rendues  par  les  tribunaux 
criminels;  puis  nous  examinerons  dans  quelles  limites 
s'exerce  cette  influence. 

Et  d'abord,  le  principe  que  pose  l'article  3  du  Code 
d'instruction  criminelle  fournit  un  argument  mdirect, 
mais  qui  est  loin  d'être  dénué  de  valeur.  Comment  expli- 
quer, dans  l'opinion  opposée ,  laJ[disposilion  de  cet  article 
qui  suspend  l'exercice  de  l'action  civile,  tant  qu'il  n'a  pas 
été  prononcé  définitivement  sur  l'action  publique,  intentée 
avant  ou  pendant  la  poursuite  de  l'action  civile?  Dira-t-on 
que  le  législateur  ne  s'est  pas  préoccupé  du  juge  civil, 
mais  du  juge  criminel ,  qu'il  a  craint  le  préjugé  moral  que 
pourrait  faire  naître  dans  l'esprit  de  ce  dernier  le  jugement 
civil? Hais,  pour  être  conséquent,  il  eût  fallu,  k  l'inverse 
de  ce  qui  se  pratique  dans  les  questions  d'état  (G.  civ., 
art.  327),  dire  que  l'action  civile  ne  pourrait  jamais  com- 


826       INFLUENCE  RESPBGTIVS  MS   JUGEMENTS   CIVILS 

mencer  avant  le  jugement  définitif  snr  l'action  publique. 
Car,  tontes  lea  fois  qn'ii  j  a  nn  jngement  eivU  rendo 
avant  que  Faction  criminelle  ait  pris  naissance,  nous 
retombons  dans  ce  même  inconvénient  dont  le  législateur 
a.  été,  dit-on,  si  vivement  frappé.  II  est  plus  naturel  de 
voir  dans  l'article  3  la  réciproque  du  principe  suivant 
lequel  la  solution  des  questions  préjudicielles  civiles  lie  le 
tribunal  criminel  -,  c'est-k-dire  la  eonséeration  de  la  règle 
que  les  décisions  des  tribunaux  criminels  préjugent  faction 
civile.  (Yoy.  Rej.,  17  mars  1813.)  Ce  texte  s'éclaire,  m  on 
le  rapprocbe,  conmie  l'a  tait  M.  Gri(det  {be.  eiu,\  des  tradi- 
tions de  l'ancien  droit  sur  le  caractère  aceeuoire  de  ractîon 
civile. 

La  règle  ressort  d'une  manière  plus  directe  de  la  dispo- 
sition, de  l'article  396  du  Code  d'instraction ,  aux  termes 
duquel  la  Cour  doit  ordonner  que  les  ^ets  pris  seront 
restitués  au.  propriétaire  :  attribution  qui  s'exerce  d'o/Bce 
sans  qu'il  soit  même  nécessaire  d'avertir  l'accusé  (Rej., 
21  février  1852),  et  qui  s^appliqne,  d'après  le  texte  de  la 
loi,  au  cas  d^acquitlement  comme  au  oa&de  eonàamnation. 
D'où  la  conséquence  (Rej.,  5  février  1858)  qu'il  appartient 
k  la  Cour  de  statuer  en  cas  de  ccmteslalioni  (Rej.,  30  nnrs 
1843.) 

Il  y  a  des  textes  formels  dans  nos  lois  civiles  qui  snp» 
posent  également  celte  autorité  préjudicielle  des  jugements 
criminels.  Ainsi,  l'article  198  du  Code  civil  veut  que,  la 
preuve  d'une  célébration  légale  du  mariage  une  fois  acquise 
par  le  résultat  d'une  procédure  criminelle ,  l'inscription  du 
jng^nent  sur  les  registres  de  l'état  civil  assure  tous  les 
effiets  civils  au  mariage.  Pourquoi  les  poursintes  crimindles 
auraient-elles,  en  matière  de  mariage,  une  portée  qu'oa 
leur  refuserait  partout  ailleurs?  (Voir  toutefois  n*911.) 

L'article  235  du  même  Gode ,  que  Touiller  invoque  en  sa 


R  GRiiinnsLS.  527 

faveur,  fournit,  m  contraire,  contre  hii  un  argument  dé- 
cisir,  qnand  on  remonte  k  l'historique  de  cet  article.  Il 
s'agissait  de  déterminer  ce  qui  devrait  arriver,  quand  les 
faits  allégués  par  l'époux  demandeur  en  divorce  pour  cause 
déterminée  donneraient  lieu  à  une  poursuite  criminelle  de 
la  part  du  ministère  public.  On  proposa  au  Conseil  d'État 
de  faire  précéder  le  jugement  criminel  par  le  jugement 
civil.  Mais  il  fut  répondu  qu'il  j  aurait  de  graves  inconvé- 
nient» k  subordonner  ht  procédure  criminelle  au  résultat  du 
divorce.  Portalis  proposa ,  pour  concilier  les  diverses  opi- 
nions, de  décider  que  le  jugement  criminel  ne  serait  point 
préjudiciel,  du  moins  en  ce  qui  touche  le  demandeur-,  car 
il  pourrait  j  avoir  assez  de  ikits  pour  prononcer  le  divorce, 
sans  qu'il  y  en  eût  assez  pour  proncmcer  une  peine.  De  l^ 
la  rédaction  de  l'article  236  :  «  1^  quelques-uns  des  fiiits 
ft  allégués  par  l'époux  demandeur  donnent  lieu  k  une  pour- 
((  suite  criminelle  de  la  part  du  ministère  public ,  l'action  en 
«  divorce  restera  suspendtae  jusqu'à  l'arrêt  de  la  Cour 
«  d'assises  -,  alors  elle  pourra  être  reprise  sans  qu'il  soit 
«  pennis  dinférer  de  l'arrêt  aucune  fin  de  non-recevoir  on 
«  exception  préjudicielle  contre  Tépoux  demandeur.  » 
Cette  disposition,  introduite  en  matière  de  divorce,  et 
encore  applicable  aujourd'hui ,  par  identité'  de  motifs ,  k  la 
séparation  de  corps,  ne  fait  que  confirmer  le  principe 
général  de  l'influence  des  jugements  crimmels  sur  les 
intérêts  civils^  :  principe  qui  subsiste  dans  toute  sa  force 
contre  l'époux  défendeur,  vis-k-vis  de  qui  les  faits  sont 
définitivement  prouvés,  par  cela  seul  qn'il  a  subi  une 
condamnation  criminelle. 
811.  Voyons  maintenant  dans  quelles  limites  doit  s'ap- 

'  Ce  principe  de  rinfioence  des  décisions  crimineUes  sur  le  cîtQ  a  été 
appliqué  par  la  Conr  d'Ange»  {2e  mai  1864)  aux  décisions  rendues  par  les 
coDseUs  de  préfecture  sur  les  contraventioiis  de  grande  voirie. 


528       INFLUENCE  RESPECTIVE  DES  JUGEMENTS  CIVILS 

pliquer  le  principe  de  TinflueDce  du  criminel  sur  le  civil. 

Doit-on  considérer  le  jugement  criminel  comme  préju- 
geant contre  tous  les  intéressés,  et  malgré  leur  volonté, 
tontes  les  questions  dont  la  solution  peut  se  trouver  impli- 
quée dans  le  débat?  Faut-il  y  voir,  comme  on  Ta  dit  (réqui- 
sitoire de  M.  Mourre  k  la  Cour  de  cassation,  du  19  mars 
i817) ,  ((  un  monument  sur  lequel  s^imprime  une  vérité  pu- 
«  blique  »?  Cela  est  incontestable ,  nous  le  répétons  (n*  909), 
vis-k-vis  de  la  partie  condamnée,  qui  n'est  point  fondée  k 
se  dire  créancière  ou  propriétaire  en  vertu  du  titre  annulé 
par  les  tribunaux  criminels ,  et  qui  peut  être  condamnée  k 
des  dommages  et  intérêts  sur  le  seul  vu  de  la  condamnation  \ 
Mais  les  tiers  pourront-ils  être  atteints  par  le  résultat  d'une 
procédure  k  laquelle  ils  sont  étrangers,  puisque  le  débat 
criminel  (Rej.,  24  janvier  1850)  n'admet  point  leur  inter- 
vention, k  moins  qu'ils  n'aient  qualité  pour  se  porter  parties 
civiles? 

Signalons  d'abord  une  hypothèse  dans  laquelle  il  nous 
semble  impossible  que  le  jugement  criminel  puisse  porter 
préjudice  aux  tiers.  C'est  lorsqu'il  existe  en  leur  faveur  une 
décision  antérieure  de  la  juridiction  civile  ayant  l'autoriié 
de  la  chose  jugée.  Si  nous  avons  reconnu  (n""  917)  que  le 
jugement  civil ,  lorsqu'il  n'a  aucun  caractère  préjudiciel ,  ne 
lie  point  la  juridiction  pénale,  c'est  en  tant  seulement  que 
cette  juridiction  se  meut  sur  le  terrain  qui  lui  est  propre, 
c'est-k-dire  qu'elle  statue  exclusivement  sur  l'action  pu- 
blique. Mais  il  ne  saurait  appartenir  aux  tribunaux  crimi- 
nels, pas  plus  qu'k  aucune  autre  juridiction,  de  revenir  sur 
ce  qui  a  été  souverainement  jugé  k  l'égard  des  tiers.  La 


*  IToublions  pas  toutefois  que  la  condamnation  criminelle  ne  peut  être 
invoquée,  pour  identité  de  motifs,  contre  la  même  personne,  sMl  s-agit 
d'une  autre  affaire,  ainsi  que  Ta  décidé  en  matière  de  brevets  d^inTentioo 
(comp.  no*  897  et  907)  un  arrêt  de  cassation  du  29  avril  1837. 


ET  CRIMINELS.  529 

chambre  des  requêtes  a  donc  pu  juger  (Rej. ,  8  avril  1812  et 
16  août  1847),  sans  être  en  opposition  avec  sa  jurisprudence 
ultérieure  sur  Tautoritë  absolue  des  jugements  criminels,  que 
la  constatation  du  faux  par  la  juridiction  pénale  ne  peut  rétroa- 
gir  sur  les  droits  acquis  aux  tiers  par  un  jugement  civil  qui 
a  déclaré  valables  les  actes  ultérieurement  argués  de  faux, 
n  imperte  également ,  pour  bien  préciser  le  terrain  de  la 
discussion ,  de  poser  en  principe ,  conformément  k  la  doc* 
trine  de  Zacharise  (n*909),  que,  l'autorité  des  tribunaux 
criminels  ne  porte  que  sur  l'existence  et  le  caractère  délic- 
tueux des  faits  soumis  k  leur  juridiction.  «  La  juridiction 
«  civile  »,  dit  un  arrêt  de  la  Cour  de  cassation  (chambre 
civile,  Rej.,  26  juillet  1865),  «  en  même  temps  qu'elle  est 
((  liée,  non-seulement  par  le  dispositif  des  décisions  rendues 
«  au  criminel ,  mais  même  par  ceux  de  leurs  motifs  qui  se 
«  réfèrent  aux  qualifications  pénales  (n""  863),  reste  pleine- 
«  ment  maîtresse  d'apprécier  autrement,  sous  leurs  rap- 
«  ports  purement  civils ,  les  contrats  se  rattachant  aux  faits 
«  qui  ont  donné  lieu  k  la  poursuite  criminelle  ou  correc- 
ft  tionnelle ,  et  pouvant  servir  de  base  k  des  actions  civiles 
«  intéressant  des  tiers  non  parties  aux  débats.  »  La  Cour  de 
cassation  a  jugé  en  conséquence  qu'il  n'y  avait  point. d'in- 
compatibilité légale  entre  l'arrêt  de  la  Cour  de  Douai ,  du 
21  avril  1862,  renvoyant  Mirés  de  la  prévention  d'escro- 
querie, par  le  motif  notamment  qu'il  n'y  avait  pas  eu  entre 
ses  clients  et  lui  de  contrat  de  nantissement,  et  l'arrêt  de 
la  Cour  de  Paris,  du  22  janvier  1864,  condamnant  civile- 
ment Mirés  d'après  la  nature  des  conventions  par  lui  con- 
senties \ 

*  Il  est  vrai  que  la  Cour  de  Paris  s'était  fondée,  pour  ne  point  se  mettre 
en  opposition  avec  la  Cour  de  Douai ,  sur  ce  que  le  principal  motif  du 
renvoi  prononcé  sur  cette  Ck>ur  était  Tabsence  d'intentioii  frauduleuse; 
mais  la  Cour  de  cassation  a  écarté  cette  considération ,  quelle  qu'en  fût  la 
valeur,  pour  aborder  carrément  la  difficulté. 

II.  34 


530       INFLUENCE  RESPËC^TlVË  DES  JUGEMENTS   CIYILS 

Ëù  nous  attachabt  Aoû6  exclusivement  aux  faits  délic- 
tueux et  abx  qualificationgi  pëtiales  qui  ressof teiit  des  déâ- 
sioDs  rendues  par  la  jdridictiôû  criitiineile ,  on  peut  conce- 
voir finlérét  des  tlèts  iSi  les  contester,  soit  pour  réclamer 
(me  (}ualiflcation  plus  rigoureuse,  soit,  ce  qui  arriverai  plus 
fréquemment  dans  la  prïitiqUé ,  pour  faire  considérer  comme 
non  avétiUe  k  leur  égafd  la  constatation  dû  délit. 

Nous  hë  pétisonâ;  point  qtié  l'esprit  de  notre  législation 
autorise  les  tiers,  quel  que  âOit  leur  intérêt,  k  poursuivre 
devsUltlés  tfibunaut  citils  une  c|uàlifîôation  plus  rigoureuse 
dtl  délit  apprécié  p^t  là  juridiction  pénale.  Le  même  modr 
c(ti)  à  fslit  assigner  à  Tactiod  citile  la  même  durée  qu'à  l'ac- 
tion publique  (tiisL  triai. y  art.  êâ!7),  là  craiiife  d'ainener  la 
révélation  scandaleuse  de  faits  qui  ne  pourraient  plus  être 
atteints  par  la  justice  répressive,  ne  doit  point  permettre  de 
révise^  ainsi  in  péjui  la  déciâioù  du  juge  criminel  sur  la 
qualification  du  délit.  L'tiUë  et  l'autre  solution  découlent  de 
l'ancienne  doctriUe  (U**  905  et  909)  qui  considère  l'action 
civile  comme  accessoire  de  Tàction  publique.  C'est  ainsi 
qu'à  la  suite  d'Une  condamnation  correctionnelle  pour  es- 
croquerie, la  partie  lésée  apnt  voulu  établir  devant  la  juri- 
diction civile  l'existence  d'un  vol,  afin  de  pouvoir  revendi- 
quer vis-à-vis  d'un  tiers  acquéreur  les  objets  détournés  à 
son  préjudice,  cette  prétention  a  été  repoussée  par  (a  Cour 
régulatrice.  (Rej.,  23  décembre  1863.) 

Les  tiers  se  présentent  dans  une  position  bien  plus  favo- 
rable, lorsc|ù'ils  deiUandent,  au  èontraire,  que  la  qualifica- 
tion pénale  soit  modifiée  in  mitius,  en  tant  qu'elle  porterait 
atteinte  à  leurs  intérêts.  Plusieurs  décisions  de  la  jurispru- 
dence ont  maintenu^  même  dans  cette  hypothèse,  la  doc- 
trine absolue  qui  Ue  permet  point  de  remettre  en  question 
au  civil  une  vérité  judiciaire  souverainement  établie.  Un  ar- 
rêt de  rejet  de  la  chambre  des  requêtes  duii  février  1860, 


( 


Et   CRIMiNÈLâ.  5âi 

posant  le  fillncipé  khiblù  ^ué  toiîs  les  intéressés  sont  reprë- 
sëtités  par  le  ffîiïiiètèré  publié,  â  refusé  M  aii  iiotàiré,  bien 
qtjMl  n'eflt  pu  Mehenit  dànë  lé  pfocés  ériminel ,  la  facuîté 
d'étabtir  aii  civil  qu'il  ii*^  iiz\l  point  faux  daiis  ràc(e  qui 
atalt  dotlnë  liêfti  k  ttnë  àt^casatiôn  de  ^aiïx.  Merlin  avait  si- 
gnalé k  ravancë  {tiépert.,  f  Testament,  sect.  5,  §  S)  une 
coùséqùeiice  eittrèilie  de  cette  doctHne  '  ^  il  se  deniàridaii  si 
je  perdrais  là  jjropriétë  d'un  objet ,  parce  qu'il  aurait  ètè 
jugé ,  au  Criminel ,  ehite  Werré  et  Paul ,  que  fterre  est  pro- 
priétaire de  cd  objet,  et  qîle  t'âiit  le  lui  a  volé.  Ëh  bieù, 
cette  décision  d'uiie  iniquité  flagrante  a  ^té  consacrée  par  \i 
Cotir  de  Grenoble,  qiii  a  opposé,  lé  18  novembre  1863,  à 
Ist  tevëndicatiôti  de  boissons  formée  par  un  propriétaire,  le 
jtigëtneut  correctio&nei  prononçant  contre  son  locataire  con- 
fiscation de  6es  inéiftës  boissons  au  profit  de  là  régie.  11  est 
VTài  qûë  là  Cour  de  Gtèiiôblé  à  diis  son  arrêt  k  l'àbri  du 
recours  en  cassation,  en  ajoutant  que,  l'exception  de  la 
chose  jugée  fût-elle  admissible ,  les  employés  avaient  décou- 
vert des  traces  de  fraudé.  (îiej.,  6  octobre  1833.)  Cette 
doctrine,  poussée  jusqù^àû  bout,  conduirait  k  reconnaître 
qu'un  homme  et  une  feixime  peuvent  se  trouver  mariés 
malgi^  eux.  Et  en  effet,  si  on  entend  l'article  198  du  Gode 
civil  en  ce  sens  que  l'existence  d'Un  mariage  dont  la  preuve 
à  été  rétablie  Èur  les  conclusions  du  ministère  public,  est 
pleinement  cohstat^e,  même  vis-à-vis  des  personnes  étran- 
gères au  pi* ocès  criminel ,  le  jugement  criminel  lie  les  pré- 
tendus époux ,  bien  qu'ils  ne  se  soient  point  portés  parties 
civiles  et  qu'ils  n'aient  pas  même  eu  connaissance  de  la 
procédure*. 


*  M«rUn  toutefois  (Àdditicns  aux  QuBttUms  de  draiit  v«  FAfnc,$  e)  a 
fini  par  fnrofesser  d^uiie  manière  abiolae  Paviorité  de  la  ebOM  jugée  tie-ft- 
via  des  tiers. 

'  M.  Grlolet  fait  voir  également  (p.  343)  par  d'ingénieuses  obserrationa 

34. 


j^ 


532       INFLUENCE  RESPECTIVE  DES  JUGEIBNTS  CIVILS 

Les  auteurs  et  les  arrêts  qui  ont  admis  ce  système,  re- 
connaissent bien  qu'il  est  contraire  k  l'article  1351 ,  le  mi- 
nistère public  ne  pouvant  représenter  des  personnes  dont 
l^intérêt,  k  la  différence  de  la  position  de  la  partie  civile,  est 
généralement  opposé  k  celui  de  l'accusation;  mais  ils  se 
fondent  sur  l'article  3  du  Code  d'instruction,  qui  déclare 
V action  cwile  suspendue  par  le  seul  fait  de  l'exercice  de  Fac- 
tion publique  :  d'où  le  caractère  nécessairement  préjudiciel 
de  cette  dernière  action.  Mais  n'y  Mrait-il  pas  aussi  une 
équivoque  sur  le  sens  de  ces  mots  action  dvilef  Ne  serait-il 
pas  naturel  d'interpréter  l'article  3  par  l'article  1"  du  même 
Gode  qui  définit  cette  action  Faction  en  réparation  du  dommage 
catué  par  un  crimes  par  un  délit  ou  par  une  contravention?  Or^ 

l'action  en  revendication  d'un  meuble,  l'action  tendant  à 
étabUr  l'existence  ou  la  validité  du  mariage ,  n'ont  rien  de 
commun  avec  l'action  en  réparation  du  dommage  causé  par 
le  délit.  C'est  en  ce  sens  qu'une  jurisprudence  constante 
applique  l'article  637  du  Code  d'instruction ,  qui  renferme 
l'exercice  de  l'action  civile  dans  les  mêmes  délais  que  celui 
de  l'action  publique.  «  Les  prescriptions  établies  par  les  lois 
c(  criminelles  »,  dit  la  chambre  civile  (Rej.,  27  avril  1862), 
«  ne  s'appliquent  aux  actions  civiles  qu'autant  que  ces  ac- 
te tions  ont  pour  base  unique  et  exclusive  un  crime,  un  dé- 
a  lit  ou  une  contravention  \  mais  il  en  est  autrement  lorsqu'il 
(c  s^agit  d'une  action  qui,  en  dehors  des  faits  délictueux 
<c  imputables  au  défendeur,  puise  son  principe  dans  un  acte 
«  on  dans  une  disposition  du  droit  civil.  »  Dès  lors,  si  nous 
ne  perdons  pas  de  vue  l'affinité  étroite  qui  existait  dans 
l'ancienne  doctrine  entre  les  principes  sur  la  prescription  et 


sur  les  compUcations  de  raffaire  Miras,  que  la  doctrine  de  l'antorité 
absolue  au  citU  de  la  chose  jugée  au  criminel  amène  des  dîfficulUs  li 

lubies. 


n  cRimifELs.  S33 

ceux  sur  raatorité  de  la  diofie  jugée  (n*  909),  on  arrive  \ 
reconnaître  que  la  suspension  prononcée  par  l'article  3  ne 
s'applique  qu^  Faction  en  réparation  du  dommage  causé 
par  le  délit,  k  l'exclusion  des  actions  en  revendication,  en 
réclamation  d'état,  etc.  Une  fois  établi  que  l'article  3  est 
inapplicable  dans  l'bypolbëse,  toute  la  théorie  s'écroule. 

Merlin  avait  puisé  un  autre  allument  dans  l'article  463 
du  même  Code,  qui  prescrit  au  tribunal  criminel,  lorsqu'il  a 
déclaré  faux  un  acte  authentique ,  d'ordonner  que  l'acte  soit 
rétabli,  rayé  ou  réformé.  Mais,  en  y  regardant  de  plus  près, 
on  a  reconnu,  au  contraire,  que  cet  article  réserve  les 
droits  des  tiers,  puisqu'il  ne  reproduit  point  la  faculté  d'or- 
donner la  destruction  matérielle  de  l'acte,  la  tuppremw, 
la  laeéraiiûn.  qu'autorise  au  civil  l'article  241  du  Code  de 
procédure.  Aussi  la  chambre  criminelle  de  la  Cour  de  cas- 
sation a-t-elle  décidé  (arr.  du  28  décembre  1&49  et  du 
S4  janvier  iSSO)  que  la  radiation  ou  réforme,  ordonnée  par 
l'article  463 ,  «  n'a  pas  pour  résultat  de  détruire  ou  d'anéan- 
«  tir  l'existence  matérielle  des  actes  authentiques  qui  ont 
«  été  déclarés  faux ,  mais  qu'elle  a  pour  eCTet  de  les  frapper 
«  d'un  signe  de  réprobation  qui  avertisse  de  leur  fausseté  et 
«  leur  enlève  le  caractère  authentique  et  obligatoire  en  fa- 
«  veur  du  condamné  sauf  k  ceux  qui  n'auraient  point  été 
ic  parties  au  procès  criminel  k  faire  valoir  leurs  droits  de- 
«  vant  les  tribunaux  compétents.  »  Tels  nous  paraissent  être 
les  véritables  principes. 

81fi.  Même  en  ce  qui  concerne  le  condamné ,  l'influence 
sur  le  civil  de  la  chose  jugée  au  criminel  doit  se  combiner 
avec  le  principe  de  raison  qui  veut  que  l'autorité  de  la  chose 
jugée  soit  limitée  k  ce  qui  a  été  formellement  décidé  par  le 
jugement.  On  a  donc  établi  dans  la  pratique  certaines  dis-* 
tinctions,  que  la  discussion  entre  Merlin  et  Toullier  a  con- 
tribué k  faire  ressortir ,  et  d'après  lesquelles  le  premier  a 


534       INFLUENCE  RESPECHYS   DES  jpGEMENTS  CIVILS 

Ifii-fnéine  mo^î^é  3a  4PPtriqg;  On  peut  pORpeyoir  en  efiet 
(rois  hypotb^e^  : 

Qn  bieq  1^  (|^<^Î3ion  judipiaire  ^  déclaré  la  culpabilité  de 
l'^ccifsé  j 

On  b|i?A  <^Hp  »  déo)eré  la  poa-eiistence  du  fait  a  lui  impaté  -, 

Ou  bi^u  e)te  9  ^ipip|eqfen|  déplupé  $9  nou-culpabililé. 

91^.  Lorsq»j3  Tawiisé  ef^t  déçlapé  cpup^ble,  ]e  principe 
g^p  la  question  civile  se  trQnve  préjugée  s'applique  âaus 
lOllte  sa  forpp.  (R^j,,  ^  mai  tSiS^  Cas?.,  3  août  1864.) 
Malgré  BP^  dépisiop  poutrajre ,  ^^nd^e  par  la  Cow  d'4Jger, 
le  9  mai  186^9  il  u'f  a  aucune  raison  ppur  x^fi  pa§  appli- 
qupir  la  mêipe  règle  au^  jngenients  de  simple  police  \ 

Maw  l3  juridiction  correpjîpnnelle  n*a  qualité  ppnr  pré- 
juger la  que§|ion  civile  qu'autant  qn'elle  statue  dans  les 
Ijmjtes  de  3a  poiqpétencp,  Ainsi ,  nn  arrêt  dp  cassation  4h 
â^  mai  1870,  cité  plq^  baut(n'  863),  casse  le  jngemgnt  d'nn 

tribunal  wil  qui  s'était  pru  à  tort  lié  par  vm  jugeinept  correp- 

tionnel,  otk  le  jugp  ponstatait  les  faits  an  ppint  dp  vue  civil, 
tout  pp  recpBBîiispaflt  gn'ils  ne  ponvaipfit  être  Tolaet  d'au- 
çupp  répr^^siop  pépale.  On  est  anssi  généralppiapt  d'accord 
ppur  reconnaître  que,  si  la  jurijligtiOB  primipelle  np  fait  que 
stalper  ippideminept  gpr  nnp  question  piyile  préjudicielle, 
tello  gi)p  la  qm\\{é  de  père,  4^ns  noe  apppsation  de 
parrjpide,  la  question  d'état  an  pivil  dewpnrp  entière. 

(M?  233.) 

914.  Elle  est  préjugée,  en  sens  inveiBse,  d^s  la  seconde 
hypotPse  y  lorsqn'il  est  foripellement  jugé  que  le  ^t  inculpé 
p' existe  pas,  on  qn'il  a  été  Pon^ipis  par  une  autre  personne. 
Çlettp  bypoU^èse  se  présentera  difficilement  aujonr^'bui  an 

>  Comme  il  s^agissait ,  dans  l'espèce ,  de  Pinfraction  à  on  arrêté  mimi- 
clml  l'felAn)^I)^I^^  ^fi  çf^ixtinf^rc^,  ]«  Cour  e^t  pu  wotiY«r  TégaUèvement  sa 
décision,  en  jugeant,  avec  la  Cour  de  cassation  (4  mai  1866)fau^on  ne  peut, 
sans  violer  le  principe  de  la  liberté  du  commerce,  fonder  une  actiôii  en 
Ip^ain^t^  sur  ri^ffMitipn  à  de  tefs  ^rfèt^. 


ET   GRIIfllifilL^f  53o 

grand  eriminel,  le  yerdict  da  jury  d^ns  3a  fqirme  ordip^ire 
prononçant  sur  la  culpal)i}i(é  d^  r^ccus^  ^q  général  1  Çt  non 
^r  r existence  du  fait  jncripcii^é ,  comwe  celg  ^yait  lieu 
(p*  898)  dans  le  droit  inlennédiwre.  Que  si  Ip  jury,  interr 
rogé  en  1^  forme  usuelle ,  répQnd  de  manière  à  exclqre  la 
piatérialité  des  faits,  il  excède  ses  pouvoirs,  et  la  Cour 
d'assises  conserve  le  droit  dP  les  apprécier  ^ii  poipt  de  vpe 
civil ,  ep  dégageait  seulement;  Télément  de  crjniinalité 
intentionnelle.  C'est  pe  qu'g  dépidé  un  arrêt  de  rejet  du 
21  octobre  1835,  d^PS  une  espèce  où,  interrogés  sur  1^ 
point;  de  i^^voir  si  les  aççq^és  étaient  cpopable^  de  soustrs^c- 
tion  frauduleuse,  les  jurés  ayaieut  répondu  :  Non,  les  accusés 
ne  sont  pas  les  qutpurs  de  ces  squstr^fitiomt  Cette  réponse  n'a 
pu  enlever  k  la  Cour  le  droit  de  statuer  sur  les  réparations 
civiles  \ 

Mm  les  jugewepts  de  police ,  simple  ou  çorrectionuelle  » 
qui  sont  motivés  *,  peuvept  s'expliquer  d'une  m^i^re  catér 
gorique,  de  manière  '^  fpire  cesser  toute  imputabilîté.  Si  la 
juridictiop  çorreptionnelle  a  nié  l'e^i^isteppe  même  dps  faits 
imputés  au  prévequ ,  il  n'est  plus  permis  d^  le  poursuivre 
aivilempnt)  ep  vertu  de  l'article  f  382  du  Code.  Yaipemept 
le  demaudeqr  ?h  civil  alléguer^-t-il  qu'il  pe  s'pst  poip^ 
porté  partie  civile  devant  la  juridictipp  prifflîuello,  Il  a  été 
représenté  par  le  ministère  public  (Ça^s.,  7  m^rs  1855),  en 
c§  qui  touebe  1^  constatation  du  déHtr  (I^°  ^^0  C'est  la  récir 
prpque  nécessaire  dP  }^  F^l^  suiy^nt  l^qq^lle  les  pupdam- 
Pî^tions  Qbtepues  par  le  piipigtère  publie  seul  profitem  am 
parties  iptéfessées.  Faut-il  ai^simi^^i'  ^  h  Pégation  des  faits 

'  A  plus  forte  raison  ne  faadrait-il  attacher  aucune  valeur  à  un  verdict 
qui  déclarerait  un  éprit  faux ,  mais  nierait  en  même  te^nps  la  eulpabUité< 
(^ej.,  iq  août  1843.) 

^  Nous  avons  vu  (n»  863)  ^ue,  dans  la  juridiction  correctionnelle ,  l'au- 
torité du  dispositif  se  communicpie  aun  motifs ,  en  tant  quUIs  qualifient 
les  fait^. 


536       INFLUENCE  RESPECTIVE   DBS  JUGEHENTS   CIVILS 

par  la  juridiction  correctionnelle  la  déclaration  que  les  faits 
ne  sont  point  suffisamment  établis  ?  La  négative ,  admise 
par  plusieurs  auteurs,  a  été  consacrée  par  un  arrêt  de  la 
cour  d'Orléans  du  1 5  avril  1 864,  d'après  ce  motif  que  déclarer 
un  fait  non  prouvé ,  ce  n'est  point  en  nier  l'existence.  Mais 
cette  décision,  qui  tendrait  à  révéler  des  délits  dont  la 
répression  judiciaire  serait  impossible,  est  en  opposition 
avec  le  but  moral  que  s'est  proposé  le  législateur  en  éten- 
dant au  civil  l'effet  des  jugements  criminels.  Il  implique 
d'ailleurs  qu'un  fait  dont  la  juridiction  pénale  n'a  point 
admis  la  preuve ,  même  par  témoins  ou  par  présomptions , 
puisse  être  prouvé  devant  la  juridiction  civile.  C'est  en  ce 
sens  que  s'est  prononcée  la  Cour  de  cassation.  (Cass., 
!•  août  1864.) 

915.  Lorsque  l'accusé  est  simplement  déclaré  non  cou- 
pable, suivant  la  formule  habituelle  du  verdict  du  jury ,  cette 
décision  négative  s'explique  par  cela  seul  qu'il  y  a  doute 
dans  l'esprit  des  jurés,  soit  sur  l'existence  du  fait,  soit  sur 
la  culpabilité  de  l'agent.  S'il  n'est  pas  permis  aux  juges 
civils  de  se  mettre  en  contradiction  avec  ce  qui  a  été  décidé 
par  les  juges  criminels,  il  ne  leur  e^  pas  défendu  de  se 
livrer  k  la  recherche  de  la  vérité ,  quand  ceux-ci  l'ont  laissée 
incertaine.  «  De  la  déclaration  du  jury  que  l'accusé  n'est 
«  pas  coupable»,  dit  un  arrêt  de  rejet  du  26  décembre  1863, 
«  il  résulte  seulement  qu'il  n'a  commis  aucun  crime  pouvant 
«  tomber  sous  l'application  de  la  loi  pénale  ;  mais,  en  l'ab- 
«  sence  de  tous  motifs  exprimés ,  on  ne  saurait  en  induire 
«  que  le  fait  matériel  n'existe  pas,  ou  que  l'accusé  n'en 
«  serait  pas  l'auteur.  »  D'ailleurs ,  la  non-culpabilité  d'après 
la  loi  pénale,  qui  ne  punit  habituellement  que  le  dol,  n'en- 
traîne  nullement  l'absence  de  culpabilité  aux  yeux  de  la  loi 
civile,  qui  tient  compte  des  fautes,  même  légères,  lorsqu'elles 
portent  préjudice  k  autrui.  (C.  civ.,  art.  138S.)  C'est  ce  qui 


ET   CRIMINELS.  537 

rësolte  formÊltement  des  dispositioDS  du  Code  d'instraction 
criminelle  (art.  358,  359,  366),  qai  autoriseDt  expressé- 
ment la  Cour,  dans  te  cas  d'acquittemeot  comme  dans  celni 
d'absolution,  k  statuer  sur  les  dommages  et  intérêts  prétendus 
parla  partie  civile.  (Rej-,  S  avril  1839.)  Ce  que  peut  faire 
la  Cour  d'assises,  qui  fonctionne  en  pareil  cas  comme  une 
sorte  de  juridiction  civile  annexée  à  un  tribunal  criminel  ', 
pourquoi  les  tribunaux  civils  ne  pouiraient-ils  pas  le  foire 
ultérieurement,  lorsque  la  partie  lésée,  qui  ne  s'est  pas 
constituée  partie  civile,  vient  k  les  saisir  plus  tard  de  sa 
réclamation  ?  H  est  impossible  d'apercevoir  une  raison  de 
distinguer  entre  les  deux  hypothèses.  La  Cour  de  cassation 
a  rendu  nn  grand  nombre  d'arrêts  dans  le  sens  de  cette 
doctrine,  qui  n'est  plus  contestée  aujourd'hui  ds 
tiqne.  Ainsi,  un  arrêt  de  rejet  du  12  janvier  1' 
que  la  solution  négative  de  la  question  d'escroqn 
péehe  point  les  poursuites  au  civil  ;  de  même  l'a» 
pouriucendien'empécbe  point  l'imputabtlité  civile 
occasionné  la  perte  du  lieu  incendié.  (Rej . ,  2â  jui 
H  faut  aller  plus  loin,  et,  au  cas  même  où  la  question  d'ho- 
micide ou  de  blessures  par  imprudence  aurait  été  résolue 
négativement  au  criminel ,  reconnaître  ^  la  juridiction  civile 
le  pouvoir  d'allouer  des  dommages  et  intérêts.  11  peut  y  avoir 
une  faute  très-légère,  civilement  imputable,  bien  que  ne 
tombant  pas  sous  le  coup  de  la  loi  pénale.  (Rej.,  19  no- 
vembre 1841  et  9  juillet  1866.) 

'  Si,  au  contraire,  la  juridiction  criminelle  a  prononcé, 
noD-seul.ement  sur  l'absence  de  culpabilité  aux  yeux  de  la 
loi  pénale ,  mais  sur  l'absence  complète  d'imputabilité ,  alors 
les  principes  qne  nous  avons  posés  sur  l'autorité  de  la  chose 

'  La  Cour  d'usisM  peut,  après  icquittement,  léttnei  l'action  ciTile , 
eu  dédannt  le»  dommagei  et  intérêts  non  juti&és  en  l'état.  (Cau. ,  37  mar* 


538        INFLUENCE  RESPECTIVE   DES   JUGEMENTS   CIYILS 

jugée  au  criminel  reprennent  tout  leur  empire.  C'est  ce  qui 
peut  se  présenter  facilemeQt  devant  Ig  juridiction  correc- 
tionnelle. Ainsi ,  dans  l'arrêt  précité  (n*914)  du  7  m^r^  185S, 
la  Cour  de  cassation  a  reconnu  que  le  prévenu  se  troi^v^t 
k  l'abri  de  toutes  poursuites,  même  civiles,  le  jugemept 
correctionnel  portant  qu*on  ne  saurait  lui  imputer  la  respat^sor 
bilité  (fun  acte  auquel  il  est  tout  à  fait  étranger.' y^dis  le  verdict 
du  jury,  d'après  notre  mode  de  positiog  ^es  questions,  pe 
saurait  être  conçu  cq  de  pareils  t^n^es.  Q  peut  ^rriy^ 
cependant  que ,  s^ns  aucune  irrégularité ,  ce  yer^içt  con- 
tienne quelque  chose  de  plus  précis  quQ  la  ^iinpl§  né^^iop 
de  |a  culpabilité  de  }'accusé.  Si,  par  exeiQplei  pour  plD§  de 
clarté,  le  président  a  posé  spéci^l^i^^iit  la  que^^iq))  dp 
légi tinte  défense  p|  que  le  jury  l'ait  résolue  négativement, 
il  semble,  ^u  premier  coup  (l'œil,  {ég^eipept  iqipQ^ib|f|  de 
condamner  k  des  dommage^  et  intérêts  l'auteur  4'un  fi^l;  jugé 
licite.  Un  arr^t  dg  çsissatioR  du  f  9  déppipl^r^  1^^?  s'est  piip- 
noqcé  en  ce  sens*  jkl^s  il  est  pins  e^^t  de  ^éeid^r,  fivec 
Jonsse  (Justice  crimifieUe,  tom.  I,  pag.  ^19),  que  ï'çjçès 
dans  la  légitime  défense ,  bien  qne  trop  peq  f^cceptué  poqr 
^nnpr  ouYerturg  k  nPQ  action  pénale ,  peu|  être  sqffismt 
pour  motiyer  qnc^  CQnd^WWtiQn  civile,  C'e^l  cp  qqp  (iéçîdg, 
dans  ses  considérants  du  n^pins,  nn  ?rrêt  4e  l^  Conr  4'a§§ises 

4e  VAyeyron  du  ^3  noyen^breîSSS.  Dans  l'affaire  Snnesae, 

ojinne cassation  a  été  également  prononcée (24  juillet  \^\)^ 
la  Cour  d'assises  d'Orléan^  §eRiblait  a^nir  aQeç|é  4^  §§ 
meure  len  opposition  avec  la  4éçlpration  du  jury  qpi  avait 
résolu  négativement  la  question  4e  ponps  et  We§siir§§  yo- 

lontaires,  puisqu'elle  avait  aliéné  ^  1»  partie  givU®  des  dom- 
mages et  intérêts,  motivés  snr  m  coup  jm^  votQnffdfçnm 

hors  le  cas  de  légitime  défense.  S'il  y  a  des  degrés  dans  l'im- 
prudence (arrêts  précités  de  1841  et  de  1866),  ne  serait-il 
pas  trop  subtil  de  distinguer  des  degrés  dans  la  volonté  P  [^ 


ET   CRIMINELS.  539 

Cour  d'Orléans  eût  ^gi  plus  sagement  en  s'en  tenant  k  son 
premier  considérant,  que  la  réponse  négative  du  jury  sur  la  cri- 
minalité du  fait  n^excltU  pas  nécessairement  sa  matérialité,  et  de 
prononcer  des  dommages  et  intérêts  motivés  sur  la  f^ute, 
indépendamment  de  la  volonté.  (Comp.  Cass.,  6  mai  18^2, 
et  ReJ.,  10  décembre  1866.) 

916.  Lorsque  la  déclaration  de  non-cu)pabilité ,  étant 
indéterminée,  peut  porter  sur  le  fait  matériel  aussi  bieg  que 
syr  le  f^it  moral ,  doit-on  exiger  que  la  Cour  d'assises ,  en 
allouant  des  dommages  et  intérêts,  constate  d'uR^  manière 
expresse  qu'elle  statue  sur  un  point  non  décidé  pfir  le  jqry? 
Ç'ei^t  ce  qu'a  jugé  la  Cour  de  cassation  ^Gass.,  7  mgi  1864) 
dans  l'affqiire  si  obscure  du  sieujr  Armand,  accusé  d'avoir 
lié  et  presque  étranglé,  dans  sa  c^ve,  son  domestique,  Mau- 
rice Rou^.  Le  jury  ayant  résolu  négativement  la  question  de 
coups  et  blessures  volontaires^  la  Cour  d'Aix  avait  Réan- 
moins  déclaré  qu'il  résultait  des  (Jébats  qu'^rm^iid  V^^i^ 
maladroitement  porté  k  Roux  un  coup  qui  pouvait  lui  êfrç 
imputé  ^  faute,  et  l'avait  condamné  en  cpnséqyençe  ^  ]i)i 
payer  20,000  francs  de  dpmniages  et  intérêt^.  L'arrêt  ^e  ç^^ 
sation  qui  a  annulé  cette  condamnation  peut  ^tre  considéra 
comme  un  ^rrét  d'espèce  *,  la  nécessité  qu'i|  jfnpose  k  }^ 
Cour  d'assises  de  prévenir  elle-même  toq^e  diffiiçn(té  par  de^ 
explications  catégoriques ,  est  en  oppos^tloq  ^y^o  pe  ppqpip^ 
élémentaire,  que  la  violation  de  la  chose  jugée  qç  se  pr^§i)me 
pas,  pt  que,  dans  Ip  doute(Cod.  ciy.,  art.  11^7),  on  4pit  se 
pfononçer  pour  la  validité  d'une  décisjon  jqdiciairp.  Dans  uq 
^frêt  postéfipur  (Rej.,  104écembri5l866),  laCqiir  de  cassa- 
tion a  rejeté  le  pourvoi  contre  un  arrêt  qqi  n'é^^it  pa^  plu§ 
p^otivé  qpe  celqi  de  1?^  Cour  d'Aix ,  en  revenant  aq  principe, 
si  soqveqt  procl^pié  par  sa  jurisprq(}pnçe,  quç  n  malgré  1^ 
(c  déclaration  deqon-culpabilité,  I9  matérialité  (les  faits  peut 
«c  subsister  tqqt  aussi  bipn  que  la  participation  qup  Tappqçé 


540       INFLUENCE  RESPECTIVE  DES  JUGEMENTS  CIVILS 

«  aurait  prise  à  leur  perpétration,  seulement  sans  intention 
c  criminelle.  » 

La  Cour  de  Grenoble,  qui  a  statué  en  définitive  sur  la  de- 
mande en  dommages  et  intérêts  de  Maurice  Roaz  (l*'  jqin 
1865),  s'est  fondée,  pour  la  repousser,  sur  les  circonstances 
exceptionnelles  de  la  cause,  où  la  matérialité  du  fait  et  Cintoaion 
étaient  indivisiblei  ;  doctrine  qui  n'a  point  les  conséquences 
extrêmes  qu'emportait  la  décision  de  la  chambre  criminelle, 
et  qu'a  sanctionnée  la  chambre  des  requêtes.  (Il  dé- 
cembre 1866.) 

917.  On  voit  que  nous  admettons,  d'une  part,  d'après 
l'ensemble  des  textes ,  que  la  chose  jugée  au  criminel  est 
souverainement  jugée ,  même  au  profit  ou  au  préjudice  de 
ceux  qui  intenteraient  ultérieurement  l'action  civile  \  mais, 
d'autre  part,  que,  pour  qu'il  y  ait  ainsi  chose  jugée  au  cri- 
minel, il  faut  qu'aucun  doute  ne  puisse  s'élever  sur  la  portée 
de  la  décision.  Or,  ce  doute  ne  saurait  exister  :  1*  s'il  y  a 
solution  affirmative  sur  la  question  de  culpabilité  ^  2*  au  cas 
d'une  solution  négative,  si  elle  est  de  nature  k  exclure  for- 
mellement, soit  la  matérialité,  soit  l'imputabilité ,  même 
civile,  du  délit.  Une  solution  négative,  motivée  en  général 
sur  la  non-culpabilité,  s'entend  de  la  non-culpabilité  pénale, 
et  laisse  intact,  sauf  des  cas  tout  k  fait  exceptionnels,  le 
droit  aux  réparations  civiles,  s'il  y  a  lieu. 

918.  Suivant  l'opinion  qui  a  prévalu  dans  la  jurisprudence 
anglaise  et  américaine  (M.  Greenleaf,  tom.  I,  p.  668,  670), 
la  chose  jugée  au  criminel  n'a  aucune  influence,  en  prin- 
cipe, sur  les  intérêts  civils.  Cette  jurisprudence  se  fonde 
sur  les  motifs  allégués  par  TouUier,  que  les  parties  ne  sont 
point  les  mêmes,  et  que  la  conviction  se  détermine  d'une 
manière  différente  au  civil  et  au  criminel.  On  pourrait  croire, 
au  premier  coup  d'œil,  qu'il  y  a  identité  de  parties,  le  pro- 
secutor  étant  habituellement,  dans  la  procédure  anglaise,  la 


ET  CRIMINELS.  54i 

partie  lésée.  Mais  on  a  fini  par  considérer  les  poursuites , 
bien  que  mises  en  mouvement  par  un  particulier,  comme 
concernant,  au  fond,  la  société  {ilrid.,  p.  409)  ^  alors  on  a 
compris  que,  si  la  décision  rendue  par  la  juridiction  crimi- 
nelle devait  faire  titre  en  faveur  du  plaignant,  il  ne  pouvait 
être  entendu  au  criminel ,  se  trouvant  directement  intéressé 
à  la  décision  (n""  281),  et  on  a  tranché  la  difficulté  en  posant 
le  principe  que  le  jugement  criminel  n'a  point  d'effet  au 
civil,  pas  plus  que  le  jugement  civil  au  criminel. 

Sous  deux  points  de  vue,  toutefois,  la  doctrine  anglaise 
permet  d'invoquer  au  civil  le  jugement  criminel.  En  pre- 
mier lieu  {ibid.,  p.  668  et  suiv.),  le  fait  même  que  le 
jugement  a  été  rendu  (thefact  ofthe  mère  reddition  ofthejudg- 
ment)  peut  être  invoqué  dans  une  action  civile.  Ainsi ,  celui 
qui  intente  une  action  civile  pour  poursuites  injustes,  prouve 
les  poursuites  par  le  fait  même  de  la  procédure  pénale. 
Outre  cette  exception,  qui,  k  vrai  dire,  n'en  est  pas  une,  la 
procédure  criminelle  peut  être  invoquée  au  civil,  k  titre 
d'aveu  {ibid.,  p.  657),  lorsque  l'accusé  a,  comme  nous 
l'avons  vu  (n""  385),  pris  le  parti  de  plaider  comme  coupable 
(upon  fus  plea  ofgmlty).  Ainsi,  dans  une  demande  de  divorce 
formée  par  une  femme  pour  mauvais  traitements,  les  faits 
ont  été  considérés  comme  prouvés  par  une  condamnation 
pénale  rendue  contre  le  mari ,  ofoasmU  and  battery,  le  mari 
ayant  plaidé  comme  coupable  :  s'il  avait  plaidé  comme  non 
coupable,  la  condamnation  n'eût  pu  être  invoquée  au  civil. 

919.  L'autorité  irréfragable  qui  s'attache  aux  décisions 
souveraines  de  la  juridiction  criminelle,  ne  s'attache  pas  éga- 
lement aux  simples  documents  émanés  de  cette  juridiction. 
Il  est  certain  que  les  procès-verbaux  les  plus  réguliers, 
dressés  par  un  officier  de  police  ou  par  un  greffier,  ne  sont 
pas  des  preuves  légales  devant  les  juridictions  civiles.  Un 
juge  civil  peut  donc,  sans  excès  de  pouvoir,  refuser  d'en- 


Hii       INFLUENCE   RESPECTIVE   DES  JUGEMENTS   CtVlLS 

tendre  la  lecture  des  dépositions  recueillies  dans  une  in- 
stance criminelle,  (tlej.,2  juin  1832.)  Mais  faut-il  aller  plus 
loin,  et  lui  refuser  d'nne  manière  absolue  la  faculté  de  pui- 
ser  ses  éléments  de  conviction  dans  des  documents  de  cetle 
nature  ?  Un  arrêt  de  cassation  du  22  messidor  an  VU  s'était 
prononce  dans  le  sens  de  cette  opinion.  Il  semble  an  pre- 
mier  abord  que,  le  mode  d'instruction  étant  différent,  et  le 
but  qu'on  se  propose  bien  distinct  dans  chacune  des  juridic- 
tions ,  de  même  qu'on  ne  peut  employer  devant  les  cours 
d'assises  une  enquête  civile ,  on  ne  doit  pas  être  reçu  k 
employer  au  civil  un  procès-verbal  d'information  ou  un  pro- 
cès-verbal des  débats.  Mais  la  jurisprudence  parait  aujour- 
d'hui (Rej.,  Si  janvier  1859  et  27  mai  1864)  reconnaître  au 
juge  civil  un  pouvoir  plus  large.  Aucune  disposition  légale, 
en  effet,  ne  limite  ses  moyens  d'information  :  il  peut  les 
puiser  dans  une  autre  instance  civile  ;  pourquoi  ne  pour- 
rait-il pas  les  puiser  aussi  dans  une  instruction  criminelle 
relative  aux  mêmes  faits?  En  l'absence  de  toute  prohibition 
spéciale,  ne  doit-on  pas  rechercher  la  vérité  par  tous  les 
moyens  possibles  ?  Si  on  décide  le  contraire  au  criminel 
quant  aux.  documents  civils ,  c'est  que  la  loi  a  voulu  que 
la  conviction  de  la  culpabilité  se  formât,  en  général, 
sur  des  preuves  orales,  d'après  un  débat  contradictoire, 
et  non  d'après  l'examen  des  pièces  d'un  dossier.  Rien 
de  pareil  en  ce  qui  touche  la  juridiction  civile.  Il  convient 
donc  de  laisser  k  cette  juridiction  toute  latitude  ponr  la 
reciierche  des  preuves.  Il  est  bien  entendu,  néanmoins, 
qu^on  ne  pourrait  se  prévaloir,  au  civil,  de  dépositions 
reçues  devant  un  tribunal  criminel,  si  ces  dépositioi^,  a 
raison  de  la  plus  grande  latitude  qui  est  laissée  aux  témoins 
dans  l'administration  de  la  justice  criminelle,  se  trouvaient 
porter,  en  fait,  sur  des  points  que  la  loi  civile  défend  de 
prouver  par  témoins,  et  notamment  si  l'on  avait  déposé  de 


ET   CRIMINELS.  543 

faits  contraires  k  uoe  présomption  légale,  faits  qui,  suivant 
notre  opinion  (n""  859),  pourraient  agir  sur  la  conviction  du 
jury.  De  même,  lorsque  la  loi  civile  exige  une  enquête, 
comme  en  matièté  de  sépàtàiîoi)  de  cotp^^  cette  enquête 
suppose  les  formalités  et  les  garanties  de  la  procédure  civile  ^ 
il  ne  serait  point  permis  d'y  suppléer  au  moyen  d'un  procès- 
verbal  d'information,  dressé  par  un  juge  d'instruction  sur 
les  mêmes  faits. 


QUATRIÈME  PARTIE 


DE  L'EFFET  RÉTROACTIF  ET  DU  DROIT  INTERNATIONAL 

EN  MATIÈRE  DE  PREUVES. 

SOHKAIBE.  —  930.  DistiocUoD  des  d€eitorië  et  des  ordinatoria  lisis.  —  M4.  Réftotkm 
da  système  qni  applique  toiyoars  la  loi  du  temps  et  da  lieu  où  siège  le  tribooal  saisi  de 
la  cause.  —  933.  Division. 

820.  L'application  aux  preuves  des  règles  sur  la  non- 
rétroaclivité  des  lois  et  sur  les  rapports  de  nation  nation 
ne  donne  point  lieu ,  en  principe ,  k  de  sérieuses  difficultés. 
Lorsqu'il  s'agit  de  savoir  laquelle  doit  être  appliquée  de 
deux  législations  successives  dans  un  même  pays,  ou  bien 
de  deux  législations  de  pays  divers,  on  a  depuis  longtemps 
établi  une  distinction  essentielle.  «  Il  y  a  »,  dit  Merlin 
(Répert.,  V  Effet  rétroactif,  sect.  3 ,  §  8) ,  «  deux  sortes 
«  de  formalités  judiciaires  :  les  unes  qui  appartiennent  seu- 
«  lement  ii  l'instruction  et  ne  sont  relatives  qu'k  la  procé- 
a  dure,  raison  pour  laquelle  les  jurisconsultes  les  appellent 
«  ordinatoria  litù;  les  autres,  qui  appartiennent  au  fond 
«  même  de  la  cause,  dont  l'omission  ou  l'absence  neutrSH 
«  lise  ou  anéantit  l'action,  et  que  les  jurisconsultes  dé- 
«  signent  par  les  mots  decisoria  litis.  »  Pour  les  pronières , 
il  faut  s'attacher  au  temps  et  au  lieu  où  l'affaire  a  pris  nais- 
sance. In  modo  procedendi,  dit  Strykius(Tr(u;r.  et  DUp,,  tom.  D, 
p.  27) ,  consueiudo  judicii  attendenda,  ubi  /»  agitatur.  In  modo 
vero  decidendif  seu  in  ipsa  catuœ  decisione,  coruuetudo  tiiigan- 
tium,  seu  ubi  actus  estgestus,  attendendus. 


EFFET  RÉTBOAGTIF  ET  DROIT  IMTERNATIOMAL.   545 

On  pourrait  croire,  au  premier  coup  d'œil,  qu'il  faut 
ranger  dans  le  premier  chef  tout  ce  qui  est  relatif  k  la 
preuve ,  k  raison  de  Tintime  connexion  qui  unit  la  preuve 
avec  la  procédure.  Il  est  vrai  que  les  lois  sur  la  preuve 
rentrent  dans  les  moyens  d'application  du  droit,  et  con- 
stituent ce  que  Bentham  appelle  des  loii  ad^ecAves.  (Yoy. 
n*  4.  )  Mais  la  preuve  est ,  par  sa  nature ,  contemporaine  du 
fait  k  prouver ,  tandis  que  la  procédure  est  essentiellement 
postérieure  et  soumise  k  des  règles  k  part.  Il  faut  dès  lors 
s'attacher,  en  principe ,  quant  k  l'admissibilité  de  la  preuve 
(  decisorium  titis),  k  la  loi  du  temps  et  du  lieu  où  est  inter- 
venu le  fait  qu'il  s'agit  de  prouver.  Au  contraire,  pour  la 
procédure  de  la  preuve  {orfUmaorium  UHi),  on  s'attachera, 
en  principe,  comme  pour  toute  autre  procédure ,  k  la  loi  du 
temps  et  du  lieu  où  siège  le  tribunal  saisi  de  la  constatation. 
Un  arrêté  consulaire  du  5  fructidor  an  IX  consacre  implici- 
tement cette  distinction ,  lorsqu'il  statue  en  ces  termes  : 
ce  Tout  ce  qui  touche  k  l'instruction  des  afEdres  tant  qu'elles 
a  ne  sont  pas  terminées,  se  règle  d'après  les  formes  nou- 
«  velles ,  sans  blesser  le  principe  de  non-rétroactivité ,  que 
(c  Ton  n'a  jamais  appliqué  qu'au  fond  du  droit.  » 

Il  y  a  cependant  un  arrêt  de  cassation ,  rendu  le  4  oc- 
tobre 1817,  aux  termes  duquel  les  crimes  commis  sous  une 
législation  antérieure  devraient  être  jugés  avec  les  anciennes 
formes  d'instruction  et  les  garanties  qui  en  résultaient  pour 
les  accusés.  Mais  il  ne  faut  voir  Ik  qu'une  décision  de  cir- 
constance, tendant  k  limiter  la  juridiction  des  Cours  prévô- 
tales  instituées  en  1815  \  Depuis  cette  époque,  la  Cour  su- 
prême a  jugé  k  plusieurs  reprises,  notamment  par  les  arrêts 


*  C*est  également  à  raison  da  caractère  exorbitant  de  la  juridiction 
oonTellement  établie ,  que  la  loi  du  21  thermidor  an  II  Toulait  que  nul  ne 
pût  être  traduit  deyant  le  tribunal  réYolutionnaire  pour  des  faits  antérieurs 
à  sa  création. 

II.  35 


tt46  DK  l'bFPIT  ftfTBOÀGTIV 

de  rejet  du  42  octobre  4848  et  du  27  janvier  48KK,  qa'en 
toute  matiàre  «  les  lois  de  procédure  et  d'instruction  soni 
K  obligatoires  du  jour  de  leur  promulgation  ^  en  ce  qui  cou» 
((  cerne  les  procès  commences  comme  les  procès  k  naître  *.  « 
Ainsi  que  Ta  fort  bien  dit  M.  Dupin,  dans  la  discussion  de 
l'affaire  qui  a  donné  lieu  k  l'arrêt  de  4848  :  «  Lorsqu'eft 
«  4790  on  a  supprimé  tous  les  anciens  tribunaux,  et  qu'on 
«  a  établi  le  jury  en  matière  criminelle  »  un  bomme  accusé 
«  d'un  fait  commis  avant  ce  cbangement  n'aurait  pas  été 
«  recevable  k  prétendre  qu'il  aimait  mieux  être  jugé  par 
(c  l'ancienne  Toumelle  criminelle  du  parlement  Lorsqu'on 
«  a  supprimé  le  jury  d'accusation,  ceux  qui  étaient  alors  en 
((  prévention  n'auraient  pas  pu  réclamer  qu'on  voulftt  bien 
«  l'employer  encore  une  fois  pour  euxi  »  (Voy.  dans  le 
même  sens  le  décret  de  l'Assemblée  constituante,  en  date 
du  22  janvier  4849.) 

921.  M.  Mittermaier  (^Archivêi  de  la  iuruprudence  en  ma» 
tière  civile»  tom.  XIII,  p.  343)  veut,  au  contraire,  qu'on 
applique  toujours  la  loi  du  temps  et  du  lieu  où  siège  le  tri-- 
bunal  saisi  de  la  contestation.  Le  principal  motif  sur  lequel 
il  se  fonde ,  c'est  que  la  preuve  n'a  pour  but  que  de  con- 
vaincre le  juge,  et  que  le  juge  ne  peut  puiser  sa  conviction 
que  dans  les  éléments  autorisés  par  les  lois  de  son  pays. 


1  Si  éftM  l'afliira  Cadeudal  les  aooiuét  ont  taisenieiit  demandé  k  Mf« 

reiiToyés  devant  la  haute  Cour  impériale,  créée  par  le  •énatoa-oonsuite  du 
28  floréal  an  Xll ,  cVst  que  cette  Cour  n^était  pas  encore  organisée.  (Bej., 
4  messidor  an  XII.)  La  Covr  de  eassati^n  a  posé  en  principe,  par  ranét 
de  rejet  du  16  avril  1831 ,  «  qu'il  est  de  règle,  h  moins  que  le  l^islatenr 
«  n'en  dispose  autrement ,  que  les  procès  criminels  dans  lesquels  U  n^y  a 
«c  pas  de  jugement  définitif  et  en  dernier  ressort,  doivent  être  cantinn^ 
«c  dans  les  formes  et  devant  les  tribunaux  nouvellement  établis.  »  Aussi 
a-t-elle  cassé  (le  12  septembre  et  le  27  décembre  1856)  des  décisions  de 
tribunaux  correctionnels  qui  avaient  gardé  la  connaissance  d'appels  en 
matière  correctionnelle,  malgré  le  déclinatoire  proposé  par  le  ministère 
public  en  vertu  de  la  loi  du  13  juin  1856,  qui  a  dévola  aux  Cours  d*appel 
exclusivement  le  jugement  des  appels  correctionnels. 


ET  DU  MOIT  IHTERVATIÔNAL.  847 

Cette  doctrine  parait  avoir  été  admise  en  Angleterre  ^  par  la 
Chambre  des  lords ,  d'après  le  principe  posé  par  lord  Brou- 
gham  :  The  law  of  évidence  »  the  lex  fori.  (S tory,  Cot^ict 
of  lawsy  §  635  b.  )  Le  principe  est  vrai  en  ce  sens  qu'il  n'est 
pas  permis  d'emprunter  au  droit  ancien ,  ou  aui  lois  étran- 
gères ,  des  modes  de  vérification  absolument  réprouvés  par 
la  loi  en  vigueur  dans  le  pays  où  siège  le  tribunal.  Ainsi, 
lorsque  le  congth  a  été  aboli  en  France  (nM12) ,  on  n'au- 
rait pu  en  demander  l'application  auï  causes  antérieures  à 
cette  abolition  ^  et  alors  même  qu'il  subsistait  en  France , 
une  femme  française  n'eût  pu  le  réclamer  contre  son  mari , 
dans  un  pays  où  il  était  repoussé ,  sous  prétexte  que  son 
statut  personnel  l'y  autorisait  formellement.  Et  il  y  avait 
évidemment  lieu  d'appliquer  la  même  décision  lors  de  l'abo- 
lition du  combat  judiciaire.  Mais  ce  sont  Ik  des  hypothèses 
tout  k  fait  exceptionnelles.  En  général ,  les  dispositions  de 
la  loi  qui  proscrivent  certaines  preuves  n'ont  qu'une  force 
toute  relative;  elles  rejettent  ces  preuves  comme  dange- 
reuses dans  certains  pays  et  dans  certains  temps,  et  non 
comme  contraires  k  l'ordre  public  et  aux  bonnes  mœurs.  Il 
n'y  a  donc  rien  qui  contrarie  le  système  de  la  loi ,  dans 
l'application  de  ces  mêmes  preuves  k  une  époque  où  ces 
restrictions  n'avaient  pas  été  jugées  nécessaires,  ou  bien  k 
des  étrangers  dans  le  pays  desquels  ces  restrictions  sont 
inconnues.  Nous  pensons  que  c'est  prendre  l'exception  pour 
la  règle ,  que  d'adopter  cette  doctrine  nouvelle ,  opposée  à 
la  jurisprudence  la  plus  générale,  et  qui  nous  semble  con- 
traire k  l'équité.  Car  est-il  raisonnable  de  soumettre  celui 
qui  contracte  aujourd'hui  aux  lois  qui  régiront  l'avenir,  ou 
éelui  qui  contracte  en  Angleterre  aux  lois  qtii  régissent  la 
France  ? 

928.  Voyons  avec  quelles  modifications  doivent  s'appli- 
quer les  principes  que  nous  venons  de  poser,  d'abord  aux 

35. 


848  EFFET  RÉTROACTIF. 

fails  passes  sons  Tempire  des  lois  andennes,  puis  aux  rela- 
tions internationales. 

PREMIÈRE  SECTION. 
EFFET  Rétroactif'. 

SoKMAiBE.  —  9».  Application  de  la  Joi  aneienoe  quant  k  l*a<taiis8iMliiè  de  la  prar«.  — 
934.  De  te  loi  noBTdle  quant  k  la  proeèdnre  de  la  preave.  -*  93».  Cas  oà  la  preuve  est 
repoQssèe  d*Dse  manière  absolue.  —  93e.  Dispositions  transitoires  sur  les  enânts  na- 
tniels.  —  937.  Principes  sur  Teffiet  rétroactif  en  matière  pénale. 

083.  Il  résulte  de  la  distinction  que  nous  avons  établie 
entre  les  points  qui  touchent  le  fond  du  procès  et  cenx  qui 
ont  trait  seulement  k  la  forme,  que  lorsqu'il  s'agit  de  l'ad- 
missibilité de  tel  ou  tel  mode  de  preuve ,  notamment  de  la 
preuve  testimoniale ,  il  faut  se  reporter  k  l'époque  où  sont 
intervenus  les  faits  dont  on  veut  établir  l'existence  :  Tempm 
régit  actum^  dit  M.  de  Savigny.  (Droit  romain,  p.  388.) 
L'adoption  virtuelle  par  les  parties  de  certains  modes  de 
preuve,  pour  constater  ce  qui  s'est  passé,  est  elle-même  une 
convention  implicite ,  sur  laquelle  la  loi  nouvelle  ne  doit  pas 
réagir*.  C'est  ce  qu'a  décidé  la  Cour  de  cassation  dans  une 
foule  de  cas,  notamment  par  un  arrêt  de  rejet  du  16  août 
183i ,  où  elle  pose  en  principe  «  que  le  mode  de  preuve 
«  d'une  convention  ne  tient  point  à  la  forme  de  procéder^ 
«  qu'il  se  rattache  essentiellement  au  fond^  que,  par  con- 
«  séquent,  c'est  la  loi  du  temps  où  les  parties  font  remon- 

'  Au  cas  où  un  acte  législatif  serait  entaché  du  vice  de  rétroactivité ,  fl 
faudrait  décider  arec  la  Cour  de  cassation  (arr.  du  15  avril  1863)  :  «  Que 
«  le  principe  de  l'art.  2 ,  G.  cit.,  n'est  point,  dans  l'état  actuel  de  la  légis^ 
cf  lation ,  une  règle  constitutionnelle  dont  la  violation  doive  faire  anonler 
ff  de  plein  droit  la  loi  ou  le  règlement  d'administration  publique  auquel  le 
<c  vice  de  rétroactivité  pourrait  être  reproché  ;  qu'une  telle  disposition, 
"  s'il  s'en  trouvait  en  certaines  matières ,  devrait  être  obéie ,  sauf  an 
«  législateur  lui-même  à  aviser.  » 

3  Ainsi,  en  ce  qui  concerne  le  double  écrit,  dans  les  pays  où  la  théorie 
des  doubles  n'était  pas  admise  (n«  684), on  ne  saurait  appliquer  cette  théorie 
à  la  rédaction  de  contrats  antérieurs  an  Code.  (Rej.,  4  janvier  1814.) 


EFPBT  RÉTROÀCTir;  549 

«  ter  celte  convention  qui  doit  être  consultée.  »  Dans  une 
autre  espèce ,  où  il  pouvait  y  avoir  plus  de  doute ,  puisqu'il 
s'agissait  de  prouver  non  plus  une  convention ,  mais  la  pos- 
session d'un  droit  d'usage ,  la  même  Cour  a  également  dé- 
cidé (Rej.,  23  mai  i832)  que  «  le  mode  de  preuve  de  faits 
«  de  possession ,  tenant  au  fond  du  droit,  devait  se  régler 
«  par  la  loi  du  temps  auquel  ces  faits  se  rapportaient.  »  La 
preuve  du  mariage  est  également  régie  par  la  loi  de  l'époque 
où  le  mariage  a  été  contracté.  (Merlin,  Queit.  de  droite 
V*  Maruge  ,  §  8.  )  La  Cour  de  Bruxelles  a  appliqué  le  même 
principe  (arr;  du  i5  février  1810)  à  la  preuve  même  d'un 
point  de  droit,  en  autorisant  les  parties  k  établir  par  actes 
de  notoriété  l'ancienne  jurisprudence  du  comté  de  Namur 
sur  un  point  contesté,  les  faits  s'élant  passés  sous  l'empire 
de  la  coutume  de  ce  comté.  Quelque  étrange  que  paraisse 
ce  mode  de  preuve  dans  nos  habitudes  modernes,  on  n'eût 
pu  en  refuser  l'administration,  dans  Tespèce,  sans  com- 
mettre un  déui  de  justice.  (Voy.  aussi  Bruxelles,  24  juil- 
let iSlO.) 

9S4.  Au  contraire,  lorsqu'il  s'agit  des  règles  qui  ré- 
gissent la  procédure  de  la  preuve ,  la  loi  nouvelle  est  seule 
applicable ,  quant  aux  demandes  formées  depuis  sa  promul- 
gation. C'est  ainsi  que  le  mode  d'administration  de  la  preuve 
testimoniale ,  pour  des  faits  qui  se  sont  passés  sous  Tempire 
des  lois  antérieures ,  doit  être  régi  par  le  Code  de  procé- 
dure, lorsque  l'enquête  s'ouvre  sous  l'empire  de  ce  Code. 
Quant  aux  procès  intentés  antérieurement  ^ ,  une  disposition 
formelle  du  Code  de  procédure  civile  (art.  1041)  maintient 
l'application  des  lois  anciennes,  et  la  loi  du  28  mai  1838 

*  Toutefois,  aux  termes  d'un  ayis  du  Conseil  d*État  du  16  féTrier  1807, 
les  appels,  saisies,  etc.,  formés  depuis  la  mise  en  ligueur  du  Code  de 
prooédure,  sont  le  principe  <f  «ne  nouvelle  procédure  qui  ^introduit  à  la 
mite  étune  précédente,  et  doivent  dès  lors  être  exclusivement  ré^s  par 
ce  Code. 


(disp.  prélim.)  est  eonçse  dans  le  même  esprit,  lorsqu'elle 
B'appHqae  le  nouYcau  mode  de  règlement  des  fidllites  qn% 
celles  qui  seraient  déclarées  depuis  sa  promulgation*  Si  des 
convenances  pratiques  peurent  justifier  de  pareilles  déd* 
siens  transitoires,  il  faut  néanmoins  le  reconnaître,  œ  n'est 
point  là  Tapplioation  rigoureuse  des  principes  de  la  nutière , 
les  procès  commencés  ne  constituant  point  un  droit  acquis  ^ 
telle  ou  telle  forme  d'instruction.  Nous  ne  saurions ,  en  effet, 
souscrire  à  la  doctrine  soutenue  par  Real ,  dans  l'exposé  des 
motift  de  la  loi  transitoire  du  96  germinal  an  XI ,  doctrine 
solvant  laquelle  le  droU  est  ae^i$  à  eeUd  qui  a  fomné  ta  ée^ 
mande.  Le  Jugement  seul  constitue  un  droit  acquis.  Aux 
termes  de  la  Novelle  19,  la  loi  nouvelle  doit  seulement  res* 
pecter  ce  qui  a  été  terminé  dee^eio  juàiam,  et  la  législa- 
tion ancienne  et  moderne  est  en  ce  sens.  (Voy.  loi  du 
14  floréal  an  XI,  art.  K;  C.  civ.,  art.  1211 ,  126t,  1968.) 
En  décidant  que  les  demandes  en  divorce  formées  antérieu* 
rement  k  la  publication  du  Code  civil  oontinneraient  k  être 
instruites  conformément  aux  lois  qui  eaÀUaient  lors  ds  la  de-» 
mande,  lois  si  fticiles  pour  le  divorce,  la  loi  du  âft  geminal 
avait  pour  but,  non  de  consacrer  un  principe,  mais  de  mé- 
nager la  transition  entre  la  législation  révolntionnaire  et 
celle  du  Code  civil.  Y  eftt"il  un  droit  acquis  au  divoroe,  il 
ne  pouvait  certes  y  avoir  droit  acquis  k  T  instruction  de  la 
demande  en  divorce  suivant  telle  ou  telle  forme.  La  loi  abo* 
lidve  du  divorce  nous  parait,  au  contraire,  n'avoir  fkit 
qu'user  du  droit  qui  appartient  an  législateur,  lorsqu'elle  a 
converti  les  instances  en  divoroe  pour  cause  déterminée  en 
instances  en  séparation  de  corps ,  et  annulé  tous  actes  faits 
pour  parvenir  au  divorce  par  consentement  mutuel,  (Loi  du 
8  mai  1816,  art.  â  et  3.) 

En  conséquence ,  suivant  la  doctrine  de  Merlin  {Riperu, 
v*  Effet  rétroactif  ,  sect.  3 ,  §  7 ,  n""  1  ) ,  «  si  la  loi 


EFFET  RÉTROACTIF.  951 

«  Telle  n'en  dispose  pas  autrement ,  c'est  par  elle  que  doi- 
«  vent  être  réglés,  dans  les  procédures  commencées  avant 
«  sa  publication ,  tous  les  actes  qui  se  font  postérieure- 
«  ment.  »  C'est  ce  qu*a  décidé  effectivement  la  Cour  de 
cassation,  en  appliquant  aux  instances  déjà  commencées 
les  formes  introduites  par  le  Code  ciyil  quant  k  l'expertise 
en  matière  de  rescision  de  vente  pour  cause  de  lésion. 
(Rej.,  23  février  1807  et  23  juillet  1831.)  Il  en  serait  au- 
trement, aux  termes  d'un  arrêt  de  rejet  du  S2  juillet  1806, 
si  l'expertise  même  était  déjk  commencée ,  parce  qu'alors , 
tinsi  que  l'a  dit  le  ministère  public  k  la  Cour  de  cassation , 
«  un  acte  de  procédure  composé  de  plusieurs  procédés, 
«  comme  l'acte  le  plus  simple ,  doit  être  achevé  selon  les 
«  lois  qui  ont  présidé  à  son  commencement,  sans  quoi  il  y 
«  aurait  4e9tru6tion  de  choses  fakeê,  et  sous  ce  rapport,  alté- 
«  ration  de  droits  acquis.  )> 

025.  Toutefois,  ainsi  que  nous  Tavons  remarqué  (n* 921), 
certaines  preuves  peuvent  être  repoussées  par  la  loi  d'une 
manière  absolue ,  comme  présentant  plus  de  scandale  que 
d'avantage  réel  ;  et  alors  la  loi  nouvelle  reçoit  son  applica- 
tion, même  aux  intérêts  qui  avaient  pris  naissance  avant 
qu'elle  fût  promulguée.  C'est  ce  qui  est  incontestable  au 
cas  où  le  mode  de  preuve  lui-même  est  supprimé  comme 
immoral ,  ainsi  que  cela  est  arrivé  lors  de  Tabolition  du  con- 
grès par  le  parlement  de  Paris.  De  même ,  dans  le  système 
que  nous  avons  adopté  avec  la  Cour  de  cassation ,  et  suivant 
lequel  on  n'est  point  reçu  ^  rechercher  une  filiation  inces- 
tueuse ou  adultérine,  même  k  Teffet  d'obtenir  des  aliments 
(n"  212  et  871),  il  n'est  point  permis  de  faire  constater 
par  les  tribunaux  civils  les  incestes  ou  adultères,  même 
commis  sous  l'empire  des  anciennes  lois,  pas  plus  qu'il  ne 
le  serait,  en  pareille  bypothèse,  de  diriger  contre  l'inceste 
des  poursuites  criminelles.  La  Cour  de  Grenoble  s'est  pro- 


552  EFFET  RÉTROACTIF. 

noDcée  en  ce  sens  le  42  juin  i831  ;  en  rejetant  le  poarvoi 
contre  cette  décision  (le  6  février  i833),  la  Ck>ur  de  cassa- 
tion, sans  aborder  la  difficulté  au  fond,  s'est  attachée  k  une 
fin  de  non-recevoir,  puisée  dans  la  législation  transibHre 
doBt  nous  allons  nous  occuper. 

926.  Quant  k  la  filiation  simplement  naturelle  y  le  scan- 
dale est  moins  grave,  et  Ton  comprendrait  que  la  preuve, 
k  cet  égard ,  demeurât  régie  par  la  loi  de  l'époque  k  laqueUe 
remonte  la  filiation  qu'il  s'agit  de  constater.  Néanmoins, 
Merlin  {Questiom  de  droit,  V*  Légitimité,  §  2),  tout  en 
reconnaissant  qu'en  thèse  générale  la  preuve  de  la  filiation 
doit  être  régie  par  la  loi  ancienne,  admet  des  règles  k  part 
pour  la  recherche  de  la  paternité  naturelle,  qu'on  ne  saurait 
autoriser  par  cela  seul  qu'elle  eût  été  permise  lors  de  h 
naissance  de  l'enfant,  sans  contrevenir  k  un  principe  d'ordre 
public.  Au  surplus,  pour  la  période  qui  sépare  l'ancienne 
législation  de  la  promulgation  du  Code  civil ,  des  règles  spé- 
ciales ont  été  posées  par  la  loi  du  12  brumaire  an  II  '.  Les 
dispositions  de  cette  loi,  qui  la  première  a  prohibé  la 
recherche  de  la  paternité  naturelle  (n''  222),  distinguent 
trois  classes  d'enfants  naturels  :  l^"  ceux  dont  le  p^  était 
mort  avant  la  publication  des  lois  qui  ont  donné  k  ces  enfants 
des  droits  de  succession  :  k  leur  égard ,  point  de  rétroacti- 
vité *  *,  ils  n'ont  droit  qu'k  des  aliments ,  mais  ils  peuvent 
rechercher  la  paternité  par  tous  les  moyens  admis  dans  l'an- 


■  Cette  loi  deyait  faire  partie  da  Ck>de  ciyil,  dont  s'occupait  alors  la 
Convention.  C^est  ce  qui  explique  pourquoi  on  y  renvoyait  au  Code  civU , 
dont  on  regardait  la  promulgation  comme  prochaine,  mais  qui  n'a  été 
publié,  par  le  fait,  que  dix  ans  plus  tard.  Ce  retard,  qu'était  loin  de 
prévoir  le  législateur,  a  tenu  en  suspens  bien  des  intérêts,  qui  se  sont 
trouvés  déterminés  après  coup,  non -seulement  quant  à  leur  quotité, 
mais  quant  à  leur  preuve  même ,  par  la  législation  nouvelle. 

*  Du  moins  d'après  la  loi  du  15  thermidor  an  IV,  abolitive  des  di^MMî- 
tions  qui  faisaient  remonter  l'effet  de  la  législation  révolutionnaire  an 
l4juiUet1789. 


EFFET   RÉTROACTIF.  553 

demie  jurispradence  (Cass,,  14  thermidor  an  VIII)  ;  ^  ceux 
dont  le  père  a  survécu  à  la  publication  des  mêmes  lois,  mais 
était  mort  lors  de  la  promulgation  du  Code  civil  :  pour  ceux- 
Ik,  ils  profitent  du  bénéfice  du  droit  intermédiaire,  mais  à 
condition  de  prouver  leur  filiation ,  soit  par  des  écrits  publics 
ou  privés ,  soit  par  la  possession  d'état  * .  (Loi  de  brumaire, 
art.  8.)  Par  une  sorte  de  compensation,  peu  conforme  aux 
principes  d'une  stricte  justice ,  la  loi  de  brumaire  a  été  plus 
sévère  pour  la  preuve  de  la  filiation,  en  même  temps  qu'elle 
attachait  k  cette  filiation  des  avantages  considérables.  Il  y 
aurait  eu  contradiction  k  accorder  des  aliments ,  conformé- 
ment aux  principes  de  l'ancien  droit,  k  l'enfant  qui  aurait 
établi  la  paternité  au  moyen  de  la  preuve  testimoniale,  et  k 
refuser  k  ce  même  enfant  les  droits  successifs  *  -,  or,  préci- 
sément on  n'a  pas  voulu  aller  jusque-là.  (Merlin,  loc.  cit.  ; 
Cass.,  25  mars  4806.)  3*  Ceux  dont  le  père  a  survécu  k  la 
promulgation  du  Code  civil ,  et  dont  le  sort  est  entièrement 
réglé  par  ce  Code,  tant  pour  l'étendue  que  pour  la  preuve 
de  leur  droit.  (Loi  de  brumaire,  art.  10  ^  loi  du  14  floréal 
an  XI,  art.  1*'.)  Néanmoins  la  promulgation  du  Code  civil 
n'a  pu  porter  atteinte  aux  conventions  et  aux  jugements 
passés  en  force  de  chose  jugée.  (Même  loi  du  14  floréal 
an  XI,  art.  3.) 

Il  faut  remarquer  de  plus,  quant  k  la  condition  prescrite 
par  le  Code  civil  pour  la  reconnaissance  des  enfants  naturels, 


*  Cette  disposition,  inToqaée  par  l'opinion  qui  admet  la  prea^e  de  U 
paternité  naturelle  au  moyen  de  la  possession  dMtat ,  prouye  en  réalité 
contre  cette  opinion ,  puisque  le  légiriateur  de  brumaire  n'admet  la  posses- 
sion d'état  que  dans  la  période  de  transition.  (Voy.  n*  222.) 

'  Si  l'enfant  avait  déjà  intenté  l'action  en  recherche  de  la  paternité  avant 
la  publication  de  la  loi  de  brumaire,  la  Convention  a  décidé,  par  un  décret 
du  4  pluTîdse  an  n ,  qu'U  conserrait  le  droit  de  suivre  cette  action.  Cette 
décision,  sans  être  conforme  à  la  rigueur  du  principe  (n»  924),  se  conçoit 
comme  tempérament  à  une  législation  véritablement  entachée  de  rétroac- 
tivité. 


584  EFFET  RÉTBOIGTIP. 

rauthentieitë ,  qu'il  safflt  qu'elle  existe  suiyant  les  formes 
usitées  k  l'époque  de  la  rédaction  de  Tacte.  De  même  qu'on 
dit  dans  les  relations  internationales  :  Locvm  régit  acam,  il 
faut  dire  ici  :  Temptu  regU  aetum.  C'est  ce  que  la  Cour  de 
cassation  a  décidé  par  un  arrêt  de  rejet  rendu,  sections 
réunies,  le  14  floréal  an  XII,  dans  une  espèce  où  le  titre  de 
reconnaissance  de  l'enfont  était  son  acte  de  naissance, 
dressé,  en  i787,  par  le  prêtre  qui  remplissait  alors  les  fonc- 
tions d'olBcier  de  Tétat  civil.  (Voy.  en  ce  sens  une  dissert, 
dans  Devilleneuve ,  1831 ,  part.  I,  pag.  132.) 

927.  En  matière  criminelle ,  le  principe  que  la  preuve 
doit  être  celle  du  temps  où  les  faits  se  sont  passés ,  reçoit 
son  application  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  questions  civiles 
préjudicielles,  comme  pour  la  preuve  d'un  dépôt,  au  cas  de 
prévention  d'abus  de  confiance.  Hais  la  preuve  d'un  délit, 
soit  devant  les  tribunaux  criminels,  soit  même  devant  les 
tribunaux  civils,  ne  peut  être  régie  que  par  la  loi  nouvelle, 
n  ne  s'agit  pas  ici  de  savoir  quelle  preuve  les  parties  ont  dû 
avoir  en  vue.  La  loi  nouvelle,  lorsqu'elle  rend  la  preuve 
plus  focile  pour  le  ministère  public  ou  pour  la  partie  lésée , 
ne  tient  pas  compte  de  l'espoir  illicite  qu'a  ptf  concevoir  le 
coupable  de  n'être  pas  découvert,  d'après  les  dispositions 
de  la  loi  existante.  Aidsi,  la  maxime  TestU  unus,  testis  nuUus, 
n'a  pu  être  invoquée  par  ceux  qui  ayaient  commis  un  délit 
en  présence  d'un  seul  témoin ,  depuis  que  le  droit  moderne 
l'a  complètement  repoussée.  (Yoy.  n""  933.)  Si,  au  contraire, 
on  interdit  h  l'accusation  des  moyens  de  preuve  regardés 
jusqu'alors  comme  suffisants ,  on  ne  devra  pas  les  employer 
pour  les  faits  passés,  plus  que  pour  les  faits  présents.  Et 
ici  l'intérêt  de  l'accusé  est  d'accord  avec  la  raison,  pour 
rendre  la  loi  nouvelle  applicable.  Ainsi  la  règle  qui  ne  per- 
met d'invoquer  contre  le  prévenu  de  complicité  en  matiàre 
d'adultère  que  le  flagrant  délit  ou  la  correspondance  (C.  pén., 


BROIT  mTBRHATIOllAL.  8S5 

art.  338),  a  dA  recevoir  son  application  même  au  adultères 
commis  avant  la  promulgation  du  Code  pénal. 

DEUXIÈME  SECTION. 

BROIT  IMTERIfATIONAL  *. 

Somuns.  —  m.  Principes  gènëranx  de  la  m^Uère.  ~  939.  Règle  loeut  refit  aetum.— 
fso.  Son  appUcaïkm  m  aeles  «■ihaDtlqwi.  «<•  9S4.  Aux  actes  sons  scisg  prifé.  «^  9si. 
Aa\  livres  de  commerce.  —  939.  A  la  preave  testimoniale.  —  934.  Ans  présomptions. 
—  9S5.  A  la  prestation  de  serment.  -^  9S6.  Recherches  reponssées  d'nne  manière 
a^iœ.  —  997,  Droit  ioterMtioiud  m  la  preoTe  «a  nwti^re  çriqioeUf.  —  998.  Vœu 
pour  l'unité  de  législation. 

9S8.  On  a  admis  depuis  longtemps  en  France  que  les 
règles  sur  la  preuve  quant  au  fond  tendant  ad  tUU  decUionem 
(n*  930),  il  faut  suivre ,  k  cet  égard ,  la  toi  du  pays  où  les 
parties  ont  contracté.  Soit  que  l'on  considère  les  règles  sur 
la  preuve  comme  des  formalités  extriiiièqn&$,  ou  bien  comme 
des  formalités  intrimèqueê  se  référant  k  une  convention 
tacite,  c'est  à  la  loi  du  pays  qu'il  faut  s'attacher,  tandis  que 
les  fonnalîtés  habilUantei  sont  réglées  par  la  loi  du  domicile, 
et  les  formalités  à'eocéeution  par  la  loi  du  tribunal  où  l'on 
plaide*.  Danty  (Add.  sur  le  cbap.  I*'  de  Boiceau,  fil)  nous 

1  Voyez  le  liyre  n,  titre  m,  du  Traité  du  droit  international priv4f 
par  Fœlix,  ouvrage  que  doit  consulter  quiconque  vent  approfondir  lea 
Apporta  da  la  Franoa  a^ao  lea  autres  paya  de  PEaropa  aona  la  point  da 
▼ue  du  droit  privé ,  surtout  depuis  les  déyeloppements  qu'il  a  reçus  dans 
l'édition  qu'en  a  donnée,  en  1856,  notre  ancien  collègue  M.  Démangeât. 
Dana  le  tome  vm  da  son  Traité  d$  droit  romain^ H.  4a  Savigny  posa 
avec  autorité  les  principes  du  droit  international.  Enfin ,  la  7*  édition  du 
Conjtiet  of  laws,  de  M.  Story  (Boston ,  1865),  est  ee  qu'U  y  a  da  plus  utile 
à  aonaolter  sur  Tétat  actuel  du  droit  anglais  et  américain  an  catta  ipafîàre. 

'  Cette  distinction  semble  avoir  été  méconnue  dans  un  Jugement  de  la 
Chambre  des  lords ,  cité  par  M.  Story  ($  635,  ^  et  c),  auquel  nous  nous 
sommes  déjà  référé.  (N«  921.)  Lord  Brougbam,  an  prononçant  ce  jugamant, 
dit  que  la  loi  de  la  preuve  est  la  lex  fori  ;  U  soumet  également  à  la  comp^ 
tence  du  tribunal  saisi  de  la  cause  la  discussion  des  reproches  Icompetenqf 
of  a  ioitnfiss),  qui  se  rattache  aux  formalités  d'exécution,  et  Padmissibilité 
da  la  preuve  par  témoins  on  par  écrit  {whether  a  certain  tnatter  r^uires 
to  be  proved  ^y  writing  or  not),  question  da  preuve  proprement  dite* 


586  DROIT   INTBRlfATIOIfAU 

rapporte  que  deux  arrêts  autorisèrent,  dès  le  seizième 
siècle ,  des  Anglais  plaidant  en  France  à  prouver  par  témoins 
un  contrat  passé  en  Angleterre  dont  l'objet  avait  ane  valeur 
de  plus  de  cent  livres.  Il  en  eût  été  autrement ,  suivant  le 
même  auteur,  s'il  s'était  agi  de  deux  Anglais  qui  eussent 
contracté  en  France ,  parce  qu'ils  seraient  censés  avoir  con- 
tracté suivant  la  loi  du  pays  où  ils  faisaient  leurs  conven- 
tions, a  Inutilement  »,  dit  Merlin  (Répert,,  v*  Loi,  §  6,  n*  2), 
«  prétendrait- on  que  cette  règle  ne  doit  avoir  lieu  que  dans 
«  les  cas  où  les  contractants  sont  citoyens  ou  sujets  du  pays 
«  où  ils  traitent  ensemble.  Quelle  serait,  dans  ce  système, 
«  la  loi  qui  devrait  interpréter  un  contrat  passé  en  France, 
«  entre  un  Espagnol  et  un  Allemand?  »  C'est  ainsi  que 
M.  Story  (Conflia  of  lawi,  §  630)  déclare  nul,  même  en 
Ecosse ,  un  acte  fait  en  Angleterre  conformément  à  la  loi 
écossaise ,  mais  contrairement  a  la  loi  anglaise.  Au  contraire, 
un  Anglais  serait  reçu  k  se  prévaloir  d'une  convaition  passée 
en  pays  étranger,  suivant  la  lex  locu  bien  que  non  conforme 
k  la  loi  anglaise  \  Les  actes,  suivant  Paul  de  Castre 
(Cons.  13),  reçoivent  l'être  dans  le  lieu  où  ils  sont  passés. 
Statutuan  affiàt  actu»  celebraioi  in  loco  $tatuenâum,  quia  dieuntur 
Un  oriri  et  noid.  «  Chaque  pays  »,  dit  Merlin  (Répert., 
V*  Preuve,  sect  S,  §  3,  art.  1,  n""  3),  «  a  ses  lois  pour  les 
«  formes  probantes  des  actes ,  et  ces  lois  sont  toutes  fondées 
a  sur  des  motifs  différents.  Ici ,  la  preuve  testimoniale  est 
«  admise  indistinctement,  parce  que  le  législateur  a  pré- 
<c  sumé  beaucoup  de  la  véracité  de  ses  sujets  *,  Ik,  elle  est 
«  restreinte  dans  de  certaines  bornes,  parce  que  l'expé- 

* 

M.  story  ne  rapportant  ni  le  texte  ni  même  la  date  du  jugement,  nous  ne 
pouvons  Térifier  si  la  décision  de  la  Cour  a  toute  la  portée  qoe  loi  prête 
lord  Brougham. 

'  Voyez  aussi  les  autorités  et  les  précédents  judiciaires  cités  par  Merlin. 
(Réperi.,r*VKBXPrEy  sect.  2,  $  s, art.  l^n»  3.) 


DROIT  INTERNATIONAL.  557 

<c  rience  a  prouvé  qae  les  habitants  s'écartent  souvent  de  la 
<i  vérité  ^  dans  un  autre  pays,  elle  est  presque  réduite  à  rien, 
<(  parce  qu'on  s'est  aperçu  que  la  bonne  foi  y  était  encore 
<c  plus  rare.  Ainsi ,  tout  dépend ,  en  cette  matière ,  de  Topi- 
«  nion  que  chaque  législateur  a  eue  de  ses  sujets,  et  par  con- 
«  séquent  les  lois  relatives  k  la  forme  probante  des  actes 
«  sont  fondées  sur  des  raisons  purement  locales  et  particu- 
le Hères  k  chaque  territoire.  Il  n'y  a  donc  que  la  loi  du  lieu 
«  où  un  acte  a  été  passé  qui  puisse  en  attester  la  vérité  *, 
«  celles  du  domicile  des  parties  ou  de  la  situation  des  biens 
«  n'ont  pas  ce  pouvoir,  parce  que  les  raisons  qui  ont  déter- 
«  miné  leurs  dispositions  sont  toutes  différentes  de  celles 
d  qui  ont  dicté  les  formalités  prescrites  dans  le  lieu  du  cou- 
ce  trat.  »  Le  fond  et  les  effets  des  obligations,  aux  termes 
de  l'article  9  du  Code  civil  italien,  sont  censés  réglés  par 
les  lois  du  lieu  où  les  actes  se  sont  faits.  Telle  était  la  doc- 
trine de  Dumoulin  '  (Consul  t.  43)  :  «  Est  omnium  doctorum 
«  sententia ,  nbicumque  consuetudo  vel  statutum  locale  dis- 
«  ponit  de  solemnitate  vel  forma  actus,  ligari  etiam  exteros 
«  actum  illum  gerentes.  »  Il  faut  supposer  néanmoins  que 
les  contractants  n'ont  pas  été  exprès  en  pays  étranger  pour 
éluder  la  loi  de  leur  domicile.  Sous  cette  réserve,  le  prin- 
cipe général  est  universellement  admis.  (Cass.,  23  fé- 
vrier i864.) 

Dumoulin  ajoute  :  Et  gesmm  eue  validum  et  ejficacem  ulriquep 
etiam  super  bonù  soli  extra  territarhim  conêuetudink  vel  statutù  » 
Mais  pourrait-on  également  se  conformer  pour  les  immeubles 
k  la  loi  de  la  situation,  ainsi  qu'on  le  fait  en  Angleterre,  en 


*  M.  de  SaTîgny  pense  qae  c'est  an  seizième  siècle  qu'a  été  généralemeDt 
admise  la  règle  Loctu  régit  actum,  règle  que  Ton  a  Tonla  faire  dériver  de 
certains  textes  du  droit  romain,  tels  que  la  loi  34,  Dig.,  De  usuris;  mais 
ces  textes  sont  relatifs  à  la  matière  plutôt  qu'à  la  forme  des  contrats. 
(Sa^igny,  tom.  VIU ,  $  SS3.) 


S58  DROIT   INTBRlfÂTIOlliUU. 

Ecosse  et  aux  États-Unis  (Story ,  Cof^  of  iam,  §  435»  474, 
478) }  poor  les  meubles,  k  la  loi  du  domicile  ?  Suivasl  one 
opinion  coaciliatoire  »  admise  par  beaucoup  d'auteurs ,  depuis 
Godefroi  jusqu'à  Mittermaîer,  l'emploi  de  la  règle  Lùau 
régit  actum  est  purement  facultatif.  Ou  peut  invoquer  en  ce 
sens  la  disposition  de  l'article  999  du  Gode  civil ,  lequel , 
nous  allons  le  voir,  autorise  le  Français  qui  dispose  en  pays 
étranger  à  employer,  k  son  choix ,  la  forme  olographe,  même 
lorsqu'elle  est  repoussée  par  le  statut  local ,  ou  les  formes 
usitées  dans  la  localité*  Mais  la  jurisprudence  oMsidère  cette 
disposition  comme  étant  de  pure  faveur,  et  n'autorise  point, 
à  l'inverse,  l'étranger  qui  dispose  en  France  k  se  contenter 
des  formes  usitées  dans  son  pays,  notamment  pour  un  tes- 
tament olographe4  (ReJ.,  9  mars  i8o3é)  Elle  adopte  dès  lors 
en  principe  la  théorie  de  Merlin ,  qui  s'attache  d'une  manière 
absolue  au  lacuê  acuu.  Gomme  le  fait  très^-bien  observer 
Grotius  (epist.  467),  c'est  lorsqu'il  s'agit  de  la  capacité  ou 
de  la  disponibilité  qu'il  &ut  s'attacher  soit  au  domicile , 
soit  k  la  situation  des  biens. 

Néanmoins ,  il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  formalités 
probantes  celles  qui  ont  trait  k  l'exécution.  Pour  ces  der- 
nières, ainsi  que  nous  l'avons  dit  en  cmnmençant,  il  faut 
s'attacher  exclusivement  au  locui  rei  $Uœ.  G'est  ainsi  que  les 
formalités  prescrites  pour  la  transmission  de  la  propriété 
immobilière  4  notamment  la  transcriptioii  (Fœlix^  n*  96), 
sont  exclusivement  régies  par  le  tribunal  de  la  situation. 
(G»  civ. ,  art.  3^) 

Au  surplus,  en  vertu  du  droit  rigoureux  de  souveraineté, 
comme  le  fait  observer  M.  de  Savigny  dans  les  développe- 
ments importants  qu'il  consacre  k  cette  matière  (Traité  de 
droit  tomain,  tom.  VIIT,  §  348;  voy^  aussi  Story,  §  18 
et  suiv.),  on  pourrait  enjoindre  aux  jugea  d'un  pays  d'appli- 
quer exclusivement  leur  droit  national ,  et  telle  est,  en  effet, 


DROIT  lOTSMÀTlONÀL.  8119 

la  théorie  adoptée  par  Mittermaier  (Arch,  de  jurisp.  dvile, 
iom.  Xm,  pag.  315  et  316),  et  par  lord  Brougham  (p.  S21, 
not.  i)  \  mais  par  une  juste  déférence ,  comiur,  suivant  Tex- 
pressions  des  anciens  auteurs  (Huberus,  De  confiictu  legum, 
liv.  I,  tit.  3,  §  2),  les  états  autorisent  les  tribunaux  k  puiser 
leurs  décisions  dans  une  législation  étrangère,  lorsque  l'in- 
tention présumée  des  parties  '  ou  Tutilité  générale  réclament 
ce  procédé. 

828.  Occupons-nous  d'abord  de  ce  qui  concerne  la 
preuve  littérale.  Lors  de  la  rédaction  du  Code  civil ,  on  avait 
proposé  d'y  insérer  ce  principe  général  :  «  La  forme  des 
<c  actes  est  réglée  par  les  lois  du  lieu  dans  lequel  ils  sont 
«  faits  ou  passés.  »  Si  cette  disposition  n'a  pas  été  convertie 
en  loi  chez  nous,  comme  elle  l'a  été  dans  d'autres  pays 
(loi  prussienne ,  part.  I,  tit.  V,  §  3  ^  loi  hollandaise  de  1829, 
art.  10),  ce  n'est  pas  qu'on  l'ait  contestée  au  fond,  c'est  que, 
d'une  part,  on  l'a  jugée  inutile  en  France,  où  la  même 
législation  régit  aujourd'hui  tout  le  territoire  \  et  que, 
d'autre  part,  dans  les  relations  internationales,  on  a  craint, 
SI  on  la  posait  ainsi  d'une  manière  générale ,  qu'elle  ne  fût 
appliquée  abusivement,  même  aux  conditions  de  validité 
intrinsèque ,  lesquelles  ne  sauraient  être  régies  par  le  statut 
local ,  puisque  les  formalités  habilitantes  (voy.  n*"  928)  se 
rattachent  essentiellement  à  la  personne  de  l'auteur  de  l'acte» 
Il  faut  donc  généraliser  le  principe  posé ,  en  matière  de  tes- 
taments, par  iWrét  de  rejet  du  9  mars  1853,  aux  termes 
duquel  «  tout  ce  qui  tient  à  l'état  du  testateur,  à  l'étendue 
«  et  à  la  limite  de  ses  droits  et  de  sa  capacité ,  est  régi  par 
(c  le  statut  personnel ,  qui  suit  la  personne  partout  où  elle 
«  se  trouve  :  il  en  est  autrement  de  la  solennité  de  l'acte  et 


*  M.  Story  fait  toutefois  obsenrer  atec  raison  ($  S8,  o)  que,  lonqiiMl 
s'agit  dHnterpréter  la  Tolonté  des  parties,  l'application  de  la  loi  étrangère 
n'est  plus  simple  déférence,  mais  bien  justice. 


560  DROIT   HfTEBNATIONAL. 

«  de  sa  forme  extérieure ,  qui  sont  réglées  par  la  loi  du  pays 
K  où  le  testateur  dispose.  » 

Au  surplus,  le  Gode  a  fait  lui-même  l'application  de  cette 
règle,  en  ce  qui  concerne  les  actes  de  Tétat  civil  (art.  47) 
et  les  testaments.  (Art.  999.)  Il  est  facile  de  comprendre 
combien  cette  règle  a  d^utilité  pratique.  Qu'un  Prussien, 
par  exemple,  tombe  malade  en  France,  s'il  lui  était  interdit 
de  suivre  les  formes  françaises ,  il  se  trouverait  dans  Tim- 
possibilité  de  faire  son  testament,  puisque,  d'après  la  loi 
de  son  pays ,  il  ne  peut  tester  que  devant  un  tribunal ,  et 
qu'il  ne  trouverait  aucun  tribunal  en  France  pour  recevoir 
son  testament. 

930.  Voyons  d'abord  ce  qui  concerne  les  actes  authen- 
tiques, (c  Les  actes  passés  en  pays  étranger  »,  dit  Merlin 
{Eépert.t  y  Conventions  matrimoniales,  §  1),  «  devant 
«les  officiers  publics  des  lieux...,  sont  considérés,  en 
c<  France  même,  comme  des  écritures  publiques  :  ils  y  font 
«  foi  jusqu'à  inscription  de  faux.  »  a  II  est  du  droit  des 
<c  gens  »,  dit  le  nouveau  Denisart  (v""  Hypothéqués  ,  §  3, 
sect.  4,  nM5),  a  que  ce  qui  est  authentique  dans  un  pays 
«  le  soit  chez  toutes  les  nations.  »  Il  n'est  donc  pas  exact 
de  dire  d'une  manière  absolue,  avec  Mornac  (sur  la  loi 
dern.  D.,  Dejuritp.;  n*  il)  :  a  Obligatio  extra  Galliam  con- 
c(  tracta,  pro  simplici  chirographo  est  in  Gallia  *.  »  Cela 
n'est  vrai*que  de  la  force  exécutoire ,  force  qui  n'a  rien  de 
commun  (n*  467)  avec  l'authenticité  intrinsèque,  reconnue, 
dans  l'ancien  comme  dans  le  nouveau  droit,  aux  actes  reçus 
à  l'étranger  suivant  les  formes  du  pays  '.  Ainsi ,  la  Ck>ur  de 

*  La  même  confusion  se  retron^e  dans  Particle  121  de  l'ordonnance 
de  1629,  aux  ternies  duquel  les  contrats  reçus  es  royaumes  étrangers  ne 
doivent  aToir  aucune  hypothèque  ni  exécution  en  France  (Toy.  la  note 
suiv.),  et  tiennent  Heu  de  simples  promesses. 

*  C*est  en  confondant  ainsi  Pauthenticité  ayec  la  forme  exécutoire  que 
Particle  2128  du  Code  civil  ne  yeut  point  que  les  contrats  passés  en  pays 


DROIT   INTERNATIONAL.  561 

• 

cassation  (Rej.,  16  juin  1829)  a  déclare  régulier,  confor- 
mément au  concile  de  Trente,  un  acte  de  mariage  signé  k  la 
Havane  par  le  desservant ,  bien  qu'il  ne  fàt  signé  ni  des 
parties  ni  des  témoins. 

D  s'est  élevé  toutefois  une  grave  diflSculté  au  cas  où  la 
loi  française  n'exige  point  seulement  l'authenticité ,  mais 
certaines  formes  spéciales ,  par  exemple,  l'assistance  de 
notaires,  lorsqu'il  s'agit  d'un  testament  par  acte  public. 
(C.  civ.,  art.  971.)  Mous  l'avons  déjà  remarqué  (n*  464), 
l'institution  du  notariat,  tel  qu'il  est  organisé  chez  nous, 
est  loin  d'être  universelle  en  Europe.  Ainsi,  eu  Angleterre, 
il  n'y  a  pas  d'officiers  publics  pour  la  rédaction  des  testa- 
ments ^  il  suffit  de  la  sipature  du  testateur  et  de  deux 
témoins,  qui  viennent  déposer,  après  le  décès,  devant  la 
Cour  ecclésiastique,  qu'ils  ont  entendu  le  testateur  mani- 
fester ses  dernières  volontés.  (Stat.  I  de  Yict.,  cbap.  xxvi, 
sect.  9.)  Le  Code  de  la  Louisiane  (art.  1574, 1575)  admet 
des  testaments  nuncupatifs  sous  tignatwret  privées ,  dictés  par 
le  testateur  en  présence  de  cinq  témoins  et  écrits  par  l'un 
d'eux.  Néanmoins  la  Cour  de  cassation  a  reconnu  (Rej., 
6  février  1843)  la  validité  du  testament  d'un  Français  fait 
en  Angleterre,  dont  la  preuve  avait  été  ainsi  établie  ^  Elle 
a  également  admis  (Rej.,  3  juillet  1854)  la  validité  d'un 
testament  fait  suivant  les  prescriptions  du  Code  de  la 


étranger  puisseDt  donner  hypothèque  sur  les  biens  de  France.  Cette  dispo* 
sition,  rationnelle  dans  l'ancien  droit,  sniTant  lequel  une  hypothèque 
générale  résultait  de  la  forme  seule  des  actes  notariés ,  ne  se  comprend 
plus  aujourd'hui  que  l'hypothèque  est  spéciale  et  ne  résulte  que  d'une 
conTention  expresse,  couTention  qu'un  officier  étranger  a  qualité  pour 
recevoir,  aussi  bien  que  s'il  s'agissait  d'une  Tente  ou  d'un  échange.  L'ar- 
ticle 1990  du  Code  cItU  italien  se  borne  à  soumettre  à  la  légalisation  les 
actes  passés  en  pays  étranger,  qui  sont  présentés  pour  l'inscription. 

*  Cette  afTaire  se  trouvait  régie  par  un  statut  plus  ancien,  qui  exigeait 
trois  ou  quatre  témoins  :  différence  qui  n'a  aucune  importance  quant  au 
fond  de  la  question. 

II.  36 


562  DROIT  IZITBRNATIONAL. 

LouisioDe.  (Voy.  aussi  Rej.,38  février  i854  et  17  août 
i8580 

Suivant  ces  arrêts,  il  faut  entendre  par  rauthentîâté, 
non  les  formes  propres  k  nos  actes  notariés ,  mais  les  so- 
lennités, quelles  qu'elles  soient ,  usitées  dans  le  lien  où  le 
Français  a  disposé.  Reste  une  questiou  préalable',  c'est 
celle  de  savoir  si,  en  pareil  cas,  la  date  du  testament  ne  doit 
pas  contenir  la  mention  du  lieu  où  il  a  été  fait  i  autrement, 
dit-on,  on  pourrait  tester  en  France  en  employant  lei 
formes  étrangères.  Il  est  vrai  que  chez  nous  la  loi  do 
2S  ventôse  an  XI  (art.  43)  exige  la  mention  du  lieu  où  les 
actes  sont  passés*  Mais ,  puisque  nous  partons  du  principe 
Loau  régit  actum,  si  le  statut  local  n'exige  point  la  mention 
du  lieu  (ce  qui  arrivait  pour  la  loi  anglaise  quant  au  testih 
ment),  il  n'est  pas  possible  d'exiger  cette  mention  en  wtu 
de  la  loi  française,  sauf  pour  les  juges  la  faculté  de  re^ 
chercher  si  effectivement  l'acte  a  été  passé  en  pays 
étranger. 

931.  L'application  des  formes  locales  est  plus  contes^ 
table  en  ce  qui  touche  les  actes  sous  seing  privé.  Chacun 
pouvant  faire  de  pareils  actes  par  soi-même,  sans  l'asûs- 
tance  d'officiers  publics ,  on  pourrait  soutenir  qu'ils  doivent 
être  régis  par  la  loi  du  domicile  des  parties  contractantes* 
Telle  était  autrefois,  quant  au  testament  olographe,  la 
doctrine  de  certains  auteurs,  notamment  du  président 
Boubier  (Cota,  de  Bourgogne  ^  ch^^.  xxviii,  n*"  20),  doc- 
trine qui  semble  confirmée  par  l'article  999  du  Gode  civil , 
aux  termes  duquel  le  Français  qui  se  trouve  en  pays 
étranger  est  autorisé,  quel  que  soit  le  statut  local,  ii  faire 
ses  dispositions  testamentaires  par  acte  sous  signature 

*  Dans  Pespèee  de  Parrét  dn  1«'  février  1 S43,  il  a  été  décidé,  en  fait,  que 
les  énonciationfl  de  Pacte  prouvaient  qu'il  ayait  eu  lieu  à  Londres.  Dans  les 
autres  espèces ,  on  n'a  point  contesté  le  lieu  ds  la  confection  du  testament. 


DROIT  IHTERHiLTIOlUL.  563 

privée.  Mais  ce  système,  en  le  supposant  applicable  aax 
testaments,  ne  saurait  être  appliqué  d'une  manière  générale 
aux  actes  sous  seing  privé  -,  car»  s'il  s'agissait  d'un  contrat 
synallagmalique  fait  à  Paris  entre  un  Anglais  et  un  Allemand 
(voj.  n""  928),  à  quelle  législation  se  référer  pour  la  preuve? 
Il  faudrait  bien  s'attacber  au  forum  eomracm.  Quant  au 
testament  olographe  même,  la  règle  de  l'article  999  est  une 
faveur  toute  spéciale  pour  le  Français  qui  se  trouve  en 
pays  étranger.  Dans  les  rapports  des  diverses  provinces  de 
l'ancienne  France,  on  appliquait  constamment  autrefois  la 
règle  LocuM  régit  actum^  quand  celui  qui  testait  dans  un 
ressort  se  trouvait  domicilié  dans  un  autre.  (Arr.  du  parle- 
ment de  Paris  du  15  juillet  1777-,  Rej.,  sect.  réunies, 
IS  pluviôse  an  II-  )  Cette  doctrine  se  rattachait  alors  aux 
idées  de  la  féodalité,  qui  réputait  sujet  temporaire  tout 
individu  résidant  dans  le  pays.  Aujourd'hui  elle  se  rattache 
k  la  volonté  présumée  du  disposant.  En  cmséquence,  on 
permet  bien  k  l'étranger  qui  teste  en  France  d'employer 
la  forme  olographe ,  encore  qu'elle  ne  soit  point  reçue  dans 
son  pays  (Rej.,  25  août  1847);  mais  on  ne  lui  permet 
point  d'exeiper  de  la  qualité  d'étranger  pour  valider  un 
testament  par  acte  privé  fait  en  France  qui  n'est  point  con- 
forme k  la  législation  française,  et  notamment  qui  n'est 
pomt  écrit  en  entier  de  sa  main.  (Rej.,  8  mars  1853.) 

839.  La  foi  des  livres  de  commerce  se  juge  d'après  la 
loi  des  lieux  où  les  livres  sont  tenus.  L'étranger  qui  traite 
avec  un  négociant  dont  les  livres  ont  une  foi  plus  ou  moins 
étendue,  est  censé  se  référer  à  l'usage  local.  Cette  doctrine, 
consacrée  par  M.  de  Savigny  (itirf.,  §  381),  d'après  la  juris- 
prudence prussienne  (arrêt  de  1826  de  la  Cour  suprême  de 
Cassel),  est  de  nature  k  être  admise  dans  tous  les  pays. 

933.  La  preuve  testimoniale  est  régie  par  les  mêmes 
principes  que  la  preuve  écrite.  <(  Celui  qui  offre  la  preuve 

36. 


o64  DROIT   II^TEBNATIONAL. 

a  testimouiale  d'un  engagement  ou  d*une  disposition  de 
a  dernière  volonté  '  »,  dit  Fœlix  (n"*  233),  «  prétend  em- 
«  ployer  ce  moyen  de  preuve  pour  remplacer  la  preuve 
«  plus  claire  et  plus  précise  qui  résulte  d'actes  écrits  :  il 
a  prétend ,  pour  ainsi  dire ,  construire  par  les  dépositions 
«  des  témoins  un  acte  identique  k  celui  qui  existerait  par 
ce  écrit,  si  la  partie  qui  a  pris  rengagement,  ou  qui  a  fait 
<c  la  disposition ,  Tavait  immédiatement  rédigé  par  écrit.  » 
D'où  la  conséquence  qu'il  faut  se  référer  au  statut  local, 
quant  a  l'admissibilité  de  la  preuve  par  témoins,  soit  qu'il 
s'agisse  de  la  preuve  de  conventions  non  constatées  par 
écrit ,  soit  qu'il  s'agisse  de  la  preuve  contre  et  outre  le  con- 
tenu aux  actes  :  c'est  ce  qu'a  décidé,  pour  l'admission  de  la 
preuve  testimoniale  entre  musulmans  en  Algérie,  l'arrêt  de 
rejet  du  20  juin  1864.  Néanmoins,  cette  règle  doit  se  com- 
biner avec  celle  suivant  laquelle  tout  ce  qui  concerne  la 
forme  et  l'instruction  est  régi  par  la  loi  du  pays  où  l'afiSure 
est  pendante.  Ainsi,  quand  une  commission  rogatoire  est 
adressée  par  un  tribunal  étranger  à  un  juge  français,  ce 
juge  doit  diriger  l'enquête  d'après  les  formes  de  la  loi  fran- 
çaise, et,  quant  au  fond,  il  doit  s'attacher  aux  prescriptions 
de  la  loi  qui  régit  les  conventions  des  parties.  Il  en  est  de 
même,  k  Tinverse  (Pau,  29  avril  1861),  pour  les  commissions 
rogatoires  adressées  par  un  tribunal  français  k  un  tribunal 
étranger.  Dans  la  formule  des  lettres  rogatoires  délivrées 
par  le  président  des  États-Unis  (M.  Greenleaf ,  tom.  I, 
p.  430,  note  1),  le  juge  est  invité  k  entendre  les  témoins 
suivant  la  forme  usitée  dans  le  pays  :  By  the  proper  and 
usttal  proce9s  ofyour  court. 

*  Le  Code  bavarois  (liv.  III,  ch.  m,  art.  10)  admet  un  testament 
nuncupatif  en  présence  de  sept  témoins;  et  le  Gode  prussien  (tit  XII, 
part.  I,  art.  172),  la  faculté  d'engager  valablement  son  béritier,  de  vive 
voix  et  devant  témoins,  à  payer  des  legs  jusqu'à  concurrence  du  vingtièm* 
de  la  succession. 


DROIT   INTERNATIONAL.  56o 

Les  condamnations  à  des  peines  emportant  incapacité  de 
témoigner,  prononcées  en  pays  étranger,  n'emportent  point 
incapacité  de  déposer  en  France,  suivant  le  principe  général 
qui  borne  TeSet  des  condamnations  pénales  aux  limites  de 
la  souveraineté  sous  l'empire  de  laquelle  elles  ont  été  pro- 
noncées. Ainsi,  nonobstant  le  lien  fédéral  qui  unit  les  divers 
États  de  TÂmérique  du  Nord ,  on  admet  que  la  sentence 
rendue  dans  un  de  ces  États  n'emporte  point  incapacité  de 
témoigner  dans  un  autre ,  sauf  au  jury  k  tenir  compte  des 
précédents  moraux  du  témoin.  (M.  Greenleaf,  tom.  I, 
p.  496.) 

934.  Pour  les  présomptions  simples,  comme  pour  la 
preuve  testimoniale ,  il  faut  s'attacher  k  la  loi  du  pays  où  se 
sont  passés  les  faits  litigieux.  (Fcelix,  n""  237.)  La  question 
est  plus  délicate  pour  les  présomptions  légales.  A  part  les 
règles  particulières  du  droit  international  sur  l'autorité  de 
la  chose  jugée,  il  semble  que  le  tribunal  ne  saurait  être 
astreinte  suivre  la  présomption  puisée  dans  une  loi  étrangère 
qu'au  cas  où  elle  se  rattacherait  au  statut  personnel,  comme 
la  présomption  de  paternité  pour  le  mari.  Dans  toute  autre 
hypothèse,  nous  pensons,  avec  M.  Story  (§  630,  a),  que  la 
présomption  légale  ne  peut  être  puisée  que  dans  la  loi  du 
pays  où  l'affaire  est  jugée  ^ 

935.  La  prestation  de  serment  donne  aussi  lieu  assez 
fréquemment,  dans  le  droit  international,  k  la  délivrance 
de  commissions  rogatoires.  Nul  doute  que  la  question  de 
l'admissibilité  du  serment  ne  doive  être  réglée  par  la  loi 
qui  régit  au  fond  la  contestation ,  et  non  par  celle  du  pays 
où  siège  le  juge  appelé  k  le  recevoir.  Mais  la  formule  du 
serment  doit-elle  être  considérée  comme  decUoria  UtUf 

*  M.  Greenleaf  (tom.  I ,  $  29  et  SO)  part  de  ce  principe ,  en  traitant  de  la 
présompUon  de  snrrie,  non  admise  par  le  droit  commun  anglais,  dans 
l'hypothèse  des  commorientes. 


S66  DROIT  INTERNiiTIOlfÀL. 

Dira-t-on  que  la  fonne  et  le  fond  sont  inséparables,  la 
législation  étrangère  ne  regardant  certaines  déelaraticMis 
comme  probantes  qu'autant  qu'elles  sont  reçues  suiyant  un 
mode  déterminé?  Il  est  certain  que  l'autorité  du  serment, 
dépendant  de  l'opinion  religieuse  des  parties,  peut  se  troiï- 
ver  plus  ou  moins  affaiblie,  suivant  que  la  formule  sera 
conçue  dans  tel  ou  tel  sens.  En  Belgique ,  notamment,  le 
mode  de  serment  est  pour  les  catholiques  s  «  Ainsi  Dien 
fc  m'aide  et  ses  saints  I  »'et  pour  les  protestants  :  a  Ainsi 
a  Dieu  m'aide  et  son  saint  Évangile  I  »  Quand  un  tribunal 
français  est  chargé  par  un  tribunal  de  Belgique  de  recevoir 
le  serment  suivant  les  formes  de  ce  pays ,  doit-il  y  substituer 
la  formule  générale  de  la  loi  française?  Le  tribunal  de  com- 
merce de  la  Seine  l'a  décidé  en  principe  le  6  août  1833  : 
«  Attendu,  en  droit,  que  les  tribunaux  français  ne  peuvent 
«  être  assujettis  k  recevoir  un  serment  que  dans  les  formes 
(c  ordinaires  et  accoutumées,  et  suivant  l'usage  du  royaume.  » 
En  fait,  le  serment  fut  prêté  suivant  la  forme  belge,  da 
consentement  de  la  partie  k  qui  on  le  déférait.  Mais,  si  cet 
accord  n'avait  pas  eu  lieu,  la  décision  du  procès  pouvait 
devenir  impossible ,  au  cas  où  la  formule  française  eût  été 
Jugée  insuffisante  en  Belgique.  Lorsque  nos  juges  procèdent 
d'après  une  délégation  des  juges  étrangers ,  il  convient  gé- 
néralement d'adopter  la  formule  qui  est  la  seule  probante 
dans  le  pays  des  plaideurs.  Hais,  en  principe,  nos  tribu- 
naux ne  sauraient  être  astreints  à  recevoir  toute  espèce  de 
serment  :  ce  serait  manquer  à  la  dignité  de  la  justice  que  de 
consacrer  ainsi  toute  espèce  de  superstition ,  jusqu'au  féti- 
chisme le  plus  grossier.  Dans  une  autre  décision,  du  S9  oc- 
tobre i829,  le  tribunal  de  conunerce  de  la  Seine  a  adopté 
un  moyen  terme  entre  la  formule  française  et  celle  dont  on 
lui  demandait  l'emploi.  Invité  par  le  tribunal  de  commerce 
de  Cologne  k  recevoir  le  serment  de  négociants  israélites 


DROIT  INTERNATIONAL.  S67 

more  judaieo  (voy.  n*  422),  il  a  déclaré  dans  son  jugement 
«  que,  s'il  est  dit  (dans  la  commission  rogatoire)  que  le  sér- 
ie ment  sera  prêté  dans  les  formes  prescrites  par  la  religion 
«  juive ,  ces  formes  ne  peuvent  s'entendre  que  de  celles  qui 
((  sont  susceptibles  d'être  pratiquées  dans  l'enceinte  de 
tt  l'audience  \  par  ces  motifs ,  le  tribunal  ordonne  que ,  con- 
«  formément  aux  prescriptions  de  la  loi  juive,  MM...  pré- 
«(  teront  le  serment  exigé  d'eux ,  la  main  placée  sur  le  Dé* 
«  ealogue,  k  l'usage  de  cette  religion.  »  Le  tribunal  de 
Cologne  s'est  contenté  du  serment  ainsi  prêté. 

936.  Nous  pensons  aussi  que ,  lorsqu'une  recherche  est 
repoussée  comme  scandaleuse  par  la  loi  française ,  on  ne 
doit  pas  l'admettre,  même  k  l'égard  des  étrangers.  Par  une 
conséquence  naturelle  de  ce  que  nous  avons  décidé  en  ma- 
tière de  rétroactivité ,  la  recherche  de  la  paternité  ne  nous 
semble  pas  admissible  en  France  contre  ceux  qui  ne  sont 
pas  régnicoles,  fût-elle  autorisée  par  la  loi  de  leur  pays.  A 
l'inverse,  elle  est  admissible  contre  les  étrangers,  par  cela 
seul  qu'elle  est  autorisée  par  la  loi  du  pays  où  la  femme  a 
été  séduite.  Il  est  vrai  que  l'article  196  du  Gode  du  canton 
de  Yaud  n'admet  l'action  en  paternité  d'une  Yaudoise  contre 
un  étranger  qu'autant  que  la  recherche  de  la  paternité  serait 
admissible  dans  le  pays  auquel  cet  étranger  appartient.  Mais 
cette  disposition  n'est  point  l'application  rigoureuse  des 
principes  de  la  matière ,  et  l'on  pourrait  fort  bien  considérer 
les  lois  protectrices  de  l'honneur  des  femmes  conmie  des  lois 
de  police  et  de  sûreté ,  obligeant  tous  ceux  qui  habitent  le 
territoire.  (C.  clv.,  art.  3.)  Quoi  qu'il  en  soit,  de  ce  que  le 
Code  vaudois  est  plus  favorable  aux  étrangers  qu'aux  natio- 
naux ,  il  ne  s'ensuit  pas  que  l'inverse  doive  être  admis  chez 
nous ,  et  qu'une  Française  puisse ,  quand  elle  ne  pourrait 
s'attaquer  k  un  Français,  déclarer  avec  effet  un  étranger 
comme  l'auteur  de  sa  grossesse ,  parce  que  la  loi  de  Tétran- 


568  DROIT   INTERNATIONAL. 

ger  autoriserait  de  pareilles  réclamations  \  L'esprit  de  notre 
législation,  qui  proscrit  les  recherches  de  cette  nature,  en  les 
considérant,  à  tort  ou  k  raison,  comme  aussi  inutiles  que 
scandaleuses,  doit  faire  appliquer  la  règle  d'une  manière 
absolue.  La  Gourdecassations'est  prononcée  encesens.  (Rej., 
25  mai  1868.)  —  Mais,  si  le  jugement  qui  constate  la  pater- 
nité a  été  rendu  en  pays  étranger,  les  tribunaùi  français 
sont  parfaitement  fondés  à  le  déclarer  exécutoire  en  France. 
(Pau,  i7  janvier  1872.  Yoy.  M.  Démangeât  sur  Fœlix, 
tom.  I,  p.  432,  note  a.) 

937.  Enfin,  en  matière  criminelle,  la  justice  étant  en 
général  territoriale  et  non  personnelle ,  les  délits  qui  don- 
neront lieu  k  des  poursuites  contre  des  étrangers,  auront 
presque  toujours  été  commis  sur  notre  territoire,  et  les 
preuves  seront  en  conséquence  celles  qui  sont  établies  par 
la  loi  française.  On  ne  conçoit  guère  l'application  d'une  loi 
étrangère  «  en  pareille  hypothèse,  qu'en  tant  qu'il  s'agirait 
d'une  question  préjudicielle ,  relative  à  des  conventions  pas- 
sées en  pays  étranger.  Il  faut  remarquer,  au  surplus,  que 
soumettre  k  la  loi  pénale  française  pour  la  preuve,  aussi 
bien  que  pour  le  reste  de  l'instruction ,  les  étrangers  qui 
commettent  un  délit  sur  le  territoire ,  ce  n'est  qu'appliquer 
le  principe  général ,  suivant  lequel  la  preuve  est  régie  par 
la  loi  du  pays  où  les  faits  se  sont  passés.  D  n'en  est  plus  de 
même  au  cas  où  il  s'agit  de  délits  commis  en  pays  étranger, 
soit  par  un  Français,  soit  par  un  étranger,  lorsque  la  loi 
française  (C.  d'inst.,  art.  5-7,  modifiés  par  la  loi  du  27  juin 
1866)  en  autorise  exceptionnellement  la  poursuite  devant 
les  tribunaux  français.  L'adage  Locus  régit  actum,  supposant 
une  convention  implicite,  ne  s'est  jamais  appliqué  aux  dé- 

*  La  jurisprudence  allemande  présente  beaucoup  de  diversité  sur  cette 
question  délicate.  (Voy.  les  jugements  cités  par  M.  de  Savigny,  tom.  VUI , 
trad.  franc.,  p.  276,  note.) 


DROIT  INTERMATIONàL.  569 

iits.  L'étranger  qui  attaque  la  sûreté  ou  la  fortune  de  la 
France,  et,  dans  tous  les  cas,  le  Français  qui  enfreint  nos 
lois  pénales  en  pays  étranger ,  devaient  connaître  ces  lois  \ 
dès  lors  ici,  comme  en  ce  qui  concerne  l'effet  rétroactif,  les 
juridictionscriminellesnesauraientappliquer  d'autre  législa- 
tion que  la  loi  actuellement  en  vigueur  dans  le  pays  où  elles 
s^exercent. 

938.  Quelque  respectables  que  soient  le  principe  de  la 
nationalité  et  celui  de  la  non-rétroactivité  des  lois,  puissent 
nos  neveux  voir  se  réaliser  l'époque  où,  suivant  les  expres- 
sions de  Cicéron  (De  RepubL  ) ,  non  erit  alia  lex  Romœ,  aUa 
AtkeniSf  cUta  nunc,  alia  poBthac;  sed  et  omnet  gentes  et  omni 
tempore  una  lex  et  tempiterna,  et  mmortaliê,  cantinebU! 


FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LE  TOME  SECOND 


SUITE  DE  LA  DEUXIÈME  PARTIE 


LTVRE  DEUXIÈME.  —  PreuTes  préconstitaées,  —  écrites.  ...  1 

Premier  mode  de  preuve  PRécoNSTiméE.  —  Acte  authentique.  .  9 

l**  Section.  —  En  matière  dyîLe • 10 

1"  Division.  —  Des  actes  notariés 11 

!•'  Point,  —  Forme  de  ces  actes 20 

$  1.  Conditions  essentielles  à  leur  validité  intrinsèque.  22 

$  2.  Effet  de  Pabsence  de  ces  conditions 47 

S  3.  Formes  extrinsèques 54 

2«  Point.  —  Foi  des  actes  authentiques 62 

S  1.  Que  prouvent  ces  actes 68 

S  2.  Foi  des  contre-lettres 78 

2*  Division.  —  Foi  des  actes  de  l'état  civil.  .,.•....  94 

§  1.  Naissance  et  décès 109 

$  2.  Mariage 116 

§  3.  Filiation 118 

1«  Légitime 123 

2«  Naturelle 134 

2*  Section.  —  En  matière  criminelle 152 

1"  Division.  —  Procès*verbaux 154 

S  1.  Conditions  essentielles  pour  leur  validité 159 

$  2.  Foi  qui  y  est  attachée 168 

2*  Division.  —  Emploi  au  criminel  des  actes  authentiques 

ordinaires 177 

8*  Section.  —  Inscription  de  faux -  183 

ira  Division.  —  Faux  civil 195 

§  1.  Procédure  à  fin  d'être  admis  à  Pinscription. ...  197 
S  2.  Procédure  à  fin  d'être  admis  à  la  preuve  des 

moyens 206 

§  3.  Procédure  tendant  à  la  preuve  du  faux 214 

§  4.  Issue  de  la  procédure 225 

2*  Division.  —  Faux  incident  criminel 232 

Deuxième  mode  de  preuve  PRécoNSTiTCÉE.  —  Écritures  privées.  238 

1'*  Section.  —  Acte  sous  seing  privé 230 

!'•  Division.  —  Foi  de  cet  acte 243 

§  1.  Entre  les  parties 244 

$  2.  A  l'égard  des  tiers.  .  .  .  , 275 

2«  Division.  —  Vérification  des  écritures 293 

§  1 .  Procédure  tendant  à  la  reconnaissance  de  l'écrit.  296 

S  2.  Vérification  de  l'écrit 800 

§  3.  Jugement  définitif 814 

$  4.  Inscription  de  faux  quant  aux  écrits  privés.  .  .  318 


572  TABLE  DES  MATIÈRES. 

3*  Section.  —  Écritares  non  signées 331 

Z*  Section.  —  Tailles 333 

4'  Section.  —  Foi  des  écrits  privés  a«  criminel 337 

Troisième  mode  de  preote  raicoNSTiTUÉE.  —  Livres  des  mar- 
chands  i 34& 

!••  Section.  —  Foi  entre  commerçants 347 

3*  Section.  —  Foi  vis-èkYis  des  particoUers 3&3 

Aptendice.  —  Preave  de  prenre  littérale 359 

$  1.  —  Actes  récognitifs 339 

S  3.  —  Ck>pîes 369 

TROISIÈME  PARTIE 

VBiSOWTIOHl 333 

LIVRE  PREMIER.  —  Présomptions  simples 338 

l'«  Section.  —  En  matière  civile 389 

3*  Section.  —  En  matière  criminelle 39S 

$  1.  Admissibilité  des  indices 395 

S  3.  Leur  classification 403 

$  8.  Leur  discussion 407 

LIVRE  DEUXIÈME.  —  Présomptions  légales 410 

if*  Section.  —  En  matière  civile 413 

3*  Section.  —  En  matière  criminelle 434 

$  1.  Présomptions  propres  au  droit  pénal 430 

$  3.  Présomptions  empruntées  au  droit  commun.  .  .  435 

3*  Section.  —  Autorité  de  la  chose  jugée 438 

!'•  Division.  —  Au  civil 453 

$  1.  Identité  de  la  question 456 

1»  Identité  du  droit 456 

3°  Identité  de  Pobjet 460 

S«  Identité  du  titre 467 

$  3.  Identité  des  parties  et  des  qualités 475 

3*  Division.  —  Au  criminel 498 

$  1.  Identité  d'objet 501 

S  3.  Identité  de  cause 503 

$  S.  Identité  de  personne 513 

3«  Division.  —  Influence  respective  du  civil  et  du  criminel.  517 

S  1.  Du  dvil  sur  le  criminel 517 

$  3.  Du  criminel  sur  le  civil 531 

QUATRIÈME  PARTIE 

XFFXT  RÉT&OACJTIF  BT  B&OIT   ■  M'fyHy AyT^jff ^^,  544 

!'•  Section.  —  Effet  rétroactif 548 

3"  Section.  —  Droit  international 555 

FIN  DE  LA  TABLE  DES  MATIÈRES 


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