Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
HARVARD LAW SCHOOL
LIBRARY
TRAITÉ
THÉOaiQm KT PHATI<}I7I
DES PREUVES
EN DROIT CIVIL
ET EN DROIT CRIMINEL
L'aateur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de traduction
et de reproduction à Téiranger.
Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'intérieur (sectioQ de la
Hbrairie) en juillet 4873.
PARIS. TYPOGRAPHIE DB HENRI PLON, 8, RUE GARANCIÂRK.
TRAITE
THÉOIIQCE ET PSMIQCl!
DES PREUVES
EN DROIT CIVIL
ET EN DROIT CRIMINEL
EDOUARD BONNIER
T NIH 4D CODUMT » U kifilSLlTIlHI KT I» U JVUflHUMIl»
TOME SECOND
PARIS
BEMRl
PLON,
tD
ITEUR 1 MAHESCQ
AINE
ÉDITEDH
iai
roui
1873
éraitÈ r4$»*viê
p
TRAITÉ
DES PREUVES
EN DROIT CIVIL
ET EN DROIT CRIMINEL
LIVRE DEUXIÈME
PREUVES PRÉCONSTITUÉES
(OénénkmeBl éoritof).
SonumE. — 4M. Utilité des prenres prëconstitnèes. — 453. DisUnetion de la preuve
frèconsUtnèe et de la preave littérale. — 4U. Confnsion qn'entratnenl les divers sens
ies nots mcte et iitte. ~ 454. DivisioD de la matière : acte asthentiipie, aele privé, re-
fistres des marchands. — 455. Preuve littérale ao second degré : copies, actes récognitifs.
481. Nous avons reconnu qu'il devient nécessaire, dans
^ état de civilisation avancée , d'établir k l'avance certaines
preuves , faciles \ conserver, que l'on puisse retrouver ulté-
rieurement , lorsque le besoin viendra k s'en faire sentir.
Sur quelle base reposeraient la foi des contrats et la stabi-
lité des propriétés', si, pour constater les droits les plus
importants , on n'avait d'autre ressource que les souvenirs
des tiers ou les déclarations des parties intéressées? Nous
^vons déjà vu , en nous occupant de la preuve par témoins,
<I^e, plus les rapports sociaux se sont compliqués , plus on a
' Nom «Tons en vue sortont la propriété des immeubles et celle des
iBeobles incorporels; car pour les meubles corporels (C. ^,^ art. 2279),
^ force «ttriboée à la possession rend beaucoup moins utile la production
i^mi titre.
n. 1
" %
2 PREUVES PRÉGONSTITUÉES.
reconnu l'utilité de preuves qui échappent k ces chances de
corruption , d'erreur ou de mortalité qui rendent si dange-
reux l'emploi de la preuve testimoniale. L'utilité des preuves
précoustituées n'est contestée par personne. Un seul point
peut donner lieu à controverse. L'usage de ces preuves
doit-U rester facultatif, ou bien peut-il être imposé aux
parties? Depuis trois siècles, c'est à ce dernier système que
s'est attachée la législation française , mue surtout par le dé-
sir de prévenir les procès (n^ 151). Aujourd'hui que ce sys-
tème est entré dans nos mœurs \ il est difficile qu'il puisse
donner lieu k des surprises, si ce n'est dans des cas excep-
tionnels. Mais peutK)n mettre en balance le danger de
fraudes accidentelles avec l'avantage général d'empêcher une
foule de contestations , ou du moins de donner au juge une
base fixe de décision, toutes les fois que la chose est
possible?
C'est là, du reste, une idée bien ancienne, puisqu'en
Egypte, au témoignage de Diodore de Sicile (iiv. I, § 79),
une loi de Bocchoris voulait que le prêteur exigeât une re-
connaissance par écrit de la somme prêtée , et qu'autrement
le prétendu débiteur en fût cru sur son serment.
452. La preuve préconstituée se confond d'ordinaire avec
la preuve littérale. Cela tient à ce que , de temps immémo-
rial, on a employé l'écriture pour perpétuer le souvenir des
événements juridiques , comme de tous les autres faits dont
on désire conserver la trace dans un intérêt public ou privé.
Mais il peut y avoir preuve préconstituée sans écriture,
pourvu que l'on use de signes auxquels on attache une idée
bien nette ^ car la signification que l'on donne aux carac-
1 Dans la discassion qui eut Ueu à l'Assemblée législative , en 1851 , sur
l'abrogation de l'article 1781 du Code dvil (n« 486), quelques objections
furent faites contre le système de nos lois sur la preuve testimoniale ; maii
éUes ne paraissent pas avoir fait impression sur la grande majorité des
esprits. (Moniteur du 10 mai 1851.)
PltEUTBS PRÉCONSTITCteS. 3
ikes écrits n'est , après toat, que Teffet d'une convention.
Il rien n'empêche dans la nature des choses que nous n'a-
^options d'antres signes pour exprimer nos idées. Sans par-
ier des hiér^lyphes , qui paraissent avoir été l'enfance de
.'feritnre , on sait que les Péruviens employaient , pour con-
stater les iaits les plus importants, des çutpos, cordons de
Mérentes conlenrs , qu'ils nouaient de différentes manières.
Qiaque couleur, chaque nœud avait une valeur particulière.
Cétait là évidemment une preuve préconstituée. Les taiUes,
(;ui sont encore consacrées par le Gode civil, sont un pro-
câié tout à fait analogue; au fond, l'écriture n'étant que
l expression de nos idées par certains signes , on peut faire
rentrer ce procédé dans l'expression générale d'écriture.
M&^ k part cette concession faite à d'anciens usages, nos
lois exigent l'emploi de l'écriture proprement dite , toutes
h fois qu'on veut s'assurer une preuve k l'avance-, et en
ce sens il est vrai généralement chez nous , comme chez
toQs les peuples civilisés, que la preuve préconstituée se
coorond^avec la preuve littérale. Il est bien entendu, cepen-
dant, que tout écrit ne constitue pas une preuve littérale dans
1^ sens légal de ce mot. Pour avoir cette autorité , il faut
p'ï\ réunisse certains caractères , en l'absence desquels il
génère en une simple note , qui peut tout au plus devenir
luie présomption contre celui qui en est l'auteur, mais qui n'a
]imk contre lui la force d'une preuve régulière. Il y a alors
^6 que Bentham appelle une preuve par écriture casuelle, au
'i^a d'une preuve préconukuée. C'est ainsi que des lettres
nussives, si on les suppose produites en justice avec le con-
sentement du tiers k qui elles sont adressées, constituent
^^ement un élément de conviction, que le juge a un pou-
voir discrétionnaire pour admettre ou pour repousser, sui-
^^t les circonstances , ainsi que nous le verrons quand nous
lierons spécialement des écrits privés.
i.
4 PREUVES PRÉGOMSTITUÉES.
483. Il n'y a malheureusement pas, dans notre langue ,
d'expression spéciale pour désigner les écrits revêtus d^
certaines formes, qui servent k constater telle ou telle con^
I
vention, tel ou tel fait. Le mot latin instnmentum, qui rendait
fort heureusement cette idée, ne se retrouve chez nous que
dans le verbe instrt/mienter, relatif aux fonctions des notaires,
et dans l'adjectif instmmentaire, appliqué aux témoins qui
les assistent. Il est vrai que Boileau (sat. x) emploie instru-
ment dans le sens du mot latin instrumèntum :
Et déjà le notaire a, d'un style énergique,
jjriffonnë de ton joug YinstrumerU authentique.
Mais le mot a trop vieilli aujourd'hui dans cette accep-
tion, pour qu'il soit possible d'en faire usage. On est donc
obligé d'employer avec la loi des expressions qui sont égale-
ment usitées dans un autre sens. Ainsi , le mot acte désigne
k la fois ce qui s'est passé, quod actum est, et l'écrit rédigé
pour constater ce qui s'est passé. Le même mot tUre^ dé-
signe k la fois la cause en vertu de laquelle je possède un
bien, telle qu'une vente ou une donation, et l'écrit destiné
k constater l'existence de cette cause. De là , de fréquentes
équivoques. Car en droit, comme en métaphysique, bien des
controverses ne roulent que sur des disputes de mots. Ces
équivoques n'ont pas lieu seulement dans les écoles, où
elles ne sauraient avoir de bien graves conséquences-, elles
se sont reproduites dans la pratique judiciaire et jusque dans
la rédaction des lois.
Un notaire avait dressé Vacte qui constatait, en faveur
d'une personne interposée, la cession d'une créance, dont il
était lui-même le véritable cessionnaire. On provoqua contre
* L^expression de titre s'applique plus spécialement aux actes authen-
tiques. C'est ainsi que le Code civil intitule les deux premiers paragraphes
de la section de la preuve littérale : Du titre authentique, et De l'acte
sous seing privé.
PRECYES PRÉCOlfSTITCÉBS. O
Ir l'application de Tarticle 175 da Code pénal, lequel pro-
sùQce des peines assez graves contre l'officier public qui
«mtëresse dans les odes, entreprises, adjudications, dont il
nnut, au temps de Vacu, en tout ou en partie, l'adminis-
tration on la surveillance. Eh bien , les poursuites du minis-
tère publie, ainsi que l'a décidé, après une longue procé-
èsre, la Cour de cassation, le 18 avril 1817, ne reposaient
êvideminent que sur une équivoque. Vacte dont le notaire
»ait. l'administration, la surveillance ,- c'était l'acte écrit,
Ymsinanentum : Vacte dans lequel il avait pris intérêt, c'était
itf quod actum erat, la cession , dont il n'avait nullement la
sârreillance , puisque le cédant était lui-même présent pour
Tdller à ses intérêts. D y avait, dans l'espèce, deux opéra-
tions bien distinctes, quoique simultanées : l'une, la cession
dle-même faite au profit du notaire, parfaitement licite, dès
que le droit n'était pas litigieux * ^ l'autre , la rédaction de
Taete constatant la cession , rédaction que le notaire inté-
ressé dans la cession n'avait pu foire lui-même sans com-
mettre une nullité. (Loi du 25 ventôse aii XI, art. 8 et 68.)
Mais cette nullité de l'acte qui devait faire preuve de la
cession , ne pouvait la rendre illicite après coup , ni surtout
placer l'officier public sous le coup de dispositions pénales
destinées à atteindre des prévarications bien autrement
graves qu'une simple contravention disciplinaire. On voit
que les poursuites portaient complètement à faux '.
^ Eftt-U été litigieux, œ qui ne parait pas avoir été allégué dans l'espèce,
il 7 aurait eu nullité de la cession , si le droit était de la compétence du
tribunal dans le ressort duquel le notaire exerçait ses fonctions (G. ciy.,
art. 1597) : mais les poursuites n'auraient pas été pour cela mieux fondées,
puisque le Code pénal ne frappe d'aucune peine la cession illicite de
créancea litigieuses.
' L'artide 213 du Code pénal napolUain, en prononçant des peines
«nalogaes contre l'officier public dans la même hypothèse , a fait cesser
réquivoque , par la suppression du mot acte : il mentionne spécialement
les opérations (aggiudicoiUmi , appalii o amminUtrfizioni) dont l'officier
avait la direction ou la sarveUlance.
6 PRBUVBS PRÉC0NST1TUÉE&.
Nous trouvons dans la loi elle-même cette confusion dé-
plorable entre le fait et la preuve du fait. « Les servitudes
c< continues et apparentes », dit l'article 690 du Gode civil,
a s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans. »
Si par titre il fallait entendre dans cet article le mode d'ac-
quisition de la servitude au fond , la prescription serait un
titre tout aussi bien qu'une donation ou une vente , puisque
c'est également une manière d'acquérir. En opposant le titre
k la prescription, le Gode a eu en vue l'acte écrit, qui sçrt
habituellement à constater l'aliénation volontaire de la ser-
•
vitude, par opposition à la possession trentenaire, base de la
prescription, qui se prouve par téttoins. Mais alors la ré*
daction est aussi vicieuse qu'inexacte : vicieuse , puisque ce
n'est point par le titre, instmmentum, que l'on acquiert, mais
par le mode de constitution , que prouve ce titre -, inexacte,
en ce que les actes écrits ne sont pas le seul moyen d'établir
Texis tence de la servitude, qui peut fort bien être constatée par j
l'aveu, par le serment, et par la preuve testimoniale même, I
$i la valeur ne dépasse pas cent cinquante francs, ou s'il ; a
commencement de preuve par écrit. (Rej. , i6 décembre
1863. ) Tout cela vient d'une confusion, fréquente dans la
pratique, mais qu'on ne devrait point retrouver dans la loi,
entre le mode de constitution, qui sert de titre, au fond, k la
servitude, et le titre écrit, destiné à perpétuer la mémoire
de cette constitution \ Il en est de même du mot acte, qui,
dans l'article 778 . du même Gode , relatif à celui qui
prend la qualité d'héritier dans un acte, ou qui fait acte
d'héritier, signifie successivement Vnutrumentum, et id quod
actim est. Les sages observations de l'école de Condillac,
' CPest «n tombent dans la même oonfiisioii que certains anteoM exigent
un écrit pour établir le juste titre , à Pappni de la prescription de dix on
Tingt ans, comme si i^on devait entendre pM juste titre autre chose qu'une
j«te cause de possession , sauf à pronyar par les Toies ordinaires l'exis-
tence de cette cause.
PRBUYBS PBÉGOMSTITUÉBS. 7
dont nous répudions d'aiUeurs les tendances sensualistes,
sur l'utilité d'une langue bien faite dans les sciences, reçoi-
vent ici parfaitement leur application. Malheureusement il
ne nons est pas donné de réformer la langue du droit. Nous
emploierons donc avec la loi les mots usités, en nous tenant
seulement en garde contre les équivoques de la nature de
celles que nous venons de signaler.
4SA. Les preuves préconstituées ne sont que l'expression
du témoignage de Thomme, revêtu de certaines formes.
Nous avons vu que le témoignage peut émaner de tiers
étrangers au litige, du défendeur, ou du demandeur même.
La circonstance que le témoignage intervient ici au moment
de l'opération légale qu'il atteste , au lieu d'être provoqué
après coup , n'empêche pas qu'il n'émane toujours de l'une
de ces trois sources. La division de ce livre sera donc la
même que celle du livre précédent. Nous trouverons dans
l'acte authentique le témoignage préconstitué de tiers dés-
intéressés-, dans l'acte sous seing privé, auquel nous ratta-
eherons les tailles, le témoignage préconstitué du défen-
deur^ enfin celui du demandeur même, dans les registres
des marchands. La force de ces trois modes de preuves suit
une progression décroissante. Le témoignage de tiers, con-
signé dans un acte authentique, bien loin d'être suspect,
comme le témoignage oral proprement dit, est la preuve
légale par excellence, ï raison de la confiance que provoque
le caractère de l'officier public de qui il émane. Vient ensuite
l'aveu consigné dans l'acte sous seing privé , qui , entouré
de moins de garanties , se place k un degré inférieur. Enfin
les déclarations que font les marchands en leur faveur, dans
leurs registres , n'ont nécessairement qu'une foi relative et
restreinte.
4SS. Nous nous occuperons en dernier lieu des copies et
des actes récognitifs, c'est-k-dire de la preuve littérale au
8 PREUVES PRtGONSTITUÉBS.
second degré. Quant aux actes car^irmatifSf c^est mal à propos
que le législateur, entraîné par une ressemblance trompeuse
entre ces actes et les actes récognitifs, a traité également
des premiers sous la rubrique de la preuve. Â la vérité, ces
deux sortes d'actes ont cela de commun qu'ils tendent à
donner force k un droit antérieur, et c'est en ce sens gue
les interprètes appellent l'acte récognitif lui-méjfne confir-
matào. Mais la confirmation qui se trouve dans l'acte réco-
gnitif tend seulement à conserver la preuve d'un droit dont
la validité n'est pas contestée, tandis que la confirmation
proprement dite, celle dont il est question dans les arti-
cles 1338', 1339 et 1340 du Code civil, tend a valider au
fond une opération entachée de nullité. La place naturelle
de cet article eût donc été dans la section 7 du chapitre
précédent, section qui traitç de l'action en .nullité ou en
rescision , jst non dans celle de la preuve littérale. Cest
encore le double sens du mot acu qui a trompé ici le légis-
lateur. L'acte confirmatif dont parle le Gode, c'est la confir-
mation au fond , id quod actum est , tandis qu'il ne devrait
être question que de l'acte écrit, instrumerount, destiné k
prouver le droit. Pothier n'est pas tombé dans cette confu-
sion. Les actes récognitifs sont les seuls qu'il rattache k la
preuve littérale. Nous suivrons son exemple, et nous nous
abstiendrons d'empiéter sur la théorie des nullités et des
rescisions , qui est tout k fait étrangère k la matière des
preuves.
1 On peut dire toutefoU que le premier alinéa de Partide 1338, qui
exige diTenes mentions pour la yaUdité de Pacte confirmatif, rentre dans
la matière des preuves , en tant que ces mentions sont nécessaires pour
prouver un consentement sérieux. Mais c^est là la partie la moins impor-
tante du sujet. Les questions délicates , par exemple , Peffet de la confir-
mation à Pégard des tiers, sont toutes de fond, et dès lors complètement
en dehors de notre matière.
PREMIER MODE DE PREUVE PRÉCONSTITTJÉE
TÉMOIGNAGE DB TIERS. — ACTE AUTHENTIQUE.
SODAm. — 4M. Ce que e»t ipe Vautkentieiti, — 457. Double base sur la<pieUe
repose la présomption d'aatheaticitè. ^ 488. DWisioa.
456. La preuve préconstituëe qui doit inspirer le plus
de confiance, c'est celle qui est Tœavre d'oflBciers publics,
chai^ spécialement de recevoir les déclarations des par-
ties. Les actes rédigés par ces officiers sont nommés authen^
f>7»Oi II raison de la présomption de sincérité qui s'y ratta-
che. Le mot authentique, qui, dans son sens le plus large,
iésigne tout écrit public ou privé dont la véritable origine
est bien constisitée, comme lorsqu'on se demande si tel livre
attribué li tel auteur est bien authentique, reçoit dans notre
pratique judiciaire un sens idus restreint. Suivant l'ar-
ticle 1311 du Code civil ^ « Tacte authentique est celui qui a
« été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter
- dans le lieu où l'acte a été rédigé , et avec les solennités
* requises. »
457. L'ionmense utilité de cette preuve a porté les rédac-
teurs du Gode, préoccupés de la pratique bien plutôt que de
^ rignenr de la théorie, à la placer en première ligne parmi
les preuves consacrées par la loi. Et cependant l'aéte authen-
tique est loin de présenter la démonstration directe des faits
V^'il tend à établir. La foi qui s'y attache repose sur une
double supposition : 1** que le papier produit en justice est
iHen l'œuvre de Tofficier dont il porte la signature apparente ;
^ que le témoignage rendu par cet officier dans l'exercice
de ses fonctions est sincère. La première supposition se
toDde sur la difficulté d'imiter les actes authentiques , en-
tourés de si nombreuses formalités , et sur la plus grande
10 ACTE ADTHENTIOUE.
sévérité du Gode péual (art. 147 et 150), qui punit des tra-
vaux forcés à temps le faux en écriture publique, et de la
réclusion seulement le faux en écriture privée. La seconde
supposition repose sur les garanties que présentent le carac-
tère et la position de Tofflcier public , et sur la pénalité
rigoureuse, les travaux forcés à perpétuité (Und.^ art. 145
et 146), qui l'atteint au cas de prévarication. Cette dernière
supposition rentre dans les règles ordinaires sur la foi au
témoignage. Mais la première n'est ^'une présomption de
fait , une probabilité , que les besoins de la pratique ont
transformée en présomption légale. Cette foi qui s'attache,
non pas seulement k Tacte authentique, mais k l'apparence
même de cet acte, acta probaru se ipta, suivant l'expression
de Dumoulin, est le caractère le plus saillant qui le dis-
tingue de Facte sous seing privé, lequel n'a de force qu'au-
tant qu'il est reconnu ou dûment vérifié.
458. L'authenticité se retrouve dans tous les actes qui
émanent de l'autorité publique, dans les lois» dans les actes
administratifs. Nous n'avons k nous occuper ici que de l'au-
thenticité des actes juridiques, soit au civil, soit au criminel.
Nous allons examiner quelles sont les formes et quelle est
l'autorité des actes authentiques, d'abord au civil, puis au
criminel. Nous traiterons ensuite de la procédure au moyen
de laquelle on fait tomber la foi qui s'attache k l'authenti-
cité, c'est-à-dire de l'inscription de faux.
PREMIÈRE SECTION.
ACTE AUTHENTIQUE EN MATIÈRE CIVILE.
SoviiAiBE. -^ 489. Type de l'acte authentique, acte notarié.
459. Les actes authentiques par excellence , ceux aux-
quels se réfèrent surtout les dispositions du Code civil , ce
sont les actes notariés, dont nous nous occuperons en pre-
ACTES IVOTARIÉS. ii
inier lieu. Les développements que nous donnerons sur ces
actes nous dispenseront d'entrer dans des détails peu inté-
ressants sur les actes authentiques reçus par d'autres offi-
ciers publics , actes qui sont régis au fond par les mêmes
principes. Mais nous examinerons k part les questions déli-
cates que soulève la foi des actes de l'état civil.
PREMIÈRE DIVISION.
ACTBS HOTARlis.
■
SonuusB. — uo. Caractère spécial du notariat français. — 464. Tabellions h Rome,
insinnatioii. — 462. TabellioM et notaire* dans notre ancien droit. — 463. Constitution
actoelle du notariat. — 464. Pays où le notariat a moins d'importance qu'en France. —
465. Pays où le recoar» à on officier public est plus fréquemment exigé. — 466. Division.
460. L'institution d'officiers spéciaux ayant caractère
pour donner Fauthenticité aux actes qui constatent les
conventions des parties est tellement enracinée dans nos
mœurs judiciaires; qu'elle nous semble devoir exister chez
tous les peuples civilisés. « Periret omnis judiciorum vis »,
ditChassanée {Catal. gloriœ mundi, liv. lY, consid. 19),
«nisiessent notarii, qui acta conscriberent ^ periret ipsa
K Veritas et fides in contractibus et commerciis. » Et cepen-
dant le notariat, tel qu'il est constitué chez nous, n'existait
pas k Rome , et aujourd'hui encore nous ne le retrouvons
pas en Angleterre et en Autriche ^
Cette foi exorbitante donnée aux actes notariés, qui ne
pennet de les faire tomber que par la voie coûteuse et pé*
rilleuse de l'inscription de faux , produit souvent des résul-
tats iniques dans la pratique. Ainsi nous voyons la Cour
d'Amiens (28 avril 1859) reconnaître qu'en faisant une vente
^ qualité d'héritier, par acte authentique , le contractant
' £n Prasse , conformément an droit commun allemand , les actes reçus
par les notaires ou par d^autres officiers n^ont pas la même force que nos
actes notariés ; ils ne font foi que jusqu^à preuTO contraire. H n'y a de
Téritables actes authentiques que ceux qui sont reçus par les membres des
tribunaux. (Fœlix, Droit international privé, s* éd., n« 228.)
Lj
12 ACTES NOTARIÉS.
n'avait eu nullement l'intention d'accepter une succession
onéreuse, et décider néanmoins que, par la force de l'acte ,
la qualité d'héritier lai avait été imprimée jusqu'à inscrip-
tion de faux.
461. Il y avait bien k Rome des tabellions qui, établis
m forum, rédigeaient, sur la demande des parties, des
écrits constatant leurs conventions. Mais ces écrits, même
dans le dernier état du droit, lorsque l'écriture avait acquis
une grande importance , n'avaient point l'autorité qui s'at-
tache k nos actes notariés. Il fallait que le tabellion vint
lui-même reconnaître l'écriture et en affirmer avec ser-
ment la sincérité; s'il était mort, on appelait le§ témoins
qui avaient assisté k l'acte , et on procédait k une vérifica-
tion d'écriture. (Voy. Nov. 44, et Nov. 73, ch. vn.) On
voit que les actes des tabellions, scripturœ forenses, n'of-
fraient aux parties qu'une garantie extrêmement imparfaite.
Ce n'était, en définitive, que la preuve testimoniale appliquée
k la confection de l'acte, dont le tabellion et les témoins
venaient déposer, comme ils auraient déposé de tout autre
fait. Quant aux notarii, ce n'étaient pas des officiers ayant
mission de recevoir les conventions des parties , c'étaient
de simples scribes , ordinairement des esclaves publics , qui
écrivaient en abréviation (notU, d'où est venu leur nom )
des actes de toute nature. Il y en avait d'attachés aux ta-
bellions, comme aux magistrats. Ils rédigeaient le brouillon,
que le tabellion mettait ensuite au net, in mundum. (Yoy.
Just., L. i7, God., Defid. instrum.) C'est de ces notarii que
parle Paul dans la loi 40, pr., D. , De te$t. mil. : a Lucius Ti-
ft tins miles testamentum scribendum notis dictavit, et
(( antequam litteris prsescriberetur, vita defunctus est. » Cet
emploi n'avait pas plus d'importance que n'en a aujourd'hui
celui de sténographe.
Dans le dernier état de la législation romaine, on ima-
ACnS NOTARIÉS. i3
gina on moyen de suppléer à Tauthenticité , que les tabel-
lions n'avaient pas mission de conférer. Ce fut Yimimuuion,
qui consistait k déposer, entre les mains du magùter cenms,
à Rome et k Constantinople , des magistrats municipaux
dans les provinces , les imtrumenta dont on voulait mettre la
sincérité k Tabri de toute contestation. Ce dépôt que fai-
saient de récrit original les parties intéressées dispensait de
toute vérification ultérieure. Il ne fallait alors ni tabellion
ni témoins^ Tintervention de l'autorité publique assurait à
elle seule la foi de l'acte qui lui était confié. « Superfluum
« est », dit Zenon (L. 31 , Cod., De donat, ) , « privatum tes-
« timonium, quum publica monumenta sufBciant. » L'utilité
de ces saipturœ publicœ ^ se fit si bien sentir dans les der-
niers temps , que Justinien ordonna la création d'archives
dans toutes les villes où il n'en existait pas encore. (Nov. 15,
ch. v,§2.)
462. Au moyen &ge , on distinguait aussi , dans le même
sens qu'au Bas-Empire ( voy. Mabillon , De re diplom., liv. III ,
ch. iv), les noHdœ privatœ et les notitiœ publicœ. Les écri-
tures privées étaient celles qui étaient dressées en présence
de témoius, ou même du tabellion, qui chez nous, dans
l'origine, n'était, comme k Rome, qu'un témoin jouissant
d'un peu plus de crédit. On trouve peu d'actes rédigés de-
vant un tabellion avant le onzième siècle. Les écritures pu-
bliques étaient , soit des actes privés insinués aux archives,
comme dans le Bas-Empire , soit des actes rédigés en pré-
sence du juge ou de l'évéque.
* Jastimen (L. 20, Cod., J)e JicL instr.) appeUe tMUipubliCB c(xnfecta
les actes des tabeUions. Mais il prend alors le mot fvbWce dans un sens
matériel , pour désigner les rédactions faites au forum. Ce mot , dans son
sens technique, Teot dire au nom de Paulorité publique. C'est ainsi que
certains jurisconsultes avaient le droit de répondre publiée ($ 8 , Inst.» De
jwr, nat, gent. et eiv,), c'est-à-dire offleiellement. Les actes insinués sont
les seuls qui êoieai publics en ce dernier sens.
14 ACTES NOTARIÉS.
Ce fut de cette dernière institution que tira son origine
le caractère tout particulier qu'a revêtu le notariat dans les
temps modernes. Au moyen &ge, lorsque les transactions
sociales n'étaient pas compliquées, les mêmes notarii, qui
minutaient les actes des fonctionnaires laïques ou ecclésias-
tiques , prirent l'habitude de rédiger également les conven-
tions des parties : ce qui n'était d'abord que rexercice
même de leur office, puisque le dignitaire, auquel ils étaient
attachés, recevait des actes de juridiction gracieuse, mais
ce qu'ils firent ensuite , même hors de la présence de ce
fonctionnaire ^ « Nous avons pris l'habitude », dit Loyseau
{Offices, liv. Il, ch. v, § 80 et suiv.), a d'expédier nos con-
« trats hors de la présence du juge-, mais quoi qu'il en soit,
« c'est toujours le juge qui parle en iceux, et y est intitulé,
n ainsi qu'aux sentences , et en plusieurs provinces , le style
« des contrats porte : que les parties soru comparues devant
a le notaire comme en droit ou en jugement, et encore en quel-
« ques lieux il porte : qu^ elles sont jugées et condamnées de leur
« consentement , à entretenir tout ce qui est contenu au contrat :
(( qui est aussi la cause pourquoi les contrats en France ont
« exécution parée, ainsi que les sentences... Aussi j'ai re-
(( marqué soigneusement qu'en toutes les anciennes ordon-
« nances jusqu'à celles de Louis XII , les greffiers sont
(( appelés communément notaires * , aussi bien que les tabel-
« lions. » L'autorité quasi judiciaire des actes authentiques
(voy. aussi sur ce point Pothier, Traité de la procédure dvile,
part. IV, ch. ii, sect. 2, art, 1) s'explique, on le voit,
historiquement, puisque le notariat n'était, dans l'origine,
* Ai^oard'hiii encore, en Espagne, les escrivanos sont à la fois notaires
des parties et greffiers des tribonaux ; en Russie, c'est un greffier qui rédige
les actes relatifs aux immeubles. (Fœlix , loc» cit.)
* Des ordonnances de 1304 et de 1315 parlent, en effet, de notaires
établis par le roi , portant les arrêts sur leurs protocoles et en déUvrant dci
expéditions aux parties. *
ACnS MOTABIÉS. 15
qo'ane branche in pouvoir jndiciaire , que l'exercice de la
juridiction gradeose. Oo retrouve, même soas Louis XIV,
des traces bien marquées de cette origine. Ainsi un édit de
mars 1673 créa des charges de eonseiUers de Sa Majesté, gref-
fm des conventions, charges qui, par un second édit du mois
d'août de la même année, furent réunies k celles des notaires
d« Chàlelet.
Tandis qne les scribes des tribunaux se transformaient
peu à pen en notaires, les anciens tabellions subsistaient
toujours. Mais le notariat proprement dit se rattachait k la
justice royale , depuis que Philippe le Long avait déclaré ,
par une ordonnance de 1319', que les sceaux et écritures
(serikaus) étaient de son propre domaine. Le tabellionâge ,
au contraire, était devenu une institution municipale. C'est
ee qui apparaît bien clairement dans les raisons et artides
envoyés en 1470 par les échevins de la commune de Saint-
Diàer k ceux de la ville d'Ypres. (Voy. ce curieux document
dans le second volume des Olim de M. Beugnot, p. 718.)
Ces échevins se plaignent (art. 290) qu'on ne les laisse pas
jouir et user patribUment du tabellionaige, beaucoup de bour-
geois prenant l'habitude de faire passer leurs lettres par-Hkvant
deux notaires royaux. Ainsi, le tabellionage était l'institution
locale , et le notariat l'institution centrale , qui finit par ab-
sorber l'autre.
n arriva , du reste , que le tabellionage se dédoubla lui-
même , si on peut s'exprimer ainsi , et donna lieu à la créa-
tion d'officiers qui prirent également le titre de notaires.
Unque les affaires se moltiplièrent , chaque tabellion un
peu accrédité eut besoin d'employer des clercs, qui rédi-
geaient la première note ou minute des actes, que leur
patron mettait ensuite au net , et dont il délivrait des expé-
ditions. «Finalement )>, dit Loyseau (même ch. v, § 64
^t suiv. ) , « et comme il arrive en toutes conditions , que
16 ACTES M0T4R1ÉS.
« ceux qui font la besogne s'accroissent et s'augmentent
« toujours , même supplantait enfin leurs maîtres qui sont
« négligents, ces clercs, qui avaient yécu sous leurs maîtres
« comme domestiques, voyant que leurs charges méri-
a taient bien d'être continuées, après qu'ils étaient mariés
<( et séparés de demeure d'avec leurs maîtres, se faisaient
« par eux commettre et substituer, tant en présence qu'ab-
<( sence. » Ces clercs des tabellions obtinrent donc le droit
de rédiger seuls la minute , avec le titre de notaires , le pri-
vilège de grossoyer l'acte étant réservé aux tabellions. Un édît
de François I", en 1542, qui établit des notaires là où il n'y
avait que des tabellions, et réciproquement, sanctionna cet
état de choses , en défendant respectivement aux notaires
d'empiéter sur la grosse, et aux tabellions d'empiéter sur la
minute. Toutefois les notaires du Ghàtelet de Paris (décl.
du 6 juillet 1543), qui pouvaient instrumenter dans tout le
royaume , continuèrent à exercer dans toute sa plénitude la
juridiction volontaire, qui leur avait été déléguée de temps
immémorial.
L'intérêt d'une bonne discipline et d'une sage répartition
des pouvoirs fit cesser, sous Henri II , la confusion qui s'était
perpétuée jusqu'alors entre les fonctions de greffier et
celles de notaire. Un édit du 4 octobre 1554, renouvelant
des règlements antérieurs mal exécutés, défendit aux juges,
lieutenants et grefBers , de recevoir k l'avenir aucun con-
trat volontaire ^ Au contraire, il ne pouvait y avoir qu'avan-
tage et économie k réunir les fonctions de notaire et celles
de tabellion : réunion qui fut en efiet opérée par Henri IV
en 1597. Le notariat, nom qui prévalut, excepté dans cer-
taines localités rurales, devint alors, comme la plupart des
* n a été jugé, en conséquence, qu^un acte de transaction, reçu en 1633
par deux majeurs ou maires, n'avait point le caractère authentique. (Rej.,
27 janTîer 1825.)
ACTES NOTARIÉS. 17
autres charges poblîques, un office vénal et héréditaire.
463. La loi du 16 octobre 1791 supprima la Ténaltté et
l'hérédité, et ordonna que les places de notaire flissent
données ao concours. Il est douteux que ce mode de nomi-
Dation , si précieux k tant d'autres égards , fût convenable
ponr des emplois de cette nature ' . Mais la loi du 2S ven-
tôse an XI , qui nous régit aujourd'hui , est tombée dans
Fexeès contraire, en n'exigeant plus que des conditions
d'aptitnde toutes pratiques , c'est-à-dire un certain nombre
d'années de stage chez un notaire (art. 37 et 38), sans re-
qiérir la justification d'aucunes connaissances théoriques.
Cette latitude dans le choix des candidats, qui pouvait se
concevoir en l'an XI , lorsque les écoles de droit n'étaient
pas encore réorganisées, est devenue une anomalie, aujour-
d'hui qne l'élude de la science du droit est si florissante et
si répandue. La justification d'un diplôme serait d'autant
plus utile, que la loi du 28 avril 1816 (art. 91) a rétabli
indirectement la vénalité pour les offices de notaire , comme
pour plusieurs autres : ce qui, en l'absence de toute condi-
tion sérieuse de capacité , transforme souvent en pure spé-
colatioD l'acquisition de ces offices. Les vices de la loi ont
produit les résultats auxquels on devait s'attendre , et les
désordres du notariat n'ont que trop fait sentir l'utilité d'une
réforme. Une ordonnance du 4 janvier 1843 a fait un pas
dans cette voie, en fortifiant l'action disciplinaire, et en
interdisant aux notaires les spéculations qui ont donné lieu
à tant de scandales. Mais, lors de la crise de 1848, de
nouveaux désastres sont venus affliger le notariat : pour
* n a été cependant établi à Naples par Tarticle 55 de la loi sur le notariat.
Aiijoiird*hm le notariat, en Italie, est en Toie de réorganisation sur des bases
Doirormes. (Voyez sur le notariat dans les divers pays , le Bulletin de la
Sftciété de législation comparée, n«« de février et de mai 1870.)
II. î
i8 ACTES NOTARIÉS.
que la reforme soit complète et efficace, il faut une loi
qui augmente les garanties sous le rapport de la capacité.
464. Si l'institution du notariat, telle que nous la con-
cevons aujourd'hui, n'est pas bien ancienne, elle n'est
pas non plus universelle en Europe. En Angleterre , les no-
taires , charges surtout de la rédaction des contrats d'assn-
rance et des protêts, ne donnent l'authenticité aux actes
qu'en tant qu'il s'agit de les employer k l'étranger. A Tinté-
rieur, tous les actes doivent être vérifiés en justice par
témoins ou par comparaison d'écritures. L'attestation du
notaire n'a pas plus de force que n'en avait celle du
tabellion dans les premiers temps : ce sont toujours des
actes sous seing privé. Mais on prend habituellement
pour rédiger ces actes, soumis en Angleterre k des
formes très-compliquées, des hommes de loi proprement
dits, les attomeys, qui sont en même temps procureurs :
cumul de fonctions qui n'est pas sans danger pour les
parties, puisqu'on donne la mission de prévenir les procès
aux mêmes officiers qui sont chargés de les diriger.
L'absence d'actes authentiques notariés fait d'ailleurs recou-
rir à des moyens analogues à ceux qu'on employait k Rome
et au moyen âge. « La sûreté de la possession que l'on tient
(( d'un acte public », dit Blackstone (liv. II, ch. xxi), « ne
(( dépend pas seulement de l'acte même, ni du consente-
« ment des parties contractantes, mais encore de la sanc-
(( tion d'une cour de justice , dans les registres de laquelle
<( l'acte est consigné. » Des actes de cette nature sont reçus
par le parlement, et enregistrés sous le nom à' actes privés,
par opposition k ceux qui ont un caractère politique. L'or-
ganisation judiciaire de T Angleterre présente, sous ce rap-
port , la plus grande analogie avec celle qui existait au Bas*
Empire. Le système anglais est en vigueur dans l'Amérique
du Nord. En Danemark également, l'authenticité est incon-
ACTB8 NOTARIÉS. 19
nue, loote convention se prouve par le témoignage de denx
personnes.
46S. Certains pays^ au contraire, ont enchéri sur la lé-
gislation française, et attaché plus de prix encore k F au-
thenticité. Ainsi tandis que chez nous , la rédaction notariée
est, en général , purement facultative , en Prusse (voy. Gode
prussien, part. I, tit. X, art. 6) et dans le canton de Yaud
(Code du canton de Yaud, art. liiS), il faut un acte au-
thentique pour la transmission de la propriété immobilière.
La législation qui a été le plus avant dans cette voie est le
Code italien (art. 1314), qui exige la rédaction par acte
public pour toutes les conventions de quelque importance ,
y compris les baux au-dessus de neuf ans. Peut-être cette
exigence n Vt-elle aucun inconvénient eu égard aux habitudes
de la population italienne. Mais, chez nous, les parties
s'adressent volontairement au notaàre dans toutes les occa-
sions graves , et les actes sous seing privé n'interviennent
généralement que pour afEaires d'un intérêt modique, et
entre personnes capables d'exprimer leur volonté sans
ivoir recours au style, souvent encore aujourd'hui trop
prolixe, du notariat. H n'y a donc pas lieu k innover en ce
sens, pas plus que dans celui de la loi anglaise. (Voyez le
Q" de mai 1870, déjk cité, du BuUetin de la SodéU de tégisloHon
comparée. )
An surplus, les principes de la législation française sur le
notariat ont été adoptés dans plusieurs États, notamment en
Belgique et dans les Pays-Bas , où une loi spéciale a été
rendue sur ce point le 9 juillet 1842, en Bavière, et tout
récemment en Autriche.
466. Nous allons présenter une analyse succincte des
principales formes auxquelles sont soumis les actes nota-
riés *, puis nous nous demanderons quelle est la foi de ces
^tes, et, en général, des actes authentiques.
s.
20 ACTES NOTARIÉS.
PREHIEE POINT.
Fofme dei aotei notarîéf .
SOMiiAiRS. — 467. Distinction des solennités intrinsèques et extrinsèques. — 468. Division.
467. Notre intention n'est point de parcourir ici en
détail les nombreuses formalités prescrites aux notaires
par la loi du 25 yentôse an XL Nous laisserons de côté les
prescriptions réglementaires, dont Tinobservation donne
lieu k des peines disciplinaires contre le contrevenant, pour
nous attacher aux dispositions substantielles.
Les solennités qui doivent se trouver dans Tacte notarié,
pour qu'il puisse produire tous les effets dont il est suscep-
tible, sont de deux sortes : les unes sont intrinsèques,
nécessaires pour la foi de Tacte , solemnia probantia ; les
autres sont extrinsèques, nécessaires seulement pour Texé-
cution , solemnia completoria. On sent combien il importe de
distinguer ces deux natures de solennités ^ autre chose est,
en effet, Fabsence de foi d'un acte, autre chose est Tabsence
de force exécutoire. Or, les solennités requises (C. civ. ,
art. 1317) pour que Tacte, reçu par un notaire ou par tout
autre officier, fasse foi en justice, sont seulement celles
de la première espèce ^ car il y a des actes qui ne sont pas
destinés k être exécutés , et qui n'en sont pas moins authen-
tiques, bien que revêtus seulement des formes intrinsèques,
les certificats de vie , par exemple.
C'est faute d'avoir fait cette distinction fondamentale que
certains auteurs ont dénié l'authenticité au procès-verbal de
conciliation dressé par le juge de paix. L'article 34 du Gode
de procédure dit bien , il est vrai , que les conventions des
parties, insérées au procès-verbal, ont force (t obligation fni^
vie ; mais , si on recherche le but que s'est proposé le légis-
lateur en ajoutant cette restriction, on reconnaît aisément
qu'il n'a pas voulu refuser au procès-verbal du juge de paix
ACTES NOTABIÉS. il
la foi qui s'attache aux déclarations dûment reçues par un
foncdonnàîre public, mais seulement empêcher qu'il ne fût
rendu exécutoire : ce qui eût porté atteinte aux prérogatives
des notaires '. Aussi admet-on généralement aujourd'hui que
ce procès-rerbal constitue une véritable preuve authentique,
mais que seulement il n'est pas susceptible d'exécution
forcée -, ce qu'on a voulu dire en employant ces expressions
Tagues et mexactes : force d'obligation privée *.
Cette force exécutoire , que nous sommes habitués à rat-
tacher en quelque sorte à l'authenticité , comme en étant le
corollaire obligé , est loin d'être attribuée partout aux actes
notariés (Fœlix, n* 474) \ elle ne se retrouve que dans les
pays qui ont reproduit le système de la législation fran-
çaise, tels que la Belgique, la Prusse rhénane, le canton de
Geoève, le royaume de Grèce* Dans les pays qui n'attachent
pas la même importance au notariat (n** 464), tels que
VÀDgleterre et la plupart des pays allemands, les actes
notariés ne sont point exécutoires par eux-mêmes. Seule-
ment, dans la pratique de ces pays, et notamment en
Saie, en Danemark, on s'adresse aux tribunaux, qui rendent
exécutoires d'une manière plus expéditive les conventions
constatées par des actes publics. C'est ce que l'on appelle
procès d'exécution (executive process),
468. Nous allons examiner d'abord quelles sont les con-
ditions eu l'absence desquelles un acte notarié est nul , du
moins comme acte notarié -, puis nous nous demanderons
ce qui arrive quand l'acte est annulé k défaut de quelqu'une
de ces conditions ; enfln nous parlerons des formalités pure-
nient extrinsèques.
^ Si uùQB reproduisons ce motif, c'est sans entendre aucunement Pap-
ProuTer. Loin de nous la pensée que les lois doivent être faites pour les
officiers publics, et non les officiers publics pour les lois.
* U Code de procédure italien de 1866 (art. 7) attribue au proeès-
^^fbal dressé par le conciliateur force exécutoire , mais seulement si la
^cv ne dépasse pas trente livres.
22 ACTES NOTARIÉS.
S I. COITDmOBfS BMElfTIBI.LB8 A LA VALIDITÉ ilTrftlIISBQIIB
DBS ACTB8 HOTABliS.
SomAmB. — 469. Conditions essentielles pour cette Yalidilé. — 470. Cas où la qnalité
de notaire manquerait totalement. — 474. Cas où un incapable aurait été institaé. —
472. Cas où le notaire anrait cessé ses fonctions. — 473. Limites dn ressort où le
notaire peat instrumenter. — 474. Personnes k l'égard desquelles son ministère est
interdit -* 478. Solennités requises. — 476. Assistance du second notaire on des
témoins; loi da 24 juin 4843.— 477. Quels notaires peuvent concourir ii l'acte. —
478. Nécessité que les témoins soient citoyens français. — 479. Capacité putative des
témoins. — 480. Nécessité de savoir signer. — 484. Domicile. -^ 482. Parenté oa
alliance. — 483. Date. — 484. Mention des parties et des témoins. — 485. {Signature
des parties , des témoins et du notaire. — 486. Nécessité de garder minute. — 487. Sor^
charges , additions et ratures. — 488. Emploi de la langue française.
409. En tête de toutes les conditions exigées pour la
yalidité de l'acte , se trouve la capacité légale de l'officier
qui le rédige. « L'acte authentique », dit l'article 1317 du
Cknle civil , a est celui qui a été reçu par officiers publics ,
« ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été
a rédigé. » Il feut donc, pour avoir qualité, afin de constater
les conventions des parties : l"" être notaire ; 2" instrumenter
dans les limites du ressort déterminé par la loi.
470. La qualité de notaire peut manquer au rédacteur
de l'acte dans diverses hypothèses.
Écartons tout d'abord le cas le plus grave , mais le plus
difficile à supposer dans la pratique, celui où un homme
complètement étranger au notariat en aurait usurpé les fonc-
tions. Alors l'erreur des parties, qui auraient pris pour
notaire , sur sa simple déclaration , celui qui n'avait pas
même de caractère officiel apparent , serait tellement gros-
sière , qu'elle ne mériterait aucune indulgence.
Ce qui est moins extraordinaire, et ce qui s'est présenté',
en effet, dans la pratique, c'est que les parties accordent
leur confiance ^ un officier qui n'aurait pas été dûment in*
Btitué. C'est ainsi qu'avant l'organisation régulière du notariat
en Algérie , un notaire avait été institué k Boue par un sous^
intendant militaire, qui ne l'avait pas même astreint k la
prestation de serment. Un jugement du tribunal supérieur
ACTES NOTARIÉS. 23
d'Alger, qui avait déclaré valables les actes de cet oflScier,
a été cassé le 9 mai 1842 : a Attendu que si la nécessité
« de prévenir les désordres dans les premiers moments de
« roccupation d'un pays conquis, peut autoriser les agents
« militaires k prendre les mesures de police et de sûreté
« que la gravité et l'urgence des circonstances peuvent rendre
«indispensables, leur autorité ne peut s'étendre jusqu'à
< cré^, sans délégation, des officiers publics dont le carac-
« tère propre est de revêtir de l'autbenticité les conventions
c des parties , et de donner aux actes qu'ils reçoivent la force
« de l'exécution parée ' ; que , d'ailleurs, aucun événement,
« quelque extraordinaire qu'il puisse être , ne saurait auto-
« riser un notaire à entrer en fonctions , sans avoir prêté
«lie serment prescrit par la loi. » Il est à croire que, s'il y
avait eu prestation de serment , la Cour de cassation eût été
moins sévère.
471. Ce qui arrivera plus souvent, c'est une nomination
«abonne forme, mais accordée à une personne incapable,
priîée, par exemple, de la qualité de Français. C'est ainsi
qu'à Rome , un esclave avait réussi à se faire nommer pré-
teur, ce qui donna lieu à cette décision d'Ulpien, si souvent
ôtée (L. 3, D., De off. prœu) : a Barbarius Philippus, quum
« servus fugitivus esset, Rom» praeturam petiit, et praetor
«desipatns est : sed nihil ei servitutem obstitisse, ait
«Pomponius, quasi prsetor non fuerit. Atquin venim est,
«praetura eum functum, et tamen videamus si servus,
«quamdiu latuit, dignitate prsetoria fonctus sit, quid dice*
«mus? quae edixit, quse decrevit, nullius fore momenti?
« An fore , propter utilitatem eorum qui apud eum egerunt,
« Yel lege , vel quo alio jure ? Et verum puto , nihil eorum
«reprobari. Hoc enim bumanius est, quum etiam potuit
' On Toit que la Cour de cassation unit Tolontiers les deux idées d'au-
^entlcité et de force exécutoire. (N» 467.)
24 ACTES NOTARIÉS.
c( populas romanas servo deceroere banc potestatem -, sed
« et si scisset servum esse, liberam effecisset : quod jus
(( multo magis in imperatore observandum est. »
Faut-il admettre cette décision , géaéralement reçue dans
notre ancienne jurisprudence, ou dire, au contraire, que
nous sommes dans le cas de Vincapacité prévue par l'ar-
ticle 1318, et que l'acte peut tout au plus valoir comme acte
sous seing privé ? On ne peut nier que la même nécessité
pratique, qui a dicté à Rome la loi Barbarius Philippus^
n'existe encore aujourd'hui. Ceux qui traitent avec un offi-
cier public ne peuvent faire une enquête sur son âge, sur
ses antécédents , etc. \ ils doivent s'en rapporter h l'autorité,
qui lui a donné l'investiture de ses fonctions. A ne s'attacher
qu'au Code civil, quelque doute pourrait s'élever, l'ar-
ticle 1318, qui n'accorde qu'un effet restreint à l'acte, par-
lant de Vincapacité en général. Mais, si nous nous reportons
k la loi du 25 ventôse an XI, qui est le siège de la matière,
et à laquelle il est peu vraisemblable qu'on ait voulu déro-
ger, nous y voyons que l'article 68, qui énumère expressé-
ment les dispositions dont l'inobservation emporte nullité,
ne vise ni l'article 35, relatif aux conditions de capacité
exigées, ni l'article 7, relatif à l'incompatibilité des fonc-
tions de notaire avec certaines autres fonctions. C'est k Tad-
ministration qu'il convient de s'adresser alors, afin d'obtenir
le retrait de la commission (L. de vent., art. 45 et 46)
délivrée au mépris de la loi ^ mais, tant que cette commis-
sion n^est pas retirée , foi est due au titre apparent. Jusque-
là, il faut dire avec Tacite (Annal. ^ liv. VI, § 8) : « Non
(( est nostrum cestimare quem mpra cœteroSf et quibus de causis
« extoUas. TiU summum rerumjudicium Dii dedere; nobis obse-
(( quii gloria relicta est. » C'est ainsi que tous les publicistes
enseignent que les actes et jugements, passés sous l'empire
de l'autorité la plus illégitime, doivent être maintenus^ et
àCTES NOTARIÉS. 25
Doos oroyODS , tonjoors en vertu de la même théorie , qu'il
n'appartient pas aax tribunaux de se refuser à l'exécution
d'one loi ', sons prétexte de son inconstitutionnalité (Cass.,
11 mai 1833) ; autrement, le pouvoir judiciaire absorberait
tOQs les autres'.
472. L'incapacité à laquelle fait allusion l'article 1318,
la seule de nature k vicier l'acte , c'est celle dont les parties
ont pu être informées, celle qui résulte, non d'un vice
latent, mais d'une déclaration officielle de l'autorité. En
effet, l'article 52 de la loi sur le notariat, auquel cette fois
se réfère expressément l'article 68 , relatif aux nullités , est
mi conçu : « Tout notaire suspendu, destitué ou remplacé,
«devra, aussitôt après la notification qui lui aura été faite
' Noos supposons une loi Totée en la fonne régulière par les pouvoirs
NDpétents. La question est bien plus délicate , lorsquMl y a eu usurpation
<h pouToir législatif , et que Pacte irrégulier a été inséré au Bulletin des
^ sans réclamation, ainsi que cela est anÎTé pour un assez grand nombre
^décrets impériaux. Même dans cette hypothèse, la Cour de cassation n'a
PB admettre que Pacte inconstitutionnel fût nul ipso facto, et n'en a
repoussé l'autorité , là où il s'agissait d'appliquer la peine de mort (iVoy.
Itaénatus^. du 3 avril 1814), qu'en se fondant sur l'incompatibilité du décret
an 1 » mai 1812 avec les principes consacrés par la charte. (Cass. , 2 1 mai 1 847 .)
' On admet cependant aux États-Unis que le pouvoir judiciaire peut
i^aser d'appliquer une loi qu'il estime inconstitutionnelle. M. Tocqueville
ifif la démocratie en Amérique, tom. I, ch. vi) explique cette attribution
fi importante de la magistrature américaine par cette considération que ,
larérision des constitutions étant admise en Amérique, s'il y a conflit entre
la eonsUtution et la loi , il est toujours possible de reviser la constitution.
Maig nous ne Toyons pas qu'en France , sous les diverses constitu lions qui
oflt aotorisé la révision du pacte fondamental (const. de 1791 , de 1793 ,
<^Faii ni, de 1848 et de 1852), on ait permis aux tribunaux de statuer
^la constitntionnalité des lois. Il faut donc expliquer la législation amé-
ncaine par un motif plus grave , le besoin de tempérer, à l'aide de cette
ûitenention de la magistrature , l'omnipotence de la démocratie, de même
(pi'aatrefois, chez nous, le reftis d'enregistrement des ordonnances de la
part des parlements était un moyen irrégulier, mais souvent efiicace , de
opérer l'onmipotence de la royauté. (Voyez sur ce point l'intéressant cha-
pitre des commentaires de M. Story sur la constitution des États-Unis
iv- m , ehap. iv : Who is fauU Judge or interpréter in constitutional
ontrooersies ?) C'est dans le même esprit que, lors de récentes discussions
'(^73), on a proposé à notre Assemblée nationale le système américain
imr oontre-balancer le pouvoir d'une assemblée unique.
26 ACTES NOTARIÉS.
<( de sa suspension , de sa destitution ou de son remplace-
« ment, cesser Texercice de son état. » Il est à remarquer
que cet article, bien d'accord avec la théorie que nous venons
d'exposer, admet que, jusqu'il la notification de la décision
prise par l'autorité supérieure, l'exercice des fonctions con-
tinue ; dès lors tout ce qui est fait antérieurement à cette
notification demeure valable. C'est ce qui a été décidé (Rej.,
25 novembre 1813) pour une sipification faite par un huis-
sier dont l'interdiction avait été prononcée, sans être encore
notifiée. Mais, une fois que cette notification a eu lieu, l'offi-
cier perd tout caractère ^ il y a faute , surtout dans un pays
où les décisions de l'autorité sont rendues publiques par la
voie de la presse , k ignorer la destitution ou la suspensioa
dûment notifiée.
473. La seconde condition exigée de l'officier , pour que
l'authenticité soit conférée à l'acte, condition consacrée par
un édit de novembre 1542, c'est qu'il instrumente dans les
limites de son ressort. Cette règle était observée au seizième
siècle comme elle l'est aujourd'hui. On tenait alors stricte-
ment, suivant ce que nous rapporte Boiceau {Preuve par
témoins , liv. II , ch. iv) , à ce que le notaire n'instrumentât
point hors de son ressort, cum taheUiones, extra territorium ,
omnino privati censeantur, siciu et judices. Mais , dans le der-
nier état de l'ancien droit , indépendamment de la préroga-
tive dont jouissaient certains notaires , notanmient ceux des
Chàtelets de Paris, Orléans et Montpellier, qui pouvaient
instrumenter dans tout le royaume, la règle que chaque ncK
taire devait exercer dans son ressort n'était pas considérée
comme prescrite k peine de nullité , et n'avait pour sanction
qu'une amende *. (Voy. loi du 16 octobre 1791, tit. I.
sect 1, art. 5 ; Rej., 5 avril 1836.) Les lois modernes son^
^ Pothier atteste {ObUg., n» 792) que les règlements prohU>itifs k ci
égard Quêtaient coosidérés que comme des lois bttrsales.
ACTES NOTARife. 27
menjÈts rigoarenseinent an principe qui Yeut qu'un fonc-
tiofliaiiB, hors du territoire qui lui est assigné, ne soit plus
qu'un simple particulier, et dès lors la nullité des actes reçus
hn de ce territoire a dft être prononcée. (Loi de vent.,
vt. 6 et 68.) C'est pour cela qu'on eiige la mention du lieu
Ni Pacte est passé (tMd., art. 12), mention qui serait utile,
Qois non substantielle , dans les actes sous seing privé , que
r»ii peut faire partout. En exigeant cette mention, la loi
Ibrcele notaire qui instrumenterait hors de son ressort, ou
iiien k faire un acte évidemment nul , s'il s'abstient d'y insé*
^ renonciation mensongère , ou bien , dans le cas con*
tnire, ^ faire un faux, en dissimulant la nullité, et à s'ex-
poser ainsi aux peines les plus graves ' .
474. Dans le ressort même qui est affecté aux notaires,
ils ne peuvent exercer leur ministère k l'égard de toute per-
sonne. II leur est défendu {Und. , art. 8) de recevoir des
actes dans lesquels leurs parents ou alliés , en ligne directe
^ tons les degrés , et en collatérale jusqu'au degré d'oncle
^de neveu inclusivement, seraient parties : de plus, ils
^ peuvent recevoir des actes où ils seraient intéressés eux-
iQêmes. C'est ce qu'a voulu exprimer la fin de l'article 8,
^1 ajoute : ou qui contiendraient quelques dieporitiom en leur
/<v<ur ; expressions qui, grammaticalement, pourraient se
'spporter aux parents des notaires , aussi bien qu'aux no-
ires eux-mêmes, mais qui, en raison , ne peuvent s'appli-
^er qu'à ces derniers , puisque autrement elles ne contien-
* C'est ce que la Cour de cassation a décidé plusieurs fois , notamment
^ 16 novembre 1892. MM. Cbaaveaa et Hélie {Théorie du Code pénal,
^- n, eh. xxn , § 3) veulent, pour qu'il y ait faui dans l'espèce , con-
l^noément à un arrêt de la même Cour du 4 mars 1825, qu'il y ait eu
>>Moa de noire à l'intérftt des parties. Cette doctrine nous semble trop
^^^àiée, n font répondre, aTec l'arrêt de 1832 , « que cette fausse énon-
ôition, ayant pour but de tromper et d'éluder la prévoyance et la volonté
^ légiilatenr, et d'aiUeurs étant préjudiciable à autrui (puisque Pacte est
^^);enkporte par cela seul l'intention et la moralité criminelle du crime de
Un. M
28 ACTES NOTARIÉS.
draient qa'une redondance inutile. Rien de plus juste
d'ailleurs que d'interdire au notaire la faculté de rendre
témoignage dans son propre intérêt. C'est ce qui a été jugé
par deux arrêts de cassation» en date du 15 juin 1853.
(Yoy.. aussi Rej., 16 décembre 1836.) Toutefois nous avons
vu (n"" 453) que c'était bien mal à propos, et par suite d'une
véritable confusion de langage , qu'on avait voulu appliquer
l'article 175 du Gode pénal k un notaire qui avait pris un
intérêt à la créance constatée par un acu qu'il avait reçu
lui-même. Il y a Ik une nullité et une infraction disciplinaire,
mais nullement un délit caractérisé, délit qui ne saurait
exister que si le notaire avait eu la surveillance de la créance
même» à laquelle il avait pris intérêt, et non de l'acte des-
tiné k la constater.
475. L'officier supposé capable et compétent, il faut
encore que l'acte soit reçu avec les solennités requises. (G. civ. ,
art. 1317.) Ges solennités se rattachent, soit k la qualité des
personnes qui le reçoivent , soit aux règles k suivre dans la
rédaction.
476. « Les actes », dit l'article 9 de la loi de ventôse,
« seront reçus par deux notaires , ou par un notaire assisté
a de deux témoins» citoyens français, sachant signer, et
(( domiciliés dans l'arrondissement communal où l'acte sera
« passé. » Gette disposition, dont le principe remonte k une
ordonnance de Philippe le Bel de 1304, est nécessaire pour
donner aux parties des garanties contre la prévarication des
officiers publics. L'accord de deux notaires pour falsifier les
conventions des parties est infiniment moins probable que
la malversation d'un seul. La présence des témoins, que
l'on a appelés instrumentaires k raison de leur concours k
Tacte (instrumentum) ^ se justifie par le même motif.
Mais il est souvent difficile, dans la pratique, d'obtenir
l'assistance de deux notaires -, aussi la prescription de l'or-
ACTES NOTAKIÉS. 29
donnaoee de 1904, bien que renouvelée en 1437 , élait-elle
KMnbée en désuétude dans Fancien droit, excepté pour cer*
tÛDs actes d*one hante importance, tels que les testaments.
L'article 14 des statuts et règlements de la communauté des
lioUires au CSiâtelet de Paris, homologués par un arrêt du
Mement du 13 mai 1681 , portait que les notaires seraient
%és de signer l'un pour l'autre les actes et contrats non
contraires aux ordonnances et bonnes mœurs, dont ils
seraient requis, sans le pouvoir refuser ^ et cette jurispru-
dence avait été convertie en loi par des édits de 1691 et
n06. Depuis la promulgation de la loi de ventôse, les
oêmes habitudes se sont conservées dans la pratique quant
u notaire en second , et nos mœurs répugnant souvent k
l^admissitm de témoins dans le secret de nos affidres, l'usage
^est également introduit de faire signer l'acte après coup
!>ar les témoins instrumentaires. C'était là, nous persistons
)le croire, une violation manifeste de la loi : violation long-
teps tolérée par la jurisprudence, qui se fondait sur un
^ier motif ^ la prétendue abrogation par désuétude de
Indisposition de la loi de ventôse, mais enfin condamnée
pv QQ arrêt de cassation du 25 janvier 1841. Cet arrêta
^Ti d'une autre décision conforme (16 novembre 1841),
Bût le législateur dans la nécessité de sauvegarder les inté-
^ts compromis par ce changement de jurisprudence , et
^ statuer pour l'avenir ; tel a été l'objet de la loi da
^ jmn 1843.
Quant au premier point, il est vrai que certains esprits
^t contesté au législateur le pouvoir de rendre de véritables
^ interprétatives , de nature à régir le passé ' . Mais cette
' fl n'y aurait empiétement sur le pouToir jvdidaire qu'autant que le
Nroir législatif intenriendrait dans des causes particulières pour inter-
^ la loL (Voy. notamment le décret du 19 pluviôse an II, par lequel
* Cmrentbn annula, sur la demande des parties, un jugement du tribunal
30 ACTES NOTARIÉS.
théorie, contraire d'aiUeurs & celle des anteurs les plus
exacts , ne pouvait prévaloir contre le désir bien légitime
d'assurer la paix des contrats et la stabilité des familles , en
défendant a d'annuler les actes notariés passés depuis la pro-
ie mulgation de la loi du 25 ventôse an XI, par le motif que
« le notaire en second ou les deux témoins instrumentaires
« n'auraient pas été présents a la réception desdits actes. »
C'est ce qu'a fait l'article !•' de la loi nouvelle , contre lequel
il ne saurait s'élever d'objections sérieuses.
Pour l'avenir , le législateur , bien qu'il prétende ne faire
qu'expliquer la loi de ventôse (loi de 1843, art. 3), Ta réel-
lement modifiée , puisqu'il a donné raison k la pratique , en
dispensant généralement les parties de l'assistance du second
notaire et des témoins. [Ibid.^ art. 1 et 3.) Soit lors de la
discussion de la loi de 1843, soit depuis cette époque, on a
accusé le pouvoir législatif d'avoir manqué d'énergie , et de
n'avoir pas même su être conséquent dans un système vi->
cieux. Ces reproches ne nous paraissent pas fondés. D'abord,
il n'y avait pas de motifs suffisants pour se roidir contre les
difficultés pratiques qu'offrait la présence réelle du second
notaire et des témoins, puisqu'il était avéré que les désordres
du notariat ne tenaient nullement au défaut 9e cette pré-
sence réelle. Mais, dit-on, il serait alors plus simple et plus
logique de faire rédiger les actes par le notaire seul. Cette
idée a été repoussée en connaissance de cause par le légis-
lateur. « On a considéré, d'une part )», dit M. Philippe Du-
pin, dans son rapport k la Chambre des députés (Moniteur
du 9 mars 1843) , « que la formalité de la signature après
« coup du second notaire ou des témoins était sans inconvë-
I
de cassation portant sur la compétence.) Quant à la faculté d'interpréter la
loi d'une manière générale, même pour le passé, elle ne saurait appartenir
^'au pouYOir législatif : or, les besoins sociaux exigent quelquefois, ainsi
que cela est arriYé en 1848 pour les actes notariés, qu'U soit fait usage à»
cette faculté.
ACTES IfOTARIÉS. 31
nient poor les parties et d'un accomplissement fedle pour
les notaires. D*nn autre côté , et bien que ce ne soit pas
ane garantie puissante, cet usage a cependant quelques
avantages. Ainsi le notaire en second, sans pénétrer indi-
rectement dans le secret des actes , Térifie si les formes
eitérieores sont observées, si le protocole est régulier,
si les renyois et l'énoncé des mots nuls sont exactement
parafés, si l'acte ne contient pas des blancs ou des mter-
lignes dont on puisse abuser. L'obligation d'imiter la signa-
ture du notaire ou des témoins rendrait le faux plus diffi-
cile, si quelque main était tentée d'en commettre, ou
mettrait plus vite sur la trace du crime. Enfin c'est un
obstacle aux retranchements ou aux intercalations de ren*
vois qu'on voudrait faire par la suite au détriment des
parties et du fisc. On n'a pas voulu enlever sans motifs
ces garanties, quelque feibles qu'elles puissent paraître. »
Toutefois, la loi de i843 maintient (art. 4) les règles
spéciales du Gode civil sur la forme des testaments \ De
phis, elle exige (art. S) la présence du notaire en second
OQ des deux témoins pour les actes notariés les plus impor-
tants, ceux qui contiennent donation entre-vife, donation
^tre époux pendant le mariage * , révocation de donation
OQ de testament , reconnaissance d'enfknts naturels , et les
piocurations pour consentir ces divers actes. Cette présence
Mt être mentionnée k peine de nullité (même art. 2). Mais,
^e pour ces actes ainsi places dans une catégorie spé-
^de, la loi nouvelle n'exige point qu'il y ait assistance, soit
^ 1)808 lei testaments, la plus légère absence dhin témoin suffit pour
^i^l'icte. (Bordeaux, S mai 1860.)
' On vnix proposé d'appliquer la même règle anx donations faites par
^tnt de mariage et aux contrats de mariage en général. Mais il a été
^^^oam qa^U y aYait une garantie suffisante dans Passistanee des deux
j^es à ces stipulations solenneUes , aux détails desquelles nous ne
1^9008 point toujours oonyenable d'immlsoer des tiers.
32 ACTES NOTARIÉS.
aux pourparlers préliminaires» soit k la rédaction de la mi-
nute, a La présence du notaire en second ou des deux
« témoins », dît Tarticle 2, « n'est requise qu'au moment
(( de la lecture des actes par le notaire et de la signature
a des parties '. » On voit que l'esprit de la loi est toujours
de garantir, autant que faire se peut, le secret des conven-
tions , qui est essentiellement dans nos mœurs.
477. Une disposition qui a toujours été rigoureusement
observée, c'est celle de l'article 8 de la loi de ventôse, re-
nouvelée d^un arrêt de règlement de 1550 , qui interdit aux
notaires parents ou alliés, a l'infini en ligne directe, et jus-
qu'au troisième degré en ligne collatérale, de concourir au
même acte -, mais aucune décision moderne ne reproduit la
défense, faite aux notaires par le parlement de Paris, le
iO février i615, de se réunir au nombre de plus de deux
pour la passation de leurs actes , de crainte que le secret
des parties ne fût compromis. Cet abus, du reste, si tant est
qu'il y eût abus, est peu k craindre , les officiers publics
n'étant guère disposés à venir assisteir bénévolement k des
opérations d'où ils ne pourraient retirer aucun émolument.
La Cour de Reims a effectivement déclaré valable, le 7 fé-
vrier 1855, un acte de donation reçu, comme un testament
(C. civ., art. 971), en présence de deux notaires et de deux
témoins.
* La loi de 1843 ajoatant : « Elle sera mentioiinée à peine de nullité i»,
on s'est demandé si c'était la présence du notaire en second et des témoins,
on bien la lecture de l'acte, ainsi que le Code (art. 972) le décide pour les
testaments, qui doit être mentionnée. Il est sans doute plus sage de
toujours mentionner la lecture du présent acte par le notaire en présence
du second notaire et des témoins, suivant le formulaire prescrit par une
circulaire de la chambre des notaires de Paris, en date du 24 juin 1843.
Mais nous pensons , avec un jugement du tribunal de Dijon , du 30 juin
1857, que le pronom die, dans la loi de 1843 , se rapporte grammaticale-
ment à la présence exigée , et non pas à la lecture de Pacte , et que dès
lors il n'est point permis de suppléer une nullité que le texte ne prononce
pas. (Voy, en sens contraire M. Demoly, Meime critique, tom. XTV, p. 434.)
ACTI8 NOTARIÉS. 33
478. Qout aux conditions de capacité que doivent réunir
les lémoins, l'article 9 exige d'abord qu'ils soient dfoyoït
frïïMçm. Pour soutenir qne ces mots , ainsi qne l'a jogé un
ffrét de rejet dn 10 juin 1824, ne doivent pas être pris ^ la
lettre, on invoque, soit la nature des fonctions de témoin,
ivi n'a rien de politique, soit le vocabidaire en usage sous
h pemière république française, qui tendsdt ^ généraliser
le sens du mot €itasea\ (On sait que les fenunes mêmes
étaient aj^lées dtoyames. ) Mais il n'y a rien d'extraordi-
uire à considérer conune une sorte de mission publique le
linistère de celui qui est appelé ^ contrôler la gestion d'un
«fficier public , avec la £aiculté d'appeler sur sa tête la peine
h Eux, en cas de prévarication. Adoptée par un arrêt de
BiMien du 13 mai 1839, cette doctrine est d'ailleurs en
bnnonie a^ec celle que nous avons admise en matière
^expertise (n* lU). Les articles 34 et 42 du Gode pénal
ftettent, en effet, sur la même ligne l'incapacité d'ê(re expert
et celte d'être employé comme témoin dans les actes. Quant
>v sens même du mot ekoyen, il ne faut pas transporter les
'Âominations et les idées qui avaient cours sous la Con-
^tion, à l'époque du Consulat, sous lequel les idées répu-
Ucaioes étaient singulièrement ef&tcées. N'est-ce pas d'ail-
leurs l'article 7 du Code civil , promulgué le 27 ventôse an XI,
c'est-à-dire presque en même tanps que la loi sur le notariat,
^' a déclaré l'exercice des droits civils indépendant de la
<Nité de citoyen? Aussi est-ce en connaissance de cause
^e l'article 980 du même (!ode n'a exigé des témoins aux
testaments que la qualité de T^pui&oJet, remplacée dans
les rédactions postérieures par celles de n^eu de Cemperettr,
ÏW8 es rot. Le projet de Code (titre De$ domaunu et «««o-
n.
34 ÀGTBft ROTARléa*
nieras, art. 73) exigeait (esperdcù de$ drok^poUUqueti; ce qui
fut supprimé par le Goaseil d'État. Le rapport de M. Jaubert
au Tribvnat sur le titre Oas domoians fait bien ressortir le droit
commun et l'exception en cette matière : « Quelques obser*
« vations sur les témoins testamentaires » , dit l'orateur :
« il soSit qu'ils jouissent des droits civils, tandis que, pour
« les actes publics ordinaires, où k la vérité il n'en faut que
« deux, il est indispensable qu'ils jouissent des droits polî<-%
«tiqueté v Si notre ancienne législation n'exigeait dans
tous les cap que la qualité de régnioole, c'est qu'il n'y avait
guère lieu alora 1^ s'occuper des droits politiques, lea
états généraux n'étant pas même ccaivoqués une fois par
siècle.
Noua considérons, du reste, comme citoyen firançais tout
majeur de vingt et un ans, qui n'est pas dans un cas d'inea^
paclté. Telle était notre opinion sous l'empire de la charte
de 4830,- et il y a encore moins de doute à cet égard, aujour-
d'hui que la condition exigée par la constitution de l'an VIII
(art. 2), d'une inscription pendant un an sur les registres
civiques , k partir de la majorité , a été formellement abolie
par la constitution de i848, qui a conféré le droit électoral
à tous les Français âgés de vingt et un ans et jouissant de
leurs droits civils et politiques : principe consacré de nouveau
par le décret du 2 février i%S& (art. i2) , et toujours suivi
depuis. Dès lors sont tombées toutes les restrictions anté^
rieures quant k l'exercice des droits de citoyen, notamment
celles qui résultaient des articles 4 et 5 de la constitution de
l^an VIII \ La qualité de citoyen français appartient donc
aujourd'hui k tous ceux qui n'ont pas perdu d'une manière
' Il faut remarquer surtout celle qui frappait les serviteurs à gages ,
lesquels ont recouvré depuis 1S48 la plénitude des droits politiques, sans
toutefois pouvoir être appelés aux fonctions de juré. (Loi du 21 novembre
1872, art. 4*)
▲GTBS IfOTàRliS. 35
générale la capacité politique par suite ^ soil d'une oondaiiH
ntiûo ï une peine emportant dégraidation civique, soit même
i'one interdiction judiciaire. Quant aux conditions spéciales
d'ipdtude pour Télectorat et pour l'éligibilité , elles ne sau-
mnt être requises pour les finictions publiques, et spéciale*
Beat pour le simple ministère des témoins instrumentaires,
(Test ainsi qu'aux termes de la constitution de i848 (art. 37),
il kâ électorale devait déterminer les causes qui peuvent
prirer ui dioyai faunçau du droit d'âire éi d'être éiu. On
Feol donc demeurer citoyen français en cessant d'être éleo
t^. n n'y a point dès liMrs k se préoccuper, en ce qui
tmfae les témoins instramentaires, des restrictima spé*
Aies, phtt 00 moins ffraves, établies par les lois électo*
nies.
479. Ce que nous avons dit de la capacité putative du
B5tùre, doit s'appliquer également k la capacité putative
^ témoins. Ainsi , quand ils auront encouru une condaoH
Bttioii ignovée de tous ceux avec qui ils se trouvaient en
Kbtion, l'erreur des parties, étant invincible, ne devit
ps entrains la nullité de l'acte. La Cour de cassation (Rej.,
Sjaillet i831 et 24 juillet 4839) s'est prononcée en ce
sens. Mais la Cour d'Aix a été trop loin, quand eOe a
décidé, le 90 juillet 1898, que Terreur commune suffisait
pour valider Tacte qu'avait signé comme témoin un cordon-
lùer patenté, mineur de vingt et un ans, qui passait dans le
pjys pour majeur. B est facile de se faire représenter un
extrait des registres de l'état civil , et c'était un singulier
i&ojei de vérification pour un netaire, que de s'en rapporter
^ la raneur publique pour Pexistence d'une qualité qu'ail
pomnt si aisément constater. Ce serait seulement dans le
os de production d'un faux acte de naissance, qu'il serait
possible d'elfacer favorablement la nullité. Il faut reconnaître
i^éainnoins que ta question de savoir s'il y a eu erreur invin-
36 ACTES NOTARIÉS.
cible comporte une appréciation de pur fait, qui n'est point
susceptible d'être revisée par la Cour de cassation. (Rej..,
24 juillet 4839 et 4 février 1850.)
480. La seconde condition de capacité, requise des
témoins, sur laquelle il ne peut y avoir d'équivoque, parce
qu'elle est toute de fait, c'est celle qui consiste k savoir
signer. L'ordonnance de Blois, de 1579 (art. 166) » voulait
que dans les villes et gros bourgs il y eût un des témoins
qui sût signer , mais seulement dans le cas où les parties ne
signeraient point elles-mêmes. L'usage de l'écriture étant
bien plus répandu de nos jours, la loi de ventôse a voulu
que, dans tous les cas, les deux témoins fussent capables de
signer : mais une tolérance, analogue k celle de l'ordonnance
de Biois, existe quant aux testaments authentiques, pour
lesquels un plus grand nombre de témoins est exigé. L'ar-
ticle 974 du Code civil se contente alors de la signature de
la moitié des témoins, dans les campagnes. Aujourd'hui,
comme jadis , les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire
pour apprécier, d'après l'importance de la localité, si elle
doit, ou non, être considérée comme campagne. (Rej.,
10 juin 1817 et 10 mars 1829.)
481. En troisième lien, ils doivent être domiciliés dans
l'arrondissement communal où Tacte est passé. Des per-
sonnes du pays sont plus k même de reconnaître la sincérité
des déclarations faites par les parties. Il est aussi plus facile
de les retrouver ensuite , quand on a besoin d'invoquer leur
témoignage,
482. Le même degré de parenté ou d'alliance, qui ne
doit pas exister entre le notaire et les parties, ne doit pas
exister non plus entre les témoins et le notaire, ni entre les
témoins et Tune des parties contractantes. (Loi de vent. ,
art. 8. ) Mais il n'y avait aucun motif sérieux pour interdire
k deux parents de porter témoignage ensemble : « Nihil
ACTB8 NOTARIÉS. 37
■ jiocet ex ana domo plnres testes alieno negotio adhiberi. »
( Yoy. Instit. , § 8, />« letl. orcfin.)
Les témoins ne doivent pas non plus (même art. 8) être
dercs on serviteurs du notaire. Mais le simple fait d'avoir
rédigé des expéditions pour un notaire , lorsqu'on n'est point
attaché 2i son service habituel , ne constitue point une véri-
table clérieatnre. (Rej., 5 février 1829 et 10 avril 1855.) Il
en serait autrement si les rapports étaient permanents,
bîes qu'il n'y eût point eu inscription au stage, le tout
soÎTSiBt l'appréciation des juges du fait. (Rej., S5 jan-
vier 1858.)
Nous avons achevé ce qui concerne les personnes dont le
ministère donne l'authenticité k l'acte notarié. Parlons main-
teDani des formalités matérielles requises pour la validité
intrinseqoe de cet acte.
483. On doit y énoncer (loi de vent., art. 12) le lieu,
raimée et le jour où il est passé ^ ce qu'on appelle la date ,
do mot daium, usité dans le style latin de la chancellerie du
saint-siége, pour indiquer que la pièce avait été émise k
telle époque. On ne parle pas du mois , que cependant il
n'est pas possible d'omettre au fond , peut-être pour empê-
cher qo'on n'annule un acte daté par relation k une fête dont
il serait facile de vérifier la date, par exemple, de la veille
de la Totusanu. L'ordonnance de Blois voulait de plus
(art. 167) qu'on indiquât si l'acte avait été passé avant ou
après midi. Cette mention, qui n'est plus exigée, avait alors
mie hante importance, puisqu'il était essentiel de constater
exactement la date des- actes notariés, qui emportaient hypo-
thèque k partir de cette date. Elle peut être utile aujourd'hui
ponr établir la préférence entre deux acheteurs qui auraient
acheté le même immeuble, le même jour, de la même per-
sonne, sans que ni l'un ni l'autre eût fait opérer la transcrip*
tion \ on entre deux acheteurs d'effets mobiliers, dont aucun
38 AGTKê NOTARttS.
n'aurait été mis en possession effective des objets vendus.
La même ordonnance exigeait (même article) la mention
de la maison où Tacte était passé, de ce que Dumoulin
appelle le lociu lod. La loi de ventôse parle simplement du
lieu;cequis*entendordinairementdelacommuneoùlenotaire
instrumente. On a voulu seulement bien constater, ainsi que
nous Tavons remarqué, qu'il agit dans les limites de son
ressort. Aussi la Cour de Riom a-t-elle décidé, le 18 mai 1841 ,
conformément k plusieurs arrêts antérieurs de diverses
Cours , que la mention du locus lod n'est pas indispensable :
mais elle peut être utile, pour le cas où l'acte serait attaque
par la voie de Tinscription de faux.
484. La mention des noms et demeure des témoins in-*
strumentaires est également requise (t6ûi.); il faut qu'on
puisse les retrouver au besoin. D'ailleurs , c'est la meilleure
garantie que le notaire n'emploiera que des témoins domi-
ciliés , puisque autrement il serait dans Taltemative de faire
un acte nul, ou de commettre un faux. On a prétendu, il
est vrai, que les prescriptions de la loi de ventôse sur la
mention de la demeure des témoins ont été virtuellement
abrogées par la loi interprétative de 1843 (n"* 476), qui
n'exige plus la présence effective des témoins -, mais , lors
même que cette nullité serait contraire à l'esprit de la loi de
1843 , il eût fallu que cette loi eût statué d'une manière
précise pour anéantir une disposition formelle de la législa-
tion sur le notariat. (Nîmes, 22 avril 1857.)
En ce qui toucbe le notaire, sa signature le faisant suffi*
samment reconnaître, l'insertion de ses noms et lieu de
résidence dans le corps de l'acte n'est pas substantielle.
Quant aux parties , elles doivent être désignées clairement ;
sinon l'écrit serait, en fait, insuffisant comme preuve. Mais
la mention de leur demeure n'a pas d'importance , puisque
la compétence de l'officier n'est pas personnelle, mais terri-
ACTES HOfÀftttlS. 39
tDJMie. Enfin li règle qiâ enjoint au notaire {ilM. ^ art. 11),
s'il ne eonnait point les parties , de se faire attester leurs
DOiDs , état et demeure , par deux citoyens ayant les qualités
requises poor être témoins instnimenUiires , a trait k la res-
poosabilité de Tofficier quant k l'identité des parties, mais
naliemeni k la iralidité de Tacte en lui-même*
Jasqn'k Tordonnance de 1360 (art. 84) ^ la signa-
des parties n'était pas exigée, lors même qu'elles savaient
signer. La connaissance de l'écriture étant peu répandue an
moyed jkge % le cas où les parties savaient signer était rare,
et dès lors on ne s'en était pas occupé. La décision de
Cliarles IX fut provoquée par le nombre de faux qu'avait
occâsionDés , dans le seizième siècle , cette trop grande latt-
tiide laissée aux notaires. C'est de la législation de eette
^K>qae , où , sods l'inspiration du chancelier de L'Hospital ,
s'opérèrent tant d'importantes réformes , que nous est venue
l'obligation (loi de vent., art. 14) de faire signer les parties,
si elles Bavent le fidfe, et de mentionner leurs signatures,
ou dd moins, si elles ne peuvent signer, de mentionner
cette impossibilité. Nous ai^ns déjk fait observer combien
la nécessité de la mention est salutaire, en aggravait la
responsabilité de l'officier qui contreviendrait k la loi. De
plus , en matière de testaments , la signature est si impor-
tante , qu'on exige , lorsqu'elle manque , mention expresse ,
non-seulement dé la déclaration que le testateur ne petit
signer , mais encore de la cause qui l'empêche de le faire.
(C. civ. , art, 973.)
La règle que les parties doivent signer n'est pas, du reste,
applicable k tous les actes authentiques. Quand le législa-
■ On Toit par des lettres patentes de mai 1358 qu'à cette époque,
plusieurs membres du conseil même du roi ne sachant pas signer, â suffi-
sait de la suscription de trois persomies présentes , les autres se contentant
d^apposer leurs sceaux aux actes du conseil.
40 ACTES NOTARIÉS.
leur autorise purement et simplement un officier à faire un
acte de son ministère , il est présumé avoir reçu pouvoir de
ses clients , tant que le contraire ne soit prouvé. Telle est
la pratique constante en ce qui concerne les avoués et les
huissiers. La signature des parties n'est exigée k leur égard
qu'exceptionnellement, par exemple, pour l'exploit d'oppo-
sition k un mariage (C. civ., art. 66), et pour rinscription
au greffe du désaveu d'un officier ministériel. (C. de proc.,
art. 353.)
Quant aux témoins, il faut toujours qu'ils signent, sauf
l'exception que nous avons signalée pour les testaments
(n* 480), et que mention soit faite de leur signature, on
bien , si on se trouve dans le cas de l'exception , de l'impos-
sibilité où ils sont de signer. (Loi de vent., art. 14.) Uu
arrêt de cassation du 16 juillet 1833 a décidé que, même
dans l'ancien droit, la mention de la signature, tant des
parties que des témoins, était prescrite k peine de nullité.
Enfin la signature du notaire lui-même est évidemment
essentielle. Elle seule engage sa responsabilité, et donne k
l'écrit le caractère de l'authenticité , qui s'attache k la noto-
riété de cette signature. Un arrêt de rejet du 12 no-
vembre 1807 a décidé, en conséquence, qu'un acte auquel
manque cette formalité essentielle n'est pas même passible
du droit d'enregistrement. La nécessité de la signature du
notaire ne s'est également établie que dans les temps mo*-
demes. Ces officiers n'étant dans l'origine que les rédacteurs
des actes (n** 461 et 462) , les parties y apposaient leurs sceaux ,
et il n'y avait aucune attestation de la présence du rédac-
teur, qui n'avait point de caractère officiel '. Mais les rotu-
riers , qui n'avaient point de sceaux, devaient faire passer
■ « Infioita pêne Tidi antiqua instramenta », dit Boioean (Préface, S S),
« qaœ nuUo tabeUionU signo , 8ed sola «njusdam antiqui sigUU appensLone
« munita erant. »
ACTES NOTARIÉS. 41
leors actes devant un officier publie (Beaumanoir, ch.xxxv,
1 22) j et il devint dès lors fort utile de donner le caractère
f officier public au rédacteur de4'acte. Les notaires eurent
donc uo sceau , qui dut être apposé aux actes , aux termes
d'une ordonnance de juillet 1304. Si la signature du notaire
s'introdoisit peu k peu dans la pratique» cette formalité
se devint obligatoire qu'à partir de l'ordonnance de 1535 ;
la règle ne fut même généralement observée qu'après avoir
été reproduite par l'ordonnance de 1560. Jusqu'alors, le
seeaiL, ainsi' que l'a jugé la Cour de Toulouse, le 10 mai 1838,
était chez nous» comme jadis k Rome, la seule garantie de
Ja aincérité de l'acte. Aujourd'hui chaque notaire doit encore
avoir «n sceau particulier (loi de vent., art. 27) ^ mais nous
verrons que l'apposition de ce sceau n*est pas même néces-
saire comme formalité extrinsèque.
La lettre de l'article 14 de la loi de l'an XI prescrivait
aussi la mention de la signature du notaire ^ mais le conseil
d'État (avis du SO juin 1810) a reconnu que cette mention
est tout k fait surabondante. Si la signature du notaire est
véritable, la mention de cette signature est parfaitement
inutile ^ si elle n'est pas véritable , il y a faui caractérisé par
cela même, et le second faux, que contiendrait la mention
meosongère, n'ajouterait rien k la pénalité encourue par le
fait seul de la fausse signature.
486. Pour que les actes reçus par le notaire aient le
caractère de stabilité qui les distingue spécialement des
actes sous seing privé, il faut que le notaire en demeure
dépositaire. De là l'obligation de garder minute, et de ne
délivrer aux parties que des expéditions. Mais que faut-il
entendre par cette obligation ? et k quels actes est-elle
applicable ?
Si on prenait k la lettre l'expression de garder minute ,
employée par la loi sur le notariat, on croirait que le notaire
42 âCTBi HOTAttlÉS.
doit notHsettlement rédiger, mais conserver dtitts sôù élude,
k peine de nullité, la minute même de l'acte. C'est ce
qu'avait décidé la Cour de Bastia , dans une espèce où la
minute d'un contrat de mariage, retrouvée plus tard, avait
été momentanément égarée. Une pareille doctrine serait
éminemment dangereuse pour les intére^séd, dont les droits
seraient exposés h périr, sans aucune faute k eux imputable,
par la négligence de Tofficier public. Heureusement la loi
de ventôse n'a point une portée aussi exorbitante. Il fout
distinguer l'obligation de garder minuie, c'est-k^dire de rédi-
ger une minute destinée k demeurer en la possession du
notaire, prescrite, en effet, k peine de nullité, par la com-
binaison des «articles 20 et 68 , et l'obligation dé ne point se
desiawr de la minute, établie par l'article 22, qui n'est qu'une
prescription disciplinaire. Aussi l'arrêt de la Cour de Bastia
a-t-il été cassé le 6 décembre 1882.
La prescription même de la rédaction en minute ne s'in-
troduisit que lentement dans l'ancienne jurisprudence , et
seulement pour certains actes d'une plus haute importance.
Sous la loi de ventôse (art. 20) , c'est l'obligation de garder
minute qui est devenue la règle; il n'y a d'exception
(même art.) que pour « les certificats de vie, procurations,
R actes de notoriété, quittances de fermage, de loyers, de
(( salaires , arrérages de pensions et rentes , et autres actes
K simples, qui, d'après les lois, peuvent être délivrés en
«( brevet, ut Mais par actes simples il faut entendre ici ceux
qui n'ont qu'un intérêt faible et passager, et non pas, comme
on Ta prétendu, ceux qui émanent d'une seule volonté, tels
que les testaments. Cette interprétation, aussi dangereuse
qu'erronée, a été proscrite avec raison par un avis du Con-
seil d'État du 7 avril 1821.
487. Une dernière nullité, qui n'est que partielle, frappe
les mots surchargée , interlignés ou ajoutés. (Ibid. , art. 16.)
ACfËfl KOTiRtÉB. Id
Cette nullité peut réagir sur Tacte tout entier, si les mots
Tideux sont essentiels, par exemple, s'il s'agit de la date ',
(Rej. , 27 mars 1812.) Le notaire doit s^abstenir de toute
addition dans le corps de l'acte ; les reuToiS) si leur Ion*-
goear n'oblige point k les transporter k la fin de l'acte,
doirent être écrits en marge, avec la signature ou le parafe
des notaires et des autres signataires. {Ibid. , art. 15.) Le
Qombre des ratures doit être également constaté en marge
ou b la fin de l'acte, et approuvé (ibid. , art. 16) , solvant
l'Ancienne pratique , attestée , en ces termes , par Mascardus
(GoDCl. 1261 , nM6) : Si notariuê atravit in Bùripiura, débet,
td eintandam stutridanern, in fine âcripturm ac chirographi eontt*
mauto faeere nufntiùnem, quaiiter ipsê abrasU taie ifetbum, in
laU Unea, velfecit totem lineam in margine. Mais il faut distin*
goer entre les additions et les ratures. Les additions non
approuvées sont nulles (même art. IS). Pour les ratures,
d'abord la loi sur le notariat ne reproduit pas un règlement
beaucoup trop rigoureux de 1683 , qui prononçait la nullité
de Tacte k raison des ratures qu'il contenait. Si un acte
rempli de ratures non approuvées doit être écarté comme
sQspect , il n'en est pas de même au cas où Ton ne signale
que quelques ratures sans importance , conformément a la
Tieille doctrine ' : Si ratura non eU in loco substantiatî et mt^
pecto,nonfacitfiUsuminstrumentum, (Mascardus, i6îd., n*9.)
Bien plus , les ratures elles-mêmes , sauf amende contre le
notaire (même art. 16), ne sont point considérées comme
non avenues, par cela seul qu^elles n'ont pas été approuvées.
Il peut résulter, en effet, avec évidence, des termes de
l'acte qu'elles ont été faites lors de sa rédaction , cum verba
* Mais Pacte non régnUèremeiit daté aitfait aa moina date du jour de
l^enregistreiDent. (Rej., 6 mars 1827.)
> M. Greealeaf oonstate (tom. I , p. 697, noie i) la eoùtensAié du droit
CMnmiui ûufiaiB atec la doctrine de Maaeafdo», qu'il qualifie aasea mal à
propos de roman civU Uxw,
44 ACTES NOTARIÉS.
antecedentia et êequentia demomtrant^ ita esse legendum, ut in
ratura scripturœ reperitur. (Mascardas, ibid.^ n* 19.) Qae si
les ratures n'ont été faites que postérieurement k la rédac-
tion de Tacte, elles doivent être considérées comme non
avenues. Mais, dans le doute, que devra^-t-on présumer?
Que le notaire s'est conformé aux prescriptions de la loi ,
et que dès lors il n'y a de ratures faites du consentement
des parties que celles qui ont été approuvées. Autrement,
il suffirait de la malveillance d'un tiers, qui se trouverait
accidentellement détenteur de la minute, pour détruire la
preuve des droits les plus importants. Il faudra donc en
général, et sauf l'appréciation des circonstances, maintenir
les mots rayés sans approbation , tant qu'on n'établira pas
que la radiation a eu lieu lors de la confection même de
l'acte.
Le seul fait de laisser des blancs dans un acte notarié
n'emporte point nullité. Mais ces lacunes pouvant facile-
ment prêter k des intercalations , les blancs, lacunes et
intervalles sont interdits k peine d'amende par la loi de
ventôse (art. 13). Il est d'usage, dans la pratique des no-
taires, lorsque des blancs ont été laissés k l'avance, de tirer
des barres pour les remplir. Mais alors, pour éviter tout
arbitraire , l'officier doit faire approuver ces barres par les
parties , k peine d'encourir la même amende qui serait pro-
noncée k raison des blancs ou lacunes. (Rej., 21 juillet 1852.)
488. En dehors des prescriptions de la loi de ventôse,
il parait constant que la disposition de l'ordonnance de 1539
(art. 10 et 11), qui veut que tous les actes soient rédigés
en langage maternel français , est encore en pleine vigueur.
Beaucoup de décisions du gouvernement français, tant an-
cien que moderne, ont maintenu impérieusement cette règle,
qui est en parfaite harmonie avec notre tendance k la centra-
lisation et k la régularité administrative. La loi du 2 ther-
ACTK8 ROTABIÉS. 45
■idor 9m n (art. 3) est vernie y donner une noaTelle sanc»
QOD , en proDOQçaot la peine de six mois d'emprisonnement
ei lai destitntion c<Hitre tout fonctionnaire ou officier publie
^ rédigerait on recenait des actes quelconques en une autre
bi^liie qiie la firançaise. Indépendamment de cette sanction
spéciale , doit-on considérer la rédaction en langue firançaise
comme prescrite k peine de nullité ? La nullité avait été
pronoocée autrefois par un édit de décembre 1683 pour la
Flandre , et par un arrêt du conseil du 30 janvier 1685 pour
rAlsaee- D est vrai que la nullité n'est formellement pro-
Booeée ni par Tordonnance de 1539, ni par Tarrélé du
24 prairial an XI, qui en a prescrit l'exécution dans les pays
léaiiîs. Aussi un rejet du 1* mars 1830, rendu, il est vrai ,
dans des circonstances particalières % avait-il écarté cette
sanction. Mais, plus récemment, la cbambre des requêtes
(Rej. , 4 août 1859) s'est prononcée dans. le sens de la nul-
lité, en reconnaissant « qu'il ne s'agit pas d'une de ces
« f<MiDes secondaires et de ces nullités de procédure aux-
« quelles s'appUqoe l'article 1030 da Code de procédure,
■ mais d'un principe essentiel et de droit public, qui importe,
c a un haut degré, 2i la bonne administration de la justice,
c et garantit l'unité de la langue nationale, y
L'arrêté du gouvernement du 24 prairial an XI, en repro-
duisant cette règle poor les pays réunis, a prescrit aux
offiders publics de mettre, k mi-marge de l'original
français, la traduction en idiome du pays, lorsqu'ils en
sont requis par les parties : prescription encore applicable
aujourd'hui, soit pour les étrangers, soit pour les parties
de la France où le français n'est pas la langue populaire.
* n s'agîfiMit d'aocoider Vexequaimr à une acntence Aibitiale écrite en
laupie étrangère, à lac[DeDe on awt joint une tndaction Mie pur on
interprète jnré. On peat dire» à Pappui de la doctrine de Parrèt, que ]a
icntenoe arbitrale ne reçoit de caractère officiel qoe par Fordonnanoe
é*cxequatur, laquelle n^est délivrée que sur le tu de la traduction.
4$ àcna MOTABiÉs.
Mtis utile prescription, qui concilie les nécessités de la
piatique avec les exigmioes légales , suppose que le notaire
eniend la langue de son client, qui ne sait pas le Trançais.
S'il en est autrement, il fiut prendre nn interprète, ei
alors, suivant certains auteurs, Tkiterprète doit réunir les
conditions 4^ capacité exigées des témoins instnimentaires*
Qr, c'est Ik, suivant nous, faire la loi. Sans dente il eon-
viendra de prendre, si on le peut, Tinterprète parmi les
témoins instrumentaires eux-*mémes. Au cas contraire , le
tiers appelé rend un service qui n'a aucun caractère officiel,
et on ne saurait, sans arbitraire, lui imposer aucune con-
dition de capacité. Souvent des étrangers seront ceux qui
rempliront le mieux cet oiBce ^ comment dès lors exiger la
qualité de citoyen firançais ? D nous semble que l'interprète
joue ici purement et sim[demmt le rôle d'un sapiêeur âxos
une expertise. (Voy. n* 414.)
Quant aux tésioins instrumentaires, la Covr de cassaCioD
a jugé (arr. de rej. du 44 juillet 4848), conformément ii de
nombreux arrêts de Cours d'appel, que c'est au juge &
examiner en fait si, bien qu'ignorant la langue dont se
servmt les parties, ils ont été siflBsammeEtt instruits par le
notaire de ce qui se passait en leur présence. Et cependant
il est diftdleque le ministère de pareils témoins soH sârieux,
puisqn*ils reçoivent tous leurs renseignements du fonction^
naire même qu'ils (mt mission de surveiller. D'un autre côté,
exiger, d'une manière absolue, que les témoins connaissent
la langue dont se servent les parties, ce serait souvent
demander 11mpossible« D hnt avouer que la législation
laisse quelque chose ii désirer sur ce point. Peut-être con-^
viendraîl41 de dislînguer suivant les localités, et d'exiger^
par exemple» que les témoins entendent Titalien ï Nice, si
le testateur ne sait que l'italieB -, tandis que , pour les
autres parties de la France, où, à part quelques grandes
Acns mTABiÉfl. 47
TiUes, la eonnaifisanee de l'italien ^t assez rare, on devrait
éire BOÎBs rigeureu.
9 i, irVET wm L*ABtBmS BM OORMUOlfS MCSlVriILLM A LA TALI»1TA
SES AGTB» VQTAAliS.
SOBiAW, — Ài%. Ofigii^ de U doctrine qii attribue )| r«ete letarlè nul ta T«te«r aql^ti-
diaire d'acte privé. — 490. Nécessité de la signature des parties. — 494. L'acte doit-it
rèoiiir les conditions exigées par les articles 4 32» et 4326? — 492. Cas où l'aele Bli
pas même l'apparence de l'aalhentlcilé. — 493. Cas où le notaire a on intérêt persqiviel.
-^ 494. SésmiA.
489. L'absence de quelqu'une des conditions nécessaires
pour qu'il y ait authenticité suffit pour enlever tout effet k
Tacte , quand la convention , k raison de sa nature spéciale ^
comme une donation ou un contrat de mariage, devait être
revêtue des formes authentiques k peine de nullité , ainsi
que l'a décidé la Cour de Bourges, le 97 mars 1859^ poqr
no coqtrat de mariage auquel manquait la signature du
notaire en second \ Mais lorsque Tauthenticité, comme
cela arrive d'ordinaire , n'était requise que pour la preuve y
l'effet de la nullité n'est plus nécessairement absolu. Il faut
voir alors si la volonté des parties a été de subordonner
leur consentement k Texistence d'un acte notarié , ou bien
si elles ont entendu traiter k tout événement. Pana le
prenûer cas, il n'y a rien de fait. Dans le second, au con-
traire, non-seulement la convention existe et peut être
prouvée par tous les moyens légaux , indépendamment dç
Vacte -, mais l'acte lui-même peut encore être invoqué, si on
y retrouve Félément essentiel pour qu'il puisse valoir au
moins comme acte sousjseing privé, la signature des parties,
<( l'acte qui n'est pas autbentiqne », dit l'article 1318 du
Code civil , qui ne fait que reproduire l'article 68 de la loi
' La Cour fait remarquer que , suiTant un abus non prévu par hi loi , et
qm n'est pas saiu exemple daoa la pratique , le second notaire eût pft» à la
Tigneur, signer après coup; malheureusement, depuis 1834, date du contrat,
& anit cessé d^exeieer ses fenelîoBs*
48 ACTES NOTARIÉS.
de ventôse, « par rincompéteneé ou rincapacité de Tofficier,
« oa par un défaut de forme, vaut comme écriture privée,
« s'il a été signé des parties. » Nous avons expliqué plus
haut (n* 471), qu'il ne faut pas entendre ici par ineapacUé
celle qui tiendrait à un vice que les parties n'auraient pu
soupçonner, et qu'en ce cas l'acte dent conserver toute sa
force.
Cette doctrine raisonnable , qui ne veut pas que l'abseDce
de certaines formes puisse détruire la convention , lorsque
ces formes n'ont été considérées par les parties que comme
une précaution complémentaire, est fort ancienne en juris-
prudence. Les jurisconsultes romains avaient déjk résolu
par l'afBrmative (L. 8, pr., D., De acceptU.) la question de
savoir an inutUû acceptiUuio utile kabeai pactum, mais toujours
en supposant qu'il y avait concours de volontés pour
remettre la dette k tout événement. On faisait déjk an
seizième siècle l'application de cette doctrine aux actes
notariés entachés de'quelque nullité , ainsi que nous le rap-
porte Boicéau (Preuve par Umoim^ liv. II, ch. iv) : « Num-
« quid ex tali scripto », dit-il, « tanquam ex chirographo
« privato, creditor, uti poterit in debitorem, hoc modo :
« Peto a Titio, ut signum suum agnoscat, tali instrumente
« appositum, quo fassus est, se mihi debere centum, eique
« hoc nomine subscripsit, ut agnitione facta solvere compel-
« latur ? Puto quod haec actio inepta non esset , non quidem
« virtute et authoritate notariorum, sed virtute solius sub-
« scriptionis factaa per debitorem, quam denegare viro probo
« indignum erit. » Et cette théorie avait été ainsi formulée
par Dumoulin {Adleg. i, § % D., De verb. oblig.^ n* 34) :
Si actut non valet ut agitur, valeat ut vaUre potest, concurrente
voUintate.
490. Pour que l'acte puisse avoir ainsi subsidiairement
la valeur d'un écrit privé, il faut qu'il soit signé des parties,
ACTES NOTARIÉS. 49
et même , d'après Varticle 68 de la loi de ventôse , de umtet
les parties corUractantet. Cela ne veut pas dire que l'acte qui
constate un contrat unilatéral , tel qu'un prêt , doive avoir
été signé du créancier, aussi bien que du débiteur. U s'agit,
comme le dit Boiceau, de la wbicnptio faaa per debkorem.
Si ia loi sur le notariat parle de toutes les parties, c'est
qu'elle a en vue les contrats synallagmatiques , pour la
preuve desquels il importe que chacune des parties ait signé,
les deux engagements étant cause l'un de l'autre. Il y a plus
de doute dans le cas où, plusieurs personnes devant s^enga-
ger solidairement par un même acte, l'une d'entre elles
seolement a signé. Des auteurs graves pensent que le créan-
cier peut s'emparer de cette signature isolée, en soutenant
que l'accession des codébiteurs solidaires n'était exigée que
dans son intérêt k lui , intérêt auquel il lui est loisible de
renoncer. Mais la position du codébiteur , qui se trouve seul
engagé , et privé du recours sur lequel il pouvait compter
Tis-k-vis des codébiteurs qui ont disparu , n'est-elle pas sin-
gulièrement aggravée ? Il faut dès lors décider, avec un
arrêt de rejet du 26 juillet 1832, que, sauf la preuve con-
traire résultant des circonstances , et notamment de celle
qne les codébiteurs dont les signatures manquent, ne
seraient que des cautions, le défaut de signature de la part
de l'un des codébiteurs dénature entièrement la convention,
et par conséquent rend l'acte nul.
491. Avant que la jurisprudence du dernier siècle eût
introduit la théorie des doubles et la nécessité du bon ou
approuvé pour la preuve de certains engagements , décider
qne l'acte authentique signé des parties valait comme acte
sons seing privé, c'était tout simplement dire que, sauf le
cas où les parties n'auraient entendu traiter qu'en forme
authentique , il restait toujours un acte ayant les conditions
requises pour valoir conmie écrit privé : Ex taU scriptop
II. 4
30 ACTBS NOTARIÉS.
tanquam ex chirographo privato, dit Boiceau {loc. dt.), cre(Uior
mi poterU in debitorem. Mais, depuis que des conditions spé-
ciales ont été exigées, comme nous le verrons (C. civ. ,
art. 1325, 1326), pour la preuve des contrats synallagma-
tiques et de certains contrats unilatéraux , on se demande
s'il faut que ces conditions spéciales se retrouvent dans Facte
auquel manque Tauthenticité.
Exiger toujours l'observation de ces conditions, ce serait
retirer d'une main ce que Ton accorde de l'autre ^ car il est
évident que les parties qui se sont adressées k un notaire
afin de constater leurs conventions , n'ont pas pu s'assujettir
k des formes qui ne sont pas requises dans les actes publics.
U n'y a point de difficulté sérieuse en ce qui touche le bon
ou approuvé : la présence d'un oflicier public, malgré l'irré-
gularité de l'acte, est une garantie suffisante contre les sur-
prises en vue desquelles on a introduit cette formalité. Pour
ce qui est de la rédaction en double original, Tronchet a dit
au Conseil d'État (séance du 2 frimaire an XIII) : « Lorsque
(( l'acte est retenu dans un dépôt public , il n'y a plus de
« raison pour exiger qu'il soit double, puisqu'il n'est plus U
« la disposition d'une seule des deux parties, y» En s'atta-
cbant k cette idée , qui est fort raisonnable , on serait con-
duit k décider que l'acte authentique irrégulier, s'il constate
des conventions synallagmatiques , n'est dispensé de la
rédaction en double original qu'autant qu'il en est resté
minute. Mais la loi sur le notariat, k laquelle on s'est référé
dans la discussion au Conseil d'État \ mentionne précisé-
ment (art. 20 et 68) le cas où on aurait délivré en brevet un
acte qui aurait dû être rédigé en minute, parmi ceux oii
l'acte revêtu de la signature des parties vaut comme acte
sous signature privée. Et puisque, dans les autres bypo^
* M. Regoaud de Saint-Jean d^Angely dit (même séance) « que la questioi
est décidée par l'article 68 de la loi dn 25 ventôse an XI sur le notariat. i
A€TB6 NOTARIÉS. 51
(bèses, l'acte est dispensé de TobservatioD des fonnes par-
ticolières aax actes prirés , nous pensons en définitive qu'il
n'est point pennis d'introduire dans le texte une distinction
à laquelle le législateur n'a pas songé.
498. Mais, pour le dédder ainsi , il faut supposer que
l'acte est au moins revêtu des apparences de l'authenticité.
Or, l'incapacité de l'officier peut être telle qu'il y ait faute
grossière de la part des parties li l'ignorer, si elles chargent,
par exemple, un honune étranger au notariat, tel qu'un
huissier, de f»re un acte notarié. Sans doute, l'acte reçu
par cet huissier peut valoir comme écrit privé , en ce sens
qae je serai autorisé k m'en prévaloir , si celui qui a traité
ayee moi a entendu s'obliger indépendamment de la forme
notariée. Mais , comme l'officier auquel on s'est adressé ne
présente pas les garanties qui pouvaient dispenser de Tob^
ser? ation des règles sur les écritures privées , il faudra en
revenir à ces règles, et exiger que l'écrit soit fait double,
lorsque la loi l'exige , de même qu'il y aura lieu de vérifier
la signature des contractants. On devrait en dire autant dans
ie cas où manquerait la signature du notaire. Il n'y a plus
rien qui ressemble k l'authenticité, en Tabsence de cette
formalité essentielle , qui seule constate la présence de l'offi-
der, et engage sa responsabilité. Conune l'k jugé la Cour de
Reims, le 13 juin 4855, l'exception faite par la loi de ven-
tôse et par le Code aux principes généraux ne saurait pro-
léger l'acte , lorsqu'il n'a pas été signé du notaire, qui aurait
pu , sans doute , être incompétent ou inca pable'pour le recevoir ,
mais dont la signature n'en présenterait pas moins la garantie
d'un homme public, confident des parties et témoin de leurs
engagements respectifs.
La question est beaucoup plus délicate , si l'on suppose ,
ee qui est arrivé plus d'une fois dans la pratique , l'acte reçu
par ie clerc du notaire , puis signé par le notaire et mis au
5â ACTES NOTARIÉS.
rang de ses minutes. La Cour de cassation avait d'abord
jugé (Rej., 16 avril 1845) que, les parties s'étant adressées
k un individu sans caractère légal , il n'était possible d'attri-
buer à l'acte que les effets d'un acte sous seing privé. Mais
cette décision , parfsdtement exacte lorsque l'acte n'a point
été signé par le notaire, nous parait contraire k l'utilité
pratique, lorsque le notaire s'est approprié l'acte en le
signant et en le mettant au rang de ses minutes. Alors, s'il
n'y a point authenticité, il y a du moins conservation de
l'acte dans un dépôt public, qui permet à chacune des par-
ties d'en user et d'y recourir selon ses intérêts. La théorie
des doubles cesse dès lors de recevoir son application , ainsi
que l'a décidé en définitive la Cour régulatrice par un arrêt
de cassation du 24 novembre 1869 ^
483. Enfin, ne doit-on pas considérer comme radica-
lement nul , du moins en ce qui concerne l'officier public ,
racle où il se trouve avoir un intérêt personnel , et qui est
en conséquence frappé de nullité (n* 474), suivant l'inter-
prétation généralement admise de l'article 8 de la loi sur le
notariat ? La négative a été jugée par un arrêt de la Cour
d'Orléans, du 10 février 1851 , qui a cru devoir appliquer k
cette hypothèse, comme à toute autre, les dispositions des
articles 8 et 68 combinés, et valider en conséquence comme
acte privé l'acte revêtu de la signature de toutes les parties,
sauf k prendre en considération l'intérêt personnel du no-
taire , si l'acte venait k être impugné pour cause de dol ou
de fraude. Mais la Cour de cassation a consacré la doctrine
contraire, par deux arrêts de cassation, tous deui du
15 juin 1853,. en se fondant sur cette grave considération
que (( si l'acte public , nul pour incompétence ou incapacité
■ Voyez cependant en sens opposé une dissertation remarquable de H. Van-
geois, professeur à la Facalté de droit de Nancy. Du sort des actes sous
seing privée non conformes aux prescriptions du Code. Nancy, 1873.
ACTES H0TARIÉ8. 53
« de Tofficier public , vaut comme ëcritare privée , s'il est
« signé des parties contractantes, ces dispositions, établies
« en Êiveur des parties qui ne doivent pas être victimes de la
ce faute du notaire, ne peuvent être invoquées que par elles
a et jamais par le notaire, dont la loi qu'il a violée n'a pu
« vouloir sauvegarder les intérêts nés de Tacte même où
« cette violation a eu lieu. » Il faut donc reconnaître que l'acte
notarié constatant une convention dans laquelle Fofficier
rédacteur est intéressé, devient suspect de fraude, et ne
peut dès lors valoir même comme acte sous seing privé ^ .
494. On peut donc distinguer quatre hypothèses bien
distinctes :
1* L^aete est reçu par un officier capable et compétent ,
et revêtu de toutes les formes intrinsèques voulues par la
loi ^ — alors il fait pleine foi.
2* Il est signé des parties -, mais il est reçu par un notaire
destitué ou incompétent , ou bien il y manque une formalité
importante, mais non constitutive de l'authenticité, telle que
riiisertion des noms des témoins ; — r alors il a besoin d'être
vérifié, mais, comme il a l'apparence de l'authenticité, il est
dispensé des règles spéciales aux écrits privés , notamment
de la théorie des doubles.
3* L'acte est signé des parties, mais il est reçu par un
olBcier radicalement incompétent, ou bien il y manque la
signature du notaire ; — alors, n'ayant pas même l'apparence
de l'authenticité, il ne peut valoir que comme écrit purement
privé, soumis k toutes les r^les applicables k cette nature
d'écrits.
' Suivant l'im des arrêts rendus, le 25 juin 1853, par la chambre dvile,
Pacte serait tellement nul qu'il ne pourrait pas même servir de commence-
ment de preuve par écrit. Mais il nous semble que c'est là une exagération
de rigueur, le législateur de ventôse n'annulant point la convention entre le
notaire et son client, et les termes de l'acte pouvant être de nature à la
icndre vraisemblable.
84 ACTES NOTARIÉS.
4* L'acte vicieux n'est pas même signé des parties ; —
alors il ne peut valoir évidemment, ni comme acte public,
ni comme acte privé, sauf à établir, s'il est possible, par
d'antres voies , l'existence de la convention. Même décision,
dn moins au regard de l'officier, lorsqu'il s'agit d'un acte
où il se trouve avoir un intérêt personnel.
§ S« Founs KxnnsiQCw bis aciss botaiiés.
SOIUAIIIE. -* 495. Fomalités nécessaires pour rexëcation. — 496. Signature da notaire »
dans tonte expédition. — 497. Formes spéciales pour les expéditions exécutoires. —
49S. Orifine de Vexécution parée. — 499. Sceau; son importance autrefois. ~ 800. Foi^
mule exécutoire. Variations de la législation à cet égard. L'observation des décrets
de 4852 et de 4870 est-eiie prescrite ï peine de nollité? — B04. L^isatlon. ---
502. Enregistrement.
48tf • Les formalités dont il nous reste k parler ont beau-
coup moins d'importance, puisqu'elles n'ont pas trait k la
foi de l'acte en lui-même , mais seulement k sa force exté-
rieure. Les formalités intrinsèques suffisent, en effet, pour
la validité de la minute, qui est l'original auquel on doit
recourir en cas |de contestation. C'est seulement lorsqu'on
veut exécuter qu'il devient nécessaire de se faire délivrer
une expédition revêtue de certaines formes additionnelles ^
la minute restant entre les mains du notaire. Cette règle est
commune d'ailleurs aux jugements , qui ne s'exécutent pas
sur la minute, mais sur une expédition délivrée par le
greffier. Le texte du Code de procédure (art. 811) ne fait
exception k cette règle que pour les ordonnances de référé ,
dont le juge peut autoriser, au cas d'absolue nécessité,
l'exécution sur la minute. Plusieurs décisions de la jurispru-
dence (Rej., 10 janvier 1814-, Nîmes, 1*' avril 1838) auto-
risent les juridictions ordinaires k procéder de même , lors-
quHl y a urgence bien constatée ^ et il faut avouer que se
reftiaer k accélérer ainsi l'action de la justice, quand la
nécessité l'exige, ce serait sacrifier le fond k la forme. Mais
cette décision ne doit pas s'étendre aux actes notariés, dont
ACTE8 HOTAKIÉS. 55
rexécntioD est difficilement de nature à exiger célérité. On
n'exécute ces actes que sur la grosse, ainsi nommée par
opposition h la minute^ parce qu'on l'écrit en plus gros carac-
tères ^
496. Une formalité essentielle k toute expédition , qu'elle
soit ou non destinée k être exécutée , c'est la signature du
notaire, sans laquelle rien ne constaterait que Técrit émane
du dépositaire légal de la minute.
487. Voyons quelles sont les formes spécialement exi-
gées pour les expéditions exécutoires.
498. Vexécution parée, expressions qui viennent , suivant
Loyseau, de celles qu'emploie le Digeste (L. 40, pr., D.,
De minorib.) : Parta ex causa judieaH persecutio, dont on a fait
par corruption perseciUio ou execuHo parata, n'était attachée
dans l'origine qu'aux jugements. Les notaires étant primiti-
vement, ainsi que nous l'avons vu , des délégués de l'auto-
rité judiciaire , on imagina de se faire condamner k l'avance
par eux, en avouant la dette : ce qui donnait k l'acte volon-
taire l'autorité d'une sentence. L'ordonnance de 1539
(art. 65), supprimant ces circuits frustratoires , disposa que
les lettres obligatoires passées sous le scel royal seraient
exécutoires sur tous les biens meubles et immeubles des
obligés. (Voy. Loyseau, De la garantie des rentes, ch. xii.)
Toutefois , lors même que les actes notariés cessèrent d'avoir
un caractère judiciaire, on laissa subsister l'intitulé primitif,
qui devint commun aux jugements et k ces actes. Au sur-
plus, Tordonnance de 1539 n'était pas exécutée dans toute
la France. II y avait des ressorts où les actes notariés
n'étaient exécutoires qu'en vertu de lettres de chancellerie
ou de commissions du juge délivrées au greffe. C'est seule-
* Les notaires étaient tenus piimitiyement de grossoyer eux-mêmes
leurs actes; ce ne fat que par des lettres patentes du l«' septembre 1541
qu^ils furent autorisés à employer le ministère de leurs clercs.
56 ACTES NOTARIÉS. , !
ment la loi du 6 octobre 1791 (tit. II, sect. 2, art. 13 et IS)
qui a rendu exécutoires dans toute retendue du territoire
national les actes revêtus du même intitulé que les jugements
et les lois ' .
488. D'après Tordonnance de 1539, le sceau, qui, dans
l'origine, était la plus importante des formalités intrin-
sèques, puisqu'il remplaçait, nous l'avons vu (n* 485), la
signature du notaire , était devenu une formalité purement
extrinsèque , mais nécessaire pour l'exécution. Dans la suite,
on ne considéra plus la nécessité du sceau que comme une
exigence purement fiscale , et tout se borna k l'acquittement
de certains droits. c< Il n'est plus d'usage aujourd'hui », dit
Pothier ( Traité de la procédure civile, part. IV , ch. ii , sect. 2 ,
art. 1", § 4), (( d'apposer aucun sceau aux jugements ou
« actes par-devant notaires *, il suffit, pour pouvoir exécuter
« en vertu de ces actes, que le droit de sceau ait été acquitté,
« et qu'il en soit fait mention sur l'expédition de l'acte en
(€ vertu duquel on saisit. » Les droits de sceau ont été abolis
par la loi du 19 décembre 1790. Le sceau dont parle la loi
de ventôse (art. 27) n'est plus maintenant qu'un signe de
reconnaissance , utile , k la vérité , pour rendre le faux plus
difficile % mais dont l'absence ne saurait mettre obstacle k
l'exécution d'un acte non suspect. C'est ainsi que la Cour dô
Lyon a validé , le 7 mai 1825, un emprisonnement effectué
sur le vu de l'expédition d'un jugement qui n'était pas revêtu
du sceau du tribunal. Ce n'est que pour les actes du gou-
vernement que le sceau a de l'importance conmie marque
de l'autorité publique ' : aussi la contrefaçon du sceau de
^ La loi hessoise du 81 décembre 1829 et le nouTeaa Code yaudois
(art. 540) permettent de rendre exécutoires les actes sous signature privée.
3 II présente surtout de ^importance dans les relations internationales ,
où la Térification du sceau d*un tribunal ou d'un notaire étranger établit
prima /adê la sincérité de l'acte. (M. Greenleaf , tom. I, p. 7.)
^ Encore faut-il reconnaître que le sceau de l'État n'est point apposé à
ACnS NOTARIÉS. 87
rËtat esl-dle punie des travaux forcés à perpélnité. (C. pén.,
art. 439).
SOO. Aa contraire , l'intitulé portant le nom du souve-
rain, qui commence l'acte, et le mandement aux officiers
de justice, qui le termine, sont exigés, k peine de nullité
de l'exécution, par le Gode de procédure civile. « Nul juge-
« ment ni acte », dit l'article 545 de ce Code, « ne pour-
« ront être mis à exécution, s'ils ne portent le même intitulé
« que les lois et ne sont terminés par un mandement aux
d officiers de justice. » La loi du 16 octobre 1791 (tit. I,
sect. 2, art. 14) avait établi uoe formule exécutoire, tout k
&it analogue à celle qui est en vigueur aujourd'hui. Mais
cette formule n'avait pas survécu k l'abolition de la royauté,
prononcée par la loi du 22 septembre 1793, et dans l'inter-
valle qui s'est écoulé entre cette loi et celle du 25 ventôse
an XI, qui a prescrit de nouveau l'emploi de la formule
exécutoire (art. 25), il a pu être procédé valablement à
l'exécution (Gass., 25 mai 1807 et 8 août 1808) en l'ab-
sence de l'intitulé et du mandement. Aujourd'hui c'est cette
formule qui est, pour ainsi dire, le cachet de l'autorité
publique, et le défaut de toute formule exécutoire mettrait
obstacle k la force extrinsèque de l'acte. Aux termes du
décret du 16 septembre 1870, la forme actuellement requise
commence par Fintitnlé : u La République française, au
« nom du peuple français » , et se termine ainsi : « En con-
« séquence , la République mande et ordonne » , etc.
La formule exécutoire a été nécessairement modifiée
chaque fois qu'il y a eu un changement dans la forme du
gouvernement. Mais fallait-il rectifier après coup les expédi-
tons les actes de rautorité , qu'il serait d'ailleurs difficile d'imiter, même
en contrefaisant le sceau. La sévérité du Code pénal est une tradition de
randenne jurisprudence , qui punissait ce crime de mort , comme [einpor-
tant Uâ^-majesté au second chef.
58 ACTES NOTARIÉS.
tions délivrées sous un autre régime, pour y tntroduire un
intitulé en harmonie avec le régime nouveau ? Une ordon-
nance du 30 août 1815, contraire à un avis du Conseil d*État
du 2 frimaire an IIII, auquel s'était conformée la pratique
antérieure, prescrivit la rectification des grosses délivrées
au nom d'autorités considérées alors comme usurpatrices,
et n'en permit l'exécution qu'autant que l'intitulé en serait
rétabli au nom du souverain actuel. Lors de la révolution de
Juillet, bien qu'une ordonnance du 16 août 1830 eût établi
une nouvelle formule exécutoire, une circulaire du garde des
sceaux du 20 décembre 1830 revint à la première pratique,
beaucoup plus raisonnable, qui respectait le caractère des
faits accomplis , en laissant subsister la formule exécutoire
dont les grosses antérieurement délivrées se trouvaient
revêtues. Mais les gouvernements postérieurs , bien que se
fondant sur le principe de la volonté nationale, et non sur
celui de la légitimité , ne se sont pas montrés moins exclusifs
que celui de la Restauration. Une disposition de l'arrêté du
13 mars 1848, reproduite par le décret du 2 décembre 1852
(art. 3 et 4) et par celui du 6 septembre 1870, prescrit
aux porteurs de grosses et expéditions délivrées avant le
nouveau régime, de les présenter, avant de les faire mettre
k exécution, aux greffiers et notaires, qui ajoutent, sans
frais, la formule nouvelle k celle dont l'acte était précé-
demment revêtu * . Il est à remarquer cependant qu'à la diffé-
rence de l'ordonnance de 1815, ni l'arrêté de 1848 ni les
décrets de 1852 et de 1870 ne déclarent statuer à peine de
nullité. Cette nullité doit-elle être suppléée ? La Cour de
Paris a jugé une première fois l'affirmative, le 20 jan-
vier 1849 , en se fondant sur ce que la formule exécutoire
donne seule la puissance légale aux officiers ministériels.
' La môme mesure a été prescrite , pour les pays italiens réunis à la
France, par le décret du 12 juin 1860. (Art. 3.)
ACTES NOTARIÉS. 59
Mats il est facile de répondre que l'emploi de telle ou telle
formule n'équivaut nullement à l'absence de toute formule.
Nous pensons donc que la Cour de Paris est rentrée dans
les vrais principes lorsqu'elle a décidé, au contraire, le
3 janvier i85â, qu'en l'absence de toute pénalité, on doit
considérer le défaut de renouvellement de la formule comme
use simple infraction disciplinaire , qui ne saurait vicier les
actes d'exécution.
SOI. Gonmie il y avait autrefois autant de souverainetés
judiciaires distinctes qu'il y avait de parlements , lorsqu'on
Toulait exécuter tin acte au delk du ressort où il avait été
rendu, U fallait obtenir un pareatû du grand sceau de la
ebancellerie royale , ou du moins un pareatù spécial de la
chancellerie du parlement dans le ressort duquel on voulait
exécuter. Si cette exécution devait être bornée à une cer-
taine localité, on se contentait du vita du juge du lieu, mis
au bas d'une requête. L'Assemblée constituante, en établis-
sant l'unité judiciaire comme l'unité administrative, dut
supprimer ces derniers vestiges de souveraineté locale , et
déclara, par la loi du 16 octobre 1791 (tit. I, sect. 3,
art. 13 et 15), que les actes des notaires seraient exécu-
toires dans tout le royaume , sans aucun visa ni scel : ce
qu'a répété formellement l'article 547 du Code de procé-
dure.
Toutefois , d'après cette même loi de 1791 (tAid., art. 18),
et d'après l'article 28 de la loi actuelle sur le notariat, la
légalisation \ c'est-à-dire l'attestadon par le président du
tribunal de l'arrondissement ou par le juge de paix du can-
ton * où est délivrée l'expédition, que la signature du notaire
^ Formalité très-ancienne , puisqu'on trouve dans le Trésor des chartes
une copie des statuts des tailleurs de Montpellier, à la date de 1323,
signée par deux notaires royaux , dont les signatures sont légalisées par un
juge royal et par un officiai (juge ecclésiastique).
> D'après la loi du 20 ayril 1861 , la législation peut être donnée, non
60 ACTES NOTARIÉS.
est bien véritable , devient nécessaire , toutes les fois qu'on
veut employer Facte au delà de certaines limites. Ces limites
sont le ressort de la Cour d'appel pour les notaires établis
au chef- lieu de cette Cour, et l'étendue du département
.pour tous les autres notaires. La légalisation ne doit pas se
confondre avec lepareatis, puisqu'elle existait déjà autrefois,
indépendamment de cette formalité , qui ne pouvait en tenir
lieu. En effet, la légalisation était donnée comme elle l'est
aujourd'hui , par le juge du lieu où avait été passé l'acte ,
tandis que le pareatis était délivré par le pouvoir central , ou
par le magistrat du lieu de l'exécution. Le pareatU n'était
exigé que pour les grosses ^ la légalisation , qui a trait à la
sincérité de l'acte, était et est encore requise pour tout
brevet ou expédition, même non exécutoire, que l'on veut
employer au delà des limites déterminées par la loi. Enfin,
quant à ces limites, la légalisation n'est exigée (loi de vent.,
art. 28), même en ce qui touche les notaires d'arrondis-
sement et de canton, qu'autant qu'il s'agit d'employer l'acte
au delà , non pas de l'arrondissement ou du canton , mais
du département : preuve évidente qu'il s'agit, dans cette
institution , du plus ou moins de notoriété de la signature
du notaire, et nullement de la force exécutoire. Aussi l'ab-
sence de légalisation ne peut-elle mettre obstacle à l'exécu-
tion qu'autant que la partie défenderesse élève des doutes
sur la signature, et exige une grosse légalisée. Mais, une
fois la saisie , par exemple , opérée sans réclamation , on ne
peut l'annuler à raison de ce vice de forme. Un arrêt de rejet
du 10 juillet 1817 n'a considéré avec raison l'obstacle résul-
tant de ce vice que comme purement prohibitif.
plus seulement par le président du tribunal ci?il , mais par le juge de paix ;
cette innoTation ne fait d'ailleurs que remettre en vigueur Pancienne pra-
tique, qui autorisait la légalisation par les officiers municipaux du Ueu.
(Merlin, Bépert., y« Légalisation, n» i.)
ACTES NOTARIÉS. 61
QoaDt aax actes reçus par les officiers étrangers, bien que
dûment légalisés suivant les formes du pays , et revêtus de
la signature de l'agent diplomatique français, l'exécution ne
peut en avoir lieu en France sans un jugement qui l'autorise.
(C. de proc., art. 547.) On applique alors de nation à nation
ce qu'on appliquait autrefois de province à province.
Il a été jugé toutefois par la Cour d'Aix , le 8 juillet 1840,
qu'une procuration reçue devant un officier étranger, n'étant
point productive d'obligation , n'a pas besoin d'être déclarée
exécutoire. La Cour de Dijon a jugé d'une manière plus
générale (3 avril 1869) « que, sans doute, un acte notarié
K passé en pays étranger et produit en France n'y est pas
K susceptible d'exécution forcée, mais que, quant à la preuve
« des &its qu'il est destiné à constater, il jouit en France de
« la même force probante que les actes reçus par un notaire
« français ^ que ce principe est la garantie des rapports inter-
«nationaux. »
SOS. Enfin il est une dernière formalité tout extrin-
sèque, qui n'a plus aujourd'hui l'importance qu'elle avait
autrefois. Le contrôle, qui correspondait k notre enregis-
trement, établi pour les actes notariés dès 1581, avait alors
pour objet d'en assurer la date. Aussi était-il incontestable
qn'im ne pouvait exécuter sur une expédition non contrôlée.
La loi du 19 décembre 1790, en créant l'enregistrement,
en avait fait aussi une condition de validité intrinsèque, à
défaut de laquelle (art. 9) a l'acte passé par-devant notaires
^ ne pouvait valoir que comme acte sous signatures pri-
« vées. » Mais cette règle était peu en harmonie avec la foi
dont jouissent les notaires , foi qui ne peut être raisonnable-
ntent subordonnée k l'accomplissement postérieur d'une for-
malité fiscale. Aussi la loi du 22 frimaire an YII n'a-t-elle
pais reproduit cette rigueur. Il résulte de la combinaison des
Gicles 33 et 34 de cette loi que l'absence d'enregistrement
62 FOI DES ACTES AUTHSIITIQUES.
I
d'un acte notarié ne peut entraîner que la condamna-
tion k.une amende (Rej., 23 janvier 1810-, Bastia, 26 dé-
cembre 1849), tandis qu'il en est autrement pour les exploits
d'huissiers.
DEUXIÈME POIlfT.
9m àm aelM BOtaiîéf , «t âm aotes aollieiilîqiMt en général.
80MXAIBE. — SOS. Principes sur la foi db Tacte autbenti({ae. — M4. Écarter
les fonnalitès extrinaèiiafts. — S05. DiTlsion.
803. En supposant l'acte revêtu de toutes les formalités
intrinsèques substantielles , voyons quelle est la foi qui y
est attachée. Les principes que nous allons essayer d'établir
ne s'appliqueront pas seulement aux actes notariés , mais k
tout acte authentique , du moins en matière civile ' *, car
nous verrons qu'en matière criminelle la même foi n'est
pas attribuée aux déclarations de tous les ofQciers publics.
804. Nous laissons de côté maintenant ce qui concerne
les formalités extrinsèques. Nous n'avons donc pas it nous
occuper ici des cas où l'exécution de l'acte peut être arrêtée
pour des causes qui n'en attaqueraient pas l'autorité au fond -,
k rechercher, par exemple , si la faculté d'accorder des délais
k un débiteur malheureux (C. civ., art. 1244) peut s'exer-
cer , lors même que le créancier est porteur d'un titre exé-
cutoire. Ce sont là des difficultés qui touchent k l'exercice
du droit, et nullement k sa preuve. Si nous devons parler
plus tard, quand nous en viendrons k l'inscription de faux,
de la suspension de l'exécution (tfrtd., art. 1319), c'est
qu'alors la contestation porte sur la foi de l'acte , et non pas
1 nous derons sîgnder des actes ayant un caractère tout spécial , ceux
des cadis en Algérie : ces actes sont bien authentiques , aux termes de
Parrèté du 9 septembre 1830, en ce sens qu^ils font foi des faits y relatés;
mais cette foi n'existe que jusqu'à preuve contraire, les musulmans étant
demeurés fidèles au vieux principe qui fait de la preuve testimoniale la
preuve par excellence. (Rej., 23 novembre 1858.)
. FOI DES ACTES AITrHBIlTIQnBft. 63
sôfepleibeiift sur le plus ou moins de rigueur qui doit présider
à 1-ezëcution d'un acte supposé valable.
SOU. Nos développements sur la foi de l'acte authen-
tique se rattacheront k deux questions bien distinctes :
i*" Quelle est, en général, la foi d'un acte de cette nature?
â* quelle foi peuvent mériter les actes secrets destinés à
modifier un acte ostensible, ordinaiftment authentique, c'est-
Mire les contre-lettres?
s I. QUE PROUVENT LBM ACTES AUTBEUTIQUES.
SoMSAiBE. — 806. Point de vërifleation de l'écritare. — 507. De qaels faits l'acte doit
faire foi. — 508. Foi k l'égard des tiers. — 508 bis. Foi des titres établissait la pro-
priété. — 509. foi des éaonciations entre les parties. — 540. Point de foi à l'égard des
tiers. Ifaxime : In mtiquii enuntiativa probani. «~ 544. Maxime : In mUiquis emnin
frtenamtntur solemniter acta.
â06. Rappelons d'abord une distinction fondamentale
entre les actes authentiques et les actes sous seing privé :
distinction que nous avons signalée ea abordant le sujet.
(N* 457. ) Les actes privés ont besoin d'être vérifiés en jus-
tice. Aq contraire , l'appar^ce de l'acte authentique suffit
pour faire présumer l'authenticité, sauf la faculté de s'in^
serire en faux. Dès lors , en premier lieu , l'acte se prouve
Ini-mâne, cota probant se tpsa, suivant l'expression de Du-
moulin ;'en d'autres termes^ l'écrit produit en forme authen-
tique fait foi , en ce sens qu'il est présumé être réellement
Fœuvre de Toffider dont il porte la signature apparente. En
supposant maintenant ce premier point constant, voyons
quelle foi s'attache au témoignage de l'oiBcier rédacteur de
l'acte.
S07. Le fonctionnaire qui reçoit un acte auquel il a qua-
lité pour donner l'authenticité , est un témoin revêtu d'un
caractère ofBciel , à l'etfet de constater ce qui se passe en
sa présence. Cette mission a une haute importance, mais
elle est toute spéciale , car il ne peut attester après tout que
ce qu'il a vu et entendu dans l'exercice de ses fonctions^
64 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
Dumoulin , auquel il faut souvent remonter poui saisir dans
son origine ' la doctrine qui a passé ensuite avec plu& ou
moins d'altération dans les écrits de Pothier et dans le Gode
civil , s'exprime en ces termes , dans son commentaire sur
la coutume de Paris (tit. I, § 8, n* 9) : « Quod ego intel-
« ligo et limito esse verum, ad limites et substantiam facti,
a tempore instrumenti gesli , et in ejus tenore contenti et
c( affirmati \ secus qnoad facta vel circnmstantias , quae tune
« nec fiunt, nec disponuntur , sed tantum recitantur. » L'au-
thenticité ne s'attache qu'k la constatation des faits dont
l'ofBcier a été personnellement témoin dans l'exercice de
ses fonctions, quorum notkiam et ictentiam habet, propriis ten-
sibus, vUus et audkus, suivant les expressions si souvent ci-
tées de Dumoulin *. (Ibid.» § 64.) Cette doctrine a été con-
vertie en loi par l'article 1317 du Code italien, aux termes
duquel l'acte public ne fait foi que des faits qui se sont pas-
sés en présence de l'officier. Nous y reviendrons en parlant
des actes de l'état civil , k l'égard desquels son application
soulève de graves difficultés.
En ce qui touche spécialement les actes notariés , la ju-
risprudence a eu fréquemment l'occasion d'appliquer la
théorie de Dumoulin. Et d'abord, lorsque le notaire con-
state des faits qu'il n'a point qualité pour constater , notam-
ment lorsqu'il affirme, dans la rédaction d'un testament,
que le testateur est sain d'esprit' (Rej., 27 février 1821),
* Nous ne voulons pas dire que ce soit Dumoulin personnellement qui
ait créé toute la théorie relative à la foi des actes ; mais il a le premier
rassemblé et fondu les notions qui se trouvaient éparses et confuses danB
les écrits des anciens auteurs.
'Ha soin d'ajouter qu'il en serait de même du témoignage des autres
sens, du tact, du goût et de l'odorat. C'est ainsi que les dégustations
opérées par les courtiers gourmets-piqtieurs de vin (décret du 25 décembre
1813) ont un caractère authentique.
^ Le notaire doit refuser de signer je testament, lorsqu'il est convaincu
que le testateur ne jouit point de l'intégrité de ses facultés. (Bordeaux ,
3 août 1841.)
FOI DES ACTES ÂUTRElf TIQUES. 65
soD attestation n'a aucnn caractère officiel. Il faudrait, au
contraire , prendre la voie de l'inscription de faux , si , con-
trairement à l'assertion de l'acte notarié, portant que le
testateur a dicté lui-même son testament , on voulait sou-
tenir qu'il pouvait à peine articuler des mots qui fussent
entendus. (Cass., 19 décembre 1810; Rej., 1" décembre
1851.) D'autre part, l'inscription de faux est inutile lorsque
l'on veut contester, non pas le fait de la déclaration, mais
la sincérité de cette déclaration. Ainsi, on est recevable k
prouver par témoins que le contrat de mariage a été reçu
après la célébration du mariage , lorsque l'heure n'a pas été
mentionnée dans l'acte, et que le notaire a reçu seulement
la déclaration que les contractants avaient la qualité de
fuMrt époux. (Rej., 18 août 1840.) Même décision (Rej.,
23 décembre 1853-, 26 novembre 1858), au cas où l'on de-
mande a prouver, notamment en matière de prêts usuraires,
que la numération d'espèces devant l'officier public n'a été
qu'un simulacre. « Si la foi est due k l'acte authentique
«jusqu'à inscription de faux», dit la Cour de cassation
(Rej. , 22 novembre 1869) , « ce n'est que pour les faits qui
« y sont énoncés par l'officier public comme s'étant passés
« en sa présence \ mais la sincérité ou la vérité des décla-
» rations des parties peut toujours être débattue par la preuve
« contraire , et cette preuve peut résulter même de simples
« présomptions , alors qu'il s'agit d'établir une fraude k la
« personne ou à la loi. »
En général, toutes les fois qu'on articule des faits de
fraude, la preuve testimoniale est admissible de piano contre
toute espèce d'acte (Rej., 12 mars 1839), ainsi que nous
l'avons reconnu en parlant de l'admissibilité de la preuve
testimoniale. (N** 141.) La Cour de Poitiers a même été
jusqu'à décider qu'en pareille hypothèse, l'inscription de
faux non-seulement n'est pas nécessaire, mais n'est pas
II. 5
66 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
même admissible (arr. du i3 février 1855) : ce qai nous
parait rationnel , une longue et dispendieuse procédure ne
devant pas être introduite là où elle n'est pas indispensable.
Observons, au surplus, que dans les cas même où la dé-
claration de Tofficier ne fait pas foi jusqu'à inscription de
faux, il n'est pas toujours permis de prouver par témoins le
contraire de ce qui est énoncé dans l'acte. Cette preuve
sera, sans doute, recevable lorsqu'il s'agira d'un point
complètement en dehors du ministère du rédacteur de
l'acte , tel que l'état moral du testateur. Mais lorsqu'il s'agit
de circonstances dont l'officier, s'il n'en a pas été person-
nellement témoin, a dû s'assurer pour la régularité de
l'acte , on retombe sous l'empire de la règle qui défend de
prouver par témoins contre et outre le contenu. aux actes.
(C. civ., art. 1341. ) C'est ce qu'a jugé un arrêt de cassa-
tion du 3 juillet 1838, en ce qui concerne le domicile des
témoins instrumentaires.
808. Mais vis-îi-vis de qui l'acte authentique fait-il foi?
Si nous nous en rapportions au texte de l'article 1319 du
Code civil, il semble que la foi en serait bornée aux parties
contractantes, et à leurs héritiers ou ayants cause. Ici , il est
vrai , le mot ayants cause comprend , de Faveu de tous , les
ayants cause même à titre singulier, tels qu'un acheteur,
lequel est incontestablement lié par toute opération trans-
lative de propriété émanée de son auteur, dès qu'elle se
trouve authentiquement constatée. Mais faut-il s'en tenir Ik ,
et admettre que la foi de l'authenticité n'existe pas vis-k-vis
des tiers qui ne sont pas ayants cause des contractants ; que
notamment l'acquéreur, invoquant la prescription de dix ou
vingt ans , ne pourra pas , pour établir la date de la vente ,
opposer un acte authentique à l'ancien propriétaire, qui
pourtant n'est nullement l'ayant cause des parties contrac-
tantes? Une pareille proposition serait insoutenable. L'un
POl DES ACTES AUTHENTIQUES. 67
des plus grands avantages du caractère public dont sont
reyêtos certains officiers , c'est que leur témoignage a au-
torité vis-ii-Tis de tous, et non pas seulement vis-à-vis des
parties contractantes ou de leurs ayants cause. On ne peut
donc s'en tenir aux termes de l'article 4319.
Maintenant est-il plus exact de dire avec Pothier {Oblig.y
n* 739), ce qu'on répète souvent d'après lui, que l'acte
prouve seulement contre un tiers rem ipsam^ c'est-h-dire
que la convention qu'il renferme est intervenue? Mais l'acte
ne prouve pas autre chose contre les parties elles-mêmes.
€e qu'il y a de plus pour les parties que pour les tiers, c'est
qu'elles sont obligées. Elles ne le sont toutefois qu^en vertu
de la convention , dont l'écrit est la preuve. Et c'est de cette
coDYention qu'il est vrai de dire qu'elle ne peut pas nuire
aux tiers. C'est ce qu'a voulu exprimer l'article 1319, qui
confond la preuve avec le fond du droit, et qui répète assez
inutilement ce que l'article 1165 avait dit beaucoup plus à
propos, en parlant de l'effet des conventions, qu'elles n'ont
d'effet qu'entre les parties contractantes, qu'elles ne nui-
sent point aux tiers, et ne leur profitent point en général,
n est donc inexact de soutenir, soit que l'acte authentique
ne prouve rien vis-k-vis des tiers, soit même qu'il prouve
moins vis-k-vis d'eux que vis-k-vis des contractants. Il prouve
k l'égard de tous ce que le notaire a mission de constater,
et rien de plus, a Acta vel quaecumque scripta publica pro-
a bant seipsa , id est rei taliter gestse fidem faciunt inter
« quoscumque. » Telles sont les expressions de Dumoulin
(foc. cti., § 8), que Pothier a traduites fort inexactement,
lorsqu'il a dit que l'acte prouvait rem ipsam k Tégard des
tiers-, car c'est k l'égard de tous que Dumoulin attribue
cette force à l'acte, en tant qu'il s'agit de la preuve, quoad
verùatem seu probationem rei gestœ. Si maintenant , continue
ce puissant logicien (iWrf., § 10), on examine au fond les
5.
68 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
effets de l'acte, c'est-k-dîre de la convention, quoad jus et
effectum actus getti, alors il est évident qu'il ne peut nuire
ni profiter qu'aux parties contractantes, quia res inter alzos
acta non nocet, nec obUgat, nec facit jus inter alios. Mais il
montre très-bien que ce n'est pas là une question de preuve.
c( Et ita exponenda sunt dicta doctorum, ubicumque per-
ce functorie et crasse (ut plerumque soient) loquendo, di-
(( cunt instrumentum publicum inter extraneos non probare,
n quia ibi verbum probare per catachresin , sive improprie ,
« pro jus efficere, sive prsejudicare accipitur-, cseterum vere
« et proprie loquendo, publicum instrumentum erga onmes
a est aeque publicum et probans. » Il est bien k regretter
que ce langage grossier , si justement critiqué dès le seizième
siècle , se retrouve encore dans le Code civil , où il donne
lieu k de fôcheuses confusions. La jurisprudence, du reste,
admet, et ne pouvait pas ne pas admettre que l'acte au-
thentique fait foi k regard de tous, en réservant seule-
ment la preuve de la fraude , mais non celle de l'erreur.
(Bordeaux, 25 août 1810-, Amiens, 28 avril 1869.)
508 bis. Ne faut-il pas aller plus loin , et reconnaître
qu'en ce qui touche V établissement de la propriété, suivant le
style des notaires, l'acte a force, même k l'égard des tiers?
La question s'est présentée dans la pratique relativement k
un acte de partage d'où le demandeur en revendication fai-
sait ressortir l'origine de son droit de propriété. Le défen-
deur lui opposait l'article 1165, qui veut que les conven-
tions n'aient d'effet qu'entre les parties contractantes.
Conformément k la doctrine de Pothier {Droit de propriété,
part. II, chap. i, art. 3), on juge constamment (Cass.,
22 juin 1864; Riom, i juillet 1857; Rouen, 1*' février
1865), que l'article 1165 n'est opposable au demandeur
qu'en tant qu'il s'agirait d'établir une obligation k la charge
des tiers en vertu d'un acte qui lui serait étran^rer. Mais ,
FOI DES ACTES AUTHENTIQUES. 69
lorsque le demandeur se borne à justifier par un titre régu-
lier de la transmission de la propriété en sa faveur, le dé-
fendeur ne saurait être recevable à récuser de piano l'autorité
de ce titre ^ il ne peut le combattre qu'en lui opposant, soit
un autre titre , soit la prescription. « Le droit de propriété »,
dit la Cour de cassation , « serait perpétuellement ébranlé ,
0 si les contrats destinés k l'établir n'avaient de valeur qu'à
a l'égard des personnes qui y auraient été parties, puisque
« de l'impossibilité de faire concourir les tiers à des cou-
« trats ne les concernant pas, résulterait l'impossibilité
« d'obtenir des titres protégeant la propriété contre les
« tiers. » Nous avons vu (n* 37 r^) les mêmes principes
consacrés par la Cour de cassation quant k l'autorité des
jugements'.
S09. Dans tous les cas, il est prouvé a l'égard de tous,
dans an acte authentique , que telles déclarations ont eu
lieu devant l'officier public. Actus plene probat, dit Dumou-
lin (loc. or., § 19), etiam in enuntiadvis. Peu importe que ces
déclarations aient été conçues en termes purement énoncia-
tifs-, elles n'en sont pas moins constatées officiellement, et
les tiers peuvent en tirer tel parti que de raison, par
exemple, prendre acte de cette circonstance que l'un des
contractants a pris la qualité d'héritier, même en faisant un
acte purement conservatoire. La force de l'acte notarié en
tout ce qu'il énonce est telle qu'il fait foi même de la ponc-
tuation des phrases qu'il renferme. (Limoges, 14 août 1810.)
n n'en est point de même en ce qui touche la vérité des
faits énoncés. Cette vérité, que l'officier public n'a point qua-
lité pour attester, n*étant établie que par l'aveu des par-
ties qui ont souscrit l'acte , cet aveu doit être sérieux , et
■ La chambre des requêtes aTait rendu en sens contraire un arrdt
d^admission (2 juillet 1872); mais la chambre civile a déanitivement rejeté
le pourvoi, le 17 mars 1873.
70 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
n'être point le résultat d'une surprise ou d'une erreur. De
là la règle , commune aux actes publics et aux actes privés ,
et susceptible de s'appliquer également aux déclarations ver-
bales dûment constatées , parce qu'elle se rattache unique-
ment k l'intention des parties, règle qui veut que Ton dis-
tingue , quant k la foi des simples énonciations , si elles ont
ou non un rapport direct k la disposition (C. civ., art. 1320),
c'est-k-dire k l'objet que les contractants avaient en vue ' .
Si ce rapport existe , la foi de renonciation est la même
que celle de la disposition principale. « Si quelqu'un » , dit
Pothier (Oblig., n"" 737), c( par un acte passe reconnais^
« sance d'une rente en ces termes : reconnaît qu'une telle
« maison par lui poesédée est chargée envers Robert, présent » de
(( tant de rentes par chacun an, dont les arrérages ont été payés
«jusqti^à ce jour, et en conséquence a^obUge de la tm continuer,
n ces termes , dont les arrérages ont été payés, quoiqu'ils ne
« soient qu'énonciatifs , et qu'il ne soit pas exprimé que
« Robert reconnaît les avoir reçus , font néanmoins foi du
a payement contre Robert , partie a l'acte , parce qu'ils ont
« un trait au dispositif de l'acte, et qu'il devait être question
(c dans l'acte de ce qui était efiectivement dû des arrérages
« de cette rente. » Si, au contraire, ce rapport n'existe
pas; si, par exemple, dans l'acte qui constate la vente d'un
héritage , le vendeur a énoncé qu'il provenait de telle suc-
cession, cette énonciation n'a plus la même force que celle
qui concernait les arrérages dans Tespèce précédente , parce
que l'attention de l'acheteur ne s'est pas portée sur une cir-
constance qui n'avait qu'un trait indirect k la convention
principale. On ne pourrait donc pas plus tard, en récla-
mant cet immeuble comme faisant partie de la succession
indiquée, se prévaloir contre l'acheteur de ce qu'il a sou-
■ G'eet aux juges du fait qu'il appartient d'apprécier ai ce rapport direct
existe ou non dans Peipèce. (Rej., 4 mars 18S4.)
FOI DBS ACTES AUTHBNTIQDBS. 71
scrit Tacte eu se trouvait cette énonciation incidente. (Po*
thier, ibid., n* 738.) Cette doctrine remonte encore ^ Du-
moulin : « Actus plene probat », dit-il {loc. cit., § 10),
c nedom in tenore et dispositivis instrumenti, sed etiam in
a ennntiativis.. ., in quantum tamen respicit vires et effectum
ff actus principaliter gesti, secus si de ennntiativis et prae-
« sumptionibus instrumenti , seorsum a principali actu , dis-
« putaretur : tune enim taie instrumentum non facit plenam
afidem, sed solnm pnesumptionem. » Le Gode (même
art. i320) dit, dans le même sens: k Les énonciations
« étrangères à la disposition ne peuvent servir que d'un '
c commencement de preuve. » Elles ne suffisent donc pas
à elles seules-, mais elles peuvent servir d'adminicule , afin
de permettre la justification du fait énoncé , à Taide de la
preuve testimoniale. Cette mention se trouve efiectivement
dans un acte auquel a concouru la partie contre qui on l'in-
voque , et elle rend ordinairement vraisemblable le fait al-
légué (Und.j art. 1347), l'homme étant naturellement porté
\ dire la vérité, surtout si rien ne prouve qu'il ait eu intérêt
à la déguiser. Du reste , nous le répétons , la question du
plus ou du moins de foi de renonciation contenue dans un
acte authentique n'est point de nature k augmenter la res-
ponsabilité de l'oificier public. L'écrit par lui dressé prouve
jtasqu'k inscription de faux que telle énonciation a eu lieu ^
c'est au juge à reconnaître, d'après les circonstances (Rej.,
18 août 1840) , si elle a ou non trait k la disposition princi-
pale, et même, en la supposant incidente, si elle pourra
servir de commencement de preuve : car la mention pour-
rait être si peu précise et si vague , qu'on dût lui refuser
même cette force subsidiaire.
810. Â regard des tiers, nous l'avons reconnu, l'acte
authentique prouve d'une manière invincible que telles
déclarations ont eu lieu 'levant tel ofiicier^ mais ces décla-
7â FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
rations ne peuvent lier que les parties de qui eHes émanent.
C'est dans le même sens que Farticle 13â0 borne aux parties
la foi des énonciations, eussent-elles un rapport direct au
dispositif de l'acte. Les tiers ne peuvent nier l'existence de
ces énonciations, la déclaration du payement des arrérages,
dans l'espèce citée par Pothier^ ainsi, les créanciers chiro-
graphaires du créancier, bien que considérés k certains
égards comme des tiers (n* 517), ne sauraient contester
renonciation, et se trouvent liés par elle, s'ils n'en peuvent
constater la fraude. Ici, en effet, la date se trouve établie, k
la différence des énonciations d'un acte sous seing privé.
Bien plus, d'après la doctrine qui a prévalu devant la
Cour de cassation quant au dispositif de Tacte authentique
(n* 508 6»), les énonciations contenues dans un acte de
cette nature prouvent prima fade l'origine d^ la propriété*
Nous avons cité l'arrêt de cette Cour, qui, contrairement k
sa jurisprudence antérieure (Rej., 21 janvier 1857), admet
le droit d'établir par un acte de partage l'origine de la pro-
priété, même à rencontre des tiers. (Cass. 22 juin 1864.)
Mais il est bien entendu que de pareilles déclarations ne
font foi que jusqu'à preuve contraire.
Ce qui est incontesté, c'est que les dispositions énoncJsC'-
tives, pas plus que les dispositions principales, ne sauraient
établir directement une charge au préjudice d'un tiers. Ota
l'admettait cependant dans l'ancienne jurisprudence, du
moins lorsque renonciation était soutenue par la possession
aux termes de la maxime In antiquis enunHativa probant,
maxime qui, suivant Toullier (tom. YIII, n"" 64 et suiv.),
serait encore en vigueur sous l'empire du Code civil. Dumoulin
enseigne , en effet , que les énonciations , même incidentes,
font foi dans les actes anciens, et au préjudice même des
tiers. « In antiquis » , dit-il (toc. cU, , n*76), « verba enuntiativa
« plene probant , etiam contra alios , et in prasjudicium
FOI DES ACTES AUTHENTIQUES. 73
« tertii...., etiam si essent incidenter et propter aliud pro-
« lata, ut enoBtiatio coDfinium. » Cette doctrine n'était pas
adtnise sans contradiction. (Mascardus, Concl. i06, m/ne.)
Pour concilier les opinions opposées sur ce point, Cravettus
{De long, temp., part. P% cbap. iv, n"* 8) distinguait s'il
s'agissait pour les tiers d'un préjudice grave ou d'un préju-
dice léger. Dans le premier cas, renonciation ne faisait
qu'une demi-preuve vis-à-vis des tiers. Sans s'expliquer sur
cette distinction un peu arbitraire, Potbier (06%., n* 740)
reproduit sur un autre point la doctrine de Cravettus {De
long, temp.^ ibid.^ n"" 20)-, il admet la pleine foi des énon-
ciations, lorsque ces énonciations, s'il s'agit d'un droit réel,
sont soutenues par une longue possession *. Ainsi, du temps
de Potbier, renonciation d'un droit de vue dans un acte
ancien , bien que cet acte fût tout k fait étranger au pro-
priétaire du fonds prétendu asservi , pouvait établir l'exis-
tence de ce droi^ s'il y avait longue possession, même sous
l'empire de coutumes qui, comme celle de Paris, consi-
déraient le droit de vue comme imprescriptible. Comment
concevoir cette doctrine de la part d'un esprit aussi juste
que celui de Potbier, et cbez un logicien aussi serré que
Dumoulin, qui a soin de nous dire lui-même (ibid. , n"" 76) :
d Non potest antiquitas de novo inducere in totum probatio-
« nem , quse nulla est , sed eam demum , quae aliqua est,
« coadjuvare? » On peut comprendre, sinon la tbéorie de
Dumoulin*, du moins l'opinion de Cravettus et de Potbier,
* Le laps de temps exigé pour cette ancienneté, pour cette longue posses-
sîaa, n'était pas une des moindres difficultés de la matière. Il y avait une
extrême divergence dans les opinions des auteurs sur ce point, depuis celle
qui se contentait de dix ans , jusqu'à celle qui exigeait un siècle. (Voy.
DomouUn , ibid. , n«*^l et suiv.) Le Code , là où il s'attache à l'ancienneté
(art. 1335 2», et 1337), s'est fixé à la limite de trente ans.
3 La tbéorie de Dumoulin n'est pas aussi absolue qu'on pourrait le
croire, en isolant le passage que nous avons cité : In antiquis verba enun-
Iki^wa p2en« profroit^ Ce jurisconsulte dit également (même n<* 76):
74 FOI DBS âctbs authentiques.
si Ton s'attache à cette idée que les éoonciations émanées
de tiers avaient dans l'ancienne jurisprudence plus d'effet
qu'elles n'en ont aujourd'hui. Nous avons vu (n* 165)
qu'elles pouvaient servir de commencement de preuve par
écrit , parce qu'on se contentait jadis d'un adminicule quel-
conque pour autoriser la preuve testimoniale. Or, la pré-
somption fondée sur la longue possession était admise,
comme elle l'est encore, là où la preuve par témoins était
admissible. Elle était même , en matière de servitudes , an
correctif de la règle coutumière : ffuLU semtude sans titre.
Mais aujourd'hui l'opinion des auteurs qui voulaient que le
commencement de preuve par écrit émanât de la partie
adverse, a été convertie en loi. (G. civ., art. i347.) Les
énonciations sont dès lors complètement nulles en tant qu'il
pourrait en résulter une charge ii rencontre des tiers.
Dumoulin et Pothier décideraient donc aujourd'hui que
pareille mention , dénuée de tout effet obligatoire vis-à-vis
de ceux qui n'y ont pas souscrit, ne saurait acquérir par le
temps la force qui lui manque. Non potest antiquitas de novo
inducere in totum probationem quœ nuUa eH.
Il faut dès lors reconnaître dans le droit actuel que , les
servitudes qui ne sont pas à la fois continues et apparentes
étant déclarées par la loi imprescriptibles (C. civ., art. 691),
on ne saurait en établir l'existence par la possession même
trentenaire, combinée avec une déclaration contenue dans
un ancien titre, si cette déclaration est étrangère au pro-
priétaire du fonds prétendu servant. Toullier n'est pas non
plus allé jusque-lk, bien qu'il croie encore en vigueur la
maxime In andquis enuntiativa probant. Mais il l'applique aux
énonciations sur Tàge, sur la parenté, qui se trouvent dans
In quantum autem antiquitas eoadjuvet, totum id in arbitrU» judicis
situm est; ce qui rentre dans la faculté plus large d'appréciation qui appar-
tenait autrefois aux juges.
roi DBS àcns authentiques. 75
des actes anciens passés entre des tiers. S'il voulait seule-
ment dire par Ik que, lorsque les juges peuvent se déter-
miner par des présomptions , ces mentions doivent avoir de
la force, et qu'elles peuvent en fait en avoir d'autant plus
qu'elles se trouvent dans des actes plus anciens, qui prêtent
moins k la fraude , son assertion n'aurait rien que de plau-
sible. Mais quand il va jusqu'à dire (tom. YIII, n* 166) que
telle énonciation^ qui serait considérée comme non avenue
dans un acte récent , pourra servir à prouver l'état des per-
sonnes , si elle est renfermée dans un acte ancien , ce qui
mènerait k reconnaître que la filiation, même naturelle,
pourrait résulter d'indices puisés dans un acte de cette na-
ture, il transporte dans notre législation des idées qui ne sont
plus en harmonie avec le droit moderne ^ Si, comme nous
le verrons en parlant de la preuve littérale au second degré,
le Code civil (art. 1335 2", et art. 1337) a quelquefois
donné plus de force k des écrits anciens, le soin qu'il a pris de
spécialiser les cas où il s'attache ainsi k l'ancienneté montre
bien qu'il n'entend pas établir d'une manière générale que
les actes , comme les vins , acquièrent une nouvelle force
en vieillissant. Si cela était vrai d'ailleurs, il faudrait, comme
ja^s, décider de même en toute matière, tandis que Touiller
établit une distinction tout k fait déraisonnable entre ce qui
touche les droits réels et ce qui est relatif k l'état des per-
sonnes. C'est faire justice soi-même d'une doctrine, que de
reculer ainsi devant les conséquences qui en découlent for-
cément.
Sil. Un autre vieil adage, qui se rattache intimement
au premier, c'est celui qui veut que les actes anciens soient
présumés revêtus de toutes les solennités requises : « In
* n n'est plus possible de dire aujourd^ni, avec Mascardus (Concl. 103,
B* 11) : Infaetis tmtiquis non requiri exaetam et plenam probationem,
ut in novis et recentibus exigitur, sed leviores probationes sttffteete.
76 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
antiquîs omnia prsesumunlur solemnitcr acta. » (Dumoulin,
ibid,^ n*" 75-79.) Cet adage ne s'entendait pas, du reste,
en ce sens que Tancienneté pût faire considérer comme noa
avenues les nullités qui apparaîtraient évidemment dans les
actes, mais en ce sens seulement que, dans le doute, elle
devait faire supposer l'observation de toutes les formes
requises. FacU prœmmi, dit Dumoulin, iolemnitutem requiiitam
intervenire, quamvis non appareai. C'est ainsi qu'il est entendu
dans la jurisprudence anglaise et américaine, où il est encore
en vigueur. (M. Greenleaf, tom. I, p. 25 et suiv.) Lors-
qu'un acte sous seing privé a trente ans de date, les témoins
.qui l'ont souscrit, ainsi que nous le verrons, suivant l'usage
du pays , sont présumés décédés , et dès lors , tous ou quel-
ques-uns fussent-ils vivants, il n'y a point lieu de les faire
entendre à l'appui de l'acte, lequel est réputé régulier \ De
même, lorsque des officiers publics ont reçu mission de
vendre des biens suivant certaines formalités , qui chez les
Anglais n'çnt pas besoin d'être constatées dans l'acte, au
bout de trente ans, il n'est plus besoin de justifier de l'ob-
servation de ces formalités. Ces deux applications de l'an-
cienne maxime ne sauraient avoir lieu dans notre droit : la
première , parce qu'il n'est pas d'usage chez nous d'appeler
des témoins aux actes privés -, la seconde, parce que le droit
français prescrit, à peine de nullité, dans les actes publics,
la mention des formalités importantes. Il n'est évidemment
point permis de considérer comme équivalant k cette mention
le fait seul que l'acte aurait vieilli.
Dans les législations, comme celles de Rome et d'An-
gleterre, où Ton a recours à la preuve testimoniale pour
établir l'observation des formes, la mention des formalités
* Toutefois cette présomption est moins absolue dans la doctrine anglaise
qu'eUe ne l'était chez nos anciens auteurs ; elle a besoin d'être corroborée
par quelques adminicules.
FOI DES ACTES AUTHENTIQUES. 77
qui se ratlachent à des formalités précédentes, Tait naturelle-
ment présumer rexistence de ces dernières formalités , sans
qu'il soit besoin d'en justifier par témoins. Ainsi, dans les
textes sur lesquels nos vieux interprètes ont appuyé leur
adage, et notamment au § 17 De inutUibus stiputaUonilms, aux
Insûtntes de JusUnien , on suppose qu'un écrit mentionne
que telles parties se sont réunies et qu'une promesse est
iflteryenue-, la mention de la promesse fait supposer l'inter-
rogation précédente , nécessaire pour la validité de la stipu-
lation : a Si scriptum in instrumenta Juerit promisisse ati4ptem,
« perinde habetur atque si interrogatione prœcedente responsum
t sk. » Comme le fait justement observer M. Greenleaf
{loc. rà.), ce n*est ïk que l'application de cette maxime de
raison : Probatis eoctremis prœsumuntur média. Et cette pré-
somption existe également chez nous pour les formalités dont
la loi n'exige pas la mention. Ce qu'ont ajouté nos anciens
auteurs, suivis parla pratique anglaise, c'est la fixation d^un
temps au bout duquel l'acte se trouve protégé par cette
présomption. Cette fixation est tout à fait étrangère au droit
mnain , et par cela seul qu'elle n'est point reproduite dans
notre législation moderne, elle y est inadmissible.
On voit que, suivant notre pratique, la maxime In antiquis
amnia prœsumuntur solemniter acta serait beaucoup trop rigou-
reuse, s'il s'agissait de formalités dont la mention n'est pas
exigée, et dont il faut supposer l'observation, quelle que soit
la date de l'acte ^ qu'elle serait beaucoup trop relâchée , au
contraire, là où certaines mentions sont prescrites k peine
de nullité. Ici Toullier (tom. YIII, n"" i63) commet une
grave erreur, lorsqu'il dit que cette maxime, qu'il semble
approuver en principe , ne peut plus guère recevoir d'appli-
cation, maintenant que l'action en nullité se prescrit par
dix ans. (C. civ. art. 1304.) La restriction à dix ans de
l'action en nullité ne concerne que les vices du consente-
78 FOI DES àCTBS àUTHBNTIQUBS.
ment au fond : Terreur, la violence , le dol , Tincapacité ^
elle n'a nullement trait à l'absence des formes prescrites
pour la validité d'un acte. Toutes les fois que des formes de
cette nature n'auront pas été mentionnées, comme elles
devaient l'être, l'acte sera radicalement nul, quelle qu'en
soit l'ancienneté. Jamais on ne sera reçu k en réclamer
l'exécution. Seulement, si en fait il a été exécuté, on ne sera
plus recevable k revenir sur l'exécution après trente ans ^
non qu'elle ait couvert le vice de forme, mais parce que
l'action en répétition de l'indu est elle-même prescriptible,
conune elle le serait au cas où il n'y aurait pas eu même
l'apparence d'un acte. Il ne faut donc pas se rejeter sur la
prescription de dix ans, tout h fait étrangère au sujet qui
nous occupe ; il faut attaquer de front la maxime In mûqim
ommia prcetamuntar êolemniter acta, et reconnaître qu'il ne
peut plus en être question dans notre droit, où elle n'a pas
même laissé de traces , comme la maxime précédente.
S t. QUBI.I.B BfT LA VOl BEI OOimB-LSTTlIS '.
SonAiRE. — 543. Foi de Tacte ostensible» secrètement révoqué. — 51 s. Ce qne c'est
qa'une oontre-leitre. — m A. Effet des contre-lettres entre les parties. — 515. Elles ne
pea?ent nuire anx tiers. — 516. Que fkut-il entendre ici par tiers?-' 517. Droit des
créanciers ctairographaires. ^518. Distinction de la doctrine sor les contre-lettres et dn
principe de la publicité.^ 549. Faculté pour les tiers d'invoqaer la contre-lettre. —
520. Effet Tis-Si-Yis de la régie d'une contre-lettre portant augmentation de prix. — 524.
Cas où une diminution est stipulée. — 522. Contre-lettres en matière de conventions ma-
trimoniales. — 528. En matière de cession d'office. — 524. Déclaration de command. --
525. Délai de vingt-quatre heures vis-à-vis de la régie pour les contre-lettres revenant sur
une notation. — 526. L'explication d'nne convention antérieure n'est pas une contre-lettre.
512. Non-seulement les actes dûment rédigés ont force
probante k l'égard de tous, lorsque ces actes sont l'expres-
sion sincère de la volonté des parties ; le législateur va plus
loin : il veut qu'à certains égards les dispositions ostensibles
* On peut consulter le Traité des eontre^lettm par M. Plasman (2* édi^
tion , 1889), résumé oonsdencieux des documents sur cette matière , mais
où Pauteur procède trop souvent par <iuestious détachées , sans foudre et
coordonner suffisamment sa doctrine.
FOI DBS AGTK8 àUTHENTIQUSS. 79
de ees actes, bien que secrètement révoquées, conservent
toute leur validité. Il fait ainsi prévaloir, dans un intérêt
d'ordre et de sécurité sociale , l'apparence sur la réalité. .
tfI3. Le mot eontre^iettre , dans son acception primitifre,
conforme à Tétymologie , désignait tout acte qui en modifie
on premier, soit que les clauses modifiées n'aient jamais été
sérieuses dans l'intention des parties, soit que les parties y
renoncent après coup. C'est ainsi que Domat (liv. III,
tit. VI, sect. 3, § i4) qualifie de contre-lettre la convention
par laquelle un acheteur déclare faire remise après coup à
son vendeur de l'obligation de garantie. Aujourd'hui, sauf
l'exception que nous signalerons , la loi entend par contre-
lettre un écrit destiné à demeurer secret, qui annule ou
modifie les clauses d^un acte ostensible. L'acte sur lequel
les parties reviennent au moyen de la contre-lettre , est le
plus souvent un acte authentique -, c'est pour cela qu'on a
rattaché cette matière k l'authenticité. Mais il pourrait
s'agir aussi d'un acte privé ayant acquis date certaine, et
susceptible dès lors de produire efiet vis-k-vis d'autres que
les signataires. (Loi du 22 frimaire an YII , art. 40.) II n'y
a pas lieu non plus k examiner, comme autrefois, si la
contre-lettre elle-même est un acte authentique ou privé ,
afin d'attribuer efiet à celle qui serait rédigée dans la pre*
mière forme. Un acte notarié est tout aussi secret qu'un
acte privé, et puisque l'on voulait protéger les tiers, toute
distinction devait être rejetée * . 11 suit de Ik qu'une contre-
lettre faite par acte privé n'acquerrait point plus de force
parce qu'elle aurait date certaine. Aussi un arrêt de la Cour
de Paris qui avait donné efiet h une contre-lettre de cette
nature , comme ayant acquis date certaine par la mort du
* L^Tticle 1S19 du Code italien ne limite Peffet des contre-lettres
qu'autant qu'elles sont faites par acte sous seing priTé.
80 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
signataire % a été cassé le âO avril 1863, « attendu qne les
a contre-lettres n'ont d'effet contre les parties contraetantes
(^ qa'à regard des tiers, c'est-k-dire de ceux qui ne les ont
« pas souscrites , elles ne peuvent prévaloir sur les actes ,
(( soit authentiques , soit sous seing privé , auxquels elles
«. dérogent ; qu'il n'importe , vis-k-vis de ces tiers , qu'elles
« aient acquis une date certaine , cette date ne pouvant ,
« comme les contre-lettres elles-mêmes , avoir d'effet que
« contre ceux de qui elles émanent ou leurs ayants cause. »
Peu importe également que la contre-lettre soit souscrite,
ainsi que cela arrive d'ordinaire, en même temps que l'acte
ostensible, ou seulement après un certain intervalle. C'est
aux juges k apprécier, d'après les circonstances , si , dans
l'intention des parties, les deux actes (c'est-k-dire ici les
deux conventions) étaient destinés k se confondre, ou s'il y
a eu un changement fait après coup de bonne foi.
514. a Les contre-lettres », dit l'article 1321 du Code
civil, <( ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties
« contractantes. »
Sans doute, aux yeux d'une morale rigide, les simulations
doivent être complètement réprouvées. Pline le Jeune nous
dit (liv. Y, lett. 1), en parlant d'un arrangement de cette
nature qu'on lui avait proposé : Refpondebam ^ non convenire
moribut mm, aliud palam, aliud agere secreto. Et il n'est que
trop vrai que souvent les contre-lettres sont destinées k
couvrir des fraudes, et surtout des fraudes aux droits du fisc.
Cependant il peut y avoir des circonstances où l'emploi de
pareils moyens n'a rien de blâmable. Un père peut vouloir
avantager l'un de ses enfants, sans dépasser la quotité dis-
ponible , mais en dissimulant sa libéralité , pour éviter les
« C^est ainsi que les contre-lettres aTaient été CQTisagées par l'artide 3 267
du Code de Parme et de Plaisance.
FOI DBS ACTES AUTHENTIQUES. 81
qoerelles que ferait naitre de la pari des intéressés la con-
oaissaDce de cet avantage. Dans cette circonstance, comme
dans tonte autre semblable, une contre-lettre est licite
entre les parties : doctrine en parfaite harmonie avec celle
qui maintient les libéralités déguisées jusqu'à concurrence
de la quotité disponible, et que Ton admet généralement
aujourd'hui sous l'empire du Code civil (art. 911), quelque
contestable qu'elle soit en législation.
La Cour de cassation (Rej., 20 décembre 185â) a ap-
pliqué cette doctrine aux contre-lettres modifiant les condi-
tions , fixées par acte notarié , d'une société de commerce ,
malgré les principes spéciaux du droit commercial (n* 185),
qoi prononcent la nullité des conventions non publiées, même
dans les rapports des associés. Que s'il s'agissait d'un acte
complètement irrévocable, tel que l'adoption (Rej., 14 juin
1869), les contre-lettres ne pourraient avoir effet, même
entre les parties.
SI 5. Dans l'ancien droit, le sens du mot contre-lettre
n'étant pas encore fixé d'une manière bien précise, et
pouvant par conséquent comprendre des conventions non
suspectes, on n'avait point prononcé d'une manière générale
la nullité de pareils actes vis-à-vis des tiers , comme semble
le supposer un arrêt de la Cour de Trêves , du 22 février
1806. Il est plus exact de dire, avec Merlin (Répert., v*
CoNTRK-LETTRE , u' 3), quo la justicc Ics vojait d'un œil
défavorable. On trouve seulement le germe du principe
consacré par le Code dans un acte de notoriété certifié par
les gens du Roi du parlement d'Aix, en date du 2 juillet 1698,
et conçu en ces termes :
« Les contre-lettres ou déclarations volantes , secrètes et
« clandestines, qui ne sont point couchées et insinuées dans
« les registres des notaires, quoique reçues par ces officiers,
« n'ont leur effet et leur date que du jour de Tenregistre-
II. ® '
82 POl DKS ACTES ÀCTHBNTiQUES.
(( ment, h l'égard des tiers, et n'ont hypothèque que du
t( jour qu'elles ont été enregistrées. »
L'article 1331 du Code décide d^une manière plus géné-
rale que les contre-lettres n^ont point dPeffeU contre les tiers.
816. Or, que faut-il entendre par tiers? Cette expression
a-t-elle ici la même signification que nous lui avons donnée,
lorsque nous disions, dans le paragraphe précédent, que les
conventions constatées par un acte, même authentique,
lient les contractants , mais ne lient pas les tiers ? Nous
entendions alors par tiers ceux qui sont penitus extranei,
comme le voisin sur le fonds duquel je déclarerais avoir
une servitude. Mais les successeurs, même k titre parti-
culier, tels que les tiers acquéreurs, sont incontestablement
liés par les conventions de leur auteur, pourvu qu'elles
soient légalement constatées. Us ne sont donc pas des tiers,
mais des ayants cause, dans le sens de l'article 1319 du
Code civil : ce qui est authentiquement prouvé vis-k-vis da
vendeur. Test également vis-à-vis de l'acheteur. Tel n*estpas
le sens du mot tiers en matière de contre-lettres. D ne s*agit
plus alors des personnes complètement étrangères aux con-
tractants, personnes k qui ni l'acte apparent ni la contre-
lettre ne pourraient nuire, par cette raison bien simple qu'il
ne nous est pas permis de disposer des droits d'autrui. Il
est question cette fois des ayants cause des parties contrac-
tantes, lesquels ont dû compter sur l'existence de l'acte
modifié secrètement par la contre-lettre. Ainsi, les tiers
acquéreurs, lors même qu'on les oblige, ainsi qu'on le
faisait, même en matière immobilière, dans le système du
Code, à respecter l'acte authentique souscrit par leur au-
teur antérieurement k celui qui est leur titre, peuvent,
au contraire , faire déclarer non avenue k leur égard la re-
connaissance occulte qu'il aurait souscrite k son propre ven-
deur, par exemple, pour coni>tater que la vente n'était que fie-
roi DBS Acns authentiques. 83
tire. El c'est précisément parce qu'ils sODt les ayants cause
de la personne qui aurait ainsi annulé par une contre^-lettrë
son propre titre d'acquisition , qu'ils ont intérêt k critiquer
cette contre-lettre, dont n'auraient nullement k se préoccu-
per des tiers peninu extmnei. Ce droit appartient incontes-
tablement à tous les ayants cause à titre panicalier, aux
créanciers hypothécaires, comme aux tiers acquéreurs.
(Rej., 25 avril 1826; Douai, 10 mars 1849.) Il n'est pas
moins certain qu'on doit le refuser aux successeurs à titre
universel, qui, continuant la personne du défunt, ne peuvent
décliner aucune des obligations par lui consenties ' « Il en
est de même du mandant ii l'égard de son mandataire.
(Bordeaux, 9S juillet 1836.) Ayant complètement suivi sa
foi , il s'est , pour ainsi dire , identiâé avec lui , et doit en
conséquence exécuter tous les actes , publics ou secrets ,
qu'il a souscrits avant la révocation du mandat.
tfl7. 11 y a plus de doute quant aux créanciers chiro-
graphaires de l'une des parties. Sont-ils liés par la contre-
lettre de leur auteur, quand ils viennent exercer ses
droits ? Le vendeur pourra-t-il opposer, par exemple , aux
créanciers de l'acheteur, qui réclament l'immeuble au nom
de leur débiteur, un acte secret portant augmentation du
prix ostensible P En faveur de l'afBrmative , on invoque le
principe général que les créahciers n'ont pas plus de droits
que leur débiteur, dont ils sont censés suivre la foi. C^est
effectivement ce qu'il convient de décider, lorsqu'on se
demande k l'égard de qui sont exigées certaines formes de
publicité pour la transmission de propriété, la tradition pour
les meubles , sous le Code civil , la transcription pour les
immeubles , dans le système des lois du 1 1 brumaire an VII
> An )lea de parier de tien, le Gode italien, plus prédt (art. 1319), limite
l^cflet des contre-lettre» aux parties oontractantes et à leurs siÊCceueurs à
tUre tanverêel.
6.
84 FOI DES ACTES AUTHEKTIOUES.
et du 23 mars 1866. La question n'est pas douteuse en ce
qui concerne les meubles ; il est constant que l'acheteur
d'un meuble corporel ' est propriétaire par l'effet de la con-
vention vis-2i-\is des créanciers chirographaires , et que la
possession de bonne foi ne peut être invoquée que par les
tiers qui ont acquis un droit spécial sur l'objet vendu.
(C. civ., art. 1141 , 2279.) Pour les immeubles, il pouvait
s'élever quelque doute sous l'empire de la loi du 11 bru-
maire an YQ, aux termes de laquelle (art. 26) les actes non
transcrits ne pouvaient être opposés aux tiers qui avaient
coniracté avec le vendeur. Nous pensons cependant que le
législateur de brumaire n'avait en vue que les tiers acqué-
reurs et les créanciers hypothécaires , puisqu'il ajoutait i et
qui se êeraient conformés aux dispositions de la présente^ c'est-à-
dire qui auraient fait connaître leur droit suivant les formes
établies pour la mutation de propriété et pour l'inscription
des hypothèques. Mais aucun doute ne saurait subsister
sous l'empire de la loi du 23 mars 1855, dont la rédaction ,
modifiée à dessein pour exclure les créanciers chirogra-
phaires, n'admet à se prévaloir du défaut de transcription
que ceux qui ont des droiu sur l'immeuble *. Dès lors, ainsi
que l'a jugé le tribunal de Nancy, le 8 décembre 1856, la
priorité même de transcription de la saisie (C. de proc,
* En ce qui touche la transmission des créances, on entend généralement
par tiers, dans l'article 1690, d'après l'ancienne pratique, même les créan-
ciers du cédant, s'ils ont opéré saisie-arrêt antérieurement à la signification
faite par le cessionnaire ; mais c'est là une doctrine particulière, tenant à
la facilité des fraudes en matière de cession de créances.
^ Le projet portait simplement des droits. » On a voulu, dit le rappor-
teur, M. de Belleyme, écarter la prétention des créanciers chirographaires,
qui auraient pu Touloir opposer le défaut de prescription. Ce droit leur est
refusé par le projet de loi. » Nous ne parlons point des donations à l'égard
desquelles il s'élève une difficulté toute spédale. (C. cit., art. 941 ; loi
de 1855, art. il.) On consultera avec fruit, sur le système général des
lois de l'an VII et de 1855, le travail de notre coUègue et ami M. Daverger.
(Mevue pratique, tom. X, p. 161 et suiv.)
FOI DBS ACTES AUTHENTIQUES. 85
art. 686) n'empêcherait point Facquérenr de revendiquer
rimmenble vis-à-vis des créanciers chirograpbaires , pourvu
que la vente eût date certaine antérieurement à cette tran--
scription. (Même art. 686.)
Mais l'esprit de la loi sur les contre-lettres nous con-
duit à adopter un système tout différent. Il s'agit d'un
acte ostensible qui était de nature k induire en erreur les
créanciers chirograpbaires, aussi bien que les ayants cause
k titre particulier. Or, le vendeur a participé à la réticence
dont il veut aujourd'hui se prévaloir. C'est son propre fait
qui a donné naissance aux droits qu'il prétend aujourd'hui
détruire. Si les créanciers sont représentés par leur débiteur,
ce n'est pas lorsqu'il s'agit précisément de conventions qui,
tendant k leur soustraire une partie du patrimoine de ce
débiteur, sont suspectes de fraude à leur égard ^ Il n'est
pas exact d'ailleurs de comparer les principes sur les contre-
lettres avec ceux qui régissent la transmission de la pro-
priété vis-à-vis des créanciers. Si le tiers détenteur, même
dans le système de la publicité des droits réels, l'emporte
sur les créanciers chirograpbaires, c'est qu'il n'a pas à se
reprocher d'avoir usé de simulation k leur égard -, tandis
que, dans l'espèce, on peut reprocher au vendeur de leur
avoir volontairement laissé croire que leur auteur n'était
redevable que d'un prix inférieur au prix réel. Telle est ,
en effet, la doctrine de la jurisprudenc (Cass., 23 février
1835)^ elle pose en principe qu'en matière de contre-
lettres, les tiers sont ceux qui n'ont pas souscrit ces actes,
lors même qu'ils n'auraient pas traité spécialement en vue
du droit apparent (Cass., 16 décembre 1840), et assimile,
' Bfais , si lea créanciers ne faisaient qu'exercer les droits de leur débi-
teur (art. 1166, Cod. civ.), notamment sMls invoquaient une stipulation
llûte à leur profit , quand l'importance de cette stipulation aurait été fixée
par une contre-lettre, cette contre-lettre leur serait opposable. (Rej.,
7,3 mai f870.)
86 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
du reste, aux souscripteurs de l'acte secret ceux qui sont
tenus de leurs obligations, comme les héritiers et le man-
dant '. (Yoy. dans le même sens Paris, 39 avril 1837.)
Cette doctrine reçoit cependant un tempérament en ce
qui concerne la masse de la faillite. La masse est bien assi-
milée k un successeur in universum jus » en ce qu'elle lOe
saurait critiquer les billets du failli qui n'auraient point date
certaine (voy. n^ 697) ^ mais les contre^lettres ne peuvent
lui être opposées qu'au cas où elles auraient été passées
sincèrement et de bonne foi entre le débiteur in bonis et
celui qui les invoque. (Comp. Rej., 10 mars 1847, et
Dijon, 13 juin 1864.)
tfl8. Le fait de dissimulation personnelle, invoqué contre
celui qui veut se prévaloir de la contre-lettre , peut servir
de réponse à Tobjection qu'on présente quelquefois contre
cette doctrine , lorsque l'on fait observer qu'elle est en con-
tradiction avec l'absence de publicité qui existait dans le
système du Gode pour les actes les plus importants. La
défaveur des contre-lettres a commencé dans l'ancienne
jurisprudence, alors qu'on se préoccupait peu, sauf les
règles particulières aux coutumes de nantissement, de la
publicité pour la transmission de la propriété; il n'y a
donc point de rapport nécessaire entre l'article 1321 et le
système de la loi du 11 brumaire an YII, sur lequel les
rédacteurs du Gode n'étaient point fixés lorsqu'ils ont
rédigé cet article, et auquel on n'est revenu qu'en 1855.
D'ailleurs la vente d'un même immeuble k deux acheteurs
successifs est une fraude grossière, heureusement peu fré-
quente dans la pratique , tandis que les contre-lettres ont
' Une potition qui se rapproche beaucoup de celle du titulaire nominal
dessaisi par une contre-lettre, est celle du prête-nom. Il ne faut point
confondre avec le mandataire ordinaire le prête-nom, avec qui les tiers ont
le droit dq traiter en toute sécurité , soit quUls aient ignoré , soit même
qu'ils aient connu sa qualité. (Rej., 25 jauTier 1864 et 28 juillet t869.}
FOI ras ACTES iUTQEMTIOUES. 87
ioQjoars été usitées pour masquer des conventiona que les
parties avaient intérêt k dissimuleri et ont dû par cela même
éveiller la sollicitude du législateur. II a donc bien fait de
proscrire à Tégard des tiers , indépendamment du système
qu'il adopterait ultérieurement sur la transmission de la
propriété, des réserves dont Texpérience avait fait ressortir
les graves abus.
518. n ne faut pas croire cependant que les contre-
lettres soient , à Tégard des ayants cause dont nous venons
de constater les droits, des actes complètement étrangers,
comme le sont les conventions des parties k Tégard des
tiers penitus extrane , auxquels elles ne peuvent ni nuire ni
profiter. (C. dv., art. 1165.) En principe, les contractures,
ayant efiet vis-*à-vis des parties contractantes, peuvent en
avoir vis-à*<vis de leurs ayants cause, S'ils peuvent les faire
réputer non avenues en ce qui touche leur intérêt, il n'y a
pas lieu k rétorquer contre eux cette faculté, qui n'est
introduite qu'en leur faveur. Ce n'est que contre U$ tiers
[ilrid,^ art. 13S1) que les contre-lettres n'ont point d'effet.
Si, au lieu de les combattre, ils les invoquent, si ce sont,
par exemple t lea créanciers du vendeur qui etigent de
l'acheteur un supplément de prix porté dans un acte secret,
celui-ci ne peut refuser le payement , pas plus qu'il ne le
pourrait vis^-«vis du vendeur lui-même, ainsi que l'a jugé un
arrêt de la Cour de Paris du 2 germinal au XIII, De même ,
la régie est fondée à s'emparer d'une eontre^lettre qui
déclare qu'une vente antérieure n'est point sérieuse, pour
exiger, sur la contre^lettre même, un droit proportionnel
de rétrocession. (Rej., SO juillet 1859,)
Mais si la contres-lettre était inhérente , en quelque sorte ,
au titre lui-même, elle en affecterait le caractère, et il
faudrait alors appliquer le principe que, là où aucune fraude
n*est articulée, la régie prend l'acte protu icmai. (Voy.
88 FOI DES ACTES AUTHEMTIOUES. *
n"" i40 bu.) C'est ainsi que le tribanal de la Seine (1*' août
i868) a refusé d'autoriser la perception du droit de muta-
tion après décès sur des valeurs au porteur dont le pos-
sesseur reconnaissait un tiers propriétaire dans une contre-
lettre , qui se trouvait confirmée par la déclaration faite sur
l'enveloppe renfermant ces valeurs.
820. Dans les diverses solutions que nous avons adop-
tées jusqu'ici , nous avons supposé qu'une contre-lettre ,
portant augmentation du prix stipulé dans une vente,
produit effet entre les parties contractantes. Cette proposi-
tion ne serait pourtant vraie qu'avec distinction , s'il fallait
s'attacher k l'article 40 de la loi du 22 frimaire an VU,
ainsi conçu : « Toute contre-lettre faite sous signature
« privée, qui aurait pour objet une augmentation de prix
« stipulé dans un acte public ou dans un acte sous signature
« privée précédemment enregistré , est déclarée nulle et de
a nul effet. » Les contre-lettres ayant habituellement lieu
dans la pratique pour frauder les droits du fisc, le législateur
de l'an YII avait voulu les réprimer, en refusant toute action
au vendeur ou au bailleur (car le texte parle de prix en
général), afin d'obtenir les prestations supplémentaires dont
on serait secrètement convenu. Cette nullité n'existait toute-
fois qu'à deux conditions : 1** que la contre-lettre fût sous
signature privée ; les contre-lettres notariées n'offrent aucun,
danger pour le fisc, puisqu'elles doivent être enregistrées
dans un bref délai, tandis qu'on n'enregistre les autres
contre-lettres que lorsqu'on a besoin de les produire en
justice \ 2"" que le prix eût été stipulé d'abord par un acte
public ou par un acte sous signature privée précédemment
enregistré, et par conséquent destiné à servir de base pour la
perception des droits ^ si les droits n'avaient pas été perçus
d'abord sur un pied inférieur au prix réel , les intérêts du
lise n'étaient nullement compromis.
FO! DBS AGTB8 AUTHENTIQU1S&. 89
Meflm enseigne (Queitwnê de droit, y* Gontrb-lettres ,
§ 3), et la Cour de cassation avait d'abord jugé , que cet
article 40, appartenant à une législation spéciale, n'était pas
abrogé par l'article 1321 du Gode civil. D'ailleurs, ajoute-
t-oo, les expressions mêmes de l'article : « Les contre-lettres
De peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes » ,
n'impliquent pas leur validité dans tous les cas, mais
seulement la possibilité de cette validité. Il est vrai que ces
expressions, si on ne savait pas dans quelle intention elles
ont été employées par le législateur, ne seraient point par
elles-mêmes assez précises pour emporter dérogation au
texte d'une loi spéciale. Mais ce qui en explique bien le
sens, c'est la discussion qui eut lieu au Conseil d'État, et ^
la suite de laquelle fut rédigé l'article 1321 , qui n'existait
pas dans le projet. M. Duchàtel , directeur général de l'en-
registrement, demanda, dans la séance du 2 brumaire an XII,
qu'on proscrivit l'usage des contre-lettres : mais il fut le
seul de son avis. « Les contre-lettres », dit Berlier, « ont
« souvent lieu pour éluder ou affaiblir les droits dus au
« trésor public -, mais c'est par des amendes , et non par la
« peine de nullité, que cette espèce de fraude doit être
« atteinte et punie : dans aucun cas , le législateur ne peut
« mettre sa volonté k la place de celle des parties, pour
« augmenter ou diminuer les obligations respectives qu'elles
« se sont posées. » Le consul Cambacérès rappela alors , en
le critiquant, l'article 40 de la loi de frimaire. Et Tronchet
dit : « Il faut distinguer : une contre-lettre doit être valable
« entre les parties , et nulle contre les tiers ; or, la régie de
« l'enregistrement est un tiers par rapport k l'acte. » La
rédaction qui fut faite ensuite par la section de législation ,
n'a été évidemment que la reproduction de la doctrine
de Tronchet. Et c'est bien mal à propos qu'on accuse cette
interprétation de faire empiéter le Gode civil sur le domaine
90 FOI DBS ACTES AUTHENTIQUES.
des lois spéciales. C'était, au contraire i dans l'espèce, la
loi fiseale qui avait empiété sur le droit commun, en appelant
la mauvaise foi k l'appui de ses combinaisons. Un arrêt de rejet
du 10 janvier 1819 a justement repoussé cet empiétement.
Plusieurs Cours, notamment celle de Dijon, le 9 juillet 1828,
et celle d'Aix, le 21 février 1832, ont adhéré k la même
doctrine. Et ce qu'il y a de remarquable , c'est que l'arrêt
de la Cour de Dijon a donné lieu k un recours en cassation,
mais sur un autre chef seulement , le moyen tiré du main-
tien prétendu de l'article 40 de la loi de frimaira n'ayant pas
été considéré comme soutenable.
Une nouvelle tentative pour obtenir l'annulation , dans
l'intérêt dufisc, des contre-lettres portant augmentation, soit
du prix d'une vente, soit de la soulte d'un échange ou d'ifn
partage, a été faite lors de la présentation du projet, qui
est devenu la loi du 33 août 1871 , sur l'enregistrement.
Aux termes de l'article 12 de ce projet, le vendeur de biens
immeubles et l'échangiste de la plus forte part n'avaient
aucune action en justice pour le payement de ce qui aurait
été stipulé en sus du prix de vente ou de la soulte énoncée
dans l'acte. Toute somme payée par suite de stipulations de
cette nature était sujette k répétition. L'Assemblée nationale
a écarté ces dispositions, comme donnant une prime k la
mauvaise foi. Elle s'est contentée de substituer a l'amende,
triple du droit sur les valeurs dissimulées, que portait la
seconde partie de l'article 40 de la loi de frimaire , une
amende égale au quart de la somme dissimulée dans le prix
ou dans la soulte. (Loi du 23 août 1871, art. 12.)
521. S'il s'agissait, en sens inverse, d'une diminution
de prix portée dans une contre-lettre , il n^y aurait pas de
difficulté -, le fisc aurait , aussi bien que tout autre intéressé ,
le droit de la faire considérer comme non avenue.
899. Il est un cas où le Code civil lui-même (art. 1396)
FOI DES AGTE8 AUTHEIlTIOinSS. Ot
prononce la nullité des contre-lettres entre les parties eon-*
*
tractantes. C'est lorsqu'il s'agit de changements ou de contre*
lettres qui auraient lieu , après la rédaction du contrat de
mariage, sans Taothenticité requise, ou bien sans le consen-
tement de tous ceux qui étaient parties k ce contrat. Cest
qu'alors le mot contre^lettre reprend le sens général qu'il
arait dans Tancienne jurisprudence, et désigne simplement
un acte postérieur k un premier acte , qui le modifie d'une
manière quelconque. Et en effet , lors même qu'il s'agirait
d'un changement fait après coup aux conventions matrimo-
niales , sans qu'il y eût eu aucune intention de déguisement
chez les parties , ce qui ne rentrerait nullement dans l'hypo-
thèse de l'article 1321 du Gode, il faudrait encore décider
qu'il y a nullité à l'égard des parties elles-mêmes , si les
conditions voulues par la loi n'ont pas été observées. Ce
n'est pas la dissimulation seulement, mais le changement
non revêtu de certaines formes , que Ton a voulu proscrire
en cette matière. Il est donc inexact de présenter, comme
on le faisait dans la rédaction proposée par le Tribunat sur
rartide 1321, les règles sur les contre-lettres dans les
contrats de mariage , comme faisant exception au principe
général de cet article. L'article 1396 est une disposition
spéciale, qui restreint la capacité des parties; tandis qu'il
est évident que l'article 1321 , en prononçant k leur égard
la validité des contre-lettres, les a supposées capables.
L'article 1321 proscrit les contre-lettres comme déguise-
ment h regard des tiers seulement ; l'article 1396 interdit,
même h l'égard des parties , en l'absence de certaines con-
ditions, les changements au contrat, changements dont les
contre-lettres proprement dites ne sont qu'une espèce. Au
contraire, le mot contre-lettre reprend sa signification
propre dans la disposition suivante (art. 1397), qui déclare
sans effet h l'égard des tiers les changements et contre-
92 FOI DES ACTES AUTHENTIQUES.
lettres , même réguliers vis-k-vis des parties contractantes ,
s'ils n'ont été rédigés k la suite de la minute du contrat de
mariage.
823. EnGn , une jurisprudence constante (voy. notam-
ment Cass. ) 28 mai 1851 et 2 mars 1864) annule,
même entre les parties contractantes, les contre-lettres
ayant pour but de substituer un autre prix au prix osten-
sible porté dans le traité que les contractants ont soumis à
la chancellerie pour la cession d'un office. Ce changement
fait en fraude de la loi n'a pas même reffet d'une obligation
naturelle , ainsi que la Cour suprême Ta jugé bien des fois ,
notamment par l'arrêt de cassation du 4 janvier 1846. Ce
qui est k remarquer, c'est que le même abus avait été
proscrit autrefois avec la même sévérité , et que le parle-
ment de Paris (arr. de règl. du 7 décembre 1691 et du
8 août 1714) avait dû également frapper de nullité toute
contre-lettre relative k l'acquisition des offices de procureur,
notaire , ou autres semblables.
524. II ne faut pas confondre avec les contre-lettres les
réserves faites expressément dans l'acte au profit d'un tiers,
telles que la déclaraiion de commande par laquelle l'acheteur
se réserve d'élire, dans un certain délai, une personne qui
reprendra l'affaire pour son propre compte. II n'y a point Ik
de modification secrète d'un acte ostensible, puisque l'acte
lui-même annonce la réserve. La déclaration de command
produit donc effet k l'égard de tout le monde *, mais il est
nécessaire, si on veut éviter le double droit de mutation, de
la notifier dans les vingt-quatre heures k la régie de l'enre-
gistrement. (Loi du 22 frimaire an VU, art. 68, § 1", 24«.)
825. C'est k ce même délai de vingt-quatre heures qu'il
faut s'attacher lorsqu'il s'agit d'une contre-lettre tendant k
feire considérer la mutation comme non avenue. Les parties
ne peuvent éviter le payement du double droit proportionnel,
FOI DES ACTES AUTHENTIQUES. 93
qu'autant qu'elles se sont désistées de leurs conventions par
acte authentique , passé dans les vingt-quatre heures k partir
de l'acte résilié. {Ibid., 40\) Ce délai expiré, on pourrait, en
matière pivile, eiaminer s'il y a eu contre-lettre ou rétro-
cession ^ mais en matière fiscale , la rétrocession est pré-
sumée. Autrement, toutes les fois qu'un acheteur viendrait
k revendre k son vendeur l'immeuble qu'il lui aurait acheté,
on éluderait facilement les droits de mutation , en présentant
Tacte nouveau comme une contre-lettre. Il resterait, sans
doute, la faculté d'établir la fraude*, mais, en matière de
perception de droits , il importe de partir de règles fixes et
immuables. C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de
cassation, le 7 août 1807 et le 25 octobre 1808. (Voy. dans
une espèce analogue l'arrêt de cassation rendu, sections
réunies, le 29 décembre 18S1 . )
826. Outre les cessions ou rétrocessions faites sans
fraude , il faut également considérer comme valable , même
à l'égard des tiers, la déclaration par laquelle les parties
règlent l'effet d'une convention antérieure. C'est ce qu'a
décidé la Cour de Douai , le 1*' mai 1851 , à l'égard de l'acte
par lequel un des codébiteurs solidaires déclarait que
l'obligation ne concernait que lui seul *, la Cour s'est fondée
sur ce motif que la contre-lettre, dans notre droit, est « un
« acte par lequel les parties contractantes constatent qu'une
« convention insérée dans un autre acte n'est pas sincère
« et réelle, et restituent a cette convention le véritable
ce caractère qui lui appartient, n Or, il n'y avait rien de pareil
dans l'espèce, la dette solidaire n'ayant rien de fictif, et la
déclaration faite postérieurement n'étant que l'application
de l'article 1216 du Code civil, qui suppose formellement
que la dette solidaire peut ne concerner que l'un des débi-
teurs.
94 FOI DBS ACTB8 DB L'ÉTàT GiYIL.
DEUXIÈME DIVISION.
DES ACTSS BB L'ÉTAT CIYIL, RT SPBCtALEMENT DB lA FOI
QUt s'attache a CBS ACTES.
SOMMAIRE. — 527. Ne point s'attacher strictement attx formes en cette matière. — S88. Ap.
plleation de la théorie de Dumoulin sur la foi due à rofficier. — 529. Confusion du Caux
témoignage et du faux. — 530. Faux d'après le Code pénal de 4844. — 531. Système
du Code pénal sur les déclarations mensongères. — 532. Notion extensive du faux ,
consacrée par la jurisprudence. — 533. Dans quelles limites s'applique cette jurispru-
dence aux actes de l'ètit ci?ii. ^ 534. Lacune de la loi quant aux déclarations mensCNiigèrefi
faites extrajudiciairement. — 536. Simulation. — 536. Preuve de l'idenlilè du porteur
de l'acte. — 537. Division.
527. Notre intention n*est pas de nous livrer ici à Véinàe
minutieuse des formes qui sont tracées par la loi pour la
rédaction des actes de Tétat civil '. Cette étude offrirait peu
d'intérêt quant au but que nous nous proposons dans cet
ouvrage, puisque aucune de ces formes n'est prescrite &
peine de nullité , et qu'on peut dès lors toujours se prévaloir
des mentions que renferme Tacte, sauf h le rectifier, s'il y
a lieu. Les droits des parties intéressées , étrangères la plu-
part du temps k la rédaction de ces précieux documents , ne
sauraient dépendre de la négligence ou de l'ignorance d'offi-
ciers qui, surtout dans les campagnes, présentent bien
moins de garanties que les notaires : c'est ce qui résulte de
la discussion au Conseil d'État (séance du 6 fructidor an XI),
et ce qu'ont expressément jugé la Cour de cassation (Rej.,
13 fructidor an X et 21 juin 1814) , la Cour de Bruxelles *
< On peut consulter sur Phistorique de cette matière , déjà Indiqué plus
haut (no 189), les Recherches sur la législation et la tentie des actes de
l'état civil, par Berrlat Saint-Prix. (1842.) Il résulte de ce travail que les
registres les plus anciens, constatant les naissances, mariages et décès, sont
ceux de la paroisse de Saint- Jean-en-GrèTe, à Paris, qui datent de 1515. Le
mémoire de M. Loir, déjà cité, sur Vétat religieux et dvil des catholiques
en France avant 1792 (Revuedu droit français et étranger, t. YI, p. 701
et suÎY.), contient des documents encore plus complets.
' Dans Pespèce jugée par la Cour de BruxeUes, il s^agissait d*un acte de
naissance où il n'était fait mention ni de l'âge du père et de la mère, ni
de celui des témoins , ni de la présentation de l'enfant à l'ofQder de l'état
dvil , Di même du lieu de la naissance.
FOI DEfi ACTES DE L'ÉTAT CIVIL. 95
(le4 juillet 1811), et celle d'Angers (le S5 mai 18S2). Il
est vrai que la Cour de Caen, le 13 juin 1819, a annulé un
mariage dans lequel trois femmes avaient figuré au nombre
des témoins ; mais c^est que la Cour a vu dans cette cir-
constance, jointe à l'absence de signature du quatrième
témoin, un indice du défaut de publicité. Si ce principe fon-
damental de la matière n'est guère contesté en thèse géné-
rale, nous aurons occasion de remarquer que certaines théo-
ries tendent k le méconnaître dans l'application.
D'après Topinion que nous avons déjà eu occasion d'énon--
cer en ce qui touche la preuve du mariage (n"" 300), nous
pensons qu'on ne doit pas rejeter , comme dénués de toute
foi, les actes écrits sur feuilles volantes : ce qu'a jugé la
Cour de Metz, le 19 août 1824, relativement k une recon-
naissance d'enfant naturel. Il faut remarquer d'ailleurs le
peu de gravité de la peine dont se trouve frappée cette con-
travention par l'article 192 du Code pénal , qui ne prononce
qu'un emprisonnement d'un mois à trois mois, et une
amende de seize k deux cents francs. Les expressions de
Texposé des motifs sur cet article viennent encore k l'appui
de notre opinion, a Dans ce cas », dit Berlier , « les officiers
« compromettent l'état civil des personnes *, ils se rendent
« coupables au moins de négligence , et le besoin de régu-
« lariser une partie aussi importante justifiera aisément les
v peines de police correctionnelle qui leur sont infligées. »
Comment le lé^slateur eût-il cru nécessaire de justifier ,
dans l'espèce, l'application de peines correctionnelles, si
l'inscription sur une feuille volante suffisait pour ôter k l'acte
toute force probante ; ce qui est bien autre chose que l'irré-
gularité dont parle Berlier ?
Nous pensons aussi avec Merlin [Rép&rt., v* État civil,
§ 5, n* 8) qu'il n'y aurait pas nullité, au cas où l'officier
civil recevrait l'acte de naissance , de mariage , ou de décès
96 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
de ses parents les plus proches, ou même celui qui consta-
terait Taecouchement de sa femme , bien qu'il convienne de
s'abstenir en pareille hypothèse, comme le prescrit une lettre
du garde des sceaux du 21 juillet 1818. La seule limite que
la nature même des choses apporte k sa compétence, sous
ce rapport , c'est qu'il ne pourrait évidemment exercer ses
fonctions , relativement à son propre mariage , ainsi que l'ont
fait Certains pasteurs protestants -, il y aurait impossibilité
matérielle et morale k ce qu'il figurât dans le même acte
comme interrogateur et comme interrogé tout à la fois.
528. Nous laisserons donc de côté les formes , pour nous
occuper uniquement de la foi qui s'attache aux actes de
l'état civil. Et d'abord nous nous demanderons, en général,
quelle confiance peut mériter l'officier civil dans l'exercice
de son ministère.
U est évident que cet officier, comme le notaire, atteste
seulement ce dont il a été témoin, c'est-k-dire que tdle
déclaration a eu lieu , que tels faits se sont passés devant
lui. Mais quant k la réalité des faits qui lui sont seulement
déclarés, quœ nonfiuru, nec disponuntur, sed tantum recUaniur,
comme le dit Dumoulin, il ne peut la garantir. Dès lors
aucune poursuite en faux, du moins contre l'officier civil,
ne peut se fonder sur l'inexactitude des assertions consignées
dans l'acte , pourvu que ces assertions elles-mêmes aient été
fidèlement reproduites. Il semble dès lors , ainsi que l'ont
jugé les arrêts de rejet du 12 juin 1823 et du 16 mars 1841 ,
que ce qui est prouvé jusqu'k inscription de feux, c'est que
telles personnes ont déclaré l'existence de tels ou tels faits
au fonctionnaire rédacteur, mais nullement que ces décla-
rations soient conformes a la vérité -, ce dernier point ne
serait établi que jusqu'k preuve contraire.
529. Suivant l'arrêt de 1823, dont la doctrine a été
reproduite par la Cour de Nimes, le 13 juin 1860, « la
FOI DBS ACTES DE l'ÉTâT GIVIt. 97
« fausseté de la déclaration des témoins n'est qu'on men-
« songe , qui n'altère point la substance de l'acte. » Hais
ime doctrine admise par beaucoup d'auteurs, et qui prévaut
anjourd'hui dans la jurisprudence, voit, au contraire, dans
les fausses déclarations de cette nature un faux caractérisé.
L'origine de cette extension si large de l'idée de faux
remonte au droit romain , auquel on sait que nos anciens
crimioalistes faisaient de fréquents emprunts. Ce n'est pas
que la loi Comelia De faim eût considéré comme faux la
simple énonciation mensongère, sans aucune contrefaçon
d'écriture. « Quid sit falsum quseritur », dit Paul, (L. 23, D.,
D« leg. Corn, de faU.) a et videtur id esse, si quis alienum
« chirographum imitetur, aut libellum , vel rationes intér-
im cidat, Tel describat : non qui a)ias in computatione , vel
« ratione mentiuntur. » Mais plus tard , on vit par extension
une sorte de faux, quari faUum, dans le faux témoignage
(Modest., L. 27, pr., ibid.)^ dans le simple exposé de faits
faux, contenu dans un mémoire ^Modest., L. 2Q, ibid.)^ enfin
jusque dans le fait de vendre k faux poids ou k fausse mesure.
(Modest., L. 32, § 1, ibid.) Cette extension a passé dans les
lois barbares \ FaUum est, dit la loi danoise, $i terminum,
finesue quis moverit, monetam nisi venta vel mandato regio cusserk,
mmrmve reprobis dolo malo emat vendatque, vel argento adul-
terino, (Ancher, Lex cimbrica, liv. III, chap. Lxv.)
Ce fut en s' attachant k ces errements que notre ancienne
jurisprudence (voy. Muyart de Vouglans, Traité des aimes,
tit. YI) confondit sous la dénomination de faux tout fait
frauduleux tendant k altérer la vérité, afin de tromper
autrui : a Âctus dolosus animo corrumpendae veritatis ad
^ Le crimen falsi , qui emporte incapacité de témoigner, soiTant la loi
anglaise, ne s^entend pas d'une manière anssi large; mais il comprend
encore le faux témoignage, et les interprètes (M. Greenleaf, tom. I, p. 492
et sait.) sont embarrassés pour le caractériser avec précision.
II. y
98 FOI DES ACTES DE L'ÉTAT CiViL.
ce decipiôûdumalteramâdhibitus. » Alors le faux témoignage
n'était qu'une branche du hux. Celte extension d'est main-
tenue incontestablement, par cela seul qu'elle n'élàit pas
abolie, jusqu'à la promulgation du Code pénal de 1810 -, car
le Code pénal de 1791 (!!• part. tit. II, sect. 2, art. 41 et
suiv.) punissait le faux sans le définir, et prononçait seule-
ment des peines spéciales contre la vente h faux poids ou k
fausse mesure. Quant au Code du 3 brumaire an IV, il s'oc-
cupa de la procédure sur le faux, sans s'expliquer davantage
quant k la définition de ce crime, tl n'y a donc pas lieu de
s'étonner que la jurisprudence antérieure au Code pénal de
1810 ait considéré comme constituant un faux les énoncia-
tions mensongèi'eâ destinées à être insérées dans un acte
public , par exemple , les feusses déclarations sur la filiation
dans un acte de naissance. (Voir les arrêts cités dans le Bépert.
de Merlin, aux mots Faux et MATERNîtÉ.)
550. Mais le Code pénal de 1810 a pris soin de définir le
faux, qui a Cessé dès lors d^ avoir le caractère vague et indé-
terminé quMl avait conservé sous les législations précédentes*
Ce Code consacre une section entière au faux (11 v. III, tit. I,
chap. m, séct. 1), qui comprend encore, dans l'acception la
plus large du mot *, les crimes relatifs h la fausse monnaie,
à la contrefaçon des sceaux de l'Ëtat, des billets de
banque, etc. Mais le faux proprement dit n'est plus que le
faux en écritures. Nulle allusion au faux par paroles, dont
s'occupaient nos anciens criminalistes. (Voy.MuyartdeVou-
glâns» loc. cit.) Le faux témoignage et la calomnie, consi-
dérés jadis comme de véritables faux , sont renvoyés à une
autre partie du Code pénal (art. 361 et suiv.). Toutefois, en
* Cette assimilation n^est pas purement théorique. Aux termes des ar^
ticles 164 et 165 du Code pénal , le faussaire , lato soisu, est frappé d^une
amende qui peut être portée au quart du bénéfice illicite quUl s^est procuré ;
et, avant le décret du 12 avril 1848, s'il était condamné aux travaux forcés
à temps ou à la réclusion, il devait toujours subir Pexposition pubUque.
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CITIL. 99
ce qui touche les fonctionnaires publics , le faux matériel et
ie faux intellectuel ont été spécialement prévus , et punis éga-
lement des travaux forcés k perpétuité. L'article 145 parle
du premier, qui consiste dans les fausses signatures , dans
l'altération des écritures, etc. L'article i46 parle du second,
qui suppose qu'un officier public , en rédigeant des actes de
son ministère , en a frauduleusement dénaturé la substance
ou les circonstances. Puis vient Tarticle 147, qui est le siège
de la difficulté , puisqu'il est relatif aux faux commis par de
simples particuliers.
« Seront punis des travaux forcés k temps » , dit cet
article, « toutes autres personnes qui auront commis un
« faux en écriture authentique et publique , ou en écriture
« de commerce ou de banque. » Yoilk quelle est la propo-
sition principale de l'article. Or, par faux en écriture, on a
toujours entendu le faux commis , soit par le rédacteur , qui
dénature l'écrit lors de sa confection , ou qui Taltëre après
coup , soit par le faussaire proprement dit , qui fabrique un
écrit tout k fait supposé. Quant aux déclarations menson-
gères, elles n'ont jamais constitué un faux en écriture, mais
un faux commis par paroles, faux qui n'est plus prévu comme
tel par le Code pénal de 1810. Si donc l'article 147 s'en
était tenu k cette proposition générale , qui punit le faux en
écriture publique, aucun doute sérieux ne pourrait s'élever
sur le sens de la loi. Malheureusement il entre ensuite dans
les développements suivants , sur la manière dont le faux
peut avoir été commis : « Soit par contrefaçon ou altération
« d'écritures ou de sipatures *, — soit par fabrication de
« c<mventions , dispositions, obligations ou décharges, ou
^ par leur insertion après coup dans ces actes ; — soit par
« addition ou altération de clauses , de déclarations ou de
« faits, que ces actes avaient pour objet de recevoir et de
« constater. » On s'est emparé de ces dernières expressions
7.
100 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
pour soutenir que les fausses déclarations , notamment dans
les actes de Tétat civil, constituent encore aujourd'hui un
Faux caractérisé. Mais est-il vraisemblable que le législateur,
voulant définir le faux en écriture commis par des particu-
liers , ait été donner pour exemple des cas où le prétendu
faussaire n'a fait qu'une déclaration verbale? Tout ce déve-
loppement n'est-il pas dominé par la proposition principale,
quine parle que d'écriture? Si le dernier alinéa del'article Hl ,
en parlant d'une altéraiUm de déclarations, semble faire
allusion k un mensonge oral , il est facile de répondre que
l'alinéa précédent parle aussi de \2l foAricaiwn d obligations,
mais que la suite , où il est question à! insertion après coup
dans les actes, fait bien voir que par obligations le législateur
entend ici, dans le style de la pratique, l'écriture qui prouve
les obligations. La même confusion a bien pu avoir avoir été
commise k propos des déclarations , et Yaltération de ces décUi-
rations parait signifier tout simplement l'altération de l'acte
qui en est la preuve. On voit que cette équivoque fâcheuse,
sur un point aussi essentiel, tient encore à l'abus du langage,
emprunté par le Code pénal aux praticiens, qui tend k con-
fondre la preuve du fait avec le fait lui-même '. Mais le sens
général de Tarticle 147 résulte bien de l'exposé des motifs,
qui, après avoir distingué, quant aux officiers publics, le
faux matériel et le faux intellectuel, ajoute que la peine
n'est que temporaire k l'égard du simple particulier contrefac-
teur iécriiures authentiques. Il s'agit donc d'une contrefaçon,
d'un faux matériel , et non pas d'un simple mensonge.
551. L'examen de l'économie générale du Gode pénal
vient encore confirmer l'opinion qui résulte d'une analyse
exacte de l'article 147. En efiet, le genre de fausse décla-
ration qui ofire le plus de danger pour la société , la suppo^
' C'est ce qui prouve le grave danger, même au point de vue praUque,
de l'introduction d'expressions inexactes dans le text« des lois. (Voy. n« 45S.)
FOI DES ACTES DE L^ÉTAT CIVIL. 101
tition de part^ n'est puni qae de la réclusion par rariicle 345,
tandis que la peine des travaux forcés à tenaps est prononcée
contre le faux. Comment concevoir, s'il y avait réellement
&UX dans la supposition de part, que Ton eût prononcé une
peine plus faible contre celui des faux de cette nature qui
offrait le plus de gravité? C'est faire injure au législateur
que de lui prêter une pareille contradiction. On ne trouve
rien de pareil dans la jurisprudence romaine, laquelle,
après avoir fait rentrer la supposition de part dans la quali-
fication de faux. prise lato unm (n* 529-, voy. Dig. et Cod.
pamm, ad leg. Corn, defaU.)^ ne se contentait point, pour
la supposition de part, de la peine ordinaire du faux, c'est-
à-dire de la déportation (Marc, L. I, § 13, D«, A. <.), mais
prononçait la peine capitale : « 01>^^tricem quae partum alie-
« num attulit, ut supponi possit, s>ummo supplicio afBci pla-
« cuit », dit Paul. (Seni., liv. Il, tit. XXIV, § 9.) De même
le Code pénal de 1791 (liv. II, tit. II, sect. 1, art. 3S) pu-
nissait de douze ans de fers celui qui avait détruit la
preuve de l'état civil d'une personne , tandis qu'il ne pu-
nissait le faux {ilnd.^ sect. 2, art. 44) que de huit ans de
fers. Et Ton veut que celui de 1810 ait établi la classifica-
tion des crimes dans un sens diamétralement opposé I La
réclusion était, du reste, avant la révision de 1863, la peine
du faux témoignage en matière civile. (C. pén., anc. art. 363.)
La supposition de part a donc été assimilée au faux témoi-
gnage, et non pas au faux. Dès lors, les autres déclarations
mensongères, moins graves d'ordinaire par leurs consé-
quences que la supposition de part, ne peuvent pas non
plus constituer un faux.
832. Mais cette opinion n'a pas prévalu dans la pra-
tique , qui s'est attachée à une interprétation littérale des
expressions de l'article 147 : altération de déclaration que le%
actes avaient pour objet de recevoir et de constater. L'arrêt de
103 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CrVIL.
rejet du 12 juin 1833, qui ne regardait comme prouvés
jusqu'à inscription de faux que les faits attestés par Tofifi-
cier public de vûu et audUu, n'a malheureusement pas fait
jurisprudence. Nous ne connaissons dans le sens de celte
doctrine que l'arrêt de la Cour de Nîmes, du 13 juin 1860,
cité plus haut, et un arrêt de la Cour de Paris, du 30 jan-
vier 1830, qui a refusé de voir un faux par supposition de
personne dans le fait de s'être fait emprisonner pour autrui,
le prétendu faussaire n'ayaxu point concouru à la rédaction de
récrou argué de faux. La Cour de cassation a maintenu
dans toute sa rigueur le principe , fondé sur une interpréta-
tion erronée du Code pénal , qui considère comme faux la
fausse déclaration destinée k être consignée dans un acte
public; elle est revenue ainsi, en grande partie, à l'exten-
sion que donnaient à la notion de faux (n*" 529} nos anciens
criminalistes. Aussi a-t-elle vu (Cass., 10 février 1827) un
faux caractérisé dans le fait de s'être fait écrouer pour au-
trui ^ Plus sévère qu'elle ne l'était avant la promulgation
du Code de 1810 (Cass., 27 juillet 1809), elle considère
aujourd'hui comme faussaire (Cass., 2 septembre 1831 ,
7 mars 1835 et 10 juillet 1851) celui qui fait une fausse
déclaration en matière de recrutement, bien qu'il n'ait rien
écrit ni rien signé , par cela seul que là déclaration devait
être reçue et constatée dans un acte. La Cour de Grenoble (arr.
du 19 février 1831) a fait l'application de cette jurispru-
dence , en considérant comme faussaire le donateur qui ,
pour opérer une prétendue révocation par survenance d'en*
ftints, avait faussement déclaré l'accouchement de sa femme
* On a combattu la décision de la Cour de cassation , dans l'espèce , en
se plaçant à un autre point de Tue. On a dit que, si le remplacement arait
été gratuit, il ne supposait point un dol, mais un acte de générosité. Cette
critique ne nous parait point fondée , un acte dirigé contre Tordre public
étant toujours fhiuduleux , an point de Tue de la loi, quel qu*ait été le
mobile de l'agent.
FOI.D^ ACTES DC l'ÉTAT CITIL. i03
k Tofficier civil \ Mais cette application accusa toute la
bizarrerie du système , puisque , nous venons de le voir,
la supposition d'un enfant k une femme qui ne serait pa^
accouchée, est littéralement prévue et punie seulement
de la réclusion par l'article 345 du Code pénaP, Enfin, un
arrêt de rejet, du 28 mai 1857, considère comme faussaire
celui qui fait de fausses déclarations à Tofficier civil relatif
vement au domicile des futurs épou^ et au décè9 de leurs
ascendants , bien que ces énonciations n'aient trait qu'aux
actes de publication du mariage.
535. Toutefois, même en adoptant l'interprétation qui
s'attache à la lettre de l'article 147, il n'est pas exact de dire
que toute déclaration mensongère constitue un Aux. Il ne
faut donc point prendre k la lettre les expressions d'un ar«
rêt de rejet du 18 juillet 1835, qui, pour caractériser las
éléments du faux prévu et puni par la loi , reproduit la défl«-
nition de l'ancienne jurisprudence (n° 539), en la tradui-
sant en ces termes : l'aUératwn de la vérUé, danM une inimifm
ermineUe, qui a porté ou pu porter préjudiep d autrui, l\ con-
vient de distinguer, et cette distinction, du reste, était déjà
faite, même avant la promulgation du Code de 1810, si
Taete avait ou non pour okjet de conuaur ce qui a été déclaré
contrairement k la vérité. C'est ainsi que la Cour de cassa^
iioo avait dcjk jugé, le 30 juillet 1809, qu'il n'y a pas faux
dans l'assertion contenue en l'acte de naissance que les en--
fants sont légitimes , l'acte de naissance n'étant pas destiné
à constater ia légitimité, A plus forte raison , sous l'empire
do Code pénal actuel , art-^elle rendu une décision semblable
* Toutefois, la Cour de Grenoble a bien jugé, eu reftfgant de suspendre
les poursuites criminelles jusqu^au jugement de la question d'état par les
tribunaux civils (C. civ., art. 327), toute réclamation d'état étant impossible
dans respèce , puisque la oaissaoce était imaginaire.
' Dans l'ancien droit, coramfi h Rome, la euppositÛMi de part était uoa es^
pècedefaux. (MuyartdeYouglans,Xoé<erimifi^;e«,liT. m,tit.V,eba9«iii.)
104 FOI DES ACTES DE L^ÉTAf GITIL.
(Gass., 30 ayril 1841), relativement k une femme qui avait
pris la qualité d'épouse dans un acte qui n'était pas destiné
^ faire preuve du mariage. (Yoy. aussi Casd.,24mai 1845.)
Lors même que les énonciations se rattachent a l'acte reçu
par Tofflcier, si elles ne sont pas de sa substance, comme la
mention, lors de la célébration du mariage, de la filiation de
l'un des époux, elles ne font point foi jusqu'à inscriptioa
de faux. (Rej., SS février 1841.) Au cas même où l'acte
serait destiné k constater le fait, il faut le supposer de na-
ture k en faire preuve légalement '. Ainsi , la Cour de cassa-
tion a décidé (Cass., 13 octobre 1809) qu'il n'y a plus faux
dans la fabrication d'un acte constatant qu'un prêtre a
donné la bénédiction nuptiale , depuis que les registres de
l'état civil ont cessé d'être confiés aux ecclésiastiques. U
en serait autrement si l'on avait fabriqué l'extrait d'un acte
de mariage , portant la signature d'un maire et la mention
d'une commune, lorsqu'il n'existait ni maire ni commune de
ce nom ^ il n'est pas nécessaire qu'il y ait imitation d'une
signature déterminée , dès que l'écrit argué de faux pré-
sente les caractères extérieurs d'un acte public. (Rej.,
5 juin 1818.) Il n'est pas même indispensable que l'acte
fobriqué , en le supposant vrai , soit de nature k faire preuve
complète : ce qu'ont décidé les arrêts de cassation du 16 no-
vembre 1850 et du 8 août 1851 , relativement k des docu-
ments non signés, intercalés dans les archives d'Angers,
dont le faussaire s'était fait délivrer un extrait par l'archi-
viste, afin de leà invoquer dans un procès relatirk des droits
anciens. Même décision, quant k des livres de commerce
irréguliers, rendue par la Cour de cassation , sections réu-
nies, le 22 juillet 1862.
* C*e8t ainsi qu'en matière d'actes privés, un billet souscrit d'une croix
ne pouvant prouver un engagement, la fabrication d'un tel billet ne saurait
constituer un faux. (Cass., !«' juin 1827.)
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 105
*
Une seconde limitation , qui ne permet plus de donner k
h notion de faux toute l'extension qu'elle recevait jadis,
c'est que le faux doit avoir lieu m écriture, en ce sens du
moins que la déclaration mensongère doit avoir été consta-
tée dans un acte : c'est ce qu'a jugé la Ck)ur de cassation
(Rej., 17 décembre 1831) au cas où, un frère étant porté
comme soldat au lieu de son frère , cette substitution n'avait
donné lieu k aucune rectification dans les actes , parce que
tous deux portaient le même prénom. Mais s'il y avait en
signature, le signataire alléguerait vainement qu'il n'a
fait que signer son véritable nom, en se présentant pour un
homonyme*, il y aurait faux caractérisé, d'après la doctrine
de la Cour de cassation. (Cass., 30 juillet 1836^ Besançon,
13 octobre 1855.) Enfin, s'il ne s'agissait point d'une véri-
table écriture, bien qu'il y eût une altération k laquelle l'in*
culpé aurait directement participé , le principe qui repousse
toate interprétation extensivê en matière pénale ne per-
mettrait point d'appliquer la peine du faux. Aussi la Cour
de Paris a-t-elle jugé, le 3 mars 1854, qu'il n'y a point
£siax dans le fait d'un boulanger qui altère frauduleusement
la taille et l'échantillon. Bien que les tailles soient assimilées
aux écritures quant k la preuve , il est impossible de consi-
dérer comme faux en écriture la confection de coches dépassant
le nombre des fournitures eflectives.
834. On peut toutefois reprocher k notre opinion
de laisser, au contraire, impunis, si ce n'est dans
le cas de supposition de part, des mensonges qui sont
de nature k entraîner les plus fâcheuses conséquences
pour la société. Afin d'échapper k ce résultat, nous avions
pensé d'abord (l'* édition, n* 414) qu'on pouvait appliquer
la peine du faux témoignage en matière civile, la réclusion ,
remplacée, depuis la loi du 13 mai 1863 (Cod. pén., nouv.
art. 363), par des peines correctionnelles, k toute per-
106 FOI DES ACTES DE l'ÉTàT CIVIL.
sonne qui , en attestant certains faits , non*sealement dans
les débals judiciaires , mais devant un fonctionnaire quel^
conque, altère sciemment la vérité. C'est ce qu'avait égale-
ment jugé la Cour de cassation , en appliquant la peine de
la réclusion dans des espèces où il n'y avait point eu de pour*
suites en faux : au cas de fausse déclaration, soit de décès,
devant un juge de paix , afin de faciliter un second mariage
(Rej., 6 novembre 1806), soit des circonstances du nau-
frage d'un navire , devant le juge auquel le capitaine faisait
son rapport sur ce naufrage \ (Gass., 17 septembre 1836.)
Mais nous ne persistons point dans cette doctrine , que la
Cour suprême a repoussée par un arrêt de rejet du 7 dé-
cembre 1838, portant « qu'on ne peut considérer comme
« témoins en matière civile que les individus appelés judi-
« ciairement par la partie pour déclarer et attester les faits,
« sous la foi du serment. » Bien que fondée sur les plus
graves motifs en législation , cette extension du faux témol*
gnage répugne aux principes constants sur l'interprétation
des lois pénales , et à la pensée des rédacteurs du Code de
1810, qui nous est révélée par ces paroles de l'orateur du
Corps législatif : a Le faux témoignage ne peut avoir lieu
« que de la part de ceux qui sont interpellés en justice, ou
« en vertu de ses ordonnances. » Au surplus, même sui-
vant la première jurisprudence de la Cour de cassation , la
loi pénale ne pouvait atteindre les fausses déclarations de la
nature la plus dangereuse , celles qui se rattachent aux actes
de l'état civil, sans avoir la gravité du faux. En effet, ces
déclarations n'ont point lieu sous la foi du serment , et il est
constant, dans toutes les opinions, qu'il n'y a point de faux
< En ce .dernier cas , on eût pu , sniTant la jarispradence de la Cour,
Yoir un faux dans la déclaration mensongère , puifqu^elle devait ôtre con-
statée devant le juge ayant spécialement qualité pour recevoir le rapport :
ce qui n'arait pas lieu dans Tespèce de Parrét de 1806.
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 107
témo^ge Ik où il n'y a pas eu de sennent prêté. (N"" 330. )
Il faat donc reconnaître une lacune f&cheuse dans la loi ,
qui ne punit les déclarations mensongères , faites extrajudi-
ciairement, qu'an cas de supposition de part^ mais ce n'est
pas k rinterprète qu'il appartient de combler cette lacune.
SSS. Ce qui n'est pas douteux , en législation comme en^
droit positif, c'est que la simulation ne doit pas se con-
fondre avec le faux. Il est vrai que cette confusion a été
faite par Farinacius, qui disait (quest. 162, n"" 12) : Pœna
simulationU videtur eise pconafaki. Mais cette opinion, com-
battue par Dumoulin, qui disait avec plus de raison (sur
Tart. 3, chap. xxxi, de la Coût, du Nivernais) : Aliud me-
nmfnUum, aliud tUnulatio, n'a point prévalu dans notre an-
cienne pratique. Le faux suppose l'altération des dispositions
arrêtées entre les parties; la simulation est, au contraire,
renonciation de dispositions qui , pour être frauduleuses ou
meDsongëres, n'en sont pas moins la volonté des contrac*-
taiits. En conséquence, suivant Muyart de Vouglans ( Traité
incnmeg, tit. V, chap. ii), tandis que le faux était puni de
peines ligoureuses, la peine de la simulation était celle de
« ladmonition, du blâme ou du bannissement contre le no^
« taire, et celle des dommages et intérêts contre les parties. )»
Chez nous , la loi étant muette sur ce point , k part l'anti-
date dans les ordres , sorte de simulation punie des peines
du faux (C. de comm., art. 189), k raison de ses graves con-
séquences en matière commerciale^, la simulation n'est
(rappée d'aucune peine. Dès lors la reconnaissance simulée
d'aoe dette , lors même qu'elle peut nuire k un tiers , con-
stitue un acte réprébensible , mais n'est point un faux. (Rej. ,
^ Cette disposition étant exorbitante , on admet volontiers dans la pra-
tique (Pardetais, Droit commercial, tom. I, n» ass) qa*eUe ne doit pas
tirer à conséquence quant à la preuve de Tautidate , et que dès lors cette
preuve , constituant celle d'une fraude , peut être administrée de piano
pv tous 1m mtyflos possibles.
108 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
12 floréal an XIII.) Et pour en revenir à notre matière spé-
ciale , il n'y a point de faux dans un mariage simulé , tel que
celui sur lequel a statué, k un autre point de vue (n*" 142) ,
Tarrét de la Cour de Lyon, du 10 avril 1856, contracté le
4 floréal an III entre un jeune homme de vingt-trois ans et
une femme de soixante-huit ans , afin d'échapper aux lois
sur le recrutement. Il n'y a eu Ik, en eflet, aucune altéra-
tion de conventions, aucun faux matériel ou intellectuel;
seulement les parties n'avaient aucune intention sérieuse en
déclarant contracter mariage devant l'ofiicier civil. Â plus
forte raison faut-il reconnaître, comme nous le verrons en
parlant de la date des actes sous seing privé, que la simple
antidate d'un testament olographe ne saurait être assimilée k
un faux ( n"* 702 bi$)^ et qu'en conséquence les intéressés
n'ont nullement besoin de recourir k la voie de l'inscription
de faux pour faire tomber renonciation de la date dans un
testament de cette nature.
536. Une observation commune k toutes les pièces pro-
duites en justice, mais que l'on fait surtout k propos des
actes de l'état civil , k cause de la faculté qui appartient k
toute personne de s'en faire délivrer des extraits (compar.
G. civ., art. 45, et loi du 25 ventôse an XI, art. 23), c'est
que l'identité du porteur de l'extrait et du véritable ayant
droit doit être préalablement établie. Cette preuve, étant
celle d'un simple fait, ne peut se faire que par témoins.
Quelques-uns, s'imaginant que la preuve testimoniale n'était
pas admissible de piano, ont voulu considérer l'extrait pro-
duit comme un commencement de preuve par écrit. (Bor-
deaux, 18 février 1846.) Mais c'est Ik une pétition de prin-
cipe évidente ; car il s'agit de démontrer qu'il existe un lien
entre la personne et l'acte qu'elle invoque. Or, tant que ce
lien n'est pas établi, la pièce, pouvant concerner tout autre
que celui qui en est le porteur, est absolument sans eflet
FOI DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL. 109
SOUS le rapport de la preuve. (Voy. en ce sens un autre arrêt,
parfaitement motivé, de la Cour de Bordeaux, en date du
19 février 1846, et un arrêt de cassation du 28 mai 1810.)
537. Entrons maintenant dans Texplication des règles
spéciales sur la foi des principaux actes de Tétat civil. Pour
nous conformer a l'ordre que nous avons déjà suivi en trai-
tant de la preuve testimoniale de Tétat, nous allons examiner
quelle application reçoit la preuve littérale, d'abord aux
simples faits de Tordre de la nature, k la naissance et au
décès-, puis k ceux qui constituent des relations sociales, au
mariage et k la filiation.
g 1. naissaucb et décès.
SoiiAiRE. — 538. Foi des éDonciations. — S39. Qualité des déclarants. — 540. Déiai
prescrit par le Code. Qiûd s'il a été dépassé? — 544 . Délai prescrit pour les inhumations.
— 542. Traasport de l*offlcier en cas de décès. — 543. Foi de la date dans les actes de
décès. — 544. Constatation simultanée de la naissance et du décès.
538. Suivant la doctrine que nous venons d'exposer sur
le faux, l'acte de naissance prouve, jusqu'à inscription de
faux, que tel enfant a été présenté k l'officier civil, que telles
déclarations ont été faites sur l'époque de sa naissance,
qu'on lui a donné tels noms , enfin qu'il est de tel sexe \ car
Toffider a mission de vérifier cette dernière circonstance,
bien qu'il s'en abstienne le plus souvent dans la pratique.
Quant aux déclarations elles-mêmes, elles ne font foi que
jusqu'k preuve contraire (Nimes, 13 juin 1860), et seule-
ment de ce qui doit être déclaré a l'officier civil. La mention
de la filiation ne devant point se retrouver dans tous les actes
de naissance, il n'y a d'essentiel k ces actes que l'indication
du nom^ du sexe et de l'&ge. L'ordonnance de 1539 (art. 5)
ne parlait même que du temps et de l'heure de la nativité. Ce
n'est que celle de 1667 qui a prescrit des énonciations plus
détaillées. (Voy. n"* 189.) El encore la tenue des registres
était-elle si peu régulière, que, même depuis 1667, on faisait
110 FOI DES ACTES DE L*ÉTAT CIVIL.
souvent prévaloir les registres domestiques sur ceux de la
paroisse pour établir la date de la naissance. (Rodier, sur
le tit. XX, art. 9 de Tord.)
539. L'obligation de faire les déclarations de naissance est
imposée k des personnes déterminées par la loi, qui doivent
généralement avoir assisté k Taccouchement ' (C. civ.,
art. 56) ; mais comment s'assurer que le déclarant a réelle-
ment assisté k l'accouchement, ainsi qu'il l'affirme? L'officier
civil n'est pas dans la même position que le notaire, qui doit
connaître les parties intéressées dans les actes qu'il reçoit,
ou du moins se faire attester leur identité. La loi ne le
charge nullement , ce qui d'ailleurs serait impraticable dans
les communes populeuses, de vérifier la qualité des décla-
rants. Leur affirmation sur leur qualité même doit donc,
comme leurs autres assertions, être crue jusqu'k preuve
contraire. Ainsi , il est impossible d'empêcher que le pre-
mier venu ne puisse venir au bureau de l'état civil rendre
cet important témoignage. C'est Ik un motif de plus pour ne
pas croire jusqu'k inscription- de faux k la vérité de faits
ainsi déclarés. C'est bien assez qu'il faille l'admettre jusqu'k
preuve contraire.
540. Le Code civil fixe k trois jours, k compter de l'ac-
couchement , le délai dans lequel doivent être faites les dé-
clarations de naissance. Le motif de cette prescription est
facile k saisir. Il est vrai que l'acte de naissance ne fait pas
foi de l'âge jusqu'k inscription de faux-, mais, l'enfant devant
* Aux termes du Code civil, lorsque la mère accouche hors de son
domicile, la déclaration doit être faite par la perswme chez qui elle est
aeeouckéé. En conséquence, un arrêt de rejet du 7 novembre 1823 a décide
que cette personne est passible des peines portées par le Code pénal pour
défaut de déclaration, sans qu'on puisse les appliquer au chinirgien qui au-»
rait assisté la mère. Cette décision a été critiquée, comme contraire h
Part. 346 du Code pénal , qui porte : Toute personne ayant assisté à un
accouchement; mais cette critique nous semble mal fondée ; cet article se
référant formeUement à l'article S6 du Gode dril» ne doit pas être pré*
sumé y déroger.
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT ClYtL. 111
être présenté dans un bref délai, ToISBcier peut s'assurer imr
Im-même s'il est né récemment. Il n'est pas possible dès
lors, du moins 11 quelques jours prèS) de ne point considérer
conmie exact l'àge indiqué. La preuve contraire serait
admissible, sans doute, en principe; néanmoins, an delk de
certaines limites, elle supposerait chez cet officier une erreur
si grossière , qu'on réussira difficilement dans la pratique k
soutenir que l'enfant est véritablement plus âgé que ne le
porte le titre. Il est donc essentiel de ne point laisser passer
le délai de trois jours. Toutefois cette obligation légale
n'avait pad de sanction pénale lors de la promulgation du
Code civil; on avait craint d'éloigner de la mère les secours
que sa position réclamait, en menaçant éventuellement d'une
peine ceux qui auraient assisté U un accouchement sans le
faire promptement connaître k l'autorité. Mais les dissimu-
lations qui eurent lieu sons l'Empire , ainsi que le constate
l'eiposé des motifs du Code pénal, afin de soustraire aux
ligueurs de la conscription ceux dont on cachait la nais-
sance (car ce n'est pas seulement en matière de mariage
(voy. n* H2) que de nombreuses fraudes eurent lieu & cette
époque), obligèrent les rédacteurs du Code pénal de 1810
(art. 346) k prononcer de nouveau pour cette omission des
peines correctionnelles , ainsi que Tavait déjk fait la loi du
19 décembre 1792 (sect. I, art. 1").
Il y avait toutefois intérêt, même avant 1810, k ce que
Pinscription de l'enfant ne fût pas retardée. On avait senti
que la même présomption de vérité, qui s'attache aux décla-
rations de faits tout récents , ne saurait être invoquée lors-
qu'on a laissé s'écouler un long intervalle avant de les faire
connaître. Et si on pouvait tout aussi bien se présenter après
les trois jours que pendant le délai, où ^'arrêter ensuite?
Aussi un avis du Conseil d'État du 12 brumaire an XI a-t-il
décidé fort sagement que l'inscription, une fois le délai
lia FOI DES ACTES DE L*ÉTàT CIVIL
expiré, ne doit plus être opérée qu*en vertu d'un jugement ' ;
et bien que cet avis soit antérieur au Gode, il est encore par-
faitement applicable aujourd'hui. (Colmar, 26 juillet 1828.)
Quelques auteurs ont conclu de Ik que, si Finscription avait
eu lieu en fait, sans autorisation judiciaire, après les trois
jours, Tenfant ne devait être censé né qu'au jour de l'in-
scription : fiction intolérable, qui tendrait à considérer une
personne âgée de vingt ans comme venant de naître, si on
ne l'inscrivait sur le registre que vingt ans après sa nais-
sance. Ce qui a donné lieu à cette erreur, c'est qu'on a pris
k la lettre une décision rendue par la Cour de Paris, le
9 août 1813. Il s'agissait, dans l'espèce, du mois qui est
donné au mari pour le désaveu , k partir de la naissance de
l'enfant. (C. civ., art. 316.) Or, l'enfant qui était désavoué
n'avait été inscrit que cinq ans après sa naissance. La Cour
a décidé qu'une naissance déclarée aussi tardivement devait
être présumée occulte, et n'avait pu dès lors faire courir le
délai de l'action en désaveu. Mais tout ce qui résulte de là,,
c'est qu'une déclaration tardive ne peut faire foi de la date
de la naissance vis-à-vis des tiers intéressés. Quant k l'âge
de l'enfant, considéré en lui-même, il n'est pas possible
de le fixer arbitrairement â l'époque de l'inscription^ il
faut laisser aux tribunaux l'appréciation des faits (Caen ,
3 mars 1836), sauf â admettre plus facilement, dans ce cas,
la preuve de la fausseté d'une déclaration toujours suspecte
lorsqu'elle a été ainsi différée'. Au surplus, l'inscription
tardive de la naissance d'un enfant , si elle n'a pas eu lieu
dans un but frauduleux , ne constitue point un faux , même
1 Ce serait également à Tautorité Jadiciaire qa^il faudrait s'adresser, A
l'officier civile ainsi qu'il y a eu un exemple , refusait d'opérer l'inscription
dans le délai légal. (Paris, 16 mars 1853.)
* Dans l'espèce, la Cour a réservé la preuve par témoins de la date de la
naissance, conformément aux usages de la Hollande, où les faits s'étaient
passés.
FOI DES ACTES DE l'ÉTâT CmL. 113
de ]a part de ToflBcier civil (Cass., S messidor an XII), parce
que ce n'est point actu» dolonu anima corrvmpendœ veritatis
adhibim. (N» 529.)
Cest, en principe, le tribunal du lieu de la naissance qui
doit statuer, lorsqu'il est nécessaire de suppléer ainsi k
l'onûssion d'un acte de naissance. Mais que décider si le lieu
de la naissance est inconnu , ainsi que cela est arrivé dans
l'espèce fort curieuse de Marie Lambert? Le tribunal de
Fontainebleau , lieu de la résidence de la requérante, s'était
déclaré incompétent pour fixer l'époque de sa naissance :
ce qui équivalait pour elle k un déni de justice-, car elle
avait intérêt k faire établir son âge, pour le mariage, pour la
majorité, etc. L'arrêt de la Cour de Paris qui avait con-
firmé cette décision, a été cassé le 14 juin 1858, et l'afiaire
renvoyée devant la Cour de Rouen. Cette Cour, le 8 dé-
cembre 1858, a déclaré constant le fait de la naissance de
Marie Lambert, puisque cette personne existe, et autorisé son
tuteur à produire tous les documents propres k en établir la
date vraisemblable.
541. Les mêmes difficultés ne peuvent s'élever pour le
décès, k l'égard duquel le Code n'a pas prescrit de délai,
a
ainsi que l'avait fait la loi du 20 septembre 1792 (tit. V,
art. 1*"). Ce n'est pas qu'on ne puisse avoir souvent intérêt
k cacber un décès, aussi bien qu'k dissimuler une naissance ,
mais le législateur arrive au même but par un autre moyen.
L'inhumation ne peut avoir lieu sans l'autorisation de l'offi-
cier de l'état civil (C. civ., art. 77), et des peines correct
tionnelles (C. pén., art. 358) sont la sanction de cette
prescription, qui amène indirectement la constatation du
décès.
$42. Quant aux personnes qui ont qualité pour faire la
déclaration , il est évident qu'on est également obligé , quant
au décès , de s'en rapporter k la foi de ceux qui affirment
11. 8
114 FOI DES ACTES DE L'ÉUT CltlL.
être parents du dëfant oa l'avoir reçu chez eux. Toutefois,
pour bien s'assurer de la réalité du décès, et, s'il est pos-
sible, de Fidentité de la personne décédée, ToiBcier civil
doit, aui termes de la loi (G. civ., art. 77), se transporter
lui-môme auprès du cadavre. Mais cette obligation pénible
est tombée en désuétude dans la pratique -, on ne saurait
raisonnablement imposer une aussi triste tâche k des fonc-
tionnaires dont l'emploi est gratuit. Le soin de constater le
décès est délégué , dans l'usage , à un officier de santé , qu'il
aurait fallu , après tout, appeler pour procéder à la vérifica-
tion , souvent si délicate , du fait de la mort.
543» La seule question grave que l'on puisse agiter,
quant h la force probante des actes de décès, consiste à
savoir si c'est bien k dessein que le législateur n*a pas
signalé , parmi les mentions quje doivent contenir ces actes ,
la date même du décès. {Ibid.^ art. 79.) Le silence gardé sur
un point de cette importance a semblé k beaucoup d'auteurs
trop significatif pour ne pas iaire présumer qu'on avait voulu
laisser toute latitude au juge , en lui donnant mission d'éta-
blir plus tard cette date k l'aide des documeiits les plus
exacts. Ils font remarquer combien il est utile de ne pas
enchaîner son indépendance , Ik où une difiérence de jour ,
et m^e d'heure, peut exercer une influence décisive sur
les droits des intéressés \ Mais il faut avouer que des actes
destinés k constater le décès , qui n^en contiendraient pas la
date, offriraient une étrange anomalie '. Plus la date de l'évé*
nement est importante, plus il convient de la constater k
une époque rapprochée du moment où il a eu lieu. Telle
* Un seul moment de survie change Tordre des successions , en en dilTë*
rant Touyertnre , tandis qu'un enfant né quelques heures plus t6t ou plus
tard n'en est pas moins habile à snocéder, puisqu'il succède avant de naître,
par cela seul qu'il est conçu. (G. cit., art. 725.)
* Le Code italien (art. 387) prescrit d'énoncer le lieu , le Jour et Vheun
du décès.
FOI DES ACTfiS DE L'ÉTàT CIVIL. 115
était la pensée des anciennes ordonnances , qui désignaient
Tacte de décès précisément par l'indication de cette mention
substanUelle. L'ordonnance de 1667 (lit. XX, art. 7) était
conçue en ces termes : « Les preuves de V&ge, du mariage,
A et du tempe du décès, seront reçues par des registres en
A bonne forme, qui feront foi et preuve en justice. » Écarter
la date, c^eût été innover d'une manière tout ^ fait radicale,
en supprimant précisément ce qui était jadis substantiel,
Rien n'indique une pareille intention. Nous voyons Tronchet,
au contraire, indiquer au Conseil d'État (séance du 6 fruc-
tidor an IX) la date comme une des parties les plus essen-
tielles de l'acte de décès et de l'acte de naissance. L'ar*
ticle 79, qui contient l'omission dont on se prévaut, fut voté
sans discussion. On ne peut donc tirer qu'un argument
extrêmement faible de sa rédaction , comparée k celle de
l'article B7 , qui prescrit de mentionner la date de la nais*
sauce. Peut-être y a-t^il quelque inconvénient, nous en
convenons, k donner force probante k la mention du décès,
dans l'opinion de ceux qui veulent que la déclaration de
décès fasse foi, jusqu'à inscription de faux, des faits déclarés.
Mais pour nous, qui ne considérons les faits déclarés devant
Tofflcier , mais non vérifiés par lui , que comme établis jusqu'à
preuve contraire , ce danger n'existe pas. Du reste , les for-
mulaires délivrés aux officiers de l'état civil prescrivent cette
mention , et elle a toujours eu lieu dans la pratique , bien
que la loi de 1702 gardât le même silence que le Code.
544. Enfin il peut y avoir k constater tout k la fois une
DWsance et un décès , lorsqu'un enfant vient k mourir avant
que sa naissance ait été enregistrée. Mais l'enfant présenté
sans vie à l'officier de l'état dvil était-il venu au monde
vivant? C'est là une question fort importante, à raison des
drcHts qui peuvent avoir été acquis et transmis par cet enfant,
s'il a réellement vécu. Un décret du 4 juillet 1806 a statué
8.
116 FOI DBS ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
sur cette hypothèse. L'offîcier doit exprimer , non que l'en-
fant est décédé, mais qu^il lui a été présenté sans vie. II
reçoit seulement, quant k la naissance, la désignation des
an , jour et heure auxquels l'enfant est sorti du sein de sa
mère, et inscrit l'acte k sa date sur les registres de décès,
sans qu'il en résulte aucun préjugé sur la question de savoir
si Tenfant a eu vie ou non. (Comp. Cod. ital., art. 374.)
L'obligation de déclarer la naissance s'applique d'ailleurs k
l'enfant mort-né comme k l'enfant né vivant. (Rej., 27 juil-
let 1872.)
8 s. MAmiAGB.
SOHHAiBE. — 845. Le mariage n'est point un contrat par écrit — 546. Inscription sar
une feuille volante.
545. Nous avons déjk reconnu (n* 197) que l'écriture
n'est pas de l'essence du mariage , qu'eUe n'est requise que
pour la preuve. Nous avons surtout invoqué l'article 46 du
Gode civil , qui admet la preuve testimoniale , <'t/ fCa ptu
existé de registres, et l'article 75 du même Code, qui veut
que l'officier civil , après avoir reçu de chaque partie la
déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme,
proTionce qu'elles sont unies par le mariage S et en dresse acte
sur-le-champ. Pothier est formel sur ce point. « Ce sont ces
actes » , dit-il {Traité du contrat de mariage, n* 388), a qui
« font la preuve des mariages , et qui établissent les parentés
« qui en naissent. Néanmoins, s'il était constaté que les
c( registres ont été perdus ou qu'il n'en a pas été tenu, la
a preuve en ce cas pourrait s'en faire, tant par témoins que
« par les registres et papiers domestiques des père et mère
a décédés. La raison est que, le mariage étant parfait par
« le consentement que les pardes se donnent en présence
« de leur curé, avant que l'acte ait été rédigé, il s'ensuit
■ Cette formule est imitée de celle qui est prescrite en droit canoniqae
IMir le concile de Trente : Ego vos in fnatrimonium conjungo*
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 117
ff qu'il n'est pas de TesseDce du mariage et qu'il n'est requis
« que pour la preuve du mariage. Lorsque la preuve que fait
« cet acte devient impossible, il est juste d'avoir recours k
« des preuves d'une autre nature. »
LMntérêt de la question ne se présente pas seulement
dans le cas, heureusement assez rare aujourd'hui, où il
s'aurait pas été tenu de registres. L'une des parties pourrait
venir k mourir après que les consentements auraient été
échangés, mais avant la signature de l'acte. H peut surtout
arriver, et c'est dans cette hypothèse que la question a été
agitée, qu'après avoir consenti verbalement, l'un des con-
tractants refuse de signer. La Cour de Montpellier a jugé
avec raison, le 4 février 1840, que le contrat est légalement
formé par le consentement respectif et par le prononcé de
l'union, et que le refus de signature ne saurait dès lors
produire aucun eflTet. La Cour de Riom , au contraire, s'était
teDement attachée au système opposé, qui regarde la signa-
ture comme essentielle k la célébration, qu'elle avait validé
un mariage où le consentement n'avait pas été échangé en
présence de l'officier, mais où il y avait eu simplement signa-
ture des parties. Mais cet arrêt, qui tendait k détruire la
publicité, en concentrant, pour ainsi dire, la solennité du
mariage dans une rédaction d'écritures , k laquelle les assis-
tants sont étrangers, a été cassé le 22 avril 1833.
546. Nous avons aussi rattaché (n* 200) k la preuve tes-
timoniale du mariage, afin de ne pas interrompre la suite de
nos développements , la question de savoir si on doit refuser
tonte foi k la feuille volante sur laquelle serait inscrit un
acte de mariage. Nous n'avons rien k ajouter aux arguments
par lesquels nous avons essayé d'établir (voy. aussi n"" 527),
contre l'opinion commune , que les mots acte de célébration
îmerit mr le registre (C. civ., art. 194) ne doivent pas être
pris dans un sens restrictif. Nous ferons seulement remar-
il8 FOI DSS ACTES DB L'ÉTAT CIVIL.
quer que TopioioD qui admet ce sens restrictif n'est point
parfaitement conséquente. Car» s'il est constant que Ton
peut, en l'absence de tout acte, prouver la célébration du
mariage k l'aide des souvenirs des témoins , ne serait-il pas
singulier qu'on ne dût tenir aucun compte d'un acte revêtu
de toutes les formalités requises, par cela seul qu'il n'aurait
pas été inscrit sur un registre ? H ne nous semble pas dflik
teux, du moins, que le vice de l'inscription sur une feuille
volante ne soit couvert par la possession d'état, puisque Tar-
ticle 196 du Code, qui parle du concours du titre et de la
possession, n'a pas reproduit la nécessité de l'inscription sur
■
le registre , et que l'esprit de la loi est de ne point permettre
d'élever des dilBcuItés de pure forme , lorsqu'il y a eu exé-
cution volontaire du mariage. Aussi l'absence même de
signature de l'officier se trouve-t-elle couverte par la pos«
session d'état , ainsi que Ta jugé un arrêt de la Cour de Douai,
maintenu par la Cour de cassation, le 10 février 18tii.
9 9* nuAHov,
SoipiAtiuSt — M7. PistiQctioQ de la filialiOQ lèfitioe et de ta QllaUon Mtarelle. <»-
54*. Preuve de ridentitè du porteur de l'acte. — 849. DIfflcaltè spéciale en matière de
reconnaUaaoce tf'an «Q(ant natqrel. — 580. Preuve de ridmitité do l'auteor de la reepn*
naissance.
S47, C'est relativement k la filiation que s'élèvent les
questions les plus délicates sur la foi des actes de l'état civil.
Pour la preuve littérale, comme pour la preuve testimoniale
de cette filiation , il importe de distinguer si elle est légitime
ou naturelle. Dans le premier cas, les déclarations, même
émanées de tiers étrangers aux parents , suffisent , pourvu
qu'elles soient reçues par l'officier civil dans la forme ordi«
naire. pour établir un état dont la constatation est favorable.
Dans le second cas, la preuve littérale d'une filiation dont
a vérification est toujours scandaleuse et souvent difficile ,
doit régulièrement émaner des parents eux-mêmes ; l'in*
FOI DBS ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. il 9
scription 8or les registres n'est plus que facultative , au lieu
d'être le mode ordinaire de constatation.
548. Avant d'examiner ce qui concerne chacune de ces
filiations, rappelons, pour n'avoir plus à revenir sur ce
point, ce que nous avons dit en général (n« 536) sur les
actes de l'état civil , qu'ils ne peuvent être probants qu'au*
tant que le porteur de l'extrait ' justifie de son identité avec
la personne dénommée dans l'acte. Or, cette difficulté s'élève
surtout en matière de filiation. Ceux qui contractent mariage
sont généralement d'un âge assez avancé pour qu'il soit aisé
de constater leur identité \ des précautions spéciales sont
prises en cas de décès , ainsi que nous l'avons vu \ tandis
qu'il est extrêmement difficile de reconnaître nn enfant,
après un long espace de temps. L'identité dans ce cas peut
être, nous l'avons dit, prouvée par témoins. Un arrêt de la
Cour de Paris du 13 floréal an Xlli a jugé avec raison qu'on
doit être reçu de piano k administrer cette preuve, puisqu'il
ne s'agit que d'un simple fait. Suivant d'autres arrêts, au
contraire (Rej., 27 janvier 1818 -, Bordeaux, 25 août 1825),
il faut que l'enfant qui se présente ait en sa feveur, soit un
commencement de preuve par écrit, soit du moins des pré**
somptionsou indices graves. (C. civ., art. 325.) On retrouve
dans cette doctrine la confusion que nous avons souvent
signalée entre la preuve testimoniale directe , celle du fiit
que telle femme est accoucbée de tel enfant , et la preuve
testimoniale indirecte ^ celle de la possession d'état. Les
restrictions de l'article 325 sont tout k fait inapplicables k
cette dernière nature de preuve, (Voy. n* 203.) Il en est de
même si l'enfant, suivant la judicieuse observation de
M. Yalette (S«r Prouctton, t. U, p. 79), sans avoir la poneirion
iém proprement dite , prétend du moins être en possession
1 NoQfi TeTrons , quand nons traiterons de la preare de prenre , que la
foi de Peitralt se confond avec celle de Pacte original. (0. dT., art. 45. )
lâO FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
d'être le même que l'enfant désigné dansVacte de naissance.
Cette possession de l'identité est on simple fait susceptible
d'être établi par témoins \
848. Il est évident que cette nécessité de prouver l'iden-
tité du porteur de l'acte avec l'enfant qui y est désigné , est
commune k la filiation légitime et k la filiation naturelle.
La difficulté s'élèvera , k la vérité , plus rarement dans ce
dernier cas , la reconnaissance étant souvent faite par un acte
notarié , dont il n'est délivré expédition qu'aux parties inté-
ressées : mais lorsqu'elle s'élèvera , l'admissibilité de piano
de la preuve par témoins aura beaucoup plus d'importance.
En effet, pour la filiation légitime, lors même qu'on se pla-
cerait sous l'empire de l'article 325 du Code civil , la ques*
tion serait plus théorique que pratique, les tribunaux ayant,
après tout, un pouvoir discrétionnaire pour reconnaître en
fait l'existence A'indices graves, et pour autoriser l'enquête en
conséquence. (Yoy . Rej . , S7 janvier 1818.) Mais l'enfant natu-
rel se trouverait dans la plus fausse position, si , porteur d'un
* TeUe est la doctrine professée par d'Aguesseaa, dans son Tingt-denxième
plaidoyer : « H peut être certain, dit-il, qu'il y a eu une Marie-Claude
Chamois, baptisée sous ce nom dans l'église de Saint-Gervais, fille d'Honoré
Chamois et de Jacqueline Girard, sans qu'il soit assuré que ceUe qui parait
aujourd'hui sous ce nom soit la même que celle qui l'a reçu autrefois , et
la malice d'un imposteur pourrait être assez grande pour prendre l'extrait
baptistaire aussi bien que le nom d'une personne absente.... Nous sommes
néanmoins obligés de reconnaître que, quoique cette preuve ne soit pas
précisément par eUe-mème absolument dédsîTe , die forme toujours une
présomption yiolente en faTeur de celui qui la produit, et tant que l'on ne
pourra point représenter celui qui aurait droit de se servir de cet extrait
baptistaire , tant qu'on ne peut montrer un extrait mortuaire , en un mot ,
tant qu'on ne peut justifier ni sa yie ni sa mort , bien loin de pouvoir
accuser d'imposture celui qui se sert d'un pareil acte, il semble au contraire
qu'il doit être écouté favorablement jusqu'à ce qu'on l'ait convaincu de faus-
seté et de supposition, en représentant celui dont il emprunte le nom. »
D'Àguesseau conclut à l'admission de la preuve testimoniale de l'identité,
qui a été autorisée dans l'espèce. L'hypothèse où il serait justifié du décès de
la personne dénommée dans l'acte s*est présentée dans la jurisprudence
moderne, et il a été jugé (Rej., 5 avril 1830) qu'alors l'acte de naissance
doit tomber en présence de l'acte de décès , qui en détruit l'effet.
FOI DES ACTES DE l'ÉTàT CITIL. 121
acte de reconnaissance en bonne forme, il n'était pas admis,
sans un commencement de preuve par écrit , k prouver son
identité avec la personne dénommée dans cet acte , sous pré-
texte que ce commencement de preuve lui est nécessaire
pour rechercher même la maternité. (Ibid.^ art. 345.) Cette
restriction ne s'applique qu'k ta recherche, et on n'a jamais
qualifié de recherche l'action par laquelle on tend simple-
ment à se faire appliquer une reconnaissance préexistante.
La question s'est présentée dans la pratique en ce qui con-
cerne la reconnaissance de la paternité. On s'est demandé
d'abord si l'identité de l'enfant naturel vis-k-vis de l'auteur
de la reconnaissance peut être établie au moyen de la preuve
testimoniale. Cette première question a été résolue affirma-
tivement par la Cour de Bordeaux (le 18 février 1846),
attendu que , a si la paternité est un mystère qui n'est pas
« susceptible d'une démonstration positive, l'identité résulte
« de circonstances de fait qui tombent sous les sens, qui
« naturellement peuvent être prouvées par témoins. » La
Cour a, an contraire, résolu négativement la question de
savoir si un commencement de preuve par écrit est néces-
saire \ « attendu que, si l'article 341 du Code civil dispose
« que l'enfant qui réclame sa mère ne peut être admis k
< prouver son identité que lorsqu'il a déjk un commence-
« ment de preuve par écrit , celte disposition , restreinte au
a cas oii il s'agit de la recherche de la maternité, est spé-
« dale, et ne peut s^étendre k la question d'identité d'un
« enfant dont la filiation naturelle a été reconnue par son
« père. » C'est dans le même esprit que la Cour d'Âix , le
* La Ck>iiT de Bordeaux déclare surabondamment, et fort mal à propos
soiTant nous (n* 5S6), que le titre inToqué par l'enfont est un commence-
ment de preuve de son identité. Ainsi que l'a décidé pour l'acte de nais-
sance la Cour de Toulouse , le 13 juillet 1846 , la production d'un acte ne
rend auconement Traisemblable l'identité actueUe de l'enfant qui se pré-
sente, avec la personne portée en Pacte.
i^ FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
22 décembre 4852, a autorisé l'auteur de la reconnaissanee
d'un enfant naturel k établir par témoins qu'il s'était trompé
sur ridentité de l'enfant.
550. La question d'identité peut se présenter k un point
de vue inverse : on peut contester l'identité, non plus de
l'enfant, mais des parents désignés par le titre. La difficulté
n'est guère de nature k se présenter en matière de filiation
légitime , et si elle se présentait , point de doute que l'enfant
ne fût recevable ï justifier, par témoins aussi bien que par
titres 9 de Tindividualilé de ses parents. Nous pensons qu'il
n'y a point non plus de doute quant k la maternité natu*-
relie, le commencement de preuve par écrit n'étant eiigé
que pour la preuve de l'identité de Tenfant , lorsqu'il re«
cberche la maternité sans alléguer un titre de reconnais*
sauce. (G. civ., art. 341.) Hais si c'est la paternité natu-
relle qui est en question, sera-t«il permis d'établir par
témoins que tel individu est bien l'auteur de la reconnais*
sance? Suivant un arrêt de cassation du 48 juin 48B4 ,
autoriser cette preuve en dehors de l'acte de naissance,
c'est virtuellement rechercher la paternité. Mais comment
un titre établiraitril l'identité de celui qui y est dénommé?
La nature même des choses s'y oppose. L'arrêt rendu par
la Ck)ur de Lyon, le 30 août 4848, nous semble, bien qu'il
ait été cassé, être dans le vrai, lorsqu'il déclare « qu'en
« autorisant k constater l'identité d'un individu qui a paru
« dans un acte de l'état civil , on n'autorise pas la recherche
(( de la paternité , qui serait , au contraire , reconnue par un
a acte authentique. » La doctrine de l'arrêt de 4851 , prise
dans toute sa rigueur, tendrait a rendre illusoires, au
moyen d'une contestation d'identité, les reconnaissances
les plus formelles. Toutefois , la Cour de Riom , devant la*
quelle avait été renvoyée r^flaire, ayant jugé, en fait (il y
avait identité de nom et de prénoms), que l'identité de l'au-
FOI DKS ACTES ht L'^AT CIYIL.. 128
tew de la reconoaissaoee était suffisamment établie (14 juil-
let 1853), la chambre civile, qui avait rendu l'arrêt de
18S1, a rejeté, le 7 novembre 1855, le pourvoi formé
contre la décision de la Cour de Riom, comme reposant sur
une pure appréciation defoUM. Et cependant, si le jnge peut
apprécier Tidentité, pourquoi lui serait-il interdit d'éclairer
sa religion par une enquête? La Cour de Paris (11 juillet
1868) a rejeté la preuve de l'identité, mais dans une espèce
bien plus dé&voraUe à l'en&nt, la reconnaissance étant
fidte avee des prénoms intervertis et sans indication du nom
deftmaiUe.
SomuiHE. — SS4. Pranre préalable da mariage. — ssa. Foi de Taete de naissance quant
à la mtatioQ lèfiliflM. «- m. System» do l'indif iaiWité dn titre, ^ im. MQtalloQ de ee
système. — 855. Irrëgnlaritès diverses qne p^at présenter l'acte. — 556. Absence de
«mtloii dt mtrt. «- BST. Mmiiia» d*im pèr» ioeonnii. •*< Ui. Mettlon d'one paternité
adultérine. — 559. Inscription sous le nom de fille de la mère, r- 560. Tendance dn
système de rindivi8a>Uité du titre. — 8«4. Peo(<^ reconnattro un enfipt légitime f
Wfl. On l'a dit avec raison, la preuve de la filiation
n'emporte pas k elle seule celle de la légitimité. Deux élé-
ments, en eCbt, constituent la légitimité : le mariage et la
filiation. Pour être admis k Justifier du second élément, U
l'aide des moyens institués par la loi dans ce but, il faut
eoramencer par établir l'existence da premier, a La filiation
c des enfants légitimes », dit l'article 310 dn Gode civil,
t se prouve par les actes de naissance inscrits sur le re-
« gistre de l'état civil. » Le législateur veut dire par Ik que
les actes rédigés sar la déclaration de tiers , actes qui ne
prouvent essentiellement que le nom , le sexe et l'âge de
i'enlant, prouvent de plus la fifiation, lorsqu'il s'agit d'un
enfant légitime. Il faut donc que Teuftini qui veut constater
son état an moyen de cea actes , commence par établir sa
légitimité hypothétique, c'est-k-dire par démontrer qu'il
124 FOI DES ACTES DE l'ÉTàT CIVIL.
eustait entre ses prétendus parents un mariage , lequel sub-
sistait encore le trois centième jour avant celui de sa nais-
sance ^ Seulement, Fenfant, pouvant ignorer le lieu où se
sont mariés ses parents, est admis k prouver leur mariage
par la possession d'état. (Art. i97.)
552. Le mariage une fois établi, Tacte de naissance de-
vient la preuve de la filiation. Les personnes chargées par
la loi de déclarer la naissance sont crues quant k la dési-
gnation des parents de Fenfant, du moins jusqu'à preuve
contraire, dans notre opinion. Mais cet acte prouve-t-il la
maternité seulement, sauf k en induire la paternité au
moyen de la présomption légale qui donne le mari pour père
k l'enfant conçu pendant le mariage? Ou bien prouve-t-il k
la fois la maternité et la paternité légitimes? Voilk la ques-
tion essentielle, qu'il faut aborder préalablement, et dont la
solution nous conduira facilement k celle des difficultés de
détail que présente le sujet.
553. Pour soutenir que l'acte de naissance prouve k la
fois la paternité et la maternité , on fait remarquer qu'il
doit énoncer les noms des père et mère (ibid., art. 57), ce
qui suppose que les déclarants , qui connaissent habituelle-
ment les époux, attestent non-seulement le fait de la ma-
ternité, mais celui même de la paternité, en ce sens que,
d'après la conduite de la mère, la paternité du mari ne
pourrait être contestée. La mention des deux époux comme
père et mère de l'enfant est donc , dit-on , constitutive de la
légitimité , en tant qu'on peut l'induire de l'acte. Si le mari
est omis , le silence sur un point aussi essentiel semble bien
* Noos n'ajoutons pas que le mariage doit aToir commencé au plus tard
le cent qoatre-Tingtième jour qui précède la naissance ; car, aux termes de
l'article 314 du Code civil, Penfant né dans les cent soixante-dix-neuf
premiers jours du mariage est présumé légitime, ou plutôt légitimé, tant
qu'il n'est pas désavoué par le mari.
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 125
indiquer qae l'enfant n'a pas été considéré comme légitime.
Or, les enfants légitimes sont les seuls dont la filiation se
prouve par les actes de Tétat civil. (Ibid., art. 319.) Dès
lors une déclaration qui ne mentionne pas le mari se con-
tredit, se détruit elle-même^ et si elle n'établit pas l'exis-
tence d'une filiation adultérine, qu'il serait impossible de
constater légalement, elle n'établit pas non plus celle d'une
filiation légitime, puisque l'écrit n'a pas été rédigé suivant le
vœu de la loi , et que cette circonstance suffit pour rendre la
légitimité au moips douteuse. Il n'est pas permis de scinder
la foi du titre , qui doit établir tout k la fois la paternité et
la maternité. Si donc le titre parait supposer une paternité
autre que celle du mari , ou bien on y ajoutera foi , et alors
on arrivera k reconnaître l'existence d'une filiation adulté-
rine , ce qui eût été possible dans l'ancienne jurisprudence -,
ou bien on refusera d'y ajouter foi , la législation actuelle
n'admettant point la preuve de pareils faits, et alors on
devra le rejeter en totalité, puisque ce n'est plus Pacte de
naissance d'un enfant légitime.
o54. Ce système de l'indivisibilité du titre n'est pas nou-
veau. Il a été souvent reproduit et réfuté, dans les nom-
breuses discussions sur les questions d'état qui ont eu lieu
devant nos anciens parlements. Dès 1664, l'avocat général
Talon y avait déjk répondu que , « comme la preuve de la
a filiation avait été estimée par les jurisconsultes une chose
a presque impossible, ils avaient tous résolu qu'il suffisait k
« un enfant , pour se dire fils légitime , de prouver qu'il
« était né pendant le mariage. » Et de nombreux arrêts du
parlement de Paris (Merlin, Répert.^ v* Légitimité, secl. 2,
§ 2) avaient sanctionné cette doctrine. Efiectivement, ce qui
est susceptible d'être vérifié par le témoignage des hommes »
c'est l'accouchement. On ne peut arriver k la preuve de la
paternité que par une induction tirée de ce que la conception
196 FOI DEft ACTES DE L^ÉTIT GiViL.
a ett lieu pendant le mariage et doit être dès lors attri-
buée au mari , tant qu'il n'y a pas désaTeu. Comment pour-
rait-il en être autrement? Gomment l'acte de naissance
pourrait-il prouver directement la paternité? Quelles In^
mières ont les témoins de l'accouchement sur le feit de la
conception? Si k Rome, où le système des preuves était si
large , la déclaration de la mère elle-même ne faisait pas
foi contre son enfant (Scaev., L. 29, § 1 , D., D$ probat.)^
serait-il raisonnable chez nous d'accorder plus de confiance,
sur la question de paternité , au médecin , h la sage-femme,
ou même à tout individu qui se sera trouvé assister à la
naissance? Tout au plus ces personnes peuvent-elles avoir
connaissance d'un commerce adultérin. Mais vouloir con-
clure d'une manière absolue de l'adultère k la non-pater-
nité du mari, c'est une prétention aussi contraire à la lo-
gique qu'à l'esprit et au texte de la loi^ Toutes les fois
donc que les déclarants indiquent explicitement ou impli-
citement un autre père que le mari , ils attestent ce qu'ils
n'ont pas mission d'attester, ce qu'il leur est même impos-
sible de savoir avec certitude. Un titre est indivisible, quand
il contient deux énonciations légales qui doivent se combi-
ner. Il cesse de l'être, quand l'une des énonciations est
prohibée parla loi, et doit en conséquence être réputée
non avenue.
Il est vrai qu'on invoque l'article S7, qui prescrit la men-
tion du père. Mais le même article veut qu'on mentionne
les prénoms , noms , profession et domicile des témoins :
énonciation qui n'est rien moins que substantielle. D'ailleurs
* Le même principe est admis dans la législation anglaise : Where thé
hnsba/id and ^fé, dit M. Greenleaf (tom. I, p. S8), eohablted together,
M tuch, and no impoUney is prm>ed, the issuê U conclusely prtsumed
to be legitinuUe, though the v)\fe is proved to hâve been at the same
tîme çuUty ofinfM^tg.
FOI DES ACTES DE l'ÉTâT CIVIL. 127
cet article prouverait trop; car il ne distingue pas entre la
ffliation * légitime et la filiation naturelle y ^ Tëgard de la«*
quelle il n'est nullement permis de déclarer le père. De
plus, refuser toute foi k l'acte, à défaut de l'indication dta
père, qu'il est si facile de suppléer, lorsque la maternité est
bien établie , c'est créer, contre l'intention formelle du lé-
gislateur, des nullités dans les actes de l'élat civil, c'est
faire dépendre le sort des enfiints d'une inexactitude de ré-
daction \ L^opinion qui rejette la prétendue indivisibilité du
titre avait déjk prévalu dans l'ancien droit; alors cependant
la loi ne prohibait pas , comme aujourd'hui, la constatation
d'une filiation adultérine, et nous avons vu (n* 206) que
Marie-Aurore avait obtenu du parlement de Paris un arrêt
qui la déclarait fille adultérine du maréchal de Saxe. C'est
ce qui explique les décisions , peu nombreuses du reste, qui
se sont attachées aux énonciations destructives de la légiti-
mité , contenues dans l'acte de naissance. Il était tout simple
qu'il fût permis de s'y attacher , puisqu'elles pouvaient faire
foi, suivant les circonstances. Néanmoins l'immense majo-
rité des arrêts s'en est tenue h la présomption de la légiti*
mité jusqu'il désaveu. Aujourd'hui nous n'avons plus la
raison de douter qui existait alors , puisque les énonciations
indiquant une paternité adultérine sont repoussées par la
législation actuelle. Â une époque même od la subversion
des principes constitutifs de la famille avait singulièrement
afiSaibli l'honneur de la légitimité, le 19 floréal an II, la
Convention nationale approuva le refus fait par un officier
de l'état civil de recevoir la déclaration d'une femme qui
attribuait h son enfant un autre père que le mari. Depuis
est intervenu le Code civil , qui a expressément prohibé ^
sauf le cas de* désaveu , toute reconnaissance et toute re-
« C^eftt dans cet esprit qu'on « déclaré Talable mi acte dA naJMMice oft
U ûgnatiire dn père était omise. (Rej., 23 juin 1869.)
i28 FOI DES ACTES DE L^ÉTÂT CIVIL.
cherche d'une filiation adaltérine. Les déclarants n'ont donc
pas à déposer sur la paternité, puisqu'ils ne sont nullement
autorisés à déclarer un autre père que le mari , qui seul a
qualité pour combattre la présomption légale. La désigna-
tion du père légitime de l'enfant n'est dès lors qu'une afiaire
de forme. Si l'omission a été involontaire, il serait par
trop injuste qu'elle pût nuire à l'enfant; si, au contraire,
elle se rattachée Tindication , plus ou moins explicite, d'une
paternité adultérine, les déclarants ont excédé leurs pou-
voirs, puisque, de simples narrateurs du fait de l'accouche-
ment, ils se sont transformés en vérificateurs de la paternité.
S&&. Appliquons maintenant celte solution aux diverses
irrégularités que peut présenter l'acte de naissance , sous le
point de vue qui nous occupe.
556. Le, cas le moins grave est celui où l'enfant ^ été
inscrit comme né de telle femme , désignée par son nom de
femme mariée, sans que le nom du mari lui-même ait été
ajouté. Il est difficile en ce cas, même dans l'opinion con-
traire \k la nôtre, de considérer l'acte comme ne faisant
point preuve complète. Bien qu'on ne se trouve pas littéra-
lement dans les termes de l'article 57, il faut reconnaître
que le mari a été virtuellement désigné comme père , par
cela seul que rien n'indique un autre père que lui , et que
c'est précisément par le nom qu'elle tient du mari qu'on a
désigné la mère. Nous ne pensons donc pas que cette pre-
mière espèce puisse donner lieu à des doutes sérieux dans
la pratique.
887. En second lieu, l'enfant peut avoir été inscrit
comme né de telle femme mariée et d'un père inconnu. Les
déclarants émettent ici des doutes sur la légitimité. Mais,
lors même qu'ils auraient qualité pour émettre des doutes,
on devrait toujours décider, puisqu'il n'y a que doute, que
la présomption de la loi doit l'emporter. Aussi un arrêt de
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 129
rejet du 19 mai 1840 a-l-îl considéré en pareille circonstance
Facte comme prouvant suffisamment la légitimité ^ bien que
la mère elle-même fût désignée d'une manière inexacte
dans le titre : mais son identité n'était pas douteuse.
SSS. Le troisième cas est celui où l'enfant a été inscrit
comme né de telle femme mariée et d'un père déterminé
autre que le mari. Ici le mariage se trouve encore attesté par
l'acte de naissance même , mais on ajoute la mention posi-
tive d'une paternité adultérine. Cette mention ne pourrait
avoir de force pour détruire la légitimité qu'autant que le
titre serait considéré comme indivisible. Mais nous croyons
avoir démontré qu'il est impossible de considérer comme un
senl et unique témoignage cette déclaration compleie , que
l'enfant est né de telle femme, et qu'il a tel père autre que
le mari. Autant il est raisonnable d'attribuer aux témoins
de l'accouchement qualité pour attester le premier point,
autant il serait dangereux et arbitraire de les en croire sur
le second. L'opinion qui veut rejeter l'acte dans son entier,
tendrait à réduire dans l'espèce le réclamant (s'il n'a pas de
possession d'état) à prouver par témoins le fait de l'accou-
chement, pourvu toutefois qu'il eût en sa faveur un com-
mencement de preuve par écrit ou des indices graves. Mais
l'article 323 du Code civil ne réduit à cette dernière res-
soorce que tenfaru inscrit, soit sous de faux noms, soit comme
né de père et mire inconnus. Alors seulement on peut dire
qo'il 7 a défaut de titre aux yeux dû la loi. Or, celui qui est
inscrit sous le nom de sa mère n'est placé dans aucune de
ees deux hypothèses; il peut donc se prévaloir de la preuve
littérale de la maternité , pour arriver, \ l'aide de la pré-
somption légale , à démontrer la paternité légitime. Il en
serait ainsi, lors même qu'une reconnaissance formelle ten<
drait à établir une paternité autre que celle du mari \ c'est
ce qu'a jugé la Cour de Paris, le 12 juillet 1856, et le
II. 0
130 FOI DES ACTES DR l'ÉTAT CIVIL.
pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté le 27 janvier 1857.
La Cour de Paris , qui avait déjk , contrairement k son an-
cienne jurisprudence , repoussé le principe de l'indivisibilité
du titre par un arrêt fortement motivé du. 6 janvier 1834,
s'est encore prononcée dans le même sens, le 11 janvier
1864, en décidant que <( Tenfant qui, par un acte de nais-
« sance régulier, établit qu^il est né d'une femme mariée,
« justifie par cela seul sa légitimité, quelles que soient les
« autres indications contenues audit acte ^ que sans doute ces
« énonciations pourraient venir en aide a l'action en désaveu
« formée par le mari de la mère, soit pour prouver le recel
a de la naissance, soit pour toute autre justification k l'appui
tt de ladite action (voir n' 559), mais qu'elles ne peuvent
« abolir, par le fait ou l'erreur d'un tiers , la présomption
a légale de l'article 312 , règle essentielle et principale du
« droit en matière de paternité et de filiation. » La Cour de
cassation a rejeté, le 13 juin 1865, le pourvoi formé contre
ce dernier arrêt, en condamnant formellement le principe
de l'indivisibilité.
558. Enfin le cas le plus grave est celui où l'enfant est
inscrit sous le nom de fille de sa mère. La position de l'en-
fant est alors plus équivoque, surtout si l'acte indique un
père adultérin, bien que, suivant les arrêts les plus récents,
cette indication doive être réputée non avenue. Certaines
décisions judiciaires , se préoccupant des circonstances du
fait plutôt que des principes du droit, ont refusé d'appli-
quer \k une pareille situation la présomption de légitimité.
C'est ce qui a été jugé relativement k la célèbre affaire Vir-
^rntf (Paris, 15 juillet 1808-, Rej., 22 janvier 1811), dans
laquelle la réclamante a écboué, en invoquant un acte de
naissance où elle était inscrite sous le nom de fille de sa
mère et sous celui d'un père adultérin *. Toutefois le premier
' Il est à remarquer que l'acte de naissance était du 16 pluviôse an II,
FOI DBS ACTES DE l'ÉTâT CIVIL. 131
considérant de Paxrét de rejet ^ se fonde sur ce que l'identité
de la mère dénonunée dans Tacte, avec la femme dont Vir-
ginie se prétendait fille, n'était pas établie. En l'absence de
preuve de Tidentité, point souverainement jugé par la
Cour de Paris, puisqu'il n'impliquait qu'une question de
fait, la question du plus ou moins de force probante de l'acte
n'avait plus d'intétét. Quoi qu'il en soit , on peut opposer
avec avantage à certains considérants de la Cour de Paris
et de la Cour de cassation dans l'arrêt Virginie : d'abord,
dans l'ancienne jurisprudence, l'arrêt la Plissonnière ,
rendu en 1712 par le parlement de Paris dans une espèce
identique; et dans la jurisprudence moderne, les arrêts plus
récents (n** 558), qui consacrent formellement la doctrine,
qu'on ne doit rechercher dans l'acte de naissance qu'une
seule preuve , la preuve que l'enfant a été conçu pendant
le mariage. De plus, l'arrêt de rejet du 19 mai 1840 (n"" 557)
a statué sur une espèce bien voisine de celle qui nous occupe.
L'enfant n'était pas inscrit, il est vrai, sous le nom de fille
de sa mère , mais il l'était sous un prénom : ce qui n'a pas
empêché la Cour de le déclarer légitime, l'identité de la
fiemme mariée et de la femme dénommée en l'acte étant bien
établie. Nous admettrons seulement, avec la Cour de Paris
(arrêts du 4 décembre 18S0, du 5 juillet 1843 et du 11 jan-
rier 1864), que le fait même d'une inscription aussi irrégu-
lière (voy. n"" 211) peut être considéré comme constituant
recel de la naissance, et autoriser (C. civ., art. 313) l'action
et que ee ne fat qne le 19 floréal suivant qne la Oonvention déclara qu'on
ne pouTait reconnaître une paternité adultérine, comme on le faisait sourent
ja^ ; Pespèce a donc un caractère transitoire , qui en atténue singulière-
ment rimportance.
* L'arrêt de rejet ne reproduit point la singulière doctrine de la Cour de
Paris , qui opposait à Virginie une fin de non-receyoir tirée du concours de
Pacte de naissance et de la possession d'état. L'application de l'article 822
du Code à la filiation naturelle a été repoussée depuis par la Cour de cassa-
tion (n» 218); mais, dans tous les cas, cet article n'eût pu tendre à pro-
téger la possession d'une filiation adultérine.
9.
132 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
en désaveu fondée sur l'impossibilité morale ' . Mais il y a loin
de cette plus grande facilité de désaveu à la destruction
complète de la présomption de légitimité.
560. Le système que nous combattons n'est, après tout,
qu'une réaction déguisée contre les principes restrictifs du
Code civil, quanta la faculté de désaveu pour le mari. Pour
multiplier les cas d'exception a la règle qui veut que le
mari soit présumé le père de l'enfant conçu pendant le ma-
riage, on attribue aux témoins de l'accouchement la faculté
de détruire la preuve de l'état légitime , par cela seul qu'ils
font plus ou moins clairement allusion à l'existence d'une
paternité adultérine. Du moins, dans l'ancien droit, lorsqu'on
s'attachait ii la déclaration d'une paternité de cette nature,
ainsi que le parlement de Paris le fit , conformément aux
conclusions de l'avocat général Joly de Fleury, le 31 mai
1745, on pouvait, sans violer aucune loi, décider qu'il, y
avait impossibilité morale de paternité , et constater autbenti*
quement, d'après le dire des déclarants, la paternité adul-
térine. Aujourd'hui une décision semblable serait une double
violation du Code , qui n'admet pas que la simple impossi-
bilité morale puisse faire tomber la paternité, et qui permet
encore moins d'attribuer à l'enfant un père autre que le
mari de sa mère. Aussi en est-on réduit k prétendre que
* Il y avait recel bien plus caiactérisé encore dans une autre espèce.
(Rej., 4 féyrier 1851.) Un enfant, que toutes les circonstances de la cause
faisaient présumer adultérin, avait été inscrit sous le nom d'une femme qui
n'était pas sa mère, et qui probablement même n'existait pas. On soutenait
que le mari n'était pas receyable à faire rétablir sur les registres la mater-
nité véritable, afin de contester ensuite la légimité de l'enfant. Si ce sys-
tème , admis par le tribunal de la Seine , avait prévalu , l'enfant adultérin
eût choisi ensuite le moment le plus opportun pour faire rectifier son acte
de naissance et s'introduire dans la famille légitime. Mais la Cour de Paris
et la Cour de cassation ont reconnu au mari un intérêt né et actuel à pré-
venir cette fraude. (Voy. en sens contraire, Angers, 21 mai 1852.) Elles
ont ainsi implicitement reconnu le droit de rechercher la maternité , dans
un intérêt opposé à celui de l'enfant. (N^ 215.)
^
FOI BE8 ACTES DE l'ÉTâT CIVIL. 133
l'acte ne prouve pas même la maternité : ce qu'on n'a jamais
soutenu autrefois, et ce qui est contraire à toute vraisem-
blance; car quel rapport y a-t-il entre les conjectures plus
ou moins exactes que font les déclarants sur le fait de la
paternité, et la réalité de l'accouchement, qu'ils ont vu de
leurs propres yeux? Enfln, jadis l'enfant pouvait obtenir au
moins des aliments des parents adultérins qui lui étaient
attribués, tandis qu'on le prive aujourd'hui de toute res-
source, en déclarant qu'il n'est ni l'enfant légitime ni l'en-
fant adultérin de la femme que le bon sens , que l'évidence
des faits proclament sa mère.
S61. Pour terminer ce qui concerne la preuve écrite de
la filiation légitime, nous avons k nous demander si cette
filiation , comme la filiation naturelle , k l'égard de laquelle
ce mode est le seul prévu, est susceptible de s'établir, même
longtemps après la naissance de l'enfant, au moyen d'une
reconnaissance authentique, opérée sans l'intervention des
tribunaux.
En faveur de l'affirmative, on invoque (Merlin, Répen.^
v* Légitimité , sect. 2 , § 4 , n"* 3 ) l'ancien principe suivant
lequel le père ou la mère, s'ils ne peuvent nuire k leur
enfant par leurs déclarations , peuvent assurer son état par
leur suffrage. Grande prcejudidim, dit Ulpien (L. 1, § 12, D.,
De agnosc. et aUnd. liber.), affert profilio confesrio patris.
Sans doute, dans une réclamation d'état, un pareil aveu,
s'il est fait sans fraude, aura une grande autorité en faveur
de l'enfant; mais il ne saurait constituer une preuve légale,
dans le système de notre législation, qui n'autorise l'inscrip-
tion des enfants sur le registre de l'état civil que dans les
trois jours, en prescrivant le recours aux tribunaux, lorsque
ce délai est dépassé. (N"" 540.) Quant k un acte notarié, il
est inusité et suspect en matière de filiation légitime. Ces
retards calculés pourraient bien n'être qu'un moyen d'éluder
i34 FOI DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.
les règles sur l'adoption. (Rej., 9 novembre 1809; Paris,
11 juin 1814.)
2o irUûition natordle.
SOMMAIRE. — 562. PreQve écrite de la filiation naturelle simple. ^ U3. Quelle est la foi
de l'acte de naissance relativement à cette filiation ? — 564. Défense de mentionner la
paternité non* reconnue. — 565. Qtiid relativement k la maternité? — 566. Quelle est la
foi de la mention du nom de la mère? Changement en 4872 de la jurisprudence de la Cour
de cassation sur la preuve de raccouchement et de l'identité. — 667. Forme de la recon-
naissance. Quel officier peut recevoir la reconnaissance. — 568. Reconnaissance faite par
testament. Est-elle révocable? — 566 bis. Procuration podr la reconnaissance. — 560.
Quelle peut être la valeur d'une reconnaissance par acte sons seing privé ? — 570. Quid
relativement aux aliments? — 574. Peut-on reconnaître une flliatioa incestueuse oo
adultérine ? ^ 574 ^i>. Concours de plusieurs reconnaissances dont la combinaison foit
ressortir le vice de la filiation.
862. L'acte de naissance constate sans difficulté la fllia-
tion naturelle simple, lorsqu'il est rédigé avec le consente-
ment du père ou de la mère.
tf63. La déclaration des personnes qui, sans être fondées
de pouvoir du père ou de la mère, disent avoir assisté k l'ac-
couchement, ne semble pas avoir pour but essentiel de
prouver la filiation naturelle, comme elle prouve la filiation
légitime, aux termes de l'article 319 du Gode civil. Il est
certain , du moins , qu'en ce qui touche la preuve écrite de
la filiation naturelle, le Code parle de reconnautance^ et nulle-
ment de déclaration faite par un tiers. Mais l'indication du
père ou de la mère peut avoir lieu en fait , et alors on se
demande si elle a quelque force.
864. On est d'accord en ce qui touche le père. Bien que
les énonciations de l'article 57 comprennent le nom du père,
sans distinguer s'il s'agit ou non d'un enfant légitime, on
ne doit jamais indiquer le père naturel, lorsqu'il ne se déclare
pas. En effet, le premier projet de loi sur les actes de l'état
civil, présenté en l'an X, contenait un article ainsi conçu :
a S'il est déclaré que l'enfant est né hors mariage, et si la
« mère en désigne le père , le nom du père ne sera inséré
<K dans l'acte de naissance qu'avec la mention formelle qu'il
FOI DBS ACTBB DB L*ÉTAT CIVIL. 135
c a écé dësigné par la mère. » Hais cette disposition fut
Tivement combattue par le Tribunal , comme tendant indi-
rectement k faire revivre la recherche de la paternité , et le
projet fut retiré. L'article fut retranché Tannée suivante,
lors de la rédaction définitive, et il ftat dit expressément,
dans les discours qui précédèrent le vote de la loi , que la
mention du père dans l'article 57 n'a trait qu'à la filiation
lé^time. Il ne peut y avoir de doute que dans le cas d'enlè-
Yement, où la recherche de la paternité est admise. Mais qui
garantira k l'officier civil que le fait de l'enlèvement est réel,
que la personne qu'on lui désigne est bien le ravisseur de la
mère , enfin que l'époque de la conception se rapporte h
celle de l'enlèvement? Il vaut mieux ne rien préjuger sur ces
questions délicates, en s' abstenant d'énonciations de cette
nature, jusqu'k ce que les tribunaux aient prononcé.
Ainsi, dans toutes les hypothèses, la mention du père n'a
aucune force probante à son égard.
56tf . Les opinions sont partagées en ce qui concerne la
mère. Puisque la recherche de la maternité est admise , il
semble que la révélation du nom de la mère n'a rien de
contraire k l'esprit de la loi. Et si la mention du père a été
proscrite dans la pensée du législateur, aucune difBculté n'a
été soulevée quant à celle de la mère, à l'égard de laquelle
il n'y a pas la même incertitude. Il est d'usage, effective-
ment , dans la rédaction des tictes de naissance , surtout k
Paris, de désigner la mère, sans s'être assuré au préalable
de son consentement. Cette mention est- elle obligatoire^
est-elle proscrite-, est-elle simplement facultative?
La première opinion avait été consacrée par plusieurs
Cours d'appel qui , assimilant la maternité naturelle k la
maternité légitime, avaient été amenées, par voie de con-
séquence , k appliquer les peines portées par l'article 346 du
Code pénal (n* 540) , au cas où il y avait eu déclaration de
136 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIYIL.
la naissance de Tenrant sans indication du nom de la mère
(Dijon, U août 1840^ Paris, 20 avril 1843). Mais la Cour
de cassation a jogé qae la révélation de la maternité n'est
obligatoire pour personne, l'article 346 dn Code pénal ne
prescrivant que la déclaration du fait de la naissance-, que
spécialement k l'égard des médecins et sages-femmes, elle
constitue une violation du secret que leur impose leur pro-
fession (C. pén., art. 378), et que tout règlement tendant k
provoquer cette révélation' est frappé d'illégalité*. (Rej.,
16 septembre 1843, 1» juin 1844 et 18 juin 1846.) — Sui-
vant une seconde opinion , que nous avions admise d'abord ,
l'indication de la mère , faite sur la simple foi des décla-
rants, doit être proscrite, comme présentant de graves dan-
gers. Si la déclaration est fausse, c'est une injure adressée
gratuitement à une femme honnête-, si elle est vraie, en
supposant que la mère ne soit pas fondée à se plaindre ,
n'est-il pas k craindre que l'avortement ou l'infanticide ne
préviennent une révélation accablante? — Nous pensons au-
jourd'hui, conformément k l'opinion la plus généralement
admise, que l'officier civil, s'il ne doit pas exiger l'indica-
tion de la mère , ne doit pas non plus l'omettre , lorsqu'elle
est ofiTerte spontanément. Cette indication , nous allons le
reconnaître, n'est pas sans intérêt pour l'enfant, et elle a
lieu dans la pratique sans offrir le danger dont nous nous
étions préoccupé, danger qui n'existerait qu'autant que
la déclaration serait obligatoire. L'article 336 du Code civil,
en limitant les effets de la reconnaissance du père faite
* L'arrêt de rejet du !•* juin 1853 (cité pag. 139) est en opposition avec
cette doctrine dans on de ses considérants ; mais Parrèt de 1853 n'avait
point à juger la question, tandis qu'eUe a été tranchée in terminis par ceux
de 1843, de 1844 et de 1846.
* Un arrêté du préfet de la Manche, du 10 ayril 1845, en supprimant les
tours , astreignait les propriétaires des maisons d'accouchement à inscrire
sur un registre les noms des femmes qu'ils y recevaient , sous les peines
portées par l'article 475, n» 2 , du Code pénaî.
FOI DES ACTF8 DE l'ÉTAT ClYIL. 437
sans l'indication et Taveu de la mère, ne suppose-t-îl pas
qae cette indication peut avoir lieu?
566. Lorsqu*en fait la maternité a été déclarée , quelle
sera la foi de celte déclaration? 11 faut examiner, avant tout,
si elle a eu lieu avec le consentement de la mère. Une pro-
curation spéciale et authentique est exigée par le Code
(art. 36), au cas où il s'agit de remplacer une partie qui
devait comparaître , par exemple , un ascendant lors du ma-
riage de son enfant^ mais lorsqu'une personne a qualité
pour déclarer la naissance , il nous semble qu'il n'y a plus
qu'k apprécier y d'après les règles du droit commun sur le
mandat {ibid., art. 1985) , si elle a été autorisée par la mère
k déclarer son nom. Telle est, du moins, la doctrine con-
sacrée par les jugements du tribunal de la Seine du A jan-
vier 4850 et du tribunal de Versailles du 8 mai 1857, con-
llnnés sur appel. (10 mai 1851 et 30 avril 1859. ) Observons
d'ailleurs que la loi de 1843, qui parait exiger une procura-
tion authentique pour la reconnaissance (n"" 476), n'est
applicable qu'aux actes notariés.
En supposant qu'il n'apparaisse point de mandat exprès
on tacite de la mère , la mention de son nom dans l'acte de
naissance ne sera-t-eile qu'une simple indication, dépourvue
de toute valeur juridique-, sera-t-elle un commencement de
preuve par écrite ou bien fera-t-elle foi , sinon de l'identité,
do moins de l'accouchement?
Une opinion que nous avons longtemps partagée, con-
sidère cette mention comme constituant tout au plus un
simple renseignement, de nature k mettre l'enfant sur la
trace de son origine. Elle se fonde surtout sur le silence du
Code, qui parle toujours de recormaissance, et jamais d'acte
de naissance , dans la section consacrée k la preuve de la
filiation des enfants naturels. Elle signale une différence
sensible entre la maternité légitime, fait honorable , dont
138 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
on peut emprunter la preuve k des déclarations émanées de
tiers, et la maternité naturelle, fait déshonorant, qu'il ne
d(Ht pas être permis d'imputer k une femme sans son aveu.
Tel est, en effet, le système de nombreux arrêts de Cours
d'appel (voy. Rouen, 24 juillet 1862-, Lyon, 20 juin 1867|;
et Grenoble, 26 décembre 1867), qui considèrent l'acte de
naissance comme ne faisant pas même preuve de l'accou-
chement. Suivant un arrêt de la Cour de Bourges, du
2 mai 1837, la réunion même de l'acte de naissance et de
la possession d'état ne suiBrait point pour établir la filiation
naturelle, en l'absence d'un commencement de preuve par
écrite et nous allons voir qu'un arrêt récent de la chambre
civile de la Cour de cassation , rompant avec les précédents
de la Cour, est revenu k ce système.
Suivant une opinion intermédiaire, renonciation de la
mère constituerait du moins le commencement de preuve
par écrit exigé pour la recherche de la maternité. C'est ce
qui a été jugé quelquefois , notamment par la Cour de Paris,
le 19 mars 1850. On pourrait, en effet, voir dans l'acte de
naissance , bien que non émané de la mère , un commence-
ment de preuve de l'accouchement, en admettant, comme
nous l'avons fait en définitive (n"" 210), que l'écrit ou l'on
puise ce commencement de preuve puisse être l'œuvre d'an
tiers. Mais, dans tous les cas, on ne saurait y trouver, pas
plus en matière de filiation naturelle qu'en matière de filia-
tion légitime (n""* 536 et 548), le commencement de preuve
par écrit de l'identité , second élément de la recherche de
la maternité : c'est ce qu'ont décidé un arrêt de rejet du
28 mai 1810 et un grand nombre d'arrêts de Cours d'appel.
(Voy. surtout Douai, 14 décembre 1864.) Aussi le législateur
a-t-il abandonné la première rédaction de l'article 341 ,
ainsi conçue : a Le registre de l'état civil qui constatera la
(( naissance de l'enfant né de la mère réclamée , et duquel
FOI BES ACTES DE L'ÉTÂT CIYIL. 139
« le décès ne sera pas prouvé , pourra servir de commence-
« ment de preuve par écrit. » Cet alinéa a été supprimé sur
Tobservation de Cambacérès, a que la question sera de sa-
« voir si le registre s'applique à l'enfant, et que l'on tom*
abait ainsi dans un cercle vicieux. » 11 ne faut donc
point s'arrêter k ce système intermédiaire \ (Yoy. Paris »
30 avril 1859.)
Suivant une jurisprudence suivie pendant près de vingt
ans par la Cour de cassation, l'acte de naissance fait preuve
de Taccouchement. Un arrêt de rejet » rendu par la chambre
civile, le 1*' juin 1853, pose en thèse que l'accouchement
est on fait manifeste, dont on peut rendre témoignage avec
certitude. Il invoque ensuite divers arguments de texte,
dont on peut contester la valeur : 1"* l'article 346 du Code
pénal, qui punit le défaut de déclaration; mais, d'après la
jurisprudence constante de la chambre criminelle (n"* 565),
cet article 346 , ne se référant pas à Tarticle 57 du Code
civil , n'exige point la déclaration de la maternité *, 2* l'ar-
ticle 345 du Code pénal , qui frappe d'une peine sévère la
supposition d'un enfant k une femme qui ne serait pas ac-
couchée , sans distinguer si la maternité imputée est natu*
relie ou légitime; mais on pourrait répondre que nos lois,
en parlant d'enfant, ont habituellement en vue l'enfant lé-
gitime. Ce qui nous touche plus que ces arguments , c'est
I Une nooTeUe distinction se trouve indiquée dans nn arrêt de la Cour
de Caen , da 24 mai 18 58 ,aax tenues duquel la déclaiation de raocouchei>
ment, non contredite par la mère ni par la famille, ferait foi à V égard
da tien de la filiation de Penfant. Le tiers, dans Vespèce, était le préfet
qui contestait^ dans l'intérêt du recrutement, Pexemption d'un enfant
naturel dont le frère était mort sous les drapeaux. Mais comment une
dédaration non probante Tis-à-yis des intéressés le deviendraii^lle ris*^*
Tîs des tiers ? C'est ]k une erreur, en sens opposé de celle qui attribue à
l'acte authentique une foi plus pleine à l'égard des parties qu'à l'égard des
tiers. Si la maternité n'est point établie Tis^vis de la mère, elle ne l'est
Tia-à-Tis de personne ; si , comme nous le pensons , l'acte fait foi yis-^-Tia
de la mère, il est, yis-à-Tis des tiers, suiyant les expressions de Dumoulin
(a* MB), agne puMiemm et probant.
140 FOI DES AGTBS DE l'ÉTAT CIVIL.
ê
que la mention de racconchement a lien en pratique, et
est presque toujours conforme k la vérité.
Ajoutons, suivant une observation ingénieuse de M. Va-
lette (Coun de Code civil, tom. I, p. 423), que Far-
ticle 341 du Code civil , relatif îi la recherche de la ma-
ternité, en fixant la marche a suivre pour la preuve de
l'ideùtité de l'enfant, suppose implicitement le fait de Tac-
couchement préalablement établi par l'acte de naissance.
Le point délicat, sur lequel l'arrêt de 1853 était loin d*étre
satisfaisant, c'est ce qui touche la preuve de l'identité.
Cette preuve ne résulte point de l'acte , qui , même en ce
qui touche la filiation légitime, ne saurait, par la force
même des choses, établir l'identité du réclamant avec la
personne y dénommée. Or, l'arrêt de 1853 supposait qu'aux
termes de l'article 341 , l'enfant porteur d'un acte de nais-
sance indicatif de la maternité ne serait tenu de prouver
son identité qu'en cas de contestation sur ce point : ce qui
semblait conduire à cette conséquence que l'acte prouve
prima fade l'identité. Mais la chambre civile avait développé
sa doctrine, d'une manière plus complète et plus rationnelle,
dans un autre arrêt de rejet du 19 novembre 1856, où elle
déclare que, <c si l'acte de naissance fait foi de l'accouche-
« ment , c'est-k-dire du fait même de la maternité , cepen*
« dant cet acte ne constitue pas , par lui-même et k lui seul ,
a la preuve de l'état de l'enfant qui prétend s'en appliquer
« le bénéfice; qu'il doit, en outre, établir son identité avec
tt l'enfant dont la mère est accouchée; que la constatation
« de cette identité ne peut résulter que d'une reconnaissance
« formelle ou tacite de celle-ci , ou d'une action en re-
« cherche de maternité, admise par justice. » Ainsi, l'acte
de naissance fournit le premier élément ; le second peut ré-
sulter d'une reconnaissance même toci^» c^est-à-dire, le plus
souvent, de la possession d'état. C'est ainsi que la juiispru-
FOI DES ACTBS DB l'ÉTAT CIVIL. Hl
dence arrivait à compléter par la possession d'état les élé-
ments de preuve fournis par le titre. Repoussant, comme
MM. Demolombe et Valette , la doctrine étroite qui subor-
donne à un commencement de preuve par écrit la justifica-
tion de la possession d'état (n* âl6) , nous nous unissions à
DOS honorables collègues pour accepter subsidiairement le
système qui donnait k cette possession une grande force ,
puisqu'il en faisait un moyen de corroborer renonciation
souvent contenue en fait dans Pacte de naissance.
La jurisprudence de la chambre civile semblait bien fixée.
Elle avait cassé, le 1*' décembre i869, Tarrét précité de la
Cour de Lyon, du 20 juin 1867, en posant en principe que
« Tacte de naissance dressé dans les conditions de l'art. 56,
w
«Cod. Nap., fait foi de l'accouchement.» La Cour de
Montpellier ne faisait donc que se conformer \k la doctrine
delà Cour régulatrice, lorsqu'elle jugeait, le 13 juillet 1870,
que Tacte de naissance, qui indiquait la maternité, confirmé
par des faits de possession d'état, équivalait à une recon-
naissance formelle. Grande a été la surprise parmi les juris-
consultes, lorsqu'ils ont appris que cet arrêt avait été cassé
par la chambre civile, le 3 avril 1872. Aux termes de cet
arrêt, « un enfant naturel n'est légalement reconnu que
« par la déclaration volontairement faite dans un acte au-
« thentique aux termes des articles 334 et 336 du Code Napo-
« léon, ou par la déclaration de paternité ou de maternité
« judiciairement prononcée dans les cas prévus et sous les
« conditions déterminées par les articles 340 et 341 du même
« Code. — Cette reconnaissance authentique ne peut être
* suppléée par une possession d'état conforme k l'acte de
« naissance. »
Ce revirement de jurisprudence n'est justifié par aucun mo-
tif nouveau -, c'est Taflirmation pure et simple d'une doctrine
qui paraissait abandonnée, doctrine trop souvent contraire k
142 FOI DE8 ACTES DE l'ÉTÀT CIVIL.
révidence des faits mettant en lumière la filiation. La dé-
cision de 1872 est d'autant plus extraordinaire que, dans
une autre partie des considérants , la Cour adoptait comme
moyen de cassation une fin de non-recevoir, puisée dans la
doctrine que nous avons signalée (n* 215), qui refuse aux
héritiers de Tenfant le droit de rechercher la maternité ,
lorsqu'il a gardé le silence. C'est donc sans aucune néces-
sité que la chambre civile est revenue sur ce qu'elle avait
constamment jugé relativement ^ l'acte de naissance corro-
boré par la possession d'état '. Espérons que cette question
sera portée devant les chambres réunies de la Cour de cas-
sation, et y recevra une solution meilleure.
K67. Le mode de preuve préconstituée consacré pomr la
reconnaissance volontaire de la paternité ou de la maternité
naturelle consiste , soit dans l'inscription de cette reconnais-
sance sur les registres de l'état civil, soit dans la rédaction
d'un acte authentique, destiné à la constater. (C. civ.,
art. 34 et 334.) Cette dernière forme a été établie afin de
permettre les déclarations secrètes, qui assurent le sort de
l'enfant sans compromettre la réputation de ceux qui les
souscrivent. Si on n'a pas été plus loin , si on n'a pas ad-
mis comme titre valable un acte sous seing privé, c'est
qu'on a pensé qu'afin de s'assurer de la liberté de la recon-
naissance;, il fallait que la présence d'un officier public vint
attester que la déclaration avait été faite sérieusement, et
non sous l'empire d'un entraînement passager*. Rappelons
' La Cour de cassation ne parait pas du moins être reTenue sur sa juris-
prudence beaucoup plus ancienne, qui yoit dans la possession d^état,
comme dans tout sutre a^eu , exprès ou tacite , de la mère la confirmation
, de l'indication faite par le père de la maternité aux termes de Partide 536
du Code civil. (N» 217.)
' Les frais , d'aiUenrs ^ sont trop peu considérables pour qu'on puisse
supposer qu'ils fassent reculer les parents naturels devant l'accomplisse-
ment d'un devoir : la régie de l'enregistrement ne perçoit sur les actes de
reconnaissance qu'un droit fixe de cinq francs (loi du 28 avril 1816, art. 45),
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL. 143
que la loi da 2i jnin 1843 (art. 2) exige pour les actes por-
tant reconnaissance d^enfant naturel, la présence du no-
taire en second ou des témoins. (N"" 476. )
On ne peut considérer comme acte authentique que l'acte
émané d*un officier qui , ayant qualité pour recevoir les dé-
clarations des parties , offre les garanties dont la loi a voulu
entourer la reconnaissance. Les notaires ' sont incontesta-
blement dans cette catégorie. Nous pensons qu'il en est de
même des juges de paix , assistés de leurs greffiers , et cette
décision , consacrée par la jurisprudence , est en harmonie
avec le droit attribué k ces fonctionnaires de recevoir d'au-
tres actes relatifs k Fétat des personnes, tels que ceux
d'adoption et d'émancipation. (C. civ., art. 353 et 477.)
Vainement a-t-on combattu cette doctrine , en invoquant un
arrêt de la Cour de Dijon, du 24 mai 1817, qui refuse aux
coinmissaires de police qualité pour recevoir un acte de re-
connaissance. Ces commissaires sont étrangers k la juridic-
tion civile, tandis qu'un acte semblable rentre assez natu-
rellement dans les attributions du juge de paix , qui peut le
recevoir, on en convient, lorsqu'il préside un conseil de fa-
mille. (Douai, 22 juillet 1856.) Nous pensons toutefois que
la Cour de cassation a été trop loin lorsqu'elle a attribué
(Rej., 15 juin 1824) au greffier seul de la justice de paix
qualité pour donner acte de la reconnaissance d'un enfant
naturel. Si les déclarations de grossesse pouvaient se faire
autrefois au greffe , c'était pour faciliter aux femmes en-
ceintes hors mariage le moyen de se soustraire k la terrible
présomption d'infanticide qu'entraînait, aux termes de l'édit
et Ut sont enregistrés gratuitement (loi du 15 mai 1S18, art. 77) quand les
parents sont dans un état d'indigence notoire.
^ Ancun texte ne prescrit la transcription de Pacte de reconnaissance
notarié sur les registres de Pétat dyil. Cette exigence serait contraire à
Vesprit de la loi , qui a tooIu , surtout pour la mère , qu'on pOt éviter la
pubUcité.
144 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CIVIL.
de i556, le recel de la grossesse. Il n'existe aucune attri-
bution semblable pour les greffiers dans le droit actuel.
Mais nous admettons Tolontiers , avec un arrêt plus récent
de la Cour de cassation (Cass., 1*' décembre i869), que
cette déclaration reçue par le greffier vaut commencement
de preuve par écrit (art. 341 ), pour autoriser la recherche
de la maternité.
De plus, puisque, nous Tavons vu (n"" 467), Tarticle 54
du Gode de procédure n'a voulu refuser au procès-verbal
de conciliation que la force exécutoire, et non raulhenticité
intrinsèque , une reconnaissance pourrait être valablement
constatée par ce procès- verbal. (Pau, 5 prairial an XIII;
Golmar, 25 janvier 1859.) Il faut supposer que les parties
se sont volontairement présentées au bureau de paix,
puisque les causes non susceptibles de transaction sont
dispensées du préliminaire. (G. de proc., art. 48.) Des
doutes assez graves se sont pourtant élevés dans cette hypo-
thèse, Taveu de paternité intervenu k la suite de pour-
suites , même illégales , paraissant manquer de spontanéité -,
la Cour d'Angers a , en conséquence , déclaré nulle en de
pareilles circonstances une transaction portant reconnais-
sance de la paternité. (Arr. du 17 juillet 1828.) Mais on
peut répondre que, la recherche de la paternité n'étant
plus admise, il n'est pas ^ craindre dans le droit actuel que
la reconnaissance soit extorquée par la menace d^un procès.
C'est en ce sens que la Cour de cassation a déclaré valable
une reconnaissance précédée de poursuites judiciaires (Rej.,
6 janvier 1808), et il en serait de même, k plus forte rai-
son, si la reconnaissance avait été faite à l'audience. (Col-
mar, 24 mars 1813.) Au surplus, il est difficile qu'il inter-
vienne en ce cas un arrêt de cassation, les tribunaux ayant
un pouvoir discrétionnaire pour apprécier la spontanéité de
l'aveu ; on peut craindre le scandale d'un procès, même mal
FOI DBS ACTES DE l'ÉTAT GIYIL. i45 i
timdé , lorsqu'il est d'une nature aussi scandaleuse. Ce qui
I
est évident , du reste , c'est qu'on ne devrait attribuer au-
cune force \i la déclaration faite devant un fonctionnaire
administratif (Pau, i8 juillet iSlO), ni, à plus forte rai-
son, k celle qu'aurait reçue un ministre du culte. (Paris,
22 avril 1833.)
868. L'acte authentique ne doit pas nécessairement être
spécial. Il n'est pas douteux qu'un testament ou un contrat
de mariage ne puisse contenir accessoirement la reconnais-
sance d'un enfant naturel. Si le testament n'est pas authen-
tique, mais seulement mystique, c'est-à-dire remis avec
certaines formes, en présence de six témoins, entre les
mains d'un notaire , qui en constate le dépôt par un acte de
suscription (C. civ., art. 976), des auteurs graves pensent
que ces garanties équivalant k celles qu'offre le testament
authentique, la reconnaissance est encore valable. Mais cette
opinion n'est pas exacte , si l'acte contient seulement men-
tion, en la forme ordinaire, que le testament a été déposé
avec les solennités requises ; car rien n'indique au notaire
et aux témoins cette reconnaissance , dont l'insertion dans
le testament mystique peut fort bien n'avoir pas été l'œuvre
d'une volonté libre. Il nous semble donc nécessaire , pour
satisfaire au vœu de la loi , que l'acte de suscription con-
tienne la mention expresse que tel enfant naturel a été
reconnu par le testateur. A plus forte raison refuserons-
nous tout effet sous ce rapport à un testament purement
olographe. La Cour de cassation avait jugé le contraire sous
l'empire de la coutume de Paris, qui réputait (art. 289)
iolennel ce testament. Mais sous l'empire du Code civil , qui
ne dit rien de semblable, elle décide (Rej., 7 mai i833 et
18 mars 1862) qu'un acte de cette nature ne peut être
considéré comme authentique. En effet, il y a bien date
certaine -, mais nous avons vu que la question n'est point %
II. io
146 FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CITIL.
f
et que le législateur a exigé comme garantie de liberté la
présence d'un o£Scier public. Or, un testament olographe
offre autant de prise k l'entraînement et à la suggestion qu'un
acte sous seing privé ordinaire.
Lorsque la reconnaissance d'un enfant naturel a été ainsi
faite par un acte révocable, notamment par un testament,
la révocation du testament fait-elle tomber la reconnaissance?
Merlin (fl^p., v^ Filiation , § 7) a soutenu l'affirmative, et
sa doctrine , à cet égard , se rattache k la théorie générale
qu'il professe , sur la question , déjk débattue autrefois , qui
consiste k savoir si Taveu d'une dette, confirmé dans un tes-
tament, est susceptible d'être révoqué. (/fri(f.,v* Testament,
sect. 2, § 6.) Mais, loin de s'attacher k cette théorie, Pothier
(Don. test.^ chap. vi. sect. 2, § 3) enseignait, avec raison sui-
vant nous, que l'aveu doit être réputé sincère, et que dès
lors il ne saurait être révoqué , sauf aux héritiers k le faire
tomber en établissant l'intention, chez leur auteur, de faire
une libéralité déguisée. Lors même que l'on regarderait
comme suspectes de pareilles reconnaissances de dettes, il
nous semble qu'il faudrait attribuer un caractère autrement
sérieux k une reconnaissance d'enfant naturel ; il est peu
probable qu'on fasse une fausse reconnaissance pour couvrir
une libéralité, et dès lors l'aveu de la paternité fait par tes*
tament a en sa faveur une présomption de vérité, aussi bien
que s'il avait eu lieu par acte entre-vifs. La jurisprudence
s'est prononcée en ce sens. (Amiens, 9 février 1826; Caen,
5 juillet 1826 -, Bastia, 17 août 1829.) L'opinion contraire
reconnaît qu'on peut voir dans le testament révoqué, s'il
émane de la mère, un commencement de preuve par écrit.
Mais c'est Ik une inconséquence manifeste ^ car, si la révo-
cation a pour effet, ainsi qu'on le prétend, de faire consi-
dérer l'acte comme non avenu, il n'est point permis de le
faire revivre, contrairement k la volonté du testateur. Que
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT ClflL. 147
si l'on peut y puiser une preuve, la preuve est complète par
elle-même. Ou a égalemeot maintenu (Grenoble, 6 mai 1861 )
la reconnaissance d'un enfant naturel faite dans un contrat
de mariage demeuré caduc, faute de célébration de ma-
riage entre les contractants.
jf68 bjf. La procuration k l'effet de reconnaître un enfant
naturel doit être authentique (L. du 21 juin 1843, art. 2)
et spéciale (Cod. civ., art. 36). Mais la spécialité doit-elle
s'entendre avec une telle extension qu'il soit nécessaire dé
désigner la mère, si la reconnaissance a lieu durant la gros-
sesse? Le nom de la mère peut-il alors être rérélé confiden-
tiellement au mandataire , sans figurer dans la procuration
anthentique? L'espèce s'est présentée devant la Cour d'Aix,
un capitaine de marine , avant de partir pour un voyage de
long cours, où en effet il a péri, ayant donné k un de ses
amis « pouvoir exprès et spécial de reconnaître l'enfant qui
« naîtrait, pendant son absence, de la personne par lui dési^
« gnée et indiquée audit sieur N<, et dont ladite personne
« était, k cette époque enceinte des œuvres dudit capitaine,
c qui le déclarait. y> Quelque favorables que fussent ces cir-
constances , l'arrêt de la Cour d'Aix (30 mai 1866), qui avait
déclaré la procuration suffisante, a été cassé, le 12 fé-
vrier 1868, par ce motif que, s'il est permis de reconnaître
un enfant non encore conçu , c'est au moyen de la désigna-
tion précise de cet enfant par Tiodication de la personne
enceinte des œuvres du mandant -, et que cette désignation
cesse d'être authentique et spéciale si elle n'est exprimée
que par nne simple communication, verbale et confiden-*
tielle , dn mandant au mandataire.
ff69. Lorsque l'enfant est porteur d'un acte de recon-*
naissance sous seing privé, peut-il utilement assigner en
vérification d'écriture le signataire de cet acte ? Toullier
(tom. in, n* 951) soutient Taflârmative sans distinction,
10.
448 FOI DES AGTBS DE l'ÉTAT CIVIL.
parce qu'il ne regarde pas comme impérative la disposition
du Code qui exige une reconnaissance authentique ^ mais
cette opinion paradoxale, bien qu'adoptée par la Cour de
Rennes, le 3i décembre 1834, est universellement rejetée.
Si Tauthenticité est exigée comme garantie du libre consen-
tement, celui qui a souscrit un acte sous seing privé réco-
gnitif de la paternité , quelque blâmable que puisse être en
conscience sa conduite, peut fort bien, aux yeux de la loi,
refuser purement et simplement de répondre k la demande
dirigée contre lui. Les mêmes motifs n'existent pas k l'égard
de la mère^ la surprise est peu k craindre lorsqu'il s'agit de
faits aussi positifs que la grossesse et l'accouchement. On
peut donc faire vérifier en justice l'écrit émané de la préten-
due mère, et s'il est reconnu ou tenu pour reconnu, il aura
indubitablement contre elle la force d'un commencement
de preuve par écrit. Mais prouvera-t-il a lui seul la mater-
nité ? S'il la prouve , k quoi bon dire , en ce qui concerne la
mère, qu'un acte authentique est exigé? Il faut distinguer,
suivant nous, si la mère a reconnu sa signature sans faire
aucune réserve, ou bien si la signature a été seulement
vérifiée contre elle. Dans le premier cas, la reconnaissance
est authentique, puisqu'il y a aveu judiciaire. Dans le second
cas, il y a bien commencement de preuve, mais il n'y a pas
reconnaissance dans les formes légales, et il faudra d'autres
preuves pour fortifier celle qui résulte de l'acte. (Paris,
17 juillet 1858.)
570. L'écrit sous seing privé par lequel ou reconnaît la
paternité, peut-il au moins valoir pour autoriser l'enfant k
réclamer des aliments ? La négative , combattue dans les
premiers temps qui ont suivi la promulgation du Code , est
tenue aujourd'hui pour certaine (Douai, 3 décembre, et Aix,
14 juillet 1853), puisque les aliments ne sauraient être
exigés qu'en vertu d'une qualité que l'acte est insuffisant
FOI DBS ACTES DB l'ÉTAT CIYIL. i49
poar ëlablir. Mais on admet assez volontiers la validité d'une
promesse d'aliments faite par Tacte même à l'enfant qui
aurait été ainsi reconnu. Vainement dira-t-on que la pro-
messe, n'ayant pour cause que la qualité de père, tombe
avec la déclaration de paternité, k laquelle elle était inti-
mement liée. (Bourges, il mai 184i.) Le fait se«l que le
signataire a pu considérer comme probable sa parenté avec
l'enfant, suffit pour que la promesse d'aliments ne soit pas
sans cause : on sait d'ailleurs combien les aliments sont tou-
jours favorables (Rej . , iO mars 1 808 *, Bordeaux, 5 août 1 847
et S janvier 1848 -, Paris, 24 novembre 1860.)
571. 11 nous reste k parler de la filiation incestueuse ou
adultérine. Suivant une opinion émise, ainsi que nous l'avons
vu , par l'orateur du Tribnnat, et adoptée par plusieurs Cours
d'appel (n* 212) , il serait permis de constater une filiation
de cette nature, soit afin de faire obtenir k l'enfant des ali-
ments, soit, au contraire, afin de faire réduire les libéra-
lités dont il aurait été l'objet. Ce système , qui tend k donner
effet dans une certaine mesure k une reconnaissance pro-
hibée par un teite formel (C. civ., art. 335), est proscrit
par la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
(Yoy. les nombreux arrêts rendus en ce sens, dont le pre-
mier est du 28 juin 1835, et les derniers du 30 avril et du
1" mai 1861 .) Néanmoins , en ce qui touche les dons et legs,
plusieurs arrêts de cette Cour, conformément k une doctrine
enseignée par Merlin (Répert., v* Filiation, § 20), ont établi
(Rej., 4 janvier 1832 et 7 décembre 1840; Cass., 3 fé-
vrier 1841 -, Rej., 31 juillet 1860 et 22 janvier 1867) une
distinction entre le cas où la reconnaissance et la libéralité
ont eu lieu par des actes séparés , et celui où c'est un seul
et même acte, notamment un testament, qui constate la
filiation de l'enfant et contient une libéralité en sa faveur.
Dans la première hypothèse, la Cour maintient strictement
150 FOI PB6 ACTES PB l'ÉTAT GIYIL.
le principe suivant lequel la reconnaissance est réputée non
avenue, et elle valide dès lors la libéralité faite par acte
séparé. Dans la seconde hypothèse, touchée du scandale
que présente un don fait ostensiblement au fruit de Fadulr
tère ou de l'inceste , elle annule la donation ou le testament,
en se foQdant sur un motif nouveau , sur ce que la recon-
naissance et la libéralité étant indivisibles dans l'espèce,
dette dernière doit tomber comme ne reposant que sur une
cause illicite. (C, civ., art. 1131.) Mais, ainsi qu'on l'a lait
observer ^ , c'est là confondre la cause de l'obligation avec
le motif. Dans une disposition à titre gratuit , la cause n'est
autre que l'intention de faire une libéralité , et les tribu-
naux n'ont nullement le droit de scruter les motifs du dis«
posant, comme s'il s'agissait de rechercher la cause d'un
billet. C'est ainsi que la jurisprudence moderne n'hésite pas
à proclamer valables les dons et legs motivés expressément
sur le concubinage , même sur l'adultère ou sur l'inceste ,
quoiqu'il y ait une immoralité bien autrement flagrante k
gratifier en quelque chose le complice qu'à assurer le sort
du fruit de ces déplorables unions. D'un autre côté , il n'est
point parfaitement rationnel de s'attacher uniquement à cette
circonstance de fait que la reconnaissance et la libéralité se
trouvent dans un seul et même acte. N'est-il pas souvent
manifeste , à part cette circonstance , que le don ou le legs
n'a été motivé que par la parenté ? Aussi Merlin finit-il par
admettre (Ibid., § 23) que la reconnaissance faite par acte
authentique doit , dans tous les cas , assurer des aliments à
l'enfant. La Cour de cassation refuse d'aller aussi loin, et
cependant c'est consacrer implicitement ce système que de
refuser, ainsi que l'a fait l'arrêt de 1832, a à l'enfant adul-
* M. DevilleneuTe^(l846, part, I, p. 721), reproduisant les arguments de
Marcadé, avait viTement critiqué cette distinction ; mais ses continuateurs
(1860, part. I, p. 232) ont adikéré à la jurisprudence de la Cour suprême.
FOI DES ACTES DE l'ÉTAT CITIL. i5i
a térin ou incestueux, reconnu par acte testamentaire, la
« faculté de recevoir au delà des aliments que Tarticle 762
c lui accorde. » Nous pensons que Tarticle 762 ne peut
avoir d'application qu'au cas où la filiation adultérine ou
incestueuse résulte de la force même des choses (n"" 214),
mais que toute reconnaissance volontaire doit être réputée
non avenue.
571 bii. En admettant la nullité d'une reconnaissance de
cette nature , il reste k se demander ce qu'on doit décider
dans l'hypothèse de deux reconnaissances, dont le concours
donne à la filiation un caractère adultérin ou incestueux,
qu'elle n'aurait point si l'on s'attachait seulement a l'une
des reconnaissances.
Si les deux reconnaissances sont faites par le même acte,
on pourrait sans doute, dans l'intérêt de l'enfant, maintenir
celle qui ne lui attribue qu'une filiation naturelle simple,
par exemjrfe, la déclaration de paternité, au cas de recon-
naissance d'un enfant par un individu libre et par une
femme mariée -, mais il est bien k croire en réalité que les
deux reconnaissances se tiennent intimement. Il convient,
en conséquence, de les rejeter toutes deux conune enta-
chées du même vice. La jurisprudence (voy. les arrêts, l'un
de cassation, l'autre de rejet du 1" mai i86i) applique
même cette décision au cas où la reconnaissance a été faite
par l'un des parents, mais avec indication de l'autre.
Que si les deux reconnaissances sont isolées et sans cor-
rélation l'une avec l'autre, iln'y a aucune raison pour faire
prévaloir l'une d'elles, sauf peut-être , toutes choses égales,
à donner la préférence à la reconnaissance de la femme, la
maternité étant beaucoup plus certaine. Dans le silence de
la loi , ce sera au juge k apprécier les faits. C^est ce que l'on
décide d'ailleurs au cas de plusieurs reconnaissances de
paternité. (Rej., 10 février 1845.)
i52 ACTE AUTHENTIQUE
Observons, en terminant, qu'il y a une certaine incon-
séquence dans le système de la loi , qui établit des prohibi-
tions rigoureuses , et permet en même temps de les éluder ,
en n'autorisant point la preuve des faits auxquels elles s'ap-
pliquent. <( Cette ignorance affectée de la loi », dit avec rai-
son M. Demolombe (tom. V, n* 561 ), « est en contradiction
c( avec l'évidence des faits, et produit un scandale souvent
« beaucoup plus grand que la vérité même qu'on n'a pas
« voulu reconnaître et qu'on n'a pas pu dissimuler. »
DEUXIÈME SECTION.
ACTE AUTHEIfTIQUE EN MATIÈRE CRDnmSLLE.
SoHMAiBE. ~ 873. Existence en matière criminelle de preuves prèconstituées. — 873.
Preuve légale en ce <pii touche le droit. — 874. Actes authentiques spéciaux , et emploi
des actes authentiques ordinaires. — 878. Division.
572. Il semble, au premier coup d'œil, que, dans la
législation actuelle, l'usage de preuves préconstituées, aux-
quelles le juge est obligé d'ajouter foi, doive être rejeté
d'emblée en matière criminelle. En effet, l'article 342 du
Code d'instruction criminelle , s'attachant uniquement à l'in-
time conviction , abroge formellement l'ancien système des
preuves légales *, et d'après une jurisprudence aujourd'hui
constante (voy. un arr. de cass. du 7 février 1835), cet
article , bien que placé sous la rubrique des affaires qui doivent
être soumises au jury, est applicable \i toutes les juridictions.
Mais , quelque importante que soit cette disposition , il ne
faut pas s'en exagérer la portée. Tout ce qui en résulte^
c^est qu'en général le juge ou le juré doit obéir aux inspi-
râlions de sa conscience , sans que sa conviction soit soumise
k des règles préconçues. Cela est incontestable ^ mais, il faut
le dire, cela est également vrai en matière civile, où l'on
doit reconnaître aussi que la libre conviction du juge est la
EN MÂTiftRB CRIHIRELLB. 153
règle, et la preuve légale, Teiception. Sealement, dans les
matières miles, où la preuve écrite et les présomptions
légales se trouvent presque toujours en jeu , Texception se
rencontre si fréquemment qu'elle semble y être la règle.
Dans les matières criminelles, au contraire, où c'est la
preuve testimoniale qui joue le plus grand rôle , l'instruc-
tion, pour celui qui né l'envisage que superficiellement,
semble ne laisser aucune prise ^ la preuve préconstituée.
L'emploi de preuves légales est cependant beaucoup moins
rare qu'on ne l'imagine devant les juridictions criminelles.
573. Si nous avions à nous occuper ici de la preuve du
droit, il nous serait facile d'établir que les questions rela-
tives , non pas à la constatation des faits , mais k la détermi-
nation de la catégorie légale à laquelle ils appartiennent,
comme lorsqu'il s'agit de savoir si tels faits, en les suppo-
sant établis , constituent un vol, un meurtre, etc., ne donnent
pas lieu k une appréciation plus ou moins arbitraire , mais
bien, k l'application de principes rigoureux et d'une stricte
logique. Nous aurions dès lors k nous demander jusqu'k quel
point il convient de soumettre aux simples particuliers qui
composent le jury , ainsi que parait le faire l'article 337 du
Gode d'instruction, une question complexe, posée en ces
termes : Vaccusé est^il coupable (t avoir commis tel crime? ce
qui les rend juges tout k la fois de la question de fait : Te
acte a4'il été commis? et de la question de droit : Cet acte constir-
tue4'U un meurtre, un assassinat, etc. ? Mais cet examen nous
entraînerait au delk des limites de notre sujet , qui , nous
l'avons dit en commençant (n"" 3), est étranger k la preuve
du droit, et par conséquent aux questions de compétence
qui s'y rattachent ' .
* On peut oonsolter, sur cette théorie de )a séparation du point de droit
et da point de fait, Particle qne nous avons publié dans la Eevue de légis-
kUUm et de Jurisprudence, n« de mara 1S43 , et les observations impor-
i84 PROCÈS-VERBAUX.
574. Pour en revenir au but de cet ouvrage, c'est-iinlire
k la constatation des points de fait, il est facile de recon-
naître que, même sou3 ce rapport, la preuve préconstituée
se retrouve devant les tribunaux criminels , sous deux poiats
de vue :
1* Il y a des officiers appelés h constater certaines infra<>-
tions, et dont les déclarations ont un véritable caractère
d'authenticité ;
^ Les actes authentiques ordinaires , tels que les actes
notariés, peuvent être invoqués au criminel.
575. Nous nous occuperons d'abord de l'authenticité
spéciale aux matières criminelles , puis de l'application à ces
matières de l'authenticité ordinaire.
PREMIÈRE DIVISION.
ACTES AUTHENTIQUES PROPRES AUX MATIÈRES CRIMINELLES ',
PROCÈS- VERBAUX *.
Sommaire. ~ 576. Procès-verbaux. Lear origine. ^ S77. Lear foi en matifere crimUiéUe.
— 578. Système remontant à l'ordonnance de 4349. — 579. Critiques dont il a été
l'objet. — 580. Division.
576. Tous les fonctionnaires qui ont qualité pour consta-
ter des infractions à la loi pénale peuvent dresser des actes
destinés k relater exactement les faits dont ils ont été
témoins , actes qu'on appelle dans la pratique procès-verbaux.
L'origine de cette dénomination tient k ce que , dans le prin-
cipe, les officiers le plus habituellement chargés de faire
rapport des faits en justice, les sergents, étant illettrés,
donnaient une déclaration purement orale. « Pour la vileté
tantes publiées par M. Beudant, en 1861, sur Vindicaticn de la M pénale
dans la discussion devant le jury.
^ Noas avons déjà en occasion de citer l'onvrage spécial de M. Mangin ,
snr lesproeès^verbaux en matière de délits et de contraventions. M. Faustin
Hélie a déreloppé de nouyeau cette matière avec soin , dans son Draité sur
VinstruetUm crimiinelle. (Tom. IH, chap. x et sut.)
piiocto*vERiiux. iK5
de leurs offices )», dit Loyseau (Officesf liv, I, ebap. iv, n'* 34),
c et pour la difficulté qu'il y avait anciennement d'en trouver,
« on ne les a pas rendus sujets à Texamen. Même, le temps
« passé , ils n'étaient pas seulement reçus qu'ils sussent lire
« ni écrire, non plus qu'à présent les prévôts des archers
t des maréchaux *, mais ils faisaient verbalement devant le
fl juge le rapport et relation de leurs exploits , ainsi appelés
c pour cette cause, et non pas actes : parce qu'ils con-
c sisteot en fait, non écriture : c'est-à-^dire, procédures
t verbales, et non par écrit. » Même après que Charles VIII,
en 1485, eut prescrit que les sergents sussent lire et écrire * ;
même après que Henri IV, en i567, eut étendu aux gardes
cette prescription, l'expression ie procèê^erbal, bien que ne
se référant plus k un rapport écrit, s'est maintenue dans la
pratique.
S77. Les écrits de cette nature sont tous authentiques
en ce sens qu'on ne pourrait les imiter ni les falsifier sans
s'exposer aux peines portées contre le faux en écriture pu-
blique. Hais la foi qui s'attache aux actes authentiques civils
ne s'attache pas de droit commun aux procès-verbaux , qui
ne sont, en thèse générale, que des documents de la cause,
susceptibles d'être débattus , tout aussi bien que les témoi-
gnages oraux, n en est toujours ainsi pour les crimes et
délits prévus par le Code pénal : l'accusé, on le prévenu, peut
faire tomber les actes les plus réguliers dressés dans l'in-
struction préparatoire, quand même ces actes auraient eu
pour objet de constater le flagrant délit (C. d'instr., art. 32),
sans être obligé de prendre la voie de l'inscription de faux.
Cet important principe était déjà constant dans l'ancienne
procédure criminelle , qui n'admettait que comme de simples
documents à consulter les procès-verbaux dressés avant le
* Praeriptkm mtH obserfée, et qa*n (iaUnt reDoavtier en 1667.
i 86 progès-verbàux .
récolement Aussi la Cour de cassation décide-t-elle, en prin-
cipe (Cass.,22 octobre 1818), qu'on est toujours admissible
k prouver la non-culpabilité, nonobstant les procès-verbaux
dressés pour constater le fait.
Mais, pour certains délits et contraventions, on a depuis
longtemps senti la nécessité d'établir des officiers, revêtus
d'un caractère public, k l'effet de constater, par de véri-
tables actes authentiques, les infractions dont la fréquence
tend k détruire les sources de la richesse nationale , en dé-
gradant les forêts de l'État, en fraudant le Trésor, etc. Les
délits et contraventions de cette nature, connus sous le nom
de déUts ipédaux, appellent une répression toute particu-
lière. Ils ne sont pas isolés, comme les délits ordinaires, et
ils se reproduisent presque toujours systématiquement.
Ceux qui les commettent, et qui en font quelquefois leur
profession, recherchent la solitude, souvent les ténèbres de
la nuit , afin de se soustraire k la vigilance de l'autorité. De
Ik une extrême difficulté pour les agents de les constater
par témoins : « Il convient », dit naïvement une ordonnance
de 1402 sur les forêts, a que les sergents quièrent les mal-
K faiteurs le plus coyement qu'ils pèvent, et s'ils alloient
« querre tesmoings, les malfaiteurs s'en pourroient aller
« avant qu'ils revinssent, ni ne pèyent pas toujours mener
« tesmoings pour tesmoigner leurs prinses. » Enfin , lors
même que l'infraction a eu lieu en présence de témoins, il
n'est pas toujours facile d'obtenir des dépositions sincères ,
un préjugé malheureusement trop répandu considérant
comme excusable toute déprédation qui ne s'attaque qu'aux
intérêts collectifs de la société. Et cependant on ne saurait
négliger ces intérêts, la richesse forestière, par exemple,
ou bien l'exacte perception des revenus publics , sans com-
promettre au plus haut degré la prospérité du pays. Bien
plus, souvent l'acte de dégradation fait un mal incalculable,
PROCiS-YERBÀOX. 1K7
tSDdis qu'il ne rapporte qu'an profit extrêmement faible k
celui qui le commet. Pour protéger d'aussi graves intérêts
contre les attaques incessantes de la cupidité, et quelque-
fois, il &ut le dire, de la misère, on a dû créer des agents
spéciaux.
578. La première trace d*une institution de cette na-
ture se trouve dans l'ordonnance rendue, le 2 juin 1319,
par Philippe le Bel ' sur l'administration des forêts royales.
IL Ordené est que chascun sergent sera creu par serment ,
« des forés des prises que il sera, où il ne charra que
« amende pécuniaire. » Nous venons de voir qu'à cette
époque les déclarations des sergents se faisaient verbalement
en justice , sous la foi du serment. Cette institution a reçu
plus tard de grands développements , et la faculté d'en être
crus jusqu'à inscription de faux a été accordée à im assez
grand nombre d'ofBciers. D'autres ont reçu seulement le
pouvoir de dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à
preuve contraire. « Nul ne sera admis, à peine de nullité »,
dit l'article 154 du Code d'instruction, « à faire preuve par
« témoins outre ou contre le contenu aux procès-verbaux
<i ou rapports des officiers de police ayant reçu de la loi le
« pouvoir de constater les délits ou les contraventions jus-
« qu'à inscription de faux. Quant aux procès- verbaux ou
u rapports faits par des agents, préposés ou officiers aux-
« quels la loi n'a pas accordé le droit d'en être crus jusqu'à
« inscription de faux , ils pourront être débattus par des
«preuves contraires, soit écrites, soit testimoniales, si le
« tribunal juge à propos de les admettre. »
579. Des doutes ont été émis (voy. M. Faustin Hélie,
IrMr. crim.y tom. III, § 1365) sur la valeur du système
* Ce fat sous ce règne que le parlement deyint sédeotaire et que l'admi-
nistration , alors intimement liée à la justice , commença à se constituer
sons des formes régulières.
158 pftocftft-vEUBAtnt.
qui investit d'au ponvoir anssi exorbitant des employés
souvent fort subalternes, tels que les portiers^consignes des
places de guerre. Il est certain que la législation sur celte
matière, composée d'une foule de lois spéciales rendues &
des époques différentes, est loin d'être coordonnée d'une
manière satisfaisante, et qu'il est impossible de détermi-
ner avec précision k quels caractères on recmnaitra si on
procès-verbal fait foi jusqu'à inscription de faux on seule-
ment jusqu'à preuve contraire. Mais, tout en faisant des
vœux pour l'amélioration et la simplification de cette légis'
lation spéciale, nous ne saurions considérer comme une
pure tradition de l'ancienne jurisprudence le principe qui
accorde aux procès-verbaux revêtus de certaines garanties
la même foi qui s'attache aux actes notariés. Les motifs tirés
de la nature fugitive des contraventions ainsi constatées
(n* 577 J, le peu de chance d'erreur que présente générale^
ment le caractère tout matériel des faits relatés dans les
procès-verbaux, le peu d'intérêt qu'a l'agent à altérer la
vérité dans son rapport , eu égard aux peines sévères aux-^
quelles l'expose la peine de faux, ce sont là autant de graves
considérations qui n'ont rien perdu de leur force dans le
droit moderne. Disons-le, pour rendre hommage à la vé^
rite , il y a moins de faux commis par les gardes forestiers
que par les notaires : les procès-verbaux mensongers sont
chose rare dans la pratique. Nous verrons de plus que les
lois spéciales ont établi de sages précautions pour garantir
la sincérité de ces actes. Les abus de cette institution sont
donc peu à craindre en fait. Les heureux effets, au con-
traire , en sont extrêmement sensibles. La statistique atteste
une diminution constante des délits spéciaux, et notam^^
ment des délits forestiers ' . L'affaiblissement de moyens de
* Malgré Paugraentfltion générale des délits correctionnels, la stati2(tlqii6
atteste une diminution très-sensible des délits forestiers. î\ est rrai qae là
répreâftion qai produisent d'aossi importants résaltats ne
nous parait donc ni safflsamment motivé, m surtoat op*
portun.
580. Nons parlerons d'abord des conditions exigées
pour la validité des procès-verbaux, et, en second lien, de
la foi qui s*y attache.
a 4. coubitiohs i^shtibllis poua lâ. vaubitA
DES PROCÈS-VERBAUX.
SOHXAIBE. — S8I. Règles générales sor la rédaction des procès-yerbaoï. — usa. Compé-
teace de Tofficier. ^ 5M. Effet de la parenté et de l'alliajioe sor la foi de l'acte. — SS4«
Cas où il fant deux agents. -- 585. Délais pour la rédaction. — 586. Écriture et signa-
ture. — S87. Mentloa des formalités requises. — 188. AlSmattott ee justice. •— 5iM.
MentioD de la date. — 590. Enregistrement. — 594. Admissibilité de l'aveu, i défaut
de proeès-TerteL — Ma. Pe«t-on sUèguer la forte majeare poitr l'inobservation det
formes?
581. Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans le détail
des nombreuses formalités prescrites par les lois spéciales
sur les procès-verbaux. Mais nous allons signaler les règles
générales dont l'observation est requise dans ces actes , ou
du moins dans presque tous ces actes, et qui servent de
garantie contre les abus que pourrait entraîner l'importante
prérogative attribuée à certains officiers*
582. La première condition requise pour la validité des
procès-verbaux, c'est qu'ils aient été dressés par un officier
public compétente Ainsi un arrêt de cassation du 22 avril
loi du 18 juin 1859, en autoriBant les transactions, a beanconp contribué
k ee dernier réraltat. Pour se rendre compte anjonrd'hui dn monyement
de la criminalité , il (aut ajouter le chiffre des transactions à celui de»
poursuites. Ainsi, la statistique de 1868 offre une augmentation apparente,
s l'on s'attache aux poursuite» (11^782, ou lieu de 10,361), mais cette
augmentation est plus que compensée par la diminution du nombre dee
transactions. Au surplus, la diminution des poursuites s'est accentuée de
nonreau en 1S69« (9,028, au Uea de 11,783.) Blous ne parlons pas de
Tannée 1870 , trop exceptionnelle pour qu'il y ait lieu d'en relever la
statistique.
> Bien que les proeè»-Terbaux qui se rattachent à Phistniction prépara-
tolie n'aient pas la même autorité que les procès^verbaux dressés en matière
^éciale (n» 677), il importe de distinguer s'ils émanent, ou non, d'un offi-
cier compéteat. Lon donc que le ministère pubUe a fait procéder k une
160 PROGÈS-TERBÂUX.
1820 a déclaré nul un procès-verbal dans lequel un garde
champêtre avait constaté une contravention h la loi du I8110-
vembre 1814 sur la célébration des dimanches et fêtes :
contravention qui , d'après cette loi , doit être constatée par
les maires , adjoints ou commissaires de police. (Yoy. aussi
Rej., 1" avril 1854 et 17 février 1859.) De même les gardes
champêtres, les gendarmes, et en général les officiers de
police judiciaire chargés de constater les délits ruraux,
n'avaient point qualité pour verbaliser quant aux délits
commis dans les bois non soumis au régime forestier, avant
la loi du 18 juin 1859 (C. forest., nouv. art. 188), qui leur
a donné ce pouvoir dans l'intérêt de la conservation des
bois. La compétence des gardes forestiers, agents des con-
tributions indirectes, etc., n'embrasse, du reste, comme
celle des notaires , que le territoire pour lequel ils sont in-
stitués et assermentés.
Il est de jurisprudence constante que ces agents peuvent
dresser des procès-verbaux réguliers sans être revêtus de
leur costume. Néanmoins l'agent qui verbaliserait sans cos-
tume officiel courrait un grave danger-, car, k moins qu'il
ne fût bien établi que sa qualité était connue du délinquant,
s'il était en butte k quelque outrage ou k quelque voie de
fait , il ne pourrait invoquer les dispositions (G. pén. , art. 3S4
et suiv.) qui protègent le fonctionnaire dans l'exercice de
ses fonctions , puisque son caractère n'aurait pas été appa-
rent. C'est ce qu'a décidé un arrêt de rejet du 23 frimaire
an XIV, relativement k un commissaire de police qui s'était
trouvé par sa faute dans cette fâcheuse position.
883. Dans le silence des lois spéciales, on ne peut
coDStatation en dehors da cas de flagrant délit ou de réquisition d*an chef
de maison (0. d%str., art. 32 et 46), le procès-yerbal dressé en Tertu d^une
pareille réquisition ne peut être joint à la procédure comme acte d'instruc-
tion, mais comme simple renseignement. (Rej., 19 avril 1855.)
PROCÈS-VERBAUX. 161
étendre mx agents qui dressent les procès-verbaux , ni les
motifs d'exclusion ou de reproche qui concernent les té-*
moins , ni les motifs de récusation qui s'appliquent aux
jages. La Cour de cassation a donc fait une stricte mais
exacte application du droit positif, en déclarant valables des
procès-verbaux dressés par le beau-frère et même par le
frère des prévenus. (Cass., 7 novembre 1817 et 18 octobre
1822.) Toutefois, suivant l'interprétation admise par les
mêmes arrêts, et qu'il convient d'étendre aux autres ma-
tières spéciales, la constatation des délits forestiers n'a
plus la même autorité lorsqu'elle est l'œuvre d'un agent
dont la position permet de suspecter l'impartialité. « Il ne
«sera admis», dit l'article 176 du Code forestier, con-
forme k la loi du 29 septembre 1791 (tit. IX, art. 13),
« aucune preuve outre ou contre le contenu des procès-ver-
« baux faisant foi jusqu'à inscription de faux, k moins qu'il
« n'existe une cause légale de rêctuation ' contre l'un des signa-
« taires. » En ce cas , il est possible que l'agent ait verba-
lisé d'une manière régulière, malgré les liens qui l'unis-
saient à l'inculpé , mais il n'a plus l'indépendance nécessaire
pour que ses déclarations soient crues jusqu'à inscription de
foux ^ son procès-verbal ne fait plus foi dès lors que jusqu'à
preuve contraire. Et puisque ne s'agit point ici d^annuler le
procès-verbal, mais d'en débattre la validité, on pourra ad-
mettre d'autres causes de reproches que celles qui sont
énoncées par la loi» notamment l'intérêt personnel de l'agent.
(Rej., 7 novembre 1817 et 5 décembre 1834.)
S84. Les procès-verbaux peuvent habituellement être
dressés par un seul agent -, ceux qui sont de nature à entraî-
ner des condamnations d'une certaine gravité doivent être ré-
* Cesf-à-dire de reproche; car on garde forestier doit être assimilé à
m témoin ou à un expert (C de proc, art. 8i0), bien plutôt qu'à un Jugé.
II. ii
163 PROGÈS-VERBÀtX.
digés par deux personnes. C'est ainsi qae l'article 177 do
Code forestier exige la signature de deux agents ou gardes ,
pour que Tacte puisse faire foi jusqu'h inscription de faux^
si le délit peut amener une condamnation k plus de cent
francs, tant pour l'amende que pour les dommages et intérêts ^
il en est de même» k plus forte raison (Rej., 31 décembre
1819)) toutes les fois qu'il s'agit d'emprisonnement. De
même, la loi du 5 ventôse an XII (art. 84) exige la signa-
ture de deux employés de la régie pour que les procès*ver-
baux en matière de contributions indirectes fassent foi jus-^
qu'k inscription de faux. Enfin, en matière de douanes, la
même autorité est accordée aux actes par lesquels deux
préposés ou autre$ citoyeni français (loi du 9 floréal an VU,
tit. IV, art. 1 ) constatent les contraventions aux lois rela-
tives aux importations, exportations et circulations prohi-
bées, dans toute l'étendue du rayon frontière \ On voit que
la répression de cette dernière nature d'infractions est con-
sidérée comme tellement urgente, qu'on investit momenta-
nément de simples particuliers d'un caractère public, afin
de pouvoir les constater officiellement.
58tt. Il importe k l'autorité morale du procès-verbal qu'il
soit rédigé incontinent après la perpétration du délit. Aussi
l'ancien droit voulait-il que la rédaction eût lieu dans un bref
délai, et notamment en matière forestière (Ord. de 1669,
tit. X, art. 9), le rapport devait avoir lieu deux jours au plus
tard après le délU commis. Nos lois modernes ont également
établi de brefs délais pour la rédaction des procès-verbaux.
Ce délai est fixé k trois jours pour les contraventions pré-
vues par le Code d'instruction criminelle (art. 15, 18 et 20),
et il est plus restreint encore aux termes de plusieurs lois
* Rayon qui est de deux myriamètres , à partir de la frontière , et qui
peut même être étendu par le gouyernement jusqu^à deui myriamètrea et
demi. (Loi sur les douanes du 28 ayrll 1816 , art. 86.)
PR0CÈ6-VRRBÂDX. 163
spéciales. Malheureusement, dans une des matières où la
prompte rédaction offre le plus d'intérêt, en ce qui touche
les délits forestiers, le Code forestier, infidèle aux traditions
de 1669, garde le silence-, et la Cour de cassation a dû re-
connaître valable (Gass., H janvier 1850) un procès*verbal
dressé trente-six jours après la perpétration des faits y con-
statés. Une pareille irrégularité appelle sans doute une
répression admiuistrative , l'article 181 de l'ordonnance
d'exécution du Gode forestier prescrivant aux agents de
dresser iour par jour les procès-verbaux des délits et contra-
ventions-, mais une nullité prononcée par la loi offrirait plus
de garantie aux intéressés. De même , si la loi du 6 octobre
1791 (sect. 8, tit VII, art. 1*') rend le garde champêtre
responsable du dommage dont il a négligé de faire le rap-
port dans les vingt-quatre heures, elle ne prononce point de
nullité. (Cass., 27 avril 1860.)
586. Quant aux formes du procès-verbal, il convient,
pour en garantir la sincérité, qu'il soit écrit de la main de
Tofficier qui en est l'auteur» Mais la loi ne l'exige pas tou-
jours, lors même qu'elle pose en principe, ainsi qu'elle le
&it pour les gardes forestiers (G. forest., art. 165), que
l'agent doit rédiger lui-même son rapport, sauf empêche^
ment; l'empêchement s'entend non-seulement d'un obstacle
accidentel « mais même de l'impossibilité permanente résul-
tant de ce que le garde ne sait pas écrire. (Gass., 18 juin
1829.) Néanmoins , on ne saurait justifier de l'empêchement
en invoquant des preuves en dehors du rapport lui-même ;
l'impossibilité de remplir la formalité doit y être mentionnée
à peine de nullité. (Gass., 2 octobre 1846.) Dans tous les
cas, le rapport doit être signé par l'agent, sauf dispense
spéciale , comme celle qui est établie par la loi du 6 oc-
tobre 1791 (Ut. I, sect. 7, art. 6) en faveur des gardes
champêtres : ces gardes, ne sachant pas toujours écrire et
il.
164 PROGÈS-VBRBÀUX.
étant souvent hors d'état de rédiger un procès-verbal régu-
lier, peuvent se contenter de faire leur déclaration devant le
juge de paix ou devant les officiers de police désignés par
l'article 11 du Code d'instruction criminelle, lesquels sont
alors chargés de la rédaction du rapport. C'est ainsi que
ceux qui admettent une femme ou un mineur aux fonctions
d'expert , pensent que le rapport doit alors être rédigé par
le greffier de la justice de paix. (NM14. )
887. Tout procès-verbal doit emporter avec lui la preuve
de sa validité. Les formalités non mentionnées sont dès iors
présumées avoir été omises. (Arr. deCass. , du 29 mars 1810.)
Ici le législateur, ainsi qu'il le fait en général pour les actes
authentiques , a mis l'officier qui voudrait prévariquer dans
l'alternative de commettre un faux ou une nullité. (C. forest.,
art. 165.)
Il n'y avait aucun motif non plus pour distinguer entre
les matières criminelles et les matières civiles, quant a la
nullité des ratures, surcharges et interlignes non approuvées.
L'application qui est faite de cette règle (C. d'inst. , art. 78)
au procès-verbal d'information dressé par le juge d'instruc-
tion, a paru si raisonnable qu'on est d'accord pour l'étendre
aux procès-verbaux de toute nature. Mais la Cour de cassa-
tion (Cass., 23 juillet 1824) restreint avec raison au procès-
verbal d'information la règle qui exige , pour les ratures et
renvois, une approbation avec signatures; le parafe, qui
suffit pour les actes notariés, doit suffire pour tous les cas
où un texte formel n'exige pas davantage.
588. Presque tous ceux de ces actes qui font foi jusqu'à
inscription de faux sont soumis, dans un délai qui est ordi-
nairement de vingt-quatre heures, à l'affirmation en justice.
Cette formalité n'est que la reproduction, sous un autre nom,
du serment qui autrefois (Ord. de 1319) constituait a lui seul
toute la solennité, la déclaration étant verbale. Aujourd'hui
PROCftChYEBBAUX. 165
le serment est une garantie additionnelle, mais une garantie
sérieuse; la nécessité de se présenter k bref délai devant un
juge, pour réitérer son témoignage, appelle l'attention de
l'agent sur la gravité de la mission qui lui est confiée. Les
termes qui constatent cette affirmation ne sont point sacra-
mentels, mais il faut qu'on puisse en induire une préstation
de serment. S'il est seulement dit que le rédacteur persiste
dans le procès-verbal , qu'il en confirme le contenu , qu'il le
déclare sincère et véritable, il y aura nullité , toujours d'après
le principe qu'une formalité qui n'est pas constatée est
censée omise. (Rej., 29 février et 20 mars 18i2.) Du reste,
l'aifirmation est le complément du procès-verbal, et on décide
ayec raison (Rej., 1" avril 1830; 20 novembre 1863) que,
si la signature est nécessaire pour la validité de l'acte affirmé,
•
l'acte d'affirmation doit être signé lui-même, k peine de
oallité, par l'agent, aussi bien que par le magistrat qui reçoit
l'affirmation. Cette décision, qui n'avait point prévalu tout
d'abord , est consacrée pour la vérification des poids et me-
sures par l'ordonnance du 17 avril 1839 (art. 1*') : « L'affir-
« mation est signée tant par les maires et adjoints que par
« les vérificateurs. »
589. Dans les matières spéciales , la mention de la date
du procès-verbal est exigée k peine de nullité, soit que la loi
prescrive expressément cette mention, ainsi que le fait en
matière de douanes la loi du 9 floréal an Vil (tit TV, art. 3),
soit que la date du procès-verbal soit le point de départ du
délai prescrit pour l'observation d'une formalité essentielle,
comme en matière forestière , où l'affirmation doit avoir
lieu au plus tard le lendemain de la clôture du procès-verbal.
(G. forest., art. 165.) Mais dans les matières ordinaires, la
date, bien qu'il soit toujours fort utile de ne point l'omettre,
n'étant pas mentionnée par le Code d'instruction (art. 11
et 16), n'est point essentielle k la validité du procès-verbal.
166 PROCiS-TEttBAUX.
K la différence des matières civiles, où l'aaibenticitë suppose
la mention de la date. (Loi da25 ventôse an XT, art. 12 et 68.)
590. Quant k l'enregistrement, les lois spéciales n'en font
expressément une condition de validité des procès-verbaux
qu'en matière de douanes , en matière forestière , de pèche
fluviale et de roulage. La Cour de cassation appliquait d'abord
cette règle à tous les procès -verbaux qui font foi jusqu'à
inscription de faux, et ne considérait, par conséquent, Ten-
registrement comme une mesure purement fiscale qu'k
l'égard des procès-verbaux qui ne font foi que jusqu'à preuve
contraire. Mais les meilleurs esprits se sont accordés pour
repousser cette distinction comme arbitraire. Si l'article 34
de la loi du 22 frimaire an Vil, qui déclare nul l'exploit ou
le procès-verbal qu'un huissier ou autre officier n'aurait pas
fait enregistrer dans un certain délai, est applicable aux
procès -verbaux en matière spéciale, tout procès-verbal,
quelle qu'en soit la foi, est soumis k l'enregistrement, k
peine de nullité. Si, au contraire, il faut restreindre cette
disposition aux procès-verbaux dressés dans un intérêt privé,
ainsi que parait le décider l'article 47 de la même loi , qui
défend aux juges et aux administrations de rendre aucune
décision en vertu d'actes non enregistrés en faveur des parti'
culiers, il faut dire que, partout où l'enregistrement n'est
pas formellement prescrit k peine de nullité, on ne doit y
voir qu'une mesure purement fiscale; et c'est en ce sens
que s'est définitivement prononcée la Cour suprême. (Cass.,
4 janvier 1834, 31 mars 1848, et 10 avril 1865.)
891. Les nullités des procès-verbaux ne doivent pas être
comparées k des nullités d'exploits. Elles ne se couvrent
point par le silence des parties in limine Utîs, et on peut s'en
prévaloir pour la première fois soit en appel, soit même
devant la Cour de cassation. (Cass., 25 octobre 1824.) Au
surplus, la question de nullité ne présente d'intérêt que
PROCiS-VBRBAUl. 167
lorsque la condamnation se base uniquement sur le procès--
▼erbal. C'est ce qui arrive toujours dans certaines matières,
telles que les douanes et les contributions indirectes, où,
aiosi que nous l'avons vu (n"" 236), le procès-verbal est la
base nécessaire des poursuites. Mais , dans la plupart des
cas (C. d'inst., art. 154), d'autres preuves sont admissibles,
et la condamnation peut être maintenue malgré l'annula-
tion du procès^-verbal. Nul doute dès lors qu'on ne soit rece^
vable , en général , k prouver par témoins les délits spéciaux
en l'absence d'un procès-verbal régulier, comme en l'absence
de tout procès-verbal. Mais faut-il excepter le cas où il y a
simplement aveu de la part du prévenu? On l'a soutenu, en
prétendant, d'après l'ancienne jurisprudence, que l'aveu peut
établir la culpabilité, mais jamais le corps du délit. Nous
ne pouvons que nous référer h ce que nous avons dit k cet
égard , lorsqu'en traitant de Taveu nou3 avons invoqué les
principes modernes sur la preuve pour repousser, avec la
jurisprudence de la Cour de cassation ' , cette application de
l'ancienne théorie des preuves légales. (N* 365.) La consta-
tation d'un corps de délit est ici moins nécessaire que par-
tout ailleurs, en présence d'une confession formelle. Les
aveux mensongers, déjk rares en matière ordinaire, sont
moralement impossibles en matière fiscale, en matière fores-
tière, etc. Les motifs extraordinaires qui ont pu quelquefois,
dans les afiaires de grand criminel , amener des déclarations
fausses, sont bien difficiles à supposer lorsqu'il s'agit de
délits qui n'attirent pas l'attention publique, et qui ne
peuvent donner lieu qu'à des peines de peu d'importance.
* C^eflt mal à propoB qn^on invoque en faveur de l'opinion opposée un
arrêt de rejet du 16 avril 1835 , où il est dit que Taveu, ^oin^ atix autres
faits matériels constatés par le procès-verbal, ne laissait point de doute
sur la contravention. Cet arrêt constate que, dans Tespèce, il y avait
d^antres preuves que l'aveu : oe qui ne veut pas dire que l'aveu n'eût pu
suffire. (Voy. les arrêts dtés, n« 365.)
168 PROCiS- VERBAUX.
C'est donc ici le cas d'admettre , avec les anciens docteurs,
que l'aveu est la meilleure des preuves, probatio probatissma.
(Cass., 15 octobre 1853 et 18 mars 1854.)
592. Il est certain que le prévenu ne peut arguer des
vices de forme, lorsque c'est son propre fait qui a amené
l'irrégularité dont il se plaint, par exemple, si c'est sa résis-
tance qui a empêché de dresser un procès-verbal régulier.
(Rej., 8 mars 1821.) Mais ce qui est beaucoup plus douteux,
c^est qu'on puisse considérer, ainsi qu'on le fait dans la pra-
tique (Gass., 12 juillet 1834), l'inobservation des formes
comme provenant d'une force majeure, lorsque Tofficier
s'est trouvé empêché de les accomplir, notamment d'affirmer
dans les vingt-quatre heures, par un ordre administratif qui
l'appelait dans un autre lieu. Sans doute, cette circonstance
doit suffire pour mettre k couvert sa responsabilité, puisqu'il
était tenu d'obéir. Mais qu'importe au prévenu cette néces-
sité administrative, plus ou moins réelle, qui a exigé un dé-
placement immédiat de l'agent? La loi n'en a pas moins été
violée k son égard. On devra donc annuler le procès-verbal,
sauf la responsabilité du fonctionnaire dont les injonctions
ont occasionné cette nullité. (Yoy. G. pén., art. 114.)
S 9. FOI DBS PAOCBS-VimBAlIX*
SOMM AIRB. — 593. Toiit procès-Ycrbal ne fait poiut foi jnsqa'ii inscription de faux. — 894.
Division de la matière. — S98. Foi des procès-verbanx bornée aux fitits matériels.
^«96. Exclusion des délits communs. — S97. Faits qae l'ofacier n'établit que par indoc
Uon. — 598. Aveux. — 599. Quelles ffrewet contraires peuvent être administrées. —
eoo. Pouvoir du tribunal pour i'admission de ces preuves. — 604. Procés-verbaux qui
ne valent que comme simples renseignements.
595. Suivant le projet de Gode d'instruction criminelle,
tout procès-verbal rédigé par un officier de police faisait foi
jusqu'à inscription de faux. Mais on fit observer, au Conseil
d*État, que des formalités aussi graves que celles de l'inscrip-
tion de faux ne sont point proportionnées aux délits légers
PROCiS-TBRBAUZ. 169
dont connait le tribunal de police-, qu'attribuer dans tous
les cas une pareille autorité k la déclaration d'un simple
agent, ce serait lui donner plus de pouvoir qu'aux juges,
dont les procès- verbaux ne font point foi en justice s'ils ne
sont signés du greffier. On posa dès lors en principe qu'une
pareille foi ne serait attribuée qu'aux rapports des officiers
ayant reçu spécialement de la loi le pouvoir de constater les
délits ou les contraventions jusqu'à inscription de faux. Et
ce pouvoir n'est point mesuré, comme on pourrait le croire,
sur la position hiérarchique des officiers, puisque cette pré*
rogative n'appartient point (n"" 577) aux procès -verbaux
dressés par le juge d'instruction. Cela tient uniquement au
caractère fugitif des infractions , en matière forestière , en
matière de douanes, etc., qui n'admettent guère d'autre
preuve que celle des procès-verbaux.
584. Nous allons examiner d'abord ce que prouvent en
général les procès-verbaux, qu'ils soient ou non susceptibles
d'être combattus par la preuve contraire. Puis nous verrons
ce quMI faut entendre par cette preuve contraire , dans les
cas où elle est admissible. Quant k l'inscription de faux,
elle doit faire l'objet de la section suivante.
S9S, Le principe fondamental sur la foi des procès-
verbaux, principe en harmonie avec ce qui a été établi pour
l'authenticité en général , c'est qu'ils ne prouvent que les
faits matériels relatifs aux délits et contraventions quHls constatent.
Telles sont les expressions de l'article 176 du Code fores-
tier, qu'on retrouve dans l'article 53 de la loi sur la pèche
fluviale : expressions qu'a introduites dans ce Code la com-
mission de la Chambre des députés, afin de consacrer offi-
ciellement une doctrine déjà reçue dans la pratique, et com-
mune du reste à tous les procès-verbaux : a Cet article 176
du projet » , dit dans son rapport M. Favard de Langlade,
« attribue k certains procès -verbaux réguliers l'effet de
170 PROGÈS-TEMACX.
(c faire foi jusqu'à inscription de faux des faits relatifs aux
<c délits et contraventions qu'ils constatent. Cette disposition
« nous a semblé trop générale-, elle pourrait faire croire
« qu'aucune preuve n'est admise contre une déclaration
« quelconque consignée dans un procès-verbal, tandis qu'elle
« ne doit s'appliquer qu'à la maténcdité du délit ou de la con^
« travention. Vous sentirez , Messieurs , combien il serait
« dangereux d'admettre que des énonciations relatives k des
« injures , à des violences ou k toute autre circonstance ,
(( pussent interdire au prévenu la faculté d'administrer la
« preuve contraire. Pour lever toute espèce de doute sur ce
ff point, nous proposons de dire dans l'article : faits matériels.
« Celte addition est conforme k une jurisprudence consacrée
« par la Cour de cassation. »
Ce principe n'est pas contesté, mais il donne matière a de
sérieuses difficultés dans l'application. Que faut-il entendre
par /ai/< matérieU?
896. Il est d'abord évident que ces faits doivent avoir
directement trait au délit ou k la contravention. C'est ainsi
que M. Favard de Langlade, d'accord avec une jurisprudence
constante, exclut les énonciations relatives k des injures, k
des violences. Ce sont Ik des délits communs, que l'agent
n'a plus aucun pouvoir spécial pour constater.
597. Pour le délit même dont la preuve rentre dans
l'exercice de ses fonctions, la matérialité seule se trouve
légalement établie. Le rédacteur ne mérite donc confiance,
ainsi qu'un notaire, que pour les faits qu'il a perçus pfoprtis
sensibus, et non lorsqu'il se livre k des inductions plus ou
moins hasardées. C'est ainsi qu'un arrêt de rejet du 30 mai
1831 a reconnu qu'on était reçu k prouver, sans s'inscrire
en faux, l'origine française d'un cheval saisi dans le rayon-
frontière, bien que les préposés affirmassent, dans leur rap-
port, qu'il provenait de l'étranger. C'était Ik une question
PltOCiS-VERBÀTIX. 171
d'identité, qui ne pouvait être résolue li ia simple inspection
de Tobjel en litige. Une décision plus significative encore,
c'est un arrêt du !•' mars 1822, par lequel la même Cour
déclare qu'un procès-verbal qui constate la saisie, au domi-
cile d'un pêcheur, d'un filet prohibé , encore mouillé , ne
peut établir qu'on s'en soit servi pour la pêche. Toujours
dans le même esprit, la Cour de cassation refuse k un com-
missaire de police le pouvoir de constater que des eaux jetées
sur la voie publique sont insalubres, mais elle lui permet
d'établir qu'elles sont infectes-, cette dernière qualité pou-
vant s'apprécier directement par les sens, tandis que la
seconde exige l'examen des gens de l'art. (Compar. les arr.
du 27 aoftt 1825 et du 17 juin 1832.) Enfin, l'asserlion des
préposés des douanes qui, après avoir saisi un b&timent
chaîné de contrebande, dont le propriétaire alléguait s'être
approché de la côte par force majeure', affirmaient que le
temps était au contraire favorable pour tenir le large, a été
jugée n'être qu'une simple induction, k laquelle on peut
directement opposer la preuve contraire. (Rej., 28 jan-
vier 1851.)
La jurisprudence, il est vrai, ne s'est pas toujours aussi
strictement renfermée dans le principe que l'agent ne peut
constater que les faits matériels qu'il a actuellement sous
les yeux. On peut critiquer un arrêt de la même Cour du
14 janvier 1830, qui admet qu'un procès- verbal peut faire
foi d'un fait déjk ancien , notamment du fait que tel terrain
était précédemment en nature de bois. Mais d'autres déci-
sions nous semblent mal k propos critiquées par les auteurs
' L*aU<^gation de la force majeure est toujours recerable même contre un
procès-verbal faisant foi jusqu'à inscription de faux. C'est là expliquer les
faits, et non les dénier, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (Rej.,
U juillet t850) dans l'espèce assez curieuse de l'introduction dans une
ferme du Luc, par un temps d'orage, de cinquante-huit moutons sujets au
droit d'octroi*
172 PROGÈS-YERBÀDX.
qui ont écrit sur les procès-verbaux. Ces auteurs nous pa-
raissent s'être attachés trop strictement k l'idée de fahi ma-^
tériels. Lorsqu'il s'agit de points sur lesquels les agents pos-
sèdent des connaissances spéciales, c'est avec raison,
suivant nous, qu'on s^en rapporte k leur témoignage, non-
seulement quant aux apparences grossières, mais même
quant aux qualités moins évidentes , de nature toutefois à
pouvoir être appréciées par des personnes expertes. Rien
d'exorbitant dès lors k ce qu'on ne puisse , sans prendre la
voie de l'inscription de faux, soutenir qu'une boisson saisie,
comme étant du vin, par les employés des contributions
indirectes, n'était que de l'eau jetée sur des mûres-, ou
bien que la chaudière saisie chez un brasseur, comme
propre k la fabrication de la bière, n'était pas réellement
propre k cet usage. (Yoy. les arr. de la Cour de cassation
du SI novembre 1817 et du 15 juillet 1826.) A quoi servi-
rait, dans le système opposé, l'institution d'agents ayant
des connaissances toutes particulières, si, en pareille cir-
constance, ils devaient se borner k constater l'existence
d'un liquide de couleur rougeàtre, ou bien d'une chaudière
quelconque? On ne doit pas sortir des faits, sans doute;
mais , pour que le rapport soit utile , il faut bien qu'il carac-
térise les faits , pourvu qu'en les caractérisant il ne s'écarte
pas des données fournies par l'expérimentation directe.
Cette expérimentation, après tout, n'est pas celle du pre-
mier venu, mais celle de gens ayant des lumières spéciales.
(Voy. aussi Cass., 12 février 1847.) Il en est autrement, et
tout le monde est d'accord sur ce point, si l'officier n'ap-
puie son témoignage que sur la notoriété publique. Il n'a
pas qualité pour constater cette prétendue notoriété , et fût-
elle constatée, ce ne serait point une preuve légale, mais
une présomption vague , qu'il serait permis de combattre
par tous les moyens possibles. « Les procès- verbaux », dit
PROGÈS-TEBBAUX. i73
la Cour de cassation (arr. da 13 avril 1861 ), « ne sont que
Il de simples rapports dont Tappréciation est abandonnée à
« la conscience des juges, lorsque les agents qui les ont
« rédigés n'ont été témoins de rien et n'ont fait qu'y con-
« signer les renseignements par eux recueillis. »
598. On se demande enfin si Ton peut faire rentrer dans
les faits matériels les aveux et déclarations des prévenus.
Des auteurs graves (M. F. Hélîe, tom. III, § 145) sou-
tiennent la négative. Ils pensent que les faits externes, qui
laissent des traces sensibles , peuvent seuls être établis par
procès-verbal , k l'exclusion des aveux, qui, ne laissant au-
cune trace de cette nature , tendent à prouver le délit , mais
ne le constituent point. Néanmoins la jurisprudence de la
Cour de cassation (voy. notamment un arrêt rendu, cbam-
bres réunies, le 6 août 1834) s'est prononcée dans le sens
de l'affirmative, qui nous semble plus fondée. La restriction
de la foi de l'acte aux faits matériels a pour but de repous-
ser des inductions puisées ailleurs que dans l'expérience
personnelle du fonctionnaire , mais non de borner l'autorité
de ce fonctionnaire k quelques-uns seulement des faits qu'il
perçoit dans l'exercice de ses fonctions. « On doit entendre
« par faits matériels )>, dit fort bien M. Mangin {Procès-ver-
baux, n* 32) , « tous ceux qui frappent les organes-, or, com-
0 ment établir une distinction entre les faits qui frappent tel
a organe des employés plutôt que tel autre, et ne pas ajou-
« ter foi k ce qu'ils disent avoir entendu aussi bien qu'k ce
« qu'ils disent avoir vu? » Seulement, il ne faut pas oublier
que l'aveu du délit n'est pas le délit même, et l'on sera
toujours reçu a établir que cet aveu n'a été que le résultat
de la surprise ou de Terreur. Aussi est-ce bien mal k propos
qu'on a signalé comme une inconséquence dans la doctrine
de la Cour suprême , la règle posée par un arrêt de cassa-
tion du 30 juillet 1835, suivant lequel la réalité seule de
174 PROCà&-yBRBÀCX.
l'aveu est établie jusqu'à inscription de faux, la sincérité
pouvant toujours en être débattue par la preuve contraire.
Ce n'est la que l'application pure et simple des principes
élémentaires sur l'authenticité, la constatation légale ne
portant jamais que sur les faits dont l'officier public a per-
sonnellement connaissance.
599. Il nous reste maintenant k examiner quelles sont
les preuves que Ton peut administrer contre les procès-ver-
baux qui ne font pas foi jusqu'à inscription de faux. La diffi-
culté ne parait pas sérieuse au premier coup d'œil. Habi-
tuellement, toutes les fois que tel ou tel document, tel ou
tel témoignage admet la preuve contraire, cette preuve, si
on ne se trouve pas dans un cas d'exclusion de la preuve
testimoniale , peut se faire par tous les moyens propres k
convaincre l'esprit du juge. La justification de la non-culpa-
bililé du prévenu n'est donc soumise, de droit commun, b
aucune condition restrictive. Sans doute, on le décide avec
raison , la simple dénégation du prévenu ne doit pas être
considérée comme une preuve contraire. De même , pas plus
ici qu'ailleurs, la conviction du juge ne saurait se former
d'après les éléments pris en dehors des débats. Mais ne faut-
il pas aller plus loin et s'attacher à ces expressions de l'ar-
ticle 154 du Code d'instruction : « Ils pourront être débattus
« par des preuves contraires, soit écrites, soU testimoniales f
« si le tribunal juge à propos de les admettre? i» Nous avions
pensé d'abord, avec plusieurs auteurs, qu'en signalant la
preuve écrite et la preuve testimoniale, cette disposition
n'était point limitative, et devait s'entendre de toute espèce
de preuve, comme l'article 46 du Code civil et bien d'autres
articles de nos lois , qui , en permettant de prouver tant pat
titres que par témoins, n^en tendent point exclure les preuves
d'une autre nature. Mais , en y réfléchissant plus mûrement,
nous avons reconnu , avec la jurisprudence de la Cour de
PROCÈS-VERBAUX. 178
cassation et avec les auteurs spéciaux, qu'ici le procès-
Yerbal a le caractère d'une preuve légale , susceptible seule-
ment d'être combattue par des moyens déterminés, dont
l'appréciation écbappe à l'arbitraire du juge. On ne saurait
donc invoquer le droit commun , qui , comme nous le ver*
rons , met les présomptions sur la même ligne que la preuve
testimoniale ' , et qui considère les tribunaux de police
comme une sorte de jury quant k l'appréciation des faits.
n est dans l'esprit de la législation spéciale de ne s'attacher
ni aux dénégations du prévenu, ni k la notoriété publique,
ni aux notions personnelles (voy. n"" 102) que pourrait avoir
le juge (Cour de cass., arr. des 15 juillet 1820, 17 dé-
cembre 1824, 24 juillet 1835 el 9 août 1838) , lors même
que ces notions ne seraient point extrajudiciaires. (Cass.,
7 décembre 1855.) On ne saurait, en effet, permettre au
juge de substituer une appréciation personnelle à la preuve
résultant d'un procès-verbal, non combattu par des preuves
écrites ou testimoniales, sans retomber dans le système des
présomptions abandonnées aux lumières et k la prudence
du magistrat (Cod. civ., art. 1353)*, et c'est précisément ce
que Ton a voulu éviter. (Cass., 2 juin 1864 et 21 mars 1865.)
Néanmoins la jurisprudence, en écartant de simples ren-
seignements ou certificats, admet comme preuve contraire
légale le rapport d'experts dûment assermentés et la visite
des lieux régulièrement opérée par le juge. Ce sont Ik des
témoignages lato sensu, (Arr. du 1*' juin 1844 et du 12 jan-
vier 1856.) Dans tous les cas, le juge doit, k peine de nul*
lité (Cass., 26 mars 1858), indiquer nettement en quoi la
' On inTCMiae souTent en ce sens un arrêt de cassation du 5 janvier 1810,
d'où il résulterait qu^une présomption de droit ne peut être détruite par des
présomptions simples. Cette doctrine, dans sa généralité, est erronée ; mais,
<inoi qu'il en soit , cet arrêt est étranger à Tinterprétation de Pàrticle 1S4
du Code d^instrncUon , puisqu'il statue sur une espèce régie par le droit
anUiiear.
176 PROGÈS-YEBBÀinL.
preuve administrée devant lai parait ébranler la foi due au
procès-verbal. (Voy. aussi Cass., 27 juillet 1872.)
Au surplus, puisque les procès-verbaux, lors même qu'ils
font foi jusqu'à inscription de faux , ne constatent que la
matérialité des faits (n"" 597), ce n'est point méconnaître la
foi du procès-verbal d'un commissaire de police, consta-
tant l'existence d'un amas d'eau stagnante, que de puiser
dans les documents du procès et les explications de l'in-
culpé les éléments de la conviction du juge sur l'origine et
la nature delà stagnation des eaux. (Rej., 25 juin 1869.)
600. L'article 144 ajoute, en parlant des preuves con-
traires, <i le tribufial Juge à propos de les admettre. Boitard
(Inst. crim., comment, sur cet art.) parait induire de Ik que
que l'on accorde ici plus spécialement au juge un pouvoir
indéfini pour admettre ou rejeter ces preuves. Mais, dans la
pratique (arr. du 17 février et du 23 septembre 1837), en
ce point parfaitement d'accord avec la doctrine générale sur
l'admissibilité de l'enquête, on n'entend ce pouvoir que de
la faculté de rejeter une preuve frustratoire , c'est-k-dire
l'allégation de faits qui ne seraient pas concluants (n"* 61),
absolument comme en matière civile. (C. de proc., art. 253
et 264. ) Il n'y a donc Ik rien d'arbitraire ni d'exceptionnel.
On a voulu seulement empêcher la chicane d'éterniser les
procès les plus simples, en sollicitant l'admission d'enquêtes
complètement inutiles, mais qu'il serait impossible au tri-
bunal de refuser. Nous avons interprété de la même ma-
nière (n"" 313) les expressions s'il y a lieu Aes articles 153
et 190. Ce qui n'est pas douteux, c'est que la preuve testi-
moniale, lorsqu'elle est admise, est soumise au droit com-
mun , et que dès lors un témoin , même unique , peut dé-
truire l'autorité du procès-verbal. (Rej., 11 décembre 1851.)
601. Il y a des procès-verbaux qui ne font pas même foi
jusqu'k preuve contraire. Ce sont ceux des agents ou appa-
ACTE AOTHENTIQUE AU GRUillfEL. 177
riteurs de police, des gendannes, dans les cas où ils u'ont
pas de délégation légale, ainsi que l'a jugé la Cour de cas-
sation, le 30 juin 1838 et le S8 septembre 1849-, des offi-
ciers publics qui n'ont pas mission pour constater les in-
fractions^ enfin, des officiers qui ont cette mission, mais
qni ont agi en dehors de leur mandat, ainsi que nous avons
TU qu'on l'a jugé pour le ministère public lui-même, le
i9 ayrii 18S5. De pareils procès-verbaux ne valent que
comme simples renseignements; habituellement le tribunal
entend le rédacteur, et ce témoignage supplée, suivant les
circonstances , au défaut d'autorité de son rapport.
DEUXIÈME DIVISION.
FOI DBS ACTES AUTHENTIQUES ORDINAIRES DEVANT LES TRIBUNAUX
, CRIMINELS.
SonuiBB. — <0S. ProdacUon A*actes authentiques aa crimlDel. — 603. Procès-verbaux
dressés par les greffiers des tribunaux criminels. — 604. Leur foi en matière de délits
d'audience. ~ 605. Droit du jury de connaître des actes, même authentiques.
002. La foi des actes authentiques, rédigés en la forme
ordinaire par les notaires ou par tous autres officiers pu-
blics, est évidemment la même au criminel qu'au civil. Et
en effet, le Code d'instruction (art. 458) trace la marche
k suivre, lorsque , dans le cours d'une procédure criminelle,
une pièce produite est arguée de faux : ce qui montre bien
qae l'inscription de faux est nécessaire en matière crimi-
nelle, lorsqu'on attaque un acte authentique. Sans doute
les points qui exigent le plus souvent une vérification de
titres, tels que ceux relatifs aux propriétés immobilières,
doivent être, ainsi que nous l'avons reconnu (n"" 227), ren-
voyés aux tribunaux civils. Mais, dans une foule de cir-
constances, des actes authentiques peuvent être produits
incidemment devant les juridictions criminelles , qui doivent
II. «
178 ACTE AUTHENTIQUE AU CEIlimEL.
se décider d'après leur autorité , tant qu'il n'y ait inscription
de faux.
603. Nous devons reproduire ici l'observation impor-
tante que nous avons faite sur le caractère restreint de la
foi qui s'attache il l'authenticité. Cette foi n'existe que dans
les limites de la compétence de Tofficier qui instrumenté.
Aussi le fait direct de l'infraction k la loi pénale sera-t^l ra-
rement constaté par un fonctionnaire de Tordre civil , tel
qu'un notaire. Ce fonctionnaire n'aura le plus souvent au-
cune qualité pour dresser acte d'un délit) pas plus qu'un
garde forestier n'aurait qualité pour rédiger un procès^ver*
bal destiné k prouver une transaction sur Taction civile.
Seulement, un notaire pourrait être appelé k donner l'au-
thenticité k un aveu -, mais alors ce qu'il attesterait vim et
auditu, ce ne serait pas le délit, mais Taveu du délit: aveu
dont on peut contester la sincérité et*la force sans prendre
la voie de l'inscription de faux. (N* 598.) Quelquefois ce-
pendant une infraction pourra se trouver directement et
officiellement établie par des actes notariés , notamment par
ceux qui constateraient des prêts usuraires. Quelque blâ-
mable que fût le notaire qui aurait prêté son ministère k de
pareilles conventions, il en aurait néanmoins dressé acte
dans Texercice de ses fonctions, et il y aurait lieu dès lors Si
l'application de la loi du 3 septembre 1807, k moins qu'on
ne prouv&t la fausseté du titre. Mais , dans la plupart des
cas , les actes authentiques serviront seulement k établir des
circonstances de nature k augmenter ou ii diminuer la peine ;
c^est ainsi qu'on prouvera par les actes de naissance l'âge
de l'accusé ou celui de la victime, quand l'âge pourra influer
sur la gravité du délit ou sur la nature de la condamnation.
604. Les greifiers des tribunaux criminels ont évidetn-
ment qualité pour constater, comme ceux des tribunaux
civils, l'accomplissement des formalités prescrites par la loi.
▲GTE AUTHENTIQUE AU CRIMINEL. 179
Le procès- verbal de la séance d'une Cour d'assises (G.
d'instr., art. 372) fait donc foi jusqu'à inscription de faux,
et, congae l'a jujgé la Cour de cassation, le 3 décembre
iStô, on ne peut en faire tomber les allégations autrement
que par cette roie, lors même que l'on se fonderait sur un
acte notarié. Bien plus, aucune preuve testimoniale n'est
admissible pour suppléer k cette constatation. Toute forma-^
lité dont l'existence n'est pas mentionnée , est présumée par
cela seul n'avoir pas été accomplie , sans qu'aucune preuve
contraire puisse être reçue. (Voy. notamment Cass., il sep-
tembre 1845 et 12 décembre 1851.) Ici encore l'authen-
ticité ne peut s'attacher qu'aux faits dont l'oiBcier a été
lui-même témoin. Ainsi, Tàge d'un témoin ne peut être
établi à l'aide de ce procès-verbal. L'authenticité ne peut
s'attacher davantage aux points que le grefQer n'a pas qua-
lité pour constater. Ainsi , la mention que telle chose a été
faîte conformément à tel article du Code itinBtruction erifàinelle,
ne peut être considérée que comme un renvoi fait à l'article
par le rédacteur du procès-verbal , mais nullement comme
la preuve que tout s'est passé conformément aux dispositions
de la loi.
Il est k remarquer, en ce qui concerne les procès-ver-
baux dressés par les greffiers des Ck)urs d'assises, que les
mentions relatives aux réponses des accusés ou aux dépo-
sitions ne sont pas simplement considérées comme non
avenues^ elles annulent (G. d'inst., art. 372) le procès*
verbal même, qui ne doit transmettre k la Cour de cassa-
tion aucune impression des débats , en dehors de l'accom-
plissement des formalités légales. C'est ce qu'a jugé un
arrêt de cassation du 14 mars 1856, relativement k la
simple mention que l'accusé avait protesté de son innocence.
Mais un aveu pourrait et devrait être constaté (Rej., 19 août
12.
180 ACTE AUTHENTIQITB AU CRimNEL.
1837), s'il était nécessaire de le mentionper afin de motiver
un arrêt incident.
Au surplus , le procès-verbal des débats n'est gf int as-
treint à des formalités rigoureuses. Ainsi, il n'est point
vicié par l'omission de la date, si Ton peut suppléer à
cette omission par les énonciations y relatées. (Rej. ,
19 juin 1828.)
Quelle que soit l'autorité du greffier, elle ne saurait pré-
valoir sur celle du président de la Ck>ur d'assises. Dès lors
on a jugé avec raison (Cass., 2 juillet 1835) que lorsque le
procès-verbal constate le doute du ffrésident sur l'observation
d'une formalité y mentionnée, la formalité doit être réputée
non accomplie. Il est plus douteux que l'attestation du pré-
sident suffise, lorsqu'elle n'est point corroborée par celle du
greffier, et que l'accomplissement d'une formalité essen-
tielle puisse résulter seulement de la pUîne et ferme
croyance du prérident ' , comme Ta jugé un arrêt de rejet da
30 novembre 1824. Enfin, il n'y a pas le moindre doute
dans le sens de la nullité, s'il y a contradiction entre la
déclaration du greffier et un arrêt de la Cour d'assises.
( Cass., 20 mars 1846; voy. aussi 18 mai 1865.)
604 bis. Il s'élève une question fort grave sur l'autorité du
procès-verbal d'un crime ou d'un délit commis à l'audience,
dressé par le greffier d'un tribunal criminel, ou même civil.
{Ibid,, art. 508.) Ce procès- verbal prouve-t-il le crime ou
le délit jusqu'à inscription de faux, bien qu'aucun texte ne
1 e mette au nombre des documents auxquels est attribuée
cette autorité? Merlin a soutenu l'affirmative, dans une af-
faire soumise k la Cour de cassation , le 31 décembre 1812.
I Ces qnesUons délicates ne pourraient s'élerer si la pratique n'autori-
sait point , dans le silence de la loi , la rédaction après un long intenralle
du procès-verbal des débats; c'est ainsi qu'elle a déclaré valable (Rej.,
21 mars 1836) un procès-yerbal rédigé après plus de vingt jours.
ACTB AUTBXHTIQUB AU CRIMOfEL. 481
n a pensé qu'on devait accorder la foi la plus entière au
procès-Terbal dressé par le greffier d'une Cour d'assises,
d'où il résultait que les magistrats avaient été insultés dans
l'exercice de leurs fonctions. L'espèce était favorable k cette
prétention , puisque les juridictions supérieures , telles que
les Cours d'assises, ont qualité, en pareille hypothèse, pour
juger sans désemparer, lors même qu'il s'agirait d'un
crime \ (Ibid., art. 506.) Dès lors, dit-on, la Cour avait au
moins qualité pour constater les faits , puisqu'elle aurait pu
frapper immédiatement l'accusé de la peine légale. Mais
autre chose est une vérification publique, k l'aide d'un dé*
bat contradictoire-, autre chose est la simple rédaction d'un
procès- verbal , que les parties intéressées ne sont pas ap-
pelées a contrôler. Remarquons qu'il peut s'agir de crimes ,
et qu'une condamnation capitale serait ainsi forcément en-
courue, sans que l'accusé eût été mis en demeure de s'ex-
pliquer sur les faits; car si le procès-verbal faisait foi
jusqu'à inscription de faux, la juridiction saisie de Taffaire
n'aurait plus quia appliquer la peine, et la prétendue modé-
ration de la Cour d'assises aboutirait à priver, en définitive ,
l'accusé de la faculté de se défendre , à moins de prendre la
Yoie périlleuse de l'inscription de faux. Aussi la Cour de
cassation n'a-t-elle pas admis la doctrine de Merlin-, elle
n'a considéré le procès-verbal dans l'espèce que comme
faisant foi jusqu'à preuve contraire. Ce n'est que lorsque le
rédacteur agit tout k fait en qualité de greffier, lorsqu'il
constate les opérations du tribunal auquel il est attaché,
que l'authenticité la plus complète doit s'attacher k son
témoignage. Cette solution est, du reste, parfaitement rai-
sonnable. Le greffier n'a pas la même certitude de l'exis-
* La facnlté de statuer ainsi sans désemparer, critiquée par plusieurs
crimiiiaUstes, a été supprimée, à Naples, par l'artiele S47 de la loi de
procédure pénale.
482 ACTE AOTHBNTIQinS AU GRIMIlfEL.
tence d'un-délit qai se passe peut-être k rextrémité de la
salle d'audience , que de raccomplissement des formalités
qui ont lieu sous ses yeux k la barre du tribunal.
605. Il nous reste k examiner une grave question de
compétence, en ce qui touche l'examen des actes authen-
tiques, produits devant une Cour d'assises. Est-ce aux
magistrats ou bien au jury qu'il convient d'en attribuer la
connaissance ? Bien qu'il ne s'agisse que d'établir un fait à
Taide de ces pièces, il faut avouer que le jury n'est guère
apte k la vérification des preuves légales, dont la validité
est subordonnée k l'existence de conditions toutes tech-
niques , et que sa véritable mission consiste k discuter les
témoignages et documents sur lesquels on peut se former
une conviction, indépendamment de tout principe de droit.
D'où la théorie professée par M. Rauter ( Traité de droit cri-
minel, n* 777), suivant laquelle le jury ne serait appelé k
connaître que des éléments matériels de l'accusation, k l'ex-
clusion des preuves préconstituées. Mais cette distinction
ne saurait se soutenir en présence de l'article 34i du Gode
d'instruction , qui prescrit la remise aux jurés des procès-
verbaux et des pièces en général : preuve évidente qu'ils
•
sont appelés k apprécier même des actes authentiques. La
scission d'ailleurs serait presque toujours impraticable, les
pièces et les témoignages concourant k opérer la conviction,
de manière k former un ensemble moralement indivisible.
Tout ce que Ton peut admettre, c'est que les questions pré-
judicielles qui touchent au droit civil seront de la compé-
tence exclusive de la Cour. C'est ainsi qu'une jurisprudence
aujourd'hui constante (Cass., 30 juin 1831) admet que les
magistrats seuls ont qualité pour décider, dans les ques-
tions de faux , si le faux a été ou non commis en écriture
publique. Cette jurisprudence est contestable, sans doute,
en présence de l'article 337 du Code d'instruction, qui
INSGRIPtION DE FAUX. 483
parait s^en remettre purement et simplement au jury sur la
question de savoir « si Taccusé est coupable de tel crime ,
« avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de
a l'acte d'accusation. » Mais, en supposant que rimpossibi-^
lité où se trouve le jury de statuer sur des questions de pur
droit doive faire détacher de sa juridiction les questions de
droit préjudicielles, il ne s'ensuit nullement qu'en général
les actes doivent être appréciés par la Cour, et les témoi-
gnages par le jury. La question principale doit toujours être
décidée par le jury seul, ii l'aide de tous les documents de
la cause. Aussi, la Cour de cassation a-*t-elle cassé, le
1*' octobre 1834, la condamnation prononcée par une Cour
d'assises, sur le vu de l'acte de naissance de la victime d'un
attentat (il s'agissait de constater l'âge d'une jeune fille) ,
sans que le jury eût été interrogé sur les circonstances
aggravantes. Quant aux questions civiles préjudicielles , c'est
Il raison de leur nature, et non de la manière dont s'admi**
nifitre la preuve des points qui s^y rattachent \ qu'elles
seront de la compétence des magistrats.
TROISIÈME SECTION.
MARCHE A SUIVRE POUR FAmE TOMBER l' AUTHENTICITE ;
INSCRIPTION dfa FAUX,
90M]|À]BE. — €06. Nèeeititè d'âne proeèdore spéciale. ^ «or. Ganetère criminel da
faax. — 608. Faux principal et faux incident. ~ 609. Y a-t-il an faux principal eiPitt
— 640. Origine de Yinscriplion de faux. — 644. Influence de la proeèdore de fbnx snr
l'exteatioD de l'acte. — 642. Simple saspension de la force extrinsèque de l'acte. — 643.
Caractère de la procèdare criminelle de faux. — 644. Division de la matière.
606. La foi qui s'attache à l'authenticité, et même à
l'apparence de l'authenticité (n* 457), n'est point susceptible
■ Ainsi, an arrêt de rejet du 22 septembre 1821 a jugé qo'il n'appartient
((u'à la Cour de décider si des pièces de soixante-quinze centimes sont des
monnaies d'argent on de biilon : question qui n'est nullement susceptible
de se résoudre au moyen de la preuve littérale.
i84 INSCRIPTION DE FAUX.
d'être détruite par la simple administration de la preuve
contraire *, la fausseté de l'acte attaqué doit être spéciale-
ment établie. C'est même la une règle d'ordre public, dont
le consentement des parties ne saurait autoriser l'infraction.
(Bordeaux, 7 décembre 1866.)
607. Le faux, qui a constitué de tout temps un véritable
crime ', peut donner lieu k des poursuites criminelles , aussi
bien qu'k une action purement civile. La faculté accordée
aux particuliers, dans notre plus ancienne jurisprudence,
de poursuivre eux-mêmes , ainsi qu'ils le faisaient k Rome ,
les accusations qui les concernaient, a laissé plus d'une trace
en cette matière. Les expressions àe faux principal et de/aux
incident, ainsi que la formalité même de l'inscription , n'ont
pas d'autre origine.
608. L'article 1319 du Gode civil appelle plainte en faux
principal la poursuite du faux devant les tribunaux criminels.
Le Code de procédure appelle , au contraire , faux incident
dvil (part. I, liv. II, tit. XII, l'attaque dirigée au civil contre
l'acte, abstraction faite de toutes poursuites contre ceux qui
l'auraient fabriqué ou falsifié. Il peut y avoir aussi faux inci-
dent criminel, si, dans le cours d'une procédure criminelle,
une pièce produite est arguée de faux. (C. d'inst., art. 458.)
La distinction de ces deux espèces de faux incident se con-
çoit parfaitement ; mais ce qui est moins facile k comprendre,
c'est l'expression de faux principal, appliquée comme elle
l'est ici. Quel rapport y a-t-il entre l'idée de faux prin-
cipal et celle de poursuites criminelles pour faux ? On dit
qu'une action est principale ou incidente, suivant qu'elle se
* Ce crime était considéré autrefois comme si odieux , quMl n'était pas
compris dans les abolitions générales acc^^rdées par les princes à l'occasion
de grands événements, tels que leur avéneiQent au trône ou leur mariage.
(Voy. Farinacius, quest. 150.) Beaucoup d'anciens auteurs regaidaient» en
effet , le faux comme plus grave que le meurtre.
INSCRIPTION BE FAUX. 185
présente comme le but spécial d'un procès, ou comme un
épisode qui Tient se rattacher à un procès préexistant. Ainsi,
la garantie réclamée par Tacheteur contre le vendeur est
principale, lorsqu'elle est poursuivie directement, et inci-
dente, lorsqu'elle est invoquée dans le cours d'un procès
dirigé contre l'acheteur par des tiers. Mais, dans l'un et
l'autre cas, le but de l'action est le même, les conclusions
sont identiques. Rien de pareil dans le faux principal com-
paré au faux incident. La première de ces poursuites tend
k punir un crime , la seconde à obtenir satisfaction pour des
intérêts purement privés. Sans doute, l'action civile peut
s'intenter en matière de faux comme en toute autre matière
criminelle , devant les mêmes juges que l'action' publique
(C. d'inst., art. 3) ^ et alors les mêmes conclusions qu'on
aurait pu porter k la barre des tribunaux civils seront pré-
sentées devant la Cour d'assises. Mais c'est Ik une circon-
stance tout k fait accidentelle, en ce qui concerne la pour-
suite du Êiux. L^action du ministère public, tendant k l'ap-
plication de la peine, action qui est la seule essentielle,
s'exerce indépendamment de toute intervention des inté-
re^és. Or, peut-on raisonnablement qualifier cette action
de principale, conmie si les mêmes conclusions pouvaient
jamais se présenter incidemment devant les tribunaux civils ?
Les expressions de faux principal et de faux incident ne
peuvent se comprendre qu'autant que l'on se reporte a
l'ancien système des accusations privées, emprunté aux
Romains. Dans ce système , la partie lésée pouvait , k son
choix, agir devant les tribunaux criminels ou devant les
tribunaux civils. (Diocl. et Maxim., L. 16, Cod., Ad, leg.
Corn. defaU.\ Lorsqu'elle saisissait la juridiction criminelle
non-seulement de la demande en indemnité , mais de l'ap-
plication de la peine, c'était toujours une réparation qu'elle
demandait ; car , dans ce système ^ la peine était une satis-
i86 llfSCRIPTION DE FAUX.
factioD accordée aux intérêts privés ; mais cette réparation
était poursuivie par action principale , tandis que , devant la
juridiction civile, la question ne se présentait d'ordinaire
qu'incidemment, k l'occasion d'une affaire où était produite
la pièce arguée de faux.
Telle est l'origine de la confusion qui s*est introduite dans
la pratique entre l'idée de faux principal et celle de faux cri-
minel. Et lors même qu'un ministère public eut été institué
pour poursuivre les crimes au nom de la société , cette con^
fusion se maintint encore , parce que , si le ministère public
avait le droit d'agir seul , il n'en était pas moins vrai que ,
dans le cas de jonction de la partie publique h la partie civile,
la partie civile était toujours préférée k la partie publique
pour la poursuite de l'accusation. (Jousse, Traité de la justice
criminelle, tom. III, p. 71.) Mais, aujourd'hui que l'action
pour l'application des peines n'appartient qu'aux fonction-
naires auxquels elle est confiée par la loi , on sent combien
l'expression de faux principal, employée dans le sens de faux
criminel , est inexacte.
609. Il suffirait que cette observation eût un intérêt de
doctrine pour qu'il ne fût pas inutile de rectifier les idées
sur ce point. Mais l'erreur de ceux qui font la confusion que
nous venons de signaler, n'est pas purement spéculative ;
elle a de fâcheuses conséquences dans la pratique, puis-
qu'elle conduit k décider que le faux civil ne peut être
qu'incident. On fait rémarquer, k l'appui de cette opinion,
que le titre du Code de procédure où il est question du faax
est intitulé : Du faux inddeat dvil, et que les dispositions de ■
ce Gode (art. 214 et 215) supposent évidemment une pour-
suite principale sur laquelle vient s'enter la procédure acces-
soire , tendant k la suppression de la pièce suspecte. Dans
ce système , quelque intérêt que j'eusse k établir aujourd'hui
la fausseté d'une pièce qu'on se propose de faire valoir contre
niSGRIPTlON DE FAUX. 187
moi , %B|ielë qu'il me sera peut-être impossible de démon-
trer plas tard , je ne serais pas reçu k l'attaquer au civil par
action principale. Cette impossiblité d'intenter au civil une
action principale pour faux pouvait se concevoir jadis, lors-
que la partie lésée avait qualité pour poursuivre l'accusation
au criminel. Mais aujourd'hui elle ne peut plus que se
joiadre éventuellement à la partie publique , dont elle n'est
pas libre de diriger la marche. Il serait donc souveraine-
ment injuste de lui enlever, dans ce cas , l'option que lui
donne en général le Ck>de d'instruction (art. 3) entre les
deux juridictions , puisque l'une de ces juridictions peut fort
bien ne pas lui être accessible. D'ailleurs il suffit, pour
démontrer que Farticle 214 du Code de procédure n'est pas
restrictif 9 de poser une hypothèse , où , malgré les termes de
cet article, l'action principale en faux doit être reçue au
civil. Or, il en est ainsi incontestablement, lorsque l'auteur
du faux est mort , et que les poursuites criminelles sont en
conséquence devenues impossibles -, on est d'accord pour
reconnaître alors que les parties intéressées peuvent agir
civilement contre les héritiers pour leur demander la sup-
pression de la pièce. (C. d'inst,, art. 2.) Il peut donc être
permis de s'inscrire en faux , sans qu'il y ait une instance
préalablement engagée. Si on l'admet dans un cas, pourquoi
ne Tadmettrait-on pas également toutes les fois qu'il y a
intérêt à intenter ainsi une action principale , ainsi que le
décide le nouveau Code de procédure italien (art. 296)?
On présente généralement l'opinion contraire k la nôtre
comme consacrée par la jurisprudence : ce qui serait assez
extraordinaire en présence des arrêts qui admettent , ainsi
que nous l'avons vu (n" 254 et 255), des enquêtes d'examen
à futur et des expertises in fvtunm. Mais , dans les espèces
où a été écartée la demande en faux principal (Cass.,
25 juin 1845-, Rej., 13 février 1860), cette demande ne
188 INSCRIFTION DE FAUX.
tendait pas à prévenir une contestation future , mais k revenir
sur une contestation passée. La partie qui intentait une
action en faux principal civil , voulait se ménager un moyen
de requête civile , en attaquant comme fausses les pièces sur
lesquelles se fondait un arrêt passé en force de chose jugée.
L'arrêt de cassation du 25 juin iStë refuse d'admettre
« une action civile en faux spéciale k l'efTet d'arriver k la
« requête civile, c'est-^-dire une action tendant uniquement
« k se créer un moyen de requête civile, action dont le
a résultat d'ailleurs pourrait être de donner k un tribunal
<( non saisi de la requête civile le pouvoir d'ébranler la foi
« due k la chose jugée. » D veut que le faux soit déclaré
par un jugement criminel, ou du moins qii'il se rattache k
une instance civile à laquelle Cexception de chote jugée n*aura
pu être légalement opposée.
n est vrai que Tarrêt de rejet rendu par la chambre des
requêtes, le i3 février 1860, va plus loin et déclare in ter-
miniê a que l'instance en faux principal n'est admise que
c< dans la juridiction criminelle, et qu'en matière civile Tin-
« scription de faux n'est autorisée que par voie d'incident. »
Mais , au fond , c'était toujours la même question qu'avait
jugée la chambre civile en 1845 (voy. aussi Rej., 14 no-
vembre 1860) ^ c'était pour faire indirectement tomber un
arrêt solennel rendu sur une question d'état qu'on arguait de
faux par voie principale l'acte de naissance sur lequel se fon-
dait cet arrêt. 11 eût suffi dès lors de dire , avec un autre
considérant de l'arrêt de 1860, qu'une pareille procédure
deviendrait a un moyen banal d'attaquer de nouveau , sous
« prétexte de faux , des actes déclarés valables par des déci-
« sions souveraines. »
Le système de la chambre des requêtes, appliqué d'une
manière absolue , serait une grave dérogation au principe qui
autorise la partie lésée par un délit k intenter, k son choix.
IHSCBlPTIOIf DE FAUX. i89
l'action en réparation devant la juridiction civile ou devant
la juridiction criminelle. L'arrêt rendu en 1845 par la
chambre civile fait, au contraire, cette réserve formellement.
U déclare que , « suivant rarlicle 3 [du Code d'instruction
« criminelle , l'action en réparation du dommage causé par
a un crime ou par un délit, peut être poursuivie devant les
ic tribunaux civils \ mais que cette action ne peut pas con-
« sister uniquement k faire constater le crime ou le délit
« par les tribunaux civils ^ qu'il faut encore que cette
« demande, k fin de constatation judiciaire du crime ou du
« délit , soit incideiàte k une action en réparation du dom-
« mage qui en résulte. »
La Cour de Bordeaux, le 30 août 1841 , a statué sur l'hy-
pothèse , rare en pratique , où la demande en faux principal
se présente en dehors de toute contestation antérieure , en
adaiettant l'inscription contre Texpédition d'un concordat
suspecte d'interpolation d'un article. Alors, le demandeur
ne saurait être accusé de vouloir ébranler par des voies dé-
tournées l'autorité de la chose jugée ^ Aussi peut-on fort
bien approuver la jurisprudence de la Cour de cassation ,
en tant que la demande en faux principal aurait trait a un
jugement inattaquable par les voies ordinaires, et admettre
la possibilité d'attaquer directement un acte non encore pro-
duit par la partie adverse (M. Pont, Revue de législation,
1846, t. II, p. 344 et suiv.), surtout au moyen du tempé-
rament ingénieux imaginé , comme nous le verrons (n"" 620) ,
par M. Thomine Desmazures.
' n faut remarquer, en effet , que le faux criminel n*est pas régi par le»
mêmes principes que le faux cîtîI, et que telles circonstances peuvent
détruire la culpabilité, qui n'influeraient en rien sur le droit à réclamer une
indemnité, et surtout à faire supprimer la pièce. (Cass., 11 avril 1837.)
> Un arrêt delà Cour d'Agen, qui avait été jusqu'à refuser la faculté d'a^r
en faux principal, lorsqu'elle avait été formeUement réservée dans une instance
antérieure portant sur la nuUité de l'acte, a été cassé le 21 avril 1840.
190 msGRiPTioit DE ràxsi.
610. Uo second vestige du système des accnsations pri-
vées en cette matière, c*est Vinscription même de faut, qui
rappelle la procédure criminelle des Romains. L'accusateur
k Rome (Paul, L. 3, D., De accuM.) était obligé de se pré-
senter devant le préteur ou le président de la province , et
d'inscrire, avec certaines formes solennelles, son nom,
celui de l'accusé , et les circonstances du crime qu'il ^e fai-
sait fort de prouver : inscription qui entraînait pour lui la
peine du talion, si son accusation était jugée calomnieuse.
Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'à Rome la nécessité de
l'inscription fut abolie précisément en matière de faux.
Quamvis inêcriptionh nécessitas accusatori de faUù remissa sil,
dit Gratien (L. 2, Cod. Théod., Ad leg. Com. défais.), pœm
tamen accusatorem etiam sine solemnibus occupât. En France ,
au contraire , l'inscription fut admise spécialement pour le
crime de faux, et cette inscription exposait légalement,
dans l'origine, à la peine du talion l'accusateur, qui était
obligé, en conséquence, de se constituer prisonnier. Cette
rigueur avait cessé au seizième siècle , ainsi que nous rap-
prend le président Favre {Ad leg. Com. de fais. ^ def. 9) :
« Jampridem vêtus illa judiciorum consuetudo , qU9e induxe-
« rat, ut quisquis falsi accusationem criminaliter institùere
(( vellet, non aliter audiretur quam si, solemnis inscriptionis
a tempore , seipsum carceribus manciparet , nam et talionis
<( pœna, quae hujus solemnitatis necessitatem induxisse vide-
ce batur, in usu esse desiit : solentque qui in hujus modi
(( accusatione succumbunt, gravissimis quidem pœnis sub-
(( jici, sed tamen longe mitioribus quam si faisum ^dmi-
« sissent. » L'inscription ne parait pas d'ailleurs avoir jamais
été imposée k la partie publique, qui n'était pas responsable
envers l'accusé. Mais elle demeura imposée k la partie civile,
qui, encore au seizième siècle, à ce que nous apprend tou-
jours le président Favre , était obligée de prendrela voie
INSCRIPTION DE FAtï. 491
criminelle : « Eo perventum ei^t , ut de falso ne(|ue agi ,
<c neque excipi civiliter possit , sed criminalem accâsationem
« insiituere necesse sit. » Cette dernière exigence tomba
elle-même en désuétude ; mais la procédure de foux con-
serva toujours un caractère criminel , même lorsqu'elle était
suivie devant les tribunaux civils. Ainsi, il n'est pas ques-
tion da faux dans l'ordonnance criminelle de 1667, mais
seulement dans l'ordonnance de 1670 (titre IX), sous cette
singulière rubrique : Du crime de faux ^ tant principal qu'inci-^
dent. Les règles sur le faux civil ne furent dégagées et trai-
tées spécialement que dans l'ordonnance de 1737 sur le faux,
œuvre remarquable du cbancelier d'Âguesseau , qui a passé
en grande partie dans le Gode de procédure. Cette ordon**
nance dispensa la partie civile de souscrire en faux en
matière criminelle (voy. tit. I, art. 1), tandis que l'inscrip-
tion fut maintenue , on ne sait trop pour quelle raison , en
matière civile , où cette formalité est encore exigée aujour-
d'hui ^
611. Voyons maintenant quelle influence peut exercer
sur l'exécution de l'acte la| procédure de faux, soit civile,
soit criminelle. Faut-il attendre , pour arrêter cette exécu-
tion , qu'un jugement définitif ait déclaré la pièce fausse ?
On croît d'ordinaire que l'affirmative était admise ^ Rome
d'une manière absolue. Tel n'est pourtant pas le sens du
rescrit d'Alexandre Sévère, qui forme la loi S, au Code,
Ad legem Comeliam de faim : « Satis aperte divorum paren-
a tum meorum rescriptis declaratum est , quum , morand»
« solntionis gratia, a debitore fhlsi crimen objicitur, nibilo-
« minus, salva executione criminis, debitorem ad solutio-
' On comprend bien toutefois, à raison de la gravité d'nne telle procédure,
Ia nécessité d'un acte spécial , signé de la partie ou de son fondé de procu-
ration Spédale et authentique; mais la formalité de l'inscription au greffe
est parement traditionnelle.
192 II9SGRIPTI0N DE FAUX.
ft nem compelli oportere. » Ce rescrit établit évidemment
une règle exceptionnelle pour le cas où Tallégation de faux
semblerait dictée par la mauvaise foi : d'où il semble résul-
ter qu'en principe » au contraire, cette allégation, si eUe
paraissait fondée , pourrait arrêter l'exécution. Et il en était
de même dans notre ancienne jurisprudence française , si
nous nous en rapportons au témoignage de Serpillon , qui a
publié un ouvrage spécial sur le faux. Suivant cet auteur
(sur Fart. 29 du titre II de Tord, de 1737), « le juge peut
a ordonner que , par provision , Tacte contre lequel Finscrip-
(( tion de faux est formée sera exécuté k caution. » Ce n'est
donc pas une innovation que la disposition de l'article 1319
du Code civil, d'après laquelle, « en cas d'inscription de fiiux
(( faite incidemment, les tribunaux pourront, suivant les
« circonstances, suspendre provisoirement l'exécution de
« l'acte. )> Et si nos tribunaux peuvent suspendre provisoi-
rement l'exécution, ils peuvent, à plus forte raison, comme
jadis (Serpillon, sur Fart. 29, tit. II, de Ford, de 1737),
ordonner F exécution moyennant caution '. Remarquons
d'ailleurs que ce qui est dit du faux incident doit s'en-
tendre , suivant nous , de tout faux civil , lors même que Fon
aurait intenté une action principale pour le faire constater.
Que veut donc dire Pothier, lorsqu'il décide {Oblig.,
n*" 735) que les actes authentiques font foi par provision,
jusqu'à ce que l'inscription de faux ait été jugée? Rien autre
chose, si ce n'est que l'autorité de l'acte ne tombe jamais
de droit , tant qu'il n'y a pas eu de condamnation pour faux ;
mais il n'entend pas pour cela nier le pouvoir discrétionnaire
du juge. Quant k la suspension forcée, elle n'avait jamais
lieu , ni dans l'ancienne jurisprudence , ni sous l'empire de
■ LMnscription de faux ne suffisant pas pour suspendre Pexécution, U ne
faut pas prendre à la lettre ce que disent nos lois, qu'un actefait foi jusqu'à
intcription de /aux.
mSGtlPTION DE FACt. 193
la législation intermédiaire (Loi da 6 octobre i 791 , tit. I ,
sect. 2, art. 14), quelque avancée que fût l'instruction du
faux, même au criminel. L'innovation de la loi sur le nota-
riat (art. 19), reproduite par le Code civil, consiste ^ pro-
noncer cette suspension à une certaine époque de la procé-
dure criminelle \ car la procédure civile n'entraîne jamais
qn'une suspension facultative, a En cas de plainte en faux
principal », dit Tarticle 1319 de ce Code, « l'exécution de
M l'acte argué de faux sera suspendue par la mise eu accu-
« sation. » L'arrêt rendu par la chambre des mises en accu-
sation 9 après «ne procédure préparatoire déjk fort compli-
quée, offre assez de garanties pour que récrit puisse, ^
partir de cette époque, être considéré comme légalement
suspect.
Néanmoins on n'applique dans la pratique (Rej., 25 fé-
vrier iSlO) la nécessité d'une mise en accusation pour la
suspension de l'exécution qu'aux actes authentiques suscep»
tibles d'exécution forcée, comme les actes notariés. Lorsque
des poursuites criminelles en faux sont dirigées contre un
acte authentique non exécutoire, notamment contre un
exploit, on applique, non plus l'article 1319 du Code civil,
mais l'article 250 du Code de procédure , suivant lequel la
seule plainte en faux emporte suspension de la procédure
civile.
612. Gardons-nous, du reste, de confondre la suspen-
sion de la foi de l'acte avec la simple suspension de sa force
extrinsèque, de Veocequatur. Lorsqu'un débiteur, se disant
malheureux et de bonne foi , demande qu'il soit sursis aux
poursuites dirigées contre lui (Cod. civ., art. 1244), ou lors-
qu'une personne, sous le coup d'une expropriation forcée,
se fait autorisera en arrêter l'effet, en offrant de satisfaire au
payement intégral de la dette , an moyen de la délégation
d'une année de revenus (Ibid., art. 2212), ni dans Tune, ni
II. i8
194 INfiCRIPTlOll DE FAUX.
dans l'autre de ces hypothèses , la foi intrinsèque de l'acte
n'est en jeu , mais on invoque des considérations d'éqnité
pour en faire cesser la force exécutoire \ De pareils cas de
suspension sont donc tout k fait étrangers k la matière des
preuves. Ils ne peuvent s'appliquer qu'aux actes susceptibles
d'exécution forcée, dont il s'agit d'arrêter les rigueurs, la
foi de l'authenticité demeurant entière. L'effet des poursuites
de faux, au contraire » est précisément de faire tomber cette
foi, lors même qu'il ne s'agit point d'exécution matérielle ^
par exemple ^ quand on révoque en doute la sincérité d'un
acte de l'état civil.
615. Nous n'avons rien à ajouter en ce qui concerne la
poursuite criminelle de faux , qualifiée par les praticiens de
faux principal. La marche tracée par nos lois (G. d'instr.,
art. 448 et suiv.) pour l'instruction de cette nature de crime
n*est que la reproduction des règles que nous allons poser
quant au faux civil. Elle est empruntée, en effet, k l'ordon-
nance de i 737, où d'Aguesseau statuait sur le faux, tant civil
que criminel. Mais il importe de signaler une difi*érence
essentielle entre la procédure civile et la procédure crimi-
nelle telle que l'a organisée le Gode d'instruction. « Sous le
a Gode de brumaire an lY », a dit l'orateur du gouvernement
dans l'exposé des motifs du Code de 1808, « la plus légère
« infraction des formes prescrites pour assurer l'état des
(( pièces arguées de faux , ou même des pièces de comparai-
« son , entraine la peine de nullité. Ainsi , en quelque nombre
« que soient ces pièces , elles doivent être parafées k cha-
« que page par les personnes que la loi désigne , et l'omission
(( du parafe de l'une d'elles, k une seule page. d'un volu-
« mineux cahier, peut faire tomber toute la procédure. Cette
' En dehors de ces hypothèses, Topposition aux poursuites ne saurait
arrêter l'exécution , sauf les domnuiges et intérêts contre le créancier qui
aurait procédé en yertu d'un titre nul. (Poitiers, 29 juiUet 1851.)
INBCRIPTION DE FAUX 195
H sollicitude de la loi à semblé excessive. Toute infraction
c< de Tespèce que je viens de décrire , donnera lieu désor-
(c mais à une amende contre le greffier. (Voy. C. d'instr.,
et art ^18 et suiv.) Toutefois, la punition du greffier pourrait
« être considérée comme insuffisante , relativement aux par-
ce lies et notamment à l'accusé , si celui-ci ne pouvait pas
« pourvoir à rentier accomplissement d'une formalité qu'il
ce regarderait comme utile ii ses intérêts ; mais il le peut,
« c'est son droit -, et s'il en réclame l'application , et qu'il
c n'y ait pas été statué, il y aura ouverture à cassation. »
Ainsi , les intéressés pourront réclamer l'accomplissement
des formalités légales *, mais si elles ont gardé le silence , le
Code d'instruction ne prononce point de nullité , comme le
fait le Code de procédure civile.
614. Nous allons nous attacher à reproduire la marche
établie par le Code de procédure pour l'instruction du faux.
Puis nous verrons comment on fait tomber, en matière cri-
minelle, la foi d'un acte authentique : ce qu'on appelle /oua;
incident crimineL Au surplus, nous ne parlons actuellement
que des actes authentiques -, mais l'inscription de faux , ainsi
que nous le verrons , est également applicable aux actes sous
seing privé.
PREMIÈRE DIVISION.
FAUX CIVIL.
SOMMAOE. — 64 B. Système empnmtë ï rordonnance de 4787. ^ e46. GonpUcaUoik
spéciale de la procédure.
61K. C'est à l'ordonnance de 1737 que les rédacteurs
du Code de procédure ont emprunté le système compliqué
qu'ils ont organisé en matière d'inscription de faux. Ils y
ont toutefois introduit, ainsi que nous le verrons, de no-
tables améliorations , qui étaient nécessaires pour mettre ce
13.
t96 INSCRIPTION DE FAUX»
système en hanuonie avec les chaDgements opérés dans la
législation.
Il semble qu'on se soit étudié h hérisser de difficultés la
marche de cette procédure , afin de mieux protégejf la foi
des actes authentiques. Bien que la loi actuelle ait supprimé
quelques entraves, celles qui subsistent sont encore assez
sérieuses et assez multipliées pour rebuter souvent les plai-
deurs qui voudraient s'engager dans une pareille voie. Dans
la pratique , les demandes k fin d'inscription sont assez dif-
ficilement accueillies, et elles arrivent plus difficilement
encore à un résultat favorable pour le demandeur. N'estH^e
point là dépasser le but ? C'est ce qu'ont pensé les rédac-
teurs du projet de réforme, qui ont proposé un système plus
simple, commun k la vérification d'écritures et à l'inscrip-
tion de faux. (Voy. n"* 636 bis.) Sans nous astreindre k par-
courir minutieusement toutes les formalités de détail que
renferme la procédure actuelle de faux, nous nous appli-
querons à en suivre avec soin les diverses phases, dans ce
qu'elles ofirent de plus intéressant.
616. Ordinairement, lorsqu'une partie demande à admi-
nistrer la preuve de certains faits, il intervient une seule
décision interlocutoire, qui prononce sur l'admissibilité de
ces faits , et qui délègue les pouvoirs du tribunal à un juge-
commissaire. Celui-ci ne ressaisit les juges de l'affaire que
lorsque ses opérations sont complètement terminées. Telle
est la marche que nous avons vue adoptée dans les expertises
et dans les enquêtes, et que nous retrouverons encore en ma-
tière de vérification d'écrilures. En ce qui concerne le faux,
le législateur procède d'une manière beaucoup plus compli-
quée. Le premier jugement interlocutoire, qui admet l'in-
scription de faux et nomme un juge-commissaire, ne des-
saisit pas le tribunal. Un second interlocutoire est nécessaire
pour statuer sur l'admission des moyens de faux. On procède
INSCRIPTION DE FAOT. i97
eosuite à l'instruction du faux devant le joge-commissaire.
Enfin le tribunal rend sa décision définitive.
On voit qu'il y a trois phases successives, terminées toutes
par un jugement :
i** Procédure k fin d'être admis à s'inscrire en faux ;
2* Procédure k fin d'être admis à la preuve des moyens
e faux -,
3* Procédure à fin d'établir l'existence du faux.
Nous verrons toutefois (n"" 626) qu'il n'est pas absolument
nécessaire, pour arrivera une solution définitive, que ces
trois phases soient épuisées.
Après avoir parcouru ces trois périodes, nous parlerons,
en quatrième lieu, du résultat final de la procédure, qu'elle
se termine par un jugement définitif ou bien par une tran-
saction.
s I. FiocAvvKE A Pin d'âtrb adxis a s'inscrire bm faux*
SonURBE. ^$47. Contre quels actes on peut s'inscrire en faux. — 648. Distinction dn
Êiox matériel et da fanx inteUeciuel. — 649. Inscription de faux devant la Conr de
cassation. — 620. Manière d'entamer le fonx principal civil. — 624. Procédure commune
an faux principal et an faux incident. ~ 622. Sommation préalable. — 623. Déclaration
exigée da défendenr. — 624. Cas où il garde le silence. — 62S. Inscription an greffe. —
636. Jogemeat qui admet on rejette l'inscription. — 627. Suppression de la consignation
d'amende. — 628. Conclusions du ministère public.
M 7. Une question préalable, dont la solution négative
devrait déterminer le tribunal k rejeter de prime abord Tin-
scription de faux , quelque vraisemblables que fussent les
faits allégués , c'est celle qui consiste à savoir si l'acte est de
nature k pouvoir être attaqué par cette voie.
Il faut reconnaître que tous les actes publics (nous ne
parlons pas encore des actes privés), de quelque autorité
qu'ils émanent , sont passibles de l'inscription de faux. Ce
fut ainsi que le Pailement de Paris admit, le 7 février 1740,
l'inscription de faux contre la minute d'un arrêt , malgré les
efforts de Cochin , qui prétendait « qu'il n'y aurait plus d'asile
i98 INSCRIPTION DE FAUX.
(( pour les hommes, sila tempête régnaitdansleportmème. »
Plus Facte est important, pltts il est essentiel de le mettre
à l'abri de la falsification. Vainement a-t-on dit de nos jours,
en reproduisant la doctrine de Gochin , qu'un jugement ne
saurait être attaqué que par la voie de Tappel ou du recours
en cassation. C'est là une véritable pétition de principe,
puisque le demandeur en faux soutient que l'acte attaqué
n'a que l'apparence d'un jugement. La Cour de cassation
s'est prononcée dans ce sens , le 1 3 juin 1 838 ' et le 20 jan-
vier 1857 *. Encore moins devons-nous admettre l'opinion
d'anciens docteurs , qui prétendaient qu'on ne pouvait arguer
de faux une pièce ayant cent ans de date : opinion contredite
formellement par les articles 448 et 488 du Code de procé-
dure , qui font courir les délais de l'appel ou de la requête
civile , lorsqu'il s'agit d'un faux , du jour oii il a été reconnu,
sans s'occuper de la date de l'acte.
618. La foi qui s'attache k l'acte en forme authentique
repose, nous l'avons vu (n** 457), sur deux présomptions :
l"* que l'acte présentant les apparences de l'authenticité est
réellement l'œuvre d'un officier public , et n'a point d'alté-
rations matérielles -, 2" que cet officier n'a point prévariqué
dans l'exercice de ses fonctions. Lorsque l'on s'inscrit en
faux contre la première de ces présomptions , l'acte est argué
de faux matériel ; lorsque l'on s'inscrit en faux contre la
seconde , l'acte est argué de faux intellectuel. Nous verrons
que cette distinction n'est pas sans intérêt.
* Toutefois l'arrêt de 1S3S ajoute « qu'une inscription de faux incident
contre une mention d'arrêt conforme à la feuille d'audience ne doit être
déclarée admissible qu'avec une extrême réserve , parce qu'>l serait trop
dangereux de faire dépendre de souvenirs éloignés , incertains et fugitifs,
l'autorité et la fol dues aux arrêts revêtus de toutes les formalités voulues
par la loi. »
' La Cour a également cassé , le 8 novembre 1864 , un arrêt de la Ck>ur
de Dijon signalant une prétendue violation de la chose jugée dans un ju-
gement qui avait admis Vinsoription de faux contre un acte dont la validité
intrinsèque avait été judiciairement reconnue. (Voy. art. 214, Cod. de proc.)
INSCRIPTION DE FAUX. 199
619. On peut s'inscrire en tout état de cause, en appel
comme en première instance., et même devant la Cour de
cassation. Néanmoins, devant cette dernière Cour, on ne
saurait être reçu à critiquer des pièces que l'on pouvait
attaquer de prime abord auprès des tribunaux appréciateurs
des faits : autrement, l'ordre des juridictions se trouverait
interverti. (Rej., 31 décembre 1812 et 31 mai 1831.) Mais
il y a des pièces qui , par leur nature même , ne peuvent
être produites que devant la Cour régulatrice , et k l'égard
desquelles on ne saurait lui interdire d'admettre l'inscription
de faux , \k moins de vouloir rendre impossible tonte pour-
suite civile pour des faux de cette nature. Ce sont précisé-
ment les expéditions ou les minutes des jugements attaqués^
si ces documents importants étaient à l'abri de l'inscription
de faux , les nullités les plus graves pourraient se couvrir
après coup, par la mention que ferait le greffier de l'ac-
complissement de formalités qui auraient été omises.
(Cass., 13 juin 1838 et 13 mai 18>i0.) Aussi la procédure
de faux devant le conseil des parties avait-elle été organisée
par le règlement de 1738, qui sert encore aujourd'hui de
base k la procédure de la Cour de cassation. Mais la Cour,
tout en admettant l'inscription , délègue k un tribunal d'un
rang égal k celui qui a rendu la décision attaquée l'instruc-
tion du faux , qui ne rentre pas dans les attributions ordi-
naires de cette Cour. (Voy. Règl. de 1738, part. II, tît. X,
art. 4.) C'est ainsi que procède le Conseil d'État en pareille
circonstance, aux termes de l'article 20 du décret du 22 juil-
let 1806. Seulement, le Conseil d'État ne peut évidemment
que renvoyer au tribunal compétent, sans avoir jamais,
comme la Cour de cassation , la faculté de désigner un tri-
bunal déterminé. Mais, en sens inverse, lors même qu'un
tribunal civil n'est saisi qu'incidemment d'un acte adminis-
tratif, il doit renvoyer devant l'autorité administrative, pour
200 INSCRIPTION DE FAUX.
qu'elle statue sur l'admissibilité de l'inscription de faux.
(Cass., 21 mai 1827-, Douai, 6 juin 1853.)
620. Le texte du Gode de procédure (art. 214) suppose
que la pièce contre laquelle on veut s'inscrire apparaît dans
le cours d'une instance principale, où elle est ngnifiée par
un officier ministériel, communiquée sur récépissé ou par
dépôt au greffe {ibid., art. 189), ou produite^ c'est-à-dire
employée contre l'adversaire, sans signification ni commu-
nication préalable , par exemple , dans une plaidoirie. Il est
permis cependant, ainsi que l'a reconnu implicitement la
Cour de cassation dans les motifs de l'arrêt du 25 juin 1845
(n"" 609), de saisir la juridiction civile d'une demande prin-
cipale en faux. Il faudra évidemment alors (Rennes, 19 dé-
cembre 1815) entamer la procédure par une assignation ,
qui tiendra lieu de l'acte d'avoué à avoué, que prescrit Tar-
ticle 215 du Code de procédure pour le cas de faux incident.
Néanmoins, puisque l'on n'est pas d'accord sur l'admissi-
bilité du faux principal civil, la prudence doit porter à
suivre dans la pratique la marche imaginée par M. Thomine
Desmazures, suivant le système des actions provocatoires
(n""' 254 et 255), pour faire rentrer le faux principal dans
le faux incident. Cette marche consiste k assigner celui que
Von suppose détenir une pièce fausse, afin de déclarer qu'il ne
possède aucun titre contre le demandeur. (Yoy. notre Comm.
wr le Code de procédure^ n"" 253.) Si la déclaration est faite»
il n'y a aucun danger. Si l'acte est produit , on prend la voie
du faux incident. Il est vrai que le défendeur peut ne pas
produire la pièce et ne pas faire non plus de déclaration , et
qu'alors , s'il n'est pas possible de saisir la pièce , la procé-
dure n'amènera aucuu résultat sérieux. Mais cet inconvé-
nient est inévitable-, il pourrait se présenter également, si
l'action était intentée au criminel. D'ailleurs, après tout, la
procédure n'est pas frustratoire ^ car, si le défendeur produit
INSCRIPTION DE PAUX. 201
plos tard les pièces que j'avais arguées de fausseté , le refus
qu'il aura fait de les communiquer sera une grave présomp-
tion de Fexistence du faux. Enfin il peut arriver qu'une
pièce fausse soit employée autrement que dans une in-
stance. Ainsi , un jugement faux peut être signifié ' et servir
de base à des poursuites extrajudiciaires , c'est-k-dire à des
actes d'exécution forcée. Il est évident qu'on ne saurait, en
pareil cas, procéder par acte d'avoué k avoué, ainsi que le
suppose l'article Hi. Il faut demander la nullité des pour-
suites, et lorsque la partie adverse produit son titre, pro-
céder contre elle suivant les formes prescrites pour le faux
incident.
621. Revenons maintenant k la marche suivie par le
Code de procédure , qui sera la même pour le faux prin-
cipal que pour le faux incident, quand une fois l'instance
aura été liée par une assignation et par une constitution
d'avoué de la part du défendeur.
622. La position de celui qui fait sciemment usage d'une
■
pièce fausse est si grave, puisqu'il .s'expose k subir la peine
des travaux forcés k temps (C. pén., art. 148), qu'il con-
vient, dès l'origine de la procédure, de le sommer de dé-
clarer bien positivement s'il entend se servir de la pièce
arguée de faux. Cette sommation est faite par l'acte même
qui indique l'intention de s'inscrire, au cas où il serait fait
usage de la pièce. (C. de proc., art. 215.) Cet avertisse-
ment essentiel est en harmonie avec ce qui se pratique,
lorsqu'on somme également le défendeur k l'enquête d'avouer
ou de dénier les faits sur lesquels une enquête est provoquée.
623. Dans les huit jours {ibid., art. 216) , la partie som-
> C'est ainsi qn^on signifia anx Jésuites de Paris, le 8 mars 1759, un faux
arrêt du Conseil d'État, portant condamnation solidaire des membres de
la société à hait militons de liTres. (Clément XIV et les Jésuites , par
M. Crétinean-Joly, p. 87.)
202 IlfSCRIPTION DE FAUX.
mée doit faire la déclaration exigée , qui , trop importante
poar être comprise dans le mandat général de Tavoué, doit
être signée d'elle , ou du porteur de sa procuration spéciale
et authentique, porteur qui peut au surplus être l'avoué lui-
même. Il n'est pas douteux, malgré le silence de la loi, que
ce délai de huit jours ne doive être augmenté à raison des
distances *, nous avons vu (n"" S61 ) qu^on le décide pour l'en-
quête, où la partie ne joue pourtant qu'un rôle purement
passif, et il doit en être de même k plus forte raison lors-
qu'elle est appelée k faire une déclaration toute personnelle.
La jurisprudence a également admis, après quelques hési-
tations, que ce délai de huit jours n'est point fatal, et que,
suivant la pratique généralement reçue dans les cas où la loi
prescrit un délai sans ajouter à peine de nullité ^ Taudience
peut être poursuivie dès l'expiration de la huitaine, mais
que le défendeur est toujours k temps de faire sa déclara-
tion , tant que le rejet de la pièce n'a pas été prononcé.
(Rej., 24 janvier 1842.)
624. Lorsque le défendeur garde le silence , ou déclare
qu'il ne veut pas se servir de la pièce {Md., art. 217) , cette
pièce est rejetée. Toutefois le législateur a soin d'ajouter
qu'elle ne l'est que par rapport m défendeur, c'est-k-dire en
tant que celui-ci prétendrait en faire usage *, mais elle est
acquise au procès dans l'intérêt du demandeur , qui peut en
tirer telles conséquences qu'il juge k propos , et réclamer
des indemnités pour le préjudice qu'elle pourrait lui avoir
causé. D n'est pas douteux non plus que la poursuite crimi-
nelle du faux , s'il y a lieu , ne demeure entière , lors même
que l'abandon de la pièce n'aurait pas été dicté par la
crainte, mais par le repentir : jamais, aux yeux du législa-
teur civil , le repentir n'a été considéré comme faisant dis-
paraître la faute.
Toutefois le silence ou la déclaration du défendeur ne
INSCRIPTION DB VÂVl. SOS
sauraient avoir la force qu'on ne pourrait attribuer à un aveu
formel. Lorsque la procédure porte sur des points pour les-
quels il n'y a point de transaction, notamment lorsque c'est
un acte de mariage qui est attaqué par la voie de Tinscrip-
lion de faui , le tribunal doit passer outre , ainsi que l'a jugé
la Cour de Riom le 26 juin i828, contrairement à un pré-
cédent arrêt du 8 juillet 1826. La décision contraire ouvri-
rait la voie à une sorte de divorce par consentement mutuel.
625. Si , au contraire , le défendeur déclare qu'il veut se
servir de la pièce {ibid., art. 218), alors le demandeur
s'inscrit au greffe par un acte qui doit être , comme la dé-
claration de la partie adverse, signé de lui ou de son fondé
de pouvoir spécial et authentique. Il poursuit ensuite l'au-
dience, à l'effet de faire admettre Tinscription et d'obtenir
la nomination d'un juge-commissaire.
686. Bien que la partie demanderesse n'ait pas encore
proposé ses moyens, on reconnaissait autrefois, et on re-
connaît aujourd'hui au tribunal, la faculté de rejeter de pfano
l'inscription. (Rej., 17 juin*1868.) Suivant un arrêt de la
Cour d'Alger du 21 avril 1853, la procédure en inscription
de faux aurait trois périodes successives , auiquelles corres-
pondraient nécessairement trois instances distinctes et sé-
parées. Mais cette doctrine rigoureuse et formaliste n'a
point prévalu. Elle prêterait aux abus les plus graves,
puisqu'elle permettrait d'entraver, au moyen d'une in-
scription dont les tribunaux ne pourraient arrêter les ef-
fets, l'exécution des actes les plus réguliers. (Comp.
n*" 639. ) Toujours peu favorable aux demandes en inscrip-
tion de faux, qu'elle considère comme une arme dange-
reuse entre les mains de la chicane, la jurisprudence va
plus loin encore. Elle admet (Rej., 9 juillet 1839, 1*' avril
1844 et 25 avril 1854) que le tribunal peut passer outre,
s'il croit Tallégalion de faux dénuée de fondement, sans
204 INSPRIPTION DE FAUX.
tenir compte de la sommation faite par Tune des parties k
son adversaire de déclarer s'il entend se servir de la pièce ,
et sans même attendre l'expiration du délai de huitaine k
partir de la sommation. Cette décision, qui, an premier
coup d'œil , parait exorbitante, se justifie aisément, si on se
reporte à l'historique de la matière.
Sous l'ordonnance de 1737, la première démarche qui était
prescrite an demandeur, c'était de se faire autoriser k fin d'in-
scription. 11 est clair que dans ce système le juge avait tou-
jours la faculté d'arrêter la procédure dès le premier pas.
Les rédacteurs du Code de procédure ont pensé avec raison
qu'aucune autorisation ne devait être exigée avant la som-
mation adressée au détenteur de la pièce fausse , puisque la
justice ne devait être appelée k statuer qu'autant qu'il y
aurait par le fait intérêt , c'est-k-dire contestation de la part
du défendeur. Mais, de ce qu'ils ont dispensé le demandeur
de présenter tout d'abord une requête qui pouvait en défi-
nitive n'avoir aucune utilité, il ne s'ensuit nullement qu'ils
aient voulu dessaisir le juge du pouvoir qu'il a toujours de
passer outre , lorsqu'une réclamation incidente lui semble
mal fondée. Autre chose est la faculté accordée k la partie
d'adresser de piano une sommation k son adversaire ^ autre
chose est la suspension forcée de l'instance principale par
Peffet de celte sommation , suspension que la loi n'a nulle
part prononcée.
De plus, suivant la doctrine de la Cour de Poitiers, qui
nous a paru fondée (n*S07), le tribunal doit écarter dès
l'abord l'inscription de faux , comme inutile , aux cas où il
est permis d'attaquer l'acte directement.
Il ne faudrait cependant point abuser de cette faculté at-
tribuée aux tribunaux de rejeter de piano l'inscription de
faux. C'est ainsi que le tribunal de Bordeaux ayant écarté
d'emblée la demande en inscription contre un testament,
INSCRIPTION DE FAUX. 205
malgré l'articalatioa du fait grave que les témoins auraient
qnâtté la chambre du testateur pendant que le notaire écrivait le
testament j sou jugement a été réformé, le 9 mars 1859, par
la Cour de Bordeaux , qui a invoqué , avec raison , les motifs
suivants : « Qu'il ne s'agit pas, quant k présent, d'examiner
« les moyens de faux, les faits, circonstances et preuves,
a qui, concourant k les rendre vraisemblables, peuvent dé-
« terminer le juge k ouvrir au demandeur la voie , toujours
« périlleuse, des enquêtes-, qu'on est encore k la première
« phase de la procédure , et qu'il échet seulement de déci-
de der si l'inscription de faux doit être admise, c'est-k-dire
« s'il sera permis au demandeur de proposer ses moyens de
« faux^ qu'il est évident, et qu'il résulte d'ailleurs de l'éco-
« nomie de la loi , que cette première épreuve ne doit pas
<c être environnée de la même rigueur que la seconde ^ que
« l'office du juge consiste principalement k vérifier si le fait
« allégué est concluant, s'il est de nature k entraîner la
« nullité de la pièce ou k influer sur la décision du procès -,
« que, hors de Ik, ce n'est qu'autant qu'il est pleinement
« démontré que l'inscription de faux est téméraire et ne
« saurait aboutir, qu'on peut la repousser dès l'abord et
fc sans autre vérification : car, s'il est vrai qu'il ne faut pas
ic que la foi due aux actes publics soit facilement ébranlée ,
« il faut encore moins s'exposer a fermer l'accès k la lumière
« et k la vérité. »
627. Le Code de procédure a supprimé une autre en-
trave, qui existait pour le demandeur sous l'ordonnance
de 1737 : la nécessité de consigner préalablement l'amende,
k laquelle il peut être condamné. « Pourquoi donc payer
(c d'avance », dit M. Treilhard dans l'exposé des motifs,
« pour user d'un moyen avoué par la loi? » Cette observa-
tion est juste; mais alors, pour être conséquent, on ne
devrait pas non plus exiger une consignation préalable des
206 INSCRIPTION DB FAUX.
parties qui emploient les voies légales de l'appel , de la requête
civile et du recours en cassation-, ou même (ord. de 1788,
part. II, tit. X, art. 1*') de celles qui s'inscrivent en faux
(n° 619) contre des pièces produites devant la Cour régulatrice.
628. Au surplus , le jugement qui admet ou rejette Tin*
scription doit, comme tous ceux qui interviennent dans cette
procédure, être rendu sur les conclusions du ministère public.
(C. deproc.,art. 351.)
1 9. PEOCiBUaK A FIN D'ÈTKK ADHtS A LA 9MMXJVE »Et MOYEBI
DB FAUX.
Sommaire. — 639. InstrnctioD préalable, emprantée aa système de 4737. — eso. DèpAt de
la pièce. — C34 . Quand l'apport de la minute est nécessaire. — 632. Procès-verbai con-
statant l'état de la pièce. ^ 633. Cette partie de la procédure particoUère aa faux maté-
riel — 634. Signification des moyens. — 63S. Modification apportée au système de 4737.
— 636. Nécessité d'articuler des moyens précis. — 6S6 Ht. Projet de suppression de
cette phase de la procédure.
689. Admettre le demandeur à l'inscription, ce n'est
pas encore l'admettre k la preuve du faux. U faut qu'une
procédure préalable, dirigée par le juge-commissaire, en
rende l'existence vraisemblable. Il y a ici quelque chose
d'analogue k l'instruction préparatoire, dans les ^ifiEatires de
grand criminel , qui se termine par un arrêt de mise en ac-
cusation ou par un arrêt de non-lieu. Gela s'explique par
l'intime connexité qui existait, sous l'empire de l'ordonnance
de 1737, dont le Ck)de de procédure a reproduit la sub-
stance , entre la procédure civile et la procédure criminelle
de faux. La pièce est accusée de faux, disait Potbier. {Proc.
civ., cbap. VI, § 6.) f
Pour préparer et pour éclairer la décision du tribunal ,
la loi prescrit diverses opérations appropriées au but qu'il
s'agit d'atteindre. On prend d'abord des mesures pour obte-
nir la représentation de la pièce , qui est , en quelque sorte,
le corps du délit. On en constate l'état par un procès-ver-
bal , auquel sont appelés les intéressés. Les moyens de faux
INSCRIPTION DK FAUX. S07
sont signifiés par le demandeur k son adversaire. Enfin, le
tribunal prononce sur l'admission ou sur le rejet de ces
moyens.
630. Le dépôt au greffe de la pièce arguée de faux doit
être efiectué par le défendeur dans les trois jours de la signi-
fication du jugement qui admet l'inscription, et dénoncé
dans les trois jours suivants au demandeur, parla significa-
tion de l'acte de mise au greffe. (C. de proc, art. âi9;)
Ces deux délais ne sont pas susceptibles d'augmentation à
raison des distances , comme celui qui est donné au défen-
deur pour déclarer s'il entend se servir de la pièce. Il ne
s'agit plus , en effet , d'une sommation toute personnelle ,
mais simplement de la remise d'une pièce qui doit être dans
les mains de l'avoué du défendeur, ou bien d'une simple
notification, qui se fait toujours d'avoué à avoué. Mais il est
également vrai ici que l'expiration du délai n'emporte point
déchéance, tant que le rejet de la pièce n'a pas été pro-*
nonce. (Rej., 2 février 4826. ) Seulement, le demandeur a
la faculté de faire effectuer le dépôt au greffe , aux frais du *
défendeur, n n'est plus temps pour celui-ci , comme le dit
fort bien l'orateur du Tribunat , de se remettre dans la posi^
tion où il était avant sa déclaration^ il faut que l'affaire soit
suivie, si le demandeur l'exige. Toutefois le dépôt ne peut
être ainsi ordonné qu'autant qu'il existe un double de la
pièce entre ses mains , ou bien qu'une tierce personne pos-
sède, soit un double, soit l'original. Autrement, on ne
serait pas reçu , en matière civile , à faire ordonner une per-
quisition dans le but de saisir la pièce chez l'adversaire. Il
n'y aurait alors d'autre ressource que la demande en rejet.
631. Lorsqu'il s'agit d'une pièce dont il y a minute, ce
qui arrive presque toujours pour les actes authentiques
dont nous nous occupons maintenant , l'apport de la minute
parait nécessaire , puisque , tant qu'elle existe , c'est k elle
208 INSCRIPTION DE FAUX.
seule qu'il convient de s'en référer pour la preuve. (C. cîv. ,
art. 1334.^) Aussi Tordonnance de 1670 exigeait-elle cet
apport sans distinction. Mais l'ordonnance de 1737, suivie
en ce point par le Code de procédure (art. 221, 222), a
laissé au tribunal la faculté de statuer suivant les circon-
stances. La minute peut se trouver k une distance fort éloi-
gnée, ou l'altération alléguée peut être de telle nature qu'elle
ne tombe évidemment que sur l'expédition. Lorsque l'ap-
port est exigé, les dépositaires de la minute, fonctionnaires
publics ou simples particuliers, peuvent être contraints k
Tefiectuer dans un délai qui est déterminé par le juge<;om-
missaire ou par le tribunal , suivant que l'un ou l'autre a été
saisi de la question.
632, La pièce remise au greffe , il faut procéder k en
constater l'état contradictoirement , dans un bref délai.
Lorsque c'est le défendeur qui a fait la remise , ainsi que
cela arrive le plus ordinairement, il doit, dans l'acte même
de signification de la mise au greffe , sommer le demandeur
d'être présent au procès-verbal de l'état de la pièce, et le
procès-verbal doit être dressé trois jours après cette signifi-
cation. Celte opération a lieu dans les trois jours de la
remise, sommation préalablement faite au défendeur, si
c'est le demandeur qui a opéré le dépôt. (C. de proc,
art. 225. ) L'expérience a fait reconnaître l'utilité de ces
brefs délais, qui existaient déjk sous l'empire de l'ordon-
nance de 1737. Il importe de ne pas perdre de temps , lors-
qu'il s'agit de constater les vices d'une pièce dont l'anéan-
tissement peut être d'un si grand intérêt pour celui qu'elle
compromet. Le procès-verbal est dressé par le juge-commis-
saire, en présence du ministère public, du demandeur et
du défendeur. (Ibid,, art. 227.) On ne saurait trop recom-
mander k ce juge, ainsi qu'au greffier, de ne pas perdre de
vue la pièce qui est l'objet du procès. Dans une espèce qui
INSCRIPTION DE FAUX. 209
donila lieo k un arrêt du parlement de Paris du 17 mars
1668, un billet argué de faux fut adroitement soustrait au
greffier, et avalé par la partie à laquelle ce billet pouvait
nuire. Les juges se vengèrent en prononçant contre elle la
peine des travaui forcés k temps ^-, mais il eût mieux valu
garder plus soigneusement le billet.
Le procès-verbal doit mentionner et décrire les ratures,
surcharges et interlignes. Boncenne ajoute qu'il convient
d'entrer dans plus de détails, de noter les endroits où
l'écriture se resserre et ceux où elle s'éhrgit, les teintes
différentes de l'encre,- les altérations du papier, ses cou-
pures, ses déchirures, les traces du grattoir, etc. On ne
doit rien négliger de ce qui peut mettre sur la trace du
faux.
633. n importe d'observer, du reste, que toute cette
partie de la procédure , depuis le jugement qui a admis
rinscription jusqu'à la signification des moyens, parait se
référer uniquement à l'hypothèse d'un faux matériel. Lors-
que les parties sont d'accord sur la teneur de l'acte, qui n'a
évidemment subi aucune altération, et que la difficulté
porte uniquement sur un faux intellectuel, k quoi bon
opérer le dépôt de la pièce au grefie ? A quoi bon surtout
dresser procès- verbal de son état, qui n'est pas en question ?
634. Huit jours après la confection du procès- verbal ,
s'il a dû en être dressé un, sinon, huit jours après la signi-
fication du jugement d'admission , le demandeur doit signi-
fier ses moyens -, le défendeur doit répondre dans un délai
qui est également de huitaine. Trois jours après les réponses,
la partie la plus diligente peut poursuivre l'audience. (Ibid.,
an. 229-331 .) L'audience peut également être poursuivie h
i
La peine serait aujourd'hui celle de la réclusion. (Cod. pén., art. 255.
u. **
2i0 INSCRIPTION DB FAUX.
respiration de la première huitaine, s il n'y a pas en de
signification de la part du demandeur, afin de le faire déclarer
déchu de son inscription; ou bien, au contraire, k l'expira-*
lion de la seconde huitaine sans réponse de la part du
défendeur, afin de faire prononcer le rejet de la pièce. Ces
décisions dérogent à la règle ordinaire, qui permet aux
parties de s'abstenir d'écritures, si elles le jugent con-
venable, {ïbid., art. 80.) Les questions de faux offrent une
telle gravité, qu'on a voulu mettre le demandeur dans la
nécessité d'articuler ses moyens k peine de déchéance, et
obliger également le défendeur à s'expliquer, k peine de
rejet immédiat de la pièce. Les moyens qui appuient ou qui
combattent la demande doivent donc être développés de
part et d'autre, pour que le tribunal puisse rendre en con-
naissance de cause la décision interlocutoire qui termine la
la seconde phase du procès.
635. Il faut remarquer que cette dernière partie de la
procédure a été refaite à neuf. Dans le système de l'ordon-
nance de 1737 (tit. Il, art. 27 et 28), les moyens de faux
étaient mis au greffe, et il ne devait en être donné ni copie
ni communication au défendeur. C'était un vestige du carac*-
tère criminel qu'avait primitivement l'instruction du faux :
on s'attachait encore, bien que les conclusions ne fussent
qu'à fins civiles, aux errements de la justice pénale d'alors,
qui, de crainte que l'accusé n'eût trop de facilité pour
préparer une défense mensongère , lui refusait toute com-
munication des moyens employés contre lui. Un double
motif devait faire rejeter aujourd'hui cette marche : d'abord,
le faux civil est maintenant tout k fait distinct du faux cri*
minel*, en second lieu, notre système d'instruction crimi-
nelle est loin de reposer sur les mêmes bases que celui qui
existait en 1737.
636. Pour en revenir aux moyens de faux , ils seront
INSCRIPTION DE FAUX. 2ii
m
généralement faciles à préciser lorsqu'il ' s'agira de faux
matériel. On fera ressorlir les signes extérieurs qui en
dénotent Texistence d'une manière plus ou moins frappante.
Quand, au contraire, il s'agira d'un faux intellectuel, sera-
t^îl permis de considérer conune moyen suffisant de faux la
simple dénégation des faits constatés par l'officier public,
sauf k en prouver ultérieurement la fausseté? Si cette pré-
tention était fondée, l'inscription de faux ne serait que
Tadministration de la preuve contraire, soumise seulement
h quelques entraves de plus. Mais alors k quoi bon exiger
l'articulation des moyens? Pour que l'on puisse élever des
doutes sur la véracité d'un officier public, l'esprit de la loi
exige que l'on articule des faits contraires k ceux énoncés
dans l'acte, un alibi, par exemple, si Ton veut nier la pré-
sence des parties , contrairement k la foi d'un acte authen-
tique. Aussi l'article 129 du Code de procédure veut-il que
l'acte qui signifie les moyens, relate les fitits, circonstances
et preuves^ par lesquels on prétend établir le faux. Si l'on
pouvait se contenter d'un simple démenti donné aux asser-
tions de l'officier par le demandeur en faux, quel acte
pourrait échapper aux attaques d'un plaideur éhonté, décidé
a tout nier avec une impudente énergie? Aussi a-t-il été
jugé, conformément aux conclusions de Merlin (voy. Repère
taire, v* MoTENS de faux), par un arrêt de cassation du
i8 février 1813, que ce n'est pas Ik un point abandonné au
pouvoir discrétionnaire des tribunaux, et que leurs déci-
sions doivent être annulées, lorsqu'ils admettent comme
moyen suffisant de faux la dénégation pure et simple de
faits authentiquement constatés. L'arrêt de 1813 est relatif
k un procès- verbal des préposés des droits réunis, mais
nous verrons que les règles sur l'articulation précise des
moyens de faux sont communes aux matières civiles et cri-
minelles. La Cour a, du reste, consacré la même exigence
14.
212 INSCRIPTION DE FAUX.
9
relativement a rinscriptioo de faux contre les actes notariés,
par l'arrêt de cassation du 31 janvier 1825, dont la doctrine
a été confirmée par de nombreux arrêts postérieurs. « Le
« but de la loi », dit Tarrêt de 1825, v est facile à saisir :
« elle a voulu que les faits articulés contre l'acte attaqué
« fussent tellement précis et circonstanciés, que les magis-
« trats pussent en apprécier le mérite , et les parties elles-
tt mêmes connaître positivement quels sont les seuls points
« sur lesquels porterait la preuve ^ cette disposition tend en
« même temps k prévenir tout^ collusion avec des témoins ,
a que l'on ferait déposer sur des faits inconnus, concertés
« avec eux, après coup, et qui n'auraient pas été annoncés
c( dans les moyens. »
Remarquons toutefois qu'il ne faut pas pousser trop loin
cette doctrine, et rendre k peu près impossible la preuve
du faux intellectuel, en exigeant, comme l'a fait la Cour de
Poitiers, le 27 novembre 1850, l'articulation de faits qui
excluent invindblenient l'exiitence et la possibilité des faits
énoncés dans l'acte argué de faux. On a prétendu \ par
exemple, qu'il fallait, conformément à la décision de Jus*
tinien (L. 14, Cod., De contr. stipul.)^ pour prouver un alibi,
établir l'absence des parties ou des témoins instrumentaires
pendant la journée entière, lors même que le notaire aurait
indiqué l'heure de la rédaction de l'acte, sa montre pouvant
être en avance ou en retard. Ainsi, l'arrêt précité de la
Cour de Poitiers a rejeté comme insuflisante l'articulation
du fait qu'un témoiii n'^aurait signé un acte de donation que deux
jours après $a confection , et hors la présence des parties *, sous
' CD peut voir ce système longuement développé devant la Cour 8upé«
rleure de Bruxelles par l'avocat Kockaert , dont Merlin (foc. oit,) reproduit
les arguments. Mais la Cour de Bruxelles (comp. les arrêts du 20 février
1820 et du 13 j uin 1821) a repoussé les conséquences extrêmes de la
théorie de Kockaert.
' On se rappelle qu'aux termes de la loi du 21 juin 1843 (art. 2), pour
INSGRIPTIOll DE FACX. 213
prétexte que Theure de cette signature n'était pas men-
tionnée. Si cet arrêt n'a pas été déféré à la Cour de cassa-
tion , le système qo'il consacre n'en a pas moins été formel-
lement réprouvé par la Cour régulatrice. Ainsi elle a jugé
(Rej., 20 avril 1837) qu'on avait pu admettre contre les
énonciations de l'acte la preuve de l'absence de Tune des
parties, sans qu'il fût nécessaire d'établir l'impossibilité
absolue de sa présence. Ainsi, elle a reconnu (Rej., 12 no-
vembre 1856) dans l'articulation de l'absence des témoins
instrumentaires à l'heure où leur présence était signalée un
■
fait pertinent et admissible.
Néanmoins, si les faits articulés sont insuffisants, vaine-
ment le demandeur en faux proposerait-il au juge de corro-
borer ses assertions par la délation du serment supplétoire.
Une pareille prétention est inconciliable avec la marche
tracée par le Code de procédure, qui n'admet point de
demi-preuve en matière de faux ; aussi a-t-elle été repoussée
par Tarrêt de Poitiers, du 27 novembre 1850, et en ce
point, du moins, la Cour s'est strictement conformée à
l'esprit de la loi.
636 Iriê. Le projet de réforme (art. 200 et suiv.) sup-
prime cette phase de la procédure, comme étant une
source de complications et de frais peu justifiés. Dans le
système de ce projet, commun à la vérification d'écritures
et k la procédure de faux , le tribunal auquel l'inscription
de faux est représentée, statue immédiatement, ou ordonne
la comparution des parties. Le jugement qui ordonne la
comparution , prescrit en même temps l'apport de la pièce
arguée de faux, soit par les parties, soit par le dépositaire,
public ou autre, si elle est entre les mains d'un tiers.
les actes notariés les plus importants, comme ceux qui contiennent dona-
tion entre-Tifs, la présence des témoins est requise au moment de la lecture
des actes par le notaire et de la signature par les parties.
214 INSGKIPTION DE FAUX.
L'état de la pièce est constaté , séance tenante , dans an
procès-verbal signé par les parties, le président et le
greffier. On procède alors directement k la preuve da faax ,
sans renvoi devant un juge-commissaire, sans aucune dis-
cussion préalable sur l'admissibilité des moyens de faux.
s 3. PBOGÉDUKE TENDANT A LA PEBUVS »U FAUX.
SOVMAIBE. — G37. Divers modes de preuves admissibles. — 638. Leur camal n*est point
nécessaire. ~ 630. Faciillé pour le juge d'admellre de piano l'existence du faux. — 640.
Latitude accordée aux experts. — G4i. Suspension de 1 exécution de l'acte. — 642. Exa-
men des trois modes de preuve. — 643. Preuve par titres. — 644. Preuve par témoins.
>- 645. Peut-on entendre contre l'acte les témoins instrumentaires , et le notaire lui-
> même? — 646. Marche de l'enquête. -^ 647. Expertise. Renvoi.
637. Le jugement, rendu sur les conclusions du minis-
tère public , qui admet le demandeur k la preuve du faux ,
détermine comment se fera cette preuve, et sur quels points
elle devra porter.
La preuve se fait par titres, lorsqu'on démontre la fausseté
de l'acte au moyen d'autres actes, dont la sincérité est
inattaquable , et qui établissent des faits incompatibles avec
la vérité des allégations contenues dans la pièce argdée de
faux. Elle se fait au moyen d'une enquête, lorsqu'on
entend des témoins qui déclarent avoir assisté k la fabrica-
tion ou k l'altération de l'écrit, s'il s'agit d'un faux matériel,
ou savoir de science certaine que les faits se sont passés
tout autrement qu'ils ne sont relatés dans l'acte, s'il s'agit
d'un faux intellectuel. Enfin la preuve se fait par experts,
lorsqu'on appelle des hommes versés dans la connaissance
des écritures k donner leur avis sur les inductions qu'on
peut tirer de l'état matériel de la pièce.
638. Ces trois modes de preuves ne peuvent pas toujours
se cumuler. Il est clair, par exemple, que l'expertise n'est
d'aucune utilité , s'il s'agit de faux purement intellectueL
ntSGRIPTlON DE FAUX. 215
Les témoins, et surtout les titres, peuvent ne pas exister
dans Fespèce. Mais lorsque le cumul des preuves indiquées
par la loi est possible, le tribunal est-il tenu de les ordonner
conjointement? La négative était certaine sons Tordonnance
de 1737 (titre II, art. 30), qui, après avoir indiqué les trois
genres d'informations , ajoutait : Le tout selon que le cas U
requerra. Bien que cette addition ne se retrouve pas dans le
Code de procédure (art. 232), rien n'indique qu'elle y ait
été omise k dessein *, si un seul mode de vérification suffit
pour atteindre complètement le but, si, par exemple, un
titre d'une authenticité incontestable démontre clairement
la fausseté de celui qui est attaqué, on ne voit pas pourquoi
on obligerait le tribunal à multiplier les moyens d'investiga-
tion d'une manière frastratoire. La Cour de cassation s'est
plusieurs fois prononcée en ce sens. (Yoy. les arrêts du
25 mars 1835 et du 11 mars 1840.)
659. On se demande même s'il est toujours nécessaire
d'ordonner une vérification en forme, et si les juges ne
peuvent pas de piano admettre l'existence du faux, ainsi
qu'ils peuvent certainement * rejeter de piano Tinscription.
(N* 626.) Il ne saurait y avoir de doute sérieux en ce qui
concerne le faux matériel. On a constaté souvent dans la
pratique des surcharges et des altérations tellement évidentes
qu'il eût été vraiment frustratoire d'ordonner une enquête
Constante dans l'ancienne jurisprudence (voy. Meriin,
Questions de droit, y Inscription de faux, § 1 , n* 1)
cette doctrine a été consacrée par de nombreux arrêts dans
le droit actuel. (Voy. notamment Rej., 20 février 1821-,
^ Nous ayons vu (n« 626) qu'un arrêt de la Cour d'Alger, du 21 avril
1853 , refuse au juge la faculté de statuer en môme temps sur Pinscription
de faux et sur la pertinence des faits, pour rejeter à la fois Tinscription et
la preuve ; mais que la doctrine contraire est depuis longtemps consacrée
par la Cour de eaasation. (Yoy. Rej., 25 avril 1854.)
216 INSCRIPTION DE FAUX.
12 janvier 1833^ 20 janvier 1857.) L'arrêt de la Cour de
Caen, maintenu par la Cour de cassation, le 20 janvier
1857, pose, en thèse générale, a que rien n'oblige le juge
c( à épuiser tontes les formalités du Ck)de, lorsque sa con-
<( viction est formée, et qu'il trouve dans les faits déjà
« exposés par les parties une preuve suffisante de la faus-
« seté de l'acte contre lequel l'inscription est demandée. »
Ce pouvoir discrétionnaire du juge est généralement
reconnu en ce qui touche le faux matériel. Hais il a été
contesté en ce qui concerne l'existence du faux intellectuel,
qui ne se révèle point par des signes aussi palpables et qui
tend k ébranler la foi due aux officiers publics. On a pré-
tendu que le faux intellectuel exige toujours une instruction.
Mais cette distinction n'est point fondée , en principe. Le
faux , même intellectuel , peut ressortir avec évidence des
données de la cause, ainsi que l'a décidé plusieurs fois la
Cour de cassation , notamment au cas où un alibi détruisant
les énonciations de Tacte était établi par des faits avoués ou
non contestés (Rej., 17 décembre 1835), et dans un cas où
le faux était plus manifeste encore, celui où un prétendu
témoin de l'acte n'avait point assisté k sa réception, aux
termes de la déclaration même de ToflGcier public. (Rej.,
10 avril 1838^ voy. aussi Bordeaux, 21 juillet 1851.) Il
n'y a donc point de différence , en principe , entre le faux
matériel et le faux intellectuel , sauf aux juges k user avec
plus de sobriété, quant k ce dernier, du pouvoir discrétion-
naire qui leur appartient.
Nous insistons sur ces questions d'admissibilité ou de
rejet de la demande de piano, parce que ce sont k peu près
les seules qui se présentent dans la pratique, le faux étant
le plus souvent écarté ou admis d'emblée, et la procédure
compliquée du faux incident étant fort rarement mise en
œuvre. Le projet de réforme, bien que simplifiant beaucoup
é
INSCRIPTION DB FàUX. 217
eette procédure, attribue formellement au juge (art. 200,
181), le pouvoir de statuer de piano.
640. Le même jugement (ibid., art. 233) qui statue sur
•la nature des preuves k administrer, énonce dans son dis-
positir les moyens de Taux jugés admissibles * , les seuls sur
lesquels doive porter la preuve. Cette restriction était telle-
ment de rigueur sous Tempire de Tordonnance de 1670, que
les experts, lorsqu'ils découvraient dans l'écrit à eux soumis
quelque vice matériel qui ne se rattachait pas aux moyens
de faux énoncés, n'osaient en faire mention dans leur
rapport, de peur d'être pris à partie, comme s'écartant de
la mission qui leur était assignée. Pour obvier k cet abus ,
l'ordonnance de 1737 a apporté au principe restrictif de la
preuve un tempérament, qui se retrouve dans l'article 233
du Code de procédure * : « Pourront néanmoins les experts
« faire telles observations dépendantes de leur art qu'ils
« jugeront k propos sur les pièces prétendues fausses, sauf
« aux juges k y avoir tel égard que de raison. »
641. C'est ordinairement aussi ce même jugement qui
suspend l'exécution de l'acte, aux termes de l'article 1319
du Code civil.
64S. Reprenons maintenant chacune des trois preuves
indiquées par la loi.
643. La preuve par titres est extrêmement simple.
Lorsque des actes non suspects établissent un fait qui
détruit complètement la vérité des allégations de l'of&cier
public, comme un alibi ^ le faux est démontré de la manière
la plus palpable. C'est ainsi que les énonciations d'un acte
* Le texte àî\ pertinents et admissibles; mais nous avons reconnu (n« 61)
qae la première de ces conditions rentre dans la seconde.
* Cet article deviendrait inutile dans le système du projet de révision ,
qui tapprime renonciation des moyens.
SI 8 INSCRIPTION DE FAUX.
de naissaDce ' ont été yictorieusement contredites par la
teneur d'un acte de mariage non contesté. (Cass., 13 dé-
cembre 1842.) L'administration de cette preuve ne donne
lieu k aucune difficulté. Seulement, les titres produits k
l'appui de la demande en faux peuvent eux-mêmes être
attaqués par la voie de l'inscription de faux , de même que
les témoins entendus à l'appui d'un reproche peuvent être
eux-mêmes reprochés. Les doutes émis par quelques auteurs
sur l'admissibilité de cette inscription incidente, k raison
de la complication qui en résulte dans la procédure, ne
peuvent prévaloir contre le texte général (C. de proc,
art. 214), qui permet de s'inscrire contre toute pièce pro-
duite dans le cours d'une instance. L'intérêt de la célérité
est grave, sans doute, mais on ne doit pas lui sacrifier celui
de la vérité.
644. La preuve par témoins peut porter sur le fait
même du faux matériel, ou du faux intellectuel ; elle peut
aussi porter, comme la preuve par titres, sur des faits
pouvant servir k la découverte de la vérité. La loi le dit
spécialement pour la vérification d'écritures (titU, art. 211),
et on ne voit pas pourquoi il en serait autrement en ce qai
touche le faux.
Cependant, quoique le texte ne fasse aucune distinction,
on a quelquefois douté de l'admissibilité des témoins quand
il s'agit de vérifier un faux intellectuel. On a craint que ce
ne fût un moyen indirect d'éluder la loi qui défend de prou-
ver contre le contenu aux actes. (C. civ., art. 1341.) N'est-
ce pas Ik , dit-on , préférer le témoignage de simples par-
ticuliers, qui offrent souvent peu de garanties, k celui des
oificiers institués par la loi pour la constatation des faits ju-
' Il faut supposer, dans notre opinion, un fait attesté de visu et auditu
par Tofficier civil : autrement, il n*y aurait plus de difficulté, l'acte ne
faisant pas foi jusqu'à inscription de faux. (N« 528.)
IHSGRIPTION DE FAUX. 219
ridignes? Mais, malgré les conclusions formulées par Tavo-
cat général Daniel , qui a soutenu qu'en l'absence d'indices
de faux matériel , la preuve testimoniale n'était admissible
dans l'espèce qu'au moyen d'un commencement de preuve
par écrit (en ce sens, Riom, 17 mars 1819), ces considé-
rations n'ont pas prévalu devant la Cour de cassation -, la
Cour, de même qu'elle a refusé (n* 639) de distinguer entre
le faux matériel et le faux intellectuel, quant à l'ad-
mission de faux de piano, a refusé, le 39 juillet 1807, d'ad-
mettre cette distinction quant à la faculté de prouver par
témoins. Et en effet , lorsque la loi défend de recevoir la
preuve par témoins contre le contenu aux actes, elle n'en-
tend parler que de la preuve contraire que l'on voudrait ad-
ministrer ^p/ano, mais nullement de l'inscription , garantie
extrême toujours réservée contre la prévarication des offi-
ciers publics. Comment cette prévarication pourrait-elle,
sauf dans quelques cas exceptionnels, être prouvée par
écrit? Il ne s'agit évidemment que d'un fait frauduleux, et
jamais l'exclusion de la preuve testimoniale n'a été appliquée^
des faits de cette nature. (N** 141.) C'est le cas de dire, avec
Boiceau (Part. I, chap. vu , n* 6) : Cum hœc omnia dolo9a et
frttudulenta videantur et crminis speciem habentia, huic legi subjici
non debeni, into testibue omnique alto probandi génère hujusmodi
fraude» detegi debere exUtimo. La Cour de Poitiers, dans l'ar-
rêt de 1850 (n'^ôSÔ), où elle a touché incidemment ce point,
se préoccupe beaucoup du danger de détruire la foi qui doit
s'attacher k l'authenticité, elle craint d'ébranler une des
principaleê bases de la propriété: mais ce danger nous semble
tout k fait chimérique-, les inscriptions de faux sont rare-
ment admises par Ja jurisprudence, et dans tous les cas
elle exige les preuves les plus convaincantes pour prononcer
la fausseté. Mais , quand les témoignages sont précis et po-
290 mSGRIPTION DE FAUX.
sitifs, la présomption de véracité de l'officier public doit
céder a l'évidence.
645. Pourra-t-on entendre les témoins instrumentaires
eux-mêmes? Point de doute, s'ils déposent en faveur de la
sincérité de Tacte? Un jugement du tribunal de Schelestadt,
qui les avait déclarés reprocbables comme ayant donné des
certificats sur les faits relatifs au procès (C. de proc,
art. 283), a été cassé, le 23 novembre 1812 : c'était con-
fondre avec l'administration de certificats officieux le mi-
nistère légal des témoins instrumentaires. Hais seront-ils
reçus k déposer en sens inverse , c'est-à-dire \k démentir ce
qu'ils ont attesté par leurs signatures? Ce démenti judiciaire
donné à une déclaration solennelle paraît, au premier coup
d'œil , difficile à admettre. Et cependant , le danger même
auquel s'expose le témoin qui fait une pareille déclaration ,
puisqu'il peut être poursuivi comme complice d'un faux ,
u'est-il pas une forte présomption en faveur de sa véracité?
D'ailleurs n'arrive-t-il pas souvent que des témoins simples
et ignorants souscrivent, sans aucune espèce de dol, de
fausses énonciations , dont ils ne comprennent pas la por-
tée, celle, par exemple, que le testament a été dicté lors-
qu'il a été seulement lu au testateur en présence des
témoins; et que plus tard ces mêmes témoins, interrogés
en justice , exposent sincèrement la manière dont les faits
se sont passés? C'est ce qui avait lieu précisément dans une
a&ire jugée en 1810 par la Cour spéciale de la Seine, af-
faire où le procureur général Legoux a exposé avec beau-
coup de netteté les principes sur ce point. (Voy. Merlin,
Questions de droit, V Témoin instrdmbntaire, § 3.)
Néanmoins, sous l'influence du système des preuves lé-
gales, l'ancienne jurisprudence ' considérait généralement
* Cette opinion était pourtant combattue par les meUleurs interprètes du
droit romain, qui n*a jamais admis de semblables restrictions, n Adrersus
INSCRIPTION DE FAUX. 2S1
les témoins comme liés k FavaDce par leurs dépositions
écrites. L'avocat général Séguier, qoe nous avons déjk vu
(n* 343) soutenir avec tant d'énergie la maxime qui accor-
dait foi absolue k la déposition de deux témoins conformes,
eut également occasion de donner ses conclusions sur la
question des témoins instrumentaires , en 1786 : « On ne
« peut absolument , dit-il , recevoir ni déclaration , ni dépo-
« siUon d'un témoin instrumentaire ; sa déclaration n'est
« point juridique, elle est déclarée nulle par la loi, sans
«c qu'il y ait à examiner si elle est ou non conforme à son
« premier témoignage. Elle n'y ajoute aucune force , si elle
« contient les mêmes faits; elle ne l'ébranlé point, si elle
ft en contient de contraires. D'ailleurs, quelle inégalité n'y
« a*t-il pas entre la foi due au témoin, lorsqu'il signe un
« testament comme revêtu d'un caractère légal, comme
a exerçant une fonction publique, et celle qu'on pourrait
« ajouter, soit à la déclaration extrajudiciaire du même
« homme redevenu une personne privée, soit même à ce
« qu'il déclare sous la religion du serment, lorsqu'il est in-
« terrogé par la justice?... Et si les mœurs du témoin
fc doivent influer sur la foi due à sa déposition , quelle idée
« présente de lui-même le témoin instrumeutaire qui vient
a démentir le contenu de l'acte qu'il a signé? Lorsqu'il
« signait le testament, la loi, qui consacrait son ministère,
« le présumait honnête et digne de toute confiance. Le les-
tt tateur qui l'appelait, confirmait, par sa confiance, cette
« présomption de probité. Mais, à l'instant même où il
<c ouvre la bouche pour déposer contradictoirement au tes-
« tament qu'il a signé , il se place dans l'alternative d'être
« testimonia », dit Cujas {Ùbserv., lib. XVI, cap. xxy), « interrogentur testes
« ipsi , quorum sunt testimonia , et testimoDiis fides non habeatur, uisi eis
« suffragetur tox testium ipsorum. » Godefroy dit également (sur la loi l'«,
Cod. De testHnu) : « lidem testes qui in instiumento interfûenmt , ejus
« falsitatem possunt arguere. »
222 INSCRIPTION DE FAUX.
« OU d'avoir été un parjure*, la justice indignée voit évidem-
« ment que Tbomme qui lui parle est un imposteur-, sa
a seule incertitude est de savoir si c*est dans le moment
« actuel ou à l'époque précédente qu'il Ta trompée, et cette
« incertitude même fait qu'elle ne peut prononcer la faus-
« seté du premier acte sur la seule confiance de cet être
« vil, parce que c'est peut-être en disant que l'acte est faux
« qu'il commet un mensonge. » Ces conclusions, conformes
k la jurisprudence anlérieure, furent adoptées en 1786 par
le parlement de Paris , et telle était généralement la doc-
trine de nos anciens auteurs ^ Elle était conforme k Pesprit
de notre ancienne jurisprudence en matière de preuves.
«Loin de faire la critique de l'arrêt de 1786 n, disait,
en 1810, le procureur général Legoux (cité par Merlin,
loc. cit.)^ (( il est très-possible qu'assis parmi les juges,
(( nous en eussions été d'avis... Nous ne sommes pas sur-
it pris qu'on fit de grandes difficultés pour convaincre un
(( notaire de faux sur la déposition de deux témoins instru-
(( mentaires... Mais aujourd'hui, nulle distinction à faire
« entre les preuves admissibles en matière de faux, et celles
» qui servent k constater les autres délits. Les témoins qui
(( peuvent être administrés pour le crime de faux ne sont
(( dès lors reprochables que dans les cas prévus et spécifiés
« par la loi. »
Il y a eu cependant des Cours qui ont reproduit la prohi-
bition de l'ancien droit. Les Cours de Riom (19 mars 1819)
et de Toulouse (26 mai 1829) ont déclaré la déposition des
témoins instrumentaires suspecte, comme attestant leur
' C^est toutefois mal à propos qu'on a invoqué dans ce sens Pautorité
de Domat. Il dit bien (liv. Ill , tit. YI , sect. 2 , n« 7) « qu'on n'écouterait
pas même une partie qui prétendrait faire ouïr en justice les témoins d'un
acte , pour y apporter quelque changement ou pour s'expliquer. » Mais ,
dans ce passage , il ne s'occupe point du faux ; son assertion a trait à la
preuYe contre et outre le contenu aux actes, et eUe est dès lors incontestable.
mSCBIPTION DE FACl. 223
propre turpitude. L'arrêt précité de la Cour de Poitiers
(n*" 636) signale également le scandale judiciaire de dé-
mentis directs donnés k leur propre signature par les témoins
instrumentaires. Aujourd'hui cependant, l'exclusion absolue
de ces témoins étant reconnue par trop arbitraire, on se
rabat k soutenir, suivant la doctrine de d'Aguesseau, con-
forme aux principes sur Taveu dans l'ancien droit (n** 366),
que leur déposition ne suffit pas à elle seule pour faire
preuve, ainsi que l'a jugé la Cour de Grenoble, le 15 juin
i852. Mais la Cour de cassation, qui a toujours fait préva-
loir les principes rationnels quant k l'admissibilité de la
preuve testimoniale ' , n'a admis ni l'exclusion absolue des
témoins instrumentaires, ni le système subsidiaire qui ne
voit dans leur déposition qu'une sorte de demi-preuve. Elle
a posé en principe (Rej., 12 mars 1838 et 12 novembre
4836) qu'on ne saurait articuler des reproches, en se fon-
dant sur des souvenirs de l'ancien droit, en dehors d'aucun
texte. Enfin elle décide formellement , dans les considérants
de l'arrêt de 1838, que u le pouvoir d'admettre les témoins
« instrumentaires une fois reconnu aux juges , c'est k eux ,
c( k eux seuls , qu'il appartient d'apprécier la portée et le
« résultat de leur déposition, de manière qu'ils peuvent, sur
« cette déposition unique , et sans le secours d'aucun autre
c( élément de preuve , déclarer la nullité. »
Nous voyons également la jurisprudence anglaise, après
s'être longtemps fondée sur ce prétendu principe du droit
* La doctrine qui exclut les témoins instramentaires se rattache intime*
ment à celle qae nous ayons également combattue (n° 636) avec la Cour de
cassation, et suivant laquelle il serait interdit d'établir un faux intellectuel
sans prouver Pimpossibilité absolue de la vérité des énonciations de Tacte.
Aussi voyons-nous le môme Kockaert, qui professe cette dernière doctrine,
s'efforcer de faire revivre la vieille thèse de la turpitude des témoins dépo^
sant contre leur propre signature. (Voy. Merlin, Répert., v« Moyens de
TAUX.) Le même rapprochement se trouve dans les considérants des arrêts
de Poitiers et de Toulouse, qui exagèrent les prérogatives de l'authenticité.
S24 INSCniPTIOM DE FAUX.
romain qae le témoin doit être repoussé comme alléguant
sa propre turpitude, revenir, en définitive, à cette règle de
bon sens, qu'il faut apprécier le témoignage du témoin instru*
mentaire, et non Texclure à priori. Le même mouvement de
doctrine a eu lieu aux États-Unis, sauf une hypothèse, celle
où le souscripteur d'un effet commercial serait appelé à dé-
poser contre la sincérité de cet effet, au détriment d'un
porteur de bonne foi -, l'opinion qui le déclare non recevable
l'a emporté, en Amérique, par des motifs d'utilité pratique.
(H. Greenleaf, tom. I, p. 504 et suiv.)
Pour être conséquent dans la doctrine qui a prévalu, il
faut faire un pas de plus, et admettre le témoignage du no-
taire, bien qu'il allègue sa propre turpitude. On sent bien
qu'autrefois le notaire devait être repoussé h plus forte rai-
son. Sinon auditur perire voletis, disait le président Favre,
multo minus audieiur qui id agit ut et ipse et alius pereat. Ce
n'était là que l'application k la procédure de faux des doutes
élevés jadis sur la force probante de l'aveu * , doutes qui
nous ont paru inadmissibles dans le droit moderne. (N* 366.)
On peut donc recevoir contre l'acte la déclaration du notaire
lui-même, lorsqu'elle parait sincère. La Cour de Bordeaux,
le 3 décembre 1857 , a repoussé de piano le témoignage du
notaire même eu faveur de l'acte, à raison de Tinlérèt qu'a
l'officier rédacteur à en soutenir la validité. Mais admettre
comme motif de reproche un intérêt indirect, bien que
grave, c'est consacrer le système des reproches illimités»
que nous avons combattu. (M** 281.) Les exclusions à priori
servent mal la découverte de la vérité. Il peut arriver, du
reste, pour le notaire, comme pour les témoins, qu'il y ait
une mauvaise rédaction sans dol. Il importe de consulter à
cet égard l'arrêt de rejet, du 26 juin 1854, rendu à la suite
* L^ancienne doctrine française sur ce point s'est consenrée dans la
Louisiane.
1H8GRIPT10II 1>K FàOX. 225
d'un rapport de M. Hardouin, où les principes sont nette-
ment poses.
646. La marche de Tenquéte, en matière de faux, est
régie par les mêmes principes que dans les autres matières.
Toutefois 9 les témoins devant déposer ici sur les pièces pré-
tendues fausses , il importe qu'ils les aient sous les yeux.
Elles doivent donc leur être représentées : ce que le juge-
commissaire constate , en faisant parafer les pièces par les
témoins , ou bien , s'ils ne peuvent ou ne veulent le faire ,
en faisant mention de cette circonstance. On procède de
même, soit pour les pièces de comparaison, lorsqu'on juge
convenable de les représenter aux témoins , soit pour celles
que les témoins eux-mêmes auraient produites. (C. de proc. ,
art. 534 et 235.)
647. Enfin le faux peut se prouver par expertise. Mais
l'expertise s'applique surtout aux écritures privées , et c'est
à propos de ces écritures que la science des écrivains experts
a donné lieu à de vives critiques. Nos développements sur
ce point se rattacheront donc mieux k la vérification d'écri-
tures, dont la marche, sous ce rapport, est k peu près iden-
tique k celle de la procédure de faux. La seule disposition
importante qui soit spéciale au faux , c'est celle qui veut
que les experts soient toujours nommés d'ofiice. (Ibid.^
art. 232.) L'avis qu'ils doivent émettre peut avoir de si gra-
ves conséquences, qu'il convenait d'attribuer au tribunal
seul la faculté de les désigner.
% 4. 18SUB »B LA PmOCKDCBK.
SoMMAiBE. — 648. SolotiODS diYerses de la proeëdnre de fonx. — 649. Sanis q«*entratne
le foaz crimiDei. — 6S0. Prescription en matière de (ànx. — 651. Cas où le fanx n'est
qne partiel. — 653. Mesures relatives ^ la pièce jugée ùinsse. ~ 65S. Suspension de
l'exécotion de ces mesures. — 654. Amende encourue par le demandeur qui succombe.
~ 65S. Règle particulière sur la transaction.
648. L'instruction du faux peut prendre une (elle gra-
vité ^ qu'il y ait lieu de poursuivre au criminel le défendeur,
II. 45
S96 IHSCRIPTIOM DB PàUX.
et qae dès lors la juridiction civile se trouve provisoirement
dessaisie. Si, au contraire, Tinstruction ne met pas sur la
trace d'un crime ^ on revient à l'audience , et un jugement
définitif tranche la contestation. Il peut toutefois intervenir
une transaction qui prévienne ce jugement. Nous allons
reprendre successivement chacune de ces hypothèses.
649. Lorsqu'il résulte de la procédure des indices de
faux ou de falsification {ibid., art. 239), «i les auteurs ou
complices sont encore vivants , on applique le principe gé*
néral qui veut que le criminel tienne le civil en état. On
Burseoit k statuer sur le civil , tant que la procédure crimi-
nelle ne soit terminée. Le président du tribunal , ou même
le procureur de la République (C. d'instr., art. 462) délivre
contre le prévenu un mandat d'amener devant le juge d'in-
struction compétent. Nous verrons plus tard, en traitant de
la chose jugée , quelle influence peut exercer le résultat de
la procédure criminelle sur la décision du tribunal civil.
650. L'article 239 du Code de proc^ure parait supposer
que Taclion civile subsiste , lors même que la poursuite du
crime est éteinte par la prescription. Mais, si la prescription
de l'action publique est accomplie, il semble que l'action
civile doit être éteinte elle-même, aux termes de l'ar-
ticle 637 du Code d'instruction ' , qui attribue aux deux
actions la môme durée de dix ans. On peut d'abord répondre
simplement que l'action civile peut très-bien avoir été con-
servée par des poursuites faites pendant ce laps de dix ans,
tandis que l'action publique aurait été prescrite. Mais il faut
aller plus loin, et reconnaître que, le silence eût-il été gardé
pendant dix ans par la partie civile , comme par la partie
publique*, l'inscription de faux doit toujours être rece-
*■ L'article 239 du Code de procédure renvoie au Code pénal; c'est
qu'alort le même Code, celui du S brumaire an lY, réglait à la fois la
pénalité et la procédure.
> Mais, dira-t-on, l'action pubUque eU^mème n'est pas prescrite.
INSGRIPTION DE FAUX. ^7
m
vable. Il ne s'agit pas, en efiet, d'une action civile piopre^
ment dite, d'une deinande en dommages et intérêts, suscep-
tible d& s'éteindre au bout d'un certain laps de temps , mais^
d'une défense contre un acte entaché de la plus radicale de
toutes les nullités. Car quelle nullité plus grave peut-on
invoquer que celle qui consiste à démontrer que l'acte m'est
complètement étranger, aussi étranger que s'il était revêtu
de la signature d'un tiers? Le temps peut-il avoir la puis»
sauce de transformer le faux en vrai? Suffira-t-il k un faus-
saire de préparer dix ans à l'avance une fraude et de trans-
mettre ensuite l'acte k un tiers de bonne foi , pour que le
mensonge devienne une vérité judiciaire? Que je ne puisse
phis pQursuivre en dommages et intérêts l'auteur du fauXf
soit; mais la faculté de repousser l'attaque dirigée contre
moi au moyen d'un écrit de cette nature est un droit de dé-*
fense naturelle , qui doit durer aussi longtemps que subsiste
en fait la faculté de m'attaquer avec ces armes déloyales. La
Cour de cassation a consacré cette doctrine , aussi conforme/
à l'utilité sociale qu'aux r^les d'une saine logique, par ur
arrêt du 25 mars 18S9.
651. Une question souvent débattue jadis, c'est celle ê
savoir si le faux partiel doit détruire en totalité la foi ie
l'acte. L'opinion la plus raisonnable sur ce point consise à
distinguer, comme on le faisait k Rome , si les parties de
l'acte qui ne sont pas infectées de faux peuvent ou nonsub*
sister indépendamment de celles qui sont ftiusses. « SU ex
« falsis instmmentis », dit Tempereur Léon (L. 41,God.)
De tramact. ) , « transactiones vel pactiones înitae fierint ,
imisqne louage d*iine pièce faïuse oonsUtae on yéritable délit suicessif , et
que dès Iotb la prescription ne court qu^à partir de Pusage mAne fait de
cette pièce dans la procédure. Cela est vrai, quand un plaideur le mauvaise
foi use sciemment d^une pièce de cette nature ; mais on peut trM-bien croire
léritable une pièce fausse : alors il n'y a ni crime ni délit ie la part du
plaideur, et l'auteur du faux peut, de son c6té, se trouver à couvert au
moyeu de la prescription.
15*
\
I
2â8 INSCBIPTIOM DE FAUX.
(( quamvis jusjarandum de his interpositum sit, etiam civi-
L liler falso. revelato , eas retractari praeeipimus ; ita demum
« ut , si de pluribus causis vel capitulis eaedem pactiones
<( seu transactiones initse faeriDt, illa tautummodo causa vel
(( pars retractetur, quse ex faiso instrumento composita
d convicta fuerit, aliis capitulis firmis manentibus : nisi
« forte etiam de eo , quod falsum dicitur , controversia orta
« decisa sopiatur. » Si Tacte partiellement faux est encore
susceptible d'une validité partielle, ë plus forte raison doit-
on repousser la jurisprudence arbitraire de certains parle-
ments, qui faisaient perdre son procès au faussaire, lors
même que sa cause était bonne indépendamment de la pièce
fausse. De pareilles décisions rappellent trop celle du singe
devant qui plaidaient le loup et le renard (La Fontaine,
liv. Il, fable m) :
Le juge prétendait qu'à tort et à travers,
On De saurait manquer, condamnant un pervers.
65fi. Si la pièce est reconnue fausse, le tribunal (C. de
l^c, art. S41) doit prendre des mesures, soit pour em-
p^her qu'on ne puisse jamais en faire usage, soit pour
réiblir la vérité, s'il y a lieu. Afin d'atteindre le premier
de^^s résultats, il ordonne la suppretsian ou lacération de la
pièc^, si elle est isolée^ la radicuian, s'il y a eu falsification
part^lle d'un titre ou d'un registre qu'on ne peut détruire
en totalité -, enfin la réformation \ acte de destruction mo-
rale, ^ue l'on prononce, si l'écrit n'est pas au pouvoir du
tribund , ou si la loi n'en permet pas la radiation , comme
lorsqu' j s'agit d'un acte de l'état civil , sauf à faire meo-
* Tel est e sens donné au mot riformalUm par SerpiUon dans son com-
mentaire surVordonnance de 1737, et il n^est pas probable que les mêmes
expressions aient nn autre sens dans le Code de procédure. (Voy. M. Colmet
d'Aage, Leçons sur le Code de procédure, $ 460.)
INSCRIPTION DE FAUX. S29
tion da jugement en marge de l'acte supprimé. (C. civ.,
art. 101.) Quant au rétablissement de la vérité, les pièces
sont rétablies lorsqu'il y a lieu, soit de reproduire en entier
des dispositions effacées, soit du moins de remanier l'acte,
pour le remettre dans l'état où il était primitivement, sMi
s'agit d'un faux matériel , et dans l'état où il devait être
d'après l'intention des parties, s'il s'agit d'un faux intel-
lectuel.
683. Toutes ces opérations se font à la diligence du
greffier. Mais toutes , sauf la réformation , qui ne produit
pas d'effet matériel, sont de nature k causer un préjudice
irréparable à la partie condamnée. Or, la condamnation
peut ne pas être en dernier ressort-, elle peut être du
moins passible de voies de recours extraordinaires. Aussi
la loi a-t-elle voulu qu'il fût sursis k l'exécution du chef
du jugement qui porte sur Pétat matériel de la pièce, tant
que le condamné est dans le délai de se pourvoir par appel,
requête civile ou cassation. (Même art. 241.) On ne parle
pas du délai pour former opposition, parce qu'il est généra-
lement suspensif en toute matière. Quant aux voies extraor-
dinaires dont l'emploi est fort rare, la tierce opposition et le
désaveu y le législateur ne parait pas en tenir compte.
En sens inverse , si la pièce est déclarée vraie , il n'y a,
sans doute, aucune opération matérielle k effectuer-, mais
il serait dangereux de restituer, soit l'écrit argué de faux,
soit les pièces de comparaison , tant que le jugement peut
être attaqué par l'une des voies indiquées. On doit donc,
en principe, différer cette restitution. Mais l'application de
cette dernière règle peut cesser sur la demande des dépo-
sitaires, ou de toute partie intéressée à la réintégration des
pièces, pourvu qu'il soit suffisamment garanti au tribunal
qu'elles seront représentées k la première réquisition. {Ibid.^
art. 242 et 243.)
230 INSCRIPTlOn DE FAUX.
De plus, le ministère public, qui assiste au jugement
déflnitif, comme k toutes les autres phases de la procédure,
peut toujours , en faisant des réserves k fin de poursuites
criminelles , s'opposer soit k la destruction , soit au retrait
des documents utiles ou nécessaires pour l'exercice de
l'action publique , laquelle demeure parfaitement indépen-
dante , quelle que soit Tissue du procès civil.
654. Quand le demandeur succombe, il encourt de
droit, le jugement eût-il gardé le silence sur ce point, une
amende de trois cents francs, indépendamment des dom-
mages et intérêts qui peuvent être alloués par le tribunal au
défendeur. Le désistement volontaire n'empêcherait pas
l'inscrivant de subir cette amende; il en serait de même, a
plus forte raison, s'il avait été déclaré déchu de sa demande,
pour défaut d'observation des formalités légales'. Mais il
faut que l'inscription ait été admise -, sinon , la procédure
aurait avorté dans son germe. Il suffit au surplus que la
pièce, sans avoir été positivement déclarée fausse, ait été
rejetée , ou même qu'un faux partiel ait été constaté , pour
que l'amende ne soit pas encourue. (Ibid., art. 246-248.)
655. Enfin le procès peut, comme la plupart des con--
testations civiles, se terminer par une transaction. Nul
doute que l'accord des parties ne soit sans effet en ce qui
touche l'exercice de l'action publique. (C. d'instr., art. 4.)
Mais l'efiet de la transaction entre les parties elles-mêmes
parait subordonné ici k une condition toute particulière.
« Aucune transaction sur la poursuite du faux incident »,
dit l'article 249 du Code de procédure, « ne pourra être
* L'article 247 da Code de procédure suppose que les parties penreot
avoir été mises hors de procès. C'est là un vestige de Pancieu droit, oix la
mise hors de cause, dont nous avons eu occasion de parler (n« 56), s'ap-
pliquait au demandeur en faux, à cause du caractère semi-criminel de la
procédure. Aujourd'hui, la mise hors de procès ou hors de cause ne serait
que de Parbitraire, tant au criminel qu'au civil.
mSORIPTiOïV DIS FAUX. 331
« exécutée , si elle n'a été homologuée en justice , après
« ayoir été communiquée au ministère public , lequel
a pourra faire, à ce sujet, telles réquisitions qu'il jugera
« k propos. )>
Dans le premier état de notre jurisprudence française ,
à la différence du droit romain, qui permettait de transiger,
même sur Faccusation de faux (Diocl., L. 18, Cod., De
traruact.)^ toute transaction sur le faux était défendue. Il n'a
jamais été permis chez nous de transiger en matière de
crimes, et nous atons vu que la poursuite, même civile,
do faux avait un caractère criminel. Sous l'ordonnance
de i737, la transaction fiit permise-, mais, bien que Tar-
iicle 53 du titre II de cette ordonnance ne parl&t que A^exêcu-
tion, on pensait généralement que la validité de la transac-
tion au fond était subordonnée k l'homologation du tribunal.
C'est qu'alors la partie civile pouvait agir comme partie
principale au criminel, et que dès lors les droits auxquels
elle renonçait n'étaient pas purement privés, sous l'empire
d'une législation qui n'avait pas encore nettement discerné
l'action publique de l'action civile. (N* 608.) Mais aujour-
d'hui que la même confusion n'existe plus, l'action pour la
réparation du crime, qui n'appartient qu'au ministère pu-
blic, demeurant entière, on ne voit pas pourquoi le tribunal
serait autorisé à refuser au fond son homologation a une
transaction intervenue entre parties capables sur des intérêts
purement privés. Ce que le tribunal peut accorder ou re-
fuser, c'est V exécution de la transaction, en tant qu'elle pour-
rait compromettre Faction publique, c'est-k-dire en tant
qu'elle aurait trait k l'enlèvement ou k la destruction des
pièces, dont le ministère public peut requérir le maintien
au greffe. L'exposé des motifs est tout k fait dans le sens
de cette opinion : « Les parties ne sont pas libres »> dit
Treilhard , « par des conventions privées et secrètes, de faire
232 FAUX INCIDENT CRIMINEL.
(( disparaître les traces d'un crime et de soustraire les coo-
« pables aux peines qu'ils ont encourues. »
DEUXIÈME DIVISION.
FAUX INCIDEnT CRXMINSL.
Sommaire. — 656. DisUnction, aa criminel, do faax principal et da £inx incident. — 687.
Hardie ordinaire da faux incident criminel. — 688. Rigoenr particulière anx matières
spéciales. — 659. Quand il faut appliquer le droit commun. — 660. Marche de Tincideot
en matière spéciale. — 664. Disposition de l'article 484 du Gode forestier.
'656. Devant les juridictions criminelles, Tinscription de
faux, nous l'avons vu, ne peut jamais se présenter qu'inci-
demment. L^instruction du faux principal criminel, ou foux
principal proprement dit, tend k faire appliquer la loi pé-
nale, et non plus seulement k détruire la foi d'un acte,
comme l'inscription de faux.
657. La marche tracée pour attaquer incidemment une
pièce fausse au criminel difl%re peu de celle qui est suivie
devant les juridictions civiles. La partie qui attaque la pièce
comme fausse doit préalablement sommer l'adversaire de
déclarers'il entend ou non s'en servir. (G. d'instr., art. 458.)
Les plaideurs n'étant pas ici représentés par des avoués, la
sommation doit se faire par exploit, et par conséquent nul
doute que le délai de huitaine ne doive être augmenté] k
raison des distances. Du reste, la partie à qui on impose
cette sommation n'est que la partie civile. Le ministère
public n'est jamais forcé de mettre l'accusé en demeure
de déclarer s'il entend ou non employer tel moyen'. (Rej.,
20 juin 1847.)
* Lots même que la pièce aurait disparu par le fait de Pinculpé , les
poursuites du ministère public ne sauraient être arrêtées, ainsi que l'a jugé
la Cour de cassation, et sous le Code actuel (arr. du 14 mai 18S6), et même
sous Pempire du Code de brumaire, qui prescrivait à peine de nulUté
Paooomplissement de toutes les formalités de cette procédure. (Rej.,
6 mars 1807.)
FAUX INCIDENT CRIMINEL. 233
Si celui qoi reçoit la sommation renonce k faire usage
de la pièce, elle est rejetée do procès, sans préjudice des
poursuites criminelles auxquelles elle peut donner lieu.
Si , au contraire , il persiste k en faire usage , le faux est
poursuivi criminellement au cas où il y a eu faux inten-
tionnel-, sinon, rinstruction du faux est suivie incidem-
ment, dans les formes ordinaires, devant le tribunal saisi
de raf&ire principale. (Ibid., art. 439 et 460.) Cette der-
nière proposition n'est pas vraie toutefois d'une manière
générale. Il ne faut l'appliquer qu'aux Cours d'assises et
aux tribunaux de police correctionnelle. On n'a jamais con-
sidéré un tribunal de simple police comme offrant assez de
garanties pour pouvoir être saisi d^une procédure de faux,
dont la marche est si compliquée.
658. En matière ordinaire, le faux criminel n'est plus
soumis, nous l'avons vu (n"" 613), à peine de nullité, it l'ob-
servation des règles compliquées prescrites par la loi civile.
n n'en est point de même dans les matières spéciales dont
nous avons déjà parlé, en nous occupant de l'authenticité en
matière criminelle, c'est-k-dire en ce qui touche les procès-
verbaux constatant certains délits et certaines contraventions,
k l'égard desquels l'inscription de faux a été soumise k des
règles particulières. Tout est de rigueur dans la procédure
qui tend k détruire l'autorité de ces procès-verbaux, a. L'in-
« observation de ces formalités )> , dit un arrêt de cassation
du i8 novembre 18i3, « emporte la déchéance de l'inscrip-
« tion de faux ; elle éteint donc et anéantit l'action , sans
« qu'il soit possible de la reprendre ; par une conséquence
« nécessaire , les nullités qui résultent de l'inobservation
« d'une telle formalité sont absolues et d'ordre public ^
« elles ne peuvent être couvertes ni par le silence, ni par le
« consentement, soit des parties intéressées, soit du minis-
« tère public -, elles peuvent être proposées en tout état de
S34 FAUX INCIDENT CRIMINEL.
« cause comme exceplîon préjudicielle et përemptoire
a éteignant l'action, et il est même du devoir des juges de
a les suppléer dans le silence des parties. » Ces formalités
rigoureuses ont été empruntées k Fancienne législation,
dont les dispositions se trouvaient résumées dans une dé-
claration du 28 mars 1732, réglant la procédure k suivre
sur Tinscription. Indépendamment des règles empruntées k
la procédure civile sur Tinscription de faux et sur le dépôt
des moyens, la faculté de s'inscrire doit être exercée dans
des délais très-brefs , qui varient suivant les matières , mais
qui ne vont jamais au delk de l'audience indiquée par la
citation. « Dans tous les temps » , dit Merlin {Rêpert.,-
y^ Inscription de faux , § 6 , n"" 2 ) , « le législateur s'est
a attaché k restreindre, avec une inflexible sévérité, le délai
(( dans lequel peuvent être attaqués par inscription de faux
« les rapports et procès-verbaux des préposés', et Ton en
<c conçoit sans peine le motif : c'est que plus la loi accor-
« derait d'intervalle au prévenu de contravention pour
« s'inscrire en faux contre un procès-verbal, plus elle lai
(( faciliterait les moyens de forger, de revêtir de toutes les
« couleurs de la vraisemblance, et de prouver, par de faux
« témoins, des faits contraires aux faits constatés par le
« procès-verbal des employés-, c'est que les premiers mo-
(( ments qui suivent la rédaction et l'affirmation d'un procès-
ce verbal sont toujours ceux où la vérité peut le plus aisément
(( en être reconnue, où les erreurs peuvent le plus aisément
« être dévoilées^ c'est qu'il importe de ne pas laisser long-
ée temps l'intérêt pécuniaire du prévenu aux prises avec sa
et conscience. »
659. Mais, k raison même de la rigueur de ces forma-
lités, il faut reconnaître que les règles relatives aux procès-
< Il «^agissait de contributions indirectes ; mais le principe est éyideiib»
ment le même dans toutes les matières spéciales.
FAUX INCIDENT GRIVIKEL. S35
yerbaax sont placées en dehors du droit commun. Il n'est
donc pas permis de les compléter, en faisant des emprunts
aux dispositions du Code de procédure sur Tinscription de
faux. Ainsi, dans le silence des lois spéciales, il n'y a point
lieu d'adresser au rédacteur du procès-verbal une somma-
tion préalable , tendant à lui faire déclarer s'il veut se servir
de la pièce : c'est ce qu'a jugé un arrêt de cassation du
i4mai 1813, d'après ce motif que, les agents de Tadminis*
tration, à la différence des plaideurs ordinaires, n'étant
point libres de s'abstenir, une pareille sommation ne saurait
avoir k leur égard aucun effet utile. Néanmoins , s'il n'est
pas permis de se référer au Code de procédure en ce qui
concerne Tinstruction de l'affaire, il y a identité de motirs
pour appliquer au plaideur téméraire l'amende de trois cents
firancs, lorsqu'il s'agit d'un faux incident criminel. C'est ce
qu'a décidé un arrêt de cassation du 8 février 1845, dans
le cas d'une inscription de faux dirigée contre un procès-
verbal d'employés des contributions indirectes.
660. Celui qui veut s'inscrire en faux doit le déclarer en
personne, ou du moins par le ministère d'un mandataire, por-
teur d'une procuration spéciale et notariée. L'inscription a
lieu, tantêt an greffe, tantôt k l'audience, mais toujours
dans de brefs délais. Au jour indiqué par la citation , le
tribunal donne acte au prévenu de sa déclaration d'inscrip-
tion de faux , et fixe un délai assez court , pendant lequel
il est tenu de faire au greffe le dépôt des moyens de faux ,
avec l'indication des noms, qualités et demeures des té-
moins qu'il veut faire entendre. Ces moyens doivent être ,
comme en matière civile, des faits de nature k contredire
le procès-verbal , et non pas une dénégation pure et simple.
Nous avons même vu (n' 636) que c'est k l'occasion d'un
procès-verbal des agents des droits réunis que la Cour de
cassation, en 1813, sur les conclusions de Merlin, a fixé
â36 FAUX INCIDENT CRIMINEL.
sa jarisprudence sur ce point. Les principes sont d'ail-
leurs les mêmes (Rej., 8 mars 1850) pour l'inscription de
faux contre tout acte , formée devant la Cour de cassation.
C'est dans ce sens que l'article 179 du Code forestier veut
que les moyens soient de nature à détruire Ceffet du procès-
verbal.
 l'expiration du délai fixé , les parties viennent k l'au-
dience, et le tribunal décide si l'inscription est admissible.
Ce n'est qu'alors qu'il est autorisé à faire cesser la foi du
procès-verbal attaqué. Quand l'inscription de faux est ad-
mise , s'il y a des indices de faux criminel , et que l'actioa
publique ne soit pas prescrite ou éteinte par la mort du
prévenu, le tribunal doit surseoir, et renvoyer l'affaire de-
vant le juge d'inscription compétent. Il en est autrement si
la poursuite ne tend plus k l'application d'une peine, mais
seulement a la preuve du faux ; rien alors n'empêche que le
tribunal correctionnel, saisi de l'incident, ne paisse le vi-
der. 11 doit procéder suivant les règles ordinaires, quant à
la vérification de l'existence du faux.
661. En principe général, l'inscription de faux, dirigée
par un prévenu contre le procès-verbal d'où peut résulter
sa culpabilité, est personnelle à ce prévenu, et ne doit pas
pouvoir profiter aax autres prévenus qui se trouvent dé-
signés dans ce même procès-verbal. C'est Ik l'application
du principe bien constant, suivant lequel une procédure,
quelle qu'elle soit, ne saurait profiter aux personnes qui y
sont étrangères. Néanmoins on lit dans l'article 181 du
Code forestier, et dans l'article 58 de la loi sur la pêche
fluviale : « Lorsqu'un procès-verbal sera rédigé contre plu-
« sieurs prévenus, et qu'un ou quelques-uns d'entre eux
(( seulement s'inscriront en faux , le procès-verbal continuera
« de faire foi k l'égard des autres, à moins que le fait sur
« lequel portera l'inscription de faux ne soit indivisible et
FAUX mCIDBlIT CRIMINBL. S37
« commun aux antres prévenus. » On a probablement pensé
qu'il pouvait y avoir quelque chose de choquant, lorsque le
fait eSt indivisible, k voir un procès-verbal déclaré faux, et
cependant des prévenus condamnés k l'amende , ou même
à la prison, sur la foi de ce procès-verbal. Et cependant ce
n'est Ik , après tout , que l'application logique du principe
qui , même en matière indivisible , ainsi que nous le ver-
rons, ne permet d'attacher k la chose jugée qu'une foi toute
relative. Il nous parait difficile d'étendre k d'autres matières
la disposition favorable, mais exceptionnelle, du Code fo-
restier et de la loi sur la pêche fluviale.
DEUXIÈME MODE DE PREUVE PRÉCONSTITUÉÉ
AVEU DU DÉFENDEUR. -- ÉCRITURES PRIVÉES.
SomUIBS. — 662. DiTision.
662. Quelque précieuse que soit Tauthenticité pour as-
surer la stabilité des conventions, il n'était pas possible de
l'imposer généralement, sans astreindre les parties k des
embarras et k des frais qui auraient singulièrement entravé
les transactions sociales. (Voy. n* 465.) Aussi l'aveu con-
signé dans un écrit privé est-il une preuve extrêmement
usuelle.
Les plus importantes des écritures émanées de simples
particuliers sont les actes sous seing privé , ainsi nommés '
k raison de la signature qui les caractérise. C'est k ces actes
que nous devons spécialement nous attacher. Nous dirons
ensuite quelques mots des écritures non signées , qui n'ont
de foi régulière que dans certaines circonstances détermi-
nées , en dehors desquelles elles dégénèrent en simples in-
dices : nous traiterons en même temps des signes matériels
encore employés pour constater certaines fournitures, des
tailles, qu'on peut considérer comme une sorte d'écriture
grossière.
Les règles que nous allons établir sur la nature des écri-
tures privées, ont trait surtout aux matières civiles.
Nous aurons seulement quelques observations k faire,
pour compléter le sujet , sur la foi de ces écritures devant
les tribunaux criminels.
^ *WvvV4 1 Le mot seing est, en effet, opposé à celui de sceau par l'ordonnance de
.ly^ \^ Moulins, et employé souTent par nos anciens auteurs dans le sens de signa»
^^^ /* f ture. Boiceau emploie continuellement dans cette acceptation, peu conforme
|i ^ Iv »> Il 4 ^ gi^nç latinité, le mot signum, d'où seing est évidemment dérivé.
▲GTE S0D8 SEING PRIYÉ. S39
PREMIÈRE SECTION.
ÉCRITURES SIGNÉES. — ACTE SOCS SEING PRIVÉ.
SomuiBE. — «63. Éeritares privées k Rome. — 664. En' France, «obstilntion de la
signature an sceau. — 665. Législalion anglaise. — 666. Marque admise en Piémont et
en Aatriebe. — 667. Intervention dn tribunal en Pnuse. — 668. L'acte privé ne ae
prouTe point lui-même.
663. La signature des parties , qui est chez nous le ca-
ractère distinctif des actes sous seing privé, n'existait pas à
Borne dans l'origine. Quant au sceau , qui pouvait en tenir
lieu, et qu'on employait, par exemple, dans le testament
prétorien, pour attester la présence des témoins, il ne pa-
nit'pas avoir été exigé dans les écrits privés. (Scaev., L. 34,
§ i , D., Depign.) Mais il parait qu'on les rédigeait habi-
tuellement en présence de témoins : usage fort naturel pour
les Romains, qui avaient l'habitude d'initier leurs conci-
toyens au secret de leurs affaires, puisque leurs conven-
tions les plus importantes avaient lieu verbalement , et exi-
geaient, par conséquent, dans la pratique, l'emploi de la
preuve orale. Justinien, dans la Novelle 73, donna une
force toute particulière aux écrits revêtus de la signature de
trois témoins \ Il voulut que seuls ils pussent être vérifiés
par experts , le témoignage des personnes qui avaient con-
couru h l'acte rendant l'expertise moins dangereuse : « tJt
« non in sola scriptura et ejus examinatione pendeamus , sed
« sit judicantibus etiam testium solatium. » Au contraire ,
la sincérité des écrits qui étaient rédigés sans témoins
ou en présence de moins de trois témoins, ne pouvait
s'établir que par la preuve directe , et non pas indirectement
^ On retrouTait cette disposition de la NoTeUe 73 dans les constitutions
ÛVL duché de Modène (Ut. I, tit. XX, art. 2), qui attribuaient la force de
Pacte anthentiiiQe à Pécrit revêtu de la signature de trois témoins de bonne
renommée.
S40 ACTE SOUS SEING PRIVÉ.
au moyen de la comparaison d'écritures. I^on avait déjà
décidé (L. 4, Cod., Qui pot. inpign.) qu'en matière de gage
ou d'hypothèque, les écritures rédigées en présence de trois
témoins l'emporteraient, bien que postérieures en date, sur
celles qui seraient dépourvues de cette formalité. Du reste ,
bien que la signature se fût introduite k Constantinople , elle
ne pouvait pas, comme chez nous, tenir lieu de l'écriture
de la propre main de celui qui s'engageait. Celui qui ne sa-
vait pas écrire, ou qui savait ;kzuc(u liueras (Nov. 73, ch. viii),
devait faire rédiger par autrui ses conventions en présence
de témoins, qui attestaient la fidélité de la rédaction.
664. En France, nous avons vu (n''485) que, jusqu'au
seizième siècle , les actes publics eux-mêmes n'étaient pas
signés, mais revêtus d'un sceau. Dumoulin admet encore
pour les actes privés {Comm. sur la covt. de Paris, tit. Des
fiefs, § 8, n** 13 et 14), que le sceau peut valoir sans si-
gnature , pourvu qu'il soit constant que le sceau a été bien
apposé par celui qui s'engage. La nécessité absolue de la
signature parait n'avoir prévalu que dans le siècle suivant.
L'usage de remplacer la signature par l'apposition d'un sceau
en présence de témoins s'était même conservé dans le
Luxembourg et dans la Toscane, jusqu'à la réunion momen-
tanée de ces pays à la France ^ (Merlin, Répert., V" SiGNii^
TURE, § 1, n"" 8.) Il est facile de reconnaître combien la
pratique de la signature est préférable k celle du sceau ,
dont Tusage frauduleux n'exige point du faussaire des con-
naissances spéciales et difficiles , comme la fabrication des
écritures , et devient impossible k constater , s'il a eu lieu
* ce Le cachet, tabab, pour les Arabes », dit le général Daumas (La vie
arabe, p. 61), « remplace la sigoatore. Ce peuple en est encore au temps
« où nos ancêtres déclaraient ne pas savoir signer en leur qualité de gen-
« tilsbommes. Le gentilhomme arabe, même lettré, est toujours accompagné
« d*uu secrétaire, khodja, chargé de sa correspondance ; quant à lui, son
« rôle se borne à opposer son cachet sur la lettre quand elle est écrite. »
ACTE SOCS SEING PRIVÉ. 241
secrètement, puisque Tempreinte est toujours identique.
665. En Angleterre (voy. Blaekstone, liv. Il, ch. ix),
la formalité du sceau est encore la seule qui soit requise en
général dans les actes privés ' dont la formule porte : zcelU
et délivré. La signature est en outre exigée par le 29* statut
de Charles II (ch. m), pour les conventions les plus impor-
tantes , telles que les ventes d'immeubles \ On a recours
d'ailleurs , pour constater ce qui se passe lors de la confec-
tion des actes, au même expédient qu'on employait dans la
législation romaine, à l'assistance de témoins*. Mais ce té-
moignage , utile pour la preuve , n'est pas de Tessence de
l'acte. Depuis Henri VIII, lorsque les témoins sont appelés,
ils doivent signer au bas ou au dos de l'écrit. Enfin il est de
principe que lorsqu'un acte est signé par des témoins , les
mêmes témoins déposent pour en certifier l'existence. Quand
s'agit d'établir cette existence , la preuve testimoniale est
toujours celle qu'on invoque de préférence \ on n'emploie la
vérification d'écritures qu'k la dernière extrémité. C'est le
système de la Novelle 73. (Voy. Blaxland, Cod. ter, Angl.,
pag.'492.) Toutefois, ce qu'il y a de particulier k la légis-
lation anglaise , c'est qu'au bout de trente ans , les témoins
étant présumés décédés , l'acte se prouve lui-même. (N* 51 1 .)
666. Le Code sarde, prévoyant le cas où les contrac-
tants ne savent ni lire ni écrire , leur permettait de rédiger
un acte sous seing privé en apposant une marque ' en pré-
* « &çning, dit Philipps (liv. I, part. I, chap. yui, aect. l), is not
m essential part of a deed in commoa law ; but it has been required in
« some cases by act of parliament... SeaUng is essential to a deed. » Les
deeds sont des écrits destinés à constater les conyentions,. rédigés soit par
les parties, soit par des cUtomeys. (rY« 464.) Ils doiyent, ponr être parfaite-
ment réguliers, contenir les noms et qualités des parties, la cause et
Pobjet de la convention, etc. , être écrits sur papier ou parcbemin timbré, et
être revêtus de la signature et du sceau , tant des parties que des témoins.
2 Depuis Ricbard Cœur de lion, le roi est son propre témoin. {Teste me
ipso.)
* L'usage d'apposer ainsi une marque, ordinairement une croix, assez
II. 4^
i
242 ACTE 80US SEING PRIVÉ.
sence de témoins. (Art. 1433.) La marque était vérifiée ea
justice ) comme le serait l'écriture '. (Ibid., art. 1428, 1429.)
Mais ce procédé, encore suivi en Autriche (God. civ.,
art. 886) , ne se retrouve plus dans le Gode italien de 1866.
667. En Prusse, autrefois, d'après le Gode prussien
(part. I'*, tit. y, art. 171), on ne s'en rapportait pas même
à l'attestation du notaire, en ce qui touchait les aveugles,
les sourds-muets et les illettrés -, ces personnes ne pouvaient
contracter que devant le tribunal. Ge n'était Ik, du reste,
qu'une des applications de cette tutelle judiciaire des inca-
pables, qui joue un si grand rôle, dans les législations ger-
maniques. Mais une loi du 11 juillet 1843 y a réorganisé le
notariat sur la base de notre loi de ventôse.
668. Une distinction fondamentale entre l'acte authen-
tique et l'acte sous seing privé, c'est que l'apparence seule
d'un acte authentique prouve l'authenticité, acta probant $e
ip9a, suivant l'énergique expression de Dumoulin^ tatdis
que l'écriture privée, que l'on prétend émanée d'une partie,
ne fait foi qu'autant qu'elle est reconnue ou vérifiée en jus-
tice. Mais, pour suivre une marche semblable à celle que
nous avons adoptée en ce qui touche les actes authentiques,
nous allons supposer d'abord la sincérité de l'acte k l'abri
fréquent encore dans les campagnes , et qni pent dénoter le consentement ,
lorsqu'U est étabU qne la marque n*a été apposée qu'en connaissance de
cause, est déjà consacré dans le droit de Justinien. (L. ult., $ 2, Cod., jD«
jur. delib.) Cet empereur, supposant que Phéritier qui dresse un iuTentaire
ne sait pas écrire , yeut alors qu'on appeUe un tabellion pour écrire en sa
place; venerabili signo antea manu heredis prceposito. Les Anglo-Saxons
faisaient également usage de la croix ; l'usage du sceau a été importé en
Angleterre par les Normands , puisque la plus ancienne charte sceUée est
d'Edouard le Ck>nfesseur, qui avait été élevé en Normandie. (Blackstone ,
même ch. xx , n» 8.)
* Il est vrai que le Code sarde (art. 1412), comme aujourd'hui le Code
italien (voy. n» 465), imposait à toute personne la rédaction authentique
pour les conventions d'une certaine importance : ce qui atténue le danger
que peut présenter la prérogative , accordée à de simples témoins, de certifier
ainsi la présence et le consentement des parties.
▲CTS SOUS SEING PRIVÉ. 243
de tonte controverse , et , dans cette supposition , examiner
k qnelles conditions il peut faire foi« Nous nous demande-
rons ensuite conunent on procède dans la pratique pour éta-
blir la sincérité de l'acte , lorsqu'elle est contestée, c'est-k-
dire pour vérifier la écritures.
PREMIÈRE DIVISION.
FOI DK l'àCTB 80U8 IBHIG Faivi.
SomuiBE. — 669. Foi de l'acte , soit entre les parties , soit Ti»4hTi5 des tiers.
669. L'acte authentique , sauf ce qui touche les contre-
lettres, a la même autorité k l'égard des tiers qu'entre les
parties contractantes. Nul n'est reçu , s'il ne prend la voie
pénible et difficile de l'inscription de faux, k contester la
vérité des déclarations de l'officier rédacteur. Les écritures
privées, en les supposant sincères, sont bien aussi, dans
notre législation , des preuves légales. Mais cette preuve est
susceptible en quelque sorte de deux degrés. Certaines con«>
ditions suffisent pour la validité de l'acte sous seing privé
entre les parties contractantes. Mais, k l'égard des tiers,
l'expérience a fait sentir le danger des antidates , si faciles
k pratiquer et si difficiles k reconnaître. L'aveu écrit ne peut
donc faire foi complète sous ce dernier rapport, en Tab-
sence de certaines conditions qui le mettent k l'abri de tout
soupçon de fraude. On volt que la forme et la foi de l'acte
sont ici intimement unies \ nous traiterons donc simultané-
ment des formalités requises et de la foi qui s'attache k
l'acte revêtu de ces formalités, d'abord entre les parties,
puis vis-k-vis des tiers.
16.
244 FOI DE l'acte sous seing privé.
Si. FOI BHTRB LB8 PARTIES.
SOHMAIRE. —670. Signature essenUelle. UUlité de te date.— 674. VaUditè da blanc
seiDg. Peine contre l'abus du blanc seing. — 672. Peut-on prouver par témoins la remise
du blanc seing ? — 673. Nécessité du bon ou approwé. — 674. A quels actes elle
s'applique. — 675. A quels objets. — 676. Quand il y a exception à cette règle. — 677.
Cas où il y a divergence entre Vapprowi et le corps de l'acte. — 678. Valeur du billet
non approuvé. — 679. Absence de mention de la cause. — 680. Qui doit bire la preuve
dans cette hypothèse. Droit romain. — 684. Discussion de la question dans notre droit.
— 682. Réfulation de l'opinion intermédiaire. — 683. Preuve des conventions synallag-
matiques. Charte-partie. Actes dentelés. — 684. Origine de la théorie des doubles. —
68S. Comment cette théorie est formulée par le Gode. — 686. Eflet de l'exécution. —
687. Pays où cette théorie a été introduite. — 688. L'écrit non fait double peut-il servfr
de commencement de preuve? — 689. Preuve de la convention en dehors de l'acte. —
690. Quel doit être le nombre des originaux. — 694. Ce qu'il faut entendre par contrats
Sffnaltagmatiques. — 692. La théorie des doubles étrangère aux tiers. — 693. Est-elle
applicable en matière de commerce ? — 694. Correspondance en matière commerciale.
QÛid en matière ordinaire?
670. La seule condition ordinairement exigée entre les
contractants, c'est la signature de la partie qui s'engage.
Cette règle, qui remonte au droit romain (Just., Inst., pr..
De empt, vendit.)^ a passé dans nos anciens usages. Subscrip-^
tio opmuur, dit la Rote de Gênes. (Dec. 126, n** 6), ac si
iota scrîptura esset manu iubicriberuis.
La signature ne peut pas être remplacée par une croix ^
il en a été ainsi depuis la promulgation de l'ordonnance
de 1667, même dans les pays où l'usage local consacrait
cette pratique. (Rej., 10 thermidor an XIÎ.) Les marques
ou croix, ne constituant point une écriture susceptible d'être
reconnue , ne peuvent pas même servir de commencement
de preuve par écrit. (Bruxelles, 27 janvier 1807.) Mais,
en matière commerciale, les simples présomptions étant
admissibles, nous adoptons avec M. Massé {Droit commer-
cial, tom. VI, n*34) l'opinion de Casaregis (Disc. X , nMlS),
qui ne repousse point d'une manière absolue un connaisse-
ment qu'un capitaine illettré n'avait signé que d'une croix :
Apocha oneratoria subscripta ab aliquo^ soloque crucis signo ap^
posito per patronum scribendi ignarum^ non probat^ nisi aliis
conjecturis comprobetur.
FOI DE l'acte sous SEING PRIVÉ. 24S
Mais il n'est pas indispensable que la signature de l'au-
teur de l'acte soit conforme k son acte de naissance, pourvu
que les nom et prénoms soient ceux sous lesquels il est
connu : c'est ainsi que l'on a jugé valable le testament d'un
évéque, signé d'une croix, des initiales de ses prénoms et
du nom de son évéché. (Rej., 23 mars 1824; Bourges,
i9 août 1824.) La même difficulté , soulevée dans l'ancienne
jurisprudence k l'égard du testament de Massillon, s'était
terminée par une transaction. Il y avait plus de doute alors,
\k raison de l'article 211 de l'ordonnance de 1629, qui or-
donnait, à peine de nullité, de signer tons les actes et con-
trats du nom de famille et non de celui des seigneuries*,
mais cette ordonnance, enregistrée dans un lit de justice,
était peu observée par les {parlements. Dans le droit inter-
médiaire, les lois des 19 juin 1790 et 6 fructidor an II
ont également prescrit d'employer le vrai nom de famille,
mais sans ajouter la sanction de. nullité. La loi du 28 mai
1858, en punissant de peines correctionnelles le change*
ment ou l'altération des noms qu^assignent k chacun les
documents de l'état civil , n'infirme en rien la validité des
actes dans lesquels auraient été commis ce changement ou
cette altération.
La date n'est pas requise; ce qui était vrai k Rome
(Scaev., L. 34, § 1 , D., De pign.)^ même k l'égard des tiers,
mais ce qui n'est plus vrai chez nous que dans les rapports
des parties entre elles. Toutefois , même sous ce point de
vue , si la date n'est pas nécessaire , il serait souverainement
imprudent de ne pas l'insérer ; car le signataire peut avoir
été incapable , et comment constater alors que l'écrit a été
signé k une époque de capacité? Le demandeur serait chargé
de la preuve, qu'il lui serait peut-être impossible d'admi-
nistrer. Si, au contraire, il y a une date, elle sera réputée
véritable : c'est-k-dire que le souscripteur ne pourra pas
246 FOI DE l'acte socs seing pbité.
dénier purement et simplement la date , ainsi que le ferait
un tiers. Hais il est permis de constater la date d'un écrit
sous seing privé sans prendre la voie de l'inscription de
faux; cet écrit diffère de Pacte authentique en ce qu'il ne
fait foi de sa date, même entre les parties, que jusqu'à
preuve contraire. Il est toujours loisible au tribunal de con-
stater la date réelle en connaissance de cause. (Rej., 19 jan-
vier 18U.)
671. Puisque la loi n'exige que la signature de celui qm
veut s'engager, on peut donner cette signature à l'avance,
en laissant en blanc un espace qui doit être rempli par le
mandataire, suivant les intentions du mandant. C'est ce
qu'on appelle un blanc seing : pratique qui peut être dange-
reuse, mais qui n'a rien en soi de répréhensible. Il y a eu,
\k la vérité, jusque dans le dernier siècle (Merlin, Répert.,
T^ Blàng seing) , des arrêts qui ont déclaré nuls des blancs
seings non ratifiés , tandis que d'autres décisions en main-
tenaient la validité. Mais aujourd'hui , indépendamment du
principe général qui ne permet pas de faire revivre d'an-
ciennes prohibitions relatives à des matières réglées par le
Gode civil , nos lois modernes ont reconnu implicitement ,
mais bien clairement, la validité des blancs seings, puis-
qu'elles en punissent l'abus. L'article 407 du Code pénal
punit effectivement de peines correctionnelles « quiconque ,
« abusant d'un blanc seing qui lui aura été confié , aura
<c frauduleusement écrit au-dessus une obligation ou dé-
« charge , ou tout autre acte pouvant compromettre la per-
« sonne ou la fortune du signataire. »
Remarquons qu'il y a au fond , dans tout abus de blanc
seing, une sorte de faux intellectuel, puisque le mandataire
écrit autre chose que ce que le mandant entendait signer ;
de même qu'un notaire commet un faux, lorsqu'il écrit
dans un testament des dispositions qui ne lui ont pas été
POI DE L'aGTB socs SEING PRIYÉ. 247
dictées. Mais les mêmes motifs qui font dégénérer le vol en
abas de confiance, lorsque le propriétaire avait remis lui-
même la chose entre les mains de celui qui Ta détournée,
d'un dépositaire, par exemple, font qu'il n'y a pas faux
lorsque le blanc seing a été volontairement confié k la per-
sonne qui en a abusé , le mandant ayant pu prévoir Fabus
d'un pouvoir illimité en fait, bien que limité dans l'intention
des parties. 11 en serait autrement, aux termes du même
article 407 , si le blanc seing n'avait pas été confié à celui
qui l'a rempli -, il y aurait alors un véritable faux , passible
de la réclusion. C'est qu'alors il n'y aurait plus eu un simple
abus de confiance, mais une véritable fabrication d'écri-
tures; car, l'écrit faisant corps avec la signature, peu im-
porte que je fabrique le billet tout entier ou que j'adapte
après coup des dispositions à une signature que vous n'avez
jamais eu l'intention de me confier. Cette distinction, con-
stante en jurisprudence , a été nettement formulée par le
législateur même , dans l'exposé des motifs du Code pénal.
C'est avec raison que la Cour de cassation considère comme
n'ayant pas confié le blanc seing celui qui ne l'avait remis
que comme adresse , comme souvenir, ou dans l'intention
de souscrire un acte qui ne l'obligeait pas , tel qu'une péti-
tion. (Cass., 22 octobre 1812 et 2 juillet 1829.) A plus
forte raison y aurait-il faux , et non pas simple abus de blanc
seing, dans le fait de celui qui aurait fait signer en blanc un
acte de vente, en le présentant comme un acte de partage.
(Rej., 13 avril 1837.) Enfin, la Cour de cassation a eu à
statuer, par voie de règlement de juges, le 20 septembre
1855, sur l'hypothèse singulière où, un individu ne sachant
ni lire ni écrire, on lui avait guidé la main et fait écrire un
bon pour une somme, lorsqu'il croyait donner seulement sa
signature au bas d'un papier en blanc. Elle a décidé qu'il
n'y avait point Ik abus de blanc seing , le papier n'ayant pas
'
248 FOI DE l'acte sous seing privé.
été confié au prévenu , mais une fabrication étobligation par
la plume même du prétendu obligé, passible des peines du
faux , aux termes de l'article 147 du Code pénal.
672. Si Ton est d'accord sur les éléments constitutifs
du délit de blanc seing, une question fort controversée est
celle de savoir si le fait même de la remise du blanc seing
est susceptible d'être établi au moyen de la preuve testi-
moniale. La Cour de cassation ( 18 janvier et 5 mai 1831 ) ,
assimilant la remise volontaire du blanc seing à un dépdt, a
vu dans ce fait une convention qui doit être prouvée par
écrit pour toute valeur supérieure à cent cinquante francs,
suivant la doctrine aujourd'hui constante sur la preuve tes-
timoniale devant les tribunaux criminels. (N"" 225.) Cette
jurisprudence a été vivement critiquée par plusieurs au-
teurs , qui prétendent que la remise d'un blanc seing n'est
point une convention, et qu'exiger une preuve écrite, c'est
entraver les relations d'afiEaiires, où il est d'usage de confier
un blanc seing k un commis sans exiger aucune constatation
de cette remise. Nous ne pensons pas que ces objections
soient fondées. La remise dont il s'agit est si bien un fait
conventionnel , que c'est cette circonstance seule qui fait de
l'acte du blanc seing un simple délit, puisque autrement il
dégénérerait en un véritable faux. Qu'est-ce après tout que
la remise d'un acte signé k l'avance et destiné à être rem-
pli? Un mandat. Or, le mandat est soumis par le Code civil
(art. 1986) aux règles du droit commun sur la preuve,
règles qui ne s'appliquent point , du reste , au mandat com-
mercial (Rej., 26 septembre 1861 et 22 avril 1864), ce
qui répond k l'objection tirée des relations des patrons avec
leurs commis. En dehors de ces relations, l'usage des
blancs seings est souvent une grave imprudence , qu'il ne
convient point d'encourager en s'écartant des règles ordi-
naires sur la preuve. Il faut observer toutefois que, d'après
FOI DE l'acte sous SEING PRIYÉ. 249
les principes généraux , il est permis de combattre la sincé-
rité des énonciations du blanc seing au moyen de présomp-
tions graves, appuyées d'un commencement de preuve par
écrit. (Rej., 5 avril 1864.)
673. Pour en revenir au droit civil , si , dans la doctrine
qui a prévalu , les blancs seings ont été généralement auto-
risés y le danger qu'ils présentent a dû appeler , dans cer-
tains cas, l'attention du législateur. De nombreuses fraudes
pratiquées au commencement du dernier siècle , soit au
moyen de blancs seings , soit au moyen de signatures sur-
prises après coup, ont donné lieu aux déclarations du
30 juillet i730 et du 22 septembre 1733, dont la substance
est reproduite par l'article 1326 du Gode civil : a Le billet
A on la promesse sous seing privé, par lequel une seule
« partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'ar-
« gent ou une chose appréciable, doit être écrit en entier
« de la main de celui qui le souscrit-, on du moins il faut
« qu'outre sa signature, il ait écrit de sa main un ban ou un
« approuvé* portant en toutes lettres la somme ou la quan-
« tité de la chose. »
Il est à remarquer que le même motif a dicté le § 122 du
Code de procédure d'Autriche , aux termes duquel le billet
constatant un prêt de quantités doit être écrit en entier de
la main du débiteur, k moins que sa signature ne soit cor-
roborée par la signature de deux témoins irréprochables.
674. La disposition de l'art. 1326 ne s^applique qu'aux
actes où une seule partie s'engage^ c'est-k-dire aux actes uni-
latéraux^ car un acte peut être unilatéral, bien que souscrit
par plusieurs débiteurs. C'est donc bien mal à propos que
les Cours de Paris et de Douai avaient déclaré valable , quant
à la femme , le billet non approuvé par lequel une femme
s'obligeait solidairement avec son mari. Aussi leurs déci-
sions ont-elles été cassées le 8 août 1815 et le 6 mai 1816.
250 FOI DIS L^ACTE SOCS SEING PRIVÉ.
675. La déclaration de 1733 ne parlait que des vateun
en argent. Le Gode ajoute ou une chose appréciable. Ces ex-
pressions sont expliquées par ce qui suit : la somme ou la
quantité de la chose. Il s'agit donc d'une obligation de quan-
tités, c*est-à^dire de denrées, de marchandises, que Ton
s'engage à livrer au porteur du billet. L'obligation de trans-
férer un corps certain est en dehors des prescriptions de la
loi. L'expérience a fait reconnaître que le danger était sur-
tout dans l'extorsion de billets, qui donnent au prétendu
créancier le droit de réclamer de l'argent ou des valeurs
facilement réalisables. La prescription du Code est-elle ap-
plicable, lorsqu'il s'agit d'une valeur indéterminée, par
exemple, du cautionnement donné k l'avance pour les effets
que souscrira telle personne? L'affirmative a été jugée par
plusieurs arrêts. (Paris, 24 mai 1855-, Orléans, 24 dé-
cembre 1864.) Mais nous pensons que, lorsqu'il s'agit d'une
valeur indéterminée, une surprise sur le chiffre de la dette
n'est plus k craindre , et que dès lors le bon ou approuvé ,
ne portant sur rien de précis, n'est prescrit ni par la lettre
ni par l'esprit de la loi. (Poitiers, 17 juin 1867^ dans le
même sens, Rej., 6 février 1861.) C'est k tort d'ailleurs
que certains auteurs ont accusé le législateur d'inconsé-
quence en ce qu'il n'exige point en toute matière le bon ou
approuvé -, il n'a voulu atteindre que les fraudes les plus fré-
quentes dans la pratique, parce qu'elles étaient les plus dif-
ficiles k prouver et les plus lucratives.
676. Un reproche plus fondé , mais qu'il était peut-être
impossible d'éviter, c'est qu'aujourd'hui, comme sous la
déclaration de 1733, la nécessité du bon ou approuvé ne
s'applique pas aux personnes qui ont le plus besoin de la
protection de la loi , aux marchands , artisans , laboureurs ,
vignerons, gens de journée ou de service. (C. civ., art. 1326.)
Ces personnes savent souvent signer sans savoir écrire , et
FOI DE L*AGTE SOUS SEING PRIVÉ. 251
exiger quelque chose, de plus que leur signature , c'eût été
les obliger de recourir au notaire pour les actes les plus
simples. Mais ces exceptions, motivées par les besoins du
commerce , doivent cesser avec la cause qui y donnait lieu.
Il est donc impossible d'approuver un arrêt de la Cour de
Paris du 18 février 1808, qui dispense de la formalité de
l'approbation les billets souscrits par un ex^maçon, comme si
la qualité de maçon pouvait survivre à l'exercice de cette
industrie. Aussi la Cour de Caen a-t-elle déclaré avec rai-
son (le 15 décembre 1824) soumis à la règle ordinaire les
billets souscrits par un ancien cordonnier.
Le commerçant est d'ailleurs dispensé de la formalité du
bon ou approuvé, même lorsqu'il signe un acte purement civil :
ce qu^a décidé la Cour de cassation (Rej., 30 juillet 1868)
pour un reçu de quatre actions du chemin de fer de Lyon ,
donné par un marchand de chocolat.
A l'inverse , un acte commercial en la forme , bien que
souscrit par un non-commerçant , ne tombe pas sous l'ap-
plication de l'article 1326. Autrement, le Gode de com-
merce aurait établi des formes spéciales pour les lettres de
change souscrites par de simples particuliers. C'est ce qu'a
jugé, sous l'empire de la déclaration de 1733, la Cour de
cassation (Rej., 10 messidor an XI), et, quant k la légis-
lation moderne, la Cour de Montpellier, le 20 janvier 1835.
Celui qui souscrit un acte de cette nature est, pour ainsi
dire, momentanément commerçant , puisqu'il se soumet à la
juridiction commerciale et même à la contrainte par corps,
avant l'abolition prononcée en 1867. Mais il y a plus de
diflSculté pour les billets k ordre souscrits par des non-com-
merçants, billets qui ont bien la forme commerciale, mais
qui n'entraînent qu'accidentellement la compétence des
tribunaux de commerce. La jurisprudence établit une [dis-
tinction exacte entre le corps même du billet k ordre , qui
25S FOI DE l'acte sous seing privé.
doit être revêta du bon ou approuvé, et rendossement , qui,
n'étant qu'une cession de valeurs où se trouve contenue
implicitement une obligation de garantie , ne constitue point
une promesse de payer. Deux arrêts de cassation (du 7 ther-
midor an XI ' et du 27 janvier 1812) ont également annulé
comme contraires k la loi la décision qui dispensait de cette
formalité le non-négociant souscripteur d'un billet à ordre ,
et la décision qui voulait y soumettre les endosseurs non
négociants.
677. La somme mentionnée dans l'approbation peut
différer de celle qui est exprimée au corps de l'acte. {Ibid.,
art. 1327.) Le Gode, consacrant la doctrine de Pothier
(Obiig,, n** 746 et 747), veut qu'on s'attache toujours k la
somme moindre. Si c'est le chifire porté dans l'approbation
qui est supérieur, on suppose qu'il y a eu erreur dans cette
approbation^ si, au contraire, il est inférieur, on suppose
que le débiteur a voulu restreindre l'étendue de son enga-
gement. Ce n'est là néanmoins qu'une règle subsidiaire
d^interprétation. Toutes les fois que les éléments de la cause,
par exemple, un calcul arithmétique, permettront de recon-
naître quel est le véritable chiffre, il faudra s'y attacher,
fût-il de beaucoup le plus fort. (Même art. 1327.)
678. L'omission de la précaution exigée pour la régula-
rité du billet ne peut annuler la convention dont ce billet
est la preuve, si cette convention peut être établie par
d'autres moyens , notamment par l'aveu et par le serment.
Cette opinion pouvait être soutenue, même sous l'empire de
la déclaration de 1733, qui voulait que les billets [de cette
nature fussent nuls et de nul effet. U était raisonnable d'ad-*
< Cet arrêt a été rendu sons Tempire de la déclaration de 1783, qui arait
prévu formellement le billet à ordre; mais, ainsi que Ta reconnu Merlin
dans les conclusions qui ont précédé Parrèt de 1822 (Répert.y to Billbt a
ORDRE, $ i«r, n« 5), la doctrine du Gode sur ce point est absolument la même.
FOI DE l'acte sous SEING PKIYÉ. 2o3
mettre que, les termes de la loi ne s'appliquant qu'au billet,
la convention même n'était point frappée d'une présomption
absolue de fraude, et qu'il n'était point interdit de la prou-
ver, abstraction faite de ce billet. C'est du moins ce qu'avait
décidé, par un arrêt du 5 juillet 1748, le parlement de
Paris, moins sévère en cette matière qu'il ne l'a été, ainsi
que nous le verrons bientôt, relativement k la théorie des
doubles : décision en harmonie avec la disposition finale de
la déclaration de 1733, ainsi conçue : « Voulons néanmoins
« que celui qui refusera de payer le contenu auxdits billets
« ou promesses, soit tenu d'affirmer qu'il n'en a point reçu
« la valeur. » Si le Gode ne s'exprime point dans les mêmes
termes, c'est qu'il n'avait point dit, comme la déclaration :
Le billet doit être écrit de la mainf etc., et que dès lors il n'y
avait point de motif aujourd'hui pour arguer de nullité la
convention. En fait, la raison et Texpérience attestent que
le défaut d'approbation peut aussi bien être le résultat d'une
inadvertance que celui de la fraude. On pourra donc établir
l'existence de la convention unilatérale par l'aveu , par le
serment, ou même par la preuve testimoniale, si la valeur
ne dépasse pas cent cinquante francs.
Mais ne faut-il pas aller plus loin, et, puisque le billet
même n'est point frappé de nullité par la loi moderne, y
voir un commencement de preuve par écrit, et admettre dès
lors la preuve testimoniale, quelle que soit la valeur, afin
de constater la cause réelle de l'engagement? Le billet non
approuvé est, en effet, par lui-même de nature à rendre
vraisemblable le fait allégué. (G. civ., art. 1347.) La fraude
est possible, sans doate; mais, si elle existe, elle ressortira
de l'enquête que les juges n'ordonneront d'ailleurs qu'en
connaissance de cause-, si elle n'existait pas, au contraire,
ne serait-il pas souverainement injuste de déclarer le billet
de nul effet, k raison d'une simple inadveriance? G'est ce
284 FOI J>E l'acte sous seing privé.
qu'avait jugé, malgré les termes de la déclaration, le Parle-
ment de Paris par Tarrét du 5 juillet 1748. Le système
rigoureux établi en 1733 tenait à une réaction contre des
abus tout récents. Sous Fempire du Code, la jurisprudence,
qui semblait se prononcer d'abord pour l'avis le plus sévère,
est aujourd'hui fixée dans le sens de l'opinion des auteurs
les plus exacts ; elle considère le billet non approuvé conmie
pouvant constituer un commencement de preuve par écrit
(Rej., 13 décembre 1853 et 10 janvier 1870.)
679. Une autre question qui s'élève sur la forme des
écrits constatant une obligation unilatérale, c'est celle de
savoir si ces écrits doivent régulièrenient mentionner la
cause pour laquelle ils ont été souscrits, de manière
qu'en l'absence de cette mention , ce soit au créancier à
prouver l'existence de la cause-, ou bien s'ils font foi com-
plète malgré l'absence de cette mention, sauf au débiteur ii
prouver qu'il n'y a pas effectivement de cause de Tobliga»
tion. En pure théorie, cette question pourrait s'élever aussi
bien à propos d'un acte notarié qu'à propos d'un simple
billet. Mais, dans la pratique, il ne peut guère arriver qu*un
acte authentique ne mentionne pas formellement la cause
pour laquelle le débiteur s'oblige. Nous sommes donc fondé
à considérer la question cooune spéciale, en fait, aux actes
sous seing privé. Elle devrait d'ailleurs recevoir la même
solution, s'il s'agissait d'un acte authentique.
680. Ceux qui pensent que c'est au créancier à prouver
la cause, lorsqu'elle n'est pas énoncée dans le billet, invo-
quent en leur faveur l'autorité du droit romain. Ds ne peu-
vent cependant se fonder sur les formes habituellement
usitées à Rome pour contracter une obligation unilatérale.
La manière même dont est conçue la stipulation, qui con-
state le plus souvent les engagements de cette nature :
Centum dore spondeif — Sponâeo; exclut évidemment la
FOI DE l'acte socs SEING PRITÉ. 2S5
nécessité d'une pareille mention. Quiconque était régulière-
ment obligé, était censé ne s'être pas obligé sans cause.
Mais le droit prétorien permettait au défendeur d'alléguer
l'exception non numeratœ pecuniœ : exception dans laquelle,
par des motifs tout particuliers , ainsi que nous l'avons
m (n"" 46) , on rejetait sur le demandeur le fardeau de la
preuve. Cette interversion des rôles ne tenait pas néanmoins
k la circonstance que la cause n'avait pas été mentionnée,
mais à une présomption de fraude , qui subsistait en pré-
sence même de cette mention , du moins jusqu'à Justin. Ce
fut cet empereur qui voulut le premier que la mention de
la cause rétablit la présomption en faveur du créancier.
« Generaliter sancimus (L. 13, Cod., De non ntim. pec,) ut,
« si quid scriptis cautum fuerit, pro quibuscumque pecuniis>
« ex antécédente causa descendentibns , eamque causam
« specialiter promissor edixerit, non jam ei licentia sit caussB
« probationem stipulatorem exigere , cum suis confessio-
a nibus acquiescere debeat : nisi certe ipse e contrario per
« apertissima rerum argumenta scriptis inserta religionem
« judicis possit instruere, quod in alium quemquam modum,
« et non in eum quem cautio perhibet, negotium subsecu-
« tum sit. Mimis enim indignum esse judicamus, quod sua
« quisqne voce dilucide protestatus est , id in eamdem cau-
« sam infinnare , testimonioque proprio resistere. m C'est à
cette législation qu'appartient le texte si souvent cité , qui
est inscrit sous le nom de Paul au Digeste , dans la loi 25,
§ 4, De probatianibtu : « Sin autem cautio indebite exposita
« esse dicatur, et indiscrète loquitur, tune eum in quem
«cautio exposita est, compelli debitum esse ostendere,
« quod in cautionem deduxit : nisi ipse specialiter, qui eau-
a tionem exposuit , causas explanavit pro quibus eamdem
« conscripsit : tune enim stare eum oportet suae confes-
« sioni , nisi evidentissimis probationibus in scriptis habitis
256 FOI DB l'acte sous seing privé.
« ostendere paratas sit, sese hsec indebite promisisse. »
Le style de ce texte indique évidemment une interpo-
lation. Les expressions : cautio indebile expoHta, indiscrète
loquitur, indebite pramiiisse, etc., appartiennent k la langue
du Bas-Empire. La distinction k laquelle on prétend que
Paul fait allusion , entre le cas où la cause est exprimée et
celui où le billet indiscrète loqukur, est présentée par Justin,
ainsi que nous venons de le voir, comme une innovation.
Enfin , la restriction qui exige des preuves écrites , eindeoF^
tissimis probationibus in êcriptis habitts, est tout k fait étrangère
k l'époque des jurisconsultes classiques, et a été évidem-
ment insérée après coup dans le texte. Le prétendu fragment
de Paul n'est donc qu'une seconde édition de la constitution
de Justin. Or, cette constitution n'était elle-même qu'un
tempérament apporté au principe exceptionnel, qui auto-
rise celui qui allègue l'exception non numeratœ pecuniœ, k
rejeter la preuve sur l'adversaire. Chez nous, ce principe
exceptionnel (n"" 46) n'existe plus depuis longtemps* :
« Exception d'argent non nombre n'a point de lieu » , dit
Loisel. {InstU. coût., liv. Y, tit II, § 6.) Il n'était utile de
mentionner la cause que pour éviter l'intervention des rôles
qu'entraînait cette ancienne exception, qui tendait, suivant
les expressions de la coutume du Berry (tit. II, art. 31), k
« charger de preuve le demandeur qui a une obligation ou
« cédule reconnue. )> L'exception non numeratœ pecuniœ oysM
disparu de notre droit coutamier, la modification apportée
au principe a dû disparaître avec le principe lui-même*.
* Beanmanoir (ch. xxxYi,ii« 23) semble pourtant obliger le créancier à
faire la preuve de la cause non mentionnée dans Pécrit : « Le letre qui dist
« que je doi deniers et ne fet pas mention de quoi je les doi , est souspe-
« chonneuse cose de malice» et quant tele lettre vient en cort, si doit savoir
« li juge le cose dont tele dete vint , avant qu'il le face paier. »
' L^exception non numeratœ pecuniœ avait été momentanément rétablie
à Pégard des juifs par Partide 4 du décret du 17 mai 1808, ainsi conçu :
FOI DB l'aCTB sous SEING PRITÉ. 257
681. Le Code civil, au chapitre de la preuve des obli-
gations, est maet en ce qui concerne la constatation de la
cause. Mais plus haut, dans la section où il traite spéciale-
ment de la cause, on lit (art. 113S) : « La convention n'est
« pas moins valable, quoique la cause ne soit pas exprimée. »
Cet article veut-il dire que la validité de la convention n'est
pas subordonnée à Feipression de la cause? Hais quel doute
sérieux pouvait s'élever sur ce point? La validité de la con-
vention n'est pas même subordonnée à l'existence du billet,
qui n'en est que la preuve. Les expressions du législateur,
pour avoir un sens, doivent s'entendre de la validité de
l'acte qui prouve la convention. Lorsqu'il s'agit d'une lettre
de change ou d'un billet k ordre , la mention de la cause est
exigée par le Code de commerce (art. 110 et 188) pour la
validité de l'effet. Il est vrai qu'on avait tenté autrefois (arr.
du pari, de Paris, du 13 février 1511) d'introduire la même
exigence dans la pratique pour les simples billets-, mais
cette opinion n'avait point prévalu, et dès le temps de Boi-
ceau (liv. II, chap. m), la question qu'on posait en défini-
tive était celle de savoir si la cause devait ou non se pré-
sumer ' . Déjà la question avait été résolue afiBrmativement
par des arrêts de 1567 et de 1582, et l'avocat général
Denain disait au Parlement de Paris , le 20 juillet 1 706 :
(c Par notre usage , tout homme qui a signé une promesse
« volontairement, sine meta et sine dolo, est lié naturellement
« et civilement, et est astreint, par sa signature, à remplir
« son obligation , indépendamment du défaut d'expression
« Aucune lettre de change, aocui billet à ordre, avcune obligation ou
promesse , souscrite par un de nos sujets non commerçants au profit d'un
juif, ne pourra être exigée, sans que le porteur prouve que la valeur en a
été fournie entière et sans fraude. »
■ Ce qui prouve bien que le billet sans mention de la cause n'était point
nul, c'est qu'on prenait, pour le faire tomber, des lettres de rescision :
nmnuUi rescripto restitutorio uti soient, dit Boiceau (loc. cit.).
II. 17
358 FOI DE l'acte sous seing priyé.
« de la cause. » C'est évidemmeot cette doctrine, la seule
qui pût faire question dans notre siècle, qu'ont entendu
consacrer les rédacteurs du Gode« La validité du titre n'est
autre chose que la foi, jusqu'à preuve contraire, en faveur
du créancier. La discussion du Conseil d'État, bien qu'assez
confuse, a porté explicitement sur la force probante du
billet. C'est donc k cette force que l'article 1133 faitallu-
sion. Cette présomption est y du reste , en harmonie avec le
prmcipe rappelé par l'avocat général Denain , que le dol ou
l'erreur ne se présument pas, et qtie dès lors quiconque signe
un engagement est présumé l'avoir signé sciemment, tant
que le contraire n'apparaisse. Il est vrai qu'on se retranche
sur la prétendue imposûbilité où se trouve le débiteur de
prouver une proposition négative. Mais nous ne pouvons que
nous référer ici aux développements que nous avons donnés
(n"^ 39 et suiv.) en traitant spécialement ce points sans
oublier le tempérament que nous avons indiqué dans l'appli-
cation, lequel consiste k obliger le créancier, non k prouver
la cause, mais k l'indiqueri afin que le débiteur puisse établir
qu'elle n'existe pas. Quant k la faculté de dissimuler ainsi
l'existence d'une cause illicitOi il est facile de répondre qu'en
fait, les causes de cette nature sa révèlent facilement, et
que les tribunaux ont toujours un pouvoir discrétionnaire
pour déclarer l'obligation nulle ou pour en réduire le montant,
ainsi que l'a fait la Cour de Bordeaux, le 17 décembre 1849 \
689. Il existe une opinion intermédiaire, puisée dans
certains arrêts de nos anciens Parlements , ra[^elée dans la
discussion du Conseil d'État, et admise encore aujourd'hui
par des auteurs graves. Suivant cette opinion, dont la pre-
mière trace se retrouve dans le commentaire de Danty sur
* Cette doctrine est consacrée par le Code italien (art. 1 la l) : « La cause
est présumée exister tant que le contraire n'est pas prouyé. »
roi DE l'acte tous SEING PRIYÉ. 289
Boieean (addit. sar le chap. m du liv. II), il faudrait dii^
tinguer entre le cas où le souscripteur du billet aurait dit :
Je recannm devoir^ reconnaissaDce qui impliquerait l'afeu
d'une^cauae , et le cas où il aurait dit : Je jmnnetê payer, ce
qui n'indiquerait pas aussi clairement l'existence d'une
dette. lie serait seulement dans ce dernier oas^ ou dans
d'autres analogues, que la preuve incomberait au créancier*
Mais Daniy confient que plusieurs auteurs rejetaient cette
distinction ) et elle n'était nullement admise par Boieean»
qui emploie précisément les expressions : Fateor me debere,
pour indiquer l'hypothèse où récriture n'est pas causée, s'il
est permis d'employer le langage barbare de la pratique.
Mais, quelle que soit l'autorité qui a imaginé cette distinct
tion^ il fautafouer qu'elle est bien frivole. Est-ce que oelui
qui promet payer, ne reconnidt pas virtuellement devoir? et
celui qui reconnaît devoir, veut41 après tout faire autre
chose que s'engager k payer? Ou bien la mention est né-
cessaire , et alors confesser la dette , ce n'est nullement en
exprimer la cause *, ou bien la mention est superOue, et alors
les deux formules, je reeontiais devoir eije promeu payer, ont
une valeur identique« Suivie par de nombreux arrêts de
C!ours d'appel , la doctrine qui tnet le fardeau de la preuve k
la charge do débiteur a été consacrée m termniê par un
arrêt de cassation du 16 août 1848. Aux termes de cet
arrêt, il résulte de l'article 1132 a que, bien que la cause
« ne soit pas exprimée dans une obligation, il y a présomp«-
« tion qu'elle existe et qu'elle est vraie et licite , k moins
« que le contraire ne soit prouvé \ qu'il suit de Ik que , si
« celui contre lequel l'exécution d'une telle obligation est
« poursuivie prétend qu'il y a défaut de cause , ou cause
« fausse ou illicite , c'est k lui d'en fournir la preuve. » Il
s'agissait, dans l'espèce, d'un billet portant, non je reconnais
devoir, mSihje payerai. (Voy. dans le même sens une disser-
17.
260 FOI DE l'acte sous seing privé.
talion spéciale de H. Dejaêr, dans la Revue étrangère etjran^
cake, tom. VIII,p. 929.)
En consacrant de nouveau cette doctrine, un arrêt de rejet
du 9 février 1864 ajoute cependant, ce qui est généralement
admis dans la doctrine , que « si le titre énonce une cause
a reconnue fausse, le prétendu débiteur, en prouvant que
« cette cause n'existe pas, a satisfait k tout ce qu'on pouvait
c( exiger de lui. Sans doute Tobligation alléguée demeure
« valable, malgré renonciation d'une fausse cause, si elle
« a une cause réelle et licite : niais c'est au bénéficiaire k
« prouver que cette cause existe , et faute par lui de faire
« cette preuve, la fausseté de la cause exprimée enlève
« tout effet k l'obligation. >>
683. Passons maintenant k la preuve par acte sous seing
privé des conventions synallagmatiques.
Bien avant le dix-huitième siècle, on avait reconnu que,
lorsque les deux contractants sont k la fois créanciers et
débiteurs, il convient de faire l'acte double , pour donner k
chacun d'eux le moyen de constater la convention. La
charte-partie, par laquelle on établissait jadis Tafirétement
des navires , et dont le nom se retrouve encore dans notre
Code de commerce (art. 273), était un acte rédigé sur une
feuille de papier ou de parchemin, dont chacune des parties
gardait la moitié^ les deux moitiés étaient ensuite rappro-
chées, lorsqu'il s'agissait de demander l'exécution du con-
trat. Cette pratique serait vicieuse si l'acte n'était pas écrit
en entier sur chaque moitié; car, si l'une des moitiés de
l'acte était supprimée par la partie qui l'aurait en sa posses-
sion, il deviendrait fort difficile de prouver le contenu de
l'écrit k l'aide de l'autre moitié seulement. Il faut mettre k
la disposition de chacune des parties un original complet, et
cette pratique est la seule usitée depuis longtemps. En
Angleterre, on a nommé actes dentelés les écrits faits en
FOI DE l'acte sous SEING PHIYÉ. 261
aotanl de doubles qu'il y a de contractants. On place ces
doubles les uns sur les autres, et on les coupe sur le som*
met ou sur le côté en forme de dents correspondantes, afin
d'en vérifier aisément Tidentité. L'acte qui constate un enga-
gement unilatéral est nommé par opposition acu tondu ou
rasé, ou bien acte simple. (Blackstone, liv. II, ch. xx.) Mais
la rédaction en double original n'est qu'une précaution dont
l'omission ne peut compromettre la validité de l'écrit.
(Blaxiand, Cod. rer, AngL, p. 493.) Il en est de même en
Autricbe.
684. Tel était aussi le droit de la France, avant qu'un
arrêt dn pariement de Paris eût, ^ la date du 30 août 1736 ' ,
exigé, k peine de nullité, non-seulement que l'acte con-
statant une vente fût fait double, mais même qu'il men-
tionnât la circonstance de la rédaction en double original :
car, dans l'espèce , les deux doubles étaient représentés , il
n'y avait que la mention d'omise. Plusieurs arrêts conformes
vinrent consolider cette doctrine, qui prévalut dans le ressort
dn parlement de Paris et dans quelques autres , mais qui
fut repoussée par les parlements de Flandre et de Grenoble,
comme confondant ce qui appartient au contrat avec ce qui
n'est relatif qu'^ la preuve. (Merlin, Répert., v* Double écrit,
n* 1 ; Questions de droit, eod. V", § 1 .) Il fallait avoir la manie,
trop commune chez nous, de tout réglementer, pour trans-
former ainsi une mesure de précaution en une nécessité de
droit.
Telle qu'elle était formulée alors, la théorie des doubles
avait une rigueur tout k fait déraisonnable. Le parlement de
Paris semble, en effet, si l'on en croit M. de Grainville
> Cette JQrîspradeace parait toutefois ayoir pris son origine an Châtelet,
ee sanctuaire de la TieiUe pratique. « Quelques-uns de ces messieurs qui
avaient servi au Chàtelet attestèrent que ces principes y étaient invariable-
ment suivis. » Telles sont les expressions de M. de Grainville, un des
magistrats qui concoururent à Parrôt de 1736.
S62 FOI DB l'acte socs seing privé.
(voir dans le Bépert. de Merlin, r Dodble écrit, ses dé-
veloppements k Tappni de rarrét de 1736), avoir confondu
l'acte écrit avec la convention dont il est la preuve. « Un
« acte est absolument nécessaire », dit-il, « pour établir
« qu'il y a eu une convention entre les parties. Il est établi
« par le principe naturel des engagements que , si l'acte est
« sous seing privé , il doit être double quand il contient des
tt conventions réciproques : si Tune des parties ou toutes
« les deux ont pu soustraire la preuve que l'acte a été fait
« double , l'acte est nul et ne peut prouver qu'il y a eu une
« convention ^ il n'a formé aucun engagement entre les
« parties. » Mais où a*t-on vu qu'il fût défendu k l'un des
contractants de se mettre k la merci de l'autre ' ? Peut-on
considérer comme une nullité la difficulté de fait qu'on
éprouve k justifier d'une convention qui n'est pas établie
par écrit? Môme en admettant l'idée fondamentale de cette
théorie, en supposant que l'écrit, pour être valable, doive
pouvoir servir de titre k l'une comme k l'autre des parties ,
il est impossible de subordonner la validité intrinsèque de
la convention k cette égalité de position entre les contrac-
tants.
M. de Grainville poursuit l'exposition de sa théorie, afin
de Justifier la nécessité absolue de la mention que l'acte a
été fait double. « Il n'est pas difficile d'appliquer ces prin-
« cipes au défont d'énonoiation de foU double dans les deux
K actes. L'une ou l'autre des parties pouvait supprimer son
« double ', celui qui aurait voulu exécuter n'avait aucun
a moyen pour prouver qu'il avait été fait double, et que par
<t conséquent l'engagement était obligatoire ou réciproque. • • .
* 0*«st dans le même esprit que, de nos jours, eertains arrAts (Angers ,
27 août 1829 1 Lyon, 27 join 18S2) ont déclaré nulle une promesse unilaté-
rale de vente , parce qu'il n*y avait pas lien de part et d'antre ; conune
s'U était nécessaire qu'un contrat» pour être valable > fût synallagmaUqne.
(Voy. au contraire, Rej. 12 juillet 1847; Paris, 20 août 1847.)
FOI DB l'acte sous SEING PRIVÉ. 263
« Il est vrai que les deux doubles étaient représentés \ mais
« cette représentation ne rectifiait pas le défaut d'énoncia-
« tion qu'ils avaient été faits doubles. Cette représentation
fc ne donnait point h Tacte le caractère qu'il n'avait pas. Il
« était nul dans son principe, parce que ni l'un ni l'autre
a de ces doubles ne donnait aux parties la preuve que la
« convention était réciproque et par conséquent obligatoire. »
Ce raisonnement n'est autre chose que l'application aux
actes sous seing privé de la règle catonienne , tendant à en
soumettre la rédaction k des solennités rigoureuses, dont
rien ne pourrait couvrir l'omission. C'est conformément aux
principes posés par ce magistrat, que le parlement de Paris
décida en 1767 que l'exécution volontaire ne pouvait couvrir
l'absence de la mention, et que celui de Rouen jugea',
en 1785, que l'existence même de la mention ne suflSsçiit
pas pour la régularité de l'acte, si l'on parvenait k prouver
qu'il n'avait pas réellement été fait double : décisions par-
faitement conséquentes, dès qu'on admettait la nullité
radicale de la convention par cela seul qu'elle n'était pas
constatée dans les formes requises.
68â. Mais cette nullité de la convention , qui ne reposait
que sur une confusion de principes, n'a pas été reproduite
par l'article 1325 du Code civil. « Les actes sous seing privé
« qui contiennent des conventions synallagmatiques » , dit
cet article, « ne sont valables qu'autant qu'ils ont été faits
« en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt
a distinct.
(( n suffit d'un original pour toutes les personnes ayant le
* La théorie des doubles, ;|^Unise anssi par le parlemeat de Bordeaux ,
en 1759, n'ayait point, nous Payons remarqué (p. 261), préyalu partout;
eUe ayait été repoussée à Douai, en 1777; à Grenoble, en 1779. Q faut
donc, pour s^en prévaloir ayant le Code, prouver Pusage du lieu, ainsi que
l*a Jugé la Cour suprême, le 17 août 1814, en rejetant le pourvoi CQQtre m
arrêt de la Cour de Nîmes.
264 FOI DE l'acte sous seing privé.
« même intérêt. Chaque original doit contenir la mention
<( du nombre des originaux qui en ont été faits.
(( Néanmoins, le défaut de mention que les originaux ont
« été faits doubles, triples, etc., ne peut être opposé par
(( celui qui a exécuté de sa part la convention portée dans
« l'acte* »
Le législateur déclare que les actes non faits doubles ne
seront pas valables. Mais il ne porte pas atteinte an principe
que la convention peut toujours être constatée par tout lùode
de preuve légal ^ si la perfection n'en a pas été subordonnée
\i la rédaction de l'écrit.
686. Le Code, en reproduisant l'obligation de rédiger
autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt dis-
tinct, reproduit également la nécessité de mentionner sur
chaque original le nombre des originaux qui ont été faits ^
fait double, triple, etc. Mais cette mention est-elle aujourd'hui
une formalité indispensable ? On y attachait autrefois une
telle importance que l'exécution volontaire, qui suffisait,
comme aujourd'hui {ibid., art. 1338), pour couvrir les vices
de dol et de violence , ne pouvait réparer l'absence d'une
pareille mention. Sur ce point, les rédacteurs du Code se
sont écartés ouvertement deà errements de l'ancienne
jurisprudence. Bigot Préameneu (exposé des motifs) justifie
leur décision en ces termes : c< Conmient se plaindre après
fc avoir agi en vertu de l'acte , et par conséquent renoncé
(( au moyen qu'on aurait pu tirer de la nullité ? » Dès que
l'on se trouve placé sous l'empire des principes généraux
sur la ratification tacite résultant de l'exécution , puisque la
convention n'est point viciée dans son principe, il ne faut
* Il ne faut Toir qu^ane réminiBcence de l'ancienne doctrine dans ces
paroles de l'exposé des motifs : « Lorsque tontes les parties n'ont pas un
droit qu'elles puissent réaliser, l'engagement doit être considéré comme
a'U n'était pas réciproque , et dès lors il est nul. »
FOI DE l'acte sous SEING PRIVÉ. 265
point hésiter à décider que l'irrégularité de la rédaction ,
quelle qu'elle soit, cesse par le seul fait de l'exécution
volontaire. La mention n'étant exigée après tout que
comme preuve que l'acte a été réellement fait double, le
Code, en déclarant le défaut de mention couvert, décide
implicitement que les mêmes faits de ratification couvriraient
le défaut de rédaction en double original. (Rej., i*' mars
1830 et 39 février 1833.)
Ne faut-il pas aller plus loin encore? L'arrêt de 1767,
qui refusait tout effet k l'exécution volontaire, n'était, en
définitive, qu'un colloraire de celui de 1736, qui prononçait
la nullité de l'acte \k défaut de mention , bien que les deux
doubles fussent représentés. Ces deux décisions étaient la
conséquence du principe qui transformait l'écrit sous seing
privé en un acte solennel , en dehors duquel il était défendu
de rechercher les éléments nécessaires pour la validité de
la convention. La confection d'un double original étant
nécessaire, la mention du double était requise à son tour,
' comme le seul moyen légal de certifier cette confection ,
absolument comme s'il s'agissait d'un acte notarié. En
rejetant une des conséquences du principe , le Code n'a-t-il
pas rejeté le principe lui-même ? Ne faut-il pas dès lors
admettre que la mention du nombre des originaux n'est
exigée que pour la preuve , et que , si les deux doubles
sont représentés, comme cela est arrivé dans l'espèce
de 1736, on devra aujourd'hui exécuter la convention,
puisqu'il apparaît par l'évidence du fait que les parties
ont été dans une position égale? (Yoy. Grenoble, 8 avril
1829.)
687. On doit considérer comme un acte d'exécution , de
nature Ji couvrir le vice résultant du défaut de rédaction en
double original (voy. n""' 491 et 492), le dépôt entre les
mains d'un notaire, effectué du consentement de toutes les
S06 FOI DE l'agtb sous seing punrÉ.
parties. (Rej., 25 février 1835^ 29 mars 1852.) En est-il de
même si le dépôt a été fait entre les mains d'un simple
particulier, qui n'a pu assurer la conservation de l'acte en
le plaçant au rang des minutes? La négative a été jugée par
la Cour de Caen, le 24 avril 1822. Mais nous pensons que
la Cour de Grenoble est mieux entrée dans l'esprit de la loi,
en décidant l'affirmative, le 2 août 1839. Puisque l'absence
de double n'annule point la convention écrite, il est évident
que les parties y ont vu plus qu'un simple projet, lors-
quelles ont rendu leur position égale, en déposant l'acte
entre les mains d'un mandataire commun. Il n'en serait
plus de même si le dépôt avait été effectué par un seul des
intéressés , même entre les mains d'un notaire. (Bordeaux ,
13 mars 1829.) Tout au plus pourrait-on admettre en ce
cas une adhésion tacite de l'autre partie, si le dépôt lui
avait été notifié et qu'elle n'eût point réclamé.
688. Si les rédacteurs du Code n'ont pas, comme le
parlement de Paris, fait rejaillir la nullité de l'acte sur la
convention elle-même, ils ont maintenu l'idée fondamentale
de la théorie des doubles, qui n'accorde d'effet k l'écrit
qu'autant qu'il a pu servir également de titre h l'un et à
l'autre des contractants. C'est Ik une protection exorbitante
accordée k des majeurs contre la possibilité d'une fraude :
protection qui peut elle-même donner lieu k des fraudes
contre ceux qui, ignorant la loi, croiraient l'autre partie
sérieusement engagée par sa signature sur un original
unique. Aujourd'hui cependant cette théorie donne plus
rarement lieu k des surprises , parce qu'elle est extrême-
ment connue ' -, nous devons même ajouter que plusieurs
* On a invoqué cependant un usage contraire à cette théorie , en ce qui
touche les souscriptions de librairie , qu'on voulait forcer le signataire du
bulletin à exécuter, bien que l'éditeur n^eût'pris, de son cAté, aucun enga-
gement ; on prétendait que l'envoi des prospectus de librairie équivalait à
un engagement de la part de l'éditeur. Cette doctrine , qui ne reposait sur
FOI DE L'aCTB bous SEING PRIVÉ. 267
légisIadODs étrangères, qui ont modifié en beaucoup d'autres
points les dispositions de notre Code , en ont reproduit la
théorie sur ce point. (Voy. Code holland., art. 1914.)
Mais le Code italien de 1866 a complètement abandonné la
doctrine des doubles.
688. La doctrine des doubles tendant ainsi k maintenir
l'égalité de position entre les contractants, on se demande
si cette égalité peut subsister au cas où Ton accorderait
quelque force à l'original, présumé unique k raison de
Fabsence de la mention faU dùubU, qui serait représenté par
Tune des parties? Faut-il ou non voir dans cet original an
commencement de preuve par écrit, afin d'admettre notam*
ment la preuve testimoniale? Nous ne nous arrêterons pas
k un argument peu sérieux, sur lequel se fonde Touiller
pour soutenir Taffirmative (t. VIII, n* 318), lorsqu'il fait
remarquer que l'article déclare les actes non valabUê^ et non
pas nti/i : nuance imperceptible , k laquelle il est impossible
d'attribuer aucune importance, le mot vaiable étant con-
stamment opposé au mot ml dans les dispositions de nos
lois. (C. civ., art. 48 et 170.) Mais, si l'acte n'est pas
valable, peut-on le faire rentrer dans les termes de l'ar-
ticle 1347, qui considère comme commencement de preuve
par écrit tout acte par écrit émané du défendeur et qui rend
vraisemblable le fait allégué? Pour soutenir la négative, on
fait remarquer que , suivant la présomption de la loi , l'acte
non fait double ne doit être considéré que comme un simple
projet, et que l'on ne saurait admettre que cet acte fait foi
sans 7 voir une preuve complète : ce qui est précisément
contraire au système légal. Il est trop évident, ajoute-t-on,
aucoii motif Jnridlque , a été repoiiS8ée par la jurispnideiice. (ReJ., 8 no-
vembre 1848 { Paria, 1" mai 1848.) Seulement , suiyant l'opinion qui tend
à prévaloir (n« 689), le bulletin peut être luToqué comme commencement
de pieaye par écrit contre le souscripteur.
S68 FOI DE l'acte socs seing privé,
que la partie qui pourrait s'emparer de cet acte , afin de le
corroborer par la preuve testimoniale ou par de simples
présomptions , aurait un avantage immense sur Tautre , qui
serait dans l'impossibilité d'user de la même faculté : ainsi
se trouverait forcément rompu l'équilibre que le législateur
a voulu établir. Cette opinion est la plus strictement logique;
mais je dirais volontiers avec les jurisconsultes romains (Jul. ,
L. âO, D., De reb. cred.) : Hœc inteUigenda $unt propter mtbti^
Utatem verbarum. Si l'on s'en réfère au simple bon sens , il
est impossible de méconnaître dans l'acte non fait double
un acte par écrit émané du défendeur et qui rend vraùemblable le
fait allégué. Simple projet, soit! Mais on est parfaitement
reçu k se prévaloir d'une note annonçant un simple projet,
pour prouver ensuite par témoins la réalisation du projet
indiqué. Un acte non valable est donc susceptible de servir
de commencement de preuve par écrit, puisque l'article 1347
a trait k une simple vraisemblance de fait, indépendamment
de toute condition de droit. Il vaut mieux, après tout, laisser
aux juges la faculté d'apprécier les faits que de puiser une
fin de non-recevoir dans les conséquences, plus ou moins
directes, d'une théorie contestable. La pratique a fini par
se prononcer dans le sens de cette opinion , qu'a consacrée
in terminis un arrêt de cassation du 28 novembre 1864.
Qaoi qu'il en soit, si la convention a pu être subordonnée
k la rédaction d'un écrit , elle a pu fort bien être indépen-
dante de cette rédaction. Dans cette hypothèse, il doit être
permis au demandeur, ainsi que nous l'avons dit, du moins
depuis la promulgation du Code , de laisser de côté l'écrit et
d'user des moyens de preuve qui lui sont toujours réservés
comme dernière ressource, de l'interrogatoire et du serment,
ainsi que Ta jugé la Cour de Lyon, le 16 juillet 1827. (Voy.
aussi Rej., 16 mai 1859.) On a cependant quelquefois sou-
tenu que c'était encore Ik violer l'égalité de position entre
FOI DE l'aGT£ socs SEIKG PRIVÉ. 269
les parties, parce que celui k qui on opposerait un écrit
revêtu de sa signature n'oserait pas jurer qu'il n'est pas
obligé. Mais, fût-il vrai que le seiment devint moralement
impossible, Tinégalité de position des parties ne serait après
tout que morale et non point légale, puisque le sort du dé-
fendeur serait toujours entre ses mains. Bien plus, Tobjec-
tion n'est pas même fondée \ car celui qui dit n'avoir signé
qu'un projet, peut très-consciencieusement, si son alléga-
tion est vraie, prêter serment qu'il n'a pas entendu s'engager*
Il est impossible , après tout, que la partie nantie d'un acte
dont elle renonce k se prévaloir, se trouve dans une condi-
tion inférieure k celle de la partie qui ne pourrait absolu-
ment rien invoquer en sa faveur '.
690. Voyons maintenant quel doit être le nombre des
originaux. Suivant le texte du Gode, il doit être égal k celui
des parties ayant un intérêt distinct. Le Tribunat a fait sub-
stituer ces expressions k celles à'intérêt particulier, qui se
trouvaient dans le projet. Ainsi, plusieurs vendeurs ou
plusieurs acheteurs d'un bien ont un intérêt particulier,
mais non distinct , dans le sens qu'a ici en vue le législa-
teur, et il suffira qu'il soit dressé pour tous un seul original,
sauf k eux k s'entendre pour la conservation de l'acte. L'in-
térêt sera distinct, au contraire, si l'on suppose plusieurs
héritiers dressant un acte sous seing privé pour constater
le partage de la succession : il faudra alors autant d'originaux
qu'il y a d'héritiers.
691. La doctrine moderne, comme la doctrine ancienne,
n'applique la nécessité des doubles qu'k la preuve des con-
trats synallagmatiques , c'est-k-dire qui produisent des
engagements de part et d'autre. Il ne faut pourtant pas
1 Suivant nn mage constant (Nancy, 23 juin 1849 ; Rennes, 15 novembre
1869), il suffit que le double remis à Tune des parties porte la signature de
Tautre.
270 FOI DE l'aCTB 80C8 SEING MltÉ.
s'attacher h la dénomination de Tacte, mais k la nature de
l'engagement qui en résulte. Si donc on a qualifié de vente
un contrat où il y a quittance du prix, il est clair que
Tacbeteur seul a intérêt k avoir un original en sa possession,
puisque le vendeur est complètement indemne et qu'il ne
reste plus qu'un engagement unilatéral. (Montpellier,
aO juin 1828; Bordeaux, 30 janvier 1834.) Mais en
serait-il de même dans le cas inverse, c'est-k-^ire si un
actO) unilatéral de sa nature, engendrait en lait des obU*
gâtions réciproques? Tels sont les contrats qu'on a nommés
gynaUagmatiquef imparfaiu» le mandat, le gage, etc., qili
n'obligent dans le principe que le mandataire ou le créan*
cier gagiste , mais d'où peuvent naître plus tard des obliga*
tions pour le mandant ou pour le débiteur. Rien de plus
prudent, sans doute, pour le créancier ou pour le manda-
taire, que de se faire remettre un double. Mais l'article 1 325
ne l'exige pas , puisqu'il ne parle que des contrats synallag-
matiques , et qu'aucune disposition de nos lois n'autorise k
comprendre dans cette classe les contrats synallagmatiques
imparfaits , qui ne sont qu^une variété des contrats uniiatë*-
raux»
Il en serait autrement si le contrat, bien qu'habituellement
unilatéral, engendrait, en vertu même de ses clauses, des
engagements réciproques : si , par exemple , une caution ne
s'engageait que moyennant un terme ou une remise partielle
accordée par le créancier, l'acte de cautionnement devrait
être rédigé en double original. (Rej., 23 août 1856; Nîmes,
28 novembre 1851.)
699. Quant aux tiers, ils ne sauraient se prévaloir de
l'inobservation de la formalité des doubles^ lorsque les
parties gardent le silence. C'est ainsi que la Cour de Paris
a jugé, le 13 août 1823, que les débiteurs ou détenteurs,
poursuivis par un cessionnaire , ne sauraient le faire dé-
POI DE l'acte sous SSIHG PRITÉ. 271
clarer non recevable, sous prétexte que l'acte sous seing
priyé constatant la cession ne porterait pas la mention :
yôû double.
MaiS) ï l'inverse, un tiers, s'il y a intérêt , peut invoquer
l'acte, bien que non fait double. En conséquence, la théorie
des doubles ne saurait être opposée k la régie de l'enregis^
trement. L'inobservation de la formalité du double écrit
n'entraînant point la nullité de la convention , la régie , tant
que les parties ne se sont point prévalues de la nullité de
l'acte, est fondée k s'en emparer contre elles, pour établir
l'existence de l'engagement, afin de les soumettre aux
droits dont U est passible. (Rej., S4 juin 1806.)
693. Enfin, l'application de cette théorie nous semble
incompatible avec la célérité et la simplicité qui caracté-
risent les opérations commerciales. U est vrai que certains
arrêts (Ckilmar, 28 août 18i6; Lyon, 18 décembre 1896;
Rouen , 23 novembre 1846) ont exigé le double original ,
même en matière de commerce; et M. Massé (DroU comm.,
tom. YI, p. 32 et suiv.) soutient cette opinion avec une con-
viction très-arrêtée. Son principal argument consiste dans
cette circonstance que l'article 109 du Code de commerce ,
énumérant les actes sous seing privé , renvoie virtuellement
aux conditions que le droit civil impose pour la validité de
ces actes. Mais cette exigence , qui , bien que critiquable ,
se comprend dans le droit commun, là où la preuve est
soumise k certaines restrictions, n'a plus de raison d'être
dans le droit commercial , où la preuve testimoniale (C. de
comm., art* 109) et, par contre, les présomptions, sont indé-
finiment admissibles. La loi a pris soin de rappeler (ibid.,
art« 89) que les sociétés en nom collectif ou en comman-
dite , constatées par des actes sous signature privée , doivent
être rédigées conformément k Tarticle 1326 du Gode civil.
11 convient d'appliquer la même décision k certains contrats
27S FOI DE l'acte S0U8 SEING PRIVÉ.
commerciaux synallagmatiques , tels que celui d'assurance
maritime, qui, soumis k la rédaction par écrit, doivent
rentrer dans les prescriptions du droit commun \ En seos
inverse, il est des actes synallagmatiques pour lesquels il
est constant que le double original n'est point requis : le
bordereau à'un agent de change, la facture du vendeur
acceptée par l'acheteur, aux termes de l'article i09 du Gode
de commerce. M. Massé reconnaît qu'il en est de même pour
la lettre de voiture. La question ne touche, en définitive, que
certaines opérations usuelles, telles que les ventes, pour la
preuve desquelles l'esprit de la loi commerciale est de laisser
toute latitude aux parties. Telle est l'opinion de la grande
majorité des auteurs. (Voy. Trêves, 30 mai 1820, ainsi que
les considérants de l'arrêt de rejet du 8 novembre 1843.)
684. Ce qui n'est pas douteux , c'est que , devant la juri-
diction consulaire, il est permis de prendre en considération
toute espèce d'écrits. Il est naturel, après tout, que la
correspondance soit un mode de preuve régulier pour les
commerçants, qui sont obligés de mettre en liasse les
lettres qu'ils reçoivent et de copier sur un registre celles
qu'ils envoient (G. de comm., art. 8 et i09) : d'où cette
m
décision un peu exagérée de la Rote de Gènes (déc. i 42 ,
n^ 2) : Litterœ quœ mUturUur inter mercatores habent vires
ptélicorum insirumentorum. Toutefois, la correspondance
n'établit régulièrement une convention commerciale qu'au
cas où il y a demande et réponse, sauf l'appréciation des
circonstances çù le silence emporterait acceptation tacite.
(Comp. les arrêts de la Cour de cass., 25 mai 1870, et de la
Cour de Bordeaux , 3 juin 1867.)
En est-il de même devant la juridiction civile? La raison
' Si habitaeUemeat la police d^assnrance n^est point rédigée en double
original, c'est que le prix est payé comptant, et qu'alors (n» 691) le contrat
devient unilatéral. (Voy. Rej., 19 décembre 1816.)
FOI DE l'acte sous SEING PRIVÉ. 3T3
de douter se tire précisément de la doctrine des doubles.
Aucun article du Gode ciyil , dit-on , ne mentionne spéciale-
ment la correspondance, ainsi que le fait l'article i09 du
Code de commerce. Mais il est constant que les ventes,
mêmes verbales, aujourd'hui comme autrefois, sont par-
fiaiitement valables. Le double original n'est requis, d'après
le texte même de la loi , que lorsque les parties font un acte
sous seing privé. Lorsqu'elles traitent par correspondance ,
elles ne peuvent s'astreindre à des formes qui répugnent k
la nature des lettres missives. Il n'y avait point lieu, au sur-
plus, de se défier de la correspondance conmie on se défie
des témoins : ce qu'indique bien clairement Tarticle 1355
du Gode civil, qui déclare inutile l'allégation d'un aveu
extrajudiciaire purement verbal, toutes les fois qu'il s'agit
d'une demande dont la preuve testimoniale ne serait point
admissible. Il est donc permis d'établir l'existence d'une
vente d'immeubles au moyen de lettres du vendeur et de
l'acheteur produites en justice. (Rej., 26 janvier 1842.) On
a même constaté par des lettres d'une femme mariée le fait
du recel de la grossesse. (Rej., 31 mai 1842^ Alger, 12 no-
vembre 1866.) Suivant Merlin, toutefois {Répert., v"" Lettre,
n"" 6) , une lettre missive devrait être réputée confidentielle,
par cela seul qu'elle est écrite à un tiers ; les lettres missives
ont été, en efiet, écartées par un arrêt de rejet du 5 mai
1858 et par les arrêts de la Cour d'Aix, du 5 juin 1852 et
de la Gour de Gaen , du 31 juillet 1856. Mais la doctrine de
Merlin est trop absolue : la lettre, bien qu'adressée k un
tiers, peut avoir été écrite dans l'intérêt même de celui qui
veut s'en servir, et alors rien n'empêche qu'elle ne soit
produite en justice. (Rej., 3 juillet 1850 et 26 juillet 1864.)
Dans tous les cas, l'usage ne saurait s'entendre d'une
publication indiscrète, faite sans le consentement de
l'auteur des lettres ou de ses représentants, ainsi que Ta
II. 18
274 FOI DE L^AGTE 80DS ftEING PRIVÉ.
décidé un arrêt du 10 septembre 1S50, relativement ^ la
correspondance de Benjamin Ck>nstant ^ .
ce. Considérant, dit la Cour de Paris, qu'une lettre confi*
ft dentielle n'est pas une propriété pure et simple dans les
« mains de celui k qui elle a été écrite ; que le secret qu'elle
fc renferme est un dépôt dont ce dernier ne peut disposer
ft seul ^ qu'en livrant sa pensée k un tiers dans une corres*
(( pondance , une personne peut imposer pour condition à
(c cet acte de confiance qu'il restera renfermé dans le
« domaine de l'intimité ; que cette condition a tous les
fc caractères d'un pacte véritable ; qu'elle est virtuellement
ft renfermée dans toute lettre missive d'une nature conflden-
ft tielle ^ que si , contre le vœu de cette convention tacite ,
« le secret d'une lettre était divulgué, ce serait, non-seule-
ft ment manquer aux engagements naturels de ce genre de
ft rapports, mais porter l'inquiétude dans le commerce
« privé , et briser un des liens de la société des hommes ;
ft — Considérant que ces principes ne reçoivent pas
« d'exception , alors même que l'auteur d'une correspond
ft dance confidentielle aurait rempli un rôle public ; que ,
« quelque étendus que soient les droits de l'histoire sur les
ft personnages qui relèvent d'elle, ils doivent s'arrêter devant
ft le sanctuaire du for intérieur ; qu'il peut y avoir, dans la
ftvie privée des hommes publics, des sentiments, des
ft affections, des épanchements que le respect de soi-même
ft et des autres leur fait ensevelir dans le mystère*, que
ft l'intérêt des familles a le droit de veiller sur ce domaine
« inaccessible , et de le défendre contre les empiétements
ft d'une indiscrète publicité. »
1 on peut voir, dans la Revue critique (tom. I, n» 104)^ les excellentes
observations de M. Connenin sur cet arrêt y obgerrationa plus opportunes
que jamais, aujourd'hui que les petits scandales, les petites anecdotes,
sont avidement recherchés par on certain poblic.
FOI A l'égard des tiers. 275
En ce qai touche le droit des créanciers, la Cour d'Angers
(arr. du 4 février 1869) distingue entre les lettres ayant un
caractère purement confidentiel, qu'elle a interdit de
mettre aux enchères, lors même qu'elles auraient une
yaléUr vénale ^ titre d'autographes, et celles qui ont un
caractère vraiment historique, pour lesquelles elle a admis
le droit des créanciers , si tout autre actif se trouve épuisé.
Mous reviendrons sur le secret des lettres , en traitant de
la foi des actes sous seing privé devant la juridiction crimi-
nelle. (N- 768.)
8 f . VOI A L'iGAkD fttS TIBUI.
SoniAnc. — 698. Dfflcoltés sur la foi de la date ii l'égard des tien. — 696. Ne point
comprendre parmi les tiers l'incapable. Quand on doit y comprendre les héritiers. — 697.
Date des actes vis-à-vis de la masse des créanciers. — 698. Vis-îi^vis de la régie de
l'enregistrement. — 699. Droit incontestable des tiers penitut eitrauei. — 700. Droit
des ayants caose il titre particulier, mal k propos contesté par Touiller. — 70i. QiUi
relattyement an quittances opposées an cas de cession ou de saisie-arrêt ? — 702.
Exception en matière de commerce. — 702 bis. Date du testament olographe. — 703.
Enregistrement des actes sons seing privé. ^ 704. Autres moyens de donner ï l'aete
date certaine. — 709. Aveu exprès ou tacite suppléant à la certitude de la date. — 706.
Régie spéciale en matière d'expropriation pour otilité publique.
695. II n'est pas douteux que l'acte sous seing privé,
lorsque la sincérité en est également établie, n'ait, à l'égard
des signataires, la même foi que l'acte authentique. Mais
l'article 1322 lui accorde cette autorité entre ceux qui l'ont
souscrit et entre leurs héritiers et ayanu came. De graves
difficultés s'élèvent sur cette disposition , comparée k celle
de l'article 1328, qui veut que les actes sous seing privé
ne fassent point foi de leur date k l'égard des tien. Quels
sont les ayants cause des parties? Quels sont ceux qu'il
faut considérer comme des tiers? Parlons d'abord des
successeurs et ayants cause k titre universel^ puis nous
aborderons la question si débattue des ayants cause k titre
particulier.
696. Les successeurs k titre universel sont teniis de tous
18.
276 FOI A l'égard des tiers.
les engagements souscrits pendant la vie de leur auteur.
Ils n'ont dès lors, en général, aucun intérêt à contester la
date de l'écrit, puisqu'ils sont liés par la signature du
défunt, lorsqu'elle est bien constatée, k quelque époque
de sa vie qu'elle ait été donnée. Mais, lorsque leur auteur
a été frappé d'une incapacité qui ne l'empêchait pas en fait
de souscrire des actes, par exemple, s'il a été interdit, les
héritiers sembleraient fondés à exiger du porteur de l'écrit
qu'il prouvât une date certaine, antérieure à l'interdic-
tion prononcée. Et par voie de conséquence, il faudrait dire
que l'interdit lui-même, de son vivant, peut se refuser à
exécuter des engagements dont on ne saurait prouver l'an-
tériorité à l'époque où son incapacité a commencé. Les
héritiers ne sont après tout les ayants cause du défunt, il
n'est leur auteur, que tant qu'il a eu le pouvoir de con-
tracter. L'incapable lui-même n'est, si l'on peut s'exprimer
ainsi, son propre ayant cause que pour les actes qu'il a
souscrits avant de devenir incapable. Ce serait donc au
créancier, qui joue le rôle de demandeur, à établir que la
date de l'écrit est antérieure à l'événement qui a changé
la position du signataire.
Telles seraient les conséquences rigoureuses auxquelles
il faudrait ejTectivement arriver, si la doctrine relative à la
certitude de la date était un de ces principes de raison qui
dominent la science , et auxquels on ne doit pas hésiter à
donner toute la portée dont ils sont susceptibles dans l'appli-
cation. Mais cette nécessité d'une date certaine a l'égard des
tiers n'est autre chose qu'une précaution qui, inconnue
pendant longtemps en jurisprudence, n'a été introduite
dans notre ancien droit que par des considérations d'utilité
pratique. (Yoy. les arrêts du parlement de Rouen du 2 mars
1629, et du pariement de Paris du 19 août 1729.) Il faut
donc voir quels sont les intérêts qu'on a voulu garantir ce
FOI A l'égard des tiers. 277
établissant cette doctrine. Or, en consaltant les arrêts et les
auteurs , il est facile de reconnaître que le but qu'on s'est
proposé a été de protéger les tiers proprement dits , c'est-
k-dire ceux qui traiteraient avec les parties contractantes ,
contre le danger d'antidatés, pratiquées après coup en
fraude de leurs droits. Mais on n'a jamais entendu par tiers^
ni les héritiers dont l'auteur aurait été frappé d'incapacité
pendant une partie de sa Tie, ni surtout l'incapable lui-
même. On a toujours voulu que, dans les rapports du
créancier avec le signataire de l'acte ou avec ses héritiers ,
il n^y eût pas nécessité de donner à l'écrit une date certaine :
autrement, il serait impossible d'avoir la moindre sécurité,
lorsque l'on traite avec une personne , sans faire les frais de
l'enregistrement, puisque, d'un moment à l'autre, cette
personne peut devenir incapable. Et pour remédier à une
fraude eiceptionnelle , dans le cas où l'incapable aurait
souscrit des actes antidatés sans qu'il fût possible de
reconnaître l'antidate, on tomberait dans l'immense incon-
vénient d'annuler tout écrit antérieur à l'incapacité , mais
dont la date ne serait pas légalement établie. Une doctrine
conçue dans un intérêt tout pratique ne doit pas recevoir
une extension que l'utilité pratique désavoue. Après tout ,
les héritiers de l'incapable ayant habituellement avec lui
des rapports bien plus intimes que les tiers, ont plus de
facilité pour établir l'antidate , qui peut toujours être con-
statée en connaissance de cause. (Voy. Cass., 5 avril 1842;
Rej., 15 juin 1843.) Il en est de même, à l'inverse, de l'in-
capable, devenu capable, lorsqu'on lui oppose les actes
souscrits par celui qui administrait ses droits. Aussi un
arrêt qui voulait que les baux souscrits par un tuteur eussent
date certaine pour pouvoir être opposés au pupille devenu
majeur, a-t-il été cassé le 8 juin 1859. Et, si la Cour de
cassation (Rej., 30 juin 1868) a mis h la charge du porteur
278 FOI A l'égard des tiers.
de récrit la preuve de rantériorité de sa date k la nomination
d'un conseil judiciaire donné au souscripteur, c'est qu'eo
fait l'antidate ressortait des circonstances de la cause.
Toutefois, les héritiers doivent être considérés comme
des tiers, lorsqu'ils n'agissent pas au nom du défunt, mais
comme exerçant un droit à eux appartenant, que l'antidate
aurait eu pour but de frauder, par exemple, lorsqu'ils
attaquent une [vente faite par leur auteur au profit de son
conjoint, mais dont la date apparente est antérieure au
mariage : les héritiers invoquent alors un intérêt spécial et
distinct , qu'a eu pour but de protéger l'interdiction de la
vente entre époux (C. civ. , art. 1595) *, ils ont dès lors qualité
pour invoquer l'article 13S8. (Cass., 31 janvier 1837; Rej.,
6 février 1838.)
697. Ceux qui, sans être successeurs, sont ayants cause
à titre universel du signataire de l'acte, ne sauraient être
considérés comme des tiers. C'est ainsi que la masse des
créanciers dans une faillite (Cass., 4 juillet 1854-, Metz,
1" février 1860) ne saurait repousser un titre produit,
parce qu'il n'aurait point date certaine. Une pareille exi-
gence rendrait impossibles les transactions commerciales , à
l'égard desquelles d'ailleurs nous verrons que la certitude
de la date n'est point exigée. La masse n'est point un ayant
cause k titre singulier, et elle ne peut dès lors repousser un
acte sous seing privé qu'en faisant preuve de l'antidate. On
pourrait cependant objecter l'article 1410 du Code civil, aux
termes duquel la communauté n'est tenue des dettes anté-
rieures de la femme qu'autant qu'elles résultent d'un acte
ayant date certaine avant le mariage. Mais il faut voir dans
cet article une disposition spéciale , tendant k prévenir les
fraudes, et non un principe absolu : aussi les Cours de
Limoges (28 novembre 1849) et de Paris (10 juillet 1866),
ont-elles admis les cessionnaires d'une femme commune k
FOI ▲ l'égard des tiers. S79
invoquer des preuves autres que des actes ayant date cer-
taine antérieurement au mariage.
C'est dans le même esprit que la Cour de cassation a
refusé d'appliquer Tartiele 1410, lorsque c'est, au contraire,
k la femme, après la dissolution de la communauté, qu'on
présente des billets du mari n'ayant point date certaine,
fc La femme », dit la Cour (Rej., 13 mars 1854), « ne peut
« ôtre considérée conune un tiers à l'égard des actes con-
« cernant une communauté qu'elle a acceptée. » Nous
lisons également dans un arrêt de Nancy du 25 juillet 1868
que « dûment représentée par le chef de la communauté ,
« la femme ne peut se dire un tiers et invoquer l'art* 1338. »
Lorsque la femme veut exercer son hypothèque légale
sur les biens de son mari à la date d'un engagement qu'elle
aurait contracté avec lui (C. civ., art. SI 35), est-elle tenue
de produire un acte ayant date certaine? Quand elle se
présente vifr*k^vis des créanciers hypothécaires, qui sont
de véritables tiers, elle doit justifier de la date ; la dispense
d'inscription de l'hypothèque n'emporte nullement dis-
pense d'établir régulièrement la date de l'engagement.
(Gass., 5 février 1851.) 11 en est autrement lorsqu'elle se
trouve vis-k->vis de la masse chirographaire , notamment
dans une faillite, de simples créanciers ne pouvant avoir,
hors le' cas de fraude, plus de droits que le débiteur lui-
même. (Cass., 15 mars 1859-, Amiens, S6 mars 1860.)
698. n faut, d'autre part, assimiler aux parties la régie
de l'enregistrement, laquelle, pour la réception des droits
sur les actes , même sous seing privé , doit les prendre tels
qu'ils sont, avec la date qui ressort de leur contexte. Autre-
ment, on ne comprendrait pas comment l'enregistrement,
qui est précisément le moyen le plus habituel pour donner
date certaine k un acte privé , serait exigé quelquefois dans
le$ trois mois de sa date, (Loi du 32 frimaire an VU, art. 32.)
280 FOI A l'égard des tiehs.
Lorsque le législateur a cru devoir eiciger, Tis-à-vis de la
régie, dans des hypothèses particulières, la certitude de la
date, il a eu soin de le déclarer formellement. (Ibid.^
art. 62et70,§3,16*.)
699. Voyons maintenant quels sont les tiers k l'égard
desquels est requise la certitude de la date. Nous savons
déjà que le mot tiers n'est pas toujours employé dans la
même acception. Lorsque le Gode civil dit que les conven-
tions ne nuisent point aux tiers (art. 1165), il entend parler
des tiers penitus extranei^ qu'aucun lien ne rattache aux
parties contractantes-, lorsqu'il dit que les contre-lettres
n'ont point d'effet contre les tiers (art. 1321), il a en vue,
au contraire, les ayants cause des parties, du moins à titre
particulier. (N* 516.)
n nous semble d'abord incontestable qu'à la différence
de l'acte notarié , l'acte sous seing privé n'a point de date
vis-à-vis des tiers penitus extrand. Il n'y a point même lieu
d'y voir un commencement de preuve par écrit, en s'atta-
chant à un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 29 dé-
cembre 1716, en faveur d'un acquéreur qui invoquait comme
titre, pour la prescription de dix ou vingt ans, un acte privé
non enregistré. Aujourd'hui (n"* 165), le commencement de
preuve par écrit doit émaner de celui contre qui la demande
est formée (Cod. civ., art. 1347) : or, le propriétaire qui
revendique l'immeuble à l'égard duquel on invoque la
prescription, est complètement étranger à l'acte sous
seing privé portant vente de cet immeuble. La date énoncée
en cet acte est donc pour lui, k tous égards, res inter altos acta.
700. Ne faut-il pas aller plus loin , et comprendre ici ,
comme en matière de contre-lettres, sous la dénomination
de tiers, les ayants cause k titre particulier du signataire de
l'acte? Pouvait-on notamment, avant la mise en vigueur de
la loi du 23 mars 1855, opposer à l'aclieteur d'un immeuble
FOI A L^ÉGARD DES TIERS. 281
(car c'est sur cette espèce si simple que se sont élevées les
plas vives controverses), s'il justifiait de son droit par un
acte ayant date certaine, un écrit non enregistré, d'où il
résultait une vente antérieure du même immeuble au profit
d'une autre personne? TouUier (tom. YIII, n"^ 244 et suiv.,
et dissert, k la fin du tom. X) a soutenu avec opiniâtreté
raflBrmative, en se fondant sur la lettre de l'article 1322,
qui parle des héritiers et ayants cause , sans distinguer s'il
s'agit d'ayants cause à' titre particulier ou \k titre universel.
Or, l'acheteur est l'ayant cause de son vendeur ; donc les
actes faits par le vendeur ont date certaine à l'égard du
vendeur.
Les auteurs distingués qui ont combattu cet étrange para*
doxe se sont surtout attachés à en démontrer les fôcheuses
conséquences, à faire ressortir la contradiction qu'il offrirait
avec la disposition de l'article 1328, destinée à protéger les
tiers. Par tiers, il ne faudrait entendre, suivant Toullier,
que les créanciers saisissants, lesquels, tenant leurs droits
non du débiteur, mais de la loi, ne sont pas ses ayants cause,
et ne sauraient dès lors être écartés par un acheteur qui ne
représenterait pas un acte ayant date certaine antérieure à
la saisie. Cet exemple est, en effet, celui que donne Pothier.
(Oblig., n"" 715.) Mais il est évident que les créanciers sai-
sissants sont des ayants cause, tout aussi bien que les ache-
teurs i car le droit qu'ils exercent n'est qu'un reflet de celui
de leur débiteur ', et la distinction imaginée par Toullier est
' Le créancier saisissant , à la différence de la masse des créanciers en
cas de faillite (n« 697), devient à certains égards un tiers, puisquUl acqoiert
par le fait même de la saisie un droit propre et personnel. Aussi l'ar-
ticle 684 du Code de procédure autorise-t-il le saisissant , aussi bien que
raâjudicataire, au cas de saisie immobilière, à faire annuler les baux qui
n'ont pas acquis date certaine avant le commandement. De même, la vente
consentie par le débiteur saisi doit avoir une date certaine , antérieure à
la transcription de la saisie. {IHd., art. 686.) Il ne faudrait cependant pas
assimiler d'une manière absolue le créancier saisissant à un tiers , puisque
282 FOI ▲ L^ÉGARD DES TIERS.
tout ^ fait arbitraire. Toutefois il n'est pas exact de soutenir,
comme l'ont fait ceux qui ont combattu TouUier, que le
texte de Tarlicle 1322 doit nécessairement se restreindre
aux ayants cause k titre universel. Cela. parait bi«i peu
vraisemblable; car l'article 1322 s'exprime exactement
comme l'article 1319, qui, en parlant des actes authen-
tiques, mentionne les héritiers et ayants cause, et il n'a
jamais été douteux, dans ce dernier cas, que la convention
ne liât même les successeurs à titre particulier. Il faut donc
convenir que l'acheteur est l'ayant cause de son vendeur.
Mais cela veut-il dire qu'il soit tenu de respecter des actes
n'ayant point de date certaine? Nullement; car toute l'argu-
mentation de Toullier repose sur une pétition de principe.
Le successeur particulier n'est pas l'ayant cause de son
auteur pour toute la vie de cet auteur, comme le serait un
successeur universel ; il ne l'est que pour les actes antérieurs
à la date de l'écrit sur lequel repose son droit. Que celui qui
invoque le bénéfice de l'antériorité de date , prouve qu'il a
traité en effet le premier avec le vendeur, et il l'emportera,
son adversaire fût-il pourvu d'un titre authentique. Autre-
ment, il faudrait soutenir que Tacheteur est l'ayant cause de
son vendeur pour les actes par lui consentis postérieurement
k la vente , système qui se réfute assez de lui-même. C'est
ainsi que se concilient les articles 1322 et 1328^ On
comprend bien, au surplus, que la pratique n'ait jamais
la loi du 23 mars 1855 n'autorise point ce créancier à opposer le défaut de
transcription du contrat de l'acquéreur (p. 84, not. 2), pourvu que la date
du contrat d'acquisition soit antérieure à celle de la transcription de la
saisie.
* On a BiQiiié surabondamment que l'application du principe posé par
l'arlide U28 se trouve dans l'article 1747, qui accorde la faculté de ne
pouvoir être expulsé au preneur dont le bail a date certaine. Or, pourquoi
la certitude de la date vis-à-vis des tiers serait»elle exigée à l'égard dn
preneur, plutôt qu'à l'égard de l'acheteur ?
poi A l'égard des tiers. S83
admis la doctrine de Touiller. (Rej., 20 février i827;
Cass.,28jailleti858.)
Aujourd'hui , du reste , la controverse a beaucoup perdu
de son intérêt , puisqu'à l'égard des droits immobiliers , la
loi du 23 mars i855 exigeant la transcription, c'est de la
date de la transcription , et non plus de la date du titre ,
qu'il y a lieu de se préoccuper, dans le conflit entre deux
acheteurs d'un même immeuble. La question ne se présente
, plus que pour les droits non soumis k la transcription , tels
que le droit de bail , du moins lorsque la durée du bail
n'excède pas dix-huit ans (loi du 23 mars 1855, art. 2, 4"*),
ou bien (Rej., 22 février 1854) le payement anticipé de
loyers ou de fermages antérieurement à la transcription,
quand l'importance de ce payement n'équivaut pas à trois
années de revenu. (Même loi, art. 2, 5*.)
701. Celui qui acheté un bien, ou qui, en général, se
feit concéder un droit réel , a dû immédiatement prendre
les précautions nécessaires afin de consolider son acquisi-
tion, puisque la nature même de son droit le mettait en
rapport avec les tiers. Mais faut-il être aussi rigoureux k
l'égard de celui qui devait s'attendre k n'avoir affaire qu'k
une seule personne, vis-k-vis de laquelle il était en règle,
et qui se trouve tout k coup en relation avec des tiers?
Nous voulons parler d'un débiteur qui se serait contenté ,
ainsi que cela se pratique tous les jours , d'une quittance
non enregistrée, en faisant k son créancier un payement
total ou partiel. Lorsqu'il opposera cette quittance k un ces-
sionnaire, ou k un créancier de son créancier, qui viendra
saisir la créance entre ses mains, ceux-ci pourront-ils lui
répliquer qu'ils sont des tiers k l'égard du cédant ou du dé-
biteur saisi , et que dès lors il n'est permis de les repousser
qu'en leur représentant une quittance ayant date certaine?
De nombreux arrêts ont été rendus en sens divers sur cette
284 FOI A l'égard des tiers.
question , et il est évident que les circonstances ont dû
beaucoup influer sur la solution' qu'elle a reçue dans les
différentes espèces. Mais, en prenant la substance de ces
décisions, on peut les concilier presque toutes au moyeo
de la distinction suivante : ou bien les quittances ont été
immédiatement opposées par le débiteur, et alors, si riai
n^indique une fraude préméditée , on doit présumer la quit-
tance antérieure à la signification -, ou bien , au contraire , le
débiteur a tardé à la faire valoir, et alors l'antidate devient
vraisemblable , la présomption est contre la sincérité de la
date, et l'on rentre dans le droit commun. Cette distinction,
que nous ne présentons point comme un principe de droit ,
mais seulement comme une considération utile dans la pra-
tique, est assez en harmonie avec l'article 1298 du Ck>de
civil , aux termes duquel le débiteur qui a accepté purement
et simplement la cession que le créancier a faite de ses droits
à un tiers, ne peut plus opposer au cessionnaire la compen-
sation qu'il eût pu , avant l'acceptation , opposer au cédant.
La cession frauduleuse d'une créance ou d'une portion de
créance déjk éteinte, est un événement extraordinaire;
contre lequel on ne peut exiger que le débiteur se mette
en garde en prenant des précautions inusitées. Il suffit que,
dès qu'il se trouve en rapport avec les tiers, il leur fasse
connaître sa position. (Yoy. Rej., 5 août 1839-, Gass.,
23 août 1841.)
702. Un point sur lequel on est assez d'accord dans
cette matière si controversée , c'est que la certitude de la
date n'est pas requise, même à l'égard des tiers, dans les
opérations commerciales, qui, sous le double rapport de la
célérité et de l'économie , ne peuvent être soumises à la
nécessité de l'enregistrement. M. Massé fait observer avec
raison (Droit commerciat, tom. IV, n* 24'35) que les com-
merçants n'ont point l'habitude de rédiger des actes, comme
FOI k l'égard des tiers. 285
on le fait dans les affaires civiles. Les modes de preuve les
plas usuels dans les relations commerciales sont les factures,
les correspondances , la preuve testimoniale : modes qui ne
se prêtent point à la formalité de Fenregistrement. Scripturœ
mercatanan^ dit Casanova (Disc. 10, n* 51), prœmmutaur
confeetœ tempore non tuspecto, niri arguantur defaUo. Ainsi,
OB admet, nonobstant la règle posée par l'article 1410 du
Ode (n* 697), l'action contre la communauté des créan-
ciers d'une femme qui faisait le commerce, bien que leurs
titres n'aient point de date certaine antérieure au mariage.
(Angers, 2 avril 1851.) Et la Ck)ur de cassation reconnaît,
en général (Rej., 17 juillet 1837 et 14 décembre 1858),
qu'en matière commerciale il est permis aux juges de s'as-
surer, même à Fégard des tiers , de la vérité de la date ap-
posée k un acte sous seing privé , à l'aide des pièces, faits et
circonstances de la cause , et de présomptions non établies
par la loi. U en est autrement là où le Code de commerce
exige un acte sous seing privé en bonne forme , par exemple
(C. de comm., art. 39), pour la formation d'une société en
nom collectif ou en commandite.
En matière civile, la règle n'admet point d'exception
pour les actes entre-vifs ; on n'admet plus, comme autrefois
en Normandie et en Navarre (Rej. , 20 janvier 1837) que les
contrats de mariage signés des parties et de leurs parents
aient par eux-mêmes date certaine k l'égard des tiers.
702 bis. Mais il faut mettre dans une classe k part le tes-
tament olograpbe , qui , bien que sous forme d'écrit privé , a
date certaine, et d'après l'ancienne doctrine (Coût, de Paris,
art. S89), et d'après la jurisprudence postérieure au Code.
La nécessité de l'enregistrement aurait enlevé au testament
olograpbe la liberté et le secret qui lui sont essentiels. Dès
lors il est constant que celui qui se prévaut d'un acte de
cette nature, établit par sa date même, sans qu'il soit besoin
286 FOI A l'égard des tiers.
d'autre preuve, que le testament a été fait à une époque
de capacité. (Rej., 8 juillet 1823 et 20 avril 1824; Tou-
louse, 9 décembre 4867.)
Mais comment peut-on prouver l'erreur ou la fausseté de
la date? Par des documents empruntés au testament loi-
mènïe,exipiometteêtammto, nonaliunde, suivant DumouIiD*
La Cour de cassation s'est constamment prononcée en ce
sens. (Voir notamment Rej., 14 mai 1867 et 28 juin 1869.)
Vouloir établir par des documents extrinsèques l'erreur
du testateur, ce serait contrevenir au principe qui ne
permet qu'en cas de fraude ou de violence de prouver contre
le contenu aux actes. (N*** 140 et suiv.)
Si l'on prétend maintenant que le testateur a donné sciem^
ment une date fausse à l'acte , sera-t-on recevable k en ad-
mettre la preuve en debors des termes de l'acte? Et dans
tous les cas, n'y sera-t-on recevable qu'en s'inscrivant en
faux contre le testament?
Suivant Mi Demolombe {Dimations et teatamentu^ tom. lY,
n"" 160 et suiv.), c'est seulement lorsque le testament est
attaqué pour insanité d'esprit ou pour captation qu'on peut
chercber en dehors de l'acte la preuve de sa date réelle ,
parce qu'alors l'antidate n'est pas l'objet direct du procès ,
puisqu'elle n'est alléguée que comme un des éléments de la
fraude. La Cour de cassation semble admettre, au contraire
(Rej., 11 août 1851), qu'on peut prouver dans tous les casr
en dehors* même du testament, que le testateur lui a donné
une fausse date, ce qui équivaut k l'absence de date.
Toutes les fois que l'on est recevable à établir la faus-
seté de la date , nous pensons que la preuve est recevable
de piano; sans qu'il soit besoin de s'inscrire en faux contre le
testament. Il nous est impossible d'admettre, malgré la
qualification de solennel donnée au testament olographe par
l'article 289 de la Coutume de Paris ( voy. n^ 568) , la doc-
FOI A l'égard des tiers. 287
trine de Merlin {Rêpen., y* Testament, sect. 2, g 4, art. 7),
reproduite par un arrêt de la Cour de cassation (Rej.,
S9 août 1824') qui considère le testateur comme a placé
« momentanément dans la classe des fonctionnaires publics ,
« pour imprimer Tauthenticité k la date de l'acte. »
Et d'abord , il serait difficile de comprendre l'obligation
de s'inscrire en Taux pour celui qui demande à faire la
preuve d'une fraude , soit que le testateur ait touIu éluder
une incapacité , soit qu'il ait cherché h dissimuler des faits
de captation au moyen de l'antidate. Comme nous le disions,
c'est alors contre le testateur bien plus que contre l'acte
qu'est dirigée l'action. Ne peut-on pas prouver par témoins
ou par présomptions contre le contenu d'un acte, même au-
thentique (Rej., 4 février 1836 et 12 mars 1839), lorsqu'on
articule la fraude? La Cour de cassation a fini par le recon-
naître. (Rej., 22 février 1853^ voy. aussi Toulouse, 9 dé-
cembre 1867, contrairement à un arrêt du 11 juin 1830.)
Il ne reste donc plus que l'hypothèse , bien rare en pra-
tique, où l'on allègue que le testateur a donné sciemment
une date fausse au testament, sans que l'antidate ait eu
pour but de déguiser la fraude ou l'incapacité de tester.
C'est là, a-t-ondit (Toulouse, 11 juin 1830), un faux, bien
que non atteint par la loi pénale ^ mais ce faux , purement
civil , est imaginaire. Lorsque la loi commerciale a voulu
assimiler au faux l'antidate dans les actes (Cod. de comm.,
art. 139) , elle a eu soin de prononcer contre cette antidate
la peine du faux. C'est un principe élémentaire que la simple
simulation n'est point un faux. (Poitiers, 13 février 1865.)
Cette simulation , dans le testament olographe comme ail-
leurs, sera dès lors susceptible d'être établie pour tous les
* Cette déclaratioii de principes était inutile dans Tespèce ; l'inscription
de faux était nécessairement admissible , le testament étant impugné pour
fàux matériel.
288 ' FOI A l'égard des tiebs.
genres de preuve. Telle est aussi la coqcIusîod de M. De-
molombe. {Ibid,, n* 162, )
703. Quant' à la manière de donner date certaine aux
actes, le procédé nbimal, le seul employé habituellement,
c'est l'enregistrement. L'application de cette formalité aux
actes sous seing privé n'est pas ancienne dans notre droit.
Le contrôle, qui correspond k l'enregistrement actuel, ne
fut appliqué à ces actes que par un édit du mois d'oc^
tobre 17.05. Entre les parties, l'enregistrement n'est exigé
qu'autant qu'on veut faire usage en justice des écrits privés
(loi du 22 frimaire an XII, art. 23), sauf les actes portant
transmission de propriété ou d'usufruit des biens immeu-
bles, les baux à ferme ou k loyer, sous-baux, cessions,
subrogations de baux et enregistrements de biens de même
nature, qui doivent être enregistrés dans les trois mois de
leur date, (iWrf., art. 22.)
Pour les actes «ous seing privé auxquels s'applique la
règle générale , qui rend le droit exigible lorsque l'acte est
produit en justice, cette nécessité de payer des droits pro*
portionnels, souvent considérables, k raison de la seule
mention de Tacte, a donné lieu k une pratique tendant k
éluder la rigueur de la loi fiscale. Cette pratique s'est sur-
tout propagée en matière commerciale. Suivant une note
du tribunal de commerce de la Seine, citée dans l'exposé
des motifs de la loi du 11 juin 1859 (fixant le budget de
1860), f( la plus grande partie des demandes formées de-
« vaut les tribunaux consulaires s'appuie sur renonciation
K que la convention est verbale , lors même qu'un écrit
« existe entre les parties. Le juge consulaire lui-même ne
(( peut exiger la production d'un acte qui rendrait sa tache
i( plus facile, mais ruinerait le plaideur. »
L'article 22 de la loi du 11 juin 1859 a fait cesser ce
«xave inconvénient, en substituant, non pour tous les actes
i
FOI A l'égard DBS TIERS. 289
de commerce , car il n'a point été ifinoyé en ce qni touche
les engagements unilatéraux, tels que les billets, mais pour
les actes synallagmatiques, le payement d'un droit fixe k .
celui du droit proportionnel, tant qu'if ll'y a point eu con-
damnation , liquidation , collocation ou reconnaissance » soit
pax jugement, soit par acte public :
« Les marchés et traités réputés actes de commerce par
« les articles 633, 633 et 634, n* i", du Code de com-
<c merce, faits ou passés sous signatures privées et donnant
« lieu au droit proportionnel , suivant l'article 69, § 3, n* 1 ,
« et § 5, nM, de la loi du 22 frimaire an VU, seront
« enregistrés provisoirement moyennant un droit fixe de
« deux francs et les autres droits fixes auxquels leurs dis-
« positions peuvent donner ourerture d'après les lois en vi-
« gueur. Les droits proportionnels édictés par ledit article
« seront perçus lorsqu'un jugement portant condamnation ,
« liquidation, collocation ou reconnaissance, interviendra
« sur ces marchés et traités, ou qu'un acte public sera fait
« ou rédigé en conséquence , mais seulement sur la partie
« du prix ou des sommes faisant l'objet soit de la condamna-
« 6on, collocation ou reconnaissance, soit des dispositions
« de l'acte public. »
704. Outre l'enregistrement, l'article 1328 mentionne
deux circonstances qui assurent la date des actes : la pre--
mière est la mort de celui, ou de l'un de ceux qui les ont
souscrits ' *, peu importe que ce soit l'une des parties ou un
témoin. (Rej., 28 juillet 1858.) La seconde est la consta-
tation de la substance de l'écrit dans un acte dressé par un
officier public. Ce sera le plus souvent , comme le suppose
* n ne suffit pas que Pacte ait acquis date certaine le jour même de
l'aliénation « notamment par le décès dn Tendeur, surrenu le jour de la
Tente ; il faut que rantériorité soit établie , le porteur de Facte étant
demandeur. (Douai, IS féTrier 1865.)
II. i»
(
290L FOI A l'AGàRD DBS TIERS.
le texte, dans un procès^yerbal de teellés oa d'inventaire
qae récrit privé se trouvera ainsi relaté ; oa bien dans un
procès-verbal -de saisie , comme Ta jugé la Cour de cassa-
tion, le 22 novembre 1864. Néanmoins, on a admis favo-
rablement (Riom, 34 janvier 1842) que cette mention peot
être utilement fafte , non-seulement dans un acte authen-
tique, mais dans une décision ministérielle faisant remise
aux parties du double droit dû pour défaut d'enregistrement
dans les délais. Il en serait autrement ( Rouen, 24 mars
1832)* d'une requête d'avoué, dont les énonciations n'ont
nullement le caractère de Tauthenticité.
Ces circonstances sont-elles les seules? TouUier (tom. VIO,
n* 242) suppose que le signataire a perdu les deux bras , et
il décide qu'à partir de ce moment les actes qu'il avait sou*
scrits auront date certaine. Mais on sait qu'il n'est pas im-
possible d'écrire avec le pied *, il y a même un artiste con-
temporain chez qui cet organe avait acquis assez de souplesse
pour manier le pinceau , et qui a exécuté des ouvrages assez
remarquables. Bien plus, (duH certain, dans l'espèce, qu'il
y a pour le signataire de l'acte impossibilité matérielle
d'écrire, il serait toujours très-dangereux d'ajouter, k rai-
son de positions exceptionnelles, de nouvelles circonstances
à celles que mentionne l'article 1328. On en viendrait à
décider, comme l'avait fait la Cour de Grenoble , par un
arrêt qui a été cassé le 27 mai 1823, que la connaissance
qu'aurait eue l'acheteur postérieur de l'acte sous seing
privé qu'on lui oppose suffit pour donner k cet acte date
certaine à son égard. Alors la certitude de la date ne serait
plus, comme dans l'ancien droit (Rej», 10 avril 1838),
qu'une affaire d'appréciation , contrairement à ce que dé-
cide le Code pour la publicité h propos de la transcription.
(G. civ., art. 1071») Et cependant l'utilité pratique de l'en-
registrement consiste précisément en ce qu'il donne une
FOI A l'égard BBS TIERS. 291
base fiie wx droits des parties. L'application de cette règle
peut être rigoureuse , la certitude de la date pourrait résul-
ter, en fait) de livres régulièrement tenus (Aix, 27 avril
i865)} mais, à peine de tomber dans l'arbitraire, il faut
s*en tenir k la lettre de l'article 1328. L'intention du légis-
lateur a été évidemment restrictive; car le cas de mort d'un
des signataires de l'acte était le seul prévu dans le projet ,
et ce n'est qu'après discussion (séance du 2 frimaire an XII)
qu'on a ajouté le second cas, celui de la constatation des
écrits privés dans les actes publics : addition qui n'aurait eu
aucun sens, si l'article n'avait été qu'énonciatif.
705. Ajoutons cependant que l'absence de date certaine
ne constitue point vis-k-vis des tiers un moyen d'ordre pu-
blic auquel il leur soit permis de renoncer. Dès lors, s'il y
avait eu de leur part aveu judiciaire de la sincérité de l'acte,
ou même s'ils l'avaient exécuté d'une manière patente,
comme au cas où un locataire principal viendrait contester
l'existence d'un sous*bail n'ayant point date certaine, après
avoir perçu lui-même les loyers (Rej., 19 mai 1857), il ne
serait plus permis d'invoquer l'article 1328. Mais il faut que
les faits d'exécution soient personnels a celui qui les in-
voque. Aussi la Cour de cassation a-t-elle cassé, le 28 juil-
let 1858, un arrêt de la Ck)ur d'Alger qui avait considéré
comme équivalant k la certitude de la date, vis-k-vis de l'ac-
quéreur, le fait d'exécution , avant l'aliénation, de travaux
destinés k l'établissement d'une servitude, lorsque la con-
stitution de cette servitude n'était constatée que par un écrit
non enregistré '. Notons d'ailleurs, en ce qui touche l'Algé-
* De même, Pacquéreiir ne pouvait, ayant la loi dn 23 mars 1855,
sappléer à Tabsenee de certitude de la date de Bon titre, en alléguant une
poBfleseioii de Pimmeuble remontant à la date apparente de Tacquisition
(Ntmes, 27 mai 1840); et sous Tempirede la législation de 1855, la pos-
session ne pourrait davantage suppléer au défout de transcription. Cest éga-
lement sur une espèce antérieure au système nouveau sur la transcription
que statue Farrèt du 28 juillet 1858.
^
292 FOI ▲ l'ÉGâBB des TIBII8.
rie, que si la loi musulmane n'exige point, comme la ndtrei^
la certitude de la date vis-à-yis des tiers, on ne saurait dn
moins permettre à un musulman d'opposer à un non-musul-
man un acte n'ayant point date certaine. (Rej., 27 octobre
i86(>.) Celte situation présente une certaine analogie avec
celle du commerçant qui voudrait invoquer vis-U-vts d'on
non-commerçant les règles sur la preuve en droit commer*
cial. (NH74.)
706. Terminons par l'examen d'une question fort
usuelle. Les principes ordinaires sur la certitude de la date
sont-ils applicables à l'expropriation pour utilité publique,
lorsque l'État, ou la Compagnie substituée à ses droits, se
trouve avoir affaire a un locataire dont le bail n'a point date
certaine?
Au premier coup d'œil , on est tenté de décider l'affirma-
tive , et de considérer l'expropriant comme un acquéreur k
titre particulier, vis-à-vis duquel on ne saurait se prévaloir
d'un titre qui peut être antidaté. C'est ce qu'avaient en effet
jugé plusieurs arrêts, et notamment un arrêt de cassatiou
du 2 février i847.
Mais, en y réfléchissant, on reconnaît qu'il n'est pas pos-
sible d'assimiler ici aux aliénations ordinaires l'expropriation
pour utilité publique. Lorsque le propriétaire consent une
vente volontaire, il est passible d'un recours en indemnité
vis-à-vis du locataire expulsé, auquel il a consenti un bail
non enregistré. Mais il ne saurait être passible d'aucun re-
cours, lorsqu'il est soumis à l'expropriation, qui est un cas
de force majeure. C'est pour cela que l'article 31 de la loi
du 3 mai 1841 veut que le propriétaire, dans la huitaine de
la notification du jugement d'expropriation, appelle et fasse
connaître à l'administration ses fermiers ou locataires, et
qu'à défaut de le faire il reste seul chargé envers eux des
indemnités. D'où la conséquence que, s'il a fait cette déda-
\
VÉRIFICATION DES ÉGB1TURE8. 393
', il demeure déchargé, et rexproprianf se trouve
4Wlp6|Roé à ses obligations. Quant au danger de la fraude, il
y est jpourvu par la latitude accordée au jury d'eipropria-
tion p^ur la fiiation des indemnités. Qefe raisons , admises
par des'auteurs graves, ont Uni par prévaloir dans la juris-
prudei|ce, et la même chambre civile qui avait cassé,
eîi/1847, un arrêt conforme à^cette doctrine, a, au con-
tiaife, le 17 avril 186f , rejeté le pourvoi contre un arrêt
d€(|la Cour dé (iSl«iioble,'da 9 novembre 1858, qui avait
tAnbné droit à l'indemnité en vertu d'un bail n'aj^t point
date certaine , |iiais»reconnu sbacère.
«'V'-
* ; DEDXIÈMB DIVISION.
viRIFICATION DS8 iCBITUBlS.
SOMVAIBI. — T07. BUBrence eatre li foi de rëerit pilTë et celle de l'acte aathenaqne
^-— 708, Qittà relitiTement au porteur d'an testament olognphe, envoyé en possession
»t ? — 709. YërifieatioD principale on Incidente. •« 710. Trois pliases de
^''foi". La 'présomption exorbitante qui fait repu ter au-
thentique, jusqu'à inscription de faux, l'écrit revêtu des
app^rebces- de l'authenticité, n'a jamais existé en ce qui
eoncerneies écrits privés, dont la falsification est k la fois
plus facife et moins sévèrement punie '. Tandis que celui k
qui on oppose un acte authentique apparent est obligé de
s'inscrire en faux pour en détruire Tautorité , celui auquel
on oppose uo écrit privé revêtu de sa signature apparente
peut se contenter de le méconnaître, et c'est alors au por-
teur de récrit qu'incombe le fardeau de la preuve. « Quant
'«aucuns », dit Beaumanoir (ch. xxxv, § 3), « est ajorné à
■ Cette règle n'est pas nniTerseUement admise. Dans la Virgiiiie (St.
ràr. de 1849, cb. xctiii, $ 75) et dans plusieurs autres États américains,
toat. écrit portant la signature apparente d'une personne viTante est réputé
sincère , tant que cette personne, n'en atteste pas la fausseté par serment.'
294 VÉRIFICATION DES ÉGR1TUB88
a se lettre , et il nie pardevaot juge qa'il ne bailla oncqaes
« celé lettre , et que ce n'est pas son seaus , il convient que
« li demanderes le proeve. » Certum ut, dit Boiceau (part, n,
chap. I , n* 2) , et communi GalUœ usu receptum, niUlam priva-
tam scripturam nullumque ehirographutn fidem habere, nid priui
agnoêeatur.
708. Mais en sera-t-il de même lorsque le porteur de
l'acte sous seing privé sera défendeur? Ainsi , sera-ce au lé-
gataire universel \k prouver la sincérité d'un testament olo-
graphe, bien qu'k défaut d'héritiers a réserve il ait obtenu
l'envoi en possession en vertu de ce testament'? (C. civ.,
art. i008. ) Observons qu'en toute autre hypothèse, les hé-
ritiers du sang seraient saisis, et le légataire demandeur
incontestablement obligé de faire vérifier l'écriturei Ceux
qui soutiennent l'affirmative, fout remarquer que l'ordon-
nance du président n'est pas rendue contradictoirement ,
et qu'elle ne constitue qu'un acte de juridiction gracieuse,
qui ne peut être refusé au requérant, à moins que l'écrit ne
porte des marques évidentes de fausseté ; la présomption
de vérité ou de fausseté du testament ne saurait être le prix
de la course. Dans le sens de la négative, consacrée par la
jurisprudence constante de la Cour de cassation (voy. Cass*,
21 juillet 1852, 23aoûtl853, 25 juin 1857 et5aoùt 1872),
on répond que la possession ne doit pas nécessairement pro-
venir d'un jugement proprement dit pour établir en faveur
de celui qui l'invoque une présomption de droit; qu'il suffit
qu'elle soit régulière, ce qui est incontestable dans l'es-
pèce , pour que le fardeau de la preuve incombe au noQ-
* Il est yrai qne la saisine du légataire uniTersel , dans Tespèce , procède
de la loi, et non de Penyoi en possession, qui n*est qu^une affaire d*exéca-
tion. Mais lorsqu*U agit Tis^-yis des héritiers du sang, sans s'être fait
envoyer en possession, il ne peut, pour se dispenser de la preuve, invoquer
la saisine. Cette prétention serait une véritable pétition de principe,
puisqu'il s'agit d'établir la qualité qui peut seule lui attribuer cette saisine.
'4
VÉRIFICATIOM DBS tCRITORIg. 898
possesseur. Si les héritiers se plaignent d'avoir été prévenus
par l'envoi en possession , n'ont-ils pas aussi quelque négli-
gence 2i se reprocher, sauf le cas exceptionnel où aucun
d'eux ne se trouverait sur les lieux? L'envoi en possession
D'est pas une affiiire de pure forme ' , et le président doit
s'y refuser, si la sincérité de l'écriture lui parait douteuse.
(Rej., S7 mai 1886.) Enfin, si c'est toujours au légataire à
faire vérifier récriture, où s'arrêter dans cette voie? On
pourra donc, pendant trente ans, et même après trente ans,
si quelqu'un des intéressés était mineur ou interdit, obliger
ce légataire k prouver la vérité de l'écrit, lorsque toutes les
preuves auront péri, et qu'une longue possession aura dû
lui assurer une parfaite sécurité? Cette dernière considéra*-
tion nous parait décisive. Ajoutons toutefois, avec la Cour
de cassation (Rej., 6 mai 18Bd)v Q^^) s'il y a des indices
de fraude, le fardeau de la preuve, même après l'envoi en
possession, peut être imposé au légataire.
709. La vérification d'écritures se conçoit comme d^
mande principale, ou comme demande incidente. Le C!ode
de procédure, qui, relativement à l'enquête et k l'inscrip-
tion de faux, parait supposer (art. 315 et 3B2) que ces
procédures ne se présenteront jamais que d'une manière
incidente , ne considère , au contraire , la vérification d'écri-
tures que comme étant l'objet d'une demande principale.
{Ibid., art. 193.) C'est qu'en effet l'édit de 1684, qui était
jadis la loi de la matière, avait voulu qu'on ne pût obtenir
en justice l'exécution des conventions constatées par actes
privés, sans avoir au préalable assigné son adversaire en
reconnaissance d'écriture. Seulement, une déclaration de
> lâ prittqve tend à admettre (Nmcy, S février 1870; MootpelUer,
S décembre 1S70) que Tordonnance du président, qui accorde on refuse
Penyoi en possession, est une décision contentieuse, et dès lors susceptible
é^Hipel.
296 VÉRIFICATION DES ÉGRITCRB8.
1703 avait autorisé, en matière d'effets de commerce, « à
« obtenir condamnation sur de simples assignations dans la
« manière ordinaire , sans qu'an préalable il fût besoin de
K procéder en reconnaissance, sinon au cas que le défendeur
« déniât la vérité des actes. » Il n'est pas douteux aujour-
d'hui que cette faculté ne doive être accordée en toute ma-
tière, la restriction de l'édit de 1684 n'ayant pas été repro-
duite par le Code de procédure. La jurisprudence (Gass.,
7 janvier i814; Rej., 27 août 1835) consacre k cet égard le
système raisonnable, trop souvent méconnu par les prati-
ciens, suivant lequel on ne doit pas considérer comme
limitatives les dispositions des lois de procédure, lorsqu'elles
prévoient certains cas plus fréquents dans la pratique» sans
exclure formellement les autres.
710. La procédure en vérification d'écritures est moins
compliquée que celle de faux. Elle comprend trois phases ;
i* une procédure préalable tendant k obtenir la reconnais-
sance de récriture, procédure qui n'est nécessaire que
lorsqu'on conclut spécialement k la vérification de récrit;
2* rinstruction , qui a pour objet de vérifier l'écriture , si
elle est déniée-, 3* le jugement définitif. Nous dirons quel-
ques mots, en terminant, sur l'application de l'inscription
de faux aux actes s6us seing privé.
S I. progAburb tbii»aht a OBfmnm RBOoiniAmAiiGB
DE L'éCRIT.
SoimaIre. — 714. Mise eo demenre de ridTemlre. — 742. Nécessité d'iTea m de
déssTea fonnel. — 743. Position des héritiers on ayants eanse. — 744. Cas où le
défendear fait défiint. — 749. Jugement qoi ordonne la Térificaiion. — 74B to. Portée
de la reconnaissance.
711. Ici comme dans la procédure de faux, on a pensé qu'il
fallait, avant de procéder k des investigations difficiles et
compliquées sur la sincérité de l'écrit, mettre le défendeur
en demeure de le dénier ou de le reconnaître. Et on a voulu
VÉRIFICATIOM DES ÉCRITURES. 297
simplifier cette procédare préalable dès Tédit de 1684, qui
a autorisé le demandeur en vérification à assigner son ad-
versaire à un délai de trois jours seulement. Cette abrévia-
tion, reproduite par nos lois (G. de proc., art. 193), a de
plus aujourd'hui l'avantage d'emporter dispense du prélimi-
naire de conciliation {Ibid., art. 49, 2»), ordinairement
exigé par le droit moderne. Si la demande est formée inci-
demment, on la notifie, non plus par assignation, mais par
acte d'avoué à avoué, en observant le même délai. Mais,
ainsi que nous l'avons dit (n* 709), il faut supposer que le
porteur de l'écrit conclmt spécialement k la vérification, soit
que la dette ne soit pas encore échue ( loi du 3 septembre
i807, art. 1*), soit, en tout cas, que cette marche lui
semble plus utile. Celui qui produit purement et simple*-
ment, k l'appui d'une demande principale, un acte sous
seing privé, n'est pas obligé de conclure a la reconnaissance
de cet acte, tant qu'il n'y a pas de contestation sur ce point
de la part de l'adversaire.
712. « Celui auquel on oppose un acte sons seing
« privé », dit l'article 1323 du Code civil, a est obligé
« d'avouer ou de désavouer formellement son écriture ou
« sa signature. » En Angleterre, il lui est permis de garder
le silence, sans se compromettre. (Blaxland, Cod. rer.
AngL, p. 493.) Notre pratique est préférable^ tel plaideur
qui ne se ferait pas scrupule de garder le silence , pourra
reculer devant un mensonge formel. C'est pour mieux at-
teindre ce but que la loi de procédure de Genève (art. 232)
prescrit, en pareille hypothèse, la comparution personnelle
des parties. Elle n'est point indispensable dans le droit
actuel (Dijon, 3 avril*! 868); mais rien n'empêche nos tri-
bunaux d'ordonner celte mesure, lorsqu'ils la jugent utile k
kl manifestation de la vérité. Elle est prescrite formellement
parle projet de révision. (Art. 181.) Le texte parle du dé-
S98 VÉBIFICATIOM DES ÉGRITQRBS.
savea de l'écriture ou ifa te iignaturô» la «goature seule étant
exigée pour la validité d'un acte sous seing privé , de même
qu'autrefois c'était sur le iceau, comme nous l'apprend
Beaumanoir (voy. n* 707), que portait le désaveu. Il est
évident toutefois que, s'il s'agit d'un billet constatant ren-
gagement unilatéral de payer une certaine quantité ( ibid.,
art. i3â6), on doit provoquer la reconnaissance, non-seo*
lement de la signature , mais encore du 6on ou apfmnwè
exigé par la loi.
713. Néanmoins, on ne peut imposer cette .obligation
qu'à celui qui est poursuivi comm^ personnellement signa-
taire de l'acte*. « Ses héritiers ou ayants cause », ajoute
l'article i323, « peuvent se contenter de déclarer qu'ils ne
(( connaissent point Récriture ou la signature de leur auteur. »
Ici le mot ayant caus$ comprend évidemment, et les succès
seurs à titre universel , et les successeurs k titre particulier :
un aciieteur, par exemple, qu'on voudrait évincer de l'im*
meuble acheté , en invoquant un acte sous seing privé qui au-
rait une date certaine antérieure à celle de son titre. Il en
serait évidemment de même des administrateurs qui repré-
senteraient le signataire , notamment du tuteur de Tinterdit.
714. Si le défendeur reconnaît l'écriture , on en donne
acte au demandeur. S'il fait début , ici , contrairement k la
règle générale qui veut que les conclusions du demandeur
ne lui soient adjugées que si elles se trouvent justes et bien
vérifiées (G. de proc, art. 150), l'écrit est tenu pour re-
connu (ibid,, art. 194), sauf, bien entendu, le droit de
former opposition. Il en est autrement en matière d'enr
quête : le Code de procédure dit seulement alors (art. 282)
* Et même dans les cas exeeptiomiels où una partie IntaipeUéa mr mu
propre Hait se trouve dans des circonstances telles qu'elle puisse l'avoir
oublié (n* 412), le défendeur serait reçu à déclarer qu'il ne reconnaît point
■a propre teiUire, par exemple, ei une maladie lui avait aiieji la oiteoii*.
VÉRIFICàTIOM 0E8 tCBITURSS, 299
qne les faits, s'ils ne sont ni déniés ni reconnus, peweru
être tenu» pour confessés on avérés* C'est que la simple ar«
ticulation des faits dont la preuve par témoins est offerte, ne
suffit point pour rendre probable l'eiistence de ces faits
(voj. n* 256), tandis que la production d'un écrit est une
circonstance d'une certaine gravité. On comprend que, le
silence de l'adversaire venant se joindre à cette circonstance,
la loi moderne, comme l'édit de 1684, présume la sincérité
de l'écrit. Mais cette règle n'est pas tellement absolue que
le juge ne puisse et ne doive s'en écarter, lorsqu'il s'agit
d'un incapable, que le silence de ses représentants ne doit
pas compromettre.
715. Enfin , si le défendeur dénie récriture , la preuve
peut en être ordonnée^ aux termes de l'article 195 du Code
de procédure. Les expressions du Code civil semblent plus
impératives : la vériflcation en ut ordonnée en juMtke, dit
Farticle 1324 de ce Gode. Quelques auteurs ont conclu de
ces dernières expressions que la vérification est indispen-
sable ; ce qui est vrai en ce sens qu'il est interdit au juge
de passer outre , tontes les fois qu'une écriture est déniée ,
sans s'être prononcé sur la sincérité de cette écriture.
(Cass., 6 février 1837.) Mais cela ne veut pas dire qu'il
faille absolument une expertise ou une enquête pour faire
tomber la foi de l'écrit. Le tribunal doit statuer sur la de-
mande qui lui est soumise, mais il peut le faire sans len-
teurs et sans frais, d'après ses propres lumières, lorsque la
sincérité de l'écrit lui parait évidente (Rej., 3 décembre
i839; 26 juillet 1864), ou bien, au contraire, lorsque la
fausseté en est palpable. (Rej., 14 mars 1837.) Puisqu'on
le décide pour les poursuites en faux , où l'instruction est si
compliquée (n** 626 et 639), k plus forte raison doit-on le
décider pour la vérification, dont la procédure est beaucoup
plus simple.
300 YÉftlFlGATIOM DES ÉCRITURES.
Suiyant le droit commun allemand , 11 est permis au jage
de déférer au défendeur le serment négatoire {diffessionseid) ,
et , s'il le prête , la pièce est rejetée du procès sans examen
Mais cette pratique , trop favorable au défendeur , ne trouve
aucun appui dans nos lois, sauf pour les parties le droit de
se déférer le serment décisoire, si elles le jugent cooTe-
nable.
71tf bji^. Une observation importante, consacrée en loi
par le Code italien (art. 1324), c'est que celui qui a re-
connu un acte privé, a toujours le droit de produire ses
raisons contre le contenu de cet acte, bien qu'il n'ait fait
aucune réserve au moment de la reconnaissance. Admettre
la validité extrinsèque de l'acte, ce n'est point en approuver
le contenu.
S s. riMincLnom bb l'Acut.
SomAiiiE. — 716. Modes de Tèrifleation. ^ 747. Tltns. ^ 748. Témoins. Fmt-fl foir
dans l'écrit en litige on commencement de preoTeT — 749. Sar qnels points doivent
déposer les témoins. — 790. Rapprochement de renqnête et de l'expertise. — 1%*. Ex-
pertise. — 72S. Formes générales. — 79s. Procès-verbal de Tétat de la pièee. — 734.
Apport des pièces de comparaison. — 7SS. Quelles pièces peuvent être admises. — TSt.
Signatures dans les actes publies. — 727. Signatures d'actes privés. — 7M. ObUgatioa
imposée ani dépositaires de pièces. — 728 bis. Admission de pièces étrangères. — 72».
Quand' ils peuvent s'y soustraire. » 7S0. Préliminaires. Corps d'écritnre. — 7S4.
Travail des experts. Quelle est la foi de l'expertise. — 734 Mt. Innovation proposée
dans le projet de révision.
716. Les modes de vérification sont ici les mêmes qu'en
matière de faux. On vérifie l'écrit tant par titres que par
experts et par témoins. (C. de proc., art. 195.) U faut dé-
cider également que le concours de ces trois preuves n*est
pas exigé , d'abord parce qu'il n'est pas toujours possible ,
et en second lieu, parce qu'il peut se faire, notamment
lorsqu'on prouve par titres, l'écrit privé se trouvant relaté
dans un acte authentique, que l'on arrive, au moyen d'un
seul mode , k une démonstration parfaitement concluante.
717. Nous n'avons rien k ajouter en ce qui concerne la
preuve par titres. Ce mode de vérification est encore id le
I^ÉRIFICATIOM DES ÉCBITURES. 301
plus sûr et le plus, expéditif ^ malheureusement il n'arrive
pas fréquemment qu'on ait occasion d'en faire usage.
718. Quant à la preuve par témoins, on se demande si
Tadmettre, quelle que soit l'importance du litige, pour vé-
rifier un écrit suspect, ce n'est pas détruire le principe res-
trictif posé par l'ordonnance de Moulins. Cette objection
n'avait pas échappé à Boiceau , le premier commentateur de
Tordonnance. « Gertum est », dit-il (part. II, chap. i), « et
«t communi usu Galli^e receptum, nullam privatam scrip-
te turam nuUumque chirographum fidem habere , nisi prius
« agnoscatur : quod si denegetur , testibus ex necessitale
« opus erit, ad probandum signum, vel sigillum manu-
<K scriptum vel appositum fuisse ab eo qui denegat scrip-
« turam ; et sic ad testes semper erit recurrendum , immi-
« nebitque periculum et suspicio subomahdorum testium :
<ff hinc interlocutiones , allegationes et involutiones innu-
« merae, ut antea, locum habebunt. Quocirca haec lex regia,
<c hoc respectu , illusoria videbitur et sibi ipsi contraria. »
La réponse de Boiceau, qui a été reproduite de nos jours
par Toullier, et que nous avons déjà eu occasion de com-
battre, n^est rien moins que satisfaisante. Elle consiste h
dire que l'écrit même, dont il s'agit d'établir la sincérité,
est un commencement de preuve, de nature à autoriser
l'enquête : Princeps hanc probationem recipit, propter juris
prœsumpdonem, quœ pro scriplura store videtur. Mais c'est Ik
faire une pétition de principe manifeste, puisque le litige
porte précisément sur l'écrit : erreur qui, moins grave dans
l'ancien droit, lorsque le commcDcement de preuve par
écrit n'était pas encore défini, est bien plus sensible au-
jourd'hui que la loi a déclaré formellement que l'écrit doit
émaner de l'adversaire. (C. civ., art. 4347.) La véritable
réponse à l'objection se trouve dans la nature même du prin-
cipe restrictif de la preuve testimoniale. Le vœu du législa-
30S VÉRIFICATION DES ÉCRITURES.
teur est qu'an écrit soit rédigé pour constater les conven-
tions des parties , mais comment prouver le fait même de la
confection de Técrit? Ce serait exiger Timpossible que de
demander une preuve écrite de cette confection. Car où s*ar*
rèter dans cette voie? Il n*y a donc pas k motiver ici par
quelque circonstance eiceptionnelle l'admission de l'en-
quête , puisqu'on ne se trouve pas sous l'empire de la règle,
applicable, nous Tavons souvent répété, aux conventions
des parties, et non pas aux simples foits, tels que la rédac-
tion d'un acte. Ajoutons que le témoignage de personnes qui
ont vu signer l'écrit offre bien plus de garanties que l'art
conjectural des experts. « La preuve la plus simple et la
« plus (ïicile {the simpleU andmoH obvUms) », dit Philipps
(liv. I, part. II, cbap. vni, sect. 1), « c'est l'attestation
« d'un témoin qui a vu signer l'écrit. » Aussi est-il k regret-
ter que nos mœurs n'admettent point l'appel des témoins
aux actes privés , usité dans l'ancienne Rome et en Angle-
terre. (N^' 663 et 665. )
7i9. Dans l'opinion contraire, il faudrait dire, pour être
conséquent, que, puisqu'il y a commencement de preuve
par écrit, les tiers peuvent déposer sur l'existence même
de la créance, ainsi que cela se pratiquait sans difficulté du
temps de Beaumanoir, lorsque la preuve par témoins était
indéJSniment admise. Les témoins pouvaient en effet dé-
clarer (ch. XXXV, § 3) (( se cil qui a le niance fête avoit
a reconnut, par devant bone gent, avant le niance, que cil
(( avoit ses lettres et qu'il utoU tenus àli à ce qui est reconnut
a en la teneur des lettres. » Quelques arrêts (Douai , 28 juin
1841 ; Montpellier, 10 juin 1848) ont adopté aujourd'hui la
même décision , en s'appuyant sur les termes généraux de
l'article 211 du Code de procédure : « Pourront être en-
« tendus comme témoins ceux qui auront vu écrire ou
« signer l'écrit en question, ou qui auront connaissance de
▼illII^ICATIOlf DES tCHrtORKS. 90S
« finie pcavant servir à découTrir h vérité. » Mais ce serait
là une violation manifeste de la règle suivant laquelle l'allé-
gation d'un aveu eitrajudiciaire purement verbal est inutile,
1& où la preuve testimoniale n'est point admissible. (G. civ.,
art i3S5.) Les faits sur lesquels doit porter l'enquête ne
peuvent avoir trait qu'k la confection de l'écrit'. Ainsi, les
témoins peuvent dire qu'ils reconnaissent l'écriture ou la
signature , bien qu'ils n'aient pas vu écrire ou signer l'écrit
en question (Rej., 25 juillet 1833); ils peuvent d'ailleurs
avoir été appelés immédiatement après la confection de
l'écrit i suivant la maxime du moyen âge : Si in confectionê
êharUê prmenkè nonjkerinu ivfficit ri poitmodum, in prcêsenUa
donùio^is ei donatoHi, fuerit recUata; mais il sera interdit de
les interroger sur la convention même , indépendamment
de l'écrit qui la constate. Si la mission du juge-commissaire
peut être délicate en cette occasion , la question de la
sincérité de l'écrit se rattachant intimement k celle de la
validité de la convention, les principes généraux qui doivent
le guider dans sa marche ne sont pas douteux.
720. En se plaçant k un autre point de vue, k celui de
la confiance que méritent les experts, on s'est demandé, au
contraire , s'il doit être permis , comme le suppose Tarrêt
du S5 juillet 1833, d'interroger des témoins n'ayant point
assisté k l'acte sur le point de savoir s'ils reconnaissent ou
non telle ou telle signature. N'est-ce point Ik, a-t^n dit,
confondre l'enquête avec l'expertise? Il faut néanmoins
reconnaître, en fait, que des personnes vivant dans l'inti-^
mité du prétendu signataire de l'écrit peuvent souvent don-
ner des renseignements plus certains que des experts fon-
dant leur conviction sur des données abstraites* On sait que
A « La dépoiltion des témoins », dit le rapporteur du Triimnftt, « doit
singulièrement porter sur le fait qn*il s^Agit de Térifler, sur la formation
matérieUe de l'acte. •
304 YÉRIFIGATION DES ÉGR1TCRES.
Feipertise ne lie point les juges (G. de proc., art. 323),
qui peuvent dès lors former leur conviction d'après des
renseignements de toute nature. De plus, le législateur, en
ordonnant la représentation aux témoins des pièces déniées
ou méconnues ' (ibid., art. S12), indique suffisamment Tib-
tention de ne point tracer une ligne de démarcation absolue
entre les fonctions des témoins et celles des experts*. Celte
doctrine a .été consacrée par la jurisprudence dans une
espèce fort remarquable. La Cour de Montpellier avait dé-
claré sincère l'écriture d'un testament olographe, reconnue
par un grand nombre de témoins, nonobstant l'avis unanime
des experts en sens contraire. Le pourvoi formé contre cet
arrêt a été rejeté, le 25 juillet 1833, a attendu que la eom-
« binaison des articles 21 1 et 234 du Code de procédure
« civile justifie la mesure qui a pour objet de présenter la
« pièce signée aux témoins, et de recevoir leurs témoi-
(( gnages sur cette pièce. »
721. Le troisième mode de vérification est Texpertise,
qui consiste ici dans la comparaison de l'écriture contestée
avec d'autres écritures, émanées incontestablement du dé-
fendeur. Cette comparaison est faite par des experts, c'est-
à-dire par des hommes ayant des connaissances spéciales
en cette matière.
782. Nous n'avons pas à revenir ici sur les améliorations
générales introduites par le droit moderne quant à l'exper-
tise, et dont le Code de procédure (art. 196 et 210) fait
l'application à la vérification des écrits : la nomination d'of-
fice de trois experts, quand les parties ne sont pas d'accord ^
la rédaction d'un seul procès- verbal, k la majorité des voix;
* Déniées , s^il s'agit du prétendu signataire ; méconnues, s'il s'agit d'an
ayant <^ase. (N» 713.)
' En Angleterre, on impose aux témoins Poblig&tion d^apporter les pièces
utiles au procès, en les conToquant» non pas par le unit ordinaire subpcaia,
mais par le writ spécial sub pcena duces iecum.
VÉRIFICATIOM DES AGRITURBS. 305
enfin Findication des avis divers, s'il y a lien, sans qu'il soit
permis de faire connaître l'avis personnel de chaque expert.
Occupons -nous de ce qui est spécial aux vérifications
d'écritures.
723. Le jugement interlocutoire qui admet la vérifica-
tion désigne le juge-commissaire devant lequel il sera pro-
cédé , et ordonne le dépôt de la pièce , qui doit être signée
et parafée du demandeur ou de son avoué, et du greffier,
afin que l'identité n'en puisse être douteuse. Le procès-
verbal qui constate l'état de la pièce n'est pas dressé, conune
en matière de faux , contradictoirement avec le défendeur,
ni même par le juge-commissaire. Il est simplement rédigé
par le greffier, en présence du demandeur, puis communiqué
a l'adversaire. (Ibid., art. 196 et 198.)
724. Le procès-verbal ainsi dressé et communiqué au
défendeur, la base de l'expertise se trouve établie. Mais
l'appréciation k laquelle doivent se livrer les experts est
toute relative. Il s'agit de comparer l'écriture en litige avec
d'autres écritures incontestablement émanées du défendeur,
qu'on nomme, dans la pratique judiciaire, pUcei de campa-
raUon. Le juge-commissaire fixe un jour, afin que les parties
comparaissent devant lui pour s'entendre sur ces pièces.
Au cas de défaut de l'une ou de l'autre des parties , il est
statué par le tribunal, sur le rapport du juge-commissaire.
Si le demandeur fait défaut, la pièce est rejetée*, le défaut
de l'autre partie permet seulement au tribunal de tenir la
pièce pour reconnue. (IMd.» art. 199.) Le défaut du deman-
deur devait avoir des conséquences plus graves, puisqu'il
implique de sa part une sorte de rétractation.
Si les parties s'accordent sur les pièces de comparaison,
les opérations des experts peuvent conunencer immédiate-
ment. Au cas contraire, les pièces sont reçues par le Juge
(itrid., art. 200), c'est-k-dire par le tribunal. En effet, la
II. so
306 ▼ÉRIPICATION DES ÉCRRDRES.
rédaction de ce titre ayant été modifiée d'après les obserra-
tions du Tribunat, on a eu soin d'y employer l'expression de
juge-canmUsaire, toutes les fois que la mesure concerne ce
juge seul, en réservant la dénomination Aejuge au tribunal
tout entier. D'ailleurs Tarticle 236 du Gode de procédure,
relatif à l'expertise en matière de faux, qui renvoie précisé-
ment k l'article 200, parle An jugement par lequel les pièces
ont été reçues. Enfin , une considération plus grave encore
que ces arguments de texte, c'est que la dédsion sur Tad--
missibilité des pièces est loin d'être purement réglementaire ;
elle préjuge évidemment le fond , et doit dès lors oStir ans
parties les garanties d'un jugement interlocutoire. (Bourges,
26 juillet 1832; Metz A août et 30 novembre 1869.)
725. Dès le temps de Justinien, on a senti la nécessité de
déterminer les écrits qu'il serait loisible au juge d'admettre
comme pièces de comparaison ^ Cet empereur (L. 20,
God. , De fid. but.) ne permit d'admettre k ce titre que les
actes publics , ou les actes privés rédigés en présence de
trois témoins. Plus tard , dans la Novelle 49 , chapitre ii , il
considéra comme actes publics les actes privés déposés
dans les archives, et autorisa l'admission d'écrits privés
dressés en présence de moins de trois témoins, lorsque l'ad-*
versaire avait lui-même employé ces écrits. Dans la législation
anglaise , on n'admet point comme pièces de comparaison
des écritures non reconnues par la partie ; en Amérique,
les diverses législations ne sont point d^accord. (M. Green-
leaf, tom. I, pag. 728 et suiv.) Chez nous, on admet
conune pièces ayant un caractère authentique (G. de proc.,
art. 200) :
* Il faut remarquer tontefoia que ces restrictions ont trait au ministère
des experts, et non à celni des juges, qni peuvent se déterminer d'aprte
tout document qu'ils estiment sincère en leur âme et conscience. (Bruxdles,
20 février 1S17.)
TÉMFICATIOn AES ÉCHITURËS. 307
« 1* Les signatures apposées aux actes par-devant no-
« taires, ou celles apposées aux actes judiciaires en présence
« du juge et du greflSler, ou enfin les pièces écrites et signées
« par celui dont il s'agit de comparer l'écriture , en qualité
« de juge , greffier, notaire , avoué , huissier, ou comme fai-
« sant, à tout autre titre, fonction de personne publique;
« 2" Les écritures et signatures privées, reconnues par
« celui k qui est attribuée la pièce it vérifier, mais non
« celles déniées ou non reconnues par lui, encore qu'elles
« eussent été précédemment vérifiées et reconnues être
« de lui.
« Si la dénégation ou méconnaissance ne porte que sur
« une partie de la pièce k vérifier, le juge peut ordonner
« que ladite pièce servira de pièce de comparaison. »
726. En ce qui touche les actes publics, le Code de
procédure est moins large que ne Tétaient le droit romain
et notre ancien droit. Il distingue entre les signatures appo-
sées k de tels actes par de simples particuliers et celles dont
l'auteur faisait fonction de personne publique.
Dans le premier cas , il énumère limitativement les actes
qui peuvent servir de pièces de comparaison. Tandis que
Pothier {Proc. civ., part. I, ch. m, sect. 2, art. i) met sur
la même ligne que les minutes des actes de notaires , les
actes des grefi*es , les registres des baptêmes , mariages et
sépultures, la loi actuelle ne mentionne plus que les signa-
tures apposées aux actes par-devatu notaires, ou celles qui
sont apposées aux actes judiciaires, en présence du juge et du
greffier* Ainsi , la signature d'une partie sur un acte authen-
tque extrajudiciaire, autre qu'un acte notarié, celle qui
serait donnée, par exemple, sur les registres de Tétat civil,
ne peut plus être employée comme pièce de comparaison \
* Mais les registres qui avaient un caractère d'authenticité dans Tanden
M.
308 YÉaiFICATION DES ÉGRITOBBS.
La loi ne prescrit, en effet, aux officiers de Tétat civil,
aucune précaution de nature à garantir l'identité des parties
et celle des témoins, ainsi qn'elle le fait en ce qui concerne
les notaires. (Loi du 25 ventôse an XI, art. 2.) De même,
les signatures doivent avoir été apposées k un acte judiciaire,
non en présence du greffier seul, comme dans le procès-
verbal de dépôt d'une pièce k vérifier (C. de proc. , art. 196),
mais en présence du juge et du greffier, comme dans un
procès-verbal d'enquête. (Ibid., art. 275.) Hais ce serait
abuser du mot acte judiciaire que de ne point admettre les
signatures apposées k un procès-verbal de conciliation. Nous
avons reconnu (n* 467) que ce procès-verbal a tous les ca-
ractères de l'authenticité, caractères indépendants de la
force exécutoire, qui seule lui est refusée. Aussi est-on
généralement d'accord pour faire figurer parmi les pièces
de comparaison les signatures ainsi données en présence do
juge et du greffier.
Lorsqu'il s'agit, au contraire, non plus des parties, mais
de celui qui a signé' l'acte comme personne publique,
l'usurpation de fonctions étant beaucoup moins présumable
qu'une simple contrefaçon d'écritures privées, on admet la
signature apposée k toute espèce d'acte. Dès lors, les r^is-
tres de l'état civil fourniront d'excellentes pièces de compa-
raison, lorsqu'il s'agira de vérifier la signature, non plus
d'un déclarant ou d'un témoin, mais de l'officier civil même.
II n'est point d'ailleurs nécessaire que le fonctionnaire public
droit, comme ceux des commimantés religieuses, pearent fournir des pièces
de comparaison , le Code de procédure n^ayant pu détruire leur caractère
pour le passé. (Paris, 2 janner 1808.)
' Le texte porte : écrites et signées; mais ces expressions, dans le Gode
de procédure comme dans Pordonnance de 1737, doirent s^entendre même
de la seule signature. Autrement , on ne pourrait tenir aucun compte de la
signature du président sur la minute du jugement, puisque cette minute
est habituellement écrite par le greCfier.
VÉRIFICATION DBS ÉCRITURES. 309
qui a signé appartienne k l'ordre judiciaire. C'est ainsi que
l'on a admis comme pièce de comparaison , pour vérifier
récriture de son testament, une des nombreuses lettres de
cachet délivrées par le duc de la Yrillière, en qualité de
ministre d'État sous Louis XY. (Paris, 28 juin i808.)
726 bis. On peut prendre pour pièces de comparaison
même des actes authentiques reçus par des notaires étran-
gers , si leur signature a été dûment légalisée , aux termes
de l'ordonnance du 25 octobre 1833. La Cour de Dijon s'est
fondée pour le juger ainsi, par l'arrêt du 3 avail i868, sur ce
que « l'article 200 du Gode de procédure civile, qui, ^
« défaut de l'accord des parties, n'admet comme pièces de
« comparaison que les signatures apposées aux actes par-
« devant notaire , ou aux actes judiciaires en présence du
« juge et du greffier, n'a fait aucune exception pour les
« actes de même nature passés en pays étranger ^ qu'une
« pareille exception n'aurait pu, en effet, se justifier, puisque
« la force probante, étant accordée aux conventions que ces
« actes constatent, existe nécessairement et au même degré
« en ce qui concerne l'identité des parties qui y ont con-
« couru, et que c'est précisément la garantie de cette iden-
« tité qui a motivé les dispositions restrictives de l'ar-
« ticle 200. »
727. Quant aux écrits privés, notre législation est moins
large que celle de Justinien, en ce qu'elle ne fait plus figurer
au rang des écritures publiques les actes privés signés par
trois témoins-, elle est plus large, en ce qu'elle admet toute
pièce reconnue par l'adversaire, tandis qu'à Constantinople
on exigeait qu'il eût produit la pièce pour être non rece-
vable k la rejeter. Mais, k l'exemple de l'ordonnance de 1737
(art. 14), la loi actuelle confesse bien manifestement l'in-
certitude de l'art des experts, puisqu'elle ne permet pas
d'admettre comme pièces de comparaison les écrits par eux
310 VÉBIFICATlOIf PES ÉCRITUBK6.
vérifiés '. L'aveu tacite qui résulte de Tabsence de dénéga*
tion n'est pas oon plus assez formel pour qu'on puisse en
induire avec certitude la sincérité de la pièce. Les écritures
émanées de l'adversaire doivent, du reste, avoir été pro-
duites par l'action du même organe qui aurait servi k tracer
les caractères de l'écritare méconnue. C'est ainsi qn'un
arrêt du parlement de Dijon du 10 février 1735 jugea qu'on
ne pouvait fournir des pièces écrites de la main droite, pour
pièces de comparaison d'une écriture de la même personne,
écriture que l'on disait tracée de la main gauche, parce que
cette, personne, blessée à la main droite, s'était accoutumée
à écrire de la gauche,
7Ji8. Lorsque les pièces de comparaison sont k la dispo-
sition du demandeur, il n'y a pas de difficulté pour en opérer
le dépôt. Quand elles sont entré les mains de dépositaires
publics ou privés, le juge-commissaire en ordonne l'apport
au jour désigné pour la vérification. (Ibid., art. âOl et 902.)
729. Les dépositaires privés ne doivent pas souffrir de
l'obligation qui leur est imposée dans un intérêt particulier.
Si la production de la pièce entraine pour eux quelque pré-
judice, par exemple, le payement d'un double droit d'en-
registrement pour contravention aux lois fiscales (Loi do
22 frimaire an VU, art. 22 et 38), le demandeur est obligé
de les en indemniser. Il faut même décider, avec Justinien
(L. 22, Cod. , Defid. instr.)^ et avec Pothier {Proc. eb.,
P* part., ch. III, sect. 2, art. 2), que, si la production de
l'écrit devait occasionner pour les tiers un dommage irré-
parable , comme s'il devait en résulter la divulgation d'no
secret, ils pourraient être dispensés de représenter la pièce.
Quant au défendeur, il est généralement tenu de remettre
* « Tel est », dit le rapport au Corps lésldatif, « l'hommage que la loi
rend elle-même à Pincertitade des moyens qu'elle adopte pour découvrir U
^rlté. »
VÉRIPICÀTIOIf DES ÉCRinmES. 3ff
la pièce qu'il aurait k sa disposition, sans pouvoir invoquer
le vieil adage : Nemo tenetur edere corura te. Cet adage s'entend
de la production des titres qui noas sont défavorables sous
le rapport moral , mais non de la production matérielle de
pièces qui doivent seulement servir de points de compa-
raison ', sauf toutefois la même exception que nous venons
de faire pour les tiers.
730. Aux lieu , jour et heure indiqués par le juge*com-
missaire pour la prestation de serment des experts, la partie
la plus diligente fait sommer par exploit les experts, et les
dépositaires , s'il y a lien , de se trouver réunis. La partie
adverse doit être également appelée. Les experts reçoivent
d'abord l'investiture de leurs fonctions par la prestation de
germent. Puis les dépositaires représentent les pièces de
comparaison; (G. de proc, art. 204 et 205.)
A dé&ut, ou en cas d'insuffisance de ces pièces, le juge-
commissaire peut ordonner qu'il sera fait un corps d'écri*
iure dicté par les experts. Le mérite de cette mesure a été
contesté. « Ce jserait un mauvais expédient » , disait Rodier
(sur le tit. Xn, art. 8, de l'ord.), a que de faire écrire ou
« signer la partie devant le juge , pour comparer ensuite
(( cette écriture avec l'autre, parce que la partie pourrait la
« contrefaire. » Le Tribunat a fait également observer que
le défendeur, même de bonne foi, pourrait être intimidé,
que son écriture pourrait avoir changé. On voit qu'il con^
vient de n'user de cette faculté que comme d'une ressource
extrême ^ Ce qui nous semble essentiel, bien que la Cour
de Rennes (16 juillet 1817) n'ait point estimé cette prescrip-
tion établie k peine de nullité, c'est que le défendeur soit
appelé k assister lui-même îi la confection du corps d'écri*
ture. {Ihii.y art. 206.) C'est la partie intéressée qui peut le
* En Antricbe, dans le silence de la loi, cette pratique n'est point
admise. (M. Gennari, Twria dette provei % S9.)
348 térificàtiou des écritures.
mieux surprendre et signaler des poses da corps on de la
main plus ou moins suspectes, comme s'éloignant des habi-
tudes de son adversaire. Que si le défendeur se refuse k faire
un corps d'écriture, le juge-commissaire doit dénoncer son
refus au tribunal , qui pourra tenir la pièce pour reconnue.
(Arg.deTart. 199,î«rf.)
Enfin j tous les préliminaires exigés par la loi se trouvant
accomplis, il importe que les experts puissent travailler dans
le recueillement k Toeuvre importante qui leur est confiée.
Les parties doivent donc se retirer, après avoir fait sur le
procès-verbal du juge-commissaire — telles réquisitions et
observations qu'elles jugent convenables. {Ibid,, art. 207.)
731. C'est alors que les experts commencent leurs opéra-
tions, en présence, soit du jugeHM>mmissaire et du greffier,
soit du greffier seulement, jstiivant ce que le juge-commis-
saire aura ordonné. (Ibid., art. 208.) Les règles d'après
lesquelles ils doivent se guider dans la mission difficile dont
ils sont chargés, soit en matière de vérification d'écritures,
soit en matière de faux , reposent entièrement sur l'expé-
rience pratique. Le meilleur ouvrage qui existât dans l'an-
cienne jurisprudence sur ce sujet, est le traité de Raveneaa,
écrivain juré du parlement de Paris , sur Ui inscriptioni de
faux et la reconmiuance des écritures, traité qui fut supprimé
par un arrêt du môme parlement du 10 février 1670, parce
qu'en donnant des principes pour découvrir le faux , il en-
seignait en même temps les moyens de le commettre. Les
principaux points sur lesquels doit se porter l'attention des
experts, ont été exposés de nos jours dans un opuscule assez
lucide de M. Lévéque ( Vér^icatian des écritures, Agen, 1840),
qui paraît pratiquer avec zèle et conscience cet art difficile.
Aujourd'hui que la chimie a fait tant de progrès, et que la
coupable industrie des faussaires a mis ces progrès à profit,
les experts ne devraient plus être versés seulement dans la
YÉKIFICATIOlf BES ÉCRITURES. 313
connaissance des écritures, mais assez exercés dans la
pratique des manipulations pour pouvoir reconnaître les
diverses altérations qu'on a pu faire subir au papier ou aux
caractères tracés \ Il est donc fîicheux qu'on soit obligé
de recourir tous les jours , pour les expertises , à de simples
maîtres d'écriture, faute de personnes réunissant k un degré
suffisant les deux genres de connaissances requis dans cette
matière. Peut-être conviendrait-il dès lors de faire de Texper-
tise une profession k part, k laquelle on n'arriverait qu'après
avoir justifié de sa capacité. Puisqu'on a jugé nécessaire de
créer des officiers spéciaux pour apprécier la valeur des meu-
bles, doit-on s'entourer de moins de précautions lorsqu'il
s'agit d'une opération moins usuelle , mais bien autrement
importante dans ses résultats? On pourrait ainsi rendre
moins fréquentes les erreurs qu*ont si souvent présentées
les rapports des experts, depuis le célèbre rapport des
experts d'Arménie , détruit par la déclaration formelle des
témoins, et qui donna lieu k la Novelle 73*, jusqu'au procès
contemporain de La Roncière, où les bévues des maîtres
écrivains ont été clairement signalées.
731 6w. Ces reproches adressés depuis si longtemps k
l'expertise ont déterminé les rédacteurs du projet de révision
k proposer une innovation importante dans la procédure de
vérification. Le tribunal examinerait lui-même (art. 184)
l'écriture déniée et les pièces de comparaison. Il entendrait
les parties k l'audience, et ce ne serait qu'k défaut d'élé-
ments suffisants de conviction (art. 188) qu'il pourrait or-
donner, soit l'expertise, soit l'enquête. L'enquête aurait lieu
* Yoy. les détails intéressants donnés sur cette matière , au point de yue
chimique , dans le TraUé de médecine légale de M. Devergie , tom. m ,
p. 1S2 etsulTantes.
' La contradiction des experts avec la déclaration des témoins est derenne
si fréquente qu'on n'est plus tenté de dire aujourd'liui , avec Justinien :
quoddam inopknaHle ex Armenia nobU exortum est.
314 TÉRIFIGATION DES ÉCRITURES.
en audience publique, en chambre de conseil, ou au greffe.
(Art. 190.) Un corps d'écriture pourrait être dicté par le
président (art. 184), lors même qu'une expertise n'aurait
pas été ordonnée.
La même marche serait suivie dans la vérification qui se
rattache à Tinscription de faux. (Art. â04.)
S 9. roQwmwm vàwtxmw,
SonoUB. •o Tsa. Força compantjTe des dîTers modei de preave. — Tss. Abolition
proposée de lliypolbèque judiciaire qui s'attache ^ la reconnaissance et k la Tèriflcation
de rècritore. Loi da s septembre ^807. — 7t4. Qui est tcmi des frais. — rs9. Amends
contre celai qui dénie ï. tort sa signatare.
752. Ce n'est qu'avec une extrême précaution que les
juges doivent s'attacher aux conclusions de l'expertise. Indé-
pendamment de la preuve par titres, qui est la meilleure de
toutes, la preuve testimoniale doit être préférée aux conjec<-
tures des experts, quelque instruits qu'ils puissent être. Le
témoignage, en effet, atteste directement le fait en question,
tandis que la comparaison des écritures ne repose que sur
une vraisemblance , sur un calcul de probabilités. Saiptmra
ex quaftt comparatb, dit Balde, nihil aliud eH ni$i argumêntum
a iimili H verisimili. Aussi Justinien avait-il voulu , comme
nous l'avons dit , qu'on appel&t des témoins aux actes squs
seing privé , a ut non in sola scriptura et ejus examinatione
ce pendeamus, sed sit judicantibus etiam testium solatium. »
(Nov. 73, ch. I.) Nous avons également vu que cette marche
est encore suivie aujourd'hui en Angleterre. Dans le conflit
de la preuve testimoniale et de l'expertise, Justinien veut
que les témoins l'emportent. (Ibid., ch. m) : « Nos quidem
« existimavimus ea quae viva dicuntur voce et cum jure-
« jurande, hsec digniora fide quam scripturam ipsam per se
« subsistere. » Notre ancienne jurisprudence a rendu de
nombreux arrêts dans ce sens. Maintenant les juges sont
TiRIFICATIOlf DES ÉCRITURES. 3iK
parfaitement libres d'accorder telle foi que de raison au
rapport des experts, et ils doivent surtout s'en écarter
lorsqu'il est combattu par des témoignages positifs. Nous
avons déjà cité, k ce sujet (n"" 720), l'arrêt remarquable de
la Cour de Montpellier, vainement attaqué en cassation le
25 juillet 1833, qui a déclaré sincère un testament, d'après
la déclaration des témoins, contrairement à l'avis unanime
des experts.
En Àutricbe, l'expertise qui lie habituellement les juges,
ne les lie point en matière de comparaison d'écritures.
(M. Gennari, Tearia délie prove, § 39.) Suivant la loi de
Genève (art. 250 et 251), ils font eux-mêmes la vérification,
avec la faculté d'invoquer les lumières d'experts. Telle est
également la marche suivie par le jury en Angleterre et aux
États-Unis (M. Greenleaf, tom. I, pag. 721 et suiv.)^
l'idée que le jury n'a point les lumières suffisantes pour
procéder h cet examen a été définitivement abandonnée.
Ce système a l'avantage de mettre plus en relief le pouvoir
qui appartient au tribunal d'examiner lui-même l'écriture :
l'expertise technique s'y trouve placée sur le second plan,
sans toutefois être exclue , car il ne faut ni abuser des con^
naissances spéciales , ni les proscrire.
Chez nous il est certain que, même après l'expertise con*
sommée, il est permis aux juges d'ordonner une enquête, ou
même une prestation de serment (Rej., 19 décembre 1827),
suivant le principe général que nous avons posé sur les in-
terlocutoires. (S" 301 .) Mais, en définitive, il n'y a point de
motif pour préférer telle ou telle espèce de preuve à primu
comme le dit fort bien le tribun Perrin : a Lorsque le légis«
« lateur admet trois genres de preuves, il écarte ces sabti-
« lités de droit par lesquelles on prétendait pouvoir mesurer
« l'influence de chacnn sur la conviction du magistrat, et
3i6 VÉRIPIGATION DBS ÉCRITURES.
ce assujettir sa conscience à la précision da calcul géomé-
« trique; sources éternelles de débats et de raisonnements
« métaphysiques, qui tous viennent échouer contre la variélé
« infinie des circonstances, les nuances imperceptibles da
« langage des experts et des témoins, et qui n'avaient d'autre
« utilité que de jeter de l'incertitude dans la jurisprudeoce
« et d'enfanter des sophismes en faveur de la mauvaise foi.
ce Le projet environne le magistrat de tout ce qui peut le
« diriger *, il en épure la source , et il laisse à sa conscience
« éclairée par la réflexion et le recueillement, k prononcer
v sur les résultats. » Néanmoins , les sages préceptes de
Justinien et de nos anciens auteurs ont conservé l'autorité
de la raison et de l'expérience, et, toutes choses égales, on
doit admettre l'infériorité de la preuve par experts.
735. Un effet commun k toute reconnaissance ou vérifi-
cation faite en justice d'un acte sous seing privé portant
obligation de la part du souscripteur, c'est d'emporter
hypothèque sur tous ses biens présents et k venir. (C. civ.,
art. 2123.) Ce serait sortir de notre sujet que d'examiner
ici les avantages et les inconvénients de l'hypothèque judi-
ciaire, dont a proposé autrefois la suppression, lorsqu'on
s'est occupé de la réforme du système hypothécaire. Faiscms
seulement remarquer qu'un des arguments les plus graves
invoqués par les adversaires de cette innovation, c'est préci-
sément l'utilité pratique, au point de vue du crédit personnel,
de ces billets qui , au moyen d'une simple présentation en
justice, se transforment, pour ainsi dire, en titres hypothé-
caires. Sans doute, k ne consulter que la logique, il est
bizarre que, les actes authentiques n'ayant plus le privil^e
de conférer hypothèque, cette prérogative continue d'appar-
tenir aux actes sous seing privé par cela seul qu'ils se trou-
vent assimilés aux actes authentiques. (Ibid., art. 1332.)
ySRIFICÀTION DES ÉCRlTUfiES. 317
Mais des considérations purement logiques doivent-elles
l'emporter sur des motifs puisés dans T utilité sociale '?
Dans tous les cas » ce qui était intolérable, c'est que,
diaprés le texte du Gode civil , qui ne faisait aucune distinc-
tion, lors même que la vérification était demandée avant
l'échéance, le créancier pouvait prendre inmiédiatement
inscription en vertu du jugement, et se procurer ainsi, au
moyen d'un simple billet, une hypothèque générale, que le
débiteur n'avait jamais eu l'intention de lui accorder. Renou-
velant une déclaration de janvier 1717, la loi du 3 septem-
bre 1807 a fait cesser cet abus, en ordonnant qu'il ne fût
pris aucune inscription hypothécaire, en vertu d'un pareil
jugement, qu'k défaut de payement de l'obligation après
l'échéance.
734. De plus, d'après l'article 193 du Code de procé-
dure, le demandeur devait supporter sans distinction tous
les frais, dans le cas où le défendeur ne déniait pas sa si-
gnature. Mais l'article 2 de la loi de 1807 distingue entre
les frais de jugement et ceux d'enregistrement. Les pre-
miers demeurent k la charge du créancier, toutes les fois
que le débiteur ne dénie pas sa signature^ l'événement a
prouvé que la précaution du créancier était superflue , et
peu importe sous ce rapport que le payement n'ait pas eu
lieu k l'échéance. Il n'en est pas de même en ce qui touche
les frais d'enregistrement. Dès que le débiteur n'a pas payé
h l'époque indiquée, le créancier a dû produire l'acte en
justice, et, par conséquent, le faire enregistrer. C'est k
■ « L*aboUtion de Phypothèqne jndidaire », a dit le président du tribunal
de commerce de la Seine (discours de rentrée du 27 décembre 1851),
« fiidliterait la liquidation de quelques successions qui pourraient se
trouTer sous le coup d^hypothèques judiciaires; mais est-ce une raison
pour abolir une institution qui est pour le commerce la base d*un* crédit
pour lûnsi dire incalculable ? »
318 VÉRIFICATION DES ÉCKITnRBS.
l'adversaire k supporter les frais d'une mesure qu'il a rendue
par le fait indispensable.
735. Celui qui dénie mal k propos sa signature, est don-
damné k cent cinquante francs d'amende , outre les dom-
mages et intérêts et les dépens. Cette amende est fort ancienne
dans notre droit. On la retrouve , en tenant compte de la
différence de valeur du numéraire, dans Beaumanoir.
(Chap. XXIV, § 4.) « Moult est vilaine coze de nier son
« seel , et por ce en est le paine grans de celi qui en est
« atains , car il en est renommés de triquerie , et l'amende
« en est au souverain de soissante livres. )> De plus, la mau-
vaise foi du demandeur amenait un redoublement de riguear
contre lui, dans l'exécution des diverses condamnatûms
qu'il encourait. La loi le déclarait, pour toutes ces condamna-
tions ^ contraignable par corps. (C. de proc, art. 2i3.) La
loi du SS juillet 1867 a aboli la contrainte par corps en
matière civile et en matière de commerce.
^ S 4. ISI8GUPTI0H DB rACTX QUAMT AUX tCMJTÈ PRlViS.
SOMiuiBE. — 786. Faculté de sobstitaer la procédore de faux ^ la yërification. — 7S7.
Quand cette procèdnre détient nécessaire. •* 798. Véritable sens de Tartide M4 ia
Gode de procédure.— 789. Marche ordinaire.
736. Si la partie à qui on oppose une écriture privée
peut simplement la dénier ou la méconnaître, en laissant la
vérification à la charge de l'adversaire, c'est là une faculté
introduite en sa faveur, dont il lui est libre de se départir.
Elle peut donc , si elle le juge convenable , procéder comme
sHl s'agissait d'un acte authentique» et prendre la voie de
l'inscription de faux, qui, dans l'ancien conmie dans le nou-
veau droit, s'applique k toute nature d'écrits. (Ord. de 1737,
tit. II, art. l^] C. de proc., art. 214.) Mais il arrivera rare-
ment, à moins qu'on ne veuille rechercher les traces du
«sGRinioBr DE rADx QUAirr Act ÉCRITS raivÉs. 349
&ax , afin de préparer les éléments d'un procès criminel,
qu'on échange ainsi volontairement le rôle de défendeur
contre celui de demandeur, dans une procédure pénible et
compliquée.
737. Toutefois Tinscription de faux peut être nécessaire
pour faire tomber la foi d'un écrit privé : c'est lorsqu'il a
été vérifié en justice. La loi , qui n'a pas voulu admettre au
nombre des pièces de comparaison les écrits dont la sincé-
rité n'est établie que par la voie suspecte de la vérification
d'écritures (Und,, art. ^2, 2*), a dû, pour être conséquente,
permettre aux intéressés de s'inscrire en faux contre ces
mêmes écrits. Un arrêt du parlement de Paris, du 12 juin
1691, a reçu effectivement l'inscription, malgré plusieurs
vérifications faites antérieurement de la pièce en litige,
ic Et ne serait-ce pas encourager le crime », dit l'orateur du
Tribunat, <c si une simple vérification, dirigée par le cou-
tt pable lui-même, pouvait lui assurer Timpunité? » Il est
vrai que le ministère public ne serait pas désarmé. Mais les
indices du faux n'apparaissent souvent avec évidence qu'à la
suite des poursuites civiles. L'espèce s'est présentée d'ailleurs
de nos jours devant la Ck>ur de cassation. (Rej. , 22 mars 1869.)
« Celui qui prétend », dit l'article 214 du Gode de pro-
cédure, <c qu'une pièce signifiée, communiquée ou produite,
Cl est fausse ou falsifiée, peut, s'il y échet, être reçu k s'in*-
« scrire en faux, encore que ladite pièce.ait été vérifiée, soit
a avec le demandeur, soit avec le défendeur en faux, k d'au-
a très fins que celles d'une poursuite de faux principal ou
« incident, et qu'en conséquence il soit intervenu un juge^^
a ment sur le fondement de ladite pièce comme véritable. »
738. Cet article n'est que la reproduction des articles
1 et 2 du titre II de l'ordonnance de 1737 sur le faux. II
faut donc l'interpréter conmie on interprétait cette ordon-
390 msciuPTiON de fadx quant aux écrits priyAs.
nance. Dès lors il ne faut pas donner une portée exagérée &
la restriction indiquée par ces expressions : à ftautres fim
que celles dune pourwite defauxfnincipal ou tnddeiUf et s'ima-
giner que le jugement rendu sur cette poursuite aurait l'an-
ton té de la chose jugée contre les tiers , s'il avait déclaré
la pièce véritable. Les commentateurs de Tordonnance
(voy. Serpillon, sur l'art. 2 de Tord, de 1737, tit. Il) ne
voient dans ces expressions que l'application de la maxime
Non bis in idem, c'est-k-dire la défense de s'inscrire en faux
pour la partie qui a déjà succombé dans une procédure de
faux sur la même pièce. Rien n'indique que les rédacteurs
du Code de procédure , en reproduisant les mêmes termes,
aient eu l'intention d'innover. Les droits des tiers demeu-
reront donc intacts. Si le faux n'a été instruit que civile-
ment, la chose jugée ne pourra avoir effet qu'entre ceux qui
ont été parties dans l'instance. S'il y a eu des poursuites
criminelles, nous verrons, en traitant de la chose jugée,
l'influence que peuvent avoir ces poursuites sur les droits
des tiers. Dans tons les cas, il est impossible d'admettre
l'autorité absolue qu'une interprétation littérale attribuerait
k toute décision civile ou criminelle qui aurait déclaré véri-
table une pièce arguée de faux \
738. La procédure de faux sera du reste absolument la
même, quand il s'agira d'un écrit sous seing privé, que s'il
était question d'un acte authentique.
< Dans le système dn projet de réfonne, qui assimUe Ut procédure de
faux à celle de Térification d^écritures, la restriction de Partlde 314 n'a
pins de raison d'être. Aussi l'article 197 du projet déclare-t-il simplement
l'inscription de faux non recerable contre un acte privé, dont la vérifieatk»
a été faite entre les mimes parties ^ ou sur une poursuite criminèUe ea
faux.
ÉCRITURES NON SIGNÉES. 321
DEUXIÈME SECTION.
ÉCRITURES NON SIGNÉES.
SomAiBE. — 740. Elles ne font foi, en principe, que contre lear antenr. — 740 bis.
Quand la production de ces écritures peut constituer un faux. — 744 . Deux natures
d'écrits non signés. — 743. Cas on les registres domestiques font foi contre Tauteur de
récriture. — 743. Dans quelle mesure ils peuvent être iuTOqués en sa fayeur. — 744.
FeniUes Tolantes. — 748. Notes signées. Lettres missives. — 746. Production des re-
gistres. — 747. Écriture se rattachant îi un titre. — 748. Mentions tendant k la libération.
Doctrine de Pothier. — 749. Cette doctrine a-t-elle passé dans le Code? — 750. Faut-U
que le titre soit demeuré en la possession du créancier?— 784. Mention sur une
pièce destinée 9i demeurer en la possession du débiteur. — 782. Résumé. — 783. Cas on
la mention a été rayée après coup. — 784. Écriture tendant ^ établir un supplément de
créance. — 788. Foi des notes non signées, en dehors des hypoUièses prévues par la
loi. — 786. Nécessité de Térifler l'écrituie.
740. Un acte sous seing privé, nous l'avons dit, n'est
en général valable, d'après nos lois, qu'autant qu'il est
revêtu de la signature de la partie qui s'oblige. Néanmoins
les écritures non signées peuvent, dans certaines circon-
stances, faire foi contre celui qui en est l'auteur, mais jamais
en sa faveur. (C. civ., art. 1331.) « Exemple pemiciosum
a est, ut ei scripturae credatur qua unusquisque adnota-
c( tione propria debitorem sibi constituit. » (Gord., L. 7,
Cod., Deprobat.) Aussi la Cour suprême a-t-elie cassé, le
2 mai 1810, un jugement qui avait permis de déférer le
serment supplétoire k une partie n'ayant que des livres do-
mestiques par elle tenus pour justifier de sa créance. Il y
avait exception h Rome pour les nomina tramcrifOitia, d'où
naissait l'obligation littérale, et il y a encore exception chez
nous pour les registresdes marchands, dont nous parlerons en
traitant de la preuve préconstituée au profit du demandeur.
740 bia. Puisque les registres domestiques ne font point
foi en faveur de celui qui les tient, le fait seul de tenir des
registres domestiques altérés, s'il n'en a point été fait
usage, ne saurait, comme la confection d'un acte public ou
privé où la vérité serait altérée (comp. Cod. pén., art. 147,
148, 150, 151), constituer le crime de faux. (Cass., 27 jan-
vier 1827.) Mais il en est autrement lorsque la falsification
II. «i
323 JËCRITOflBfi nON 6IGNÉKS.
du registre a eu lieu en vue d'une production préjudiciable
k autrui, notamment devant un arbitre rapporteur, et qu'en
réalité cette production a été effectuée. « Si les énonciations
« d'un registre de cette nature », dit la Coar de cassatioo
(RoJm 7 octobre 1858), a ne peuvent, d'après Tartide 1331,
ft former un titre pour celui de qui elles émanent , il peut
ft en résulter des présomptions ou des indices nai^bles aoi
« tiers« »
Cette décision s'applique à fortiori aux livres de com-
merce, qui peuvent faire foi contre les commerçants, même
lorsqu'ils sont irréguliers, (N° 717.) Les Cours de Lyon et
de Bourges ayant refusé de voir un faux dans l'espèce , la
Cour de cassation s'est prononcée cootre leur doctrine, toutes
sections réunies, le 32 juillet 1862*
741* Les écritures privées non signées, susceptibles de
faire foi contre celui qui eo est l'auteur, sont de deux na-
tures. Les unes consistent dans les documents, plus ou moins
réguliers, k l'aide desquels un particulier établit l'état de ses
affaires \ les autres dans certaines mentions se rattachant k
un titre en règle, dont elles tendant à modifier ou k détruire
les effets.
74S. Parlons d'abord des écritures qui se trouvent sur les
registres domestiques* Bédigées par un particulier qui veut
sa rendre compte de ses afËâres, mais sans être astreint k
aucune forme, k aucun ordre régulier, elles ne peuvent habi-
tuellement qu'être tout au plus un commencemant de preuve
par écrit. Boiceau (part. II, chap. viii, n* 14} leur accorde
néanmoins foi entière, lorsqu'elles énoncent un payement
reçu : Seeuip si tcUit confessio etiam non 9ub»ignata vergat ad
libmmém. Cette première exception, reproduite par le
Code civil (art. 1331), se justifie soit par la faveur de la
libération , soit par l'extrême vraisemblance , en fait , de la
réalité du payement, qu'il n'est guère d'usage d'inscrire
ÉCBITKJRES 90^ SiaM|E8. 3S3
avant qu'il ait eu lieu. La Cour de cassation a même admis,
le 9 janvier 1865, la foi d'une mention de payement faite
par le débiteur lui-même sur le registre du créancier,
mais au vu et su de ce dernier. — Une seconde exception,
que les rédacteurs du Code ont empruntée k Potbier (Oblig.^
n"" 759), existe dans le cas où le registre du débiteur contient
la mention expresse que la note a été faite pour suppléer le
défaut de titre en faveur de celui au profit duquel Tobliga-
tion est contractée : comme s'il était dit que le créancier
n'a pas voulu recevoir de billet, La mention, en ce cas,
n'étant plus simplement, pour celui qui l'a faite , un moyen
de se reconnaître dans ses comptes, mais devant tenir lieu
de titre au créancier, il est à supposer qu'on prendra soin
de la rayer, lorsque l'obligation sera éteinte. Dans l'espèce
précédente\ au contraire , la radiation faite après coup de la
mention du payement sur le registre ne pourrait en général
détruire la preuve qui résultait de cette mention. Mais le
créancier est recevable a justifier de son erreur, et jamais
d'ailleurs les énonciations portées dans des papiers pure-
ment domestiques n'ont la foi des actes authentiques ou
sous seing privé *, la prohibition de prouver contre et outre
le contenu aux actes (art. 1341), qui n'est pas applicable
aux écritures de conunerce, l'est encore moins aux registres
domestiques.
743. Les registres ne foQt jamais foi en faveur de celui
qui les tient, en ce sens (seulement qu'il ne peut y puiser un
titre de créance, même de nature à autoriser le serment
supplétoircr Mais, si la même mention énonce la formation
de la créance et un payement total ou partiel , elle ne peut
pas plus être scindée que si elle se trouvait sur les registres
d'an marchand. (Art. 1329,) Il en serait autrement si k la
mention qui constate l'extinction de la créance se rattachait
la mention d'une dette contrstctée en foveur du débiteur par
21.
324 ÉCRITURBS MON SIGNÉES.
son ancien créancier : tes deux mentions peavent parfai-
tement s'isoler. (Gass., 16 décembre 1833.) Ce n'est Ik, da
reste, que l'application des règles ordinaires sur l'indÎTisî-
bilité de l'aveu. (N* 356.)
Au surplus, de ce que les papiers domestiques ne font
point foi en faveur de celui qui les a rédigés , il ne faudrait
point conclure qu'ils ne peuvent être employés que contre
lui. Le Code civil lui-même (art. 46, 324) signale ces pa-
piers comme pouvant suppléer aux: registres de l'état cinf.
Et lorsque le père de famille a tenu des comptes réguliers,
on peut puiser dans ces comptes les renseignements né-
cessaires pour régler sa succession entre ses enfants. Les
papiers domestiques ont donc plus d'importance que ne le
ferait supposer le texte de l'ariicle t331 .
744. La loi parle de registres et de papiers domestiques.
En général , on attachera plus d'importance aux mentions
que portent des livres ou carnets destinés h être conservés
qu'à de simples notes sur feuilles volantes. Mais les termes
de la loi comprennent les papiers domestiques de toute na-
ture , et il serait peu raisonnable de repousser d'une manière
absolue l'autorité des feuilles volantes , surtout dans l'opi-
nion de ceux qui , comme nous , n'exigent point , à peine de
nullité, l'inscription sur un registre des actes de l'état civil.
(N*527.) D'abord, incontestablement, les juges, ayant m
pouvoir discrétionnaire pour déterminer ce qui constitue un
commencement de preuve par écrit, peuvent trouver ce
caractère dans un écrit quelconque , pourvu qu'il soit de la
main du débiteur. II y a plus de difficulté dans le cas oà les
papiers doivent faire pleine foi contre celui qui les a écrits.
Le tribunal doit examiner avec soin les circonstances de la
cause et les habitudes de celui qui a rédigé la mention.
Ainsi, on doit admettre plus facilement l'autorité de la
feuille volante , lorsqu'il y a mention expresse que la note a
ÉCRITURES NON SIGNÉE 325
été faite pour suppléer le défaut de titre, que s*il y a seu-
lement énonciation d'un payement reçu-, cette énonciation
pourrait n'être qu'un projet de quittance, rédigé par le
créancier en vue d'un payement qui ne s'est point réalisé. Il
en serait autrement si la même énonciation figurait dans un
inventaire, tel que les particuliers en font souvent sur
feuille volante pour se rendre compte de leur situation.
745. Si la note par laquelle je me reconnais débiteur
d'un tiers est signée, cette signature équivaut, selon Boi-
ceau et selon Pothier (foc. c&.), k la mention expresse que
les parties ont voulu suppléer au défaut de titre. L'opinion
de ces auteurs , quelque raisonnable qu'elle soit, n'ayant pas
été reproduite par le Gode civil, les juges peuvent, suivant
les circonstances , voir dans la note signée une preuve com-
plète, ou un commencement de preuve par écrit. (Rej.,
31 mai 1842.) Du reste, les écritures signées le plus en
usage , en dehors des actes sous seing privé en forme , ce
sont les lettres missives, dont nous avons apprécié la va-
leur en justice. (N"" 695.) Ces lettres, si celui qui les a
écrites avait l'intention de s'obliger, équivalent à des actes
en forme. Aussi sont-elles soumises k un droit de deux
francs par la loi du 28 avril 1816 (art. 43, 14"), lorsqu'elles
ne contiennent aucunes conventions donnant ouverture au
droit proportionnel.
746. Les dispositions de nos lois sur la foi des registres
domestiques semblent supposer que l'une des parties peut
contraindre l'autre k exhiber ses registres. 11 est évident
néanmoins qu'on ne saurait ici, comme en matière com-
merciale (C. de comm., art. 15 et 17), ordonner, même
d'office, la représentation des registres de l'adversaire,
puisque les particuliers ne sont pas obligés d'en tenir. Le
refus de représentation ne pourrait pas non plus, k lui seul,
autoriser le juge k déférer le serment au demandeur. Seu-
326 ÉCRITURES ItON SIGNÉES.
lement, si l'existence de pareils livres est établie en fhit, ce
qui arrivera le plus souvent k la suite d'inventaires , le jage
aura un pouvoir discrétionnaire pour en ordonner la pro-
duction ^ mais ce n'est jamais pour lui une obligation légale.
(Rej., 18 février 1837.)
747. L'écriture non signée a beaucoup plus d'impor-
tance lorsqu'elle se rattache h un titre préexistant. « Avoir
c( miâ cette écriture sur le titre même », dit Bigot-f rea-
meneu (Exposé des motifs), « c'est lui en avoir donné la
« force; c'est une sorte de déclaration faite ici & la justice,
<( sous les yeux de laquelle te qui a été ainsi écrit sur le
« titre ne peut être divisé. » La mention faite sur ce litre
peut tendre, soit à prouver ^extinction de la créance con-
statée par ce titre, soit , au contraire, \k étabb'r une créance
additionnelle. Lé premier de ces cas est le seul qui ait été
prévu par nos lois.
748. En ce qui touche les écritures tendant à la libéra-
tion du débiteur, portant, par exemple, r^çu ou pour^ acquit,
voici quelle était la doctrine de l'ancien droit, telle du
moins qu'elle a été formulée par Potbier. (ObUg., n*' 761
et 762.) Suivant ce jurisconsulte, lorsque des écritures
non signées , tendant ainsi à établir la libération , sont mises
k la suite, en marge ou au dos d'un écrit signé, il faut
distinguer si l'acte n'a jamais cessé d'être en la possession
du créancier ou s*il est en la possession du débiteur. Dans
le premier cas, l'écriture tendant k la libération fait foi, de
quelque main qu'elle ait été écrite , fût-ce même de celle
du débiteur, parce qu'il est plus que probable, dit-on, que
le créancier n'aurait pas laissé écrire ces reçus sur le billet,
s'il n'y avait pas eu en réalité payement. Dans le second
cas , l'écriture ne fait foi que si elle est de la main du créan-
cier \ il ne doit pas être au pouvoir du débiteur de se libé-
rer, en faisant écrire le reçu par un iiei*s.
ÉCRITURES NOM SIGNÉES. 327
749. Ce système est-il celai da Code civil? Il est diffig
die de le croire , lorsque Ton compare la rédaction dëflni*
the, totée par le Conseil d'État, avec le projet de Code,
qui était conçu en ces termes : « L'écriture sons seing privé
« mise à la suite , en marge on an dos d'un titre qui est
« toujours resté en la possession du créancier, quoique non
« signée , ni datée par celui-ci , fait foi , lorsqu'elle tend k
« établir la libération du débiteur. 0 C'était bien Ib consa-
crer la doctrine de Pothier. Mais la section de législation a
singulièrement modifié cette rédaction, en y ajoutant les
mots par te créancier, qui Ont passé danâ le texte du Code.
Des auteurs graves, dont nous avions d'abord partagé l'opi-
nion, n'ont vn dans cette addition qu'un simple lapms, une
répétition involontaire de ce qui avait été utilement ajouté ,
comme nous allons le voir, dans la seconde partie de l'ar-
ticle i332. Mais il faut observer que la rédaction du projet
avait été combattue par le tribunal d'appel de Bordeaux ,
suivant lequel « toute note mise k la suite , en marge on au
« dos d'un titre , ne doit jamais constater la libération , si *
« elle n'est écrite de la main du créancier , ou du moins
« signée par lui. » Il est bien & croire que c'est k cette idée
que se sont arrêtés les rédacteurs du Code. Quelle que soit
l'autorité de Pothier, peut-elle prévaloir sur la lettre de la
loi? Sans doute il est éminemment vraisemblable que l'écri-
ture mise sur un titre qui est toujours demeuré en la pos-
session du créancier, n'y a été mise que de son consente-
ment. Mais le contraire a pu arriver , pendant une maladie
par exemple. Il n'est donc pas permis de transformer en
présomption de droit une simple vraisemblance, en s'at-
tachant trop exclusivement aux traditions de l'ancien droit.
(Voy. Colmar ' , 6 mars 1816.)
* Dans l'espèce jugée par la Cour de Colmar, la meotioA était ToeuTre
du débiteur lui-même ; Pothier étend , en effet , comme nous venons de le
voir, la présomption jusqu'à cette hypothèse. (Oblig.f n«» 761.)
338 ÉCRITURES nON SIGNÉES.
780. D'une autre part, lorsque récriture est de la main
du créancier , il semble parfaitement inutile d'exiger que le
titre soit toujours resté en sa possession, ainsi que le suppose
le texte. Aussi y a t-il des auteurs qui , tout en mainte-
nant purement et simplement dans l'article 1332 ces mots,
par le créancier, n'attachent aucune importance au fait de b
possession du titre par ce même créancier. C'est Ik , suivant
eux, un vestige du projet de Gode, suivant lequel cette
possession était indispensable, précisément parce que l'écri-
ture pouvait être de la main d'une personne quelconque.
Dès que c'est le créancier lui-même qui a fait la mention
libératoire , à quoi bon exiger que le titre soit demeuré en
sa possession? N'y a-t-il pas un argument à fortiori a tirer
de la présomption de libération qui s'attache à la simple re-
mise du titre? (C. civ., art. 1282. )
Nul doute qu'une pareille mention ne rende éminemment
probable la libération du débiteur. Mais ce n'est encore là
qu'une probabilité, et il est possible que le titre portant
cette mention ait été confié à un tiers chargé du recouvre-
ment de la créance^ car, s'il avait été remis au débiteur,
le fait seul de la remise emporterait libération, et la men-
tion serait surabondante : ce qui répond au prétendu ali-
ment à fortiori tiré de l'article 1282. Dès que nous faisons
abstraction de l'ancienne doctrine pour nous attacher stric-
tement au texte du Gode, il est certain que la présomption
de droit n'existe qu'autant que le titre est demeuré en la
possession du créancier. Que s'il a passé en d'autres mains,
la mention est toujours au moins un commencement de
preuve par écrit, et les juges peuvent prononcer la libéra-
tion du débiteur , en se fondant sur la preuve testimoniale
ou sur des présomptions de fait : ce qui empêche que l'ap-
plication littérale de la loi n'ait de graves inconvénients
dans la pratique.
ÉCRITURES MON SIGNÉES. 329
751. Le Code suppose ensuite , avec Pothier (ibid.,
n* 762), que récriture tendant a établir la libération a été
mise sur une pièce destinée par sa nature k demeurer entre
les mains du débiteur : par exemple , en marge du double
d'un, acte de vente, qui serait entre les mains de l'acheteur
débiteur du prix , ou bien à la suite d'une quittance précé-
dente régulièrement signée, que le débiteur aurait égale-
ment en sa possession. Ici, on a dû exiger, même dans
l'ancienne doctrine, que l'écriture fût mise par le créancier,
puisque autrement la fraude eût été trop facile pour le pos-
sesseur de l'écrit : aussi le Conseil d'État a-t-il rétabli les
mots par le créancier, omis, involontairement sans doute,
dans le projet de Code.
Le législateur veut ici que l'écrit auquel a été ajoutée la
mention libératoire soit entre les mains du débiteur \ Des
doutes se sont élevés sur ce point, k raison de l'expression
vague double d'un titre, qui est employée par la loi. Il est
par trop évident que, s'il s'agit du double de l'acte de vente
possédé par le vendeur créancier du prix , l'écriture mise
par lui k la suite de ce double fait foi de la libération de
l'acheteur. Mais nous retombons alors dans l'hypothèse pré-
vue par le premier alinéa de l'article 1332. Pour comprendre
le texte du Gode, il faut se reporter au passage correspon-
datft de Pothier, où il n'est question que du double du traité
de vente qui se trouve entre let fnains de tacheteur débiteur du
» 1 Le remaniemeot de la rédaction de l'article 1S32 a été fait d'une
manière inexacte , qui n'a pas peu contribué à l'obscurité du second alinéa
de cet article. Après avoir mentionné le double d'un titre ou bien la
quittance, il eût fallu ajouter : Pourru que ce double ou cette quittance
soit entre les mains du débiteur, tandis que le texte , portant simplement :
« pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur », pourrait faire
supposer qu'il s'agit du double d'un titre ou du double d^une quittance ,
ee qui est inadmissible, une quittance ne se faisant jamais en double
original. Mais toute difficulté s'évanouit si l'on se réfère au passage de
PotMer (no 763)» qu'évidemment cette fois le législateur a voulu reproduire.
330 ÉCRITURES NON SIGNÉES.
•
prix. En te qui concerne Fécritufe ajoutée par le créancier
à ce double ou k une quittance précédente , seuls cas que le
législateur ait eu en vue, la condition que la pièce soif
entre lesi mains du débiteur se conçoit parfaitement, et Aa-
« trement », dit M. Demante (Programmé, t. Il, n* 809),
« on pourrait supposer que le débiteur a remis au créancier
« un double ou sa quittance précédente , en vue d'un paye-
ce ment annoncé, pour faire préparer la quittance, et que
a celui-ci n'a retenu la pièce (aprèd avoir fait la mention)
« que parce que le payement n'a pas été effectué. »
752. En résumé, la législation moderne, à la différence
de Tancien droit, n'attacbe point d'importance \i la mention
libératoire ajoutée k un titre par toute autre personne que
le créancier. En supposant que la mention a été faite par le
créancier, il faut distinguer si la pièce k laquelle on l'a
ajoutée devait demeurer en la possession du créancier ou
bien en celle du débiteur. Dans le premier cas, la mention
fait pleine foi , si la pièce est toujours demeurée en la pos-
session du créancier. Dans le second cas, il faut, au con-
traire, que la pièce soit entre les mains du débiteur. Enfin,
lors même qu'il n'y a point présomption légale de libération,
les juges auront k examiner si l'écriture, étant de la main
du créancier , ne doit pas être considérée comme un corn-*
mencement de preuve, susceptible d^étre complété ad
moyen de la preuve testimoniale ou des présomptions.
753. Supposons maintenant la mention libératoire rayée
après coup. S'il s'agit de la quittance mise par le créaacie»
sur un titre qui est demeuré en la possession du débiteur,
elle ne fait point foi, si elle est barrée. Le débiteur ne l'eût
point laissé rayer, si le payement avait eu lieu effective-
ment, et il est probable qu'elle avait trait k un projet de
payement qui ne s'est point réalisé. Telle était la doctrine
de Potbier (Oblig., n' 762), qui est encore suivie aujoor-
ÉCRITURES NON SfCNÉÊS. 331
d'hai dans difficulté. Il n^en est plus de même lorsque ce
jurisconsulte ajoute {ibid., n"" 761 ) que les écritures mises
par le créancier au bas d'ud acte demeuré en sa possession
font foi, lors même qu'elles ont été barrées, parce qu'il ne
doit pas dépendre de lui ou de ses héritiers de détruire la
preuve du payement. C'est h une pétition de principe , car
il peut fort bien se faire, comme dans l'espèce précédente,
que la mention ait eu lieu en vue d'un payement qui né s'est
point effectué. Aussi décide-t-on généralement que la men-
tion rayée doit être considérée comme non avenue , sauf au
débiteur & faire la preuve du dol , s'il y a lieu.
76A. Le cas où l'écriture non signée tendrait a établir
un supplément de créance n'est pas prévu par nos lois.
Boiceau (part. H, chap. li, n"" 3) fkit sur ce point une dis-
tinction fort raisonnable. Ou bien l'écriture ajoutée au billet
après la signature est un développement de la précédente
obligation , comme s'il est dit : Je m'engage de plu$ k ser-
vir tels intérêts, ou k rembourser la créance k telle
échéance-, alors l'addition se confond avec la disposition
principale. Il y a alors , suivant Boiceau , untu et continuatus
actug, ad idem signum pariter relatus. Ou bien , au contraire ,
l'addition est tout k fait indépendante dé l'écrit signé, et
alors le fait que cette addition n'a pas été signée également,
doit la faire considérer comme un simple projet, auquel on
n'a pas donné suite : Nudam tantum et imperfectam scriptur-
ram, dit Boiceau , in quà fartasse scribens perseverare notuerit.
Reproduite littéralement par Pothier (n* 763), cette doc-
trine n'est, sans doute, pas obligatoire pour les juges dans
le silence du Code ^ mais les décisions qui l'adopteraient ne
pourraient être regardées comme illégales , puisque les actes
sous seing privé n'ont rien de solennel , et que , si Ton doit
exiger dans un testament olographe que tout soit terminé
par ta signature du testateur, il n'y a pas même raison de
332 ÉCRITURES NON SIGNÉES.
décider pour les antres écrits privés , qui ne sont assujettis
à aacane forme déterminée.
766. En dehors des hypothèses que nous venons de par-
courir , une note non signée peut valoir tout au plus comme
un commencement de preuve par écrit , afin d'admettre la
preuve testimoniale, si le tribunal le juge convenable. C'est
ainsi que la Cour de Paris, le 6 mars 1854, a refusé de
donner suite k la réclamation d'un notaire fondée sur une
note non signée , dans laquelle un défunt lui avait attribué
la propriété de 62,000 francs en billets de banque , aucun
indice ne justifiant du transport de cette propriété ^ titre
onéreux , et la note ne pouvant équivaloir même à un don
manuel. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté le 30 juil-
let i855. Mais nous croyons que la Cour de Paris n'a pas
été assez loin, lorsqu'elle n'a vu (arr. du 26 janvier 1867)
qu'un commencement de preuve par écrit de la propriété da
titre dans une note non signée, mais écrite de la main du
détenteur, attachée k un titre au porteur. Elle a permis sea-
lement, en ce cas^ k la personne désignée dans la note, de
prouver contre la maxime : En fait de meubles possession
vaut titre (Cod. civ., art. 2279}^ tandis qu'il eût été plus
exact de voir dans la note, dont l'écriture n'était point con-
testée, un aveu de la précarité dans la possession, qai
faisait cesser l'application de la maxime. (Comp. Cass.,
24 avril 1866.)
756. Dans tous les cas , il est bien entendu que l'écri-
ture, si elle est contestée, doit être vérifiée, puisqu'un
écrit non vérifié, ni reconnu, ne peut pas même servir de
commencement de preuve. Et peu importe que la nature de
la note rende diOicile la preuve de son authenticité. De sim-
ples chiflres peuvent même, ainsi que Ta jugé autrefois un
arrêt du conseil du 23 juin 1773, être vérifiés dans la forme
ordinaire. La difficulté de la preuve ne saurait détruire le
ÉCRITURES NON SIGNÉES. 333
principe constant qui ne permet d'admettre aacun écrit
dont la sincérité n'est pas recomme.
TROISIÈME SECTION.
TAILLES.
SOHMAiBE. — 757. Foi des tailles. — 758. Ne point s'attacher an taux de la preave par
témoins. — 759. Foi ^ l'égard des tiers. — 760. Quid si l'éctiantillon n'est point repré-
senté? — 764. Tailles en matière pénale. — 762. Jetons et méreaux.
757. Le mot taille, qui vient du latin talea (c'est-à-dire,
suivant Ducange, ramm indsus), désigne un morceau de
bois fendu en deux parties égales. L'une des moitiés, qui
conserve le nom de taille, est gardée par le fournisseur^
l'autre moitié, qui est remise au consommateur, reçoit le
nom A' échantillon. Au moment de la fourniture, on rap-
proche la taille de l'échantillon , et on y fait des entailles
transversales, que l'on nomme coches. La taille et Téchan-
tillon servent à se vérifier mutuellement, comme autrefois
les chartes-parties. (N"* 683.) *
Lorsque les deux moitiés sont représentées et se corres-
pondent, les fournitures se trouvent constatées par l'aveu
du consommateur, tout aussi bien que si cet aveu était con-
signé dans un acte authentique.
Les tailles corrélatives h leurs échantillons», dit l'ar-
ticle i 333 du Code civil , « font foi entre les personnes qui sont
<i dans l'usage de constater ainsi les fournitures qu'elles font
« ou reçoivent en détail. »
Le texte suppose la taille, c'est-k-dire l'exemplaire de-
meuré entre les mains du fournisseur, corrélative à l'échanr
tUlon : hypothèse analogue à celle où les livres de deux
commerçants se trouvent d'accord. S'il n'y a qu'un accord
partiel , les tailles font foi jusqu'à concurrence du nombre
de coches qui se retrouve de part et d'autre ; les autres en-
334 ÉCniTPRES NON SIGNÉES.
tailles sont causées provenir de quelque erreur ou de
quelque accident.
758. Il faut décider, avec Boiceau (part. II, chap. ix,
§ 7), ce qui résulte, du reste, des termes généraui de la
loi , que , même au-dessus du taux fixé pour l'admissibilité
de la preuve testimoniale, c'estrh-dire , dans le droit ac-
tuel , au-dessus de cent cinquante francs , les tailles doivent
faire foi entre les parties. Suivant Boiceau , il serait trop
dur , la valeur des fournitures ne dépassant point habituel-
lement le taux légal , d'exclure la preuve testimonial^ fvree
que ce taux se trouverait dépassé , même à Tinsu des par-
ties. Mais il est plus exact de dire, avec Pothier {Oblig.,
n* 765), que les tailles constituent une espace de preuve
littérale ; et c'est en effet sous la rubrique de la preuve lit-
térale que le Code traite des tailles.
759. Faut*-il en dire autant vis-à-vis des tiers? Boiceaa
nous rapporte (même ohap. ix) que l'affirmative fut décidée
de son temps , dans une espèce où un boucher , qui avait
fourni des peaux k un tannefur, fut autorisé, non pas seule-
ment à venir par contribution avec les autres créanciers,
mais même k exercer la revendication de ces peau^ , faute .
de payement du prix-, le tout, sur la foi de tailles corréla-
tives aux échantillons. Danty (addit. sur ce chap.) refuse,
au contraire, toute foi aux tailles k l'égard des tiers; et cette
divergence d'opinion s'explique historiquement , les prin-
cipes sur la certitude de la date n'étant pas encore bien
établis dans le temps où Boiceau écrivait. La décision de
Boiceau doit toutefois être admise sans difficulté dans Tes-
pèce qu'il cite ', car il s'agissait des rapports d^un tanneur et
d'un boucher, et il est constant que, dans les relations com-
merciales , on n'exige pas de date certaine , même k l'égard
des tiers. (N* 702.) De marchand k particulier, l'opinion de
Danty nous avait semblé préférable, en tant du fnoins qu'il
iGBITURBS NOH 8|6N]£BB. 335
s'agit d'eiercer un droit de reveDdication ou de privilège
spécial *, fiar le fourDisseur lierait incontestablement admis à
venir par contribution, puisque entre créanciers cbirogra-
pbaires la question de date n'a aucune importance. Nous
nous attachions à cette idée qu'il n'est pas impossible que
l'échantillon ait acquis unç sorte de date certaine : ce qui
arriverait au cas où il aurait été mis ik>us scellés après dé-
confiture ou décès , et où l'existence en aurait été constatée
par l'inventaire. Mais , après mûre réfleiion , cette opinion
nous semble trop rigoureuse , et pous pensons . avec
11. Massé (^DroU oomm., tom. FV, n* 2526), que, comme il
n'y a aucun moyen usuel de donner date certaine aux tailles,
les tribunaux ont , dans tous les cas , un pouvoir discrétiou-
naire pour les admettre même vis^-k-vis de tiers non m^-
chands, Tarticle 1335 n'étant point applicable.
760. Lorsque sa partie que le fournisseur attaque en
exhibant la taille, ne représente pas l'échantillon, ou
bien elle allègue l'avoir perdu , ou bien elle prétend qu'il
n'y a jamais eu de fourniture ainsi constatée. Dans la pre-
mière hypothèse , elle est en faute , elle devait se procurer
.une nouvelle taille^ la moitié qui est entre les mains du
fournisseur fera foi , en l'absence de l'échantillon , k moins
qu'on ne prouve qu'il y a fraude de sa part. C'est en ce sens
que la coutume de Tournai {De l'ampUation ^ art. 13) déci*
dait, dans l'espèce, que la taille exhibée par le demandeur
serait tenu» pour vérifiée. Dans la seconde hypothèse , lorsque
le consommateur nie qu'il y ait jamais eu d'échantillon
entre ses mains, la taille est, rigoureusement parlant , dé-
nuée de toute force probante , puisqu'elle constitue un titre
émané du marchand seul. (C. civ., art. 1329.) Néanmoins,
si le fournisseur jouit d'une bonne renommée et que les
fournitures soient vraisemblables , nous serions disposé k
considérer les coches faites sur la taille comme équivalant
336 ÉCRITURES NON SIGNÉBS.
k récriture insérée par. le marchand sur ses livres, de ma-
nière a permettre au juge de déférer le serment snpplé-
toire au fournisseur ou à son adversaire. (Même art. 1329.}
76i. Au surplus, l'assimilation des tailles à récriture
ne saurait être admise en matière pénale. Aussi est-ce avec
raison que la Cour de Paris, le 3 mars 1854, a refusé de
considérer comme faussaire (n* 533) un boulanger qui avait
fait des marques frauduleuses sur la taille et sur Téchan-
tillon.
762. Indépendamment des tailles, il peut y avoir des
marques, des jetons représentant une certaine valeur. C'est
une institution fort ancienne. Danty (add. sur Boiceau,
part. Il , cbap. ix) cite les diverses espèces de tesierœ usitées
k Rome, dont la plus importante était la testera Jrumenuaria,
bon de blé distribué au peuple par les empereurs. »Chez
nous, les méreaux, tenant à la fois de la monnaie et du jeton ,
avaient un caractère semblable. Ils servaient tantôt de
marque , tantôt de monnaie de compte donnée en payement ,
et c'est à ce dernier titre qu'on les distribuait aux cha-
noines ^ (Voy. M. Loir, Recherches star tes monnaies, mé^
veaux y sceaux de la ville de Mantes, Paris, 1859.) Les signes
de cette nature, équivalant h des présomptions, peuvent en-
core être invoqués utilement aujourd'hui, lorsque la valeur
réclamée ne dépasse pas cent cinquante francs. Au delà de
cette valeur, ils ne peuvent l'être que par celui qui a en sa
faveur un commencement de preuve par écrit. Il faut ob-
server, du reste, qu'un bon signé ou parafé, si l'écriture
n'était point contestée, renfermerait en lui-même le com-
mencement de preuve exigé.
1 Une ordonnance de Charles VI sur la réforme de la Sainte-Chapelle
s'adresse distributori meréUorum.
=^s-as
'. '. « r
qH DSS ÉCRITS PRIVÉS EN MATIÈRE GRIMIMBLLlS. 337
QUATRIÈME SECTION.
FOI DES ÉCRITS PRITES EN MATIÈRE CRIMINELLE.
SOMMAiBE. — 763. Rôle des écrits privés sa criminel. — 764. Cas ok l'écrit est le corps
du délit. — 76S. Où il n'est qu'an doeoment. Perquisition. Saisie des lettres. '— 766.
Abas de cette preoTe. — 767. Sartoot il l'égard des tiers. — 768. Renvoi pour la
compéienee.
'763. Les écrits privés peuvent jouer un râle important
dans une procédure criminelle , soit que le corps même da
délit consiste dans un écrit, soit que l'écrit soit simplement
invoqué comme preuve d'un délit d'une nature quelconque.
L'admissibilité des écrits avait été consacrée par l'ordon-
nance de 1670, qui, sans s'arrêter aux doutes soulevés par
certdns interprètes, autorisait la preuve (tit. XXY, art. 6)
par pièces authentiques au reconnues par C accusé.
764. Dans la première hypothèse, s'il s'agit, par exemirie»
de faux, de correspondance contre la sûreté de l'État (C. pén. ,
art. 76 et suiv. ) , de menaces faites par écrit (i6t<f ., art. 305),
la question de la sincérité de l'écrit est capitale , puisc^u'en
dehors de l'écriture il n'y a plus de procès. Alors , si l'écri-
ture est déniée, la vérification est d'une extrême gravité.
Ici l'art conjectural des experts ne doit être consulté qu'avec
beaucoup de défiance,. et l'on doit toujours préférer k leur
rapport la preuve testimoniale , lorsqu'il est possible de se
la procurer. De nombreux exemples , puisés dans notre an-
cienne jurisprudence , témoignent assez du danger de s'en
rapporter aux maîtres écrivains. Dans trois afEaiircs presque
identiques , celles des chanoines de Beauvais , du vicaire de
Jouarre et du curé d'Orléans (Merlin, Répert., Comparaison
d'écritures), de vénérables ecclésiastiques furent accusés
d'avoir écrit des lettres anonymes injurieuses; dans chacune
de ces espèces , quatre experts déclarèrent unanimement
II. 22
338 FOI' DBS ÉCaiTS FUVÉS BN MATIÈRB CRIHIIIBLLB.
que les lettres étaient de la main des accusés, et cependant
rinnocence de ces derniers finit par être clairement établie,
le véritable auteur des lettres ayant été découvert.
Bien que ces faits soient postérieurs à la rédaction de
l'ordonnance criminelle de 1670, Texpérience avait fait re-
coonaitre dès lors tout le danger de Texpertise* Un traité de
Levayer sur la comparaison d'écritures ' , rédigé k Toccasioa
du procès de Fouquet, avait Tait ressortir avec énei^ie tout
ce qu'il y a d'arbitraire dans ce mode de vérification , sur-
tout appliqué aux matières criminelles. Camparaih Jack
duntaaxu fùmum, telle était sa conclusion. Aussi avait-m
proposé d'insérer dans le titre VU de l'ordonnance de 1670
un article ainsi conçu : « Sur la seule déposition des experts
(c et sans autres preuves , adminicules ou présomptions , ne
a pourra intervenir aucune condamnation de peine afflic-
<( tive ou difiamante. » Mais l'avocat général Talon fit sen-
tir combien serait dangereuse une disposition de cette na-
ture , qui tendrait souvent k détruire la seule preuve que le
juge puisse se procurer d'après le caractère des faits. Sarses
observations, appuyées par le président Lamoignon, l'ar-
ticle fut retrandié. Aujourd'hui le Code d'instruction cri-
minelle ne fait allusion k la comparaison d'écritures qu^en
matière de faux ; mais il n'est pas douteux qu'on ne doive
employer la même voie , toutes les fois qu'il s'agit de vé-
rifier un écrit. Toutefois , la vérification d'écritures , au cri-
minel , n'est point soumise k des règles aussi rigoureuses , à
raison du pouvoir souverain d'appréciation qui appartient k
la juridiction pénale. (Rej., 20 juin 1846.) Les précédents
de l'ancien droit et ceux du droit moderne ( voy. notanumil
l'affaire La Rondère) doivent rendre les jurés et les juges
* On le trouve à la fin du lYaité de lapreuvepar témainSf par Boioean^
édiUoB da Dtiity.
FOI DBS ÉCRITS PRIYÉS EN aATlÈRB CRIMINELLE. 339
«
très-drconspects à condamner sur un simple rapport d'écri-
vains; les Ângbîs pensent également qu'il fout ajouter peu
de foi (very Hule^ if any reliance) à un rapport de cette nan
ture (M. Greenleaf, tom. I, p. 726, net. 2)^ ma» on doit
reconnaître aussi que , dans beaucoup de cas , les conclu-
sions des experts se sont trouvées exactes, et qu'il serait
fort dangereux de les rejeter d'une manière absolue.
Ce que nous avons dit sur l'importance du choix des
experts dans la procédure en vérification d'écritures (a' 731),
s'applique, à plus forte raison, en matière criminelle. Il
parait que la jurisprudence allemande n'est pas non plus à
l'abri de la critique sous ce rapport. « On voit souvent, et
« bien k tort », dit M. Mittermaier (De la preuve en matière
crmineUe, chap. li), « l'inquisiteur appeler les professeurs
« d'écriture du lieu ; ceux-ci , parfaitement aptes k décider
« de la beauté , de la netteté de la main , ne le sont pas too-
« jours autant lorsqu'il s'agit de constater la ressemblance
a de deux corps d'écritures. Certes , des individus qui , par
« le fait même de leurs fonctions (des employés de l'en*
« registrement, des archivistes, des teneurs de livres) votent
« chaque jour passer sons leurs yeux des écritures de toutes
«sortes, et ont l'occasion fréquente ' d'en faire l'examen
« approfondi, seront bien mieux en état d'éclairer la religion
« du juge. D M. Wills cite également l'exemple d'un nia-
^strat anglais qui refusa d'employer la loupe dont se ser-
vaient les experts écrivains , en faisant remarquer que cet
instrument, bon pour les expériences physiques, ne mon-
trait pomt les caractères sous leur véritable jour. (Cbvtiiiur.
évidence, chap. iv, sect. â.)
76t(. Quand les écrits invoqués ne csostitiient pas le
dâit , mais seulement des documents de nature à l'étaUir,
la vérification d'écritures ofiEre en général moins d'intérêt ,
et il est inutile de se lancer dans les embarras et les lenteurs
22.
340 FOI DES ÉCRITS PRIVÉS EH HATIÈKE CRIMINELLE.
d*une expertise, si on a des preuves plas directes dans la
déposition des témoins. Quelquefois cependant les écrits
sont d'une haute importance. Ainsi, la correspondance, pour
la preuve de la complicité d'adultère, est le seul moyen admis-
sible, en l'absence du flagrant délit (G. pén., art. 338) ou
de l'aveu. (N* 366.) Lorsque les papiers ont été saisis au
domicile de l'inculpé , il lui devient plus difficile d'en nier
la sincérité. Aussi la loi veut-elle qu'on s'assure le plus tôt
possible de ces pièces, et qu'on en constate avec soin l'iden-
tité. Dans les cas réputés flagrant délit \ le procureur de la
république ou sesofiiciers de police auxiliaires (G. d'inst.,
art. 36 et suiv.), et dans tous les cas, le juge d'instruction
{ibid., art. 87 et suiv.), doivent se transporter au domicile
de l'inculpé et y opérer la perquisition de tous les papiers
jugés utiles ^ la manifestation de la vérité. On les lui pré-
sente à l'effet de les reconnaître et de les parafer^ au cas
de refus, il en est fait mention au procès-verbal. Ils sont
ensuite clos et cachetés. Plus tard, ils figurent parmi les
pièces de conviction qu'on représente à l'audience.
Les perquisitions faites en cas de flagrant délit par le
procureur de la république ou par ses auxiliaires ne peuvent
avoir lieu qu'au domicile de l'inculpé ou de ses complices
présumés. Le juge d'instruction, au contraire, peut se
transporter dans tout autre lieu ^ s'il présume qu'on y a
caché des pièces de conviction. {Ibid., art. 88.) Toutefois il
est clair que , si , au moment où une visite domiciliaire va
s'opérer, les papiers suspects étaient frauduleusement con-
fiés à des tiers , tout officier ayant qualité pour verbaliser an
cas de flagrant délit serait autorisé k faire une perquisition
au domicile de ces tiers. Le pouvoir qu'on a entendu réserver
* si toutefois il s^agit d'an crime, aux termes de l*artide 32 da Code
dinstroction ; — mais nous ayons déjà fait observer (tom. I, p. 123,
note 1) que la jurisprudence étend aux déUts proprement dits les attribu-
tions du ministère pnbUe.
FOI DES ÉCRITS PRITES EN HATIÈRE CRIMINELLE. 341
aa jage d'instruction , c'est celai d'opérer des recherches
chez des tiers contre lesquels il ne s'élèyerait qu'un simple
soupçon, ou même qui se trouveraient posséder ces papiers
sans fraude.
Le pouvoir du juge d'instruction s'étend-il jusqu'à saisir
à la poste les lettres de l'inculpé, celles qui lui seraient
adressées, ou même celles des tiers, si les besoins de
l'instruction l'exigent?
Pour soutenir la négative, on invoque le principe du
secret des lettres, consacré dans l'ancien droit, reproduit
dans la loi du 4 août 1790, et sanctionné par l'article 187
du Gode pénal , qui punit de peines correctionnelles toute
suppression, toute ouverture des lettres confiées à la poste,
commise ou facilitée par un fonctionnaire , ou un agent du
gouvernement ou de l'administration des postes.
Mais les articles 87 et 88 du Gode d'instruction, qui
autorisent le juge k saisir, soit chez le prévenu, soit ailleurs,
les papiers, effets, et généralement tous objets jugés utiles à la
manifestation de la vérité, ne comportent aucune distinc-
tion. Autre chose est la violation administrative du secret
des lettres ', qu'a en vue le Code pénal, autre chose est la
communication de tous documents nécessitée par le service
de l'instruction judiciaire. Interpellé sur une saisie de lettres
opérée par le juge d'instruction, M. Odilon Barrot, alors
président du conseil, a répondu en ces termes {Moniteur
du 23 octobre 1849) : « Si vous entendez parler de ce droit
« arbitraire , occulte , que les gouvernements peureux ont
« exercé dans certaines circonstances , pour chercher dans
* Une instnictioii da directenr des postes, en date dn 20 mars 1854,
autorise les agents des postes à saisir les imprimés mis à la poste sous
enTeloppe, en contravention à la législation spéciale. Mais les agents
penTent-lls, comme Pa soutenu M. Vandal à la tribune (Moniteur du
23 férrier 1867), reconnaître, à la seule inspection extérieure, si la lettre
renferme un imprimé ?
342 FOI DBS ÉCRITS PRIVÉS EH VATIÉRB CRIMINBLLB.
« cette violatioii du secret des lettres des révélatkms
« «ne situation , sur des hostilités , sur des dangers qui les
fc menacent, yous avez mille fois raison. La justice, die, a
« le droit de pénétrer dans nos domiciles ^ car l'inviolabiltié
« du domicile n'est pas faite pour elle \ elle a le droit de
« pénétrer dans nos secrets domestiques, car il n'est pas on
<K seul de nos papiers, quelque intimes, quelque confidentiels
(( qu'ils soient, dans lesquels elle n'ait le droit soQverain
« de fouiller pour y diercher la vérité qui importe à la
« société. »
Quelques années après, lorsque la Cour de cassatum a
été également appelée k statuer sur une question de saisie
de lettres, si la chambre criminelle a émis sur la validité
de la saisie une opinion contraire k celle qui a été adoptée
par la Cour de cassation , chambres réunies, le 21 novembre
1853 , ce n'est pas qu'on ait contesté le droit en lui-même;
on avait douté seulement qu'un tel pouvoir, hors le cas de
flagrant délit, pût être exercé par un préfet, a Paris par le
préret de police. La Cknir de cassation a pensé que l'article 10
du Code d'instruction, autorisant ces officiers k faire umg
actes nécessaires pour constater les crimes , les délits ou les
contraventions, comprend le droit de perquisition daoDS
toute son étendue * . Mais ce droit lui-même n'était point
mis en doute.
Les motifs de cette décision ne permettent point de dis-
tinguer, comme quelques-uns l'ont proposé, entre les lettres
adressées k l'inculpé et les lettres adressées k des tiers,
sauf le respect dû k la correspondance dont l'inculpé ne
> Mais ce droit de perqiiiûtioii oe peât être délégué à des directeurs de
poste, placés hors de la compéteace dn préfet. La saisie d'une dreolaire
da comte de Chambord, enjointe admiDistrativement dans tous les iMneanx
de poste en vertn dHin ordre donné à Paris , a été reconnue illégale pftr
le ministre d*État, M. Rouh^r. (Même Moniteur du 23 février 1867.)
FOI ]>ia ÉCRITS PRIVÉS EN HATIÉRE CRIMINELLE. 343
senit que dépositaire » et dont rinviolabilité se rattacherait
an secret professioaiiel. (Arg. de Fart. 378 du Code pénal.)
Il est k noter, bien que la Caillite ne puisse être assimilée
à one proeédore criminelle, que le Code de commerce
(art. 471) autorise les syndics k ouvrir les lettres adressées
au filiUi , mais avec son assistance, s'il est présent.
76tt. Les écritures ainsi saisies ne sont pas , en général ,
des preuves jNréconstituées , mais ce que Bentham appelle
des écriures camsUet^ c'est-k-dire des registres ou des notes
qui n'étaient pas destinés k être publiées. On trouve dans
le publidste anglais (Preiwe» jud., liv. VI, chap. m) de
bonnes observations de détail sur les circonstances qui
peuvent militer pour ou contre Tautorité des écritures de
cette espèce, qui ne sont qu'une des formes de l'aveu extra-
judiciaire. Notre ancienne pratique criminelle a souvent
abusé de ce mode de preuve en matière politique. On sait
que Lanbardemont se vantait de perdre un accusé , pourvu
qu^im lui donnât rix lignes de son écrintre» . Il est certain
d'ailleurs qu'on ne pourrait plus aujourd'hui fixer un délai
dans lequel l'accusé devrait déclarer si tel titre est ou non
de son écriture, en tenant l'écrit pour reconnu après ce
délai. Ce serait renouveler les anciens abus quant k la {nto-
vocation de l'aveu. (Yoy. tom. I, p. 473, not. 1, sur le
procès de Jeanne d'Arc.)
767. Si les écrits saisis au domicile de l'inculpé ou
ailleurs ne doivent être consultés qu'avec précaution, en
tant qu'il s'agit de se prononcer sur sa culpabilité, l'instruc-
tion doit procéder avec bien plus de circonspection encore
lorsque ces écrits tendent k incriminer des tiers. Mirabeau
ne voulait pas (Moniteur du 25 octobre 1791) « que les plus
« secrètes communications de l'àme, les conjectures les
<( plus hasardées de l'esprit, les émotions d'une colère
<c souvent mal fondée, les erreurs souvent redressées le
344 FOI DES ÉCRITS PRIVÉS EN MATIÈRE CRIMIlfELLE.
. « moment d'après, pussent être transformées en déposilions
<c contre des tiers. » Bien plus , lors même que récrit tend
à inculper directement et positivement un tiers , il ne faut
y ajouter foi qu'avec les plus grandes précautions. C'est
ainsi que, lors de la fameuse conjuration Malet, le général,
qui paya de sa vie son audace, avait porté, sur une liste de
fonctionnaires désignés pour le nouveau gouvernement,
des personnes complètement étrangères au complot. De
même, les Vendéens qui échouèrent au port de la Claye,
le 3 mai 183S, avaient arrêté un plan d'organisation mili-
taire où ils faisaient figurer plusieurs officiers contre lesquels
on ne dirigea aucune poursuite, parce qu'il fut avéré que
c'était également sans les avoir consultés qu'on les avait
ainsi désignés.
768. Les actes sous seing privé proprement dits ne se
présentent guère en matière criminelle que lorsqu'il s'agit
d'une preuve préjudicielle, de la constatation , par exemple,
d'un mandat, d'un dépôt, dont on allègue la violation.
Nous avons reconnu (n"" 225) qu'en thèse générale, la juri-
diction criminelle demeure compétente pour statuer sur
des questions de cette nature, mais que l'exclusion de la
preuve testimoniale s'applique au criminel, de la même
manière qu'au civil.
'
TROISIÈME MODE DE PREUVE ÉCRITE.
DÉCLARATION DU DEMANDEUR. -- LIVRES DES MARCHANDS.
SOMHAïu. — 769. Foi de ees liTres, k Rome et chex nous. — no. FonDslitès preaerites.
— 774. Sanetion de lear obsemtiOD. — 772. Diylsion.
789. A Rome » une foi tonte particulière s'attachait aux
registres tenus par les banquiers, argentarii, officiers publics
dont l'attestation était admise , soit contre eux , soit même
en leur faveur, par une prérogative assez analogue k celle
de Fauthenticité dans notre droit , quia offidum eorum atque
fnmistenum, dit Gaïus (L. 10, § 1 , D., De edend.)^ publicam
habeat cu$am. Aussi le préteur ayait-il introduit contre eux
une action pour les forcer à donner communication de leurs
registres. (UIp., L. 4, Und.)
Nos marchands n'ont point la position légale qu'avaient
les argentarii. Secundum hoe, dit Boiceau (part. Il, chap. vill,
n* 5), judicari non possunt mercatonan nottrarum iibri^ cum
amnino privati videamur. Néanmoins, les livres de commerce,
étant soumis k certaines précautions spéciales, peuvent faire
foi , non-seulement contre le marchand qui les a rédigés ,
mais même en sa faveur : ce qui n'est jamais admis pour
les papier^ domestiques.
770. Pour empêcher l'altération de ces livres, la loi
prescrit les mêmes formalités (G. de conun., art. 10 et
suiv.) qui sont établies pour les registres publics. Elle veut
qu'ils soient cotés, parafés et visés, soit par un membre
du tribunal de commerce, soit par le maire ou adjoint de la
conunune. Le Gode de commerce ajoute : wm fiait; ce qui
a toujours été vrai en ce sens qu'on n'alloue point d'hono-
raires aux fonctionnaires chargés de cette opération. Mais
jusqu'en 1838 il fallait, pour que les livres pussent être
346 LIVRES DES HIRGHÀIIDS.
présentés au visa, qu'ils eussent été préalablement timbrés,
et l'impôt du timbre pour des écritures souvent oonsidé-
rables deveniût extrêmement onéreux. Aussi, dans la pra-
tique, se dispensait-on le plus souvent de faire timbrer
les registres ] et ce qui était beaucoup plus fôcheux qœ
l'absence du timbre , c'est qu'alors les importantes forma-
lités prescrites par la loi pour assurer l'intégrité des
registres ne pouvaient être accomplies'. En conséquence,
les livres n'étant pas régulièrement tenus , auraient dû ii la
rigueur n'avoir aucune autorité. {Ibid,, art. 13.) Mais les
tribunaux de commerce, se conformant k l'usage constant
plutôt qu'aux prescriptions légales, ne refusaient pas d'ad-
mettre les registres non visés, lorsqu'il n'y avait aucun
soupçon de fraude dans l'espèce. Ainsi les sages précautioDS
de la loi se trouvaient éludées. Pour faire cesser cette grave
irrégularité, on a remplacé par une augmentation de la
contribution des patentes l'impôt du timbre, qui était
d'ailleurs fort inégal , puisqu'il était proportionnel non pas
k la valeur des opérations, mais k la place matérielle qu'occu-
pait la mention de ces opérations sur les registres. Ce chan-
gement s'est effectué le i*' janvier i838. (Loi du SO juillet
1837, art. 4.) Aujourd'hui donc le visa sans frais est devenu
une vérité, et ceux qui se dispenseraient de l'accomplisse-
ment des formalités légales n'auraient plus d'excuse*. Les
livres doivent de plus être conservés pendant dix ans.
(C. de comm., art. 11.)
771. Une sanction extrêmement rigoureuse garantit
l'exactitude et la fidélité des écritures commerciales. Le
' n en était de même eouB Pempire de TordoDiiaDoe de 167S, dont \m
prescriptions sur ces formalités si essentielles étaient tombées en désoé-
tade, depuis <in^un arrêt du Oonseil, du S avril 1674, avait imposé aux
commerçants l'obligation fort onéreuse d'employer du papier timbré.
' Aux États-Unis, les livres, avant d'être déclarés admissibles, sont soumis
à un examen préalaMe de la Cour. (M. Greenleaf , tom. I, p. 159, note i.)
FOI DBS UVRES SHTRB COHHEBÇAIITS. 347
failli qni n'a pis tenu de registres^ ou qui n'en a tenu que
d'irrégnliers, même sans frande, peut être déclare banque-
routier simple , et frappé eu conséquence de peines correc-
tionnelles. (lUd., art. ^6, 6*.) Quant aux écritures frau-
dnleoses, tendant, soit k dissimuler l'actif, soit k simuler
OB passif, elles entraînent la peine de la banqueroute
frauduleuse, c'est-à-di«e les travaux forcés k temps. (Ibid.,
art. 391 ; €. pén., art. 402.) Lors même qu'il n'y a point
lanx caractérisé, la simulation, qui, en matière civile,
pourrait tout au plus dégénérer en escroquerie, est ici,
à raison de la gravité des conséquences qu'elle entraîne,
frappée d'une peine identique. C^est, eu effet, également
la peine des travaux forcés à temps qui est prononcée par le
Code pénal (art. 147) pour le faux en écriture de commerce ;
et TassimilatioB de ce faux k celui qoi aurait lieu en écriture
puMique, est une garantie de plus contre les falsîficatious
que les tiers pourraient commettre sur les registres.
772. On sent que l'autorité des livres de commerce doit
être plus grande entre deux marchands , dont les écritures
se servent de contrôle réciproque, qu'entre un marchand
ei un particulier, puisque ce dernier ne pourrait se défendre
è^ armes égales, n'ayant pas habituellement de registres , et
ne pouvant pas même en tenir qui fassent foi en sa faveur.
Occupons-nous d'abord de la foi des livres sous le premier
point de vue.
PREMIÈRE SECTION.
FOI DES LIVRES ENTRE COMUERÇANTS.
SOHHAtBE. — 773. De la régularité des liyres. — 774. Nécessité qu'il s'agisse de faits
de eonmeree. — ns. Cas on ils ne sont poiit coafornes. — 776. Leur commuiiication
en jostice.
773. « Les livres de commerce régulièrement tenus » ,
dit l'article 12 du Code de commerce, « peuvent être admis
sis FOI DES LITRES EICTBE COVIIERÇANTS.
« par le juge pour faire preuve entre coflunerçants ponr
« faits de commerce. % La preuve par livres n'est donc pas
strictement obligatoire pour la juridiction consulaire , qui
peut écarter les registres comme suspects, même lorsqa'ik
sont réguliers en la forme (Rej., iS août 1833), ou même,
sans suspicion, déclarer que les juges ont tous les docn-
ments sufBsanls pour éclairer leur religion. (Rej., 10 dé-
cembre 1862.) La simplicité et Téquité, qui sont Tàme de
cette juridiction, ne permettaient pas qu'on y astreignit le
f^ juge à certaines preuves légales ; on lui accorde donc, qaant
au moyens qui doivent déterminer sa conviction, une
latitude analogue k celle qui est accordée aux jurés. Mais,
en fait, les tribunaux de conunerce ne refusent guère
d'ajouter une foi complète aux registres régulièrmient
tenus* En sens inverse, on peut combattre par la produe*
tion des livreis une présomption de la loi , pourvu que ce ne
soit pas une présomption absolue , comme celle de la cbose
jugée : ce que la Cour de cassation a décidé (Rej., 18 août
1852) quant à la présomption résultant de la cession volon-
taire du titre. (G. civ., art. 1282.)
La loi suppose les registres régulièrement tenus , et l'on est
fondé k se montrer plus sévère sur ce point , depuis la sup-
pression (n* 770) des conditions fiscales qui rendaient Mé-
reux l'accomplissement des formalités légales. Faut-jl
cependant considérer tout k fait comme non avenus les
livres qui n'ont pas été visés ni parafés? S'ils paraissent
d'ailleurs en règle, cette rigueur serait peu en harmonie
avec la marche simple et équitable de la juridiction com-
merciale. La Cour de cassation a pensé (Rej., 23 avril 1860)
que , si les livres ne peuvent alors faire k eux seuls preuve
complète , il n'est point interdit aux juges « d'en comparer
« les énonciations avec celles des autres pièces justificatives
c( régulièrement fournies au procès, et de trouver dans la
FOI DES LIVRES ENTRE COMMERÇANTS. 349
<c concordance de ces énonciations une de ces présomptions
« abandonnées par la loi aux lumières et à la prudence des
« magistrats. » (Yoy. aussi Rej., S6 juillet 1869.) Or, on
sait qu'en matière commerciale , les présomptions , comme
la preuve testimoniale, sont toujours admissibles. A plus
forte raison doit-on admettre pour faire foi dans une société
civile des écritures , bien que non conformes aux prescrip-
tions du Gode de commerce. (Rej., il février 1869.)
774. Il ne suflBt pas que la contestation s'élève entre
commerçants, il faut qu'elle ait lieu pour faits de commerce.
Ainsi , un négociant ne serait pas reçu k se prévaloir d'une
mention faite dans ses livres , pour justiBer d'une opération
purement civile, telle que l'achat d'un immeuble. Néanmoins,
comme le livre-journal doit présenter tout ce que le com*
merçant reçoit ou paye à quelque titre que ce soit (G. de
comm., art. 8), la mention faite dans ce livre peut servir à
ison adversaire de commencement de preuve *, et en sens
inverse, l'omission sur ce livre d'une opération civile peut
contribuer k faire rejeter la prétention du négociant, si c'est
lui qui est demandeur. C'est donc avec raison qu'un arrêt de
rejet du 25 nivôse an X a décidé que le défaut de production
de livres, même en matière civile, peut, réuni à d'autres
circonstances, rendre un négociant non recevable dans
ses prétentions. Mous avions pensé d'abord , avec plusieurs
auteurs, que les livres pouvaient faire foi, même sans que
l'opération fût commerciale de part et d'autre, par exemple,
lorsqu'un marchand de vin vend une pièce de vin k un ma-
nufacturier. Nous nous fondions sur cette considération que
Tacheteur, étant commerçant comme le vendeur, avait dA
également constater l'opération sur ses livres. Mais il nous
semble plus exact d'assimiler les principes sur la preuve aux
règles qui régissent la compétence. Or, l'opération étant
civile de la part du manufacturier, il ne pourrait être tra-
350 FOI DES LIVRES ENTRE COMMEI^ANTS.
doit devant le tribunal de commerce. Quant k la mention,
elle doit avoir lieu seulement sur son livre-journal , en tant
qu'il s'agit d'un article de dépense (C. de comm., art. 8),
tandis que le marchand |de vin a dû relater en détail les
clauses de la vente. Les livres du vendeur pourront donc
faire foi contre lui , mais non en sa fiiveur, sauf la délaticm
du serment (n* 780) ; et la mention portée sur le line-
journal de l'acheteur aura contre lui la force d'un commen-
cement de preuve par écrit.
77tf . Si les registres sont d'accord, la preuve est parfisle,
à moins qu'une falsification ne puisse être établie. S'ils ne
sont pas conformes, et qu'ils soient d'ailleurs régulièfmeDt
tenus de part et d'autre , les deux autorités se balancent,
et il feut recourir k' d'autres modes de preuve. Si un seul
des registres est régulièrement tenu , le juge peut s'y atta-
cher ', mais U est toujours libre d'exiger des garanties adti*
tionnelles , telles que l'audition de témoins , ou la prestation
de serment. Enfin, d'après l'article 17 du Code de commerce,
si une partie refuse de produire ses livres , auxquels l'antre
partie offre d'ajouter foi , le juge peut déférer te sermait à
cette dernière partie. Cette disposition ne doit pas s' en-
tendre seulement du cas où un particulier offrirait d'ajouter
foi aux livres d'un commerçant, cas où il y aurait évidem-
ment lieu au serment , mais que les rédacteurs du Code de
commerce ne devaient pas avoir en vue , puisqu'ils ne s'oc-
cupaient que des procès entre commerçants. C'est surtout
entre commerçants que l'article 17 doit recevoir son apjtf-
cation. Néanmoins, nous ne pensons pas avec Toullier
(tom. yni, n* 383) que le négociant qui représente senl ses
livres doive obtenir gain de cause de piano f s'il offre de s'en
rapporter k ceux de son adversaire , et que celin-ci ne passe
ou ne veuille les représenter. Le juge peut ordonner tonte
mesure propre à l'éclairer sur la réalité des faitsa Uégué» k
FOI DKS UTUS BIltRE COMMERÇANTS. %1
l'appui de la demande, et après toat, si la prëlention da
demandeur loi paratt dénuée de fondement, il lui est loi-
sible de ne pas même déférer le serment supplétoire. (Rej.,
18janYierl832.)
776. L'obligation pour on commerçant de produire ses
livres ' en justice eût pu , si la loi ne Tavait pas restreinte
dans de justes bornes, compromettre singulièrement le
succès des opérations commerciales, pour lesquelles le
secret est souvent essentiel. LUni mercatorumt dit Gasaregis
(dise. 30, n* 79), non «uni peneruUmdi, ne wdêantur eorwn
seereia. Anssi la représentatif , même ordonnée d'office,
n'a-t-elle point pour effet de mettre an jour la situation de
la partie que les livres concernent ; on doit se borner k
eiiraire des registres ce qui a trait au différend. (G. de
comm., art. 15.) La communication complète n'a été auto-
risée que d;uis les cas oà elle est indispensable , c'est-k-dire
où la contestation porte sur l'ensemble de la gestion com-
merciale, dans les aflkires de succes»on, communauté, par-
tage de société, et faillite. (Ibid., art. 14.) Il y avait moins
de doute dans le dernier cas, puisqu'il n'est plus temps de
songer à ménager le crédit, lorsqu'il y a eu cessation de
payements. Au surplus, une société ammyme ne saurait être
tenue, plus qu'un particulier, de produire ses livres, en
deh<Mrs des cas prévus par la loi. (Bordeaux, 6 août 1853.)
Remarquons d'ailleurs que si, aux tenues de l'article 11
du Gode de commerce , les commerçants ne sont tenus de
conserver leurs livres que pendant dix ans, cela ne veut pas
dire que les énoneiations contenues en ces livres se trouvent
périmées au bout de ce laps de temps, oomoie le sendait
« Sniiraiit le droit common anglais (M. Greenleaf , tom. I, p. 615), rîn-
specUon des Urres peut être lécUmée par un particulier, mais senleiiieiA
à fins dyiles, nul n'étant tenu tenu , an crimind , de produire des pionyoi
contre lui-même : restriction que repousse, chez nous, le principe inquisi-
toiial admis poor la rectathe des preuves.
352 FOI DBS LITRES ENTEE COMIIERÇAIITS.
des inscriptions hypothécaires : si, en fait, les livres ont été
conservés, le commerçant sera tenu de les produire.
DEUXIÈME SECTION.
FOI VIS-A-VIS DES PARTICULIERS.
SOMMAIBE. — 777. Foi contre le marehand , des liyres , même irrécolien. — 778. Indirl-
stbilitè. — 77». Opinions des anciens aotenrs sur la foi des iivres contre lesptrtioifiers.
— 780. Quel est le système do Code.
777. L'obligation imposée aux marchands de teiûr des
écritures régulières existe vis-k-vis des particuliers tout
aussi bien que vis-k-vis des autres marchands. Aussi leurs
livres font-ils preuve contre eux (C. civ., art. 1330), mais
seulement pour faits de commerce , sauf h puiser un com-
mencement de preuve par écrit dans les mentions d'opéra-
tions purement civiles qui s'y trouveraient insérées. (N* 774.)
Le Gode civil n'ajoute point , comme le Gode de commerce
(art. 12), que les registres doivent avoir été régulièrement tenus.
Le commerçant ne pourrait se prévaloir, pour repousser la
foi des écritures, de sa propre contravention aux règles qui
lui étaient imposées. (Rej., 7 mars 1837;) Il n'est pas non
plus nécessaire ici que l'écriture soit de la main du négo-
ciant; suivant la doctrine de Pothier (06%., n* 757),
elle peut être l'œuvre du créancier lui-même, pourvu
qu'elle n'ait pas pu être ignorée du débiteur. (Bonites,
14 juillet 1831.)
778. Appliquant k cette matière le principe de l'indivi-
sibilité de l'aveu , la loi ajoute {ilnd,) que celui qui veut tirer
avantage des registres ne peut les diviser en ce qu'ils con-
tiennent de contraire à sa prétention. L'indivisibilité s'en-
tend d'ailleurs ici comme en ce qui touche l'aveu oral.
(N* 356.) La déclaration du marchand doit être acceptée
par la partie qui s'en rapporte k ses livres , pour tout fait
FOI VIS-À-VIS DES PARTICULIERS. 3o3
connexe : ainsi, le registre qui établit l'existence de la dette
doit également faire Toi pour en établir le payement. In con-
junciis capUulii, disaient les anciens docteurs, qui unum ad-
probats aikid reprobare nequU, Mais des articles tout à fait
indépendants de l'article allégué , dans lesquels le commer-
çant se dirait créancier pour toute autre cause , pourraient
être repoussés par le particulier qui invoque le registre. On
ne doit cependant appliquer cette doctrine qu'avec précau-
tion en matière commerciale , là où des opérations diverses
s'enchainent souvent de la manière la plus étroite. C'est
ainsi qu'un compte courant régulièrement tenu, bien que
composé d'articles distincts, sera généralement considéré
comme indivisible.
778. Arrivons à la partie la plus controversée de notre
snjet,à la foi que peuvent avoir les livres eo faveur des
marchands contre les particuliers, en supposant (Rennes,
23 août 1821) ces livres régiilièrement tenus. Les opinions
des anciens docteurs étaient très-partagées sur la foi pro-
bante de ces livres. (Danty, sur Boiceau, part. II, chap. viii,
n*" 15 et suiv.) Suivant une première opinion, qui remonte
k Barthole , les livres devaient avoir foi , même vis-à-vis des
non-marchands, et c'était le système qui avait prévalu en
Italie, surtout à Milan. D'après l'article 96 des statuts de
Milan , on devait ajouter foi aux écritures des changeurs et
marchands de cette ville , cum causa et sine causa, etsi dicantur
essefactœt vel subscripiœ in absentia partis. Dans une seconde
opinion, admise par Boiceau (ibid., n""' 7 et 8), les livres
constituaient une demi-preuve, susceptible d'être corro-
borée par la preuve testimoniale, mais seulement s'il
s'agissait d'un commerçant bien posé et jouissant d'une
bonne réputation. Une troisième opinion, s'attachant au
principe qu'on ne peut se faire un titre à soi-même, repous-
sait complètement la foi des livres vis-à-vis des non-mar-
II. 23
354 FOI YIS-À-^VIS DES PABTIGULIERS.
chands, et tel était l'avis de Boiceau (ibid,, n"" 11) lorsqu'il
s'agissait de petits marchands non inscrits dans une corpo-
ration régulière. Enfin Damoulin , après avoir admis d'abord
l'opinion de Barthole , s'était attaché k nne opinion inter-
médiaire entre les deux dernières et dont le germe se trom^
dans on statut de Venise * : « Rationes ejns » (Ad teg. 3,
C, De Ttb. cred.)^ ce quamvis non plenam probationem, dm
« omnino semiplenam inducant, tamen insérant aliqnam
« praesumptionem , ex qua possit ei deferri juramentom , ita
c( ut per se rationes probent *. d Ce jurisconsulte ne parle
point de la preuve par témoins. L'eût-il admise en présence
de l'ordonnance de Moulins, pronralguée depuis qu*il avait
écrit ces lignes? C^est ce qui est assez douteux. Boicean
admet l'audition des témoins , nous l'avons vu , en faveur
des marchands qui font partie d'une corporation. (Part, n,
chap. VII,) Danty (Add. sur ce chap., n" 46 et 47), qui écri-
vait un siècle après , pense que le sentiment de Boiceau oe
peut être suivi que dans des cas rares, où la bonne foi sera
évidente. Enfin Pothier (06%., n~ 754 et suiv., et n* 807)
reproduit l'opinion de Boiceau , en ajoutant toutefois que la
fourniture alléguée doit être vraisemblable. Et c'est \ cette
occasion que ce grand jurisconsulte nous révèle toute la
simplicité de ses mœurs , simplicité si admirable , surtout au
dix-huitième siècle : « Par exemple », dit-il (n** 756),
a ce ne seraient pas des fournitures vraisemblables, s'il
<( était écrit sur le livre d'un marchand qu'il m'a vendu et
« lii^ré dix aunes de drap noir dans une année , parce que
^ Tune uMM judàces dabuni saerammtum, (Stat. Téa. de sep-
tembre 1252,préfac., 2.)
' Les jnriscoiisnltes écossais (Tait, Onevidme$, p. 373-277), en aâmel-
tant ce genre de preuYe , le définissent : not merely a sutpîcion ^ fnU
9uch évidence as produces a reasanàble belieff though not complet eoi-
dente*
FOI TIS-A-TIS DES PARTICULIERS. 355
c( je n'ai pas besoin de plus d'ua habillement dans Tannée,
« pour lequel quatre aunes de dmp suffisent. »
Cette opinion de Potbier, qui considère les registres
comme pouvant servir de commencement de preuve , passe
généralement pour l'expression du dernier état de notre
ancienne jurisprudence. Mais il en était autrement , si nous
en croyons l'annotateur anonyme de Danty (note sur le
n* 44 du ch. vin), qui s'exprime en ces termes, après RToir
reproduit le passage de Pothier : « Cet auteur donne peut-
« être un peu trop de faveur aux livres des marchands, et
« il semble que la jurisprudence du Chàtelet n'y est pas
« conforme. Denisart, qui parle ordinairement d'après cette
« jurisprudence, dit qu'ils ne forment aucun titre contre
« des bourgeois non négociants , qui sont crus à leur affir-
ic mation contre les livres des marchands. » Ainsi , il parsdt
qu'au Chàtelet on déférait le serment, mais au défendeur
seulement, et qu'il n'était nullement question de la preuve
testimoniale.
On doute que le droit commun anglais {common ko»)
accorde une pareille foi aux registres des marchands.
L'affirmative semble toutefois résulter d^un statut de
Jacques P' (stat. 7, chap. xn), qui admet ce genre de
preuve vis-k-vis des non-marchands en le limitant aux
transactions de l'année courante ' . En Ecosse et aux États-
Unis, on admet sans difficulté les registres corroborés par
le serment suj^Iétoire du marchand. La plupart des États
américains ont même consacré cette faculté par des dispo-
sitions spéciales de leurs statuts. (M. Greenleaf, tom. I,
p,458,not. 2.)
780. Après cet exposé des diverses opinions anciennes
et modernes, abordons l'interprétation du Code.
* La prescription annale da Code dvil (art. 2274) aboutit à peu près au
luAme TésuHat.
23.
356 FOI vis-A-yis des particuliers.
<c Les registres des marchands » , dit Tardcle 1329, ne
« font point , contre les personnes non marchandes , preuve
« des fournitures qui y sont portées , sauf ce qui sera dit ï
H regard du serment. »
Cette réserve du serment ne saurait s'entendre du ser-
ment décisoire, qui est de droit-, elle suppose forcément
l'admission du serment suppléloire. Mais , puisqu'il est con-
stant que le serment supplétoire n'est autorisé que dans les
cas où la preuve testimoniale est recevable , plusieurs au-
teurs soutiennent que les livres des marchands constituent
en leur faveur un commencement de preuve par écrit. Ils
font remarquer qae le serment supplétoire est la plus faible
de toutes les preuves, et que, s'il est permis de s'en rap-
porter k la déclaration assermentée du demandeur, il doit
l'être , k plus forte raison , d'ouvrir une enquête , qui offre
incontestablement plus de garanties. Ils invoquent enfin
Tautorité de Pothier, qui a été si souvent le guide des ré-
dacteurs du Gode. Il nous est néanmoins impossible de
partager cet avis. D'abord , l'assimilation du serment sup-
plétoire à la preuve testimoniale ne résulte nullement da
texte de la loi. Tout ce qu'elle dit (G. civ., art. 1367),
c'est que le serment peut être déféré d'office, quand la
demande n'est pas totalement dénuée de preuves. Or, nous
avons bien admis avec la jurisprudence (voy. n*" 440), que
le serment supplétoire ne peut être ordinairement déféré
que lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit ^
mais ce n'est point Ik un principe absolu , et le législateur
a pu , par une réserve toute spéciale , comme semblent l'in-
diquer les termes de l'article 1329, autoriser ce serment
dans une hypothèse où les témoins ne sauraient être enten-
dus. Y a-t-il Ih , ainsi qu'on le prétend , une contradiction ?
Oui, si on suppose que le serment sera ordinairement déféré
au demandeur^ il vaudrait mieux alors ouvrir une enquête
FOI VIS-À-VIS DES PARTICULIERS. 357
que de s'en rapporter purement et simplement à son affir-
mation. Mais cette supposition est toute gratuite. Les
meilleurs auteurs Tont toujours reconnu, c'est au défen-
deur que doit être déféré de préférence le serment supplé-
toire. Ce n'est que dans des cas extrêmement fayorables
qu'il est permis de le déférer au demandeur. Au contraire,
si la preuve testimoniale est jugée admissible, on sera tenté,
toutes les fois qu'il y aura doute, de faire entendre des
témoins, afin d'éclaircir les faits ; et le marchand aura tout
l'avantage dans l'enquête, puisqu'il aura pu préparer k
l'avance des dépositions , d'où il résultera de la manière la
plus positive que telles fournitures ont eu lieu k telle date,
tandis que le particulier, qui ne pouvait soupçonner la
demande dirigée contre lui, n'aura pu se ménager de la
même manière les moyens d'établir la négative. Autre chose
est l'admission du serment supplétoire , qui ne sera déféré
au marchand que quand le juge aura une pleine conviction
de sa loyauté ; autre chose est l'administration de la preuve
testimoniale, qui ferait toujours pencher la balance en sa
faveur. En ce qui touche l'argument tiré de Pothier, il nous
semble suffisamment réfuté par l'exposé des motifs de
M. Bigot-Préameneu : « Quant aux personnes qui ne sont
<( pas dans le commerce, on a dû maintenir la règle suivant
« laquelle nul ne peut se faire de titre a lui-même, et l'ordre
« que les marchands sont tenus de tenir dans leurs registres
«( ne saurait garantir que les fournitures qui y sont portées
•» soient réelles. Us n'ont k cet égard d'autre droit que celui
« d'exiger le serment des personnes qui contesteraient
a leurs demandes. »
Ces dernières expressions vont trop loin sans doute ; le
texte de la loi étant général , nous ne pensons pas que le
serment ne puisse être déféré qu'au défendeur'. Mais, en
■ Le Code italien (art. 1328) considère les registres comme autorisant le
juge à déférer le serment à Pane et à l'antre partie.
338 FOI VIS-A-VIS DES PARTICULIERS.
rapprochant ces paroles de la jorispradence du Qiàteleli
lorsqu'on voit l'exposé des motifs poser le prindpe que ml
ne peut se faire de titre k lui-mâne , il est difficile de croire
que les rédacteurs du Gode n'aient voulu que reproduire h
doctrine de Pothier, suivant lequel (OUig., n*" 754) la regi^
trei ne peuvent poM foire une pnwoe pleine et entière^. Ajoutons
que du temps de Pothier, ainsi que nous l'avons souvent
&it remarquer, la nature du commencement de preuve par
écrit n'était pas bien déterminée, tandis qu'aujourd'hui Tar-
ticle 1347 du Code civil veut qu'il émane du défaideur'.
Cette règle souffre k la vérité des exceptions, mais il faut du
moins que ces excepti^ms soient énoncées dans la loi, et
comment peut-on voir l'admission de la preuve testimoniale
dans un simple renvoi k ce qui sera dit sur le serment?
N'était-il pas plus simple de déclarer expressément que les
registres serviraient de commencement de preuve par écrit?
* Le rapport fait au Tribnnat par M. Jaubert Tient eocore à l'appui de
la doctrine énoncée dans Pexposé des motifs : « Ces registres », dit-il,
« ne peuvent tout au plus servir qu'à déterminer le juge à déférer le
« serment. » L'intention restrictive ne saurait être plus manifeste.
* La question n'est nullement tranchée en jurisprudence. Un arrêt de la
Cour de Paris du 28 novembre 18S6, que l'on cite comme favorable k notre
opinion, se borne à écarter, dans l'espèce, certains registres comme ne
constituant point un commencement de preuve par écrit D'une autre part,
dans l'espèce d'un arrêt de rejet du 10 août 1840 , qui a admis la preuve
par témoins, il y avait, outre les livres, des écrits constituant un commen-
cement de preuve, conformément à la lettre de l'article 1347.
'APPENDICE.
PREUVE DE PREUVE LITTÉRALE.
Sommaire. — 78i. Division.
781. Un écrit peut se référer k un écrit [rfns ancien ,
soit en en reproduisant seulement la substance, mais en
manifestant l'intention des parties de maintenir les enga-
gements constatés par le premier acte, et c'est alors un acie
récognitif-, soit en le transcrivant littéralement, et c'est alors
une copie \
g 4. A£TB8 BÉGOGHITIFS.
Sommaire. — 783. Foi de ces actes en raison. — 783. Doctrine rigoorease admise par
les anciens aatenrs. ^ 784. jCe qu'elle a d'excessif. — 785. Ce qn'U tant entendie par
relater la teneur. ~ 786. Exception à la règle. — 787. Cas où le titre primordial con-
tient pins. — 788. Cas où il contient moins. — 789. Gode sarde. — 790. la règle sans
anptication en matière de commerce. — 794. Qiùd en matière de senitudes?
782. L'aveu écrit, comme l'aveu oral (art. 1356), doit
(aire pleine foi contre celui qui en est l'auteur. Si donc on
ne consultait que la raison sur la valeur des actes récogni-
tifs, on n'hésiterait pas k décider que, pourvu qu'on y voie
dairemait énoncée l'intention de maintenir la force d'une
déclaration préexistante, ils doivent avoir la même foi que
le titre primordial. Et cependant, le Gode ccHisacre la doc-
trine d'anciens interprètes, suivant laquelle une seule recon-
naissance ne saurait équivaloir au titre primordial
783. Cette doctrine s'est basée, ainsi que cela arrivait
^ C'est dans la même partie de son Commentaire sur la coutume de
Paris (tit. I, § s), que Dumoulin donne les développements les plus étendus
sur les actes récogûtifs et sur les copies.
360 ACTES RÉCOGNITIFS.
fréquemment autrefois, sur une décision particulière du
droit romain, que Ton a généralisée. Justinien avait décidé,
par faveur pour la liberté , qu'une seule reconnaissance ne
sufiBsait point pour établir la qualité de serf de la glèbe :
Sancimus (L. 22, Cod., pr., De agric. et censit.) solam con-
femonem vel aliam quamcunque tcripturam ad hoc minime suffira
oere, nec adscriptitiam conditionem cuiquam inferre, sed debere
hujus modi 9cripturam aiiquod advenir e adjutorium : quatenui,
vel ex publici cenxuz adjectione, vel aliis legiiimis modis talis
scriptura adjuvetur. Des auteurs d'un grand crédit, notam-
ment Bartbole, ont Conclu de ce texte qu'un simple acte
récognitif ne fait point preuve suffisante. Il est vrai que les
romanistes les plus exacts, tels que le président Favre,
firent remarquer que la constitution de Justinien n'était
applicable qu'à l'état des personnes, et que, de droit com-
mun, l'aveu est la meilleure des preuves : Intelligo de homagio
penonali; nam ri de rei conditione ageretur, unica recogmtio
sufficeret. (Faber, Ad Cod., lib. VII, tit. XI,def, l9.)DanUno
prœdii licet ex sua confesrione et enunciatione probationem adver-
sario prœbere; nulla enimfortior probado est, quant quœfit per
confessionem partis. (Ibid., lib. IV, tit. XIV, def. 10.) Les
canonistes, dans le but, k ce qu'il parait, de révoquer indi-
rectement les concessions faites trop facilement par les supé-
rieurs ecclésiastiques^, introduisirent une distinction entre
la confirmation simple, m forma communi, à laquelle on
appliquait la constitution de Justinien , et la confirmation m
forma speciaU, qui équivalait au titre primordial. La recon-
naissance était faite informa spedali, lorsque le signataire
déclarait agir en pleine connaissance de cause, ex certa
scientia. Et même on finit par exiger, de crainte que ces
dernières expressions ne devinssent elles-mêmes de style,
' On peut consalter sur ce point le 26* plaidoyer de d^Aguesseau.
ACTES RÉCOGNITIFS. 361
que toute la teneur de Facto précédent se trouvât insérée
dans l'acte confirmatif, de manière k ne laisser aucun doute.
Dumoulin était un esprit trop judicieux pour ne point recon-
naître le yéritable caractère des actes récognitifs. Le titre
nouveau ne doit pas, sans doute, aggraver l'obligation, et
en ce sens il est toujours vrai de dire : Cùt^rmatio nihil dot
nom; mais il a force probante. C'est ainsi que, supposant un
acte récognitif rédigé devant notaires, Dumoulin dit positi-
vement : « Simplex titulus novus non est dispositorius, sed
« declaratorius seu probatorius nec aliquid de novo in-
(( ducit circa substantiam obligationis, sed bene circa qusBdam
« ejLtrinseca et accidentalia, videlicet circa probationem et
« vim executivam ; et sic hujusmodi titulus dao tantum ope-
c( ratur : primo confessionem et probationem recoguoscentis,
a secundo vim guarrentigiam. » (Comment, sur la cota, de
Paris, tit. I, § 18, n"" 19.) Il n'en reproduit pas moins, rela-
tivement aux concessions féodales (ibid., § 8, n*" 87), la
distinction entre la confirmation simple et la confirmation
informa epeciali. Et en cette matière, il faut reconnaître que
la distinction était assez conforme à l'esprit de la constitu-
tion de Justinien. Mais jusqu'à quel point ce jurisconsulte,
dont la netteté est loin d'égaler la profondeur, a-t-il géné-
ralisé cette doctrine? C'est ce qu'il est assez difficile de
décider^ car, d'une part, on trouve dans son Commentaire
sur la coutume de Paris, et dans son traité Contractuum et
usurarum (n"" SIO), de nombreux passages oi!i il attribue à
la reconnaissance la forme de l'aveu, sans faire aucune
réserve^ d'une autre part, il renvoie, dans ce même traité
(même n* 210), à la doctrine précédemment exposée sur
la coutume de Paris. Malheureusement Potbier {Oblig.,
w 778) comprit Dumoulin' dans le sens le plus restrictif,
et son opinion a passé dans le Code.
■ TouUieT, qui a parraitement élucidé cette matière (tom. X, n»* 315 et
362 ACTES RÉCOGMITIPS.
Avant d'être consacrée par l'article 1337 dn Gode ciTÎI,
cette opinion ayait-dle déjk prévalu dans rancienne jnrid-
prudence? La Gonr de Paris a rendu sur ce point deux
arrêts en sens inverse , l'un le 30 janvier, et l'autre k
14 août 1828. Si nous consultons les anciens auteurs, nous
voyons qu'ils sont loin de reproduire la doctrine attribuée à
Dumoulin, a C'est la plus commune opinion des int^rètes »,
dit Henrys (liv. UI, ch. ii, quest. !**),« qu'une seule
a reconnaissance suffit, si elle est assistée de quelques
« adminicules ou si elle a été suivie de la possession. »
(Yoy. aussi Rousseaud de Lacombe, Jumprudmce civile,
V* RBCONNÀISSiUXGE.)
Quoi qu'il en soit, l'article 1337 du Gode porte : « Les
« actes récognitifs ne dispensent pas de la représentation
« du titre primordial , à moins que sa teneur n'y sok spé-
« cialement relatée. »
784. Pour justifier cette proposition, le rapporteur du
Tribunat a dit que « les actes récognitifs n'ont point été
ce faits dans l'intention de contracter, leur objet n'étant que
« de rappeler une obligation déjk existante. » Tout ce qu'il
est permis de conclure de Ik, c'est que l'acte récognitif,
comme une copie, doit être censé reproduire le titre pri-
mitif, et que les différences, s'il y en a, doivent être présa-
m
mées provenir d'une erreur. Mais poivquoi ne pas admettre,
dans tous les cas, les actes récognitifs, comme les copies
régulières, à remplace le titre original, lorsqu'il est perdu?
Après tout, la reconnaissance doit raisonnabl^sient faire foi
d'une obligation préexistante , tant que le contraire n'appa-
rait point. Ge n'est Ik qu'une forme de l'aveu , et pourquoi
soir.), pense que Domoiiliii a toujours diaUogaé entre les oonfinuatioas
d'investitures et les reconnaissances proprement dites ; mais cette distinc-
tion ne nous a point paru ressortir avec netteté des développements de ce
savant jurisconsniteu
▲C1XS RÉCMmTvs, 363
Tafeii écril annit-il moins de force qu'un areii veAal portant
sur l'existence du titre primordial? YainemaEit dira-tH>n,
avec on jmrisctmsalte toujocrs disposé k prradre la défense
des rédacteurs de nos Codes (M. Demante, Programme,
tmn. ni, n* 819), qu'une simple reconnaissance, sans expli-
cation des causes qui ont produit la dette, peut avoir été
surprise k l'ignorance ou arrachée à la faiblesse, et que peut-
être aussi fat dette recomuie a été éteinte, sans qu'on ait
songé k faire supprimer toutes les recomuûssances. Le pre^
noier de ces miitifs tendrait uniquement k faire relater la
saiMstance de l'oMigatîon constatée par le titre primitif,
ainsi que la loi l'exige pour les aetes confirmatifs (C. cit.,
art. 1338), maïs nirilement k faire reprodiure ce titre en
entier. Quant k la supposition que l'on aurait négligé de
retirer les recomnisfiances après la libératîeii du déUteiu*,
elle nous paraît bien gratuite^ car, cette libération étant
nécessairement plus récente que la constitution de la dette,
la perte -du titre primordial est beaucoup plus probable que
celle du titre constatant la libération. En somme, nous
aurions compris qu'cm eût exigé certaines conditions pour
que l'acte récognitif pût ranjdacer le titre primordial, et, en
ce. sens, le système de la confirmation, tel que l'enseignait
Dumoulin , pouvait se concevoir. Mais c'est aller trop loin
que d'exiger la représentation , ou , si on ne peut l'obtenir,
la reproduction du titre primordial. Néanmoins, la loi est
po^tive : le simple acte récognitif, dans le système du Ciode,
n'a plus d'utilité que pour interrompre la prescription.
(/HdL, art. 2S63.)
78K. Que &ut-il entendre par cette exigence de la loi ,
que la teneur du titre primordial ioU spécialement relatée f
Suivant l'opûiion commune^ il faudrait reproduire k peu
près littéralement le texte de l'acte primitif, et c'est ce qui
semble résulter d'un passage de Dumoulin (Cota, de Paris ,
364 ACTES RÉCOGNITIFS.
tit. IT, § 8, D'' 89), où il suppose une reproduction coin-
plèle : enarrato toto tenore confirmati. C'est encore k ce pas—
sage que Pothier s'est exclusivement attaché. Mais, si Toii
étudie dans leur entier les développements de Dumoulin,
on voit qu'il est loin d'exiger l'entière reproduction de
l'acte primitif, ce qui serait bien peu raisonnable. D suffit
que la reconnaissance contienne la substance de l'acte pri-
mitif : contineat et 9pecifica saltem nJfstantialia actut (n* 92)...,
ri renovatio esset mdeterminaia , nihil operaretur. {Ibid.p n* 93.)
Ce grand jurisconsulte nous donne lui-même un exemple
d'une reconnaissance in forma tpedali, en ces termes : Siau
prœdecessor nouer.,, prœdecenori tuo concestit taUm rem m
fimdum, ita et not cancedimus. Il y a loin de là à une repro-
duction littérale de la première concession. Il faut seulement
que la reconnaissance soit certa et epee^ica (tfrtU), ce qui
n'est autre chose que l'application des principes généraux
sur l'aveu.
Le texte du Code est-il assez précis pour exclure l'appli-
cation dans notre droit de cette doctrine si ralionnelle?
Relater la teneur n'est point la reproduire. Et la relation
tpéciale semble même une traduction de la reconnaissance
certa et specifica dont parle Dumoulin. Après tout, les actes
récognitifs ne sont point des copies, et le rapporteur du
Tribunat dit avec raison que ces actes, « sans retracer
ic entièrement et identiquement tout ce qui est contenu
(( dans un acte précédent, rappellent néanmoins cet acte. »
C'est donc se conformer à l'esprit du législateur que
d'entendre par la teneur de Tacte les conditions constitutives
de la convention, clairement et distinctement articulées?
Qu'a-t-on voulu, en définitive, en exigeant cette mention?
Prévenir le danger de confirmations faites, sans connais-
sance de cause, d'anciennes concessions? Or, ce danger
n'existe point, dès que les dispositions substantielles de
ACTES RÉCOGNITIFS. 365
l'acte primordial se trouvent reproduites. La Cour de cassa-
tion (Rej., 11 juin 1833) est entrée dans cette voie, en
considérant comme un titre récognitif sufiBsant l'arrêté d'un
conseil de préfecture qui rappelait la disposition d'un
ancien titre portant concession de droits sur une forêt
domaniale, mais sans en renfermer la copie textuelle. Plus
récemment, le 15 avril 1867, elle a jugé « qu'on ne saurait
« induire des dispositions de l'article 1 337 que la transcrip-
« tion littérale du titre primordial soit une condition essen-
ce tielle de la validité du titre récognitif; qu'il suffit que la
ce convention originaire s'y trouve relatée dans ses clauses
« principales. » L'arrêt ajoute que c'est au juge du fait à
apprécier souverainement si la convention constitutive du
droit se trouve relatée dans ces clauses essentielles. On
voit que l'application de l'article 1337 est peu gênante dans
la pratique. De plus, les tribunaux peuvent toujours décider
en fait, ainsi que l'a fait la Cour de Pau par un arrêt du
14 août 1828, maintenu en cassation le 29 janvier 1829,
que l'acte intitulé récognitif avait moins pour but de recon-
naître que de remplacer le premier titre, dont la représen-
tation ne saurait dès lors être exigée, puisqu'il n'y a plus
qu'à appliquer les principes de la novation.
786. Le Gode , après avoir emprunté k Potbier la règle ,
lui emprunte une exception, puisée également dans l'an-
cienne doctrine sur les confirmations des investitures.
« Néanmoins », ajoute l'article 1337, « s'il y avait plu-
(( sieurs reconnaissances conformes, soutenues de la pos-
c( session , et dont l'une eût trente ans de date , le créancier
« pourrait être dispensé de représenter le titre primordial. »
D'après cette disposition, le créancier pourrait seulement
élre dispensé de représenter le titre primordial , et il fallait
effectivement, suivant Pothier (Oblig., n* 788), que les
circonstances fussent favorables , et notamment que le titre
366 ACTES RÉCOGNITIFS.
primordial fût très-aDciea. Cette condition n'est pas
tionnée par Dumoulin (ibid., n* 90), et aujourdlmi on
n'hésitera jamais k se prononcer en fayeor du créaBcier
qui a en sa faveur plusieurs reconnaissances soutenues
d'une longue possession, puisqu'il est évident que c'est
déjà beaucoup trop que de restreindre k cette hypothèse la
foi du titre récognitif.
787. La seconde partie de la doctrine de Dumoiriin et
de Pothier sur les actes récognitife est beaucoup plus
raisonnable. Elle est reproduite en ces termes par Far-
tide 1337 :
« Ce qu'Us contiennent de plus que le titre primordial ,
« ou ce qm s'y trouve de différent, n'a aucun effet. »
En effet , l'acte récognitif n'ayant point pour but de créer
une obligation nouvelle, mais de constater une obligalioii
existante (non dUpoiUomu ^ ted declaratorius) ^ par cela seul
que le titre primitif est représenté , ce que contient de plus
ou de différent le titre récognitif est censé provenir d'une
erreur (Pothier, Obiig., n"" 779), k moins que l'intention de
faire novation ne soit démontrée. C'est en vertu du même
principe que le vice du titre primordial passe au titre réco-
gnitif, ainsi que Ta jugé la Cour de cassation, le 25 oc-
tobre 1808, pour un acte entadié du vice de féodalité.
Toutefois, il ne faudrait point considérer comme une
extension de l'obligation , que l'on devrait attribuer à une
erreur la stipulation de garanties accessoires , telles que
la solidarité. Cette stipulation rentre dans la nature des
actes récognitifs, qui, d'après la doctrine de Dumoufin,
peuvent , sans changer de caractère , innover eirca quœdam
exirmseeaet aedderuaUa, et notamment ajouter des garanties,
vim guarreiuigiam. {Ibid., § 18, n"* 19.) Il est donc pemas
de stipuler la solidarité , et on peut également rendre exé-
cutoire le titre récognitif, bien que le titre primordial ne
AGTB8 RÉCOGNITIFS. 367
soit point saseei^iUe d'exécution foreée. (Toulonse, 5 avril
i838.)
788. n est k remarquer qne le texte ne refuse effet qu'à
ce que le titre nouvel contient de plus. Si le titre nouvel
énonce , au contraire , une créance moindre , on supposera
facilement, en faveur de la libération (G. civ., art. 116S),
que cette énonciatkm tend k remplacer le premier titre
d'après la volonté |des parties , et elle produira immédiate-
ment effet. Que s'il n'y a pas en intentim de nover, le titre
primordial conserve sa force, et la mention d'une dette
moindre est présumée erronée; seulement, la prescription
de trente ans peut réduire la dette aux proportions fixées
dans ra(^ récognitif, tandis que la prescription ne ferait
point acquérir au créancier un excédant de créance, non
reconnu par l'acte primordial. Pothier (ibid., n"* 780), en
permettant au débiteur d'invoquer la prescription dans
l'espèce, soumet cette prescription k des conditions arbi-
traires, qui pouvaient être exigées lorsque le créancier
invoquait un supplément de créance , mais qui ne sauraient
l'être ici, puisque la prescription tend, au contraire, k
diminuer le droit du créancier. Pothier ajoute, en effet
(n^ 780), après avoir énoncé la proposition , qu'il peut en
être autrement , s'il y a mains dans la reconnaissance que
dans le premier titre :
« S'il y a plusieurs reconnaissances conformes et qui
« remontent k trente ans , le créancier, en rapportant le
« titre primordial , ne pourra pas prétendre plus qu'il n'est
(c porté par les reconnaissances , parce qu'il y a prescription
« acquise pour le surplus. »
On a fait (^server avec raison que c'est arbitrairement
qpe Pothier exige cette fois plusieurs reconnaissances c&n-
formes. Le laps de trente ans suffit pour opérer la prescription,
lOrs même qu'il n'y aurait qu'une seule reconnaissance.
368 ACTES RÉCOGNITIFS.
disons mieux , lors même qu'il n*y en aurait aucune , si le
débiteur justifiait, par la reproduction des quittances, qu'il
a payé pendant trente ans une somme inférieure k celle qui
avait été stipulée dans l'origine.
789. Le Gode italien, éclairé par les critiques dont
notre Gode a été l'objet sur ce point, est revenu au seul
système que la raison avoue : « L'acte récognitif » , dit
l'article 1340 de ce Gode, « fait preuve contre le débiteur,
« ses héritiers et ayants droit, si ceux-ci, par la production
« du titre primitif, ne démontrent pas qu'il y a eu erreur
a ou excès dans l'acte récognitif. »
790. La règle subtile posée par l'article 1337 du Code
civil répugne à l'interprétation large et équitable que
requiert la simplicité des opérations commerciales. Elle est
en harmonie d'ailleurs avec un système de législation fondé
presque exclusivement sur la preuve écrite. Là où la preuve
testimoniale est admise indéfiniment, une pareille r^le ne
saurait recevoir son application : d'où la conséquence, con-
sacrée par un arrêt de rejet du 27 décembre 183S, qu'en
matière de conunerce , les Juges ont un pouvoir discrétion-
naire pour décider s'il y a eu reconnaissance valable d'une
dette antérieure.
791. D'autre part, le désir de restreindre la portée d'une
disposition vraiment exorbitante a fait imaginer une distinc-
tion, plus spécieuse que solide, entre la reconnaissance
d'une dette et celle d'un droit réel. L'article 695 du Gode
disant simplement que le titre constitutif d'une servitude
peut être remplacé par un titre récognitif de la servitude ,
émané du propriétaire du fonds asservi , d'après une opinion
accréditée dans la doctrine , suivie même par la jurispru-
dence de la Cour de cassation (arr. du 16 novembre 1829
et du â mars 1836), il n'y aurait point lieu d'exiger pour le
titre récognitif d'une servitude les conditions spéciales de
COPIES. 369
Part 1337. Cette opinion nous semble réfutée par une con-
sidération bien simple, c'est que les règles du Gode civil
sur la preuve, bien que placées au titfe des eontrau^
régissent incontestablement la matière des droits réels.
Faire mr triage entre ces règles pour n'appliquer aux droits
réels que celles qui paraîtraient raisonnables , c'est tomber
inévitablement dans l'arbitraire. Gomment la simple mention
d'un tUre récognitif aurait-elle l'effet de déroger par avance
aux principes établis ultérieurement sur ce qui constitue un
titre récognitif valable? En admettant une exception pour
les servitudes , on ne saurait , sans faire la loi , étendre cette
dérogation aux autres droits réels, et d'autre part, se refuser
k cette extension , c'est tomber dans une véritable contra-
diction de principes. Ajoutons enfin que la confirmation in
foTPML tpedaii ayant été précisément imaginée pour les con-
cessions de droits réels (n* 783), il est assez singulier de
vouloir, au ccmtraire , borner aux créances l'application de
cette règle spéciale. Au surplus^ la jurisprudence si large
qui a prévalu sur l'application de l'article 1337, ôte k la
question beaucoup de son intérêt.
S t. OOMBS.
SOMMAIRE. — 793. Qoelles copies peuvent avoir aotoritè. — 79S. Foi exclusive da titre
original. — 794. Seeut ponr les actes de l'état civil. — 795. Poar les exploits d'huissier.
— 796. Foi décroissante des copies. — 797. Premières expéditions. — 798. Copies <ini
lenr sont assimilées. — 799. Celles dont la foi dépend de l'ancienneté. — 800. Copies
qui ne servent qoe de commencement de preuve. — 804. Copies de copies. — 80S.
Comment les copies doivent être tirées. — 803. dmfulsoire. — 804. Cas on on peut
invoquer la transcription. — 805. Qmi de l'enregistrement? — 806. Fait-il plus de foi
poor 1m actes d'huissier?
799. La nécessité de mettre à la disposition de chacune
des parties un titre qui lui permette de faire valoir ses droits,
en laissant l'original entre les mains de l'officier public,
ainsi que l'avantage de multiplier les moyens de preuve,
afin de ne pas mettre k la merci d'un accident les intérêts
II. t*
370 coFim.
les pliia importSBls, ont fait introdiiire ^epnis loBgtemfs
dans notre droit des règleb spéciales sur les copies des aeies
authentiques* QiAnt aux écrits prirés , Toriginal seul pest
faire foi, et les copies qui en seraient délivrées, même par
des notaires, n'auraient aucune autorité. Personne n'a
qualité oflBeielle pMr transcrire ces écrits. D'un autre eôté^
la reproduction d'un acte authentique par un simple parti*
culier n'aurait aucune foi* Nous n'avons donc k nous occuper
que des copies d'actes authentiques délivrées par des officiers
publics , tels que les notaires et les greffiers.
783. Le législateur applique d'abord k la preuve litlérale
cette vérité de raison et d'expérience, que le témoignage
direct doit toujours être préféré au témoignage indireel*
Ce n'est Ik qu'une application du principe plus général^
sur lequel insistent avec raison les jurisconsultes anglais ,
qu'il faut toujours avoir recours an mrilleur mode de preuve
dont une aflbire est susceptible* (Voy. tom. I, p. 308,
not. 1.)
« Les copies », dit l'article 1334, « lorsque le titre
a original subsiste , ne font foi que de ce qui est oontam
« au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
Dès que la partie k qui l'expédition , même la plus régu-
lière, est opposée, demande, afin que la conformité soit
vérifiée, l'apport de l'original, les juges ne peuvent se
diq[^nser de l'ordonner; la crainte de retarder la marche
de la justice ne saurait autoriser le refus de vérification :
Semper oportet ostentR originale, dit Dumoulin {Coût. dePam^
tit. VI, § 8, n"" 32) : c'est ce qu'a jugé un arrêt de cassation
du 15 juillet 1829. Mais l'acte est également perd«, par
cela seul que le titre original ne se retrouve pas au lien oè
il a dû être déposé. Celui qui produit l'expédition n'est pa»
tenu de rapporter la preuve de l'événement qui a causé ht
perte de l'original. (Rej., 10 novembre 1830.)
G0PIS8. 371
784. Les extraits des registres de l'état civil ont plus
d'autorité. La foi qui leur est attribuée, lorsqu'ils sont
déUvréi conformée aux regUire» (C. civ., art. 45), s'entend
généralement en ce sens , non qu'il faille justifier de leur
conformité avec les registres, ce qui obligerait au déplace-
ment perpétuel de ces précieux documents, mais en ce sens
que, lorsqu'on déclare qu'ils sont déUuréê conformei, suivant
la formule usitée , la conformité doit se présumer. La partie
adverse peut prétendre que cette conformité n'existe pas ;
mais c'est k elle k en faire la preuve en représentant un
nouvel extrait : ce qui donnera lieu k ordonner l'apport des
registres, s'il y a désaccord entre les divers extraits pré-
sentés. (Bourges, 17 février 1845.) L'opinion contraire,
professée par certains auteurs, aurait des inconvénients
sensibles dans la pratique, où les actes de Tétat civil sont
d'une explication si usuelle.
795. Il importe aussi d'observer que la distinction de
l'original et de la copie n'est pas applicable aux exploits
d'huissier. La copie d'un pareil acte tient lien d'original k
celui qui la reçoit , et, toutes les formalités requises pour la
validité intrinsèque de l'exploit devant être accomplies sur
la copie , k peine de nullité , il serait frustratoire d'exiger la
représentation de l'original.
796. Le législateur applique ensuite aux copies cet autre
principe , que la preuve s'affaiblit k mesure qu'elle s'éloigne
de sa source, n établit en conséquence , quant k la foi des
copies, au cas de perte de l'originaK une progresûon dé-
croissante, dont le premier terme est la grosse ou la pre-
mière expédition , qui est k peu près contemporaine de la
minute, et le dernier terme la simple copie de copie. Il est
k remarquer que les copies du premier degré ont une force
qui n'appartient point au témoignage par oui-dire, ce Le
«déposant», dit Bentham (liv. IV, chap. ix), peut avoir
24.
372 COPIES.
a saisi k la volée le discours qui frappait son oreille , il peat
« s'être mépris sur le sens. Le copiste a toujours un original
« sous les yeui , il peut y revenir pour s'assurer de son
« exactitude. »
797. « Les grosses, ou premières expéditions », dit
l'article 1335, « font la même foi que l'original. »
Nous savons déjà que la grosse est la première expédition
délivrée en forme exécutoire -, mais les premières expéditions
où cette formule ne se trouve pas, lorsqu'il s'agit d'un acte
qui n'est pas destiné à être exécuté , comme celui qui con-
state reconnaissance d'une servitude au profit d'un voisin ,
sont mises par la loi sur la même ligne que les grosses, et
ont eOectivement la même force probante ^ (Rej., 17 mes-
sidor an X.) L'importance de ces copies, qui doivent servir
de titres aux contractants , et le peu de temps qui sépare
habituellement la confection de la minute de la délivrance
de la grosse, garantissent suffisamment l'exactitude de la
reproduction du titre original. In effectu et vhrtiUe probandi,
dit Dumoulin (ibid,, n* 42), est verum originale. L'officier
public ne peut délivrer qu'une seule grosse k chacune des
parties (Loi du 25 ventôse an XI, art. 26), k peine de
destitution. Le motif de cette prescription, qui est fort
ancienne, se comprend facilement. La délivrance d*une
seconde grosse au créancier, sans l'intervention du débiteur,
pourrait lui permettre de faire revivre une créance éteinte.
Cela a été établi par l'article 178 de l'ordonnance de 1559 :
« Propter praejudicium », dit fort bien Dumoulin {ibid.,
§ 46) , « quod posset fieri alteri parti : quae forte satisfecit ,
« prout apparere posset per cancellationem vel apocham
« scriptam in dorso prioris instrument!. » Quant aux expé-
I Le nom de groue n'était connu avtrefois que dans les pays coutamiers ;
on se servait dans les pays de droit écrit des termes àepremière expédition.
(Merlin, Répert.^ t* Geossb, $ 1.)
COPIES. 373
ditions non exécutoires, il est permis sans doute d'en
délivrer plusieurs, mais la première seule fait pleine foi,
en cas de perte de Poriginal.
798. a II en est de même », ajoute l'article 1335 — 1*,
« des copies qui ont été tirées par l'autorité du magistrat,
« parties présentes ou dûment appelées, ou de celles qui
ce ont été tirées en présence des parties et de leur consente-
« ment réciproque. »
Dumoulin, dont la doctrine sur les copies a été repro-
duite par Pothier, dit qu'il faut restreindre aux parties et k
leurs successeurs la foi de l'expédition ainsi tirée de leur
consentement, ou elles dûment appelées, et qu'il en est
autrement k l'égard des tiers. <i Hanc conclusionem limito »,
dit-il (ibid.j n"" 37), « ut procédât contra eum, cum quo vel
« quo Yocato solemniter facta est exemplatio, contra quem
tt plene probat, sicut originale, et rétro trahitur ad datam
« originalis. Secus contra alium, quia non faceret fidem. »
Quels sont les tiers dont il s'agit? S'il s'agit d'un coobligé,
d'une caution, d'un codébiteur solidaire, etc., il est clair
qu'on ne saurait le forcer k reconnaître pour conforme k
l'original une copie dont il n'aurait pas été appelé k con-
trôler la confection. En cela, la doctrine de Dumoulin est
d'une justesse incontestable. Sous ce rapport, les copies
dont nous parlons ont moins de force que les grosses ou
premières expéditions, que le créancier peut employer
contre tous les coobligés , bien qu'il les ait tirées sans se
faire donner aucune autorisation. Mais il est plus difficile
d'admettre avec ce jurisconsulte qu'il soit impossible d'in-
voquer contre les tiers les copies dont nous nous occupons,
non pour les obliger personnellement, mais pour les forcer
k reconnaître l'existence de l'acte reproduit dans la copie ,
s'il s'agit, par exemple, de leur opposer la prescription de
dix ou vingt ans. Suivant Dumoulin, la prescription ne
374 COPIES.
eourrait que de la dale de rexpédition, et non de la jiate
du titre original. Et eependaDt la date de cet original n'est-
elle pas un fait dont le notaire a pu se convaincre proprns
iensibuB ukus et auditu», comme le dit ce même auteur? Ainsi
que le fait très-bien observer MerWu (fiue^ont de droit ^
Y* Triage, § 1 ), il y avait une raison de douter plus plau-
sible du temps de Dumoulin, parce qu'avant Tédit de
mai 1597, les notaires n'étaient point chargés de garder
les minutes des actes qu'ils avaient reçus (n* 462), et que
dès lors ils ne pouvaient, en délivrant la copie, attester la
sincérité de l'original. Mais depuis que les mêmes officiers
délivrent les actes et en gardent minute, ils ont qualité
pour certifler la sincérité de l'original dont ils sont déposi-
taires. N'est-ce pas dès lors un scrupule exagéré que de ne
pas admettre la date de l'original, lorsque la copie qui la
relate offre toutes les garanties désirables? Les parties qn*on
doit appeler a cette opération sont donc les cointéressés
dont les droits sont indirectement en jeu , mais non les tiers
inconnus , sur les intérêts desquels l'acte ne réagit que par
contre-coup.
789. '(Les copies (iind., 2*) qui, sans l'autorité du
« magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis
« la délivrance des grosses ou premières expéditions, auront
« été tirées sur la minute de l'acte par le notaire qui Ta
« reçu , ou par un des successeurs , ou par officiers publies
« qui en cette qualité sont dépositaires des minutes, peuvent,
« au cas de perte de l'original , faire foi quand elles sont
« anciennes.
(c Elles sont considérées comme anciennes quand elles
« ont plus de trente ans. Quand elles ont moins de trente
« ans, elles ne peuvent servir que de commencement de
preuve par écrit. »
Deux circonstances empêchent ces copies de pouvoir
COPIES. 375
oMîiuiîrenieflt faire foi complète. Elles ne sonl pas tirées k
mie époque rapprodiée du contrai, et elles ne sMt pas
délivrées du consentement de la partie adverse ou par
autorité de justice. Aussi Teiaclitude en est-eUe moins
assurée, et la collusion y est^Ue pins k craindre. Toutefois
ce dernier danger était le plm grave, car la chance d'erreur
est pen considérable an fond, lorsipe la copie est colla-
tioonée sur la minute par un officier daas les fonctions
duquel rentre spécialement la dâivrance de pareilles
^pédi tiens. Noos ne ponrons dcmc admettre le motif donné
par Dumoulin (ibid., n* 64) et souvent répété : « Tempore
« exemplationis non fit instrnmentam originale , née geritar
« actus în eo eontentus , nec possunt tabeifiones esse rogati
« de veritate ftictî in eo contenti , nec ilKos habere notitiam
« propriis sensibns, et hoc est impottsyWile, quum aetas
« transierit , et sic non est possftile exemplum esse instru-
« mentum authenticum de veritate iacti vd actus in origi-
« nati eoDtentî. » Cela pouvait être vrai , coMne nous
venons de le voir, du temps de Dumoulm , lorsque l'ofBcier
qui délivrait l'expédition n'était pas le même que le
rédacteur de Tonginal. Mais aujourd'hui il est difleile de
soutenir que le notaire k la fois rédacteur et expéditeur
n'ait point qualité pour certifier la conformité de sa copie
atec l'original. L'ofBcier qui opère la collation atteste des
fidts dont il a connaissance proftm êenMus , et sur lesquels
sa profession lui donne des lumières spéciales. Le véritable
iBNHif se trouve dans la possibilité d'une eollusio», quand
f autre partie n'a pas été appelée , et c'est pour cela que ,
rasrcienneté rendant cet accord frauduleux peu vraisem-
blable , les copies , au bout de trente ans , font foi complète ,
quand elles ont été délivrées par le dépositaire légal de la
minute. Si, au contraire » c'était la présomption d'inexac-
titude qui dominait, il serait déraisonnable de transfonner
376 COPIES.
au bout de trente ans Terreur en yérité. « Non potest anti-
« quitas )i, dit Dumoulin lui-même (ibid., n"" 76), d de novo
« inducere in totum probationem quse nulla est, sed eam
« demum, quae aliqua est, adjuvare. »
Quant Tacte a moins de trente ans * , le législateur le con-
sidère comme un commencement de preuve par écrit ^ car,
si la fraude est possible , elle est loin d'être certaine , et la
preuve testimoniale peut permettre d'arriver à la vérité.
C'est là une des exceptions apportées, dans cette matière,
au principe que le commencement de preuve doit émaner
de la partie adverse. La présomption de Veiactitude d'une
copie délivrée par un officier public, bien qu'en l'absence
de la partie adverse, égale bien la force des indices que
peut présenter une simple note émanée de cette partie. Au
surplus, les présomptions seront admissibles, par cela seul
que la preuve par témoins est recevable, et ce sera à ces
présomptions qu'on aura recours pour la preuve» lorsque
l'acte » bien qu'ayant moins de trente ans , sera assez ancien
pour que l'enquête ne puisse présenter aucune utilité
sérieuse.
800. « Lorsque les copies {ibid., 3*) tirées sur la minute
« d'un acte ne l'auront pas été par le notaire qui l'a reçu,
« ou par l'un de ses successeurs, ou par officiers publics
« qui, en cette qualité, sont dépositaires des minutes, elles
« ne pourront servir, quelle que soit leur ancienneté, que
« de commencement de preuve par écrit. »
On conçoit qu'un officier public qui n'est pas dépositaire
légal de la minute, n'ait point qualité pour délivrer une copie
qui puisse faire foi, au cas de perte de l'original^ et en effet,
lorsqu'il collationne l'expédition, il peut fort bien attester
la conformité qui existe entre les deux écrits, mais rien ne
* n n^est pas nécessaire que la copie soit datée ; la date peut en être
établie par les circonstances de la cause. (Rej., lO novembre 1830.)
BB»^~"- T-
COPIES. 377
lui assure que la prétendue minute qu'on lui présente est un
véritable original, et sans aucun dol de sa part, il peut Taci-
lément devenir Tinstrument d'une fraude \ On a donc décidé
avec sagesse qu'un document de cette nature ne peut jamais
servir tout au plus que de commencement de preuve par
écrit, tt Non audeo simpliciter dicere », dit Dumoulin (Urid.,
n* 7S), n quod nullam praesumptionem , nullum indicium
a faciat. »
Cette décision recevait de fréquentes applications au
seizième siècle, alors que la conservation des actes n'était
pas garantie , comme aujourd'hui , par la défense imposée
aux notaires de se dessaisir des minutes sous aucun prétexte.
(Loi. de vent., art. 2S.) A cette époque, les actes les plus
importants étaient souvent délivrés en brevet, et les par-
ties s'adressaient ensuite k un notaire quelconque, pour s'en
faire délivrer une expédition. Aujourd'hui que les minutes
demeurent chez le notaire, il n'arrivera que dans des cas
exceptionnels, par suite de la violation de la loi ou de quelque
accident , qu'une expédition soit délivrée par autre que par
le notaire dépositaire de la minute ou par son successeur -,
puisque dans le cas où le greffier se trouve momentanément
investi du pouvoir de délivrer copie d'actes déposés au
greffe, il en est le dépositaire légal, et que ses expéditions
ont alors autant d'autorité que celles d'un notaire. (C. de
proc., art. 245.)
801. Enfin, « les copies de copies {ibid., 4*) pourront,
« suivant les circonstances, être considérées comme de
a simples renseignements. »
Dumoulin {ibid., n* 33) compare les copies de copies au
témoignage du second degré : « Exemplum exempli nullo
* Ce n'est là, suivant les expressions des praticiens, qa'an simple vUilmus,
auquel certains auteurs, cités par Delapoix de Fréminyille dans son Livre
universel des terriers^ tom. III, refusaient absolument toute autorité.
378 copflu.
€ modo protal , ncnt lee lestiniODiiiiii de andittoi aa^tos,
« Tel de auditu riieno. » Aojoard'kui que ravdkiaii des
témoins n'eit plus soomise k des règles préewiçHes , bovs
aT<ms TU que le lëmoignage du second , 4m troMème de^
gré, etc., doit être accoeîUî avec défiance, mais ne peot
être repoussé de piano. La foi des écrits étant, an contraire,
soumise k des règles fixes, 1m Code, toujours fidèle k la
doctrine de Dumoulin, ne voit pas même un commeAceaent
de preuve dans la copie de copie, que nous supposons cepen-
dant toujours tirée par un officier public. Il serait plus exact
de dire avec Pothier (ObUg^ nf 776), qu'une pareille copie
anra tout au pins la foi de la copie sur laquelle elle est tirée,
et qu'elle pourra en avoir moins suivant les circonstances.
L'ancienne jurisprudence, du reste, était loin d'être rigoa-
reuse pour les copies de c^ies , pwsqwe Vmê die ma arrêt
du parlement de Paris, du S2 juiDet 1763, qvî maintint la
princesse de Nassau dans les droits que lui concédait une
charte du 24 juin 1339, bien que l'existence de cette charte
ne fût constatée qne par une troisième copie collatîonnée,
le 11 février 1746, sur «ne seconde copie, eoHationnée
dto^nême, le 6 avril 1486, sur une copie première, eoUa-
tionnée sor l'original, le 12 décembre 1429.
Peu importe même, ajoute Dumoulin, que l'expédition
dont on tire une nouvelle copie offre toutes les garanties
désirables : <c Etiam si esset sumptum de exemplo solem-
« nissime exemplato cum vero , et pnblico , et indubîlato
« originali, et jndice authore, etiam partibus praesentibus
« et expresse consentientibus. )» Il y a de l'exagération dans
cette règle absolue. Si la copie de copie a été tirée par l'of-
fider dépositaire de la minute, k une époque voisme de la
confection de cette minute, perdue depuis par accident, sur
une grosse dont la foi se confond avec celle de la minute,
on eût pu autoriser le juge k voir, suivant les circonstances,
cotpiBs. 379
dans celte copie du second degré un commencement de
prenve par écrit. Ce que du moins l'on pent diffictlement
nier aujomd'hui , c'est qne le consentement des parties ne
puisse élcTcr k un degré supérieur d'autorité la copie de
copie. La Cour de cassation a décidé ayec raison (Bej.,
il décembre 1838) qne des copies de copies peuvent faire
foi lorsqu'elles uni été reçoes dans le procès sans contra-
diction. Pourquoi n'en serait-41 pas de même de celles qui
siHit tifées du consentement réciproque des parties?
Xais que veut dire la loi , lorsqu'elle dit que ces copies
pourront servir de rimpUs renndgnemenu? Les actes les plus
informes ne seraient-ils pas des renseignements, ea ce sens
que le juge pourrait les consulter, afin de se mettre sur la
trace de preuves plus sérieuses? Le principal effet que Dv*
moulin (ifrûi., u* 35) attribue aux copies de copies, c'est de
permettre k cehii qui les invoque de faire les fruits siens :
avantage qni ne saurait résulter d'un document informe,
comme une copie qui serait l'œuvre d'un simple particulier.
Rien n'empêche d'admettre aujourd'hui celte solution. On
a proposé également d'antoriser le juge à se baser sur des
renseignements de cette nature pour déférer le serment
supplétoire. Il n'est pas sans exemple, après tout, qu'un
écrit permette de déférer le serment sans autoriser pour
cela l'administration de la preuve testimoniale, puisque
nous avons reconnu (n* 780) que tel est le système de la
loi quant k la foi des marchands vis-h-vis des particuliers.
Cette faculté d'accorder ainsi une certaine valeur judiciaire
aux copies de copies tempérerait ce qu'a de trop absolu la
proposition générale du législateur.
Il ne faut pas crafondre, du reste, avec les copies de
copies les expéditions prises sur les copies figurées, que
le notaire est autorisé à tirer, lorsque la minute se trouve
r^raue au greffe par suite d'une procédure. (Loi de vent.
380 COPIES.
art. 22-, C. de proc, art. 203.) Ces copies figurées sont
placées au rang des minutes, et dès lors les expéditions qui
en sont délivrées sont des copies du premier degré/
802. Toutes les copies dont nous ayons parlé , sauf les
grosses ou premières expéditions, dont la délivrance se
rattache au ministère du notaire dans la rédaction de h
minute , doivent être tirées par deux notaires , ou par un
notaire assisté de deux témoins. Autrement, il faut dire
avec Dumoulin et Pothier (Oblig., n* 775) qu'elles sont coai-
plétement informes : « Persona publica , agens contra offi-
« cium personse publicse , non est digna spectari ut persona
« publica. »
803. Le Code de procédure (art. 839 et suiv.) a déter-
miné la marche qu'il faut suivre pour obtenir l'expédition
d'un acte, lorsqu'elle est refusée par l'ofBcier dépositaire de
la minute. Cette procédure, connue sous le nom de eam-
puUoire» n'offre dans ses détails aucune particularité intéres-
sante , sur laquelle nous devions nous arrêter.
804. Indépendamment des expéditions que peuvent déli-
vrer les notaires ou greffiers des actes dont ils sont déposi*
taires , ces actes sont souvent transcrits au bureau du con-
servateur des hypothèques ': opération déjà fort usitée avant
que la législation de 1855 l'eût rendue de nouveau néces-
saire pour la translation de certains droits & l'égard des tiers.
Le conservateur des hypothèques ne fait en réalité qu'une
copie de copie, puisqu'onnelui représente pas la minute, mais
une expédition, et si Ton s'en tenait k la rigueur des principes
posés, la transcription ne pourrait servir qne de simple ren-
seignement. Mais cette reproduction, qui est faite ordinai-
rement sur la grosse, k une époque très-rapprochée de la
confection de l'acte , par un officier chargé spécialement de
cette fonction, a paru pouvoir mériter plus de confiance que
les autres copies de copies. La loi permet d'y voir un com-
COPIES. 381
mencement de preuve par écrit (art. 1336), k condition :
a 1* Qu'il soit constant que toutes les minutes du notaire,
a de l'année dans laquelle Tacte parait avoir été fait , soient
« perdues, ou que Ton prouve que la perte de la minute de
« cet acte a été faite par un accident particulier-,
« 2* Qu'il existe un répertoire en règle du notaire, qui
n constate que l'acte a été fait k la même date. »
Ces deux conditions, en l'absence desquelles on peut
douter qu'il ait jamais existé un original , étaient déjà exi-
gées par Pothier, quant k la Toi que pouvait mériter de son
temps le registre des insinuations. Le Code civil ajoute une
troisième précaution , qui n'est pas moins raisonnable.
« Lorsqu'au moyen du concours de ces deux circon-
« stances, la preuve par témoins sera admise , il sera néces-
« saîre que ceux qui ont été témoins de l'acte , s'ils existent
« encore, soient entendus. »
805. Ce qui est dit de la transcription peut-il s'appliquer
k l'enregistrement, lorsque toutes les circonstances que nous
Tenons d'indiquer se trouvent réunies? Plusieurs auteurs
le pensent, en se fondant sur ce qu'en fait l'existence de
récrit est assez vraisemblable pour qu'on puisse décider
qu'O y a un commencement de preuve. Un arrêt de rejet du
16 février 1837 s'est prononcé en ce sens, mais dans une
espèce très-favorable : il s'agissait d'une simple procuration,
et l'enregistrement relatait la date, les noms des parties et
l'objet du mandat. On doit l'avouer, il est peu vraisemblable
en soi , lorsque le répertoire du notaire s'accorde avec les
registres de l'administration , qu'une double fraude ait été
pratiquée. Il serait donc peut-être k désirer que telle fût la
décision de la loi. Mais il ne faut pas perdre de vue le prin-
dpe que le commencement de preuve doit émaner de celui
contre qui la demande est formée. La loi fait exception k
ce principe en ce qui concerne la transcription -, mais il n'y
382 GOPiBs.
a pas même raison pour l'enregistrement, beaucrap mmas
sûr, puisqu'il ne présente qu'un extrait de l'acte» an lieu
d'en reproduire littéralement la teneur. Il nous semble dès
lors qu'on ne peut Yoir un commencement de preuYe dans
l'enregistrement sans contrevenir aux règles sévères, mais
positives, qui restreignent chez nous l'admission de la preuve
testimoniale et des présomptions.
806. Suivant un arrêt de la Cour de Bordeaux du 9 mai
1848, il ne faudrait pas être aussi sévère pour les ex|rfoits
d'huissier, dont l'original peut facilement s'adirer, et, en
restreignant aux actes notauriés l'application de l'article 1336,
on pourrait justifier de l'existence de l'exploit par l'extrait
des registres de l'enregistrement combiné avec le répertoire
de l'huissier. Mais cette opinion, qui n'a pas été suivie par
la Cour de cassation (Rej., l*' août 1810) , ne nous parait
reposer sur une aucune base solide. Il est tout à £adt arbi-
traire de tuppléer la teneur de l'exploit, ainsi qu'on a été réduit
k le faire dans l'espèce jugée par la Cour de Bordeaux, la
simple mention ne pouvant équivaloir au texte, si important
dans les actes d'huissier.
TROISIÈME PARTIE
PRÉSOMPTIONS.
SomuiBK. — 807. Distioction des ppeoveft proprement dites et des présomptions. --
S08. Inductions qui se confondent avec Fèvidence. — 809. Comparaison des présomptions
et da tèmoJgBige direct. — sio. Présomptions léssies. — M 4. Division. — «43. Poiitf
de procédure spéciale pour les présomptions.
IH>7. Noos a¥OBS éfuîsë ee qui eoncerae les prooMt
propraBOieiit dites, c'eat-Mire celles qui reposent sur le
téiiioigaage de rbaiQrae. Nous arriToas aux présomptioDSy
c^esl4i-dire aux preuves qui se foadeal simptoEuent isur le
rapport qui peut exister entre certains faits constatés dans
rinstraetion, et d'autres Mts qu'il s'agit d'établir : preuves
q«e Bentham appelle cirecmmncidleê. Ici l'inteUigeaee du
juge est seule en jeu; c'est elle qui, sans le secours d'aueun
téai^nage, Ure la cêntéqiuMCô eu fait connu au fait incmmu.
(C. eiv», arl. 4349.) L'induction est toujours au fond le
procédé aasployé, nous l'avons reconnu (n* 29), dans les
preuves propr^uent dites, aussi bien que dans les présomp-
ti(Mi8. Mais nous avons remarqné que, le témoignage ayant
précisément pour but d'établir les faits litigieux , l'induction
qui conduit du témoignage k la vérité de ces faits est si
rapide qu'elle passe inaperçue. C'est le t^oignage lui-
même qu'il faut examiner avec soin, pour s'assurer qu'il n'a
rien de suspect; mais, une fois le tém(Hgaage admis, Topé-
ratÎM intellectaelle qui conduit 4u témoignage au iail est
en quelque sorle instantanée : aussi Pothier (Ob%o a* 840),
se plaçant au point de vue pratique^ eonsidère-t-il une
quittance on «ne dépositiott de témoins comme faisant foi
érectmma du payement. « Yotie procédé ialeUe^uel est si
1
384 PRÉ80MPTI01I8.
<c rapide », Ait M. Wills, dans son remarquable traité sur ce
sujet (Circumstantîal évidence, chap. ii, sect 1), « qu'il est
« souvent difficile et même impossible de saisir le lien qui
« rattache le jugement au raisonnement dont il est le ré-
« sultat^ ils semblent se succéder instantanément par une
« sorte de nécessité , comme le tonnerre suit l'éclair. » Il
n'en est pas de même dans les présomptions. Alors , non-
seulement l'existence du fait sur lequel repose rinducUon
doit être au préalable clairement établie , mais cette induc-
tion elle-même ne repose que sur une probabilité, dont la
force peut varier k Finfini. Le lien qui rattache le fiiit connu
au foit inconnu est purement conjectural. Il importe de
vérifier avec soin la justesse y souvent plus solide qu'appa*
rente, du raisonnement qui conduit de l'un k l'autre. (N* 16
et S9.) Aussi la preuve qui se fonde sur des présomptions
a*t-elle été souvent nommée artifideUe, non qu'elle soit pu-
rement arbitraire , mais ^parce qu'elle est toujours plus ou
moins l'œuvre de la raison de l'homme.
808. Nous ne considérons pas toutefois comme présomp-
tions les inductions qui sont fondées sur des lois constantes
de la nature. Ainsi , une femme qui serait devenue enceinte
en l'absence de son mari, ne serait pas reçue k soutenir,
pour se défendre de Faccusation d'adultère, que sa grossesse
a été spontanée : les faits miraculeui ne sauraient être admis
dans la pratique judiciaire. Des inductions aussi concluantes
ont plus de force que le témoignage même, et se confondent
dans Fusage avec l'évidence immédiate. La présomption
suppose qu'il y a doute , que la relation de certains effets k
certaines causes n'est pas certaine , mais plus ou moins
probable. C'est ainsi que Quintillien distingue (InuU. ont.,
liv. V, ch. ix) ce qu'il appelle rigtia en deux classes : « Alia
« sunt quse necessaria sunt, quae Graeci vocant ttxf&i^pia, alia
« non necessaria , quae ai)(uîa. Priora illa sunt quae aliter ha-
PRÉSOMPTIONS. 383
a bere se non possnnt, quae mibi vix pertinere ad prsecepta
a artis yidenlur. Nam ubi est signum insolubile , ne ibi lis
« quidem est... Alia sunt signa non necessaria, quaB, etiamsi
c( ad toUendam dubitationem sola non snfficiunt , tamen
(t adjuncta caeteris plurimum valent. »
Les inductions de cette dernière espèce » désignées habi-
tuellement sous le nom A'indices, que leur donnait déjk Quin-
tilien, sont les seules dont nous ayons & nous occuper. Cette
distinction est importante en Angleterre, car, dans ce pays,
c'est k la magistrature, et non pas au jury ' , qu'il appartient
de statuer sur les présomptions qui se confondent avec
l'évidence. (Blaxland , Cod. ter. AngL, p. 500.)
809. Les présomptions méritent-elles plus de foi que les
témoignages directs? On peut être tenté de leur donner la
préférence, si on se préoccupe du danger de la corruption
des témoins, de l'altération des écrits : d'où l'axiome de la
jurisprudence anglaise , que les faits ne mentent pas (facu
connût lie). Mais, si le témoignage muet qu'on puise dans
les indices ne peut être suspect de mensonge comme le té-
moignage de l'homme, il peut cependant quelquefois être
l'œuvre du dol \ il n'est pas sans exemple qu'une perfide
combinaison ait préparé k l'avance certains signes, pour
faire croire k l'existence d'un délit supposé. Bien plus, lors
même que les indices sur lesquels se fonde la présomption
sont k l'abri de tout soupçon de fausseté , le rapport qui peut
exister entre ces indices et la réalité du fait litigieux est
souvent très-équivoque, tandis que, la sincérité du témoi-
gnage une fois établie, la vérité du fait attesté en ressort
avec évidence. Du reste, il est difficile de poser sur ce
point des règles générales , la foi des présomptions variant
* Au dTîl comme an criminel , puisque le jury existe en Augleterre dans
toutes les juridictions.
II. S5
386 PRÉSOMPTlOlfS.
a rinfini saivant les cireonstances , et leur réunion leur
donnant souvent une force dont elles seraient complétemeiit
dépourvues si elles étaient isolées.
810. La question de savoir jusque quel point tel élé-
ment connu rend vraisemblable Texistence de telle on telle
cause inconnue, subordonnée par sa nature aux lumières de
la raison, dépend en général oniquement de Tappréciation
du juge. Mais, dans les cas les plus importants, la loi , tod-
lant assurer la stabilité de certaines positions et couper
court k certaines controverses, a établi des présomptions
auxquelles le juge est obligé de se conformer. D y a donc
des présomptions légales, comme des preuves légales. Ce
n*est pas qu'il résulte des présomptions établies par la loi
une certitude complète des faits qae le juge est obligé d'en
conclure \ ainsi , la circonstance qu'un enfant est conçu pen-
dant le mariage n'est pas une preuve absolue de la pater-
nité du mari. Mais, dans le cours ordinaire des choses, la
vertu des femmes est la règle , le vice Texception ^ le marisf e
avec la mère de l'enfant rend donc la paternité assex
vraisemblable pour qu'on ait pu , dans un intérêt de sécu-
rité sociale , établir entre ces deux événements le rapport
de cause k effet, sauf le désaveu dans certains cas déter-
minés.
81 f. Avant de parler des présomptions auxquelles la Ich
attache une forco toute particulière, occupons-nous des
présomptions simples , c'est-k-dire de celles qui sont aban-
données aux lumières et k la prudence du magistrat.
812. U faut observer que nous n'aurons pas k développer
ici les règles d'une procédure spéciale. Les présompticms
n'exigent ni l'audition de témoins , ni la vérification d'écrits :
elles donnent simplement lieu d'ordinaire k une discussion
dans les requêtes ^ ou dans les plaidoiries. Néanmoins , la
* En fait, à part certaines procédures , telles que Pinscriptioii de taxa ,
PRÉSOMPTIONS. 387
recherche des indices est souvent l'objet soit d'une vérifica-
tion directe par le juge, soit d'une expertise, points dont
nous avons traité dans la première partie de cet ouvrage.
L'instruction préparatcnre, en matière criminelle, où les
indices jouent souvent un grand rôle, est une des formes
les plus usuelles de la vérification directe et de l'expertise.
oà les reqnétes d'tToné «oat «ae pliiddkie par éott, U y a rarement une
diBcnssion aériense dans ces actes , que l'on remplacerait ayantageosement
par des ùomhammê motlTëes.
«5.
LIVRE PREMIER
PRÉSOMPTIONS SIMPLES.
SoiHAnB. — SIS. Force des présomptions, soit ao civil, soit aa criaiMl.
813. Dans les législations qui abandonnent en tonte ma-
tière les preuves à l'appréciation du juge, c'est à lai à peser
la valeur des indices, comme celle des témoignages, et an-
cune règle ne vient restreindre a priori la force des pré*
somptions. C'est ce qui avait lieu k Rome : « Indicia ceria » ,
disait Dioctétien (L. 19, Cod., De rei vind. ) , « non minorem
« probationis quam instrumenta continent fidem. » Hais
dans notre droit , qui soumet à des preuves préconstituées
les conventions des parties, il fallait, k peine d'inconsé-
quence , exclure les présomptions Ik où on excluait la preuve
par témoins , afin de mettre alors les contractants dans la
nécessité de rédiger un écrit. De Ik le peu d'autorité des
présomptions en matière civile , où la plupart des procès
se rattachent k des conventions. Au criminel au con-
traire, où il s'agit presque toujours de simples fiûts,
elles ont une extrême importance, puisqu'elles peuvent sou-
vent motiver une condamnation capitale. Ici, comme pour
la preuve testimoniale , il faut s'attacher k la nature des
questions, et non pas au caractère de la juridiction sai-
sie : les présomptions seront admissibles au civil , lorsqu'il
ne s'agira pas de dispositions qui doivent être constatées par
écrit , l<»isqu'on demandera , par exemple , la réparation ci-
vile d'un délit; elles seront, au contraire, repoussées an
PRÉSOMPTIOIIS SIMPLES EN MATIÈBE GITILG. 389^
criminel, lorsqu'il s'agira d'établir préalablement l'exis-
tence d'une convention qui devait être constatée par écrit,
d'an dépôt, par exemple, dont on alléguerait la violation.
PREMIÈRE SECTION.
PRÉSOMPTIONS SIMPLES EN MATIÈBE CFVILE.
SOKMAiBE. — 844. Force des présomptions simples mal dédiiie dans l'ancien droit.—
848. Système da Gode. — 846. Admissibilité des présomptions en matière commerciale.
— 847. Qoels caractères doirent avoir les présomptions. — 847 Hs. Elles peuvent
être pnisées dans nne procédure criminelle.
814. L'admissibilité, en matière civile, des preuves cir-
constancielles n'était pas régie par des principes bien cer-
tains dans l'ancienne jurisprudence. Rien que l'esprit de
l'ordonnance de Moulins , qui voulait des preuves stables et
fixes 9 dût porter k exclure les présomptions dans tous les
cas où l'on excluait l'enquête , le texte de l'ordonnance ne
les repoussant pas, on s'en tenait aux règles posées par les
jurisconsultes romains , et par conséquent on laissait au juge
un pouvoir illimité pour se décider suivant les circonstances.
Danty (Âdd. sur le chap. vu de Roiceau, § 62 et suiv.) ad-
met bien la doctrine qui met l'autorité des présomptions sur
la même ligne que celle de la preuve testimoniale ^ ainsi , il
applique aux présomptions la règle testis wius, testis nulbu
(voy. n* 817) , k moins qu'il ne s'agisse d'une présomption
juris et de jure; mais il n'en conclut point que la même exclu-
sion doive s'appliquer en ce qui touche l'une et l'autre
preuve. Pothier s'exprime d'une manière extrêmement
vague : il mentionne certaines présomptions simples, comme
celle qu'établit, en faveur d'un huissier ou d'un procureur,
la possession des titres de la partie, qu'il prétend lui avoir
donné pouvoir d'agir en son nom. Puis il ajoute ( Oblig.,
n* 849) : « Les autres présomptions que nous appelons
l
380 PBÉsoBfrnom snPLBs
r ampU$ M ionMBt pis sedes et par énes-mémes une
« pflpieute; eHes serrent senlemenl )i eonfinn^ et 3t ciHnplé-
c ter la preuve qui résulte d'ailteurs. » Mais quelles étaient
les présomptions non établies par une loi, qui pouYaient
faire preuve? Quelles étaient, au contraire, celles qui
n'avaient qu'une forée subsidiaire? Il est évident que tout
cela dépendait de l'appréciation arbitraire du Juge. Aussi
voyons-nous quelquefois l'ancienne jurisprudence s'attacher
à des indices très-fidbles dans des cause&d'un grand intérêt.
Ce fut ainsi qu'un arrêt du parlement de Paris adjugea à la
ville d'Auxerre une maison que l'évéque avait commencé
k bâtir , et dont un très-petit nomlure de présomptions an-
nonçaient qu'il avait eu le dessein de faire un collège, bien
qu'il n'eAt ni fait ni même médité aucnn acte de dimation
on ée fondation. La Cour de cassation a décidé en eonsé-
qnenee, pw nu arrêt ée rejet du 2S mars 1810, que le Code*
civil a innové en disant dans l'article 1353 :
815. « Les présomptions qui ne sont pas établies par la
« loi sont abandonnées a la lumière et ^ la prudence du
f( magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions
<c graves , précises et concordante;» , et dans les cas seule*
K ment où la loi admet les preuves testimoniales, k moins
« qoe l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »
Ces dernières expressi<His : à mains que Pacte ne mi atta-
que pour came de fraude ou de dol, sont une véritable redon-
dance; car il n'est pas douteux que la preuve testimoniale
ne soit admissible pour établir la fraude on le dol , qui sont
de simples faits, dont on n'a jamais exigé qu^il fût repré-
senté une preuve écrite. Sans doute, comme Tout fait re-
marquer nos anciens auteurs (Merlin, Bépen., y Indices,
§ S) , il était nécessaire d'admettre la preuve ctrconstan-
cidle de la fraude , qui souvent ne peut être constatée di-
psetement , ni par écrit , ni même par témoins. Hais k plus
EN lUTlàRE CIVILE. 391
forte raison la preuve testimoniale est-elle admissible. Il
eût donc suffi de mettre, en général, l'admissibilité des
présomptions sur la même ligue que celle de l'enquête.*
(Yoy. les discours des orateurs du gouvernement et du Tri-
Ininat.) Nous disons en général, parce qu'il n'est pas sans
exemple de voir admettre la preuve testimoniale , sans que
les présomptions soient admissibles , ainsi qu'on le décide
au criminel (n* 599) pour la preuve contraire contre les
procès-verbaux \ au civil même , pour la preuve de la filia-
tion. (N- 2H *«. )
Hais une pareille dérogation au droit commun ne doit pas
être facilement supposée. (Voy. n* 192.) Dans les procès
civils, on peut établir par de simples présomptions toute
espèce de fraude k la loi, notamment le fait qu'un succès-
sible a reçu des sommes excédant la quotité disponible.
(Rej., 20 mars 1865.) On peut également avoir recours
aux présomptions là où il était moralement impossible de
se procurer une preuve écrite, et où, par conséquent, la
preuve testimoniale était admissible. G*est ainsi que la Cour
de cassation a reconnu, en principe, qu'il est permis de faire
tomber une adoption rémunératoire, en établissant, même
par de simples présomptions , la fausseté des causes qui ont
motivé l'adoption ^ mais qu'k cet égard , l'appréciation des
juges du fait est souveraine. (Rej., 14 juin 1869.)
Le système de notre Gode sur les présomptions n'est point
admis dans toutes les législations. La procédure autrichienne
(foy. M. Gennari, TeoriadelUprove, p. 63) n'admet point
les présomptions simples, Ik où la preuve testimoniale est
admissible ^ , fossent--elles fortifiées par le serment supplé»
toîre du demandeur. Sans aller aussi loin, la jurisprudence
de Maples (arrêt de k Gour suprême du 11 mars 18S1 , cité
* Cela ft*expli<iae, du reste, par la fadttté ayee laqaeUe la
avliîcbieiiae (a* 1S9) admet la prewe par témoiaa.
392 PRÉSOMPTIONft 8IMPLBS
dans la traduction sicilienne de ce traité) voulait qu'avant de
faire usage des indices , on discutât sur Tadmissibilité àe la
preuve par témoins. Aujourd'hui le Code italien (art. 13K4)
reproduit purement la disposition de notre Gode civiK
816. Les présomptions, étant sur la même ligne que
la preuve testimoniale, sont toujours admissibles, suivant
l'ancienne coutume (Merlin, ibid., n* 1), en matière
commerciale, où cette preuve est recevable par cela seul
que le tribunal croit devoir l'admettre. (C. de conun.,
art. 109.) D'où cette double conséquence, qu'on peut éta-
blir par de simples présomptions l'existence d'un engage-
ment commercial, quelle qu'en soit l'importance (Rej.,
31 mai 1836 et 26 septembre 1861)-, et que, suivant la
doctrine qui autorise en matière de commerce l'adminis-
tration de la preuve testimoniale contre et outre le contenu
aux actes (n* 145), on peut également se fonder sur des
présomptions pour prouver contre les énonciations conte-
nues dans un écrit commercial. (Rej., 28 mars 1821 et
10 avril 1860.)
817. Quels caractères doivent avoir les preuves circon-
stancielles pour faire foi en justice? Danty {loc. di, ) , appli-
quant aux présomptions les règles que l'on suit pour appré-
cier les dépositions des témoins , veut qu'elles soient graves
et précises -, puis il ajoute , par application de la règle tatù
unus, testis nullus, qu'une seule présomption ne sufiGt pas,
que plusieurs doivent concourir pour établir la réalité des
faits allégués. Le Code, qui veut qu'elles soient grave$, pré-
cises et concordantes , semble un écho de cette doctrine , qui a
été reproduite par Toullier; (Tom. X, n* 21.) Mais, si on
pouvait concevoir jadis qu'on exigeât ô priori une certaine
quantité et une certaine qualité d'indices ^ de même qu'on
exigeait tel nombre et telle nature de témoignages poar
opérer la conviction , aujourd'hui que l'administration de la
BN MATIÈRE CIVILE. 393
preuve testimoniale est affranchie de ces entraves , elles
doivent également disparaître en ce qui touche les preuves
circonstancielles. Un fait isolé peut donner lien à des induc-
tions d'une extrême gravité, et, il faut Tavouer, la plupart
des présomptions légales ne reposent effectivement que sur
un fait unique. Toutes les fois que la loi n'a point dit le
contraire, les anciens principes sur la preuve légale ont
perdu leur force , au civil aussi bien qu'au criminel (n"" 292),
et le législateur s'adresse , en principe , aux magistrats aussi
bien qu'aux jurés, dans l'instruction du 21 octobre 1791
sur la procédure criminelle , dont les termes sont reproduits
par notre Code d'instruction (art. 342) : « La loi ne de-
(c mande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils
« se sont convaincus ^ elle ne leur prescrit point de règles
(c desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la
<c plénitude et la suffisance d'une preuve... La loi ne leur
(( dit point : Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel
a ou tel nombre de témoins-, elle ne leur dit pas non plus :
(c Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute
tt preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal , de
« telles pièces, de tant de témoins ou de tant (t indices : elle
« ne leur fait que cette seule question : Âvez-vous une in-
« time conviction? »
En ce qui touche la gravité, la précision et la concor-
dance, ce sont, k la vérité, de précieuses qualités^ mats on
doit les rechercher également dans les dépositions des té-
moins, bien que la loi n'en parle pas, et on ne peut les
considérer ici que comme indiquées k la conscience du juge.
Aussi la Cour de cassation a-t-elle rejeté, le 27 avril 1830,
un pourvoi fondé sur ce singulier motif que les présomp-
tions dans l'espèce n'étaient pas graves, précises et concor-
dantes , comme s'il était possible de voir là une question de
droit. A plus forte raison a-t-elle refusé (Rej., 5 dé-
3d4 PRÉfiOMPTIOllB SIMPLES
cerabre i849) de voir an excès de pouwrir de la part d'im
juge de paix qui avait refusé d'admettre des {Nrésoiiq>tioiis
que Ton disait graves, précises et eoDCordantes. (Voy.
aussi Rej.) 14 juin 1869.)
Un système moins heureux encore , dont cette même
Cour a fait justice (Rej., 11 novembre 1806), consistait à
soutenir que , dans le cas prévu par un texte fameux de
Papinien (L. 26, D., De prod.)^ cité par Pothier et fort en
honneur dans l'ancienne jurisprudence, Tinduction n'était
admissible qu'autant que l'espèce présentait la réunioB des
diverses circonstances énumérées par la loi romaine. D est
par trop évident que la loi Prœula n'a chez nous qu'mie
autorité de doctrine , et que la prétendue violation de cette
loi ne saurait donner lieu k un pourvoi en cassation.
817 bis. On s'est demandé s'il est permis au juge civil
de puiser dans une procédure criminelle les éléments qui
déterminent sa conviction. La Cour de cassation a reconnu ,
le 2 mai 1864, que rien ne limite, k cet égard, les pou-
voirs du juge : ^ Attendu que l'article 1353 autorise les
« tribunaux k admettre les présomptions, pourvu qu'dles
c soient graves, précises et conc<Nrdantes , lorsque la preuve
« testimoniale est elle-même admissible^ qu'il abandone
(c l'appréciation de ces présomptions k la conscience , qu'elles
u peuvent résulter pour lui d'une procédure criminelle,
« et qu'aucune loi ne lui interdit d'y puiser k l'occasion
« d'une instance civile les éléments de sa conviction. » La
Ck)ur de Rouen (90 février 1867) a consacré cette faculté,
au cas même où la procédure qui renferme ces éléments de
conviction a été close par une ordonnance de non-lien. Des
faits insuffisants pour démontrer la culpabilité peuvent suf-
fire pour servir de base k une condanmation civile.
BH MÀTliRB CMlfllIBIilJS. 308
DEUXIÈME SECTION.
PRÉSOMPTlOlfS SIMPLES EN MATIÈRE CRIMINELLE.
SomAiBE. — sa. Imfortaiiee des indices dans le droit pénal. — SI9. DivisloD.
818. Au criminel, les présomptions, qa'on appelle plus
volontiers indices, ont une extrême importance. Les délits
étant souvent commis sans témoins , il devient nécessaire
de s'attacher aux preuves circonstancielles, quelque inré-
rieures qu'elles soient aux preuves directes.
819. Nous allons parler d'abord de l'admissibilité des
indices -, puis nous présenterons quelques observations sur
leur classification , et sur la manière dont il convient de les
discuter.
% 1. A»BIMIUI.ITB BBS IHBICBS.
SOMMAIBE. — 830. IfflporUDce des indices ^ Rome. — 824. Force des indices compi t e
pnr It toftim, dans notre tnden droit — 82S. Peine extnordinairo, et mise hors de
conr. — 828. Principe posé par le Code d'instruction. — 824. Nécessité d'nne discussion
emitndletoiro. — 825. Législation antridiienne sur les indices. — 826. Cas oà Ton admet
les témoins sans admettre les indices.
^ Qn a reeomin de tout temps que la preuve par
indiees présente de graves dangers. « Nec de suspicionibns
« debere aliquem damnari divus Trajanus rescripsit » , nous
dit Ulpien. (L. 5, D., De poen.) D'un autre côté, Gratien
pmmet de se servir « indiciis ad probationem indubitatis et
« luce darioribns ». (L. ult., Cod., De probat.) On sait, du
reste , que tes juriscmisultes romains n'avaient jamais cher-
ché k fixer la limite qui sépare le doute de la certitude. En
matière de présomptions, comme en matière de témoi-
gnages, ils n'avaient pas la prétention déraisonnable d'eur
chaîner la conscience du juge par des règles de droit,
oonune si la conviction légale reposait sur d'autres bases
396 PRÉSOMPTIONS SIMPLES
que la conviction morale ; ils ne voulaient que lui donner de
sages conseils. Nous voyons, par les écrits de Cicéron et de
Quintilien , que les indices jouaient un grand rôle dans les
accusations criminelles k Borne. Comme , dans le système des
accusations privées , on ne procédait pas k un interrogatoire
en forme de l'accusé, on n'avait d^autre ressource, après
l'audition des témoins , que la discussion des preuves cir-
constancielles , discussion qui , par sa nature même , prêtait
singulièrement aux effets de l'art oratoire.
881. Dans le système inquisitorial , qui tend ^ la re-
cherche directe de la vérité , l'examen des indices n'est pas
seulement un texte pour les plaidoiries, c'est un moyen
d'information qu'il faut combiner avec les dépositions des
témoins, et surtout avec l'interrogatoire de l'accusé. Pro-
voquer des explications orales pour éclairer les preuves cir-
constancielles, au lieu de les discuter purement et simplement
in abttracto, c'est Ik évidemment un progrès sensible en lé-
gislation. Malheureusement, un désir exagéré d'arriver k la
découverte de la vérité fit employer la voie la moins propre
a atteindre ce but, la contrainte physique. Toutes les fois
qu'il n'y avait pas confession de l'accusé, ou attestation de
deux témoins irréprochables, les indices, quelque graves
qu'ils fussent, ne pouvaient pas généralement (voy. n"" 828)
donner lieu à une condamnation capitale , mais seuleneat k
l'emploi de la torture : singulier scrupule, qui, pour ne pas
condamner trop facilement un coupable , courait risqne de
faire subir k un innocent un mode d'instruction qui était k
lui seul un véritable supplice! La question préparatoire était
une sorte d'épreuve légale, qui avait pour ^ffet, si elle était
favorable k l'accusé, de purger les indices. « Torturae tanta
(c vis est », dit Farinacius (Quest. 40, n* 1*0) « Qt in ea
« persistens negando vel non persistons fatendo , quidquid
« dixerit , puram veritatem dixisse pnesumatur. « « Lorsque
EN MATIÈRE CRIMINELLE. 397
c l'accusé » , dit Polhier ( Traité de la proc. crim., sect. V ,
art. 2 , § 3) , « n'a point confessé k la question le crime
fc dont il est accusé , si le jugement qui a ordonné la ques-
<t tion ne fait pas réserve de preuves, toutes les preuves et
f€ les indices qui étaient au procès contre l'accusé sont pur-
tt gés par la question ; et , s*il n'en survient pas de nouvelles
(t entre la question et le jugement, il doit être absous. »
Cette faculté de réserver les indices est tout ce qu'on peut
concevoir de plus arbitraire. Aussi plusieurs auteurs vou-
laient-ils au moins que le manentibus indiens ne pût être pro-
noncé que par les Cours souveraines ' ; l'ordonnance de i670
(tit. X£K, art. â) n'en établit pas moins cette faculté pour
toutes les juridictions, contre l'avis du président Lamoi-
gnon. Lorsque cette réserve n'était pas faite, l'énergie mo-
rale de l'accusé, ou même la force de ses nerfs, avait la
vertu d'anéantir toutes les charges qui pouvaient peser pré-
cédemment sur lui. Si, au contraire, un aveu était extorqué
par la torture, cet aveu donnait une fausse sécurité au juge,
qui condanmait, sans s'imposer l'obligation de scruter la
valeur rédle des indices. Jamais il n'y a eu plus de con-
damnations injustes que sous l'empire d'une jurisprudence
qui défendait de prononcer la peine capitale sur de simples
indices. L'histoire si connue de la Pie voleuse n'est qu'un
exemide malheureusement trop réel de ces déplorables er-
reurs judiciaires '.
822. S'il ne peut plus être question aujourd'hui de sup-
pléer, k l'aide de la torture , k l'insuffisance des présomp-
* La question avec i^rve des prenTes était ane peine qui était consi-
dérée comme plus rigoureuse que celle des gitlères perpétuelles. (Ord.
de 1670, tit. XXV, art 13.) Cette réserre permettait d^i^pliquer les peines
antres que la peine de mort {Ibid., tit. XIX , art. 12.)
' On sait que le souvenir de ce triste événement fût consacré à Paris,
jusqu'à la révolution de 1789 , par une messe connue sous le nom de Messe
de la PU, à laquelle les magistrats assistaient en robes rouges.
398 PBÉSOMPTIONS SnUPLKS
tions qui militent contre raceusë , une autre erreur qui est
loin d'être entièrement déracinée , et que nous avons dé^
en occasion de combattre (n* 53), c'est celle qui consiste à
prononcer dans le doute, suivant l'expression bizarre de
Papon, quelque gradeuee condamnation. Ce moyen terme,
aussi contraire k la justice qu'k lalogique, bien que repoussé,
ainsi que nous l'avons vu, dès 1737 par le chancefier
d'Aguesseau, s'est longtemps maintenu dans la doctrine.
Mous le retrouvons encore dans Merlin : « S'il n'était qoes-
« tion », dit-il en parlant des délits contraires aux mœars
(Répert., V* IifDiCBS, n* lY), « que de prononcer une peine
(( légère, et plutôt correcti<mnelle qu'afflictive ou infamante,
c( on ne devrait pas être aussi rigoureux sur les preuves,
« parce que , quand l'accusé ne serait pas coupable du délit
<c qu'on lui impute , il serait toujours réprébensible d'avoir
tt donné lieu par sa conduite k des soupçons scandaleux. »
On trouve encore ce systèmie , ainsi que la mise hors de eaw ^
et le plus amplement informé, dans certaines législations
germaniques. Mais il n'y a rien de pareil dans notre droit
français moderne , qui ne reconnaît pas de miliea aitre la
culpabilité et l'innocence. Aussi l'article 737 du Gode cîvS
ne déclare-t-il indigne que celui qui a été condamné pour
avoir donné ou tenté de donner la mort au défont, tandis
qu'autrefois de simples soupçons suffisaient pour autoriser k
prononcer l'indignité. Ce fut ainsi que, dans l'alEiire de la
Belle tonnelière, le parlement de Paris déclara, le 3 juin 1766,
que l'indignité pouvait résulter d'un simple jugement de
plus amplement informé.
823. Toutes les restrictions relatives k la foi des indices
* nous avons vu (tom. I, p. S7, not. 1) que II mide hors de pneè»,
en Autriche, après a^oir ét6 rétabUe par les lettres patentes de Pemptreor,
en date du 81 décembre 1851 , a été ahoUe par la loi du ift noyenhie
1867.
ER MATIÈRE GRIMIffELLE. 399
en matière crimioelle ont disparu de notre législation depuis
l'abolition da système des preuves légales. Mous avons cité
(n* 817) l'instruction de 1791 , reproduite par l'article 342
du G>de d'instructi<Hi criminelle , qui applique spécialement
aux indices le principe moderne , commun à toutes les juri-
dictions, d'après lequel la conviction du juge est en général
dégagée de toute entrave : « La loi ne dit point aux jurés :
« Vous ne regarderez point comme suffisamment établie
« toi^ preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal,
« de telles pièces , de tant de témoins ou de tant dmékeê ;
« elle ne leur fait que cette seule question , qui renferme
« tonte la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime
« ccmviction P »
Dès lors, s'il n'y a plus lieu de reproduire les limitations
de l'ancienne jurisprudence relativement au nombre et k la
nature des indices, il ne &ut pas non plus déclarer, avec
certains jurisconsultes anglais (n* 809), que la preuve cir-
constancielle est préférable k tonte autre , parce qu'elle n'est
point susceptible de mensonge. M. Wills (cbap. ii, sect* 3)
fait remarquer avec beaucoup de raison que les faits sur
lesquels se base cette preuve, en les supposant concluants,
ce qui n'est pas toujours vrai dans la pratique , reposent sou-
vent eux-mêmes sur la foi du témoignage, et qu'il est
impossible dès lors de poser en thèse la supériorité de la
preuve par indices k la preuve par témoins.
884. Les règles tendant k déterminer à priori la valeur
des indices , comme les autres applications du système des
preuves légales, sont difficilement compatibles avec l'insti-
tution du jury. (Yoy. n** 52.) Il est vrai que le jury anglais
ou américain reçoit k cet égard des instructions du juge,
mais l'appréciation des preuves circonstancielles est aban-
donnée, en définitive, k son intelligence. (M. Greenleaf,
tom. I, p. 59.) On comprend davantage l'utilité de ces règles
400 PaÉSOMPflOllS SIMPLES
là où la juridiction criminelle est exercée par une magistra-
ture permanente , surtout Ik où la procédure est écrite et
secrète. « L'accusé et son défenseur », dit H. Mittermaier
(cbap. Lxi, not. dernière), « ne comparaissant point dans la
« procédure finale, ne peuvent ni contredire les indices ni
« prévoir quelles circonstances de détail relatées aux pièces
« feront sur l'esprit du juge définitif une impression pais-
« santé. Celui-ci d'ailleurs leur attribue une valeur qu'elles
(( n'ont réellement point dans la cause -, ou bien H se laisse
c( aller k compter machinalement les indices , au lieu d'exa-
ct miner le personnage de l'accusé, et de peser l'importance
(( réelle des circonstances. Ici encore, il feut donner la pyré-
a fèreuce au système du débat oral et public où tout indice
« k charge est relevé et articulé séparément par l'accusa-
« teur ; où l'accusé , k son tour, est mis en possession de
« tous les moyens de produire sa défense sur chaque point
(f de détail ^ pendant que le juge , de son côté » considère
ft attentivement sa personne, son attitude, qui lui four-
tt nissent d'utiles données, et prononce, en fin de cause,
(( une sentence qu'on peut dire le produit de ses impres-
« dons d'ensemble et de détail k la suite du débat tout
a entier. »
825. Le Code de procédure pénale autrichien de 1853,
reproduisant en grande partie les dispositions d'un décret
spécial du 6 juillet 1833, pose (§ 279) les principes sui-
vants :
« L'inculpé qui nie le fait peut être tenu ' pour légale-
* Remarquons qu'U est dit que Pacciué peut être , et non pas qn'û doive
être tenn pour légalement conyaincn. La doctrine des preuves Ugû»
n'existe plos en effet aiqonrdniui , dans les pays où eUe est admise, qn'ea
farenr de l'accusé. C'est en ce sens qu'elle avait été soutenue devant
l'Assemblée constituante, dans la séance du 4 ianvier 1701 par Robes-
pierre, qui proposait de poser en principe : 1« que l'accusé ne peut être
déclaré couTaincn, toutes les fois que les preuves déterminées par la loi
n'existent pas; 2« que l'accusé ne peut être condamné par les preuvei
EN MATlàaE CRIMINELLE. 401
« ment convaincu par le conconrs des indices, mais seu-
(( lement lorsque les trois conditions suivantes se trouvent
<( conjointement réunies :
« I. Il faut que le fait ainsi que les circonstances qui le
a constituent délit, soient pleinement prouvés ;
K IL II faut que les indices concourent contre l'inculpé
« dans le nombre déterminé par les § 138 k 140 -,
<c in. De la combinaison des indices, des circonstances
« et des rapports établis par l'instruction , il doit résulter
c( une conneiité si directe et si claire entre la personne de
c( rinculpé et le délit, que, suivant le cours ordinaire et
« naturel des choses , on ne puisse pas supposer qu'aucune
« autre personne que l'inculpé l'ait commis. »
La première de ces conditions, la constatation préalable
du délit, doit être raisonnablement exigée chez nous, toutes
les fois qu'elle est possible , c'est-à-dire quand il s'agit des
delictaJucU permanenàs (n* 109).
La troisième est de l'essence de la preuve par indices, qui
suppose toujours une conviction bien arrêtée.
Quant à la seconde, dont le développement se trouve dans
les dispositions du Gode d'Autriche qui énumèrent beaucoup
d'indices, et exigent en général (§ 283) que ces indices con-
courent au nombre de trois, il faut avouer qu'elle est pure-
ment arbitraire. Un seul indice peut être décisif-, trois ou
même quatre indices peuvent n'avoir aucune force. Le bon
sens veut que, comme les témoignages, ils soient pesés, et
non comptés. Du reste, la législation autrichienne est con*
séquente. Elle admet encore la maxime Te$tu umu, iesU$
nuUui (§ 269), et comme les présomptions n'ont pas tout k
Mi la même force que les témoignages directs , elle a cru
légales , si elles sont contraires à la conliaissance et à la oonTiction intime
des juges.
II. 86
i02 PRÉSOMPTIONS SIMPLES
devoir exiger trois pré$omptioik&, pour tenir liea de deux
témoiiis. Ce n'est Ui, aa surplus, que la reproduction de la
doctrine des anciens interprètes, qui exigeaient que les pré-
somptions fussent au nombre de trois, a moins qu'elles ne
fussent extrêmement fortes, cas auquel deux pouvaient
suffire. (Comparer Dumoulin , Cota, de Pari$, tit. des fiefs ,
§ 33, glos. n, n" 69, et le décret autrichien de 1833, § 6
et 7.) U est fâcheux de voir ces vieilles idées remises en
honneur au dix-neuvième siècle. (Yoy. aussi Ord. crim. de
Bade de 1845, art. 261.)
886. Le principe , vrai au criminel comme au civil , qui
admet le^ présomptions partout où les témoins sont admis-
sibles , nous a paru souffrir exception lorsqu'il s'agit d'ad-
ministrer la preuve contraire à certains procès-verbaux. On
ne peut alors , aux termes de rarlicle 154 du Code d'instruc-
tion, administrer que des preuves soit écrites, soit testimo-
niales. Dès lors , les indices ne seraient pas considérés dans
cette matière c(Mnme des moyens sérieux. (N"* 599.) Sans
doute, il est des cas où les indices k décharge, opposés à un
procès-verbal, peuvent être extrêmement graves. Ainsi,
supposons qu'un garde champêtre constate un délit ou une
contravention rurale , et que le coupable ait d& nécessaire*
ment laisser l'empreinte de ses pas sur la neige ; si la per-
sonne désignée dans le procès-verbal établit clairement que
les traces que Ton a trouvées ne correspondent nullement k
ses pieds ou k sa chaussure, ne serait-il pas souverainement
injuste de maintenir la foi du procès-verbal tant qu'il ne soit
attaqué par la voie coûteuse et compliquée de l'insGription
de faux ? Il y a qudque chose d'arbitraire k exclure ainsi eià
nasse les indices, au lieu de les analyser^ mais tel nous «
paru être l'esprit de la législation spéciale.
EN MATIÈRE CRIMINELLE. 403
8 2. GLASSIFlCATlOIf DBS UIDICBS.
SoxMiniE. — S27. ClassiflcatJon des interprètes, suivie par diverses lois. — S28. Indices
manifestes, prochains, éloignés. — 829. Indices antécédents, concomitants, subsé-
quent. — 836. Caroline et G«de autrichieii de 48Sa.
827. Les anciens criminalistes , et les lois qui ont été
rédigées d'après leurs théories, ont donné diverses classiâ*
cations des indices.
828. On les a divisés d'abord {InsL au droit crim. de
Muyart de Youglans, part. YI, cbap. y) en manifestes ou
urgents, prochains et éloignés.
Les premiers sont ceux qui ont un rapport nécessaire avec
le fait allégué. Dans la théorie des preuves légales, ils ne
pouvaient être combattus parla preuve contraire. On donnait
ordinairemeni pour exemple d'indice manifeste le cas où
deux témoins irréprochables déposaient avoir vu l'accusé,
ayant à la main une épée nue et sanglante, sortir de la
chambre où une personne avait été trouvée blessée d'un
coup d'épée. Toutefois cet indice est très-prochain , véhé-
ment, si Ton veut, mais non pas manifeste ^ car on pourrait
établir qu'il y a eu suicide, ou que l'accusé avait, au con-
traire, défendu la victime contre le meurtrier qui avait dis-
paru. Un meilleur exemple est celui que l'on tire du cha-
pitre XII du titre De premnptionibus aux Décvétales, où le
déHt ^'adultère est considéré comme clairement établi , si
l'accusé a été trouvé «o/iu cun doUk, nuàM cmu nuda^ m eodem
lecto. Dans notre législation , qui n'admet pas d'autres preuves
que le flagrant délit ou la corre^iHmdance \ ob o'a jamais
* Les cours ecclésîastiqaes d* Angleterre admettent , quant à la preuve
de l'adultère , deux pniicîpee^, dent Pur est très-rigonreux et Paotre très-
laige. D'une part, ellee exigent, comme nous Pafons tu (n« 292), deux
téneÎDS, lofs même que le fait est directement constaté. D'autre part,
elles admettent coHume suffisante la déclaration que les témoins sont
«DvaBicus de Taduttèfe frwn their impression and beHef. (M. Greenlea f ^
tom. II, p. 41.)
26.
404 PRÉSOMPTIONS SIMPLES
hésité k considérer ces circonstances comme équivalant au
flagrant délit ' ; car comment les expliquer P L'accusé aurait
mauvaise grâce k soutenir que, nouveau Robert d'Ar-
brissel % il ne s'exposait k la tentation que pour avoir le
mérite d'y résister-, ou bien prétendrait-on, avec certains
docteurs (Mascardus, De probat.^ concl. 57, n* S), que de
pareils faits, prouvant plutôt la tentative que la consomma-
tion du délit , suffiraient pour faire prononcer la séparation
de corps, mais non la peine de l'adultère?
Au surplus, en ce qui touche le flagrant délit exigé par
la loi, il ne faut pas croire, comme on l'imagine souvent,
que le flagrant délit lui-même doive ressortir d'un procès-
verbal dressé par un ofBcier public. Il suffit que le fait des
rapports intimes soit attesté par des témoins dignes de foi.
a Le flagrant délit », dit un arrêt de rejet du là avril 1866,
« peut être prouvé non-seulement par les procès-verbaux
(( qui le constatent au moment même , mais encore par tous
<c témoignages de nature k établir aux yeux du juge que le
« prévenu a été surpris m ipta turpUudine, sans que le juge
(( ait k rendre compte de ses moyens de conviction *, dans
(( l'espèce , la Cour impériale déclare que des témoins ont
a vu, dans cinq circonstances difiérentes, le prévenu en
' Que si les indices sont Tëhéments, sans aUer toutefois Jusqu'à la prenve
de la consommation de l'adultère, par exemple, s'il y a eu Yisite à une heure
indue, désordre dans les vêtements , etc., ces faits suffisent pour établir un
grave préjudice à Phonnenr du maii et pour motiver One action en dom-
mages et intérêts. (Agen, Il mars 1850.)
^ On nous a fait observer que la réalité de l'épreuve délicate à laqueUe
nous faisons allusion a été contestée par certains critiques ecclésiastiques,
n nous suffira de répondre que les lettres adressées à Robert d'Àrbrissd
par Geoffroi, prieur de Vendôme, et par Marbode, évêque de Rennes, sont
des documents contemporains , dont l'authenticité est reconnue , contraire-
ment aux assertions de Mainferme, par les auteurs de VHistoire littéraire
de la France (tom. X , p. 161) : d'où U est permis de conclure la probabi-
lité, pour ne rien dire de plus, de l'opinion qui attribue à Robert l'invention
de ce que Geoffroi appelle un nouveau genre de martyre : navum et inatt-
ditum martyrii genus*
EN MATIÈRE CRIMINELLE. 405
« flagrant délit de complîcilé d'adultère ; cette déclaration,
<( quels que soient les faits sur lesquels elle est fondée, est
« k Fabri de toute critique de la part de la Cour de cassa-
it tion. » Tout ce que veut la loi, c'est que le fait du flagrant
délit soit sérieusement constaté.
Les indices prochains sont ceux qui ont un trait direct
au délit, sans le supposer nécessairement. On en donne
pour exemples la saisie d'effets suspects, l'inimitié capitale
de l'accusé , l'achat d'instruments propres k commettre le
crime, etc.
Les indices éloignés sont ceux qui n'ont qu'un rapport
indirect avec le délit, tels que les mauvais antécédents de
l'accusé, ou sa fuite. On allait jusqu'à mettre au nombre
de ces indices (Muyart de Youglans, loc, cit.) la mauvaise
phynonomie de l* accusé, ou te vilain nom qu*il portait. Mais
c'étaient & , il faut en convenir, des indices très-éloignés.
Les indices devaient être manifestes pour que l'on pût
prononcer la peine capitale ^ ils devaient être prochains
pour donner lieu k la torture. Aujourd'hui la distinction
des diverses natures d'indices n'a plus le même intérêt.
Mais le juge doit les analyser avec soin et les peser, s'il
n'est plus tenu de les compter. Que si les indices sont mani-
festes, comme il n'est pas obligé de croire h un miracle
dans l'ordre physique ou dans l'ordre moral, on ne peut
l'accuser de légèreté , quand il se déclare immédiatement
convaincu.
Muyart de Youglans, voulant mettre les principes du droit
criminel en harmonie avec ceux du droit civil , fait des in-
dices manifestes une présomption absolue ] des indices pro-
chains, une présomption admettant la preuve contraire ; des
indices éloignés, une présomption simple. Mais ce rappro-
chement semble plus ingénieux que fondé. Les indices
manifestes n'emportent point toujours cette certitude
406 PRÉSOMPTiONS SIMPLES
absol^ie, qni équivaut k une présomption jum ei dejure^ Les
indices prochains n'équivalent pas k une présomption de4roil.
£niin , les indices élpîgnés sont nécessairement loin d'avoir
l^autorité que présentent , au civil , des présomptions graves,
précises et concordantes. On retrouve dans ce rapproche-
ment Tesprit de rigueur inflexible des derniers défenseurs
de notre vieux droit criminel, battu en brèche par les publîr
cistes du dix-huitième siècle»
S29. Une division assez commode dans la pratique, pour
établir en quelque sorte la chronologie de raccusalion, classe
les indices en antécédente, concomitaxUê et subêét/uatu. Les
actes préparatoires, les menaces , etc., sont des indices anié-
cédents. Les indices concomitants se puisent dans les cir-
constances qui accompagnent le délit, dans le fiait, par
exemple, qu'une arme appartenant k Taccusé aura été trou-
vée aujHrès de la victime. La fuite, les tentatives de suborna-
tion de témoins, etc., sont des indices subséquents. S'il est
utile de recberciàer séparément ces trois classes d'indices,
c'est une grave erreur que de vouloir, comme l'avait fait le
Gode criminel de Bavière de 1813 ' (art. 328, nM), que
ces trois sorles d^indices se trouvent réunies. C'est Ik exiger
unecondilion souvent impossible, et qu'on devait ètreoUigé
d'éluder dans la pratique bavaroise.
830. La fameuse ordonnance criminelle de Charles-
Quint, connue sous le nom de Caroline^ éBuméraat les prin-
cipaux indices qui pouvaient donner lieu k l'applîealîen de
la torture % les a classés en indices communs et en îodîces
propres , suivant qu'ils peuvent se rapporter k toute espèce
< Ce Code, œnTre dtt célèbre I^wrlndi, pèctae par «ne leniaaoa fnf
systématiqae ; il a été modifié par une lei du 29 août 1848.
' Mais la CaroVine, conformément à la doctrine des anciens crîmina-
Ustes (n« 821), ne permettait point de fMder la «ondanmatMO ééÉloitive
sur de simples indices. Suivant Tarticle 22 de cette ordonnance » il ne peut
être prononcé une condamnation ni décrété de peine, ^il n'y a contre
l'aocuié que des indices, des soupçnu, des préscmpiiêm, qmeis f«*ai
EN SAnÈRE ClUmiŒLLE. 407
de délit, ou bien qu'ils s<mt particuliers au ifoI, k rempoi-
soDuement, etc. (Muyart de Youglaus, loc. dt.) Les chambres
du conseil ou des mises eu accusation qui doifent prononcer
sur la gravité des indices, peuvent puiser d'utiles indications
dans ces règles , dont le Code autrichien du ^ juillet 1853,
^ui énumère avec soin les indices généraux et spéciaux
(1 138-140), peut être oaasidéré comme la dernière édition.
Ceux qui désirent de plus amples détails sur le classe-
ment des indices, consulteront avec fruix le livre Y des
Preuve» judiciaires de Bentham , consacré aux preuves eircon-
stancielles , où le sujet est traité surtout an point de vue du
droit criminel.
% |« MtCOtM#> MS BIAIGBS.
SOMMAiBE. — 8M. Précisifùi désirable (Uns l'acte d'accasatioa. — M%2. nétacber le Ait
principal des accessoires. — 833. Rattacher les indices entre eu. — 834. Modèles à
«onsaûer.
831. U importe de procéder avec méthode et précision
dans la discussion des indices -, autrement , lorsque l'affaire
est un peu compliquée, on court risque de s'égarer.
L'acte d'aoensation^ qui est la base de la prooédune au
grand criminel, doit aboutir k des conclusions bien nettes,
éDumérant chacune des charges qui pèsent sur Faceusé, et
les moyens k l'appui de ces cbarges. U doit faire itessortir
les inductions que l'on pent tirer du fait allégué, puis dé-
montrer comment ce fait lui-même est établi , tandis que
trop souvent on procède afu hasard, en insistant sar des
dreonstances insignifiantes , autant que sur celles éaai la
jusâfieatÎMi serait décisive. Bans Vitàkctment anglais^ ja
mHad le wm^bre et la Miwe. Ce M pour élodier Yapptififtm «de oet
«rticle que les juiiseonsultes allemanâs au dU-septiène siècle InaginèDaiit
d'appUqiier, en pareil cas, une peine extraordinaire. (Voy. n« 52.) Au
soridiis , PflBinrit 'de la Cantine se retroure •dans PerdoHBMoe badoise
de 1845, dont Particle 261 yeut « que les faits n'aient point simplement
les indices pour base de leur démonstration ; mais que des preuves immé-
diates séries, ou •ombiDées srec d'autres iadioes, lienneut, à lenr'éssid,
constituer la certitude juridique. »
408 PRÉSOMPTIONS SIMPLES
partie poursuivante est obligée de préciser en termes tech -
niques les faits incriminatirs qu'elle allègue. Mais on tombe
dans Texcès lorsqu'on introduit un style solennel, dontl'û»*
dictment ne peut s'écarter k peine de nullité. Il y en eut un
d'annulé le 10 août 18S4, aux assises de Hereford, pajree
qu'on s'y était servi des mots asmeg générales, au lieu de
ceux de grandes assises : ce qui rappelle trop le système des
actions de la loi , où un plaideur succombait en agissant de
vkibus sucdsisf parce qu'il avait nommé les vignes, an lieu
([arbres en général. (Gains, Comm.^ IV, § 11.) H y a an
moyen terme entre cetle exagération et le vague qui a été
quelquefois reproché avec quelque fondement aux actes
d'accusation français. Il importe de bien articuler les faits,
comme on le fait pour ceux dont' on demande k faire la
preuve dans une enquête civile. L'acte d'accusation devient
ainsi le cadre dans lequel doit se mouvoir le débat. On a
soin , k mesure qu'on interroge les témoins, de faire ressor-
tir les conséquences de telle ou telle déposition, en mettant
toujours en relief le rapport du fait attesté avec la culpabi-
lité qu'il s'agit d'établir.
838. En second lieu , il convient de détacher le fait prin-
cipal des faits accessoires, afin d'établir le premier séparé-
ment, sauf k fortifier ensuite la preuve qui en résulte, k
l'aide de la démonstration des autres. En s'abstenant de
suivre cette marche , on s'expose k conmiettre des pétitions
de principe. Ainsi, dans une affaire de complot, on cherche
souvent k établir le complot même k l'aide d'une foule de
circonstances de détail , qui isolément seraient insignifiantes.
Puis, lorsque l'accusé répond que ces circonstances n'ont
pas la portée qu'on leur attribue, on prétend établir la cri-
minalité des faits k l'aide du complot, qui pourtant n'a pas
été préalablement démontré , et qui dès lors ne repose lui-
même que sur la réunion de ces circonstances. Les Anglais
EN MATIÈRE CRIHINELLE. 409
appellent corutructive offentu les délits qui résultent ainsi
d'une réunion d'éléments qui, pris isolément , seraient in-
nocents. Un Anglais, accusé d'un délit de cette nature, disait
qu'il ne concevait pas comment avec dix mille morceaux d'un
cheval blanc on pouvait faire un cheval noir. Quand on veut
établir un de ces délits complexes, il faut justifier spéciale-
ment de Texistence du fait principal, autour duquel les faits
accessoires viennent se grouper^ autrement, les indices
légers , quelque multipliés qu'on les suppose , ne sauraient
faire corps, et le mot de l'Anglais deviendrait applicable.
833. Enfin, une troisième observation, qu'il ne faut pas
perdre de vue, c'est qu'aucun anneau ne doit pouvoir se
détacher de la chaîne qui , dans l'induction , rattache les
circonstances connues au fait générateur de la culpabilité.
Ainsi , la vente que Taccusé aurait faite de ses habits , loin
du lieu où le crime aurait été commis , ne saurait être une
circonstance inculpative qu'autant qu'elle aurait eu lieu peu
de temps après la perpétration du délit; faite longtemps
après, elle s'expliquerait beaucoup mieux par d'autres mo-
tifs que par la crainte d'être découvert. Il faut donc tou-
jours pouvoir établir qu'il existe une relation non équivoque
entre le fait que l'on prouve et la culpabilité qu'il s'agit de
démontrer; car, si un seul anneau vient k échapper, la
chaîne se brise.
834. Du reste , l'avocat qui veut s'exercer à la discussion
des indices ne doit pas se contenter d'étudier les règles
théoriques de la matière, dans les livres de droit et dans
les ouvrages de rhétorique; il doit consulter surtout les
chefs-d'o&uvre du barreau ancien et moderne. Le plaidoyer
de Cicéron pro Milone a toujours passé pour un modèle en
ce genre '.
■ Voy. sur la discnssion des indices une excellente note dn premier
duc de Broglie , insérée à la fin du 1» yolume des Preuves judiciaires de
Bentham , édition de Dumont.
LIVRE DEUXIEME
PRÉSOMPTIONS LÉGALES.
Sommaire. — 835. Elles tendent k se multiplier. — 886. Nécessité de noos restreindre
en matière ciyile.
838. Il n'est pas toujoiors possible à l'homme d'arriver à
la ooDnaissance parfiiUe de la vérité dans chaque eas parti-
culier, et cependant les nécessités sociales ne lui permettent
pas toujours de saspendre son jugeoneot et de s'abstenir. La
stabilité de l'état des personnes, celle des propriétés, enfin
le besoin de calme et de sécurité pour une foule d'intérêts
précieux, (AlîgenI le législateur k tenir pour vrais un grand
nombre de points qui ne sont pas démontrés, mais dofit
l'existence est établie par une induction plus ou moins
puissante. L'ordre politique, comme l'ordre soddi, ne re-
pose que sur des prés^Msptions légales. L'aptitude k exercer
certains droits , à remplir certaines fonctions , ne se recon-
nait qu'au moyen de certaines conditions déterminées à
priori, une vérification pédale pour chaque individu étant
évidemment impraticable. Plus les relations sociales se
compliquent, plus il devient nécessaire de multiplier ces
présomptions. Aussi y en a-i-il beaucoup plus dans notre
droit qu'il n'y en avait k Rome.
836. Entrer ici dans le détail des diverses présomptioBS,
serait s'imposer la nécessité de traiter ex profeno presque
toutes les matières juridiques; car il ai est peu où la loi ne
s'attache k certaines vérités , dont elle consacre Texistence
PlfSOKFTlOMS LÉGAUS. 411
en la faisant découler de certaines circonstances déterminées.
11 faudrait nous occuper derétatdesperscnoes, des incapacités,
de la prescription, etc. Ces développements, utiles en appa-
rence pour compléter notre cadre, s'écartent au fond du but
de cet ouvrage. Car les motifs qui ootdëCermiiië le légîslaieiir
à établir telle ou telle présomption, tiennent le plus souvent
au droit bien plus qu'au lait. Ce qu'il examine surtout, ce
n^est pas si le fait connu réunit tous les caractères suffisants
pour rendre probable le fait inconnu, mais seulement si
l'intérêt social exige que l'on conclue de la constatation de
l'un ^ rexîstence de l'autre. Comme le Êdt fort bien obser*
ver M. Greenleaf (tom. i, p. 41), les principes sur les
piésomptions légales ne se rattachent pins îi la ft» du té-
moignage, ee sont des règles de protection (mie ofprotec^
tUm)^ établies poer le bîoi général. On comprend dès lors
que les diva'ses présomptions, pour être bien comprises
dans leurs spécialités , doivent se rattacher à l'examen spé-
cial de chaqve matière. Nous ne devons poser ici que les
principes généraux.
Seulement, après avoir parlé des présomptions spéciales
aux matières civiles et aux matières criminelles, nous tm-
terons avec quelques détails d'une présomption commune a
loates les juridictions, qui est la base de tout l'édifice judi-
ciiire, de raaCorité de la chose jugée.
412 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
PREMIÈRE SECTION.
PRÉSOMPTIONS LÉGALES EN MATIÈRE CIVILE.
SomiÀiRE. — 8S7. Nécessité d'one loi spéciale. ^ 838. Présomptions menUorniées par le
Code. — 839. Deox degrés de présomption légale. — 840. Que doit proorer ceiiii qni
invoque une présomption de cette nature? — 841. Quand la preuve contraire est-elle
admissible? — 842. A quoi reconoatire une présomption ;irrf> et ie jwre f — 843. Trois
points signalés par le législateur. — 844. Cas où la loi annule certains actes , on dénie
l'action en justice. — 845. Réserve de la preuve contraire. — 848. Quii du renvoi aa
serment et k l'aven f
837. « La présomption légale «», dit l'article i3S0 du
Code civil , « est celle qui est attachée par une loi spéciale
« k certains actes ou k certains faits. »
Autrefois, même en pays coulumiers, les présomptions
pouvaient être puisées dans certains textes du droit romain ,
aussi bien que dans les sources modernes-, elles pouvaient
même, suivant Pothier {Oblig., n* 843), être établies par
argument de quelque texte de droit. Un pareil système offrait
trop d'inconvénients pour qu'il fût possible, dans une légis-
lation qui tend k prévenir toute incertitude, tout arbitraire ,
de laisser k la jurisprudence et k la doctrine le pouvoir
d'établir des présomptions légales.
On pourrait croire cependant, par application du priju-
cipe de la non -rétroactivité des lois sur la preuve (n"^ 920
et 923), que l'ancienne présomption de propriété, existant
au profit des seigneurs pour les biens fonds compris dans
leurs seigneuries, en vertu de la maxime féodale : NuUe terre
MM seigneur f peut encore être invoquée, du moins pour
répoque antérieure au décret du 4 août 1789, abolitif de
la féodalité. Mais cette maxime elle-même, tout empreinte
de l'esprit féodal, a été déclarée dénuée de tout effet par la
loi du 25 août 1792, qui a aboli formellement « tons les
« effets qui peuvent avoir été produits par la maxime :
« NuUe terre tans teigneur. » Aussi la Cour de cassation a-t-elle
EN MATIÈRE CIVILE. 413
refasé, le 7 mai 1866, de faire Tapplication de l'article 1*' de
la coutume de Chaumont, qui n'était que la reproduction de
cette maxime.
Néanmoins , il ne faut pas imaginer qu'aucune présomp-
tion légale ne puisse être établie sans une Un spéciale. Cela
est vrai pour les présomptions absolues , celles qui , comme
nous allons le voir, n'admettent point la preuve contraire.
Mais les présomptions légales du premier degré , qui ad-
mettent cette preuve , peuvent fort bien ressortir de l'en*
semble des dispositions de la loi. Ainsi, il est bien constant
que le possesseur d'un immeuble en est réputé propriétaire,
bien que cela ne résulte expressément d'aucun article de
nos Codes'.
838. L'article 1350 donne pour exemple des actes ou
faits auxquels est attachée une présomption légale :
« 1* Les aptes que la loi déclare nuls, comme présumés
«c faits en fraude de ses dispositions, d'après leur seule
a qualité. » La présomption de nullité se rattache, soit k la
personne de celui qui a fait l'acte , comme lorsqu'il s'agit
des actes translatifs de propriété à titre gratuit, faits par le
failli dans, les dix jours qui précèdent la cessation de paye-
ments (C. de comm., art. 4i6)^ soit h la personne de celui
bn faveur de qui l'acte a été fait , comme lorsqu'il s'agit
d'une donation faite aux plus proches parents ou au conjoint
d'un incapable (C. civ., art. 911 et 1100); soit enfin k la
nature de l'acte jointe à la qualité de la personne, comme
lorsqu'il s'agit de la vente k fonds perdu faite k un succes-
sible en ligne directe. (Ibid., art. 918.)
« ^ Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou
(( la libération résulter de certaines circonstances détermi-
* si l'article 2279 du Code ciTil a dft consacrer formellement cette pré-
somption appUquée aux meubles » c'est que précisément alors elle n'admet
point la preuve contraire.
414 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
« nées. » La prescription à fin d'acquérir ou de se libérer ,
les signes de mitoyenneté ou de noo-miloyenneté, e^e^,
rentrent dans cette catégorie,
a 3* L'autorité que la loi attribue k la cbose jagëe. »
■
Nous en parierons spécialement dans notre troisième section.
(( i? La force que la loi attache à Tavett de la partie ou à
« son serment. » Nous avons rangé parmi les preuves pro-
prement dîtes l'ayeu et le serment , qui sont en effet des
déclaratioBs de Thomne, et non de simples indices paîsés
dans Vétude des faits.
839. On conçoit deux degrés dans la présomption légale.
La loi peut imposer an juge certaines preuves circonstan*
cielles , en Tobligeant k tenir pour vrais les faits qu'elles
tendent k établir, mais en laissant aux parties intéressées la
faculté de démontrer que cette inéuction n'est pa& fondée.
Elle peut aller plus loin , repousser dès l'abord tonte preuve
contraire^ et faire nécessairement résulter de telles dreon*
stances l'existence légale de tel ou tel £ait. Cette distinction
est de fous les temps et de tous les pays *, elle se retrouve
partout où des présomptions de cette nature ont été intro-
duites. C'est ainsi qu'on a toujours^ considéré eonmie abso-
lument inattaquable la présomption qui résulte de la chose
jugée , quand toutes les voies de recours ont été épuisées.
Mais les dénominations dont on s'est servi pour désigner ces
I deux degrés de présomption n'ont été imaginées que par les
; docteurs du moyen âge. Ce sont eux qui ont appelé les pré-
/ somp tiens du premier degré jurit tmuxm , et celles du second
/ degré juris et de jure. Henocbius explique ces dénomina-
tions , en disant que la présomption est juriê dans les deux
cas, puisqu'elle est toujours introduite par la loi, mais
qu'elle est de jure dans le second seulement , « quia super
« tali prsesumptione lex indncit firmum jus et habet eam pro
c( veritate. » Ces expressions barbares peuvent être coQsi-
A
BM MATIÈRE CIVILB. 4i5
dérées comme une langae de convenlkm. Nous aimons
mieux la langue des jurisconsnlles anglais, qui distinguent
les présomptions péremptoires (conckuive) et les présomp-
tions discutables (dispuUible). Maïs, au fond, m a toujours
reconnu que certaines présomptions ne dohrent pas admettre
la preuve contraire. C'est donc bien mal à propos que Toul-
lier (toBL X, n' 42) prèle à d'Âguesseau cette singulière
opinion , que toutes les présomptions admettrat la preuve
contraire 9 parce que ce juriseonsBlte, dans son vingt-troi-
sième plaidoyer, déclare, en général, que l'autorité des
présomptions n'est pas absolue. Il s'agissait, dans l'espèce,
d'une question de légitiflftité, et c'est évidemment en se
plaçant à ee.point de vue spécial que d'Âguesseau limitait
l'autcNTité des présomptions légales.
&40. Que doit prouver celui qui invoque une présomption
légale? Il ne faut pas prendre à la lettre la disposition de
l'article 1352 du Code civil , suivant lequel la présomption
légale (Hspeme de touu jmiue celui au profit duquel elle
existe. Il n'est point exact de dire que celui qui invoque
une présomption légale n'a absolument rien ii prouver. Il
iaut qu'il établisse qu'il se trouve en position d'invoquer la
présomption de la loi-, par exemple, celui qui invoque l'ar-
ticle 312, aux termes duquel Tenfant conçu pendant le
mariage a pour père le mari , doit prouver deux points, sa-
voir le mariage, et, d'après les calculs de la loi sur la ges-
tation (art. 314, 316), une date de la naissance qui ne
place pas la conception de TenÊmt avant la formation du
mariage ou après sa dissolution. Cette preuve faite , la légi-
tînilé de l'enfant est établie par la disposition de l'ar-
ticle 312. En un mot, il n'y a point ^ justifier l'exactitude
de la présomption légale , mais à constater préalaUement les
Cûts auxquels elle s'attache^
En sens inverse, lorsqu'on se demande s'il est permis de
416 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
prouver contre une présomption légale, on a en vue la
preuve contraire k la proposition énoncée dans la loi , dans
l'espèce , k la légitimité de l'enfant conçu pendant le ma-
riage-, mais nullement la preuve contraire aux faits sur les-
quels repose la présomption , le mariage et la date de la
naissance. Cette dernière preuve est toujours admissible ,
car ce n'est pas le moins du monde prouver^ contre une
présomption légale que de prouver qu'on n'est point dans le
cas prévu par cette présomption. C'est donc biea mal à
propos qu'Âlciat voit Ik une preuve indirecie contre la pré-
somption de la loi ' Et H directa probatio regulariter tum ad-
mittatur contra prœsumptionem juris et' de jure, admUietur
tamen indirecta, quia, cum lex requirit certas qualkates et cir-
cumstantias ad hanc probadonem constituendam, semper admii^
tuntur probationes quod non su taliâ casiu , veL non adsit aliqua
ex requUitU qualitatibus. C'est Ik une véritable confusion
d'idées. Il n'y a aucune attaque, directe ni indirecte, contre
la présomption de légitimité, dans la preuve qu'il n'y a ja-
mais eu de mariage ^ contre l'autorité de la chose jugée ,
dans la preuve qu'il n'y a jamais eu de jugement. Une
pareille doctrine mérite d'être reléguée parmi les vmont
d'Âlciat.
841. Quand la preuve contraire k la présomption légale
est-elle admissible, c'est-k-dire quand peut-on prouver
qu'en se plaçant même dans l'hypothèse prévue par le légis-
lateur, il n'y a point lieu d'appliquer sa décision?
La présomption légale admet, en général, la preuve con-
traire; elle est, suivant le langage barbare des interprètes,
jîxris tantum, dans les cas ordinaires. Elle n'est alors qu'une
interprétation de volonté ou une explication des faits, qui
tombe lorsque la vérité vient k être démontrée. Ainsi , bien
qu'on dise que la vente k l'essai est toujaure présumée foile
l sous une condition suspensive (ibid., art. 1588), il n'ea
EN MATIÈRE CIVILE. 417
sera pas moios permis d'établir que les contractants ont
entenda traiter sous une condition résolutoire. Le plus sou-
vent, lorsque la présomption n'est que du premier degré,
le seul but que la loi se propose, c'est de faire considérer
certains faits comme le signe apparent du droit , par exemple
la possession d'un immeuble comme indiquant la propriété
de cet immeuble , la preuve contraire demeurant toujours
admissible. Quelquefois néanmoins , la présomption , sans
qu'il tdi raisonnable de la considérer comme une virile ab-
solue, a paru trop grave pour pouvoir être ébranlée par
tante espèce de preuve. Ainsi, en matière de légitimité, la
preuve contraire k la règle que l'enfant né pendant le ma-
riage a pour père le mari, n'est admise que dans le cas d'im-
possibilité physique, ou bien dans celui où l'on peut prou-
ver k la fois l'adultère et le recel dé la naissance (ibid.,
art. 31â et 313) ; cas auxquels il faut ajouter aujourd'hui ,
aux termes de la loi du 6 décembre 1850, celui où la con-
ception serait présumée avoir eu lieu pendant le temps où
la femme séparée de corps a un domicile distinct de celui
du mari. Mais habituellement on peut administrer, pour
détruire la présomption légale , la preuve contraire avec la
plus grande latitude, et employer même la preuve testimo-
niale et les présomptions, lorsque la nature de l'affaire ne
s'y oppose* point. On lit, il est vrai, dans un des considé-
rants de l'arrêt de cassation du 5 janvier 1810, que nous
avons bité (pag. 175, not. 1 ), que « si une présomption de
« droite peut être détruite par la preuve positive d'un fait
« contraire k celui qu'elle suppose , elle ne peut du moins
« pas l'être par des présomptions non autorisées par la loi ,
« et purement arbitraires. » Mais il s'agissait, nous l'avons
vu (n* 599), dans l'espèce, de certains procès-verbaux
contre lesquels la preuve contraire doit être nécessairement
écrite ou testimoniale. Il convient donc d'interpréter l'ar-
II. 87
418 PRÉSOVPTIOUS LBGALBS
rêt de 1810 secundum mbjedam wateriam. Qaelqaefoifi ausâ
la loi eiclut même la preuve testUnoDiala. Aîo^i, la pué-*
somptioQ de mitoyemielé ne peut être détruite que par «a
titre ou par une marque. (C- civ., art. 663. ) Mais là ou la
loi n'a point fait de semblables restrictions, la preuve con-
traire peut consister dans des présomptions , aussi bîead que
dans des preuves proprement dites.
842. La présomption du second degré est généralement
invincible. Mais à quel caractère reconnaître une présomp^
tion de cette nature, dans le silence du législateur? Ce
point était très-obscur dans l'ancienne doctrine. Les rédac-
teurs du Code ont essayé de déterminer les cas où la preuve
contraire est effectivement inadmissible.
« Nulle preuve », dit le même article 1352, « n*est ad-
(( mise contre la présomption de la loi , lorsque , sur le fon-
ii dément de cette présomption , elle annule certains actes
« ou dénie l'action en justice, à moins qu'elle n'ait réservé
tt la preuve contraire , et sauf ce qui sera dit sur le serment
« et l'aveu judiciaires. »
Cette disposition , destinée k faire cesser d'anciennes con-
troverses, est elle-même loin d'être claire, et donne lieu a
des difficultés qui partagent les meilleurs esprits.
843. Le législateur signale trois points : l*" la détermi-
nation des cas où la preuve contraire n'est pas admise^ 2* la
réserve de certaines exceptions formelles k la règle posée;
3'' une dernière réserve , en ce qui touche le serment et
l'aveu judiciaires.
844. n y a présomption légale absolue, nous ditHm,
lorsque, sur le fondement de cette présomption, la loi an-
nule certains actes ou dénie l'action en justice.. Le» actes
ainsi annulés, qu'a en vue le législateur, ne sont pas ceux
qui sont entachés d'une nullité radicale, comme manquant
d'une condition essentielle au fond pour leur validité*) il est
EN MATIÈftB GITILB. 419
clair que la nullité ne résalte pas alors d'une présomption ,
mais de la force m&ne des choses. Ce ne sont pas non plus
ceux qui sont nuls dans la forme \ les nullités de forme
résultent de textes impératife , contre lesquels , dès que les
faits sont bien ecmstatés, on ne saurait s'élever sans fiadre
le procès k la loi elle-même. Les actes dont la loi veut par-
ler sont ceux, qu'elle déclare nuls (art. 1350, l""), c<»nme
présumés Êiils en fraude de ses dispositions , d'après leur
seule qualité. On aurait pu soutenir que la preuve contraire
ne devait pas être repoussée ^ la justification de la bonne foi
étant toujours favorable. Mais le législateur, visant plus k
couper court aux procès qu'k rendre une stricte justice, a
trouvé plus simple de repousser cette preuve, sauf la res-
triction dont nous allons bientôt parler. Il en est de même
des cas où la loi dénie l'action en justice, ce qui s'applique
notamment k la prescription. On a pensé que les contro-
verses devaient avoir un terme. Toutes les fois donc qu'une
action est refusée, il y a un intérêt public en jeu, et je ne
serais pas reçu k prétendre , par exemple , que je n'avais
pas l'intention de renoncer k un droit sur lequel j'ai gardé
le silence paidant trente ans. Ces deux natures de présomp-
tions ont pour but de faire respecter les préceptes du droit
civil ; ce sont plus que de simples interprétations de faits ou
de volontés.
84ff. Dans les cas mêmes où nulle preuve n'est admise
contre la présomption de la loi, l'artide 1352 ajoute : à
moins qu'elle n'aU réservé la preuve cmUraire. On trouve des
exemples de cette réserve dans les cas où l'action eu justice
est déniée. C'est ainsi que la remise de la grosse par le
créancier, k la différence de celle du titre or^nal , ne Êdt
foi de la libération que josqu'k preuve contraire. (Ibid^
art. 1983.) Mais on n'a pas trouvé de cas où la loi, en annu-
lant certains actes comme présuoiéa frauduleux, déclare la
27.
420 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
preuve contraire admissible. La restriction de Tarticle doit
être considérée sous ce rapport comme une réserve pour
l'avenir, et non comme un renvoi k des textes positifs.
846. Enfin Tarticle se termine par une réserve plus
obscure encore que tout ce qui précède : Muf ce qui sera dit
9tir le serment et Vaveu judiciaires. Ou peut donner deux sens
k ces expressions. Ou bien, par suite de Terreur que nous
avons signalée , le législateur considère le serment et l'aveu
comme des présomptions, dont on doit traiter plus lard, ou
bien il les regarde comme des moyens de combattre les véri-
tables présomptions légales, par exception au principe que
nulle preuve n'est admise contre elles.
Dans le sens de la première opinion on fait remarquer
que l'article 1350 a déjà rangé mal à propos, niais d'une
manière bien positive , l'aveu et le serment parmi les pré-
somptions légales. Or, l'aveu du moins, sinon le serment,
est susceptible d'être débattu, et n'est pas dès lors une
présomption invincible. Le renvoi aurait pour but de faire
remarquer, ainsi que le faisait Potbier (06%., n* 842), ce
caractère spécial de Taveu. On ajoute que, si la loi avait
voulu admettre certaines natures de preuves contre les pré-
somptions légales qui n'admettent pas la preuve contraire ,
elle s'en serait expliquée plus clairement. Mais cette inter-
prétation nous parait k la fois inexacte en elle-même, et peu
en harmonie avec le texte qu'il s'agit d'expliquer. On ne voit
pas trop quelle serait la raison de douter k laquelle la loi
voudrait répondre. Dût-on considérer l'aveu comme une
présomption légale, rien n'autoriserait k y voir une pré-
somption légale absolue. De tout temps on a considéré l'aveu
comme pouvant être modifié, expliqué, rétracté par la partie
qui l'a fait. Où serait donc la nécessité d'une exception pour
l'aveu, puisqu'il n'était pas compris dans la règle? Hais ce
qui s'explique encore moins dans cette opufiion, c'est que la
EN MÀTIÈBE CIVILE. 4SI
loi mentionne en première ligne le serment décisoire \
qui précisément n'admet jamais la preuve contraire. (Art.
1363.) Inutile pour Taveu, le renvoi serait un contre-sens
en ce qui touche le serment , et il faudrait finir par décla-
rer, avec certains auteurs, que ces expressions : Mufce qui
sera dit, etc., se sont glissées sous la plume du législateur,
sans qu'il eût le moins du monde la conscience de ce qu'il
écrivait.
Mais nous n'en sommes pas réduits à cette ressource
désespérée , véritable abdication de la part de l'interprète.
Rappelons-nous qu'on vient de parler de la preuve contraire,
qui n'est admise contre les présomptions légales absolues
qu'au cas d'une réserve expresse insérée dans la loi -, il est
assez naturel de voir dans les mots qui suivent, et qui
indiquent grammaticalement une restriction , quelque chose
qui modifie la proposition précédente. On considérerait dès
lors le serment et l'aveu comme constituant un genre de
preuve contraire exceptionnel, qui pourrait être admissible,
quand les antres ne le seraient pas : doctrine qui n'est point
nouvelle, puisque nous lisons dans Mascardus (De probat.
eoncl. 344) : Confessio toUit prœsumptionem juris et de jure,
licet alia probatio non admituuur. N'est-il pas de principe , en
effet, que le serment judiciaire peut être déféré sur quelque
espèce de contestation que ce soit (ibid.^ art. 1358), que
l'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait {ibid.^
art. 1386)? Ces deux modes de preuves n'entraînent aucune
procédure compliquée , et ils n'offrent aucun danger pour le
défendeur, puisqu'ils remettent son sort entre ses mains.
Enfin , par le même motif, ils sont parfaitement concluants.
* n ne peut être question du serment snpplétoire , auquel ne s'attache
pas la même présomption de Térité, puisque ce n*est qu'un moyen de
Yériflcation supplémentaire employé par le juge , ayec faculté pour lui e
ne pas y subordonner sa décision. (N»* 443 et 444.)
422 PRiSOVPTIONB LÉGALES
Il esl donc possible qu'on ait voulu les mettre k part.
On ne prétend pas toutefois, dans le système que nous
admettons, que toute présomplion légale, qudie qu'en soit
la nature, puisse être combattue par l'aveu et par le ser-
ment. Ce qu'il faut rechercher, c'est si la loi , ra repoussant
la preuve contraire , a voulu que la question ne f&t pas
même agitée, parce que l'ordfe public l'exigeait ainsi, ce
qui a lieu incontestablement pour l'autorité de la chose
)Ugée ; ou bien si elle a voulu seulement empêcher que le
résultat du procès ne pût contrarier l'application de ses
règles, ce qui a lieu pour les prësomptions d'interposition.
Quel but a-t-on voulu atteindre dans ce dermer cas? Qu'on
ne puisse éluder la défense d'avantager un incapable, soit ;
anais on ne voit aucun motif plausible pour empèdier que la
personne prétendue interposée ne puisse établir qu'elle ne
l'est pas réellement. Si le législateur interdit en général
cette preuve , craignant qu'elle ne soit elle-même l'œuvre de
la fraude, une pareille crainte cesse d'être fondée quand la
personne prétendue interposée interpelle l'héritier mémo ,
qui demande la nullité de l'avantage, et s'en rapporte à sa
déclaratioD. N'est-il pas évident que, lorsque rhéritier
refuse de jurer qu'il estime l'interpositi^m véritable, cette
déclaration implicite, si désintéressée de sa part, est l'ei*
pression de la vérité ? Le législateur n'a ici aucun intérêt à
empêcher la controverse, puisqu'il ne peut jamais en résul-
t^auoune atteinte aux prohibitions qu'il a établies. Le ser-
ment déféré dans les prescriptions courtes \ Ik où la loi
* Toutefois, en matière de prescriptions courtes , les arrêts de cassation
âo 27 jnlDet 1853 «t du 7 Boirenibre 1860 décbreiit ^*il favt s'ea teaiT
à la lettre de l'article 2275 du Code, lec[U6l, dérogeant à ^ordonnance
de 1673 (tit. I", art. lO), n'autorise que la délation du serment, à Texclu-
sioii de la conrparution personnelle et de PinteRogatoîre sur fûts et
artideB. A plus forte raison , la Cour régulatrice a4-elle dft casser (9 mars
1868) des jugements du tribunal de Mon^iellier, qui admettiieiit k preure
témoins ou par présomptions de ï» recomiaîssaiMe de la d«tte.
SIC XATdiRS cfniK. 423
déme l'actû»! en justice, ne repose pas swr une aofve base.
(CL m., arL 2375; G. de conm., art. 188.) On ft'a pas
voulu rendre la preuve impossiUe, comme ei ce ^ fDveiie
les prescriptions ordinaires, on a seulement présumé le
payement *, mais il est toujours permis d'interpeller l'adver-
saire sur la réalité de ce payement. C'est ainsi encore que
Justinien (!nstit., § 12, I>efideic. hœred.) dit que les fidéi-
commâs nuls en la fome n'entratneront pas le rejet absolu
de la prétention de la partie qti les infoque, mm qu'ils
pourront donner lieu k déférer le serment k l'héritier '. La
réserve de l'aveu et du serment pour combattre la pré-
somption légale nous fonil encore mieux justifiée quant \
la remise de la dette. Quel danger y a-t-il à ce que le
créancier puisse dé£érar le serment an débiteur sur le
point de savoir si, en lui remettant le titre origiml de la
créance, il a enteiidi le Ubéver *, de même que la Gonr de
cassation admet (n* 773), en matière de commerce, que
cette présomption peut être délraite par le lémmfjuge des
livres ? (Rej., 18 aoftt 1853.)
Cette doctriae n'est pas ssms doute à l'abri de tout re«
proche. La distinction des présomptions qui entrahient
l'interdiction radicale de la preuve contraire, et de celles
contre lesquelles le serment et l'aveu sont admissibles,
peut paraître assez délicate * ; mais notre interprétation est,
< SniTBiit MM. Aiibry et San, on ponrrait déférer le serment snr le fait
de Flnterpoeltion , mais an donateur seulement, et non aux hérlfierB du
donateur on dn testateur, parce que, dans ee dernier cas, Tordre pnMic
serait directement intérevaé. Hons ne comprenons ftA cette distinetlott. Si
Potdre pid>lic exige le maintien absolu de la présomption légale , c(n%n-
porte que ce soit à l'auteur de la disposition on aux héritiers qu'on TeuiDe
déférer le serment P Si, an contraire, comme nons le pensons, Perdre public
nCexige point nécessairement ce maintien , lorsque les intéressés eux-mêmes
leconnaissenrt que la présomption n'est point applicable , la distinction n'est
point fondée dans l'esprit de la loi ; ajoutons que le texte ne f^ prête
guère.
' Dans son ingénieuse dissertatSon sur la mauvaise foi de Pacquérenr en
matière de transcriptions {Revue pratique, tom. XXX, p. 37), notre
^^ PRÉSOMPTIONS LÉGALES
après tout, raisonnable en elle-même, et surtout nous ne
voyons pas d'autre moyen de donner un sens k la disposi-
tion iSnale de Tarticle 1332 '.
DEUXIÈME SECTION.
PRÉSOMPTIONS LÉGALES EN MATIÈRE CRIMINELLE.
Sommaire. — 847. Épreuves remplaçant les preuves directes. — 848. Dans raDtiqdtë. —
849. Ordaliet germaniques. *- 850. Leur abolition. — 884. Combat judiciaire. — 882.
Suppression de ce combat. — 888. Aujourd'hui, présomptions légales plus rares au
criminel.
847. La croyance à Fintervention journalière et immé-
diate de la Divinité dans les événements humains , se combi-
nant avec la difficulté d'obtenir des preuves directes de la
culpabilité, à une époque où l'administration et la police
judiciaires étaient k peu près nulles, a amené dans les
siècles barbares l'introduction de certaines épreuves, plus
ou moins arbitraires , d'où l'on faisait dépendre l'innocence
ou la culpabilité de l'accusé.
848. On retrouve l'appel au jugement de Dieu avec une
très-grande extension chez les peuples orientaux. De Ik
cette superstition avait passé dans la Grèce. « Nous étions
« tout prêts à saisir de nos mains des fers rouges », dit,
coUègue et ami M. Boissonade, pour sootenir, contrairement à Pargoment
tiré de l'article 1071 du Gode ciril, que le défaut de transcription peut
être suppléé par la connaissance qu'auraient eue de l'acte les tiers acqué-
reurs , considère ce défaut de transcription comme une présomption légale
d'ignorance de l'acte , présomption susceptible d'être combattue, sniTant
notre doctrine , au moyen , sinon de la preuve testimoniale , au moins de
l'aTeu et du serment. Mais il nous semble que, lorsque la loi étabUt des
registres publics pour établir la transmission des droits réels , la foi de ces
registres est plus qu'une présomption légale ; c'est une preuTO péremptoire,
instituée pour couper court à toute controverse. Ainsi entendu, l'article 1071
pose un principe absolu, bien conforme d'ailleurs à l'esprit de notre
législation , qui tend à préyenir les contestations au moyen de la preuve
écrite.
* Cette disposition finale a été supprimée dans l'article 1353 du Code
italien.
EN MATIÈRE CRIMINELLE. 425
daos YAfUigone de Sophocle, le garde du tombeau de Poly-
nîce (vers 264), « à passer par le feu, et à prendre les
« dieui a témoin que nous n'avions pas fait cette chose, que
«c nous n'étions pas de complicité avec celui qui Fa méditée
a ou qui Ta faite. » La sévère raison des Romains parait les
avoir mis k Tabri de ces superstitions. On trouve bien k
Rome des légendes, telles que celle de la vestale qui prouva
sa chasteté en attirant par sa ceinture le vaisseau qui appor-
tait d'Asie la statue de la Bonne Déuse. Mais il n'existe k
notre connaissance aucun fait officiellement constaté, qui
prouve que les Romains aient jamais fait usage de preuves
de cette nature dans la pratique judiciaire. Toutefois, an
Bas-Empire, du moins du temps de Michel Comnène, la su-
perstition avait repris son empire, et l'épreuve du fer rouge
était en pleine vigueur.
849. Les ordalies (du mot allemand urtheil, jugement)
se sont singulièrement multipliées au moyen âge, sous
l'influence des idées germaniques. On connaît les épreuves
de l'eau, du feu, du fer rouge, etc., par lesquelles on était
admis k se justifier des crimes les plus énormes. Dans la
plupart de ces ordalies, le succès parait impossible, et
cependant l'histoire atteste que beaucoup d'accusés s'en
sont tirés k leur honneur. Il faut donc, ou bien croire k de
perpétuels miracles , ou bien admettre que quelques pieuses
supercheries permettaient de se soustraire k un danger plus
grave en apparence qu'en réalité ^ Quoi qu'il en soit,
l'épreuve qui parait s'être maintenue le plus tard, c'est celle
du cercueil , dont on trouve encore des exemples au seizième
* n paraît résulter de récentes découvertes qae certaines lotions d'eau,
d*a1cool ou d*éther, permettent de mettre la peau humaine en contact ayec
les métaux en fasion. (Voy. les séances de PAcadémie des sciences du
7 mai et du 29 octobre 1849.) Or, on sait qu'au moyen Age, Albert le
Grand et un médecin de Saleme, nommé Trotula, ont donné des recettes
pour supporter sans danger l'épreuve du feu.
436 nÉsolirriQtN» iJtGàhn
siècle. Lorsqu'on n'avait p» décoQfcîr Tauteur d'un assaBaî-
nat, on obligeait tous ceux qui étaient BoupçeuBés d'y avoir
participé , k venir toucher le corps de la vietioie, exposé sur
un cercueil. Si le cadavre était mia en contact avec le nmir-
trier, il devait laisser échapper quelques gouttes de saog.
Cette épreuve , de nature k agir vivement sur les inagisa-
tions, était loin d*6tre 9Uê^ danger pour l'inMcence. La
cruentation, qui parait en eiet s'être quelquefois opérée^
peut s'expliquer, lorsque la mctt est encore récente, par des
causes naturelles, notaunnent par Faction du grand air.
Dans les derniers temps, quand des doutes counencèicnt
k s'élever sur l'origine du phénomène , on donna k l'épreuve
un digne cooqdément, la question préparatoire 1
8^. Lorsque les usages des conquérants de l'Enrape
moderne se furent un peu transformés par l'infiaenee du
christianisme et d'mie vie plus sédentaire , ht pratique des
ordalies fut régularisée. Oft posa en principe qu'elles ne
seraient admises qu'à défaut, soit de preuves ordmaâres,
soit de coujuraioriÊ. (Voy. W" 449). L'Église les astreignit a
des fermes solennettes , et voulut y procéder eik>m«e ,
certains membres du clergé partageant la superstition pofu-
laire, d'autres considérant k direction des ordalies comme
un puissant moyai d'iaiumice. C'est dans cet esprit qfie
Charlemagne prescrit de ne point révoquer en dxMie les
jugements de Dieu, ut omms judkh Det eredemt i^tque énU-
uaUme, (CapiU i, ano. 809, cap. xx). A mesuse que l'Église
acquit plus d'autetité et que les psocédnres devinrent ptus
régulières, les épreuves forent attaquées par fantorilé
ecclésiastique, jusqu'à ce qu'en 1215, grâce auK efforts
d'Innocent IH , le quatrième concile de Latran défendit aux
clercs de prêter leur mînîstèi^ k des aeles de eetle nature.
En France , les dernière monuments de l'emploi judicndre
des ordalies sont des arrêts du parlement de Paris du
BU «A1IÈIIB cnmfBLUE. 427
d*' décembre i601 et do 10 août 1644, anmilnt des seiH
tences qui avaient ofétmné de soumettre k l'épreave de l'eaB
froide des personnes accusées de scfrcellerie ^
851. De tontes les institutions jodiciaira» ds moyen
âge, celle qui a laissé le plus de traces dans les mœurs de
TEurope moderne, puisqu'elle présente une extrême ana-
logie avec le duel, c'est le combat judiciaire*. Par une
singulière combinaison de l'esprit guerrier et de l'esprit
légiste, cette épreove avait été revêtue des formes les plus
régulières, le combat s'appliquait systématiquement k toutes
les phas» de la procédure. On se battait avec l'accusé, on
se battait avec les juges , quand on se plaignait de défaute de
droit; puis, si on avait vaincu le juge sur le rescindant, il
fallait se battre de nouveau avec l'adversaire sur le resci-
soire. On combattait même avec les témoins. Toutefois
cenz-ci pouvaient éviter d'engager leurs personnes, en fai-
sant la déclaration suivante (Beaumanoir, chap. vi, § 16) :
« Je ne me bée pas k combatre por vostre querele , ne k
entrer en plet au mien, et se voz m'en volés delfendre,
volontiers dirai me vérité. »
Le combat judiciaire fut un progrès dans l'origine-, il
domia des règles fixes aux guerres privées , qui étaient le
seul mode d'administration de la justice pénale dans les
forêts de la Germanie. Nous avons vu (n"" 43S) les Lom-
bards le réclamer a grands cris, pour remplacer le ser-
ment, qui était en quelque sorte l'épreuve des làcbes.
< En 1815 et en 1916, deux îndiTÎdas soupçonnés éPètre sorciers forent
aoumiA, dans k Flandre belge , par la populace à l'épreoTe de Vtm «t du
fen. Un fait semblable a en lien dans la Prusse orientale en 1855.
' M. Cancby, dans son livre Du duel, où il a fait des recbercbes aussi
ooDfcieMÂeues qu^wppnUsmdlm sur Porigîiie de oe déplorable usage,
s^attacbe à établir que le duel ne se rattache pas historiquement an combat
judiciaire, qui était onyert à tous, nobles ou yilains, mais aux guerres
privées, ^ni étaient xéntméa à la noUcase.
428 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
Montesquieu (Eiprit deê lois, liv. XXVIII, chap. xyii) justifie
cette institution d'une manière fort ingénieuse : « La preuve
« par le combat singulier avait quelque raison fondée sur
ce l'expérience. Dans une nation uniquement guerrière, la
a poltronnerie suppose d'autres vices ^ elle prouve qu'on a
c( résisté k l'éducation qu'on a reçue , et que l'on n'a pas été
(( sensible ^ Thonneur, ni conduit par les principes qui ont
« gouverné les autres hommes ^ elle fait voir qu'on ne craint
« point leur mépris, et qu'on ne fait point de cas de leur
« estime : pour peu qu'on soit bien né, on n'y manquera
« pas ordinairement de l'adresse qui doit s'allier avec la
(r force, ni de la force qui doit concourir avec le courage;
« parce que, faisant cas de leur honneur, on se sera, tonte
c< sa vie, exercé a des choses sans lesquelles on ne peut
« l'obtenir. De plus, dans une nation guerrière, où la force,
(( le courage et la prouesse sont en honneur, les crimes
(( véritablement odieux sont ceux qui naissent de la four-
<( berie, de la finesse et de la ruse, c'est-k-dire de la pol-
« tronnerie. » Grotius, en se plaçant à un autre point de
vue , a pris la défense des législateurs qui ont cru devoir
consacrer cette singulière institution : « Il déplatt k quel-
<( ques-uns », dit-il {ProUg, adhUtoriam Gothorum, p. 67),
« que les différends douteux aient été décidés jadis par le
u duel. Mais ce que Solon avait dit, qu'il n'avait pas fait les
tt meilleures lois absolument, mais les meilleures que les
« Athéniens pouvaient supporter, on doit le supposer chez
c( les autres législateurs. Or, ceux-ci ont été forcés de per-
a mettre beaucoup de mauvaises choses , et souvent de
« combattre le poison par le poison. Car c'était un moindre
« mal de combattre en duel , au péril de la vie de deux
« hommes, surtout après qu'ils avaient été sérieusement
« exhortés à ne pas tenter Dieu contre leur conscience, et à
« ne pas s'en faire un ennemi par les armes , que de laisser
EN MATIÈRE CRIMINELLE. 429
c( lutter des familles entières et de faire naître une guerre
« civile. »
852. A la différence des ordalies proprement dites, qui
n'étaient guère pratiquées qu'en matière criminelle, le
combat judiciaire s'appliquait aux matières civiles et même
^ la solution de points de droit. Ainsi, en Allemagne, la
question de la représentation dans les successions, en Es-
pagne , celle du maintien du rit mozarabique , furent sou-
mises k répreuve du combat singulier. Contraire k l'esprit
du christianisme , le duel judiciaire fut attaqué par l'Église
beaucoup plus tôt et avec beaucoup plus d'énergie que les
ordalies, qui ne se fondaient point sur l'emploi de la force
matérielle. Il fut combattu dès le cinquième siècle par
Avitus, évêque de Vienne-, au neuvième, Agobard, arche-
vêque de Lyon , dédia à Louis le Débonnaire un livre spé-
cial : « Adversus legem Gondobaldi ^ et împia certamina
tt quae per eam geruntur. i» Enfin, les troisième et qua-
trième conciles de Latran, en 1179 et en 1215, consacrè-
rent solennellement la réprobation de l'Église. On sait qu'en
France l'œuvre de l'abolition du duel judiciaire, commencée
par saint Louis, fut achevée dans le quatorzième siècle. En
Angleterre, ce duel, aboli par Elisabeth, en matière civile,
dès 1571 , n'a disparu de la législation criminelle qu'en 1819.
85S. Aujourd'hui qu'il ne peut plus être question de
faire dépendre ainsi la culpabilité ou l'innocence de circon-
stances qui n'ont aucun trait, au fond \k la réalité du délit,
il semble que les présomptions, en matière criminelle, de-
vraient toujours être abandonnées k l'appréciation du juge.
Rien ne semble plus opposé que de pareilles présomptions
^ l'essence de la justice pénale, qui ne doit pas frapper au
* n est aTéré tijourd'hiii que la loi de Gondeband, roi des Bargondes ,
a, non pas introduit, comme l'a cra Montesqoien, mais seulement étendn
rasage da oomt>at judiciaire.
4dO PRÉSOMPTIONS LÉGALES
hasard, nais en parfaite connaissance de caase. a An: ci-
ce vil », dit M. Mittennaier (chap. lui), « on conçoit que le
« nœad gordien soit ainsi tranché, et, dans une sitnalion
« délicate^ il vaut mieux peufi-étre prendre pour guide les
c analogies et F expérience quotidienne de la vie; maïs il
(( n'en saurait être ainsi en procès criminel... La loi voulant
tt ici la manifestation de la vérité absolue, n'a pas pu
« astreindre le juge k prendre pour base obligatoire, du
« moment qu'ils existent, tels ou tels faits sonvait équi-
<( voques, auxquels d'ailleurs, en raison de la multiplicité
« infinie des incidents si complexes de la vie humaine, ap-
tt pliquer une mesure toujours fixe serait agir par voie d'ar-
ec bitraire-, décider que ces faits préétablis prouveraient
ce nécessairement l'existence du fiât principal, c'eût été
ce ériger en certitude des probabilités hiea souvent trom-
« penses. »
Il ne faudrait cepaidant point conclure de ces observa-
tions que les présomptions légales répugnent d'une manière
absolue au caractère de la justice pénale. Seulement, le
législateur ne doit introduire qu'avec une certaine réserve
des présomptions propres au droit criminel. D'autre part,
j toujours d'après les mêmes motifs, les présomptions du
droit commun ne doivent pas être appliquées dans toute
leur rigueur aux matières criminelles. Voilk les deux points
que nous avons à traiter.
s I. FBAsoMPnoas fbopabb ad skoit fAsal.
SoHMAiRE. — 854. Daos quelles limites la présomption légale est admissible an crimineL
-*859. Présomption d'intintieide établie par l'édit de 4566. — 856. Présomptions de
Tol dans l'ancien et dans le nouTeaa drolL — 857. IndncUoA tirée de k fuite. — sss. De
la présomption de dol.
8S4. Souvent la loi pénale conclut, à priori, de l'exis-
tence de certains faits qui rendent le délit vraisemblable ,
k l'existence même du délit. Mais la légitimité d'une pré-
EN MÀTlàRB CHIIIIKSLLE. 431
somptÎM mam gnrve est snbordoiniée k deàx conditions :
i* que le fiiH constaté emporte certitude morale du fait in-
criminé par la loi -, 2^ que le fait constaté soit lui-même im-
patabk. Ces deux eonâîtioDs se trouvent réanies dans le
ca» préni par l'article 64 du Code pénal , qui punit , comme
complices des malfaiteurs exerçant des violences contre la
paix publique , ceux qui , cimnaiasant leur conduite crimi-
nelle , leur fournissent habituellement une retraite. Le fait
de loger habitndlem^t les maHaiteurs rend éminemment
vraâsemblable une coupable association. Ce feit est parfaite-
ment imputable; la loi, en le frappant, ne fait qu'aggraver
la pénalité d'un acte déjk répréhensible en lui-même. C'est
Ik de la rigueur peut-être , mais ce n'est pas de l'iniquité.
On peut justifiar de même la disposition du Code pénal mi-
litaire de 1857 ( art. â03 , Âi") , punissant comme coupable
de trahison tout militaire qui , en présence de l'ennemi ,
provoque la fuite ou empêche le ralliemrat. La vraisem-
blance d'une intelligence crîmineUe avec l'ennemi justifie
rap{dication de la peine capitale k un fait qui , par lui-même,
est déjk d'une extrtoe gravité.
8K& n est plus difficile de justifier la présomption lé-
gale d'infanticide établie par notre ancien droit k raison du
seul fait de recel de la grossesse. Un édit de Henri II , de
février 1556, renouvelé par des ordonnances postérieures
et publié tous les trois mois aux prênes des paroisses, ré-
potait avoir homicide son en&nt, et punissait de mort
« toute femme qui se trouvait convaincue d'avoir celé, cou-
ce vert ^ occulté tant sa grossesse que son enfantement...
« et qu'après l'enfant se trouvât avoir été privé du baptême
« et sépulture. » Cette présomption de meurtre , attachée k
une simple omission, qu'excusait souvent la pudeur, avait
été introduite en Angleterre par Jacques I" (stat. 21 ,
chap. xxvii)-, elle ne se retrouve plus dans nos lois mo-
432 .PRÉSOMPTIONS LÉGALES
dernes, et a été également abolie en Angleterre par suite
de radoucissement des mœurs. (Slat. 43 de Georges III,
chap. Lviii. )
8S6. Il 7 aurait, k plus forte raison, injustice flagrante
k réputer complice d'un vol celui chez qui l'objet volé serait
trouvé , ainsi qu'on le faisait k Rome pour la réparation civile
du délit. Notre ancienne jurisprudence pénale allait plus
loin , puisqu'elle voyait dans cette circonstance une preuve
suffisante pour justifier remploi de la torture. Furtum prm^
sumitur, dit Mascardus {De probat., conc. 834) ^ connnissum
ab illo, pênes quem resjurata inventa Juerit, adeo tU, si non do-
cuerit a quo rem habuerit, juste, ex iUa inventione, poterit sub-
jidtormentis. Présumer la culpabilité, k raison de circon-
stances qui peuvent n'être que fortuites, c'est Ik une
marche grossière» appartenant k l'enfance du droit pénal.
Elle est réprouvée par la jurisprudence anglaise, où depuis
longtemps sir Math. Haie a fait prévaloir ce principe qu'il
ne faut jamais condamner nn homme pour vol d'eflets, par
cela seul qu'il n'explique pas comment ces effets sont en sa
possession. M. Wills (Circumstantial évidence, chap. m,
sect. 4) cite plusieurs exemples de condamnations pour
vol, k raison de la possession d'objets volés, prononcées
contre des personnes dont l'innocence a été ensuite recon-
nue. Nos lois suivent cependant encore cette mardie , lors-
qu'elles punissent sévèrement le mendiant ou vagabond qui,
porteur d'effets d'une valeur supérieure k cent francs , ne
peut justifier d'où ils lui proviennent (C. pén., art. 278)*,
mais c'est Ik une disposition exceptionnelle, qui ne s'ex-
plique que par la défaveur de l'inculpé. On peut critiquer
avec plus de justice les statuts anglais (2, Georg. IV, et
1, Guill. IV, chap. lxvi) qui présument la culpabilité du
porteur d'un billet de banque faux, et mettent k sa chaîne
la preuve de la bonne foi.
EN MATIÈBE GRIMINELLB. 43?
857. Un indice beaucoup moins grave encore que la
possession d'objets suspects , c'est la fuite de l'accusé. Que
d*esprits timides reculent devant la crainte d'une accusa-
tion, même injuste! On ne saurait donc trop réprouver la
disposition du droit commun anglais , abrogée seulement de
nos jours, qui, dans les cas de trahison, de félonie on
même de petit larcin , prononçait la confiscation des biens
mobiliers 'de celui qui avait pris la fuite. (Blackstone,
liv. IV, chap. xiix.) (C'est bien Ik un indice éloigné (voy.
pag. 406 et suiv., la classification des indices), qu'il est
éminemment inique de convertir en présomption légale.
858. Une question fort débattue en cette matière est
celle qui consiste k savoir si l'on doit présumer l'intention
criminelle à raison de la nature de Tacte , qui serait inex-
plicable s'il n'avait pas un but illicite. Nous l'avions pensé
d'abord, et l'on trouve, en effet, là présomption de dol
contre celui qui a commis un acte illicite , érigée en principe
par l'ancienne législation bavaroise : « Toute action crimi-
nelle », disait l'article 13 du Code pénal de Bavière, a sera
« légalement présumée commise avec une volonté crimi-
<c nelle , k moins que la certitude ou la vraisemblance du
«r contraire ne résulte des circonstances particulières de la
« cause. » Tel est aussi le droit commun en Angleterre et
en Amérique (M. Greenleaf, tom. I, p. 43) \ Nous li-
sons également dans M. Rossi (Droit pénal, chap. xxiv) que
certains faits , sauf le cas de folie, qu'il faudrait démontrer,
impliquent par eux-mêmes une intention criminelle, re$
ipsa in se dolum habet, suivant l'expression de nos anciens
auteurs. Ainsi , celui qui substitue dix mille francs à mille
francs sur le billet dont il est porteur, aurait mauvaise
■ Yoyeztoutefois, même page, not. 2, les motifs donnés, avec une grande
fbrce de raison, oomm» le reconnaît M. Greenleaf, en lisTeur de TopiDion
contraire.
n. »
iSè PEÉ80HPTI0NS LÉGALES
gr&ce k sommer raecusartion «de hû piovver qu'il a agi arec
une intentioD crimÎBelle *, tandis qoe le pfaannacien qm a
fourni une sabstanee vénéneuse, pouvant étie de bonne foî^
ne saurait être cendaucé comme cenplice d'empoisonné--
ment, tuai que son întenlion eou][Mèie n'est point établie.
Les considérants d'un arrêt de cassatiou, du 14 avril 1827,
portent également que « si les faits sont de telle nature
<c qu'ils supposent nécessairement de la oaâavaise foi de la
a part de celui qui les a conunis, le jury n'a pas besoin de
(( dédarer que Faccusé est eo^^dde de ces faits -, il suffit
(( qu'il déclare que les fiiits sont constants. »
Mais il m>us semble in^[K)ssible de voir, dans aucune des
circonstances de pareiUe nature, quelque défavorables
qu'elles soient k l'accusé , une véritable présomption légale.
Aucun te&te ne consacre chez nous cette présomption de
dol , et en matière pénale » plus encoie qu'en matière civile,
il ne peut y avoir de présomption légale m. l'absence d'une
loi ipédcUe qui le décide. (C. civ., art. 1350.) Déplus » pair
la nature même des choses, l'inductien qui rattacbe certains
actes k une volonl^ coupable , est une appréciation pour la-
quelle les magistrats et les jurés ont. un pouvoir discré*
tionnaire, et il n'est pas possible de déterminer à prîm les
actes qui doivent , ou non , emporter présomption de dol. Le
caractère de l'acte incriminé emporte une pore présomption
de fait, dont la force varie k l'infiin, et, k part même la
folie, telle ou telle circonstance, tel ou tel état moral de
l'accusé peut, en définitive, donner une explication satis-
faisante de ce qui , au premier abord , paraissait najturelle-
ment criminel. Ce n'est point Ik d'ailleurs une querelle de
mots. S'il s'agissait d'une présomption légale, l'accusé
serait obligé, pour la faire tomber, d'établir d'une manière
péremptûire la pureté de ses intentions'. Chr, une pareille
1 C'est ce qu'a senti rarticle précité de l'ancien Code pénal de Bavière',
EK MAnÈitt «cnmufELM. 43S
obligation répvgiie aux principes snr la preuve en droit
pénal (n* ^ et 98), d'après lesquels il suffit k l'accusé de
faire naître le doate dans resjMrit de ceux qui s(»it appelés
\ prononcer sv son sort. Gomme le dit élégamment H. Mit-
termaier (diap. Kvn) , s'il y a là une exception de la part de
Taccusé, c'est une exception analogue k l'exception non tm-
mercaœ fecuvàw, c'est-k-dire qui rejette sur l'accusation le
fardeau de la freaw.
s
i 2. pwâftosrnoiis mv bboit cohqk.
So]aiAilu&. — SSfl. Avec quel tesafiéiuneni on doit JU[>pU4aer ces psësoii\ptions ob nutiâit
pénale.
859. Lorsque la loi civile conclut^ de certains poÂnIs
connus, k reiistence d'autres points qui sont inconnus , par
exemple, du iait que l'enlant a été conçu pendant le ma-
riage , à la paternité du mari -, ou bien , en sens .inverse ,
lorsqu'elle présuppose la non-existence de certains faits , en
défendant de les constater , comme eUe le fait po«r la pa-
ternité naturelle et pour la filiation incestueuse ou adulté-
rine, ces dispositions exorbitantes doivent- elles, .en toute
hypothèse, être appliquées devant les juridictions erÎMÂ-
nelles? Ou |^ut invoquer, en faveur de l'affirmative , le
principe, codustant avyourd'bui dans la jurisprudence de kt
Cour de cassaiioQ., et d'ailleurs parfaitement raisimnabla,
que les règles sur la preuve doivent être partout les .mêmes.
C'est ainsi que la preuve testimoniale n'est pas plus adaés»
sible devant un tribunal correctionnel que devant un tribu-
nal civil , lorsqu'il s'agit de constater un dépôt ou un man-
dat relatif à une valeur de plus de cent «cinquante franca.
Dès lors^ dira-t-on, lorsque., déterminé par des motifs
d'ordre supérieur, le législateur nous ordonne de x^roûre
qui parle de ceitftade on de vraisemblance , quant à la preuve de la non*
cnlpabîlilé.
28.
436 PRÉSOMPTIONS LÉGALES
cerlaÎDS faits , et nous défend d*en rechercher certains
autres, il n'a pas en vue telle ou telle application particulière,
mais les débats judiciaires en général. Nous sommes loin de
contester le principe que les règles de la loi civile sur la preuve
sont communes k toutes les juridictions, et c'est en vertu
même de ce principe que nous admettons, en thèse générale,
même au criminel, la foi qui s'attache aux écrits en bonne
forme. Mais, il faut en convenir, les présomptions légales,
reposant sur une supposition préconçue, sont toujours plus
ou moins arbitraires, et ne font pas naître dans Tesprit du
juge la même conviction que les preuves proprement dites.
Or , peut-on se contenter au criminel d'une conviction im-
parfaite, fondée sur des considérations générales, et non
sur les éléments de la cause, du moins lorsqu'il s'agit de
condamner? Dès lors , une distinction ne devient-elle pas
nécessaire?
Toutes les fois que la présomption légale sera favorable
à l'accusé, quand, par exemple, une recherche prohibée
par le droit civil tendra à lui faire encourir une peine plusi
rigoureuse, comme si on voulait établir que celui qui a
commis un simple meurtre était le fils naturel de sa vic-
time, afin de faire prononcer contre lui la peine du parri-
cide, au lieu de celle des travaux forcés k perpétuité (C.
pén., art. 299, 302 et 304), nul doute qu'une pareille pré-
tention ne dût être repoussée. Ce n'est pas pour créer en
dehors du systènîe de la loi civile des crimes et des cou-
pables qu'il convient de s'écarter de la marche ordinaire,
et d'en revenir k des investigations dont le législateur a
supposé, à tort ou k raison, que l'incertitude égalait le
scandale. Mais les choses se présentent sous une tout autre
fece, si c'est contre l'accusé que milite la présomption lé-
gale, et que l'instruction révèle des circonstances de nature
a faire moralement disparaître cette présomption , bien que
EN MATIÈRB CHIMINELLE. 437
Ton ne soit pas dans ane hypothèse où la preuve contraire
est admise. Ainsi , supposons que te meurtre dont nous par-
lons ait été commis sur le mari de la mère de l'accusé , pré-
sumé son père en vertu de l'article 312 du Code civil. On
peut ne se trouver dans aucun des cas de désaveu , l'accusé
n'a point qualité pour attaquer lui-même sa légitimité , enGn
les délais seront presque toujours expirés. Mais la conduite
et la position de la mère ne peuvent-elles pas être telles
qu'il soit moralement certain que l'enfant n'appartient pas
au mari? N'est-il pas possible que la cause même de la
haine qui existait entre l'enfant et son père putatif, tienne
à la notoriété d'une filiation adultérine? Dans une législation
qui , comme la ndtre , rend le désaveu fort difficile , le vice
d'adultérinité peut trop souvent être flagrant, bien qu'il ne
soit pas permis de le constater. (Comp. Rej., 23 mars
1853.) Mais si, dans l'ordre civil, un désir, peut-être exagéré,
d'assurer le repos des familles et d'étouffer le scandale, a
fait adopter des dispositions singulièrement restrictives en
matière de désaveu , il faut convenir que transporter aveu-
glément ce système dans les questions criminelles afin de
créer un parricide fictif, ce serait revenir par une autre voie
^ l'ancienne théorie des preuves légales, dans ce qu'elle
avait de plus déplorable.
Nous pensons donc, quelque hasardée que puisse paraître
notre opinion , et en convenant qu'il ne faudra l'appliquer
qu'avec une extrême réserve, que les présomptions légales,
lorsque l'existence d'un des éléments du délit ne reposera
que sur elles, ne seront jamais contre l'accusé des présomp-
tions absolues , et qu'il sera toujours reçu ex magna et proboh
bili causa k administrer la preuve contraire. Il ne s'agira pas,
après tout , de détruire complètement la présomption de la
loi , mais seulement de faire naître des doutes assez graves
pour qu'il ne soit plus moralement possible de condamner.
436 AOioiisÉ
Oa ae doit , îi fout en eoaTenîr, s'écarter q«'k la dernière
extrémité du principe qui met en kusmouie la loi cÎTÎle et
ia loi criminelle sou» le rapport de la [ureuye ; mais , quel-
que fîkcheux que soit ce désaccord , il serait bien aatrement
déplorable de Taire tomber une tête en vertu d'une ficiîon
légale.
TROISIÈME SECTION.
AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE. \
SOMSAIBE. — 860. Importance de cette prèsomptioD. Quelle en est h portée. ~ m.
Quand il y a chose jugée. — 862. Quels Jugements peuvent avoir celte autorité. — 863.
DisUnctioQ dn dispositif et des motlCB. — 864. Eiq>oser le sujet fiommairemfsit.
860. Une présomption légale qui est le principe fonda-
mental de la jurisprudence , c'est celle qui fait considérer
les jugements comme la vérité même. Le plus bel hommage
qui ait jamais été rendu à cette règle salutaire , c'est ia mort
de Socrate, aimant mieux subir une condamnation injuste
que de donner le funeste exemple de la désobéissance aux
lois de son pays.
Une fois qu'une décision judiciaire a acquis l'autorité
irréfragable de la chose jugée, on n'est plus recevable &
invoquer contre elle les moyens de nullité les plus péremp-
toires : nous ne connaissons point, comme les Romains {Quœ
sententiœ $ine appellaUone rescindantur)^ de jugements nuls de
plein droit. Tel est le sens de l'adage coutumier (Loysel,
liv. Y, tit. II, n*^ 5) : Voies de nuLLité n'ont point de Ueu, en
France,
On s'était cependant demandé autrefois si le principe de
l'autorité jugée devait prévaloir sur celui de l'inaliénabilité
du domaine de l'État. La loi du {"décembre 1790 (art. 13}
1 Pour revoir et compléter notre tnvail, n»m aTon& mis à praft
PexceUente monographie, couronnée à Paris et à Toulouse, qu^a publiée
en* 1868 M. Griolet : De Vautorité de la chose jugée en matière ^vUe et
mi matière crimineUe.
DE LÀ GBMB JUGÉE. 439
a 4écii£ netteneiil l'affirmative. Àmei que le dk la Cmt de
cassation (Rej., 6 décembre 1864), il est ispossiUe de coo-
fiidérer comae une aliénation la reconnaissaDeei, après débat,
d'un droit eontesté. Il e» secait de même, à plus favte rai-
iion, quant k rinaliënabilité d|U fends dotal, qui ne louche
que des intérto privés.
. Ainsi, quelque respectable que soit un principe de droit,
il ne saunûi prévabÎT sur Tautorité de la chose jugée. Une
incompétence, même radicale, ne savait faire toaiber un
jugenest deyemi mattaquabte , ainsi qu'on l'a décidé (Rej. ,
29 janvier 1861 ) relativement k un juganent français qui
avait statué sur l'état dhm étranger.
Mais il est des taules que l'autorité judiciaire, dans toute
la plénitude de ara action, ne saurait être admise k dépasser :
ee sont celles qui séparent le pouvoir judiciaire du pouvoir
admiiiistratif. Si la juridiction civile a rendu une décision
sur des points réservés par la loi k la juridiction administra-
tive, on Be sauvait considérer cette dernière juridiction
comme dessaisie , par cela seul qu'elle n'aurait pas soulevé
le conflit et qu'elle aurait même laissé la décision du
tribunal civil acquérir force de chose jugée. La Cour de
cassation a recomm, en pareille hypothèse (Gass.,
28 décembre 1835 et 29 janvier 1839) qu'il y a Ik une
incompéteiice absokie et d'ordre public, que ne saurait
couvrir l'autorité même de la chose jugée.
Que faudrait-il décider si nous allions jusqu'k supposer
que la Cour de cassation , au lieu d'appliquer elle-même ces
principes^ voidût faire {M^valoir la décision judKdaire sur la
décision adinmstrative, soit en s^attachant k la force de la
chose jugée, soit, plus généralemeni, ai méconnaissant
d'une nonière quelcraqne la prépondérance de l'autorité
«dmisistrative? La question a été prévue dès l'origine de
la nouvelle oiganisatian des pouv(Hrs, établie en 1790i
440 ADTORITÉ
L'élément politique contrôlé par le pouvoir législatif, doit
l'emporter sur l'élément traditionnel.
fc Les réclamations d'incompétence k l'égard des corps
« administratifs », dit la loi du 14 octobre 1790, «c ne sont
ft en aucun cas du ressort des tribunaux ; elles seront por-
« tées au Roi, cbef de l'administration générale \ et dans le
« cas où l'on prétendrait que les ministres de Sa Majesté
« auraient fait rendre une décision contraire aux lois, les
« plaintes seront adressées au corps législatif. »
861. Dans le sens usuel de la procédure, un jugement
a l'autorité de la chose jugée, c'est-à-dire est exécutoire,
tant vis-à-vis des parties que vi&-à-vis des tiers (C. de proc.,
art. 548), lorsqu'il a été rendu en dernier ressort, ou lors-
qu'on a laissé expirer les délais pour l'attaquer par les voies
ordinaires (l'opposition et l'appel). C'est en ce sens que
Pothier (06%., n'' 852 et suiv.) envisage , même au point de
vue de la présomption légale qui s'y rattache, l'autorité de
la chose jugée. Mais cette manière de voir n'est pas bien
exacte : autre chose est le point de vue de la procédure,
autre chose est le point de vue du pur droit civil. Quand on
examine s'il y a chose jugée, en se préoccupant, avec le droit
civil, de la foi qui s'attache au jugement, on ne se demande
pas s'il est exécutoire, mais s'il emporte, comme le dit
Pothier lui-même (t6id., n"" 850), une présomption /tir» et de
jure. Or, cette présomption n'existe qu'autant que le jugement
se trouve, non-seulement muni de l'autorité de la chose
jugée, suivant les principes de la procédure, mais k l'abri
de tout mode de recours, même extraordinaire. Que si l'on
veut entendre par chose jugée l'autorité provisoire qui s'at-
tache k un jugement, même susceptible d'être attaqué, il
n'y a pas de raison pour distinguer ici entre les voies ordi-
naires et les voies extraordinaires, et il faut dire, avec les
jurisconsultes romains, que tout jugement, dès qu'il est
DE Lk CH08E JUGÉE. 441
rendu, a rautorité de la chose jugée. Post rem judicatam,
dit Ulpien (L. 7, D., De traruact.)^ tranModio valet, zi vel
dppellatio ifUervenerit, vel appellare potuerU. Ce n'est que le
droit canonique, comme le fait observer Savigny (Traité du
droit romain, § 265), qui a donné au mot autorité de chose
jugée le sens qu'il a reçu dans la procédure moderne. Au
surplus, cette distinction n'a qu'un intérêt purement doc-
trinal , puisque l'on est d'accord sur les résultats pratiques.
Une observation beaucoup plus importante, c'est qu'il ne
pent jamais y avoir chose jugée sur la question de droit pré-
sentée d'une manière abstraite et indépendamment de l'es-
pèce sur laquelle a statué le juge. En dehors du litige tran-
ché par la décision judiciaire, la solution de droit n'a qu'une
autorité purement morale *, elle ne saurait avoir dans une
autre affaire vim sententiœ. Ainsi, la Cour de cassation a
reconnu, le 27 juillet 1858, que le rejet d'un moyen de
nullité opposé b une citation ne saurait avoir force de chose
jugée relativement au même moyen proposé contre un com-
mandement. (Yoy. n* 897.) Cela est vrai, même des arrêts
rendus, toutes sections réunies, par la Cour de cassation,
aux termes de la loi du 1" avril 1837 ; ces arrêts n'ont auto-
rité que dans l'espèce pour laquelle ils ont été rendus. En
dehors de l'espèce , ils ne lient aucune juridiction , pas même
celle d'où ils émanent. Leur valeur, purement doctrinale, est
fondée, comme le disait M. Dupin, non ratione imperii, eed
rationii impeario.
862. Nous avons maintenant à nous demander quels sont
les jugements auxquels peut appartenir l'autorité de la chose
jngée.
Et d'abord, il ne saurait y avoir autorité de chose jugée
qu'autant qu'il y a jugement proprement dit , c'est-a-dire
décision du juge en matière contentieuse. Les actes de juri-
diction gracieuse ne sont point .de vrais jugements , mais
44S AUiQurÉ
des contrat» revêtus de formes juâkiaires. Ainsi, Tarrét qn
autorise défimtiTemait une adoption (C. cit., art. 357, 359)
n'a d'antre effet que de permettre k Vofficier civil de receTohr
acte da consentement des parties ; il bisse intacte an inté-
ressés la facnhé de faire Taloir tons moyens de Eût et de
droit contre la validité de Tadoption. (Gass., 13 mai 1868).
De même, nn jugement iPeoepédiem, c'est-à-dire qui komo-
logue «ne transaction enlre les plaideurs, a bien l'autorité
de la convention , mais non pas celle de la cbose jngée. Et
ce n'est point là une question de mois, puisque les conven-
tions ne sont point susceptibles d'être attaqnées de la même
manière et dans la même forme q«e les ji^menls. De
même , on ne saurait attribuer l'autorité de la chose jugée
à un jugement rendu sur reqnête , comme celui qui ordonne
l'envoi en possession des biens d'us absent (Golmar, 18 jan-
vier 18^) ^ ce n'est point par «ne voie de recours ^ c'est par
action directe qu'il y a lieu d'attaquer mi pareil jugement.
A plus forte raison ne samait-on reconnaître une autorité,
eiduant tout recours pour cause d'empiétement illégal»
a la simple autorisation que reçoit de la justice un offider
ministériel. (Cass., 18 novembre 186S et 11 février 1863.)
Mais , quand il s*agil d'nne décision contentieuse , nous
ne pensons pas qu'il y ait iîen de distinguer » le jugement
est définitif on interlocutoire , ou simplement provisoire. On
admet bien avjourd'hm , contrairement à la doctrine dv droit
romain, reproduite par Pothier {ibid., n*" 851), qu'un juge-
ment interlocutoire, par eiemple, celui qui ordonne une
enquête, ne saurait être rétracté par lé juge, et que par
conséquent il a l'autorité de la chose jugée. (Gomp. Rej.,
S5 avril 1842 et 30 JMvier 1856.) C'est dans un tout autre
sens 7 amsi que nous l'avons eipliqué (nr* 299 et soîv.),
que l'interlecvtoire ne lie point le juge. Mais on soutient
eneore qu'il n'en est pas de même des jugements provi-
DE LA €BOn JUGÉE. 443
soires, et od leprodoit cette assertioD de Polhier (loe. cit.)
qu'an jagement qui contient une oonâamnatîon provisien-
nelle , n'enqK)ite peint présonipCicKn que la somme perlée en
la condamnation soit Tériiabtoment due , puisque la partie
condamnée est toqoirs reçue k prouver dans le cours du
procès qu'elle ne doit rien. Quelque respect que nous devions
k l'autorité de Pollnery nous sommes obligé de signaler dans
cette proposition une véritable con(nsi<m d'idées. De ce que
odni qui a été condanmé k payer wie provision peut prouver
ea déishive qu'il ne doit rien , il ne s'ensuit point que le
jugement qui le ccmdamne k iburnîr une provision n'ait
point l'autorité de la chose }ugée« Il a cette autorité poriUs
ponauHt ; il décide irrévocablement que Prhnus doit payer
telle provision k SecunduM (Rej., il avril 1865), mais il ne
statue ni n'a voulu statuer sur la question de savoir si Primm
sera reconnu en définitive débiteur de son adversaire.
863. Dans le jugement, même contentieux, on ne saurait
attribuer l'autorité de la chose jugée k toutes les paroles
du juge. Non omnis vox jwdiek^ dit Dioclétien (L. 7, God.,
De <eitt. el ôtkr/.), judicat amtinet auctarkatem.
Faut-fl cependant admettre, comme on l'enseigne géné-
ralement en France, que l'autorité de la chose jugée
appartieme exclusi¥emeBt au diqK>sitif , et que les motifs,
simides éléments de la conviction du juge, pouvant être
erronés sans que la décision soit critiquable, n'aient point
force de jugement ' ? D'où il faudrait tirer cette double
conséqaenee, qu'on ne saurait jamais, dans une antre
instaDee, se prévaloir des motifs contre la partie k laquelle
ils seraient défavorables , et , par contre , que cette partie
ne serait point reœvable, fiiute d'intérêt, k les attaquer
^ Nens insistons sur cette (joestion , essentiellement pratique , noise en
lumière par Sayigny, et qne M. Griolet n'a traitée que d^e manière trop
444 AirroRiTÉ
devant une juridiction supérieure. (Voy. Rej., 29 janvier
1834; Aii:, 22 juillet 186S.)
Savigny (TraUé du droit romain, § 291 et suiv.) combat
dans sa généralité cette doctrine, en s'attachant k l'idée,
qu'a soutenue le premier Bôhmer (Jus ecdes.p prokg., lib. H,
tit. XXVII, § 14), que les raisons déterminant la conscience
du juge sont l'âme et comme le nerf de la sentence, anima
et quaH nervuê sententiœ.
Nous ne suivrons pas ces doctes interprètes sur le terrain
de la législation romaine. On ne saurait rapprocher util^
ment des formes de la procédure moderne le mode de pro-
céder àujudex, La pronuntiado^ par laquelle, dans les actions
arbitraires, il statuait sur le droit du demandeur, n*avait
aucun rapport a^ec nos motifs , c'était une sorte de décision
préjudicielle; il n'y a donc rien k conclure de l'autorité de
cette pronuntiatio h celle des motifs dans les jugements
modernes. Quant k la sentence même, il semble qu'elle
était rarement motivée. La formule de condamnation qui
nous est donnée dans les Institutei de Justinien (§ i , De
9ff' j^dic,) : Publium Mœvium Ludo Titio decem aureos conr'
4emno, aut noxam dedere, est un simple dispositif. Nous
trouvons seulement dans un texte de Macer (L. 1 , § 1 et 2,
D. , Quœ sentent, sine appell. retàndj) des exemples de sen-
tences motivées; mais Macer est un jurisconsulte des
derniers temps, et on ne peut signaler rien de semblable
dans ce qui nous a été conservé des écrits des anciens
jurisconsultes. La suppression de Vordo judidorum a pu
amener l'institution de jugements motivés, mais les
documents nous manquent sur ce point.
Mentionnons également pour mémoire l'usage de certains
tribunaux allemands, de ne point communiquer les motifs
aux plaideurs, i^sage suivi par le tribunal suprême de Berlin,
jusqu'à Tordre du cabinet du 19 juillet 1832. Chez nous,
DE LA CHOSE JUGÉE. 445
depuis la loi du 24 août 1790 (lit. Y, art. 15), toutes les
décisions judiciaires doivent être motivées^ il n'y a d'excep-
tion que pour le verdict du jury, dont le laconisme donne
lieu k de graves difficultés , ainsi que nous le verrons en
parlant de la chose jugée au criminel.
Savigny a précisé la doctrine de Bôhmer, en lui donnant
une forme empruntée à la métaphysique de Kant. Il dis-
tingue les motifs subjeoifs^ simples mobiles de la détermi-
nation du juge, et les motifs objectifs \ qu'avait en vue
Bôhmer, lorsqu'il parlait de raisons de décider qui sont
l'àme de la sentence.
On est d'accord pour refuser l'autorité de la chose jugée
^us motifs purement subjectifs. Ces motifs sont les mobiles
qui ont pu agir sur la conscience du juge , ils contiennent ,
soit l'opinion du juge sur telle ou telle question de droit,
opinîon dont la valeur n'est que doctrinale , soit l'apprécia-
tion de certains faits qui se rattachent au litige , sans con-
stituer le point contentieux.
* Aucune difficulté sur les motifs qui portent seulement
sur une question de droii dont le dispositif n'implique point
la«olution. Dès que l'on arrive au même résultat par d'autres
motifs^ point d'intérêt k attaquer ceux qui se trouvent énoncés
dans le jugement. (Rej., 9 janvier 1866.) Aussi voyons-nous
tous les jours un tribunal d'appel confirmer la décision des
premiers juges, bien qu'en réprouvant, en tout ou en partie,
les motifs par eux donnés. C'est ce que décide d'ailleurs le
législateur^ quand il nous dit (Inst. crim., art. 41 1) : <c Lors-
« que la peine prononcée sera la même que celle portée par
« la loi qui s'applique au crime, nul ne pourra demander
« l'annulatioa de l'arrêt, sur le prétexte qu'il y aurait erreur
> Cette distiiicUoo est tout à iàit étrangère à la iurispmdence romaiee ,
malgré let efforts de Savigny pour y pUer les textes du Digeste»
446 lUTORITÉ
a daaala citation du texte de la loi. » Et la Co«r de eassatioD
a appliqué cette décisioB an civil , en jugeant fofmeiiemeiit
(Rej., 3 février 1864) « qae la Cour de cassation ne savradt,
n sans dégénérer en un troisième degré de jnrididiM , sub*
(( stituer un dispositif à celui qui lui est défëré ^ qu'elle
« demeure, au cootnâi^, fidèle k sa mission kirsqn'en
(( présence d'une décision conforme au vœu de la kn, die
tt maintient cette décision et se borne k lui donner des
« motifs réguliers^ ces motifs fusseutnils contraires aux
A motifs exprimés par les juges de la cause. »
Si les parties ne peuvent s'attaquer aux motifs que Savîgny
appelle objectifs lorsque Ton ne peut les critiquer qa*aa
point de vue doctrinal , il semble qn'elles ont un intérêt
moral k réclamer, lorsque, sans contrarier le dispositif, les
motifs contiennent des allégations dont elles penvent avoir
k se plaindre. Si ces allégations n'ont rien d'injvrienx , il
ne saurait y avoir ouverture k une réclamation sérieuse.
Mais il est arrivé que les juges, tout en reconnaissant le
droit du plaidenr, ont infligé k sa conduite, au point de vue
moral , le blâme le plus explicite : ce que la loi antorise
seulement pour le président de la Cour d'asâses* (Inst.
crim.^ art. 37t.) Yaineaient a-t*on employé, pour foire
tomber les motifs de celle nature, la voie de Tappd et celle
du recours en cassation. Il a été reconnu (Colmar, 12 fé-
vrier 1844) qu'une partie ne peut rédamer devant le jnge
d'appel la suppreasiim, comme injurieuse, des motifr d'un
jugement, puisque ces motifs sont r<Bnvre des magistrats
qui ont rendu le jugement, et non celle de la partie adverse.
Quant au recours en cassation, la Gour régulatrice a décidé
(Bej., 29 janvier 1S24) ^ que < si les motife d'un jngenMnt
< Le premier considérant de cet arrêt suppose^ ce qni a été démenti,
nous le Temns, pv la jarisprvdeMe de la Gov, <iae les moUfs 4*0 ^Ige-
ment ne peaTeMt Jaiaais violer la M.
DE LÀ GflOSB JUGÉE. 447
a étaient Ae nature à courtituer «a vérkable dâit , la partie
« lésée aurait le droit de se poRinmir, mats conlre le juge, et
a noB coDtie le }«geBKBt ; nais par les voies or(tiiiaires, et
<c non par la wtie de cassaftiaA. » Par me wdmawe, il faut
entendre id la prise à partie, simnt les conclusions de
l'avocat général près la Coar de cassation.
Ce qui ne saurait être douteu, c'est que, si les motife
donnés par le juge sont touit à Eût en dehors de la mission
qui lui est confiée, ils doivent être considérés conune non
avenus. Ainsi, un jugement correctionnel, tout en renvoyant
le prévenu au point de vue de la loi pénale , avait constaté
qu'il avait vobntairement cawé préjudice k autrai , en lui
remettant des jetons de cuivre au lieu de pièces d'or. Un
jugemem du tribimal civil de Nogent-le-Rotrou, aux termes
duquel le fait ainsi étaUi s'imposait au juge civil, a été
cassé, le 23 mai 1870, attendu que l'appréciation du tri-
bunal correctionnel, complètement inutile pour soutenir les
dispositife de son jugement, ne pouvait £iire obstacle au
droit eielusif du juge civil de connaître de l'existence dn
fait pouvant donner lieu k réparation.
Une décision judiciaire qui contiendrait, même dans ses
motifs seulement, un véritable excès de pouvoir, devrait-
elle conserver son autorité? Il appartiendrait alors au pro-
cureur général près la Cour de cassation de se pourvoir dans
l'intérêt de la loi » et même au ministre de la justice de
dénoncer k la Cour de cassation l'excès du pouvoir. (Loi
du 27 ventdse an YUI, art. 80 et 88.) U a été jugé, en
conséquence (Caas., 7 juillet 1849 et 2 avril 1851), qu'un
tribunal qui , tout en se conformant dans son dispositif k la
jurisprudence de la Cour de cassation, critique cette juris-
prudaice dans les motifs de son jugement, et déclare ne s'y
soumettre que pour ne point pielonger le conflit, <:ommet
un exicès de powvoir qui doîit ètc e réprimé par l'annulation
448 AUTOâltÉ
■
des motifs énonçant nne opinion contraire k celle de la Cour
régulatrice. (Loi du l*' a^ril 1837, art. 2.)
Ajoutons, avec M. Dupin (conclusions du 2 avril 1851),
que le tribunal supérieur, lorsqu'il y a un intérêt moral pour
les parties, peut toujours leur donner satisfaction, en
improuvant, dans les considérants de sa décision, les motifs
donnés par les premiers juges.
Arrivons aux motifs qualifiés objectifs, c'est-à-dire qui
se lient intimement au dispositif, k ceux que Bôbmer
appelle , dans un style moins métaphysique , le nerf de la
sentence.
L'assertion des auteurs et des arrêts qui veulent réserver
exclusivement au dispositif Tantorité de la chose jugée, ne
soutient point un examen approfondi. Savigny (Traité du droit
romain, § 291) la combat victorieusement, en l'amenant k
cette conclusion extrême qu'un jugement aurait l'autorité
de la chose jugée, quels qu'en fussent les motifs, s'il
portait simplement dans son dispositif, suivant la nature de
l'action :
Le défendeur est condamné à payer au demandeur telle
somme, ou bien à lui délivrer telle chose.
Ou , si le défendeur obtient gain de cause :
Le défendeur est renvoyé de la demande formée contre lui.
Et des dispositifs de cette nature sont loin d'être une
abstraction. Telle était probablement dans l'origine , ainsi
que nous l'avons vu, la sentence du judex romain. Telle
était certainement celle que l'on rendait dans les assises
seigneuriales, dont Beaumanoir (chap. lxvh, n* 34) nous
donne la formule*: « Lor resons oyes et provées en jugement
« noz disons, par droit, que Pierres enporterat le sai-
ic sine ou le propriété de ce dont pies estoit. » Comme on
reconnaissait néanmoins (chap. i , n<> 20) qu'il ne convenait
pas de remettre en jugement le cas qui autrefois avait été
DE LÀ eaOSB JUGÉE. 449
jagé, il fallait bien , en recourant, suivant Tusage du temps ,
aux souvenirs de ceux qui avaient assisté aux assises,
rétablir les conclusions des parties pour savoir quelle
question avait été jugée. H y avait également un simple
dispositif dans nos décisions judiciaires de Fépoque anté-
rieure k 1789, qui n'était point motivé, et dont il fal-
lait rechercher le sens dans les pièces du procès. Enfin,
notre juridiction correctionnelle rend bien des décisions
motivées , mais le dispositif y consiste simplement dans
l'application de la peine : Condamne, etc. Pour savoir ce qui
a été jugé, il faut nécessairement se reporter aux motifs :
Attendu que N. s^esl rendu, coupable ^escroquerie, etc. Ici la
nécessité a bien forcé la jurisprudence de la Cour de cassa-
tion k reconnaître (Rej«, 26 juillet 1865 et 8 novembre
1866) que la force jugée appartient alors, non-seulement
au dispositif, mais k ceux de» motifs qui se réfèrent aux qua-
Ufteadons pénales. (Voy. aussi Paris, 2â janvier 1864.) Ces
motifs font essentiellement corps avec le dispositif. Ce sont
alors les motifs, rédigés parle juge, qui nous fournissent
sur la portée du jugement les renseignements qu'il eût fallu
demander autrefois aux souvenirs de Tassistance ou aux
pièces du procès.
Si le dispositif est généralement plus développé dans nos
jugements civils, il peut cependant fort bien arriver que les
motifs en soient le complément nécessaire. C'est ce que la
Cour de cassation reconnaît implicitement, mais d'une
manière non équivoque, lorsque, revenant sur ce qu'avait de
trop absolu sa première jurisprudence , elle pose en principe
(Rej., 25 juin 1869) qu'on ne peut attaquer les motifs
s^ils ne sont point nécessaires pour soutenir le dispositif.
Ainsi , lorsqu'un débiteur oppose k son créancier la com-
pensation, et que le juge, en rejetant la compensation dans
son dispositif, motive sa décision sur la nullité de la créance
480 iVfoaiTÉ
m¥oquëe par le demandeur, ce motif «ooUeiit ^vidanmeot
le dispositif, et il y a elMse jugée quant k la noHîlé de la
créance. Il en est ainsi , sans conteste, toutes les fois qoe la
4]«estîoii résolue sur les motifs est vraiment préjudicielle^
et., en effst^ si Tou détachait la questÎM, comme on le
faisait & Rome, on aurait un premier dispositif auquel
s'attacherait rautorité de la chose jugée *, or, ce serait, comme
le fait observer Savigny, un yéritable formalfeme que de
Toaloir donner moins de force à la décision du juge , parce
qu'elle se produit sous la fome de motif, et ion sous celle
. de jogemeot préjudicid. (En ce se», Mtmes, 10 déceflAre
1839.)
n y a plus de dilBcuité, et M. Griolet {Aïooràé ék ta chose
jugée, p. 9) combat la doctrine de Savigny, lorsque le dis-
positif peut k la rigueur se soutenir sans les motifs, par
eKomple, lorsque le dispositif affirme la créance et que lefiiît
du payement se trouve ni^dans les raotife. 4ja diose J9gée ,
dil-oa, ne porte que sur la relation de droit, la créance,
relatK» qui a effectivement eiisté nonobstant le fait d«i
payement, liais cette doctrine nous parait trop subtile. Il
est évident que le motif ici n'est point parement subjectif,
puisqu'il tranche la question sur laquelle a porté le débat,
le fait du payement. Si Seeundus a été reconnu débiteur de
Pfimui, c'est parce qu'il n'a pu justifier do payement. La
relation de droit est m inséparable du fait, ex facto jtm nos-
ckwr. Au fond, M. Griolet ne s'écarte guère de la doctrine
de Savigny, puisqu'il reconnaît (p. 123) qu'il ftrat con-
sulter les motifs, toutes les fois que le dispositif est sus-
eeptible d'interprétations difiërentes.
Savigny applique également -sa (béorie mr les wotifs dans
14qp0tjbèse où le défendeur k l'action réelle établirait qu'il est
luimcime propriétaire. Dans le système de la légidation ro-
(, le défendeur "nepeot régulièrement {airecettepreuve;
DE Vk «CMSfE JUGÉE. 45f
£1 veto ifui p&mdet, nim€st actio prodkuy per quant neget rrnn
4U!tam ssse. (Jasl., Inst.y § 2, l^e act.) En déclarant la pno-
priétë diidéfendear dans lestnotifs de la sentence, lejudex
communiquerait k cette déc!aTati4Mi Tautorité de la chose
jugée. Celle «olorhé donnée à Rone aux motifs , qui ne
nous apparaissent que dans le dernier état du droit, est
singulièrement hasardée-, tout au plus pourrait-on l'admettre
dans la législation de totinien , et par eraséquent dans les
pays modernes qui suivent le droit romain. Mais, aucun
texte du droit français ne reproduisant la doctrine romaine^
d'après laquelle le défendeur n'est point admis k prouver la
propriété , nous sommes dispensés de recourir k cet expé-
dient. Le défendeur k J'action réeUe^peut fort bien se porter
demandeur reconventlonnellement, et par conséquent faire
constater son droit dans le dispositif. (Voyez l'arrêt de rejet
du 22 mai 186S, cité n» 237 ter.)
864. Cette importante présoraptioo se rattachant au
fond du droit autant qu'k la preuve , les règles sur l'effet
des jugements, e'est-k*dire sur les perscomes -et sur ies
objets auxquels elle s'applique, reposent sur les 'mêmes
bases que les règles sur l'effet des conventions. On l'a
soumai dit avec raison, jtvdieiù contrahimut\ Les bornes
eft le phm 4e tet ouvrage ne comportent qu'mie exposition
sucGÎnete ées doctrines sur la chose jugée , que nous avions
signadëes comme pouvant faire la matière d'un Kvre: vœu
qui "a été heureusement réalisé par le travail de M. Griolet.
Aussi ne traîterons-iious point de l'effet des jugements
rendus en pays étrangers , sujet qui 'se rattadie k des con-
sidéralions de pur droit international , étrangères k l'objet
* Judicio contrahere 8^eatend,en droit romain, non de la sentence da
}oge, mais de Tespèce de conTention qui s^opère par la litis contestatio,
d'où naît Via&taaïce,fudicium, Néanmoins l'idée est au fond la même, la
jugement n'étant que le complément de l'instance, et puûant toute sa force-
4tm U âeânotiôreik in judMtm.
S9.
453 GHOSB JUGÉB
de cet ouvrage. Mais il faat reconnaitre, dans tous les cas,
que les jugements étrangers, en dehors de tout exequatur,
font foi, jusqu'à preuve contraire, des faits qui y sont
constatés. (Douai, 8 mai 1836.)
Nous nous occuperons , suivant notre usage , d'abord de
la juridiction civile, puis de la juridiction criminelle^ nous
terminerons par Texamen de l'influence que peuvent
exercer les jugements civils sur les jugements criminels et
réciproquement.
PREMIÈRE DIVISION.
CHOSE JVetE AU CIVIL.
Som aub. — 865. Limites de l'autorité de la chose Jagèe. — 866. Interprètatioii erronée
da droit romain.
865. La fiction nécessaire à la conservation de l'ordre
social , qui fait considérer la chose jugée comme étant la
vérité , n'est légitime qu'k condition de ne jamais dépasser
les limites de la question qui a été posée par le juge. Au
delk, il n'y a plus d'autorité de la chose jugée, par cette
raison péremptoire qu'il n'y a plus de jugement. C'est ce
qu'Ulpien exprime d'une manière bien simple, dans le texte
suivant (L. 3, D., De except, rei judic.) : Julianuê reipondk
exceptionem rei judkatœ obstare, quoHent eadem qucsitio inUr
eaêdem penona» revoeatur. Le Code civil eût coupé court à
bien des controverses et à bien des embarras dans la pra-
tique, s'il s'était contenté de dire (art. 135i) : « L'autorité
4< de la chose jugée n'a lieu qu'k l'égard de ce qui a fait
(( Tobjel du jugement il faut que la demande soit entre
4( les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en
« la même qualité. »
866. MalHbureusement ici , comme cela arrive trop sou-
^
- AU givilJ 453
vent, one interprétation erronée du droit romain a passé de
la doctrine de Pothier dans le texte du Code.
A Rome , excepté dans les judida légitima (Gaius , tom. IV,
§ i07) , tombés en désuétude h Tépoque de Justinien , le
moyen que tirait le défendeur de la chose jugée était pré-
senté comme une exception ' de nature à paralyser Faction
qui serait de nouveau intentée. Ainsi envisagée, Yexceptio
rd jud&catœ est un pur moyen de procédure , comme Yexceptio
rei in judidum deductœ, que Ton donnait s'il y avait eu Utis
cantestatio, puis péremption de Tinstance. (Gaius, loc. dt.)
L'exception de la chose jugée, ainsi envisagée, n'était que
l'extinction de l'action par suite d'une loi de la procédure.
Le moyen tiré de la chose jugée se présentait d'une ma-
nière plus nette, lorsque , sans se prévaloir d'une extinction
directe, on invoquait la déclaration précédente du juge sur
le fait litigieux comme coupant court k toute controverse.
Ainsi, lorsque le juge, vis-k-vis lequel le défendeur avait
invoqué une créance comme moyen de compensation , avait
repoussé ce moyen» en niant l'existence même de la créance \
bien que le droit allégué par le défendeur n'eût pas été pré*
cisément déduit in judidum, il n'en était pas moins para-
lysé, quari re judicata, par l'exception de la chose jugée.
(Ulp., L. 8, § 1 , Deneg. gest.; L. 7) § l, Und,, Deampem.)
11 en était de même pour le part et pour les fruits qui
ataient pris naissance après la litis contestatio. Le demandeur
qui avait échoué dans la rd dndicatio, s'il voulait réclamer
ce part ou ces fruits, était bien recevable, en principe,
puisque son droit n'était point consommé, n'ayant point été
déduit en instance, mais il était repoussé, au moyen de la
* Ches nous, il est beaucoup plus simple de faire toujours produire à la
chose jusée un effet direct, et c^est ce que nous dcTons admettre aujour-
d'hui, bien que beaucoup d^auteurs répètent encore, sans s'en rendre
compte, la Tidlle expression à^exceptUm de la chose jufét.
iM CHOSE JUGÉE ■
fonction, noa ploa nëgaliTe, mais-posUiTe, de Ve%eeftàouàt
la chose jugée. (Ulp., L. 1, § 1 et 3,D.^l>edaBc«pt. rdjwBc.)
Les interprètes onl eonfonda ces deux applications de
Texception de la chose jugée : eonCiision impulaUe jusqifk
un certain poîat aux juriseonsulLes romains eux-ménes^ 91»,
plus praticiens que rigoureux analystes, n'ont nulle part
si(p&alé nettement la distinction. H a fallu, pour élueîdef ce
point, la sagacité de la critique allemande. KeUeit,.le pie-
mîer , a distingué la /onction négative et hkfanetwm poiiâué de
l'exception. Ces. deux fonctions se dessineni nettement dflBft
une hypothèse bien connue des romanistes., mais donl on
n'avait point su tirer parti.
Le défendeur, dans une action réelle, OHnme dans toutes
les actions arbitraires, doit être absous, s'il satisfait au de-
mandeur, bien que le droit du demandeur ait été reconnu
par le juge. Dès lors , si plus tard il possède de nouveau
l'objiet du litige, actionné une seconde fois, il invoque l'ex-
ception rdjudkatœ, en tant qu'extinctive de l'action pomi-
tive. Mais., ainsi que l'observe Julien (L. 16, D., tftùiL), il
serait singulièremeut inique que l'exception de la chose
jugée profitât k celui contre qui a été rendue ladéeiâon ju-
diciaire. Aussi le demandeur répliquera-t-îl à l'exception
négative, en invoquant l'autorité positive de la chose jugée :
Si exceptio objicietur a pos^essore rei judicaiœ, nptieei^gi se-
cundwn mejudicatum non, esL\ (Marc, L. 16, § 5, D., De
pign. et hypoth.)
Les textes , rapprochés d'une manière plus ou moins heu*
reuse au Digeste, qui ont servi de type k l'article 135A du
' L'effet 'négatif de Pautorité de la chose jugée, tenant aa caractère
même de la procédure , a nécessairement existé à Rome de tout temps. H
n'en était peut-être point de même de l'efCst positif y qui snppM» vue
civilisation plus a¥ancée, et qui n^existe point .. dit^^Mi , dans laloimnanl-'
mane. Ce dernier effet parait du moins avoir été consaaré kRomo » dès Is
temps de Cicéron „ qui reproche à Yerrès çpiad ds rej^iUcaia ji
jm ۔Ta^ 4B&
Codfr, flcnt dtes fragments de P»l et d'Ulpieik (L. 19^ t3(
et lAy De èxcepi. reijuiMcat.,}, ainsi eeopis :
Cum fwgrkar, hœc esœj^ noceoê,. nec oe^ ift^ÂdBmtkm
ett, «n. idmn corpus 9ii;
Quantitas eadmiridemjm;.
El an, eadêOL auua petendi, éttademccndkio pentHianmi : q/us
niri omnia concurrunt, alia res est.
Ainsi que Ta tvès-bîai fait voir M. &riekt {Àusonté de la
chom jugée r. pag. 12 et suiv.), ces ta tes sont rdatife k la
confiommalion de Taetion et non k: Feffist pesitîf qae peut
entraîner dans d'antnes: affaires rantorité de la ehese jogéeu
C'esl au pwit de yue de la dèdfteiio m judùmm qu'il ÊiUail:,
pouit que Ton* fiikt nna' reeevable à repreduire le droit lë*
clamé, identité : l"" dans Vobjet eorp(Nrel ou dans la qiian«^
tité^ 2"" dans le droit-, 3*" dans la cause-, i"" dans la personne
qui était le sujet du droit.
Nous renvoyons an savant travail de M. Griolet pour le
développement de ces diverses conditions dans lia procédure
romaine. Ce qu'il nous importe de constater, c'est que ces
conditions , dont on a tant abusé , sont relatives à l'extinc^
tion par la sentence du juge du droit déduit en instance.
Appliquer, comme l'ont fait les anciens commentateurs, ces
règles & l'autorité positivé de la chose jugée, c'était se
mettre en opposition , soit avec le bon sens , soit avec des
textes formels. Ainsi, pour ne parler que de la condition
de l'identité de l'objet, an corpus idem sit, cette identité
n'existe nullement entre la réclamation d'un corps certain k '
titre d'héritier, et la pétition d'hérédité exercée contre un
débiteur héréditaire. Il y a cependant Ik identité d'objet, au
point de vue de l'autorité de la sentence, entre l'une et
l'autre réclamation. C'est ce que décide , d'accord avec la
raison,, un te^Uâ positif d'Ulpîen. (L. 7, § 5, D., As estoeft.
injufUcJ) L'interprétation a été plus, malbemwuse: encore,
456 CB08B hjgée
ainsi que nous le Terrons, lorsqu'elle a recherché une cmm
proarima actionu en dehors du litre même de la demande.
Telle est l'origine des dispositions de Farticle 1351 :
« Il faut que la chose demandée soit la même; que la
« demande soH fondée sur la même cause. »
Dispositions qui ont singulièrement embarrassé les au-
teurs et la jurisprudence.
Nous allons traiter d'abord de l'identité de la question
soumise au juge , en tâchant de rétablir les vrais principes
de la législation romaine , obscurcis par la confusion que
nous avons signalée. Nous parlerons ensuite de l'identité
quant aux parties et k leurs qualités, qui soulève, sans
doute, des difficultés sérieuses dans l'application, mais pour
laquelle du moins le principe général ne donne lien k au-
cune contestation.
I I. I»BrnTlfc BB UL QUBSTlOir*
SoiauiRB. — 867. A quelles condUions il y a identité de la qnesUon. — 868. Identité
da droit — 869. De Tobjet du droit. — 870. Objet individnel. — 871. QvaiiUtét. —
872. Rapports da toatet des parties. — 878. Identité dn titre de la demande. Ciase. —
874. Nécessité de la mention de b canse dans les actions réelles. — 875. Cas oà il n'y a
point diflcnlté sar le caractère de la canse. Controverse snr la bits extinctib. — 876*
Actions en nnllité. Réfntation de la théorie de TonUier.
867. Est-ce la même question qui s'agite entre les plai-
deurs, eadem quœ^, comme le dit, avec sa netteté babi-
tuelle, Ulpien, dans le texte cité plus haut (n* 863)?
La question sera la même , suivant la judicieuse analyse
de M. Griolet (pag. 133 et suiv.)i s'il y a identité 1* dans
la nature du droit-, 2* dans son objet; 3* dans le titre de la
demande, c'est-à-dire, dans le fait juridique sur lequel die
est fondée-, nous évitons d'employer le mot caïue, qui a reçu
une extension exagérée dans la doctrine moderne.
1* Identité du droit.
868. L'identité du droit réclamé, idem jus, dit Ulpien
(L. 13, D., 0« except. reijudie.)^ est la première condition
AU CITIL. 457
qui se présente k l'esprit. Cette expression vague de Pothier
et du Code, la chose demandée, semble confondre le droit
réclamé avec l'objet du droit. Le droit peut être identique,
et la chose demandée toute différente , ainsi que nous l'avons
déjà fait observer pour la pétition d'hérédité. (N* 866.)
n ne s'élèvera guère de difficulté sérieuse sur l'identité
du droit prétendu , quand il s'agira du cumul du droit réel
et du droit personnel. Il est difficile de supposer, dans la
pratique , qu'on invoque sur le même bien un droit réel et
un droit personnel , sans que ces droits se rattachent k des
faits juridiques différents. Ce qui peut seulement arriver
sous l'empire de notre Code (arL 1138) , c'est que la même
personne soit k la fois, et au même titre, créancière et pro-
priétaire d'un corps certain. Il est évident alors qu'elle ne
saurait présenter sous une face nouvelle une seconde action
tendant au même but que la première. Les jurisconsultes
romains ont bien reconnu qu'en pareille hypothèse il faut
s'attacher au fond des choses plutôt qu'à la forme. De eadem
re agere videtur , dit Ulpien (L. 5, D., ilndj)^ et qui non eadem
actione agat, qua ab inUio agebat: sed etiam $i alia experiatur,
de eadem tamen re. Vt puta et quie mandati aeturus, cum et ad-
venariuejudicio sUtendi cauea promismet, propter eamdem rem agat
negotiorum gestorum veL vindicet, de eadem re aget. On peut
citer, k l'appui de cette doctrine, un arrêt de la Cour de
cassation (Rej., 19 avril 1836) qui considère l'action en re-
vendication d'objets mobiliers, de la part du vendeur non
payé, comme se confondant dans son but avec l'action en
résolution de la vente \
Ce qui arrivera plus fréquemment , c'est qu'après avoir
* Remarques qne cet arrêt est antérieur à la noBTelle rédaction du Ck>de
de commerce, dont Particle 550, par le sens général qu'il donne an mot
revendication f fournit un paissant argument au système qui ne Toitdans
la roTendication exercée par le Tendeur de meubles que Texercice » Tia-à«
Tis des tiers, du droit de résolution.
4ÎS8 0HQ9» JUGÉE
revendiqué un droit plus étendii sur um bien , je reradiqi»'
ua droit mains étendu., ou réciproquemenL On réclaneia,
par exemple , au même titre, un droit d'usufruit ou de aet-
yitude sur un bien, aprë» en avoÎB YaineBiait réclamé la
pleine propriété. Il fiaut alors* distinguer si k. revendkation
d'un droit moins étendu paor cdm qui aédkouédaDs la reven-
dication de la propriété entière^ ne fait qtÊt reprodiDre la
même réclamatioQ sous une autre forme, om constîtiie une
préteation toute nouvelle. Ainsi., après afvair été iepoussé
dans la revendication d'un inuneuble, je ue pomrai leveo-
diquer la jouissance de ce même immeuble, si jrlarédaœ
comme partie intégrante du droit de pniprîélé, ce que k»
commentateurs ont appelé l'usufiruit eamai. Mai» je serai
reçu k revendiquer l'usufruit proprement dit, rasufrnl
formel^ sans que l'on puisse m'opposer ce qui a été jugé sur
la propriété : bien que rusuirak. constitue en. fliéofie ua dé-
membrement de la propriété , il n'y a aucune contradktioD
dans la pratique à reconnaître que tel titre ne m'a point
conféré la prc^riété , et k soutenir en même temps qu'il m'a
confiécé un droit d'usufruit. (Yoy. Pon^).^ L. 21^ § 3,.D.,
Dûexcept.^ reijudic.) Autre chose est la réclamalîea paB^le
d'un droit déjà, réclamé en. totalité y autre chose est la réekh
matîon d'un droit distinct, bien^, que compria m êhêrmto
dans le premier. C'est ainsi qu'un aroét de rejet du SO^miH^
1837 a jugé que le non-succès de la demande dÉ prc^ié-
taire d'un fonds, tendant k. s'affcancbic d'une servitud» non
œdificandi, ne faisait pas obrtacle k œ que ce pfopriétaare
réclamât ultérieurement, par une diemanda spéciale y te
droit d'exploiter son mus de elâtune en y douamit.de la pro-
fondeur et en y pratiquant des boutiques sur la voie pu-
blique : (( Attendu y en droit,, qu'il n'y a point de chose jugée
(c toutes les fois que la demande sur laquelle a statué le
« second arrêt n'est pas la même que cdle j^gée pac le
« premier; qpieteéeHande génénde par laquelle on réclaune
a un drok absolu et sans botnes, est tout ii fait dMEérente
« de h éoBoade spéeMe par laquelle on rëdMte im droit
« déterminé dislmct du premiier , et dont il n'a été ■de-
ce ment qnestkm à roeeaaion do premier arrêta qn'^ifin la
« disposition générale de cet arrêt qui rejette la demande
« générale, ne rejette aueunement la demande spéciale,
<c k regard de laquelle les parties n'ont rien réclamé \ sen-
a tentia generoHs lata mper'petUione gênerait restringitur ope re-
« plicationis } ttd prQweaOa tantum * b : maiime empruntée par
le rappottenr, M. Lasagni, k la Glose. (^Aà Ug. 2, €od,. De
Le droit à la possession est essentiellement distinct dK
drok de propriété. Il en résulte nécessairement que la
chose )ugée a» posseasoire laisse intacte la question du
pétitoire. (Gass., 22 août 1853.) Et lors même que la de-
mande au pétitoire est fondée sm* la prescription , qui a
eUe-méme pour base la possession^ la décision du juge de
paix , qui constate le droit du réclamant au point de vue de
la maintenue possessoire , ne saurait préjuger en sa firveur
le droit de possession en tant qa'il peut conduire k la près-
cr^tion. (Rej.^ 2a décembre 1857 et 11 avril 1865.) Ajou-
tons même que, si le juge de pair s'est bovné k maintenir
en possession le défendeur k une action en complainte, ce
jugement ne lui assure point le droit de possession au point
de Tue actif V car^ de ce que le demandeur n-a pu justifier
de son droit, il ne s'osait point que la possession appar-
tienne aft défendeur. (Rej.^ 21 mars 1834.)
* La repUctUio dont parle la Glose , est la répUqoe du demandevà
^exception de la chose jugée.
'* Sumnt M. Cftiolêt, Parrèide 1837 aurait dA être mo^é rar ee ^H
s'agissait plutôt,, dana Fespèee, de rexécution de la première dédsioo que
de la réclamation d'un droit distinct du premier; mais, au fond, M. Griolet
admet la doetii«e de 1a Cour légvhlrice.
460 CHOSE IU6ÉB
S'il n'est point permis , à Tinverse , au demandeur au pë-
titoire de revenir ultérieurement au possessoire (Cod. de
proc, art. 26), ce n'est pas que la question possessoire ait
pu être jugée par le tribunal civil -, c'est que je suis censé
avoir renoncé à l'avantage de la possession, en plaidant sur
le fond (Rej., 2 février 1857) , supposition qui n'était pas
admise à Rome. (Ulp., L. 12, § 1 , D., De adq. pou.)
2« Identité de Pobjet.
860. Arrivons k l'identité de l'objet du droit.
Il importe d'abord de nous prémunir contre toute équi-
voque. Point de doute qu'on ne puisse réclamer plusieurs
fois le même objet en vertu de titres différents, d'une dona-
tion , d'un testament , etc., sans que le rejet de l'une de ces
demandes soit de nature k préjuger en rien le sort des
antres. Aussi n'y a-t-il point lieu de' citer, comme relatif k
l'identité d'objet, un arrêt de cassation du 14 février 1831.
Si cet arrêt a jugé qu'on peut, après avoir échoué dans la
demande d'un droit de propriété exclusif, réclamer sur le
même bien un droit de propriété commune et indivise , c'est
que ce dernier droit, ainsi qu'on peut facilement le suppo-\
ser, était fondé, dans l'espace, sur un autre titre que le
droit précédemment réclamé. 11 faut donc nous placer dans
l'hypothèse où , le titre demeurant le même , le doute porte
sur l'identité de l'objet du droit.
n ne faut pas non plus considérer comme l'objet du droit
la chose matérielle actuellement réclamée , si la réclamation
se rattache k une qualité sur laquelle porte le litige. C'est
ainsi que, dans un texte d'Ulpien (L. 7, § 5, D., De except.
reijudic.) déjk cité (n* 866), on ne permet point k celui
qui a vainement intenté la pétition d'hérédité contre un dé-
biteur héréditaire , de renouveler le litige en revendiquant
un corps héréditaire ; car le véritable objet du procès n'est
AU CIVIL. 461
point le payement de la dette , on la restitution du corps
héréditaire , mais bien la qualité d'béritier sur laquelle il a
été statué : Nom, cwn hèredUatem pe(o, dit Ulpien, et cor-
para et aetiones omne$t quœ tu hereditate sunt, videntur in pe-
titionem dedud^
Il en serait autrement (I31p., L. 9, pr., ibid.) si la péti-
tion d'hérédité n'avait échoué que parce que le défendeur
me possédait point , et que je reproduisisse ma demande en
invoquant le fait de la possession. Ma demande , n'ayant été
repoussée que par une fin de non-recevoir temporaire , pour-
rait être renouvelée avec succès.
L'idenifté d'objet s'entend d'une manière plus restreinte,
si nou9 nous plaçons au point de vue de la fonction néga-
tive de l'autorité de la chose jugée, c'est-k-dire si nous re-
cherchons ce qui a été déduit directement dans l'instance
(n* 866); en ce sens, il est vrai de dire, avec l'article 1351,
que la dme demandée doit être la même. Cette proposition
cesse d'être vraie si on se place au point de vue plus large,
qui avait fini par prévaloir k Rome (même n* 863), k celui
de la fonction positive de l'autorité de la chose jugée. Bien
que l'objet réclamé soit différent , pourvu qu'il se soit trouvé
implicitement compris dans la même demande ' , c'est la
même question qui est reproduite, eadem quœstio versatur,
suivant la définition de Julien (L. 3, D., ibid.)» et le procès
ne peut alors être renouvelé , parce qu'il y a au fond iden-
tité de sujet du litige.
En nous plaçant au premier point de vue, à celui de l'iden-
tité matérielle de l'objet, il faut encore examiner si le «tcfr-
etraium du procès est un objet envisagé individuellement ,
ou bien une quantité, ou bien un corps considéré dans
É
* n n*y annit point de décision, même implicite, fi Ton avait statué
sur Inapplication d'un titre, mais saos en reeoonattre formellement la
TaUdité. (R^., 10 décembre ise7.)
462 OiCMB JtKÎÉE
kfl Tafiparts de l'ensemble avec les partiâs otmstiiiilÎYeg.
S90. En ce ^ touche Tobjet eavisagë «dans son îiiAri-
dfis^ité, il Êiat remarquer, avec les juriseonsultes lomains,
que l'ideatité ne doit pas s'eAteodre trop littëralemait.
Idem corpus, in hoc exceptione, dît Paul (L. 14, pr., D.^ flUi/.),
wm utiqtie omm pristina qualiUxte tervata, tmUà (ulfectione de--
minutioneve fada, âed pinguiu$ pro êommuni tàUkate aaipàmr.
Ainsi, lorsqu'il s'agit d'un être moral, on n'exige pas l'iden-
tité absolue des éléments q« le eomposent. Les change-
ments 4>u diminations qui s'opk^en^ dans un tronpean, par
exemple , n'en changent pas la substance , el ne pemetteiit
pas d'iiitieBter une action nouvelle k cehû qni a é^ fiuc-
combé dans une demuide^n revendication. (Pomp., I^ 21,
§l,D.,iAW.)
871. Relalivement a«x quantités, il est éfident qu'une
quantité svpérieiire, due ex eadem ^mtêa, comprend la
•qualité inférieure. Si j'ai vjdnement demandé vii^t en
vertu d'un prèt^ je ne puis dcHiander dix au même titre.
<{ue si j'ai demandé et obtenu dix., je conserve mon droit
poar le reste. Seulement, à Rome, j'étais repoussé par
l'exception ikh dividuœ^ si je voulais agir durant le oours
delà même prétare (Gains, îngt.^ camm.IV, §^), et cbez
nous, je serais non recevable k prouver ma seconde de-
mande par témoins , &\ elle n'était pas eotièrement justifiée
parécrîL (Cod. civ., art. 1346.)
872. Arrivons a l'hypothèse où le Uiîge parle Buccessî-
ivement sur un objet malénel et sur les divers é)imMA qui
le constituenL
€e que nous avons dit de l'auitorité de la chose juf^
jnehtivemeiii k l'^toadue du droil ( n*" 868 ) ., dok :s'appliqMr
également au corpm qui est l'objet du droit : Nec ituerest,
éit Ulpien {L« 7, pr., D., ibid,), in corpore hoc quceratur,
m quantUate vel injure. De même «qu'afiràs Avoir wi&snËifBté
jàJB crfÊL, 463
ia pvopriélé d'an lonés^ je «ne puis revendiquer sur oe même
fMds TiisufriHt caoïsal^ je me j^iîs, après aToir échové sur
k renoidicalMm da fioads entier^ rœuvder ma denande
pour une pari dihrtae'Oii iativise. (Ulpt., toc. oh.) En ce sens,
le jwnscoBSttite raman a parfakement raÛBM de dire {ihid. )
iqw da partie eât caDteaae daDs le tout :: Pars m toto est. Les
aAtafaes dîdgëes par k regretitable Mafcadé oaotre eolte
praposkioD , n^furaduite par les oemm^ntaleiirs , ne reposent ,
.après tout^ ipie sur une éqoiToqne.
Pour eoBimaer toujours le rapprodiement du drcHt et de
Tabjet matâriel , nous avons yu que je puis parfiiiteraent
^B* 863) revendiquer rusufruât foonel, après avoir échoué
sur la propriété, parce que oe ne sont poiot là des quaa-
tités homogènes. Estnce à dire que la ouixime Pwn m soto
est puisse être plus douteuse que l-aiîme Deux et deux font
-quaivef La vérité est -que je ne réclame peint le droit d'usu-
fruit aoume nne partie intégranlie du dmît de propriété^ et
que je me trouve ainsi .placé en dehors de l'application de
la maiime. Hênae décision en oe qui concerne le toat com-
paré aux parties matérielles d'un objet. II est possible que
le jttgement rendu qaant à l'objet total laisse intacte la
<{uestion de la propriété tdes parties, c Is qui iasalam petit »,
dit Ulpien (même L. 7^ § 2)^ « m ^csemeala vel tigna vel
« quid alîad fiunm petat , ia ^ea coaditione est ut ^ideatur
a aliad petere. Ëtenim, cujus insulaest, non utique et csb-
« monta aunt '. d En toute matière, ce qu'il faut examiner,
<'est, comme le dit Pothier {Pondect.^ De except. rei jud^,
§ 5) , si ce qui est demandé de nouveau, tatufiiam pars ejus
il^uœ petita fuerU, \peuaur. Aloors seulement on peut appli*
. r ^ Ajoutons toiMTois que, 4mi8 l^yfothèn oè les iDatérianx seroÉt
réclamés par nne action postérieure , ils le seront presque toiûoof ^ « ^
fait, en vertu d*une autre cause que celle qui motiTait la rerendication de
i^édiao«.
46é CHOSE I06ÉE
quér la maxime Pars in toto eu; mais, de ce qae plusiears
commentateurs modernes se sont quelquefois trompés quant
h l'application de cette maxime, ce n*est pas un motif pour
révoquer en doute une vérité aussi élémentaire.
Comme corollaire de la maxime Pars in toto est, les an-
ciens commentateurs ont imaginé de dire à l'inverse : Totwn
in parte non est. Cette proposition , qui n'appartient point aux
jimsconsuUes romains , est loin d'être exacte , même dans
les sciences physiques : car , lorsqu'un tout se compose de
parties homogènes, ce qui est yrai de l'une des parties est
yrai des autres, et par conséquent du tout. Telle est même,
nous l'ayons vu (n* 14) , la base de Tinduction , qui se fonde
sur des observations concordantes pour s'élever de la con-
naissance des faits particuliers aux lois générales de la na-
ture. En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée, il
faut distinguer trois hypothèses : i* celle oii le premier ju-
gement a statué sur un droit partiel , distinct du droit gé-
néral actuellement réclamé-, 2* celle où il a statué sur une
partie de l'objet de la demande actuelle, mais sans rien pré-
juger sur le tout-, 3* celle où le premier jugement, en ne
statuant dans ses termes que sur une partie de ce même
objet , a virtuellement tranché la question pour la totalité.
Dans la première hypothèse, il n'y a point lieu de dire :
Totum in parte non est; il s'agit de droits complètement
distincts. De même qu'après avoir vainement revendiqué
la propriété , je pouvais revendiquer l'usufruit formel , de
même que je pouvais revendiquer les matériaux pris isolé-
ment, après avoir yainement revendiqué l'édifice considéré
dans son ensemble-, en supposant l'espèce inverse, je serai
parfaitement recevable à présenter comme une demande
nouvelle la revendication de la propriété, ou bien celle de
l'édifice.
Dans la seconde hypothèse, il est vrai de dire que le
AU CIVIL. 46S
jugement relatif li une partie laisse intacte la réclamation
du tout, en ce sens quMl demeure permis de réclamer le
tout, moins la partie comprise dans le premier procès.
Ainsi, lorsqu'il a été jugé que je ne suis point propriétaire
d'une pièce de terre faisant partie d'un domaine, je puis pré-
tendre encore U la propriété du domaine , moins cette pièce
de terre. C'est encore là une vérité mathématique, puisque
le retranchement d'une quantité comprise dans une somme
plus considérable laisse nécessairement intact tout ce qui
excède cette quantité. Il faut supposer toutefois que les
conclusions posées dans la première instance ont porté
exclusivement sur la propriété de la pièce de terre , et non
sur celle du domaine entier -, autrement, nous retomberions
dans l'hypothèse suivante.
La troisième hypothèse nous ramène k la fonction posi-
tive de l'autorité de la chose jugée. U ne s'agit plus d'une
res in jtuUcbm deducta, puisque nous supposons que le pre-
mier jugement n'a statué dans ses termes que sur une partie
de l'objet. Si l'on se plaçait au point de vue primitif de
l'exception de la chose jugée, le litige pourrait être renouvelé
quant à la partie de l'objet non comprise dans les premières
conclusions. Ainsi, il est évident qu'on n'a pas déduit in
judicium une chose qui n'avait pas encore d'existence dis-
tincte, comme les fruits du fonds réclamé non encore
recueillis à l'époque de la demande ; il n'en est pas moins
vrai que le juge , en statuant sur la propriété du fonds, a
virtuellement statué sur celle des fruits. Hœc enim nondum
erant in rerum naiura, dit Ulpien ( L. 1 , § 3, ibid,), sed ex re
nmt quœ petita est; magieque est ut ista exeeptio noceat.
Il en sera de même, k plus forte raison, si la nouvelle
réclamation porte sur un droit qui aurait déjà eu une exis-
tence effective lors du premier jugement , dont la décision
en emporte forcément la négation. C'est ce qu'ont encore
n. 30
466 GH08B njQiE
recoDBU les juriscongultes romains, auxquels on prête mal it
propos la maxime générale : Totum in parte non m. Voici
l'espèce élégante que pose Africain (L 26, D., De except.
rdjudic.) : a Egi tecum jus mihi esse aedes meas altius loi*
« 1ère, post ago, jus mihi esse usque ad viginti pedes al£îus
« toUere*, exceptio rei judicais procul dubio obstabit. Sed
a etsi rursus îta agam , jus mihi esse altius ad alios decem
« pedes toUere » obstabit exceptio , quum aliter superior
« pars jure haberi non possit , quam si inferior quoqae jure
« habeatur. »
Ënûn, pour en revenir aux quantités, la décision relative
k une certaine valeur peut préjuger la question relative k
une autre valeur sur laquelle n'avaient point porté les pre-
mières conclusions. Ainsi , après avoir vainement réclamé
dix mille francs en vertu d'un billet dont le chiffre était de
vingt mille francs , je ne serai plus recevable k réclamer,
en vertu de ce même billet, soit vingt mille francs, soit
même les dix mille francs d'excédant. On me repoussera,
en invoquant contre moi la fonction positive de l'autorité de
la chose jugée * . En cesens encore, il sera permis de dire :
Totum in parle eet. (Voyez Rej., 20 décembre 1830.)
Les solutions que nous venons de donner supposent que
la décision judiciaire a statué formellement sur le droit tout
entier, k l'occasion de la demande partielle qui était soumise
au juge. Il en serait autrement si l'on voulait faire résulter
l'autorité de la chose jugée du simple silence gardé sur un
point qui donnerait ultérieurement lieu k réclamation. Aussi
la Cour régulatrice a-t-elle cassé, le 28 décembre 1859, un
arrêt de la Cour de Golmar qui avait refusé l'allocaiion
ultérieure des intérêts , par ce seul motif qu'ils avaient été
omis dans le jugement statuant sur le capital.
* Lorsque Ulpien dit (L. 13, "D^^Deexcept, rtijud.) : quantitas eadem,
U 86 place au point de rue de la fonction négative de Texception.
AU CIVIL. 467
3» Identité du titre de la demande.
873. De méaie q^e je puis être repoussé par l'autorité
de la chose jugée, lorsque je réclame ua objet différent, si
^a base de ma prétention est identique dans les deux procès,
ainsi que nous l'avons vu (n* 869) pour la pétition d'béré-
dité, je puis, à Tinverse, réclamer identiqueatent le même
objet si je me puésente ea vertu d'an autre titre, si après
avoir, par eiemple, revendiqué un immeoUe an vertn
d'HAevi»ile,je le revendà^e -en vertu d'uo testamenL Cest
en <^e sens qu'il doit y avoir eadem causa ^untU. (Paul,
L. 14, D., De except. rei judicj) Mous verrous qtt'4ine fausse
interprétation des expressions de Neratias (L. 27, Ufid.)^
causa praxkna adionk , a fait donner au mot cumm un sens
subtil, tout }k fait inconnu des jurisconsukes romains, tandis
que Neradus voulait simplement désigner le droit qui est
la base de Tactioii, par exemple, le testament dans Tactioo
êx Ustamenio, id ipmm de quo agitur^ par O^posîlioa aux
moyens de preuve. Il y avait dans la législation romaine sur
la cause, au point de vue de la cbose jugée^ une diffidiUé,,
mais d'une nature lout autre.
874. Il fallait distiiiguer, quant au titre invoqué par Je
défiendeur, entre les actions réelles et les actions per-
sonnelles. Celâû qui avait intenté une action réelle sans
faire aucune restriction (ù paret baac r^m ex jure Quiritium
AuU Agerii tfite), s'il intentait ensuite la même demande
^ un autre titre, était repoussé, parce qu'il avak été
jugé d'une manière absolue que la cbose ne lui appar-
tenait pas. On ne courait pas le mèone danger dans les^
actions personnelles. La même cbose pouvant n'être due
plusieurs fois par la même personne pour des causes diffé-
rentes , le rejet de ta prétention du demandeur, quand il
s'agissait d'une créance, n'avait jamais qu'un effet relatif :
30.
468 CHOSE JUGÉE
« Actiones in personam », dit Paul (L. 14, § 2, D. , D^
except. reijudic.)y « al) actionibus in rem in hoc différant :
« quod , quum eadem rcs ad eodem mibi debeatar, sîngnhs
« obligationes singulae causas sequuntur, nec ulla earum
« allerius petitione vitiatur. Ât quum in rem ago non expressa
K causa y ex qua rem meam esse dico, omnes caus» una
« petitione adprehenduntur. Neque enim amplius quam
« semel res mea esse potest ; saepius autem deberi potèst. *
Nous laissons aux romanistes le soin de décider si Yadjectio
causœ dont parle Paul devait se trouver dans Vhuentio même,
ou dans une prescriptio détacbée , comme celles dont parle
Gains. (Comm,, lY, § 135 et suiv.)
La même difficulté ne peut guère s'élever aujourd'hui,
puisque l'article 61 du Code de procédure exige que Texploit
d'ajournement contienne l'exposé sommaire des moyens, et
que dès lors la nature de la cause alléguée se trouve toujours
désignée dès le début de la procédure ' . Mais , lors même
que les moyens n'auraient pas été mentionnés dans l'origine,
et que la nullité de l'exploit aurait été couverte, faute d'être
proposée in limine lUis, il suffirait que les moyens ressor-
tissent du jugement comparé aux conclusions, pour qu'on
pût apprécier après coup quelle était la prétention do de-
mandeur. L'opinion qui voudrait le considérer comme déchu
de tout droit U la propriété, k quelque titre que ce fût, parce
qu'il se serait dit propriétaire sans énoncer dès l'abord le
titre spécial qu'il devait faire valoir, serait rejetée aujour-
d'hui comme une pure subtilité.
Ce qui n'est pas douteux, dans la législation romaine aussi
bien que dans la nêtre, c'est que, le juge ne pouvant jamais
statuer que sur l'état de choses présent, il est toujours
* Voyez dans Savigny (appeod. XVI) la controTerse snr le point de saToir
si, ffuÎTant le droit commun allemand, Paction de la propriété exige, à peine
de déchéance , Mionciation, dans Pacte introductif d*instance, de rorigine
de la propriété.
AU GIYIL. 460
permis d'invoquer une cause d'acquisition survenue après
coup : ce que les interprèles ont appelé causa supervenîent.
Si forte, dit Ulpien (L. 11, § 4, D., Deexcept. reijudic), petiero
funéan vel kominem, mox alla causa nova post petUionem nûhi
accenerit^ non me repelUt uta exceptîo,
875. Voyons maintenant ce qu'il faut entendre dans
notre droit par cause de la demande.
Ce point ne donne lieu k aucune difficulté sérieuse lorsque
les conclusions du demandeur portent directement sur un
corps certain ou sur une quantité, et qu'il s'agit de savoir
quelle est la base de sa réclamation , causa peundi. On dis-
tingue alors bien nettement la cause de la demande, la con-
vention, le testament, etc., invoqués k l'appui des conclu-
sions, et l'objet de la demande , qui consiste dans le corps
ou dans la quantité que réclame le demandeur. C'est dans
cette hypothèse que se place Polhier (Oi%.» n*" 893), lors-
qu'il traite de la cause.
A ce point de vue, qui est le plus simple, et le seul qui
se présent&t dans la procédure romaine , s'il n'y a point de
difficulté sur la détermination de la cause, il y a lieu de
résoudre , en ce qui touche la portée de la chose jugée , une
question très-pratique. Le jugement qui affirme l'eiistence
du droit du demandeur, notamment d'une créance, affirme-
t-il implicitement, non-seulement Tezistence légale du droit
dans le principe , mais même l'absence de toute extinction
ultérieure , par payement , par remise , ou par tout autre
mode?
Dans la rigueur des principes, on pourrait être porté à
décider, avec M. Griolet (pag. 108 et 172), qu'en se pré-
tendant libéré d'une dette dont l'existence a été judiciaire-
ment constatée sans aucune réserve', le défendeur viole
* Point de difficulté fti, comme dans une espèce jugée par la Cour de
cassation le 24 frimaire an X,le défendeur n^arait été condamné qn*à
470 GBC^SB JCnSÉE
rantorîtë de Ta ebose jogëe. Il est bien entendu qae vous
snpposoiTs le fait d'extin-ction allégué antérieur i la demande ;
autreflwnt, nous tomberions dans l'hypothèse de la onua
mpervemens {n* 874), qui exclut toute autorité de la chose
jugée. Lorsque rextinclion alléguée existait >ors du premier
procès, n'était-ce pas au défendeur ^ en faire la preure?
Celte solution rigoureuse était inévitable dans la proeédvre
revrame , où la question posée de la manière la plus géné-
rale : ^ ffaret Ifmnermm Negn^um Auto Agerio decem dore
^^portere, comprenait forcément et Texistence légale 4t ia
dette, et Pabsence de tout mode d'extinctitm consacré par
le droit crril.
Mars, dans notre procédure française, ancienne et m«H
4erne , les conclusions ne sont point habituellement posées
d^une manière aussi compréhensÎYe. Le débat porte le plus
souvent sur Fexistence légale de la dette , et te défendenr
condamné à la payer, s'il se prétend plus lard libéré, me
rerient point sur un Ktige qui n'a pas été précisément
soulevé. Aussi élaic-il admis autrefois k se prévaloir âa
payement sans avoir besoin de se pourvoir par requête crvile
contre te premier jugement. Les cmiffomnartom ak poffëmeat,
smvanft un texte de Duparc-P^ullain sowent cité, s^mtmdau
tùujinm jmrtgrgent m quittances. Telle est également la juris-
prudence noderae. La Com- de cassation (Rej., 12 juillet
18^1) a admis la partie vis-ii-vis de laquelle l'existence ée
la dette avait été judiciairement constatée, \ faire pnsiiv«
de la remise, « attendu que, dans l'instance terminée par
« Tarrét de 1856, le débat ne portait que sirr Fexisteiiee et
« ht légitimité de la dette, et qu'amcunes GonclasioM n'étaient
Il prises alors coocemant la renuse. »
charge de restitution , s^il Tenait à fournir la preuve du i>ayement : pn-
nque fort usitée dans l'ancien droit, sous le nom A^aeHons en B^commi-
notoire.
AC aviL. 471
Si, an coDta^re, le débat a porté sur Textitictioii même
de la dette , tant pis pour le défendeur s'il n'a pas été en
éiat de prouver le payement ou la remise q«i lui en aurait
été faite. Il ne lui reste d'autre Toie qie la requête civile,
si la quittance ou tout antre acle libératoire a été retenu
par le fait de la partie adverse. (Cod. de proc., art. 480, id^.)
C'est ce qu'a également décidé la Cour de cassation (Rej.,
29 juillet 1851) dans une espèce où les premiers juges
avaient statué tout à la fm titr la demande et wr l'exoepAm de
pagemerU opposée par le défendeur.
876. Arrivons maintenaot au genre d'actions pour lequel
Toullier (tom. X, b** 61 et suiv.) a imaginé une théorie
subtile, qui a bit fortune dans la jurisprudtence, et q«e noos
avons enseignée novs-^méme, jusqu'à ce que nous ayms été
édifié par la savante critique de M. Griolet^ C'est spécia-
lement aux actions em nullité qu'a été aq^iquée , dans la
]»ratiqne, celte théorie.
Ce qu'il y a d'élrasge, c'est que Toullier se soît efforcé
d'appuyer sur l'amlorité des jurisconsultes romains une
doctriAe complètement étrangère à la procédure romaine.
A Rome 9 les oonclusions (Si paret rem Auli Agerii esse; si
parti Iftanerium NegiéBum Auto Agerio deeem dore cpontre)
portaient toujours directement sur Tobjet q«e le deman-
deur avait finalement en vue, et non sut la nullité de ^I on
tel acte, qu'il aurait fallu préabUement fimre pronwicer.
Ainsi, celui qui attaquait on testament comme nui os cMume
inofficieux , revendiquait directment l'héré^té «fr imeetat :
ce qui permettait de distinguer bien nettement Voijet de la
^ Marcadé nous a attaqné à cette occaeioii avec «a vivacité ordittaiBe ,
nous imputant comme faute personnelle des obscurités inhérentes à la
daetrine doit il n'avait point reconnu le vice. S*il anrait fécu anea pour
connaître le travail de H. Griolet, il se serait convaincu que les incobé-
rences signalées par lui tenaient à la théorie même de Toullier, qu*il eût falln
combattre.
472 CH08K JUGÉE
demande, Thérédité, et la cause de la demande, la nnllîte ou
rinofficiosité du testament.
Notre procédare ne sait point la même marche. Nous
avons rhabitude à» nous attaquer au testament, a la con-
vention, etc., que nous nous proposons de faire annuler; les
résultats auxquels vise finalement le demandeur, et qui sont
après tout V objet qu*il a en vue, ne se produisent que par
voie de conséquence. Mais, si la nullité est considérée comme
rbbjet de la demande, quelle en sera donc la cause?
Toullier a cru trouver la solution de cette dilBculté dans
le texte de Neratius, que nous avons déjk signalé (n* 873),
où il est question de la causa proxhna actionis. (L. 27, D.,
De except. rdjudic.) La cause de la demande serait ce qui
détermine immédiatement les conclusions du demandeur,
par opposition aux causes éloignées, appelées par les inter-
prètes causœ remotœ, simples moyens, sur lesquels il n'est
plus permis de revenir quand on ne les a pas fait valoir dans
le premier débat. Mais cette notion de la causa proxhna est
étrangère à Tesprit de la procédure romaine , elle ne trouve
aucun appui dans les nombreux textes des jurisconsultes
sur l'exception de la chose jugée ; enfin, comme nous l'avons
déjk fait observer, elle interprète k faux le fragment de
Neratius. En lisant avec attention ce texte, il est facile de
se convaincre que Neratius n'oppose point la causa actionis k
l'objet, id ipsum de quo agitur, mais qu'il entend tout simple-
ment par causa actionis le droit même du demandeur, id ipsum
de quo agittar. Ce qu'il oppose k la cause de l'action, ce sont
les moyens de preuve sur laquelle l'action se fonde : ratio
qua qtds eam causant actioms sibi competere existimassH, De
meilleurs romanistes que Toullier ont eu tort d'adopter de
confiance une interprétation vraiment insoutenable, soit
quant au sens littéral , soit quant k l'esprit de la législation
romaine.
kv CIVIL. 473
Chez nous, si on veut considérer la nullité de l'acte comme
étant l'objet de la demande, la cause de la demande sera
le vice quelconque qui engendre la nullité, Tincapacité,
l'erreur, le dol, la violence, etc. On ne peut méconnaître,
dit Dalloz, cité par M. Griolet, que ce ne soit le sens simple
et naturel de la loi. Il faut avouer cependant que cette hypo-
thèse n^avail été nullement prévue par Pothier, le guide
habituel des auteurs du Code.
On sent qu'il était impossible d'admettre cette consé-
quence logique des prémisses posées par Toullier, sans
anéantir complètement le respect dû k la chose jugée. Aussi
Toullier, s'attachant toujours k la prétendue doctrine de
Neratius sur la causa proxma^ a-t-il émis cette opinion qu'il
fallait grouper les moyens de nullité de manière k en former
diverses catégories : vices du consentement, incapacité,
nullités ^e forme , etc. Toutes les fois que le juge a statué
sur un des moyens compris dans la catégori.e, notamment
sur une nullité de forme , la catégorie , celle des nullités de
forme, dans l'espèce, se trouve épuisée^ mais il reste toujours
au plaideur le droit de reprendre le débat, en puisant un
moyen dans une autre catégorie, notamment, en invoquant
un vice du consentement, l'erreur, la violence ou le dol.
Marcadé qualiûe ce qu'on appelle cause dans cette doctrine,
le vice de forme ou le vice du consentement, de base immé-
diate de l'action, tandis que les éléments particuliers, tels
que l'erreur ou le dol , n'en seraient qu'une base médiate :
théorie ingénieuse sans doute, mais qui ne repose sur aucun
fondement solide, soit dans les précédents, soit au point de
vue rationnel.
La théorie de TouUier, n'ayant point été contredite jusque
dans ces derniers temps, a été admise sans diiBculté par la
jurisprudence. (Voy., notamment, Rej., 2 janvier 1851 ,
15 décembre 1856 et 19 janvier 1864.) Toutefois, la for-
474 GHOSB JUGÉE
matioD des groupes dans lesquels on classe les vices donnant
ouverture k l'action en nullité, n'est pas sans donner lieu k
quelque embarras dans la pratique. Ainsi, tandis que Marcadë
voit un vice de forme dans Tincapacité d'un témoin însiro-
mentaire, la Cour de cassation (1*' juin 1814) fait rentrer
cette incapacité dans une catégorie k part, ce qui permet
de renouveler le litige. Cette décision de la Cour de cassa-
tion nous parait fâcheuse au point de vue pratique; mais,
dès qu'on prend pour base le système de Toullier, il n'y a
aucun principe certain, comme il n'y a ancMilexte, sur
lequel on puisse s'appuyer pour la critiquer^.
Ajoutons que cette théorie , en se basant uniquement smr
la forme des conclurions, conduit k une singulière consé-
quence : elle fait varier la cause suivant le caractère des
conclusions posées par la demande. Si Théritier ab inte$mi
demande directement la nullité du testament, la cause de sa
demande sera l'incapacité du testateur, le vice de forme, etc.
Si, suivant la marche de la procédure romaine, il réclame
diroctement Tbérédité ab intestat, en ne présentant que
comme une demande incidente l'action en nullité du testa-
ment, Tobjet de sa demande sera l'hérédité ab nueêtat, la
nullité du testament sera la cause, et les vices, même
groupés en catégories, les vices de forme, l'incapacilé, etc.,
dégénéreront en simples moyens : ce qui, après tout, est
bien plus rationnd. Mais comment une théorie de droit
po«rrait-eile varier suivant une simple modification de la
procédure ? Une pareille conséquence ne révèle-t-elle point
tout l'arbitraire du système?
Évidemment, pour être dans le vrai, il faut aller an fond
' La Cour de cassation, dans une de ses décisions les plus récentes
(13 avril 1869), a inêMe étitéde «e pranenoer nrle peint de saToir a*U eat
permis d*invoquer contre un testament une seconde nullité de forme, après
avoir échoué dans une première demande, fondée également sur une nullité
de A>nae : qoestian que la Cour de Pam avail résolue négatifeiMBt.
AD CIVIL. 47S
des choses, et coMÎdërer eoimne le véritable objet de la
demande, non l'action en nullité, mais le but final anqvel
on prétend arriver a« moyen de celle acikm. Si vo«s atta-
quez un testament, le but de vos oonclisioos, quelle qu'en
soit la forme, c'est rbérédité ai hÊteatU; la cause de votre
demande, c'est la nullité du testament, qu'il faut présenter,
à peine de décbéanoe, sous tontes ses faces : vices de forme,
incapacité, etc. Le sysiène contraire, si Ton ne veut tomber
dans l'arbilraire, conduit k voir autant de causes qu'il y a de
vices possibles k alléguer : ce qui permettrait le renouvel-
lement des procès ii Tinfini.
Seulement , pour être conséquent avec nous-même, nous
déciderons avec M. Griolet, qui lui cependant aurait dû être
amené k une autre conclusion par sa doctrine, où il met sur
la même ligne la constitution même du droit et les causes
d'exlinetîoB (pag. 469), que la nallilé de l'acte «6 initio n'a
nen de comoHin avec la résolution ou la révocation amenée
par des causes postérieures. C'est ainsi qu^iMi pe»t fort bien
provoquer la résolution, pour inexécution des conditions,
d''une convention donl la validité a été irrévocablement
jugée (Rej., 22 juin 1814), ou bien demander la révocation,
povrsurveoanced'enfenls, d'une donation dont la régolauité
êà màh ne peut plus élre contestée.
9
I S. jvEamÉ »n ràxmM n vn QirALrnis.
SOMM Anus. — 877. Principe général. Son application. — 878. Représenté. — 879. Suc-
ccseeort à tflre particnlier. ~ 880. Hiùd ttMtvnmeni au crèaBdere hypothécaires? —
884. Cas où le droit réel est consiitaé entre la demande et le jugement. — 882. Le
vendew o'esi point lena des dèdsioBS leidoes eontre l'acheteur. » Ms. -Chose Jigée
vis-ii-Tis du propriétaire apparent. — 884. Yi8-à-?is du dèbiiear, quant aux créanciers
éUrographaireo. — lis. Des cohiièresséo. — 8M. De la caatloi. — 887. Des erèiflcien
€t dos débiteurs solidaires. — 888. Quid an cas d'indivisibilité?— 889. Théorie do
eontrêdieteur légiHMe, dan» les qaesUoiis d'éiat.
877. Rien de ^s raisonnable que le principe posé par
Paul y dans ce texte devenu célèbre (L. 16^ D., Qui pot. m
476 CHOSE JUGÉE
pign.) : « Res inter alios jadicata aliis prodesse aut oocere
« non soleU »
L'applicaUon de ce principe ne donne lieu k aucune diffi-
culté , lorsqu'il s'agit d'une personne complétenaent étran-
gère à celle contre laquelle le jugement a été rendu. Et lors
même que la personne physique qui plaide est la même, si
la qualité a changé , comme si je réclame en mon propre
nom ce que j'avais déjk réclamé vainement au nom de mon
pupille, il est évident que je suis une partie nouvelle, et
qu'on ne peut m'opposer ce qui a été jugé contre moi quand
je n'agissais que comme représentant d'autrui. (Rej.,
28 août 1849.) Il n'y aura question sérieuse que lorsqu'on
prétendra que celui k qui on oppose le premier jugement,
et qui n'y a pas figuré, s'y trouvait virtuellement partie,
comme étant l'ayant cause de ceux qui ont succombé; ou,
en sens inverse, lorsque celui qui invoque un jugement qui
n'est pas rendu en sa faveur, se présentera conune l'ayant
cause du demandeur qui a triomphé.
Mais il y a certains jugements qui ne sont point déclaratifs
d'un droit préexistant, mais constitutifs d'un état nouveau ,
qui s'impose k tous les intéressés. Sans parler des actes,
tels que l'adoption (n* 862), revêtus des formes judiciaires
sans constituer un véritable jugement, il y a des jugements
contentieux qui, pour l'avenir, sont obligatoires vis-k-vis
des tiers. Ainsi , la séparation de corps , bien que prononcée
vis-k vis du mari seul , modifie l'état de la femme au regard
de tous les intéressés. Pour la faillite , il y a lieu de faire
une distinction. Bien que déclarée sur la demande de
certains créanciers, elle constitue pour le débiteur un état
dont tous sont autorisés k se prévaloir. (Rej., 28 avril 1846.)
Mais, si un créancier a poursuivi inutilement la déclaration
de faillite, la décision du juge, purement négative, est
sans efiet vis-k-vis de tout autre que le demandeur ; on
AU cnriL. 477
rentre dans la règle ordinaire, et les autres créanciers
conservent le droit de poursuivre la faillite du débiteur
commun.
Ajoutons enfin que, suivant la jurisprudence', le juge-
ment qui constate l'existence d'un droit réel vaut titre, en
ce qu'il équivaut k un acte authentique (n* 808 fris), même
vis-k-vis de ceux qui n'y ont point été parties, et qu'il fait
dès lors foi à leur égard , sauf k eux k faire la preuve con-
traire, soit directement, soit par la voie de tierce opposi-
tion \ (N* 37 to-.)
878. Revenons k ce qui concerne les ayants cause.
Le représenté peut incontestablement invoquer les juge-
ments qui ont été rendus contre son représentant, par
exemple, contre un mandataire, que le mandat soit conven-
tionnel ou bien légal, tel que celui d'un tuteur ou autre
administrateur. Le représentant peut, k l'inverse, invoquer
l'autorité des jugements rendus TÎs-k-vis du représenté,
ainsi qu^on l'a jugé pour l'avoué , relativement k une action
en dommages et intérêts formée contre son client pour un fait
qui lui était commun. (Rej., 23 avril 1855.) C'est pour ce
motif qu'on peut appliquer activement et passivement aux
successeurs k titre universel les jugements qui ont été
rendus contre leur auteur.
Le grevé doit-il être considéré comme l'ayant cause des
* L'arr6t du 17 mars 1873 , qne nons ayons cité (p. 69 , not. i), rejette
le pourvoi par des motifs particuUeis , sans reproduire la doctrine générale
de la Cour de cassation. Mais cette doctrine a été récemment consacrée , en
ce qui touche la foi des actes (n* 508 bis), par deux arrêts de la Cour
d'Aix (29 février et 13 mars 1872). On lira avec intérêt les critiques
dirigées, soit au point de vue des actes, soit au point de vue des juge-
ments, contre la jurisprudence dominante par notre honorable collègne
M. Naquet. (De Yillen., 1873 , tom. Il, p. 49.)
* En repoussant la théorie qui considère les jugements comme prouvant
prima facle contre les tiers, M. Naquet accorde aux jugements rendus inter
àlios une autorité bien plus considérable, puisquHl s^efforce de faire revivre
la doctrine de Proudbon suivant laquelle la tierce opposition serait toujours
obligatoire. (Eevue critique de léifiskUUm, nouv. sér., tom. U, n»* 6 et 7.)
478 CHOSB JUGÉE
appelés k la siibsti talion , quant aux jogements qni peuvent
être rendu» vb-^yis des tiers? Nui doute qu'il n'ait qualité
pour rendre meilleure la condition des appelés , si le juge-
ment est rendu en sa fiiveor ; le grevé , qui se trouye investi
du droit réel, est plus qu'un propriétaire sous condition
résolutoire, vis-it-vis duquel on admet cette décisioD.
(N* 882.) Que « le jugement est défavorable, il Caudraîl
décider, dans la rigueur des principes, avec M« Griolet
(p. 162), que le pouvoir d'administrer n'emporte point pour
le grevé, ni pour le tuteur k la substitution , celai de repré-
senter les appelés lorsqu'il s'agit de perdre leur dn>îfc au
fond. Mais alors les procès deviendront interminables,
puisque buI ne voudra s'aigager dans une contestation oà
il lui est loisible de perdre, mais jamais de gagner utilement.
Anssi l'ordonnance de 1747 (tit. If, art. 40 et ^) avait-
elle déclaré opposable aux appelés les jugements régulière-
ment rendus contre le grevé , sur les conclusions du* minis-
ftèfe public. Celte décision présente ane telle nécessité pra-
tique, qu'il nous semble impossible de ne point l'admettre ,
malgré le silence du Code.
879. Quant aux successeurs k titre particulier, ils ne
peuvent invoquer, et on ne peut invoquer contre eux qne
ce qui a été jugé avec leur auteur anftérieurement k Tévéne-
nent qui leur a transféré ses droits en tout ou en partie.
(B^., 11 mars 1834 et 26 mars 1838.) JU en est des déci-
sions judiciaires comme des conventions , qui ne sauraient
avoir d'efifet k l'égard des tiers nantis d'un droit réel sur
rimmeuble , que si elles sont antérieures k la constitution
de ce droit réel.
880. 11 y a au fond même raison de décider en ce qui
toucbe les créanciers dont l'hypothèque ' est antérieure an
* Toy«z, sar cette qaestioii, b diwertatiMi spéciale de BL Talette.
(Reoue du droit français U étroÊfer, «m. 1844, f. 27.)
AU CIVIL. 479
»
jugement qui » évincé leur débiteur. L'hypothèque, lors
même que Toa ne cooaeuiirait point k y voir un démembre-
ment de la propriété, est incontestablement un droit réel
(C. eiv.^ art. 2114), dont la conservation ne saurait dé*
pendre du plus ou moins d'habileté et de zèle du débiteur
dans la défense de ses intérêts. Invoquer, ainsi qu'on Fa
fait trop souvent, la maxime Resolutajure donantis, reêolvUwr
jus accipieiuii, c*6st faire évidemment une pétition de prin-
cipe, puisqu'il s'agit précisément de savoir si le débiteur
était ou non propriétaire, avait ou non le droit de constituer
une hypothèque. Telle était la doctrine des jurisconsultes
romains. Ainsi, Papinien dit formellement (L. 29, § 1,
D., De except. rei juiUc,) : « Credii<Nr in locum victi succes-
« sisse non videbitur, quum pigttoris eonventio sententiam
« prsecesserit. » Cette décision est reproduite par Potbier.
(Oblig.y B* 90«^.) Mais on trouve, dans, la pratique, que
l'obligation de mettre en cause tous les créanciers hypothé-
caires du défendeur est extrêmement gênante. Bien pins,
elle est souvent impossible k accomplir dans une législation
où les droits hypothécaires ne sont pas tous soumis k la
publicité. Sans aller ausû loin que Merlin (Questioiu de droit,
V* Tierce opposition, § i), qui* a qualifié à'abêvrde l'opinion
contraire k celle qu'il a dit prévaloir dans la jurisprudence
(voy. de nombreuses décisions de h Cour de cassation,
depuis l'arrêt de cassation du 12 fructidor an IX jusqu'k
celui du 13 décembre 1861), nous persistons k croire que
l'utilité pratique est ici en opposition avec la rigueur des
principes. (Voy. toutefois Rej., 26 août 1849.) Dira-t-on
qu'il est également incommode de mettre en cause un grand
nombre de petits propriétaires, lorsque l'immeuble objet
du litige aura été morcelé? Mais c'est Ik un cas excep-
tionnel, tandis qu'une immense quantité d'immeubles se
trouvent grevés d'hypothèques. Nous sommes porté k croire
480 CHOSE JUGÉE
qu'à Rome également on n'appliquait point dans tonte sa
rigueur la théorie qui accorde an créancier hypothécaire on
droit parfaitement indépendant. Nous lisons en effet dans on
rescrit de Garacalla (L. 5, Cod., De pign. et hypotk.^ :
f( Praeses prorincisB vir clarissimus jus pignoris tui e^^e-
« quentem te audiet, nec tibi oberit sententia adversus
« debitorem tunm dicta, si eum collusisse cum adversario
A tuo, aut (ut dicis) non causa cognita, sed pnescriptione
<c superatum esse constiterit. » Il résulte évidemment de
ce texte qu'un jugement sérieux., rendu sur le fond du
droit , eût été opposable au créancier hypothécaire.
Ce qui est incontestable , c'est qu'au cas de collusion ,
les créanciers hypothécaires , comme tous les autres créan-
ciers (n* 884), peuvent former tierce opposition au juge-
ment rendu contre leur débiteur. Enfin, on lenr accorde
sans difficulté le droit de faire valoir des moyens personnels
que leur débiteur n'eût pu opposer (Rej., 90 juin i854-,
Cass., 6 décembre 1859) ; alors la demande repose sur nne
cause nouvelle.
881. Nous avons supposé, soit quant aux tiers déten-
teurs, soit quant aux créanciers hypothécaires, l'acte
constitutif d'un droit réel postérieur au jugement rendu
vis-à-vis de celui qui a constitué ce droit. Suivant certains
auteurs, il faudrait aller plus loin encore, et en vertu du
vieil adage : Judkiu quasi eontrahmue, appliqué, dans le
sens du droit romain, à l'action intentée {judicimn\ consi*
dérer l'ayant cause comme lié par le jugement rendu vis-à-
vis de son auteur, lorsque la constitution du droit réel a eu
lieu entre la demande et le jugement. C'est Ik, suivant
nous, abuser de la fiction par laquelle on fait remonter le
jugement au jour de la demande. En droit romain, où la
tUis conteetatio produisait un effet tout spécial , puisqu'elle
emportait novation, on comprend qu'il y ait eu lieu de se
AU cnriL. 481
référer k cette époque , en copsidéraDt les plaideurs comme
liés par un véritable contrat, dont les effets devaient se
réaliser postérieurement. (Ulp., L. 11, § 9 et 10, D., De
epicept, rei judic.) Et cependant nous avons vu Papinien
s'attacher k l'époque du jugement, quum pignorit conventio
sententiam prœcesterii. Merlin {Rép„ y* Question d'état
§ 3, art. 2, n* 3), après avoir rappelé la règle, puisée dans
le droit romain , suivant laquelle, dès qu'une contestation
était engagée entre deux parties, elle ne pouvait plus être
jugée qu'entre elles, ajoute, en citant l'autorité des anciens
arrête : « Mais cette règle du droit romain est depuis
« longtemps tombée en désuétude. » Il nous semble bien
dangereux, en effet, d'attribuer la faculté de représenter
le véritable intéressé à une personne qui souvent n'aurait
plus d'intérêt dans l'affaire, n'étant point tenue à la garantie,
pat exemple, s'il s'agit d'une donation, ou ayant dissipé le
prix de la cession , si elle a eu lieu k titre onéreux. Aucun
texiB de nos lois ne donne k la demande judiciaire Teffet
d'un contrat qui soit de nature à lier les tiers. Il convient
donc de considérer comme res inter oLiot acta, vis*k-vis du
cessionnaire de l'objet en litige, ce qui a été jugé vis-k-vis
du cédant postérieurement k la cession. (Rej., 26 mars
1838-, Bordeaux, 19 août 1840.) Ajoutons toutefois, avec
M. Thomine-Desmazures (Commentaire sur le Code de procé-
dure, n"" 526), qu'il en serait autrement si le cessionnaire,
ayant eu connaissance du procès, avait eu le dessein de
t&ter, en quelque sorte , la justice , afin de se donner la
chance de profiter du jugement, s'il était favorable, et de
l'attaquer, s'il était contraire'. C'est alors *le cas de dire
avec Macer (L. 63, D., De re judic.) : Scientibu$ serUerUia,
quœ inUr alioi data est, obest, cum quis de ea re^ cujus actio
< Mais le simple fait de la connaissance ne suffirait pas. (Cass., 19 aoàt
1818.)
11. 31
48S CHOSE JCGÉB
vel defentio primum mbi competit, sequmui agere putiatur^
882. Si Tacheteup est tenu des déeisioiis rendues contre
son vendeur antérieuremeat a la date de l'acte teanslatif ,
il n'est pas Trai, à l'inverse, qw le* vendeur soii tenir des
décisions rendnes contre racheleiir, au cas , par exemple ,
où il obtiendrait akérieuremeDe la résottidan de la vente
pour défaut de payement du prix -, car le jugement rendu
contre le successeur n'est pas renda contre l'auteur.
A Julianas scribit (L. 9, § 2, ibid.) exceptionem rei judicat»
fi a persona auctoris ad emptorem transire solere, retm
« contra, ab emptore ad anctorem reverti non debcM. b
(Yoy. Rej., iGnovembre 1836.) Et l'on ne peut ptsdtre que
le vendeur, en reprenant l'immeuble, se soit rendu l'^uint
cause d« l'acheteur. Il est vrai que la condition résdutoite
effiice tous les droits qui ont pu naître du chef de ce dernier.
(G. ctv., arl« 1183.) Mais cette résolution ne saurait profiter
qu'k celur en faveur de qui elle a été établie. Le nendevr
peut très'-bien s'emparer des décisions iavorabies rendnes
vis->k^s de l'acheteur, et , sons ce rapport , se considérer
comme son ayant cause. C'est k la partie qui vent obtenir
un succès solide, k faire mettre en cause le vendeur non
payé. A plus forte raison faut-il reconm^tre que le bailleur
ne saurait être tenu des décisions judiciaires pendues contre
le preneur, lequel, n'étant que délenteur, doit étoe mis
hors- d'instance en nommant cdui peur qui il possède.
(Cod. civ., art. 1727.) C'est ce qu'a jugé u« arrêt de cas^
sation du 23 août 1854, dans une espèce eè le bailleor
avait été mis en cause, mais n'avait pu être représenfé, h
raison d'un cas de force majeure.
883. Ce que nous venons de dire des décisions rendues
vis-a-vis du propriétaire suppose que i'on se place en
dehors de la doctrine de la jurisprudence, qui, préoccupée
de l'utilité pratique plutôt que de la déduction rigoureuse
ào cnric. 493
des principes ,.coB6iéère comme valables les^ actes d'aliéna-
tion oonsenlis par an héritier apparent (voy. deux arrêts de-
cassation et un de rejet, en date du 16 janvier \^4â<, Rej.,,
S§ novembre 1862ven. sens contraire, Bennea, 12. août:
1844) : ce qui conduit à valider les jugements rendiis vis4h-
vis de cet héritier. Si maintenant on assimile au prétendu î
héritier tout, propriétaire a4>parent^ on en viendra k décider*
comme Tont fait plusieurs arrêts (voy. notamment BouoDi,
16 juillet 1834-, Paris, 3 mairs 1829 et 14 août IftiO), que
la chose jugée avec le propriétaire apparent peut être oppo-
sée au véritable propriétaire.. En s'attaohant k ce système y.
on pourrait, à plus forte raison, maintenir vi»-k-vis du pro-
priétaire souseondition.suspensivela décisicm rendue contre
le propriétaire sous condiiioa résolutoire, poisqa'on adm«t
que celui-là même qui n'a aucune espèce da droit peu!
plaider, pourvu qu'il ait des droits s^[)parenta.
Mais, tout en reconnaissant les vices de la légialatio»
existante , vices qnfon a- voulu; atténuer en faisant du pro^
priétaire apparent; un propriétaire incommntable vis^k-^ia
des tiers, noua ne voyons rien. dans la loi qui justifié oelte
transformation du fait en droit. U nous semble d^ailieors
que, les caractèrea légaux auxquels on pevt reconnaître
l'héritier ou le propriétaire apparent n'étant définis nulle
part, les tiers- détenteurs n'obtiennent pas, même sont
l'empire de la jurisprad^tice actuelle, la sécurité qu'on
veut leur assurer, puisqu'on ne valide pas indistinctemem
toua les actes faits par un possesseur quelconque,, maia
seulement ceux qui émanent d'un possesseur dont le titre
est plua ou moins coloré. (Rouen, 16 juillet 1834*, Paris,
14 août 1840-, Colmar, 18 janvier 1850.) Ainsi la Cour de
cassation a cassé, le 26 février 1867, un arrêt, de la. Cour
de Besançon, qui avaitconsidéré comme donataire universel
apparent le porteur d'un acte dont l'expédition était réga«^
31.
484 CHOSE JUGÉE
«
lière, mais la minute entachée de nullité. Repoussant le
principe, nous repoussons la conséquence, et nous ne
pouvons accorder au possesseur le pouvoir de représenter
le propriétaire, pas plus lorsqu'il plaide que lorsqu'il con-
tracte ^ Seulement, lorsque le propriétaire aura traité avec
le possesseur, notamment lorsqu'il s'agira d'une condition
résolutoire, il aura la faculté de se faire considérer comme
son ayant cause, k l'effet de profiter des décisions rendues
en sa faveur*, tandis que» si aucun lien ne rattache le pro-
priétaire k celui qui occupe le fonds, la chose jugée k
l'égard de ce dernier sera complètement ret inter aUot acta
k l'égard du propriétaire.
884. Ce qui est incontestable, c'est que les créanciers chi*
rographaires, relativement aux jugements comme relative-
ment aux conventions, sont tenus des faits de leur débiteur.
Ils peuvent cependant former tierce opposition aux décisions
qui auraient été rendues en fraude de leurs droits, en vertu
du principe (C. civ., art. 1167) qui les autorise en générai
k faire tomber les actes frauduleux. Même au cas où il
s'agirait d'un jugement constatant un privilège au profit de
l'un d'eux, ce jugement, ainsi que l'a décidé un arrêt de
rejet du 13 avril 1841, est valable vis-k-vis de tous, par
cela seul qu'il a été régulièrement rendu vis-k-vis du débi-
teur, et il ne peut être attaqué qu'en cas de fraude par voie
de tierce opposition. Cette même voie appartient au tiers
détenteur pour les jugements frauduleux rendus contradic-
toirement avec son auteur antérieurement k l'acte translatif
de propriété.
Mais le débiteur, sauf le cas où il se trouve légalement
■ n en serait autrement , sUl y avait eu une contre-lettre ; c'est qu'alors
la condition résolutoire, précisément parce qu'elle a été dissimulée à
dessein , ue produit aucun effet à Tégard des tiers , qui ne doivent pas être
induits en erreur par le fait de celui qui prétend aujourd'hui l'invoquer à
leur préjudice. (Voy. n** 516 et suiv.)
AU CIVIL. 485
représenté par les syndics de la faillite , n^est point tenu des
décisions rendues vis-ii-vis de ses créanciers, exerçant ses
droits aux termes de l'article 1166 du Code civil. C'est ce
qu'a jugé la Cour de cassation, par un arrêt de rejet du
14 avril 1866. Merlin, sur les conclusions duquel a été
rendu cet arrêt, fait observer avec raison que le débiteur
n'est point Payant cause de ses créanciers, pas plus que le
vendeur n'est l'ayant cause de l'acheteur. (N* 882.) Il appar-
tient également ici k la partie adverse de faire mettre en
cause le débiteur, pour éviter le renouvellement du procès.
88tf . Lorsque plusieurs personnes sont intéressées dans
une même affaire, comme plusieurs copropriétaires ou
plusieurs codébiteurs , ce qui est jugé k l'égard de Tun ne
l'est pas k l'égard des autres -, car ils ne sont pas ayants
cause les uns des autres, il n'y a pas entre eux filiation,
mais seulement juxtaposition d'intérêts. Aussi la chambre
civile a-t-elle cassé, le 10 août 1858, un arrêt de la Cour
d'Angers qui avait fait profiter des cohéritiers de l'annu-
lation d'un testament prononcée au profit de leurs cohéri
tiers.
886. Il en est autrement si l'un des intéressés s'est
rendu responsable des faits de l'autre. Telle est la position
de la caution relativement au débiteur principal. On recon-
naissait, en effet, k Rome, que la chose jugée vis-k-vis du
débiteur avait effet vis-k-vis de la caution. (Pomp., L. 21 ,
§ 4, D., De excepta reijud.; Marc, L. 5, pr., D., De appell.)
Telle était aussi la doctrine de l'ancienne jurisprudence,
ainsi que l'attestent Pothier (ObUg., n* 009) et le nouveau
Denisart (V* Chose jugée, § 3). Suivant M. Griolet
(p. 163), « Pothier n'a pu affirmer que le débiteur principal
« doit être considéré comme le mandataire de la caution,
« qu'en s'appuyant sur des textes romains relatifs au cas
« bien différent du fidéjuiseur. » Il importe d'éclaircir ce
986 * cnosre jugée
feint, piiisipie h doctrine de Pofbier est ln:lase de Ixnite
fa théorie fiuine par la jurisprudence nr les débîtoars
consorts. Le fidéjassenr différait, en effet, de notre caution
«ous le rapport'des poursuites judiciaires, le seulqiû nous
intéresse, en ce qu'avant la promulgation de la loi ^.au
Code, De fid^uMoriha, où Jastinien a aboli cette subtilité de
TaBcien droit, la litU cantestatio vis-à-yis du débiteur prin-
-cipal (qpécaît immédiatement la libération de la caution.
Mais alovs il est bien dair qii!il n'y avait point lieu d 'agiter
ia question) de. rautorilé de la chose jugée. Ce n'est évMem-
ouent point dans cette hypothèse que «e placent »Poiiipwiius
mt Marcien (iocL. ctr.), lorsqu'ils 'décident que la chose jugée
i«is-4-vis du débiteur principal a effet ns-à-vis de lacau-
Inavils^upposent le droit commun modifié par une comen-
tîon, qui parait avoir été fréquente • dans la pratique, inua-
«Mittf plemmqut^ dit Justinien (m^. rL. .38), €x jneio Ab^
'modi oauue otmmltmn. Or, depuis^qne Justinien a truasfiirmé
^oette couTention en règlegénérak, ouest h dîffémnce^.au
point de «vue des .tiapports judidaires, entre le fidéjassenr
romain et la caution française? Il n'y a donc rien que de
jpaifaitMient eiact dans la dodritteide.Pothier*
.Sttiisant la d0etrîne> contraire, la caution peut. bien isio-
4|iiedr les jugeoMiits. rendus en. faveur du débiteur pihieqpuL,
tde même qu'elle pn^e de. la .remise qui lui est Mte {dm.,
.art. 1287) et du âeiment déeisoire par^lui prêté (art. ijfë);
imaîs, ayant persnnnellementle droit de contaiter^la validité
.de son engagement, elle ne saurait élre liée par laidécision
isendue vis-à-vis du déUtevr» iméme quant au fond de'hi
icréflace. On iaît remarquer que la tcaulion' ne 'serait foèit
IMéeipar lesnveux'^xlsajndîcîàîresidu débiten, «^ -que par
coBBéqueUt elle n-est point son agfmit aaue,<«smiBe l'héri-
tier est l'ayant cause du défont. Il nous purattiplus Taîson-
nable deiconsidérer fa caution coflUB64i^ant accédéà l'avance
lanx jogemeiitB rendus 'vis-k^vis du débiteur sur le fah oBéme
de la dette, «ans qae le eiéancier:soit ebligé de renDiiveler
k lOûotestalion avec chacun des débîleurs laoeessoires. Il
faut donc reconnaître que les jugenenls rendus «is-à-fis du
débiteur doivent non-seulenent profiter, mais même noire k
Ja caution. (Cass., S7^nove■lbre 1811.) Sans doute, eous ne
voudrions pas aller aussi loin qu'un arrêt de rejet du 12 Té-
vorier i840, ^ui iieraiet id'iiuvo^er conire la camion les
déclarations e&trapidiciaires du débiteur. Mais auture chose
lest le nandat de défendre en juslioe, autre chose est le
mandat de faire des aveux \ ainsi que le prouvent suffisam-
ment les règles do Gode de procédure sur ie désaveu des
officiers minMlériels. (Art. 353.) Ce qui est inconleâtable ,
c'est que la icantion ipevt toujows opposer les moyens qui
lui sont persoméls (voy. n* 880), coDMBe la nullité du eau-
ilionnement, -moyens que le débiteur principal ne pouvait
-opposer. (Même air. du 27 novembre 1814 ^ Grenoble,
48 janvier «882.)
On doit 'reeonnahre, k l'inverse, que des jugements
lendus contre la caution oe peuivent nuire au débiteur
'principal, qui n''est nullement garuut, vis-k-^ir du «créan-
4àer, de la conduite que peut tenir la caution. Seulement,
puisque le serment déféré k la caution , lorsqu^il est déféré
isur 4a >dette, profite au débiteur piînoipiil (<C. oiv.«,
;art. 136S), iil convient de lui permeilre également d'in-
voquer les décisions favorables rendues, sur le fond >fle la
dette , an profit du fidéjusseur. «Celui-ci est le mandataire
du principal obligé , nra pour em|)trer -sa eondiliett^ viais
)pour l'améliorer* Toutefois cette dernière décision ne doit
'* n-faiit ranannier d'aflleors que tSfaez nom , comme 'à'Rome'fPotliler,
lÙbUg,, B* 709), la eantioa peut attaquer par toute Toîe l^le de recours
les jogemento rendus contre le débiteur principal, tandis qu'elle ne ponnait
'fiâre tomber l*aven extrqudidaire qu'en établissant la ooUnsîon.
488 ~ CHOSE JUGÉE
être admise qu'avec précaution , le litige entre le créancier
et la caution pouvant être purement personnel.
887. Un créancier solidaire est également un mandataire,
dont le mandat peut profiter h ses cocréanciers s(didaires,
mais ne saurait leur nuire. (Ibid., art. 1198 et 1365.^ Il
faut donc distinguer, de la même manière , si le jugement a
été rendu contre lui ou en sa faveur.
Quant aux débiteurs solidaires, on se demande jusqu'à
quel point le jugement rendu k Tégard de l'un d'eux produit
effet k l'égard des autres. Si le codébiteur actionné a été
renvoyé de la demande pour un motif qui ne lui était pas
purement personnel » on reconnaît volontiers que les autres
codébiteurs peuvent se dire libérés, de même qu'ils pro-
fitent du serment déféré k leur codébiteur sur la dette, et
non simplement sur le fait de la solidarité. (G. civ.,
art. 1365.) Mais il y a plus de difficulté quand le codébi-
teur solidaire a été condamné. Il n'est pas possible d'ad-
mettre d'une manière absolue que le jugement rendu
contre lui ait effet contre les coîntéressés, puisqu'ils peuvent
fort bien nier l'engagement solidaire , et qu'on ne saurait
alors, sans tomber dans un cercle vicieux, leur opposer le
jugement rendu contre leur prétendu codébiteur. Aussi
est-on d'accord pour admettre (Rej., 29 novembre 1836)
que le débiteur solidaire , comme la caution , peut toujours
invoquer les moyens de défense personnels, tels que l'erreur
ou la violence, qui affectent exclusivement son obligation.
D'un autre côté, Topinion qui isolerait complètement les
codébiteurs les uns des autres, serait contraire, soit k l'esprit
de la solidarité, qui tend k éviter au créancier la multiplicité
des poursuites , soit surtout au principe qui les considère
comme étant réciproquement cautions les uns des autres.
Toutefois la question est vivement controversée, au casoà
il s'agit de moyens communs k tous les codébiteurs. Pour
AU GITIL. 489
réserver k chacan la Taculté de défendre la cause comme
entière , on invoque le danger d'une collusion dont il serait
difficile d'administrer la preuve. (Rej., 11 février 1824;
Cass., 25 mars 1861 \) Mais alors il ne faudrait pas per-
mettre d'invoquer contre la caution le jugement rendu
vis-à-vis du débiteur : et c'est cependant ce que l'on a admis
constamment dans notre ancien droit. Suivant M. Griolet
(p. 165), les jugements relatifs au payement et à l'exécution
devraient seuls être tenus pour communs k tous les codébi-
teurs', et il est difficile, en effet, de refuser autorité aux
jugements.de cette nature, en présence des articles 1206
et 1207 du Code, qui permettent de s'adresser h un seul,
soit pour le capital de la dette, soit pour les intérêts. Mais
les codébiteurs solidaires ne sonjt point de simples consorts
pour les poursuites; le lien qui les unit est plus étroit,
puisqu'ils répondent de la faute les uns des autres.
(Art. 1205.) Sans doute, l'un des codébiteurs poursuivis
peut nier la solidarité comme la prétendue caution peut
nier le cautionnement; mais, le fait de la dette solidaire
établi , nous pensons que l'esprit de la solidarité commande
de considérer les débiteurs solidaires comme mandataires
les uns des autres en ce qui touche les moyens communs k
tous. « Les codébiteurs solidaires » , dit Merlin (Quations
de droUp v* Chose jugée, § 18), « pour ou contre lesquels le
' C'est mal à propos que Ton inyoqae dans le même sens un arrêt rendu
par la Cour de cassation le 15 janrier 1839. Bien que Pexpression de soli'
darité se trouye dans leSi^nsidérants de cet arrêt à c6té dé ceUe dUndivi-
sibUité, il ne s*agissait dad» Pespèce que d'indivisibilité, et nullement d'une
Yéritable dette solidaire. En décidant dès lors que rindivisibilité de cer^
taines obligations n'entraine pas comme conséquence Vindivisibilité des
procédures et des jugements, la Cour de cassation a rendu une décision
fort rationnelle en soi , mais qui ne préjuge rien en ce qui concerne les
débiteurs vraiment solidaires.
> Ce système conduit à cette conséquence bizarre que le créancier
pourrait saisir-arrèter vis-à-vis d'un des codébiteurs , mais non obtenir un
jugement de validité.
490 GflOSI JUGÉE
f( jugement a été rendu, ne forment mordenent qu'un seol
c< et même individu avec les autres codékileiirB. » Cette doc-
trine a été consacrée dans Tanci^ droit par un arrêt du
conseil du 13 juillet 1709, et dans le droit noderue par
des arrêts des Cours de Paris (20 mars 1809), de Bovrges
(18 mai 1859)*et de Dijon (96 décembre 1871).
888. Que facrt-il décider s'il s'agit 4'un objet indivi-
sible ? Plusieurs lois romaines , -et notamment le texie de
Harcien qui forme la loi 19, au Digeste, Si êervkmê vindi-
teiur, décident que Tefiet de rindivisibilité est et rendre
commun k tons les ayants droit le jngement rendu «outre
un seul , sauf la preuve de la collusion. Potbier reprodnk
cette doctrine *, mais il ajoute que , tumM noê utages, il
n'est pas besoin d'alléguer la •cdhisim pour attaquer le
jugement. (Oblig.f n* 908.) Aujourd'hui, dans le silenoedu
Code civil , on ne voit aucune raison pour<éleBdre a l'indi-
Tisibilité ce que nous avons décidé pour la solidarité. Jamais
t)n n'a considéré, par exemple, les oodébiteurs d^une obli-
gation indivisible comme cautions les uns des autres, ils ne
répondent pas de leurs faits respectifs^ ^Is sont raf prodiës
par leur position, et non par les liens d'une ^Vigation
commune. B txument donc de laisser an copropriétaire ou
^u codébiteur (Pvne chose indiris^le la facuhé de repousser
Fautorité d'une sentence qui lui eat complètement étrangère.
(Voy. l'arrêt du 15 janvier 1839, p. 489, not. 1.) Quant k
la difficulté pratique, gin résulte de ce qu^en cas de décisions
•apposées on ne peut ordonner ^nmit partie l'exercice 4'uii
droit indivisible, elle peut exister dans toiftes les opinions,
f uisqu'au cas de oottusaon, o4 la tierce eppositifiin est évi-
demment recevalle, le coïntéressé vicfime de cette collusion
pourrait seul faire tomber le jugement, qui «ubaisteiMt ^au
regard de son coïntéressé. En pareille hypothèse, il faut
voir si le droit est de nature k pouvoir s'eseroer
AU camHm 4fld
aux autres parties. Ainfiî, s'il s'agît d'undroit de passage sur
un fonds indivis, la partie qui aura ttriamphé vis-à-vis-d'un
^es eopropriétaires seulement ne poncra point passer, si
l'autre copropriétaire justifie qulil a ledroix de' s'opposer à
l'exercice de la servitude ^ c'est Ik une diiSculté invincible
qui tient k la natoie des choses. Jikais^ après tout, cette
isurtie a toujours l'avantage >d!avoir diminué le nondire de
ses adversaires. On arrivera ài une solution plus satisËiisante
s'il s'agit d'un droit qui» bien qu'indiviaiUe^ .peut être
eiercé en totalité, sans nuire aux ocôntéressés^ pstf
eiemple^ de l'obligation de construire une maison ven ce
cas, la .marche est indiquée par la loi : on exigera la totalité
du codébiteur seul condamné , en lui payant lune indenmité
pécuniaire, icorrespondaot à la part des codébiteurs qui ont
triomphé. (C. iciv., art 1224.) Un arrêt de rejet du 19 dé-
eembre .1882 consacre la doctrine de Pothôec, c'est-à-dire la
£a»nlié d'exécuter le jugement contre les copropriétaires ou
eodébilears , ^ais'en leur réservant la tierce oppositianu
SuiqposDns jnaiulenant le jugement rendu «n faveur de
(I'hu des cofcopriétaires d'une chose indivisible. M'a-it^l pas
'BU mandat de ces oqpropriétures pour rendre leur position
aneiUenreP'C'estKse qu'a décidé laCkMrdecaasatioD, même
au cas'de simfde éndivision (R^., 12 mars 1866), et>cette
décimn parait bien^en harmonie avec l'article 709 du£ode,
^a»x termes duquel la jouissaooe d-one servitode par l'un
ides «copropriétaires d'un fonds indivis empédie la prescrip-
tioait^'égayd des tiens. Il doit en élre de 'même à ptnstforte
^fim, dans rhjpothèse deriHdivi^Uiité,>qui est rMi¥isi<m
par excellence. Il convient dès lors d'assimiler les copro-
priétaires d'unl)ien indivisible, ou .même simplement Indi-
"VIS, «UK fidéjueseuffs (n* 886) lOt aux créanciers solidaires
(fl? 887^, gui, peuvent améliorer la position des coîntéressés,
nrais non la compremettre.
492 CHOSB JUGÉE
On a quelquefois soutenu que la qualité d'héritier est in-
divisible, pour expliquer la di^sition de l'articlç 800 da
Code civil , qui semble faire dépendre la qualité d'héritier
vis-ii-vis de tous les créanciers , du jugement obtenu par un
seul '. Mais on reconnaît volontiers aujourd'hui que cet
article, ainsi que cela résulte évidemment de la discussion,
n'a voulu établir aucune règle spéciale, en ce qui touche
les effets de la chose jugée. Telle est la doctrine de la juris-
prudence. Quant k l'opinion ingénieuse qui voit dans ce
jugement une limite au delk de laquelle l'acceptation béné-
ficiaire devient impossible *, nous avons peine k l'admettre ^
mais ce n'est pas ici le lieu de la discuter. (Yoy. nos Éléments
de procédure dvile^ n* 437.)
889. Signalons enfin, pour terminer cet eiposé som-
maire des principes sur la chose jugée en matière civile,
une doctrine admise autrefois sans difficulté, et contestée
aujourd'hui, celle du contradicteur légume^ en ce qui touche
les questions d^état. Habituellement, ce qui est jugé avec le
père n'est pas jugé avec les enfants. Ainsi , une personne k
qui on dénierait la qualité de Français, et qui aurait fait
juger, dans une première affaire, que cette qualité lui
appartient , serait obligée de plaider de nouveau contre les
fils de son premier adversaire , s'ils venaient k la lui con-
tester dans un autre procès. L'intérêt de la stabilité de Tétat
des personnes a fait décider, au contraire , par les anciens
auteurs, en matière de filiation, qu'il suffit de triompher
vis-k-vis des parents du premier degré, réputés contraék-
leurs tégitimesy pour que tous ceux des degrés subséquents
I Aux termes de Tartide 964 de Code italien , l'habile à succéder est
considéré comme curateur de droit de l'hérédité ; il peut être appelé en
justice pour la représenter et répondre ani instances introduites contre
rhérédité.
' L'article 96 S du même Code répute héritier simple le successible qui,
étant nanti de l'hérédité , n'a pas achevé J'inTentaire dans les délais fixés.
AU CIVIL. 493
soient lîës par la décision rendue avec les chefs de la famille.
Julien dit, en effet, en supposant la question de paternité
soumise k la justice , que celui qui est déclaré héritier sien
Tis-k*Yis de son père , Test vis-à-vis de tous : « Et fratribus
tt suis consanguineus erit. Placet enim », ajoute Ulpien,
« ejus rei judicem jus facere. » (L. 2 et 3, D.,De agn. Uber.)
On a prétendu, pour détruire l'autorité de ce texte, qu'il
est relatif au désaveu du mari , désaveu évidemment borné
\ certaines personnes et enfermé dans certains délais. Mais
la distinction du désaveu et de la contestation d'état est
toute moderne -, les jurisconsultes romains avaient trop de
sens pour ne pas être pénétrés des motifs d'utilité sociale
qui ne permettent point de renouveler k chaque génération
les questions d'état. Dans tous les cas, telle était la doctrine
de nos anciens auteurs. In cau$a itatus, dit Yinnius {Partit.
jur.^ liv. 4, chap. 47), mfficit pronunciatum este, legitimo con-
tradictare prœsente, de re prindpalit ut vaUat sententia inter
omne^ in ii$ quœ $tatuê secum affert et inde pendent. On cite,
dans le même sens, un arrêt du parlement de Paris du
4 février 1689.
Enseignée encore par beaucoup d'auteurs dans le droit
moderne , cette doctrine a été vivement combattue , notam-
ment par Merlin {Répert.^ v* Question d'état, § m). Cet
auteur judicieux ne va pas toutefois jusqu'à enseigner que
chaque génération puisse remettre en question ce qui a été
jugé avec la génération précédente , de manière k éterniser
les procès sur l'état des personnes. Bien que défendue par
M. Demolombe (Filiation ^ 2* éd., n* 321 ), une opinion aussi
extrême nous paraît tellement contraire au bon sens pra-
tique qu'elle n'aurait aucune chance de succès auprès des
tribunaux '.Tout ce que l'on peut raisonnablement soutenir,
< Aussi Varocat général Ricard , en soutenaDt devant la Coar de Mont-
peUier, le 24 janvier 1822, la doctrine de Parrét de cassation du 9 mai
404 CHOBH lUGÉE
c'est qne le» eniknts^ né» doivent être mis en cause*, dany
les procès qui s'agitent avec leur père sur des droite àb
femille. On invoque en ce sens Tarticle 100 du Code civil,
aux termes daquel le jugement de recUHcation des actes de
rétat civil ne peut être opposé, dans aucun temps, aur par-
ties qui n'y ont pa»étë appelées. C'est aussi ce qui paraîtrait
résulter des considérants d'un arrêt de cassation du*
9 mai 18ât, qui déclare « que les droits de famille sont*
(c acquis aux enfants par le seul fait de la naissance en ma-
« riage légitime *, que, respectivement k ces droits, leurs
« auteurs ne peuvent ni les obliger par leur fait, ni les
« représenter dans les instances oà: ces enfants n'ont pas été
« personnellement appelés. »
Mais nous ne voyons rien d'assez formel dans Tarticle iOO
pour faire supposer l'a)»andon, sans examen*, san» discus-
sion , d'une doctrine apppuyée sur d'aussi graves motift que
l'ancienne théorie du contradicteur légitime. Si la jurrspnr-
dence a quetqnefbis fait une sage* et utile violence à éa* lai
(voy n* 91 ), pour y introduire des principes nouveam, elle
doit éprouver moins de scrupule Ik où il s'agit seulement
de modifier une règle générale par un tempérament qui y a
été apporté de temps immémorial.
En ce qui touche l'arrêt de 18S1, lorsqu'on examine
l-espèce dans laquelle a été rendu cet arrêt, on voit quil
s'agissait de revenir sur une décision scandaleuse obtenue
d'un tribunal de famille, en 1793, décision qui attribuait la
légitimité k un enfant dont la bâtardise était manifeste et
dont ce tribunal lui-même reconnaissait' que les parents
n'étaient point mariés. Cest donc Ik évidemment un anfêt
1821 f a-t-il soin de déclarer qu'il n'entead réserver les droits que des
enfants nés lors du procès , et que pour ceux qui viendraient k nattre
ultérieurement, il faudrait leur appliquer le principe posé en 1689 par le
parlement de Paris. La concession est périlleuse, Ât M. nemolombe ;
mais elle eet moralement nécessaire.
Ac cnuu*. 498
d'espèce^ et il faat remarqnev de plus que Tenfant légitime,
qm n'avak pas été dûs ea cause , étaâl donataire de tous les
biens présents du de €ujm„tt que dès lors il avait un intérêt
tout spécial dans le procès jugé hocs de sa ppéseuce. Had)i-
tudlemeat , an conlcaive , dans le» questians d*élat , la réda-
mation enlraïae un. scandale qa'il est dans Tesprit de notre
légistadon d'étouffer promfptement : de \h les délais sî brefs»
pour le désaTOUy et remarquoiis qa'inconifistabiement, dans
ractiou en désavea , le mafl est seul oontradicteur légitîne..
C'est à j^ropos ménae de cette action en désavea que , dan»
un arrêt du 6 juiUet 1836, la Cour de cassation, en repous*
sant l'action des créanciers^ semblait piendre k tâche de
reproduire,, da moin» par ses conûdérants, la théorie qu'on
prétend repoussée par nos lois modecnes, locsqa'elle décla-
rait « qn de pareille» acUons intentée», exercées et jngéea
« avec les eantradictiÊtrB lêgitimu, Hiembre» de la famille,.
(( sans dol et san» fiande au préjudice des tiers yficent l!état
(( de la mé»e famille k. L'égard de- tous. »
Mais , plu» récemment, la jocispradence a eu. k se pro-
noncer suc la question d'une manière directe. Une réclama*
tiott d'état, après avoir été repoussée vis-k-vis du> prétendu
père par un jugement passé en force de chose jugée, a été
reproduite contre le même individu et contre sa fiHe , k
raison de l'ouTerture des successions de la prétendue mère
et du prétendu frère du réclament. La Cour de* Montpellier,
pour repousser cette prétention, a posé carrément l'ancienne
théorie, en déclarant ^ le 10 mai 1864, a que celui qui
• c< réclame l'état d'enfimt légitime, doit former sa demande
« eonUte les deux époui dont il se prétend issu , ou leurs
« représentants^ parties principalement intéressées -, qiae la
« décision rendue avec ses comradicuurs natureU et légitimée^
a fixe irrévocablement, et envers tous, son état d'enfknt
« légitime, si su demande est accueillie, sauf le ca» de
496 CH08B JUGÉE
« coUasion et de fraude; que, par la même* raison, elle
« établit irrévocablement, et envers tous, quHl n*est pas
« enfant légitime du père et de la mère dont il se prétend
« issu , si sa demande est rejetée. »
La Ck)ur de cassation, saisie du pourvoi contre cet arrêt,
a évité sciemment de se prononcer sur la théorie générale
consacrée par la Ck)ur de Montpellier ; elle s'est bornée
(Rej., p janvier 1866) k décider, en s'attachant à l'espèce où
l'action en réclamation d'état, après avoir été rejetée, se
trouvait ultérieurement reproduite ex causa nova, r gne nul
« ne peut être autorisé ^ décliner les conséquences néces-
« saires de la situation qu'il a créée -, que procéder contre le
« mari seul en semblable matière , c'était d'avance accepter
<i pour soi comme définitive et absolue la décision k inter-
« venir. » On a dès lors voulu concilier l'arrêt de 1866 avec
celui de 1821, en s'attachant à la distinction proposée par
notre savant collègue M. Rodière {SolidarUê et indimibUùé,
n"" 401), entre le jugement qui admet la réclamation d'état,
jugement suspect de collusion et susceptible d'être attaqué
par tout intéressé, et le jugement qui repousse cette même
réclamation , lequel , rendu vis-ii-vFs du contradicteur légi*
time , ferait loi k l'égard de tous.
Cette distinction nous parait plus ingénieuse que fondée
en logique. De deux choses l'une : ou bien il faut s'attacher
aux articles 1351 et 100 du Code civil, et limiter l'autorité
du jugement aux parties en cause -, ou bien, il faut recon-
naître, avec l'intérêt social et le bon sens, que le^même
procès ne peut être renouvelé de génération en génération. *
Le premier système mène à celte conséquence étrange,
signalée par M. Demolombe, que celui-lk même qui s'est fait
attribuer une filiation pourrait en réclamer une difiérente.
L'état des personnes n'étant point susceptible d'abdication ,
si on applique rigoureusement l'article '351, le réclamant
n^<'m u
AU aviL. 487
lui-même ne serait point contradictear légitime qaant k son
propre état. La question s'est présentée dans la pratique ;
un jugement du tribunal civil du Gers, qui avait admis cette
singulière doctrine, a été cassé le 5 prairial anVII : « Attendu
c( que l'état civil de Jean Caries a été irrévocablement fixé
c( par le jugement rendu sur sa propre réclamation, le
« 6 août 1790, par le ci-devant sénéchal de Bigorre, qui Ta
« déclaré fils naturel de Théodore Caries et de \ictoire
(( Jubert, mariés. 9
Il est bien entendu qu^l faut, dans notre manière de voir,
que toutes les parties principales aient été mises en cause :
ainsi, un enfant déclaré légitime vis-à-vis de sa mère, ne le
serait point par cela même vis-à-vis de son père , et réci-
prQquemenl\ (Rej., 28 juin 1821.) Quelque indivisible que
soit l'état des personnes dans la nature des choses, ii doit
cependant être considéré comme divisible dans la pratique ^
et l'oB peut être fils légitime d'une femme sans être légale-
ment le fils de son mari. (N* 211.)
* Nous ne saurions admettre, sur ce point, la doctrine professée par la
chambre des requêtes, dans Parrèt du 3 janvier 1866, suivant laqueUe, n le
mari seul a été mis en cause par le réclamant , la demandé ne peut être
reproduite contre la femme ou les enfants de celui qui aurait été jugé n^être
point le père. Il nous semble qu'U y a là une confusion d'idées entre le
désaveu, qui, par la force des choses, n'intéresse que le mari, et la con-
testation d'état , dans laquelle le mari et la fenuue sont sur la même ligne.
II. 32
498 AUTORITÉ DE LÀ CHOSE JUGÉE
DEUXIÈME DIVISION.
AinOBITlâ BE LA CHOSE JUG^E AU CRIMIKBI. ^.
SomiAmE. — 890. Bègle Non bis in idem. — 89< . Législations qui s*eii écartent , diree-
temcnt ou indirectemeut. — 892. Autorité de celte règle. — 893. Quand elle est appli-
cable. ^ 894. Division.
890. Le priDcipe qu'il n'est plus permis de remettre en
question un point souverainement jugé, est plus sacré encore
en matière criminelle qu'en matière civile. Que devien-
draient la liberté individuelle et la sécurité de chaque
citoyen , si les accusations pouvaient se renouveler indéfini-
ment ? Le système contraire est de nature k entraîner de
trop graves perturbations pour n'être pas repoussé par la
raison politique aussi bien que par l'équité. « Qui de crimine
(( publico » (Diocl.,L.9, Cod., De accus.) « in accusationem
« deductus est, ab alio super eodem crimine deferri non
« potest. » Et notre ancienne jurisprudence a reproduit la
même règle, connue dans la pratique sous le nom de Non
bU in idem. Seulement, la requête civile était admise pour
cause de dol de Taccusé *, ou de fausseté des pièces pro-
duites, tandis qu'il n'existe plus aujourd'hui de requête
civile en matière criminelle. Cette règle n'était établie,
d'après le droit commun anglais, que pour les accusations
emportant la peine capitale '. Les États-Unis avaient été un
* Voyez, sur tout ce qui concerne la chose jugée au criminel , les prin-
cipes exposés dans le Traité de Vaction publique et de Vaction civile de
M. Mangin.'(Cli. ly. sect. 3.) Nous verrons néanmoins que le dernier état
de la jurisprudence tend à corriger ce quMl y avait de trop absolu dans la
doctrine de M. Mangin relativement à TinOuence du criminel sur le civil.
£n cette partie encore , de nouveaux développements ont été donnés par
M. Griolet.
' Farinacius permettait même de revenir sur le procès, s^il y avait aveu
ultérieur de Paccusé : Posse adhuc absolutum ex sua coi\fessione con-
demnari sine dubio crederem. (Quest. 4 , n» 43.)
* Suivant une observation judicieuse de M. Ortolan (Éléments de droit
pénal, tom. II, n« 810), on peut expliquer par le moins de confiance
quUnspire l'accusation privée le respect moindre de la chose jugée là où
la procédure est accusatoire.
AU CRIMINEL. 499
peu plus loin, en consacrant, comme principe constitu-
tionnel, qu'on ne pouvait être exposé par une seconde accu-
sation, pour la même offense, à perdre la vie ou un membre
(Comt., Amend., art. ^) : No penon shall be 9ubject, for the
êome offense t ta be twice put injeapardy of li/e or limb.
Mais, ainsi que nous rapprend Greenleaf (tom. III, § 35),
la règle a été généralisée dans la pratique anglaise et amé-
ricaine S qui , sous la dénomination de piea of autrefois acquit^
ou bien, of autrefois eonvict^ ne permet point de remettre en
question ce qui a été décidé antérieurement par un acquit-
tement ou par une condamnation.
881. C'était violer indirectement la règle Non bis m ideai
que d'admettre, avec l'ancienne jurisprudence et avec le
droit allemand (n* 57), un plus amplement informé usquequoj
ou bien une absoUuio ab instantia, qui laissait indéûniment
l'accusé in reatu. Le verdict du jury écossais, consacré
dcfpuis deux siècles, non prouvé (^not proved), n'a point des
conséquences aussi graves, puisqu'il ne permet point une
nouvelle accusation ; mais il a le notable inconvénient d'in-
fliger, comme jadis la mise hors de cour^ k celui qui est Tobjet
de cet acquittement imparfait , une sorte de flétrissure mo-
rale (voy. n"" 56), qu'il ne lui est pas possible d'efiacer.
Et cet inconvénient est d'autant plus marqué que les trois
quarts des verdicts rendus en faveur de l'accusé par le jury
d'Ecosse portent non prouvé au lieu de non coupahie. Le sys-
tème anglais et français est plus conforme au principe qui
veut que l'accusation soit complètement purgée.
Le droit criminel autrichien , tel qull est encore consacré
par le Gode de 1853 (§ 362 et 368), ne craint point d'aller
ouvertement k rencontre de ce principe, puisqu'il autorise
* Toutefois, dans le Connecficat, jusqu'à la rérision de 18f8 , la Cour,
si eUe n'était point satisfaite da verdict du jwry, pouvait en proroqMr ub
second et même un troisième. (Story, On the Constitution, $ 89.)
32.
SOO AUTORITÉ DE LÀ CHOSE JUGÉE
une nouvelle accusation , soit après une condamnation k une
peine inférieure, soit après un acquittement complet. Le
Code de procédure pénale napolitain (art. 149 et suiv.) per-
mettait de revenir pendant deux ans sur rarrèt, lorsqu'il
portait simplement : Non cotta.
892. Chez nous, le respect de la chose jugée a une telle
influence en matière criminelle, que ce n'est plus alors aux
parties seules, comme en matière dvile (voyez notamment
Rej., 16 novembre 1864, 12 mars 1866 et 2 février 1867),
à se prévaloir des jugements rendus en leur faveur, si elles
les connaissent et si elles jugent k propos de les invoquer -,
ce moyen péremptoire doit être suppléé d'oiBce (Cass.,
3 mai 1860) dans l'intérêt de Taccusé. Il en est de la
chose jugée comme de la prescription, qui n*est pas aban-
donnée k la discrétion des parties en matière criminelle.
893. Quant k l'application de la maxime Non bis in idem,
il faut distinguer deux degrés dans la juridiction criminelle.
Si une ordonnance de non-lieu a été rendue parle juge d'in-
struction \ ou un arrêt de non-lieu par la chambre des mises
eu accusation, le prévenu ne peut plus être traduit en jus-
tice a raison des mêmes faits, k moins qu'il ne survienne de
nouvelles charges (C. d'inst., art. 246.) Il y a autorité de
la chose jugée, mais seulement en ce qui touche les charges
soumises k la chambre. Enfin , l'autorité de la chose jugée
protège complètement l'accusé, s'il y a eu jugement défi-
nitif, c'est-k-dire non-seulement dans le cas d'acquittement,
dont s'est occupé le Code d'instruction criminelle (art. 360),
mais en cas d'absolution , ou même de condamnation , si l'on
prétendait que la peine prononcée n'était pas suflisante.
1 n faut, en effet, assimiler aui arrêts de non -lieu les ordonnasoes
de non-lieu rendues par le juge d'instruction, qui n'auraient pas été
attaquées dans les délais , ainsi que Va, déddé la Cour de cassation pour la
chambre du conseil, notamment le 22 août 1847 et le 25 juillet 1849.
AU CRimilEL. , 80i
De plus, les arrêts de la chambre des mises en accusation
ont un caractère définitif, en tant qu'ils tranchent des ques-
tions de droit, k Tégard desquelles la suryenance de non*
velles charges est une circonstance indifférente. Ainsi , la
décision de cette chambre, qui déclare n'y ayoir lieu k ren-
voi, parce que le fait poursuivi n'est pas punissable aux
termes des lois pénales, a une autorité aussi irréfragable
que celle d'un arrêt d'absolution. La Cour de cassation a
jugé, en conséquence (Cass., 9 mai 1812), que la décou-
verte de charges nouyelles ne peut détruire l'autorité d'un
arrêt de non-lieu , fondé sur ce que le bénéfice de la pres^
cription est acquis au prévenu.
II n'y a chose jugée au criminel qu'autant que la décision
tranche ainsi la question irrévocablement, et non lorsque,
motivée uniquement sur le manque de preuves , elle écarte
certaines charges, sans purger l'accusation.
894. Les caractères que doit avoir la chose jugée sont
les mêmes au fond qu'en matière civile. L'identité d'objet,
de cause et de personne est également nécessaire pour
rendre non recevables de nouvelles poursuites, sauf cer-
taines modifications que peut subir, en matière criminelle,
l'application des principes ordinaires.
5 4. IDEXTITB «'objet.
SOMMAIBE. ~~ 895. Identité d'objet ao criminel. Caractère des poursuites disciplinaires.
895. L'objet de l'action criminelle , c'est la peine qui est
réclamée dans l'intérêt de la société. L'objet de l'action
civile, souvent jointe à l'action publique devant les tribu-
naux de répression, c'est l'indemnité du préjudice causé
aux particuliers par le délit. Nous verrons, en traitant des
rapports de l'action publique et de Faction civile au point
de vue de la chose jugée, que ces actions, bien qu'indépen-
502 AWORITÉ DB LÀ CHOSE JUGÉE
dante6 Tone de Fautre parleurs objets respectifs, ne sont
point toujours sans influence Tune sur l'autre.
L'identité de l'objet quant k Faction criminelle ne saurait
donner lieu k de sérieuses difficultés. II est difficile de sup*
poser qu'on Tienne réclamer une seconde fois l'application
d'une peine pour le même délit.
La jurisprudence n'a eu k statuer, k cet égard , que sur
le caractère tout particulier des poursuites disciplinaires.
Elle a reconnu que la répression disciplinaire, n'étant qu'une
simple emendatio domMica, n'empêche point l'exercice de
l'action publique, et réciproquement. Il est ^rai , dès lors,
qu'au fond la chose demandée n'est plus la même. Les
principes sur ce point ont été posés par Farrét de cassation
du i2 juillet 1834, aux termes duquel « l'action en disci*
« pline pouvant s'exercer pour des faits qui ne sont pas
a qualifiés par le Code pénal, et étant d'ailleurs assujettie à
« des formes spéciales, les punitions qui en sont la suite ne
<c sont point de véritables peines, et les décisions qui les
« prononcent ne sont point de véritables jugements ; Tac-
« tion en discipline, instituée pour maintenir, dans l'intérêt
(( public, cette sévérité de délicatesse, cette dignité de
« caractère , cette intégrité de mœurs qui doivent toujours
« distinguer la magistrature, est indépendante de la vindicu '
« publique en matière criminelle, correctionnelle et de
a police, comme celle-ci est indépendante de Faction en
(( discipline. » Bien que posée k l'occasion de la magistra-
ture, cette règle s'applique k toute espèce d'infraction disci-
plinaire , et elle est suivie par toutes les juridictions de dis-
cipline. On se rappelle (n*" S38) que l'action disciplinaire
est également soumise k des règles spéciales pour l'admi-
nistration de la preuve testimoniale.
* Expression peu heoiense pour désigner Paction répressive.
juj CRimiiiL. â03
S 9. IDENTITÉ DB CAUSE.
Som AIRE. — 896. Caose en matière criminelle. Distinction de la pluralité des faits et dn
même fait envisagé sous diverses faces. — 897. Délits distincts, délits connexes , délits
collectifs. Quid si la poursuite a lieu dans des circoustances idenliqnes ? Brevets d'in-
veDtion. — 898. Poursuites successives dirigées à raison du même fait. Droit romain
et droit intermédiaire. — 899. Cooiroverse sur le lexie du Cod£ d'instruction. — 900.
Point de difficulté an cas d'absolution.
896. De «éme que la cause , eu matière civile , est Tacte
juridique qui sert de.base a Taciiou , par exemple , la dona*-
tioo ou le testament qu'iuvoque le demaudeor \ la cause ,
en matière pénale ( et nous devons rectifier, k cet égard , les
idées. peu exactes émises dans nos préeéd^ites éditioas)^» est
le fait délictueux qui autorise le ministère public ^ provo-
quer l'application de la peine. Les diCBcultés spéciales qu'a
soulevées, sur la cause devant la juridiction civile, la marche
de certaines actions, notamment des actions en nullité
(n* 876), ne sont point de nature à se présenter devant la
juridiction criminelle, où Im conclusions du ministère public
tendent toujours diredieDient k l'objet de Ta/ction criminelle,
c'^st-àndire k h fémli té.
La question de J'identité de cause peut se présenter, soit
dans rhypothèise de plusieurs faits délictjueux, successive^
DMut poursmvis, jsoit dans Thypothèse, plus délicate, d^uo
seul fait envisagé sous différentes faces,
807. Lorsque les délits sont distincts bien qu'ils se rat-
tadbent par une certaine corrélation , on ne peut opposer à
raccusa4ion la maxime Non bis in idem, Ce$i ainsi que eelui
qui est acquitté de Taccusation de meurtre suivi de vol, peut
être poursuivi de nouveau pouf le fait postériemr et distiiM^^
de recel des dfete provenant du vol. (Gass., g février jl8â9.)
La circonstance même que les deux délits n'étaient, pour
ainsi dire, que la répétition l'un de J'^aulre, n'aiicait pas
pour effet de les confondre. Aussi ant-on validé (Bej.,
31 juillet 1823) les poursAÎtos pour faux top^ngnage contre
504 AirroRiTÉ de la cbose iugée
un individu qui avait déjk subi une condamnation pour dé-
nonciation calomnieuse, dans une espèce où l'imputation
mensongère avait été d'abord communiquée k un maire,
puis réitérée en face de la justice.
Toutefois il ne faudrait pas prendre pour des faits dis-
tincts tous les éléments particuliers d'un même délit. Celui
qui aura commis plusieurs vols dans une même maûsoa
pourra bien être poursuivi autant de fois qu'il aura vQlé de
personnes différentes *, mais il ne pourra Tétre plus d'une
fois k raison des vols qu'il aurait commis en même temps
au préjudice d'une seule personne.
Les délits peuvent être connexes, c'est-k-dire que les
uns peuvent avoir été commis (C. d'inst., art. 227) pour
procurer les moyens de commettre les autres , pour en faci-
liter, pour en consommer l'exécution, pour en assurer l'im-
punité. Il faut examiner alors s'il y a une indivisibilité réelle
entre le fait jugé et le fait poursuivi. Cette indivisibilité
existe , lorsque la culpabilité de l'un des faits tient nécessai-
rement k l'existence de l'autre. Ainsi, quand une personne,
accusée d'avoir fait un faux pour parvenir k commettre des
concussions , a été reconnue non coupable de faux , comme
ay^nt agi sans dessein de nuire, elle ne peut être ultérieu-
rement inquiétée, quant aux prétendues concussions dont le
faux devait être le moyen , puisque l'intention criminelle a
été irrévocablement écartée par le jury. (Cass., 23 frimaire
an XIII.) Mais les faits, bien que connexes, peuvent être
parfaitement divisibles, et dès lors ils sont imputables isolé-
ment k l'accusé. Par exemple, la décision négative sur la
question de viol n'empêchera pas les poursuites pour excès
et mauvais traitements qui auraient été simultanément
exercés sur la personne de la femme outragée. (Arr. de la
Cour de cass. du 30 mai 1812.)
S'il s'agit d'un délit collectif ou d'habitude, comme Tha-
AIT CRIMINEL. 505
bitode d'excitation k la débauche, les faits antërieurs à la
sentence, quelque nombreux qu'ils soient, ne constituent
qu'un seul délit -, et l'on ne pourrait rechercher ceux qui
viendraient à être découverts plus tard sans violer l'autorité
de la chose jugée , puisqu'ils ont été virtuellement compris
dans les premières poursuites. Hais les poursuites pourraient
être reprises s'il avait été commis depuis la sentence des faits
nouveaux , assez considérables et assez nombreux pour con-
stituer une nouvelle habitude. C'est ainsi qu'en matière civile
la demande en séparation de corps, après avoir été repoussée,
ne peut être reproduite que si elle est motivée sur des sé-
vices ou injures postérieurs au premier jugement.
Au délit collectif se rattache de fort près la perpétration
du même fait dans des circonstances identiques.
Ainsi que nous l'avons vu (n* 860), c'est une règle géné-
rale , au civil aussi bien qu'au criminel , que l'autorité morale
on doctrinale d'une décision judiciaire n'a rien de commun
avec l'autorité de la chose jugée. Pour qu'il y ait resjudkata,
il faut que la même question ait été résolue en fait, et non
pas seulement en droit.
Il faut donc reconnaître qu'une exploitation peut être
poursuivie comme insalubre pour des faits identiques , mais
postérieurs k un premier jugement qui l'a déclarée non
punissable. (Gass., 17 décembre 1864.) On a critiqué avec
raison , comme contraire k ce principe , une décision de la
chambre criminelle de laCourdecassation(Rej., 18avrill839)
qui a considéré comme faisant obstacle k des poursuites pour
exercice illégal de la médecine un premier jugement de ren-
voi pour des faits antérieurs , fondé sur une autorisation du
mmistre de Tiostruction publique, qui n'avait pas été révo-
quée. La même question a été agitée dans une espèce qui
a eu plus de retentissement, à raison de son importance
pratique. Aux termes de l'article 46 de la loi du 5 juillet 1844,
506 AUTORITÉ DE Lk CHOSE JUGÉE
le tribunal correctionnel, saisi d'une action pour délit de
contrefaçon , statue sur les exceptions tirées de la nullité oa
de la déchéance du brevet. Une pareille décision a-t-elle
une autorité absolue? Lorsque le législateur a voulu auto*
riser la juridiction civile k prononcer la nullité absolue da
brevet, il a eu soin de s'en expliquer par une disposition foiw
melle. (Même loi, art. 87.) Autrement, on se trouve placé
sous Tautorilé du principe général , suivant lequel la déci-
sion du juge, notamment lorsqu'il statue incidemment eo
matière pénale (n*" 233), ne peut être invoquée au delà de
Tespèce sur laquelle il statue. U est vrai que la cbasabre
criminelle (17 avril 1857) avait d'abord interprété dans un
sens plus large l'article 46 de la loi d<^ 1844, en voyant dans
l'exception un moyen de droit sur lequel le juge ne pouvait
être appelé k prononcer une seconde fois. Mais cette doc-
trine, repoussée par la chambre civile (Cass., 25 avril 1857
et 11 février 1859), a fini par être ahaBdonnée par la chambre
criminelle, qui a reconnu récemment (Rej., 22 janvier 1870)
tt que la décision que le juge correctionnel rend sur ces es-
cc ceptions ne s'étend pas au deik du fait incriminé ; qu'an
« cette matière comme en toute autre, le tribunal correc-
(( tionnel n'est juge de l'exception que dans la mesure et
tt dans les limites de l'action. »
898. Arrivons k l'hypothèse ou des poursuites seraient
dirigées k raison du même fait, envisagé sous diOérentes
faces. Ainsi, pour prendre l'exemple le plus frappant, l'accusé
acquitté pour meurtre peiit41 être poursuivi correctionnelle*
ment pour homicide par imprudence ?
En l'absence de tout texte , et si l'on ne raisonne que
d'après les principes généraux , la cause de la demande ne
consiste point dans les £aûts matériels sur lesquels statue le
juge , mais dans ces faits envisagés au point de vue juri-
dique. On n'a jamais contesté, en droit civil, qne le méoie
àS CRIVINEL. 807
acte qu'on a essayé vaÎDement de faire valoircomme testa*
ment, ne puisse être déclaré valable comme donation, sans
qu'il y ait \k aucune violation de l'autorité de la chose jugée.
A Rome , ce principe était admis incontestablement , même
au criminel, a Si tamen », dit Dioclétien (L. 9, Cod., De
acaa.), <c ex eodem facto plurima crimina nascuntur, et de
« uno crimine in accusationem fuerit deductus, de altero
« non prohibetur ab alio deferri. » Nos anciens criminalistes
ont constamment professé la même doctrine. Mais la légis-
lation intermédiaire introduisit un système tout nouveau.
Ce qui était soumis au jury, d'après la loi du 29 septembre
1791 , et d'après leCode du 3 brumaire an IV, ce n'était pas
seulement tel délit, par exemple, tel meurtre, tel vol;
c'était le fait même, dont la matérialité et la moralité devaient
être spécialement appréciées par le jury. Dès lors, l'accusé
acquitté pour meurtre ne pouvait plus être poursuivi pour
liomieide par imprudence , puisque l'accusation d'bomicide
et celle de meurtre se rattachent t(Mites deux k un même
fait, qui avait été généralement apprécié sous toutes ses faces,
et déclaré non punissable ^ . C'est en ce sens qu'on interpré-
tait constamment alors les dispositions légales qui ne per-
mettaient pas de reprendre ou d'accuser le même individu
à rttson du même fait. (Loi de 1791, part. II, tit. YIII, art. 3 \
C. de brumaire, art. 426.)
899. Or, les mêmes expressions se retrouvent dans l'ar-
ticle 603 du Code d'instruction criminelle, ainsi conçu :
f( Toute personne acquittée légalement ne pourra plus être
« reprise ni accusée , à raison du même fait. » D'après la
maTÎiïiA Hon est novum ut priores leges ad poUeriores trahantw
* n parait même résulter de la combinaison des articles 378 , 374 et
3S0 du Code de brumaire, que la question subsidiaire, résultant des débats,
devait être posée à peine de nullité. Mais, au cas d'acquittement, la cas-
sation, alors comme aujourd'hui, ne pouvait être prononcée que dans
l'intérêt de la loi.
508 AUTORITÉ DB LÀ CHOSE JUGÉE
(Paul, L. 26, D., De legib.)^ plusieurs auteurs et plusieurs
Cours d'appel ont soutenu que ces expressions doivent
s'interpréter de même aujourd'hui , s'atiachant k cette idée
qu'en matière criminelle on doit faire prévaloir la solution
la plus favorable -à l'accusé. Mais la Cour régulatrice s'est
depuis longtemps prononcée pour l'opinion contraire, et un
arrêt de cassation, rendu en ce sens, sections réunies, le
25 novembre 1841 , a fixé irrévocablement sa jurisprudence.
Si la législation nouvelle doit s'éclairer par celle qui l'a pré-
cédée, cela n'est vrai qu'autant qu'il n'y a pas entre elles
opposition de principes, nui contrariœ tint (Paul, L. 28, ttrid.),
et cette opposition eiiste réellement dans l'espèce. Le Code
d'instruction criminelle (art. 337} a substitué aux opérations
multiples et compliquées du système antérieur la position
de cette simple question : « L'accusé est-il coupable d'avoir
« commis tel meurtre, tel vol ou tel autre crime, avec toutes
« les circonstances comprises dans le résumé de l'acte d'ac-
« cusation'? » Le jury ne prononce donc plus sur le fait,
mais sur le délit. Pour que son appréciation s'étende plus
loin , il faut qu'on lui ait posé des questions subsidiaires.
Il n'est donc plus vrai aujourd'hui que toute accusation rela-
tive au fait matériel soumis au jury se trouve purgée par
son verdict. Ainsi , lorsqu'il a résolu négativement la ques-
tion d'infanticide, on ne saurait admettre qu'il ait résolu
implicitement celle d'homicide par imprudence , qui ne lui
était pas soumise , et qui a pu ne pas même se présenter k
sa pensée. Le même fait doit donc s'entendre dans la loi
actuelle du même délit. L'opinion contraire, rationnelle dans
un système d'instruction où l'examen du jury devait porter
* Tel était le texte du Code d'instnictioD de 1808 • et même de ce Code
révisé en 1832. Mais aujourd'hui, aux termes de Particle 1» de la loi du
13 mai 1886 , les questions relatives aux circonstances aggrayantes doîTest
toujours être posées séparément. La question principale n'en a pat moins
consenré le caractère complexe signalé par la Cour de cassation.
AU CRimMEL. S09
sur le fait envisagé sous toutes ses faces, amèDerait aujour-
d'hui ce singulier résultat qu'un délit correctionnel qui n'au-
rait été ni discuté ni jugé, se trouverait impuni , parce que
Tauteur de ce délit aurait été mal à propos accusé d'un
crime. Il est vrai que le président de la Cour d'assises peut
toujours poser subsidiairement la question de savoir s'il a
été commis un simple délit ; mais on sent combien ce serait
énerver la répression que de faciliter ainsi les voies à l'in-
dulgence du jury, en posant des questions subsidiaires,
auxquelles il s'arrêterait souvent pour prendre un moyen
terme entre l'acquittement et la condamnation complète.
Dans l'opinion des auteurs qui combattent la jurisprudence,
il faut aller jusqu'à soutenir que c'est une obligation pour
le président de poser les questions subsidiaires. Mangin
tombe dans l'excès contraire, en soutenant que le Code
actuel n'admet d'autres questions que celles par lui indi-
quées. La vérité est qu'il y a là pour le président une simple
faculté, et ce serait vraiment donner une trop grande lati-
tude aux pouvoirs de ce magistrat que de déclarer l'action
correctionnelle éteinte par suite de l'omission d'une mesure
facultative, k laquelle la loi ne fait pas même allusion.
On pourrait croire que le ministère public a un moyen
facile de trancher la question, en faisant des réserves k
fin de poursuites, avant la clôture des débats. (C. d'inst.,
art. 361.) Mais ces réserves ont simplement pour but,
d'après le texte et l'esprit de la loi, d'empêcher la mise
en liberté du prévenu acquitté; elles se réfèrent d'ailleurs
aux faits révélés par les débats, faits tout a fait indépendants
de ceux sur lesquels le jury va prononcer. Après tout, la
valeur légale du verdict doit dépendre de règles fixes, et
non de la circonstance que le procureur général aura pris
telles ou telles conclusions.
L'objection la plus grave contre le système qui a prévalu
510 AUTORITÉ DIS LA CHOSE JUGÉE
dans la pratique , c'est qu'il semble conduire k cette con-
séquence , admise dans la législation anglaise , qu'une per-
sonne pourra être soumise à des poursuites criminelles pour
le même fait k raison duquel elle aura été acquittée. Outre
ce qu'il y aurait d'exorbitant à faire figurer plusieurs fois la
même personne pour un même fait sur les bancs de la Coar
d'assises, il y aurait k ce procédé un obstacle de droit insur-
montable; ce serait la nécessité d'obtenir un nouvel arrêt
de la cbambre d'accusation, arrêt qui serait impossible dans
notre système de procédure criminelle, puisque l'article 246
du Code d'instruction suppose que la chambre ne peut être
ressaisie du même fait ^ qu'autant qu'il survient de nouvelles
charges.
Nous reconnaissons, en efiet, que la pensée de notre
législateur a été de faire formuler d'une manière dépnitive
l'accusation criminelle par la chambre de la Cour d'appel
dûment saisie. Toutes les questions de droit qui se ratta-
chent au fait incriminé doivent être résolues avant l'ouver-
ture des assises, qui se trouvent forcément saisies de l'aecn-
sation, telle qu'elle a été qualifiée, si le ministère public ou
l'accusé n'ont point fait modifier cette qualification par h
Cour régulatrice. L'accusation se trouve dès lors purgée par
le résultat des débats -, il n'est plus possible de la remanier
après coup.
Tout autre est le caractère de la position des questions
subsidiaires. La Cour d'assises n'était point saisie directe-
ment du délit, dont la connaissance appartenait, en principe,
k la juridiction correctionnelle -, c'est seulement ex accklenti
qu'elle était appelée k en connaître. 11 ne s'agit plus de la
' Le même faXt se prend ici dans le sens littéral , parce que la chambre
d^accusation n'est point appelée à prononcer sur une question déterminée,
mais doit se saisir, même d'office (Inst. crim.» art. 231), de la connais-
sance de tous les points qui se rattachent à Paccusation qui lui est sou-
mise.
AU GRIHIHBL. SU
mission nécessaire de la Cour d'assises, mission qui lui est
imposée par l'arrêt de mise en accusation, mais bien d'une
sorte d'emprunt, tout facultatif, fait à la juridiction correc-
tionnelle, dans un but de simplification et de célérité. On
peut donc, sans se contredire, reconnaître k la chambre
d'accusation le droit de formuler définitivement, en se
liTranl k toutes les investigations nécessaires, l'accusation
criminelle, et refuser au président de la Cour d'assises le
pouvoir d'exercer ou de supprimer k son gré l'exercice
subsidiaire de la juridiction correctionnelle.
Ce n'e&t pas que nous regardions ce système comme bien
satisfaisant. Le mieux serait peut^tre d'abandonner ce mode
de questions complexes , dont nous allons encore signaler
les inconvénients en traitant des rapports du criminel et du
civiP. En voulant simplifier la mission du jury, on a amené
de f&cbeuses complications.
En matière correctionnelle, il faudra étudier les motifs
du jugement, pour reconnaître s'il a statué sur un seul délit,
m sur le fait dans son ensemble , et pour en déterminer en
conséquence la portée. (N* 863.)
900. Dans le cas d'absolution, qui donne Heu également
k l'application de la maxime Non bU in idem, bien qu'il ne
soit pas compris dans la lettre du Code d'instruction (voy.
art. 960), il faut décider, au contraire, que le fait se trouve
k l'abri de toute aecnsation k l'avenir, sous toutes ses faces.
L'absohition déclare, en général, que le fait dont l'existence
a été reconnue par le jury n'est pas défendu par une loi
pénale. (Ibid., art. 36i.) Toute poursuite devient donc im-
possible k raison de ce feit.
< Une propoaition a été f&tte en ce sens par M. Parent à l'Assemblée
nationale.
512 AUTORITÉ DE Lk CHOSE J06ÉB
$ 8* l»BimTi DB rBESOHRB.
SonAiRB. — 90f . Ftcnlté de poursairre direnes personnes poar le même bit — M2.
La condamnation de l'antenr principal ne préjuge point la complicité. — 903. Quand
l'acquiltement dn prétendu antear principal met obstacle aox poursuites pour eonplidlé.
~~ 904. Identité de personne, an point de vue actif. Transition k la division sniTinte.
901. On ne peut douter que le même meurtre, le même
Yol, ue soit susceptible de donner lieu à des poursuites suc-
cessives contre diverses personnes soupçonnées de l'avoir
commis , sans que la condamnation de Tune puisse mettre
obstacle aux poursuites contre Tautre. Il n'est arrivé que
trop souvent jadis qu'on ait poursuivi le véritable meurtrier,
après que le faux meurtrier avait été non-seulement con-
damné, mais même exécuté -, et, si cette triste conséquence
des erreurs judiciaires se réalise difficilement aujourd'hui,
cela tient à ce que l'application de la peine capitale est
fréquemment évitée par la déclaration des circonstances
atténuantes. Mais, en principe, une première condanmation
ne met nullement obstacle k une seconde, bien qu'elles soient
moralement inconciliables, sauf k se pourvoir ensuite contre
toutes deux par la voie de la révision. (God. d'insl. crim.,
art. 443 et suiv.)
902. Hais le principe Res inter alios jwUcaia aliis née pro-
deue nec nocere tolet, ne s'applique pas toujours avec la même
rigueur, lorsqu'il s'agit de codélinquants ou de complices.
Il est hors de doute que la condamnation de l'auteur prin-
cipal ne saurait préjuger la question de culpabilité k l'égard
des auteurs secondaires. Lors même que le corps du délit
serait constaté de la manière la plus formelle, ainsi que cela
peut avoir lieu dans les jugements correctionnels, il serait
toujours nécessaire de vérifier de nouveau, vis-k-vis de
chacun des codélinquants ou complices , l'existence de tous
les éléments, matériels ou moraux, qui constituent ou qui
aggravent le délit. 11 est de principe, en droit pénal, que les
ÈJO CRIMINEL. 513
juges ou les jurés ne peuvent asseoir une Condamnation que
sur des documents personnellement appréciés par eux dans
Finstance actuelle. ( Voy. Cass., 29 brumaire an IX.)
Si Ton a jugé (Besançon, 14 janvier 1859) que les con-
damnations civiles portées contre Tauteur principal ont force
de chose jugée vis-à-vis des personnes civilement respon-
sables, c'est qu'on se trouve alors placé sous l'empire des
principes du droit civil , qui , du moins suivant l'opinion
dominante daos la pratique (n* 886), veulent que la caution
soit liée par la chose jugée vis-k-vis du débiteur principal.
903: Est-il vrai également, en sens inverse, que la dé-
claration, portée dans un premier jugement, qui nie com-
plètement le délit vis-à-vis d'un délinquant, ne pourra point
profiter aux codélinquants et aux complices, comme elle
leur profiterait incontestablement, si elle était intervenue
dans un seul et même procès? Bien que peu suspects de
tendances trop indulgentes vi&À-vis des accusés, nos anciens
criminalistes n'avaient pas craint de s'écarter, dans cette
hypothèse, de la rigueur des principes sur l'autorité relative
de la chose jugée.
« Quoiqu'une chose passée entre certaines personnes »,
dit Jfousse (Inst. crim., tom. III, p. 21), « ne puisse, en
« général, profitera d'autres, cela n'a lieu néanmoins que
« dans le cas où les droits de ces personnes différentes sont
« distincts et séparés, mais non quand ces droits tirent leur
« origine d'un seul et même fait, et que les défenses que
« les accusés peuvent y opposer sont les mêmes. »
Cette doctrine a été également consacrée par la jurispru-
dence moderne. Ainsi, l'on a jugé (Cass., 23 décembre 1825
et 22 juillet 1830) que la décision négative sur la circon-
stance aggravante de faux commis par un officier public doit
profiter à l'individu poursuivi ultérieurement pour com-
plicité. Ainsi, sous l'empire de l'ancien aclicle 597 du Code
II. 33
514 AUTORITÉ DS LA CHOSE JUGÉE
de commerce, qui n'admettait la complicité de la bangne*
route frauduleuse qu'autant qu'il y avait concert entre le failli
et le prétendu complice, on a décidé (Cass., 17 mars 1834)
que la déclaration négative, quant k la banqueroute fraudu-
leuse, vis-à-vis de l'auteur principal, faisait disparaître le
corps même du délit, le concert frauduleux ne pouvant
exister Ik où il n'y a point de fraude \
Cette jurisprudence , admise par la plupart des erimina-
listes, a été combattue, avec quelques réserves, par M. Or-
tolan (Élémaiti de droit pénale tom. II, n"^ 18(H et suiv.), et
d'une manière absolue par M. Griolet. (P. 285 et suiv.)
Avant d'examiner les objections de ces auteurs, nous
devons faire deux observations essentielles, afin de bien
fixer le terrain de la discussion.
La première , c'est que , suivant les termes mêmes de
Jfousse, sa doctrine cesse d'être applicable lorsque les droits
des codélinquants sont diêtinctÈ et iéparét. Ainsi , Tacquilte-
mmt de l'auteur principal pour défaut de disc^nerarat ne
saurait profiter à un codélinquant on k un complice. Il en
serait de même s'il y avait eu renvoi faute de charges suffi-
santes. Peu importe alors que les afl^res soient jugées sépa-
rément ou simultanément.
Cette observation nous conduit k une seconde , c'est qae
le plus souvent, dans les afiaires criminelles, l'acquittement
ne peut avoir aucun effet in rem (Rej., 9 février 1855 et
7 octobre 1858), parce qu'il intervient k la suite d'une décla-
ration de non -culpabilité, déclaration toujours équivoque
dans ses motifs, puisque l'on ne sait point si le jury s'est
déterminé par la non-existence du délit , ou par des circon-
stances personnelles excluant la culpabilité morale. Lors
1 n en est autrement (Rej., s mars 1848 et 9 fëyTier 1855) sous l'empÀre
du Code reyisé, dont Tarticle 593 punit des peines de la baïupieroute ûaa-
doleuse œax qui ont soiutiait dans Vintérét du /êUà»
ÈXT CRIMinEL. 515
donc que Ton hit remarqner (M. Ortolan, n* 1804) qu'au
cas de bigamie, le jury a pu admettre Texistence d'un second
mariage contracté avant la dissolution du premier, et cepea-*^
dant déclarer la femme ainsi remariée non coupable comme
n'ayant point agi en parfaite connaissance de cause*, cela est
parfaitement vrai , mais n'est nullement en opposition avec
la doctrine de Jousse, puisque c'est alors pour des motifs
tout personnels qu'on est fondé ^ acquitter la fennne et k
condamner le complice. 11 en serait autrement s'il arvah
été décidé d'une manière préjudicielle qu'il y avait mriitté
du premier ou du second mariage, puisqv'alors le crime de
bigamie serait devenu impossible. On peut également sup^
poser des questions, spécialement posées, depuis 1835, sur
les eireoBstances^ aggravantes , telles que la qualité de do-
mestique ou d'officier public, questions pour lesquelles le
jury statue in rem. Enfin, les jugements des tribunaux cor-
rectioDnds ou de simple police étant motivés, il peut faci*
lement se présenter devant ces^ juridictioBS' des questions
résolues d'une manière générale.
Four en> venir maintenant an fond de la eontro^rse, on
dit qu'il y a contradiction k admettre que la décision affir-
mative, lorsqu'elle est in rem^ vis*h-vis de l'auteur principal,
ne nuise pas au codéKnquant ou complice, tandis^ que la
décision négative lui profite. Mais il n'est pas sans exemfde,
même en matière civile (n"^ 883, 886) qu'un negatiorum
gegt&r puisse obtenir un jugement qui profite à un tiers, sans^
qu'il l'inverse' la condamnation soit opposable au dominm.
rei, A plus forte raison n'y a-t-il point lieu de repousser, ea
matière pénale, où doivent prévaloir les systèmes d'inter-
prétation favorables k l'accusé, la distinction entre l'hypo-
thèse où une décision judiciaire a nié l'existence du délit,
et l'hypothèse où cette même existence a été affirmée sans
aucune défense^ possible de la part de Taccusé actuel: €e»
516 AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE AU CRIMINEL.
hypothèses, loin d'offrir une véritsible réciprocité, comme
le suppose M. Griolet (p. 292), toto cœlo distant.
M. Ortolan (n"" 1805) admet la doctrine de Jousse pour
l'adultère seulement, k cause de la nature intime de ce délit,
à l'égard duquel la paix du ménage veut que l'acquittement
de la femme ne soit point troublé par la condamnation du
complice. Mais il nous semble que , si l'article 1 351 régit
d'une manière absolue la juridiction criminelle comme la
juridiction civile, il faut déclarer, avec M. Griolet, que toute
exception est arbitraire. Que si, au contraire, on admet
partiellement la doctrine de Jousse, il n'est plus interdit de
rechercher si le fait est de nature à ce que les poursuites
deviennent moralement impossibles, quand une décision in
rem est intervenue vis-à-vis de l'auteur principal. Dès qu'on
fait brèche k la règle absolue sur la relativité de la chose
jugée, il ne faut point s'arrêter à moitié chemin.
Pour nous, il nous semble contraire au bon sens et à
l'équité de condamner Seamdxu comme complice de la dé-
sertion de Primas, lorsqu'il serait souverainement jugé que
Primus n'a jamais abandonné le drapeau -, de punir Secundus
comme complice de Primas en qualité d'oiBcier public,
lorsqu'il serait souverainement jugé que Primus n*a point
agi en cette qualité. Nous persistons donc à approuver la
doctrine de la jurisprudence ancienne et moderne.
904. L'identité de personne peut être considérée non-
seulement passivement, mais même activement, c'est-à-dire
au point de vue des parties poursuivantes. Au cas où la
partie civile a qualité pour prendre l'initiative des poursuites,
c'est-à-dire devant les tribunaux de police simple oU correc-
tionnelle , il est évident que cette initiative lui est interdite
lorsque l'action a été jugée sur les conclusions du ministère
public. Mais quel sera le sort de l'action civile, lorsqu'il
aura été ainsi statué sur Taction publique? Ceci nous con-
INFLUENGB RESPECTIVE DES JUGEMENTS CtV. ET CRIMINELS. 517 ^
duit k notre dernière division, k Tinfluence de ia chose jugée
an civil snr le criminel , et réciproquement
TROISIÈME DIVISION.
INFLUENCE RBSPBGTIVS DES JUGEMENTS aVILS ET DES JUGEMENTS
CRIMINELS.
SOMMAIBE. — 909. Division.
905. L'action publique, reposant sur des motifs d'ordre
supérieur, doit être en général indépendante des décisions
rendues dans une procédure purement civile. On conçoit,
au contraire, que l'action civile, qui ne protège que des
intérêts privés, puisse être subordonnée au résultat de
Taction publique. Pothier (Proc. crim., § 7, art. 1} qualifiait
l'action civile à'accessoire de [accusation crminelie, et nous
verrons que cette idée se retrouve encore dans le droit actuel.
Parlons d'abord de Tinfluence du civil sur le criminel,
qui donne lieu à peu de controverses.
S !• IsrPLUBMCB DB LA CHOSB JUGÉB AU CIVIL 8DB LB8 rOUBSUITBS
CBIMIIIELLB8.
SoioiAiBE. ~ 906. Indépendance , en principe , de la juridiction criminelle. — 907. Cas
où la décision dn tribunal civil lie la joridiction criminelle. — 908. Quelle est la force,
an criminel I des preuves produites devant le juge civil.
906. Le seul effet que produisent habituellement les
jugements civils qui se rattachent k un délit, c'est d^éteindre
l'action civile, qui ne peut plus être portée incidemment
devant les tribunaux de répression, lorsqu'elle a été intentée
directement, ainsi que l'a jugé d'une maniëre fort nette un
arrêt de cassation du 20 février 1847. Mais, suivant la
réserve faite par ce même arrêt, l'exercice de l'action publi-
que est complètement indépendant du sort de l'action civile.
Cestainsi qu'il est de jurisprudence (Cass., 28 octobre 1813)
'^18 INSLISNCB BBfiAsGUTE JftES JUatOÊBOTB CrflLS
».
que le rejel ou radmission d'ujie inscription de £aiux iiiei-
dent civil n'empêche pis le juge criminel de déclarer le fiua
constant, ou de le nier.
907. La décision des tribunaux civils lie néanmoins la
juridiction criminelle lorsque, soit certains textes, soit du
moins les inductions tirées de ces textes (n** 226 et suiv.),
font considérer la question civile comme préjudicielle, en
ce qui touche, par exemple, la propriété des inuneubles
ou l'état des personnes. Alors il est évident que le ministère
public , bien qu'il ne soit point partie principale devant la
Juridiction civile, où se porte la question préjudicielle, est
lié par la sentence définitive émanée de cette juridiction :
ce qui est encore une exception k la règle qui veut que
l'autorité de la chose jugée n'ait lieu qu'à l'égard des
personnes qui ont été parties dans le premier jugement.
<Voy. n« 904.)
En ce qui touche les contestations sur la nullité ou sur
la déchéance des brevets d'invention, qui, aux termes de
l'article 34 de la loi du 5 juillet 1844, doivent être portées
devant les tribunaux civils, elles ne sont point préjudicielles
«n ce sens que la juridiction correctionnelle soit tenue de
renvoyer pour leur solution devant le tribunal civil, suivant
la doctrine consacrée pour les questions d'état ou de pro-
priété immobilière ^ puisque le tribunal correctionnel , saisi
d'une action en contrefaçon (même loi , art. 46), a qualité
pour statuer incidemment sur les questions relatives k la
propriété du brevet. Mais lorsque c'est le tribunal civil qui
a été saisi , sa décision , comme l'a jugé la Cour r^ulatrice
(Cass., 8 août 18S7), « tranche définhirement , entre les
« parties en cause, les questions de validité de brevet, et
« régit, entre les mêmes parties, les débats k venir,
« aussi bien au correctionnel qu'au civil. » Nous avons
reconnu, au contraire (n* 897), qu'il n'y a point lieu d'attri-
ET CRIMINELS. S19
baer la même autorité auK jugements correctionnels pro-
nonçant incidemment sur des questions de cette nature, il
importe d'observer toutefois qu'aux termes de Tarticle 37
de la loi de 1844, l'effet du jugement, même ciril, n'est
absolu qu'en tant que le ministère public a fait prononcer
la nultUé ou la déchéance du brevet, nullité ou déchéance qui
ne peut nuire qu'à la partie en cause. Si le tribunal civil
^n avait prononcé la validité , cette décision , étant suscep-
tible de nuire aux tiers, n'aurait point de portée au delà du
litige actuel.
Dans le système de la jurisprudence (Cass., 13 avril
1867), qui oblige la juridiction criminelle k rravoyer aux
tribunaux civils^ comme préjudicielle, la question de vali-
dité eu mariage, où cette jurisprudence voit une question
d'état (God. civ., arL 326, 3S7), il est évident que la déci-
sion du tribunal civil sur le mariage lie la juridiction crimi-
nelle. Hais, pour nous, qui avons pensé (n"" 333) qu'on ne
saurait appliquer en dehors des questions de filiation la
règle exorbitanle qui suspend Faction criminelle jusqu'au
Jugement définitif de la question d'état par la juridiction
civile, ne devons-nous pas admettre au moins que, si la juri-
diction civile a stataé la première sur la validité du mariage, la
question criminelle, notamment en ce qui touche l'adultère
<iu la bigamie, se trouve préjugée? Il semble difficile de ne
point reconnaître aux tribunaux civils pour les questions
d'état lato tenm une autorité équivalente à celle que leur
attribue la loi de 1844 pour les brevets d'invention. Si le
Gode (art. 198) donne aux jugements criminels établissant
Ja preuve du mariage la même foi qu'aux actes de l'état
civil ^ peut-il en être autrement des décisions rendues par
la jiiridictioii ordinaire? La logique conduit ii décider de
même en ce qui touche l'adoption.
Mais faut -il aller plus loin encore e^ assimiler aux
520 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CIVILS
jugements civils sur l'état ceux qui sont constitutifs d'un
rapport de droit, suivant les expressions de M. Griolet ?
(P. 327.) Ainsi, en supposant qu'un jugement civil ait
attribué k Pierre la propriété d'un meuble réclamé par
Paul (s'il s'agissait d'un immeuble, la question serait
évidemment préjugée), ce jugement ne permettrait point
au tribunal correctionnel de déclarer Pierre coupable du vol
de ce même meuble \ Si cette décision est exacte, il faut
faire un pas de plus, la créance étant constitutive d*un
rapport de droit, tout aussi bien que la propriété, et con-
sidérer la juridiction criminelle comme liée par la juridictioQ
civile, quand cette dernière a statué sur la validité ou sur
l'extinction d'une créance. Tranchons le mot, on se trouve
conduit au système hardi, mais conséquent, qui attribue au
tribunal civil le pouvoir de trancher définitivement les con-
testations portées devant lui sur des droits , soit réels , soit
personnels. Ce qu'il nous est diflBcile de comprendre, c'est
que l'on croie pouvoir concilier cette doctrine avec celle que
professe la Cour de cassation en matière de faillite. (Voy.
M. Griolet, p. 331.) La Cour décide, en effet, non-seule-
ment que l'exercice de l'action publique relativement k la
banqueroute n'est point subordonné à un jugement du tri-
bunal de commerce déclaratif de la faillite (Rej., 24 juin
1864) : point peu contestable, puisqu'il faudrait un texte
pour imposer ainsi un sursis k la juridiction pénale \ — mais,
ce qui est plus grave, que la déclaration de faillite passée
en force de chose jugée ne lie point le tribunal criminel
* M. Griolet propose seulemejit une distinction , qui nous pantt inad-
missible, entre les questions de mariage , que la juridiction ciTile préjuge-
rait d^une manière absolue, et les questions de propriété mobitière, à
l'égard desquelles le jugement civil ne pouvait être invoqué que pour les
faits postérieurs à sa date. Est-ce que les jugements sur la propriété ne
sont pas , au même titre que tous les autres , déclaratifs , et non tianslatîâ
du droit qu'ils consacrent?
ET CRIMINELS. 521
appelé à appliquer les peines de la banqueroute (Gass.,
23 novembre 18S7), et, k l'inverse , que le prévenu de ban-
queroute ne peut invoquer la décision de la juridiction
commerciale portant qu'il n'y a point lieu de déclarer la
faillite. (Rej., 6 mars 1857.) Ces décisions ne se fondent
point sui' des motifs particuliers , soit à la juridiction com-
merciale, soit à la faillite, mais sur le principe général de
l'indépendance de l'action publique. L'arrêt de 1864 a
même soin de signaler les motifs particuliers qui ont fait
attribuer une compétence exclusive aux tribunaux civils
pour les questions d'état. Cette doctrine nous semble la
vraie; il faut en conclure que, toutes les fois que la loi est
muette , le jugement civil , lors même quUl statue sur un
rapport de droit, n'a point force de chose jugée au cri-
minel.
908. Si, k part les cas exceptionnels, le jugement civil
ne lie point là juridiction pénale , il doit en être de même ,
k plus forte raison, des simples actes d'instruction. Les
aveux les plus formels reçus par le juge civil ne sauraient
avoir foi absolue vis-à-vis du juge criminel. Ce serait un
dangereux abus que de considérer comme acquises k l'ac-
cusation les déclarations que le défendeur a pu faire avec
trop de légèreté , dans une instance où il ne s'agissait que
d'intérêts pécuniaires.
% t. IHFLUERCB DB LA CHOSB JUGÂB AU CSIIHIIIBL
SQR L'ACriOH CIVILB.
SomAiBE. — 909. Discussion générale sur cette infloenee. — 91 o. Textes qai établissent
l'infloence des Jagements criminels sor les intérêts civils. -- 9H. La chose jagée an
criminel ne peat nuire aox tiers. — 949. Distinction il foire qaant ii cent qui ont été
parties an jugement. — 9i3. Cas on il y a déclaration de culpabilité. — 944. Cas on est
niée l'existence du fait incriminé. ~ 949. Cas où il y a déclaration de non-culpabilité. —
946. La juridiction civile doit-elle motiver sa décision de manière à exclure toute contra-
diction? — 947. Bésumé. — 948. Jurisprudence anglaise et américaine en cette matière.
— 949. Quelle influence peuvent avoir au civil les documents de la procédure criminelle.
908. Faut-il également poser en principe que la chose
jugée au criminel est sans influence sur l'action civile?
822 INFLUENCE RESPECTIVE BES JUGEMENTS GITILS
Écartons d'abord le cas où la personne lésée par le délU
s'est portée partie civile devant le tribunal de répression.
U est évident qu'alors l'action civile elle-même a été irré-
vocablement jugée. Lorsque la même question s'élève entre
les mêmes parties (voy. n* 867), peu importe, dit fort bien
Ulpien (L. 5, D., D« except. reijud.)^ qu'on agisse diveno
génère judicii. C'est la juste réciprocité de ce que nous avons
décidé (n"" 906) au cas où l'action avait été intentée d'abord
devant la juridiction civile.
U faut supposer que le ministère public a seul agi au
criminel. C'est alors qu'on se demande si la sentence rendue
sur ses conclusions pour ou contre Taccusé doit avoir effet
quant aux intérêts civils. Touiller (tom. YIII, n"" 30 et suiv.,
et tom. X^ n** 240 et suiv.) soutient avec énergie la néga-
tive, en s'attachant au principe posé par l'article 1351,
d'après lequel l'autorité de la cbose jagée ne peut avoir
lieu qu'autant que la demande a le même objet et e^t entre
les mêmes parties. Or, dit-il , l'objet de l'action civile est
essentiellement différent de celui de l'action publique , bien
que toutes deux se rattachent au même fait, puisque, dans
l'une, il s'agit de la réparation d'un dommage, et dans
l'autre, de l'application d'une peine. Quant aux parties^ il
est dair qu'elles ne sont pas les mêmes ^ car le ministère
public représente bien la société, mais il ne représente pas
spécialement la partie civile , il n'a même point qualité pour
défendre ses intérêts .pécuniaires. Les tribunaux civils
doivent donc, suivant TonUier, considérer comme rê$ koer
ulioe acta les décisions rendues par les tribunaux criminels.
Merlin, au contraire, a soutenu (voy. surtout ses Queriioru
4e droH, y Faux , § 6) et fait prévaloir dans la jurisprudence
le principe que la chose jugée au criminel doit être consi*
dérée comme jugée au .civil. U oppose aux raisonneneots
de TouUier cette gnwe considération, qu'il serait déplorable
ET CUMIMEtS. 5S3
qu'oa pût &ire déclarer au âvil l'innocence d'an homme
qui aurait péri sur l'échafaud. Et lorsque TouUier répond
que l'innocence peut avoir été reconnue, il prouve trop*,
car, pour être conséquent alors, on devrait permettre au
condamné de demander la révision de la sentence qui l'a
frappé , révision qui n'est admise que dans des cas excep-
tionnels. On doit, suivant Merlin, considérer le ministère
public, lorsqu'il intente l'action criminelle, comme repré-
sentant tous les intérêts, tant généraux que privés, en tant
qu'il s'agit de faire constater judiciairement l'existence du
délit
C'est, au fond, du côté du système de Merlin que se
trouve la vérité. Seulement, dans sa controverse avec
Touiller, la question a été mal posée, et comme l'a fait
observer avec beaucoup de raison ZacharisB (trad. franc.,
1" édit, tODL V, § 769, 2% n* 4), ce n'est point k l'ar-
ticle 1351 qu'il faut s'attacher pour résoudre la difficulté.
Toullier n'a point tort lorsqu'il dit que l'objet de l'action
publique est essentiellement distinct de celui de l'action
civile, puisque le ministère puUic n'est autorisé à présenter
des condusions k fins civiles que dans le cas exceptionnel ,
. prévu par l'article 200 du Code civil, où l'on a craint une
collusion entre les parties intéressées et les héritiers de
l'officier public, relativement k la preuve d'un mariage.
Dans toute autre hypothèse, il serait inexact, et nous allons
voir que Merlin l'a reconnu lui-même , de considérer tous
les intérêts «civils qui peuvent se rattacher k la cause,
comme représentés par le ministère public. Si dès lors on
se préoccupait de l'article 1351 , on aboutirait infailliblement
au système de Toullier, système repoussé par de graves
motifs d'intérêt social et, nous allons le voir, aussi par de
nombreux textes. Ce qui est vrai , c'est que les tribunaux
criminels ont seuls qualité pour décider d'une manière
524 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CIVILS
péremptoire s'il existe un corps de délit, si l'accusé est
l'auteur des faits qui lui sont reprochés, s'ils lui sont impu-
tables d'après les règles du droit péual, enfin, s'ils tombent
sous l'application du texte d'une loi répressive. Leurs déci-
sions, sur ces divers points, ont un caractère absolu. D'une
part, elles profitent a l'accusé, qui ne peut être soumis à
aucune action en dommages-intérêts, si on a déclaré qu'il
n'existait point de corps de délit. D'autre part, elles lui
nuisent en ce sens qu'une fois déclaré coupable , il ne peut
plus soutenir devant aucune juridiction qu'il n'est point
l'auteur des faits a lui imputés-, il est seulement admissible
k contester relativement aux dommages et intérêts. (C. d'inst.
crim., art. 363.) Mais ces mêmes décisions ne sauraient,
nous allons le voir (n"" 91 i), réagir d'une manière absolue
sur les droits des tiers, qui sont demeurés étrangers aux
poursuites criminelles. Autrement, il faudrait admettre leur
intervention, ce qui compliquerait singulièrement la marcbe
de la procédure.
Nous avons eu la satisfaction de voir M. Griolet (p. 344
et suiv.) arriver k des conclusions semblables, eu se fondant
sur les traditions de notre ancien droit. 11 fait remarquer
que lorsque l'accusation privée eut dégénéré en une
simple action civile, exercée soit au criminel k l'extraordi-
naire, soit au civil k l'ordinaire, cette action n'en conserva
pas moins, comme marque de son origine, le caractère
d'une poursuite du délit ^ . Cela explique la doctrine de Pothier
(n"" 905), reproduite d'ailleurs par Jousse, qui considère
l'action civile comme un accesioire de l'action publique :
d'où la double conséquence, consacrée par l'ancienne juris-
prudence, que l'action civile est soumise k la même près*
cription que l'action publique^ et que la chose jugée sur
* Aujourd'hui encore Paction ciyile suffit pour saisir la justice péule,
deyant les juridictions correctionnelle et de simple police.
i^w
ET CRIMINELS. 525
l'action publique réagit sur Taction civile, de manière k
rendre celle-ci nécessairement recevable après la condam-
nation , irrecevable après racquittement.
Or, la première de ces conséquences a été consacrée de
nouveau par le Gode d'instruction criminelle (art. 637
et 638), comme elle l'avait été par le Code de brumaire. Il
est bien naturel de supposer que notre législateur a entendu
établir pour l'autorité de la chose jugée la même doctrine
que pour la prescription. Les mêmes considérations ont dû
dicter, dans l'un et l'autre cas, une solution identique : on
a pensé, d'une part, qu'il y aurait scandale k révéler offi-
ciellement un délit qui devrait forcément rester impuni^
d'autre part, qu'il serait moralement impossible de se refuser
à la réparation civile d'un délit qui aurait été déclaré
constant par la juridiction criminelle. Ainsi entendue, la
théorie du législateur est parfaitement conséquente.
910. Voyons quels sont les textes qui établissent l'in-
fluence au civil des décisions rendues par les tribunaux
criminels; puis nous examinerons dans quelles limites
s'exerce cette influence.
Et d'abord, le principe que pose l'article 3 du Code
d'instruction criminelle fournit un argument mdirect,
mais qui est loin d'être dénué de valeur. Comment expli-
quer, dans l'opinion opposée , laJ[disposilion de cet article
qui suspend l'exercice de l'action civile, tant qu'il n'a pas
été prononcé définitivement sur l'action publique, intentée
avant ou pendant la poursuite de l'action civile? Dira-t-on
que le législateur ne s'est pas préoccupé du juge civil,
mais du juge criminel , qu'il a craint le préjugé moral que
pourrait faire naître dans l'esprit de ce dernier le jugement
civil? Hais, pour être conséquent, il eût fallu, k l'inverse
de ce qui se pratique dans les questions d'état (G. civ.,
art. 327), dire que l'action civile ne pourrait jamais com-
826 INFLUENCE RESPBGTIVS MS JUGEMENTS CIVILS
mencer avant le jugement définitif snr l'action publique.
Car, tontes lea fois qn'ii j a nn jngement eivU rendo
avant que Faction criminelle ait pris naissance, nous
retombons dans ce même inconvénient dont le législateur
a. été, dit-on, si vivement frappé. II est plus naturel de
voir dans l'article 3 la réciproque du principe suivant
lequel la solution des questions préjudicielles civiles lie le
tribunal criminel -, c'est-k-dire la eonséeration de la règle
que les décisions des tribunaux criminels préjugent faction
civile. (Yoy. Rej., 17 mars 1813.) Ce texte s'éclaire, m on
le rapprocbe, conmie l'a tait M. Gri(det {be. eiu,\ des tradi-
tions de l'ancien droit sur le caractère aceeuoire de ractîon
civile.
La règle ressort d'une manière plus directe de la dispo-
sition, de l'article 396 du Code d'instraction , aux termes
duquel la Cour doit ordonner que les ^ets pris seront
restitués au. propriétaire : attribution qui s'exerce d'o/Bce
sans qu'il soit même nécessaire d'avertir l'accusé (Rej.,
21 février 1852), et qui s^appliqne, d'après le texte de la
loi, au cas d^acquitlement comme au oa&de eonàamnation.
D'où la conséquence (Rej., 5 février 1858) qu'il appartient
k la Cour de statuer en cas de ccmteslalioni (Rej., 30 nnrs
1843.)
Il y a des textes formels dans nos lois civiles qui snp»
posent également celte autorité préjudicielle des jugements
criminels. Ainsi, l'article 198 du Code civil veut que, la
preuve d'une célébration légale du mariage une fois acquise
par le résultat d'une procédure criminelle , l'inscription du
jng^nent sur les registres de l'état civil assure tous les
effiets civils au mariage. Pourquoi les poursintes crimindles
auraient-elles, en matière de mariage, une portée qu'oa
leur refuserait partout ailleurs? (Voir toutefois n*911.)
L'article 235 du même Gode , que Touiller invoque en sa
R GRiiinnsLS. 527
faveur, fournit, m contraire, contre hii un argument dé-
cisir, qnand on remonte k l'historique de cet article. Il
s'agissait de déterminer ce qui devrait arriver, quand les
faits allégués par l'époux demandeur en divorce pour cause
déterminée donneraient lieu à une poursuite criminelle de
la part du ministère public. On proposa au Conseil d'État
de faire précéder le jugement criminel par le jugement
civil. Mais il fut répondu qu'il j aurait de graves inconvé-
nient» k subordonner ht procédure criminelle au résultat du
divorce. Portalis proposa , pour concilier les diverses opi-
nions, de décider que le jugement criminel ne serait point
préjudiciel, du moins en ce qui touche le demandeur-, car
il pourrait j avoir assez de ikits pour prononcer le divorce,
sans qu'il y en eût assez pour proncmcer une peine. De l^
la rédaction de l'article 236 : « 1^ quelques-uns des fiiits
ft allégués par l'époux demandeur donnent lieu k une pour-
(( suite criminelle de la part du ministère public , l'action en
« divorce restera suspendtae jusqu'à l'arrêt de la Cour
« d'assises -, alors elle pourra être reprise sans qu'il soit
« pennis dinférer de l'arrêt aucune fin de non-recevoir on
« exception préjudicielle contre Tépoux demandeur. »
Cette disposition, introduite en matière de divorce, et
encore applicable aujourd'hui , par identité' de motifs , k la
séparation de corps, ne fait que confirmer le principe
général de l'influence des jugements crimmels sur les
intérêts civils^ : principe qui subsiste dans toute sa force
contre l'époux défendeur, vis-k-vis de qui les faits sont
définitivement prouvés, par cela seul qn'il a subi une
condamnation criminelle.
811. Voyons maintenant dans quelles limites doit s'ap-
' Ce principe de rinfioence des décisions crimineUes sur le cîtQ a été
appliqué par la Conr d'Ange» {2e mai 1864) aux décisions rendues par les
coDseUs de préfecture sur les contraventioiis de grande voirie.
528 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CIVILS
pliquer le principe de TinflueDce du criminel sur le civil.
Doit-on considérer le jugement criminel comme préju-
geant contre tous les intéressés, et malgré leur volonté,
tontes les questions dont la solution peut se trouver impli-
quée dans le débat? Faut-il y voir, comme on Ta dit (réqui-
sitoire de M. Mourre k la Cour de cassation, du 19 mars
i817) , (( un monument sur lequel s^imprime une vérité pu-
« blique »? Cela est incontestable , nous le répétons (n* 909),
vis-k-vis de la partie condamnée, qui n'est point fondée k
se dire créancière ou propriétaire en vertu du titre annulé
par les tribunaux criminels , et qui peut être condamnée k
des dommages et intérêts sur le seul vu de la condamnation \
Mais les tiers pourront-ils être atteints par le résultat d'une
procédure k laquelle ils sont étrangers, puisque le débat
criminel (Rej., 24 janvier 1850) n'admet point leur inter-
vention, k moins qu'ils n'aient qualité pour se porter parties
civiles?
Signalons d'abord une hypothèse dans laquelle il nous
semble impossible que le jugement criminel puisse porter
préjudice aux tiers. C'est lorsqu'il existe en leur faveur une
décision antérieure de la juridiction civile ayant l'autoriié
de la chose jugée. Si nous avons reconnu (n"" 917) que le
jugement civil , lorsqu'il n'a aucun caractère préjudiciel , ne
lie point la juridiction pénale, c'est en tant seulement que
cette juridiction se meut sur le terrain qui lui est propre,
c'est-k-dire qu'elle statue exclusivement sur l'action pu-
blique. Mais il ne saurait appartenir aux tribunaux crimi-
nels, pas plus qu'k aucune autre juridiction, de revenir sur
ce qui a été souverainement jugé k l'égard des tiers. La
* IToublions pas toutefois que la condamnation criminelle ne peut être
invoquée, pour identité de motifs, contre la même personne, sMl s-agit
d'une autre affaire, ainsi que Ta décidé en matière de brevets d^inTentioo
(comp. no* 897 et 907) un arrêt de cassation du 29 avril 1837.
ET CRIMINELS. 529
chambre des requêtes a donc pu juger (Rej. , 8 avril 1812 et
16 août 1847), sans être en opposition avec sa jurisprudence
ultérieure sur Tautoritë absolue des jugements criminels, que
la constatation du faux par la juridiction pénale ne peut rétroa-
gir sur les droits acquis aux tiers par un jugement civil qui
a déclaré valables les actes ultérieurement argués de faux,
n imperte également , pour bien préciser le terrain de la
discussion , de poser en principe , conformément k la doc*
trine de Zacharise (n*909), que, l'autorité des tribunaux
criminels ne porte que sur l'existence et le caractère délic-
tueux des faits soumis k leur juridiction. « La juridiction
« civile », dit un arrêt de la Cour de cassation (chambre
civile, Rej., 26 juillet 1865), « en même temps qu'elle est
(( liée, non-seulement par le dispositif des décisions rendues
« au criminel , mais même par ceux de leurs motifs qui se
« réfèrent aux qualifications pénales (n"" 863), reste pleine-
« ment maîtresse d'apprécier autrement, sous leurs rap-
« ports purement civils , les contrats se rattachant aux faits
« qui ont donné lieu k la poursuite criminelle ou correc-
ft tionnelle , et pouvant servir de base k des actions civiles
« intéressant des tiers non parties aux débats. » La Cour de
cassation a jugé en conséquence qu'il n'y avait point. d'in-
compatibilité légale entre l'arrêt de la Cour de Douai , du
21 avril 1862, renvoyant Mirés de la prévention d'escro-
querie, par le motif notamment qu'il n'y avait pas eu entre
ses clients et lui de contrat de nantissement, et l'arrêt de
la Cour de Paris, du 22 janvier 1864, condamnant civile-
ment Mirés d'après la nature des conventions par lui con-
senties \
* Il est vrai que la Cour de Paris s'était fondée, pour ne point se mettre
en opposition avec la Cour de Douai , sur ce que le principal motif du
renvoi prononcé sur cette Ck>ur était Tabsence d'intentioii frauduleuse;
mais la Cour de cassation a écarté cette considération , quelle qu'en fût la
valeur, pour aborder carrément la difficulté.
II. 34
530 INFLUENCE RESPËC^TlVË DES JUGEMENTS CIYILS
Ëù nous attachabt Aoû6 exclusivement aux faits délic-
tueux et abx qualificationgi pëtiales qui ressof teiit des déâ-
sioDs rendues par la jdridictiôû criitiineile , on peut conce-
voir finlérét des tlèts iSi les contester, soit pour réclamer
(me (}ualiflcation plus rigoureuse, soit, ce qui arriverai plus
fréquemment dans la prïitiqUé , pour faire considérer comme
non avétiUe k leur égafd la constatation dû délit.
Nous hë pétisonâ; point qtié l'esprit de notre législation
autorise les tiers, quel que âOit leur intérêt, k poursuivre
devsUltlés tfibunaut citils une c|uàlifîôation plus rigoureuse
dtl délit apprécié p^t là juridiction pénale. Le même modr
c(ti) à fslit assigner à Tactiod citile la même durée qu'à l'ac-
tion publique (tiisL triai. y art. êâ!7), là craiiife d'ainener la
révélation scandaleuse de faits qui ne pourraient plus être
atteints par la justice répressive, ne doit point permettre de
révise^ ainsi in péjui la déciâioù du juge criminel sur la
qualification du délit. L'tiUë et l'autre solution découlent de
l'ancienne doctriUe (U** 905 et 909) qui considère l'action
civile comme accessoire de Tàction publique. C'est ainsi
qu'à la suite d'Une condamnation correctionnelle pour es-
croquerie, la partie lésée apnt voulu établir devant la juri-
diction civile l'existence d'un vol, afin de pouvoir revendi-
quer vis-à-vis d'un tiers acquéreur les objets détournés à
son préjudice, cette prétention a été repoussée par (a Cour
régulatrice. (Rej., 23 décembre 1863.)
Les tiers se présentent dans une position bien plus favo-
rable, lorsc|ù'ils deiUandent, au èontraire, que la qualifica-
tion pénale soit modifiée in mitius, en tant qu'elle porterait
atteinte à leurs intérêts. Plusieurs décisions de la jurispru-
dence ont maintenu^ même dans cette hypothèse, la doc-
trine absolue qui Ue permet point de remettre en question
au civil une vérité judiciaire souverainement établie. Un ar-
rêt de rejet de la chambre des requêtes duii février 1860,
(
Et CRIMiNÈLâ. 5âi
posant le fillncipé khiblù ^ué toiîs les intéressés sont reprë-
sëtités par le ffîiïiiètèré publié, â refusé M aii iiotàiré, bien
qtjMl n'eflt pu Mehenit dànë lé pfocés ériminel , la facuîté
d'étabtir aii civil qu'il ii*^ iiz\l point faux daiis ràc(e qui
atalt dotlnë liêfti k ttnë àt^casatiôn de ^aiïx. Merlin avait si-
gnalé k ravancë {tiépert., f Testament, sect. 5, § S) une
coùséqùeiice eittrèilie de cette doctHne ' ^ il se deniàridaii si
je perdrais là jjropriétë d'un objet , parce qu'il aurait ètè
jugé , au Criminel , ehite Werré et Paul , que fterre est pro-
priétaire de cd objet, et qîle t'âiit le lui a volé. Ëh bieù,
cette décision d'uiie iniquité flagrante a ^té consacrée par \i
Cotir de Grenoble, qiii a opposé, lé 18 novembre 1863, à
Ist tevëndicatiôti de boissons formée par un propriétaire, le
jtigëtneut correctio&nei prononçant contre son locataire con-
fiscation de 6es inéiftës boissons au profit de là régie. 11 est
VTài qûë là Cour de Gtèiiôblé à diis son arrêt k l'àbri du
recours en cassation, en ajoutant que, l'exception de la
chose jugée fût-elle admissible , les employés avaient décou-
vert des traces de fraudé. (îiej., 6 octobre 1833.) Cette
doctrine, poussée jusqù^àû bout, conduirait k reconnaître
qu'un homme et une feixime peuvent se trouver mariés
malgi^ eux. Et en effet, si on entend l'article 198 du Gode
civil en ce sens que l'existence d'Un mariage dont la preuve
à été rétablie Èur les conclusions du ministère public, est
pleinement cohstat^e, même vis-à-vis des personnes étran-
gères au pi* ocès criminel , le jugement criminel lie les pré-
tendus époux , bien qu'ils ne se soient point portés parties
civiles et qu'ils n'aient pas même eu connaissance de la
procédure*.
* M«rUn toutefois (Àdditicns aux QuBttUms de draiit v« FAfnc,$ e) a
fini par fnrofesser d^uiie manière abiolae Paviorité de la ebOM jugée tie-ft-
via des tiers.
' M. Grlolet fait voir également (p. 343) par d'ingénieuses obserrationa
34.
j^
532 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEIBNTS CIVILS
Les auteurs et les arrêts qui ont admis ce système, re-
connaissent bien qu'il est contraire k l'article 1351 , le mi-
nistère public ne pouvant représenter des personnes dont
l^intérêt, k la différence de la position de la partie civile, est
généralement opposé k celui de l'accusation; mais ils se
fondent sur l'article 3 du Code d'instruction, qui déclare
V action cwile suspendue par le seul fait de l'exercice de Fac-
tion publique : d'où le caractère nécessairement préjudiciel
de cette dernière action. Mais n'y Mrait-il pas aussi une
équivoque sur le sens de ces mots action dvilef Ne serait-il
pas naturel d'interpréter l'article 3 par l'article 1" du même
Gode qui définit cette action Faction en réparation du dommage
catué par un crimes par un délit ou par une contravention? Or^
l'action en revendication d'un meuble, l'action tendant à
étabUr l'existence ou la validité du mariage , n'ont rien de
commun avec l'action en réparation du dommage causé par
le délit. C'est en ce sens qu'une jurisprudence constante
applique l'article 637 du Code d'instruction , qui renferme
l'exercice de l'action civile dans les mêmes délais que celui
de l'action publique. « Les prescriptions établies par les lois
c( criminelles », dit la chambre civile (Rej., 27 avril 1862),
« ne s'appliquent aux actions civiles qu'autant que ces ac-
te tions ont pour base unique et exclusive un crime, un dé-
a lit ou une contravention \ mais il en est autrement lorsqu'il
(c s^agit d'une action qui, en dehors des faits délictueux
<c imputables au défendeur, puise son principe dans un acte
« on dans une disposition du droit civil. » Dès lors, si nous
ne perdons pas de vue l'affinité étroite qui existait dans
l'ancienne doctrine entre les principes sur la prescription et
sur les compUcations de raffaire Miras, que la doctrine de l'antorité
absolue au citU de la chose jugée au criminel amène des dîfficulUs li
lubies.
n cRimifELs. S33
ceux sur raatorité de la diofie jugée (n* 909), on arrive \
reconnaître que la suspension prononcée par l'article 3 ne
s'applique qu^ Faction en réparation du dommage causé
par le délit, k l'exclusion des actions en revendication, en
réclamation d'état, etc. Une fois établi que l'article 3 est
inapplicable dans l'bypolbëse, toute la théorie s'écroule.
Merlin avait puisé un autre allument dans l'article 463
du même Code, qui prescrit au tribunal criminel, lorsqu'il a
déclaré faux un acte authentique , d'ordonner que l'acte soit
rétabli, rayé ou réformé. Mais, en y regardant de plus près,
on a reconnu, au contraire, que cet article réserve les
droits des tiers, puisqu'il ne reproduit point la faculté d'or-
donner la destruction matérielle de l'acte, la tuppremw,
la laeéraiiûn. qu'autorise au civil l'article 241 du Code de
procédure. Aussi la chambre criminelle de la Cour de cas-
sation a-t-elle décidé (arr. du 28 décembre 1&49 et du
S4 janvier iSSO) que la radiation ou réforme, ordonnée par
l'article 463 , « n'a pas pour résultat de détruire ou d'anéan-
« tir l'existence matérielle des actes authentiques qui ont
« été déclarés faux , mais qu'elle a pour eCTet de les frapper
« d'un signe de réprobation qui avertisse de leur fausseté et
« leur enlève le caractère authentique et obligatoire en fa-
« veur du condamné sauf k ceux qui n'auraient point été
ic parties au procès criminel k faire valoir leurs droits de-
« vant les tribunaux compétents. » Tels nous paraissent être
les véritables principes.
81fi. Même en ce qui concerne le condamné , l'influence
sur le civil de la chose jugée au criminel doit se combiner
avec le principe de raison qui veut que l'autorité de la chose
jugée soit limitée k ce qui a été formellement décidé par le
jugement. On a donc établi dans la pratique certaines dis-*
tinctions, que la discussion entre Merlin et Toullier a con-
tribué k faire ressortir , et d'après lesquelles le premier a
534 INFLUENCE RESPECHYS DES jpGEMENTS CIVILS
Ifii-fnéine mo^î^é 3a 4PPtriqg; On peut pORpeyoir en efiet
(rois hypotb^e^ :
Qn bieq 1^ (|^<^Î3ion judipiaire ^ déclaré la culpabilité de
l'^ccifsé j
On b|i?A <^Hp » déo)eré la poa-eiistence du fait a lui impaté -,
Ou bi^u e)te 9 ^ipip|eqfen| déplupé $9 nou-culpabililé.
91^. Lorsq»j3 Tawiisé ef^t déçlapé cpup^ble, ]e principe
g^p la question civile se trQnve préjugée s'applique âaus
lOllte sa forpp. (R^j,, ^ mai tSiS^ Cas?., 3 août 1864.)
Malgré BP^ dépisiop poutrajre , ^^nd^e par la Cow d'4Jger,
le 9 mai 186^9 il u'f a aucune raison ppur x^fi pa§ appli-
qupir la mêipe règle au^ jngenients de simple police \
Maw l3 juridiction correpjîpnnelle n*a qualité ppnr pré-
juger la que§|ion civile qu'autant qn'elle statue dans les
Ijmjtes de 3a poiqpétencp, Ainsi , nn arrêt dp cassation 4h
â^ mai 1870, cité plq^ baut(n' 863), casse le jngemgnt d'nn
tribunal wil qui s'était pru à tort lié par vm jugeinept correp-
tionnel, otk le jugp ponstatait les faits an ppint dp vue civil,
tout pp recpBBîiispaflt gn'ils ne ponvaipfit être Tolaet d'au-
çupp répr^^siop pépale. On est anssi généralppiapt d'accord
ppur reconnaître que, si la jurijligtiOB primipelle np fait que
stalper ippideminept gpr nnp question piyile préjudicielle,
tello gi)p la qm\\{é de père, 4^ns noe apppsation de
parrjpide, la question d'état an pivil dewpnrp entière.
(M? 233.)
914. Elle est préjugée, en sens inveiBse, d^s la seconde
hypotPse y lorsqn'il est foripellement jugé que le ^t inculpé
p' existe pas, on qn'il a été Pon^ipis par une autre personne.
Çlettp bypoU^èse se présentera difficilement aujonr^'bui an
> Comme il s^agissait , dans l'espèce , de Pinfraction à on arrêté mimi-
clml l'felAn)^I)^I^^ ^fi çf^ixtinf^rc^, ]« Cour e^t pu wotiY«r TégaUèvement sa
décision, en jugeant, avec la Cour de cassation (4 mai 1866)fau^on ne peut,
sans violer le principe de la liberté du commerce, fonder une actiôii en
Ip^ain^t^ sur ri^ffMitipn à de tefs ^rfèt^.
ET GRIIfllifilL^f 53o
grand eriminel, le yerdict da jury d^ns 3a fqirme ordip^ire
prononçant sur la culpal)i}i(é d^ r^ccus^ ^q général 1 Çt non
^r r existence du fait jncripcii^é , comwe celg ^yait lieu
(p* 898) dans le droit inlennédiwre. Que si Ip jury, interr
rogé en 1^ forme usuelle , répQnd de manière à exclqre la
piatérialité des faits, il excède ses pouvoirs, et la Cour
d'assises conserve le droit dP les apprécier ^ii poipt de vpe
civil , ep dégageait seulement; Télément de crjniinalité
intentionnelle. C'est pe qu'g dépidé un arrêt de rejet du
21 octobre 1835, d^PS une espèce où, interrogés sur 1^
point; de i^^voir si les aççq^és étaient cpopable^ de soustrs^c-
tion frauduleuse, les jurés ayaieut répondu : Non, les accusés
ne sont pas les qutpurs de ces squstr^fitiomt Cette réponse n'a
pu enlever k la Cour le droit de statuer sur les réparations
civiles \
Mm les jugewepts de police , simple ou çorrectionuelle »
qui sont motivés *, peuvept s'expliquer d'une m^i^re catér
gorique, de manière '^ fpire cesser toute imputabilîté. Si la
juridictiop çorreptionnelle a nié l'e^i^isteppe même dps faits
imputés au prévequ , il n'est plus permis d^ le poursuivre
aivilempnt) ep vertu de l'article f 382 du Code. Yaipemept
le demaudeqr ?h civil alléguer^-t-il qu'il pe s'pst poip^
porté partie civile devant la juridictipp prifflîuello, Il a été
représenté par le ministère public (Ça^s., 7 m^rs 1855), en
c§ qui touebe 1^ constatation du déHtr (I^° ^^0 C'est la récir
prpque nécessaire dP }^ F^l^ suiy^nt l^qq^lle les pupdam-
Pî^tions Qbtepues par le piipigtère publie seul profitem am
parties iptéfessées. Faut-il ai^simi^^i' ^ h Pégation des faits
' A plus forte raison ne faadrait-il attacher aucune valeur à un verdict
qui déclarerait un éprit faux , mais nierait en même te^nps la eulpabUité<
(^ej., iq août 1843.)
^ Nous avons vu (n» 863) ^ue, dans la juridiction correctionnelle , l'au-
torité du dispositif se communicpie aun motifs , en tant quUIs qualifient
les fait^.
536 INFLUENCE RESPECTIVE DBS JUGEHENTS CIVILS
par la juridiction correctionnelle la déclaration que les faits
ne sont point suffisamment établis ? La négative , admise
par plusieurs auteurs, a été consacrée par un arrêt de la
cour d'Orléans du 1 5 avril 1 864, d'après ce motif que déclarer
un fait non prouvé , ce n'est point en nier l'existence. Mais
cette décision, qui tendrait à révéler des délits dont la
répression judiciaire serait impossible, est en opposition
avec le but moral que s'est proposé le législateur en éten-
dant au civil l'effet des jugements criminels. Il implique
d'ailleurs qu'un fait dont la juridiction pénale n'a point
admis la preuve , même par témoins ou par présomptions ,
puisse être prouvé devant la juridiction civile. C'est en ce
sens que s'est prononcée la Cour de cassation. (Cass.,
!• août 1864.)
915. Lorsque l'accusé est simplement déclaré non cou-
pable, suivant la formule habituelle du verdict du jury , cette
décision négative s'explique par cela seul qu'il y a doute
dans l'esprit des jurés, soit sur l'existence du fait, soit sur
la culpabilité de l'agent. S'il n'est pas permis aux juges
civils de se mettre en contradiction avec ce qui a été décidé
par les juges criminels, il ne leur e^ pas défendu de se
livrer k la recherche de la vérité , quand ceux-ci l'ont laissée
incertaine. « De la déclaration du jury que l'accusé n'est
« pas coupable», dit un arrêt de rejet du 26 décembre 1863,
« il résulte seulement qu'il n'a commis aucun crime pouvant
« tomber sous l'application de la loi pénale ; mais, en l'ab-
« sence de tous motifs exprimés , on ne saurait en induire
« que le fait matériel n'existe pas, ou que l'accusé n'en
« serait pas l'auteur. » D'ailleurs , la non-culpabilité d'après
la loi pénale, qui ne punit habituellement que le dol, n'en-
traîne nullement l'absence de culpabilité aux yeux de la loi
civile, qui tient compte des fautes, même légères, lorsqu'elles
portent préjudice k autrui. (C. civ., art. 138S.) C'est ce qui
ET CRIMINELS. 537
rësolte formÊltement des dispositioDS du Code d'instraction
criminelle (art. 358, 359, 366), qai autoriseDt expressé-
ment la Cour, dans te cas d'acquittemeot comme dans celni
d'absolution, k statuer sur les dommages et intérêts prétendus
parla partie civile. (Rej-, S avril 1839.) Ce que peut faire
la Cour d'assises, qui fonctionne en pareil cas comme une
sorte de juridiction civile annexée à un tribunal criminel ',
pourquoi les tribunaux civils ne pouiraient-ils pas le foire
ultérieurement, lorsque la partie lésée, qui ne s'est pas
constituée partie civile, vient k les saisir plus tard de sa
réclamation ? H est impossible d'apercevoir une raison de
distinguer entre les deux hypothèses. La Cour de cassation
a rendu nn grand nombre d'arrêts dans le sens de cette
doctrine, qui n'est plus contestée aujourd'hui ds
tiqne. Ainsi, un arrêt de rejet du 12 janvier 1'
que la solution négative de la question d'escroqn
péehe point les poursuites au civil ; de même l'a»
pouriucendien'empécbe point l'imputabtlité civile
occasionné la perte du lieu incendié. (Rej . , 2â jui
H faut aller plus loin, et, au cas même où la question d'ho-
micide ou de blessures par imprudence aurait été résolue
négativement au criminel , reconnaître ^ la juridiction civile
le pouvoir d'allouer des dommages et intérêts. 11 peut y avoir
une faute très-légère, civilement imputable, bien que ne
tombant pas sous le coup de la loi pénale. (Rej., 19 no-
vembre 1841 et 9 juillet 1866.)
' Si, au contraire, la juridiction criminelle a prononcé,
noD-seul.ement sur l'absence de culpabilité aux yeux de la
loi pénale , mais sur l'absence complète d'imputabilité , alors
les principes qne nous avons posés sur l'autorité de la chose
' La Cour d'usisM peut, après icquittement, léttnei l'action ciTile ,
eu dédannt le» dommagei et intérêts non juti&és en l'état. (Cau. , 37 mar*
538 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CIYILS
jugée au criminel reprennent tout leur empire. C'est ce qui
peut se présenter facilemeQt devant Ig juridiction correc-
tionnelle. Ainsi , dans l'arrêt précité (n*914) du 7 m^r^ 185S,
la Cour de cassation a reconnu que le prévenu se troi^v^t
k l'abri de toutes poursuites, même civiles, le jugemept
correctionnel portant qu*on ne saurait lui imputer la respat^sor
bilité (fun acte auquel il est tout à fait étranger.' y^dis le verdict
du jury, d'après notre mode de positiog ^es questions, pe
saurait être conçu cq de pareils t^n^es. Q peut ^rriy^
cependant que , s^ns aucune irrégularité , ce yer^içt con-
tienne quelque chose de plus précis quQ la ^iinpl§ né^^iop
de |a culpabilité de }'accusé. Si, par exeiQplei pour plD§ de
clarté, le président a posé spéci^l^i^^iit la que^^iq)) dp
légi tinte défense p| que le jury l'ait résolue négativement,
il semble, ^u premier coup (l'œil, {ég^eipept iqipQ^ib|f| de
condamner k des dommage^ et intérêts l'auteur 4'un fi^l; jugé
licite. Un arr^t dg çsissatioR du f 9 déppipl^r^ 1^^? s'est piip-
noqcé en ce sens* jkl^s il est pins e^^t de ^éeid^r, fivec
Jonsse (Justice crimifieUe, tom. I, pag. ^19), que ï'çjçès
dans la légitime défense , bien qne trop peq f^cceptué poqr
^nnpr ouYerturg k nPQ action pénale , peu| être sqffismt
pour motiyer qnc^ CQnd^WWtiQn civile, C'e^l cp qqp (iéçîdg,
dans ses considérants du n^pins, nn ?rrêt 4e l^ Conr 4'a§§ises
4e VAyeyron du ^3 noyen^breîSSS. Dans l'affaire Snnesae,
ojinne cassation a été également prononcée (24 juillet \^\)^
la Cour d'assises d'Orléan^ §eRiblait a^nir aQeç|é 4^ §§
meure len opposition avec la 4éçlpration du jury qpi avait
résolu négativement la question 4e ponps et We§siir§§ yo-
lontaires, puisqu'elle avait aliéné ^ 1» partie givU® des dom-
mages et intérêts, motivés snr m coup jm^ votQnffdfçnm
hors le cas de légitime défense. S'il y a des degrés dans l'im-
prudence (arrêts précités de 1841 et de 1866), ne serait-il
pas trop subtil de distinguer des degrés dans la volonté P [^
ET CRIMINELS. 539
Cour d'Orléans eût ^gi plus sagement en s'en tenant k son
premier considérant, que la réponse négative du jury sur la cri-
minalité du fait n^excltU pas nécessairement sa matérialité, et de
prononcer des dommages et intérêts motivés sur la f^ute,
indépendamment de la volonté. (Comp. Cass., 6 mai 18^2,
et ReJ., 10 décembre 1866.)
916. Lorsque la déclaration de non-cu)pabilité , étant
indéterminée, peut porter sur le fait matériel aussi bieg que
syr le f^it moral , doit-on exiger que la Cour d'assises , en
allouant des dommages et intérêts, constate d'uR^ manière
expresse qu'elle statue sur un point non décidé pfir le jqry?
Ç'ei^t ce qu'a jugé la Cour de cassation ^Gass., 7 mgi 1864)
dans l'affqiire si obscure du sieujr Armand, accusé d'avoir
lié et presque étranglé, dans sa c^ve, son domestique, Mau-
rice Rou^. Le jury ayant résolu négativement la question de
coups et blessures volontaires^ la Cour d'Aix avait Réan-
moins déclaré qu'il résultait des (Jébats qu'^rm^iid V^^i^
maladroitement porté k Roux un coup qui pouvait lui êfrç
imputé ^ faute, et l'avait condamné en cpnséqyençe ^ ]i)i
payer 20,000 francs de dpmniages et intérêt^. L'arrêt ^e ç^^
sation qui a annulé cette condamnation peut ^tre considéra
comme un ^rrét d'espèce *, la nécessité qu'i| jfnpose k }^
Cour d'assises de prévenir elle-même toq^e diffiiçn(té par de^
explications catégoriques , est en oppos^tloq ^y^o pe ppqpip^
élémentaire, que la violation de la chose jugée qç se pr^§i)me
pas, pt que, dans Ip doute(Cod. ciy., art. 11^7), on 4pit se
pfononçer pour la validité d'une décisjon jqdiciairp. Dans uq
^frêt postéfipur (Rej., 104écembri5l866), laCqiir de cassa-
tion a rejeté le pourvoi contre un arrêt qqi n'é^^it pa^ plu§
p^otivé qpe celqi de 1?^ Cour d'Aix , en revenant aq principe,
si soqveqt procl^pié par sa jurisprq(}pnçe, quç n malgré 1^
(c déclaration deqon-culpabilité, I9 matérialité (les faits peut
«c subsister tqqt aussi bipn que la participation qup Tappqçé
540 INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CIVILS
« aurait prise à leur perpétration, seulement sans intention
c criminelle. »
La Cour de Grenoble, qui a statué en définitive sur la de-
mande en dommages et intérêts de Maurice Roaz (l*' jqin
1865), s'est fondée, pour la repousser, sur les circonstances
exceptionnelles de la cause, où la matérialité du fait et Cintoaion
étaient indivisiblei ; doctrine qui n'a point les conséquences
extrêmes qu'emportait la décision de la chambre criminelle,
et qu'a sanctionnée la chambre des requêtes. (Il dé-
cembre 1866.)
917. On voit que nous admettons, d'une part, d'après
l'ensemble des textes , que la chose jugée au criminel est
souverainement jugée , même au profit ou au préjudice de
ceux qui intenteraient ultérieurement l'action civile \ mais,
d'autre part, que, pour qu'il y ait ainsi chose jugée au cri-
minel, il faut qu'aucun doute ne puisse s'élever sur la portée
de la décision. Or, ce doute ne saurait exister : 1* s'il y a
solution affirmative sur la question de culpabilité ^ 2* au cas
d'une solution négative, si elle est de nature k exclure for-
mellement, soit la matérialité, soit l'imputabilité , même
civile, du délit. Une solution négative, motivée en général
sur la non-culpabilité, s'entend de la non-culpabilité pénale,
et laisse intact, sauf des cas tout k fait exceptionnels, le
droit aux réparations civiles, s'il y a lieu.
918. Suivant l'opinion qui a prévalu dans la jurisprudence
anglaise et américaine (M. Greenleaf, tom. I, p. 668, 670),
la chose jugée au criminel n'a aucune influence, en prin-
cipe, sur les intérêts civils. Cette jurisprudence se fonde
sur les motifs allégués par TouUier, que les parties ne sont
point les mêmes, et que la conviction se détermine d'une
manière différente au civil et au criminel. On pourrait croire,
au premier coup d'œil, qu'il y a identité de parties, le pro-
secutor étant habituellement, dans la procédure anglaise, la
ET CRIMINELS. 54i
partie lésée. Mais on a fini par considérer les poursuites ,
bien que mises en mouvement par un particulier, comme
concernant, au fond, la société {ilrid., p. 409) ^ alors on a
compris que, si la décision rendue par la juridiction crimi-
nelle devait faire titre en faveur du plaignant, il ne pouvait
être entendu au criminel , se trouvant directement intéressé
à la décision (n"" 281), et on a tranché la difficulté en posant
le principe que le jugement criminel n'a point d'effet au
civil, pas plus que le jugement civil au criminel.
Sous deux points de vue, toutefois, la doctrine anglaise
permet d'invoquer au civil le jugement criminel. En pre-
mier lieu {ibid., p. 668 et suiv.), le fait même que le
jugement a été rendu (thefact ofthe mère reddition ofthejudg-
ment) peut être invoqué dans une action civile. Ainsi , celui
qui intente une action civile pour poursuites injustes, prouve
les poursuites par le fait même de la procédure pénale.
Outre cette exception, qui, k vrai dire, n'en est pas une, la
procédure criminelle peut être invoquée au civil, k titre
d'aveu {ibid., p. 657), lorsque l'accusé a, comme nous
l'avons vu (n"" 385), pris le parti de plaider comme coupable
(upon fus plea ofgmlty). Ainsi, dans une demande de divorce
formée par une femme pour mauvais traitements, les faits
ont été considérés comme prouvés par une condamnation
pénale rendue contre le mari , ofoasmU and battery, le mari
ayant plaidé comme coupable : s'il avait plaidé comme non
coupable, la condamnation n'eût pu être invoquée au civil.
919. L'autorité irréfragable qui s'attache aux décisions
souveraines de la juridiction criminelle, ne s'attache pas éga-
lement aux simples documents émanés de cette juridiction.
Il est certain que les procès-verbaux les plus réguliers,
dressés par un officier de police ou par un greffier, ne sont
pas des preuves légales devant les juridictions civiles. Un
juge civil peut donc, sans excès de pouvoir, refuser d'en-
Hii INFLUENCE RESPECTIVE DES JUGEMENTS CtVlLS
tendre la lecture des dépositions recueillies dans une in-
stance criminelle, (tlej.,2 juin 1832.) Mais faut-il aller plus
loin, et lui refuser d'nne manière absolue la faculté de pui-
ser ses éléments de conviction dans des documents de cetle
nature ? Un arrêt de cassation du 22 messidor an VU s'était
prononce dans le sens de cette opinion. Il semble an pre-
mier abord que, le mode d'instruction étant différent, et le
but qu'on se propose bien distinct dans chacune des juridic-
tions , de même qu'on ne peut employer devant les cours
d'assises une enquête civile , on ne doit pas être reçu k
employer au civil un procès-verbal d'information ou un pro-
cès-verbal des débats. Mais la jurisprudence parait aujour-
d'hui (Rej., Si janvier 1859 et 27 mai 1864) reconnaître au
juge civil un pouvoir plus large. Aucune disposition légale,
en effet, ne limite ses moyens d'information : il peut les
puiser dans une autre instance civile ; pourquoi ne pour-
rait-il pas les puiser aussi dans une instruction criminelle
relative aux mêmes faits? En l'absence de toute prohibition
spéciale, ne doit-on pas rechercher la vérité par tous les
moyens possibles ? Si on décide le contraire au criminel
quant aux. documents civils , c'est que la loi a voulu que
la conviction de la culpabilité se formât, en général,
sur des preuves orales, d'après un débat contradictoire,
et non d'après l'examen des pièces d'un dossier. Rien
de pareil en ce qui touche la juridiction civile. Il convient
donc de laisser k cette juridiction toute latitude ponr la
reciierche des preuves. Il est bien entendu, néanmoins,
qu^on ne pourrait se prévaloir, au civil, de dépositions
reçues devant un tribunal criminel, si ces dépositioi^, a
raison de la plus grande latitude qui est laissée aux témoins
dans l'administration de la justice criminelle, se trouvaient
porter, en fait, sur des points que la loi civile défend de
prouver par témoins, et notamment si l'on avait déposé de
ET CRIMINELS. 543
faits contraires k uoe présomption légale, faits qui, suivant
notre opinion (n"" 859), pourraient agir sur la conviction du
jury. De même, lorsque la loi civile exige une enquête,
comme en matièté de sépàtàiîoi) de cotp^^ cette enquête
suppose les formalités et les garanties de la procédure civile ^
il ne serait point permis d'y suppléer au moyen d'un procès-
verbal d'information, dressé par un juge d'instruction sur
les mêmes faits.
QUATRIÈME PARTIE
DE L'EFFET RÉTROACTIF ET DU DROIT INTERNATIONAL
EN MATIÈRE DE PREUVES.
SOHKAIBE. — 930. DistiocUoD des d€eitorië et des ordinatoria lisis. — M4. Réftotkm
da système qni applique toiyoars la loi du temps et da lieu où siège le tribooal saisi de
la cause. — 933. Division.
820. L'application aux preuves des règles sur la non-
rétroaclivité des lois et sur les rapports de nation nation
ne donne point lieu , en principe , k de sérieuses difficultés.
Lorsqu'il s'agit de savoir laquelle doit être appliquée de
deux législations successives dans un même pays, ou bien
de deux législations de pays divers, on a depuis longtemps
établi une distinction essentielle. « Il y a », dit Merlin
(Répert., V Effet rétroactif, sect. 3 , § 8) , « deux sortes
« de formalités judiciaires : les unes qui appartiennent seu-
« lement ii l'instruction et ne sont relatives qu'k la procé-
a dure, raison pour laquelle les jurisconsultes les appellent
« ordinatoria litù; les autres, qui appartiennent au fond
« même de la cause, dont l'omission ou l'absence neutrSH
« lise ou anéantit l'action, et que les jurisconsultes dé-
« signent par les mots decisoria litis. » Pour les pronières ,
il faut s'attacher au temps et au lieu où l'affaire a pris nais-
sance. In modo procedendi, dit Strykius(Tr(u;r. et DUp,, tom. D,
p. 27) , consueiudo judicii attendenda, ubi /» agitatur. In modo
vero decidendif seu in ipsa catuœ decisione, coruuetudo tiiigan-
tium, seu ubi actus estgestus, attendendus.
EFFET RÉTBOAGTIF ET DROIT IMTERNATIOMAL. 545
On pourrait croire, au premier coup d'œil, qu'il faut
ranger dans le premier chef tout ce qui est relatif k la
preuve , k raison de Tintime connexion qui unit la preuve
avec la procédure. Il est vrai que les lois sur la preuve
rentrent dans les moyens d'application du droit, et con-
stituent ce que Bentham appelle des loii ad^ecAves. (Yoy.
n* 4. ) Mais la preuve est , par sa nature , contemporaine du
fait k prouver , tandis que la procédure est essentiellement
postérieure et soumise k des règles k part. Il faut dès lors
s'attacher, en principe , quant k l'admissibilité de la preuve
( decisorium titis), k la loi du temps et du lieu où est inter-
venu le fait qu'il s'agit de prouver. Au contraire, pour la
procédure de la preuve {orfUmaorium UHi), on s'attachera,
en principe, comme pour toute autre procédure , k la loi du
temps et du lieu où siège le tribunal saisi de la constatation.
Un arrêté consulaire du 5 fructidor an IX consacre implici-
tement cette distinction , lorsqu'il statue en ces termes :
ce Tout ce qui touche k l'instruction des afEdres tant qu'elles
a ne sont pas terminées, se règle d'après les formes nou-
« velles , sans blesser le principe de non-rétroactivité , que
(c Ton n'a jamais appliqué qu'au fond du droit. »
Il y a cependant un arrêt de cassation , rendu le 4 oc-
tobre 1817, aux termes duquel les crimes commis sous une
législation antérieure devraient être jugés avec les anciennes
formes d'instruction et les garanties qui en résultaient pour
les accusés. Mais il ne faut voir Ik qu'une décision de cir-
constance, tendant k limiter la juridiction des Cours prévô-
tales instituées en 1815 \ Depuis cette époque, la Cour su-
prême a jugé k plusieurs reprises, notamment par les arrêts
* C*est également à raison da caractère exorbitant de la juridiction
oonTellement établie , que la loi du 21 thermidor an II Toulait que nul ne
pût être traduit deyant le tribunal réYolutionnaire pour des faits antérieurs
à sa création.
II. 35
tt46 DK l'bFPIT ftfTBOÀGTIV
de rejet du 42 octobre 4848 et du 27 janvier 48KK, qa'en
toute matiàre « les lois de procédure et d'instruction soni
K obligatoires du jour de leur promulgation ^ en ce qui cou»
(( cerne les procès commences comme les procès k naître *. «
Ainsi que Ta fort bien dit M. Dupin, dans la discussion de
l'affaire qui a donné lieu k l'arrêt de 4848 : « Lorsqu'eft
« 4790 on a supprimé tous les anciens tribunaux, et qu'on
« a établi le jury en matière criminelle » un bomme accusé
« d'un fait commis avant ce cbangement n'aurait pas été
« recevable k prétendre qu'il aimait mieux être jugé par
(c l'ancienne Toumelle criminelle du parlement Lorsqu'on
« a supprimé le jury d'accusation, ceux qui étaient alors en
(( prévention n'auraient pas pu réclamer qu'on voulftt bien
« l'employer encore une fois pour euxi » (Voy. dans le
même sens le décret de l'Assemblée constituante, en date
du 22 janvier 4849.)
921. M. Mittermaier (^Archivêi de la iuruprudence en ma»
tière civile» tom. XIII, p. 343) veut, au contraire, qu'on
applique toujours la loi du temps et du lieu où siège le tri--
bunal saisi de la contestation. Le principal motif sur lequel
il se fonde , c'est que la preuve n'a pour but que de con-
vaincre le juge, et que le juge ne peut puiser sa conviction
que dans les éléments autorisés par les lois de son pays.
1 Si éftM l'afliira Cadeudal les aooiuét ont taisenieiit demandé k Mf«
reiiToyés devant la haute Cour impériale, créée par le •énatoa-oonsuite du
28 floréal an Xll , cVst que cette Cour n^était pas encore organisée. (Bej.,
4 messidor an XII.) La Covr de eassati^n a posé en principe, par ranét
de rejet du 16 avril 1831 , « qu'il est de règle, h moins que le l^islatenr
« n'en dispose autrement , que les procès criminels dans lesquels U n^y a
«c pas de jugement définitif et en dernier ressort, doivent être cantinn^
«c dans les formes et devant les tribunaux nouvellement établis. » Aussi
a-t-elle cassé (le 12 septembre et le 27 décembre 1856) des décisions de
tribunaux correctionnels qui avaient gardé la connaissance d'appels en
matière correctionnelle, malgré le déclinatoire proposé par le ministère
public en vertu de la loi du 13 juin 1856, qui a dévola aux Cours d*appel
exclusivement le jugement des appels correctionnels.
ET DU MOIT IHTERVATIÔNAL. 847
Cette doctrine parait avoir été admise en Angleterre ^ par la
Chambre des lords , d'après le principe posé par lord Brou-
gham : The law of évidence » the lex fori. (S tory, Cot^ict
of lawsy § 635 b. ) Le principe est vrai en ce sens qu'il n'est
pas permis d'emprunter au droit ancien , ou aui lois étran-
gères , des modes de vérification absolument réprouvés par
la loi en vigueur dans le pays où siège le tribunal. Ainsi,
lorsque le congth a été aboli en France (nM12) , on n'au-
rait pu en demander l'application auï causes antérieures à
cette abolition ^ et alors même qu'il subsistait en France ,
une femme française n'eût pu le réclamer contre son mari ,
dans un pays où il était repoussé , sous prétexte que son
statut personnel l'y autorisait formellement. Et il y avait
évidemment lieu d'appliquer la même décision lors de l'abo-
lition du combat judiciaire. Mais ce sont Ik des hypothèses
tout k fait exceptionnelles. En général , les dispositions de
la loi qui proscrivent certaines preuves n'ont qu'une force
toute relative; elles rejettent ces preuves comme dange-
reuses dans certains pays et dans certains temps, et non
comme contraires k l'ordre public et aux bonnes mœurs. Il
n'y a donc rien qui contrarie le système de la loi , dans
l'application de ces mêmes preuves k une époque où ces
restrictions n'avaient pas été jugées nécessaires, ou bien k
des étrangers dans le pays desquels ces restrictions sont
inconnues. Nous pensons que c'est prendre l'exception pour
la règle , que d'adopter cette doctrine nouvelle , opposée à
la jurisprudence la plus générale, et qui nous semble con-
traire k l'équité. Car est-il raisonnable de soumettre celui
qui contracte aujourd'hui aux lois qui régiront l'avenir, ou
éelui qui contracte en Angleterre aux lois qtii régissent la
France ?
928. Voyons avec quelles modifications doivent s'appli-
quer les principes que nous venons de poser, d'abord aux
35.
848 EFFET RÉTROACTIF.
fails passes sons Tempire des lois andennes, puis aux rela-
tions internationales.
PREMIÈRE SECTION.
EFFET Rétroactif'.
SoKMAiBE. — 9». Application de la Joi aneienoe quant k l*a<taiis8iMliiè de la prar«. —
934. De te loi noBTdle quant k la proeèdnre de la preave. -* 93». Cas oà la preuve est
repoQssèe d*Dse manière absolue. — 93e. Dispositions transitoires sur les enânts na-
tniels. — 937. Principes sur Teffiet rétroactif en matière pénale.
083. Il résulte de la distinction que nous avons établie
entre les points qui touchent le fond du procès et cenx qui
ont trait seulement k la forme, que lorsqu'il s'agit de l'ad-
missibilité de tel ou tel mode de preuve , notamment de la
preuve testimoniale , il faut se reporter k l'époque où sont
intervenus les faits dont on veut établir l'existence : Tempm
régit actum^ dit M. de Savigny. (Droit romain, p. 388.)
L'adoption virtuelle par les parties de certains modes de
preuve, pour constater ce qui s'est passé, est elle-même une
convention implicite , sur laquelle la loi nouvelle ne doit pas
réagir*. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation dans une
foule de cas, notamment par un arrêt de rejet du 16 août
183i , où elle pose en principe « que le mode de preuve
« d'une convention ne tient point à la forme de procéder^
« qu'il se rattache essentiellement au fond^ que, par con-
« séquent, c'est la loi du temps où les parties font remon-
' Au cas où un acte législatif serait entaché du vice de rétroactivité , fl
faudrait décider arec la Cour de cassation (arr. du 15 avril 1863) : « Que
« le principe de l'art. 2 , G. cit., n'est point, dans l'état actuel de la légis^
cf lation , une règle constitutionnelle dont la violation doive faire anonler
ff de plein droit la loi ou le règlement d'administration publique auquel le
<c vice de rétroactivité pourrait être reproché ; qu'une telle disposition,
" s'il s'en trouvait en certaines matières , devrait être obéie , sauf an
« législateur lui-même à aviser. »
3 Ainsi, en ce qui concerne le double écrit, dans les pays où la théorie
des doubles n'était pas admise (n« 684), on ne saurait appliquer cette théorie
à la rédaction de contrats antérieurs an Code. (Rej., 4 janvier 1814.)
EFPBT RÉTROÀCTir; 549
« ter celte convention qui doit être consultée. » Dans une
autre espèce , où il pouvait y avoir plus de doute , puisqu'il
s'agissait de prouver non plus une convention , mais la pos-
session d'un droit d'usage , la même Cour a également dé-
cidé (Rej., 23 mai i832) que « le mode de preuve de faits
« de possession , tenant au fond du droit, devait se régler
« par la loi du temps auquel ces faits se rapportaient. » La
preuve du mariage est également régie par la loi de l'époque
où le mariage a été contracté. (Merlin, Queit. de droite
V* Maruge , § 8. ) La Cour de Bruxelles a appliqué le même
principe (arr; du i5 février 1810) à la preuve même d'un
point de droit, en autorisant les parties k établir par actes
de notoriété l'ancienne jurisprudence du comté de Namur
sur un point contesté, les faits s'élant passés sous l'empire
de la coutume de ce comté. Quelque étrange que paraisse
ce mode de preuve dans nos habitudes modernes, on n'eût
pu en refuser l'administration, dans Tespèce, sans com-
mettre un déui de justice. (Voy. aussi Bruxelles, 24 juil-
let iSlO.)
9S4. Au contraire, lorsqu'il s'agit des règles qui ré-
gissent la procédure de la preuve , la loi nouvelle est seule
applicable , quant aux demandes formées depuis sa promul-
gation. C'est ainsi que le mode d'administration de la preuve
testimoniale , pour des faits qui se sont passés sous Tempire
des lois antérieures , doit être régi par le Code de procé-
dure, lorsque l'enquête s'ouvre sous l'empire de ce Code.
Quant aux procès intentés antérieurement ^ , une disposition
formelle du Code de procédure civile (art. 1041) maintient
l'application des lois anciennes, et la loi du 28 mai 1838
* Toutefois, aux termes d'un ayis du Conseil d*État du 16 féTrier 1807,
les appels, saisies, etc., formés depuis la mise en ligueur du Code de
prooédure, sont le principe <f «ne nouvelle procédure qui ^introduit à la
mite étune précédente, et doivent dès lors être exclusivement ré^s par
ce Code.
(disp. prélim.) est eonçse dans le même esprit, lorsqu'elle
B'appHqae le nouYcau mode de règlement des fidllites qn%
celles qui seraient déclarées depuis sa promulgation* Si des
convenances pratiques peurent justifier de pareilles déd*
siens transitoires, il faut néanmoins le reconnaître, œ n'est
point là Tapplioation rigoureuse des principes de la nutière ,
les procès commencés ne constituant point un droit acquis ^
telle ou telle forme d'instruction. Nous ne saurions , en effet,
souscrire à la doctrine soutenue par Real , dans l'exposé des
motift de la loi transitoire du 96 germinal an XI , doctrine
solvant laquelle le droU est ae^i$ à eeUd qui a fomné ta ée^
mande. Le Jugement seul constitue un droit acquis. Aux
termes de la Novelle 19, la loi nouvelle doit seulement res*
pecter ce qui a été terminé dee^eio juàiam, et la législa-
tion ancienne et moderne est en ce sens. (Voy. loi du
14 floréal an XI, art. K; C. civ., art. 1211 , 126t, 1968.)
En décidant que les demandes en divorce formées antérieu*
rement k la publication du Code civil oontinneraient k être
instruites conformément aux lois qui eaÀUaient lors ds la de-»
mande, lois si fticiles pour le divorce, la loi du âft geminal
avait pour but, non de consacrer un principe, mais de mé-
nager la transition entre la législation révolntionnaire et
celle du Code civil. Y eftt"il un droit acquis au divoroe, il
ne pouvait certes y avoir droit acquis k T instruction de la
demande en divorce suivant telle ou telle forme. La loi abo*
lidve du divorce nous parait, au contraire, n'avoir fkit
qu'user du droit qui appartient an législateur, lorsqu'elle a
converti les instances en divoroe pour cause déterminée en
instances en séparation de corps , et annulé tous actes faits
pour parvenir au divorce par consentement mutuel, (Loi du
8 mai 1816, art. â et 3.)
En conséquence , suivant la doctrine de Merlin {Riperu,
v* Effet rétroactif , sect. 3 , § 7 , n"" 1 ) , « si la loi
EFFET RÉTROACTIF. 951
« Telle n'en dispose pas autrement , c'est par elle que doi-
« vent être réglés, dans les procédures commencées avant
« sa publication , tous les actes qui se font postérieure-
« ment. » C'est ce qu*a décidé effectivement la Cour de
cassation, en appliquant aux instances déjà commencées
les formes introduites par le Code ciyil quant k l'expertise
en matière de rescision de vente pour cause de lésion.
(Rej., 23 février 1807 et 23 juillet 1831.) Il en serait au-
trement, aux termes d'un arrêt de rejet du S2 juillet 1806,
si l'expertise même était déjk commencée , parce qu'alors ,
tinsi que l'a dit le ministère public k la Cour de cassation ,
« un acte de procédure composé de plusieurs procédés,
« comme l'acte le plus simple , doit être achevé selon les
« lois qui ont présidé à son commencement, sans quoi il y
« aurait 4e9tru6tion de choses fakeê, et sous ce rapport, alté-
« ration de droits acquis. )>
025. Toutefois, ainsi que nous Tavons remarqué (n* 921),
certaines preuves peuvent être repoussées par la loi d'une
manière absolue , comme présentant plus de scandale que
d'avantage réel ; et alors la loi nouvelle reçoit son applica-
tion, même aux intérêts qui avaient pris naissance avant
qu'elle fût promulguée. C'est ce qui est incontestable au
cas où le mode de preuve lui-même est supprimé comme
immoral , ainsi que cela est arrivé lors de Tabolition du con-
grès par le parlement de Paris. De même , dans le système
que nous avons adopté avec la Cour de cassation , et suivant
lequel on n'est point reçu ^ rechercher une filiation inces-
tueuse ou adultérine, même k Teffet d'obtenir des aliments
(n" 212 et 871), il n'est point permis de faire constater
par les tribunaux civils les incestes ou adultères, même
commis sous l'empire des anciennes lois, pas plus qu'il ne
le serait, en pareille bypothèse, de diriger contre l'inceste
des poursuites criminelles. La Cour de Grenoble s'est pro-
552 EFFET RÉTROACTIF.
noDcée en ce sens le 42 juin i831 ; en rejetant le poarvoi
contre cette décision (le 6 février i833), la Ck>ur de cassa-
tion, sans aborder la difficulté au fond, s'est attachée k une
fin de non-recevoir, puisée dans la législation transibHre
doBt nous allons nous occuper.
926. Quant k la filiation simplement naturelle y le scan-
dale est moins grave, et Ton comprendrait que la preuve,
k cet égard , demeurât régie par la loi de l'époque k laqueUe
remonte la filiation qu'il s'agit de constater. Néanmoins,
Merlin {Questiom de droit, V* Légitimité, § 2), tout en
reconnaissant qu'en thèse générale la preuve de la filiation
doit être régie par la loi ancienne, admet des règles k part
pour la recherche de la paternité naturelle, qu'on ne saurait
autoriser par cela seul qu'elle eût été permise lors de h
naissance de l'enfant, sans contrevenir k un principe d'ordre
public. Au surplus, pour la période qui sépare l'ancienne
législation de la promulgation du Code civil , des règles spé-
ciales ont été posées par la loi du 12 brumaire an II '. Les
dispositions de cette loi, qui la première a prohibé la
recherche de la paternité naturelle (n'' 222), distinguent
trois classes d'enfants naturels : l^" ceux dont le p^ était
mort avant la publication des lois qui ont donné k ces enfants
des droits de succession : k leur égard , point de rétroacti-
vité * *, ils n'ont droit qu'k des aliments , mais ils peuvent
rechercher la paternité par tous les moyens admis dans l'an-
■ Cette loi deyait faire partie da Ck>de ciyil, dont s'occupait alors la
Convention. C^est ce qui explique pourquoi on y renvoyait au Code civU ,
dont on regardait la promulgation comme prochaine, mais qui n'a été
publié, par le fait, que dix ans plus tard. Ce retard, qu'était loin de
prévoir le législateur, a tenu en suspens bien des intérêts, qui se sont
trouvés déterminés après coup, non -seulement quant à leur quotité,
mais quant à leur preuve même , par la législation nouvelle.
* Du moins d'après la loi du 15 thermidor an IV, abolitive des di^MMî-
tions qui faisaient remonter l'effet de la législation révolutionnaire an
l4juiUet1789.
EFFET RÉTROACTIF. 553
demie jurispradence (Cass,, 14 thermidor an VIII) ; ^ ceux
dont le père a survécu à la publication des mêmes lois, mais
était mort lors de la promulgation du Code civil : pour ceux-
Ik, ils profitent du bénéfice du droit intermédiaire, mais à
condition de prouver leur filiation , soit par des écrits publics
ou privés , soit par la possession d'état * . (Loi de brumaire,
art. 8.) Par une sorte de compensation, peu conforme aux
principes d'une stricte justice , la loi de brumaire a été plus
sévère pour la preuve de la filiation, en même temps qu'elle
attachait k cette filiation des avantages considérables. Il y
aurait eu contradiction k accorder des aliments , conformé-
ment aux principes de l'ancien droit, k l'enfant qui aurait
établi la paternité au moyen de la preuve testimoniale, et k
refuser k ce même enfant les droits successifs * -, or, préci-
sément on n'a pas voulu aller jusque-là. (Merlin, loc. cit. ;
Cass., 25 mars 4806.) 3* Ceux dont le père a survécu k la
promulgation du Code civil , et dont le sort est entièrement
réglé par ce Code, tant pour l'étendue que pour la preuve
de leur droit. (Loi de brumaire, art. 10 ^ loi du 14 floréal
an XI, art. 1*'.) Néanmoins la promulgation du Code civil
n'a pu porter atteinte aux conventions et aux jugements
passés en force de chose jugée. (Même loi du 14 floréal
an XI, art. 3.)
Il faut remarquer de plus, quant k la condition prescrite
par le Code civil pour la reconnaissance des enfants naturels,
* Cette disposition, inToqaée par l'opinion qui admet la prea^e de U
paternité naturelle au moyen de la possession dMtat , prouye en réalité
contre cette opinion , puisque le légiriateur de brumaire n'admet la posses-
sion d'état que dans la période de transition. (Voy. n* 222.)
' Si l'enfant avait déjà intenté l'action en recherche de la paternité avant
la publication de la loi de brumaire, la Convention a décidé, par un décret
du 4 pluTîdse an n , qu'U conserrait le droit de suivre cette action. Cette
décision, sans être conforme à la rigueur du principe (n» 924), se conçoit
comme tempérament à une législation véritablement entachée de rétroac-
tivité.
584 EFFET RÉTBOIGTIP.
rauthentieitë , qu'il safflt qu'elle existe suiyant les formes
usitées k l'époque de la rédaction de Tacte. De même qu'on
dit dans les relations internationales : Locvm régit acam, il
faut dire ici : Temptu regU aetum. C'est ce que la Cour de
cassation a décidé par un arrêt de rejet rendu, sections
réunies, le 14 floréal an XII, dans une espèce où le titre de
reconnaissance de l'enfont était son acte de naissance,
dressé, en i787, par le prêtre qui remplissait alors les fonc-
tions d'olBcier de Tétat civil. (Voy. en ce sens une dissert,
dans Devilleneuve , 1831 , part. I, pag. 132.)
927. En matière criminelle , le principe que la preuve
doit être celle du temps où les faits se sont passés , reçoit
son application toutes les fois qu'il s'agit de questions civiles
préjudicielles, comme pour la preuve d'un dépôt, au cas de
prévention d'abus de confiance. Hais la preuve d'un délit,
soit devant les tribunaux criminels, soit même devant les
tribunaux civils, ne peut être régie que par la loi nouvelle,
n ne s'agit pas ici de savoir quelle preuve les parties ont dû
avoir en vue. La loi nouvelle, lorsqu'elle rend la preuve
plus focile pour le ministère public ou pour la partie lésée ,
ne tient pas compte de l'espoir illicite qu'a ptf concevoir le
coupable de n'être pas découvert, d'après les dispositions
de la loi existante. Aidsi, la maxime TestU unus, testis nuUus,
n'a pu être invoquée par ceux qui ayaient commis un délit
en présence d'un seul témoin , depuis que le droit moderne
l'a complètement repoussée. (Yoy. n"" 933.) Si, au contraire,
on interdit h l'accusation des moyens de preuve regardés
jusqu'alors comme suffisants , on ne devra pas les employer
pour les faits passés, plus que pour les faits présents. Et
ici l'intérêt de l'accusé est d'accord avec la raison, pour
rendre la loi nouvelle applicable. Ainsi la règle qui ne per-
met d'invoquer contre le prévenu de complicité en matiàre
d'adultère que le flagrant délit ou la correspondance (C. pén.,
BROIT mTBRHATIOllAL. 8S5
art. 338), a dA recevoir son application même au adultères
commis avant la promulgation du Code pénal.
DEUXIÈME SECTION.
BROIT IMTERIfATIONAL *.
Somuns. — m. Principes gènëranx de la m^Uère. ~ 939. Règle loeut refit aetum.—
fso. Son appUcaïkm m aeles «■ihaDtlqwi. «<• 9S4. Aux actes sons scisg prifé. «^ 9si.
Aa\ livres de commerce. — 939. A la preave testimoniale. — 934. Ans présomptions.
— 9S5. A la prestation de serment. -^ 9S6. Recherches reponssées d'nne manière
a^iœ. — 997, Droit ioterMtioiud m la preoTe «a nwti^re çriqioeUf. — 998. Vœu
pour l'unité de législation.
9S8. On a admis depuis longtemps en France que les
règles sur la preuve quant au fond tendant ad tUU decUionem
(n* 930), il faut suivre , k cet égard , la toi du pays où les
parties ont contracté. Soit que l'on considère les règles sur
la preuve comme des formalités extriiiièqn&$, ou bien comme
des formalités intrimèqueê se référant k une convention
tacite, c'est à la loi du pays qu'il faut s'attacher, tandis que
les fonnalîtés habilUantei sont réglées par la loi du domicile,
et les formalités à'eocéeution par la loi du tribunal où l'on
plaide*. Danty (Add. sur le cbap. I*' de Boiceau, fil) nous
1 Voyez le liyre n, titre m, du Traité du droit international priv4f
par Fœlix, ouvrage que doit consulter quiconque vent approfondir lea
Apporta da la Franoa a^ao lea autres paya de PEaropa aona la point da
▼ue du droit privé , surtout depuis les déyeloppements qu'il a reçus dans
l'édition qu'en a donnée, en 1856, notre ancien collègue M. Démangeât.
Dana le tome vm da son Traité d$ droit romain^ H. 4a Savigny posa
avec autorité les principes du droit international. Enfin , la 7* édition du
Conjtiet of laws, de M. Story (Boston , 1865), est ee qu'U y a da plus utile
à aonaolter sur Tétat actuel du droit anglais et américain an catta ipafîàre.
' Cette distinction semble avoir été méconnue dans un Jugement de la
Chambre des lords , cité par M. Story ($ 635, ^ et c), auquel nous nous
sommes déjà référé. (N« 921.) Lord Brougbam, an prononçant ce jugamant,
dit que la loi de la preuve est la lex fori ; U soumet également à la comp^
tence du tribunal saisi de la cause la discussion des reproches Icompetenqf
of a ioitnfiss), qui se rattache aux formalités d'exécution, et Padmissibilité
da la preuve par témoins on par écrit {whether a certain tnatter r^uires
to be proved ^y writing or not), question da preuve proprement dite*
586 DROIT INTBRlfATIOIfAU
rapporte que deux arrêts autorisèrent, dès le seizième
siècle , des Anglais plaidant en France à prouver par témoins
un contrat passé en Angleterre dont l'objet avait ane valeur
de plus de cent livres. Il en eût été autrement , suivant le
même auteur, s'il s'était agi de deux Anglais qui eussent
contracté en France , parce qu'ils seraient censés avoir con-
tracté suivant la loi du pays où ils faisaient leurs conven-
tions, a Inutilement », dit Merlin (Répert,, v* Loi, § 6, n* 2),
« prétendrait- on que cette règle ne doit avoir lieu que dans
« les cas où les contractants sont citoyens ou sujets du pays
« où ils traitent ensemble. Quelle serait, dans ce système,
« la loi qui devrait interpréter un contrat passé en France,
« entre un Espagnol et un Allemand? » C'est ainsi que
M. Story (Conflia of lawi, § 630) déclare nul, même en
Ecosse , un acte fait en Angleterre conformément à la loi
écossaise , mais contrairement a la loi anglaise. Au contraire,
un Anglais serait reçu k se prévaloir d'une convaition passée
en pays étranger, suivant la lex locu bien que non conforme
k la loi anglaise \ Les actes, suivant Paul de Castre
(Cons. 13), reçoivent l'être dans le lieu où ils sont passés.
Statutuan affiàt actu» celebraioi in loco $tatuenâum, quia dieuntur
Un oriri et noid. « Chaque pays », dit Merlin (Répert.,
V* Preuve, sect S, § 3, art. 1, n"" 3), « a ses lois pour les
« formes probantes des actes , et ces lois sont toutes fondées
a sur des motifs différents. Ici , la preuve testimoniale est
« admise indistinctement, parce que le législateur a pré-
<c sumé beaucoup de la véracité de ses sujets *, Ik, elle est
« restreinte dans de certaines bornes, parce que l'expé-
*
M. story ne rapportant ni le texte ni même la date du jugement, nous ne
pouvons Térifier si la décision de la Cour a toute la portée qoe loi prête
lord Brougham.
' Voyez aussi les autorités et les précédents judiciaires cités par Merlin.
(Réperi.,r*VKBXPrEy sect. 2, $ s, art. l^n» 3.)
DROIT INTERNATIONAL. 557
<c rience a prouvé qae les habitants s'écartent souvent de la
<i vérité ^ dans un autre pays, elle est presque réduite à rien,
<( parce qu'on s'est aperçu que la bonne foi y était encore
<c plus rare. Ainsi , tout dépend , en cette matière , de Topi-
« nion que chaque législateur a eue de ses sujets, et par con-
« séquent les lois relatives k la forme probante des actes
« sont fondées sur des raisons purement locales et particu-
le Hères k chaque territoire. Il n'y a donc que la loi du lieu
« où un acte a été passé qui puisse en attester la vérité *,
« celles du domicile des parties ou de la situation des biens
« n'ont pas ce pouvoir, parce que les raisons qui ont déter-
« miné leurs dispositions sont toutes différentes de celles
d qui ont dicté les formalités prescrites dans le lieu du cou-
ce trat. » Le fond et les effets des obligations, aux termes
de l'article 9 du Code civil italien, sont censés réglés par
les lois du lieu où les actes se sont faits. Telle était la doc-
trine de Dumoulin ' (Consul t. 43) : « Est omnium doctorum
« sententia , nbicumque consuetudo vel statutum locale dis-
« ponit de solemnitate vel forma actus, ligari etiam exteros
« actum illum gerentes. » Il faut supposer néanmoins que
les contractants n'ont pas été exprès en pays étranger pour
éluder la loi de leur domicile. Sous cette réserve, le prin-
cipe général est universellement admis. (Cass., 23 fé-
vrier i864.)
Dumoulin ajoute : Et gesmm eue validum et ejficacem ulriquep
etiam super bonù soli extra territarhim conêuetudink vel statutù »
Mais pourrait-on également se conformer pour les immeubles
k la loi de la situation, ainsi qu'on le fait en Angleterre, en
* M. de SaTîgny pense qae c'est an seizième siècle qu'a été généralemeDt
admise la règle Loctu régit actum, règle que Ton a Tonla faire dériver de
certains textes du droit romain, tels que la loi 34, Dig., De usuris; mais
ces textes sont relatifs à la matière plutôt qu'à la forme des contrats.
(Sa^igny, tom. VIU , $ SS3.)
S58 DROIT INTBRlfÂTIOlliUU.
Ecosse et aux États-Unis (Story , Cof^ of iam, § 435» 474,
478) } poor les meubles, k la loi du domicile ? Suivasl one
opinion coaciliatoire » admise par beaucoup d'auteurs , depuis
Godefroi jusqu'à Mittermaîer, l'emploi de la règle Lùau
régit actum est purement facultatif. Ou peut invoquer en ce
sens la disposition de l'article 999 du Gode civil , lequel ,
nous allons le voir, autorise le Français qui dispose en pays
étranger à employer, k son choix , la forme olographe, même
lorsqu'elle est repoussée par le statut local , ou les formes
usitées dans la localité* Mais la jurisprudence oMsidère cette
disposition comme étant de pure faveur, et n'autorise point,
à l'inverse, l'étranger qui dispose en France k se contenter
des formes usitées dans son pays, notamment pour un tes-
tament olographe4 (ReJ., 9 mars i8o3é) Elle adopte dès lors
en principe la théorie de Merlin , qui s'attache d'une manière
absolue au lacuê acuu. Gomme le fait très^-bien observer
Grotius (epist. 467), c'est lorsqu'il s'agit de la capacité ou
de la disponibilité qu'il &ut s'attacher soit au domicile ,
soit k la situation des biens.
Néanmoins , il ne faut pas confondre avec les formalités
probantes celles qui ont trait k l'exécution. Pour ces der-
nières, ainsi que nous l'avons dit en cmnmençant, il faut
s'attacher exclusivement au locui rei $Uœ. G'est ainsi que les
formalités prescrites pour la transmission de la propriété
immobilière 4 notamment la transcriptioii (Fœlix^ n* 96),
sont exclusivement régies par le tribunal de la situation.
(G» civ. , art. 3^)
Au surplus, en vertu du droit rigoureux de souveraineté,
comme le fait observer M. de Savigny dans les développe-
ments importants qu'il consacre k cette matière (Traité de
droit tomain, tom. VIIT, § 348; voy^ aussi Story, § 18
et suiv.), on pourrait enjoindre aux jugea d'un pays d'appli-
quer exclusivement leur droit national , et telle est, en effet,
DROIT lOTSMÀTlONÀL. 8119
la théorie adoptée par Mittermaier (Arch, de jurisp. dvile,
iom. Xm, pag. 315 et 316), et par lord Brougham (p. S21,
not. i) \ mais par une juste déférence , comiur, suivant Tex-
pressions des anciens auteurs (Huberus, De confiictu legum,
liv. I, tit. 3, § 2), les états autorisent les tribunaux k puiser
leurs décisions dans une législation étrangère, lorsque l'in-
tention présumée des parties ' ou Tutilité générale réclament
ce procédé.
828. Occupons-nous d'abord de ce qui concerne la
preuve littérale. Lors de la rédaction du Code civil , on avait
proposé d'y insérer ce principe général : « La forme des
<c actes est réglée par les lois du lieu dans lequel ils sont
« faits ou passés. » Si cette disposition n'a pas été convertie
en loi chez nous, comme elle l'a été dans d'autres pays
(loi prussienne , part. I, tit. V, § 3 ^ loi hollandaise de 1829,
art. 10), ce n'est pas qu'on l'ait contestée au fond, c'est que,
d'une part, on l'a jugée inutile en France, où la même
législation régit aujourd'hui tout le territoire \ et que,
d'autre part, dans les relations internationales, on a craint,
SI on la posait ainsi d'une manière générale , qu'elle ne fût
appliquée abusivement, même aux conditions de validité
intrinsèque , lesquelles ne sauraient être régies par le statut
local , puisque les formalités habilitantes (voy. n*" 928) se
rattachent essentiellement à la personne de l'auteur de l'acte»
Il faut donc généraliser le principe posé , en matière de tes-
taments, par iWrét de rejet du 9 mars 1853, aux termes
duquel « tout ce qui tient à l'état du testateur, à l'étendue
« et à la limite de ses droits et de sa capacité , est régi par
(c le statut personnel , qui suit la personne partout où elle
« se trouve : il en est autrement de la solennité de l'acte et
* M. Story fait toutefois obsenrer atec raison ($ S8, o) que, lonqiiMl
s'agit dHnterpréter la Tolonté des parties, l'application de la loi étrangère
n'est plus simple déférence, mais bien justice.
560 DROIT HfTEBNATIONAL.
« de sa forme extérieure , qui sont réglées par la loi du pays
K où le testateur dispose. »
Au surplus, le Gode a fait lui-même l'application de cette
règle, en ce qui concerne les actes de Tétat civil (art. 47)
et les testaments. (Art. 999.) Il est facile de comprendre
combien cette règle a d^utilité pratique. Qu'un Prussien,
par exemple, tombe malade en France, s'il lui était interdit
de suivre les formes françaises , il se trouverait dans Tim-
possibilité de faire son testament, puisque, d'après la loi
de son pays , il ne peut tester que devant un tribunal , et
qu'il ne trouverait aucun tribunal en France pour recevoir
son testament.
930. Voyons d'abord ce qui concerne les actes authen-
tiques, (c Les actes passés en pays étranger », dit Merlin
{Eépert.t y Conventions matrimoniales, § 1), « devant
«les officiers publics des lieux..., sont considérés, en
c< France même, comme des écritures publiques : ils y font
« foi jusqu'à inscription de faux. » a II est du droit des
<c gens », dit le nouveau Denisart (v"" Hypothéqués , § 3,
sect. 4, nM5), a que ce qui est authentique dans un pays
« le soit chez toutes les nations. » Il n'est donc pas exact
de dire d'une manière absolue, avec Mornac (sur la loi
dern. D., Dejuritp.; n* il) : a Obligatio extra Galliam con-
c( tracta, pro simplici chirographo est in Gallia *. » Cela
n'est vrai*que de la force exécutoire , force qui n'a rien de
commun (n* 467) avec l'authenticité intrinsèque, reconnue,
dans l'ancien comme dans le nouveau droit, aux actes reçus
à l'étranger suivant les formes du pays '. Ainsi , la Ck>ur de
* La même confusion se retron^e dans Particle 121 de l'ordonnance
de 1629, aux ternies duquel les contrats reçus es royaumes étrangers ne
doivent aToir aucune hypothèque ni exécution en France (Toy. la note
suiv.), et tiennent Heu de simples promesses.
* C*est en confondant ainsi Pauthenticité ayec la forme exécutoire que
Particle 2128 du Code civil ne yeut point que les contrats passés en pays
DROIT INTERNATIONAL. 561
•
cassation (Rej., 16 juin 1829) a déclare régulier, confor-
mément au concile de Trente, un acte de mariage signé k la
Havane par le desservant , bien qu'il ne fàt signé ni des
parties ni des témoins.
D s'est élevé toutefois une grave diflSculté au cas où la
loi française n'exige point seulement l'authenticité , mais
certaines formes spéciales , par exemple, l'assistance de
notaires, lorsqu'il s'agit d'un testament par acte public.
(C. civ., art. 971.) Mous l'avons déjà remarqué (n* 464),
l'institution du notariat, tel qu'il est organisé chez nous,
est loin d'être universelle en Europe. Ainsi, eu Angleterre,
il n'y a pas d'officiers publics pour la rédaction des testa-
ments ^ il suffit de la sipature du testateur et de deux
témoins, qui viennent déposer, après le décès, devant la
Cour ecclésiastique, qu'ils ont entendu le testateur mani-
fester ses dernières volontés. (Stat. I de Yict., cbap. xxvi,
sect. 9.) Le Code de la Louisiane (art. 1574, 1575) admet
des testaments nuncupatifs sous tignatwret privées , dictés par
le testateur en présence de cinq témoins et écrits par l'un
d'eux. Néanmoins la Cour de cassation a reconnu (Rej.,
6 février 1843) la validité du testament d'un Français fait
en Angleterre, dont la preuve avait été ainsi établie ^ Elle
a également admis (Rej., 3 juillet 1854) la validité d'un
testament fait suivant les prescriptions du Code de la
étranger puisseDt donner hypothèque sur les biens de France. Cette dispo*
sition, rationnelle dans l'ancien droit, sniTant lequel une hypothèque
générale résultait de la forme seule des actes notariés , ne se comprend
plus aujourd'hui que l'hypothèque est spéciale et ne résulte que d'une
conTention expresse, couTention qu'un officier étranger a qualité pour
recevoir, aussi bien que s'il s'agissait d'une Tente ou d'un échange. L'ar-
ticle 1990 du Code cItU italien se borne à soumettre à la légalisation les
actes passés en pays étranger, qui sont présentés pour l'inscription.
* Cette afTaire se trouvait régie par un statut plus ancien, qui exigeait
trois ou quatre témoins : différence qui n'a aucune importance quant au
fond de la question.
II. 36
562 DROIT IZITBRNATIONAL.
LouisioDe. (Voy. aussi Rej.,38 février i854 et 17 août
i8580
Suivant ces arrêts, il faut entendre par rauthentîâté,
non les formes propres k nos actes notariés , mais les so-
lennités, quelles qu'elles soient , usitées dans le lien où le
Français a disposé. Reste une questiou préalable', c'est
celle de savoir si, en pareil cas, la date du testament ne doit
pas contenir la mention du lieu où il a été fait i autrement,
dit-on, on pourrait tester en France en employant lei
formes étrangères. Il est vrai que chez nous la loi do
2S ventôse an XI (art. 43) exige la mention du lieu où les
actes sont passés* Mais , puisque nous partons du principe
Loau régit actum, si le statut local n'exige point la mention
du lieu (ce qui arrivait pour la loi anglaise quant au testih
ment), il n'est pas possible d'exiger cette mention en wtu
de la loi française, sauf pour les juges la faculté de re^
chercher si effectivement l'acte a été passé en pays
étranger.
931. L'application des formes locales est plus contes^
table en ce qui touche les actes sous seing privé. Chacun
pouvant faire de pareils actes par soi-même, sans l'asûs-
tance d'officiers publics , on pourrait soutenir qu'ils doivent
être régis par la loi du domicile des parties contractantes*
Telle était autrefois, quant au testament olographe, la
doctrine de certains auteurs, notamment du président
Boubier (Cota, de Bourgogne ^ ch^^. xxviii, n*" 20), doc-
trine qui semble confirmée par l'article 999 du Gode civil ,
aux termes duquel le Français qui se trouve en pays
étranger est autorisé, quel que soit le statut local, ii faire
ses dispositions testamentaires par acte sous signature
* Dans Pespèee de Parrét dn 1«' février 1 S43, il a été décidé, en fait, que
les énonciationfl de Pacte prouvaient qu'il ayait eu lieu à Londres. Dans les
autres espèces , on n'a point contesté le lieu ds la confection du testament.
DROIT IHTERHiLTIOlUL. 563
privée. Mais ce système, en le supposant applicable aax
testaments, ne saurait être appliqué d'une manière générale
aux actes sous seing privé -, car» s'il s'agissait d'un contrat
synallagmalique fait à Paris entre un Anglais et un Allemand
(voj. n"" 928), à quelle législation se référer pour la preuve?
Il faudrait bien s'attacber au forum eomracm. Quant au
testament olographe même, la règle de l'article 999 est une
faveur toute spéciale pour le Français qui se trouve en
pays étranger. Dans les rapports des diverses provinces de
l'ancienne France, on appliquait constamment autrefois la
règle LocuM régit actum^ quand celui qui testait dans un
ressort se trouvait domicilié dans un autre. (Arr. du parle-
ment de Paris du 15 juillet 1777-, Rej., sect. réunies,
IS pluviôse an II- ) Cette doctrine se rattachait alors aux
idées de la féodalité, qui réputait sujet temporaire tout
individu résidant dans le pays. Aujourd'hui elle se rattache
k la volonté présumée du disposant. En cmséquence, on
permet bien k l'étranger qui teste en France d'employer
la forme olographe , encore qu'elle ne soit point reçue dans
son pays (Rej., 25 août 1847); mais on ne lui permet
point d'exeiper de la qualité d'étranger pour valider un
testament par acte privé fait en France qui n'est point con-
forme k la législation française, et notamment qui n'est
pomt écrit en entier de sa main. (Rej., 8 mars 1853.)
839. La foi des livres de commerce se juge d'après la
loi des lieux où les livres sont tenus. L'étranger qui traite
avec un négociant dont les livres ont une foi plus ou moins
étendue, est censé se référer à l'usage local. Cette doctrine,
consacrée par M. de Savigny (itirf., § 381), d'après la juris-
prudence prussienne (arrêt de 1826 de la Cour suprême de
Cassel), est de nature k être admise dans tous les pays.
933. La preuve testimoniale est régie par les mêmes
principes que la preuve écrite. <( Celui qui offre la preuve
36.
o64 DROIT II^TEBNATIONAL.
a testimouiale d'un engagement ou d*une disposition de
a dernière volonté ' », dit Fœlix (n"* 233), « prétend em-
« ployer ce moyen de preuve pour remplacer la preuve
« plus claire et plus précise qui résulte d'actes écrits : il
a prétend , pour ainsi dire , construire par les dépositions
« des témoins un acte identique k celui qui existerait par
ce écrit, si la partie qui a pris rengagement, ou qui a fait
<c la disposition , Tavait immédiatement rédigé par écrit. »
D'où la conséquence qu'il faut se référer au statut local,
quant a l'admissibilité de la preuve par témoins, soit qu'il
s'agisse de la preuve de conventions non constatées par
écrit , soit qu'il s'agisse de la preuve contre et outre le con-
tenu aux actes : c'est ce qu'a décidé, pour l'admission de la
preuve testimoniale entre musulmans en Algérie, l'arrêt de
rejet du 20 juin 1864. Néanmoins, cette règle doit se com-
biner avec celle suivant laquelle tout ce qui concerne la
forme et l'instruction est régi par la loi du pays où l'afiSure
est pendante. Ainsi, quand une commission rogatoire est
adressée par un tribunal étranger à un juge français, ce
juge doit diriger l'enquête d'après les formes de la loi fran-
çaise, et, quant au fond, il doit s'attacher aux prescriptions
de la loi qui régit les conventions des parties. Il en est de
même, k Tinverse (Pau, 29 avril 1861), pour les commissions
rogatoires adressées par un tribunal français k un tribunal
étranger. Dans la formule des lettres rogatoires délivrées
par le président des États-Unis (M. Greenleaf , tom. I,
p. 430, note 1), le juge est invité k entendre les témoins
suivant la forme usitée dans le pays : By the proper and
usttal proce9s ofyour court.
* Le Code bavarois (liv. III, ch. m, art. 10) admet un testament
nuncupatif en présence de sept témoins; et le Gode prussien (tit XII,
part. I, art. 172), la faculté d'engager valablement son béritier, de vive
voix et devant témoins, à payer des legs jusqu'à concurrence du vingtièm*
de la succession.
DROIT INTERNATIONAL. 56o
Les condamnations à des peines emportant incapacité de
témoigner, prononcées en pays étranger, n'emportent point
incapacité de déposer en France, suivant le principe général
qui borne TeSet des condamnations pénales aux limites de
la souveraineté sous l'empire de laquelle elles ont été pro-
noncées. Ainsi, nonobstant le lien fédéral qui unit les divers
États de TÂmérique du Nord , on admet que la sentence
rendue dans un de ces États n'emporte point incapacité de
témoigner dans un autre , sauf au jury k tenir compte des
précédents moraux du témoin. (M. Greenleaf, tom. I,
p. 496.)
934. Pour les présomptions simples, comme pour la
preuve testimoniale , il faut s'attacher k la loi du pays où se
sont passés les faits litigieux. (Fcelix, n"" 237.) La question
est plus délicate pour les présomptions légales. A part les
règles particulières du droit international sur l'autorité de
la chose jugée, il semble que le tribunal ne saurait être
astreinte suivre la présomption puisée dans une loi étrangère
qu'au cas où elle se rattacherait au statut personnel, comme
la présomption de paternité pour le mari. Dans toute autre
hypothèse, nous pensons, avec M. Story (§ 630, a), que la
présomption légale ne peut être puisée que dans la loi du
pays où l'affaire est jugée ^
935. La prestation de serment donne aussi lieu assez
fréquemment, dans le droit international, k la délivrance
de commissions rogatoires. Nul doute que la question de
l'admissibilité du serment ne doive être réglée par la loi
qui régit au fond la contestation , et non par celle du pays
où siège le juge appelé k le recevoir. Mais la formule du
serment doit-elle être considérée comme decUoria UtUf
* M. Greenleaf (tom. I , $ 29 et SO) part de ce principe , en traitant de la
présompUon de snrrie, non admise par le droit commun anglais, dans
l'hypothèse des commorientes.
S66 DROIT INTERNiiTIOlfÀL.
Dira-t-on que la fonne et le fond sont inséparables, la
législation étrangère ne regardant certaines déelaraticMis
comme probantes qu'autant qu'elles sont reçues suiyant un
mode déterminé? Il est certain que l'autorité du serment,
dépendant de l'opinion religieuse des parties, peut se troiï-
ver plus ou moins affaiblie, suivant que la formule sera
conçue dans tel ou tel sens. En Belgique , notamment, le
mode de serment est pour les catholiques s « Ainsi Dien
fc m'aide et ses saints I »'et pour les protestants : a Ainsi
a Dieu m'aide et son saint Évangile I » Quand un tribunal
français est chargé par un tribunal de Belgique de recevoir
le serment suivant les formes de ce pays , doit-il y substituer
la formule générale de la loi française? Le tribunal de com-
merce de la Seine l'a décidé en principe le 6 août 1833 :
« Attendu, en droit, que les tribunaux français ne peuvent
« être assujettis k recevoir un serment que dans les formes
(c ordinaires et accoutumées, et suivant l'usage du royaume. »
En fait, le serment fut prêté suivant la forme belge, da
consentement de la partie k qui on le déférait. Mais, si cet
accord n'avait pas eu lieu, la décision du procès pouvait
devenir impossible , au cas où la formule française eût été
Jugée insuffisante en Belgique. Lorsque nos juges procèdent
d'après une délégation des juges étrangers , il convient gé-
néralement d'adopter la formule qui est la seule probante
dans le pays des plaideurs. Hais, en principe, nos tribu-
naux ne sauraient être astreints à recevoir toute espèce de
serment : ce serait manquer à la dignité de la justice que de
consacrer ainsi toute espèce de superstition , jusqu'au féti-
chisme le plus grossier. Dans une autre décision, du S9 oc-
tobre i829, le tribunal de conunerce de la Seine a adopté
un moyen terme entre la formule française et celle dont on
lui demandait l'emploi. Invité par le tribunal de commerce
de Cologne k recevoir le serment de négociants israélites
DROIT INTERNATIONAL. S67
more judaieo (voy. n* 422), il a déclaré dans son jugement
« que, s'il est dit (dans la commission rogatoire) que le sér-
ie ment sera prêté dans les formes prescrites par la religion
« juive , ces formes ne peuvent s'entendre que de celles qui
(( sont susceptibles d'être pratiquées dans l'enceinte de
tt l'audience \ par ces motifs , le tribunal ordonne que , con-
« formément aux prescriptions de la loi juive, MM... pré-
«( teront le serment exigé d'eux , la main placée sur le Dé*
« ealogue, k l'usage de cette religion. » Le tribunal de
Cologne s'est contenté du serment ainsi prêté.
936. Nous pensons aussi que , lorsqu'une recherche est
repoussée comme scandaleuse par la loi française , on ne
doit pas l'admettre, même k l'égard des étrangers. Par une
conséquence naturelle de ce que nous avons décidé en ma-
tière de rétroactivité , la recherche de la paternité ne nous
semble pas admissible en France contre ceux qui ne sont
pas régnicoles, fût-elle autorisée par la loi de leur pays. A
l'inverse, elle est admissible contre les étrangers, par cela
seul qu'elle est autorisée par la loi du pays où la femme a
été séduite. Il est vrai que l'article 196 du Gode du canton
de Yaud n'admet l'action en paternité d'une Yaudoise contre
un étranger qu'autant que la recherche de la paternité serait
admissible dans le pays auquel cet étranger appartient. Mais
cette disposition n'est point l'application rigoureuse des
principes de la matière , et l'on pourrait fort bien considérer
les lois protectrices de l'honneur des femmes conmie des lois
de police et de sûreté , obligeant tous ceux qui habitent le
territoire. (C. clv., art. 3.) Quoi qu'il en soit, de ce que le
Code vaudois est plus favorable aux étrangers qu'aux natio-
naux , il ne s'ensuit pas que l'inverse doive être admis chez
nous , et qu'une Française puisse , quand elle ne pourrait
s'attaquer k un Français, déclarer avec effet un étranger
comme l'auteur de sa grossesse , parce que la loi de Tétran-
568 DROIT INTERNATIONAL.
ger autoriserait de pareilles réclamations \ L'esprit de notre
législation, qui proscrit les recherches de cette nature, en les
considérant, à tort ou k raison, comme aussi inutiles que
scandaleuses, doit faire appliquer la règle d'une manière
absolue. La Gourdecassations'est prononcée encesens. (Rej.,
25 mai 1868.) — Mais, si le jugement qui constate la pater-
nité a été rendu en pays étranger, les tribunaùi français
sont parfaitement fondés à le déclarer exécutoire en France.
(Pau, i7 janvier 1872. Yoy. M. Démangeât sur Fœlix,
tom. I, p. 432, note a.)
937. Enfin, en matière criminelle, la justice étant en
général territoriale et non personnelle , les délits qui don-
neront lieu k des poursuites contre des étrangers, auront
presque toujours été commis sur notre territoire, et les
preuves seront en conséquence celles qui sont établies par
la loi française. On ne conçoit guère l'application d'une loi
étrangère « en pareille hypothèse, qu'en tant qu'il s'agirait
d'une question préjudicielle , relative à des conventions pas-
sées en pays étranger. Il faut remarquer, au surplus, que
soumettre k la loi pénale française pour la preuve, aussi
bien que pour le reste de l'instruction , les étrangers qui
commettent un délit sur le territoire , ce n'est qu'appliquer
le principe général , suivant lequel la preuve est régie par
la loi du pays où les faits se sont passés. D n'en est plus de
même au cas où il s'agit de délits commis en pays étranger,
soit par un Français, soit par un étranger, lorsque la loi
française (C. d'inst., art. 5-7, modifiés par la loi du 27 juin
1866) en autorise exceptionnellement la poursuite devant
les tribunaux français. L'adage Locus régit actum, supposant
une convention implicite, ne s'est jamais appliqué aux dé-
* La jurisprudence allemande présente beaucoup de diversité sur cette
question délicate. (Voy. les jugements cités par M. de Savigny, tom. VUI ,
trad. franc., p. 276, note.)
DROIT INTERMATIONàL. 569
iits. L'étranger qui attaque la sûreté ou la fortune de la
France, et, dans tous les cas, le Français qui enfreint nos
lois pénales en pays étranger , devaient connaître ces lois \
dès lors ici, comme en ce qui concerne l'effet rétroactif, les
juridictionscriminellesnesauraientappliquer d'autre législa-
tion que la loi actuellement en vigueur dans le pays où elles
s^exercent.
938. Quelque respectables que soient le principe de la
nationalité et celui de la non-rétroactivité des lois, puissent
nos neveux voir se réaliser l'époque où, suivant les expres-
sions de Cicéron (De RepubL ) , non erit alia lex Romœ, aUa
AtkeniSf cUta nunc, alia poBthac; sed et omnet gentes et omni
tempore una lex et tempiterna, et mmortaliê, cantinebU!
FIN.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME SECOND
SUITE DE LA DEUXIÈME PARTIE
LTVRE DEUXIÈME. — PreuTes préconstitaées, — écrites. ... 1
Premier mode de preuve PRécoNSTiméE. — Acte authentique. . 9
l** Section. — En matière dyîLe • 10
1" Division. — Des actes notariés 11
!•' Point, — Forme de ces actes 20
$ 1. Conditions essentielles à leur validité intrinsèque. 22
$ 2. Effet de Pabsence de ces conditions 47
S 3. Formes extrinsèques 54
2« Point. — Foi des actes authentiques 62
S 1. Que prouvent ces actes 68
S 2. Foi des contre-lettres 78
2* Division. — Foi des actes de l'état civil. .,.•.... 94
§ 1. Naissance et décès 109
$ 2. Mariage 116
§ 3. Filiation 118
1« Légitime 123
2« Naturelle 134
2* Section. — En matière criminelle 152
1" Division. — Procès*verbaux 154
S 1. Conditions essentielles pour leur validité 159
$ 2. Foi qui y est attachée 168
2* Division. — Emploi au criminel des actes authentiques
ordinaires 177
8* Section. — Inscription de faux - 183
ira Division. — Faux civil 195
§ 1. Procédure à fin d'être admis à Pinscription. ... 197
S 2. Procédure à fin d'être admis à la preuve des
moyens 206
§ 3. Procédure tendant à la preuve du faux 214
§ 4. Issue de la procédure 225
2* Division. — Faux incident criminel 232
Deuxième mode de preuve PRécoNSTiTCÉE. — Écritures privées. 238
1'* Section. — Acte sous seing privé 230
!'• Division. — Foi de cet acte 243
§ 1. Entre les parties 244
$ 2. A l'égard des tiers. . . . , 275
2« Division. — Vérification des écritures 293
§ 1 . Procédure tendant à la reconnaissance de l'écrit. 296
S 2. Vérification de l'écrit 800
§ 3. Jugement définitif 814
$ 4. Inscription de faux quant aux écrits privés. . . 318
572 TABLE DES MATIÈRES.
3* Section. — Écritares non signées 331
Z* Section. — Tailles 333
4' Section. — Foi des écrits privés a« criminel 337
Troisième mode de preote raicoNSTiTUÉE. — Livres des mar-
chands i 34&
!•• Section. — Foi entre commerçants 347
3* Section. — Foi vis-èkYis des particoUers 3&3
Aptendice. — Preave de prenre littérale 359
$ 1. — Actes récognitifs 339
S 3. — Ck>pîes 369
TROISIÈME PARTIE
VBiSOWTIOHl 333
LIVRE PREMIER. — Présomptions simples 338
l'« Section. — En matière civile 389
3* Section. — En matière criminelle 39S
$ 1. Admissibilité des indices 395
S 3. Leur classification 403
$ 8. Leur discussion 407
LIVRE DEUXIÈME. — Présomptions légales 410
if* Section. — En matière civile 413
3* Section. — En matière criminelle 434
$ 1. Présomptions propres au droit pénal 430
$ 3. Présomptions empruntées au droit commun. . . 435
3* Section. — Autorité de la chose jugée 438
!'• Division. — Au civil 453
$ 1. Identité de la question 456
1» Identité du droit 456
3° Identité de Pobjet 460
S« Identité du titre 467
$ 3. Identité des parties et des qualités 475
3* Division. — Au criminel 498
$ 1. Identité d'objet 501
S 3. Identité de cause 503
$ S. Identité de personne 513
3« Division. — Influence respective du civil et du criminel. 517
S 1. Du dvil sur le criminel 517
$ 3. Du criminel sur le civil 531
QUATRIÈME PARTIE
XFFXT RÉT&OACJTIF BT B&OIT ■ M'fyHy AyT^jff ^^, 544
!'• Section. — Effet rétroactif 548
3" Section. — Droit international 555
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES
.5 ?