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Full text of "Travaux de l'Academie (Imperiale, Nationale) de Reims"

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A 


SEANCES  ET  TRAVAUX 


DE 


L'ACADEMIE  DE  REIMS. 


/    /  - 


^-.ij^iasu 


SEANCES 


KT 


TRAVAU 


DE  L'ACADEMIi:  DE  RE[MS. 


i^   TRIMESTRE    1850.    —    I  <■'    TRBIESTRE    1851, 


p.       REG  NIER,       IMPRIMEUR       D  K       l'aCADF,  MIE, 
BRISSART-BINET,    LIBRAIRF.    DE    (.'aCADEMIE. 


WOCICLI 


I 


I 


TUAVAIX  M  VMADMe  M  HEIHS. 

ANNEE  1850-1851. 
A°  1.  —  Trimestre  d'Octobre  1850. 


ALLOCUTION 
de  M.  Max.  Sutaine  ,  President. 

Keanre  du  S  IVovenibre  ISSO. 


7^ 


Messieurs , 

Nous  nous  reunissons  pour  la  premiere  fois  depuis 
le  jour  oil  vous  m'avez  fait  I'honneur  de  m'appeler  i 
la  presidence.  Permettez-moi  done  ,  avant  de  recom- 
mencer  nos  travaux,  de  vous  exprimcr  ma  reconnais- 
sance la  plus  sincere.  Get  honiieur,  je  Tapprccie  bien 
haul.  Messieurs  ;  Dieu  veuille  seulement  qii'il  ne  soil  pas 
au-dessus  demes  forces  comme  il  est  au-dessus  de  mon 
merite.  Je  compte  beaucoup  sur  I'indulgence  de  la 
Compagnie ;  je  compte  surtout  encore  sur  I'excellent 
esprit  d' union  et  de  bonne  confraternite  qui  n'a  cesse 
de  I'animer ,  et  qui  a  fait  sa  prosperite  jusqu'ici 
»  1 


11  est  bien  rare  ,  MM.  ,  qu'au  bonheur  dc  nous  re- 
trouvef  ensemble  cliaque  annee  ,  ne  vienne  se  meler 
quelque  amer  souvenir ,  quelque  penible  regret :  cello 
qui  vient  de  s'ecouier  nous  a  ete  fatale  ;  elle  nous  a 
enleve  noire  vt'-nerablc  doyen  ,  M.  le  \"=  Kuinart  de  Bri- 
mont.  Tons  ceux  qui  "I'ont  connu  ,  savenl  combien  le 
videqu'il  alaisse  dans  nos  rangs  sera  difficile  a  combler; 
espi'rons  que  la  mort  ^era  plus  clemente  pour  nous 
cette  annee. 

Si  nous  avons  un'triste  souvenir  a  enregislrer,  nous 
avons  heureusement  aussi  un  grand  sujet  de  joie  a 
sitrnaler  :  I'elevation  de  Mgf  I'archeveque  a  la  dignite 
de  Prince  de  I'Eglise  est  un  glorieux  evenement  pour 
nous,  .MM.  --  La  haute  marque  de  distinction  si  jus- 
tement  meritee  dont  vient  d'etre  lionore  notre  illustre 
fondateur  ,  en  jetant  un  nouveau  lustre  sur  la  Compa- 
gnie,  lui  impose  en  meme  temps  aussi  de  plus  grandes 
obligations.  L'Academie  de  Reims  :n'oubliera  pas  que, 
de  meme  que  I'Academie  frangaise  ,  elle  devra  son  exis- 
tence a  un  cardinal ,  et  elle  s'elTorcera  de  justifier , 
comme  sa  saur  ainee,  sa^glorieuse  originc  ! 


SCIENCES. 

.  RELATION 

DU  CHOLfiRA-MORBUS,  QUI  A  RfiGNfi  A  SUIPPES  EN  1849; 

Par  le  Doctcur  SEURE, 
Medecin  ^  Suippes  et  Membrc  correspondant  de  I'Academie. 

(Seance  du  8  Novembre  1850.  j 

Le  cholera-morbiis  sevissait  depuis  plusieurs  semaines 
sur  divers  points  du  departement  de  la  iMarne.  lors- 
qu'une  epidemie  de  cholerine  se  manifesta  dans  la 
petite  villa  de  Suippes,  vers  le  milieu  du  mois  de  mai 
1S49.  Elle  disparut  a,  la  fin  de  juin,  apres  avoir  atteint 
d'une  maniere  plus  ou  moins  intent;e  la  presque  to- 
talite  de  sa  population.  Cette  maladie  ne  constituait, 
dans  la  grande  majoritc  des  cas,  qu'une  indisposition 
tres  legere,  n'occasiobnant  que  de  faibles  coiiques,  ac- 
compagnees  d'un  peu  de  devoiement,  ou  seuleinent  de 
borborygmes,  avec  sentiment  dune  diarrhee  immi- 
nente ,  et  le  plus  souvent  sans  derangement  de 
I'appetit.  Plus  raremf^nt  il  survenait  des  coiiques 
assez  vives,  une  diarrhee  qui  durait  de  un  a  quatre 
jours ,  des  nausees,  de  linappetence ,  des  lassitudes 
spontanees,  une  faiblesse  generale ,  quelques  douleurs 
sourdes  et  instantanees  paraissant  suivre  la  direc- 
tion des  muscles  des  membres  et  de  la  region 
posterieure  du  tronc.  Chez  quelques  per^onnes^  aux 
symptomes  precedents  se  joignaient  des  crampes  dans 
les  membres,  et  plus  particulicrement  dans  lesjambes. 
Une  jeune  dame  de  vingt-six  ans,  qui  n'etait  nulle- 
ment   indisposee,   et   qui   avait  pris,  quelques  instants 


_  4  — 

auparavant.  pour  son  dejeuner,  une  tasse  de  cafe  au 
lait,  comme  elle  en  avail  I'habitude,  eprouva  tout-a- 
coup  dans  le  ventre  de  violentes  coliques  auxquelles 
vinrent  bientot  se  joindre  des  crampes  horriblement 
douloureuses  dans  toutes  les  parties  du  corps,  mais 
surloul  au  visage,  aux  mains  et  aux.  pieds.  La  pauvre 
malade  deineura  six  huures  dans  cet  etat,  eprouvant 
a  de  longs  intervalles  quelques  instants  de  relache 
mais  pourlant  ne  ccssant  pas  de  jeter  des  cris  per- 
cauts,  arraches  par  I'acuite  de  ses  souffrances. 

La  terminaison  de  la  cholerine  fut  toujours  prompte 
ct  heureuse,  excepte  chez  deux  malades  des  plus  gra- 
vemenl  atteints,  el  chez  lesquels  des  ecarts  de  re- 
gime commis  pendant  la  convalescence  amenerent  une 
ficvre  typhoiJe,  dont  Inn  guerit  lun  jeune  gar(:on  de 
seize  ansi,  et  a  laquelle  I'autre  {um  femme  de  cia- 
quante  ans},  succomba  au  bout  de  six   semaines. 

Le  plus  grand  nombre  des  personnes  qui  furent  at- 
teinles  de  la  cholerin",  iw.  suivirent  aucun  traitement; 
on  considerait  lindi.-po-ition  comme  trop  legere  pour 
V  faire  attention.  Aux  malades  qui  reclamerent  mes 
soins,  je  pre.-crivis  les  moyens  generalement  conseilles, 
c'est-a-dire  une  diele  relative,  le  repos,  des  boissous 
k'^eremenl  astringenles.  des  quarts  de  lavcMiient  ami- 
laces.  Dans  les  cas  les  plus  graves,  des  bains  entiers 
liedes,  prolonges  pendant  deux  heures,  produisirent  uii 
tres  bon  efTet,  en  fai.-ant  cesser  rapidement  les  co- 
liques,  les  crampes  et  les  douleurs  musculaires.  La 
diarrhee  cedait  facilement  aux  pilules  de  cynoglosse, 
de  dix  centigrammes  chacune ;  une  seule  par  jour 
suffisait  ordmairement,  mais  quand  les  selles  se  re- 
nouvelaient  souvent,  j'en  faisais  prendre  une  matin  et 
soir.  Cependant  elles  furent  impuissantes  dans  quel- 
ques cas  oil  les  vomitifs,  donnes  avec  menagement, 
arreterent  le  devoiement. 

11  V  avail   pres  d'un  mois  quo   la  cholerine   regnait 


—  5  —  \ 

i  Suippes  ,  lorsqu'un  premier  cas  de  cholera  se 
manifesta  sur  M.  L.  ,  ancinn  fabricant  de  bas,  en  ce 
moment  retire  des  affaires,  et  s'occiipant  des  travaux 
des  champs.  M.  L...  etait  arrive  le  14  juin  de 
Paris,  ou  il  venait  de  passer  quelques  jours  en  vi- 
sile chez  des  parents.  Trois  iours  avant  de  quitter 
cette  ville,  11  fut  pris  de  devoiement,  et  cependant, 
malgre  cette  indisposition,  malgre  ses  soixante-douze 
ans,  11  entreprlt   le  voyage  b.  pied. 

11  fit  le  trajet  fquarante-cinq  lieuesj  en  moins  de 
trois  jours,  ne  pouvant,  me  'dll-11,  aller  plus  vite,  a 
cause  du  temps  qu'il  perdait  chaque  fois  que  se  fai- 
sait  sentir  le  besoin  d'aller  a  la  selle.  Pendant  son 
sejour  a  Paris,  11  cut  un  mal  de  gorge  qui  lul  affal- 
blit  beaucoup  la  voix,  et  pendant  lequel  il  eprouva 
souvent  le  hoquet. 

A  son  retour  a  Suippes,  11  ne  se  plaignit  pas  d'etre 
trop  fatigue,  11  soupa  comme  a  I'ordinaire,  se  coucha 
et  passa  une  assez  bonne  nuit,  sauf  le  derangement 
cause  par  trois  ou  quatre  selles.  Le  15  juin,  II  se 
llvra  a  ses  occupations  journalieres,  et  alia  dans  les 
champs  faire  de  I'herbe  pour  ses  vaches.  Dans  I'apres- 
midi,  le  devoiement  devint  plus  frequent,  toujours  sans 
colique,  et  cependant  11  soupa  le  soir  et  maiigea  de 
la  salade.  La  nuit  suivante,  il  eiit  au  moins  quinze 
selles,  quelques  crampes  dans  les  jambes  et  aux  pleds, 
et  pas  de  sommeil ;  en  meme  temps  il  eprouva  une 
soif  vlve,  et  quitta  plusieurs  fois  son  lit  pour  aller 
bolre  de  I'eau  froide  a  discretion.  Le  lendemain,  dans 
la  matinee,  le  devoiement  augmenta,  et  les  selles, 
devenues  blancliafres,  glaireuses,  tres  liquides  et  In- 
fectes,  se  renouvelaient  toutes  les  deml-heures,  ac- 
compagneesde  forts  gargouillements.  Bientot  survinrent 
des  vomlssements,  composes  d'aliments  d'abord,  puis 
de  matieres  bilieuses,  puis  de  toutes  .les  boissons  In- 
gerees  5    les   urines   devlnrent    rares,    les  crampes   in- 


—   6  — 

tenses.  La  faiiiille  du  maiade  voulait  alors  me  faire 
appeler,  mais  celui-ci,  se  doutant  quil  avail  la^ma- 
ladie  qui  rognait  a  Paris  pendant  qu'ii  y  sejournait, 
s"y  opposa,  dans  la  crainte  que  la  chose  ne  fiit  ebruitee, 
ct  qu'on  ne  I'accusat  dans  le  public  de  I'avoir  rapportee 
dans  son  pays.  CY'tait  bien,  en  effet,  le  cholera-morbus, 
comme  il  sera  plus  facile  de  le  reconnaitre  plus  bas.  D'ail- 
leursjavais  vu  assez  decboleriques  en  l832,d'abor(J  dans 
les  hopitaux  de  Paris,  puis  a  Saint-Remy-en-Bouze- 
mont,  dans  ce  departenient,  pour  qu'il  ne  inc  re^tat 
pas  le  moindre  doute  sur  la  nature  de  cctte  maladie. 
Cependant,  comme  les  accidents  faisaient  de  rapides 
progres,  le  malade  coa?eutit  a  ce  que  Ton  viut  me 
chercher  dans  I'apres-midi,  et  k  trois  houres  jc  le 
trouvai  dans  lelat  suivani  : 

11  se  tient  couche  sur  Tun  ou  I'autre  cote  iiidiffe- 
reniment,  et  replii  sur  lui-meme,  il  dit  n"eprouver 
d'autre  malaise  qu'nne  grande  faiblesse  et  un  sentiment 
de  chaleur  briilante  a  linterieur,  qui  I'excite  a  re- 
pousser  ses  couvertures.  Cependant  la  peau  est  froide 
au  nez,  aux  oreilies,  aux  mains,  aux  jambes,  et  sur- 
tout  aux  pieds ;  toutes  ces  parties  sont  colorees  d'une 
teinte  \iolacee  Ires  apparente  ;  aux  mains,  la  peau  est 
ridee,  comme  si  elles  avaient  longtemps  maccre  dans 
Teau,  et  les  plis  que  Ton  y  fait  s'effacent  lenlement; 
la  chaleur  du  tronc  est  a  peu-pres  naturelle  ;  le  vi- 
sage, sensiblement  amaigri,  est  Ires  altere-,  les  yeux 
sont  caves  et  cernes;  extinction  complete  de  la  voix  ; 
respiration  facile;  langue  blanche,  luimide,  tiede ;  bou- 
che  pateuse  :  soif  moderee  ;  le  malade  prefere  les 
boissons  froideS;,  qu'il  vomit  presque  aussitot  leur  in- 
gestion, quelque  faible  qu'en  soit  la  quaniite;  tousles 
quarts-d'hpure  une  selle  blanche,  fetide,  semblable  a 
une  decoction  de  riz  5  ventre  souple,  un  peu  retracte, 
indolent ;  suppression    des  urines    depuis    la   veille  au 


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soir;  pouls  j  faible,  a  95°  h  la  minute,  avec  quelques 
intermiltences  ;  crampes  moins  frequentes  que  dans  la 
matinee. 

Je  prescrivis  de  donner  iramediatement  un  bain 
entier  de  deux  heures,  a  30  dcgres  Reaumur,  avec 
addition  de  500  grammes  de  carbonate  de  sonde,  et 
au  sortir  du  bain,  d'essuyer  rapidement  le  malade 
avec  dcs  serviettes  cluuidos,  puis  de  I'envelopper  dans 
une  couverture  de  laine  bien  chauffee,  et  de  le  cou- 
cher  aussitot  dans  un  lit  basMne ,  avec  des  cruchons 
d'eau  cliaude  aux  pieds  et  sur  les  parties  laterales  des 
jambes.  II  devait  rester  une  heure  au  moins  dans 
celts  position,  apres  quoi  on  retirerait  la  couverture 
de  laine,  puis  on  lui  remetlrait  sa  chemise,  et  on  lui 
rendrait  la  liberte  de  ses  niembres^superieurs.  A  partir 
de  ce  moment,  il  devait  prendre  toutes  le^,  deux  heures 
un  quart  de  lavement  a  I'eau  de  pavots.  A  I'interieur 
je  lui  donnai  tons  les  quarts  d'heure  une  cuilleree°ii 
boucho  d'une  potion  gommeuse  contenantj  30  goulles 
d'ether  sulfurique,  et  autant  d'eau  dislillee  de  laurier- 
cerise,  et  pour  boisson  de  I'eau  froide  et  de  I'eau  de 
riz  edulcoree  avec  le  sirop  de  grosjilles,  a  Ma  dose 
d'une  seule  gorgee  a  la  fois. 

Le  17  ,  a  sept  heures  du  matin  ,  j'apprends  du  malade 
que  les  vomissemcnts  ont  cesse  des  les  premieres  cuil- 
lerees  de  la  potion  ,  mais  qu'il  a  eu  pendant  la  nuit 
une  quiuzaine  de  selles  ,  dont  les  dcrnieres  etaient  colo- 
rees  d'un  jaune-brun  ;  qu'il  a  pris  une  heure  de  sommeil 
dans  la  matinee  ;  qu'il  a  eu  une  seule  crampe  dans  la 
jambe  gauche.  Du  reste  ,  je  constate  que  la  cyanose 
est  plus  prononcee  aux  mains  et  aux  pieds ,  que  le 
refroidisscment  est  le  meme  ,  que  le  pouls  ,  plus  faible  , 
toujours  intermittent,  est  a   100  pulsations. 

II  prond  dans  la  matinee  une  pilule  de  cynoglosse , 
des  quarts  de  lavement  avec  I'amidou  et  I'eau  de  pavots , 
et  un  bain  chaud  ,  comme  la  veille  ,  avec  750  grammes 


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de  carbonate  de  soude  ;  apres  le  bain  ,  memes  soins  que 
la  veille  ;  continuation  dcs  boi&sons  en  tres  petite  quan- 
tite. 

Dans  la  journee  ,  quatre  selles  jaunes  glaircuses  ,  avec 
excretion  d'un  peu  d'urine  cliaque  fois,  pas  de 
vomissements  ,  quelques  hoquets  ,  pas  de  crampes. 
Sur  le  soir,  la  reaction  commence  a  s'operer ,  la  peau 
est  moins  froide  ,  le  visage  moins  alttire  ,  hi  cyano<e 
moins  apparente  :  le  malade  prend  une  secondc  pilule 
de  cynoglosse ,  et  peu  de  temps  apres  il  s'endort  dun 
sommeil  calme    qui  dure  plusieurs  heures. 

Le  18,  au  matin,  il  se  trouve  bien ,  I'expression  de 
la  figure  est  bonne  ,  les  exlremites  ?e  rechaufTent  ;  ce- 
pendant  il  y  a  de  la  secheresse  a  la  langue  ,  un  peu  de 
surdite  ,  des  tintements  doreilles  .  nne  injection  assez 
marquee  aux  conjonctioiis  ;  le  pouls  re.^te  a  100",  avec 
queiques  irregulariles  ,  niais  moins  de  concentration.  Le 
raalade  prend  un  bain  simple,  a  la  meme  tempera- 
ture que  les  precedents  :  peu  de  temps  apres  ,  les  mains 
et  les  pieds  se  rechauffent  completement ;  la  peau  re- 
prend  son  elasticite  naturelle  ,  et  le  pouls  descend  a 
90".  A  parlir  de  ce  moment ,  le  mieux  fait  de  rapides 
progres  chaque  jour  ,  et  le  malade  commence  a  prendre 
du  bouillon  et  de  I'eau  rougie  ,  les  forces  et  la  voix 
se  retabli^sent  peu  a  peu  ,  en  meme  temps  que  dis- 
paraissent  les  tintements  d'orcilles  et  la  surdite ,  la 
secheresse  de  la  langue  et  le  hoquet ;  de  telle  sorte  que 
des  aliments  solides  peuvent  elre  digcres  facilement  des 
le  24juin  ,  jour  ou  le  pouls  avait  reprisson  type  normal. 

L'apparition  de  ce  premier  cas  de  cholera  parfaite- 
ment  caracterise  ,  devait-elle  nous  faire  craindre  une 
epidemic  plus  ou  moins  etendue  ,  a  raison  des  condi- 
tions hygieniques  defavorables  dans  lesquelles  il  se  ma- 
nifestait?  Ou  bien  pouvait-on  le  considerer  corame  un 
fait  isole,  dont  la  cause  devait  etre  recherchee  ailleurs 
(|ue  dans  hs  influences  locales  ,   le  malade  arrivant  de 


—  9  — 

Paris  avec  une  diarrhee  contractee  au  foyer  de  I'epi- 
demic?  Confiant  dans  Fimmunitc  dont  la  ville  de  Suippes 
avail  joui  en  1832,  et  rassiire  dailleurs  par  une  con- 
viction bien  etablie  sur  la  non-contagion  de  cette  ma- 
ladie ,  je  me  persuadai  facilement  qu'elle  ne  prendrait 
pas  d'extension  parmi  nous ;  mais  revenement  ne  tarda 
pas  a  delruire  mon  espoir,  car  deux  nouveaux  cas  se 
presenlercnt  a  quelques  jours  d'intervalle. 

En  effet,  madame  L.  ..  ,  femme  du  precedent  ,  fut 
prise  de  devoiement  le  20  juin,  pendant  qu'elle  donnait 
a  son  mari  les  soins  les  plus  assidus ,  et  alors  qu'il 
comraenQait  a  bien  aller  •,  cette  dame  est  agee  de  64 
ans  ,  elle  est  sujette  a  de  violentes  douleurs  de  tete. 
Le  lendemain  ,  les  selles  devionnent  frequcntes  et  per- 
dent  de  leur  couleur  a  mesure  qu'elles  se  renouvellent; 
de  telle  sorte  qne,  pour  le  soir,  elles  etaient  blanches 
comme  de  Teaudeson.  En  meme  temps  elle  eprouve  un 
sentiment  de  malaise  general  et  une  grande  lassitude.  Je 
conseille  a  madame  L...  le  repos,  une  pilule  de  cy- 
nogiosse  le  matin  et  une  le  soir,  des  quarts  de  lave- 
ment avec  I'amidon  ,  do  I'eau  de  riz  pour  boisson  ,  et 
du  riz  pour  tout  aliment.  Malgre  ces  precautions  ,  la 
nuit  suivante  fut  mauvaise  ,  les  selles  se  repcterent  tons 
les  quarts  d'heure.  Aussi  ,  le  22  au  matin  ,  force  fut  a 
la  malade  de  garder  le  lit  5  elle  avail  des  nansees,  une 
grande  oppression  ,  de  la  pesanleur  a  ^epiga:^tre  :  elle 
prit  une  pilule  de  cynoglosse,  qu'elle  vomit  pen  de  temps 
apres  avec  des  malicres  bilieuses  abondantes.  Vers  midi, 
elle  eut  de  fortes  crampes  dans  les  jambes  ,  la  soif  ecait 
grande  ,  la  langue  blanche  et  seche  ,  la  peau  chaude  , 
le  pouls  assez  developpe  ,  a  90";  d'un  autre  cote ,  le 
visage  etait  altere ,  la  voix  eteinte ,  les  yeux  exca- 
ves  ,  les  urines  rares.  On  plonge  la  malade  dans  un 
bain  h  32"  Fieaumur  ,  contenant  en  dissolution  750  gr. 
de  sonde  du  commerce  •,  elle  s'y  trouve  bien  et  y  de- 
meure  deux  heures.     Cependanl  d'antres  vomissements 


—  iO  — 

rapproches  succedent  au  premier-,  les  crampes  devien- 
nent  plus  aigues  et  reparaissent  au  moinrlre  mouvement. 
On  donne  tous  les  quarts  d'lieure  une  cuillerce  d'une 
potion  gommeuse  contenant25  gouttes  d'ethcr,  15  gouttes 
d'eau  distillee  de  laurier  cerise,  et  6  gouttes  de  lau- 
danum •,  dans  les  intervalles ,  une  seule  gorgee  d'eau 
froide,  ou  de  I'eau  de  graine  de  lin  edulcoree  avee  le 
sirop  de  groseilles.  A  six  heures  du  soir  ,  les  selles 
sont  incessantes  et  involontaire^  ,  blanches  ,  d'une  feli- 
dite  insupportable  :  la  soif  est  plus  vive ;  appetence 
de  boissons  ii  la  glace  ;  malaise  extreme  •,  tintements 
d'oreilles ;  a?soupissemenl  •,  nez  froid  •,  partout  ailleurs 
la  peau  est  cliaude  ;  pouls  faible,  irregulier  ,  a  80°.  Un 
dernier  vomissement  a  lieu  a  sept  heures  du  soir ,  et 
il  est  compose  de  matieres  vertes ,  visqueuses.  Grande 
agitation  pendant  la  nuit  •,  pas  de  sorameil  ;  crampes 
plus  fortes  et  plus  frequentes ;  soif  ardente  ;  urines 
nulles. 

Lc  23  ,  a  sept  heures  du  matin  ,  refroidissement  des 
levres  ,  des  oreilles,  des  mains  ,  des  pieds  et  des  jambes  5 
toules  ces  parties  sont  fortement  cyanosees;  perte  del'elas- 
ticite  de  la  peau  •,  abattement  extreme ;  prostration  des 
forces;  voix  entierement  eteinte;  assoupissement  presque 
constant  5  grande  anxiete  ;  parole  haletante  et  difficile  ; 
sentiment  de  chaleur  brulante  tres  incommode  a  I'epi- 
gastre  et  au  de\ant  de  la  poitrine;  gargouillcments  in- 
testinaux  s'cntendant  ^  distance;  la  malade  repousse  ses 
couvertures,  parce  que,  dit-elle,  elle  etouffe  de  chaleur; 
le  pouls  est  petit,  faible  ,   a  100°. 

Prescription  :  une  pilule  de  cynoglosse  a  prendre  le 
matin  ;  uu  bain  chaud  de  deux  heures ,  prepare  comme 
la  vcille  ;  tous  les  quarts  d'heure  ,  un  verre  d'eau  alu- 
minec  en  lavement ;   memes  boissons. 

La  journee  se  passe  sans  changement  remarquable ; 
cependant ,  vers  huit  heures  du  soir ,  la  chaleur  etait 
un  peu  revenue  aux  extremites  ;  le  facies  etait  moiOvS 


~  li  — 

alterc ;  le  pouls  s'etait  relove  lU  ne  battait  plus  que 
90  fois  ;  les  crampes  avaient  disparu  ;  les  sellcs  ,  qui 
n'avaient  plus  lieu  que  toutcs  les  demi-lieurcs  ct  qui 
n'ctaient  plus  involontaires  ,  etaient  composees  de  ina- 
tieres  verdalres ;  ia  malade  s'inquiete  beaucoup  de  ce 
qu'elle  n'a  pas  urine  depuis  la  veille  ,  et  cependant  elle 
n'en  eprouve  aucun  besoio  ;  toutes  les  parties  de  I'ab- 
domen  sont  sensible?  a  la  pression  ;  il  y  a  un  peu  moins 
de  prostration.  On  continue  les  memes  lavements,  mais 
seulement  toutes  les  deux  heures.  La  nuit  n'esl  pas  trop 
mauvaisc  ;  il  y  a  un  peu  de  sommeil,  les  vomissements 
cessent,  ct  les  selles  deviennent  de  moins  en  moins 
frcquentes, 

Le  24,  a  ma  visite  du  matin,  meme  etat  que  la 
vcille  an  soir.  La  malade  prend  une  pilule  de  cyno- 
giosse  et  un  bain  alcalin  cluuul ,  comme  les  jours  pre- 
cedents. Depuis  ce  moment,  plus  de  selles  ,  sice  n'est 
apres  les  lavements  a  I'eau  de  son  qu'on  lui  admi- 
nislre  ,  et  qu'elle  conserve  assez  longtemps.  Mais  dans 
lajournee,  hoquets  frequents,  visage  fort  colore  ,  pouls 
a  100"  ;  cependa  it  la  nuit  est  asscz  calme  ;  un  peu 
de  sommeil. 

Le  25,  assoupissement  contiHuel,  visage  plus  co- 
lore, conjonctives  tres  injectees,  parole  embarrassee, 
lioquet  plus  frequent  5  aux  extremites,  la  cyano?e  est 
remplacee  par  une  coloration  d'un  rouge  fonce ;  six 
sangsues  a  lanus  5  apres  les  sangsues,  un  bain  tiede 
simple. 

Le  26  ;  etat  comuteux  tres  prononce;  visage  d'un 
rouge  pourpre,  yeux  moins  excaves,  mais  fixes  et 
plus  fortemen!  injecles  ;  il  est  dil'licile  de  faire  sortir 
la  malade  de  son  assoupissement,  et  lorsqu'on  y  par- 
vient,  elle  fait  de  grands  efforts  pour  se  metfre  a  son 
scant,  regarde  fixement  avec  bcbetude,  et  repond  avec 
beaucoup  de  lenteur;  la  langue  est  embarrassee,  la 
voix    cassee,    tremblante   :    six    sangsues   derriere    les 


—  12  — 

oreilles ,  fomentations  vinaigrees  'tres  chaudes  sur  les 
extremites  inlerieures  •,  compresses  refrigerantes  sur  la 
tete;  un  vesicatoire  a  cliaque  cuisse. 

Le  27,    augmentation   ties  symptomes  de  congestion 
cerebrale  ;   soif  inextinguible  ;   respiration   stertoreuse ; 
refroidisscment  dcs  extremites,    qui   se  couvrent  d'une 
sueur  visqueuse  ;  pouls  ralenti ,  irregulier,  tres  depres- 
sible  ;  ventre  ballone  ;  toujours  pas  d'urines  ;  agitation 
extreme ;    plaintes    exprimant   le   sentiment   d'une    Tin 
prochaine  ;  continuation  des  applications  froides  sur  la 
tete   et  des  revulsifs  sur  les  jambes  et  sur   les    pieds ; 
un  quart  de  lavement,   avec  25  centigrammes  de  sul- 
fate   de    quinine.   -    Malgre^  ces  moyens,  le   pouls  va 
se   ralentissant  de    plus   en    plus,    et   ne    donne   plus 
que  54  pulsations  dans  la  matinee  du  28  ;   en   ce  mo- 
ment la   vue  s'obi^curcit ,    I'intelligence  se  trouble ,   le 
refroidissement   fait    de    rapides   progres ,    et  enfin   la 
mort  arrive  ce  meme  jour  vers  deux  heures  du  soir. 
Deux  jours  aprcsrapparition  de  ce  second  cas  de  cholera, 
un  troisieme  cas  se  manifesta  sur  un  jardinier  de  64  ans , 
dont  I'babilation  est  fort  eloignee  de  celle  des   deux    pre- 
miers malades,avec  lesquels,  du  reste,iln'avait  eu  aucune 
relation  directe  niindirecle.  Get  homme,  d'une  petite  sta- 
ture, mais  d'une  bonne  sante  habitu^lle,   faisait  souvent 
abus  de  liqueurs  alcooliques,  et  surtout  d"eau-de-vie.  II  fut 
pris  de  la  cholerine   le   23  juin.  Cependant,  malgre  la 
perte    de   son  appelit ,    et  bien  qu'il   eiit  des  douleurs 
continues  dans  les  membres  et   aux  reins,    il   travailla 
corame   d'ordinaire,    prenant    ses  repas,    et  buvant  de 
I'eau-de-vie  et  du  vin  comme  s'il  eut  ete  bien  poriant. 
Le  lendemain ,  son  elat  etait  le  meme  ,  seulement  les 
selles    etaient    plus  frequenles ;  pourtant    11  retourna   a 
sa  besogne  et  ne  manqua  pas  de  boire   de  I'eau-de- 
vie    en    assez    grande    quantite    pour   se    donner   des 
forces;    mais  au  lieu  d'augmenter,    les  forces    dimi- 


—  IS  —    . 

nuerent ;  les  selles  devinrent  plus  frequentes  et  le  malaise 
plus  cunsid  Table.  Crpendant  il  prlt  son  dernier  repas 
comme  de  coulume,  a  liuit  heures  du  soir.  Une  lieure 
s'etait  A  peine  ecoulee,  qu'il  survint  des  vomissements 
nombreux  composes  d'abord  des  aliments  de  son  sou- 
per  ,  puis^de  matieres  liquides  claires  comme  del'eau; 
presque  au-sitot  les  sflles  furent  rapprochees  et  res- 
semblaient  parfaitement  a  de  I'eau  de  riz.  En  meme 
temps  il  eprouva  des  crampes  aigues  dans  les  mem- 
brcs  superieurs  et  inferieurs,  puis  du  refroidissement 
au  nez,  aux  oreilles ,  aux  levres ,  au  menton ,  aux 
mains  et  aux  pieds. 

On  m'appelle  vers  onze  heuvcs  du  soir  :  les  extre- 
mites  etaient  froides  et  fortement  cyanosees  ;  la  peau 
avail  perdu  son  elaslicite  et  semblait  avoir  macere 
dans  I'eau ;  visage  profondement  amaigri ;  yeux  vi- 
treux ,  cernes,  excaves  ;  voix  eteinte  ;  crampes  vives 
aux  quatre  membres  ;  toutrs  les  cinq  minutes  une  selle 
sereuse  ,  blanchatre  ,  avec  dps  raclures  de  boyaux  ; 
pouls  filiformc,  a  peine  perceptible,  a  110";  sentiment 
de  clialeur  bruiaute  a  i'epiga-^re  ^  anxiete  des  plus 
grandes;  aneantissement  dos  forces,,  douleur  aigue  a 
la  region  precordiale ;  respiration  difficile ,  anxieuse ; 
langue  blanche,  froide  ,  coUante  ,•  soif  ardente  5  les 
boi  sons  sont  vomies  aussitut  leur  ingestion. 

Prescription  :  potion  etheree,  avec  deux  centigrammes 
de  sulfate  de  morphine,  par  cuillerees,  tons  les  quarts 
d'heure  5  quart  de  lavement  avec  I'amidon  toutos  les 
demi-heures  ;  autour  du  malade  ,  cruchons  d'eau 
chaude  ^  bain  chaud  proloiigc  ,  a  32"  Keaumur ,  avec 
750  grammes   de  carbonate   de  sonde. 

Tons  les  moyens  prescrits  furent  mis  en  usage ,  sauf 
le  bain  ,  parce  que  Ton  manquait  d'eau  chaude.  Quel- 
ques  heures  apres  ,  les  vomissements ,  les  selles  et  les 
crampes  avaient  disparu,  mais  le  refroidissement  avail 
augmente  avec  la  cyanose  ;  les  urines   etaient  suppri- 


__  14   - 

mees :  le  pouls  dcvint  impeicepUbIc  a  la  radialL' ;  la 
peau  se  couvrit  d'une  sueur  visqucuse  ;  Fanxietii  fut 
portee  a  son  conible,  et  le  malade  annonrait  i-a  fin 
comme  tres  procliaine.  En  effet  rintelliij;ence  se  trou- 
bla  bientut,  ct  la  inort  arriva  lo  25  juin,  a  huit 
heures    du   matin  ,    douze   heures   apres  I'invasion. 

En  rappelant  ces  trois  observations  avec  qnclques 
details,  j'ai  voiilu  qu'il  ne  restat  aucun  doute  snr 
la  nature  de  la  maladie.  l)e  ce  que  le  cholera 
n'avait  pas  fait  un  plus  grand  nombre  de  victimes 
lors  de  sa  premiere  apparition  ,  de  ce  qu'il  n'etait 
pas  venu  a^Suippes  en  1832,  on  a  crn  generalement 
que  je  m'elais  trompe  dans  mon  diagnostic,  mais 
une  nouvelle  invasion  de  ce  redoutable  fleau  vint 
plus  tard  demontrer  a  notre  population  de  quel  cote 
etait  I'erreur. 

Cependant  la  cholerine  continuait  sa  marche  ;  elle 
parut  redoubler  d'intensite  pendant  les  quelques  jours 
oil  nous  eiimes  alTaire  au  cholera  lui-meme ;  mais 
bientot  elle  reprit  son  caractere  benin  pour  disparaitre 
a  la  fm  du  mois  de  juin. 

A  cette  epoque,  I'aulorile  municipale  me  fit  I'hon- 
neur  de  me  consulter  sur  les  mesures  hygieniques 
qu'il  conviendrait  de  prendre  dans  la  ville  pour  arre- 
ter  Tepidemie  et  en  prevenir  le  retour.  J'avais  alors 
I'espoir  qu'il  n'y  avail  plus  rien  a  craindre  du  cote 
du  cholera  ni  dc  la  cholerine  ,  puisque  cette  dernierc 
maladie  avail  entieremenl  disparu.  dependant,  comme 
il  est  des  precautious  dont  il  estbon  de  ne  jamais  s'e- 
carter,  je  conseillai  a  M.  le  mairc  de  faire  balayer 
souvent  les  rues  el  les  ruisseaux  ,  ou  croupissaienl 
habituellemenl  des  eaux  malsaines  ;  d'iuterdire  le 
dep6t  des  ordures  dans  le  voisinage  des  habitations  ; 
de  faire  defense  d'elever  des  lapins,  des  pigeons 
et  autres  animaux  dans  les  chambres  habitees;  de 
faire    remplir    les    mares;    d'obliger  les    bouchers  et 


—  15  — 

chareuliers  a  transporter  hors  de  la  ville  le  sang 
et  les  debris  des  animaux  qu'ils  tuent.  Je  terminals 
ma  reponse  par  Texpression  d'un  vceu  que  je  forme 
depuis  blen  longtemps  :  c'est  de  voir  Tautorite  su- 
perieure  prendre  des  mesures  energi(jues  pour  i"a?sai- 
nissement  d'un  grand  nombrc  de  maisons  qui  ne  sont 
veritablement  pas  liabitables.  Depuis  ce  moment,  I'As- 
semblee  legislative  s'est  occupee  de  celte  importante 
question,  dont  la  solution  etiit  altendue  avec  la  plus 
vive  impatience  par  tons  ceux  qui  se  preoccupent 
veritnb'ement  de  raraelioratiou  du  sort  de  la  classe 
ouvriere. 

De  la  fin  de  juin  a  la  fin  d'aoiit,  la  ville  de  Suippes 
presenta  I'etat  sanitaire  le  plus  satisfaisant ;  on  ne 
rencontra  plus  de  diarrhees ,  plus  de  ces  malaises 
observes  en  mai  et  en  juin;  seulement,  les  flevres 
intermittentes,  J  qui  s'etaient  montrees  en  asscz  grand 
nombre  pendant  le  printomps,  continuerent  a  se  ma- 
nifester  frequemment  pendant  I'ete.  Nous  nous  croyions 
done  parfaitement  debarrasses  de  I'influence  epide- 
mique,  lorsque  la  cholerine  nous  revint  dans  les  pre- 
miers jours  de  septembre.  Cette  fois ,  elle  se  pro- 
pagea  avec  moins  de  rapidite  qu'a  sa  premiere  appa- 
rition ,  mais  elle  se  raanifesta  generalement  avec  une 
plus  grande  intensite ,  sevissant  surtout  sur  les  en- 
fanls  au  berceau ,  dont  quinze  succomberent  en  moins 
do  quatre  seniaines. 

Au  milieu  de  cette  mortalite  ,  un  vieiliard  de  68 
ans  ,  le  nomme  11.  M...  ,  rentier,  fut  pris  le  15  sep- 
tembre ,  d'une  attaquc  de  cholera  qui  I'emporta  en  seize 
heures.  Get  horame ,  habitant  la  rue  S'-Pierre ,  mal 
loge,  se  nourrissant  maU  adonne  aux  exces  de  la  bois- 
son ,  avait  ete  pris  quelques  jours  auparavant  d'une 
cholerine  assez  intense ,  pendant  laquelle  il  n'avait  rien 
change  a  ses  vieilles  habitudes.  Comme  chez  les  precedents 
malades,  tous  les  symplomes  caracterisliques  du  cholera 


—  16  — 

furent  observes  :  diarrboe  blanche,  vomissements,  craiu- 
pes  ,  ret'roidissement  des  extremites  ,  cyanose,  extinction 
de  la  voix  ,  suppression  des  urines  ,  alteration  profonde 
du  visage  ,  etc.  ,  etc 

Cependant,  vers  les  derniers  jours  de  septembre  ,  la 
cholerine  prit  un  developpement  plus  considerable  chez 
les  adultes  :  a  celte  epoque  ,  les  transitions  de  tempe- 
rature furent  brusques ;  apres  d'assez  fortes  chaleurs . 
nous  passames  tout-ii-coup  a  un  froid  humide,  intense. 
Celte  recrudescence  fut  marquee ,  le  6  octobre  ,  par 
Tapparition  dun  nouveau  cas  de  cholera  dans  la  rue 
de  la  Surginerie,  situ.ie  aunord-estde  la  ville.  Le  ma- 
lade  fut  u!)  nomme  M...  ,  tisseur  de  merinos,  age  de  36 
ans ,  d'une  faible  sante  ,  loge  dans  une  maison  humide 
el  mal  eclairee  ,  mais  proprement  lenue.  Get  homme 
a  peri. 

Ce  fut  a  partir  de  celts  epoque  que  commenga  veri- 
lablemenl  notre  epidemie  cholerique.  En  effet  ,  quatre 
jours  plus  tard  ,  le  10  octobre,  la  fille  Anne  Lambin  , 
domestique  ,  agee  de  52  ans ,  habitant  le  meme  quar- 
tier,  fut  prise  du  cholera  apres  avoir  donne  des  soins 
a  son  beau-frere ,  M  ..  ,  dont  la  maladie  I'inquietait 
vivemenl.  EUe  mourut  trente  heures  apres  I'invasion. 
D'autres  cas  plus  rapproches  suivirent  ce  dernier ,  de 
sorte  que  ,  du  13  octobre  au  30 ,  il  y  eut  18  malades; 
du  l^""  novembre  au  23,  9  malades ;  enfin,  du  8  deccm- 
bre  au  23  ,  4  malades  :  ce  qui  donne,  a  partir  du  15 
juin,  un  total  de  37  choleriques,  sur  lesquels  il  y  a  eu 
24  deces. 

Les  cas  de  cholera  commcnQaient  a  ?e  succeder  a 
des  intervalles  assez  rapproches,  lorsque  nous  fumes 
envahis  par  une  epidemic  de  suette  qui  se  montra 
generalement  peu  grave.  Elle  debuta  le  15  octobre 
et  se  termina  vers  la  fin  de  novembre.  Dans  eel  es- 
pace  de  lemps,  j'ai  donne  des  soins  a  57  personnes 
atteinles    de    celte    maladie.    Tons  les  quartiers  de  la 


—   17    — 

villc  I'urciil  simultaneinent  altaques:  cclui  oii  regnait 
le  cliolera  n'cul  pas  plus  a  soulTrir  que  les  autres ; 
les  maisons  les  plus  saines  ne  furent  pas  plus  epar- 
gnees  que  les  plus  insalubres,  et  la  clas^e  imligente 
pas  plus  maltraitee  que  la  classe  aisee.  Sur  nos  57 
malades ,  34  appartcnaient  au  sexe  fetninin  et  23  au 
sexG  masculin  ;  presque  tous  etaient  des  adultes , 
jouissant  habituellement  dune  bonne  sante,  J'ai  fait, 
pen  de  jours  apres  Tinvasion  de  la  suettc,  line  re- 
marque  (|ui  me  semble  assez  inferessante  pour  etre 
relatcie  ici  :  c'esl  qua  parlir  de  ce  moment  le  nombre 
des  cbolerincs   diminua  d'une   maniere  tres  sensible. 

Le  symptome  caracterislique  de  cette  maladie  con- 
sistait  en  une  sueur  continue,  ordinairement  tres  abon- 
dante,  d'une  odeur  des^agreable ,  gemiralcment  precedee 
de  malaise ,  de  lassitudes,  de  cephalalgie ,  de  Qevres  ; 
mais  se  declarant  dans  quelques  cas  sans  aucuns  pro- 
dromes. Kn  meme  temps  que  la  sueur ,  et  souvent 
avant  son  apparition ,  les  malades  ressentaient  une 
oppression  considerable ,  accompagnce  frequemment  de 
douleur  sourde  a  la  region  precordiale  et  a  I'epigastre , 
d'une  Vive  anxiete  et  d'irregularitc  dans  le  pouls. 
Dans  les  deux  tiers  des  cas  ,  il  ne  survint  aucune 
eruption  a  la  peau;  dans  I'autre  tiers  j'observai ,  du 
troisieme  au  quatrieme  jour,  une  eruption  de  miliaire, 
plus  souvent  partielle  que  generale  ,  occupant  de  pre- 
ference le  ventre,  la  poitrine  et  le  dos,  et  determi- 
nant chez  quelques  personnes  une  forte  irritation  de 
la  peau.  En  general  I'eruption  etait  suivie  de  soula- 
gement ;  elle  durait  trois  a  quatre  jours ,  dans  quel- 
ques cas  cinq  et  six  jours,  apres  quoi  elle  s'eteignait; 
puis  la  convalescence  arrivait,  et  peu  de  jours  apres 
la  guerison  etait  complete,  (dependant ,  chez  quelques 
malades,  la  marche  de  la  suette  ne  fut  pas  si  heu- 
reuse.  Dans  un  cas  oil  elle  avait  succede  immediate- 
ment  a  la  cholerine ,  elle  fut  suivie  d'une  attaque 
I.  2 


_  i8  — 

de  cholLia  qui  se  termina  par  la  mort.  Dans  un  autre 
cas  oil  elle  s'etait  cependant  declaree  d'une  niaiiiere 
ppu  intense,  cHe  ful  egalement  coinpliquce  de  cho- 
lera et  ici  encore  le  malade  succomba.  Je  continue, 
dans'  ce  moment,  a  donner  des  soins  a  deux  f-mmes 
dont  le  ?ystome  nerveux  fut  tellement  aflecte  par  la 
■^uette  ,  qu'cHes  sont  devenues  hysteriques  a  un  haul 
degre,'  avec  grande  tendance  a   I'hypocondrie. 

Dans  la  pre?que  totalite  des  cas,  le  traits  ment  fut 
des  plus  simples;  je  me  contentai  de  prescrire  a  mes 
malades  de  se  ccuvrir  legerement,  de  prendre  pour 
boisson  alternativement  de  I'eau  de  gomme  et  une  so- 
lution de  sirop  de  gro?eilles  froide ,  de  renouveler 
souvent  Tair  de  leur  chambre  ,  de  se  mettre  les  pieds 
h  I'eau  matm  et  foir-,  de  changer  de  linge  autant  de 
fois  qu'ils  en  sentaient  le  besoin  ,  et  enfm  de  faire  la 
diele.  Je  pratiquai  la  saignee  du  bras  dans  d.nix  cas 
seulement,  ou  la  cephalalgie,  I'oppression  et  la  dou- 
leur  precordiale  se  pre.sentaient  avec  une  grande  iu- 
tensite.  Un  calaplasme  sinapise  sur  I'epigastre  m'a  paru 
tres  utile,  chez  plusieurs  malades,  pour  combaltre 
ces  deux  derniers  syn^ptdmes.  —  Je  reprends  mainte- 
nant  rhislori-iue  du  cholera  lui-meme. 

Sa  marche,  comme  on  I'a  vu  plus  haut ,  a  ete 
fort  Icnle  :  arrive  au  milieu  de  nous  le  15  juin,  il 
attaque  en  dix  jours  tiois  personnes,  dont  deux  sont 
mortrs.  U  di^parait  ensuite,  puis  revient  deux  mois 
et  demi  plus  tard,  le  15  septembre,  et  se  contenle 
cette  fois  d'une  seule  victime.  Enfin  ,  apres  une  se- 
conde  treve  de  vingt  et  un  jours,  il  envahit,  le  6 
octobre,  le  quartier  Saint-Martin,  oil  il  regne  exclu- 
sivement  sans  interruption  jusqu'au  23  decembre, 
epoque  de  sa  disparition  definitive. 

Pour  bien  des  personnes,    le   cholera  fut  apporle  a 

Suippcs    par      »!.    1 ,     qui,   le   premier,    cut   une 

atlaque  de  cette  maladie  \ingt-quatre  heures  apres  son 


—   19    — 

retour  de  I'aris.  Quant  ii  iroi,  jc  iie  partage  pas  cettc 

opinion.    M.    L ,    11   est  vrai,   arrivait  d'une  ville 

eijvahic  par  rcpidemie  •,  et  lorsquil  qiiitta  Paris ;,  il 
etait  iUtrint  depuis  trois  jours  d'une  diarrhee  intense  ; 
done,  dira-t-on,  il  avail  emporte  avec  lui  le  germc 
du  cliolera.  dont  I'explosion  u'eut  lieu  que  le  lende- 
main    df    son    arrivee   chez    lui.     Mais   en    rentrant  a 

Suippes,  M.  L y  trouve  la  cholerine,  qui,  depuis 

un  mois ,  s'etait  nia'iifestee  dans  tous  les  quartiers  de 
la  ville;  et  puis,  le  lendemain  dc  son  retour,  mal- 
gre  sa  fatigue  et  malgre  son  devoiement ,  11  va  aux 
champs  travailler  conime  a  I'ordinaire  ,  et  le  soir  il 
soupe  a  la  table  commune,  et  mange,  entre  autres 
chores ,  une  assez  grande  quantite  de  salade.  En  fal- 
lait-il  davantage   pour  que  le  cholera  se   deciarat  chez 

lui.?    Neuf    jours     plus    tard  ,    le    jardiuier     H 

qui    n'avait  eu    aucune   relation   avec    Rl.    L ,   et 

dont  la  demeiire  est  fort  eloigneo  de  la  sienne,  tombe 
malade  du  cholera  et  succombe  en  douze  heures.  Est-ce 
M.  L  .  . . .  qui  a  transmis  le  cholera-morbus  a  cet 
homme  ?  Cela  n'est  guere  probable.  Je  suis  encore 
moins  dispose  a  admetlre  que  le  cholera  se  soit  pro- 
page    du    jardinier    H a    H.    M ,     attaques 

I'un    et   I'autre    a   plus  de    deux   mois   et   demi    d'in- 

tervalle,    et  de  H.    M a    M -L ,    entre 

la  maladie  desquels  il  y  a  eu  nn  espace  de  vingt 
et  un  jours.  C'est  done  a  linfluence  epidemique,  qui 
agissait  sur  toute  la  population ,  qu'il  faut  rapporter 
le  premier  cas  de  cholera  observe  a  Suippes,  de  meme 
que  tous  ceux  qui  I'ont  suivi  a  des  epoques  plus  ou 
moins  eloignees. 

Sur  nos  trente  sept  cas  de  cholera  ,  cinq  seulement 
furent  dissemines  sur  differents  points  de  la  ville,  et 
de  ce  nombre  sont  les  quatre  premiers  observes ;  les 
trente  deux  autres ,  c'est-a-dire ,  presque  toute  noire 
petite  epidemie  ,  furent  concentres  dans  le  quartier  Saint- 


—  20  — 

Martin ,  qui  se  compose  de  deux  rues  placces  sur  la 
memo  ligne  ,  au  nord-pst  de  la  ville  ,  a  peu  de  dii^tance 
du  cimetiere  ,  dont  clies  sont  separees  par  des  jardins 
et  par  le  fosse  de  Taiicien  rempart ,  oii  stagnent  pen- 
dant les  trois  quarts  de  I'annee  ,  et  souvent  pendant 
toute  I'annee  ,  des  eaux  charj^ecs  de  matieres  veyctales 
et  animates  en  decomposition.  C'est,  depuis  dix-sopt 
ans  ,  la  troisieme  epidt^mic  que  j'observe  dans  ce  meme 
quartier ,  le  pins  eleve  de  la  ville ,  un  des  micux  batis, 
le  plu^  sain  en  apparcnee  ,  et  oii  les  indigents  ne  sont 
pas  en  plus  grand  nombre  que  dans  les  autres  rue5. 
En  1839  el  en  1S41  ,  ces  deux  rues  eurent  beau- 
coup  a  souITiir  de  la  dysenteric  ,  tandis  que  le  reste 
de  la  ville  etait  completement  epargnt'.  11  est  done  tres 
probable  que  la  cause  qui  favorise  lo  developpement 
de  la  dysenterie,  peut  egalement  faire  eclater  le  cho- 
lera; deux  makdies  qui,  du  reste,  ont  beaucoup  d'a- 
nalogie  entre  elles.  (^ette  cause,  je  crois  la  trouver  dans 
les  emanations  deleteres  qui  s'echappent  des  eaux 
bourbeuses  du   fosse  du   rempart. 

Assurement  d'autres  circonslances  concourent  a  la 
production  du  cholera  dans  une  locaiile  quelconque. 
II  faut  d'abord  la  presence  de  I'influence  epideii.ique, 
et  ensuite  des  predispositions  individuellcs.  Mais  il  est 
suflisamment  demoiitre  pour  moi  qu'a  ces  deux  causes 
il  vient  quelquefois  s'en  joindre  une  troisieme  sans 
laquelle  elles  seraient  impuissantes  a  produire  la  ma- 
ladie  :  cette    derniere    tient  a    la   localite    elle-merae. 

Ainsi,  a  Suippes,  linfluence  epidemique  et  des  pre- 
dispositions se  sont  rcncontroes  dans  toutcs  les  parties 
de  la  ville,  puisque  partout  il  y  a  eu  des  cholerines  et 
des  suettes  intcnses.  Mais  le  cholera,  sauf  de  rares 
exceptions  faciles  a  expliquer ,  ne  s'est  montre  que 
dans  un  seul  quartier  :  or,  doii  peut  venir  ce  triste 
privilece,  si  ce    nest  d'une  cause  locale,  agissant  ex- 


—  21  — 

clusivement  sur  la  population  a  cote  dc  laquelle  tile 
se  developpe  ?  Comment  interpreter  d'ailleurs  Timmuni- 
te  dont  jouirent  un  grand  nombre  de  villes  et  de 
villages,  autrement  que  par  I'absence  de  cette  cause 
locale? 

A  Saint-Remy-en-Bouzemont ,  ou  je  fus  appele  A 
trailer  les  choleriques  en  1832,  et  ou,  sur  une  popu- 
lation de  500  habitants,  41  personnes  succomberent 
dans  I'espace  dc  deux  mois ,  une  mare  et  des  fosses 
ou  i'eau  reste  stagnante  pendant  lete  et  I'automne, 
traversent  Ic  village  du  midi  au  nord  ,  et  laissent 
exhaler,  par  les  grandes  chaleurs,  des  miasmes  d'une 
grande  fetidite.  Dans  la  note  que  je  publiai  a  cettc 
epoque  dans  la  gazette  medicale,  je  me  contentai  de 
signaler  Texistence  de  ces  miasmes  sans  leur  attri- 
buer  une  grande  influence  sur  le  developpement  de 
I'epidemie.  Mais  aujourd'hui  ,  que  j'ai  vu  le  cholera 
se  declarer  ailleurs,  a  dix-sept  ans  d'intervalle  ,  dans 
dps  conditions  parfaitement  identiques,  ne  suis-je  pas 
autorise  a  considerer  ces  exhalaisons  insalubres  comrae 
la  cause  locale  de  Tepidemie  de  Saint-Remy  ? 

Des  renseignements  precis  que  j'ai  recueillis  avec 
soin ,  il  resulte  que  sur  nos  37  cas  de  cholera,  19 
fois  la  maladie  s'est  declaree  sur  des  individus  qui 
avaient  eu  des  rapports  plus  ou  moins  prolonges  avec 
d'autres  malades,  et  18  fois  sans  qu'il  y  ait  eu  au- 
cune  communication.  Voila  done  deux  categories  ci 
peu  pres  egales,  comprenant  d'une  part  les  fails  qui 
paraissent  en  faveur  de  la  contagion,  et  d'aulre  part 
ceux  qui  demontrent   le  contraire. 

Mais  de  ce  que  chez  la  moitie  de  nos  malades  I'in- 
vasion  a  eu  lieu  apres  qu'ils  eurent  soigne  ou  seule- 
ment  visite  d'autres  choleriques,  faut-il  conclure  que 
dans  CO  cas  il  y  a  eu  contagion?  Je  n'hesite  pas  a 
repondre  d'une  maniere  negative. 


2"2  

Tout  le  monde  est  d'accord  sur  cc  poiiU  ;  que  I'in- 
tluence  cpidt-mique  ne  donne  le  cholera  qu'a  ccux  qui 
y  sout  predisposes.  Or,  si  celte  predisposition  ne  se 
rencontre  dans  aucun  des  membres  d'une  meme  fa- 
mille,  toute  ccttc  famille  est  ex'^mpte  du  cholera;  (jwe 
si  au  contraire  elle  exiitc  chez  phisieurs  personnes,  el 
ineme  chez  tons  les  membres  de  la  famille,  oh  I  alors, 
rlen  d'etonnant  que  lous,  ou  seulemeiil  quelques-uns, 
soient  atteints  successivement  :  si  le  cholera  etait  reel- 
lement  contagienx  ,  il  ne  quitterait  pas  des  nienagcs 
composes  de  sept  a  huit  personnes  apres  avoir  atla- 
que  unc  seule  d'entre  elles,  comme  nou.^  Tavons  vu 
plusieurs  fois  a  Suippes.  Je  citfrai  un  sen!  fait  entre 
quinze  a  lappui  de  ce  que  j'avance.  La  femme  F...., 
recemmcnt  accouchee  ,  est  atteinte  d'une  attaque  vio- 
lenle  de  cholera  qui  Tentraine  au  tombeau  apres  six 
jours  dc  cruelles  souffrances  ;  son  mari  et  six  de  ses 
enfants  I'approchent,  la  touchenl  a  chaque  heure  du 
jour  et  de  la  nuit,  et  aucun  d'eux  n'eprouve  le  phis 
leger  malaise  II  y  a  plus ,  I'cnfant  dont  elle  venait 
d'accoucher  a  continue  de  prendre  le  sein  ju,-qu"au 
troisieme  jour  de  la  maladie,  et  il  n'a  ccsse  de  se 
bien  porter. 

Maintenant,  quelles  sent  les  causes  predisposantes  du 
cholera  ?  P^n  premiere  ligue  il  faut  placer  les  fatigues 
excessives.  Or,  quoi  de  plus  fatigant  que  de  soigner 
un  cholerique,  pres  duquel  on  doit  etre  constamment 
debout,  occupe  sans  cesse  a  lui  administrer  les  soins 
que  reclame  la  gravite  de  sa  position  ;'  A  Suippes,  la 
crainle  de  gagner  le  cholera  s'etait  emparee  de  presque 
tout  le  monde  ;  aussi  ne  trouvait-on  que  tres  difficilement 
des  secours.  Cette  circonstance  obligeait  les  memes 
personnes  a  passer  a  cote  des  choleriques  tout  le 
temps  que  durait  leur  maladie.  Doit-on  s'etonncr  alors 
que  quelques  unes  de  ces  personnes ,  epuisees  de  fa- 
tigue,  accablees  par    les  veilles,    aient    eprouve  a   leur 


—  2S   - 

tour  line  atlaque  de  clioliira?  Pour  moi  1-;  fait  s'ex- 
plique  parfaitement  bien  sans  qu'il  soit  besoin  de  faire 
intervenir  la  contagion. 

Une  habitation  mal^aine ,  une  mauvai>e  nouri'iturc 
predisposent  certainement  au  cholera:  car  les  deu\ 
tiers  des  malades  etaient  loges  tres  etroitement  dans 
des  maisons  basses,  huniides,  mal  eclairees,  mal  aerees  ; 
et  Us  se  nourris^aient  en  grande  partie  de  legumes  et 
de  fruits  L'autre  tiers  se  irouvait  dans  de  meilleures 
conditions  hygieniques  tant  sous  le  rapport  du  loge- 
ment  que  sous  celui  de  la  nourriture.  Onze  de  nos 
malades  se  livraient  frequemment  aux  exces  de  la  bois- 
son,  et  sur  ce  nombre  neuf  ont  succombii. 

Tons  les  temperaments,  toutes  les  constitutions  ont 
egalement  souffert  du  cholera.  Les  deux  sexe-i  ont 
ete  atteints  dans  une  proportion  a  peu  pres  egale  ; 
dix-sept  malades  appartenaient  au  sexe  masculin,  et 
vingt  au  sexe  feminin.  Parmi  ces  derniers,  se  trou- 
vaient  deux  femmes  enceintes,  Tune  de  sept  mois, 
l'autre  de  deux  mois  el  demi  :  la  premiere  a  ete  guerle, 
l'autre  est  morte  des  suites  d'une  fausse  couche,  sur- 
venue  le  douzieme  jour  de  la  malaJie.  Uetalivement 
a  la  mortalite,  les  deux  sexes  ont  donne  un  nombre 
egal  de  deces  :   douze  homraes  et  douze  femmes. 

■  Tons  les  ages  ont  paye  leur  tribut  a  I'epidemie  : 
j'ai  donne  des  soins  a  de  Ires  jeunes  anfants  et  a  des 
vieillards  de  soixante-douze  a  soixante-treize  ans.  Ce- 
pendant  le  plus  grand  nombre  de  malades  se  trouve 
au-dessus  de  quarante  ans.  Sur  les  13  ma!ades^(iui  ont 
gueri,  12  avaient  moins  de  cinquante  ans,  le  l.Je 
etait  age  de  soixante-treize  ans ,  et  parmi  ceux  qui 
ont  succombe,  19  avaient  plus  de  quarante  ans,  et 
5  seulement  etaient^  au-dessous  de  cet  age. 

Presque  toujours  I'invasion  du  cholera  fut  annoncee 
par  quelques  prodromes,  tels   que   le  devoiement,  des 


—  i)4  — 

evaciialions  brusques,  avec  oxplo  ion  do  gaz,  (lo:=  defail- 
lances,  un  malaise  general,  des  envies  de  vomir,  la 
cephalalgia,  ragitation  de  I'esprit,  en  un  mot  tous 
les  symptumes  que  j'ai  decrits  au  commencement  de 
ce  memoire  sous  le  nom  de  cholerine  :  cCst  ce  qui 
constitue  la  premiere  periode  de  la  maladie.  Duns  deux 
casseulcment,  les  individus  ont  ete  surpris  brusquemerit, 
au  milieu  d'une  parfaitesante,  par  des  ver(ig('s,  par  des  vo- 
missements  frequents  par  des  selles  blaiichatres  et  par 
des  crampes  aigues,  symptomes  qui  forment  les  traits 
caracteristiques  du  cholera  confirme.  De  la  cholerine  au 
cholera,  la  transition  est  facile.  Dans  quelques  cas, 
il  n'a  fallu  qu'un  surcroit  de  fatigue,  une  perturba- 
tion morale,  un  exces  de  boisson ,  pour  amener  les 
accidents  les  plus  graves ;  mais  Ic  plus  souvent  le 
cholera  s'est  declare  a  la  suite  de  ringe^tion  d'une 
quantite  plus  ou  moins  considerable  d'aliments  indigestes, 
alors  que  la  prudence  conseillait  la  diete  la  plus  severe. 

Quelle  que  fut  la  cause  qui  converti3?ait  la  chole- 
rine et  la  suelle  en  veritable  cholera,  on  voyait  la 
diarrhee  de  jaunatre  devenir  d'un  gris  blauchatre, 
presentant  I'aspect  d'une  decoction  de  riz  plus  ou 
moins  epaisse;  le  venire  etait  affaisse ;  en  meme  temps 
les  urines  se  rarefiaient,  les  reins  devenaient  doulou- 
reux, et  le  sentiment  de  faiblesse  augmentait  rapide- 
ment.  Bientot  apres  apparaissaient  des  vomissements 
semblaMes  aux  selles,  les  urines  se  supprimaient,  des 
crampes  plus  ou  moins  fortes  survenaient  ordinaire- 
ment  dans  les  mcmbres,  mais  surlout  aux  inferieurs; 
la  soif  tourmentait  les  malades,  la  peau  se  refroidis- 
sait,  et  il  y  avail  de  la  moiteur ;  le  pouls  devenait 
petit,  deprime,  flliforme-,  le  visage  se  decomposait, 
enfin  la  voix  changcait  de  timbre  et  s'affaiblissait  cod- 
siderabltment. 

Si  dans  celte  periode  (que  Ton  designe  sous  le  nom 
de  periode  algide)  on   ne  parvenail   pas   a    enrdyer  la 


—  2£)  — 

marche  des  symptdmes  et  a.  determiner  la  reaction  , 
le  pouls  cessait  d'etre  perceptible,  les  yeuK  devcnaient 
caves,  entoures  d'un  c  rclc  bleu,  la  languc  se  refroi- 
dis?ait,  la  voix  s'eteignait  conipletemetit;  la  peau  pre- 
nait  line  teinte  livide  et  se  couvrait  d'unc  sueur  froide 
ct  visqiieuse  (ni  meine  aqueiise.  Cependant  les  crampes, 
Ics  voniissements  et  le  devoiement  cessaient,  et  alors 
on  voyait  la  maladie  marcher  rapidement  vers  nn 
terme  fatal  :  la  respiration  devenait  courte  ,  acceleree, 
lialetante;  presqiie  loujours  une  douleur  briilante  a  la 
base  de  la  poitrine  et  a  la  region  precordiale,  et  une 
anxiete  epigastrique  extreme  tourmentaient  les  chole- 
riques;  chez  plusieurs  malades,  le  doigl  ne  pouvait 
etre  legerement  applique  sur  la  region  de  Testomac 
sans  occasionncr  les  douleurs  les  plus  vives ;  la  peau 
prenait  une  couleur  de  plus  en  plus  bleuatre,  surlout 
dans  la  direction  des  vaisseaux  veineux:  elle  gardait 
les  plis  qu'on  y  faisait  en  la  pincant  doucement  •,  la 
sueur  et  Tbaleine,  toutes  deux  froides,  exhalaient  une 
odeur  comme  cui\ reuse-,  et  ainsi  qu'on  I'a  dit  assez 
justement,  le  malade  qui  avait  le  sentiment  de  sa  fin 
prochaine  ,  n'elait  plus  qu'un  cadavre  encore  vivant, 
et  meme  encore  parlant. 

Pendant  la  marche  des  deux  premieres  periodes  ,  les 
malades  se  tenaient  couches  sur  le  dos;  a  parlir  de 
I'etat  d'asphyxie,  ils  se  couchaient  sur  le  cote,  et  gar- 
daient  cette  position  taut  que  durait  la  vie  •,  alors  ils 
devenaient  indifferents  pour  tout  ce  qui  se  passait  autour 
d'eux.  Quelques  malades  entraient  en  convalescence 
dans  la  periode  algide,  ou  ils  passaient  a  I'etat  d'as- 
phyxie; mais  chez  le  plus  grand  nombrc  la  reaction 
s'etablissait  d'une  maniere  plus  ou  moins  active.  Alors 
la  chaleur  revenait  peu  a  peu ,  la  cyanose  dispa- 
raissait,  le  visage  s'animait,  la  diarrhee  cessait,  et 
elle  etait  remplacee  par  de  la  constipation.  Quelques 
heures  plus  tard,   le  pouls  devenait   plein  ,    la  langue 


—  26  — 

etait  rouge  a  la  pointe  et  aux  bords ;  il  y  avail  un 
peu  de  ctiphafilgie ,  quelquefois  des  vomissements, 
mais  alors  ils  etaient  bilieux ;  et  si  le  maiade  ne  vo- 
missait  pas,  il  avail  des  regurgilations  gazeuses ;  le 
venire  n'etail  plus  affais?e  ;  I'epigastre  etail  sensible  a 
la  pre^sion ,  quelquefois  douloureux.  Dans  plusieurs 
cas  il  y  avail  du  tenesme  ,  el  les  selles  conlenaient 
du  sang  plus  ou  moins   pur. 

Quand  les  symptomes  de  reaction  rr-archaient  vers 
une  tcrminairon  facbcuse ,  la  face  devenait  rouge , 
les  yeux  (Haient  injectes,  les  veines  jugulaires  gonflees; 
le  pouls  ctait  dur  et  lent,  la  respiration  frequenfe,  la 
langue  d'nn  rouge  vif;  les  gencives  se  couvraienl 
d'un  enduil  fuligineux  :  les  faculli's  intoUecluelles  de- 
venaii^nt  de  moins  en  moius  libres ;  les  malades  re- 
pondaienl  len:ement ;  quelquefois  ils  avaient  du  delire, 
et  des  soubresauts  dans  les  tendons ,  et  parfois  aussi 
une  retention  d'urine;  enfln  du  premier  au  troisieme 
jour  de  la  reaction  arrivait  le  coma,  et  ensuite  la 
mort. 

Sur  les  24  choleriques  que  nous  avons  perdus  ,  17 
ont  succombe  daus  la  periode  algide  ,  au  bout  de  neuf, 
trenle  ou  quarante-huit  heures  ;  les  7  autres  sonl  morts 
pendant  la  reaction,  apres  deux,  trois,  sept  et  meme 
quatorze  jours  de  maladie,  avec  les  symptomes  d'une 
affection  typbo'ide.  L'epidemie  a  conserve  le  meme  carac- 
tere  de  gravite  depuis  le  commencement  jusqu'a  la 
fin;  les  derniers  malades  ont  ete  enleves  avec  aulant 
de  rapidite  que  les  premiers.  Dans  une  circonstance, 
j'ai  vu  le  cholera  se  terminer  par  une  parotide  donl 
les  suites  ont  ete  favorables  au  maiade ;  la  meme  per- 
sonne  fut  enlieremenl  debarrassee  d'une  ncvralgie 
sciatique  donl  elle  souffrait  beaucoup  depuis  pres  de 
deux  ans. 

Quelques  mots  maintenanl  des  raoyens  que  j'ai  mis 
en   ujage  dans   le  traitemenl  du  cholera.   Ainsi  que  je 


—  27  — 

lai  ilit  plui  h;iut ,  il  in'a  toujours  ete  facile  d'arreter 
les  Evacuations  a!  vines  toutes  les  fois  que  mes  soins 
ont  eXe  reclames  des  le  debut  de  la  cholerine.  11  suf- 
fisait  de  quelquos  pilules  d'extrait  i^ommeux  d'opium 
ou  de  cynoglosse ,  de  quelques  lavements  amilaces  ou 
albumiiieux  ,  de  boissons  legcrement  astringente-  ou 
sudoriliques,  d'un  peu  de  repos  el  dune  diete  relative. 
Or,  piiisque  Ion  pent  regarder  la  diarrhee  comme 
prodrome  et  comme  signe  patbognomonique  du  cho- 
lera-morbus  ^  je  pense  que,  lorsqu'a  Paide  de  ce  simple 
traitement  on  a  arrete  des  le  debut  les  selles  fre- 
qufnteSj  on  a  fait  avorter  la  maladie.  Plus  de  140 
cholerines  ont  efe  ainsi  gueries  dans  FespacG  dc  deux 
mois ;  et  jc  suis  bien  persuade  que  c'est  pour  avoir 
neglige  de  .=e  soigner  convenablement,  que  les  dix-neuf 
vingtiemes  de  nos  malades  ont  vu  le  cholera  sc  de- 
clarer cbez   eus. 

A  une  epoque  plus  avancee  de  la  maladie,  j'ai  em- 
ploye avec  avanlage  de  larges  cataplasmes  rubeliants 
sur  le  ventre  pour  combattrc  les  selles  et  les  vomis- 
sements :  en  meme  temps  je  faisais  prendre  toutes  les 
demi-heures  une  cuilleree  d'une  potion  elheree,  a  la- 
quelle  jajoutais  quelques  gouttes  d'eau  distillee  de  lau- 
rier-cerise ,  et  un  a  deux  centigrammes  de  sulfate  de 
morphine. 

Dans  la  periode  algide  .  je  suis  presque  toujours  par- 
venu a  rechauffcr  rapidemenl  les  malades  en  les  plon- 
geant  dans  un  bain  chaud  de  32  a  .3.3  degres  ,  auquel 
j'ajoutais  500  a  1,500  grammes  decarbonate  de  soude , 
selon  I'intensite  des  symptomes.  l.a  durce  du  bain  etait 
de  une  a  deux  heures  ,  et  je  le  renonvelais  deux  ou  trois 
fois  en  peu  de  temps,  s'il  en  etait  be.-oin.  Outre  la 
propriele  qu'ont  ces  bains  de  rappeler  la  chaleur  et  de 
ranimer  la  circulation  ,  lis  faisalent  promptement  cesser 
les  crampes  ,  et  quelquefois  auisi  les  selles  et  les  vo- 
missements.   Au  sortir   dii   bain,    le   malade   etait  leste- 


—  28  — 

raent  essuye  avec  des  linges  chauds ,  puis  enveloppe 
dans  une  couvcrture  de  laine  bien  chaude  ,  et  couche 
tout  aussifot  dans  un  lit  bassine.  On  ne  lui  mettait  sa 
chemise  que  lorsque  la  sueur  etait  generalement  etablie. 
La  chalpur  etait  entretenue  a  I'aide  de  plusieurs  cru- 
chons  d'eau  chaude  places  tout  aut  our  du  malade.  Des 
ce  moment ,  je  lui  faisais  appliquer  des  cataplasmes 
sinapises  sur  les  extremites  inferieures  pour  prevenir  les 
accidents  d'une  reaction  trop  forte. 

Je  crois  ferraement  que  si  les  bains  alcolins  avaient 
pu  etre  convenablement  administres  a  tous  nos  chole- 
riques,  nous  en  aurions  perdu  heaucoup  moins;  mais 
c'est  a  peine  si  nous  avons  pu  les  employer  dans  le 
tiers  des  cas  ,  faute  d'aides  sufflsamment  intelligents , 
et  plus  encore  faute  de  bien  des  choses  qu'on  ne  trouve 
pas  chcz  les  indigents. 

Les  bains  simples ,  tiedes ,  les  saignees  locales  ,  les 
topiques  refrigerants,  les  cataplasmes  sinapises  et  les 
vesicatoires  sont  les  moyens  qui  nous  ont  servia  com- 
battre  les  accidents  qui  survenaient  frequerament  dans 
la  periode  de  reaction. 


—  29  — 

DE 

L'AMAUROSE 

DANS   LA    ISfiPIIUITE    ALBUMINEUSE. 

(  Deuxieme  memoir e  ) 

far  M.    H.   I.ANDOUZY. 


Opinionum    commenla  delet   dies, 
Dalurae  judicia   conflrmat. 


IMusieurs  praliciens  ^minenls,  et ,  enfre  aulres, 
MM.  les  professeuis  Roux  h  Paris,  Forget  ^  Stras- 
bourg, Florenl  Cunier  h  Bruxelles,  ayant,  aussi!6l 
la  publiralion  de  mon  m6:noire  ,  confirms  par  les 
fails  les  plus  cal^goriques  la  coexistence  de  I'aniau- 
rose  (1)  el  de   la  raaladie  de   Bright ,  j'avais  r6solu 

(1)  Ainsi  que  j'ai  pris  soiii  de  \e  dire  dans  mon  premier 
memoire  ,  j'enjploie  le  mot  Amaurose  pour  eviler  loule  peri- 
phrase  ,  et  pour  ne  pas  fabriquer  d'expression  nouvelle. 
L'acceplion  elymologique  du  mol  (  A(/.ttUfOi  obscur  )  repond 
suQisamment,  du  resle  ,  a  la  significalion  que  je  lui  donne 
ici. 

Tanlot ,  en  effel  ,  ce  trouble  de  la  vue  se  manifeste  sous 
formes  de  diplopie  ,  d'hemiopie  ,  de  nyctalopie  ,  d'hemera- 
lopie  ;  tantol  sous  forme  de  faiblesse  ;  tanlot  sous  forme  d'exal- 
tation    momentanee  ,    de    sensibilite  douloureuse  ,  etc.,  etc. 

Comme  ,  a  moins  de  faire  une  lignc  de  grec  ,  il  etail  im- 
possible de  trouver  une  expression  qui  signifiat  toulcs  ces 
choses  ,  j'ai  pris  le  mot  Amaurose,  consacre  deja  pour  des 
symptomes  analogues ,  el  qui  ne  prejuge  rien  sur  la  nature 
de  la  maladie. 


—  30  — 

dc  laisser  au  (crnps  le  soiii  de  dissiper  les  doulcs 
qu'eiilraine  ii6ce.ssairenieril  loule  proposition  61oi- 
gn(5e  des  id^es  refues.  Mais  une  nephrite  albumi- 
neuso ,  que  j'iii  dcluellement  ious  les  yeux  ,  m'ex- 
pliquc  dune  niani^re  si  froppante  comment  onl  pu 
se  produirc  plusieurs  fails  n^galifs,  que  je  dois 
indiqucr  les  sources  d'erreurs  ,  sous  peine  dV'ntendre 
ni.  r  les  troubles  de  la  vue,  alors  quMis  devion- 
draienl  des  plus  manifestes  ,  si  les  malades  6laienl 
souniis  a  un  examen  suffisammenl  r(^pet6  el  ap- 
profondi. 

Voici,  avant  d'alliT  plus  loin  ,  les  principales 
circonslances  de  ce  fail ,  qu'oiil  obscrv6  avec  moi 
raes  savanls  confreres  Henrot  el  Wyslouch  ,  el  les 
principaux   61^ves  de  la  clinique  : 

Le  nomm6  V...,  ouvrier  leinlurier,  6g&  de  20  ans, 
d'une  constitution  robuste ,  d'habitudes  sobres  el 
r^gulifercs ,  n'a  jamais  eu  d'autres  maladies  que 
des  acces  de  fifevre  inlermiltenle,  il  y  a  Irois  ans, 
el  un  rluimalisme  arliculwire,  il  y  a  dix  luiil  mois. 
Hors  quelques  douleurs  aux  genoux,  dans  les  chan- 
gemenls  de  leu.ps,  il  avail  une  tres  bonne  sant6, 
el  Iravaillail  assiduraenl,  lorsque,  le  1" Janvier  1850, 
il  (l-prouve  lout  a  coup,  le  malin  un  l^gcr  malaise 
qui  cependanl  ne  rempOclie  ni  desorlir  loule  I'apres- 
midi,  ni  de  Iravaiiler  les  jours  suivanls  toute  la 
journ6e. 

Le  3  Janvier,  h  dix  heures  du  matin,  V,..  6lant 
&  son  atelier,  esl  pris,  sans  cause  appreciable,  d'un 
vomissemenl  abondanl;  il  dine  nCanmoins  a  midi, 
relourne  h  son  atelier  jusqu'ii  sepl  heures,  soupe 
avec  app6lil ,  el  vomil  encore  pendant  la  nuit.  Le 
lendemain  4,  V...  Iravaillc  comme  d'habitude  ,  sans 
la  moindre  indisposition. 


—  SI  — 

Le  6,  ses  parents  s'apcrgoivent  qu'il  a  la  figure 
enfl6e;  le  soir,  on  remnrqtie  du  gonflemcnl  aux 
jambes,  el  un  sillon  profond  produil  au-dessus  du 
mollet  par  les   cordons  du   calefon. 

V...  n'6prouvail,  cependant,  auciin  malabc,  et 
il  conlinuait  avoc  la  mfime  assiduil6  ses  (ravaux  h 
I'usine,  lorsque,  le  II  Janvier,  son  p6re  ,  qu'il 
avail  rempl8c6  loule  la  semainc  dans  la  direction 
de  la  teinlurerie,  revienl  h  I'atelier,  ct  trouve 
complfelement  manqu6es  loules  les  pieces  teinles 
[lendanl  son  absence. 

Les  nuances  h  donner  aux  ^lofTes  6iaienl  celles 
qu'il  avail  donn^es  d^jh  cent  fois  auparavanl,  et 
comme  on  ne  pouvail  allribuer  cet  accident  a  I'inha- 
bilele,  V..  avoue  qu'il  a  la  vue  trouble  depuis 
unc  huilaine  de  jours;  quoiqu'il  assure  que,mal- 
gr6  cet  accident  ,  il  pent  conlinuer  a  travailler  , 
qu'il  a  toules  ses  forces,  etc.,  on  I'engage  i  re- 
lourncr  chez  lui  pour  se   soigner. 

Le  lendemain  12,  le  m6decin,M.  Labb6e,  ordonne 
des  frictions  g6n6rales  avec  I'enu  s(''dative  ,  el  des 
onclions  avec  la  pommade  camphr(>e;  le  15  un 
vomilif;  le  l4,  un  purgalif;  les  15,  10  el  17, 
des  haiiis  de  vapour;  les  18,  19  et  20,  des  fric- 
tions et  des  onclions  avec  I'eau  el  la  pommade 
Haspail. 

Comme  I'oed^me  g6n6ral  augmenlait  beaucoup, 
qu'il  6tait  survenu  une  toux  violcnle,  des  mouve- 
mcnls  de  suffocation  pendant  la  nuit ,  etc.,  le  chef 
de  la  fiibrique,  M.  L...  me  fait  appeler,  le  20, 
a    quatre  heures   du  soir. 

Le  malade  est  lev6  depuis  plusieurs  heures  ;  tout 
le  corps  est  6norm<^ment  goiifl6,   except^  les  mem- 


—  52  — 

bres  siip6rieurs;  le  gonflemenl  de  la  face  est  sur- 
tout  prononc6  au  menlon  :  !es  bourses  el  le  p6nis 
causent  une  grande  g6ne  au  malode  par  I'oedfeme 
coiisidi^rablc  doiil  ils  sonl  le  si^ge.  La  peau  est 
parloat   dun  blanc  mat. 

Inlelligeiice  parfaile  ,  pas  de  c^phalalgie  ,  langue 
un  peu  s6che  ;  pas  d'app6lit  ,  peu  de  soif :  pas  de 
naus6es  ni  de  vomissemenls  ;  selles  naturelles ;  pouls 
r^gulier,  plein  ,  r6sis'ant,  80  pulsations;  bruit  de 
soufllet  syslolique  s'6lendant  dans  les  carolides.  Ma- 
(il6  ,  absence  de  respiration  ,  ^gophonie  ,  etc.  ,  dans 
les  deux    tiers  inf6rieurs   du  cOle  gauche. 

Violentes  douleurs  depuis  le  matin  ,  et  pour  la 
premiere  fois  ,  dans  la  region  lombaire.  L'urine  , 
brune,  transparente  ^  en  quantity  normale  ,  donne 
par  la  thaleur  et  par  I'acide  azolique,  un  pr6cipil6 
blanc  ,  soluble  dans  la  potasse  ,  et  qui ,  au  bout 
de  dix-huil  heures  de  repos  ,  occupe  la  moili6  du 
tube. 

Le  raalade  interrogS  sur  I'^tal  actuel  et  ant6- 
rieur  de  la  vue  m'assure  qu'il  voit  tres  bien  et  (ju'll 
a  loujours  Ires  bien  vu.  J'insisle  par  de  nouvelles 
questions,  et  toujours  le  malade  me  r6pond  :  «  Je 
»  vois  tres  bien;  je  vous  parais  peut-6ire  ne  pas 
»  voird'une  maniere  nette,  parce  que  je  suis  myope 
»  et  un  peu  louche  de  naissance ,  mais  je  vois 
»  parfaitement  et  j'ai  loujours   parfaitement   vu.  » 

Kffeclivemenl  ,  je  fais  lire  le  malade  et  il  lit  de 
la  maniere  la  plus  distincle  des  caraclferes  assez 
fins.  Frapp6  de  cette  exception^  je  reviens  le  len- 
demain  prendre  Tobservation  dans  tous  ses  details, 
et  ce  n'esl  que  lorsque  j'insisle  pr6s  du  malade 
pour  savoir    pourquoi ,  n'^prouvanl  ni  faiblesse  ni 


—  33  — 

malaise,  il  a  quilK":  son  alelier  !e  11  Janvier,  qu'il 
me  t■(^|)o^d  :  «  J^ai  abandonne  fatelier  parcc  qiCon 
elail  force  de  recommenrer  toutes  les  pieces  que  fa- 
vais  teintpst.  »  —  Mais  alors  vous  aviez  done  la 
vue  Iroulile  ?  —  Je  voyais  bien,  mais  je  mc  (rom- 
pais  de  nuances.  —  Esl-ce  parce  que  vous  6(es 
myope? —  Non,  car  cY'laienl  des  nuances  que  j'avais 
riiabitude  d'assorlir  parfaiiemenl;  mais  j'avais  comine 
un  broiiillard  devanl  les  yeux  ,  surlout  au  grand 
jour;  dans  la  rue,  i'6lais  oblig6  de  mcllre  beau- 
coup  d'altention  ,  afin  d'tSiviter  les  passan(s  et  les 
voilures. 

Prescription.  SaigntSe  de  500  grammes. 

21.  Le  maladc  a  pas«6  une  bonne  nuit;  le  sang 
n'offre  pas  de  couenne.  Le  d6p6t  aibumiiieux  form6 
la  veille  occupe  la  mollis    du   tube. 

Prescription.  Eau  de  sedlilz,  large  vSsicaloiie  au 
cOle   gauche. 

22.  La  malit^  esl  moindre;  le  murmure  respi- 
ratoire  reparait-,  le  goiiflemenl  de  la  face  diininue  ; 
Toedeme  des  bourses  et  des  extr6mi(6s  inf^rieures 
esl  aussi  prononc6. 

23.  Trouble  considerable  de  la  vue ,  de  1  i  8 
heures  du  matin.  Le  malnde  nous  dit  qu'il  voit 
tr6s  claireniont  depnis  hull  heures,  mais  que  pen- 
dant la  nuit  Vobscurcissement  de  la  vue  etail  tel  qu'il 
ne  pouvait  dislinguer  ni  les  personnes  placies  prc'i  de 
son  lit ,  ni  meme  les  lasses  de  boisson  qu'on  lui 
presentail. 

Depuis  cette  6poque  jusqu'au  1"  mai^  c'esl-6-dire 
pendant  Irois  mois  ,    T^lat  du  malade   esl  loujours 
resl6   a  pen  pr^s  le  m6me,    malgr6  le  Iraitement  le 
1.  3 


—  34  - 

plus  6nergique  el  )e  plus  vnri6.  Limojiade  sulfuri- 
que  ,  eiiu  de  Vichy,  purgalifs  drasliqiies ,  diyilale 
h  haute  dose  ;  ferrugiiicux,  v6sicatoires  r6p6l6t)  sur 
la  coloniic  verl6brale,   elc,   elc. 

L'appiilit  a    (oujuurs  616  bon,   la  fifeyre  nulle. 

L'urine,  acide,  en  quan^itft  normale,  a  toujours 
616  plus  ou  moins  brunc,  el  serablable,  en  g6n6ral, 
au  bouillon  do  boeuf,  pour  la  couleur  el  pour 
Todeur.  Le  de|>6l  aibuniiiieux  a  vari6  entrt-  un 
quari  au  minimum,  el  moiti6  au  maximum,  dc  la 
quanliti  d'urinc  ,  en  volume ,  api'^s  vingl-qualre 
heures  de  repos. 

L'oed^me  a,  presque  loujoiirs,  616  g6n6ral ;  raais 
il  6lciil  cepeiulanl  plus  prononc6  lantot  i  la  face, 
tanlO(  au  thorax,  laulOl  aiix  jambes,  lanlOl  a  Tab- 
domen,  lanl6t  aux  bourses  ;  on  !e  voyail  dimi- 
nuer  rapidement  dr.ns  une  r6gion  h  mesure  qu'il 
augmenlait  dans  une  autre. 

Ces  variations  de  Toed^me  6taienl  quelquefois 
felles  qu'en  moins  d'une  heure  les  bourses  acqu6- 
raienl  le  volume  de  la  t6te  d'un    enfml. 

Jamais  il  n'a  616  possible  d'elablir  de  relation 
en! re  les  variations  de  Toedime  el  les  varialions  de 
I'aiburaine. 

La  vue  a  616,  Ianl6t  lr6s  nelle  ,  tanl6t  lr6s 
Irouble,  sans  que  les  yeux  aienl  jamais  ces>.6  d'6lre 
limpides,  el  sans  que  les  pupilles  aienl  presenl6  de 
roodificalions  appr6ciables.  Pendafil  une  quinzaine 
de  jours,  le  malade  lisjit ,  sans  la  plus  16g6re 
fatigue  ;  puis  les  quinze  jours  suivanls,  la  moindre 
allention  le  faliguait,  la  lumierc  nalurellc  ou  arli- 
ficielle  lui  causait  une  impression  doulourcuse.  Ja- 
mais il  n'6lail  possible  d'observer  ni  aucune  relation 


—  35  — 

precise  entre  I'^tnt  de  la  vue  ct   la  quantity  d'al- 
bumirie  on   ra?dt^me. 

Ainsi  ,  da  IS  ou  2'2  mars,  d6s  que  le  malade 
vouliiil  lire  Ics  premieres  W'^ues  d'liiie  page,  ses 
yeux  se  porlaioni  ,  malgr6  l(ii  .  siir  ies  derni^res. 
Lc  soir  airiv6,  il  ('Mail  oblige  de  se  cacher  datis 
son  lit  pour  iic  pas  voir  la  bougie  ;  el  si,  par  ha- 
sard  ,  on  s'approcluiil  de  lui  avoc  une  liimiere  ,  il 
se  plaigiiail  de  lecevoir  comiue  un  coup  violent 
dans  Ics  yeux. 

A  rclle  6poque.  cencndanl,  V.  . .  6(;!il  beaiicoup 
plus  fori  que  dans  1 1  deriii^re  qiiiiizaiiie  de  Janvier, 
alors  qii'il  avail  la  vue  lr6s  nelle,  el  que  la  ki- 
miere  ne  lui   causail   aurune   impression   p([Miible. 

L'tHal  dii  malade  reslail  dorc  h  pen  prfes  le  m6me 
depuis  trois  mois,  lorsque,  d.ins  Ies  premiers  jours 
de  mai,  je  lui  presorivis  un  bain  de  v.ipeiir  lous 
Ic-s  deux  jours  (a  Taide  de  la  lianpe  h  aicool  ),  el, 
pour  boisson  extlusive,  enlre  Ies  repas,  la  limonade 
azolique  k   la  dose  de  500   a    700  grammes. 

Soil  simple  coim  idence,  car  le  m6me  Irailement 
a  6ihou6  chez  d'aulres  malades,  soil  heureuse  in- 
fluence de  ces  moyeiis  ,  c  e4  ci  daler  de  (e  mo- 
ineiil  que  roed^me  dijparail  insen>ibicmenl  de  loules 
Ies  regions  du  corps,  en  conin:en(;anl  par  Ies  re- 
gions sup6rieures,  et  que  Talbumine .  qui  n'avait 
jamais  formt^  moins  du  quarl  de  Purine,  en  vo- 
lume ,  forme  seulemenl  le  sixi6me ,  el  enfin  le 
dixi^me. 

La  vision  n'6prouve  plus    aucun    trouble,  et ,  le 

1"  juin,  V n'ayant  plus  qu'un  peu  de  gonflement 

aux  jambes,    relourne.^  son  atelier,  d'al>ord  pour    s'y 


—  36  — 

tjislraire  par  une  occupation  sans  fatigue,  et  bient6t 
pour  y  reprendre  ses  Iravaux  habiluels,  qu'ii  n'a 
pas  interrompus  depuis. 

V n'a   jamais  pris ,    par  jour,    moins   d'une 

demi-bouleille  ni  plus  d'une  bouieille  de  limonade 
azolique  ,  (35  goulles  d'acide  par  bouieille  d'eau 
sucr6ej.  II  a  continue  a  prendre  cetle  limonade 
tous  les  jours,  el  un  bain  de  vapeur  lous  les  deux 
jours  jusqu'au  15  juillet. 

Les  urines,  examinees  lous  les  jours  pendant  les 
six  premiers  mois,  et  lous  les  huit  jours  ensuile, 
onl  ronlinu6  h  donner,  el  donnenl  encore  au- 
jourd'hui ,  r^  oclobre ,  un  dixi^mc  de  coagulum 
albumineux  ;  mais  la  sanl6,  les  forces,  la  vue , 
etc.,  n'ont  pas  6prouv6  depuis  le  Ur  juin  la  moindre 
atleinle. 

Ce  qui  frappera  principaleroent  dans  celle  ob- 
servation, c'esl  le  trouble  de  la  vue  survonu  d6s 
le  debut  mfime  de  raCTeclion.  Trouble  qu'on  ne 
peul  altribuer  ni  a  la  faiblesse,  puisque  le  malade 
esl  aussi  fort  que  d'liabitude  ,  ni  aux  troubles  g6- 
n6raux  produits  par  la  mahidie  ,  puisque  Taniaurose 
disparait  plus  lard,  quand  les  troubles  g6n6rauxsonl 
plus  inlenses;  ni  aux  remedes  employes,  puisqu'il 
n'y   avail  point  encore  eu  de   Irailemenl. 

Mais,  ce  que  je  veux  signaler,  surtoul,  c'est 
la  di(licull6  d'arriver,  dans  ce  cas  pourlant  Ires 
simple,  h  constater  un  pb6nom6ne  aussi  manifeste. 
Or,  si,  prfes  d'un  horame  inicliigent ,  j'ai  eu  tanl 
de  peine  it  conslaler  ce  symplCrae ,  moi  qui  avais 
ifll^r^l  &  le  Irouver,  que  sera-ce  pr6s  des  malades 


—  37  — 

k  qui  on  se  borne  h  demander  :  voyez-vous  bien  ? 
Avez-vous  loujours  bien  vu?  SurtoiU  quand  des 
id6es  pr^congues  font  douler  d'avance_de  la  r6alil6 
du   ph6nom&ne  5   6tudier? 

Ajoulez  a  cela  que  les  malodes  atlribnenl,  le 
plus  souverit,  ce  (rouble  des  yeux  h  la  faiblesse, 
h  la  douleur,  h  la  diele,  au  Irailemenl ,  etc;  qu'en 
g6n6ral  ils  y  pr6lent  peu  d'altenlion  ,  et  qu'ils  Font 
naUircllenienl  oubli6,  lorsque,  quelques  mois  plus 
lard,  ils  sont  interrog6s  sur  les  circonstances  qui 
onl  marqu6  le  d6but   des  accidents. 

Telle  est  la  raison  pour  iaquelle  plusieurs  obser- 
valeurs  habiles  n'ont  pas  constats  d'amaurose  chez 
les  albuminuriques. 

Beaucoup  de  malades ,  en  effet ,  iie  sachant  pas 
lire,  ou  ne  lisanl  pas,  et  beaucoup  exergant  rare- 
ment  leur  vue  sur  des  objets  de  petite  dimension, 
il  devienl  difficile  d'appr6cier  les  troubles  de  ^la 
vision.  Ces  troubles  ont  pu  6trc  tr6s  prononc6s  au 
d^bul  dc  la  maladie ,  ^ans  que  le  malade  ait  eu 
occasion  de  s'en  apercevoir ;  ils  onl  pu  diminuer 
plus  tard,  la  nephrite  albumineuse  exislant  encore, 
et  fester,  d6s  lors ,  compl6temenl  mticonnus  du 
malade   et  du    m6decin. 

Ainsi ,  quand  ,  quelques  jours  ^apr^s  ma  com- 
munication k  I'AcadSmie  ,  M.  Michel  L6vy  vcnait 
signaler  deux  albuminuriques  sur  trois  ,  qui  [n'of- 
fraient  pas  d'amaurose ,  nul  doute  qu'il  nViit 
ajoul6  aux  deux  premiers  faits  n^galifs  celui  qu'on 
vient  de  lire;  car  le  malade  eul  rfipoiidu  au  savant 
professeur  du  Val-de-GrAce ,  co.nme  a  moi  :  °Ma 
vue  est  bonne  ,   Ires  bonne ,    et   elle   Va  [toujours  He. 

Plus  tard  ,  encore  ,  si   le  malade  n'avait  pas  lu , 


_  58  — 

il  n'aurail  pu  penser  que  la  ieclure  lui  serail  dif- 
ficile car  ii  distinguait  neltemerU  les  ohjcls  or- 
dinaires. 

Ainsi  ,  les  Iroub'es  de  la  viie  peuvent  ,  dans 
certains  cas ,  resler  ignores  des  malades  el  des 
m^decins,  soil  au  d^but,  soil  dans  le  coups  de  la 
nephrite  albumineuse. 

J'ajoulerai  mainfcnant  que  ,  dan«  piusieurs  ob- 
servations, Tex.  men  des  urines  6lail  Irop  incom- 
plel  pour  caracl^riser  la   maladie   do  Bright. 

Que  les  urines  soienl  albumineuses  ou  non  ,  la 
chaleur  y  produil  uii  coaguhim  form6  par  cerlains 
sels ,  el  surtoul  par  les  phosphales  dans  les  urines 
alcalines  ;  I'acide  azolique  y  pr6cipile  de  Taiide 
urique,  de  Turale  d'ammoniaqi)e  ,  el,  quelque 
habitude  qu'on  ail  de  ces  reactions,  elies  peuvenl 
6lre  Irfes  faciiemcnl  confondues  avec  celies  de  Ta!- 
bumine. 

Or ,  Faride  azolique  emp6chanl  o\i  dtSlruisant  le 
pr6oipit6  forni6  par  les  phosphales,  el  la  chaleur 
celui  formt^  par  Tacide  urique  ou  les  urates,  il  n'y 
a  pas  d'crreur  h  cr.indre,  des  qu'on  a  recours  i 
ces  deux   proc6dts  simuitan^menl. 

Youlant  donner  ii  res  recherchcs  la  plus  grande 
precision  ,  je  dissolvais  m6me  Talbumine  par  la 
polasse  ou  par  Tacide  acd'liqnc ;  el,  en  oulre , 
6ludianl  principalemenl  ralbiinaimiiie  sousle  rappurl 
des  troubles  visuels ,  je  ne  devais  pas  maiiqncr 
d'd^prouver  les  urines  par  les  r6aclifs  dc  Bareswil 
ou  de  M.   Maumen6. 

11  y  a  quelques  jours  encore  ,  au  lit  du  malade,  je 
faisais  remarquer  aux  61eves  de  I'Hdlel-Dieu  combien 


—  39  — 

ces  pr6caulions  sonl  loin  d'etre  inullles ,  et  commenl 
des  pr6cipi(6s  Strangers  peuvenl  en  iinposer  pour  dcs 
pr6cipil6s  formes  par  ralbuminc  ,  surloul  chez  des 
malades  oeii6maleux  qu'on  peul  d6ji,  d  priori ,  sup- 
poser  alleints  do  ia  maladie  de  Brigjit 

Ai-jc  besoin  de  dire  qu'on  no  doit  lirer  aucune 
conclusion  de  I'albumine  conslattie  apres  I'applica- 
lion  des  v6sicaloires,  el  qu'il  faul  iiUendre  assez 
pour  qu'on  ne  puisse  plus  allribuer  TaU^ration  de 
I'urine  a  I'action  des  canlhatides? 

Ceci  pos6  ,  voyons  les  fails  invoqu6s  conlre  Tamuu- 
rose  dans  la  nephrite  albumineuse  : 

En  les  r6unissanl  tous ,  je  trouve  deux  cas  si- 
gnaU^s  bi  rAcad6niie  par  M.  Honor6  ;  trois  ,  par 
M.  Deboul,  dans  le  Bulletin  de  th^rapeulique  el 
dans  la  Gazelle  des  hdpilaux  ;  liois  ,  par  M.  Mii  hcl 
L6vy  ;  deux  ,  par  M.  Ancelon,  dans  I'llnion  ra6dicale. 

Les  fails  de  M.  Honor6  n'ayanl  pas  616  publics 
ne  peuvenl  6tre  discul6s  ;  je  les  adraels  conime  des 
exceptions ,  me  bornatit  h  leur  opposer  ceiui  que 
M.  Roux  invoquait ,  dans  la  ra6rae  stance,  ix  I'appui 
de  mes  conclusions. 

Quanl  aux  Irois  malades  de  M.  Michel  L6vy  ,  je 
pourrais  dire  que,  chez  Tun,  lalbuniinurie  parail  avoir 
succ6d6  h  la  scarlaline ,  el  que  j'avais  annonc6 , 
dans  mon  m6tnoire  ,  n'avoir  pu  6ludier  encore  ,  sous 
ce  nouveau  poinl  de  vue  ,  Talbuminurie  cons6culive 
h  la  scarlaline  :  je  pourrais  ajouler  (\ue  des  urines 
qui  pr6ci[tiienl  abondamraent  le  1 4  ,  el  qui  cessent 
de  pr6( ipiler  le  20  ,  ne  ca!acl6ri>enl  pas  la  maladie 
de  Blight,  et  quej'ai  parl6  seulement  de  la  maladie 
de  Bright. 


—  ZiO  — 

Mais,  j'admels  ces  Irois  fails  pour  des  maladies 
de  Bright,  el  je  domande  si,  en  examinanl  Tun 
des  malades ,  six  jours  apr^s  la  disparilion  romp!6le 
de  la  nialadie  ;  I'aiilre  ,  plus  de  dix-lndt  mois  apres 
I'origine  des  accidents  ,  on  esl  en  mei^ure  de  se 
proiioncer  avec  quelque  cerlitude  sur  les  ph6rio- 
m^nes  qui  ont  pu  se  manifeslcr  au  d^bul  ou  dans 
le  cours  de  i'affcction? 

Evidemment  ,  je  le  r6p6le  encore,  si,  an  bout 
d'uf)  an  ,  on  eul  in(errog6  ,  sur  I'^lal  de  sa  vue  , 
le  maiade  dont  j'ai  lrai:6  sommaitemenl  I'histoire  , 
il  eiil  r^pondu  qu'elle  elait  Ir6s  bonne  alors ,  puis- 
que  ,  moins  de  qninze  jours  aprfes  I'origine  des  ac- 
cidents, il  faut  le  pressor  de  quesiions  pour  Tarae- 
ner  'i  diie  qu'il  a  quiil6  son  alelier  parce  qu'il 
confondait  (oules  les  couieurs. 

Des  trois  faits  publics  par  M.  Michel  L6vy  ,  I'un 
confirme  done  la  coincidence  de  I'amaurose  et  de 
la  n6phri(e  albumineuse ,  el  les  deux  autres  ne  peu- 
venl  rinfirmer. 

Mais  ce  qui  m'a  surpris ,  surloul ,  dans  la  discus- 
sion de  M.  Michel  U^vy  ,  c'est  cetle  reflexion  «  qu'il 
»  serait  ^lonnanl  que  ce  sympl6me  eul  6chapp6 
»  complfelemeni  jiisqu'fi  ce  jour  a  lant  de  m^dedns 
»  6iTiinenls  qui  ont  conlribu6  a  fonder  et  i  completer 
»  rhistoire   de    la   maladie  de  Bright,   o 

Comroe  si  les  choses  les  plus  faciles  ii  frouver 
6laienl  les  premieres  qu'on  cherche  ou  qu'on  ren- 
contre! Co:nme  si  Hippocrale  avail  connu  le  pouls  ; 
Corvisarl,  Tcndocardile;  Laennec,  Its  bruilsdu  foeius, 
Alibert,  Tacarus  *,  Liebig,  le  Sucre  du  foie  ;  Tiede- 
miinn,  Tusage  du  pancreas,  etc.,  etc.;  comma  si, 
onfin,  le  plus  simple  ouvrier  ne  pouvait   Irouver  k 


-  /l1  — 

placer  ulilemenl  une  pierre  oubli^e  par  le  plus  ha- 
bile  archileole  ! 

Dans  quolques  jours ,  je  dSmonlrerai  que  I'h^mi- 
pk'-gie  faciale  s'accompagne  presquc  conslammenl 
d'exiillalion  de  I'ouie  du  (616  p;iralys6.  M.  Wiihel 
L(}\\  s'6loniiera-l-il  que  ce  sympldme,  s'il  6lail  aussi 
fr(^quenl  que  je  I'annonce,  ail  6chapp6  h  Gregory, 
]\Jontaul,  HJagendic,  Berord,  Didaij,  Debrou,  Cru- 
vcilhicr,  Gosselin,  etc.,  qui  ont  conlribu6  h  6cloirer 
I'hisloire  de   la  paralysie  de  la  seplifeme  paire? 

Quanl  a  raoi ,  cc  qui  m'6lonncrail  bien  davan- 
lage ,  ce  serait  qu'un  m6me  observaleur  eiil.  di^- 
rouverl  lous  les  pbcnomeiies  rclalif"*  h  une  mC'vae 
aCffclion  ;  surlout  quand  celle  affeiMion  n'esl  pas 
plus  frequenle  que  la  nephrite  albumineuse  ou  ThS- 
mipli!!gie  faciale. 

Si  j'ai  insists,  en  passant,  sur  eel  argument, 
c'esl  qu'en  effet,  celle  id^e  que  les  mailres  ont 
tout  vu  el  tout  dil  arrele,  plus  qu'ou  ne  croit,  les 
progres  de  la  ni6decine ,  en  faisant  consid6rer , 
comme  exceplionnels,  des  ph6nom6nes  pourianl  assez 
frequents,  mais  qu'on  croil  s.ms  valeur,  par  cela  seul 
qu'ils  ne  sonl  pas  jniliqu6s  dans  les  livres  ! 

Or,  quand  on  voit  un  pareil  argument  lomber 
de  la  plume  de  M.  Michel  L(!!vy,  I'un  des  esprils 
les  plus  larges,  sans  conlredil,  el  les  plus  6clair6s 
de  noire  6poque ,  peul-on  esp6rer  voir,  de  sii6f, 
rautoril6  des   fails    remplacor    Tauloril^  des  noms? 

Des  Irois  observations  que  rapporle  M.  le  docleur 
Debout  dans  le  bullelin  de  lh6rapeulique ,  la  pre- 
mi6re  confirme  mon  opinion  ,  puisqu'au  d6bul  les 
objets  paraissaient  au  maiade   plus  volumineux  que 


-  42  — 

d'habitude,  el  les  deux  aulres  sonl  trop  peu  d6taill6s 
pour  6lre  discul6s  ulilemenl.  M.  Debout  explique, 
il  est  vrai,  ce  trouble  de  la  vue  au  d6bul  par  faffai- 
blissemeril  g^nt^ral  de  la  conslilulion ;  mais  noire 
savant  confrere  n'a  observ6  le  maiade  que  qualre  mois 
apres  rorigine  des  accidents.  Or,  Tamaurose  sou- 
vent  tres  prononc6e  au  d6but ,  alors  que  les  fojces 
n'ont  pas  diminu6  d'une  manifere  appreciable,  dis- 
paraissant  dans  le  cours  de  la  maladie  ,  quelquefois 
au  moment  de  la  plus  grande  faiblesse ,  il  n'y  a 
pas  lieu  d'allribuer  I'araaurose  albuminurique  a  retat 
anemique  des  malades. 

M.  Debout  ne  nie  pas,  d'aillcurs,  I'amaurose 
dans  la  nephrite  albumineuse,  mais  seulement  au 
d^but,  el  il  assure  que  «  M.  le  professeur  Forget 
»  a  d6m(tnlr6 ,  depuis  longlenips,  que  Tamaurose 
»  devail  6lre  inscrile  dans  la  s6m6iologie  de  la 
»  miladie  de  Brigbt.  » 

J'en  demande  pardon  k  M.  le  r6dacleur  en  chef ; 
mais  il  y  a  ici  une  erreur  qu'il  s'empressera  ,  je 
n'en  doute  pas,  de  r6parer  h  Toccasion,  avec  son 
imparliMJll*^  habiluelle  :  car,  avant  ma  communi- 
calion  fi  TAcademie  I'amaurose  albuminurique  n'avait 
6t6  sigu.ib^e  rii  par  M.  Forget,  ni  par  aucun  autre 
observateur,  ni  dans  le  bulletin  de  Iherapeutique  , 
ni  dans  aucun  autre  recueil. 

Le  c^lfebre  professeur  de  Strasbourg ,  dans  un 
m6moire  Irfes  important ,  dont  je  parlerai  lout  h 
I'heure,  et  qui  a  paru  un  mois  aprfes  le  mien,  prend 
m6me  loules  les  precautions  que  peut  sugg6rer  la 
loyaute  scienlifique  la  plus  exag6r6e,  pour  eiablir, 
sur  ce  point,  mes  litres  de  propri6i6 ,  el  il  ter- 
mine  ainsi  :  «  Au  demeuranl,   k  M.  Landouzy  ap- 


—  /i3  — 

»  pardenl  (  sauf  r6clamalions  ull6rieures)  !e  m6rite 
»  d'iivoir,  le  pieniier,  appel6  !'al(enlion  des  obser- 
»  valours  sur  un  sympt6me  imporliiiil  et  assez  fr6- 
»  quciil  de  ralbuniinuric.  Cede  nole  n'esl  done 
»  point,  (ant  s'cn  fauf,  unc  revendicalion  de  prio- 
»  iil(5  •,  c'esl  un  l6moignage  de  plus  h  i'appiii  des 
»  observations  de  noire  habile  confrere  :  adjiciamus 
»  auriim  auto  ». 

ElTcdivement,  raes  observalions  ,  qui  loulcs  onl 
eu  pour  l6moii)s  des  confreres  de  Ucims  ou  des 
environs,  rcmontenl  a  18V6  ;  el,  deux  ans  au  moins, 
avanl  la  publiralion  de  mon  m6moire  ,  j'avais  parl6 
de  ce  pli^nomene  Ix  mes  anciens  collogues  MM.  Tar- 
dieu  et  Voilleuiier  ,  en  les  prianl  mfiiiio  de  T^ludier, 
&  foccasion,  dans  leur  service  des  hfipilaux  de  Paris. 

Les  pauvres  lienncni.  plus  que  les  riches  k  leur 
modeste  p6cule;  aass"  ,  mon  savant  confrere  ,  M. 
Dehout  ,  Irouvera-t-H  jusle  que  j'aie,  en  passant, 
notlemenl  r6solu  la  question   de  priorit6. 

QiianI  h  la  nole  publico  par  M.  le  doctour  Ance- 
lon  ,  dans  V Union  wi-dicale ,  je  I'aurais  examinee 
avec  loule  ratleution  que  m6ii!e  le  talent  bien  connu 
de  Tauieur ,  si  les  renselgnements  rolatifs  i  la  vi-ion 
n'avaieni  (4k  pris  sous  forme  relrospeciive  ,  c'esl- 
5-dire  cinq  niois  ai)res  la  giu'risou  complete  des 
malades  ;  el  si,  d'aili'iurs  ^  dans  Tun  de  cos  ras  , 
I'albuuiiiie  n'avait  disparu  au  bout  de  48  beures 
de  iraiiemenl ,  ce  qui  exclul  Tid^e  d'uue  veritable 
naladie  de   Bright. 

A  ce  propos  ,  je  ferai  de  nouveau  remarquer  que , 
dafis  mes  conclusions,  j'ai  seulement  par  6  de  la 
maladio  de  Bright  ,  de  la  nephrite  albumineuse , 
et  nullement  de  I'alburainurie   en  g6n6ral  ,  c'est-a- 


—  kh  — 

dire  de  ces  6ta(s  oil  Ton  trouve  aussi  de  ralbumine  , 
mais  en  quan(ii6  beaucoup  plus  faible  ,  el  pendant 
un  (emps  beaucoup  moins  long  que  dans  la  nephrite 
albuniineuse. 

Que  si  j'ai  employ^  Texpression  nephrite  albumineu- 
se,  ce  n'esl  pas  qu'elle  exprime  pour  moi  la  nature  de 
I'affeclion ,  mais  parce  qu'elle  esl  pass6e  dans  la 
languc  m^dicale  ,  el  qu'elle  correspond  aujourd'hui , 
pour  la  pluparl  des  m^iecins,  h  eel  ensemble  d'al- 
l(5ra(ions  fonclionnelles  el  organiques  que  Bright, 
Royer,  Marlin-Solon ,  elc,  onl  si  bien  caracl6ris6, 
el  que  j'ai  presque  loujours  vu  coTncider  avec  les 
troubles   de  la  vision. 

Moins  que  personne,  d'ailleurs ,  je  crois  b  une 
inflamraalion  primitive  du  rein  dans  la  maladie  de 
Bright,  puisque  le  premier  j'ai  6mis  Topinion  que 
Talleralion  de  s6cr6tion  ne  d^pendail  pus  de  la  l6sion 
du  rein,  mais  la  16sion  du  rein  de  TaUfiration  s6- 
cr6loire,  ou  de  la  cause  qui  produit  Tall^ralion 
s6cr6toire. 

Je  ne  dis  pas ,  cependant ,  que  dans  certains 
cas  d'albuminurie  Strangers  h  {'ensemble  des  ph6- 
nomemes  palhognomoniques  de  la  maladie  de  Bright, 
il  n'y  ait  pas  de  troubles  de  la  vision;  un  fait 
recent  me  porterait  m6me  h  croire  que  ce  trouble 
peut  se  manifester  sous  I'influence  d'un  tr6s  large 
v6sicatoire;  je  dis  seulement  que  j'ai  exclusive- 
ment  parl6  ju^qu'alors  de  la  maladie  de  Bright 
caract6ris6e;  que  je  n'ai  m6me  cit6  que  des  cas 
lr6s  graves  ,  et  que  plusleurs  des  faits  consid6r6s 
comme  nfigatifs  n'6taient  probablement  pas  des  ma- 
ladies de  Bright. 


-  65  - 

Sans  me  livrer ,  d'ailleurs,  a  cette  discussion 
qui,  peul-6lre,  n'a  pas  6l6  inutile  pour  bien  pr6- 
ciser  la  question,  j'aurais  pu  opposer  h  ces  fiiils 
n^galifs  un  nombre  au  moins  (^gal  de  fails  posilifs, 
signal6s  depuis  mon  mtmoire  par  MM.  Roux  k 
Paris,  Forget  h  Strasbourg,  Florent-Cunier  h 
Bruxelles  ,  Cucuel  h  AVisserling  ,  Collard  a  Beine, 
Charrois    &   Vitry,  Brelonneau   h   Tours,    etc. 

Je  pourrais  en  opposer  de  nouveaux  dans  lesquels 
la  coincidence  de  I'amaurose  el  de  la  nephrite  al- 
bumineuse  s'esl  monlr6e  de  la  mani^re  la  plus 
manifesle  au  d6bul  el  dans  le  cours  de  la  maladie. 

Celle  coincidence,  je  I'ai  observ6e  ,  aujourd'hui 
encore,  avec  M.  le  docleur  Bienfail  ;  il  y  a  quel- 
ques  jours,  aV' c  MM.  H enrol  el  Wyslouch;  ii  y  a 
quelques  mois,  avec  MM.    Dec6s  el  Henrol.' 

Si  elle  est  une  exception  6  Paris,  elie  est  done 
une  r6g!e  h  Reims,  et  rafime  une  r6gle  Ires  g6n6- 
rale,  puisque  parnii  les  fails,  que  j'y  ai  r^cemment 
observes  avec  mes  confreres  ,  il  ne  s'est  pas  ren- 
conlr6  une  seule  exception. 

Ces  exceptions  de  Paris  doivenl  du  resle  m'Clre 
impulses,  je  le  reconnais  sinc^ireipenl  ;  car  ayant 
toujours  vu  dans  mon  premier  travail,  qui  ne  com- 
prenail  que  des  cas  tr6s  graves,  les  troubles  de  la 
vue  suivre  les  phases  de  Talbuminurie,  j'en  avals 
induil  une  relation  conslanle. 

Les  observaleurs  qui  exarainaienl  d'aprfes  moi  , 
el  qui  voulaient  imm^diatemenl  de  Tamaurose,  puis- 
qu'il  y  avail  de  Talbumine  ,  pouvaient  done  logi- 
quemenl  conclure  k  I'absence  de  la  coincidence,  dans 
les  cas  d'absence  d'amaurose. 


_  46  — 

Or,  un  fnil  qui  ressorl  des  observations  de  M, 
le  professeur  Forget,  cl  de  cellos  que  j'ai  failes  de- 
puis,  c'esl  que  I'amaurose  ne  suit  pas  d'une  rna- 
nieri>  aussi  rc^guliere  que  je  Tavais  p<"ns(^,  les  phases 
de  ralbumiiiurie.  L'observation  in>er6e  plus  hut 
en  est  une  preuve  frappante.  el  j'ai  fail  la  nn6me 
remarque  duns  plusicurs  aulres  cas.  Ain^i ,  chcz  le 
malade  que  j'ai  vu .  en  consuUalion  ,  avec  mes  sa- 
vants confreres  Dercs  el  Henrot,  Ics  troube'*  de 
la  vue  ont  616  Ids ,  a  plusieurs  reprices  ,  qu'ils 
rcndaienl  impossible  la  lecture    d'une  siule  ligne. 

Le  malade  npcrccvail  des  points  noirs ,  des  nua- 
ges,  des  soloils;  lous  les  objets  lui  parais^aieut 
confus.  II  n'en  parla  ccpendanl  ni  h  ses  parents, 
ni  h  son  m6decin,  dans  la  craiiite ,  dit-il,  d'ef- 
frayer  sa  famille;  e!  ce  n'esl  qu'en  voyanl  rinli''r6t 
que  nous  mcllions  a  connaitre  lous  les  details  de 
la  maladie  ,  qn'il  nous  avoua  que  ,  pendant  quel- 
que  temps,  il   avail  craint  de  devenir  aveugle. 

Le  jour  do  la  consuUalion  ,  le  malade  avail  la 
vue  tr6s  neite;  la  somaine  suivante,  il  ne  peut 
parvenir  a  lire  une  lellre.  Le  jour  oil  je  vais  prendre 
son  observalion  ,  il  >oit  parfailement  ,  el  lil  sans 
difficulle  plusieurs  phrases  d'un  journal  de  mi;de- 
cine;  le  lendemain  ,  il  se  plainl,  de  nouveau,  des 
sob  ils ,  des  nuages  ,  des  laches  noires ;  el  lout 
cela,  sans  relalion  apprt'ciable  ni  avec  I'^lat  g6n6- 
ral ,  ni  avec  I'oedeme  .  ni  avec  la  quantity  d'albu- 
raine;  sans  le  moindre  trouble  inlellectuel ,  sans  le 
moindre  trouble  des  aulres  sens;  sans  la  moindre 
alteration  appreciable  des  milieux  transparenls ,  ni 
des  pupillcs. 


-  hi  — 

Je  reconnais  done  ,  avec  M.  Forget ,  que  I'amau- 
rose  peul  dispamiire,  le  d6p6l  albumineux  pcrsis- 
lanl ,  raais  jc  mainliens  nies  aiilrcs  conclusions 
relatives  h  la  frt^qiuMice  de  ce  symplCme  pendant 
le  cours  de  rafTcclion  ,  et  surlout  an  debut,  Ainsi, 
la  maliidc  que  j'ai  vue  ce  matin  ,  avec  M,  le  docleur 
Bicnfait  ,  a  6prouv{!!  ,  il  y  a  qualre  ans  environ, 
un  trouble  de  la  vue  tcl ,  qu'aitendant  souvent, 
sur  le  pas  de  sa  portc,  le  retour  de  son  niari , 
elle  voyait  dans  la  rue  de  grands  rasst-niblcmenls, 
la  oil  il  n'y  avait  qu'une  ou  deux  personnes.  Plu- 
siours  fois,  a  cette  6poqiie  ,  elle  a  consults  pour  ces 
troubles  de  la  vue,  qui  out  nolablemcnt  diminu6 
sous  rinlluence  d'une  saigiK^e,  mais  qui  Tout  empfi- 
ch6e  cependant  de  se  livrer  a  aucune  occupation  Pen- 
dant le  premier  quart-d'heure  ,  elle  voit  parfaite- 
menl  pour  lire  ou  pour  coudre,  mais  ensuile  la 
vue  se  brouille  compieleir.ent. 

Or,  celle  malade  consuilani  il  y  a  huif  jours, 
pour  la  premiere  fois,  M.  Bienfait  ,  au  sujet  d'un 
oedeme  aux  jambes  ,  lui  dit  que  dopuis  un  an  ses 
uiines  out  une  odeur  el  nne  coulenr  inaccontu- 
m(^es  ;  qu'ellcs  monssent  d'une  niani6ic  exlraordi- 
naiie,  et  qu'en  vidaot  le  vase,  la  mou>'se  reste 
adb6renle  aux  parois ;  el ,  ces  details  elle  les  donne 
sponlan6ment ,  et  avant  d'61re  inlerrog^e  sur  I'^lal 
des  urines. 

Cel!es-ci  sont  ,  du  reste  ,  Ires  brunes ;  elles  out 
une  forte  odeur  de  bouillon  de  bcBuf ,  et  donnenl 
un  d(!!p6t  abondanl  d'albumine  ,  sous  Tinfluence  de 
la  chaleur  et  de   I'acide  azolique. 

Ici ,  6videmment ,  I'amaurose  a  6t6  le  symptdme 
initial  ,   le  premier  sympl6me  appreciable  de  la  ma- 


-  h?>  - 

ladie  de  Bright,  dont  la  saign^e  a  peul-6(ie  retards 
le  df^veloppemeul. 

II  en  a  el6  de  rii6me  dans  la  premiere  observa- 
tion de  M.  Forget  [\).  II  en  a  et6  de  nif-nie  dans 
celle  de  MM.  Florent-Cunier  (2) ,  dans  celle  de 
M  Collaid  ^,3),  dans  cel'e  de  M.  Ciicuel  (4)  ,  etc. 
II  en  serail  de  nieme  plus  souvent  ,  si  ,  plus  ^ou- 
vent  ,  les  circonslances  t^taienl  a-^sez  favo rabies  pour 
permettre  d'^lablir  ,  d'uiie  maniere  precise  ,  lous  les 
ph^nomenes  qui  out  prSc6d6  el  accompagnS  I'origine 
de  la  maladie. 

Que  si  j'iiisisle  sur  celle  apparition  dcs  troubles 
de  ia  vue  au  d6bul  ,  ce  n'esl  pas  assur^menl  pour 
la  satislaction  d'avoir  d<!'couvert  un  prodrome  de  plus 
h  une  maladie  grave  ,  mais  parce  que  la  nais^ance 
de  ce  symplOme  avanl  I'anasarque  doit,  d'une  part, 
amener  h  d'autres  id6es  palhog(^iiiques  sur  la  ma- 
ladie de  Briglh  ,  et  ,  d'une  auire  part ,  ^veiller  acli- 
vemeiil  railenlion  du  pralicien  au  d6but  de  toule 
amaurose. 

Sous  le  rapport  palhogt^nique  ,  mes  induclions  de 
Tann^e  derniere  se  Irouvent  dtja  ,  en  parlie  ,  reali- 
s6es  par  la  belle  d^couverle  de  M.  Beriiard,  qui  rend 
le  rein  Stranger  au  diabele  ;  el ,  sous  le  rapport 
pratique  ,  bon  nombre  de  inalades  qu'on  eiil  traites 
I'an  dernier  pour  Taccidont  symptomalique ,  Tamau- 
rose ,  sont  trailSs  maintenanl  pour  raccidenl  prin- 
cipal ,  la  nephrite  albumineuse. 

(1)  Union  raedicale,  novembre  l849. 

(2)  Annates  d'oculislique,  31  octobre  1849. 

(3)  Union  medicale,  6  avril  1850. 

(4)  Id.  n  Janvier  1850. 


—  h9  - 

Or,  si  I'on  consii^re  la  gravil6  Je  la  maladie  de 
Bright,  on  avouera  qu'il  ri'est  jamais  (rop  (01  pour 
la  comballre  ,  et  qu'on  no  saurail  assez  insislor  sur 
les  symplOmes  propres  a  la  sigiia'er  dfes  son  origine. 

L'affaiblissemenl  de  la  vue  ,  signalc  par  le  doc- 
feur  Frick  de  Ballinnore  ,  cl  par  le  docleur  Bird  dans 
roxalurie  ,  par  M.  Bouchardat  dans  Thippurie  et 
dans  )a  bcnzurie,  ajouJe  encore  h  Tinlt'rf't  de  cellc 
queslion,  cl  coiifiruie  pleinemcnt  ma  doctrine  d'une 
all6ra(ion  nervcuso  priinifive.  Mais ,  on  remarquera 
la  difference  qui  exisle  enlrc  les  (roubles  d(!  la 
vue  coincidant  avec  Talbumine ,  et  les  troubles  de 
la  vue  coincidant  avec  le  surre,  Tacide  bcnzoiquc, 
hippurique  ,   etc. 

Dans  le  diabete ,  dans  I'liippuric,  dans  la  ben- 
zurie,  raCfaiblisscment  de  la  vue  coincide  avec  I'affai- 
blissement  g6n6ral  de  r^conomie  :  dans  Talbumi- 
nurie  ,  il  existe  fr^qucmment  avant  tou!e  deteriora- 
tion   des   forces. 

Dans  le  diabete  ,  raffniblissement  de  la  vue 
augmcnie  en  meme  temps  que  la  maladie  :  dans 
Talbuminurie  ,  il  diminne  quelquefois  pendant  que 
la  maladie  augmente. 

Dans  le  diabete  ,  raffaiblissement  de  la  vue  com- 
mence souvent  Ires  lard;  mois  des  qu'il  a  commence 
il  est  permanent,  graduel,  uniforti^c;  on  peut  presque 
en  prevoir  les  progres  d'aprts  rulieralion  de  i'urine  : 
dans  ralbuniinurie,  il  commence  plus  souvent  Ires 
tot-,  mais  il  est  inconstant,  irr6gulier,  insidieux  • 
les  progrfes  du  mal  ne  peuvenl  faire  prevoir  les 
progres  de  I'amaurose. 

Hans   le  diabete  ,    I'afFaiblissemcnt   de  la  vue  est 
1.  4 


—  50  — 

proporlionne!  h  la  qaanlil6  de  Sucre  :  dans  I'albu- 
minurio  ,  il  est  sans  rapport  constant  avec  la  quantity 
d'albumine. 

Dans  le  diabele  ,  il  cxisfe  souvent,  surloul  a  la 
tin  ,  une  opacii6  considerable  de  roeil  :  dans  Talbu- 
minurie  ,  oi\  ne  constate  aucune  modification  appre- 
ciable des  milieux  transparenls ,  ni  m6me  de  la 
pupille. 

Dans  le  diabfele  ,  enfin  ,  le  malade  pent  devenir 
aveugle  :  dans  Talbuminurie ,  la  c6cil6  doit  6tre 
une    Ires  rare  exception    (1). 

Malgr6  ces  dilTt^rences  notables  entre  Tamaurose 
albuminiirique  et  Taraaurose  diab^tique,  elles  me 
paraissent  ^maner  du  mfirae  genre  d'all6ration  pri- 
miiive,  c'esl-S-dire ,  d'une  16sion  du  systeme  ner- 
veux  ganglionairc. 

Maintenant,  en  quoi  cnnsiste  celle  It'sion  du  sys- 
teme nerveux  ganglionaire? 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  les  hypotheses  physio- 
logiques  6mises  dans  mon  premier  m^moire,  pour 
expliquer  ces  troubles  de  la  vue,  et  je  me  borne- 
rai   h   r^p^ter    que    je  pencherais   pour    une  16sion 

(1)  Je  n'ai  jamais  observe  d'amaurose  albuiuinurique  com- 
plele.  M.  le  docleiir  Cuiiier  cite,  a  la  verile,  un  cas  de  cecile  com- 
Tjlele  survenue  chez  un  albutninurique,  ruais  coinme  il  existait  de 
nombrcus  points  opaques  dans  le  corps  vitre,  il  est  a  regreller 
que  le  savaut  oculiste  n'ait  pas  dit  si  Ton  avail  recherche  la 
presence  du  sucre  dans   les   urines   de  ce   malade. 

3'ai  cite  ,  en  ellet ,  dans  mon  premier  memoire,  deux  cas  de 
glucosurie  et  d'albuminurie  simultanees  ,  et  je  donne,  en  ce 
moment,  dos  soins  a  un  diabelique  que  M.  Brelonneau  a  ega- 
lement  observe  ,  el  chez  lequel  j'ai  plusieurs  fois  conslale  de 
I'albumine  et   dc  Taraaurosc. 


—  51  — 

des  filets  ganglionaires  issue  d'une  l6sion  du  Ir6- 
splanchniqiic,  et  ayant  pour  consequence  une  alte- 
ration secr6loire  des   fluides  rtfringcnts  (l). 

CONCLUSIONS. 

En  rhumi , 

1°  Les  troubles  de  la  vue  sent  un  symp(6me  pres- 
que  constant  de  la  nephrite    albumineuse  ; 

2"  Ces  troubles  consijiuent  une  nouvelle  csp6ce 
d'aniaurose,    qu'on    peul  appeler  albuminuri(|ue; 

3°  L'amaurose  a'bunainurique  nc  peut  6lre  altri- 
buee  h  la  deterioration    des  forces; 

4"  Elle  annoncc  trSs  souvcnl  la  mnladie,  comme 
signe  initial ,  avant  Tinvasion  des  autres  accidents 
pathognomoniques; 

5"  Elle  parait,  disparait  et  revient,  sans  suivre 
exaclement  les  phases  du  depOt  albumineiix  des 
urines  ou  de   I'oedeme ; 

6"  Elle  doit  porter  h  consid6rer  la  nephrite  al- 
bumineuse comme  le  resultal  d'une  alteration  du 
systeme  ganglionaire. 

(1)  M.  Collard  ,  de  Beine  ,  developpant cetle  idee  d'une  alte- 
ration secietoire  des  milieux  transparents  que  j'ai  indiquee  dans 
luon  premier  travail  (  page  il  ),  explique  (  Union  medicale  , 
G  avril  ISSOj,  le  trouble  de  la  vue  dans  l'amaurose  albuminu- 
riijue  ,  «  par  {'hypersecretion  des  liumeurs  de  I'oeil  ,  et  surtout 
»  de  I'humeur  aiiueuse  ,  qui  augrapulerait  subitemeiit  la  con- 
»  vergence  des  rayons  lumineui;  ,  ou  pcut-etre  emousserait  , 
■>  par  la  compression  ,    la  sensibilite  de  la  retine.  • 

Cetle  hypothese  est  d'autant  |>lus  admissible  qn'elle  rendrait 
compte  des  variations  IVequentes  de  l'amaurose  ,  par  les  varia- 
tions de  I'hydropisie  de  I'oeil  aussi  mobile  que  I'hydropisie  de 
la  face  ,  du  scrotum  ,   des   membres  ,  etc. 

La  question  serait  assez  facile  a  resoudre  ,  d'ailleurs  ,  ea 
ctudiant  Teffet  des  differentes  lentilles  sur  l'amaurose  albumi- 
nurique ,   et  je  me   propose   de  faire   cet   cxamen. 


—   5^2 


DE 

L'EXALTATION  DE  L'OUIE 

DANS    LA    PAUALYSIE    DU    NERF    FACIAL   [i) 

Par  &I.   H.  lASIDOUZY. 


JFal^re  les  beaux  travaiix  de  Savart  el  Flourens  sur 
I'audition,  de  Ch.  Bell,  Magendie  ,  Berard,  Longet ,  etc. 
sur  la  septieme  paire ,  un  phenomene  curieux  et  im- 
portant est  reste  omis  jusqua  ce  jour  paries  cliniciens: 
c'est    rexallation    de  Touie  dans   la  paralysie   du   nert 

facial. 

M.  le  professeur  Roux  ,  rendant  compte,  il  y  a  trente 
ans  a  I'lnstitut,  d'une  hemiplegie  faciale  dont  il  elait 
lui-meme  le  sujet ,  avail  bien  signale  «  un  cbranlement 
douloureux  de  la  membrane  du  tympan  par  les  sons  un 
peu  forls ;  »  mais  ce  fait  etait  reste  isole,  et  I'exaltation 
de  I'ouic  n  avail  jamais  ete  notec  par  aucun  patholo- 
aiste  comrae  symplome  de  I'bemiplegie  faciale  ,  lors- 
qu'il'y  a  deux  ans,  j'en  fls  Tobjet  d'une  communica- 
tion verbale  a  la  societe  medicale   de  Reims. 

Plusieurs  observations  nouvelles  ayant,  depuis ,  con- 
firmc  mrs  premieres  conclusions  ,  on  pent  inscnre , 
aujourdlmi ,  Vexaltation  de  louie  au  nombre  des  signes 
les  plus  frequents  et  les  plus  interessants  de  Tbemipl^- 
gie  faciale,  independante  de  toute  affection  cerebrale. 

(!)  Comples-rcndus  cie  I'lnslilnt  ,   noTerabie  1850. 


—  53    - 

Lc  premier  fait  qui  frappa  mon  altonfion  rcmonte  a 
1840.  Je  galvanijais  la  septieme  paire  chez  imc  femmo 
affectee  d'hemiplegie  faciale  conseculive  a  i'action  d'uu 
courant  d'air  froid,  et  la  malade  ne  sY'lait  jamais  plainte 
d'aucune  sensibilite  de  I'ou'ie ,  lorsque  ,  remplaoant  ,  un 
jour,  la  pile  a  auges  par  la  machine  do  Clarke,  je  vis 
M™"^  . .  .  porter  tout  a  coup  la  main  a  pon  oreille  ,  se 
plaignant   d'une  sensation  donloureuse  du  cole  paralyse. 

Je  pensai  qu'une  secousse  trop  violente  avail  agi 
jusque  sur  le  nerf  auditif,  et  je  fis  ralentir  la  rolation; 
la  sensibilite  diminua  ,  et  elle  avail  cesse  en  meme  temps 
que  la  galvanisation  ,  lorsque  la  machine  de  Clarke  ,  etant 
mise  de  nouveau  en  mouvement  pour  un  amaurotique  , 
la  premiere  malade  accusa  de  nouveau  une  sensation 
penible  causes  par  le  bruit  de  la  machine  du  cote 
paralyse. 

Cette  douleur  que  j'avais  attribuee  ,  quelques  instants 
auparavant ,  a  I'excitation  produite  par  le  galvanisme , 
tenait  done  simplement  a  une  exaltation  de  I'ou'ie  du 
cote  paralyse. 

Je  m'expliquai  cette  exaltation  de  I'ouie  par  une 
hyperesthesie  du  nerf  auditif  qui  pouvait  avoir  ete  affecte 
en  meme  temps  que  le  nerf  facial ,  quoique  d'une  ma- 
Diere  differente,  etje  me  promis  d'eludier  ce  phenom^ne 
curieux  a  la  premiere  occasion.  Je  I'avais  presque  oublie  , 
lorsque  recevant ,  quelques  anuees  apres ,  I'ouvrage  de 
M.  Longet  (1),  j'y  trouvai  de  ce  fait  une  explication 
physiologique  beaucoup  plus  rationnelle,  et  je  ne  doiitai 
pas  ques'il  avail  echappe  a  I'attenlion  dos  pathologistes  , 
c'est  que  I'hemiplegie  faciale  n'est  pas  tres  frequente , 
et  que  la  diminution  de  I'ouie  paraissant,  a  priori .,  plus 
naturelle  dans  ce  cas  que  I'exaltation  ,  ce  dernier  [»he- 
uomeue  aura  ete  regarde  comme  un  accident  spi'cia! 
au  malade  plutot  qu'a  la  maladle. 

(1)  Anatomie  et  physiologie  tiu  systeine  nerveiix,  t.  II,  [>,  45't. 


—  54  — 

Eftt'Ctivement,  j'ai  observe  depuis  cette  epoque  cinq 
aufres  fails  d'hemiplepie  faciale  ;  M.  Larrey  ,  chiiurgien 
en  chef  do  Ihopital  du  Gros-Caillou,  vient  de  m'en 
adresser  un  sixieme ,  et ,  dans  ces  six  nouveaiix  cas, 
rexaltation  de  iou'ic  a  ele  des  plus  manifestes  du  cote 
paralyse. 

Le  premier  fait  a  trait  a  un  voyageur ,  age  de  25  ans, 
qui  vint  me  consulter  le  2  Janvier  1846,  pour  une  pa- 
ralysie  de  la  face,  datant  de  huit  jours.  Ayant  couru 
assez  longtemps  pour  rejoindre  la  diligence ,  il  avail 
ouverl  le  vasislas  en  remontant  en  voiture,  et  avail 
dormi  plusieurs  heures.  Le  lendemain  matin,  il  s'aptr- 
^oil ,  seulemenl  en  se  rasant ,  qu'il  a  le  cote  droit  de 
la  figure  completement  dcvie.  Un  medecin  mande  aus- 
sitol  le  conflrme  dans  Tidee  qu'il  est  atleint  d'une 
attaque  d'apoplexie  due  a  la  course  qu'il  a  faile  la 
veille  apres  quelques  exces  alcooliques  ;  on  le  saigne 
immediatement,  et  on  ordonne  les  jours  suivanls  des 
sangsues  t'l  I'anus,  des  pur^^atifs,  uu  vesicatoire  au 
bras  droit ,  etc. 

Ce  traitement  n'ayanl  en  rien  diminue  les  symptomes 
de  la  paralysie  de  la  face ,  on  engage  le  malade  a 
retonrner  a  son  pays ;  et,  a  son  passage  k  Reims  ,  il 
vient  me  consulter,  offranl  tous  les  signes  de  I'hemi- 
plegie  faciale  la  mieux  caracterisee. 

Les  traits  sont  fortement  tires  a  gauche  ,-  le  c6te  droit 
du  front  ne  pent  se  plisser,  ni  I'oeil  droit  se  fermer 
completement.  La  vue  et  I'odoral  sont  a  I'etat  normal; 
la  luette  ne  parait  eprouver  aucune  deviation  5  le  gout 
est  manifestemenl  diminue.  Quant  a  I'ouie,  elle  est  tene- 
ment exaltee  du  cote  paralyse,  qu'en  voiture  M.  X... 
est  force  de  prier  ses  cumpagnons  de  parler  moins 
haul,  lant  le  bruit  des  conversations  lui  est  penible, 
et  qu'a  I'hotel  il  s'est  resigne  a  prendre  ses  repas  dans 
sa  chambre  pour  (jviter  le  bruit  de  la  table  d'hote. 
Malgre  mon  desir  de  faire  des  epreuves  comparatives 


—  55  — 

siir  cliaque  oreille,  Ic  malade  parlant  qiielques  ins- 
tants aprcs ,  JH  n'eus  que  le  temps  de  Ic  rassurer  el 
de   lui  ccrire   quelques    conseils. 

Je  regrettais  bcaucoup  d'avoir  ecliappe  cette  occasion 
de  posseder  une  observation  complete,  lorsque,  apprenant 
qii'un  de  mes  collegues  de  IHOtel-Dien  venait  d'etre 
atteint  dune  hemiplegie  faciale  ( novenibre  1848\  j-J 
m'empressai  de  lui  demander  s'il  oiprouvait  quelque  sen- 
sation particuliere  du  cote  de  I'ouie.  Voici  sa  reponse 
textuelle  ;  «  J'ai  une  telle  sensibilite  de  rouie  du  cute 
paralyse  (cole  gauche)  que  ,  malgre  mon  habitude  d'en- 
tendre  les  cris  des  ferames  en  couche ,  je  suis  oblige 
de  me  boucherles  oreillesoude  me  retirer  dans  une  piece 
voisine.  Jl  en  est  de  meme  des  cris  des  enfants,  de 
I'aboiement  des  chiens  et  de  tous  les  sons  per^ants  ou 
exageres.  Ainsi,  passant  liier  dans  une  rue  ou  arrivait 
un  detachement  de  garde  nationale  ,  j'ai  etc  force  de 
retournor  sur  mes  pas  pour  fuir  le  bruit  du  tambour.  » 

On  congoit  I'importance  de  cette  remarque  de  la  part 
d'un  medecin  eclaireetdepourvu  de  toute  idee  precon(;ue. 

Cette  heraiplegie  s'etait  declaree  chez  le  docteur  D., 
un  matin  .  pendant  le  dejeuner.  Elle  avail  ete  precedee 
de  violentts  douleurs  d'oreiile ,  rcpondant  surlout  au 
niveau  de  I'opophyse  mastoide.  Ces  douleurs  avaient  dure 
environ  q'latre  ou  cinq  jours,  et  elles  avaient  comple- 
tement  cesse  depuis  deux  jours  quand  survint  I'hi'mi- 
plegie.  11  n'existait  aucune  diminution  dans  la  sensibilite; 
aucune  modification  appreciable  du  goiit  ni  de  i'odorat. 
Le  globe  de  Toeil  etait  douloureux  au  toucher  ct  la 
vue  un  peu  moins  bonne. 

L'hemiplegie  dura  six  a  sept  mois ;  mais ,  au  bout 
de  trois  mois,  rexaltalion  de  I'ouie  avait  completement 
cesse.  Ce  dernier  symptome  reparut  tout  a  coup  ,  vers  le 
15  aout  de  cette  annee ,  sans  recidive  de  paralysie 
faciale.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  cetle  circuns- 
tance. 


—  5G  - 

Quclque  leuips  apres  f  fcvrier  1849),  les  internes  de 
I'Hotel-Dieu  in'avertirent  qu'il  y  avait ,  depuis  im  inois  , 
une  paralysie  de  la  face  dans  les  salles  de  M.  le  docteur 
Pelit.  C'elait  une  jeune  fille  de  Pevy ,  agee  de  neuf 
ans ,  ct  qui  etait  eiitree  a  I'hOpital   le  24  Janvier. 

Vuici  les  details  que  donne  cette  enfant  sur  le  commen- 
cement de  sa  maladio  :  je  les  transcris  textuellement 
des  notes  prises^  duvant  moi ,  par  M.  Oudinet,  interne 
du   service  : 

«  I.e  dimanche  qui  a  precede  mon  entree  a  THOtel- 
Dieu,  ma  nourrice  (la  petite  maiade  est  une  enfant  trou- 
vee)  o'cst  aperf'ue  que  j'avais  la  bouohe  de  travers.  Je 
me  portais  parfaitement  bien  la  veille,  et  je  m'etais 
toujours  tres  bien   portee. 

)'  Je  coucliais  dans  un  pelit  cabinet  terrasse  par  un 
jardin ;  nous  etions  deux  dans  le  menie  lit ;  j'ctais 
dans  la  ruelle ,  et  le  cote  qui  s'est  paralyse  etait  ha- 
bituellement  tourne   contre  le  mur. 

»  Le  dimanche  matin ,  ma  nourrice  m'a  demande 
pourquoi  je  fai?ais  des  grimaces  -,  j'ai  repondu  que  je  ne 
savais  pas,  que  je  ne  faisais  pas  de  grimaces.  Elle  m'a 
montre  alors  dans  un  miroir  que  j'avais  la  bouche  toutc 
tournoe,  et  le  medecin  qui  est  venu  a  declare  que  c'etait 
une  paralysie,  et  qu'il  faudrait  m'envoyer  a  I'Hotel-Dieu.)) 

—  Avez-vous  toujours  entendu  egalement  bien  des  deux 
oreilles? 

—  «  Aussitot  que  j'ai  ete  paralysee  ,  j'avais  comme  un 
carillonnement  dans  les  oreilles  quand  on  me  parlait, 

Des  le  premier  jour  ,  je  demandais  a  ma  nourrice 
pourquoi  elle  parlait  si  liaut ,  et  pourquoi  ga  me  carillon- 
nait  si  fort.  » 

Etat  actuel.  Sensibilite  normale  dans  toute  la  face  ; 
deviation  prononcee  du  cote  gauche  du  visage  vers  le 
cote  droit,  meine  a  I'etat  de  calme  complet.  Deviation 
beaucoup    plus    prononcee   quand    I'enfant    parle  ,    et 


—  57   — 

surtout  quand  '  elle  rit.  Impossibilitc  de  feriner  com- 
pletement  Tceil  gauche.  Larmoiement  liabituel ,  surtout 
sous  Tinfluence  de  la  lumiere. 

Deviation  dj  la  luette  du  cotu  non  paralyse.  Deviation 
de  la  langue  du  cote  paralyse,  malgre  Ie5  cITorts"  que 
fait  Tenfant ,  sur  nos  instances ,  pour  la  tirer  on  ligne 
droite  ;  mastication  diflicile  ;  aucune  alteration  appre- 
ciable du  goiit  ni  de  I'odorat  5  motilite  etl  sensibilite 
parfaites  des  membres  et  de  toutes  les  autres  parties 
du  corps. 

L'enfant ,  interrogee  de  nouveau  sur  I'etat  de  I'ou'ie 
repond  que  la  parole,  merae  ordinaire,  resonbe  plus 
fortcment  du  cote  paralyse.  11  en  est  de  meme  du  tic-tac 
d'unegrosse  montre  quej'applique  alternativement  contre 
chaque  oreille. 

A  dessein,  je  dis  a  l'enfant  qu'elle  n'est  peut-etre 
pas  bien  certaine  de  ce  qu'elle  rap[;orte  5  qu'elle  devrait , 
au  contraire,  entendre  moins  bien  du  cote  de  la  para- 
lysie ;  ses  reponses  sont  toujours  aussi  precises  et  aussi 
aflirmatives. 

Sachant  I'hemiplegie  deja  ancienne,  et  ne  maltendant 
pas  a  trouver  de  difference  dans  I'audition  des  sons 
ordinaires ,  j'avais  apporte  un  pistolet.  Une  simple  cap- 
sule est  tiree  par  linterne  derriere  renfant,  a  son 
insu  ,  et ,  immediatement ,  elle  porle  la  main  a  I'oreille 
gauche,  se  plaignant  d'un  retentissement  beaucoup  plus 
fort  de   ce   cote, 

L'epreuve  est  recommencee  deux  fois  avec  le  meme 
resultat. 

Apres  le  troisieme  coup  ,  I'eufant  entend  moins  dis- 
tinctement  la  parole  du  cOte  gauche  que  du  cote  droit. 

Cinq  minutes  apres  le  troisieme  coup  ,  le  bourdon- 
nement  persiste  encore  du  cote  gauche  et  u'existe  plus 
du   cole  droit. 

Dans  I'observation  suivante  que  j'ai  prise   avec  i'aide 


~  58  — 

tie  SI.  Deces  flls,  el^ve  distingue  de  notre  ecole,  I'exalta- 
tion  de  I'ouie  ,  quoique  se  manifestant  seulement  sous 
rinfluence  de  bruits  plus  violents,  n'a  pas  ete  moins 
tranchee  : 

Le  nomme  F...,  age  de  30  ans,  gar^on  meunier 
au  moulin  a  eau  d'lsles-sur-Suippe ,  jouissait  de  la 
nieilleure  sante,  lorsqu'un  soir,  a  son  retour  de  Reims, 
oil  il  venait  d'assisler  a  I'inauguration  de  la  statue  du 
raareclial  Drouet,  il  s'apercut  qu'il  avail  le  cots  droit 
de  la  face  paralyse. 

II  ne  sail  s'il  a  ete  expose  a  un  courant  d'air,  s'il 
a  ete  refroidl,  etc.,  mais,  quoique  ses  souvenirs  soient 
assez  confus,  11  est  certain  qu'il  n'a  eprouve  aucune 
douleur,  et  que  c'est  seulement  en  se  voyant  dans 
la  glace ,  ct  en  inangeant ,  qu'il  s'est  aper^u  de  sa 
maladie. 

Le  5  Dovembre,  le  malade,  quoique  eprouvant  deja 
une  amelioration  trw  notable,  m'est  adresse  par  mon 
confrere,  M.  Urban,  qui  mc  savait  occupe  d'un  travail 
sur  ce  sujet. 

Etat  actuel.  Sensibilitc  et  mouvements  naturels  dans 
tous  les  membres  •,  scnsibilite  egale  des  deux  cotes  de 
la  face  5  sensibilite  plus  vive  de  Tocil  droit  quo  de  I'ceil 
gauche,  epiphora  a  droite  ;  prononciation  difficile;  de- 
viation tres  marquee  de  la  commissure  labiate  et  de 
I'alle  du  nez,  qui  sont  forteraent  tires  a  gauche. 

Deviation  notable  des  piliers  droits,  sans  deviation  de 
la  luelte  ni    de  la  langue. 

Le  malade  ne  pent  ni  plisser  le  cote  droit  du  front, 
ni  fermer  I'ceil  droit,  ni  porter  les  levres  a  droite,  ni 
soufilt^r,    ni  sifller. 

La  mastication  est  longue,  difficile,  et  F...  est  oblige 
de  pousser  les  aliments  avec  le  doigt  pour  debarrasser 
les  arcades  dentaires  du  cote  paralyse.  Le  gout  et  I'odorat 
ne  sont  pas  sensiblement  modifies. 


—  59  — 

l.'ouie  parait  egale  des  deux  cOt^s;  F...  a  continue  ses 
travaux  au  moulin  sans  faire  aucune  attention  au  bruit 
des  enyrenages. 

La  detonation  d'une  capsule  derriere  lui,  dans  mon 
cabinet ,  produit  la  meme  resonnance  dans  cliaque 
oreille. 

Un  premier  coup  de  pistolet  charge  a  poudre  produit 
une  resonnance  forte  du    cote  paralyse. 

Cette  resonnance  exageree  du  cote  paralyse  estbeaucoup 
plus  marquee  au  deuxieme  et  au  troisieme  coups,  et 
produit,  dans  I'oreille  droite  seiile,  un  retentissement 
durable. 

Au  quatrierae  et  au  cinquiemn  coups  il  n'y  a  plus  de 
difference  au  moment  de  la  detonation,  mais  le  reten- 
tissement dure  toiijours  du  cote  paralyse. 

Galvanisation  pendant  cinq  minutes,  I'excitateur  ne- 
gatif  etant  place  au  niveau  du  trou  stylo-niasto'idien,  le 
positif  etant  promene  sur  tous  les  muscles  animes  par 
la   septieme  paire. 

Apres  la  galvanisation,  deux  coups  de  pistolets  pro- 
duisent,  dans  chaque  oreilie  ,  une  resonnance  egale, 
mais  le  bruissement  est  toujours  beaucoup  plus  marque 
et  beaucoup  plus  durable   du  cote  paralyse. 

Le  14  novembre,  F...  vient  me  revoir.  La  paralysie 
a  notableraent  diminue  sous  rinflucnce  de  I'electrisation  ; 
cependant  la  deviation  de  la  commissure  labiate  est 
encore  prononcee  meme  a  F'tat  de  repos  complet  de  la 
physionomie,  et  il  existe  encore  plus  d"un  demi-centi- 
metre  de  diametre  entre  les  paupieres,  malgre  les  etforts 
du  malade  pour  les  fermer. 

Deux  coups  de  pistolet  resonnent  dune  maniere  egale 
dans  les  deux  oreilles  ,  et  le  retentissement  n'est  pas 
plus  durable  d'un  cote  que  de  I'autre. 

Voici,  on  pen  de  mots  ,  le  dernier  fait  que  j'aie  en 
occasion  d'observer  : 


—  60  — 

line  jeune  fille  de  Verzenay,  agee  de  wept  ans,  dont  la 
sante  avail  toiijours  ete  bonne  jusqu'alors,  ressentit  pen- 
dant deux  jours  de  violents  maux  de  tete  ,  auquels  on 
ne  put  trouvor  de  cause  appreciable.  Les  deux  jours 
suivanta  s'etaient  passes  sans  aucun  malaise,  sans  aucune 
souffrance  ,  quand ,  tout  a  coup ,  elle  fut  prise,  dans 
I'oreille  gauche,  de  vives  douleurs  qui  durerent  trois 
jours  et  trois  nuits,  et  qui  furent  suivies,  le  quatrieme 
jour,  d'une  paralytic  du  cote  gauche   de  la  face. 

Aujourd'hui,  28  aoiit,  c'est-a-dire,  un  mois  apres  le 
debut  de  la  maladie ,  Themiplegie  est  pen  apparente 
quand  la  physionomie  est  a  I'etat  de  caline  complet;  mais 
I'enfant  vient-elle  a  parler,  a  rire,  et  surtout  a  pleurer, 
que  la  dilTormite  reparait  avec  les  signes  les  plus  carac- 
teristiques. 

Malgre  les  efforts  de  la  petite  malade  pour  fermer  les 
yeux,  il  reste  pres  d'un  centimetre  d'ouverture  entre  les 
paupieres  du   cote  paralyse. 

La  mastication  est  difficile,  en  raison  du  sejour  des 
aliments  en  dehors  des  arcades  dentaires  gauches. 

Aucune  deviation  de  la  luette,  ni  des  piliers,  ni  de 
la  langue. 

Aucune  modification  appreciable  du  goiit  ni  de  lo- 
dorat  (1). 

Louie  parait  egale  des  deux  cotes,  pour  la  perception 
de  la  parole  et  des  bruits  ordinaires.  L'enfant  ne  s'est 
pas  apcrQue  de  la  moindre  difference  k  cet  egard,  ni 
au  debut  de  la  paralysie,  ni   depuis. 

(1)  Mes  recherches  ne  portaiit  pas  sur  ce  point  delicat  de  I'his- 
toire  de  I'hemiplegie  faciale,  je  m'en  suis  rapport6  simplement  a 
la  declaration  des  malades,  sans  faire  aucune  de  ces  experiences 
qui  e\igenl  du  temps,  de  la  precision,  et  dont  il  eul  ete  diflicile, 
d'ailleurs,  de  lirer  des  conclusions  cerlaines  chez  les  deux  pe- 
lites  filles.  II  faudrail  done  n'invoquer  qu'avec  reserve  mes  ob- 
servations, sous  le  rapport  de  I'elat  du  gout  et  de  I'odoraldans 
la  paralysie  de  la  septieme  paire,  et  ne  considerer  ces  resullats 
que  conime  I'cxpression  des  sensations  ordinaires  des  malades. 


—  61  — 

Mon  estimable  confrere  M.  Mozer,  de  Verzy,  qui 
donne  des  soins  a  la  malade,  et  M.  A.  Mennesson,  eleve 
de  I'liupital  de  Lille,  observent  avec  moi  les  resullats 
suivants  : 

Un  coup  de  pistolet ,  tire  ii  deux  pas  dorriere  la 
malade ,  cause  une  impression  douloureuse  seulement 
du  cOte  paralyse. 

Un  deuxieme  coup,  cbarge  un  peu  plus  fortement, 
produit  une  impression  plus  douloureuse  encore  du 
menie    cote . 

Un  troisieme  coup  produit  absolummt  le  memo  effet. 

Cinq  minutes  apres  le  dernier  coup  ,  la  resonnance 
dure  encore  du  cote  de  I'hemiplegie -,  il  n'en  existe 
aucun  vestige  du  cote  oppose ,  et  elle  disparait  com- 
pletement   quelques  minutes   apres. 

L'enfant  nous  quitte  pour  assister  h.  une  grande  revue 
de  garde  nationale.  An  moment  du  passage  des  tambours 
d'un  bataillon,  elle  entraine  ses  parents  d'un  autre  cote, 
se  plaignant  d'une  sensation  penible  uniquement  dans 
I'oreille  gauche. 

Le  soir,  quand  l'enfant  revient  me  voir,  elle  se 
plaint  encore  de  la  persistance  de  cette  sensation. 

J'insiste  beaucoup  sur  mes  questions,  en  lui  disant 
qu'ayant  entendu ,  pendant  plusieurs  heures  ,  lo  bruit 
des  tambours  (c'otait  le  jour  du  passage  du  president 
de  la  Republiquej^  elle  doit  eprouver  du  bourdonnement 
dans  les  deux  oreilles,  et  elle  persiste  a  assurer  quelle 
ne  ressent  absolument  rien  dans  I'oreille  droile. 

J'en  etais  la  de  mes  observations,  lorsque  parcourant, 
11  y  a  quelques  jours,  le  compte-rendu  dune  seance 
de  la  societe  medicale  du  10'=  arrondissement  de  Paris  (1), 
j'y  vis  que  M.  H.  Larrey  avait,  dans  son  service  du 
Gros-Caillou,    un    militaire  affectc  d'hemiplegie   faciale 

(1)  Union  medicah  du  2i    seplembrc   i860. 


—  62  — 

avec  alteration  du  goflt  et  de  I'odorat.  J'ecrivis  inimo- 
diatement  h  mon  savant  confrere ,  en  le  priant  d'exa- 
miner  ce  malade  sous  le  rapport  de  Touie ,  et  j'en  regus 
la  reponse  suivante  : 

«  Je  m'empresse  de  vous  adresser  I'observation  que 

»)  vous  Youlez  bien  me  demander  et  que  je  voudrais  vous 
»  offrir  avec  plus  de  developpement.  EUe  laisse  a  desirer 
»  sous  quelques  rapports ,  parce  que  mon  aide  de  cli- 
»  niqiie ,  M.  Savy,  qui  I'a  recueillio,  a  ete  force  de 
»  quitter  le  service  pendant  un  mois  ;  mais,  bien  qu'elle 
»  toit  incomplete  ,  elle  vous  sujftra  ,  j'espere ,  pour  con- 
»  firmer  la  remarque  interessante  que  vous  avcz  faite , 
))  sur  V exaltation  de  I'oute  du  cole  paralyse  de  lajace. 
»  Ce  phenomene  avait  singulierement  frappe  mon  atten- 
M  tion ,  lorsquej'ai  ,  a  plusieurs  reprises,  insistc  aupres 
»  du  malade  ,  pour  en  constater  la  realite.  Je  regrette 
»  seulement  de  ne  pouvoir  plus  faire  les  experiences  de 
))  deltonation  que  vous  me  conseillez,  puisque  le  malade 
»  est  sorti  de  I'hopital  au  mois  de  juin.  11  etait,  sinon 
»  gueri ,  du  moins  en  voie  de  guerison  assez  prononcee, 
»  pour  que  I'hemiplegie  restat  pen  appreciable  ,  en  meme 
»  temps  que  la  faculte  auditive  avait  recouvre ,  a  peu 
»  pres  ,  son  etat  normal.   » 

f(  Voila,  mon  cher  confrere  ,  ce  que  je  puis  ajouter 
»  a  la  note  ci-joinle.  .  .    u 

«  Hemiplegie  facialc^  Thevenin  ,  soldat  au  25«  de  ligne, 
B  entre  a  I'hopital  du  Gros-Caillou  le  25  avril  1850, 
»  (service  de  M.  Larrey).  Ce  militaire  etait  atteint  d'une 
»  carie  dentaire  pour  laquelle  on  lui  a  enleve  deux 
»  dents ,  six  semaines  avant  son  entree  a  I'hopital. 
>)  Depuis  lors,  et  sans  autre  cause  appreciable  ,  il  est 
))  survenu  une  paralysie  complete  du  cote  droit  de  la 
»  face.  La  maladie  a  debute  brusquement ;  elle  a  existe 
»  quelques  heures  sans  que  le  malade  en  ait  eu  cons- 
»  cience ;  ses  amis  I'en  ont  fait  apercevoir.  11  n'a 
»  ressenti  ni  malaise,  ni  cephalalgia ,  ni  douleur;  seu- 


—  63  — 

))  Icrnent  la  region  parolidienne  du  cote  droit  est  seii- 
»  sible ,  et  un  peu  tumefiee. 

»  Tons  les  muscles  du  c6te  droit  de  la  face,  auxquels 
»  le  nerf  de  la  septieme  paire  fournit  des  rameaux  , 
»  sont  plus  ou  moins  affecles  ;  ainsi  le  muscle  sour- 
»  cilier ,  et  la  partie  anlerieure  de  roccipito-frontal , 
»  cessant  de  se  contracter ,  on  remarque  que  le  sourcil 
»  est  situe  plus  has  que  celui  du  cote  oppose  ,  et  qu'il 
»  est  incline  vers  la  ligne  mediane  ;  la  moitie  corres- 
»  pondante  du  front  ne  peut  plus  se  rider.  Le  muscle 
»  orbiculaire  de  la  pauplere  etani  aussi  paralyse  ne  peut 
»  plus  conlrebalancer  Taction  de  I'elevaleur ,  aussi  le 
))  malade  cesse  de  pouvoir  clore  I'ccil ;  la  paupiere 
»  supcrleure  s'abaisse  davantage  ,  et  I'inferieure  se  ren- 
»  verse  legerement  en  dehors ,  il  suit  de  la  que  les  points 
»  lacrimaux  ,  I'inferieur  surtout ,  etant  parfois  devies  , 
»  il  existe  un  epiphora.  Tous  les  muscles  qui  meuvent 
»  le  nez  participent  a  la  paralysie.  La  narine  du  cote 
»  droit  est  privee  de  tout  mouvement  et  ne  peut  plus 
»  se  dilater  pendant  les  inspirations.  La  levre  superieure 
»  du  cote  droit  est  un  peu  tumefiee ,  mais  sans  devia- 
»  lloii.  La  laiigue  a  conserve  sa  forme  et  sa  direction 
1)  normales  ;  la  moitie  de  cet  orgaue  a  perdu  toute  sen- 
»  sation  de  sapidite  ,  le  malade  accuse  de  la  fraicheur 
»  dans  cette  partie. 

»  Une  particularite  a  noter  dans   cette  observation , 
»  c'est  I'exaltation  de  I'ouie ;  depuis  le  developpemeiit 
»  de  la  paralysie,  I'ouie  a  acquis  une  finesse  tres  grande 
B  le  malade  percoit  les  moindres  bruits  a  une  grande 
B  distance. 

•0  Thevenin  est  d'un  temperament  sanguin ,  il  u'a 
»  jamais  eu  d'aflection  syphilitique ;  il  a  ete  atteint , 
»  peu  de  temps  apres  son  entree  au  service,  dune 
B  carie  vertebrate  pour  laquelle  il  a  etc  soigne  a  I'hos- 
»  pice  de  Lyon  ,  et  dont  il  ne  reste  aucune  trace. 

B  Traitement  :   Saignee  de  400  grammes;  ventonses 


—  64  — 

»  s^arifiees ,  vo^icatoires  et  moxas  a  la  nuque  5  sangsues 
»  derriere  Ics  orcilles;  vcsicatoires  a  la  region  tempo- 
))  rale  ;  fumigations  emollientes  dans  la  bouclie  ,  et  sur 
»  le  c6te  de  la  face  paralyse ;  embrocations  liuileuses , 
»  leger  massage ,  etc. 

»  Le  inalade  sort  du  Gros-Caillou  ,  en  \oie  de  gue- 
)■>  rison ,  dans  le  courant  de  juin.  d 

Voila  t'onc ,  en  y  comprenant,  quoique  retrospectives, 
les  observations  de  M.  Roux,  et  de  ma  premiere  malade, 
huit  cas  d'hemiplegie  faciale,  dans  lesquels  I'exaltation 
de  Touie  s'est  manifestee  de  la  maniere  la  plus  precise, 
la  plus  conslante  et  la  plus  regulierc  du  cote  paralyse. 

Apres  Ics  beaux  travaux  de  Savart ,  Tiedemann  ,  Miiller 
et  Longet ,  I'expiication  de  ce  pbenomene  est  de  la  plus 
grande  simplicite. 

Fn  effet ,  les  experiences  de  Savarlsur  I'audition  prou- 
vent  qu'a  bruit  egal ,  les  vibrations  sont  moins  fortes  et 
moins  etendues  dans  les  membranes  a  I'etat  de  tension 
que  dans  les  membranes  a  I'etat  de  relachement. 

Pour  la  membrane  du  tympan ,  en  particulier ,  le 
savant  professeur  du  college  de  France  a  demontre  (1) 
que  les  grains  de  sable  dont  on  la  recouvre,  apres  avoir 
fait  avec  la  scie  une  section  parallele  a  sa  face  externe , 
sont  mis  en  mouvement  par  un  disque  en  vibrations,  si 
elle  est  abandonnee  a  elle-meme  ,  tandis  que  ces  mou- 
vements  du  sable  sont  a  peine  appreciables  ,  si,  la  caisse 
du  tambour  etant  ouverte  ,  on  vient  a  faire  agir  le  muscle 
interne  du  marteau  ,  et  par  consequent  a  tcndre  la  mem- 
brane (2). 

(1)  Savarl.  — Recherches  sur  les  usages  de  la  membrane  du 
tympan  et  de  I'oreille  externe  ,  lues  a  I'lnslitut  le  29  avril  1822. 

(2)  Jlon  savant  ami ,  le  docteur  Longet ,  en  portant  a  3  on  4 
centimetres  I'elevalion  des  grains  de  sable  sur  la  membrane 
du  tympan  en  Tibratiou ,  a  confondu  les  experiences  faites 
SUV  le  tympan  de  I'homme  avec  les  experiences  failes  sur  une 


—   65   — 

Or ,  le  muscle  interne  ilu  inarleau  ,  c'est-a-dire  le 
tenseur  de  la  membrane  du  tympan  ,  recevant  ses  nerfs 
du  ganglion  otique  qui  lui-meme  regoit  sa  racine  motrice 
du  facial  ou  du  nerf  intermediaire ,  on  comprend  qu'une 
paralysie  du  facial,  a  son  origiue.  entralne  une  para- 
lysis du  muscle  interne  du  marteau,  de-la  un  relache- 
ment  de  la  membrane  tympanique  ;  de-la  ,  enfin  ,  une 
exaltation  de  louie. 

Mais  le  nerf  intermediaire  de  Wrisberg  etant ,  d'apres 
M.  Longet ,  independant  du  facial ,  et  la  braache  qui  se 
rend  au  muscle  interne  du  marteau  ,  apres  avoir  traverse 
le  ganglion  otique  ,  paraissant  emerger  de  ce  nerf  inter- 
mediaire ,  plut6tque  du  facial,  comme  nous  le  supposions 
tout  a  I'heure  ,  I'babile  experimentateur  se  fonde  et  sur 
cette  disposition  anatomique  ,  U  sur  Ics  hypotheses  les 
plus  vraisemblables  pom-  admctlre  que  le  nerf  interme- 
diaire constitue  un  nerf  particulier  destine  aux  muscles 
de  Toreille  moyenne. 

<t  L'origine  de  cette  pretendue  petite  racine  dujacial, 
»  ajoute  M.  Longet,  et  surtout  son  union  intime  avec 
»  le  nerf  acoustique  ,  tendent  a  me  confirmer  dans  cette 
B  opinion  .  de  laquelle  il  resulterait  qu'il  faudrait  faire 
n  dependre  la  lesion  precedente  de  I'ouie  du  nerf  inno- 
»  mine.  » 

Or  cette  lesion  ,  c'est  la  susceptibilite  anorraale  de 
I'ouie ,  dont  M.  Longet  ne  trouve  qu'un  seul  exemple 
(  celui  de  M.  Roux  en  1821 ) ,  mais  qui ,  d'apres  ce  savant 

meiubrane  mince  ,  d'un  centimetre  de  diamelre,  placee  a  I'ori- 
fice  d'un  tuyau   couique. 

Effeclivemeut,  sur  cetle  derniere  membrane  les  grains  de  sable 
sonl  lances  a  une  hauteur  qui  surpasse  souvent  3  ou  4  cen- 
timetres ;  mais  ,  d'apres  les  experiences  de  Savart  ,  ils  ne  s'ele- 
vent  jamais  a  plus  de  deu\  millimetres  sur  la  membrane  de 
I'homme  ,  ni  a  plus  de  quatre  sur  celle  du  veau  ,  qui  est 
deux  fois  plus   grande. 

I.  5 


—  66  — 

physiologiste ,   a  a  du  se  reproduire  un  certain  nombre 
de  fois  »  (1). 

Eh  bien  !  ici  encore  ,  I'observation  medicale  semble 
venir  confirmer  les  inductions  de  ranatomie  et  de  la 
physiologie. 

En  effet,  si  la  membrane  du  tympan  est  tendue 
sous  I'influence  du  nerf  innomine  ,  ct  si  ce  7ierf  inno- 
niine  (2)  est  independant  du  facial ;  si  c'est  un  nerf  a 
part ,  ayant  sa  fonclion  individuelle  ,  il  pourra  ctre 
paralyse  isolement ,  et  ,  dans  ce  cas  ,  rexaltalion  de 
I'ouie  pourra  se  manifester  en  I'absence  de  paralysie 
du  nerf  facial. 

Or ,  c'est  precisement  ce  que  j'ai  observe ,  I'an  der- 
nier,   smr  un  jeune  homme  de  Fismes  tres  intelligent , 

M.  L ,  qui  rendait  compte  de  ses  sensations  avec 

une  grande  precision. 

«  11  y  a  deja  quatre  ans ,   me  dit  M.  L ,  que  je 

souffre  d'une  susceptibililc  de  I'ouie  des  plus  bizarres , 
et  souvent  des  plus  incommodes.  Cette  susceptibilite 
m'est  survenue  sans  cause  connue  ,  en  pleine  sante.  Au 
retour  d'un  voyage  assez  long ,  j'eprouvai  dans  I'oreille 
droite  un  engourdissement ,  sans  douleur  ,  qui  disparut 
aprcs  huit  jours  de  duree. 

»  Six  mois  apres  (Janvier  1847  ),  a  la  suite  d'un 
concert  oii  le  bruit  des  instruments  de  cuivre  m'avait 
douloureusement  affecte  I'oreille  droite ,  le  meme  engour- 
dissement reparut  et  persista  pendant  deux  mois. 

^)  Depuis  cette  epoque  ,  j'eprouve  par  intervalle ,  tou- 
jours  du  cote  droit,  et  particulierement  sous  I'influence 
du  froid,  une  exaltation  de  I'ouie  qui  me  rend  les 
moindres  bruits  tres  penibles. 

(1)  Anat.  et  phys.  du  sys.  nerv.  I.   2  ,    p.  454. 

(2)  Nerf  intermediaire  ,  nerf  de  Wrisberg  ,   pelile   racine   du 
facial  ,  nerf  moteur   lynipanique  de  Longet ,  etc. 


—  67   — 

»  I.orsque  I'exallation  de  I'ouie  vient  a  disparaitre  , 
il  se  produit  le  plus  souvent  une  douleur  dans  Toeil 
gauche  ;  aussitot  que  rexaltation  de  I'ouie  reparait , 
Tcell  cesse  d'etre  douloureux.  Jamais  ces  deux  circon- 
stances  ne  se  manifestent  en  rneme  temps.  J'ai  pense 
que  cette  affection  pouvait  etre  causee  par  une  dent 
malade ,  mais  les  demarches  que  j'ai  faites  pres  d« 
dentistes  habiles  n'ont  arnene  aucun  resultat.  Enfln , 
c'est  un  phenomene  que  je  me  suis  etudie  a  bien  con- 
stater  et  qui  reste  tout  a  fait  isole  et  independant  de 
la  sante  generale. 

»  Si  ,  par  exemple  ,  j'entends  de  pres  un  coup  de 
fouet ,  je  souffre  cruellemcnt  pendant  plusieurs  heures. 
C'est  ce  qui  m'est  arrive,  ii  y  a  quelques  jours.  Comme 
je  passais  dans  la  grande  rue  de  Fismes,  un  roulier  se 
mit  a  claquer  son  fouet  a  deux  pas  de  moi  5  j'en  souffris 
tenement  que  je  fus  oblige  de  me  coucher  aussitot, 
et  de  me  metlre  une  gourmette,  ce  qui  me  soulage  or- 
dinairement.  Le  lendemain  matin  j'en  souffrais  encore. 

»  Ce  qui  m'etonne  surtout,  c'est  qu'a  la  chasse  les 
coups  de  fusil  tires  par  les  autres  me  produisent  une 
impression  tres  penible,  tandis  que  celte  impression  est 
presqae  nuUe  si  je  tire  moi-meme.  Cela  ne  m'empeche 
pas  de  chasser,  mais  je  suis  oblige  de  m'eloigner  beau- 
coup  de  mes  compagnons,  el  de  me  mettre  a  contre-vent 
de  leurs  coups. 

»  La  simple  sonnette  de  la  salle  a  manger  me  resonne 
peniblement  dans  I'oreille  droite.  » 

J'ai  interroge  et  examine  avec  le  plus  grand  soin  ce 
jeune  homme  ,  ii  n'offre  pas  et  n'a  jamais  offert  la  moin- 
dre  trace  d'hemiplegie  faciale. 

Les  oreilles  examinees  au  speculum  sont  dans  I'etat  le 
plus  normal. 

II  n'existe  ni  deviation  de  la  luetic  ou  des  pilicrs,  ni 
angine. 

La  vue,  le  gout,  I'odorat  sont  egaux  des  deux  c6tes. 


—  68  — 

Je  ne  connaissais  que  ce  seul  fait  d'hypercou&ie  isolee  , 
et  independante  de  I'hemipk'gie,  lorsque,  consultant,  il 
y  a  quelques  jours,  M.  lo  docteur  D...  sur  la  partie 
de  ce  memoire  qui  la  concerne,  j'appris  de  lui  que  cette 
exaltation  de  I'ouie  qu'il  avait  eue  pendant  trois  mois, 
en  1848,  avait  reparn,  cette  annee,  au  mois  d'aout, 
du  nicme  c6te,  mais  sans  aucune  douleur  antecedente  , 
sans  aucune  recidive  de  I'hemiplegie  faciale,  sans  aucun 
symptome  qui  put  meme  faire  soupQonner  une  dimi- 
nution dans  I'activite  de  la  septieme  paire.  Cette  fois, 
comme  la  premiere ,  notre  confrere  etait  oblige  d'eviter 
les  bruits  intenses,  celui  du  tambour,  par  exemple.  et  de 
se  boucher  les  oreilles  pres  desfemmes  en  travail,  tant  le 
retentissement  etait  douloureux  du  cote  gauche.  Cette 
exaltation  de  ronie  disparut  graduellement,  dune  maniere 
spontanee,  au  bout  de  six  semaines,  sans  laisser  aucune 
trace. 

Quoique  ces  deux  fails  soient  ,  peut-etre ,  les  seuls 
consignes   dans   la   science    (1),   lis    doivent  avoir  des 

tl)  Non  seulement  Hard  ne  cile  pas  un  seul  fait  d'hyper- 
cousie  bornee  a  un  cole  ,  mais  il  ne  rapporteque  par  souvenir 
deux  fails  d'hypercousie  idiopalhique.  Voici  ,  du  reslc  ,  les  seuls 
mots  qu'Ilard  ait  consacres  a  ce  sujet  :  «  La  premiere  espece 
»  [hypercousie  idiopalhique)  est  fort  rare;  je  n'ai  pu  en  re- 
»  cueillir  que  deux  exemples  ,  encore  ne  les  ai-je  pas  eus  sous 
»  mes  yeux  :  I'nn  est  tire  d'un  memoire  a  eonsuller  qui  me 
»  ful  adresse  par  un  avocat  de  province;  et  I'autre.  de  la 
»  relation  or;>le  qui  m'en  fut  I'aile  par  la  malade  eile-meme 
0  longtemps  apres  qu'elle  eut  eprouve  cette  indisposition.  » 
Traite  des  maladies  de  roreille  et  de  Vaudition.  Derniere  edi- 
tion ,   tome  I  ,  page  353. 

Une  chose  surprenante  de  la  part  d'un  praticien  aussi  serieux 
qu'Ilard  ,  c'est  que  ,  centre  cette  hypercousie  idiopalhique  qu'il 
n'a  jamais  observee  ,  il  a  neamoins  un  Iraitement  tout  pret ! 
Ce  sont  les  vapeurs  d'ether  ,  I'iDstillation  d'huile  de  lys  ,  et 
tous  ces  petits  moyens  qui  ne  seraient  que  ridicules  .  s'ils 
n'avaipnt   le  grave  inconvenient  d'habiluer  le  medecin  a  croire 


~  G9  — 

analogues,  et  ils  no  tarderonl  pas  a  si;  pre^onter  aiix 
observatears,  maintenant  que  I'altenlion  va  ctre  cveill(''i! 
sur  ce  point. 

Nul  doute,  d'ailleurs,  que  plusieucj  de  ces  exaltatiuns 
de  Touie,  considerees,  par  Hard  et  par  d'autres  auteurs, 
comma  symplomatiques  d'alfeclions  nerveuses  ,  ne, 
tinssent  a  un  relachement  simple  ou  double  de  la  mem- 
brane du  tympau  ;  car,  bien  que  je  ue  puisse  invo{iuer 
aucun  cas  de  ce  genre  etendu  aux  deux  cotes  ,  il  n'y  a 
aucunc  raison  pour  que  les  deux  nerfs  accessoires  de 
Wrisberg  ne  se  trouvent  paralyses  en  memo  temps. 

Sans  vouloir  tirer  des  deux  observations  que  je  viens 
de  rapporter  des  conclusions  formeller,  il  est  done  diffi- 
cile de  ne  pas  voir  la  une  paralysie  du  mu?cle  interne  du 
marteau  ;  et  comme  toules  les  parties  animees  par  la 
septieme  paire  etaient,  dans  ces  cas,  a  I'etat  normal  , 
on  pent  en  induire  que  la  branclie  motrice  du  tympau 
ne  procede  pas  du  facial ,  inais  qu'elle  procede  dun 
tronc  isolc  et  capable   de  se  paralyser  isolement. 

D'un  autre  cote,  chez  tons  les  malades  que  j'ai  pu 
suivre  ,  Texaltation  de  I'ouie  ayant  com])lctement  dis- 
paru  bien  avant  la  disparitio:i  de  I'hemiplegie  faciale, 
n'est-on  pas  en  droit  de  conclure  que  ce  symptome  n'e- 
tait  pas  sous  la  dependance  de  la  septieme  pairei' 

On  pourrait  objecter,  a  la  vcrite,  que  c'est  par  la  partie 
la  plus  rapprochee  du  point  d'emergence  que  les  nerfs 
recouvrent  I'influx  nerveux,  ct  que  la  branclio  motrice  du 

reinplies  loules  les  indicalions  therapeuliqiies  ,  par  cfla  seul 
qu'il  u  [(lesciil  qiielq\ie  rernede  banai,  avaiil  nicine  de  ^avoir  an 
juste  oil  est  le  mal  et  (]nel!e  est  la  cause  du  nial. 

*  M.  Huberi-Valleroux  {Essai  sur  h's  malailies  d'oreille.  — 
Paris,  1846,)  se  borne  a  rapporter  les  deux  exoiiiiiles  cites  par 
Hard  dans  la  note  ci-dessus 

*  QnnnI  a  hiainer(7Vrtjfe  sur  les  maladies  d'oreille,  Iraduit  /.nr 
M''n!,'rc,   I.SiS,)  il  ne  dil  pas  mi  soul  mot  de  i'hypercousic. 


—  70    - 

lympan  ,  nyidsant  au  niveau  du  premier  eoiide  du  facial, 
doit  recoiivror  son  activile  avant  celles  qui  naissent  au 
niveau   du  trou  sfylo-mastoidien. 

On  pourrait  objocter  aussi ,  d'une  part ,  la  rarete  de 
ce  genre  d'exallation  de  I'ou'ie  en  rabsence  d'hemiplegie  ; 
rarete  telle  que  les  deux  faits  precedents  sont  peut-etre 
les  seuls  inscrlts  dans  la  science;  et,  d'une  autre  part,  la 
frequence  de  cette  exaltation  concomitante  de  I'hemi- 
plegie-,  frequence  telle  que,  sur  sept  cas  consecutifs,  je 
I'ai  notee  sept  fois.  Mais,  si  I'on  considere  que  le  nerf 
intermediaire  se  confond  avec  le  facial  par  ses  radicules 
originelles,  qu'il  s'engage  avec  lui  dans  I'orifice  interne 
de  I'aqueduc  de  fallope,  qu'il  fournit  au  ganglion  otique 
uno  branche  qui  doit  elre  motrice,  puisque  ce  ganglion 
a  deja  une  branche  sensitive  ;  si  I'on  considere,  en  outre, 
qu'ayant,  en  partie,  le  ni6me  trajet  que  le  facial  et  la 
meme  texture  intime ,  il  doit  parliciper  aux  memes 
influences  ,  on  concevra  qu'une  cause  capable  d'ugir  sur 
la  septieme  paire  agisse  en  meme  temps  et  de  la  meme 
maniei-e  sur  le  nerf  intermediaire,  que  probablement ,  un 
jour,  on  appellera  huitieme  paire. 

En  effet ,  cinq  nerfs  principaux  se  ramifient  dans 
I'oreille  :  le  trifacial ,  le  facial ,  I'acoustique  ,  I'inter- 
mediaire ,  ct  le  glosso-pharyngien. 

L'acoustique  et  le  glosso-pharyngien  etant  des  nerfs 
de  sensations  speciales ,  et  le  trifacial  iin  nerf  de  sen- 
sibilite ,  il  est  tout  naturel  qu'ils  ne  soient  pas  soumis 
aux  memes  influences  morbides  que  le  facial ,  nerf 
moteur ,  et  qu'ils  restent  actifs  pendant  que  celui-ci 
est  paralyse.  Mais  le  nerf  intermediaire  etant ,  ou  ,  du 
moins  ,  paraissant  etre  un  nerf  de  mouvement,  et ,  de 
plus  ,  se  Irouvant  accole  au  facial  ,  on  ne  pent  s'eton- 
ner  qu'il  soil  frappe  en  meme  temps  que  lui,  par  la 
meme  cause  que  lui ,  et  d'une  maniere  identique. 

(.'observation  et  I'induction  pathologiques  me  parais- 
sent  done  justifler  pleinement  les  inductions   physiolo- 


—   71    — 

giqucs  (le  M.  Longet  sur  I'existence  d  uii  nerf  moteur 
tympanique ,  agissant  sur  la  membrane  du  tympan  , 
pour  la  souslraire  a  Tinfluence  des  sons  trop  violent^ , 
comme  la  Iroisieme  paire  agit  sur  liris  ,  pour  la  sous- 
lraire a  une  lumierc  Irop  vive. 

Quoiqu'il  en  soil  do  ces  donnees  physiologiques ,  sur 
lesquelles  je  ne  veux  pas  insister  davantage  ,  car  c'est 
surtout  au  point  de  vue  clinique  que  je  parle,  I'exal- 
talion  de  I'ouie  doit  etre,  maintenant,  consideree  comme 
presque  constanle  dans  la  paralysie  de  la  seplieme  paire. 

D'une  part,  ce  nouveau  phenomene  complete  I'histoire 
symptomatologique  de  I'hemiplegie  faciale. 

II  confirme  le  diagnostic  ,  en  eloiguant  I'idee  de  toute 
compression  cerebrale. 

II  indique  que  la  lesion  originelle  nest  pas  situee 
au-dessous  de  I'intumescence  gangliforme  du  nerf  fa- 
cial (I). 

D'une  autre  part ,  il  etablit  I'cxis'ence  d'une  maladie 
meconnue  jusqu'ici ,  I'hypercousie  independante  de  toute 
autre  affection  ,  rhyporconsie  qu'on  pourrait  appeler 
idiopathique ,  si  ce  mot  avail  une  signification  bien 
determinee. 

Ai-je  besoin  de  dire  qu'on  ne  confondra  jamais  celte 
exaltation  speciale  de  I'audition  avec  I'extrcme  sensibilite 
qu'on  observe  ,  tons  Ics  jours  ,  dans  un  grand  nombre 
de  maladies  aigues ,  dans  la  plupart  des  affections  ner- 
veuses  ,  et  a  laquelle  on  donne  le  nom  d'hypercousie  , 
paracousie  ,  etc.  ?  Outre  que  ,  dans  tons  ces  cas  ,  la  sen- 
sibilite de  I'ouie  existe  de  chaque   cote  ,  elle  s'accom- 

(I)  En  effet ,  ijuelle  que  soil  la  verilable  origine  de  la  branclie 
motrice  du  muscle  inlerne  du  luai  leau  ,  c'esl-a-dire  ,  soil  quelle 
precede  du  facial,  soil  qu'elle  pincede  du  nerf  de  Wiisberg, 
c'est  loujours  au  niveau  de  rintiimescence  gangliforme  qu'elle 
prend  naissance,  pour  se  readie  de  la  au  ganglion  clique. 


c. 


—  72  — 

pagne ,  le  plus  souvent  ,  de  croubles  analogues  dans  les 
autres  sens  ,  et  revet ,  d'ailleurs ,  les  caracleres  d'in- 
termittence  et  d'irregularite  des  nevroses  qu'elle  accom- 
pagne. 


CONCLUSIONS. 


Sous  le  rapport  pathologique. 

1"  L'exaltation  de  I'ouie  ,  du  cote  paralyse ,  est  un 
symptome  presque  constant  de  I'hemiplegle  faciale  in- 
dependaute  de  toute  affection  cerebrale. 

2°  Cette  exaltation  parait  en  meme  temps  que  I'he- 
miplegie,  et  disparait  avant  elle. 

3"  Elle  doit  etre  attribuee  a  la  paralysie  du  muscle 
interne  du  marteau. 

■lo  Elle  indique  que  la  lesion  nerveuse  n'est  pas  situee 
au-dessous  du  premier  coude  de  la  seplieme  paire. 

6°  Elle  peut  exister  en  I'absence  d'hemiplegie  faciale. 

6"  Qu'elle  coincide  avec  I'hemiplegie,  ou  qu'elle  en 
soit  independante,  elle  disparait  spontanement,  com- 
pletement,  et  dans  I'espace  de  quinze  jours  a  trois  mois. 

7"  Pour  en  constater  I'existence ,  il  est  quelquefois 
necessaire  d'impressionner  I'ouie  par  un  bruit  eclatant  et 
d'autant  plus  intense  qu'on  s'eloigne  davantage  du  debut 
de  I'affection. 

8°  Un  traitement  special  sera  presque  toujours  inutile. 
Dans  le  cas  ou  il  deviendrait  necessaire  ,  il  consisterait  k 
tamponner  I'oreille  du  c6te  paralyse,  et  meme  des  deux 
cotes,  pour  dirainuer  Taction  des  ondes  sonores ;  a 
dinger ,  avec  prudence ,  quelques  douches  froides  ou 
logerement    astringentes    sur  le  tympan  :  et ,  enfin ,  a 


—  73  — 

galvaniser,  au  besoin,  le  nerf  facial  ,  ou  la  membrane 
du  tympan  (1). 

9"  Sous  le  rapport  physiologique  ,  cette  hypercousie 
dependante  ou  independante  de  I'hemiplegie  parait 
confirraer  les  inductions  de  M.  le  docteur  Longet  sur 
le  nerf  intermediaire,  qui  devrait  etre  considere  comme 
nerf  moteur  tympanique,  remplissant ,  pour  louie ,  le 
role  du  nerf  moteur  oculaire  commun  pour  la  vue. 

(1)  Dans  le  cas  d'hemiplegie,  le  galraaisme  agirait  en  m§me 
lemps  conire  les  deux  maladies  ;  et  dans  le  cas  d'hypercousie 
independante,  raclion  eleclrique  s'etendrait,  par  la  connexion 
des  deux  nerfs,  jusqu'a  rinterniedlaire. 

La  gaWanisation  du  conduit  auditif ,  et  surtout  de  la  mem- 
brane du  tympan,  doit  elre  faile  ,  d'aillcurs  ,  avec  les  plus 
grandes  precautions;  je  connais  un  cas  de  perforation  du  tym- 
pan par  I'electricite. 


-  Ill  ~ 


RAPPORT  DE  M.  MAUMENfi 

SUR   LE   PARACASSE. 

(Seance  du  22  Novembre  1850.  ) 


Messieurs, 

L'Academie  nous  a  charges,  MM.  Derode,  Max.  Sutaine, 
Sornin,  Lechat  et  raoi ,  de  lui  faire  un  rapport  sur  le 
Paracasse  sou  mis  a  son  examen  par  M.  de  Maiziere. 

La  plupart  de  nos  confreres  savent  que  la  question 
n'est  pas  nouvelle  :  une  commission  a  deja  exprtme  son 
avis  sur  le  paracasse ,  et  les  perfectionnements  reconnus 
necessaires  ontete  etudiespar  I'auteur  dans  ces  dernieres 
annees  avec  dassez  grands  soins  pour  lui  donner  I'espoir 
d'une  application  immediate  et  avantageuse.  M.  de  Mai- 
ziere a-t-ii  oblenu  tout  le  prix  de  ses  efforts?  C'est  ce 
que  vos  commissaires  ont  examine  de  la  maniere  la 
plus  attentive ,  ainsi  que  vous  allez  en  juger. 

Et  d'abord  nous  reconnaitrons  avec  empressement  et 
nous  louerons  cette  ardente  perseverance  dont  M.  de 
Maiziere  est  un  module  :  penetre  d'une  conviction  pro- 
fonde ,  rien  ne  lui  coiite  pour  en  faire  eclater  la  ve- 
rite;  ni  laridite  des  calculs  ,  ni  la  difiiculte  des  expe- 
riences ,  ni  les  degOLits  dont  les  premiers  travaux  des 
inventeurs  sont  toujours  entoures  ,  rien  ne  I'empeche 
de  montrer  haulement  le  but  ou  doivent  tendre ,  suivant 
lui ,  tous  les  efforts ,  et  oil  il  entrevoit  de  grands  resul- 
tats  dans  I'avenir. 


—   75  — 

Nous  le  dirons  encore ,  M.  de  Maiziere  a  fait  tout  ce 
qui  dependait  de  lui  pour  arriver  a  ce  but  si  vivement 
desire.  Le  memoire  qu'il  nous  a  soumis ,  et  que  nous 
jugeons  en  ce  moment,  renferme  toutes  les  preuves  de 
I'application  la  plus  laborieuse  ,  et  c'est  la  un  merite 
dont  nous  croyons ,  avant  tout ,  devoir  feliciler  uotre 
confrere. 

11  y  a  longtemps  que  la  premiere  idee  du  paracasse 
est  entree  dans  I'esprit  de  M.  de  Maiziere  :  frappe  des 
perles  enormes  dont  la  casse  est  chaque  annee  la  trop 
puissante  cause  ,  et  jugeant  le  remede  a  la  hauteur  d'une 
question  nationale,  il  s'appliqua  sans  relache  a  peffec- 
tionner  cette  premiere  idee  toute  simple ,  qui  consiste  en 
une  augmentation  de  la  force  des  bouteilles  par  une 
pression  exterieure  suffisante.  U  fut  ainsi  conduit  a  I'ap- 
pareil  dont  nous  allons  vous  exposer  successivement  tons 
les  details,  mais  qu'il  est  facile  de  representer  simple- 
ment,  en  nous  bornant  a  dire  que  c'est  une  vaste  chau- 
diere  spherique  de  tole  de  fer  ou  Ton  enferme  les  bou- 
teillos ,  et  qu'on  acheve  de  remplir  avec  I'eau  necessaire 
pour  exercer  une  pression  hydraulique  convenable. 

Maintenant,  Messieurs,  le  premier  fait,  le  plus  impor- 
tant de  ceux  que  M.  de  Maiziere  signale,  est  sans  contredit 
le  suivant  :  «  I.e  vin  mousseux  ,  pendant  le  travail  de  la 
mousse,  pent  developper  une  quantite  de  gaz  acide  car- 
bonique  libre  plus  ou  moins  forte,  et  cette  quantite  dimi- 
nue  ensuite  peu  a  pen  jusqu'a  la  fin  du  travail ,  oii  elle 
determine  une  pression  definitive  generalement  comprise 
entre  2  et  3  atmospheres.  »  —  Vos  commissaires  pensent 
que  ce  fait  peut  etre  regarde  comme  certain  ,  non  pas  a 
cause  des  lois  physiques  sur  lesquelles  M.  de  Maiziere 
croit  pouvoir  s'appuyer  pour  en  donner  I'explication,  mais 
bien  parce  qu'il  est  conforme  a  I'experience  d'abord,  et 
ensuite  a  une  autre  theorie  que  nous  allons  indiquer. 

M.  de  Maiziere  imagine  une  division  du  travail  de  la  fer- 
mentation en  un  grand  nombre  de  mouvements  successifs 


—  70  — 

produits  par  le^  variations  de  temperature  de  I'ete  ,  et  11 
admet,  dans  cliacun  de  ces  mouvements,  une  production 
rapide  de  gaz  carbonique  dent  les  buUes  montent  d'abord 
se  loger  dans  la  charabre  de  la  bouteiUe  pour  y  occasion - 
ner  une  pression  considerable,  et  se  redissolvent  peu  a  peu 
dans  le  liquide,  en  produisant  a  sa  surface  une  diminution 
de  la  plus  grande  partie  de  leur  force  expansive.  —  Sur  ce 
point  vos  commissaires  ne  partagent  pas  lopinion   de 
M.  de  Maiziere.  Cette  opinion  est  contraire  a  tous  les  faits 
les  mieux  connus,  et  cela  nous  force  d'exprimer  un  regret 
ou  nous  serons  plus  d'une  fois  ramenes  dans  le  cours  de 
ce  rapport,  celui  de  voir  notre  confrere  ceder  un  peu  trop 
a  I'eclat  de  certaines  veritcs  theoriques  et  negliger  en 
meme  temps  des  verites  non  raoins  certaines,  dont  la  con- 
sequence est  souvent  extreme  pour  la  pratique.  Ainsi  pas 
un  physicien  ne  pourra  supposer  avec  M.  de  Maiziere  que 
I'acide  carbonique  produit  au  sein  meme  d'une  liqueur,  y 
prenne  Tetat  gazeux  et  s'en  ecbappe  malgre  la  force  dis- 
solvante  pour  y  rentrer  quelques  instants  plus  tard  en  verlu 
de  cette  meme  force  et  dans  les  memes  conditions.  Nous 
n'admettrons  done  point  ces  grands  exces  de  pression  tem- 
poraire  suivis  d'une  absorption  considerable.  Nous  ne  ver- 
rons  dans  le  travail  du  vin  mousseux  que  ce  qui  est  abso- 
lument  certain,  c'cst-a-dire  une  augmentation  continuelle 
de  la  pression  dans  la  chambre  des  bouteilles,  pendant  les 
premiers  temps  du  travail:  augmentation  soumise,  il  est 
vrai,  a  des  variations  continuelles  par  les  variations  de  la 
temperature  .  mais  completement  liees  a  ces  dernieres, 
et  restant  toujours  ainsi  dans  des  limites  assez  restreinles. 
Si  d'ailleurs  nous  admettons  le  resultat  final  constate  par 
M.  de  Maiziere  et  par  toutes  les  personnes  occupees  de  la 
fabrication  des  vins  mousseux,  c'est-a-dire  une  diminution 
considerable  de  la  pression  au-dessous  de  son  maximum  , 
et  apres  le  travail ,  nous  I'expliquerons  sans  peine  en  te- 
nant compte  du  grand  changement  qui  s'opere  dans  la 
nature  du  liquide,  c'est-a-dire  de  la  transformation  en 
alcool  de  presque  tout  Ic  sucre  contenu  d'abord  dans  le 


—  77  — 

vin.  II  n'en  faiit  pas  davantage  pour  concevoir  aisement 
cetfe  diminution  de  pression  qui  nous  occupCj  le  liquide 
alcoolique  ayant  sans  doute  une  force  dissolvante  bien  su- 
perieure  a  celle  du  liquide  sucre  primitif. 

Cola  pose  ,  voici  la  suite  du  raisonnement  de  M.  de 
Maizierc  :  la  plupart  des  bouteilles  ordinaires  (97  sur 
100)  ont  une  force  suffisante  pour  resister  a  la  pression 
definitive  de  2  ou  3  I  atmospheres:  (gr.  mousse,  3  1/2: 
m.  ord.,  2  1/2  ;  p. ,  2.)  Si  done  on  les  renforce  momen- 
lanement  pendant  le  travail  de  la  fermentation  et  a  I'aide 
d'une  pression  hydraulique  exterieure  ,  on  les  amenera 
sans  danger  de  rupture  a  la  pression  definitive ,  dont 
elles  n'ont  rien  a  redouter.  —  De  la  resulte  immediate- 
ment  Tinvenlion  du  paracasse. 

Avant  d'aller  plus  loin,  disons  que  M.  de  Maizierc 
s'est  efibrce  de  resoudre  le  probleme  dans  toute  son 
etendue  :  il  veut  avec  rai?on  preserver  non  seulement 
les  97  bouteilles  dont  nous  venons  de  parler,  mais  en 
general  toutes  celles  dont  I'industrie  pourra  faire  usage,  et 
icise  place  un  accessoire  important,  c'est-a-dire  le  choix 
preliminaire  des  bouteilles.  —  En  effet,  si  nous  pouvons, 
par  un  moyen  simple,  connaitrea  Tavauce  les  trois  bou- 
teilles iucapables  de  resister,  nous  les  separerons  ,  et  d'a- 
pres  M.  de  Maiziere,  la  conservation  devicndra  complete. 
Pour  atteindre  ce  but,  notre  confrere  s'<!st  livre  a  de  nom- 
breux  calculs  dans  le?quels  nous  vous  demanderonslaper- 
qiission  de  ne  pas  le  suivre,  par  la  raison  evidente  que  ces 
calculs  doivent  toujours  reposer  sur  des  donnees  essentiel- 
lement  variables,  et  ne  peuvcnt  aiiisi  conduire  a  aucun  re- 
sultat  vraiment  pratique.  Voici  la  raarche  a  laquelle  M.  de 
Maiziere  s'est  arrete  dans  son  memoire  :  Au  moyen  d'un 
compas  d'epaisseur  d'une  forme  appropriee  ,  on  mesu- 
rerait  d'abord  repsisseur  de  cbnque  bouteille  aux  quatre 
extremites  de  deux  diametres  rectangulaires  ,  et  on  de- 
duirait  par  des  formules  une  moindre  epaisseur  a  la- 
quelle se  raffaclie  infimement  la  resistance  :  on  tiendrait 


—  78  — 

la  note  exacte  des  resultats ,  et  les  trois  bouteilles  plus 
faibles  seraient  raises  au  rebut.  —  Ce  proccde  peut  etre 
reraplace  par  le  sulvant  ,  dont  voire  rapporteur  a  donne 
conDai?sance  a  M.  de  Maiziere  ,  qui  I'admet  lui-raeme 
comme  beaucoup  plus  pratique.  On  placerait  les  bou- 
teilles bouchees  vides  dans  une  cuve  pleine  d'eau  et  on 
les  abandonnerait  a  elles-raenies  :  au  bout  d'une  ou 
deux  minutes,  chaque  bouteille  serait  au  repos  et  pre- 
senterait  au  meridien  sa  moindre  epaisseur,  dont  on 
tiendrait  note  en  la  marquant  avec  un  pinceau.  Nous 
paisous  sur  les  details, 

Le  choix  des  bouteilles  eCfeelue ,  on  fait  le  lirage,  et  au 
lieu  de  livrer  les  bouteilles  a  leurs  propres  forces,  on  les 
introduit  dans  le  paracasse.  Le  modele  propose  parM.  de 
Maiziere  est  une  cuve  spherique  de  t6le  de  fer  de  4  metres 
de  diametre  et  d'un  peu  plus  de  6  millimetres  d'epais- 
seur  On  soutient  cette  cuve  au  raoyen  d'un  bati  en  char- 
pente,  a  environ  1,  8  metre  au-dessus  du  sol  5  a  la  partie 
superieure  est  un  trou  d'homme  analogue  a  celui  des  ma- 
chines a  vapeur,  et  destine  au  chargement.  Les  bords  du 
trou  sont  a  0,4  au-dessus  du  plancher  qui  les  entoure. 
A  la  partie  inferieure  est  un  robinet  de  decharge  pour 
vider  I'eau  apres  le  travail.  —  Le  paracasse  etant  vide, 
deux  ouvriers  y  descendent  et  rangent  les  bouteilles  par 
couches  horizontales,  ce  qui  amene  rintroduction  de 
15,000  bouteilles  ;1I,062  bouteilles  entieres  et  3,938X2 
ou  7,876  1/2  bouteilles).  On  acheve  de  remplir  avec  de 
I'eau,  et  le  trou  d'homme  etant  soigneusementferme,  il  ne 
reste  plus  qu'a  faire  agir  une  pompe  de  compression  hy- 
draulique  pour  etablir  une  pression  de  6  atmospheres 
sur  toutes  les  bouteilles, 

Jusqu'ici,  point  de  difiiculte.  Le  role  du  paracasse 
s'aperQoit  avec  evidence  ,  la  bouteille  au  sein  de  la- 
quelle  peut  se  developper  une  pression  passagere  de 
9  atmospheres  environ  ,  d'aprc;  M.  de  Maiziere,  ce  qui 
nous  ete  conflrine,  et  qui  est  choisie  de  maniere  a  re- 
sister  certainemcnt  a  .3  1/2  par  elle-meme,  peut  main- 
tenant  subir  sans  crainte  Teffort  interieur  du  gaz  car- 


—  79  — 

bonique,  les  6  atmospheres  du  paracasse  s'ajoulant  a  sa 
resistance  propre  (3  1/2)  pour  vaincre  cet  effort;  etc.,  etc. 

Mais  la  n'est  pas  toute  la  question;    tant  s'en  faut. 

En  premier  lieu,  se  presente  une  objection  fonda- 
mentale  :  Comment  savoir  si  le  \in  prend  ou  ne  prend 
pas  la   mousse,  et  que  faire  dans  le  second  cas? 

Cette  objection  ,  M.  de  Maiziere  I'a  prevue  ,  et  il  pense 
I'avoir  completement  levee  par  la  methode  suivante  qui 
nous  spmble  ,  en  theorie  du  moins .  vraiment  digne  de 
I'attention  de  I'Academie  et  des   fabricants. 

Le  paraca?se  ne  reste  pas  libre  de  suivre  les  variations 
de  la  temperature  atmo«phenque  :  on  I'echaufle  ou  on 
le  rcfroidit  artificiellemenl  de  maniere  a  y  determiner 
certainement  la  prise  de  mousse  ,  et  pour  juger  exac- 
tement  des  actions  produites  dans  son  sein  ,  on  observe 
la  raarche  dun  petit  lot  de  quelques  bouteilies  tres  fortes 
remplies  du  meme  vin  et  contenues  dans  une  baignoire 
ou  Ton  developpe  precisement  les  memes  elevations  de 
temperature.  Ces  bouteilies  sont  armees  d'un  manometre 
propre  a  indiquer  les  pressions  (1). 

Nous  n'hesitons  pas  a  le  dire  :  theoriquement,  cette 
idee  est  bonne ,  et  il  ne  nous  reste  plus  qu  a  examiner 
comment  M.  de  Maiziere  entend  la  faire  admettre  dans 
la  pratique. 

lei ,  Messieurs,  notre  confrere  s'est  trouve  face  a  face 
avec  une  difTiculte  dont  il  ne  nous  a  point  donne  la 
solution  ,  mais  qu'il  ne  tardera  pas  a  surmonter  :  celle 
de  produire  a  volonte  les  variations  de  temperature.  — 
En  appliquant  au  paracasse  la  melhode  d'echauffement 
indiquee  il  y  a  douze  ou  quinze  ans  par  M.  Sorel ,  il 
parvi^^ndra  ,  sans  trop  de  peine,  a  obtenir  ces  echauf- 
foments  artificiels  dont  il  a  besoin  pour  developper  la 

(1)  Le  seul  inanomelre  convenable  pour  eel  usage  esl  celui 
que  M.  Bourdon  conslruit  depuis  un  an  ou  deux.  (  Observa- 
tions  du  rapporteur  j. 


—  80  — 

mousso.  —  Ajoutons  que  ,  dans  la  pensee  de  M.  de  iMai- 
ziere  ,  on  poiirra  s'aider  de  la  chaleur  solaire  dans  beau- 
coup  de  cas. 

Tci,  Messieurs,  ron  demandera  quelles  garanties  M.  de 
Maiziere  presente  pour  la  siirete  du  travail ,  pour  la 
prise  de  mousse  :  a  cet  egard,  la  conviction  de  notre 
confrere  est  tres  grande;  mals  nous  ne  pouvons  nous 
erapecher  d'admettre  avec  Uii  plusieurs  points  essen- 
tiels:  1°  la  temperature  developpee  au  besoin  dans  le 
paracasse  servira  presque  toujours  efficacement  les  ten- 
dances a  la  fermentation;  2°  la  preparation  du  vin 
donne  assez  regulierement,  dans  les  circonstances  or- 
dinaires,  des  resultats  certains,  et  le  paracasse  augmen- 
tera  certainement  les  chances  de  reussite.  II  resulte 
ainsi  de  grandes  probabilites  pour  une  prise  de  mousse 
prompte  et  reguliere,  et  ces  probabilites  deviendront 
plus  grandes  encore  a  mesure  que  la  chimie  perfec- 
tionnera  les  methodes  de  dosage  employees  dans  nos 
tirages  actuels. 

Maintenant,  autre  difficulte  :  Le  paracasse  sera-t-il  assez 
grand  pour  contenir  toutes  les  bouteilles  necessaires  au 
plus  fort  tirage  ;'— M.  de  Maiziere  ne  propose  pas  de  mettre 
en  usage  un  paracasse  de  dimensions  trop  grandes  : 
il  emploie  au  besoin  plusieurs  appareils ,  et  il  destine, 
en  tons  cas  ,  cliacun  d'eus  a  executer  un  certain  nombre 
d'operations.  Par  exemple ,  s'il  s'agissait  de  100,000  bou- 
teilles, notre  confrere  construirait  un  paracasse  de  25,000, 
et  il  y  ferait  passer  les  100,000  en  4  operations.  —  Si 
le  tirage  atteignait  400,000  bouteilles ,  on  devrait  avoir 
quatre  paracasses  de  la  dimension  du  precedent ,  etc. 

—  M.  de  Maiziere  admet  merre  que  le  vin  dun  tirage 
pourrait  passer  au  paracasse  en  cinq  ou  peut-etre  six 
fois  au  lieu  de  quatre  ;  mais  il  ne  se  refuse  point  a 
compter  seulement.  si  Ion  veut,  sur  quatre  operations. 

—  Quant  aux  precautious  a  prendre,  elles  se  borne- 
raient  a  descendre,  au  moment  du  tirage,  les  trois  quarts 


—  81  — 

du  vin  dans  les  caves  les  plus  Iroides,  et  a  atteudrc 
ainsi  1  achevement  de  la  fermentation  du  premier  quart 
introduit  dans  le  paracasse.  En  supposant  meme  que 
les  trois  quarts  conserves  vinssent  a  entrer  en  mousse, 
M.  de  Maiziere  pense  arrivera  les  maintenir  au  moyen  de 
precautions  connues. 

Nous  voici  arrives  h  I'un  des  points  les  plus  delicats 
dans  Temploi  du  paracasse,  et  nous  sommes  heureus 
de  pouvoir  vous  presenter  sur  ce  detail  important  des 
resultals  d'experience  en  meme  temps  que  des  vues 
tlieoriques.  Nous  voulons  parler  de  la  bonne  conserva- 
tion du  vin  dans  I'instrument.  —  Pour  proceder  par 
ordre,  nous  examinerons  d'abord  la  question  dont 
I'inferet  est  le  plus  considerable  ,  celle  de  savoir  si  la 
pres?ion  exterieure  ne  gatera  pas  le  vin  en  forgant 
I'eau  du  paracasse  a  penetrer  dans  les  bouteilles,  par 
un  effet  inverse  de  celui  qu'on  observe  dans  les  recou- 
leuses,  et  en  meme  temps  si,  independamment  de  la 
pression,  le  melange  des  liquides  n'aura  pas  lieu  par 
la  puissance  de  Vendosmose. 

Sur  le  premier  point  ( I'introduction  par  pression), 
M.  de  Maiziere  admet ,  comme  reponses  decisives  • 
1°  que  le  bouchon  est  si  fortement  comprime  dans  le 
sens  perpendiculaire  a  son  axe  qu'il  est  impermeable  a 
I'eau,  meme  sous  des  differences  de  pressions  encore 
plus  grandes  que  celles  produites  dans  le  paracasse; 
2"  que  le  bourrelet  forme  par  la  tete  du  bouchon  sur 
les  bords  de  la  bouteille  s'oppose  a  tout  mouvemenl  du 
dehors  en  dedans.  -  Sur  le  second  point,  notre- con- 
frere ne  regarde  pas  I'endosmoso  comme  possible  dans 
des  bouchons  fortement  comprimes. 

Voici  maintenant  pour  lexperience  ;  —  En  1842, 
M.  de  Muller  fit  construire  un  paracasse  assez  grand 
pour  admetlre  671  bouteilles  et  460  demi-bouteilles,  et 
une  operation  fut  faite  pendant  I'ete  de  cette  annee 
avec  quatre  especes  de    vin.    l/ouverture   de  I'appareil 


—  82  — 

eut  lieu  le  2  decembre ,  en  presence  d'une  vingtaine 
(Je  persouncs  ,  parmi  lesquellcs  se  trouvaient  dcs  coin- 
missaires  de  I'Acadeniie.  Le  rapport  fail  sur  celle  seance 
ne  constate  aucune  alteration  du  genre  de  celles  que 
nous  venons  de  supposer.  Les  vins  du  paracasse  pa- 
raissaient  un  peu  plus  tendres  ,  un  peu  plus  avances 
que  ceux  des  lots  mis  en  reserve  pour  la  confronta- 
tion ;  quelques  bouteilles  avaient  une  aiquille  legere  ; 
mais  11  n'y  eut  pas  d'exemple  d'uu  coulag^  inlerieur 
par  suite  de  la  prrssion  ou  de  lendosmose. —  La  Cham- 
bre  de  commerce  exauiina  les  vins^  et  les  trouva  encore 
dans  un  bon  etat. 

Nous  ne  pouvons ,  Messieurs  ,  passer  ?ous  silence  les 
autres  resultats  obtenus  dans  cette  epreuve,  et  nous  de- 
vons  vous  les  faire  connaltre  avec  detail,  surtout  a  un 
dernier  point  de  vue.  Beaucoup  de  personnes  ont  en 
effet  regarde  comme  tres  douteux  I'achevement  du  tra- 
vail du  vin  en  une  seule  saison  passee  dans  le  paracasse ; 
et  elles  ont  soutenu  que  la  saison  suivante  amenerait 
un  travail  nouveau  ,  et  par  suite  une  casse  plus  ou  moins 
forte.  Ces  craintes  ne  sont  pas  sans  fondement ;  mais 
elles  ne  sont  pas  completement  justiflees  par  les  fails 
observes  dans  I'experience  de  1842.  Ll  pent-etre  meme 
celle  experience  les  eul-elle  fait  disparailre  ,  si  toutes 
les  precautions  indiquees  et  reclamees  par  iM.  de  Mai- 
ziere  avaient  ete  prises.  —  Voici  les  fails  :  les  quatre 
lotd  de  confrontation  mis  en  reserve  presenlereut  les 
rapports  de  casse  suivants  :  24,  43,  60,  80  pour  o/o. 
(  Ces  pertes  exlraordinaires  tenaient  a  la  preparation 
dans  laquelle  on  avail  force  a  dessein  les  doses  de 
liqueur.  )  Les  lots  correspondants  du  paracasse  presen- 
Iferent  une  bien  plus  grande  stabiiile  :  le  premier  et  le 
deuxieme  ne  donnerent  point  de  casse.  La  perle  pour 
les  deux  autres  lots  s'eleva  a  85  bouteilles  du  2  decem- 
bre au  l^i- Janvier  1843.  —  lei,  M.  de  Maiziere  vous 
prie  ,  avec  beaucoup  de  raison  ,  d'observer  l"  que  les 


i 


—  sa- 
vins (le  ces  deux  lots  avaient  roru  des  doses  de  liqueur 
abiolument  inusitees,  ce  qui  est  reconnu  par  le  rapport 
de  YDS  premiers  commissaires ,  et  2"  que  la  facilite  de 
choisir  d'avance  les  bouteiilos  (ce  qui  est  essentiei)  ne 
lui  a  pas  ete  accordtie. 

II  resulte  evidemment  de  cette  experience  une  tres 
forte  presomplion  en  faveur  de  la  propriete  preservatrice 
du  paracasse  ,  sans  doute  cette  presomplion  serait  deve- 
nue  une  certitude,  si  Ton  s'eiait  place  dans  les  conditions 
veritables. 

11  Dous  reste.  Messieurs,  a  examiner  un  dernier  point 
le  point  essentiei  pour  le  commerce,  la  question  finan- 
ciere.    Combien    le  paracasse  coiitera-t-il,    et  comblen 
pourra-t-il  rapporteri'  Voici  le   calcul  simplifie,   autant 
que  possible,  et  pour  un  tirage  de  100,000  bouteilles. 

DEFENSES. 

Un  paracasse,  contenant  25,000  bouteilles,  peutetre 
etabli  au  prix  de  8,000  francs.  Nous  le  supposerons 
entierement  perdu  au  bout  de  25  ans ,  ce  qui  est  certes 
extremement  exagere.  8,000  francs  representent  au  bout 
de  ce  temps,  avec  les  interets  composes,  27,091  francs 
soit  28,000  francs.  ' 

L'entretien  du  paracasse  n'exigera  pas  plus  do  deux 
ouvriers,  pendant  six  mois  ou  180  jours.  En  evaluant 
la  journee  tt  2  fr.  50  cent.,  on  trouve  900  fr.  ii 
faudra  du  charbon  pour  echaufler  I'eau  :  en  suppo- 
sant  qu'on  maintienne  cette  eau  sans  cesse  a  30  degres 
c'est-i-dire  a  20  degres  au-dessus  de  I'air  ambianf,  dans 
le  temps  le  plus  froid,  la  capacite  de  la  cuve'eOnt 
d'environ  56  metres  cubes,  et  lean  n'en  occupant  pas 
le  quart,  c'est  environ  10  metres  cubes  a  porter  a  20 
degres  ou  200,000  calories  a  produire;  et  si  nous  dou- 
blons  cette  somme  pour  representor  la  perte  de  cha- 
leur  par  rayonnement,  nous  aurons  enfm  -400,000  ca- 
lories a  developper  chaque  jour :  or ,   1  kiloi.'.  de  bouille 


-  84  - 

donne  aisement  10,000  calories-,  il  sufTira  done  de  40 
kil.  par  jour  ou  de  7,200  kil.  pour  180  jours,  soil 
8,000  kilog.  a  20  fr.  =  160  fr.  Nous  ajouterons,  si  I'on 
veut,  40  francs  pour  menues  depenses ,  et  nous  aurons 
pour  tous  frais  1,100  fr.  —  En  25  ans  ce  sera  27,500  fr. 
Enfin  les  100,000  bouteilles  devraient  ctre  choisies, 
et  au  lieu  de  coiiter  28  fr.  le  100,  admettons  qu'elles  en 
codtent  30,  nous  aurons  30,000  fr,  a  depenser  au  lieu  de 
28,000,  soil  2,000  fr ,  extraordinaires,  ou  en  25  ans  60,000. 
Nous   avons  ainsi  pour  les  dopenses  : 

Achat  et  interets,  28,000  .fr. 

Frais  de  I'appareil,  27,500 

Choix  des  bouteilles,  50,000 

105,500  fr. 

RECETTES. 

Nous  admettons  pour  la  casse  ordinaire  k  la  grande 
mousse   12  pour  o/°. 

11  resultera  un  premier  beneflce  de  la  conservation 
des  bouteilles  :  en  effet,  sur  100,000  bouteilles,  on  en 
perd  12,000  par  la  casse,  soit  3,360  fr.  qui  seront  eco- 
nomises. 

En  second  lieu,  nous  evaluons  avec  M.  de  Maiziere 
la  valeur  du  vin  contenu  dans  une  bouteille  au  mo- 
ment de  I'entree  au  paracasse  a  environ  1  fr.  10  cent. 
12,000  bouteilles  conservees  representtnt  done  une  valeur 
de   13,200  fr.  entierement  perdue  aujourd'hui, 

Ainsi  le  beneflce  annuel  du  paracasse  serait  13,200^ 
-f  3,360  ou  16,560  fr. 

En  25  ans,  ce  serait  un  benefice  de   414,000  fr, — 
Nous  pouvons  ainsi  dresser  le  tableau  suivant  : 
Benefices  en  25  ans,  414,000  fr. 

Depenses  en  25  ans,  105,500 

Benefice  net  en  25  ans,  308,500  fr. 

—  en  1  an,  12,340 


—  8  J  — 

Ainsi,  bien  que  nous  ayons  calcule  nos  dcpeiises 
en  les  exagerant  toujours  ,  on  voit  que  meme  en  les 
augmentant  de  2,340  fr.  par  annee ,  ce  qui  serait 
presque  doubler  nos  evaluations,  il  resterait  encore  un 
benefice  net  de  10,000  fr.  par  an  sur  un  tirage  de 
100,000  bouleilles. 

CONCLUSIONS. 

Vos  commissaires    ont  I'honneur  de   vous  proposer  . 

l"  De  remercier  M.  de  Maiziere  de  son  importante 
communication. 

2°  D  emettre  le  vceu  que  les  negociants  en  vins  pro- 
cedent  a  une  nouvelle  experience  en  tenant  compte 
de  toutes  les  recommandations  de  I'auteur,  de  maniere 
a  etablir  la  \erite  complete  sur  les  avantages  de  son 
invention. 


ISotc  de  M.  Maumene. 

L'examcn  du  paracasse  d<!  M.  de  Maiziere  m'a  fourni 
I'occasion  de  connaitre  un  fait  qui  vient  ii  I'appui  de 
I'un  de  ceux  que  j'ai  constates  dans  mon  travail  sur 
les   eaux 

En  1842,comme  on  vient  de  le  voir,  M.  de  MuHer  fit  I'es- 
sai  de  Tinstrunient  invente  par  iM.  de  Maiziere :  les  bouleilles 
mises  en  experience  furent  rangees  sur  des  lits  de  paille 
et  le  paracasse  fut  rempli  d'eau.  La  cloture  dura  huit 
mois  i^de  niai  k  decembre. )  Pendant  I'intervalle  ,  M.  dc 
.Maiziere  reconnut  un  developpenient  considerable  de 
matieres  gazeuses  et  voulut  en  distinguer  la  nature  ; 
on  ouvrit  un  tube  superieur  en  presence  de  plusieurs 
persoiines  ;  il  s'ecliappa  un  jet  de  gaz  de  deux  metres 
qui  put  etre  enilammc ,  et  briila  avec  une  flamme  vive. 
11  y  avait  beaucoup  d'bydrogene  bi-carbone. 

Dans  la  fermentation  ?pontanee  an  sein  de  leau, 
les  matieres  organiques  developpent  done  des  gaz  ana- 
logues au  gaz  de  I'eclairage  ordinaire  ,  ainsi  que  je  I'ai 
ilemonlre  par  I'aualyse  des  gaz  degages  par  la  Vesle  a 
Saint-Rrice. 


—  8() 


LETTRE 


ADRKSSfiF;     A     M.    LE    MINISTRE    DE    LAGRICULTURE    ET 
DU    COMMERCE,    PAR    M.    MAUMENli. 

Seance  du  8  Novcmhre  1850. 


Monsieur  le  Ministre  , 

Je  viens  de  lire  dans  les  Debais,  du  4  octobre ,  le 
rapport  qui  vous  a  ete  adresse  par  M.  le  docteur 
Grange,  a  la  suite  d'une  mission  confiee  par  le  gou- 
vernement,  et  ayant  pour  but  de  faire  I'histoire  geo- 
graphique  du  goitre ,  d'etudier  los  causes  de  cette  af- 
fection et  les  moyens  d'en  preserver  les  populations. 
Permettez-moi,  Monsieur  le  Ministre,  de  vous  offrir  les 
observations  que  j'ai  faites  sur  le  meme  sujet  dans  le 
travail  dont  je  viens  de  presenter  les  resultats  a  I'Aca- 
demie  des  sciences  (seance  du  24  aout  1850). 

II  m'en  coiite  de  contredire  M.  Grange  ,  mais  il  me 
parait  de  la  plus  complete  impossibilite  d'admettre  les 
vues  thooriques  auxquelles  ce  savant  s'est  arrete. 

Voici  les  points  principaux  du  rapport  de  M.  Grange, 
sur  lesquels  je  desire  attirer  votre  attention. 

<'  La  presence  de  ces  affections  parait  liee  a  celle 
»  de  la  magnesie  dans  les  aliments  ou  les  boissons... 
»  II  resulte  de  tout  ce  que  j'ai  vu  ,  en  effet ,  que  la 
»  magnesie  predispose  au  goitre...  Ainsi  ces  affections 
»  alteignent  toutes  les  classes  de  la  societe  ,  dans  tons 
»  les  pays  ,  a  toutes  les  hauteurs  ,  dans  les  vallees 
»  profondes,  dans  les  plaines ,  sur  les  plateaux  eleves, 
»  partout  enfm  oii  Ton  rencontre  des  formations  ma- 
»  gnesiennes  ,  excepte  au  bord  de   la  uier. 


—  87    — 

»  I. a  coFuparaison  des  cartes  de  (Jinliibulion  du  goitre 
»  avec  les  cartes  gcologiqucs  prouve  nettpmcnt  que 
»  celte  affection  est  endemiqiie  sur  les  terrains  nia- 
1)  gnesieus.  Les  geologues  les  plus  distingues,  M.  FJie 
»  de  Beaumont  en  France,  M.  Studer  en  Suisse,  M.  de 
))  Sismonda  en  Piemont ,  out  reconnu  hautement  la 
»  verite  de  ces  observations.  Nous  avons  constamment 
»  trouve  des  sels  de  magnesic  dissou?  dans  les  eaux 
»  potables  et  dans  les  cendres  des  graines  des  pays 
»  fortement  infestes. 

»  Toules  les  fois  que  le  goitre  s'cst  moafre  ende- 
))  mique  dans  une  localile  isolee  et  sur  uii  terrain  qui 
»  ne  pouvait  etre  cousidore  comme  magnesien  ,  les  eaux 
B  contenaient  une  quantite  notable  de  magnesia. 

1)  Ces  fails  montraient  deja  que  les  sels  magnesiens 
»  jouent  un  grand  role  dans  ie  developpement  du  goitre  ; 
»  mais  lorsque  j'ai  eu  constate  les  plitinomenes  sui- 
»  vants,  je  n'ai  pas  hesite  a  considerer  la  presence  de 
»  ces  sels  comme  la  cause  immediate  du  goitre.  Dans 
»  la  plupart  des  pays  a  goitre  ,  quelquesjeunes  gers , 
»  pour  se  soustraire  a  la  loi  du  recrutement,  se  donnent 
»  le  goitre  en  buvant  tons  les  jours  quclques  litres 
B  d'eaux  bien  connues  pour  developper  cette  affection  : 
D  ces  eaux  sont  fortement  magnesiennes.  Enfln  ,  un  in- 
»  gt^nitur  bydrograplie  de  la  marine  s'est  vu  atteint 
»  d'un  goitre  caraclerise  et  assez  volumineux,  apres 
»  avoir  fait  usage  de  la  magnesie  calcinee  fi  la  dose  de 
»  50  centigrammes  pendant  14  mois.  Dans  les  pays 
»  frappes  de  ces  maladies,  quebjues  families  riclies 
»  recueillenl  les  eaux  pluviales  daus  les  citerncs  et 
1)  sont    parfailement   prcservees. 

De  tons  ces  faits  aucuu  nest  coiicluant.  II  en  re- 
sulte  une  vraisemblance  ;  mais  si  le  vrai  n'est  qucl- 
quefois  pas  vraisemblable,  »  un  sail  aussi ,  disait  Fou- 
»  tenelle  ,  que  lorsque  deux  vues  se  presentent  a  uotre 
v  esprit,  1,1  plus  vrai-cinblable  est  souvent  la  moins 
«  vraie.  d 


—  88  — 

On  peut  jci,  je  crois,  faire  disparaitre  loute  illusion  par 
les  coiisideralioiis  suivantes : 

1°  M.  Grange  a  Irouve  beavcovp  de  magnesle  dans 
la  plupart  des  eaux  analysees,  pres  de  5  centigrammes 
par  litre  dans  I'eau  de  Gonceliu,  4  centigrammes  Jans 
celle  de  Gieres,  etc.,  etc.  (  Annales  de  chimie  el  de 
phy-ique,  3"^  serie,  XXIII,  364.  J  —  Mais  M.  Grange 
est-il  bien  ?ur  de  son  fait  ?  Voici  le  precede  dont  il 
s'est  servi;  jc  I'extrais  des  annales  : 

a  Nous  avons  chauffe  au  rouge  les  sels  solubles  evapo- 
»  res  et  pe^es  dans  une  capsule  de  platine,  jusqu'4  ce 
»  qu'elle  ne  perdit  plus  rien  de  son  poidg  en  conti- 
»  nuant  la  calcination.  En  reprenant  ce  r6sidu  par 
»  I'eau,  nous  avons  obtenu  vn  precipit4  de  magnate 
B  que  nous  avons  dose  et  qui  nous  a  donne  le  poids 
»  de  viaqnesium  combine  avec  le  chlore  qui  s'est  de- 
»  gage  pendant  la  calcination.    » 

Quel  est  le  chimiste  qui  se  joiudrait  a  M.  Grange 
pour  determiner  la  magnesle  de  celte  maniere  ? 

2«  Si  le  goitre  venait  de  la  magnesle,  comment  les 
eaux  naturelles,  qui  en  contiennent ,  rcsteraient-clles 
completement  innocentes  dans  un  grand  nombre  ,  ou 
pour  mieux  dire  ,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas? 
Ce  n'est  pas  la  magnesle  seulement  ,  dira  peut-etre 
M.  Grange,  c'est  sa  proportion  qui  fait  le  mal.  Mais, 
d'une  part  ,  quelques-unes  des  eaux  etudiees  par 
M.  Grange  lui-meme  renferment  tres  peu  de  magnesle: 
par  exemple  ,  celle  du  ruisseau  de  Tencin  n'en  ren- 
ferme  pas  deux  centigrammes  par  litre  ,  et  pourtant 
les  chiens  et  les  pores  eux-memes  deviennent  goitreux 
par  sou  usage,  ce  qui  eit  tres  rare.  Ainsi  la  pro- 
portion de  la  magnesie  ne  serait  pas  en  rapport  ne- 
cpssaire  avec  I'intensite  du  goitre. —  Et ,  d'autre  part, 
comment  pourrait-on  expliquer  I'innocence  de  certaines 
eaux  de  I'aris  (jui  renferment  de  la  magnesie  comme 
les  eaux  des  vailces  dc  I'lsere  ?  D'apres  M.  Deville  (An- 


—  89  — 

nales,  3"^  serie,  XXIII,  32  )  I'eau  d'Arcueil  renfernn 
par  litre  8  centigrammes  de  sels  dc  magnesie,  c'est- 
a-dire  le  double  de  ce  que  I'eau  de  Gieres  eu  presente, 
et  tout  le  monde  sail  que  I'eau  d'Arcueil  no  donnc  le 
goitre  a  personne. 

3"  Dans  mon  travail  ,  cite  plus  haut,  sur  les  eaux 
de  la  ville  et  de  I'arrondissement  de  Reims,  j'ai  si- 
gnale  uue  circonstance  bien  remarquable  et  qui  aurait 
du  etre  pesee  par  M.  Grange.  Autrefois  le  goitre  etait 
repanJu  a  lieims.  Voici,  pour  en  donner  la  preuve,  un 
extrait  dune  declaration  faite  par  les  medecins  de  notre 
ville  en  1746  : 

«  Nous  doyen,  docteurs  el  professeurs  de  medecinc 
»  dans  rUniversite  de  Reims,  certifions  que  depuis  qu{ 
)  nous  exer(;ons  la  medecine  dans  cette  dite  ville 
))  nous  y  avons  rencontre  une  infinite  de  personnes 
')  attaquees  des  maux  vulgairement  appeles  incurables  ; 
»  nous  pensons  raeme  qu'il  n'est  pas  de  ville  dans  le 
0  royaume  ou  Ton  trouve  plus  de  goitres,  de  scirrhes, 
»  de  cancers  ,  d'ecrouelles  ,  de  loupes  ,  de  meliceris  , 
o  de  steatomes,  et  generalement  de  toutes  les  maladies 
»  comprises  dans  la  classe  des  humeurs  froides. 

')  II  est  ici  peu  de  families  ou  Ton  ne  trouve  quelque 
»  sujet  plus  on  moins  infecte  de  ce  virus,  et  si  le 
»  secret  que  nous  leur  devons  ne  nous  fermait  la  bou- 
»  che,  nous  etonnerions  le  public  par  le  recit  de  nos 
»  miseres.  II  arrive  meme  souvent  qu'en  donnant  des 
»  IcQons  d'anatoniie  a  nos  eleves  et  en  ouvraut  a  I'Ho- 
»  tel-Dieu  des  personnes  mortes  de  maladies  aigiies 
)>  telles  que  I'apoplexie ,  nous  trouvons  le  mesentere 
»  farci  de  glandes  engorgees  qui  preparaient  des  causes 
»  sourdes  de  mort  u  des  sujets  sains  en  apparence  et 
1)  au-dessus  de  lout  soup^on.  « 

En  presence  dc  cette  declaration  si  categorique,  j'ai 
cherclie  la  magiiesre  dans  nos  eaux^  mais  ni  celles  de 
la  Vesle,  ni  celles   des  puits,  ni  le   sol  lui-meme  n'en 


—  90  — 

renferment  de  traces  saisissables.  La  craie   ne  mVu  a 
pas  fourni  en  operant  sur  100  grammes. 

Dc  ce  qui  precede,  il  me  semble  resuUer  avec  Evi- 
dence une  contradiction  decisive  aux  idees  theoriques 
de  M.  Grange,  et  puisque  cette  importante  question  est 
soumise  au  conseil  d'Hygiene,  je  croi-^  remplir  un  de- 
voir en  vous  adressant  ce  resume  de  mes  travaux . 
Veuillez  agreer,  etc. 


Obserualions  de  M.   Landovzy. 

M.  Landouzy  fait  remarquer  que  si  M.  Grange  a  mis, 
un  instant,  en  doute  I'absence  de  magnesie  dans  les 
eaux  de  Reims  ,  malgre  la  valeur  que  tous  les  savants 
attachent  aux  travaux  de  M.  Maumene  ,  cela  tient  uni- 
quement  a  I'assertion  des  medecins  dc  1760  ,  reproduite 
dans  son  memoire  ,  et  d'apres  iaquelle  la  viile  de  Reims 
renfermerait  un  grand  nombre  de  goitreux.  Or  ie  vague 
de  cette  assertion  ,  les  termes  si  peu  scientiliques  dans 
lesquels  elle  est  congue  ,  et  I'enquete  k  Iaquelle  s'est 
livre  tout  recemment  M.  Grange ,  sulTisent  pour  la 
dementir  completement. 

Quant  a  la  relation  etablie  par  M.  Grange  entre  Ie 
goitre  et  la  magnesie  ,  il  serait  au  moins  premature  , 
d'apres  M.  Landouzy,  de  la  juger  aussi  severemenl.  Un 
fait  positif,  c'est  que  Ie  nombre  et  I'intensite  des  goi- 
tres se  trouvent  partout  en  rapport  direct  avec  la  ma- 
gnesie. Est-ce  a  la  magnesie  ou  a  d'autres  conditions 
coincidentes  qu'il  faul  I'aUribuer?  Sans  doute  la  question 
est  loin  d'etre  resolue  •,  mais  ,  ce  qu'il  y  a  de  certain  , 
c'est  que  la  carte  geologique  peut  servir  de  carte  topo- 
graphique  pour  Ie  goitre  et  pour  Ie  crelinisme,  et  reci- 
proquemeiit ;  et  que  sur  toutes  les  cartes  geologiques  de 
France,  d'ltalie,  de  Suisse,  de  Sardaigiie,  etc.,  Ie  goitre 
el  Ie  crelinisme  r^gnent  partout  on  les  terrains  magnesiens 


—  91   — 

se  trouvent  indiques  ,  non  pas  seuleinent  par  M.  le  doc- 
teur  Grange,  mais  par  tous  les  geologues. 

Maintenant ,  de  ce  que  I'eau  d'Arcueil  qui  contient  de 
la  magnesia  ne  donne  pas  le  goitre,  ce  ne  serait  pas,  aux 
yeux  de  M.  Landouzy,  une  raison  suHisante  pour  inflr- 
mer  les  donnees  de  M.  Grange ;,  car  il  peut  se  trouver 
dans  I'eau  d'Arcueil  des  conditions  particulieres  qui 
echappent  a  I'analyse  chimique  et  qui  neutralisent  les 
effets  de  la  magnesie. 

En  resume ,  dit  M.  Landouzy,  d'apres  les  analyses 
de  M.  Mauraene,  il  n'existe  pas  de  magnesie  dans  les 
eaux  de  Reims.  D'apres  I'enquete  de  M.  Grange ,  il 
n'existe  pas  a  Helms  de  goitre  a  I'etat  endemique.  D'apres 
les  observations  faites  par  iM.  Maumene  sur  limper- 
fcction  des  melhodes  suivies  pour  la  determination  de 
la  magnesie ,  il  est  possible  que  les  deductions  de 
M.  Grange  ne  soient  que  des  hypotheses  destinees  a 
tomber  devant  des  recherches  ulterleures  ;  mais  aujour- 
d'hui ,  dans  I'etat  actuel  de  la  question  ,  tous  les  ar- 
guments qu'on  ferait  valoir  centre  ces  donnees  ne  se- 
raient  pas  moins  hypothetiques. 

Eeponse  de  M.  Maumen4. 

M.  Maumene  regrette  de  ne  pouvolr  partager  entie- 
reraent  I'opinion  de  M.  Landouzy  ,  que  tous  les  ar- 
guments qu'on  ferait  valoir  contre  ces  donnees  ne  &e- 
raicnt  pas  moins  hypothetiques.  M.  Maumene  ne  s'est 
pas  propose  de  donner  une  explication  de  la  forma- 
tion du  goitre  :  il  fait  seulement  observer  que  la  tlieorie 
proposee  par  M.  Grange  manque  dappuis  solides,  et  il 
pense  I'avoir  corapletement  demontre  par  les  conside- 
rations developpees  dans  sa  lettre  a  M.  le  Ministre  de 
I'agriculture  etdu  commerce. 


—  92  — 
Lecture  tie  M.  Grandval, 

Pharmacien  en  Chef  de   I'HOlel-Dieu  de  Reims. 


DE  QUELQLES  PRODUITS  PHARMACEUTIQ13ES,  ALIMEN- 
TAIRES  ET  INDUSTRIELS  OBTENUS  DANS  LE  VIDE 
A;U   MOYEN   D'UN   NOUVEL    APPAREIL. 

Seance  du  27  Decembre  1850. 


Les  principes  organiques  a  I'elat  de  dissolution  , 
eprouvenl  dans  leur  evaporation  a  I'air  libre  el  avec 
le  concours  de  la  chaleiir  des  modifications  souvenl 
ires  importanles.  Quelquefois  ,  merae  ,  ces  modifl- 
calions  sont  des  obstacles  invincibles  h  robieiiiion 
de  quelques  produils  souvenl  du  plus  haul  interel. 

Cetle  remarque  faite  par  nos  savants  les  plus  dis- 
lingues  n'a  pas  naanque  d'allirer  I'attenlion  el  a 
mulliplie  les  observations  des  hommes  pratiques, 
dans  la  recherche  des  raoyens  propres  a  eviier  les 
inconvenients  des  anciens  procedes.  Quelques-uus 
onl  pense  que,  si  I'evaporalion  pouvait  se  faire  dans 
le  vide ,  on  pourrail  eviter  les  causes  principales 
de  toute  alteration   des   principes  organiques. 

F.es  lentalives  faites  jusqu'a  ce  jour  onl  suffisam- 
menl  juslifie  ces  previsions ;  el  si  Temploi  des  pro- 
cedes  mis  en  usage  ne  s'cst  pas  plus  generalise, 
on  ne  pent  I'atiribuer  qu'a  rimperfeclion  des  appa- 
reils,    ou  irop  compliques,  ou    trop  imparfaits. 

Convaincu  de  Timporiance  d'un  moyen  qui  reuni- 


—  93  — 

rail  la  simplicile  a  la  garantie  de  la  conservation  du 
vide ,  je  me  suis  livre  aussi  a  des  recherches 
suivies  ,  dont  je  viens  souraellre  le  resultat  a  I'ap- 
precialion  de  I'academie. 

Les  produils  que  j'ai  oblenus  ,  consideres  sous 
le  point  de  vue  des  services  qu'ils  sont  appeles  a 
rendre,  sont  de  trois  ordrcs  :  d"  produits  pharma- 
ceutiques;  2°  produils  alimentaires  ;  3"  produits 
indusiriels.  f 

Produits  pharmaceutiques.  L'alteralion  de  la  plu- 
part  des  substances  organiques  ,  sous  la  seule  in- 
fluence de  Taction  atmospherique  permet  rarement 
d'adrainistrer  les  medicaments  de  eel  ordre,  a  I'e- 
tat  nalurel  ,  avec  la  certitude  d'en  oblenir  des 
efTels  loujours  identiques.  On  avail  pense  avec  rai- 
son,qu'en  Iraitant  ces  substances  medicamenteuses, 
dans  leur  etat  le  plus  parfail,  par  des  excipients 
appropries  a  la  nature  des  principes  actifs  ,  il  se- 
rail  possible  d'avoir  des  produils  qui  presenlassent 
le  double  avantage  d'une  conservation  parfaite  el 
d'une  action  aussi  efficace,  a  des  doses  beaucoup 
moindres. 

En  principe  ce  raisonnement  etait  juste ;  raais 
les  procedes  employes  jusqu'a  ce  jour  ont  ete  im- 
puissants  pour  realiser  completement  les  conse- 
quences de  celle  heureuse  idee  ;  puisque  tons  con- 
sistent a  faire  evaporer  les  liqueurs  extractives  au 
contact  de  I'air ;  el  qu'il  a  ete  demontre  par  un 
grand  nombre  d'experiences  que  lous  les  principes 
organiques  h  leial  de  dissolution,  sont  entierement 
modifies,  ou  profonderaenl  alteres  par  le  seul  effel 
de  la  concentration  des  liqueurs  qui  les  contiennenl, 
quand  levaporalion  se  fait  au  contact  de   I'air ,   soil 


—  n  — 

a  feu  nu ,  soil  au  bain-marie  ;  que  ralieralion 
qu'ils  eprouvenl  esi  tl'autant  plus  grande  que  I'eva- 
poralion  a  exige  plus  de  lamps  ;  que  les  produiis 
soni  d'aulanl  moins  purs  qu'ils  sonl  plus  concen- 
ires. 

La  consislaijce  molle  qu'on  esi  oblige  de  conser- 
ver  aux  exiraiis ,  pour  eviler  les  alleraiions  que 
leur  fail  eprouver  une  plus  grande  concenlralion , 
donne  naissance  a  d'aulres  inconvenienls  :  1°  la 
quantile  d'eau  qu'ils  conliennenl  elanl  loujours  Ires 
variable ,  un  poids  donne  de  ces  produiis  ne  re- 
presenle  jamais  une  quanlile  determinee  el  absolue 
des  principes  aciil's  qu'ils  conliennenl;  2°  celte  con- 
sislance  molle  favorise  des  modificalions  ullerieures 
cnlrc  les  elemenls  des  principes  organiques  qui  les 
consliluenl  el  en  apporle  consequemmenl  aussi  dans 
leur  aclion  sur  nos  organes. 

Trouver  le  moyen  de  prevenir  les  alleraiions  des 
principes  organiques  pendant  I'evaporation  el  donner 
aux  exiraiis  une  forme  qui  les  mil  a  I'abri  de  toule 
alleralion  ullerieure ,  elaii  done ,  a  resoudre  ,  un 
probleme  de  la  plus  liaule  importance. 

Je  crois  avoir  resolu  ce  probleme  au  moyen 
d'un  appareil  que  j'ai  imagine  pour  evaporer  dans 
le  vide  louies  especes  de  liqueurs.  Les  produiis 
que  j'ai  I'bonneur  de  meltre  sous  les  yeux  de  I'A- 
cademie  onl  ele  obienus  dans  un  elat  complel  de 
siccile  avec  eel  appareil  ;  el  cependanl  ils  paraissent 
exempts  de  loule  espece  d'alieralion  ,  puisqu'ils 
reunissenl  :  solubilite  complete  dans  les  vebicules 
d'exlraction  ,  saveur ,  arome  ,  malieres  colorantes  , 
elc.  ,    tout ,    cntin  ,   indique  une  parfaite  conserva- 


uon. 


—  95   — 

Avec  ces  extraits  desseches  dans  le  vide  ,  on  a 
une  garanlie  de  conservation  indelinie  et  un  moyen 
de  dosage  precis  des  principes  aciifs  de  (ouies  les 
substances  organiques. 

De  pareils  produits,  qui  auronl  tonjours  eel  elat 
de  purete  ,  devront  done  etre  preferes  ii  ceux  pre- 
pares dans  les  conditions  ordinaires  ;  puisque  ces 
derniers  ,  quelque  soin  que  Ton  prenne  pour  les  ob- 
lenir ,  sonl  loujours  alteres  et  ne  presenlent  jamais 
d'idcnlilc  dans  leur  composition. 

Je  penso  done  que,  dans  un  grand  nombre  de 
preparations  piiarmaceutlques  ,  il  y  aurait  avantage 
a  siibslituer  ces  produits  aux  substances  employees 
en  nature  ;  soil  pour  sirops  ,  teintures,  vins,  infu- 
sions, decoctions,   sues  d'herbes,  etc.,  etc. 

Produils  almentaires.  —  Toutes  les  conserves 
obtenues  par  concenlraiio.i  ,  telles  que  bouillons 
gelees,  gelatines,  laii ,  etc.,  eprouvent  les  memes 
alterations  que  les  autres  principes  organiques  ,  quand 
on  les  evapore  au  contact  de  I'air ;  aussi  ,  jusqu'a 
present  n'a-t-on  fait  que  des  tentatives  infruc'tueuses 
en  grande  parlie  ,  pour  les  oblenir  avec  les  qualites 
indispensables. 

Le  bouillon  qui  ,   parmi  les  produils  alimentaires 
est,   sans   conlredit ,   le  produit  par  excellence     ne 
peut  etre   obtenu  sec  et  sans   alteration ,  que  dans 
le  vide  et  a  une  basse  temperature. 

L'importance  que  ce  produil  presente  peut  etre 
appreciee  par  les  services  incomparables  qu'il  rend  • 
et  sans  nous  arreter  aux  marins  el  aux  passagers  ' 
presque  tonjours  prives  d'aliments  frais  ,  cause  fre- 
quente    des    maladies,    dont    ils  sonl    irop   souvent 


—  96  — 

viclimcs ,  nous  en  signalerons  aussi  I'usage  prccieux 
pour  les  convalescents,  donl  les  organes  digestifs 
aflaiblis  par  suite  de  longues  maladies  ,  temoignenl 
souvent  de  leur  impuissance  pour  I'elaboralion  de 
touteespeced'aliments  ;  en  effet,  ne  pourrail-on  pas, 
sous  un  ires  petit  volume,  presenter  a  ces  organes 
affaiblis  ,  une  substance  presque  enlicrement  assi- 
milable el  qui  ne  leur  necessilerail  en  quelque  sorie, 
aucun  travail?  Le  bouillon,  ce  nous  semble,  rem- 
plirail  ce  role  ,  s'il  pouvail  elre  pris  a  un  degre 
determine  de  concentration. 

Le  lail,  aliment  moins  precieux ,  sans  doule , 
que  le  bouillon  ,  n'esl  cependanl  pas  sans  offrir 
quelques  avanlages  aux  marins ,  en  I'employanl 
comme  condiment  dans  une  foule  de  mets  qui  n'onl 
de  mcrile  qu'aulanl  qu'ils  sonl  prepares  avec  des 
substances  fraiches ,  telles  que  la  creme,  le  beurre, 
elc.  ,  el  comme  en  cmployanl  I'extrail  de  lait  dans 
une  quantile  d'eau  suflisanle  el  delerminee ,  on 
relrouve  frais  lous  les  principes  qui  le  cons^lituent , 
nous  concluons  que  Ton  y  trouverail ,  dans  les 
voyages  de  long  cours  ,  une  nouvelle  source  de  bien- 
etre. 

Le  lail  en  pale  que  je  joins  aux  exlraits  sees  dont 
je  viens  de  parler ,  presenle  les  raemes  avanlages , 
puisqu'il  conserve  egalemenl  la  purete  de  ses  prin- 
cipes ;  mais  comme  il  n'est  que  d'un  ordre  secon- 
daire  pour  la  difficulte  d'extracUon  ,  el  sans  aucun 
doule  pour  la  conservation  ,  j'ai  cru  devoir  ici  ne  le 
menlionner  que  pour  memoire. 

Produits  industrieh.  L'applicalion  de  I'evaporation 
dans  le  vide ,  aux  principes  colorants  des  bois  , 
ocorces ,   racines  ,   elc. ,  emplojes  dans  I'arl  de  la  tein- 


—  97  — 

tiire  ,  me  pnrail  aussi ,  el  sous  pliisieiirs  rapports, 
offrir  un  grand  interct   a  I'indiislrie. 

Les  matieres  colorantes,  ii  I'elat  de  dissolulion, 
comma  loiis  les  principes  organiques,  sonl  siiscep- 
tibles  d'alleralion,  par  I'aciion  combinee  do  la  chaleiir 
et  de  I'air;  quelqiies-uncs  Ic  sonl  meme  a  une  tem- 
perature inferieure  a  40"  cont.,  ei  lous  le  sonl  plus 
ou  moins  a  100". 

Ccs  exlraits  linctoriaux  prescnteraienl  pour  avan- 
(ages  :  1°  la  garanlie  d'une  parfaite  conservation 
des  principes ;  2°  une  concentration  aussi  grande 
que  possible  des  matieres  colorantes ;  5°  une  reduc- 
tion immense  des  frais  de  transports  des  matieres 
tinctoriales  qui  provienneiil  surtout  des  pays  eloi- 
gnes  ;  4"  enfin  la  jusle  appreciation  que  le  nego- 
ciant  pourrait  faire  de    leurs    caracleres   essentiels. 

La  gelatine  pourrait  etre  aussi  dessechee  rapi- 
demenl  et  avec  les  memes  avantages,  dans  un  appa- 
reil  de  ce  genre,  ainsi  qu'une  I'oule  de  produits 
cbimiques  plus  ou  moins  altcrables  dans  les  con- 
ditions ordinaires  d'evaporation. 


—  98  — 
ECOINOMIE  AGRICOLE. 

Leclure  de  SI.  Bouvard,  des  Ardennes. 

Seance  clu  27    Deccmbre  1850. 
SYLMCLLTURE. 

VIEILLES   F0R£TS   DOM   l'aSSOLCIIEMENT   A   BESOIN 
d'etre    RElSOUVELfi. 


II  esl  constant  que  la  vie  des  vegeiaux  a  un  lerme 
plus  ou  moius  eloigne ,  a  la  verite ,  mais  qui  n'en 
est  pas  nioins  positif.  II  est  egalemenl  certain  que 
la  majeure  parlie  ties  sols  ne  peuvent  loujours  nour- 
rir  la  m6me  espece  de  planle  avec  profit  pour  le 
proprielaire.  Depuis  longtempsles  cullivaleurs  ont  fait 
cette  remarque ,  el  le  sysierae  d'alternance  en  a  et6 
la  consequence.  C'est  une  chose  simple  et  facile  pour 
le  cultivaieur  qui  recolle  ses  champs  chaque  annee  , 
et  qui  peui ,  a  volonte  ,  faire  succedcr  une  plante 
d'une  faniille  a  une  plante  d'une  autre  famille,  11 
n'en  est  pas  de  m6me  pour  les  bois,  dans  la  culture 
desquels  rallernance  doit  consister  dans  le  melange 
des  essences.  Le  renouvellement  de  ccs  essences  di- 
verges se  fail  a    de  Ires  longs   iniervalles ,  et   il   en 


—  99  — 

resulle  des  perles  considerables  dans  le  rcvenn  ;  at- 
tendu  qu'une  essence  qui  (lail  occupe  encore  le  sol 
pendanl  un  siecle  et  plus ,  ne  donnanl  qu'un  minime 
produit  qui  va  toujours  en  diminuani  jusqu'a  ce  que 
les  vieilles  souches  soient  pourries  el  rcmplacees  par 
des  essences  productives.  Mais  dans  eel  intervalle  de 
transilion ,  les  epines  ^  les  ronces  ,  les  cornouillers, 
les  viornes ,  les  troenes  ,  les  noiseliers,  les  bruyeres , 
les  genets ,  etc. ,  s'emparent  du  sol  el  ne  le  cedent 
que  quand  des  essences  d'une  croissance  promple 
arrivent  a  leur  tour  et  prennenl  le  dessus.  De  eel 
elat  de  choses  observe  depuis  longlemps ,  il  resulle 
une  perle  considerable  pour  le  proprielaire.  Nous 
devons  cependant  convenir  que  rhomnic  n'esl  pas 
elranger  a  un  pareil  resultat ,  ou  du  moins  ,  il  y  a 
conlribue  pour  une  bonne  panic  :  en  ne  balivant 
que  des  cbenes  ,  en  choisissant ,  commc  cela  doit 
etre ,  les  plus  beaux  brins  el  les  plus  vigoureux  des 
semis  naturels.  Une  parlie  decesjeunes  planles  au- 
raient  remplace  les  vieilles  souches  usees ,  si  on  les 
avail  conservees  en  taillis.  En  les  elevanl  en  bali- 
veaux  ,  elles  onl  fail  defaui  a  leur  destination  nalu- 
relle. 

Si  le  forestier,  au  lieu  de  raarquer  chaque  annee  lous 
les  baliveaux  de  chene  qu'il  trouvait  dans  la  coupe  , 
s'etail  conlenle  de  n'en  nieltre  que  moitie  du  nombre 
qu'il  desirait  conserver,  et,  en  raison  de  la  nature  du 
terrain ,  composer  i'aulre  moilie  de  bouleaux ,  de 
trembles  ,  de  merisiers ,  de  sycornores  ,  de  frenes , 
de  h6tres  et  d'ormes ,  loules  essences  productives, 
ce  melange  aurait  perpeiue  I'assouchement  en  chene  , 
comme  aussi  il  aurait  mainlenu  le  riche  revenu  de 
ces  vieilles  forels.  C'est,  d'ailieurs ,  la  marche  suivie 


—  10U   — 

par  la  nature  ,  que  I'on  dcvrail  loiijours  imiler  si  Ton 
jie  veiU  se  iromper.  Tamils  qu'avcc  le  sysleme  ge- 
neralemtnl  suivi  jusqu'a  prosenl  ,  apres  quelques 
revolutions  de  rotation  des  coupes^  on  ne  trouve 
plus  asstz  de  chenes ;  el ,  pour  avoir  un  certain 
nombre  de  baliveaux  par  hectare  ,  on  remplace  le 
chene  qui  manque  par  du  charme  ,  le  baliveau  qui 
croil  le  plus  lenlement  el  qui  rapporie  le  nioins  , 
outre  le  tort  qu'il  fait  aux  autres  essences  en  elouf- 
fanl  leurs  jeunes  produils  sous  son  ombre  epaisse, 
ne  protogeant  que  sa  famille,  qui  a  la  propriete  de 
croitre  a  I'ombre- 

Celte  exploitation  pcu  raisonnee  a  eu  pour  resui- 
tat  la  dispariiion  des  bonnes  essences  el  I'envahis- 
sement  des  vides  ,  qui  en  sonl  la  consequence  ,  par 
des  menus  bois  el  surioul  par  le  charme  ,  dont  les 
nombreuses  racines  traccnl  a  une  faible  profondeur 
dans  le  sol  qu'il  couvre  de  ses  rameaux  trainan'.s  el 
d'un  mince  produit. 

Lcs  vieilles  cepees  de  charme  ne  donnenl  plus 
de  brins  qui  s'elevent ;  ieur  produil  ligneux  est  a 
pen  pres  nul.  Une  Ibret ,  arrivee  dans  cet  eial  ,  a 
perdu  plus  d'un  tiers  de  son  produil  en  maliere  li- 
gneuse  ;  le  terrain  qui  est  occupe  par  les  vieilles 
souches,  donl  quelques-unes  onl  plus  d'un  metre  de 
diamelre ,  n'est  pas  propre  a  favoriser  la  levee  des 
semis  nalurels  des  auires  essences.  Les  choses  reslent 
ainsi  pendant  de  iongues  annees ,  c'est-a-dire,  jus- 
qu'a ce  que  les  souches  soieol  pourries  on  cnlevees. 

Nous  avons  trouve  de  vieilles  forels  dans  cette 
irisie  position  ;  nous  avons  dii  aviser  au  moyen  de 
changer  eel  etat  de  choses  si  contraire  aux  int6rets 
des  proprietaires  ,  el  d'alleiudre  ce  but  a  moins  de 


—  iOl  — 

frais  possible.  Nous  avioiis  des  aiil6codenis  qiii  nous 
ont  mis  siir  la   voie. 

Vm  general  ,  snr  le  iLMTain  Anlennais  proprtMiient 
dit  (siliceo-schisleux),  les  bois  croisscnt  tres  bien; 
les  taillis  surtoul  donnenl  de  riches  produils.  Les 
essences  dominanles  sonl  le  clienc  el  le  bonlean  ;  niais 
sur  quelques  parlies  clevees  ou  le  sol  est  sec  el  peu 
profond ,  les  essarlages  successifs  el  Irop  rapproches 
les  uns  dcs  autres  I'ont  encore  diniinue  d'epaisseur 
el  appauvri  :  el  quand  I'essarlago  elait  snivi  d'un 
hivcr  inconstanl  et  sans  neige  ,  les  gels  el  -degels 
qui  sesuccedaienl  sans  autre  Iransilion  que  des  pluies, 
onl  occasionne  la  mort  d'une  panic  des  cepees  de 
rassouchement  principal.  Les  vides  onl  ele  peuples 
par  du  charnie,  du  coudrier ,  elc,  dout  le  produit 
n'avait  aucune  valeur  sur  un  sol  peu  genercux ; 
il  fallait  done  ramener  les  essences  qui  avaient  dis- 
paru  ,  ou  les  remplacer  par  d'aulres  egalemenl  pro- 
duclives.  Voici  ce  que  nous  avons  fail  :  Sur  une 
coupe  de  12  hectares  qui,  60  ans  avanl,  avail  ele 
essartee  apres  une  exploitation  suivie  d'un  hiver 
comme  celui  que  nous  venous  de  signaler,  elle  avail 
perdu  une  partie  notable  de  ses  cepees  de  chene 
qui  avaient  ele  remplacees  par  du  charme  el  par 
du  coudrier  ,  essences  qui  demandenl  un  sol  riche 
pour  donner  quelque  produit ,  el  qui  occupenl  inu- 
tilemenl  un  terrain  peu  fertile.  A.u  moment  de  Tex- 
ploitation^  nous  avons  impose  au  marchand  de  bois 
I'obligalion  de  faire  extirper  ces  deux  essences , 
sauf  a  replanter,  si  les  semis  nalurels,  sur  lesquels 
nous  coraptions,  ne  reussissaienl  pas.  Nous  avions 
eu  la  precaution  de  laisser  de  nombrcu\  baliveauv 
de  bouleau  et  quelques  chenes  commc  porie-graincs. 


—  102  — 

La  bruyere  elail  nombroiise  dans  ceite  coupe;  nous 
avons  du  la  fairo  essarlcr  a  feu  couvcrt  comme 
elle  Favait  eie  a  chaque  exploitation,  c'est-a-dire 
lous  les  vingl  ans.  L'annee  siiivante,  apres  I'en- 
levement  du  seigle  ,  nous  avons  remarque  de  jeunes 
bouleaux  dont  quelques-uns  avaient  O'MOde  hauteur; 
mais  les  plus  nombreux  n'avaicnt  encore  que  deux 
feuilles.  Unc  visile  faite  au  mois  de  mai  suivant , 
nous  a  convaincu  que  la  plantation  elait  inutile  et 
que  le  semis  naiurel  elait  dix  fois  liop  nombreux. 
En  pareille  circonstanco ,  une  autre  fois,  nous  n'a- 
vons  plus  hesite.  Si  le  plant  ne  parail  pas  la  pre- 
miere annee  ,  c'est  le  defaut  de  graine  ;  mais  alors  les 
annees  suivantes  sont  la  pour  operer  le  repeuple- 
ment.  qui  a  tonjours  lieu  avant  la  quatrieme  annee. 

Nous  ferons  observer  quo  les  graines  foreslieres 
qui  existent  sur  le  sol  au  moment  de  I'ecobuage, 
ne  sont  pas  loutes  perdues  ;  quand  I'essarteur  enleve 
le  gazon  ,  il  le  dresse  en  forme  de  cone  pour  le 
faire  secher ,  I'herbe  en  dedans,  la  terre  et  les  ra- 
cines  en  dehors.  Les  graines  fecondes  onl  toujours 
un  certain  poids  qui  les  fait  tomber  sur  I'aire  de 
la  coupe  ou  elles  prennenl  racine  quand  la  saison 
favorable  est  venue.  Elles  en  sont  done  pas  toutes 
incinerees  avec  le  gazon. 

Nous  ferons  encore  observer  un  fait  important 
que  I'experience  a  mis  en  evidence  :  c'est  que  I'es- 
sarlage  equivaut  a  un  demi-defrichement ;  il  faut 
dans  ce  cas  au  moins  deux  periodes  d'exploilation 
pour  que  la  foret  essartee  puisse  reparer  les  pertes 
qu'elle  a  faites.  On  ne  pent  done,  sans  un  grand 
dommage,  se  permeltre  d'essarter  dans  la  presque 
lotalile  des  bois  du  departement  de  la  Marne ,  et 
en  general  dans   les  sols  calcaires. 


—  103  — 

Depuis  longlcmps  nous  avions  ete  frappe  du  [leu 
de  produil  que  donnaieni  les  taillis  dans  des  sols 
riches  el  profonds,  non  seulemenl  dins  les  forels 
Ardennaises ,  mais  encore  dans  cellcs  da  deparie- 
menl  de  la  Marne.  En  observant  avec  atlenlion 
et  a  I'inspeclion  dcs  lieux ,  il  elait  facile  d'en  re- 
connailre  la  cause  :  une  quanlile  considerable  de 
fortes  souches  de  charme  occupait  le  terrain  ,  ne 
donnant  a  I'age  de  vingt  ans  qn'une  poignce  de 
ramilles.  Elles  elaient  la  cause  majeure  de  la  di- 
minution du  produil  en  combustible,  diminution 
qui  se  faisait  sentir  depuis  longlemps  dans  I'arron- 
dissement  d'Epernay,  sur  le  plateau  boise  au  midi 
de  celte  ville,  ou  sont  siluees  les  belles  forels  de 
Brugny,  de  Montmort,  etc.  C'est  en  1856  que  nous 
avons  commence  a  y  appliquer  le  moyen  que  nous 
avions  employe  dans  les  Ardennes  ,  c'est-a-dire ,  a 
faire  extirper  a  I'epoque  de  I'exploitaiion  de  chaque 
coupe,  les  vieilles  souches  de  charme  qui  ne  pro- 
duisaient  plus  que  des  brindilles  trainantes.  Nous 
n'avons  pas  ete  trompe  dans  notre  attente ;  ce  que 
nous  avions  prevu  est  arrive.  Le  semis  naturel  de 
bouleau,  de  marsault,  etc.,  s'est  montre  nombreux 
et  vigoureux  des  la  deuxieme  annee;  le  chene,  apres 
avoir  glandee^  malgre  la  presence  de  nombreux  san- 
gliers,  a  donne  une  grande  quantite  de  plants.  Ce 
resullat  nous  a  encourage ;  nou-s  n'avions  ,  dans  les 
premieres  annecs,  enleve  que  les  souches  mortes 
et  celles  a  peu  pres  improductives  ;  mais  depuis  , 
nous  avons  opere  plus  en  grand,  en  faisant  dispa- 
railre  toutes  les  souches  dont  le  produit  commen- 
Qait  a  diminuer  ou  a  s'affaiblir ,  et  nous  conti- 
nuames  ,   sans   frais,  ce    rajeunissement   des  hois. 


—  loa  — 

coupe  par  coupe,  ;t  mesure  que  chacuno  d'ellfs  arrive 
a  son   lour  d'exploilation. 

On  voil  que  noire  moyen  ,  pour  reoouveler  I'as- 
souchemcnl  improductif  des  vieilles  forels,  esl  ires 
simple.  II  consislc ,  iors  des  exploilalions,  a  faire 
exlirper  les  vieilles  souchos  improduclives  qui  oc- 
cupent  unc  cerlainc  elendue  de  terrain  ,  el  qui  em- 
pechenl  les  semis  naiurels  de  se  dcvelopper ,  et  a 
avoir  la  precaution  de  laisserdes  baliveauxdes  bonnes 
essences ,  donl  les  plants  provenus  des  graines  pros- 
pereroul  el  remplacerontavanlageusemenl  les  souches 
improduclives  enlevees ,  ci  cela ,  des  la  premiere 
periode  ,  au  bout  de  laquelle  on  irouvera  deja  des 
baliveaux  de  ces  semis. 

Si  Ton  veul  encore  augmenler  le  produit  du  laillis 
en  combustible  et  les  chances  de  succes  pour  la  reus- 
site  des  semis  ,  il  taut ,  outre  Tenlevemenl  des  vieilles 
souches  de  charme,  exlirper  egalement  les  coudriers  , 
les  epines ,  les  ronces ,  les  viornes ,  les  troenes  , 
Ics  bruycres ,  les  cornouillers,  et  enfin  loutes  les 
plantes  nuisiblcs.  II  restera  assez  d'ombre  el  assez 
d'herbes  pour  proleger  le  jeune  plant. 

II  ne  faut  pas  croire  que  ce  travail  soil  une  de- 
pense  :  non,  les  bucherons  se  Irouvent  araplemenl 
dedommages  par  les  souches  el  les  racines  extirpees 
qui  Icur  sont  abandonnees  :  c'est  le  moyen  que  nous 
employons  sans  bourse  delier. 

Si  le  sol  d'une  foret  n'etait  pas  propre  a  se  re- 
peupler  par  les  semis  naiurels,  cas  fort  rare,  ou 
si  les  baliveaux  n'eiaienl  pas  d'essences  convenables  , 
on  devrail  alors  planle.'  a  gazon  retourne ,  tin  de 
I'annee  d'exploilation  si  le  terrain  esl  sec,  et  en 
fevrier  ou  mars  suivant  si  le  sol  esl  humide. 


—  105  — 


RfiSUMfi. 


II  resulie  des  observations  qui  precedent ,  que 
pour  renouveler  rassouchement  d'une  vieille  foret 
dont  le  produit  du  laillis  decroit  par  suite  de  I'age 
avance  des  souches  ,  il  faul  extirper ,  lors  de  I'ex- 
ploilation  ,  celles  de  ces  souches  qui  ne  donnent 
plus  de  brins  vigoureux  ,  toutes  les  mauvaises 
essences  el  celles  peu  produclives  qui  se  trouvent 
dans  la   foret. 

On  doit  conserver,  comme  porle-graines,  des  bali- 
veaux  d'essences  productives  pour  elre  certain  d'avoir 
un  bon  semis  nalurel  qui  ne  tardera  pas  a  peupler 
les  vides  que  Ton  a  fails.  Ki  ,  dans  le  cas  ou  le 
terrain  ne  serail  pas  propre  a  se  repeupler  ainsi , 
ce  qui  est  rare  ,  on  devra  a  la  fin  de  I'annee  de  I'ex- 
ploilalion  ,  si  le  terrain  est  sec ,  el  au  printemps 
suivant ,  s'il  est  humide  ,  repiquer,  a  gazon  retourne , 
de  bonnes  essences  qui  conviennenl  au  sol. 

II  arrive  encore  souveni  que  le  semis  est  irop 
dru  sur  un  point  ,  tandis  qu'il  Test  trop  peu  sur 
un  autre.  C'est  une  faible  depense  de  faire  eclaircir 
ces  taillis  el  de  replanler  de  suite  les  aulres  ;  niais 
eelle  operation  doit  toujours  se  faire  a  gazon  retourne. 


—  106 


LETTRES. 


Rapport  sur  le  livre  intitule  la  Purete  da  coeur , 

PAR   M.    L'ABBfi    F.     E.     CHASSAY  ,     PROFESSEUR    AU 
SfiMINAIRE  DE  BAYEOX  ;    1  VOL.  IN-12   XV  -558  [)., 

2®  £dit.  1850 ;   —  par  m.  v.  tourneur. 
Seance  du  iS  Decembre  1850. 


Messieurs  , 

Quand  rerreiir  se  leve  forte  el  puissaole  pour 
attaqner  la  societe,  quand  les  dogmes  ebranles  sous 
ses  coups  menacent  de  laisser  sans  fondemenls  la 
morale  et  les  vertus  les  plus  indispensables  au  bon- 
heur  de  I'homme ,  il  faut  que  les  esprils  d'elile 
s'avaocent  pour  les  souteuir,  et  se  fassent  les  cham- 
pions de  la  verite.  —  Tout  citoyen  devienl  soldat, 
quand  les  hordes  etrangeres  envahissent  la  palrie ; 
raais  ceux-la  surlout  doivent  courir  aux  armes ,  que 
leurs  forces,  eprouvees  dans  cent  combats  ,  designent 
d'avance  comme  des  capitaines  a  tous  ces  hommes 
inexperimenies.  C'est  ce  qu'a  compris  M.  I'abbe 
Chassay.  II  a  compris  qu'en  ces  jours  ou  les  veriles 
les  plus  necessaires  sont  attaquees  de  loutes  parts  , 
c'est  au  preire  caiholique  qu'apparlient  la  noble  mis- 
sion de  lutter  pour  elles  ;   k  lui  surtout ,   quand  les 


—   i07    — 

loisirs  (le  sa  position  lui  pcrmeUeul  dc  cosisacrer  a 
ces  travaux  penii)les  ,  un  lalent  male,  plein  de  sou- 
plosse  cl  de  vigueur,  nourri  par  de  longues  ct  pa- 
tientes  etudes.  Pendant  quelquc  temps ,  a  I'ombre 
d'lin  transparent  pscudonyme,  M.  Chassny  exer^a  ses 
forces  dans  nos  meilleures  Revues  j^hilosophiqucs  ct 
lilteraires, ;  mais  bientot  sa  genereuse  ardeur  I'em- 
porta  dans  I'arene,  le  front  haul,  la  visierc  levee, 
portant  sur  sa  modesle  banniere  cclle  noble  devise  : 
Exister ,  c'est  combattre;  el,  depuis  lors,  il  n'a  point 
cesse  de  s'y  montrer  fideie. 

La  pluparl  des  ouvrages  polemiqucs  de  M.  Chassay 
vous  ont  ele  adresses  ,  Messieurs  ;  divers  membres 
de  la  Compagnie  vous  en  rendronl  compte  tour-a- 
tour,  el  vous  verrez  avec  quelle  infatigable  ardeur 
il  sail  se  porter  simullanement ,  pour  ainsi  dire  ,  a 
tous  les  points  altaques,  pour  les  defendre. 

M.  Pierre  Leroux,  en  France ;  en  AUemagne ,  Sem- 
ler,  Schleiermacher,  De  Velte ,  le  d'  Strauss,  et  plu- 
sieurs  autres ,  s'efforcent ,  a  I'aide  de  nouveaux  sys- 
lemes  d'Exegese  ,  d'enlever ,  au  nom  de  la  science , 
toute  outorile  a  nos  livres  saints.  Le  prernier  ou- 
viage  de  M.  Chassay,  intitule /e  Christ  et  VEvangile , 
est  destine  a  les  refuler  ;  j'espere  vous  dire  prochai- 
nemenl  comment  il  s'esl  acquitle  de  cetle  lache. 

Mais  les  verites  morales  ne  sont  pas  corabaltues 
moinsvivemenlque  lesdogmes;  en  quelquesmois,  I'au- 
leurdont  je  vous  parle  a  compose,  pour  venir  en  aide 
a  ces  verites  ,  toute  une  serie  de  livres  non  moins 
erudiis  ,  non  moins  remarquablesque  les  precedents, 
et  c'est  du  premier  volume  de  cette  seconde  serie 
d'ouvrages  queje  viens  aujourd'hui  vous  rendre  compte, 
pour  reuiplir  la  mission  qu'a  bien  voulu  me  contier 
not  re  honorable  president. 


—  108  — 

L'ouvrago  dont  j'ai  ii  vous  entrelenir  a  pour  litre: 
La  Pitrctc  (111  cceur ,  et  ce  lilre  en  designe  parfai- 
lemeni  le  sujei.  Sujet  delicat,  sujet  diflicile  !  Car  il 
s'agil  dofaire  connailre,  a  ceuxqui  ne  voudraient  don- 
ner  a  riiomme  d'aulres  regies  de  conduile  que  ses 
penchants  el  ses  passions,  les  droits  imprescriptibics 
de  laloi  morale,  devantlaqueil  e  tout  doil  s'incliner. 
Sujel  important !  Car  on  ne  repelera  jamais  assez  que 
la  Purete  du  coeiir  ,  vertu  inconnue ,  meme  de  nom  , 
a  la  sagesse  antique,  est  cependanl  le  principe  du 
repos  et  de  la  dignile  de  I'liomme  ,  le  garant  unique 
de  la  paix  des  families  ,  la  source  des  moeurs  douces 
el  bienveillantes,  et  de  la  Aerilable  civilisation.  Sui- 
vons  pas  a  pas  la  marche  el  les  principals  idees  de 
M.  Chassay  dans  la  demonstration  de  cette  verite. 

Dans  une  courte  introduction ,  Fauteur  rappelle 
le  dogme  f'ondamental  de  la  dccheance  et  de  la  chute 
originelle  ,  que  Voltaire  et  Kant  n'ont  pu  s'empficher 
de  reconnaitre  comme  la  base  des  traditions  reli- 
gieuses  de  lous  les  peuples.  II  invoque  cette  verite 
comme  devanl  servir  a  expliquer  el  h  eclaircir  les 
redoutables  problemes  dont  il  veul  aborder  la  so- 
lution. 

Penetrant  ensuite  au  fond  de  son  sujet ,  il  montre, 
dans  le  premier  chapitre,  I'homme  perpetuellement 
sollicile  par  deus  forces  rivales ,  dont  I'an'.agonisme 
explique  les  contradictions  de  sa  nature.  «  D'un 
»  cote  s'agitent  en  lui ,  avec  une  impetuosite  sau- 
»  vage ,  les  desirs  sans  frein  ,  les  affections  abjectes  , 
»  les  passions  devorantes  ;  de  I'autre  s'effcrcent  de 
»  monter  vers  le  ciel  les  inspirations  de  la  piele, 
»  du  devouement  el  du  sacriflce.  »  —  Tournez  vos 
regards  vers  un  certain  cole  de  la  nature  humaine, 


—  109  — 

dil  M.  Chassay ,  p.  25,  voyez-vous  quel  egoisme 
elroil ,  quel  fol  orgueil ,  ([uel  desir  d'amasser?  — 
Yous  n'elcs  pas  homme,  si  vous  no,  scnlez  au  fond 
du  coeur  gronder  la  tempete  des  passions ,  nailre  a 
cliaquc  inslant,  comme  des  planles  venenouses  ,  les 
pensees  inquietes  ,  les  desirs  agites  ,  les  revolles 
orageuses.  Voila  riiomme ;  mais  ce  n'est  pas  Ici  tout 
riiomme  :  —  Ce  ver  de  terre  c'est  lui  ;  mais  celui 
qui  compreiid  la  vertu ,  qui  cheril  I'ordre,  qui  cherche 
le  devouement ,  c'est  I'liomme  encore  !  N'est-ce.  pas 
la  une  ruine  gigantesque ,  qui  conserve  au  milieu 
de  ses  murs  demolis  quclque  tour  isolee  ?  N'esl-ce 
pas  la  le  papillon  qui  sort  do  la  fange  pour  secouer 
au  soleil  son  aile  chatoyanle  et  radieuse?  Voila  ce 
prodige  de  la  duplicite  de  la  nature  humaine.  C'est 
ce  que  le  chrislianisme  appelle  la  lulie  du  cmir  et 
de  Veaprity  el  dans  laquelle  il  fuut  necessairement 
choisir  son  drapeau.  D'un  cole  le  cwur,  la  sensibi- 
lite ,  avec  toutes  ses  seductions  et  ses  amorces  •  — 
de  I'aulre  Vesprit,  qui  voil  le  mal  el  qui  le  repousse, 
malgre  ses  attrails  niensongers  ;  Vesprit  qui  veut  la 
lulle,  TefTort  par  excellence,  et  ce  qu'une  antono- 
mase  sublime  appelle  dans  toutes  les  langues  la 
vertu. 

Or,  landis  que  la  veritable  morale  tjavaille  a  com- 
prinier  la  revoke  des  passions,  une  parlie  de  la 
lilierature  du  jour  semble  avoir  pris  a  lache  de  les 
legiiimer.  On  pose  en  principe  la  saintete  des  epan- 
chemenls  du  coour ,  et  Ton  s'indigne  des  obstacles 
qu'ils  renconlrenl  dans  les  institutions  et  les  lois 
sociales;  c'cst-a-dire  que,  par  un  elrange  renverse- 
ment,  la  voluple  devient  une  verlu  genereuse ,  et 
le  principe  des  plus  nobles  inspirations.  Et  telle  est 


—  110  — 

la  iheorie  seniimenlale  de  Rousseau ,  qui  a  Irouve 
dans  TauttHir  d'Indiana  un  eloquent  el  rigoureux 
interprele  ;  car  celui-ci  n'a  fail  que  developpcr  les 
idecs  de  son  maitre.  Si  Jean-Jacques  a  dil  vrai , 
Georges  Sand  n'a  pas  tori ;  Spiridion  est  le  digne 
successeur  du  Vicaire  Savoyard  ;  mcdame  de  Warens 
n'esl  ni  plus  noble  ni  plus  poetique  qu'Indiana ; 
Jacques  pent  bien  conlinuer  Wolmar  ;  et  Valentine 
n'esl   qu'un   coup  d'epingle   apres  les    Confessions. 

Cela  pose,  I'auteur  examinera  I'induence  da  ces 
deux  tbeories  rivales  sur  le  bonbeur  de  I'homme , 
soil  comme  individu,  soil  dans  la  sociele ;  el  dans 
une  suite  de  tableaux  admirablemenlpeints,  il  nous 
montrera  par  quelle  penle  rapide  les  maximes  de 
Rousseau  et  de  Georges  Sand,  en  legitimant  la 
volupte,  en'aainent  I'liomme  d'abime  en  abime  ,  jus- 
qu'au  gouffre  le  plus  profond  de  I'abjeclion  et  du 
desespoir. 

Premiereraent  le  cube  du  plaisir  entraine  apres 
lui  la  irislesse  et  le  decouragement.  Qu'on  in- 
terroge  tour  a  tour  saint  Augustin  ou  Byron,  saint 
Jerome,  ou  Werlher,  ou  Rene,  ou  don  Juan,  ou 
Foscolo  ,  ou  Ortis  ,  ou  Oberraann  ,  loujours  un  cri 
de  douleur  s'ecbappe  des  ames  enchainees  au  plaisir  ; 
parce  qu'il  y  a  dans  les  creatures  un  fond  d'im- 
puissance  qui  ne  leur  permet  pas  d'atteindre  a  la 
bauleur  de  uos  convoitises  et  de  nos  besoins. 

Ecoulons  :  y  Child-Harold  passait  I'ete  de  ses 
B  jours  a  voter  de  plaisir  en  plaisir,  sans  penser 
»  que  la  froide  misere  viendrait  le  glacer  lout  a 
»  coup,  Mais  il  n'etait  encore  qu'au  tiers  de  sa 
»  carriere,  qu'il  fut  arrete  par  quelque  chose  de  pire 
»  que  les  malheurs  de  la  fortune  :  il  eprouva  le  de- 


—  HI  — 

»  goiU  de  la  satiele;  sa  lerre  naiale  liii  devini 
»  odieuse  el  lui  sembla  plus  trisle  que  la  irisle  cellule 
»  d'un  anachorele...  » 

Mon  corps  souffre  el  mon  coeur  gemil ,  dil  Jean- 
Jacques  ;  mon  ame  est  oppressee  du  poidsde  la  vie! 

Le  chantre  d'Elvire  n'est  pas  plus  conlenl  du  sort: 

Pourquoi  gemis-lu    sans   cesse , 
0  moa  ame  ?   Reponds-moi : 
D'oii  vient  ce  poids   de  tristesse 
Qui    pese    aujourd'hui   sur   toi  ? 
Au   tombeau   qui   nous   devore  , 
Pleurant  ,    tu  n'as   pas   encore 
Conduit  tes    derniers  amis  ; 
L'astre   serein   de  ta  vie 
S'elfeve  encore;   et  Ten  vie 
Cherche   pourquoi   lu   gemis  ! 

Tous  les  ecrivains  de  I'ecole  senlimenlaie  conflr- 
meraient  noire  assertion,  car  Werther,  Ewen,  Sau- 
lelel ,  Escousse ,  Lebras  ,  Challerlon  ,  sonl  si  peu 
saiisl'ails  de  ce  monde ,  qu'ils  s'echappenl  dans  I'e- 
lernile  ;  Cliild-Harold  ,  don  Juan  ,  Frolio,  Antony, 
Monte-Christo  prennent  la  vie  a  degoiit;  Oberraann  , 
Aleko ,  Brulart ,  Rousseau  maudissent  la  civilisation 
moderne  ;  Indiana  ,  Valentine,  Magnus,  Tremnor  ne 
connaissent  pas  le  Bonheur. 

Sans  doule  la  verlu  ne  preserve  pas  des  dechi- 
rements  du  coeur.  Pour  tous  les  entants  d'Adam  , 
la  terre  est  une  vallee  de  larraes  .  et  leur  joug  est 
pesaul  a  porter.  Mais  il  y  a  deux  tristesses,  comme 
il  y  a  deux  joies.  La  joie ,  pleine  de  licence  et 
de  dissolution  ,  qui  s'efl'orce  d'oublier  par  I'enivre- 
meni  des  passions  les  inguerissables  miseres  de  I'exis- 
tence ,    ct  la  joie    verlucuse    qui,    pareille   a    celle 


—  112  — 

d'Androniaquc ,  esl  un  sourire  mele  de  larraes.  I.e 
voluplueux  esl  triste,  el  sa  trisicsse  n'a  point  lie 
remede.  L'homme  verlueux  esl  irisle  ,  mais  il  a 
pour  consolation  resperaiico. 

A  la  tristesse  et  au  decouragement,  que  la  volupte 
eutraine  a  sa  suite,  vient  bieulol  sejoindreun  mal 
plus  grave  ,  c'est  Vanarchie  du  cceur ;  puis ,  imrae- 
diatement  apres,  la  servitude.  Trois  chapitres  nou- 
veaux  expliqueront  ces  idees,  sur  lesquelles  je  passe 
rapidement.  La  sen&ibilite  est  si  envahissante  que , 
quand  elle  n'esl  pas  reglec  par  rintelligence ,  elle  la 
doniine  et  la  lue.  Tout  ce  qui  depasse  la  portee  des 
sens  est  alors  traite  corame  une  chimere  ;  on  oublie 
tout,  ou  du  moins  on  doute  de  tout.  Comment  le 
dire  mieux  que  I'auteur  des   Orientates  ? 

Si  vous   me   demandez  ,    yous  muse  ,    a    moi   poele  , 
D'ou  Tient  qu'un  reve  obscur  sembie  agiter  mes  jours  , 
Que  mon   front  est  couvert  d'ombres  ,    et  que  toujours  , 
Coinme  un  rameau  dans  I'air ,  ma  vie  est  inquiele ; 
Je  vous  dirai  qu'ea   moi  je  porle  ua  ennemi , 
Le  doute,   qui  m'emmene   errer    dans  le  bois  sombre, 
Spectre   myope   et  sourd  ,  qui ,    fait  de  jour  et  d'ombre, 
Monlre  et  cache  a  la  fois  touts  chose  a  demi  ! 

Herweg,  poele  allemaod ,  sera  plus  expressif  eu- 
core.   Voici  un  disiique  adresse  a  la  jeunesse  : 

Doute,  et  doute  toujours,  et  sans   croire     savoir  , 
Dul    ton   coeur  se  briser  sans   foi  e»  sans   espoir ! 

Ailleurs  il  ajoute  : 

Qu'il  soit   un    Ditu  ,    qu'il    n'en   soil  pas . 
Eh  !   qu'imporle  ce  Dieu   a    qui  croit    au   Irepas  ? 
lei   loute  clarle  fail  faute   a   mon   desir  , 

Et   rieii   n'est  vrai  que  le  plaisir ! 


—  113  — 

Gnillaiime  Marr  ira  plus  loin,  ct  il  dira  :  je  veux 
dti  grands  vices,  des  crimes  sanglnnls,  colossanx. 
Quand  rie  verrai-je  plus  cclle  morale  Iriviale  el  cede 
vertu  qui   m'enniiic  ? 

Ah  !  c'esl  que  le  souvenir  de  Dicu  el  de  la  verln 
imporlune  I'ami  du  plaisir;  il  Tecnrie  avec  ironic 
el  dedain.  Si  le  ciel  le  frappaii  de  la  loudre,  comme 
don    Juan,    il   I'insulleraii  avant  de   moiirir. 

Servitude  effroyable  que  celle  des  passions,  puis- 
qu'elle  conduit   falalement  de  la   Irislesse  au   doute, 
du  doute  au  blaspheme  et  au  desespoir ;  mais  ser- 
vitude d'autant  plus  terrible,  d'aulani  plus  a  craindre, 
qu'elle    revel    mille    formes    Irompeuses.    Elle   n'est 
d'abord  qu'une  innocentc  reverie,  un  besoin  d'epan- 
chement  :   mais  apres  avoir  gronde  sourdement  ,  la 
passion  eclale   avec  fureur  ,    el  quand  une  fois   elle 
s'esl  enracinee  ,  la  vieillesse  elle-meme,   qui  delruit 
tant  d'illusions  ,   ne  parvient   pas  toujours  a   Farra- 
cher.  Et  quand  il   en    est  ainsi  .  il  se  fait    une  des 
situations  les  plus  avilissanles  qu'on  puisse  imaginer. 
Dans  les  commencemenis  de  la  vie  ,  la  passion  ren- 
contre encore  des  freins  et  des  obstacles  ,   parce  que 
Tame  alors  n'a  pas  pu  briser  syslematiquemenl  toutes 
les  pures  traditions  des  ancetres  ;  roais  quand  vient 
la   vieillesse ,   il    n'en    est    plus  ainsi  :     tout  devieni 
science  et  calcul  ;  on   achete  ce  qu'on  ne  peul  avoir 
par  affection  ,    et    Ton  voil  des  elres   miserables   et 
fletris  qui ,   n'ayanl  plus  pour  excuses  leurs  passions 
odieuses,  ni  renlrainement  des  sens,  ni  la  faiblesse 
du  coeur  ,    trafiquent   du   bonheur  el  de  la  paix  des 
families  indigentes. 

Apres  avoir  apprecie  les  consequences  morales  de 
la    volupte    relativement    a    Tindividu  ,    M.    Chassay 
I.  8 


-    114  — 

envisage  la  qucslion  par  rapport  a  la  famille.  II  com- 
pare la  position  que  le  paganisme  avail  faile  a  la 
compagne  de  riiomme  avcc  la  magnifiqiie  preroga- 
tive qu'elle  doit  a  la  religion  chretienne.  Apres  un 
rapide  coup  d"oeil  jete  a  la  hate  sur  I'ancien  monde 
payen  ,  alors  que  la  lemma  elail  tour  a  lour  une 
esclave  courbee  sous  le  baton ,  ou  une  Mcssaline 
effrayanl  Tunivers  sur  le  irone  des  Cesars ,  I'auteur 
nous  iransporle  au  milieu  des  peuples  de  I'Orient 
moderne  ,  pour  nous  y  faire  toucher  du  doigt  les 
etonnants  services  rendus  a  I'humanite  par  I'ensei- 
gnement  chrelien.  Car  il  semble  que  la  Providence , 
pour  confondre  I'ingraliiude  du  peuple  moderne  et 
monlrer  la  toule  puissance  de  la  purete  evangelique, 
ait  voulu  conserver  la ,  sous  nos  yeux  ,  une  portion 
de  ce  vieux  monde  payen  garrotte  dans  ses  fers 
eternels  donl  la  civilisation  catholique  commence  a 
briser  les  lourds  anneaux. 

En  etfet,  chezles  peuples  encore  barbares  de  I'Asie, 
la  fenime  est  un  slupide  instrument  de  plaisir,  ouplutot 
une  bete  de  somme. 

Chez  les  musulmans,  elle  est  privee  de  loute  edu- 
cation morale  ,  prisonni^re ,  gardee  par  de  hideux 
geol.ers  ;  ou  bien  vendue  sur  les  marches  et  jetee 
au  milieu  des  bazars  comme  un  betail  vnlgaire.  — 
Les  Indous  en  font  une  esclave.  —  Et  a  la  Chine , 
au  rapport  d'un  ofBcier  de  marine  nalionale  qui  re- 
vcnail  naguere  du  celeste  Empire  ,  elle  eCFraie  I'im- 
pudence  par  sa  corruption.  Elle  a  perdu  le  senti- 
ment qui  meurl  le  dernier  an  coeur  d'une  femme , 
le  sentiment  de  la  maternile.  Ce  sont  les  Chretiens 
qui  sauvent  ces  malheureux  enfanis  ,  auxquels  des 
passions  brutales  ont  refuse  jusqu'aux  larmes  d'une 
mere. 


—   115  — 

En  Gr^ce ,  autrefois  ,  il  y  eul  plus  de  liberie  pour 
la  femme  ,  il  y  eul  ni6me  des  honneurs  ;  mais  ce 
n'etait  pas  a  la  verlu  que  ces  honneurs  elaient  de- 
ccrnes.  C'elaient  Ics  couriisancs  Aspasie  ,  Theodora, 
Lais,  qui  avaienl  le  privilege  de  reunir  autour  d'elles 
les  hommes  les  plus  dislingues ,  ies  pliilosophes  les 
plus  graves.  II  n'esl  point  etonnant  qu'avec  de  pa- 
reilles  moeursles  fcmmes  grecquesaienlele  debauchees 
jusqu'au   cynisme. 

A  Rome  ,  il  est  vrai ,  la  condition  des  fcmmes 
fut  generalement  meilleure  qu'li  Aihenes  ;  la  famille 
elail  prise  au  serieux  ,  et  lant  que  se  conserva  I'auste- 
rile  des  mceurs  republieaines ,  on  put  croire  un 
instant  que  la  cile  romaine  echapperait  a  la  con- 
tagion qui  devora  lentement  la  societe  payenne.  Mais 
la  decadence  arrivabieniot:  etl'on  ecrirail  une  affreuse 
histoire  ,  si  Ton  voulail  recueillir  avec  patience  ce 
que  les  auteurs  latins  ont  raconte  sur  les  moeurs 
des  dames  de  Rome  vers  les  derniers  temps  de 
la  republique. 

II  elait  temps  qu'une  impulsion  nouvelle  fit  aban- 
donner  aux  hommes  le  parli  du  cwur  et  de  la  vo- 
lupte,  pour  faire  triompher  celui  de  la  purete  et  de  la 
vertu.  Le  chrislianisme  opera  cette  merveille  quand 
il  vint  purifier  et  sauver  la  femme,  en  faire  le 
centre  de  la  famille,  I'ange  tulelaire  des  jeunes 
generations.  Cette  rehabilitation  a  eu  pour  principe 
la  chastete  chrelienne,  et  la  civilisation  moderne  est 
nee  de  I'institution  vrairnent  sociale  du  mariage 
calholique  ,  c'est-a-dire,  un  ,  indissoluble,  et  dans 
lequel  la  femme  sera  I'aide,  la  compagne,  la  con- 
solation de  I'homme,   et  non  pas  son  esclave. 

Une  telle  institution  devail  etre  attaquee  par  ceux 


-    116  — 

qui  onl  pris  parti  pour  le  plaisir  contre  ie  devoir. 
Au  milieu  de  notre  sociele  si  malade ,  ie  manage 
se  discredile  et  s'avilit.  Autrefois,  dil  M.  St. -Marc 
Girardin,  il  y  avail  un  mariage  sur  120  liabitanls, 
aujourd'hui  ii  n'y  a  plus  qu'un  mariage  sur  150 
habilanls.  L'accroisseraeni  du  nombre  des  enfants 
naturels  correspond  a  la  diminution  dn  nombre  des 
mariages  :  on  compte  dans  la  pluparl  des  grandes 
villes  sur  5    enfants,    1   enfant    nalurel. 

De  nos  jours ,  ajoute  le  spirituel  professeur  ,  on 
a  invente,  pour  designer  les  commerces  illicites  ,  un 
nouveau  mot   :   le  mariage  libre. 

El  d'oii  \ienl  cela?  -  La  litteralure  conlera- 
poraine  ne  tend-elle  pas  a  donner  de  la  femme 
une  opinion  si  Irisle  ,  qu'on  n'ose  plus  lui  cousa- 
crer  son  avenir  el  toule  sa  deslinee  par  des  nceuds 
elernels?  Quelles  femmes  que  les  tilles  du  pere  Goriot, 
que  les  heroines  des  Memoircs  du  Diable ,  que  les 
comlesses  du  Compagnon  du  tour  de  France  et  des 
Mysteres  de  Paris  ! 

Mais  le  principal  cnnemi  du  mariage  social  et 
caiholique  ,  n'est-ce  pas  Georges  Sand ,  adversaire 
d'autani  plus  serieux  qu'il  parait  convaincu,  parce 
qu'il  e.-^t  passionne?  Aussi,  M.  Chassay  I'attaque  avec 
aulant  d'eclat  que  de  vigueur.  Suivanl  I'auleur  de 
Valentine ,  de  Lelia ,  de  Leone  Leoni ,  le  mariage 
est  une  oppression  consacree  par  I'Eglise  ,  la  vio- 
lation des  droits  imprescripiibles  du  coeur.  —  Certes, 
lui  repond  noire  auieur  ,  nous  n'avons  jamais  pre- 
tendu  que  le  mariage  dfii  procurer  a  la  femme  un 
bonheur  sans  melange.  Si  des  ecrivains  irreflechis, 
dans  de  pieux  romans ,  ont  monlre  a  la  femme  le 
mariage  catholique  comme  un  avant-goul   des  joies 


—  H7   — 

du  paradis ,  nous  ne  voulons  point  6lre  rcspon- 
sable  de  ces  pueriles  excentricites ,  si  posilivemenl 
dementies  par  ces  grands  iheologiens  qui  joignenl 
a  la  connaissance  de  nos  doctriDes  une  s6rieiiso 
elude  de  la  nature  humaine. 

Saint  Chrysosiome  appelle  le  mariage  unc  servi- 
tude eternellCj  une  chaine  atlachant  deux  esclaves 
de  maniere  a  ce  qu'ils  ne  peuvent  niarclier  I'un  sans 
I'aulre. 

Bossuet  annonce  aux  epoux  les  mieux  assortis  , 
les  peincs ,  les  contradictions ,  les  angoisses. 

Bourdaloue  nomnoe  leur  union:  une  croix,  un  joug, 
une  sujelion  ,  un  esclavage. 

En  demandant  a  la  femme  des  sernaenls  elernels^ 
I'Eglise  ne  lui  dissimule  pas  les  durcs  obligations 
qui  en  decoulenl.  L'Eglise  cxige  d'elle  un  devoue- 
nienl  austere  ;  mais  cependant  le  mariage  n'est  pas 
une  institution  tyrannique,  car  I'Eglise  ordonne  au 
mari  de  respecter  la  liberie  de  son  epouse.  Ce  n'est 
point  assez ;  elle  veut  qu'il  ait  pour  sa  compagne 
une  afl'eclion  si  puissante,  si  desinteressee ,  que 
ne  trouvanl  point  de  comparaison  dans  les  choses 
humaines ,  elle  lui  propose ,  comme  type  de  cot 
amour,   I'amour   de  Jesus-Christ   et   de  I'Eglise. 

Tel  est,  en  abrege,  le  livre  deM.  Chassay.  Je  vou- 
drais  que  cette  rapide  esquisse  eut  pu  vous  en  donner, 
Messieurs  ,  une  idee  neite  et  precise.  Vous  le  voyez  , 
on  se  tromperait  si  ,  d'apres  le  litre  ,  on  s'atleu- 
dait  a  ne  rencontrer  dans  cet  ouvrage  que  des  consi- 
derations morales  el  de  pieuses  exhortations.  Ce 
n'est  la  ni  du  mysticisme ,  ni  de  I'ascelisrae ,  c'est 
une    appreciation    consciencieuse   et    Tranche    d'unc 


—    118  — 

des  plus  grandes  ])laies  de  noire  pau\ic  sotieie , 
I'indicaiion  de  ses  causes  el  de  ses  remedes.  Ajoutons 
que  le  lout  esl  rendu  dans  un  slyle  peul-6ire  quelque 
peu  pretenlieux  par  place  ,  mais  presque  loujours 
elegant ,  clair ,  clialoureux  ,  et  heureusement  coupe 
de  citations  interessantos,  enipruntees  aux  princi- 
cipaux  ecrivains  de  tous  les  parlis ,  qui  delassent 
le  lecleur ,  et  fornienl  de  I'ouvrage  nn  iresor  d'im- 
porlanles  verites  cxpriinees  dans  le  plus  beau  langage. 

Des  notes  elenducs  ,  placees  a  la  fin  de  chaque 
chapitre  ,  confirincnt  aussi  la  doctrine  par  de  nom- 
breux  temoignages,  dont  plusieurs  ont  d'aulanl  plus 
d'aulorite  qu'ils  viennent  des  adversaires  eux-memes. 
Ces  notes  font  d'aiileurs  connaitre  aux  lecteurs  qui 
.  n'ont  ni  le  temps,  ni  le  gout  de  lire  tout  ce  qu'on 
appelle  les  chefs-d'oeuvre  de  notre  litl6ralure  mo- 
derne  ,  ce  qu'il  y  a  d'important  a  savoir  de  ces  pro- 
ductions quelquefois  bien  irislement  celebres. 

Je  ne  crains  pas  d'etre  desavoue  par  les  differents 
rapporteurs  qui  auronl  a  vous  entrelenir  des  autres 
ouvrages  de  M.  Chassay  ,  en  demandant  a  I'Acade- 
mie  de  I'inscrire  sur  la  lisle  des  candidals  au  litre 
de  membre  correspondant.  Aucun  ne  fera  plus 
d'honneur  a  la  Compagnie ,  par  son  aciivile  et  son 
incontestable  talent. 


119  — 


RAPPORT  DE  M.   GAINET 

sun   LE    LIVRE    DE    M.    CHASSAY ,     INTlTULf:   MyslicisviC 

cathoUque. 


Sdance  du  13  Decenibre  1850. 


Monsieur  I'abbe  Chassay  jouil  dejii  depiiis  long- 
lemps  d'line  belle  reputation  dans  le  monde  lilleraire. 
II  appartiont  a  I'ecole  dc  Bayeux  ,  oii  il  a  pour 
emules  MM.  Noyget,  Valroger  el  d'autres  savants 
ecclesiasiiques  :  cetle  ecole  a  merite  les  suffrages  et 
les  encouragements  du   Souvcrain  Ponlife. 

M.  I'abbe  Chassay  est  un  des  plus  illuslres  repre- 
senlanls  de  celte  savante  et  glorieuse  famille.  Sa 
feconde  et  infatigable  activite  poursuit  deux  buts  en 
meme  temps.  II  a  congu  le  plan  d'une  biblioiheque 
Chretien ne  pour  les  meres  de  families ,  et  dcja  cinq 
ou  six  volumes  onl  paru  pour  remplir  son  cadre ; 
ils  atlestent  unmoraliste  sage  eljudicieux  ,  en  meme 
temps  qu'un  ecrivain  exerce.  Une  autre  serie  de  ses 
publications  a  un  objel  plus  speculatif ;  elle  est  con- 
sacree  a  la  defense  du  dogme  catholique.  De  ce  nombre 
est  Fouvrage  dont  je  rends  cum|)te  en  ce  moment. 
En  oft'rant  an  public  son  Mystict'sme  catholique  ,  il 
lui  donne  une  nouvellc  preuve  de  son  aptitude  a 
combatlre  I'erreur  et  a  la  pnursuivre  dans  ses  rami- 
fications les  plus  eloignecs. 


—   120  — 

Los  questions  qu'il  traile  sonl  plus  iiiieroosantes 
et  plus  elendues  que  no  senible  d'aboid  i'indiquer 
le  tiire  :  le  quielisme  braminique  impute  au  caiho- 
licisme  ;  Taccord  de  la  yrace  avec  la  liberie  humaine, 
le  salul  des  heretiques  ei  des  jnfideles  ,  la  vie  mo- 
naslique  ,  c'esl-a-dire  loul  un  ordre  de  questions  qui 
touchonl  a  la  partie  la  plus  delicate  du  dogme  ca- 
tholique  :  voila  I'objel  du  livre  ,  el  ces  maximes  sent 
discutees  avec  un  grand  succes  par  M.  Chassay.  Son 
livre  brille  par  deux  qualiles  essenlielles  :  premiere- 
menl  par  une  grande  clarle  et  une  grande  exactitude 
tlieologique ;  le  lecleur  peut  toujoiirs  suivre  sa  dis- 
cussion sans  fatigue  ,  alors  memo  qu'elle  louche  aux 
questions  abslrailes  de  la  nielaphysique  ;  en  second 
lieu ,  par  I'heureux  choix  des  documents  de  la  Ira- 
diliori';  et  comme  il  met  en  regard  les  assertions 
coniradicloires  des  adversaires  du  clirislianisme ,  on 
a  sous  les  yeux  loutes  les  pieces  du  proces. 

L'auleur  commence  par  ecarter  I'accusation  qu'on 
a  faite  a  I'Eglise  de  n'offrir  qu'une  doctrine  emprun- 
tee  a  quelques  philosophes  plaloniciens  et  aux  bra- 
mines  de  rinde.  Pour  quelques-uns  ,  le  chrislianisme 
est  un  plagiat. 

Sans  dome  ,  c'esl  ia  gloire  du  chrislianisme  de 
remonler  a  I'origine  du  monde  ,  el  de  conlinuer  la 
tradition  primitive  ;  de  conserver  et  de  resumer  dans 
son  scin  lout  ce  que  les  premiers  ages  conservaient 
de  juste  et  de  vrai.  Le  chrislianisme  n'est  si  sur 
de  I'avenir  que  parce  qu'il  est  solidemenl  etabli  sur 
le  passe.  Sous  ce  point  de  vue  ,  la  religion  chre- 
tienne  n'est  point  une  innovation.  Mais  il  faut  bien 
pen  connaiire  ce  qui  s'est  passe  dans  le  monde  ,  il 
faut  eire  bien  etranger  aux  revohilions  intellectuelles , 


—  121  — 

pour  lie  voir  lians  le  divin  roiidalcur  du  chrislia-- 
nisme  qu'un  plagiaire  de  Brama  ,  dans  les  firemiers 
peres  de  I'Eglise  que  des  disciples  de  Plalon.  L'eru- 
dilion  de  M.  Cliassay  ne  laisse  ignorer  auciine  des 
pieces  de  conviclion  qui  confondent  ces  assertions 
de  MM.  Barlhelemy  Sainl-Hilaire  ,  Sainte-Beuve  el  au- 
ires  superficiels  ou  malveillanls  imilatcurs  deMosheim. 

Ceux  qui  meconnaissent  la  profonde  originalitc  du 
chrislianisme  el  qui  n'y  voienl  qu'un  developpement 
des  ecoles  philosophiques  de  I'anliiiuile,  sonl  des 
myopes  auxquels  M.  de  Maislre  defend  de  lire  I'his- 
Joire. 

La  question  de  I'accord  de  la  liberie  humainc 
avec  la  grace  a  ele  presentee  par  I'auteur  avec  un 
rare  bonheur. 

On  ne  sail  ce  que  Ton  doil  le  plus  admirer,  ou 
la  judicieuse  inlerpretalion  des  lextes  sacres  ,  ou  la 
parfaile  connaissance  des  peres  de  I'Eglise,  qui  , 
dans  la  discussion  de  M.  Chassay  ,  viennenl  tour  a 
tour,  el  avec  un  a-propos  parfail ,  dire  ce  qui  est 
necessaire  pour  vider  le  debat.  On  voit  la  decep- 
tion de  ceux  qui  out  espere  irouver  I'Eglise  en  defaul 
par  eel  endroit. 

On  peut  faire  remarquer  ici  une  inconsequence 
de  plusieurs  pbilosophes  de  ce  temps-ci,  qui  a  loules 
les  proporlions  d'une  enormiie.  D'une  part ,  ils  ac- 
cusent  I'Eglise  de  blesser  la  liberie  humaine ,  elle 
qui  a  loujours  ele  si  jalouse  de  la  defendre  contre 
lous  les  novateurs  de  lous  les  leuips  ;  de  I'aulre  , 
ils  ouvrenl  eux-inemes  les  porles  h  un  degradanl 
lalalisnie.  Ce  fatalisme  ,  ils  I'ont  applique  a  I'liis- 
loire  el  a  la  conscience  humainc  ;  el  dejii  certains 
reformateurs  onl  essay6   de  rappli(jU('r  a  la  vie  pra- 


—  122  — 

lique.  Le  falalisme  n'esi-il  pas  le  premier  corrolaire 
du  panlheismc,  qn'on  a  voulu  populariser  tie  nos 
jours  en  Allemagne  el  en  France?  Dans  ce  systenie, 
vous  chercliez  en  vain  une  personne  humaine,  vous 
ne  irouvez  qu'un  accident  lugilif  de  I'infini.  De  la 
ces  sottes  el  dangereuses  doctrines ,  que  la  vertu 
se  revele  par  le  succes  :  le  succes  devienl  toule  une 
morale. 

Le  prudent  Jonffroy  lui-meme ,  tout  en  voulant 
respecter  noire  liberie  ,  Taneanlit  d'une  autre  ma- 
niere.  II  ne  voulail  pas  que  Dieu  trouvat  de  cou- 
pables  a  punir  ;  el,  pour  ceia,  il  emploie  un  excellent 
moyen  :  il  absout  tout  le  monde.  L'homnie,  dit-il, 
est  enchaine  a  sa  fin  par  ses  tendances  el  ses  pas- 
sions ;  il  faul  qu'il  y  arrive...  Les  fautes,  les  crimes 
meme,  n'empechent  point  Thomme  d'arriver  a  sa 
fin.  Le  meme  auteur  developpera ,  si  vous  voulez, 
sa  pensee,  el  il  en  fera  I'application  a  la  distinction 
du  bien  el  du  mal ,  ceite  base  premiere  de  toule 
morale.  L'effet  du  bien  et  du  mal  dans  Vctre  sen- 
sible,  dit-il,  c'est  le  plaisir  et  la  douleur.  L'ordre 
et  le  bonheur ,  le  bien  et  le  plaisir  sont  done  insepa- 
rables ,  pane  que  I'un  est  Veffet  de  Vautre ;  c'est  une 
illusion  qui  les  a  fait  ennemis.  Owen  ,  Saint-Simon 
et  Fourrier  n'ont  pas  dit  autre  chose.  Mais  avec  un 
pareil  enseignemenl  on  va  plus  loin  qu'on  ne  pense. 

Dans  la  polemique  contre  I'Eglise  sur  celte  ques- 
tion du  libre  arbiire,  il  est  reniarquable  qu'au  lieu 
de  lui  rendre  hommage  pour  avoir  anathematise  le 
grossier  falalisme  de  Luther,  qui  prechait  I'inutilile 
des  bonnes  oeuvres  el  le  dograe  pervers  de  I'ina- 
dmissibilite  de  la  justice  ,  au  lieu  de  lui  rendre  hom- 
mage pour  avoir  condarone  les  tendances  fatalisles 


—  123  — 

de  la  (luret^  janseniste,  une  foule  d'auleurs  onl  ou 
(les  lendrosses  pour  ces  sectes  condainuees.  On  peut 
juger  par  la  de  la  moralile  de  leurs  s\mpaihies  el 
de  leur  bon  sens  philosophique.  Heureusemcni  pour 
rEurope,  qu'clle  eiait  suffisammenl  eclairee  par  !a 
sagesse  de  I'evangile ;  memo  dans  les  pays  separes 
de  la  communion  romaine,  elie  a  repousse  le  fa- 
lalisme.  En  sorle  qu'on  peul  dire  qu'en  ce  point 
le  calholicisme  a  ete  vainqueur,  nieme  au  sein  des 
communions  dissidentes. 

On  trouvera  dans  I'ouvrage  de  M.  Chassay  d'uiiles 
aper^us  sur  toules  ces  questions. 

La  lulle  victorieuse  conlre  les  erreurs  de  cette 
nature  rappelle  nalurellement  le  nom  d'un  pr»'>lal 
aujourd'hui  revelu  de  la  pourpre  romaine  ,  doni  la 
iheologie  est  devenue  populairc,  el  qui,  parsapopu- 
larile  meme,  a  porle  le  dernier  coup  au  jansenisme. 

Je  ne  veux  dire  qu'un  moi  sur  la  maniere  donl 
I'auleur  a  traite  le  point  imporlant  du  salul  des  here- 
liques  el  des  infldeles  ,  ce  point  si  mal  compris  el 
si  defigure  de  I'enseignemenl  Chretien.  Impossible 
de  faire  sur  ce  sujel  une  dissertation  plus  savanle, 
plus  complete,    plus   raisonnable. 

Enfin  M.  Chassay  avail  a  venger  la  vie  monas- 
tique,  dans  les  premiers  siecles  de  I'Eglise ,  de  quel- 
ques  reproches.  II  a  mis  hors  de  lilige  ce  point  capi- 
tal :  que  les  moines  de  I'Orienl  ne  se  livraienl  pas 
seulemenl  a  la  contemplation,  comme  tant  d'ecri- 
vains  ratTu'ment ,  mais  partageaienl  leur  vie  enlre 
le  travail  et  la  priere. 

Les  moines  de  la  primitive  Egliso  etaient  des 
hommes  qui  vivaient  de  peu ,  ne  demandaieut  rien 


~  124  — 

el  doniiaienl  souvent  aiix  aulres.  La  sociele,  meiue 
clans  ses  epoques  les  plus  forlunees ,  aura  loujours 
besoia  tie  pareils  hoinmes ,  parce  que  rabondance 
des  biens  nialeriels  ne  sera  jamais  telle  que  la  mo- 
deralion  cl  la  patience  dans  les  privations  uecessaires 
ne  soienl  une  verlu  de  la  plus  haute  importance. 

Sur  les  diverses  malieres  que  nous  venons  d'in- 
diquer ,  le  livre  de  M.  Chassay  est  plein  d'ensei- 
gnements  les  plus  siirs  et  les  plus  utiles  :  au  me- 
rite  de  I'exactitude  dans  la  doctrine  ,  il  joint  le  raeriie 
du  savoir  el  du  talent. 


—  125  — 
ANALYSE 

LITTER  AIRE  ET  PHILOSOPHIQUE 

DES   OUTRAGES   LES    PLUS   UTILES   AUX   MOEUUS, 
par  SI.  Ernest  Arnould. 

Seances  du  8  et  du  22  Novembre  1850. 

S'il  est  une  pensee  qui  puisse ,  aiix  epoques  agi- 
tees  de  rhistoiro  du  monde,  rassurer  les  esprits 
sludieux  et  consoler  les  ames  meditaiives ,  c'est  la 
pensee  sereine  et  eclatanle  qui  se  revele  a  certains 
jours  en  des  livres  choisis  ;  nos  croyances  au  bien 
se  raffermissent  sous  I'impression  de  ces  paroles 
harmonieusement  inspirees  ;  nos  aspirations  vers  un 
avenir  meilleur  s'elargissent  et  s'epurent  en  ecou- 
lant  ces  recils,  qui  ne  sont  que  I'expression  et 
recho  des  senliments  les  plus  vrais  et  les  plus  pro- 
fonds  de  I'humanite. 

A  I'ombre  des  devoirs  bien  remplis  et  des  joies 
calmes  de  la  famille,  des  poetes,  des  philosophes 
Chretiens  ,  des  femmes  surtout ,  animees  par  le  saint 
amour  maternel ,  out  fait  sortir  de  leur  coeur ,  a 
I'aide  de  paisibles  eludes ,  des  conseils  qui  ont 
renipli  des  plus  douces  emotions  des  pages  nom- 
breuses ;  tandis  que  des  esprils  plus  graves  discu- 
taient  et  analysaient  avec  une  incontestable  supe- 
rioriie,  les  difliciles  problemes  qui  ont  ele  agiles  dans 
lous  les  temps,  h  toutes  les  epoques. 


—   126  — 

Si  vous  reunissez  quelques-uns  de  ces  livres  aux 
recits  heureux  ,  ou  quelques-uns  de  ceux  donl  les 
convictions  philosophiques  se  manifeslent  avec  tanl 
d'erapire ,  vous  serez  bienlot  convaincu  que  loutes 
les  saines  idees  morales  ont  conserve  leur  foi  vive 
qui  illumine  dans  plus  d'une  arae  d'elile;  les  idoles 
n'onl   pas  encore  p^netre  dans  tons  les  temples. 

L'un  des  sanctuaires  les  plus  glorieux  parmi  ceux 
qui    font  le   plus  d'honneur  h  la  France ,   et  dans 
lequel  la  verile  morale  est  restee  sur  son  piedestal , 
debout ,   dans    toute    sa   majeste    et  dans   toule   sa 
purete    antique,  est  ce  cenacle  lilteraire  fonde  par 
un   minisire    illuslre ,  qui    a   precede  et  prepare  le 
grand  siecle  de  Louis   XIV.   Les   liberaliles  repan- 
dues  par  les  mains  magniflques  el  intelligentes  de  plu- 
sieurs  hommes  de  bien,   ont    permis   a  I'Academie 
Frangaise  d'appeler  a  elle   chaque  annee ,  dans   de 
nombreux  et  eclatants  concours ,   toutes  les  imagi- 
nations   fecondes ,    toules   les    superioriies ;   tour  a 
tour  elle  couronne  les  poetes  ,  les  savants ,  les  histo- 
riens ,   les    oraieurs ,  landis  que,    tout  autant  libe- 
rale  pour  les  verlus  les  plus  modestes  et  pour   les 
devouements  les  plus  caches ,  elle  decerne  les  re- 
compenses merilees    a    tous   ceux  qui  lui   sont   si- 
gnales  par  les  actions  courageuses  de  leur  vie  exem 
plaire. 

Mais  les  concours  qui  doivent  particulieremenl  lixer 
aujourd'hui  notre  attention,  ce  sont  ceux  ou  se  de- 
ploient  les  efforts  de  ces  athletes  lilteraires,  qui 
combattent  vaiilamment  pour  I'amelioralion  morale, 
le  perfectionnement  intellectuel ,  et  savent  dans  leurs 
lecons  el  leurs  meditations,  encourager,  reformer, 
emouvoir  et  instruire.  Parmi  les  fondations  leguees 


I 


—  127  -T 

k  TAcademie  Frangaise  par  le  plus  genereux  des 
bienfaiteurs,  celle  qui  a  pour  but  de  recompenser 
les  auteurs  des  ouvrages  les  plus  utiles  aux  mceurs, 
excile  chaqiie  annee  remiilalion  des  plus  nobles 
esprits  ,  el  chaque  annee  FAcddemie  fait  un  clioix 
et  decerne  des  couronnes  aux  ecrils  qu'elle  a  juges 
les  plus  recommandables  parmi  tons  ceux  qui  sont 
deferes  a  son  jugemenl  souverain. 

Enlendez-vous  au  jour  indique  la  foule  accourir, 
curieuse  et  sympalhique,  envahissant  I'enceinte  de 
rinsiiiul  :  elie  ecoule  la  voix  si  sobre  ,  dans  son 
eclat,  de  I'auteur  toujours  admire  du  Cours  de  Litte- 
ratiire  frauQaise  qui  ,  dans  ses  grand es  IcQons  de  la 
Sorbonne  ,  dictait  les  pages  inelfaQables  des  tableaux 
de  la  Lilteralure  au  moyen-age,  et  de  la  Litleralure 
au  xviir  siecle.  Elevc  ,  pour  I'honncur  des  letlres , 
k  la  place  de  secretaire  pcrpeiuel  de  TAcademie 
Frangaise^  il  proclame  les  noms  des  laureats,  apres 
avoir  analyse  et  fait  ressorlir ,  en  quelques  lignes 
empreintes  de  force  et  de  concision  ,  le  merite  des 
ouvrages  couronnes  ,  les  qualites  litteraires  et  morales 
dont  ils  brillent  ,  el  qui  les  ont  fait  preferer.  Gloire 
eclalanle  el  pure  !  Palme  d'or  ,  dont  les  feuilles  ne 
doivent  pas  se  lernir  en  quelques  jours  !  Ce  ne 
sont  pas  la  seulement  des  succes  litteraires  et  des 
trioniphes  dus  au  bon  gout  el  a  I'imaginalion  ou  au 
style  ;  I'Academie  Fran^aise  proclame,  en  quelque 
sorle,  que  Ton  a  bien  merite  de  la  civilisation  et 
de  riiumanite  ;  que,  par  ses  travaux,  ses  veilles  ,  ses 
efforts,  un  poele  ,  un  pbilosophe  ,  une  femme  ^  ont 
ete  utiles  aux  bonnes  moeurs ;  ils  ont  remonte  par 
des  chemins  differents  aux  sources  du  vrai  bien ;  ils 
ont  servi    la  grande  cause  du   progres  ,    non    point 


—   128  — 

par  I'exposiiion  imprudenle  de  systeraes  exclusifs,  irre- 
flechis  et  ardents ,  theories  qui  menenl  aux  abimes  ; 
mais ,  d'un  geste  calme  et  bienveiilant ,  ils  vous  in- 
vitent  a  les  accompagner  dans  la  route  qu'ils  ont 
pr6cedeinmenl  suivie  ,  a  I'abri  de  nos  insliiulions 
liberales.  Ces  institutions,  ils  ne  veulcnl  ni  les  briser, 
ni  les  faire  disparaitre,  pour  les  remplacer  par  des 
reves  ;  ils  lentent  de  les  reformer  ,  de  les  perfec- 
lionner ,  en  laissanl  pour  bases  a  la  vie  sociale  les 
principes  eternels  ;  ils  monlrent  que  I'edueation  ,  la 
verile  du  sentiment  religieux  mis  en  pratique  ,  la 
simpliciie  des  mceurs  ,  le  labenr  de  chaque  jour .  et 
les  affections  aimees  de  la  famille  et  des  amities 
fideles ,  sent  a  la  fois  les  croyances  et  les  garaniies 
qui  peuvent  nous  conduire  plus  surement  a  la  pour- 
suite  ,   el  raeme  a  la  realisation  de  nos  esperances. 

Ce  ne  soni  pas  la  des  illusions,  non,  ce  ne  sonl 
pas  la  des  ulopies.  Nous  allons  lire  ensemble  quel- 
ques-uns  de  ces  livres  qui,  au  concours  de  1850, 
ODt  ele  disiingues  par  le  choix  de  rAcaderaie  Fran- 
Oaise,  el  oni  merite  I'un  des  prix  Monthyon.  Nous  les 
passerons  lous  en  revue  dans  line  analyse  rapide  et 
incomplete  sansdoule;  mais  assurement,  a  noire  sens, 
il  ne  sera  pas  possible  de  ne  pas  y  reconnailre  ce 
charme  des  bons  livres  el  des  livres  utiles  qui  nous 
enlraine  et  nous  emeut,  sans  nous  laisser  ni  regrets 
ni  lassitude.  —  Vous  les  lirez  vous-memes,  ces 
pages  choisies  el  couronnees ,  el  les  impressions 
douces  qu'ellcs  laisseronl  dans  voire  esprit  ,  vous 
dedomraageront  du  recil  que  je  dois  en  faire.  pour 
vous  mettre  a  meme  de  connailre  el  d'apprecier 
ces  livres  utiles  aux  mceurs. 

II  y  a ,  je  le  sens  bien ,  quelque  temerite  a  en- 


—  129  — 

treprendre    le  travail  d'analyse  el  d'exposition    que 
je  vous  soumets  :   surloul  en   presence  de  ce  rap- 
port si  complet,  dans  leque!  M.   Villemain  ,  le  secre- 
taire perpeluel  de  I'Acaderaie  Fran^aise,  rend  comple 
au  public,  ami  des  leltres,  des  motifs  qui  ont  merile 
a  ces  livres  eux-memes  les  suffrages  de  rAcademie  ; 
il  donne  a  chacun  d'eux  par  un  mot  original  ,    par 
une  idee  saillante  ,  par  une  expression  spirituelle  et 
concise ,  la  physionomie  qu'il  doit  avoir ,  ct  il  im- 
prime  a  tous  et  a    chacun  le  cachet  toujours  exact 
de  sa  critique  pleine  de  verve  el  de  justesse.  Nous 
n'avons  pas  a    lutter   conlre    I'eminent  rapporteur ; 
nous   nous  degagcons  de    nos  souvenirs ,    el   nous 
nous  laissons  aller  simplemenl  au   courant   de   nos 
impressions  litteraires  et  philosophiques. 

Sans  suivre  exactement  I'ordre  adopte  par  I'Aca- 
demie  FranQaise  dans  I'examen  des  livres  couronnes, 
celui  que  nous  aimons  a  etudier  I'un  des  premiers, 
embrasse  I'un  des  plus  vasies  sujels  qui  jamais  aient 
ete  soumis  aux  meditations  de  I'esprit.  Determiner 
les  devoirs  de  I'Etat  et  les  devoirs  des  citoyens  dans 
kurs  rapports  avec  les  institutions  etablies  et  avec 
les  principes  generaux^  constituer ,  en  un  mot,  les 
elements  de  la  morale  sociale  ;  tel  est  le  cadre  dans 
lequel  un  ecrivain  ,  qui  depuis  plusicnrs  annees  en- 
seigne  la  philosophic  dans  une  des  chaires  de  la 
Faculte  des  Leltres  de  Paris ,  a  trace  a  grands  traits 
le  tableau  anime  de  nos  societes  modernes  ,  sans 
dissirauler  la  profondeur  du  mal  qui  les  lourmenle , 
sans  laire  les  esperances  du  meilleur  avenir  qu'il 
entrevoii  pour  clles. 

Des  le  debut  de  son  livre,  il  pose  avec  fermeie 
I.  9 


—  130  — 

les  principes  fondamentaux  de  la  morale  sociale ;  il 
eiablii  ijue  ia  propriele  esl  fondee ,  en  fail  comme 
en  droit ,  sur  le  travail ;  el  nalureilenienl  il  esl  con- 
duit a  examiner,  dans  des  chapilres  dislincls,  les  dil- 
ferents  sysiemes  emis  sur  la  propriele  :  le  sysleme 
du  privilege  el  celui  de  la  communauie  ,  les  doc- 
trines de  Robert  Owen  ,  celies  de  Saini-Simon  el 
de  ses  disciples ,  celies  de  Fourier  ;  el  apres  avoir 
demontre  I'impossibilile  el  I'injusiice  de  I'egaliie  des 
salaires  ,  il  prouve,  a  I'aide  de  rapprochements  in- 
genieux  ,  que  le  sysleme  recent  de  ['organisation  du 
travail  n'est  que  la  reproduction  de  doctrines  ante- 
rieures  ,  el  nolammeul  de  celies  professees  par  Tecole 
de  Saint-Simon. 

Apres  avoir  pose,  comme  un  fail  incontestable, 
que  I'amour  de  la  propriele  esl  I'un  des  principes 
les  plus  enertjiques  de  rinstincl  de  conservation  ,  il 
faut  arriver  a  celte  consequence^  que  le  travail  est, 
dans  I'elal  de  civilisation  auquel  nous  sommes  par- 
venus ,  la  seule  charle  qui  nous  inveslisse  de  la 
propriele  soil  mobiliere,  soil  immobiliere  ;  en  quel- 
que  temps  que  viennenl  les  hommes ,  ils  regoivent 
le  prix  de  leurs  travaux  :  voila  pourquoi ,  malgre 
quelques  traces  de  fortunes  mal  acquises ,  la  pro- 
priele esl  respectable  el  respectee.  Le  droit  du  pro- 
prietaire  est  une  suite  du  principe  de  merile  et  de 
deraerile  :  celui  qui  a  beaucoup  travaille  merile  d'etre 
beaucoup  recompense. 

C'esl  encore  a  litre  de  recompense  qu'il  esl  permis 
au  proprieiaire  de  transmelire  ses  richesses  a  ses  en- 
fanls.  Ce  droil  qu'on  lui  accorde  ne  porle  aucuu 
prejudice  aux  autres  hommes  ,  car  la  fortune  qu'il 
possede  esl  I'equivalent  de  ce  qu'il  a  cree  par  son 
travail  :  elle    est  son  oeuvre,  et  non    la  part  d'au- 


trui.  Vous  reconnaissez  done,  nous  dira-t-on ,  que 
les  enfanls  naissent  dans  une  foriiine  inegale ,  c'est 
a  dire,  avec  une  quantile  inegalo  des  elemeuls  de  la  pro- 
duction? Sans  ancun  doute  ;  mais  ils  naissent  aussi 
inegaux  en  intelligence,  conime  inegaux  en  beaute, 
comme  inegaux  en  force  :  la  socieie  ne  pcui  done 
pas  deiruire  I'inegalite  ;  les  enfants  doivenl  profiler 
des  Iravaux  palernels.  C'est  ainsi  que  Ton  rend  plus 
facilement  la  propriele  accessible  au  plus  grand 
nombre  de  ciloyens ;  car  alors  ils  comprennent  que 
la  propriele  Ibndee  sur  le  travail  est  seule  en  iiar- 
monie  avec  les  faits  el  la  justice. 

Mais  au  dessus  de  Tinstinct  de  conservation, au  dessus 
du  desir  legitime  d'acquerir  et  de  transmeltre  la  pro- 
priete,  se  placent ,  dans  I'ordre  moral ,  les  inclina- 
tions sociales,  les  inclinations  du  coeur,  les  allections 
de  la  faraille  ;  le  devoir  de  I'Etat  est  de  favoriser 
et  de  salisfaire  ces  inclinations  naturelles.  Ainsi  ,  les 
affections  du  sang  doivenl  etre  surtout  I'objel  de  nos 
respects  les  plus  profonds,  el  il  ne  faut  passe  borner 
a  un  respect  exlerieur ;  il  faut ,  apres  avoir  examine 
la  constitution  interieure  de  la  famille ,  en  augmen- 
ter  de  plus  en  pins  la  purele.  Les  peuples  moder- 
nes  ont  encore  beaucoup  a  faire  pour  maintenir  la 
purete  et  I'auslerife  du  mariage ;  la  disproportion 
de  I'age  des  deux  epoux  est ,  suivani  I'auieur  que 
nous  analysons,  la  cause  principale  des  laches  qui 
souillent  encore  chez  nous  le  mariage.  II  faudrait 
celebrer  le  mariage  en  son  temps  pour  les  deux 
sexes  ,  dans  les  jours  de  la  jeunesse  el  de  la  beaute, 
de  celle  beaute  au  moins  que  donne  la  fraicheur  :  ce 
serail  le  moyen  de  ne  pas  condamner  le  jeune  homme 
a  uu    mariage   donl  il   mesuse   et  qui  le  rend  d'a- 


-.  132  — 

vance  infidele  a  un  manage  eloigne  ;  ce  serail  aussi  le 
moyeii  de  diminuer  les  causes  de  seduclion  ,  le  moyen 
d'eiablir  I'cgalite  enire  I'homme  et  la  femme.  C'est  en 
n'imposani  pas  de  role  serieux  a  un  jeune  homrae , 
que  vous  proloiigez  sa  jeuncsse ;  donnez-lui  ,  au 
conlraire ,  une  fcmme  ;i  aimer  el  a  guider ,  des 
enfanls  a  elever ,  une  forlunea  enlreienir  ou  a  faire, 
vous  le  rendrez  serieux,  vous  epurerez  ses  moeurs, 
ne  fut-ce  que  par  la  presence  de  ces  temoins  inno- 
cents devant  lesquels  il  craindrait  de  roiigir  ;  il  sen- 
lira  le  bcsoin  de  se  rcndre  meilleur  pour  les  arae- 
liorer.  Mais  en  France ,  on  ne  veul  pas  liasarder 
I'avenir ;  on  exige  des  positions  assurees  ;  el ,  pour 
garaniir  la  condition  materielle  ,  on  ferme  les  yeux 
sur  les  conditions  morales  ;  on  marie  les  corps  el 
les  biens  ,  non  les  iulelligences  el  les  coeurs.  Mais 
le  devoir ,  dira-l-on  ,  est  assez  fori  pour  soumettre 
la  femme  el  la  retenir  dans  la  fidelile  :  cela  esl  vrai 
souvenl;  mais  il  est  encore  plus  siir  de  rendre  le 
devoir  agreable  ,  el  de  meltre  I'inclinalion  d'accord 
avec  I'honneur. 

Toulefois  ,  pour  les  jeunes  filles  placees  dans  une 
certaine  position  de  monde  ou  de  fortune ,  il  est 
facile  d'augmenter  la  liberie  du  choix  ;  mais ,  pour 
les  filles  de  la  classe  pauvre ,  il  y  a  beaucoup  plus 
de  difficulies  a  surmonter  :  les  filles  pauvres  n'ont 
pas  de  doi ,  il  faut  leur  en  conslituer  une  par  des 
professions ;  c'esl  le  seul  moyen  de  les  souslraire  a 
la  seduction  ,  de  leur  ouvrir  les  porles  du  mariage , 
et  de  leur  y  donner  une  position  plus  digne  el  plus 
honoree.  II  faul  non  seulemenl  que  parmi  les  em- 
plois  dont  I'Elal  dispose ,  il  reserve  aux  femmes  lous 
ceux  qui  conviennenl  a  leur  sexe ;   il  faul  que  la 


—  133  — 

loi  leur  assigne  excliisivement  loules  les  professions 
relatives  aux  femmes ;  qu'elles  aient  seiiles  le  droit 
de  preparer  et  de  vendre  les  objets  de  la  toilette  dcs 
femmes  ,  qu'elles  aient  seules  Ic  droit  de  leur  rendre 
les  soins  personnels  ,  qu'elles  soienl  seules  chargees 
de  I'instruction  el  de  Teducation  des  fonimes  dans 
les  institutions  publiques  ou  privees  ;  il  faut  con- 
stiluer  ,  en  ua  mot ,  rindependancc  de  la  femme , 
pour  donner  au  mariage  toute  sa  dignile.  De  la  sorie, 
vous  eiendrez  aux  classes  les  plus  pauvres  le  bene- 
tice  de  la  fan:ille ;  vous  rendrez  la  famille  plus  chaste 
et  plus  sainte ,  du  jour  ou  vous  I'a'irez  rendu  acces- 
sible a  ceux   qui  n'ont  pu  jusqu'a  present  y  enlrer. 

A  uii  autre  point  de  vue  de  la  morale  sociale ,  el 
pour  mainlenir  la  puretc  du  mariage  ,  il  faul  que  la 
fidelite  des  deux  epoux  soil  reciproque;  c'esl  une 
obligation  rigoureuse :  I'opinion  et  la  legislation  sont 
encore  entachees  sur  ce  point  d'une  faclieuse  pnr- 
tialite  qui  disparailra  devant  le  progres  des  moeurs. 
L'indissolubilile  du  mariage ,  consacree  par  la  loi 
Fran^aise ,  est  en  ouire  une  surele  donnee  a  la 
femme ;  c'est  un  progres  ,  en  harmonic  avec  la  loi 
morale  :  c'esl  peut-elre  un  sacrilice  que  la  force  fait 
a  la  faiblesse ,  et  qui  peut  augmenter  Tindependance 
ou  meme  I'orgueil  de  la  femme ;  mais  c'esl  une 
justice  rendue  au   merite  de  I'epouse  et  de  la  mere. 

En  dehors  des  obligations  des  epoux ,  les  devoirs 
de  la  fiimille  comprennent  les  obligations  des  parents 
envers  leurs  enfants ,  et  surlout  les  devoirs  des  en - 
fanls  envers  leurs  parenls.  Abordant  successivement 
I'examen  hislorique  el  philosopliique  des  questions 
qui  s'y  rattachent ,  apres  avoir  elabli  par  de  uou- 
veaux  arguments ,  que  la  famille  est  un  des  moycns 


—  l'6k  — 

les  plus  etlicaces  dii  perfectiontieineiu  ile  I'espece 
humaine  ,  raiileur  de  la  Morale  sociale  arrive  a 
Time  des  obligations  les  plus  imperieuses  des  chefs 
de  fan)illc  ,   le  soin  de  reducalion   des  onfants. 

La  section  de  son  ouvrage  oii  il  iraile  de  {'edu- 
cation ,  a  parliculieremenl  attire  I'atleiition  de  I'Aca- 
demie  Fran^aise  :  «  Sur  une  question  lant  disculee, 
dil  M.  Villemain  dans  son  rapporl .  M.  Adolphe 
Gamier  n'innove  pas ;  mais  il  expose  ,  dans  un 
langage  inleressani  et  caline  ,  le  but  de  I'enseigne- 
ment ,  sa  destination  morale  avanl  tout  ,  sa  puis- 
sance tresgrande  pour  prevenir  ei  nieme  pour  refor- 
mer. Parcourant  lous  les  degres  ,  toutes  les  formes 
d'instruciion  qui  conviennent  chez  un  grand  peuple  , 
depuis  la  plus  necessaire  jusqu'a  la  plus  complete, 
il  monfre  quelle  place  doit  toujours  y  conserver 
I'elude  de  ces  verites  philosophiques  qui  prouvenl 
a  la  raison  ce  que  la  religion  enseigne  au  coeur...  » 

En  effet  ,  toutes  les-idees  de  M.  Garnier  sur  i'e- 
ducalion  ,  et  d'abord  sur  la  necessite  d'line  educa- 
tion pubiique  ,  nous  apparaissent  pleines  de  force  et 
de  maturile.  Le  gouvernement  de  la  nation  qui, 
pour  etre  legitime  ,  doit  se  composer  des  hommes 
}es  plus  eclaires  ,  doit  presider  a  I'education  pubii- 
que :  I'education  morale  doit  etre  dans  la  main  de 
I'Elat ;  il  faut ,  en  effet ,  que  I'enfant  puisse  com- 
prendre  el  aimer  la  societe  dont  il  sera  membre. 
L'inslruction  doit  culliver  I'intelligence :  ceux  qui  juge- 
roni  le  plus  sainement  du  genre  d'instruction  qu'il 
laul  repandre  ,  ce  sonl  les  hommes  qui  gouvernent 
I'Etat ,  parce  que  ce  sonl  ceux  qui  connaissenl  le 
mieux  les  besoins  du   pays. 

A  Rome  ,   comme  a   Athenes ,  le  pere  de  famille 


—  135  — 

envoyait  ses  fils  ii  ties  ecoles  piibliques  regies  par 
I'Etal.  Lorsque  I'empire  fiit  elahli  ,  tons  les  princes 
qui  gouvernerenl  avec  sagesse  s'occiipercnl  de  faire 
fleurir  les  ecoles  ;  el  Theodose  et  Jusiinien  acciieil- 
lirenl  et  developpercnl  dans  lenrs  codes  les  salulaires 
instilulions  fondees  par  Aulonin  el  Valenliiiien  ,  leiirs 
predecesseurs. 

Au  moyen-age ,  le  clerge ,  qui  eiait  la  seule  lu- 
niiere  du  temps  ,  dirigeail  I'education  publique.  Les 
ecoles  furent  placees  d'abord  dans  la  demeure  des 
eveques  ,  qui  enseignaienl  eux-memes  ;  ou  elles  se 
tenaient  sous  le  parvis  des  eglises.  Sous  Charlema- 
gne ,  se  fondereni  les  ecoles  de  Tours ,  de  Corbie  , 
de  Fulde  et  do  Reims.  Dans  la  suite  ,  brillerent  a 
Paris  celles  de  la  Calhedrale  el  celle  du  nionaslere  de 
Saint-Germain  ;  celles  des  abbayes  de  Sainte-Gene- 
vieve  et  de  Saint-Victor ;  et  I'ecole  du  Cloitre  Nolre- 
Dame,  qu'on  appela  par  excellence  I'Ecole  Parisienne, 
et  qui ,  la  premiere  ,  fut  ouverle  ^  la  jeunesse  secu- 
li^re. 

Ce  fut  sous  Louis  le  Jeune  que  tous  les  mailres 
qui  enseignaienl  a  Paris  furent  reunis  en  une  cor- 
poration qui  prit  le  nom  d'I/m'iersj'(c,  et  qui  devint 
capable  de  posseder  des  biens  ol  d'exercer  certains 
privileges.  —  Mais  cede  Dniversile  etait  surlout  une 
ecole  pour  le  clerge  ,  un  gymnase  de  la  soci6te 
ecclesiaslique  :  elle  etait  regie  par  les  chefs  de 
I'Eglise. 

A  I'epoque  de  saint  Louis  ,  un  element  nouveau 
s'inlroduisit  dans  I'Eiat  :  ce  fut  le  droit  ou  la  juslicn 
laique.  Des  lors  une  nouvelle  direction  morale  fut 
imprimec  a  la  France;  elle  ne  venait  plus  du  Saint- 
Siege  ,  mais  du   trone.  Les  nouvelles   instiluiioDs , 


—  136  — 

pour  se  mainicnir,  devaienl  modilliM'  I'ediication  pu- 
blique.    L'Universile^  jiisqu'alors  cxclusivenient  sou- 
mise  a  I'aulorile  ponlificale,  s'en  detacha  peu  a  peu 
ei  loniba  sous  I'aulorile  des  rois.  Philippe  le  Bel , 
Charles  le  Sage,  Charles  VII,  Louis  XI  el  Charles 
YllI  gouvernaient  aussi  TUniversile  ;  Louis  XII  enfin 
acheva  de  delruire  ce  qui  pouvail  faire  de  la  cor- 
poration universiiaire  un  corps  separe  de  I'Elat  ou 
de  I'aulorile  seculiere  ;  il  la   plia  pour  toujours  au 
mouvement   general  du  royaume.    Francois  1""  fut 
un  magnifique  prolecieur  des  arts ,  des  sciences  et 
des   lellres  ;    il   fonda  des  chaires  pour  les  lillera- 
lures   grecques   ei  lalines,  et  pour    Thisloire  de  la 
philosophic  anlique;  il  appela  de  toule  I'Europe  les 
savanls  les  plus  celebres  pour  donner  de  nouvelles 
lemons ,   el  ordonna   que  lous  les  professeurs  insti- 
tu6s  par  lui  fusscnl  reunis  dans  un  edifice  qui  porte- 
rail  le  nom  de  College  Royal  de  France.  La  cullure 
des  lellres  se  repandit  alors  dans  lous  les  colleges 
et  dans  loules  les  Universiles  des  provinces  qui  su- 
bissaienl  la  m6me  influence.  Les  families  nobles  pri- 
renl  a  ceile  epoque  Thabiiude  d'envoyer  leurs  enfanls 
eludier  dans  les  ecoles  publiques.  Les  ordonnances 
de  Louis  XIV  reglerent  la  discipline  inierieure  des 
Universiles,  et  elablirenl  des  colleges  et  des  ecoles 
publiques    dans  les   villes  qui    ne    pouvaient   avoir 
d'Universile.   La  fin  du  dis-huilieme   siecle  arriva. 
On  decrela  la  liberie  d'enseignemenl,  au  milieu  des 
orages  de    la  Revolution  ;  il   n'y  eut  plus  d'ensei- 
gneraent   en  France. 

Nous  arrivons  a  I'bistoire  conlemporaine , 
ci  nous  louchons  a  une  question  delicate,  celle 
de  la  direction  de  renseignement  par  I'Etat; 
aussi    ne  voulons-nous  discuter  en   aucune    facon; 


—  1S7  — 

noire  role  esl  plus  modeste.  Nous  analy- 
sons,  en  rcproduisant  la  pliipart  dii  temps  ses 
expressions  propres ,  un  auteur  donl  les  theories 
Dous  plaisenl,  el  dont  la  logique  nous  seduit  et 
nous  enlraine.  L'avenir  dira  si  les  modificalions  pro- 
fondes  inlroduiles  dans  I'enseignement  el  dans  I'e- 
ducalion  publique  par  une  legislation  nouvelle,  sont 
favorables  a  Tamelioration  des  generations  qui  s'e- 
levent.  Les  bienfails  que  celle  legislation  doit  re- 
pandre  ,  et  qui  ont  ete  si  solennelleinenl  promis  a 
noire  pays  par  les  voix  les  plus  eloquenles,  viendront- 
ils  completer,  reformer  ou  detruire  I'ffiuvrecommencee 
par  des  lois  anterieures,  el  qui  dispensaienl  li- 
beralemenl  rinstruction  a  lous  les  degres  de  rechelle? 
—  Problemes  dont  la  solution  esl  infaillible  pour 
quelques  uns,  incerlaine  pour  un  grand  nombre,  et 
au  milieu  desquels  nous  n'avons  pas  a  penelrer  en 
ce  moment.  Nous  nous  contenterons  d'indiquer  quel- 
ques-uns  des  arguments  au  moyen  desquels  I'auteur 
de  la  Morale  sociale  refule  les  raisons  qu'on  oppose 
a  la  direction  de  I'enseignement  par  I'Elat.  —  II  pro- 
clarae  hardiment  que  le  monopole  de  la  direction 
des  sentiments  el  des  idees  apparlient  a  I'aulorile 
publique ,  comme  le  monopole  de  la  justice.  Tout 
en  rendanl  hommage  a  la  puissance  paternelle,  il 
place  au  dessus  d'elle  la  puissance  de  I'Eial.  Le 
pere  de  famille  assurement  a  le  droit  de  choisir  enlre 
les  ecoles  publiques  et  les  ecoles  privees ,  pour  y 
faire  clever  ses  enfanls ;  mais,  dans  Tinteret  merae 
du  pere ,  qui ,  la  plupart  du  temps ,  n'a  pas  la 
liberie  de  surveiller  ces  ecoles,  aulant  que  par 
sollicilude  pour  l'avenir  des  enfanls,  toutes  les 
ecoles,  ou  privees  ou  publiques,  doivent  eire  sur- 


—  138  — 

veillees  par  I'Etal.   Si,   au  contraire,   on  abandoune 
I'education  morale  a    la  merci   de  I'induslrie  parti- 
culiere ,  les  idees  communes  disparaissent ,  il  n'y  a 
plus    d'esprit    public ,    il    n'y    a  plus  d'espril    Na- 
lioual.  —   Si  I'Etat  ne  gouverne  pas  rinsiruction , 
les  enfanls  pauvres  en  seront   de  nouveau    prives, 
et  de  nouveau  I'ignorance  envahira  les  campagnes. 
Et  pourquoi    ne    pas  le  dire  ?  on   peul    meme  sur 
ce  point  reprocher  a  I'Elai  de  n'avoir  pas  fait  assez. 
Un  bon  gouvernemenl  doit  done  presider  aux  soins 
qu'on  donne  a  la  jeunesse  ;  et  aussi  bien  pour  les 
melhodes  d'enseignement ,  pour  le  genre   d'instruc- 
tion  ,  el  pour  I'education  morale,  il  est  le  meilleur 
juge  des   lumieres  qu'il  faut  repandre.  Dans  la  pen- 
see  inlime  de  I'auteur,  I'education  donnee  par  une 
autorite  laique    ne  doit  pas  etre    purement  morale, 
elle   doit    etre   profondemenl    religieuse;    elle    doit 
s'appuyer  ,   non    seulemenl   sur    les  lois  nalurelles 
de  la  conscience ,  mais  encore  sur  les  verites  eter- 
nelles  de  la  foi  et  de  la  religion.  Toulefois  il  s'at- 
tache  a   prouver  ,    en  invoquant  I'autorite  d'un  des 
plus   illustres    membres  de  I'eglise  conlemporaine, 
que  Ton  peut  enseigner    par   la    raison  les   verites 
communes  a  toules  les  religions  :  «  On  prouve  I'exi- 
slence  de  Dieu,  sa  justice,  sa  providence,  I'immor- 
t&lite    de    I'ame,    le   libre  arbiire ,    la   vie    future, 
ses  peines  et  ses    recompenses ,    en   consultant  les 
texles  sacres ,  et  en  consultant  les  lumieres  de   la 
plus  saine  raison.  »   —  C'est  ainsi   que  s'exprimait 
le  dernier  arclieveque    de  Paris,    saint  et  glorieux 
martyr !  dans  I'un  de  ses  ouvrages  les  plus  estimes, 
le  Memoire  sur  I'enseigncmenl  philosophique . 

Celte  moderation  pleine  d'independance,  qui  dis- 


—  JS9  — 

tingiie  a  un  degre  si  emiuenl  ces  appreciations  di- 
verses  de  ronseigneineiU  moral  et  religieux  ,  nous 
la  relrouvons  dans  les  dernieres  pages  du  iivre 
consacre  a  lYducalion.  L'eiude  des  sciences  et  la 
culture  des  arts  sonl  de  belles  institutions,  qui  favo- 
risent  I'anielioration  des  moeurs  publiques.  I'^l  apres 
avoir  refute  en  passant  la  these  paradoxale  soutenue 
par  Jean-Jacques  Rousseau  devant  I'Academie  de 
Dijon  ,  il  demontre  avec  la  meme  fermete  que  I'igno- 
rance  n'est  pas  la  sauvegarde  de  I'honnetete ,  comme 
le  prelendent  encore  quelques  uns  des  ennemis  eter- 
nels  du  progres  des  lumieres. 

Apres  avoir  satisfait  les  inclinations  du  coeur  dans 
le  sein  de  la  famille  ,  dans  le  culte  de  la  palrie , 
dans  I'amour  de  I'liumanite ;  apres  avoir  contente 
les  inclinations  de  I'esprit  par  les  arts  et  par  les 
sciences  ,  il  reste  encore  dans  la  nature  de  I'homme 
d'aulres  inclinations  inoperieuses  auxquelles  il  faut 
donner  satisfaction  dans  de  justes  limiies  :  le  desir 
de  la  liberie  ,  de  I'egalite  ,  de  I'honneur  ,  du  pouvoir, 
doit  etre  pris  en  consideration  :  il  faut  concilier 
la  necessile  de  raccomplissemenl  de  I'cEuvre  com- 
mune avec  I'amour  de  I'independance.  C'est  la  con- 
ciliation de  I'ordre  avec  la  liberie ,  c'est  I'un  des 
problemes  de  la  science  politique  et  de  la  morale 
sociale. 

Passant  en  revue ,  an  point  de  vue  superieur  du 
dogme  de  la  liberie  el  de  I'egalile  ,  Tabolition  de 
I'esclavage ,  les  rapports  des  maiires  et  des  servi- 
teurs ,  I'emprisonnement  pour  dettes ,  toutes  nos 
liberies  publiques ,  la  liberie  de  la  pens6e ,  la  liberie 
religieuse  ,  la  liberie  individuelle  ,  la  liberie  du  com- 
merce ,   la  distribution  des  honneurs  et  des  emplois 


—  140  — 

publics,  M.  Garnier  resume  sa  pensee  en  faisant  uo 
devoir  a  I'Etat  de  laisser  aux  ciloyens  loute  la  liberie 
compaiible  avec  la  bonne  direction  de  la  sociele , 
el  fait  voir  commenl  les  emplois  el  les  fonclions 
doivent  elre  distribues  avec  plus  de  justice  ,  pour 
satisfaire  a  la  fois  rinleret  public  et  I'amour  de  I'ega- 
lite. 

Le  partage  des  emplois  par  un  gouvernemenl  moral 
el  eclaire,  se  rattache  deja  au  probieme  de  I'orga- 
nisation  du  pouvoir  :  ici  apparaii  I'elude  des  diverses 
formes  de  gouvernemenl  el  des  theories  politiques. 
Le  sujel  si  vaste  choisi  par  I'auleur  s'agrandil  en- 
core par  I'examen  rapide  des  constitutions  succes- 
sives  de  notre  palrie  :  «  Bien  des  choses  peuvent 
elre  conlestees  ;  mais ,  du  moins  ,  on  reconnait 
toujours  ,  avec  I'elude  atlenlive  des  lois ,  le  sens 
palriotique  de  I'auleur  el  sa  moderation  coura- 
geusc.  » 

Nous  passons  nous-memes  rapidement  sur  les 
chapitres  essentiellemenl  politiques,  el  qui  ont  trait 
a  I'organisalion  conslilulionnelle  de  notre  pays.  — 
L'analyse  des  chapitres  oii  Ton  discutc  la  conslilu- 
lion  de  1793,  la  monarchic  representative,  les 
constitutions  Americaines,  la  constitution  Frangaise 
de  1848,  et  les  modifications  donl  elle  est  suscep- 
tible ,  nous  eulrainerail  dans  des  debals  que  nous 
ne  pouvons  pas  et  que  nous  ne  devons  pas  soulever 
ici :  la  conclusion  de  I'auteur,  a  la  suite  du  chapilre 
de  I'organisalion  du  pouvoir  ,  se  lermine  ainsi  :  Une 
sociele  doil  6tre  organisee  de  la  maniere  la  plus 
favorable  a  la  satisfaction  des  besoins  el  des  incli- 
nations de  lousses  membres. 

Mais  apres  avoir  monlre    les    moyens    propres  a 


—  141  — 

saiisfaire  les  inclinations  du  coeur  et  de  I'esprit , 
I'amour  de  I'independance  et  de  Tegalile ,  et  ceux 
qui  semblent  assurer  le  meilleur  regime  de  I'admi- 
nistration  publique,  il  faut  encore,  pour  goiiler  en 
paix  tous  ces  avantages ,  que  I'Etat  garantissc  la 
siirete  et  la  vie  des  citoyens.  Examinant  les  attentats 
centre  les  personnes  ,  el  principalement  le  duel  ,  on 
s'aper^oit  bientot  que  la  loi  Frangaise  est  irapar- 
faite  et  incomplete  ,  au  sujet  de  la  puniiion  des  coups 
et  des  blessures  ;  la  legislation  acluelie  ne  frappe 
pas  le  combat  singulier  d'une  maniere  assez  evi- 
dente  et  surtout  assez  efficace  ;  une  peine  morale , 
telle  que  la  privation  des  droits  poliliques ,  par 
exemple  ,  qui  frapperait  le  duel  dans  sa  source 
(ce  n'esl  souvent  qu'une  affaire  de  vanite)  lendrait 
bien  vite  k  le  faire  disparaitre. 

Un  sujet  plus  grave  ,  et  qui  a  longtemps  arrete 
les  meditatioris  des  philosophes  et  des  homraes  d'Etat , 
est  celui  de  la  necessile  ou  de  rillegitimile  absolue 
de  la  peine  de  mort.  Le  bien-elre  general  qui  adou- 
cit  les  mceurs ,  doit  aussi  adoucir  les  chaliments ; 
mais  si  la  peine  de  morl  doit  etre  supprimee ,  elle 
doit  disparaitre  de  I'usage  avant  de  diparaitre  de  la 
loi.  II  faut  reconnaitre  que  I'abolilion  de  la  peine 
de  mort  en  matiere  politique  est  un  acheminement 
t»  son  abolition  complete.  L'usage  pieux  et  louchant 
d'accorder  aux  condamnes  les  secours  de  la  religion , 
doit  surtout  encore  preparer  la  suppression  du  sup- 
plice.  La  voix  du  christianisme  ,  les  prieres  du  pretre 
qui  amenent  le  coupable  au  repenlir ,  s'eleveront 
vers  les  hommes  pour  implorer  la  fin  des  sacrifices; 
elles  s'eleveront  avec  autant  de  gravite  et  d'emotion 
qu'en  emportail  avec  elle  la  parole  feconde  du  Car- 


—  142  — 

diiial-Archev6que  qui  nous  preside, lorsqu'ilprediailau 
monde ,  dans  un  chapilre  de  pes  oeuvres  ,  la  com- 
munion des  condamnes  a  mori. 

Les  preceples  de  la  Morale  sociale  doivent  exisler 
entre  les  nations,  aussi  bien  qu'enlre  les  individus; 
et,  jusqu'h  present,  celie  parlie  de  la  morale  a  ele 
constamment  violee  par  la  guerre  et  par  les  con- 
queles.  Ceci  est  grave ,  parce  que  dans  la  question 
de  la  guerre  sont  enveloppees  touies  les  autres  ques- 
tions :  propriete,  fa  mi  lie ,  education,  egalite , 
liberie ,  organisation  du  pouvoir ,  surete  interieure 
et  eslerieure ,  la  guerre  change  la  face  de  loutes 
ces  choses.  Supprimez  la  guerre ,  au  contraire  ,  et 
grace  aux  travaux  paisibles  de  I'agriculture  et  aux 
decouvertes  de  I'industrie,  le  bien-elre  de.vient  plus 
eeal,  les  families  se  multiplient,  les  arts  et  les  sciences 
se  repandent  sans  trouble  d'un  bout  du  monde  a 
I'aulre  •,  les  besoins  des  peuples  sont  raieux  ecoutes, 
parce  que  les  gouvernements  sont  plus  moderes; 
la  liberte  et  I'egalite  sont  plus  respectees^  les  moeurs 
s'adoucissent  en  s'epurant.  Ainsi ,  toute  la  morale 
sociale  est  interessee  dans  le  probleme  de  la  guerre  ; 
la  paix  assure  le  raaintien  de  cette  morale:  elle 
permet  a  I'Etat  et  aux  citoyens  de  remplir  tons 
leurs  devoirs ,  devoirs  qui  consistent  a  saiisfaire  , 
chez  le  plus  grand  nombre  possible  de  nos  sera- 
blables,  le  besoin  du  bien-etre  materiel ,  et  les  in- 
clinations du  coeur   et  de  I'esprit. 

Telles  sont  les  dernieres  paroles  qui  lerminent 
le  remarquable  ouvrage  de  la  Morale  sociale.  L'A- 
cademiede  Reims, dans  la  rapide  el  incomplete  analyse 
que  nous  en  avons  faile  ,  aura  facilement ,  nous  I'es- 
perons,  compris    quel    avail  ele  le  but  constant  de 


—  us  — 

Tauteur  :  il  a  voulu  montrer  que  tous  les  principes 
et  loutes  les  applications  de  la  morale  doiveni  avoir 
pour  base  la  connaissance  de  soi-meme ;  et,  agran- 
dissant  son  sujet  jusqu'a  embrasser  les  theories  de 
la  politique,  ce  mot  pris  dans  son  acceplion  la  plus 
generale,  il  s'est  efforce  de  prouver  que  la  morale  devait 
loujours  dominer  la  politique.  C'est  une  doctrine  con- 
forme  a  la  doctrine  de  Socrale  :  la  morale  et  la  politique 
doivent  avoir  pour  fondement  la  connaissance  de 
soi-meme. 

Nous  croyons  que  ce  que  I'Academie  Frangaise  a 
voulu  couronner  dans  I'oeuvre  de  M.  Adolphe  Gamier, 
el  ce  qu'elle  a  distingue^c'est  celte  pensee  constamment 
presente  a  chaque  page  de  son  livre  :  Tout  acle 
d'un  citoyen ,  aussi  bien  qu'un  acle  ou  une  ma- 
nifestation emanant  de  I'Etat,  doivent  etre  en  harmo- 
nic avec  les  scrupules  de  la  morale  privee;  c'est  a 
cetle  condition  qu'ils  auront  leur  justice  et  leur  utilite 
et  qu'ils  pourront  concouiir  a  I'amelioralion  de  la 
societe  humaine.  N'oublions  pas  enfin  que  M.  Adolphe 
Garnier  n'a  pas  merile  les  suffrages  de  I'Academie 
Fran^aise,  sans  s'y  etre  prepare  par  de  profondes 
etudes  sur  Descartes  el  sur  Thomas  Reid,  le  chef 
de  la  philosophic  ecossaisc  ;  —  oeuvres  savanles,  qui 
ont  depuis  longlemps  atlire  rattcniion  dcs  penseurs. 


u 


En  dehors  dcs  theories  speculatives  de  la  philoso- 
phic, I'Academie  Fran^aise  couronne  encore  chaque 
annee  de  modcstes  livres,  pieusemcnt  ecrits  pour 
les  enfants  et  pour  les  meres ;  recils  simples  el 
doux,  qui  insiruisent  el  moralisent  sans  blesser  en 
aucunc  sorte  ;  lemons  loujours  indulgenies  et  fecondes 
qui  se   gravenl  dans  les   imaginations  jeunes,  pour 


—  illk  — 

ne  s'en  effacer  jamais.  La  moisson,  cette  ann^e,  est 
abondante ,  et  ce  sont  des  femmes  qui  I'ont  re- 
cueillie  presque  tout  enliere ;  c'est  un  privilege  donl 
on  ne  saurail  s'elonner.  II  y  a  dans  la  parole  des 
femmes  un  charme  qui  vous  sourit  el  vous  captive ;  il 
y  dans  leurs  ecrits  surtout  une  emotion  qui ,  toule 
puissante,  vous  prend  et  vous  livre  tout  eniier  ; 
le  cceur  bat  plus  vite ,  les  yeux  se  mouillent  de 
larnies ,  vous  ressentez  vous-raeme  ces  sensations 
qui  sont  peintes ,  vous  avez  eprouve  ces  emotions, 
vous  reconnaissez  ces  cris  de  joie,  ces  accents  du 
repenlir,  ces  transports  d'amour  filial  ou  d'amour 
paternel :  c'est  bien  la  I'expression  pure  et  Iranspa- 
rente  des  verilables  sentiments  de  I'ame  humaine. 
Nous  I'avons  dit ,  la  plupart  de  ces  livres  s'adres- 
senl  aux  enfanls  ;  ils  ont  pour  objet  leur  instruction 
et  leur  education  ;  sous  une  forme  altrayante  ,  ils 
meltenl  en  relief  tantol  les  defauls  ou  les  vices  les 
plus  frequents  au  jeune  age  :  ils  indiquent  les  erreurs 
qu'il  faut  eviter ,  les  habitudes  qu'il  faut  fuir  ,  les 
travers  qu'il  imporle  de  redresser.  Tantot,  d'une  voix 
allendrie,  ils  celebrent  les  douces  vertusde  la  jeu- 
nesse  ,  ils  honorent  les  exemples  de  devouement 
au  malheur,  les  nobles  entrainements  de  la  piete 
filiale ;  et ,  guides  patients  et  eclaires,  ils  montrent 
la  voie  du  bien ,  qu'ils  embellissent  encore  par 
I'esperance  d'une  existence  heureuse  ,  qui ,  presque 
loujours  ,  est  la  recompense  du  devoir  accompli. 

Le  premier  de  ces  livres ,  que  nous  aimons  a 
citer  ,  est  un  raodeste  recueil  de  quelques  conies 
moraux,  les  Soirees  des  jmnes  personnes,  par  Madame 
de  Bawr.  Depuis  longtemps  deja  le  theatre  el  les  letlres 
avaient  apprecie  la  delicalesse  de  cet  esprit  aimable 
dans    sa    simplicite  ;    des    comedies  et  de  gracieux 


—  145  — 

romans  avaient  revcle  (oulc  la  fin'^sse  de  sa  critique 
spiriluelle  el  de  bon  goiil ;  cc^  nouveanx  recils,  dedies 
aux  jciines  fdles,  sonl  empreinls  d'une  emolion  dont 
le  soavenir  vous  resle ,  m6me  apres  la  ioclure; 
ce  sont  des  Icrons  donl  la  severile  est  temperee 
par  la  douceur  el  riiarmonie  du  langage  ;  fails  inge- 
nieuscmcnl  rassembles ,  donl  quelques  uns  deja  se 
sont  produils  dans  d'autres  livres  ecrils  pour  les 
enfanls ,  mais  qui  jamais  n'onl  ele  presenles  avec 
tant  de  sobriele  et  de  passion  conienue.  Dans  I'un 
de  ces  recils  ritigeiiieux  aulenr  des  Soirees  des 
jeunes  personnes,  Icur  nionlre ,  par  une  serie  d'eve- 
nemenls  bien  clioisis  et  bien  conduils,  que  VEi^prit 
d'ordre  est  un  des  dons  les  plus  uiiles  an  bonheur  : 
Une  jeune  fille ,  meconnaissant  les  avertissements 
de  sa  mere  et  les  tendres  conseils  d'une  soeur  ainee 
qui  I'aime  tcndrement,  prend  Thabilude  du  desordre 
et  de  I'irreflexion  a  un  lei  point ,  qu'elle  cornpro- 
met  la  forlune  de  sa  mere ,  delruil  ou  allere  la 
tranquille  existence  de  ceux  qui  renlourenl,  el  finit 
elle-meme  par  perdre  son  bonheur  el  son  indepen- 
dance.  Dans  la  Romance  de  Nina  ,  c'est  une  jeune 
fille  dont  la  familie  est  proscrile  ,  el  qui  ,  ne  pou- 
vanl  par  son  travail  du  jour  et  de  la  nuil  subvenir 
aux  besoius  de  sa  mere  malade ,  prend  une  guilare , 
debris  de  son  ancienne  opulence ,  el  va  ,  convene 
d'un  voile,  cbanler  sur  les  boulevards  publics.  L'al- 
tendrissement  gagnerait  les  plus  dilficiles  censeurs , 
a  la  lecture  de  ce  recil  qui  monire  celle  enfant  , 
modele  de  piele  liliaie,  rapporlant  a  rbumble  logis 
Jes  offrandes  benies  de  Dieu,  qui  font  vivre  sa  mere. 
—  L'amilie  fra;ernelle  ajoule  [au  livre  de  Madame  de 
Bawr  quelques  pages  eloquenles  par  I'emotion  qu'elles 
I.  10 


—  UH  — 

inspirent   :    Dans    I'lusloire    des   Deux    Orphelines  , 
deux  jeunes  filles  d'un  age  inegal ,  abandonnees  sur 
la  lerre  d'exil ,  n'onl  d'aiUres  ressources  ,  pour  echap- 
per  a  la  niisere ,  que  la  venle  des  fleurs  arliflcielles 
que  Tainee  des  deux  soeurs  reunissait  en  couronnes  , 
pour  Ics  vendre  a  bas  prix.   L'esces  du  travail,  les 
soins  assidus   qu'elle    donnc  a  Teducalion  el  a  I'ln- 
slruction    de    sa  jeune  soeur,    les    privations  qu'elle 
s'impose  par  devouement  pour  cette  enfant ,  amenent 
une  maladic  grave.  Un  jcune  medecin  ,  que  le  hasard 
conduit    a  ce  lit  de  douleur ,  se  prend  de  pitie  el 
bienlol  d'admiraiion  pour    la    sceur  couragcuse ;   il 
lui  rend    la    sanie ,  adople   Tune  des  orphelines  el 
epouse  celle  qu'il  a  sauvee  ,  profondemenl  emu  dans 
son  coeur  des  sentiments  nobles  el  touchanls  dont 
il  a  eie  le  spectaleur  enihousiaste.  Les  derniers  recils 
s'allacbent  a  d^iruire,  par  des  exemples  qui  frappent 
heureusemenl  I'imagination,  deux  defauls  communs 
Chez  les  enfanls,  la   peur  el  I'orgueil.   Dans  I'un,  la 
peur  est  guerie  par  le  devouement  lllial ;  dans  I'aulrc, 
I'orgueil  esl  deiruil  par  le  spectacle  du  malheur  no- 
blemenl   supporle.    Le  dernier  recil,  le  plus  consi- 
derable du  livre,  el  peut-etre  moins   attachant  que 
les  precedents,  est  suivi  d'un  conle,  gaiment  el  faci- 
lemenl    raconte  :  la  Bonne  Fee,   ccnle  de  fee  qui 
n'en  est  pas  un.  Une  mere,   quelque  lemps   avant 
sa    raorl,    confle   a  sa  tille  qu'une  fee   lui  apparait 
dans  le  boudoir  de  son  apparlemenl,  ou  elle  s'en- 
ferme  chaque  jour,   el  qu'elle  lui  enseigne  la  con- 
duile  a  lenir,  pour  elre  heureus^.',  aimee  el  honoree. 
La  jeune  femme,    donl   le    caractere    esl  medisanl 
el    leger,    apres    une     experience    de  la   vie    qui 
ne    lui     esl    ni      bonne    ni    favorable,    se    retire. 


—  147  — 

elle  aussi ,  chaque  jour  dans  le  boudoir  de  sa  rn^re  ; 
el  elle  s'aperQoit  bienlol  que  la  bonne  fee,  c'esi  la 
reflexion.  La  morale  du  dernier  conle  peul  se  Ira- 
duire  ainsi  :  La  reflexion  est  une  des  routes  qui 
menenl  au  bien. 

II  ne  faut  pas  croire  que  ces  doux  et  charmanls 
recits ,  qui  sont  seulement  au  nombre  de  six ,  et 
qui  ferment  la  maliere  d'un  petit  volume  ,  soient  un 
leger  bagage  pour  se  presenter  en  lice  el  meriler 
I'un  des  prix  Monlhyon.  Ce  qui  plait  dans  leur  lec- 
ture, et  ce  qui  I'eleve  a  la  hauteur  d'une  emotion , 
c'est  un  sentiment  exquis  et  toujours  jusle  du  devoir 
accompli  ,  du  devouement  qui  s'abandonne  et  se  livre 
avec  sa  confiance  en  la  Providence,  de  la  verite  qui 
eclate  et  qui  penetre  dans  Tame,  comme  la  lumiere 
de  I'aurore  jailiit  a  I'horizon  :  et  puis  ,  ces  livrcs 
sont  fails  pour  nos  enfants  ,  el  nos  enfants  les  aiment. 
Autour  de  la  table  de  famille,  que  de  conies  ecoules 
avec  joie,  que  d'histoires  retenues  et  gardees  dans 
les  jeunes  souvenirs;  que  d'aclions  morales  et  ver- 
tueuses  qui  penetrenl  sous  la  forme  dc  lemons  faciles 
et  altrayantes  J  C'est  ainsi  que  I'enfance ,  impres- 
sionnee  par  les  plus  nobles  exemples,  recoil  les 
germes  de  la  verlu ,  de  la  piele,  de  I'honneur ;  c'est 
ainsi  que  le  livre  de  Madame  de  Bawr  est  accueilli 
par  les  ecrivains  d'elile ,  qui  I'ont  distingue  entre 
les  plus  utiles  ;  c'est  ainsi  qu'il  est  place  par  les 
meres  entre  les  mains  des  enfants,  afin  d'instruire 
et  d'elever  leur  coeur  au  contact  d'emotions  em- 
preintes  de  la  plus  touchante  simplicile. 

Ce  dernier  merite  est  fort  rare  ;  el  ,  commune- 
menl ,  il  y    a  un    pen    d'affeterie    el  de  mignardise 


—  148  — 

dans  I'expression  des  recils  coDsacr^s  h  I'enfance.  Je 
ne  veiix  pas  cacher  ma  pensee  sur  I'un  des  livres 
que  I'Academie  a  couronncs,  les  Anges  de  la  famille ; 
I'auleur ,  femmc  el  poeie  ,  a  consacre  sa  vie  lille- 
raire  a  chanler  en  vers  melodieux  les  seniimenls  qui 
se  rallachenl  a  la  famillc  ,  les  joies  et  les  douleurs 
de  ramour  maieniel  ,  les  encouragements  a  la  cha- 
rile  ,  les  esperances  reservees  a  ccux  qui  prienl  et 
qui  croient.  Les  enfanis  doivenl  a  Madame  Desbordes- 
Valmore  de  grandes  jouissances  iniellecluelles  et  mo- 
rales ;  loulel'ois  ,  ct  la  remarque  en  a  deja  ete  faite, 
il  y  a  quelque  chose  d'un  peu  appreie  dans  son 
langage. 

Ce  livre  s'adresse  anx  meres  avec  une  espece  de 
solennite  :  «  Les  jouets  de  mon  enfance,  cheres 
visions  des  premiers  beaux  jours  de  ma  vie,  inno- 
centes  compagnes  de  I'enfance  ,  precieusement  con- 
servees  ,  m'ont  aidee  souvent  a  mioux  coraprendre 
mes  enfanis,  el  sont  demeurees  pleines  de  conseils 
pour  moi  ,  meres !  el  je  partage  leurs  conseils  avec 
vous !  » 

Ces  conseils,  Madame  Desbordes-Valmore  les  iraduit 
en  recits ,  aliernativemenl  en  prose  el  en  vers,  et 
qui  sonl  de  nature  a  inslruire  et  6  emouvoir  les 
jeunes  imaginations.  L'Enfant  des  Champs  Ehjsees  est 
un  pauvre  petit  etre  delical  el  souffranl ,  qui ,  sous 
la  sauvegarde  d'un  vieux  serviieur  de  sa  mere,  est 
conduit  a  la  promenade  dans  une  petite  caleche 
altelee  de  qualre  chevres  ,  afin  qu'il  puisse  ,  les  jours 
de  soleil ,  respirer  el  se  rejouir  dans  I'air  pur ;  il  a 
pour  guide  sa  soeur ,  plus  agee  de  quelques  annees, 
qui  veille  avec  une  sollicitude  passionuee  sur  ce  ber- 
ceau  roulanl,   el  qui    chaque  soir  ramene  dans   les 


N 


—  149  — 

bras  cle  la  plus  lendre  mere ,  I'enfanl  jojeux  el 
repose.  —  La  mere  esl  dans  I'obligaiion  de  s'ab- 
senter  une  journee  enliere,  ainsi  que  le  compagnon 
habituel  des  promenades  de  I'enfanl  maladc  ;  aussi- 
lot  apres  ce  depart  ,  la  jeune  soeur ,  malgre  les 
sages  recommandations  qui  lui  sonl  I'ailes  ,  allele  les 
cbevres  a  la  pelile  voiiure  ,  el  fail  sorlir ,  comme 
de  couiume  ,  I'enfanl  dans  les  Champs  Eiysees.  Au 
relour ,  elle  s'empresse  au  devani  de  sa  mere  pour 
lui  porler  bien  vile  des  nouvelles  heureuses  du  Iresor 
qu'on  lui  avail  conlie  ,  el  laisse  a  la  porle  du  jardin 
la  pelile  caleche  oii  I'enfanl  eiail  endormi ;  la  mere 
accourt  rayonnante  de  bonheur  el  d'impaiience;   la 

caleche  etaii  vide  :    son   enfant  avail  disparu 

Les  episodes  de  ce  recit  se  succedenl  d'une  fa^orr 
\raimenl  louchanle  ;  el  lorsque  la  mere  el  la  soeur 
relrouvenl  le  pauvre  cnfanl  vole  ,  sur  les  boulevards 
de  Paris  ,  accompagnanl  un  Savoyard  el  vendani  des 
fleurs  ,  il  n'est  pas  possible  de  n'eire  pas  profon- 
demenl  emu  aux  accenls  de  desespoir  ,  de  lendresse 
el  d'amour  qui  exprimenl  a  la  fois  la  joie  passion- 
nee  el  la  douleur  de  la  mere  :  son  enfanl  eiait 
devenu  aveugle. 

II  y  a  dans  ce  premier  conle  aux  enfanls  des  delails 
poeliques  que  I'analyse  ne  peul  rendre  ,  el  qui  lais- 
senl  a  plus  d'une  page  la  pensee  aiiendrie  :  aussi, 
la  critique  que  nous  adressions  ,  en  commenganl,  aux 
ceuvres  de  Madame  Desbordes-Valmore ,  de  manquer 
quelquefois  de  naturel  ,  s'appiique  plulot ,  suivanl 
nous,  a  plusieurs  des  rccils  qui  terminenl  le  recueil 
des  Anges  de  la  famille  ;  ainsi  ,  la  Hoyaule  d'unjour, 
Clochelin  on  le  Roijaumf;  de  Sa-Sa  ,  seronl  pcu  on 
raal  compris  par  les  eufauls  ;  les  fails  y  sonl  expose i 


—  150  — 

d'une  maniero  confuse.  L'auleur  a  fait  de  grauds 
frais  d'imaginalion  pour  appeler  a  son  aide  le  mer- 
veilleux  de  la  fable ;  mais  toutes  ces  fanlasmagories 
ont  depasse  le  but  ,  je  le  crains  ;  ce  oe  sont  ni 
des  histoires ,  ni  des  contes  de  fees  :  la  sobriete 
et  la  simplicite  ne  s'y  rencontrent  pas  ;  el  ce  sont 
la  cependanl  des  qualiles  essenlielles  pour  plaire  aux 
enfants  en  les   inslruisant. 

On  eul  pu  relrancher  sans  inconvenient  quelques 
unes  des  pieces  de  vers  intercalees  apres  chaque 
recit  en  prose  ,  dans  lesquelles  on  voil  percer  Irop 
d'cfTorts  pour  alleindre  a  une  naivete  que  ron 
ponrsuit  en  vain  ;  ainsi  ;  la  Grande  petite  fiUe , 
le  Petit  mecontent ,  la  Petite  frivole ;  je  ferais  une 
exception  pour  :  le  Nuage  et  I' Enfant ,  elegie  pleine 
de  melancoiie,  et  pour  les  dernieres  sliophes  de  la  Re- 
verie.  que  ie  poete  appelle  :  les  Enfants  et  les  Miroirs. 
Ce  qu'il  fautremarquer  encore  dans  le  livre  de  Madame 
Desbordes-Valmore ,  c'esl  que  ce  sont  les  contes 
les  plus  courts  qui  sont  les  mieux  raconles. 
Les  trois  ou  quatre  pages  ayant  pour  litre  :  L'amour 
d'une  vieille  femme ,  nous  plaisenl  plus  que  les 
chapilres  nombreux  oil  disculenl  d'une  fagon  loute 
nouvelle  les  Pettis  politiques  de  dix  ou  douze  ans. 
La  Priere  de  la  vieille  femme  a  emprunte  ces  paroles 
chreliennes  au  livre  de  YImitation  :  «  Ma  paix  est 
pour  ceux  qui  sont  doux  et  sensibles  de  coeur.  » 
El  il  y  a  dans  toute  cette  priere  conime  un  mur- 
mure  de  foi ,  de  resignation  et  d'espcrance  ,  qui  doit 
reveler  aux  enfants  I'efficacite  et  la  verite  de  la 
priere.  —  Les  Etrennes  de  Gustave,  ou  la  bienfai- 
sance  s'exerce  avec  une  candeur  sincere  ;  le  Cole  du 
noleil ,  que  nous  donnons  seulement  a  nos  amis,  sont 


—  151  — 

les  deux  derniers  r^cils  que  nous  ayoiis  b.  cilcr.  lis 
onl  le  merite  d'etre  courls  el  faciles,  el  celiii  d'avoir 
line  porlee  philosophique  pouvanl  servir  a  I'education 
morale  de  ceux  auxquels  i!s  sonl  deslines. 

Nous  appliquerons  volonliers  celte  observalion  aux 
Entreliem  varies  d'un  livre  plus  serieux,  compost 
avec  une  incontestable  superioriie  ,  ciqui,  au  juge- 
menl  del'Academie,  a  place,  pour  la  seconde  fois, 
son  auleur  au  rang  des  esprils  les  plus  dislingues  et 
les  plus  zeles  pour  le  bien  :  c'esl  une  femme  plus 
jeune,  et  peut-6lre  aussi  plus  modeste  que  le  poele 
dont  nous  venous  de  parlor.  Simple  dircclrice  d'une 
salle  d'asile  h  Paris,  Madame  Marie  Carpaniier  a 
rassemble  il  y  a  queiques  annees  ,  dans  un  pelit 
livre  ,  des  conseils  heureux  et  feconds  qui  lui  ont 
^te  inspires  par  la  science  qu'elle  appelle  la  science 
des  enfanls ;  c'esl  dans  le  bruit  ci  dans  le  mouvement 
des  ecoles ,  c'esl  en  se  melant  a  la  vie  des  enfanls, 
qu'elle  a  approfondi  celle  science  ,  dont  elle  a  adopte 
pour  loi  fondamentale  cette  maxime  qu'elle  repele  h 
chaque  page  aux  maitres  el  aux  amis  de  renl'ance  : 
«  Soyez  indulgents ,  et  fakes  vous  aimer !  »  Cost  en 
quelque  sorle  le  resume  el  la  corclusion  de  son  pre- 
mier livre,  couronne  a  son  appariiion  ;  II  y  respire 
autant  d'ardenle  charile  que  de  noble  devouement ,  et 
il  est  digue  de  eel  elernel  souvenir  dont  on  lit  les 
paroles  au  frontispice  :  «  Laissez  venir  a  nioi  les  petits 
enlants  ,  el  ne  les  empechez  point.  Et ,  les  ayant 
embrasses ,  il  les  benit  en  leur  imposanl  les  mains.  » 

Les  conseils  pour  la  direction  d'ut)e  salle  d'asile 
ont  principalement  pour  but  de  prouver  la  necessile 
de  substiluer  I'affeclion  a  la  sevcrile,  el  d'entourcr 
L'insliiuleur  de  la  consideration  et  de  la  confiance  de 


—   152  — 

lous  les  eieves.  L'auleur  indique,  en  des  pages  pleines 
de  foi  el  d'effusion ,  Irs  nioyens  facilcs  d'iiispirer  aux 
enfanls  I'amour  de  Dieu  ;  i!  monlre  commeul  on  ar- 
rive a  leui-  faire  comprendre  el  respecter  I'imporlance 
de  la  dignile  morale,  et  commenl  Ton  oblieiil  d'eux 
I'obeissance,  sans  efforts  el  sans  irritations;  sans 
oublier  cependant  que  la  repression  est  utile,  el  qu'il 
est  bon  d'en  varier  les  moyens ,  suivanl  la  variele 
des  caracleres.  Les  derniers  cbapitres  sont  consa- 
cres  a  la  distribution  dos  recompenses,  a  I'examen 
de  Temploi  de  la  journee  dans  les  sailes  d'asile  , 
el  a  la  demonstration  de  la  necessitc  d'y  joindre 
I'instruction  a  I'education.  II  se  termine  par  un  elo- 
quent appel  a  la  sympaihie  cl  au  devouement  de 
tons  ceux  qui  ont  acccpte  la  diflicile  mission  d'elever 
les  enfanls  pauvres  dans  les  asiles. 

Le  second  livre,  qui  vienl  de  meriler  a  madarae 
Marie  Carpantier  les  nouveaux  suffrages  el  les  eloges 
non  sans  gloire  de  I'Academie  FrauQaise,  est  le 
developpemenl  de  ses  Conseils  adr esses  aux  direc- 
teurs  des  sailes  d'asile;  c'est  le  complement  et  la 
justification  de  ses  premieres  eludes. 

«  Pres  de  sa  mere,  I'enfanl  n'apprend  pas  loules 
choses,  mais  il  apprend  des  choses  de  loules  sorles, 
car  il  commence  a  vivre  par  loules  ses  facultes  a  la 
fois.  » 

Celie  epigraphe,  miso  en  tete  du  livre  de  VEnsei- 
gnement  pratique  dans  les  Ecoles  maternelles ,  nous 
apprend  que  l'auleur  a  envisage  son  sujet  sous  ua 
point  de  vue  plus  eleve  en  quclque  sorte.  Ce  ne 
sont  plus  des  confidences,  des  prieres,  des  esperances, 
des  aspirations  formulees  dans  un  langage  plein  de 
lendresse  et  d'abandon  ;  la  lendresse  et  le   zele  sont 


—   155  — 

restes  aussi  purs ;  mais  le  langage  a  chang^.  La 
voix  est  plus  forte  el  plus  sure  (rclle-meme ,  les 
prieres  sont  des  exhortations ,  les  esperances  sont 
des  lefons^  les  voeux  sont  des  enseignements ;  c'esl 
la  maitresse  qui  s'adresse  aux  niailresses,  non  plus 
en  novice  tiniide  demandant  appui  et  encouragement, 
mais  devenue  habile  par  I'experience ,  par  la  me- 
ditation, par  le  devoir  accompli  sans  cesse  et  sans 
relache ;  elle  montre  aux  meres  el  aux  enfants  la 
route  deja  parcourue,  et  qu'elle  a  largement  agrandie. 

Les  lemons  contenues  dans  ce  livre  des  Ecoles 
maternelles  s'adressent  en  effet  tanlot  aux  eleves , 
tantot  aux  mailres  et  aux  maitresses.  Toutefois,  les 
inslituleurs  ne  doivenl  considerer  que  comme  un 
canevas ,  comme  des  enseignements  elementaires 
a  developper,  les  exemples  qui  leur  sont  fournis , 
el  s'approprier  les  raateriaux  d'un  enseignemenl  utile 
aleurs  propres  legons. 

Les  eleves ,  les  enfants  plutot ,  se  rejouironl  a 
I'apparilion  de  ce  nouveau  livre ,  qui  parle  leur 
langue  et  la  langue  de  leurs  meres ,  qui  reflete 
leurs  jeunes  idees  ,  qui  les  instruit  en  les  6gayani, 
qui  fait  entr'ouvrir  la  fleur  de  leur  intelligence 
naissanle,  et  qui,  en  meme  temps,  s'adressant  a 
leur  coeur ,  leur  donne  les  premieres  notions  de  la 
conscience  el  de  la  raison. 

Nous  avons  quelque  scrupule  d'analyser  les  cha- 
pitres  de  ce  livre  essentiellement  pratique ;  il  faut 
de  toule  necessite  leur  conserver  leur  ensemble  et 
leur  etendue.  Le  premier  d'entr'eux  ,  notamment , 
a  trait  a  I'enseignemenl  de  I'histoire  sainte  et  au 
choix  des  passages  de  la  Bible ,  qu'on  peul  meltre 
en  recil    pour    les  petits  enfants.    Cetle  partie  du 


—  154  — 

livie,  qui  est  assez  importante,  a   ele   soumise  au 
controle  d'une    aulorite   irrecusable,   celle    de   M^' 
I'Eveque  du    Mans;  el  en   celte  matiere  grave,    il 
n'y  a  pas  a    disculer.  Les  enireliens  varies  el  les 
peliles  histoires  sont,  suivant  nous,   ce   qu'il  y  a 
de  plus   interessanl,  de  plus  inslructif  el   de  plus 
moral  dans   lout  le  livre  ;   el,  nous  le  disons  sans 
hesilalion  ,  ce  sont  ces  enireliens  el  ces  conies  qui 
impriment  a  I'ceuvre  de  madame  Marie  Carpanlier 
ce  cachet   de  superiorite  qui  la   dislingue  de  bien 
des  conleurs  de  I'enfance.  C'esi  qu'il  y  a  dans  ses 
recils  lanl  de  juslesse  el  de  simplicile,  lanl  de  naivele 
nalurelle    el    de    raison  ;    les    exemples    sont    lous 
choisis  avec  discerneraenl  ;    le  lacl ,  le  bon  gout, 
la  mesure  donnenl  a   chaque  bisloire  sa  valeur  et 
son   ulilile  ;    les   verlus   et  les  qualiies  sont  raises 
en  relief  el  honorees ,   de  telle  sorte  que   les  im- 
pressions   se   gravenl  dans  les   jeunes  esprils ;   les 
defauls    el    les    vices  sont  flelris  avec  une  severite 
qui  en  fait  ressorlir  la  honle  el  le  danger.   Toules 
ces  legons  sont  offerles    avec  une  bonhomie  pleine 
de  grace,   el    elles    seront   a   coup   siir    accueillies 
avec  aulanl  de  joie  que   de  succes. 

Les  aulres  divisions  du  livre  des  Ecoks  maternelles 
soul  des  indications  graves,  faites  avec  une  voix  per- 
suasive ,  sur  les  meilleures  melhodes  pour  Tenseigne- 
menide  la  lecture,  du  calechisme,  de  la  grammaire, 
du  calcul,  du  dessin,  de  la  musique,  de  la  geographic; 
et  encore  des  notions  familieres  sur  Thomme  ,  sur  I'his- 
loire  nalurelle  usuelle,  avec  des  cadres  de  legons  enfan- 
lines  sur  des  sujeis  speciaux.  Ce  livre  si  utile,  se- 
rienx  et  tendre  a  la  lois,  se  lermiue  par  des  jeux, 
des  rondes  et  des  chansonnelles ,  qui  ameneronl  sur 


-.   155  — 

les  l^vres  de  vos  enfants  les  rires  les  plus  gais  et 
les  plus  sonores  ,  en  meme  temps  qu'ils  laisse- 
ront  en  leur  souvenir  le  germe  d'une  nolion  utile 
ou  d'une  idee  morale.  C'est  un  bon  livre ,  nous  ai- 
mons  a  le  repeter ;  c'est  uu  livre  complet  :  et  lors- 
que  Ton  a  visile  souvent  des  asiles  bien  diriges , 
lorsque  Ton  a  vu  a  I'ceuvre  les  hommes  devoues 
qui ,  dans  nos  trois  asiles  de  Reims  en  particulier, 
remplissent  dignement  leur  mission  ,  il  est  impos- 
sible, apres  avoir  medite  les  conseils  de  cet  ensei- 
gnement  si  precieux  ,  de  ne  pas  connaitre  combien 
ces  ecoles  maternelles  presentent  de  ressources  pour 
elever  et  pour  ameliorer  le  sort  de  ces  inleressanles 
generations  d'enfanls.  Aussi ,  faut-il  glorifier  et 
benir  le  devouemenl  de  ceux  qui  ,  par  ces  nobles 
efforts ,  preparent ,  en  moralisant  les  enfants ,  un 
meilleur  avenir  aux  socieies  futures. 

Dans  une  condition  qui  differe  peu  de  celle  des 
instituteurs  de  I'enfance ,  &e  trouvent  places  les  ins- 
tituleurs  des  ecoles  de  village ,  voues  a  des  fonc- 
tions  modestes  qui  deraandent  plus  d'aptitude  qu'on 
ne  le  pense  generalement.  De  nombreux  livres  ont 
eie  publics  pour  leur  tracer  leurs  obligations ,  et 
leur  rappeler  I'etendue  dp  leurs  devoirs  ;  et,  parmi 
les  plus  utiles  de  ces  livres,  I'Academie  Fran^aise 
a  decerne  cette  annee  I'une  de  ses  belles  couronnes 
aux  Entretiens  moraux  d'un  insliluteur  avec  ses 
eleves  ,  publies  sous  le  pseudonyme  de  M.  de  Saint- 
Surin;  I'auteur  de  ces  entreiiens  est,  celle  fois  encore, 
une  femrae  et  une  mere,  Madame  de  Montmerque; 
deja  I'un  de  ses  livres  beureux ,  le  Manuel  des  En- 
fants ,  avail  eie  distingue  il  y  a  quelques  annees 
par  les  illuslres  dispensaleurs  des  liberaliles  de  M.  de 


—  156  — 

Monthyon.  Paul  Morin  ,  I'insliluteur  dii  village, 
prend  pour  base  de  son  enseigneinent  cetie  maxime 
bien  connue :  qu'un  bon  exemple  est  la  meilleure  des 
legons,  et  seconde  par  le  zeic  d'un  maire ,  qui  nous 
parait  un  peu  6lre  un  magistral  de  convention  ,  il 
reunit  les  principaux  recueils  que  I'lnsiilut  de  France 
fait  dislribuer  chaque  annee,  et  qui  conliennent  les 
louchants  recils  des  bonnes  et  genereuses  actions 
qui  ont  nierile  les  grands  prix  de  vertu  :  il  choisit 
avec  discernement  les  trails  de  devoueraent  et  de 
courage  qui  bonorent  I'bumanile  ;  il  raconie  les 
existences  sublimes  oii  Tabnegaiion  et  le  devoir  con- 
duisent  aux  sacrifices  les  phis  admires  ;  il  met  en  relief 
tout  ce  que  la  cbariie  repand  de  bienfaits  que  le 
hasard  seul  a  rcveles ,  el  tout  ce  que  la  vertu,  unie 
a  la  religion,  fail  nailre  de  pieuses  et  fecondes  in- 
spirations. Le  cadre  du  livre  6es,  Enlretiens  Moraux 
est  sans  doule  facilemenl  rempli  ;  il  n'y  a  qu'a 
puiser  dans  une  mine  ouverte  a  tons,  et  la  plus  riche 
en  verluset  en  belles  actions.  Neanmoins,  les  acles  nes 
d'un  sentiment  genereux  sont  presenles  au  lecieur 
avec  un  entliousiasme  qui  se  communique  vile  el  qui 
laisse  son  impression  dans  les  coeurs.  Avec  beaucoup 
d'art,rin8liiuleur  se  met  successivemcnt  en  rapport 
avec  de  jeuues  enfanls,  avec  des  adultes,  avec  les 
femmes  el  les  filles  des  habitants  du  village  ;  il 
inslruit  les  plus  jeunes ,  il  donne  une  direction 
nouvelle  aux  hommes  de  Ircnle  ans,  en  clargissanl 
leur  intelligence  ;  il  ailendrit  el  fait  pleurer  les  femmes 
au  spectacle  du  soulagemenl  des  miseres ,  coura- 
geusemenl  accompli  par  des  ames  heroiques,  pla- 
cees  dans  les  plus  humbles  conditions  de  la  vie. 
C'est  un  livre  utile,  ainsi  que  I'a  proclame  I'Acade- 


—  157  — 

mie ,  ulile  aux  enfants  ,  mile  aux  instiluteurs,  digne 
enfin  d'etre  lu  dans  toutes  nos  ecoles ;  c'est  en- 
core I'cloge  eclatanl  de  M.  de  Monlhyon  qui  se 
rencontre  a  chacune  de  ces  pages,  el  Ton  ne  sau- 
rait  trop  faire  penetrer  le  souvenir  touchant  de  cet 
homine  de  bien ,  partout  ou  ['education  a  pour 
bases  le  devoir  et  la  loi  morale. 

Si  nous  n'avions  use  au  de-la  d'une  juste  mesure 
de  raltention  de  nos  confreres ,  nous  aurions  en- 
core a  examiner  trois  ouvrages  importants  ,  pour 
parcourir  la  serie  des  livrcs  les  plus  utiles  aux 
moeurs,  couronncs  celte  annecpar  I'Academie  Fran- 
taise :  ils  Irailent  les  uns  et  les  aulres  de  sujels 
serieux  qui  renlrenl  dans  le  domaine  des  hautes 
eludes  religieuses  et  phiiosophiques :  I'Essai  sur  la 
liberie,  Vegalite  et  la  fralernite,  considere  aux  points 
de  vue  cbreiien  ,  social  et  personnel,  est  ecrit  par 
une  femme  eminemmenl  chreiienne  ,  madame  L. 
de  Challie,  el  se  rattache,  comme  il  serait  facile  de 
le  monlrer,  par  des  liens  assez  elroils,  au  livre 
de  la  Morale  sociale  de  M.  Gamier.  Un  Iraite  Ires 
severemenl  consciencieux  de  la  Pi^ychologie  d'Aris- 
tote ,  par  M.  E.  W adding  ion- Kastus  ;  et  une 
Inlroduclion  a  I'hisloire  des  sciences  physiques  dans 
I'antiquite,  sous  le  litre  de  Philosophie  spiritualiste 
de  la  nature^  par  M.  Henri  Martin,  completenl  la 
serie  des  travaux  qui  onl  paru  dignes  du  prix 
d'ulilite  morale. 

D'autres  travaux  remarquables  se  rattacbanl  a 
I'etude  de  I'hisloire ,  a  la  poesie  el  a  I'eloquence , 
onl  re^u  egalemenl  les  couronnes  de  I'Academie 
Fran^aise,  en  vertu  de  fondalions  diverses.'-  Le  prix 
merite  par  le  morceau  le  plus  eloquent  d'histoire  de 


—  158  — 

France  a  el^  mainlenu  aux  Considerations  sur  VHiS' 
toire  de  France  de  M.  Augiislin  Thierry,  et  a  Vllistoire 
de  Louis  XIII  de  M.  Bazin.  Une  comedie,  qui  a  eu 
grand  succes  sur  la  scene  fran^aise ,  Gabrielle ,  et 
une  elude  antique,  la  Fille  d'Eschyle,  ont  partage,  a 
des  degres  inegaux,  le  prix  offert  a  I'ceuvre  drama- 
lique,  en  cinq  acles  et  en  vers,  composee  par  un 
Fran^ais,  imprimee,  representee,  publiee  en  France, 
et  joignant  au  merite  lilteraire  le  merite  non  moins 
grand  d'etre  utile  aux  moeurs  et  aux  progres  de  la 
raison.  Tous  ces  travaux  lilteraires,  qui  mainlien- 
nent  avec  honneur  la  superiorile  des  bonnes  lettres 
Fran^aises ,  doivent  etre ,  selon  nous ,  pour  les 
Academies  de  province ,  un  encouragement  a  pour- 
suivre  et  ci  elever  leurs  propres  travaux  ;  et  encore 
a  preparer  pour  les  hommes  studieux ,  qui  ont  des 
loisirs  et  du  zele,  des  concours  qui,  par  leurs  succes 
et  leur  ulilile,  conlribuent  au  developpement  moral 
et  au  progres  de  la  science. 


—  159  — 


LA  JUSTICE  NORMANDE. 

CONTE 
par   M    ViOLETTE. 


« 


Stance  du  8  Novembre  1850. 

Au  carrefoiir  d'un  bourg  de  Normandie  , 
Jadis  ,   d'oiseaux  parleurs  logeait  certaio  trio  , 

Le  Geai ,  la   Pie  ctrElourneau  , 
Dont  les  chants  aux  cnfants  doonaient  la  comedie.       j 

Les  deux  premiers  vivaient   en   liberie. 
Jacol   d'un  brocanleur  elait  I'enfant  gale  : 
A  ce  tilre  ,   il  usait   de   lant  d'iuJependance  , 
Qu'on  ne  Toyait  parlout  d'un  ceil  surpris 
Que  des  mefails  de  la   licence 
De  ce  Geai  mal   appris. 
Margol ,   tout  au   conlraire  , 
Avail  pour  mailre  un   savetier  serere, 
Qui  ,  sur   le  moindre    rien  , 
Par  I'emploi  familier  de  cerlaine  laniere  , 
La  redressait ,   disail-il ,   pour   son  bien. 
Ainsi ,  chacuii  nous  forme  a    sa  maniere. 
L'filourneau ,  lui ,   dans  sa  cage  d'osier, 
En  face  suspendue    a  Tauvent  du   Tannier, 
Sans   cesse  il  babillait ,  faisait  un  lei  ramage 
Que  la   tele   en   tournait  aux  gens   du    Toisinage. 
Quelques  uns  prelendaient    que  le   drole   elait  fou  , 
D'aulres  qu'il  merilait  qu'on  lui    lordit  le  cou. 
Tuer  mon    sansonnet  !   dit  le   mailre  en    colere  , 
Qu'on   y  yienne ,   el  c'esl  moi   qui   souliendrai   I'affaire  I 


—  160  — 

Ln    matin  done ,  le  brocanteui 
De  rhomme  au   lire-pied   s'approchanl  loul  rSreur  : 

«  Voisin,    dit-il,  je    suis  bien   desole  ; 

«  Pendant  qu'hier  j'elais  a  la  campagne  , 
»  Dans  ma   boutique  on   ra'a  vole 
■  Un  bout  de  vieux  galon    du  frac  de  Charlemagne, 
»  Qu'un   juif,   d'Aix-la-Chapelle,  un  jour   m'a  brocanl6. 
D  Depuis ,    dix    amateurs    se    I'etaient  dispute : 
»  Un  riche  anglais,  venu  chez  nous   deux  matinees, 
»  En    bon   or   et  comptant   m'en  offrit    vingt    guinecs. 
»  J'attendais   pour    conclure  aujourd'hui  son  relour , 
»  Mais  sur  lui  mon  voleur  prit  I'avance  d'un  jour. 
.  Pour  des  gens  comme  nous,    c'cst  une  pcrte  enorrae ; 
»  J'aurais   beau    de    bonquins    augmenler    mon   trafic, 

*  Pour  du  neuf  ,  vendre  cher  mes  rebuts  au  public  , 
»  Vous-meme  rajeunir   du   vieus   cuir    sur  la  forme , 

»  Jamais  nous  ne   pourrions,  dans  un    an   de  labour, 

»  Par  nos  commons  proflts,    reparer  mon  raalheur  ; 

»  Je  n'en   ai  point  dormi ,    ma  fenime  en   est  malade  !  » 

Notre  homme  allait ,  sans  doute  ,  allonger  sa  tirade  , 

Quand   le  yannier   surTint  et  dit  :   «   votre  galon 

»  Fait ,  je  crois  pour  Porthsmouth  ,  voile  avec  le  larron. 

*  Hier,   midi  sonnant ,  pendant  qu'a  ma  croisee , 
»  Je  clissais    d'un  panier  I'anse  a  raoitie    brisee  , 

*  J'ai  vu  cette  margot  qui ,   (reliant  sur  ce  ban  , 

t  Dans  son  bee  emportait  comme  un  bout  de  ruban  , 
»  Puis,   par  un    tour  de    main   en  passant  devant   elle , 
B  Un   anglais  lui   souffler  cetle   humble   bagatelle, 

>  Et  comme  rien    pour  moi  n'indiquait  sa  valeur , 
s  J'ai  fiai  mon   panier  sans  crier  :   au  voleur !  » 
El  la-dessus  vlin-vlan  !   bien  sangles  sur  I'Agace , 
Deux  coups  de  tire-pied  la  font  rouler  sur  place. 

«  Mais   pourquoi,  dit  le  brocanteur, 
»  Centre  I'oiseau  monlrer  tant  de   rigueur? 

>  Pour  moi  ,  je  n'y  vols  rien  qu'une  elrange  conduite. 
*  Que  me  faut-il ,   enfin  ?  me  payer  mon   galon  , 

»  Ou  si  non  , 


—  161   — 

»  Seloii  luon   droit,   et  lout  de  suite  , 
»    Je  voiis  iiileiile  un    bon    proces    » 

—  «   n    vaudrait   mieiix  ,   voisin ,   coiirir    apres  I'Anglais  , 

»  On    peut  encore   Tarreler   dans    sa   fuile  ; 
«  Si   c'esl  voire  inylord  ,  bien  stir  il   vous   payera  , 
»  Un   voleur,    an    conlrairs  ?    alors  on    le  pendra  , 
»  Et   nous  verroDs  ensuile.  » 
—   «  Quanl  a  moi,   repond   le    plaideur, 

»  Je   suis  un   peu   poltron  ,    le   roulis    me   fail   peur, 
»  la   mer   d'ailleurs  me  ful  loujonrs  coutraire  , 

»  Et  je   liens    d'un   raarin  quo  j'appelais    mon   pore, 

»  Que  sans   grave  raison    il  ne   laut   s'y   risquer. 

»  Et   pourquoi,  s'il  vous    plait,    irais-je  m'embarquer  ? 

»  Votre  oiseau  m'a  vole,  j'ignore   son  complice, 

»  Et  demain  sans  larder,  j'en  appelle    en   Justice; 

»  Petit-Jean,  mon  huissier ,   conlre  vous  plaidera. 

»  Mais  vous,   sans  doute  ,  au   barreau  dc    Coulance, 

u  Vous  irez  recruler  quelqn'homme  d'imporlance. 

»  Eh   bien  ,    il   peut  venir  ,   Petit-Jean   I'attendra  ; 

»  Ses  moyens  seront  prels   pour  oblenir  sentence    » 

—  a  Ah  !    vous  voulez   plaider  !   Eh   bien    nous   plaiderons  , 
»  Reprit  le  savelier  ;   mon    huissier    c'est    moi-meme  , 

Et ,   morbleu  ,    nous  verrons 
»  A  qui  donnera  droit  la  Justice  supreme  ! 
Comme  entr'eux  ces  debats  etaienl  de   faux   aloi  , 
Que  de  gens    du    quartier  se  grossissait   la  masse , 
Le   vannier  les   pria   d'enlrer  chacun   chez  soi, 

Et  les  dernieis   de   deblayer   la   place. 

line  heurc  apres,  aus  qualre  coins  du  bourg , 
Sur   le  bruit  de  proces   chacun   tendait  I'oreille : 
Par   tons  pays,   le    peuple  aux  plaids  volonliers  court, 
Mais  la  c'etait   pour  tous  unc  ardeur  sans  parcille. 
Le    tribunal   du  lieu  bieulot  Gxa  son  jour. 
En  grande   pompe ,   alors  ,   parut  loute   la  cour  , 
Deux  assesseurs,   le  juge,  en  robe  solennelle, 
Renfrogaant   gravement   s^a  mine   palernelle. 
Debout   dans  le  pretoire  6tait  le  bourg  entier. 

11 


—  162  — 

I)e»  qu'on  eut  enlendu  I'expose  de  I'afTaire, 
Sur  la  foi  de  ses   yeux  ,   deposa  le  vannier  , 
I'aria  pcu  de  I'Anglais  et  beaucoup ,  au  contraire  , 
De   Margot,   que    de   vols  il  disail  coiiluiniere. 

Bref.  II   la  chargea  tant  qu'il  put  , 

Si   bien  que,   dans   la  foule,   on    crut 
Qu'avec  le  brocanleur  c'etait  chose  arrangee. 
Lorsque  dans  son  canal  ,  de  vagues  surchargees 
La   Manche  ,   lout  a  coup,   ^ronde,   ecume,  bondit, 

C'esl  inoins  que   rien  tu  du   rivage  , 
Aupres  des   cris  ,   de   I'infernal   lapage 

Que  dans   la  salle  on    enteudit. 
Les  plus  mulins  trepignaient  a   leur   place, 
Con  Ire   le  faux  temoin  un   bruit  aftreux   tonnait  , 
Et  les  gens  du  quartier  poussaient    celle  menace: 

Nous  le  tiirons  son  Sansonnet, 
Lui  qui   veut  perdre  et  le  mailre  et  I'Agace  ! 
Sur  son  siege,   un  moment,  le  juge  fut  crispe  ; 
L'emeule  etait  flagrante,  il  craignait  son   audace  , 
Car  Traiment   le  vannier  pouvait  etre    echarpe. 
«  Mes  amis,    disait-il,  ecoutez  votre  pere , 
»  Au  nom  de  la   justice,  et  pour   moi ,  calmez-vous ; 

»  Mon  jugement  sera   severe, 

»  Mais  je   rendrai   justice  a  tous.  » 

Sa   voix  enfin  fut  entendue. 
Et   corame  un   sombre  echo   mouvant  dans  I'^tendue  , 
Cetle   menace  encor   sourdement  bourdonnait  : 

Nous  le   tiirons  son  Sansonnet  ! 
Apres   cet  incident,  comme  au  sortir  d'un  reve , 
Voici  ,  I'air  effare  ,   Petit-Jean  qui  se  leve; 
II    craint  pour  son  discours  :    aussi,  des  le  debut, 
Vit-on  qu'a  son   palais  s'embarrassait  sa  laogue, 

Que  de   moitie ,  pour   arriver  au   but, 
Le  Ciceron  trouble  reduisait  sa  harangue. 
Cependant  il  allait  etalant ,  en  chemin  , 
Un  bagage  complet  d'extraits  du  droit  romain  , 
Denon^ant  sans  pitie  la  Pie  a   la  Justice  , 


—  163  — 

Et  sur  les  fails  du    vol  menageaot  son    coiuplice. 

Lorsqo'il    en  fut  a   sa  peroraison  , 
Alors   il  rehaussa  la  valeur  du    galon  , 
Parla  de  son   client  en    termes   palbeliques, 
De    sa  ferame   plaignit   les  crises   spasiuodi(iucs  , 
Eniployant  de   grands  mols   pour   les   peindre  aux  abois  , 
Disant  que    tout  chez   eux  perirait  a  la  fois , 
Puis,  enfin ,   il  conclut  qu'au  marchand  de  vieux  livres 
Le   maitre  de  Margot  coinpteraii  cinq  cents  livres. 
La  foule  ,   tout  a  I'heure ,  en  si  grande  furenr  , 
Muette  de  surprise  ,   adrairait  I'orateur  , 

Quand ,  lout  a  coup  ,   du  sein   de   I'audiloire  = 
<i  Cinq  cents    livres  ,  Messieurs  ,    c'esl  a  ne  pas  y  croire  ! 

S'ecria   notre  savetier  ; 

»  Mais  oii    veut-on  que  je   les   prenne  ? 
»  A  moins  que  quelquc  fee,   au  fond  d'un   vieux   Soulier, 
t  N'en   ait   fait    un  depot  jiour    me    lirer   de   peine. 
1  Cinq  cents  livres  encor  !  jamais  dans  mon  laudis 

»  Pareille   aubaine  n'est    entree  , 
»  El   c'esl,   sans   rien    cacher  ,   bien  au  dela    du    pvi.x 

»  De   toule  ma   vieille  denree, 
»  Quand  je  joiadrais  mon   personnel  avec , 
»  Ma  femme  ,    mes  enfanls  ,   nieme  Ca<iuel-bon-bec. 
»  D'ailieurs  ,  Messieurs ,   dans  loute  cetle  affaire  , 
»  J'ai  bien  aussi  quelque  reserve  a  faire ; 
»  Car  qui   n'a    pas  soufTert  du  Geai   de    mon    voisin  , 
»  Oiseau  sale  ,   gourmand ,  toujours  mourant    de  faim  ? 
»  En  vain  ,1a  brosse   en   main  ,  je  cirais  raes  chaussures, 
»  Derriere  moi  c'etaient  de   nouvelles    souillures  , 
»  L'insolenl  animal  s'en  faisail  comme    uu  jcu  , 
»  El  contre   lui   ma  femme    en  vain    jeltail   son    feu. 
•>  Du  reste  ,   tout  chez  nous  flattait  sa  gourmandise, 
»  Jusqu'a   mon  Livarol   [')  qu'il  trouvait  a  sa  guise. 


{■)  Livarot.  Fromage  aussi  counu  du  cote  de  Coutance  (jue 
le  marolies  a  Paris. 


—  164  — 

.  Et  combien    tie   inoicca;i\    empales  ilans   son   bee, 

•  M'ont   reJiiil   dans   I'echoppe  a  broyer  mon  pain  sec  ! 
»   L'autre  jour,  il  fit  plus  ;  par  exces  de  rapine  , 

»   A  inon    petit  Joseph  il  surprit  son    gouter  : 

»   Le  droie   vaillamment   defendit  Fa   larline  , 

»  Mais  I'altaque  etait   vive,  il  ne    put  resister 

»  Vit-on  ,    chez  les  anciens  ,   plus  iinmonde  harpie  , 

»  A  I'estoraac   plus  creux  ,    a   Tails  plus  bardie  ? 

»  Car  ce  qu'il   put  soustraire   a   sa  Toracite  , 

»  L'enfant   lerejela;  tout  etait  infecle  ! 

•  Voila  ,  Messieurs  ,  des    traits    de  ce  Geai  faraeliquc. 

•  Eh   bien!  en    ai-je   fait  une    affaire   publiquc  ? 

»  Me  suis-je  aulreinent  plaint  qu'en   donnant   a    I'oiseau 

•  Certain   avis  direct  a  I'endroit    du  rauscau  ? 

>  M'a-l-on  Yu  ,  lair  sournois,    clignottaut    un   oeil  louche, 

•  AborJer   mon    voisiii    un  proces    a    la  bouche , 

»  Et   d'ua    ami   ccmmuii    caplanl  I'ame  ayec     soin  , 

•  Pour  un    vil   interet  faire   un   lache  temoin  ! 

•  Du  galon,  apres    lout,   durant   deus  matinees, 

»  Qui   prouve    que    I'Anglais  offrit  bien  vingt  guinees  ? 
»   Mais  c'est  vous  ,    mon   ?0!sin  ,  vous  seul    qoi  Tarez  dil. 
»  Vos  aveux  ,    permcltez  ,   ne  sonl   guere   en   credit. 

•  Comment  !   quand  ce   Mylord  vint   voir   vos  vieilleries  , 
»  Vous  n'avez  pas    compris  ,   dans  son    long  entrelien  , 

»  Que  c'elait  un  filou,  dressanl  ses   batteries 

»  Pour  acheler  voire  galon  pour  rien  ! 
»  11  vint  aussi  chez  moi,  trouvaMargot  geutille  .  » 
—  J'aimais  beaucop ,    dit-il  ,   le   oiseau  qui   babille. 

«  Ensuite  ,  en  amateur  distrait 
»  Que  poursuit  une  idee  ou    qui  bat  la  campagne  , 
»  ]l  ajouta   qu'il   regardait 
»  Si ,  dans   I'echoppe  il   trouverait 
»    La   pantouffle  de  Charlemagne. 
»    Soudain  ,  prenant  la    balle  au    bond  , 
»  Je  iui   Cs   voir  une    sandaie 
»  Barriolee  ,  a  forme   originale  , 
'  Qu'un    mien    parent    rapporia    du    Japon.   « 


—  165  — 

—  Volez-vos  ,    vos ,  dit-il  ,  Irento  guinees  ? 
«  Son  offrc  vaut  autant  que   s'il  les  eiit  donnees. 

•  Ma  pantoufDe  ,   Messieurs  ,  vaut  done  un  tiers  en   sus 
»  Du  vieux  galon.   Eh  bien  !  Si   la   cour  me   condamne, 

"  Pour  e?itor  tout  snjet  de  chicane  , 
'  Sans  retour  je  la  donne  a  nion  Olibrius ; 

»  Moyennant  quoi  ,  sans  regret  ni    raurmure  , 
»   Ce  bon  voisin  paira  les  frais  de  procedure.  • 
11  dit ;   et  c'est  a  qui,  dans   I'auditoire  entier. 
Pour  lui  serrer  la  main  s'oflfrira  le  premier. 
Et  pendant  qu'elonne  du  prix  de  sa  defense  , 
Le  Demosthene    en    tablier , 

Altendait    la   sentence , 
La  cour   avail   delibere  ; 
Car  apres  ce  succes  ,  eclipse  dans   son  role  , 
Petit-Jean   n'avait  point  reclame  la   parole. 

Le  juge  done  d'un  air   grave  ,   inspire  , 

Et  de  I'arret  pourlant  riant    d'avance, 

Ota  sa  toque  ,  et  chacun  fit  silence. 
«  Consideraut ,  dit-il  ,  que  la  Pie  a  vole 
»   Le  galon  ;  que   le   Geai,  par  une   etrange  audace, 

•  Par  son  instinct  glouton   et  si  bien  devoile  , 

A  surpasse  I'oiseau   le    plus  vorace  ; 
»  Considerant , 
»  Incidemment  , 
B  Qu'au  premier  chant  du   coq  ,  au   carrefour  Saint-Pierre  , 

»   L'liltourneau   du   vanoier, 
»  Avec  ses  cris  aigus  ,  son  babil  de  commere  , 
»  Trouble  dans  leur   sonimeil  les  ronfleurs  du  quarlier  ; 
0  Qu'en  vain  ,  le  jour ,  berce   par   sa  nourrice, 
»  Aucun   enfant  ne   saurait   sommeiller  ; 
»  Considerant  enfln  ,    pour  que   cela   finisse  , 
»  Que  le  barbier    du   coin  ,    las   d'enlendre   crier 
»  Son   marmot  ,  est  venu  sc  plaindre  a   la  justice  : 

•  La   cour  ,   auxdits  oiseaux   appliquant  son   arret , 
»  Les   condamne  a   subir    la    peine    du   gibet , 

'  El   dit   que,  sans   surseoir ,   sur  la    place   publique  , 


—  166  — 

>  Demain   sera  peadu  le   trio  satanique. 
«  Quant   aux  frais 
»  Du  proces, 
»  Voulant  de  son  auteor  adoucir  le  mecompte  , 
■  La   cour  a   declare  les  prendre  pour   son   compte. 

Toute  la  salle  alors  cria   :    bravo  ! 
Sinon  le  brocanteur  et  son  fourbe  compere 

Qui ,  sur  leur  tele  enfoncant   leur  chapeau  , 
Sans  mot   dire  etouffaient  de   honte   et    de  colere. 


Reims.  —  Imp.  dc  P    REGNIER. 


THAVAIX  1)E  L'ACAOtMIE  DK  HEUIS. 

ANNEE  1850-1851. 
N°  2,  —  Trimestre  de  Janvier  1851. 

SCIENCES. 


OBSERVATION 

D'uN  CAS  DE  Fli;VRE  INTERMITTENTE  CHEZ  LE  CIIEVAL, 

Presentee  a  I'Academie  de  Reims 
Par    M.    A.    BAUDESSO\  ,    Velerinaire. 

Seance  du  40  Janvier  185L 

La  fievre  intermittente,  cette  maladie  si  commune 
cliez  riiomme  ,  n'a  pas  benucoup  d'exemples  dans 
les  annales  de  medecine  velerinaire.  Nice  par  les 
uns ,  adoplee  par  iin  pclit  nombre,  elle  est  presque 
encore  aujourd'bui  un  sujet  de  doute  pour  la  plu- 
part  des  velerinaires. 

Riiini,  qui  ecrivail  en  Ilalie  vers  la  fin  du  xvP  siecle, 
est  le  premier  auteur  qui  fasse  mention  de  la  fievre 
intermittente  chez  les  animaux:  il  rapporie  en  quel- 
ques  mots  un  cas  de  fievre  quarte  subintrante  dans 
ic  cbeval. 

I.  12 


—  168  — 

Apres  lui,  deux  siecles  s'ecoulerent  muds  siir  celle 
maladie;  puis  la  question  fut  reprise  par  Fromage 
de  Feugres ,  dans  sa  correspondance  ,  t.  IV^  par 
Pozzi  (Zovialria  del  Giov.  Milano,  1809,  t.  111.) 
Les  annales  de  lilleralure  clrangere  ,  lopographie 
medicale  de  la  Grande-Breiagne,  juillet  1810,  rappor- 
tent,  d'apres  M.  Royslon,  que,  dans  les  environs  des 
raarais  de  Cambridge,  les  animaux  qui  sonl  employes 
aux  travaux  de  ragricullure  prcsentent  quelquefois 
des  fievres  intermillentes  tierces  parfaitemenl  carac- 
lerisees. 

Certains  auteurs  onl  admis,  dans  ieurs  ecrits  , 
I'exislence  de  la  fievre  iniermiltenle  chezles  animaux ; 
mais  pas  un  ne  semble  Tavoir  observee.  Girard  fils, 
en  examinanl  ce  qui  avail  ete  ecrit  avanl  lui  sur 
les  fievres  esseniielles  des  animaux,  concluait  ainsi  (1): 
1°  que  Solieysel ,  Garsauli ,  Bourgelat  el  Delabere- 
Blaine  admeliaienl  I'existence  des  fievres  esseniielles 
dans  les  animaux  domesliques  sans  les  avoir  jamais 
observees  eux-memes ;  2°  que  Lafosse  el  "Volpi  n'y 
croienl  pas  ;  o"  que  Vilel  el  Aygaleng  se  sonl  servis 
d'ouvrages  de  medecine  humaine  pour  les  decrire  ; 
A^  que  les  observations  meniionnees  dans  les  instruc- 
tions velerinaires  el  celles  produiles  par  Grognier  ne 
peuvenl  servir  ces  preuves  ,  5"  que  les  trois  observa- 
tions de  Damoiseau  doiveni  eire  considerees  corame 
iiulles;  elles  onl  rapporl  a  une  intlammaiion  de  la  mu- 
queuse  gasiro-inleilinale  avec  ou  sans  complications. 

Nous  n'allachons  pas  plus  d'importancc  aux  ob- 
servations de  MM.  Rodel  el  Liegard ,  aux  deux  de 
M.  Laulour,  qui  ne  doiveni  elre  regardees  que  comme 

(1)  Recueil  periodique 


—  i69  — 

ayant  Irait  a  des  ficvres  symptomatiques  d'affections 
qui   se  sont  simullanement  declarees. 

Jusqiie  la,  !es  velerinaires  etaient  done  fondes  a 
croire  que  la  fievre  intermiuente  n'exislait  pas  chez 
le  cheval;  lorsque,  en  1818,  M.  Clichy,  veterinaire 
aussi  consciencieux  que  distingue ,  par  un  cas  bien 
observe,  est  venu  decider  la  question  en  faveur  de 
I'existence  de  cettc  maladie.  Le  type  que  M.  Clichy 
a  observe  est  le  type  quotidien.  Aussitol  I'appariiion 
de  celte  observation  publiee  sous  d'aussi  bons  auspices, 
les  idees  changerenl  :  d'Arboval  qui,  dans  la  4'"  edi- 
tion de  son  diclionnaire,  niait  I'existence  de  la  fievre 
essentielle  cliez  le  cheval ,  se  range  de  I'avis  con- 
traire  dans  la  2'=  edition  du  meme  ouvrage.  II  en 
I'ut  de  meme  de  beaucoup  d'aulres  velerinaires. 

Certaines  observations  ont  etc,  comme  nous  venous 
de  le  voir,  donnees  pour  appuyer  I'existence  de  la 
fievre  intermittente  dans  les  animaux  ;  nous  les  avons 
rejetees  et  nous  avons  dit  pourquoi.  C'esl  qu'en  effet, 
pour  eloigner  tout  moyen  d'erreur  dans  le  diagnostic 
de  ces  maladies,  il  faut  s'aitacher  scrupuleusemcnt 
a  en  connaitre  le  caraclere,  I'essence  meme.  Dans 
notre  esprit,  nous  divisons  les  fievres  intermittenles 
en  deux  classes  :  1°  les  fievres  intermitlentes  primi- 
tives, essentielles  ou  idiopalhiques  ;  2°  Ics  fievres  inter- 
mittenles symptomatiques. 

(  En  admeltant  cette  division,  nous  pensons,  en- 
seigne  par  les  observations  pratiques  d'un  grand 
nombre  de  medecins  distingues,  que  le  gonflement 
de  la  rate  n'ost  que  consecutifh  I'apparition  de  la 
fievre.  Assuremenl  il  doit  en  etre  de  meme  chez  les 
animaux;  nous  n'avons  pu  constaler  ce  gonflemenl 


—  170  — 

choz  le  chevo!  ,  vu  la  position  analomique  de 
rorgaue  qui  en  est  !e  siege,  dans  la  caviie  splan- 
chnique  qui  le  contient.) 

Nous  avons  souvenl  eu  occasion  d'observer  les 
fievres  du  second  genre,  parliculieremenl  dans  I'en- 
terite  du  cheval  ;  mais  aussi  nous  fcrons  remarquer 
que,  dans  ce  cas ,  I'intermiltence  est  loujours  irro- 
guliere. 

L'obseivalion  que  nous  allons  rapporler  presenle 
un  type  de  iievre  intermiitenle  inensueilc  (1).  Le 
cheval,  qui  en  fait  le  sujet,  est  d'un  temperament 
lymphalico-sanguin,  de  race  normande,  de  I'age  de 
six  ans  ,  de  laille  moyenne,  sous  poil  bai-clair , 
propre  au  trait  leger ,  appartenant  a  M.  D...., 
proprieiaire  cullivateur,  demeurant  a  C 

Le  5  fevrier  1850,  visitant  ce  cheval,  je  trouve 
le  pouls  llasque  ,  a  80  pulsations  ,  les  muqueuses 
pales,  la  resi)iration  acceleree,  les  reins  iiifiexibles, 
le  poil  pique,  la  facies  trisle,  les  membres  engorges 
ainsi  que  le  fourreau. 

L'animal,  d'un  embonpoint  a  peu  pres  salisfaisant, 
(itail  nouvellenient  achete,  ct,  d'apres  quelques  ren- 
seiguenienls  que  me  fournit  son  proprietaire ,  je  le 
crus  debilile  par  un  travail  force.  II  semblait  avoir 
L'ie  remis  en  eiat ,  comme  on  dil,  pour  la  vente  ; 
ce  que  m"iudiquait  assez  la  presence  d'un  seton  au 
poitrail,  que  Ton  a  I'habilude,  a  lort  ou  a  raison  , 
de  passer   en    pareille  circonslance.    Prescriptions  : 

(1)  Bien  qu'on  ait  ecrit,  comme  Sauvage,  dans  sa  Nosologie,  qu'il 
faut  bannir  du  cadre  des  fi^vrcs  inlermillentes  toutes  celles  qui  n'ont 
pas  au  moins  deux  acc^s  en  quinze  jours  ,  nous  n'en  persislons  pas 
moins  a  classT,  dans  les  G^vres  intermiltentes ,  le  cas  que  nous  pre- 
senions. 


—  171  — 

electuaire  de  geniiane ,  panade  cxcilanle  ,  IVicdons 
seclics  sur  toiite  la  surface  du  corps,  promenade  au 
pas,  I'animal  etanl  bien  convert.  Ses  alimenis  devront 
elre  arroses  avec  de  I'eau   legeremeni  salee. 

Le  4  au  soir,  quelcjue  temps  apres  la  promenade, 
le  cheval  est  aballu  ,  il  resle  etranger  a  lout  ce  qui 
se  passe  autour  do  lui,  sa  respiration  est  agitee  ;  il 
est  pour  le  proprietaire  dans  un  elat  inquielant,  qui 
le  decide  a  venir  me  chercher. 

A  mon  arrivee,  huit  henres  du  soir,  je  tronve 
le  malade  Iriste ,  il  est  au  bout  de  sa  ionge  ,  i'ex- 
tremile  inferieure  de  sa  lelc  repose  pre^que  sur  la 
litiere  ;  de  temps  a  anire  il  se  rapproclie  peniblenieni 
de  la  mangeoire,  sur  laquelle  il  prend  immedialemenl 
un  point  d'appui.  Les  yeux  sont  a  demi  fermes  , 
languissanls,  la  conjonctive  est  a  I'elat  normal,  ie 
pouls  bat  100  pulsations;  la  respiration  est  fre- 
quenie  ,  la  colonne  veriebrale  raide,  les  extremites 
froides.  Vers  neuf  heures,  arrive  un  frisson  general 
plusdeveloppe  cependant  dans  les  muscles  de  I'epaule, 
surlout  les  olecraniens,  et  dans  ceux  dn  grasset, 
Get  elat  morbide  dure  environ  une  heure  el  demie  ; 
puis,  lout  h  coup,  un  cbangi-ment  brusijue  s'opere 
dans  la  position  du  malade,  les  frissons  disparaissont, 
puis  survienl  une  cbaleur  plus  que  normale  qui  se 
termine  par  une  sueur  abondanle  a  la  iiase  des 
oreilles  et  anx  llancs  ;  bienlot  Joule  la  surface  du 
cr)rps  devieni  ecumaule,  le  pouls  est  rcleve,  I'arlere 
est  pleine,  loulante  sous  les  doigis,  la  bouclie  est 
seche,  la  langue  chargee  ,  la  soif  est  ardenle  ;  le 
maiade  ,  qu'on  me  pardonne  I'exprcssion  ,  d<ivorc 
le  liquide  qu'on  lui  presenle  ,  il  se  campe  souveni 
el   ex|)ulse   une  urine  pcu  coloree  ,  limpide,  (jue  nous 


—  172  — 

rrgreltons  vivement  de  ne  pas  avoir  analjsee.  L'a- 
ballement  est  le  meme,  les  niouvemenls  du  flanc 
sont  lumullueux,  le  souffle  respiraloire  est  bruyant 
ct  simule  assez  bien  le  cornage ;  I'animal  semble 
combaltre  un  soimueil  qui  I'accable,  il  se  balance 
a  droite  et  a  gauche,  ses  membres  flechissent  raalgre 
lui  a  certains  intervallcs :  eufln ,  il  lonibe ,  tend 
I'encolure  et  parait  se  complaire  dans  cetle  position. 
On  le  seche  ,  puis  on  le  recouvre  de  bonnes  cou- 
verlures. 

Au  bout  d'une  heure ,  peut-etre  un  pen  plus  , 
I'animal  se  releve ,  se  secoue  et  tire  sa  paille  du 
ratelier;  mais  il  mange  peu.  Le  calme  se  retablit 
peu  a  peu  dans  toutes  les  fonclions  ,  linquielude 
cesse,  I'oeil  est  brillant,  la  respiration  a  repris  son 
ryibme  accoutume ,  la  marche  est  facile;  bref  ,  la 
same  semble  elre  revenue  comme  par  enchantement. 

J'avoue  que,  lorsque  j'assislais  a  toute  cette  scene 
palhologique,  j'elais  loin  d'avoir  le  meme  calme  que 
celui  avec  lequel  j'en   trace  aujourd'hui  I'histoire. 

M.  D.. .  avait  la  conviction  inlime  que  la  maladie 
etrange  a  laquelle  son  cheval  venait  d'echapper,  avait 
ele  provoquee  par  I'administration  de  la  gentiane , 
aussi  ne  voulul-il  plus  continuer  cette  medication  ; 
je  lui  assurai  le  contraire.  Bien  que  je  ne  pusse  ce- 
pendant  pas  decouvrir  de  trace  d'une  lesion  orga- 
nique  quelconque,  I'idee  que  nous  venions  de  voir 
se  developper  toutes  les  phases  bien  caracterisees 
d'une  fievre  essentielle ,  n'etait  que  bien  hypothe- 
tique  dans  mon  esprit ;  pourtant,  je  le  confesse,  j'en 
hasardai  I'explicalion  a  M.  D...  Les  trois  stades , 
comme  nous  les  avions  si  distinctement  observes, 
donnaieni  a  mes  paroles  un  certain  air  de  conviction 


—  173  ~ 

siir  lequel  s'appuya  inon  clienl ;  je  pronostKiuai 
d'avance  un  nouvel  acces  dans  un  (emps  quo  je  ne 
pouvais  determiner,  el  j'insislai  aiipres  de  M.  D — 
pour  qu'il  me  fit  appcler  quand  pareille  cliosc  se 
reproduirait. 

Le  deuxieme  jour  apres  celle  crise  ,    I'animal  clait 
rendu  a  son  travail  ei  a    sa    nouiriUire    liabituelie ; 
I'exercice   fit    rapidement  disparailre    I'engorgemeii 
des  membres. 

Dans  les  premiers  jours  de  mars  ,  I'animal  perdit 
de  son  appelit ,  un  trouble  particulier  se  manifesta 
dans  toutes  les  fonctions  de  Teconomie ;  enlin  ,  le 
-4  au  soir ,  je  pus  voir  se  developper  un  accfes  de 
fievre  en  tout  seinblable  au  premier.  Le  proprielaire 
s'en  inquiete  peu  et  revient  de  sa  premiere  erreur: 
la  gentiane  etait  eirangere  a  la  maladie  de  son 
cheval. 

Men  diagnostic  se  trouva  encore  confirme  par  un 
autre  acc^s  qui  se  reproduisit  le  4  avril  suivant , 
avec  les  m6mes  prodromes.  Uien  de  particulier  a 
noter ,  cet  acces  etait  aussi  violent  que  les  deux 
premiers. 

Toujours,  pendant  I'apyrexie  ,  et  nous  insistons 
sur  ce  point ,  nous  avons  vu  i'animal  dans  de  bonnes 
conditions  de  same;  huil  jours  ne  s'ecoulaient  pas 
sans  que  nous  le  visilions  au  moins  une  I'oisou  deux. 

A  partir  de  ce  moment,  rintcrmittcnce  changea  et 
les  acc6s  furent  bien  moins  inlenses  ;  c'est  ainsi 
qu'ils  suivirenl  cette  periode  :  15  avril  ,  1"  mai  , 
15  mai. 

Pendant  le  mois  de  juin  et  les  mois  suiyants,  nous 
avons    vu  disparailre    la    serie    des   symplomes    qui 


—  Mil  — 

annongaicDt  h  pyrexic  ;  seulement,  a  ties  iniervalles 
dont  il  nous  a  ele  impossible  de  rcconnailre  la  pe- 
riodicite ,  nous  avons  remaique  un  leger  trouble 
febrile  sans  suite  qui  se  produisait  parliculi6rement 
lorsque  Tanimal  avail  ele  soumis  la  veille  a  une 
course  rapide  ou  a  un  travail  irop  fatiguaul ;  le 
repos  d'un  seul  jour  ramenait  bienlol  la  saule. 

Depuis  le  mois  de  septembre  jusques  aiijourd'bui, 
Taniraal  a  loujours  monlre  les  signes  evidenls  d'une 
bonne  sante. 

Pendant  lout  le  temps  que  ce  cheval  a  ele  soumis 
a  notre  observation  ,  aucune  substance  medicamen- 
teuse  ne  lui  a  ele  administree,  dans  cetle  seule  in- 
tention de  voir  comment  se  terminerait  ce  cas  qui 
excitail  si  vivement  noire  curiosite.  M.  D....  y 
consenlil  de  grand  cceur ;  qu'il  accepte  ici  toute 
noire  reconnaissance,  puisqu'il  nous  a  permis  d'obser- 
ver  el  de  suivre  un  sujet  presque  encore  nouveau 
pour  la  plupart  des  velerinaires. 


—   175  — 
Lecture  dc  M.  Maumene. 

Seance  du   10  Janvier  1851. 

NOTE   5UR    L'EMPLOI    DES   SULFATES    d'aLUMINE. 


J'ai  regu  ces  jours  derniers  deux  echantillons  de 
sulfate  d'alumine,  avec  priere  d'en  jnger  la  valeur. 
—  L'analyse  de  ces  deux  sels  a  fourni  les  resuhals 
suivanis  : 

N»  i  .         lo.75  alumine  pour  100. 
N"  2.        41.84    id.  id. 

Si  les  sels  elaient  absolument  purs,  lis  devraient 
renferraer  15.4  d'alumine  pour  100.  —  La  difference 
est  assez  grande  pour  amener  les  observations  dont 
voici  le  resume  : 

Le  sulfate  d'alumine  est  preferable  a  I'alun  par 
I'exces  d'alumine  qu'il  renferme.  En  effet,  tandis  que 
100  kil.  d'alun  ne  donnent  au  teinlurier  que  10.82  kil. 
d'alumine.  100  kil.  de  sulfate  d'alumine  pur  en 
fournissent  15.40.  —  Cependant  I'avantage  n'est  reel 
pour  le  consommateur  que  dans  le  cas  d'une  exacte 
proportionnalite  entre  les  prix  ;  en  d'aulres  lermes , 
il  faut  ne  pas  payer  I'alumine  du  sulfate  plus  clier 
que  I'alumine  de  I'alun.  Pour  meltre  celte  verile 
sous  une  forme  generale,  il  faut  loujours  avoir  entre 
les  prix  de  I'alun  et  du  sulfate  d'alumine  la  pro- 
portion suivanle. 

Le  prix  de  I'alun  :  le  prix  du  sulfate  :  :  10.82  :  15.40. 


—  176  — 

Les  analjses  precedentes  m'ont  donne  I'occasion 
de  cliercher  si  celte  proporlionnalile  existe  et  si  nos 
tcinturiers  sonl  a  I'abri  des  perles :  void  les  resullals 
auxquels  je  me  trouve  conduit. 

On  obfient  actuellement  dans  le  commerce  les 
aluns  au  prix  de  22  francs  les  100  kil.  Pour  pouvoir 
employer  les  sulfates  d'alumine  sans  desavantage,  il 
faudrail  que  leur  prix  ne  depassat  pas  celui  qu'on 
trouve  par  la   proportion. 

22  francs  :         x  :  :  10.82 :  15.40. 

Prix  de  I'alun  Prix  des  sulfates. 

C'est-a-dire  a?  =  51 .32. 

Ainsi,  quand  les  aluns  sont  a  22  francs,  on  peul 
sans  perte  employer  le  sulfate  d'alumine  tant  que 
son  prix  ne  depasse   pas  51  fr.  52  c. 

II  est  facile,  d'apres  cela ,  de  juger  si  nos  tcin- 
turiers sont  aujourd'hui  dans  une  position  avan- 
tageuse  , 

Car  le  sulfate  n"  1  se  vend  55  fr. 

Et  le  sulfate  n°2,  50  fr. 

Pour  le  n"  1  la  perte  est  evidente ;  pour  le  n"  2 
on  pourrail  elre  lente  de  croire  a  un  benefice,  mais 
il  est  aise  de  perdre  €elte  illusion.  —  En  effet,  ni 
Pun  ni  I'autre  des  sulfates  n'est  enli^remenl  pur; 
ni  I'un  ni  I'autre  ne  donne  15  kilog.,  4  d'alumine, 
et  il  faut  evaluer  leur  prix  d'apres  la  quanlile  vraie 
de  cette  maliere.  On  a  ainsi  les  proportions  : 


22  :  Prix  du  sulfate  n°  1 
22  :  Prix  du  sulfate  n"  2 
et  ces   proportions  donnent 


:  10.82  :  :  15.75. 
:  10.82:  :  11.84. 


—  177  — 

Pour  le   n°  4,  27  fr.  96  c,  soil  28  00. 

Pour  le  no  2,  24        00. 

C'esl-a-dire  qu'au  prix  actuel  de  I'alun  (22  fr.  les 
100  kilogrammes),  le  sulfate  n°  1,  renfermant  15.75 
d'aluniiue,  vaut  seulement  28  00  ;  et  le  sulfate  n"  2, 
renfermant  41.84  d'alumine,  vaut  seulement  24  fr. 

Le  n"  1,  qui  vaut  28  00,   so  vend  53  fr.  00. 

Le  n»   2,  qui  vaut   24  00,  se  vend  50  fr.  00. 

Je  laisse  k  chacun  le  soin  de  lirer  les  consequences. 
II  faut  pourtant  observer  encore  que  le  sulfate  d'a- 
lumine est  presque  toujours  charge  d'un  exces  d'acide ; 
que  sa  constitution  ne  pent  6lre  envisagee  comme 
constante,  et  qu'il  renferme  toujours  une  proportion 
de  fer  notable ,  inconvenients  dont  on  n'a  pas  a 
souffrir  par  I'emploi  de  i'alun. 


—  178  — 


JURISPRUDENCE. 


SUR   LES   OEUVRES  DE  M.  TROPLONG,  ET  SPfiClALEMENT 

SUR    SON   COMMEISTAIRE  DU  TITRE  DU  CONTRAT  DE 

MARIAGE 

Par    M.    G.  MASSE. 


Stance  du  24  Janvier  1851. 

Ceux  qui  sont  d'age  a  se  rappeler  quel  elaif,  il  y 
a  vingl  ans ,  I'elat  des  eludes  juridiques  ,  peuvent 
facilemeni  mesurer  les  progres  que  ces  etudes  ont 
fails  depuis  1830,  grace  au  mouveraenl  des  espiits 
qui,  a  parlir  de  celle  epoque  memorable,  a  pousse 
la  science  dans  des  voios  nouvelles,  ou  ,  pour  elre 
jusie  envers  un  passe  deja  vieux,  lui  a  fait  relrouver 
les  voies  ancienncs  ouverles  par  les  grands  juriscon- 
sulles  du  XVI'  siecle. 

Deux  hommes ,  donl  I'un  se  rapporte  plus  parii- 
culieremenl  a  I'epoque  imperiale,  et  I'antre  a  la  res- 
tauratiou.  Merlin  el  TouHier ,  avaient  sans  doule 
brille  d'un  vif  eclat ;  et  tous  les  deux  eurenl,  en- 
ire  aulres  merilesinconteslables,celui  de  venir  a  point. 
Mais  la  science  du  droit  ne  pouvait  faire  des  progres 
veritables  qu'a  la  condition  de  sorlir  des  limites 
dans  lesquellea  la  force  des  circonstances  avail  ren- 
I'crme  ccj  jiirisconsu'le-. 


—  179  — 

On  sail,  en  effet,  que  les  commenlaires  el  les 
commenlaleurs  n'etaicnl  pas  en  faveur  sous  I'Empire. 
C'etait  un  prejiige  fort  generalement  repandu  alors 
el  parlage  par  le  maiire  et  par  les  siijeis  ,  que 
tout  le  droit  etait  dans  les  nouveaux  codes  ;  qu'ils 
se  suffisaient  h  eux-raemcs  et  que  la  legislation  nou- 
velle,  nee  du  progres  des  idees  et  de  la  regeneration 
politique  et  sociale,  inauguree  en  1789,  ne  devait 
rien  a  la  legislalion  ancienne  et  n'avait  ricn  a  lui 
demander.  Cependant  le  prejuge  ne  pouvait  faire 
qu'il  n'y  eut  pas  des  lois  anciennos  qui  cessaient  a 
peine  d'etre  en  vigueur,  une  legislalion  inlermediaire 
qui  venait  d'etre  remplacee  par  la  legislation  nou- 
velle,  et  que  du  choc  de  ces  elements  divers ,  qui 
avaient  successivement  regi  I'elat  des  ciloyens,  leur 
fortune  et  Icurs  acles ,  ne  jaillit  pas  une  serie  de 
dilTicultes  dont  la  solution  ,  en  raison  de  lour  ca- 
raclere  essentiellement  transiloirc  ,  ne  pouvait  eire 
remise  au  lendemain.  C'esl  done  a  celle  ceuvre  que 
furenl  appeles  les  legistes  de  celle  epoque,  el  a  leur 
lete  ,  Merlin,  le  premier  d'enlre  eux,  dont  les  savants 
requisitoires  ,  Irop  depourvus  d'ailleurs  du  sens  phi- 
losophique,  et  jusqua  un  certain  point  de  rinlelligence 
historique  ,  lors  merae  qu'il  remonle  vers  le  passe, 
facililerent  la  Iransilion  de  I'ancien  droit  ecrit  ou  cou- 
tuniier,  au  droit  nouveau. 

Si  bieniol  apres  la  pratique  demonlra  que  les 
codes,  quelque  parfails  qu'on  les  supposal,  avaient 
cependant  besoin  d'explications,  qu'ils  n'elaient  pas 
h  la  poriee  de  tout  le  monde,  et  qu'il  ne  suOisait 
pas  de  les  avoir  lus  pour  les  comprendre  et  devenir 
juriscousulle,  les  premieres  lentativcs  furenl  nalu- 
rellemenl  fori  timides:  on  semblait  craindre  de  toucher 


—  180  — 

au  livre  de  laloi.  Aussi ,  voyez  Toullier  lui-meme, 
avec  quelle  reserve,  dans  les  premiers  volumes  de 
son  ouvrage,  il  se  borne  k  une  paraphrase  plus  ou 
moins  developpee  du  code  civil.  C'esl  en  avan^ant 
dans  son  travail  qu'il  sent  ses  forces  ,  que  peu  k 
peu  il  se  decide  a  s'en  servir  pour  dominer  son 
sujet ,  et  qu'enlin  ,  dans  le  titre  des  obligations,  il 
s'eleve  a  une  hauteur  telle ,  qu'il  place  son  nom 
au  dessus  des  alteinles  du  temps. 

Disons-le  toutefois,  les  ouvrages  de  Toullier 
el  ceux  des  jurisconsultes  de  son  ecole  se  ressen- 
tent  de  la  preoccupation  de  I'epoque  au  milieu  de 
laquelle  ils  ont  ete  congus  :  Toullier  isole  Irop 
completement  le  code  des  precedents  historiques 
dont  il  est  issu;  et  son  traite  des  obligations  lui- 
meme  est  plutot  le  chef-d'oeuvre  d'un  esprit  juste 
et  d'un  sens  droit  que  celui  d'une  intelligence  pla- 
cee  au  dessus  de  son  sujet,  et  en  embrassanl  les  rap- 
ports non  seulement  avec  le  present ,  mais  encore 
avec  le  passe  pour  eclairer  la  legislation  ,  en  remon- 
tant aux  sources  ,  et  avec  I'avenir  pour  la  juger 
d'apres  les  resultats  qu'elle  doit  avoir. 

L'etude  des  questions  transitoires  qui  se  person- 
nilie  dans  Merlin,  et  I'explicalion  peut-etre  un  peu 
timide  des  codes  nouveaux  qui  se  personnitie  dans 
Toullier,  telle  fut  done  et  telle  dut  etre  la  mission 
des  jurisconsultes  dans  les  temps  plus  ou  moins 
prochains  de  la  promulgation  des  codes.  Cette  mis- 
sion fut  remplie  avec  eclat  tant  que  les  hommes 
eminents  qui  s'en  etaient  charges  eurent  assez  de 
force  pour  en  soutenir  le  fardeau  et  que  les  cir- 
constances  s'y  preterent.  Mais  Merlin  avait  cesse  de 
conclure  au  moment  ou      TFippire    avait   cesse   de 


—  181  — 

vaincre;  el  la  Restauration  ,  pendant  laquelle  Toul- 
lier  avail  pris  son  essor  le  plus  hardi,  n'eiait  pas 
encore  lorabee  que  ,  deja  affaiblie  par  I'age  ,  I'inlel- 
ligence  de  I'illuslre  professeur  de  Rennes  sommeil- 
lait  sans  Irouver  le  reveil  d'Honiere. 

Cependanl  les  idees  avaient  marche ,  la  revolulion 
de  1850  avail  donne  un  nouvel  elan  h  Tesprit 
crilique  el  liberal  qui  s'elait  manifesle  dans  les 
dernieres  annees  de  la  Restauration  ,  el  qui  avail 
mis  lanl  de  choses  en  question  dans  les  arts ,  dans 
les  lettres  ,  dans  les  sciences.  On  peut,  sans  parla- 
ger  les  egaremenls  des  novaleurs,  avouer  ce  que 
leurs  tendances  onl  eu  de  saluiaire,  el  reconnailre  les 
services  qu'elles  oni  rendus.  L'hisloire  ful  la  pre- 
miere h  en  profiler ;  la  science  du  droit,  qui  se  lie 
si  intimement     a  I'histoire,  devail  en  profiler  aussi. 

C'est  alors  que  M.  Troplong  fit  paraitre  son 
premier  ouvrage,  le  coramenlaire  du  Titre  des  pri- 
vileges et  hypotheques ,  qui  fut  presque  aussitol  suivi 
du  Commentaire  de  la  vente  et  de  celui  des  pres- 
criptions. Le  succes  de  ces  livres  fut  immense ,  et 
il  devait  I'elre.  On  n'eiait  pas  habitue  a  celte 
hauteur  de  vue ,  a  celte  profondeur  d'apergus ,  a 
celle  hardiesse  de  crilique ,  a  celte  chaleur  de  style 
qui  repandenl  la  vie  el  I'inleret  dans  toules  les  parlies 
de  I'ouvrage.  On  y  trouvait  reunies  I'histoire ,  la 
philosophic ,  I'oconomie  politique  donl  I'alliance 
elait  aussi  heureuse  que  nouvelle ,  du  moins  de 
nos  jours.  La  science  du  droit,  qui  semblait  s'e- 
leindre  faute  d'air  el  d'espace  dans  les  limiles  trop 
etroiles  ou  on  I'avait  renfermee  ,  revenait  a  la  vie 
et  voyait  s'ouvrir  devant  elle  unc  carriere  donl  la 
richesse  cl  I'elendue  appelaienl   les  explorateurs.  Dc 


—  182  — 

ce  jour,  enfin  ,  dalait  line  impulsion  salulaire  el 
puissanie  donnee  aux  etudes  juridiques;  elje  necrois 
elre  dementi  par  personne  ,  en  disanl  que  c'est  a 
M.  TroploDg  que  revient  I'honneur  d'en  avoir  le 
premier  donne  le  signal  el  I'exemple. 

Depuis  lors ,  avec  une  fecondite  qui  ne  s'est  pas 
dementie  el  loiijours  avec  le  meme  succes,  M. 
Troplong  a  complete  le  commenlaire  de  loute  la 
parlie  du  code  civil  qui  elail  reslee  en  dehors  des 
iravaux  de  M.  Toullier.  Maintenaut  il  resle  sur  le 
terrain  meme  des  ceuvres  de  son  illuslre  devancier, 
et  il  public  le  commenlaire  du  Contrat  de  manage, 
dont  I'examen  clot  la  serie  des  maiieres  iraitees 
par  le  savanl  professeur. 

On  sail  qu'a  la  difference  de  M.  Toullier  ,  qui  a 
donne  a  ses  explications  sur  le  code  civil  la  forme 
d'un  traite  methodique ,  M.  Troplong  a  adopte  la 
forme  assurement  plus  commode  d'un  commenlaire. 
Peut-etre  celle  forme  se  prele-t-elle  moins  que  celle 
d'un  iraile  a  la  deduction  logique  des  idees  et  au 
developpement  syslemalique  des  principes  el  de  leurs 
consequences.  Mais  quel  que  soil  le  merite  relalif  de 
ces  deux  meihodes  ,  entre  les  mains  d'un  bon  ouvrier 
il  n'y  a  poini  d'oulil  mediocre;  et  on  ne  pent  nier 
que  la  forme  du  commenlaire  ,  telle  qu'elle  a  ete 
employee  par  M.  Troplong,  ne  reunisse  aux  avan- 
tages  syntheliques  du  traite  ceux  d'une  melhode  plus 
analylique  dont  le  merite  incontestable  est  de  rap- 
procher  les  explications  des  textes  et  de  forcer 
I'auteur  el  le  lecteur  a  ne  pas  perdre  de  vue 
la  loi  qu'il  est  permis  de  critiquer^  raais  a  laquelle 
doivent     loujours    etre    rapportees     les     solutions. 


—   183  — 

Les  belles  prefaces  qui  servent  d'iiUroducliou  aux 
commenlaires  deM.  Troplong  rcunissent  en  faisceau 
les  idees  generales  de  la  maiiere  qu'il  iraile;  et  il 
a  aussi  I'art  de  grouper  sous  les  principaux  articles 
du  tilre  qu'il  commente  les  principes  dont  plus  lard 
I'application  sort  a  resoudre  les  queslions  particu- 
lieres. 

Les  meriles  qui  distinguent  les  precedents  ouvrages 
de  M.  Troplong  se  renconlrent  au  meme  degre  dans 
son  cominentaire  du  Conlrat  de  manage.  II  en  est 
in6me  qui  liennent  moins  au  talent  de  I'ecrivain 
qu'a  sa  conviction ,  et  que  le  sujel  du  com- 
mentaire  du  Conlrat  de  manage  rend  plus  saillanls. 

M.  Troplong  apparlient  comme  jurisconsulte  a 
I'ecole  spiritualiste  qui  donne  pour  base  au  droit,  non 
seulenienl  rulilite  et  une  morale  abslraite,  mais  la 
morale  t'ondee  sur  la  religion  et  sur  I'idee  de  la  di- 
vinite.  Plus  que  lout  autre,  il  a  proclame  et  defendu 
dans  ses  ouvrages  les  principes  fondamentaux  de  la 
societe.  Or,  quel  conlrat  plus  que  le  conlrat  de 
mariage,  qui  a  pour  but  de  regler  les  interets  civils 
d'une  union  que  la  religion  consacre  dans  lous  les 
cultes,  admel  plus  nalurellement  I'element  spiritualiste 
dans  la  legislation  qui  le  regit?  Quel  conlrat  plus 
que  le  conlrat  de  mariage  ,  qui  est  I'origine  de  la 
famille  et  par  consequent  de  la  societe  humaine  , 
doit  eire  plus  necessairement  conforme  aux  principes 
immuables  sur  lesquels  repose  celte  societe  ? 

Je  ne  veux  pas  savoir  qui  a  dit  (si  jamais  cela 
a  ele  dit)  que  la  loi  doit  elre  alhee.  On  comprend 
que  la  loi  ne  doive  faire  acception  particuliere  d'aucuns 
cultes,  mais  ne  faire  acception  particuliere  d'aucun 
culle ,  c'est  n'en  exclurc  aucun  et  par  consequent 
I.  13 


—  iSli  — 

les  admeiire  tous  avec  la  Qolion  de  Dieu.  El  des 
lors ,  il  est  nalurel  quand  une  loi  est  destinee  a 
regir  une  nation  dont  Timmense  majorite  professe  le 
nierae  culte,  ou  des  culles  qui  ont  la  meine  religion 
pour  origine  commune,  de  rapporter  I'espril  de  cette 
loi  a  la   religion  dominanle, 

Dans  un  livre  qui  date  deji  de  plusieurs  annees, 
M.  Troplong  avail  montre  la  bienfaisante  influence 
du  christianisme  sur  le  droit  civil  des  Romains. 
Dans  son  commenlaire  du  Contrat  de  manage  (1), 
il  montre  I'influence  du  christianisme  sur  le  manage  ; 
el  comment  le  mariage  qui,  sous  I'empire  romain  a 
une  epoque  d'extreme  civilisation ,  avail  perdu  sa 
dignite ,  malgre  les  efforts  des  lois  et  de  la  philo- 
sophie,  I'avait  conserve  au  moyen-age,  dans  un  temps 
d'extreme  barbaric,  sous  Fintluence  de  Taction  re- 
ligieuse.  «  Les  celebres  lois  d'Auguste,  portees  contre 
le  celibal,  ne  purenl,  dil  M.  Troplong,  rendre  au 
mariage  son  lustre  efface.  Ces  lois  tiraienl  leurs  forces 
de  la  politique,  il  aurail  fallu  leur  donner  celles  des 
moeurs  ,  el  le  paganisme  n'etait  pas  assez  puissant 
pour  ceite  regeneration.  Au  moyen-age,  ce  ne  ful 
pas  le  celibal  qui  til  la  guerre  au  mariage ,  ce  ful 
la  pluralite  des  mariages  et  le  concubinage.  Le 
celibal,  revetu  d'un  caraclere  austere,  ne  ful  qu'une 
loi  difficile  imposee  aux  ecclesiasliques  dans  des  vues 
de  perfection ;  il  n'etail  pas  un  elal  hostile  dont  les 
institutions  de  la  famille  eurent  a  s'inquieler  ;  mais 
les  repudiations,  les  divorces  el  le  concubinage,  re- 
pandus  dans  loules  les  classes  de  la  societe  el  encou- 
rages par  les    scandales  des    rois   et  des   grands  , 

(1)  Preface,  p.  3,  3  et  suiv. 


—  185  — 

fnrenl  la  phiie  dc  I'epoqiie  et  la  cause  dii  trouble 
dans  les  unions,  de  la  perUirbation  dans  I'elat  civil 
el  d'une  effroyable  dissolution  dans  les  moeurs. 
L'eglise  lulta ,  elle  s'arma  des  decrels  des  conciles 
el  des  foudres  de  i'excommunicalion.  EUe  agit  par 
la  persuasion  el  par  la  terreur  des  peines.  Le  ma- 
riage  resia  viclorieux.  II  sY'leva  a  la  verilable  bau- 
teur  oil  I'a  place  le  christianisme.  A  la  favcur  de 
ceUe  restauraiion,  il  csl  resle  un  sacremeiii  dans 
I'ordre  spiriluel  el  un  lieu  indissoluble  dans  la  loi. 
C'esl  un  des  grands  services  que  I'Eglise  ail  rendu 
k  la  civilisalion  moderne.  La  France  en  recueille 
aujourd'hui  les  fruits,  et  elle  les  recueille  avec 
reconnaissance  pour  les  pbilosopbes  cbreliens  qui 
de  bonne  heure  onl  depose  dans  son  education  la 
source  de  ccitc  bonne  doctrine. » 

Ce  passage  ,  qu'un  homme  convaincu  aurail  sans 
doule  os6  ecrire ,  il  y  a  quelques  annees ,  mais  que 
peu  de  personnes  peul-etre  auraienl  ose  approuver 
landis  qu'aujourd'hui  il  rencontre  parlout  des  sym- 
pathies, indique  I'espril  general  du  commenlaire 
de  M.  Troplong,  el  j'avoue  que  pour  faire  connailre 
ce  livre,  ou  du  moins  inspirer  le  dcsir  de  le 
connailre ,  j'aime  mieux  m'en  lenir  aux  generaliles 
qui  lui  donneni  une  coulcur  et  lui  servent  en 
quelque  sorle  de  drapeau ,  que  d'enirer  dans  le 
detail  des  questions  particulieres  qui  naissenl  en 
foule  sous  cbacun  des  articles  du  code  et  dans 
I'examen  desquelles  on  reirouve  tonjours  la  nieme 
vigueur  et  la  meme  variele  d'apergus  lors  merae 
qu'on  n'adrael  pas  les  solutions  de  I'auteur.  II  est 
cependanl  un  poini  sur  lequel  je  m'arietcrai 
quelques     instants    non    pour    combaltri'    I'opinioii 


—  180  — 

emise  par  M.  Troplong  ,  hien  qu'ellc  soil  contiaire  li 
celle  que  j'ai  cru  *a  regret  devoir  moi-mcme  adop- 
ter (I);  mais  pour  signaler  une  des  discussions  les 
plus  approfondies  el  les  plus  completes  que  renferraent 
les  livres    de  jurisprudence. 

Une  des  plus  illuslres  viclimes  du  mouvemenl 
revolulionnaire  de  1848,  M.  Rossi,  a  lu  a  ['Academie 
des  sciences  morales  el  poiiliques ,  il  y  a  dix  ou 
uouze  ans,  un  memoire  resle  celebre  renfermanl  les 
observalions  les  plus  curieuses  sur  le  droit  civil 
irangais  considere  dans  ses  rapporls  avec  I'elat  ecouo- 
mique  de  la  sociele,  memoire  dans  lequel  il  de- 
monlre  que  les  auleurs  du  code  civil  n'ont  pas 
loujours  ele  a  la  hauteur  de  leur  tache  lorsqu'ils  se 
sont  irouves  aux  prises  avec  les  principes  des  sciences 
oconomiques  ,  lorsque  les  previsions  dulegislaleur  au- 
raienl  dii  erabrasser  dans  louie  Tclenduc  el  la  variete  de 
ses  rapporls ,  le  double  phenomene  de  la  formation  el 
de  la  dislribuliondela  richesse  nalionale,  lorsque  la  loi 
civile  auraitdu  reflechir  avec  une  scrupuleuse  exacti- 
tude,I'iraoge  mobile  des  fails  economiques  de  la  socie- 
le ;  el  cuire  autres  exemples  de  celle  insuffisance  ,  il 
cite  la  controverse  deja  ancienne  sur  I'applicalion  a  la 
dot  mobiliere  du  principe  d'inalienabilite,  expressement 
admis  par  I'arl.  1554  du  code  civil  pour  la  dot  immobi- 
liere,  el  il  fail  voir  que  si  le  Palais,  qui  adniet  I'inaiiena- 
bilite  de  la  dot  mobiliere  ,  est  en  guerre  sur  ce 
point  avec  I'Ecole  qui  admet  son  alienabiliie ,  celle 
dissidence  vient  de  ce  que  la  doctrine  concenlre  son 
attention    sur    le    lexle  el   les    origines    hisloriques 

(2)   Voyez  inon  Droit  commercial   dans   se$  rapports   avec  le  droit 
des  gens  et  le  droit  civil ,    t.    Ill,    n     370. 


—  187   — 

(k's  levies,  landis  que  los  iribiinaiix  ,  |»lacds  eii  pre- 
sence cles  applicalioiis  el  de  leurs  consequences , 
eprouvenl,  bon  gre  nial  gre,  rinlluence  du  fail  eco- 
Momique  qui  caraclerise  noire  epoque,  c'esl  a  dire, 
racci'oissemenl  de  jour  en  jour  plus  considi  rable  de 
la  richesse  mobiliere.  lis  ne  pcuveiil  concevoir ,  dil 
M.  Rossi,  que  la  garatilie  de  Tinalienabiliie  accordei' 
;i  la  femme  qui  apporie  en  del  une  cabane  el  un 
arpenl  de  bruyeres ,  puisse  CUe  ret'usee  i  celie  qui 
possede  cent  niille  livres  de  renies  en  capilaux 
niobiliei's  (1). 

M.  Tropiong  se  prononce  pour  ralienabilite  de  la 
dol  mobiliere.  Apres  avoir  uionlre  les  inconvenienis 
generaux  el  inconlosiables  de  I'inalienabiliie  de  la 
dol  «  que  Rome  antique  ,  dii-il  ,  ne  commen^a  .'i 
counaiire  que  lorsque  Rome  linissail ;  que  Juslinien  , 
son  fondaleur  ,  crul  lui-meme  necessaire  d'adoucir , 
qui  ne  se  perpeiua  dans  divers  elats  qu'a  la  faveur 
des  sjslemcs  de  gene  polilique  el  civile ,  qui  pese- 
renl  par  lanl  de  coles  sur  la  propriele,  (pie  la  Nor- 
mandie  u'accepla  dans  sa  sage  coutume  qu'en  I'ac- 
commodant  a  cerlaines  faciliies,  que  le  commerce 
lyonnais  re[)oussa  energiquement  alin  de  se  livrer  a 
son  developpement  el  a  son  brillanl  essor ,  qui  ,  en 
Italic,  dans  la  terrc  ciassique  du  droll  romain ,  a 
regu  de  notables  echecs  par  rinlluence  du  droit  canu- 
uique ,  el  a  ele  limilee  ,  modiiiee  ,  assuuplie  par  la 
jurisprudence  pratique  des  iribunaux  ;  w  apres  avoir 
moulre ,  dis-jc  ,  ce  que  c'est  que  rinalienabiliie  de 
la  dot ,   il  en  fail  I'historique  ,  en  droil  romain  ,  et 


(1)  Viiyrz  il'  iiifiiiijirc  ilc  \\.   Rossi,    ihiiis   l:i    liivuc    de  leyiilaltuii, 
I.    li.  1..   :.. 


—   188  — 

conclul  dps  lexies  (ju'il  expliqne  el  (ju'il  rapproclu;, 
que  jamais  en  droit  roraain  rinalienabilile  n'atteignil 
que  ia  dol  immobiliere,   el    que  la  t^rande   majoriie 
des  anciens   comraenlaleurs   n'a   jamais  Irouve  dans 
la  loi  romaine  le  priiicipe  de  rinalienabilile  de  la  dol 
mobiliere.    II   reconnail  que,   dans  Tancieiine  juris- 
prudence  fran^aise,   certains   parlemenls  s'eloignanl 
do    ce    qu'il   regarde   comme    les  saines    tradilions 
du  droil  romain  ,  pencbaienl  vers  ]'inaliena])i!ite  de  la 
dol  mobiliere  ;  mais  il    soulienl  que  le  code  civil , 
qui  avail  devant  lui  les   deux    syslemes ,  a  donne  la 
preference  a  celui  qui  pcrmel  I'alienabilile  des  mcu- 
bles  ,  puisqii'il  n'est  question  que  des  immeublcs  dans 
les  arlicles  relalifs  a  la  prohibition  d'aliener.  !1  combat 
ensuile la  jurisprudence  qui,  selon   son  expression,  a 
ess;ne  do  trailer  le  code  civil  comme  certains  parlemenls 
iraltaienl  la  loi    romaine  ;  et ,  pour  elablir  I'erreur 
dans  iaquelle  seraient  lombees  nos  cours  de  justice , 
il  examine  scparement  les  droits  du  mari  el  ceux  de 
la  femme  sur  la  dol  mobiliere.  Mors  commence  une 
discussion  donl  aucune   analyse  ne   pourrail  rendre 
rhabilet6  et  les  ressources.    Dans  une  longue  serie 
d'hypolhesos,  M.  Troplong  parcourl  loutes  les  situa- 
tions dans  le&quelles  les  epoux  peuvent  se  trouver, 
soil  enire  eux,  £oit  a  I'egard  des  tiers,  cl  pose  enGn 
comme  regie  quo ,  pour  I'un   comme  pour  I'auire , 
la  dol  mobiliere    est  alienable.  Je  n'ai  vu  dans  aucun 
livre  une  dissertation  aussi  complete  el  plus  faile  pour 
servir  de  modele.  Apres  I'avoir  lue  on  peui ,  sans 
doule  ,  6lre  en  dissentiment  avec  I'auleur,  el  les  avis 
peuvent  resler  parlages  sur  la  question.  Mais,  assu- 
remeni,    il    n'y   aura    qu'un   avis    sur    rinlelligente 
erudition  qui  y  est  mise  en  oeuvre  ,   sur  la  nauleur 


—  189  — 

de  vues  avec  laquelle  le  sujel  est  embrasse  el  la  pene- 
tration qui  en  deveioppe  loules  les  parlicularites  el 
lous  les  contours. 

Je  serai  flu  moins  ,  en  un  point ,  de  i'avis  de 
M.  TropioDg.  L'inalienabilile  de  la  dot  est  une  mau- 
vaise  chose  en  cconomie  politique.  Ainsi  qu'il  le  dit 
fori  bien,  le  code  civil  I'a  laissee  deboul  au  milieu  des 
mines  de  la  main-morle,  comme  une  derniere  enlrave 
a  la  liberie. 

Si  done  la  question  devait  se  decider  par  les  prin- 
cipes  economiques  ,  la  regie  de  I'alienabilite  de  la 
dot  inobiliere  ne  souffrirail  aucun  doule.  Mais  elle 
doit  se  decider  par  des  raisons  de  droit,  el  je  crains 
bien  que  sur  ce  point  encore ,  comme  sur  la  plupari 
de  ceux  indiques  parM.  Rossi,  le  code  civil  n'aii 
meconnu  les  donnees  les  plus  simples  de  reconoraie 
politique.  Tanl  de  lois  nouvelles ,  au  surplus,  les 
meconnaissenl  lous  les  jours  qu'on  peul  bien  par- 
donner  aux  auleurs  du  code  civil  de  les  avoir  un 
instant  oubliees. 


—  190 


Lecture  de  ^!.  Forneroii. 


Seance  du  14  Fevrier  1851. 


DE   ISOS   FACULlfiS   L1TT£RAIRKS. 


Le  principe  de  la  pensee  humaine  est  un,  quelque 
nom  qu'on  lui  donne ;  ame,  moi ,  entendement, 
conscience,  talent,  genie.  Comme  ce  principe  semble 
differer  de  lui-meme,  et  en  differe  en  effet,  dans 
I'exercice  de  son  aclivite ,  on  lui  a  attribue  des  facul- 
tes  diverses,  on  a  range  ses  operations  sous  des  titres 
nombreux  qui  ont  presente  la  pensee  comme  mul- 
tiple, qui  I'ont  faite  materielle  et  divisible,  aux  yeux 
de  ceux  qui  s'etudient  moins  eux-memes  que  le  milieu 
ou  ils  sont  places.  Mais  la  pensee  est  une  dans  I'indi- 
vidu,  une,  de  la  naissance  a  la  mort,  au  milieu  des 
fluctuations  de  la  volonte,  une  encore  au-dela. 

Ou  ne  saurait  rappeler  avec  trop  de  soin  cette  unite 
intime,  ce  caractere  inalienable  et  indestructible  de 
la  pensee,  lorsqu'on  veut  se  rendre  compte  d'une 
oeuvre  complexe,  a  laquelle  plusieurs  facultes  concou- 
rent,  de  I'ceuvre  litteraire,  par  exemple. 

Oui,  la  pensee  fonctionne  tout  entiere  dans  une 
production  litteraire;  toutes  les  facultes  entrent  en  jeu 
pour  la  mettre  en  lumiere:  trois  d'entre  elles  pourtant 
semblent  y  prendre  plus  de  part;  le  genie  litteraire 
parait  avoir  trois  manifestations  principales  et  s'ofTrir  a 
1  appreciation  sous  trois  phases  diverses:  la  sensibi- 
Ute  .  i'imagination,  la  raison. 


—  491   - 

Par  la  sensibilite,  nous  recevons  et  fixons  en  nous  les 
impressions  des  sens,  les  donnees  de  I'experience,  les 
notions  des  choses.  Par  la  sensibilite,  le  monde  exte- 
rieur  et  le  monde  des  idees  se  reflechissent  en  nous 
comme  en  un  miroir  fldele ;  par  elle ,  semblable  a  la 
barpe  qui  resonne  au  souflo  des  vents,  lame  se  met  en 
harmonie  avec  I'univers  au  milieu  duquel  elle  vit. 

Les  elements  fournis  par  la  sensibilite,  riniagination 
s'en  empare,  les  fagonne  et  les  dispose  a  son  gre;  elle 
les  combine  a  I'aide  de  rapports  nouveaux  qu'elle 
pergoit  entre  eux  et  d'apres  les  vues  qui  lui  sont  pro- 
pres;  habile  architecte  dont  le  compas  aspire  a  embras- 
ser  I'iufini,  fee  puissante  dont  la  nature  materielle 
ecoute  la  voix,  genie  irresistible  dont  la  nature  morale 
suit  le  comraandement. 

» 

Mais,  abandonnees  a  elles-meraes,  la  sensibilite  et 
I'imagination  ,  dans  raccomplissement  de  iauvre  lit[e- 
raire,  ou  s'epaucheraient  outre  mesure,  ou  se  laisse- 
raient  emporter  a  la  fougue  de  I'inspi ration;  elles 
depasseraient  le  but ,  le  deplaceraient  incessamment 
ou  le  perdraient  de  vue:  il  faut  que  la  raison  les 
dirige;  la  raison,  c'est  a  dire,  le  discernement,  la 
juste  appreciation  des  choses,  la  lumiere  qui  eclaire 
tout  homme  a  sa  naissance  et  lui  revele  en  toute 
carriere  le  droit  chemin, 

11  n'est  pas  un  talent  de  quelque  distinction,  pas 
un  ecrivain  de  quelque  merite  qui  ne  se  recommande 
sous  un  de  ces  trois  points  de  vue  ;  heureux  ceux  dont 
les  ouvrages  sont  eclaires  a  un  certain  degre  d'inten- 
site  par  ces  trois  foyers  de  lumiere  a  la  fois;  c'est, 
selon  nous,  le  privilege  irrecusable  du  genie.  Que  les 
trois  facultes,  en  efTet,  convergent  dans  leurs  efforts, 
qu'elles  s'associent  harmonieusement  et  fondent  leur 
concours  mutuel  dans  une  action  unique :  alors  les 
grands  ouvrages  paraissent,  les  monuments  immortels 
s'elevent,  et  les  liautes  renommees  s'etablissent. 


—  192  — 

Le  temps  et  les  mceurs  sont  (Strangers  a  la  question. 
Le  grand  poete  de  I'antiquite,  Homere,  n'est  qu'une 
individualite  puissante  par  la  sensibilite,  par  Tiraagi- 
nation  et  par  la  raison ,  comme  Bossuet  ou  Corneille, 
dans  les  temps  modernes,  sans  aucune  difference  au 
fond  ,  tant  il  est  vrai  que  I'esprit  et  le  cceur  de  I'hom- 
me  sont  toujours  et  partout  les  memes;  qu'ils  restent 
tels  qu'ils  ont  ete  fails  a  I'origine,  en  depit  de  toute 
pretention  contraire. 

11  n'y  a  pas  non  plus  a  se  preoccuper  de  la  nature 
des  sujets.  Corame  auteur,  Homere  ne  presente  pas 
d'autres  elements  intellectuels  ou  moraux  que  La 
Fontaine,  par  exemple.  Dans  le  poete  epique  ancien, 
ainsi  que  dans  le  fabuliste  moderne,  on  trouve  a  des 
degres  differents  peut-6tre,  nos  trois  facultes  primor- 
diales  :  sensibilite,  imagination,  raison. 

On  pent  s'etonner  de  voir  La  Fontaine  figurer  ici 
sur  la  meme  ligne  qu'Homcre:  et  pourtant,  que  par 
la  pensee  on  separe  d'Homere,  s'il  est  possible,  ce  qui 
n'est  pas  lui,  c'est  a  dire  ,  le  prestige  de  Fantiquite,  la 
veneration  des  siecles,  ces  combats  de  geants  et  de 
dieux  et  le  charrae  de  la  langue  la  plus  melodieuse 
qui  fut  jamais-,  que  Ton  prenne  le  genie  seul  a  seul, 
tandis  qu'il  peint  les  evenements,  les  moeurs,  les  pas- 
sions et  les  caracteres  d'un  age  presque  fabuleux ; 
cree-l  il  plus,  tire-t-il  plus  de  lui-meme  que  linterprete 
charmant  et  profond  qui  met  les  animaux  en  scene  , 
pour  nous  exposer,  dans  une  piquante  ironie,  nos 
travers  et  nos  vices?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Le 
theatre  est  un  grenier  et  non  les  champs  de  Troie ;  il 
s'agit  du  peuple  souriquois  el  de  la  gent  trotte-menu, 
et  non  des  formidables  Dolopes:  qu'importe  ,  si  lefTet 
litteraire  est  aussi  siirement  produit,  si  le  plaisir 
intellectuel  a  gouter  des  deux  parts  est  egalP  11  y 
aurait  meine  a  dire,  en  faveur  de  La  Fontaine,  que 
li.'iral   (il!    la   vie   cninmune  et  des  manirs  vulgaires 


—   193  — 

est  plus  (liflicile  a  concevoir  et  a  reaiiser  que  I'ideal 
de  la  vie  et  des  mceurs  heroiques : 

Diflicile  est  proprie  communia  dicere. 
Uevenons  a  notre  sujct.  les  grands  ecrivains  font 
tonjours  preuve  de  nos  trois  facultes  princlpales,  pour 
peu  que  le  comporte  I'ordi-e  d'idees  qu'ils  Iraitent,  et 
il  n'y  a  de  premier  rang  dans  aucuu  genre  pour  qui- 
conque  offrirait  une  lacune  a  cet  egard.  La  malveil- 
lance  qui  s'est  attachee  a  Racine,  pendant  sa  vie,  le 
poursuivait  encore  dans  ces  derniers  temps,  a  un 
siecle  et  demi  de  distance.  On  consentait  a  I'appeler 
I'elegant,  le  tendre  Racine^  on  lui  octroyait  done  la 
sensibiiite  et  quelque  usage  de  la  raison  dans  la  dis- 
tribution de  sesmateriaux,  dans  le  cadre  de  ses  pieces; 
on  en  faisait  volontiers  lui  versificateur  babile ,  mais 
on  lui  refusait  I'imagination,  ct  partant  le  titre  de 
poete . 

Observons  k  cette  occasion  que  le  role  de  imagi- 
nation dans  la  litterature  et  les  arts  n'est  pas  tel  que 
plusieurs  se  le  reprcsentent.  L'homme  doue  d'imagi- 
nation  voit  au  fond  des  evenements  et  au  fond  des 
coeurs  plus  vite  ,  plus  loin  et  plus  clair  que  le  vulgaire 
des  hommes.  Son  regard  penetrant  saisit  entre  les 
objets  dans  toute  la  nature  des  rapports  qui  Ochappent 
au  plus  grand  nombre  et  qui,  produits  au  jour,  oflrent 
comme  un  caractere  d'inspiration  et  de  revelation. 
L'iniagination  procede  en  quelque  £orte  par  decouver- 
tes,  mais  elle  ne  cree  pas,  elle  ne  cree  rieu.  A  qui  doit 
s'attribucr  le  mot  creer?  a  Dieu  scul.  De  quelle  puis- 
sance peut-il  se  dire  ?  de  la  puissance  divine,  et  d'au- 
cune  autre. 

D'apres  ces  principes,  nous  n'oterons  rien  h  la  gloire 
de  Racine :  s'il  a  lu  dans  Tame  des  tyrans  de  Rome, 
comme  Tacite  ;  s'il  a  decrit  avec  une  verite  saisis- 
sante  les  angoisses  d'un  coeur  quiine  passion  crimi- 
nelle  et  le  remords  dcvorent  a    I'envi ;  s'il   a   sonde 


-   194  — 

I'abinie  mysterieux  dc  la  tendresse  maternelle ;  si, 
alliant  I'art  profane  a  la  terreur  religieuse ,  il  a  re- 
nouvele  les  solenaelles  impressions  de  la  tragedie  anti- 
que ;  lisons ,  relisons  ses  cliefs-d'cEuvre  qui  sont  pleins 
de  sensibllite ,  d'imagination ,  de  raison  et  marques 
a  jamais  du  sceau  du  genie.  Une  ou  deux  facultes,  a 
defaut  des  Irois  reunies  suflisent,  comme  il  a  etc  dit 
plus  haul,  pour  atlachei-  de  precieux  avantages  a  une 
production  de  I'esprit.  Pour  en  citer  un  ou  deux  exem- 
ple :  une  exquise  sensibilite  et  quelque  imagination 
ont  presque  fait  classer  M^^  de  Sevigne  au  nombre 
des  grands  modeles. 

LaHenriade,  composition  depourvue  de  sensibilite 
et  d'amour  de  la  nature,  car  elle  n'offre  pas  meme 
d'herbe  pour  les  chevaux,  ainsi  qu'on  I'a  dit  plaisam- 
raent ;  la  Henriade,  depourvue  d'invention  ou  d'ima- 
gination, n'est  pas  moins  un  poeme  que  la  raison  et 
le  gout  font  estimer.  Voyez  les  romans;  c'est  la  patu- 
re  que  livre  a  la  sensibilite  exaltee  el  avide  d'emotion, 
I'imagination  repoussant  tout  controle  de  la  part  de  la 
raison  et  justifiant  le  titre  de  foUe  du  logis,  qu  un 
philosophe  lui  donnait.  Pourtant,  quand  la  raison  re- 
prend  le  dessus  et  s'associe  la  sensibilite  qu'elle  dirige, 
il  peut  naitre,  nieme  dans  ce  genre  de  composition, 
des  ouvrages  dun  interet  infini,  ou  Tbistoire  semble 
emprunter  a  la  poesie  ses  pinccaux  pour  peiudre  des 
caracteres  et  des  moeurs  qui  touchent  a  I'ideal,  sans 
s'eloigner  beaucoup  de  la  verite. 

On  n'isole  pas  les  trois  facultes ,  on  ne  les  preud 
pas  une  a  une  impunement.  Quand  on  le  fait,  on 
retrouve  diffloilement  la  marque  d'une  superiorite 
inconteitee ;  si  on  les  reuuit,  au  contraire,  des  noms 
immortels  se  presentent  aussilot  dans  tons  les  genres. 
On  trouve  dans  les  sciences,  Pascal;  dans  la  philo- 
sophic,  Descartes;  dans  les  sciences  morales  et  poli- 
tiques  ,    pour   parh-r  le    iangage   du  jour,   Fenelon  ; 


—  195  — 

dans  leloqueiice  sacree ,  Bossuet ;  dans  Ihistoire , 
encore  Bossuet;  dans  la  poesie,  depuis  la  tragedie 
jusqu'a  I'apologue,  et  a  la  critique,  Corneille  et 
Racine,  Moliere,  La  Fontaine  et  Boileau,  c'est  a  dire 
les  gloires  les  plus  hautes  et  les  plus  pures  de  notre 
litterature. 

11  se  trouve  que  tous  ces  noras  sont  empruntes  k 
une  seule  periode  litteraire:  est-ce  predilection  ou 
necessite?  II  serait  bien  difficile  de  faire  un  choix 
semblable ,  hors  de  cette  periode  meme.  Chaque 
Steele  a  son  partage  dans  les  dons  intellectuels ;  celui 
du  xvu'',  en  France,  est  un  des  plus  beaux  qui  ait  etc 
jamais  confere  d'en  haut  a  un  peuple.  La  reunion 
des  trois  facultes  a  un  degre  eminent  s'est  pre- 
sentee souvent  alors:  combien  citerait-on  d'exem- 
ples  pareilSj  au  siecle  suivant?  Le  scepticisme  qui 
n'a  jamais  produit  les  grandes  choses  domine  bien- 
tot  les  esprits;  on  abandonne  les  principes  et  la 
nature  morale,  pour  les  fails  et  la  nature  physi- 
que ;  on  parait  vouloir  se  renfermer  dans  la  car- 
riere  finie  des  sens.  La  raison  se  montre  puissante 
assurement  dans  le  domaine  des  sciences;  partout 
ailleurs,  a  deux  ou  trois  exceptions  pres,  la  sensibi- 
lite  s'amollit,  I'imagination    s'egare. 

On  a  continue  depuis  a  descendre  la  pente ,  sans 
trop  d'espoir  de  s'arreter  a  temps  ou  de  la  re- 
monter.  La  raison  toujours,  avec  son  lot  des 
sciences,  a  etendu  ses  limit^s  et  assure  son  empi- 
re ;  mais  qui  oserait  dire  que  la  sensibilite  ne  s'est 
pas  enervee  sous  le  coup  d'une  surexcitation  conti- 
nuelle,  et  que  les  habitudes  de  I'imagination  n'ont 
pas  tourne   a  la    debauche? 

A  quelles  casues  rattacher  le  developpement  et  la 
combinaison  des  trois  facultes  que  nous  appelons 
lilteraires  par  excellence  ?  Nul  ne  saurait  le  dire  avec 
assurance,  peul-etre.    Les  ecrivains  des   grandes  opo- 


—  196  — 

ques  de  Pericles,  d'Auguste,  de  Leon  X  et  do 
Louis  XIV  avaient  recu  du  Ciel  I'inflxience  secrete. 
Au  reste,  les  circoustances  particulieres  qui  les  ont 
vusnaitre,  grandir  et  fleurir,  furent  esseutiellement 
differentes. 

Les  productions  du  genie  ,  la  fecondite  des  nations 
dans  I'ordre  intellectuel  dependraient-olles,  comm3 
les  productions  des  champs  et  la  fecondite  de  la  terre^ 
des  desseins  de  celui  qui,  reglant  les  annees  de  disette 
et  d'abondance,  reglerait  de  meme  a  son  gre  les 
epoques  steriles  ou  riches  en  talents  superieurs?  Le 
mouveraent  general  des  litteratures  porte  a  le  croire. 

Dans  la  duree  historique,  les  hommes  de  genie^ 
s'appelant  de  loin  et  se  conviant  les  uns  les  autres, 
semblent  se  grouper  autour  d'une  epoque,  puis  dis- 
paraitre  bient6t  et  ue  laisser  pendant  longtenips 
apres  eux  que  le  bruit  de  leur  renommee.  A  de 
longs  intervalles ,  on  dirait  que  Tesprit  humain  s'en- 
loure  d'une  aureole  et  resplendit  un  instant;  puis 
qu'il  depouille  ses  rayons  de  gloire  et  reprend  sa 
lumiere  habituelle.  Ce  phenomene  moral  est  bien 
propre  a  exciter  I'admiration ,  le  ravissement  des 
generations  con(eniporaines,  et  pourtant  on  ne  voit 
pas  qu'elles  en  apprecient  toujours  dignement  la 
beaute.  Les  ages  suivants  y  sont  plus  sensibles , 
parce  que  le  demi-jour  qui  se  fait  autour  d'eux  ne 
pent  la  satisfaire.  La  critique  alors  entreprend  sa 
tache ,  elle  s'efforce  de  remonter  de  TefTet  aux 
causes,  pour  cela  elle  etudie  les  croyauces,  les 
mffiurs,  les  institutions,  les  climats,  toute  linfluence 
grave ,  toute  revolution  qui  passe  sur  les  idees  et 
en  modifie  le  cours.  Des  ouvrages  importants  sont 
produits ,  lesquels  honorent  egalement  I'erudifion 
et  le  bon  goiit  de  leurs  auteurs.  On  arrive  ainsi  a 
une  foule  de  solutions  parlielles  et  diverses  qui 
n'equivalent  nullement  a  one  solution  generale  et 
definitive. 


—  197  — 

Comme  dernier  mot,  la  critique  reconnait  en  cette 
matiere,  ainsi  qu'en  beaucoup  d'autres,  que  la  loi 
pro\identielle  s'accomplit  sur  le  monde ,  mals  qu'il 
ne  nous  est  pas  donne  d'en  comprendre  Taction, 
quand  bon  nous  semble,  et  de  nous  en  rendre  en 
toute  occasion  les  interpretes. 


I 


LETTRES. 

RAPPORT 

SUR   UN    OUVRAGE    DE   M.    TH.    LORIN  ,    INTITULfi  : 

Essai  sur  quelques  Proverbes  contesles  et  contestahles ;   i 

Par  M.  PIERRET. 

Seance   du  24  Janvier  1851 

Nous  avoDs  toujours  cru  que  les  proverbes  soul  la 
sagesse  des  nations,  que  ces  sentences  passant  de 
bouche  en  bouche  ci  travers  les  siecles  ,  n'arrivent 
jusqu'i  nous  que  comme  I'expression  de  la  verite. 
Nous  avons  toujours  ele  persuades  que  ces  propositions 
simples  ,  courtes ,  precises,  souvent  originalcs,  sont 
comme  autant  d'axiomes  inconteslables  ou  les  verites 
les  plus  haules  sont  presentees  a  notre  intelligence, 
ou  les  observations  les  plus  flnes,  les  plus  judicieuses 
sont  offertes  a  notre  esprit.  Nous  avons  toujours  cru  , 
en  un  mot,  que  les  proverbes  epures  par  le  temps, 
par  le  gout  des  peuples  differents  chez  lesquels  on 
les  retrouve ,  pouvaient  etre  accueillis  comme  une 
sorte  de  compendium  philosophique ,  sans  qu'il  fut 
besoin  de  les  faire  passer  par  le  creusel  d'une  cri- 
tique severe.  M.  Theodore  Lorin  ,  dans  une  brochure 
iiititulee  :   Essai  sur   quelques  proverbes   contestes   et 


—  199  — 

fonlestahles ,  brochure  renvoyee  a  mon  examen,  vieiil 
nous  delroniper.  II  passe  en  revue  sinon  lous  les 
provcrbes  ,  le  travail  cut  ete  long ,  au  moins  quel- 
ques  uns  d'cnlre  eux ,  et  il  leur  demande  impiloya- 
blemcnt  leur  cerlifical  de  verile. 

II  examine  leur  origine  et  rejelte  ceux  donl  la  source 
ne  lui  parait  pas  assez  noble.  Ce  n'est  qu'en  passant 
qu'il  parle  de  ceux  de  nos  diclons  populaires  qui  ne 
doivent  leur  origine  qu'a  de  fades  quolibets,  de  froids 
jeux  de  mots.  II  en  cite  quelques  exemples.  Le  mo- 
nogramme  MB  peul  indifferemment  representer  les 
mots  Mulier  bona  ,  Mula  bona  et  Mala  bestia.  II  n'en 
a  pas  fallu  davanlage  pour  donner  naissance  au  pro- 
verbe  aussi  injusle  que  peu  courtois  :  Une  bonne 
femme  et  une  bonne  mule  sont  deax  mechantes  betes. 
xvutre  exemple  :  «  Owen ,  pour  cxprimcr  que  toules 
veriles  no  sont  pas  bonnes  a  dire  ,  qu'il  faul  plutOt 
chercher  a  plaire,  et  qu'une  irop  grande  sincerite 
est  un  mauvais  moycn  de  sc  faire  bien  venir  dans 
le  monde,  dil  que  Vcrone  n'est  pas  le  chemin  le  plus 
sur  pour  alier  a  Benevent,  el  que,  pour  y  parvenir , 
il  vaut  mieux  prendre  celui  de  Plaisance, 

Verona  Benevenlanam  raro  itur  in   iirbein 
Esto  Placentinus ,  tu  Benevcntus  oris.   » 

Je  le  demande ,  des  facelies  aussi  pucriles ,  et  nos 
anciens  proverbes  sont  souvont  enlaches  de  cc  mau- 
vais gout ,  meritont-elles  d'etre  nommees  la  sagesse 
des  nations? 

J'admels  avec  M.  Lorin  (jue    quel([ues  proverbes 

sont  inexacls,  dans  le  temps  ou  nous  somnies,  par 

suite  de  decouverles  recentcs,  parce  qu'ils  s'accordent 

peu  avec  le  tenioignoge  de  tel   ou  tel  auicur  ;  et  , 

1.  Ml 


I 


—  200  — 

cependant ,  malgre  ce  manque  de  verite  qu'on  leur 
Irouve ,  on  pent  dire  que  toujours  ils  seront  admis. 
On  pent  les  comparer  a  certaines  monnaies  usees  par 
le  temps  donl  la  valeur  egale  ,  cependanl ,  celles  qui 
ont  encore  toute  leur  fraicheur ,  lout  leur  eclat. 
L'enletement  de  la  mule  restera  proverbial,  quoique 
selon  Lady  Blessinglon,  ce  reproche  soil  calomnieux. 
Nos  horliculteurs  ont  decouvert  un  rosier  sans  epines. 
On  n'en  citera  pas  moins  a  I'avenir ,  comme  par  le 
passe,  ce  proverbe  qui  ne  manque  pas  d'une  certaine 
grace ,  et  Ton  dira  toujours  qu'il  n'y  a  pas  de  roses 
sans  epines.  Depuis  longtemps  le  chant  du  cygne  est 
relegue  parmi  les  fables,  celle  expression  se  conser- 
vera  cependant ,  et  si  Ton  veut  peindre  les  derniers 
accents  d'un  poete  ,  ils  resonneront  toujours  a  nos 
oreilles  comme  le  chant  du  cygne. 

C  elait  autrefois  un  prejuge  assez  repandu  que  le 
poil  ou  le  sang  d'un  chien  dont  on  avait  ete  mordu, 
applique  sur  la  blessure,  la  guerissait  radicalement.  Les 
docteurs  n'onl  jamais  admis  la  verite  de  ce  proverbe. 
Les  buveurs  en  ont  fait  une  application  metaphorique 
et  ont  prelendu  que  I'ivresse  se  dissipe  en  buvant  de 
nouveau  ;  I'homoeopalhie  n'est  pas  nee  d'hier.  L'ecole 
de  Salerne  a  meme  voulu  elre  de  leur  avis. 

Si  nocturna  tibi  noceat  polatio  vini 
Matutina  hora  rebibas,  et  erit  medicina. 

On  doit  considerer  ces  vers  plutot  comme  une  plai- 
sanlerie  que  comme  un  precepte  serieux.  Cependant 
les  anciens  regardaient  deja  le  vin  comme  I'antidote 
de  celui  qu'ils  avaient  bu. 

M.  Theodore  Lorin  examine  les  proverbes  qui  ont 
pour  objet  les  peuples  ,  les  provinces ,    et   il  lui  est 


—  '201   - 

(iiflicile  d'atlmcltrc   quelqucs   uns  d'enir'  eux  comme 
I'expression  do  la  sagesse  des  nations.  Croira-t-on  que 
la  verile  paric  par  leiir  voix  dans  des  proverbes  comme 
celui-ci  :  qualre-vingt-dix-neuf  moulons  et  un  cham- 
penois  font  cent  betes  ?  esl-ce  de  I'impartialite  que 
do  Jeter  cette  injure  a   une   province  qui  a  produit 
Colbert,  Mignard,  Girardon,  Mabillon,  La  Fontaine  et 
tant  d'aulres;    el   la  bonhomie  et  la  simplicite  qui 
constituent  le  caraclere  champenois  ,  seront-ils  tou- 
jours  synonymes  de  sotiise  ?  Ne  faut-il  pas  faire  re- 
monter  I'origine  de  i)areils  adages  a  la  rivalite,  a  la 
jalousie  qui  existaient  autrefois  entre  des  provinces 
voisines  ,   et  que   des  rapports  plus  frequents^   des 
relations  plus  suivies  doivent  completement  faire  dis- 
parailre? 

Sonl-ils  done  plus  admissibles  les  proverbes  qui 
courent  sur  les  medecins  ?  Malgre  la  malignilc  de  nos 
peres  qui  ont  lance  force  sarcasmes  centre  une  pro- 
fession si  utile,  si  honorable,  toujours  nous  croirons, 
comme  Labruyere,  que  tant  que  les  honimes  pourront 
mourir  et  qu'ils  aimeront  a  vivre,  les  medecins  seronl 
railles  et  bien  payes. 

Bien  des  proverbes  se  contredisent.  Qui  nc  risque 
ricn  n'a  rien  est  un  dicton  qui  n'empeche  pas  celui-ci : 
Qui  s'avenlure  perd  cheval  et  mule. 

II  vaut  mieux  manger  le  pain  des  autres  que  le  sien 
est  une  maximegeneralemenl  adoptee.  Le  Dante  dit 
cependant,  et  avec  plus  de  verite  selon  nous,  «  Tu 
eprouveras  combien  le  pain  d'aulrui  est  amer  et  com- 
bien  est  dur  a  monter  et  a  descendre  le  degre  de 
I'escalier  d'aulrui.  » 

Tii  provcrai  si  como  a  di  sale 

II  pane  altrui,  e  come  c  dure  calle 

Lo  scander  e  il  salir  d'altrui  scale. 


—  202  — 

Mainlcnanl,  doil-on  admelire ,  dans  loule  leur 
generalile,  des  proverbes  coinme  ceux-ci :  les  absents 
ont  lorl,  loin  des  yeux,  loin  du  coeur?  Ne  serail-ce 
pas  delriiire  loule  amilie?  Devra-l-on  dire  comme 
Marie-Tberese,  je  ne  sais  comnacnl  cela  se  fait, 
raais  les  absents  me  passenl  de  Tame  ?  Si  I'absence 
de  ceux  qui  nous  sent  cbers  suffisait  pour  effacer 
le  souvenir  de  la  douce  amilie  de  Tame  ,  bientot 
il  n'y  aurail  plus  dans  les  coeurs  que  le  froid 
egoism  e. 

La  distance  des  lieux  pcut  affaiblir  peul-etre  le 
sentiment  de  I'amilic,  mais  elle  ne  le  delruit  pas 
toujours. 

Est-il  done  toujours  conforme  a  la  verite  ce 
proverbe  que   nous   oirrent  ces   vers  d'Ovide  : 

Donee  eris   felix    mullos   numerabis   amicos 
Tempera  si  fuerunt  mibila,  Solus   eris. 

Pensee  qui  se  trouve  deja  dans  les  proverbes  de 
Salomon  :  une  dent  qui  se  brise  ,  un  pied  qui 
chancelle  ,  voila  I'ami  au  jour  de  la  delresse.  N'y 
a-l-il  plus  d'amis  des  que  le  malhcur  se  fait  sen- 
tir,  el  les  verilables  amities  ne  sonl-elles  pas  eler- 
nelles? 

Quant  au  proverbe  :  les  loups  ne  se  mangent  pas^ 
M.  Lorin  nous  affirme  qu'il  n'esl  rien  moins  que 
vrai ,  puisque,  d'apres  Buffon,  les  loups  s'enlre-de~ 
vorenl ;  el  lorsqu'un  des  leurs  est  grievement  blesse, 
ils  le  suivent  an  sang  el  s'atlroupent  pour  I'ache- 
ver.  El  selon  noire  celobre  naiuralisle,  il  n'y  a 
que  le  loup  qui  mange  volontiers  du  loup. 

Osera-l-on  dire  maintenant  :  Heureux  comme  un 
roi  ?  M.   Lorin,    dans  une  jolie   fable,  retourne   ce 


—  20S  — 

proverbe  el  nous  affirme  qii'il  faut  dire  desormais  : 
Malheureux  comme  un  roi.  Les  revolulins  nous  ont 
appris  a  elre  de   son  avis. 

La  voix  du  peuple  esl-elle  loujours  la  voix  de 
Dieu  ?  La  verite  de  cet  axiome  n'a-t  elle  pas  ete 
bien  des  fois  contesiee,  hien  des  fois  dementie, 
et  sans  remplacer  cet  adage  par  cet  autre  pro- 
verbe :  Vox  populi,  vox  stuUonim  ,  ne  peut-oii  pas 
elre  de  I'avis  de    La  Fontaine  et  dire  comme  !ui  : 

Le  peuplfl  est  recusable  ; 
En   quel  sens  done   est  veritable 
Ce  que  j'ai  lu  dans  certain    lieu 
Que  sa  voix   est  la    voix  de  Dieu  ? 

Je  ferai  remarquer  en  passant  que  ces  paroles  : 
vox  populi,  vox  Dei,  ne  se  irouvent  pas  dans  la 
sainte  Ecriture  comme  I'.iflirme  I'auteur. 

Horace,  pas  plus  que  M.  Lorin,  n'admet  I'infail- 
libilite  du  peuple,  «  qui,  sol  esclave  de  la  renom- 
mee,  prodigue  sou  vent  les  lionneurs  a  ceux  qui  en 
sont   indignes.  » 

Popul'i,    qui   stullus  honores 

S(C[ie  dat  indiguis  et  famte  servit  ineptus. 

II  n'est  rien  de  plus  sot,  disait  Ciceron,  que  d'at- 
lacher  quclque  prix  au  jugemcnt  d'une  ass<^mblee 
donl  on  nieprise  cbaque  individu  pris  iso!6ment.  On 
ne  doit  done  pas  considerer  sans  restriction  comme 
la  voix  de  Dieu  ,  la  voix  du  vulgaire  qui  so  laisse 
entraiiier  le  plus  souvenl  par  do  rnauvais  conseils, 
de  perfides  suggestions,  ou  par  les  clameurs  fou- 
gueuses  d'oraleurs  egoistes  et  intrigants,  brisc  le  len- 
demain  I'idole  qu'il  cncensait  la  veilie,  el  se  pre- 
cipile  dans  les  demarches  les  plus  dangereuscs> 
quelquefois  meiiic    les   plus  ciitiiiucllcs. 


—  204  — 

De  I'exaDien  de  ces  proverbes,  M.  Lorin  conclut 
que  le  nom  de  sagesse  des  nations  qui  leur  est 
donne  n'est  rien  moins  qu'cxacl ,  qu'en  rendanl 
justice  aux  observations  fines  el  judicieuses  que 
les  proverbes  ren ferment  le  plus  souveiit,  11  ne  faut 
pas  cependant  les  adraettre  tous  sans  examen  et 
sans  restriction,  et  qu'enfin,  comme  le  dit  plaisani- 
ment  Montaigne  :  «  La  v6rite  est  un  pot  a  deux 
anses,  qu'on  peut  saisir  a  gauche    ou  a  dextre.   » 

J'ai  lu  avec  inleret  ces  trenle  pages  ;  j'y  ai  re- 
connu  un  esprit  observateur ,  un  jugement  solide 
qui  Yoit  promptement  le  vrai  el  le  faux  de  chaque 
chose.  L'analyse  de  cette  brochure  a  pu  vous  prou-  ^ 
ver  que  M.  Lorin  est  un  auleur  serieux,  nourri  de  ~ 
la  lecture  de  nos  vieux  moralistes  fran^ais.  Je 
le  crois  done  digne  de  vos  suffrages  ,  comme 
membre  correspondant  de  la  Compagnie.  D'ailleurs, 
un  de  nos  collegues  doit  vous  presenter  pour  son 
admission  un  litre  plus  serieux  encore ,  en  vous 
parlant  de  ses  fables  dont  la  morale  est  si  vraie, 
ia  lecture  si  atlachante,  la  versification  si  facile. 


I 


—  205  — 
RAPPORT 

A   L'ACADfiMIE   DE    REIMS 

Sur  le  Congres  des  Delegu^s  des  Societes  savantes 
de  France,  tenu  au  Luxembourg  le  20  f^vrier  485i 
el  jours  suivants  ; 

Far  M.   de  MZIiXiST  , 

Membre  de   I'lnstitul    des   Provinces   de  France  ,    el  de    rAcadeniie 

do  Reims. 


Messieurs , 

Le  Congres  des  Delegues  des  Socieles  savanles  vieiil 
de  se  terminer  apres  une  session  deneuf  jours,  qui 
a  ele  parfailement  remplie  ,  et  pendant  laquelle  on 
a  pu  a  peine  epuiser  et  passer  en  revue  toutes  les 
questions  qui  avaient  ele  soumises  a  ce  parlement 
des  forces  scientifiques  cl  artisliqucs  de  nos  provin- 
ces. Cent  cinquante  delegues  environ  y  ont  repre- 
senle  soixante-cinq  Academies  ou  corps  savants.  Les 
differentes  seances  ont  ele  successivement  presidees 
par  les  Iiommes  les  plus  cminenis  ,  parmi  lesquels 
je  nommerai  M.  Dumas  ,  I'ancien  minislre  des  travaux 
publics  ;  M.  lo  comte  de  Monlalembert ,  et  enfin  , 
pour  la  seance  de  cloture ,  M^"'  le  cardinal  arcbeve- 
que  de  Reims ,  que  tous  ont  vu  avec  bonbeur  appele 
a  occuper    un    faulouil    sur  lequel   il   jettait  tanl  do 


—  206  — 

relief.  I.a  premiere  seance  a  etc  presidee  par  rilluslre 
M.  de  Caiimonl ,  ::  qui  la  pr6sidencc  appartenail  de 
droit  comma  Directeur  de  rinsiitnl  des  provinces  de 
France  ,  sous  les  auspices  duquel  se  (enail  le  Congres. 

Le  but  du  Congres  elail  de  rallier  enlre  eux  d'une 
raaniere  uniforme  les  travaux  des  Societes  savanles 
du  pays,  en  indiquant  a  cel!es-ci  les  questions  dont 
I'imporiance  appelait  plus  parliculieremenl  leur  al- 
lenlion,  ct  en  leur  signalanl  les  regies  pratiques  qui 
pouvaient  donner  a  leurs  efTorls  une  morche  plus 
symetrique  et  plus  concordanle.  Plusieurs  Commis- 
sions ,  formees  de  membres  s'elanl  reunis  sous  un 
meme  chef  d'etudcs  ,  preparnicnt  dans  des  reunions 
particulieres  les  malieres  qui  devaienl  revenir  a  la 
discussion  dans  les  seances  publiques.  Les  Presi- 
dents et  les  Commissions  avaient  ete  nommes  par  le 
Direcleur  de  I'lnslitut  des  provinces.  J'ai  eu  Thon- 
neur  de  presidcr  la  Commission  d'archeologie ;  los 
au'res  Commissions  se  sont  reparlics  enlre  I'agricul- 
lure,  les  sciences  nalurelles  et  la  lUteralure. 

Je  n'enU'crai  point  ici  dans  le  detail  des  ques- 
tions aussi  nombreuses  que  varices  qui  ont  suc- 
cessivemcnt  passe  a  la  discussion  du  Congres  et  qui 
ont  provoque  de  sa  part  unc  serie  de  voiux  ou 
de  resolutions.  Je  ne  puis  pour  des  matieres  aus- 
si complexes  qu'inviter  I'Academie  a  prendre  con- 
naissance  des  proces-verbaux  detaillos  et  imprimes 
des  seances,  qui  sont  enlre  les  mains  de  M.  Sulai- 
ne,  riionorabic  President  de  I'Academie  et  I'un 
de  ses  represcnlanls  au  Congres   des  delegues. 

J'ajoulerai  qu'il  est  indispensable  que  TAcademie 
veuille  bien  examiner  a  fond  ces  proces-verbaux, 
^ns  Icsqucis    eilc    ne  pourrait    enlrer  suflisammenl- 


~  207  — 

dans  I'esprit  desCougros,  ni  connaitre  les  inaliores 
sur  lesqucllcs  le  Congres  appellc  les  plus  parlicu- 
lieres  preoccupaiions. 

Je  mo  bornerai  ,  pour  ce  qui  nie  concernc  ,  a 
nietlre  en  relief  et  sous  les  yeux  de  nos  lionora- 
bies  confreres  quelques  considerations  qui  les  met- 
Iront  h  meme  d'entrer  dans  I'espril  pratique  de  la 
reunion    des  deiegues. 

Pendant  la  session  de  1850,  il  avail  etc  deci- 
de qu'un  depot  de  toules  les  publications  failes  par 
les  Societes  savanles  de  France  serait  elabli  dans 
la  bibliotheque  du  Luxembourg,  el  que  M,  Ciiavin 
de  Malan ,  bibliothecaire  de  ce  paiais  ,  qui  acceptait 
ce  mandal  de  confiance ,  voudrail  bien  veiller  a  sa 
conservation.  Conformemenl  a  cetle  decision  ,  un 
grand  nombre  do  Societes  ont  fait  deposer  leurs 
publications  dans  la  bibliotheque  du  Luxembourg 
enlre  rinlervalle  des  deux  sessions  de  1830  iil851, 
Le  Congres  vient  de  renouvclcr  le  vceu  que  ce  depot 
finit  par  etre  entendu  par  toutes  les  Societes  savanles 
du  pays ,  de  maniere  a  ce  que  tous  les  travaux  in- 
tellectuels  produits  sur  les  differents  points  de  la 
France  ,  y  fusscnt  complelement  representes.  Je  de- 
mande  done  a  I'Academie  la  permission  de  Tinviter 
a  faire  deposer  a  la  bibliotheque  du  Luxembourg  non 
seulemenl  les  ouvrages  resultant  des  travaux  collec- 
tifs  de  ses  membres,  mais  encore  toufcs  les  publi- 
cations emanees  des  etudes  particulieres  de  ceux-ci. 

Le  Congres  des  deiegues  avail  egalemenl  decide  , 
dans  sa  session  de  1850  ,  qu'un  bulletin  bibliogra- 
phique  et  analylique  des  travaux  des  Academies  de 
France  serait  public  dans  la  forme  d'unc  revue  men- 
suelle,  el  qu'une  Commission  pcrmancnle  ,  prise  dans 


—  208  — 

le  sein  de  I'lnstilut  des  Provinces  de  France,  serail 
chargee  de  la  redaction  de  ce  bulletin,  auquel  toules  les 
Societes  seraienl  invitees  a  souscrire.  Celte  decision 
a  reQU  son  execution  ;  j'ai  I'honneur  de  d^poser  entre 
les  mains  de  I'Academie  le  premier  numero  de  ce 
bulletin  que  le  Congres  lui  fait  remetlre  comme  spe- 
cimen et  commencement  de  mise  en  pratique  du 
projet,  qui  va  s'accomplir  sans  interruption.  Le  bul- 
letin bibliographique  paraitra  tous  les  deux  mois ,  en 
six  cahiers  pareiis  a  ceiui  que  j'ai  I'honneur  de  re- 
mettre  a  I'Academie  :  le  prix  de  souscription  est  de 
5  fr.  par  an.  Je  ne  puis  qu'engager  I'Academie  a 
s'abonner  a  ce  bulletin  ,  qui  est  destine  du  resle  a 
prendre  plus  d'extension  que  celle  qui  lui  a  ete  donnee 
pour  le  moment, 

Dans  sa  session  de  1851  ,  le  Congres  a  invite  les 
Societes  savantes  a  charger  les  delegues  qu'elles  de- 
puteront  aux  reunions  centrales  subsequentes ,  de  faire 
un  rapport  deiaille  sur  les  travaux  des  corps  savants 
qu'ils  representeront  pendant  le  temps  qui  se  sera 
ecoule  depuis  la  derniere  session. 

Je  ne  lerrainerai  pas  cet  aper^u  sur  les  mesures' 
d'ensemljje  que  le  Congres  de  1851  a  proposees  pour 
la  coordonation  des  travaux  des  Academies  de    pro-| 
vince,   sans   exposer  a  I'Academie  de  Reims  que  la! 
Commission  chargee  celte  annee  du  compte-rendu  des 
travaux  des  differentes  Societes  a  rendu  I'hommage  | 
et  la  justice  les  plus  complels  aux  resultats  produiis] 
par  la  Compagnie  a  laquelle  j'ai  I'honneur  d'appar- 
tenir,  et  qui  a  bien    voulu    m'adopter  pour  un    dej 
ses  representants. 

Un  honimage  egalemenl  merite  a  ete  rendu  par 
la  commission   a   Tillustrc  Cardinal-nrchcveque,  I'on- 


—  209  — 

daleur  de  ['Academic  el  promoleur  de  ce  mouve- 
vement  intellectuel  dans  la  ville  de  Reims. 

Enfin,  Messieurs,  permettez-moi,  en  terminant  ce 
rapport,  de  vous  faire  connailre  que  M.  le  President 
de  la  Republique  ayant  fait  savoir  au  bureau  du 
Congres  qu'il  le  verrait  avec  plaisir  avant  la  sepa- 
ration des  delegues,  celui-ci  a  eu  I'honneur  de  lui 
elre  presente  par  M.  de  Caumont ,  qui  a  designe 
nominalement  a  M.  ie  President  chacun  des  mem- 
bres  du  bureau ,  avec  {'indication  des  Societes  aux- 
quelles  ils  appartenaient :  douze  ont  ele  ainsi  admis 
auprcs  du  Cbef  du  pouvoir  execuiif,  auquel  j'ai  ete 
designe  comme  I'un  des  representants  de  I'Academie 
de  Reims. 

Tels  sont.  Messieurs,  les  fails  sur  lesquels  je  de- 
sirais  appeler  plus  partiiiulierement  voire  atlenlicn: 
je  m'estimerai  fort  heureux  si  en  vous  engageant, 
pour  ce  qui  me  concerne,  a  entrer  d'une  maniere 
complete  dans  les  vues  du  Congres  el  de  I'lnslilut 
des  provinces  de  France,  je  puis  esperer  que  vous 
accueillerez  avec  bienveillance  cet  expose  resultant 
du  mandat  que  vous  aviez  bien  voulu  me  conGer. 


210  — 


HISTOIRE  ET  ARGHEOLOGIE. 


Lecture  de  M.  Soriiin. 


RUINES   DE    l'aBBAYE    d'oRVAL, 


Messieurs  . 

J'ai  en  occasion  pendant  les  vacanccs  derniferes 
de  visiter  les  mines  de  i'abbaye  d'Orval.  Bien  que 
ce  soil  enlrer  dans  le  domaine  de  I'arclieologie,  ou 
nos  savants  antiquaircs  reconnailront  bien  vite  mon 
inexperience,  j'ai  essaye  de  relracer  ce  qu'a  ele  celte 
vasle  et  piiissanle  abbaye ,  el  de  dire  ce  qu'il  en 
reste  aujourd'hui, 

Deja  M.  Jeanlin,  president  du  tribunal  de  Monl- 
medy,  a  publie,  sous  le  tilre  de  Chroniques  de  i'abbaye 
d'Orval,  nn  livre  oii  j'ai  puise  les  principales  notions 
historiques  sur  les  anciens  posscsseurs  du  pays  ;  niais 
j'ai  cru  qu'il  pouvail  elre  inleres^ant  de  resserrer  en 
quelques  pages  les  fails  que  le  chroniqueur  a  du 
disseminer  dans  son  volume,  d'apres  le  plan  qu'il 
avait  adople,  en  y  ajoulanice  que  j'ai  pu  apprendre 
moi-meinc    auprcs    des  anciens  babitanls. 


^  211  — 

Le  voyageur  qui  franchil  la  fronliere  Beige,  enlre 
Carignan  et  Monlmedy ,  renconlre  devant  lui  des 
villages  doiit  les  noms  lui  rappellent  qu'il  est  sur  les 
terres  de  I'ancienne  abbaye  d'Orval.  Ces  villages, 
autrefois  les  faubourgs  du  riche  monastere ,  sont 
restes  deboul  lorsque  le  colosse  est  tombe,  et  comme 
pour  garder  le  souvenir  do  celle  puissance  dccliue , 
onl  laisse  a  la  suite  de  leur  nom  les  mols  :  devant 
Orval  ;  mais  Orval  n'est  plus  ,  seulement  les  ruines 
les  plus  grandioses  allestent  ce  qu'il  etait. 

Depuis  plus  de  cinq  cents  ans,  de  pieux  ermites 
faisaient  leur  demeure  dans  les  solitudes  de  la  for6t 
de  Cbiny  ,  et  etaient  en  grande  veneration  dans  tout 
le  ducbe  de  Lorraine ,  lorsque  ,  vers  1070 ,  cinq 
moines  benedictins,  venus  de  Calabre,  obtinreni  du 
comte  Arnould ,  liomme  pieux  et  liberal,  la  donation 
de  tout  le  terrain  qui  serait  necessaire  pour  leur 
eiablissernent.  lis  cboisirent  la  parlie  de  la  fofet  la 
plus  reculee  el  la  plus  sauvage ;  c'eiait  une  vallee 
couverte  de  racines ,  de  ronces  el  de  raauvaises 
plantes ,  mais  arrosee  d'eaux  limpides.  Les  mains 
laborieuses  des  moines  la  defricberent  rapidement 
el  la  Iransformerent  en  une  culture  ou  ils  trouvaient 
ce  qui  etail  necessaire  a  leur  sobre  vie.  Bienlot,  sur 
le  penchant  de  la  colline,  s'eleva  une  petite  eglise  , 
et  deja  quelques  cellules  I'entouraient ,  quand  un 
ordre  de  leur  superieur  rappela  les  benedictins  en  Italie. 

C'est  pendant  le  sejour  de  ces  moines,  qui  n'avail 
pas  dure  plus  de  40  ans,  que  le  pays  qu'ils  habitaient 
re^ut  le  nom  d'Orval.  La  chronique  qui  fail  con- 
naitre  I'origine  de  ce  nom  est  trop  touchante  pour 
que  je  la  passe  sous  silence.  Voici  le  resume  du 
recit  qu'on  donnc  nn   liistorien  latin  du  xvi'  siecle. 


—  212  — 

Vers  I'an  i076^  le  due  de  Lorraine  Godefroid,  luc 
a  la  balaille  d'Anvers  ,  laissait  une  jeune  veuve  , 
Mathilde,  fille  et  heritiere  du  marquis  de  Toscane, 
et  un  Cls  a  peine  age  de  huit  ans.  Par  les  conseils 
de  son  cousin  le  due  de  Bouillon ,  la  duchesse  se 
separa  de  son  fils  et  le  conlia,  pour  son  education, 
a  un  savant  ecclesiastique  habitant  le  comle  de 
Chiny.  Mais,  moins  de  deux  ans  apres,  cet  enfant 
p^rii  ,  par  un  accident  fortuit  selon  les  uns,  tandis 
que  d'autres  altribuent  sa  mort  a  la  mechancete  de 
ceux  qui  coraptaienl  sur  son  heritage.  Ainsi  cruel- 
lemeni  eprouvee,  Mathilde  quilta  le  pays  de  ses 
infortunes  ,  el  pendant  plusieurs  annees  vecut  en 
Italic  de  douloureux  souvenirs.  Elle  revint  pourtant 
aux  lieux  temoins  du  Irepas  de  son  fils.  La  duchesse 
habilait  la  cour  brillanle  du  comle  de  Chiny ;  mais 
preferant  la  solitude  aux  plaisirs  et  aux  fetes  ,  elle 
passait  ses  journeesa  I'ermitage  desreligieuxCalabrais, 
aupres  desquels  elle  irouvait  dans  la  priere  des  con- 
solations a  son  cuisant  malheur. 

Bien  souvent,  assise  au  bord  de  la  fontaine  qui 
coulait  aux  pieds  de  I'eglise ,  laissant  tremper  sa 
blanche  main  dans  ces  eaux  de  crislal,  elle  se  livrait 
a  ses  profonds  regrets  et  a  ses  tristes  reflexions. 

Un  jour  son  anneau  nuptial ,  I'anneau  d'or  qu'elle 
ne  quittait  jamais ,  s'echappa  de  ses  doigts ,  et  mal- 
gre  les  recherches  empressees  de  ses  serviteurs  ,  il 
fut  impossible  de  le  retrouver.  C'est  alors  que  la  du- 
chesse,  saisie  de  douleur,  adressa  a  la  Vierge  Marie 
une  fervenle  priere  :  «  0  Vierge  des  vierges  ,  dit- 
»  elle  ,  digne  mere  du  Christ  notre  Sauveur  ,  je  vous 
»  supplie  ,  dans  votre  bonte ,  de  ne  pas  permeltre 
»  que  je  sois  irompee  dans  mon   desir ;   faites  que 


—  213  — 

»  je  relrouve  I'anneau  submerge  dans  celle  fontaine  , 
»  et  je  promels  qu'alors  ce  lieu ,  place  sous  voire 
»  patronage,  sera  elernellement  consacre  au  culle 
»  de  voire  Fils  notre  Seigneur.  » 

A  peine  avait-elie  lermine  celle  priere,  que  ies 
eaux  depla^ant  elles-meines  le  sable  qui  lapissait  le 
lit  du  ruisseau,  decouvrirenl  a  ses  yeux  I'anneau  d'or 
qu'elle  chercbait.  «  Benie  soil  celle  vallee,  dil-eile, 
et  puisque  j'y  ai  relrouve  mon  or,  qu'elle  prenne  le 
nom  de  Val  d'Or;  et  une  pierre  elevee  sur  Ies  bords 
de  la  source  porta  celte  inscription  :  Fons  aurew  Val- 
lis,  (Fontaine  d'Orval.)  C'est  encore  pour  rappeler  ce 
fail  que,  dans  la  suite,  Ies  armoiries  d'Orval,  en 
style  heraldique,  porterent  d'argent  a  un  ruisseau 
d'azur,  d'oii  sortait  une  bague  a  trois  diamanls  au 
naturel. 

La  reconnaissance  de  la  duchesse  ne  fut  pas 
sterile.  Elle  tint  sa  promesse,  et  une  donation, 
conservee  depuis  dans  Ies  arcbives  du  monaslerei 
regia,  d'une  mani6re  irrevocable,  Ies  limites  et  Ies 
dependances  de  cet  etablissement.  Elle  donna  de 
plus  une  forte  somme  d'argent  pour  construire  une 
magnifique  eglise,  et  I'eveque  de  Verdun  vint  peu 
aprfes    instiluer  le  monaslere  d'Orval. 

Celle  belle  figure  de  Mathilde,  que  nous  retrou- 
vons  dans  cette  naive  bisloire ,  est  une  des  plus 
nobles  et  des  plus  imposanles  du  xii'  siecle.  C'est 
elle  qui  soulint  Ies  papes  Gregoire  VII  et  Urbain  II 
contre  Ies  empereurs  d'Allemagne  dans  la  question 
des  investitures,  et  qui,  apres  avoir  servi  la  cause 
de  la  papaule  ,  de  son  influence  ot  de  ses  armes, 
fit  encore  au  saint-Siege,  en  mourant,  une  donation 
solennelle    de  tons     ses    biens ,    ricbe  berilage  qui 


—  2U  — 

coraposa  depuis  lo  patrimoine  de  S'^  Pierre.  Aussi 
Malhilde,  connue  en  Ualie  sous  le  nom  de  la  grande 
Comtesse  ,  est-elle  avec  la  reine  Christine  de  Suede, 
la  seule  femme  dont  on  voit  le  lombeau  conserve 
encore  de  nos  jours  dans  la   Basilique  du   Vatican. 

Le  monastere ,  fonde  par  Malhilde  et  adople  par 
les  corates  de  Cliiny,  prit  un  rapidc  accroissement. 
Aux  bcnediciins  do  Calabre,  rappeles  en  HIO,  suc- 
cederenl  des  chanoines  reguliers  jusqu'en  Hoi  ;  mais 
le  relachement  de  la  discipline  ne  tarda  pas  a  s'in- 
Iroduire  parmi  ces  derniers  :  aussi ,  pour  remedier 
a  des  abus  graves ,  sur  la  demande  du  comte  de 
Chiny  ,  le  saint  fondateur  de  I'abbaye  de  Citeaux  dut 
envoyer  quelques  uns  de  ses  disciples  qui  lirenl  re- 
vivre  a  Orval  I'austerite  des  mceurs  et  la  parfaite 
observance  de  la  regie.  C'est  de  I'etablissenient  de 
ces  Bcrnardins  que  date  la  prosperile  de  I'abbaye. 
Recoiinue  par  le  pape  Innocent  II  en  1141 ,  protegee 
par  la  noblesse  et  veneree  dans  tout  le  pays ,  elle  ne 
cessa  de  s'enrichir ,  et  le  nombre  de  ses  religieus  de 
s'accroilre.  Cependanl,  vers  le  milieu  du  xvii°  sie- 
cle^  une  nouvelle  reforme  fut  necessaire  ;  des  reli- 
gieux  de  I'ordre  de  saini  Benoit  vinrent  remplacer  les 
Bernardins,  et  des  lors  la  regularite  regna  dans  cette 
maison  jusqu'a  sa   fin. 

Pour  se  faire  une  idee  de  la  richesse  et  de  la 
puissance  a  iaquelle  elait  parvenue  I'abbaye  d'Orval 
au  xviii^  siecle ,  il  suffit  de  dire  que,  d'apres  des 
documents  authenliqucs  ,  le  revenu  annuel  de  Tab- 
baye  etait  de  plus  de  douze  cent  mille  livres  (  pres 
de  trois  millions  de  notre  epoque),  et  que  les  ter- 
ritoires  ,  villes  ,  villages  ,  hameaux  ,  fermes  ,  tribu- 
taires  de  ce  revenu  ,  etaienl  au  nombre  de  plus  de 
Irois  cents. 


—  215  — 

Une  aiiciennc  gravnro  nous  a  conserve  exactemcnt 
le  dessin  de  I'abbaye  dcs  Bernardins ,  telle  qu'olle 
exislait  avanl  les  dernieies  conslniclions  des  Fcuil- 
lanls.  II  faul  avouer  qu'il  est  difficile  dc  trouvcr 
nulle  part  maintenanl  un  eiablissement  aussi  gran- 
diose. On  ne  sail  ce  que  Ton  doit  le  plus  admirer, 
de  cello  belle  cglise  goihique,  de  ccs  cloilres ,  dc 
ces  nonibreux  aleliers  d'ouvriers  de  toules  les  indus- 
tries ,  ou  de  ces  belles  terrasses  qui  ,  erigees  en  gra- 
dins  planles  d'arbres  et  garnis  d'espaliers,  n'elaient 
que  la  coniinualion  des  cours  spacieuses  et  des  splen- 
dides  jardins  que  renfermait  la  vaste  enceinte.  Mais 
I'abbaye  avail  encore  regu  un  accroissement  lors  de 
rinstallalion  des  derniers  religieux.  Une  nouvelle 
eglise,  plus  vasle  et  plus  riche  que  la  premiere,  avail 
ete  batie,  de  nouvelles  cellules  et  de  nouveaux  ate- 
liers avaienl  etc  ajoulcs  aux  premiers.  On  se  fera  une 
idee  exacte  de  I'ensemble  par  le  recil  suivanl  ,  que 
j'extrais  de  I'ouvrage  de  M.  Jeanlin. 

«  Dans  le  fond  du  vallon ,  sur  un  immense  qua- 
»  drilatere  de  22,500  metres  carres  (225  ares), 
»  qu'on  se  figure  un  Louvre,  acheve  sur  trois  faces, 
»  et  qui  devail  se  composer  de  quaire  corps  de  ba- 
M  liments  ,  de  style  et  de  dimensions  uniformes 
»  relies  a  cbaque  angle  par  une  lour  ou  pavilion. 
»  Au  centre  de  la  principale  facade ,  an  dessus  d'un 
0  porlail  richemenl  cisele,  s'eleve,  superbecl  resplen- 
»  dissanl  de  lumiere  ,  de  dorure  el  de  majestc  ,  le 
»  splendide  vaisseau  dedie  a  saint  Bernard,  avec  sa 
»  lour  et  sa  coupole  supportees  par  les  slalues  co- 
»  lossales  des  cpiatre  evangelistes  ;  el  a  I'arriere  ,  le 
»  clocber  dont  la  flecbe ,  bravant  la  foudre  ,  s'elance 
»  audacieuse  jusquc  dans  les  nues. 

I-  15 


h 


—  '•216  — 

»  Tool  a  I'enlour  sonl  des  fahriqim  de  loutes  for- 
»  mes ;  ici  ,  au  sud ,  t'ancicn  convent  des  Benedic.lim 
»  el  I'eglise  Sainte-Marguerile ;  la  ,  a  I'csl ,  quelques 
»  deriiiers  vestiges  de  la  chapelle  des  premiers  crmites; 
»  plus  loin  du  memo  cole ,  ct  loujours  a  Test ,  la 
»  scierie  mecaniqne,  les  deux  moidins  a  ble ,  les  deux 
»  brasseries,  les  deux  distdleries,  la  tannerie ,  h  la- 
»  vanderie ,  la  bouJangerie ,  les  cuisines,  la  mare- 
»  chakric  ,  les  ecuries ,  les  magasins  de  loutes  flns 
»  el  destinations;  de  I'autre  cote,  a  I'ouest,  la  tour 
»  du  Braconnier  el  le  premier  convent  des  Bernar- 
»  dins,  Vancienne  eglise  Notre-Dame  d'Orval  el  la 
»  chapelle  de  Montaigu ;  puis  la  draperie  ,  la  serru- 
»  rerie .,  les  ateliers  des  beaux  arts  el  cewj;  de  lous 
)>  les  metiers. 

»  Le  lout  est  encadre  par  le  triple  amphitheatre 
)>  des  cinq  terrasses  de  droite ,  des  cinq  lerrasses  de 
»  gauche,  du  batiment  de  la  serre  el  des  bois  qui 
»  se  relevcnl  dans  le  loinlain  jusqu'au  pied  de  la 
))  tour  de  Brunehaut.  » 

Tel  etait  le  tableau  que  presenlail  I'abbaye  d'Or- 
val en  1795. 

Que  si  Ton  penelre  dans  I'inlerieur  des  edilices  , 
el  qu'a  I'aide  des  souvenirs  des  ancieus  moines  en- 
core cxisiants  ,  ou  des  anciens  habitants  du  pays  , 
on  remetle  ces  pierres  les  unes  sur  les  aulres  ;  que 
Ton  replace  ces  grands  marbres  noirs  ,  ces  ogives 
elancees ,  ces  hautes  colonnes ;  qu'on  relablisse  en 
leurs  places  ces  statues ,  ces  tableaux ,  brises  par  le 
canon  ou  detruils  par  I'incendie  ;  qu'on  recueille  ,  en 
un  moi ,  ces  produiis  de  la  haute  intelligence  el  de 
la  merveilleuse  habilele  des  pieux  cenobiles ,  on  de- 
meurera    persuade    que    les    religieux   d'Orval    ont 


—  217  — 

contribiie  plus  que  lout  autre  couvenl  de  cet  ordre 
si  iliustre  ,  au  progres  et  au  perfoclionnement  liuraa- 
nilaire.  La  plus  que  partout  ailleurs  on  a  vu,  pour 
rappeler  les  paroles  d'un  celebre  cconoraiste ,  les 
abbes  les  plus  veneres  pour  lenrs  vertus  s'occuper 
d'archilecture  ,  faire  elever  dcs  temples  ,  encourager 
les  artistes,  faire  eclore  leurs  chefs-d'oeuvre  ,  dirigcr 
des  travaux  agricoles ,  faire  balir  des  moulins  ,  cdi- 
lier  des  usines  et   pen  pier  des  clangs, 

Mais  ie  temps  eta  it  venu  oii  la  revolution  fran- 
Qaise  allait  lancer  ses  terribles  armces  hors  de  ses 
frontieres. 

Le  12  juin  1793,  la  brigade  du  general  Loison 
venail  de  camper  devant  le  monaslerc  pour  executer 
les  vengeances  de  la  Convention.  Le  comite  de  salut 
public  ne  pardonnait  pas  aux  moiaes  d'avoir  accueilli 
les  emigres  fran^ais ,  et  il  savait  que  Louis  XVI 
devait  trouver  riio.^pilalitc  dans  ce  convent  le  jour 
de  son  arrestation  a  Varennes.  Dejh  pUisieurs  ten- 
lalives  avaient  eie  faites  par  divers  delachements 
pour  penetrer  dans  I'abbaye  ;  mais  cellc  fois~ci  les 
raoines  ne  pouvaient  resisler ,  puisque  leurs  defen- 
seurs  etaienl  bloques  dans  Luxembourg.  Aussi  durent- 
ils  ouvrir  leurs  porles  aux  cavaliers  qui  s'y  presen- 
terent.  La  journee  se  passa  au  milieu  du  dcsordre  , 
du  trouble  ,  des  orgies  ,  sans  insulte  cependant  cen- 
tre la  personne  des  nioines ,  qui  continuerent  leurs 
exercices  religieux.  Mais  la  nuit  vint,  et  avec  elle 
commen^a  la  devastation  d'Orval  el  la  fuile  de  ses 
habitants  epouvantes.  L'abbe  et  les  nioines  avaienl 
pu  s'echapper  par  nn  souterrain,  emporlant  avec  eux 
les  archives  et  les  objels  les  plus  precicux  du  tresor ; 
el  ils  elaient  parvenus,  par  des  chemins  detournes, 


—  218  — 

h  gagner  Luxembourg.  Mais  le  bulin  qu'ils  laissaienl 
ctail  immense.  On  en  cliargea  plus  de  six  cents 
(hariots ,  qui  furent  diriges  sur  Sedan ,  Mclz  el 
Verdun. 

Ce  n'elail  pas  assez  ;  I'abbaye  d'Orval  elait  vouee 
a  une  euiiere  deslruclion.  Puisque  les  boulels  ne 
sauraient  entamer  ces  epaisses  murailles ,  apres  le 
pillage  ,  rincendie.  Six  cents  cordes  de  bois  ,  amas- 
sees  dans  les  magasins  ,  sont  dislribuees  dans  lous 
les  cloitres  ei  les  divers  balimenis  ,  el  bienlol  lous 
ces  foyers  confondus  deviennenl  un  ocean  de  flammes, 
oil  les  prodiges  des  arts ,  les  tresors  des  siecles  de- 
meurenl  engloulis.   C'etail  le  25  juin  1795. 

Que  reste-t-il  d'Orval,  aujourd'hui?  Des  pierres 
amoncelees  ,  quelques  parcbemins  deposes  au  cbef- 
lieu  de  la  province  ,  el  les  traditions  qu'ont  laissees 
les  anciens  moines  ,  donl  le  dernier  esl  morl  il  y  a 
peu  d'annees. 

Les  ruines  respeclees  par  les  divers  proprietaires 
qui  se  soul  succedes  dans  ces  derniers  lemps ,  atli- 
renl  de  nombreux  pelerins.  II  esl  encore  facile  de 
reconslruire  par  la  pensee  ce  qui  n'existe  plus,  el 
la  grandeur  des  souvenirs  qui  s'y  raltachent  rend 
celte  visile  des  plus  precieusos  pour  les  adeptes  de 
celle  science  qu'on  nommeTarcheologie,  el  qui  ren- 
ferrae  lous  les  elements  de  la  philosophie  de  I'bis- 
toire. 

Parmi  les  iradilions  qui  se  rapporlenl  a  I'abbaye 
d'Orval  ,  il  faul  ciler  une  celebre  prophetic ,  qu'on 
altribue  a  I'un  des  religieux  de  ce  monaslere. 

Celte  propbelie ,  inlilulee  :  Previsions  cerlaines  re- 
velees  par  Dieu  a  nn  solitaire,   pour    la  consolation 


—  219  — 

des  cnfants  de  Dieu,  daterail  ,  dil-on  ,  de  1544  :  elle 
a  pour  but  de  faire  connailre  les  piincipaux  evene- 
ments  du  xix""  siecle.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  tou- 
chant  I'authenticite  de  cette  piece  c'esl  que,  de  1795 
a  1828 ,  plusieurs  lemoignages  paraissent  indiquer 
son  existence  ;  seulement ,  le  texte  etait-il  le  meme? 
A  partir  de  cette  dcrniere  epoque  ,  le  doute  n'est  plus 
permis  ;  car  une  enqufile  de  M^''  Teveque  de  Verdun  , 
faile  en  1849,  a  constale  posilivemenl  que  fies  copies 
du  texte  que  nous  possedons  exislaient  dans  cette  ville 
en  1828.  Nous  pourrons  plus  tard  (aire  connailre  a 
I'Academie  cette   piece  inleressante. 

Messieurs  ,  j'ai  lermine  ma  (ache  dans  ies  limites 
resserrecs  que  je  rn'elais  iracees.  On  irouvera  dans 
I'ouvrage  de  M.  Joan  tin  des  details  sur  I'architeclure 
et  les  decorations  des  divers  ediGccs ,  sur  les  cere- 
monies du  culte  et  sur  la  haute  justice  dout  les  abbes 
elaient  les  dispensaieiirs ,  ainsi  que  sur  la  vie  inte- 
rieure  des  moines.  11  ine  suffit  d'avoir  essaye  de 
vous  interesser  a  la  momoire  de  quelques  hommes 
qui  ont  rendu  de  grands  services  a  la  religion,  aux 
arts  el  aux  sciences. 


220  - 


Lccdue  (le  M.  Baiidevillc 


RAPPORT 

StIU   UN    OUVRAGE    DE   M.    F.    GUfilllN  ,    INTITULE 

Manuel  des  ConcUes ,  etc. 
Seance  du  24  Janvier  1851 


Messieurs  , 

Vous  m'avez  charge  de  vous  renure  conipte  d'uD 
ouvrage  qui  vous  a  ele  adresse  par  M.  F.  Guerin  , 
redacleur  en  chef  du  Memorial  catlwlique  ^  et  qui 
a  pour  lilre  :  Manuel  de  I'liistoire  des  ConcUes,  ou 
Traite  theo'ogique,  critique,  historique,  etc.,  de.f  Con- 
cUes et  Synodes.  Deja  je  connaissais  cet  ouvrage, 
qui  a  paru  en  18i6,  dans  I'EncycIopedie  caiholique, 
et  que  son  importance  a  fait  tirer  ix  part ,  dans  un 
format  plus  commode ,  pour  le  meltre  a  la  portee 
d'un  plus  grand  nombre  de  lecteurs.  Je  I'ai  relu 
avec  une  nouvelle  attention,  et  je  n'en  ai  que  raieux 
apprecie  le  merite. 

Dans  une  courlc  introduction,  I'auteur  demontre 
I'utilite  generale  de  I'etude  des  conciles ,  elude  ne- 
cessaire  pour  un  ecclesiasliquc  ,  qui  doit  connaitre 
les  decisions  de  I'Eglise,  et  qui  trouve  la  un  code 
complet  de   ce  qui  a  etc  statue  touchant  la  foi ,  la 


—  I^i  — 

morale  el  la  discipline;  elude  edidanle  pour  le  fidele, 
qui  pcul  suivre  de  siecle  en  siecle  la  conslanle 
soliicitude  des  pasteurs,  pour  dinger  le  troupeau  de 
Jesus-Clirisl  dans  le  senlier  des  regies  evangeliques  ; 
etude  inleressante  pour  le  savant ,  qui  y  decouvre 
I'origine  de  ce  qu'on  admire  le  plus  dans  ies  lois 
modernes  ;  car,  comme  le  dit  noire  auteur,  «  c'esl 
)>  de  la  qu'a  ele  lire  lout  ce  qu'il  j  a  de  bon,  de 
»  grand,  d'equilable  ,  dans  totiles  Ies  couvenlions  , 
»  Charles,  conirats,  et  inslilnlions  des  peuples  (p.  1).» 

L'ouvrage  de  M.  Guerin  est  divisc  en  trois  parlies. 

Dans  la   premiere,  qui  conlient  quinze  chapilres, 

il  traite   des   conciles  en    general ;    il   donne   ia  de- 

finilion  cl  la  dislinclion  de    ces  grandes  assemblees ; 

il  en   indique  I'origine  el  I'iusiilulion  ;  il  en  demonlre 

raulorilc,  soil  en  maliere  de  foi,  soil  en  matiere  de 

discipline  ;  il   fait  voir  a   qui  opparlienl  le    droit  de 

convoijuer,   de  presider  et  de  confirmer  Ies  conciles  ; 

il    parle  du  rung   que  doivent  occuper    ceux  qui    y 

assistenl ,  des  ceremonies  qui  y  sonl  observees,  des 

travaux   qui    s'y  font,    des  decrets  qui  y  font  rendus. 

—  Enlln,  c'esl  une   sorte  de   iraile  complel,  ou  I'au- 

leur,   puisant    toujours    aux    meilleures    sources,    a 

recueilli   toul  C3  qui  peul  elre  dit  sur   celte  impor- 

tante   maliere.  — C'esl  sans  doule  pour  se  conformer 

a  la    maniere    de    parler   de    certains  auteurs ,    que 

M.    Guerin    distingue    qualre    series    de    conciles: 

«  rcecumeuique   ou    general ,    le   national  ,    le   pro- 

»  vincial  el  le   diocesain  (p.  9).»  11  reconnaii  lui-meme 

un  pen  plus  loin   que    le   nom  de   Conciles  ne  peul 

pas  elre  exaclemenl  applique  aux  synodes  diocesains, 

pniscpie   ce  ne  snni   pas  des  assemblees    d'eveques. 


—  22^  — 

Quant  an  Concilc  nnional,  nous  lui  dirons,  d'apres 
Teminetit  aiiteur  di3  la  Theologie  dogmatiqiie  ,  que 
«  celle  denominalion  est  impropre :  on  peul  bien 
»  I'appliq'jer  a  une  assemblee  du  clerge  convoquee 
»  par  Ic  roi,  pour  trailer  des  affaires  de  I'Elat  plutot 
»  que  de  i'Eglise ;  mais  elle  ne  convienl  point  a 
»  un  concile  proprement  dit ;  une  nation  ,  comme 
»  nation  ,  ne  forme  point  une  circonscription  eccle- 
w  siastiquc  {Theol.  dogm.,  torn.  I,  p.  61o.)  » 

La  seconde  partie  est  comme  le  point  capital  de 
I'ouvrage  :  elle  contiont  plus  de  600  pages.  Elle 
renferme,  par  ordre  clironologique,  la  nomenclature 
et  I'analyse  de  tons  ks  conciles  generaux  ou  parli- 
culiers  qui  se  sont  tonus  depuis  Ic  premier  siecle 
jusqu'a  nos  jours ,  avee  les  motifs  qui  les  ont  fait 
couvoquer,  les  decisions  qui  y  ont  ete  prises,  etc. 
Ici,  I'auteur  s'est  principalement  aide  du  travail  des 
Beuedictins  dans  I'Art  de  verifier  les  dat.'s ;  mais  il 
a  su  completer  I'oeuvre  des  savants  religieux  par  de 
nombreuses  additions ,  surtout  pour  ce  qui  regarde 
le  dernier  siecle  et  les  temps  actuels.  On  pent  dire 
de  cetie  partie  que  c'est  une  sorte  de  tablettes  chro- 
nologiques  pour  Thistoire  ecclesiastique.  On  y  voit, 
en  eifet,  apparailre,  par  ordre  de  date^  toutes  les 
questions  qui  se  sont  agilees  dans  TEglise ,  les 
erreurs,  les  schismes  qu'elle  a  cus  a  combattre,  les 
enirepriscs  qu'elle  a  dii  reprimer,  les  abus  qu'il  lui  a 
faliu  extirper,  les  modificaiions  que  le  temps  lui  a 
fait  introduire  dans  sa  discipline  ;  et,  an  milieu  de 
toutes  ces  lultes,  sa  foi  se  maintenir  toujours  in- 
variable, sa  morale  toujours  pure^  sonautorile  toujours 
respectable.  «  C'est  une  cbose  admirable,  dit  notre 
»  auteur  (p.  4),  que  dans  le  grand  nombre  de  conciles 


—  223  — 

»  recus  dans  I'Eglise,  on  voie  la  meme  croyance  en- 
»  seignee  parlout ;  que  dans  une  r«i  longiie  suite  de 
»  siecles,  les  eveques,  lieriiiers  do  I'esprit  de  Dieu 
»  et  des  apotres,  et  leurs  successeurs,  quoique  de  diffe- 
»  rentes  nations,  animes  d'un  merae  esprit ,  sesoient 
»  loujouis  reunis  dans  la  meme  foi ,  aient  elouffe 
»  les  troubles  des  leur  naissance,  rendu  la  paix  a 
»  I'Eglise  par  la  condamnalion  des  lieretiques  ;  au 
»  lieu  que  ceux-ci,  se  combatlant  les  uns  les  autres, 
»  se  soni  divises  en  plusieurs  sectes ,  et  onl  donne, 
»  non  seulement  par  la  nouveaule  de  leur  doctrine, 
»  niais  encore  par  la  contrariete  de  leurs  opinions, 
B  des  preuves  evidenles  de  leur  schisme.  »  —  II 
etail  impossit)le  que  dans  la  liste  d'un  si  grand  nombre 
d'assemblees  tenues  dans  touies  les  parlies  du  monde, 
pendant  plus  de  18  siecles,  il  n'y  eut  pas  quelques 
lacunes,  au  moins  pour  les  conciles  les  moins  impor- 
lanls,  el  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  les  collections. 
Pour  ce  qui  concerne  la  province  de  Reims  en  par- 
liculier,  j'ai  eu  occasion  de  signaler  a  M.  Guerin 
quelques  omissions  dont  il  a  pris  note,  et  qu'il  se 
promet  de  reparer  dans  une    autre   edition. 

Dans  la  troisieme  parlie ,  I'auleur ,  analysant  le 
savant  Traite  de  Salmon  sur  I'etude  des  conciles^  s'alta- 
clie  a  prouver  I'utilile  de  ces  assemblies  sous  le  triple 
rapport  du  dogme  ,  de  la  morale  el  de  la  discipline 
ecclcsiaslique.  11  rappclle  les  decisions  des  souverains 
pontiles  ,  les  decrets  des  conciles  generaux  ou  parti- 
culiers,  qui  en  presctivenl  la  reunion  ;  puis  il  s'ecrie  , 
(page  752)  :  «  Comment  done  se  fait-il  qu'apres  tani 
»  de  prescriptions  reilerees  de  siecle  en  siccle  ; 
»  qu'apres  tanl  de  conciles  generaux  ou  particuliers 
»  qui  tous  out  ordonnc  la  tenue  des  conciles  [novin- 


—  22/i  — 

»  ciaux  et  des  synodes  diocesains ;  qii'apres  les  re- 
»  inonlrances  de  tanl  de  papes ,  de  percs  de  I'eglise 
»  ct  d'ecrivaics  ecclesiasliques  do  la  plus  grande  au- 
»  torite,  qui  ont  monlre  I'urgence  el  la  necessile  de 
a  ces  assemblees,  el  qui  les  ont  declarees  un  moyen 
»  sur  el  puissant  d'enlrelenir  la  foi  et  les  mceurs 
»  parnii  les  fidelcs,  et  la  discipline  ecclesiasliqueparmi 
»  leclerge;...  comment  se  fail-il  qu'apres  I'ordre 
»  formel  du  dernier  concile  general,  qui  a  renouvele 
»  les  decrets  precedents  et  resume  en  lui  toule  la 
»  traililion ,  les  conciles  provinciaus  el  meme  les 
»  synodes  diocesains  soient  tombes  en  desuetude 
»  parrai  nous  ?  »  Apres  avoir  cherche  la  cause  de 
celte  interruption  dans  certaines  raaximes  qui  ont 
longlemps  predomice  ,  et  qui,  sous  le  nom  de  liberies, 
ont  assujeti  chez  nous  I'eglise  au  pouvoir  teraporel , 
I'auteur  insiste  sur  la  necessile  de  revcnir  a  I'usage 
des  conciles  el  des  synodes.  11  demonlre  qu'a  I'ex- 
ception  des  articles  organiques,  qui  toutefois  le  genent 
peu,  il  n'y  a  point  de  loi  qu'on  puisse  invoquer  centre 
le  retablissement  de  ces  reunions.  —  Ce  vceu  ,  qui 
eiait  exprime  en  1846  ,  a  re^u  son  acomplisseraent 
par  la  celebration  des  conciles  provinciaux  qui  se  sont 
lenus,  en  1849  et  1850,  dans  plusieurs  villes  de 
France  ,  dilalie  el  d'Allemagnc. 

Avanl  le  travail  de  M.  F.  Guerin ,  il  avail  paru 
beaucoup  d'ouvrages  du  meme  genre.  Sans  parler  des 
grandes  coUeciious ,  qui  ont  le  double  inconvenient 
de  n'etre  a  la  porlee  ni  de  tous  les  lecteurs  ,  ui  de 
loules  les  bourses ,  il  existe  un  assez  grand  nombre 
d'ouvrages  analytiques ,  que  notre  auteur  hii-meme 
indique  a  la  lin  de  sou  livre.  Parmi  ces  analyses,  il 
en  est  sans  doute  de  |)lus  volumineuses  que  cello  dont 


—  2^25  — 

je  vous  entreliens  :  I'ouvrage  do  D.  Richard  ,  eiiire 
aulres  ,  ne  comple  pas  moins  de  cinq  volumes  111-4", 
y  compris  le  supplemenl ;  mais  on  peuldire  qu'il  n'en 
est  aucune  qui  soil  ecrite  dans  un  mcilleur  esprit , 
aucune  qui  soil  aussi  complete  ,  malgre  les  lacunes 
dont  j'ai  parle.  —  Ce  qui  distinguera  toujours  I'ceuvre 
de  M.  Guerin  de  celle  de  scs  devancicrs  ,  e'est  i°  la 
liste  des  conciles  tenus  sur  les  differents  points  du 
globe  dans  le  cours  du  18''  et  du  19"=  siecle ;  2°  des 
notes  curieuses  sur  les  conciles  pretendus  nalionaux  , 
convo(]U('!s  a  Paris  en  1797  el  1801  par  les  eveques 
conslilulionnels  de  France;  5°  des  details  peu  connus 
sur  le  lameux  concile  national,  assemble  en  1811  par 
la  volonte  imperiale  ,  avec  un  eclat  extraordinaire , 
et  dissous  peu  de  temps  apres,  par  la  meme  volonte, 
avec  bien  peu  de  ceremonie  ,  etc. 

Des  critiques  un  peu  severes  ont  censure  le  travail 
de  M.  Guerin,  non  pas  qu'iis  y  aient  Irouve  aucune 
maxime  reprehensible,  si  ce  n'est  peut-etre  quelques 
idees  ultramontaines  qui  leur  plaisaient  peu ;  mais 
ils  ont  trouve  mauvais  qu'un  lai'que  ,  sans  aucune 
espece  de  mission,  se  permit  d'ecrire  sur  des  raatieres 
purement  Iheologiques.  M.  Guerin  avait  prevu  et 
refute  d'avance  cette  objection  :  «  Lorsqu'un  fidele, 
»  dit-il,  desire  prendre  la  plume  pour  combatlre  les 
»  erinemis  de  I'Eglise,  puisque  la  plume  est  dans  ce 
»  siecle  ,  suivant  Texpression  d'un  digne  prelat, 
»  rinstrument  du  combat ;  il  ne  pretend  nuUement 
»  enseigner ,  ni  commander ,  ni  imposer  a  qui  que 
»  ce  soil  ses  opinions  ;  il  dit  ce  qu'il  croit  eire  la 
)j  verile  ;  il  apportc  le  tribut  de  son  zele  et  des 
B  lumieres  qu'il  a  revues  de  Dieu ;  il  propose  sim- 
»  plemcnt  son  avis ,    el  la  sc  borne  sa  mission.  » 


—  226  — 

Avanl  lui  un  grnnd  ccrivaiii,  auque!  les  critiques  susdits 
aiiraient  pu  adresscr  le  meme  reproche,  M.  de  Maistro, 
avail  dil:  ( du  Pape ,  disc,  prelim.  §  /.)  «  II  pourra 
»  paraiire  surprenant  qu'iin  Iiomme  du  monde  s'atlri- 

»  bue  le  droit  de  iraitcr  des  questions  qui,  jusqu'a 

»  nos  jours ,    onl  semble  exclusivement  devolues  au 

»  zele  et  a   la  science  de  I'ordre  sacerdotal,  j'espere 

»  neanmoins  que...  tout  lecleur  de  bonne  volonte... 

»  m'absoudra  de  loule  lacbe  d'usurpalion.  En  premier 

»  lieu  ,  puisque  notre  ordre  s'est  rendu  ,   pendant  le 

»  premier  siecle  ,    emincmment    coupable   envers   la 

»  religion,  je  ne  vois  pas  pourquoi  le  meme  ordre  ne 

»  iburnirail  pas  aux  ecrivains  ecclesiasliques  quelques 

»  allies  fideles  qui  se  rangeraient  autour  de  I'autel 

»  pour  ecarler  au  moins  les  lemeraires ,  sans  gener 

»  les  leviies.  Toule  science  d'ailleurs  doit  toujours, 

»  mais  surloul  a  cette  epoque  ,   une  espece  de  dime 

»  a  celui  doni  elie  procede  ;  car  e'est  lui  qui  est  le  Dieu 

»  des  sciences ,   et   e'est  lui  qui  prepare  nos   pen  sees 

»  (l.reg.  2).  Une  autre  consideration  encore  n'a  pas 

»  eu  peu  de  force  pour  m'encourager.  Le  preire  qui 

»  defend  la  religion  fait  son   devoir,  sans  doute  ,  et 

»  meriie  loute  notre  estirae  ;  mais  aupres  d'une  foule 

»  d'bommes  legers  ou  preoccupes ,  il  a  I'air  de  de- 

«  fendre  sa  propre  cause ;  el  quoique   sa  bonne  foi 

»  soil  egale  a  la  noire,  loul  bbservaieur  a  pu  s'aper- 

»  cevoir  mille  fois  que  le  mecreant  se  defie  moins  de 

»  Tbonime  du  monde,  el  s'en   laissc  assez   souveni 

»  approcher    sans    la  moindrc   repugnance.    —  Me 

»  sera-l-il  encore  permis  de  le  dire  ?  Si  riiomme  qui 

»  s'est  occupe  toule  sa  vie  d'un  sujel  important,  qui 

)i  lui  a  consacre  lous  les  instants  dont  il  a  pu  disposer, 

»  et  qui  a  tourn6  de  ce  cote  loules  scs  connaissauces  ; 


—  227  — 

»  si  eel  homme,  dis-je  ,  sent  en  liii  je  ne  sais  quelle 
»  force  iiidcfinissable  qui  lui  fail  eprouver  le  besoin 
»  de  repandre  ses  idees  ,  il  doil  sans  doule  se  defier 
»  des  illusions  de  I'amour-propre ;  cependant,  il  a 
»  peul-elre  quelque  droit  de  croire  que  celle  inspi- 
»  ration  est  quelque  chose,  si  elle  n'est  pasdepourvue 
1)  surlout  de  touie  approbation  eirangere.  » 

Pour  notre  part,  nous  ne  pouvons  que  feliciter  I'au- 
teur,  et  du  courage  qui  lui  a  fait  enlreprendre  une 
ceuvre  de  ce  genre,  et  de  la  maniere  donl  il  I'a  accora- 
plie.  — Le  Manuel  de  llmtoire  des  Conciles  n'est  pas  le 
seul  livre  qui  soil  sorli  de  la  plume  de  M.  Guerin  : 
on  lui  doit  encore  plusieurs  ouvrages  de  piele,  et  un 
assez  grand  nombre  d'ecrils  polemiques.  Puis,  comme 
je  I'ai  dil,  il  est  redacteur  en  chef  du  Memorial  catho^ 
lique  ;  c'est  assez  vous  dire  qu'en  vous  proposant 
M.  Guerin  comme  membre  correspondant  de  I'Aca- 
demie  ,  je  vous  presenle  un  ecrivain  a  la  fois  erudit 
et  laborieux. 


—  228  — 
Lecture  de  SI.  Duqueiielle. 

RAPPORT 

smi  l'ouvrage  de  m.de  fontenay,  ayantpour  titre: 
Nouvelle   Etude    de   Jetons, 

Presente  a  I'Academie  dc  Reims. 

Seance  clu   10  Fevrier  1851. 


Parmi  les  monuments  numismatiques  qui  onl  trouve 
place  dans  les  collections^  il  est  une  serie  qui,  jusqu'a 
nos  jours,  a  ete  presque  completemenl  negligee,  ce 
sonl  les  pieces  designees  sous  le  nom  general  de 
jelons :  la  bizarrerie  des  types ,  la  diversile  des  lan- 
gues  employees  pour  les  legendcs,  quelquefois  meme 
I'absence  de  legendes ,  presentaient  des  dilTicultes 
regardees  comme  insurmontables  par  les  anliquaires, 
qui,  d'ailleurs,  Irouvaient  dans  la  numismalique  an- 
cienne  un  travail  recreatif  el  des  allribulions  faciles, 
Mais  quand  celte  mine  fut  epuisee ,  quand  on  eut 
etudie  et  classe  tout  ce  qu'avaient  produit  les  Grecs 
€t  les  Romains,  il  fallul  un  aliment  nouveau  h  cet 
esprit  de  recherches  qui  caracterise  le  xix°  siecle. 
Le  moyen-age  elait  a  exploiter.  Ce  fut  vers  cette 
«poque  que  se  reporta  I'ardeur  archeologique.  Malgre 


—  229  — 

robscui'ile  qui  I'enveloppait  de  toute  part ,  Teiude 
des  raonnaies  royales  el  baronnales  ful  courageiise- 
raent  abordee ,  heureusement  expliquce.  Cependant 
cetle  pailie  de  la  numismalique  ofTre  encore  un 
champ  vaste  aux  recherches;  chaque  jour  voil  eclore 
quelqucs  publications  qui  ont  pour  objet  de  cora- 
pleler  I'histoire  metallique  de  la  France. 

M.  de  Fontenay,  pour  sa  pari,  a  enlrepris  I'elude 
des  jetons,  el  le  volume  qu'il  a  presenle  h  I'Aca- 
demie  ii'est  pas  son  premier  ouvrage  en  ce  genre; 
il  nous  le  dil  lui-meme  dans  sa  preface.  Un  pre- 
mier iravail ,  sous  le  litre  de  Fragment  d'Histoire 
metallique ,  a  re^u  I'approbalion  de  I'Academie  des 
Inscriptions  el  Belles-Lettres  ;  mais,  en  memo  temps, 
il  ajoule  franchement  que  cet  essai  contenait  des 
erreurs  inseparables  de  ses  premieres  eludes  :  aussi 
fail-il  connaitre  quclques  rectiflcalions  que  lui  ont 
signalecs  des  critiques  bienveillanles. 

Son  nouvel  ouvrage  commence  par  la  definition 
des  jetons,  puis  I'expose  des  arrets  concernant  leur 
fabrication  ,  et  la  difference  qui  exisle  enlre  les 
droits  des  graveurs  el  des  tailleurs-graveurs.  En 
parlant  de  I'execution  de  cs  genre  de  medailles  , 
M.  de  Fontenay  dit : 

«  En  general,  les  arts  onl,  comme  la  civilisation, 
»  des  periodes  caracteristiques  ;  quand  un  Etat  est 
»  grand  et  florissant,  les  ceuvres  qu'il  voit  eclore 
»  sont  belles;  quand  la  discorde  agile  la  sociele, 
t  les  ceuvres  sont,  a  pen  d'exceplions  pres,  maigres, 
»  sans  style,  el  comme  produites  a  la  hate  dans  I'in- 
»  certitude  du  lendemain.  Voici,  en  cetle  matifere, 
»  I'opinion  du  premier  consul  sur  I'epoquc  qui  avail 
»  precede  son  avenemenl  an  pouvoir  : 


—  230  — 

Paris,  20  Thermitlor  an  x  de  la  Republique. 

Au  Minislre  de  I'lnlerieur. 
«  J'ai  donne  ordre  ,  ciloyen  Minislre ,  de  faire 
»  frapper  pliisieurs  medailles ;  cellos  que  Ton  a 
»  frappecs  sonl  d'un  si  mauvais  style  qu'elles  desho- 
»  norent  aux  yeux  de  la  poslerite  noire  siecle, 
»  dans  Icquel  les  arts  ont  ele  porles  \y  un  plus  haul 
»  degre  que  dans  les  si6cles  passes. 

«  Je  vous  salue. 

«  Bonaparte.  » 

Les  reflexions  de  I'auteur,  et  le  jugement  severe, 
mais  juste,  du  premier  consul,   pourraienl  etre  avec 
raison   appliquees  aux  productions  numismatiqucs  de 
la  revolution   de    1848.  Ces  productions,  du   resle, 
ont  ete  appreciees,    non   en   France,  mais  en  Bel-, 
gique.   Dans  la  TJewue  numismatique  Beige  (tome   6,| 
page  192),  on  lit :    '<  II  a  paru  en  France,  a  Tocca-^ 
sion  de  la   revolution    de  1848,    une   innombrable] 
quantite  de  prelendues  medailles,  grossieres  et  ridi- 
cules parodies   de  la  numismatique,  dont  le  resuUati 
sera    probablement  de  degouter   des    collections  del 
medailles  modernes.  Quel    inler6l ,   en    ellel,    peu-i 
vent  avoir  ces  morceaux  de  plomb  coules  dans  dcsl 
monies  de  cuivre  ou  de  platre   par  deux  ou   Irois 
farceurs   industriels,    speculani  sur  le   desir    qu'ontJ 
toujours  les  amateurs   de  completer  leur  suite?  Cesi 
pieces,  fruit  du  caprice  individuel,   n'emanent  nulle-l 
ment   des  clubs,  des  socieies  ou   des    personnagesj 
auxquels    on     les    allribue.    Sans    aucun    caract^rej 
d'auihenticite,  elles  n'ont  pas,  comme  quelques  me-] 
dailies  de  la  premiere  revolution,  le  merite  de  peindre| 
leur  epoque  ;  leurs  legendes  de  sanvages,  leurs  em- 


—  231    — 

l)16mes  lie   cannibalcs  ne  sont  pas  dc  noire  sifeclc  : 
Vhonneur  ct  le  profit  doivetU  en  revenir  a  JIM'**.  » 

Mais  revenons  a  nos  jetons.    A|)res   ces   conside- 
ralions  preliminaircs ,  M.  de  Fonlenay  passe  en  revue 
un  bon  nonibre  de  pieces  qu'il  apprecie  an  point  de 
vue  historiqne  et  arlislique.  Nous  anrions  aime  ,  dans 
ce  Iravail ,  un  ordre  quelconqiie  ;  mais  nous  avouerons 
avcc  I'aulcur  qu'il   etait  (iidicile ,  impor^sihlc  nie:iic  , 
de  classer  ceile  masse  considerable  de  medailles  d'epo- 
ques  ,  de  localiles  el  de  slyie  si  varies ;  aussi  est-co 
sans  etonncmcnl  qu'apres  la  doscriplion  des  pieces 
frappees  sous  les  dues  de  Bourgogne  et  Louis  XII[, 
nous  Yoyons    une  scrie    que   I'auleur  nomme  jetom 
d'amour ,  dont    les    legendes   ct   Ics   eniblemes  sont 
d'une    naivete     qui    rappelle    les    temps    romanes- 
ques,  ct  que  noire  epoque  ne  [tent  comprendro.   II 
decril  ensuite  une  scrie  de  devises  qui ,  selon  M.  de 
Fonlenay,  doivent  ,  pour  eire  bonnes,  se  composer 
d'une  represent;: lion  malerielle  el  de  paroles  propres 
a  eclaircir  la  representation.   Celte  exigence  n'est  pas 
salisfaile  par  I'examen  de  toutes  les  pieces  qu'il  etn- 
die  ,  nolamment  de  celle  decrile  page  28.   Celte  me- 
daille  represenle  ,  an  droits  deux  forgerons  froppanl 
a  coups  de  marteaux  une  leic  placee  sur  une  en- 
clume ,   avcc  celte  legende  :    Unicus  est  specie.    Au 
revers ,  un  ane   porlant  dans  un  panier  trois  leies, 
qu'a  la  coiifure  on  reconnait  pour  des  tC'tes  de  femmcs. 
Sup  le  bat,  est    monte  un   singe  armc   d'un  fouct; 
pour  legende  :   Omne   ferens   malum.    Elle  portc  la 
date  de  1660.  II  y  a,  comme  on  pent  le  voir,  une 
grande  difference  entre  celte  medaille   et  les  jetons 
d'amour  de  la  memo  epoque.  M.   de  Fonlenay  .  par 
convenance  ,  n'ose  en   faire  rallribution  ;  nous  imi- 
I  16 


—  2?2  — 

torons  sa  reserve  ,  et  ,  pour  excuser  raiitcur  de  ceue 
salyrique  medaille ,  nous  dirons  que  des  malheurs 
personnels  ont  pu  seuls  Ic  rendre  aussi  aveugle  et 
aussi  injuste. 

En  parlanl  des  jclous  hisloriques ,  i'auleur  dit  : 
Lorsqu'on  sera  parvenu  a  former  la  colleclion  com- 
plele  des  jelons  ,  il  sera  facile  d'ecrire  I'hisioire  de 
France  pendant  plusieurs  siecles,  non  seulemenl  pour 
les  fails  gcneraux,  mais  encore  pour  les  moindres 
details.  Puissenl  ces  paroles  elre  enlendues  de  lous 
les  amateurs  ;  que  tonsils  suivent  I'exemple  que  donne 
M.  de  Fonlenay  en  decrivanl  les  principales  pieces  de 
sa  colleclion  ;  et ,  guidees  par  le  blason  ,  ses  attri- 
butions sont  positives.  Dans  cetic  serie  figurenl  les 
jetons  royaux;  inais  ,  avec  les  legendes  historiques, 
apparaissent  ces  legendes  flatieusts  invcnlees  par  les 
courlisans.  Ici ,  Tauleur  est  Ires  sobre  de  citations; 
nous  Ten  felicilons  ,  car,  outre  qu'elles  ne  sonl  pas 
Texprcssion  de  la  \erile  ,  elles  ont  cle  decrites  dans 
des  ouvrages  speciaux. 

Apres  quelques  pieces  des  raunicipalites  I'^s  plus 
imporlanles,  nous  arrivons  aux  jetons  de  confreries 
ei  de  corporations  ,  parmi  lesquels  nous  remarquons 
la  medaille  de  MM.  les  arquebusiers  de  Reims  ;  puis 
viennent  les  jelons  de  \illes,  de  personnages  histo- 
riques. Ici  seulemenl  qne'ques  privilegies  sonl  indi- 
ques ,  et  cependant  la  lisle  en  serail  longue  et  in- 
teressante,  surlout  pour  la  science  heralditiue ,  les 
armoiries  elanl  tidelement  representees ;  mais  I'auleur 
elail  soumis  a  un  cadre  trop  restreint,  qu'il  lui  etail 
interdil  de  franchir. 

Au  sujel  des  piecfs  designees  sous  le  nom  de 
jetons,  qui  sonl  personnclles  a  des  individus,  nous 


—   233   - 

partagerons  rupinioii  do  M.  de  Fontenay.  Cos  pieces 
otii  siir  celles  dilcs  capilukdres  line  \aIoui'  arciieolo- 
giquo  plus  grande  ,  car  dies  ont  cle  frappoes  par 
ordre  des  seigneurs  qui  y  ont  place  leiirs  armoiries. 
Elles  sonl  done  d'un  grand  interel,  el  penvcnt  don- 
ncr  lieu  a  des  dissertations  bistoriquos  d'un  haul 
inlerei  :  nous  en  voyons  iin  exenipic  dans  col  on- 
vrage  an  sujel  d'un  jelon  au  noni  de  Piiilippc,  due 
de  Bourgogne  el  ci>mle  de  Flandre. 

Puis  vieni  une  serie  de  mereaux.  Taut  ipio  Ton 
n'aura  pa^  delini  la  valour  de  cc  mol ,  il  sera  diHicile 
do  s'cnlendre  sur  rori;.Mno  des  mereaux.  Generale- 
meut  coniidercs  conune  des  jetons  de  presence  des- 
tines a  conslaler  I'assiduile  des  chanoines  aux  ccre- 
inonies  religieusos ,  ils  presenlenl  une  grande  variete 
d'emblemes  sans  autre  iniercl  que  les  noms  des  loca- 
liles  elles  noms  de.^  sainis  veneres  dans  cha(ine  pays. 
Parmi  lous  ceux  que  I'auteur  decrit ,  nous  c:i  rcniar- 
quons  un  dePieiir.s  ;  nous  I'acceploiis  volonliers,  (juoi- 
que  rieii  nc  justilie  cniieremenl  ccUe  aUribulion.  En 
voici  la  description  :  S'  Paul  deboui ,  nimbe  ,  tenant 
un  livre  ouverl  et  s'appuyani  sur  une  epee  ;  dans  le 
champ  ,  un  R  couronne,  un  croissant  el  les  iniliales 
S.  P.  (SancUis  Paulus).  Au  revers,  un  grand  P»  dans 
un  croissant  couronne  ,  accoste  des  leltres  S.  P.  et 
de  deux   (leurs  de   lis. 

Pour  rompre  la  monolonie  inseparable  d'un  cata- 
logue ,  I'auteur  se  livre  a  quelques  ciialions,  qui  ne 
sonl  pas  sans  inlerei ;  ainsi ,  au  sujet  d'une  piece 
de  la  fabrique  de  Saint-Nico'as-des-Champs  de  Paris, 
il  donne  celie  legendc  hislorique  : 

Saint  Nicolas  ,  eveque  de  Myre ,  voyageail  dans 
son  diocese.    II  onire  un  jour  dans  une  hotellerie  ^ 


—  2M  — 

oil  il  liii  esl  miraculeusemenl  revele  que  I'holesse  avail 
lue  Irois  enfanis,  donl  elle  avail  mis  les  corps  a  saler 
dans  un  baqiiet.  Le  sainl  prclat  se  fail  represenler 
I'horrible  vase  ,  el ,  iniposant  sur  ces  Irois  jeunes 
victimes  le  signe  de  la  croix  ,  il  les  rappelle  a  la 
vie.  Voila  pourqiioi  ,  dans  los  tableaux  el  dans  les 
images,  on  veil  constammenl  sainl  Nicolas  operant 
ce  miracle  ;  el ,  dans  le  but  d'en  perpeluer  le  sou- 
venir ,  les  enfanis  I'ont  pris  pour  palron. 

II  serail  irop  long  de  vous  dccrire  loules  les  pieces 
qu'a  savammenl  eludiees  M.  de  Fonlenay.  Pour  vous 
donner  une  idee  de  eel  ouvrage  ,  nous  dirons  qu'il 
conlienl  pres  de  oOO  medailles  habilemenl  dessinecs, 
reproduiles  avec  une  fideliie  au  dessusde  lout  eloge, 
el  qui  fonl  regreller  que  I'auleur  n'ait  pas  fail  plus 
encore. 

En  terminant  son  travail  ,  M.  de  Fonlenay  ajoute  : 
«  La  science  numismalique  manque  d'ouvrages  eie- 
menlaires.  La  branche  que  nous  avons  cherche  a 
exploiter  est  nouvelle ;  il  fallait ,  en  quelque  sorte, 
une  inilialion.  Puissions-nous  avoir  reussi  a  facililer 
les  recherches,  a  developper  un  goul  dans  lequel  nous 
avons  irouve  un  agreable  passe-lemps.  »  Nous  re- 
pondrons  a  i'auleur  que  son  Iravail  sera  un  slimulanl 
puissanl  pour  les  coliectionneurs  ,  qui  s'empresseronl 
de  publier  les  raedaillf^s  de  leurs  localiles  ,  el  que 
rinipulsion  qui  resullera  pour  la  numismalique  de  la 
lecture  de  son  ouvrage  ,  sera  la  realisation  de  ses 
vceux  ;  mais  nous  demandons  en  mcme  temps  a  ses 
imitaleurs  de  faire  preuve  d'une  erudition  aussi  in- 
genieuse  el  aussi  profonde  que  celle  de  M.  de  Fon- 
lenav. 


1 


—  235  — 
RECHERGHES 

SUK 

LES    LIGURES, 

Par  M.  AZAIS  ,  membre  corrospondanl. 


L'histoiie  ties  laiigues  est  l.i  hjse 
(le  celle  des  iialioiis. 

ElCIlIlOFl. 


La  Ligurie,  dans  Ic  teoips  ou  elle  etait  coruiuo 
sous  ce  nom  ,  compreiiail  celle  longue  cote  reiifer- 
mee  enlre  rApeiinin  ct  la  raer ,  clepuis  la  Macro 
jusqu'a  la  fronliere  tie  la  mer.  Elle  s'etendait ,  en 
oulre,  dans  les  pays  ;Mlues  enlre  I'Apennin  el  le  P6, 
depuis  los  Alpes  jiisqiie  vers  la  Trebia.  C'esi  anjoiir- 
d'hui  I'Elal  de  Genes,  le  Marqiiisat  de  Monlfei-rai 
avec  la  parlie  du  Pieraont  el  dii  Milanais  qui  se  trouve 
au  midi  dn  P6  (1). 

Les  hisloriens  represetitenl  les  anciens  Ligures 
comme  des  liommcs  ferocrs  e!  sauvages,  liabilan! 
un  sol  slerile  ,  ingral  el  monlagneux  ,  nienant  nne  vie 
dure  et  laborieuse  ,  associes  a  des  fentimes  aussi  te- 
roces  el  aussi  sauvages  qu'eux,  sobres,  inlrepides, 
mais  ruses,  el  joignanl  I'asluce  a  la  bravoure  pour 
defendre  leur  liberie  conire  les  altaqnes  inces- 
sanles   du    peuple  Romain  (2|. 

'1)    Gibrat,   Geograpliie  annienne  ,    loiiui  I  ,  page -122. 
(2)  Ligures  patriani  haliilaiitrs  asperani  ,  ac  omnino  sterilem  ,  pliirimn 
laboro  coiiliiuKi'iiic  vitaiii  a^'unt....   in   lorrfi  ciiliaul;    raii  sub  lectn  am 


—  256   — 

Mais  Ics  Ligiires  (|iii ,  apr^s  une  ri^sislancc  aiissi 
longue  qii'opiniatre,  fiirenl  soumis  a  la  dominaiion 
Roniaine,  I'an  de  Rome  658  (1) ,~  elaienl-i!s  origi- 
naires  d'llalie ,  et  parlirenl-ils  de  la  pour  occuper 
les  coles  de  la  Mcditerranee  dcpuis  remhouchiire  du 
Var  jiisqn'anx  Pyrenees  orienlales,  ct  peiieirer  ensiiile 
dans  la  peninsule  Iberiqnc?  N'claient-ils  pas,  au  con- 
Iraire,  originaires  d'lberie?  Et  n'est-ce  pas  des  champs 
Iberiens  qu'ils  partirent  pour  traverser  les  Pyrenees, 
ocoupcr  la  cole  de  la  Medilerranee  depuis  les  Pyre- 
nees orienlales  jusqii'a  remhouchiire  du  Var  ,  passer 
les  Alpes  et  s'elahlir  en  Ilalie? 

Celle  question  ne  manque  pas  de  difllculles  ,  parce 
que  les  fails  auxquels  elle  se  ratlache  ne  remontent 
pas  a  moins  dequinzeou  seize  siecles  avani  J.-C.  (2). 

Les  savants  auteurs  de  I'histoire  du  Languedoc  di- 
sent,  en  parlant  des  Ligurcs ,  qu'oo  en  ignore  la 
veritable  origine  (5).  Aulant  en  avail  dit ,  avant  eux  , 
Denys  dllalicarnasse  dans  ses  Anliquites  Romaines  (4). 

L'auleurde  la  slatislique  des  Douches  du  Rhone  dit 
qu'il  est  probable  que  les  Ligures  elaienl  d'origine 
C,elii(iue,  et  que  ce  nom  fut  donne  aux  Celtes  qui 
se  fixercnl  sur  les  bords  de  la  Medilerranee  (5j.  ]\Jais 

in  tuguriis  jaceiil...  Ferot^es  sunt  et  acuti  ingenii ,  non  in  bello  solum, 
sed  in  cominLiiii  vita...  Mulieres  quoqiie  virurum  laborcs  perferunt. . . . 
Denique  mulieres  viroruni  ,  viri  ferarum  robur  ft  vires  iiabent.  —  Diodo- 
rus  Siculiis  ,  lib.  0  ,  cap.  9. 

(1)  Gibrat,  Geogiapbie  ancienne  ,  tome  !'■■  ,  page  435. 

(2)  Amedee  Tliierry,  Histoiie  des  Gaulois  ,  tome  i"  ,  pages  8  et  9. 

(3)  Hisloire  de  Languedoc ,  tome  l^r,  jiage  57. 

(i)  Ligurcs  raullas  Italite  partes  habitant ,   Gallise  etiam  quasdam  inco- 
lunt.  Utra  autom  sit  eorum  patria  incertum  est.  —  Rom.  Ant.  lib.  1. 
(i)  Tome  2,  pajn  10. 


—  257  — 

cetle  opinion  ,  ijiii  n'ost  appnyi'e  il'anci'.ne  |)reuve  , 
lonihe  devani  le  temoigiinge  (\e  ions  les  liisloriens  , 
qui  font  des  Lignres  un  peuple  loul  differenl  des 
Celles ,  tin  peuple  ayani  uno  langue  ,  nne  origine  , 
qui  n'avaienl  rien  de  commun  avec  la  langue  et  rori- 
gine  dos  Celles. 

MicaJi,  dans  son  ouvrage  sur  I'/^a/ie  aiant  la  do- 
mination des  Romains ,  apres  avoir  mis  en  fail  que 
los  Ligures  cinienl  originaires  d'Flalie,  ajoiile  qu'ils 
elaient  peul-eire  un  demenibremenl  de  I'anlique  nation 
des  Ombriens  (1). 

M.  Amodee Thierry,  dans  son  Uistoire  des  Gaulois{%, 
ne  balance  pns  a  considerer  les  Ligures  conime  ori- 
ginaires d'Iberie.  Voici  ce  qu'il  dil  de  leur  origine  et 
de  leur  elablissemenl  dans  les  Gaules  et  dans  I'ltalie  : 
«  Les  vicloires  des  Celles,  au  midi  des  Pyrenees, 
»  eurenl ,  pctur  leur  palrie  ,  un  conlre-coup  funeste. 
»  Tandis  qu'ils  se  picssaienl  dans  roccidenl  el  dans 
»  le  centre  de  I'Kspagne,  les  nations  Iberiennes , 
»  deplacces  el  refoulees  sur  la  cole  de  Test  ,  for- 
»  cerenl  les  passages  orientaux  de  ces  monlagnes. 
M  La  nation  des  Sicanes,  la  premiere,  peneira  dans  la 
n  Gaulequ'elle  ne  fit  que  traverser,  el  enlra  dans  I'lla- 
»  lie  par  le  liltoral  de  l,i  Meiliterraiiee.  Sur  ces  traces 
h  arriverent  ensuile  lesLigors  ou  Ufjures,  peuple  ori- 
»  ginane  de  la  cbairie  des  monlagnes  au  pied  de  la- 
»  (luelle  coule  la  Gaadiana  ['h\ ,  et  c'lassedeson  pays 
»  par  I 's Celles  couquerants.  Trouvanl  la  cole  deblayee 

(1)  Tome  l<"',  page  103, 

(2)  Tume  \" ,  pages  8  el  9. 

(3)  I. a  Giiadiaua  ,  aji|ii'lee  ancienneiiii'iU  Anas  ,  iv.  foriue  sur  la  Siorra 
(le  Al(;ar8z.  Son  hassin  est  compi-is  enlrc  la  elijiiie  d'Ossa  an  nuni ,  efc 
rcjlc  i]i'  la   Si(  rra  MoicMiii   an   siii|. 


—   238  — 

a  par  les  Sicanes ,  les  Ligures  s'en  emparerent ,  el 
»  elendirenl  Iciirs  e'ablissemenls  loul  le  long  de  la 
»  mer  ,  depuis  les  Pyrenees  jusqu'a  rembouchure  de 
»  I'Arno....  Dans  les  temps  postericurs  ,  lorsqu'ils 
»  se  furenl  muliiplies,  leurs  possessions  en  Gaule 
»  comprirenl  loule  la  cote  a  roccidenl  du  Rhone 
»  jusqu'a  la  ligue  des  Cevennes ,  et  a  I'orienl  de  ce 
39  fleiive ,  lout  le  pays  situe  entre  I'lsere  ,  les  Alpes 
»  le  Var  et  la  mer.  » 

A  I'appui  de  cet  expose,  M.  Amedee  Thierry  cite 
plusieurs  auloriles  {])  qui  le  rendenl  ires  vraisem- 
ble,  mais  qui  n'cn  demonlient  pas  la  verite  au  point 
de  ne  laisser  aucune  place  au  doule. 

C'esl  a  I'aide  de  la  linguisiique  que  je  vais  essayer 
de  completer  les  preuves  qui  peuvent  manquer  a  cet 
expose ,  en  ce  qui  concerne  I'origine  Iberienne  des 
Ligures. 

Les  pcuples ,  dans  leurs  migrations  ,  imporlent  dans 
les  pays  qu'ils  parcourent ,  dans  ceux  ou  ils  s'eta- 
blissenl ,  la  langue  du  pays  d'ou  ils  sont  venus  ;  et 
pour  connaitre  le  pajs  d'oij  ils  sont  venus,  il  sufiit 
de  savoir  a  quel  pays  apparlient  la  langue  qu'ils  ont 
importee.  C'est  sur  ce  principe  ,  qui  ne  pent  elre 
conleste  ,  que  sera  fondee  la  discussion  qui  va  suivre. 

II  existe  en  Espagne  une  langue  loute  pariiculiere, 
une  langue  qui  ne  rcssemble  guere  qu'a  elle-m6me , 
qui  se  distingue  de  toules  les  autres  par  je  ne  sais 
quel  caraclere  d'originalite  qui  n'apparlient  qu'a  elle. 

CeKe  langue  est  la  langue  Escuarra,  que  nous 
appelons  la  langue  Basque  et  qui  n'est  parlee  aujour- 
d'hui  que  par  les  anciens  Cantabres  ,    c'est  a  dire , 

(1)  Eliennc  de  Bysance  ,  Festus  Avienus ,  Thucydide ,  Slrabwi. 


-  239  — 

par  les  habitants  do  Guipuscoa,  de  I'Aslurie  ,  de  San- 
tillane,  de  la  Biscaye  el  de  la  Navarre.  Celle  meme 
langiie  est  parlee  ,  a  quelques  differences  pres ,  dans 
les  pays  Basques  (1) ,  soil  qu'ils  aienl  fait  partic  de 
I'ancienne  Canlabrie ,  soil  que  le  voisinage  et  la 
frequence  des  communications  y  aienl  naturalise  la 
langue  Basque. 

Le  pere  Larramendi  a  soutenu  dans  sa  grammaire, 
et  d'autres  linguistiques  onl  soutenu  apres  liii  ,  que, 
dans  les  temps  les  plus  recules,  la  langue  Escuarra 
ou  Basque  etait  la  langue  universelle  de  I'Espagne. 

Ce  regne  primitif  de  ia  langue  Basque  en  Iberie, 
a  etc  conlesle  ,  j'en  conviens  ,  par  quelques  linguis- 
tiques ;  mais  ce  qui  est  incontestable ,  c'esl  que  le 
mot  Espagne  est  un  mot  Basque  qui  signifie  levre  , 
el  que  I'Espagne  est ,  dans  la  realite  ,  nne  levre  ,  un 
bord,  une  extremHe  de  I'Europe.  Or,  si  le  mot 
Espagne  est  un  mot  Basque,  il  est  vraisemblable  que 
la  langue  Basque  a  eie  la  langue  du  pays  dont  elle 
tire  son  nom. 

Dira-t-on  que  le  mot  Espagne  n'esl  pas  assez  ancien 
pour  qu'on  puisse  en  conclure  I'antiquilede  la  langue  a 
laquelle  il  appartienl?  J'avoue  que  I'Espagne  eiaitap- 
pelee  Iberia  ,  longtemps  avant  d'etre  appelee  Hispania, 
en  observant  toulcfois  que  le  mot  Hispania  est  d'une 
assez  belle  antiquile ,  puisqu'il  est  employe  par  le 
geographe  Strabon  ,  qui  etait  conlemporain  de  Jesus- 
Christ.  Mais  ce  qui  tranche  toute  difficulte ,  c'est  que 

(1)  Les  pays  Basques  francais  sont  le  pays  de  Labourd,  le  pays  de  Soule 
et  la  basse  Navarre.  En  langue  Basque,  Labourd  sigaiHe  pays  desert  , 
inculle  ,  expose  aux  voletirs ;  Soule  signifie  paiis  couverl  de  bois  ; 
Nava  sitrnifie  plaine  au  pied  des  montruincs. 


—  no  — 

le  niol  Ibhie  derive,  conime  le  moi  Espagne ,  de  la 
langiie  Basque  ;  Iri  signilie  ;jaj/.s  ,  peuple ,  el  Bert 
signitie  nouveau,  Ibcn'e ,  c'esl  done  pays  nouveau  ; 
el  il  esl  assez  naiurcl  de  penser  que  ce  nom  Cut  donne 
ii  I'Espagne  par  le  peuple  qui  y  arriva  le  premier,  el 
pour  lequel  le  pays  elait  evidemmenl  nouveau.  La 
languc  Basque  ne  pouvait  done  qu'elre  la  langue  d'un 
peuple  qui  doniiail  un  nom  Basque  au  pays  oil  il  s'e- 
tablissail ,  el  qui  ,  chaugeani  plus  lard  le  nom  de  ce 
pays  ,  lui  donnail  encore    un  nom  Basque. 

Kl  si  la  langue  Basque  n'avail  ele  la  langue 
du  peuple  qui  s'elablit  prirailivemenl  dans  I'lberie , 
qu'on  m'explique  conimenl  il  se  fail  que  le  mol  An- 
dalousie  ail  etc  (or me  de  deux  mots  Basques  Anda 
lucid  { lerre  longue  )  ;  le  mol  Aslurie  ,  des  deux  mots 
Basques  Ast,  uria  { lieu  pierreux  el  pluvieux  ) ;  le  mot 
Bidassoa,  des  deux  mols  Basques  Bide  soa  fla  bonne, 
la  pure  riviere);  le  mol  Fontarabie ,  des  deux  mols 
Basques  Oiidar  ibmja  ( ville  au  dela  du  fleuve  )  ,  le  mol 
Sara,  bourg  d'Espagne  pres  de  Burgos,  du  mol  Basque 
Sara  (  paturage  ) ;  lo  mol  Ibarra  ,  ville  do  Catalogue, 
du  mol  Basque  Ibarra  (  petite  vallee ) ;  le  mol  Herrera. 
bonrg  d'Aragon  ,  du  mol  Basque  Hcrria  ( lieu  ,  pays  , 
conlree);  el  le  mol  Carrion,  bourg  d'Espagne  ,  au 
royaume  de  Leon  ,  du  mol  Basque  Carrioa  i  cher  , 
agreable  ,  d'un   haul   |)rix  )  ? 

Je  ne  fmirais  i)as  si  j'enlassais  ici  tons  les  noms 
de  lieux  ,  de  rivieres,  villes ,  bourgs  ou  villages  de 
ia  pcninsulc  lispagtiole  ,  qui  dcrivenl  de  la  langue 
Basque ;  je  crois  on  avoir  ciie  un  assez  grand  nombre 
pour  dcmonlrer  que  celie  langue  a  primilivemenl  regne 
(laiis  I'anlicpie  Ibeiio  (1).  Bien  n'est  sujel  a  I'inslabilile 

1     .  L'aiiiiiiiiile  de  hi  laii^iio  Basijiie  ,    Jit  M.  Ameilee  Tliicri-y  ,    w 


—  ni  — 

comme  le  langage  des  liommes.  Lcs  larigues  s'alle- 
renl ,  sc  denaturenl  ,  disparaissent  ;  mais  les  lieux 
auxqiiels  elles  onl  donne  iin  noni,  Ic  conservcnt  long- 
temps  apres  qu'elles  onl  dLspani  ,  el  revelenl ,  par 
ce  meme  nom  ,  aux  hommes  d'etude  la  langue  donl , 
dans  les  (emps  anciens ,  Icl  ou  lei  pcuple  a  use. 

II  esl  done  certain  que  la  langue  Escuarra  ou  Bas- 
que,  que  les  seuls  Canlabres  conserverent,  mais  donl 
I'empreinle  osl  encore  gravee  sur  Ic  nom  meme  de 
riberie  ,  de  ses  provinces  ,  de  ses  rivieres  ,  de  ses 
bourgs  ,  de  ses  hameaux  ,  ful  primitivcmenl  la  langue 
de  la  peninsule  Iberique. 

Mais,  comment  se  faii-il^  va-l-on  me  dire,  que 
celle  langue  Basque^  qui  fut  la  langue  de  lous  les 
Ihercs,  n'ait  ele  conscrvee  que  par  les  habitants  de 
I'ancienne  Canlabrie?  La   reponse  esl  facile. 

L'hisloire  nous  represenle  les  Canlabres  comme 
des  hommes  forts,  robustes,  d'une  bravoure  a  loule 
epreuve,  supporlaut  avec  la  plus  grande  facilile  le 
froid  el  le  chaud  ,  passionnes  pour  la  liberie,  lou- 
jours  prets  a  courir  aux  amies  pour  la  defendre , 
preferant  la  morl  a  la  servitude,  vaincus  quelque- 
fois,  mais  jamais  enlierenienl  soumis. 

Les  Canlabres  furenl  do  lous  les  peuplcs,  ceux 
qui  resislerenl  le  plus  longtemps  et  avec  la  plus  ener- 
gique  opiiiialrele,  aux  armes  des  Romaius.  Veut-on 
avoir  une  idee  de  leur  energie  ?  Forces  uii  jour  par  les 

•  saurait  faire  doute  ,  qiiand  on  voit  qu'elle  a  fuiirni  les  plus  vieilles 
»  denominations  des  fl'^iives  ,  des  nionlagnes  ,  des  villes  ,  des  tribus  de 

•  I'ancienne  Espagne..,.  II  resuile  de  lout  ceci  la  presomplion  legitime 
>  qne  la  langue  Basque  est  nn  resle  de  Taneiennn  langue  Esjiagnole  ou 
"  Iberienne.   » 


—  2Z|2  — 

lieutenants  d'Augiiste  dans  leurs  derniers  relranclie- 
ments,  la  piiipart  se  donnerent  la  niorl  pliilot  que 
de  se  rendre;  les  meres  elouffaicnt  leurs  enfanls 
pour  les  souslraire  a  la  caplivite,  et  une  femme, 
oui,  une  femme,  egoigea  de  sa  propre  main  lous 
ceux  de  ses  compalrioles  qui  elaient  prisonniers 
avec  elle. 

Les  Iberes^  domines  successivemenl  par  des  con- 
queranls  de  loute  espece ,  s'abandonnerenl  au  joug 
qui  leur  etait  impose,  et  oubli^rent  pen  a  peu  leur 
langue  primitive  pour  adopter  celle  de  leurs  vain- 
queurs  ;  mais  les  Caotabrcs  ,  qui  eurent  toujours  en 
horrcur  la  domination  de  I'etrnnger ,  en  repousserent 
le  langage  avec  loute  I'energie  de  leur  patriotisme, 
et  conserverent  ainsi  pure  et  intacle  la  langue  que 
leurs  peres  leur  avaient  transmise,  el  qui  etait  a 
peu  pres  le  seul  bien  que  la  conquete  ne  put  leur 
ravir. 

Remarquons  que,  quoiqu'on  puisse  dire  de  la 
tendance  qu'onl  les  peuples  a  degenerer,  les  Espa- 
gnols  qui  habilent  I'ancienne  Cantabrie  ,  et  qui  onl 
conserve  la  langue  Escuarra  avec  une  tenacile  digne 
de  celle  que  deployerent  leurs  ayeux,  onl  prouve  de 
nos  jours,  les  armcs  a  la  main,  qu'ils  onl  herile 
aussi  de  leur  encrgie. 

Apres  avoir  etabli ,  comme  point  fondamental,  que 
la  langue  Basque  a  primiiivemenl  regne  dans  I'an- 
lique  Iberie,  je  dis  qu'il  suliil  presque  du  nom  que 
porlaieni  les  Ligures,  pour  demontrer  qu'ils  etaient 
originaires  d'Espagne   et  non  d'Ualie. 

I/histoire  nous  apprend  que  les  peuples  conque- 
rauls,  quelque  lointaines  qu'aienl  ele  leurs  expedi- 
tions,   onl    toujours    conserve,    dans  les    contreos 


—  243  — 

qu'ils  ontenvahics,  leur  nom  primilif,  apparlenant 
h  la  langue  du  pays  qui  les  vit  nailre.  Or,  si  je 
prouve  que  le  nom  des  Ligures  apparlient  a  celle 
langue  Escuarra  qui,  a  I'epoque  de  leur  migration, 
elait  la  langue  de  I'lberie ,  ne  serai-je  pas  aulorise 
a  conclure  que  c'est  d'Espagne  et  non  d'ltaiie, 
qu'etaient  originaires  les   Ligures? 

Les  hommes  qui  habitent  les  montagnes  el  qui 
vivent  au  milieu  des  rocliers,  sont ,  en  general  , 
plus  sauvages,  plus  feroces  meme,  que  ceux  qui 
passent  leur  vie  dans  les  plaines  rianles  et  ferliles  ; 
et  les  Ligures,  au  dire  de  tous  les  hisioriens  ,  tenaient 
leur  sauvage  ferocile  des  terrains  sleriles ,  ingrats 
el  montagneux  qu'ils  avaienl  toujours  habites.  Or , 
dans  la  langue  Basque,  Ligorra  signilie  terre  elevee , 
pmjs  montagneux;  done  le  nom  des  Ligures  appar- 
lient a  I'ancienne  langue  des  Iberiens;  done  les  Ligures 
elaient  originaires   d'Iberie. 

Ajoulez  que  le  Languedoc,  avnnt  d'etre  envahi  par 

les  Goths,  et  de  recevoir  d'eux  le  nom  de  Land  Goth, 

devenu  plus  lard  Languedoc,   etait  appele  Ibero-Li- 

guria  :  preuve  certaine  que  les  Ligures,  qui  le  tenaient 

sous  leur   domination,   etaieni  originaiies  d'Iberie. 

Ajoulez  encore  que  les  Grecs  donnaienlaux  Ligures 

le  nom  de  Ligues,  et  qu'Eticnne  de   Bjzance  place, 

dans  I'occidenl    de  I'lberie   pres   de    Tarlcsse  ,    nne 

ville  qu'il  appelle    Ligustine ,    dont    il    dit  que   les 

Ligues  elaient  habitants :    nouvelle  preuve    que  les 

Ligues,  ou,  ce  qui  revienl   au  meme  ,  les   Ligures 

elaient  originaires  d'Iberie  (1). 

Ces   irois   premieres  preuves    paraissent-elles  in- 

(!)  Oritlxi  Thesaurus  qeographicus,  au  mot  Ligystina. 


•Ff" 


—  nil  — 

suffisantes?  En  voici  uiiequalri^mc  qui,  je  I'esp^re,  nc 
laissera  rien  a   desirer. 

En  Espagne,  dans  I'Arragon  ,  pros  de  la  IVon- 
tiere  de  Fiance  ,  csl  une  ville  appclee  Venasque , 
donl  Ic  nom  est  forme  des  deux  mols  Basques 
pena  Arquen  ,  qui  signifienl  la  dernicrc  roche ,  la 
roche  (Jcs  Con  fins.  Or,  dans  le  deparlemenl  de 
Vaucluse  ,  nous  irouvons  la  ville  de  Venasque,  qui 
donna  jadis  son  nom  au  comle  Venaissin,  et ,  de 
phis,  nous  irouvons  Venasca  dans  les  eiats  Sardes, 
division  de  Turin. 

En  Espagne ,  dans  la  Biscaye  ,  esl  un  bourg 
appele  IVtm,  donl  le  nom  derive  du  mol  Basque 
Iria  (ville,  village,  habitation).  Or,  dans  le  duclio 
de  Milan  ,  on  irouve  unc  ville  appclee  aujourd'hui 
Voghera  ,  mais  qui,  dans  les  temps  anciens,  elait 
appolee  Iria. 

En  Espagne,  dans  le  royaume  de  Leon,  esl  une 
petite  ville  appelee  Huron,  donl  le  nom  derive  du 
mot  Basque  Bum  (cime).  Or,  dans  les  Basses-Pyrenees, 
arrondissemenl  de  Pau,  on  irouve  un  village  appele 
Euros,  el  dans  les  elats  Sardes,  division  de  Novarre, 
pres   de  Verceil  ,    un   bourg  appele  liuronzo. 

En  Espagne,  dans  la  Cerdagne  espagnole,  esl  un 
village  appele  Andore ,  qui  donne  son  nom  a  la 
vallee  dans  laquelle  il  est  silue ,  nom  qui  derive 
des  deux  mots  Basques  Audi  gorra  (  grande  hauteur, 
haute  vallee)  Or,  dans  Tetat  de  Genes,  pres  de 
la  Mediterranee ,  nous  irouvons  une  petite  ville 
appelee  Andora. 

En  Espagne ,  pres  de  Cordoue ,  esl  un  bourg 
appele  Luque  ,  donl  le  nom  derive  des  deux  mols 
Basq\ies    hi,     /e/.on  ( pays ,    habitation).    Or,    nous 


—  2/i5  — 

lioiivons  dans  les  Hasses-Pyr^nees,  (]ans  I'Aude  ct 
dans  le  Var,  je  ne  sais  combien  de  villages  appeles 
Luc  ou  Lucq,  el  dans  I'ltalie^  une  grande,  riche  el 
ires  ancienne  ville,   appelee  Lucques. 

En  Espagne,  dans  le  royaume  de  Grenade  ,  sur 
les  bords  dii  Guadalentin  ,  esl  une  ville  appelee 
Bafa,  donl  le  nom  derive  du  mol  Basque  Has  (eau, 
elang).  Or,  on  Irouve  a  Beziers,  sur  les  bords  de 
la  riviere  de  Tongue ,  un  village  appelc  Bassan  ; 
dans  la  Lombardie  ,  sur  la  riviere  de  Brente  ,  une 
ville  appelee  Basaano ,  cl  dans  le  palrimoine  de 
Sainl-Pierre,  non  loin  du  Tibre  ,  un  village  appole 
aussi  Bassano. 

Dans  la  Navarre  espagnole,  et  sur  la  riviere  d'A- 
ragon  ,  est  une  pelile  ville  appelee  Marzilla  ,  donl 
le  nom  csl  forme  des  deux  uiols  Basques  Mera 
frner,  eau,  elang  J;  Ilia  (ville,  villige).  Or,  dans  le 
deparlemenl  de  I'Aude  ,  non  loin  de  Carcassonne  , 
est  un  village  appele  Marseillette ,  situe  sur  un  elang 
desseche  depuis  environ  quaranle  ans  ;  dans  le  de- 
parlemenl de  I'Herault ,  non  loin  de  la  ville  d'Agde, 
est  une  petite  ville  appelee  Marseillan ,  siluee  sur 
I'elang  de  Tliau  :  dans  le  deparlemenl  des  Bouclies- 
du-Bhone  esl  une  grande  ville  appelee  Marseille  , 
siluee  sur  les  bords  de  la  Medilerranee  ;  el  dans  le 
Piemonl  ,  division  de  Coni ,  esl  un  village  appele 
Marsaglia  (i),   silue  sur  la  riviere  de   Cbisole. 

En  Espagne,  dans  le  royaume  de  Grenade,  esl  un 
village  appele  Ossea,  el  dans  I'Andalousic  une  ville 
appelee  Ossona,  donl  les  noms  derivenl  des  radicaux 

(1)  C'est  pr^s  de   ce  village  que  fut  livrce,  h  i  oefobre  1693,  la  ba- 
taille  de  la  Marsault. 


—  266  — 

Basques  oso,  osso,  qui  marquent  la  salubrite,  I'in- 
legriie,  la  siirele  (1).  Or,  nous  irouvons  en  France, 
dans  les  Basses-Pyrenees,  Ossas,  Osse,  Ossen,  Ossau, 
dans  les  Haules-Pyrenees  ,  Ossen,  Ossun]  dans  Ics 
Pjrenees-Orienlales ,  Osseja;  dans  I'Etal  de  Genes, 
Ossella,  et,  dans  la  Toscane,  la  riviere  appelee  au- 
trefois Ossa,  aujourd'hui  Albenga. 

En  Espagne,  dans  la  Biscaye,  est  un  bourg  appele 
Vrbina,  dont  le  nom  derive  du  mot  basque  Urhinum 
(ville,  village  enlre  deux  eaux).  Or,  nous  Irouvons 
dans  les  Pyrenees-Orienlales,  un  village  appele  Ur~ 
banija,  el  dans  I'lialie  la  ville  d'Urbin,  siiuee  enlre 
les  rivieres  de  Metro  et  de  la  Foglia. 

EnGn,  il  est  en  Espagne  un  village  appele  Amos, 
silue  dans  un  pays  convert  de  vignobles ,  dont  le 
nom  derive  du  mot  Basque  Arno,  qui  signifie  vin, 
et  une  riviere  appelee  Arnoya,  dont  le  nom  derive 
du  meme  mot  Basque ,  el  qui  arrose  un  pays  ou 
les  vignes  abondent.  Or,  nous  Irouvons  dans  le 
deparlement  de  I'Horaull,  pres  Beziers  ,  une  terre 
appelee  en  patois  Arnoyo  et  en  fran^ais  Amoie  qui, 
dans  tons  les  temps  a  ele  fertile  en  bon  vin  ;  et 
dans  rilalie,  le  tleuve  Arno,  qui  tire  sa  source  du 
mont  Apennin  et  se  jette  dans  la  mer  de  Toscane, 
apres  avoir  parcouru  des  pays  ou  la  vigne  a  toujours 
ete  cullivee. 

Ces  exeraples ,  auxquels  je  pourrais  en  ojouler 
beaucoup  d'autres,  demontrent,  ce  me  semble,  qu'un 
peuple,  parlani  la  langue  primitive  des  Iberes,  et 
par  consequent  parli  d'Iberie  ,  a  franchi  les  Pyrenees 

(1)  Voyez  Fauriel  (Hist,  de  la  Gaule  meridionalo  sous  la  dorainalion 
<les  conqiierants  Germains),  tome  2,  appendice  n"  2,  page  S20. 


! 


—  ^17    — 

oiienlales  ,  ct  a  suivi ,  dans  la  Gaule  meridionale  , 
les  cotes  de  la  Mediterrane<i,  d'ou  il  est  passe  dans 
les  pays  Ilaliques. 

Et  si  les  Ligures  elaient  pariis  d'ltalie  pour 
occuper  les  coles  de  la  Mcdilerranee,  d'oii  auraient- 
ils  lire,  je  le  demande,  le  nom  Basque  de  L/grune, 
qu'auraii  porle  le  pays  d'ou  ils  seraient  pariis?  D'ou 
auraiciU-ils  tire  ces  noms  Basques  qui  abondent  dans 
ritalio,  et  surtout  dans  I'eiat  de  G6nes,  ces  noms 
Basques  qu'ils  auraient  semes  sur  leur  passage,  en 
parcourant,  sur  le  littoral  de  la  Mediterranee,  I'espace 
qui  separe  les  Alpes  des  Pyrenees? 

Mais  ces  noms  Basques  ,  que  nous  trouvons  dans 
I'llalie  el  sur  les  coles  de  la  Mediierranee,  nous  les 
relrouvons  dans  I'lberie  ;  que  dis-je?  nous  trouvons 
encore  vivante  dans  une  parlie  de  I'lberie  ,  la  langue 
de  laquelle  ils  derivenl ,  et  qui  fui  la  langue  de 
I'lberie  enliere  :  done  le  mouvement  des  Ligures , 
loin  d'avoir  lieu  d'ltalie  vers  I'Espagne,  eut  lieu 
d'Espagne  vers  I'llalie  ;  done  ,  encore  une  fois  ,  c'esi 
d'Espagne  et  non  d'ltalie ,  qu'elaient  originaires  les 
Ligures. 


17 


—  2/i8  — 
Coraraunicalion  dc  !i.   Opperl, 

Membrc  correspondant. 

DE  L'IMPORTANCE  HISTORIQUE 

DES    INSCRIPTIONS    ASIATIQUES   NOUVELLEMENT 
D^CHIFFRfiES. 

Premier  article. 


Noire  siecle  ,  dcja  si  I'econd  en  grandes  decouverles 
scienlifiques ,  vienl  de  s'immorlaiiser  par  une  decoii- 
vertc  nouvelle  qui  sera  d'une  immense  imporlance 
pour  I'hisloire  du  genre  humain.  A  cote  des  sciences 
nalurelles  auxquelles  noire  epoque  a  vu  prendre  un 
developpemenl  inoui  dans  les  fasles  des  connaissances 
humaines;  a  cole  de  Tinduslrie,  I'enfanl  cheri  de 
noire  ere  et  doni  nous  apercevons  lous  les  jours 
les  progres  giganlesques,  il  se  fonde  une  science 
nouvelle  appelee  egalemenl  a  un  grand  el  bel  avenir. 
Celte  soeur  modeste  et  conteniporaine  des  sciences 
de  la  nature ,  pour  laquelle  je  reclame  ralienlion 
bicnveillante  de  1' Academic,  est  la  philologie  comparee 
et  hislorique,  en  lanl  qu'elle  s'applique  au  dechiffre- 
menl  des  inscriptions  asiatiques ,  connues  sous  la 
denomination  d'inscriptions  cuneiformes. 

Que  sont-ils  devenus,  ces  grands  peuples  de  noire 
berceau   asiatique,  ces  nations  donl  le  noni   a   deja 


—  2/i9  — 

frappe  les  oreilles  de  noire  cnfance?  Quelles  traces 
ont-elles  laissees,  ces  civilisations  antiques  succes- 
sivement  aneantics  par  le  soufile  exlerminateur  de 
celles  qui  les  suivirent?  Connailrions-nous  leur 
existence,  si  quelques  aulres  peuples,  plus  favorises 
par  la  Frovidence,  ne  nous  avaient  pas  transmis  a 
leur  sujet  quelques  notions  imparfaites  ? 

Ces  vestiges  de  leur  antique  existence,  que  I'hu- 
manite  avail  perdiis,  la  science  moderne  vient  de  les 
relrouver.  Le  voyageur  inlrepiile ,  parcourant  ces 
pays  de  I'Asie,  autrefois  florissants,  aujourd'hui  de- 
serts, elait  frappe  par  {'aspect  de  grandioses  monu- 
ments, sur  lesquels  il  lisait,  ou  plutot  ne  lisail  pas, 
des  caracleres  inconnus.  Les  descendants  des  peuples 
auteurs  de  ces  signes  en  avaient  perdu  depuis  long- 
temps  la  connaissance,  et  il  n'a  ete  reserve  qu'au 
siecle  actuel  de  dechiffrer  ces  myslerieuses  inscrip- 
tions ,  dont  des  milliers  d'annees  avaient  ete  les 
depositaires  respectueux,  mais  lacilurnes. 

Nous  connaissons,  et  nous  connaissons  seulement 
par  des  inscriptions ,  une  parlie  de  I'hisioire  de 
rinde ;  car  la  lillerature  bralimanique,  qui  nous  a 
legue  des  masses  enormes  d'ecrils ,  manque  absolu- 
ment  d'historiens.  On  a  dechiffre  et  lu  les  noms  des 
dynasties  enlieres  dans  les  inscriptions  des  Topes ,  el 
c'est  par  les  inscriptions  en  langue  pali  du  roi  Asoca, 
que  Ton  a  en  une  idee  de  la  legislation  des  princes 
Bouddhistes  ,  aneantis  par  la  reaction  brahmaniquc 
survenue  depuis.  On  a  pu  reconstituer  I'hisioire  de 
I'empire  Indo-grec  des  successeurs  d'Alexandre,  par 
les  legendes  de  Caboul,  en  les  combinanl  avec  le  peu 
de  renseignements  que  les  grecs  nous  ont  transmis 
a  leur  sujet. 


—  250  — 

Lcs  egypliens  nous  out  Inisse  une  masse  immense 
do  monuments  en  plusieurs  langues  el  ecrilures  ;  la 
science  travaillc  el  fait  penibiemenl  chaque  jour  de 
nouveaux  progres  sur  ce  domaine  si  apre  et  si  ardu, 
Ce  donl  on  peul  deja  se  rendre  comple,  par  les  nonns 
de  rois  qu'on  dechiffre,  c'est  qu'une  civilisation  beau- 
coup  plus  ancienne  que  ne  I'oni  presume  nos  peres, 
fecondait  deja  les  bords  du  Nil  a  des  epoques  ou  les 
donnees  hisloriques,  autres  que  cclles  deMoyse,  nous 
font  completemenl  defaut.  Nos  descendants  qui 
pourronl  lire  toutes  ces  inscriptions,  tous  ces  rou- 
leaux manuscriis  hisloriques ,  judiciaires  el  rituels, 
lireroni  de  ces  nouvelles  donnees  des  consequences 
donl  nous  ne  pouvons  pas  nous  douter  acluellement. 

En  Asie  Mineure,  le  dechiffremenl  des  inscriptions, 
peu  considerables  par  leur  etendue  ,  a  deja  abouti  a 
prouvcr  que  les  Phrygiens,  les  plus  anciens  hommes 
d'apres  la  croyance  du  roi  Psammelique,  apparte- 
naient  a  la  race  Indo-gcrmanique.  Les  monuments  de 
la  Lycie  ,  deterres  par  un  savant  anglais,  M.  Fellows, 
dechiffres  depuis  par  plusieurs  crudils,  montrent  que 
cette  conlree  etait  habitee  par  un  peuple  d'origine 
loute  differenlo ,  el  dans  lequel  nous  airaerions  a 
reconnailre  une  nation  de  race  Finno-Mongole. 

Les  commerganls  de  rautiquite,  les  Pheniciens,  ne 
nous  sonl  connus  que  par  quelques  notions  eparses 
des  Grecs  et  des  Hebreux  ,  leurs  livres  sontperdus, 
comme  I'esl  egalemenl  la  lilleralure  de  la  formidable 
rivale  de  Rome,  de  Carthage.  Le  dechifTremenl  et 
Texplicalion  presque  accomplie  des  documents  phe- 
niciens et  carlhaginois,  nous  montrent,  bien  qu'ils 
ne  soieni  pas  considerables  par  leur  importance  histo- 
rique ,  que  les  negociants  de  Tantiquile  etaient  les 
proches  parents  du  peuple  israelile. 


—  '251   — 

D'aulres  savants  onl  explore  le  inidi  loiiuaiii  do  I'A- 
rabie,  ei  onl  commence  la  decouverte  des  inscriptions 
Himyariles,  et  celles  de  Saba,  d'aulres  encore  onl  lu 
celles  du  monl  Sina. 

Mais  aucune  des  branches  nouvelles  de  la  science 
philologique  n'a  ete  jusqu'ici  si  feconde  pour  la  phi- 
lologie  linguislique  el  pour  I'hisloire  que  cellc  di  s 
documenls  cuneiformos. 

Qu'esl-ce  qu'on  designe  sous  le  nom  d'inscriplions 
cuneiformes? 

On  trouve  en  Mesopotamie,  en  Babylonie  et  en 
Perse,  un  grand  nombre  de  notes  epigraphiques  qui 
se  composent  de  signes  differemment  combines  avec 
un  merae  element,  le  coin  ou  la  fleche  (cuneus). 
C'est  cet  element  primitif  qui   leur  a  donne  le  nom. 

On  pourrait  facilement  demontrcr  pourquoi  Ton  a 
choisi  cet  element  constilutif ,  c'est  en  effet  celui  qui 
s'adaple  le  mieux  au  ciseau  du  lapicide,  deux  coups 
de  cet  instrument  sulTisent  pour  en  produire  la  forme. 

II  est  probable  que  les  Assyriens  onl  les  premiers 
combine  des  coins  pour  former  leur  ecriture  lapidaire  ; 
mais  bienlol  les  peuples  donl  la  dominaiion  succed:i 
a  celle  des  sujels  de  Semiramis  ,  I'adopterenl  [tour 
en  composer  leurs  ecrilures ,  symboles  de  langucs 
loules  disparates.  Ceite  difference  d'idiomes  el  de 
caracieres  n'a  pas  empeche  les  Grecs  de  designer  toiites 
ces  ecrilures  sous  les  noms  communs  de  yfccuiAATa 
Aa-ffi/p;*,  ecrilure  assyrienne ,  lerme  qui  se  lit  egale- 
menl  dans  la  Bible. 

On  relrouve  Irois  on  peiil-elre  qualre  especes  d'ecii-^ 
lures  cuneiformes  ;  nous  parlerons  d'abord  du  syslcuK 


—  252  — 

assyrien  ou  babylonien.  II  se  lit  sur  les  rocs  de  Van , 
siir  des  monuments  epars  en  Asia,  surloul  dans  les 
ruines  du  vaste  palais  de  Ninive ,  decouvert  par 
M.  BoUi ,  alors  consul  de  France  k  Mossoul.  Geile 
merveilieuse  decouverle  frangaise  nous  a  fourni  des 
inscriptions  de  la  valeur  de  56,000  metres  de  longueur, 
el  M.  Layard  vient  d'y  ajouler  celle  d'une  archive  de 
briques  assyriennes,  de  sorte  que  le  volume  des  testes 
mis  a  la  disposition  des  savants  est  prodigieux.  Eq 
outre,  la  Babyionie  nous  exhibe  egalement  une  masse 
de  briques  empreinles  de  caracteres  presque  iden- 
tiques  a  ceux  doct  nous  venons  de  parler. 

La  deusierae  espece  de  ces  ecritures,  qui  scrvail  a 
elerniser  une  laarjue  probablement  Mongole,  est  con- 
nue  jusqu'ici  sous  le  nom  d'inscriplions  mediques. 
Nous  croyons  devoir  proscrire  ce  nom  el  le  rempla- 
cer  par  celui  de  Scythique  et  cela  par  des  raisons  que 
nous  avons  cxposees  ailleurs. 

Les  rois  de  Perses  adopterent  pour  leur  ecrilure 
des  caracteres  combines  du  meme  element ,  et  creerenl 
le  syslerae  perse.  Mais  la  langue  n'etait  parlee  que 
dans  iin  terriloire  tres  restrcint,  eu  egard  a  Timmen- 
se  elendue  del'empire  qu'ils  avaicnt  fonde.  Le  premier 
monarque  perse,  ainsi  quesessuccesseurs,  prirentdonc 
le  parti,  qui  est  pour  nous  d'une  precieuse  importance, 
de  publier  leurs  decrets  dans  les  trois  idiomes  dout  nous 
avons  parle  jusqu'ici :  ainsi  toutes  les  inscriptions 
qu'ils  ont  laissees  sonl  trilingues.  II  est  done  facile 
de  prevoir  que  Ton  arrivera  a  dechiffrer  et  a  inter- 
preter toutes  les  inscriptions  cuneiformes  du  moment 
oil  Ton  aura  reussi  a  dechiffrer  et  a  interpreter  Tun 
des  trois  .syslemes. 


—  25S  — 

C'esl  ce  qui  est  arrive  ,  Messieurs.  La  science 
moderne  a  su  soulcver  le  voile  qui  couvrait  ce  niyslcre  ; 
ii  y  a  vingl  ans  ,  on  ne  connaissail  ni  I'ecrilure,  ni 
la  langue  dans  laquelle  etaienl  con^us  ces  documents; 
et ,  chose  a  jamais  glorieuse  dans  Thisloire  de  la  lin- 
guislique  naissanle,  on  a  lu  les  signes,  on  a  explique 
I'idiome;  et  notre  connaissance  est,  des  aujourd'hui, 
arrivee  a  un  degr^  de  perfection  tel  que  nous  pouvons 
appliquer  les  principes  de  la  critique  philologique 
au  langage  ressuscile  de  la  lombe  des  vaincus  de 
Marathon. 

Je  me  permetlrai ,  Messieurs ,  de  vous  exposer 
comment  on  a  pu  y  parvenir.  Les  ecritures  assyrienne 
et  medique  sont  syllabiques^  et  ont  unegrande  quan- 
lite  de  signes  ;  I'ecrilure  perse  ou  achemenienne  est 
alphabelique ,  et  n'a  que  quaranle  caracteres.  Les 
mols  y  sont  separes  pai'  un  signe  special ,  avantage 
que  ce  systeme  paleographique  a  mfime  sur  les  in- 
scriptions grecques.  II  s'agissait  done  de  deviner  quel- 
ques-uns  de  ces  signes  pour  arriver  ,  plus  tard  et 
pen  a  peu  au  dechiflVement  du  systeme  entier. 

Un  savant  allemand  ,  M.  Grotefend  ,  do  Hanovre  , 
etudiait  il  y  a  trente-cinq  ans  les  peliles  inscriptions 
que  Niebuhr  avail  apporlees  de  Persepolis  ,  sculplees 
au  dessns  des  porlcs  du  palais  venerable  delruit  en 
parlie  par  Alexandre  le  Grand.  M.  Grotefend  remar- 
quait  que  deux  de  ces  inscriptions  eiaient  presque 
identiqucs,  sauf  deux  termes  seiilemenl.  Le  mot  com- 
mencanl  les  deux  inscriptions  n'etail  pas  le  meme , 
el ,  un  peu  plus  bas  ,  on  lisail  au  lieu  d'un  autre  mot 
le  terme  qui  coramengait  la  premiere.  M.  Grotefend 
croyail  voir  dans  ces  expressions  les  noms  de  deux 
rois  qui  avaient  fait  balir  lo  monument  de  Persepo- 


F 


—  25a  — 

Jib ,  el  ceiix  des  deux  peres  de  ces  monarques ;  il 
conclui  ,  en  oiilre ,  que  le  roi  nomme  dans  la  pre- 
miere inscription  elaii  le  pere  de  I'auire.  II  fallait 
savoir  quels  elaient  les  rois  caches  sous  ces  noms 
myslerieux  ;  il  conclut  a  Darius  ,  fils  d'Hyslaspe  ,  et 
Xerxes  ,  fils  de  Darius  ,  et  se  mil  hardimenl  a  epeler 
le  nom  du  premier  roi  DAR. 

Audaces\fortuna  juvat ;  il  ne  s'etait  pas  trompe  ; 
et  e'est  a  celie  inspiration  intuitive  que^nous  de- 
vons ,  apr^s  un  travail  de  six  lustres  ,  le  dechif- 
frement  complet  de  I'alphabet  de  I'idiome  perse.  Plu- 
sieurs  erudhs'eiendirent  le  domaine  de  la  nouvelle 
decouverte ;  mais  ce  ne  fut  qu'en  1856  que  MM. 
Burnouf  et  Lassen ,  se  livrant  isolement  aux  memes 
rechcrches ,  decouvrireni  les  noms  des  provinces  de 
I'empire  Perse ,  enumerees  dans  une  de  ces  inscrip- 
tions ,  et  firent  un  pas  gigantesque  vers  le  but  desire. 
En  J846 ,  M.  Rawlinson,  consul  d'Angleterre  a 
Bagdad  ,  copia  une  grande  inscription  con^ue  en  trois 
langucs  et  gravee  sur  le  roc  de  Bisonloun.  II  ne 
publia  que  la  pariie  perse ,  longue  de  450  lignes  el 
en  general  bien  conservee. 

Ce  document  hislorique ,  le  seul  aulhentique  qui 
nous  reste  des  Perses ,  contient  I'histoire  des  pre- 
mieres annees  du  regne  de  Darius  ,  tracee  par  le 
monarque  meme  el  empreinle  d'un  cachet  tout  offi- 
ciel.  En  plus  d'un  passage^  il  confirme  les  donnees 
du  pere  de  I'histoire  ,  et  venge  Herodole  des  repro- 
ches  et  des  soupgons  donl  d'injustes  denigrements 
avaient  entach6  la  veraciie.  II  donne,  au  contraire, 
tort  au  rival  d'Herodote  ,  Ciesias ,  el  sanclionne  ,  d'un 
autre  cote ,  les  traditions  grccque  et  hebraique  en  op- 
position a  celles  que  les  descendants  des  Perses  nouii 
onl  Iransmises. 


--  255  — 

On  poui  rail  m'objecter  pourlanl  :  «  Admellons  que 
I'alpliabel  soil  completemenl  dechiffre  ;  mais  de  la 
jusqu'a  I'inlerprelalion  de  I'idiome  ,  il  y  a  encore 
loin.  On  pent  bien  lire  les  tables  eugubines  ecriles 
en  langue  ombrique  el  en  caracleres  romains,  mais 
leur  inlerprelalion  esi-olle  assuree.   » 

Permeltez  moi  ,  Messieurs ,  de  repondre  a  cetle 
objection  par  une  coniparaison  analogue.  Admellons, 
que  I'italien  ful  perdu  ,  mais  qu'on  connut ,  non 
pas  le  latin ,  mais  le  frangais  et  I'espagnol  ,  ne 
pourrait-on  pas  parvenir  a  interpreter  les  texles 
italiens  par  des  combinaisons  pbilologiques  plus  ou 
moins  ingenieuses,  plus  ou  moins  doctes?  Pour  le 
perse  ancien  la  question  serail  la  meme.  On  connait 
parfailemenl  la  langue  Sanscrite,  parenle  a  un  degre 
assez  proche  de  I'ancien  perse  ;  on  connait  Ires 
peu,  a  la  verite ,  sa  langue  soeur  ,  la  langue  du 
Zend-avesta ,  et,  en  outre,  mieux  que  les  deux, 
I'idiome  des  persans  modernes  derive  de  la  langue 
des  Achemenides.  C'est  a  I'aidede  ces  donnees  que  la 
critique  philologique  a  eu  raison  de  celte  langue 
oubliee  depuis  plus  de  deux  mille  ans. 

La  connaissance  des  traductions  assyrienne  el 
scythique  nous  guidera  dans  I'oeuvre  ires  difficile  des 
dechiffrements  des  documents  assyriens,  destines  a 
Jeter  une  lumiere  aussi  eclalanle  que  nouvelle  sur 
I'antique  histoire  de  I'Asie. 

Nous  aurons  I'honneur  de  soumettre  procbainemenl 
a  I'Academie  une  traduction  ou  une  analyse  de  ces 
documents  serieux. 


256  — 


(lonrnmnication  de  SI,  Morticr  des  Noyers. 


Messieurs  , 

L'Adminislration  municipale  vienl  de  me  faire 
riionneur  d'accepler  pour  le  Musee  de  la  Ville  un 
debris  du  moyen-age  qui  pcul  avoir  quelque  inte- 
ret  pour  I'Academie.  el  je  viens  vous  prier  de  vou- 
loir  bien  le  soumeltre  a  son  examen. 

II  consiste  en  une  espece  de  bas  ou  de  guetre 
mauresque,  c'esl  a  dire  sans  pied  ,  el  que  la  tradilion 
fait  remonler  au  xr  siecle. 

II  a  servi  a  revelir  le  corps  de  Sanche  I,  roi 
d'Aragon,  morl  en  4094,  enlerre  dans  une  des 
eglises  de  Burgos  (Espagne). 

A  la  premiere  inspection ,  el  en  rapprochanl  les 
parlies  decousues  de  I'etoffe,  il  est  facile  d'y  re- 
connailre  la  forme  de  la  jambe,  el  de  s'assurer  par 
rinlerruption  du  dessin  ,  qui  se  lermine  a  hauteur 
de  la  cheville,  que  ie  bas  n'avail  pas  de  pied  ,  el  que 
c'eiait  plutot  une  guetre  ,  autrefois  dite  Heuse  ou 
Ilouzeau  ,  de  forme  mauresque ,  telle  qu'en  portent 
encore  les  peuples  de  I'Algerie  ct  du  Maroc,  ci 
dont  k\  corps  d'Infanlerie  dil  Zouaves  a  ete  vetu 
par  imitation. 

Ce  morceau  d'eloffe,  donl  ranliquile  est  inconles- 
lable,  elait  dans  ma   faoiillc  dopuis  pljs  de  quarantc 


*  f 


—  257  — 

ans ;  il  y  est  parvenu  d'uiie  fagoii  qui  met  pour 
moi  son  origine  hors  do  doute.  Depuis  mon  enfance, 
j'ai  enlendu  tanl  de  fois  raconler  son  hisloire,  qu'elle 
n'a  pas  pu  s'effacer  de  mon  souvenir: 

Le  9  Novembre  1809,  Tarmee  frangaise  com- 
mandee  par  le  marechal  Soull ,  altaquQ.  I'armee 
espagnole  retranchee  sous  les  murs  de  Burgos.  Le 
resultal  de  la  bataille  fut  pourcelle  derniere  une  de- 
roule  complete;  les  Espagnols  renlrerenl  dans  Burgos 
qu'ils  ne  firent  que  traverser,  el  a  leur  suite  les 
Frangais  penelrerent  dans  la  viile  que  la  plupart  des 
habitants  avaient  abandonnee.  Une  bande  de  piilards^ 
ramassis  de  lous  les  regiments,  proflla  du  desordre 
pour  se  jepandre  dans  les  eglises,  et  viola  les  lom- 
beaux  des  anciens  rois  d'Aragon  ;  ils  esperaient  y 
Irouver  des  tresors ,  on  n'y  renconira  que  de  ma- 
gnifiques  momies. 

Un  de  mes  oncles,  alors  direcleur  general  des 
posies  a  I'armee  d'Espagne,  que  la  nature  de  son 
service  avail  oblige  d'entrer  un  des  premiers  dans 
la  ville  pour  s'emparer  du  service  desdepeches, 
n'arriva  sur  les  iieux  que  pour  voir  le  sacrilege 
accompli. 

Dix  generations  de  Sanches,  de  Ramires ,  d'Al- 
phonses,  etc^  elaienl  eiendues  sur  lepave  des  eglises; 
quelques  uns  elaienl  encore  ceints  de  leur  epee  de 
bataille,  rouillee  par  le  sang  des  Maures^  el  semblaienf, 
par  leurs  regards  ternes  el  immobiles ,  protester 
conlre  ces  infldeles  nouveaux ,  ces  enfanls  du  siecle 
d'impiete,  que  la  soif  de  I'or  poussail  a  violer  la 
paix  des  lombes. 

Un    beros   que    Cornciile    a    rendu    popuiaire  en 


—  258  — 

France,  h  Cid,  ful  lire  de  son  cercueil  par  des  sol- 
dats  frangais. 

Les  velements  donl  ces  illuslres  debris  elaieol 
recouverls  furent  disperses ;  c'est  alors  que  raon 
oncle  s'erapara  du  Bas  que  je  presenle,  el  qui  ve- 
n.iil  d'etre  enleve  par  un  soldat  du  lombeau  de 
Sanche  I. 

Depuis  lors  il  esl  loujonrs  resle  dans  les  mains 
de  ma  mere,  a  qui  mon  oncle  I'avail  donne  a  son 
retour  d'Espagne. 

J'ai  pense,  qu'a  pari  la  vaieur  qu'il  pouvail  avoir 
comme  monument  archeologique,  il  pouvait  elre  enco- 
re de  quelque  inl6ret  dans  une  ville  manufacturiere, 
en  foumissani  un  point  de  comparaison  enlre  les 
lissus  du  present  el  ceux    du  passe. 


—  259  — 


Leclure  de  H.  Cli.  Loriquet. 


QUELQUES  MOTS  SUR  LES  SEPULTURES  DES  ROIS  DE 
CASTILLE  ,  A  PROPOS  d'uNE  PIECE  d'ETOFFE  ANCIE?<NE 
d£POS£E   AU   MUSfiE     DE   LA    VILLE    DE   REIMS. 


Messieurs  , 


Dans  I'une  des  dernieres  seances,  noire  collegue,  M. 
Morlier ,  a  soumis  a  voire  apprecialion  un  morceau 
d'elofTe  ^  laquelle  une  tradition  conservee  dans  sa  faraille 
attribue  une  origiue  espagnole  el  fort  ancienne. 

J'aurais  laisse  passer  les  assertions  de  noire  lionorable 
confrere ,  si  un  journal  de  la  localite  n'en  avail  rendu 
rAcademie  complice  en  quelque  sorte ,  el  assure  qu'elles 
avaient  eu  son  approbation  pleine  et  enliere. 

Vous  vous  rappelez,  MM.  ,  I'objet  donl  j'ai  dessein 
de  vous  enlrelenir.  C'est  ua  Iricol  de  soie  verte  et  de 
fils  d'or ,  formant  une  sorte  de  bas  sans  pied  el  de- 
cousu.  Sauf  une  bande  deslinee  a  donner  plus  de  lar- 
geur  sur  lapartieposlerieure  delajambe,  laquelle  esld'un 
or  plus  blanchalre  et  presenle  de  petiles  croix ,  le  dessin 
reproduil  une  suite  de  bouquets  d'or  traces  en  vert  sur 
le  fond  d'or,  el  donl  un  Iricol  different,  dil  tricot  a  I'en- 
vers,  fail  ressorlir  en  or   les  fleurons  principaux. 


—  260  — 

En  ce  qui  concerne  retoffe  elle-meme  et  !e  jugemcnt 
qui  peut  rcsulter  de  son  inspection ,  je  crois  qu'il  fau- 
drait  des  yeux  fort  exerces  pour  qu'on  put  de  visit  lui 
assigner  une  date. 

La  plupart  dcs  tissus  antiques  dont  les  archeologues 
se  sont  occupiis  jusqu'ici,  portent  en  eux-memes  des 
sisiies  indicate urs  de  leur  orii-nne.  Cettc  ressource  nous 
manque 5  a  nos  yeux,  du  moins,  le  dessin  de  noire 
etotTe  n'a  pas  un  caractere  tranche,  capable  d'en  ac- 
cuser la  date  ou  la  provenance.  Le  mode  de  fabrica- 
tion, la  forme  de  tricot  seule  pourrait  etre  un  indice, 
si  Ion  pouvait  preciser  a  quelle  epoque  ce  genre  de 
tissus  s'introduisit  en  Espagne.  C'est  une  question  dont 
I'etude  sera  probablement  sans  difliculles,  quand  MM.  de 
Pastoret,  Francisque  Michel,  Arthur  Martin  et  Charles 
Cahier  auront  mis  au  jour  le  resullat  de  leurs  savantes 
recherches  sur  les  tissus  anciens.  Les  deux  derniers  ont 
ele  consultes  par  nous  sur  le  sujet  particulier  qui  nous 
occupy  aujourd'hui;  nous  devons  attendre  qu'ils  aient 
pronouce.  Bornons-nous  done  a  constater  d'apres  eux 
(1),  que  I'Espagne  fut  de  toute  I'Europe ,  au  moyen- 
age,  la  contree  la  plus  avancee  dans  la  fabrication  des 
etoffes.  Le  pannus  de  spanisco  et  les  tapetia  hispana 
etaient  en  graude  renoramee,  a  I'egal  des  draps  d'Alex- 
andrie  et  des  soieries  airicaines.  11  est  a  croire  que 
I'Espagne  ne  se  bornait  pas  a  la  fabrication  des  tissus 
de  laine;  les  Sarrasins  furent  probablement  ses  maitres 
en  Industrie,  et  Ton  salt  qu'ils  etaient  grands  amateurs 
de  vetements  de  sole :  a  leurs  yeux  et  au  dire  du  Koran, 
les  bienheureux  du  paradis  n'en  devaient  pas  avoir 
d'autres.  On  peat  conjecturer  que  toutes  les  manieres 
de  Iravailler  la  sole  leur  etaient  familieres;  et,  ceci 
admis,  il  est  facile  de  voir  pourquoi  notre  morceau  d'etoffe 
est  un  ti'icot :    par  son  elasticite ,  ce  genre  de  tissu  etait, 

(1)  Mel.  d'arclieologie  ,  vol.  ii,  p.   lOl  el  soq. 


—  261    — 

comrae  il  I'e^t  encore,  le  plus  convenable  pour  uno 
destination  semblablc  a  celle  que  paralt  avoir  eue  notre 
etoffe . 

Quand  I'arclieologue,  desireux  de  donner  unc  date  a 
I'objet  de  son  etude,  se  trouve  deroute  par  labsence  de 
preuves  materielles,  i!  doit  interroger  d'autres  indices. 
Les  circonstances  de  la  trouvaille,  los  jiouvenirs  iocaux 
qui  s'y  ratlaclient,  les  caracteres  dautlienticite  qui  ont 
accompagne  sa  mise  en  lumiere,  peuvent  encore  le  guider 
dans  sa  recherche.  Sans  reculer  devant  la  longueur  du 
chemin  que  nous  serous  peut-etre  obliges  de  parcourir, 
voyons  si  ces  moyens  peuvent  nous  conduire  a  des 
resultats  certains. 

Et  d'abord,  vous  connaissez  le  fait  principal  sur  lequel 
repose  la  tradition  conservee  dans  la  famille  de  M.  Mor- 
tier.  Le  10  novembre  1808,  I'armee  d'Estramadure, 
accourue  a  Burgos  sous  les  ordres  du  comte  de  Belvedel, 
s'etait  vainement  opposee  au  passage  de  la  division 
frangaise  que  commandait  le  marechal  Soult.  Nos  troupe.<, 
entrant  pele-mele  dans  la  place  avec  les  fuyards  (1), 
pillerent  les  richesses  de  tout  genre  accumulees  dans 
les  eglises  et  les  monasteres ,  profanerent  meme  les 
sepultures ;  et  les  corps  des  heros  de  la  Castille,  avec 
ceux  des  rois,  revirent  la  lumiere,  etendus  sur  le  sol 
et  abandonnes  aux  outrages  des  vainqueurs.  L'un  d'eux 
etait  le  (lid;  a  un  autre  appartenait  le  bas  en  question. 

Jusquici  le  recit  est  aussi  vrai  que  vraisemblable.  En 
est-it  de  meme,  quand  il  donne  un  nom  au  roi  de- 
pouille?  La  tradition  de  famille  est-elle  exacte ,  quand 
elle  attribue  a  un  Sanche  1  d'Aragon  ,  mort  en  1094 , 
et  fait  remontcr  au  XI<^  siecle  la  piece  de  vetement  qui 


(1)  BiGNON  ,  Hist,  de  France  sous  Napoleon  ,  I.  viii,  p.  i4.  — 
MONTGAiLLAiiD ,  Uisl.  dc  la  Revolut.  fran^uisc,  t.  vi,  p,  562.  — 
Monileur  univ.  du  19  nov.  1808,  n«  bullflin  du  rarmiie  d'Espagne, 
date  de  Burgos  12  nov. 


—  262  — 

est  venue  jusqu'ji  notre  musee?  N'est-ce  pas  s'aventuror, 
en  un  mot,  que  de  la  croiresur  parole? 

Ouvrons  rhistoire. 

Sanche  Ramirez,  le  seul  prince  du  nom  de  Sanclie 
qui  ait  regne  en  Aragon ,  etait  en  menie  temps  roi  de 
Navarre ,  sous  le  nom  de  Sanche  V.  Ce  n'est  done  ni 
le  premier,  ni  le  dernier  du  nom,  du  moins  en  Aragon. 
11  fut  atteint  d'une  fleche  au  siege  de  Huesca ,  et  non 
pas  assassine,  comme  I'a  dit  M.  Mortier,  qui,  en  ce  point, 
I'a  confondu  avec  son  pere.  De  plus,  Sanche  Ramirez 
n'etait  pas  roi  de  Castille  et  n'avait  aucun  pouvoir 
dans  ce  pays  :  aucune  raison  consequemment  n'avait 
pu  determiner  a  I'enterrer  a  Rurgos.  II  etait  plus  na- 
turel  qu'il  eut  place  dans  la  sepulture  commune  des 
anciens  rois  de  Sobrarve  et  des  premiers  princes  d'Ara- 
gon.  Voici,  en  effet,  ce  qu'en  dit  Mariana,  et  il  est 
entieremenl  d'accord  avec  les  autres  historiens  de  I'Es- 
pagne.  Permettez-moi  de  le  citer  in  extenso : 

«  Incommode  accidit  ut  Sanctius  Rex  diuturnae  obsi- 
»  dionis  toedio  moenia  urbis  circumlustraret  et  idoneum 
»  locum  notatum,  qua  parte  irrumpi  posse  cogitaret , 
»  contento  brachio  comitibus  designaret :  cum  sagitta 
))  ex  muro   emissa  sub    ala    confixus    est.     Lethale  id 

»  vulnus  fuit Obiit  quarto  mensis  Junii  die.  Corpus 

»  Montaragonem  delatum  atque  in  Jesu  Nazareni,  quod 
»  ipse  monasterium  extruxerat ,  extemporario  sepulcro 
v)  condilum  est  ;  inde,  urbe  capta,  in  D.  Joannis  Ru- 
»  pensis  :  quo  loco  Feliciae  uxoris  superioribus  annis  de- 
»  functae  inscriptio  cum  cippo  monstratur  (1).   » 

(1)  Mariana,  deReb.  hispan.,  lib.  x,  cap.  ii.  —  FERiiEnAs,  Hist, 
gen.  d'Espagne,  trad.  d'Hermilly,  t.  ii,  p.  272.  —  «  Corpus  tandiu 
raanet  insepultum.  Postea  Monlaragonis  coenobio,  quod  construi  cura- 
verat,  tumulo  infertur ;  atque  incursionibus  Maurorum  urgenlibus  ad 
S.  Johannis  Pinnalensis  conditur.  »  Indices  rerum  ab  Aragon.  regibus 
ge$tarum,  lib.  i  :    Hispan.  ilJiistr.   I.    iii,   p.  29.  —  Hieron  Blamc.*; 


—   ^03   — 

Aiusi,  apres  I'avoir  depose  d'abord  au  Mont  Aragoii, 
lieu  proclie  de  Ilue.-ca,  duns  Teglise  de  Jiisus-de-Naza- 
reth  qu  il  avail  fond^^e ,  on  le  transporta  a  I'isaue  de 
siege,  a  St-Jean  de  la  I'ena ,  aulre  nionastcre,  situc 
•i  quelques  lieues  S.  0.  de  Jaca  et  sepulture  ordinaire 
des  rois  du  pays. 

Mais  si  le  prince  dont  nous  parlons  doit  etre  ecarte 
comme  n'ayant  pas  ete  inhume  a  Burgos  ,  cette  ville 
donna  asile  a  plus  d'un  illustre  niort  :  ce  fut  natn- 
rellement  a  des  princes  ct  a  des  rois  de  Castille , 
puisqu'ellc  elait  la  capitalc  de  ce  pays.  Avant  de 
passer  en  revue  la  glorieuse  suite  des  princes  Castillans 
et  d'y  noter  les  morts  qui  appartiennent  a  notre  ville, 
precisons  I'epoque    oil  elle   put  recevoir  leur  depouille. 

Suivant  Nonius,  son  noni  denoterait  doublement  son 
origiiie.  Elle  se  forma  ,  dit-il  ,  vers  le  milieu  du 
i.V  siecle ,  sous  le  gouvernement  du  comte  doa  Diegue 
Porcellos ,  par  la  reunion  des  villages  agglomeres  sur 
ce  point,  villages  appeles  6oiWY/.s  par  lesGermains  venus 
dans  le  pays  a  la  suite  de  Charlemagne.  L'archeveque 
de  Tolede ,  Roderic  Ximenes,  dit  en  parlant  du  meme 
comte,  qu'il  vi;Mtait  frequemment  la  cite  des  bourgs  , 
Civitas  Burgensis  (1). 

En  884,  le  roi  des  Asturies,  Alphonse  III ,  travailla 
puissamment  a  I'agrandisscment  de  Burgos  i  il  y  niit  des 
habitants  et  la  fortifia  d'une  enceinte  de  mnrailles  , 
voulant  que  cette  ville  servit  do  barricre  contre  les 
Mahometans  (2).  Plus  tard  elle  re§ut  des  accroissements 
successiff,  et  s'enrichit  aux  depens  des  Mores  vaincus. 
Dans  ses  murs  et  autour  d'elle,  grace  a  la  munificence 

Aragonens.  rerum  comment.  Op.  cit.  t.  iii.ii.G^j. —  Roder.  Ximen. 
ToLET.  AiiCiiiEP.  de  Reb.  IIi:ip.  lib.  vi,  cap.  1.  — ^Li;c.  M.\niN/Ei  sic. 
de  Reb.  Ilisp.  lib    vni,  Op.  cit.  I.  i,  p.  567. 

fl)  Op.  cit.  lib.  V,   cap.  x\v    —  Lud.  No^u  Hispania,  cap.  l\. 
(il  FRRr.EHAS,  Hist.  gen.  d'Espayne  ,    t.  ii,   p.  655. 

I.  18 


—   26Zi  — 

des  princes  Castillans,  fureiit  construits  des  cloitres  et 
des  eglises  magnifique?.  Null(^  part  aussi  le  temps ,  et 
^urtout  la  guerre  et  les  revolutions,  n'ont  detruil  un 
plus  grand  nombre  de  monuments  de  ce  genre. 

Ceci  pose,  en  ce  qui  concerne  Torigine  et  les  humbles 
commencements  de  la  capitale  de  la  vieille  Castllle,  nous 
ne  devronsy  chercher  la  sepulture  d'aucun  prince  au  deli 
du  x«  si^cle.  Nousne  pourrons  pasmemeallerjusque  la,£l 
cause  de  I'incertitude  qui  rcgnesurles  origines  de  la  mo- 
narchie  Castillane.  C'est  done  a  partir  du  moment  ou 
la  transmission  heredilaire  du  pouvoir  s'etablit  entre  ses 
princes,  que  nous  les  suivrons  un  a  un  a  leur  derniere 
demeure.  Rien  de  plus  variable  que  leur  sepulture; 
grace  a  la  liitte  si  longue  des  royautes  septentrionales 
de  I'Espagne,  grace  aux  armes  dont  le  sort  placera  plu- 
sieurs  contrees  sous  la  meme  main,  grace  a  la  mort, 
enfln,  qui  divisera  I'empire  qu'un  seul  avait  possede. 
IMusieurs  aus;i,  en  fondant  des  monasteres  et  des  egli- 
ses ,  voudront  que  leurs  restes  trouvent  un  abri  sous  le 
toit  hospitalier,  pres  de  Tautel  qu'ils  auronl  eleve.  Ne 
vous  etonnez  done  pas ,  si  ,  pour  relever  toutes  ces  tom- 
bes  et  constater  historiquement  leur  existence  ,  nous  sui- 
vons  une  routs  un  peu  longue. 

Aprcs  avoir  eu  pour  chefs  differents  comtes,  feuda- 
taires  des  rois  de  Leon  ,  la  Castille  parait  s'etre  con- 
slituee  definitivement  sous  I'autorite  d'un  seul ,  a  partir 
du  grand  Ferdinand  Gonzalez.  Ce  heros  mourut  en  970 
et  fut  inhume  it  S^-Pierre  d'Arlanza,  monasterefonde  par 
un  comte  de  Lara  qui  portait  son  nom  (1). 

D.  Garcie  Fernandez  son  fils  perdit  la  vie,  on  1005, 
dans  une  bataille  pres  d'Alcocer.  Les  Musulmans  empor- 
terent  son  corps  a  Cordoue ,  comme  un  trophee  de  leur 
victoire  ,  et  autoriserent  les  Chretiens  de  cette  ville  a  lui 

(1)  Mahiana  ,  Op.  cit.  lib  VllI  ,  cap.  VII.  —  Ferreras,  Op.  cit. 
I.  Ill  ,   p   IS.    8fi.' 


elever  uii  tombeau  dans  I'cgUse  diis  saints  martyrs  Fauste, 
Janvier  et  Martial.  Plus  tard ,  il  fut  rachele  par  son  Ills 
et  inhume  a  S'-Pierre  de  Cardena  ,  monastere  situe  i 
deux  lieues  de  Burgos  et  deja  celebre  par  lo  marlyre  qu'a- 
vaient  subi  ses  religieux  en  S^l  (I). 

Apres  lui,  D.  Sanche  Garcie  fonde  a  grands  frais  le 
monastere  de  S'-Sauveur  d'Ona,  en  expiation  de  la  mort 
de  sa  mere  Oua  Sanche,  suivant  les  uns  (2);  et,  selon 
d'autres,  a  la  priere  de  doua  Frigide,  sa  fdic ,  qui 
voulait  se  consacrer  a  I)ieu  (3J.  II  y  fut  lui-meme  en- 
terre.  «  A  gauche  du  grand  autel,  dit  Mariana  (4),  on 
montre  la  sepulture  de  ce  prince ,  celle  de  la  comtessc 
dona  Urraque  son  epousc,  et  celle  du  comte  don  Garcie 
Sanches  son  flls  et  successeur.  »  Le  relachement  s'iatro- 
duisit  promptement  dans  le  convent  d'Ona,  c'est  ce  qui 
determina  le  roi  Sanche  de  Navarre  a  remplaccr  les  fiiles 
qui  I'occupaient  par  des  moines  do  la  regie  de  Glugni , 
sous  la  conduite  de  saint  Fnigo,  moine  de  SWean  de  la 
Pena(5).  Plus  tard,  il  introduisit  egalement  la  reforme 
de  Glugni  dans  le  monastere  de  S*-Pierre  de  Cardem , 
dont  nous  avons  parle  precedemment  (6). 

Ge  fut  en  1028  que  la  Castille  passa  au  pouvoir  de 
Sanche  HI  de  Navarre,  autrement  dit  Sanche  le  Grand  , 
le  reformateur  dont  nous  venons  de  parler,  du  chef  de 
sa  femme  Muua  Major,  soeur  du  jeune  comte  I).  Garcie 
Sanches,  assassine  (7).  De  la  date  en  realite  sa  grandeur. 
Peu  d'annees  apres,  en  1033,  elle  est  erigee  en  royante, 

fl)  FenuERAS  ,  t.  Ill ,  p.  121.  —  Mah   lib.  Vlll  ,  cap    X 
(2.1  RoDEti.  AnCHiEP.    ToLET,    de  Reb.  Hisp.  lib.   V,  cap.    III.  — 
ESTEVAN  DE  GAniRAY,  Compeiid .  hist,  de  Espana,  I.  1,  p.  -134. 

(3)  Ferheii,  t.  Ill,  p.  129.  —  Yepes,  t.  V,  Cliarle  de  fondatioo. 

(4)  Lib.  Vlll,  cap.  XII.  —  Estevan  de  Garicay,  Op.  cit.  lib.  X, 
cap.  XVllI;  t   1,  p.  4S8. 

(5j  Feureras  ,  t.  Ill,  p.   168.  —  BoUand.    .luii.,  ada  S.  Iniy. 

(6)  Ferrer  ,  loc.  cit. 

{!)  II  ful  cnteiTc  ii   Onua,   G\rid\v  .   loc.  cit. 


—  260    - 

en  favrur  tie  Ferdinand,  deuxieme  Ms  du  roi  de  Na- 
varre ;  et  ce  prince,  apres  la  mort  de  Bermude  ou 
V'eremond  IV,  roi  de  Leon,  frere  de  sa  femme,  reunit 
Its  couronnes  de  Castille  et  de  Leon. 

Son  pere,  mort  en  1035,   avait  ete  d'abord  inhume 
dan?  I'eglise  du  monastere  AOi'ia,  sepulture  des  dernicrs 
comtes  de  Castille.  Mais,  quand  la  reine  dona  Sanche, 
sa   femme,    eut  acheve   I'eglise    de  St-Jean-Baptlste  a 
Leon,  et  qu'elle  y  eut  fait  apporler  de  Seville  le  corps 
de  saint  Isidore  (I),  elie  desira  que  sa  nouvelle  famille 
eiit  une  place  dans   ce  sanctuaire  venere.    Ferdinand  I, 
qui  avait  precedemment  dcmande  qu'on  I'enterrat,   soil 
au  monastere  de  St-Pierre  d'Arlanza,  pres  de  Ferdinand 
Gonzalez ,  soit  a  celui  de   St-Facond ,    saisit  avec  joie 
cette  occasion  de  relever  sa  famille  en  lui  donnant  un 
tombeau   parmi  ceux    des  rois  de  la  plus  ancienne  des 
grandes  monarchies  de  I'Espagne.  II  fit  done  transporter, 
en  1055,  le  corps  de  son  pere  a  St-Jean  de  Leon.  C(t(e 
operation  fut-elle,  comine  I'assure  I'annaliste  de  la  Na- 
varre, I'occasion   d'une  guerre   avec  ce  dernier  pays? 
11  y  a  lieu   den  douter,    puisque   le  monastere  d'Ona 
dependait  de  la  Castille.  Quoiqu'il  en  soit,   Ferdinand  1 
fut  inhume  a  son  tour  dans  I'eglise  St-Jean  de  Leon,  a 
cote  de  sa  femme,  de  sa  belle-mere  et  de  son  pere  (2).   II 
s'etait  fait  transporter,  avant  de  mourir,  aupres  de  I'en- 
droit  prepare  pour  sa  sepulture,  et  la,   prosterne   dans 
la  cendre,  couvert   d'un  sac,  il  avait  fait  a  Dieu  I'of- 
frande  de  sa  couronne  et  de  sa  vie. 

L'eglise  dont  nous  parlous  ne  fut  definitivement 
piacee  sous  I'invocation  de  saint  Isidore  qu'en  1063.  En 
1020,  le  roi  Alphonse  V  de  Leon,   apres  I'avoir  relevee 

(1)  Pelag.  Ovetens.   Liber  chron. 

(2)  Mariana,  lib.  Vlll.  cap,  XIV;  lib.  IX,  cap,  VI.  —  Rodeb. 
ToLET.  lib.  VI,  cap.  XIII.  —  Ferber.  t.  HI,  p.  170,  2l9.  — 
ESTEVAN    DE    Gahibay  ,    0}>     cit.     t.    II,    p.     ."55. 


—  207  — 

de  scs  ruines,  aiusi  que  la  ville  elle-in6me,  y  avail  fait 
apporter  les  corps  oes  rois,  ses  predecesseurs,  qui  en 
avaient  ete  enleves  lors  de  la  tprrible  invasion  d'AI- 
manzor  en  996,  ou  qui  avaiout  etc  enterres  en  d'autres 
endroils.  La  chapelle  construite  pour  les  recevoir  fut 
placee  sous  Tin  vocation  de  saint  Martin,  ot  plus  tard  sous 
celle  de  sainte  Catherine  (1).  Nonius  porte  a38lenoinbre 
des  rois  qui  y  furent  inhumes  (2). 

Sanche  le  Fort  ou  Sanche  II  eut,  dans  le  partage  dos 
Elats  de  Ferdinand  I,  laCaslille  seule  avec  une  portion 
des  Asturies.  Mauvais  frcre,  mais  vuillant  guerrier,  ce 
prince,  aide  du  Cid^  rendit  a  la  nionarchie  Caslillane 
le  developpement  qu'ellc  possedait  avant  la  mort  de  son 
pere.  Aussi,  quand,  au  milieu  de  ses  exploits,  Sanche 
le  Fort  tomba  sous  le  fer  d'un  assassin  a  Zamora ,  les 
Castillans  se  flrent  un  devoir  d'cmporlcr  son  corps,  et 
ullerent  le  deposer  au  monastere  d'Ona,  pres  des  Comtes 
premiers  auteurs  de  leur  gloire  (3). 

Alphonse  VI  qui  lui  succeda  etait,  comme  lui,  tils 
de  Ferdinand,  et  deja  roi  de  Galice  et  de  Leon.  Sorte 
de  Henri  VIII  espagnol ,  ce  prince  avail  pour  la  pro- 
pagation du  rit  remain  un  zele  qui  tenait  de  la  fureur: 
oe  qui  ne  TempGcha  pas  de  prelexter  la  parente  de  sa 
deuxieme  femrne  avec  la  premiere,  pour  contracter  un 
troisienie  mariage ;  et,  sa  troisieme  femme  morte ,  il 
en  prit  une  quatrieme,  puis  une  cinquioine,  enfin  une 
sixieme.  Sa  mort  fut  en  quelque  eorte  un  signal  de  guerre 
entre  Urraque  sa  (ille  et  son  gendre  Alphonse  d'Aragon. 
Les  infantes  ses  sceurs,  son  frere  I).  Garcie,  roi  de- 
pouille  de  la  Galice,  I'lnfant  \).  Sanche  son  fils ,  et 
plusieurs  de  ses  femmes  furent  inlmimjs  avec  leurs  an- 
cetres,  a  Leon,  dans  I'egUse  de  St-lsidore.  Quant   a  lui, 

(I)  Fkuhkh.  t.    Ill,  p.    loO 

(-2)   Cap.    lA'll. 

(">)  Mu',i\N\  ,    lib.  I\,  i-ap.  1\    —  l'i..i;iiKi;     t.  Ill  ,   p.  >.':'.l 


Tl 


—  2C8  — 

apres  avoir  altendii  vingt  jours  ;i  Toltide  ,  a  cause  de  la 
guerre  (jui  (roublait  ses  etats,  son  corps  ful  Iransfere 
dans  le  monasterc  de  Suhagun  ou  de  St-Facond,  sur  la 
Cea  (1).  La  furent  inhumees  egalenient  dona  Constance, 
sa  troisieme  femmc  (1092),  et  dona  Bertlie  (1095),  la 
quatrieme  (2). 

La  reine  Urraquc  rt'gna  seule  depuis  1109  jusqu'en 
1117,  cpoque  a  laquelle  Tolede  reconnut  pour  roi  son 
fils  don  Alphonse  Raymond.  Avec  cette  voluptueuse  prin- 
cci'se  commenca  sur  le  trone  de  Castille  la  maison  de 
Bourgogne,  succedant  a  celle  de  Bigorre.  Elle  raourut 
en  1126  et  fut  enterree  a  S'-lsidore  de  Leon  (3). 

Alphonse  le  Batailleur,  1  de  Navarre  et  d'Aragon  ,  VIF 
a  Leon^  !I  en  Castille,  peut  a  peine  elre  compte  comme 
ayant  regne  sur  ce  dernier  pays  qu'il  disputa  constam- 
ment  a  sa  femme  et  qu'il  retint ,  autant  qu'il  put ,  en 
son  noiTij  malgre  elle  et  les  Castillans.  II  disparut  en 
1134,  apres  la  balaille  de  Fraga ,  et  se  sauva  jusqu'en 
Palestine ,  suivant  les  uns ,  etj  alia  mourir  au  monas- 
tere  de  S'-Jean  de  la  Pens ,  suivant  d'autres  (4). 

Don  Alphonse  Ilaymond ,  deja  roi  de  Castille  et  de 
Leon ,  conjointement  avec  Urraque  sa  mere,  sous  le  nom 
d'Alphonse  Hi  en  Castille,  VIll  a  Leon,  prit  le  titre 
d'empereur  apres  sa  mort.  lls'etait  fait  couronner  succes- 
slvement  a  Tolede  ,  a  Leon  et  a  Compostelle.  Icl ,  vous 
le  voycz  ,  Burgos  disparait  en  quelque  sorte;  detachee 
pour  ainsi  dire  de  la  Castille  du  vivant  d'Alphonse  le 
Batailleur ,  au  pouvoir  duquel  elle  demeura  a  peu  pres 
contanfiment  avec  plusleurs  autres  villes ,  elle  avail  perdu 
ses  droits.  Tolede  ,  en  se  pronongant  la  premiere  pour 
le  fils  d'Urraque,  avail  pris  sa  place.   La  cathedrale  de 

(1)  Mauiaxa  ,  lib  X  ,  cap.  VII.  —  Ferrer.  ,    I.  Ill  ,  p.  507. 

(2)  Loc.  cit. ,  t.  Ill ,  p.  272. 

(3;  Mariana  ,  lib.  X  ,  cap.  XIV.  —  Ferrer.  ,  t.  Ill  ,   p.  3(>&. 
;lj  ?errer.  ,  I.  HI  ,   p.  390. 


—  ^269  — 

Toletlc,  theatre  dc  laveneinont  d'Alphonse  VII!  (Ill/'), 
recevra  egalcment  (1157)  sa  depouiile  (1)  Dona  Sanclie  , 
sa  scciir,  morte  en  1159  ,  fut  enterree  a  Leon  (2),  aitisi 
que  dona  Tiennette,  sa  fille  naturelle  (3). 

Sanche  111,  son  fll?,  eut  la  Caitille  seule.  II  fit,  iioii  sans 
raison  ,  reconnaitre  son  autorite  a  Burgos  ;  mais  il  eut  a 
peine  le  temps  de  faire  apprecier  aux  (lastilans  ses  licu- 
reuses  qualites.  La  reine  Blanche  ,  sa  femme  ,  morle  , 
comnie  lui,  en  1158,  fut  inhumee  dans  les  tombeaux. 
des  rois  de  Navarre,  au  monastcre  d'Anagro  ('4).  Quant 
a  lui ,  des  liistorlens  sans  autorite  (5)  lui  donnent  place 
parmi  les  sepultures  du  monastere  d'Ona  ;  mais  le  tiiinoi- 
gnage  de  Mariana,  qui  leur  est  contraire,  me  parait  t'or- 
mel  :  il  mourut  a  Tolede  et  fut  enterrc  aupre^  de  sou 
pere ,  dans  la  cathcdrale  de  cette  ville  (6). 

Ferdinand  II,  roi  de  Leon,  usurpateur  de  I'aulorite 
d'Alphonse  IX,  est  compte  a  tort  parmi  les  souverains 
de  la  Castille.  Aussi  fut-il  inhume  dans  la  chapeile 
royale  de  I'eglise  St-Jacqucs  de  Compostelle,  pres  de 
I'imperatrice  dona  Berengere,  sa  mere,  et  du  conite  don 
Raymond ,  son  aieul ,  prince  d'Aragon  et  de  Barce- 
lone   (7). 

Sous  le  sage  et  glorieux  Alphonse  IX  ,  Tolede  'itatit 
aux  mains  des  Mores,  Burgos  recouvre  son  importance. 
C'est  dans  sa  calhedrale  que,  en  1210,  I'infant  don 
Ferdinand,  fils  d'Alphonse,  se  fait  armer  chevalier,  alln 
de  pouvoir  suivre  son  pere  a  la  guerre  contre  les  in- 

(1)  Maiuana,  lib.  XI,   cap.  IV.  —  Feruei'..  t.  Ill  ,  p,  456. 

(2)  Feiuieu.  t.  Ill  ,  p,  465. 

(3)  Op.  cil.  p.   504. 

(4)  M.\iuANA  ,  lib.  XI,  cap,  VII. 

(5)  Desormeaux  ,    Hist.  d'Esp.  t.  II  ,  p.  7. 

{GJ  Maiuana  ,  lib.  XI  ,  cap.  Vll.  —  fioDEii.  Tolet.  Op.  cil.  lilt. 
Vll.  —  Santii  Hist.  Uisptin.  —  'rAUAi'ii.E  Re(/(.'.s'  Hap. 

[1)  Mahia.na  ,  lib.  XI  ,  iM|,.  \V1.   —  Fkiiueii.  t.  HI  ,  p,  Sl'> 


1^. 


—   270  — 

fiiJeles.  Ce  Ills  mort  k  Madrid  en  1211,  le  roi  Alphonse 
mort  en  1214,  sa  feinine  I.eonore  qui  mourut  la  meme 
annee,  Henri  1,  son  fils  et  son  ?uccesseur,  mort  de  la 
chute  dune  laile  en  1-217,  furent  ton?  troii  inhumes 
pres  de  leur  capitate  .  dans  Togli^e  Ste-Mane  du  rao- 
nastere  de  Las  Huelgas{l}.  Foadee  et  datee  en  1209 
par  Alphonse  lui-meme  f2},  cette  magnifique  abbaye, 
la  noble  par  excellence,  comme  on  I'appelait,  i  cause 
de  la  noblesse  des  filles  qui  s'y  vouaient  a  Dieu,  etait 
destinee  a  recevoir  la  sepulture  ties  princes  castillans: 
a  ce  litre,  elle  devait  succeder  au  celebre  monastere 
iVOna. 

L'infant  don  Ferdinand,  frere  d'Henri  1,  et  Reren- 
gere,  sa  soeur,  mere  de  saint  Ferdinand,  furenlegalement 
inhumes  a  Las  Huelgas  (3). 

Heriticr  de  la  Castille  par  I'abdication  de  Berengere, 
sa  mere,  qui  etait  soeur  de  Henri  !,  saint  Fprdinand 
devint  roi  de  Leon  par  la  mort  de  son  pere  en  1230  ,  et, 
de  Ferdinand  H  qu'il  etait,  prit  le  nom  de  Ferdinand  111. 
Les  deux  couronnes  de  Castille  et  dc  Leon  se  trouve- 
rent  ainsi  tlefmitivement  reunies;  ou  plutot,  comme  le 
dit  le  continuateur  d'Henault  (A) ,  «  le  royaume  de  Leon, 
qui  etait  le  premier  de  tous  les  royaumes  Chretiens  en 
Espagne ,  devint  province  de  I'uD  des  dernlers.  »  Mais 
en  meme  temps  ,  et  par  forme  de  compensation ,  les 
rois  Castillans  ,  a  partir  de  saint  Ferdinand ,  adopterent 
I'ordre  chronologiquo  commence  par  leurs  predecesseurs 
de  Leon,  tt  le  suivirent  invariablement ,  fideles  a  celte 
pretention  des  fondateurs  de  la  monarchic  Castillane  de 

(1)  Maiuana,  lib.  XII,  cap.  Ill,  cap.  VI.  —  Roder.  Tolkt.  lib. 
VII.  —  Ferkf.h.  t.  IV,  p.  2S,  52.  —  Garibav  ,  Op.  cit.,  lib.  XII  , 
cap.  XXXII. 

(2)  Maiuana  ,  '.lb.  XI  ,  cap.  XXII.  —  Gauibay  ,  loc.  cit. 
(5)  Abr.  chron.  de  I'Uist.  d'Esp.  el  de  Portug.  t    I  ,  p.  524. 
(-4)  Fehi\er.   t.  IV,  p.  6i,  190. 


—  271   — 

rattachcr  le  jeune  et  glorieux  rejeton  de  la  Castille  a  la 
souche  antique  des  rois  Gollis.  Ses  conquetes  sur  les 
Mores  s'ctendirent  jnsqu'a  I'embouchure  du  Guadalqui- 
vir, et  Seville,  devenue  I'un  des  plus  riches  joyaux  de 
la  couronne  de  Castillo,  recut  en  1252  la  dcpouille  vene- 
ree  do  ce  prince  aussi  grand  que  vertueux  (1).  11  fut 
canonise  en  1671  par  le  pape  Clement  X  (2);  mais  les 
respects  unanimes  des  Espagnols  n'avaient  pas  attendu 
ce  moment  pour  lionorer  sa  memoire.  La  cathedrale  de 
Seville,  construite  au  xv^  siecle,  est  encore  en  posses- 
sion de  son  corps;  il  y  est  conserve  dans  une  chasse 
d'argent  (3). 

On  montre  dans  la  meme  chapelle,  dite  de  los  Eeyes, 
construite  au  xvi"  siecle  sous  Philippe  II ,  le  mausolee 
de  la  reine  Beatrix.,  femme  de  Ferdinand  ill.  celui 
d'Alphonse  X  le  Sage ,  son  fds  aine  et  son  successeur  , 
qui  mourut  en  1284  dcpouille  d'une  partie  de  ses  etats 
et  fut  enterre  pres  de  son  pere  et  de  sa  mere  (4), 
ceux  enfm  de  plusieurs  princes  et  princesses  de  la 
malson  royale. 

L'infant  don  Henrique,  autre  fds  de  saint  Ferdinand, 
mort  en  1304,  fut  inhume  a  St-Fran(:ois  de  Valladolld. 
Sa  femme,  dit  Ferreras  (5),  envoy  a  pour  couvrir  sa 
tombe  de  riches  etoffes  venues  de  Tartarie,  et  beau- 
coup  de  cire  pour  la  ceremonie  des  obseques.  Dona 
Berengt^re,  fiUe  de  saint  Ferdinand,  avait  pris  le  voile  au 
monastere  de  Las  Huelgas.  L'infant  don  Ferdinand, 
fils  d'Alphonse  X,  mort  en  1275,  fut  enterre  dans  le 
memo  couvent  (6). 

{IJ  Mariana,  lib.    XllI,  cap.  Ylll,  —   Ferher.    I.  IV,    p.    215. 
(2)  Ferrer,  t.  IV,   p.  214,  2l5 

(5)  Magas.   Pitlor.   t.   VII,   p.   210. 

(4)  Mariana,  lib.  XIV,  cap.   VIU.  —   Fkrrer.  I.  IV,  p.    15l,  512. 
(.S)  T.  IV,    p    -i54. 

(6)  Kkrrkr.    I.    IV,   p.    288. 


—  '27'2  — 

Sanclie  IV,  dit  ie  Brave,  fils  revolte  contre  son 
pere  Alphonse  le  Sage  et  en  partie  desherite  par  lui , 
s'etait  fait  coiironner  a  Tolede  apres  sa  mort.  II  vint 
y  niourir  en  1295  et  y  re(;ut  la  sepulture  dans  la 
cliapelle  royale,  laquelie,  dit  Mariana,  se  trouvait 
alors  derriere  le  grand  autel   (1). 

C'est  encore  a  Tolede  ou  a  Seville,  dit  le  meme 
historien,  que  devaient  etre  portes  les  restes  de  Fer- 
dinand IV  mort  a  Jaiin  en  1312.  Les  chaleurs  de  I'ete 
forQcrent  de  le  deposer  provisoirement  dans  I'eglise 
cathedrale  de  Cordoue  et  il  y  demeura  (2). 

Depuis  longtemps  il  est  a  peine  question  de  Burgos; 
on  ne  parait  plus  songer  du  moins  a  transferer  le  corps 
des  rois  dans  cette  ville.  L'abbaye  royale  de  Las  HueUjas 
et  sa  noble  destination  ne  sont  pas  raoins  oubliees. 
Toutefois  nous  devons  mentionner  le  soin  que  prit  de 
ce  monastere  la  veinc  Marie  Molina,  femme  de  Ferdi- 
nand IV.  La  niuniQcence  et  la  piete  qu'elle  avail  deja 
montroes  dans  la  construction  de  pUisieurs  monasteres, 
se  sigualerent  encqre  dans  la  restauration  de  la  royale 
abbaye,  en  meme  temps  qu'elle  fondait  a  Valladolid  un 
monastere  du  meme  noni ,  qui  devait  posseder  scs  res- 
tes (3).  L'infant  don  Pedre,  fiis  d'Alphonse  X,  avait 
regu  la  sepulture  dans  le  convent  de  Burgos  en  1319^ 
et  l'infant  don  Juan  son  frere  ,  mort  la  meme  annee, 
avail  etc  enterre  dans  la  cathedrale  dc  la  meme  ville  (4). 

En  1350,  Alphonse  XI  mourut  de  la  peste  an  siege 
de  Gibraltar.  L'ennemi  tcmoigna  de  son  respect  pour 
sa  pcrsonne  ,  en  suspendanl  les  hoslilites  pendant  ses 
obseijues.  Son  corps  fut  porte  a  Seville,  et  depose  dans 
la  chapelle  royale  de  la  cathedrale,  en  attendant  qu'on 

(1)  Lib.   XIV,  cap.    XVII.  —  Feruer.  t.    IV,    p.    401. 
(2j  Lib.  XV,   cap.  XI  —  Feisuer.  t.    lY,    \^.   496. 
to)  FenuEii .  i.  IV,  p.  oiri. 
fl;   (>;).  cit.  p.  o2l  . 


—  27o  — 

piit  Ic  transferer  a  Cordouc  ;  car  ce  prince  avail  deinande 
par  son  testament  ti  etre  inhume  aupres  de  son  pere 
Ferdinand  IV  (1).  Don  Telio,  son  fils  nature),  mort  en 
1370  ,  fut  inhume  a  S'-Fran^ois  de  Palence  (2j. 

Pierre  le  Cruel,  poignarde  par  son  frere  nature),  Henri 
de  Transtamare,  en  1369,  fut  d'abord  inhume  sans  pompe 
dans  I'egiise  de  St-Jacques  d'Aicocere.  Plus  tard  ,  et  par 
les  ordres  de  Jean  11,  )'un  de  ses  successeurs  ,  i)  fut 
transfeni  au  mouastere  roya)  des  fdles  de  S'-Dominique 
a  Madrid  (3).  Bianche  sa  femme ,  tuee  par  son  ordre 
en  1361  ,  fut  inhumee  k  S'-Fran^ois  de  Xeres  (4).  Ma- 
ria de  Padilla,  merle  la  raeme  annee  et  enterree  d'abord 
au  monastere  de  Sainte-Ciaire  d'Astudello  ,  el  les  infants 
don  Pedre ,  don  Frederic,  don  Louis,  don  Kmmanuel, 
que  Pierre  le  Cruel  avail  fait  enlerrer  dans  la  catlie- 
drale  de  Seville,  furent  transferes,  sous  P)ii)ippe  II ,  dans 
la  nouveile  chapelle  des  rois  ,  a  c6te  de  saint  Ferdi- 
nand (5). 

Avec  Henri  II  ,  qui  s'etait  fait ,  conjoinlemenl  avec 
Du  Guesclin,le  vengeur  de  la  Castille  outragee  parl'ava- 
rice  et  les  cruautes  de  son  frere ,  commence  la  maison 
de  Transtamare.  II  mourut  d'une  maladic  de  langueur 
en  1379  ,  et  fut  transporte  ,  par  les  soins  de  Jean  I  son 
fils,  de  Burgos  a  Valladolid  ,  et  de  la  a  la  cathedrale  de 
Tolede,  dans  une  chapelle  qu'il  avail  fait  oonstruire  a 
ses  frais  ,  dit  Mariana  (6) ,  du  cole  de  la  principale  tour. 

(1)  Chron.  del  Rey  D.  Pedro  I.  —  Maiuana  ,  lib.  XVI  ,  cap.  XV. 
—  Fehrer.  t.  V,  p.  234. 

(2)  Feureu.  t.  V,  p.  416. 

(5)  Mariana  ,  lib.  XVII ,  cap.  XIII.  —  Desormeaux  ,  Op.  cil.  t.  II, 
p.  11  ,  le  fait  enlerrer  dans  la   calhodrale  de  Co[doue.     Ce  senlimeiil 
ne  me  paraU  pas  appuy6. 

(4)  Ferrer,  t.  V,  p.  339. 

(3)  Log.  cil. 

(6)  Lib.  XVIIl,  cap.   II.  —  Feurer.  t.    v.    p.  471. 


—  274  — 

Plus  lard  ,  sous  Charles  Quint ,  lemplaci'ment  de  celte 
chapelle  fut  change  5  elle  est  connue  aujourd'hui  sous 
le  Dom  de  Chapelle  des  nouveaux  Rois,  Reyes  nuevos , 
et  Ion  y  voit  encore  six  tombeaux  qui  sont  ceux  de  Henri 
II ,  de  Jean  I  son  Gls,  de  Henri  III  son  petit-fds  ,  et  enfin 
des  princesses  Jeanne  ,  Leonore  et  Catherine  ,  epouses 
de  ces  trois  monarques  (I).  Jean  I  etait  mort  en  1390, 
pres  d'Alcala ,  d'une  chute  de  cheval ;  Henri  HI  suc- 
comba  en  1407  a  Taction  d'un  poison  lent. 

Avant  de  rendre  les  derniers  devoirs  a  son  pere 
Henri  II  ,  Jean  I  s'etait  fait  couronner  solennellement 
a  Burgos  avec  la  reine  Leonore  sa  femme.  Ainsi  Bur- 
gos se  maintenait  au  rang  de  ville  principale  ;  ses  habi- 
tants recevaicnt  le  serment  des  rois,  niais  non  leur  sepul- 
ture. 

A  la  mort  de  Jean  H,  en  1454,  c'est  en  quelque  sorte 
I'inverse  que  nous  ferons  remaniuer.  Ce  prince  etant 
mort 'a  Valladolid,  son  tils  Henri  IV  y  prit  solennellement 
possession  de  la  couronne;  puis,  pour  se  conformer  aux 
volontes  de  son  pere,  il  fit  transporter  solennellement  ses 
restes  a  Burgos ,  chez  les  Chartreux  de  Miraflores,  mo- 
nastere  que  ce  prince  avail  fonde  (-2).  Jean  II  fut  aussi 
peu  regretle  qu'il  etait  pen  regretlable.  Au  milieu  de 
la  pompe  funebre,  lors  de  son  inhumation  dans  la 
chartreuse  de  Burgos,  le  catafalque  qui  portail  son 
cercueil  prit  feu  aux  tliuiibeaux  qui  I'entouraienl.  Les 
Castillans  trouverent  ce  spectacle  diverlissaut ,  et  le  rire 
universel  provoque  par  ce  feu  de  joie  d'un  nouveau  gen- 
re prouva  quils  se  souciaient  peu  du  mort  et  de  la 
conservation  de  ses  os  (3).    Pres  de  lui  furent   enterres 

1)  Mariana,  lib.  XVll! ,  cap  XV;  lib.  XIX,  cap.  XIV.  —  Fkiuikh. 
t.  V,    p.   [)u2;   t.  VI,    p    30,  87,  i76  ,   i86. 

(1)  Feuiikr.  t.  VI,  p.  G38  ;  t.  VII,  p.  2l.  —  Estkvan  i>e  G\- 
RiiiAV ,    oji.   vit.    lib.   XVll,  nap.    II. 

(7t)    .M\i\nN\,  lib    \NII  ,    i;t|>    XIV.    —On  voil   .s;y  slaiiio   (hnis  hi 


1       1 


—  275  — 

linfant  don  Alphonse  son  deuxieme  (lis,  mort  en  1468 
(1),  et  la  reine  Isabelle  sa  femme,  rnorle  en  1505(2). 
Catherine  sa  fille,  morte  en  H24,  fiit  cnterree  a  Las 
Huelgas  (3). 

Henri  IV  moiirut  en  1474,  a  Madrid,  a  la  suite  d'une 
longue  maladie.  L'etat  de  maigreur  dans  lequcl  etait  son 
corps  dispensail  de  rembaumer  \,  il  fut  dispose  pendant 
quelque  temps  dans  I'eglise  des  Hieronymites  a  Madrid , 
puis  transfere  ,  suivant  son  desir,  pres  de  sa  mere,  a 
Notre-Dame  de  Guadelupe  (4),  monastere  d'Hierony- 
mites  egalement,  dans  rEstramadurc  espagnole. 

La  conquete  du  sud  de  I'Espagnc  et  I'expulsion  de 
ce  qui  restait  de  Mores  en  ce  pays  permit  a  la  grando 
reine  Isabelle  et  a  Ferdinand  le  Catholique,  son  epoux,  de 
se  preparer  a  Grenade  une  sepulture  digne  d'eux.  Isabelle 
raourut  la  premiere  en  1504.  Elle  avait  ordonne  qu'on 
rensevellt  dans  les  habits  de  saint  Fran(;ois,  sous  une  tombe 
plate  et  sans  ornement.  Mais  comme  la  chapeile  royaie 
n'etait  pas  terminee,  elle  fut  deposee  au  cou\ent  de  Saint- 
FranQois,  dans  I'Alhambra  (5).  Ferdinand  vint  en  1516  la 
rejoindre  dans  cette  sepulture  provisoire  \  et  tons  deux 
furent  places  enfin  par  Charles  Quint  dans  un  meme 
tombeau   de  marbre  blanc  (6). 

Philippe  le  Beau,  mort  en  1506  a  Burgos,  deux  ans 
apres  y  avoir  pris  possession  de  la  Castille ,  du  chef  de 
sa  femme  Jeanne  la  Folle,  avait  demande  qu'on  I'inhu- 
mat  a  Grenade  et  quon  envoyat  son  cceur  a  Bruxelies. 

chapeile  des  nouveaux  rois  k  ToIMo  ,  h  c6te  du  sarcophage  de  la  reine 
Dona  Jeanne  ,  sa  bisaieuie.  Le  connetable  Don  Alvaro  de  Luna  ,  son 
favori  ,  occupe  une  chapeile  a  part  dans  la  calhedrale  de  Tolede.  (Aug. 
CiuLLAMEL  ,  Un  e(e  en  Espagne  ,  p.  91.  ) 

(1)  Ferrek.  t.  VII.  p.  218. 

(2)  Ferrer,  t.  VIII  ,  p.  27G. 

(3)  Ferrer,  t.   VI,  p.  289. 

(i)  Mariana  ,   lib.  XXIV  ,  cap.  IV.  —  Ferrer.   I.  VII  ,  p.  402. 
(6)  Mariana  ,  lib.  XXVlll  ,  cap.  XXIII.  —  Frrrkm.  t.  VIU  ,  p.  2Ci. 
(6)  Mariana  ,  loc  cit.  —  Fi-riiiFn.    l,  VllI  ,   p.  2G4  ,   428. 


—  276  — 

Ses  dtisirs  ne  fiirent  pas  iramedialement  accomplis ;  et, 
quaijd  sa  malheureuse  epouse  con5entit  a  se  stiparcr  de 
ses  restes ,  ils  furent  deposes  a  Miraflores  pres  de  Burgos. 
Quanta  elle ,  elle  mourut  a  Tordesillas  en  1555,  aprcs 
quarante  annees  de  captivite  ,  et  son  corps  fut  depose 
daus  le  monastere  de  Sainte-Claire  de  la  meme  ville. 
Mais  Charles-Quint  reunit  bieutol  les  restes  de  son  pere 
et  de  sa  mere  dans  la  chapelle  royale  (capilla  real )  de 
Grenade  ;  leur  commun  tombeau  et  celui  d'Isabelle  et  de 
Ferdinand,  avec  leurs  statues  couchees  comme  sur  leur 
dernier  lit  de  parade,  au  milieu  de  cot  edifice  de  marbre 
noir,  forment  I'ensemble  le  plus  imposant  (1).  La  furent 
encore  inhumees  momentanement  I'imperatrice  Isabelle  , 
femme  de  Charles  Quiet,  et  Leonore,  soeur  de  ce  prince, 
reine  douairiere  de  Portugal  et  de  France  ,  toutes  deux 
mortcs  en  1539(2);  cnfm  Marie,  femme  de  Philippe  11^ 
encore  infant ,  laquelle  mourut  en  ISW  (3). 

Charles-Quint  meurt  en  1558  au  monastere  de  S'- 
Just  ct  il  y  est  enterre.  Des  lors  Philippe  II  s'occupe  de 
preparer  un  tombeau  pour  sa  famille  et  pour  lui.  Ce 
tombeau,  je  veux  dire  I'Kscorial,  est  tout  un  immense 
monastere  joint  a  un  palais.  Des  1573,  Philippe  y  fait 
transferer  successivement  la  reine  Elisabeth  de  Valois 
sa  femme  et  son  flis  don  Carlos,  inhumes  precedemment 
a  Madrid-,  lempereur  Charles- Quint  son  pere ,  jusqu'alors 
a  S'-Just;  de  Grenade,  I'imperatrice  Isabelle  femme  de 
ce  dernier,  Leonore  sa  soeur,  Marie  sa  propre  femme, 
les  infants  don  Ferdinand  et    don  Juan  ses  freres;  de 


(1)  Mariana  ,  lib.  XXVUl ,  cap.  XXIll.  —  Ferrer,  t.  Vlll  ,  p.  295  ; 
t.  IX  ,  p.  3S9.  —  La  cliapelle  est  euli^remenl  construite  en  pierrc  noire 
sur  laquelle  les  omeraents ,  les  piliers  ,  les  nervures  se  tra^aient  en 
lignes  d'or.  Les  chanoines  ont  fait  recemment  badigeonner  tout  ceia  a  la 
chaux  ,  sans  doute  pour  se  recreer  les  yeux. 

(2i  Ferrer,  t.  IX  ,  p.  215,  594. 

(3    Op.  cit.  p.  509. 


—  277    — 

Tordesillas  enfin,  la  reiue  Marie  de  llongrie  (I).  D'autres 
princes  ies  suivirent  bientut :  ce  sont  i'infant  don  Carlos, 
autre  fils  do  Philippe  II,  n7ort  en  bas  age;  I'archiduc 
Wenceslas  et  I'iafant  don  Ferdinand  (2). 

Enfln  ce  fut  le  tour  de  Philippe  II.  II  mourut  a  I'Es- 
corial  meme  en  1598  (3),  sur  le  seuil,  pour  ainsi 
dire,  de  son  tombeau. 

Nous  n'irons  pas  plus  loin. 

L'expulsion  des  Mores,  remarquons-le,  a  eu  pour 
consequence  immediate  la  reunion  des  diverses  parties 
de  la  Peninsule  sous  une  main  unique.  Les  chefs  ,  Chre- 
tiens sortis  du  nord  de  I'Espagne,  ont  peu  a  peu  gagne  du 
terrain  sur  I'invasion  Musulmane  ;  a  mesure  que  celle-ci 
recule  et  se  resserrc  ,  leur  puissance  s'accrolt  par  la  fu- 
sion des  diverses  branches,  par  la  reunion  d'etats  voisins 
I'un  de  I'autre;  et,  si  les  princes  Chretiens  avaient 
toujours  concerte  leurs  efforts ,  I'invasion  aurait  dispa- 
ru  depuis  longtemps.  Quand  elle  est  defuiivement  bala- 
yee  du  sol,  les  royautes  des  Asturies,  de  Leon,  de 
Castille ,  d'Aragon,  de  Navarre  niema  et  de  Portugal 
n'ont  plus  de  raison  d'etre :  les  principautes  Sarrasines 
de  Murcie ,  de  Seville ,  de  Cordoue,  de  Grenade,  tons 
ces  demembrements  du  Califat  de  Cordoue,  pour  la 
ruine  desquels  les  royautes  dont  nous  parlons  s'etalent 
successivement  elevees,  n'existent  plus.  A  partir  de  ce 
moment ,  il  n'y  a  plus  qu'une  seule  monarchie ,  celle 
de  toutes  les  Espagnes;  qu'une  capitale  ,  Madrid  5  il  n'y 
a  aussi  qu'un  lieu  destine  k  la  sepulture  des  rois,  I'Es- 
corial.  Disons  en  passant  que  tous  les  princes  ne  fu- 
rent  pas  admis  indifferemment  sous  le  dome  de  ce  Pan- 
theon des  monarques  espagnols.  Les  divers  caveaux  qu'on 
y  disposa  furent  plus  ou    moins  honorables ;    il    y  eut 

(1)  Feriier.  t.  IX,  p.  5b2  ,  553  ;  t.  X  ,  p.  403. 

(2)  Ferrer,  t   X  ,  p   299  ,   529.  ♦ 

(3)  Ferrer,  t.  X  ,  part   II  ,  p.  l  i.i. 


—  278  — 

des  degres,  en  un  mot,  la  oi  la  mort  semble  avoir 
renverse  toutes  les  distinctions.  Les  reines  qui  n'avaieut 
pas  laisse  d'enfant  male  furent  placees  plus  bas  que 
les  autres;  et  avec  elles,  vingt-deux  des  princes  prece- 
dents, trop  petits  apparemment  pour  elre  inhumes  dans 
la  meme  enceinte  et  au  meme  niveau  que  les  descendants 
de  Charles-Quint.  Oil  est  ie  temps  des  premiers  rois 
qui  allaient  cherclier  dans  la  communaute  de  sepulture 
avec  les  anciens  mouarques  de  Leon,  I'illustration  de 
race  qui  manquait  a  la  Castille  naissante !  La  famille 
de  Charles-Quint  attire  a  elle  au  contraire  les  illustres 
morts  qui  I'ont  precedee  dans  la  tombe ;  ello  les  force 
a  se  deplacer,  et  cela,  pour  etendre  sur  eux.  sa  domina- 
tion, et,  en  quelque  sorte ,  en  faire  ta  cour. 

Resuiiions  ce  travail. 

Kous  avons  parcouru  toutes  les  necropoles  royales  de 
I'Espagne.  Nos  guides  dans  cette  exploration  historique , 
pour  suppleer  aux  changements ,  a  la  destruction  meme, 
que  le  temps  et  les  revolutions  y  ont  apportes  ,  ont  ete 
les  ecrivains  les  plus  siirs  5  nous  avons  souvont  laisse 
parler  chacun  d'eux  ,  et  nous  avons  ecoute  de  preference 
celui  qui  paraissait  plus  a  portee  d'etre  bien   inslruit. 

Faisons  la  part  de  Burgos.  Quels  sont  les  princes  et 
les  personnages  de  quelque  importance  dont  les  restes  y 
etaient  encore  au  moment  de  I'occupation  francaise , 
en  !808? 

La  cathedrale  actuelle  fut  fondee  par  Ferdinand  HI , 
vers  Ie  milieu  du  xv^  siecle.  Elle  ne  peut  consequcmment 
renfermer  la  sepulture  d'aucun  prince  qui  ne  soil  poste- 
rieure  k  cette  epoque  ou  qui  n'ait  appartenu  a  una  eglise 
plus  ancienne  :  quoi  qu'il  en  soit ,  les  geographes  s'ac- 
cordent  a  dire  que  plusieurs  rois  de  Castille  y  sont  in- 
humes dans  des  mausolees  de  marbre  (1).  La  Martiniere 

(I)  Delices  de  I'Espagne  ,  p.  lie  (ed.  in-12).  —  Alex,  de  i.a  Borde, 
Ilineraire  de  I'Espagne. 


—  279  — 

rencherit  encore;  suivant  lui  (et  il  a  probablemeut  em- 
prunte  ce  detail  a  don  Juan  Alvarez  de  Golmenar,  auteur 
d'un  ouvrage  intitule  :  Description  et  dclices  de  I'Espa- 
gne  ) ,  cinq  chapelains,  appartenant  au  chapitre  do  la 
cathedrale  ,  etaient  specialemeut  charges  de  desservir  les 
chapelles  dans  lesquelies  etaient  ranges  ces  toinbeaux. 
En  realite,  quels  sont  les  princes  que  nous  avons  vu 
inhumer  dans  cette  eglise?  Un  seul ,  Tinfant  don  Juan, 
fils  d'Alphonse  X,  mort  en  1319;  ct  les  recits  plus 
modernes,  passant  en  revue  les  objets  curieux  qu'elle 
renferme,  mentionnent  uniquenient,  en  fait  de  sepultures, 
celles  du  connetabie  don  Pedro  Fernandez  de  Velasco 
et  de  sa  femme  dona  Mencia  Lopez  de  Mendoza  Figueroa, 
dans  la  magnifiqiie  chapelle  qui  leur  est  consacree  (1). 
11  faut  remarquer,  en  outre,  que  la  cathedrale  ne  fut 
pas  atteinte  par  Tcntree  des  Frangais  ;i  Burgos;  aucune 
devastation,  aucun  des  exces  que  nous  avons  signales 
n'y  furent  commis.  De  la  evidemment  ne  peut  provenir 
notre  etoffe. 

Mais  Burgos  possedait  de  nonibreux  monasteres  ;  ses 
faubourgs ,  et  celui  de  Bega  notamnient ,  etaient  rem- 
plis  de  couvsnts  et  d'hospices.  Plusieurs  de  ces  etablis- 
sements  n'offrent  aujourd'hui  que  des  mines ;  d'autres 
subsistent  encore  ,  sohtudes  devastees  ,  il  est  vrai ,  corps 
prives  de  leurs  ames ,  pour  ainsi  dire  ,  et  s'en  allant 
silencieuseraent  en  poussiere  ,  comme  les  raorts  des  tora- 
beaux  ,  depuis  que  le  liberalisme  de  1842  en  a  chasse 
les  habitants. 

Parmi  les  monasteres  dont  les  murs  sont  encore  debout, 
trois  principaux  se  faisaient  remarquer  :  ce  sont  les  Char- 
treux  ou  Miraflores ,  Las  Huelgas  et  Saint-Pierre  de 
Cardem, 

Le  premier,  situ6  sur  la  route  de  Burgos  a  Vitoria  au 

(Ij  Aug.  Challamel  ,  Un,  ete  en  Espagne ,  p.  34.  —  Musee  des 
Families  ,    t.  XIV,  p.  88. 

I-  19 


—  280  — 

pied  (I'une  hauteur  et  dans  un  site  agreabtc ,  est  dc  date 
{»!us  recente.  11  eut  pour  fondateur  Jean  II.  Ce  prince 
y  fut  enterrc  en  1454.  Mais  los  travaux  contiuuerent 
longtemps  encore  ,  et  en  1505,  dit  Ferreras  (1),  lorsqu'ils 
fureul  termines ,  Ferdinand  Ic  Catholique  y  fit  transporter 
le  corps  de  la  reine  Isabelle,  mere  de  la  grandc  Isabelle 
de  Caslille  et  femrae  de  Jean  II.  Le  corps  de  cettc  prin- 
cesse  avait  ete  jusque  la  depose  dansle  couvent  de  Sainl- 
Frangois  d'Arevalo.  L'eglise  des  Cliartreux  s-ubsisle  encore 
aujourd'hui  ;  on  y  voit ,  dans  le  sanctuairc ,  deux  magni- 
fiques  mausolees  de  marbre  :  I'un,  du  cote  de  I'livan- 
gile,  renferme  les  cendres  de  I'infant  don  Alphonse  , 
deuxieme  fils  de  Jean  II  5  I'autre  ,  du  cote  de  I'epitre, 
celles  de  ce  roi  et  de  sa  feinme  (2).  Le  second,  qui  est  a  la 
fois  le  plus  grand  et  le  plus  remarquable  au  point  dc  vue 
de  rart,avec  ses  statues  coucht'es  etvelues  avec  anipleur, 
ses  blasons,  ses  figures  sans  nonibre  et  ses  ornemeutsde 
toute  cspece  ,  a  part  le  germanisnie  et  le  mauvais  gout 
qui  domine  dans  les  details ,  peut  etre  compare  a  ce 
que  Tart  du  xvF  t^iecle  a  produit  de  plus  splendide, 
aux  magnifiques  sepultures  de  Brou  ,  par  exemple. 

Rclevons  en  passant  Tinadvcrtance  d'un  rccucil  men- 
suel  qui  donne  ce  tombeau  comme  appartenaut  a  don 
Juan  d'Autriche ,  fils  naturel  de  Philippe  IV ,  grand 
prieur  de  Castille  et  premier  minislre  de  Charles  II  (3). 
Je  ne  puis  vous  dire  ou  ce  prince  ful  enterre  ;  mais 
Ic  monument  en  question  date  incontestablement  du 
xvF  siecle  :  comment  pourrait-il  etre  le  tombeau  d'un 
prince  mort  en  1679?  Si  les  Ilevues  piltorej^ques  sont 
utiles  a  leducalion  du  peuple  et  si  leur  propagande  doit 
etre  encouragee  ,  ce  serait  souvent  risquer  que  d'em- 
ployer  sans  defiance  les  renscignements  qu'on  y  trouve ; 
generalement ,  il  est  sage  de  ne  les  accepter  que  sous 
benefice  dinventaire. 

(1)    Op.   cil.   t.  Vlll  ,   11.  276. 
(2;   ALk.\.  D£  LA  DoiiLii:,  loc.  cil. 
(7);  Musee  des  [(unillcn,  t.  XVIll,  p    lOl. 


—  281   — 

n  faut  traverser  Burgos  ct  lArlanzoii  (jui  baigno  sps 
iiiurs,  pour  urrivcr  a  Sf'^-Marie  de  Las  HneUjas,  c'est  a 
(lire  du  repos,  couvent  ainsi  nomiDL',  dit-on ,  parce  que 
autrefois,  sur  son  emplacement  meme ,  s'elevait  une 
maison  de  plaisance  appartenant  aux  rois  de  Castille 
(1).  On  le  trouvc  a  un  quart  de  licue  environ  de  la 
ville,  au  milieu  d'un  massif  d'arbres,  dont  le  verttendre, 
dit  uu  voyageur,  rejouit  la  vue  fatiguee  par  Ics  arides 
campagnes  qui  entourenl  la  capitale  de  la  Castille  (2). 
I.es  constructions  qui  le  composent  ot  dont  la  plupart 
sont  des  premieres  annees  du  xni<^  siecle,  forment 
une  masse  imposante  dont  les  details  sont  riches  et 
ruricux.  Mais  I'herbe  y  crolt,  ct  les  plantes  grinipantes, 
qui  s'accrocbent  a  ces  murs  delabres,  se  chargeront 
avec  le  temps  d'en  operer  la  destruction  ,  et  ilis[)(!n- 
scront  de  ce  soin  la  bandc  noire  espagnole. 

Nombre  de  personnos  appartenant  aux  families  rr- 
gnantes  de  la  Ca<^tille  y  ont  regu  la  sepulture,  En  eui- 
vant  I'ordre  chronologiquc ,  nous  y  remarquons ,  en 
1214,  le  roi  Alplionse  IX,  fondateur  du  monastere  ,  et 
sa  femme  Leonore  •,  en  1211,  I'infant  don  Ferdinand 
leur  fils  5  en  1217,  leurs  deux  autres  fils,  Henri  !'■•■  et 
don  Ferdinand,  et  la  rcine  Berengere ,  mere  de  saint 
Ferdinand;  puis  deux  fils  d'Alphonse  X,  savoir  :  Tin- 
fant  don  Ferdinand,  en  1275,  et  I'infant  don  I*edre,  en 
1319;  Catherine,  fllle  de  Jean  11,  en  1424,  et  enrm  , 
Berengere,  fille  de  saint  Ferdinand,  sans  compter  plu- 
sieurs  princesses  du  sang  royal  qui  prirent  le  voile  et 
vecurent,  comme  elle,  dans  ce  couvent,  sous  la  regie 
de  Citeaux 


d'l  N'otait-co  pus  pliiint  pan'o  qn'iiri  huspici'  ilestlin''  ;i  rrcovdir  los 
voyiii,'Purs  y  rliiit  aniioxe  et  sorvait  d'olupo,  imi  (iiiclijiic  sorte  ,  sur  la 
route  ilii   |io'ei'iiiiige  ile  f'-oinposlelle  ? 

ii)  ("lIM.I  \M'\,    op      fit.    p.    2^1. 


—  282  — 

j'arrive  a  Saint-Pierre  de  Cardetia ,  monastere  do 
Tordre  de  saint  Bcnoit ,  situe  a  deux  lieues  de  Burgos. 
Son  existence  est  anlerieure  k  cello  de  la  ville  elle- 
meme  ;  nous  en  avons  parle  plus  luiut,  en  meme  temps 
que  de  Sancbe  le  Grand  son  reformateur.  La  fut 
enterre  le  comte  D.  Garcie  Fernandez,  flis  de  Ferdinand 
Gonzalez,  naort  en  1005;  et  depuis,  nous  ne  trouvons 
mentionne  aucun  personnage  marquant  comme  ayant 
regu  la  sepulture  dans  ce  monastere ,  si  ce  n'e^t  le 
heros  castillan  par  excellence ,  celui  que  celebrent  avant 
tous  les  romanceros  espagnols,  en  qui  se  trouvent  per- 
sonniflcs  le  caractere  historique  et  la  gloire  dc  la  Castille, 
le  Cid  Campeador  ,  en  un  mot.  Dans  I'une  des  rues  de 
la  ville ,  on  niontre  un  pan  de  muraille  sur  lequel 
sent  sculptes  deux  ecussons  avcc  une  inscription.  Les 
ecussons  sont  accoles  ;  I'un,  entoure  d'une  chalne,  porte 
deux  cpees  en  sautoir  avec  une  croix  brochant  sur  le 
tout,  et  le  second,  une  tour  forte  egalement  ontouree 
d'une  cliaine.  Ce  sont  les  armes  de  don  Rodrigue  ou 
Ruy  Diaz  (I)  de  Bivar  (2),  et  celles  de  Ximene  sa 
femme.  Quant  a  I'inscription,  elle  apprend  que  ce  mo- 
nument commemoralif  fut  eleve  en  1784  sur  les  rui- 
nes  de  la  demeure  du  heros,  qu'il  mourut  en  1099 
(3),  et  que  son  corps  fut  transports  au  monastere  de 
Cardena.  a  Dans  I'eglise  de  ce  monastere,  dit  M.  Alex, 
de  la  Borde,  sur  le  pave  de  la  chapelle  de  saint  Sisebute, 
s'eleve  le  tombcau  du  Cid  et  de  Ximene.  Derriere  ce 
tombeau  on  lit  I'inscription  suivante : 

«  Belligcr  invictus,  famosus  marte  ,  triumphis , 
»  Clauditur  hoc  tumulo  magnus  Didaci  Rodericus  ; 
.  Obi  I  era  MXCIX  (4).  » 

(1)  Fils  de  Diegue  ou  Didacus. 

(2)  Village  peu  distant  de  Burgos. 

(3)  Garibay,  op.  cit.  lib.    XI,  cap.    XXIV,  fixe  cet  evfenement   en 
1098. 

[l)  Alex,  de  i.a  Boudi,,  Voyage  pittor.  et  historique  de  I'Espagne. 
(Paris.  Didot  atnc,  1820),  t.  11,  part.  11. 


—  283  — 

Nous  ajouterous  ,  d'apres  Garibay  (1) ,  que  don  Didgue 
Rodriguez  de  Bivar ,  fils  du  Cid,  mort  longtemps  avant 
son  pere,  etait  inhume  dans  la  meme  chapelle  de  I'eglise 
de  Cardena. 

Le  recit  de  M.  Mortier,  veuillez  vous  le  rappeler,  nous 
represente  comme  voisine  de  celle  dii  Cid  la  sepulture 
du  personnage  auquel  a  etc  ravie  notre  piece  d'ctofTe.  Cette 
donnee  n'est  peut-etre  pas  a  negliger.  Car  les  rensei- 
gnements  ecrits  sur  I'entree  des  Fran^ais  a  Burgos  man- 
quent  absolument;  du  moinsleshistoriensque  nousavons 
pu  consulter  sont  muets  au  sujet  des  profanations  qu'elle 
occasionna,  et  ne  peuvent  nous  servir  a  designer  les  sanc- 
tuaires  et  les  sepultures  qui  en  ontete  I'objet.  Si  tlonc  nous 
avions  quelque  motif  d'accepter  ce  recit  avec  une  sorle  de 
certilude,  notre  etude  aurait  un  rosultat  immediat,  et  le 
fils  du  Cid  ou  le  comte  don  Garcie  Fernandez  serait  le 
personnage  que  nous  chcrchons.  Notre  etoCfe  conserve- 
rait  alors  son  age  venerable  5  elle  serait  meme  plus  vieille 
encore  do  pres  d'un  siecle  ,  dans  Ic  dernier  cas.  Mais , 
quelque  envie  que  j'aie  de  lui  conserver  cet  avantage 
et  de  lui  trouver  un  proprietaire  aussi  ancien  que  pos- 
sible ,  je  ne  me  crois  pas  de  force  a  ajouter  une  garantie 
nouvelle  a  celle  qui  vous  a  ete  donnee.  Le  cote  histo- 
rique  et  le  c6te  artistique  de  la  question  qui  se  prete- 
raient  un  mutuel  appui ,  s'ils  etaient  resolus  ,  demeurent 
a  mes  yeux  dans  un  pareil  etat  d'incertitude  5  sur  une 
base  aussi  mal  assise  ,  on  ne  pent  etablir  que  des 
probabilites. 

Fallait-il  ,  me  direz-vous ,  pour  arriver  a  ce  beau 
resultat ,  vous  meltre  en  frais  si  grands  de  paroles  et  de 
chronologie?  —  II  y  avail  une  erreur  a  relever :  c'est 
tout  ce  que  j'ai  voulu  faire  ,  et ,  ce  f aisant ,  j'aiderai 
peut-etre  un  autre  a  trouver  niicux  ;  j'ai  parcouru  la 
route  entiere  et  marque  les  points  de  repere. 

(1)  Loc.  oil. 


—  284  — 

Je  ne  finirai  pas  toulefois  sans  vous  tircr  de  peine  aii 
sujet  du  Cid  et  sans  vous  dire  ce  que  sont  devenus  ses 
restes,  depuis  le  moment  oii  vous  les  avez  vus  gisants 
sur  le  pave.  J'emprunterai  pour  cela  quelques  lignes  b. 
la  relation  d'un  voyage  effectue  en  ISW  (1) :  «  Une  mo- 
deste  salle  attenant  a  la  sacristie  de  la  calhedrale  ren- 
ferrae  un  souvenir  du  fameux  Cid  ,  une  vieille  malle  i 
moitie  cassee ,  enticremont  vermoulue ,  dont  il  se  ser- 
vait ,  dit-on ,  dans  ses  voyages  ou  ses  expeditions  guer- 
rieres.  On  lit  dessus  cette  simple  inscription  :  El  cojre 
del  Cid,  le  coffre  du  Cid  (2).  Je  dcmandai  a  voir  le 
tombeau  du  heros  que  je  savais  avoir  ete  depuis  peu 
transporte  a  Burgos.  II  fallut  aller  a  la  Casa  de  Ayun- 
tamiento,  c'est  a  dire  k  la  maison  de  ville,  oil  ses  restes 
avaient  ete  ivovisoiiement  deposes.  »  lis  y  sont  en  effet, 
ainsi  que  ceux  de  Ximene  ;  tout  dcrnierement,  un  journal 

racontait  qu'on  venait  de  les  decouvrir dans  un 

bahut.  11  n'ajoutait  pas  ce  qu'on  voulait  en  faire ,  ni 
si  I'oubli  provisoire ,  j'allais  dire  le  babut,  dont  ils  avaient 
ete  precedemment  honores,  devait  etre  definitif.  Quel- 
que  jour,  belas !  ces  reliques  sacrees  pour  la  Castille 
seront  peut-etre  beureuscs ,  avant  de  retronver  un  tom- 
beau ,  de  rencontrer  un  sort  semblable  a  celui  du  corps 
de  notre  Turenne,  et  d'etre  assez  curieuses  pour  avoir 
place  dans  un  cabinet  d'bistoire  naturelle ,  parmi  les 
crocodiles  et  les  serpents  empailles'. 

(1)  Aug.  Ghallamel,  op  cit.,  p.  38. 

(2J  Gakiuay,  loc.  cit.,  passe  en  revue  los  objets  precieux  donnes  par 
le  Cid  il  I'eglisc  du  nioiiasterc  de  Cardena  cl  <[\xc  les  moines  consorvaii-nt 
precieuseiiient. 


285  — 


Leclurc  dc  M.   Duqiieiiolle. 


stance  dn  13  Decern  bre  1850. 

Dans  I'une  de  ses  precddentcs  seances,  TAcadomie 
a  renvoye  a  la  section  de  numismalique  Texamen 
de  qiielquGS  monnaies  d'or. 

Le  rapporl  dont  je  vais  donncr  lecUiro  est  i'oeuvre 
de  noire  collegue  M.  I'abbe  Qiierry.  C'est  a  ses  re- 
cherches  qn'est  due  I'atlribution  exacte  de  ces  mon- 
naies Irouvees  dans  le  mois  de  juillel  18o0,  siir  la 
place  publique  de  Yiilers-Allerand  ,  a  I'angle  d'un  mur 
du   presbylere. 

Sur  Ics  vingt-une  monnaies  communiquees  par  M. 
Midoc,  on  distingue  six  pieces  anglo-fran^aises  ,  douze 
pieces  franfaises,  une  anglaise  et  deux  bourguignones. 

Cinq  monnaies  anglo-fran^aiscs  apparliennent  a 
Henri  VI,  roi  d'Angktcrre  ,  qui  fut  proclame  roi  de 
France  a  Paris  en  novembrc  1422  ,  sous  la  regence 
du  due  de  Bedfort. 

Cinq  de  ccs  pieces  sont  appelees  Saluts  d'or.  Dans 
le  champ  de  I'avers  sont  representees  les  armes  ecar- 
telees  de  France  et  d'Anglelerre  ,  surmonlees  de  I'angc 
Gabriel  annon^ant  I'lucarnalion  a  la  vierge  Marie, 
placee  a  sa  droite  ;  les  deux  personnages  sont  separes 
par  une  bnndelette  peipendiculaire ,  sur  KKjuelle 
est  inscrit  le  premier  mot  de  la  Saluiation  angelique  , 
AVE  ;  do  la  le  nom  vulgaire  qu'ont  regu  ces  mon- 
naies. Amour  on  lit :  iiENRicus  dei  guacia  fi^an- 
CORUM  ET  ANGLiyE  REX.  —  Rcvers,  croix  longuc,  accos- 
tee  du  le(!pard  et  de  la  lleur  de  lis;  legende:  Christies 


—  286  — 

VmClT,   CHRISTLS   REGiSAT  ,    CHRISTUS   IMPERAT  ;  SOUS 

la  croix  ,  la  leltre  iniliale  ii. 

La  6""^  monnaie  anglo-franeaise  est  un  1/2  noble 
d'or,  ainsi  appele  parce  que  le  roi  est  reprcsenle  en 
costume  de  guerrier ,  porlant  tie  la  main  droite  une 
epee  nue,  et  de  la  gauche  un  ecu  aux  armes  ecar- 
telees  de  France  et  d'Angleterre.  Le  prince  est  de- 
bout    sur   un    vaisseau    en   mer.   La   legende  porte 

IIENRICUS    DEI     GRACIA     REX    ANGLIC    ET     FRANCIS. 

Au  revers,  une  croix  fleuronnee  ;  au  milieu,  la  leltre 
H^  initiate  du  nom  royal :  la  croix  est  entouree  de 
leopards  couronnes  ,  legende  :  domine  ne  m  furore 
Tuo  ARGUAS  ME.  Nous  avous  remarque  que  sur  celte 
piece  le  mot  aisgli/E  precede  celui  de  franci.e  ,  qui 
est  en  tete  sur  les  saluis  d'or;  nous  pensons  que,  pour 
satisfaire  a  I'amour-propre  national,  le  nom  du  pays 
oil  la  monnaie  a  ete  frappee  a  ele  mis  le  premier. 

La  monnaie  anglaise  est  un  noble  d'or  d'Edouard. 

EDUARDIS    DEI   GRACIA   REX   ANGLLE  ,  DUX  IIIBERNLi;. 

Le  revers  est  le  meme  que  sur  la  monnaie  prece- 
denle  ,  seulemenl  la  legende  dilTere.  On  lit :  ciiristus 

AUTEM  TRANSIENS  PER  MEDIUM  ILLORUM  ,    IBAT. 

Les  monnaies  bourguignones  doivent  appartenir  a 
Philippe  le  Bon  ,  qui  succeda  a  son  pere  Jean  sans 
Peur,  en  14-19.  A  I'avers,  on  voit  le  lion  de  Flandre. 

En  1427  ,  Philippe  le  Bon  se  ht  reconnaitre  comme 
comte  de  Hainaut  ;  ainsi  celte  piece  n'a  pu  elre  frap- 
pee qu'a  celle  epoque  ,  et  doit  elre  placee  aussi  bien 
parmi  les  monnaies  de  Flandre  que  parmi  celles  de 
Bourgogne  ,   comme  I'indique  la  legende  :  philippus, 

DEI    GRACIA  ,      DUX    BURGUNDLE  ,     COMES    FLAISDRL*;. 

Au  revers  ,   I'ecu  de  Bourgogne  ecartele  de  Flandre  ; 
Jegende  :  sit  nomen  domini  benedictum. 


—  -287  — 

Siir  les  (loiize  inonnaies  iran^aises  ,  luiil  appar- 
liennenl  a  Charles  VII,  qui  regna  de  1422  a  i-IGl. 
Ce  sont  (Ics  ecus  d'or  dils  a  la  couroniie.  Ecusson 
royal  aux  irois  fleurs  de  lis  ;  sur  sepl  de  ces  mon- 
naies,  I'ecu  est  accoste  de  deux  fleurs  de  lis;  sur 
la  8°"'  ,  I'ecu  est  libre.  Legende  au  droit :  cauolus 
DEI  GRACiA  FRANCORUM  REX  ;  revers ,  croix  feuillee 
cl  canlonnee  de  qua  Ire  couronnos  ;  legende  :  ciinisrus 

VINCn  ,    CIIRISTUS  REG^AT  ,  CIIRISTIS  IMPliRAT. 

La  8"' ,  donl  I'ecu  est  libre  ,  porte  au  revers  la 
croix  feuillee  et  tleurdelisee  ,  avec  une  eloile  ;  elle 
est  encadree  dans  un  cercle  a  ogive  ileurdelisee  el 
cernee  par  quatre  couronnes. 

Trois  inonnaies  appartiennenl  h  Louis  XI ,  qui 
succeda  a  sou  pere  Charles  VII  en  1461.  Ce  sont 
egalemenl  des  ecus  d'or  a  la  couronne.  Au  droit , 
r6cu  est  accoste  de  deux  fleurs  de  lis  couronnees; 
legende  :  ludovicls  dei  gracia  francorum  rex.  Au 
revers  ,  croix  feuillee  ,  cantonnee  de  quatre  couronnes 
dans  un  cercle  a  ogive  ;  legende  :   ciiristus  vincit  , 

CHRISTUS  REGNAT  ,    CHRISTUS  IMPERAT. 

La  monuaie  la  plus  recente  est  anterieure  a  1483  ; 
c'est  de  celte  epoque  que  doit  dater  le  depot  de  ce 
petit  Iresor. 

Quoique  ces  monnaies  generalement  communes  aient 
peu  de  valeur  nuraismatique  ,  la  Commission  emet  le 
vceu  que  des  demarches  soient  faites  pres  du  proprie- 
taire  pour  acquerir  ces  pieces,  qui  ligureront  avan- 
lageusement  au  Mus(^e  de  la  ville. 

Dans  le  mois  de  novembre  1850,  TAdministralion 
municipale  a  fait  acquisition  des  vingt-une  monnaies 
qui  onl  ele  deposees  dans  le  medailler  du  Musee  de 
la  ville  de  Reims.  20 


—  288   — 


Lecture  de  Jl.   E.   Sfaumene. 


Seance  du  i4  Fcvricr  1851. 


ANALYSES  DE  PIECES  GAULOISES  EN  PLOMB  ET  EN  OK. 


Dans  la  seance  du  15  Decenibre  dernier,  noire 
confrere  M.  Duquenelle  a  entrelenu  I'Academie  de 
la  decouverte  interessanle  faiie  a  Reims  de  bandes 
de  ploml)  coulees  ,  decoupees  a  jouf  et  offrant  une 
reunion  de  rouelles  gauloises.  Ces  rouelles  paraissent 
en  plonib  pur ,  el ,  pour  ne  conserver  aucun  doute 
a  cet  egard ,  M.  Duquenelle  m'a  demande  d'en  faire 
I'anal^se. 

II  y  a,  ce  me  semble ,  de  rinlerel  pour  les  archeo- 
logues  et  les  hisloriens  a  connaii.re  avec  exaclilude 
la  composition  de  certaines  monnaies  ou  medailles. 
En  effct ,  celte  composition  pourra  souvent ,  d  lUfaut 
d'autres  renseignemenls ,  servir  a  faire  connaitre  I'ori- 
gine  et  meme ,  dans  des  limites  plus  ou  moins  elen- 
dues  ,  la  date  des  objets  rerais  de  temps  en  temps 
au  jour  par  ceux  qui  fouillent  le  sol. 

On  en  jugera  par  I'analyse  suivante  : 

La  rouelle  de  plomb,  debarrassee  d'oxide,  a  donne  : 
Plomb  ....     0,s'«'"  575       986 
Zinc. 

0,       008  \     U 


Aulimoine 
Cuivre . . . 
Fer 


0,       585     iOOO 


—  289    - 

Elle  coniienl  done  environ  iin  el  denii  pour  cenl 
de  metaux  autres  que  Ic  plorab. 

Le  zinc  ei  I'anlimoine  ont  seuls  de  rimportance. 
Cos  rouclles  peuvent  etre  rclrouvees  dans  des  loca- 
liles  eloignees  de  Reims,  et  la  cominunaule  d'origine 
pourra  etre  reconnue  ,  ou  ,  si  Ton  vcut ,  confirmee, 
dans  Lien  des  cas ,  par  la   presence  do  ces  metaux. 

Voici  maintenant  {'analyse  d'une  piece  d'or  sur 
laquelle  M.  Duquenelie  m'a  remis  la  note  suivante : 

«  La  piece  d'or  est  classee  par  M.  Lambert  parmi 
»  les  medailles  symboliques  de  la  deuxieme  periode 
»  et  rcproduilc  sous  le  n°  18  de  la  planche  7  de 
»  son  ouvrage.  —  C'est  une  medaille  connue  depuis 
»  longlemps  et  qui  se  rencontre  fre(juemmenl  dans 
»  quelques  localiies.  » 

La  piece  pesait  Q,^''  085.  La  moyenne  de  deux 
analyses  est  : 

Or 505 

Argent..  245 
Cuivre..  252 


1000 

L'alliage  a  ete  fail  evidemment  avec  deux  pailies 
d'or  ,  une  d'argent  et  une  de  cuivre.  —  L'argenl 
aura  contenu  du  cuivre ,  et  ce  dernier  se  trouve 
ainsi  en  exces.  —  L'or  depasse  un  peu  la  moitie  du 
poids  de  l'alliage  ,  parce  qu'une  portion  du  cuivre 
s'est  oxydee  pendant  la  fusion  et  a  ete  perdue  en 
scorie. 

Get  alliage  n'esl  jamais  employe  aujourd'hui.  La 
soudure  pour  les  bijoux  d'or  contient  4  d'or  ,  i  d'ar- 
gent et  1  de  cuivre ,  ou  a   Ires  peu  pres. 


—  290  — 

Je  dois  remarquer  rexlreme  durcle  de  I'alliage. 
II  m'a  fallu  loutes  sortes  d'efforls  pour  reduire  la 
piece  en  fragments.  Le  recuit  ou  la  irempe  ne  I'ont 
pas  rendue  malleable.  Un  ciseau  d'acier  n'a  pu  la 
couper  enlierement.  Les  prises  d'essai  onl  ele  failes 
a  I'aide  des  limes. 

J'ajoule  que  les  acides  azotique  el  sulfurique  el 
I'eau  regale  altaquenl  avec  la  plus  grande  peine. 

La  durele  el  la  couleur  ,  qui  est  ir^s  belie  ,  de- 
vraient  peul-elre  faire  employer  eel  alliagedans  la  bi- 
jouterie. 


—  291   — 
BEAUX-ARTS. 

Lecliire  de  ill.  Max.  Sulaiiic. 

Seance  du  24  Janvier  IS^)! . 

NOTICE 
sur  G.  Baussonnet  ,    de   Heims, 

Dessinateiir  &  poete  f  xvi«  it  xvii«  si^clos  ). 


De  ineme  que  Ics  nalions,  les  villes  onl  Icur 
epoque  d'apogee,  apres  laquelle  vient  ordinairemcnt 
celle  d'une  decadence  plus  ou  moins  rapide.  Ceile 
ere  de  lustre  eprouve  elle-meme  aussi  ses  phases 
de  transformalion.  Ainsi ,  dans  noire  cite,  la  pros- 
perile  industrielle  a  succede  a  la  gloire  artisiiqne 
qui  I'eclaira  de  ses  rayons  les  plus  lumincux  depuis 
la  seconde  moilie  du  xvi"  siecle  jusque  vers  la  fin 
du  xvii*.  Pendant  celte  periode,  des  artistes  en  tons 
genres  (irent  relleter  sur  notre  patrie  I'eclal  de  leur 
talent  el  de  leur  nom.  Sculpieurs,  pcinlres,  gra- 
veurs  formaient  alors  une  chaine  non  interrompne  , 
commencant  aux  statuaires  Jacques  et  tinissant  a 
Nanleuil  el  Helard. 

Au  milieu  des  noms  qui  composaient  celte  pleiade, 
il  en  est  un  plus  modeste ,  dont  I'llluslration  n'a 
pas  depasse  peul-etre  I'enceinte  de  nos  niurs,  niais 
qui  cppendanl   nierile  ,  a  plus  d'un  litre,   une  place 


-  292  — 

dans  CO  recucil.  C'esl  celui  dc  Baussonnct,  archi- 
leclc  el  dcssinaleur ,  qui  nous  a  laisse  de  nombreux 
iravaux  se  rallachanl  [ircsquy  ions  a  Vhisloirc  dii 
pays. 

Plus  heureux  celle  fois  que  nous  ne  I'avons  ele 
avec  la  pluparl  de  nos  autres  artistes ,  nous  pouvons 
fixer  d'unc  maniere  a  pen  pres  certaine  I'epoque  de 
sa  naissance.  Nous  avons  vu  en  effel  ,  dans  un  rc- 
cueii  que  possede  !a  bibliothequo  niunicipalc  el  donl 
nous  aurons  occasion  de  parler  dans  cette  notice, 
de  pelils  croquis  deporirails,  a  la  plume,  executes 
en  1589  et  1592,  nlors  que  Baussonnet  n'eiail  encore 
que  petit  ccolier  an  college  dcs  Ecreves.  Ces  dales 
reporteraient  celio  de  sa  naissance  a  Tannee  1580  , 
environ. 

Nous  devons  a  eel  artiste  le  dessin  de  I'ancienne 
porte  Basee ,  dale  de  1602,  el  celui  bien  superieur 
du  rare  et  somptueux  tombeau  de  saint  Reiny  dale 
de  1655,  reproduits  lous  deux  par  le  burin  d'Edme 
Moreau  ,  et  qui  orneni  Thisloire  de  Reims  de 
Bergier. 

Le  beau  I'rontispice  de  la  premiere  edition  des 
Grands  chemins  de  I'empire  (1)  peut  donner  une 
idee  de  son  habilete  de  composition  et  d'execulion. 
Celle  piece  ires  remarquabic,  el  qui  ne  serait  pas 
desavoueo  paries  plus  babilesdessinateurs,  peut  etre 
consideree  comme  Tune  des  ceuvres  capitales  de  noire 
artiste.  Hormis  ces  dessins  et  quelques  vignettes 
perdues  dans  des  livres  d'heures  de  I'epoque,  nous 
ne  possederions  au  surplus  que  de  rares  temoignages 
du  talent  de    noire    compalriote,   si    les  recherches 

'A)  Etrak'nieiit    de  Nicolas  B('rt;ii'r. 


—  293  — 

inlelligeiiles  (J'lin  hoiume  a  (iiii  les  IcUros  doivoiii 
beaiicoup  a  Reims  n'avaienl  eniichi  notre  bihliolheqiic 
comiminale  (i'uu  rocueil  tros  precieiix  pour  nous  a 
lous  egards. 

Vers  I'anuee  1856,  si  nous  avons  bonne  meuioiro, 
M.  Louis  Paris ,  bibliolbecaire  de  la  ville  ,  en  fouil- 
lant  et  retournanl  Telalage  d'un  bouquinisle  ,  avise, 
blancbi  par  la  poussiere,  un  in-folio  liislemcnl  aban- 
donne.  Son  insiincl  de  bibliophile  lui  fail  presserilir 
un  Iresor  dans  ces  feuillels  delaisses  qui  alliienl  son 
allention.  Ce  livre  ,  en  effel  ,  n'ctail  aulre  (lu'une 
collection  de  dessins  manusc'iis  ayanl  |)ouf  litre  ; 
«  Desseins  de  Peinture,  Graveure,  Orfevrerie,  Masson- 
«  nerie_,  Menumrie ,  Tourneiie ,  Fenire  el  aulres  arlz. 

«  De  la  main  et.  invention  de  G.  Baussonnet ,  de 
«  Reims  (1).    » 

C'etait  une  precieuse  trouvaille  pour  noire  ville  si 
pauvre  en  souvenirs  de  nos  artistes :  aussi  M.  Paris, 
tout  heureux  de  sa  conquele  ,  I'elala-t-il  victoiieuse- 
meni  sur   les   rayons  de   noire   biblioihequc. 

Ce  recucil  renferme  un  nosnbre  considerable  de 
dessins  de  touie  nature.  Nous  y  trouvoiis  des  crocjuis 
d'armes,  chilTres  el  ecussons  C^) ;  des  projels  d'or- 
nements  de  inenuiserie ,  nia^onnerie  et  peinture , 
dont  peul-elre  quelques  niaisons  de   noire  ville  con- 

(1)  D'apres  un  ri'iiSDignemciit  i(ue  nous  devons  a  I'ubligeance  de  M. 
Uuohesne  ,  bibliophile  erudil  cl  zele  de  noire  ville,  c'est  chez  M. 
Cordicr,  libraire  antiquaire  de  Reims,  que  M  Paris  aurait  relrouve  ce 
volume.  M.  Cordier  avail  en  la  bonne  fortune  de  le  decouvrir  parnii 
les   rareles  d'un   amateur   du    dqiarlement. 

(2)  Knlre  autres  ceux  do  Dames  Anno  de  Roucy,  |iremiere  abbess 
de  Saint-Etienne  ,  el  Huneo  do  Lorraine  ,  abbesse  do  Saint-Picire-les 
Dames. 


—  :29/i  — 

servenl  encore  les  lr;ices  (1),  il  des  modele:.  d'or- 
fevrcrie  el  de  broderies  religieuses  nielcs  a  des  sii- 
jels  d'lin  style  plus  eleve  el  a  des  composilions 
completes. 

Nous  avons  lemarque  surloul  une  charmante  ex- 
quisse  d'un  tableau  compose  en  I'lionneur  de  saint 
Benolt  pour  M™'  Catherine  de  Joyeuse,  religieuse  de 
Saint-Pierre-les-Dames  (2) ;  un  tres  beau  raodele 
de  fonlaine  allegorique  entouree  de  constructions 
d'une  architecture  remarquable ,  el  un  autre  dessin 
mystique  intitule  Sacrum  Palladium  Remense^  el  re- 
presentanl  ,  surmontee  d'une  coupole,  la  Vierge 
ayanl  a  ses  coles  les  qualres  statues  de  I'antiquite, 
de  la  prudence,  de  la    piete  el  de  la  gloire. 

Nous  devons  mentionner  aussi  un  delicieux  mo- 
dele  de  lapi.»serie  destine  a  M.  de  Joyeuse  et  exe- 
cute avec  une  reujartpiable  delicalesse.  La  plupart 
de  ces  dessins  sonl  signes  soil  des  initiates  G.  B. , 
soil  du  nom  de  Baussonnel  toul  entier  et  revetus  de 
dales  qui  pourraienl  a  Toccasion  servir  de  points 
de  repere  pour  I'eiude  de  cello  epoque  de  noire 
bisloire.  Presque  toutes  les  grandes  pieces  oni  ete 
gravees  par  Edme  Moreau  qui ,  par  ses  Iravaux 
cnlieremenl  consacrcs  a  noire  ville,  avail  conquis 
son  droit  de  ciloyen  remois  (5). 

(t)  Plusieurs  de  ces  projets  ont  ete  executes  dans  une  raaison 
appartenanl  alors  a  M.  Dorat,  clianoine,  et  dans  le  choeur  de 
t'eglise    des   Dames  religieuses    de    Saint-Etienne    de    Reims. 

i'2l  Le  tableau  a  ele  execute  d'apr(^s  ce  dessin  par  Murgalle, 
poinlre  de  Troves  ,  en    1C22. 

(5)  Ednic  Moreau  etait  de  Chalons-siir-Marnc  ,  ntais  il  a  presque 
loujours  travaille   a    Reims  el   pour  l^oims. 


—  295  — 

Nous  Uouvous  encore  dans  ce  recueil  la  collection 
curicuse  des  dessins  ,  des  ornemcnls  ,  arcs  de  Iriom- 
phe,  allegories  et  decors  de  tons  genres  donl  s'elail 
paree  la  vieille  cite  lors  du  sacre  dn  roi  Louis  XIII , 
el  du  retonr  de  la  reine  Anne  d'Autriche  de  son  pele- 
rinage  a  Notre-Dame  de  Liesse  ,  en  1620  (1). 

On  sail  que  notre  compatriote  avaitete,  conjoin- 
tenient  avec  MM.  le  chanoine  Dorat ,  De  la  Salle  et 
Bergier ,  charge  ,  par  le  corps  de  rEchevinage ,  de 
la  condnite  et  de  I'inspection  des  Iravanx  et  des 
embcllissemenls. 

Artiste  el  bel  esprit ,  Baussonnet  elait,  en  effel, 
riiomme  indispensable  de  ces  solennites.  Non  seu- 
lemenl  on  lui  conliait  la  direction  des  decors  ,  mais 
c'etait  a  lui  aussi  que  revenail  le  soin  de  fiiire  parler 
ces  monuments  ephemeres  que  le  meme  jour  voit 
s'elever  et    disparaiire. 

Ecoutons,  au  surplus,  ce  que  dit  de  lui  son  savant 
collaboraleur  et  conicmporain  Nicolas  Bergier ,  donl 
nous  parlions  lout  a  I'heure. 

a  Quant  au  sieur  Baussonnet,  outre  la  gentillesse 

»  de  ses  inventions  et  de  la  parfaicte   poiilesse  qui 

»  se  voit  en  ses  vers  et  comme  estant  fort  entendu 

»  en  tout  ce  qui  depend  de  la  sculpture  ci  peiniure, 

»  il  eut  le  principal  soing  d'en  faire  mettre  les  des- 

»  sins  a  due  et  enliere  execution  ;  ce  qui  vint  fort  a 

»  propos ,  d'aulanlqu'il  n'a  passeulement  la  specula- 

»  live  des  proportions  qu'il  faut  observer  en  ces  deux 

»  ariz  ;  mais  aussi   la  pratique  de  cc  que    la   [)iumc 

(1)  M.  Maubetigp,  conservateur  actuel,  a  retroiivc  recemment,  perduos 
dans  divers  cartons  di;  la  hibliolheque  inunicipale,  pliisicurs  autres 
pieces  do  Baussonnet  qui  ,  reunifs  an  viilunio  ,  nc  fornicronl  plus 
qu'un   spul  coi'ps. 


—  296  -^- 

«  peui  rendre  en  poesie  et  en  pourlraiclure  »   (1). 

Voici  maintenanl  quelques  uns  de  ces  quatrains , 
stances  ou  sonnets  composes  par  noire  artiste ,  et 
dans  lesqiiels  s'epanouissait  en  rimes  plus  ou  moins 
heureuses  Tenlhousiasme  officiel  de  nos  bons  ayeux. 

Sur  I'une  des  faces  d'un  arc  de  Iriomphe  consacre 
a  I'anciennc  ville  de  Troie  ,  donl  on  prelendail  que 
Reims  tirait  son  origine  (ce  qui,  par  parenthese , 
nous  semble  un  peu  hasarde  ) ,  on  lisait  du  cole  droit 
les  vers  suivants  : 

«  Reims  remet  la  grand  Troye  en  sa  gloire  premiere, 

«  Piiijqu'au  temps  que  les  Grecs  la  privaient  de  lumierc 

«  Reims  naqiiit  plus   luisante  et   pour  Troye  et   pour  soy  ; 

«  Si  Ton   les   voit  liriiler,    c'est   de  diverse   flarame , 

«  Car  Reims  brule  en  son  cceur  de  I'amour   de  ses  roysj, 

<■  Et  Troye  en  ses  palais  pour  I'amour    d'une  fcmmc. 

El  sur  le  cote  gauche : 

«  Reims  est  un  grand  amas  de  singularitez  , 

«  Un  modele  parfait  des  plus  braves  cites  , 

.  Un   lyce?,    de  tous  arts   un  tris  fecond   parterre  ; 

»  Si  voit-elle  anjourd'hui  le  comble  de  son  raieux 

«  Voyant  oindre  sou  roy  le  plus  grand  de  la  lerre 

«  Uu  saint  chresme  cnvoye   par  I'empereur   dt^s  cieux.  » 

Conlre  une  fausse  poite  elevee  sur  un  pelit  ilol 
lorme  par  la  riviere,  on  avail  ojuslc  un  grand  ta- 
bleau repre>ontant  la  Nymphe  de  la  Vcsle.  Voici 
comment  Baussonnel  faisail  parler  noire  Naiade 
Champenoise: 

a  Je   retarde  le   cours   de    mos   flots   argeiiles 

„  Pour  admirer  mon  roy  ,   dout  les  jeanes  beautes 

«  Couvrent  une  vertu  qui  n'a  point  de  seconde. 

.  Mnn   Roy  ,  qui  tout    parfait  a   ja   I'Smc  ,    le  cneur  , 

(1)  Le  Bouquet  roijal  ,  p.ir  M  N.  ISergier  ;  Reims,  cho/,  Simon  lio 
Fois[ny  ,  Wt"i. 


—  297  — 

«  La  bonle  ,   les    altraits  ,  le   courage  vainqucur 
«  De  sou  p6re,  qui  fut    la  inervcills  dii  monde.    » 

Un  aiilne  qui  avail  cru  miraculeusement  dans  les 
joints  de  pierres  d'lin  deversoir  ,  voisin  du  ponl-levis 
de  la  porle  de  Vesle  ,  clalail  joyeiisement  ses  rameaux 
verls  ail  soleil.  Au  milieu  do  toutes  ces  merveilles  , 
le  pauvre  arbre  ne  pouvait  resler  muet.  Aussi  s'em- 
pressa-t-il  a  son  lour  de  faire  en  ces  lermes  son 
complimenl  au  prince  : 

«  Assis  sur  cclte  picrre  dure 

»  Jfi  vis  de  la  fraicheur  des  eaux  , 

»  Et  Phoebus  nuit  a  ma  verdure 

«  Quand  il  prend  ses  plus  chauds  flambeaux. 

«  Mais  aujourd'hui  j'ay  d"avcDlure 

«  Un  heureux  change  en  ma  nature  ; 

«  Car  si  la    trop  cruelle   ardeur 

«  De  Phoebus  me   tue  et  m'offence , 

«  Je  revis  voyant   la  spleudeur 

I  De   Louis   le    soleil   de  la   France.    ■ 

Dans  une  inscription  qui  s'etalail  glorieusemenl 
sur  un  arc  de  iriomphe  eleve  en  I'honneur  des 
trois  rois,  Salomon,  David  el  Josias ,  notre  com- 
palriotc  s'elait  eleve  jusqu'au  sonnet.  Cel  epouvanlail 
des  poetes  de  lepoque,  qui  ne  I'abordaienl  qu'avec 
une  sainie  lerreur ,  n'avait  nullement  effraye  le  notre. 
La  fortune,  qui  sourit  aux  audacieux ,  n'a  pas  ele, 
comme  on  va  le  voir,  trop  cruelle  pour  la  muse  de 
notre   artiste.  Voici  son   sonnet : 

«  David  eut  son  printemps  d'une  force    admirable  , 

«  Salomon  eut  le  sien  plein   de   sage  action  ; 

«  .losias  I'eut  si    prompt  h  la    devotion , 

<•  Que  sa  piete  reste   a   toujours  memorable. 

•<  Grand    Louis ,  joins  ton   los   a  leur  l«>s    perdurable  , 
«  Kn   prcnaut  pour   miroir   lour  grand   perfection , 


—  298  — 

.  Et  te  moulaul  sur  cux  avec  affection  , 

«  Tu  seras  uri  roy   seul  i   trois  rois  comparable.  ; 

«   Si  hi    veux  pour  modfele    un    roi  de   ton  pays  , 

.  Au  lieu  de  ces  trois  rois   pren  ton  grand  sainct  Louis, 

"  Lui   de   qui   I'age  enlier  a   leur  printemps   ressemble. 

•  Car   en  le  prenant  seul   pour  objet  de  tes  yeux  , 
"  Tu   seras  anssi  fort,    aussi  sage  et  pieux, 

•  Que  David ,    Salomon,   et   Josias  ensemble. 

Cerles ,  comme  pensee  el  comme  facture  ,  ces  vers 
valent  aulant  et  beaiicoup  mieux  peut-etre  que  bien 
des  sonnets  du  temps ,  ires  vanles  el  Ires  a  la 
mode. 

Notre  celebre  sculpleur  Jacques  avail  execute  pour 
celle  solennile  une  belle  slalue  represenlanl  la  France. 
Elle  eiail  supporlee  par  un  piedestal  donl  les  qualre 
laces  elaienl  enrichies  d'inscriptions.  —  Les  deux 
suivanlcs  elaienl  dues  a  I'imaginalion  de  noire  poete. 
Sur  Tun  des  coles  on  lisail  : 

«  Deja  mes  beaux  jours  esclaircis 

'  Semblaieul  devenir  obscurcis, 

«  Retombant  dans  leur   uuit   premiere  ; 

«  Mais   le  lever  de  mon   soleil, 

«  Astre  d'un  aspect  nompareil, 

«  Change   cette   nuit  en   lumiere. 

El  sur   I'aulre  : 

«  Quand  les  fiers   autans  ray-brillez 

"  Rendraient   les  rochors  ebranlez  , 

«  Leur  soufHe  me   m'est   qu'un  zepliire 

, «  Puisq'ie  je   vols  mon  jeune   Atlilas 

'<  Si    bien  porter  sans  6tre   las 

«  Le  pesant  ciel  de  mon  empire.  » 

Tous  ces  vers,  en  resume  ,  ne  soul  ni  beaucoup 
au  dessiis.  ni   beauconp  au  dessous  do  ces  rimes  de 


s 


—  299  — 

circonslance  que  riraaginalion  des  poetes  meltait  au 
service  des  ceremonies  d'apparai,  et  qui  n'affichaient 
pas  de  grandes  pretentions  a   rimmortaiite. 

II  ne  faut  done  pas  se  montrer  trop  severe  pour 
la  muse  de  Baussonnet  qui  parfois^,  au  surplus,  et 
quand  die  pouvail  se  degager  de  ses  enlraves  ofB- 
cielles,  ne  manquait  ni  de  verve  ni  de  sensibilite. 

L>a  bibliotheque  nalionale  de  Paris  possede  un  ancieu 
el  curieux  manuscril  dont  Texistence ,  ainsi  qu'on  va 
le  voir,  est  precieuse  pour  nous  a  plus  d'un  titre.  Ce 
livre,  enrichi  de  lines  el  delicales  vignettes,  comme 
on  les  faisail  alors ,  esl  un  roman  de  chevalerie 
intitule  Trdile  et  Grise'ida ,  et  qui  a  appartenu  a 
notre  celebre  abbe  De  la  Salle  (]). 

Des  liens  d'affeclion  unissaienl  Baussonnet  el  Til- 
lustre  fondateur  des  ecoles  chretiennes;  el  ce  dernier 
re?ut  plus  d'une  fois  peul-etre  de  ces  confidences 
qu'on  ne  depose  que  dans  le  sein  d'un   ami. 

Noire  compatriote  avail  eu  des  peines  de  cceur 
( les  artistes  n'en  sonl  pas  exempts),  el  un  jour  que 
la  lecture  du  roman  de  son  ami  avail  sans  doute 
ravive  en  lui  des  blessures  saignanies  encore,  il 
lui  rendail  le  livre  avec  ce  sonnet  ecril  de  sa  main 
sur  le  premier  feuillet: 

«  0  qu'amour  est  cruel  et  cruelles  ses  armes , 

«  Que  ses  coups  sont  divers  et  divers   ses  cffets ! 

«  J'en  suis  temoin,  La  Salle,  et  ces  tristes  portraits 

•  Que  je  te  rends  baignes   du  ruisseau  de  mes  larmes. 

•  Ce  ujauvais ,  par  I'effet  d'un  bel   ceil  plein  de  charmes  , 
«  M'a  mis  comme  Troile ,  an  rang  de  ses  subjects; 

(1)  J.  B.  De  la  Salle,  fondateur  des  freres  des  ecoles   chretiennes, 
ne  h  Reims  en    1651    et   mort  en    1119. 


—  300  — 

«  II  nous  priva  loiis    deux  de  nos  rares  objects ; 

-  L'un  en  uq  temps  de   paix ,  Toutie   en  un  temps  d'alarmes. 

«  Mais  Troile  eut  un  bien   au    cours  de  son  malhpur; 
«  Car  la  mort  lui  borna  sa  vie  et  sa  doiileur , 
«  Aprfes  qu'il  eut ,  longtemps ,   son  ardeur  assouvie. 

«  Et  moi   qui  ne  recueille  au   cours   de    mes  travaux 
«  Que  le  fruit  malheureux  de  cent   tourments  nouveaux , 
«  Plus  je  cherche  la  mort,  plus  je  trouve  la  vie. 

Cerles  ,  ces  vers  sont  charmants  el  laissent  bien  loin 
derriere  eux  bon  nombre  de  ces  compositions  de 
I'epoque  qui  valurenl  a  leurs  auleurs  une  reputation 
usurpee.  Cependant ,  nous  devons  le  dire,  I'elegance 
et  la  facilite  de  leur  tournure  est  leur  moindre  merite 
a  DOS  yeux. 

II  y  a  dans  ces  quelques  lignes ,  si  pleines  de  sen- 
sibiiite ,  tonte  une  bistoire ,  tout  le  secret  d'une 
existence  brisee ;  el  nous  doulons  fort  que  le  roman 
entier  de  Troile  el  Griseida  vaille  cette  melancolique 
poesie  du  cceur. 

G.  Baussonnel  mourut  vers  le  milieu  du  xvii* 
siecle. 


Reims.  —  Imp.  de  P.  Regnier. 


9. 


TRAVA.UX 


DE 


L'ACADEMIE  DE  REIMS. 


N»  i. 


ANN^E  18S1  -  18S2. 

TiiiMESTRE  d'Avril  1854. 


REIMS 
P.  REGNIER,  IMPRIMEUU  DE  L'ACADIiIMIE. 


1851 


'iii 


SOMMAIliE    f)U  IVHiytfiRO. 


SCIENCES. —  Lecture  de  M.  J.  Sormn —  Sur  une  experience 
ricenle  de  M.  Foucault. 

Lecture  de  M.  Velly.  —  Notice  sur  la  dislillation  dti  vin. 

Rapports  sur  plosieurs  appareils  presentes  par  le  sieur  Caillet, 
de  Chalons-s.-Marne,  par  ]M.  LEBauw,  membre  correspondant. 

BEAUX-AKTS.  —  Lecture  de  M.  Max.  Sctaine.  —  Notice 
sur  Edme  Moreau,  graveur,  ( xvi'-xviie  siecle). 

LETTRES.  —  Lecture  de  M.  Mourin.  —  Etudes  biographi- 
ques.  —  ix«  et  x«  siecles. 

HISTOIRE  ET  ARCHEOLOGIE  —  Communication  de 
M.  Oppert.  —  De  V Importance  historique  des  inscriptions  asia- 
tiques  nouvellement  dechiffrees,  (Deuxicme  article. ) 

Lectures  de  M-  Ch.  Loriquet.  —  Rapport  sur  les  memoircs 
de  I'Academie  nationale  de  Metz,  xxxi°  annee. 

Note    au    sujet    d'une  lampe  antique    Irouvee    a   Grand, 

( Vosges]). 

SCIENCES. —  Lecture  de  M.  E.  Maumene.  —  Mouvemenl  dc 
rotation  dc  la  terre  ,    demontrc  sous  les  voutcs  de  la  CatMdrale. 


V ' 


SEANCES  ET  TRAVAUX 


DE 


L'ACADEMIE  DE  KEIMS. 


^ 


a; 


SEANCES 


KT 


TRAV4 


T 
J 


DE  L'ACADEMli:  DE  REIMS. 


2*  TRIMESTRE  I.S5I.  —  ?,'•■    TRTMESTRE  1851, 


REIMS 

p.      REGNIER,      IMPRIMEIJR      DE      l'at,  ADEM[E. 
BRISSART-RINET ,    LIBRAIRE   DE   l'acADEMIE. 


4,^^"^ 


w'^m 


TIUVAIX  l)E  I;AC4I)EMIE  M    REIMS. 

ANNEE   1851-1852. 
N"   1,   —  Trimestre  d'Avril   1851 . 

SCIENCES. 
Leelure  dc  M.  J.  Scriiiii. 

Seance  du  14  Mars  1851. 

SUR   IINE   EXPERIENCE   RfiCENTE    DE   M.    FOUCAULT. 


Messieurs , 

Un  jeune  pliysicien  ,  deja  connu  dans  le  monde 
scientiGque  par  pliisieurs  Iravaux  siir  I'electricile  ct 
la  lumiere,  M.  Leon  Foucaull,  vient  d'allacher  h  son 
nom  une  gloire  durable,  en  irouvant  dans  une  ex- 
perience bien  connue  le  moycn  de  prouver  que  la 
lerre  tourne  sur  elle-meme. 

Ce  n'est  sans  doule  rien  de  nouveau  a  nous  ap- 
prendre ;  mais ,  en  rappelant  quelles  sonl  les 
II  1 


—  2  — 

prcuvcs  que  nous  avions  jnsqu'a  ce  jour  du  mouve- 
nienl  de  rotation  de  la  lerre  ,  on  verra  de  quelle 
uiilile  est  I'experience  de  M.  Foucauli ,  d'ailleurs  si 
iug6nieuse  el  si  remarquable  par  sa  simplicile. 

La  croyance  au  mouvemcnl  de  la  teire  est  un  des 
fails  les  plus  anciens  de  la  science.  L'ecole  de  Py- 
Ihagore  el  plusieurs  autres  ecoles  grecques  I'admel- 
taieul  comme  seule  capable  d'expliquer  le  mouve- 
menl  diurne  du  ciel.  Mais  la  force  des  prejnges , 
ou,  si  Ton  veul ,  I'absence  d'une  preuve  malerielle, 
onl  cle  les  causes  des  obslacles  qui  repousserenl  si 
loiiglemps  celle  idee.  II  y  a  deux  siecles  a  peine, 
Galilee ,  moins  prudent  que  Copernic ,  osa  ecrire  et 
enseigner  que  la  lerre  n'etait  pas  immobile  dans 
I'espace.  La  lerre  lourne ,  disail-il ,  et  la  preuve  en 
est  dans  I'aspecl  des  cieux  qui  nous  cnlourcni.  Com- 
menl  concevoir  ,  en  cffet ,  que  le  Goleil,  Icseloiles, 
ces  mondes  aupres  desquels  le  noire  est  un  atome, 
s'accordent  tous  a  tourner  dans  le  me  me  temps  a  u  lour 
de  nous ,  el  quelle  vitesse  ne  faudrait-il  pas  leur  sup- 
poser  pour  accomplir  celle  revolulion  en  24heures, 
vu  Timmense  distance  qui  les  separe  de  la  lerre? 
N'esl-il  pas  plus  simple  el  plus  rationnel  d'admetlre 
que  ces  astres  sonl  fixes  et  que  la  lerre  scule  lourne 
sur  son  axe ,  en  sens  coniraire  du  mouvemenl  appa- 
rent des  corps  celestes. 

A  ces  raisons  parfaiiemenl  jusles  ,  il  faul  dire  que 
Galilee  m6lail  des  idecs  Tausses  :  ainsi ,  dans  la  fa- 
meusc  experience  qu'il  iit  sur  la  lour  de  Pise,  il 
n'expliquail  pas  pourquoi  une  pierre  tombanl  du  sora- 
mel  atieigoait  le  pied  de  la  lour.  Si  la  lerre  esi  en 
mouvemenl ,  dis^ieni  scs  advcrsaires  ,  elle  doit  avoir 
avance  pendant  le   lemps  de  la   chiilc  ,  et  la  piorrc 


—  3  — 

ne  participant  pas  de  ce  mouvemenl  tie  I'ouest  a  I'est, 
doit  tomber  bien  loin  l\  I'ouesl  de  la  tour. 

Galilee  essayait  de  cacher  sous  des  siibtililes  me- 
taphysiques  linsufiisance  de  sa  Uieorie  ;  i!  ne  remar- 
quail  pas  qu'au  moment  oii  la  pi«^.rre  va  elre  lachee, 
ello  possede  la  vitesse  de  translation  de  la  (our,  e! 
que,  par  suite,  elle  doit  I'accompagner  dans  son 
mouvement.  Dc  la  I'erreur  de  ce  £?rand  genie,  qui 
voyait  la  verite  et  ne  pouvait ,  a  des  esprits  prcve- 
nus  ,  la  demonlrer  par  des  preuves  prises  sur  la 
terre  elle-meme. 

Mais ,  chose  mervcilleuse ,  Galilee  venail  precise- 
ment  d'.'nventer  un  instrument  a  i'aide  duquel  il 
pouvait  demontrer  aux  plus  incredules  !e  irouvement 
de  la  terre.  II  venait  d'invenier  le  pendule.  C'est , 
en  effet,  avcc  le  pendule  de  Galilee  que  M.  Foucault 
a  demonlre  le  fait  dont  rinluilion  a  coute  si  cher  a 
son  auleur. 

Supposons  une  boule  de  metal  attachee  a  un  fil 
de  fer,  sans  elaslicite ;  que  ce  fd  ,  long  de  plusieurs 
metres,  soit  suspendu  a  un  point  immuable.  Si  Ton 
vient  a  ecarter  ce  point^de  la  veriicale  ,  et  qu'en- 
suite  on  Tabandoisne  a  lui-meme,  il  oscillera  pendant 
un  temps  assez  long  de  cliaque  cole  de  celte  verti- 
cale.  La  cause  dc  ce  mouvemenl  regulier,  c'est 
Tallraclion  terreslre.  Cettc  altraciion  le.id  a  ramener 
le  pendule  vers  la  veriicale  donl  il  s'ecarle  ;  raais 
d  depasse  cette  position  en  verlu  de  sa  vitesse  ac- 
quise  ,  et  de  la  ces  oscillations  qui  ne  s'eteignent 
que  par  la  resistance  dc  Fair.  Or,  la  masse  attiranto 
di!  la  terre  ne  changeanl  pas,  il  est  facile  de  concevoir 
et  de  demontrer  que  le  mouvement  de  rotation  de 
la  terre  est  tout  a  fait  indilferent  an  mouvement  dia 


—  ll  — 

pendule.  II  est  vrai  que  le  poiiil  de  suspension  est 
enlraine  avec  le  meridien  dans  lequel  il  se  irouve; 
mais  I'orienlalion  du  plan  dans  lequel  se  font  les 
oscillations  n'est  pas  allerec.  Voila  done  un  plan  doni 
la  trace  sur  noire  horizon  est  parfailemenl  inva- 
riable, et  par  rapport  auquel  on  pourra  apprecier 
le  changemeut  de  position  d'un  observaleur  en  mou- 
vement.  Si,  en  efl'et,  Tobservaleur  est  emporie  vers 
I'orient,  il  lui  parailra^  a  lui  qui  se  croil  lixe,  que 
le  plan  d'oscillation  du  pendule  a  un  mouvement 
inverse  vers  I'occident. 

C'esl  ce  que  confirme  rcxperience,  II  suffit ,  pour 
bien  conslaler  le  resultat  ,  de  placer  un  repere  pres 
du  point  de  depart.  Si  le  lil  est  assez  long  ,  ou  si 
les  oscillations  sont  assez  lenles ,  on  pent  remar- 
quer  ,  pour  cbacune  d'elles ,  une  distance  sensible 
entre  le  point  extreme  de  la  course  du  pendule  et 
sa  position  precedente.  On  voit  ainsi  le  plan  d'oscil- 
lation se  mouvoir  uniformcraent  vers  I'occident ,  ou 
dans  le  sens  meme  du  mouvement  du  ciel:  ce  qui 
prouve  ,  d'apres  les  considerations  prccedenles  ,  que 
la  lerre  se  meut  en  sens  contraire,  c'est  a  dire  vers 
I'orient. 

II  ne  faut  pas  croire  ,  cependant ,  que  le  depla- 
cemcnt  du  plan  d'oscillation  soit  juslemenl  egal  au 
deplacemenl  du  meridien  ,  il  n'en  est  qu'uiie  Trac- 
tion ,  laquelle  depend  de  la  latitude  du  lieu  oii  Ton 
opcre.  Une  note  quo  je  joins  ici  ie  mouire  aisement, 
a  I'aide  de  quelques  considerations  geomelriques  (I). 

(Ij  Supposons,  pour  fixer  les  idces  ,  que  le  pendule  oscille 
primilivement  dans  le  plan  du  meridien  ,  el  un  observaleur 
place  dans  ce  plan  ,  regardant  le  pole  uord.  Pour  un  depla- 
cemenl infiniment  pelil  du  meridien  ,    le   deplacemenl  de  I'ob- 


—  5  — 

On  voit ,  en  effel ,  qu"aii  pole  soul  le~  tieplacement 
serail  de  1S°  par  heure  ,  comme  la  vitesse  dc  rolation 
de  la  lerre  ;  a  I'equaleur ,  le  deplacement  serait  nul  ; 
el  a  Reims,  le  calcul  donne  environ  H°  1/3  par 
heure. 

M.  FoucauU  a  d'abord  fait  son  experience  dans 
une  cave  pour  se  mcttre  a  I'abri  de  toule  perturba- 
tion extericure.  II  I'a  reproduite  ensuile  dans  la  grande 
salle  de  I'Observaloire  ;  et  aujourd'hui ,  lout  Paris 
pent  aller  voir  au  Panlheon  un  pendule  de  60  metres  , 
donl  chaque  oscillalion  allesle  la  rolation  de  la  lerre. 

Voire  section  des  Sciences  se  propose.  Messieurs, 
si  clle  peut  se  procurer  les  moyens  d'execulion  ne- 
ccssaires  ,  de  vous  faire  assister  incessamment  a  la 
reproduction  de  I'experience  de  M.  FoucauU  dans  la 
giande  salle  du  Palais  archiepiscopal. 

seivaleur  ,  par  lapporl  au  plan  d'oscillalion  ,  est  mesure  par 
I'anglc  des  lieus  langcntcs  ;iux  meridicns  inenees  au  licii  de 
I'observaleur  Or  ,  eel  angle  est  egal  au  deplacomeni  angulaiie 
du  incridien  ,  miilliiilie  par  le  cosinus  de  Tangle  du  })lan 
de  I'cqualeuT  et  du  plan  tangent  ( liniile  du  plan  des  deuK 
taogontes  )  ;  ou  ,  ce  qui  est  la  meme  chose  ,  multiplie  par 
le  sinus  de  la  I'alitiide.  Done  ,  apres  un  ieiups  fini ,  la  somcio 
des  angles  est  egale  au  deplaccmem  angulaire  total  multiplie 
par  le  sinus  de   la  latitude. 

Par  exemple  ,  !e  deplacemenl  angulaire  elant  IS"  par  heure 
pour  une  latitude  a  il  sera  15  sin  \ 

11  est  clair  que  ce  calcul  subsiste ,  quel  que  soil  le  plan 
initial  d'oscillalion  ,  la  meridienne  n'ctant  prise  ici  que  coinine 
ligne  de  reiicre. 

I'our  Reims  ,  on  trouve  par  logarithincs  16"  sin  ,\  =  11"  20 
=  M«  1/3. 


—  0 


Lw'du'c  (Ic  I!.  Velly, 


Seance  du  27  Juin  1851. 


NOTICE   SUR    LA    DISTILLATION    DU    VIN. 


Places  corame  nous  le  sommes  (Jans  un  pays  essen- 
iiellemeiit  vinicole,  j'ai  pense  qu'il  pourrait  y  avoir 
utilite  i  soumeltre  h  TAcademie  quelques  experiences 
auxqueiles  je  me  suis  livre  sur  la  dislillaiion  du  vin. 

Le  via,  connu  dans  les  leraps  les  plus  recules ,  a 
ele  pendant  lonsjtemps  I'apanage  des  tables  royales. 
Peu  ii  pen  les  classes  elevees  s'en  sonl  eniparees,  et 
I'usage  de  cette  boisson  est  lellenient  repaadu  aujour- 
d'hui ,  qu'il  forme  un  des  condiments  indispensables 
a  notre  systeme  alimenlaire.  Aussi  ,  sa  preparation 
Ibrme-t-elle  de  nos  jours  une  des  branches  les  plus 
imporlantes  de  notre  Industrie  agricole. 

Tout  le  monde  connail  les  effeis  singuliers  qu'il 
produit  sur  I'economie  animale.  Pris  moderemenl , 
son  action  bienfaisante  se  poriesur  le  sjsleme  nerveux, 
auquel  il  apporte  plus  d'activile  el  plus  d'energie. 
Pris  en  plus  forte  proportion  ,  il  le  paralyse ,  et  cela 
d'une  maniere  si  complete  qu'il  pent  determiner  la 
mort  dans  certains  cas ,  heureusement  ce   sonl  les 


plus  i-ares  ;  mois  i!  nrrive  Irop  frequcmnionl  qn'ii 
amene  la  paralysie  fie  (ous  nos  niembres.  J'aime' 
mieux  croirc  ,  pour  notre  nature  ,  qu'elle  ne  se  rend 
pas  bieii  compte  de  ces  cffets  singuliors  ,  plu- 
lot  que  de  liii  iaire  un  reproche  d'inlemperance  qiiand 
elle  en  abuse.  Mais  comme  le  bienfaii  oblenu  sen  a 
Iaire  oublier  le  mal  ,  il  s'ensuit  que  nous  voulons 
profiler  du  bienfaii,  ce  qui  souvent  pent  nous  en- 
trainer  trop  loin. 

La  nature  des  vins  varie  a  I'infiui ,  suivant  la 
conlree  qui  les  produit.  Les  terrains  meme  ont  une 
aclion  qui  peul  y  determiner  des  saveurs  parlicu- 
lieres  qui  leur  sont  propres ,  ot  tn  foul  souvent 
reconnaitrc  \\  provenance.  C'esl  a  I'aide  de  ces  indi- 
calions  que  Ton  determine  generalemenl  la  diversilc 
des  crus  producteurs  ;  dans  ce  cas  ,  le  commerce 
lire  profit  a  les  classer  par  especes.  C'esl  la  evidern- 
ment  ce  qui  constitue  le  commerce  des  vins  propre- 
ment  dit. 

Chaque  esp6ce  de  vin  soutnis  a  la  degui-lation 
donne  au  palais  uue  impression  parliculiere.  Ccttc 
savour  devienl  d'autant  plus  sensible  que  le  vin  arrive 
a  un  etat  plus  parfail  de  composition  ;  aussi  ,  est-il 
facile  au  palais  bien  exerce  de  recounaitre  non  seu- 
lemenl  le  lieu  de  production  ,  mais  souvenl  d'indi- 
quer  I'annee  oii  il  a  ele  recolte. 

Pendant  des  siecles  ,  on  a  bu  le  vin  sans  savoir 
ce  qu'il  contenait;  il  a  fallu  que  la  chimie  vinl  en 
determiner  les  divers  priucipes  en  les  dislillanl.  Elle 
en  a  oblenu  un  liquide  blanc  ,  qn'oUe  a  d'abord 
appele  esprit  de  vin  ,  que  nous  designons  sous  le 
nom  d'alcool  aujourd'hui  ;  c'esl  bi  la  presence  de  ce 
corps  liquide  qu'il  doit  la  propriele  la  plus  essentielle 


—  8  — 

de  ses  eflfets  sur  iiolrc  economic  ,  cl  c'esl  siuloui  a 
la  presence  de  ce  corps  qu'il  doit  la  possibilitc  de  sa 
conservation  pendant  plusieurs  annees. 

Toiites  les  fois  que  vous  laissez  du  vin  expose  a 
Taction  de  i'air  libre  ,  dans  un  vase  quelconque, 
vous  le  voyez  bientol  perdre  de  ses  proprieies  ;  il 
absorbe  I'oxig^ne  de  I'air ,  passe  a  I'etal  acide  ;  il 
lourne,  ce  que  Ton  appelle  vulgairement ,  apres  avoir 
perdu  une  portion  de  son  alcool  ,  et  bientot  sa  des- 
truction est  complete  si  Texposition  a  I'air  continue. 

Si  vous  le  soumettez ,  au  contraire,  a  Taction  de 
la  cbaleur  ,  dans  un  vase  clos,  et  que  vous  dispo- 
siez  Tappareil  de  manierc  b  recueillir  les  produits 
volatilises,  vous  obtenez  alors  un  liquide  blanccomme 
de  i'cau  ,  c'est  Talcool  plus  ou  moins  etendu  d'eau  : 
dans  lous  les  cas  ,  les  resuilats  sont  les  memes  , 
sauf  la  proportion  d'alcool  dans  le  melange  ;  il  n'est 
meme  pas  de  moyen  plus  certain  de  determiner  la 
richosse  du  vin  en  alcool.  Ce  dernier  ne  varie  pas 
dans  sa  composition  ;  il  peut  cependant  se  distinguer 
en  diverses  especes  ,  suivant  la  provenance  des  vins 
soumis  a  la  distillation ,  car  il  est  ordinairemenl 
d'une  odeur  qui  peut  rappeler  ceile  du  vin  employe. 
Dans  ce  cas  ,  on  le  distingue  par  le  nom  des  criis 
d'oii  il  lire  son  origine. 

On  a  deji  cherche  a  determiner  la  nature  de  cette 
saveur  pariiculiere  des  diverses  especes  de  vin  appelee 
bouquet;  elle  provient ,  suivant  certains  chimistes,  de 
la  formation  de  plusieurs  ethers  dans  leur  milieu. 
Je  suis  assez  dispose  a  me  ranger  a  cette  idee,  bien 
que  la  chimie  ne  soit  pas  encore  parvenue  a  les  deter- 
miner d'une  maniere  bien  certaine. 

En  se  rendant  comple  de  leur  composition  la  plus 


—  9  — 

gcnerale  ,  on  arrive  assez  lacilemcnt  a  porter  c<3 
jiigement;  avec  le  temps,  les  divers  principes  du 
vin  ,  reagissaiu  dans  leur  ensemble  ,  peuveul  faire 
comprendre  ce   resultat. 

En  reflechissant  a  cet  ordre  d'idees ,  je  me  suis 
demande  s'il  ne  serait  pas  possible  de  hater  la  for- 
mation de  ce  caraclere  parlicuiier  a  chaque  espece. 
Je  me  suis  dit  :  les  vins  sonl  pour  la  plupart  acides , 
il  est  probable  que  la  formation  du  bouquet  est  due, 
en  grande  parlie  ,  a  la  reaction  de  I'acide  du  vin  snr 
Talcool  ;  celle  action  ,  prolongce  pendant  des  annees 
en  presence  des  diverses  substances  qu'il  contient , 
peui  avoir  pour  resultat  de  produire  des  ethers  pou- 
vanl  eux-memes  varier  arinfini,  suivant  la  propor- 
tion d'alcool  et  des  principes  divers  qui  en  forment 
la  base. 

C'est  en  poursuivant  I'examen  de  cetle  conclusion 
que  j'ai  ete  amene  a  faire  quelques  essais ,  donl  je 
viens  enlrelenir  rAcadcrnie. 

Muni  d'un  petit  appareil  distillaloire,  propre  a 
determiner  la  richesse  des  vins  en  alcool ,  j'ai  fail 
piusieurs  distillations,  donl  voici  des  echanlillons  sous 
vos  yeux.  Dans  ma  pensee ,  ces  divers  essais  con- 
firmeraient  l'opinion,dej&  emise,  que  le  bouquet  pro- 
viendrait ,  en  grande  parlie  ,  de  la  reaction  acide  sur 
I'alcool  el  les  differents  principes  duvin,  lels  que  la 
maiiere  coloranle  ,  I'acide  acelique ,  le  tartrate  acide 
de  potasse  ,  le  tartrate  de  c.haux  ,  le  muriate  de  sonde, 
le  sulfate  de  potasse ,   le  tannin ,   etc. 

J'ai  pris  pour  type  du  vin  de  Rilly-la-Monlagne , 
de  1848  ,  en  bouleilles  depuis  dix-huii  raois ;  j'ai 
commence  par  le  distiller  pur ,  j'en  ai  obtenu  par  ce 
moyen  un  alcool    dans  deux  operations  successives, 


—  40  — 

la  meme  odeur  et  la   raeme  saveur.    Ca  ele  la  mon 
point  de   depart. 

Puis ,  successivemenl  et  dans  des  conditions  ana- 
logues ,  j'ai  souniis  ce  meme  vin  a  la  distillation  , 
sous  I'influence  de  plusieurs  acides  pris  separemenl. 
J'ai  procede  d'abord  par  I'emploi  de  I'acide  snlfu- 
rique,  que  j'ai  ajoute  au  vin  dans  la  proportion  de 
cinq  grammes  par  litre,  puis  j'ai  distille.  Le  produit, 
obtenu  par  cette  operation,  m'a  fourni  un  alcool  d'une 
odeur  et  d'une  saveur  differentes  de  celui  obtenu 
par  la  distillation  du  vin  pur.  Une  seconde  distilla- 
tion, dans  les  memes  conditions,  a  donne  un  produit 
idenlique  ;  j'en  ai  conclu  que  ,  dans  cette  circon- 
stance ,  I'acide  sulfurique  avail  reagi  d'une  raaniere 
tres  sensible  sur  les  divers  principes  du  vin  soumis 
a  I'epreuve. 

PoursuivaiU  raes  experiences  ,  j'ai  employe  dans 
une  serie  de  distillations  differents  acides  ,  toujours 
dans  les  memes  proportions  que  I'acide  sulfurique. 
Tons  les  resultats  obtenus  separement  et  a  diverses 
reprises,  m'ont  toujours  donno  de  I'alcool  d'une  odeur 
plus  prononcee  que  celle  du  type  de  comparaison. 
J'ai  experimenle  I'acide  sulfurique  ,  I'acide  azolique , 
I'acide  chlorydrique,  oxalique,  citrique,  tarlrique.  Tous 
ces  differents  acides  onl  reagi  dans  les  memes  con- 
ditions et  d'une  maniere  idenlique,  bien  que  I'esamen 
le  plus  attentif  puisse  donner  une  difference  dans 
I'alcool ,  suivani  les  acides  employes.  En  somrae  il 
est  Ires  facile  de  reconnaitre  ,  dans  ces  differents 
alcools ,  une  odeur ,  un  bouquet ,  en  un  mot ,  plus 
ou  moins  dislincls,  suivant  que  I'acide  a  ete  plus  ou 
moins  energique.  Aussi  ,  tous  les  acides  mineraux 
onl  donne    a  la   distillation   avec  le   vin  le    bouquet 


—  11  — 

io  plus  prononce  ;  cela  lient  evidemmenl  a  leur  pro- 
priete  plus  energique  ,  corame  acides.  Lcs  acides 
vegelaux  ont  fourni  de  I'alcool ,  franc  de  gout,  cl 
avec  un  bouquet  moiiis  prononce.  Dans  tous  les  cas 
dejii  cites  ,  il  est  h  remarquer  que ,  sous  ['influence 
de  I'acide  ,  la  distillation  a  presenle  un  alcool  n'ayanl 
pas  la  moindre  odeur  empyreumalique,  tandis  qu'il 
a  eie  facile  de  la  constater  dans  la  distillation  du 
vin  pur. 

Toutes  ces  indications  tendraietit  a  demontrer  qu'il 
y  a  dans  ccs  reactions  une  influence  reelle  de  la 
part  des  acides  sur  le  vin  ,  qui  pounait  expliquer 
la  formation  du  bouquet  dans  les  vins  de  diA'crents 
crus. 

En  reflechissant  a  ccs  divers  eflets,  on  est  amene 
naturellement  a  se  demander  si  I'industrie  de  la  dis- 
tillation des  vins  en  grand  ne  pourrait  pas  employer 
ce  moyen  pour  obtenir  des  alcools  francs  de  goiit 
du  premier  jet. 

L'acide  sulfurique,  employe  dans  la  proportion  de 
500  grammes  par  hectolitre ,  serait  une  petite  de- 
pense.  Les  diverses  experiences  auxquelles  je  me 
suis  livre  m'ont  demontre  que,  sous  I'influence  do 
I'acide  sulfurique,  le  degre  alcoolimeirique  avait  ete 
sensiblemcnl  plus  eleve  que  dans  les  dislillations 
ordinaires.  Je  conclus  que  son  emploi  dans  ces 
circonstances  ne  pourrait  qu'avoir  une  bonne  in- 
fluence sur  le  rendement. 

Pour  ceux  qui  connaissent  la  distillation  du  vin  , 
il  leur  est  bien  demontre  qu'a  chaque  operation 
Talcool  produit  conserve  une  odeur  empyreumalique 
qui  en  cache  le  bouquet.  Celte  odeur  persistc  sou- 
vent  d'une  maniere  si  nermanenle,  qu'il  faut  plusicurs 


—  12  — 

annees  [)Our  la  faire  disparaitre.  Sous  rinfluence  d'un 
acide,  suilout  energique  comme  I'alcide  sulfurique, 
cette  odeur  ne  se  produil  pas  comme  dans  la  dis- 
tillaiion  ordinaire  du  vin  pur.  C'est  ce  qui  me  porte 
a  penser  que  I'industrie  pourrait  Irouver  profit  a 
uliliser  cette  reaction  ;  la  depeose  ,  par  hectolitre , 
serait  de  7  centimes  environ  ,  depense  qui  serait 
largement  couverte  par  TaugmeDlation  du  degre  al- 
cooliraelrique. 

Preocccupe  des  resullats  deja  obtenus  en  dislillant 
du  vin  vieux ,  j'ai  voulu  voir  si  j'obliendrais  les 
memes  effets  avcc  le  vin  nouveau.  J'ai  done  pris 
du  vin  nouveau  de  Rilly  ,  que  j'ai  distille  pur;  j'en 
ai  oblenu  de  I'alcool ,  qui  est  la  ,  sous  vos  yeux  ; 
puis  j'ai  distille  le  raeme  vin  avec  addition  d'acide. 
La  difference  de  bouquet  dans  les  deux  alcools  a  eie  . 
comme  precedemment ,  Ires    facile   a  etablir. 


—  13 


RAPPORTS 

SUR   PLUSIEUUS    APPAilEILS 
PUfiSENTfiS  PAR  LE  S""  CAILLET,  DE  CUALONS-S.-MARNE  , 

Par  M.   LEBRUN  ^  meinbre  correspondant. 


Seance  du  27  lUai  1851. 


Monsieur  le  President, 

Je  me  siiis  livre,  sur  I'invilaiion  de  M.  le  Secre- 
taire general,  a  I'exa'.nen  des  irois  objetspresentes  ou 
indiijiics  par  M.  Caillel,  de  Chalons.  Ces  objeis  sont  : 

i"  Un  appareil  porlalif  pour  bains  de  vapeur ; 

2"  Une  pompe  aspiranle  et  foulanle  pour  arrose- 
raenls  et  epuisements ; 

3"  Une  pompe  a  incendie ,  a  volonte  aspirante  et 
foulanle ,  ou   simplemeni  foulante. 

L'appareil  pour  chauiTer  ies  bains  de  vapeur  est 
simple  ,  en  meme  temps  que  bien  complet.  11  con- 
sisle  en  une  petite  chaudiere  de  fbrdie  arrondie  en 
lous  sens,  avec  tuyau  de  depense;  en  quatre  pieces 
ariiculees  pour  allonger  ,  raccourcir ,  elever  ou  abais- 
ser,  a  volonte,  le  jet  de  vapeur.  Cette  chaudiere 
est  munie  d'une  soupape  de  siirete.  A  son  somraet 
se  trouve  vissee  une  cage,  ou  reservoir  cylindrique, 
percee  d'un  grand  nombrc  de  Irous  et  plongeant  en 
partie  dans  le  liquide.  Ce  reservoir  est  destine  aux 
planles  aromatiques  qui  devraient  entrer  dans  la 
composition  du  bain . 


—  u  —  S 

Le  liquidc  pent  elre  de  10  a  H  litres,  nc  rem- 
plissani  que  les  2/3  de  la  capacite  de  la  chaudierc, 
que  I'on  pose  sur  un  petit  fourneau   portatif. 

II  parait  que  cet  appareil,  destine  a  porter  a  domi- 
cile les  bains  de  vapeur,  fonctionne  bien  ;  j'ignore 
s'il  en  existe  de  semblables  oa  d'analogues. 

La  pompe  pour  arrosements  et  epuisemenls  se  com- 
pose d'une  piece  de  fondation  el  d'un  corps  servant 
de  recipient,  en  2  pieces  en  fonte. 

Elle  est  a  double  mouvement ,  c'esl  ii  dire ,  a 
balancier. 

Dans  le  recipient  soDt  places  deux  cylindres  en  cuivre 
mince ,  dans  lesquels  fonctionnent  les  pistons.  Le 
cuivre  peul  y  etre  tres  raince,  parce  qu'a  I'exterieur  du 
corps  il  est  soutenu  d'un  cole  par  la  parol  demi-cjlin- 
drique,  en  cetle  parlie^  du  recipient,  et,  de  I'aulre,  par 
la  pression  de  I'eau  dans  le  recipient. 

Les  clapets  d'aspiration  sont  poses  a  plat  sur  la 
piece  de  fondation ,  a  laquelle  s'attache  verlicale- 
ment ,  an  dehors  ,  le  boyau  d'aspiration.  Les  pistons 
ne  ressemblent  en  rien  a  ceux  des  pompes  aspi- 
ranlcs  el  foulantes  ordinaires  ;  ils  sont  munis  de 
clapeis  comme  ceux  des  pompes  simplemeni  aspi- 
ranles.  Des  lors,  on  comprend  que,  au  moment  ou 
le  piston  remonte  ,  il  aspire  ou  fait  ouvrir  la  sou- 
pape  infericure  pour  remplir  le  corps  ;  en  meme 
temps  les  clapets  du  piston  soni  fermes  ,  et  celni-ci, 
pressanl  I'eau  du  recipient  centre  ses  parois,  lance 
i'eau  d'arrosement  en  meme  temps  qu'il   aspire. 

Unc  capacite ,  terminanl  en  dome  le  recipient  et 
conlenant  de  I'air ,  fail  I'office  de  regulatcur.  Elle  est 
surmonlee  d'un  orifice  hermetiqueraenl  ferme  ,  mais 


—  15  — 

que  Ton  peul  ouvrir  pour  y  iiUroduire  de  I'eau  pour 
amorcer  la   pompe  ,  s'il  en    est  besoin. 

Aspirer  et  refouler  en  m6me  lemps  dans  le  meme 
cylindre ,  et  smlout  au  momenl  ou  les  Iravailleurs 
soulevenl  le  levier  au  lieu  d'y  peser  de  leur  poids , 
serait  un  grave  defaut  pour  I'emploi  du  travail  me- 
canique,  s'il  s'agissaitd'une  pompe  ordinaire  a  simple 
mouvement.  Ici ,  oil  Ics  hommes  agissenl  aux  deux 
exlreraites  d'un  balancier ,  les  uns  en  soulevant  ,  les 
aulres  en    pesanl ,  il    n'y   a  nul  inconvenient. 

La  pompe  fonclionne  bien  ;  elle  est  simple  de 
construction.  Elle  est  montee  sur  deux  roues  basses 
et  un  avant-lrain  a  une  seule  roue.  On  pent  la  trainer 
par  un  cbeval,  ou  a  bras  d'homme  avec  I'avaut-train 
ou  avec  des  leviers. 

Son  poids  total  est  de  o55  kil. ,  et  )e  prix ,  pro- 
bablement ,  de  400  fr. 

Celle  pompe  a  servi  ix  des  arrosements  et ,  par- 
ticulieremeni,  a  des  epuisements  de  puils  infecles  et 
alimentes,  a  ce  qu'il  parait ,  par  de  fortes  sources. 
Aussi  ,  le  volume  effeclif  par  chaque  coup  de  piston 
est-il  considerable  (2  litres  11,  produil  d'un  volume 
eugendre  de  2  litres  78).  Le  produit  net  est  les  0,76 
du  volume  engendre. 

Ce  produil  de  76  p.  "/„ ,  (andis  quecerlaiues  pompes 
a  iiiccndie  produiseul  jusqu'a  90  p.  °/o ,  est  peut-etre 
inlerieur  a  ce  qu'il  aurail  du  elre.  Dans  noire  ope- 
ration ,  ou  Ton  a  puise  I'eau  a  5  metres  50  ue  pro- 
fonclcur  ,  la  pompe  n'etail  tnanoeuvree  que  par  qualre 
hommes  au  lieu  de  huit ,  el ,  par  consequent ,  elle 
marcliail  irop  lentement. 

Ceile  pompe  csl  conslruiic  ingenieusemeni  dans 
tous  ses  details ,   commc   tous   les   ouvrages  de   cc 


—   16  — 

genre  executes  par  M.  Caillel ;  mais  je  pense  que 
si  elle  (levait  etre  employee  aux  seuls  arrosemenls, 
elle  (levrail  elre  de  beaucoup  reduite  dans  ses  dimen- 
sions ,  el  parliculierement  dans  celles  qui  reglent  le 
volume  de  la  depense.  On  n'a  pas  facilement ,  el 
pour  un  Iravail  de  duree  ,  huit  homnies  a  meltre  au 
iDalancier.  II  serail ,  le  plus  souvent ,  preferable  de 
ne  tirer  qu'une  quanlile  d'eau  moins  considerable 
dans  un  temps  donne ,  moitie^  par  exemple ,  et  de 
n'y  employer  que  quatre  honimes  aux  leviers. 

J'insisterai  pen  sur  la  porape  h  incendie ,  que  Ton 
peut ,  a  volonte ,  rendre  aspiranle  et  foulante  ,  ou 
seuleraent  foulanle.  Le  principe  des  pistons  a  clapels 
y  est  le  meme  ,  mais  sans  avoir  Tavanlage  de  sim- 
plification qui  se  fait  remarquer  dans  la  petite  pompe 
a  epuisements  et  arrosements. 

On  peut  dire  qu'elle  est  un  passage  pour  arriver 
a  la  petite  pompe  a  epuisements  que  je  viens  d'es- 
sayer  de  decrire. 

Du  reste ,  la  pompe  a  incendie ,  aspiranle  el  fou- 
lante ,  a  deja  ete  menlionnee  honorablement  en  1849 
par  la  Sociele  d'agricultare  du  deparlemenl  de  la 
Marne. 

Pour  apprecier  a  leur  veritable  valeur  des  pompes  , 
il  faudrait  se  livrer  a  de  longues  experiences  com- 
paratives ,  avec  des  iuslrumenls  que  je  n'ai  pas  i 
ma  disposition.  Je  crois  ,  cependanl ,  avoir  fail  res- 
sortir  le  merile  de  simplicile  de  la  petite  pompe. 
Quelle  recompense  proposer  pour  les  trois  appareils 
presen(es?  Je  serais  fort  embarrasse  a  le  dire  ;  mais 
Je  pense  qu'ils  peuvent  meriler   un  encouragement. 

Je  V0U8  prie  d'agreer  ,  M.  le  President  ,  etc. 


—  17  — 
BEAUX-ABTS. 

Lecture  de  M.  Max.  Sulaine. 

Seance  du  23  Mai    1851. 
NOTICE 

SUR  EDMi:  MOIIEAU  ,    GRAVEUR  ,    (  XVI^-XVIl*    SIECLE  ). 


L'ariisle  qui  fait  le  sujel  de  celle  notice  n'est 
pas  ,  il  est  vrai  ,  ne  a  Reims ;  mais  il  y  avait  fixe 
sa  residence  a  peu  pres  conlirnielle.  De  plus  ,  ses 
nomlircux  iravaux ,  piesque  enlieremcnt  consacres  h 
i'hisloire  de  noire  ville,  lui  avaient  juslement  acquis 
son  droit  de  cite  ;  ses  ocuvres  sont  lellement  liees 
a  uos  souvenirs  ,  que  I'absence  'de  son  nom  dans  co 
recueil  constiluerait  une  iacune  que  nous  ne  pouvons 
laisser  subsister. 

Edme  Moreau  naquil  a  Clialons-sur-Marne  vers  la 
fin  du  xvi"  siecle,  el  llorissait  pendant  la  premiere 
moitie  du  xvii^  II  vint  de  bonne  heure  a  Reims  , 
el,  soil  que  noire  ville  oflril  un  ibealre  plus  vaste 
a  son  imagination ,  soit  qu'elle  lui  presenlat  des 
chances  plus  probables  de  succes ,  il  finii  par  s'y 
fixer. 

II  2 


—  18  — 

L'oeuvrc  de  cet  arlislc  ne  manque  pas  (I'imporlance 
sous  le  double  rapport  du  nonibre  el  du  merile  des 
pieces  qui  le  composenl.  Nous  aliens  nous  occuper 
de  celles  qui  eoncernenl  plus  specialenieni  noire  ville. 

Edme  Moreau  a  grave  irois  plans  de  Reims.  L'un 
d'eux ,  donl  le  fond  represente  une  draperie  ornee 
de  frangcs  ,  est  enloure  de  vignettes  representant  : 
la  Cathedrale  ,  le  Tombeau  de  saint  Remi ,  le  Poriail 
de  Saint-Nicaise ,  le  Bapteme  de  Clovis,  I'Hotel-de- 
Ville  el  les  amies  de  la  Ville  avec  la  devise  :  Dieu 
en  soil  garde. 

Le  second  a  eie  execute  d'apres  Ic  dessin  de  Chas- 
tillon  ,  oncle  de  Moreau  ,  el  qui  a  laisse  lui-raeme  , 
comme  graveur ,  un  assez  grand  nombre  de  pieces 
sur  Reims  el  les  environs.  A  en  juger  d'apres  une 
espece  de  uedicace  qui  accompagne  ce  plan ,  il  dut 
6lre  l'un  des  premiers  Iravaux  de  noire  artiste  ,  el 
comme  un  hommage  rendu  a  la  cite  qu'd  avail, 
comme  il  le  dit  lui-meme ,  choisie  pour  son  sejour. 
Voici  cetle  letlre  adressie  a  31c'ssieurs  les  habitants  de 
la  ville  de  Reims. 

"  Messieurs , 

»  Ayanl  faicl  clioix  de  cetle  ville  pour  mon  sejour, 
»  j'ai  bieii  voulu  vous  I'aire  parailre  par  quelque 
»  traicl  de  mon  art  en  lemoignage  de  mon  labeur 
»  el  du  service  que  je  vous  ai  voue  des  Thinire  on 
»  j'di  eu  riionneur  de  ni'approclier  de  vous ,  el 
»  n'ayant  lien  irouve  de  plus  digne  de  vous  etre 
))  ofTerl  que  le  pourlraicl  de  cetle  ville ,  de  qui  vous 
»  eles  le  plus  beau  lustre  el  qui  lui  servez  de  ferme 
»  appui  ,  il  m"a  semblc  fori  b  propos  de  m'en  ac- 
»  quitter  par  I'entreitite  de  mon  burin,   qui  I'a  trace 


—  19  — 

»  (I'apres  un  dessein  que  j'ai  renconiie,  ainsi  que 
n  M.  do  la  Clieze  vous  le  dira  cy  dessoube.  Je  vous 
»  I'offre  done  ,  Messieurs ,  et  vous  prie  de  le  rece- 
))  voir  avec  autaui  de  faveur  que  j'ai  d'affeclion  a 
»  me  I'aire  couuaitre. 

»  Signe  :  Votre  Ires  humble  scrvileur ,  Edme 
»  Morcau  ,  cbalounais  ,  graveur  en   taille-douce.  » 

On  Irouve  en  effct ,  an  bas  de  ce  plan  ,  une  longuc 
notice  sur  Reims  ecrite  par  licne  de  la  Cheze,  remois , 
indiquant  qu'il  faisail  parlie  dcs  dessins  de  feu  le 
Sieur  de  Chastillon  ,  oncle  de  notre  graveur  et  digne 
topographe  du  Hoi.  G.  Beaussonnei  avail  roiouche 
el  augmenle  ce  dessin  (i). 

Enfin  ,  le  troisieme  plan  de  Moreau ,  qui  est  en 
menie  lemps  le  plus  connu  ,  est  inlitule  :  Le  Pour- 
traict  de  la  Vdle ,  Cite  et  Universite  de  Reims.  II  est 
dale  de  1653  ,  et  signe  Ed  :  Moreau  del  :  et  sad:  Au 
bas,  on  lit  les  vers  suivants  (2). 

Je  suis  Reims  dont   les  fondemenlz 
Ont  pris  leur  vrays  conimcncemenlz 
Quand  llion  fut  mise  en    proye  , 
Et  Remus  me  donna    son  nom  , 
Au  lemps  que  la  ville  de  Troye 
Perdit  son  luslre  el  son  renpm 
Si  Rome  enlre  ses  vanitez 
Vanle  un  nombre  d'antiquilez  , 

(1)  Claude  de  Chaslillon  etait  de  Chalons-sur-Marne  ,  comnie 
Moreau.  Il  naquit  vers  1646  ou  1550,  el  signAiUnginieur  to- 
pographe du  roij.  On  lui  doit  une  foule  de  vues  de  viiles  et 
chateaux.  Parmi  celles  qui  interessent  Reims,  nous  lemar- 
quons  :  Le  vieil  Chateau  de  Reims  mine ;  les  Chateaux  de 
Verzenay ,  Sillery  ,    Sept-Saulx ;  le  rcmarquable   bourcq   d'Ay. 

(2)  M.  Brissarl  fils  ,  libraire  de  I'Academie  de  Reims  ,  publia 
en  1S45  une  noiivelie  edition  de  ce  "plan  ,  lithographic  par 
MM.   Roudie  el  Camuset  ,    de  Reims. 


—  20  — 

Dans  moy  mille  antique  s'enserre 
De  qui  I'uu    pour  oindrc  nos  roys 
Flit  cnvoye  du  del   en  terre 
Au   plus  saint  prelat  des   Francois. 

Oiilre  ces  irois  plans ,  qui  tous  sont  de  pelile 
dimension,  notre  arlisle  a  encore  public  sur  Reims 
un  grand  nombre  de  pieces  ,  dont  voici  les  plus  im- 
porlanles  el  les  plus  counues  : 

Le  Portail  de  la  Calhedralc ,  piece  assez  mediocre, 
dalee  de  1625. 

L'H6tcl-d^-Ville ,  belle  eslampe  assez  grande  el 
dediee  ;>  «  Messieurs  le  Lieuleuant ,  Gens  du  Conseil, 
Eckctim  de  la  Villc  de  Rcimf,.  »  Les  plancbes  sont 
conserveos  a  la  bibliolheque  municipale. 

Le  Portrait  de  Louis  XIII ,  d'apres  le  bas-relief 
qui  orne  la  facade  de  rHotel-de-Ville,  dale  de  1656. 

Le  sacrum  Palladium  Rememe  ,  assez  grande  piece 
execulee  d'apres  un  dessiu  de  G.   Beaussonnel  (1). 

Le  rare  el  somptueux  Tombeau  de  saint  Remy ,  piece 
importanle,  au  bas  de  laquello  on  lii  :  Rem 

Regem 
Rege 

Remigi  (2). 
Le    mome  Tombeau    de   sainl  Remy  ,   d'une   pins 
pelite  dimension. 


(1)  Voir  la  notice  sur  G.  Beaussonuel. 

(2)  Dans  ceUe  piece  ,  tres  curieuse  et  tres  rare  ,  neuf  statues 
servent  d'ornement  au  Tombeau.  Voici ,  en  conimeucant  par 
la  gauche ,  les  personuages  qu'elles  representent  :  Clovis. 
Arcliiepiscopus  Remensis.  Episcopus  Laudunensis.  Episcopus 
Lingonensis.  Louis  XIII.  Episcopus  Bellovaceiisis.  Episcopus 
Caialannensis.   Episcopus    ISovivdunensis.    Saiut  Louis. 


—  21    — 

La  Porte  Basec ,  gravee  po'ir  I'Hisloire  do  Reinr;, 
(le  N.  Bergior  (i), 

Un  Portrait  de  N.  liergicr ,  avec  ces  vers  : 

La   Parque  ,  nous  privant  des  fruits  do  noire  hisioire  , 
N'a  pourlant  pu  ravir  ce  grand  Bergier  Rcraois  ; 
Car  SOD  corps  vit  parl'arl ,  ainsi  que  lu  Ic  vois, 
El  par  ses  beaux  diseours  son  espril  plein  de  gloire 

On  voil ,  par  la  riomenclaliire  qui  precede,  qu'Edme 
Moreau  s'est  cffeciivement  beaucoup  occupe  de  noire 
ville.  II  est  certain  qu'ii  y  a  execute  ses  plus  impor- 
tants  et  ses  meilleurs  travaux^  el  qu'a  ce  lilre  nous 
devons  ,  comme  nous  le  disons  au  oommencemcnl  de 
celle  notice  ,  le  comprendre  dans  la  famille  de  nos 
artistes  remois. 

La  bibliolheque  nalionale  possedo  une  bonne  parlie 
de  I'oeuvre  de  Moreau.  Parmi  les  plancbcs  de  colie 
collection ,  nous  avons  remarque  plusieurs  grandes 
pieces    ailegoriques    accompagnees   de    Tanagramine 

HIS,  el  deux  eslampes  ires  curieuses,  I'une  inti- 
tulee  :  Arc  de  triomphe  de  la  Mort,  Taulrc  dirigee 
contre  les  Dissidents  (les  Protestants).  Nous  allons 
donner  la  description  de  celle  derniere. 

Elle  represenle  un  moulin  construil  sur  une  ile 
llotlanle  ,  el  sur  le  toil  duquel  on  voit  Calvin  perchc 
en  compagnie  du  diable.  Une  seule  a'ile  esl  tendue  de 
voiles  ,  au  bas  de  la  gravure  ,  on  lit  ce  sonnet  : 

Ce  moulin  que  le  rent  de  la  dissension 
Faisail  alter  au  gre  de  celui  qui  le  meiau  , 
Quand  le  liborlinage  el  la  rebellion 
Abusaient  ses  chalands  d'une  esperance  vaine. 


(1)  Ces  deux   derniercs  pieces,  egalement  d'apres  Beausson- 
nct  ,   ornenl  I'Hisloiro  de  Heims  de  N.  Bergier. 


—  22  — 

Le  Demon  du  ruidi  manquanl  d'iiiveutioii 
Pour  faire  que  Galviu  ne  manque  pas  d'balcine  , 
ittaiutenant  ce  moulin  De  tourne  plus  qu'a  peine 
Sur  le  pivot  rouille  de  sa  religion. 

II  fournissait  jadis  Nismes  et  la  Rochelle  ; 

11  fournissait  Sedan  devanl  qu'il  fut  Francois  ; 

Mais  ne  les  ayant  plus  ,  il  ne  bat  que  d'une  aile. 

Et  si  Geneve  enfln  ,  connaissait  ses    faux  poids  , 
Ne  trouvant  plus  a  qui  debiler  sa  farine  , 
Musnier  ,  asne  ,  moulin,  tout  irail  eu  ruine. 

Celle  gravure  ,  qui  se  vendait  cliez  Edrne  Moreau 
lui-meme  .  avec  privilege ,  ne  porte  pas  do  date  ; 
mais  ello  a  dii  elre  executee  apres  rannec  1628  , 
qui  est  celle  de  la  souraission  de  la  Rochelle.  Elle 
porte  bien  rempreinle  el  le  caractere  des  dissensions 
religicuses  qui  divisaient  la  France  a  cette  epoque, 
ct  ausquelles  noire  artiste  ne  voulut  pas  rester 
fttranger. 

Le  sonnet  ne  manque  pas  d'originalile  ni  d'une 
cerldine  faciliie  de  versification.  Nous  regrettons  de 
n'en  pas  connaitre  I'aulenr. 

Edme  Moreau  elait  loin  d'etre  sans  raeriie  :  son 
burin  avail  de  la  finesse  el  de  la  legerele  ,  el  plusleurs 
pieces  de  son  recueil  sonl  remarquables. 

N'oublions  pas  qu'il  preceda  la  grande  ecole  fran- 
?aise ,  el  qu'h  I'epoque  ou  il  vivait,  I'arl  de  la  gra- 
vure elait  loin  d'avoir  acquis  le  degre  de  perfection 
qu'il  a  alleint  depuis. 

Voici  ce  que  dil  de  lui  Alf.  Bomardot,  dans  son 
Histoire  arlislique-archeologique  de  la  gravure  en 
France  : 


—  '23  — 

«  Edme  Moreau  etait  ne  a  Reims  (i) ,  il  grava  ot 
»  edita,  en  1619,  des  vignettes  ponr  I'ouvrage  inti- 
»  tule  :  les  Roses  de  I' Amour  celeste.,  par  deRosieres 
»  de  Chaudeney  Son  burin  leger  rappelle  Crispin 
»  de  Pas.  En  1655  ,  il  grava  sept  vignettes  (2)  pour 
»  le  Dessein  de  I'Histoire  de  Reims,  par  Nicolas 
»  Rergier.  On  lui  doit  entre  autres  le  Tombeau  de 
»  saint  Remij ,  aujourd'hui  demoli  ou  mal  reslaure. 
»  Un  autre  Moreau ,  ou  peut-clre  le  meme ,  gravait 
»  des  raodeles  d'ecriture.  » 

(1)  On  sail  que  c'est  iine  erreur. 

(2)  Aulre  erreur  :    il  ne  grava  ,  pour    celle  tiisloire  ,   que    la 
Porte  Basee  el  le   Tumbeau  de  saint  Remy . 


_  24  ~ 
LETTRES. 

Leclure  de  M.  Hlouiin. 

^TUDKS   BIOGUAPHIQUES.   —  IX''    ET    X°    SIEGLB. 

ItUroduclion. 


Messieurs, 

L'Uistoire  de  France  a  ete  presque  entieremenl  re- 
riouvelee  de  nos  jours.  D'un  cote,  de  laborieux  eru- 
dits,  rassemblant  et  coordonnant  les  materiaux  epars, 
ont  eclaire  de  leurs  savantes  investigations  les  points 
les  phis  obscurs,  et  de  I'autre,  de  hardis  penseurs 
onl  determine  les  lois  philosophiqiies  de  son  deve- 
loppement.  Les  travaux  de  MM.  Thierry ,  Guizot , 
Faiiriel,  Bagnanard,  Michelel,  Sismondi,  Henri  Mar- 
tin, Chateaubriant,  de  Baranle,  etc.,  ont  popularise 
la  science  nouvelle.  Grace  a  ces  illusires  maitres , 
dont  quelques  uns  sonl  aussi  de  grands  ecrivains, 
notre  vieilie  France  a  recouvre  sa  physionomie  vraie 
et  depouilie  celte  apparence  a  la  fois  mensongere 
el  uniforme  dont  I'avaient  revalue  les  hisloriens  du 
xvii°  et  du  xviii'  si6ele. 


—  25  — 

Kii  general,  rallenlion  de  ces  rarcs  csprits  s'esl 
portee  de  preference  sur  les  epoqiies  agitees  par 
quelque  grande  revolution.  C'esl,  sans  doule,  parce 
que,  dans  nos  commotions  poliliques  ou  sociales  , 
il  se  fait  lout  h  coup  unc  vive  luraiere  ,  eclairanl 
le  passe  et  I'avenir,  et  a  I'eclat  de  laquelle  il  est 
plus  facile  de  saisir  et  d'apprecier  la  marclie  des 
fails  generaux.  Ainsi,  nos  historiens  so  sont  occu- 
pes  avec  une  legitime  predilection  de  ces  grands 
evencmenls  qui  donnerent  aux  rois  Merowings  un 
debris  du  colosse  romain ;  qui,  apres  de  longues  et 
dramatiques  luttes,  lirent  passer  la  couronne  sur  la 
tele  du  clicf  de  I'Auslrasie  viclorieuse  ;  qui  ,  plus 
tard,  decliirerent  en  lambeaux  I'empire  de  Charel- 
magne  et  morcelerent  les  vieilles  Gaules  en  70,000 
liefs;  qui  enfin,  brisanl  les  entraves  feodales,  eman- 
cip6rent  a  la  fois  la  bourgeoisie  et  la  royaule  na- 
lionales.  Descendez  plus  bas  encore  le  cours  des 
ages  ,  el  vous  Irouverez  sur  chacune  des  grandcs 
phases  de   noire  hisloire  des  travaux   considerables. 

II  est  cepcndanl  une  rcvolulion,  imporlanle  cnlre 
toules,  que  I'ecoie  contemporaine  n'a  point  ab- 
sorbee  avec  lout  le  soin,  tout  rinlerel  qu'elle  me- 
rite  :  c'esl  celle  qui  transfera  la  couronne  de  Pepin- 
le-Bref  dans  la  famille  do   Roberl-le-Fprl. 

II  clail  digne,  je  pense,  de  I'un  des  plus  illusties 
raailres,  et  je  m'elonne  qu'aucun  ne  Fail  tenle,  de 
s'arreler  quelques  instants  au  ix"  et  au  x"  siecle, 
et  d'elever,  avec  la  science  et  le  genie,  sur  le 
berceau  des  Capeliens,  un  monument  qui  servit  de 
portique  a   noire  hisloire. 

On  parle  souvent  des  qualorze  sikles  de  noire 
monarcbie.  A    Dieu  ne   plaise    que  je    louche  a   la 


—  26  — 

venerable    antiquite    de   nos  origines.    Mais   il   fant 
cepcndant   s'entendre  et   no    pas    confondre  la  mo- 
narchie  barbare   des    fils    de    Clovis  ,    la  monarchie 
imperiale  de  Charlemagne  el  la  monarchie  vraimeni 
frangaise  des  Capciiens.    II  est  d'une  verite  aujour- 
d'hui  vulgaire  qu'on  ne  peul  reconnailre  une  France, 
dans  la  bonne  acceplion  du  mot,  qu'a  partir  de  la 
troisieme  race.  Les  deux  premieres  ont  tout  au  plus 
prepare  le  terrain  si  heureusement  feconde  par  les 
fds  de  Hugues  Capet.  La  carte  du  pays,   notre   sys- 
teme  adminislralif,  Tedifice  de  nos  institutions,   nos 
moeurs  publiques,   notre  esprit   national ,    noire  ca- 
raciere,  noire  civilisation,  notre  langue,  notre  gloire, 
tout  cela  nail,  se  forme,   s'eleve,  se  developpe  sous 
les  rois   Capetiens   (i).    Je    n'ai   pas   a   apprecier  (a 
part    directe    prise    par   les    monarques  dans    celie 
grande  oeuvre  hislorique    Mais  il  suffirait  que,   dans 
la  plupart  des  cas,  ils  se  fussenl  conteutes  de  suivre 
I'impulsion   populaire,  pour  qu'a  mon  sens,  on  les 
eut  appeles,   a  juste  litre,  notre   dynastie  nalionale. 
Or,   la  familie  Capeiienne  ne  date  pas  seulemenl 
du  jour  oil  elle  s'esi  affermie  sur  ce  Irone  glorieux 
qu'elle   ne  devail  perdre  que  de   noire  temps.   Son 
hisloire  compie  en  dega  plus  de  cent  annees ,  pen- 
dant lesquelles  elle    soutint  ,    avec    les   descendants 
de  Charlemagne ,  une  lutte    ardenle    et   laborieuse. 
Ce  sont  ces   cent   ans ,  occupes    par    I'enfance   des 
Capetiens,  donl  on   a  jusqu'ici  trop    neglige  I'etude. 
Nous  avons  fait  comme   ces  peuples  d'Afrique  donl 
les   champs  sont    periodiquemenl   fecondes    par  les 

(1)  11  esl  bien  enlendu  qu'en  parlant  ainsi,  je  teste  dans  les 
doiuaines  purement  tiisloiiqiies  et  que  je  ne  franchis  |ias 
1789,  (late  qui   ouvie   aussi    une  France  nouvelle. 


—  27  — 

CMUx  (J'uii  grand    ileuve ,    et   qui    n'on    reclierclienl 
pas  la  source. 

II  est  vrai  qu'au  xvii"  siecle  el  au  xviii%  on  s'esi 
vivement  preoccupe  de  la  genealogie  des  Capetiens. 
On  irouve  dans  la  bibliolheque  du  Pere  le  Long 
( tome  II ),  la  lisle  de  cinquante-deux  ouvrages,  dont 
quelques  uns  considerables ,  sur  cette  question.  Les 
Bencdiclins  ont  savamment  resume,  dans  la  preface 
du  10"  volume  des  historiens  de  France,  le  me- 
moire  le  plus  connu  sur  cctle  matiere  ,  celui  de 
M.  de  Fancemagne.  Mais  ce  n'esl  la,  a  coup  sur, 
qu'un  des  coles  secondaires  do  la  question.  Pen 
iniporte,  en  deiinilive  ,  que  Roberl-le-Forl  ail  ele 
Ic  pciii-fds  de  Willikind ,  suivant  I'opinion  la  plus 
probable,  ou  qu'il  ait  en  pour  premier  aieul  Cliil- 
debrand ,  frere  de  Charles-Marlel ,  comme  le  pre- 
tendenl  les  partisans  de  I'unile  de  nos  races  royales, 
ou  enfin  qu'il  ail  tire  tout  simplemenl  son  origine 
d'un  boucber  de  Paris,  ainsi  qu'on  le  croyait  vul- 
gairemenl  au  xni"  el  au  xiv  siecles.  Ce  qui  im- 
porlerail  bien  davnntage  ,  ce  serail  de  determiner 
par  quelle  serie  de  causes  et  de  fails,  une  famille 
d'origine  obscure ,  supplanta  les  descendants  d'un 
I  des  rois  les  plus  gloricux  ei  les  plus  populaires 
j  qu'ail  vu  naitre  I'liumanite.  llfaudrail  eiablir,  dans 
loute  son  elendue,  le  sens  vrai  de  I'avenement  des 
Capetiens.  Mais,  pour  arriver  a  une  conclusion  se- 
rieuse ,  ii  est  indispensable  d'eludier  de  plus  pres 
qu'on  ne  I'a  fail,  le  ix"  et  le  x'  siecles. 

De  nos  jours,  les  ecrivains  qui  ont  jete  un  coup- 
d'oeil  sur  cette  epoque  ,  en  ont  fait  la  theorie  au 
gre  de  leur  fantaisic  et  ont  passe  rapidcment.  Les 
uns   ont   vu  dans  I'avenement   de  Hugues  Caj)ei    le 


—  28  — 

denouement  d'une  rivalite  de  races  el  le  triomphe 
d'un  pretendii  parli  national;  pour  d'autres,  les 
Capetiens  n'ont  represenle  que  la  defense  du  sol 
contre  les  Norihmans ;  d'autres  enfin  ont  considere 
les  Capetiens  comme  la  haute  personnificalion  de  la 
feodaliie  victorieuse.  Chacun  a  donne  son  avis  en 
courant;  il  semble  que  nos  hisloriens  ont  hate 
d'entrer  dans  la  France  nouvelle  et  d'aller  applaudir 
a  la  naissance  de  la  chevalerie ,  a  I'ebranlement 
europeen  de  la  premiere  croisade  et  au  double  re- 
veil  de  la   royaiitc  et  des  communes. 

Et  cependant  ce  sujet,  neglige  avec  un  singulier 
dedain,  renferme .  a  mon  avis ,  une  de  ces  mines 
fecondes  dont  les  richesses  devaient  tenter  un  de 
ces  beaux  talents,  comme  il  s'en  rencontre  anjour- 
d'hui ,  qui  savent  unir  a  I'infaligable  patience  de 
I'erudil ,  le  feu ,  la  couleur ,  la  poesie  du  grand 
ecrivain. 

Je  n'ai  pas  la  pretention  d'abordcr  celle  lache. 
Je  voudrais  seulement  en  detacher  des  fragments  et 
faire  passer  devant  vos  yeux  quelques  unes  des  grandes 
figures  qui  dominent  I'epoque  et  furent  les  princi- 
paux  roles  dans  le  drame  hislorique.  Mais  avanl  de 
vous  les  presenter,  je  dois  tracer  le  cadre  general 
et  deflnir  le  milieu  dans  lequel  elles  se  meuvenl  et 
s'agilent.  Je  suis  oblige  pour  cela  de  rappeler  ra- 
pidemcnt  des  fails  bien   connus. 

Consideres  d'eiisemble,  le  i\»  et  le  x^  sifecle 
portent  I'empreinle  d'une  profondc  tristesse.  Les 
Gaules  n'avaient  jamais  traverse  d'aussi  douloureuses 
epreuvps.  Aussi,  quand  on  parcourt  les  documents 
de  cetle  epoque,  on  croii  enletidre  sortir  de  chatjue 
page   un  long  gcmissemcnt. 


—  29  — 

Invasions  ,  guenes  privees ,  famines,  contagions, 
tons  les  fleaux  frappenl  a  la  fois  ou  tour  a  lour. 
Les  pirates  Noilhmans  avaient  commence  leurs  in- 
cursions en  France  dans  !a  premiere  moilie  du  ix^ 
siecle.  lis  les  renouvelerent  sans  rclaclie  pendant  cent 
cinquanle  annees,  bien  au-dela ,  (juoiqu'on  en  ait 
dit,  du  celebre  iraile  de  Saint-Ciair-sur-Eple.  Vers 
919,  apparurenl  dans  TEsl  les  premieres  hordes 
des  Hongrois,  dont  la  ferocile  laissa  dans  plusieurs 
provinces  une  si   profonde  impression  de  terreur. 

M.  Guizot  fail  remarqucr  dans  ses  Essais  que  ce 
qui  frappe  et  allriste  dans  la  lecture  des  documents 
de    la   grande  invasion ,   c'esl   que    rien    n'y    revele 
I'exislence  d'une  nation.  II  semble  que  les  Barbares 
parconrcnl  un  desert  inhabile.  II  n'en  est  pas  ainsi 
au  ix°  et  au  x"*  siecle.  Los  etrangers   qui    viennent 
piller  les  Gaulcs    y  trouvenl  une  societe,  mais  une 
societe  sans  defense,  sans  energie,  sans  espoir.  Des 
que   le  cor  d'ivoirc   des   rois  de    la    mer  a  resonne 
sur  les  rives  incendices  de  la  Loire  ou  de  la  Seine, 
ou    qu'on    enlcnd  dans  les  plaines  de  la  Lorraine, 
de  la  Champagne    el  de   la    Bourgogne ,    le    galop 
prccipile  de  la  cavalerie   hongroise ,   les  populations 
s'enfuient,  eperdues  d'eponvanle.  Les  paysans  pous- 
senl  devanl  eux    leurs  Iroupeaux  ;    les   habjtants  des 
bourgs    el    des    villes    chargent    sur    leurs   chariots 
leurs  objels  les  plus  precieux  ;    les    moincs  empor- 
lenl  sur  leurs  epaules  les  reliques  venerees  de  leurs 
couvenls.  Ce   tableau,  qui   rap[)elie  la  fuiie   des  Re- 
mains, a  I'approche  des  daulois,  si  dramatiquemenl 
decrile  par  Tile-Live,   se  relrouve  a  chaque  instant 
dans  les  legeudaires  et  dans  les  chroniqueurs.  Chaque 
annee,   chaque  saison,  se   reproduisaienl   les   memes 


-  30  — 

devasialions,  les  nienies  lencurs,  Ics  memes  miscres. 
Les  corsaires,  reinonianl  Ic  cours  dcs  fleuves,  pene- 
Iraienl  si  avant  dans  I'inlericur,  que  Ton  comple  a 
peine  quelques  vilies  qui  aienl  ele  epargnees  par 
les  nammes.  Pour  se  mellre  a  I'abri ,  les  habitants 
qui  ne  fuyaienl  pas  au  loin ,  cherchaient  un  asile 
dans  de  profonds  et  vastes  souterrairis  creiises  pres 
des  vilhig!  s  ;  d'autres,  moins  craintifs,  forliliaioiil  leurs 
bourgades,  crenelaicnt  les  abbayes  et  les  egiises,  el, 
devores  d'anxietc  ,  guellaient  du  haul  des  clochcrs 
les  hordes  devastalrices  dispersees  dans  les  campa- 
gnes  en  flamme. 

Aux  inaux  de  I'invasion  venaienl  souvenl  se  join- 
dro  les  fleaux  qui  sont  la  suite  dcs  miseres  pu- 
bliques  :  des  maladies  peslilenlielles  ou  de  cruclles 
famines  emportaienl  ccux  qu'avaicnt  epargnes  les 
rois  de  la   mer  cl   les   descendants  des  Huns. 

A  chaque  heure  etail  reservee  sa  souffrance  ;  et, 
pour  comble  de  trislesse,  les  imaginations  ebranlees 
par  de  si  douloureux  spectacles  voyaicnl  apparailre 
dans  le  ciel  des  signes  effrayanis ,  presages  d'un 
avenir  plus  sombre  encore. 

Enlin,  il  arriva  un  jour  ou  la  somme  des  maux 
sembia  depasser  les  forces  humaines.  Alors  {'Eu- 
rope chrelienne  chancela  sous  le  poids  de  ses  an- 
goisscs  et  perilit  toute  esperancc.  Comrae  le  biichcron 
de  la  fable,  die  jela  la  son  fardeau,  el  s'affaissant 
dans  un  sombre  desespoir ,  elle  attendil  la  inort. 
Ce  fut  une  croyance  universelle  que  I'an  mil  etait 
le  lerme  fatal  marque  pour  la  supreme  catastrophe. 

Voila,  Messieurs,  la  physionomie  generale  et  dou- 
Joureusemeni  monotone  de  cetle  epoque,   telle  (ju'ellc; 


—  31   — 

esl  relracee  dans  lous  nos  hisioriens.  Mais  si  nons 
IVanchissons  le  cadro  ot  que  nous  pendtrions  au 
cocur  de  la  sociele,  dans  ce  que  Ton  appelle  le 
monde  politique ,  nous  nous  Irouvons  en  presence 
d'un  tout  autre  spectacle. 

Dans  ces  jours  de  dct'aillanco  populaire,  tous  n'a- 
vaienl  point  tleclii.  II  elail  reste  quclques  v.iiilanla 
coeurs ,  luttanl  conlre  I'etranger  et  ponrsuivani  la 
carriere  des  ambitions  humaines,  comme  s'ils  croyaiont 
la  France  elernellc. 

Celle  societe  politique  achevait  de  jtrendre  sa 
forme,  completait  son  organisation,  au  prix  des  plus 
dures  experiences.  Elle  etait  deja  divisee  en  deux 
corps  disiincts,  rivaux,  campani,  pour  ainsi  dire,  en 
presence  et  invoquanl  des  principes  opposes.  L'un, 
c'elaii  la  feodalile,  grandie  a  la  faveur  des  mal- 
heurs  publics,  consacree  par  le  capiiulaire  de  Kiersy- 
sur-Oise,  ei  maitrcsse  en  grande  parlie  du  pays  dont 
elle  couronnail  toutes  les  hauteurs  de  ces  donjons 
i  creneles,  surgis  du  sol  national  ,  des  les  premieres 
invasions  normandes  ;  elle  represenlail  la  force  vive, 
I  brulale  ,  Tindependance  individuelle,  I'orgueil  de  la 
1  personnalite,  et  semblait  porter  dans  son  sein  toutes 
I  les  passions  nobles  mais  desordonnees  des  anciennes 
bandes  germaines.  L'autre,  c'elait  I'Eglise,  disposant 
aussi  d'immenscs  rossourccs  materielles  ,  enlrainant 
a  sa  suite  les  masses  croydutes  de  I'epoque  el,  quoique 
profondemenl  alteree  an  contact  de  la  barbaric  , 
opposant  deja  le  droit ,  la  loi  morale,  comme  une 
barr;ere  a  la  violence ,  comme  un  bouclier  pour 
I'opprime.  Cci  antagonisme  esl  le  fait  essenliel  du 
moyen-age  ;  il  doit  se  produire  plus  tard  avec  eclat 
sous  le  uom   de  lullc    du  sacerdoce  et  di;   I'empire. 


■^• 


—  32  — 

]l  esl  (lojii  sensible  dans  la  pcriode  doni  je  m'occnpc 
el    s'accusc  dans   unc    mullitudc  de  fails. 

Enlre  ces  deux  puissances  ,  enlre  ces  deux  camps 
sur  lesquels  so  porle  d'abord  Ic  regard  philosopbiquc 
de  I'hislorien  ,  s'agilent ,  luUenl  el  deperissent  les 
descendants  de  Charlemagne ,  non  pas  aussi  dcge- 
neres  ,  aussi  incapables  que  I'ont  dil  les  flalleurs  des 
Capeliens  ;  niais  souvent  braves ,  aclifs ,  resolus  , 
comballanl  avec  perseverance  el  presque  avec  genie. 
Mais  le  mouvenienl  feodal  Temporle.  C'est  en  vain 
que  Charles  III,  Louis  d'Oulremer ,  Lolhaire,  s'epui- 
ient  en  efforts.  La  tecdalite,  comme  les  flots  de  la 
mer  ,  moute  sans  cesse  autour  du  trone  Carolingien  , 
qui  s'abime  insensiblemenl.  Un  jour  viondra  ou  les 
fds  du  grand  empereur  ,  ayanl  vu  lomber  un  a  un 
les  fleurons  de  leur  couronne,  erreront  comme  des 
proscrils  dans  le  domainc  de   leurs  ancelres. 

La  lutle  ful  longue ,  cependant.  A  quoi  doit-on 
aitribuer  ce  fail  siugulier  d'une  race  survivanl ,  pour 
ainsi  dire,  k  ses  principes  de  vie?  Sans  doule  qu'on 
pent  expliquer ,  en  pariie,  ce  phenomene  hisiorique 
par  le  prestige  qui  s'allache  aux  vieilles  royaules. 
La  gloire  de  Charlemagne  vivait  encore  dans  la 
meraoire  des  peuples  el  planail  comme  une  eglde 
sur  ses  descendonls  avilis.  On  se  souvenait  aussi , 
peul-etre  ,  des  anaihemes  portcs  par  le  pape  Elienne 
11  centre  les  Francs,  s'ils  mellaient  sur  le  trone  un 
roi  issu  d'un  autre  sang  que  de  celui  de  Pepin  le 
Bref.  Mais  ,  en  verite  ,  si  les  Carolingiens  n'eusseul 
en  autour  d'eux  que  ce  rempart  njoral ,  je  doule 
qu'ils  eussent  aussi  longtemps  arrele  la  feodalite 
conduite  a  raila(|ue  par  I'ambilion  Capelienne.  lis 
en   avaient  «n  auire  plus   materiel  el  plus, sur. 


1 


—   33  — 

Tandis  que  la  feodalile  adoplail  pour  chefs  les  fils 
de  Robert-le-Fort,  I'Eglisc  prit  la  defense  des  vieilles 
tradilions  et  proiegea  Ics  lieriliers  de  Chailenngne. 
Les  chefs  de  celle  eglise  etaient  les  archeveques  de 
Reims.  Aussi  peut-on  considcrer  Reims  com  me  la 
verilahle  capilale  des  derniers  jours  Carolingiens. 
Cede  ville  est  du  moins  le  centre  principal  des  eve- 
nemenls  :  a  vrai  dire,  I'hisloire  de  France  se  fait 
pendant  cent  ans  sous  ses  murs.  Durant  cetie  longtie 
periode,  le  siege  archiepiscopal  fut  occupe  par  nne 
suile  de  grands  prelats  que  nous  retrouverons  bien- 
tot,  Foulques,  lierivee,  Artaud,  etc.,  tous  partisans 
et  champions  aclifs  de  la  cause  CaroHngienne,  Mais 
apres  ces  illustres  chefs  de  I'Eglise  gallicane,  il  en  vint 
un  qui  oublia  les  traditions  de  son  siege,  et  qui, 
enlraine  par  le  mouvemenl  general,  passa  dans  le 
camp  capetien.  C'en  etnit  fail  desormais  du  trone 
consacre  par  Elienne  II.  L'archev6que  Adalberon 
ayant  retire  la  main  qui  soutenail  I'edifice...  I'edi-- 
lice  s'ecroula. 

Telle  est,  Messieurs  ,  Taction  qui  commence ,  se 
developpe  et  se  denoue,  sur  une  scene  fort  chan- 
geante,  a  travers  de  dramaii(iues  peripelies  dans  la 
periode  qui  s'eiend  de  la  deposition  de  Charles  le 
Gros  (8b7)  a  la  captivite  de  Charles  de  Lorraine,  le 
dernier  preteiidani  Carolingien  (991).  J'essaierai,  dans 
une  serie  d'etudes  biographiques,  de  vous  en  retracer 
les  phases  caracterisiiques. 

Un  mot  maintenaut  sur  les  sources  auxquelles  je 
puiserai.  Par  un  bonheur  qu'un  singulier  hasard  a 
reserve  a  notre  epoque,  on  pent  aujourd'hui,  ce  que 
n'ont  pu  faire  nos  devanciers,  interroger  sur  le  x* 
siecle  un  documonl  du  plus  haul  interel. 

11.  3 


—  34  - 

Los  maleriaux  liislonqiies  soul  fort  rarcs  au  ix"  el 
au  x^  siecle.  Qaand  on  a  cpuise  Flodoard,  Aibon 
de  Fleury,  Raoul  Faber,  quelqiics  legcndes  do  Bal- 
iaodistes,  les  lellres  de  Gerberi  el  de  quelques  aulrcs 
personuages ,  les  actes  d'un  Ires  peiil  uoinbre  de 
conciles,  quelques  chartes,  on  esi  oblige  de  recourir 
aux  chroniqueurs  raensongcrs  el  credules  des  xi% 
XII",  xiii%  XIV'  siecles^  ou  meme  aux  poemos  do  la 
meine  epoque. 

Deux  causes  pi-incipales  expliquenl  cetie  diseile  de 
docuiiienls.  11  faul  se  souvenir  d'abord  que  nous 
sonunes  aux  plus  mauvais  jours  de  I'epoque  la  plus 
lourmenlee  de  noire  hisloire.  Le  sol  esl  morcele  a 
I'infini  par  le  sysleme  feodal.  Chaque  ville,  cliaque 
bourgtulo,  chaque  chateau,  chaque  nionaslere,  de- 
vcuu  le  siege  d'uue  pelite  souveraineie,  forme  une 
s  cieic  isolee,  un  nionde  a  part,  sans  rapports  suivis 
avec  les  contrees  voi^ines.  La  royaute ,  avilie,  esl 
a  peu  pres  annulee ;  il  n'y  a  plus  de  pouvoir  public 
dirigeant  les  inierels  generaux  el  entretenant  une 
vie  commune  dans  un  vasle  corps.  L'histoire,  ne 
pouvanl  se  raltacher  a  aucun  centre,  perd  necessai- 
remenl  son  unite  el  se  fraclionne  corarae  le  teiritoire. 
En  outre,  les  relations  entre  les  diverses  parties  de 
la  France  sonl  de  plus  en  plus  rares  el  difliciles. 
Les  voyages  devicnnenl  perilleux  ;  les  marchanus  ne 
vonl  d'une  ville  a  Taulre  que  sous  bonne  escorle. 
Snr  chaque  route,  sur  chaque  ponl,  a  renlree  de 
chaque  I'oret,  aux  porles  de  chaque  bourgade,  il  faul 
payer  des  droits.  Heureux  encore  les  avenlureux 
voyageurs,  si,  du  haul  de  quelque  donjon,  aire  du 
vautoiir  feodal,  ne  dcsoendenl  pas  brusquenienl  de 
farouches  gens  d'arnies  qui  les  dcLroussent  sans  merci. 


85 


Le  fail  snivanl  pcul  donner  une  idee  aussi  vive 
qu'exacle  dc  cede  difficuUe  de  commiinicalioiis.  Sous 
ie  regne  de  ITugues  Capet ,  un  comte  de  Corbcil  , 
voulant  relablir  le  fameiix  monastere  de  Sainl-Maur, 
envoya  demander  I'aide  de  I'abbe  Magal,  qui  s'etait 
rendu  celebre  par  la  reforme  de  Cluny.  Magal,  ayanl 
regu  le  messager,  s'ecria  :  «  N'avez-vous  pas,  dans 
voire  pays,  un  assez  grand  nombrc  de  monasteres  ? 
Pourqiioi  n'y  cherchez-vous  pas  ce  que  vous  desi- 
rez?  Combien  il  me  sera  penible  d'aller  ehcrcher  au 
loin  des  nations  etrangeres  et  inconnues ,  d'aban- 
donnor  mon  pays  et  d'alleindre  le  voire  !  »  Au  loin! 
des  nations  etrangeres  et  inconnues !  Eii\  s'agissait  d'une 
distance  de  moins  de  cent  lieues. 

On  congoit,  Messieurs,  il  eut  ele  difficile,  dans  un 
pareil  eial  de  choses,  de  rassembler  des  renseigne- 
ments  hisloriques  bien  complels. 

A  eel  isoleinenl  politique  el  materiel,  venail  se 
joindre  une  extreme  ignorance.  Pormeitcz -moi  de 
m'arreter  un  instant  sur  celle  seconde  cause  de  la 
pauvrete  litleraire  de   la  periode  que  j'eiudie. 

Pour  apprecier  I'etal  des  lellres  au  x^  siecle,  il 
suffit  de  pnrcourir  la  preface  du  qualrieme  tome  de 
rilistoire  litleraire,  une  de  ces  belles  prefaces  dans 
lesquelles  les  savants  Benediclins  out  condense,  en 
quelque  sorte,  la  .science  rassemblee  dans  leursin-f°'. 
Voici  ce  qu'on  lit  aux  premieres  pages  :  «  II  faut  d'a- 
bord  convenir  que  Tignorancc  y  a  ele  grande  et  foil 
repanduc. . .,  a  peine  se  Irouvait-il  quelques  laics  qui 
sussent  lire  et  ecrire....B  Les  Benediclins  notent 
qu'on  Irouve,  au  bas  d'un  diplome  du  roi  Piaoul,  un 
quatrain  fail  pour  nous  apprendre  que  ce  prince  savail 
signer   de  sa    propre   main    «  II   n'y  avail  que    les 


—  36  — 

ecclesiasliques  el  les  moines  qui  se  raelassenl  de 
leltres.  Encore  la  pluparl  des  clorcs,  de  I'aveu  d'un 
lemoin  ociilaire,  n'enlendaienl  pas  ce  qu'ils  disaienl. 
11  est  certain  qu'on  en  voyail  raremenl  qui  fussent  en 
elatde  parler  en  public  et  d'inslruirc  le  peuple. . .  Tel 
etat  le  sort  des  letlres  parmi  le  gros  des  ecclesias- 
liques el  la  mullilude  des  laics;  lei  il  ful  aussi  dans 
quelques  monasl^res,  ces  asiles  les  plus  assures  de 
la  lilleralure  depuis  sa  premiere  decadence.  Ceux  a 
qui  Ton  donnail  ordinairement  radniinislralion  na 
savaienl  seulemenl  pas  lire... »  El  un  peu  plus  loin: 
«  Quant  aux  monaslercs,  ceux  qui  avaient  echappe 
aux  flaniraes  et  aux  depredations  dos  barbarrs,  se 
irouvaient  entre  les  mains  d'abbes  laics,  a  qui  on  les 
avail  donnes  en  fiefs,  on  qui  s'en  etaienl  empare  de  leur 
propre  aulorile,  el  qui  y  vivaienl  avec  leurs  femmes, 
leurs   enl'onts,  leurs  soldals  el  leurs  chicns..  .  » 

Ainsi,  Messieurs,  I'ignorance  etait  a  peu  pres  gc- 
nerale;  les  anciennes  ecoles  calhcdrales  etaienl  presque 
touies  descries,  el  les  ecoles  des  couvenls  iransformees 
en  cbenils  par  la  grossiere  barbaric  des  abbes  laics. 

Cependant,  au  milieu  de  ce  chaos  social,  convert 
des  lenebres  de  la  barbaric  el  de  I'ignorance  ,  on 
voyait,  de  loin  en  loin,  briller  quelques  points  lunii- 
neiix.  Les  ecoles  de  Cluny,  d'Aurillac,  de  Melz,  de 
Lorge,  de  Toul,  de  Fleury,  de  Luxeuil,  elc.,elaienl 
autanl  d'asiles  pour  les  sciences  et  les  lellres.  De 
nombreux  ecoliers  y  affluaient. 

Enire  lous  ces  foyers,  encore  ardents,  ou  I'on  en- 
irelenail  avec  soin  le  flambeau  rallume  par  Charle- 
magne, I'Europe  emigre  remarquail  la  grande  ecole 
de  Saiul-!»emy  de  Reims.  Je  le  constate  avec  plaisir, 
Reims  Cut,    au    moyen-age,  une  des  rares  ciies   qui 


—  37  - 

siirent  conserver  presque  toiijoiirs  intact  le  double 
depart  des  liberies  municipales  ct  des  lumieres  inlel- 
lectnelles  que  Rome  lui  avail  confie.  Dopuis  surioul 
rarcheveque  Foulques,  snccesseur,  eii  882,  dti  grand 
Hincmar,  qui  reslaura  renseignemont  de  saint  Hemy, 
une  serie  de  savants  ccolatres,  commen^ant  avec  IIuc- 
bak!  el  Remy  pour  aboulir  a  Tillustre  Gerberl,  se  suc- 
cedercnt  avec  un  grand  eclal.  On  venait  de  fori  loin 
pour  entendre  la  voix  de  ces  grands  inaitres.  Dom 
Mariol  donne  la  lisle  des  personnages  distingues  qui  se 
formerent  successivement  aux  lemons  des  rnoines  de 
Reims.  Gerberl,  dont  un  iivre  qui  a  fail  rtcemmcni 
quelqne  broil  a  popularise  la  vieille  renommee,  fut 
le  plus  habile  de  ces  ecolatres.  II  vii  s'asseoir  autour 
de  sa  chaire  phisieurs  illustres  disciples.  Deux  etaienl 
destines  a  porter  la  couronne,  Ollion  II  el  Robert  I"'. 
Un  Iroisieme,  el  le  plus  remarquable  sans  doulepar 
son  intelligence,  porta,  au  lieu  de  pourpre  royale. 
la  burc  modeste  des  raoines.  C'est  le  chroniqueur 
Richer.  Je  vais  iinir,  par  I'histoire  de  son  Iivre,  cetlc 
longue  course  a  travers  le  ix'^  el  le  x"  siecle. 

On  sail  que  I'hisioire  de  Flodoard  se  lermine  en 
966.  Gerberl,  en  devenant  archeveque  de  Reims 
sous  Hugues  Capet,  chargea  son  disciple,  le  moine 
Richer,  de  conlinuer  I'oeuvre  et  de  raconler  a  la 
posleriie  les  evenemenls  qui  remplFsseni  celie  periode 
si  inq)ortante  qui  s'etend  de  966  a  rafferniissemenl  des 
rois  Capetiens.  Le  travail  ful  fait,  public,  et  parut  digne 
du  mailre  et  du  disciple.  Mais,  par  une  fa^dite  sin- 
guliere,  celle  chronique  disparut  au  xv"  siecle.  Les 
dcrnieres  traces  elaient  restees  dans  Triiheme,  moine 
qui  vivait  vers  1480,  el  qui  a  ecril  la  chronique 
d'llirsange.  Le  Triiheme  admirail  beaucoup  Richer; 


—  38  — 

i\  (iildelui  :  «  Clariiil  hoc  lempore  in  Gallia  Riciierus, 
»  nionachus  Rcmensis^ordinis  noslri,  homo  sUidiosus, 
»  et  lam  in  divinis  scripluris  quam  in  sccuiaiibus 
»  liiteris  egregie  doctus,  ingenio  proraptus,  et  clarus 
»  eloquio  :  qui  scripsit  ad  Gerberlum  Rhemoiiim  ar- 
»  chiepiscopum,  pulchriim  et  compendiosum  opus  de 
»  geslis  Gailorum  quod  sic  incipil  :  Oibis  ilaque  plaga 
B  quce  morlalibus  sese   coramodara    prsebei.  » 

Qu'elail  devenu,  depuis  le  chroniqueur  d'Hirsange, 
le  prccieux  ouvrage,  Pulchruin  et  compenJiosuin  opus? 
Nul  ne  ie  savail.. .  Ce  qui  conlribuait  a  le  mainienii 
<]ans  I'obscurile,  c'est  qu'on  avail  lini  par  coufondre 
g6u.'!ialcnienl  le  Richer  du  x''  siecle  avcc  un  aulro 
Richer,  moine  Benediclin  du  xiii^  siecle,  auleur  de 
la  chronique  de  Senones. 

Etifin,  Messieurs,  un  heureux  hasard  a  permis  de 
secouer  la  poussiere  qui  couvrail  injusteraenl  le 
manuscrii  du  disciple  de  Gerberl.  M.  Peng,  I'edileur 
des  Monumenta  GermanicB  Hislorica^  esl,  com  me  on 
sail,  un  de  ces  Benediclins  modernes,  qui  s'occupeol, 
de  nos  jours,  a  recueillir  les  vesligcs  lilleraires  du 
passe.  L'infaiigable  savanl  a  I'ouiile  les  bibliolheques, 
les  archives,  les  depots,  les  collections  de  !a  France, 
de  rilalie,  de  I'Allemagne.  II  est  parvenu  ainsi  a 
elever  a  la  tradition  historique  de  la  palrie  un  ve- 
ritable snonument. 

Dans  un  de  ses  voyages  d'exploration,  M.  Perig 
visila,  vers  1855,  la  bibliolheque  publique  de  Bam- 
berg. II  Y  decouvrit  un  venerable  mannscrit  portant, 
en  ecriture  du  x*^  siecle  ,  le  litre  :  Hisloria  Richeri 
Monachi ,  —  et  au-dessus,  mais  d'une  ecriture  plus 
recente,  ce  litre  plus  eiendu  ;  Richeri  monachi  Se- 
nensis  ord.  S.  Benedicli  libri  quatuor  Historiie. 
(Achiry  Jpicili,  t.  u,  non  convenit.) 


—  m  — 

Hcureusemetit  que  cette  irirlication   n'arr6te   point 

10  savant  allemand,  commo  elle  en  avail  sans  doule 
arrete  beaucowp  d'aalres  avant  iui.  11  parcourut  les 
premieres  lignes  du  maniiscril  of  s'apergut,  avec  une 
joie. . .  d"eriidit,  qu'il  avail  mis  la  main  siir  un  Iresor. 
Le  mannscrit  commen^ail  par  la  phrase  indiquee  dans 
Trilheme  :  Orbis  ilaque  plaga,  &c.  Le  moine  Rich.'^r, 
I'intclligenI  disciple  de  Gerbert ,  le  lemoin  oculaire 
de  la  rcvolniion  Cipelienne  ,  revojail  le  jour  apres 
un  si  long,  un  si  elrange  oubli. 

M.  Perig  insera  Richer  dans  sa  collccUon,  en  1859. 

11  clablil,  avec  loule  Tauinriie  de  la  science,  I'aii- 
ihenliciie  de  Touvrage.  Par  un  bonheiir  singulier,  io 
manifscril  porle  tousles  caracleres  d'un  aulograpue,  el 
ni  M.  PerIg,  ni  auciin  savanl ,  ne  douleni  que  nous 
n'ayons  I'oiigiual  m6aie  de  Richer. 

Celte  publication  a  emu  loute  i'Europe  savante.  En 
France,  I'lnsliUit  s'cst  occupe  piusieurs  fois  de  Richer. 
Lo  journal  des  savanis  Iui  a  consacre  de  nombreux 
arlicles.  Enlin,  la  sociele  do  I'SIisloire  de  France  a 
fail  publier  et  iraduiro,  par  M.  Guadel,  I'un  de  ses 
membres,  eel  imporiant  ouvrage. 

On  n'a  snr  I'auleur  que  les  renseignements  qu'il 
fournit  Uii-nieme  dans  le  cours  de  son  livre.  II  parle 
d'ailleursfort  peu  desa  personne.  II  n'esl  pas  un  de  ces 
ecrivains,  si  nombreux  a  notre  epoque,  qui^,  dans  leur 
naif  amour-propre,  se  persuadenl  que  la  posleriLese 
preoccupe  avec  anxieie  de  lous  leurs  fails  el  gesles. 
Qu'aurail-il,  du  reste,  a  raconter,  le  modesle  moine, 
sinon  la  vie  commune,  paisible,  siudicuse,  monotone, 
des  monasieres  de  Sl-Reniy  ? 

Son  pore,  qu'i!  nomme  Rauul,  elait  un  partisan 
ardenl  de  la  cause  Carolirigienne.  II   suivii,  en  brave 


—  llO  — 

soldat,  pendant  une  longue  et  aveniureiise  carricro, 
la  foriune  changeaute  do  Louis  d'Oulrenier  el  de 
Lolhaire. 

Sans  doule,  qu'avanl  d'enlrer  au  monaslere.  Ri- 
cher ,  lout  enfant ,  assis  sur  les  geuoux  du  vieux 
soldat,  ecouta  les  longs  recils  des  lulles  qn'il  devait 
un  jour  relracer.  II  connut  ainsi,  par  un  des  acieurs 
les  plus  aclifs,  plusieurs  circonslauces,  plusieurs  fails 
ignores  du   vulg.ijre. 

Cost  vers  969,  par  consequent  Irois  ans  apres  la 
mort  de  Flodoard,  conime  le  conjecture  M.  Perlg, 
que   Richer  ful  adniis  dans  I'abhaye   de  Saint-Remy. 

11  dcvinl  aussilot  un  des  disciples  favoris  deGer- 
berl,  qui  Tinitia  a  loulcs  les  sciences  qu'il  enseignait 
aux  applaudissemen'.s  d'une  partie  de  I'Europe.  Richer 
Youa  a  son  illustrc  mailre  une  sorie  de  culle.  II 
consacre  vingt-deux  chapiires  a  Thistoire  on  plulot 
a  I'eloge  de  eel  homme  etrange,  si  divcrseraent  juge, 
calomnie  par  ses  conleniporains,  el  releve,  je  crois, 
outre  mesure,    par  le  xix"  siecle. 

Le  pauvre  moine  suivii  le  grand  homme  dans  h^s 
phases  diverses  que  parcourut  sa  foriune.  II  I'ac- 
compagna  sans  doule,  suivant  les  ingenieuses  con- 
jectures de  M.  Lenormant,  dans  son  second  arche- 
veche  a  Ravenne,  el  vecul  peut-elre  encore  a  ses 
coles,  lorsque  le  Gis  du  palre  de  Rcllias  eul  ele 
couronne  de  la  Ihiare,  sous  le  nora  de  Sylveslre  IL 
Apres  la  mort  du  mailre,  le  moine  se  relira  en  Alle- 
magne,  oil  il  passa  sos  derniers  jours.  Celle  circon- 
stance  explique  la  dccouverle  de  son  manusciil  a 
Ramberg. 

L'ouvrage  de  Richer  s'elend  de  888  a  995,  avec 
un  appendice  qui  fournit  des   fails  jusqu'en  998. 


_  /ll  - 

Jc  ii'ai  pas  lo.  dessein  d'apprecier  ioiigucmenl  celle 
precieuse  chronique;  le  travail  n'esl  pas  a  faire,  et  vous 
me  permelliez  de  vous  renvoyer  au  Journal  dcs  savants. 
Qu'il  me  sullise  de  dire  que,  par  Tabondance  des 
fails  el  la  siirete  des  renseignemrnls,  Richer  est  la 
source  principale  de  loute  la  periode ;  qu'il  fait  conaitre 
un  grand  nomhre  d'evcnemcnis  ignores  jusqu'ici,  et 
qu'il  dsssipe  robscuritc  qui  recouvrail  certains  autres. 

Du  reste^  si  Ton  considere  sa  haute  intelligence, 
son  experience  d'homme  me!e  aux  affaires,  son  (aleni 
d'ecrivain,  il  est  a  urie  prodigieuse  distance  de  lous 
les  auleurs  de  son  temps. 

Flodoard  ne  peui  lui  etre  compare  sous  aucun  rap- 
port. On  pourrait,  en  le  pla(?ant  toutefois  a  un  degre 
au  dessus,  (rouver  quclque  analogic  entre  lui  ct  Tau- 
leur  de  I'Histoiie   ccclesiastique  de  France. 

J'ai  insisle  un  pen  longuement  sur  Richer,  parce 
qu'il  est  Tun  des  elements  principaux  et  le  moins 
connu  du  travail  que  j'anrai  I'honneur  de  vous  sou- 
nietlre.  Je  n'ai  point  tout  dil,  cependant;  mais  comme 
il  me  servira  habiluellement  de  guide,  je  lui  lais- 
scrai  souvenl  la  parole,  et  quand,  en  passant  aupres 
des  grands  personnages  que  je  me  propose  d'etudicr, 
il  dira  un  mot  de  lui-nieme,  je  le  recueillerai  afin 
que  nous  fassions  peu  a  pen  une  connaissance  com- 
plete avec  le  Gregoire  de  Tours  du   x«   siecle. 


-    h'2  — 
HISTOIRE  ET  ARCHEOLOGIE. 

Commiiiiicalioii  de  M.  Oppert, 

Membre  correspondant. 

DE  L'IMPORTANCE  HISTORJQUE 

DES    INSCRIPTIONS   ASIATIQUES   NOUVELLEMENT 
DfiCHiFFRfeS. 

Deuxieme  article. 


La  gramle  inscriplion  de  Bisontoun  ,  dont  j'avais 
riioiiiieui-  de  parler  h  I'Acadejnio  ,  sc  irouve  gravee 
sur  un  grand  rocher  sur  la  roule  de  Kirmanshah  a 
Egbalanc.  Elle  est,  pour  ainsi  dire  ,  rexplicatioti  des 
sculptures  par  lesquclles  Darius  crojail  tcrrifier  les 
nations  de  son  vaste  empire. 

On  voil,  sur  un  roc  escarpe,  reprcscnle  leroi  Darius, 
suivi  de  deux  serviieurs.  Du  pied  gauche  ,  le  monar- 
quc  foule  le  mage  pseudo-Smerdis,  el  devant  lui  se 
tiennenl  neuf  individus ,.  les  bras  lies  au  dos  el  la 
corde  au  cou.  Au  dessus  du  groupe  ediliani  plane 
Ormnzd  ,  le  hon  principe  ,  d'apres  la  croyance  de 
Zoroaslre. 

Quaranle-six  inscriptions  d'elendue  fort  differente 
oriient  ccj  sculptures  giganlesques,  execulees  a  peu 
pres  a  500  pieds  au  dessus  de  la  route.  De  ces  qua- 
rante-six  inscriptions ,  seize  sont  en  langue  perse , 
sept  sunt  congues  dans  Fidiome  scylhique,  el  treize 
^30  assyrien.  Nous  ne  connaissons  jusqu'ici  que  les 
seize  tableltes  achemeniennes  ;  les  traductions  soul 


-  /i3  - 

copiees  par  M.  llawiinson  ,  ([iii  ne  los  veul  \k\^ 
publier  pour  ne  pas  laisser  a  un  aulre  .sivaiil  la  gioiie 
de  clecliiffrcr  Ics  documents  de  Ninivc. 

Des  seize  inscriptions  dans  I'idiome  des  aucicns 
Perses  ,  onze  sej'vent  a  expliquer  les  figures  sculp- 
tees  de  Darius  el  de  ses  cnnemis  vaincus.  Les  autrcs 
tables,  d'une  longueur  lout  autremenl  considerable, 
racontetii  I'histoire  des  premieres  annees  du  regne  de 
Darius,  fils  d'Hysiaspe.  C'est  sur  ces  tables  cl  sur 
les  (lunnees  iuieressanles  qu'elles  nous  fournissent  , 
<jue  je   voudrais   fixer   I'attenlioi)    de    rAcademic. 

Voici  ie  commencement  de  la  premiere  table, 
lougue  de  96  lignes.  Nous  la  donnoiis  d'apres  Tin- 
terpretalion  modifiee  dans  les  points  his  plus  impor- 
tauts ,   quo  t;ous  avons  justifies  ailleurs  : 

n  Je  suis  Darius  grand  roi ,  roi  des  rois ,  roi  en 
Perse ,  roi  des  provinces  ,  fils  d'Hysiaspe ,  petil-lils 
d'Arsanies,  Achemenide. 

Le  roi  Darius  declare  :  Mon  pere  est  Hyslaspe  ,  le 
pere  d'Hysiaspe  esl  Arsanies ;  le  pere  d'Arsames  , 
Ariaxamnes  ;  le  pere  d'Ariaxamues.  Tei'spes;  !e  pere 
de  Tcispes,   Achemenes. 

Le  roi  Darius  declare  :  C'esl  pour  cela  que  nous 
sommes  intitules  Achemenides;  depuis  hongtemps  nous 
sommes  puissanls  ,  depuis  longtemps  noire  race  esl 
une  race  royale. 

Le  roi  Darius  declare  :  Hnit  de  noire  race  furoni 
rois  avani  moi ,  je  suis  le  neuvieme  ;  nous  elions 
neuf  rois  en  deux  branches, 

Le  roi  Darius  declare  :  Je  suis  roi  par  la  grace 
d'Ormuzd,  Ormnzd  m'a  confere  I'empire. 

Le  roi  Darius  declare  ;    Voici  les  pays  qui  elaiene 


~  hli  — 

sous  ma  dominaiion  ;  par  l.i  grace  d'Ormuzfl  je  fus 
leiir  roi  :  la  Perse,  la  Medie  ,  la  Snsiane,  la  Baby- 
lonie  ,  i'Assyrie  ,  I'Arabic  ,  I'Egyple  ,  les  loniens 
marilimes,  In  Lydie  ,  Tlonie  conlinenlale,  I'Armenie, 
la  Cappadoce,  !a  Parlhie ,  la  Larangie  ,  la  Sagarlie, 
I'Ariane,  la  Chorasmie  ,  la  Bactriane  ,  la  Sogdiane, 
la  Sacie  (Scylhie),  la  Sallagydie ,  I'llrachosie ,  la 
Mucie  ;  en  toui  ,  23  provinces. 

Le  roi  Darius  declare  ;  Voila  les  provinces  qui 
elaient  sous  ma  domination  ;  par  la  volonte  d'Or- 
muzd  ,  ellos  elaienl  mes  esclaves  ,  elles  me  porlaienl 
leurs  trihuls  ;  jour  el  nuil  on  cxeculait  ce  qui  avail 
e(e  ordonne  par  moi. 

Le  roi  Darius  declare  :  Cclui  qui,  dans  ces  pays, 
etail  eiranger,  je  !'ai  supporie  s'il  elail  supporlalde ; 
celui  qui  eiail  cnnemi  ,  ctail  eprouve  comme  il  le 
meritail.  Par  la  volonle  d'Ormuzd  ,  ces  pays  sui- 
vaienl  ma  loi  ;  ainsi  que  j'ordonnais ,  ainsi  ils  le 
faisaient. 

Le  roi  Darius  declare  :  Ormuzd  m'a  confie  I'cm- 
pire  ,  Ormuzd  m'a  accorde  son  secours  jusqu'a  ce 
que  je  parvins  a  I'empire  ;  c'esl  par  la  grace  d'Or- 
muzd que  je  liens  la  royaute. 

Le  roi  Darius  declare  :  Voici  ce  que  je  lis  avant 
d'etre  roi.  Le  nomme  Cambyse ,  fils  de  Cyrus,  tie 
noire  famille  ,  ful  roi  ici  avanl  moi.  Ce  Cambyse  avail 
un  frere  nomme  Smerdis  (Bardiga)  ,  issu  de  la  meme 
mere  el  du  memo  p6re.  Puis  Cambyse  tua  Smerdis. 
Lorsque  Cambyse  tua  son  frere  ,  le  peuple  ignorail 
que  Smerdis  ful  mort.  Ensuilc  Cambyse  allail  en 
Egypte.  Pendant  que  le  roi  ctail  en  Egyple  ,  le  peuple 
devinl  rebelle  ,  rimposlure  fit  des  progres  en  Perse, 
en  Medie  et  dans  les  aulres  pays. 


—  Il6  — 

Le  roi  Darius  declare  :  II  y  cut  iin  liomme ,  un 
mage  nomme  Gomales;  celui-la  serevolla;  il  exisle 
une  moniagne  nomrnee  Aikadris,  c'esl  de  lii  (lu'il 
s'insiirgea  ;  c'est  le  14  du  inois  de  Viyakhna  qu'ilseie- 
volta.  11  Ironipa  le  peiiple  en  disanl:  «  Je  suis  Smerdis, 
le  fds  de  Cyrus,  le  frere  de  Cambyse.w  Etisuile  I'l'^lal 
cnlier  flt  defection  de  Cainbyse;  et  la  Perse  oi  la 
M6(lie  el  Ics  autres  provinces;  cc  ful  le  9  du  mois 
deGarmapada  qu'il  ravil  la  royaul6  ;  puis  Cambyse 
mourul  en  se  blessanl  lui-meme. 

Le  roi  Darius  declare  :  L'empire  que  le  mage  Go- 
mates  usurpa ,  avait  ete  a  noire  race  depuis  long- 
lemps.  Gomates  le  mage  deroba  Cambyse  de  la 
Perse,  de  la  Medie  et  des  autres  provinces ;  il  fit 
d'apres  sa   volonte;  il  fut  roi. 

Le  roi  Darius  declare  :  El  il  n'y  avail  ni  Perse, 
ni  Mede,  ni  de  notre  race,  quelconque  qui  aurail  de- 
pouille  de  sa  couroni>e  ce  Gomates  le  mage.  Le 
peuple  le  craignait  a  cause  de  sa  ferocile.  II  aurail 
volouliers  lue  beaucoup  de  monde  qui  connaissail 
I'ancien  Smerdis,  pour  cela  il  aurail  tue  le  peuple. 
«  Afin  que  Ton  ne  me  reconnaisse  pas  que  je  ne 
suis  pas  Smerdis,  le  fils  de  Cyrus.  »  Personne  n'osail 
dire  quoi  que  ce  ful  a  I'egard  de  Gomates  le  mage, 
jusqu'a  ce  que  je  vins.  Alors  je  priai  Ormuzd ; 
Orrauzd  m'apporla  son  secours.  Ce  ful  le  10  uu 
raois  de  Bagayadis  que  je  luai,  accompagne  d'hommes 
fideles,  Gomates  le  mage  el  les  hommes  qui  etaienl 
ses  priucipaux  complices ;  il  y  a  un  fori  uouinie 
Siklhanvalis  dans  le  pays  de  Nicee  en  Medio,  c'esl 
la  que  je  le  luai.  Je  lui  ravis  l'empire.  Par  la  vo- 
lonte d'Ormuzd  je  devins  roi ;  Ormuzd  me  confera 
l'empire. 


—  i6   - 

Lc  roi  Dnrius  declnre  ;  L'empire  qui  avail  ele 
arrache  a  notre  race,  je  I'ai  restaure.  Je  I'ai  rcmis 
a  sa  place.  Coninie  il  avail  ele  avant  moi,  ainsi  je 
I'ai  relabli.  Les  aiilols  que  Gomales  lc  mage  avail 
reuvcrscs,  je  los  ai  restaures  en  sauvenr  dti  peuple, 
j'ai  relabli  le  monde  el  le  ciel  (Ics  clianls  el  lc 
saiiil  office)  ;  el  j'ai  relabli  I'ordre  dans  le  peuple 
en  Perse  el  en  Medie  el  dans  les  aulres  provinces. 
Comme  g'avaii  etc  avant  moi ,  ainsi  j'ai  rcslaure  ce 
qui  eiait  renvcrse.  Par  la  volonle  d'Ormu/,d ,  j'ai 
lail  loul  cela.  J'ai  dispose  tout  jusqu'h  ce  que 
j'eus<e  relabli  I'Etal.  Je  I'ai  arrange  par  la  volonle 
d'Orniiizd  comme  g'avail  etc  avant  moi,  lorsqne  Go- 
males  le  mage  n'avail  pas  usurpe  notre  pays. 

Le  roi  Darius  declare  :  Je  fis  cela  aprcs  que  je 
devins   roi.  » 

Voiia  le  commencemenl  de  la  premiere  table.  La 
fin,  comme  la  seconde  el  la  Iroisieme  ,  el  enfin  ia 
cinquieme  inscription  ,  font  I'bisiorique  du  regne  de 
Darius,  fds  d'Hyslaspe,  jusqu'au  deuxieme  siege  de 
Babylone. 

Nous  avons  essay6  d'etablir  la  cbronologie  el  de 
la  mellre  en  accord  avec  les  evenements  Iransmis 
par  les  Grecs. 

Darius,  apres  avoir  vaincu  le  mage,  avail  a  re- 
primcr  les  revoltes  des  peuples  que  Tabsence  de 
Canibyse  avail  porte  a  secouer  le  joug  incommode 
dcs  Pcrses.  Les  Indiens  se  revolterent  les  premiers, 
commandes  par  un  nomme  Alkrina,  ills  d'Eipadar- 
ma  ;  ils  furenl  vaincus.  Mais,  apres  celle  defaite, 
une  insurrection  beaucoup  plus  redoulable  eclata, 
celle  de  Babyione.  Nous  savons  main  tenant  les  de- 
tails de  celle  affaire  :  un  nomme  Naditabira  pril  les 
j'enes  du  gouvcrnemeni  sous  le  nom  de  Nabonchodo- 


/ 


—  Ill  - 

iiosor  II,  fils  (le  Nabonidc,  vaincu  par  Cyrus.  A  la  nou- 
velle  de  la  revolle ,  Darius  marcha  vers  Babyloae , 
inais  Naditabira  Tallend  deja  sur  les  bords  du  Tigre. 
Le  nionarque  francliii  le  flenve  el  repoussa  I'insurge 
le  27  du  mois  d'Akigada,  enOclobie  3210.  A.  P.  C. 
II  poursulvil  son  adversaire jusqu'a  I'Eupbrale  et  lui 
livra  une  seconde  balaillc  ic  2  Aiiamaka,  en  Dc- 
cembre  de  la  if"eme  anrnk'.  Cclle  balaille  malbeu- 
reusc  livre  an  vainqueur  le  chemin  de  Cabylone, 
oil  s'eiail  rei'ugie    le  prelendu  Nabonchodonosor. 

N'oublions  pas  pourlaiil  que  le  document  de  Bi- 
sontoun  esl  une  piece  loute  officielle,  el  il  esicurieux 
a  voir  que  le  monarque  Terse  parle,  avec  la  meme 
reserve  de  ses  echecs  que,  dans  nos  jours,  lefaisaiont 
les  gencraux  Aulrichieiis  elRusses,  quaud  il  s'agissait 
des  Hongrois  el  des  Tana'es.  Darius  dil  qu'il  prit 
Babylone  ;  il  raconle  ce  que  ses  generaux  onl  (ait 
pendanl  sou  sejour,  inais  il  se  garde  bieu  de  nous 
dire  quclles  clrconslances  le  relinreiU  si  longtemps 
dans  la  cile  de  Semiramis.  Nous  savous  par  Herodole 
ce  qu'il  sail,  c'esl-a-dire  qu'il  fallul  vingt  mois  pour 
dompier  ces  preiendus   rebelles. 

Pendant  le  siege  de  Babylone,  loutes  ces  provinces 
se  soulevenl;  a  la  tele  de  chacune  surgil  un  autre 
prelendant,  ou,  comme  le  monarque  Perse  dil,  un 
auire  imposleur,  produisant  le  liire  legitime  de  ses 
aucctres.  Divers  insurges,  Omane  en  Susiaue,  Ci- 
Iralakhmes  en  Sugarlie ,  Frador  en  Margiane, 
Arakha  en  Arnienie,  sonl  succcssivemenl  vaincus  par 
Its  g6neraux  de  Darius.  Mais  surtoul  la  M(^die  s'arma 
pour  secouer  le  joug  des  successeurs  de  Cyru^,  ct  11 
faliut  quaire  balaillcs,  livr6es  en  dccembre  SI 8,  en 
mai,  en  aout  ct  en  novcmbre  517  pour  relablir  Tor- 
dre  parmi   les   Medes  levolles. 


-  48  — 

Cambyse  avail  tue  son  frere  Siiierdis  ;  iriais  malgre 
I'aveu  fail,  sur  son  lit  de  mort ,  par  U;  frere  denature, 
le  people  Perse  croyail  a  !a  vie  du  fis  piiine  de  Cyrns. 
Un  nomnie  Veisdales  arbore,  au  nom  de  Smerdis,  le 
drapeau  de  hi  legilimite,  el  faillil  arracher  reellemenl 
le  scepire  des  mains  energiques  qui  s'en  elaienl  em- 
parees.  Celie  insnrrcclion  d'un  second  pseudo-Smer- 
dis  n'esl  connue  quo  par  le  roc  do  Bisonloiin  ;  aucun 
histcrien  n'eu  a  garde  le  souvenir,  malgre  Timpor- 
lance  de  la  revolle,  qui  fail  dire  au  monarqnc  Perse, 
a  I'endroit  de  Veisdales  :  all  fut  roi  en  Perse. 

Ce  deuxieme  imposleur  est  aulrement  energiqne 
que  retail  le  Mage.  Disposant  d'une  armce  consi- 
derable, ce  n'est  qu'apres  deux  bataillcs,  en  mai  el 
en  juillel  517,  qu'il  est  aneanti  par  le  general  de 
Darius,  Arlaordis  Mais  Tinsurreclion  siirvecul  h  celui 
qui  I'avaii  fomenlee;  il  ne  s'eiail  pas  conlenle  d'amculer 
la  Perse  ;  il  avail  jele  des  armees considerables  dans  ies 
provinces  orienlalesdel'empire,  el  ce  n'esl  qu'apres 
deuxbataillessuccessives,  en  decerabre517  etavril516, 
querarmeeinsurrectionnelle  est  detruile.  II  eslcurieux 
'  a  lire,  dans  le  recii  officiel  du  roi  Perse,  comraenl 
celte.armee  resista ,  pendant  presque  une  annee , 
apres  que  le  pretexle  legitime  de  la  revolie  lui  a  eleenieve. 

Darius  nous  raconte  une  derni^re  tentative  des 
Babyloniens  de  regagner  leur  independance ;  mais 
la  ville  fut  detruile.  11  nous  parle  d'une  expedition 
centre  Ies  Scythes;  mais  ce  ne  fut  certes  pas  la 
fameuse  guerre  qui  a  fant  de  ressemblance  avec  la 
grande  expedition  de  Russie,  faiie  presque  sur  le 
meme  terrain  par  Napoleon. 

C'esl  ici,  apres  une  longue  priere  a  la  poslerite  de 
garder  iniacles  ces  inscriptions ,  que  se  lermine  ce 
document,  donl  je  n'ai  donne  que  Ies  details  principaux. 


Ii9 


Lectures  de  M.  Loriquel. 


stances  des  26  Juin  et  25  Juillet  1851. 


RAPPORT 

SUR    LES   MfiMOIRES   DE   L'ACADfiMIE   NA.TIONALE 
DE   METZ  ,    XXXr   ANNfiE. 


Messieurs  , 

Charge  par  vous ,  conjointement  avec  M,  Paris, 
de  prendre  connaissance  du  volume  que  rAcademie 
de  Melz  vous  a  recemmenl  envoye,  et  muni  des 
pleins  pouvoirs  de  notre  honorable  collegue ,  je  viens 
vous  rendre  compte  des  travaux  de  celte  Sociele. 

Savante  parmi  ies  plus  savanles ,  la  cile  Messine 
a  sur  nne  foule  d'aulres  de  son  rang  I'avanlage  de 
posseder  dans  la  sience  el  le  genie  mililaire  un  conlin- 
genl  aussi  nombreux  qu'eclaire,  dont  s'enrichit  son 
Academic  nationaie.  Apres  la  lisle  de  ses  membres 
et  I'enserable  de  ses  iravaux ,  nous  en  avons  pour 
preuve  Ies  paroles  memes  de  son  Secretaire  qui , 
dans  le  comple-rendu  annuel  ,  et  avec  I'experience 
11.  4 


—   50   — 

des  irenie-une  annees  d'exislence  de  I'Academie  de 
Melz  ,  nous  assure  que,  «  sans  etre  complelement  in- 
connues  sur  les  bords  de  la  Moselle,  les  muses  en  aucun 
lemps  n'oul  beaucoup  hante  cette  sociele ,  inlimi- 
dees  qu'elles  soni  par  les  fronts  calmes  et  froids  du 
chiniisie  el  du  geomelre.  »  M.  le  secretaire  avail  sans 
doule  ses  raisons  pour  s'expriraer  ainsi;  c'elail  peu 
poli,  louielbis  ,  qu'il  nous  permelle  dele  dire,  a  Tegard 
de  la  musique,  du  moins,  «  celle  museaimable  elgra- 
cieuse  qui  est  loujours  venue  preler  a  TAcademie  de 
Metz  son  concours  harmonieux  el  rehausser  Teclat  de 
ses  solenniles  (1),  »  de  la  musique  enfin,  qui  avail,  celle 
annee  meme,  les  honneurs  du  discours  presideniiel. 
M.  le  secretaire  a-l-il  egalemenl  raison  quand  il 
plainl  I'Academie  de  Melz  d'avoir  peu  produit  ?  Vous 
en  jugerez  plus  favorablement.  C'est  beaucoup,  au 
reste,  suivant  nous,  que  de  repandre,  comme  elle  le 
fail,  aulour  d'elle,  Tinslruclion  et  les  encouragements. 
Les  beaux-arts  et  I'industrie  nolammeul  regoivent  de 
I'Academie  de  Metz  une  salutaire  impulsion.  Des  ex- 
positions onl  lieu,  sous  ses  auspices,  tousles  deux  ans 
pour  les  premiers ,  de  cinq  ans  en  cinq  ans,  pour  la 
seconde,el  Ton  paraii  s'applaudir  du  succes  obtenu. 
De  plus,  «  repondaot,  dil  M.  le  secretaire,  au  voeu 
qui  lui  en  a  ele  exprime  par  I'administration  muni- 
cipale,  I'Academie  a  continue  ses  lectures  du  soir, 
qui,  pcndanl  qualre  mois  de  I'hiver,  onl  reuni,  Irois 
fois  la  semaine,  un  audiloire  aussi  calme  el  honu6le 
qu'intelligenl  el  sympatliiquc.  »  De  tels  soins  de  la 
part  d'une  Academie  sont  de  ceux  qui  satisfont  le 
plus  aux  besoins  des  populations,  el  les  resultatsheu- 

(1;  Paroles  de  M.  A.  Malfaerbe,  president :  Seance  du  19  mai  1850. 


—  51  — 

reiix  qii'elle  est  appeleo  a  reciioillir,  doivent  la  coii- 
soler  amplemenl,  ce  nous  semble,  de  I'absence  de 
loul  memoire  en  reponse  aux  divcrses  queslions 
qii'elle  avail  proposees  ei  mises  au  concours  pour 
celle  annee.  «  Les  socieies  savanles ,  qui  s'cfforcent 
d'eclairer  du  flambeau  de  la  science  le  developpemeni 
des  arts,  les  progres  de  I'industrie  el  de  TagricnUure, 
ne  sonl  pas  un  rouage  supcrflu  dans  la  grande  ma- 
cbine  sociale  ;  et,  a  quelque  point  de  vuc  que  Ton 
se  place  ,  on  ne  saurait  dedaigner  ces  iravaux  ob- 
scurs,  celle  influence  lenle  el  cachee,  donl  I'eff'el  est 
d'aulant  plus  assure  qu'elle  s'exerce  plus  loin  du 
conflil  des  inlerets  el  des  passions.  »  C'est  encore 
M.  le  secretaire  de  I'Academie  de  Meiz  qui  parle  ici ; 
nous  ne  pouvons  mieux  appliquer  ses  paroles  qu'au 
corps  savant  auquel  il  appartient. 

Je  ne  suivrai  pas  M.  le  secretaire  dans  I'enume- 
ration  complete  des  iravaux  de  son  Academie.  Sans 
parler  d'objels  d'une  importance  loule  locale,  d'ob- 
servaiions  meteoroiogiques,  par  exemple,de  renseigne- 
menissur  le  poids  moyen  des  aniniaux  livres  a  la  bou  - 
clierie  de  Metz,  sur  I'etal  de  la  population,  sur  I'ame- 
lioralion  de  I'espece  chevaline  dans  le  pays,  il  y  a  dans 
ce  volume  une  foule  de  choses  a  I'egard  desquelles  je 
dois  ,  en  touie  humilile,  me  declarer  incompetent.  J'ai 
mieux  airae  faire  un  choix  approprie  araa  convenance, 
que  de  me  fourvoyer  dans  des  sujets  lels  que  ceux-ci  ; 

Rapport  sur  le  lelcgrapbe  electrique  de  MM.  Scbia- 
velti  el  Bellieni,  par  M.  E.  de  Saulcy  ; 

Sur  le  daguerreotype,  par  M,  Vincenoi ; 

Sur  les  essais  fails  a  Melz  des  produils  de  la 
sociele  du  blanc  de  zinc  et  couleurs  a  base  de  zinc, 
par  M.  Langlois  ; 


-  52  — 

Sur  des  minerals  de  fer  du  deparlemenl  de  la 
Moselle,  par  le  memo; 

Sur  la  maladie  du  froment,  qualifie  ble  vibrione,  par 
M.  Andre; 

Memoires  sur  les  moyens  d'apprecier  la  situation 
des  exploitations  agricoles,  par  le  meme  ; 

Rapport  de  M.  Genot  sur  les  experiences  faites 
par  M,  Keinholt,  relatives  a  la  maladie  des  pommes 
de  terre. 

En  pareilles  matieres,  il  m'eut  ete  difficile  de  ne 
pas  commellre  d'heresies. 

II  y  a  d'autres  travaux  sur  lesquels  je  ne  puis 
me  taire  absolumenl,  dusse-je  y  toucher  lemeraire- 
meni.  Ce  soul  ceux  qui  ont  pour  objet  I'ameliora- 
lion  du  sort  des  classes  souffrantes,  question  a  I'ordre 
du  jour  depuis  quelques  annees  surtout,  mais  dont, 
il  faul  le  dire,  on  n'aurait  pas  tant  a  s'occuper,  si 
les  idces  et  les  habitudes  rentraient  dans  le  calme 
que  prolegeaienl  autrefois  des  institutions,  soil  civiles, 
soil  politiques,  soit  religieuses,  sans  lesquelles,  suivant 
nous,  ii  n'y  a  que   trouble  et  confusion. 

Une  commission  prise  dans  le  sein  de  I'AcaderKie 
de  Metz  avait  ete  chargee  de  constater  les  causes 
et  le  degre  d'insalubrite  des  habitations  de  cette 
ville  et  des  campagnes  environnantes ,  elle  devait 
rechercher  en  outre  les  moyens  d'y  remedier.  La 
peintuie  que  fait  M.  le  docieur  Laveran  des  habita- 
tions d'ouvriers  dans  la  ville  de  Mctz,  pent  s'appli- 
quer  a  toutcs  les  cites  industrielles  ,  et  particulie- 
renient  a  la  notre  :  les  remedes  proposes,  en  attendant 
mieux,  pourraient  etre  les  memes.  Je  mettrai  done 
sous  vos  veux.  Messieurs  ,   les  conclusions   de  I'ho- 


—  53  — 
norable  rapporteur.  II  pro|)oso  b  rAcademie  de  Melz  : 

i'  D'appuyer  de  ses  voeux  la  proposition  faile  a 
I'assemblee  legislative  ,  par  M.  de  Melun.  dc  donner 
a  I'autoritc  municipale  le  droit  de  declarer  inhabi- 
tables  les  maisons  insalubres; 

2*  D'eclairer,  par  des  encouragemenis  et  des  pu- 
blications, les  populations  des  canipagncs  ,  sur  les 
conditions  hygieniques  des  habitations  ; 

5°  H'atlendre  que  Texperience  ait  pronouce  sur  la 
convenance  d'elever  des  maisons  specialement  de- 
stinees  aux  ouvriers  ; 

4°  Enfin  ,  d'appeler  I'attention  de  I'aulorile  snr  la 
question  de  I'insalubrile  des  habitations. 

La  legislation,  vous  le  savez,  a  con'^acre,  dcpuis, 
plusieurs  des  dispositions  proposees  par  rAcademie 
de  Metz. 

Apres  ce  rapport,  vient  le  compte-rendu  de  M.  de 
Saint-Vincent  sur  retablissement  d'une  societe  de 
prevoyance  dans  les  villes  de  Charleville  et  de  Me- 
zieres.  L'organisaiion  de  cette  societe  se  fait  remar- 
quer  par  des  particulariles  heureuses;  elle  s'est  eievee 
sans  bruit,  apr^s  avoir  vequ  son  institution  de  I'au- 
torite  locale  ;  elle  ne  dedaigne  pas  la  religion  pour 
auxiliaire  ;  elle  n'est  exclusive  de  personne  :  toutes 
choses  donl  nous  felicitous  fort  les  fondateurs  de 
cette  association,  et  de  celle-ci  enlre  aulres  el  sur- 
lout,  qu'ils  n'oni  pas  perdu  leur  temps  a  faire  des 
reglements,  ni  depense ,  comme  il  arrive  quelque- 
fois,  leur  zele  dans  le  travail  de  I'enfantement. 

C'esi  quelque  chose,  sans  doute,  que  tous  ces 
merites;  on  pent  meme  produire  quelque  bien  en 
mettant  en  oeuvre  les  conclusions  exposees   au  sein 


—  5/1  - 

(le  I'AcadeiDie  de  Metz. ,  an  sujet  des  habitaiions 
insalubres.  Mais  vous  conviendrez  probablemenl  avec 
moi  que  le  mal  qui  Iravaille  nos  populations  ou- 
vrieres  a  besoiu  d'aulres  remedes  ,  quand  je  vous 
aurai  fait  connaiire  Teloquenl  rapport  de  M.  Faivre 
sur  le  liviede  M.  Robert  Guyard,  intitule  :  Essai  sur 
I'etai  du  pauperisme  en  France. 

«  La  pauvrete,  dit  M.  Faivre,  est  un  fait  ancien, 
qui  a  commeuce  avec  le  monde,  et  qui  vraisembla- 
blement  ne  finira  qu'avec  le  monde ;  le  pauperisme 
est  un  fait  nouveau,  ou  du  moins  un  fait  recemmont 
observe,    pour   Icquel    il    a   fallu    inventor  uu  nom, 

comme  pour  le   magnetisme  ou   I'electricile L'i- 

negalile  des  conditions,  suite  inevitable  de  Tinegalile 
des  aptitudes,  est  un  fait  naturel  et  divin.  11  y  aura 
done  toujours  des  pauvres.  La  plaie  sociale,  designee 
sous  le  nom  de  pauperisme,  doit-elle  pareillemcnt 
exister  toujours,  est-elle  sans  remede?...  »  Pour 
s'en  rendre  compie  ,  il  faut  savoir  d'abord  ce  que 
c'esl  que  le  pauperisme.  L'humanite  veut  jouir,  a  dit 
un  apotre  du  socialisme.  La  est  lout  le  secret  du 
pauperisme,  que  M.  Faivre  definit  :  V impatience crois- 
sante  des  pauvres.  «  Du  jour ,  dit-il  ,  ou  I'humaniie, 
libra  des  entraves  antiques  ,  eul  en  outre  repudie 
les  esperauces  celestes  pour  aspirer  esclusivement  aux 
jouissances  de  la  terre ,  cbacun  s'est  dit  :  Pourquoi 
pas  moi?  Une   briilanlc  emulation  s'est  emparee  de 

toutes  les  ames La  masse  innombrable  de  ceux 

que  leur  faiblesse  intcUectuolle  ou  physique  retient 
dans  les  rangs  inferieurs  ,  fit  entendre  de  sourdes 
menaces  et  s'expliqua  pen  a  peu  plus  clairemenl.  » 
Le  pauperisme ,  maladie  nouvelle  ,  apparaissait  dans 
le  monde. 


—  55  — 

Comme  remedc  h  ce  flean  ,  on  a  propose  ,  d'une 
pai'l ,  ie  remaniemenl  coiDplel  dc  la  sociele;  c'eiail 
Iransformer  Ie  mol  que  nous  avons  cite  plus  haul 
en  eelui-ci  :  Vhumanite  veut  perir  ;  Ie  remede  n'esi 
pas  du  gout  de  loul  Ic  monde.  On  a  indi(iue  d'au- 
ires  inoyens ,  tels  que  les  Caisses  d'epargnc ,  les 
Associations  de  prcvovance  plus  ou  raoins  mutuelies, 
les  Cites  ouvrieres ,  les  Salles  d'asile ,  les  Creches , 
et  toules  les  inventions  de  la  moderne  philanlhropie  , 
topiques  ou  palliatifs,  capables  au  plus  de  calmer  Ie 
mal  et   de  lui  faire   prendre  patience. 

»  Ce  qui  IVappe  ,  coniinuc  iVl.  Faivrc,  dans  i'etnde 
qu'ont  faite  de  la  situation  dcs  hommcs  lels  que  MM. 
Buret,  Thiers,  Blauqui  ,  et  avec  eux  I'auteur  de 
I'ouvrage  souniis  a  I'Academie  de  Melz ,  c'esl  que  , 
plus  ou  moius  6!rangers  par  leur  passe  ou  par  leurs 
convictions  a  la  foi  chrelienne,  ils  s'accordeiil  a  de- 
clarer avec  Iristesse  que  Ie  mal  est  dans  la  perte  de 
la  foi,  que  Ie  remede  est  dans  Ie  reveil  de  la  Ibi... 
Admetlons  pour  un  moment  que  I'l^^vangile  soil  la 
regie  de  loutes  les  consciences  :  a  I'instant  ceKe  soil' 
de  jouir  s'apaise,...  I'cspril  de  devouemenl  se  sul»- 
slitue  :i  regoisme  , . .  .  Ie  riche  est  lenu  d'aimer  et 
de  soulager  son  frere  Ie  pauvre  ;  Ie  pauvre  ,  a  son 
tour  ,  est  tenu  d'aimer  el  de  respecter  son  frere  Ie 
riche.  Un  lien  d'amour ,  qui ,  sous  Ie  nom  de  cha- 
rite  ,  se  noue  dans  Ie  ciel ,  unit  enlre  eux  tons  les 
hommes  ,  el  ne  fait  de  toules  les  families  qu'une 
grande  ,  qu'une  immense  famille.  Que  reste-t-il  en- 
core .  je  vous  prie  ,  de  ce  hideux  fanlome  que  vous 
appelez  Ie  pauperisme  ?  » 

Tout  cela  est  ilil  par  I'honorable  secretaire  de 
rAcademie   de  Melz  avec  Tenlrain    que   doniionl   Ie 


—  56  — 

talent  et  la  conviction.  Le  tableau  qu'il  fail  de  la 
situation  est  severe;  il  est  vrai  cependanl,  en  partie 
rill  nioins  et  a  un  certain  point  de  vue  :  mais  esl-il 
complet?  Le  remede  indique ,  sans  doule,  est  des 
plus  eflicaces  :  mais  croycz-vous  qu'il  puisse  eire 
applique  sans  difficuites?  Croyez-vous  aussi  qu'il  n'y 
ait  rien  de  plus  general  a  dire  sur  les  causes  du  pau- 
perisme,  de  celte  impatience  de  toute  subordination  , 
de  cette  ardeur  de  jouir  qui  pousse  les  populations 
hors  des  voies  tracees  par  la  volont6  divine  et  par 
la  main  du  temps?  Si,  par  excmple ,  il  y  a  per- 
turbation dans  les  regions  superieures  de  la  sociele, 
n'est-il  pas  raisonriable  d'y  remettre  tout  a  sa  place, 
d'y  ramcncr  I'ordre,  avant  de  toucher  au  desordre 
des  degros  inferieurs?  Quand  tout  le  corps  est  ma- 
lade^  c'esi  tout  le  corps  qu'il  faut  reformer  et  guerir , 
non  pas  membre  a  membre  ,  mais  en  corrigeant  le 
regime  general  de  I'ensemble  et  en  commen^ant  par 
la  tele.  Vous  voulez  que  I'Evangile  rcdevienne  la  loi 
(ies  individus  ;  qu'il  soil  done  aussi  la  loi  des  gou- 
vernemenls ,  la  loi  des  nations  ,  la  loi  des  socieles. 
La  morale  est  une  :  elle  doit  elre  la  meme  pour  lous, 
regler  les  rapports  de  tous=  II  faut  done  que  los 
puissants  se  replacent  dans  la  justice  et  la  verite, 
si  vous  voulez  que  les  petils  y  rentrent ;  et ,  de  meme 
que,  suivant  I'expression  d'un  eminent  publicisle  , 
il  n'est  p:\s  au  pouvoir  des  gouvernements  qui  se 
sonf  places  dans  le  mal  d'empecher  le  fait  qu'ils  ont 
produil  de  realiser  les  consequences  qu'il  renferme: 
ainsi ,  tout  se  remettra  de  soi ,  dans  les  socieles , 
naturellement  et  sans  secousse,  des  que  la  tele  aura 
repris  son  assietle. 

Les    consciences    n'appartieunent   qu'a   Dieu,    le 


—  57  - 

pouvoir  civil  n'a  rien  a  y  pretendre ;  mais  il  peul 
interroger  les  ceuvres  qui  apparliennent  a  la  loi  , 
a  dit  M.  de  Frayssinous  (1).  C'est  en  suivanl  cette 
peosee  que  I'auteur  du  livrc  examine ,  M.  Robert 
Guyard ,  demande ,  en  faveur  du  clirislianisrae  ,  des 
lois  el  des  manifestations  ofiicielles.  Pour  M.  Faivrc, 
au  conlraire  ,  le  pouvoir  est  un  auxiliaire  suspect  : 
il  ne  peut  et  ne  doii ,  suivanl  lui  ,  qu'assurer  a  I'Evau- 
gile  loute  sa  liberie  d'aclion.  Ainsi  se  tronve  posee 
et  jugee  la  question  d'une  religion  d'etat ,  laquelle 
exisle  cliez  nous  en  fait ,  vous  le  savez  ,  sinon  dans 
le  texle  de  la  loi.  II  iresl  pas  bcsoin  de  vous  dire, 
je  crois ,  de  quel  c6l6  me   parait  etre   la    logique  . 

La  charite  n'est  autre  que  I'economie  sociale  pre- 
nant  en  haul  ses  inspirations  bienfaisanles.  Nous  ne 
quilierons  done  pas  les  regions  elevees,  si  nous  sui- 
voosM,  rab!)e  Marechal  dans  le  doniaine  des  lelircs 
'divines.  II  a  enrichi  les  memoires  de  I'Academie  de 
Melz  d'un  travail  importanl  sur  le  bonheur  des  elus , 
et  il  a  joint  a  celte  dissertation  des  notes  fort  inle- 
rcFsanles  sur  le  Canlique  des  canliques. 

Parlous  d'abord  de  la  disserlalion  sur  le  bonheur 
des  elus.  L'auieur  I'a  pariagee  en  sept  chapitres  ; 
mais  nous  n'aslreindrons  pas  tout  a  fait  noire  ana- 
lyse a  cetle  division. 

Saint  Auguslin ,  Boece  el  Danle  I'aidenl  d'abord 
h  detinir  la  beatitude  ;  il  recueiile  ensuite  les  diffe- 
renles  denominations  que  lui  donne  I'Ecrilure,  les 
divers  sens  attaches  aux  mots  del  el  paradis  ,  el 
les  traces  de  la  croyance  Iradilionnelle  des  peuples  a 
une  vie  future  ,  consequence  de  la  notion  de  I'im- 

{i)  Graiotes  et  esperances  de  ia  Religion. 


—  58  — 

mortalile  de  Tame,  corame  de  celle  du  bien  el  du 
raal.  Chez  les  Juifs ,  les  jusies  ont  entrevu  le  bon- 
heur  elcrnel ;  mais  il  apparlenait  au  Redempleur 
seid  ,  charge  de  roiivrir  aux  homraes  la  porle  du 
ciel  ,  de  leur  reveler  clairemenl  ce  bonheur  et  de 
le  leiir  donner  eu  perspective. 

Quanl  a  I'idee  que  les  hommes  se  soni  faite  du 
sejoiir  et  de  la  vie  des  bienheureux  ,  nous  trouvons 
dans  I'Eden  des  Juifs  ,  dans  les  Champs-Elysees  des 
Grecs  ct  des  Remains ,  dans  la  sphere  orageuse  des 
Scandinaves,  dans  la  chasse  sans  fin  de  I'lndien  , 
dans  les  sept  paradis  de  Mahomet  ,  aulant  de  sym- 
boles  grossiers  d'une  vie  future  en  rapport  avec  le 
degre  d'ahaissemenl  moral  dans  lequel  chaque  nation 
est  tombee  L'Eglise  seule,  qui  possede  les  paroles 
de  la  vie  elernelle,  possede  aussi  la  notion  veritable 
de   ce   qu'esl    le  paradis. 

Ici  ,  Messieurs,  nous  touchons  a  la  iheologie  dans 
ce  qu'elle  a  de  plus  intime  el  de  plus  serieux  :  veuilloz 
vous  rappeler  que  je  ne  fais  qu'analyser.  Notre  auteur 
demonire  par  I'Ecriture  ,  par  les  Peres,  par  les  Conci- 
les,  par  le  sentiment  des  piiilosophes  Chretiens,  tels 
que  Leibnitz ,  les  differents  points  de  doctrine  qui 
concernent  la  b6aliliide,  savoir  :  Fintuition  surnatu- 
reile  de  I'essencc  de  Dieu  par  les  bierdieureux ,  sans 
qu'ils  puissent  loutefois  comprendre  Dieu  surnalu- 
rellement ;  I'inegalite  de  cclte  intuition ,  selon  la 
diversile  de  leurs  merites;  enfin  la  jouissance  imme- 
diate de  la  vision  beaiifique  ,  apres  la  sortie  du  corps, 
pour  les  ames  des  justes  auxquelles  il  ne  resle  rien 
a  expier.  La  vision  intuitive  que  pretendent  etablir 
les  partisans  du  zoo-mag nctisme  ,  parait  a  M.  Mare- 
chal  Ires  propre  ^  nous  donner  una  idee  de  la  com- 


—  59  ~ 

niiinion  qui  s'elablira  dans  le  ciel  enlrc  riiommc  ci 
Dieu  par  le  moyen  du  Verbe  dieu  el  homme  ;  it  on 
tire  natiirelleinenl  un  argument  en  faveur  du  dognie 
Chretien  qu'il  vieul  d'exposer,  11  rapporie  ensuile 
qnelques  unes  des  descriptions  qu'on  a  donnees  du 
sejour  des  elus  ;  il  qualifie  ,  en  passant  ,  la  curio- 
site  de  ceux  qui  voudraient  savoir  oia  est  le  paradis 
et  dans  quel  etat  y  seront  les  bienheureux  ;  il  termine 
en  proposant  a  nos  meditations  les  sentiments  que 
doit  inspirer  aux  Chretiens  la  doctrine  de  I'Eglise  sur 
les  recompenses  de  la  vie  future,  rcnfermant  en  trois 
mots ,  comme  saint  Augustin  ,  la  substance  de  I'e'.er- 
nelle  felicile  :  Voir  Dieu  ,  I'aimer  ,  le  louer. 

J'arrive  aux   notes  sur   le  Canlique  dos  canliques. 

II  n'est  pas  de  livre  divin  qui,  aulanl  que  celui-ci, 
ail  fourni  matiere  aux  interpretations.  Enire  les 
commentaires  imperlinenls  de  Grotius  et  ceux  de 
Bossuet  ,  enire  les  petils  vers  galants  de  Theodore 
de  Beze  et  la  glose  du  Fere  de  Carrieres,  il  y  a  des 
degres  infinis.  Car  tous  n'ont  pas  le  sens  droit,  le 
cceur  chaste  et  I'elevalion  d'esprit  qu'exigo  une  pa- 
reille  lecture.  En  verite,  les  Juifs  etaient  sages  en 
interdisant  ce  livre  a  leurs  enfants  jusqu'a  i'age  de 
irente  ans;  pour  ccrlaines  gens  meme,  il  eui  ete  phis 
utile  qu'il  demeural  lettres  closes  :  le  respect  dii  a 
son  origine  inspiree  y  en  I  gagne. 

M.  Mar6chal  avail  caractere  pour  toucher  a  cetle 
arche  sainte,  el  il  I'a  fait  a  I'aide  des  autorites  les 
plus  respectables.  II  ne  s'6carte  en  rien  de  Tinter- 
pretation  symbolique  generalement  admise  dans  I'E- 
glise universelle;  ses  notes  et  ses  citations  s'emploient 
concurremmenl  a  affermii  ce  magnifique  edilice  eta 
rembellir.  Saint  Thomas,    qu'il    place  a  tort  parmi 


—  60  — 

les  saints  peres,  mais  qui  brille  au  premier  rang  des 
docteurs  de  I'Eglise,  est  la  source  pure  a  laquelleil 
puise  principalement.  Sans  avoir  la  prelenlion  d'a- 
jouter  aux  inlerprelalions  savantes  des  Origene,  des 
Theodoret,  desGregoire  le  Grand,  des  Bede,  des  Fro- 
mout ,  des  Louis  de  Leon  ,  des  Bossuel ,  I'auteur 
eclaircit  quelques  points  jusqu'alors  indecis;  nous 
citerons  particuiierement  ses  recherches  sur  le  Nard, 
sur  la  Sunamite,  sur  le  symbolisme  du  lis  et  de  la 
rose  et  les  applications  qu'on  en  a  failes ,  notam- 
ment  a  I'eglise  du  Christ  et  a  la  Vierge-Mere.  L'eru- 
dilion  liiieraire  vient  parfois  en  aide  a  celle  du 
theologien,  et  si,  de  pr6s  ou  de  loin,  quelquepoete 
a  repete  un  echo  du  Cantique  de  Salomon ,  M. 
Marechal  le  recueille  avec  soin  pour  en  faire  jouir 
ses  lecleurs. 

Apresles  travaux  de  M.  Marechal,  que  nous  venous 
d'analyser,  le  plus  important  memoire  que  renferme  le 
recueil  de  I'Academie  de  Metz  est  celui  de  M.  Victor 
Simon,  qui  a  pour  titie  :  Documents  liistoriques  sur  le 
verre.  L'auteur,  s'aidanldes  ouvrages  deja  publics  sur 
ceite  matiere,  y  joint  le  resullal  de  ses  propres  recher- 
ches et  les  donnecs  de  la  science  moderne  ;  il  en  resulte 
un  traite  a  pen  pres  complet  et  plein  de  fails  cu- 
rieux  sur  Tinduslrie  verriere  depuis  les  temps  les 
plus  anciens  jusqu'k  nos  jours. 

Ce  que  dit  M.  Victor  Simon  sur  I'origine  du  verre 
el  sur  son  pays  natal,  n'est  pas  ce  qu'il  y  a  de  moins 
interessant  dans  son  ouvrage.  A  ceux  qui  ne  croiraienl 
pas  que  de  Zabulon  ,  tribu  de  la  Judee  ,  sont  venus 
I'usage  du  sable  et  son  nom  ( sabulum  ) ,  il  oppose  les 
temoignages  concordants  de  Pline  ,  du  Talmud  el  de 
Maimonide;  il  leur  montre  le  verre  de  couleur  fort 


—  Gl  — 

commun  eJ  le  verre  blanc  ires  recherche  parmi  les 
Jiiifs  ,  voire  merae  des  fenfires  vitrees  dans  le 
temple  de  Salomon. 

De  la  Palestine  et  de  la  Phenicie,  I'indiistrie  ver- 
ricre  passe  en  Egypte  :  on  y  fait  des  vases  a  boire 
de  diverses  coiileiirs,  on  y  couvre  de  verre  le  pave 
des  temples,  on  y  coule  des  statues  de  verre;  bieniot 
les  Ethiopiens  entourent  leurs  morts  d'un  cylindre  de 
verre  :  Alexandre  le  Grand  n'eut  pas  d'autre  cercueil 
avant  celui  d'or  que  Ptoleraee-Lagus  lui  fit  faire. 

En  Chine,  le  verre  preceda   la  porcelaine. 

En  Grece,  a  Rome,  on  souffle,  on  raoule,  on  grave 
le  verre,  on  le  decore  de  dorures,  de  fdigranes,  etc.; 
on  le  colore  de  toule  fa?on,  surtout  en  bleu  :  s'il 
s'agit  de  verre  bleu  transparent,  c'esl  avec  le  cobalt; 
s'il  s'agit  de  verre  opaque,  c'esl  avec  du  cuivre. 
Eufln,  on  n'ignore  aucun  des  secrets  qui  concernent 
le  verre  el  les  emaux,  pas  meme  celui  de  les  rac- 
commoder. 

La  Gaule  rcQut  de  Rome  tons  les  precedes  de 
celte  Industrie  arrivee  a  sa  perfection.  Les  premiers 
siecles  du  moyen-age  nous  offrent  les  patenes  el  les 
calices  donl  parle  Gregoire  de  Tours,  les  verroleries 
el  les  eraaux  que   recelenl   les  sepultures. 

L'ari  de  la  verrerie^  qui  longleraps  parail  sommeil- 
ler,  recoil  de  Venise,  au  xii'  siecle,  une  impulsion 
nouvelle.  Au  xiv%  les  objets  de  verre  propres  au 
menage  sonl  encore  rares  et  d'un  prix  eleve; 
lemoin  la  concession  faite  par  Humbert,  dauphin  de 
Viennois,  a  des  verriers,  el  par  laquelle  il  se  reserve 
un  certain  nombre  d'usiensiles  pour  son  usage,  lels 
que  :  «  petits  verres  evases,  coupes  a  pied,  amphores, 
urina!s,  grandes  ecuelles,   plats,  aiguieres ,  salieres, 


'      —   62  — 

iampes,  chandeliers,  lasses,  petits  barils,  une  grando 
uef  el  six  grandes  bouteilles  pour  Iransporler  dn 
vin.  » 

Au  temps  de  Palissy,  le  sud  de  la  France  posse- 
dait  de  norabreiises  verreries  ;  mais  il  devinl  urgent, 
sous  Louis  XIV,  de  venir  en  aide  a  ces  etabiisse- 
ments;  ceux  de  la  Lorraine,  qui  elaieut  florissanls 
des  le  XV"  siecle ,  avaienl  disparu  sous  le  meme 
regne,  lis  ne  reprireut  lour  ancienne  importance  qu'au 
xviu"  siecle. 

Les  preuves  qu'on  a  donnees  de  I'usage  du  verre 
pour  vitrer  les  fenetres  a  Rome,  avant  le  iv®  siecle, 
sont  peu  concluantes.  De  toutes  celles  que  M.  Victor 
Simon  a  puisees,  soil  dans  I'histoire  de  I'Arl  monu- 
mental de  Balissier,  soil  ailleurs,  une  seule  me  parait 
avoir  une  ceriaine  valeur,  c'est  la  presence  de  chassis 
vilres  dans  les  fouilles  d'Hercuhinum  el  de  Pompei. 
Encore  n'en  pourrait-on  conclure,  ce  me  semble,  en 
faveur  d'un  usage  ires  repandu  avant  I'epoque  precitee. 

Quant  aux  miroirs  de  verre,  ils  etaient  assez  com- 
muns,  parail-il ;  Sidon  el  I'Egypte  avaienl  le  mono- 
pole  de  leur  fabrication,  comrae  plus  lard  il  ful  a 
Venise. 

Nous  arrivons  a  la  grande  epoque  de  I'art  de  la 
fenestration,  celles  des  vilres  peinles,  du  xii«  au  xvi° 
siecle  et  meme  au  xvii^.  Le  peu  qu'on  a  irouvede 
peinlures  sur  verre  anterieures  est  sans  importance 
et  ne  saurait  servir  a  elablir  une  filiation  entre 
Tan  antique  et  celui  du  moyen-age.  Les  quelques 
vers  de  Sidoine  Apollinaire ,  qu'on  cite  a  ce  propos 
sont  m6me  plulol  applicables  a  la  mosaique.  Nean- 
moins,  on  peut  regarder  comme  certain  que  les  vilres 


—  63  — 

en  veires  de  couleurs  assoriies  liirenl  employees 
longtemps,  avant  d'aniver  a  Tart  conlemporain  de 
Suger  el  de  noire  abbe  de  Saint-Remi ,  Pierre  de 
Colics,  art  dont  un  arlisle  de  Metz,  M.  Marechal.  est 
aujourd'liui  Fun  des  reproducteurs  les  plus  habiles. 

M.  Victor  Simon  parcourt  rapidement,  avec  M.  de 
Ciatimont,  les  differentes  periodes  de  I'art  du  peinlre- 
verrier,  puis  il  aborde  celui  de  I'emailleur.  II  nous 
nionlre  ce  dernier  successivement  en  lionneur  dans 
Id  Phenicie,  I'Egyple,  la  Babylonie,  la  Grece,  I'Elrurie, 
la  Gaule ,  la  Chine  et  la  Perse.  Au  moyen-age , 
Constantinople,  Venise  et  I'llalie,  la  France  et  surtout 
Limoges,  porlerent  au  plus  haul  point  de  perfection 
I'art  des  emaux ;  les  faii-nces^  les  gres  emailles  de- 
vinrenl  en  France,  en  Flandre,  en  Hollande,  une 
branche  de  commerce  des  plus  importantes. 

Les  mosaiques  enfin,  dans  lesquelles  entrerent  sou- 
vent  le  verre  el  les  emaux,  sont  de  la  part  de  I'autcur 
Tobjel  d'un  chapltre  fort  curieux.  Apres  les  beaux 
modelcs  de  mosa'ique  ancienne,  il  rappelle  les  mor- 
ceaux  precieux  que  possedaient  Sainte-Sophie  de 
Constantinople,  Saint-Marc  de  Venise,  le  palais  de 
Ravenne  et  Sainl-Remi  de  Reims.  II  passe  ensuite 
par  les  mosaiques  florenlines  en  marquelerie,  a  celles 
de  Saint-Pierre  de  Rome,  et  aux  procedes  nouveaux 
dont  Tarl  s'esl   enrichi. 

Ceci  ne  veut  pas  dire  absolument  que  I'art  moderne 
ait  tout  invenle  ou  nieme  perfeciionne.  On  en  sera 
convaincu  en  lisant  le  chapilre  de  M.  Victor  Simon, 
qui  concerne  les  verresgrossissanls.  On  y  verra  qu'on 
se  servait  de  pareils  verres  des  le  temps  d'Aristo- 
phane,  pour  obtenir  du  feu.  Quant  aux  lunettes 
d'approche   et  aux  besides ,    il  serail    diflicile    d'en 


-  64  — 

preciser  I'origine ;  mais  les  ancieos  savaienl  filer  le 
verre,  ils  s'en  servaient  pour  imiter  les  pierres  gra- 
vees ,  ils  donnaienl  a  leurs  statues  des  veux  d'email 
et  de  verre ;  enlin,  Ton  n'a  pas  oublie  la  sphere  de 
verre  d'Archimede. 

La  devitrification  du  verre  est  pour  I'auteur  I'oc- 
casion  d'observations  archeoiogiques  tres  importanles. 
II  lermine  par  I'enumeration  de  quelques  con- 
structions en  verre,  produil  fortuit  de  la  presence 
de  matieres  vitrifiables  qui  ont  survecu  aux  mate- 
riaux  ou  friables  ,  ou  combustibles ,  d'anciennes  con- 
structions dont  elles  occupaient  les  interstices.  C'est 
en  France ,  en  Lusace  ,  ot  surtoul  en  Irlande  el  en 
Ecosse,  que  se  irouvent  ces  constructions  en  verre. 
Au  moment  ou  M.  Victor  Simon  ecrivait  ce  chapitre, 
le  palais  de  cristal  n'avail  pas  encore  ouverl  I'ere 
des  exhibitions  gigantesques  ,  au  moyen  d'incommen- 
surables  chassis  de  verre.  II  a  toutefois  sa  petite 
exposition  a  lui ,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi ,  car 
son  travail  est  accompagne  d'une  fort  belle  planche 
reproduisant  au  trait  une  curieuse  suite  de  vases  el 
d'anneaux  en  verre  de  diverses  epoques ,  dont  I'ori- 
gine est  grecque  ou  gallo-romaine. 

L'archeologie  a  fourni  a  I'Acaderaie  de  Metz  d'au- 
Ires  memoires  d'une  moindre  importance,  dont  plu- 
sieurs  neanmoins  meritenl  une  mention.  Telies  sont 
les  «  Reflexions  de  M.  Clercx  sur  le  sceau  d'or  ap- 
pose par  Francois  de  Guise  au  bas  d'un  brevet 
accorde  a  I'abbaye  de  Saint-Arnould  »  el  la  Note 
de  M.  Charles  Robert  sur  des  monnaies  de  Postume, 
decouverles,  en  septembre  '1848,  aux  environs  de 
Pont-a-Mousson.  Ces  monnaies,  parmi  lesqcelles  s'en 
faisaient  remarquer  quelques  aulres ,    du  m'   siecle 


—  65  — 

egalcinenl ,  claienl  an  nombre  dc  207.  Les  revcrs 
assez  varies ,  dont  M.  Ch.  Robert  donne  la  descrip- 
tion, sont  les  rneines  qu'on  obliul  dans  la  trouvaille 
de  Danicry  en  1850.  Or  ,  quand  on  se  rappelle  I'elat 
des  monnaies  trouvees  a  Damery ,  rinegalite  des  types 
et  i'incorreclion  barbare  d'nn  grand  nombre,  due 
principalement  au  mode  grossier  de  fabrication,  il 
y  a  lieu  de  s'etonner  des  eloges  que  M.  Ch.  Robert 
donne  a  I'un  des  deniers  de  Pont-a-Mousson  ,  qui 
rappelle,  dil-il ,  le  beau  temps  de  la  gravure  antique 
el  prouve  que  Postume  restaura  dans  les  Gaules  les 
arts  liberaux.  Je  n'enlcnds  pas  contester,  du  reste, 
le  merite  des  monnaies  d'or  de  ce  prince,  dont  la 
perfection  accuse,  comme  le  dit  Eckhel,  la  presence 
d'arlisles  habiles  a   sa  suite. 

De  son  cole,  M.  le  colonel  Ulrich  a  rendu  comple 
de  la  trouvaille  faile  dans  le  Ras-Rliin  d'un  certain 
nombre  de  monnaies  du  moyen-age.  II  n'a  pas  voulu 
que  nous  ayons  a  le  croire  sur  parole  ;  une  belle 
planche  vicnt  en  aide  a  sa  description  ct  permet  d'en 
conlroler  I'exacuUide.  La  plupart  de  ces  monnaies 
apparlicnneni  aux  villcs  de  Melz  ct  de  Strasbourg. 
Leur  elai  n'a  pas  toujours  permis  a  I'auleur  d'en 
juger  parfailement  tous  les  details.  C'est  ainsi  qu'au 
iroisieme  type  des  gros  de  S'-Elienne  de  Metz ,  une 
volute,  suivant  lui ,  remplace  la  main  du  saint  diacre 
el  son  de  son  vetement ,  landis  qu'il  lallait  y  voir 
une  main  porlant  lesoffrandes  des  fiddles,  indice  carac- 
terisiique  du  diaconat ,  lout  comme  la  palme  tenue 
par  I'aulre  main  indiquait  le  martyr.  D.  Calmet  (  Hist. 
de  la  Lorraine  ,  l.  ii ,  pag.  cxx ,  pi  8  et  seq. ),  au 
besoin  ,  aurait  fourni  ce  renseignement  a  I'auleur.  11 
I'aurail  aide  pareillement  a  completer  la  legended'une 
II.  5 


—  66  — 

pelile  piece  d'argent ,  de  forme  carree  a  angles  arron- 
dis  ,  faussemenl  altribuee  par  lui  a  Tun  des  eveques 
de  Melz,  Je  la  donne  ici ,  telle  que  j'ai  pu  la  de- 
chiffrer  moi-meme  sur  un  echantillon  d'une  meilleure 
conservation. 

Au  droit,  THEODERICvs  EPiscopvS  ;  au  revers , 
disposes  en  croix ,  les  mots  MARIA  VIRGO.  Cetle 
monnaie  ,  qui  est  assez  repandue  dans  la  Lorraine , 
ne  peut  convenir  qu'a  I'eveque  de  Verdun,  Thierry, 
qui  vivail  de  1047  a  4090  :  I'eglise  cathedrale  de 
Verdun  eiaii  la  seule  de  la  Lorraine  qui  fut  placee 
sous  I'invocalion  de  la  Vierge ;  le  faire  et  Tecrilure 
de  celte  monnaie  s'accordent  parfailemenl  du  reste 
avec  I'epoque  precilee. 

Je  rapporterais  volontiers  au  meme  eveque  deux 
autres  monnaies  donl  Calmet  n'a  pas  fait  mention , 
mais  qui  joignent  au  nom  de  Thierry,  eveque  ,  une 
semblable  invocation  a  la  Vierge  :  SancTA  MARIA, 
VIRgo  MARIA.  La  premiere  legende  accompagne  la 
lete  nimbee  de  la  Vierge ,  la  seconde  est  placee 
autour  d'un  portail  d'eglise. 

La  musique  ,  comme  vous  allez  le  voir  ,  est  aussi 
ancienne  que  le  monde  :  c'est  done  faire  encore  de 
I'histoire  et  de  I'archeologie  que  de  vous  en  parler. 

La  ville  de  Metz  possede  une  ecole  municipale  de 
musique  largement  elablie  et  qui  a  merile  plusieurs 
fois  les  encouragements  du  gouvernement.  Le  pre- 
sident de  I'Academie  a  fait  hommage  en  seance 
publique  au  gout  si  prononce  et  si  bien  soutenu 
de  la  cite  Messine  pour  cet  art.  II  a  trace  I'histoire 
de  la  musique  et  I'a  monlree  depuis  les  premiers 
jours  faisant  le  charme  des  populations  et  I'ornement 


—  67  — 

du  cnlie  ,  merilanl  la  protection  <los  princes  el  les 
eloges  des  legislaleurs  el  des  moralisles.  Vous  saviez 
deja  que  Neron  cullivail  la  musique  en  veritable  horame 
dc  I'arl;  raais  vous  aviez  oublie  qu'il  avail  a  son  ser- 
vice un  corps  de  claqueurs ,  au  moyen  desquels  il 
n'elait  guere  possible  de  n'avoir  pas  un  succes  d'em- 
pereur  ;  surloul  en  s'arrelanl  au  milieu  des  rues  pour 
chanter,  toutes  les  fois  que  le  bon  peuple  de  Rome 
Ten  priail.  Vous  aviez  peul-etre  oublie  de  merae  la 
belle  voix  de  Caligula  el  les  couronnes  d'or  que  Claude 
dislribuait  aux  musiciens.  C'est  pourlanl  sous  de  tels 
mailres  que  se  (orma  la  musique ,  avanl  d'etre  appe- 
lee  a  rorneraenl  des  solenniles  chreliennes.  M.  Alfr. 
Malherbe  vous  rappellerait  encore  ,  enlre  auircs  par- 
liculariles  inleressanles ,  les  24,000  levites  musi- 
ciens formes  par  Salomon  el  employes  par  lui ,  au 
nombre  de  10,000  a  la  fois,  dans  les  grandes  fetes. 
Convenez  qu'ily  a  la  de  quoi  enlever  le  sommeil  pour 
le  reste  de  leur  vie  aux  Musard  el  aux  Berlioz  de 
nos  jours.  J'allais  oublier  qu'un  poeie  ,  je  ne  sais 
lequel  ,  assure  que  Vaimable  compagne  du  premier 
mortel  fut  Vinventeur  des  premiers  sons  mesures ,  et 
qu'apres  avoir  rivalise  de  roulades  et  de  gazouille- 
raents  avec  les  rossignols  du  paradis  terreslre ,  elle 
employait  son  pelil  talent  a  charmer  les  ennuis  d'un 
epoux  exile.  Elonnez-vous,  aprfes  cela  ,  de  ce  qu'au 
temps  d'Orphee  on  fut  assez  fori  deja  sur  I'art  en 
question  ,  pour  que  ce  poete  tournal  la  tele  a  tout 
le  monde  ,  hommes  et  b6les  ,  en  mellanl  en  musique 
les  divers  articles  du  code  de  son  pays. 

J'aurais  bien  encore  d'autres  fails  curieux  a  em- 
prunier  au  discours  de  M.  Alfr.  Malherbe,  si  je 
n'avais  hale  de  meltre  un  terme  a  ce  rapport. 


—  68   — 

Laissnns  done  la  miisi(|iu' ,  pour  passer  a  sa  soeiir 
la  poesie. 

Sousce  tilre  :  «  Siir  la  pn  dela  vie  ,  »  M  Macherez 
a  donne  un  pelil  noinbre  d'alexandrins  de  bonne 
faclure. 

J'ai  trouve  dans  les  cinq  fables  dii  nierae  auleiir, 
qui  suivenl  ,  de  i'cnlrain  ,  de  la  facilile  ;  mais  la 
narration  poiirrait  elre  quelqucl'ois  plus  vraisem- 
blable,  !a  moralile  mieux  amenee  et  I'expression  plus 
choisie.  Neanmoins  ,  il  faudrail  elre  bien  severe  pour 
ne  pas  ciier  avec  eloge  les  fables  qui  ont  pour  tilre: 
Le  Leopard  et  les  animaux  et  le  Renard  serviteur  du 
Lion . 

Je  vous  signalerai  encore  des  vers  faciles  et  sou- 
vent  heureux  de  M.  F.  Munier  dans  une  epitre  a 
M.  le  colonel  Brossel ,  el  j'arrive  a  la  question 
grarnmaticale,  deja  mainies  fois  debattue  el  posee  de 
nouveau  a  M.  Munier  lui-meme ,  a  savoir  si  cette 
phrase  :  Ah!  vous  vt'avez  trompe ,  renferme  deux 
propositions  :  Ah  !  proposition  principale  absolue  , 
equivalanl  a  je  suis  etonne...;  et  ;  Vous  m'avez  trompe, 
principale  relative.  C'est  a  M.  Chapsal  qu'on  en  veut 
ici  ,  vous  le  reconnaissez. 

«  Suppose,  dit  entre  aulres  choses  M.  Munier, 
que  la  phrase  soil  negative:  Ah!  vous  ne  m'avez  pas 
Irompc:  ah!  n'aura-t-il  pas  un  autre  sens?  Ah!&\ 
Ton  en  croit  les  grammairiens ,  signiGe  une  foule  de 
choses  souvcnl  opposees.  C'esl  qu'en  effet,  et  malgre 
qu'en  aient  ces  messieurs,  dans  ce  mol  el  dans  lous 
ceux  de  m6me  nature ,  c'esl  a  dire  dans  ceux  qu'on 
peul  coiisiderer  comme  essenliellemenl  interjections, 
il  n'y  a  ni  pensce  ,  ui  pioposition  implicite ;  ce  sont 
des  cris  involonlaires  ,  des  accents   de  voix   irrefle- 


—  69  — 

chis  ;  celui  qui  ks  cnlend  peiil  facilemenl  Ks  inter- 
proler  :  mais,  quant  a  prelendre  que  celui  qui  les 
a  proferees  y  ail  attache  une  idee  quelconque ,  quant 
a  les  traduire  en  sujels  ,  verbes  el  attributs  ,  aulant 
vaudrait  analyser  de  meins  les  cris  d'appel  ,  de  colere, 
etc.  ,  que  poussent  les  animnux.  » 

La  demonstration  de  M.  Munier,  quoique  serree 
el  empreinie  de  !a  connaissance  parf;iite  de  ccs  sortes 
de  matieres,  a  de  plus  le  piquant  qu'un  liomn)e 
d'esprit  sail  donner  a  tout  ce  qu'il  louche.  La  gram- 
maire  offre  une  foule  de  questions  qui  deraanderaient 
a  elre  traitees  avec  ce  sens  droit  el  ce  talent;  alors 
lomberail  peut-etre  cet  echafaudage  de  science  gram- 
maticale  que  les  bons  esprils  condamnent ,  el  qui  a 
fait  plus  d'ignoranls  depuis  un  certain  nombre  d'an- 
uees  dans  nos  ecoles,  que  n'en  aurait  laisse  la  sim- 
phcile  des  anciennes  raeihodes  el  la  boiihomie  de 
nos  peres. 


70 


Lecture  dc  M.  Ch.  Loriquet. 


NOTE 

AU   SUJET   d'UNE    LAMPE    ANTIQUE   TROUVfiE    A   GRAND, 

(  VOSGES). 


Messieurs  , 

Je  dois  a  I'obligeance  de  noire  honorable  secre- 
taire-archivisle,  M.  Em.  Arnould,  la  connaissance 
d'une  note  inseree  dans  les  Memoires  de  la  Societe 
des  sciences,  kttreset  artsde  Nancy,  (annee  1847)  (1), 
et  en  meme  temps  d'un  ohjet  d'anliquite  des  plus 
curieux  :  c'est  une  lampe  de  bronze  trouvee,  il  y  a 
quelques  annees,  dans  les  ruines  de  Grand,  depar- 
temenl  des  Vosges,  et  aujourd'hui  deposee  au  musee 
departemenlal  d'Epinal.  Les  renseignements  que  j'ai 
pu  recueillir  h  ce  sujet  presentant  quelque  interet, 
je  vous  demande  la  permission  de  vous  en  entrelenir 
un  instant.  Mais  avant  d'exarainer  a  notre  tour  celte 
importante  trouvaille,  ne  soyons  pas  ingrat,  disons 

(1)  Page  ns. 


—  71  — 

deux  mots  du  sol  beni  des  anliquaires  qui  nous  I'a 
donnee. 

Grand ,  Grans  ou  Gran ,  silue  a  52  kilometres 
ouesl  de  Neufchateau  et  presque  a  la  source  de  I'Or- 
nain,  dans  I'ancien  Rassigni  ,  fut  jadis  autre  chose 
qu'un  village  de  1,200  habitants  el  qu'une  fabrique 
de  clouterie.  Un  embranchement  qui  partail  de  No- 
\iomagus  et  venait  aboulir  a  Nasium  ,  le  roliait  aux 
grandes  voies  de  Langres  a  Treves  et  de  Toul  a 
notre  Durocort ;  des  mines  importantes  couvrenl  au 
loin  son  territoire ;  on  y  remarque  des  rcmparts  et 
des  murailles  de  pitisieurs  pieds  d'epaisseur,  un  tL'mple 
qu'on  croit  avoir  etc  dedie  a  Jupiter  et  plusieurs 
aulres,  un  amphitheatre  dont  les  formes  se  dessinaient 
deja  parfaitement  au  temps  de  D.  Calmel  (\)  et  qu'on 
a  deblaye  depuis,  en  1821 ;  chaque  jour  on  y  decouvre 
des  debris  scuiptes  ,  des  aqueducs  souterrains ,  des 
monnaies  du  haut  empire.  II  ya  quaire  ans  h  peine, 
le  musee  departemenlal  des  Vosges  recevait  de  Grand 
un  petit  vase  et  les  dix-sept  medailles  en  or  qu'il  con- 
lenait :  c'etaient  des  Tibere,  des  Nerva,  des  Trajan, 
des  Vespasien,  des  Titus,  des  Domition.  On  y  depo- 
sait,  en  1846,  la  lampc  dont  nous  vouions  parler  ; 
el,  dernierement,  son  savant  conservaieur,  M.  Jules 
Laurent ,  I'enrichissail  encore  d'lin  magnifique 
aureus  de  Marc-Aurele,  irouve  pres  du  village. 

Comment  done  se  fait-il  que  le  nom  de  Grand 
ne  se  irouve  nulle  pari  dans  les  anciensgeographes? 
LTlineraire  d'Antonin  el  la  Table  Theodosienne  n'on 


(1)  Cf.  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine,  i.  i,  p.  530  el  seq.  — 
Caylus,  Recueil  d'antiquites,  I.  in,  p.  431,  planche  cxviii;  i  vi, 
p  349  ,  planche  cxi.  —  Jollois,  Memoire  sur  quelques  antiquiles 
remarquables  des  Vosges,  p    4   el  seq. 


-  7:2  — 

ibnl  aucune  raenlion  (1);  Ammien-Marcellin,  comme 
le  remarque  D.  Calmel  (2),  n'en  parle  pas  davanlage, 
quoique  rien  ne  paraisse  lui  echapper  en  racontanl 
la  vie  de  Julien,  et  que,  suivanl  line  iradilioQ  con- 
slante  dans  le  pays  et  parmi  les  ecrivains  de  la  Lor- 
raine, ce  prince  ait  fail  le  siege  de  Grand,  qu'il  ait 
sejourne  dans  celte  ville,  qu'il  y  ail  fait,  en  561, 
plusieurs  martyrs. 

Un  litre  du  lemps  de  Charles-le-Chauve,  en  886, 
porle  ces  mots  :  «  Actum  in  Granis  villa.  »  .Mais  rien 
n'indique  que  celte  denomination  soil  precisement 
applicable  a  I'ancienne  ville  de  Grand  (5).  C'est  lout 
an  plus  si  Tabbe  Rupert,  anleur  dn  douzieme  siecle, 
qui  a  ecrit  la  vie  du  martyr  saint  Eliphe  sur  de 
plus  anciens  monuments,  semble  aulorise  a  lui  donner 
le  litre  de  cu'e,  cj'uUas.  Tout  parail  prouver  seulemenl 
que  le  meme  ecrivain  n'exagere  pas,  quand  il  en  fait 
une  ville  puissanle  el  elendue  :  «  Urbem  tunc  longi- 
tudine  el  latiludine  maximam,  et  lurribus  et  muris 
munilissimam,   nomine  Grandem  (A).  » 

De  1220  a  1512,  dil  encore  D.  Calmel  (5),  Grand 
flgure  parmi  les  lieux  imporlants  de  la  Lorraine 
relevant  des  rois  de  France.  Depuis,  il  n'en  est  plus 
question,  si  ce  n'esl  que  d'anciens  missels  et  bre- 
viaires  de  Toul ,   en   1515.   1520,   1595  et  1628, 


(t)  Sauf  I'explicalion  de  M.  Digol,  donl  nous  parlerons  plus  bas. 

(2)  Loc.  cit. 

(3)  Loc.  cit. 

(4)  Vita  S.  Eliphi,  ap.    Suribm,  16  oct.  —  IIiquet,  Syst.  chron. 
des  Ev.  de  Toul,  p.  23  el  seq.  —  D.  Calmet,  op.  cit.  p.  532. 

(6)  Loc.  cit. 


La-iTLpe  Antique  irouvee    k  Graai   lAosgesI 


r>^/.-"-  '/^''rr7"ff/ 


—  73  — 

renfermcnl  un   office  desiine  a  celebrer  la  memoire 
de 

«  L'ami  de  Dieu  et   rrai  martyr  Eucaire, 
»  Jadis  de  Gran  eveque   debonnaire,  d 

comme  dit  une  ancienne  inscription  de  la  collegiale 
de  Liverdun,  alors  deposilaire  de  ses  reliques(l). 

Grand  ful-il  longlemps  le  siege  d'un  eveque ,  Ic 
ful-il  jamais?  Rien  ne  le  pronve,  ou  du  moins  les 
auloriles  sur  lesquelles  s'appuio  la  Iradilion  qui  lui 
donne  une  certaine  importance  ecclesiastique,  pen- 
dant les  premiers  siecles,  ne  depassent  pas  le  moyen- 
age  et  sont  sujettes  a  contestation. 

Grand  etait-il  anciennement  conipris  dans  le  pays 
des  Leuquois  (Toul),  ou  dans  celui  des  Lingons 
(Langres)?  Cetle  ville  ful-elle  longtemps  florissante? 
A  quelle  epoque  perdit-elle  de  son  importance  au 
point  de  ne  plus  niarquer  sur  la  tcrre  gallo-romaine? 
On  no  salt.  Des  tentatives  onl  ete  faites,  a  diverses 
epoques,  pour  lui  appliquer  un  nom  antique.  Tout 
recemraent  encore,  dans  un  savant  memoire  qui  a 
ete  lu  au  Congres  scienliflque  de  Nancy ,  M.  Digot, 
avocat  de  cette  ville,  a  propose  celui  do  Grandesina, 
ironque,  suivant  lui,  dans  le  manuscrit  de  Yienne, 
et  Iransi'orme  en  Jndesina  ou  Andcsina,  par  suite 
dc  la  suppression  de  plusieurs  lettres  (2).  La  question 
se  irouverait  ainsi  reduile  a  .a  verification  d'un  fait 


(1)  «  Urbs  Grandis    et  confinium 

<i  Habuit  in   Pontiflcem.  »  Hymn.  1595. 

(2)  Cf.  Congres  scient.  de  France,  xvii^  session,  1850.  —  Re- 
cherches  sur  le  yeritable  nom  et  I'emplacemenl  de  la  ville 
que  la  table  Theodosienne  appellc  Andesina  ou  Indcsina.  — 
Nancy,  Vagner,  l85). 


—  7/1  — 

materiel ;  raalheureusemeDt,  les  savants  no  voient  pas 
lous  de  la  m6me  maoiere. 

Nous  avons  suffisamment  parle  de  Grand  lui-meme; 
revenons  h  noire  lampe. 

Elle  a  conserve  dans  leur  etat  primitif,  et  Ton  y 
voit  encore  attaches  les  chaines  de  suspension  et  le 
crochet,  emunctorium  ,  destine  a  etendre  la  meche  el  a 
la  debarrasser  des  charbons;  elle  offre  ,  en  outre,  le 
remarquable  exemple  d'un  fait  jusqu'alors  unique 
dans  I'histoire  de  I'eclairage  des  anciens. 

Vous  savez  qu'il  exisle,  dans  Fimmense  collection 
des  Studi,  a  Naples,  une  lampe  dimyxe,  liree  des 
fouilles  de  Stabia,  en  1782,  et  dont  I'un  des  bees 
a  conserve  sa  meche  (1).  Ce  n'esl  pas  le  lieu  d'ex- 
pliquer  comment  celte  meche ,  ainsi  qu'une  foule 
d'objels  tres  combustibles,  a  pu  survivre  a  I'envahis- 
sement  des  laves  el  des  cendres  briilantes  d'un  volcan; 
comment  ensuite,  repliee  dans  I'interieur  de  la  lampe, 
elle  s'est  conservee  intacte  pendant  dix-sept  siecles. 

La  lampe  monolychne  de  Grand,  longtemps  enfouie 
sous  lerre  ,  a  rencontre  des  causes  de  destruction 
non  moins  puissanles  :  cependant  elle  possede  en- 
core sa  meche,  comme  celle  de  Stabia  ;  et  de  plus, 
on  I'a  irouvee  remplie  d'une  matiere  dans  laquelle, 
avant  loule  analyse,  les  antiquaires,  avec  leur  sagacite 
ordinaire,  reconnurent  «  une  huile  passee  a  I'eiat  de 
graisse  solide  (2).  »  L'examen  plus  attentif  de  cette 
matiere  et  de  la  meche  qui  I'accompagne  vous  sem- 
blera,  comme  a  moi  ,    j'espere,    de  la   plus  grande 

(1)  Le  Antich.  di  Ercolano,  v.  iii  p.  243.  —  Hercul.  et 
I'ompei,  ser.  iii,   29   et   seq. 

(2j   Annates  de  la  Societe  d'Emulat.   des  Vosges,  l.  vi,    uart, 

•Fe,  1846. 


—  75  — 

imporiance.  C'est  eel  examen  qu'a  pour  objel  le 
raeraoire  doni  je  parlais  en  commeriQaDl,  et  dont 
I'auteur  est  M.  Braconnot,  chimisie  qui  s'esl  fait, 
depuis  longleraps,  a  Nancy^  une  repulaiioa  meritee. 

Suivons-le  d'abord  dans  I'analyse  de  la  meche. 

«  Trailee  par  I'eiher  chaud  el  dessechee  ensuite, 
»  dit  le  meraoire,  elle  est  devenue  d'un  blanc  liranl 
»  legerement  au    fauve  et  d'un   aspect  saline. 

»  Elle  etait  plate,  tres  mince,  tissee  beaucoup  plus 
»  fineraent  que  ne  le  sont  nos  meches  acluelles,  en 
»  sorte  qu'elle  reunissait  loules  les  conditions  desi- 
»  rabies  pour  n'avoir  pas  besoin   d'etre  mouchee. 

»  Examinee  au  microscope ,  elle  a  presenle  des 
»  filaments  cylindriques,  quelquefois  articules,  tels 
»  qu'ils  existent  dans  le  lin,  tandis  que  les  filaments 
»  de  colon  sont  aplalis  et  lordus  sur  eux-meraes.  » 

Nous  avons  tout  lieu  de  regarder  comme  exactes 
I'analyse  el  la  description  de  M.  Braconnot.  Ces  ca- 
racteres  sont,  d'ailleurs,  ceux  qu'on  avail  precedem- 
ment  constates  dans  la  meche  de  Stabia,  si  ce  n'esl 
qu'elle  se  presentail  dans  des  conditions  beaucoup 
moins  compliquees  :  e'elait  un  simple  faisceau  de  lin 
peigne,  non  file,  el  tordu  en  maniere  de  corde  {i). 
La  perfection  remarquable  de  la  meche  de  Grand 
esi-elle  le  resultal  d'un  progres  dans  I'induslrie  par- 
liculieremenl  chargee  de  la  preparation  de  ces  objels? 
Nous  ne  savons;  les  deux  exemples  dont  nons  parlons 
sont  uniques,  il  est  impossible  de  juger  d'apres  un 
aussi  petit  nombre  d'elements.  Neanmoins,  il  est  bon 
de  noter  que  la  lampe  de  Grand  est  poslerieure  de 
deux  ou  Irois  siecles  a  celle  de  Stabia  ;   ainsi  ,  du 

(1)  Here,  et  Pompei,  loc.  oil. 


—  76  — 

moins,  I'ont  jugee  les  archeologues  qui  I'onl  eue 
les  premiers  sous  les  yeux  (\). 

J'arrive  a  la  parlie  du  memoire  qui  concerne  la 
maliere  conlenue  dans  la  lampe.  Les  apprecialions 
de  M.  Braconnot  n'ont  pas  opere,  dans  mon  esprit, 
la  menie  conviction  que  les  precedentes.  II  me  suftlra, 
je  crois,  de  mettre  sous  vos  yeux  le  resuliat  de  ses 
recherches,  pour  rendre  mes  doules  excusabies,  meme 
avanl  que  des  experiences  contraires  et  decisives  aient 
ete  failes  et  les  aient  pleinement  justifies. 

Apres  avoir  enumere  les  caracteres  physiques  et 
chimiques  de  cetle  matiere ,  M.  Braconnot  conclut 
ainsi  :  «  Ce  qui  me  parait  bien  demonlre,  dit-il  , 
»  e'est  que  le  corps  gras  de  cette  lampe  eiait  origi- 
»  nairement  de  la  cire  jaune,  puisqu'on  y  trouve 
»  intactes  la  cerine  et  la  rmjricine ,  ainsi  qu'une 
»  matiere  brune ,  qui,  selon  toule  apparence ,  n'est 
»  autre  que  le  principe  colorant  de  la  cire  d'abeilles 
»  alteree  par  le  temps.   » 

Ces  conclusions  du  chimiste  se  trouvaient  en  oppo- 
sition avec  I'opinion  exprimee  peu  de  temps  aupa- 
ravanl  dans  un  article  des  Annates  de  la  Societe 
d' emulation  des  Vosges  (2) ,  article  que  m'a  commu- 
nique M.  Braconnot  el  dont  je  vous  ai  cite  quelqucs 
expressions. 

Je  ne  m'expliquais  pas  moi-meme  qu'une  lampe 
put  fonclionner  avec  de  la  cire.  Pour  briiler ,  en 
effet ,  avec  un  corps  gras  a  I'etal  solide ,  la  meche 
doit  y  plonger  presque  en  entier  ;  c'est  seulement 
apres  que  h  chaleur  a   forme  autour  d'elle  un  godet 

(1)  Mem.  delaSoc   des  sciences,  lellres,  etc.  de  Nancy,  loc.  cil. 

(2)  Loc.  cit. 


—  77  —  . 

de  matiere  liquefiec  ,  que  celle-ci  peul  imbiber  I'ex- 
iremite  de  la  meche  et  fournir  h  la  combustion.  La 
cire  ainsi  employee  suppose  done  une  sorle  de  lam- 
pion ,  c'est  a  dire  une  lampe  dont  la  forme  presente 
une  patere  sans  couvercle. 

Dans  la  lampe  proprement  dile,  au  conlraire , 
I'extremile  de  la  meche  peul  se  Irouver  eloignee  du 
niveau  de  I'huile  ;  elle  ne  briile  pas  moins  ulilemenl 
et  n'eclaire  pas  moins  pour  cela  ,  parce  que  le  liquide 
destine  a  la  nourrir  monte  de  lui-meme  a  travers 
les  espaces  capillaires  que  presente  le  faisceau  de 
lin  ,  de  chanvre  ou  de  coton.  Si  vous  subslituez  a 
I'huile  un  corps  gras  egalement ,  mais  solide  ,  sans 
modifier  les  autres  conditions  de  I'appareil,  la  meche, 
d'abord  depourvue  d'alimenls  ,  charbonnera  presque 
sans  donner  de  lumiere ;  elle  s'usera  sans  profit  ^ 
jusqu'a  ce  qu'elle  arrive  au  niveau  du  corps  gras, 
c'est  a  dire  au  dessous  de  la  plaque  qui  ferme  la 
parlie  superieure  de  la  lampe.  Elle  ne  tardera  pas 
consequeramenl  h  s'eteindre  ;  ou ,  si  elle  brule  en- 
core ,  ce  sera  sans  eclairer ,  puisque  sa  flamme  se 
trouvera  renfermee  dans  le  corps  de  la  lampe.  A 
quoi ,  je  le  deraande ,  pourra  servir  une  lampe  de 
ce  genre?  Qu'on  y  brule  de  la  cire  ou  loute  autre 
matiere  analogue,  ne  sera-ce  pas  en  pureperle? 

Telle  est  ralternaiive  dans  laquelle  I'analyse  de 
M.  Braconnot  pla^ait,  ci  mes  yeux,  le  jugement  a 
porter  sur  la  lampe  de  Grand,  quand  je  n'avais  pas 
sur  celte  lampe  des  renseigneraenis  plus  precis  que 
ceux  qu'il  avail  bien  voulu  me  fournir  lui-meme. 
Avec  de  la  cire ,  ce  devait  elre  un  lampion  pur  et 
simple ;  sinon  ,  c'elail  un  meuble  parfaitemenl  inu- 
tile ,  quelque  chose  d'incroyable  el  d'absurde.  Je  ne 


—  78  — 

pouvais  admeilre ,  conime  nioyen  terme  ,  que  les 
efforls  du  temps  eussent  allere ,  ou  plulot  melamor- 
phose  une  huile  quelconque  ,  aii  point  de  lui  donner 
les  caracteres  conslilutifs  de  la  cire.  Les  principes 
de  la  chimie  s'opposent  a  ce  qu'il  en  puisse  etre 
ainsi ,  I'huile  et  la  cire  elant  des  produils  de  natures 
differentes.  Tune  vegetale  et  I'autre  animale. 

Du  reste ,  quand  les  decisions  de  M.  Braconnot 
furent  connues,  le  fait  parut  si  extraordinaire  que, 
sous  le  prelexle  qu'il  n'avait  eu  a  sa  disposition 
qu'une  bien  petite  quanlile  de  la  matiere  trouvee 
dans  la  larape,  M.  Jules  Laurent  lui  offrit  de  lui 
en  envoyer  de  nouveau.  Mais  le  siege  de  M.  Braconnot 
elaii  fail ,  il  ue  s'est  pas  soucie  de  le  recoramencer; 
et,  plulol  que  d'examiner  une  seconde  (ois  si  I'analyse 
ne  pourrait  pas  se  mellre  d'accord  avec  la  disposition 
de  I'appareil,  11  a  neglige  les  souvenirs  qu'il  avail 
de  ce  dernier  et  leslement  qualifie  de  lampion  la 
lampe  de  bronze  du  Musee  d'Epinal. 

En  homme  qui  comprend  le  devoir  de  sa  charge, 
le  conservaleur  de  ce  Musee  n'a  pas  voulu  laisser 
dechoir  le  nieuble  interessant  dont  le  depot  lui  elait 
confie.  Senlant  d'ailleurs  I'utilite  qu'il  y  avait  a  eclair- 
cir  un  fait  qui  se  produii  aussi  rarement ,  il  a  bien 
voulu  me  communiquer  tons  les  renseignements  dont 
il  pouvait  disposer,  et  m'envoyer  a  la  fois  un  dessin 
capable  de  faire  apprecier  la  lampe  de  Grand ,  el 
une  portion  de  la  matiere  et  de  la  meche  qu'elle 
renfermail.  Le  dessin  que  je  mets  sous  vos  yeux 
est  incontestablemenl  celui  d'une  lampe  de  la  forme 
la  plus  ordinaire  et  fonclionnanl  avec  de  I'huile  : 
la  qualification  de  lampion  ne  peut  en  aucune  fagon 
lui  convenir.    EUe  porle ,    vous  le  voyez ,    Vemunc- 


—   79  — 

torium  que  je  vous  ai  annonce.  Suppose  que  nous 
eussioiis  de  la  cire ,  que  ferait-on  tic  ce  crochel? 
Comment  scrvirait-il  a  tirer  une  meche  qui  se  Irouve 
engagee  au  milieu  d'une  masse  solide?  Nouvelle 
(lifTicuIte. 

Pretendrai-je  ,  apies  cela  ,  que  la  matiere  dont  je 
meis  sous  vos  yeux  un  echantillon,  est  precisemcnt 
de  i'huile  ct  pas  autre  chose?  Non,  Messieurs.  Mais, 
une  petite  pierre  s'esl  bien  rencontree  parmi  les 
frogmenis  que  jo  vous  presente  ,  il  se  peut  qu'on 
y  decouvre  egaiemeul  de  ia  terre  ;  j'y  verrai  done 
le  residu  de  tout  ce  qu'on  voudra  :  seulemeni ,  je 
crois  avoir  demontrc  I'impossibilite  d'y  trouver  de  la 
cire  ou  lout  autre  corps  gras  solide. 


ro^  t. 


—  83  — 
Leclurc  de  ill.   Waumen6. 


MOUVEMKNT  DE  ROTATION  DE  LA  TERRE , 

D^MONTRfiSOUS  LES  VOUTES  DE  LA  CATHfiDRALE  (1). 

Messieurs  , 

La  belle  experience  dont  nous  allons  etre  les  te- 
raoins  est  deslinee  a  inonlrer  le  niouvement  de  ro- 
tation de  la  terre,  non  pas  ce  mouvement  de  trans- 
lation auiour  du  soleil,donl  ladecouverle  immortalise 
le  nom  de  Galilee,  mais  seulement  la  rotation  auiour 
de  la  ligne  des  poles,  cause  des  alternatives  du  jour 

(1)  L'experience  de  M.  Foucault  a  et^  repetee  dans  la  cathedrale  de 
Reims  ,  en  presence  de  loules  Irs  notabililes  de  la  ,\ille  ,  le  Jeudi  8 
Mai ,    par  M.  Maumen6  ,  a?ec  I'aide  de  MM.  P.  Masse   et  Lechat. 

L'appareil  se  composait  :  d'un  fil  d'acier  iris  fin  (  corde  de  piano 
no  10 )  ,  de  40  metres  de  longueur  ,  el  d'une  sphere  de  plomb  ,  sans 
enveloppe  ,  d'environ  16  centimetres  de  diametre  ,  et  du  poids  de  19 
kil.  82.  Ce  pendule  ,  soutenu  par  una  anse  de  fil  d'Ecosse  ordinaire  , 
^tait  mis  en  oscillation  au  dessus  d'un  cercle  blanc  trace  sur  le  sol 
et  d'un  diametre  de  6  metres.  Le  mouvement  du  pendule  pouvait  etre 
appr6cie  d'une  maniere  exacte  sur  une  table  presentant  une  trentaine  de 
degres  du  meme  cercle  ,  h  la  hauteur  de  25  centimetres  au  dessus  des 
dalles.  Sur  le  bord  interieur  de  celte  table  ,  on  plagait  un  petit  epau- 
lemenl  de  sable  k  aretes  vives.  —  Pendant  la  journee  de  la  veille  ,  on 
avail  fail  osciller  sans  cesse  le  pendule  dans  les  directions  croisees  S 
60  degres  ,  pour  vaincrc  ,  autant  que  possible  ,  toutes  les  resistances 
provcnant  des  inegaliles  de  la  cohesion. 

II  6 


—  8/1  - 

el  de  la  nuit.  Vous  ne  vous  anelerez  pas  a  line 
premiere  impression  d'elonnomeul  :  Si  nous  nous 
reunissons  pour  exccuier  aujourd'hui  cetle  denions- 
iralion  d'une  verile  bien  ciablie  dcpuis  longues  annees, 
vous  remonterez  sans  peine  aux  fondementssur  les- 
quels  on  I'appuie ;  vous  vous  dcmandcrez  si  les 
prediclions  aslronoraiques,  doni  la  ceiliiude  est  des 
plus  eclatanles ,  ne  pourraienl  point  elre  accordees 
avec  d'autres  syslemes  encore  inconnus  ou  lombes 
dans  I'oubli.  Vous  chercherez  un  Tail  simple,  un  fail 
materiel  el  a  la  porlee  de  tous ,  ou  nous  puissions 
voir  une  preuve  du  mouvemenl  de  la  terrc  :  vous 
chercherez  en  vain.  L'experience  de  M.  Foucault 
est  la  premiere  de  ce  genre ,  et  si ,  par  bonheur , 
elle  ne  se  prelail  a  aucune  explication  etrangere, 
vous  y  verriez  un  des  plus  beaux  exemples  de  la 
puissance  des  investigations  scientifiques.  II  faut  le 
dire ,  a  ceux  donl  le  savoir  pourrait  contesier  encore 
les  vues  de  Galilee ,  a  ceux  dont  I'astronomie  mo- 
derne  n'entraine  pas  loutes  les  convictions,  (on  doil 
toujours  prevoir  I'impossible)  l'experience  des  mou- 
vements  du  pendule  ne  semblera  d'aucune  valeur  : 
ces  esprits  forts  y  trouveront  un  argument  en  faveur 
des  deplacements  du  soleil  et  tiendronl,  comme  avant, 
a   rimmobilite  de  la  lerre. 

Vous  le  voyez^  nous  n'allons  pas  recevoir  un  en- 
seignemcnt  direct  el  incontestable  :  uon  ,  nous  de- 
vons  nous  borner  a  regarder  la  deviation  du  pendule 
comme  une  simple  consequence  d'une  theorie  deja 
demontree  ,  comme  un  fail  dont  une  theorie  contraire 
nous  fournirail  au  besoin  I'explication.  —  M.  Fou- 
cault pent  borner  la  scs  pretentions  ;  meme  dans  de 
telles  limites ,  vous  regardercz  encore  son  experience 
comme  bien  digne  de   I'inlerei  general. 


—  85  — 

Veuillez ,  maintenaiil ,  vous  Iranspoitcr  en  idee 
jusqu'aii  pole  el  tuspeiidez  noire  pendiilo  h  un  point 
meme  de  I'axe  de  la  (crre,  puis  demandez-vous  ce 
qui  arrivera  pendant  le  temps  de  ses  oscillations  k 
un  objel  immobile  sur  le  sol?  Tout  le  monde  sent 
I'impossibilite  pour  la  masse  de  plomb  de  cbanger 
d'elle-meme  la  direction  de  son  mouvcmenl  primilif. 
Une  fois  lancee  dans  un  plan  fixe  au  milieu  des  cspaces, 
elle  obeit  bien  a  Taction  de  la  terre  qui  produit 
ses  oscillations ,  mais  qui  ne  peul  non  plus  la  faire  sor- 
tir  de  ce  plan  fixe  ou  elle  denieurerait  elerucllemenl 
agitee  sans  les  resistances  que  i'air  el  le  fil  de  sus- 
pension  lui    opposenl. 

Par  consequent,  I'objel  immobile  sur  la  terre  tour- 
nante  se  dcplacera  conlinuellemenl  par  rapport  au 
plan  d'oscillalion,  et,  en  nous  tenant  aupres  du  pendule, 
en  dehors  du  ccrcle  dont  il  parcourt  les  diamelres, 
nous  suivrons  facilemenl  des  yeux  ce  deplacemenl 
relatif.  11  faudra  seulemcnt  nous  defendre  d'une 
illusion  dont  nous  sommes  souvent  el  malgre  nous 
les  dupes.  Dans  une  voiture  ou  dans  un  bateau  , 
vous  le  savez ,  nous  croyons  d'ordinaire  lenir  a  une 
demeure  immobile  et  les  objets  exterieurs  nous  pa- 
raissenl  seuls  animes  d'un  mouvement  plus  ou  moins 
rapide  :  si  la  voiture  ou  le  bateau  marchcnt  vers  le 
nord ,  les  maisons,  les  arbres  du  dehors  nous  sem- 
blent  courir  vers  le  midi.  —  Pres  du  pendule,  nous 
aurons  a  nous  defier  des  memes  erreurs.  Pendant 
ses  oscillations ,  dont  le  plan  ne  changera  point , 
la  lerre  nous  entraincra  d'occidenl  en  orient,  et  si 
nous  oublioiis  ce  mouvement  de  noire  voiture,  le 
pendule  nous  parailra  seul  emporle  de  Torienl  vers 
Toccident,  de  noire  dioite  a  noire  gauche.,. 
Et   si    nous  alions    eusuile  a  cclte  ligue  comprise 


—  86  — 

enlre  I'hemisphere  nord  et  ('hemisphere  siid  de  la 
terre,  si  nous  allons  a  requaleur  comparer  les  mou- 
vemenls  de  notre  pendule  avec  ceux  du  pole,  oh! 
les  choses  seronl  bieo  changees.  Ou  pourrions-nous 
mainlenanl  trouver  un  point  d'altache  insensible  a 
la  rotation  de  la  terre?  Evidemment  nuUe  part.  II 
faudra  bien  ici  nous  laisser  emporter  lous  ensemble, 
observateurs  et  pendule,  et  marcher  avec  la  meme 
Vitesse  :  alors  plus  de  mouveraents  relatifs,  plus  de 
deplacement  sensible. 

Voulons-nous  maintenani  revenir  a  noire  situation 
acluelle  ,  *a  Reims  ,  un  des  points  intermediaires  enlre 
I'equateur  el  le  pole,  el  essaierons-nous  de  definir 
le  veritable  effet  produit  sur  notre  appareii?  Mon 
Dieu  ,  Messieurs ,  nous  1h  pouvons  sans  trop  de  peine. 
Ne  craignez  rien,  je  ne  vous  demanderai  pas  d'a- 
dopler  la  voie  du  calcul ,  irop  longue,  trop  penible 
peut-6tre ;  un  raisonnement  bien  simple  va  nous 
suffire.  En  effet,  ne  sentez-vous  pas  la  necessite 
d'un  mouvemenl  relaiif  moijen  enlre  celui  du  pole , 
qui  est  egal  au  deplacemenl  meme  de  la  lerre ,  et 
ceini  de  I'equateur,  qui  est  nul  ?  Bien  evidemment  ce 
mouvemenl  doit  exisler,  et  il  existe  :  il  se  prononce 
de  plus  en  plus  en  remontant  vers  le  pole ;  il  dimi- 
nue  de  plus  en  plus,  au  conlraire,  en  descendant 
vers  I'equateur.  Dans  lous  les  points  intermediaires 
comme  Reims  ,  il  y  a  entrainement  de  I'observa- 
teur  el  enlrafnemenl  du  pendule  ;  mais  le  pendule 
resiote :  le  plan  de  ses  oscillations  voudrait  loujours 
rester  parallele  a  lui-meme  el  changer  de  position 
le  moins  possible  :  il  se  depiace  moins  autour  de  sa 
verticale  que  nous-memes  autour  de  I'axe  du  monde. 
Dans  I'impuissance  ou  nous  sommes  de  suivre  des 
yeux  la  translation  de  la  terre  ,    nous  verrons  done 


—  87   — 

uniqucmenl  I'ecarl  dii  pendule  qui  est,  a  Reims,  ex- 
ircmement  considerable. 

Cilons  ici  le  resultat  du  calcul  :  pendant  les  vingl- 
quatre  heures  employees  par  la  terre  a  accompiir  un 
tour  entier  sur  elle-meme ,  le  pendule  accomplit 
seulement  une  parlie  de  cette  rotation  mesuree  par 
le  sinus  de  la  latitude.  En  d'aulres  lermes  ,  a  Reims  , 
dans  la  cathedrale  meme ,  ou  !a  latitude  est  49°,  15' 
15",  le  pendule,  au  lieu  de  parcourir  en  2i  heures 
les  360  degres  du  cercle  ,  alteint  seulement  272°, 
U\  25". 

II  ne  metlrait  pas  moins  de  31  heures,  40',  41'', 
pour  faire  un  tour  complet.  —  Sa  vilesse  n'esl  pas 
aussi  grande  a  Paris  ou  la  latitude  est,  moindre ;  11 
y  exige   31  heures  52',  28",  environ   12'   en  plus. 

Messieurs,  dans  les  reflexions  que  vous  ne  man- 
querez  pas  de  faire  sur  ce  siijet,  vous  renconlrerez 
cerlaines  difTicultcs  dont  M.  Foucault  a  donne  la 
solution.  Vous  vous  demanderez  en  premier  lieu 
comment  la  suspension  du  pendule  pent  6tre  disposee 
pour  n'influer  en  rien  sur  la  tendance  de  notre  sphere 
de  plorab  a  se  mouvoir  dans  des  plans  paralleles. 
Nous  devons  le  dire ,  il  faut  pour  cela  ne  pas  em- 
ployer les  pieces  en  usage  dans  I'horlogerie ;  notre 
pendule  n'est  pas  soutenu  par  un  couieau  sur  des 
plans  metalliques.  Son  fil  est  pince  enlre  deux  pieces 
de  cuivre  parfailement  dressees.  II  sort  d'un  plan 
tres-uni,  bien  horizontal  et  n'est  point  oblige,  comma 
dans  nos  horloges,  de  suivre  toujours  le  meme  plan 
d'osciUation  relatif  a  la  hoite  ou  a  I'armoire  qui  le 
contient.  —  Une  experience  bien  simple  nous  monire 
aisement  I'independance  du  plan  d'osciUation  d'un 
appareil  ainsi  dispose.   Voyez  ,  Messieurs,   ce   petit 


—  88  — 

pendule  attache  h  cc  support  louniant  par  ties  pieces 
semblables  ii  celle  clu  pendule  principal.  Langons-le 
dans  un  sens  precis,  dans  la  longueur  de  la  cathe- 
drale,  par  exemple  ,  el  pendant  qu'il  oscille  ,  faisons 
tourner  le  support;  aucun  changeraent  ne  se  produit 
dans  la  direction  des  mouvements  de  celte  peiite 
boule  de  plomb  ,  et  pourlant  nous  deplagons  bien 
plus  rapidement  noire  support  que  la  terre  n'enlraine 
le  point   d'allache   situe  la-haul 

Neanmoins,  penserez-vous  ensuile,  rexlremile  su- 
perieure  de  notre  fil  est  expose  par  le  mouvenient 
de  la  lerre  a  une  torsion  dont  il  nous  resle  a  lenir 
compte.  Au  premier  abord  ,  celle  torsion  exercee  sur 
un  des  bouts  du  fil  d'acior  parail  devoir  agir  dans 
loule  la  longueur  et  par  consequent  sur  le  plomb 
lui-meme  en  lui  donnanl  une  impulsion  rolaloire  plus 
ou  moins  forte.  Peut-etre  craindrez-vous  la  necessile 
d'altribuer  a  celte  influence,  malgre  sa  faiblesse ,  les 
effels  dont  nous  serons  bienlot  spcclateurs.  —  Heu- 
reusemeni,  nous  pouvons  nous  rassurer  de  la  maniere 
la  plus  complete  par  une  experience  Ires  simple , 
Ires  concluanle,  el  dont  nous  parlerons  avecempres- 
semenl,  car  elle  a  cie  I'origine  de  I'ingenieusc  de- 
couverle  de  M.  Foucault.  Placez  une  verge  d'acier 
cyliudrique  dans  I'axe  d'un  tour  ordinaire  :  fixez  Tun 
de  ses  bouts  ,et  laissez  I'aulre  enlieremenl  libre  : 
mettez  celte  exlremile  libre  en  vibration,  par  exem- 
ple horizonlalemenl ;  puis  tirez  douccment  a  la  main 
la  corde  molrice  pour  enlrainer  I'extremite  fixe  el  la 
verge  entiere,  vous  verrez,  non  sans  surprise ,  que 
les  vibrations  de  Texlrcmile  libre  ne  suivront  pas 
le  mouvcment  et  resleronl  horizontales.  Ainsi,  meme 
dans  une  verge  bien  moins  longue,  bien  plus  rigide 
(jue  notro   fil  de  suspension  ,   la    lorsion    produiie   a 


—  89  — 

UQC  cxlrcmile  dans  un  temps  assez  court ,  n'amene 
aucune  deviation  du  plan  ou  I'aulre  extremite  lait 
ses  oscillations.  Par  consequent ,  nous  n'avons  rien 
a  craindre  ,  el  la  torsion  de  notre  fil  an  point  d'at- 
tache  sera  bien  absolument  sans  effet ,  surtout  pen- 
dant la  duree  de  nos  experiences. 

Nous  pouvons  metire  notre  pendule  en  mouvemcnt 
avec  conliance  ;  sa  deviation  resultera  bien  assure- 
ment  de  la  rotation  de  la  terre ,  el  n'aura  point 
d'autre  cause.  Llle  n'en  aura  point  si  nous  avons 
su  prendre  loutes  les  precautions  convenables  dans 
sa  construction.  A  cetegard,  Messieurs,  nous  devons 
les  plus  vifs  remerciemenis  a  M.  P.  Masse.  Nous 
ne  pouvions  trouver  un  collaborateur  plus  devoue  , 
plus  habile.  L'appareil ,  sorti  tout  enticr  de  ses 
mains,  ne  laisse  rien  a  dcsirer  sous  aucun  rapport 
(vous  en  jugerez  vous-memes),  et  sans  I'extreme 
obligeance  dont  il  a  bien  voulu  nous  faire  profiler, 
nous  n'aurions  pu  realiser  aisement  les  dispositions 
necessaires  pour  fixer  en  vos  esprits  la  conviction 
d'une  verite  si  importante. 

La  mise  en  mouvemenl  du  pendule  exige  une  pre- 
caution tout-i-fait  indispensable.  II  faut  le  placer 
bien  exactement  sous  I'influence  de  la  pesanteur 
seule,  et  ne  laisser  intervenir  aucune  force  acciden- 
lelle.  Nous  ne  pouvons  songer  a  tenir  la  boule  de 
plomb  dans  nos  mains  et  a  la  lancer  en  les  ouvrant  : 
malgre  lout  ,  nous  n'aurions  pas  la  regularile  conve- 
nable.  M.  Foucault  n'a  pas  neglige  de  pourvoir  a 
ce  bcsoin  essentiel.  II  n'a  pas  seulement  le  genie 
des  conceptions  experimcnialcs ;  il  sail  encore  vaincre 
toutes  les  diOicultes  d'execution.  II  nous  a  appris  (car 
rien  ne  nous  apparlient  dans  celte  experience )  ,  il 
nous  a  appris  a  lancer   noire    pendule   on   le  soute- 


—  90  — 

nam  d'abord  par  un  fil  Ires  fin  ,  comme  vous  le  voyez 
en  ce  moment,  et  en  brulanl  le  111  apres  avoir  oblenu 
le  plus  complet  repos.  De  celle  maniere  ,  la  pesan- 
teur  est  son  seul  guide ,  el  vous  allez  observer  ses 
effels  degages  de  louie  influence  etrang6rc.  —  Faul- 
il  enfin  vous  signaler  ces  monticules  de  sable?  ils 
sont  destines  a  6lre  coupes  par  I'aiguille  donl  notre 
masse  de  plomb  est  inferieurement  garnie  :  grace 
a  cetle  autre  disposition  ingenieuse  de  I'inventeur  , 
vous  serez  mieux  frappes  de  la  deviation  par  les 
progres  d'une  tranchee  que  celte  aiguille  agrandira 
sans  cesse. 

Telles  sont ,  Messieurs  ,  les  observations  dont  noub 
devions  vous  entrelenir  ,  et  nous  pourrions  imme- 
diatement  proc6der  h  I'experience.  Permetlez-moi 
celte  reflexion  derniere.  Beaucoup  de  personnes 
s'etonneront  peul-eirc  d'assisler  a  uiie  experience 
de  physique  dans  ce  lieu  si  ^igne  de  tons  nos  res- 
pects. Que  ces  personnes  Veuillenl  bien  y  songer. 
Parmi  les  fails  naturels ,  oil  irouverons-nous  de  plus 
eclatanles  preuves  de  la  puissance  divine  que  dans 
ces  mouveraents  des  aslres  ,  dans  ceile  rotation  de 
la  lerre  dont  nous  serons  certains  tout  h  I'heure? 
El  si  nous  venons  eiablir  ce  grand  fail  en  presence 
de  Dieu  lui-meme  ,  devons-nous  craindre  de  I'of- 
fenser  ?  Non  sans  doule.  Nous  avons  d'abord  mis 
quelque  hesitation  a  solliciter  la  faveur  de  transpor- 
ter ici  notre  appareil  ;  mais  lout  le  monde  compren- 
dra ,  j'en  suis  stir  ,  la  bienveillance  dont  Messieurs 
les  membres  du  clerge  nous  onl  honores  dans  cetle 
occasion  ,  bienveillance  dont  nous  sommes  ires  heu- 
reux  de  les  remercier  publiquemenl. 


REIMS.     —    IMP.    DE    P.    HEOIER. 


La  collection  des  Travaux  de  i'JcadSmie 
de  Reims  parait  tous  les  3  mois  par  cahiers 
d' environ  douze  feuilles  in-8°. 

Prix  de  la  Souscriplion  annuclle:  10  fr.;  par  la  posle,  iS  fr. 

5s'ad,TtsstT  franco, 
A  Reims,  chez.BRissART-BiNET,  Libraire  de TAcademie. 


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TRAVAUX 


DE 


L'ACiDEMIE  DE  REIMS. 


ANN^E  1850-  1851. 
N"   2.    —    TuiMESTRE    DE    JUILLBT    1851 


REIMS 
p.  REGNIER,  IMPRIMEUR  DE  L'ACADfiMIE. 

1851 


SOMMAIRE   DV  NIJMEHO. 


Discours  de  M.  Max.  Sutaine. 

Lecture  de  M.  Bandeville.   —  Compte-rendu  dcs  Iravaux  de 
I'Academie  de  Reims  pendant  I'annie  1850-1851 . 

Lecture  de  M.Henri  Paris. — Rapport  sur  le  concours  de  1831 . 

SCIENCES.  —  Lecture  de  M.  Sornin.  —  De  V Astronomic. 

BEAUX-ARTS.  —  Lecture  de  M-  De  Maiche.  —   Du  hut 
principal  que  I'ondoit  se  proposer  dans  la  culture  des  beaux-arls. 

Programme  des  c[uestions  mises  au  concours  pour  Pannee 
1852. 

Prix  et  medailles  decem^s  par  I'Academie. 

Liste  des  membres  titulaires  et  correspondanls  derAcademie. 

Liste  des  ouvrages  adresses  a  I'Academie  pendant  I'annee 
1830-1851. 

Liste  des  societes  correspondantes  de  I'Academie . 

Table  des  auteurs  pourlesdeux  volumes  de  I'ann^e  1850-1851. 

Table  des  matieres   contenues    dans  les  deux  volumes  de 
I'annee  1850-1851 


t^,Cf  i€^  • 


^1 


TltAVAlX  DE  L'ACADEMlfi  l)E    HEllfS. 

ANNfiE  1851-1852. 
A'"   2.  —  Triinestre  de  Juiltet   1851. 


Riscours  de  SI.  Max.  Sulaine. 


Seance  pubJique  du  3  Jnillet  1851. 


Messieurs  , 

En  celebrant  au  milieu  d'nne  aussi  brillanle 
assemblee  le  neuvieme  anniversaire  de  ses  solen- 
nites  publiques,  i'Academie  de  Reims  eprouve  un 
legitime  orgueil ,  en  m6me  temps  qu'un  profond 
sentiment  de  reconnaissance  pour  son  illuslre  fon- 
daleur,  Soutenue  par  le  liaut  patronage  qui  veille 
sur  ses  destinees ,  entouree  d'une  flatteuse  bien- 
veillance  dont  elle  sent  tout  le  prix  ,  elle  s'est 
efforcee  par  ses  travaux  annueis  de  conquerir  pour 
toujours  son  droit  de  cite  ;  aussi ,  peut-elJe  s'ho- 
ii  7 


—  92  — 

iiorer  dc  compter  desormais  an  nonihro  des  insii- 
lulioiis  rcmoises. 

On  a  dii  quclque  jtarl  ,  il  est  vrai  ,  que  les  palmes 
academiques  fleurissawH  diffkilemenl  a  cole  de  Uolivier 
de  I'induslrie.  Mais  ceUe  pensec  d'nn  de  ces  reveurs 
scepiiques  qui  preteiidenl  lout  souniellre  au  niveau 
de  leur  doulc  railleur ,  cette  pciisee  ,  qui  a  du , 
conime  tous  les  paradoxes ,  oblenir  un  certain 
credit  chez  queliiues  csprits  superficiels  ,  ha- 
tons-noiis  de  le  dire,  n'esl  plus  do  noire  si^cle.  Si, 
a  d'aulres  epoques ,  elle  a  pu  presenter  une  appa- 
rcncc  quelconque  de  verile ,  ce  que  ,  pour  notre 
pari ,  nous  sommes  loin  de  reconnailre ,  nous  la 
repoussons  aujourd'hui  conime  un  mensonge,  commc 
une  calomnie. 

A  qui  fera-t-on  croirc  en  effet  ,  qu'au  temps  ou 
nous  vivons  ,  alors  que  tout  aspire  au  progres ,  au 
progres  qui,  bien  souvenl ,  lielas !  n'esl  qu'une  illu- 
sion; alors,  qu'enlraine  par  celle  agitation  fievreuse 
qui  le  devore  ,  I'liomme  se  precipite  avec  ardeur 
vers  I'inconnu  ,  Tindusirie  seule ,  iufidele  a  sa*mis- 
sion  qui  lui  ordonue  de  marcher  sans  cesse ,  retro- 
graderaii  vers  ces  epoques  de  barbaric  oii  la  routine 
(qu'on  me  permetle  d'em|)loyer  une  expression  con- 
sacree)  ,  ou  la  routine  elail  son  unique  regie,  ou 
la  science  cUe-meme  elaii  quelquefois  obligee  de 
voiler  sos  claries  ? 

II  y  a  longlemps  qu'il  n'en  est  plus  ainsi  ;  il  y 
a  longlemps  que  I'arbre  de  I'indus'rie  el  I'arbrc  de 
la  science  ,  au  lieu  de  se  nuire  ,  se  prctenl  au  con- 
iraire  un  ninluel  appui  ,  enlacenl  elroitemenl  leurs 
rameaux  el  fecondeni  ensemble  Ic  sol  qu'ils  abrilenl 
sous  leur  ombrage  lulelaire. 


—  93  — 

C'esl  qu'il  y  a  longtomps  aussi  que  los  liommes 
intelligenls  qui  sc  livicnt  aux  granclcs  specnlnlioiis 
ont  compris  que,  sans  Ic  scconrs  de  la  science, 
sans  I'aide  des  arts  ,  il  n'y  avail  pas  dc  saint  ponr 
eux.  Piivce  de  ces  deux  auxiliaii-os,  qui  vivenl  a 
Icur  tour  par  clie,  I'industrie,  commc  ces  plantes 
que  no  viennent  pas  coloier  les  rayons  du  soleil,  on 
conime  ces  races  malndives  qui  decrci?sent  rapidemenl 
qnand  nne  salutaire  alliance  ne  vienl  pas  lajeunir 
icur  sang  dcgcnere  ,  Tindusirie  s'etiole  ,  languil  et 
menrl  epuisec  par  le  marasme  de   I'habitude. 

Ou  en  seraient,  par  cxemple,  ies  moyens  de  com- 
munication ,  Ies  voies  de  transport  ,  tons  Ies  grands 
agents  du  commerce ,  si  la  science  n'.nait  pas  fail 
faire  a  la  mecaniqiie  des  progres  fabuleux?  II  y  a 
quarante  ans  a  peine  le  plus  grand  genie  des  temps 
modernes  niait  la  vapeur  ,  et ,  depuis  un  quart  de 
siecle  ,  la  vapeur  a  produit  des  miracles. 

Si ,  dans  celte  lutte  pacifique  ou  le  monde  enlier 
vienl  elaler  aujourd'hui  scs  mcrveilles  ,  il  est  donne 
a  la  France  de  briller  an  premier  rang ;  si  elle  a 
pu  forcer  sa  puissanle  rivale  a  admirer  la  delica- 
lesse  de  ses  ciselures  ,  I'elegante  disposition  de  ses 
riches  etoffes  ,  a  s'incliner  devant  la  superiorite  de 
ses  chefs-d'oeuvre  en  tout  genre ,  c'esl  anx  beaux 
arts  dont  elle  est  devenue  depuis  longtcmps  la  patrie, 
qu'elle  le  doit ;  aux  beaux  arts ,  qui  ont  Irouve 
parmi  nos  ouvriers  si  intelligents  leurs  plus  habiles 
interpretes.  Plus  que  loule  autre,  peul-elre ,  noire 
laborieuse  cite  aurait  le  droit  de  repousscr  comme 
un  non-sens  celle  proposition  paradoxiale  qui  ,  si 
elle  etait  vraie ,  frapperail  de  mort  sa  brillanle  In- 
dustrie. 


-   94  - 

Reims  qui ,  b  touios  les  epoquos  ,  a  genercuse- 
mcnl  paye  son  Iribiil  (I'inlclligGiice  a  la  commune 
palrie  ,  a  conipris  depuis  longiemps  que  sur  la  triple 
alliance  tlu  commerce,  tie  la  science  el  des  arts, 
leposaienl  sa  prosperile  et  son  salut.  La  large  part 
qu'ellc  a  su  sc  faire  dans  le  monde  induslriel,  le 
succes  qui  couronne  les  efforts  de  ses  habiles  ma- 
nufacluriers  ,  elle  sail  qu'ella  les  doil  a  celle  inse- 
parable irinite  qui  a  ses  autels  dans  les  ateliers  aussi 
bien  que  dans  le  cabinet  de  Tariiste  ,  que  dans  le 
laboraloirc  du  savan!. 

Parmi  les  honorables  directeurs  de  ces  nombreux 
elablissements  dont  les  produils  vonl  porter  au.loin 
le  nom  de  noire  inlcressante  Cite  ,  il  n'en  est  pas 
iin  seul  qui  ignore  dans  quelle  condition  d'inferio- 
rile  le  delaissemcut  de  ces  indispensables  auxiliaires 
du  commerce  le  placerait  vis-&-vis  de  ses  concur- 
rents. Malheur  a  celui  qui  ,  ne  puisant  ses  in- 
spirations qu'aux  sources  abandonnces  de  la  routine, 
repousserait  avec  dedain  les  conseils  des  hommes 
d'etude  !  Surpasse ,  distance  par  tons  ,  bientol  le 
spectacle  de  la  prosperile  de  ses  rivaux  rendrait 
plus  poignanls  encore  pour  lui  le  silence  de  ses 
usines  ,  la  solitude  de  ses  ateliers. 

Dieu  merci  !  une  semblable  crainie  ne  peul  nous 
preoccuper  dans  notre  ville  ^  dont  I'industrie  peul 
s'enorgueillir  de  tanl  de  noms  illustres  ;  dans  notre 
ville  ,  qui  a  donne  le  jour  h  Colbert.  Colbert  ! 
Ce  nom  ne  resume-l-il  pas  toutes  les  gloires  indu- 
slrielles  de  la  France?  Quelle  nation  a  vu  naiire  un 
homme  qui  mieux  que  lui  ail  compris  les  forces 
vives  de  son  pays ,  alors  que  ie  pays  iui-meme 
semblait   douter    de    ses   propres   ressources  ,    a   la 


—  95   — 

ftuilo  (le  longs  siecles  peiulniil  lesqiiols  le  briiii  des 
niiiios  avail  lout  domine  ,  alors  que  les  hommes  de 
i>uei"ro  pouvaient  dire  tout  haul  :  Le  pays  c'est  nous? 
L'indiislrie ,  ("rappee,  pour  ainsi  dire  d'oslracisnie  , 
avail  prosque  lioiite  d'clle-memi;,  el  creail  eu  silence 
les  chefs-d'oeuvre  ([u'elle  nous  a  legues  ;  cile  aileu- 
dail  son  Messie.  (lolhert  parul ,  el  hienlol  Tordre 
remplaoa  Ic  chaos,  les  caisses  epuisees  de  I'Eial  se 
romplirenl ,  la  marine  marchande  (ul  creee  ,  ei  le 
commerce  ,  s'il  ne  I'ui  pas  eunobli  encore  ,  I'nl  ac- 
ceple  du  moins  el  reconnu  conime  una  des  plus 
riches  sources  de  [irosperile  de  la  France  !  A  parlir 
de  celie  epoque  ,  on  dtil  compter  serieusemonl  avec 
lui. 

Notre  compalriole ,  il  esl  vrai ,  eut  la  honao  ior- 
lune  de  vivre  sous  un  prince  qui  savail  ai)precier 
lous  les  genres  de  merite.  11  apparlenail  au  -nonar- 
(jue ,  qui,  plus  lard,  devait  defendre  el  proleger 
Woliere  centre  ses  propres  courlisans,  de  coinprendrc 
('olberl  el  le  placer  au  nonibre  des  brilkmis  fieuroiis 
(]ui  donnerenl  lanl  d'eclat  a  sa  couronne.  Maib  alors 
meme  que  la  faveur  eclaireede  Louis  XIV  ne  se  serail 
[tas  eleodue  sur  lui  ,  le  gradd  minislre  ,  coinnie  lous 
les  hommes  que  le  genie  a  marques  de  sa  divine 
empreinte  ,  aurait  su  ,  n'en  doutons  pas  ,  rendre  il- 
luslres  encore  son  nom  el  celui  de  sa  ville  iialale. 

Si  nous  voulions  fairc  rcmonler  plus  haul  encore 
a  nos  souvenirs  le  cours  des  siecles  ,  les  noms 
d'hommes  qui  soutinrenl  dignemenl  I'honneur  de 
I'induslrie  remoise  ne  nous  manqueraienl  pas.  P -ur 
n'en  ciier  qu'nn  seuL  nous  rappellerons  celui  du 
teinlurier  celebre  auquel  la  France  doit  ces  mervei!- 
leuses  tanisseries  qui   le  dispuienl  en  perleciion  au\ 


—  96  — 

tableaux  iles  plus  grands  rnailros  ,  el  foul  le  dcses- 
poir  des  aulres  nalions. 

En  londanl,  sous  Francois  I",  le  magnilique  ela- 
blissement  qui  porle  son  nom  ,  devenu  depuis  long- 
lemps  universal ,  Gobelin  conslalait  des  le  xvr  siecle 
la  superiorile  de  noire  induslrie  dont  I'acUvile  ne 
s'est  pas  ralenlie,  et  dont  I'eclat  ne  s'esl  pas  terni 
depuis  ceite  epoque. 

Toules  les  grandes  villes  de  commerce  pouiraienl 
sans  doutc,  a  leur  tour,  invoquer  a  I'appui  de  noire 
raisonnemenl  la  lisle  des  grands  ciloyens  nes  dans 
leur  seiu ,  et  il  ne  serail  peul-elre  pas  difficile 
d'arriver  a  celle  demonslraiion  que  c'esl  des  grands 
centres  industrials  que  s'elevent  les  esprits  les  plus 
eclaires,  les  plus  serieux.  La,  en  effel^  le  travail 
devieni  un  besoin  ,  une  habitude  ;  il  est  necessaire 
a  la  vie,  comme  Fair  qu'on  y  respire;  et  la  aussi, 
pour  rappeler  un  mot  celebre ,  I'oisivete  est  plus 
qu"un  vice  :  c'esl  une  faule.  Puis ,  elargissani  le 
cercle  de  nos  consequences  ,  nous  parviendrions  sans 
peine  a  celle-ci^  que  «  C'esl  precisemenl  aussi  dans 
les  grandes  cites  de  commerce  que  les  Socieles  aca- 
demiques  deployent  le  zele  le  plus  soulenu.  »  Les 
preuves  ne  nous  manqucraienl  pas  a  i'appui.  En- 
trainees  ,  en  effet ,  par  I'exemple  de  celle  iocessanle 
activiie  qui  s'agite  autour  d'elles ,  elles  liennent  a 
honneur  de  ne  pas  se  laisser  depasser  ,  et  marchent 
en  iivanl  d'un  pas  plus  ferme.  De  telle  sorte  que  , 
enlre  la  science  el  rindasirie  ,  eutre  le  preceple  el 
son  application,  enlre  la  iheorie  el  la  pratique  ,  entre 
les  hommes  qui  rendenl  de  grands  services  an  pays 
et  ceux    qui    font  leur   hisloire  ,    regno   celle  noble 


—  97   — 

eiinilalion  d'ou  jaillii  la   liin;!iere  ,  d'ou  nail  le  voii- 
(ahle  prog  res. 

Loin  (le  nous  done  ceux  qui  preten<!raient  que, 
dans  les  villes  de  coaimerce  ,  les  Socieles  scieiiii- 
fiqiies  el  li'leraires  ne  sauraienl  prosperer  ;  loin  de 
nous  ceux  qui  repeleraieiil  (jue  les  pabnes  academiqucs 
ne  peuvent  fleurir  a  cote  de  I'olivier  de  I'indiislrie. 
L'evideuce  des  fails  ferait  rendre  justice  de  celle 
calomnie. 

Nos  laborieuses  et  inlelligentes  ciles  n'avaient  cerles 
nul  bcsoin  de  nos  (aiblcs  accents  pour  se  re!e\er 
de  la  declicance  dont  pietendrait  les  frapper  uu  in- 
jurieux  paradoxe.  II  y  a  dans  I'exislence  des  villes 
et  des  insiilulions  utiles  quelque  chose  de  plus  fori 
que  la  voix  des  hommes  pour  les  defendre.  Elles 
onl  les  glorieux  souvenirs  du  passe  [)our  les  en- 
courager  et  les  soulenir ;  elles  out  devanl  elles  le 
vasle  champ  de  I'avenir  ouvert  a  loules  les  ame- 
lioralions.  Cest  sur  ce  terrain  sans  horizon  el  sans 
liuiiles  que ,  se  tenant  par  la  main  comme  deux 
soeurs  inseparables  ,  la  science  el  I'induslrie  devroni 
loujours  se  relrouver  ensemble.  C"esl  sur  celie  voie 
sans  tin  ,  iracec  par  la  Providence  el  qui  mene  au 
perfecliouuement  ,  qu'elles  devront  marcher  sans 
cesse  en  se  prelant  un  muluel  appui.  Leur  union 
fera  leur  force  et  assurera  leur  succes. 


98  — 


LcduiT  (Ic  M.  Bandeville, 

SECRET  AIRE-GENEBAL. 


COMPTE-RENDU 

DES  TRAVAUX   DE   l'aCAD^MIE    DE   REIMS 
PENDANT    l'aNN^E    1850-1851. 


Messieurs  , 

En  adoplant  celte  devise  ,  qui  indique  le  but  de 
ses  travaux ,  servare  et  augere ,  conservalion  et  pro- 
gres,  I'Academie  de  Reims  ne  se  dissimulaii  pas 
qu'elle  s'imposail  une  grande  lache.  Mais  aussi , 
ne  craignons  pas  de  le  dire,  depuis  son  origine 
jusqu'a  ce  jour,  I'Academie  n'a  rien  neglige  pour 
se  mainlenir  a  la  hauleur  de  la  mission  qu'elle  s'esl 
donnee.  Garder  religieuseraeni  lous  les  souvenirs  du 
passe,  donl  notre  pays  est  si  riclie;  publier ,  pour 
les  sauver  de  I'oubii ,  tous  les  documents  qui  se 
raltachent  a  noire  hisloire  ;  rassembler ,  pour  les 
arracber  a  la  destruction ,  les  vieux  et  precieux 
debris  qui  conslalent  I'elai  des  arts  chez  nos  de- 
vanciers  ;  respecter  les  saines  traditions  de  la  lit- 
lerature  ,   ot  les  mettre  a  I'abri  <le  I'empielement  de 


—  09  — - 

I'afl'eierio  cl  dii  niauvais  gout  :  c'est  ainsi  qu'elle 
inlerprele  ce  mol  servare.  Reveiller  parloul  le  gout 
de  I'elude  et  ramour  dii  travail ;  encouragcr  tons 
les  efforts  louables  ;  provoquer  dcs  recliorcht-s  siir 
tout  ce  qui  peut  amencr  des  ameliorations  dans 
I'agricullure  ou  I'induslrie ,  dans  la  condition  des 
ouvriers  el  des  pauvres  ;  se  niettre  en  relation  avec 
les  savanls  de  lous  !es  pays,  pour  proliler  de  Icurs 
luniieres ;  accueillir  loutes  les  decouvertcs  ,  pour  les 
etudier  ;  faire  connailre  loutes  les  inventions  utiles  , 
pour  les  propager  :  c'est  ainsi  qu'elle  entcnd  le  pro- 
gres ,  augere.  Voila  ce  que  fait  I'Academie,  depuis 
prcs  de  dix  aiis ,  ses  differentes  publications  I'at-- 
lesienl ;  voila  ce  qu'elle  a  tail  encore  cello  annee  , 
j'espere  vous  le  faire  voir. 

Les  questions  agricoles ,  pen  nomhreuses  celle 
annee  ,  out  eu  plus  particulieremenl  pour  objel  la 
culture  dcs  bois.  M.  Ozerai  nous  a  enirelenus  des 
forels  des  Ardennes,  el  Ic  capiiaine  Bouvarl,  appuye 
sur  I'experience ,  nous  a  indique  la  nieilleure  me- 
lliode  a  suivre  |tour  rajeunir  les  vieilles  forels  dont 
rabsouchemenl  a  besoin  d'etre  renouvele.  —  M.  Bon- 
norael,  cure  de  Pon'faverger ,  qui  s'occupe  de  I'edu- 
calion  des  abeilles ,  nous  avail  adresse  ,  il  y  a  quelque 
temps,  un  petit  ouvrage  dans  lequel  il  faisail  con- 
nailre el  la  melhode  qu'il  avail  suivie  jusque  la  ,  el 
les  resullats  qu'il  avail  oblenus  ;  M.  Lechat ,  quia 
examine  ce  memoire  ,  le  regarde  comrne  un  veritable 
iraile  sur  la  maliere,  et  le  croit  Ires  utile  [)Our  guider 
les  personnes  qui  veule  it  se  iivrer  a  ce  genre  d'oc- 
cupaiion. 

Mainlenant  je  voudrais  pouvoir  vous  transporter 
dans  la  voule  celeste,  el  vous  y  faire  a<ln)irer  loutes  les 


—  100  — 

choses  curieuses  que  nous  y  a  raontrees  M.  Sornin  ; 
mais  je  craindrais  de  m'avenlurer  en  m'elevani  aussi 
haul ;  j'ainie  niieux  le  laisser  parler  lui-meme  ;  nous  ne 
craindrons  p;;s  de   nous  egarer  en    le   prenaut    pour 
guide.  —  Je  voudrais  encore  vous  faire   connailre  le 
moias  imparlaiiemenl   possible    Tinleressante  disser- 
tation de  M.  Jamiu  sur  les  sources  de  la  lumiere  ci 
de  la  clialeur ;  ir.ais  il  n'en  resle  de  traces  que  dans 
la  memoire  de  ceux  qui  ont  eu  Tavantage  de  I'en- 
lendre  ;  et  la  mienne  est  trop   inlidelc   pour  que  je 
me  hasarde  a  denalurer  les  paroles  du    savani  pro- 
fesseur  en  cherchnnt  a  les  analyser.  —  Reslons  done 
lout  simplemenl  sur    la   terre ,    et   jelons   un  coup 
d'oei!  sur  la  belle  carte  geologique  du  deparlemont 
de  la  Marne ,  drcssec   par   deux  de  nos  corri'spou- 
dants  ,   MM.  Sauvage   el  Buvignier.    Nous   liouvons 
dans  ce  travail ,  non  seulement  la  perfection  ,  Fexac- 
lilude  ,  les  details  qui  rendent  si  precieuses  les  caries 
du  Depot  de  la  guerre  ,   mais  encore  les  diflerenles 
natures  de  lerres  plus  ou  moins  fertiles  qui  sont  a  la 
superticie  de  noire  pays,  et  les  nombreuses  ricliesses 
mineralogiques  qu'il  renfernie.  —  Je   passe  rapide- 
ment  sur  une  assez  curieuse  communication  faile  par 
M.  Maumene  d'un    ver   planaire   d'uue  grande   lon- 
gueur ,  irouve   a    Reims   par  des  pecheurs   dans  les 
mailles  de  leurs  lilets^    pour    arriver   plus   lot   aux 
produits  pharmaceutiques  ,  alimentaires  et  industriels 
oblenus  par  M.  Grandval ,  d'apres  une  raeihode  de 
son  invention.    !l  avail   ele  jusqu'ici    bien  difficile  , 
ou  plulot  impossible,   de    conserver  sans  alteration 
un  grand  nombre  de  substances   qui  doivent  entrer 
dans  les   medicaments  ,   ou  servir   a  ralimentalion  : 
de    la    une   mullilude    de    privalions    penibles ,    de 


—  iCl   — 

la  aussi  rincllicacile  tie  bien  des  remedes.  Rii  des- 
sechaiii  ces  substances  par  un  piocede  nouveaii  , 
M.  Grandval  est  parvenu  a  leur  conservei' ,  pour  un 
lemps  iiidelini  ,  loules  leurs  qualiles,  saveur,  aionie, 
couleur,  etc.  I)u  lail  el  du  bouilloii ,  qu'il  nous  a 
presentes,  apres  plusieurs  mois  de  conservalioii,  ot 
qu'ii  a  remis  duns  leur  eiat  nalurel  avec  aulani  de 
pion:[)titu(ie  que  de  facilile  ,  ne  nous  o;U  pas  permis 
de  revoquer  un  insiant  en  doule  I'excellencc  de  sa 
inelhode.  Ainsi ,  dans  un  voyage  de  long  cours,  les 
inarins  peuvenl  avoir  dans  loule  leur  purele  des 
aliments  qu'ils  ne  connaissaient  plus  ,  el  eviter  bien 
des  maladies  doul  celle  priviition  etait  cause.  Ainsi 
les  medecins  ,  plus  surs  des  remedes  qu'ils  ordon- 
neronl ,  seront  aussi  plus  surs  des  eirels  qu'ils  peu- 
venl en  altendre.  L'Academie,  apprecianl  loule  I'iin- 
portance  de  celte  decouverle  ,  decerne  a  Tin vcn leur 
une  medaille   d'argenl  de  premiere  classe. 

Un  docteur  en  medccine  ,  M.  Seure  ,  nous  a  en- 
voye  ses  observations  sur  le  cholera  qui  a  desole 
le  village  de  Suippes  du  15  juin  au  28  decembre 
•1849.  Les  maladies  qui  servirent  comme  de  prelude 
a  Tepidemie ,  I'apparition  du  fleau  meme  ,  sa  mar- 
che ,  d'abord  lenle  el  bienlol  rapide^  sa  periode 
de  decroissance  ;  les  causes  qui  parurenl  le  deter- 
miner dans  un  grand  noml)re  de  cas ;  les  viclimes 
qu'il  enleva ,  celles  qu'il  se  conlenia  de  frapper  d'une 
maniere  plus  ou  moins  grave;  les  remedes  qui  onl 
ete  prescrils  ,  les  resultats  qui  onl  eie  obtenus  ,  le 
docteur  n'omet  rien  de  ce  qui  pent  aider  a  I'etude 
d'une  maladie  qui ,  jusqu'ici  ,  parail  avoir  pris  a 
tache  de  deconcerter  la  science  elle-memc.  M.  Lan- 
douzy  ,   apres    avoir    completed    ses   observations  de 


—   102  — 

I'aunee  piecedeuie  sur  la  coexisleiice  de  raiiianiost^ 
el  tie  la  nephrite  albiimineuse  ,  cl  sur  rexaltalion 
de  rouie  dans  la  paralysie  dii  nerf  facial ,  nous  a 
rendu  comple  des  decouverlcs  recentf^s ,  faiies  par 
M.  Bernard  ,  Lnireal  de  I'lnKtimt  ,  sur  I'aclion  dii 
pancreas  dans  la  digestion  des  graisses  vegetalos  on 
aniraales,  et  sur  I'existence  dans  le  foie  du  sucre 
a  I'elat  normal.  II  nous  a  monlre  quel  pas  immense 
ont  fait  faire  a  la  science  ces  deux  decou varies 
operees  presque  en  m6mc  temps  par  le  meme  au- 
leur ,  el  quelle  influence  elles  doivent  avoir  sur 
certaines  parlies  de  I'hygieue  cl  de  la  medecine.  — 
Un  savant  docteur ,  M.  Grange  ,  avail  ele  charge  par 
le  Gouvernement  de  faire  I'hisloire  geographique  du 
goitre  ,  d'eludier  les  causes  de  celte  trisle  affection  , 
el  les  moyens  d'en  preserver  les  populations.  Ce 
savant  avail  cru  devoir  allribuer  la  cause  du  goitre 
h  la  presence  de  la  magnesie  dans  les  alimenls  tu 
dans  les  boissons  ;  et  pour  cela  il  s'appuyait ,  non 
seulement  sur  fes  propres  observations  ^  niais  encore 
sur  celles  de  piusieurs  geologues  de  France  ,  de  Suisse 
el  de  Piemont.  M.  Maumene  nc  parlage  pas  eel  avis : 
aux  lemoignages  invoques  par  M.  Grange^  il  en  op- 
pose d'autres  non  nioins  formels  ^  nolammenl  cciui 
d'un  medecin  de  Grenoble  ;  aux  observations  du  doc- 
teur ,  il  oppose  les  siennes  ;  ni  les  eaux  de  lieims  , 
qu'il  a  analysees  ,  ni  le  sol ,  qu'il  a  bien  etudie  ,  ne 
contiennenl  aucune  parlie  de  magnesie  ;  el  pourlant 
le  goitre  a  ele  Ires  commun  a  Reims  ,  si  on  en 
croii  les  anciens  docleurs  du  pays,  qui  declarenl, 
en  1746,  «  qu'il  u'y  a  pas  de  ville  en  France  ou 
Ton  trouve  plus  de  goitres  »  avec  tanl  d'autres  ma- 
ladies   non    moins    affreuses  ,     qui    sord    reformees 


—  103   - 

aiijoiird  hni  comme  aulam  d'abus  de  I'ancien  regime. 
M.  Landouzy,  sans  altaqiier  los  experiences  de  M. 
Maiimenc,  pense  qu'ellcs  peiivent  en  qiielque  sorle 
se  concilier  avec  celles  de  M.  Grange,  pnisque ,  si 
le  premier  declare  qu'il  n'y  a  point  de  magnesie  dans 
les  eaux  du  pays  ,  le  second  recoiinait  qu'il  n'y  a 
point  non  plus  de  goitres  a  I'etat  endemique.  Quant 
a  nous,  content  d'avoir  indique  le  point  en  discus- 
^ion  ,  nous  dirons  avec  le    poete  latin  : 

Non  nostrum  inter  tos  tantas  componere  lites- 

Ne  quiitons  pas  les  sciences  medicates  sans  men- 
lion  ner  la  communication  faile  a  1' Academic  par  M. 
Baudesson ,  veteriuaire  ,  d'un  cas  de  fievre  inter- 
millenle  observee  chez   le  cheval. 

C'est  a  M.  Sornin  que  nous  devons  la  premiere 
notion  de  la  belle  e:iperience ,  faile  par  M.  Leon 
Foucaull ,  I'our  demonlrer ,  au  moyen  du  pendule, 
le  mouvement  diurne  de  la  lerre  :  experience  que 
ions  les  savants  de  la  capilale  oni  admiree  au  Pan- 
theon,  el  qui  vient  d'etre  renouvelee  dans  la  cathe- 
drale  de  Reims  par  MM.  Lechal  et  Maumene.  —  M. 
Landouzy  nous  a  fait  connailre  les  avanlages  d"uu 
compensalenr  invente  par  M.  Pecheloche,  d'Epernay  , 
pour  reglerle  raouvemenl  des  montres,  compensalenr 
admis  aujourd'hui  aux  honneurs  de  I'exposition  de 
Londres.  —  M.  Lebrun  ,  directeur  de  I'Ecole  des 
Arts ,  nous  a  fail  apprecier  ce  qu'il  y  a  de  vraiment 
utile  dans  diverses  inventions  de  M.  Caillel  ,  fondeur 
a  Chalons,  iuvenlions  qui  consislenl  en  un  appareil 
portalifpour  les  bains  de  vapeur  ;  une  pompe  fou- 
lanle  el  aspiranle  pour  les  arrosements  el  les  epui- 
sements;   une    pompe  a  incendie  qui   peul   penelrer 


—  106  — 

an  l)ftsoin  dans  I'interieur  des  balimenls.    En  consi- 
deration des  services  que  peuvenl  rciidre  ccs  appa-  (\ 
rcils  ,  rAcaderaie  decerne  a  xM.   Caillel  une  medaille  | 
d'argent.   —  'i.  Maillel  nous  a  fait  pari   de  qiielques  i 
{lecouverles  donl  la  realisation,  s'il  est  possible,  doit  ■ 
aniener  une  revolution  ,   heurense   ceile   fois ,   pour 
le  commerce  el  I'induslrie ,  sur  tons  les  points  du 
globe.   Cost  d'abord  nn  moyen  de  mnlliplior  los  piiils 
arlesicns ,    de  les   uliliser  comme   mode   d'irrigalion 
dans  les  campngnes ,    el   comme  force  molrice  dans 
les  usincs   et  les  manufactures  ,   de  maniere  a  rem- 
placer  la  vapeur  el  eviler  les  depenses  et  les  accidents 
qu'elle  occasionne.    C'est   ensuite  nn    precede   pour 
donner    a    ces  memes  pnils   une  grande  dimension 
qui  leur  permetle   d'alimenler,    non    seulemenl    les 
pelils  cours  d'eau  ,    mais  les  canaux  el  les  rivieres 
navigables,  de  feconder  les  craies  de  la  Champagne  , 
et   meme  les  deserts  de  TAfrique  ,    en  les  arrosant 
par  de    larges  fleuves.    Nous  allendons,  pour  nous 
rejouir    de    cetle    decouverte  ,    qu'elle    ait    regu    la 
sanction  de  I'experience.    —  Je   ne  suivrai   pas  M. 
de  Maiziere   dans   ses    reflexions    sur    une   brillante 
experience  d'oplique,  moins  encore  dans  la  direction 
des  vaisseaux  aeriens  :  je  craindrais  pour  moi  le  sort 
du  presomptueux   Icare. 

J'altends  ,  pour  vous  parler  dc  la  legislation  que 
le  meme  savant  propose  sur  les  brevets  d'invenlion, 
le  rapport  que  doivent  faire  ceux  de  nos  confreres 
qui  sent  charges  de  I'examen  de  ce  travail.  —  J'ar- 
rive  au  Paracasse.  Qui  n'a  pas  entendu  parler  de 
cet  appareil  invenle  par  notre  laborieux  confrere 
pour  preserver  de  la  casse  et  du  coulage  le  vin  de 
Champagne   a    I'epoquc    oil    il    forme  sa    mousse , 


—  105  -- 

appaiei!  qui  doit ,  suivant  les  calculs  de  Taulcnr , 
saiiver  chaqiie  annee  de  la  dcslriiclioii  la  valour 
moyemic  de  six  millions  de  francs?  Si  ces  calculs 
voiis  paraissenl  exageres ,  vous  ne  reftisercz  pas  dii 
moins  d'admellre  cciix  de  M.  Maumene ,  qui,  dans 
iin  rapport  consciencieux  ,  declare  que  le  benefice 
net  produil  par  le  paracasse,  dedticlion  faiie  de  lous 
les  IVais  J  doit  eire  ,  an  minimum,  de  •10,000  fr. 
par  lirage  de  100,000  houleilles.  On  s'etonne  qu'en 
presence  d'un  lei  resullal,  le  paracasse  ne  soit  pas 
encore  en  usage  dans  loulcs  les  maisons  de  com- 
merce;  nous  ne  dirons  pas,  avec  un  de  nos  mali- 
cieiix  confreres  ,  que  les  negocianls  onl  un  grand 
inlerel  dans  la  casse  de  leurs  houleilles  ,  nous  aimons 
mieux  croire  qu'ils  s'eirraienl  d'une  depense  dont  les 
avanlages  ne  leur  paraissenl  pas  encore  assez  certains. 
Nous  les  prierons  done  ,  avec  rAcademie  ,  de  vouloir 
bicn  pioceder  a  une  nouvelle  experience  sur  cct  ap- 
pareil  ,  de  manicre  a  elablir  la  verite  complete  sur 
les  avanlages  de  son  invention.  —  Tandis  que  M, 
de  Maizicre  Iravaille  a  nous  conserver  le  produit  de 
nos  vigneSj  M.  Velly  chcrche  ,  au  moyen  de  la  dis- 
tillaiion,  a  nous  faire  connailre  ce  qui  en  determine 
le  bouquet,  ce  bouquet  si  varie  ,  qui  permet  aux 
amaleurs  de  connailre,  en  savouranl  nos  vins,  non 
seulement  le  lieu  d'ou  ils  provieuucnt ,  mais  aussi 
I'annee  ou  ils  onl  etc  recollcs.  —  Disons  encore  quo 
nous  devons  a  M.  Maumene  une  note  sur  I'emploi 
des  sulfates  d'alumine  dans  la  leinlure  ;  et  passons 
a  I'economie   politique. 

Ici  encore,  aussi  bieu  que  sur  le  terrain  de  la 
science  et  de  I'induslrie,  nous  renconlrons  M.  de 
Maiziere ,     toujours    fecond  ,     toujours     infatigable. 


—   106   — 

lanlol  ce  sonl  cies  qiieslious  brulaiilcs  qu'il  irailo 
avoc  calme  et  le  sang-froid  du  philosophe ;  tanlot 
c'esl  la  question  Malthusienue,  dont  il  pense  entre- 
voir  la  solution  scienliflque  ,  solution  qui  doii  assu- 
rer, selon  ses  calculs ,  une  longue  serie  de  siecles 
a  I'existence  heureuse  de  rhumanite  sur  la  terre ; 
lanlol  il  examine  quelles  modifications ,  dans  les 
raoeurs  publiqucs  el  privees  ,  paraissent  devoir  elre 
le  plus  favorables  au  progres  de  ragricullure,  el  a 
la  moralile  comme  au  bien  elre  des  populations  agri- 
coles.  Le  soulagemenl,  le  bien-elre  nieme,  des 
classes  pauvres,  c'est  ce  que  |)Oursuit  notre  venerable 
confrere  avec  une  ardeur  vraimenl  digne  de  succes. 
A-t-il  trouve  la  solution  de  eel  interessanl  probleme? 
Nous  croyons  pouvoir  en  douter;  mais  nous  dcvons 
lui  savoir  gre  de  I'avoir  chercbe. 

En  matiere  de  jurisprudence,  M.  Masse  nous  a 
fail  apprecier  le  merile  des  oeuvres  de  M.  Troplong^ 
et  s'est  arrele  plus  specialemeni  sur  son  commentaire 
du   litre  du  contral  de  mariage. 

Dans  une  analyse  lilteraire  el  philosophique  des 
ouvrages  couronnes  par  I'Academie  fran^aise,  comme 
les  plus  utiles  aux  moeurs,  M.  E.  Arnould  a  par- 
couru  devant  nous,  donnanl  a  cbacun  la  juste  pari 
de  critique  ou  d'eloge  qu'il  merile  la  Morale  sociale 
de  M.  Adolphe  Garnier,  puis  quelques  opuscules 
composes  pour  les  enfanls  par  Mesdames  de  Bawr, 
Desbordes-Valmore ,  Marie  Carpentier,  el  de  Mont- 
merque.  —  A  la  vue  de  celle  guerre  plus  ou  moins 
sourde  livree  de  louies  parls  aux  veriles  religieuses 
et  morales,  un  courageux  ecrivain  s'esl  leve  pour 
en  prendre  la  defense.  De  sa  plume,  non  moins 
bardie  que  facile  ,  M.  I'abbe  Chassay  a  fail  sorlir  une 


—    107  — 

sericdo  Irailes  polemi(iues,  donldeux  onl  dejii  ele  exa- 
mines par  nos  confreres.  Le  premier,  la  Purele  du 
cceur,  que  M.  Tourneur  nous  a  fait  connaiire,  a 
pour  but  de  combatlre  ie  scnsualisme,  malgre  I'appui 
que  lui  prete  une  trop  funesle  litleraiure,  el  d'en 
f^iire  V(tir  les  trisles  consequences.  Le  second  ,  le 
Mxjstichme  catholiqne,  analyse  par  M.  Gainet,  abor- 
de  les  questions  les  plus  delicales  du  christianisme, 
et  fait  justice  des  attaqucs  soulevees  sur  ious  ces 
points  par  la  legerele  ou  la  malveiilance.  —  Avec 
aulant  de  courage  que  le  professeur  de  Bayeux^  M. 
Gainet  s'est  charge  de  la  rude  tache  de  soumettre 
a  la  critique  les  Iravaux  historiques  de  M.  Guizot, 
nolammcnt  ses  deux  Histoires  de  la  civilisation  en  Eu- 
rope el  en  France.  Ni  la  reputation,  ni  le  genie  de 
Tauleur  n'ont  effraye  notre  confrere  :  tout  en  rendant 
un  juste  hommage  au  talent,  il  sail  relever  I'erreur 
parloul  ou  il  la  rencontre;  il  ne  crainl  pas  de  faire 
voir  a  Tillustre  ecrivain  que  les  doctrines  anarchiques 
et  subversives  qu'il  combat  aujourd'hui  dans  son  livre 
de  la  Democratie ,  son\  la  consequence  necessaire  de 
celles  qu'il  a  emises  precedemment  dans  ses  aulres 
ouvrages. 

M.  Sornin  ,  descendant  un  jour  des  hauteurs  de 
la  science  ,  n'a  pas  dedaigne  de  faire  une  excursion 
dans  les  terres  de  I'archeologie;  il  est  alle  visiter 
les  champs  ou  furent  Orval  ;  Orval ,  nagueres  le 
rendez-vous  de  tous  les  arts  ,  aujourd'hui  amas  im- 
posanl  de  ruines  !  M.  Sornin  nous  a  exquisse  rapi- 
dement  I'histoire  de  cette  cclebre  abbaye ,  dcpuis 
le  jour  ou  un  evenement  touchant  la  fit  naitre  , 
jusqu'au  moment  ou  elle  disparut  profanee  par  I'or- 
gie  ,  devastee  par  le  pillage  ,  devoree  par  les  flammes. 
II.  8 


—  108  — 

—  W.  Duqucndle  a  Diis  sous  nos  yeux  d'aulres  de- 
bris beaiicoup  raoins  altrislants:  ce  sont  difTereols 
objeis  d'aniiquite  decouveris  dans  le  pays  de  Reims 
pendant  I'annee  1850.  Parmi  ces  monumenls  du 
lenops  passe,  selrouvenl  quelques  monnaies  gauloises, 
!es  unes  en  plomb,  les  autres  en  or,  donl  M. 
Maumene  a  bien  voula  analyser  le  melal  pour  en 
apprecier  I'alliage.  M.  Duqueuelle  a  fixe  plus  parli- 
culierement  notre  altenlion  sur  une  riche  trouvaille 
de  pieces  d'or  <lu  xv"  siecle,  laite  sur  la  place 
publique  de  Villers-Alierand,  trouvaille  que  deja  je 
vous  ai  aiinoncee  I'annee  derniere.  —  Le  meme 
anliquaire  nous  a  rendu  compte  d"un  ouvrage  de 
M.  de  Fontenay,  ayant  pour  tilre:  Nouvelle  etude  de 
jetons.  —  Une  chaussure  antique,  tissue  dor  el  or- 
nee  de  dessins  mauresques,  avail  ele  presentee  a 
I'Acadeniie  par  M.  Morlier-des-iNoyers,  qui  la  destinail 
au  Musee  de  la  Ville.  Celte  chaussure,  suivanl  le 
donaleur,  eiaii  entr6e  dans  sa  faraille  par  suite  du  sac 
de  Burgos,  en  1809,  et  provenaii  de  la  tombe  de 
Sanche  I,  roi  d'Aragou ,  morl  en  1094.  Mais  voici 
venir  M.  Loriquet,  qui  s'avise  d'inspirer  des  doutes 
sur  i'aulhenlicite  dc  cetie  relique.  Pour  cela,  ii  nous 
transporte  a  Burgos ,  nous  y  promene  d'eglise  en 
eglise,  de  mouastere  en  monaslere,  examine  devant 
nous  touies  les  sepultures,  lit  toutes  les  epitaphes, 
el  nous  fail  remarquer  que  pas  une  ne  porlc  le 
nom  de  Sanche,  que  des  rois  ne  furent  inhumes  a 
Burgos  qu'a  une  epoque  beaucoup  plus  recente;  d'ou 
il  conclul  que  Teloffe  susdite  ne  peut  provenir  d'une 
lombe  royale  sans  perdre  son  antiquite,  Mais  en 
echangc  de  celte  noble  origine ,  qu'il  lui  conlesle , 
ii  consent   a  lui  en  donner  une  anirc.   plus  ilhisiro 


—  109  — 

peiil-elrc:  il  en  chausserail  assez  voionliers  uiie  des 
jamhes  dii  Cid  ou  de  son  Ills.  II  esl  vraimpnt  fa- 
clieux  que,  sur  ce  poinl,  les  rcnscignemciits  du  savant 
archcolognc  ne  soienl  encore  que  des  soiip^ons.  — 
Noire  confrere  qui,  comme  vous  le  savez  ,  a  lon- 
guement  eUidie  les  divers  appareils  do  I'eclairage 
antique  ,  nous  a  donne  le  dessin  et  les  dimensions 
d'une  sortc  de  lampe  de  bronze  decouverte  au  bourg 
de  Grand,  dans  les  Vosges.  Mais  une  chose  Ta  vive- 
menl  preoccu|)e  .  aussi  bien  que  le-;  savants  de  Nancy, 
qui  avaient  deja  examine  celtc  decouverte  :  h  quel 
usage  pouvait  servir  celte  lampe?  Etait-elle  alimentee 
avec  de  I'huile  ou  bien  avec  du  suif?  Eiai!-Cv>  une 
lampe  ou  tout  simi>Iement  un  lampion  ?  C'est  un  pro- 
bleme ,  donl  M.  Maumene  doit  un  jour  nous  donner 
la  solution. 

La  science  historique  ne  possedail  jusqu'ici  que 
des  lambeaux  d'histoire  de  I'Asie.  M.  Oppert  nous 
a  donne  les  moyens  d'agrandir ,  sinon  de  completer 
sur  ce  point  nos  connaissances,  el  de  prendre,  pour 
ainsi  dire.  I'histoire  meme  sur  le  fail,  en  eludiant 
les  inscriptions  primitives  du  pays,  qu'il  appelle  ins- 
criptions cnneiforraes,  et  donl  il  nous  a  decrit ,  de- 
chiffre  et  iraduit  plusieurs  fragments  imporlants.  — 
Etudier  I'epoque  la  moins  connue  de  noire  histoire, 
le  disicme  siecle  ,  depuis  I'origine  jusqu'a  I'accom- 
plissement  de  la  revolution  capetienne  ,  tel  est  le  but 
que  se  propose  M.  Mourin.  En  retragant,  dans  son 
introduction,  I'^tat  politique  el  litleraire  d;'  la  France 
durant  celte  periode ,  il  a  esquisse  a  grands  traits 
le  fond  du  tableau  sur  lequel  il  doii  grouper  ses 
differents  personnages;  deja  meme  il  a  fail  appa- 
railre  celui  d'entre  eux  qui  doil  lui  servir  de  guide  : 


-    HO   — 


jc  veiix  dire  le  inoiue  Richer ,  noire  compalriole , 
qui  a  commence  a  Reims  cede  elironique  precieuse 
longlemps  perdue,  longiemps  ignoree,  que  I'AIIe- 
niagne  vienl  cnfln  de  nous  reveler.  —  Un  de  nos 
correspondanls,  M.  Azais ,  appuye  sur  celte  pensee 
ijue  I'hisloire  des  langues  est  la  base  de  celle  de^ 
nations ,  s'est  servi  de  la  laiigue  basque ,  coinme 
d'un  lil  conducleur,  pour  remonler  a  I'origine  des  an- 
ciens  Ligures,  el  suivre  les  traces  de  leur  transmi- 
gralion.  II  a  lrouv6,  dans  los  noms  qu'ils  ont  semes 
sur  Iciii"  loule,  le  long  dos  coles  de  la  Medilerranee  , 
depu  s  les  Pyrenees  jusqu'aux  Alpes ,  el  plus  loin 
encore  ,  la  j,reuve  qu'ils  sont  parlis  de  I'Espagne  pour 
aller  s'elablir  en  Italic.  —  Ai-je  besoin  de  vous  rap- 
peler  ce  Manuel  de  Vhistoue  des  Conciles,  dont  jc  \ous 
ai  rendu  corapie  il  y  a  plusieurs  mois,  ol  qui  a  ou\erl 
a  son  auleur,  M.  Guerin,  les  pones  de  I'Academie. 
—  La  plus  douce ,  la  plus  belle  portion  de  noire 
lache  ,  csl,  sans  conlredil,  de  conserver  la  menioire 
des  (loms  chers  aux  sciences  el  aux  lellres ;  aussi 
nous  remercions  MM.  Deces  el  Robillard,  le  premier, 
de  nous  avoir  inilies  aux  details  les  plus  iniimes  do 
la  vie  de  Duquenelie,  jadis  chirurgien  en  chef  de 
I'Holel-Diou  de  Reims;  le  second  ,  d'avoir  jcie  devanl 
nous  les  fleurs  les  plus  gracieuses  comme  les  plus 
suaves  sur  la  lombe  de  M.  Massolin,  ancien  profes- 
seur  de  rhelorique  an  lycee  de  Caeu. 

Pendant  que  chez  nous  la  lillerature ,  devenue  vul- 
gaire ,  court  loules  les  rues,  M.  Robillard,  qui  veul 
du  rare,  est  alle  en  chercher  jusqu'en  Turquie.  Mais 
qu'y  a-t-il  Irouve?  De  I'eloquence  ?  Non  :  le  fanatisme 
y  parle  pen  ,  cc  qu'on  appellc  la  justice  y  parle  moins 
encore.    De  Thisioire?  Non  ;  mais  des  hisioricns  qui 


—  Ill  — 

se  ressemblent  lous  «  par  le  vide  tie  la  poiisee  el  la 
pompe  emphatique  du  langage.  »  De  la   poesie?  Oui, 
et  beaucoiip;   c'esl   comme   la    languc    nalurelle   du 
inusulman ;  poesie  loiile  parfumee  d'ossence  dc  rose, 
(|ui  pejil  inventer  nn   cliarmant   apologue,  soupirer 
one  lendre    elegic  .   mais  qui  n'inspirera  jamais   une 
epopee   Aux  yeux  de  M.  Iloliillard,  I'Orieui,   qui  ii'est 
plus  la  j)airie  des  aris,    le    pays  des  enchanlemenls 
ct  des   I'eeries,   la  scene  des  evenemenls  iragiquos  , 
rOrient  est  passe   a  I'etat  de  clirysalide  ,   el  prepare 
sa   ci'ise  de  iraustbrmalion.  —  Eu   aitendani  (ju'elle 
soil  operee ,  reveiions  chcz  nous,  pour  eludier,  avec 
M.  Forneron,  nos  faculies  liileraires   Suivant  I'autcur, 
le    genie    lilleraire   parail  avoir  irois  mauifeslalions 
principales,     et    s'offrir    a    I'apprcciation  sous    Irois 
phases    diverses ,   la    sensibiliie,   rimagination  el   la 
raison.  Si  chacune  de  ces  faculies   veul  agir  separe- 
ment,elle  produira  difticilement  une  oeuvre  de  quel- 
que  merile ,  ce  n'esl  que  reunies    quelics    peuvent 
enfanler  des  chefs-d'oeuvre  dans  tous   les  genres.  — 
Je  vous  enlretiendrais  du   comple   que  nous  a  rendu 
M.  de  Mellel  du  congres  lenu  a  Paris  par  les  delegues 
des  socieles  savanles  des  deparlemcnls,  si  notreCom- 
pagnie,  dont  noire  digue  President  a   fait   valoir  les 
Iravaux ,  n'y  avail    reQu    des    eloges    que    nous   ne 
pouvons  repeler,  sans  craindre  d'etre  taxes  d'orgueil. 
—  Je  vous    parierais   du    travail    sur   les  Proverbes 
contestes  et  constesfables ,    envoye   par    M.    Lorin,    et 
examine  par  M.    Pierrel,   puis  aussi  de  I'Essai  sur 
les   noms  de  Jean,    leannin,    Genrn,  et  aulres  noms 
regardes  comme  injurieux    par  le    meme  auieur,   si 
je  n'avais  hale  d'arriver  a  la  poesie. 

La  poesie!  Qui  done  y  pensc  aujourd  hui?  aiijour- 


—  112  - 

(i'hui  (jiio   tons  les  esprils  sonl  dislrails  par  les  dis- 
cussions   poliliques ,    ou    absorbes   par   le    soin  ties 
inlerets  mat^riels !  Les  muses  eherchenl  avant    loul 
I'ombre  des  bois ,    le  silence  dos   champs ;   elles  ai- 
meni   los  fleurs,   la   verdure,   le  beau  ciel;  elles  re- 
doulenl  I'ennui  des  chifi'res,  la  fumee  de  la  vapL'ur, 
le  bruit  des  machines;   elles  se  cachent,  elles  s'en- 
fuient  a    I'aspect  des   orages.    Toutefois,    au  milieu 
des  preoccupations  generales  il  est  encore  des  morlels, 
privilegies,  a  qui    Dieu  donne    des    loisirs,   et    qui 
peuvenl  s'occuper  de  vers.  Car  M.   Midoc  nous  a  fait 
remarquer  le  nombre  et  le  merite  des  oeuvres  poeli- 
ques   couronnees  ou  publiees   I'an    passe  par    I'Aca- 
demie  des  Jeux  floraux.  —  Un  poete  anonyme,  sous 
le  litre  de  Souvenir  du  6  Novembre  4850 ,  a  chante 
ce   beau  jour  de  fete,  ou  toute  une  population  dans 
I'enlhousiasme  courait  au  dcvant  d'un   prelat  bien  ai- 
me,  que  ses   verlus,  sa  science  venaient  d'elever  a 
la  pourpre  romaine.  —  Dans  un  elegant  apologue, 
M.  Robillard  a  peint,  sous  les  traits  d'un  cerf-volant, 
I'orgueil    du    parvenu,   qui,  une  fois    eleve,   oublie 
irop  facilement  la  ficelle  qui  le  soutieut.  —  Un  pro- 
ces  intente  au  sujet  de  certains  mefails  atiribues  a 
trois  oiseaux    parleurs,    el  qui   se   termine    par    la 
pendaison   toute  naturelle,  sinon  des  coupables,   du 
moins  de  tous  ceux  donl  on  se  plaint,  telle   est  la 
raaiiere   d'un  joli    conte   que  M.    Violette   a   intitule 
La  justice  normande. 

Pour  nous  offrir  une  trnnsition  facile  de  la  poesie 
aux  beaux  arts,  nous  trouvons  fort  a  propos  le  remois 
Baussonnet,  a  la  fois  poete  et  dessinaleur,  dont  M. 
Sutaine  nous  a  rappele  le  double  merite  ariistique 
et  lideraire.  Dans  une  autre  notice,  M.  Sutaine  nous 


—  113  — 

a  parle  d'Edme  Moreau  ,  qui  prela  a  Baussonnet  Ic 
>ecoiirs  de  soti  burin  ,  et  qui  iravailla  loiigtemps  a 
ReiiDs  et  pour  Reims,  aussi  n'hosite-l-il  ^  le  placer 
parmi  ies  artistes  remois ,  bien  qu'ii  soil  Chalonnais 
d'origine. 

Dans  I'expose  que  je  viens  de  fairs  de  nos  (ra- 
vaux  ,  vous  avez  sans  doule  remarque  I'absencc  de 
plusieurs  noms  que  je  vous  citais  I'annee  derniere. 
C'est  que  depuis  cette  epoque  I'Academie  a  fail  de 
grandcs  perles.  Des  savanls  dislingues ,  des  magis- 
trals erudits,  avaient  ele  envoyes  a  Reims  pour  y 
exercer  diflerentes  fonclions;  nous  avions  eie  heu- 
reux  de  Ies  accueillir  pour  nous  appuyer  de  leurs 
talents.  Mais  la  main  qui  nous  Ies  avail  preles  nous 
Ies  a  repris,  notammcnt  celui  qui  Fan  passe  presi- 
dait  celle  solennile  litleraire.  De  !a  se  sotil  faites 
dans  nos  rangs  de  nombreuses,  de  regrellablcs  la- 
cunes.  Ces  lacunes,  il  est  vrai ,  ont  ele  bienlot  com- 
blees  par  d'autres  savants  qui  ont  repondu  a  noire 
appel;  mais  nous  eussions  aime  a  rccevoir  ceux-ci 
sans  avoir  a  perdre  eeux-la.  11  ne  pouvait  en  elre 
ainsi.  Qu'il  nous  soil  du  moins  perrais  d'esperer 
que  Ies  premiers  conlinueront  encore  a  nous  aider  de 
leurs  lumieres ,  que  Ies  seconds  s'empresseront  de 
nous  donner  leur  concours,  et  que,  de  loin  comme 
de  pres ,  nous  trouverons  toujours  cliez  tous,  ce  que 
nous  leur  promettons  a  noire  tour  ,  Ies  sentiments 
d'une  veritable  fralernite. 


ll/l  — 


Leclurc  de  M.  Henri  Paris. 


KAPPORT  sun  LE  CONGOURS  DE  1851 


Messieurs , 

Plus  heureuse  que  les  irois  annees  precedenles , 
I'Academie  a  regu  celte  fois  des  raemoirf^s  sur  presque 
loutes  les  questions  mises  au  concours  pour  I'annee 
4851.  —  C'est  le  comple-rendu  de  rexamen  de  ces 
concours  que  voire  bienveiilance  ra'a  charge  de  vous 
presenter  en  cetle  solennile. 

La  premiere  question  que  vous  aviez  proposee 
traitait  de  VHistoire  de  la  commune  de  Reims.  II 
s'agissait  de  determiner  quels  etaienl  a  I'origine  les 
pouvoirs  des  echevins,  el  quelles  en  furent  les  varia- 
tions successives. 

«  En  meltanl  au  concours  Thistoire  de  I'Echevi- 
nage  remois ,  dit  M.  Girardin  dans  le  rapport  special 
qu'il  vous  a  fait  sur  celte  question  ,  I'Academie  ne 
demandait  pas  aux  candidats  de  reunir  quelques  lieux 
communs  sur  les  municipaliles  du  moyen-age  ,  et 
sur  leur  lulte  contre  la  feodalite  ,  elle  desirait  que 
les  documents  sur  I'hisloire  de  Reims  fusseni  com- 
pulses avec  soin  ,  et  que  ces  maleriaux  ,  heureusement 


—   115  — 

icunis  par  une  main  savanie  ,  piissenl  servir  de  base 
a  uii  recit  melhodique.  Vous  coraprenez  lous,  ^!es: 
sieiirs  (je  continue  a  citer  noire  confrere  M.  Girar- 
(lin) ,  que  je  fais  allusion  a  la  publication  de  Tbis- 
toire  de  Dom  Marlol  et  des  arcbives  administraiives 
et  legislatives  de  la  ville  de  Reims  ,  par  le  savant  et 
regrettable  iM.  Varin.  Jamais  Ics  circonslances  n'ont 
ete  plus  favorables  pour  remuer  I'histoire  de  cette 
ville.  Grace  a  ces  prccieuses  publications^  on  peut 
determiner  maintenanl  avec  assez  de  precision  quelle 
elait  la  juridiclion  episcopale  ,  la  juridiclion  du  cha- 
pitre  ,  la  juridiclion  municipale  ;  comment  elles 
luilereni  cntre  elles  avanl  de  subsister  simultane- 
ment ;  comment  enfin  la  royautc  iniervint  d'abord 
par  les  appels  du  parlement ,  plus  tard  par  les  baillis, 
et  enfin  par  la  creation  d'otliciers  de  police  relevant 
directement  du  roi.    » 

Un  seul  memoire  vous  a  ete  adresse  sur  celte 
question  si  pleine  d'interet  pour  I'hisloire  locale  ,  et 
dont  I'Academie  elle-meme  avail  facilite  I'exanien  a 
I'avance  par  I'lmportanie  publication  de  Dom  Marlot. 
Mallieureusement  I'auteur ,  au  lieu  de  se  reporter  aux 
documents  speciaux  aujourd'hui  mis  a  la  porlee  de 
tous  ,  s'est  jete  dans  des  generalites  qui  rappellent 
un  pen  les  bancs  de  I'ecole,  et  a  ainsi  perdu  de  vue 
le  veritable  objet  de  la  question  meme.  On  volt  que 
les  materiaux  lui  ont  manque ,  et  que  les  faits  lui 
ont  ete  incompletement  connus. 

Sur  les  conclusions  de  voire  Commission  (1),  vous 

avez  decide  que  le  prix  ne  pouvait  pas  etre  decerne. 

La  seconde  question  ,   relative  a  V Assistance  publi- 

(•)  MM.  et   Girardin  ,  rapporteur. 


—  116  — 

que,  (lomandait  nn  projet  d'orgnnisalion  tin    s  rvice 
saiiiiaire  ponr  les  indigents  des  campagnes. 

L'auleur  dn  memoire  portanl  pour  epigraphe  Com- 
muni    utilitati  conmlere    debemus ,   a    paru   a   voire 
Commission  (1)    avoir  rempli   a   peu  pres   los   con- 
dilions  du    programme.     Toiilefois ,    le   cote   prati- 
que,  c'esi  a  dire  le  cole  le  plus  embarrassant  peut- 
elre  de  la  question,  n'a  pas  ete  suffisamment  ahorde. 
Comment  arriver  a  Torganisalion  de  ce  service  sani- 
laire  d'une  fagon  reguliere ,  permanente,  sinon  avec 
des  ressources  fixes  et  dont  le    renouvellemenl   an- 
nuel soil  assure  a  i'avance.   L'auteur  est  resie  a  cet 
egard  un  peu  Irop  dans  les  probabilites  et  les  espe- 
rances.  Les  moyens  qu'il   propose  ne  sont  assis  que 
sur  des  donnees  incertaines ,   des   bases  Irop  varia- 
bles ,  pour  que   Ton   puisse  compter  sur  une  appli- 
cation immediate  et   soutenue.   Le  cote   foible  indi- 
que ,  il  faut  reconnaitre  de   suite  que  l'auteur    s"est 
place  des  le  debut  et  est   reste  jusqu'a  la   fin    a  la 
hauteur  du  sujet,  et  que  son  memoire,  ecrit  avec 
soin ,   empreint  de  pensees  justes    el    morales  ,    est 
digne  d'eloges  et  d'encouragement     On   y    reconnait 
une  etude  serieuse  de  la  question  ,    une    recherche 
approfondie    des  divers  essais   tenles    a   ce  jour.     II 
conticul  d'utiles  renseigneraents  sur  quelques   com- 
munes du  departemeni ,  et  notamment  sur  Plivot  et 
Damery,    ou   auraient  ete    fails  quelques  pas    dans 
celte  voie  ouverle  par  les  voeus  de   lous. 

Aussi  avez-vous  juge ,  avec  voire  Commission  , 
qu'il  y  avail  lieu  de  decerner  a  l'auteur,  M.  Leforl, 
medecin    a    Damery ,     une    medaille     d'argent     de 

(i)  MM   Landouzy.   I'abbe  Gainet  et   Deces  ,  rapporteur. 


—    M7  — 

piciiiierc  closse.  Voiis  avez  jiige  oiissi  qne  ceUc 
qucsiioi),  si  emiiicmmciU  pliilanlhropiqiie  ,  serait 
maitiienue  ;iu  concours  de  1852,  en  emclianl  le 
voeii  que  I'auleur  du  memoire  ,  encourage  ceUe  an- 
nee  ,  poursuive  ses  etudes  ,  el  ,  qu'a  I'aide  de  nou - 
velles  rechcrches ,  il  arrive  a  tronver  les  moyens 
durables  d'assurer  aux  indigents  des  campagnes  la 
distribution  de  secours  aussi  prompts  qu'edicaces  et 
economiques.  L'Academie  serail  heureusc  de  pouvoir 
recommander  a  la  sollicilude  de  Fadministration  un 
sysl6me  d'organisalion  qui  atteindrait  un  pareil  but. 
Trois  questions  d'economie  agricole  avaient  ete 
proposees ;  la  secondc  scale  a  ete  traitee. 

11  fallait  indiquer  les  moyens  pratiques  d'amener 
rapidement  a  I'elat  de  culture  ordinaire  du  pays  les 
lerres  incultes  ou  en  friche  ,  connues  en  Cbampagne 
sous  les  noms  vulgaires  de  terres  usagercs  ,  trios  el 
savarts. 

L'auteur  du  memoire  que  votre  Commission  a  du 
examiner  n'a  pas  cru  que  la  question  put  6tre  reso- 
lue.  Amener  en  pen  de  temps  ces  terrains  h  I'etat 
ordinaire  de  culture,  lui  pnrait  une  oeuvre  di/fkile , 
el  il   ajoiite,  pour  ne  pas  dire  impossible. 

Dans  un  travail,  ou  se  revelent  d'ailleurs  unc 
grande  experience  et  des  eludes  inlelligenles  et  sui- 
vies ,  il  n'hesile  pas  a  presenter  la  plantation  en 
bois  des  terrains  inculles  comme  le  moyen  le  plus 
pratique  de  leur  mise  en  culture.  Ce  moyen  depuis 
longtemps  connu  ,  el  employe  avec  succes  ,  mais 
n'amenanl  de  resultals  que  dans  un  temps  fort  eloi 
gne,  ctail  place  en  dehors  de  ceux  donl  TAcademie 
appellailla  decouverte.    Aussi  se  borncr  a  cxposer  ce 


—  118  — 

moycii  J  donl  Ics  effels  lardifs  avaicnl  preciseiueii 
ini-pire  la  qiieslion  tHo-meme,  n'etait-ce  pas  !a  re- 
soudre.  I/aiileiir  I'a  si  bieii  conipris  lui-meme  qu'il 
declare  on  commcnQanl  son  Iravail  ne  pas  repondre 
direclcmciil  a  la  question  posee.  Voire  commission 
a  done  dii  se  borner  avec  regret  par  I'organe  de 
M.  Goda,  son  rapporteur  (1),  a  signaler  a  votre  atten- 
tion les  renseignements  utiles  donnes  par  rauleur, 
pour  retenduc  el  la  nature  des  lerres  incultes  de  la 
Champagne  ,  sur  les  depenses ,  les  regies  ,  les  re- 
sultals  de  leur  plantation  en  liois  el  a  mentionner 
honorablenienl  son  Iravail  dans  le  Compte-rendu. 
Mais  elle  n'a  pas  pense  que  la  question  fut  aussi 
insoluble  que  le  suppose  I'auteur ,  el  a  raison  de 
son  importance  elle  sous  a  demande  de  la  main- 
tenir  au  programme  des  concours  pour  la  premiere 
annec. 

Vous  avez,   Messieurs,   adople  ces  conclusions. 

Sur  la  question  de  litleralure,  I'Academie  a  re^u 
un  meraoire  fort  volumineux  portanl  pour  epigraphe 
cette  phrase  de  M.   Ampere: 

«  Si  Ton  faisail  I'hisloire  de  noire  ancienne  lit- 
leralure par  provinces ,  celles  qui  liendraient  le 
premier  rang  seraienl  la  Norn)andie  el  la  Cham- 
pagne. » 

On  demandail  aux  concurrents  de  suivre  les  pro- 
gres  et  les  developpcments  de  la  langue  Frangaise 
en  Champagne,  d'apres  les  auteurs  de  cette  province, 
depuis  le  xii*  siecle  jusqu'a  nos  jours. 

La  aussi  corame    pour    la  question    d'hisloire  les 


(i\  MM.  Saiibinet,  Derode  et  Goda. 


—  119  — 

ponrces  ol)on(laienl.  Depnis  Clirctien-le-Champonois 
jiis(|ira  Lafonlaine  ci  nieme  au  dela  tin  xviH"  sioclo 
il  eiail  facile  de  saisir  et  constaler  dans  los  nom- 
breux  ecrivains  qui  ont  iliustre  noire  province  ,  la 
naisanco,  los  developpcmenls  el  les  revokiiions  sue- 
cessives  de  noire  idiome  nalioi;al.  Apres  avoir  clier- 
ch ;  coinn/C  point  de  depart  dans  le  melange  des 
races,  I'origine  et  la  formation  de  la  langne,  les 
concurrents  ponvaient  en  relever  avec  siicces  la  pre- 
miere expression  connue  dans  le  Perceval^  le  Lancelot 
et  les  aiitres  changons  de  Chresticn  de  Troves. 
Poursuivanl  au  xiii"  siecle  leurs  recherciies,  ils  !a  trou- 
vaieiit  s'epurant,  se  perfeciionnant  et  arrivanl  a  nne 
snperiorile  (jui  le  disputail  a  la  languo  meme  du 
Danle,  dans  la  prose  si  naive,  si  expressive^  si  bardie 
de  Vilk'bardoin,  el  de  Joinvillf,  dans  les  poesies  si 
fraiciies  ,  si  delicates  el  si  gracieuses  dn  Comle  de 
Champagne,  d'Auboin  de  Sezanne,  de  Marie  de 
France  d  de  lanl  d'aulres.  Avec  le  xiV  siecie  com- 
men^a  unc  revolution  dans  la  langue  ,  qni  en  altera 
la  naivcic  et  I'elegance  primitive,  el  la  jela  dans 
nne  confusion  telle  qu'il  senible  qu'on  ail  vonlu  la 
refouler  jusqu'ii  son  berceau.  Cost  alois  que  naquil 
CO  genre  allegoiique  et  pedanlesque  du  roman  de 
la  Rose,  el,  commc  dit  Sainte-Benve  ,  de  sa  menue 
monnaie  relournee  et  disiribuce  en  cent  facons  ; 
epo(ine  do  decadence  ,  oii  Ton  retrouve  encore  avec 
boidieur  les  lormes  originales  dans  les  ballades  de 
Guillaume  de  r^lachault ,  les  poesies  d'Kusiache  Des- 
champs  ,  les  dogmaiiques  cl  les  ceuvrcs  morales  de 
Gerson  ,  les  potits  poemes  de  Guillaisine  Coqnillart 
el  les  ecrils  de  Juvenal  dcs  Ursins.  Nous  toucbons 
a  la  renaissance.  Amadis  Jamyn,  I'elevc  de  Ronsard  , 


—  120    — 

le  saljriqne  Jean  Passerat  ,  siiccesseur  de  Ramus  , 
Pierre  Pilliou ,  I'lin  des  piincipaux  auteurs  de  la 
Satyre  Menippee,  Pierre  Larivey ,  procurseur  de 
iMoliere,  represenlent  la  Champagne  dans  cc  siecle 
de  lullc  el  d'agilalion  oii  la  bonne  eloculion  fran- 
C-aise  Unit  par  Teraporler ,  malgre  Ronsard  et  sa 
cabale.  Ronsard, 

Dont  la  muse  en  francois  parlant  grcc  et  lalin  , 
Vit  dans  I'age  suivant  ,  par   un  retour  grotesque  , 
Tomber   de   ses  grands  luols  le  fasle  pedanlesqiic. 

Enfin  ,   Malherhe  vint. 

C'esl  alors  que  s'ouvre  la  grande  epoque  de  la 
langiie  et  de  la  litteralure.  En  meme  lemps  qne 
le  preceple  Irouve  dans  la  fille  immorlelle  de  Ri- 
chelieu, son  legislaleiir  el  son  soulien ,  I'exemplc 
suit  el  parfois  devance  le  preceple  lui-meme.  Dans 
celte  merveilleuse  expansion  du  genie  de  la  langue  qui 
se  continue  jusqu'a  la  fin  du  xviii*  siecle,  la  Champagne 
revendique  avec  gloire  au  dessus  de  loutes  ses  dhis- 
irations  eecondaires  le  cardinal  de  Retz  ,  Lafunlaine 
el  Racine ,  donl  un  seul  suffirail  pour  placer  au 
premier  rang  la  province  qui  les  a  produils.  A  cetle 
ere  de  la  bonne  eloculion  succedenl  les  lemps  mo- 
dernes  ,  ce  qu'cn  a  deja  appele  la  periode  des  neo- 
francais.  Jamais  a  aucune  epoque  on  n'aura  plus 
parle  ,  on  n'aura  plus  ecrit.  Peul-elre  n'est-ce  pas 
une  raison  pour  mieux  ecrire  ,   pour  mieux  parler? 

Mais  arretons-nous ,  car  la  question  posee  par 
I'Academie  s'arrele  la.  Quel  sujet  vasle,  grand  , 
plein  d'ailachemenl  el  d'inlerel !  Et  encore  a'avons- 
nous  indique  nu'une  pariie  de   ses  ressources  et  de 


—  121   — 

ses  riciiL'Sses  ?  L'aulcur  du  menioire  ,  donl  I'epigra- 
|)lie  ie(j()iidail  si  bioii  au  sujel ,  I'a-l-il  aiiisi  com- 
|)iis ,  I'a-t-il  aiusi  iraile?  Un  inslaiil ,  Messieurs, 
voire  Conmiission  tn  a  con^u  I'orgueilleux  espoir. 
Bieii  (|ue  I'auleur  so  soil  peul-e(re  un  |)eii  plus 
occiipc  de  !a  liltciralure  que  de  !a  languc  ^  du  loud 
que  de  la  ibnne  ,  bien  que  diverses  de  ses  appre- 
ciations aienl  pu  soulevcr  quelqucs  objeclions  et 
quelques  critiques  ,  cependanl  dans  I'ensemble  , 
dans  les  details  ,  par  les  rechercbes ,  I'erudiiion  dont 
son  travail  faisait  preuve ,  le  style  varie  ,  souvent 
cleve  ,  qui  en  disiinguait  plusit-urs  parties ,  il  nous 
paraistait  a  premiere  vue  digne  du  prix  que  vous 
aviez  a  decerner.  Mais  celle  variele  meme  el  celte 
disiiuclion  du  style  qui  faisait  I'un  des  principaux 
oriunients  du  memoise,  vous  causaienl  peu  a  peu 
une  certaine  surprise  ;  ei  un  second  cxamen  meltail 
bienlot  a  nu  de  frequents  emprunts  fails  a  divers 
aiiteurs  ,  qu'ou  avail  sans  doule  omis  de  noler. 
L'oeuvre  devenait  alors  comnie  une  mosaiqnc  patienle 
el  recbercbee  de  citations.  II  aurail  fallu  du  moins 
en  signaler  les  sources,  a  peine  de  rappeler  I'une 
des  fable:;  d'un  des  plus  grands  interprcles  de  noire 
langue  ,  et  de  ne  pouvoir  decemraent  etre  couronne. 

Aussi,  Messieurs ,  votre  commission  vous  a-t-elle 
propose  de  passer  outre. 

J'arrive  a  la  derniere  question  ,  celle  d'econoniie 
induslrielle.    EUe  elail   presentee  eii  ces  lernies  : 

luvenler  un  appareil  propre  a  eviler  les  graves  in- 
conveuieuls  que  presenle  au  point  de  vue  bygicni- 
que  le  fourneau  babiluellemenl  employe  [)ar  les  pei- 
gncurs  de  laine. 

(I)  MM,  I'ienet ,  Delan  cl  li.  Paris. 


—  122  — 

Cel  appareil  clevra  etre ,  disait  le  programme,  d'un 
prix  peu  eleve,  d'un  emploi  economique  et  egale- 
ment  applicable  aux  usages  domesliques  et  indus- 
trials. 

Vous  vous  rappelez,  Messieurs,  que  I'annee  der- 
niere  cetle  question  figurait  deja  au  programme  des 
concours  el  que  M.  Chevalier,  pour  ces  essais,  re- 
cevail  a  pareille  epoque  une  medaille  d'enconrage- 
menl.  Dans  le  cours  de  la  nouvelle  annee  M.  Che- 
valier a  pcrfectionne  son  appareil ,  on  peut  meme 
dire  qu'apres  bien  des  essais,  il  I'a  completlement 
modifie,  et  que  celui  qu'il  presente  aujourd'hui  est 
lout  a  fail  nouveau.  11  se  compose  d'un  poele  de 
fonle  de  forme  carr6e  et  oblongue,  dispose  a  I'iute- 
rieur,  de  fa^on  a  chauffer  irois  paires  et  demie  de 
peignes  a  la  fois,  et  a  une  chaleur  convenable  pour 
ne  pas  jaunir  la  laine. 

Les  peignes  se  trouvent  places  par  des  ouverlures 
praliquees  sur  le  devanl  et  les  coles,  au  dessus  d'un 
foyer  mobile  qui  permel  de  regler  le  feu  a  volonte. 
lis  peuvent  etre  garantis  du  contact  direct  du  foyer 
par  un  regisire  qui  se  meut  dans  une  ouverture  su- 
perieure,  ferm6e  par  un  couvercle  de  tole^  sur  la 
partie  posterieure  du  couvercle  se  trouve  un  autre 
couvercle ,  propre  a  recevoir  un  vase  de  cuisine. 
Deux  clefs  adoptees,  I'une  au  luyau ,  I'autre  dans 
les  coinpai  timents  intericurs  ,  servenl  a  regler  la 
combustion  et  la  distribution  de  la  chaleur. 

Telle  est ,  Messieurs ,  la  description  que  vous  a 
donne  de  cet  appareil  notre  confrere  M.  Henriot- 
Delamotle,  que  vous  aviez  specialement  charge  de  son 
examen.  11  lui  a  paru  remplir  loutes  les  conditions 
du  programme. 


-  ITd  — 

Au  poiiil  de  vuc  hygieni(]iie ,  les  grav-s  iiicoii- 
venienls  que  preseiile  le  foiirneau  acluel  pour  le 
tiegagement  des  gaz  carboniques,  onl  lolalemeni 
disparu. 

Au  point  de  vue  econoinique ,  le  combustible 
employe  elant  ia  houille  ,  la  depenso  d'une  journee 
li'excederait  pas  9  centimes,  en  calculanl  la  houille 
gailielerie  au  prix  de  50  fr.  les  mille  kilogrammes, 
prix  de  !a  venle  au  detail  ,  landis  que  la  consom- 
malion  du  charbon  de  bois  est  de  50  centimes  [lar 
jour. 

Le  prix  de  rappareil  de  M.  Chevalier  serait  de 
20  francs  ,  environ ;  ce  prix  n'est  pas  trop  eleve  , 
compare  a  I'eccnomie  journaliere  qu'en  procurerait 
I'emploi, 

Enlin  ,  a  rnison  de  sa  forme  el  de  ses  luyaux  , 
il  pent  utilement  remplacer  le  poeie  en  fonle^  doul 
Irs  ouvriers  ont  bcsoin  I'hiver  pour  tous  les  usages 
domesiiques  du  menage ,  Tapprel  de  la  nourrilure 
el  le  chaufTage. 

Celto  invention  de  M.  Chevalier  a  perdu  aujour- 
d'hui  une  pariie  de  son  importance,  par  suite  de  la 
decouverte  recente  des  machines  a  peigner.  Mais 
c'est  la  un  fail  elranger  a  M.  Chevalier  qui  ue  dimi- 
nue  en  rien  le  merite  de  son  travail,  de  ?es  nom- 
breux  essais  el  du  resuliat  qu'ii  a  obtenu,  resultat  de 
lous  points  conformes  a  celui  que  vous  atlendiez. 
Aussi  avez-vous  decide  que  la  medaille  d'or  serait 
decernee  a   M.  Chevalier. 

Tel  est,  Messieurs,  le    compie-rendu  general   de 
I'examen    1851.  Si   vos  diverses  commissions  n'arri- 
vent  pas  toules  avec  des  conclusions  qui  vous  per- 
il 9 


—  124  — 

nieltcnt  dc  decerner  le  prix  dans  chaque  concours, 
du  moins  se  plaiseiU-elles  a  temoigner  de  leur  vive 
salisfaclion  d'avoir  vu  repondre  dans  iinc  certaine 
mesiire  aux  efforts  ol  aux  sacrifices  de  rAcademie 
de  Reims,  pour  slimuler  el  feconder  I'etufie  dos 
lellres,  des  arts  el  des  sciences  dans  ce  pays. 


-    125 


!>i'cUsri'  (Ic  ill.   Sor?ii{s. 


OE    I.  ASTRONOMIE. 


Messieurs  , 

All  milieu  du  progres  universel  des  sciences  ei 
dus  arls,  lorsque  i'esprit  humaiii  s'elance  avec  una 
nouvelle  ardour  sur  Ics  routes  ies  plus  difliciles , 
on  pent,  en  resumant  ses  travaux,  se  demander 
quelle  est  celle  de  ses  connaissances  qui  fait  le  plus 
d'liouneur  a  I'homnie ,  quelle  est  Tceuvre  oil  son 
genie  s'eleve  a  la  plus  grande  hauteur.  Au  premier 
abord ,  il  ne  parait  pas  qu'on  puisse  repondre  a 
cette  question  d'une  maniere  absolue.  Le  philosophe, 
en  effet,  aura  raison  de  regarder  comme  la  science 
la  plus  sublime  la  connaissance  de  I'homme  et  de  son 
auteur;  I'ingenieur  voudra  mettre  avant  lout,  et  il 
ne  manquera  pas  d'approbateurs,  Ies  decouvertes  de 
la  mecanique  et  ses  applications  si  belles  et  si  utiles 
aux  besoins  de  la  vie;  a  son  tour  le  poete  souliendra 
que  le  culte  du  vrai  ,  le  culte  du  beau  nous  est  aussi 
indispensable  que  le   pain   de  chaque  jour. 

Ainsi  la  reponse  ditfere  suivant  le  point  de  vue 
sous   lequel   on  considere    noire  nature,   en   raeme 


—  i2<)  — 

tpmps  corporfilo  el  immalericlle,  selon  qu'on  envisage 
I'elre  sensible  ou  I'elre  inlcliigenl  et  mora!.  Mais 
n'esl-il  pas  une  branche  de  nos  conuaissanecs  qui 
(lonne  ties  aliments  a  loules  les  faciilies  de  I'homme, 
qui  sail  parler  a  la  fois  a  ses  sens  et  a  son  inlelligence, 
a  son  imaginalion  et  a  son  coeur,  et  cclle  science, 
n'esl-ce  pas  I'astronomie? 

L'astronomie  n'est  pas  encore  arriveo  a  sa  perfec- 
tion ;  pent-etre  ne  pourra-l-eile  jamais  avec  les  faibles 
ressources  dont  pent  disposer  riiomme ,  alleindre  le 
bnt  admirable  qu'elle  s'esl  propose,  a  savoir  : 
connaitre  I'univers ,  la  conslitiuion  physique  des 
niondes  qui  le  peuplcnl,  el  les  lois  qui  regissenl 
Icurs  mcuvemenls. 

Mais  la  difficulle  raeme  de  celte  ceuvre  montre 
bien  loui  cc  qu'il  a  fallu  de  savoir,  de  perseverance, 
de  genie  a  I'asironome,  pour  oser  enlreprendre  une 
iaciic  qui  semblait  a  un  tel  point  au  dessus  de  ses 
forces.  Les  resuUats  merveilleux  auxquels  il  est  par- 
venu feroni  encore  mieux  voir  la  grandeur  de  la 
pensee  qui  a  preside  aux  iravaux  immenses  dont 
nous   recueiUons   les   fruits. 

Ne  semblail-il  pas  lemeraire  de  vouloir  sender  avec 
Dolre  faible  vue  les  proi'oudeurs  des  cieux  ,  au  milieu 
desquels  la  terre  est  moins  que  le  grain  de  sable 
perdu  dans  I'ocean  ?  Mais  si  le  globe  qui  nous  porle 
ire.-l  rien ,  quand  on  le  compare  a  ceux  qui  roulent 
autour  de  nous,  Thomme  est,  par  la  grandeur  de 
son  anie,  capable  de  comprendre  TinGni  qui  Tentoure, 

De  ces  points  eiincelanls  qui  brillent  sur  nos  teles, 
Tastronome  a  su  d'abord  faire  deux  classes  :  les 
uns  soiil  de  la  meme  nature  que  notre  Icrre  et  gra- 


viicni  avec  ello  autonr  du  soioil.  O.'s  plan&tes  il  ks 
coimaii  aussi  bieu  que  nous  pouvons  connaiire  la 
lorre  cllc-ineme;  il  sail  avec  une  precision,  qui  est 
I'ailc  pour  trouver  des  incredulcs  panni  ceux  qui  nc 
sonl  pas  initios  aus  meiliodes  de  la  mecanique  celeste, 
quelle  est  leur  forme,  ienr  distance,  leur  volume, 
Icnr  double  mouvemenl ,  les  forces  auxquelles  elles 
obeissenl,  a  tel  point  qu'il  prevoit  les  positions  futures 
de  ces  masses  errunles,  et  pent,  a  un  instant  de- 
termine, indiquer,  avec  la  plus  etonnantc  exactitude, 
leur  place  dans  I'espace.  Ainsi  la  minute  a  laqueiie 
doit  comniencer  une  eclipse,  l;s  nioiudres  details  du 
phenomene,  lui  sont  connus  longlcmps  avant  Icui' 
apparition.  Bien  plus  ,  ses  calcuis  etablissent  la  route 
des  astres  qu'il  ne  peul  plus  apercevoir ;  le^:  comeies 
qui  out  fui  nos  regions  ne  peuvcnt  echa[)per  a  la 
puissance  de  ses  recberches  ,  et  leur  rctour  est  predil 
un  demi-siecle  a  I'avance. 

Ces  beureuses  decouvertes  onl  enbardi  I'astro- 
nome ;  il  a  ose  aborder  I'elude  d'un.;  ouiie  classo 
de  corps,  dont  il  ne  connaissail,  jusque  dans  ces 
derniers  temps  ,  que  limmense  distance  qui  les  se- 
pare  de  nous.  Tout  le  monde  sail  quel  est  I'eloi- 
gnemenl  presque  fabuleux  des  etoiles.  II  est  piouve, 
en  elTei  ,  avec  une  complete  cei  lilude  ,  que  la  In- 
raiere  qui  francbit  par  beure  275  millions  debeues, 
nieltrait  au  moins  3  ans  pour  nous  venir  de  Tetoile 
la  plus  rapprocbee. 

Tels  sonl   les  astres   dont  on    a    voulu    connaiire 
les  mouvemeuls   el    la    nature  intime ,   tout    comme 
s'ils  etaienl  a   nos  cotes.  C'est  ce  qu'on  pent  nom 
mer  la  grande  decouverte  de  notre  siecle.    L'obser- 
vation     attentive    des     conslellaiions  ,    I'emploi    ile 


—  128  ~ 

telescopes  d'une  grandeur  inconnue  jusqu'alors ,  onl 
fail  decouvrir  dans  les  cloiles  iin  mouvement  pro- 
pro  ;  seulemeni  ce  mouvement  provenait-il  des  eloiles 
memes  ,  ou  bien  etail-ce  une  apparence  due  a  la 
translation  de  noire  sysleme  solaire.  Les  astronomes 
sont  parvenus  a  separer  ces  deux  elements  ,  el  il 
resulle  de  leuis  demiers  iravaux  que  les  eloiles  el 
le  sysleme  solaire  sont  a  la  fois  en  mouvement  dans 
I'espace.  Tout  porle  h  croire  que  notre  soleil  el 
son  cortege  de  planetes  ,  enlraines  par  une  enorme 
Vitesse  d'enviroii  1,500  mille  lieues  par  jour,  gra- 
vitent  aussi  bien  que  chaque  eloile  aulour  d'un  centre 
qui  nous  est  encore  inconnu. 

Ainsi ,  quelle  magnifique  concordance  entre  les 
lois  generales  du  mouvement !  Les  lunes  ou  planetes 
sccondaires  lournent  siir  elles-memes  ot  aulour  de 
la  planele  principale.  Les  planetes  lournent  aussi 
sur  leur  axe  ct  aulour  dn  soleil;  el  enfin  le  soleil  , 
premier  moieur  de  lout  le  sysleme ,  est  emporte 
avec  liii  dans  les  cieux  ,  dans  un  double  mouvement 
semhiable  &   colui  des  planetes. 

Qu'on  se  represenlc  mainlenant  ces  milliers  d'eloi- 
les  que  Ton  decouvre  dans  le  champ  du  telescope  , 
accompagnees  chacune  de  leurs  planeles,  el  enlrainees 
avec  elles  dans  un  double  mouvement  comme  notre 
sysleme  solaire ,  le  lout  obeissanl  h  une  seule  et 
meme  loi  de  rallraction  universelle  ,  el  on  demeurera 
frappe  de  la  simplicile  el  de  I'ordre  qui  president 
a  ces  mouvemenls  grandioses. 

II  y  a  plus,  c'est  I'elude  de  ces  mondes,  de  leurs 
groupes  et  de  la  maliere  qui  les  forme  ,  qui  a 
donne  naissance  a  I'idee  la  plus  vaste  que  rhomme 
puisse  se  faire  de  la  creation.  L'apparilion  subilede 


—  129  — 

noiivellos  eioiles,  raffaiblissemeni ,  rexiinclion  nieme 
ti'eloiles  ancioiines,  les  formes  diverses  el  variables 
avec  le  leraps  qu'affecle  la  matiere  luminouse  dans 
I'espace,  onl  conduit  h  cello  croynnce,  que  Ics  mondes 
naissent,  vivent  el  meureni,  corame  les  etres  ter- 
reslres.  La  matiere  aeriforme  et  Iiimineusc  se  conden- 
se perpeluellemenl  autour  de  cerlains  centres  ,  sui- 
vanl  les  lois  de  la  gravilalion  ,  el  en  s'agglomerant, 
elle  prend  des  formes  de  pluo  en  phis  deterrainees. 
Telle  est  I'origine  des  globes  lumineux  qui  nous 
eclairenl :  raais  apres  avoir  vecu  comme  soleii  ou 
comme  etoile ,  la  matiere  perd  pen  ii  pen  son 
eclat,  pour  devenir  liquide  puis  solide,  comme  la 
lerre,  qui  brule  encore   sous  nos  pieds. 

Si  les  travaux  des  hommes  les  plus  considerables 
ne  veuaienl  coniirmer  de  loule  leur  autorile  I'idee 
que  nous  venons  d'emeltre ,  ne  serail-on  pas  ten- 
le  de  croire  a  un  reve  magnifique,  representation 
exacle  des  pbenom^nes  qui  marquenl  la  jeunesse, 
la  virilile  el  la  vieillesse  de  lous  les  etres  qui  vi- 
vent  ici-bas. 

Get  apergu  doii  suflire,  Messieurs,  pour  monlrer 
que  I'astronomie  donnc  a  nos  facultes  inlellectuellcs 
la  plus  grande  tension  donl  elles  soienl  susceplibles; 
elle  developpe  aussi  au  plus  haul  point  nos  facuUes 
morales,  car  qui  peul  reveiller  vivemenl  en  nous 
le  souvenir  du  Crealeur ,  qui  recompense  le  bien 
et  punil  le  mal,  si  ce  n'esl  la  contemplation  de 
ses  oeuvres  infinies.  Sous  ce  double  point  de  vue 
I'astronomie  serail  done  la  premiere  de  nos  connais- 
sances 

Celte  opinion  renconlrera,  il  est  vrai ,  pour  contra 
dicteurs  lous  ceux  qui  pensent  que  le  spectacle  des 


—  130  — 

choscs  Icrrestres  est  plus  necessaire  a  I'homme  que  le 
spectacle  des  cieux,  ou  pour  qui  les  merveilles  de  I'in- 
dustrie  sont  au  dessus  des  merveilles  de   la  nature. 

11  serail  facile  de  montrer  que  Telude  de  ce  qui 
se  passe  loin  de  nous,  n'a  pas  loujours  ele  inutile 
aux  progres  des  arts  et  de  I'induslrie,  mais  j'aime 
mieux  dire  de  suite  pourquoi  les  sciences  speculatives 
me  semblenl,  dans  I'etat  actuel  de  la  sociele,  pre- 
ferables  aux  sciences  d'applications.  Les  unes  ten- 
dent  a  etablir  le  bien-etre  materiel ,  les  autres 
donnent  le  bien-etre  intellecluel  el  moral.  Notre 
siecle  est  trop  dispose  a  sacrifler  les  joies  de  I'esprit 
a  la  satisfaction  des  sSns.  Cepcndant  les  quelques 
annecs  passees  sur  cetle  terre  valenl-elles  ceile 
sollicilude  de  tous  les  instants,  qui  nous  fait  negli- 
ger  le  culte  de  la  scule  partic  de  nous-memes  qui 
nous  survivra.  El  encore  pour  le  malerialiste  qui 
ne  se  preoccupc  que  de  la  courle  existence  qui  s'ac- 
complil  sur  celte  terre,  esi-ce  un  moyen  de  la  rendre 
heureuse  que  de  preferer  le  culte  du  corps  au  perfec- 
lionnement  de  I'esprit  ? 

On  a  dil  avec  raison  que  I'homme  etail  le  plus 
grand  obstacle  a  son  bonheur ;  tachons  done  de  le 
rendre  meiileur ,  pour  que  ses  joies  plus  pures  soient 
plus  durables.  Or ,  le  propre  des  idees  qui  delachenl 
I'honime  de  cetle  terre,  comme  les  franchises  qui 
ont  enleve  autrefois  les  serfs  a  la  gl6be  ,  c'esl  de 
developper  I'ame ,  resserree  dans  les  liens  etroits  de 
nos  interets  materiels  ;  c'esl  de  permettre  a  I'intcl- 
ligence  de  deployer  ses  ailes  el  de  s'elever  au  dessus 
des  passions  qui  la  voileni  a  chaque  instant.  Alors 
rhomme  devieni  accessible  a  la  voix  de  la  raison 
et  de  la  conscience ,   il  discerne  le   vrai   du    faux  , 


—  131  — 

I'ordre  tin  desordre .  dans    le  monde  moral  comme 
dans  le  monde  physique. 

Ce  but  si  desirable ,  il  y  a  deiix  moyens  de  i'al- 
teindre.  Ou  bien  I'ame  se  replie  sur  eile-nieme  et 
s'inlerroge  sur  ses  destinees ,  c'esl  I'objet  de  la 
philosophie;  ou  bien  elie  apprend  a  connaitre  son  ori- 
gine,  ses  devoirs,  son  immortalile  par  la  connaissance 
des  creatures  qui  I'entourenl,  c'est  le  resullai  de 
I'etude  des  sciences  nalurelles  et  de  TAstronomie. 
Pour  assurer  davantage  noire  marche,  unissons  ces 
deux  methodes ,  ei  bienlot  de  I'esprii  de  chaque  honi- 
me  jaiilira  la  lumiere  qui  doit  eclairer  sa  route  et 
le  guider  d'un   pas  sur  vers  la   perfection  morale. 


—  132  — 

BEAUX-ARTS. 
Lcclure  de  M.   Dc  illaiche. 


DU   BUT   PRINCIPAL   QUE   l'ON    DOIT   SE   PROPOSER 
DANS   LA   CULTURE   DES    BEAUX-ARTS. 


Je  desire  aujourd'hui  ,  Messieurs  ,  soumeltre  a 
voire  jiidicieuse  appreciation  quelques  considera- 
tions philosophiques  siir  ies  beaux-arls.  Philoso- 
phic et  beaux-arls,  deux  lermes  qui  paraissent  incom- 
patibles,  el  qui  pourlant  sonl  unis  par  Ies  rapporls 
ies  plus  eiroits  ,  comme  le  fond  Test  avec  la  forme, 
la  Iheorie  avec  la  pratique. 

La  philosophic ,  vous  le  savez  ,  Messieurs ,  a  la 
pretention  de  penetrcr  partoul,  de  tout  dominer  par 
ses  vues  generalcs  ;  il  n'esl  rien  qu'elle  ne  cite  a 
son  tribunal ,  qu'elle  ne  sonde ,  qu'elle  ne  juge  ;  elle 
veul ,  dans  chaque  chose  ,  rechercher  Ies  principes  , 
Ies  moyens  el  la  lin.  Les  beaux-aris  en  parliculier 
sonl  devenus  I'objet  de  ses  haules  invesligalions , 
et ,  loin  d'avoir  a  s'en  plaindre  ,  ils  y  ont  gagne  de 
sublimes  elevations  sur  le  beau  ,  pour  eux  loujours 
si  fecondes   en   applicaiions  nierveilleuses.  Aussi ,  les 


—  133  — 

deux  plus  fameux  legislaieurs  dii  Parniisse  ,  Horace 
ot  Boileaii ,  onl-ils  signale  les  ecriis  dcs  philosophcs 
comme  la  source  de  I'inspiration  ,  el  la  raison  comnie 
la  facuile  d'ou  ses  oeuvres  tirent  leur  lustre  el  leur 
paix. 

Mais  la  philosopliie  n'a-l-elle  pas  encore  a  remplir 
envers  los  beaux-arts  un  devoir  plus  imporlanl?  A 
leur  devoiler  un  autre  ideal  que  celui  du  beau  ?  Ne 
lui  apparlienl-il  pas  surloul  de  leur  presenter  I'ideal 
du  bien  el  de  lour  exposcr  quelles  relations  les  y 
rattachent?  En  d'aulres  lermes  ,  I'art  a-t-i!  des  buts 
differenls ,  el,  parmi  ccs  buts,  y  a-l-il  un  but 
principal  que  la  philosophie  assigne  comme  le  plus 
obligaloire  et  le  plus  releve  ? 

11  n'est  pas  dans  Vamc  humaine  de  facuile  plus 
admirable  que  celle  qui  preside  a  la  production  du 
beau.  Par  elle ,  Tbomme  parlicipe  en  quelque  sorle 
a  la  verlu  creatrice  ;  il  fail  sortir  des  combinaisons 
de  son  genie  des  Ctres  nouveaux  qu'il  appelle  a 
une  veritable  vie,  et  qu'il  revel  comme  d'un  rayon 
divin  donl  le  charme  exeice  sur  la  sensibilite  un 
prestige  cnchanteur ,  une  irresistible  seduction  Dieu 
n'a  pas  pu  faire  a  I'homme  un  pareil  don  ,  lui  ac- 
corder  une  telle  prerogative  sans  se  proposer  de 
grands  desseins.  S'il  est  vrai  que  loute  faculie  elanl 
un  moyen,  doit  avoir  une  fin ,  il  est  vrai  aussi  que 
plus  celle  facuile  est  elevee  ,  plus  sa  fin  doit  I'etre. 
Les  beaux-arts  out  done  une  mission  ,  mission  pro- 
porlionnee  a  la  puissance  donl  ils  disposenl  et  qu'ils 
sent  lenus  de  connaitre ,  sous  peine  de  transformer 
cette  puissance  en  un  fleau  d'aulanl  plus  funesle, 
qu'olle  est  plus   energique  et  plus  elendue. 


—  134  — 

Dans  les  beaux-arls,  on  distingue  facilement,  el  :.iti 
premier  coup-d'oeil ,  irois  biUs  parfaitement  dislincls  : 
le  plaisir  ,  le  beau  el  le  bien  ;  ils  peuvenl  causer 
aux  sens  de  delicieuses  emolions  ,  produire  le  beau 
pour  le  beau  ,  ou  meltre  le  beau  au  service  de  la 
verile  el  de  la  verlu.  II  suffil  d'indiquer  ces  irois 
buls  pour  que  la  raison  en  saisisse  aussilol  I'impor 
tancc  relative  ,  el  designe  sans  hesiter  celui  qu'avant 
tout  Ton  doit  poursuivre  ;  mais  ce  que  la  raison 
pressent  par  one  immediate  intuition  se  comprend 
mieux  lorsque  la  reflexion  I'a  disliugue  par  une  medi- 
tation sericuse,  et  I'a  developpe  par  le  raisonne- 
menl. 

Assurement  il  ne  viendra  a  Tespril  de  pcrsoune 
de  conlesler  a  I'art  le  droit  de  flatter  la  sensibilite 
humaine  et  de  lui  procurer  ses  jouissances  les  plus 
distinguees  ;  e'est  la  sa  nature  ,  sa  propriete  premiere, 
sans  laquelle  il  ne  serait  plus  ce  qu'il  est,  il  cesserait 
de  posseder  le  doux  el  mysterieux  allrail  qui  le 
caracterise.  Mais  s'il  borne  a  ce  poinl  ses  visees , 
s'il  comprime  ses  aspirations ,  il  se  coupe  a  lui- 
meme  les  ailes,  s'interditde  planer  dans  les  spheres  de 
pure  lumiere,  et  Irahil  Thuraanite  qui  pouvail  fonder  sur 
lui  de  plus  solides  esperances.  En  efl'et,  il  oublie  sa  ce- 
leste origine  et  ses  nobles  destinees  pour  se  perdre  dans 
la  matiere  et  demeurer  avec  el!e  le  scrvileur  des 
plus  humbles  bisoins  ,  el  quelquefois  le  fauleur  des 
plus  redoulables  passions.  Retenu  dans  ces  basses  et 
elroites  limites,  il  no  conlribuera  pas  a  elever  I'honi- 
me,  il  deviendra  plulol  la  cause  de  son  abaissement 
en  I'asservissanl  aux  choses  qui  subjuguent  sa  vo- 
lonte  et  ramollissenl  par  la  langueur  du  plaisir.  Ce 
n'esl  point  ia  le  vrai  bul  de  I'arl ,  ce  n'en  est  que  le 


I 


—  135    - 

inojen  ,  on,  si  I'on  veiM,  c'orl  uu  bul  accessoire, 
iiiforieur,  qui  se  rapporte  a  nn  Iiii[  principal  et  su- 
periour,  sans  qiioi  ii  faiulrail  dire  que  I'art  est  infini- 
menl  plus  dangereux  qu'ulile,  el  souhailer,  comme  les 
sagos  romaiiis  faisaienl  des  doctrines  d'Epicure , 
qu'on  offiit  aux  ennemis  un  pareil  present,  afiti  qu'ils 
(levinssent  plus  f'aciles  a  vaincre  lorsqu'oo  aurait  a 
ies  combatlre.  Du  rcsle,  en  se  livrant  a  la  merci 
des  caprices  liumains ,  I'art  courrait  le  risque  de 
tornher  dans  une  prompte  decadence.  Les  caprices 
huniains  sonl  dans  un  eiat  do  perpeluelle  variation  ; 
ce  qui  leur  plait  anjourd'hui  leur  deplail  demain; 
ils  s'eprenncnt  des  formes  cxagerees  comme  des 
formes  nalurelles;  ils  aiment  le  laid  parl'ois  avec 
la  merae  passion  qne  le  beau  ,  et  pour  les  sati.sfaire  , 
ponr  conlenter  loutes  leurs  fanlaisies,  il  faut  lancer 
rimaginalion,  je  ne  sais  dans  quel  monde  fantaslique, 
a  la  recherche  du  bizarre  el  du  monsirueux. 

Cultiver  la  beaule  pour  elle-meme ,  faire ,  comme 
on  dit ,  de  I'ait  pour  Tart ,  lei  est,  nous  Tavons  vu  , 
1."  second  but  (]ue  renconlrent  l.^s  factiites  e.slhetiques. 
Sans  doule,  ia  beaule  a  quelque  chose  de  si  divin , 
tile  cause  a  i"ame  de  si  suaves  ravissements , 
qu'il  est  bien  permis  de  I'aimer  avec  passion  ,  de 
la  rechercher  pour  ses  charmes  inlrinseques,  de  la 
desirer  pour  son  propre  prix.  Neanmoins  ii  imporle 
de  ne  pas  so  faire  illusion ,  de  ne  pas  se  laisser 
absorber  par  une  preoccupation  exclusive.  Nulle 
puissance  ,  Dieu  excepie  ,  n'esi  a  elle-meme  sa  propre 
fin  ;  il  exisle  une  harmonie  generate  dans  les  causes 
qui  les  subordonnc  liierarchiquement  les  unes  aux 
autres  et  soumet  les  inferieures  a  la  loi  des  su- 
perieures.     Les    lacultes    eslheliques     ue    sonl    pas 


—  130  — 

iiidepcndaiites ,  |)nrce  cjii'll  y  a  dans  I'liomine  des 
laculies  qui  Us  surpassctil  ;  si  olles  possedonl  lo 
magnilique  privih-i^e  de  produire  la  beaiite,  il  en 
est  d'aulres  qui  out  regu  uu  privilege  plus  raagni- 
iique  eucore  ,  celui  de  rcaliscr  le  bien.  C'est  pour- 
quoi  la  pensee  que  le  beau  ne  releve  que  de  Ici- 
tn6me  ,  qu'il  est  a  lui-nieme  son  propre  terme, 
osl  une  pensee  fausse  el  orgueilleuse  a  laquelle  il 
faut  prendre   garde  de  s'abandonner. 

En  rccherchanl  le  beau  pour  le  beau  ,  on  pour- 
suil  une  abstraction  ,  une  ombre,  idole  de  rinlel- 
ligence  ,  mais  chimere  ,  neant  pour  le  cceur.  Allons 
plus  loin,  II  est  inipossible  que  I'ideai  de  la  beaule 
resle  dans  le  domaine  metapbysique  de  Tahslraciion  , 
il  faut  qu'il  s'incarne  dans  une  forme  saisissable  aux 
sens,  dans  une  forme  mat6rielle  el  visible.  Ausj>i^ 
en  definitive  ,  cultiver  I'arl  pour  I'art ,  c'esl  culll- 
ver  une  forme  froide  ,  c'esl  encenser  un  dieu  de 
pierre  ou  de  bois  ,  qui  a  des  yeux  el  qui  ue  voil 
poiiil  ,   des  oreilles   et   qui  n'enlend  pas. 

Conime  regoisie,  I'arl  en  se  prenant  pour  son 
propre  but  se  rapeiisse  el  se  degrade  ;  il  se  presenle 
sous  une  apparence  vaine  ,  raide  el  glacee ,  doni 
I'ame  se  degoiite  bienlol  et  qu'elle  rejetie  avec 
ce  dedain   si  bien  maique    par  le    fabulisle  : 

Belle  tele,  mais  de  cervelle  point  ! 

Pourquoi  lanl  de  chefs-d'oeuvre  ,  objets  autrefois 
d'une  admiration  si  vive  ,  admires  non  moins  vive- 
meni  encore  par  les  homraes  verses  dans  la  connais- 
sance  de  ranliquite  ,  ne  sonl-ils  plus  accueillis  ,  mal 
gre  leur  incontestable  perfection ,  qu'avec  une  pro- 
fonde  indifference  par  le  commun  des  intelligences? 
C'est  qu'on  ne  peul  eprouver  aucune  satisfaction  reelle 


—   137   - 

a  conlempler  des  formes  belles  a  la  vcrilo ,  mais 
semblables  a  ces  sepulcres  blaiicbis,  donl  parle 
TEvangile  ,  el  qui  ne  recouvrenl  que  le  silence  el 
la  morl. 

Un  ouvrage  d'arl  oil  les  formes  laissenl  irans- 
liarailre  ci  Iravers  la  beauie  une  idee  ingcnieuse  el 
vraie  ou  un  sentiment  moral  ,  est  generalemenl 
prefere  a  une  simple  elude  donl  le  merile  ne  de- 
passe  pas  le  fini  des  lignos  el  la  combinaison  des 
couleurs  ou  des  sons.  On  a  remarquc  en  effct  qu'en 
France  ,  dans  la  visile  des  expositions  publiques ,  la 
foule  s'arrelait  plus  volonliers  devant  les  lableaux, 
quoique  mediocres,  donl  les  sujets  impressionnaieni 
son  ame ,  que  devoni  des  lableaux  du  plus  grand 
merile  arlistique  niais  muels ,  ininlclligibles  pour 
elle  ;  el  Ton  est  parti  de  la  pour  lui  adresser  les 
plus  vifs  reproches  d'ignorance  ,  de  faux-gout ,  |)res- 
que  de  barbaric.  Ces  reprocbes  sonl  injusies ,  et 
nous  ferons  ici  reparation  d'honneur  an  bon  sens 
liauQais  ;  nous  affirmerons  hautemenl  qu'il  se  monlre 
digue  de  son  vieux  renom  ,  en  eslimanl  non  pas 
la  forme  pour  la  forme  ,  mais  la  forme  pour  le  fond 
(ju'elle  exprime. 

Le  raisonnemenl ,  iidele  a  rinluilion  rationnelle , 
demontre  dune  avec  evidence  que  le  plaisir  ni  le 
beau  ne  peuvent  elre  le  dernier  lerme  de  I'arl  , 
son  but  souverain.  Essayons  de  resoudre  compleie- 
menl  la  question  qui  nous  occupe  ,  en  proiivant  que 
le  bien  est  ce  bul  souverain  ,  but  won  moins  im- 
portant  pour  I'arl  qu'ulde  a  I'bumanite. 

Le  genie  des  arts  vii  surloul  d'eniliousiasme  et 
d'inspiration  ;  il  n'enfante  ces  prodiges  de  beaute ,  si 
bien   nommes   cbefs-d'oeuvre  ,   que  lorsiju'il   se    sent 


—  138  — 

erabrasc  par  une  ^orle  de  (eii  sncre.  Mais  si  I'ima- 
ginaiioii  ne  voi!  on  perspective  que  des  reves  de 
plaisir  ou  des  conceplions  abslraites  qui ,  en  derniere 
analyse  ,  se  rcduisenl  a  des  disposiiions  nialerielles 
plus  ou  moins  savaules  ,  esl-il  presumable  qu'elle 
resscnlira  celle  ardeur  penelraote,  seule  capable  de 
rexaller  jusqu'a  Texlase,  el  de  lui  ouvrirces  inimenses 
borizons  oil  le  beau  rayonne  dans  sa  splendeur? 
Nous  ne  le  pensons  pas.  Nous  dirous  nieme  a  la 
gloire  de  rhomme  que  son  coeur  n'eprouve  de  veri- 
lables  elans  que  iorsqu'il  enlrevoit  les  magnificences 
reclles  de  I'Eire  ,  les  ineffablcs  allribuls  dcul  il  se 
pare.  Aussi  ,  jamais  celui  doiil  I'esprii  ne  con^oit 
rien  au  delii  des  iristcs  docuiues  de  la  raaliere  nc 
sera  un  grand  arlisle  ;  jamais  il  n'aUeindra  le  su- 
blime .  parlage  exclusif  de  ces  ames  d'elile  dool  les 
idees  absolues  du  vrai  el  du  bien  sonl  Tobjel  du 
plus  vif  amour,  de  la  plus  conslanle  contemplation. 

Nalurellemerit ,  le  fond  provoque  la  forme ,  ou 
pluiol ,  dans  I'ordre  des  choses  ,  la  forme  est  inse- 
parable du  fond.  Tout  ce  qui  tient  au  Aral,  au 
juste ,  au  bien,  parlicipe  au  caractere  cternel  de  ces 
idees  ,  el  I'arl ,  en  s'efl'orQanl  de  les  refleter  dans 
le  monde  sensible  ,  n'a  pas  besoin  de  les  revetir 
d'une  beaute  d'emprunt ,  puisqu'elks  portent  avec 
elles  une  celeste  beaute.  Apres  avoir  con^u  son  mo- 
dele ,  il  |)eul  se  contenter  d'en  reproduire  les  trails, 
et  s'ii  arrive  a  la  perfection  ,  son  suctes  sera  jusie- 
raeni  celebre  au  double  point  de  vue  de  la  concep- 
lion  el  de  I'execulion.  Ces  oeuvre:.  seules  onl  iriomphe 
du  temps,  onl  conserve,  en  face  des  siecles,la  fraichtur 
de  la  jeunesse  et  la  chaleur  de  la  vie  qui  consacrent 
des  idees  el  des  senlimeuls  imperis.-ablcs  ,  iinmua- 
blenient  unis  a  I'ossence  de  la  nature  humaine. 


—  131)  — 

Coinme  on  le  voil ,  I'arl,  en  se  proposaiil  le  bicn 
pour  lerme,  sen  efficacemenl  scs  propres  inlercls , 
el  il  est  facile  de  se  coiivaiiicre  qii'il  ne  serl  pas 
molns  efBcacemenl  les  inlerSts  de  riiiimaniie.  Ce 
dont  riiumariile  a  reellemenl  besoiii ,  ce  n'cst  pas 
de  pla'sir  et  de  beaute;  le  plaisir  irop  souvetil  I'e- 
nerve  el  la  corrompt  ;  la  beanie  vaine,  a  pros  ['avoir 
un  instant  flallee  ,  I'ennuie  el  la  fatigue  ;  ce  qu'd 
faut  surtoul  a  Tbumanile  ,  ce  qui  lui  esl  indispen- 
sable ,  c'esl  la  verile  et  la  veriu.  Oiez  a  I'bomme 
la  verile  et  la  verlu  ,  ne  lui  laissez  que  les  jniiis- 
sances  sensibles  les  plus  delicaies  meme  et  les  plus 
legitimes,  et  vous  I'aurez  niuiile  dans  son  propre 
caraclere ,  vous  I'aurez  reduit  a  la  condition  des  etres 
sans  raison  ;  rendez-lui  la  verile  el  la  verlu  ,  dega- 
gez-le  des  seductions  qui  envirounenl  la  sensib.liie  , 
et  vous  en   aurez   fait  un  elre  presque  divin. 

Mais  la  verile  et  la  verlu  ,  Iresors  les  plus  pre 
cieux  pour  Thomme ,  ressenoblent  a  un  riche  dianianl 
dont  une  lerre  grossiere  ensevelit  I'eclat.  Tanl  que 
la  main  d'un  habile  lapidaire  ne  I'a  point  laille  et 
poli ,  il  ne  parait  guere  ditferer  d'une  pierre  ordi- 
naire ,  el  laisse  dormir  en  paix  les  convoitises ; 
mais  aussilot  qu'il  a  cle  degage  de  sa  rude  appa- 
rence,  il  brille  comme  la  lumiere  et  eveille  les  desirs 
par  ses  eblouissants  eclairs.  Ainsi  on  est-il  de  la 
verile  et  de  la  verlu  ;  et  c'esl  Tart  qui  remplil  a 
leur  egard  I'office  du  lapidaire.  Sa  mission  est  sainle 
et  salulaire  alors ,  il  nous  apparait  comrae  un  mes- 
sager  des  cieux  ,  charge  d'en  interpreter  les  ravis- 
sanls  secrets.  Toutes  les  intelligences  s'eclairent,  lous 
les  coeurs  s'ennoblissenl,  la  lerre  s'emeut  et  se  renou- 
velle.  Pour  exprimer  les  prodiges  de  I'art  antique  ,  la 
11.  10 


_  HO  - 

fable  nous  raconte  qu'au  son  melotlieux  de  la  lyre  les 
pierrcs  s'agitaient  en  cadence  el  venaient  d'elles- 
memes  baiir  des  villes  ;  que  les  animaux  farouches  , 
saisis  d'atlendrissemenl ,  accouraienl  du  fond  de 
leurs  foreis  et  de  leurs  deserts. 

II  imporle  done  a  ceux  qu'on  appelle  les  favoris 
des  Muses  de  connailre  I'influence  qu'ils  exercent 
el  de  savoir  en  laire  un  bon  usage.  En  devouant 
leur  lalenl  el  leur  genie  a  la  propagation  du  vrai  el 
du  bien  par  le  charme  de  la  beaule,  ils  se  consliUienl 
les  apolres  de  la  civilisation  ,  ils  se  placenl  a  la  tele 
de  I'humanite  et  Tenlrainenl  comme  d'enlhousiasme 
dans  la  voie  de  ses  destinees  immortelles. 

Voila  pourquoi  nous  avons  cru  qu'il   etait  oppor- 
lun  de  rappeler  les  devoirs  qui   s'attachent  a  I'exer- 
cicedes  faculies  esiheliques  ,   devoirs  on  ne  peul  plus 
evidents  ,  mais  malheureusement  trop  souvent  oublies 
on  meconnus.   On  a  montre  pour  Tart  une  faiblesse 
excessive  ;  comme  autrefois  a  la  noblesse  ,   on  s'esi 
contente  de   lui  demander  ses  litres ,    el  quand  il  a 
pu    les   fournir ,    on    ne   lui   a    pas    demande  autre 
chose;  on  ne  lui  a  demande  que  de  rejouir  les  yeux 
et  les  oreiiles,  que  de  stimuler^  les  tendances  pas- 
sionnees.  Celie  indulgence  condamnalde  devait  avoir 
el  elle   a  eu   reellement  les   plus  funestes   resultats; 
elle  a    fail   devier  I'ari  de    sa    vraie   ligne,    et,    dti 
meme   coup,   elle  a  porle  une  grave   atlcinte  a  la 
civilisation.    L'art    qui,    au    lemoignage    d'Horace, 
s'etait  consacre,  dans  le  principe,  a  retirer  los  hom- 
mes  de  I'abrulissement  et  du  crime  ,  qui  s'elait  appli- 
que   a    les  instruire  du  droit    et   du    devoir,    a-l-il 
ele  fidele  a  son  bieufaisanl  apostolal?  Des  voix  severes 
se  sont  elevees  pour  Taccuser  et  I'hisioire  ne  parall 
pas  demeniir  leurs  accusations. 


—  141  — 

Le  divin  Plalon,  le  philosophe  du  beau,  voulaii 
qu'on  bannit  les  poeles  de  sa  republique,  el  J. -J. 
Rousseau  ,  le  philosophe  artiste  ,  a  pris  a  tache  de 
demontrer ,  dans  son  celcbre  discours  couronne  h 
I'academie  de  Dijon  ,  que  les  arts  avaicnt  corronipu 
el  non  pas  perfectionne  les  mceurs.  Je  sais  qu'on 
taxe  celte  opinion  d'exageraiion  paradoxiale ,  mais 
il  n'est  pas  possible  de  nier  que  les  siecles  de  plus 
grande  corruption  suivenl  immedialement  les  siecles 
de  plus  grande  gloire  arlislique  ,  que  la  decadence 
romaine  vienne  apres  le  siecle  d'Augusle,  el  que  les 
scandales  du  siecle  de  la  Regence  et  de  Louis  XV 
touchenl  au  siecle  de  Louis  XIV. 

Conlrairemeni  a  I'avis  de  Rousseau  ,  nous  n'lm- 
puterons  pas  a  Part  lui-m6me  ces  tristes  resullats  , 
mais  11  nous  sera  permis  de  lis  irapuler  a  la  liberie 
humaine  ,  coupable  d'avoir  abuse  de  sa  plus  mer- 
veilleuse  faculte. 

Boileau  I'a  dit  : 

<c  11  n'est  point  de  serpent  ni  de  monslre  odieux 
»  Qui ,  par  I'arl  imile  ,  ne  puisse  plaire  aux  yeux.  » 

C'esl  la  certainement  une  gloire ,  et  c'est  aussi ,  on 
n'en  disconviendra  pas,  un  immense  peril.  Tout  ce 
que  Fart  louche  de  sa  magique  baguette  subit  une 
soudaine  et  elonnante  transformation  ;  la  laideur 
meme  peut  prendre  Taspeci  de  la  beaute ,  el  cette 
transformation  n'esl  pas  indilTerente  ,  car  la  beaute 
ne  Test  point ;  si  elle  emeul  le  coeur  en  faveur  du 
vice  J  elle  Vy  aliirera  presque  infailliblemenl.  Les  pas- 
sions onl  deja  par  elles-memes  un  tel  empire ,  que 
les  plus  resolus  les  dominenl  avec  peine  ;  que  sera-ce 
lorsqu'a    leur    seduction    native  s'ajoutera  la   seduc- 


—  U2  — 

tion  (111  beau  ?  N'esl-il  pas  a  craindie  que  la  volonte, 
fascinee  par  le  chant  de  ces  perfides  sirenes,  ne  coure 
se  precipiler  dans  I'abime  qu'elle  n'apercevra  plus. 

En  se  pla^anl  a  ce  point  de  vue ,  il  n'est  pas 
difficile  d'apprecier  les  consequences  possibles  de 
I'art  ,  de  juger  ce  qu'il  a  du  produire  dans  le  passe, 
de  prevoir  ce  qu'il  est  raisonnable  d'en  atlendre  pour 
I'avenir.  On  ne  I'a  guere  considere  jusqu'ici  que  sous 
son  cole  inferieur,  dans  sa  partie  plastique;  on  ne 
I'a  pas  assez  envisage  au  fond,  par  son  cote  moral. 
De  la  vient  qu'on  en  a  mecoiinu  Taction  soit  en  bien, 
soil  en  mal. 

Beaucoup  de  gens  s'imaginent  de  bonne  foi  qu'un 
objet  vraiment  beau  n'est  jamais  dangereux ,  el , 
dans  leur  incroyable  illusion ,  ils  exposeront  sans 
scrupule  a  tous  les  regards  un  de  ces  chefs-d'oeuvre 
ou  respire  la  grace ,  mais  oil  expire  la  pudeur. 

On  n'a  pas  niieux  compris  ,  ce  me  semble,  I'in- 
fluence  civilisatrice  des  beaux-arts.  On  s'est  monlre 
generalemenl  persuade  qu'ils  elaient  par  eux-memes , 
par  leurs  eCfets  purement  sensibles  ,  des  instruments 
de  civilisation ,  tandis  qu'ils  ne  le  deviennent  en 
realite  que  lorsqu'ils  se  font  les  organes  du  vrai  el 
du  bien. 

II  est  deplorable  qu'au  milieu  des  angoisses  de  noire 
societe  malade ,  de  notre  sociele  qui  se  sent  defaillir 
fauie  d'une  moralite  sulfisante ,  on  n'ait  pas  mieux 
connu  et  plus  largement  utilise  I'lnfluence  des  beaux- 
arts.  Peut-etre  m'abuse-je,  mais  je  crois  que,  par 
ce  moyen ,  on  arriverait  promptement  a  une  regene- 
ration sociale.  Si  la  poesie  et  I'eloquence  ,  la  musi- 
que  ,  la  peinture  el  la  sculpture  formaient  une  sainte 


—  us  — 

liguedu  bicn  public  et  travaillaienl  de  concert,  dans 
la  presse ,  an  theatre,  dans  les  exposilions  publiques, 
a  dissiper  I'erreur  ,  a  flelrir  le  vice ,  a  nieltre  en 
lumiere  la  verite  ,  a  exalter  la  vertu  ,  rien  ne  resis- 
terait  a  leiir  action  conibinee. 

Ce  reve  est  trop  beau ,  sans  douie  ,  el  je  ne  m'y 
arrete  point ;  n'est-il  pas  bon  cependani  de  le  poser 
comme  un  ideal  qu'il  faut  realiser ,  comnie  un  but 
auquel  il  faut  tendre  et  dont  on  devra  de  plus  en 
phis  s'efforcer  d'approcher  ,  si  Ton  ne  veul  toucher 
a  la  civilisation  que  pour  relomber  dans  la  barbaric 
et  tourner  ainsi  dans  un  cercle  qui  ne  laisse  jamais 
au  genre  huniain  I'espolr  d'entrer  enfin  dans  la  car- 
riere  de  I'indefinie  perfection  ?  Ne  serait-il  pas  utile 
au  moins  de  tracer  aux  artistes  un  code  de  morale 
serieux  ,  et  de  les  avertir ,  s'ils  le  dedaignent ,  de 
la  terrible  responsabilile  qu'ils  assument  sur  leur 
tete? 

Esperons  ,  en  attendant ,  que  les  talents  genereux 
sauront  resister  au  torrent ,  lulier  conire  les  prejuges 
et  se  livrer  au  culle  des  beaux-arts  avec  desinteros- 
sement  et  dans  la  pensee  d'en  (aire  autre  chose  qu'un 
amusement  frivole  ou  un  dangereux  enchantemenl. 
Honneur  a  ceux-la  !  Mais  aussi  ,  honle  el  deshon- 
neur  sur  ceux  qui ,  detournant  de  leur  fin  les  dons 
qu'ils  ont  re^us  ,  les  changent  en  fleaux  publics.  lis 
comhinent  de  sang-froid  les  moyens  de  rendre  le 
mal  plus  atlrayant  et  reussissent ,  en  I'immobilisant 
dans  une  forme  materielle  ,  h  creer  un  permanent 
scandale.  Phares  Irompeurs  allumes  sur  I'ecueil  ,  ils 
perdenl  leurs  semblables  qu'ils  avaient  mission  de 
sauver ;  ils  devaient  inoiitrer  le  port,  ils  menent  a 
I'abime. 


—  Vili  — 

La  conclusion  a  lirer  des  considerations  pr^cedentes 
en  sort  trop  clairemenl  pour  que  nous  ayons  besoin 
de  la  formuler  aulremenl  que  par  un  voeu.  Puisse 
I'uliliie  ,  rimporlancc  des  beaux-arts  etre  enfin  bien 
comprise ;  puissenl  ceux  qui  les  cullivent  se  pro- 
poser surtout  pour  but  de  rendre  populaires  les 
elernels  principes  de  morale  qui  seuls  empechent  les 
nations  de.  tomber  dans  la  decadence  el  la  ruine. 
Par  leurs  soins ,  par  leurs  services  ,  I'art  se  rele- 
verait  des  graves  reproches  qui  lui  ont  ele  adresses 
au  nom  de  la  civilisation  ;  il  se  revelirail  d'un  lustre 
nouveau ,  d'une  dignile  nouvelle  ,  ou  plulot  il  revien- 
drail  ci  sa  destiiiation  premiere  ,  a  ce  qu'il  fut  dans 
ces  temps  anciens  ou  les  Orphee  et  les  Araphion  en 
firent  un  ministere  sacre  : 

a  Silvestres  homines  sacer  interpresque  deorum 
»  Cwdibus  et  victu  fcedo  detenuit  Orpheus.  » 

(Horace,   Art  poeliiine  ) 


A^ad^suic  de  SleiiiaN. 


SfiANCE   PUBLIQUE   DU  3  JUILLET    1851 


PROGilAME 
Des  conconrs  oiiverls  pour  laiuiee  1852. 


HISTOIRE  LITTERAIRE. 

BIOGRAPHIE   DE   FRANCOIS    MAUCi'.OIX, 

Chanoine  ei  Seneclial  de  I'Eglise  de  Reims. 

Appreciation  de  ses  iravaux    lilleraircs  publics  oti 
ill  edits. 


LITTfiRATURE.  —  POfiSlE. 

filoge  en  vers  de  Jean-Baptiste  Delasalle , 

Fondaleur  de  I'lnstitul  des  Frfcres  des  Eisoles  Chrotionnos. 

ASSISTANCE    PUBLIQL'E. 

Donner  un  projel  d'organisalion   dii  service  soni- 
taire  pour  les  indigents  des   campagnes. 


—   1/|6  — 

Ce  projet  devra  6tre  pr^sent^  sous  la  forme  d'lin  rfegleraent  adtni- 
uistratif ,  anquel  serait  joint ,  au  besoin  ,  line  instruction  explicative 
des  points  qui   pourraient  necessiter  des   comnientaires. 

L'auleur  ,  entrant  dans  les  moiudres  details  pratiques  de  cettg 
organisation  ,  devra  examiner  si  ce  service  sanitaire  pourrait  com- 
prendre  ,  en  mfime  temps  que  les  soins  a  donner  aux  indigents  ,  la 
constatation  des  deces,  les  vaccinations  gratuites  ,  des  consultations 
reguli&rcs  ,  etc  ;  indiquer  comment  pourrait  6trc  etablie  ,  au  presby- 
tfere ,  ou  Ji  la  mairie  ,  ou  a  la  maison  d'ecole  ,  une  pharmacie  com- 
posee  des  medicaments  et  appareils  d'urgence  ;  Oxer  le  mode  de  nomi- 
nation des  racdocins  ,  leurs  obli^'alions  ,  leur  indcmnite  ,  etc.  ;  indiquer 
quelle  somme  serait  necnssaire  aux  frais  de  premier  etablissement  et 
d'entretien  annuel  de  la  petite  pharmacie  communale  ,  a  I'indemnite 
du  medecin  ,  au  salaire  des  gardes-malades  ,  etc.  ;  fixer  d'une  ma- 
ui6re  precise  comment  il  serail  pourvu  a  ces  depenses  ,  et  comment 
.-erait  exercee  la  surveillance  de  ce  service ,  etc.  etc. 

Afin  de  monlrer  comment  ce  projet  pourrait  recevoir  son  execution 
immediate  ,  I'auteur  I'appliquera  ,  dans  tous  ses  details  ,  a  une  ou 
plusieurs  communes  du  deparlement  de  la  Marne  ayant  des  ressources 
suffisanies  ,  et  a  une  ou  plusieurs  communes  depourvnes  de  tout 
revenu. 


eCONOMIE  AGRICOLE. 

Premiere  question.  —  Indiquer  les  moyens  pra- 
tiques d'amener  rapidemont  a  I'titat  de  culliire  oidiiiaire 
du  pays,  les  terres  inculles  ou  en  friche  ,  connues 
en  Champagne  sous  les  noms  vulgaires  de  terret 
usag^res,  trios,  savarts  ,    etc. 


DEUxifeME  QUESTION.  —  Qucls  sont  les  procedes 
les  plus  certains  el  les  plus  econoiniques  d'operer 
le  dessechemenl  el  I'assainissemenl  des  raarais  qui 
border! I  les  rives  de  la  Vesle  ? 


—  147  — 

Peut-on  ,  en  conciliant  les  inlerets  de  I'agricul- 
tiirc  avec  ccux  de  I'induslrie  ,  associcr  ces  precedes 
aux  iravaux  hydrauliques  necessaires  pour  deriver 
les  eaiix  de  celle  riviere  ,  par  des  canaux  d'irri- 
galion? 

Les  concurrents  feront  ressorlir  la  necessite  du  dessechement  des 
niarais  au  double  point  de  vue  des  avaiitages  que  peuvent  y  trouver 
la  salubrite  publique  et   i'agriculluie. 

Dans  le  cas  ou  ils  constateraienl  la  possibilile  d'elablir  des  canaux 
d'irrigation ,  sans  nuire  au  dessechement  des  marais ,  ils  indiqueraient 
avec  soin  les  conditions  d'etablissement  que  doivent  offrir  ,  el  les  canaux 
d'introduction  ,  et  les  canaux  de  fuite  ,  pour  recueillir  les  eaux  d'ecou- 
lement. 

lis  appuieront  en  outre  la  question  du  dessechement  sur  quelques 
nivelleraents  en  long  et  en  travers. 


Troisieme  QiESTiON.  —  Faire  connailre  ,  par  une 
complabilile  lenue  avec  exactitude  pendant  le  cours 
de  trois  annees ,  le  produit  oblenu  par  remploi  de 
diverges  rspeces  d'engrais   naturels  ou  composes. 

Indiquer  avec  precision  le  nom  el  la  quanlile  de 
chaque  nature  d'engrais  employe  ,  et  le  resultat  qu'il 
a  produit. 

fiCONOMlE  INDUSTRIELLE. 

CHIMIE    APPLIQUfiE. 

Indiquer  un  moyen  usuel  de  determiner  la  quan- 
titede  sucre  ou  d'albumine  contenue  dans  les  liquides 
vegetaux  ou  aniraaux. 


—  \kS  — 

Les  prix  consistent  en  une  medaille  d'or  de  la  valeur 
de  200  francs ,  pour  chacune  des  questions. 

Ces  medailles  seront    decernees    dans  la  prochaine 

seance  puhlique  de  I'Academie ,  dans  le  courant  de 
Juillet  i852. 

Les  auteurs ,  ne    devant  pas    se  faire    connaitre , 

mscrironl  lews  nonis  et  leur  adresse  dans  un  billet 
cachete  ,  sur  lequel  sera  repetee  I'epigraphe  de  leur 
manuscrit. 

Les  memoires  devront  eire  adressds  (franco)  a  M. 
le  secretaire  general  de  I'Academie  avant  le  45  Juin 
4852. 

L' Academic  distribuera,  en  outre,  des  medailles 
d' encouragement  aux  auteurs  des  travaux  quelle  jugera 
dignes  de  recompense,  les  personncs  qui  croiraient  avoir 
droit  a  cette  distinction ,  devront  envoyer  lews  titres 
au  secretariat  avant   le  45  Juin  4852. 


ARGHfiOLOGIE. 

Prix  fonde  par  un  anonyme. 

PKIX    A   DfiCEUNER    EN    1854. 

Une  medaille  du  prix  de  1,200  francs  sera  decer- 
nee  a  Tarlisle  qui  aura  dOnne  les  dessins  les  plus 
exacts  de  loules  les  parlies  de  la  calhedrale  de  Reims. 

L'auteur  devra  dessiner  I'edifice  ,  tel  qu'il  est  aujourd'hui ,  lant  ^  I'in- 
terieur  ((u'a  I'extcrieur ,  indiquer  les  achfevemenls  qui  peuvent  6lre  faits. 


—  'U9  — 

II  devra  donner  :  1°  sur  line  ecliplle  d'un  centimetre  pour  rafelre  ,  le 
plan  par  terre  et  Ic  plan  au  niveau  du  trilbrium  ;  2"  sur  unc  eclielle  de 
5  millimMres  par  mfetre  ,  quatre  coupes  de  la  basilique  ,  une  ,  longitu- 
dinale  depuis  le  portail  jusqu'a  I'abside  ,  une  ,  transversale  h  la  croisee  , 
une  ,  vers  I'abside  ,  une  ,  vers  le  portail;  quatre  elevations  ,  une,  du 
portail  ,  une  ,  de  I'abside  ,  une  ,  du  cOte  septentrional  ,  une  ,  du  cole 
meridional ,  avee  des  attaches  oil  seraient  Ogurees  les  flfeches  des  lours 
el  celles  de  la  croisee. 

11  donnera  ,  en  outre,  la  description  des  materiaux  qui  composent 
Tcdifice  ,  la  charpente  ,  les  agiafes  ,  les  plouibs  ,  les  fers  ;  il  indiquera 
la  nature  des  bois  ,   des  pierres  ,  etc. 

Le  prix  sera  d»icerne  en  1854  ;  la  question  sera 
rappelee,  lous  les  ans  ,  jusqu'a  cette  epoque ,  dans 
la  seance  annuelle. 


PRIX  A    DfiCERNER    EN    1855. 

Histoire  de  la  conslruclion  el  des  principales  repa- 
rations de  la  cathedrale  de  Reims.  —  Description  de 
I'enseinble  de  I'edifice. 

L'auteur  du  raeraoire  devra  dire  quand  ,  par  qui  ,  de  quelle  manifere 
la  cathedrale  a  ete  construite  et  reparee  a  diverses  epoques. 

Faire  connattre  I'etat  acluel  de  scs  parlies  les  plus  imporlantes  ,  el  les 
modifications  qu'cUes  auraient  successivement  reQues.  —  Ainsi  I'abside  , 
le  transept ,  les  nefs ,  les  portails,  les  combles,  les  tours  et  clochers,  etc. 

Indiquer  le  systeme  general  d'ornenienlation  architecturale.  —  Les 
ogives ,  raoulures ,  la  flore  el  le  faune. 


PRIX   A   DfiCERNER    EN    1856. 

Iconographie  de  la  cathedrale.  —  Interieur. 

Decrire  et  expliquer  les  vitraux  el  les  statues  de  I'interieur. 

Dire  I'epoque  et  le  lieu  oil  onl  ete  executees  les  diverses  verri^rcs  de  1» 


I 


—  150  — 

calh6drale  de  Reims  ;  quels  en  sont  Ics  auleurs  ;  decrire  et  expliquer  les 
sujets.  —  Faire  connaUre  les  differenles  reparations  que  les  vitraux  au- 
raient  subies. 

Donner  les  mgmes  indications  sur  les  statues. 


PRIX   A    DfiCERNER    EN    1837. 

Iconographie  de  I'exterieur. 

Decrire  et  expliquer  les  statues  qui  decorenl  la  cathedrale  a  I'exterieur, 

Par  qui  ces  statues  ont  ele  faites  ,  —  a  quelle  epoque  ,  —  quels  en 
sont  les  auteurs  ,  —  la  place  qu'elles  occupent ,  —  les  reparations  qu'elles 
auraient  regues ,  les  sujets  soit  historiques,  soit  allegoriques  ,  qu'elles 
representent, 

L'Academie  de  Reims  a  voulii  poser  toules  ces 
questions  a  la  fois  pour  faciliier  les  recherches  des 
concurrents  ,  el  ieur  donner  plus  de  temps  pour  trailer 
les  questions  les  plus  difliciles. 

LE  PRESIDENT    DE  L'ACADEMIE  ,  LE  SECRETAIRE    GENERAL  , 

f  Cardinal  Thomas  ,  Henri  Paris. 

Archevfique  de  Reims. 


i 


PROCLAMATION 

des  prix  cl  dcs  medailles  d'cncourageuienl. 


Question  d'economie  industrielle . 

Invention  d'un  nppareil  propre  a  eviter  les  graves 
inconvenients  que  presenle ,  au  point  de  vue  hygie- 
nique  ,  le  fourneau  habiluellenienl  employe  par  les 
peigneurs  de  laine. 

L'Academie,  adoptant  les  conclusions  desa  commis- 
sion, decerne  la  medaille  d'or  k  M.  Prosper  Chevalier 
de  Reims. 


Question  d' assistance  publique. 

Donner  un  projet  d'organisalion  du  service  sanitaire 
pour  les  indigents  des  campagnes. 

L'Academie  ,  lout  en  laissant  la  question  au  con- 
cours ,  decerne  une  medaille  d'argent  a  M.  Lefort , 
chirurgien  a  Damery   (Marne). 


MEDAILLES  D'ARGENT. 

L'Academie  decerne  des  medailles  d'argent : 
1°  A  M.   Grand val ,  pharmacien  des  hopitaux  de 
Reims  ,  pour  ses  produits  pharmaceutiques. 

2°  A  M.  Caillet,  de  Chalons-sur-Marne,    pour  ses 
pompes  aspirantes  et  foulantes. 


TABLEAU 


DES 


MEMBRES  COMPOSANT  L'ACADEMIE  ))E  HELMS 


AU 


Bureau  pour  I'annee  4850-1854. 


President , 
Vice-President , 
Secretaire  general , 
Secretaire  archiviste , 
Tresorier  , 

Membres  du  conseil 
d' administration , 


MM.    SUTAINE. 

rohillard. 

Bandeville. 

E.  Arnould. 

SAtBINET. 

touiineur. 

Dubois. 

Lucas. 


I 


Bureau  pour  I'annee  4851-4852. 


President , 
Vice-President ., 
Secretaire  general , 
Secretaire  archiviste 
Trhorier , 

Membres  du  conseil 
d' administration , 


S.  E. 
MM. 


le  Cardinal  Gousset(0.*). 
Landouzy  (*). 
Henri  Paris. 

TOURNEUR. 

SAUBI^ET. 

SUTAINE. 

Heinriot-Delamotte. 
Bandeville. 


—   153  — 

Mernbres  d'honneur. 
MM.  ViLLEMAiN  (G.  0.  *),   membre  de  I'Academio 
frangaise  et  de  eelle  des  inscriptions  ei  belles- 
lellres. 

Cunin-Gridaine  (G.  0.  «  ) ,  ancien  ministre  dc 

ragriculture  et  du  commerce. 
Salvandy  (comte  de)  (G.  C.  ^),   membre  de 

I'Academie  frangaisc,  ancien  ministre  de  I'in- 

slruclion  publiqiie. 


Mernbres  titulaires. 
Ms^  GousSET(0.  *),  cardinal ,  archcveque  de  Reims. 
MM.  Saubinet,  nalnraliste  ,  membre   de  la   Sociele 
d'agriculture  de  la  Marne. 
RociLLAiiD  ,  juge  d'inslriiction. 

Bandeville,  cbanoine  honoraire,  aumonier  du 
lycce. 

Fanart  (  L.)  ,  direcleiir  du  Conservatoire  de  mu- 
sique  ,  membre  de  la  Commission  des  arts  et 
edifices  reiigieux  au  ministere  de  I'instruclion 
pubbque. 

Landouzy  fH.),  correspondant  de  I'Academie 
de  medecine. 

DfiRODii  (E. ),  avocat,  ancien  representanl  h 
rasserablee  constituante. 

GoBET,  avocat,  membre  du  conseil  municipal. 
Sutaine  (M.),  adminislrateur  de  h  Sociele  des 
amis  des  arts. 

Maquaut  (J.  J.),  secretaire  du  Comite  d'arcbeo- 
logie  el  de  la  Societc  des  amis  des  arts. 


—  15/i  — 

MM.  DuQUkiNELLE,  pharmacicii,  menibre  dii   Comile 

d'archeologie. 
Louis-Lucas,  nolaire,  membre  du  Comile  d'ar- 
cheologie. 
Clicquot  (F.-L.),  homme  de  leltres. 
PiNON  (F.) ,  homme  de  leltres  ,  membre  du  Comile 

d'archeologie. 
TouRNEUR ,   professeur  de   rhttorique  au  pelit 

seminaire,  membre  du  Comile  d'archeologie. 
Arnould  (Ernest),  avocat. 
GossET ,  architecie. 
Henriot-Delamotte  (F.),  membre  de  la  Chambre 

de  commerce. 
Paris  (H.)  ,  avocat. 

MiDOC  (L.-H.),  greffier  du  Iribuoal  de  commerce. 
Deces,  chirurgien  de  rholel-Dicu. 
Lechat  ,  |)rofesseur  de  physique  au  lycee. 
SoRNiN  ,  professeur  de  maihemaliques  au  lycee. 
Gainet,  cure  de  Cormonlreuil. 
Velly  ,  fabricanl  de  produits  chimiques. 
GfiRARDiN  ,  professeur  d'histoire  au  lycee. 
Pierret,  docteur  en  iheologie,  vicaire  de  Notre- 

Dame. 
FoRNERON   f#),  recteur  de  I'Academie  de   la 

Marne. 
MAUMENfi  ,  professeur  de  chimie. 
Loriquet  ,  homme  de  letlres. 
Mass^.  ,  juge  au  tribunal  civil. 
FfiART(4^),  sous-prefel  de  I'arrondissemerit  de 

Reims. 


—  J  55  — 

MM.  CuEviLLiii;'!,    piofesseur  de   mathemaliques  aii 

lycee. 
Laiglk  ,  pi'oviseiir  clu  lycee. 
GoDA  ,  nolairc. 
MouniN,  professeur  au  lycee. 
Delan,  professeur  au  pelit  seminaire. 
DeMaiche,  professeur  tie  philosophie  au  lycee. 
DupARC(.^f  ),    ingenicui  des  ponts  el  chaussees. 
Galdemar,  conservateur  des  hypolheques. 
Roiiault-de-Fleury  ,    procureur  de   la    Repu- 

blique. 
Sevestre  ,  cure  de  Saint-Thomas. 
Mxsst  (P.) ,  negociant. 
Raudesson,  medecin  velorinaire. 

Membres  honor  aires. 

TarbiS  (P.),  correspondani  du  minislere  de  I'in- 

slruclion  publique  ,  6  Paris. 
ViNCENS  DE  Gourgas  .  rcclcur  de  I'Academie  de 

risere. 
Fleury  (H,),  ancien  secretaire  general  du  minis- 

tre  du  commerce  ,  a  Paris. 
Relin-Delalnay  ,  professeur  d'histoire. 
Maille-Leblanc  ,  ancien  president  du  tribunal 

do  commerce  de  Reims. 
Gilbert  de  Sayigny  (#),  direCleur  de  Tecoie 

de  raedecine ,  h  Reims. 
HERBfi,  peinlre,  professeur  i  I'ecole  superieure, 

h  Reims. 
Hubert  (E.)  ,  avocat  h  la  cour  d'appel ,  h  Paris. 
II.  11 


—  156  — 

MM.  Belly  (de),  proprielaire  a  Beaurieux  (Aisne). 
Baka  ,  cure  de  Notre-Dame  ,  ci  Reims. 
Paris  (L.j  (^J  ,  correspondanl  du  minislere  de 

rinsiruction    publique,    faubourg  S'-Honore , 

466  ,  a  Paris. 
Bonneville  (^.) ,   procureur  de   la  Republique  , 

h  Versailles. 
Geoffroy  dk  ViLLENEUVE,  proprielaife ,  k  Char- 

Ireuve  (Aisne). 
GoNEL  (E.) ,  a  vocal ,  a  Chateau-Thierry. 
Garget  (H.),   professeur  de  malhemaliques  au 

lycee  Napoleon  ,  a  Paris. 
Wagner,  homme  de  lellres,  rue  Saint-Germain- 

des-Pres,  9,  a  Paris. 
GuiLLEMiN ,     docteur     es-leures,     recleur    de 

I'Academie  de   la  Correze. 
Tarb6  de  St-Hardouin  ,   ingenieur  dcs  pouts 

el  chaussees^   a  Joigny  (Yonne). 
SoiLLY ,    oOicier    de    I'Universile ,    recleur    de 

I'Academie   de  I'Eure. 
Alexandre,  procureur  de  la  Republique,  a  Laou. 
Nanquette,  cure  de  Sl-Charles,  a  Sedan. 
Edom,   recleur  de   I'Acadomie  de  la  Sarthe. 
Aubriot  ,    ancien    receveur  de   radrainislraliony 

des  hospices,  a  Tournes,  pres  de  Charleville* 
QuERRY,  vicaire  general  du  diocese. 
Dubois,  president  du  tribunal  civil  d'Auxerre.l 
De   Leltre,    president    du    tribunal    civil    de 

Briere-Valigny,   subslitul  du    procureur  de  la 
Republique,  a  Paris. 


—  157    - 

Membres  correspondanls . 
MM.  Alluard,  profpsseur   de  physique  au  Lycee  de 

Clermonl-Feirand  (Puy-de-D6me). 
Anot  de  Maizieres  ,   prol'esseur  de   rhelorique 

au  lycee  de  Versailles,  oflicier  de  I'Universile. 
Arnould  (Ed.)  menibre  du  Cornice  agricole,  a 

Toussicourl,    pres  Reims. 
Arrivabene  (comle)(#),  economisle,  a  Bruxelles. 
Arveuf,  archilecle,  a  Reims. 
AuBERT,  cure  do  Saiul-Remi,  a  Reims. 
Auger  (Alexandre),  a  Reims. 
AvRARD ,  docteur-medecin  ,  a  la  Roclielle. 
AzAJS  (#),    membre    de  la    Sociele   arclieolo- 

gique,  a  Beziers  (lleraull). 
AzAOLA   (don  Inigo    Gonzales  de)(^^-),  ancien 

gouverncur    de  Tondo  ,    bolanisle  a  Manille 

(^Philippines). 
Balestier  (J.),  consul    des    Elats-Unis,  a  Sin- 
gapore (Malaisie). 
Ballin,  direcleur  du   mont-de-pieie ,  a  Rouen. 
Bailly  ( # ),    ancien    president   de  I'Academie 

de  mcdecine,  a  Villeneuve-le-Roi  (.Yonne). 
Barbey,  notaire  (membre  du   conseil  d'arron- 

dissement  de  Reims),  a  Fismes  (Marnej. 
Barthi5lemy    (A.)  (conseiller  de  prefecture) ,  a 

Saint-Brieuc  (Cotes  du  Nord). 
BARTHfiLEMY,    chauoine    honoraire    de    Reims, 

vicaire  a    Saint-Denis  du    Sl-Sacrement,  rue 

St-Louis-au-Marais,  a  Paris. 
Barthelemy  (Ed.  de),  a  Chalons. 
Barse,  professeur  de  sciences,  a  Paris. 
Baudiin  (Richard),  professeur  au  college  de  Dole. 


—   158   - 

MM.  Bazin  (#),  direcleur  de  la   colonic  agricole,  an 

Mesnil-Sainl-Firmin  (Oise). 
Bazin,  professour  au    lycee  de  Reims. 
Beluomme   (  ^' ) ,    docleiii"    en   medecine  ,    jiie 

Charonne,  i6o,   a   Paris. 
Berger  de  XiVHEY  (#) ,    membrc  de  TAcado- 

miedes  inscriptions  el  belles-lettres,  rue  Sainl- 

Gerraain-des-Pres,  15,  a  Paris. 
Bertrand  ,  jiige  d'inslruciion  a  Paris ,   rue   de 

Seine-St-Germain,  15. 
Blanc,   vicaire-general   de  Reims,   rue  Neuve- 

Sainte-Genevieve,  21,   a  Paris. 
Bogaerts,  professeur  d'liisloire,   a  Anvers. 
BoNJOUR    (Casimir)    (#),   conservateur    de   la 

bibliolheque  Sainle-Gpnevieve,  k  Paris. 
Bonnay  (I'abbe  de),   direcleur  de   la  mailrise, 

a  Reims. 
Bonneville  (F.)  (^) ,    ancien    essayeur    de   la 

banque  de  France,    rue  des   Moulins  ,    14, 

a    Paris. 
BoRGNET,  professeur  de  malhemaliques  au  lycee 

de   Tours. 
BotiLLEVAUX,  cure  de  Cerizieres  (Haule-Marne) . 
BouLARD  (#),   secretaire  du  bureau  central  du 

Comioe  agricole  de  la  Marne  ,  a  Chalons-siir- 

Marne. 
BouLLOcHE  (iji^),  conseiller  a   la.cour  d'appel , 

rue  de  Lille  ,  3,  ;i  Paris. 
BouRASSfi  ( I'abbe  )  ,  archeologue  ,  a  Tours. 
BouRDONNfi,  direcleur  de  I'ecole  primaire  supe- 

rieure  ,  a  Reims. 
Bourgeois-Thierry  ,  membre  du  conseil  general 

de  la  Marne  ,  a  Suippes  (  Marne). 


—  159  — 

MM.  BouRGAiN  ,  jiige  de  paix  ,  a  Sedan  (Ardennes). 
BoiivART  ,  membrc  de  !a  Sociele  d'agricullure , 

a  Cliarleville. 
Brissaud,  professeurd'hisloire  au  lyceed'Orleans. 
Bl'SSieres  (Broquardde)  (i^)  ,  ancien  ofticier 

du  genie  ^  rue  Gredfulhe  ,  7,  a  Paris. 
BoviGNiER  ,   geologiie ,    memhre   de   la    Sociele 

philoniatique ,  a  Verdun  (Meuse). 
Carette  (0.   i,^  )  ,  ancien   ollicier  snperieur  du 

genie  ,   rue  de  Bagneux  ,  7  ,  a  Paris. 
Carette  (#),  capitaine  du  genie,  mencibre   de 

la  Commission  scieniitique  de  I'Algerie. 
Carette,  avocat  au  conseil  d'elal  el  a  la  courde 

cassalion,  rue  desGrands-Auguslins,  5^  ii  Paris. 
Carteret  ,  conseiller-d'clal,  rue  de  I'Arbre-Sec, 

22,  a  Paris. 
Caton  ,  cure-doyen  de  Craonne  (Aisne). 
Caiimoint  (de)  (0.  ^  ) ,  corrcs[)ondanl  de  I'lnsli- 

lut ,  a  Caen. 
Cayx  (0.  ^- ) ,  iuspecleur-general  dc  I'Universile, 

adrainislrateur  de  la  bii)liollieque  de  I'Arsenal  , 

a  Paris. 
Ciiaix-d'Est-Aisge  (0.  #)  ,  ancien  depute  de  la 

Marne ,  avocal  a   la  cour  d'appcl ,  boulevard 

Poissonniere^  23,  a  Paris. 
Chambert  ,  docteur  en  medecine,  a  Laon. 
CiiARLiER  ,  niembre  correspondanl  dc  la  Sociele 

cenirale  de  medecine  velerinaire  ,  a  Beims. 
CiiARPENTiER  ,  iuslilulcur ,  h  Beims 
Chassay  (Tabbe),  prolesseur  au  grand  seminal..' 

de  Bayeux. 
CiiAiBRY  DE  TRONCEisoRD(baron)(-j;t) ,  conscillei 


\ 


—   160  — 

a  la  cour  d'appel  de  Paris  ,  membre  du  conseil 
general  de  la  Marne,  rue  Jacob  ,  48. 
MM.  Chevallet    (Emile),   au  Pre-S'-Gervais ,  ban- 
lieu  de  Paris ,  rue  des  Bais  ,  6. 
Chevallier  (#) ,  merabre  de  I'Academie  de  nie- 
decine,    professeur  a   I'ecole   de   pharmacie  , 

quai  Saint-Michel ,  a  Paris. 
CiiEviLLiON  ,  docteur  en   medecine ,  a  Vitry  le- 

Fran^ois  (Marne). 
Cl£meist  (P.),  homme  deleltres,  rue  de  Miio- 

menil,  50  ,  a  Paris. 
Clekc  ,  professeur  de  rhelorique  au  serainaire 

de  Luxeuil  (Haute-Saone). 
CocHARD,  fabricant    de   produils    chimiques,  h 

Reims. 
CoETLOGON  ( comte  Em.  de  ) ,  proprietaire  a  Paris. 
CoETLOSQUET  (comle  Du)  (^:) ,  menibro  de  I'Aca- 
demie de  Me(z ,  a  Meiz, 
CoLLAKD,  docleur-medecin  ,  a  Beine. 
CoLLESSON,  docteur-medecin,  a  Noyon. 
Comte  (Ach. )  (i^)  ,  professeur  d'histoire  nalu- 

relle  au  college  Charlemagne  ,   a  Paris. 
Coulvier-Gravier  ,  aslronome  ,  a  Paris.  X 

Crosnier  ,  cure  de  Donzy  (Nievre). 
CussY  (vicomte  de)  (#) ,  membre  de  I'Academie 

de  Caen  ,  a  Sainl-Mande  (Seine  ). 
Cuyper  (J.-B.  de),  professeur  de  sculpture,  a 

Anvers. 
Daconet  (#) ,  docteur  en  medecine  ,  a  Chalons- 

sur-Marne. 
Danton  (#) ,  inspecleur  de  I'Academie  de  Paris. 


-   161   — 

MM,  Daudville  (Ch.)  ,  inembre  de  la  Socieie  acade- 
mique  de  Sainl-Qiienliii   (Aisno). 
Dkfouuisy,  cure  de  Brognon  (Ardennes). 
Delafosse  (#),   professeur   a  la    Faculie  des 
sciences  de  Paris,  iiied'Knfcr,  47. 

Delaporte,  (marquis),  a  Vondome. 

Demilly  ,    vetcrinaire    de   rarrondissemenl    de 

Reims. 
Denis  ,  (^) ,  membre  de   la    Socieie  des  Anli- 

quaires  de  France,  aCommercy  (Meusi-). 
DfiRODfi  (A.),  ancien  officier  de  marine,  a  Reims. 
Desrousseaux    de    Medraino  ,    manufaclurier , 

membre    du    conscil   general  des  Ardennes , 

a  Charleville. 
DessaiN'Perin  ,   homme  de   lellres,  a  Cumieres 

(iMarne). 
DiDRON  (^■) ,  secretaire  du  Comite  hislorique  des 

arts  et  monuments,  rue  d'Ulm,  1,  a  Paris. 
Drouet, ancien  professeur  derUniversite,a  Reims. 
DuBRocA,  veterinaire,  a  Sedan. 
Duchesne  (A),  numismate,  a  Reims. 
DuFOUR,  conservaleur  du  musee,  a  Amiens. 
Duhi1;mk,  docieuren  medecinc,  a  Douai. 
DupuiT  (^)  ,   ingenieur  en   chef    des  ponts    et 

chaussees,  a  Anders. 
DuRAND  (H.),architecte,rue  Coquenart,51,a  Paris. 
DuTEMPLE  ,  membre  de  la  Societe  geologi(|ue  de 

France,  a  Pierry  (Marne). 
Duval,  docteur  en  med;'cine  ,  a    Fperiiay. 
Duval  (Ferdinand),  avocal,  a  Paris. 
Ernoult  (Ch.),  sous-prefet,  a  Vouziers. 


-   162  — 

MM.  Estuayek-Cabassole  ,    chanoine  ,     a    Chalons 

(Marne). 
Failly,  inspecleur  des  douanes,  a  Lyon. 
Farochon,  sculpleur,  rue  d'Enl'er,  76,  a  Paris. 
Faucher  (Leon),    represenlant  du  peuple  ,  rue 

Blanche,  10^  a  Paris. 
Feuillet,  juge  de  paix,   rue  des  Trois-Maries, 

12,  a   Lyon. 
Fontenay  (J.dk),  secretaire  de  la  SocieleEducnne, 

a  Aulun. 
Fosse  d'Arcosse,  membre  du   Comile  archeo- 

iogiquc,  a  Soissons  (Aisne). 
FoucHER  (J.-N.),   proprielaire,   k   Mareuil-sur- 

Ay  I'Marne). 
FouuiNiER,  cure,   a  Relhel   (Ardennes). 
Frignez,  docteur  es-scicncos,  boulevard  Bonne- 

Nouvelle,  impasse  Cendrier,   a  Paris. 
Galeron,  professeur  de  rhelorique  au  lycee  de 

iteinis. 
Gallois  (Etiennc) ,   ancion    biblioihecaire  de  la 

chambre  des  pairs,  a    Paris. 
Garinet,  conseiller   de  prefecture,   a  Chalons- 

sur-Marne. 
(jasc,   homme  de  lelires,  a  Bruxelles. 

Gastebois  (0.  #),  lieutenant-colonel  en  relraite, 

a   Lachy,   pres  Sezanne  (Marne). 
Gauthier  { # ) ,  architecte  ,  membre  de  I'Aca- 

demie  des  beaux-arts,  rue  des  Bons-Enfants, 

28,    h  Paris. 
Gayot  (E.),  avocal ,  secretaire  de    la   Sociele 

academique  de  I'Aube,  a  Trpyes. 


163 


o 


MJI.  GfiLis  ,  chirurgien  a  Thopilal  mililaire  de  Sedan. 
Geouges  (EucuneJ,   cure  de  Traniies. 
GfiiiuzEZ  (Eug.)  (#),  professeiir  a  la  Faculle  des 

leltres,  rue  de  Vaugirard,  72,   a  Paris. 
GiRAUDiN,   professeur  de  chimie,  a  Rouen. 
GoDiNOT,  juge  de  paix  ,    a  Clialil!on-sur-Marne 

(Marne). 
GoGUEL,  membre  de  piusieuvs  Socieles  savanles, 

principal    du    college    de    Brischveiler    i^Bas- 

Rhin). 
GoMAUD,   vice-president  du  Congres  agricole  du 

nord,  a  Saint-Quenlin. 
GouLET-CoLLET ,      iugenieui-hydraulicien  ,      a 

Reims. 
Gouniot-Damedor,   professeur  de  rhetorique  au 

lycec  de  Blois    (Loir  et   Cher). 
Grandyal,   pharmacien  a  I'liotel-Dieu,  a  Reims. 
Ms*'   Gros,  eveque  do  Versailles. 
MM.  Grosjeain,  pharmacien,  a  Fismes  (Marne). 

GiiossELiN,  rue  du  PaonSainl-Andre,  1,  a  Paris. 
GoERiN,redaclcur  du  Memorial  calholique,  a  Paris. 
GuicHEMERE,  rcck'ur  de  I'Academic  du  Gers. 
GuiLLORY,   president  de  la  Societe  industrielle, 

a  Augers. 
GuiSLAm  ,  censenr  des  eludes  au  lyceed'Orleans. 
Hardy  (#),  professeur  agr6ge  a  la  Faculle  de 

mt'deeine,  rue  Cadet,  19,  a  Paris. 
HUBERT,   sous-directeur    a    I'ecole    normale ,    a 

Paris. 
Hedde  (Isid.)  (#),  dclegue  de  i'induslrie  seri- 

gene ,    attache   a    I'ambassade  de  France  en 

ChinCj  a  Saint-Etienne. 


—  164  — 

MM.  H 6m ART    (baron),  ancien   officier,   membre  du 
conseil    d'arrondissement    de    Reims ,  a    Ay 
(Marne). 
Heniuot  fEiienne),  proprietaire  a  Trigny. 

HoMBRES-FiRMAS  (baron  d' )  (#),  docleur  es- 
sciences,  correspondanl  de  I'lnslitut,  a  Alais 
fGard). 

HuBKRT  (J.),  professeur  de  philosophic  au  col- 
lege de  Charleville   (Ardennesj. 
HuoT  (P.),  substiiiit  du  procureur  de  la  Repu- 

blique,  a  Orleans. 
HussoN  (-^'i,  membre  de  I'Academie  de  mede- 

cine,  au  lycee  Descarles,   a  Paris. 
Jamin,    professeur   au   lycee   Louis-le-Grand,    a 

Paris. 
Jarry  de  Mancy  (^.),  professeur  a  I'ecole  des 

beaux-arls,   rue  Casseiie,  5,  a  Paris. 
Jobard  (#),  direcleur  du  rausee  de  I'industrie, 

a  Bruxelles. 
JoLiBois  (E.),  professeur  d'hisloire  au  lycee  de 

Colmar  (Hant-Rhin). 
JoLY ,    professeur  de   rhelorique,   au  lycee   de 

Marseille. 
Jopp£;,  conservaleur  de  la  bibliolheque,  a  Cha- 

lons-sur-Marne. 

Jourdain-Sainte-Foi,  homme  de  leltres,  a  Done 

(Maine-el-Loire). 
JL■Bl^AL  (A.)  (#),  homme  de  lettres ,   rue  Ta- 

ranne,   16,  a  Paris. 

JuLiEN  fStan.)  (#),  membre  de  I'Academie  des 
inscriptions   el   belles-lellres,    professeur   de 


—  165  — 

langiie  el  de  liileraUue  chinoises  au  college  de 
France,   place  dc  TEslrapaile,   34-,   ix  Paris. 
MM,  Kerckove   (vicomte  de),  president  de  I'Acade- 
mie  d'archeologie   de  Belgique,   h  Anvers. 

Kerckoye  ( vicomle  Eugene  de)  (#),  charge 
d'affaires  du  roi  des  Beiges,  a  Constantinople. 

KoziEuowsKi ,  architecte ,  niembre  du  Comile 
d'archeologie,  a  Paris. 

Ladeveze  (comle  de),    niaire   d'Orbais  (Marne). 

Lair  a^),  secretaire  perpeiuel  de  la  Societe 
d'agriculture  et    de    commerce,   a  Caen. 

Lambertye  (comte  de),  proprietaire,  a  Chaltrail 
(Marne). 

Leberthais,   peinlre  graveur,  ix  Lisboiine. 

Le  Bidard  de  Thumaise  (le  chevalier  dej,  secre- 
taire-general de  la  Societe  libre  d'emulation  de 
Liege. 

Lebrun,  directeur  de  I'ecole  des  arts  et  metiers, 
a  Chalons  (Marne). 

Leclerc  ,  economiste ,  a  Paris. 

Lecointe  (L.)  ,  professeur  a  I'athenee  royal. 

Lejeene,  professeur  au  lycee  de  Reims,  olTicier 
de  rUniversite. 

Leleu-d'Aubilly  ,  membre  du  conseil  general  de 
la  Marne,  a  Aubilly (Marne). 

LfiPAELE,  peinlre,  a  Paris. 

LfipiNE  ,  jurisconsulle  ,  a  Renwez  (Ardennes). 

Leroux  ,  docleur  en  medecine,  h  Corheny  (Aisne). 

Lesure  ,  docteur  en  medecine  ,  h  Altigny  (Ar- 
dennes). 

Leuchsenring  ,  docteur  en  medecine  ,  h  Reims. 

Levesque  de  PouiLLY(#),  ancicn  depute,  a 
Arcv-Ponsart  (Marne). 


—  166  — 

MM.  LicouRT  ,  docteur  en  medecine,  a  Chaiillon-aur- 
Marne. 

Li^NARD  ,  peinlre,  membie  du  Comiie  d'arclieo- 

logie ,  &  Chalons-sur  Marne. 
Lies  ,   docteur  es  sciences,  chef  d'insiitulion,  a 

Charleville. 

Loiso^j,  homnae  de  lettres,  quni  Bourbon  ,  35, 
ci  Paris. 

LoRiN  fTh.)  membre  de  la  Societe  des  anliquaires 

de  France,  a  Vauxbain  ,  pres  Soissons  (Aisne.) 

Lours  {^^  ,  medecin  en  chef  des  epidemics  de  la 

Seine  ,  rue  de  Menars  ,  8  ,  i  Paris. 
Ll'Ndi  (Jules) ,  paleographe  ,  a  Paris. 
Maillet  ,  membre  du  Cornice  agricole  ,  a  Reims. 
Maizieres  ((!e),  ancien  professeur  de  I'Univer- 

sile ,  h  Reims. 
Mangeart  ,  avocat,  h  Valenciennes. 

Mareuse  (V.),  avocali  la  cour  d'appel  d'Amiens, 
rue  Bleue  ,  4  ,  ^  Paris. 

Marolles  (Quatkesols  DEj,  president  du  tri- 
bunal civil ,  a  Arcis-sur-Aube. 

Marinet  (#),  ingenieur  en  chef  des  ponls  ct 
chaussees,  h  Chateau-Thierry  (Aisne). 

Mathieu,  avocat  &  ia  cour  d'appel,  rue  Riche- 
lieu ,  29,  S  Paris. 

Maupassant,  professeur  de  philosophic  an  college 
de  Chaloiis-sur-xMarne  ,  oiBcier  de  rUnivcrsiie. 

Maupied  ,  professeur  a  la  Faculte  de  theologie 
de  Paris,  rue  S'-Dominique-d'Enfer  ,  20,  a 
Paris. 

Mauvais  (#)  membre  de  rAcadeniie  des  sciences 


—  167  — 

et  dii  Bureau  des  loiigiiudes  ,  a  robservaioire, 
a  Paris. 
MM.  Mellet  (conile de),proprielaire,a  Cliallrait  (Maine) 
Menisesson  (M.)  ,  doclenr  en  droil ,  a  Laon. 

Mkhode  (comle  de)  (0.  ^),  minislre  d'Eial ,   a 

Bruxelles. 
Meugy,  docleur  enmedecine,  a  Relhel  (Ardennes) 
MiciiELiN  (II.)    (#),  conscilier  a    la  Gourdes 

comptes,  membre  de  la  Societe  geologique  de 

France  ,  rue  Sainl-Guillaume  ,  20  ,  a  Paiis. 
MiGEOT  ,  cure-doyen  de  Signy  le-Pelit  (Ardennes). 
Millet,  jugede  pais  deSissonnc,  aLiesse  (Aisne. 
Millet  ,  iiispccteur  des  forels  ,  sous-chef  a  I'ad- 

niinislralidn  des  forets  ,  a  Paris. 
MoNMERQUfi  (0.  :^  ),  membre  de  I'Academie    des 

inscriptions  el  bellcs-lcUres,  rue  Saint-Louis  , 

o9  ,  au  Marais  ,  a  Paris. 
Morel  ,  professeur  de  rhetorique  au  college  de 

Niort. 
MozEii ,  imedecin  ,  a  Verzy  (Marne). 
MiiLBACH  ,   professeur  de  litlerature  allemande , 

a  Eger  (Boheme). 
NicoT  (0.  #) ,  ancien  recleur  de  I'Academie  de 

Nimes. 
NizARD  ( Desire  )  (#)  ,  professeur  an  college  de 

France ,   a  Paris. 
NiTOT  ,  maire  d'Ay,  (  membre  du  conseil  general 

de  la  Marne  j. 
NoEL-AGiNi;s  ,  ancien  sous-prefet  de  Cherbourg. 
Oppert  ,  professeur  de  langues  ,  a  Paris. 
OzANNEAUX  (0.  #),  inspecteur  general  de  I'Uni- 

versile,  quai  Bourbon  ,  55,  a  Paris. 


—  168  — 

MM.  OzERAY  ,    aichivisle     paleographe  ,     a    Bouillon 

(Belgique ). 
Pape  (Lutlwig)  ,  docleiir  en  metlecine  ,  au  cap 

do  Bonne-Esperance. 
Pakis  ,  notaire  ,  a  Epernay. 
Paris  (  Paulin )    (t)  ^    mcmbre   de    rAcatlemie 

des  inscriptions  el  belles-iellrts,  conservaleur- 

adjoinl  de  la  bibliolheque  nalionale  ,  a  Paris. 
Pauffin  ( Cberi ) ,.  ancien  juge  ,  rue  Bacine  ,  45 , 

a  Paris. 
Peugant,  mcmbre  du  Cornice  agricole,  a  Vilry- 

le-FranQois  (Marne). 
P£riin(A),  peintre,  rue  Saint-Lazare,  H,  a  Paris. 
Peiinot  f#) ,   peinlre  ,  mcmbre  du    Comile  des 

arts  el  moruimculs  ,  rue  Saiiit-Hyacinlhc-Sainl- 

Honore,  7  ,  a  Paris. 
PerueaL'  ( J'jies  )  ,  bonime  de  lellres,  a  Beims. 
Perier    (E.)  ,   mcmbre  de  la  Socieie  academique 

de  Chalons-sur-Marne. 
Perron  ,  professeur  a  la  Faculle  des  lellres  de 

Bcsan^on. 
Perrotti-t  (#) ,  direcleur  du  jardin  du  roi ,  a 

Pondichery  (Inde  fran^aise). 
Petit  ,  doclcur  en  medecine,  a  Hermonville. 
PiERQUiN  ,  cure  dc  Sarcy. 
PiiSGUET  ,  gravcur  ,  rue  Guenegaud  ,  5 ,  a  Paris. 
Piinteville-Ckrnon  (de)  ,  president  du  Cornice 

agricole  dc  la  Marne  ,  a  Cernon  (Marne;. 
Polonceau  (^ ) ,  ancien  reclcur  de  I'Universiie, 

rue  Neuve  des-Pelils-Cbamps,  77  ,  a  Paris. 
PoNsiNET  ,  subslilul  a  AlenQon  fOrne  ) 


—  169  ^ 

MM.  PoNTAUMONT  (de)  ,  niembre  de  la  Sociele  acatle- 

mique  ,  a  Cherbourg. 
PoQUET  ,    directeur    de  I'Inslilul  des  sourds  el 

muels  ,  a  Soissons. 
Pr^gnon  ,  cure  a  Toicy  (Ardennes). 
Priin  (#) ,  docteur  en  medecine  ,  a  Chalons-sur- 

Marne. 
Prompsault,  auraonier  de  la  maison  desQuinze- 

Vingts  ,   a  Paris. 
Provosta've  (de  la  ) ,  inspecteur  de  I'Academie 

de  Paris. 
Rafn  (Christ. j  (#J ,  secretaire  de  la  Societe  des 

anliquaires  du  Nord  ,  a  Copenhague. 
Rattier  (^j,  recteurde  TAcademie  de  la  Creuse. 
Regazzoni  (I'abbe),  docteur  ,  cliapelaiu  pres  I'e- 

glise  S.-Fidele,  a  Milan. 
Richard  ,  docteur  en  medecine  ,  a  Hermonville. 
RiCHELET  ,    conservateur  de  la  bibliotheque  ,    au 

Mans. 
RoRELiN  ,  architecte  ,    a  Paris. 
RoRERT  fCh.)  (#) ,  ancien  eleve  de  I'ecole  poly- 

lechnique  ,  sous-intendant  miliiaire  ,  a  Melz. 
RoisiN  ( baron  de )   (^) ,  proprietaire  a  Ronn  , 

(  Prusse  rhenane), —  ou  rue  Fran^aise  ,  58, 

a  Lille. 
jftoNDOT  (Natalis)  (#) ,  delegue  en  Chine  pour 

les  industries  des  laines  eldessoies,  membrede 

la  Societe  asiatiquc,  rue  Monlholon„24,  a  Paris. 
Rolciier-d'Aubainel  ,  docteur  en  medecine ,  a 

Fere-en-Tardenois  (Aisne). 
Rouit  ,  directeur  de  I'ecole  normale  primaire  ,  a 

Laon. 


—  170  — 

MM.  Rousseau  ,  doclcur  en  medecine  ,  a  Epernay. 
RoYEU  (E.  de)  ,  procureur-general  pies  la  com- 

d'appel ,  rue  Sainl-Benoil ,  17  ,  a  Paris. 
Ro\ER-CoLLAi\D  (P.)  (#),  dojcn  de  la  Faculle  de 

droit  ,  a  Paris. 
RuiNART  DE  BuiMONT  (Ed.),  mcmbre  de  la  Sociele 

geologique  de  France,  rue  Casselle ,  a  Paris. 
Saiint-Vinceist,  president  du  tribunal,  aCharleville 
Salle,  docteur  en  medecine,  a  Chalons-s-Marne. 
Saunier  ,  professeur  d'hisioire  au  lycee  de  Nancy. 
Sauvage  (#) ,  ingenieur  des  mines,  a  Melz. 
Sauville  (Guillaume  de),  conseiller  de  prefec- 
ture ,  h  Mczieres. 
Say  (H.)  (stej ,  membre  du  conseil-general  de  la 

Seine  el  de  la  chambre  de  commerce  de  Paris  , 

rue  Bleue  ,  13,  a  Paris. 
Say  (LitON) ,  economisle  .  a  Paris.  . 
Selliei\  ,  secretaire  de  la  Sociele  d'agricullure  , 

a  Chalons-sur-Marne. 
Selre  ,  docleuren  medecine.  a  Suippes  (Marne). 
Seure  ( Onesime ) ,  homme  de  leltres  ,  rue  Neuve- 

des-Malhurins ,  70,  a  Paris. 
SucKAU  ,  professeur  d'allemand  au  lycee  Monge, 

rue  Saint-Hyacinlhe-Saint-Michel ,  a  Paris. 
SuRY  ,  cure  a  Loivre  (Marne). 
Sylvestre  v#)  ,  bomme  de  leltres  ,  place  Belle- 

Chasse  ,  a  Paris. 
Taillefert,  censeur  des  etudes  au  lycee  d'Angers. 
Tampucci  (H.)  ,  homme  de  lettres  ,  a  Reims. 
Tempihr  ,  jurisconsulle  ,  a  Marseille. 
Teste  d'Oukt  ,  homme  de  lellres  ,  correspondant 


—  171  — 

(111    minisiere   de  rJnslruciioii    juibliquc ,   rue 

Boiirg-l'Al)lje .  7  ,  a  Paris. 
MM.  ThieuiondkMonclin  (J.),  a  Nanieuilf Ardennes). 
TiUFKRY   (  E.  Du ) ,   ancien  officier  de  cavalerie , 

rue  du  Faubourg-du-Roule ,  68  ,  a  Paris  ,  — 

el  a  Fismes    (Marne). 
Thomas  (Honore) ,  liomme  de  lelires  ,  a  Reims. 
TiRMAN  ,  docteur  en  medecine  ,  a  Meziercs. 
Varennes  ,  avocat ,  a  Vliry-le-Frangois. 
ViANcm  ,  membre  de  FAcademie  de  Bcsan^on. 
ViLLEMiNOT  ,  ingenieur  mecanicicn^   membre  de 

la  chambre  de  commerce  dc  Reims. 
Vincent  ,  ins;  ecu  ur  des  ecoles  priiuaircs  de  Melz. 
ViOLETTE  ,  honnue  de  lelliis,  a  Mary-sur-Marne 

(Seine-el-Marne). 
ViONNOis,  juge  au  tribunal  civil,  a  Monlpellier. 
VisMES  (de)  (#),  ancien  prefet,  a  Sezanne  (Marne). 
VoiLEMiER  ,  docteur  en  medecine,  a  Senlis  (Oise). 
Vroil  (Jules  HfiRiOT  de),  membre  de  la  Societe 

des  economistes  ,  a  Reims. 
Weiss  (#)  ,  correspondant  de  I'lnsliiut,  conser- 

vaieur  de  la  bibliolbeque,  a  Besan^on. 
WiNT  (Paul  DE) ,  homme  de  letires  ,    rue    des 

Marais-St-Marlin,29,  a  Paris. 
YvAN  (#) ,  docteur  en  medecine ,   medecin    de 

I'ambassade  de  Franco  en  Chine ,  professeur 

d'hisloire  nalurelle  medicale  ,  place  Breda  ,  10, 

ii  Paris. 


II. 


12' 


LISTE 

DES  OUVRAGES  ADRESSES  A  L'ACADEMIE 

DE    REIMS 

pendant  I'annee   l8S0-i851. 


Un  Souvenir  ou  VErmitage  de  Sl-Valbert,  pres  tie 
I'ancicnne  ahbaye  de  Luxeuil,  par  M.  I'abbe  J.-B.  Clerc. 

De  I'tdncalion,  discours  proiionce  a  la  distribulion 
des  prix  dti  college  dc  Chalons-sur-Marne,  par  M.  Mau- 
passant. 

Notice  sur  M.  Gay-Lussac  ,  par  M.  A.  Gardeur-Le- 
brun. 

Histoire  de  la  Redemption ,  par  M.  I'abbe  Chassay, 
professeurdephilosophie  au  grandsemiuairedeBayeux. 

Notice  biographique  sur  M.  J.-F.-J.  Ruinart  ,  vi- 
c.omie  de  Brim ont ,  par  M.  Lacalle-Joltrois. 

Manuel  de  I'lmloire  des  Conciles ,  par  M.  H.-P. 
Guerin  ,  redacleur  en  cheidu  Memorial  ca(holique. 

Sur  nne  recetile  el  brillaule  experience  d'oplique, 
d'oii  Ton  a  conclu  a  lori  lo  renvcrsemenl  de  la  theoric 
Newtonieniie  de  la  lumiere  ,  par  M.  de  Maizieres. 

Dtselfetsphysiologiquesei  iherapeutiques  des  ethers, 
par  M.  le  docleur  Chamberl. 

Souvenir  poelique  du  6  Novembre  4850,  barmonie 
dediee  a  Monseigneur  le  Cardinal  Archcveque  de  Reims; 
maniiscrit  olferl  par  M.  Flin. 

Manuel  d'une  Femme  chretienne,  par  M.  I'abbe  Chas- 
say. 


—  173  — 

Le  iMyslicisme  calholique  ,  par  le  raeme. 

Vie  abregee  de  saint  Remi ,  apolre  des  Fran^ais , 
aicluveqiie  de  Reims,  patron  du  pays  de  Reims,  par 
M.  I'alibeV.  Toiiriieur. 

Rapporl  sur  uii  app;treil  destine  a  concenlrer  dans  le 
vide  les  exlraits  pharmaceuliquos,  invenle  par  M.Grand- 
val ,  phanviacien  des  hopilaux  de  Reims^  par  M.  Faiir. 

Memoirc  sur  la  double  refraction  elliplique  du  quartz 
par  M.J.  Jamin. 

Sur  le  vaisseau  aerien  ,  par  M.  de  Maizieres. 

Fables,  par  M.  Th.  Lorin,  membre  de  la  Societe 
polytcchnique  el  dela  Society  des  aniiqnaires  de  France. 

Essais  sur  quelques  proverbes  coulesies  el  contcs- 
lables  ,  par  le  meme. 

Nouvellc  etude  des  jetons  ,  par  M.  J.  de  Fontenay, 
secretaire  de  la  Societe  Eduenne. 

Hisloire  populaire  de  Napoleon,  parM.  Chauvet. 

Memoire  sur  la  question  :  Monlrer  quelles  modifica- 
tions dans  les  mwurs  publiqiies  et  privies  paraissent 
devoir  elre  les  plus  favorable^  au  progres  de  l' agri- 
culture et  a  la  moralite ,  comme  au  bien-elre  des 
populations  agricoles ,  par  M.  de  Maizieres. 

Le  Divorce,  poesie  ,  parM.  0.  Seure. 

Petition  a  I'A-serablee  nalionale  sur  plusieurs  ques- 
tions briilantes,  par  iVl.  de  Maizieres. 

Memoire  pour  le  Irailement  des  plaies  succedani  a 
I'extirpation  du  seiu  el  de  I'aisselle ,  au  moyen  de  la 
suture  enlortillee  ,  par  le  docteur  Collet  son  de  Noyon. 

Alliance  de  la  for  et  de  la  raison  ,  par  M.  0.  Seure. 

Los  solenciles  Paschales  ou  I'Alleluia  d.  1850,  par 
le  merne 

Elude  critiques  sur  les  iravaux  historiques  de  M. 
Gnizot ,  ^  ^r  M  .  Gainel ,  cure  de  Cormonlreiiil. 


—  illi  — 

Cousideraiions  sur  les  privileges  dii  genie  ,  paiM.  do 
Coellosquel. 

Consideralionssur  lesmoyeiisdedeiruireou  au  moins 
d'affaiblir  en  France  le  prejuge  dn  duel,    par  le  meme. 

Histoire  du  Synode  de  Reims  de  I'an  1850 ,  par 
M.   Delan. 

De  la  legislaiion  sur  les  brevets  d'invenlion  ,  par 
M.  de  Maizieres. 

Reponse  a  la  Presse  sur  la  maladie  des  pommes  de 
terre.  par  M.  Leroy-Mobillon. 

L'eclusierde  Nanieuil  ,  episode  de  la  guerre  d'Afri- 
que,  par  M.  Chery  Pauffin. 

Lellre  sur  le  proverbe  de  madame  Emile  de  Girar- 
din:    C'est  la  faute  du  mari,  par  M.  0.  Seure. 

Notice  sur  M.  Bogaerlz ,  professeur  d'histoire  a 
I'Athenee  d'Anvers,   par  M.   de    Ponlaumont. 

Application  de  relectro-magnetisme  dans  la  locomo- 
tion sur  les  chemins  de  fer,  etc.,  par  MM.  Amberger, 
Riekbi  el  Casser. 

De  I'amaurose  albuniinique,  par  M.  Avrard. 

Notes  hisloriques  sur  la  maitrise  de  Sainl-Quenlin 
et  sur  les  celebrites  musicales  de  celte  ville. 

De  la  nature  de  I'homme  et  des  moyens  d'ame- 
liorer   sa  condition  ,  par  M.  A.  Fignorei. 

Quiquengrogne,   par   M.   Em.  Chevallet. 

Description  d'une  nouvelle  espece  de  cariophille, 
par  M.    Michelin. 

De  la  question  malthusienne,  par  M.  de  Maizieres. 

Lettre  el  discours  de  Gerbert ,  par  M.  L.  Barse. 

Precis  hislorique  de  Thopital  de  la  marine  a 
Cherbourg,    par  M.  de  Poutaumont. 


—  Mb  — 

La  Compagnie  de  rarqiichuse  h  Chalons ,  par  M.  de 
Barthelemy. 

L'echevinage  et  le  presidial  h  Chalons  ,  par  ie 
meme. 

Nolice  sur  le  chaplire  de  St-Etienne  a  Chalons, 
par  le  meme. 

Notice  sur  les  ^tablissements  des  hospitallers  mi- 
litaircs  en  Champagne,  par   le  meme. 

Memoire  sur  I'eleclion  &  I'empire  d'Allemagno  de 
Francois  Elienne,  due  de  Lorraine,  par  le  meme. 


ACADtMIE  DE  REIMS. 


LTSTE   DES   SOCI^TfiS   CORRESPONDANTES. 


Sociele       academiqiie,  a  Sl-Queniin   fAisne). 

archeologique,   a  Soissons. 

d'eniulalion  ,  des  sciences  ,  arts  el  belles- 

lellres,  a  Moulins  fAllier). 

d'agriculuire.  a  Mezieres  (Ardennes). 

d'agriculuire,  sciences,  arts  el  belles-leUres, 

'  a  Troyes  fAube). 
(ies    leilros  ,    sciences  el  arls  ,    b    Rodez 

(Aveyron). 
Academic  des  sciences ,  lellres  et  arls  ,   a  Marseille 

(Bouches-du-Rhone). 
des  sciences,  arts  et  belles-lellres ,  h  Caen 

(Calvados) . 
Sociele       des  anliquaires  de  Normandie,  a  Caen. 

d'agriculuire  el  de  commerce,  a  Caen. 

academique  ,  agricole ,  induslrielle  et  d'in- 

slruclion,  a  Faiaise  (Calvados). 
d'agriculture  ,  sciences  el  bdles-lellres  ,  a 

Rocheforl  ( Cbarente-Inferieure). 

d'agriculure,  a  Bourges  (Cber). 

Academie  des  sciences,  arls  el  belles-lettres,  a  Dijon 

(Cole-d'or) . 
des  sciences  ,  lellres  el  arls  ,  a  Besan?on 

(Doubs). 
Sociele       libre  d'agriculuire  ,  sciences,  arts  et  belles- 
lellres,  h  Evreux  (Eure^. 


11 


w\ 


I 


—   177   — 


Acadernie 

Socieio 

Acatlemie 

Sociele 


Societe 

Cornice 
Sociele 


Academie 


du  Card,  a  Nimes  (Card). 

des  sciences,  inscriptions  el  belles-letlres, 
a  Toulouse  (Haute-Garonne). 

des  jeux  floraux,  a  Toulouse. 

archeologique  du  Midi  de  la  France,  a 
Toulouse. 

des  sciences,  belles-lellres  cl  arts ,  h  Bor- 
deaux fGirondc). 

archeologique  ,  a  Beziers  (Heraull). 

d'agricullure  el  d'industrie,  a  Rennes  (Flle- 
el-Vilaine). 

d'agricullure,  des  sciences,  aris  el  belles- 
lellres,   a  Tours  (Indre-el-Loire). 

d'emulalion,  a  Lons-le-Saulnier(Jura). 

economique,  d'agricullure,  sciences,  arls  el 
manuf.,  a  Monl-dc-Marsan  (Lamies).   • 

acadeniique,  h  Nanles  (  Loirc-Inl'erieure). 

d'agricullure,  sciences,  arls  el  commerce, 
au  Puy  (Hauie-Loire). 

des  sciences,  belles-lellres  el  arls,  a  Orleans 
(Loirel). 

d'agricullure,  commerce,  s^jiences  el  arls, 
a  Mende  fLozere). 

d'agricullure  ,  sciences  el  arls  ,  a  Angers 
(Maine-el-Loire). 

academique,  &  Cherbourg  (Manche). 

d'agricullure  ,  commerce,  sciences  el  arls, 
h  Chalons-sur-Marne  fMarne). 

agricoledela  Marne,  i  Chalons-sur-Marne. 

des  sciences ,  lellres  el  arls ,  k  Nancy 
(Meurlhe). 

philomatique,  a  Verdun  (Meuse). 

a  Melz  (Moselle). 


—  178  — 


Sociele 


cenlrale  d'agriculture. 


Athenee 
Sociele 


Academic 
Sociele 


Academic 
Sociele 


sciences  el  arts  ,  ci 
Douai  (Nord). 

d'agricullure  ,  sciences  el  arls  ,  k  Valen- 
ciennes. 

des  sciences,  de  ragriciillure  el  des  arls  , 
a  Lille. 

de  Beauvaisis,  h  Beauvais  (Oise). 

pour  Tencouragemeni  des  sciences ,  des 
lellres  el  des  arts ,  a  Arras  ( Pas-de- 
Calais). 

des  antiquaires  de  la  Morinie,  h  Saint  Omer. 

d'agricullure,  du  commerce,  des  sciences 
et  arls,  a  Boulogne-sur-Mer. 

des  sciences  ,  belles-letlres  el  arls ,  h 
Clermont-Ferrand  (Puy-de-D6mc). 

agricole,  scienlilique  et  lilleraire,  a  Perpi- 
gnan  ('Pyrenees-Orienlales). 

des  sciences,  agficuliure  el  arls,  h  Stras- 
bourg (Bas-Rliin). 

d'agriculture,  commerce,  sciences  el  arls, 
a  Vesoul  (Haule-Saone). 

d'hisloire  el  d'archeoiogie  ,  &  Chalons-sur- 
Saone  fSaone-el-Loire). 

d'agricullure ,  sciences  el  belles-lettres,  h 
Macon. 

Eduenne,  i  Autun. 

d'agriculture  ,  sciences  el  arls  ,  au  Mans 
(Sarlhe). 

d'agriculture  ,  sciences  el  arts ,  a  Meaux 
(Seine-el-Marnej. 

des  sciences,  leltres  et  arls,  k  Rouen  (Seine- 
Inferieure). 

cenlrale  d'agriculture,  i  Rouen. 


—  179  - 

Sociele       libre  d'emiilation,  h  Rouen. 

liavraise  d'eiiidos  diverses,  au  Havre. 

des  sciences  morales,  des  leUres  el  des  arts, 

bi  Versailles  (Seine-et-Oise). 

de  slalislique,  h  NiortfDeux-Sevres). 

des  anliquaires  de    Picardie ,    6    Amiens 

(Somme), 

d'emulalion  ,   a    Abbeville. 

Sociele       des  sciences,  belles-ielires  el  arts,  h  Toulon 

(Var). 
des    anliquaires   de    lOuest  ,    h     Poiliers 

(Vienne. 

d'emulalion,  h  Epinal  (Vosges). 

arcbeologique,  a  Sens  (Yonne). 

Academic    des  sciences,  h  Paris  (Seine) 

des  inscriplious  el  belies-leltres ,  a  Paris. 

des  sciences  morales  el  poliiiques,  » 

Sociele       cenlrale  d'agricullure ,  » 

des  anliquaires  de  France,  » 

d'encouragemenl  pour  I'induslrie  na- 

liouale ,  » 

geologique  de  France ,  » 

degeographie ,  *5 

d'horlicullure,  >• 

d'oenologie  frangaise  cl  6lrangere ,  ;> 


tarlf: 


DES   AUTEURS 


POUR    LKS   DEUX  VOLUMES 


de  I'annee  ^ 850- i SSL 


E.  Arnould. 

Analyse  lilleraire  el  philosophique  des  ouvrages  les 
plus  utiles  atix  moeurs  ,  page  125. 

AZAIS. 

Recherches  sur  les  Ligures,  p.  235. 
Rand[;ville. 

Rapporl  sur  le  Manuel  de  I'Hisloire  des  Conciles  ,   par 

M.  F.  Guerin  ,  p.  220. 
Comple-rendu  des  Travaux  de   rAcademie    pendant 

I'annee  1850-1851,  2^  partie,  p.  98. 

Baudesson. 

Observation  d'un  cas  de  fievre  inlermiitente  chez   le 
cheval.  p.  167. 

BOUVARD . 

Vieilles  forets  dont   rassouchemenl  a  besoin    d'etre] 
renouvele ,  p.  98. 


—  18i  — 

DUQUENELLE. 

Rapporl  sur  la    noiivelle    elude   de  jelons  de  M.  de 

Fonlenay,  p.  228. 
Exanien  de  pieces  de  moniiaies  du  xv«  siecle  ,    p.  285. 

Gainet. 

Rapporl  sur  le  livre  de  M.  Chassay  ,  inJilule  :  Mysti- 
cisme  catholique ,  p.  119. 

Grandval. 

De  qnelques  produils  pharmaceuliques  aliraentaires 
et  iuduslriels  obtenus  daos  le  vide  au  moyen  d'un 
nouvel  apparcil  ,   p.  92, 

FOUNERON. 

Ve  nos  I'aculies  liueraires,  p.  -190. 

Landouzy. 

Observations  sur   I'hisloire  geographique  du  goilre  , 
p.  90. 

De  I'amaurose  dans  la  nephrite  albumineuse  ,  2^  me- 
nioire,  p.  29. 

De  I'exaltation  de  I'ouie  dans  la  paralysie  du  nerf 
facial,   p.    52. 

LORIQUET. 

Quelques  mots  sur  les  se[)uliures  des  rois  de  Cas- 
tille  ,  p.  259. 

Note  au  sujet  d'une  lampe  antique ,  2"  parlie,  p.  70. 
Rapport  sur  les  memoires  de  TAcadenoie  de  Melz  , 
xxxi«  annee,  2»  parlie,  p.  49. 

Lebrdr. 

Rapports  sur    diverses   pompes  presentees    par    M. 
Caillet ,  2"  partie ,  p.  15. 


—  182  — 
Maumene. 

Rapport  sur  le  paracasse  deM.de  Maizieres  ,  p.  74. 

Note  sur  I'emploi  des  sulfates  d'alumine,  p.  175. 

Analyse  de  pieces  gauloises  en  plomb  et  en  or  , 
p.  288. 

Lettre  a  M.  le  ministre  de  ragriculturc  et  du  com- 
merce sur  I'hisloire  geograpliique  du  goitre  ,   p.  86. 

Mouvement  de  rotation  de  la  terre,  demontre  sous 
les  voules    de  la  caihedrale ,   2«  partie  ,  p.  83. 

G.    MASsfi. 

Sur  les  ceuvres  de  M.  Troplong  ,  el  specialement  sur 
son  commenlaire  des  titres  du  contrat  de  mariage, 
p.  178. 

De  Mellet, 

Rapport  sur  le  Congres  des  delegues  des  Societes 
savantes  de  France ,  tenu  au  Luxembourg  le  20 
Fevrier  J851   el  jours   suivants  ,  p.  205. 

MORTIER   DES   NOYERS. 

Has  de  Sanche  I",  p.  256. 

MOURIN. 

Eludes   biographiques  ,  ix*  et  x"  siecles  ,   p.  24. 

Oppert. 

Importance  hisiorique  des  inscriptions  asialiques  nou- 

vellement  dechiffrees  ,  i^'  article,  p.  248. 
Meme  sujet ,   2^  article,  2"  partie ,  p.   42. 

Henri  Paris. 
Rapport  sur  les  Concours  de  1851  ,  2»  partie  ,  p.  Hi. 


I 


—  183  - 

PlERRET. 

Rapporl  sur  un  ouvrage  de  M.  Lorin  ,  inliuile  : 
Essai  sur  quelques  proverbes  conlestes  et  contesta- 
bles,    p.   198. 

Max.  Sutaine. 

Allocution  ,  p.  1. 

Notice  sur  G.  Baussonnet ,   p.  291 . 
Notice  sur   Edme  Moreau  ,  2=  partie  ^    p.  17. 
Discours  d'oiiverlure  a  la  seance  publique,  2'  partie, 
p.  91. 

Seure. 

Relation  du  cholera-morbus  a  Suippes  en  1849, 
p.  3. 

SORNI 

Ruines  de  I'abbaye  d'Orval,  p.  210. 

Experience  recente  de  M.  Foucault,  2*=  partie,   p.  1. 

TOURNEUR. 

Rapport  sur  lo  livre  :  La  purele  du  coeur  ,  par  M. 
Chassay ,  p.   106. 

Velly. 

Notice  sur  la  distillation  des  vins ,  2'  panic ,  p.  6. 

VlOLETTE. 

La  Justice  normande,  conte ,  p.  159. 


TABLE  DES  M4TIERES 

COINTE^UES    DANS    LES    DEIX    VOLUMES 

de  Vaniice  4850-1854. 


ARCHfiOLOGlE   ET   HiSTOIRE. 

Kapporl  sur   Ic  nianuel  de  Thisloire  das  Conciles  de 

M.    F.  Guerin  ,  par  M.  Bandeville,  p.  220. 
Recherches    sur  los  Ligiircs,    par  M.  Azai's,  p.  235, 
Importance     liislorique    des    inscriplions    asialiques 

nouvellemenldechiffrees  (1"  article),  parM.  Oppert, 

p.  248. 
Bas  de  Sar.che  I",  par  M.    Mortier  des  Noyers  , 

p.  2o6. 
Quelques  mots  sur   les  sepultures  des  rois  de  Cas- 

tille,  por  M.  Ch.  Loriquet,  p.  239. 
Eludes  biographiques  (ix«  et  x'' siecles),  parM.MouRiN, 

p.  24. 
Importance     historique    des    inscriptions     asiatiques 

nouvellement  dechiffrees  (2"  article),  par  M.  Oppert, 

2«  partie,   p.    42. 
Note  au  sujel  d'une  lampe  antique  Irouvee  h  Grand 

(Vosgesj,  par  M.  Ch.  Loriquet,2''  pariie,  p.  70. 

Beaux-Arts. 

Notice  sur  G.  Baussonnet  de  Reims,  par  M.   Max. 
SUTAJNE,   p.  291. 


—  185  — 

Noiice  sur  Ednie  Moroaii  ,  gravour ,  par  M.  Max. 
SuTAiNE,  2'  parlie ,  p.   17. 

EcoNOMili    AGUICOLE 

Vieilles  forels  dont  I'assoiicliemenl  a  besoin  d'etre 
reiiouvele  ,  par  M.  Bolvard,  des  Ardenues,  p.  98. 

ECONOMIE    INDUSTRIELLE. 

Rapport  siir  le   parncasse   de  M.   de   Maizieie  ,    par 

M.   Maumene  ,   p.    74. 
Nolicc  sur    la    dislillalion   des   vins,    par  M.  Velly. 

2«  parlie,   p.  6. 
Rapporl    sur   diverses    pompcs    presentees   par    M. 

Caillel,   de  Chalons-sur-Marne  ,   par  M.     Lebuun, 

2«  panic,  p.   13. 

Jurisprudence. 
Sur   les  oeuvres  de  M.  Troplong,  et  specialemeni  sur 
son  commenlaire  du  litre  du    conlrat  de  mariage, 
par  M.  G.  Mass6  ,    p.  178. 

LlTT^RATURE. 

Analyse  liiteraire  et   pliilosophique  des   ouvrages  les 

plus  utiles   aux  moeurs ,    par   M.   i.rn.   Arnould  , 

p.   125. 
Rapporl  sur  un  ouvrage   de  M.   Th.  Lorin,  intitule  : 

Essai  sur  quelques  proverbcs  contestcs  et  conteslables, 

par  M.  Pierret,   p.  198. 
Ruines  de  I'abbaye  d'Orval ,  par  M.  Sorinin,  p.  210 

MfiDEClNE. 

Relation  du  cholera-morbus  qui  a  regne  k  Suippes 
en   1849,  par  le  docteur  Seure,   p.  3. 

De  I'amaurose  dans  la  nephrite  olbumineuse  (deu- 
xieme  memoire),  par  M.  H.   Lai\douzy,  p.  29. 


—  186  — 

De  I'exaltation  dc  I'ouie  dans  la  paralysie  dii  neri 
facial  ,  par  M.   H.   Landouzy  .  p.  5'2. 

Observation  d'un  cas  de  fievre  inUM-miltente  chez  le 
cheval ,  par  M.  A.  Baudesson,  p.  467 

NUMISMATIQUE. 

Rapporl  siir  la  nouvelle elude  dejeionsde  M.  de  Fon- 

lenay,  par  M.  Duquenelle  ,  p.  228. 
Examen  de  pieces  de  monnaie  du  xv^  siecle,   par  M. 

DUQUENELLE ,  p.  285. 

Analyses  de  pieces  gauloisos  en  plomb  el  en  or,  par 
M.'MAUMEisfi,  p.  288. 

POESIE. 

La  Justice  normande,  conle,  par  M.  Violette,  p.  159. 
Philosophie. 

Rapporl  sur  le  livre  la  Purete  du  coeur,  par  M.  I'abbe 
Chassay,   par  M.  V.   Tourneuk  ,  p.  106. 

Rapport  sur  le  livre  de  M.  Chassay,  intitule:  Mys- 
licisme  catholique  ,  par  M.  Gainet,  p.    119. 

De  nos  facullcs  litleraires ,  par  M.  Forneron  , 
p.    190. 

Sciences. 

Lettreadressee  a  M.  le  minislre  de  I'agriculture  et  du 
commerce,  par  M.  MAUMEiNt; ,  sur  I'hisloire  i^eogra- 
phiquedu  goitre,  p.  86. 

Observati;-ns  sur  le  meraesujet,  par  M.  H,  Landouzy, 
p.  90. 

De  quelques  produits  pharmaceuliques,  alimentaires 
el  industriels  oblenus  dans  le  vide  au  moyen  d'un 
nouvel  appareil ,  par  M.  Grandval,  p.  92. 


—  187  — 
Note  sor  I'emploi  des  suUaies  d'alumine,  par  M.  Mau- 

MEINE,  p.   175. 

Experience  recenie  de  M.  Foiicault ,  par  M.  Sounim  , 
2«  parlie,  p.  1 . 

Mouvement  de  rotalion  de  !a  terre,  demonire  sons  les 
voiiles  de  la  cathedrale,  par  M.  Maumen^,  ^•'par- 
lie,    p.  83. 

VARlfiTfiS. 

Allocution  de  M.   Max.  Sutaine,   p.  1 . 

Rapport  sur   le  Congres  des  delegues   des   Socieles 

savantes  de  France  ,  lenu  au    Luxembourg  le  20 

fevrier  1851  et  jours  suivants,  par  M.  de   Mellet, 

p.  205. 
Rapport  sur  les    raemoires  de  I'Academie  de    Meiz 

(xxxi»  annee),  par  M.  Loriquet,  2'  parlie,  p.  49. 
Discours  d'ouverture  prononce  a  la  seance  publiqne 

par   M.   Max.  Sutaine,  2»  partie,  p.  91. 
Compte-rendu  des    iravaux   de    I'Academie   pendant 

I'annee  1850-1851,  p;ir  M.  Bandeville,  2«  p.artie, 

p.   98. 
Rapport  sur  les  Concours  de   1851  ,  par    M.    Henri 

Paris,  2^  partie,  p.  114. 
De  I'aslronomie,  par  M   Sokmn,  2«  partie,  p.  125. 
Du  but   principal  que  Ton   doit  se  proposer  dans  la 

cnlture  des    beaux-arts,  par   M.   De  Maiche  ,  2« 

partie ,  p.  132. 
Programme  des  questions    mises    au  concours   pour 

I'annee  1852,  2"  partie,  p.  145, 
Prix  et  medailles  decernees  par  I'Academie,  2"  partie, 

p.  ISl. 
Liste    des    membres    lilulaires    et    correspondanls , 

2'  partie,    p.  152. 


—  188  — 

Lisle   des  ouvrages  adresses    h    TAcademie    peiidani 
I'annee   1850-1851,  2*  parlie,  |).  172. 

Lisle  des  socieles  correspondanlcs,  2*  parlie.   p.  174. 
Table  des  auleurs,  2'  parlie,  p.  180. 
Table  de-^  maiieres,  2"  parlie,  p.  184. 


Reims,  Imp.  de  P.  Rkcnieu. 


I 


La  collection  des  Travaux  de  I'Jcademie 
de  Reims  parait  tous  les  3  mois  par  caliiers 
d'environ   douze  feuilles  in-8\ 

Prix  de  la  Souscriplion  annuelle:  iO  fr.;  par  la  posle,  13  fr. 
A  Reims,  chezBrnssART-BiNET,  Libraire  derAcadtiiiiie. 


TRAV4UX 


DE 


L'ACIDEMIE  DE  REIMS. 


xmtE  I80I  -  18L2. 

No  1.  —  4«  Trimestre  1851. 


REIMS 
P.  REGNIER,  IMPRIMEUR  DE  LACADEMFE. 

1852 


e'       ilV'    |RJ>?      .'V-^''.l.'j  ■-' 


so.}]  HI  Aim-    IW   NUMEIIO. 


SCIENCES.  —  Cyclocephalie  chez  un  agneau  femelle  ,  par 
M.  ie  D""  Laudouzy. 

Lecture  de  M.  Landoczv.  —  Quelques  mols  sur  un  cas  de 
pellagre  observe  a  I'Hotel-Dieu  de  Reims. 

Communication  de  M.  P.  Charlieh.  —  Dronco-pneumonie 
suraigue,  non  conlagieuse,  observce  die:  line  vache  le  cinquieme 
jour  da  velage ;  son  (raitemenl ,  scs  causes  probables. 

Communication  de  M.  Maumese.  —  Nouveau  procede  de 
preparalion  dn  chhre  el  de  I'azole.  — Remarques  sur  I'anes- 
thisie. 

Experiences  de  ielegraphie  eleclrique ,  par  le  meme. 

ARCHEOLOGiE.  —  Rapport  sur  la  qneslion  des  fleches  de 
hi  calhedrale  de  Reims  ,  par  M.  I'abbe  V.  TonRSEUR. 

Lecture  de  M.  Cu.  Loriquet.  -^  Suite  de  la  discussion  au 
sujet  de  I'creclion  de  {leches  sur  les  tours  de  la  calhedrale  de 
Reims. 

Stalislique  des  scignenries  de  Veleclion  de  sainle-Menehonld 
el  des  families  qui  les  onl  possedees,  par  M.  Ed.  Barthelemt. 

mSTOIRE. —  Lecture  de  M.  Forkero.n. —  Visile  aux  ruines 
de  La  Motle. 

Lecture  db  M.  Gerabdjx.  —  Comment  Henri  III  ful  Hu  roi 

de  Polognc. 

Communicaliou  de  M.  J.-J.  Maqoart.  —  Examen  de  la 
nolice  de  M.  .1'*  Galimard  ,  sur  les  dessins  composanl  la  collec- 
tion des  drapeaux  ,  bannicres  ,  pennons  tt  cornelles  de  la  nation 
(rancaise,  par  .\J.  F.-A.  Per\ot. 

POESIE  —  Communicalioii  do  ^L  A.  Violftte.  —  Le 
Loir  et  I'Kcnr'jnU.,  [able. 


SEANCES 
& 

TRAVAUX 

de 

I'Academie 

DE  REIMS. 


'\'  Trimeslre  1851 
l-'TiiineslrelSSa 


IS^VOI.UMK. 


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DE  L'ACADEMIE  DE  RfaMS. 


QuiDzieisie  voSumc. 

4«   TRIMESTRE   1851.    —   1™   TRIMESTRE    1852. 


REIMS 

p.     REGNIER,     IMPRIMEUR      DE      LACADEMIE. 

BRISSART-BINET    LIBRAIKE    DE    I.'ac ADKMIE. 


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SEANCES  ET  TRAVAUX 


DE 


L'ACADEMfE  DE  REIMS. 


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SEANCES 


ET 


T  R  A  V  A  U  X 


DE  L'ACADEMIE  DE  REIMS. 


Qufinzldnii<>  volume. 

4''   TRIMESTRE   1851.    —    i<"    TRIMESTRE    1852. 


REIMS 


p.     REGNIER,      IMPRIMEUR      DE      LACADEMIE. 
BRISSART-BINET    LIBRAIRE    UE    l'aCADEMIE. 


PCttLII. 

.     5-..  - l>-'-J*i    !  / 


A.NiNEK   1851-1852. 

N-'    1.  —  /i'^  Trimestre    t(S51. 


SCIENCES. 

CYCLOC£;PHALIE    CHEZ    UN    AGNEAU    FEMELLE 
Par  M.  le  D'   Landouzy, 

Seajice  du    26  Decembre   1851. 


J'ai  I'horineur  de  presenter  a  I'Academie  un  agneau 
cyclope  envoyedeBrienneparM.  Menu-Creveau  qui 
n'a  pas  voulu  que  celte  anomalie  si  curieuse  et  si 
rare  fill  perdue  pour  la   science. 

Pour  donner  a  ceile  communicalion  lout  I'inierei 
qu'elle  comporte ,  il  eut  fallu  dissequer  avec  soin  IVfii 
et  le  cerveau.  L'oeil,  atiu  de  savoir  s'il  y  a  bien  li  un 
globe  oculaire  unique  dans  toutes  ses  parlies  ,  ou  seu- 
lemenl  deux  yeux  inlimemenl  confondus  dans  une 
seule  orbite  ;  le  cerveau,  afin  d'apprecier  les  anomalies 
1.  1 


—  'i  — 

c]iril  piesciilc  conslammenl  dniis  celle  rormc  dc  mon- 
i^l^uosile,  el  atin,  surloiit,  de  delerminer  Ics  caracleres 
dii  ncrf  optique,  des  nerfs  olfaclifs  ,  eic.  Mais,  ouiro 
ilifil  fallaii  necessairemenl  laisser  durcir  le  ceivcau 
(ians  I'alcool  avanl  de  I'exaniiner  en  detail  ,  je  n'au- 
rais  pas  voulu  dissequer  I'cBil  et  ses  annexes  avanl 
i|iio  I'Academie  ne  les  ail  vus  a  leur  place  el  dans 
louie  leur  inlegrite. 

Ces  details  d'analoraie  seront  I'objel  d'une  deu- 
xieme  communicalion  dans  la  procliaine  seance.  Au- 
jourd'hui  .  je  me  bornerai  a  faire  remarquer  princi- 
palenienl  I'exitlence  d'un  ceil  unique  ,  au  moins  en 
apparence  ;  sa  situation  jusle  au  milieu  de  la  face  , 
a  la  place  du  nez  ;  I'abscnce  complete  du  nez  et 
meme  de  loul  vestige  d'ouverlure  nasale  ;  la  posiiioii 
(les  oreilli'S  a  la  parlie  inferieure  de  la  face;  I'alrophie 
des  macboires  el  I'exlreme  pelitesse  du  cerveau  com- 
paree  <'i  la  capaciie  du  ciane. 

Gel  agnoau  esl  morl-ne  ,  el  il  n'a  pas  donne  io 
moindre  sigin'  de  vie.  Los  cyclocephales  nieuront,  en 
otfei .  en  nais>.aiii,  ou  ties  peu  apres  la  naissancc  , 
comme  les  anencepbales ,  el  par  la  nieme  cause , 
c'esl-i  dire  par  I'absence  des  parlies  essenlielU's  du 
cerveau.  Quelques  cyclopes  cliez  lesquels  les  anoma- 
lies eiaienl  moins  prononcees  que  chez  celui-ci  ,  oni 
bien  pu  vivre  un  certain  lemps ,  mais  on  ne  irouve 
dans  la  science  aucun  fait  aulhenlique  de  cyclope 
(]ui  ait  vecu  plus  de  quelques  jours.  I'robabkmoni 
dans  ces  cas  la  duree  de  I'exislence  extra-uterine  esl 
en  raison  inverse  de  latrophie  de  Tencephale. 

Les  causes  speciales  de  celle  monslruosite  soul  en- 
core inconnuos  ,  mais  son   mecanisme  s'expiique  jus- 


—  8  — 

qu'ii  iin  cerlain  point  par  la  iheorie  de  ratiraciioii 
(le  soi  pour  soi  ,  c'esl-^-diro  par  la  lendance  des 
organes  similaires  h  se  porler  vers  la  lignt;  meJiaiie, 
el  a  se  confondre  intimeiiient  quand  leur  reunion 
n'esl  pasempechee  par  les  or^^anes  inlcM-mediaires. 

Ce  n'est  done  pas  ,  on  le  voit,  I'unile  de  I'ceil  qui 
conslitue  scienliliquonienl  la  cjclopie  ,  mais  le  rap- 
prochement des  deux  yeux.  Ce  rapprochement  oUVe, 
en  effet,  tous  les  degres,  depuis  le  simple  contaci  des 
deux  cavites  orbilaires  jusqu'ileur  complete  confusion, 
depuis  la  simple  juxlaposilion  des  yeux  jusqu'a  leur 
reunion  intime  daus  un  seul  ceil  central. 

On  irouve ,  du  reste  ,  des  exemples  de  celte  ano- 
malie  dans  presque  loute  la  serie  animale  ,  depuis 
I'homme  jusqu'aux  insecles.  Chez  certains  insecles , 
ceile  fusion  des  deux  yeux  en  un  seul  ceil  median 
est  meme  I'etat  normal  ,  et  c'est  elle  qui  sen  de  Ijase 
aux  genres  cyclopus ,  polyphemus,  monoculus ,  elc. 
M.  Geoffroy-Sainl-Hilaire  n'a  pas  manque  de  faire 
remarquer  combien  cet  elal  physiologique  ,  chez  cer- 
tains cruslaces  ,  fortilie  sa  theorie  de  Taction  cen- 
tripele  dont  je  parlais  lout  a  I'heure  ,  puisque  I'ceil 
unique  de  ces  animaux,  des  daphnies  ,  par  exemple  , 
est  d'abord  forme  de  deux  yeux  dislinclement  separes 
Tun  de  I'aulre  ,  et  qui  se  rapprochenl  plus  lard  pour 
se  confondre  entierement. 

L'agneau-cyciope  que  je  soumets  k  I'Academie 
apparlient  au  sexe  feminin  ,  el  sous  ce  rapport  , 
il  confirme  la  regie  posee  par  Tiedemann  el  Geoffroy- 
Sainl-Hilaire ,  qui  onl  constate,  dans  celle  ano- 
malie  ,  la  predominance  du  sexe  feminin,  soil  chez 
I'homme,  soil  chez  les  auires  animaux. 


-  /l  - 

PuiH  (loriiiere  observation,  j'insislerai  siir  la  forme 
ret>iilier(.'n)oril  roiide  tie  eel  ceil  unique  (  c'esl  tie  ceiie 
forme  circulaire  que  derive  le  mol  cyclope);  sur  l;i 
saillio  consiilerable  qu'il  forme,  el  qui  le  fail  prendre 
loni  d'nhord  pour  le  museau  de  I'animal;  enlin,  sur 
sen  volume  exagere  qui  s'ex|)lique  loul  nalurellemeni, 
puisque  eel  ffiil,  simple  en  apparence,  esl ,  en  realiie, 
compose  des  deux  yeux  ou  des  elements  des  deux 
yeux. 

Ai-je  besoin  de  rappeler  que  la  fable  est  reslee  bien 
en  dehors  de  la  science,  en  allribuanl  des  propor- 
tions giganlesques  (  monstrum  horrendum  ,  inforine  , 
INGENS. ..)  h  des  etres  necessairemenl  prives  de  vie, 
et  chez  lesquels  loules  les  parlies  esseniielles  doiveni 
rcster  atrophiees  ? 

Je  prierai ,  en  terminani,  I'Academie  de  remercier 
M.  Menu-Creveau  de  I'envoi  qu'il  nous  a  fall.  II  n'esi 
pas  d'annee,  peul-etre  ,  oii  un  cultivaleur  ne  trouve 
dans  ses  etables  quelque  phenomene  important  pour 
la  science.  L'Academie  accueillera  toujours  avec  re- 
connaissance ces  communications,  soil  comme  elulo, 
soil  comme  don  pour  les  musees  de  la  ville  ou  de 
I'ecole   de  medecine. 


5  — 


LccUirc  dc  M.  Landouz}. 


QUELyUES    MOTS    SLK    UN    CAS    DE    PELLAGKE    uBSEKVE 
A    L'HOTEL-UIEU    DK    REIMS. 


L'inlerel  qui  s'allache  h  I'elude  de  la  pellagre  ci 
le  Ires  peiil  nonbre  de  fails  observes  en  France,  on 
dehors  des  conlrees  oii  celle  afleclion  esi  endcmiqtie, 
m'cngagenl  a  diie  a  I'Academie  quelques  mois  (run 
cas  de  pellagre  (jue  je  vit  iis  d'observer  a  rH6iel-Dieii 
de  Reims. 

II  s'agii  d'une  fenime  agee  de  70  ans,  originaire  de 
Sonimepy ,  village  du  deparlement  de  la  Marne ,  oi( 
I'lisage  (111  mais  est  completemenl  inconnii ,  ei  oii  les 
cereales  sonl  de  qualile  ordinaire. 

Celle  femme  qui  a  habile  Reims  pendant  47  ans  . 
comnie  domeslique,  avail  loujours  joui  d'nne  bonne 
sanlc ,  lorsque,  vers  I'annee  1842  ,  elle  connncnija  a 
eprouver  une  cephalalgie  violenic  ,  de  I'insomnie  ,  de 
I'anorexie  ,  des  vomiisemenls  assez  frequents  ,  de  la 
con>lipaiion  el  des  lassitudes  dans  les  niembres. 

Vers  la    ineme  epoque   elh;  commonc^a  aussi  U   se 
plaindre  d'avoir  souvent  le  dos  des  mains  noir,  qiioi 
qu'elle  prit  soiii  de  les  laver  plusieurs  (ois   par  jour. 
Cei  eiat  de  la  pean  lui   iiiirait  merne  de  frequenls  re- 
proches  de  ses  maiircs  qui  la  laxaienl  de  malproprete. 

Le  deperissemenl  suceessif  de  sa  sanie  la   Ibcc^ant 


—  6  — 

tie  roiioncer  a  servir ,  die  reiourtia,  an  mois  d'avril 
(le  I'amiee  tlerniere ,  a  son  pays  oil  tons  les  sympio- 
mes  precedents  augmenl^renl  heaucoup.  Ne  gagnant 
par  son  Iravail  que  cinq  a  six  liards  par  jour  ,  tile 
se  nourrissail  presqueexclusivemenl  de  pain  de  mcieil, 

Les  digestions  devinrenl  de  plus  en  plus  dilVu  iles, 
la  Louche  se  couvril  d'aphies  el  de  muguet.  La  ce- 
phaialgie  etait  presque  consianle  ,  le  sommeil  nul  et 
presque  loujours  remplace  par  une  agilalion  extreme, 
des  illusions,  des  halliicinalions ,  etc. 

Les  mains  el  les  extremites  inferieures  se  paralyse- 
reni  complelemenl ,  et,  enlin  ,  privee  de  tous  soins 
et  de  loutes  ressources,  clle  ontra  a  la  ciinique  de 
rMotc'l-Dieu  le  4  juillel  dernier. 

Des  ma  premiere  visile,  a  la  vue  de  eel  crylheme 
lerreux,  borne  au  dos  des  mains,  termine  netlement 
au  poigncl,  el  coincidanl  nvec  la  domence,  avec  un 
trouble  profond  des  lonciions  dii^estives ,  avec  la 
paralysie  des  membros,  etc.,  je  nonimai  la  pellagre. 

C.es  symptomes  eiaient  tellcment  caracterisiiqucs 
queM.  le  docleur  Bienfail  qui  assisiaila  ma  visile  le 
lendemain  ,  et  qui  ignorait  complelemenl  mon  opi- 
nion ,  diagnosiiqua  rafl'eclion  ,  surtout  d'apres  I'a- 
nalogic  de  celte  ichlhyose  dorsale  des  mains  avec 
un  cas  semblable  qu'il  avail  observe,  il  y  a  quel- 
ques  annees,  a  Thopilal  Saint- Louis,  dans  le  ser- 
vice de  M.  Giberl. 

Apres  quelques  bains ,  il  se  fit  une  exfoliation 
epidermique  assez  considerable  sur  le  dos  dc  la 
main.  Sous  les  squames,  la  peau  elait  rosee  et 
Iiiisante  :  cetie  exfoliation  conliima  cnsuite  lenlement, 
excepto  an  niveau  des  articulations  des  phalanges  et 


—  7  — 

(los  doigis  oil  les  squames  rcsleronl  ties  epiiisses^ 
comme  cornees,  el  ou  on  les  voil  encore  aiijoui- 
(riiui,  quoique,  depuis  I'autopsie,  la  maceration  dans 
I'eau  et  dans  Talcool  en  ait  deja  delachc  une  assez 
grande  parlie. 

Pendant  loul  le  temps  de  son  sejour  a  I'hopital ,  la 
malade  continua  a  etre  en  proie  a  une  folie  trisle , 
sans  acces  violents  el  avee  des  hallucinations  pres- 
que  constantes.  Elle  ne  prenail  et  ne  voulait  prendre 
que  du  lait.  Le  marasme  et  la  fievre  heclique  al- 
lerent  en  augmentanl  chaque  jour,  et  elle  mourul 
presque  sans  agonie. 

A  I'auiopsie,  on  constata  un  engorgement  sanguiii 
des  sinus  cerebraux,  uu  ramollissemenl  nuirque  de 
la  moeile  epiniere  au  niveau  de  la  region  lombaire, 
de  la  pneumonic  hypostatique,  deux  ulcerations  de 
trois  millimetres  au  grand  cul-de-sac  de  I'estomac, 
une  rougeur  tres  foncee  de  la  muqueuse  digestive, 
depuis  I'eslomac  jusqu'h  I'ileon  ,  une  eru|)tion  mi- 
liaire  dans  re>pace  des  soixante  premiers  centi- 
metres de  I'intestin  grele ,  et  quelques  plaques 
gau  frees. 

Cette  observation,  que,  du  reste,  je  me  propose  de 
publier  dans  tons  ses  details,  celle  observation,  si 
Ton  en  exceple  I'etiologie  ,  ne  renferme,  comme  on 
le  voit,  que  les  phenomenes  morbides  ou  necrosco- 
piques  qu'on  a  toujours  remarques  dans  la  pellagre, 
ainsi,  meme  precision  des  desordres  constates  pen- 
dant la  vie  ,  meme  insuffisance  des  lesions  trouvees 
apres  la  mort.  Aussi ,  C(!  tail  n'anrail-il  rien  d'intc- 
ressanl  s'll  eut  etc  recueilli  en  Italic,  en  l^spagne  , 
dans  I'Aude  ou  dans  les  Landes  ;  mais  il  a  ele  re- 
cueilli dan>  le  deparlement  de  la  Marne,  ou  jamais  on 


-   8  — 

ii'a  signale  un  seiil  cas  de  pellagi'c ,  chez  une  lenimc 
qui  a  habile  Reims  pendant  47  ans,  chez  une  femme 
donl  les  parents  n'ont  pas  quitte  le  village  ou  elle 
est  nee,  el  c'est  I&  ,  selon  moi,  ce  qui  doit  exciter 
I'interfit  de  I'Acadfimie. 

Invoquera-t-on  ici  Vinsolation  ?  mais  cette  fille  n'y 
etait  pas  plus  exposee  que  les  autres  servantes  des 
villes  ;  le  mal  de  misere  ?  mais  elle  n'esl  devenue  mi- 
serable qu'^  la  fin  de  la  maladie  ,  et  par  le  fait  de 
la  maladie;  ra/mien<a<Jo»  ?  mais  c'est  seulement  dans 
la  derniere  annee  qu'elle  a  ete  nourrie  de  pain  de 
meleil,  el,  d'ailleurs,  ce  pain  elaii  le  meme  que  celui 
de  la  plupart  des  habiianis  d(i  village  qui  jouisseni 
d'une  bonne  sante. 

Ces  causes, regardees  comme  esseniielles.ne  peuvent 
done  etre  invoquees  ici,  et  ce  fait,  rapprochede  ceux 
qu'on  a  observes  depuis  quelques  annees  k  Paris  ,  me 
semble  de  nature  a  rendre  moins  cxclusifs  les  mede- 
cins  qui  ont  ecril  suria  pellagre. 

Mainlenani ,  serait-ce  que  la  pellagre  augmenie  en 
France,  comme  on  I'a  dii  depuis  ces  quelques  fails 
des  hopilaux  de  Paris  ?  serail-ce  au  contraire  que 
cette  affection  ayanl  une  marche  Ires  longue  ,  des 
sympiomes  complexes  ,  el  se  terminant  ordinairement 
a  une  epoque  dejii  assez  avauQce  de  la  vie ,  on  a  pu 
la  rapporter  lantot  &  un  simple  ramollissement  de 
I'eucephale,  tanlol  a  une  simple  lesion  des  organes 
digestifs?  Je  suis  de  eel  avis,  et  je  pense  que  I'al- 
tention  excilee  sur  ce  point ,  il  en  sera  de  la  pellagre 
comme  de  la  morve  ,  conmie  de  la  maladie  de  Brigtli 
el  de  beaucoup  d'autres  qui  ne  sont  devenues  plus 
frequentes  que  depuis  quelles  out  etc  mieux  connucs. 


—  '.)  - 
riOmniunicalion  dc  ^1.  P.  tlliailicr, 

Veterinaire    h     Reims  .      corresiiondanl     dc      lAcademie 


BKONCO-PNEUMONIE  SURAIGUE  ,  NON-CONTAGIEUSE  , 
OBSEKV^E  CHEZ  IINE  VACHE  LE  CINQUIEME  JOUR 
DU  VftLAGE  ;  SON  TRAITEMENT  ,  SES  CAUSES 
PROBABLES. 


En  rolalani  mes  observalions  sur  un  cas  dc  hronco- 
[)neiiinonic  aigiie,  je  n'ai  pas,  je  ilois  le  dire  toiii 
d'abord,  la  prelenlion  de  decrire  iinc  iiialadle  noii- 
velie;  ceile  afleciion  esl  hien  connue  chez  lesanimaux 
de  Tc'spece  bovine;  ses  causes,  ses  symplomes,  son 
iraiienienl,  oni  ele  savammenl  decriis  |)ai'  ncs  aiilenis 
veierinaires. 

Ce  que  jc  veux ,  c'esl  signaler  I'exislence  d'uiie 
I'oncliou  physiologique  consecuiive  a  la  parlurilion  , 
cpii  me  |)aiail  ignoree ,  chez  la  vache  ,  el  donl  la 
suppression  a  sans  douie  ele  la  cause  de  la  maladit' 
donl  je  vais  tracer  I'hisloire. 

Ce  que  je  veux  encore,  c'esl  faire  connailre  i'e- 
nornie  quanlile  de  sang  quo  je  lirai  avcc  succes , 
dans  ce  cas,  afin  qu'oii  soil  dorenavanl  moins  li- 
mide  dans  I'emploi  des  spolialions  sanguines,  pour 
coinbadre  les  maladies  de  poilriue  dc  Tespece  !»(>- 
vine  el  surloul  des  vaches  desiinees  a  la  i)roduc- 
liou  tlu  laii  ,  (|ui  re^oiveni  loujours  une  riclic 
alimeulalion,  el  t'oni   beaucoup   de  i^aug. 


—  10  — 

Le  1"  novL'inbro  1851  ,  j'aclielai  6  ^Yilry-les- 
Reims  deux  vachcs  rraichemenl  veloes  qu'on  m'envova 
le  lendemain  matin  avec  lous  les  soins  possibles- 
Mais  le  lemps  elail  raauvais,  le  vent  glacial,  une 
petite  pluie,  fine  el  fioide  ,  comme  de  la  neige  fondue, 
torabait  sans  interruption,  et  il  fallul  s'arreter  deux 
ou  trois  fois  aux  porles  de  la  ville,  pour  satisfaire 
aux  droits   d'octroi. 

A  leur  arrivee ,  je  me  contenlai  cependant  de  les 
faire  nieltre  a  cole  des  autres  vaches  ,  pensant  que  la 
chaleur  de  I'elable  suffiraii  pour  les  rechauffer  ;  cela 
cMl  lieu.cn  efTet.pour  I'une  d'entre  elles;  le  lendemain 
elle  donna  pourtanl  beaucoup  moins  de  lait,  mangea 
peu,  ne  rumina  point,  mais  celle  indisposition  ne  ful 
que  passagere  ,  24  hcuros  apres,  loutes  les  fonctions 
chcz  elle  avaient  repris  leur  rlijthme  normal. 

L'auire,  au  contraire,  ne  parut  pas  souffrir  dans  les 
premieres  48  heures  de  son  arrivee  ,  seulemeni  il  ne 
s'ecoulait  plus,  comme  la  veille,  aucune  maiiere  par  la 
vulve,  le  pis  iegerement  lumefie  paraissail  douloureux 
a  la  pression  ,  et  Ton  cut  beaucoup  de  peine  a  la 
traire. 

Le  surlendemaiu  a  la  iraite  du  matin  ,  elle  donna 
son  lait  avec  inliniment  moins  de  resistance,  mais 
ne  mangea  pas  sa  provend  ?  d'un  bon  appetit,  et  des 
sept  houros  on  I'ent'^ndit  se  plaindre  assez  forlemenl. 
Jo  ne  la  vih  que  vers  deux  beures  de  I'apres-midi. 

La  vache  alors  est  trisle ,  eloignee  de  son  auge 
autant  que  sa  longe  le  lui  permet,  elle  parait  immobile 
sur  ses  membres,  les  anlerieurssont  ccarles ;  la  respi- 
ration est  courie  ,  laborieuse  ,  jirecipitee  el  plaintive  ; 
I'air  expire  est  cb;uid,  les   ailes  du  nez  sont  agitees  et 


—  11  — 

les  nasoaux  dilates;  la  tele  est  lendiie  sur  le  con  , 
le  regard  esl  lixe  el  iion  dirige  vers  rabdomeii,  comme 
dans  rinnamiiialion  de  la  nialrice  ;  les  yeux  sonl  clias- 
sieux,  d'lm  rouge  jaunatre  ;  le  poiils  esl  piciii  ,  el  ii 
bal  si  vile  qu'il  esl  diflicile  de  compler  les  puisalions; 
les  flancs  sonl  affaisses,  rclracles  ;  la  vulve,  pas  plus 
(]ue  la  muqueuse  du  vagin,  n'esl  ni  rouge,  ni  chaude, 
ni  douloureuse.  ni  lumellee,  elle  esl  seche ,  comme 
rcniiee  dans  le  bassin  el  ne  laisse  rien  ecouler  au 
dehors.  Le  gontlemanl  du  pis  el  des  mamelles  a  dispa- 
ru  ,  le  murmure  respiraloire  se  fail  a  peine  entendre 
dans  les  deux  poumons. 

Je  diagnosiique  une  c  ngeslion  pulmonaire,  el  pra- 
tique immcdialement  une  saignee  de  5  litres  ;  le  sang 
I'ornie  promptemenl  un  caillol  epaisd'iin  rouge  loiice: 
une  couvertiire  de  laine  est  mise  sur  le  dos  el  Je  re- 
commande  de  ne  donncr  |)0ur  loule  nourriuire,  que 
de  I'eau  dcgourdie,  blanchie  avec  de  la  farine  d'orge. 
Frictions  secbes,  longlemps  conlinuees,  failessur  lout 
le  corps  el  les  membres. 

De  9  a  \0  heures  du  soir,  moment  oiije  relourne 
la  voir,  la  vache  se  plaint  plus  foriemeni ,  on  ne 
I'a  pas  vue  ruminerel  elle  a  peu  tienie  dans  la  jour- 
neo;  son  lail  n'a  cependant  pas  diminue  el  elle  a  bu 
et  mange  encore  assez  volontiers. 

Nouvelle  saignee  de  4  litres,  conliniialion  de  breu- 
vages  d'eau  de  son  et  de  farine  d'orge  ,  epaisse  li- 
liere  pour  eviier  le  refroidissement  de  la  peau  ,  si 
la  vache  se   couche. 

Deuxieme  jour ,  meme  elal ,  si  ce  n'est  que  la 
bete  lousse  de  temps  a  autre,  el  que  le  murmure 
respiraloire  est  h  peu  pres   nul  dans  la  partie   infe- 


—   12  — 

ricure  dt^s  poinnoiis.  Dii  resU; ,  die  lienle  ,  elle  urine, 
el  mange  le  pen  d'aiimenls  qu'on  Ini  donne ,  inais 
son  laii  dimiuuo  ,  ellc  se  plaint  loujonrs  ires  fort, 
on  ne  i'a  pas  vii  riiminer  ,  elle  s'esl  coucliee  pendant 
quelque  temps,  ce  qui  a  paru  augmenler  ses  douleurs. 

Saignee  de  5  litres  1/2  ,  frictions  d'essence  sur  les 
membres ,  le  dos  et  les  reins  ,  application  d'un  si- 
napismc  sous  la  poilrine,  lavements  adoucissanls , 
bains  de  vapeur  sous  le  ventre  et  deux  couverturcs 
de  iaine  sur  le  dos  ;   meme  regime. 

Le  troisieme  jour  au  matin,  la  vache  donne  plus 
do  lait  que  la  veille  ,  elle  mange  avec  plus  d'ap- 
pelit ,  se  plaint  moins;  on  me  fait  dire  qu'elle  va 
mieux ;  je  la  vois  vers  le  soir ,  et  a  mon  grand 
elonnement ,  je  la  irouve  dans  un  otal  pen  satis- 
faisanl. 

Elle  avail  tousse  davanlage  dans  le  courant  de 
la  journee ;  ses  delecalions  n'avaient  poini  eu  lieu, 
on  ne  I'avail  pas  vu  urinor ,  le  sinapisme  n'avait 
produil  que  peu  de  tumefaction  ;  la  bouche  cbaude, 
rouge  et  brulante  laissait  ecliapper  une  abondante 
bavefilante  ;  la  gorge  etait  gonflee  et  douloureuse  h  la 
pression  ,  les  cornos  el  les  oreilles  etaien(  alterna- 
livemeni  cliaudes  et  froides,  et  les  exlr6miies  glacees  ; 
la  respiration  penible,  laborieuse,  I'air  expire  toujours 
chaud  et  sans  odeur;  les  deux  coles  de  la  poi- 
lrine sensibles  a  la  pression  ;  en  appliquanl  I'oreille 
sur  les  parois  pcclorales  on  entend  lout  a  la  fois, 
une  crepitalioii  humide,  el  le  bruit  de  souffle  fort 
et  sec ,  si  bien  decril  par  le  professeur  Delafond 
dans  son  traite  de  palhologie   (jeiierale. 

Une  bronco-pneumonie  .    avec  inflammation    nia- 


—   13  - 

nifesle  des  premieres  voies  respiraloires  s'eiait  done 
declaree  malgre  les  forles  saignees,  les  revulsils,  el 
le  Iraitement  aniiphlogistique  employe  jiisque-l;i  dans 
loiile  sa  vigueur.  Je  commencai  a  craindre  I'appa- 
rilion  de  la  peripneumonie  conlagieiise  dans  mon 
etable,  ainsi  que  je  I'ai  vu  lani  de  fois  se  mani- 
fesler  sur  des  vaclies  d'acquisilion  ;  j'en  ecrivis  au 
marchand  qui  me  rassura  quelque  pou,  en  m'aflir- 
manl  que  celle  bele  provenail  d'un  pays  d'elevcs 
oil  la  maladie  est  inconnue. 

Je  n'hesitai  pas  a  renonveler  la  saignee  pour  la 
quatrieme  fois ,  je  tirai  environ  6  litres  de  sang  , 
j'adminislrai  500  grammes  de  sulfale  de  soude  dis- 
sous  dans  une  decoction  d'eau  de  son  miellee,  je 
fis  donner  phisieuis  lavements,  el  pratiquer  une 
forle  friction  d'essence  de  lerebenthine  qui  no  pro- 
duisit  aucun  cffel  sensible  ;  j'ap[)liquai  sons  la  poi- 
Irine  un  nouveau  sinapisme  ,  je  soumis  moi-meme 
la  vache  a  un  bain  de  vapeur,  el  ne  la  quiltai  que 
quand  remise  de  toutes  ces  secousses  ,  elle  eul  bu 
en    ma  presence  un  demi-seau  d'eau   blanche  liede. 

Le  lendemain  malin,  quatrieme  jour ,  point  da- 
melioration  dans  I'etal  de  la  malade ;  ses  yeux  lou- 
jours  rouges,  jaunatres  el  chassieux,  s'enloncent  dans 
leur  orbite;  elle  maigril  a  vue  d'ceil.  Plus  d'appelit, 
plus  de  defecations  ,  plus  de  secretion  laiteuse  ,  un 
litre  de  lait  seulemeni  en  loule  sa  journee;  le  pis 
el  les  raamelles  commcncent  k  se  lletrir.  Le  pouls 
esl  moins  fori  et  moins  precipile;  je  crois  avoir  assez 
saigne 

Je  place  irois  setons  animes  avec  I'essence  de 
terebenlliinc ,    deux    sur  les    coles   de    la    poitrine  , 


-  l/l  - 

01  un  ail  I'anon,  je  fais  une  nouvelle  friclion  irri- 
tanle  sur  Ics  menibres  et  une  fumigalion  sous  le 
venire;  j'adminislre  en  deux  fois  15  grammes  d'eme- 
liqiie  ,  aliernes  avcc  250  grammes  de  sulfate  de  soude, 
el  je  rends  les  lavements  purgatifs.  Le  soir ,  les  se- 
lons  sonl  recouverts  d'un  large  sinapisme. 

Cinqtiitme  jour.  La  vachc  semble  aller  un  peu 
niieux  ,  olle  se  plainl  moins  ,  le  murmure  respiratoire 
esl  plus  sensible  dans  quelques  endroits ,  elle  mange 
nonchalammenl  quelques  lianches  de  belieraves  el 
des  feuillesde  cboux  que  je  lui  donne,  boil  volontiers, 
el  rend  davantage  de  lait,  5  litres  a  sa  journce  ;  mais 
la  loux  persisle,  les  defecalions  n'ont  pas  lieu  malgre 
les  purgaiifs,et  les  urines  sonl  rares  ;  ils'esl  developpe 
un  enqibyseme  sous-culane  s'eiendant  de  Tencolure  h 
la  region  lombaire  qui  ne  disparail  que  faiblemenl 
par  de  nombreuses  scarilications  failes  a  la  peau. 

A  quoi  eel  emphyseme  est-il  dii?  Je  I'ignore  encore, 
peul-eire  est-ce  cependanl  a  Tapplication  des  setons, 
celie  vache  ayant  le  tissu  cellulaire  abondanl  el  la  peau 
Ires  lache. 

Les  selons  el  le  sinapisme  onl  produil  une  forte 
lumefaclion. 

Continuation  des  frictions ,  des  bains  de  vapeur , 
des  lavements  purgalifs  el  administration  de  500  gr. 
de  sulfate  de  soude. 

Avanl  d'aller  plus  loin,  je  ne  dois  pas  oublier  de 
meuiionner  un  fait  assez  singulier  qui  prouve  une  fois 
de  plus  combien  le  lail  se  ressenl  vile  des  substances 
ingerees  dans  I'estomac.  La  veille  ,  le  marchand  que 
j'avais  mande  el  qui  etail  venu  voir  la  vache  en  mon 
absence  ,  lui  avail  adminislre  un  litre  d'liuile  douce  , 


—   15    - 

dans  la  conviclion  oii  il  etail,  que  le  pmutier  seul  etait 
pn's,  [el\c  est  son  expression;  celle  liuile  qui  avail 
circule  avec  le  sang,  so  iioiivait  en  naliire  dans  le  laii 
de  la  iraile  du  matin  ;  en  le  faisant  bouillir  elle  se 
montra  a  la  surface  conime  la  graisse  dans  le  bouillon. 

Sixieraejour.  L'elal  de  la  bete  est  aggrave,  on  Fen- 
tend  au  loin  gemir  et  se  pi  lindre  ;  la  respiration  est 
courte  ;  le  bruit  respiratoire  tres  faible  est  accom- 
pagne  de  crepitation;  il  n'y  a  toujours  point  de  defe- 
calion  ;  I'urine  est  rare,  coioree  et  odorante  ;  le  lail  a 
diminue  ;  le  pouls  est  plein,  serre  et  bat  au  moins  100 
fois  par  minute.  Pour  la  seconde  (bis  depuis  le  debut  de 
sa  maladie,  la   vache  se  couche  pendant  un  moment. 

Je  me  decide  t  saigner  de  uouveau  ci  tire  4  bons 
litres  de  sang  :  celui-ci  est  noir  el  se  coagule  lente- 
menl.  Coniinualion  des  memes  soins. 

Septieme  jour.  Un  leger  mieux  se  manifesie ,  les 
plainles  sonl  moins  fortes,  la  bete  urine  beaucoup  en 
ma  presence  ,  son  urine  est  moins  odorante  ,  moins 
coioree;  le  lait  a  un  pen  augmenle.  Meme  trailement. 
Je  change  les  rubans  des  selons  que  je  Irempe  dans  le 
chlorure  de  chaux  liquide. 

Huilieme  jour  au  niatin.  La  vache  va  plus  mal  en- 
core,  elle  est  plus  irisle,  se  !)laint  davauiage  ,  refuse 
les  aliments  aussi  bieii  que  les  boissons ,  et  donne 
moins  de  lail.  Le  pouls  esl  toujours  fort  et  accelere. 
Je  suppose  qu'il  y  a  des  paroxismes,  el  je  remarque  que 
ceux-ci  diminucnl  apres  la  saignce,  pour  augmenter 
ensuite.  Je  me  decide  encore  a  rouvrir  la  veine,  el 
pour  la  sixieme  sjignt^e  je  lire  5  litres  1/2  de  sang, 
celui-ci  e,U  assez  .ouge  ,  se  coagule  promplement  el 
lorme  un  caillol  ferme.  Memes  soins  que  les  jours  pre- 


—  16   — 

cedents  el  adminis'ralion  de  250  grammes  snll'ale  dc 
sonde,  la  vache  irayiini  pas  encore  purge. 

A  la  traite  de  midi  ,  le  lait  augmenle;  le  soir  il 
augmenle  encore,  !a  bele  mange  avec  assez  d'appelil, 
ses  lavemenis  soni  accompngnes  de  quelques  excre- 
menis  reconverts  de  faiisses  membranes,  et  on  la  voit 
rnminer  pour  l;>  premiere  fois  ,  depuis  le  |)remier 
jour  de  sa  maladie. 

Neuvieme  jour.  Le  lait  continue  d'augmenler  ,  la 
vache  se  couche  do  temps  en  temps ,  elle  rumine 
pendant  qu'on  l;i  trait ,  se  plaint  beaucoup  moins  , 
mange  avec  plus  d'appelil  encore  ,  commence  a  pur- 
ger,  sa  fienie  (res  molle  repaud  une  odeur  infecle  ; 
jes  urines  sonl  abondantes  et  claires  ;  la  vulve  est 
bumide  .  il  s'en  ecoule  des  maiieres  glairo-sanguino- 
lenies.  Le  bruit  respiratoire  se  fail  entendre  dans 
la  majeure  partie  des  poumons ,  la  respiration  se 
regularise  ,  le  pouls  bat  moins  fort  et  moins  vile  ; 
les  selons  commencent  a  suppurer ;  il  y  a,  cetle  fois  , 
je  I'espere  ,  une  amelioration   reelle. 

Cette  amelioration  se  continue,  en  effet,  Jelendemain 
el  les  jours  suivanls.  Quoique  ayani  une  forte  diarrhee, 
la  vache  redevieni  gaie  ,  elle  s'allonge  en  se  relevani 
comme  une  vache  en  bonne  same  ,  el  quand  on  lui 
donne  i  manger  ,  elle  se  lance  sur  sa  voisine  pour 
i'empecher  d'avancer ,  elle  rumine  biea  et  souvent  , 
son  lait  augmenle  ;  les  maiieres  qui  s'echappeni  de  la 
vulve  sonl  abondantes,  surtoul  pendant  le  decubitus. 

Un  pen  plus  lard  la  fienle  se  moule,  mais  je  re- 
marque  que  la  vache  se  plaint  encore  apres  ses  repas; 
je  fais  diminuer  les   rations. 


—  17  — 

Le  (louzieme  joiir  ,  elle  est  en  pleine  convales- 
cence;  le  laii  revienl,  die  esl  remise  pen  a  peu  & 
son  regime  ordinaire.  Bienlot  il  ne  reste  plus  de 
trace  de  la  maiadie  que  I'exlreme  maigreur  qui  en 
a  ele  le  resullal,  el  qui  a  son  tour  Jisparait,  pour 
etre   remplacee  par    rembonpoinl. 

Apres  avoir  iriomphe  d'une  maiadie  aussi  grave , 
aussi  comproraetlante  pour  la  vie  de  Tanimai,  mon 
premier  soin  ful  d'en  eludier  s6rieusemenl  les 
causes . 

Celle  qui  se  presenia  la  premiere  a  nion  esprit , 
ce  fut  le  refroidissement  que  la  vache  avail  eprouve 
pendant  le  trajet  de  Witry  a  Reims  ,  ce  fut  I'arret 
de  la  transpiration  ,  car  si  les  retroidissements  soni 
dangereux  en  tout  temps  ,  combien  ne  le  sont-ils 
pas  plus  dans  les  premiers  jours  qui  suiventla  parturi- 
tion, alors  que  la  peau  et  la  muqueuse  des  voies 
respiratoires  reprennent  toule  I'activite  qu'elles  avaient 
perdue  pendant  la  gestation  ,  que  la  fibrine  predo- 
mine  dans  le  sang,  et  qu'il  y  a  sur-activite  vitale, 
ou  trouble  dans  les  I'onctions  organiques,  en  raison 
de  I'exces  de  ce  fluide  qui  se  trouve  sans  emploi 
pendant  quelqwe  lemps  dans  I'economie. —  Mais  une 
autre  cause  lixa  mon   attention. 

J'avais  remarque,  en'achetant  mes  deux  vaches, 
qu'elles  laissaient  ecouler  toutes  les  deux  par  la  vulve, 
des  malieres  glairo-sanguinolentes,  qui  temoignaient 
de  leur  velage  recent.  Je  savais  en  outre ,  que  pour 
que  les  vaches,  apres  le  part,  se  conservassent  en 
sante,  et  que  la  secretion  iaiteuse  s'etablii  regulie- 
ment,  il  fallail  qu'elles  se  nelioy assent  bien  ,  comme 
on  le  dii  vulgairement  dans  nos  contrees. 

I.  2 


—   18  — 

Or ,  rcxcretion  dc  cos  maliercs  ,  si  aclivc  cl  si 
iihoiidante  !a  vcille ,  avail  subilemcnl  tari  chez  la 
vache  qui  fail  le  sujel  de  raoa  observation  ;  elle  avail 
aussi  cesse  ,  pour  reparailrc  le  suriendemain  chez  sa 
compagne,  qui,  comme  nous  I'avons  vu  ,  eul  une  in- 
disposition passagere  peiidanl  sa  suspension  ,  landis 
que  chez  la  premiere  la  secretion  no  se  retahlit 
que  quand  la  maladie  niarcha  vers  une  lerminaison 
heureuse. 

Des  lors  je  fus  porie  a  penser  qu'il  y  avail  chez  la 
vache,  aussi  bien  que  chez  la  femme ,  el  Ires  proba- 
blemenl  chez  loutes  nos  femclles  mammiferes  domesli- 
ques,  des  Lochies,  c'csl-i-dire,  un  ecoulemenl  par  la 
vulve,  de  malieres  d'abord  sero-sanguinolenles,  puis 
glairo-sanguinolenles  ,  el  mucoso-blanchatr<'.s  ,  q-ii  a 
lieu  depuis  le  moment  de  la  delivrance,  jusqu'a  cv 
que  I'appareil  genital,  el  noiammenl  I'uterus ,  soieni 
revenus  h  leurs  proportions  et  a  leur  conslitulion 
normales  (1). 

Seulemenl  chez  la  femelle  bovine,  cet  ecouk-meni 
parait  intermittent ,  sans  doute  a  cause  de  la  situation 
horizontale  de  la  malrice  el  du  canal  vaginal  ,  dans 
lesquels  les  malieres  se  deposenl,  a  mesure  qu'elles 
sonl  excretees  ,  pour  ne  s'cchapper  le  plus  ordinai  - 
rement  que  quand  la  vache  fail  des  efforts  expulsifs 
pour  s'en  debarrasser,  on  pour  fienler  el  uriner ;  mais 
alors  on  les  voil  sorlir  en  abondance ,  salir  la  base  de 
la  queue  el  tomber  sur  la  litierc,  ou  elles  s'accumiilent 
quand  la  vache  est  coucbee  ;  je  crus  done  que  Tarrel 


(1)  Depuis  la  piiMicalion  de  cede  notice,  j'ai  pii  coiistaler  ,  tie 
concert  avec  le  docteur  Landouzy  ,  I'existence  de  la  secreSiot; 
lochiate  apres  le  part ,  chez  la  jnment ,   la  brcbis  el  ia  rliieniio. 


—  19  — 

(\o  ceUe  secretion  n'eiait  pas  eirangcr  a  la  maladie  de 
ma  vache,  el  en  leflechissanl  a  I'imporlance  qiralta- 
rhenf  les  medecins  a  la  mainlenir  dans  toule  son 
inlegrite,  chez  la  femmo  qui  vienl  d'accoucher  ,  je 
pensai  meme  qu'il  pouvail  on  elro  la  cause  principale. 
En  effet,  lorsqii'il  exisledans  I'economio  une  abon- 
danle  secrelion,  lut-elle  anormale,  sd  suppression  est 
toujours  dangereuse  ,  quand  elle  n'est  pas  lent2  et  gra- 
duce  ;  a  plus  forle  raison  ,  fi  cetle  secrelion  esl  la 
consequence  necessaire  d'un  e(al  physiologique. 

Qui  ne  sail  a  combien  de  maux  sent  exposees  les 
femmes  qui  nourrissent,  lorsque  pour  une  cause  quel- 
conque  ,  le  lai(  vient  a  tarir  subilement. 

Qui  ne  sail  que  les  jumcnls ,  les  chiennes  ,  les 
chalies,  privees  de  leurs  petits,  au  moment  ou  la 
secretion  lailee  esl  en  plcine  aclivite  ,  sonl  souvont 
altaquees  d'affeciions  diverses ,  si  on  ne  prend  les 
precautions  voulues. 

On  a  compare  la  condition  d'une  femme  en  couche 
a  colle  d'une  personne  qui  aurait  subi  une  grandc 
oporalion,  el  on  a  dit :  que  la  surface  interne  de  I'ute- 
rus,  apresla  separation  du  placenta  et  dss  membranes 
de  I'oeuf ,  ressemblait  a  une  vasie  plaie  qui  doii 
supj)urei'. 

Si  cette  comparaison  peul  etre  faite  cbez  la  femme, 
elle  pent  I'etre  egalemeni  |)our  nos  femelles  domes- 
liques,  et  plus  parliculierement  pour  la  vache,  doni 
I'organisation  de  I'uterus  esl  si  complexe. 

Mais  il  me  parait  plus  rationnel  d'admeltre  une 
autre  bypoihese  : 

C'esi  que  la  secretion  de-  lochies  n'est  que  la 
conlinuation   de    la  secrelion  cotyledonaire,  el  qu'olle 


—  20  — 

esl  au  foelus  ce   que   la  secretion   mammaire  est  an 
nouveau-ne. 

Le  produil  do  celle  secretion,  quand  il  n'csl  pas 
melange  de  sang,  soit  liquide,  soit  coagule,  ou  de 
debris  placenlaires,  esl  en  effel  ,  comme  le  produit  de 
la  secretion  colyledonaire,  essenliellement  albuminoux; 
il  n'esl  purulent,  sanieux,  el  ne  repand  une  manvaise 
odeur  que  quand  la  malrice,  par  suite  de  son  irritation, 
quelle  que  en  soit  la  cause  ,  devicnt  le  siege  d'un 
etal  pathologique ,  ou  que  les  portions  de  placenta 
reslees  dans  son  inlerieur  s'y  decomposent. 

Quoiqu'il  en  soit  ,  la  secretion  lochiale  produil 
evidemmenl  le  degorgeaienl  de  Tulerus  el  dos  co- 
tyledons ,  phj'siologiquemenl  liyperlrophies  par  I'etal 
de  grossesse,  en  meme  lemps  qu'elle  combat  I'exal- 
lation  donl  eel  orgaue  et  ses  annexes  ont  ete  le 
siege  pendant  le  travail  plus  ou  moins  penible  de 
la  parturition;  son  abondance  varie  suivanl  les  sujels 
el  les  circonslances,  elie  paraii  elre  en  rapport  avec 
la  force  du  veau  ,  le  volume  du  placenta  et  des 
enveloppes  foetales  s'etablit  apres  la  tievre  de  lait  , 
vers  le  Iroisieme  ou  quatrieme  jour,  el  dure  envi- 
ron de  quinze  jours  a  trois  semaines,  comme  j'ai 
pu  m'en  assurer  par  Texploration  du  vagin  et  de 
I'ulerus,   a  ces  diverses  epoques  du  velage. 

C'est  bien  ainsi  le  refroidissemeni  qui  a  determine 
I'arrel  subil  des  lochies  ,  dans  le  cas  qui  nous  oc- 
cupe,  puisque  chez  I'autre  vache ,  elles  lureui  ega- 
lemenl  suspendues,  pendant  environ  24  lieures  ,  el 
celle  cause  de  suppression  ,  qu'elle  soil  lenle  ou 
brusque  ,  qu'elle  ait  lieu  h  fair  ;ibrt'  ou  dans  les 
eiables ,  sera  loujours  louie  puissanle ,  pour  deter- 
miner  un   elat   morbide. 


—  21    - 

iMais  elle  n'esl  pas  la  seiile  qui  k  prodiiise. 

Ainsi:  1°  La  plelhore  sanguine,  resullaul  d'uii 
i-xces  de  nourrilure  ,  donnee  pendanl  la  gestation,  ou 
apres  le  velage,  par  les  marcliands,  ou  les  nourrisscui's, 
dans  le  but  de  donner  plus  d'apparence  aux  vaches 
el  d'augmenler  la  secretion  du  lait. 

2°  L'n-ritation  plus  on  mo'uu  violeiilo  du  vagin  el 
de  I'ulerus,  produite  par  les  parts  laborieux  ,  ou  |)ar 
les  manoeuvres  nialadroiles  eliniempeslives  d'hommes 
ignoranls,  loujours  prets  a  vouloir  terminer  prompte- 
menl  el  forcement  la  soriie  du  veau  ,  qui,  dans  la 
majoriie  descas,  aurail  eu  lieu  spontanemenl. 

5°  Le  renversemenl  du  vagin  ou  de  I'ulerus  ,  mal 
reduit,  el  dont  les  effets  no  soul  pas  combadus  par  iin 
iraitomenl  rationnel    et  des  soins  appropries. 

4"  La  non-delivrance,  ou  la  delivrance  artificielle , 
opereo  incompletemenl,  mahdroitement  ou  Irop  vite, 
le  gonflement  intlammaioire  du  pis  et  des  mamelles, 
etc.,  sont  aiitani  de  causes  d'irrilaiion  el  d'inllamma- 
tioQ,  capables  d'empecber,  d';irreter,  ou  de  suspendre 
la  secretion  locbiale,  de  meme  qu'elles  nuisenl  lou- 
jours a  la  secretion  du  lail. 

Ainsi,  s'explique  peul-etre  la  fre<|uence  des  acci- 
dents de  loutes  sorles ,  qui  surviennenl  si  souvent 
cbez  les  meillcuifs  vncbes  ,  ajir^s  la  pariurilion  ,  el 
parnii  lesqucls  on  doit  placer  au  premier  rang  :  la 
tievre  vilulaire  ou  plul6t  la  fievre  trauraatique-puer- 
puerale  ;  la  melro-vaginile  aigue  ou  chronique,  simple 
ou  compli(ju6e  ;  I'inflammation  des  ovaires  ,  de  la 
vcssie,  des  reins,  du  periloine,  de  la  rnoelle  epiuiere; 
les  engorgements  inllanimaloires  du  pis  el  des  ma- 
melles ;  les  enleriles,  el  (piebjuefois  meme  les  pneumo- 


—   22  — 

iiifS,  etc.  Seiilcment  ces  deinieresne  se  d6veloppenl 
probablemeni  que  quaotl  les  vaclies  voyagenl  par  un 
temps  froid  el  pltivieux  ,  ou  a  raarche  forcee  ,  les 
organes  respiratoires  elant  alors  plus  fortcmenl  irrites 
que  les  aulres  visceres  ,  par  I'impression  directe  de 
I'air  ambiant ,  el  ractivile  plus  grande  des  poumons. 

Je  n'hesile  pas  h  dire:  que  I'epoque  la  plus  critique 
pour  la  same  des  vaches ,  n'esi  pas  cellc  de  la  partu- 
rilion,  mais  bieii  celle  qui  suit  la  parturilion. 

Ce  n'est  pas  qu'a  la  suite  de  la  parlurilion  les  mala- 
dies que  je  viens  d'enunnerer  ne  puissent  se  developper 
Sous  I'influence  d'autres  causes  que  I'arret  subil  des 
lochies ,  celui-ci  tsl  alors  consecutif,  mais  il  n'en 
influe  pas  moins  sur  I'elat  general  de  la  vache,  el  je 
persiste  a  croire,  quejusqu'a  present,  on  n'a  pas  fait 
assez  attenlion  h  celle  cause  efficienle  de  maladies 
toujours  graves,  qu'i^  serail  facile  d'eviter ,  par  les 
simples   soins  d'unc  hygiene  bien  enlendue. 

II  me  resie  a  revenir  quelque  peu  sur  le  Iraiiemenl 
que  j'ai  employe  dans  ce  cas,  ei  nolammeni  sur  Te- 
norme  quanlile  de  sang  que  j'ai  tire. 

50  kilog.  au  moins,  en  sepl  jours...  Mais  la  vache 
etail  d'assez  forte  taille  ,  du  poids  de  500  kilogrammes 
sur  pied,  elle  etail  jeune  ,  vigoureuse,  avail  beau- 
coup  de  sang,  un  sang  riche  ;  I'inflammalion  etait 
violenle,  ei  ia  plelhore  sanguine  elail  manifesie  ,  en 
raison  sans  doule  du  pari  recent  el  de  I'abondanle  el 
succulenle  nourrilure  a  laquelle  la  bete  avail  ele 
soumise. 

Je  ne  pense  pas ,  en  efifet ,  que  chez  une  vache 
ayant  vele  depuis  longlemps ,  el  donnanl  du  lail, 
j'cusse    ose   lircr  aulani  de   sang ,   car  je   ne  oache 


-   2'6  — 

pas   c|ii'il  ,til  jamais   ele   i'uii    iin'ntion   do  seinblaliK' 
fails. 

Chez  les  vaclies  laitieres,  vieilirs  veleos  ,  los  sina- 
pismes ,  les  frictions  iiiilanU's  ,  les  selons ,  les 
purgatifs  a  liautes  doses ,  employes  concurremment 
avec  les  |)remieres  saignees ,  eussent  evidcmmenl 
prodiiit  qnelque  effei ,  on  la  beie  eut  ele  perdue. 
LS,  rien  ne  put  arreter  les  progres  du  mal ;  les 
saignees  seules  amenaient  un  pen  d'amelioratioii.  Le 
lendemain ,  quelquefois  le  jour  meme  de  remission 
sanguine  on  voyail  la  vache  se  plaindre  un  pen 
moins ,  respirer  jihis  facilemont  et  donner  plus 
de  lail ,  pour  revenir  au  merae  elat  le  surlen- 
demain ,  il  esl  vrai.  Ce  ti'est  qu'aprcs  la  sixieme 
saignee,  qui  en  desespoir  de  cause  fui  une  des  plus 
copieust's ,  que  le  mal  ceda  ,  que  les  sinapismes, 
les  selons,  les  purgalifs  agirent,  et  que  les  fonclions 
secretoires  des  mamelles  el  de  I'uterus  se  retablirent. 

La  saignea  a  forte  dose,  repetee  coup  sur  coup, 
a  done  ele  dans  ce  cas  le  raoyen  le  plus  elficace  , 
le  plus  puissant^  pour  comballre  rinflammation,  celui 
sans  lequel  la  maladie  eut  determine  necessairemenl 
la   mori. 

Ce  fail  est  pour  nous  un  enseignemenl  pratique, 
il  nous  indique  clairemcnt  la  necessite  des  grandes 
et  ires  grandes  saignees ,  dans  loutes  les  maladies 
conseculivts  au  v6lage  qui,  chez  les  bonnes  vacbes, 
sonl  on  des  congestions  ou  des  inflammations 
aigues. 

II  nous  indique  aussi  que  !a  saignee  a  la  suite 
de  la  parturition  ou  un  pou  avanl  le  pari,  esl  sou- 
vcni  utile   comme   nnsNcn  j)reventif,  (piand  les  vaclics 


—  2/1  — 

sonl  plolhoriques ,  ou  que  les  organes  surexciles , 
soil  par  les  velages  difficiles  ,  le  renversement  de 
malrice,  I'affliix  trop  considerable  du  sang  dans  les 
glandes  mammaires ,  ou  toute  aulre  cause  d'irritaiion, 
ne  pernicttenl  pas  aux  secrelioiis  lochiale  el  laciee 
d'enlrer  regulierement  en  fonciions. 

Depuis  le  perfeclionnemenl  des  cultures;  depuis 
que  les  prairies  arlificielles,  dans  beaucoup  de  loca- 
liies  remplacent  la  jachere ,  le  lemperamment  des 
vacbes  est  evidemment  change,  de  lymphaiique  qu'il 
elail  en  general ,  il  est  devenu  sanguin ;  mieux 
nourries  ,  elles  ont  nn  sang  plus  riche,  plus  abon- 
danl,  qu'elles  iransmellenl  a  leurs  descendants,  qui 
mieux  nourris  encore,  ac(]uieroul  uu  degie  de  vi- 
talile  qu'il   deviendra  bienlol  utile  de  moderer. 

Notre  Iberapeulique,  chez  ces  animaux,  doit  done 
changer  aussi,  el  avoir  pour  base  le  j)lus  souvent, 
la  medication  essenticlkmenl  depletive,  surloul  pendant 
les  derniers  temps  de  la  gestation .  ou  immediale- 
ment  apres  le  velage  ,  alors  que  le  sang  est  plus 
abondant,  plus  fibrineux ,  el  predispose  aux  conges- 
tions, aux  maladies   inllaairaaloiros. 

C'est  ainsi  que  bion  des  fois  j'ai  sauve  des  vaches 
d'une  mort  imniinente,  ou  en  ai  preserve  de  mala- 
dies graves,  a  la  suite  d'un  part  laborieux,  d'un 
renversement  de  I'uierus,  etc.,  en  lirant,  en  moins 
de  24  heures,  de-lS  k  15  litres  de  sang,  et  que 
contrairemenl  aux  prejuges ,  ces  vaches  onl  donne 
un   lait  aussi  abondant  que  les  annees  precedenles. 

C'est  ainsi  que  j'ai  pu  encore,  par  de  fortes 
saignees ,  erapecher  des  avorlemenis  raanifestes , 
donl    les    premiers    symptomes    s'elaient   declares   a 


—  25  — 

la  suite  do  conliisions,    de    heiirls  ,   do  chules,   de 
saillies,  elc,  (1). 

CONCLUSIONS. 

Dans  cette  simple  notice ,  je  crois  avoir  de- 
montre  : 

1"  Qu'il  exislo  chez  la  femelie  bovine ,  apres  le 
part,  un  ecoulernent  ayant  la  plus  grande  analogie 
avec  cclui  qui  a  lieu  chez  la  femme,  a  la  suite  de 
i'accouchement,  ecoulernent  auquel  on  a  donne  le 
nom  de   Lochies. 

9°  Quo  la  Bronco-Pncumonie  si  violente  ,  qui  s'esl 
developpee  chez  ma  vache  ,  le  cinquieme  jour  du  ve- 
lage,  a  et6  delermineo  par  i'arret  subit  de  eel  ecou- 
lernent  lout  physiologique. 

3"  Que  Ics  fortes  emissions  sanguines,  plus  encore 
que  les  revulsifs  el  les  purgatifs ,  out  ete  toules 
puibsantes,  pour  iriompher   du  mal. 

M.'iis  mon  but  principal  sera  atteint,  si  par  ces 
details  et  les  retlexions  auxquels  je  me  suis  laisse 
entrahier ,  j'ai  rcussi  a  attirer  ['attention  des  vete- 
rinaires  cl  de^  agiiculleurs,  sur  une  cause  de  mala- 
dies graves,  chez  les  vachcb  fraichement  velees,  qui 
me  paraii   avoir  cle  incounue  jusqu'ici. 

(  !  )  Aujouid'hiii  ,  fin  fevricr  1862  ,  que  celle  communica- 
tion est  livree  a  I'iraitressioii ,  je  crois  bon  de  dire  que  la 
vaclie  qui  en  fait  le  sujet  ,  a  subi  ia  castration  en  presence 
des  docteurs  Blanchard  el  Maldan  ;  que  I'oiipration  a  reussi 
a  souhait ,  mais  que  ,  sans  doute  a  cause  de  sa  constitution 
pletiiorique ,  I'etal  du  pouls  et  quelques  syniplomes  u'irri- 
tation  itulinonaire  me  foicerent  de  lui  tirer  encore  15  litres 
de  sang,  ce  (jui  n'empecha  pas  son  lait,  ijui  diuiinua  quelque 
peu,  de  revcnir  promptement  a  sa  quanlilc  lioruiale,  d'augmen- 
ter  meme  de  deux  litres,  bien  que  souuiise  au  meme  regime 
qu'arant  i'operalioii. 


—  26  — 


roinimmicsUicn  dc  i.  iaiimeiic. 


NOUVEAU    PilOC^Dfi     DK     PI\6PA»ATI0N    OU   CIILOKIi    ET 
DE   l'aZOTE.    —    UEMARQUES   SUIl    L'ANESTHfiSIE. 


J'ai  riioineur  do  communiquer  a  I'Academie  une 
decouverle  h  laqiiello  eile  accordera  peul-6lre  de  I'in- 
terel ,  pour  I'ulilile  qu'ellc  offrirail  h  I'induslrie  dans 
cerlaines  circonslances,  ei  pour  les  Inmieres  qu'elle 
repand  sur  I'aciion  des  agents  aneslhesiques  comme 
Tether  ou  le  chloroforme. 

L'un  des  premiers  agents  d'anesthesie  connus  a 
eie  le  gaz  protoxyde  d'azote :  I'etude  de  ce  corps  a 
presenle  des  accidents  ties  analogues  h  ceux  dont 
I'emploi  de  I'eihcr  et  du  chloroforme  a  ele  la  source 
de  nos  jours. 

En  Anglelerre,  tons  ceux  qui  respiraient  du  pro- 
toxyde d'azote  eprouvaient  une  sorle  de  delire  joyeux 
et  sans  souffrance ,  et,  chose  singuliere  ,  des  effets 
compleleiueni  opposes  se  manifeslaient  en  France  sur 
les  observateurs  les  plus  habiles.  L'ilhistre  baron 
Thenard  ,  qui  a  porle  si  haut  notre  gloire  scienti- 
tique,  faillit  perir  avec  deux  de  ses  preparateurs  k 
la  suite  d'une  inhalation  de  protoxyde  d'azote. 

J'avais  songe  depuis  longtemps  a  rechercher  les 
causes  de  cette  discordance  bizarre  ,  el  j'avais  cru 
Jes  irouvcr  dans   une  impurete  du  sel  employe  pour 


—  27  — 

Ja  pioparalioii  dti  gaz  donl  il  s'agit,  impiirete  donl 
il  t'sl  soiiille  prosque  n^cessairemerU  d'ordinaire.  H 
nvavail  sernble,  en  uii  mol,  quo  I'azole  d'amnionia- 
que  mis  en  usage  pour  obtenir  le  proloxyde  d'azoto 
leofermait  loujours  une  peliie  quanlile  de  chloihy- 
drale  de  la  nieme  base,  el  que  I'aclion  des  deux  scis 
pouvaii  dotiner  naissance  a  des  produils  secondaires, 
qui   rendaienl  ie  gaz  anesthesique  dangereux. 

En  eludiant  celle  aclion  ,  mcs  previsions  se  sonl 
realisees  et  je   suis  parvenu  aux   resuilals  suivaiils: 

On  a  theoriquement : 
2Az0.5H3Az.HO+H3Az.  HCL=15H0+CL+5Az. 

L'experience  esl  d'r-ccord  avec  la  iheorie  ;  aussiioi 
que  le  melange  alteint  la  lempeialure  de  fusion  de 
I'azolale,  une  action  tres  vive  s'elablil  el  elle  fournil 
les  resuilals  indiqucs.  f)es  !es  premiers  momenls  ,  le 
leu  peu!  eire  relire  ;  la  decomposilion  conlinue  el 
s'acheve  presque  enlieremeni  d'elle-meme. 

La  projiaration  ainsi  execuiee  pourrail  devenir 
dangereuse  pour  deux  raisons  : 

i°  Parce  qu'elle  fournit  avec  une  grande  rapidile  des 
produits  qui  sonl  tousgazeux^  une  quanlile  de  ma- 
liere  un  peu  forlc  donnerait  loujours  chance  d'ex- 
plosion  ; 

2"  Parce  que  le  melange  des  deux  sels  dcvienl 
paleux,  se  boursoullle  considerablemenl,  el  va  se  liger 
dans  les  cols  des  cornues  en  produisanl  une  obsiruc- 
lion  coraplele. 

11  esl  facile  de  remedier  a  ces  difficulles  ;  il  sullii 
de  ne  pas  agir  sur  une  grande  masse  de  melange  a 
la  fois,  el  d'ajouler  ix  peu  pres  qualrc  fois  aulani  de 
sable.    On  mel   ainsi  l'experience  au   rang  des  plus; 


'    —   28   - 

Taciles;  en  pen  d'inslanls  la  ciialeur  ameue  le  devo- 

loppement  des  gaz  sans  fumee  el  sans  tumulle.   On 

abaisse  un  peu  le  feu  el  I'operation  marche  promple- 

menl  el  avec  uue  grande  regularile. 

Voici  les  chiffres  de  la  preparation : 

,„„  I   75  azolale  d'ammoniaque  sec  , 

100 grammes     at;    l^    u  a    ,     v  • 

°  I   25  chlorhydrale  d  ammoniaque  sec, 

400  grammes  de  sable. 

Ces  proportions  fournissent  26  litres  d'azote  sec 
el  5  lilres  de  chlore. 

Je  crois  superflii  de  faire  observer  que  la  chaleur 
est  assez  elevee  pour  ne  laisser  aucune  crainte  de 
production  du  chlorure  d'azote.  Jamais  les  gaz  n'en 
ont  la  plus  faible  odeur. 

Lorsque  les  proportions  indiquees  pour  le  melange 
sont  bien  observees  el  lorsque  les  sels  sont  purs,  on 
n'oblient  pas  autre  chose  que  de  I'eau,  de  I'azote  el  du 
chlore. 

Ces  deux  resuiiats  m'ont  conduit  aux  consequences 
suivantes  : 

i°  Les  petites  quantites  de  chlore  produites  par 
les  traces  de  chlorhydrale  d'ammoniaque  qui  existent 
souvenl  dans  I'azotate  de  cette  base ,  expliqueni  les 
facheux  ellels  observes  dans  certains  cas  ,  par 
exemple,  en  France,  lors  de  I'inhalalion  du  protoxyde 
dazoie. 

On  est  fonde  ainsi  a  admeltre  que  les  effels  facheux 
de  rather  et  du  chloroforme  sont  dus  souvent  a  des 
impureles ,  comme  cela  arrive  pour  le  protoxyde 
d'azole. 

2°  L'aclion  reciproquo  des  deux  sels  fournil  un 
moyen   nouveau  d'oblenir  Tazole  et  le  chlore. 


-    29  — 

Les  proccdes  pour  l.i  propanilion  de  I'azole  soiit 
mainienanl  assez  nonibroux  ;  mais ,  a  pari  celiii  de 
la  decomposiiion  de  I'air  par  les  metaux  ,  ils  laisseiU 
a  dosirer  sous  le  rapport  de  la  simplicite.  Cu!ui  qui 
faiirobjel  de  cette  commnnication  parailra  sans  doute 
preferable  quoique  ,  ou  plutot  parce  qu'il  donne  en 
mime    temps  du  chlore. 

Le  jour  peut  veiiir  ou  I'indusirie  (rouverait  une 
grande  ressource  dans  ce  nouveau  mode  de  produclion 
du  chlore  sans  bioxyde  de  manganese,  et  au  moyen 
de  subslanci^s  qui  tcndeni  continucllement  \i  devenir 
moins  couieuses. 


—   30  — 


EXPftUlKNCES    OK   TELEGUAPHIE    liLECTniQllR  , 
par   M.   E.  Maumene. 


Le  lelegraphe  clectrique  esl  un  des  iriomphes  de 
la  physique  modeine.  Se  paiier  h  mille  lieiies  comme 
en  lete  a  lele  nVsl  plus  un  probleme  :  c'esl  un  fait 
do  la  pratique  la  plus  ordinaire  aujourd'hui.  —  Le 
gouverneinenl,  los  chemins  de  for  emploicnl  le  lele- 
graphe eleclrique  couime  principal  moyen  de  commu- 
nicalion.  Bienlot  nous  en  jouirons  tous  a  peu  de  frais 
et  la  posle  s'cn  servira  pour  la  plupart  de  nos  cor- 
respontiances. 

En  meltanl  sous  les  yeux  de  I'Academie  le 
specimen  du  merveilleux  instrument  dont  nous  rece- 
vous  deja  lant  de  services,  M.  Maumene  s'esl  em- 
presse  d'indiquer  brieveraent  les  principes  mis  en 
usage  dans  sa  construction. 

L'Academie  a  pu  .Miivre  la  transmission  d'une  de- 
peche  entre  deux  stations  eloignees  an  moyen  d'un 
telegraphe  a  cadran.  Les  lellres  successivemenl  prises 
pour  guides  sur  un  transmetteur ,  metteni  I'eleciri- 
ciie  en  mouvement  dans  un  fil  dont  la  longueur  ne 
peul  jamais  etre  assez  grande ,  d'un  point  k  un 
autre ,  sur  notre  globe  pour  exiger  un  temps  de 
parcours    sensible ;    les    mouvements    reproduits    k 


—  31   — 

I'inslanl  mcmi!  shms  mi  rcceplcur  place  an  !icu  do 
destination,  y  font  paraiiro  les  m<}  ;ios  lellres,  conime 
i^i  la  main  qui  les  envoie  tenait  raignillc  dc  cc  re- 
cepteur.  La  rapidite  avec  laqnelle  lonciionnc  uii 
lelegraphe  depend  de  sa  conslruclion  <  t  de  I'habi- 
lude  des  personncs.  Le  modele  presonle  par  M. 
Maiimene  a  ele  consiriiil,  seulcnient  pour  la  de- 
monstralion,  par  M.  Froment,  I'un  de  nos  plus  lia- 
biles  ingenieurs ;  il  pent  cnvoyer  deux  lelires  par 
seconde ;  mais  il  s'en  faut  que  ce  soit  la  limile  du 
travail  des  tclegraphes  de  service,  ceux-ci  peuvent 
tracer  huil  el  dix   lettres. 

M.  Maumene  a  fait  atissi  fonctionner  un  modele 
execute  par  lui-meme,  de  la  disposition  adoptee 
pour  mouvoir  une  sonnette  d'avcrtissoment  au  mo- 
ment de   la   transmission   des  dcpeches. 

Eniin,  TAcademie  a  vu  repeier  ia  curieuse  expe- 
rience donl  li'  public  a  ete  enlretenu  lors  de  I'ela- 
blisscmenl  du  lelegraphe  sous-  marin.  On  pent  tirer 
le  canon  a  Calais  en  y  mcilant  le  feu  de  Douvres, 
on  reciproquement.  M.  Maumene  a  explique  celte 
merveille,  si  sisnplement  produile  avec  I'aide  de  I'e- 
lectricite.  II  suffit  d'amencr  le  fd  telcgrapliique  sur 
la  lumiere  du  canon,  el,  apres  I'avoir  coupe,  de 
reunir  ses  deux  parties  au  moyen  d'un  fil  de  pla- 
line,  presque  aussi  lin  qu'un  clieveu  ct  long  de  10 
a  1*2  millimelrcs.  L'eleclricile  peut  traverser  le 
gros  fil  lelegraphique  el  ne  pas  i'echaulTer  nota 
blemenl ,  mais  elle  porle  le  fil  fin  de  plaline  a 
une  cbalcur  rouge,  el  elle  determine  tout  naturel- 
lemenl  rinilammaiion  de  la  poudrc  que  le  fil  ira« 
verse.     Le  canon   elant    a    Calais  el  la  source  elec- 


/    ,  _„  ao  

/  ^- 

irique  a  Douvres  ,   le  fluide    mis  en    mouvemenl  a. 

ceile   derniere    station    arrive  au  roomenl    meme  h 

Calais  el   fail  rougir  le  fil   de  platine  qui  determine 

I'esplosion.    —  M.   Maumene    a    produil  de    ceile 

maniere  rinllammation  de  la  charge  d'un  petit  canon 

de  cuivre. 


—  S3  — 


ARCHtOLOGIR. 


RAPPORT 

sun    I  A    QT'ESTION    DES    FLfeCIlES    DE    LA    CATIlfiDKALE 

!)E    UEIMS  , 

I'ar   M.    i'abi'C   V     Tniirnrtir 


Messieurs  . 

Un  nrlicic  publie  par  VIndicaleur  de  la  Champagne 
(111  mardi  2  decembre  4851  ,  reclamaii  d'une  nianiere 
assez  vive  conlre  loute  erection  de  (leches  sur  !es  lours 
de  noire  calliedrale  de  Rcin)s.  L'estimable  anieur  de 
cet  arlicle,  entraiiie  par  son  coeur  eminemmciil  remois, 
el  par  son  ardcni  amour  pour  I'admirable  basiliquc, 
clierchail  partout  des  appuis  h  sa  cause  ;  il  invoquait 
I'hisloire,  Terudilion  ,  la  science  el  I'archeologie , 
Pliiche  el  le  Congres  scienlilique ,  pour  proaver  que 
Ics  arcliilectes  qui  ont  hCili  la  calhedrale  n'ont  jamais 
vouhi  terminer  son  porlail  par  des  flecheSj  et  que  par 
coimqiient  il  no  doit  point ,  il  ne  devra  jamais  en 
reccvoir.  Des  le  jour  nieme  de  I'apparilion  de  cet  ecril 
dans  les  coloniies  de  VIndicaleur  ,  un  arciieologue 
ol)scur  s'elaii  cITorce  (j'en  ai  regu  dans  le  temps  la 
confidence  ),   do  le  refuler  sur  un  grand  nonibrc  de 

I.  ^  3 


-  dh  — 

poinls  el  de  lairc  voir  la  question  sous  un  tout  aulre 
jour.  Mais  il  avail  du  laisser  dans  rombre  son  travail; 
ralleniion  du  public  el  ses  preoccupations  eiaient  a 
d'autres  evenemenls  beaucoup  plus  serieux  ,  el  il  y 
aurail  eu  quelque  inconvenance  a  venir  faire  de  la 
polemique  dans  les  journaux  sur  una  question  d'art 
el  de  gout ,  quand  une  portion  du  pays  clail  en  proie 
aux  horreurs  de  la  guerre  civile ,  el  qu'une  question 
de  vie  el  de  mort  pour  la  France  etail  encore  peu- 
danie. 

L'ariicle  de  V Indicaleur ,  malgre  I'importance  de 
son  sujel  aurail  done  probablement  passe  inaper^u , 
si  noire  zele  correspondant  M.  le  comle  de  Mellel, 
^>  qui  rien  ne  sauraii  faire  perdre  de  vue  les  intcrets 
de  nos  monumenis ,  n'avail  par  une  proposition 
formelle ,  saisi  I'Academie  de  la  question  des  Heches 
el  reclame  son  intervention  pour  protester  aupres  du 
Ministre  des  cultes ,  suppose  que  le  gouvernement 
ail  etleclivement  le  projel  d'eriger  ces  flecbes ,  el 
qu'il  ail  meme ,  comme  I'assure  Tarticle  de  YJndica- 
teur  ,  donne  a  ce  projel  un  commencement  d'exe- 
cution. 

Vous  avez  partage  ,  Messieurs  ,  sinon  les  crainies , 
du  moins  la  sollicilude  de  I'bonorable  M.  de  ftiellet 
pour  noire  calbedrale ;  vous  n'avez  point  oublie 
I'inlerel  que  Ton  attache  a  Reims  et  dans  tout  le 
monde  des  archeologues ,  a  cette  question  lant  de 
fois  debaltue  de  I'erection  de  filches  sur  les  lours 
de  notre  incomparable  porlail;  vous  avez  egalemenl 
lemarque  combien  I'opinion  publique  s'est  preoccu- 
pee  autour  de  nous  ,  a  la  vue  des  iravaux  de  res- 
tauralion ,  ou  meme ,  selon  quelques  personnes ,  de 
conslruclion  recemmenl  executes  sur  ces  memes  lours, 


—  ;V5  — 

el  voiis  avcz  tlc-sire  qu'iinc  commission,  apr6s  avoir 
eliidie  serieusement  cellc  question  si  grave ,  vinl 
nous  commiiniquer  dans  un  rapporl  le  resullat  de 
ses  eludes.  Voire  commission  s'est  reunie  sous  la 
presidence  de  M.  Bandeviiie ;  elle  sc  coinposail  de 
MM.  Fanarl,  Sutaine,  Maquart ,  Gossel ,  Duparc  et 
Tourneur.  Nos  collegues  m'ont  fail  I'honneur  de  me 
designer  pour  vous  rendre  coraple  de  leurs  delibe- 
rations. Tache  dillicile,  h  raccomplissement  de  la- 
quelle  je  me  suis  efibrce  d'apporler  tous  mes  soins 
el  pour  laquclle  j'ai  bcsoin  d'etre  soutenu  par  la 
bienveiilance  a  laquelle  vous  m'avcz  dcpuis  si  long- 
lemps   accoulume. 

En  elfet ,  Messieurs  ,  il  y  a  cerlaines  questions 
qui  ont  le  privilege  de  diviser  presque  necessairement 
les  esprils  el  sur  Icsquels  il  semble  qu'on  ne  puisse 
jamais  s'enlendre ,  loutcs  simples  qu'elles  paraisscnt 
au  premier  abord.  Ce  sonl  celles  qui  sonl  posecs 
d'une  maniere  confuse,  vague  ei  indecise,  ct  dans 
la  discussion  dcsquelles  chaque  cbampion  s'escrimanl 
avec  fureur ,  frappe  sans  cesse  a  cole  de  son  ad- 
versaire  ,  croyant  a  lout  instant  le  lerrasser  quand 
il  ne  le  louche  meme  pas.  Ce  sonl  encore  les  ques- 
tions d'arl ,  de  forme  ou  de  goiit  qui ,  ne  se  rat- 
tachanl  immediatementh  aucun  principe  incontestable 
ne  penveni  non  pliiselre  tranchees  par  aucune  uutortte 
inl'aillible,  el  se  resumenl  toujours  en  deux  ou  trois 
propositions  opposees ,  que  Ton  admetlra  on  que  Ton 
rejetlera  a  son  gre  ,  sans  jamais  pouvoir  C'lre  con- 
vaincu  d'orrour.  Vous  aimez  un  j)ortrail  eiiloure  d'un 
ovale  el  moi  je  le  prel'cre  cncadre  dans  un  carre 
et  ainsi  de  mille  aulres  choses  qu'il  si>rait  fort  aise 
de  citer  ici. 

Or,  telle  esi  precisemonl,  selon  uioi,  rinierminnhie 


—  36  — 

question  des  fleches.  Elle  ii'a  ete  lanl  dcballue  au 
Congres  scienlifique  de  484.5  que  parcc  qu'elle  a  ele 
posee  sans  precision  ;  car ,  bien  definie ,  elle  se 
resumera  en  quelqucs  propositions,  les  unes  si  cvidenles 
qu'elles  doivenl  nieltre  lout  Ic  nionde  d'accord  ;  ics 
aulres  si  pcu  evidenlcs  ,  si  fort  du  domaine  du  gout 
ei  de  I'apprecialion  pcrsonneile  qu'elles  ne  pourront 
jamais  etre  resolues ,  et  que  tout  esprit  sage  doit  se 
borner  6  les  exposer  sans  chercher  a  les  resoudre. 
Essaycr  done  en  ce  moment  de  debrouiller  ce  formi- 
dable probieme  en  plagant ,  d'un  cote,  ce  qui  peut , 
ce  qui  doit  elre  admis  par  lout  le  monde ,  et  de 
I'aulre,  ce  que  personne  ne  saurail  decider,  toulefois 
en  exposanl  lidelement  les  raisons  des  deux  parlis  ; 
arrivcr  surloul  a  des  conclusions  pratiques  nelles  , 
positives,  acceplablcs  pour  tout  le  monde  et  telles  que 
I'Academie  puisse  les  sanctionner  de  son  vote  ;  voila 
la  tache  difficile  que  j'ai  re^ue  de  voire  commission 
et  que  j'ai  acluellement  a  remplir  sans  m'engager 
cependanl  a  ne  point  vous  laisser  deviner  mes  predi- 
lections el  a  vous  cacher  le  drapeau  flechisle  ou  anti- 
flechiste  sous  lequel  j'aimerais  a  me  ranger. 

Avant  tout ,  la  question  des  fleches  peut  6tre  en- 
visagee  sous  deux  aspects  enlierement  distincis  ,  et 
qu'il  importe  beaucoup  de  ne  pas  confondre.  Tlieori- 
quement,  au  point  de  vue  de  I'art,  du  gout,  de  Thisloirc, 
mais  comme  unc  these  purement  speculative  ;  ou 
praliquement  el  en  vue  d'une  execution  plus  ou  moins 
immediate.  Quoique  liee?  tres  iniimement ,  ces  deux 
questions  sonl  cependanl  parfaitement  independantes 
sous  plusieurs  rapports.  On  peul  tres  bien  reconnaitre 
en  effel  que  la  calhedrale  devrait  avoir  des  fleches  , 
qu'elle  serait  mieux,  plus  achevee,  plus  complete  avec 


—  37  — 

cclle  addition,  sans  cire  pour  cela  force  de  demander 
Icur  construction  immiidiaic,  sans  avouer  meme  qu'il 
f;i!lle  jamais  les  eriger. 

C'esl  pour  avoir  oublie  ce  point  essentiel,  que, 
confoudant  les  deux  questions,  on  s'esl  jcte  dans  des 
suppositions  inadmissibles,  on  a  nie  des  fails  evidenls, 
el  consid6rab!emenl  embrouille  la  discussion.  Apres 
avoir  signale  eel  ecueil ,  lachons  de  Teviter. 

Premieremenl  done  :  En  thiorie,  vaudrait-il  mieux. 
serait~U  preferable  quo  le  portail  de  la  cathedrale  fut 
termine  par  des  fleches  ? 

Pure  question  de  gout  ct  absolumenl  insoluble,  si 
Ton  ne  veut  consulter  quo  la  raison.  Apres  avoir 
bien  allenlivemenl  ecout^  loutes  les  discussions  qui 
onl  eu  lieu  en  nia  presence  sur  ce  sujet,  apr^s  avoir 
relu  avec  grand  soin  les  j)roces-verbaux  du  Congr^s, 
Tarticlede  Vlndicaleur ,  les  divers  articles  des  Annales 
archeologiques  concernant  les  Heches  de  la  cathedrale 
de  Reinns  ,  je  trouve  pour  raflirmative  ou  pour  la 
negative  deux  ou  Irois  raisons  au  plus,  niais  qui  n'ont 
rien  de  peremploire  el  qui  finissent  loujours  par  equi- 
valoir  a  ceci  :  Vous  aimez  une  c/ioce  ,  el  moi  j'en 
prefere  une  autre  ;  a  qui  don^erc^t-c.z  raison  ? 

Ainsi  :  il  faul  des  fleches ,  disent  les  uns,  parce 
que  lout  dans  la  cathedrale  se  termine  par  des  fitches, 
les  conlre-forts  ,  les  dais  ,  les  niches ,  el  le  reste, 
bati  dans  le  style  pyramidal ;  il  faul  des  fleches,  parce 
que  les  lignes  du  portail  s'elevanl  verlicalemeni  doi- 
vent  se  reuniren  un  faisceau  el  former  des  fleches  ;  il 
faul  des  fleches  parce  que  Saini-Nicaise,  veritable  modu- 
le reduit  de  Notro-Daine,  avail  les  siennes  ;  que  Char- 
ires,  Tours  ct  autrcs  eglises  onl  les  leurs,  endn  parce 


—  38  — 

que  lien  lie  seiail  plus  sublime  que  le  portail  de 
Reims  s'il  allait  se  perdre  el  mourir  dans  les  nuages 
a  cinquanle  metres  plus  haul  ,  precisement  ;i  la 
liauleur  de  la  lanlerne  du  dome  de  Sainl-Pierre  de 
Rome. 

li  ne  Taut  pas  de  Heches,  disenl  les  auires,  parce 
que  la  Ci.lhedralc  esl  parfaile  comme  elle  es»  ,  el  que 
cede  addition  pourrait  la  galer,  en  rompanlla  pers[)ec- 
livc  el  I'harmonie  des  lignes,  el  atliranl  necessaire- 
menl  le  regard  au  detriment  du  portail,  qui  ne  serail 
plus  vu,  plus  ndmlre.  If  ne  faut  pas  de  ileclies,  parce 
que  Nolre-Dame  de  Paris,  de  Rouen,  d'Amiens  ,  do 
Bourges,  el  autres  caliiedrales  niagnifiques  n'en  onl 
jamais  en  el  n'en  sont  pas  rnoins  admirees  des  con- 
nai^seurs  Que  voire  pcnsee  ne  me  devauce  pas, 
Messieurs ,  el  veuillez  bien  remarqucr  que  tontes  les 
auires  raisons  allegtices  pour  ou  conlre  les  Heches  se 
rapporlenl  a  la  question  de  solidite  des  lours  ou  a 
Yopportunile  d'un  aclievemenl ,  ou  a  tout  autre  point 
en  dehors  de  la  question  pre>eiite  ,  telle  que  nous 
I'avons  posee  au  point  de  vue  puremenl  specidalif. 
J'avais  done  le  droit  de  vous  dire  qu'aucune  de  ces 
raisoDS  n'est  peremploire,  el  que,  posee  en  ces 
termes  ,  la  question  ne  saurait  elre  resolue  par  la 
discussion. 

Toutefois  ,  un  argument  d'un  tout  autre  genre  a 
6le  produit  au  sein  de  la  commission  en  faveur  de 
I'afTirmative  ;  mon  role  de  rapporteur  m'oblige  a  le 
repeter  ici  avec  quelques  developpements ,  peut-etre 
fera-t-il  sur  nos  esprils  une  certaine  impression.  Un 
membre  a  dit :  Sans  doute  en  s'appuyant  sur  les 
seules  considerations  arlistiques  de  convenance  et  de 
heaute,   la  question  des  fleches  au  point  de  vue  spe- 


—  89  — 

culalif  esl  insoluble ;  mais  ne  pourrait-elle  pas  e(re 
Irancliee  par  Vautorite  ?  Si  un  arlisto  eminent,  le- 
connu  par  I'univers  entier  comme  le  plus  compelenl 
en  fait  d'architeclure  goihique  ;  si  un  homme  de 
genie ,  aussi  bon  juge  en  celte  maliere  que  Michel- 
Ange  en  fait  de  sculpture  ,  que  Raphael  en  fait  de 
peinture,  venail  vous  dire  clairement  et  sans  hesiler 
que  la  caihcdrale  devrait  avoir  des  Heches  pour 
complement  de  son  porlail,  scrail-il  permis  d'h6,siior 
encore  et  de  le  coiitredire?  Or,  ii  en  (,'si  |)rL'cise- 
ment  ainsi  ;  et  le  grand  hoaiuic,  Thomme  do  genie 
qui  vient  nous  parler  de  la  sorle,  c'est  Hugues  Li- 
bergier,  ou  Robert  de  Coucy,  ou  Tauleur  inconnu 
pour  nous  du  porlail  de  la  caihedrale.  En  effet,  la 
calhedrale  enliere  ,  et  le  porlail  en  parliculier,  sont 
baiis  sur  un  plan  unique ,  an  moins  pour  I'ensemble. 
Ces  parlies  reunies,  si  harmonieuses ,  si  bien  pro- 
porlionnees  I'une  a  I'autre  ne  so  soni  pas  surajoulees 
ies  unes  aux  autres  au  grc  du  hasard  ;  une  seule  tele, 
un  seul  genie  a  couqu  ce  merveilleux  poeme,  et 
lous  Ies  maitres  de  I'oeuvre  qui  se  sonl  succ6de ,  se 
sont  plii  h  le  iraduire  sur  la  pierre,  sans  rien  chan- 
ger ,  que  des  details  peut-etre  ,  aux  premieres  idees 
du  mailre.  Ce  fail  est  inconlesiable  ei  avoue  ,  pro- 
clam6  par  tons  Ies  archilectes,  par  lous  Ies  hommes 
qui  onl  eiudie  I'ensemble  du  porlail  de  Reims.  AUri- 
buer  ce  chef-d'oeuvre  a  la  pensee  successive  de  plu- 
sieurs  hommes,  ce  serait  dire  que  I'Eneide  aurait 
pu  elre  enfantee  par  plusieurs  poeles  ;  le  Moise  do 
Saint-Pierre-aux-Liens  ,  congu  par  plusieurs  sculp- 
leurs  ;  la  Transfiguralion  du  Vatican  creee  par  plusieurs 
peinires.  Prciendre  le  conlraire  serait  se  jeler  dans 
une  supposition  absurde  et  vouloir  evidemmenl  I'im- 


—  40  — 

possible.  Or  ,  la  base  des  tlechcs ,  leur  coinnienccw 
nieiil ,  les  filches  elles-memes  avec  leiirs  clochelons 
existent  sur  la  calhedrale  depuis  des  siecles  ,  a  iiiie 
hauleur  de  trois  mfetres  au-dessiis  des  tours;  cela 
est  un  fait  materiel  et  palpable  qu'il  est  impossible 
de  nicr.  L'auteur  du  portail  lui-meme  demande  done 
Texistence  des  fleches  pour  rachevemeiit  parfait  de 
la  calbedrale. 

A  cela  qu'oppose-l-on  ?  Que  I'idee  des  lleclies 
n'apparlient  peut-6lre  pas  a  rimmorlel  auleur  du 
portail,  mais  qu'elle  a  pu  venir  des  derniers  ma- 
sons qui  I'oDt  eleve.  Cela,  ajoute-t-on  ,  serait  d'au- 
tent  plus  probable  que  I'hisloire  nous  moutrc 
loulos  les  grandes  conslruclions  du  nioyen-age  al- 
terees  et  modifiees  par  les  differents  archiiccles  qui 
ont  successivement  iravaille  a  les  batir.  Mais  Ton 
donne  cetle  reponse  : 

Qu'il  en  ait  ete  ainsi  pour  les  autres  construc- 
tions ,  nous  ne  le  nierons  pas ;  nous  avoueions 
meine  que  la  calhedrale  de  Reims  porle  en  beau- 
coup  d'endroils  la  trace  du  passage  de  differenies 
mains  qui  ont  voulu  faire  mieux  ou  du  moins  au- 
Irement  que  celles  qui  y  avaienl  prccedemnient 
iravaill6.  iMais,  et  c'esl  la  le  glorieux  privilege  de 
iiotre  basilique  ,  c'est  la  ce  qui  la  distingue  dc 
toutes  les  autres,  les  differences  qui  se  font  reraar- 
quer  dans  les  autres  cath6drales  aux  grandes  lignes 
de  I'edifice  et  dans  les  parlies  les  plus  considerables 
el  les  plus  essentielles,  n'apparaissent  a  Reims  que 
dans  quelques  moulures  et  dMmperceplibles  details, 
11  faut  I'ceil  exerce  de  I'archeologue  pour  remarquer 
les  changements,  et  ses  invesiigalions  patienles  pour 
les  decouvrir ;    hors    de   cela  ,  le  plan  ,   les  formes 


—  I\\  — 

priiicipales  sonl  parloul  religioiisemcnl  ,  sciupulcu- 
senicnt  conservdes.  Pas  ini  pillicr,  pas  uiic  base, 
pas  un  dais,  pas  iin  clochelon  ,  une  pyramide,  une 
ileclie  donl  le  plan  ne  soil  oclogone.  Pas  une  voulc 
qui  ne  soil  d'arele ;  pas  une  fenelre,  pas  un  com- 
parlimenl  de  rose  ou  de  fenelre  qui  ne  reproduise 
exaclemenl  la  menie  forme  el  un  type  unique.  Les 
derniers  architecles  onl  done  consciencieusemenl 
suivi  le  plan  du  premier;  c'csl  a  celui-ci  el  non 
aux  aulres  qu'il  faul  allribuer  I'idee  des  fleches. 
D'ailleurs  ,  a  defaul  de  ce  raisonnemenl,  le  monument 
parle  pour  conlredire  I'hypoihese  loute  graluite  d'un 
changemenl  de  plan.  Jamais  on  nepourrait  placer  des 
fleches  de  150  pieds  de  haul  sur  des  tours  qui  n'au- 
raient  pas  ele  disposees  pour  les  recevoir  el  pour  en 
porter  le  poids;  ces  lours  elles-mcmes  onl  du  ne- 
cessairement  6lre  appuyees ,  elayees  sur  un  systerae 
complel  de  bases  el  de  conlre-forts  nienages  de 
maniere  a  leur  offrir  un  point  d'appui  iiiebranlable. 
Quand  on  veul  charger  un  edifice  d'un  pareil  far- 
deau^  il  faul  y  penser  non  pas  en  posant  la  derniere 
pierre ,  mais  en  pla^ant  la  premiere.  Aucun  archi- 
lecle  ne  demenlira  cerlainemenl  celle  observation. 
Aussi  voyons-nous  a  la  calhedrale  des  bases  colos- 
sales  el  massives ;  une  suite  de  conlre-forts  el  de 
solides  elais  savammenl  combines  pour  se  soutenir 
el  s'appuyer  muluellement.  Les  lourelles  angulaires 
des  clochers  en  parliculier  ,  sonl  conslruiles  avec  un 
artilice  tout  special,  pour  appuyer  la  lour  princi- 
pale  el  contrebalancer  la  poussee  de  la  fleche,  Ce 
n'esl  done  pas  le  dernier  archilecte  ,  mais  le  pre- 
mier, mais  le  puissant  genie  crealeur  de  noire  por-> 
tail  qui  demaude  I'erection  des  Heches. 


-  h^l  - 

On  ajoule  encore  que  les  Heches  n'ayant  point  ele 
baties,  I'archilecle  s'esl  pcui-etre  dejuge  en  renon- 
^anl  a  leur  construction,  dans  la  crainle  ou  d'allerer 
la  beaule  de  son  ceuvre  ou  d'en  compromeltre  la 
solidile.  El  Ton  repond  encore  : 

Cela  ne  peut  souienir  le  plus  leger  examen.  D'a- 
bord,  si  un  archilecle  a  renonce  a  bjklir  les  fleclies, 
ce  n'est  point  I'auleur  du  porlail,  car   le  porlail  a 
ete  conQu   en    meme    temps    que  la   cathedrale   en 
1212,  ou  peu  d'annees  apres ;  et  ce  n'est  qu'en  4450, 
218  ans  plus  lard  qu'on  s'est  arrete  dans   sa  con- 
struction. Nous  pourrions  done  repeter  toujours,  meme 
en  admetiant  I'objection ,   que  I'auteur  du  portail  y 
veut  des  fleches.  Mais  ensuite  ,    il   ne  se  peul  pas 
que  la  crainte  de  gater  le  portail  ou  d'en  compro- 
meltre la  solidite  en  ait   arrets   rachevemeni.  Non  ; 
nous    avons    foi   au    genie ,  et  en    presence  d'une 
merveille  presque  complete  nous  ne  ponvons  croirc 
qu'on  I'eut  galee  en  la  terminant.  Si  Virgile  nous 
avail    laisse    VEneide  incomplete  el   priv6e  du  XII* 
livre ,  qui  oserait  dire  qu'il  s'esl  arrete  par  crainle, 
el  qu'il  aurait    pu  faire  perdre  a   son  poeme  toute 
sa  beaute  en    le  terminant?   Nous   dirons  la  meme 
chose  pour  la  solidite.  El  enfln,  nous  ajoulerons  un 
seul  mot  :  c'est  que  cetie  supposition  touie  gratuite, 
recoil   des   fails    le   dementi  le   plus  solennel  el  le 
plus  evident.    Ce    qui  nous  prouve  qu'on  n'a   pas 
abandon  ne  I'idee  des  Heches  quand  est  venu  le  mo- 
ment   de   les   construire,    c'est    qu'on   les    a  com- 
mencees. 

Quoi  de  plus  facile  que  de  completer  les  tours, 
comme  h  Paris  ,  par  une  balustrade  et  une  plate- 
forme?   on  eiil  eu  du  moins  la  joie  de  terminer  Ic 


—  /|3  — 

nicrvc'illeux  porlail,  d'y  nuMlre  la  dernierc  pierre , 
laiidis  (ju'iin  si  grand  nonilno  d'aiiii'os,  celui  d'Ainiens 
par  exempic  ,  demeuraient  hoileiiv  el  impart'ails. 
La  derniere  pierre!  y  pensc-l-on  bion?  el  avec  quelle 
allegrcsse,  quel  Lonlieur^  el  I'archeveque,  el  le  cha- 
pilre,  el  la  ville,  el  i'archilecle  ne  Tauraienl-iis  pas 
posee?  Au  contraire,  ils  n'ont  pose  que  des  pierres 
d'allente  ,  dans  i'espoir  d'un  achevemenl  complet 
el  de  I'enliere  realisation  du  plan  de  rarchilecle ; 
ils  ont  mis  un  toil ,  niais  toil  en  ardoises,  a  ma- 
lerianx  Ires  legers,  essenliellemenl  provisoire ,  lout 
sembJablo  aux  toils  qui  masquent  les  blcssures  faites 
par  I'incendie  aux  quatre  tours  du  transept,  el  tout 
difTerenl  des  toils  definilifs  des  aulrcs  parties  de  la 
cathedrale.  II  ne  faui  point  chercber  si  loin  la  cause 
de  rinlerruption  de  la  construction  des  fleches.  On 
s'arrele  en  1450,  I'annee  qui  a  suivi  le  sacre  de 
Charles  VII  ;  la  guerre  des  Anglais  continue  durant 
de  longues  annees,  jusqu'au  traile  d'Arras ;  bienlot 
viennenl  les  lutles  entre  Louis  XI  et  Charles-le- 
Temeraire  durant  lesquelles  on  n'a  probablemenl  rien 
pu  construire.  (Touiefois  personne  ne  peut  nous  re- 
pondre  que  Ton  n'a  point,  durant  cetle  periode, 
accompli  sur  d'aulres  points,  a  I'inlerieur  ou  h  I'ex- 
terieur,  des  iravaux  importants.)  Arrive  I'incendie 
de  1481  ,  toules  les  ressources  du  cbapilre  s'epui- 
sent  en  vain  a  en  reparer  les  degals  ;  Charles  VIII  et 
Louis  XH  accordent  sur  les  gabelles  du  royaume 
enlier  des  sommes  considerables  qui  sont  encore 
trouvees  insuflisantes  pour  refaire  ce  qui  a  ete  de- 
vore  par  les  flamraes.  Bienlol  il  faul  payer  la  ran- 
?on  du  prisounier  de  Pavie,  et  la  fabrique  k  bout 
de  toules  ressources  vend  ses  calices,  ses  reliquaires 


-  lll\  — 

el  ses  joyaux  ;  suivcnt  les  gu(;rres  de  religion  qui 
nous  amencnl  au  xvii'  siecle  ,  el  duranl  ce  siecio 
aussi  bien  que  duranl  le  xviii%  il  faul  recourir  aux 
largesses  du  monarque  el  au  iresor  public  pour 
reparer  diverses  parlies  qui  menacenl  mine,  nolam- 
ment  au  portail ,  el  pour  refaire  dans  leur  enlier 
les  loilures  des  basses  nefs  el  les  couvrir  de  plomb. 
Voila  pourquoi  les  Heches  n'onl  point  ele  lerminees. 

La  question  theorique  parait  done  resolue  ,  c'esl 
riiomrae  le  plus  habile  en  fait  de  golhique,  c'esl  un 
genie  egal  a  Buonarotti ,  a  Sanzio  ,  c'est  I'auleur 
du  portail  ,  qui  demande  des  Heches  pour  le  com- 
plement de  son  ceuvre  :  qui  oserail  dire  que  les 
(leches  en  altereraient  la  beaute,  en  detruisanl  I'har- 
monie?  En  presence  d'une  telle  autorile  ,  ou  je  me 
trompe,  ou  il  faudrait  beaucoup  d'audace ,  plus 
peut-elre  que  de  I'audace  pour  oser  discuter  la  ques- 
tion ,  el  parler  encore  du  plus  ou  moins  de  beaule 
que  les  fleches  ajouteront  au  portail. 

Convaincue  par  ces  raisons,  la  minoriie  de  la  com- 
mission se  prononce  r^solument  pour  I'atfirmalive 
dans  la  question  de  pure  theorie.  La  majorile  ne 
voyant  aucun  motif  de  prendre  une  decision  dans  la 
circonslance  presenle,  prefere  s'abslenir,  el  laisser  le 
problerae  au  libre  examen  des  archeologues.  Cela 
pose,  je  passe  a  la  question  pratique  que  je  trailerai 
plus  sommairemenl. 

2°  I)oit-on  songer  a  halir  des  fleches  sur  les  tours 
du  portail  de  Reims  ? 

II  faul  encore  divisor  celle  question  ,  sinon  pour 
la  resoudre ,  au  moins  pour  la  faire  comprcndrc 
clairemcnt,  et  se  demander  tour-a-tour :  i"  La  ca- 
th^drale  peul-elle  recevoir  des  Heches  sur  son   por- 


-  as  — 

tail?  Questioti  de  solidite.  2«  La  catluklrale  doit- 
ellc  recevoir  acluellemenl  ccs  lleclies,  suppose  qu'elle 
puisse  les  porter?  Question  d'opporlunile.  5"  Eiiiin, 
la  calliedrale  devra-t-elle  jamais  les  recevoir?  Ques- 
tion plus  theorique  que  pratique ,  et  qui  depend  d'un 
grand  probleme ,  fort  agile  entre  les  archeologues  ^ 
sur  la  re|taralion ,  la  reslauration  et  rachevemenl 
des  monuments. 

Question  de  solidite. — Voire  commission,  Messieurs, 
s'est  unanimement  dccbree  incompctente  pour  la  re- 
soudre  ex  professo  et  scientifiquement.  Celle  question, 
cntierement  technique,  nepcut  etre  decidee  en  ce  sens 
d'une  maniere  irrefragable  que  par  les  hommes  spe- 
ciaux  ;  il  faul  avoir  fait  le  calcul  des  forces  et  des 
resistances  ,  cube  el  pese  la  pierre ,  sonde  le  monu- 
ment ,  verifie  les  aplombs  ,  pour  eire  ti  meme  de 
dire  avcc  autoriie  et  une  pleine  assurance  :  la  ca- 
tiiedrale  pent  ou  ne  peul  pas  supporter  le  poids  des 
fleclies.  Cependant,  nous  ne  devons  point  oublier 
que  ,  en  dehors  de  la  science,  chaque  homme  est 
doue  d'une  experience  et  d'un  bon  sens  pratique 
qui  lui  permettent  d'emettre  son  avis  avec  quelque 
poids  ,  meme  sur  une  question  du  genre  de  celle 
qui  nous  occupe  ;  el  pourvu  qu'il  n'ait  pas  la  pre- 
tention d'attribuer  a  ses  affirmations  ou  a  ses  ne- 
gations une  valeur  exorbitanle,  ses  jugements  seront 
ecoules,  comples,  peses  par  les  esprits  serieux  qui 
voudront  sincercmeni  s'eclairor  sur  le  point  en 
lilige. 

Voila  pourquoi.  Messieurs,  voire  commission,  lout 
en  reconnaissant  son  incompetence  au  point  de  vue 
scientifique  (je  ne  parle,  veuillez  le  remarqucr,  que  de 
la  commission,  et  non  de  tous  les  membrcs  de  la  com- 
mission ;  car   je   nrompresse   de  reconnoitre  comme 


-    /|6  — 

vous  la  paifaile  compcieiice  tie  plusieurs  d'cnire  eii\), 
voiPa  pourquoi,  dis-jc,  voire  commission,  toiil  en  rc- 
connaissjnl  son  incompetence  au  point  de  vue  de  la 
science  el  de  I'arl,  a  cm  ccpendanl  pouvoir  discnier  la 
quoslion  d'apres  I'oxperience  pratique  et  ie  bon  sens. 

Deux  avis  conlradicloires  se  sonl  produils  dans  son 
sein  :  les  uns  ne  peuvcnt  comprendre  que  des  tours 
aussi  delicales,  aussi  freles,  puisscnt  porter  des  fleciies 
de  50  metres  de  hauteur ;  d'ailleurs,  ajouicnt-ils,  la 
cailiedrale  est  viei'le,  le  temps  a  du  alierer  sa  solidite, 
il  ne  faut  point  imposer  a  sa  decrepitude  un  fardeau 
que  sa  jeunesse  n'aurait  supporte  qu'a  grand'peine. 
L'exemplede  Saint-Denis,  qui  a  failli  s'ecrouler  sous 
le  poids  d'une  nouvelle  Heche  ,  doit  donner  beauconp 
a  craindre  pour  la  cathedrale  de  Reims  ,  si  on  osait 
la  surcharger  aussi. 

Les  aulres  repondenl  qu'ils  sont  pleins  de  sccurite 
pour  la  solidite  du  portail.  D'abord,  disent-ils  ,  on 
s'exagere  considerablcment  le  poids  des  fleches ;  on 
oublie  qu'elles  ne  se  composent  que  de  minces  parois 
de  pierre  qui  vonl  se  retiecissani,  s'allcgeant,  se  di- 
minuant  toujours  au  fur  et  a  mesure  de  leur  elevation; 
on  oublie  qu'elles  doivenl  etre  percees  de  larges  ou- 
vertures,  de  vides  immenses  qui  ne  laisseront  prise 
d'aucun  cole  aux  efforts  du  vent.  On  oublie  enfin 
que  la  base  de  la  flechc ,  telle  qu'elle  vient  d'etre 
reconstruite  sur  la  lour  du  nord,  a  plus  de  la  moilie 
du  poids  de  la  ileche  lotale.  La  cathedrale  n'esl 
pas  vieillc  :  un  edifice  bati  pour  durer  vingl  siecles 
est  encore  jeune  quand  \\  n'en  a  dure  que  six  ;  qu'on 
vcuille  prendre  la  peine  d'examincr  le  portail  ,  el 
on  verra  que  sa  masse  est  encore  aussi  solide,  aussi 
inebranlable  qu'au   premier  jour.  Le  temps  a    ronge 


-  hi  — 

la  surface  do  la  pierre,  alierc  les  moiiliircs,  cndom- 
mage  les  slalucs,  cela  esl  vrai,  mais  a  la  profondeur 
d'lin  ou  de  deux  cenlimelres  au  plus;  le  reste  est 
^videmmcnl  inlacl. 

Les  lours  du  porlail  iie  sonl  freles  cl  deiicales 
qu'en  apparence;  qu'on  les  eludie  non  |)as  du  dehors, 
mais  de  rinlerieur,  el  on  y  reconnailra  huit  enormos 
piles,  aussi  considerables  que  les  piliers  de  la  nel', 
d'autanl  plus  solides  qu'elles  sonl  abrilees  au  dehors 
par  les  eleganies  lourelies  qui  les  protegenl  on  les 
dissimulanl,  el  reliees  ,  arc-boulees  I'une  sur  I'auire 
a  I'aide  des  ogives  dont  elles  sonl  surmonlees. 

L'exemple  de  Sainl-Denis  n'esl  applicable  en  rien 
a  la  calhedrale  de  Roims.  On  sail  que  Sainl-Denis 
n'avait  pour  soulenir  sa  fleche  qu'une  nuiraille  balie 
en  mauvais  moellons,  fardes  a  I'exlerieur  d'un  mince 
paremenl  de  pierre  de  laille ;  Sainl-Denis  devail 
s'ecrouler.  Mais  noire  calhedrale  csl  balie  en  pieries 
parfailemenl  solides  el  massives  qui  no  pouvenl 
laisser  aucune  crainle.  D'ailleurs,  rargumeiil  d'auto- 
riie  reparait  encore  ici.  Les  plans  de  I'auleur  du 
poriail  onl  ele  religieusemenl  suivis  ;  on  ne  sau- 
pas  concevoir  que  celhomme,  donl  le  gdnie  se  monlre 
si  evidenl  en  tant  d'endroils  de  la  calhedrale ,  n'ail 
poinl  donne  aux  fleches  qu'il  voulail  balir  les  sup- 
ports donl  elles  avaieni  besoin  ;  redillce  n'ajanl  subi 
aucune  alleraiion  dans  sa  masse  ni  dans  son  aplomb, 
il  s'cnsuil  qu'il  doit  pouvoir  parfailemenl  porter  ks 
fleches.  Voili  ,  Messieurs,  en  resume  les  arguments 
produiis  de  pari  el  d'aulre  pour  ou  conlre  la  soH- 
dite;  il  n'appariienl  poinl  h  voire  commission  ,  qui 
s'esl  declar^e  incompeleute  au  poinl  de  vue  scienti- 
(ique,   do  formuler  de  conclusion    rigoureuse   cl    de 


-  68  - 

prononcer  d'uno  inaniere  absoliic  ;  mais  d'apros  Ic 
simple  bon-sens  el  rcxpcrioncc  vulgaire,  la  minorite 
reconnail  la  solidilc,  que  la  majorite  ne  nie  pas, 
mais  ne  veut  pas   proclamer. 

2"  La  calhedrale  doil-elle  recevoir  actuelkmeni 
<les  Heches ,  suppose  qn'elle  puisse  en  supporter  le 
poids  ? 

Ici,  je  serai  fort  court.  A  I'unanimite ,  la  com- 
mission repoud  :  Non ;  la  calhedrale  ne  doit  point 
recevoir  actuellement   de  fleches. 

11  faut  reparer  un  edilice  avant  de  I'achever ;  quoi- 
que  dans  sa  masse  et  dans  son  ensemble  la  calhe- 
drale soil  parfailemcnl  conservee  el  d'une  solidilc 
inebraniable,  cependant  beaiicoup  de  ses  parlies  ac- 
cessoires  sonl  en  mauvais  etal ;  plusieurs  galeries 
menacenl  ruine;  les  arcs-boulanls  du  midi,  snrlout, 
sonl  horriblemenl  degrades ,  et  leur  chulc  pourrait 
gravcment  compromellre  I'exislence  meme  dcs  vofitcs. 
Les  clochetons  des  conlre-forls  du  midi  chancellent 
et  peuvent  lomber  d'un  jour  h  I'autre.  La  lour 
meridionale  du  poriail  est  exlerieurenient  rongee 
par  la  pluie,  elle  doit  elre  reparee ;  tout  le  pourlour 
de  I'abside  est  terrassc  de  plusieurs  metres;  dela 
humidile  qui  delruit  pen  a  peu  les  murailles,  pousseo 
conlinueile  et  ebranlemenl  qui  peuvenl  a  la  longue 
amener  dcs  desaslres;  cl  quand  loutes  ces  repara- 
tions seront  accomplies ,  avant  d'entrer  dans  une 
voie  d'achevemenl ,  ne  faudra-t-il  pas  refaire  tout 
ce  qui  a  existe  et  que  I'incendie  ou  le  temps  onl 
I'ait  disparailre?  La  Heche  centrale  de  la  croisde  dont 
les  plans  el  devis  existent  encore  lels  que  le  cha- 
pilre  les  avail  comniandes  apres  I'incendie,  en  loOi ; 
celle  fleche  qui  devail  etrc  plus  elancee,  plu:^  bardie, 
plus  haute  do  plusieurs  melrcs  que  celle   d'Amiens  ? 


-  /|9  — 

La  base  en  est  prele,  el  pendant  plusieurs  siecles 
on  a  vn  dans  iin  des  bas-cotes  de  la  metropole  les 
poiitres  enormes  destinees  h  en  elre  larbre  prin- 
cipal. II  faudrait  refaire  les  quatre  tours  des  portails 
lateraux  ,  la  galerie  qui  masqnait  les  combles  des 
bas-c6les  et  tanl  d'autres  clioscs ,  &  i'exterieur  el  a 
I'interieur. 

D'ailleurs ,  autre  raison  ,  on  presence  de  ces  dis- 
cussions animees  sur  la  question  de  reconstruction 
des  Heches  il  esi  perm  is  de  se  demander  si  la 
science  est  assez  avancee,  assez  sure  d'elle-meme, 
pour  les  construire  dans  'in  siyie  convenable  et  dans 
la  forme  que  voulait  I'auleur  du  portail.  Pour  toutes 
cos  raisons  ,  la  commission  ,  unanimoment  et  sans 
hesiter ,  se  prononce  negaiivemenl  el  dil  qu'il  ne 
faut  pas  songor  acluellemeni   ^  eriger  les  (leches. 

Mais  5"  devra-t-on  jamais  les  construire  ? 

Grave  probleme  archeologique  qui  divise  en  deux 
camps  opposes  les  plus  compelents  et  les  plus  doctes, 
el  que  nous  ne  voulons  nullemenl  vous  proposer  de 
resoudre ;  car  avanl  tout,  cette  question  apparlient 
lout  entiere  d  Vavenir,  el  jusqu'^  ce  que  toutes  les 
reparations  ,  loutes  les  reconstructions  que  nous  enu- 
merions  loul-a-l'heure  aienl  ele  achevees ,  il  n'y  a 
point  urgence  a  pronoucer.  Mors  ,  quand  ce  moment 
sera  venu  ,  vous  entendrez  MM.  de  Montalembori  , 
Dideron ,  de  Caumont,  vous  donnor  comme  un 
axiome  :  Qu'il  faut  entretenir  les  monuments ,  les 
rcparer  le  moins  possible  ,  mats  ne  les  achever  on 
ne  les  reconstruire  jamais.  Le  bureau  de  la  section 
archeologique  du  congres  s'esl  i)rononce  contre  les 
Heches  ;  la  commission  emincmment  competenle  , 
1.  4 


—  50  — 

envoyeeieccmment  parlegouvcrnemenl,s'eslprononcee 
pour,  Disoiis,  loutefois,  que  le  congres  a  vote  aulant 
sur  la  question  de  solidite ,  qu'il  n'etait  point  apte 
h  resoudre  d'une  maniere  deliniiive ,  et  sur  la  ques- 
tion d'opportunite  que  nous  venons  d'exposer,  que  sur 
la   question  d'erection  pour  I'avenir. 

Pour  nous,  nous  disons  que  cette  question  est  de 
celles  que  Ton  peul  exposer,  discuter,  mais  non 
irancher  rigoureusemenl.  II  ne  faut  jamais,  disent 
les  uns  ,  achever  un  monument  que  les  ages  nous 
onl  laisse  incoraplel.  La  calhedrale  est  admirable  et 
admiree  sans  fieches  ,  pourquoi  lui  en  donner?  Elle 
existe  historiquement  telle  que  nous  la  vojons ; 
I'Europe,  le  monde  entier  la  connaissenl  pour  un 
chef-d'oeuvre  dans  son  etat  actuel  ;  celie  forme,  cet 
etat  sont  consacres  par  les  arts ,  par  mille  pein- 
lures ,  mille  gravures  ,  il  faut  les  respecter.  Prenons 
garde,  en  achevanl  la  cathedrale,  de  mentir  a  la 
poslerile  ,  en  donnant  pour  du  io"  siecle  une  oeuvre 
du  19°  el  d'induire  ainsi  nos  neveux  dans  I'erreur. 

Les  aulres  vous  diront  que  ce  refus  d'achever  les 
monuments,  vrai  dans  la  plupart  des  cas ,  doit  souf- 
frir  de  nombreuses  exceptions.  Qu'on  laisse  inacheve 
un  arc-de-iriomphe,  un  temple  payen  ,  une  ruine , 
ccia  se  con^oil ;  mais  on  acheve  Cologne  aux  applau- 
dissements  du  monde  catholique ,  un  grand  nombre 
se  rejouissent  de  voir  terminer  St-Ouen ,  un  plus 
grand  nombre  baltrait  des  mains  si  Ton  substituait 
un  portnil  goihique  a  I'horrible  magonnerie  du  style 
Pompadour  dont  le  siecle  de  Louis  XV  a  gratilie 
les  belles  caihedrales  de  Metz  el  de  Chalons-sur- 
Marne.  Une  basilique  chr6lienne  ne  doit  jamais  etre 
finie  ,  on  doit  pouvoir  y  travailler  toujours.  Elle  est 


—  51  — 

la  fille  d'line  religion  qui  coinple  sur  les  siecles  et 
qui  a  foi  en  I'avenir  ;  I'eveque  qui  en  pose  la  pre- 
miere pierre  sail  bien  qu'un  autre  placera  la  derniere; 
mais  il  espere  en  ses  successeurs  el  il  raeurt  en 
paix ,  en  leur  leguant  son  oeuvre  a  consommer, 
bien  convaincu  qu'ils  ne  failliront  point  a  la  tache, 
et  que  fallut-il  attendre  des  siecles  ,  la  maison  de 
Dieu  aura  son  achevement ,  qu'elle  s'appelle  Nolre- 
Dame  de  Reims,  qu'elle  soil  la  melropole  insigne 
de  la  seconde  Belgique ,  ou  bien  une  simple  et 
modesle  chapellede  faubourg,  et  qu'elle  ait  nom  Saint- 
Thomas.  Ainsi  en  a-t-il  ete  jusqu'^  ce  jour  de  la 
calhedrale  de  Reims.  Qu'on  prenne  la  peine  de  compul- 
ser  ses  volumineuses  archives  et  on  se  convaincra  qu'a 
loutes  les  epoques  on  a  iravaille  aclivement  et  h  grands 
frais  a  la  reparer  ,  h  I'embellir  ,  a  I'augmenter  et 
a  la  terminer.  Pourquoi  le  gouvernement  qui  s'est 
substitue  au  clerge  pour  la  propriete  des  grands  edi- 
fices religieux  reculerait-il  devanl  une  pensee  d'a- 
chevement ,  quand  il  aura  repare  toules  les  breches, 
gueri  toules  les  plaies  et  rendu  a  la  calhedrale  sa 
beaute  premiere?  Nos  neveux  n'y  seronl  point  trom- 
pes  ;  I'histoire  leur  dira  ce  qui  est  du  19^  ou  du 
20^  siecle  et  ce  qui  est  du  15°;  I'aspecl  sera  change, 
mais  comme  il  a  change  pendant  Irois  siecles  a 
mesure  que  quelque  parlie  notable  eiait  construite, 
I'aspect  hislorique  vivra  dans  I'hisloire ,  la  gravure 
le  conservera  ,  le  monument  lui-meme  ne  cessera 
d'en  porter  la  trace.  El  si  la  calhedrale  est  assez 
solide  pour  porter  les  fleches,  on  saluera  sans  doule 
avec  enthousiasme  la  realisation  complete  des  plans 
du  grand  artiste  qui  dessinait  le  porlail  en  1212  , 
el   le    laissail    a    des   successeurs    comme    le    lype 


—  52  — 

elernel   ilu  beau    gotliique    el   le  nee  plus  ultra,   de 
I'art  Chretien. 

Ces  raisons  sont  de  quelque  poids  sans  doule  ; 
elles  decident  la  minorile  ci  se  prononcer  pourl'alTir- 
niative ;  mais  elles  n'ont  point  cependant  semble 
assez  graves  a  la  majorite  de  la  commission  pour 
renlrainer  a  se  prononcer  sur  une  question  qui 
n'esl  raaintenanl  que  la  pure  theorie  et  que  Vavenir 
seul  devra  delinir ,  si  tant  est  qu'elle  puisse  I'elre 
jamais. 

Apres  ces  debals  generaux ,  que  penser  des  Ira- 
vaux  recemment  executes  sur  les  lours,  el  qui  ont 
eie  I'occasiou  de  Farticle  de  VIndicaleur ,  des  pro- 
positions de  M.  de  Mellet  el  sur  Icsquels  voire  com- 
mission doit  se  prononcer  ? 

D'apres  des  renseignemenls  posilifs  el  pris  h  bonne 
source  ,  Tarchilecle  charge  par  le  gouvernement  de 
reparer  la  tour  s'esl  borne  a  reconstruire  ce  qui  s'y 
trouvait ;  seuleroenl ,  il  a  exhausse  de  trois  assises 
de  pierre  la  base  depuis  longlemps  exisiante  de  la 
fleche  projetee,  parce  qu'il  avail  h  reconstruire  les 
qualre  pignous  triangulaires  qui  terminenl  chacun 
des  cotes  de  la  tour.  Celie  operation  eiaii  indispen- 
sable ,  d'a|)res  les  regies  d'uue  bonne  et  sage  repa- 
ration ,  atiendu  que  la  base  de  la  fleche  dovani 
relier  el  consolider  entre  eux  les  qualre  frontons  , 
elle  devail  etre  elevee  avee  eux  el  comme  eux. 
Mais  renlevemenl  du  toil  conique  a  huil  pans  qui 
couronnait  autrefois  la  base  de  la  fleche  inachevee, 
en  a  tout  a  fail  change  I'aspecl.  Antcrieurement  le 
monument  semblait  termine  ,  le  toil  etaii  comme  un 
appareil  place  sur  le  trougon  de  fleche  inlerrompu, 
pour  en  masquer  cl  on  dissimuler  Tabsonce  ;  aujour- 


—  53  — 

d'liui  que  I'lippareil  est  enleve,  la  plaie  esi  d'aiiiani 
pins  hideuse  qu'elle  est  plus  fraichomenl  renouvclce. 
]|  faut  done  pour  rendre  k  la  tour  et  par  conse- 
quent au  porlail  son  aspect  ancien  et  historique  , 
pour  rassurer  les  esprils  qui  craignent  les  projels 
delevation  immediate  de  la  Heche  ,  refaire  une  loi- 
lure  conique  a  huit  pans  dans  la  forme  de  celie  qui 
coiffe  la  lour  du  Midi,  el  de  celle  qui  se  voyait  sur 
la  tour  meme  du  Nord  ,  avanl  les  rccenls  Iravaux. 
Quant  au  projei  de  conslruire  actuellemenl  la  fleclie  , 
ce  projet  n'existe  pas  ,  el  aucuns  fonds  n'ont  ele 
accordes  pour  celte   destination. 

Cela   pi  se  je    me  resume  : 

La  majorile  de  la  commission  ,  ne  voyant  aucune 
necessite  pour  I'Academie,  de  se  prononcer  dans  une 
question  purement  theorique,  de  sa  nature  tres  con- 
troversalile,  propose  seulement  a  la  Compagnie  de 
declarer ;  1"  Entierement  inopportuns  el  conlraires  a 
rinleret  du  monument ,  tons  projels  d'achevement 
actuel  des  Heches  du  porlail  ;  2-^  Elle  emel  le 
voeu  que  les  fonds  destines  a  la  cathedrale  soient 
employes  a  des  Iravaux  de  reparation  on  de  restau- 
ration  b(\aucoup  plus  urgenls  ;  3"  Que  Ton  donne 
a  la  lour  septenlrionale  une  couveriure  analogue  i\ 
celle  de  la  tour  du  midi,  afin  de  reiidre  au  porlail 
de  Reims  sa  regularitc  parfaiie  et  autanl  que  pos- 
sible son  aspect  ancien  ;  4"  Quo  ces  conclusions 
seronl  communiquees  an  Ministre  des  culles  pour 
qn'il  pourvoil,  s'il  y  a  lieu,  a   leur  execution. 


—  bk  - 

Seance  du  24   Janvier  1862. 

Lecture  dc  M.  €ii.  Loriquet. 


Suite  de    la  discussion  au    sujet  de  l'£rection 

DE  FLECHES  SUU  LES  TOURS  DE  LA  CATHfiORALE 
DE  REIMS. 


Messieurs , 

Un  rapport  vous  a  ele  fait  au  nom  de  la  com- 
mission chargee  par  vous  d'examiner  la  proposition 
de  M.  le  comle  de  Mellet,  voire  correspondant,  au 
sujet  de  la  calhedrale  de  Reims.  Le  savant  et  in- 
genieux  auteur  de  cc  rapport  n'omet  aucune  des 
raisons  qu'on  a  donnees  pour  ou  conlre  I'erection 
soil  presenle  ,  soil  a  venir  ,  de  fleches  destinees  a 
completer  noire  imcomparable  calhedrale ;  il  les 
approfondit ,  il  les  discute  ,  il  les  oppose  les  unes 
aux  aulres,  et  cetle  exposition  sage  et  nette  a  jete, 
je  crois  pouvoir  le  dire  ,  un  grand  jour  sur  plusieurs 
points  ou  beaucoup  d'esprils  elaient  indecis.  De 
quel  cote  surlout  s'est  faite  la  lumiere,  il  ne  m'appar- 
tient  pas  d'en  juger  encore.  Constalons  des  mainte- 
nant  que  le  rapporteur  ,  enlraine  par  sa  conviction 
hers  de  la  voie  iracee  par  la  majorite  de  la  com- 
mission ,  ne  pouvait  s'emp6cher  de  nous  monlrer 
celle  oil  la  verile  lui  apparaissait  aussi  claire  que  le 
soleil.  La  separation  est  flagrante,  mais  nous  y  trou- 
vons  trop  noire  compte  pour  en  faire  un  crime  au 
rapporteur. 


—  55  — 

II  peut  elre  difficile  de  parler  au  nom  d'une  nia- 
jorile,  quand  on  est  en  complele  opposition  avec 
elle  et  de  faire  valoir,  en  fin  de  comple,  des  con- 
clusions dans  lesquelles  11  n'y  a  rien  qui  ressorle 
nalurellement  de  ce  qu'on  a  dit.  Mais  celle  position 
faile  a  un  rapporteur  a  son  bon  cote.  C'est  queique 
chose  pour  lui  sans  doute  que  d'avoir  son  franc 
parler,  de  pouvoir  presenter  sous  un  jour  favorable 
les  fails  el  les  raisons  qu'il  prise  le  plus.  Notre 
honorable  confrere  s'est  habilemenl  lire  d'affaire, 
vous  en  conviendrez ,  il  a  meme  un  peu  malicieu- 
semenl  joui  de  ses  avanlages. 

Mais  que  devient,  je  ious  le  demande,  la  majorile 
ainsi  representee  ?  Quelle  force  lui  resle,  apres  s'elre 
exposee  de  gaite  de  cceur  aux  coups  de  ceiui  qu'clle 
a  choisi  pour  organe  ?  Brisee  et  desarmee  par  le 
rapport  fail  en  son  nom,  quelle  sera  son  autorile? 
A-l-elle  cru  trouver  une  echappatoire  dans  ses  con- 
clusions ?  C'est  ce  que  nous  examinerons  principa- 
lement  ,  en  prenant  la  question  ou  la  discussion  I'a 
laissee  dans  la  derniere  seance. 

Tachons  d'abord  de  reconnailre  par  quelle  filiation 
d'idoes  les  conclusions  de  la  commission  peuvent  so 
raitacher  au  rapport. 

Le  rapporteur  a  groupe  sous  divers  chefs  les 
points  discutes  au  sein  dc  la  commission  :  suivons-le. 

En  fait ,  les  tours  da  portail  occidental  de  la 
calhedrale  ont-eUes  ele  destinees  a  recevoir  des  fleches  ? 

—  Oui,  dil-il,  car  ces  fleches  onl  etc  commencees. 

—  La  majorile  s'absiicnt,  el  son  abstention  va  presque 
jusqu'a  douter  du  temoignage  de  ses  yeux  a  I'endroit 
de  ce  commencemenl  originaire  des  Heches,  jusqu'i 


—  50  -- 

nicr    ce    que   tout  le    nionde   peul    voir ,    toucher , 
mesurer. 

All  point  de  vue  de  I'arl  et  du  goiit ,  mais  en 
theorie  seulemenl ,  serait-il  hon  de  lui  en  donner  ? 
—  Oui ,  (lit  encore  le  rappoiteur ,  car  I'auteur  du 
porlail  et  probablement  de  la  calhedrale  loute  en- 
liere ,  en  a  juge  ainsi  ,  el  nous  devons  avoir  con- 
fiance  dans  son  jugemenl.  Ne  les  eut-il  pas  com- 
mencees,  Tensemble  du  monument  les  appellerait. 
II  est  facile  d'expliqucr  comment  ce  couronnement 
n'a  pu  lui  etre  donne.  —  La  majorile  s'abstient  ; 
elle  ne  voit  pas  la  necessite  de  prendre  une  decision, 
quand  la  commission  est  precisement  chargee  d'en 
proposer  une. 

Apres  les  questions  de  principe  et  de  gout  vien- 
nent    celles  de  la  solidite  et   de  ropportunite. 

Sur  la  premiere  ,  comprise  au  point  de  vue  de 
la  science  et  de  I'art  de  balir,  il  y  a  accord  parfait 
dans  la  commission  :  elle  se  declare  incompetenle , 
bien  qu'il  y  ail  uu  archilecle  et  un  ingenieur  dans 
son  sein.  Au  point  de  vue  du  bon  sens  el  de  ce 
qu'elleappelle  I'experience  pratique,  elle  croit  pouvoir 
disculer  :  et  le  resullat  de  ceite  discussion,  vous  ne 
I'avez  pas  oublie  ,  consiste  a  proclamer  de  part  et 
d'autre,  au  nom  du  bon  sens,  les  uns,  que  les 
tours  sont  tout  a  fait  incapables  de  supporter  Ve- 
norme  fardeau  qu'on  vent  leur  imposer  ;  les  autres, 
que  rien  n'(st  plus  soiide  que  les  tours  ,  que  rien 
n'esl  plus  leger  que  les  Heches  projelees.  Du  nombre 
des  derniers  est  le  rapporteur  :  les  opposants  ,  je 
n'ai  pas  besoin  de  vous  le  faire  remarquer,  forment 
la  majorile.  Qu'importe,  du   rcslc,  cetic  opposition 


—  57  — 

de  seulimenis?  Puisque  lous  onl  le  bori  sens  pour 
guklf,  il  faut  bien,  si  Ton  a  raison  de  ce  cole,  que 
de  I'aiilre  on  n'ail  pas  lorl. 

Enfin  ,  la  cathedrale  doil-elle  recetoir  acluellement 
des  fUclies?  —  Ici,  je  le  reconnais,  le  concert  est 
unanime  :  ceux  qni  onl  h  coeur  de  legucr  a  la  pos- 
lerile  la  calhedrale  absoiument  telle  qu'ils  I'onl  vue, 
lie  veulenl  pas  qu'on  y  louche  ;  il  faul  reparer 
Tedifice  avanl  dc  I'achever,  disenl  les  partisans  de 
rachevemeni. 

II  semble  que  tout  soil  lini.  Aliendez.  Voici  venir 
les  amateurs  du  vieux  pour  le  vieux  ;  difficilemenl 
lis  permellent  qu'on  repare  un  peu  les  monuments  ; 
h  peine  consentiront-ils  qu'on  les  soulienne,  qu'on 
les  cnlrelienne  ,  tanl  ils  onl  peur  qu'on  les  rajeu- 
nisse;  quanl  a  les  achever,  jamais.  La  niajorite  de 
la  commission  voil  racbevement  de  noire  cathe- 
drale loul-a-fail  du  meme  oeil  que  les  doctesperson- 
nages  auxquels  je  viens  de  faire  allusion  :  pour  eux, 
ce  serait  la  profaner  que  de  lui  donner  un  jour  des 
Heches  ;  ce  serait  de  plus  allerer  son  caractere  his- 
torique,  s'exposer  mfime  a  Iromper  nos  neveux  en 
leur  donnant  du  neuf  pour  du  vieux.  Comme  si  le 
caractere  plus  ou  moins  hislorique  de  noire  eglise 
n'avail  pas  deja  change  dix  fois  ,  comme  si  nous 
nous  meprennions  aujourd'hui  sur  I'age  des  diverses 
portions  qui  se  soul  surajoutees  pour  la  faire  ce 
qu'elle  est  ! 

Le  rapporteur  el  la  minoriie  n'onl  pas  ces  crainles 
excessives,  leur  respect  pour  la  pierre  ne  va  pasjus- 
qu'a  ce  I'eiichisme. 

Ce  dissenlimcnl  nouvcau  vou^  descsperc.  Rassurez- 


—  58  — 

vous,  nous  arrivons  aux  conclusions.  En  loules  chosos, 
vous  le  savez ,  c'esl  la  fin  qu'il  faul  considerer. 

La  majorile  de  la  commission  ,  veuillez  vous  le 
rappeler  ,  declare  herelique  ,  sans  goiil  et  deslrucleur 
des  monuments,  quiconque  voudrait  meilre  des  Heches 
sur  les  lours  de  la  calhedrale ;  clie  ne  veul  de  ces 
fleches  ni  mainlenant,  ni  jamais.  La  minorile  desire 
au  conlraire  qu'on  les  eleve,  non  pas  tout  de  suile 
peul-elre ,  mais  aussilot  que  faire  se  pourra  ,  parce 
qu'elle  croil  que  I'edifice  devait  les  avoir  et  qu'il  les 
porlcra  bel  el  bien. 

Yous  n'allendez  pas,  sans  doute ,  que  I'accord  se 
fasse  sur  les  points  contestes  ,  aux  depens  de  I'une 
ou  de  I'aulre  opinion.  11  en  est  un  sur  lequel  les 
membres  de  la  commission  se  sent  trouves  reunis, 
c'esl  celui  de  I'opportunite  ;  lous  Tonl  resolu  negati- 
vemenl  el  je  n'ai  garde  de  leur  en  savoir  mauvais  gre. 
Vous  esperez  peut-elre  qu'une  decision  commune  sera 
prise  sur  ce  terrain  ?  —  Mais ,  demander  que  Ton 
sursit ,  quanl  k  present ,  a  raclievemenl  des  ileches 
commencees ,  ce  serail  les  admellre  en  principe  ;  la 
majorile,  en  faiblissanl  de  ce  cote  ,  se  dejugerait. 

U  esl  bien  plus  concilianl ,  el  c'esl  aussi  plus  lot 
fait,  de  prendre  les  choses  lelles  qu'clles  sonl ,  et , 
sans  toucher  a  rien  ,  de  declarer  que  loul  serail  au 
micux ,  si  Ton  «  repla^ail  sur  la  lour  septentrionalo 
du  portail  une  toiture  conique  a  huil  pans  dans  la 
forme  de  celle  qui  coiffe  la  lour  du  midi.  »  Avec 
cela,  tout  le  monde  ne  devra-l-il  pas  se  irouver  sa- 
tisfail ,  flechislcs  el  anti-flechistes ,  minorile  et  majo- 
rile ,  architecle  el  commission  ? 

M.  de  Mellel  avail  demande  qu'une  protestation  ct 
une  reclamalion  tusseiit  immediatemeni  adressees  par 


—  59  — 

rAcademie  au  mioisire  de  I'inslruciion  publique  el 
des  culles ,  dans  le  cas  ou  I'enquete  el  le  rapport  de 
la  commission  juslifieraient  les  apprehensions  expri- 
mees  dans  Y Indicateur .  L'enquele  a  ele  faite,  nous 
dil  la  commission,  le  projet  de  construire  acluellement 
des  fleches  n'exisle  pas  :  il  n'y  a  done  pas  lieu  a 
reclamation,  ni  a  proleslalion.  —  Fort  bien.  Mais , 
plus  lard  ,  permellez-vous  que  Tarchitecte  en  fasse  a 
sa  guise?  M.  de  Mellcl  n'a-t-il  pas  exprime  le  voeu 
que  la  commission  et  I'Academie  ensuite  se  pronon- 
Qassent  sur  le  principe  meme  et  sur  les  consequences 
de  I'erection  des  fleches,  soil  presenle  ,  soil  a  venir? 
Esl-ce  qu'il  n'a  pas  declare,  quant  a  lui  ,  considerer 
leur  execution  comme  inlinimeni  regrettable,  au  triple 
point  de  vue  des  convenances  archeologiques ,  de  la 
solidite  du  monument  ei  des  depenses  qui  seraienl 
oecessaires  ?  Croyez-vous  lui  avoir  repondu,  croyez- 
vous  I'avoir  rassure,  en  lui  iransmellant  les  protesta- 
tions de  Fadminislrafion  au  sujet  de  I'ercciion  actuelie? 
Si  aucuns  fonds  u'ont  ele  accordes  pour  cette  destina- 
tion ,  etes-vous  bien  certains  que  ceux  destines  a  la 
restauration  ne  seront  pas  detournes  de  leur  objet  ? 
Ce  n'est  pas  raoi  qui  le  dit :  pendant  que  vous  nous 
donnez  une  reponse  si  p6remptoire ,  un  homme  par- 
faitemenl  au  fait  de  ces  sorles  de  choses  el  dont  la 
parole  a  quelque  poids,  a  part  un  pen  de  severitedans 
I'application  des  doctrines  archeologiques,  nous  assure 
«  qu'en  ce  temps-ci,  ce  qu  archilecte  veut,  Dieu  le  veuty 
etqu'avec  I'argentque  nous  lui  donnons  pour  rcparer 
la  cathedrale,  Tarchilecte  montera  tranquillement  ses 
fleches.  »  Ce  qu'ecrit  M.  Didron  dans  les  Annales 
Archeologiques,  la  voix  publique  le  dit  et  le  repete. 
A  tori   ou  ci    raison  ,   on  se  persuade  generalement 


f 


—  GO  ~ 

que  des  iravaux  urgents  sonl  negliges ,  et  que  les 
soins  de  rarchilecle  et  les  fonds  alloues  sonl  portes 
sur  des  points  qui  ne  reclament  pas  du  tout  cet 
empressement.  II  y  a  peu  de  personnes,  en  dehors 
de  la  commission,  qui  croient  que  la  surelevation  de 
trois  assises,  donnee  recemment  aux  trouQons  de 
(leches  de  la  tour  septenlrionale  ,  ait  eu  pour  but 
unique  la  consolidation  des  pignons  triangulaires  qui 
terminent  les  quaire  faces  de  la  tour.  Les  commis- 
saires  que  le  gouvernement  a  envoyes,  il  y  a  quelques 
mois,  n'ont  approuve,  on  ne  I'ignore  pas,  cette  sur- 
elevation ,  qu'en  vue  du  prochain  achevement  des 
fleches  qu'ils  irouvaieni  parfaitement  convenable.  On 
dit  enfin,  (que  ne  dit-on  pas?)  que  I'architecte  de  la 
cathedrale  ne  releve  de  personne,  que  la  commission 
archeologique  de  I'arrondigsement  n'a  pas  meme  le 
droit  de  le  censurer,  el  Ton  s'en  effraie.  Vos  proces- 
verbaux  vous  rappelleraient,  au  besoin,  certain  requi- 
sitoire  danslequel  un  honorable  mais  trop  susceptible 
magistral  proclamait  ceci :  qu'un  archilecie  du  gou- 
vernement est  inviolable ;  que,  s'en  prendre  a  ses 
acles  ,  c'esl  presque  un  atlenlal  de  lese-majeslc. 
Est-ce  qu'il  ne  fallail  pas  une  reponse  h  lout  cela  ? 
Est-ce  que  les  craintes  que  j'ai  rapportees,  craintes 
Ires  fondees ,  aux  yeux  d'un  grand  nombre ,  ne 
reclamaienl  pas  des  garanties?  —  Voyez  du  resle 
I'effel  que  peul  produire  voire  abstention.  L'ecrivam 
que  je  citais  toul-a-l'heure  assure  d'avance  que  I'Aca- 
(lemie  se  declarera  incompetente  :  voulez-vous 
donner  raison  k  cetle  especc  de  defi  ? 

Je  linis. 

A  mon  sens,  rhonneur  de  ['Academic  est  engage, 
elle  doit  prendre   une  decision  ,  el   ne  pas  craindre 


—  01   — 

d'emellrc  un  voeu  conforme  aiipres  dii  gouvernement. 
Suppose  qu'elle  resolve  affirmalivement,  comme  je  I'es- 
pere,  la  question  i\eprincipe,  elledevrait  provoquer  une 
cnquele  toul-a-fail  serieuse  sur  la  question  desolidite, 
en  faisanl  des  reserves  sur  celle  de  Vopportunite  de 
I'erection  projelee,  vu  Turgence  d'une  indnile  d'autres 
travaux.  Enfin,  je  voudrais  que  les  actes  de  I'ar- 
chitecle  et  I'emploi  des  deniers  qui  lui  sont  ailoues 
fussent  I'objel  du  conlrole  permanent  de  personnes 
compelenles. 

Quant  a  I'espece  de  bonnet  pointu  que  la  com- 
mission propose  de  |)lacc'r  sur  la  construction  neuve 
de  la  tour  septentrionale  ,  je  ne  sais  si  Ton  s'est 
bien  rendu  comple  de  sou  effol.  Loin  de  recouvrer, 
avec  lui,  son  aspect  ancien  ,  notre  portail  aurait , 
pour  longlemps  sans  doute,  deux  tours  ires  inegales 
et  tout  aussi  dissemblables  qu'elles  le  sont  aujour- 
d'hui  :  a  moins  toulefois  qu'on  ne  demandat  I'en- 
levemcnt  des  Irois  assises  r^cemmenl  posees;  et  cela 
deviendrait  lout  i\  fail  necessaire  ,  dans  le  cas  ou 
Ton  renoncerait  dclinilivemenl  a  rachevement  des 
Heches. 

Au  surplus ,  j'ai  I'honneur  de  deposer  sur  lo  bu- 
reau  les  conclusions   suivantes  : 

«  L'Academie,  reconnaissanl  que  l^^s  fleches  des- 
»  linees  par  rarchitecle  de  la  calhedrale  de  Reims 
)»  a  completer  son  ffiuvre  ont  eu  dans  I'origine 
»  un  commencement  d'oxecution  ,  mais  considerant 
»  i"  qu'il  ne  serail  pas  prudent  d'elever  ces  (leches, 
»  avant  qu'une  enquete  serieuse  ait  ete  faile  sur  la 
»  solidite  des  lours ,  el  2°  que  le  monument  reclame 
»  sur  presqiie   tons  les  points  des  soins  immedials ; 


—  62  — 

»  Prie  M.    le  Ministre  de  I'lnstruction  publique  el 

»  (les  culles  d'inveslir  une  commission  des  pouvoirs 

»  necessaire3  pour  juger  de  I'opportuniledes  iravaux 

»  que   projelte  I'archiiecte  charge  de  la  reslauralion, 

»  pour   surveiiler  I'execulion    de  ces  Iravaux  ,    et , 

»  subsidiairement  ,    pour  proceder  h    I'enquele  ci- 

»  dessus.  » 


NOTE. 

Cctie  lecture  ful  suivie  d'uue  discussion  dans  laquelle  fut 
proposee    par  M.  Henri  Paris  la  resolution  suivanle  : 

«  L'Academie  de  Reims  ,  vivcment  preoccupee  des  travaux 
»  reccmment  executes  sur  Ic  sommet  de  !a  tour  seitentrionale 
1)  de  la  calhedrala  de  Reims,  et  qui  paraissent  aroir  pour  objet 
e  de   commencer  I'ereclioM   des  fleches; 

»  Appellc  I'altention  de  M.  le  Ministre  des  culles  sur  I'op- 
»   portunite  de  ces  Iravaux  ; 

»  Et  cmet  le  vceu  que  les  fonds  destines  aux  reparations  de 
ce  monument  soient  employes  a  travaux  plus  urgents.  » 

Ce  sont  ces  derniercs  conclusions  qui ,  mises  aux  Toix  , 
onl  etc  adoptees  par  I'Academie. 


—  63  — 
STATISTIQUE 

DES  SEIGNEUUIES  DE  L'^LECTION  DE  S\INTE-m6NEH0ULD 
ET  DES  FAMILLES  QUI  LES  ONT  POSSfiDfiES, 

Par  M.    Ed.    BARTHfiLEMY,    corrcspondant     de    I'Academie. 


Le  bailliage  de  Sainte-Menehould  ne  remonte  qu'au 
XVI*'  siecle.  Jusqu'alors  ceile  ville  avail  ele  sous 
la  dependance  immedialc  dii  bailliage  de  Vilry ,  dont 
la  crcalion  datail  dii  XIII* ,  el  avail  pour  bul  de 
dirniouer  le  nombre  des  affaires  qui  affluaienl  pres  du 
grand  bailli  de  Vermandois,  elabli  d'abord  a  Laon 
el  ensuiie  iransfere  a  Reims.  II  y  eut  de  loul  lemps 
a  Sainle-Menehould  une  prevole  royale ;  niais  on  ne 
peul  preciser  a  quelle  epoque  se  forma  le  bailliage 
royal.  Les  premiers  conseillers ,  adjoinls  au  lieute- 
nant parliculier,  furenl  instilues  par  edit  du  mois 
d'oclobre  1571.  Ce  bailliage  comprenail  le  Relhelois, 
une  parlie  de  la  Thieracbe,  le  Porcien  ,  Rocroy, 
Mezieres,  etc.  Ce  ne  ful  qu'en  1635  qu'un  edit  crea 
une  election  en  chef  qui  eiendait  sa  juridiclion  sur 
120  paroisses:  elle  ful  supprimee  en  1662  et  rem- 
[)lacee  par  une  election  particuliere  qui  subsisla  jus- 
qu'a  la  grando  revolution. 

Nous  allons  faire  ici  I'enumeralion  des  seigneuries 
siluees  dans  les  limiles  de  celle  juridiclion  qui  re- 
gissait  en  parlie  les  terriloires  acluels  du  canton  de 
Ville-sur-Tourbe,  Sainle-Menebould ,  el    Dommarlin 


—  ca  - 

dans  la  Marne,  de  Grandpre,  Monlhoi*-- ,  Renwez  , 
Asfeld,  Busancy,  Chaleaii-Porcien,  Reihel,  Vouziers, 
etc.,  dans  les  Ardennes,  et  de  quelqiies  communes, 
notammenl  de  Varennes  dans  la  Meuse  :  le  lout  com- 
pris  dans  I'evcche  de  Chalons  el  surloul  dans  I'ar- 
cheveche  de  Reims. 

Le  depol  des  archives  de  la  prefeclure  de  la  Marne 
renferme  peu  de  renseignemenls  parlicuiiers  sur  celte 
maliere;  nous  y  avons  Irouvecependanl  deux  regislres 
terriers  de  I'eleclion  dans  lesquels  nous  avons  puise 
une  partie  de  noire  iravail  :  I'un  est  de  peu  posle- 
rieur  a  Tinsiiiution  de  I'eleclion,  el  I'aulre  du  milieu 
du  siecle  dernier.  Nous  y  avons  decouvert  aussi 
plusieurs  liasses  saisies  dans  les  papiers  du  marquis 
d'Ecqueviily  lors  de  I'emigralion  el  qui  renfermenl 
de  curieux  details  sur  le  marquisai  de  Ville-sur- 
Tourbe  ;  les  archives  des  communes  sonl  genera- 
lemenl  pauvres  el  ne  peuvenl  etre  d'aucuns  secours. 
Enfin  nous  avons  fait  lous  iios  efforts  pour  rendre 
celte  slatislique  complete  el  la  moins  longue  pos- 
sible. 

Les  noms  mis  a  la  suite  du  nom  de  la  seigneu- 
rie  indiquent  :  le  premier ,  le  depariemenl ;  le 
second  ,  le  canton  ;  el  le  Iroisiemo ,  la  comiriune 
ou  elle  est  siuiee. 


—  05  — 

DUCHES. 
Retiiel  (Ardennes,  Relhel ).  Chef-lien  an  moyen 
age  (J'nn  pnissanl  conile  qni  |)assa  anx  niaisons 
de  Fiandres ,  de  Bourgogne  ^  de  Cleves  J4oo)  ,  de 
Gonzague  (1o65),  de  Mazarin  pour  qui  il  fut  erige 
en  duche-piirie  de  son  nom  :  le  due  de  La  Meilte- 
raie  en  hdrila  en  1771  ;  le  due  de  Duras  en  rendit 
denoinbrement.  An  moment  de  ia  revokiiion .  il 
apparienait  au  due  de  Valentinois.  II  mouvaii  du 
roi. 


PRINCIPALTES 
De  Chateau-Porcien  (Ardennes).  —  D'abord 
simple  seigneurie  dependanle  du  comte  de  Sainle- 
Menehould  ,  Clialeau-Porcien  passa  par  donalion  au 
comte  Tlnbaul  de  Champagne  (1263J,  el  le  roi  Plii- 
lippe-le-Bel  I'erigea  en  comte  en  faveur  du  connelable 
de  Ckalillon  (1505):  il  passa  a  Louis  de  France, 
due  d'Orlcans,  en  1595  ;  Charles,  due  d'Orleans  , 
son  fils  aine  ayant  ete  fail  prisonnier  a  Azincourl, 
le  vendil  en  1459  h  Antoine  de  Crouy  pour  payer 
sa  ranQon.  Charles  IX  erigea  Chaleau-Porcien  en 
principaute  pour  Charles  de  Crouy ,  comle  de  Se- 
nigen,  el  y  joignil  de  vasles  domaines  (1561).  Celte 
lerre  passa  a  la  maison  du  prince  de  Gonzague 
(1605),  en  1668  au  due  de  Mazarin  ,  el  en  1771 
au  due  de  Duras  :    elle  mouvaii  du    roi. 


MARQUISATS 
D'AsFELi)      (Ardennes).    C'etait    un    pros    bourg 
primilivemenl    nomme  Ercuy  ,  el  qui  joue  un  certain 
I.  5 


-  66  — 

role  a  I'epoqiie  dos  comles  de  Champagn.^  ;  |)0s- 
sedc  successivemenl  par  les  families  de  Bossu  ,  de 
Bouri  et  de  Mesmcs,  il  fiit  crige  en  1671  en  comle 
d'AvAUX.  Louis  XV  en  fit  un  marqiiisal ,  sous  le 
lilre  d'AsFELi) ,  pour  Francois  de  Bidal  ,  baron 
d'Asfeld,  pair  el  mar^chal  de  France. 

De  Mom-Cornet  (Ardennes,  Renwez).  Terre  erigee 
on  marquisal  et  possedee  par  le  dnc  de  La  Meilleraie, 
puis  par  les  princes  de  Gonzague ;  elle  fut  vendue 
en  1732  au  due  d'AiguiUon  qui  en  deinolil  le  cha- 
teau :  trente-deux  seigneuries  en  relevaieni  :  il 
mouvait  du  roi. 

De  ViLLE-suR-TouRBE  (Mame).  Ce  fut  d'abord 
unc  barounie  possedee  en  1509  par  Auloine  de 
Luxembourg,  en  1588  par  Jean  d'Aguerre  ,  baron 
de  Vienne-le-Cliateau  ,  en  1618  par  les  marquis  rfe 
Brichanteau;  elle  passa  ensuile  aux  comies  de  Joijcuse- 
Grandpre  en  faveur  desquels  elle  ful  6rigee  en  mar- 
quisal, ct  par  succession  aux  Hennequin ,  marquis 
d'i  cquevilly,  sur  qui  elle  fut  confisquee  en  1793; 
vingl-cinq  seigneuries  en  relevaient :  il  mouvait  du 
roi. 

De  Bussy-le-Chateau  (Marne,  Suippe).  kiaronnie 
qui  passa  par  heritage  des  comtes  de  Vignory  a 
Charles  d'Amboise  (1633) :  une  8«  de  la  seigneurie 
an  d'Eu  de  Vieux-Dampierre  (1635),  puis  aux  de 
La  Bochefonlaine  (1702),  el  par  succession  aux  du 
Bois  d'Esco.dat  (1735):  mouvant  du  roi. 


I 


-   67  — 

COMTES 

D'AuTCY  (Ardenne?,  Moiiihois).  Ce  lui  d'abord  uns 
baronnie  a[)paiTenanl  a  uiie  famille  qui  en  porlail 
le  noni  ,  puis  aux  de  Carhonne  (1351);  die  passa 
par  iiiariat,'e  a  Henri  des  Salles  (1664).  En  1G85 
Jean  de  Goujon ,  marquis  de  Tbuisy ,  I'acheia  el 
la  111  6riger  en  conile  au  mois  de  Decembre  1693; 
buit  ou  dix  fiefs  en  relevaient  :  cbalellenie  royalc. 

D'Imkcouiit  (Ardennes,  Busancy).  De  tout  icmps 
a  la  famille  de  Vassinhac. 

De  GiZAUCOURT  (Sle-Mcnebould).  Celle  seigneurie 
a  apparicnn  de  lout  len);)S  a  la  famille  de  Cuissotle, 
uno  dcs  plus  anciennes  de  la  province  el  des  plus 
dislinguees  ;  elle  ful  erigce  en  comle  el  niouvail  du 
roi . 

De  GnANDPi'.fi  (Ardenncsy.  Grandpre  avail  le  lilre 
de  comle  des  le  ix^  siecle  el  eiail  une  des  sepl  pai- 
ries  de  Champagne.  En  i488  ,  Isabello  de  Halluyn 
porla  celle  icrre  a  la  maison  de  Joycuse ,  el  elle 
passa  au  marquis  Ilennequin  d'Ecqueviily ,  par  son 
mariage  avec  Honoree  do  Joyeuse  (1741; .  Ce  comle 
so  composail  des  fiel's  de  Calmarl,  S.  Junin  ,  Cham- 
pigneiil,  S.  Georges,  Bulfel,  la  Neuville,  les  Hermilaux, 
Bray  el  Briquenay,  el  mouvait  du  roi. 


VICOMTES 

De  la  Glageole  ("Marne,  Ville-sur-Tourbej.  C'esl 
une  conliee  de  la  comnmnc  aclndle  de  Riponi,  ayanl 
lilre  de  vicomie  des  1588  cl  qui  dependail  de  la  terre 
de  Ville-sur-Tourbe. 


—  08  — 

iJe  VouziEHS  (Ardennes).  C'elail  au  xiv*  siecle  un 
village  avec  litre  de  vicomle  :  en  1633  les  i\'Escannol 
el  d'Alaumont  se  Ic  parlageaien!. 


BARONNIES 

De  Cernay  (.Varne,  Vil!e-sur-Tourbe).  Ce  village 
porlait  jadis  Ics  litres  de  viile  el  de  baronnie  possedee 
au  XIV*  siecle  par  la  famille  Je  Neufchatel  et  passa 
par  mariage,  vers  1630,  aux  Le  Danois.  Charles  le 
Danois  en  perdit  sa  pari  pour  crime  de  rebellion  et 
Philippe  de  Rouvroy  en  ful  invesii  (1657).  En  1668, 
le  comle  de  Grandpre  tcnait  la  baronnie  el  une  part 
senlement  de  la  seigneurie  resiail'aux  Le  Danois. 
Elle  relevaii  de  Ville-sur-Tourbe  et  mouvail  dii  roi. 

De  MiNAUCOURT.  Elle  dependail  de  Ville-sur- 
Tourbe. 

De  RuMiGNY  (Ardennes).  Impcrlant  fief  au  moyen- 
age  apparlenanl  aux  Chatillon  ,  puis  aux  dues  de 
Lorraine  el  reuni  au   duche  de  Guise. 

De  S'  Jean-sur-Tourbe  (Marne,  Sle-Menehould). 
Dependant,  de  Ville-sur-Tourbe. 

De  Termes  (Ardennes,  Grandpre).  La  seigneurie 
elait  divisee,  enlG34,  enlre  les  families  de  Lardenois, 
de  Roucy,  de  Choiseul,  de  Conde  :  elle  avail  le  litre 
de  baronnie  des  1590,  el  mouvail  du  roi. 

De  Verpel  (Ardennes,  Buzancy).  Baronnie  des 
comtes  de  Grandpre:    mouvant  de  roi. 


—  69  — 

SEIGNEURIES  ET  FIEFS. 

Antk  (Sle-MenehoiildJ.  Posseclce  d'ahord  j)ar  Tab- 
baye  de  Toussainls  (dc  Chalons) ,  celle  scigneiiiie 
appailenail  en  1630  aiix  maisons  de  Cicquy  el  de 
Godd  :  pou  apres  elle  passa  h  celle  de  Chamisso  qui 
la  conserva  jnsqu'a  la  revolution.  Elle  mouvaii  dii 
roi. 

Argeus  [[}.)  Au  nioyen-age  ce  village  formail  une 
imporlanle  seigneurie  qui  pril  le  nom  do  ses  pos- 
sesseurs  (1592)  :  a  daler  de  IGoO  on  y  voil  la  fa- 
rniile  de  Moisy,  puis  les  conUes  de  Cleron  d'llaus- 
sonviUe  (1755).   Ello  mou'.ail   du   roi. 

AuBENTON  (Ardennes).  Dependani  du  duclie  de 
Guise  :  mouvanl  du  roi. 

AuvE  ( Marne ,  Sle-Menohould).  Les  comles  de 
Gizaucourl  eurenl  loujours  la  seigneurie  du  village  : 
celle  des  dixnies  ctaii  parlagee  enlre  les  d'Eu  de 
Vieux  Dampierre  fdGSS),  de  Pinteville  el  de  Bar  : 
une  portion  du  lief  du  d'Eu  passa  aux  de  Braux, 
el  de  1^  au  du  Pin  de  la  Geriniere  :  toutcs  deux 
relevaienl  du   roi. 

Baionville  (Aidenne.-;,  Ruzancy).  Aux  comics  de 
Vassinhac  d'Iniecourl  avanl  165i:  mouvant  du    roi. 

Baldrange  U.  Fief  possede  aux  Irois  quarts 
l)ar  messieurs  de  Puuilly  en  1650;  ils  acquireiil 
[leu  apres  la  dcrniere  |)arl  de  la  veuve  de  Charles 
de  Doret 

Uaiv  de  Bussy  (Marne,  U.,  Bnssy-le-Chaieau).  De- 
pendant du  marquisa!  de  Bussy  et  appaiiennnt  aux 
d'Ambohe.  en  1650.  N.  Y;/(;/n':;n<,  seigneur  de  rEjjine, 
I'acheta    pour   six   cents  livres,    en  KiiO;   au  siecic 


—    70  — 

suivant,    le  marquis  de  Nazelles  en  devinl  seigneur 
par  succession.   II   niouvail  du   roi. 

DiXMES  DE  Beaumont  (Ardennes,  Mouzon).  A  Jean 
de  La  Roche fonlainc  en  1674. 

Behzieux  (Marne,  Ville-sur-Tourbe).  Aiix  Joxjeuse  : 
ellc  relevail  de  la  haronnie  de  Hans  (arret  du  par- 
lement  de  1060). 

La  Besace  fArdennes  ,  Raucourl).  Possedec  en 
1650  par  la  famille  de  Coussy ,  puis  divisee  par 
mariage  entrc  celles  de  Meslin  et  d'Aymery  :  la 
part  des  premiers  passa  ,  vers  1750,  a  Louis  de 
Paillart  de  Grandviliiers,  donl  la  (ills  unique  la  re- 
porla  aux  d'Aymery  (1779)  :  niouvant  du  roi. 

Maison  en  Biesme  ou  bois  d'espence  ( Marne  , 
Ste-Menehould).  Pelit  (ief  aux  de  Vaudclaincourt , 
avant  1650^  puis  partage  entre  les  de  Gmtil  et  de 
Bigauh.  Jacques  Beuvillon  acheta  en  1700  la  part 
dcs  premiers,  el  M.  de  Bonnay  en  herila  :  mouvanl 
dn    roi. 

BiGNiPOiNT  (U.,  Ste-Menehould,  Chaude -Fontaine). 
D'abord  a  la  niaison  de  Beauvau  :  Pierre  Beaitgier 
I'acheia  en   1697.  Mouvanl -du  roi. 

BiNARViLLE  (  U.  ViMe-sur-Tourbe ).  Seigneurie 
considerable  qui  mouvait  du  roi:  elle  elailcnlool 
aux  de  Carbonne  ;  les  de  Pouilly  I'acquirenl  an  xvi* 
siecle  et  s'y  maintinrent  pour  un  quart :  le  reste 
appartenail  aux  comles  de  Rouge. 

Blouquenet.  Fief  divise  :  5/5"  aux  iVEpinoy 
(1750)  et  2/5*  aux  comics  de  Salus  d'Apremont  : 
il  mouvait  du   roi. 

Bois  DE  Brienne    (Ardennes,    Monlhois).    Divise 


—  71  — 

entre  les  de  Chamii-so  el  le$  Beaugicr  :  il  relevait 
d'Aiilry. 

De  BnifeuES  et  Ciiarbogne  (Ardennes,  Altigny). 
Dependant  d'Aulry  :    tnouvant  dii  roi. 

De  CoRNAY  (id.  Graiul[>r<^) .  Fief  possede  par  ies 
de  MaiUart. 

GERARD  (Marne,  Ste-Meneiioiild,  Argersj.  Fief  <iiix 
Robinet   en  1765. 

De  Hai'Lzy  (U.  Viile-sui'-Toiiihe).  Divise  entre  les 
Joyeuse  et  ies  marquis  de  BroaUhj  Vartigny  ^1650): 
la  pari  de  ce  dernier  se  transmit  aux  comles  des 
Salles  (1712)  ,  utie  outre  p.irl  au  baron  de  Hans  : 
il  relevail  de  Ville-sur-i'ourbe. 

De  Hans  on  Joinville  (Ardennes,  Grandpre).  Aux 
mar(|uis  de  Vartigny,  puis  aux  Dessalles :  mouvant 
du  roi. 

JuRfi  (Ardennes,  Buzancj).  Possede  par  les  families 
de  Bouzieres  d'abord,  el  da  CImrtel  en  1664:  mou- 
vant du  roi. 

De  la  Have  Rigault  (Ardennes).   Aux  de  Fiilly. 

D'AuRE  (Marne,  Vil!e-sur-Tourbe).  Fief  du  bois 
d'Haulzy,  possede  par  les  Maihe,  puis  les  d'Ea  de 
vievx  Dampierre. 

Grand  bois  be  l'Ou  (Ardennes).  Possede  succes- 
sivement  par  les  de  Quai^ta,  Uoccarl  el  Barbin  de 
Broyes  (1779):  mouvanl  du  roi. 

Petit  bois  de  l'Or  ou  la  Noue  le  dug  (Grandpre, 
Marcq).  A  Pierie  dj  La  BouUayc ,  en  1663:  mou- 
vanl di!  loi. 

Hois  LES  Dames  ( .Marne,  Dommariin,  Rclval).  A 
la    famille  du  Bourg  :  ninuvaiil  du  roi. 


—  72  — 

.    Bois  DE  Malinsaut  (Mouse  ,    Donnevoux).    A    la 
memc  :  mouvanl  dii  roi. 

Bois  de  Saulcy  (Marne,  Ville-sur-Tourbe  ,  Binar- 
ville).   Aux  comles  de  Rouge. 

Bois  de  Saulcy  (Ardennes,  Buzancy,  Saini-Pier- 
remont).  Aux  de  Chartogne  :   mouvanl  du  roi. 

BONCOUUT  (Maine  ,  Dommariin  ,  Anle).  Fief  qui 
passa  aux  Baillel  (1650),  de  Cherisey  ,  de  Bareuille, 
el  enfin  aux  comles  de  Chamisso  ,  ei  donna  son 
nom  a  I'une  dcs  branches  do  celle  famille  :  mou- 
vanl du  roi. 

BouiiREL'LLES.  Ficf  divise  enlrc  Irs  maisons  de 
Oranges ,  de  Vassinhac  ,  de  MaiUart  el  Gillet  : 
puis  aux  de  Bonnmj,  de  Conde,  clc.  En  1665  le 
marquis  A'Adres  de  Chamblay  en  achela  une  pari  : 
mouvant  du  roi. 

BoucoNviLLE  (  Ardennes ,  Monlhois;.  Seigneurie 
appartenanl  en  1650  a  Huberl  de  La  Rimere ,  puis 
par  mariage  an  comle  de  Choiseul-Chevigne . 
Louis  de  Barbin  de  Broyes  I'achela  en  1751  :  mou- 
vanl du   roi. 

Boup.oiNviLLE  (  Marne ,  Dommariin  ,  la  Neuville- 
aux-Bois).  Fief  dependant  du  marqnisaf  de  Givry 
el  appartenanl  en  1650  a  Jean  de  I'Escalopier : 
mouvant  du  roi. 

Braux  S'^-CouiERE  (Marne,  Saintc-.MenehouId  j. 
Possede  par  los  Le  Gorlier  (1640),  les  Drouet , 
el  vendue  en  1756  a  Adam  iVOrigny:  mouvanl 
du    roi. 

BouRU  (Ardennes).  Fief  d'abord  aux  de  La  Folie, 
el  achele  en  1679  par  le  comte  de  Grandpre  : 
mouvanl    du  roi. 


—  73  — 

Buieulles-suu-Meuse  (Arileniies,  Ic  Chesne).  Lc 
prince  de  ComU  I'acheia,  en  166:2,  ;i  la  famillc  de 
Treinolot . 

Blonquenay  (Mariic,  Ville,  Souaiti).  Fief  possede 
success!  vemen I  par  les  de  La  Fotie  (16!22),rfe  La  March 
el  du  Bois  de  Crance  en  1715  :  mouvant  du  roi. 

Br.iQiJENAY  (Ardennes,  Buzancy).  Le  comie  de 
Grandpre  vondil  colic  lerre  au  marquis  de  Goiijon 
de  Thuisij,  qui  la  ceda  ,  en  1757,  a  Claude  de  La 
Villelongue ;  clle  passa  ensuiie  par  mariagc  aux 
families  de  Im  four  ei  de  Sl-Vincenl. 

BussY-LES-S6ciiAULT  (Ardennes,  Mouihois).  Fief 
depondanl  d'Aulry  el  possede,  des  1650,  par  la  fa- 
mille  de  Tourncbulle.  II  ful  vendu,  en  1751,  a  J(\Tn- 
Bapliste  Doulcct,  el  dix  ans  plus  lard  a  M.  de  Finfe : 
il  mouvail  du  roi. 

IIaut  liT  BAS  Champy  (Ardennc.s).  Fief  depen- 
dant du  comle  d'Aulry,  et  que  possedail,  en  1655, 
la  famille  d'AUaumonl;  un  mariage  le  porla  aux 
marquis  d'Amhiy  ,  puis  aux  dc  Villelongue  qui 
le  vendirent ,  en  1752,  h  Jean-Baplisle  Fumeron. 
secrelaire  du  roi:  mouvaiu  du  roi. 

Chatel-les-Cornay  (Ardennes,  Grandpre).  Fief 
qui  passa  successivement  aux  de  Roussy  (1651),  de 
IJEspinoh  (1666),  el  aux  de  Choiseul ,  en  parlage 
aux  de  Lardenois.  M.  de  Salccs  d'Apremont  en 
devinl  seigneur   vers  1754  :  mouvant  du  roi. 

Chaude-Fomtaine  fMarne,  Sainle-Menehould  ). 
Fief  qui  passa   des  Le  Gorlier  aux  Drouel. 

Ciiaumoint-en-Porcien  (Ardennes,  Chaumont). 
Imporlanlc  seigneurie  do  la  famille  de  La  Haye,  puis 
de  celle  d'Amhiy  (1698).  Des  mariages   en  porlcreul 


—  74  - 

des  parts  aux  maisons  de  La  Mothe  Houdancourt  el 
Rouault  de  Gamaches  (1776).  Le  marquis  de  Bois- 
gelin  y  avail  un  vasle  chaleau  ,  delruil  en  1795  : 
mouvant  du  roi. 

CouRTEMOiNTCMarne,  Sainte-Meuehouid).  Seigncurie 
mouvant  d'abord  du  roi ,  puis  adjugee  en  1682  au 
baron  de  Hans  ( comte  du  Vail  de  Dampierre)  et 
qui   apparlini  aux  eomtes  des  Salles, 

Chevieres  (Ardennes,  Grandpre,  Marcq).  Mouvant 
du  roi  jusqu'en  1664,  puis  d'Aulry,  el  possede  suc- 
cessivemenl  par  les  families  de  Roussy ,  de  Courte- 
ville   et  de    Vassinkac. 

CiERGES  ET  LA  Grange-au-Bois  (Ardennes,  Grand- 
pre). Fiefs  possedes  en  1655  par  les  families  de 
Mouza  ,  Delaire ,  de  Pouilly  et  de  Fontaine ,  puis 
divises  en  1725  enlre  celies  de  Be/jroy  el  de  L'Es- 
pinoy  :  mouvant  du  roi. 

CoNDfi  (Ardennes,  Vouziers).  Aux  Dorlodol  el  de 
Finance,  (genlilshommes  verriers). 

CoNDfi-LES-AuTRY  (U.  Montbois).  Aux  Rouge  et  en 
dernier  lieu  par  berilage  a  la  ducbesse  de  Lorraine- 
Elheuf  (1119) :  mouvant  du  roi. 

CoRNAY  (U.  Grandpre).  Anx  de  Pouilly  :  mouvant 
du  roi. 

CuPERLY  (Marne  ,  Suippe).  Aux  d'Amboise,  par 
les  corates  de   Vignory. 

Dampierre-sur-Auve  (Marne,  Sle-Menebould). 
Aux  Le  Gorlier  en  1640,  puis  aux  Barbin  de  Broyes, 
et  en  1768  aux  marquis  de  Pons-Praslin  :  mouvant 
du  roi. 

Daicourt  (U.  U.).  Scigneurie  qui  passa  par  ma- 
nage des  liailli't  aux  comics  de  Gizaucowt  {MIA). 


—  75  — 

Dommaiitin-la-Planciirtte  (U.  U.J.  Aux  Duprd 
(1640),  puis  aux  de  Bellericurl ,  el  en  4747  a  M. 
d' Argent,  irosorier  de    France:  niouvaul  du  roi. 

DoMMiTifciiKS  ET  Bois  Haunault.  Aux  de  Failhjy 
puis  au  Crcve-Coeur. 

DoNNEVOUX  (MeUbG,  Varennes).  Seigneurie  achelee 
35,000  livres  par  Adrien  de  Drac  en  1641  ,  puis 
aux  Brigonnet  el  aux  de  Thomassin  en  1086  :  mou- 
vanl   du  roi. 

Dommartin-sur-Yevue  (Marne,  Dommarlin-sur- 
Yevrc).  En  lOO^  au  sieur  de  Saint-Remy ,  el  en 
1696  aux  marcpiis  de  liaillet. 

Elise  (Marne,  Sainle->leneliouUl  ).  D'abord  aux 
Creqiuj  el  aux  lieauvau  (1652) ,  puis  divise  entre 
les  Baillel  ci  ds  Barbery  (1686):  mouvant  du  roi. 

Epanse  (U.  Dommarlin-sur-Yevre).  Aux  Beauvau, 
puis  par  herilago  aux  Baillct.  Le  bois  d'hpanse 
passa  des  Beauvau  aux  Barbin  de  Broyes  ei  aux 
Pons-Praslin  (1762):  mouvani  du    roi. 

Fayet  (Marne,  Ville-sur-Tourbe).  Dependance  de 
la  baronnie  de  Cernay. 

Fleville  (Ardennes,  Grandpre).  aux  de  PouiUy  : 
mouvani   du    roi. 

P^lorent  (Marne,  Sainle-Meneliould).  Aux  Braux 
en  1640 :  une  pari  apparlenanl  aux  Goujon  de 
TImisy  ful  vendue  en  1752  ;i  M.  de  Failly:  mou- 
vant du  roi. 

FoNTAiXR  (U.  Villesur-Tourbe).  A  Guelin  Des- 
champs  en  1620,  puis  aux  Dorthe,  de  Boubere  ,  el 
vendue   en  1720  aux  Beaugier  :  mouvani  du  roi. 

FoMEKOis    (Ardennes).     Fief  dependanl    d'Aulrv 


—  76  — 

ol   possede    par  los  famillos  L'EspaynoI    ol  HJaapus 
(1652). 

Frais-Folsi&s  (U.  Moniliois,  Bouconville).  Fiefqui 
passa  des  Constant  aux  du  Ilauioy  par  mariagc  en 
1751:  mouvani  du  roi. 

Gergeau  (Marne,  Sainle-Menehould).  Fief  d'abord 
aux  Drouct  ,  puis  aux  Talon  el  aux  de  Corvizier 
(1691):  mouvant  du  roi. 

GoMicouRT.  A  Jacques  de  St-Remy  en   1668. 
GuATREUiL (Marne,  Vilie-sur-Tourbe).Aux  Beaugier. 
Grandham  (Ardennes,  Grandpre).  Aux  dc  Pouilly, 
puis  aux   de  La  Boxdlaye  (1665),  el  enfin  h  M.    de 
Guasta:  mouvani  du  roi. 

Gratndrup  (Marne,  Dormans,  Vieil-Dampierre).  Aux 
Beauvau  ,  puis  aux  comles  de  Chamisso  :  mouvani 
du   roi. 

Hasle.  Fief  qui  passa  des  Moussa  aux  d'Es- 
f.arnol  (1655),  el  en  1654  aux  Chamisso  :  mouvani 
du  roi. 

HuRLUS  (Marne  .  Ville-sur-Tourbe).  Aux  Joycusc ; 
en  1765  Claude  d'Eu  en  acquierl  une  part  du  chef 
de   sa  mere  Anne  Le   Vautrel. 

Haecourt  (Ardennes).  En  165i  aux  de  Pouilly 
el  de  Redhon ,  en  1755  M.  de  Goblel  en  elail 
seigneur:    mouvani  du  roi. 

La  CiiArELLE  (Marne,  Sainie-Menehould ).  Aux 
comics  de  Gizaucourl. 

La  CiiEPPE  (U.  Suippe).  Aux  d'^mfco/se,  puis  aux 
Joyeuse;  en  1641  Hugues  Malhe  rend  denombrc- 
meni  pour  une  pari. 


—  T'  — 

La  Gloyette  ( Mariie ,  Ville-sur-Tourbe).  Aux 
Joyeuse. 

Le  Jahdinet  (U.  Sainle-Menehould,  Valmy).  Des 
1654  aux  de  Bigot:  mouvanl  du  roi. 

La  Gr.ANGE-AU-Bois  (U.  U.  \  Parlage  enlre  ies 
Beauvau  el  Ies  Iloccart  (1654,  1684);  mouvanl  du 
roi, 

La  Grakgette  (U.  U.}.  Anx  de  Marolles  (1625): 
mouvanl  du  roi. 

Lan^on  ( Ardennes  ,  Grandpfe).  Aux  de  Pouilly 
(1654).  En  1715  MM.  de  Rouge  el  de  Qucrhoent  onl 
une  part. 

La  MALiviAisoiN(U.Buzancy, Bar).  Dependanld'Aulry, 
au.x  Conslant :  mouvanl  du  roi. 

La  Noue-le-Coc  (U.  Grandpre,  Marcq).  Mouvanl 
d'Autry,  el  divise  enlre  le  conite  de  lioucg  el  le 
sieur   de  Courteville  (1671j:   mouvanl  du  roi. 

La  t'lENAUDE  (Marne,  Ville-sur-Tourbe,  Vienne-le- 
Cliateau).  Henri  de  Godtt  rend  foi  el  liommage  en 
1655,  puis  le  fief  passa  aux   Rosnay  avanl  1768. 

Landres  (Ardennes,  Buzancy).  Mouvanl  d'Aulry , 
aux  de  Maillarl  (1655),  puis  une  part  aux  de  Vas- 
sinhac  (1711):  mouvanl    du  roi. 

Les  iiautes  et  basses  Loges  (Ardennesj.  Mouvanl 
de  Grandpre  et  des  1654  aux  de  Vassinhac:  mouvant 
du   roi. 

La  Hocarueiue  en  Chinerie  (Marne,  Sainle-Me- 
nehould). Aux    de   Vassinhac. 

Igny  (Marne,  Uommartin,  Vieil-Dampicrre ).  De 
Beauvau  anx  Chamisso. 

IvoY  (Ardennes,  Monihois  ,  Conde-los-Aulry ). 
Dependant  de   Ccrnay. 


—  78  — 

JossELiN-MALinufi  ou  FiKF  Sagau  (MaiMC,  Saiiiic- 
Meneho^ild).  Aux  de  Maillart  el  de  Vassiuliac:  inoii- 
vanl  dn  roi. 

Les  Hougnes  (Manic,  Sie-Meii«ilioiikl ,  Aii(e).  Aux 
Chamifso   (1654-):  mouvaiil  tin  roi. 

Les  Planches  ( U.  U.  Dommariin-la-PlanclicUe  ).  . 
Aux  Baillel   el  Dupre  ('1634):  mouvanl  du  roi. 

Le  Mesnil-IIuulus  (U.  Ville-sur-Tourbe).  En  1652 
aux  Joyeuse  ;  en  174-1  Ciauiic  cl'Ea  en  acquiert  une 
pari  du  chef  de  sa    mere  Anne  Le    Vautrel. 

La  Couuajsdiere.    Aux  dc  Maucourl  (1635). 

La  Tour-le-Renaud  (Marne ,  Sainie-31enehould, 
Valmy).  Possedee  en  1635  par  les  Rosnier  el  Maiipas; 
en  1711  Ic  marquis  de  Maiily-Nesle  en  elail  seigneur: 
mouvanl  dii  roi. 

L'Etang-du-Rup  (U.  Dommarlin).  Aux  Bosschefer 
(1680),  puis  anx  jesuites  de  Reims. 

L'Etang-de-Royon  (Marne,  Villc-sur-Tourbe,  Be- 
rizieuxj.  Aux  Joijeuse. 

Les  Mauotines  (Meuse,  Varennes).  A  Claude  des 
Fosses,  seigneur  de  Vienne-la-Ville  (1655),  el  vendue 
au  due  de  Boiirhon  en  1725. 

[.E  ViEL-CoHBON  (Ardcnnes) .  A  Brion  de  Lescol- 
lade  en  1655,  en  1660  aux  deVilliers,  el  en  1759 
aux  de  Villelongue  :  mouvanl  da  roi. 

Le  Yiel-Dampieuue  (Marne,  Dommarlin-sur-Yevre). 
En  1652  celle  seigneurie  elail  divisee  enlre  les  Cha- 
misso  ,  de  Rohan ,  de  Cherisey,  de  Beauvau  el  Cle- 
ment. Daniel  de  Cordon  y  acquiert  un  quarl  qu'il 
vendil   en   1610  h   Charles  d'Eu,  seigneur  de  Sainl- 


—  79  — 

Remi  ,  Auve ,  etc.,  et  qui  augmenia  sa  porlion 
jsusqu'a  9  |)arls  sur  2i;  le  resle  demeure  aux  Cha- 
misso  seiils  :  niouvant  dii   roi. 

Malancourt.  Fiefpariage  cnlre  les  de  Goblcl  ^ 
de  Bray   el    de    Boutleville   (1755J. 

Massiges  (Marne,  Yille-sur-Tourbe).  En  1C48,  un 
tiers  au  marquis  d'Amhhj,  el  deux  liers  &  M.  d'A- 
laumont.  M.  de  Pons  achela  une  pari  en  1657  (|ui 
passa  par  niariage  a  Charles  de  Tournebtdle  (1615), 
cofin   les  Joyeuse  racquircnl :  mouvanl  dii    roi. 

Maupertuis  (Marne).  Divisc  aux  Danevon  et 
Clairon  d'Haussonviile  (1635);  mouvanl    du   roi. 

Welzicouut  (Marne,  Ville-sur-Tourbe).  Aux 
Joyeuse. 

Millet  (U.  Dommariin,  Belval).  Aux  de  Maiilarl, 
puis  en  1722  aux  du  Bant:  mouvanl  du  roi. 

Moulin  d'Anty  (U.  Sainle- Menehould ).  Aux 
Cauchon  (1652),  puis  aux  jesuiles  :  mouvanl  du 
roi. 

MoNTCiiEUTi^  (Ardennes,  Monlhois).  A  ia  famille 
Marin  ,  puis  divise  enlre  les^ie  Constant^  du  Ilauloy 
el  de  Sain  guy  (.1665). 

MoNTHOis  (Ardennes,  Monlhois).  Aux  de  Chalem- 
bergue  (1649),  puis  au  comle  de  Bohan-Nanteuil,  el 
divise  aux  de  Villelongue  ,  de  La  four,  de  Pois  el 
Gonjon  de  Tkuisy  (1781). 

MoLRON  (U.  Grandpre).  Aux  Joyeuse. 

MAFFRecouRT  (Marne,  Sainle-Meneliould).  Aux  f/c 
Berk  (1755). 


—  80  — 

OMir.OLiiT  (Aiilennos,  Flizc).  Vendn  par  le  due 
de  Nomlles  a  M.    Rogier  en    1770. 

Or.R^VAL  (\larno,  Sainle-Menehould).  Aux  Dorville 
en  1709. 

OcHES  (Ardennes,  Buzancy  ).  Se'igneurie  do  la 
maison  d'Anglure  f1G32),  possedee  ensuiie  par  les 
Holland,  iVaiUefer,  de  Finfe  el  de  litencowl :  mou- 
vanl  du   roi. 

OuciiEUY  (Ardennes).  Aux  Gougon  de  Thuisy : 
mouvanl  du  roi. 

Pi\fi  DE  PnEFONTAiNE  ( Marnc  ,  Sainie-Menehould, 
Valmj).  Aux  de   Bigol  (1659):   mouvanl  du  roi. 

Remicolut  (  Marne,  Domniarlin-sur-Yevre. )  Aux 
Courlain  (IGo^),  puis  une  part  aux  Baillet  ('1774). 

RfiMOisviLLE  (Ardennes,  Buzancy).  Parlage  des 
1633  cnire  les  families  de  Ncufchdlel ,  de  Rouvroy, 
Le  Danois   el  Joxjeme  :   mouvanl  du  roi. 

RiPONT  (Marne,    Ville-sur  Tourbe).    Aux  Joyeuse. 

RotVROY  fU.  U  ).  Aux  Joyeuse:  mouvanl  du 
roi. 

RAPuficouRT  (U.  DoRimarlin-sur-Yevre).  A  la  fa- 
mille  des   Houx ,   une  pari  a   celle  des   Vaillant. 

Saint-Georges.  Aux  Joyeuse. 

Saint-Lotin  (Maine,  Sainle-Menehould,  Braine- 
sur-Cohiere ;.  Divise  enire  les  Drouet  el  les  Le 
Gorlier  (1644). 

Saint-Marc  suR-AuvE  (Marne,  Dommariin  ).  Aux 
Cuissolte  de  Gizaucourt :   mouvanl  du   roi. 

Saiist-Mars-soi:s-Bourcq  (  Ardennes  .  Vouziers  , 
Rourcq).   A    Pliilberl  d^  Saguy  en  1634,   puis   par 


—  81  — 

parties    anx     de    Grafeuil ,  de   Vdliers  el   de  Roucy  : 
moiivant  du  roi. 

SouAiN  (Marne,  Ville-sur-Tourbe).  Cede  soii^neurie 
formait  plusieurs  fiefs  reparlis  enire  les  families 
Raukt,  Billet,  Mauclerc  e\.  Goujon  de  r/cu'.sj/ (1643): 
mouvant  du    roi. 

Saint-Piekuemont  (Ardennes,  Buzancy).  Seigneiirie 
partagee  des  i633enli"e  sepl  families:  de  Hosecque, 
Demy,  Chamkso ,  Bcauvau,  de  Blaisel ,  de  Finfe  et 
Devias . 

Saint-Remv-sous-Bussy  (Marne,  Dommariin  ). 
Achclee  au  roi  en  io72,  et  possedee  en  1632  par 
MM.  d'E/fonjes,  Beaudier  el  de  Beauvau.  En  1649 
Charles  d'Eu  de  Vieux-Dampierre  rend  hommage 
pour  un  huilieme  ;  en  1770  le  marquis  de  Thuisy 
acheta   une  pari  :  mouvant  du  roi. 

Saint- Vallery  (Marne  ,  Dommariin,  Herponl). 
Aux  Braux  (1750),  achete  en  1770  par  M.   de  Bar. 

SifiCHAULT  (  Ardennes,  Monlhois).  Aux  de  La  Ri- 
viere ('1665),  puis  en  1670  aux  de  choiseid  et  Barbin 
de  Broyes  :  mouvant   du  roi. 

SiVRY  les-Buzancy  (U.  Buzancy).  Aux  Sandron- 
nieres ,  puis  en  1 65i  par  heritage  aux  Maugion  ; 
une   part  aux   Vassinhac  :   mouvant  du  roi. 

Sivry-sur-Ante  (Marne,  Dommariin  J.  Aux  Cha- 
misso  (1635):  mouvant  du  roi. 

SoMMl^RANCE  (  Ardcnues  ,  Grandpre).  Divise  entre 
les  families  de  Maillart,  Vassinhac,  Fuchsamberg  el 
de  Buart  (1633):   mouvant  du  roi. 

SoMME-TouRBE  (Marne,  Sainle-Menehould).  Aux 
Joyeuse. 

I.  6 


—  82  — 

SiONNE  (  Ardennes  ,  Raucourl ).  Seigneurie  Ires 
considerable  des  Joyeuse  ;  une  part  aux  de  Coussy  : 
niouvanl  du   roi. 

Tauure  (  Marne  ,   Ville-sur-Tourbe).  Aux  Joyeuse. 

Valx  (Marne,  Sainle-Menehould).  Aux  Ilouart , 
el  par  succession  aux  Braux  (1632)^  el  au  milieu 
du  si^cle  dernier  ce  fief  passa  par  mariage  aux 
Dupin  de  la  Geriniere  :  mouvanl  du  roi. 

Vautigny  (Ardennes).  Au  Vassinhac  d'Imicourt 
(1638). 

Valmy  (Marne,  Sainte-Menehould ).  Terre  doma- 
niale:  une  pari  aux  Cuissotte. 

Veuriere  (U.  U.j.   Aux  de  Beauvau  (1635). 

ViLLE  -  Franche.  Aux  Noirfontaine  el  Deligny 
(1638). 

Villers-en-Argonne  (Marne,  Sainte-Menehould). 
aux  Chamisso  ;  une  pari  aux  Beauvau  :  mouvanl  du 
roi. 

Vienne-La-Ville  (Marne,  Ville-sur-Tourbe).  M.  des 
Fosses,  seigneur  en  1638;    vendu  en   16-48  au  due  ^ 

de  Bourbon. 

VoiLEMONT  (  U.  Sainte-Menehould  ).  Au  seigneur 
d'Argen  des  1392  ;  acquis  ensuite  par  les  Clairon 
d'Uaussonville:  mouvanl  du  roi. 

Wargemoulin  (U.  Ville-sur-Tourbe).  Xux  Joyeuse. 


—  83  — 


HISTOIRE 


Seance  du  28    Novembre    1851. 


Lecture  de  H.   Fornei'Oii. 


VISITE.AUX    KLINES    DE    LA    MOTTE. 


Suria  frontiere  des  anciennes  provinces  de  Lorraine 
et  de  Champagne,  a  la  limite  des  deux  departemenis 
des  Vosges  et  de  la  Haule-Marne,  enlre  Neufchaleau 
et  La  Marche^  existait  une  place  forte  que,  dans 
I'annee  1645  ,  le  gouvernement  frangais  de  I'epoque 
renversa  d'un  trait  de  plume  et  detruisit  de  fond  en 
comble ,  ainsi  que  I'eut  pu  faire  une  grande  commo- 
tion de  la  nature. 

Dans  ces  lieux  que  nous  venons  d'indiquer  ,  au 
milieu  d'un  groupe  de  collines  de  moyenne  hauteur, 
on  en  voit  une  qui  domine  les  aulres  ,  qui  de  loin 
a  la  forme  d'une  pyramide  tronquee  par  le  milieu  : 
c'esl  sur  son  plateau  que  la  ville  dont  nous  parlous 
elait  siluee.  Assise  sur  le  roc  et  de  loutes  pans  envi- 


—  8/1  — 

ronnee  de  penles  rapides ,  t'oriiliee  d'age  en  age  par 
les  (lues  de  Lorraine  el  de  Bar  qui  voyaienl  en  elle 
le  boulevard  de  leurs  etats  conlre  la  France  ,  elle 
elaii  repulee  imprenable  ;  ses  forlilicalions  avaieiU  du 
moins  repandu  sa  renunimee  en  Europe. 

C'esl  en  1258  que  le  comte  Thiebaul  de  Cham- 
pagne I'avail  erigee  en  commune ,  el  avail  ainsi 
determine  les  habilanls  des  environs  a  venir  aug- 
menier  sa   population. 

J  usque-la  elle  s'elail  appelee  Clermonl  ( Clericorum 
Mons),  parce  que  deux  convents  avaient ,  des  le 
xi^  siecle  ,  forme  la  le  nojau  de  quel(|ues  habitations; 
puis  S'-Hiiairemonl ,  d'une  chapelle  dediee  a  saint 
Hilaire  el  qui  ful  longlemps  on  grande  veneration 
dans  le  pays.  Enfin  ,  en  raison  de  la  forme  de  la 
monlagne  qui  lui  servail  de  fondement ,  elle  pril 
le  nom  de  La  Moiie  ,  sous  lequel  elle  s'csl  rendue 
celebre  el  a  succombe.  Elle  avail  passe  plusieurs 
fois  de  la  domination  des  comtes  des  Champagne  a 
celle  des  dues  de  Lorraine  ,  el  avail  conime  servi 
d'appoini  a  plusieurs  trailes.  La  France ,  pendant 
ses  longs  demeles  avec  I'AUemagne ,  au  sujei  de 
la  Lorraine ,  ne  I'avail  pas  quitlee  des  yeux  :  c'etail 
une  forteresse  de  premier  rang,  qui  ofl'rail.a  ses 
deirseins  une  barriere  difficile  a  surmonter ;  c'etail  de 
plus  un  refuge  pour  des  partisans  qui  infostaient  ses 
froniieres  dansl'occasion,  el  qu'il  n'elail  pas  toujours 
aise  d'aileindre  el  de  chalier. 

En  1634,  a  la  suite  de  troubles  survenus  dans  la 
maison  de  Lorraine,  le  due  Charles,  iv°  du  nom:, 
ful  contrainl  de  faire  cession  de  sts  etats  a  son 
frere  ,  le  cardinal  Nicolas-Francois.  L'occasion  parut 


—  85  — 

favorable  a  la  cour  de  France,  elle  negocia  el  oui.ti., 
a  I'aide  de  |)romesses  qui  devaienl  rester  sans  effet, 
ujie  lelire  de  jussion  adressee  au  gooverneur,  le  comle 
de  Choiseuil  d'Ische  ,  pour  qu'il  reniil  la  place  aux 
Iroupes  (lu  roi.  Un  marechal  ,  le  due  Cauinont  de 
La  Force  ,  age  de  71  ans  ,  avail  ele  cnvoye  avec 
une  armee  de  20,000  homines  pour  en  prendre  pos- 
session ;  mais  il  devait  eprouver  une  vive  resistance. 
A  la  double  sommalion  qu'il  til  signilier  au  gou- 
verneur ,  en  alleguanl  les  ordres  emanes  du  due 
Francois  ,  celui-ci  repondil  que  le  due  Charles  avail 
refu  son  serment ,  qu'il  ne  reconnaissait  pas  d'aulre 
mailre  que  lui ,  el  que  ,  dans  cos  disposilions ,  il  sau- 
rail  defendre  son  posle  el  y  mourir,  s'il  le  lallait. 
Celle  reponse  lui  elail  dictee  par  sa  fidelile  el  son 
cour;ige ;  elle  elail  de  plus  conforme  aux  sentimenis 
des  olliciers  lanl  tie  la  garnison  que  de  la  bourgeoisie. 
Dans  un  conseil  de  guerre  lenu  a  I'occasion  de  la 
lelire  du  general  franc^-ais  ,  Vallevillo,  le  plus  age  des 
capilaines  assembles  ,  avail  dil  qu'il  se  croirail  oblige 
d'arracher  la  langue  a  quiconque  oserail  parler  d'ou- 
vrir  les  porles  a  I'ennemi ,  el  les  signes  d'approba- 
tion  les  moins  equivoques  avaienl  accueilli  ccs  tieres 
paroles. 

II  fallail  doMC  combaltre.  Le  marechal  dislribua  ses 
iroupos  dans  les  villages  qui  environneni  la  ville  ix  de 
courlcs  distances;  il  etablil  son  quarlier  general  h 
Vrecourl,  gardant  aupres  de  lui  le  vicomie  de  Turenne, 
qui  devail  meriler  a  ce  siege  le  litre  de  marechal  de 
camp  ,  Testime  de  son  chef  el  I'honneur  de  devenir 
plus  lard  son  pelil-fils  par  alliance.  Les  Iravaux 
commenceronl  aussilol;  des  balteries  furent  praliquees 
sur    les  collines  les    plus  rapprochees   el   pariiculie- 


—  86  — 

remenl  siir  celle  ile  Frehaut  qui  en  a  conserve  un 
maiivais  renom  dans  le  pays.  Pour  la  premiere  fois, 
les  bombes  el  les  pots  a  feu  allaient  ajouler  aux 
horreurs  de  la  guerre ;  il  n'en  avail  pas  encore  ele 
fail  usage  par  les  Fran^ais  dans  aucun  siege. 

Cependanl  les  populations  voisines  se  Irouvaient 
placees  sous  le  coup  des  premieres  hostilites  ;  sept 
villages  etaient  incendies  el  en  grande  parliedelruils ; 
ceux  qui  reslaienl  avaienl  h  pourvoir  aux  besoins 
du  soldal ,  au  milieu  des  mauvais  irailemenls  el  du 
pillage ;  pour  comble  d'infortune ,  une  epidemic,  la 
suetle  miliaire  ,  exer^ait  dans  le  meme  moment  ses 
ravages. 

Du  cote  des  assieges ,  le  comle  de  Choiseuil  pril 
ses  dipositions  pour  la  defense  en  homme  habile  el 
determine.  II  distribua  les  posies ,  confia  la  garde 
de  chaque  bastion  b  des  capilaines  donl  I'intelligence 
el  la  bravoure  lui  etaienl  coiinues ;  il  divisa  les 
bourgeois  en  compagnies  el  les  astreignil  au  meme 
service  que  la  troupe  reglee  ;  alin  de  menager  les 
vivres,  il  ecarla  l^s  bouches  inutiles  el  soumil  les 
autres  a  une  juste  ration.  Pour  faciliter  les  tran- 
sactions journalieres  el  suffire  a  la  paye  des  troupes, 
il  haussa  le  laux  de  la  monnaie  couranle  el  lil 
frapper  une  monnaie  obsidionale  ,  presenlanl  d'un 
cole  deux  C  enlrelaces  el  couronnes,  et  de  I'aulre 
ces  mols  signilicatifs  qui  rappelaienl  incessamment 
h  chaque  homme  sa  deslinee  presente  :  Vincendum 
aut  pereiindum  ,  vaincre  ou  mourir.  Du  resle  actif, 
infaligable ,  loujours  prel  pour  le  conseil  ou  pour 
le  combat,  inspirant  a  Ions  par  son  exemple  les 
sentiments  genereux  donl  il  elait  anime  :  lels  sonl 
les  trails  qui  retracent  le  caraciere  du  gouverneur 
dans  les  recils  que  nous  avons   lus. 


—  87  — 

Le  siege  dura  pres  de  cinq  mois ,  dii  premier 
Jour  dc  Mars  h  la  fin  de  Juillel  (1654).  Nous  n'en 
suivrons  pas  I'hislorique  point  par  point ;  nous  ne 
raconterons  pas  les  sorties  ,  enlreprises  a  propos  , 
vigoureusement  dirigees  et  souvenl  tres  meurlrieres. 
Les  Frangais  eprouverenl  parfois  des  pertes  consi- 
derables dans  ces  engagements  inopines :  Castel- 
Moron,  fils  du  marechal,  y  fut  blesse  ;  un  gentilliomme 
du  nom  de  Noailles  ,  aussi  briilant  officier  qu'opi- 
niatre  huguenot  ,  y  fut  tue  et  son  corps  fut  inhume 
au  village  de  Mont  pres  de  La  Marche. 

Nous  ne  decrirons  pas  non  plus  les  assauis  dans 
lesquels  les  femmes  ,  placees  derrriere  leurs  maris 
el  leurs  freres  sur  les  remparts  ,  dislribuaient  les 
munitions  ,  chargeaienl  les  mousquels  el  au  besoin 
faisaienl  feu  elles-memes  ;  dans  lesquels  aussi  on 
voyail,  parmi  les  plus  braves,  le  frere  du  gouverneur, 
Euslache  ,  capucin  ,  faisant  fonclion  de  capitaine. 
Comnie  moine,  il  croyait  ne  pouvoir  faire  usage  des 
armes  a  feu  ;  mais  doue  d'une  force  peu  commune, 
il  ne  se  faisai*  pas  scrupule  de  lancer  sur  les  assail- 
lants  des  quarliers  de  roche  ,  a  la  maniere  des  temps 
heroiques. 

Si  nous  n'enlrons  pas  dans  les  dtUails ,  aitendu 
que  lous  les  sieges  d'une  meme  epoque  se  ressembleul 
plus  ou  moins ,  nous  citerons  quelques  fails  qui 
assignenl  au  siege  de  La  Molle  son  caraclere  par- 
liculier. 

Les  femmes  de  la  ville  bravaienl  le  danger  sur 
les  murs  ;  elles  allaient  aussi  le  clierchcr  au  dehors. 
Un  jour,  irente  d'enlre  elles  sorlirenl  des  relranche- 


—  88   - 

menis,  sous  la  conduile  d'une  boileuse,  la  faucille 
a  la  main  ,  comnic  pour  couper  de  I'herbe.  Aussilol 
que  le  corps  le  plus  voisin  s'en  apergul,  les  cadets 
en  grand  nombre  se  delaclierent ,  allereni  a  elles , 
sans  armes  et  empresses  de  saisir  I'occasion  au 
passage.  Elles  leignirent  la  peur  el  se  reiirerenl  pres 
de  la  porle  pour  rentrer  plus  surenienl  dans  laville, 
apres  avoir  execute  leur  dessein.  Quarid  les  jeunes 
soldats  se  fnrent  meles  a  leur  troupe,  sans  defiance 
et  aveugles  par  la  passion  du  moment ,  lirant  h 
rimprovisle  de  dessous  leurs  vetements  des  armes 
qu'elles  y  avaient  cachees ,  el ,  secondees  par  des 
jeunes  gens  deguises  qui  les  avaient  accompagnees, 
e'les  leur  donnerenl  la  mort.  Celle  action  fit  le 
plus  grand  honneur  aux  femmes  de  La  Motle;  celles 
qui  y  avaient  pris  part  devinrent  des  heroines  aux 
yeux  de  tout  Lorrain    fidele. 

L'arlillerie  eiait  habilement  servie  el  aucune  im- 
prudence n'avait  lieu  du  coie  des  assiegeanis,  sans 
qu'elle  fui  promplemenl  expiee.  Le  gouverucur  ayant, 
pour  un  motif  qu'd  imagina,  fait  disposer  des  pieces 
d'arlitice  sur  un  bastion  en  face  duquel  s'elevail ,  en 
penie  douce  et  a  demi-portee  de  canon  ,  la  colline 
de  Frehaul ,  les  soldats,  vers  le  soir,  ne  mauquerenl 
pas  de  venir  prendre  place  h  I'amphiiheaire  si  bien 
dispose  pour  les  recevoir.  Au  moment  ou  leur  atten- 
tion elaii  captivee  par  le  spectacle  du  feu  de  joie, 
un  autre  feu  eclata  soudain  ,  et  les  boulets  et  les 
Lalles  porlerent  la  mort  dans  leurs   rangs. 

Le  chevalier  de  Seneclerre,  jeune  et  joyeux  ollicier, 
ami  du  plaisir  el  fori  pen  soucieux  de  la  raorl, 
avail  invite  ses  amis  a  un  banquet  en  plein  air  el 
en  vue  des  remparts .    sur    le  gazon  ,  aupres  d'une 


—  89  — 

source  d'eau  vivo.  Tandis  que  la  lable  s'elait  dressee, 
du  cole  des  assiegeanis,  sur  !e  bastion  le  plus  pro- 
che,  les  assieges  avaienl  braque  deux  couleuvrines. 
Au  milieu  du  repas,  lorsque  la  joie  commenQail  a 
animer  les  convives,  une  volee  parlit :  la  table  fut 
renversee ,  plusieurs  gentilsbommes  furenl  blesses  , 
I'infortune  Senccierre  eut  les  deux  cuisses  fracassees. 
II  mourul  le  lendemain  a  la  suite  d'une  operation 
qu'il  eut  a  subir  et  fut  enterr6  dans  I'abbaye  de 
Flabemont, 

Les  Frangais  aussi  montraienl  de  la  bravoure, 
mais  non  de  la  fureur.  Quand  le  raineur  fut  attache 
a  la  mnraille,  il  arriva  souvenl  pendant  la  nuit  que 
des  colonels,  lels  que  Nelennecourl,  Praslin  et  Nan- 
leuil ,  de  garde  dans  la  Iranchee,  elevaienl  la  voix 
vers  le  sommel  des  tours  ,  appelaient  les  capilaines 
par  leurs  nonis  et  les  inviiaient  a  capiluler ,  leur 
assurant  que  toule  resistance  etait  vaine  ,  que  la 
ruine  de  la  ville  n'otail  pas  eloignee.  Ceu\-ci  attri- 
buaienl  h  I'inipuissance  el  a  la  ruse  des  avis  que  la 
geoerosite  inspirail   a  de  nobles  ames. 

11  n'y  avail  done  pas  lieu  d'esperer  qu'aucun  danger 
pill  faire  tlechir  des  courages  embrases  par  le  pa- 
Iriotisme  ;  mais  les  ressourccs  de  la  defense  s'epui- 
saient  de  jour  en  jour.  La  garnison  avail  essuye 
des  pertes  considerables ;  I'eau  el  les  munitions 
allaient  manquer  ;  les  renforls  promis  par  le  due 
Charles  n'arrivaient  pas  ;  reveneraent  le  plus  deplo- 
rable devail  aggraver  encore  cetle  situation  critique. 

En  visitant  un  jour  les  posies  et  en  traversani 
le  ponl  du  relranchement ,  le  comte  de  Choiseuil 
fut  aileinl   dans  les  reins  par  un  boulet  el  renverse 


—  90  — 

dans  le  fosse,  on  il  expira,  sans  avoir  le  temps  de 
prononcer  d'autres  paroles  que  Jesus,  Maria !  Ce 
coup  frappait  cliaque  habitant  el  chaque  soldat  de 
la  garnison.  Tons  admiraienl  la  fidelite  el  le  de- 
vouemenl  du  gouverneur ;  tous  cherissaient  en  lui 
les  vertus  palrioliques  les  plus  elevees.  Lecapitaine 
Sarrazin  de  Germainviilers  prit  le  comraandemeni 
en  sa  place,  el  le  secret  de  sa  mort  fut  si  bien 
garde  qu'apres  la  capitulation  ,  le  corate  de  Neten- 
necourl ,  son  parent ,  qui  servait  dans  le  camp 
oppose ,  se  presenta  encore  a  son  hotel  pour  lui 
faire  visile. 

La  vilie  n'esperant  plus  de  secours  de  la  pari  des 
hommes ,  en  demanda  a  Dieu  par  une  demarche 
solennelle  Reunis  dans  I'eglise  coilegiale  dedi6e  a  la 
Vierge  Marie ,  «  le  Mayeur ,  le  Gouverneur  ,  les 
»  Echevins  el  le  Procureur  de  la  Ville  representanl 
»  la  communaule  de  La  Motte  ,  etant  a  genoux 
»  devanl  le  Sainl-Sacremenl  expose  sur  I'autel ,  en 
»  presence  du  Prevost,  des  chanoines  ei  d'un  grand 
»  nombre  d'liabitanis  ,  vouerenl  el  promirent  qu'in- 
»  continent  apres  qu'il  aurail  plu  a  Dieu  de  donner 
»  la  lib(  rte  a  la  Ville  ,  lesdils  representants  de  la 
»  communaute  iraient  par  un  pelerinage  expres  en 
»  la  chapelle  de  Nutre-Danie  de  Bon-Secours-les- 
»  Nancy,  el  de  la  en  I'eglise  Si-Nicolas,  pour  re- 
0  raercier  la  sainle  Vierge  et  le  patron  de  la 
»  Lorraine...  » 

Leur  vceu  ne  fut  point  exauce.  Dans  la  nuit  du 
26  au  27  juillet ,  enlre  minuit  et  une  heure,  une 
explosion  effroyable  se  (il  entendre;  une  luraiere 
rapide  eclaira  les  montagnes  d'alentour ;  par  I'effet 
de   la  mine,    le  bastion   Si-Nicolas  chancelait  ,  bon- 


—  91   — 

dissaii  et  rftombait  avec  fracas  sur  liii-nieme.  Le 
fosse  en  elail  comble  et  la  breche  resultant  de  I'e- 
boulemenl  pouvail  livrer  passage  a  trente  hommes 
de  front. 

Trente  bourgeois  commandes  par  le  sieur  de 
Roncourt,  veillaient  a  la  garde  de  ce  bastion  et  ne 
furent  point  atleinls  dans  leur  poslc.  Pense-t-on 
qu'ils  se  reiirereni  effrajes  el  repandirent  I'alarme 
dans  la  ville?  Non.  lis  se  rangerent  sur  cetfe  bre- 
che, a  la  place  des  murs  abaltus ,  appelant  a  eux 
les  compagnies  d'atlaque ,  les  provoquant  au  com- 
bat par  des  decbarges  reil6rees  de  mousqucterie. 
Toute  la  population  accourut  en  amies ,  prele  k 
repoiisser  I'assaut  ,  s'il  avail  lieu  ;  mais  le  due  de 
La  Force  crut  devoir  atlendre  I'effel  que  celte  nuit 
terrible  produirail  sur  I'esprit  des  habitants.  II  agit 
sagement  el  arriva  a  son  but  sans  elTusi m  de  sang. 
Le  lendemaiii  au  nialin,  le  commandant  de  la  place, 
Germainvillers,  tint  conseil  sur  la  brecLe  meme,  avec 
les  capilaines,  les  principaux  bourgeois  et  le  clerge 
de  la  ville.  Apres  de  vifs  debats  ,  dans  lesquels 
Valteville  soulenait  encore  le  parti  de  la  resistance 
acharnee,  il  fiit  resolu  qu'une  capitulation  honorable 
serait  demandee  au  marechal  de  La  Force.  Elle  fut 
aceordee  sans  trop  de  difficulte,  malgre  I'opposition 
du  vicomie  de  Turenne  ,  qui  reclamait  des  condi- 
tions  plus  rigoureuses,   ou  Tassaut. 

Mailres  dft  la  foricresse  ,  les  Fran^ais  la  garde- 
rent  jusqu'en  1641.  A  cette  epoque,  le  due  Charles 
rentra  dans  ses  droits,  par  suite  d'arrangements  pris 
avec  la  cour  de  France.  Ce  prince,  sans  caraclere, 
sans  loyante  et  sans  autre  qualite  que  la  bravoure 
dans  les  combats,   n'eul  pas  plus  tot  pris  possession 


—  9"2  — 

(le  La  Molle^  qu'il  refiisa  de  remplir  sos  engage- 
ments, prelexlant  qu'on  les  Ini  avail  fait  conlracter 
par  la  ruse,  en  abiisanl  de  son  infoiiune.  Le  ma- 
rechal  de  I'Hopital  ful  envoye  aveo  des  troupes  pour 
reprendre  la  ville.  II  la  tenait,  investie  dej^,  lorsque 
le  prince  Lorrain ,  accourani  celie  fois  ^  la  tele 
d'une  arniee  forraee  a  la  hate ,  lui  tit  quitter  ses 
positions ,  le  battit  el  le  contraignit  d'abandonner 
le  siege.  Le  grand  cordon  du  marechal  ful  trouve 
sur  le  champ  de  bataille,  ce  ful  un  irophee  enlre 
les  mains   du  vainqueur. 

II  y  eul  alors  un  repit  dc  trois  annees  ;  mais  la 
France  nc  se  desislait  pas  de  son  projet.  Au  mois 
de  Decembre  164i,  Magalolti  ,  neveu  du  cardinal 
Mazarin  .  reQut  ordre  d'nlier  s'cmparer  de  la  place. 
Les  travaux  furent  executes  pcndanl  I'hiver  ,  el  la 
tranchee  ne  s'ouvril  qu'au  mois  de  Mars.  Ce  iroisieme 
siege  ne  devail  pas  durer  moins  que  le  premier  ; 
il  devail  ofTrir  egalenient  de  grands  exemples  de 
valeur  el  de  patrioiisme.  Le  baron  de  Clicquol  com- 
mandait  dans  la  ville,  homme  d'un  courage  h  loule 
epreuve  el  d'une  inviolable  lidelile.  On  savait  quelle 
etail  sa  resolution  et  quel  ascendant  il  exer^ait 
autotir  de  lui;  on  avail  essaye  de  le  seduire.  II  fit 
arreter  ct  condamner  a  mort  ceux  qui  s'etaienl 
charges  de  lui  tiansmeilre  dos  propositions  cou- 
pables. 

Sous  un  lei  chef,  la  garnison  el  lee  bourgeois 
se  surpasserenl.  Les  assiegeants  eprouverent  de  graves 
echecs.  Dans  un  assaul  general  que  iMagalotli  livra, 
parce  qu'il  voulail  en  (inir  promptemenl  el  comptail 
sur  !e  baton  de  marechal,  il  fut  force  de  batire  en 
retraite  avec  loutes  ses    forces,  apres  avoir  ete  blesse 


-   93  — 

morlellemeni    d'nn     codp    cl'arquebuse    lire    par    le 
prevost  (111   chapilre. 

On  envoya  pour  prendre  le  commandemenl  dc 
I'armee  lo  marechal  de  Villeroi  qui,  a  i'aide  de  nou- 
veaux  iravauji  ei  a  la  suile  de  nouveaux  combjls, 
contraignil  les  assiegeanis  de  capiluler ,  aux  memes 
conditions  a  pen  pres  que  celles  qui  avaient  ele 
imposees  par  le  due  de  La  Force,  dix  ans  aupa- 
ravant. 

Depuis  plusicurs  jours  la  viile  etail  au  pouvoir 
des  frangais  ,  Ics  conditions  slipu!6es  etaienl  rem- 
plies,  le  sermenl  de  tidelite  au  roi  avait  eto  prete 
par  les  ecclesiastiques,  Ics  officiers  de  justice  el  les 
notables  du  lieu,  enire  les  mains  de  I'intendant  de 
rarmee  Gombaut.  Les  habitants  Irailes  avec  huma- 
nilc  coiiimen^aienl  a  regrelter  moins  ameremenl 
Tissue  de  leur  derniere  lutte.  Tout  a  coup  le  bruit 
se  repand  qu'une  depeche  venue  de  la  cour  de 
France  porle  I'ordre  de  detruire  la  ville  de  La  Molte, 
de  raser  ses  forlilications,  sesediflces  elses  baliments 
lant  publics  que  particuliers. 

Celte  nouvelle  etail  vraie  ;  la  forleresse  avail  coute 
tanl  de  sang  et  d'argent  qu'on  ne  voulail  plus  se 
trouver  a  I'avenir  dans  I'obligaiion  de  la  reprendre, 
si,  par  cas  fortuit,  elle   venait   a  echapper. 

Dans  le  premier  moment,  les  bourgeois  se  repan- 
direnl  dans  les  rues  inlerrogeant  les  frauQais,  s'in- 
terrogeant  les  uns  les  autresel  refusant  d'en  croire 
leurs  oreilles.  Lorsque  I'ordre  de  la  cour  ful  oliici- 
ellemenl  nolilie  ,  leur  desolation  fut  extreme.  lis 
expedierent  en  loule  hale  aupres  du  roi  pour  implo- 
rer  son  humanile  ,   sa  clemence  ;  ils  n'oblinrent  rieu. 


-  m  — 

La  perie  de  La  Molle  avail  ete  irrevocablement  re- 
solue  et  (levait  se  consommer. 

Le  15  juillet  1645,  huit  jours  apres  la  reddition, 
I'intendanl  de  I'armee,  Gombaut,  convoqua  une  se- 
conde  fois  le  clerge,  les  magistrals  et  les  priocipaux 
bourgeois ;  il  ienr  sigoiQa  i'inlenlion  de  sa  majeste, 
et  leur  annoriQa  que  le  siege  de  la  commune  de  La 
Molle,  celui  du  bailliage  el  celui  de  la  seneehaussee 
elaieni  iransferes  a  Bourraont  ,  peiile  ville  dislanle 
de  deux  lieues.  Quant  au  gros  des  habitants,  il  etait 
permis  a  chacun  de  se  relirer  parloul  ou  bon  lui 
semblerait,  avec  ce  qu'il  pourrail  enlever  de  son 
avoir.  Les  villages  voisins  recneillirent  les  fugitifs  , 
parlageanl  leur  douleur,  s'associant  a  leur  destinee 
el  leur  epargnant  au  moins  les  angoi  ses  de  la  misere. 
Des  niiiieurs  et  1,500  paysans  des  elections  de 
Langres ,  Chauraont  et  Bar-sur-Aube,  entreprirent 
aussilol  I'oeuvre  de  la  demolition.  Dans  I'espace  de 
irois  jours,  celte  ville  si  heroique  et  si  digue  d'ad- 
miration,  devint  un  sujei  de  pitie.  Elle  fut  renversee 
dans  ses  fondements  ;  elle  u'offrit  plus  aux  regards 
que  des  monceaux  de  decombres  et  de  ruines.  Chez 
les  anciens,  on  epargnait  au  moins  les  temples  des 
dieux ,  quand  on  condamnait  une  ville  a  perir; 
templis  tamen  Deum  (ita  enim  edictum  ah  rege  fuerat) 
temperatum  est,  dit  Tile-Live,  en  parlant  de  la  ruine 
d'Albe.  L'eglise  de  La  Motle ,  monument  d'une 
grande  importance,  fut  couchee  avec  les  autres  edi- 
fices sur  le  sol.  En  presence  des  resles  deplorables 
de  la  ville,  un  poete  du  pays   put  s'ecrier  : 

0  niurs  qui  serviez  de  remparts 
A  DOS  provinces  desolees, 
Vous  n'etes   plus  que  mausulees 
Pour  enterrer  nos  dtendards  ! 


—  95  — 

Nous  avons  eu  recemmenl  I'occasion  de  visiter 
les  ruines  de  La  MoUe.  On  apercoit  de  plusieurs 
lieues  sa  moutagne  qu'il  est  aise  de  dislinguer  entre 
toutes,  car  elle  est  depouillee,  entierement  nue,  et 
les  aulres  sonl  couronnees  de  forels.  En  attendant 
qu'elle  soit  boisee  ,  selon  le  projet  de  deux  com- 
munes qui  revendiquent  la  propiiete  du  plateau,  on 
dirait  qu'elle  subit  I'effel  de  I'arret  qui  I'a  frappee, 
et  qu'elle  demeure  placee ,  comme  d'autres  villes 
plus  celebres,  sous  une  sorle  de  malediction.  Les 
premieres  rampes  conduisent  a  la  ligne  des  fortifi- 
cations exterieures  et  sonl  pen  escarpees  ;  mais  la  col- 
line  redresse  tout  h  coup  ses  flancs  abruples  et 
6leve  bien  haul  le  plateau  qui  comprenail  la  se- 
conde  enceinte  et  la  ville  meme.  A  quelque  distance, 
elle  a  la  forme  d'un  tombeau  giganlesque;  aujour- 
d'hui,  en  effet ,  ce  n'est  pas  autre  chose.  Elle  ne 
presenle  aux  yeux  que  des  pierres  de  construction 
entassees  ou  dispersees,  veritables  ossemenls  d'une 
cite.  Les  habitants  d'alentour  conservenl  reli^ieu- 
sement  le  souvenir  de  son  existence  et  de  sa  vieille 
renommee  ;  ils  en  parlent  avec  flerte;  ils  exposent 
au  dessus  de  la  porte  de  leurs  maisons  les  boulels 
et  aulres  projectiles  que  le  soc  de  la  charrue  met 
parfois  a  decouvert  dans  les  champs.  De  notables 
families  se  piquent  de  descendre  de  la  bourgeoisie 
de  La  Molte.  Mais  les  regrets  accordes  a  la  ville 
ensevelie  n'empechent  pas  de  troubler  chaque  jour 
sa  cendre  :  quiconque  a  une  maison  ou  un  mur  a 
construire  ,  tire  de  ses  fondations  les  principaux 
materiaux  dont  il  a  besoin. 

II  n'y  a    done,    sur  I'emplacement   de  La  Motte, 
plus  rien,  rien  que  des  carri^res  et  de  grands  sou- 


—  96  — 

venirs.  Mais,  le  plan  ^a  la  main,  il  esi  facile  de  re- 
trouver  le  lieu  de  chaque  edifice  public,  de  I'eglise, 
du  gouvernenienl,  des  rues ,  el  surloul  des  grands 
iravaux  niililaires  qui  couvraient  la  moniagne  comme 
une  cuirasse  couvre  la  poilrine.  Alor.s  on  se  re- 
fuse a  comprendre  pourquoi  une  ville  si  pleine 
d'aclivile  el  avec  une  si  vaillante  population,  a  du 
passer    brusquement    de    vie  a  ircpas  ,    ainsi   qu'un  i 

homme  frappe  de  morl  subilo  a  la  fleur  de  ses  ans.  ' 

On  deplore  au  dedans  de  soi  les  injuslices  el  les 
cruauies  que  I'inlerel  ualional  a  commandees  sou- 
venl. 

Si  Ton  veul  delourner  le  regard  de  ce  vasle 
cbamp  de  deuil  el  le  porler  aulour  de  soi,  il  n'y  a 
pas  dans  la  conlree  de  poinl  de  vue  plus  eiendu , 
de  campagne  plus  riche,  plus  variee  el  plus  digne 
d'inierel. 

Ce  soni  les  collines  ou  les  balieries  frangaises  || 
avaienl  eie  elablies  el  sur  une  desquelles  il  esi  de 
Iradilion  que  Turenne  poinlait  lui-meme  les  pieces. 
Ce  sonl  des  villages  au  nonibre  de  vingl  a  vingt-cinq, 
que  I'oeil  comple  sans  peine  el  donl  les  plus  rappro- 
ches  fureni  occupes  par  nos  iroupes  duiaul  les  Irois 
sieges. 

C'osl  la  plaine  de  Bulgneville  ou,  le  2  Juillel  de 
I'annee  Uo4  ,  Rene  d'Anjou  ,  disputant  a  Antoine 
de  "Vaudeniont  la  succession  de  Charles  11 ,  due  de 
Lorraine ,  ful  complelemenl  ballu ,  el  ou  fut  blesse 
morlellemenl  Barbazan  qui  commandait  les  iroupes 
fran^aises  au  service  de  Rene  pour  I'espedilion , 
Barbazan  ,  le  chevalier  sans  reproche.  Le  pont  jele 
sur  le  ruisseau  qui  divise  la  plaine  porle  encore 
ce    nom  ,  un  des  plus  glorieux  de   nos  annales. 


—  97  — 

C'esl  encore  le  chene  des  parlisans  ,  c^l5bro  dans 
la  coniree,  leqiiel  doniine  de  loiilc  la  lele  les 
aiilrcs  arhres  de  la  forel  el  presenlc  iin  Ironc  de 
9  melrcs  de  circonterence.  Age,  dil-on,  de  plus  de 
qualre  siecles  ,  il  a  servi  de  guidon  pour  la  reunion 
des  bandes  armees  qui  se  jelaienl  a  I'improvisle  de 
Lorraine  en    France;  de  la  lui  viendrail  son  nom. 

Enlin,  si  la  vue  s'eleve  el  se  dirige  vers  un  des 
points  extremes  de  {'horizon  ,  die  rencontre  les 
croupes  aliieres  des  Vosges  el  les  sommets  vaporeux 
du  Jura. 

Nous  avons  eprouve  de  vives  impressions  en 
lisanl  riiisioire  de  La  Motte  el  en  visitant  ses 
ruities  ;  nous  nous  etions  engage  |)ar  reconnaissance 
h  lui  consacrrr  un  Caible  souvenir.  Maintenant  que 
nous  venous  de  nous  acquitlerde  noire  voeu,  comuie 
nous  Tavons  pu ,  h  Taide  de  notices  maniiscriles 
Ires  imparfailes  el  de  la  tradition  locale  ,  il  nous 
resle  a  desirer  que  I'hommage  ne  soil  pas  jiige  trop 
indigne  dc  cetle  ville  inforiunee. 


I. 


-    98 


Seance  du  28  Novembre   4S5^. 


Lecluie   de  M,  G('rardiD. 


COMMENT   HENRI    HI    PUT   tlV    UOI   DK   POLOGNE, 


Tom  le  monde  sail  qu'avant  de  parvenir  au  lr6ne 
de  France,  Henri  de  Valois  ,  due  d'Anjou,  ful  elii  roi 
de  Poiogne.  cl  qu'il  alia  faire,  pendant  quelques  mois 
a  Varsovie  ,  un  innlile  apprenlissage  de  la  rojauie. 
L'hisloire  de  ce  regne  si  court  ne  merite  point  d'etre 
ecriie  el  n'offre  aucun  fail  reinar(]uable  ;  mais  les 
circonslances  qui  ont  precede  Telection,  les  rivalites 
des  compelileurs  el  les  habiles  negocialions  do  Jean 
de  iMontluc,  ev^que  de  Valence,  sont  raconlocs  dans 
les  memoires  du  xvi''  siecle  el  offrent  des  details 
curieux.  A  celte  epoque,  oii  la  violence  el  la  crnaule 
ven;iienl  trop  souvenl  en  aide  a  la  politique,  il  esl 
inierossant  de  voir  un  negociateur  adroil,  sans  soldats, 
sans  argent,  denouef  une  intrigue  asscz  compliquee, 
el  arriver  a  son  but  par  la  persuasion,  sans  recourir 
a  la  corruption  ni  a  la  violence.  Jean  do  Montluc 
niontra  plus  de  talent  pour  assurer  la  couronne  a  son 
maitre,  que  celui-ci  n'en  deplova  pour  la  conserver ; 
personne  n'ignore  commenl  Henri  HI,  a  la  nouvelle 
de  la  mort  inattendue  de  son  frere  ,  s'echappa  de 
nuil,  comme  un  fugilif,  du  palais  de  Varsovie,  pour 


—   99  — 

aller  proiuener  dt;  cour  en  cour,  pendant  pliisieurs 
mois,  son  oisive  inajesie.  Mais  ce  que  les  hisloriens 
(le  France  ne  disenl  pas,  absorbes  qu'ils  sonl  par 
les  calasirophes  du  royaume  a  ceile  epoque,  c'esi  bi 
simation  de  la  Pob)gne,  el  le  singnlier  conconrs  de 
circonslances  par  lequel  un  prince  fian^ais  monla  sui' 
ce  irone  eloigne.  Copendanl  les  maleriaiix  ne  man- 
quenl  pas  pour  conibler  celle  lacune  ;  Jean  do  Moniluc 
dil  qu'il  ecrivil  plus  de  dix  rames  de  papier  pour 
assurer  le  succes  de  sa  negociaiion  :  cclle  volumi- 
neuse  correspondance  a  peri  el  merilo  pen  de  regrels. 
Mais  I'evdque  de  Valence  avail  pros  de  lui  un  secre- 
taire inlclligcnl,  Jean  Uioisnin  qui,  apres  son  retour 
en  France,  redigea  la  relation  de  Tambassade,  el  c'esl 
d'aprcs  ce  curieux  volume  que  je  veux  essayer  de 
raconler  comment  Henri  III  devinl  roi  de  Pologne. 
Ce  fut  en  1571  que  Caiberine  de  Medicis  ,  donl 
I'ambilion  inquiete  elail  loujours  en  eveil  ^  consul 
I'idee  d'assurer  a  son  lils  le  Irone  de  Pologne.  Ce 
n'eiail  pas  le  premier  jdan  qu'elle  forinail  pour  la 
grandeur  du  jeune  prince  :  rien  ne  faisait  prevoir  qu'i| 
diil  bienlol  beriter  de  la  couronne  de  France.  Qui 
cul  dil  que  Cbarles  IX  mourrait  trois  ans  apres  , 
a  la  lleur  de  lage,  apres  avoir  eu  le  temps,  malgre  sa 
jeunesse  d'atlacher  h  son  nom  d'borrib'es  souvenirs  ? 
Suivaul  un  bistorien  conlemporain  ,  la  reine-niere 
elail  tourmcnlee  par  un  boroscope  qui  lui  predisail 
qu'elle  verrail  regnerse  trois  fils  ;  deja  la  morl  pre- 
maturee  de  Francois  II  avail  realise  une  parlic  de  la 
propbetie.  Pour  delourner  ce  lacbeux  presage,  elle 
voulul  doniier  au  due  d'Anjou  une  couronne  an  de- 
hors, el  il  est  certain  qu'elle  forma  des  plans  cbime- 
riqucs.   D'abord  Castelnau  ,  le  plus  actif  ncgociateur 


—   100  — 

du  XVI*  sikle  ,  raconle  qu'il  fut  charge,  pendant  une 
de  ses  aniliassades  en  Anglelerre,  de  demander  pour 
le  jeiine  prince  la  main  d'Elisabelh  :  c'elail  une  cora- 
binaison  bizarre  que  de  vouloir  unir  un  prince  presque 
enfant  avec  une  reine  qui  louchail  a  la  quarantaine; 
un  prince  calholique  avec  une  reine  proleslanie  ,  le 
be.TU-frere  de  Marie  Sluarl  avec  celle  qui  la  icaait 
prisonniere  en  attendant  I'echafaud.  La  reine  d'An- 
glelerre,  qui  refusa  plus  de  prelcndanis  que  son  pore 
Henri  Vlll  ne  fit  perir  de  femmes,  rejeta,  apres  bien 
des  longueurs,  I'ollre  de  Castelnau.  Alors  Catherine 
de  Medicis  consul  un  plan  plus  singulier  encore  : 
elle  voulail  negocier  avec  le  sultan  Sdliin  II  pour 
faire  obienir  an  due  d'Anjou  I'investilure  du  royaume 
d' Alger. 

Jean  de  Moniluc  (it  comprendre  a  la  reine  combien 
ses  fsperances  elaiont  chimeriques  et  lui  rcpresenla 
que  le  trone  de  Pologne  elail  eleclif ,  que  le  dernier 
dt'S  Jagellons,  Sigismond  Augusle  II,  doja  au  bord  du 
tombeau,  n'avait  point  d'enfanl,  et  que  le  due  d'Anjou 
pourrail  peut-etre  occuper  ce  trone  bienlot  vacant. 
Catherine  se  rendil  h  ces  raisons  ;  deux  plans  diffe- 
renls  lui  fiirenl  suggcres  par  I'^veque  de  Valence  : 
comme  lesPolonais,  quoique  elisanl  leur.s  rois,  avaienl 
toujours  moiilre  beaucoup  d'attachement  a  la  dynastie 
des  Jagellons  ,  on  pouvait  songer  a  faire  opouser  au 
due  d'Anjou,  la  sceur  de  Sigismond,  ou  bien,  et  cc 
fui  h  ce  dernier  plan  qu'on  s'arrela,  il  fallail  simple- 
ment  atlcndre  la  vacance  du  trone,  el  alors  presenter 
aux  suffrages  de  la  noblesse  polonaise  un  prince, 
heritier  d'unc  race  glorieuse ,  et  apparienant  a  une 
nation  aimce  des  Polonais. 

II  ne  faul  pas  se  figurer,  que  malgre  les  distances. 


—   101   — 

la  France  el  la  Cologne  fusseiil  aluis  toul-ii-faii  ^trao- 
g^ies  I'une  al'autre:  soiiveni,  dans  les  guerres  conlre 
les  Tiircs,  des  Polonais  el  dcs  Francais  elairnt  veiuis 
combaiue  avec  les  llongrois ;  outre  cela.  les  voyages 
elaieni  moins  rares  an  xvi«  siecle  qu'on  ne  le  pense 
comniuncmcni ;  doja  Monllnc  elaii  al!e  en  Pologne  , 
et  nn  noble  Polonais ,  nomine  Crasoski  ,  ;venail  de 
qniuer  la  conr  de  France  ou  il  avail  eie  combic  de 
prevenances.  De  rclonr  dans  son  pays ,  il  commen^a 
5  I'aire  des  parlisans  au   dnc  d'Anjou. 

Avanl  de  s'embarquer  dins  celle  negocialion  ct 
d'envoycr  une  ambassade  en  Pologne,  la  reine  vonliit 
s'assnreren  secret  des  dispositions  dts  Polonais  :  elle 
choi^it  pour  cette  mission  Balagny  ,  Ills  de  Jean  de 
Montluc,  qni  devinl  dcpnis  mareclial  de  France,  et 
fill  cliasso  de  son  gouvernemenl  de  Cambray  par  les 
habitants  indignes  de  ses  violences.  II  elail  alors  a 
Padone,  s'exer^anl  au  metier  des  amies  ;  il  re?ul  les 
instructions  de  la  cour  et  Tordre  de  parcourir ,  sans 
aucnn  caractere  olficiel ,  lEmpire,  la  Pologne,  le 
Danomark  el  la  Suede.  Dans  nn  chateau  du  Tyrol  , 
prcs  d'Inspruck,  il  vil  I'archidiic  Ferdinand;  a  Vienne, 
I'empercur  Maximilien  II ,  qui  esp6rait  le  Irone  de 
Pologne  |)our  son  jeune  Ills  I'archiduc  Ernest,  et  qui 
ne  soup^onna  point  le  bul  du  voyage  do  Balagny. — 
Celui-ci  ne  trouva  pas  le  roi  Sigismond  a  Varsovie. 
Ce  vieux  prince  (jui,  (lepuis  deux  ans,  relenu  par  de 
continuelles  soulTranccs,  n'etait  pas  sorti  de  sa  capi- 
lale,  avail  ele  oblige  de  fuir  devanl  une  maladic  plus 
terrible  qne  celle  qui  le  minail.  La  pesle  desolait  la 
Pologne,  et  le  roi  etail  alle  cliorcber  un  ret'nge  en 
Lilhuanie,  palrie  originaire  de  sa  famille,  au  chateau 
de  Knicbin.  Le  voyage  redou!)la  ses  soulTrancrs  et  no 


—  102  — 

ponvaiU  accorder  une  audience  a  Balagny,  il  le  re- 
conimanda  aiix  grands  digniiaires  do  la  Pologne  qui 
lui  firenl  uii  accenil  plein  de  bionveillance.  L'eveque 
de  Cracovie,  le  vice-cliancelier  de  Lilluianie,  lo  ma- 
rechal  Radzival  doployerent  pour  le  ivcevoir  lout  le 
luxe  de  rii\>spiialiie  polonaise,  el  il  ne  pouvail  trop 
admirer  les  allures  guerrieres  de  ses  liOles ,  leurs 
arnies  ,  leurs  beaux  chevaux  ,  el"  les  vins  rares  el 
varies  servis  sur  ces  tables  auiour  desquelles  on  par- 
lait  fian^ais  aussi   puremenl  qu'a  Paris, 

Le  roi  Sigismond   mourul  le   7  juillet  loT^,  el, 
d'apres  Ic   leraoignage  de  Cboisnin  ,     il  ne  lul  pas 
Ires  regrelle.  Cependant  on   devail  reconnailrc  a  sa 
louange  que   pendanl  son  long  regne,  les  progres  de 
la  reforme  n'avaienl  amene  en  Pologne  ,   ni  guerrcs 
civiles  ,  ni  ces  apres  animosiies  qui  ailleurs  avaient 
fait  verscr  lanl  de  sang.    C'etait  a  Varsovie  qu'avait 
lieu  d'ordinaire  Timposanle  ceremonie  des  funerailles 
des  rois:  mais  les  palatins,  a  cause  de  la  peste,  reste- 
rent  en  Liihuanie.  On  exposa  le  corps  du  roi ,   v6tu 
d'un  pourpoinl  et  d'une  robe  de  damas  cramoisi,  le 
visage  et  les  mains  nues  :  au  bord  du  lit  I'unebrc,  on 
voyait  f=es  amies,  une  pique,  des  ganleleis,  une  ron- 
defled'acier  ;audessus  flotiail  une  banniere  de  damas 
cramoisi,  avec  une  aigle  blanche  h  une  tete ;  snr  un 
oreiller  de  velours  elaienl  deposes  les  insignes  de  la 
royaute,  I'epee  royale,  la  ceinlure,  le  scepire,  et  \\n 
globe  d'or  surmonle  d'une  croix.   L'eveque  de  Cra- 
covie celebra  la  messe,  et  on  ne  peul  omeiire  un  fait 
bien  remarquable  pour  le  temps  :  les  seigneurs  pro- 
lestanls  y  assislerent  comme  les  caiholiques  ;  les  grands 
dignitaires  remirenl  a  l'eveque  les  insignes  de  la  ro- 
yaut6  afin  qu'il   en  ornal    une  derniere  fois   le  roi 


-    lO.*^    - 

ileliiiJl.  Mais  li  grande  coiiroiiin;  do  PologDC  do  |>ul 
elre  placee  siir  sa  lele  ;  elle  etail  deposee,  6  quelques 
lieues  de  li,  dans  une  forlerosse  enlouree  de  marais, 
oil  clail  le  Iresor  royal,  el  il  e'.ail  defendu,  apres  la 
morl  du  roi,  d'y  laisser  penelrer  personne. 

Pcu  de  leiiips  apics  la  cdromonie,  Balagny  ,  qui 
avail  gagne  beaucoiip  de  pariisaiis  a  la  France  el 
au  due  d'Anjou  ,  mais  qui  ne  pouvaii  prolonger 
ulilemeril  son  sojour  en  Pologiie  puisqn'il  n'avait 
pas  d'insiruclions  officiellos  ,  descendil  la  Vislule 
jusqu'a  Danlzick  ,  visila  celle  ville  alors  polonaise  et 
deja  florissante  ,  el  s'cmbarqua  pour  coniinuer  ses 
voyages  sur  VAnge ,  vaisseau  marchand  de  Fecamp 
qui  se  irouvail   dans  le   poil. 

Cailierine  de  Medicis  ,  en  recevatU  la  nouvelle  de 
la  morl  du  roi  de  Pologne ,  donna  mission  & 
Montluc  d'aller  demander  la  couionne  ponr  le  due 
d'Anjou.  L'eveque  de  \alence,  qui  connaissail  dcja 
la  Pologne  ,  el  qui  pendanl  le  regiie  de  Francois  !••■ 
avail  eie  charge  d'une  negocialion,  ne  pul  refuser, 
malgre  son  age  ,  d'obeir  aux  desirs  de  la  cour.  11 
fallail,  pour  cetle  anibassade  ,  un  homine  de  robe 
longue ,  dil  Choisnin  ,  qui  sut  aller  et  venir ;  il 
fallail  surloul  un  liomme  habiiue  a  parler  el  a  ecrire 
en  latin  ;  Moniluc  remplissait  bien  ces  conditions. 
II  eul  voulu  s'adjoindre  le  savanl  Pihrac  ou  Joseph 
Scaliger :  mais  le  premier  resia  a  Paris  ou  la  cour 
le  cbargea  d'une  a|)ologie  de  la  Si-Barihelemi  ,  et 
le  second  ne  voulul  pas  quitter  Geneve.  A  Strasbourg, 
l'eveque  de  Valence  renconira  JeanBa;:in,  procureur 
»le  la  prevote  de  Blois.  horn  me  bien  verse  aux  h'(tre$  , 
el  I'emmena  avec  Ini. 


—  loa  — 

Monlluc  quilla  Paris  le  17  aoul,  hull  jours  avanl 
la  Si-Barlheletrii ,  cl  ful  relemi  Irois  jours  a  Sainl- 
Dizitr  par  line  indisposilion.  x\pres  le  massacre,  il 
coiirul  les  plus  grands  dangers  ;  il  avail  Innjours 
favorise  les  proleslanls,  el  uii  sccrelaire  de  l'e\eque 
de  Verdun  mil  a  sa  poursuile  line  comjiagnie  de 
soldals.  Moniluc  ful  arrele  h  Sainl-MihitI  el  amene 
prisonnier  a  Verdun  ;  mais  il  irouva  moyen  de 
I'aire  parvenir  promplement  a  la  cour  la  nouvellc 
de  sa  caplivitc  ,  el  le  roi ,  ainsi  que  Catherine  de 
Medicis  ,  se  monlrerenl  irriies  du  Iraitemenl  qu'il 
avail  souirert.  On  Irouve  dans  les  memoires  de 
Choisnin  les  leilres  de  la  reine-mere  el  du  due 
d'Anjou  ,  adiessees  a  I'eveque  de  Valence  :  Je  ne 
mets  point  ici,  dil  I'auleur  ,  la  lellre  du  roi,  puree 
qu'il   y    a  affaire  de   conseqwnce . 

Celle  lacune  esl  regreilable:  une  lellre  de  Cliarles  IX, 
dalee  du  o  seplembre  1572  ,  serail  un  document 
hislorique  precieux. 

A  Frand'ori,  iMonlluc  eul  une  avenlure  singuliere 
el  qui  peinl  lidelemenl  les  nioeurs  de  I'epoque. 
On  sail  que,  pendanl  les  guerres  de  religion,  les  pro- 
leslanls soudoyerent  ea  Allcmagne  des  baiides  de 
Reiires.  La  iS'oue,  un  des  hommes  les  plus  remar- 
quables  du  parii  proleslant ,  raconle,  dans  ses  me- 
moires, comment  I'amiral  de  Coligny  el  les  aulres 
chefs  du  p.irli  se  coliserent  pour  acheler  les  secours 
de  ces  avides  mercenaires.  Apres  le  iraile  de  Long- 
jumeau  il  ful  ires  dinicile  de  les  faire  sorlir  de  France, 
ou  ils  avaient  pris  I'habilude  du  pillage.  Caslelnau  ful 
envoye  par  la  cour  pour  negocier  avec  cux  ,  el  il 
ne  remplit  jamais  une  plus  diflicile  mission ;  il 
eourul   do  grands  dangers.    Cependanl    il   ablint  la 


—  105  — 

relraiie  des  Alleinands ,  h  contliiion  qu'on  leur 
paierail  six  raois  dc  sokle  a  Francfort,  dans  tin  href 
delai  :  il  ne  dil  poinl  si  rcngagtMncnl  ful  rompli  ; 
mais  le  grand  avantage  qii'oflVenl  de  nonibrcn.v  me- 
moircs  du  xvi'  siecle,  c'esl  dc  se  conlrolor  les  uns 
paries  aulres  ,  el  ii  parait,  d'ap-es  Choisiiin,  que  les 
Roiires  altendaienl  encore  leur  argent  en  1572.  qualre 
ans  apres  leur  rclraite.  Des  qu'ils  apprirenl  I'arrivee 
de  Monlliic,  iis  so  saisirenl  de  ses  elTels  ,  de  ses 
chevaux,  prelendant  que  c'etail  leiir  droit  et  que 
Charles  IX  lenr  avail  engage  h*s  hiens  de  ses  siijels. 
L'ambassadeur  se  piaignil  au  senal,  ct  dii  au\  Reilres 
qu'ils  perdaient  leur  peine  ,  vu  qu'il  n'avait  poinl 
d'argenl. 

Cei  argument  decisif  flit  plus  utile  a  Monlluc  que 
la  sentence  du  senal  de  Francfort  ;  il  put  continuer 
son  voyage  ,  traverser  incognito  la  Saxe,  dont  le  due 
se  irouvail  alors  en  Daneraark,  el  enlrer  en  Pologne 
vers  la   mi-oclobre. 

La  vacance  du  Irone  tr.etlail  en  niouvernenl  bieu 
des  andjiiions  :  le  czar  de  I5nssie,  Ivan,  el  le  roi  de 
Suede,  dont  la  femme  etait  soeur  de  Sigismond  do 
Pologne,  pretendaienl  vainement  a  la  couronne. 

L'empereur  Maximilien  11,  b(\au-()ere  de  Charles  IX, 
appujait  {'election  de  Tarchiduc  Ernest  et  ,  depuis 
plusieurs  annees,  I'abbe  Cyre,  represenlanl  de  I'Au- 
iriche  ,  menageail  des  partisans  a  ce  jeune  |)rince. 
Apres  la  mort  de  Sigismond ,  l'empereur  envoya,  en 
qualite  d'ambassadeurs  ,  deux  grands  seigneurs  de 
Boheme,  qui  llrenl  leur  entree  en  Pologne,  avec  une 
suile  nombreuse,  sans  meme  averlir  le  senal  de  leur 
arrivee.  Ce  procede  froissa  la  susceplibilite  des  Polo- 
nais  ;  les  intrigues  des  amhassadeurs  Autrichiens,   c\ 


—  106  — 

surloul  des  lellres  saisies  a  la  froiilieie  oij  la  iialiou 
polonaise  etail  designee  par  les  mols  de  gens  inepta 
et  barbara ,  accnirent  le  meconlenlcmenl  de  la  no- 
blesse. 

L'eveque  de  Valence  agil  avec  plus  de  reserve :  il 
adressa  au  senal  une  lelire  dans  laquelle,  apres  avoir 
enumere  les  quali:es  du  due  d'Anjou  ,  il  exposail 
adroiiemenl  les  raisons  qui  devaieni  deiourner  les 
Polonais  de  tout  autre  choix  ;  le  czar  eiail  un  barbare 
el  suivail  la  religion  grecque;  le  roi  de  Suede  ne 
pouvail  gouverner  deux  royaumos  si  eloignes,  el  son 
fds  n'avait  que  huil  ans;  Tarchiduc  Krriesl  elail  irop 
jeune.  Quanlau  parii  qui  desirail  un  roi  polonais,  il  elail 
peu  nombreux  el  Moniluc  savail  bien  que  la  noblesse 
n'obeirail  pas    volonliers  \x  un  roi  lire  de  son  sein. 

Toul  semblall  done  favoriscr  les  desseins  de  l'e- 
veque de  Valence  lort-que  la  nouvelle  de  la  Sl-Bar- 
ihelemi  arriva  en  Pologne  •,  elle  y  causa  une  borreur 
difficile  a  decrirc.  Celic  noblesse,  brave  et  gcnereuse, 
detesiail  les  guerres  civiles ;  el  la  rcforme  ,  parloul 
sanglante,  n'avait  pas  mis  les  amies  aux  mains  des 
Polonais  :  les  dames,  dil  Choisnin,  parlaicnt  du  massa- 
cre avec  telle  effusion  de  larmes,  comme  si  elles  eussent 
ete  presentes  a  I'execulion.  Cboisir  pour  roi  le  due 
d'Anjou,  dans  de  idles  circonslancfs,  c'elail  peul-eire 
introduire  en  Pologne  riniolerance,  la  persecution  el 
la  guerre  civile.  —  Les  proteslants  ne  cachaienl  pas 
leurs  inquietudes  h  eel  cgard  el  Moniluc,  comprenanl 
la  difficuhe  de  sa  position,  desavoua,  autant  qu'il  lui 
ful  possible ,  les  cruaules  allribuees  h  la  cour  de 
France,  le  Connin  ,  que  le  senal  lui  avail  assigne 
comme  residence,  il  rel'ulail  ies  faux  bruits  repandus 
siir  les  projets    sanguinaires    dn   due   d'Anjou  ;    et , 


—   107  — 

avec  line  activile  nierveilleuse ,  il  ecrivait  jtisqu'a 
trente  lelties  par  jour,  se  laisait  des  partisans  parini 
les  Castellans  et  les  Palitins,  ei  repondail  aux  pam- 
phlets et  aux  lilielles  publics  centre  la  France.  II 
avail  snrtoui  a  killer  contre  la  niiilveillance  des  Fran- 
(;ais  elablis  en  Pologne;  ils  se  montraieiil  encore  plus 
opposes  que  les  protestanls  h  relcctioii  d'un  prince 
fran(;ais. 

Lc  jour  de  la  I'eie  des  Rois,  la  diete  des  nonces 
terrestres  ou  deputes  des  palalinals  ,  sc  reunil  i)Our 
fixer  le  lieu  et  I'epoqiie  de  I'election  ;  elle  I'ul  ajournee 
au  5  avril  ,  a  "Varsovie.  Le  4  avri!  ,  les  bords  de  la 
Vistule  presentaient  un  spectacle  imposanl:  50,000 
gcntilshommes  se  trouvaienl  reunis  autour  de  Varsovie; 
a  une  lieue  de  la  ville  s'elevait  une  vaste  lente  ;  lar- 
chevcque  celebra  une  messe  solennelle ;  ensuitc , 
calholiques  el  prolestants  chanierent  le  Veni,  Creator 
pour  appeler  sur  I'election  la  benediction  du  ciel. 
Suivant  la  coulume  de  Pologne,  on  entendil  succes- 
sivement,  les  jours  suivants  ,  les  ambassadeurs  des 
diverses  puissances.  Le  cardinal  Commendon  .  legal 
du  pape,  celebre  pour  avoir  negocie  la  courle  recon- 
ciliation du  Saint  Siege  el  de  I'Angleterre  ,  sous  le 
regne  de  Marie  Tudor  ,  oblinl  le  premier  la  parole. 
11  fit  un  discours  grave,  mesure,  elegant,  mais  il  ne 
conclul  en  faveur  d'aucun  des  coinpetiteurs.  Pourvu 
que  le  roi  de  Pologne  fui  calbolique  ,  et  il  n'y  avail 
pas  de  doute  A  eel  egard,  peu  importail  au  Saint 
Siege  qu'on  choisil  un  Autrichien  ou  un  Fran(;ais.  Le 
grand  burgrave  de  Rosemberg,  anibassadeur  de  Maxi- 
milien,  pronon^a  d'une  voix  i'aible,  une  froide  haran- 
gue qui  eul  |)eu  de  succes.  Le  lendeinain,  I'eveque 
de  Valence  devait   etre  entendu  ;    mais  aliu  d'avoir 


-  108  — 

connaissance  du  discouis  de  Rosemberg  el  de  pou- 
voir  le  refiiter,  Moniluc  prelexta  nne  maladie  el  obtinl 
un  delai  de  qiielqiics  joiirs:  le  grand  biirgrave  s'ciait 
corilenle,  a  I'exemple  drs  aulres  ambassadcurs,  de 
dislribuer  aiix  palalins  32  copies  do  son  discours. 
Monlinc  fil  davanlage;  il  compril  que  rimprimerie 
n'elail  jamais  plus  mile  qu'en  lemps  d'eleclion,  el  il 
fil  lirer  socrelemenl  un  grand  nombre  d'exemplaires 
de  sa  harangue,   en  lalin  el  en  polonais. 

L'orateur  avail  eu  soin  d'exagerer  les  avanlages 
que  la  Pologne  lirerail  de  releclion  du  due  d'Anjou  • 
il  venail  d'un  pays  cloigiic ,  donl,  par  conscquenf, 
on  n'avail  rien  k  rcdouler  ;  il  forulerail  a  Cracovie 
une  univcrsile  sur  le  modele  de  ceile  de  Paris  ;  il 
depenserait  dans  son  nouveau  rojaume  le  revenu 
de  ses  riches  apanages.  Qunnl  a  la  Sl-Barihclemy  , 
il  ne  fallail  I'impuier  ni  au  roi,  ni  au  due  d'Anjou, 
mais  h  la  fureur  sanguinaire  de  la  populace.  —  Cc 
discours,  plus  habile  que  v6ridique,  fiii  accueilli  avec 
enlhousiasme.  —  Lc  jour  de  rdleciion ,  la  dido 
noblesse,  dil  Choisnin,  avant  que  dedelibercr  chacune 
en  son  quartier ,  se  mil  a  gcnoux,  ei  la  plus  grande 
parlie  acec  larmes  frent  leurs  prieres ,  clianterent 
une  hymne  au  Saint- Esprit  ;  el  faut  confesser  qu'il 
n'adinnt  jamais  cho%e  semblahle  a  cdle-ld,  car  incon- 
tinent Icur  oraison  faile,  la  par  tie  franQaxse  se  trouva 
en  lous  Ics  palatinats  si  grande,  que  les  autres  avaienl 
presque  honle  de  lenir  k  parti  conlraire ,  qui  fut 
cause  qu'en  mains  d'une  heure  nous  emportdmes  la 
pluralite  des  voix. 

Le  due  d'Anjou  ful  proclame  roi  de  Pologne. — 
Celie  unanimile  si  louchanle,  ce  naif  enlhousiasme, 
cetle  election   si  calme  ou  pas  un  sabre    ne   soriii 


—  109  - 

(In  I'ourreau,  ofiVenl  une  dos  scenes  les  plus  remar- 
quahlos  de  I'liisloire  de  Pologtie  Qui  cut  dil,  a  voir 
ces  milliers  de  cavaliers  iiilaligables ,  ces  brillanlcs 
armures,  celte  noblesse  inielligenle  el  brave,  que  les 
Polonais  n'elaieol  pas  un  grand  peuple?  El  copen- 
danl  celle  consiilulion  reposaii  sur  des  bases  bien 
fragile  s:  so  ixanle  ou  quaire-vingt  mille  nobles  peuveni 
former  une  armce  beroiqne ;  ils  ne  sonl  pas  une 
naiion  :  que  irouvons-nous  derriere  celle  pliaiange 
brdlante  ,  sinon  des  serfs  qu'on  vend  avec  la  lerre 
qu'ils  culiiveni?  A  quoi  aboulirenl  ces  eleclions  de 
rois  eirangers  ,  sinon  a  eveiller  des  ambitions  ri- 
valcs  el  a  amener  de  lerribles  catastrophes  ?  Mais 
au  xvi«  siecle  ,  on  ne  pouvait  encore  prevoir  ce 
sombre  avenir  ;  le  courage  tenait  lieu  de  prudence  , 
el  les  Palalins  suluaieni  ra\cnemenl  du  due  d'Anjou 
comme   le  commencement  d'une  ere  prospere. 


—  no  — 


rommunication  dc  M.   J. -J.   Jlaquaii. 


EXAMEN  I)E  LA  NOTICE  DE  M.  A'"  GALIMAUD ,  SUH 
LES  DESSINS  COMPOSANT  LA  COLLECTION  DES 
DRAPEAUX  ,  fiAMNIERES ,  PENNONS  ET  CORNETTES 
DE    LA   NATION   FRANQAISE, 

Par  M.  F.-A.  PERNOT,  arlisle  peintre. 


Aux  yeux  de  quelques-uns ,  une  colleciion  de 
dessins  reprcsenianl  dcs  bannieres  el  des  drapeaux 
offrirail  pen  d'inleret ;  ce  serail,  suivanl  eux,  don- 
ner  beaucoiip  irop  d'imporlance  h  mie  collecliou 
donl  toul  I'avaniage  el  le  meriie  sont  d'etre 
unique  el  spcciale.  Une  lelle  rnaniere  d'cnvisager 
le  travail  patient  el  laborieux  de  notre  confiero 
M.  Pernot,  serail  une  grave  erreur,  sur  laquelle  il 
peul  elre  bon  d'eclairer  le  jngemcnl  de  ceux  qui 
pourraieni   la   parlager. 

En  effot,  qu\'St-ce  qu'un  drapeau,  sinon  le  plus 
glorioux  synibolo  auqnel  rhomnie  s'esl  plii  a  rai- 
laclier  lous  los  seii'iments  d'lionneur  el  de  patrie, 
le  principe  materialise  de  loul  un  penple ,  son  idee 
politique,  son  gouvernemenl,  sa  couleur,  comine 
on  dit  maintenani  ?  N'esi-ce  pas  sous  le  drapeau 
que   viennent  s'enroler,   el   lo    courage  militaire  qui 


—  HI   — 

Cail  les  hoios  el  les  braves,  el  le  devouenienl  joint 
a  la  discipline  qui  animenl  les  defensenrs  du  pays 
el  des  lois?  Sous  le  drapeau,  I'inlrepidite  s'exalie; 
elle  marche  d'un  pas  egal  au  danger  comme  a  la 
gloire.  Le  drapeau  csl  le  lalisman  qui  protege  la 
valeur ;  c'esl  lui  qui  donne  la  vicloire.  C'esl  en- 
core lui  qui  ranime  I'ardeur  des  comballanls  fatigues 
ou  accables ;  c'esl  pour  sa  defense  que  le  sang 
coule  sur  le  champ  de  balaille;  enfin  ,  il  esl  glo- 
rieux  de  mourir  pour  son  drapeau.  Depuis  Cesar, 
conqucranl  des  Gaules ,  jusqu'au  Cesar  moderne, 
I'hisloire  fourmille  de  fails  ci  I'honneur  de  la  vieille 
France,  comme  de  la  France  nouvellc,  dans  lesquels 
le  devouenienl  au  drapeau  alleinl  la  derniere  limile 
du   sublime  :   Ic  sacrilice  de  la   vie. 

C'esl,  je  le  rd'peie ,  parce  que  I'elendard  national 
reprcsenle  le  principe  politique  d'une  nation  ,  le 
corps  enlier  qui  la  compose,  en  un  mol,  la  Palrie 
el  lout  ce  qu'elle  renferme ,  qu'il  est  Tohjei  du 
plus  profond  respect.  Aussi  ,  de  quels  honneurs 
n'esl-il  pas  enloure?  S'il  est  I'idole  du  soldat ,  11 
est  encore  I'ame  du  peuple.  Dans  chaque  cile , 
dans  chaque  commune,  nous  vojons  le  drapeau  au 
faile  des  edifices  publics ;  nous  le  voyons  aussi 
floller,  dans  nos  campagnes,  au  sonimel  des  edi- 
fices religieux  ;  el  ,  de  celle  union  du  drapeau  h 
la  maison  de  Dieu,  resulte  I'assemblage  le  plus  digne 
de  la  veneration  du  peuple,  h  savoir  :  le  culle  de 
Dieu  el  celiii  de  la  palrie.  Gloire  done  esl  au  dra- 
peau, car  11  signifie  encore  ,  chez  lous  les  peuples 
civilises  :  Proleclion  a  la  loi  el  proleciion  au  droit 
des  gens.  II  y  a  celle  difference  cnlre  les  eiats 
civilises   oi  les    pays   barbares  cl  sauvages ,   que  si 


—  112  — 

le  drapeau  esl  en  honneur  chez  ceux-lli  ,  il  esl 
inconnu  choz  ccux-ci ;  d'ou  Ton  peiil  concliiro  que 
la  oil  ne  flolie  pas  le  drapeau  ,  il  y  a  ab>-ence  de 
civilisalion  ,  el  que  \h  ou  le  drapeau  est  nbalUi,  il 
y  a   honle   el  defaile,   sinon   morl  ct  anarchie. 

On  ne  peut  penser  que  le  drapeau  soil  chose 
indiirerenle  lorsqu'il  est  le  symbole  sacre  siir  lequel 
brillenl  el  se  reflelenl  ies  couieurs  d'unc  nalion 
unies  h  rembleme  qu'elle  s'esl  choisie.  Image  loule 
materieile ,  Tembleme  que  porle  Telendard  n'esl 
pas  moins  respectable  que  la  majesle  du  prince ;  je 
dirai  mieux,  il  esl  plus  respectable  encore,  cir  Ies 
rois  se  decouvrenl  el  s'inciincnl  devanl  le  drapeau. 
Telle  est  sa  puissance  el  sa  force  morale ,  qu'au- 
lour  de  ses  plis  onduleux  Ies  monarques  lombenl 
el  se  succedent,  alors  que  la  banniere  de  I'eial 
resle  el  plane  sur  le  pays  comme  pour  le  proleger 
de  son  ombre   lulelaire. 

Veneree  dans  lous  Ies  ages  et  dans  lous  Ies 
lieux  ,  la  religion  du  drapeau  reslera  longlemps 
encore  dans  le  coeur  des  hommes.  Depuis  Ies  pre- 
miers lemps  Chretiens  de  la  monarchic  frangaise 
jusqu'a  nous,  sa  puissanle  influence  n'a  pas  faibli , 
el  quand  la  banniere  nalionale  porlail  I'image  des 
sainls  ,  ou  que  I'oriflamme  de  Si-Denis  conduisait 
nos  armees  k  la  vicloire  ,  le  drapeau  elait  chose 
sainle ;  Ies  sciecles  ont  passe,  el  le  drapeau  esl  en- 
encore,  aujourd'hui,  chose  sacree  :  I'eglise  benil  Ies 
drapeaux,  elle  a  beni  ceux  qui  porlaienl  I'ecusson 
fleurdelise  de  France,  avec  la  devise  :  «  Dieu  el  le 
»  Roi.  »  comme  elle  benira  ceux  qui  porieront  la 
legende  :   «  Dieu  el  Palrie!  » 

Ceci  dil,  je  dois,  Messieurs,    vous  faire  coonallre 


—  lis  — 

ce  qu'esl  la  collection  dcssinee  par  M.  Pernol  el 
donl  le  gouvernomenl  a  fait  I'ncquisition.  Elle  se 
compose  de  1.500  ligiires  represenlanl  aiilaiU  de 
drapeaux  ,  barinieres,  eieiidards,  pennons  el  cornettes 
de  la  nation  franf.aise  ,  depuis  le  V  siecic  jnsqii'a 
nos  jours  ;  en  voici  le  court  enoncc  : 

Dn  v«  au  x°  siecle,  el  a  partir  du  Labanim,  eten- 
dard  de  Constantin  le  Grand  ,  j'on  voit  ,  bien  loin 
dans  notre  liistoire  ,  la  Chape  bleue  dc  saint  Martin 
de  Tours  ,  banniere  de  I'abljaye  de  Marmoutier  ; 
ce  fut ,  au  temps  de  Glovis  ,  le  premier  etendard ; 
on  le  perdit  dans  nne  bataille.  A  cctte  banniere  suc- 
ceda  rOriflamme,  reliquc  veneree  sous  les  rois  de 
la  Iroisieme  race.  A  la  fin  du  regno  dc  Louis  le 
Jeune  ,  apparaissent  les  lys  sur  lo  drapeau  de  France. 
Puis  du  xi"  au  xiv*  siecle  ,  les  bannieres  semul- 
tiplient  ;  les  preux  cbevaliers  des  croisades  eurenl 
chacun  lo  leur,  sur  laquelle  brillaient  leurs  armoiries. 
Parmi  les  bannieres  speciales  a  divers  ordres  mi- 
lilaires  el  religieux  6  la  (bis,  ligiirerent,  noiammenl, 
celles  des  cbevaliers  de  I'Kloile  ,  ordre  fonde  par  le 
roi  Jean,  en  looO,  et  celles  des  templiers  et  des 
cbevaliers  de  Malic.  Au  xv'  siecle,  surgil,  pour  la 
premiiL're  fois,  la  Cornelle  blanche  ;  suivanl  M.  Au- 
gu.'to  Galimard  ,  auteur  de  la  notice  que  vous  avez 
renvojee  a  mon  examen  ,  c'esl ,  depuis  ce  temps  , 
que  le  drapeau  blanc  esl  devenu  I'eiendard  royal  , 
en  opposition  au  drapeau  anglais,  qui  etait  rouge. 
Gbarles  VII  I'avait  adopte  avec  le  grand  etendard 
de  Sl-Micbel.  Frangois  I"  reprend  Tciendard  bleu 
autrefois  adopte  par  Philippe-Augusie  :  il  n'eul  qu'uo 
temps,  le  drapeau  frangais  redevenu  blanc  regul  les 
plus  grands  bonneurs  niilitaires.  Aux  xvi'  et  xvii' 
I.  8 


—  iU  - 

sieclos  ,  los  pavilions,  flammcs  el  banderollcs  tie  h 
marine  ,  flotlcnl  sur  Ics  galeres  royalcs ,  elles  sont 
rouges  el  seinees  de  fleurs  de  lys  ;  inais  le  grand 
pavilion  royal  resla   blanc. 

Pendant  le  xviii'  siecle,  le  drapeau  frangais  porlail, 
sur  fond  blanc,  I'ecu  de  France,  lorsquesonna  1789, 
qui  amena  ,  pour  la  premiere  fois  ,  le  drapeau  aux 
(rois  couleurs.  L'auleur  de  la  nolice  ,  par  un  rap- 
prochement fori  delicat,  sanclilie  le  nouveau  drapeau, 
en  disanl  qu'il  ful  la  reunion  des  couleurs  de  la 
chape  de  sainl  Mariin,  laquelle  elaii  bleue,  de  I'ori- 
flamme ,  qui  etaii  rouge ,  el  de  la  cornelle  do 
Charles  VIl,  qui  elail  blanche  ;  je  dirai,  pour  niori 
comple ,  que  la  glorieuse  renommee  du  drapeau 
Iricolore ,  sous  I'empire  ,  iui  donne  assez  belle 
origine  pour  n'avoir  |)as  besoin  de  Iui  en  decouvrir 
une  aulre. 

Je  n'ai  pas  a  vous  apprendre  ,  Messieurs,  ce  (jue 
devinl  le  drapeau  de  la  France  depuis  la  chiile  de 
t'enipiro.  Homracs  du  siecle ,  nous  en  suivons  les 
icmpeles.  Puissions-nous  sauver,  sain  el  sauf ,  noire 
drapeau  ! 

Je  dois  encore  ajouler,  a  la  louange  doM.  Pernol, 
noire  savanl  el  habile  confrere  ,  que  M.  Galim-ird 
lermine  son  rapporl  en  faisant  rcmarquer  que  la 
precieusc  colleclion  dcM.  Pernol,  unique  noa  seu- 
lemenl  en  France,  mais  parlout  ailleurs.a  coule, 
aranleur.  six  annees  de  Iravail.  Par  les  ordres  de 
M.  le  Minislre  de  la  guerre,  celle  inleressante  pariie 
<le  noire  hisloire  nalionalc  a  ele  placee  a  I'holel 
des  Invalides.  On  ne  pouvaii  irouver  nri  asilc  plus 
convenable  a  la  conservation  du  Iravaii  de  M.  Pernol. 


—  115 


POESIK. 


(Icmmuiiicalioii  de  i\l.  \.    ViolrKc. 


LK    LOIII    EV    L'fiCUUKLlL 


Avec  certaines  gens  ue  jouez  pas  au  liii  ; 
Tar  lei  qui  tous  parait  n'etre  qu'un  pauYie  sire 
Parfois  a  vos  depeiis  peut  bien  preler  a  rire. 
Cellc  fable  en  fail  foi  ,  jugez-an  par  la  fin. 
Sur  un  helre  habilaient,  dans  un  bois  solitaire, 
Deux  rongeurs,  TJvanl  la  chacun  de  son  bulin  : 

L'Ecureuil  a   tele  legere, 
Puis  cerlain  luailre  Loir  appele  inuscadiii. 

Noveiubro  aiors  louch;iil  a  son  declin. 
L'Ecureuil  avail  pris  son  quarlier  vers  le  faile  ; 
Dans  un  creux  du  vieux  Ironc,  I'aiilre  sire,  a  loisir. 
Avail  conlre  le  froid    assure  sa  relraile  , 
Ou  sur  un  lil  de  mousse  il  bravail  la  lempcle. 
On  peul  bicn,  pour  le  moins,  se  donner  ceplaisir, 
Alors  qu'on  doil  passer  loul  I'hivcr  a  donuir; 
BulTon,  sur  ces  dormeurs,  adjuge  au  Loir  la  pouiiue. 
C.epciidanl  comnio  on  peut,  duranl  un   si  long  sommp, 

Au  bruit  d'uu  vent  soudiiln 


—  lie  — 

Se  rcTeiller  avec  la  faim, 
Daus  Ics  derniers  beaux  jours,  le  ciuupere   an  plus  vile  , 
De  chataignes,  de  glands  avail  garni  son  gite. 
Quanta  I'autre,  il  n'avait,  en  lout,  pour  s'abriter 
Que  sa  queue  en  panac.be  ;  aussi  le  vent,  la  pluie, 
Sous  cet  abri  flollant,  le  faisaicnt  grclotler. 
Je  suis  bien  bon,  dil-il,  de  mener  cette  vie, 
Tandis  qu'un  luuscadin,  a  I'elage  d  honneur, 
Bien  chaudenicnt  couche,  dorl  conime  un  grand  seigneur. 
Quoi,  je  loge  en  plein  vent  quand  il  vit  de  la  sorte ! 
Mais  je  vais  lui  servir  un  plat  de  mon  metier. 
Aussitot  il  descend,  et  s'offranl  a  la  porte  : 

«  Ami,  je  suis  ronipu  :  du  haul  de  nioa  palier 
»  J'ai  roule,  comme  un  bloc,  le  loug  de  Tcscalier  ; 
»  Pour  quatre  ongles  brises  heureus  si  j'en  suis  quille 
»  Le  ciel  vous  beuira,  cedez-moi  voire  gite. 
»  Parbleu,  voisin,  vous  jouez  le  bonbeur  ! 
»  Repond  gaiment  noire  malois  ermile  ; 
»  Car  des  ongles  brises  je  suis  operaleur 
»  J'ai  fait,  en  cas  pareils,  des  cures  de  docteur  : 
»  Messire  le  Blaireau,  I'autre  jour  sur  la  pierre 
»  S'en  etait  rorupu  six  en  creusant  sa  tanniere. 

•  11  m'envoya  querir,  et  lors  du  bout  des  dents 
»  Les  ayant  oi  eres,   cbacun  a  ma  maniere. 

»  J'ai  dii  pourevilcrde  nouveaux  accidents 
»  Faire  une  razzia  de  tons  en  meme  temps, 

»   Sa  seigneurie  en  ful  emerveillee 

»  El  largement  ma   cure  ful  payee. 

•  Croyez-moi,    subissez  celle  operation  ; 

•  Ensultc  vous  aiirez  chez  moi  bonne  pature, 
»   Abri  bien  chaud  et  rianle  ligure. 

»  Eh  bien  soil !  mais  prenez  loute  precaution  , 

»  Compere  :  car  je  suis  nerveux  outre-meture  , 

«  A   la  douleur  obslinement  relif. 

•  Parlanl ,  gardez-vous  bien  d'enlamer  le  vif. 

»  Rassurez-vous,  mon  cher,  pour  les  cures  aigues 

•  N'avons-nous  pas  d'aillenrs  relherisalion  , 


—  117  — 

»  Lc  chloroforino  el  maiiito  invenlion.' 

n  P.ir  quoi,  le  palienl  transporle  jusqu'aiix  luics, 

»  Siibit  a  son  inscu   loiile  Oi»eratioii. 

»   Voire  accitlcfil  n'esl  rieii ;  couchoz-vous  siir  la  bianclic, 

»  En  dehors,  s'il  se  pcu(,  poilcz  un  pen  la  hanche... 

»  Tourncz-voiis  snr  le  dos...  Ties  blen  !  voiisy  voila. 

»  Mors  (i'un  air  savanl  ,  le  docleur  opera    » 
Puis,  I'affaire  reglee,  il  fll  d'un  coup  de  tele, 
DaQs  I'aira  son  boilenx  danser  la  [liroiioilo. 
L'Ecnrcni!  sans  accroc  fil  le  saiil  peril lenx. 
Le  depit,  la  colere  cclalenl  dans  sos  yenx, 
11  court  an  pied  de  I'arbre ;  ea  vain  il  veul  griniper, 
II  senl  du   Ironc  glissant  ses  onglos  echappcr. 
II  lempele,  il  fail  rrgc, 

II  jetle  a  son  doclenrla  menace  el  I'oulrago. 
Ingral!  lui  dit  Ic   Loir,  vons  m'insuKcz  en  vain  ; 
Revenez  au  prinlenips,  qnand  j'aurai  fail  inon  soinme, 

Pijiir  vons  aider,  foi  d'honnelc  lioiuine, 
Jc  vons   lendrai  la  main. 


Reims,  Imp,  de  P.  Rf.gnier. 


La   collection   des  Travaux  de   t'Acad^mie  | 

de  Reims  parait  tons  les  3  mois  par  caliiers 
d'environ   douze  fcuillcs  ia-8°. 

Prix  dc  la  Souscriplion  annucllc:  10  fr.;  par  la  poste,  13  fr. 

S'aillTesseT  \vaTvco, 
A  Reims,  chez  Bkissart-Binet,  Libraire  de  I'Academie. 


X 


n-e- 


-go^ 


TRAVAUX 


D£ 


L'ACADEMIE  DE  REIMS. 


ANNifiE  1852 -1853. 

N»  2.  —  1"  Trimestre  1832. 


REIMS 
P.  REGNIER,  IMPRIMEUR  DE  LACADtMIE, 


1852 

^J'.  i>     I'O  1  'J'  r^' 


SOMMAIRE   DU  NUMhJlO. 


SCIENCES.  —  Note  sur  des  calculs  d'oxyde  cyslique ,  par 
M.  E.  Maumen^.  ']^  ^yf^i'  f'')/^''  .t 

Vn  mot  sur  I'etat  general  de  la  production  chevaline  dan^ 
I'arrondissemenl  de  lieims ,  par  M.  Baudesson  ,  MMecin- 
Teterinaire. 

Lecture  de  M.  P.  Masse.  —  Rapport  sur  les  armes  a 
percussion ,  sysleme  de  securite ,  par  M.  Fomenau  ,  de 
Nantes . 

BEAUX-ARTS.  —  Lecture  do  M.  Max.  Sctaine.  —  Quelles 
sont  les  causes  des  revolutions  que  les  beaux-arts  ont  subies  depuis 
I'anliquite  jusqu'd  nos  jours  et  quels  sont  les  enseignements  qxi'il 
faul  en  lirer  pour  assurer  Favenir  de  I'art  ? 

Notice  biographique  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Paolo 
Caliari  Veronexisis,  dit  Paul  Veronese,''  peintre  vinilien,  ne  en 
1552,  mort  en  1588,  par  M.  L.  Detodche. 

LITTERATURE.  —  Communication  de  M.  Ch.  Loriquet.  — 
La  Quiquengrogne  ,  par  M.  Emile  Chevalet. 

HISTOIRE.  —  Lecture  de  M.  GAI^■ET.  —  Le  voyage  de 
Gerbert  en  Espagne. 


/)' '  f  r  6  ^ 


THAVAIX  DE  I/ACADEMIE  DE  REIMS. 

AMNIilE  1851-1852. 
]^^  2  .  —  1"  Trimestre   1852. 


SCIENCES. 


NOTE 

Sim  DES  CALCULS  d'oxyde  cystique  , 

par  A1 .   £.  KlAUiHEifE. 


M.  X..,  medecin  des  environs  de  Reims,  m'a  reniis 
ail  mois  de  seplembre  dernier,  pour  en  faire  I'analyse, 
quelques  fragmenls  de  calculs  fournis  par  un  des  ses 
malades. 

La  nature  de  ces  calculs  n'est  pas  nouvelle  :  ils  sont 
formes  par  la  cystine  ou  oxyde  cystique.  Je  ne  croirais 
done  pas  devoir  entretenir  I'Academie  des  resultatsde 
mon  analyse,  si  I'origine  palhologique  de  ces  excretions 
en  general  et  de  la  cystine  en  parliculier,  n'avail  pas 
un  grand  inleret  pour  la  medecine.  N'ayant  pas  revu 
M.  X...  depuis  ceite  epoque  et  ignorant  meme  le  lieu 
de  sa  residence,  j'espere,  a  I'aide  de  la  publicite  des 
I-  9 


—   1-20   — 

travaux  ile  rAcademie  ,  faiie  parvenir  a  M.  X...  le 
resiillat  de  mon  examen  et  oblcnir  tous  It!s  rensei- 
gnemenls  necessaires  pour  elablir  les  conditions  dans 
lesquelles  ont  pris  naissance  les  depots  Studies  dans 
ceile  note ,  et  qui  sonl  Ires  rares. 

Void  le  resume  de  mes  observations. 

La  substance  est  jaune-brunatre,  cristalline  (IJ, 
Iransparente,  en  masses  arrondiesou  oblongues,  old'un 
exterieur  analogue  k  celui  des  calculs  muraux.  —  Elle 
est  friable  el  s'ecrase  aisemenl  en  la  frottant  sur  une 
capsule  de  porcelaine. 

Elle  est  presque  insoluble  dans  I'eau,  meme  bouil- 
lanto.  On  parvient  a  la  dissoudre,  en  ajoutani  de  I'am- 
moniaque(5  vol.  d'eau  el  i  d'ammoniaque) ;  il  resie 
queiques  debris  organiques,  tilamenteux,  ires  legers. — 
En  noutralisanl  par  I'acide  acelique,  evaporant  h  sec, 
on  relrouve  la  matiere  insoluble  dans  I'eau.  — Une 
portion  de  la  solution  ammoniacale,  evaporee  spontane- 
ment,  donne  un  depot  blanc  non  cristallise^  insoluble 
dans  I'eau. 

L'acide  acelique  cristallisablen'excrce  aucune  action. 

L'acide  azotique  ne  dissout  pas  la  substance  5  froid. 
A  nn  feu  doux  il  se  produil  des  vapeurs  rouges  el  il 
resle  nn  residu  visqueus  brun. 

L'acide  sulfurique  dissout  h  100°  avec  une  legere 
coloration  brune.  —  A.  une  plus  haute  temperature  la 
liqueur  devienl  noire  ,  il  se  degage  de  l'acide  sulfureux 
et  du  soufre. 

La  polasse  dissout  les  calculs  au  dessous  de  100", 


(i;  Eiamiiies  avec  une  loupe  de  20  mm.,  queiques  crislaux 
paraissaienl  elre  des  prismes  rhoiuboedriques. 


—  121  — 

elle  se  colore  on  vcrl  lonce  el  se  decolore  ensuito  h 
mesure  qu'il  se  forme  un  depot  noir  Ires  divise.  — 
La  liqueur  additionnee  d'acide  chlorliydrique  degage 
de  I'hydrogene  sulfure. 

L'alcool  est  incapable  de  dissoudre  la  maliere  calcu- 
leuse. 

Enfin  la  chaleur  lournit  les  derniers  indices  el  les 
plus  caraclerisliques.  — Sur  une  lame  de  plaline  chauf- 
fee  au  rouge  il  se  produit  uno.  odeur  de  maliere  animale 
Ires  inlen?e,  ires  desagreable  el  il  resle  un  charbon  leger 
difficile  a  bruler,  mais  ne  laissant  poinl  de  residu.  — 
Les  effels  sonl  les  memes  sur  un  charbon. 

Tous  ces  caracleres  el  surloul  I'odeur  developpee  par 
la  calcinalion  parailronl  sans  doule  bien  decisifs  et 
si,  comme  je  I'espere,  ils  viennenl  a  la  connaissance  de 
M.  X...,  ce  medecin  s'empressera  probablemenl  d'in- 
diquer  les  circonslances  dans  lesquelles  la  cystine  s'est 
formee  sous  ses  yeux. 


—  122  — 

UN    MOT   SUR    L'fiTAT   GfiNfiRAL   DE    LA    PRODUCTION 
CHEVALINE   DANS    L'aRRONDISSEMENT   DE   REIMS  , 

Par  M.  BAVDESSOy,  Medecin-Velerinaire. 


Stance  du  27  Fevrier  1852. 


L'arrondissement  de  Reims  osl  encore  sous  reneur 
de  celle  idee  sans  Ibndemenl  ol  jugee  par  la  sage 
praiique,  que  sans  palurages  I'eleve  du  cheval  est 
impossible :  erreur  grossiere  qu'il  est  mainlenanl  fa- 
cile de  comballre  par  des  fails. 

La  routine  n'esl  pas  eirangere  non  plus  a  I'apathie 
des  cultivateurs  a  I'endroit  de  I'eleve  du  cheval;  il 
suffil  que  de  lemps  immemorial  les  grands  parents 
n'aient  jamais  eleve  pour  que  les  arriere-pelils-fils 
se  croient  dispenses  d'essayer  de  le  faire. 

La  grande  division  de  la  propriele  esl  aussi ,  il 
faul  le  dire ,  assez  defavorable ,  sinon  h  I'education 
du  cheval   du  moins  a  son  eleve. 

Malgre  les  causes  que  nous  venons  d'enoncer ,  il 
semble  que  de  jour  en  jour  on  cherche  davanlage 
a  produire  des  chevaux  ;  mais,  dans  beaucoup  de  cas, 
on  ignore  encore  les  regies  qu'il  faut  suivre  pour 
arriver  au  but  qu'on  se  propose.  II  esl  vraimenl 
penible  de  voir  chez  cerlains  proprietaires  la  maniere 
donl  ils  pretendent  clever  des  chevaux :  a  de  bonnes 


—  12,S  — 

jumenls,  souvenl  ils  donnonl  do  maiivais  elalons  el 
reciproquemenl ;  ils  n'ont  aucune  connaissance  des 
effels  de  raccouplemenl,  ou  du  moins  on  dirail  qii'ils 
les  igiiorent  completcment.  Non  seulemenl  cetle  ineplie 
se  monlre  avani,  niais  aussi  apres  la  naissance  du  petit 
sujot.  C'est  ainsi  que  chez  certains  proprielaires  nous 
pouvons  affirmer  avoir  vu  de  pauvres  poulains  ren- 
fermes  dans  des  endroils  obscurs  ou  la  lumiere  ne 
penetrc  jamais  ,  vcnir  des  qu'on  les  met  dehors,  se 
frapper  la  lete  conlre  lous  les  obstacles  qu'iis  ren- 
conirent,  lant  ieurs  yeux  sont  pen  habitues  a  la 
lumiere.  Non  seulement  le  jour  manque  S  cos  mal- 
heureux  quadrupedos,  mais  ils  onl  a  peine  assez  d'air 
pour  ne  pas  aspbyxier,  n'ont  pas  de  place  [)0ur  se 
bouger,  encore  hcureux  quand  ils  ne  sont  pas  per- 
petuellemenl  allaches  :  en  un  mot  I'hygiene  des  pou- 
lains jusqu'au  moment  oil  ils  echappent  a  la  barbarie 
de  certains  eleveurs  est  completemenl  meconnue. 
Nous  dirons  lout  a  Theure  quels  seraienl  les  nioyens 
de  remedier  h  un  pareil  sysieme  II  n'en  est  pas  de 
meme  chez  tons  les  eleveurs.  On  rencontre  chez 
quelques  hommes  intelligents  et  comprenant  la  mis- 
sion qu'iis  s'imposent  toules  les  conditions  desirables 
pour  arriver  a  bien. 

L'administralion  des  haras,  les  comices ,  quelques 
hommes  influents  onl  fail  comprendre  a  lous  ceux 
qui  vetilent  produire,  quelles  ressources  soul  celles 
que  Ton  retire  de  raccouplemenl  de  bonnes  juments 
de  Irail  avcc  Tetaion  demi-sang ,  trois  quarts  de  sang, 
etc.  Aussi  maintenant  commence-t-on  a  demander  des 
chevaux  de  sang,  i.k  n'est  pas  le  lieu  de  developper 
loutes  les  considerations  favorables  au  cheval  de  sang, 
sculcmont  nous  conslatons  avec  plaisir  que  deja  dans 


—  12/1  — 

prosquc  loiis  Ics  cniiioils  on  rcjoile  Ics  elalons  lounls 
cl  massifs  de  la  Belgique  pour  reprendre  Ic  cheval 
leger  el  plein  do  feu  ,  le  chev;d  de  sang  :  c'esl  iin  grand 
pas  de  fait,  csperans  qu'il  sera  riche  de  succes.  L'ad- 
rainislralion  dps  liaras  n'esl  pas  seule  assnremcnl  a 
s'allribuer  le  merite  de  celic  exclusion  ,  a  M.  Thierol 
de  Reims  en  revienl  aussi  une  certaine  pari,  par  le 
soin  qu'il  a  mis  dans  le  choix  de  ses  elalons. 

Pour  donner  une  idee  de  I'elat  de  la  reproduction 
dans  rarrondissemenl  de  Reims,  nous  ne  pouvons 
mieux  faire  que  de  donner  lecliiffre  des  jumenls  sail- 
lies  depuis  quelques  annees. 

En  1845  environ,  epoque  a  laqueile  ful  fondee  la 
slalion  de  Reims,  les  elalons  de  sang  nationaux,  places 
dans  cette  ville,  ont  sailli  H9  jumenls.  Les  produils 
n'onl  pas  repondu  a  I'espoir  qu'en  avaienl  les  proprie- 
laires,  parcc  que  I'adminislralion,  des  haras  s'est  laisse 
forcer  la  main  en  acceplanl  la  mesalliance  de  bons  chc- 
vaux  avecde  mauvaises  jumenls,  ou  plulot  en  ne  gui- 
danlpasassez  les  eleveurs  dans  le  choix  d'un  elalon  : 
lei  elalon  convienl  a  lelle  jumenl  qui  est  a  rejeler  pour 
telle  ou  lelle  autre. Mais  le  coup  avail  ele  pone,  il  n"e- 
lail  pas  facile  de  le  parer  pourTavenir ;  c'esl  ainsi  que 
dans  les  annees  qui  suivirenl,  on  vit  diminuer  le  nombre 
des  jumenls  a  saillir:  en  4847-48  par  exemple,  les 
elalons  nationaux  n'onl  eu  a  saillir  que  20  jumenls.  Les 
eleveurs  onl  manque,  depuis  lors,  de  confiance  dans  les 
chevaux  de  sang,  ils  ont  voulu  des  chevaux  plus  elof- 
fes,  plus  pres  de  lerre,  plus  merabres ,  I'adminislra- 
tion  des  haras  a  peul-elre  eu  le  tort  de  ne  pas  compren- 
dre  assez  tot  le  besoin  des  parliculiers  a  eel  endroil , 
on  peul-etre  luielail-il  diilicilede  faire  autrement. 


t 


—  125  — 

L'in(lusi.ri(?  parliciiliere  favorisee  pai'  rarrel  (Je  t'e- 
vriorl848  sur  leselalonsapprouves,  connaissanl  d'line 
mani6re  loule  pratique  les  besoins  des  prodiicleiirs  , 
est  alors  entree  en  lice  avec  les  haras,  [/essai  fut  IVnc- 
lueiix,  car  bien  que  les  etalons  approuves  et  inlroduils 
dans  noire  de|)arlfnient  en  1849  lussent  arrives  Ires- 
tard  puisque  le  moment  de  la  monle  loiichait  a  s;i  lin  , 
nonsavons  vu  VEtoarneau,  eialon  3/4  de  sang,  faire  50 
saiilies  et  trois  autres  clalons  apparlenant  egalement  a 
M.  Tliierol,  places  dans  rarrondissement  d'Epernay  a 
la  meme  epoqne,  saillir  90  jumenls. 

Le  canton  de  Fismes  a  decidenient  abandonne  les  che- 
vaux  de  sang  pour  adopter  le  cheval  de  irait^  I'etalon 
Percheron.  L'elalon  de  celte  race  place  dans  ce  canton 
en  1850  a  sailli  85  juments.  En  1851  deux  etalons  Per- 
clierons  ont  sailli  dans  ce  memo  canton  180  jumenls. 
L'elalon  de  meme  race,  resieen  station  ^  Reims,  a  sailli 
dans  la  meme  annee  45  juments.  Tous  ces  etalons 
appartenaient  h   il.  Thierol. 

Ceci  semble  etre  contradictoire  a  ce  que  nous  avons 
dit  tout  h  riieure ,  a  savoir ,  que  le  clieval  de  sing 
commence  a  eire  apprecie  dans  noire  arrondissemeni. 
On  s'en  elonnera  moins  iorsqu'on  saura  que  la  lopo- 
grapliie  du  canton  dont  nous  venonsde  parler,  n'esl 
pas  la  meme  que  partout  ailleurs.  Le  terrain  argileus  , 
marneux  meme  de  ce  pays,  rend  les  communications 
dilTlciles,  la  culture  elle-meme  exige  le  concours  do 
fortes  altelees.  Ces  raisons  doivent  suffire  pour  faire 
comprendre  pour(|U(>i  les  cultivaleurs  recherchent  des 
cheviux  de  poids ,  Tetalon  Percheron  est  done,  a  noire 
avis  aussi  ,  le  cheval  le  plus  approprie  anx  besoins  de 
ce  canton.  Un  jour  viendra,  nous  en  somnies  persuade, 
on  les  chemins  vicinanx  c'.ant  aineliores  on  rcviendia 
an  cheval  de  sang. 


—  120  — 

Mais  halons-nous  de  lf>.  dire,  relcve  tin  clieval 
n'esl  pas  I'iiiduslrie  predominanle  de  noire  arron- 
dissemenl;  nous  avons  deji  doone  a  entendre  que 
la  division  (rop  grande  de  la  propriele  en  est  la  cause; 
mais  le  goui  du  cheval  se  developpant  dans  les  Jeunes 
generations ,  on  finira  peut-eire  p?.r  donner  quel- 
ques  soins  h  la  production  du  cheval. 

Dans  tous  les  villages,  au  nord  de  la  ville  ,  on  ne 
produii  pas  de  chevaux,  on  en  eleve  el  voici  a  pen 
pres  la  maniere  dont  s'arrangent  les  cullivaieurs  de 
cette  parlie  de  I'arrondissement ;  du  reste  ce   mode 
est  encore  celui  qui  a  le  plus  de  succes  pour  notre 
pays.    L'agriculiure  dans  les  cantons  de  Bourgogne, 
Beine,    etc.,  est  assez  avancee  pour  produire  une 
grande  quantite  de  fourrages,  on  y  est  arrive  a  faire 
le  plus  qu'il  est  possible  de  prairies  arlificielles,  les 
graiijs  el  la  paille  y  sont  d'excellenle  qualite  :   nous 
voila  done  places  dans  des  conditions  favorables  pour 
elever  des  chevaux.    Les  cullivaieurs  qui  se  livrent 
k    cette  induslrie   achelenl  sur   les  frontieres    de  la 
Belgique ,  en  Ardennes  ,   des    cheveaux   de  irois  ei 
qnatre  ans  ;  ils  ebauchent  leur  education  lout  en  les 
faisanl   travailler ,    puis  les  revendenl  a  la  remonte 
un    an    ou   deux  ans    apres  lorsqu'ils   en  Irouvent 
I'occasion.  Ces  chevaux, la  plupart  a  loutes  fins,  Irou- 
vent aussi  une  vente  facile  dans  nos  villes ,  en  pro- 
curant  a  leurs  proprielaires  un  benefice  plus  consi- 
derable. Celte  methode   les  oblige  cependanl  a  avoir 
dans  leurs  ecuries  un,  deux  ou  trois  chevaux  de  plus 
que  ne   I'exige   I'elendue   de   leur  exploitation.    Ce 
systeme  qui   relarde  evidemment   la    production    du 
cheval  chez   nous,  nous  ne  le  blamerons  cependanl 
pas,    parce qu'il  csl    productif  pour  l'agriculiure:    Ic 


—  127  — 

cullivaleiir,  en  general,  pauvrc  de  capilaux  ,  csl  lou- 
jours  henreux  de  pouvoir  dclourner  la  valeur  d'une 
parlie  de  ses  produils  pour  la  replacer  dans  sa  lerre. 
Du  rcslc  I'elevage  ne  serait-il  qne  la  seule  specialiie 
de  rarrondissemenl  de  Reims  qu'il  y  aurail  encore 
avanlage  a  I'encouragcr :  nous  eleverions  ici  les  che- 
vaux  qii'on  produil  ailleurs  et  qu'on  ne  penl  pas  y 
etever ,  les  conditions  dans  lesquelles  so  irouvent 
places  les  eleveurs  s'y  opposanl. 

II  est  vrai  que  nos  cultivaleurs  onl  encore  beau- 
coup  a  faire  pour  connaiire  la  science  de  I'elevage. 
Pour  developpcr  le  gout  de  celte  science,  car  e'en 
est  une,  ne  pourrail-on  pas  affecler  une  ou  plusieurs 
primes  aux  cultivaleurs  qui  auraienl  produit  ou  eleve 
le  plus  grand  nombre  de  cbevaux  propres  a  la  remonte, 
nous  entendons  dire  aussi,  qui  les  auraient  le  mieux 
dresses.  Qu'arriverait-il  dela?  C'est  que  Tcmulalion, 
poussee  par  Ic  gain,  s'emparerail  de  beaucoup  de 
cultivaleurs  ;  ils  eleveraient  beaucoup  ,  puisqu'ils 
onl  tout  sous  la  main  pour  pouvoir  bien  faire  ,  el 
alors  les  ofliciers  de  renioule  trouveraienl  en  un  clin 
d'ceil  ce  qu'exigent  les  besoins  de  la  guerre.  Pour 
facililer  encore  la  besogne  de  MM.  les  ofliciers  de 
remonte,  I'elat  de  tons  les  cbevaux  propres  a  la  ca- 
valerie  serait  consigne  k  la  mairie  de  cbaque  com- 
mune, el,  par  ce  moyen,  il  n'y  auraitplus  de  privi- 
legies,  tous  les  eleveurs  auraient  cbance  devoir,  une 
fois  au  moins,  les  acheteurs  du  gouvernement. 

On  favorisera  I'induslrie  cbevaline  cbez  nous,  comme 
partout  ailleurs,  lorsque  la  guerre  viendra  acheler  les 
cbevaux  qui  lui  sonl  propres,  a  un  prix  au  dessus 
du  prix  dc  rcvieni  et  pour  cela  il    ne  faudrail   pa? 


—  128  — 

que  son  pnx  lul,  comme  il  Test,  invariablo ;  il  fau- 
(irait  qu'il  fiil  toujours  en  rapporl  avec  la  valeur  des 
aniniaux.  «  Je  ne  vois  pas  la  necessile,  (lit  un  des 
»  savants  professeurs  d'Alforl,  de  payer  oOO  francs 
»  et  plus,  un  cheval  capable  par  sa  laille,  scs  formes, 
»  sa  vigueur,  de  laire  un  bon  service,  si  le  pro- 
»  prieiaire  ne  le  fait  que  550  ou  400  francs ,  raais 
»  aussi  je  voudrais  que  le  cheval  qui  vaul  900  francs 
»  ou  1,000  francs  ful  paye  son  prix.  »  La  juslesse 
de  celte  observation  n'adraet ,  nous  le  croyons,au- 
cune  objection. 

Voyons,  un  peu,  comment  se  fail  la  remonle  dans 
noire  pays. 

Cetle  grande  affaire  d'ou  depend  assuremeni  la 
valeur  de  noire  armee,  est  confiee ,  chose  facheuse  a 
dire,  la  pluparl  du  temps  a  des  hommes  nuls  a 
I'endroil  de  la  connaissance  du  cheval;  el  commenl 
pourrail-il  en  elre  aulremenl.  Ecoulons  ce  qu'en 
disait  en  1843  le  due  de  Grammoni ,  rien  n'esl  guere 
change  depuis  cede  epoque  : 

a  En  reclamanl  ici  les  lumieres  de  nos  ofiiciers 
»  de  cavaierie  ,  quMI  me  soil  permis  d'exprimer  le 
»  regrcl  que  leur  premiere  instruction  soil  frustr6e 
»  de  loule  connaissance  du  cheval,  etc.  »  Puis  plus 
loin,  continue  M.   de  Gramniont: 

»  Ce  ne  sonl  pas,  en  effel ,  les  deux  annees  pas- 
»  sees  a  Saumur  qui  peuvenl,  s'ils  n'avaient  prea- 
»  lablemenl  re^u  des  notions  elementaires,  suffire 
»  pour  donner  aux  jeunes  officiers  les  connaissances, 
»  que  plus  lard  I'experience  acquise  dans  les  regi- 
»  menls,  eut  perfeclionnees.  Je  me  plais  a  appuyer 
»  men  opinion  de  raiilorite  de  M.  le  vicomtc  d'Aurc  » 


I 


—  129  - 

M.  Person,  habile  cleveur  de  la  Nonnandie,  disait 
aiissi:  «  La  grande  majorile  de  nos  officiers  de  ca- 
»  Valerie  nouo  donnerail  moins  de  souci  en  face  d'uni- 
»  redoute  on  d'un  carre,  qu'au  milien  d'une  I'oire.)) 

Le  cornice  hippique  de  1845  signalail  encore  un 
auire  defaul  dans  rotficier-acheleur ,  nous  savons 
que,  depuislors,  le  meme  dclaul  sc  pcrpelue :  «  Dans 
»  des  deparlemenls  explores  par  les  oCTiciers  de  re- 
»  monte,  disail  celle  reunion  d'homnies  competenls, 
»  il  arrive  que  non  seulenient  des  communes,  mais 
»  des  canlons  enliers ,  peul-elre  meme  des  arron- 
»  dissemenls,  ne  soni  pas  visiles.  Des  lors  les  eleveurs 
»  sonl  adrnis  a  dire  :  que  le  mode  de  remonlc  esl 
»  imparfait. 

»  El  comment  ne  serait-il  pas  imparfail?  un  officier 
»  acheleur  esl  seul ,  el  fans  conlrole  dans  sa  circon- 
»  scriplion  ;  son  jugemenl  esl  infaillible,il  voii  en  beau 
»  ou  en  laid,  il  eslime  cher  du  bon  marche,  souvenl 
»  il  prend  un  cheval  qu'il  faudrail  laisser  ,  el  laissece- 
»  lui  qu'il  faudrail  prendre  :  constammonl  en  rapporl 
»  avec  les  memes  personnes ,  il  a  ses  amilies  ei  ses 
»  anlipalliies :  il  impose  la  loi ,  el  souvent  meme  par 
»  exces  de  zele  ,  il  sen  ires  mal  I'Etat.   » 

Pour  noire  pari,  nous  connaissons  dans  I'arrondisse- 
menl  de  Reims  certaines  communes,  qui  n'onljamais 
ele  visilees  par  des  officiers  de  remonle. 

Ceci  n'est  point  une  digression  hors  d'a-propos ,  il 
esl  bon,  necessaire  meme,  que  tout  le  mondcconnaisse 
un  pen  la  physiologie  des  officiers-acheteurs,  halons- 
nous  loulefois  de  proclamer  que  nous  savons  exisU-r 
d'honorables  exceptions  a  ce  que  nous  venons  de  dire. 

Nous  ne  pensons  pas  non  plus  que  le  devoir  de  Tof- 
licier  de  remonle  sc   borne  seulcmcnl   ;i  I'acbal  des 


—  180  — 

chevaux  qui  lui  semblenl  bons  pour  le  service  de  la 
guerre ,  celui-ci  devrait  encore  dans  ses  tournees  don- 
ner  des  conseils  aux  eleveurs,  lanl  sur  la  nature  des 
chevaux  dont  le  placement  est  facile  dans  les  regi- 
ments que  sur  la  maniere  d'arriver  a  ce  but.  Malheu- 
reusement  il  n'y  a  pas  assez  d'iutimile  entre  Messieurs 
les  officiers  de  remonle  el  les  eleveurs,  ils  semblenl 
fuir  les  reunions  agricoles  ou  leur  place  est  cependant 
marquee  ;  aussi  perdeni-ils  ainsi  I'influence  qu'ils  pour- 
raient  avoir  sur  les  eleveurs. 

Pour  obvier  a  tous  ces  inconvenients,  il  me  parailrait 
juste  d'adopter  dans  noire  departemeni  la  mesure  deja 
en  vigueur  dans  la  Normandie,  consislanl  a  perraellre 
dans  les  limites  convcnables  I'achal  de  chevaux  chez 
certains  marchands-elevcurs. 

Ces  marchands  auraienl  lout  interel  a  procurer  de 
bons  chevaux  ,  persuades  que  s'ils  en  fournissaienl  de 
mauvais,  ils  perdraieniinevilablemenl  la  clientele  del'E- 
tal  :  connaissanld'une  maniere  toule  pratique  les  che- 
vaux qu'on  leur  demanderait,  ces  derniers  pourraient 
etre  acceples  immedialement  par  les  chefs  superieurs 
de  chaque  regiment  sans  passer  par  les  depots  de  re- 
monle ;  dela  economic  immense  pour  I'etal  el  chacun 
y  trouverail  son  comple. 

Pour  nous  resumer,  nous  dirons  : 
Que  Tarrondissement  de  Reims  pourra  produire  de 
bons  chevaux,  quand  les  cultivateurs  voudronl  donner 
quclques  soins  a  celte  induslrie. 

Que  ce  meme  arrondissemeni  n'aurait-il  que  la  seule 
spccialiie  d'elever  les  chevaux  qu'on  produil  ailleurs , 
il  serail  encore  utile  d'encourager  cetle  methode. 

Que  I'arret  de  fevrier  1848  sur  les  etalons  approu- 
ves  a  produil  de  bons  efleis  dans  rarroiulisscment  de 


—  131  — 

Reims  ,  aUeiulu  que  les  elalons  do  radministration  des 
haras  n'elani  plus  goules  par  les  proprietaires ,  les  eta- 
Ions  approuves  par  leur  bon  choix  n'onl  pascessede 
monlrer  one  fois  de  plus  les  avanlages  qu'on  peul  reii- 
rer  des  chevaux  de  sang  ; 

Qu'il  seraii  utile  que  dans  chaque  commune  I'etat  des 
chevaux  propres  a  !a  cavalerie  fut  consigne  a  la  mairie, 
afin  de  facililer  les  parcours  des  ofTiciers-acheteurs ; 

Que  le  prix  des  bons  chevaux  devrail  toujours  elre 
en  rapport  avec  la  valeur  de  ces  animaux  afin  d'encou- 
rager  les  eleveurs  h  produire  ou  elevor  les  chevaux  pro- 
pres au  service  de  I'armee ;  que  les  ecuries  des  eleveurs 
ne  sont  pas  assez  souvent  visilees  par  les  ofllciers  de 
remonte ,  que  les  relations  de  ces  memos  officiers  avec 
les  eleveurs  ne  contribuenl  en  rien  h  ramelioralion 
de  la  race  chevaline  ;  que  les  officiers  de  remonte  n'as- 
sistent  pas  assez  aux  seances  des  comites  agricoles 
et  que,  par  consequent,  ils  ne  peuvent  y  avoir  toute  I'in- 
fluence   que  devrait  leur  faire  obtenir  leur  position ; 

Enfin  qu'il  serait  utile  d'adopter  dans  le  departemenl 
de  la  Marne  une  mesure  deja  en  vigueur  dans  la  Nor- 
mandie,  consistanta  permettre  dans  les  limites  con- 
venables  I'achal  de  chevaux  chez  certains  marchands- 
eleveurs ; 

Qu'il  resulterail  de  la  une  economic  immense  pour 
I'Etat,  en  meme  temps  qu'un  avantage  considerable 
pour  les  producleurs  et  les  eleveurs. 


—    132   — 

Leclure    de    SI.    P.    Mass^. 


RAPPORT   SUIl   LES   ARMES   A    PERCUSSION  ,    SYSlEMi: 
DE  SfiCURITfi , 

Par  M.   Fontenau  ,  de  Nantes. 


Messieurs  , 

Dans  sa  seance  dii  13  fevrier  dernier,  I'Acatleraie 
a  enlendu  M.  Fonlenau  ,  de  Nantes,  lui  expliquanl 
un  nouveau  sysleme  de  securile  ,  dont  i!  est  I'in- 
venteur  ;  ce  sysleme  applicable  aux  armes  a  per- 
cussion, est  destine  a  prevenir  ies  nombreux  accidents 
dont  on  entend  si  frequemment  parier.  Organe  de 
la  commission  (l)quevous  avez  nommee  pour  exa- 
miner celle  invention  ,  je  viens  vous  en  enlretenir. 

Avanl  de  nous  occuper  de  la  decouverte  de  M. 
Fontenau  ,  il  ne  sera  peut-eire  pas  superllu  de  nous 
arreter  un  instant  sur  le  raecanisme  acluel  des 
armes  a  feu,  ei  sur  Ics  causes  d'accidenls  inherenles 
a  ce  mecanisme. 

Chacun  Ic    sait  :  dans    Ies  armes  a    percussion  , 

•une  niinime  quantite  de  fulminate  de  mcrcure  ,  1(5 

milligrammes  environ  ,   renfermee    dans  une    petite 

capsule  de  cuivre  et  couvrant  la  lumiere   de  I'arme, 

s'enflamme  sous  le  choc   d'une  espece  de    marteau 

(1)  MM.  Mas  Sulaine,  Matiinene,  Lcchat,  Duparc,  el  P.  Masse, 
rapporteur. 


I 


—  133  — 

;i|)|)ele  chien  ,   ct  delerniinc    ainsi   I'explosion   de    la 
poudre  h  laqiielle  elle  sen  'ramorce    De  la  ,  on  le 
voii  ,  doivent  provenir  el  proviennent  aussi  une  foule 
d'accidenls.    En    effel  ,    qu'on  veuille   desarmer    un 
fusil ,   en    meme  lemps  qu'un    doigt   presse    sur  la 
delenle  pour  aballre  le  chien,  un  autre  le  maintienl 
pour  eviier  qu'il    ne   s'abaisse  brusquernent  el   avec 
violence ,  el   que ,    par   le  choc  ,    il   n'enflamme  la 
poudre    lulminanle.    Mais    sail-on  que  la    force    du 
rossort  qui   precipile    le    chien  sur  la    capsule   pent 
s'evaluer  en  poids  h  six  el  meme  sepl  kilogrammes, 
el  prend-on  loujours  les  prf^caulions  necessaires  pour 
soulenir    ce    poids?    Evidemmenl  non.    D'un    aulre 
cole  ,  quand    on    sail   qu'un  choc  equivalant  a  Irois 
kilogrammes  seulemenl  suffil    pour  determiner   I'ex- 
plosion  de  la  poudre  fulminanle,  on  comprendra  que^ 
si  le  cliien  abaisse  sur  la  capsule,  est  souleve  d'un 
centimeire  environ  el  ensuile  abandonne  a  lui-meme, 
I'explosion  aura  lieu.  Bien  plus,  un  choc  peu  violent 
poriani  directemenl  sur  le  chien,  produira  le  meme 
effel.   Or,   dans  combien  de  circonslances  ,  soil    par 
i'inattenlion  du    chasseur  en  desarmant  son    arme , 
soil  par  des  causes  independantes  de  lui-meme,  en 
traversanl  un  fos^e  ,   une  haie,    en  monlanl  en  voi- 
ture ,  etc.,    dans    combien  de  circonslances  ,  dis-je, 
se  renconlrenl  loules   ces  causes  d'accidenls.     Elles 
sont  tellemenl  nombreuses ,   que  ce  n'est  en  quelque 
sorle  qu'en  Iremblant    qu'on  peut  manier  un  fusil  ; 
el  I'indiffercnce  ne  se  rencontre  que  chez  ceux  dont 
I'habilude  a  excite  I'incune. 

A  cote  de  ces  considerations  de  premier  ordre 
viennent  s'en  placer  d'aulres  ,  secondaires  il  est  vrai, 
mais   non  sans   importance.    Par    le    choc   brusque 


—  IM  — 

clii  chien  sur  I'exiremile  de  la   diemince,  il  s'allacho 
souvenl   a  celle-ci    des   fragments    du    cuivre  de    la 
capsule,  qui  obligenl  a  de  fi-equeiils  el  ennuyeux  nei- 
joyages  ;    quelquefois    aussi    il    reste  sur    cetle  ex- 
iremile    des    parcelles    de    fulminate     qui  peuveni 
devenir  des  causes  d'accidenls,  alors  que  I'absence 
des  amorces  les  fail  moins  prevoir.  Ue  plus  encore, 
par  le  choc  brusque  donl    nous  venous  de    parler  , 
la  parlie    superieure  de     la    cheminee,   comme    la 
parlie   du  chien    qui  frappe  sur   eile,  eprouvanl  un 
conlacllrop  violent,  elles  se  deleriorenl  mutuellemcnt 
et  elles  enlrainent  a  des  reparations  onereuses.  Di- 
sons  encore  que  dans  la  construction  acluelle  de  nos 
armes,  les  debris    du  cuivre   de   la    capsule  n'etant 
relenus  par   rien  ,  ou  ne  Telanl  pas  assez ,  peuveni 
etre  lances  dans  loules   les   directions  ct  blesser  Ic 
chasseur,  soil  aux  mains,  soil  a  la   figure. 

Tous  ces  defauis  sont  irop  graves  pour  etre  de- 
nieures  inaper^us  jusques  aujourd'hui  :  aussi  plusieurs 
syslemes  destines  h  les  allenuer  ou  i  les  detruire 
onl-ils  deja  ele  presentes.  Dans  I'un  ,  imagine  par 
M.  Ch.  Random,  baron  de  Beranger ,  un  levier 
courbe  ,  mobile  aulour  d'un  axe,  constilue  I'appareil. 
Dans  sa  position  nalurelle ,  rexlremiie  de  ce  levier 
se  irouve  en  parlie  sous  le  chien  cl  le  mainiienl  a 
une  faible  distance  de  la  capsule,  do  sorle  qu'il  est 
impossible  qu'un  choc  quelconque  fasse  partir  I'arme. 
Pour  faire  feu  ,  le  fusil  elant  arme  ,  on  appuie  un 
doigl  sur  un  menlonnet  place  sous  I'arme,  en  avant 
du  ponlet  de  sous-garde,  alin  d'ecarier  le  levier  de 
sa  position  premiere,  el  en  meme  temps  on  presse 
la  detente  du  fusil.  Le  coup  parti,  un  ressort  place 
en  arriere  du  menlonnet  ramenc  le  levier  a  sa  po- 
sition nriniilivo. 


—  135   — 

line  aulre  disposition  proposee  par  Redforl,  ar- 
murier  a  Birmingham,  est  beaucoup  plus  compliqnee  : 
nous  n'en  cssayerons  pas  la  description,  nous  con- 
lentanl  de  dire  que  son  usage  serait  probablemeni 
incommode  pour  beaucoup  de  personncs  ,  puisque  la 
decharge  n'aurail  plus  lien  en  pressant  la  detente 
avec  I'index,  mais  bien  en  appuyani  avec  le  pouce 
sur  une  cheville  placee  au  dessus  du   lonnerre. 

Sans  nous  arreter  davanlage  a  un  aulre  systeme 
de  securite  dont  un  M.  Sommerville  est  I'lnvenleur 
brevele,  sans  parler  non  plus  de  plusieurs  autres 
dispositions  que  le  temps  el  I'experience  paraissent 
avoir  voues  i  I'oubli ;  disons  tout  de  suite  que , 
mieux  el  plus  heureusemenl  que  ses  predecesseurs, 
M.  Fonlenau  nous  parall  avoir  ecnrle  avec  succes  les 
nombreuses  causes  d'accidents  qu'enlraine  avec  lui 
le  mecanisme  acluel  de  nos  armcs  a  feu. 

Pour  arriver  h  ce  resultal  immense,  il  a  suffi  h 
M.  Fonlenau  de  modifier  legerement  le  cbien  el  la  clie- 
minee.  D'abord  la  parlie  du  cbien  ,  la  tele  qui, 
dans  les  armes  a  percussion,  frappe  diroctcment  sur 
la  capsule  el  en  determine  I'explosion  ,  est  rendue 
mobile  c^  volonle.  Cetle  tele  est  foree  cylindrique- 
mcnl,  taraudee  h  son  inlerieur,  el  recoil  une  vis 
a  tele  cannelee ,  qu'on  pent  faire  tourner  avec  les 
doigls.  Cette  vis  fail  I'oflice  de  marteau.  La  che- 
minee,  plus  basse  qu'on  ne  les  fail  dhabilude,  est 
calculee  dans  sa  hauteur,  de  telle  sorte  que,  lorsque 
la  vis  est  descendue  au  point  le  plus  bas  qu'elle 
puisse  atleindre,  elle  ne  laisse  que  le  vide  que  de- 
vra  remplir  la  capsule.  De  plus ,  I'embase  de  la 
cheminee  est  plane  ,  cylindrique  el  de  meme  dia- 
m^lre  que  la  t6te  du  cbien  ,  avec  laquelle  elle  est 
I.  10 


—  436  — 

ajuslee.  AjoiHons  encore  que  la  vis,  le  iiiarleau  mo- 
bile, pcrce  tronsversalemenl,  regoil  une  peiile  gou- 
pille  de  liois  dur  destinee  a  adoiicir  le  mouvemenl 
ascendant  ou  descendant  de  cette  vis,  el  que  la  tele 
du  chien  oil  elle  se  trouve  placee  est  fendue  sur  sa 
partie  anlerieure  pour  faciiiter  rechappenient  des  gaz. 

Examinons  mainlenant  ce  qui  doit  resnlter  de  ces 
modifications  aussi  simples  qu'ingenieuses.  Si  je  me 
suis  bien  explique,  chacun  comprendra  qu'en  re- 
montant la  vis  d'un  demi  lour  seulement,  on  rend 
impossible  toul  contact  entre  le  chien  el  la  capsule, 
el  qu'ainsi  I'explosion  n'aura  pas  lieu.  On  compren- 
dra aussi  qu'en  enlevant  cette  vis,  on  rendra  I'arme 
lout  a  fail  inoffensive  et  pouvant  elre  maniee  sans 
danger  par  les  personnes  les  plus  inexperimenlees. 
II  esl  aussi  facile  de  voir  que,  puisque  la  lete  du 
chien  en  s'abaissant  sur  Tembase  de  la  cheminee 
opere  avec  celle-ci  une  fermelure  complete ,  tout 
crachement  lateral,  tout  eclat  de  fragmenis  de  cap- 
sule sont  impossible:--.  Disons  encore  que  si  la  cap- 
sule etait  retiree ,  les  parcelles  du  fulminate  qui 
resteraienl  sur  la  cheminee  ne  pourraienl  plus  faire 
explosion,  la  vis  n'operanl  aucune  pression  sur  ces 
restes.  Esl-il  necessaire  de  faire  remarquer  que  le 
choc  elanl  seulement  necessaire  pour  ecraser  I'a- 
morce ,  le  chien  ne  fera  plus  emporie-piece  sur  la 
cheminee ,  et  le  cuivre  de  la  capsule  ne  penelrera 
plus  dans  celle-ci. 

Dans  une  conversation  que  voire  rapporteur  a  eue 
avec  M.  Fonlenau,  celui-ci  a  fait  ressortir  deux  avan- 
tages  qui  ne  peuvent  elre  passes  sous  silence  :  c'esl, 
d'abord ,  la  grande  faciliie,  dans  un  moment  de 
trouble  ou  d'invasion,  d'empecher  ccux  qui  s'empa- 


I 


—  157  — 

reraienl  des  armes .  d'cn  fairc  un  usage  nuisihle  : 
il  ne  suflil  pour  cela  que  d'enlevor  Ics  vis  marieaux. 
C'esl  cnsuile,  dans  les  manoeuvres  d'inslruclion  de 
Farmee,  de  savoir  si  les  soldals  execulenl  avec  pre- 
cision les  feux  d'ensemble  :  il  osl  impossible  au- 
jourd'hui  de  s'en  assurer,  les  cheminees  elanl  cou- 
verlcs  de  tampons,  inuliles  dans  le  nouveau  sysleme , 
puisque  le  chien  frappera  desormais ,  non  sur  la 
parlie  superieure  do  la  cheminee  ,  mais  sur  I'em- 
base  deslinee  bt  le  recevoir. 

Nous  ne  vous  enlretiendrons  pas  de  I'approbaiion 
complete  que  M.  Fontenau  a  rencoulree  pres  de  plu- 
sieurs  personnes  eminenles,  pres  de  plusieurs  socie- 
les  savanles  ou  induslricllcs  el  d'un  grand  nombrc 
d'armuriers;  nous  nous  conlenterons  de  dire  que  sa 
decouverle  a  ete  partout  chaleureusement  accueillie, 
et  pour  terminer ,  nous  la  resumerons  en  disanl 
que  la  tete  du  cbien  rendue  a  volonle  ,  soil  mar- 
teau  frappanl  sur  la  capsule  el  I'ecrasanl,  soil  cy- 
lindre  I'enveloppanl  de  loules  parts  sans  la  toucher, 
forme  la  parlie  essenlielle  d'un  sysl6me  dont  la 
simplicile  n'exclul  pas  I'elegance  ,  el  qui  nous  parail 
avoir  reuni,  mieux  qu'aucun  aulre,  tous  les  elements 
desirables  de  securite. 

Un  raol  encore,  line  question  adressce  h  M,  Fon- 
tenau par  plusieurs  de  nos  collegues  peul  irouver 
ici  sa  reponse.  On  deraandail  si  ce  sysleme  de  se- 
curilc  pouvail  elre  applique  a  toules  les  armes  a 
percussion  dans  leur  elal  actucl,  el  on  desirait  elre 
fixe  approximalivemenl  sur  la  depense  qu'occasion- 
nerail  ce  changemenl.  Par  les  renscignemenls  qu'il 
s'esl procures,  voire  rapporteur  croil  pouvoir  repondre 
alTirmalivemcnl  a  la  premiere  partie  de  la  (piesiion  ; 


—  138  — 

el  quanl  h  la  seconde,  quoiqu'elle  soil  soumisc  h 
roi-neraentalion  de  I'arme  ,  loul  le  porle  a  croire 
que  cetle  depense  serait  d'environ  15,  20  k  25  fr. 
pour  un  fusil  double. 

Voire  commission  ,  Messieurs  ,  en  prenant  des 
conclusions  enlieremenl  favorables  a  la  decouverle 
de  M.  Fonlenau ,  pense  qu'il  a  realise,  pour  les 
armes  a  feu  ,  celles  de  chasse  surtoul,  un  progres 
de  la  plus  haute  importance,  et  qui  doil  d'autanl  plus 
fixer  rallention  de  I'Academie  ,  que  celte  decouverle 
qui  se  recommande  au  poinl  de  vue  induslriel  ,  a 
plus  de  lilres  encore  au  point  de  vue  de  I'liumanite. 


I 


—  139  — 
BEAUX-ARTS. 

Leeliirc  de  SI.    Max.  Sulaice. 


QUELLES  SONT  LES  CAUSES  DES  REVOLUTIONS  QUE  LES 
BEAUX-ARTS  ONT  SUBIES  DEPUIS  L'a1NTIQU1T6  JUS- 
QU'a  NOS  jours  ET  quels  SONT  LES  ENSEIGNEMENTS 
QU'lL  FAUT  EN  TIRER  POUR  ASSURER  l'aVENIR  DE 
l'art  (1)? 


Les  beaux-arts  sont  a  la  vie  ce 
que  les  fleurs  sonl  a  la  lerre  ;  Ms 
la  colorent  et  rembellisscnt. 


II  elail  diflicile  peul-elre  de  renconlrer  une  ques- 
tion qui ,  aux  lumieres  qu'elie  est  appeiee  h  repandrc 
sur  riiisloire  generale  de  I'arl ,  joignit  a  un  plus 
haul  degre  les  avanlages  de  I'opporiunile  el  dc  I'a- 
propos.  La  solution  n'en  sera  pas  d'une  decouveile 
facile,  sans  doule,  el  nous  n'osons  nous  flatter  de 
I'espoirde  I'avoir  Irouvee  ;  mais  il  n'esl  pas  moins  cer- 

(1)  Cellc  question  a  ete  misc  an  concoiirs  en  ISiO-ISSl  ,  par 
I'Academie  nalionalo  des  bfillcs-leUrcs  ,  sciences  ct  arts  de  Boi- 
deanx,  qui  a  accorde  une  dcux-cnie  nieilaille  d'arsjcul  (|>elii 
tiiodule  I  a  rantcur  ile  re  inemoire. 


—  iliO  — 

tain  que  la  coiulilion  acluelic  dts  arlisUs  ol  Taspeci 
general  des  expositions  depuis  plusieurs  annees  re- 
clamenl  raltenlion  serieuse  des  hommes  pour  qui 
I'art  n'est  pas  seulemenl  un  delassement  frivole,  une 
coiileusc  satisfaclion  de  luxe. 

II  est  lemps,  el  nous  devons  remercier  rAcademie 
de  Bordeaux  de  I'avoir  si  bien  compris ,  il  est  temps 
de  rechercher  les  causes  de  ce  relachement ,  de  ce 
sceplicisme  faials  qui  ont  fait  invasion  dans  le  culle 
de  cette  religion  si  veneree  des  anciens  maitres  ,  qui 
onl  jele  Ic  doute  dans  I'esprit  des  adeptes ,  el  frappe 
d'aveuglement  quelques-uns  des  grands  prelrcs  eux- 
meraes ,  bien  pres  d'adorer  I'idole  h  la  place  du 
vrai  Dieu. 

Les  beaux-arls,el  nous  presumons  que  I'Academie 
de  Bordeaux  a  enlendu  parler  surtout  des  produc- 
tions qui  se  rattachenl  a  I'arl  plastique ,  les  beaux- 
arts  ont  subi  la  loi  commune  des  choses  de  ce  monde 
ou  rien  n'est  immuable  ni  elernel ,  el  les  revolutions 
qu'ils  onl  Iraversees  ont  etc  soumises  elles-memes  a 
I'influence  de  celle  instabilile  universelle.  Elles  sont, 
selon  nous ,  religieuses ,  politiques  el  morales.  C'esl 
aussi  sous  ce  triple  rapport  que  nous  les  conside- 
rons. 

Religieuses :  sous  I'influence  du  paganisme  mytho- 
logique  et  de  la  revelation  chrelicnne; 

Politiques:  par  les  revolutions  violenles  ou  paci- 
(iques  qui  onl  amene  les  transformations  successives 
des  peuples  ; 

Morales :  sous  la  pression  des  mceurs  de  la  mode 
et  du  caprice  des  di verses  socieles. 

Telles  sont,  a  noire  sens,  les  phases  par  lesquelles 


—  i/ll  — 

ont  passe  les  i)eaux-arls  depuis  les  grands  jours  dc 
la  (ir^ce  jiisqu'h  noire  epoque  d'inccrtilude ,  nous 
serious  lenle  de  dire,  de  confusion,  ou  le  talent 
(el  certes  ,  le  talent  propremenl  dil  n'a  jamais  peut- 
elre  ele  [)lus  repandu  qu'aujourd'hui  ),  ou  le  talent 
lui-meme  ne  sail  plus  quelle  route  il  doit  suivre , 
h  quelles  inspirations  il  doit  obeir. 

Quelle  religion  fut  plus  propre  a  provoquer  I'ima- 
gination  que  le  panlheisme  grce?  Sous  les  ardeurs 
d'un  climat  oii  chaque  sens  avail  un  culte  ,  ou  le 
sensualisrae  s'etait  fait  Dieu  ,  les  arts  devaienl  faire 
de  rapides  progres.  II  y  a  .'oin  de  la  Diane  d'Eph^se, 
grossierement  taillee  dans  un  tronc  d'arbre,  au  Lao- 
coon  des  Irois  sculpleurs  de  Rhodes  ( 1 ) ;  de  la 
peintiire  monochrome  de  Cleophantede  Corinthe,  aux 
merveilles  de  Zeuxis  el  d'Apelles!  Mais  comme  I'in- 
(ervalle  qui  les  separe  est  rempii !  Que  de  richcsses 
sur  celte  route  dont  chaque  jalon  est  un  chef- 
d'oeuvre  ! 

La  religion  mythologique  ,  en  meme  temps  qu'ellc 
encourageait  la  liberie  des  mceurs ,  deployait  un 
horizon  plus  vaste  devanl  I'imaginalion  de  I'artiste. 
Sans  s'ecarler  du  bon  gout ,  qui  ne  les  abandonna 
jamais ,  les  peinlres  el  les  sculpleurs  grecs  purenl 
se  livrer  aux  capricieuses  fantaisies  de  leur  genie  ; 
ils  n'hesilerenl  pas  a  exposer  des  nudites  aux  regards 
de  populations  trop  amoureuses  elles-memes  de  I'arl 
pour  s'eionner  de  ses  hardiesses.  Ce  que  la  religion 
chrelienne  ne  leur  eul  pas  permis,  ils  purent  I'oscr  ; 
et  I'hommage  m6me  qu'ils  rendaient  a  leurs  dicux 
avail  d'autani  plus  de   prix   que  la  forme  qu'ils  lour 

(I)  Agesandrc,  I.ysidore  cl  Atlienoclore. 


—   U2  — 

prelaienl  ciail  plus  noble  el  plus  irreprochable.  Aussi 
nul  n'a-l-il  autanl  qu'eux  approche  de  la  perfection 
flans  la  represenlalion  du  corps  humain ,  le  type 
eternel  de  la  bciiuie.  Ces  grands  maiires,  morts  de- 
puis  2,000  ans,  n'ont  pas  eie  surpasses  depuis  el 
seront  loujours  admires  el  consultes  comme  les  mo- 
deles  les  plus  purs.  II  ne  nous  resle  rien ,  malheu- 
reu^emcnt ,  des  peinluros  de  Zeuxis  ,  d'Apelles  ,  de 
Pharrasius  d'Ephesc ,  d'Apoilodore  d'Alhenes  el  de 
tant  d'autrcs  de  leurs  emules  donl  les  chefb-d'ceuvre 
n'ont  pu  parvcnir  jusqu'ii  nous;  inais  la  celebrile 
qu'avaienl  acquise  cos  raerveilles,  demontre  suflisain- 
racut  que  les  peinlres  grecs  ne  le  cedaient  en  rien 
a  leurs  iVeres  les  sculpteurs. 

El  puis,  les  mceurs  elles-meraes  de  celte  epoque 
privilegice  seconderent  puissammenl  la  religion  el 
aidereni  aciivemenl  au  developpemenl  des  arts.  Ce 
peuple  grec  si  renomnie,  h  jusle  tilre  ,  pour  son 
elegance,  son  aliicisme,  au  milieu  meme  de  ses 
licences ,  n'aurait  pas  facilement  laisse  I'arl ,  qui 
etait  pour  lui  une  seconde  religion ,  faire  fausse  route. 
Le  peinlre,  le  slaluaire  qui  aurail  sacrifie  aux  faux 
dieux  du  mauvais  goul,  ou  se  seraii  laisse  aller  a 
quelque  prosaique  familiarite,  aurail  succombe  bien- 
lot  sous  les  trails  m  "rtels  du  sarcasme  el  du 
ridicule. 

L'amour  et  le  respect  de  I'arl  elaicnl  alors  tene- 
ment repandus  et  si  profondement  enracines  dans  les 
moeurs  que  ,  par  un  accord  lacite  et  reconnu  de  lous  , 
I'atelier  de  I'arliste  jouissail  .  pour  ainsi  dire ,  du 
droit  d'asiie  parmi  ccs  republiques  celebres  par  leurs 
conlinuels  decbiremenls.  Au  milieu  de  leurs  san- 
glanies  divisions,  les  tableaux,   les  statues   el  leurs 


—  1/ls  — 

auteuis  etaicnl  loujonrs  epargnes.  Qiianil  Demetrius 
Poliorcele  assiegeait  Rliotles  (vers  I'aii  550  avant 
Jesus-Chiisl),  Prologene  peigiiait  iranquillemenl  dans 
un  (Jes  faubourgs  de  la  ville  :  coinme  le  general 
macedonion  lui  icmoignail  son  elonnemcnl  de  ce 
calme  el  de  cclie  securile  :  Jn  sais  bien,  dil  le  pein- 
trc ,  que  Demelrius  ne  fait  pas  la  guerre  aux  arts. 
Et  Demelrius,  en  effel,  fil  respecter  la  demeure  de 
I'artisle. 

II  y  a  loin  de  celle  reponse  el  de  celle  mansue- 
lude  du  vainqueur  a  la  ferocile  sauvage  du  soldat 
romain  egorgeanl  froidemeni  ,  cent  ans  plus  lard  , 
Arcliimedo  (]ue  le  bruil  des  armcs  n'avait  pu  dislraire 
de  ses  savanles  meditations. 

Plus  lard  encore,  en  1527,  lors  du  sac  de  Rome 
par  les  Espagnols,  un  autre  peinlre  celebre,  le  Par- 
mesan ,  s'il  ne  payail  pas  de  sa  vie  son  zele  pour 
I'arl,  voyail  du  moins  avec  douleur  son  atelier  devasle 
par  une  soldatesque  brulale.  La  civilisation  avait-elle 
beaucoup  gagne  pendant  les  dix-ncuf  siecles  qui 
s'elaienl  ecoules  depuis  le  siege  de  Rbodes  ? 

Alexandre  le  Grand  Irailail  en  amis  ses  peinlres 
ordinaires  (^lion  el  Apelles;  laudis  qu'il  recompen- 
sail  genereusemenl  le  premier  pour  le  tableau  repre- 
senlanlson  manage  avec  Roxane,  il  donnail  a  Taulre 
sa  mailresse  preferee. 

Un  peu  plus  lard ,  les  habitants  de  Pergarae  ache- 
laienl ,  des  deniers  publics ,  un  palais  en  mines 
renfermanl  quelques  ceuvres  du  peinlre  de  Cos  el 
suspendaient  son  corps  a  la  voulc  dans  un  reseau  de 
ills  d'or. 

Aussi ,   le   siede    qui    sepaia   Phidias ,   riinmurlel 


auleur  du  Jupiter-Olympien ,  d'Apelles,  qui  florissaii 
environ  o50  ans  avanl  Jesus-Christ  ,  fut-il  verila- 
blement  I'age  d'or  de  I'arl.  Sculpteurs ,  peinlres  , 
archilecles  honores  et  feles  h  I'envi  par  une  popu- 
lation donl  les  ancelres  avaient  applaudi  ie  divin 
Homere,  par  une  population  enlhousiasto  el  pas- 
sionnee  pour  toules  les  merveilies  de  rintelligence , 
couvrirent  de  chefs-d'ceuvre  Ie  sol  privilegie  qui  se 
montrait  si  hospitaller  pour  eux.  Sous  I'influence 
d'une  religion  scnsualiste  et  de  moeurs  voluptueuses, 
I'art,  materialisle  nous  Ie  voulons ,  mais  enfin  I'art , 
considere  au  point  de  vue  de  la  representation  du 
beau ,  grandit  et  atteignit  son  plus  haut  degre  de 
developpement.  A  ancune  epoque ,  peut-etre  ,  il  ne 
resplendil  d'un  plus  vif  eclat. 

Mais,  comme  si  la  nature  ,  epuisee  par  un  si  fecond 
enfaiileraent,  avail  eu  besoin  de  repos  •,  ou  plutot , 
corame  si  la  Providence ,  pour  nous  fairc  apprecier 
davantage  ses  bienfails ,  avait  voulu  faire  succeder 
les  tenebres  a  la  lumiere  ,  I'epoque  d'une  rapide 
decadence  approchait. 

L'orage  grondail  a  I'Occidenl  ;  un  peuple  ,  avide 
de  conqueles ,  auquel  I'Europe  ne  suflisait  deja  plus 
et  qui  revait  I'empire  d'Orient,  so  precipilait  vers 
I'Asie.  Le  torrent  dechaine  nivela  ,  en  passant ,  ces 
r6publiques  enervees  par  leurs  dissensions  intestines 
et  incapables  de  lui  opposer  une  digue  serieuse.  Quand 
les  Barbares  envahirent  le  sol  de  la  Grece,  devenue 
desormais  province  romaine,  I'art,  eperdu  ,  eteignil 
son  flambeau  et  remonta  vers  I'Olympe  pres  des  dieux 
dont  il  avait  si  bien  rendu  I'image. 

A  partir  de  celte  epoque,  la  peinture  et    la  scul- 
pture sommeillerenl  |)cndanl   des  sicclcs  ,  jusqu'li  ce 


—  l/i5  — 

qu'unc  religion  nouvellc  vinl  Ics  lirer  de  leiir  lelhar- 
^\e  pour  les  conronner  d'niie  aureole  plus  pure  , 
sinon  plus  brillantc ,  que  lo  myrllic  d'or  donl  avail 
resplendi  leur  front. 

La  revolution  donl  la  guerre  elrangere  avail  frappc 
I'art,  lui  ful  morlelle  ;  non  que  les  Remains  fussent 
insensibles  a  ses  beautes  ,  niais  leurs  moeurs  posi- 
tives ,  leur  organisation  guerrierc ,  cetle  avidiie  dc 
conquetes  qui  les  entrainait  dans  des  expeditions 
incessanles  el  lointaines,  s'opposaient  a  ce  que  I'art 
s'implantal   profondemenl  dans  leur  sol. 

Les  emolions  delicales  el  douces  qu'il  provoquc 
nc  pouvaienl  suflire  a  ce  peuple  devore  par  une 
agitation  fievreuse,  qui  ne  lui  laissait  ni  treve  ni 
repos.  Ce  qu'il  lui  fallail,  a  ce  peuple,  c'etaicnl  Ics 
peripetios  sanglanies  du  cirque,  I'agonic  des  gladia- 
teurs,  les  rugissemcnts  des  betes  feroces  dans  I'arene ; 
el  cependanl ,  a  la  vuc  des  ricliesses  de  ses  rivanx  , 
il  comprit  que  quelque  chose  manquail  encore  a  son 
luxe. 

Alors,  seniblablcs  a  ces  parvenus  qui  achelent  a 
prix  d'or  la  noblesse  pour  deguiser  la  vnlgaritc  de 
leur  origine  ,  les  Romains  spolierenl  les  nations  con- 
quisesel  peuplerenldc  leurs  chefs-d'oeuvre  leur  proprc 
capilale.  Les  merveilles  du  Parthenon  enrichirenl  Ic 
Capilole ,  el  la  solitude ,  trisle  presage  des  mines  , 
se  fit  dans  les  temples  devastes  dc  la  Grece. 

Les  noms  de  pointres  romains  de  quelque  merilo 
que  nous  a  conserves  I'histoire  ,  sent  pen  nombrcux; 
el  parmi  ceux  qui  sonl  parvenus  jusqu'a  nous ,  nul 
n'est  enloure  de  cetle  aureole  de  celebrile  donl  brillenl 
ceux  des  artistes  grecs.   Le  plus  ancien  parail  avoir 


ele  Fabius  ,  surnomrae  Pictor,  qui  decorait ,  dil  Plinc 
I'Ancien,  le  temple  du  Salut  en  I'an  de  Rome  450. 
Nous  relrouvons  ensuite  Sopolis  et  Dionysius ,  qui 
vivaient  environ  100  ans  avanl  Jesus-Clirist .  puis 
Ludius ,  qui  florissail  sous  Augusle ,  et  quelques 
autres  donl  les  noms  el  les  ouvrages  sonl  peu  connus. 

Le  statuaire .  en  raison  de  la  plus  grande  duree 
que  prometteni  ses  ceuvres,  devait  flatter  davantage 
la  vanite  de  ces  maitres  du  monde  qui ,  dans  leur 
orgueil ,  aspiraient  k  Timmortaiite  Chacun  alors, 
croyaiit  interesser  la  poslerite  a  son  souvenir,  voulail 
lui  leguer  son  effigie.  Tandis  que  la  pierre,  le  marbre, 
le  bronze,  voles  par  la  patrie,  se  faconnaient  pour 
la  plus  grande  gloire  des  triomphaleurs  ,  les  patri- 
ciens  ,  les  simples  ciloyens  ,  les  aff'ranchis  mettaient 
a  contribution  les  carrieres  de  Paros  et  d'ltalie.  Le 
poete  Lucius  Aetius  faisait  placer  sa  statue  dans  le 
temple  des  Muses  ,  comme  si ,  pour  se  rendre  im- 
morlel ,  il  avail  plus  compte  sur  I'habilete  du  scul- 
pleur  que  sur  le  merile  de  ses  propres  oeuvres 
tragiques. 

Aussi  la  statuaire  fut-elle  plus  en  honneur  k  Rome 
que  la  peinture ,  et ,  sous  I'influence  de  cette  passion 
de  gloire  posthume  qui  s'etaii  emparee  de  tons,  un 
peuple  de  bronze  et  de  marbre  couvrit  bientol  la 
ville  et  disputa  le  sol  aux  vivants  (1). 

Mainlenanl :  le  talent  ful-il  a  la  hauteur  de  sa  fe- 
coudite?  On  est  autorise  a  se  decider  pour  la  negative, 
quand  on   sail  qu'une  loi   ful    rcndue  a  Rome   qui 

(i;  Plinc  nous  apprenil  ipic  sous  I'odilite  dc  Scaurus  un  seul 
Ihealie  ,  qui ,  encore,  n'elait  (jue  [lr()vi!^oil•c,  rcufennait  3,000 
stalucs. 


—  Mil  — 

frappaii  d'une  amende  le  sculpteur  dont  I'oeuvre 
pechait  centre  les  regies  de  Part  et  ne  satisfaisait 
pas  le  clienl.  II  est  triste  de  penser  que  le  laissez- 
aller,  le  sans-fagon  des  slatuaires,  plus  empresses 
de  produire  beaucoup  que  de  bien  faire,  avaienl 
rendu  necessaire  un  pared  edit. 

C'est  qu'en  effel ,  h  I'exceplion  de  I'architeclure, 
qui  apparlient  plul6t  an  domaine  de  la  science , 
I'art  enlrait  deja  dans  une  ere  de  decadence.  II 
fallait  h  ces  palriciens  gorges  d'or  de  sompluetix 
palais,  des  cirques  immenses  a  ce  peuple  passionne 
pour  les  spectacles.  Aussi  les  restes  majestueux  des 
monuments  que  les  si§cles  ont  respectes,  attesienl-ils 
le  degre  de  perfection  que  leurs  architectes  avaienl 
alleint. 

Mais  la  peinlure  et  la  staluaire,  declines  de  leur 
ancienne  gloire,  n'elaient  plus  qu'un  metier,  qu'une 
speculation  (1).  Merveilleusoment  secondes  par  les 
debordements  d'un  luxe  qui  ne  connaissail  plus  de 
bornes,  les  artistes  avaient  compris,  qu'impuissants 
a  reveiller  la  delicatesse  de  I'intelligencc  usee  par 
les  exces,  ils  n'avaient  plus  d'aulre  ressource  que 
de  Hatter  I'orgueil  et  la  vanile. 

Bientol  le  bronze  parut  trop  froid  et  irop  severe ; 
il  faisail  tache  sous   les  portiques  de  marbre,  conlre 

(I)  Aulrefois  le  cuivre  dlait  mele  a  I'or  et  a  I'argent,  et  ce- 
pendant  le  travail  elait  plus  precieux  que  la  nialiere.  Aujourd'hui 
on  ne  saurail  dire  lequel  vaut  le  moins.  Chose  singuliere,  tandis 
que  le  prix  des  ouvrages  na  plus  de  bornes,  la  dignile  de  Tart 
est  an^antie.  En  effel,  on  s'est  mis  a  exercer  commc  tout  le 
reste.  pour  Tamour  du  gain,  un  art  qui  jadis  ne  s'exercait  que 
pour  la  gloire.  Pl,ne,  I.  xxxit,  §  m 


—  ihs  — 

les  lambris  mix  biillaiiies  niosaiques.  La  slaluaire 
dul  sc  mcUre  h  I'unisson  de  ccs  faslueuses  demcures 
oil  les  pierrcs  preciciises  clincelaienl  en  capricieuses 
arabesques^  oii  les  motaux  les  plus  riches  rayon- 
naienl  sous  loules  les  formes.  A  un  Neron  donl  des 
torches  humaines  eclairaienl  les  orgies,  a  un  Lucullus 
qui  devorait  dans  un  hanqucl  le  revenu  d'une  pro- 
vince ,  il  fallail  des  slaUies  d'or  el  d'ivoire.  Le 
sombre  aspect  de  I'airain  cut  allrisle  leurs  debauches. 

Des  lors^  le  prix  de  la  malicre  rempla^a  le  meritc 
de  I'oeuvre;  I'arl  degcnere  se  couvril  de  riches  ori- 
peaux  pour  voiler  sa  faiblesse. 

Ce  ne  ful  pas  tout  encore ;  sur  la  penle  rapide 
oil  il  clail  entraine,  de  nouvelles  atleintes  devaient 
prccipiler  sa  chute  et   completer  sa  ruine. 

Aux  epoqucs  de  materialisme  comme  celle  que 
subissait  Rome,  la  fortune  est  capricieuse  et  la  gloire 
pen  durable ;  le  triomphaleur  de  la  veille  est  bien 
pres  de  sc  voir  iraine  aux  gemonies,  et  le  vaioqueur 
du  jour  raremenl  sur  du  lendemain.  Dans  cetle  suc- 
cession rapide ,  cependant ,  il  fallail  bien  donner 
satisfaction  a  la  vanite  de  ces  puissances  cphemeres, 
qui,  dans  leur  orgueil  ,  voulaient  sc  faire  imperis- 
sables.  On  imagina  alors  ces  statues  banales  donl 
la  lele  mobile  se  changeail  a  volonle,  el  donl  le 
buste  supporlail  tour  a  lour  les  efhgies  des  favoris 
du  jour  (1).  Ce  ful  le  dernier  coup ;  I'art  devail  suc- 
comber  sous  la  home  d'une  telle  prostitution. 

fl)  La  peinlure,  qui  transmetlail  a  la  posterile  la  ressemblance 
la  plus  parCaile  des  personnages,  est  complelement  tombee  en 
desuetude.  On  consacre  des  ecussons  de  bronze,  des  effigies  d'ar- 
genl.  Insensible  k  la  difference  des  figures,  on  change  les  teles 
des  statues,  cl  l.i  dcssus  courent  depuis  longlemps  des  vers  sa- 
tyriques.  Plink,  livrc  xxxv,  <%.  ii. 


—  U9  — 

Helas !  en  efl'et ,  conimc  le  dil  Plinc  I'Ancien, 
I'art  expiraU,  sa  dignile  etait  amanlie !  La  peinlure 
et  la  sculpture  qui,  autrefois,  avaient  ete  en  si  grand 
honneur  cl  respect  que  des  hommes  libres ,  seuls, 
pouvaicnt  s'y  livrer,  furent  abandonnees  au  premier 
vcnu ;  des  csclavcs  purcnt  en  faire  metier  et  pro- 
fession (i). 

Leur  decadence  suivii  paralielement  la  decadence 
des  moeurs,  qui  devait  h  son  tour  liater  la  perte  de 
Rome.  Deja ,  en  efl'et ,  de  sourdes  rumours  ebran- 
laienl  le  sol,  des  presages  sinisires  remplissaienl 
I'air  ;  le  bruit  des  amies  reten'issail  au  loin  et  bientol 
des  hordes  barbares,  vengeant  les  defaites  des  auires 
peuples,  rayerent  I'orgueilleuse  mailresse  du  monde 
du  rang  des  nations.  Mors  peril  pour  toujours  I'arl 
antique  ;  le  colosse  en  lombant  I'avait  enlraine  dans 
sa  chute.  Ses  debris  se  refugierenl  dans  la  nouvelle 
capitalc  de  I'empire,  el^  sur  ces  restes  mutiles  el  sans 
gloire ,  Byzance  fonda  one  autre  ecole  oii  I'oeil 
chercherail  en  vain  quelque  inspiration  des  anciens 
maitrcs. 

Ainsi  la  revolution  avail  ete  complete.  Sensualisle 
sous  riiifluence  du  paiuheismc  grec ,  eleve  a  son 
apogee  par  la  delicatesse  de  moeurs  d'un  peuple 
passionne  pour  le  beau  ,  I'arl  commenga  a  s'aba- 
lardir  au  milieu  des  exces  des  mailres  degeneres 
de  ritalie,  el  finil  par  disparaitre  dans  le  lourbillon 
des  amies  el  sous  la  pression  de  la  revolution  po- 
litique el  sociale   amenee  par  la  barbaric. 

(I)  Plus  tard  I'an  do  la  peinturc  iie  se  trouva  plus  dans  des 
maios  honorables...  L.  xxxv,  §.  vii.  Nous  nous  en  liendrons  la 
sur  la  dignile  d'un  arl  qui  expire.  L.  xxxv,  §.  xi. 


-    150  - 

Mainlenant  nous  allons  le  voir,  eiilranl  uans  line 
periode  nouvelle,  s'epurer  sous  les  mysliquos  inspi- 
ralions  d'une  religion  loule  spirilualiste  et  repudier 
son  passe. 

Le  sang  des  martyrs  avail  lecondc  le  sol  ;  des 
milliers  de  disciples  confessanl  la  foi  nouvelle  allaieni 
repandant  parloul  ses  veriies,  el  les  bourreaux  eux- 
meraes,  converiis  par  renlraineraenl  de  leur  parole, 
s'etaienl  ranges  sous  la  banniere  de  ces  paciliques 
conqueranls.  Le  raonde  elail  devenu  chreiien  ;  I'art 
dul  le  suivre  dans  sa   iransformaiion. 

Lorsqu'apres  des  siecles  d'un  long  sommeil  il  se- 
coua  son  linceul ,  il  eul  honle  de  sa  nudil6  el  se 
voila.  Pour  oblenir  acces  dans  les  lemples  du  nou- 
veau  culte,  il  lui  fallul  revenir  a  sa  primitive  inno- 
cence el  rcvelir  la  robe  du  levile.  Ce  ful  alors 
que,  se  modelani  sur  les  chasles  images  des  basi- 
liques  byzaniines  el  des  couvenls  du  monl  Alhos  , 
les  naifs  el  admirablcs  sculpleurs  du  mojen-age  en- 
richirenl  nos  eglises  de  ces  ceuvres  ou  se  manifesle 
h  un  si  haul  degre  le  sentimenl  religieux.  Les 
slalues  antiques  pouvaienl  bien ,  par  leur  irrepro- 
chable  perfection ,  iroubler  les  sens  el  provoquer 
radmiraliou ;  mais  aucuue  d'elles  n'a  dii  parler  a 
Tame  comme  ces  pierres  au  maintien  rigide  et  d'une 
execution  pourlanl  si  simple  el  si  incorrecte.  C'est 
qu'on  sent  qu'une  foi  sincere  el  profonde  a  inspire  Tar- 
lisle  Chretien,  el  cette  foi,  en  rappelant  tout  un  passe, 
fail  rever  al'avenir,  C'esl  qu'aussi,  enlre  rarchileciure 
el  la  sculpture  religieuses,  il  y  a  une  telle  harmonie 
que  dans  nos  temples  Chretiens  I'ame  se  sent  degagee 
des  emanations  terrestres  et  aspire  vers  le  Ciel  comme 
ces  voutcs  hardies  donl  le  secret  semble  a  jamais 
perdu. 


—  151   — 

Enlre  I'arl  anliquo  el  Tail  du  inoycn-age  il  y  a 
Ja  dislanco  qui  separe  le  sensualisme  du  spiritua- 
lisme ,    la  maliere  du  seniiment. 

La  peiniure  maichaii  de  son  cole  sur  les  traces 
de  la  siaUiaire.  Au  xiii'  siecle,  des  maitres  venus 
de  la  Grece  enseignaienl  leur  art  a  I'llalie,  qui  ne 
larda  pas  a  les  surpasser.  Cimabue  ct  le  GioUo , 
dont  recole  dcvail,  deux  ^iecles  el  demi  plus  lard, 
recevoir  uii  si  grand  lustre,  arimaicnt  les  fresques 
el  la  loile  de  I'espril  dont  s'6laienl  inspires  les 
sculpteuis.  Nous  relrouvons  dans  leiirs  ceuvres  le 
raeme  senlimenl  religieux,  la  meme  conviction  de  foi. 

Ainsi  la  revoluiion  conimencee  en  Orient  s'ache- 
vait  en  Occidcnl ;  la  iransformalion  etail  complele ; 
il  ne  restail  plus  rien  de  I'arl  antique;  I'arl  religienx 
avail  desormais  prevalu. 

Faisons  observer  toulefois,  comnie  une  chose  digne 
de  remarque,  que  les  memes  deslinees  sembiaienl 
elre  reservees  a  tons  deux.  Le  premier  avail  gran- 
di  et  atteinl  sa  perfection  au  miiieu  des  guerres 
intestines  des  republiquos  grecques ,  le  second  s'etait 
develo|)pe  el  s'elail  eleve  a  son  apogee  malgre  les 
troubles  incessants  ct  les  divisions  des  rcpubliques 
d'ltalie.  Les  guerres  de  voisinage  n'avaienl  pas  ar- 
rele  leurs  progres  ,  la  guerre  etrangere  les  frappa 
morlellemcnl  lous  deux.  Les  barbares  accourus  du 
nord  de  I'Europe  chasserent  i'un  de  Rome  ,  son 
dernier  asile  ;  les  hordes  se  precipitant  du  nord  de 
I'Asie  sur  rempirc  d'Orienl,  renverserent  le  berceaii 
du  second.  Byzance  legua  ses  debris  a  I'llalie,  a 
I'llalie  qui  plus  tard  ,  a  son  tour,  vit  ses  ecolcs,  si 
brillanies  naguere  ,  succomber  sous  les  invasions 
successives  el  ses  musees  depouilles  par  le  vainqueur. 
I.  11 


—  152  — 

Avaiil  cepentlant  que  !a  I'alalile  s'appesanlil  sur 
elle ,  rilalie  .  loujours  sous  I'influence  roligiouse  , 
eui  Ic  temps  el  I'honneui  d'elever  I'arl  an  plus  haul 
(legre  de    perfeclion  qu'il   lui    ful  donne  d'alleindre. 

Les  ecoles  dc  Rome,  de  Florence ,  de  Venise  .  de 
Bologne  rivalisaienl  de  lalcnl  el  de  gloire ,  el  les 
seiiais  ,  les  princes  ,  les  chefs  de  I'Eglise  .  soutc- 
naienl  el  encouragcaienl  a  I'envi  ce  noble  elan. 
L'empire  de  la  foi  chreiienue  ,  I'aspeci  des  pompes 
de  la  religion  echauffaienl  renlhousiasme  des  artistes 
el  produisaient  ces  innombrables  chefs-d'oeuvre , 
inappreciables  lemoignages  d'une  puissance  de  genie 
que   nul   n'a   pu    egaler  depuis. 

L'iDfluence  est  si  manifeste,  que  la  poinHiro  se 
modifie  dans  chaque  contree  selon  la  nuance  reli- 
gieuse  qui  domine.  Pompeuse  el  grandiose  avoc 
Raphael  el  Michel-Ange ,  au  milieu  d/s  splendeurs 
de  Rome,  elle  se  fail  mystique  en  Allemagne  avec 
Albert  Durer ,  sombre  el  terrible  en  Espagne  avec 
Zurbaran  el  Ribeira  sous  la  pression  des  sanglanis 
mysleres  dc  I'inquisition  ,  monaslique  en  France 
avec  Eustache  Lesueur  ,  et  realiste  en  Belgiquc  sous 
la  palette  bardie  de  Rubens. 

Toutefois  rinfluencc  aussi  de  moeurs  plus  molles 
el  plus  relachees  se  lit  bienlol  sentir.  Les  madones 
du  XVI"  siecle  etaienl  plus  correcUs,  sans  doule , 
ct  plus  parfaiies  que  celles  du  xiv%  mais  elles  n'a- 
vaienl  deja  plus  la  meme  naivete ,  la  meme  candeur. 
Les  vierges  commencerenl  a  respirer  un  amour  plus 
charnel  que  mystique,  et  les  Madeleines  semblaienl 
plus  preoccupees  de  fairc  de  nouveaux  pecbeurs  que 
d'abjurer  leurs  errcurs   passees.    En   cherchani    bien 


—    153  — 

on  aiirail  pu  <lecoiiviir  dans  Ics  (rails  de  la  divine 
mere  du  Sauveur  (iiiclque  ressemblance  avec  ceux 
de  beanies  celebres  doni  la  veriu  n'avail  rien  de  ce- 
leste ;  mais  enfin  ,  grace  a  leur  lact  exquis ,  grace 
snrloul  an  respect  qu'inspirait  encore  I'arl  a  cette 
(^poque  privilegiee  ,  les  peinlres  de  ces  grandes  ecoles 
ne  prostituerent  jamais  lenrs  pinceanx ,  el  ne  s'ecar- 
terent  jamais  des  regies  de  la  distinction  el  de  la 
noblesse. 

Plus  lard  ^  quand  la  foi  commence  a  clianceier, 
quand  la  piete  vienl  a  perdre  qnelques-nnes  de  ses 
aspirations  celestes  el  que  Ics  croyances  s'enervent, 
la  peinlure,  mortc  en  Italic  avec  les  grandes  ecoles 
du  XVI'  siecle ,  abandonne  sa  palrie  d'adoplion  ou 
elle  ne  reparaii  plus  qu'a  de  raros  inlervalles.  Nous 
la  voyons  alors ,  errant  on  Europe,  inccrtaine  el 
sans  guide,  depouiller  sa  majeslc  el  obeir  an  caprice 
de  la  mode.  Elle  orne  bien  encore  queiquefois  les 
temples,  mais  en  meme  temps  elle  se  fait  mesquine 
el  bourgeoise  pour  obtenir  acces  dans  les  dcmeures 
privees.  L'intluence  des  moeurs  a  jjour  loujonrs  rem- 
place  celle  de  la  religion. 

Tandis  que  les  tavernes  enfumees  de  la  Hollande 
inaiigurenl  le  genre  trivial  qui  se  Tail  pardonner 
sa  vulgarite  a  force  de  perfection,  on  creo  en  France, 
h  I'usage  des  boudoirs  el  des  ruelles,  une  mylbologie 
de  convention  dont  les  deesses  liennenl  plus  de  la 
terreque  de  I'Olympe.  Les  amours  jouffluos  de  Boucher 
el  de  Fragonard  remplacenl  les  cherubins  de  I'llalie, 
et  les  bergeres  enrnbannees  de  Walteau  el  de  Lan- 
cret  succedent  aux  puissantes  inspirations  de  Uubens 
et  du  Varonese. 

Puis,  apres   la   gracieuse  frivolite  des  productions 


—  15a  — 

ties  epoques  de  la  rt-gence  el  de  Louis  XV,  vinl  la 
rigidilc  niimismalique  des  peinlures  de  la  rcpuhliquc 
el  de  I'empire.    La  politique  deleignil    sur  I'arl  qui, 
si  on  n'en  exceple  ceilaines  oeuvrcs,  d'un  merile  in- 
conteslable,  dues  a»x  principaux  chefs  d'ecoles,  n'eui 
que    mediocremenl  i\    s'applaudir   de   celle    invasion 
dans  son  domaine.  11  y  gagna  cependani,   il  faul  le 
reconnailre,  un  salulaire  reiour  a  des  eludes  plus  se- 
rieuses,  a  une  severile  de  lignes  que  les  exigences  du 
nouveau  sysleme  rendaienl  indispensables.  L'academie 
de  convenlion  succcda  aux  paysannes  el  aux  guerriers 
de  fanlaisie;  des  heros,   dont  la    correction  analo- 
mique  eul  delie  I'oeil  le  plus  exerc6,  se  baUirenl  reve- 
lus,  pour  toulc  armure,  du  fourreau  de  leur  glaive 
ou  de  la  hampe  de  leur  javelol.  La  peinlure  devinl 
symelrique,  reguliere,  compassee  peul-elre  ;  mais  elle 
se  (il  savanle  aussi ,  el  si  celle  science  nuisil  parfois 
au   nalurcl    el  a  la  verile  ,  elle  s'opposa  en  meme 
temps   comme  une  digue  puissanle    aux  envahisse- 
menls  de  I'ignorancc,  aux  vaniteuses  pretentions  de 
la   nulliie. 

Ce  fui  la  derniere  fois  que  la  peinlure  reconnul 
des  lois  et  s'astreignil  aux  exigences  de  I'enseigne- 
ment.  Jusque-la ,  les  ecoles  avaient  conserve  leur 
prestige,  el  le  respect  pour  la  parole  du  mailreelait 
encore  en  honneur.  Nous  n'etions  plus  au  temps, 
sans  doute,  ou  Raphael  peignail  dans  les  rues  de 
Rome,  enlourc  du  cortege  nombreux  de  ses  eleves  ; 
mais  enfin  I'alelier  etait  considere  encore  comme 
une  seconde  palrie  qu'il  n'elait  pas  permis  de  renier. 
Le  disciple  allail  y  rechauffer  son  talent  aux  glorieuses 
inspirations  de  la  science  el  du  genie,  comme  un  bon 
Ills  sent  son  cceur  s'elever  sous  I'influence  des  exem- 
plos  du   foyer  palernel. 


—    155  — 

Aujoiird'hiii les  lemps  sonl   bieii  changes!  uu- 

jourd'hui  la  fievre  de  rindependance  s'esl  emparee 
des  artistes.  Impalients  du  freiii ,  ils  rompenl  leurs 
lisieres  avanl  d'avoir  appris  a  marcher  sans  aide  ct 
veulont  prendre  leur  essor  avec  des  ailes  trop  foibles 
encore  pour  les  soutenir.  L'ari  est  bien  encore  nne 
religion;  mais  divisee  en  secies,  souvenl  enneniies 
irreconciliables  ,  celle  rehgion  a  perdu  I'unile  qui 
faisail  sa  force.  L'admirablo  ensembe,  qui  f;iisail 
dc  la  peinlure,  dc  rarchiteclurc  el  de  la  slatuaire 
un  tonl  homogene,  n'existe  plus  l.'absence  do  disci- 
pline, la  recherche  effrenee  du  nouveau  ,  qui  n'esi 
pas  loiijours  le  progres,  ont  brisc  ceite  presligiense 
harmonic  tlonl  les  Grecs  el  les  grands-mailres  du 
xvi"  siecle  avaient  si    bien   compris   la    necessiie. 

Aujourd'hni,  le  plus  mince  succes  de  salon  venant 
a  cxalter  des  teles  jeunes,  ardenles  a  la  huie,  desi- 
reuses  avanl  toui  de  celebrile,  chacnn  veul  eire  niailro 
el  se  faire  chef  d'ecole  a  son  lour.  A  def;iut  d'etudes 
serieuses  qui,  seules,  peuvenl  conduire  a  nne  gloire 
durable,  on  se  lance  h  la  poursuile  dc  I'inconnu. 
Sous  pretexte  d'originalile,  on  se  jelte  dans  des  ex- 
cenlriciies  bizarrcs  el  le  plus  souvenl  de  mauvais 
goiil ;  on  descrle  les  principes  severes  de  la  ligne 
el  du  dessin,  qui  ne  permellenl  pas  la  mediocrile, 
pour  courir  apres  ce  qu'on  appelle  la  couleur,  el 
on  se  croil  colorisie,  alors  qu'on  s'abanilonne  seule- 
nient  h  tous  les  hasards,  a  toules  les  extravagances 
<ie  la  palelle.  En  nn  mot,  suivant  I'expression  d'un 
spiriluel  critique  :  Ceux  qui  no  peuvenl  bien  faire 
veulent  au  moins  faire  autremenl. 

Nous  adnicltons ,  jusqu'a  un  certain  point,  les 
ecarts    des   verilables  chefs    de  ces  ecoles  de  loiilef- 


—  15C  — 

nuances ;  car  chez  les  homines  viaimcnl  supe- 
rieiirs,  ces  ecarls  sonl  ordinairement  racheles  par 
de  grandes  qualiles.  El  puis  on  pent  bien  aiissi 
leiir  pardonner  quelqucfois  le  sommeil  du  bon  Ho- 
mere.  Mais  ce  que  nous  ne  leur  pardonnerons 
jamais,  c'csl  la  fouie  des  eleves  a  la  suite  ;  pauvres 
jcunesgcns,  que  I'eblouissemenl  du  succes  du  mailre 
a  sC'duits  el  qui  s'allachenl  servilemenl  h  ses  pas  , 
exagerant  ses  defauls  sans  Ics  illuminer  de  ces  eclairs 
du  genie  qui  en  sent,  du  moins,  I'excuse  el  la  com- 
pensalion. 

Est-ce  a  dire  ,  pour  cela  ,  que  le  lalenl  manque 
aujourd'hui  ?  Non  ,  cerles ;  il  n'a  jamais  peul-elre . 
meme,  ele  plus  common  que  de  nos  jours  ;  on  pour- 
rail  presque  dire  de  lui,  comme  de  I'esprii,  qu'en 
France  il  courl  les  rues.  Jamais  peul-6lre,  il  faul 
le  reconnailre  ,  I'habilele  du  faire ,  I'enlrain  de  la 
brosse,  la  connaissance  des  procedes  maleriels,  n'onl 
ele  pousses  plus  loin.  Ce  qui  manque  :  c'est  la  foi 
dans  I'aveiiir,  c'est  la  perseverance  dans  I'elude , 
c'esl  le  respect  pour  Tart  qui  ne  saurait  s'accom- 
moder  de   ces  privaules  el   de  celle  licence. 

La  slaluaire  loutelois,  halons-nous  de  le  dire,  a 
resiste  avec  plus  de  bonheur  jusqu'ici  a  ces  enva- 
hissemenls  du  mauvais  gout ;  elle  a  su  garder  des 
allures  plus  sobres  et  plus  severes,  el  conserver 
davanlage  le  sentiment  de  sa  dignite.  Nos  scul- 
pleurs  font  de  nobles  efforts  pour  resler  fideles  aux 
traditions  des  grands  mahres  el  se  maintenir  dans 
la  voie  qu'ils  leur  ont  Iracee.  Aussi  les  exposi- 
lions  dernieres ,  en  lemoignant  de  ieurs  eludes 
consciencieuses,  onl-elles  perniis  d'applaudir  a  Ieurs 
succes 


—  157  — 

Mais  la  peinlure  n'a-t-elle  pas  de  t^'ravcs  ropro- 
ches  a  se  faire?  Croil-elle  gagner  beaucoup  en  gran- 
deur el  en  noblesse  par  la  represenlaiion  de  ces 
scenes  familieres  oii  la  vnlgarilc  de  la  pensee  ie 
dispule  ail   sans-fa^on  ctudie  do   rexeciuion  ? 

On  a   ecrit,   il   osl  vrai  : 

«  Qu'il  n'esl   pas    de  serpent  ni  de  monslre  odieiis 
»  Qui  par  I'art  invite  ne  puisse  plaire  aiix  yeux    » 

Soil  !  mais  on  u'on  saurail  dire  anlanl  du  genre 
trivial.  Qu'on  ne  I'oublie  pas  ;  le  bnrlesque  est  bien 
pres  du  ridicule,  el,  en  fait  d'arl  veritable,  le  succes 
de  rire   est   un  succes  qui  lue. 

Signalons  encore  une  plaie  cruelle  qui  ,  depuis 
quelques  annees  surloul ,  est  venue  elargir  encore 
el  envenimcr  les  blcssures  donl  sonffrenl  les  beaux- 
arts.  Nous  voulons  parlor  do  la  camaraderie  (qn'on 
nous  permelte  celle  expression  lamiliere ;  elle  psl 
consacrce),  de  la  camaraderie  donl  les  eloges  sont 
raremenl   sinceres  ,  el  donl   les   embrassemenls  soni 

iriorlels Que  de  malheureux  jeunes  gens  enivres 

par  les  emanations  embaumees,  mais  peslilenlielles 
aussi,  de  la  lonange  exageree,  se  sonl  cms  toui  a 
coup  dispenses  d'eludes  serieusos  el  devenus  de 
grands  bommes  quand  leur  talent  commcnvail  a  peine 
a  eclore !  Une  saine  el  bienveillante  critique  aurait 
slimule  leur  ardeur  el  developpe  leur  genie  naissanl ; 
la  camaraderie  les  lue  sans  relour;  semblables  a  ces 
planles  de  serre-cbaude  qui  ne  peuvent  supporter 
le  grand  air,  leurs  succes  d'alclier  viennenl  ecbouer 
au  grand  jour  des  expositions  |)ubli(jues.  Berces  au 
langage  de  la  flatterie,  ils  ne  comprennont  rien  d'a- 
bord  au    dedain    de  la    loule ;   mais  enlin,   la   ib'vsil- 


—  158  — 

(usion  arrive,  el  avrc  elle  le  decomagemenl  qui 
eicinl  les  deroieres  Incurs  d'usi  lalenl  qui,  peul-elre, 
ne  manquait  pas    d'avenir. 

Les  enseignemenls  que  nous  devons  lirer  des 
revolutions  que  les  arts  out  subies  jusqu'a  nos  jours 
soul  graves  et  serieux.  Leur  hisloire  est  eu  meme 
temps  riiistoire  des  peuples  et  celle  des  phases 
poiitiques  et  roligieuses  qu'ils  ont  Iraversees.  Apres 
avoir  marche  avec  la  civilisation  payenne,  ils  dispa- 
raissenl  dans  la  lourmenle  qui  rcmporte  pour  re- 
naitre  et  grandir  ensuite  avec  la  societe  chretienne. 
Soutenus  par  la  foi  qui  leur  avail  tendu  la  main 
pour  les  exhumer  des  ruiues  du  vieux  monde  ,  ils 
sappuyenl  sur  elle  et  deviennent  forls  el  glorieux. 
Puis,  quand  ils  s'ecarlenl  de  la  large  voie  qu'elle 
leur  avail  Iracee  ,  quand  I'eioile  brillanle  qui  ,  les 
guidani ,  vienl  &  se  voiler,  ils  font  fausse  route*  et 
s'egarent,  s'abandonnanl  aux  caprices  et  aux  hasards 
de  la  deslinee.  La  foi,  qui  a  fait  lanl  de  miracles, 
qui  a  6leve  nos  immetses  basiliques,  qui  a  mis  la 
la  civilisation  h  la  place  de  la  barbaric,  la  foi  chre- 
tienne ,  la  foi  dans  I'avenir  est  done  le  premier 
element  de  la  prosperile  des  beaux-ar!s.  Abriles  sous 
son  aile  puissante,  ils  pourronl  peul-elre  rccommen- 
cer  les  miracles  des  Raphael  et  des  Michel-Ange, 
et  reconquerir  leur  dignile  donl  ils  ont  fail  Irop  bon 
marche  depuis  quelque  temps.  La  foi ,  il  est  vrai , 
ne  se  commande  pas;  elle  vienl  d'en  haul  corame 
toules  les  grandes  inspirations;  mais,  heureuse- 
menl,  elle  n'esl  pas  encore  entierement  eleinte  au- 
joiird'hui ,  el  nous  voyons  les  hommes  privilegies 
et  esceplionnols,  chez  lesquels  la  croyance  dans  I'a- 
venii    est  reslee   vivace,   briller  au  premier   rang. 


—  159  — 

Nons  (lisioiis,  loiil  a  i'luure,  qu'il  eiait  ituli^pcn- 
sablo  que  I'arl  conseival  sa  (lignite  el  le  respect 
pour  lui-meme  donl  il  ne  tloil  jamais  se  deparlir. 
Nous  lie  prcleiidons  pas  ccpondaiil  qu'il  ne  puisse 
produire  que  de  grandes  choscs.  Les  inspirations 
sublimes  ne  vionneni  visiter,  nous  le  savons,  que 
les  intelligences  superioures,  el  le  passercau,  quoi- 
qu'il  fas?e,  n'altcindra  jamais  a  la  hauteur  d;  I'aigle. 
On  pent  aussi ,  sans  doule ,  appliquer  aux  beaiix- 
arls  le  castigal  ridendo  ,  el  nous  admellons  parfai- 
tement  les  compositions  familieres;  mais ,  meme 
dans  cos  compositions,  Tartisle  est  leiui  de  conser- 
ver  une  cerlaine  mesure  el  certains  egards  pour 
le  public  el  pour  lui-meme.  Gardons-nous  surloul, 
gardons-nous  du  genre  trivial  el  de  ces  vulgariles 
de  mauvais  gout  qui  ne  depareni  que  irop  souvent 
les  expositions  annuolles.  Laissons  la  charge  aux 
spiriiuels  crayons  de  la  caricature  (elle  a  besoin 
de  loule  sa  liberie  pour  rendre  ses  morsures  plus 
cuisanles);  el  ne  lrem|ions  jamais  nos  pinceaux  dans 
la  lie  ou  dans  la  boue. 

Nous  parlions  lout  a  I'heure  des  expositions  pu- 
bliques.  L'opporiunile  de  leur  relour  periodique , 
chaque  annee,  a  ele  souvent  conieslee,  souvent  mise 
eu  question.  Nous  n'oserions  allirmer,  quant  6  nous, 
qu'elles  I'ussenl  un  bienfail  pour  I'art.  Sans  doule, 
en  ouvranl  ainsi  lous  les  ans  la  lice  aux  combal- 
lants  ,  elles  sliinulent  leur  emulation  et  permcllent 
d'apprecier  les  essais  des  nouveaux  lutleurs  el  les 
progres  de  leurs  ri\aux  ;  elles  offrenl  un  exuloire 
a  I'ardeur  des  jeunes  leles  en  travail,  que  la  soil" 
de  la  celebrile  devore,  el  que  les  lauriers  de  leurs 
devanciers   anachciil  au  repos.  Sans  doule,  le  noble 


—  160  — 

elan  de  loulos  ces  intelligences  vers  iin  nieme  but 
prouve  que  le  feu  sacre  brule  encore  an  fond  des 
cceurs  el  permet  de  bien  augurer  de  I'avenir.  Mais, 
malheurensement,  j'arliste  enferme  dans  des  delais 
qu'il  ne  doit  pas  d6passeri  pent  dinicilemeiU  execnter 
de  grandcs  choses;  ou  s'il  accomplit  sa  lache  ,  il 
est  rare  que  Toeuvre  ne  se  ressenlc  pas  de  la  pre- 
cipitation du  travail.  Quelqucs-uns  memcs  semblent 
avoir  a  cceur  de  se  disiinguer  plutot  par  le  nombre 
que  par  la  qualile  de  leurs  productions.  Aussi,  dans 
cetle  course  au  clocber,  entreprise  au  delrimenl  de 
I'arl,  les  chutes  soni-elles  frequenles  ;  heurcux  en- 
core quand  elles  ne  sont  pas  niortelles  et  quand 
I'artisle  se  sent  au  coeur  assez  de  vigueur  et  de 
courage  pour  se  reiremper  dans  I'etude  et  prendre 
dignemenl  sa  revanche  ! 

Nous  aurions  bien  encore  d'autres  reproches  a 
adresser  k  la  frequence  des  exposilions;  ceux-la 
touchent  aux  procedes  materiels,  au  raecanisme  de 
I'art.  L'ariiste,  oblige  de  se  tenir  pret  pour  I'epoque 
fatale,  est  force  souvent,  pour  aider  a  la  rapidite  de 
I'execulion  ,  de  rccourir  a  des  moyens  factices  ou 
perilleux,  a  des  siccatifs  cnergiques,  a  des  mariages 
de  couleurs  qui  ne  peuvenl  vivre  longtcmps  en  boii 
accord  el  alt^rent  bienlot  coraplelcmcnl  I'aspect  du 
tableau.  Puis,  chacun  voulant  se  presenler  dans  I'a- 
rene  avec  des  amies  briliantes  et  parees,  I'applica- 
lion  pr6ma(uree  du  vernis  vienl  porter  le  coup  de 
grace  a  Tceuvre  qui  ne  peul  resister  longlemps  a  ces 
atteintes  muliipliees.  Aussi  voit-on  la  pluparl  des 
tableaux  modernes  qui  porlent  en  eux  ces  germes 
faials  de  destruction,  se  craquelcr  proinptemoiil  el 
se   nuancer    de    ces    tcinles  qu'uiic    longue    duree  , 


—  161   — 

quo    la  cousecialion  des  lomps    peuvenl  sciilcs  ex- 
cuser. 

Ainsi ,  pour  choisir  nos  exeinples  panni  les  plus 
illuslres  ,  landis  que  les  chefs-d'oeuvre  do  Rubens, 
de  Mui-illo  ,  des  grandes  ecoles  dn  xvi'  el  du  xvii' 
siecle  ,  lesplendissent  encore  de  lout  Icur  eclal , 
voil-OQ  avec  douleur  les  poeliques  inspirations  de 
Girodel  pousser  au  noir  el  se  gercer;  la  belle  en- 
iree  de  Henri  IV,  de  Gerard,  lourner  enlieremenl 
au  vert;  d'adniirables  peinlures  de  balaillcs  exposees 
en  1839 ,  el  que  I'auleur  avail  animees  de  celle 
verve  milimire  ,  de  ce  brio  ,  de  eel  enlrain  donl  11 
poss6de  si  bien  le  secret,  passer  au  bleu  fonce 
dans  los  galeries  de  Versailles.  D'aulres  ont  perdu 
leurs  glacis  ,  el  par  suite  leur  finesse  et  leur  har- 
monic pour  ne  conserver  que  les  Ions  criards  qui 
faliguent  Tceil.  Et  le  plus  ancicn  de  ces  tableaux 
compte  a  peine  quaranle  ans!  Que  seronl-ils  done 
quand  des  siecles  auronl  secoue  sur  eux  Icur  pous- 
siere?  Quelques  annees  encore,  el  I'hisloire  redira 
seule  a  nos  neveux  que  do  grands  peinlres  ont  il- 
luslre  noire  ecole ;  leurs  oeuvres  auronl  disparu. 

Nous  savons  parl\Htemenl  qu'un  peintre  n'est  pas 
lenu  d'exposer  tons  les  ans;  sans  doule,  et  nous 
ajoulerons  que,  dans  I'inleret  de  I'arl ,  il  serail  a 
desirer  qu'il  en  fiil  ainsi.  Plusieurs  ,  et  ce  soul  les 
plus  sages,  s'absliennent  parfois,  en  elfel ,  et  ne 
reparaissent  qu'a  certains  iniervalles ,  apres  avoir 
signe  quelquc  grande  et  belle  page  lerminee  dans 
k  recueillemenl ,  dans  le  silence  de  I'aielier.  Mais 
croit-on  qu'^  I'epoque  d'entraineracnt  febrile  oii  nous 
vivons,  Tarliste  desireux  de  se  faire  un  noni  ,  plus 
soucieux   souvoni  ,    il   faul   le   dire   it  regret  ,    d'une 


—  162  — 

celebrite  epheinere  que  d'une  reiiommee  durable  , 
lesistera  facilemenl  a  la  lenlation  du  livrel,  i  Tallrait 
des  expositions,  des  expositions  qui,  comme  les  syrenes 
antiques,  reservent  souvent  de  si  cruelles  destinees 
a  ceux  qui  cedent  a  leurs  seductions?  Ce  serait  trop 
presumer  de  la  sagesse  humaine. 

Selon  nous ,  done ,  des  expositions  moins  fre- 
quentes   seraient  plus  profiiables  aux  beaux-arts. 

En  nous  resuinant ,  nous  repelerons  encore  que 
ce  qui  importe  surlout ,  c'est  d'affermir  I'art  dans 
le  sentiment  de  sa  propre  digniie.  La  societe  ac- 
luelle  (  el  I'affluence  de  la  foule  aux  salons  en  est 
un  suffisant  teraoignage),  la  societe  actuelle  est  loin 
de  se  montrer  indiffercnte  a  ses  succes.  Elle  s'y 
inleressera  davonlage  encore  quand  elle  sera  cer- 
taine  de  trouver ,  dans  les  eludes  sp6ciales  el 
consciencieuses  des  artistes  de  serieuses  garanties  ; 
quand  I'amateur  qui  aura  achele  un  tableau  pourra 
se  croire  assure  que  ce  tableau  ne  viendra  pas  a 
s'alierer  el  a  pcrdre  bientol  toute  ou  partie  de  sa 
valeur. 

En  confianl  aux  sculpleurs  el  aux  peinlres  I'exe- 
culion  de  grands  travaux  ,  en  dislribuant  aux  plus 
dignes  des  recompenses  et  des  distinctions  meritees , 
TEtal  remplit  un  noble  devoir.  Ne  pourrait-on  en 
fairs  plus  encore?  Ne  pourrait-on,  par  exeraple , 
creer  dans  les  arts  des  degres  comme  ceux  qui  exis- 
tent deja  dans  les  sciences  et  dans  les  lettres  ? 
Pourquoi  n'aurail-on  pas  des  bacheliers  el  des  doc- 
teurs  es-arts,  comme  nous  avons  des  bacheliers  el 
des  docleurs  es-sciences  et  es-leltres?  Ces  grades, 
conferes  a  la  suite  de  concours  et  d'examens  scrieux. 


—  163  — 

seraienl ,  pour  les  artistes ,  un  iilre  de  noblesse,  el 
pour  le  public  unc  garantie  de  leur  vaieur.  Qu'on 
nous  permette  d'exprimer  ce  voeu,  dont  la  realisation 
ne  nous  semble  presenter  aucune  difEculle  serieuse. 

Honneur  encore  une  fois  a  I'Academie  de  Bor- 
deaux d'avoir  souleve  cetle  importanle  question  ! 

Nous  n'osons  nous  flatter  de  I'avoir  resolue  entie- 
remenl ;  mais  nous  esperons,  du  moins,  que  du  debat 
qu'ellc  a  provoque  surgironl  de  grandes  el  utiles 
veriles.  Nous  nous  eslimerons  heureux  si  d'autres  , 
mieux  inspires  que  nous ,  onl  repondu  d'une  ma- 
niere  plus  complete  a  sa  sollicilude  eclairee  pour 
les  beaux-arts ,  el  onl  decouverl  d'autres  moyens 
encore  de  leur  assurer  dans  I'avenir  grandeur  el 
securile. 


164  — 


NOTICE   BIOGRAPHIQUE   SLR   LA    VIE    ET    LES  OUVRAGES 

DR     PAOLO     CALIARI     VERONEISSIS , 

HIT    PAUL    VERONESE,    PEINTRE   VfilSITIEN  , 

N6   en    1552,     MORT   EN   1588, 

par  M.  L.  DETOVCHE. 


Tandis  que  la  ville  de  Florence  avail  vu  les  Irois 
arts  du  dessin  amenes  a  la  derniere  perfection  par 
rimmense  genie  de  Michel-Ange ,  el  que  Raphael 
illusirait  Rome  de  ses  innombrables  travaux,  la 
peinlure  s'elail  formee  a  Venise.  Ces  deux  evene- 
ments ,  resullanl  de  causes  tout  a  fail  differenles, 
ne  s'enlr'aiderent  poinl ;  ils  se  sonl  operes  I'un  sans 
I'aulre 

Les  ecoles  de  Florence  el  de  Rome  surloul  s'e- 
laient ,  des  le  principe  ,  formees  sur  les  ouvrages 
apportes  de  la  Grece  dans  I'anliquiie,  ou  ceux  exe- 
cutes dans  ces  memes  villes  par  des  arlisles  grecs  ; 
c'est  done ,  sans  aucun  doule  ,  a  Tinfluence  de  ces 
productions  de  la  statuaire  antique,  que  Ton  doit 
attribuer  la  science  du  dessin  ,  la  beaule  des  formes 
el  la  justesse  d'expression  qui  caracleriseni  ces  deux 
ecoles ;  eiles  s'y  livr5renl  exclusivement ,  sans  s'at- 
tacher  au  coloris  qu'aulant  qu'il  le  fallait  pour 
etablir  une  difference  entre  la  sculpture  el  la  peinture  ; 
a  Venise,  au  contraire ,  les  premiers  artistes  qui 
essayerenl  de   produire  ,  n'ayant   pas  sous   les  yeux 


—  165  — 

les  resles  de  I'aniiquile,  el  manquant  de  lemons 
pour  sc  (aire  une  juslo  idee  de  la  bcaute  des  formes 
el  de  celle  de  rexpression  ,  copierent  indislinclive- 
meni  loutes  les  formes  de  la  nature  ,  furent  sur- 
loul  frappes  des  beaules  qu'elle  offrait  dans  la 
richcsse  el  la  variele  des  couleurs;  el  n'elanl  pas 
dislrails  de  celle  panic  si  flalleuse  el  si  seduisanle 
par  d'aulres  parlies  d'un  ordre  plus  severe,  ils  y 
donnerenl  loule  leur  allenlion  el  se  dislinguerenl 
d'une  maniere  loul  a  fait  superieure  dans  Van  du 
color  is. 

Un  archeologue  qui  voudrait  faire  une  hisloire 
complete  de  I'art  venitien,  depuis  son  origine,  pour- 
rait  remonter  jusque  vers  I'au  828,  epoque  a  laquelle 
les  Yenitiens,  liers  de  posseder  les  reliques  de  saint 
Marc  qu'iis  avaient  enlevees  a  I'Egypie,  elev^rent  une 
eglise  magnifique  qui  ful  brulee  en  970,  rebatie  par 
le  doge  Selvo ,  ei  ornee  de  mosaiques  en  iOli  ; 
mosaiques  executees  par  des  Grecs  de  Constanti- 
nople. 

Ces  ouvrages ,  tout  a  fait  a  I'etal  d'enfance  de 
I'art,  existent  encore  el  ont  longtemps  servi  de  mo- 
deles  aux  ouvriers  qui  faisaient  des  madoues  pour 
les  fideles,  en  copiant  loutes  ces  figures  sur  le  meme 
patron  ;  longtemps  encore  I'art  ne  s'eleva  done  pas 
au  delc'i  d'une  simple  mecanique ,  sans  aucuns  frais 
de   genie   ni    d'invcntion. 

Toule  peinture  moderne,  a  Venise,  est  done  ti- 
ree  de  la  peinture  Byzantine,  apporlee  en  celle  ville 
des  le  IX'  siecle  par  les  frequentes  relations  des 
Levantins  avec  les  Veniliens.  —  En  1204,  lors  de 
la   prise  de  Constantinople,   les    rapports    dcvinrent 


—   166  — 

plus  freqiionls,  el  enlin  ,  dans  ic  coiuanl  dti  ineme 
siecle,  les  iravailleurs  Byzanlins,  sculpteurs  ct  pein- 
tres  mosaistcs ,  se  iroiivercnl  impalronises  dans  les 
Kials  Veniliens  el  execuierenl  leurs  premiers  iravaux 
dans  les  lemples  el  les  palais  des  iles  el  de  la 
lerre-ferrae. 

Pour  arriver  de  ces  premiers  ouvriers  aux  arlisles 
qui  illuslrerenl  le  xvi'  siecle,  a  Venise,  il  faudrail 
suivre  la  lenle  cl  souvenl  sterile  incubaiion  qui  pre- 
cede celle  epoque;  la  marche  ,  jnsqu'a  I'accomplis- 
semenl  des  voeux  de  la  Providence,  esl  si  insaisis- 
sable!  Les  premiers  lalonnemenls  sonl  si  inlinis!... 
Mais  on  peui  voir  que  celle  ecole,  nee  d'elle-meme, 
aima,  des  les  premiers  lemps  racial  el  la  richesse 
qui  lui  venaienl  de  I'Orieul ;  elle  semblail  cerlaine 
de  pouvoir  inlerpreter  un  jour,  d'une  maniere  plus 
large  el  plus  grandiose,  les  ceuvres  des  premiers 
ouvriers  mosaisles  ;  elle  devail,  h  force  d'eludes,  ar- 
river a  comprendre  el  a  faire  valoir  I'opposilion 
harmonieuse  des  couleurs  entr'elles,  i  connailre 
leurs  sympathies,  a  savoir  le  plus  ou  moins  d'espace 
qu'il  faut  donner  bi  chacune  d'elles,  pour  obtenir  des 
masses  saisissantes  d'ombre  el  de  lumiere  ;  probleme 
giganlesque,  vers  lequel  les  efforts  unanimes  des 
Veniliens  onl   ele  conslamment  lournes. 

L'aspect  de  Venise,  le  calme  el  brillanl  fluide  qui 
dore  la  nature  dans  ce  beau  climat,  el  lui  commu- 
nique sa  sereniie,  le  commerce  immense  que  celle 
\ille  faisait  avec  les  Levantins  qui  y  apportaienl  tout 
le  luxe  el  la  splendour  de  I'orient,  la  grandeur  des 
palais  on  I'air  el  la  lumiere  circulent  avec  abon- 
dance,  I'imposante  ot  toute  puissante  aristocratic  de 
son   gouvernemenl  ;    enfin ,    tons    ces   elements   de 


—  167  — 

richesse  ,  do  luxe  el  de  majesie  encadres  pour  aiiisi 
dire  dans  un  beau  ciel ,  avaient  dii  necossaireineiU 
exciter ,  chez  les  arlisies  veniliens,  ramour  d'mi 
an  en  rapport  avec  ce  dont  ils  etaient  entoures ; 
lous  ,  pendant  I'espace  de  irois  siecles ,  raarcherenl 
vers  ce  but  qii'ils  siirent  alleinilre,  a  un  point  qui, 
depuis,   ne    fut  jamais   egale. 

Je  dois  ici  faire  remarquer  que  la  cause  du  prn- 
gres  et  do  la   fecondild    de  chacune  des  dcoles  ita- 
liennes ,    s'est    trouvee  dans   I'adoption    unanime   el 
passionncc  d'un   goul   national  ,   la  poursaite  inces- 
sante  d'une  ihese  locale  el  la  forte  organisation  de 
I'apprentissagi; ;  bnscs  surlesquelles  on  baiira  loujours 
immaniiuablement  pour  riminorlaliie;  ces  bases,  du 
reste^  assurent  Tunite  do  la  critique  dans  les  conseils, 
dans  les  affections  du  public,  aussi  bien  que  dans  la 
metliode,   la    production   et   I'invenlion    des  artistes. 
II  est  necessaire ,  je  crois ,  d'expliquer  d'une  ma- 
niere  precise  la  raarche  des  ecoles  a  celle    epoque ; 
chacune  d'elles  ,   venilienne,  romaine  ou  florentine, 
sans  se  preoccuper  des  autres,  suivait,  sans  arriere- 
pensee,  les  traces  des  premiers  maitres  du  pays ;  chacun 
des  artistes,  alors,  a|)porlait,  selon  ses  moyens  et  son 
intelligence,    un   progres,    qui,  reuni    aux  progres 
anterieurement    realises ,    devait    forrair   necessaire- 
menl ,   dans  ia  suite   des  temps,  un    ensemble,    un 
apogee,    pour  ainsi  dire,    des    perleclions   possibles 
dans  le   genre   adopte;  qu'il   soil  venilien  el  amanl 
passionne   de  la  couleur ,  qu'il   soil   romain  ou  flo- 
renlin  el  patient  amateur    du  style    et  du    dessin  , 
loujours  est-il  que  chacun  des  eleves  de  cette  epoquo 
entrait   dans  I'alelier   du    maitre  pour    y   suivre  les 
traditions  de  I'ecole ;  (!l  si ,  parnii  cux,    il  s'en  trou- 
I.  12 


—  168    - 

vait  un^  honiiuc  (Je  geiiie ,  il  ajoulail  aux  precieuses 
ilecouverles  failes  par  ses  devanciers ;  jusqii'au  jour 
cnfin  ,  ou  le  dernier  mot  dans  I'art  fut  prononce,  a 
Rome,  par  Michel-Ange  el  Raphael,  el  a  Venise , 
par  Tilien  ,    Tinlorel  el  Paul  Veronese. 

De  ceile  consliUilion  solide  on  pourrail  encore  , 
anjourd'hui ,  lirer  des  merveillos ,  si  ,  depuis  long- 
lemps ,  et  en  France  surioul ,  elle  n'avait  eie  de- 
monlee   piece  h   piece. 

Le  plus  ancien  monumeni  de  I'art  dans  les  Elals 
veniliens  (1),  el  que  Ton  ne  peul  passer  sous  silence, 
est  a  Verone,  dans  un  souierrain  du  couveiii  des 
religieuses  de  San-Nazario  el  San-Celso ;  ces  com- 
positions paraissenl  elre  les  plus  anciennes  de  la 
regeneration  de  i'arl  en  Italie.  —  On  voil ,  dans 
celle  enceinte,  la  represenlaliou  de  plusieurs  mysteres 
de  la  Redempiion,  des  Apotres,  des  sainh  Martyrs,  eic. 
Le  morceau  le  plus  rcmarquable  est  le  passage  d'un 
Juste  a  la  vie  eternelle ;  I'archange  saint  Michel  as- 
sisle   a   ceile   scene  solennelle. 

Ainsi  done,  c'esl  dans  un  souierrain  qu'on  Irouve 
le  premier  germe  de  ceile  magnifique  ecole  veniiienne, 
seniblable,  par  son  luxe  el  sa  richesse,  a  une  belle 
fleur  dont  on  est  oblige  de  rechercher  la  racine  en- 
I'ouie  dans  les  (enebres  de  la  terre. 

Pour  connailre  cnsuile  la  generation  d'artistes  qui 
se  succederenl,  depuis  Giovanni  de  Venise,  Marti- 
nello  de  Bassano,  Piavano  Alberegno  et  les  Egremio,  les 
plus  anciens  connus,  jusqu'en  1500,  epoque  brillanle 
de  I'art  venilicn ,   il    faudroii    consulter   le   chevalier 


(I)  Peinture  a   Cresqiie 


—  169  - 

Ridolfi ,  dans  les  vies  qu'il  a  publiees  dps  pcinlrcs 
venitiens,  Giovanni  Paolo  Lomazzo,  f /ra^ia/c  del  arte 
della  pittura) ;  Baldinucci  (professori  del  disegno) ; 
Boschini,  dans  les  miniere  della  pittura,  dans  la 
carta  del  Navigar  Pittoresco,  el  beaucoup  d'aulres 
auteurs  encore. 

Desireiix  d'ecrire  quelques  notes  sur  Paul  Vero- 
nese seulement ,  j'arriverai  done  aux  poinlres  veni- 
tiens du  XVI''  siecle,  genies  d'un  ordre  siiperienr, 
qui  eclipserent  ceux  qui  les  avaienfc  precedes  el 
oterenl  a  leurs  successeurs  I'espoir  de  jamais  les  at- 
leindre. 

Tous  ceux  de  celte  belle  epoque  arriverent  an 
faiie  de  la  gloire  par  des  chemins  divers,  raais  tous 
s'accord^rent  en  un  point,  c'esl  que  leur  coloris 
fut  le  plus  biillanl.  le  plus  vrai  et  le  plus  applaudi 
de  tous  ceux  qui  se  dislinguerent  dan?  les  diffe- 
rentes  ecoles  qui   tlorissaienl  alors  on    flalie. 

Quelle  fut  la  cause  de  leur  immense  superioriie 
dans  ce  genre?  On  pourrait  el  on  a  deja  ecrit  bien 
des  volumes  a  ce  sujei ;  on  a  vouhi  expliquer  que 
la  nature  elait  la,  plus  ricbe  el  plus  coloree  qu'en 
aucun  lieu  du  monde  ou  la  peinlure  eiait  cullivee  ; 
comment  alors  expliquer  que  les  peinlres  flamands 
el  hollandais  ,  qui  sent  loin  d'avoir  un  ciel  venilien, 
soienl  precisemeiii  ceux  qui  lienncnt  le  second  rang 
dans  cette  parlie  de  I'arl  ?  —  On  a  parle  de  cou- 
leurs  dont  eux  seuls  avaient  le  secret ;  mais  nous 
connaissons  parfaitemenl  aujourd'bui  lescouleurs  dont 
ils  se  servaienl ;  elles  ctaient  meme  en  plus  petit 
nombre  que  celles  qui ,  a  tort  peut-eire,  aujourd'bui, 
cbargenl  nos  palettes  impuissantes.   11  est  vrai  que 


—   170  — 

lo  commerce  qui,  ile  nos  joins,  a  Ic  privilege  de 
les  preparer,  ne  sc  fail  pas  scrupule  de  les  allerer ; 
mais  ce  qui  faisait  surlout  la  puissance  de  ces  mai~ 
tres,  c'est  la  science  du  colons,  la  preslesse  de  I'exe- 
culion,  qui,  ainsi  que  je  le  dirai  plus  loin,  laissaut 
la  louche  loujours  vierge ,  lui  donne  lout  son  bril- 
lanl   et  loule  sa  richesse. 

Aujourd'bui ,  generalement  ,  on  procede  par  ta- 
tonnemenls ,  sans  savoir  bien  ,  en  commen^ant ,  ce 
que  Ton  veul  faire ;  on  recharge  le  lendcmiiin  ce 
qu'on  avail  fail  la  veille,  le  iravail  s'alourdil  el  le 
brillant  de  la  flcur  du  coloris  ne  larde  pas  a  s'elein- 
dre.  Tout  le  secret ,  je  crois ,  est  la  ;  dans  noire 
irapuissance  ,  il   ne  faul  pas   le   chercher  ailleurs. 

C'esl  done  vers  Tan  1500  que  les  Bellini,  Tilien, 
Tintoret,  Giorgione  et  Paul  Veronese  dcpenseronl  avee 
luxe  et  prodigalile  loutes  les  richesses,  qu'avcc  un  la- 
bour infini  leur  avaiont  amassees  leurs  devanciers,  si 
utiles  malgre  souvent  leur  obscurite;  c'esl  alors, 
qu'en  1552,  naquit  Paolo  Caliari ,  surnomme  Paw/ 
Veronese  ,  en  I'honneur  de  la  ville  de  Verone  qui 
lui  donna  le  jour ;  il  est  menie  le  fondateur  de  celte 
ecole  qui  forma  aussi  une  division  dans  I'hisloire  de 
I'arl  sous  le  nom  d'eco/e  veronaise.  Le  pere  de 
Paolo  se  nommait  Gabriele  Caliari  ei  elait  sculpieur; 
il  avail  destine  son  fds  a  la  memo  profession  ;  dans 
cctle  vuc  ,  il  I'avait  de  bonne  heure  forme  au  des- 
sin ,  et  lui  enseigna  I'ari  de  modeler  en  argile. 
Mais  le  genie  de  ce  jeune  homme  pour  la  peinlure 
s'etanl  manifesto,  son  oncle  Badila  Caliari,  peinire, 
donl  la  maniere  n'etait  pas  mauvaise,  lui  donna  les 
premieres  lemons;  il  fit,  sous  la  direction  de  celui- 
ci,  desprogresmerveilleux.Fa.san',  qui  fit  le  voyage  en 


—  171   — 

l.oinhardie  el  nolammenlc'i  Venise,  aii  lemps  uu  I'aolo 
etail  encore  jeune  homme,  assure  qn'il  regul  aussi 
des  leQons  d'nn  cerlain  Giovanni  Caroti ,  avec  leqiiel 
Paolo  elait  lie  Ires  inlimeinent.  Quoi  qu'il  en  soil  : 
«  Au  prinlemps  de  sa  vie,  dil  Ridolfi,  il  proiliiisail 
»  deja  avec  des  fleurs  les  friiils  les  plus  agrea- 
M  bles  (1).  »  —  II  avail  beaucoup  de  facilile  el  une 
intelligence  extraordinaire  ;  il  devint  robusle  el  d'une 
forte  constitution  ,  ce  qui  lui  permit,  dans  la  suite, 
de  se  livrer  a  de  grands  travaux  qui  demandenl  de 
la  force  el  beaucoup  d'aclivile,  surtoul  dans  le  travail 
des  fresques,  qui  oblige  une  assiduite  el  une  prestesse 
infinies. 

«  Veronese  »  dil  encore  le  poelique  Ridolfi    «  n'eut 

»  pour  mailre  que  le  grand   tableau  de  la  nature  , 

»  sur   lequel   Dieu,  le  grand  artiste,  a   si  bien  peinl 

»  toules  choses ,  el  brula   du   desir ,    avec  quelques 

»  lignes  el  une  muelte  couleur ,  d'imiler  les  oeuvres 

»  divines;  I'arl  etail  son  instinct,  comme  le  vol  aux 

»  oiseaux ,    la  natation  aux  poissons ,   la  vegetation 

»  aux   planles    el    le    mouvemeni  a    lous    les  ani- 

»  maux  (2).  » 

Sorli  de  I'atelier  de  son  oncle  ,  il  comraen^a    par 
peitidre,  a   San-Ferino ,   sur  un   aulel ,   une  madone 


(t)  Che  nel  verde  Ai)rile  de  gli  aniii,  parlori  confiori  giocoii 
(lissimi    fiiilli.         (Rido.fi.  —  Vila   di   Paolo   Vcronensis  ) 

(2)  Aiizi  |)iu  cresce  lo  stupore,  se  coiisideriano,  che  not  suo 
primiiiio  allro  inaesiro  iion  ebbe  ,  che  la  gran  tavola  del  inon- 
do,  iiolla  quale,  il  sovrano  arletice  Iddio  Ic  cose  lulte  dipitise  , 
arditice  di  cmulare  con  brevi  linee  et  muli  colori  le  operazio- 
iie  divine,  lecando  auch'  egli  con  larte  il  toIo  agli  angelli  , 
il  gui/zo  a  pesci,   il   vegcdare  alic  piantc,  il  moto  agli  aniniah 

(    liinOLFI.    ) 


?! 


—  172  — 

enlre  deux  saints ,  el  a  St-Bernardin ,  /esus  ressus- 
citant  la  belle-soeur  de  saint  Pierre,  et  quelques  antres 
premices  de  son  fulur  genie.  II  passa  d'abord  & 
Vicence,  puis  li  Mantoue,  ou  le  cardinal  Hercule 
de  Gonzague  le  conduisit ,  en  compagnie  d'aulres 
jeunes  peinires,  enlre  autres  le  Brusasorci,  lialtista 
del  Moro  et  Paolo  Farinato ,  qui  ,  lous ,  devaient 
peindre  en  concurrence  le  dome  de  la  grande  eglise. 
Paolo  \  represenla  la  tentation  de  saint  Antoine ,  en 
deux  tableaux  ,  I'un  oil  saint  Antoine  est  frappe  avec 
un  baton  par  le  diahle ,  et  I'aulre  ou  ce  saint  est 
tente  par  une  jeune  et  belle  femme. 

Dans  ce  concours  il  I'emporta  de  beaucoup  sur 
ses  rivaux,  et  le  cardinal  fut  si  enchanle  de  ce 
travail,  qu'il  voulut  encore  lui  en  confier  d'aulres; 
mais  Paolo  no  voulut  point,  disant  qu'il  fallait  qu'il 
se  perl'ectionnai  encore  davantage  dans  son  art. 

De  retour  k  Verone ,  il  copia  un  tableau  de  Raphael, 
conserve  dans  la  famille  Canossa. 

L'epoque  a  laquelle  Paul  Veronese  s'elait  adonne 
h  la  peiniure,  elait  celle,  peul-etre,  ou  il  elaii  plus 
difficile  de  reussir  a  se  disiinguer ,  tant  I'ecole  veni- 
lienne  elait  riche  doj^  en  grands  lalenls  ;  I'opinion, 
alors,  elait,  comme  toujours,  prevenue  en  faveur 
des  artistes  qui  avaienl  de  la  celebrile ;  il  ne  fut 
point  apprecie  dans  ses  premieres  annees.  Le  public, 
loujours  lent  a  applaudir  ci  une  reputation  naissanle, 
ou  ignora ,  ou  ne  voulut  point  croire  qu'il  avail 
surpasse  ses  rivaux  au  concours  de  Mantoue  ;  en  cette 
occasion,  se  verifia  encore,  dit  Ridolfi,  le  mot  do 
Christ ,  que  nul  n'est  prophele  en  son  pays  (1).  C'est 

(1)  Verilicandosi  in  cffelto  il  detto  di  Christo  che  ninu  profeta 
c  ben  veduto  nella  patria.  (  Ridolfi.  ) 


—  173  — 

alors  que  le  jeuuc  peinlit; ,  I'uire  do  cedcr  a  hi 
iiecessile ,  alia  h  Tioiie ,  dans  le  Vicenlin  ,  el  ira- 
vaiila  pour  la  famille  Porii  ;  il  y  Iraita  ,  enlre  unc 
I'oule  (I'aulres  snjets  ,  ceux  de  Mulius  Sccevola ,  So- 
phonisbe,  Antoine   et  Cleopdtre,    etc.,   etc. 

Puis  il  passa  dans  le  Trevisan,  nolammcnt  a  Fan- 
zolo,  ou  il  execuia  plusieurs  peinlures  dans  le  palais 
du  signor  Enii ,  ensuiie  il  alia  h  Vicence,  el  enfin  , 
preferanl  Venise,  alors  la  residence  des  plus  grands 
lalenls ,  il  resolul  de  s'y  fixer.  Lb,  il  parvinl  li 
perfeclionner  son  coloris,  en  suivanl  les  traces  indi- 
quees  par  le  Titien  et  le  Tintoret;  mais  il  sembla, 
des  lors ,  s'elre  propose  de  les  surpasser  par  rclc- 
ganle  richesse  el  la  varieie  de  ses  ornemenis;  il 
eludia  beaucoup  d'apres  les  plalres  inaules  sur  I'aiiii- 
que  el  d'apres  les  gravures  du  Ponnigiano  cl  (\' Albert 
Durer. 

Sa  premiere  peinlure  a  fresque,  h  Venise,  (imide 
encore ,  esl  dans  les  sofliles  de  la  sacrislie  de 
Sl-Sebaslien  ;  elle  represenle  le  couronnement  de  la 
Vierge  entouree  des  Evangelistes.  II  devint  plus  libra 
el  plus  gracieux  dans  le  plafond  de  la  meme  eglise, 
oil  figure  riiisloire  d'Eslher. 

Le  peuple  courul  en  foule  admirer  ces  peinlures, 
el  les  plus  grands  eloges  fureol  prodigues  a  leur 
jeunc  auleur,  ce  qui  decida  les  peres  de  cetie  Eglise 
a  lui  conficr  I'execulion  de  la  voule  de  la  grande 
chapelle ;  il  y  reprcsenla  VAssomption  de  la  Merge 
entouree  dhine  multitude  d'anges  et  d'une  foule  de 
divers  personnages ;  il  execuia  encore  d'antres  pein- 
lures  dans   celle  eglise. 

Paolo    passa     orisuile    (|uoi(iue    lenips    ;i    Masiera  , 


—  Ilk  — 

dans  le  Trevisan,  sur  la  demande  qui  hii  en  ,ivaii 
ete  faile  par  le  signer  Daniele  Barbara ,  elcdeiir 
d'Aquilee,  et  son  frere;  il  y  laissa  plusieurs  pein- 
tures   mylhologiques. 

D'apres  la  reputation  que  lui  acquirent  ces  tra- 
vaux  dont  renumeralion  serait  trop  longue ,  il  tut 
charge,  ainsi  que  le  Tintoret  el  Oratio,  fils  du  Titien. 
des  nouvelles  peinlures  qui  etaient  a  executer  a 
Venise  ;  on  lui  confia  une  des"  plus  grandes  pages 
d'histoire  destinees  h  orner  la  salle  du  grand 
Conseil,  dans  laquelle  il  representa,  avec  un  remar- 
quable  succes  :  Frederic  Barberousse,  baisant  la  main 
de  I'anti-pape  Octavien,  au  mepris  d'Alexandre  III; 
il  y  fit  ligurer  la  pluparl  des  grands  dignilaires  de 
la  republique  ;  ensuite  il  peignit,  au  dessus  d'une 
fenetre,  a  la  meme  salle,  quatre  grandes  figures 
allegoriques ,  d'une  beaute  extraordinaire  :  le  temps, 
Vumon,  la  patience  et  la  foi ;  mais,  helas !  ces  pein- 
lures furenl  brul6es  dans  Tincendie  de  1576. 

Avanl  de  parler  des  peinlures  de  la  bibliolheque. 
on  ne  peui  oraeitre  celles  qu'il  executa  dans  la  cliambre 
des  raembres  du  Conseil  des  Dix ,  el  au  plafond  de 
rantichambre  qui  y  conduit,  enlre  aulres  le  Triomphe 
de  saint  Marc ,  portant  une  couronne  d'or  sur  la  tete, 
el  soulenu  par  un  petit  ange  d'une  admirable  beaute. 

A  celle  epoque  les  procurateurs  de  la  serenissime 
republique  de  Venise,  voulanl  faire  produire  de  nou- 
veaux  chefs-d'oeuvre ,  chargerenl  le  Titien  de  choisir 
lous  les  peintres  les  plus  capables ,  pour  concourir 
il  un  prix  qui  serait  donne  a  celui  qui  ferait  la  plus 
i)ellc  pt'inturc  dans  la  bibliolheque  Nicerra,  a  Sainl- 
Marc^  (lonnee  a  la  seigneurie  par  le  cardinal  Bes- 
sarion. 


-   175  — 

Le  Titien  ct  Samovmo  ,  le  f,calpteur,  elaient  clioisis 
pour  jnges  ,  ol  une  chaino  d'or  elail  le  prix:  parmi 
uti  nombre  considerable  de  conciirrenls  sc  Irouvaient 
Paolo  Veronese,  Sahiali ,  Franco,  Schim^one,  Zelotti 
el  Frosina.  —  Paolo  oblinl  le  suffrage,  non-soulement 
des  juges  el  des  grands  de  I'Etai ,  mais  encore  de 
tons  ses  competiteiirs,  qui  s'avouereni  vaincus  et  qui 
applaudircnl  au  peinlre  couronne  par  le   Titien  (1). 

La  pcinfurc  qui  lui  valul  celle  honorable  dislinc- 
lion  merile  que  I'on  en  donne  ici  la  descrip'.ion  faile 
par  Vasari :  «  Elle  represenle  dil-il ,  la  Musique , 
o  sous  les  traits  de  Irois  jeunes  femraes  d'une  beaute 
»  ravissante  ;  I'une  d'elles  joue  du  lulh  et  I'auire 
»  chante ,  pendant  que  la  troisieme  tire  d'une  lyre 
»  des  sons  qu'elle  ecoule  alientivement.  Aupres  de 
a  ces  femmes  ,  Paolo  plaga  un  Cupidon  sans  ailes , 
»  pour  raonlrer  que  I'amour  tient  de  la  musique  ct 
»  en  est  inseparable;  on  y  voit  aussi  le  dieu  Pan, 
»  qui  tient  des  fliUes  d'ecorces  d'arbre.   » 

La  bibliotheque  Nicerra  possede  encore  deux  autres 
tableaux  de  Paolo:  dans  I'un,  on  voil  des  philo- 
sophes  vetus  a  I'anlique ,  et  dans  Tautre ,  Vhonneur, 
auquel  on  offre  des  sacrifices  et  des  couronnes. 

Apres  ce  succes ,  il  retourna  a  Verone  oii  elaii 
touie  sa  famille.  Tous  les  cloilres  se  dispuierent  alors 
I'honneur  de  posseder  queique  chose  de  sa  main  ;  ii 
y  peignil  plusieurs  tableaux  ,  entre  autres,  chez  les 
Peres  di  San-Nazaro,  Jesus  chez  le  lepreux  et  Ma- 
deleine aux  pieds  du  Sauveur, 

(t)  La  ctiahic  d'or  ({iii  fill  dounec  a  I'aolo  ,  fill  longlcm|is 
I'onseivee  ctiez  scs  descendants,  (lui  ia  gardereiit  coniiue  iiiie 
leliipie   |iieci(Misfi  on  rtiominur  de  Icnr  ancclic. 


—   176    — 

«  On  ne  peal  «  diiRudolfi,  liislorien  si  poctique 
»  dans  sfs  details  «  sc  fairo  une  idee  de  la  beaute 
»  de  cclte  femme  qui  soulienl  un  des  pieds  de  Jesus, 
»  noye  dans  un  flot  de  cheveux  d'or,  qui,  tout  epars, 
»  caressenl    egalemenl  I'albatre  de  son  £ein  »    (1). 

De  retour  a  Venise  ,  il  y  acheva  la  plupart  des 
peinturcs  qu'il  avail  commencees  el  en  composa  de 
nouvelles  pour  les  jesuites,  jusqu'a  ce  que  Girolamo 
Grimani,  son  protecleur ,  qui  venail  d'etre  nomme 
ambassadeur  a  Rome,  I'y  emmena  avec  lui.  Paul 
Veronese  n'y  alia  pas  pour  faire  sa  cour  au  pape, 
car  il  avail  le  caraciere  fler  el  franc  du  Titien ; 
noais  pour  etudier  les  anliquites ,  les  mines  ei  les 
ouvrages  de  Michel-Ange  el  d3  Raphael;  c'est  alors 
qu'il  senlil  qu'il  allait  prendre  un  nouvel  essor. 
(  Al  volo  suo  senti  crescer  Je  penne.  )  II  senlil  croitre 
ses  ailes  pour  voler. 

A  son  relour  a  Venise,  ses  ouvrages  furent  encore 
plus  apprecies,  el  il  peignil  encore  plusieurs  diffe- 
renls  sujels  dans  la  saile  -Ju  Conseii  des  Dix,  sujets 
donl  on  esl  oblige  d'abreger  le  detail ,  tanl  elail 
immense  sa  prodigieuse  fecondite,  enir'autres  :  Ju- 
piter foudroyant  les  vices  les  plus  infdmes,  lels  que 
la  luxure,  la  cupidite  et  I'assassinal,  Ires  bien  repre- 
senles  par  une  puissante  allegorie  (2);  la  clemence 
et  Vem'se   comblee   de  riches  presents  par  Junon  (3). 

(Ij  Ella  sosiienc  sin  [liede  di  Giesu  annodaiu  dicrini  d'oro, 
ed  allri  sciolli  fregiano  con  le  aiirate  fila  I'alabaslro  del  suo  seno 

(Ridoi.fi. 

("2)  Tableau  servant  aujourd'iuii  de  plafond  dans  la  chaiubre 
a  coiichcr    de  Louis  XIV,    a  Versailles. 

{Ti)  Tableau  faisanl  iiariic  de  la  (Jalerle  du   Louvre,  avaiil  ISLS. 

.\otes  'If  t'dutevr  ) 


—  177  — 

Les  iius  (le  celle   iigure  heroique  sont    d'line  splen- 
dide   beaiite. 

II  faul  encore,  pour  abreger,  laisser  la  descriplion 
des  nombreux  travaux  executes  encore  h  Sl-Sebaslien 
vers  1565. 

J'ai  hale  maintenanl  d'arriver  a  ces  quatre  chefs- 
d'oeuvre  si  adinirables  que  Paolo  composa  vers  celle 
epoque  ,  connus  sous  le  nom  de  Cenes ,  el  qui  lui 
valurent  une  si  grande  reputation.  Ce  sonl  :  1°  Les 
Nocesde  Cana  qu'il  peignil  pour  le  relecloire  de  San- 
Giorgio  Maggiore  et  que  Roger  de  Pise  nommail  le 
chef-d'oeuvre  de  la  peinture ;  ce  tableau  qui,  au- 
jourd'hui ,  fail  rornement  du  musee  du  Louvre,  ii 
Paris,  est  presque  le  seul  des  merveilles  qui  nous 
soienl  restees  des  conquetes  des  armees  frangaises 
en  Italic.  II  est  haul  de  6"  66«  cl  large  de  9™  90^ 
II  renferme  150  iigures  donl  ia  plu|)arl  sont  des  por- 
traits d'iiluslres  ptusonnages  de  son  temps;  bcaucoup 
sont  inconuus  aujourd'hui ;  mais  on  y  remarque  don 
Avalos  d'Espagne,  marquis  de  Guasl ;  Eleonore  d'Au- 
iriche,  soeur  de  Charles-Quinl  et  femme  de  Fran- 
cois I",  qui,  lous  deux,  (igurenl  egalement  aulour 
de  la  table;  Marie,  reine  d'Anglelerre ;  Soiiman  II, 
empereur  des  Turcs ;  un  prince  negre ;  Victoria 
Colonna  ,  femme  du  marquis  Pescaire.  Paul  Veronese 
s'est  represenle  lui-meme  au  ccnire  du  tableau  ;  il 
joue  du  violoncelie  ;  pres  de  lui  est  le  r<7?m,  jouanl  do 
la  basse;  rmtore<ef  Gossan,  qui  font  parlic  du  niemc 
groupe ,  jouanl  de  divers  instruments ;  Benedetto 
Caliari,  frere  de  Paolo,  est  revetu  d'un  costume 
magnilique,  el  ticnt  une  coupe  a  la  main. 

Quelle  grande  el  sublime   idee   (jue  relte  reunion 


—  178  — 

des  souverains  el  des  grands  liummes  de  celle  belle 
epoque,  assislanl  au  premier  miracle  du  Chrisl!  Idee 
sublime,  au  momeni  ou  les  schismes  de  Luiher  el 
de  Calvin  divisaient  la  chrelienle !  voila  I'immense 
genie  des   hommes   d'alors  ! 

Sous  le  rapport  de  la  peinlure  el  de  Teffel ,  celle 
composilion  est  prodigieuse  d'air  el  de  richesse ;  le 
ciel  est  pur  el  brillanl  comme  pour  un  jour  de  feie  ; 
les  oiseaux  volligenl  au  ciel ;  une  foule  considerable 
de  domesliques  el  d'esclaves,  occupes  au  service  de 
la  table,  anime  celle  grande  reunion  ;  la  magie  el 
I'accord  des  couleurs  les  plus  brillanles  sent  incom- 
parables  •,  aucun  peinlre  n'a  jamais  vaincu  d'aussi 
grandes  difficulles.  On  reprochera ,  comme  loujours, 
rinobservanee  des  costumes  el  des  usages  qui  de- 
vaieni  elre  loui  autres  aux  pauvres  noces  de  Cana, 
en  Galilee  J  ou  on  n'avail  pas  meme  de  vin  a  boire , 
et  ou  les  costumes  d'or ,  de  velours  el  de  sole  el 
I'archileclure  magnifique  elaient  impossibles  ;  mais 
que  Ton  se  reporle  a  I'idee  philosophique  que  celle 
composition  renferme,  tout  sera  explique ,  il  ne  faudra 
plus  qu'admirer.  Celle  merveille  fut  payee  90  ducats 
seulemeni  (1). 

La  deuxieme  el  la  iroisieme  des  grandes  Cenes 
represenlenl  toutes  deux  la  Madeleine  aux  pieds  de 


(I)  II  faul  ici  menlionner  uu  document  ciiiieux  qui  est  con- 
serve et  eucadreaujouid'hui  [tres  du  lonibeau  de  Paul  Veronese, 
a  St-Sebastien,  a  Venise.  C'est  le  Iraile  fail  par  lui  avec  le  cou- 
vent  de  San-Giorgio  Maggiore  ,  pour  leque!  il  fit  ce  celehre 
tableau  dos  Noces  de  Cana.  11  y  est  convenu  qu'il  touchera  90 
ducats  pour  pris  de  son  oeuvrc,  et  que  le  couvenl  subricndra 
a  lous  scs  IVais  et  a  sa  nourrllure  pour  lui  ol  deux  aides,  pendant 
lout  le  lern|)S  de  I'execnlion  do  I'ouvrage.     [Note  de  I'auteur.i 


—  179  — 

Jesus  chez  Simon  Ic  pharisien ,  siijels  irailes  lout 
fJifferemment  :  I'lin  I'm  fait  a  Sl-Sebaslion  en  1570 
et  oe  perd  un  pen,  que  par  comparaison  des  Irois 
autrcs  ;  I'aulre,  dans  le  refectoire  des  Peres  Serviles; 
CO  dernier  fait  aussi  partie  du  musee  du  Louvre  ; 
Louis  XIV  I'avait  demande  a  ces  Peres  qui  le  lui 
refuserenl ;  sur  leur  refus ,  la  Republique  le  fit  en- 
lever,  en  1665,  pour  lui  en  faire  present.  La  scene 
so  passe  sous  un  immense  portique  en  demi-rotonde; 
de  magnifiques  palais  decorent  le  fond  du  tableau  ; 
les  tetcs  soul ,  en  general ,  de  beaucoup  supericures 
a  celles  des  Noces  de  Cana ;  ce  font  de  superbes 
tetes  juives  qu'il  avait  pu  choisir  h  son  gre,  tandis 
que  dans  les  Noces  de  Cann  ,  il  avait  ele  oblige 
de  faire  des  portraits,  ce  qui  pent  expliquer  ia  dif- 
ference qui  est  generaiement  reconnue  par  les  artistes 
el  les  honimcs  de  gout. 

La  qunlrieme  cnfin  de  ces  Genes  represenle  Jesus 
et  ses  apolrcs,  chcz  Simon  Levi  le  publicain:  elle  fut 
faite  a  Sl-Jean  en  1575;  la  composition  consiste  en- 
core en  une  immense  table ,  pincee  sur  une  espece 
de  terrasse  sous  un  triple  porlique  orne  de  figures 
sculplees ;  on  arrive  a  cetle  terrasse  par  deux  esca- 
liers  places  a  droite  et  a  gauche  du  tableau  et  occupes 
par  des  soldais  et  des  servileurs  ;  des  monuments 
admirables ,  comme  toujours ,  d'elegance  et  de  per- 
spective aerienne,  decorent  le  fond  de  cette  com- 
position ,  aussi  importante  que  les  autres  comme 
dimension. 

Ce  tableau  est  d'un  fini  plus  precieu.\  que  les 
autres  ,   mais  il  manque  de  franchise  el  de  fermete. 

Ces    sujets    de    festins    out   ele   repetes  par  Paul 


—  180 


h 


Vhonesc  plusieurs  Ibis,  dans  tliirerenlcs  grandoni 
el  h  differenles  epoqiies ,  enlre  aiitres  celui  qui  ful 
execute  pour  le  refectoire  des  moines  de  San-Nazario 
el  San-Celso.  11  so  Irouvc  aujourd'hui  a  Genes,  au 
palais  Doria  ;  il  est  moins  grand  que  ceux  prece- 
demmcnl  cites,  mais  ne  leur  csl  pas  inferieur  ;  uno 
autre  de  ces  Genes  ful  envoyce  de  Venise  a  Genes, 
el  elait  dans  la  famille  Durazzo ,  avec  la  Madeleine, 
qui  est   une  merveiile. 

II  execula  de  plus  ,  dans  ce  genre,  la  Cenc  de 
I'Eucharistie,  a  Ste-Sophie  de  Venise  ;  une  autre  du 
me;iie  sujel  el  d'un  iravai!  plus  delical,  placee  au- 
jourd'hui a  Home,  dans  le  palais  Borghese ;  le  festin 
que  Gregoire  donne  aux  pauvres,  chez  les  Serviles 
de  Vicence ;  d'aulres ,  dans  difTerentes  galeries  de 
Venise. 

Toutes  ces  ojuvres  sonl  magnifiques  de  grandeur 
et  de  majesl6 ;  avanl  Paul  Veronese  personne  n'a- 
vail  deploye  ce  luxe  d'architeclure  qui  serl ,  pour 
ainsi  dire,  de  cadre  k  ses  personnages,  el  en  com- 
mande  tout  nalurelleraeul  la  composition.  II  y  fai- 
sail,  sans  difficuUe  el  sans  desordre,  enirer  un  nombre 
considerable  de  figures ;  pour  eviicr  la  confusion,  il 
se  servail ,  disenl  les  historiens  ,  de  pitiles  figures 
modelees  en  cire  el  appelees  maquettes,  qu'il  arran- 
geait  el  disposail  suivanl  les  exigences  de  sa  com- 
position ;  il  en  avail  meme ,  dil-on  ,  un  si  grand 
nombre,  qu'il  pouvail  faire  ligurer  lous  ses  persou- 
nages  sous  ses  yeux,  habilles  des  etoffes  necessaires, 
ce  qui  explique  Pair  et  I'espace  qu'il  y  a  dans  ces 
reunions  mcrveilleuses ,  et  la  degradation  de  per- 
spective d'une  figure  a  I'autre,  dans  des  plans  dif- 
ferenls.   II  elait   conslammenl  enioure  d'etoffes  el  de 


—   181  — 

vases  (le  la  plus  grande  ricliesse,  avec  la  luiniere  et 
le  chaloicment  desquels  il  se  plaisail  a  luUer;  de 
plus,  il  avail  I'avantage  inappreciable  de  pouvoir 
peindre  les  riches  costumes  de  son  temps ;  les  fonds 
de  ses  tableaux  sont  toujours  clairs  el  sentenl  le 
jour  de  niidi ,  heure  h  laquelle  se  font  encore  les 
repas  en  ce  beau  pays ;  toute  la  lumiere  est  tou- 
jours dans  le  ciel ,  le  reste  n'esl  eclaire  que  par 
accidents. 

On  a  souvent  raconle  que  quand  le  tableau  des 
Noces  de  Cana  fut  expose  au  musee  de  France,  les 
jeunes  eleves  de  ce  temps ,  deja  artistes  ,  furenl 
conslcines,  disant  :  Nous  nous  sommes  perdus!  Nos 
mailres  nous  onl  egares...  Tout  en  rendant  justice 
a  cette  oeuvre  si  magnitique,  on  peul  dire,  en  lais- 
sanl  de  cote  toute  partialite,  qu'ils  s'egaraient  aussi 
dans  ce  decouragement  :  la  Transfiguration  de  Raphael 
est  autre  chose  et  n'en  est  pas  moins  un  des  chefs- 
d'oeuvre  d'art ;  la  peinture,  comme  la  litterature,  a 
un  coloris  pour  la  poesie  et  un  pour  la  prose ;  il  y 
a  deux  genres  de  sublime  :  celui  de  la  poesie  et  du 
sentiment,  comme  on  le  comprenait  a  Rome  et  a 
Florence,  et  celui  de  la  richesse  el  de  I'imaginalion 
que  les  Veniliens  ont  porl6  a  la  derniere  perfection. 

Toule  discussion   devrail  finir  a  ce  point. 

Avant  d'achever  la  suite  des  oeuvres  de  ce  grand 
peintre ,  il  reste  a  parler  d'une  colossale  et  sublime 
composition  qui  lui  valul  I'honorable  distinction 
de  chevalier  de  I'ordre  de  St-Marc  ;  cette  pein- 
ture forme  le  plafond  de  la  grande  salle  du  Conseil 
au  palais  ducal ;  elle  ful  execulec  dans  les  derniers 
temps  de  sa  vie  ,  el  represenle  Venise  triomphante  , 
sous   la   forme  d'une  admirable    femme  revetue  de  la 


—   18l  — 

pourpre  royale,  placcc  dans  le  haul  de  la  conipusi- 
lion  ,  elle  est  couronnee  par  la  gloire^  cel^bree  par  la 
renommee,  enlouree  de  figures  allegoriques ,  lliouneur , 
la  liberie  ct  la  paix;  Junon  el  Ceres  offronl  les  em- 
blemes  de  la  grandeur  et  de  la  prosperite.  La  partie 
superieure  du  tableau  esl  ornee  d'uue  magnifiquc 
archileciurc  soulenue  par  de  riches  colonoes  lorses; 
plus  has,  dans  une  galerie  ,  on  voil  une  muliiiude 
de  malrones  avcc  lours  enfanls ,  el  (rhommes  donl 
les  costumes  indiquenl  les  divers  rangs  et  les  dignites 
diiferenles  ;  des  guerriers  a  cheval ,  des  amies,  des 
enseignes ,  des  prisonniers  el  des  trophees  de  guerre 
occupeni  Ic  premier  plan  de  la  scene. 

Ce  tableau  ,  ou  plulol  eel  immense  ovale,  esl  un 
abrege  des  merveilles  a  I'aide  desquelles  Paolo  fas- 
cinail  les  ycux  en  presentant  un  ensemble  ravissanl 
forme  d'une  muililude  de  details  agreables,  des  espaces 
aeriens ,  brillant  d'une  lumiere  fraiche  el  pure,  des 
edifices  somplueux  qu'on  voudrait  parcourir,  etc.,  etc. 

Ceite  magnifique  composition  represente  reelle- 
ment  une  des  belles  epoques  de  la  vie  de  Veronese, 
et  devrail  clore  la  suile  innombrable  de  ses  travaux. 
Je  vais  cependant  essayer  de  terminer  d'une  maniere 
rapide  la  longue  enumeration  des  peinlures  du  palais 
ducal ,  quoique  je  ne  suive  pas  de  celte  maniere 
I'ordre  chronologique,  ordinairement  usile. 

Dans  la  m6me  salle  du  grand  Conseil  se  Irouvenl 
deux  aulres  tableaux  peints  a  la  meme  epoque  que 
Venise  triomphante ,  ce  sont  :  1°  Le  retour  du  ge- 
neral Pietro  MocenigOj  apres  la  prise  de  Smyrne.  — 
2°  La  defense  de  Scutari  par  le  courageux  capitaine 
Antonio  Loredano,  contre  les   Tares. 


—   185  — 

Dans  la  salle  du  giaml  Coiiseil,  on  voil  plusioius 
anlres  tableaux  doni  rcxeculioM  fiit  decrelee  par  le 
senat,  el  fails  en  concurrence  avec  le  Tinlorei , 
savoir  :  i°  Le  doge  Seha^tiano  Veniero  ,  un  des  plus 
fameux  heros  de  la  Ripuhlique  Venitienne,  remlant 
des  actions  de  graces  a  Dieu,  pour  la  vicloire  rempor- 
tee  par  lui  sur  les  Turcs  ;  des  Anges  lui  apportent 
les  symboles  du  triomphe.  2"  Une  Venise  triomplmnle 
sur  un  trone ;  la  Justice  el  la  Paix  l'ac:ompagnent. 
5°  Le  doge  Veniero  faisant  un  sacrifice,  pour  ensei- 
gner  que  la  religion  eiait  un  des  princi[)es  de  la 
Repnbliqne  de  Venise.  4"  Eofin  le  Triomphe  de 
Neptune  el    de  Mars. 

Huil  figures  allegoriques  sonl  peinles  dans  les 
caissons   de  celle   salie. 

L'enlevemenl  d'Europe  esl  aussi  une  des  merveilles 
dn  palais  ducal. 

II  faut  encore  menlionner  a  Venise  une  ires  belle 
peinlure  executee  pour  les  dames  du  convent  de 
Sle-Calherine,  c'esl  le  Man'age  de  cette  Sainte;  tons 
les  anges  el  les  arcbanges  assislenl  i  celle  splen- 
dide  ceremonie.  Ce  tableau  esl  d'un  aspecl  clair  el 
argenlin. 

II  lui  arriva,  dans  un  convent  de  dames,  une  aven- 
ture  qui,  je  crois ,  pent  interesser  :  il  avail  peint , 
pour  ce  convent,  nn  tableau  repreienlanl  le  Paradis; 
observant  les  regies  de  I'arl,  il  avail  fait  les  figures 
du  fond  ,  nioins  lerminees  que  celles  des  premiers 
plans,  el  plus  adoucies  de  couleurs;  ces  dames 
chucbotaienl  enlre  ellcs,  el  parlaienl  du  meconlen- 
temenl  qu'clles  eprouvaient  de  ne  pas  voir  asscz  de 
bleu ,  de  vert  el  de  rouge,  el  de  ne  pouvoir  discernei' 
I.  13 


—   18ft  — 

les  cheveiix  ci  les  cils  dos  yeux  des  peisoiinages ; 
qiiand  arriva  iiii  peinire  flamand ,  avec  ses  pelils 
tableaux  dores  qui  eblouireul  les  yeux  de  ces  bonnes 
soeurs ;  elles  ne  larderenl  pas  a  se  repenlir  de  n'a- 
voir  pas  employe  uii  lei  peinire  pour  I'execulion 
de  leur  Paradis;  elles  se  disaienl,  en  se  joignanl 
les  mains  :  quels  beaux  yeux  !  comme  ces  chevenx 
sont  jobs!  —  D'aulres  louaienl  les  levres  de  corail  et 
la  flnesse  des  couleurs?. ..  Une  d'elles,  enfin,  s'avisa 
de  proposer  de  changer  la  peinlure  de  Paolo  conlre 
un  des  pelils  tableaux  qu'elle  lenail  dans  ses  mains; 
les  aulres,  irouvanl  I'occasion  avanlageuse,  appuye- 
renl  celle  proposition  el  changercnl  le  diamanl  cen- 
tre le  verre.  Paul  Veronese,  loul  lier,  repril  son 
tableau  el  le  vendil   400  ecus  d'or  (1). 

Avanl  de  quitter  Venise ,  revenons  un  instant  au 
palais  Pisani ,  ou  se  trouve  le  tableau  admirable 
de  la  Famille  de  Darius  presentee  a  Alexandre  ;  I'ex- 
pression  des  leles  y  esl  supeibe. 

La  famille  Bavilacqua  possedait  de  ses  ouvrages  ; 
les  ancelrcs  de  celle  famille  ravaicnl  protege;  on 
voil  meme  un  tableau  represenlanl  un  des  membres 
de  cette  famille  pres  duquel  Paolo  se  peignit  lui- 
meme,  sous  le  costume  d'un  servileur;  humble 
hommage  de  reconnaissance  qui ,  a  celle  epoque , 
n'avait  rien   de  set  vile. 

II  ne  laul  pas  oublier  un  tableau  place ,  aujonr- 
d'liui ,  au  musee  de  Venise  el  qui  esl  d'une  grande 
beauie ;  je  veux  parler  de  la  Grande  sainte  Famille^ 
on  Ton  voil  figurer  saint  Jean,  saint  Jerome  et  saint 

(1)  Tire  de  Ridolli. 


—   185  — 

Marc  en  tusiu/ne  dc  cardinal,  (^e  labloaii  celebre  l';ii- 
saii  panic  (In   mu^ce  dii   Louvre  avanl  1815. 

Venise,  cnfin ,  csl  remplie  de  ses  peiiiUires ;  il 
n'y  a  pas  de  palais,  pas  d'eglise ,  pas  de  couvent  , 
on  il  n'ail   laisse  la   trace  de  son  passage. 

A   Sl-Sylveslre,    une  Adoration  dcs  Mages. 

A  Monleguana,  an  dome,  une  Trans/iguration  el 
une  Ascensio)i  ; 

A  St-Fraiigois  de  la  Vigue,  une  sainte  Famille  en- 
louree  d''.  divers  saints ,  el  une  copie  de  la  Cene,  donnee 
a  Louis  XIV;  elle  a   ete  faile   par  Valentin  Lefevre; 

A  Sl-Pierre  Sl-Paul  ,  la  Representation  de  ces 
deux  saints; 

A  Sl-Joseph,  une  Nativite ; 

A    Sl-Luc,  ce  saint  ecrivant  I'Evangile  ; 

A  St-Andre,  saint  Jerome  dans  le  desert ;  ce  ta- 
bleau est  uii  de  ccux  on  Veronese  s'esl  distingue 
pour  re.\ecuiion  dii   nu  ; 

A  Sl-Julien  ,  une  Cene  et  Jems  soutenu  par  des 
Anges ; 

A   St-Jean —Sl-Paul,   une  Nativite  ; 

A  Murano  ,  aux  environs  de  Venise ,  un  saint 
Jerome  dans  le  desert.  (Sujel  probabiemenl  repele 
par  lui.) 

Au  palais  d'Oriago  ,  qui  a  npparlenu  an  signer 
Girolamo  Grimani,  son  prolecleur,  (|ui  I'avail  emmene 
a  Rome,  on  voit  de  Ires  belles   iVesques. 

Je  ne  puis  encore  passer  sous  silence  le  Marlyre 
de  saint  Georges,  a  Verone ;  tableau  admirable,  au 
haul  duquel  est  represenle  le  del  prmant  part  au 
Martyre    de    ce  saint ,    saint    Pierre    el    saint    Paul 


—  180  — 

inlercedanl  pour  lui ;  les  mis,  iiolamnunl  ccux  dii 
mariyr,  sonl  d'une  beaule   ineprochablo. 

A  Rimini,  un  saint  Julien  de  Rimini;  labieau  ires 
precieux   de  (ini  el  d'execiilion. 

La  Sant'  Afra  de  Brescia  el  la  sainle  Justine  de 
Padoue,  sonl  deux  immenses  compositions  que  i'on 
voit  dans  ces  deux  villes ;  elles  onl  beaucoup  souf- 
ferl.  On  voit  aussi  a  Padoue  un  saint  Francois  el 
line  Ascension;  les  Apotres  qui  figurenl  dans  ce  der- 
nier tableau  sonl  d'un  peinlre  nomme  Damini ,  les 
premiers  ayanl  eie  I'urlivemenl   coupes   el  derobes. 

A  Genes,  au  palais  Durazzo,  Olinde  el  Sophronie, 
labieau  superbe  de  coloris  el  de  mouvemenl ;  el 
au  palais  Caregu,   une  Adoration  des  Mages. 

A  Florence  (  galerie  publiquo),  une  Esther  devant 
Assuerus;  un  Christ  sur  le  Calvaire ,  admirable  de 
desolation .  Un  Portrait  dc  vieillard  ,  vHu  d'un  cos- 
tume a  fourrures  rouges,  ;  un  Mariage  de  sainte  Ca- 
therine ;  labieau  cxquis  el  harmonieux. 

Au  palais  Pilli,  le  Portrait  de  la  femme  de  Ve- 
ronese . 

A  Vicence  ,  a  Santa-Corona,  xine  Adoration  des 
Mages . 

A  Trevisc ,  on  voii  un  labieau  represcnlanl  la 
Justice  ;  c'est  une  fresque  (ransporlee   sur  toile. 

A  Rome,  au  musee  du  Vatican,  une  sainte  Helene  , 
qui  est  de  son  beau  icmps ;  au  palais  Borghese  , 
le  massacre  des  Innocents,  termine  comme  une  mi- 
niature, et  saint  Jean  prechant  dans  le  desert,  en- 
loure  de  cinq  a  six   figures  admirablemonl  groupees. 

On  voit  des  peintures  de  Veronese  dans  loule 
I'lialie,  a  Trevise,   aPadoue,  a  Vicence,  a  Verone, 


—  187  — 

a  Brescia,  a  Bergamo,  h  Genes,  a  Murano ,  no- 
lammenl  dans  le  palais  du  signer  Camillc  Trevisano, 
a  Torcello. 

Oiiire  les  peintures  execiUees  par  iui  pour  les 
hlals  Veniiiens,  il  recevail  des  commandos  de  lonles 
les  capiiaies  (1).  Vienne,  Rome,  Turin,  Modene, 
Londres,  Amsicrdam  ,  Anvers  el  Paris  soilicilerent 
la  laveur  de  posseder  qiielqu'nne  de  ses  oeiivres. 
M.  du  Housset  ,  arnbassadmr  de  France  a,  Veniiie, 
Ini  acliela,  a  celte  epoque.  nn  lableau  represenlani 
Ic  Marlyre  de  sainte  Jaslinc ,  i(i  meme  sans  doule, 
qui,  aujourd'hui,  est  relourne  a  la  galerie  de  Flo- 
rence, et  qui  esl  u!!e  delicieuse  composilion  ;  puis 
la  Conversion  de  la  Madeleine  ,  une  Resurrection  el 
Venus  et  Adonis :  je  ne  sais  ce  que  ces  derniers 
sonl  deveniis. 

II  fit ,  pour  un  cerlain  Melcliior  Piov;ino  di  Sjiii 
Fosan  ,  I'llistoire  de  Genevieve  de  Brabant,  legende 
raconlee  tout  au  long  par  Ridolfi  qui  avoue  ne  pas 
connailre   le  nom    de  celle  heroine. 

Je  termine  enfin  ici  la  longue  enumeration  d'lMU! 
parlie  des   ceuvres  de  ce  puissant   genie  (2). 

II  laissa  k  sa  mori  un  nombre  eonsideral)Ie  de  toiles 
inachevees  el  de  fresques  non  lerminees,  notamment^ 
un  Depart  de  I'Armee  Venitienne  pour  la  Croisade  ; 
lahleau    coinmande    par   le  Senat  et   la    Rcpubli(jne. 

(I)  il  ne  voulut  jamais  qiiitler  I'Kaiie,  sa  faiuille  et  ses  amis, 
iiiaigre  les  sollicilalioiis  pressanles  qui  Iui  fuient  falles,  iiolarii- 
iiieiil  par  Philippe  II,  roi  d'Espagnc,  (|ui  voulait  te  charger  de 
la  decoralion    de   t'Esciirial.  (itiuoi.n.) 

(■2)  Uidolfi  calalogue  ,  poiir   ainsi   dire,  loules    los  (ciivres  de 
Paul   Veronese  ;  j'espere  elre  asscz  heureux    pour  doiinor   |>li) 
lard    une  traduction  lilleralc  e(  coinplele  de  cet  auleur. 

{Nate,    fic   I'auteur.) 


—  188  — 

II  lain  aussi  parler  d'une  coiiiposilion  oilgiiiale 
oil  il  represente  saint  Antoijte  de  Padouj  preclmnt ; 
les  poissons  sorlis  de  I'eau  forment  son  nudiloire. 
Ce  tableau  est  aiijourd'hui  an   palais  Borghese. 

Paul  Veronese  faisail  aussi  des  dessins  morveil- 
leux  pour  ses  compositions ;  ils  sonl  pour  la  plu- 
part  executes  a  la  plume,  Lien  arreles  el  laves  au 
bistre  ou  a  I'encre  de  Chine;  ils  sonl  Ires  finis 
el  font  les  delices  des  amaleurs.  tl  travailla  aussi  ii 
des   dessins  pour  etre  copies  en  lapisserie. 

C'csl  a  Venise  que  ce  granJ  homme  rendil  son 
ame  a  Dieu ,  en  1588,  le  20  mai ,  jour  de  la  2*^ 
fete  de  Paques.  11  elail  age  de  oG  ans ;  il  mourul 
d'une  flevre  aigue  qu'il  gagna  a  la  suite  d'une  pro- 
cession faile  a  I'occasion  d'une  indulgence  accordee 
par  le  Pape. 

Son  fiere  el  ses  deux  fils  lui  firent  faire  de  ma- 
gniflques  funerailles  a  Sl-Sebaslien,  oil  il  ful  enierre 
au  milieu  de  ses  ceuvres. 

Son  lombeau  ,  en  pierre,  est  ires-simple;  son 
busle  ,  sculpte  par  Matleo  Carneri  en  est  le  seul 
ornemenl ;  au  dessous  est  celle  inscripiion  : 

PAVLO   CALIARI   VElVONENSI   PICTOKI 
NATVR^  ^MVLO   ARTIS   MIRACVLO 
SVPERSTITE    FATIS    FAMA    VICTVRO  ; 

el  sur  la  pierre  qui  recouvre  sa  depouille  morlelle, 
ce  seul  souvenir: 

Paulo  Caliario  Veron.  Piclori  celeberrimo 

iilii  el  Benedic.  fraler  Pienliss. 

el  sibi  Poslerisnue 

Decessit  xii  kalend.  Maij 

M.D.LXXXIII. 


—  189  — 

Ell  inemoirt'.  de  ce  grand  peiiiire,  il  resle  encore 
son  porlrait  peint  par  lui-memc  ;  il  fait  partie  de  la 
galerie  des  portraits  des  peinlres  a  Florence. 

Son  frere ,  Benedetto  Caliari ,  qui  lui  surveculet 
ne  mourut  qu'en  1598,  age  de  60  ans  ,  lui  peignail 
souvenl  les  fonds  de  ses  tableaux  el  surtoul  ies 
parlies  d'architeclure ;  il  eiait  fort  habile  dans  cet 
art;   il  cultiva  egalement    la  pcinlure    avec  succes. 

Paolo  laissa  deux  Ills,  Carlo  ct  Gabn'ele ,  qui, 
heritiers  de  ses  talents,  terminerenl ,  ainsi  que  leur 
oncle ,  les  tableaux  de  leur  pere.  On  lit  meme  dans 
quelques  tableaux  :  her(Bdes  PauU  Caiiari  Veronensis 
fecerunt.  L'aine  mourut  a  26  ans,  en  1596  ;  il  aurait, 
dit-on,  surpasse  son  pere;  le  second  .  Gabride,  plus 
adonne  au  commerce,  el  arlisie-amaleur  distingue , 
mourut  viclime  de  son  devouement,  pendant  la  peste 
qui  ,  en   1631  ,  desola  une  grande  partie  de  I'llalie. 

Outre  son  fr^re  et  ses  fils,  Paolo  laissa  un  soul 
eleve ,  nomme  Giovan- Antonio  Fasvolo  ou  Fasolo , 
de  Verone,  qui  avail  deja  de  la  reputation  en  1565  ,• 
son  niailre  faisait  le  plus  grand  cas  de  lui.  II  peignil, 
nolamment  a  Sl-Roch  de  Verone,  un  tableau  repre- 
sentanl  le  Miracle  de  la  Piscine,  dans  lequel  il  imila 
tellemenl  la  maniere  de  Veronese,  que  ceux  qui 
n'en  connaissaient  pas  I'auleur ,  I'ont  toujours  altri- 
bue  a  son  maitre.  II  composa  aussi ,  pour  la  salle 
du  Podeslal,  plusienrs  verlus  morales;  on  raconic 
qu'etant  arrive  a  la  tin  de  son  oeuvre,  des  envieux 
briserent  la  charponie  de  son  ecbal'audage;  il  loin- 
ba  el  se  rompil  la  cuisse  ;  cvenonient  qui  causa  sa 
morl  a  I'age  de  44  ans  (1). 

1 1)  Ilultliiiucci . 


—  190  — 

«  Paul  Veronese  «  dil  M.  de  I'llos  «  ciail  liominc 
»  (le  bien,  pieux,  civil,  officieux,  religieux  dans  ses 
»  promesses,  soigneux  dans  I'educalion  de  ses  en- 
»  fan  is,  magnifiqufj  dans  ses  maniercs  d'agir,  aussi 
»  bien  que  dans  ses  habits ;  el  quoiqu'il  eut  amasse 
»  beaucoup  d'argenl,  il  n'avail  pas  d'anlre  ambition 
»  que  de  devenir  habile  peintre.  II  avail  uue  haute 
»  idee  de  la  peinture ,  et  repetail  souvenl  que  la 
)>  peinture  etail  un  don  du  Ciel  ;  que  pour  en  bien 
»  juger ,  il  fallail  avoir  de  grandes  connaissances  ; 
»  qu'un  peintre,  sans  le  secours  de  la  nature  pre- 
»  sente,  ne  ferail  jamais  rien  de  parfait,  et  qu'on 
»  ne  devait  mettre  dans  les  cglises  que  ies  pein- 
»  lures  sortant  d'une  main  habile,  parce  que  I'ad- 
»  miration  cxcitail  la  devotion ,  el  qu'enlin  la 
»  pariie  qui  couronnail  loutes  celles  de  la  pein- 
»  lure ,  consisiait  dans  la  purete  et  I'integrite  des 
))  moeurs  (Ij.    » 

A  ce  bel  eloge,  il  taut  ajouter  qu'il  ful  I'ami  de 
ses  rivaux ;  le  Tilien  el  le  Tintoret  avaient  pour 
lui  la  plus  grande  estime  ;  ils  furent  constammenl 
en  concurrence  ensemble  ,  et  il  est  certain  qu'une 
si  noble  emulation  n'a  pas  peu  contribue  ^  ses 
progres . 

Quoique  Paolo  eut  vecu  sans  souvenl  songer  a  ses 
affaires  qui ,  d'abord  ,  furent  assez  mauvaises  pour 
I'obliger  a  se  soustraire  a  ses  creanc.iers,  en  vivanl 
dans  des  monasteres,  I'aclivite  prodigieuse  qu'il  ap- 
porlail  dans  ses  Iravaux  lui  acquit  cependani  assez 
de  fortune    pour    soulenir  honorablemenl  sa  famille 

(1)  Get  eloge  do  Paul  Veronese  est  tire  en  enlier  de  Ridolli, 
son  hislorieu.  [Note  de   I'auteur.) 


—   191  — 

el  la  clignile  des  arls  ;  ses  ceuvies,  dii  resie,  ros|)i- 
rent  celle  noble  iiKlependancc  qui  esl  le  cachei  d'nn 
genie  eleve  el  d'une  anie  pen  commune. 

On  peui  encore ,  a  I'appui  des  (emoignages 
transmis  sur  la  noblesse  de  son  caraclere  qui,  sous 
cerlains  rapporls,  ressemblail  beaucoup  a  celui  du 
Titien  ,  ciler  nn  exemple  de  sa  generosile  :  ayanl 
ele  re^-u  lionorablemenl  dans  une  campagne  aux 
environs  de  Venise,  dans  la  maison  Pisani,  il  fil  un 
tableau  ropresenlanl  la  Famille  de  Darius  (mcnlionne 
plus  haul),  el  Ic  laissa  en  £'en  allanl  ;  ce  tableau 
renferme  les  portraits  de  toule  la  famille  Pisani. 

Ses  premiers  essais  avaienl  ete  des  coups  de  mai- 
Ire  ;  il  elait  devenu  le  rival  du  Tintorct,  et  ses 
ouvrages  consciencieux  el  rcflechis  furenl  presque 
tons  fails  en  concurrence  de  cet  homnie  fougueux. 
II  n'egalail  point  la  force  du  pinceau  de  ce  dernier, 
ni  la  vigueur  de  sa  composition  ;  mais  il  le  surpas- 
sait  de  beaucoup  par  la  noblesse  avec  laquelle  il 
rendait  la  nature  ;  une  imagination  feconde  ,  vive, 
elevee ,  beaucoup  de  majesle  el  de  vivacile  dans 
ses  airs  de  tele  loujours  nalurels,  la  ricliesse  de  son 
ordonnance,  I'ensemble  de  la  composition  rendu 
d'une  maniere  telle,  que  beaucoup  d'observateurs 
ont  remarque  que  ses  tableaux  ,  ainsi  que  ceux  de 
la  meme  ecole,  ne  pouvaienl  elre  divises,  taut  les 
parlies  se  lenaient  elroitemenl  liees  enlre  elles;  ce 
qui  n'arrive  point  aux  aulres  ecoles.  L'elegance  dans 
ses  figures  de  femmes,  la  fraicheur  extraordinaire  de 
son  coloris  argenlin ,  im[)ossiblc  a  c  >pic'r  a  cause 
de  la  preslessc  de  I'execution  franclic  et  bardie,  la 
verile  el  la  magnificence  des  draperies  ,  \o\\h  ce  (pii 
caraclerise  surlout   ses  rcmarquables  produciions. 


-    192  — 

Veronese  peignait  avec  une  rapidile  etonnanle;  ses 
couleurs  semblaient  avoir  eie  posees  vicrges  dans 
leur  purete;  sa  palelle  eiail  la  loile  sur  laquelle  les 
couleurs  se  melangeaieiit.  Baldinucci  pretend  qu'il 
preparait  lous  ses  tableaux  dans  un  aspect  de  demi- 
teinle,  egale  dans  toule  la  composition,  qui ,  ensuite, 
avec  une  prcstesse  et  un  savoir  infinis ,  elaient  re- 
haussee  de  touches  lumineuses  dans  les  parties  eclai- 
rees.  Souvenl  in6me,  dit  cet  auteur,  les  lumieres 
les  plus  vives  de  ses  tableaux  etaient  reiouchees  a 
la  gouache  Iguazzo),  ce  qui  fait  que  beaucoup  des 
ceuvres  de  ce  maitre  out  cte  gaiees  par  des  hommes 
assez  inexperimenles,  qui ,  voulant  laver  le  tableau, 
enleverent  toute  celle  ileur  qu'une  main  bardic  y 
avait  resolumenl   dunnce. 

On  comprcnd  facilement  que  celte  maniere,  grande 
el  simple,  de  peindre  pouvait  seule  avoir  ce  resuliat 
brillant  qui  mt-t  les  ceuvres  de  Veronese  en  elat  de 
soutenir  la  lutle  avec  la  nature  meme ;  rnais  aussi, 
il  faul  I'avouer,  que  de  science  ii  Hiul  pour  operer 
ainsi !. .. 

Pour  resumer,  enfin,  on  [)eut  dire  que  son  dessin, 
sans  elre  irreprochable ,  etait  ferrae  el  vrai ,  que  sa 
couleur  doit  servir  de  guide  a  ceux  qui  veulent  se 
perfeclionner  dans  le  clair-obscur ,  qu'il  composail 
avec  une  facilile  extraordinaire ,  el  que  cliacun  de 
ses  tableaux  etait  digne  de  lui  ;  il  a  eu  I'honneur 
de  les  voir  presque  lous  copies  de  son  temps  ;  c'est 
une  mine  inepuisable  poar  ceux  qui  savenl  I'appre- 
cier. 

Lc  Guide  disail  de  lui  que  s'il  avait  l\  choisir 
entre  tous  les  peinlros  ,  il  desirerait  elre  Paul  Ve- 
ronese;  que  dans    lous    U's    aulres   on    reconnaissait 


—  193  — 

I'arl,   inais  que  dans  los  ouvrages  dc   I'aal ,    la  na- 
ture se  mniitrail  dans  loiKe   sa    verile. 

La    Galerie    frangaise ,  a u  Louvre,  possede  doiize 

lahloaux  de  ce  maitie  : 

Les  Noces  de  Cana.   (Meulionne   plus  haul.) 

Le  Repas  chez  Levi  le  Publicain.  (Menliounc  plus 

haul.) 

Les  pelerins  d'Emmam.  (Ou   il  s'est  repr6senle,  lui 

el  loule  sa  famille.) 

L' Evanouissement   d' Esther.  (Tableau   niagnitique  ) 

Loth  el  ses  Filles.  (Magnifique  esquisse.j 

Jesus  dans  la  Maison  de   Pierre.     Pelitc  esquisse 

legeremenl   Irailee.) 

Jesus    au  Golgotha.  (Tableau   ires  riche  do    cou- 
leur  ;    les  foods  ne  sonl  qu'esquisses.) 

Le  Christ  enlre  deux  Larrons.    (Tableau   de  clie- 
valet  merveilleux.) 
Suzanne  au  bain.  (D'une  verile  saisissanle.) 
Un  Portrait  de  Femme. 
El  deux  Saintes  Families. 

Le  nuisee  possede,  en  oulrc,  14  magniliques  des- 
sins    de  ce  grand  peintre. 

Avanl  rexeculion    des  trailes  do  1815  ,  le  musee 
imperial  possedail   encore  : 

1"  Le   Martyre  de  saint    Georges.   (Juste   litre  de 
gloire,  qui  a   cle  replace  a  Venise.) 

2°  La  grande   Sainle  Famille.  (Reiourue  au  mu- 
see de  Venise.) 

5°   Un   Christ  au   Tomheau.    (Tableau   inagnilique, 


—  19/1   — 

qui  a  beaucoup  soiiffert  par  racliori  du  Icmps  cl  a 
ele  reslaure;  il  ful  replace  h  Verone.) 

4°  El  enfin  ,  le  plafond  represenlant  Junon  ver- 
sant  des  tresoi^f  sur  la  ville  de  Vem'se ,  remis  en 
place,  aujourd'hui,  au  palais  ducal. 

On  voil  encore  au  palais  de  Versailles  deux  su- 
perbes  tableaux  de  Paid  Veronese  ;  le  premier  serl 
de  plafond  a  la  charabre  h  coucher  de  Louis  XIV,  el 
re|)resenle  Jupiter  foudroyant  les  Titans ;  ce  lableau 
ful  enleve  a  la  galerie  du  Conseil  des  Dix  ,  par 
I'armee  Frangaise ,  lors  de  la  premiere  campagne 
d'llalie.  Le  deuxieme,  provenanl  de  la  meme  origine, 
sen  egalemenl  de  plafond  au  salon  dii  du  grand 
Couverl  de  la  Reinc  et  representanl  saint  M^rc 
couronnant  les  vertus  theologales. 

L'ancienno  colleclion  de  Louis  XIV  se  moniaii  , 
dil-on,  a  26   tableaux  do   Paul  Veronese. 

On  peut  encore  citer  tin  beau  Portrait  de  Femme 
dans  le  musee  de  Nantes,  et  deux  tableaux  repre- 
senlanl ,  I'un  la  Femme  aduUerc ,  el  I'aulre  une 
Adoration  des  Mages,  qui  tous  deux  (onl  parlio  du 
musee  de  Bordeaux. 


-  195  - 

LITTERATURE. 
Cominuiiiciition  de  SI.  Loriqiiet. 

LA      QUIQUENGROGNE , 
par    M.    Emilc     CHEVALET. 


II  y  a  plusieurs  annees  qu'on  annon^ail,  sous  ce 
liire,  nil  roman  de  M.  Victor  Hugo.  Ce  livre,  prone 
il'avance,  devail  servir  de  pendant  h  Nolre-Dame 
de  Paris.  L'aulcur ,  disaient  les  propectus  ,  se  pro- 
posail  d'y  developper  ses  idees  sur  la  feodalile  mi- 
lilaire  el  civile,  cotiime  Nolre-Dame  de  Paris  lui 
avail  servi  pour  exposer  celles  qu'il  avail  sur  la 
I'eodalilc  religieuse  el  ecclesiastique.  Je  ne  sais  si 
M.  V.  Hugo  a  jamais  eu  dessein  semblable  en  ecri- 
vant  Nolre-Dame  de  Paris ;  on  pent  en  douler  en 
lisanl  son  ouvrage;  mais  le  pendant  de  Nolre-Dame 
de  Paris  n'a  pas  vu  le  jour,  il  n'a  meme  jamais  ele 
tail,  que  je  sache.  En  allendanl  que  M.  V.Hugo 
daignal  trailer  le  sujel  annonce,  pour  repondre  h 
Tempressement  de  ses  edileurs  el  de  ses  prospecius, 
iM.  Eraile  Clie valet  s'esl  empare  du  litre  la  Qiiiquen- 
groyne,  conimc  d'un  bien  qui  apparlenail  a  tout  le 
monde  ;  el ,  sans  se  preoccuper  des  scrupules  du 
mailre  a  I'egard  des  capitalisles  associes  pour  I'ex- 
[iloil;tiion    de    ses    oeuvres  passees  ,    presentes    el  /i 


—  19G  — 

venir,   ii    nous    a  donne    rouvrage    inleressanl  tlonl 
jc  viens    vous   enlrelenir. 

Le  litre  n'est  aulre  chose  que  le  nom  de  la  scene 
oiise  passcnl  les  evenemenls  raconles  par  M.  Chevalel. 
II  esl  juste  que  vous  sachiez  oil  nous  allons  avec 
noire  auleur,  avanl  d'apprendrc  ce  qu'il  pretend  y 
faire.  Qu'esl-cc  done  que  la  Quiquengrogne? 

Si  le  nom  flalle  peu  I'oreille,  la  chose  n'etail  pas 
plus  agreable  aux  yeux,  Figurez-\ous  queiquc  cha- 
leiain  donl  la  force  a  fail  le  droit  ,  el  qui  a  besoin 
de  faire  senlir  le  joug  au  vilain  pour  etre  assure  de 
ses  respects;  un  seigneur,  due,  conile  ou  baron, 
aulour  duquel  s'agile  une  population  inquiete ,  qui 
dispute  piece  a  piece  avec  elle  loules  les  parlies  de 
la  souverainete  :  pour  lenir  les  mutineiics  en  ochec 
el  n'en  etre  pas  loujours  a  balailler  avec  elles  ,  il 
voudrail  bien  museler  court  cl  serrer  ces  teles  re- 
muanies.  Rien  ne  commandera  mieux  le  respect  aux 
mananis  conime  aux  bourgeois  qu'une  bonne  garni- 
son,  bien  armee ,  bien  fournie  de  loul  ce  qu'il  faut 
pour  se  soulenir  en  pays  ennerni  ,  surtoul  si  elle 
esl  abrilee  derriere  de  solides  murailles.  Chateau, 
tour  ou  donjon ,  le  relranchemenl  seigneurial  s'ele- 
vera  loul  pres  d'eux  ,  malgre  qu'ils  cm  aient  ;  il 
demeurera ,  comuie  une  perpeluelle  menace  ,  au 
dessus  de  leurs  habitations,  au  dessus  des  places  el 
des  rues  de  la  cite,  au  dessus  des  remparts  meme 
avec  lesquels  ils  avaienl  cru  proleger  a  loul  jamais 
ce  qu'ils  appelaienl  leurs  droits  el  leurs  franchises. 

II  n'esl  pas  de  localite  d'une  cerlaine  importance, 
au  moyen-age ,  oii  I'on  ne  pourrail  monlrer  des 
constructions  feodales  de  ce  genre. 


—  197  — 

Au  nonibre  lUs  vingl-qualre  tours  qui  llanquaienl 
le  clialeau  de  Bouiboii-rArcliamliault,  il  y  en  avail 
deux  remarquables  surlout  par  leur  grosseur:  Tune 
se  nommail  VAdmirale ,  el  I'autre  la  Quicangroigne 
ou  Qmquengrogne.  La  derniere,  seul  debris  de  ce 
formidable  assemblage  de  pierres,  sert  aiijourd'huide 
beffroi.  Quand  le  due  Louis  I  fil  Iravailler  a  sa 
conslruclion ,  les  bourgeois  se  plaignirent  de  ce 
qu'elle  dominerail  el  battrail  la  ville,  ils  se  sou- 
leverent  el  voulurenl  chasser  les  ouvriers.  Mais  le 
due  posla  ses  bommes  d'armes  autour  des  fondalions, 
el  fil  conlinuer  les  travaux,  repondaol  aux  clameurs 
de  ses  vassaux  :  «  On  la  balira,  qui  qu'en  grogne.  » 
Le  mol  esl  resle,  vous  le  voyez,  et  longlemps  en- 
core ce  ne  ful  pas  un  vain  mol ;  car  ceci  se  passail 
de  1517  a  1541.  La  Iroisieme  enceinle  de  la  ville 
de  Tours,  qui  comprenail  une  lour  egalemenl  ap- 
pelee  Quiquengrognc  (1),  elail  de  la  meme  epoque. 
On  peul  done  faire  remonter  au  premier  liers  du 
qualorzieme  siecle  au  moius,  ('usage  de  celle  de- 
nominalion.  Nous  la  Irouvons  menlionnee  dans  I'his- 
loire  de  diflerenles  villes ,  soil  que  I'opposition  des 
babilanls  Tail  originairemenl  atlacbec  a  une  con- 
slruclion semblabie  ix  cellos  dont  nous  venons  de 
parler,  soil  qu'on  la  leur  ait  donnee  depuis  par  ana- 
logic. II  n'est  pas  meme  toujours  possible  de  pene- 
irer  jusqu'aux  raisons  qui  en  onl  motive  I'appli- 
calion. 

Vous  vous  rappelez  le  clialeau  des  arcbeveques 
de  Keims ,  aulrement  dil  Chateau  de  la  Porte  de 
Mars,  terrible  epouvanlail  dont   on    ne    connait   pas 

(i;  Enlre  la   porte   du    Chardoriiiel  el  la    lour  du  Midi. 


—   198  — 

bien  la  tondalion  originelle^  mais  ilunt  uos  cliro- 
niques  onl  conserve  le  souvenir  comme  de  I'objet 
perpelnel  de  la  haine  et  de  TefTroi  de  noire  cile. 
A  voir  remprcsscmenl  que  les  habilanls  mirent  a 
le  delruire,  quand  ils  en  eurenl  la  faculle ,  il  est 
facile  de  s'imaginer  leur  deplaisir  en  le  voyanl  s'e- 
lever ;  nos  peres,  sans  doute,  n'assislerent  pas  a  sa 
construction  sans  protester,  sans  grogner,  comrae 
dit  I'histoire  d'aulres  populations  :  Us  se  plaignirent 
souvent  des  additions  que  le  pouvoir  archiepiscopal 
y  apporlait.  lis  eurenl  aussi  de  fail  leur  Quiqiien- 
grogne,  bien  qu'aucune  parlie  du  chateau  des  ar- 
clieveques  ne   paraisse  avoir   porte  ce  nom. 

Mais  j'oublie  la  Quiquengrogne  de  M.  Chevalet, 
ou  plut6t  cello  de  Sl-Malo,  dans  laquelle  ii  a  place 
son  recii.  Toulefois  en  vous  parlant  de  la  lutte  des 
archeveques  de  Reims  avec  ses  habitants ,  je  m'e- 
loignais  peu  de  men  sujet  :  car  I'histoire  politique 
des  Malouins  est  aussi  tout  enliere  dans  leur  per- 
sislance  h  refuser  I'obeissance  h  leurs  seigneurs  di- 
rects, les  dues  de  Brelagne ;  et ,  quand  plus  tard 
le  duche  ful  reuni  a  la  France,  ils  bouderent  ega- 
lemenl  Louis  XII  et  Francois  I,  rongeant  leur 
frein ,  toujours  insoumis.  De  la  part  de  gens  qui 
regardaient  leur  ville  corame  la  cinquieme  parlie  du 
monde,  on  comprend  cet   orgueil. 

Sans  cesse  en  discussion  au  sujet  de  la  regale, 
du  liercage,  du  past  nuptial,  des  irapots,  des  droits 
de  bris  et  de  brefs  de  mer ,  etc. ,  les  dues  et  les 
eveques  de  Brelagne  entrainaienl  lour  a  tour  les 
populations  dans  leur  querelle.  Les  prelats  bretons 
conserverent  jusqu'au  xv"  siecle  la  preponderance 
politique    que  ceux  de  France   avaient  perdue;    ils 


—  199  — 

avaienl  loujoiirs  leurs  sujeis,  leurs  armecs,  leurs  of- 
ficiers,  leiirs  reveniis  ,  ct  pretendaient  ne  relever 
que  de  Dieii  et  du  Pape ,  meme  en  depil  des  de- 
clarations contraires  de  ce  dernier.  L'eveque  de 
St-Malo ,  plus  que  lout  autre ,  eiail  a  meme  de 
soulenir  de  pareilles  prelentions.  S'aulorisanl  de  ce 
que  I'ilc  d'Aaron,  sur  laquelle  s'elevail  la  ville,  elail 
dans  le  principe  nne  dependance  de  I'eveciie ,  il 
prenait  le  litre  de  seigneur  de  St-Malo  ;  les  Ma- 
lonins  ,  jaloux  de  I'indep  ndance  de  leiir  commerce  el 
de  leurs  murailles ,  faisaient  "'olonliers  cause  com- 
mune avec  Ini  ;  do  fait ,  leur  ville  n'eiait  guere 
autre  chose  qu'une  republique  ,  donl  Teveque  elaii 
le  chef,  el  donl  le  chapilre  etait  le  senat.  I.e  droit 
d'asile ,  au  milieu  du  deluge  de  lois  penales  el  de 
juridiclions  diverses  qui  inondaien!  les  cites  du 
moyen-age  ,  faisail  de  Teglise  et  du  cloiire  la  sau- 
vegarde  de  I'innocence  on  la  prison  perpeluelle  du 
crime ;  cetie  justice ,  qui  s'elevail  au  dessus  des 
justices  huraaines  et  comme  hors  de  leur  atleinle , 
en  valait  bien  une  autre :  comme  les  mcilleurs 
choses,  elle  eul  ses  abus.  Ce  droit  se  irouvait  atta- 
che en  Brclagne  a  lous  les  minihis  ou  lieux  con- 
sacres  par  la  demeure  ou  la  penitence  de  quelque 
saint ;  la  ville  de  St-Malo ,  qui  en  jouissait  lout 
enliere,  elail  devenue  surloul  par  la  redoutable  aux 
dues.  Les  accuses,  de  quelque  nation  qu'ils  fussent, 
s'y  trouvaieni  en  surele.  C'etail  naturellement  la  re- 
iraile  de  lous  les  brelons  qui  aNaienl  encouru  la  ven- 
geance de  leur  souverain. 

Longiemps  done  les  dues  furenl  impuissanlsconlre 
le  mauvais  vouloir  des  Malouins.  En  1365,  Jean  IV 
veul  essayer  d'6lablir  nn  iinpolsurles  marcliandises ; 

I.  la 


—  200  — 

pour  deciclor  I'eveque  el  los  habilaiils  a  s'y  somnelire, 
il  Icur  abandonne  Ic  tiers  de  ce  qui  se  leverail  dans 
leur  port,  el  les  en  excmple  personnellemeni  pour 
tout  ce  qui  concerne  Icurs  provisions  de  bouche. 
Encore  promel-il  de  reitoncer  toul-a-fail  a  eel  impol 
irois  ans  apres. 

Assieges  par  le  due  en  1594,  i!s   s'elaient  donnes 
au    pape    d'Avignon,    soulenant  que  levfique    el    le 
chapilre  de  Sl-Malo  ciaienl  seigneurj    lemporeis    el 
absolus  de   la    viiie,  el   tenaieni   immedialemenl  ce 
fief  du  siege  aposiolique  ,  le  prianl,    au   defaul  du 
roi  de  France  ,    de  pourvoir  a   lour  defense.  Cedes 
ensuite  par  Clemenl  VII  au  roi  de  France,  el  rendus, 
malgre  eux  ,    par   iransporl   de  Charles  VI,  au  due 
Jean  V,  en  1415,  I'eveque,  le  chapilre  et  les  habi- 
lanis    prolesient   et    prosenlenl  une    opposition    au 
roi.   Le  due  est   si   pen  sur  de  son   droit,   on  plulot 
il   a  lellement    peur  de  le  faire  valoir ,  qu'en   1419, 
il  deraande  au  Pape  des  bulles  qui    lui  assurent  la 
souveraineie  dans  Sl-Malo.    Le  Pape  lui  accorda  ce 
qu'il  demandail  ,  par  une  bulle  du   24  mars   1424, 
dans  laquelle  il  est  dil ,  contre   ce  que  pretendaienl 
I'eveque  et  le  chapilre  de   Sl-Malo ,    que  la  souve- 
raineie aussi  bien  que  la  garde  de  la   ville,  du  cha- 
teau   el  du  territoire  de   Sl-Malo  ,  apparlenaient  de 
loul    temps    aux     dues  de   Brelagne.     «  Celle  con- 
firmation  aulhenlique,  dil  D.  Lobineau ,  n'empecha 
pas  i'eveque    de  faire  une  action  d'eclal ,  qui  fit  voir 
qu'il  elait  dans  les   memes  principes  que  ses  prede- 
cesseurs.  Revenant  avec  tout  son  clerge  en  procession 
de  la  chapelle  de  Nolre-Dame  du  Laurier,  le  29  mai, 
et  renlrant  dans   la  ville    par  la  porle  Si-Thomas  , 
il  s'arrela   sur   le  ponl    el  fil   arreler  la  procession  , 


—  201   — 

pour  regarilor  line  nouvello  lour  quo  Ton  elevail  par 
ordre  du  (Juc  ,  el  qui  elail  dej5  un  pied  liors  de 
lerre ,  lout  joignanl  les  murs  ;  il  demanda  aux  ou- 
vriers  par  ordre  (ie  qui  ils  Iravaillaient ;  ils  lui  re- 
pondirenl  que  c'elaii  pour  obcir  au  due.  Alors  il 
prolesla  publiquement  que  la  ville  ,  les  murs  ,  les 
fosses  el  Ie  foods  sur  lequel  on  balissail  cede  lour 
apparlenaienl  de  plein  droil  a  lui  el  a  son  ('gllse  ; 
il  d^fendil  au  due  ,  a  rarchilecte  el  aux  ouvriers 
de  passer  oulre  ;  enfin  il  prit  un  caillou  qu'il  jela 
en  presence  de  loul  Ie  monile  sur  I'ouvragc,  conime 
une  marque  de  sa  proteslation  ,  el  s'en  fil  donner 
acle,   pour  sorvir  en  temps  et  lieu.  » 

En  1425,  nouvelle  bulle  de  Martin  V,  confirmanl 
la  reslilulion  do  Sl-Maio  au  due  de  Bielagne ,  el 
declarani  non  fondees  les  pretentions  et  I'opposilfon 
de  I'eveque ,  du  chapitre  el  des  habitants. 

Rcconcilies  avec  leur  due,  dix-huil  ans  apres , 
les  Malouins  veulent  bien  envoyer  un  depute  au 
sacre  do  Frangois  I",  mais  loujours  en  proleslant 
pour  Ic  mainlien  de  leurs  prerogatives.  Leur  fidelite 
n'esl  pas  moins  douieuse  sous  ses  successeurs. 

En  1475  ,  Frangois  II  se  vil  encore  oblige  de 
demander  au  pape  Sixie  IV  la  permission  do  balir 
un  chateau  sur  un  fonds  de  l"eglise  de  Sainl-Malo, 
«  Ouverle  aux  criminels  de  toulc  nation ,  disail  Ie 
due,  a  cause  du  droit  d'asiie  dont  elle  jonissait,  il  elail 
a  craindre  que  I'un  de  ces  rel'ugies  ne  vint  a  la  livrer 
aux  anglais.  »  Le  Pape  auiorise  Ie  due  a  faire  ce 
qu'il  dcmande  ,  mais  a  la  condition  qu'il  deJomma- 
gera  lo  chapitre  el  que  la  compensation  sera  acccplee 
par  dts  commissaires. 


—  20-2  — 

Assiegcs  ,  sous  Anne  ile  Brelagne  ,  par  los  troupes 
de  Charles  VIII ,  les  Malouins  se  defendenl  d'abord 
laiblemenl ,  puis  ils  se  rendenl,  en  slipulanl  la  confir- 
mation de  tous  leurs  droits  ;  ils  demandent  nolam- 
ment  a  etre  juges  par  le  chapitre  on  par  des  magis- 
trals de  Icur  choix ,  ct  a  ne  relever  que  du  parlement 
de  Paris,  ou  seront  porles  les  appels  (1492). 

Mais  la  duchesse  Anne  est  devenue  reine  de  France 
ei  le   roi  Charles   VIII  est  son   epoux.    Abandonnes 
des  lors  aux  volontes  de  cette  princesse  ,  I'eveque, 
le  chapitre  el  les  habitants  sont  bien  forces  d'obeir ; 
loutes  les  franchises,  loules    les  prerogatives  el  les 
parlies   du    pouvoir    pour    lesquellcs    ils   avaienl    si 
loiigtemps   combaitu   s'en  vont   une   a   une;   la  du- 
chesse ,  qui  sail  h  quoi  s'en  tenir  sur  lour  soumis- 
sion,  prend  chaque  jour  de  nouvclles  garantios.  Elle 
veut   bien    exempler   les   Malouins   de    tout   impot  , 
moyennant  une  rente  annuelle  de  irois  cents  livres , 
parce  que ,  apres    tout ,  cc  sont  les   plus  valeureux 
enfants  de  sa  Cretagne  el  qu'elle  a  inierel  h  voir  pros- 
perer  leur  commerce,   mais  elle  met  en  meme  temps 
a  execution  le  projei  que  son  pere  n'avail  pu  accomplir  : 
elle  fail  construire  a  I'entree  de  la  ville  une  forteressc 
rodoutable  ,  destinee  k  tenir  en  respect  cette  indocile 
population  ,  el  qui  rendra  inutiles  ,  en  les    coupanl , 
Icsremparlsderriere  lesquels  elles'abritait.  Le  chateau, 
ainsi  mis  au  Carre  el  semblable  a  un  immense  char 
c!e  guerre ,   avec  les  quaire  tours  qui  le  soutiennenl 
aux  angles  ,  deiie  les  Malouins  et  semble  a  Tabri  de 
leurs  agressions ;  il  logera  bel  et  bien  le  gouverneur 
el  les  hommes  d'armes  de  la  duchesse. 

Cependanl  les  Malouins  murmurerent    en    voyant 
les  tours  s'elever  au  dessus  du  sol. 


—  203  — 

Quic  en   groigne 

Ainsy  sera 
C'est  mon  plaisir, 

lenr  repond  la  duchesse,  a  la  maniere  du  due  Louis  I 
de  Bourhon  ;  et,  pour  leur  laisser  a  perpetuil6  sous 
les  yeux  ce  rude,  mais  salulaire  averlissement ,  ellc 
ordonne  de  le  graver  en  toules  lellres  el  en  relief 
sur  une  des  lours  qui  regardenl  la    ville. 

Ainsi  se  irouva  baplisee  la  lour  qui  porlait  cellc 
inscription.  Ellc  a  garde  ce  nom  de  Quic  en  groigne, 
sans  conserver  I'inscriplion  que  des  sols  onl  effacee 
des  le  commcncemenl  de  la  revolution.  Ne  voulaienl- 
ils  pas  alors  delruire  le  chateau  lui-meme ,  el  avec 
lui  la  trace  des  chaines  qu'ils  avaienl  un  momenl 
portees  de  si  mauvaise  grace  ;  comme  s'ils  rougis- 
saienl  encore  d'avoir  cle  brelons  ,  el  qu'ils  ne  se 
fussenl  crus  Fran^ais  que  du  moment  ou  disparaissait 
I'anlique  royaule  de  France  qui  les  avail  proteges 
conlre   les  dues! 

Le  chateau  subsisle  encore.  Ses  lours  de  gianii 
onl  [)lus  de  cent  pieds  de  haul.  Celle  qui  fail  face 
a  la  Quiquengrogne  ,  du  cote  de  la  ville,  s'appelle 
la  Generale  ;  la  Icur  des  Dames  el  celle  des  Moulins 
flanquenl  les  deux  angles  atlenants  au  bastion  de 
Vauban  qui  fornje  ce  qu'on  appelle  la  Pointe  de  la 
Galere. 

Tel  est  le  chateau  dans  lequel  s'accomplisseni  la 
]>lupar!  des  fails  racunles  par  M.  Chevalet.  II  me 
pardonnera,  si  j'ai  donne  ici  moins  de  place  a  son 
livre  qu'aux  fails  histuriques  et  aux  reflexions  qui  s'v 
rapporlenl.  II  a  lui-nienio  expose  son  dessein,  je  le 
iaisserai   d«tiic  pailei'. 


—  '20k  — 

«  J'avais  (Iccouverl ,  dil-il  ,  on  visilanl  la  Qni- 
queugrogne,  une  vieille  inscription  a  peine  dechiffrable 
el  qui  clail  absolumenl  semblabie  h  une  autre  que 
j'avais  vue  sur  un  inur  en  mines  de  I'ancien  chateau 
de  Frapeslos  ,  en  Berry.  Ces  inscriptions  idenliques 
me  semblaieut  devoir  apparlerir  a  la  meme  epoque  ; 
el,  chose  plus  remarquable,  avoir  ete  inspirees  par 
la  meme  pensee  el  gravees  par  la  meme  main.... 
Un  antiquaire  que  je  consultai  a  ce  sujet ,  reconnut 
que  ces  inscriptions  dalaient  de  la  fin  du  xiV  si^cle, 
el  ful  d'accord  avec  moi  sur  lour  identite  absolue, 
avec  celte  difference  pourtanl,  que  celle  de  Frapesles 
avail  precede  de  quelques  annees  celle  de  !a  Qni- 
quengrogne.  —  A  la  fin  du  xiv^  siecle ,  le  chateau 
de  Frapesles  servit  de  residence  a  Jeanne  de  France, 
epouse  repudiee  du  roi  Louis  XII ;  mais  il  y  a  loin 
de  Frapesles  a  St-Maio  ,  et  je  trouvai  piquanl  de 
chercher  a  relier  les  anneaus  eparpilles  de  la  chaine 
qui  devaient  me  conduire  h  reconnaitre  comment 
on  pouvait  expliquer  la  presque  siraultaneite  de  cetle 
inscription  laline  :  Nihil  ex  mhilo,  exislanl  au  manoir 
de  la  reine  Jeanne,  et  dans  la  ciiadelle  d'Anne  de 
Brelagnc.  » 

«  Rien  de  rien  :  »  Ceci  est  une  loi  generale  ci 
laquelle  Dieu  seul  et  les  poeles  font  exception  ;  et 
par  poeles  j'entends  aussi  les  romanciers,  qui,  par 
metier ,  sonl  souvenl  appeles  a  faire  de  rien  quel- 
que  chose.  Un  mol  leur  serl  de  theme  pour  des 
flols  d'encre  et  de  paroles.  «  Rien  de  rieu :  »  Com- 
bien  de  volumes  on  pourrait  faire  avec  cela  !  quelle 
mine  inepuisable  pour  I'ecrivain  qui  court  apres  des 
idees  !  La  rencontre  seulc  d'unc  pareille  inscription 
n'esi-ellc  pas   une  bonne  fortune  ?    Quelle   main    I'a 


—  ^05  — 

iracee,  quelle  csl  rinielligence  capable  de  penser  d'aussi 
serienses  choses ,  qui  a  laisse  son  empreinle  ici  el  la, 
en  deux  endroils  si  differenls?. . .  Dans  celle  seule 
question,  il  y  a  maii^re  pour  unc  longne  hisloire. 
Enlre  les  deux  inscriptions ,  il  y  a  loute  la  vie 
d'nn  hommc ,  peut-^tre  nieme  de  plusieurs  ,  el  ce 
rien  se  Irouve   avoir  enfante   un    nioiide. 

Knlrons  done  dans  le  monde  que  M.  Clievalet 
vient   de  nous  ouvrir. 

Quelques  raois  apres  avoir  ete  porler  au  due 
d'Orleans,  prisonnier  h  Biurges,  les  consolations 
d'un  coeur  devoue ,  bien  qu'abreuve  de  se:^  mejjris, 
Jeanne  de  France  elait  venue  a  Frapesles  el  y  avail 
fail  un  asscz  long  sijour.  En  nienie  temps  un  enfant 
naissail  dans  ce  chateau  ;  Tacie  constatant  qu'on 
I'avait  ondoye  sous  le  nom  de  Louis-Yorik,  declarait 
qu'il  elail  sans  parents  connus,  el  cependant  il  lui 
donnail  la  qualite  de  vicoinie  de  Frapesles  ,  de  la 
volonle  expresse  de  la  jtrincessc.  Alix  de  Kerloguen, 
la  lidele  el  inseparable  compagne  de  la  dnchesse, 
s'elail  chargee  d'elever  renfanl,  elle  pdssait  pour  sa 
mere.  Le  chevalier  de  Lignac  .  auquelle  elle  elail 
fiancee  ,  rcnonce  a  elle  ;  la  baionne  de  Kerloguen, 
sa  mere  ,  devenue  folle  de  douleur  ,  maudit  sa  lille 
qu^'llecroil  deshonoree. 

Plus  lard  ,  Anne  de  Breiagne  fait  accepter  a  la 
baronne  un  asile  dans  le  chateau  de  St-Malo.  Alix 
ell(!-nteme  ,  apres  la  morl  de  Jeanne,  vieiil  habiler 
celle  ville  avoc  renfanl  devenu  grand  ,  qui  passe 
loujours  pour  son  his  el  qui  croil  I'eire,  line  forte 
el  pieuse  education  a  developpe  cliez  Yorik  les  plus 
nobles  qualiies.  Quand  ranteur  nous  le  nionlrc 
arrivanl    d'luie    course   loiniaine ,    sur   son   vaisseaii 


—  206  — 

la  princesse  Jeanne,  on  devinc,  a  sa  coniiaissancf^ 
des  hommes  et  des  choses ,  h  sa  noble  confiance  , 
au  respect  qu'il  coinraande  aulour  de  lui  ,  que  le 
myslere  de  sa  naissauce  cache  une  grande  origine 
el  qu'il  n'esl  pas  fait  ponr  I'obscnrite.  Tandis  qu'Alix 
garde  rcligieusemenl  dans  son  sein  le  secret  qu'eile 
seule  possede,  et  qu'eile  fait  lout  pour  detourner 
celui  qui  I'appeile  sa  mere  d'enlreprises  trop  elevees, 
la  fol!e  de  la  Quiquengrogne  qui  a  I'inluition  vague 
de  ce  qu'il  est ,  reve  pour  lui  des  destinees  royales 
el  le  pousse  a  realiser  ses  reves  ambiiieux.  Place 
par  les  Malouins  a  la  tele  de  leur  milice ,  dans  le 
moment  oil  le  chateau  vienl  de  reeevoir  une  gar- 
nison  francaise  et  le  gouverneur  que  le  roi  Francois  I" 
a  charge  de  ses  pleins  pouvoirs ,  il  attire  les  regards 
des  nobles  bretons,  et  prepare  de  concert  avec  eux 
la  delivrancc   du   duche. 

En  eponsant  le  due  d'Orleans  devenu  Louis  XII, 
la  duchesse  Anne  avail  stipule  qu'apres  elle  et  son 
mari,  sa  Bretagtie  passerait  a  I'aHie  de  leurs  enfanis. 
Le  mariage  de  Madame  Claude  de  France  avec  le 
due  d'Angouleme  derangea  ses  plans,  el  Anne 
mourul  sans  que  le  fils  qu'eile  altendail  pour  lui 
donner  la  Bretagne  arrival ;  quand  Francois  d'An- 
gouleme ful  devenu  roi  de  France,  le  sort  du  duche 
ful  decide.  Renee ,  seconde  fille  d'Anne,  elait  sans 
droits  sur  la  Bretagne  ;  le  dauphin  ,  fils  de  Francois!" 
et  de  Madame  Claude  de  France,  devenait  I'heritier 
que  designait  le  conlrai  de  mariage  de  la  reine 
Anne  ;  de  gre  ou  de  force,  les  bretons  deraanderenl 
a  le  reeevoir  solennellement  en  celte  qualite. 
Ainsi  ful  consommee  I'union  de  la  Bretagne  k  la 
France. 


—  207  — 

L'anlenr  do  la  Quiquemjrogne  esl  icsic  dans  los 
limiles  du  vraisemblabic  ,  sinon  du  vrai  hislorique, 
CM  imaginant  un  complot  des  nobles  bre(ons  pour 
rorr.pre  les  chaines  de  la  Rrclagne.  I.a  populalion 
agissanle  du  pays  elait  recllement,  ii  cetlc  epoquc  , 
partagee  on  deux  camps  ;  les  parlisanis  de  ['union  nc 
i'emporterenl,  aux  etals  de  Vanncs  ,  qu'en  employani 
I'adresse  el  la  corruplion. 

II  esl  permis  d'admelire  aussi ,  avec  M.  Chevalel , 
que  les  ennemis  de  !a  servitude  franpaise  aienl  pu  jeler 
les  yeux  sur  Madame  Renee  dt  France  ,  comme  reprc- 
senlnnl  mieux ,  au  point  de  vue  de  I'independance  de  la 
Brelagne,  le  sang  de  la  reine  Anne.  Mais,  suppose 
que  celle  princes^e  eut  ecoute  leurs  propositions, 
quelsecours,  quelle  influence  utile  meme  leur  eut-elle 
assures?  L'auleur  s'aulorise  en  quelque  sorte  de  cclte 
impuissancepour  amener  Renee  dans  la  Bretagnc  ,  avec 
mission  d'etudier  les  besoins  des  nouveaux  sujets  du 
roi ,  de  conciiier  les  esprils,  el  surlout  de  calmer  I'hu- 
meur  bouillante  desMalouins.  La  cour  se  defiait  d'clle 
cependant ,  la  regenle  Louise  de  Savoie  la  voyail  per- 
sonnellement  d'un  mauvais  oeil  :  comment  accorder 
cette  mission  de  confiance  donnee  5  une  princcsse 
suspecic,  avec  la  polili(iuc  que  Ton  suivait  h  Blois 
et  telle  que  l'auleur  Ta  depeinte  ? 

En  prenant  les  ehoses  de  plus  haul ,  on  pourrail  en- 
core se  demander  si  c'est  bien  a  St-Malo  qu'il  faut 
faire  naJlre  une  ligue  donl  le  but  est  de  reiircr  la  Bre- 
lagne des  mains  du  roi  de  France  pour  la  [)lacer  sous 
un  chef  &  ello.  Le  lieu  esl-il  bien  choisi?  Cetle  cite 
jusqu'alors  n'avaii  jamais  fait  cause  commune  avec  la 
Brelagne.  En  opposition  [terpeUielle  avec  ses  dues  ,  et 
en  dernier  lieu  surlout  avec  la  dnchesse  Anne,  son 


—  208  — 

cri  el  sa  devise  etaieiit,  M.  Chevalel  I'a  dil :    «    Point 
hreton,  Malouin  suis !  »  La  Quiquengrogne  est  \h  pour 
prouver  que  ce  cri  disail  \  rai ;  I'inscription  qu'elle  porte 
au  front  est  la  reponse  h  ce  memo  cri ,  il  ne  vous  est 
pas  permis  de  Ic  faire  menlir.  Je  sais  bien  que  le  corn- 
plot  est,  a  St-Malo,  i'oeuvre  d'un  seul;  le  vicomle  de 
Frapesles  agil  dans  I'ombre,  dans  le  plus  grand  secret. 
Je  sais  de  plus  que  le  populaire  est  mobile  en  ses  gouls 
comme  en  son  humour.  Mais  ,  si  je  permels  que  les 
Malouins  regoivent  mal  leurs  anciens  amis  les  Francais, 
el  qu'ils  s'insurgent  centre  ceux  qu'aulrefois  ils  appe- 
laient  a  leur  aide,  c'esl  parce  que  la  presence  d'une 
garnison  est  devenue  menaQante  pour  les  franchises 
auxquelles  ils  liennenl  par  dessus  lout,  c'esl  parce  que 
celle  garnison  represcnle  pour  eux  aujourd'hui  le  pou- 
voir  ducal  qu'ils  n'oni  jamais  voulu  reconnailre,  c'esl 
aussi  parce  qu'ils  ont  ele  provoques  par  le  Ills  du  gou- 
verneur,  el  que  les  suites  de  cclle  allaque  onl  ele  la 
mort  de  leur  prevol  el  la  disparilion  de  sa  fille.  A  leur 
insQU  les  Malouins  sont  Francais  par  le  cceur  el  par 
les    habitudes  ,    par   leur   amour  de  I'independance 
principalemenl  ;  jamais  vous  n'en  ferez  des  brelons  : 
nous  croyons   I'avoir  demonlre    au    commencement 
de  ce  travail. 

Quoiqu'il  en  soil,  poursuivons.  Madame  Renee  de 
France  est  en  Breiagne  ;  des  I'abord  ,  renlenle  la 
plus  cordiale  s'elablii  enire  elle  el  le  vicomle  de 
Frapesles,  ces  deux  ames  se  sonl  comprises.  Raou- 
letle,  la  douce  tille  du  sire  de  Bizien,  du  prede- 
cesseur  du  vicomle  dans  le  posie  important  de  prevol 
de  la  milice  malouinc ,  Raoulelle  ,  ii  laquelle  le 
vicomle  est  liance  depuis  longlemps  ,  son  enle- 
vement ,    sa  caplivit(i  dans  la  Quiquengrogne  el  les 


~  i()9  — 

dangers  qii'ellc  courl  n'oui  plus  qu'uii  mince  inlerel 
|)om'  Iiii.  Nous  soninies  loin  tlu  temps  eii  Yorik 
provoquail  lo  Ills  dii  goiiverneur  ,  le  ravisseur  dc 
sa  fiancee  ,  et  le  jelail  .'i  la  mer  du  haul  dc  la 
Qniquengrogne.  Arrele  ini-nie:iie  par  le  comic  de 
Qiarolles  an  milieu  de  ses  plans ,  il  avail  vu  le  cha- 
teau lomber  aux  mains  de  la  milice  malouino,  sans 
pouvoir  s'employer  a  pacifier  Ics  esprits.  Disons  en- 
core que  ce  cnmle  de  Charolles  qui  commande  le 
chateau,  n'etail  autre  que  le  chevalier  de  Lignac. 
Alix  a  reconnn  le  fiance  qui  I'a  dedaignee  ;  pressee 
par  le  danger  de  celui  qui  I'appelle  sa  mere,  elle  com- 
munique an  gouverneur  des  preuves  irrecusables  de 
la  haulc  origine  d'Yorik.  Malheurensemenl  cc  secret 
qui  la  rehabilite  meurl  avec  le  comle  de  Charolles ; 
sculemenl  (pielques  mots  d'Alix  avaienl  cte  retenus 
et  porles  a  la  cour  de  Blois ;  Renee  en  avail  eu 
connaissance  ,  la  folic  de  la  Quiquengrogne  lui  avail 
repele  que  le  vicomle  dc  Frajiejles  devait  etre  du 
sang  des  rois  :  «  Madame  Jeanne  de  France  ,  disail  la 
baronne,  recevait  bien  souveulla  visite  de  Charles  VIII, 
du  temps  qu'Alix  vivail  pres  d'elle.  »  El  la  dessus 
Renee  trailnil  Yorik  de  cousin,  desireuse  de  lui  donner 
publiquement  cetle  qualile,  el  hientot  de  se  rapprocher 
de  lui  d'une  maniere  plus  inlime  encore.  La  poli- 
tique des  nobles  brelons  qui  exige  que  la  princesse 
appelee  a  regner  sur  la  Bretagnc  cpouse  I'un  d'eux  ; 
le  danger  qu'elle  courl  en  mer  avec  Yorik,  sur  le 
vaisseau  la  princesse  Jeanne  ;  I'ordrc  de  revcnir  a 
Blois  que  lui  intime  la  cour  inslruile  de  ses  me- 
nees;  et,  par  dessus  tout  ,  un  irresistible  penchanl 
renlralne  a  precipiter  son  mariage.  L'eveque  de 
Sl-Malo  allaii    unir    secretemeni    Yorik    el    Renee  ,. 


—  210  — 

quand  Mix  accourl  el  revele  a  lous  les  deux  cc 
secret  religieusemenl  lenu  par  elle.  lis  etaienl  les 
enfants  du  meme  pere  ;  la  mere  inconnue  d'Yorik, 
c'elail  Jeanne  de  France  ,  celte  princesse  delaissee, 
bannie  de  la  presence  de  son  roi  el  de  son  cpoux, 
pour  ceder  sa  place  et  son  litre  a  celle  qui  depuis 
longlemps  posscdait  le  coeur  de  Louis  XII. 

Je  passe  rapidemenl  sur  ce  qui  suit  et  je  neglige 
dans  le  recil  de  M.  Chevalel  la  renoncialion  d'Yorik 
h  reclamer  ses  droits  sur  la  couronne  de  France,  sa 
determination  d'aller  chercher  sur  d'autres  lerres  I'em- 
pire  auquel  son  grand  coeur  el  ses  nobles  facultes  sem- 
blaienl  le  dcsiincr  ,  son  mariage  avec  Raouletle  ,  Icur 
mort  enfin  ,  de  la  main  de  ce  fils  du  comte  de  Charolles 
qu'Yorik  avail  cru  tuer  el  quis'etait  charge  jusqu'alors 
d'epier  sa  condiiite  pour  en  rendre  compte  a  la  cour 
de  Blois  ;  je  ne  dirai  meme  rien  de  Jacques  Car- 
tier ,  I'eleve  d'Yorik  et  le  chef  de  celle  suite  de  na- 
vigaleurs  hardis  que  St-Malo  a  donnes  a  la  France. 
Le  fail  de  la  naissance  d'un  fils  issu  legitimeraeni 
du  mariage  de  Louis  Xll  el  de  Jeanne  de  France , 
domiue  ici  lout  autre  interet.  Suppose  qu'il  Cut  vrai , 
il  aurail  pu  cnlrainer  les  consequences  lis  plus  gra- 
ves :  meme  a  I'eial  de  supposition  ,  il  merile  au  moins 
d'etre  examine.  Nous  devons  done  rechercher  sur 
quels  fondemenls   on  pourrail   Tappuyer. 

II  y  a  eu  peu  de  princesses  plus  malhcureuses  que 
Jeanne,  si  toulefois  on  peul  I'elre,  quand  on  sup- 
porle  aussi  paliemmenl  les  plus  rudes  epreuves.  Tout 
le  mondc  connatl  sa  vie,  son  mariage  el  la  disso- 
lution de  cette  union  mal  assortio,  rallachemenl  con- 
stant qu'elle  cut  pour  Louis  Xll,  sa  soumission  au 
jugemonl  qui  la   comlumnait  au  pire   des  vcuvages. 


—  211   — 

celtii  des  e|»oiJses  ropudices ,  s:i  conslance  el  sa  re- 
signation,  qui,  non  moins  que  sa  piele,  lui  onl 
meriie  des  aulels. 

Nous  nvons  deja  rapporle  que  Jeanne  oblint  a  force 
de  prieres  la  permission  dc  visiter  son  epoux  pen- 
danl  sa  delenlion  a  Bourges.  Que  se  passa-l-il  dans 
celle  enlrevue?  L'infidele  epoux  ful-il  louche  de  I'i- 
nallerabie  devoument  de  celle  qu'il  avail  loujours 
si  crueiiemenl  Irailee  ?  rinfortunee  princesse  rcQul- 
elle  de  lui,  comme  le  dil  M.  Ciievalol ,  un  accueil 
un  peu  cordial  el  capable  de  lui  faire  oublier  lout 
ce  qu'elle  avail  soufferl  ?  je  ne  sais.  Ce  boolieur , 
en  tout  COS,  n'aurail  pas  ete  de  longue  duree.  De- 
sesperanl  de  flechir  sa  sceur  en  faveur  du  due ,  ellc 
s'adressa  au  roi  seul  el  parvinl  a  remouvoir  :  «  Vous 
aurez,  lui  dil-il ,  I'objel  de  vos  regrels ,  el  veuille 
le  ciel  que  vous  ne  vous  en  repenliez  pas  !  »  En 
sorlanl  de  prison  ,  Louis  d'0rl6ans  rononga  (ormel- 
lemenl  a  ses  prelenlions  sur  Anne  de  Brelagne, 
il  se  chargea  meme  de  negocier  aupres  d'elle  I'al- 
liance  qui  amena  la  reunion  de  la  Brelagne  a  la 
couronne.  C'elail  I'exposer  a  la  lenlalion  de  faire 
ses  afT:jires  aupres  d'Anne  prcferablemenl  a  celles 
du  roi  ;  aussi  n'eulil  pas  le  sncces  qu'on  avail 
espere  de  sa  mission,  el,  si  son  amour  ne  I'ul  pas 
paye  de  relour  ouverlemeni ,  tanl  que  vecul  Charles 
VIII,  Anne  ful  lonie  prele  a  se  donner  &  lui,  des 
qu'il  so  pourrail,  «  ne  dcsesperant  pas  lam  de  son 
»  bonheur,  comme  dil  Branlome,  qu'elle  ne  pensasl 
»  eslre  un  jourreyne  de  France  regnanle,  comme  elle 
»  avoil  eslc,  si  elle  vouloil.  Ses  anciennes  amours 
»  luy  foisoieiil  dire  ce  mol ,  ajoule  naivcmcnl  le  ma- 
»  lin   biographe,   car  mal-aisemeni   se  peul-on  de- 


—  ^2\2  — 

»  i'aire  d'uii    yrand    ten   ciuaiid    il  a    uno  fois  saisi 
»  I'ame.   » 

Colle  meme  Anne ,  qui  avail  fail  loulos  sorles  do 
difficulles  h  son  mariage  avec  Charles  YIII  cl  qui 
avail  feinl  alors  de  lenir  a  la  parole  donnce  h  Ma- 
ximilien  d'Autriche  ,  elie  si  timoree  ,  si  bciupuleusc 
d'ordinaire  h  I'endroil  des  prescriptions  de  I'eglise 
el  de  la  morale,  ne  Irouva  point  que  le  mariage  dc 
Louis  XII  avec  la  fillc  de  Louis  XI  pul  rempecher  de 
parlager  le  lit  el  le  ironede  sonamanl.  Seulemenl  elle 
vouhit  qu'on  mil  au  renvoi  de  Jeanne  loulesles  formes 
requises,  que  Jeanne  (ul ,  en  un  mot,  legalemenl 
repudiee.  Do  son  c6te,  ce  roi  qui  ne  vengeait  pas  les 
injures  du  due  d' Orleans,  ce  Louis  XII  donl  on 
a  vante  la  justice  el  la  bontc ,  n'eiail  pas  moins 
oublieux  des  devoumenls  donl  il  avail  ele  I'objel. 
Commines  s'en  plainl  :  la  conduile  dc  Louis  XII 
envers  sa  fcmme  a  donnc  Irop  raison  h  Commines. 
Le  beau  role  du  reslc  dans  ce  proces  deplorable  ne 
fut  pas  du  tout  pour  iui 

c.  Jeanne,  dii  M.  Chevallel,  opposa  des  obstacles 
6  cello  repudiation,  non  pour  conserver  un  rang  qui 
.n'avail  plus  a  ses  yeux  la  moindre  valeur,  encore 
bien  moins  dans  le  bul  de  contraindre  a  la  garder, 
un  mari  donl  elle  elail  cerlaine  de  n'avoir  pas  le 
cceur,  mais  seulemenl  parce  que  ses  convictions  re- 
ligieuses  Iui  faisaienl  considerer  I'annulalion  de  son 
mariage  comme  nn  crime  donl  elle  ne  voulail  pas 
elre  complice.  »  Rien  n'esl  plus  vrai ,  la  fille  de 
Louis  XI  prolesla  longlemps  conlre  ce  scandale  ; 
mais,  une  fois  le  proces  engage,  elle  sul  defendre 
pied-a-pied  le  terrain  qu'on  Iui  disj)utait.  Elle  demontra 
clle-memc  Tinanite  des  premiers  motifs  allegues;  elle 


—  215  — 

sut  bien  prouvcr  en  outre  que  la  conlrainle  donl  se 
plaignait  Louis  XII  n'avait  pas  loujours  exisle  pour 
lui,  et  que,  s'il  avail  protesle  differentes  fois  contre  le 
mariage  qu'on  lui  avail  fail  faire,  il  n'en  avail  pas 
loujours  ele  de  meme  dans  leur  vie  interieure.  Quand 
son  epoux  el  son  roi  n'iiesila  pas  i  livrer  a  dcsjuges 
vendus  (1)  les  secrets  de  la  couche  nupliale,  Jeanne 
protesla  haulemenl  el  rcfusa  de  subir  des  6preuves 
injurieuses  ;  son  langage  fut  fcrmc  sans  arrogance , 
precis  sans  ostentation.  Le  point  qu'elle  s'attache  le 
plus  a  comballre  est  precisemenl  celui  qu'il  nous 
importail  le  plus  d'eclaircir  ici.  On  la  disait  improprc 
au  mariage^  on  alleguail  meme  comme  preuve  unc 
leltre  de  son  pere  au  comie  de  Dammarlin  ,  par 
laqr.ello,  lui  annon?ant  le  mariage  projele  de  sa  fille 
avec  le  due  d'Orleans  ,  Louis  XI  declarail  en  quelque 
sorle  qu'il  s'y  elail  decide  dans  I'cspoir  qu'ils  n'au- 
raienl  pas  d'enfanls;  el,  pour  atlesler  I'aulhen- 
ticile  de  cetle  leltre  fabriquce  ,  on  faisail  entendre 
una  foule  de  lemoins  pour  cerlKier  que  la  signature 
elail  de  Louis  XI  el  le  contre-seing  de  Tillart; 
comme  si  Louis  XI  avail  pu  prevoir  que  sa  fdle 
scrail  slerilo ,  a  Tcpoque  ou  elle  fut  promise ,  c'est 
a  dire  quand  elle  avail  deux  mois. 

A  regard  de  la  consommalion  que  le  roi  avail  nice 
faiblemenl  d'abord,  puis  fdrmcllement  en  dernier  lieu, 
elle  savail  bien  ciier  les  occasions,  Ics  lieux ,  Ics 
propos  meme  de  Louis  XII ,  a  ce  sujet,  dans  certains 
moments  de  bonne  bumeur ,  loutes  les  circonslances 

(1)  La  decision  etait  tetlcraent  arrel^e  et  convenue  d'ayance, 
que  le  Papc  I'avait  devancee  lui-memo  en  donnanl  les  dis- 
penses necessaires  en  raison  de  la  pareute  qui  exislail  entre 
Louis   XI!    ot    Anne   de  Rrelagne. 


—  21/1  — 

cnfiii  propres  a  demonlrer  que  ce  prince  mentait , 
qnand  il  preiendait  n'en  avoir  use  ainsi  (jue  par  dissi- 
mulaiion  et  pour  la  paix,  meme  apres  la  morl 
de  Louis  XI  ,  el  que  jamais  il  n'avail  approche 
d'elle.  Branlome,  avecsa  franchise  ordinaire,  rapporle 
I'opinion  la  plus  accreditee  sur  ce  point.  «  Je  croy , 
>,  dit-il ,  que  son  mary  ,  comme  j'ay  ouy  dire  ,  I'avoit 
»  fort  bion  connue  et  viveraenl  loiicliee  ,  encore 
«  qu'elle  fust  un  pen  gastee  du  corps.  Car  il  n'tsloil 
»  pas  si  chaste  de  s'en  abslenir ,  I'ayant  si  pres  de 
))  soy  el  autour  de  scs  costez  ,  veu  son  nature!  qui 
»  esioit  un  peu  convoileux  el  beaucoup  du  plaisir  de 
»  Venus ,  comme  ses  predecesseurs.  »  Entre  Louis 
XII  juranl  d'une  part  qu'il  n'y  avail  pas  eu  consom- 
raalion  ,  el  Jeanne  declarant  de  I'aulre  que  sa  con- 
science I'empechail  d'en  demeurer  d'accord,  le  choix 
n'etait  ni  difficile  ,  ni  incertain  ;  quand  meme  Jeanne 
n'eul  eu  pour  defense  que  sa  vertu  ,  el  que  le 
peuple  ne  se  fiit  pas  encore  plu  k  chercher  I'inler- 
venlion  du  Ciel  en  sa  faveur  dans  des  miracles  el 
des  prodiges  plus  ou  moins  coniestables. 

On  peul  consulter  sur  tout  cela  le  proces-verbal 
de  dissolution  du  mariage;  Dnclos ,  dans  son  Hisloire 
de  Louis  XI ,  ea  a  donne  des  exiraits  d'apres  le 
manuscrit  en  434  roles  qui  exisle  a  la  Bibliolheque 
nationale,  sous  le  n°  5974.  Aucune  piece  n'esl  plus 
propro,  suivanl  moi  ,  a  etablir  le  bon  droit  de  Jeanne 
el  I'abus  qui  ful  fail  de  Tauloriie  religieuse  pour 
complaire  aux  volonles  de  Louis  XIl  et  donner  pleine 
carriere  a  I'intemperance  qui  devait  hater  sa  mort. 
La  raison  d'Elal  et  le  besoin  de  donner  un  heriiier 
direct  a  la  monarchic  ne  furent  pas  invoques,  comme 
ils  le  furent  i)lus  lard  dans  une  circonslance  du  meme 


-—  '215  — 

genre;  mais  les  aulres  moyens  employes  etaieul  les 
memes,  ils  ne  valaieni  pas  mieux.  Les  theologiens 
de  I'Universile  de  Paris  ne  craignirenl  pas  d'en  dire 
leur  sentiment ,  en  presence  nieme  du  Roi ;  le  peuple 
murmura  hauloment ,  et  le  Irisie  siicces  de  Louis  XII 
que  Jean  de  Sl-Gelais  ,  son  panegyrisle,  appelait  nn 
tour  fait  selon  Dieu  et  conscience  (I)  ,  lui  eut  aliene 
bien  des  esprils,  s'il  n'ciil  Iravaille  a  devenir  un  bon 
roi,   pendant  que  sa  viciime  devcnait  unc  sainte. 

Joanne  n'eul  pu  reclamer  conlre  la  separation, 
sans  donner  lion  a  dcs  troubles  qui  eussent  nui  aux 
interels  de  I'Elal.  A  qui  d'ailleurs  se  fut-elle  adres- 
see  en  ce  monde  ?  Alexandre  VI  n'^lail  pas  liotnme 
|i  revenir  sur  une  decision  donl  son  fds  avail  reQu  le 
prix.  Elle  eut  done  iccours  :i  Dieu  seul  ,  et ,  retiree 
dans  le  Berry  que  le  Roi  lui  avait  donne  ,  elle  se 
livra  tout  eniiere  h  In  vi'^  roligieuse  qui  avait  tou- 
jours  eu  des  altraits  pour  elle. 

M.  Chevalet  a  cherche  a  expliquer  le  silence  de 
Jeanne  au  sujct  de  rcnfant  donl  il  I'a  bupposce  mere. 
«  Dcvonuc  grossc  ,  dit-il  ,  dans  un  temps  ou  Loui^ 
Xll  preiendait  rnvoir  traitee  toujours  comnie  sa  sceur, 
un  sentiment  do  pudeur  Tcmpecha  d'avouer  sa  gios- 
sesse.  Que  n'eussent  pas  dit  scs  enncmis?....  Elle 
remit  done  a  plus  tard  de  reconnaitre  publiquement 
le  fils  auquel  elle  devait  donner  le  jour.. . .  Lorsque, 
par  I'annulation  de  son  mariage  et  par  le  silence 
qu'elle  avait  garde  jusque  la ,  Jeanne  se  trouva  dans 
I'impossibilite  morale  de  faire  constater  la  legilimit^ 
de  son  Ills  ,  elle  se  consola  aisement  de  cetle  mau- 
vaise  fortune,  disani  que  son  Yorik  seruit  bien  plus 

(I)  Hist,    de   Louis  XII,    page  135. 

I.  15 


—   216  — 

heui'eox  d'etre  eleve  dans  la  mediocrii6  que  dans  la 
grandeur;  elle  ajonlait  qu'il  etail  bien  difficile,  dans 
un  haul  rang,  de  conserver  les  belles  qualites  dn 
coeur  ,  et  que  le  roi  Louis  XIl  en  etail  la  preuve  , 
lui  qui  etail  si  bon  nalnreliement ,  el  qui  avail  nean- 
moins  a  se  reprochcr  de  grands  crimes  envers  elle 
Knfin  elle  disait  encore  qu'elle  avail  tani  soufferl  parce 
qu'elle  etail  nee  sur  le  trone  ,  qu'elle  voulait  epargner 
a  son  enfant  adore  les  douleurs  inseparables  du  rang 
supreme.   » 

Ces  motifs  de  la  part  d'une  princesse  telle  que 
Jeanne  ,  joints  a  la  position  etrange  dans  laquelle  elle 
se  Irouva  el  au  jonr  singulier  qui  ressorl  de  ses  decla- 
ralioDS  dans  son  mallieureux  proces,  suffisentS  donner 
quelque  vraisemblance  au  fail  que  M.  Chevalel  n'a 
pas  craint  de  meltre  en  lumiere  ,  quoiqu'il  ful  in- 
connu  a  I'histoire.  II  ajoute  avec  raison  que  la  reine 
n'avait  pas  le  droit  de  disposer  ainsi  de  la  vie  d'un 
prince ;  les  rois  et  leurs  families  apparliennent  a 
I'Etal,  c'est  une  loi  commandee  par  la  religion  elle- 
meme  dans  I'interet  des  societes ,  el  que  le  droit 
public  de  la  France  a  particuliereraent  consacree ; 
Jeanne  ne  pouvait  roublier  ,  sans  que  la  sagesse  de 
son  esprit  eut  ele  troubl6e  par  I'exces  des  inforiunes 
dont  elle  avail  fait  la  triste  experience ;  h  moins 
que  eel  ange  ne  tini  plus  &  la  terre  el  a  ses  inte- 
rels  ,  depuis  qu'on  avail  tanl  fait  pour  Ten  detacher, 
el  que ,  s'exageranl  d'une  part  les  perils  de  la  vie 
publique,  et  de  I'autre  les  avanlages  de  Tobscurite, 
son  amour  de  mere  chretienne  preferai  pour  son  fils 
ce  dernier  heritage  avec  les  graces  celestes  qui  le 
suivent.  Ainsi  nous  la  presente  ,  en  effet ,  M.  Che- 
valet  ,    el   ce   caraciere ,    aussi    vrai    que   louchanl , 


—  ^217  — 

trace  par  la  [jit'iise  Alix  do  Kerloguen  el  souvenl 
reflete  par  elle,  nVst  pas  le  moindre  inlerel  de  soa 
livre. 

Nous  avons  ele  irop  long  pour  nous  etendre  davan- 
tage  sur  les  meriles  que  nous  avons  reconnus  dans 
I'ouvrage  de  M.  Chevalel.  Disons  seulemenl  que  son 
action  marche  d'elle-merne,  sans  embarras ,  comme 
sans  I'aide  des  grands  moyens  que  le  drame  nioderne 
a  inventes  dans  scs  momenls  de  deiresse.  Un  lecteur 
difficile  Irouverait  peut-6lre  un  peu  de  lenteur  au 
debut ,  la  suite  menage  d'agreables  jouissances  ^  sa 
perseverance.  Sans  employer  les  mots  sonores  ,  les 
images  a  eflfet  el  les  singulariies ,  M.  Chevalet  a 
quelquefois  de  bonnes  fortunes  de  style  ,  comme  dit 
M.  Hugo  en  parlanl  de  Sauval.  Plus  simple  el  plus 
vraie ,  plus  morale  surloul ,  sa  Quiquengrogne  est 
quelque  chose  de  niieux  qn'uii  |)endanl  de  Notre- 
Dame  de  Paris. 


218  — 


Lecture   de  )i.   Gaiaet. 


LE    VOYAGr;    DE   GERBERT   EN    ESPAGNE. 


Au  milieu  du  x'  siecle  ,  un  comle  d'Urgel,  qui  elait 
venu  en  pelerinage  a  I'abbaye  de  St-Gerault,  erame- 
nail  avec  lui  un  jeune  Aquilain.  Ce  jeune  homrae , 
sorli  des  rangs  du  peuple  ,  avail  ele  accueilli  a  I'age 
de  \0  ans  comme  un  fils  par  I'abbe  du  raonaslere, 
el  les  membres  les  plus  erudils  de  celle  famille  de 
moines  en  firent  un  si  grand  cas ,  qu'ils  I'envoyerent 
en  Espagne  afln  d'y  perfeclionner  son  educalion  scien- 
tifique  ,  et  de  rapporler  dans  sa  patrie  les  secrels  de 
la  science  que  pouvait  posseder  ce  pays  dont  la 
renommee  disail  de  grandes  choses. 

Ces  moines  avaieut  compris  Gerberi ,  c'esl  a  dire 
I'homme  du  x^  siecle,  dont  la  vie  pique  le  plus  vive- 
ment  la  curiosile.  Aux  dons  du  genie  sont  venus  se 
joindre  en  lui  non  seulement  les  souvenirs  d'un 
voyage  loinlain  ,  mais  les  conlrasles  d'une  exisience 
pleine  de  mouvemeni  et  de  peripelies  ,  d'une  nais- 
sance  obscure ,  qui  aileint  le  dernier  lerme  de  la 
grandeur  humaine. 

J'ai  voulu  savoir  s'il  6lait  possible  de  se  rendre 
un  comple  a  peu  pres  exact  des  choses  que  Gerbert 
avail  rapporlees  d'Espagne,  je  n'ai  pu  arriver  qu'a 


—  219  — 

un  resullal  bien  peu  precis  ;  mais  il  m'a  semble 
que  le  pins  sur  mojon  d'approcher  du  vrai,  elait  de 
comparer  enlre  elles  les  deux  civilisalions  la  civi- 
lisalion  chretienne  el  la  civilisation  arabe  :  (  car 
quoi  qu'il  ne  soil  pas  certain,  il  est  assez  vraisem- 
blable  que  Gerbert  a  peneire  jusqu'a  Cordoue. )  Par 
ce  moyen  ,  on  est  en  mesure  de  resoudre  la  question 
plus  generale  ,  de  savoir  quels  emprunts  les  Chretiens 
du  moyen-age  ont  fait  aux  peuples  musulmans. 

Les  principales  faces  d'une  civilisation  sont  :  la 
legislation ,  les  sciences  ,  les  letlres  ,  les  arts  ,  le 
commerce  el  la  guerre.  On  peul,  sans  entrer  dans 
tie  longs  details  el  d'apres  les  fails  les  plus  generaux, 
fixer  sa  pense  en  comparanl  ces  divers  aspects  des 
deux  civilisalions. 

La  premiere  observation  que  fail  naitre  I'histoire 
comparee  des  deux  peuples ,  c'est  que  le  x°  siecle 
est  le  dernier  des  siecles  chretiens  pour  la  culture 
inlellectuelle ,  el  pour  le  desordonne  el  le  decousu 
de  la  sociele  exterieure  ;  el,  tout  au  conlraire  ,  c'esl 
le  grand  siecle  des  mahomelans  ;  c'est  leur  siecle  de 
grande  prosperite  ,  de  grande  puissance ,  el  du  plus 
haul  degre  de  lumieres  ou  ils  aient  pu  alleindre.  II 
ne  serait  done  pas  Ires  humiliant  pour  nous  qu'ils 
eussenl  ete  nos  maitres  a  celle  epoque  el  dans  un 
seul  moment  de  noire  hisloire.  Nous  pouvons  etre 
irapartiaux  ,  el  genereux  meme,  dans  nos  jugements 
a  leur  egard ,  sans  qu'il  en  coute  beaucoup  h  noire 
amour-propre.  II  esi  de  fait ,  cependanl ,  que  nous 
n'avons  guere  de  concessions  U  (aire. 

Les  regnesdAbderame  II,  d'Okam  ,  d'Abderaine  III 
en  Espagne,  le  regne  des  califes  d'Egyple ,  de  Syrie 
el   de  Perse  ,  a  la  meme  epoipie  ,  sont  memorabli's 


—  -220   — 

el  jellent  uti  grand  eclal.  Bagdad ,  Danias ,  Bassora  , 
Alexandi'ie  el  Cordoue  elaieiil  des  centres  d'aciivite  , 
de  richesses  el  m6me  de  savoir. 

Les  mosquees  de  Danaas  el  de  Cordoue  ,  le  palais 
de  I'Alhambra  ,  avec  ses  elegantes  el  legeres  colonncs 
multipliees  a  I'infini,  avec  sa  cour  des  Lions  si  vantee, 
nous  disent  assez  a  quel  point  de  splendour  etait  monlee 
rarchileclure. 

La  superiorite  de  lours  amies  se  deraonlre  par  le 
fait  :  ils  dominaienl  en  vainqueurs  dopuis  les  regions 
qui  s'etendent  enlre  I'Euplirale  el  I'fndus  jusqu'a 
rOcean  atlanliquo,  Leurs  conquetes  enfermaienl  I'em- 
pire  Grec  dans  un  cercle  de  jour  en  jour  plus  elroil. 
Les  soldats  Chretiens  d'Espagne  revenus  de  lour  abat- 
temtnt ,  commenQaieni,  it  est  vrai ,  h  Icur  disputer 
la  victoire  ;  et ,  au  x"  siecle  memo ,  Ramire  II ,  roi 
de  Leon  ,  sul  aueantir ,  dans  la  journeo  de  Simancas, 
une  arnnee  de  150,000  arabes  commandee  par  un 
capilaine  tel  qu'Alcxandrc  III.  Toulcfois  ,  on  doit 
avouer  que  ,  jusquo  la  ,  ils  avaienl  eu  la  superiorite 
de  la  discipline  railitaire ,  qui  est  d'un  si  grand  poids 
pour  le  succes  des  arraes.  Aussi  leur  nom  elait 
redoute  par  le  resle  de  I'univers  ,  meme  alors  qu'il 
y  avail  en  Occident  un  empereur  qui  s'appelait 
Othon  I". 

Par  Adorn,  Alexandrie  el  la  mer  Rouge,  ils  etaient 
les  courtiers  du  conimorce  entre  I'lndo  et  I'Europe, 
et  ils  en  profitaienl  avec  assez  d'habilete  pour  le 
temps  ;  ils  ne  s'oubliaienl  poinl  dans  les  droits  de 
transit ,  qui  etaient  fort  eleves,  alors  qu'ils  ne  savaienl 
accorder  qu'nue  mediocre  securite  aux  raarchands. 
Plus  lard  ,  ils  confectionnerenl  de  riches  eloffes  de 
soio  ,  d'argcni  el  d'or.  Les  lapis  de  Perse  onl  loujours 


—  ^2*21   — 

ele  une  specialile  de  celle  nation  ;  mais  ils  iie  pureiil 
jamais  elre  les  conciirrenls  daiigereux  de  Barcelone , 
de  Genes,  Florence  el  Venise.  M.  de  Sismondi  nous 
a  fail  bien  connailre  la  valeur  commerciale  de  ces 
dernieres  villes.  Je  vais  ,  d'apres  M.  Dipping,  dire 
un  mol  de  Barcelone  ,  qui  nous  csl  moins  connue. 
Nous  y  Irouvous ,  pendanl  le  inoyen-age  ,  loulcs  les 
inslilulions  qui  caraclerisenl  une  ville  de  commerce 
marilime  de  premier  ordre  ;  un  porl  defendu  par 
des  travaux  imporlanls  el  bien  frequenlc  par  les 
navires  etrangers ,  des  chanliers  de  constructions, 
de  vasles  magasius,  une  douane ,  une  bourse,  un 
consulal,  une  municipaiiie,  des  t'abriques ,  des  depois 
de  marchandises  etrangeres  ,  enlin  un  njagnilitjue 
arsenal  conslruil  aux  frais  de  la  ville  :  voila  ce  qu'elail 
une  ville  marchaudo  cliez  les  chreiiens  du  moyen- 
age.  Aussi,  dans  sts  plus  nKuivais  momenls,  Th^urope 
clirelienne  n'avait  rien  a  apprendre  des  Maures  dans 
le  commerce.  Les  Grecs  de  Consianiiuople  les  ega- 
laienl  ou  les  effagaienl  dans  les  objels  de  luxe  ,  el  les 
Occidenlaux  puuvaicnl  s"en  pas^n^r  pour  les  usages 
ordinaires  de  la  vie;  seulemen! ,  les  brillanles  elodes 
que  porlaienl  les  clialelains  leur  elaienl  envoy6es  de 
Grece  ou  de  Perse  ;  maiselles  elaienl  echangees  conlre 
des  produils  dc  nos  conlrees. 

II  s'en  t'aul  que  les  nations  chreiiennes  fussenl  lou- 
jours  des  modeles  de  bonne  t'oi  commerciale  ,  mais 
la  perfidie  mahomelane  envers  la  race  clirelienne 
n'avail  point  demesure.  Cliacun  sail  ce  qu'est  devenue 
la  mer  Medilcrraiiee  pendanl  qu"ils  en  occupaien'  les 
principaux  ports.  Au  lieu  d'etre  Ks  grande  ronle  (pii 
reuuit  Us  trois  |)arlies  du  monde  elle  elait  un  piege 
conlinuel  que  la  [uralerie  musulmane  teudail  au  com- 


—  222  — 

merce.  II  a  lallii  le  genie  de  Ximenes  el  de  Charles 
V  pour  rendre  un  pen  de  securite  aux  voyageurs 
Chretiens.  Ce  qui  n'a  pas  erapeche  qu'une  flolle  du 
Grand  Seigneur ,  avcc  lequel  Francois  I"  avail  conclu 
line  inconcevable  alliance ,  par  les  soins  de  I'incon- 
cevablc  Moniluc  ;  cela  n'a  pas  empeche,  dis-je  ,  que 
celle  floUe  ne  s'en  relournal  chargee  de  jeunes  lilies 
que  k's  soidals  lures  avaienl  arrachees  des  bras  de 
ieurs  meres ,  en  Provence  ,  pour  les  conduire  dans 
les  harems  de  Constantinople  ,  el  ce  ne  t'ul  pas  pour 
la  France   uu   casus  belli. 

Les  Musulmans  ne  pcuvenl  reveudiquer  aucune  des 
belles  invoniions  qui  onl  valii  au  commerce  son  im- 
mense deveioppement.  La  letlre  de  change,  qui  a 
donne  au  credit  ses  proportions  fabuleuses ,  est 
d'origine  lombarde.  Jamais  Bagdad  ,  Alexandrie  el 
Florence  n'onl  compris  I'economie  politique  comme 
Barcelone  el  Venise.  Le  doge  Moncenigo  esl  surpasse 
par  les  economisle  du  xix*"  siecle  ;  mais  il  reste  leur 
pere. 

La  superiorite  arabe  paiail  plus  decisive  dans  le 
domaine  des  sciences.  Toutefois  ,  la  vicloire  est  plus 
dispulee  par  les  Chretiens  qu'on  ne  le  croil  commu- 
nemenl.  Le  Triviuin  ,  qui  comprenail  la  grammaire, 
la  logique  el  la  dialoclique  ,  etait  cultive  chez  nous 
aveczeleel  non  sans  qoelques  succ6s.  Mais  le  Qua- 
dravium ,  qui  comprenail  les  sciences  que  nous  appe- 
lons  aujourd'hui  exacles,  etait  lombe  bien  bas.  Ger- 
bert ,  cepciidant  ,  n'elail  pas  le  seul  savant  qui  leur 
lit  honncur.  II  a  meme  lrouv6  un  concurrent  dans 
la  cour  d'Othon  IL  Dans  utie  fete  que  I'empereur 
donnait  a  Kavenne  ,  un  duel  scientifique  fut  etabli 
cnlre  Oirie   el  Gerberl ,  et  la    gloire  du  combat  fut 


-  '2^3  — 

pai'lagee  ciitre  los  deiix  coiicurreuls.  Oirie  on  savail 
assez  pour  redresser  son  emule  sur  un  poinl  demalhc- 
maliques.  Le  docle  Monlucla ,  qui  s'esi  livre  a  des 
recherches  Ires  approfondies  sur  I'etal  dcs  sciences 
chez  les  Arabes,  convient  qu'ils  ne  leur  onl  pas  fait 
faire  un  seul  pas.  lis  avaieni  loul  regu  de  Consian- 
tinople  ;  c'esl  de  la  qu'elaienl  venus  leurs  mallres  . 
et  les  desciples  n'ont  jamais  pu  egaler  ces  niailres , 
deja  degeneres  du  Bas-Empire.  De  tous  los  livres 
qu'ils  onl  regus  des  Grecs  ,  ils  n'oni  pu  en  conserver 
un  seul  dans  son  int^grile.  En  les  iraduisanl ,  ils 
interprelaionl  ,  ils  bouleversaient  les  ouvrages  ,  dils 
iMoniucIa.  lis  savaioiil  faire  de  mauvais  el  prolixes 
conimenlaires  ,  mais  pas  une  seule  bonne  Iradiiclion. 
C'elail  cependant  la  seule  porle  par  laquelle  ils  pouvaienl 
enlrer  dans  le  sancluaire  de  la  science.  Co  n'esl  done 
pas  par  les  Arabes  que  la  science  moderne  a  res- 
suscile  ;  c'esl  direciemenl  par  les  anciens.  Frederic  II 
fil  donner,  |)our  la  premiere  fois,  une  bonne  Ira- 
duclion  de  I'almageste  de  Plolemee  ,  qui  esl  le  pre- 
mier poinl  de  deparl  de  la  bonne  el  solide  aslrono- 
mie.  Ce  fut  sainl  Tboraas  qui  iraduisil  los  oeuvres 
d'Arislole  ,  pour  echapper  aux  nombreuses  inlideliles 
el  aux  erreurs  de  la  iraduclion  arabe.  Les  chiffres 
que  nous  appelons  arabes ,  leur  fonl  un  pen  irop 
d'honneur  ;  ils  vionneni  des  Indions.  Un  hislorien 
compelenl  dii  que  I'algebre  ,  quoique  re\elue  d'un 
nom arabe,  vienldes  Grecs;  mais  il  faulconvenir qu'ils 
ont  presque  le  merite  de  Tinvenlion  ,  par  cela  seul 
qu'ils  onl  su  populariser  cos  doux  belles  choses.  il 
n'en  est  pas  nioins  vrai  quo  la  cbaine  des  sciences 
exacles  a  ele  coniinuee,  en  Occideni,  par  Boece  et 
Cassiodore ,   oi  non  par  Avorrhoes  el  Avicenne  ,  qui 


—  224  — 

n'onl  parii  qu'au  xm°  siecle  ,  el  qui  n'oiil  rien  laisse 
de  memorable  que  leur  nora  ;  ils  ne  peuveni  elre 
compares  a  Vincent  de  Beauvais  et  Roger  Bacon,  leurs 
contemporains. 

Les  Arabes  n'onl  jamais  pu  comprendre  Gallien 
donl  ils  avaient  les  oeuvres.  L'auleur  du  dictionnaire 
hislorique  de  niedecine  observe,  a  bon  droit  ,  que 
la  medecine  ne  pouvail  faire  de  progres  la  ou  la 
loi  defendail  sous  peine  de  mort  la  dissection  des 
animaux  ,  el  sisrtout  rouverture  des  cadavros  hu- 
mains.  Le  corps  humain,  avcc  ses  elonnantes  mer- 
veiiles ,  etail  pour  eux  un  livre  ferme  ;  par  cela 
meme  ,  le  sort  de  la  cbirurgie  elail  chcz  eux  pire 
que  celui  de  la  medecine.  Aussi ,  ajoute  le  memo 
auleur  ,  la  science  ne  leur  doil  que  d'avoir  decou- 
verl  el  nomme  deux  ou  hois  varieles  de  lievres. 
On  voil  par  Ui  ce  qu'il  faut  peuser  d'Abenzoar  , 
leur  plus   grande   renommee  medicale. 

Nous  avons  aussi  noire  concession  i  faire.  La 
medecine  elail  encore  plus  pauvre  cbez  nous.  Au 
moins  les  Arabes,  du  temps  de  Gerbert,  avaient  a 
defaul  d'un  homme  de  vraie  science,  un  homme  de 
reputation  qui  etait  eel  Abenzoar  ;  el  nous  ,  nous 
n'avions  ni  Fun  ni  I'aulre,  el  nous  avions  a  atlendre 
jusqu'au  xvi'  siecle,  et  toulefois,  il  est  vrai  de  dire 
que  la  decouverle  du  systeme  symphatique,  et  I'her- 
bier  de  I'ecole  de  Salerne,  la  mellenl  encore  au  dessus 
de  la  science  medicale  chez  les  Arabes. 

Nous  n'avons  rien  a  dire  de  la  litlerature,  propre- 
ment  dite,  cbez  les  musulmans  ,  parce  qu'elle  ne 
fournissait  alors  rien  autre  chose  que  de  fades 
compilations  scientifiques ,  des  commenlaires  qui 
avaient   plus    de    loquacile   que    dc    gout.  La    haute 


—  225  — 

poesie  el  la  beile  liueinlme  rie  peiivent  eclore  sous 
i'inHuonce  du  despolisme.  Plus  lard,  cependanl,  leiir 
poesie  devint  brillanle  ,  mais  clle  devait  restcrsrns 
grandeur.  Le  sensualisnie  du  Goran  no  pouvall  in- 
spirer  qu'un  seul  entliousiasme  ,  celui  du  plaisir  : 
cl  Ics   ailes  de  cot  cnlhousiasme  la  sonl  ires  courlcs. 

Du  cole  des  chreliens ,  quoique  le  niveau  des 
connaissauces  i'lil  descendu  plus  bas  que  jamais  ,  il 
y  avail  encore  des  iiisloriens  ,  lels  que  Flodoard  el 
Suilpraud  de  Veronne  ;  des  ecrivains  judicioux,comrnc 
Pascase  el  Valram.  Doni  Cellier  nous  a  decouvert 
les  oeuvres  de  Strabon  ,  qui  a  decril  les  diverses 
pianles,  leurs  moeurs,  leurs  verlus  medicinales,  avec 
one  elegance  el  un  nalurel  qui  ne  peuvent  guere 
elre  surpasses  que  dans  les  meilleurs  siecles. 

On  lil  encore  avec  inierei,  de  oos  jours,  les  salu- 
laires  conseiis  de  Jonas.  Son  langnge  exclul  loiile 
inulilile,  tout  va  au  but  avec  clarle  el  simplicite. 
Vous  aimez  h  entendre  un  auteur  du  x"  siecle  qui 
vous  donne  de  solides  conseiis  pour  loules  les  cir- 
conslances  dc  la  vie. 

Mais  n'oublions  pas  noire  iiluslre  Hrosvilha.  Cello 
humble  fille  du  cloilre,  qui,  dans  le  fond  de  I'AIle- 
magne  ,  sut  culliver  ia  poesie  avec  un  succes  qui 
commence  a  exciter  I'admiralion,  meme  au  xix"  siecle. 
C'elait  Saint  Cyr  avec  Taurore  de  Racine  au  milieu  du 
siecle  de  fer;  I'hisloire  de  ranacborete  Abroham  el 
de  sa  niece,  avec  la  difference  des  temps;  c'est 
Esther  parlani  latin  ,  et  monlranl  deja  de  la  grace, 
meme  sous  le  costume  du  moyen-age. 

Deux  lilleraleurs  modernes,  Erasme ,  dans  un  de 
scs  colloqucs ,   cl   un    poele   .inglais  dans  un  de   scs 


—  2->6  — 

drames  ,  onl  traite  le  meme  siijet  que  Hrosviiha; 
or,  il  esl  reconnu  aujoiird'hui  que,  pour  la  delica- 
tesse  des  senlimenls ,  la  finesse  et  la  retenue  du  Ian- 
gage ,  la  bonne  religieuse  du  x"  siecle  remporte 
sur  le  poeie  anglais  et  sur  I'habile  ecrivain  de  Rotter- 
dam. Ce  n'est  pas  tout ,  dans  ses  pieces  de  theatre, 
la  religieuse  de  Gandersheim  se  nionire  Ires  fami- 
liariseeavec  la  musiquo ,  raslronomie  et  meme  avec 
la  philosophie  d'Aristole. 

II  nous  resle  a  parlor  du  point  principal  de  com- 
paraison  enire  les  deux  races  :  c'est  celui  par  lequel 
eclate  reternelle  etindelebile  inferiorile  du  Croissant. 
Je  veux  parler  de  la  legislation.  La  legislation 
niahometane  est  tout  tnliere  dans  le  Goran.  Les 
ordonnances  posterieures  qui  en  sont  sorties  ne  sonl 
pas  des  commentaires  du  livre  par  excellence.  La 
critique  de  ceile  loi  se  fait  en  quatre  mols  :  elle 
est  contre  nature  dans  la  composition  de  la  famille, 
cruolle  envers  les  esclaves,  alroce  envers  les  elran- 
gers  el  les  vaincus,  et  enfin,  absurde  dans  la  police 
des  moeurs.  Ges  choses  ne  se  prouvent  pas  :  elles 
sont  prouvees  par  une  bistoire  de  douze  siecles. 
Les  principes  foiidamenlaux  de  celle  civilisation  sont 
la  negation  meme  de  la  civilisation.  Ge  n'esl  que 
parce  que  cinq  on  six  princes  capables  se  sont  mis 
au  dessus  des  prcjuges  de  la  loi,  el  I'ont  violee, 
qu'ils  ont  pu  eclairer  leurs  peuples  et  leur  faire 
goulcr  quelques   fruits   de  la  civilisation. 

Mais  ces  brillantes  exceptions  ne  pouvaienl  I'em- 
portcr  sur  la  nature  des  cboses. 

Jamais  aucun  peuple  n'a  ofTerl  une  serie  aussi 
longue  do  guerres,  d'oxtcrmiualion  ,  de  violation  du 
droit  des  gens.    Un   scul   fail   sulTit    pour  faire  con- 


—  227  — 

iialire  I'cspril  qui  anime  celie  civilisation  eirange  et 
la  faiblesse  de  ses  mceurs  :  c'est  la  necessite  oii 
furenl  les  Califes,  pondanl  une  longue  periode ,  d'as- 
sassiner  leiirs  freres  en  monlanl  sur  le  trone ,  fus- 
sent-ils  aussi  uombreux  que  les  fils  de  Priam.  C'e- 
(ait  sous  de  lels  auspices  que  s'inaiigurait  la  tran- 
quillile  de  leur  regne. 

Le  gouvernement  de  Louis-Philippe  a  ordonne  la 
traduction  de  Tensemble  de  la  legislation  qui  regit  le 
littoral  africain.  C'est  M.  Perron,  membre  de  la 
societe  asiatique,  qui  s'est  livie  a  ce  long  et  penible 
travail.  II  contient  les  oeuvres  dcs  principaux  juris- 
consultes  depuis  le  ix°  siecle,  particulierement  de 
Sidi  Kalil ,  le  plus  grand  de  tous.  C'est  en  vain  que  j'ai 
essaje  de  trouver  dans  eel  immense  recueil  quelques 
chapitres  qui  aient  vraiment  le  sens  commun ,  soil 
pour  la  forme,  soit  pour  le  fond.  Essayez,  tant  que 
vous  voudrez,  de  faire  la  part  des  diflerencesduculte, 
du  climat.du  genie,  de  la  race;  le  seul  sentiment 
qui  en  reste,  apres  une  lecture  attentive  ,  c'est  un 
profond  sentiment  de  pilie  ;  et  on  gemil  en  pensant 
qu'il  y  a  encore  aujourd'hui  95  millions  d'ames  sou- 
mis  h  ce  piloyable  regime.  Les  siecles  passent ,  I'ex- 
perience  instruit  les  autres  peuples,  ceux-ci  n'ont 
rien   appris  depuis  les  temps  d'Arounal  Raschid. 

Ce  qui  explique  celte  grande  celebrite  au  x"  siecle, 
c'est  la  puissance  el  la  gloire  de  leurs  amies  ,  ce 
soni  les  depouilles  des  peuples  vaincus.  Cos  immenses 
richesses  ,  entre  les  mains  d'un  peujtle  qui ,  sous  la 
conduile  de  quelques  princes  sages  ,  avail  pris  du 
gout  pour  les  arts  ,  devaient  jeter  une  couleur  tres 
brillante  sur  leur  civilisation  ,  lorsque  leurs  voisins 
etaient  accablos  de  rovers.  Mais  qu'il  s'en  fallail  que 


—  228  — 

les  conditions  essentiellcs  du  piogres  fussenl  adiiiises 
dans  celte  sociele.  La  science  ue  pent  leur  arriver 
que  par  conlrebande  ,  puisque  le  Goran  contient  une 
peine  de  mort  conlre  tons  ceux  qui  s'occupent  des 
arts  liberaux  :  c'est  ce  qui  explique  le  dilemme 
barbare  d'Omar  ,  qui  ordonna,  par  principe  de  reli- 
gion, de  bruler  I'incomparable  bibliolbeque  d'Alexan- 
drie. 

En  resume ,  c'est  Tarchitecture  qui  a  eu  chcz  les 
Arabes  la  plus  belle  dcsiinee.  lis  ont  d'abord  copie 
les  raodeles  grecs ,  puis  ils  ont  imprime  a  cet  art 
un  caraclere  original  et  une  veritable  grandeur.  Mais 
a  peine  avaient-ils  atteinl  le  plus  haul  point  de  leur 
perfection  ,  que  les  Chretiens  ,  goutanl  enlin  quelque 
repos  apres  les  invasions  ,  se  rairent  aussi  a  I'ceuvre 
el ,  de  prime  abord  ,  ils  se  placent  au  premier  rang 
et  par  une  originalite  plus  feconde ,  et  par  des  pro- 
portions plus  grandioses.  L'ogive  s'etait  d'abord  mon- 
tre  au  Caire  pendant  le  x«  si^cle  ,  mais  comme  un 
incident ,  dit  M.  Balis-ier.  Les  architectes  Chretiens 
en  firenl  un  genre  nouveau  qui  produisit  des 
merveilles  inconnues  ,  et  leur  valut  une  gloire  a  pari. 
Voici  done  I'etat  acluel  de  la  societc  musulmane 
en  950  ;  ils  avaienl  le  bonheur  de  posseder  quelques 
cbefs-d'ceuvre  scientifiques  des  Grecs ,  echappes  k 
leur  propre  Vendalisme,  qu'ils  comprenaient  ires 
peu. 

lis  etaient  magnifiques  en  architecture ,  habiles 
dans  la  fabrique  des  objels  de  luxe  ,  commergants 
mediocres  et  perfides  ,  guerriers  vaillants  mais  bar- 
bares,  ecrivains  patients  mais  inintelligibles  et  sans 
melhode.  Avec  beaucoup  plus  d'elements  deprogr^s, 
non     seulemcnt    ils    n'ont     pas    marche ,    mais  ils 


—  229  — 

sont,  de  siecle  en  siecle,  descendus  au  dessous  d'eux- 
niemes. 

En  effet,  si  nous  appliquons  a  ce  jugement  la 
contre-epreuve  de  rexperience  ,  elle  donnera  la  memo 
reponse. 

Voila  douze  siecles  qu'ils  occupent  la  plus  belle 
zone  de  noire  globe  ;  el  ces  cbarmanls  pays ,  que 
sonl-ils  devenus  enlre  leurs  mains?  lis  les  regurenl 
fecondes  par  une  savanle  agricullure ,  couverls  de 
riches  moissons  :  les  coles  d'Afrique  elaient  les  gre- 
niers  de  Rome.  La  Medilerranee  elait  environnee, 
a  Test  el  au  sud ,  par  une  brillanle  ceinlure  de 
villes  bien  peuplees  ,  les  campagnes  elaienl  couverles 
d'ouvriers  inlelligents.  Tout  cela  n'exisle  plus  :  dej& 
les  signes  de  la  decadence  onl  apparu.  Celle  sociele 
se  meuri ,  non  point  par  les  coups  qu'elle  a  regus  du 
dehors  ;  sa  maladie  est  dans  le  vice  meme  de  sa 
constiuiiion.  Elle  etail  organisee  pour  la  guerre  ; 
lanl  que  la  guerre  a  fourni  des  esclaves  et  des 
tresors  au  luxe  de  ces  hommes  avides  dejouissan- 
ces ,  ils  eurent  I'apparence  de  la  force.  Mais  quand 
sont  arrives  les  revers,  et ,  chose  remarquable,  le 
premier  de  ces  revers  elait  d'etre  forces  a  la  paix  (1), 
il  s'est  demoralise  dans  I'oisivele  ;  les  villes  se  sont 
depeuplees,  les  campagnes  sesonl  changeesen  deserl, 
et  ce  desert  commence  aux  porles  de  Constantinople. 

Ce  qui  doit  etonner  aujourd'hui,  ce  n'est  pas  que 
le  Croissant  paraisse  h  son  declin,  c'esl,  au  conlraire, 
que  la  sociele  qui  lui  obeit  se  soil  conservce  si  long- 
temps  en  depit  des  principes  mortels  deposes  dans 
sa  loi.  Nous  la  voyons  de  pres  sur  la  terre  d'Afri([ue  , 

(I)  Rarse  ,  Hisloire  de  Gerbert. 


—   230  — 

nous  voyonsqiie  ces  Iiommes  ne  peuvent  comprcndre 
Ics  moiifs  de  proprele,  de  salubrite,  de  seciiriie 
publique  qui  onl  preside  a  notre  Code  civil,  si  sage 
et  si  liberal. 

Mais  las  sujeis  eclaires  du  Grand  Seigneur  nous 
compreuncnl  dej6  mieux.  lis  sonl  insensiblemcnl  en- 
iraines  par  le  mouvement  de  la  civilisation  chreiienne. 

Un  voyagcur  fran^ais,  dans  ces  regions  du  Levant, 
et  qui  fait  honneur  ^  notre  nom  par  ses  connais- 
sances  et  son  devouement ,  M.  Eugene  Bore,  assure 
que  le  Goran  ne  conserve  encore  des  disciples  que 
parce  qu'il   pr(»scrit  I'instrnction. 

Si  nous  avions  bfsoin  de  justification  pour  avoir 
paru  un  moment  faibles  devant  les  enfanis  de  Ma- 
homet, nous  la  trouverions  trop  peremptoire  ,  trop 
persuasive .  dans  deux  siecles  d'invasions  continuelles 
qui  ne  laissaient  du  temps  que  pour  pleurer  les  mal- 
heurs  publics  et  prives  ,  el  n'en  laissaient  guere  pour 
I'eiude. 

Nous  la  trouverions,  en  parliculier  pour  la  France, 
dans  I'etat  de  faiblesse  d'une  dynaslie  qui  se  meurt 
faute  d'hommes  capables ,  et  qui  abandonne  la  na- 
tion &  elle-m6me  dans  ses  dangers. 

Nous  la  trouverions  surtout  dans  I'invasion  des 
Normands,  la  plus  meurtriere  pour  les  lettres  ,  quand 
lis  s'en  retournaient  dans  leurs  pays ,  apres  leurs 
pillages  dans  nos  contrees;  on  pouvait  les  suivre, 
dit  Dom  Pitra  ,  aux  chasses,  aux  reliques  des  saints, 
aux  raanuscriis  precieux  qu'ils  repandaient  sur  leur 
route,  comme  on  avait  pu  les  suivre  a  leur  entree  par 
I'incendie  des  villes ,  des  eglises  et  des  monasteres. 

Mais  ,  grace  h  Dieu ,  nous  n'en  sommes  pas  reduits 


—  231  — 

a  faiie  valoir  ions  nos  moyens ,  et  I'illustro  Gerberl 
ne  sortanl  jamais  de  Cordoue ,  si  jamais  11  y  est  alle , 
c'est  peul-elre  l'ev(?que  de  Vic ,  c'esl  peul-etre  Haiton, 
qui  furent  ses  derniers  maitres  dans  les  sciences. 
Quoiquil  en  soil,  Gerberl  en  rentraul  dans  sa  patrie,  au 
milieu  de  la  sociele  chretienne,  pouvait  vanler  les  mer- 
veilles  qu'il  avail  admirees  chez  les  Maures,  el  irouver 
encore  belle  la  pairie  des  Olhon  ,  d'Alfred  le  Grand, 
de  St-Elienne  de  Hongrie,  moins  exalie  que  Pierre  \" 
de  nos  jours ,  el  qui  a  oblenu  des  succes  semblables 
avec   la  cruaule  de  inoins. 

II  est  vrai ,  les  Maures  eiaient  alors  superieurs  a 
nous  dans  les  sciences  pbjsiques  el  malbemaliques  : 
Albaiene  corrigea  plusieurs  erreurs  de  Ptolemee ;  il 
recoiinut  lemouvenienl  de  I'apogee  du  soleil  d'occidenl 
en  orieni.  La  longueur  de  I'annee  fut  fixee  avec  une 
precision  elonnatile  dans  le  meme  temps.  N'eussions- 
nous  aucun  monumenl  qui  en  fil  Ibi,  la  repulalion  qui 
arrivail  de  ces  pays  devaii  repondre  a  quelque  cbose  de 
reel,  lleslnalurel  de  croire  que  Gerberl  n'aurail  pas 
reussi  aussi  aisement  a  fabriquer  son  horloge  ii  rones, 
sa  sphere  celeste  ,  son  jeu  d'orgnes  a  vapeur ,  qui 
semblail  predire  les  merveilles  de  noire  temps ,  s'il 
n'eut  viviie  d'auires  conlrces.  Toutefois,  il  pent  se 
t'aire  que  plusieurs  de  ces  inventions  fussent  dues  ii  son 
genie  inventif.  Dans  ses  letlres  si  nombrenses,  donl 
plusieurs  rappellenl  ses  savanles  occupations  ,  on  ne 
(rouve  pas  un  mot  qui  suppose  des  emprunts  fails 
aux  Arabes. 

Nous  avons  une   lellre ,  cepcndanl,  oil   ce   grand 

liomme  parle  de  cello  nation  ,  ei  ,  dans  celte  lellre, 

il  1.1  j'jge  de   ires  haul  :    c'est    le  chef  supreme  de 

ri^glise  qui  ,    avec   un    regard  d'aigle ,    prevoit     les 

I.  '  16 


—  232  -^ 

evenements  futurs  el  anoonce  les  Croisades.  II  en 
donne  le  signal.  11  fait  apparailre  Jerusalem  tout  eplo- 
ree  aux  regards  de  la  Chretien  le,  il  met  dans  sa  bou- 
che  des  paroles  eloquenles  pour  les  determiner  a  venir 
promplemenl  la  delivrer  des  mains  infideles  el  rendre 
le  berceau  du  Sauveur  h  la  veneration  des  Chretiens. 
Ainsi,  Gerbert  ne  ful  pas  seulement  le  plus  savant 
homme  de  son  siecle,  il  ful  aussi  le  premier  des  Croises. 


Reims  ,  Imp.  dc  I>.   Rk.meh. 


;  i 


1- 


La  collection  des  Travaux  de  I'AcadSmie 
de  Reims  parait  tous  les  3  mois  par  caliicrs 
d'environ  douze  feuilles  in-S". 

Prii  de  la  Sooscriplion  annaelle:  10  fr.;  par  la  poslc,  13  fr. 
A  Reims,  cliez  BRissAni-BmET,  Libraire  de  rAcademie.