A
SEANCES ET TRAVAUX
DE
L'ACADEMIE DE REIMS.
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^-.ij^iasu
SEANCES
KT
TRAVAU
DE L'ACADEMIi: DE RE[MS.
i^ TRIMESTRE 1850. — I <■' TRBIESTRE 1851,
p. REG NIER, IMPRIMEUR D K l'aCADF, MIE,
BRISSART-BINET, LIBRAIRF. DE (.'aCADEMIE.
WOCICLI
I
I
TUAVAIX M VMADMe M HEIHS.
ANNEE 1850-1851.
A° 1. — Trimestre d'Octobre 1850.
ALLOCUTION
de M. Max. Sutaine , President.
Keanre du S IVovenibre ISSO.
7^
Messieurs ,
Nous nous reunissons pour la premiere fois depuis
le jour oil vous m'avez fait I'honneur de m'appeler i
la presidence. Permettez-moi done , avant de recom-
mencer nos travaux, de vous exprimcr ma reconnais-
sance la plus sincere. Get honiieur, je Tapprccie bien
haul. Messieurs ; Dieu veuille seulement qii'il ne soil pas
au-dessus demes forces comme il est au-dessus de mon
merite. Je compte beaucoup sur I'indulgence de la
Compagnie ; je compte surtout encore sur I'excellent
esprit d' union et de bonne confraternite qui n'a cesse
de I'animer , et qui a fait sa prosperite jusqu'ici
» 1
11 est bien rare , MM. , qu'au bonheur dc nous re-
trouvef ensemble cliaque annee , ne vienne se meler
quelque amer souvenir , quelque penible regret : cello
qui vient de s'ecouier nous a ete fatale ; elle nous a
enleve noire vt'-nerablc doyen , M. le \"= Kuinart de Bri-
mont. Tons ceux qui "I'ont connu , savenl combien le
videqu'il alaisse dans nos rangs sera difficile a combler;
espi'rons que la mort ^era plus clemente pour nous
cette annee.
Si nous avons un'triste souvenir a enregislrer, nous
avons heureusement aussi un grand sujet de joie a
sitrnaler : I'elevation de Mgf I'archeveque a la dignite
de Prince de I'Eglise est un glorieux evenement pour
nous, .MM. -- La haute marque de distinction si jus-
tement meritee dont vient d'etre lionore notre illustre
fondateur , en jetant un nouveau lustre sur la Compa-
gnie, lui impose en meme temps aussi de plus grandes
obligations. L'Academie de Reims :n'oubliera pas que,
de meme que I'Academie frangaise , elle devra son exis-
tence a un cardinal , et elle s'elTorcera de justifier ,
comme sa saur ainee, sa^glorieuse originc !
SCIENCES.
. RELATION
DU CHOLfiRA-MORBUS, QUI A RfiGNfi A SUIPPES EN 1849;
Par le Doctcur SEURE,
Medecin ^ Suippes et Membrc correspondant de I'Academie.
(Seance du 8 Novembre 1850. j
Le cholera-morbiis sevissait depuis plusieurs semaines
sur divers points du departement de la iMarne. lors-
qu'une epidemie de cholerine se manifesta dans la
petite villa de Suippes, vers le milieu du mois de mai
1S49. Elle disparut a, la fin de juin, apres avoir atteint
d'une maniere plus ou moins intent;e la presque to-
talite de sa population. Cette maladie ne constituait,
dans la grande majoritc des cas, qu'une indisposition
tres legere, n'occasiobnant que de faibles coiiques, ac-
compagnees d'un peu de devoiement, ou seuleinent de
borborygmes, avec sentiment dune diarrhee immi-
nente , et le plus souvent sans derangement de
I'appetit. Plus raremf^nt il survenait des coiiques
assez vives, une diarrhee qui durait de un a quatre
jours , des nausees, de linappetence , des lassitudes
spontanees, une faiblesse generale , quelques douleurs
sourdes et instantanees paraissant suivre la direc-
tion des muscles des membres et de la region
posterieure du tronc. Chez quelques per^onnes^ aux
symptomes precedents se joignaient des crampes dans
les membres, et plus particulicrement dans lesjambes.
Une jeune dame de vingt-six ans, qui n'etait nulle-
ment indisposee, et qui avait pris, quelques instants
_ 4 —
auparavant. pour son dejeuner, une tasse de cafe au
lait, comme elle en avail I'habitude, eprouva tout-a-
coup dans le ventre de violentes coliques auxquelles
vinrent bientot se joindre des crampes horriblement
douloureuses dans toutes les parties du corps, mais
surloul au visage, aux mains et aux. pieds. La pauvre
malade deineura six huures dans cet etat, eprouvant
a de longs intervalles quelques instants de relache
mais pourlant ne ccssant pas de jeter des cris per-
cauts, arraches par I'acuite de ses souffrances.
La terminaison de la cholerine fut toujours prompte
ct heureuse, excepte chez deux malades des plus gra-
vemenl atteints, el chez lesquels des ecarts de re-
gime commis pendant la convalescence amenerent une
ficvre typhoiJe, dont Inn guerit lun jeune gar(:on de
seize ansi, et a laquelle I'autre {um femme de cia-
quante ans}, succomba au bout de six semaines.
Le plus grand nombre des personnes qui furent at-
teinles de la cholerin", iw. suivirent aucun traitement;
on considerait lindi.-po-ition comme trop legere pour
V faire attention. Aux malades qui reclamerent mes
soins, je pre.-crivis les moyens generalement conseilles,
c'est-a-dire une diele relative, le repos, des boissous
k'^eremenl astringenles. des quarts de lavcMiient ami-
laces. Dans les cas les plus graves, des bains entiers
liedes, prolonges pendant deux heures, produisirent uii
tres bon efTet, en fai.-ant cesser rapidement les co-
liques, les crampes et les douleurs musculaires. La
diarrhee cedait facilement aux pilules de cynoglosse,
de dix centigrammes chacune ; une seule par jour
suffisait ordmairement, mais quand les selles se re-
nouvelaient souvent, j'en faisais prendre une matin et
soir. Cependant elles furent impuissantes dans quel-
ques cas oil les vomitifs, donnes avec menagement,
arreterent le devoiement.
11 V avail pres d'un mois quo la cholerine regnait
— 5 — \
i Suippes , lorsqu'un premier cas de cholera se
manifesta sur M. L. , ancinn fabricant de bas, en ce
moment retire des affaires, et s'occiipant des travaux
des champs. M. L... etait arrive le 14 juin de
Paris, ou il venait de passer quelques jours en vi-
sile chez des parents. Trois iours avant de quitter
cette ville, 11 fut pris de devoiement, et cependant,
malgre cette indisposition, malgre ses soixante-douze
ans, 11 entreprlt le voyage b. pied.
11 fit le trajet fquarante-cinq lieuesj en moins de
trois jours, ne pouvant, me 'dll-11, aller plus vite, a
cause du temps qu'il perdait chaque fois que se fai-
sait sentir le besoin d'aller a la selle. Pendant son
sejour a Paris, 11 cut un mal de gorge qui lul affal-
blit beaucoup la voix, et pendant lequel il eprouva
souvent le hoquet.
A son retour a Suippes, 11 ne se plaignit pas d'etre
trop fatigue, 11 soupa comme a I'ordinaire, se coucha
et passa une assez bonne nuit, sauf le derangement
cause par trois ou quatre selles. Le 15 juin, II se
llvra a ses occupations journalieres, et alia dans les
champs faire de I'herbe pour ses vaches. Dans I'apres-
midi, le devoiement devint plus frequent, toujours sans
colique, et cependant 11 soupa le soir et maiigea de
la salade. La nuit suivante, il eiit au moins quinze
selles, quelques crampes dans les jambes et aux pleds,
et pas de sommeil ; en meme temps il eprouva une
soif vlve, et quitta plusieurs fois son lit pour aller
bolre de I'eau froide a discretion. Le lendemain, dans
la matinee, le devoiement augmenta, et les selles,
devenues blancliafres, glaireuses, tres liquides et In-
fectes, se renouvelaient toutes les deml-heures, ac-
compagneesde forts gargouillements. Bientot survinrent
des vomlssements, composes d'aliments d'abord, puis
de matieres bilieuses, puis de toutes .les boissons In-
gerees 5 les urines devlnrent rares, les crampes in-
— 6 —
tenses. La faiiiille du maiade voulait alors me faire
appeler, mais celui-ci, se doutant quil avail la^ma-
ladie qui rognait a Paris pendant qu'ii y sejournait,
s"y opposa, dans la crainte que la chose ne fiit ebruitee,
ct qu'on ne I'accusat dans le public de I'avoir rapportee
dans son pays. CY'tait bien, en effet, le cholera-morbus,
comme il sera plus facile de le reconnaitre plus bas. D'ail-
leursjavais vu assez decboleriques en l832,d'abor(J dans
les hopitaux de Paris, puis a Saint-Remy-en-Bouze-
mont, dans ce departenient, pour qu'il ne inc re^tat
pas le moindre doute sur la nature de cctte maladie.
Cependant, comme les accidents faisaient de rapides
progres, le malade coa?eutit a ce que Ton viut me
chercher dans I'apres-midi, et k trois houres jc le
trouvai dans lelat suivani :
11 se tient couche sur Tun ou I'autre cote iiidiffe-
reniment, et replii sur lui-meme, il dit n"eprouver
d'autre malaise qu'nne grande faiblesse et un sentiment
de chaleur briilante a linterieur, qui I'excite a re-
pousser ses couvertures. Cependant la peau est froide
au nez, aux oreilies, aux mains, aux jambes, et sur-
tout aux pieds ; toutes ces parties sont colorees d'une
teinte \iolacee Ires apparente ; aux mains, la peau est
ridee, comme si elles avaient longtemps maccre dans
Teau, et les plis que Ton y fait s'effacent lenlement;
la chaleur du tronc est a peu-pres naturelle ; le vi-
sage, sensiblement amaigri, est Ires altere-, les yeux
sont caves et cernes; extinction complete de la voix ;
respiration facile; langue blanche, luimide, tiede ; bou-
che pateuse : soif moderee ; le malade prefere les
boissons froideS;, qu'il vomit presque aussitot leur in-
gestion, quelque faible qu'en soit la quaniite; tousles
quarts-d'hpure une selle blanche, fetide, semblable a
une decoction de riz 5 ventre souple, un peu retracte,
indolent ; suppression des urines depuis la veille au
— 7 —
soir; pouls j faible, a 95° h la minute, avec quelques
intermiltences ; crampes moins frequentes que dans la
matinee.
Je prescrivis de donner iramediatement un bain
entier de deux heures, a 30 dcgres Reaumur, avec
addition de 500 grammes de carbonate de sonde, et
au sortir du bain, d'essuyer rapidement le malade
avec dcs serviettes cluuidos, puis de I'envelopper dans
une couverture de laine bien chauffee, et de le cou-
cher aussitot dans un lit basMne , avec des cruchons
d'eau cliaude aux pieds et sur les parties laterales des
jambes. II devait rester une heure au moins dans
celts position, apres quoi on retirerait la couverture
de laine, puis on lui remetlrait sa chemise, et on lui
rendrait la liberte de ses niembres^superieurs. A partir
de ce moment, il devait prendre toutes le^, deux heures
un quart de lavement a I'eau de pavots. A I'interieur
je lui donnai tons les quarts d'heure une cuilleree°ii
boucho d'une potion gommeuse contenantj 30 goulles
d'ether sulfurique, et autant d'eau dislillee de laurier-
cerise, et pour boisson de I'eau froide et de I'eau de
riz edulcoree avec le sirop de grosjilles, a Ma dose
d'une seule gorgee a la fois.
Le 17 , a sept heures du matin , j'apprends du malade
que les vomissemcnts ont cesse des les premieres cuil-
lerees de la potion , mais qu'il a eu pendant la nuit
une quiuzaine de selles , dont les dcrnieres etaient colo-
rees d'un jaune-brun ; qu'il a pris une heure de sommeil
dans la matinee ; qu'il a eu une seule crampe dans la
jambe gauche. Du reste , je constate que la cyanose
est plus prononcee aux mains et aux pieds , que le
refroidisscment est le meme , que le pouls , plus faible ,
toujours intermittent, est a 100 pulsations.
II prond dans la matinee une pilule de cynoglosse ,
des quarts de lavement avec I'amidou et I'eau de pavots ,
et un bain chaud , comme la veille , avec 750 grammes
— 8 —
de carbonate de soude ; apres le bain , memes soins que
la veille ; continuation dcs boi&sons en tres petite quan-
tite.
Dans la journee , quatre selles jaunes glaircuses , avec
excretion d'un peu d'urine cliaque fois, pas de
vomissements , quelques hoquets , pas de crampes.
Sur le soir, la reaction commence a s'operer , la peau
est moins froide , le visage moins alttire , hi cyano<e
moins apparente : le malade prend une secondc pilule
de cynoglosse , et peu de temps apres il s'endort dun
sommeil calme qui dure plusieurs heures.
Le 18, au matin, il se trouve bien , I'expression de
la figure est bonne , les exlremites ?e rechaufTent ; ce-
pendant il y a de la secheresse a la langue , un peu de
surdite , des tintements doreilles . nne injection assez
marquee aux conjonctioiis ; le pouls re.^te a 100", avec
queiques irregulariles , niais moins de concentration. Le
raalade prend un bain simple, a la meme tempera-
ture que les precedents : peu de temps apres , les mains
et les pieds se rechauffent completement ; la peau re-
prend son elasticite naturelle , et le pouls descend a
90". A parlir de ce moment , le mieux fait de rapides
progres chaque jour , et le malade commence a prendre
du bouillon et de I'eau rougie , les forces et la voix
se retabli^sent peu a peu , en meme temps que dis-
paraissent les tintements d'orcilles et la surdite , la
secheresse de la langue et le hoquet ; de telle sorte que
des aliments solides peuvent elre digcres facilement des
le 24juin , jour ou le pouls avait reprisson type normal.
L'apparition de ce premier cas de cholera parfaite-
ment caracterise , devait-elle nous faire craindre une
epidemic plus ou moins etendue , a raison des condi-
tions hygieniques defavorables dans lesquelles il se ma-
nifestait? Ou bien pouvait-on le considerer corame un
fait isole, dont la cause devait etre recherchee ailleurs
(|ue dans hs influences locales , le malade arrivant de
— 9 —
Paris avec une diarrhee contractee au foyer de I'epi-
demic? Confiant dans Fimmunitc dont la ville de Suippes
avail joui en 1832, et rassiire dailleurs par une con-
viction bien etablie sur la non-contagion de cette ma-
ladie , je me persuadai facilement qu'elle ne prendrait
pas d'extension parmi nous ; mais revenement ne tarda
pas a delruire mon espoir, car deux nouveaux cas se
presenlercnt a quelques jours d'intervalle.
En effet, madame L. .. , femme du precedent , fut
prise de devoiement le 20 juin, pendant qu'elle donnait
a son mari les soins les plus assidus , et alors qu'il
comraenQait a bien aller •, cette dame est agee de 64
ans , elle est sujette a de violentes douleurs de tete.
Le lendemain , les selles devionnent frequcntes et per-
dent de leur couleur a mesure qu'elles se renouvellent;
de telle sorte qne, pour le soir, elles etaient blanches
comme de Teaudeson. En meme temps elle eprouve un
sentiment de malaise general et une grande lassitude. Je
conseille a madame L... le repos, une pilule de cy-
nogiosse le matin et une le soir, des quarts de lave-
ment avec I'amidon , do I'eau de riz pour boisson , et
du riz pour tout aliment. Malgre ces precautions , la
nuit suivante fut mauvaise , les selles se repcterent tons
les quarts d'heure. Aussi , le 22 au matin , force fut a
la malade de garder le lit 5 elle avail des nansees, une
grande oppression , de la pesanleur a ^epiga:^tre : elle
prit une pilule de cynoglosse, qu'elle vomit pen de temps
apres avec des malicres bilieuses abondantes. Vers midi,
elle eut de fortes crampes dans les jambes , la soif ecait
grande , la langue blanche et seche , la peau chaude ,
le pouls assez developpe , a 90"; d'un autre cote , le
visage etait altere , la voix eteinte , les yeux exca-
ves , les urines rares. On plonge la malade dans un
bain h 32" Fieaumur , contenant en dissolution 750 gr.
de sonde du commerce •, elle s'y trouve bien et y de-
meure deux heures. Cependanl d'antres vomissements
— iO —
rapproches succedent au premier-, les crampes devien-
nent plus aigues et reparaissent au moinrlre mouvement.
On donne tous les quarts d'lieure une cuillerce d'une
potion gommeuse contenant25 gouttes d'ethcr, 15 gouttes
d'eau distillee de laurier cerise, et 6 gouttes de lau-
danum •, dans les intervalles , une seule gorgee d'eau
froide, ou de I'eau de graine de lin edulcoree avee le
sirop de groseilles. A six heures du soir , les selles
sont incessantes et involontaire^ , blanches , d'une feli-
dite insupportable : la soif est plus vive ; appetence
de boissons ii la glace ; malaise extreme •, tintements
d'oreilles ; a?soupissemenl •, nez froid •, partout ailleurs
la peau est cliaude ; pouls faible, irregulier , a 80°. Un
dernier vomissement a lieu a sept heures du soir , et
il est compose de matieres vertes , visqueuses. Grande
agitation pendant la nuit •, pas de sorameil ; crampes
plus fortes et plus frequentes ; soif ardente ; urines
nulles.
Lc 23 , a sept heures du matin , refroidissement des
levres , des oreilles, des mains , des pieds et des jambes 5
toules ces parties sont fortement cyanosees; perte del'elas-
ticite de la peau •, abattement extreme ; prostration des
forces; voix entierement eteinte; assoupissement presque
constant 5 grande anxiete ; parole haletante et difficile ;
sentiment de chaleur brulante tres incommode a I'epi-
gastre et au de\ant de la poitrine; gargouillcments in-
testinaux s'cntendant ^ distance; la malade repousse ses
couvertures, parce que, dit-elle, elle etouffe de chaleur;
le pouls est petit, faible , a 100°.
Prescription : une pilule de cynoglosse a prendre le
matin ; uu bain chaud de deux heures , prepare comme
la vcille ; tous les quarts d'heure , un verre d'eau alu-
minec en lavement ; memes boissons.
La journee se passe sans changement remarquable ;
cependant , vers huit heures du soir , la chaleur etait
un peu revenue aux extremites ; le facies etait moiOvS
~ li —
alterc ; le pouls s'etait relove lU ne battait plus que
90 fois ; les crampes avaient disparu ; les sellcs , qui
n'avaient plus lieu que toutcs les demi-lieurcs ct qui
n'ctaient plus involontaires , etaient composees de ina-
tieres verdalres ; ia malade s'inquiete beaucoup de ce
qu'elle n'a pas urine depuis la veille , et cependant elle
n'en eprouve aucun besoio ; toutes les parties de I'ab-
domen sont sensible? a la pression ; il y a un peu moins
de prostration. On continue les memes lavements, mais
seulement toutes les deux heures. La nuit n'esl pas trop
mauvaisc ; il y a un peu de sommeil, les vomissements
cessent, ct les selles deviennent de moins en moins
frcquentes,
Le 24, a ma visite du matin, meme etat que la
vcille an soir. La malade prend une pilule de cyno-
giosse et un bain alcalin cluuul , comme les jours pre-
cedents. Depuis ce moment, plus de selles , sice n'est
apres les lavements a I'eau de son qu'on lui admi-
nislre , et qu'elle conserve assez longtemps. Mais dans
lajournee, hoquets frequents, visage fort colore , pouls
a 100" ; cependa it la nuit est asscz calme ; un peu
de sommeil.
Le 25, assoupissement contiHuel, visage plus co-
lore, conjonctives tres injectees, parole embarrassee,
lioquet plus frequent 5 aux extremites, la cyano?e est
remplacee par une coloration d'un rouge fonce ; six
sangsues a lanus 5 apres les sangsues, un bain tiede
simple.
Le 26 ; etat comuteux tres prononce; visage d'un
rouge pourpre, yeux moins excaves, mais fixes et
plus fortemen! injecles ; il est dil'licile de faire sortir
la malade de son assoupissement, et lorsqu'on y par-
vient, elle fait de grands efforts pour se metfre a son
scant, regarde fixement avec bcbetude, et repond avec
beaucoup de lenteur; la langue est embarrassee, la
voix cassee, tremblante : six sangsues derriere les
— 12 —
oreilles , fomentations vinaigrees 'tres chaudes sur les
extremites inlerieures •, compresses refrigerantes sur la
tete; un vesicatoire a cliaque cuisse.
Le 27, augmentation ties symptomes de congestion
cerebrale ; soif inextinguible ; respiration stertoreuse ;
refroidisscment dcs extremites, qui se couvrent d'une
sueur visqueuse ; pouls ralenti , irregulier, tres depres-
sible ; ventre ballone ; toujours pas d'urines ; agitation
extreme ; plaintes exprimant le sentiment d'une Tin
prochaine ; continuation des applications froides sur la
tete et des revulsifs sur les jambes et sur les pieds ;
un quart de lavement, avec 25 centigrammes de sul-
fate de quinine. - Malgre^ ces moyens, le pouls va
se ralentissant de plus en plus, et ne donne plus
que 54 pulsations dans la matinee du 28 ; en ce mo-
ment la vue s'obi^curcit , I'intelligence se trouble , le
refroidissement fait de rapides progres , et enfin la
mort arrive ce meme jour vers deux heures du soir.
Deux jours aprcsrapparition de ce second cas de cholera,
un troisieme cas se manifesta sur un jardinier de 64 ans ,
dont I'babilation est fort eloignee de celle des deux pre-
miers malades,avec lesquels, du reste,iln'avait eu aucune
relation directe niindirecle. Get homme, d'une petite sta-
ture, mais d'une bonne sante habitu^lle, faisait souvent
abus de liqueurs alcooliques, et surtout d"eau-de-vie. II fut
pris de la cholerine le 23 juin. Cependant, malgre la
perte de son appelit , et bien qu'il eiit des douleurs
continues dans les membres et aux reins, il travailla
corame d'ordinaire, prenant ses repas, et buvant de
I'eau-de-vie et du vin comme s'il eut ete bien poriant.
Le lendemain , son elat etait le meme , seulement les
selles etaient plus frequenles ; pourtant 11 retourna a
sa besogne et ne manqua pas de boire de I'eau-de-
vie en assez grande quantite pour se donner des
forces; mais au lieu d'augmenter, les forces dimi-
— IS — .
nuerent ; les selles devinrent plus frequentes et le malaise
plus cunsid Table. Crpendant il prlt son dernier repas
comme de coulume, a liuit heures du soir. Une lieure
s'etait A peine ecoulee, qu'il survint des vomissements
nombreux composes d'abord des aliments de son sou-
per , puis^de matieres liquides claires comme del'eau;
presque au-sitot les sflles furent rapprochees et res-
semblaient parfaitement a de I'eau de riz. En meme
temps il eprouva des crampes aigues dans les mem-
brcs superieurs et inferieurs, puis du refroidissement
au nez, aux oreilles , aux levres , au menton , aux
mains et aux pieds.
On m'appelle vers onze heuvcs du soir : les extre-
mites etaient froides et fortement cyanosees ; la peau
avail perdu son elaslicite et semblait avoir macere
dans I'eau ; visage profondement amaigri ; yeux vi-
treux , cernes, excaves ; voix eteinte ; crampes vives
aux quatre membres ; toutrs les cinq minutes une selle
sereuse , blanchatre , avec dps raclures de boyaux ;
pouls filiformc, a peine perceptible, a 110"; sentiment
de clialeur bruiaute a i'epiga-^re ^ anxiete des plus
grandes; aneantissement dos forces,, douleur aigue a
la region precordiale ; respiration difficile , anxieuse ;
langue blanche, froide , coUante ,• soif ardente 5 les
boi sons sont vomies aussitut leur ingestion.
Prescription : potion etheree, avec deux centigrammes
de sulfate de morphine, par cuillerees, tons les quarts
d'heure 5 quart de lavement avec I'amidon toutos les
demi-heures ; autour du malade , cruchons d'eau
chaude ^ bain chaud proloiigc , a 32" Keaumur , avec
750 grammes de carbonate de sonde.
Tons les moyens prescrits furent mis en usage , sauf
le bain , parce que Ton manquait d'eau chaude. Quel-
ques heures apres , les vomissements , les selles et les
crampes avaient disparu, mais le refroidissement avail
augmente avec la cyanose ; les urines etaient suppri-
__ 14 -
mees : le pouls dcvint impeicepUbIc a la radialL' ; la
peau se couvrit d'une sueur visqucuse ; Fanxietii fut
portee a son conible, et le malade annonrait i-a fin
comme tres procliaine. En effet rintelliij;ence se trou-
bla bientut, ct la inort arriva lo 25 juin, a huit
heures du matin , douze heures apres I'invasion.
En rappelant ces trois observations avec qnclques
details, j'ai voiilu qu'il ne restat aucun doute snr
la nature de la maladie. l)e ce que le cholera
n'avait pas fait un plus grand nombre de victimes
lors de sa premiere apparition , de ce qu'il n'etait
pas venu a^Suippes en 1832, on a crn generalement
que je m'elais trompe dans mon diagnostic, mais
une nouvelle invasion de ce redoutable fleau vint
plus tard demontrer a notre population de quel cote
etait I'erreur.
Cependant la cholerine continuait sa marche ; elle
parut redoubler d'intensite pendant les quelques jours
oil nous eiimes alTaire au cholera lui-meme ; mais
bientot elle reprit son caractere benin pour disparaitre
a la fm du mois de juin.
A cette epoque, I'aulorile municipale me fit I'hon-
neur de me consulter sur les mesures hygieniques
qu'il conviendrait de prendre dans la ville pour arre-
ter Tepidemie et en prevenir le retour. J'avais alors
I'espoir qu'il n'y avail plus rien a craindre du cote
du cholera ni dc la cholerine , puisque cette dernierc
maladie avail entieremenl disparu. dependant, comme
il est des precautious dont il estbon de ne jamais s'e-
carter, je conseillai a M. le mairc de faire balayer
souvent les rues el les ruisseaux , ou croupissaienl
habituellemenl des eaux malsaines ; d'iuterdire le
dep6t des ordures dans le voisinage des habitations ;
de faire defense d'elever des lapins, des pigeons
et autres animaux dans les chambres habitees; de
faire remplir les mares; d'obliger les bouchers et
— 15 —
chareuliers a transporter hors de la ville le sang
et les debris des animaux qu'ils tuent. Je terminals
ma reponse par Texpression d'un vceu que je forme
depuis blen longtemps : c'est de voir Tautorite su-
perieure prendre des mesures energi(jues pour i"a?sai-
nissement d'un grand nombrc de maisons qui ne sont
veritablement pas liabitables. Depuis ce moment, I'As-
semblee legislative s'est occupee de celte importante
question, dont la solution etiit altendue avec la plus
vive impatience par tons ceux qui se preoccupent
veritnb'ement de raraelioratiou du sort de la classe
ouvriere.
De la fin de juin a la fin d'aoiit, la ville de Suippes
presenta I'etat sanitaire le plus satisfaisant ; on ne
rencontra plus de diarrhees , plus de ces malaises
observes en mai et en juin; seulement, les flevres
intermittentes, J qui s'etaient montrees en asscz grand
nombre pendant le printomps, continuerent a se ma-
nifester frequemment pendant I'ete. Nous nous croyions
done parfaitement debarrasses de I'influence epide-
mique, lorsque la cholerine nous revint dans les pre-
miers jours de septembre. Cette fois , elle se pro-
pagea avec moins de rapidite qu'a sa premiere appa-
rition , mais elle se raanifesta generalement avec une
plus grande intensite , sevissant surtout sur les en-
fanls au berceau , dont quinze succomberent en moins
do quatre seniaines.
Au milieu de cette mortalite , un vieiliard de 68
ans , le nomme 11. M... , rentier, fut pris le 15 sep-
tembre , d'une attaquc de cholera qui I'emporta en seize
heures. Get horame , habitant la rue S'-Pierre , mal
loge, se nourrissant maU adonne aux exces de la bois-
son , avait ete pris quelques jours auparavant d'une
cholerine assez intense , pendant laquelle il n'avait rien
change a ses vieilles habitudes. Comme chez les precedents
malades, tous les symplomes caracterisliques du cholera
— 16 —
furent observes : diarrboe blanche, vomissements, craiu-
pes , ret'roidissement des extremites , cyanose, extinction
de la voix , suppression des urines , alteration profonde
du visage , etc. , etc
Cependant, vers les derniers jours de septembre , la
cholerine prit un developpement plus considerable chez
les adultes : a celte epoque , les transitions de tempe-
rature furent brusques ; apres d'assez fortes chaleurs .
nous passames tout-ii-coup a un froid humide, intense.
Celte recrudescence fut marquee , le 6 octobre , par
Tapparition dun nouveau cas de cholera dans la rue
de la Surginerie, situ.ie aunord-estde la ville. Le ma-
lade fut u!) nomme M... , tisseur de merinos, age de 36
ans , d'une faible sante , loge dans une maison humide
el mal eclairee , mais proprement lenue. Get homme
a peri.
Ce fut a partir de celts epoque que commenga veri-
lablemenl notre epidemie cholerique. En effet , quatre
jours plus tard , le 10 octobre, la fille Anne Lambin ,
domestique , agee de 52 ans , habitant le meme quar-
tier, fut prise du cholera apres avoir donne des soins
a son beau-frere , M .. , dont la maladie I'inquietait
vivemenl. EUe mourut trente heures apres I'invasion.
D'autres cas plus rapproches suivirent ce dernier , de
sorte que , du 13 octobre au 30 , il y eut 18 malades;
du l^"" novembre au 23, 9 malades ; enfin, du 8 deccm-
bre au 23 , 4 malades : ce qui donne, a partir du 15
juin, un total de 37 choleriques, sur lesquels il y a eu
24 deces.
Les cas de cholera commcnQaient a ?e succeder a
des intervalles assez rapproches, lorsque nous fumes
envahis par une epidemic de suette qui se montra
generalement peu grave. Elle debuta le 15 octobre
et se termina vers la fin de novembre. Dans eel es-
pace de lemps, j'ai donne des soins a 57 personnes
atteinles de celte maladie. Tons les quartiers de la
— 17 —
villc I'urciil simultaneinent altaques: cclui oii regnait
le cliolera n'cul pas plus a soulTrir que les autres ;
les maisons les plus saines ne furent pas plus epar-
gnees que les plus insalubres, et la clas^e imligente
pas plus maltraitee que la classe aisee. Sur nos 57
malades , 34 appartcnaient au sexe fetninin et 23 au
sexG masculin ; presque tous etaient des adultes ,
jouissant habituellement dune bonne sante, J'ai fait,
pen de jours apres Tinvasion de la suettc, line re-
marque (|ui me semble assez inferessante pour etre
relatcie ici : c'esl qua parlir de ce moment le nombre
des cbolerincs diminua d'une maniere tres sensible.
Le symptome caracterislique de cette maladie con-
sistait en une sueur continue, ordinairement tres abon-
dante, d'une odeur des^agreable , gemiralcment precedee
de malaise , de lassitudes, de cephalalgie , de Qevres ;
mais se declarant dans quelques cas sans aucuns pro-
dromes. Kn meme temps que la sueur , et souvent
avant son apparition , les malades ressentaient une
oppression considerable , accompagnce frequemment de
douleur sourde a la region precordiale et a I'epigastre ,
d'une Vive anxiete et d'irregularitc dans le pouls.
Dans les deux tiers des cas , il ne survint aucune
eruption a la peau; dans I'autre tiers j'observai , du
troisieme au quatrieme jour, une eruption de miliaire,
plus souvent partielle que generale , occupant de pre-
ference le ventre, la poitrine et le dos, et determi-
nant chez quelques personnes une forte irritation de
la peau. En general I'eruption etait suivie de soula-
gement ; elle durait trois a quatre jours , dans quel-
ques cas cinq et six jours, apres quoi elle s'eteignait;
puis la convalescence arrivait, et peu de jours apres
la guerison etait complete, (dependant , chez quelques
malades, la marche de la suette ne fut pas si heu-
reuse. Dans un cas oil elle avait succede immediate-
ment a la cholerine , elle fut suivie d'une attaque
I. 2
_ i8 —
de cholLia qui se termina par la mort. Dans un autre
cas oil elle s'etait cependant declaree d'une niaiiiere
ppu intense, cHe ful egalement coinpliquce de cho-
lera et ici encore le malade succomba. Je continue,
dans' ce moment, a donner des soins a deux f-mmes
dont le ?ystome nerveux fut tellement aflecte par la
■^uette , qu'cHes sont devenues hysteriques a un haul
degre,' avec grande tendance a I'hypocondrie.
Dans la pre?que totalite des cas, le traits ment fut
des plus simples; je me contentai de prescrire a mes
malades de se ccuvrir legerement, de prendre pour
boisson alternativement de I'eau de gomme et une so-
lution de sirop de gro?eilles froide , de renouveler
souvent Tair de leur chambre , de se mettre les pieds
h I'eau matm et foir-, de changer de linge autant de
fois qu'ils en sentaient le besoin , et enfm de faire la
diele. Je pratiquai la saignee du bras dans d.nix cas
seulement, ou la cephalalgie, I'oppression et la dou-
leur precordiale se pre.sentaient avec une grande iu-
tensite. Un calaplasme sinapise sur I'epigastre m'a paru
tres utile, chez plusieurs malades, pour combaltre
ces deux derniers syn^ptdmes. — Je reprends mainte-
nant rhislori-iue du cholera lui-meme.
Sa marche, comme on I'a vu plus haut , a ete
fort Icnle : arrive au milieu de nous le 15 juin, il
attaque en dix jours tiois personnes, dont deux sont
mortrs. U di^parait ensuite, puis revient deux mois
et demi plus tard, le 15 septembre, et se contenle
cette fois d'une seule victime. Enfin , apres une se-
conde treve de vingt et un jours, il envahit, le 6
octobre, le quartier Saint-Martin, oil il regne exclu-
sivement sans interruption jusqu'au 23 decembre,
epoque de sa disparition definitive.
Pour bien des personnes, le cholera fut apporle a
Suippcs par »!. 1 , qui, le premier, cut une
atlaque de cette maladie \ingt-quatre heures apres son
— 19 —
retour de I'aris. Quant ii iroi, jc iie partage pas cettc
opinion. M. L , 11 est vrai, arrivait d'une ville
eijvahic par rcpidemie •, et lorsquil qiiitta Paris ;, il
etait iUtrint depuis trois jours d'une diarrhee intense ;
done, dira-t-on, il avail emporte avec lui le germc
du cliolera. dont I'explosion u'eut lieu que le lende-
main df son arrivee chez lui. Mais en rentrant a
Suippes, M. L y trouve la cholerine, qui, depuis
un mois , s'etait nia'iifestee dans tous les quartiers de
la ville; et puis, le lendemain dc son retour, mal-
gre sa fatigue et malgre son devoiement , 11 va aux
champs travailler conime a I'ordinaire , et le soir il
soupe a la table commune, et mange, entre autres
chores , une assez grande quantite de salade. En fal-
lait-il davantage pour que le cholera se deciarat chez
lui.? Neuf jours plus tard , le jardiuier H
qui n'avait eu aucune relation avec Rl. L , et
dont la demeiire est fort eloigneo de la sienne, tombe
malade du cholera et succombe en douze heures. Est-ce
M. L . . . . qui a transmis le cholera-morbus a cet
homme ? Cela n'est guere probable. Je suis encore
moins dispose a admetlre que le cholera se soit pro-
page du jardinier H a H. M , attaques
I'un et I'autre a plus de deux mois et demi d'in-
tervalle, et de H. M a M -L , entre
la maladie desquels il y a eu nn espace de vingt
et un jours. C'est done a linfluence epidemique, qui
agissait sur toute la population , qu'il faut rapporter
le premier cas de cholera observe a Suippes, de meme
que tous ceux qui I'ont suivi a des epoques plus ou
moins eloignees.
Sur nos trente sept cas de cholera , cinq seulement
furent dissemines sur differents points de la ville, et
de ce nombre sont les quatre premiers observes ; les
trente deux autres , c'est-a-dire , presque toute noire
petite epidemie , furent concentres dans le quartier Saint-
— 20 —
Martin , qui se compose de deux rues placces sur la
memo ligne , au nord-pst de la ville , a peu de dii^tance
du cimetiere , dont clies sont separees par des jardins
et par le fosse de Taiicien rempart , oii stagnent pen-
dant les trois quarts de I'annee , et souvent pendant
toute I'annee , des eaux charj^ecs de matieres veyctales
et animates en decomposition. C'est, depuis dix-sopt
ans , la troisieme epidt^mic que j'observe dans ce meme
quartier , le pins eleve de la ville , un des micux batis,
le plu^ sain en apparcnee , et oii les indigents ne sont
pas en plus grand nombre que dans les autres rue5.
En 1839 el en 1S41 , ces deux rues eurent beau-
coup a souITiir de la dysenteric , tandis que le reste
de la ville etait completement epargnt'. 11 est done tres
probable que la cause qui favorise lo developpement
de la dysenterie, peut egalement faire eclater le cho-
lera; deux makdies qui, du reste, ont beaucoup d'a-
nalogie entre elles. (^ette cause, je crois la trouver dans
les emanations deleteres qui s'echappent des eaux
bourbeuses du fosse du rempart.
Assurement d'autres circonslances concourent a la
production du cholera dans une locaiile quelconque.
II faut d'abord la presence de I'influence epideii.ique,
et ensuite des predispositions individuellcs. Mais il est
suflisamment demoiitre pour moi qu'a ces deux causes
il vient quelquefois s'en joindre une troisieme sans
laquelle elles seraient impuissantes a produire la ma-
ladie : cette derniere tient a la localite elle-merae.
Ainsi, a Suippes, linfluence epidemique et des pre-
dispositions se sont rcncontroes dans toutcs les parties
de la ville, puisque partout il y a eu des cholerines et
des suettes intcnses. Mais le cholera, sauf de rares
exceptions faciles a expliquer , ne s'est montre que
dans un seul quartier : or, doii peut venir ce triste
privilece, si ce nest d'une cause locale, agissant ex-
— 21 —
clusivement sur la population a cote dc laquelle tile
se developpe ? Comment interpreter d'ailleurs Timmuni-
te dont jouirent un grand nombre de villes et de
villages, autrement que par I'absence de cette cause
locale?
A Saint-Remy-en-Bouzemont , ou je fus appele A
trailer les choleriques en 1832, et ou, sur une popu-
lation de 500 habitants, 41 personnes succomberent
dans I'espace dc deux mois , une mare et des fosses
ou i'eau reste stagnante pendant lete et I'automne,
traversent Ic village du midi au nord , et laissent
exhaler, par les grandes chaleurs, des miasmes d'une
grande fetidite. Dans la note que je publiai a cettc
epoque dans la gazette medicale, je me contentai de
signaler Texistence de ces miasmes sans leur attri-
buer une grande influence sur le developpement de
I'epidemie. Mais aujourd'hui , que j'ai vu le cholera
se declarer ailleurs, a dix-sept ans d'intervalle , dans
dps conditions parfaitement identiques, ne suis-je pas
autorise a considerer ces exhalaisons insalubres comrae
la cause locale de Tepidemie de Saint-Remy ?
Des renseignements precis que j'ai recueillis avec
soin , il resulte que sur nos 37 cas de cholera, 19
fois la maladie s'est declaree sur des individus qui
avaient eu des rapports plus ou moins prolonges avec
d'autres malades, et 18 fois sans qu'il y ait eu au-
cune communication. Voila done deux categories ci
peu pres egales, comprenant d'une part les fails qui
paraissent en faveur de la contagion, et d'aulre part
ceux qui demontrent le contraire.
Mais de ce que chez la moitie de nos malades I'in-
vasion a eu lieu apres qu'ils eurent soigne ou seule-
ment visite d'autres choleriques, faut-il conclure que
dans CO cas il y a eu contagion? Je n'hesite pas a
repondre d'une maniere negative.
2"2
Tout le monde est d'accord sur cc poiiU ; que I'in-
tluence cpidt-mique ne donne le cholera qu'a ccux qui
y sout predisposes. Or, si celte predisposition ne se
rencontre dans aucun des membres d'une meme fa-
mille, toute ccttc famille est ex'^mpte du cholera; (jwe
si au contraire elle exiitc chez phisieurs personnes, el
ineme chez tons les membres de la famille, oh I alors,
rlen d'etonnant que lous, ou seulemeiil quelques-uns,
soient atteints successivement : si le cholera etait reel-
lement contagienx , il ne quitterait pas des nienagcs
composes de sept a huit personnes apres avoir atla-
que unc seule d'entre elles, comme nou.^ Tavons vu
plusieurs fois a Suippes. Je citfrai un sen! fait entre
quinze a lappui de ce que j'avance. La femme F....,
recemmcnt accouchee , est atteinte d'une attaque vio-
lenle de cholera qui Tentraine au tombeau apres six
jours dc cruelles souffrances ; son mari et six de ses
enfants I'approchent, la touchenl a chaque heure du
jour et de la nuit, et aucun d'eux n'eprouve le phis
leger malaise II y a plus , I'cnfant dont elle venait
d'accoucher a continue de prendre le sein ju,-qu"au
troisieme jour de la maladie, et il n'a ccsse de se
bien porter.
Maintenant, quelles sent les causes predisposantes du
cholera ? P^n premiere ligue il faut placer les fatigues
excessives. Or, quoi de plus fatigant que de soigner
un cholerique, pres duquel on doit etre constamment
debout, occupe sans cesse a lui administrer les soins
que reclame la gravite de sa position ;' A Suippes, la
crainle de gagner le cholera s'etait emparee de presque
tout le monde ; aussi ne trouvait-on que tres difficilement
des secours. Cette circonstance obligeait les memes
personnes a passer a cote des choleriques tout le
temps que durait leur maladie. Doit-on s'etonncr alors
que quelques unes de ces personnes , epuisees de fa-
tigue, accablees par les veilles, aient eprouve a leur
— 2S -
tour line atlaque de clioliira? Pour moi 1-; fait s'ex-
plique parfaitement bien sans qu'il soit besoin de faire
intervenir la contagion.
Une habitation mal^aine , une mauvai>e nouri'iturc
predisposent certainement au cholera: car les deu\
tiers des malades etaient loges tres etroitement dans
des maisons basses, huniides, mal eclairees, mal aerees ;
et Us se nourris^aient en grande partie de legumes et
de fruits L'autre tiers se irouvait dans de meilleures
conditions hygieniques tant sous le rapport du loge-
ment que sous celui de la nourriture. Onze de nos
malades se livraient frequemment aux exces de la bois-
son, et sur ce nombre neuf ont succombii.
Tons les temperaments, toutes les constitutions ont
egalement souffert du cholera. Les deux sexe-i ont
ete atteints dans une proportion a peu pres egale ;
dix-sept malades appartenaient au sexe masculin, et
vingt au sexe feminin. Parmi ces derniers, se trou-
vaient deux femmes enceintes, Tune de sept mois,
l'autre de deux mois el demi : la premiere a ete guerle,
l'autre est morte des suites d'une fausse couche, sur-
venue le douzieme jour de la malaJie. Uetalivement
a la mortalite, les deux sexes ont donne un nombre
egal de deces : douze homraes et douze femmes.
■ Tons les ages ont paye leur tribut a I'epidemie :
j'ai donne des soins a de Ires jeunes anfants et a des
vieillards de soixante-douze a soixante-treize ans. Ce-
pendant le plus grand nombre de malades se trouve
au-dessus de quarante ans. Sur les 13 ma!ades^(iui ont
gueri, 12 avaient moins de cinquante ans, le l.Je
etait age de soixante-treize ans , et parmi ceux qui
ont succombe, 19 avaient plus de quarante ans, et
5 seulement etaient^ au-dessous de cet age.
Presque toujours I'invasion du cholera fut annoncee
par quelques prodromes, tels que le devoiement, des
— i)4 —
evaciialions brusques, avec oxplo ion do gaz, (lo:= defail-
lances, un malaise general, des envies de vomir, la
cephalalgia, ragitation de I'esprit, en un mot tous
les symptumes que j'ai decrits au commencement de
ce memoire sous le nom de cholerine : cCst ce qui
constitue la premiere periode de la maladie. Duns deux
casseulcment, les individus ont ete surpris brusquemerit,
au milieu d'une parfaitesante, par des ver(ig('s, par des vo-
missements frequents par des selles blaiichatres et par
des crampes aigues, symptomes qui forment les traits
caracteristiques du cholera confirme. De la cholerine au
cholera, la transition est facile. Dans quelques cas,
il n'a fallu qu'un surcroit de fatigue, une perturba-
tion morale, un exces de boisson , pour amener les
accidents les plus graves ; mais Ic plus souvent le
cholera s'est declare a la suite de ringe^tion d'une
quantite plus ou moins considerable d'aliments indigestes,
alors que la prudence conseillait la diete la plus severe.
Quelle que fut la cause qui converti3?ait la chole-
rine et la suelle en veritable cholera, on voyait la
diarrhee de jaunatre devenir d'un gris blauchatre,
presentant I'aspect d'une decoction de riz plus ou
moins epaisse; le venire etait affaisse ; en meme temps
les urines se rarefiaient, les reins devenaient doulou-
reux, et le sentiment de faiblesse augmentait rapide-
ment. Bientot apres apparaissaient des vomissements
semblaMes aux selles, les urines se supprimaient, des
crampes plus ou moins fortes survenaient ordinaire-
ment dans les mcmbres, mais surlout aux inferieurs;
la soif tourmentait les malades, la peau se refroidis-
sait, et il y avail de la moiteur ; le pouls devenait
petit, deprime, flliforme-, le visage se decomposait,
enfin la voix changcait de timbre et s'affaiblissait cod-
siderabltment.
Si dans celte periode (que Ton designe sous le nom
de periode algide) on ne parvenail pas a enrdyer la
— 2£) —
marche des symptdmes et a. determiner la reaction ,
le pouls cessait d'etre perceptible, les yeuK devcnaient
caves, entoures d'un c rclc bleu, la languc se refroi-
dis?ait, la voix s'eteignait conipletemetit; la peau pre-
nait line teinte livide et se couvrait d'unc sueur froide
ct visqiieuse (ni meine aqueiise. Cependant les crampes,
Ics voniissements et le devoiement cessaient, et alors
on voyait la maladie marcher rapidement vers nn
terme fatal : la respiration devenait courte , acceleree,
lialetante; presqiie loujours une douleur briilante a la
base de la poitrine et a la region precordiale, et une
anxiete epigastrique extreme tourmentaient les chole-
riques; chez plusieurs malades, le doigl ne pouvait
etre legerement applique sur la region de Testomac
sans occasionncr les douleurs les plus vives ; la peau
prenait une couleur de plus en plus bleuatre, surlout
dans la direction des vaisseaux veineux: elle gardait
les plis qu'on y faisait en la pincant doucement •, la
sueur et Tbaleine, toutes deux froides, exhalaient une
odeur comme cui\ reuse-, et ainsi qu'on I'a dit assez
justement, le malade qui avait le sentiment de sa fin
prochaine , n'elait plus qu'un cadavre encore vivant,
et meme encore parlant.
Pendant la marche des deux premieres periodes , les
malades se tenaient couches sur le dos; a parlir de
I'etat d'asphyxie, ils se couchaient sur le cote, et gar-
daient cette position taut que durait la vie •, alors ils
devenaient indifferents pour tout ce qui se passait autour
d'eux. Quelques malades entraient en convalescence
dans la periode algide, ou ils passaient a I'etat d'as-
phyxie; mais chez le plus grand nombrc la reaction
s'etablissait d'une maniere plus ou moins active. Alors
la chaleur revenait peu a peu , la cyanose dispa-
raissait, le visage s'animait, la diarrhee cessait, et
elle etait remplacee par de la constipation. Quelques
heures plus tard, le pouls devenait plein , la langue
— 26 —
etait rouge a la pointe et aux bords ; il y avail un
peu de ctiphafilgie , quelquefois des vomissements,
mais alors ils etaient bilieux ; et si le maiade ne vo-
missait pas, il avail des regurgilations gazeuses ; le
venire n'etail plus affais?e ; I'epigastre etail sensible a
la pre^sion , quelquefois douloureux. Dans plusieurs
cas il y avail du tenesme , el les selles conlenaient
du sang plus ou moins pur.
Quand les symptomes de reaction rr-archaient vers
une tcrminairon facbcuse , la face devenait rouge ,
les yeux (Haient injectes, les veines jugulaires gonflees;
le pouls ctait dur et lent, la respiration frequenfe, la
langue d'nn rouge vif; les gencives se couvraienl
d'un enduil fuligineux : les faculli's intoUecluelles de-
venaii^nt de moins en moius libres ; les malades re-
pondaienl len:ement ; quelquefois ils avaient du delire,
et des soubresauts dans les tendons , et parfois aussi
une retention d'urine; enfln du premier au troisieme
jour de la reaction arrivait le coma, et ensuite la
mort.
Sur les 24 choleriques que nous avons perdus , 17
ont succombe daus la periode algide , au bout de neuf,
trenle ou quarante-huit heures ; les 7 autres sonl morts
pendant la reaction, apres deux, trois, sept et meme
quatorze jours de maladie, avec les symptomes d'une
affection typbo'ide. L'epidemie a conserve le meme carac-
tere de gravite depuis le commencement jusqu'a la
fin; les derniers malades ont ete enleves avec aulant
de rapidite que les premiers. Dans une circonstance,
j'ai vu le cholera se terminer par une parotide donl
les suites ont ete favorables au maiade ; la meme per-
sonne fut enlieremenl debarrassee d'une ncvralgie
sciatique donl elle souffrait beaucoup depuis pres de
deux ans.
Quelques mots maintenanl des raoyens que j'ai mis
en ujage dans le traitemenl du cholera. Ainsi que je
— 27 —
lai ilit plui h;iut , il in'a toujours ete facile d'arreter
les Evacuations a! vines toutes les fois que mes soins
ont eXe reclames des le debut de la cholerine. 11 suf-
fisait de quelquos pilules d'extrait i^ommeux d'opium
ou de cynoglosse , de quelques lavements amilaces ou
albumiiieux , de boissons legcrement astringente- ou
sudoriliques, d'un peu de repos el dune diete relative.
Or, piiisque Ion pent regarder la diarrhee comme
prodrome et comme signe patbognomonique du cho-
lera-morbus ^ je pense que, lorsqu'a Paide de ce simple
traitement on a arrete des le debut les selles fre-
qufnteSj on a fait avorter la maladie. Plus de 140
cholerines ont efe ainsi gueries dans FespacG dc deux
mois ; et jc suis bien persuade que c'est pour avoir
neglige de .=e soigner convenablement, que les dix-neuf
vingtiemes de nos malades ont vu le cholera sc de-
clarer cbez eus.
A une epoque plus avancee de la maladie, j'ai em-
ploye avec avanlage de larges cataplasmes rubeliants
sur le ventre pour combattrc les selles et les vomis-
sements : en meme temps je faisais prendre toutes les
demi-heures une cuilleree d'une potion elheree, a la-
quelle jajoutais quelques gouttes d'eau distillee de lau-
rier-cerise , et un a deux centigrammes de sulfate de
morphine.
Dans la periode algide . je suis presque toujours par-
venu a rechauffcr rapidemenl les malades en les plon-
geant dans un bain chaud de 32 a .3.3 degres , auquel
j'ajoutais 500 a 1,500 grammes decarbonate de soude ,
selon I'intensite des symptomes. l.a durce du bain etait
de une a deux heures , et je le renonvelais deux ou trois
fois en peu de temps, s'il en etait be.-oin. Outre la
propriele qu'ont ces bains de rappeler la chaleur et de
ranimer la circulation , lis faisalent promptement cesser
les crampes , et quelquefois auisi les selles et les vo-
missements. Au sortir dii bain, le malade etait leste-
— 28 —
raent essuye avec des linges chauds , puis enveloppe
dans une couvcrture de laine bien chaude , et couche
tout aussifot dans un lit bassine. On ne lui mettait sa
chemise que lorsque la sueur etait generalement etablie.
La chalpur etait entretenue a I'aide de plusieurs cru-
chons d'eau chaude places tout aut our du malade. Des
ce moment , je lui faisais appliquer des cataplasmes
sinapises sur les extremites inferieures pour prevenir les
accidents d'une reaction trop forte.
Je crois ferraement que si les bains alcolins avaient
pu etre convenablement administres a tous nos chole-
riques, nous en aurions perdu heaucoup moins; mais
c'est a peine si nous avons pu les employer dans le
tiers des cas , faute d'aides sufflsamment intelligents ,
et plus encore faute de bien des choses qu'on ne trouve
pas chcz les indigents.
Les bains simples , tiedes , les saignees locales , les
topiques refrigerants, les cataplasmes sinapises et les
vesicatoires sont les moyens qui nous ont servia com-
battre les accidents qui survenaient frequerament dans
la periode de reaction.
— 29 —
DE
L'AMAUROSE
DANS LA ISfiPIIUITE ALBUMINEUSE.
( Deuxieme memoir e )
far M. H. I.ANDOUZY.
Opinionum commenla delet dies,
Dalurae judicia conflrmat.
IMusieurs praliciens ^minenls, et , enfre aulres,
MM. les professeuis Roux h Paris, Forget ^ Stras-
bourg, Florenl Cunier h Bruxelles, ayant, aussi!6l
la publiralion de mon m6:noire , confirms par les
fails les plus cal^goriques la coexistence de I'aniau-
rose (1) el de la raaladie de Bright , j'avais r6solu
(1) Ainsi que j'ai pris soiii de \e dire dans mon premier
memoire , j'enjploie le mot Amaurose pour eviler loule peri-
phrase , et pour ne pas fabriquer d'expression nouvelle.
L'acceplion elymologique du mol ( A(/.ttUfOi obscur ) repond
suQisamment, du resle , a la significalion que je lui donne
ici.
Tanlot , en effel , ce trouble de la vue se manifeste sous
formes de diplopie , d'hemiopie , de nyctalopie , d'hemera-
lopie ; tantol sous forme de faiblesse ; tanlot sous forme d'exal-
tation momentanee , de sensibilite douloureuse , etc., etc.
Comme , a moins de faire une lignc de grec , il etail im-
possible de trouver une expression qui signifiat toulcs ces
choses , j'ai pris le mot Amaurose, consacre deja pour des
symptomes analogues , el qui ne prejuge rien sur la nature
de la maladie.
— 30 —
dc laisser au (crnps le soiii de dissiper les doulcs
qu'eiilraine ii6ce.ssairenieril loule proposition 61oi-
gn(5e des id^es refues. Mais une nephrite albumi-
neuso , que j'iii dcluellement ious les yeux , m'ex-
pliquc dune niani^re si froppante comment onl pu
se produirc plusieurs fails n^galifs, que je dois
indiqucr les sources d'erreurs , sous peine dV'ntendre
ni. r les troubles de la vue, alors quMis devion-
draienl des plus manifestes , si les malades 6laienl
souniis a un examen suffisammenl r(^pet6 el ap-
profondi.
Voici, avant d'alliT plus loin , les principales
circonslances de ce fail , qu'oiil obscrv6 avec moi
raes savanls confreres Henrot el Wyslouch , el les
principaux 61^ves de la clinique :
Le nomm6 V..., ouvrier leinlurier, 6g& de 20 ans,
d'une constitution robuste , d'habitudes sobres el
r^gulifercs , n'a jamais eu d'autres maladies que
des acces de fifevre inlermiltenle, il y a Irois ans,
el un rluimalisme arliculwire, il y a dix luiil mois.
Hors quelques douleurs aux genoux, dans les chan-
gemenls de leu.ps, il avail une tres bonne sant6,
el Iravaillail assiduraenl, lorsque, le 1" Janvier 1850,
il (l-prouve lout a coup, le malin un l^gcr malaise
qui cependanl ne rempOclie ni desorlir loule I'apres-
midi, ni de Iravaiiler les jours suivanls toute la
journ6e.
Le 3 Janvier, h dix heures du matin, V,.. 6lant
& son atelier, esl pris, sans cause appreciable, d'un
vomissemenl abondanl; il dine nCanmoins a midi,
relourne h son atelier jusqu'ii sepl heures, soupe
avec app6lil , el vomil encore pendant la nuit. Le
lendemain 4, V... Iravaillc comme d'habitude , sans
la moindre indisposition.
— SI —
Le 6, ses parents s'apcrgoivent qu'il a la figure
enfl6e; le soir, on remnrqtie du gonflemcnl aux
jambes, el un sillon profond produil au-dessus du
mollet par les cordons du calefon.
V... n'6prouvail, cependant, auciin malabc, et
il conlinuait avoc la mfime assiduil6 ses (ravaux h
I'usine, lorsque, le II Janvier, son p6re , qu'il
avail rempl8c6 loule la semainc dans la direction
de la teinlurerie, revienl h I'atelier, ct trouve
complfelement manqu6es loules les pieces teinles
[lendanl son absence.
Les nuances h donner aux ^lofTes 6iaienl celles
qu'il avail donn^es d^jh cent fois auparavanl, et
comme on ne pouvail allribuer cet accident a I'inha-
bilele, V.. avoue qu'il a la vue trouble depuis
unc huilaine de jours; quoiqu'il assure que,mal-
gr6 cet accident , il pent conlinuer a travailler ,
qu'il a toules ses forces, etc., on I'engage i re-
lourncr chez lui pour se soigner.
Le lendemain 12, le m6decin,M. Labb6e, ordonne
des frictions g6n6rales avec I'enu s(''dative , el des
onclions avec la pommade camphr(>e; le 15 un
vomilif; le l4, un purgalif; les 15, 10 el 17,
des haiiis de vapour; les 18, 19 et 20, des fric-
tions et des onclions avec I'eau el la pommade
Haspail.
Comme I'oed^me g6n6ral augmenlait beaucoup,
qu'il 6tait survenu une toux violcnle, des mouve-
mcnls de suffocation pendant la nuit , etc., le chef
de la fiibrique, M. L... me fait appeler, le 20,
a quatre heures du soir.
Le malade est lev6 depuis plusieurs heures ; tout
le corps est 6norm<^ment goiifl6, except^ les mem-
— 52 —
bres siip6rieurs; le gonflemenl de la face est sur-
tout prononc6 au menlon : !es bourses el le p6nis
causent une grande g6ne au malode par I'oedfeme
coiisidi^rablc doiil ils sonl le si^ge. La peau est
parloat dun blanc mat.
Inlelligeiice parfaile , pas de c^phalalgie , langue
un peu s6che ; pas d'app6lit , peu de soif : pas de
naus6es ni de vomissemenls ; selles naturelles ; pouls
r^gulier, plein , r6sis'ant, 80 pulsations; bruit de
soufllet syslolique s'6lendant dans les carolides. Ma-
(il6 , absence de respiration , ^gophonie , etc. , dans
les deux tiers inf6rieurs du cOle gauche.
Violentes douleurs depuis le matin , et pour la
premiere fois , dans la region lombaire. L'urine ,
brune, transparente ^ en quantity normale , donne
par la thaleur et par I'acide azolique, un pr6cipil6
blanc , soluble dans la potasse , et qui , au bout
de dix-huil heures de repos , occupe la moili6 du
tube.
Le raalade interrogS sur I'^tal actuel et ant6-
rieur de la vue m'assure qu'il voit tres bien et (ju'll
a loujours Ires bien vu. J'insisle par de nouvelles
questions, et toujours le malade me r6pond : « Je
» vois tres bien; je vous parais peut-6ire ne pas
» voird'une maniere nette, parce que je suis myope
» et un peu louche de naissance , mais je vois
» parfaitement et j'ai loujours parfaitement vu. »
Kffeclivemenl , je fais lire le malade et il lit de
la maniere la plus distincle des caraclferes assez
fins. Frapp6 de cette exception^ je reviens le len-
demain prendre Tobservation dans tous ses details,
et ce n'esl que lorsque j'insisle pr6s du malade
pour savoir pourquoi , n'^prouvanl ni faiblesse ni
— 33 —
malaise, il a quilK": son alelier !e 11 Janvier, qu'il
me t■(^|)o^d : « J^ai abandonne fatelier parcc qiCon
elail force de recommenrer toutes les pieces que fa-
vais teintpst. » — Mais alors vous aviez done la
vue Iroulile ? — Je voyais bien, mais je mc (rom-
pais de nuances. — Esl-ce parce que vous 6(es
myope? — Non, car cY'laienl des nuances que j'avais
riiabitude d'assorlir parfaiiemenl; mais j'avais comine
un broiiillard devanl les yeux , surlout au grand
jour; dans la rue, i'6lais oblig6 de mcllre beau-
coup d'altention , afin d'tSiviter les passan(s et les
voilures.
Prescription. SaigntSe de 500 grammes.
21. Le maladc a pas«6 une bonne nuit; le sang
n'offre pas de couenne. Le d6p6t aibumiiieux form6
la veille occupe la mollis du tube.
Prescription. Eau de sedlilz, large vSsicaloiie au
cOle gauche.
22. La malit^ esl moindre; le murmure respi-
ratoire reparait-, le goiiflemenl de la face diininue ;
Toedeme des bourses et des extr6mi(6s inf^rieures
esl aussi prononc6.
23. Trouble considerable de la vue , de 1 i 8
heures du matin. Le malnde nous dit qu'il voit
tr6s claireniont depnis hull heures, mais que pen-
dant la nuit Vobscurcissement de la vue etail tel qu'il
ne pouvait dislinguer ni les personnes placies prc'i de
son lit , ni meme les lasses de boisson qu'on lui
presentail.
Depuis cette 6poque jusqu'au 1" mai^ c'esl-6-dire
pendant Irois mois , T^lat du malade esl loujours
resl6 a pen pr^s le m6me, malgr6 le Iraitement le
1. 3
— 34 -
plus 6nergique el )e plus vnri6. Limojiade sulfuri-
que , eiiu de Vichy, purgalifs drasliqiies , diyilale
h haute dose ; ferrugiiicux, v6sicatoires r6p6l6t) sur
la coloniic verl6brale, elc, elc.
L'appiilit a (oujuurs 616 bon, la fifeyre nulle.
L'urine, acide, en quan^itft normale, a toujours
616 plus ou moins brunc, el serablable, en g6n6ral,
au bouillon do boeuf, pour la couleur el pour
Todeur. Le de|>6l aibuniiiieux a vari6 entrt- un
quari au minimum, el moiti6 au maximum, dc la
quanliti d'urinc , en volume , api'^s vingl-qualre
heures de repos.
L'oed^me a, presque loujoiirs, 616 g6n6ral ; raais
il 6lciil cepeiulanl plus prononc6 lantot i la face,
tanlO( au thorax, laulOl aiix jambes, lanlOl a Tab-
domen, lanl6t aux bourses ; on !e voyail dimi-
nuer rapidement dr.ns une r6gion h mesure qu'il
augmenlait dans une autre.
Ces variations de Toed^me 6taienl quelquefois
felles qu'en moins d'une heure les bourses acqu6-
raienl le volume de la t6te d'un enfml.
Jamais il n'a 616 possible d'elablir de relation
en! re les variations de Toedime el les varialions de
I'aiburaine.
La vue a 616, Ianl6t lr6s nelle , tanl6t lr6s
Irouble, sans que les yeux aienl jamais ces>.6 d'6lre
limpides, el sans que les pupilles aienl presenl6 de
roodificalions appr6ciables. Pendafil une quinzaine
de jours, le malade lisjit , sans la plus 16g6re
fatigue ; puis les quinze jours suivanls, la moindre
allention le faliguait, la lumierc nalurellc ou arli-
ficielle lui causait une impression doulourcuse. Ja-
mais il n'6lail possible d'observer ni aucune relation
— 35 —
precise entre I'^tnt de la vue ct la quantity d'al-
bumirie on ra?dt^me.
Ainsi , da IS ou 2'2 mars, d6s que le malade
vouliiil lire Ics premieres W'^ues d'liiie page, ses
yeux se porlaioni , malgr6 l(ii . siir ies derni^res.
Lc soir airiv6, il ('Mail oblige de se cacher datis
son lit pour iic pas voir la bougie ; el si, par ha-
sard , on s'approcluiil de lui avoc une liimiere , il
se plaigiiail de lecevoir comiue un coup violent
dans Ics yeux.
A rclle 6poque. cencndanl, V. . . 6(;!il beaiicoup
plus fori que dans 1 1 deriii^re qiiiiizaiiie de Janvier,
alors qii'il avail la vue lr6s nelle, el que la ki-
miere ne lui causail aurune impression p([Miible.
L'tHal dii malade reslail dorc h pen prfes le m6me
depuis trois mois, lorsque, d.ins Ies premiers jours
de mai, je lui presorivis un bain de v.ipeiir lous
Ic-s deux jours (a Taide de la lianpe h aicool ), el,
pour boisson extlusive, enlre Ies repas, la limonade
azolique k la dose de 500 a 700 grammes.
Soil simple coim idence, car le m6me Irailement
a 6ihou6 chez d'aulres malades, soil heureuse in-
fluence de ces moyeiis , c e4 ci daler de (e mo-
ineiil que roed^me dijparail insen>ibicmenl de loules
Ies regions du corps, en conin:en(;anl par Ies re-
gions sup6rieures, et que Talbumine . qui n'avait
jamais formt^ moins du quarl de Purine, en vo-
lume , forme seulemenl le sixi6me , el enfin le
dixi^me.
La vision n'6prouve plus aucun trouble, et , le
1" juin, V n'ayant plus qu'un peu de gonflement
aux jambes, relourne.^ son atelier, d'al>ord pour s'y
— 36 —
tjislraire par une occupation sans fatigue, et bient6t
pour y reprendre ses Iravaux habiluels, qu'ii n'a
pas interrompus depuis.
V n'a jamais pris , par jour, moins d'une
demi-bouleille ni plus d'une bouieille de limonade
azolique , (35 goulles d'acide par bouieille d'eau
sucr6ej. II a continue a prendre cetle limonade
tous les jours, el un bain de vapeur lous les deux
jours jusqu'au 15 juillet.
Les urines, examinees lous les jours pendant les
six premiers mois, et lous les huit jours ensuile,
onl ronlinu6 h donner, el donnenl encore au-
jourd'hui , r^ oclobre , un dixi^mc de coagulum
albumineux ; mais la sanl6, les forces, la vue ,
etc., n'ont pas 6prouv6 depuis le Ur juin la moindre
atleinle.
Ce qui frappera principaleroent dans celle ob-
servation, c'esl le trouble de la vue survonu d6s
le debut mfime de raCTeclion. Trouble qu'on ne
peul altribuer ni a la faiblesse, puisque le malade
esl aussi fort que d'liabitude , ni aux troubles g6-
n6raux produits par la mahidie , puisque Taniaurose
disparait plus lard, quand les troubles g6n6rauxsonl
plus inlenses; ni aux remedes employes, puisqu'il
n'y avail point encore eu de Irailemenl.
Mais, ce que je veux signaler, surtoul, c'est
la di(licull6 d'arriver, dans ce cas pourlant Ires
simple, h constater un pb6nom6ne aussi manifeste.
Or, si, prfes d'un horame inicliigent , j'ai eu tanl
de peine it conslaler ce symplCrae , moi qui avais
ifll^r^l & le Irouver, que sera-ce pr6s des malades
— 37 —
k qui on se borne h demander : voyez-vous bien ?
Avez-vous loujours bien vu? SurtoiU quand des
id6es pr^congues font douler d'avance_de la r6alil6
du ph6nom&ne 5 6tudier?
Ajoulez a cela que les malodes atlribnenl, le
plus souverit, ce (rouble des yeux h la faiblesse,
h la douleur, h la diele, au Irailemenl , etc; qu'en
g6n6ral ils y pr6lent peu d'altenlion , et qu'ils Font
naUircllenienl oubli6, lorsque, quelques mois plus
lard, ils sont interrog6s sur les circonstances qui
onl marqu6 le d6but des accidents.
Telle est la raison pour iaquelle plusieurs obser-
valeurs habiles n'ont pas constats d'amaurose chez
les albuminuriques.
Beaucoup de malades , en effet , iie sachant pas
lire, ou ne lisanl pas, et beaucoup exergant rare-
ment leur vue sur des objets de petite dimension,
il devienl difficile d'appr6cier les troubles de ^la
vision. Ces troubles ont pu 6trc tr6s prononc6s au
d^bul dc la maladie , ^ans que le malade ait eu
occasion de s'en apercevoir ; ils onl pu diminuer
plus tard, la nephrite albumineuse exislant encore,
et fester, d6s lors , compl6temenl mticonnus du
malade et du m6decin.
Ainsi , quand , quelques jours ^apr^s ma com-
munication k I'AcadSmie , M. Michel L6vy vcnait
signaler deux albuminuriques sur trois , qui [n'of-
fraient pas d'amaurose , nul doute qu'il nViit
ajoul6 aux deux premiers faits n^galifs celui qu'on
vient de lire; car le malade eul rfipoiidu au savant
professeur du Val-de-GrAce , co.nme a moi : °Ma
vue est bonne , Ires bonne , et elle Va [toujours He.
Plus tard , encore , si le malade n'avait pas lu ,
_ 58 —
il n'aurail pu penser que la ieclure lui serail dif-
ficile car ii distinguait neltemerU les ohjcls or-
dinaires.
Ainsi , les Iroub'es de la viie peuvent , dans
certains cas , resler ignores des malades el des
m^decins, soil au d^but, soil dans le coups de la
nephrite albumineuse.
J'ajoulerai mainfcnant que , dan« piusieurs ob-
servations, Tex. men des urines 6lail Irop incom-
plel pour caracl^riser la maladie do Bright.
Que les urines soienl albumineuses ou non , la
chaleur y produil uii coaguhim form6 par cerlains
sels , el surtoul par les phosphales dans les urines
alcalines ; I'acide azolique y pr6cipile de Taiide
urique, de Turale d'ammoniaqi)e , el, quelque
habitude qu'on ail de ces reactions, elies peuvenl
6lre Irfes faciiemcnl confondues avec celies de Ta!-
bumine.
Or , Faride azolique emp6chanl o\i dtSlruisant le
pr6oipit6 forni6 par les phosphales, el la chaleur
celui formt^ par Tacide urique ou les urates, il n'y
a pas d'crreur h cr.indre, des qu'on a recours i
ces deux proc6dts simuitan^menl.
Youlant donner ii res recherchcs la plus grande
precision , je dissolvais m6me Talbumine par la
polasse ou par Tacide acd'liqnc ; el, en oulre ,
6ludianl principalemenl ralbiinaimiiie sousle rappurl
des troubles visuels , je ne devais pas maiiqncr
d'd^prouver les urines par les r6aclifs dc Bareswil
ou de M. Maumen6.
11 y a quelques jours encore , au lit du malade, je
faisais remarquer aux 61eves de I'Hdlel-Dieu combien
— 39 —
ces pr6caulions sonl loin d'etre inullles , et commenl
des pr6cipi(6s Strangers peuvenl en iinposer pour dcs
pr6cipil6s formes par ralbuminc , surloul chez des
malades oeii6maleux qu'on peul d6ji, d priori , sup-
poser alleints do ia maladie de Brigjit
Ai-jc besoin de dire qu'on no doit lirer aucune
conclusion de I'albumine conslattie apres I'applica-
lion des v6sicaloires, el qu'il faul iiUendre assez
pour qu'on ne puisse plus allribuer TaU^ration de
I'urine a I'action des canlhatides?
Ceci pos6 , voyons les fails invoqu6s conlre Tamuu-
rose dans la nephrite albumineuse :
En les r6unissanl tous , je trouve deux cas si-
gnaU^s bi rAcad6niie par M. Honor6 ; trois , par
M. Deboul, dans le Bulletin de th^rapeulique el
dans la Gazelle des hdpilaux ; liois , par M. Mii hcl
L6vy ; deux , par M. Ancelon, dans I'llnion ra6dicale.
Les fails de M. Honor6 n'ayanl pas 616 publics
ne peuvenl 6tre discul6s ; je les adraels conime des
exceptions , me bornatit h leur opposer ceiui que
M. Roux invoquait , dans la ra6rae stance, ix I'appui
de mes conclusions.
Quanl aux Irois malades de M. Michel L6vy , je
pourrais dire que, chez Tun, lalbuniinurie parail avoir
succ6d6 h la scarlaline , el que j'avais annonc6 ,
dans mon m6tnoire , n'avoir pu 6ludier encore , sous
ce nouveau poinl de vue , Talbuminurie cons6culive
h la scarlaline : je pourrais ajouler (\ue des urines
qui pr6ci[tiienl abondamraent le 1 4 , el qui cessent
de pr6( ipiler le 20 , ne ca!acl6ri>enl pas la maladie
de Blight, et quej'ai parl6 seulement de la maladie
de Bright.
— ZiO —
Mais, j'admels ces Irois fails pour des maladies
de Bright, el je domande si, en examinanl Tun
des malades , six jours apr^s la disparilion romp!6le
de la nialadie ; I'aiilre , plus de dix-lndt mois apres
I'origine des accidents , on esl en mei^ure de se
proiioncer avec quelque cerlitude sur les ph6rio-
m^nes qui ont pu se manifeslcr au d^bul ou dans
le cours de i'affcction?
Evidemment , je le r6p6le encore, si, an bout
d'uf) an , on eul in(errog6 , sur I'^lal de sa vue ,
le maiade dont j'ai lrai:6 sommaitemenl I'histoire ,
il eiil r^pondu qu'elle elait Ir6s bonne alors , puis-
que , moins de qninze jours aprfes I'origine des ac-
cidents, il faut le pressor de quesiions pour Tarae-
ner 'i diie qu'il a quiil6 son alelier parce qu'il
confondait (oules les couieurs.
Des trois faits publics par M. Michel L6vy , I'un
confirme done la coincidence de I'amaurose et de
la n6phri(e albumineuse , el les deux autres ne peu-
venl rinfirmer.
Mais ce qui m'a surpris , surloul , dans la discus-
sion de M. Michel U^vy , c'est cetle reflexion « qu'il
» serait ^lonnanl que ce sympl6me eul 6chapp6
» complfelemeni jiisqu'fi ce jour a lant de m^dedns
» 6iTiinenls qui ont conlribu6 a fonder et i completer
» rhistoire de la maladie de Bright, o
Comroe si les choses les plus faciles ii frouver
6laienl les premieres qu'on cherche ou qu'on ren-
contre! Co:nme si Hippocrale avail connu le pouls ;
Corvisarl, Tcndocardile; Laennec, Its bruilsdu foeius,
Alibert, Tacarus *, Liebig, le Sucre du foie ; Tiede-
miinn, Tusage du pancreas, etc., etc.; comma si,
onfin, le plus simple ouvrier ne pouvait Irouver k
- /l1 —
placer ulilemenl une pierre oubli^e par le plus ha-
bile archileole !
Dans quolques jours , je dSmonlrerai que I'h^mi-
pk'-gie faciale s'accompagne presquc conslammenl
d'exiillalion de I'ouie du (616 p;iralys6. M. Wiihel
L(}\\ s'6loniiera-l-il que ce sympldme, s'il 6lail aussi
fr(^quenl que je I'annonce, ail 6chapp6 h Gregory,
]\Jontaul, HJagendic, Berord, Didaij, Debrou, Cru-
vcilhicr, Gosselin, etc., qui ont conlribu6 h 6cloirer
I'hisloire de la paralysie de la seplifeme paire?
Quanl a raoi , cc qui m'6lonncrail bien davan-
lage , ce serait qu'un m6me observaleur eiil. di^-
rouverl lous les pbcnomeiies rclalif"* h une mC'vae
aCffclion ; surlout quand celle affeiMion n'esl pas
plus frequenle que la nephrite albumineuse ou ThS-
mipli!!gie faciale.
Si j'ai insists, en passant, sur eel argument,
c'esl qu'en effet, celle id^e que les mailres ont
tout vu el tout dil arrele, plus qu'ou ne croit, les
progres de la ni6decine , en faisant consid6rer ,
comme exceplionnels, des ph6nom6nes pourianl assez
frequents, mais qu'on croil s.ms valeur, par cela seul
qu'ils ne sonl pas jniliqu6s dans les livres !
Or, quand on voit un pareil argument lomber
de la plume de M. Michel L(!!vy, I'un des esprils
les plus larges, sans conlredil, el les plus 6clair6s
de noire 6poque , peul-on esp6rer voir, de sii6f,
rautoril6 des fails remplacor Tauloril^ des noms?
Des Irois observations que rapporle M. le docleur
Debout dans le bullelin de lh6rapeulique , la pre-
mi6re confirme mon opinion , puisqu'au d6bul les
objets paraissaient au maiade plus volumineux que
- 42 —
d'habitude, el les deux aulres sonl trop peu d6taill6s
pour 6lre discul6s ulilemenl. M. Debout explique,
il est vrai, ce trouble de la vue au d6bul par faffai-
blissemeril g^nt^ral de la conslilulion ; mais noire
savant confrere n'a observ6 le maiade que qualre mois
apres rorigine des accidents. Or, Tamaurose sou-
vent tres prononc6e au d6but , alors que les fojces
n'ont pas diminu6 d'une manifere appreciable, dis-
paraissant dans le cours de la maladie , quelquefois
au moment de la plus grande faiblesse , il n'y a
pas lieu d'allribuer I'araaurose albuminurique a retat
anemique des malades.
M. Debout ne nie pas, d'aillcurs, I'amaurose
dans la nephrite albumineuse, mais seulement au
d^but, el il assure que « M. le professeur Forget
» a d6m(tnlr6 , depuis longlenips, que Tamaurose
» devail 6lre inscrile dans la s6m6iologie de la
» miladie de Brigbt. »
J'en demande pardon k M. le r6dacleur en chef ;
mais il y a ici une erreur qu'il s'empressera , je
n'en doute pas, de r6parer h Toccasion, avec son
imparliMJll*^ habiluelle : car, avant ma communi-
calion fi TAcademie I'amaurose albuminurique n'avait
6t6 sigu.ib^e rii par M. Forget, ni par aucun autre
observateur, ni dans le bulletin de Iherapeutique ,
ni dans aucun autre recueil.
Le c^lfebre professeur de Strasbourg , dans un
m6moire Irfes important , dont je parlerai lout h
I'heure, et qui a paru un mois aprfes le mien, prend
m6me loules les precautions que peut sugg6rer la
loyaute scienlifique la plus exag6r6e, pour eiablir,
sur ce point, mes litres de propri6i6 , el il ter-
mine ainsi : « Au demeuranl, k M. Landouzy ap-
— /i3 —
» pardenl ( sauf r6clamalions ull6rieures) !e m6rite
» d'iivoir, le pieniier, appel6 !'al(enlion des obser-
» valours sur un sympt6me imporliiiil et assez fr6-
» quciil de ralbuniinuric. Cede nole n'esl done
» point, (ant s'cn fauf, unc revendicalion de prio-
» iil(5 •, c'esl un l6moignage de plus h i'appiii des
» observations de noire habile confrere : adjiciamus
» auriim auto ».
ElTcdivement, raes observalions , qui loulcs onl
eu pour l6moii)s des confreres de Ucims ou des
environs, rcmontenl a 18V6 ; el, deux ans au moins,
avanl la publiralion de mon m6moire , j'avais parl6
de ce pli^nomene Ix mes anciens collogues MM. Tar-
dieu et Voilleuiier , en les prianl mfiiiio de T^ludier,
& foccasion, dans leur service des hfipilaux de Paris.
Les pauvres lienncni. plus que les riches k leur
modeste p6cule; aass" , mon savant confrere , M.
Dehout , Irouvera-t-H jusle que j'aie, en passant,
notlemenl r6solu la question de priorit6.
QiianI h la nole publico par M. le doctour Ance-
lon , dans V Union wi-dicale , je I'aurais examinee
avec loule ratleution que m6ii!e le talent bien connu
de Tauieur , si les renselgnements rolatifs i la vi-ion
n'avaieni (4k pris sous forme relrospeciive , c'esl-
5-dire cinq niois ai)res la giu'risou complete des
malades ; el si, d'aili'iurs ^ dans Tun de cos ras ,
I'albuuiiiie n'avait disparu au bout de 48 beures
de iraiiemenl , ce qui exclul Tid^e d'uue veritable
naladie de Bright.
A ce propos , je ferai de nouveau remarquer que ,
dafis mes conclusions, j'ai seulement par 6 de la
maladio de Bright , de la nephrite albumineuse ,
et nullement de I'alburainurie en g6n6ral , c'est-a-
— kh —
dire de ces 6ta(s oil Ton trouve aussi de ralbumine ,
mais en quan(ii6 beaucoup plus faible , el pendant
un (emps beaucoup moins long que dans la nephrite
albuniineuse.
Que si j'ai employ^ Texpression nephrite albumineu-
se, ce n'esl pas qu'elle exprime pour moi la nature de
I'affeclion , mais parce qu'elle esl pass6e dans la
languc m^dicale , el qu'elle correspond aujourd'hui ,
pour la pluparl des m^iecins, h eel ensemble d'al-
l(5ra(ions fonclionnelles el organiques que Bright,
Royer, Marlin-Solon , elc, onl si bien caracl6ris6,
el que j'ai presque loujours vu coTncider avec les
troubles de la vision.
Moins que personne, d'ailleurs , je crois b une
inflamraalion primitive du rein dans la maladie de
Bright, puisque le premier j'ai 6mis Topinion que
Talleralion de s6cr6tion ne d^pendail pus de la l6sion
du rein, mais la 16sion du rein de TaUfiration s6-
cr6loire, ou de la cause qui produit Tall^ralion
s6cr6toire.
Je ne dis pas , cependant , que dans certains
cas d'albuminurie Strangers h {'ensemble des ph6-
nomemes palhognomoniques de la maladie de Bright,
il n'y ait pas de troubles de la vision; un fait
recent me porterait m6me h croire que ce trouble
peut se manifester sous I'influence d'un tr6s large
v6sicatoire; je dis seulement que j'ai exclusive-
ment parl6 ju^qu'alors de la maladie de Bright
caract6ris6e; que je n'ai m6me cit6 que des cas
lr6s graves , et que plusleurs des faits consid6r6s
comme nfigatifs n'6taient probablement pas des ma-
ladies de Bright.
- 65 -
Sans me livrer , d'ailleurs, a cette discussion
qui, peul-6lre, n'a pas 6l6 inutile pour bien pr6-
ciser la question, j'aurais pu opposer h ces fiiils
n^galifs un nombre au moins (^gal de fails posilifs,
signal6s depuis mon mtmoire par MM. Roux k
Paris, Forget h Strasbourg, Florent-Cunier h
Bruxelles , Cucuel h AVisserling , Collard a Beine,
Charrois & Vitry, Brelonneau h Tours, etc.
Je pourrais en opposer de nouveaux dans lesquels
la coincidence de I'amaurose el de la nephrite al-
bumineuse s'esl monlr6e de la mani^re la plus
manifesle au d6bul el dans le cours de la maladie.
Celle coincidence, je I'ai observ6e , aujourd'hui
encore, avec M. le docleur Bienfail ; il y a quel-
ques jours, aV' c MM. H enrol el Wyslouch; ii y a
quelques mois, avec MM. Dec6s el Henrol.'
Si elle est une exception 6 Paris, elie est done
une r6g!e h Reims, et rafime une r6gle Ires g6n6-
rale, puisque parnii les fails, que j'y ai r^cemment
observes avec mes confreres , il ne s'est pas ren-
conlr6 une seule exception.
Ces exceptions de Paris doivenl du resle m'Clre
impulses, je le reconnais sinc^ireipenl ; car ayant
toujours vu dans mon premier travail, qui ne com-
prenail que des cas tr6s graves, les troubles de la
vue suivre les phases de Talbuminurie, j'en avals
induil une relation conslanle.
Les observaleurs qui exarainaienl d'aprfes moi ,
el qui voulaient imm^diatemenl de Tamaurose, puis-
qu'il y avail de Talbumine , pouvaient done logi-
quemenl conclure k I'absence de la coincidence, dans
les cas d'absence d'amaurose.
_ 46 —
Or, un fnil qui ressorl des observations de M,
le professeur Forget, cl de cellos que j'ai failes de-
puis, c'esl que I'amaurose ne suit pas d'une rna-
nieri> aussi rc^guliere que je Tavais p<"ns(^, les phases
de ralbumiiiurie. L'observation in>er6e plus hut
en est une preuve frappante. el j'ai fail la nn6me
remarque duns plusicurs aulres cas. Ain^i , chcz le
malade que j'ai vu . en consuUalion , avec mes sa-
vants confreres Dercs el Henrot, Ics troube'* de
la vue ont 616 Ids , a plusieurs reprices , qu'ils
rcndaienl impossible la lecture d'une siule ligne.
Le malade npcrccvail des points noirs , des nua-
ges, des soloils; lous les objets lui parais^aieut
confus. II n'en parla ccpendanl ni h ses parents,
ni h son m6decin, dans la craiiite , dit-il, d'ef-
frayer sa famille; e! ce n'esl qu'en voyanl rinli''r6t
que nous mcllions a connaitre lous les details de
la maladie , qn'il nous avoua que , pendant quel-
que temps, il avail craint de devenir aveugle.
Le jour do la consuUalion , le malade avail la
vue tr6s neite; la somaine suivante, il ne peut
parvenir a lire une lellre. Le jour oil je vais prendre
son observalion , il >oit parfailement , el lil sans
difficulle plusieurs phrases d'un journal de mi;de-
cine; le lendemain , il se plainl, de nouveau, des
sob ils , des nuages , des laches noires ; el lout
cela, sans relalion apprt'ciable ni avec I'^lat g6n6-
ral , ni avec I'oedeme . ni avec la quantity d'albu-
raine; sans le moindre trouble inlellectuel , sans le
moindre trouble des aulres sens; sans la moindre
alteration appreciable des milieux transparenls , ni
des pupillcs.
- hi —
Je reconnais done , avec M. Forget , que I'amau-
rose peul dispamiire, le d6p6l albumineux pcrsis-
lanl , raais jc mainliens nies aiilrcs conclusions
relatives h la frt^qiuMice de ce symplCme pendant
le cours de rafTcclion , et surlout an debut, Ainsi,
la maliidc que j'ai vue ce matin , avec M, le docleur
Bicnfait , a 6prouv{!! , il y a qualre ans environ,
un trouble de la vue tcl , qu'aitendant souvent,
sur le pas de sa portc, le retour de son niari ,
elle voyait dans la rue de grands rasst-niblcmenls,
la oil il n'y avait qu'une ou deux personnes. Plu-
siours fois, a cette 6poqiie , elle a consults pour ces
troubles de la vue, qui out nolablemcnt diminu6
sous rinlluence d'une saigiK^e, mais qui Tout empfi-
ch6e cependant de se livrer a aucune occupation Pen-
dant le premier quart-d'heure , elle voit parfaite-
menl pour lire ou pour coudre, mais ensuile la
vue se brouille compieleir.ent.
Or, celle malade consuilani il y a huif jours,
pour la premiere fois, M. Bienfait , au sujet d'un
oedeme aux jambes , lui dit que dopuis un an ses
uiines out une odeur el nne coulenr inaccontu-
m(^es ; qu'ellcs monssent d'une niani6ic exlraordi-
naiie, et qu'en vidaot le vase, la mou>'se reste
adb6renle aux parois ; el , ces details elle les donne
sponlan6ment , et avant d'61re inlerrog^e sur I'^lal
des urines.
Cel!es-ci sont , du reste , Ires brunes ; elles out
une forte odeur de bouillon de bcBuf , et donnenl
un d(!!p6t abondanl d'albumine , sous Tinfluence de
la chaleur et de I'acide azolique.
Ici , 6videmment , I'amaurose a 6t6 le symptdme
initial , le premier sympl6me appreciable de la ma-
- h?> -
ladie de Bright, dont la saign^e a peul-6(ie retards
le df^veloppemeul.
II en a el6 de rii6me dans la premiere observa-
tion de M. Forget [\). II en a et6 de nif-nie dans
celle de MM. Florent-Cunier (2) , dans celle de
M Collaid ^,3), dans cel'e de M. Ciicuel (4) , etc.
II en serail de nieme plus souvent , si , plus ^ou-
vent , les circonslances t^taienl a-^sez favo rabies pour
permettre d'^lablir , d'uiie maniere precise , lous les
ph^nomenes qui out prSc6d6 el accompagnS I'origine
de la maladie.
Que si j'iiisisle sur celle apparition dcs troubles
de ia vue au d6bul , ce n'esl pas assur^menl pour
la satislaction d'avoir d<!'couvert un prodrome de plus
h une maladie grave , mais parce que la nais^ance
de ce symplOme avanl I'anasarque doit, d'une part,
amener h d'autres id6es palhog(^iiiques sur la ma-
ladie de Briglh , et , d'une auire part , ^veiller acli-
vemeiil railenlion du pralicien au d6but de toule
amaurose.
Sous le rapport palhogt^nique , mes induclions de
Tann^e derniere se Irouvent dtja , en parlie , reali-
s6es par la belle d^couverle de M. Beriiard, qui rend
le rein Stranger au diabele ; el , sous le rapport
pratique , bon nombre de inalades qu'on eiil traites
I'an dernier pour Taccidont symptomalique , Tamau-
rose , sont trailSs maintenanl pour raccidenl prin-
cipal , la nephrite albumineuse.
(1) Union raedicale, novembre l849.
(2) Annates d'oculislique, 31 octobre 1849.
(3) Union medicale, 6 avril 1850.
(4) Id. n Janvier 1850.
— h9 -
Or, si I'on consii^re la gravil6 Je la maladie de
Bright, on avouera qu'il ri'est jamais (rop (01 pour
la comballre , et qu'on no saurail assez insislor sur
les symplOmes propres a la sigiia'er dfes son origine.
L'affaiblissemenl de la vue , signalc par le doc-
feur Frick de Ballinnore , cl par le docleur Bird dans
roxalurie , par M. Bouchardat dans Thippurie et
dans )a bcnzurie, ajouJe encore h Tinlt'rf't de cellc
queslion, cl coiifiruie pleinemcnt ma doctrine d'une
all6ra(ion nervcuso priinifive. Mais , on remarquera
la difference qui exisle enlrc les (roubles d(! la
vue coincidant avec Talbumine , et les troubles de
la vue coincidant avec le surre, Tacide bcnzoiquc,
hippurique , etc.
Dans le diabete , dans I'liippuric, dans la ben-
zurie, raCfaiblisscment de la vue coincide avec I'affai-
blissement g6n6ral de r^conomie : dans Talbumi-
nurie , il existe fr^qucmment avant tou!e deteriora-
tion des forces.
Dans le diabete , raffniblissement de la vue
augmcnie en meme temps que la maladie : dans
Talbuminurie , il diminne quelquefois pendant que
la maladie augmente.
Dans le diabete , raffaiblissement de la vue com-
mence souvent Ires lard; mois des qu'il a commence
il est permanent, graduel, uniforti^c; on peut presque
en prevoir les progres d'aprts rulieralion de i'urine :
dans ralbuniinurie, il commence plus souvent Ires
tot-, mais il est inconstant, irr6gulier, insidieux •
les progrfes du mal ne peuvenl faire prevoir les
progres de I'amaurose.
Hans le diabete , I'afFaiblissemcnt de la vue est
1. 4
— 50 —
proporlionne! h la qaanlil6 de Sucre : dans I'albu-
minurio , il est sans rapport constant avec la quantity
d'albumine.
Dans le diabele , il cxisfe souvent, surloul a la
tin , une opacii6 considerable de roeil : dans Talbu-
minurie , oi\ ne constate aucune modification appre-
ciable des milieux transparenls , ni m6me de la
pupille.
Dans le diabfele , enfin , le malade pent devenir
aveugle : dans Talbuminurie , la c6cil6 doit 6tre
une Ires rare exception (1).
Malgr6 ces dilTt^rences notables entre Tamaurose
albuminiirique et Taraaurose diab^tique, elles me
paraissent ^maner du mfirae genre d'all6ration pri-
miiive, c'esl-S-dire , d'une 16sion du systeme ner-
veux ganglionairc.
Maintenant, en quoi cnnsiste celle It'sion du sys-
teme nerveux ganglionaire?
Je ne reviendrai pas sur les hypotheses physio-
logiques 6mises dans mon premier m^moire, pour
expliquer ces troubles de la vue, et je me borne-
rai h r^p^ter que je pencherais pour une 16sion
(1) Je n'ai jamais observe d'amaurose albuiuinurique com-
plele. M. le docleiir Cuiiier cite, a la verile, un cas de cecile com-
Tjlele survenue chez un albutninurique, ruais coinme il existait de
nombrcus points opaques dans le corps vitre, il est a regreller
que le savaut oculiste n'ait pas dit si Ton avail recherche la
presence du sucre dans les urines de ce malade.
3'ai cite , en ellet , dans mon premier memoire, deux cas de
glucosurie et d'albuminurie simultanees , et je donne, en ce
moment, dos soins a un diabelique que M. Brelonneau a ega-
lement observe , el chez lequel j'ai plusieurs fois conslale de
I'albumine et dc Taraaurosc.
— 51 —
des filets ganglionaires issue d'une l6sion du Ir6-
splanchniqiic, et ayant pour consequence une alte-
ration secr6loire des fluides rtfringcnts (l).
CONCLUSIONS.
En rhumi ,
1° Les troubles de la vue sent un symp(6me pres-
que constant de la nephrite albumineuse ;
2" Ces troubles consijiuent une nouvelle csp6ce
d'aniaurose, qu'on peul appeler albuminuri(|ue;
3° L'amaurose a'bunainurique nc peut 6lre altri-
buee h la deterioration des forces;
4" Elle annoncc trSs souvcnl la mnladie, comme
signe initial , avant Tinvasion des autres accidents
pathognomoniques;
5" Elle parait, disparait et revient, sans suivre
exaclement les phases du depOt albumineiix des
urines ou de I'oedeme ;
6" Elle doit porter h consid6rer la nephrite al-
bumineuse comme le resultal d'une alteration du
systeme ganglionaire.
(1) M. Collard , de Beine , developpant cetle idee d'une alte-
ration secietoire des milieux transparents que j'ai indiquee dans
luon premier travail ( page il ), explique ( Union medicale ,
G avril ISSOj, le trouble de la vue dans l'amaurose albuminu-
riijue , « par {'hypersecretion des liumeurs de I'oeil , et surtout
» de I'humeur aiiueuse , qui augrapulerait subitemeiit la con-
» vergence des rayons lumineui; , ou pcut-etre emousserait ,
■> par la compression , la sensibilite de la retine. •
Cetle hypothese est d'autant |>lus admissible qn'elle rendrait
compte des variations IVequentes de l'amaurose , par les varia-
tions de I'hydropisie de I'oeil aussi mobile que I'hydropisie de
la face , du scrotum , des membres , etc.
La question serait assez facile a resoudre , d'ailleurs , ea
ctudiant Teffet des differentes lentilles sur l'amaurose albumi-
nurique , et je me propose de faire cet cxamen.
— 5^2
DE
L'EXALTATION DE L'OUIE
DANS LA PAUALYSIE DU NERF FACIAL [i)
Par &I. H. lASIDOUZY.
JFal^re les beaux travaiix de Savart el Flourens sur
I'audition, de Ch. Bell, Magendie , Berard, Longet , etc.
sur la septieme paire , un phenomene curieux et im-
portant est reste omis jusqua ce jour paries cliniciens:
c'est rexallation de Touie dans la paralysie du nert
facial.
M. le professeur Roux , rendant compte, il y a trente
ans a I'lnstitut, d'une hemiplegie faciale dont il elait
lui-meme le sujet , avail bien signale « un cbranlement
douloureux de la membrane du tympan par les sons un
peu forls ; » mais ce fait etait reste isole, et I'exaltation
de I'ouic n avail jamais ete notec par aucun patholo-
aiste comrae symplome de I'bemiplegie faciale , lors-
qu'il'y a deux ans, j'en fls Tobjet d'une communica-
tion verbale a la societe medicale de Reims.
Plusieurs observations nouvelles ayant, depuis , con-
firmc mrs premieres conclusions , on pent inscnre ,
aujourdlmi , Vexaltation de louie au nombre des signes
les plus frequents et les plus interessants de Tbemipl^-
gie faciale, independante de toute affection cerebrale.
(!) Comples-rcndus cie I'lnslilnt , noTerabie 1850.
— 53 -
Lc premier fait qui frappa mon altonfion rcmonte a
1840. Je galvanijais la septieme paire chez imc femmo
affectee d'hemiplegie faciale conseculive a i'action d'uu
courant d'air froid, et la malade ne sY'lait jamais plainte
d'aucune sensibilite de I'ou'ie , lorsque , remplaoant , un
jour, la pile a auges par la machine do Clarke, je vis
M™"^ . . . porter tout a coup la main a pon oreille , se
plaignant d'une sensation donloureuse du cole paralyse.
Je pensai qu'une secousse trop violente avail agi
jusque sur le nerf auditif, et je fis ralentir la rolation;
la sensibilite diminua , et elle avail cesse en meme temps
que la galvanisation , lorsque la machine de Clarke , etant
mise de nouveau en mouvement pour un amaurotique ,
la premiere malade accusa de nouveau une sensation
penible causes par le bruit de la machine du cote
paralyse.
Cette douleur que j'avais attribuee , quelques instants
auparavant , a I'excitation produite par le galvanisme ,
tenait done simplement a une exaltation de I'ou'ie du
cote paralyse.
Je m'expliquai cette exaltation de I'ouie par une
hyperesthesie du nerf auditif qui pouvait avoir ete affecte
en meme temps que le nerf facial , quoique d'une ma-
Diere differente, etje me promis d'eludier ce phenom^ne
curieux a la premiere occasion. Je I'avais presque oublie ,
lorsque recevant , quelques anuees apres , I'ouvrage de
M. Longet (1), j'y trouvai de ce fait une explication
physiologique beaucoup plus rationnelle, et je ne doiitai
pas ques'il avail echappe a I'attenlion dos pathologistes ,
c'est que I'hemiplegie faciale n'est pas tres frequente ,
et que la diminution de I'ouie paraissant, a priori ., plus
naturelle dans ce cas que I'exaltation , ce dernier [»he-
uomeue aura ete regarde comme un accident spi'cia!
au malade plutot qu'a la maladle.
(1) Anatomie et physiologie tiu systeine nerveiix, t. II, [>, 45't.
— 54 —
Eftt'Ctivement, j'ai observe depuis cette epoque cinq
aufres fails d'hemiplepie faciale ; M. Larrey , chiiurgien
en chef do Ihopital du Gros-Caillou, vient de m'en
adresser un sixieme , et , dans ces six nouveaiix cas,
rexaltation de iou'ic a ele des plus manifestes du cote
paralyse.
Le premier fait a trait a un voyageur , age de 25 ans,
qui vint me consulter le 2 Janvier 1846, pour une pa-
ralysie de la face, datant de huit jours. Ayant couru
assez longtemps pour rejoindre la diligence , il avail
ouverl le vasislas en remontant en voiture, et avail
dormi plusieurs heures. Le lendemain matin, il s'aptr-
^oil , seulemenl en se rasant , qu'il a le cote droit de
la figure completement dcvie. Un medecin mande aus-
sitol le conflrme dans Tidee qu'il est atleint d'une
attaque d'apoplexie due a la course qu'il a faile la
veille apres quelques exces alcooliques ; on le saigne
immediatement, et on ordonne les jours suivanls des
sangsues t'l I'anus, des pur^^atifs, uu vesicatoire au
bras droit , etc.
Ce traitement n'ayanl en rien diminue les symptomes
de la paralysie de la face , on engage le malade a
retonrner a son pays ; et, a son passage k Reims , il
vient me consulter, offranl tous les signes de I'hemi-
plegie faciale la mieux caracterisee.
Les traits sont fortement tires a gauche ,- le c6te droit
du front ne pent se plisser, ni I'oeil droit se fermer
completement. La vue et I'odoral sont a I'etat normal;
la luette ne parait eprouver aucune deviation 5 le gout
est manifestemenl diminue. Quant a I'ouie, elle est tene-
ment exaltee du cote paralyse, qu'en voiture M. X...
est force de prier ses cumpagnons de parler moins
haul, lant le bruit des conversations lui est penible,
et qu'a I'hotel il s'est resigne a prendre ses repas dans
sa chambre pour (jviter le bruit de la table d'hote.
Malgre mon desir de faire des epreuves comparatives
— 55 —
siir cliaque oreille, Ic malade parlant qiielques ins-
tants aprcs , JH n'eus que le temps de Ic rassurer el
de lui ccrire quelques conseils.
Je regrettais bcaucoup d'avoir ecliappe cette occasion
de posseder une observation complete, lorsque, apprenant
qii'un de mes collegues de IHOtel-Dien venait d'etre
atteint dune hemiplegie faciale ( novenibre 1848\ j-J
m'empressai de lui demander s'il oiprouvait quelque sen-
sation particuliere du cote de I'ouie. Voici sa reponse
textuelle ; « J'ai une telle sensibilite de rouie du cute
paralyse (cole gauche) que , malgre mon habitude d'en-
tendre les cris des ferames en couche , je suis oblige
de me boucherles oreillesoude me retirer dans une piece
voisine. Jl en est de meme des cris des enfants, de
I'aboiement des chiens et de tous les sons per^ants ou
exageres. Ainsi, passant liier dans une rue ou arrivait
un detachement de garde nationale , j'ai etc force de
retournor sur mes pas pour fuir le bruit du tambour. »
On congoit I'importance de cette remarque de la part
d'un medecin eclaireetdepourvu de toute idee precon(;ue.
Cette heraiplegie s'etait declaree chez le docteur D.,
un matin . pendant le dejeuner. Elle avail ete precedee
de violentts douleurs d'oreiile , rcpondant surlout au
niveau de I'opophyse mastoide. Ces douleurs avaient dure
environ q'latre ou cinq jours, et elles avaient comple-
tement cesse depuis deux jours quand survint I'hi'mi-
plegie. 11 n'existait aucune diminution dans la sensibilite;
aucune modification appreciable du goiit ni de i'odorat.
Le globe de Toeil etait douloureux au toucher ct la
vue un peu moins bonne.
L'hemiplegie dura six a sept mois ; mais , au bout
de trois mois, rexaltalion de I'ouie avait completement
cesse. Ce dernier symptome reparut tout a coup , vers le
15 aout de cette annee , sans recidive de paralysie
faciale. Nous reviendrons plus loin sur cetle circuns-
tance.
— 5G -
Quclque leuips apres f fcvrier 1849), les internes de
I'Hotel-Dieu in'avertirent qu'il y avait , depuis im inois ,
une paralysie de la face dans les salles de M. le docteur
Pelit. C'elait une jeune fille de Pevy , agee de neuf
ans , ct qui etait eiitree a I'hOpital le 24 Janvier.
Vuici les details que donne cette enfant sur le commen-
cement de sa maladio : je les transcris textuellement
des notes prises^ duvant moi , par M. Oudinet, interne
du service :
« I.e dimanche qui a precede mon entree a THOtel-
Dieu, ma nourrice (la petite maiade est une enfant trou-
vee) o'cst aperf'ue que j'avais la bouohe de travers. Je
me portais parfaitement bien la veille, et je m'etais
toujours tres bien portee.
)' Je coucliais dans un pelit cabinet terrasse par un
jardin ; nous etions deux dans le menie lit ; j'ctais
dans la ruelle , et le cote qui s'est paralyse etait ha-
bituellement tourne contre le mur.
» Le dimanche matin , ma nourrice m'a demande
pourquoi je fai?ais des grimaces -, j'ai repondu que je ne
savais pas, que je ne faisais pas de grimaces. Elle m'a
montre alors dans un miroir que j'avais la bouche toutc
tournoe, et le medecin qui est venu a declare que c'etait
une paralysie, et qu'il faudrait m'envoyer a I'Hotel-Dieu.))
— Avez-vous toujours entendu egalement bien des deux
oreilles?
— « Aussitot que j'ai ete paralysee , j'avais comme un
carillonnement dans les oreilles quand on me parlait,
Des le premier jour , je demandais a ma nourrice
pourquoi elle parlait si liaut , et pourquoi ga me carillon-
nait si fort. »
Etat actuel. Sensibilite normale dans toute la face ;
deviation prononcee du cote gauche du visage vers le
cote droit, meine a I'etat de calme complet. Deviation
beaucoup plus prononcee quand I'enfant parle , et
— 57 —
surtout quand ' elle rit. Impossibilitc de feriner com-
pletement Tceil gauche. Larmoiement liabituel , surtout
sous Tinfluence de la lumiere.
Deviation dj la luette du cotu non paralyse. Deviation
de la langue du cote paralyse, malgre Ie5 cITorts" que
fait Tenfant , sur nos instances , pour la tirer on ligne
droite ; mastication diflicile ; aucune alteration appre-
ciable du goiit ni de I'odorat 5 motilite etl sensibilite
parfaites des membres et de toutes les autres parties
du corps.
L'enfant , interrogee de nouveau sur I'etat de I'ou'ie
repond que la parole, merae ordinaire, resonbe plus
fortcment du cote paralyse. 11 en est de meme du tic-tac
d'unegrosse montre quej'applique alternativement contre
chaque oreille.
A dessein, je dis a l'enfant qu'elle n'est peut-etre
pas bien certaine de ce qu'elle rap[;orte 5 qu'elle devrait ,
au contraire, entendre moins bien du cote de la para-
lysie ; ses reponses sont toujours aussi precises et aussi
aflirmatives.
Sachant I'hemiplegie deja ancienne, et ne maltendant
pas a trouver de difference dans I'audition des sons
ordinaires , j'avais apporte un pistolet. Une simple cap-
sule est tiree par linterne derriere renfant, a son
insu , et , immediatement , elle porle la main a I'oreille
gauche, se plaignant d'un retentissement beaucoup plus
fort de ce cote,
L'epreuve est recommencee deux fois avec le meme
resultat.
Apres le troisieme coup , I'eufant entend moins dis-
tinctement la parole du cOte gauche que du cote droit.
Cinq minutes apres le troisieme coup , le bourdon-
nement persiste encore du cote gauche et u'existe plus
du cole droit.
Dans I'observation suivante que j'ai prise avec i'aide
~ 58 —
tie SI. Deces flls, el^ve distingue de notre ecole, I'exalta-
tion de I'ouie , quoique se manifestant seulement sous
rinfluence de bruits plus violents, n'a pas ete moins
tranchee :
Le nomme F..., age de 30 ans, gar^on meunier
au moulin a eau d'lsles-sur-Suippe , jouissait de la
nieilleure sante, lorsqu'un soir, a son retour de Reims,
oil il venait d'assisler a I'inauguration de la statue du
raareclial Drouet, il s'apercut qu'il avail le cots droit
de la face paralyse.
II ne sail s'il a ete expose a un courant d'air, s'il
a ete refroidl, etc., mais, quoique ses souvenirs soient
assez confus, 11 est certain qu'il n'a eprouve aucune
douleur, et que c'est seulement en se voyant dans
la glace , ct en inangeant , qu'il s'est aper^u de sa
maladie.
Le 5 Dovembre, le malade, quoique eprouvant deja
une amelioration trw notable, m'est adresse par mon
confrere, M. Urban, qui mc savait occupe d'un travail
sur ce sujet.
Etat actuel. Sensibilitc et mouvements naturels dans
tous les membres •, scnsibilite egale des deux cotes de
la face 5 sensibilite plus vive de Tocil droit quo de I'ceil
gauche, epiphora a droite ; prononciation difficile; de-
viation tres marquee de la commissure labiate et de
I'alle du nez, qui sont forteraent tires a gauche.
Deviation notable des piliers droits, sans deviation de
la luelte ni de la langue.
Le malade ne pent ni plisser le cote droit du front,
ni fermer I'ceil droit, ni porter les levres a droite, ni
soufilt^r, ni sifller.
La mastication est longue, difficile, et F... est oblige
de pousser les aliments avec le doigt pour debarrasser
les arcades dentaires du cote paralyse. Le gout et I'odorat
ne sont pas sensiblement modifies.
— 59 —
l.'ouie parait egale des deux cOt^s; F... a continue ses
travaux au moulin sans faire aucune attention au bruit
des enyrenages.
La detonation d'une capsule derriere lui, dans mon
cabinet , produit la meme resonnance dans cliaque
oreille.
Un premier coup de pistolet charge a poudre produit
une resonnance forte du cote paralyse.
Cette resonnance exageree du cote paralyse estbeaucoup
plus marquee au deuxieme et au troisieme coups, et
produit, dans I'oreille droite seiile, un retentissement
durable.
Au quatrierae et au cinquiemn coups il n'y a plus de
difference au moment de la detonation, mais le reten-
tissement dure toiijours du cote paralyse.
Galvanisation pendant cinq minutes, I'excitateur ne-
gatif etant place au niveau du trou stylo-niasto'idien, le
positif etant promene sur tous les muscles animes par
la septieme paire.
Apres la galvanisation, deux coups de pistolets pro-
duisent, dans chaque oreilie , une resonnance egale,
mais le bruissement est toujours beaucoup plus marque
et beaucoup plus durable du cote paralyse.
Le 14 novembre, F... vient me revoir. La paralysie
a notableraent diminue sous rinflucnce de I'electrisation ;
cependant la deviation de la commissure labiate est
encore prononcee meme a F'tat de repos complet de la
physionomie, et il existe encore plus d"un demi-centi-
metre de diametre entre les paupieres, malgre les etforts
du malade pour les fermer.
Deux coups de pistolet resonnent dune maniere egale
dans les deux oreilles , et le retentissement n'est pas
plus durable d'un cote que de I'autre.
Voici, on pen de mots , le dernier fait que j'aie en
occasion d'observer :
— 60 —
line jeune fille de Verzenay, agee de wept ans, dont la
sante avail toiijours ete bonne jusqu'alors, ressentit pen-
dant deux jours de violents maux de tete , auquels on
ne put trouvor de cause appreciable. Les deux jours
suivanta s'etaient passes sans aucun malaise, sans aucune
souffrance , quand , tout a coup , elle fut prise, dans
I'oreille gauche, de vives douleurs qui durerent trois
jours et trois nuits, et qui furent suivies, le quatrieme
jour, d'une paralytic du cote gauche de la face.
Aujourd'hui, 28 aoiit, c'est-a-dire, un mois apres le
debut de la maladie , Themiplegie est pen apparente
quand la physionomie est a I'etat de caline complet; mais
I'enfant vient-elle a parler, a rire, et surtout a pleurer,
que la dilTormite reparait avec les signes les plus carac-
teristiques.
Malgre les efforts de la petite malade pour fermer les
yeux, il reste pres d'un centimetre d'ouverture entre les
paupieres du cote paralyse.
La mastication est difficile, en raison du sejour des
aliments en dehors des arcades dentaires gauches.
Aucune deviation de la luette, ni des piliers, ni de
la langue.
Aucune modification appreciable du goiit ni de lo-
dorat (1).
Louie parait egale des deux cotes, pour la perception
de la parole et des bruits ordinaires. L'enfant ne s'est
pas apcrQue de la moindre difference k cet egard, ni
au debut de la paralysie, ni depuis.
(1) Mes recherches ne portaiit pas sur ce point delicat de I'his-
toire de I'hemiplegie faciale, je m'en suis rapport6 simplement a
la declaration des malades, sans faire aucune de ces experiences
qui e\igenl du temps, de la precision, et dont il eul ete diflicile,
d'ailleurs, de lirer des conclusions cerlaines chez les deux pe-
lites filles. II faudrail done n'invoquer qu'avec reserve mes ob-
servations, sous le rapport de I'elat du gout et de I'odoraldans
la paralysie de la septieme paire, et ne considerer ces resullats
que conime I'cxpression des sensations ordinaires des malades.
— 61 —
Mon estimable confrere M. Mozer, de Verzy, qui
donne des soins a la malade, et M. A. Mennesson, eleve
de I'liupital de Lille, observent avec moi les resullats
suivants :
Un coup de pistolet , tire ii deux pas dorriere la
malade , cause une impression douloureuse seulement
du cOte paralyse.
Un deuxieme coup, cbarge un peu plus fortement,
produit une impression plus douloureuse encore du
menie cote .
Un troisieme coup produit absolummt le memo effet.
Cinq minutes apres le dernier coup , la resonnance
dure encore du cote de I'hemiplegie -, il n'en existe
aucun vestige du cote oppose , et elle disparait com-
pletement quelques minutes apres.
L'enfant nous quitte pour assister h. une grande revue
de garde nationale. An moment du passage des tambours
d'un bataillon, elle entraine ses parents d'un autre cote,
se plaignant d'une sensation penible uniquement dans
I'oreille gauche.
Le soir, quand l'enfant revient me voir, elle se
plaint encore de la persistance de cette sensation.
J'insiste beaucoup sur mes questions, en lui disant
qu'ayant entendu , pendant plusieurs heures , lo bruit
des tambours (c'otait le jour du passage du president
de la Republiquej^ elle doit eprouver du bourdonnement
dans les deux oreilles, et elle persiste a assurer quelle
ne ressent absolument rien dans I'oreille droile.
J'en etais la de mes observations, lorsque parcourant,
11 y a quelques jours, le compte-rendu dune seance
de la societe medicale du 10'= arrondissement de Paris (1),
j'y vis que M. H. Larrey avait, dans son service du
Gros-Caillou, un militaire affectc d'hemiplegie faciale
(1) Union medicah du 2i seplembrc i860.
— 62 —
avec alteration du goflt et de I'odorat. J'ecrivis inimo-
diatement h mon savant confrere , en le priant d'exa-
miner ce malade sous le rapport de Touie , et j'en regus
la reponse suivante :
« Je m'empresse de vous adresser I'observation que
») vous Youlez bien me demander et que je voudrais vous
» offrir avec plus de developpement. EUe laisse a desirer
» sous quelques rapports , parce que mon aide de cli-
» niqiie , M. Savy, qui I'a recueillio, a ete force de
» quitter le service pendant un mois ; mais, bien qu'elle
» toit incomplete , elle vous sujftra , j'espere , pour con-
» firmer la remarque interessante que vous avcz faite ,
)) sur V exaltation de I'oute du cole paralyse de lajace.
» Ce phenomene avait singulierement frappe mon atten-
M tion , lorsquej'ai , a plusieurs reprises, insistc aupres
» du malade , pour en constater la realite. Je regrette
» seulement de ne pouvoir plus faire les experiences de
)) deltonation que vous me conseillez, puisque le malade
» est sorti de I'hopital au mois de juin. 11 etait, sinon
» gueri , du moins en voie de guerison assez prononcee,
» pour que I'hemiplegie restat pen appreciable , en meme
» temps que la faculte auditive avait recouvre , a peu
» pres , son etat normal. »
f( Voila, mon cher confrere , ce que je puis ajouter
» a la note ci-joinle. . . u
« Hemiplegie facialc^ Thevenin , soldat au 25« de ligne,
B entre a I'hopital du Gros-Caillou le 25 avril 1850,
» (service de M. Larrey). Ce militaire etait atteint d'une
» carie dentaire pour laquelle on lui a enleve deux
» dents , six semaines avant son entree a I'hopital.
>) Depuis lors, et sans autre cause appreciable , il est
)) survenu une paralysie complete du cote droit de la
» face. La maladie a debute brusquement ; elle a existe
» quelques heures sans que le malade en ait eu cons-
» cience ; ses amis I'en ont fait apercevoir. 11 n'a
» ressenti ni malaise, ni cephalalgia , ni douleur; seu-
— 63 —
)) Icrnent la region parolidienne du cote droit est seii-
» sible , et un peu tumefiee.
» Tons les muscles du c6te droit de la face, auxquels
» le nerf de la septieme paire fournit des rameaux ,
» sont plus ou moins affecles ; ainsi le muscle sour-
» cilier , et la partie anlerieure de roccipito-frontal ,
» cessant de se contracter , on remarque que le sourcil
» est situe plus has que celui du cote oppose , et qu'il
» est incline vers la ligne mediane ; la moitie corres-
» pondante du front ne peut plus se rider. Le muscle
» orbiculaire de la pauplere etani aussi paralyse ne peut
» plus conlrebalancer Taction de I'elevaleur , aussi le
)) malade cesse de pouvoir clore I'ccil ; la paupiere
» supcrleure s'abaisse davantage , et I'inferieure se ren-
» verse legerement en dehors , il suit de la que les points
» lacrimaux , I'inferieur surtout , etant parfois devies ,
» il existe un epiphora. Tous les muscles qui meuvent
» le nez participent a la paralysie. La narine du cote
» droit est privee de tout mouvement et ne peut plus
» se dilater pendant les inspirations. La levre superieure
» du cote droit est un peu tumefiee , mais sans devia-
» lloii. La laiigue a conserve sa forme et sa direction
1) normales ; la moitie de cet orgaue a perdu toute sen-
» sation de sapidite , le malade accuse de la fraicheur
» dans cette partie.
» Une particularite a noter dans cette observation ,
» c'est I'exaltation de I'ouie ; depuis le developpemeiit
» de la paralysie, I'ouie a acquis une finesse tres grande
B le malade percoit les moindres bruits a une grande
B distance.
•0 Thevenin est d'un temperament sanguin , il u'a
» jamais eu d'aflection syphilitique ; il a ete atteint ,
» peu de temps apres son entree au service, dune
B carie vertebrate pour laquelle il a etc soigne a I'hos-
» pice de Lyon , et dont il ne reste aucune trace.
B Traitement : Saignee de 400 grammes; ventonses
— 64 —
» s^arifiees , vo^icatoires et moxas a la nuque 5 sangsues
» derriere Ics orcilles; vcsicatoires a la region tempo-
)) rale ; fumigations emollientes dans la bouclie , et sur
» le c6te de la face paralyse ; embrocations liuileuses ,
» leger massage , etc.
» Le inalade sort du Gros-Caillou , en \oie de gue-
)■> rison , dans le courant de juin. d
Voila t'onc , en y comprenant, quoique retrospectives,
les observations de M. Roux, et de ma premiere malade,
huit cas d'hemiplegie faciale, dans lesquels I'exaltation
de Touie s'est manifestee de la maniere la plus precise,
la plus conslante et la plus regulierc du cote paralyse.
Apres Ics beaux travaux de Savart , Tiedemann , Miiller
et Longet , I'expiication de ce pbenomene est de la plus
grande simplicite.
Fn effet , les experiences de Savarlsur I'audition prou-
vent qu'a bruit egal , les vibrations sont moins fortes et
moins etendues dans les membranes a I'etat de tension
que dans les membranes a I'etat de relachement.
Pour la membrane du tympan , en particulier , le
savant professeur du college de France a demontre (1)
que les grains de sable dont on la recouvre, apres avoir
fait avec la scie une section parallele a sa face externe ,
sont mis en mouvement par un disque en vibrations, si
elle est abandonnee a elle-meme , tandis que ces mou-
vements du sable sont a peine appreciables , si, la caisse
du tambour etant ouverte , on vient a faire agir le muscle
interne du marteau , et par consequent a tcndre la mem-
brane (2).
(1) Savarl. — Recherches sur les usages de la membrane du
tympan et de I'oreille externe , lues a I'lnslitut le 29 avril 1822.
(2) Jlon savant ami , le docteur Longet , en portant a 3 on 4
centimetres I'elevalion des grains de sable sur la membrane
du tympan en Tibratiou , a confondu les experiences faites
SUV le tympan de I'homme avec les experiences failes sur une
— 65 —
Or , le muscle interne ilu inarleau , c'est-a-dire le
tenseur de la membrane du tympan , recevant ses nerfs
du ganglion otique qui lui-meme regoit sa racine motrice
du facial ou du nerf intermediaire , on comprend qu'une
paralysie du facial, a son origiue. entralne une para-
lysis du muscle interne du marteau, de-la un relache-
ment de la membrane tympanique ; de-la , enfin , une
exaltation de louie.
Mais le nerf intermediaire de Wrisberg etant , d'apres
M. Longet , independant du facial , et la braache qui se
rend au muscle interne du marteau , apres avoir traverse
le ganglion otique , paraissant emerger de ce nerf inter-
mediaire , plut6tque du facial, comme nous le supposions
tout a I'heure , I'babile experimentateur se fonde et sur
cette disposition anatomique , U sur Ics hypotheses les
plus vraisemblables pom- admctlre que le nerf interme-
diaire constitue un nerf particulier destine aux muscles
de Toreille moyenne.
<t L'origine de cette pretendue petite racine dujacial,
» ajoute M. Longet, et surtout son union intime avec
» le nerf acoustique , tendent a me confirmer dans cette
B opinion . de laquelle il resulterait qu'il faudrait faire
n dependre la lesion precedente de I'ouie du nerf inno-
» mine. »
Or cette lesion , c'est la susceptibilite anorraale de
I'ouie , dont M. Longet ne trouve qu'un seul exemple
( celui de M. Roux en 1821 ) , mais qui , d'apres ce savant
meiubrane mince , d'un centimetre de diamelre, placee a I'ori-
fice d'un tuyau couique.
Effeclivemeut, sur cetle derniere membrane les grains de sable
sonl lances a une hauteur qui surpasse souvent 3 ou 4 cen-
timetres ; mais , d'apres les experiences de Savart , ils ne s'ele-
vent jamais a plus de deu\ millimetres sur la membrane de
I'homme , ni a plus de quatre sur celle du veau , qui est
deux fois plus grande.
I. 5
— 66 —
physiologiste , a a du se reproduire un certain nombre
de fois » (1).
Eh bien ! ici encore , I'observation medicale semble
venir confirmer les inductions de ranatomie et de la
physiologie.
En effet, si la membrane du tympan est tendue
sous I'influence du nerf innomine , ct si ce 7ierf inno-
niine (2) est independant du facial ; si c'est un nerf a
part , ayant sa fonclion individuelle , il pourra ctre
paralyse isolement , et , dans ce cas , rexaltalion de
I'ouie pourra se manifester en I'absence de paralysie
du nerf facial.
Or , c'est precisement ce que j'ai observe , I'an der-
nier, smr un jeune homme de Fismes tres intelligent ,
M. L , qui rendait compte de ses sensations avec
une grande precision.
« 11 y a deja quatre ans , me dit M. L , que je
souffre d'une susceptibililc de I'ouie des plus bizarres ,
et souvent des plus incommodes. Cette susceptibilite
m'est survenue sans cause connue , en pleine sante. Au
retour d'un voyage assez long , j'eprouvai dans I'oreille
droite un engourdissement , sans douleur , qui disparut
aprcs huit jours de duree.
» Six mois apres (Janvier 1847 ), a la suite d'un
concert oii le bruit des instruments de cuivre m'avait
douloureusement affecte I'oreille droite , le meme engour-
dissement reparut et persista pendant deux mois.
^) Depuis cette epoque , j'eprouve par intervalle , tou-
jours du cote droit, et particulierement sous I'influence
du froid, une exaltation de I'ouie qui me rend les
moindres bruits tres penibles.
(1) Anat. et phys. du sys. nerv. I. 2 , p. 454.
(2) Nerf intermediaire , nerf de Wrisberg , pelile racine du
facial , nerf moteur lynipanique de Longet , etc.
— 67 —
» I.orsque I'exallation de I'ouie vient a disparaitre ,
il se produit le plus souvent une douleur dans Toeil
gauche ; aussitot que rexaltation de I'ouie reparait ,
Tcell cesse d'etre douloureux. Jamais ces deux circon-
stances ne se manifestent en rneme temps. J'ai pense
que cette affection pouvait etre causee par une dent
malade , mais les demarches que j'ai faites pres d«
dentistes habiles n'ont arnene aucun resultat. Enfln ,
c'est un phenomene que je me suis etudie a bien con-
stater et qui reste tout a fait isole et independant de
la sante generale.
» Si , par exemple , j'entends de pres un coup de
fouet , je souffre cruellemcnt pendant plusieurs heures.
C'est ce qui m'est arrive, ii y a quelques jours. Comme
je passais dans la grande rue de Fismes, un roulier se
mit a claquer son fouet a deux pas de moi 5 j'en souffris
tenement que je fus oblige de me coucher aussitot,
et de me metlre une gourmette, ce qui me soulage or-
dinairement. Le lendemain matin j'en souffrais encore.
» Ce qui m'etonne surtout, c'est qu'a la chasse les
coups de fusil tires par les autres me produisent une
impression tres penible, tandis que celte impression est
presqae nuUe si je tire moi-meme. Cela ne m'empeche
pas de chasser, mais je suis oblige de m'eloigner beau-
coup de mes compagnons, el de me mettre a contre-vent
de leurs coups.
» La simple sonnette de la salle a manger me resonne
peniblement dans I'oreille droite. »
J'ai interroge et examine avec le plus grand soin ce
jeune homme , ii n'offre pas et n'a jamais offert la moin-
dre trace d'hemiplegie faciale.
Les oreilles examinees au speculum sont dans I'etat le
plus normal.
II n'existe ni deviation de la luetic ou des pilicrs, ni
angine.
La vue, le gout, I'odorat sont egaux des deux c6tes.
— 68 —
Je ne connaissais que ce seul fait d'hypercou&ie isolee ,
et independante de I'hemipk'gie, lorsque, consultant, il
y a quelques jours, M. lo docteur D... sur la partie
de ce memoire qui la concerne, j'appris de lui que cette
exaltation de I'ouie qu'il avait eue pendant trois mois,
en 1848, avait reparn, cette annee, au mois d'aout,
du nicme c6te, mais sans aucune douleur antecedente ,
sans aucune recidive de I'hemiplegie faciale, sans aucun
symptome qui put meme faire soupQonner une dimi-
nution dans I'activite de la septieme paire. Cette fois,
comme la premiere , notre confrere etait oblige d'eviter
les bruits intenses, celui du tambour, par exemple. et de
se boucher les oreilles pres desfemmes en travail, tant le
retentissement etait douloureux du cote gauche. Cette
exaltation de ronie disparut graduellement, dune maniere
spontanee, au bout de six semaines, sans laisser aucune
trace.
Quoique ces deux fails soient , peut-etre , les seuls
consignes dans la science (1), lis doivent avoir des
tl) Non seulement Hard ne cile pas un seul fait d'hyper-
cousie bornee a un cole , mais il ne rapporteque par souvenir
deux fails d'hypercousie idiopalhique. Voici , du reslc , les seuls
mots qu'Ilard ait consacres a ce sujet : « La premiere espece
» [hypercousie idiopalhique) est fort rare; je n'ai pu en re-
» cueillir que deux exemples , encore ne les ai-je pas eus sous
» mes yeux : I'nn est tire d'un memoire a eonsuller qui me
» ful adresse par un avocat de province; et I'autre. de la
» relation or;>le qui m'en fut I'aile par la malade eile-meme
0 longtemps apres qu'elle eut eprouve cette indisposition. »
Traite des maladies de roreille et de Vaudition. Derniere edi-
tion , tome I , page 353.
Une chose surprenante de la part d'un praticien aussi serieux
qu'Ilard , c'est que , centre cette hypercousie idiopalhique qu'il
n'a jamais observee , il a neamoins un Iraitement tout pret !
Ce sont les vapeurs d'ether , I'iDstillation d'huile de lys , et
tous ces petits moyens qui ne seraient que ridicules . s'ils
n'avaipnt le grave inconvenient d'habiluer le medecin a croire
~ G9 —
analogues, et ils no tarderonl pas a si; pre^onter aiix
observatears, maintenant que I'altenlion va ctre cveill(''i!
sur ce point.
Nul doute, d'ailleurs, que plusieucj de ces exaltatiuns
de Touie, considerees, par Hard et par d'autres auteurs,
comma symplomatiques d'alfeclions nerveuses , ne,
tinssent a un relachement simple ou double de la mem-
brane du tympau ; car, bien que je ue puisse invo{iuer
aucun cas de ce genre etendu aux deux cotes , il n'y a
aucunc raison pour que les deux nerfs accessoires de
Wrisberg ne se trouvent paralyses en memo temps.
Sans vouloir tirer des deux observations que je viens
de rapporter des conclusions formeller, il est done diffi-
cile de ne pas voir la une paralysie du mu?cle interne du
marteau ; et comme toules les parties animees par la
septieme paire etaient, dans ces cas, a I'etat normal ,
on pent en induire que la branclie motrice du tympau
ne procede pas du facial , inais qu'elle procede dun
tronc isolc et capable de se paralyser isolement.
D'un autre cote, chez tons les malades que j'ai pu
suivre , Texaltation de I'ouie ayant com])lctement dis-
paru bien avant la disparitio:i de I'hemiplegie faciale,
n'est-on pas en droit de conclure que ce symptome n'e-
tait pas sous la dependance de la septieme pairei'
On pourrait objecter, a la vcrite, que c'est par la partie
la plus rapprochee du point d'emergence que les nerfs
recouvrent I'influx nerveux, ct que la branclio motrice du
reinplies loules les indicalions therapeuliqiies , par cfla seul
qu'il u [(lesciil qiielq\ie rernede banai, avaiil nicine de ^avoir an
juste oil est le mal et (]nel!e est la cause du nial.
* M. Huberi-Valleroux {Essai sur h's malailies d'oreille. —
Paris, 1846,) se borne a rapporter les deux exoiiiiiles cites par
Hard dans la note ci-dessus
* QnnnI a hiainer(7Vrtjfe sur les maladies d'oreille, Iraduit /.nr
M''n!,'rc, I.SiS,) il ne dil pas mi soul mot de i'hypercousic.
— 70 -
lympan , nyidsant au niveau du premier eoiide du facial,
doit recoiivror son activile avant celles qui naissent au
niveau du trou sfylo-mastoidien.
On pourrait objocter aussi , d'une part , la rarete de
ce genre d'exallation de I'ou'ie en rabsence d'hemiplegie ;
rarete telle que les deux faits precedents sont peut-etre
les seuls inscrlts dans la science; et, d'une autre part, la
frequence de cette exaltation concomitante de I'hemi-
plegie-, frequence telle que, sur sept cas consecutifs, je
I'ai notee sept fois. Mais, si I'on considere que le nerf
intermediaire se confond avec le facial par ses radicules
originelles, qu'il s'engage avec lui dans I'orifice interne
de I'aqueduc de fallope, qu'il fournit au ganglion otique
uno branche qui doit elre motrice, puisque ce ganglion
a deja une branche sensitive ; si I'on considere, en outre,
qu'ayant, en partie, le ni6me trajet que le facial et la
meme texture intime , il doit parliciper aux memes
influences , on concevra qu'une cause capable d'ugir sur
la septieme paire agisse en meme temps et de la meme
maniei-e sur le nerf intermediaire, que probablement , un
jour, on appellera huitieme paire.
En effet , cinq nerfs principaux se ramifient dans
I'oreille : le trifacial , le facial , I'acoustique , I'inter-
mediaire , ct le glosso-pharyngien.
L'acoustique et le glosso-pharyngien etant des nerfs
de sensations speciales , et le trifacial iin nerf de sen-
sibilite , il est tout naturel qu'ils ne soient pas soumis
aux memes influences morbides que le facial , nerf
moteur , et qu'ils restent actifs pendant que celui-ci
est paralyse. Mais le nerf intermediaire etant , ou , du
moins , paraissant etre un nerf de mouvement, et , de
plus , se Irouvant accole au facial , on ne pent s'eton-
ner qu'il soil frappe en meme temps que lui, par la
meme cause que lui , et d'une maniere identique.
(.'observation et I'induction pathologiques me parais-
sent done justifler pleinement les inductions physiolo-
— 71 —
giqucs (le M. Longet sur I'existence d uii nerf moteur
tympanique , agissant sur la membrane du tympan ,
pour la souslraire a Tinfluence des sons trop violent^ ,
comme la Iroisieme paire agit sur liris , pour la sous-
lraire a une lumierc Irop vive.
Quoiqu'il en soil do ces donnees physiologiques , sur
lesquelles je ne veux pas insister davantage , car c'est
surtout au point de vue clinique que je parle, I'exal-
talion de I'ouie doit etre, maintenant, consideree comme
presque constanle dans la paralysie de la seplieme paire.
D'une part, ce nouveau phenomene complete I'histoire
symptomatologique de I'hemiplegie faciale.
II confirme le diagnostic , en eloiguant I'idee de toute
compression cerebrale.
II indique que la lesion originelle nest pas situee
au-dessous de I'intumescence gangliforme du nerf fa-
cial (I).
D'une autre part , il etablit I'cxis'ence d'une maladie
meconnue jusqu'ici , I'hypercousie independante de toute
autre affection , rhyporconsie qu'on pourrait appeler
idiopathique , si ce mot avail une signification bien
determinee.
Ai-je besoin de dire qu'on ne confondra jamais celte
exaltation speciale de I'audition avec I'extrcme sensibilite
qu'on observe , tons Ics jours , dans un grand nombre
de maladies aigues , dans la plupart des affections ner-
veuses , et a laquelle on donne le nom d'hypercousie ,
paracousie , etc. ? Outre que , dans tons ces cas , la sen-
sibilite de I'ouie existe de chaque cote , elle s'accom-
(I) En effet , ijuelle que soil la verilable origine de la branclie
motrice du muscle inlerne du luai leau , c'esl-a-dire , soil quelle
precede du facial, soil qu'elle pincede du nerf de Wiisberg,
c'est loujours au niveau de rintiimescence gangliforme qu'elle
prend naissance, pour se readie de la au ganglion clique.
c.
— 72 —
pagne , le plus souvent , de croubles analogues dans les
autres sens , et revet , d'ailleurs , les caracleres d'in-
termittence et d'irregularite des nevroses qu'elle accom-
pagne.
CONCLUSIONS.
Sous le rapport pathologique.
1" L'exaltation de I'ouie , du cote paralyse , est un
symptome presque constant de I'hemiplegle faciale in-
dependaute de toute affection cerebrale.
2° Cette exaltation parait en meme temps que I'he-
miplegie, et disparait avant elle.
3" Elle doit etre attribuee a la paralysie du muscle
interne du marteau.
■lo Elle indique que la lesion nerveuse n'est pas situee
au-dessous du premier coude de la seplieme paire.
6° Elle peut exister en I'absence d'hemiplegie faciale.
6" Qu'elle coincide avec I'hemiplegie, ou qu'elle en
soit independante, elle disparait spontanement, com-
pletement, et dans I'espace de quinze jours a trois mois.
7" Pour en constater I'existence , il est quelquefois
necessaire d'impressionner I'ouie par un bruit eclatant et
d'autant plus intense qu'on s'eloigne davantage du debut
de I'affection.
8° Un traitement special sera presque toujours inutile.
Dans le cas ou il deviendrait necessaire , il consisterait k
tamponner I'oreille du c6te paralyse, et meme des deux
cotes, pour dirainuer Taction des ondes sonores ; a
dinger , avec prudence , quelques douches froides ou
logerement astringentes sur le tympan : et , enfin , a
— 73 —
galvaniser, au besoin, le nerf facial , ou la membrane
du tympan (1).
9" Sous le rapport physiologique , cette hypercousie
dependante ou independante de I'hemiplegie parait
confirraer les inductions de M. le docteur Longet sur
le nerf intermediaire, qui devrait etre considere comme
nerf moteur tympanique, remplissant , pour louie , le
role du nerf moteur oculaire commun pour la vue.
(1) Dans le cas d'hemiplegie, le galraaisme agirait en m§me
lemps conire les deux maladies ; et dans le cas d'hypercousie
independante, raclion eleclrique s'etendrait, par la connexion
des deux nerfs, jusqu'a rinterniedlaire.
La gaWanisation du conduit auditif , et surtout de la mem-
brane du tympan, doit elre faile , d'aillcurs , avec les plus
grandes precautions; je connais un cas de perforation du tym-
pan par I'electricite.
- Ill ~
RAPPORT DE M. MAUMENfi
SUR LE PARACASSE.
(Seance du 22 Novembre 1850. )
Messieurs,
L'Academie nous a charges, MM. Derode, Max. Sutaine,
Sornin, Lechat et raoi , de lui faire un rapport sur le
Paracasse sou mis a son examen par M. de Maiziere.
La plupart de nos confreres savent que la question
n'est pas nouvelle : une commission a deja exprtme son
avis sur le paracasse , et les perfectionnements reconnus
necessaires ontete etudiespar I'auteur dans ces dernieres
annees avec dassez grands soins pour lui donner I'espoir
d'une application immediate et avantageuse. M. de Mai-
ziere a-t-ii oblenu tout le prix de ses efforts? C'est ce
que vos commissaires ont examine de la maniere la
plus attentive , ainsi que vous allez en juger.
Et d'abord nous reconnaitrons avec empressement et
nous louerons cette ardente perseverance dont M. de
Maiziere est un module : penetre d'une conviction pro-
fonde , rien ne lui coiite pour en faire eclater la ve-
rite; ni laridite des calculs , ni la difiiculte des expe-
riences , ni les degOLits dont les premiers travaux des
inventeurs sont toujours entoures , rien ne I'empeche
de montrer haulement le but ou doivent tendre , suivant
lui , tous les efforts , et oil il entrevoit de grands resul-
tats dans I'avenir.
— 75 —
Nous le dirons encore , M. de Maiziere a fait tout ce
qui dependait de lui pour arriver a ce but si vivement
desire. Le memoire qu'il nous a soumis , et que nous
jugeons en ce moment, renferme toutes les preuves de
I'application la plus laborieuse , et c'est la un merite
dont nous croyons , avant tout , devoir feliciler uotre
confrere.
11 y a longtemps que la premiere idee du paracasse
est entree dans I'esprit de M. de Maiziere : frappe des
perles enormes dont la casse est chaque annee la trop
puissante cause , et jugeant le remede a la hauteur d'une
question nationale, il s'appliqua sans relache a peffec-
tionner cette premiere idee toute simple , qui consiste en
une augmentation de la force des bouteilles par une
pression exterieure suffisante. U fut ainsi conduit a I'ap-
pareil dont nous allons vous exposer successivement tons
les details, mais qu'il est facile de representer simple-
ment, en nous bornant a dire que c'est une vaste chau-
diere spherique de tole de fer ou Ton enferme les bou-
teillos , et qu'on acheve de remplir avec I'eau necessaire
pour exercer une pression hydraulique convenable.
Maintenant, Messieurs, le premier fait, le plus impor-
tant de ceux que M. de Maiziere signale, est sans contredit
le suivant : « I.e vin mousseux , pendant le travail de la
mousse, pent developper une quantite de gaz acide car-
bonique libre plus ou moins forte, et cette quantite dimi-
nue ensuite peu a pen jusqu'a la fin du travail , oii elle
determine une pression definitive generalement comprise
entre 2 et 3 atmospheres. » — Vos commissaires pensent
que ce fait peut etre regarde comme certain , non pas a
cause des lois physiques sur lesquelles M. de Maiziere
croit pouvoir s'appuyer pour en donner I'explication, mais
bien parce qu'il est conforme a I'experience d'abord, et
ensuite a une autre theorie que nous allons indiquer.
M. de Maiziere imagine une division du travail de la fer-
mentation en un grand nombre de mouvements successifs
— 70 —
produits par le^ variations de temperature de I'ete , et 11
admet, dans cliacun de ces mouvements, une production
rapide de gaz carbonique dent les buUes montent d'abord
se loger dans la charabre de la bouteiUe pour y occasion -
ner une pression considerable, et se redissolvent peu a peu
dans le liquide, en produisant a sa surface une diminution
de la plus grande partie de leur force expansive. — Sur ce
point vos commissaires ne partagent pas lopinion de
M. de Maiziere. Cette opinion est contraire a tous les faits
les mieux connus, et cela nous force d'exprimer un regret
ou nous serons plus d'une fois ramenes dans le cours de
ce rapport, celui de voir notre confrere ceder un peu trop
a I'eclat de certaines veritcs theoriques et negliger en
meme temps des verites non raoins certaines, dont la con-
sequence est souvent extreme pour la pratique. Ainsi pas
un physicien ne pourra supposer avec M. de Maiziere que
I'acide carbonique produit au sein meme d'une liqueur, y
prenne Tetat gazeux et s'en ecbappe malgre la force dis-
solvante pour y rentrer quelques instants plus tard en verlu
de cette meme force et dans les memes conditions. Nous
n'admettrons done point ces grands exces de pression tem-
poraire suivis d'une absorption considerable. Nous ne ver-
rons dans le travail du vin mousseux que ce qui est abso-
lument certain, c'cst-a-dire une augmentation continuelle
de la pression dans la chambre des bouteilles, pendant les
premiers temps du travail: augmentation soumise, il est
vrai, a des variations continuelles par les variations de la
temperature . mais completement liees a ces dernieres,
et restant toujours ainsi dans des limites assez restreinles.
Si d'ailleurs nous admettons le resultat final constate par
M. de Maiziere et par toutes les personnes occupees de la
fabrication des vins mousseux, c'est-a-dire une diminution
considerable de la pression au-dessous de son maximum ,
et apres le travail , nous I'expliquerons sans peine en te-
nant compte du grand changement qui s'opere dans la
nature du liquide, c'est-a-dire de la transformation en
alcool de presque tout Ic sucre contenu d'abord dans le
— 77 —
vin. II n'en faiit pas davantage pour concevoir aisement
cetfe diminution de pression qui nous occupCj le liquide
alcoolique ayant sans doute une force dissolvante bien su-
perieure a celle du liquide sucre primitif.
Cola pose , voici la suite du raisonnement de M. de
Maizierc : la plupart des bouteilles ordinaires (97 sur
100) ont une force suffisante pour resister a la pression
definitive de 2 ou 3 I atmospheres: (gr. mousse, 3 1/2:
m. ord., 2 1/2 ; p. , 2.) Si done on les renforce momen-
lanement pendant le travail de la fermentation et a I'aide
d'une pression hydraulique exterieure , on les amenera
sans danger de rupture a la pression definitive , dont
elles n'ont rien a redouter. — De la resulte immediate-
ment Tinvenlion du paracasse.
Avant d'aller plus loin, disons que M. de Maizierc
s'est efibrce de resoudre le probleme dans toute son
etendue : il veut avec rai?on preserver non seulement
les 97 bouteilles dont nous venons de parler, mais en
general toutes celles dont I'industrie pourra faire usage, et
icise place un accessoire important, c'est-a-dire le choix
preliminaire des bouteilles. — En effet, si nous pouvons,
par un moyen simple, connaitrea Tavauce les trois bou-
teilles iucapables de resister, nous les separerons , et d'a-
pres M. de Maiziere, la conservation devicndra complete.
Pour atteindre ce but, notre confrere s'<!st livre a de nom-
breux calculs dans le?quels nous vous demanderonslaper-
qiission de ne pas le suivre, par la raison evidente que ces
calculs doivent toujours reposer sur des donnees essentiel-
lement variables, et ne peuvcnt aiiisi conduire a aucun re-
sultat vraiment pratique. Voici la raarche a laquelle M. de
Maiziere s'est arrete dans son memoire : Au moyen d'un
compas d'epaisseur d'une forme appropriee , on mesu-
rerait d'abord repsisseur de cbnque bouteille aux quatre
extremites de deux diametres rectangulaires , et on de-
duirait par des formules une moindre epaisseur a la-
quelle se raffaclie infimement la resistance : on tiendrait
— 78 —
la note exacte des resultats , et les trois bouteilles plus
faibles seraient raises au rebut. — Ce proccde peut etre
reraplace par le sulvant , dont voire rapporteur a donne
conDai?sance a M. de Maiziere , qui I'admet lui-raeme
comme beaucoup plus pratique. On placerait les bou-
teilles bouchees vides dans une cuve pleine d'eau et on
les abandonnerait a elles-raenies : au bout d'une ou
deux minutes, chaque bouteille serait au repos et pre-
senterait au meridien sa moindre epaisseur, dont on
tiendrait note en la marquant avec un pinceau. Nous
paisous sur les details,
Le choix des bouteilles eCfeelue , on fait le lirage, et au
lieu de livrer les bouteilles a leurs propres forces, on les
introduit dans le paracasse. Le modele propose parM. de
Maiziere est une cuve spherique de t6le de fer de 4 metres
de diametre et d'un peu plus de 6 millimetres d'epais-
seur On soutient cette cuve au raoyen d'un bati en char-
pente, a environ 1, 8 metre au-dessus du sol 5 a la partie
superieure est un trou d'homme analogue a celui des ma-
chines a vapeur, et destine au chargement. Les bords du
trou sont a 0,4 au-dessus du plancher qui les entoure.
A la partie inferieure est un robinet de decharge pour
vider I'eau apres le travail. — Le paracasse etant vide,
deux ouvriers y descendent et rangent les bouteilles par
couches horizontales, ce qui amene rintroduction de
15,000 bouteilles ;1I,062 bouteilles entieres et 3,938X2
ou 7,876 1/2 bouteilles). On acheve de remplir avec de
I'eau, et le trou d'homme etant soigneusementferme, il ne
reste plus qu'a faire agir une pompe de compression hy-
draulique pour etablir une pression de 6 atmospheres
sur toutes les bouteilles,
Jusqu'ici, point de difiiculte. Le role du paracasse
s'aperQoit avec evidence , la bouteille au sein de la-
quelle peut se developper une pression passagere de
9 atmospheres environ , d'aprc; M. de Maiziere, ce qui
nous ete conflrine, et qui est choisie de maniere a re-
sister certainemcnt a .3 1/2 par elle-meme, peut main-
tenant subir sans crainte Teffort interieur du gaz car-
— 79 —
bonique, les 6 atmospheres du paracasse s'ajoulant a sa
resistance propre (3 1/2) pour vaincre cet effort; etc., etc.
Mais la n'est pas toute la question; tant s'en faut.
En premier lieu, se presente une objection fonda-
mentale : Comment savoir si le \in prend ou ne prend
pas la mousse, et que faire dans le second cas?
Cette objection , M. de Maiziere I'a prevue , et il pense
I'avoir completement levee par la methode suivante qui
nous spmble , en theorie du moins . vraiment digne de
I'attention de I'Academie et des fabricants.
Le paraca?se ne reste pas libre de suivre les variations
de la temperature atmo«phenque : on I'echaufle ou on
le rcfroidit artificiellemenl de maniere a y determiner
certainement la prise de mousse , et pour juger exac-
tement des actions produites dans son sein , on observe
la raarche dun petit lot de quelques bouteilies tres fortes
remplies du meme vin et contenues dans une baignoire
ou Ton developpe precisement les memes elevations de
temperature. Ces bouteilies sont armees d'un manometre
propre a indiquer les pressions (1).
Nous n'hesitons pas a le dire : theoriquement, cette
idee est bonne , et il ne nous reste plus qu a examiner
comment M. de Maiziere entend la faire admettre dans
la pratique.
lei , Messieurs, notre confrere s'est trouve face a face
avec une difTiculte dont il ne nous a point donne la
solution , mais qu'il ne tardera pas a surmonter : celle
de produire a volonte les variations de temperature. —
En appliquant au paracasse la melhode d'echauffement
indiquee il y a douze ou quinze ans par M. Sorel , il
parvi^^ndra , sans trop de peine, a obtenir ces echauf-
foments artificiels dont il a besoin pour developper la
(1) Le seul inanomelre convenable pour eel usage esl celui
que M. Bourdon conslruit depuis un an ou deux. ( Observa-
tions du rapporteur j.
— 80 —
mousso. — Ajoutons que , dans la pensee de M. de iMai-
ziere , on poiirra s'aider de la chaleur solaire dans beau-
coup de cas.
Tci, Messieurs, ron demandera quelles garanties M. de
Maiziere presente pour la siirete du travail , pour la
prise de mousse : a cet egard, la conviction de notre
confrere est tres grande; mals nous ne pouvons nous
erapecher d'admettre avec Uii plusieurs points essen-
tiels: 1° la temperature developpee au besoin dans le
paracasse servira presque toujours efficacement les ten-
dances a la fermentation; 2° la preparation du vin
donne assez regulierement, dans les circonstances or-
dinaires, des resultats certains, et le paracasse augmen-
tera certainement les chances de reussite. II resulte
ainsi de grandes probabilites pour une prise de mousse
prompte et reguliere, et ces probabilites deviendront
plus grandes encore a mesure que la chimie perfec-
tionnera les methodes de dosage employees dans nos
tirages actuels.
Maintenant, autre difficulte : Le paracasse sera-t-il assez
grand pour contenir toutes les bouteilles necessaires au
plus fort tirage ;'— M. de Maiziere ne propose pas de mettre
en usage un paracasse de dimensions trop grandes :
il emploie au besoin plusieurs appareils , et il destine,
en tons cas , cliacun d'eus a executer un certain nombre
d'operations. Par exemple , s'il s'agissait de 100,000 bou-
teilles, notre confrere construirait un paracasse de 25,000,
et il y ferait passer les 100,000 en 4 operations. — Si
le tirage atteignait 400,000 bouteilles , on devrait avoir
quatre paracasses de la dimension du precedent , etc.
— M. de Maiziere admet merre que le vin dun tirage
pourrait passer au paracasse en cinq ou peut-etre six
fois au lieu de quatre ; mais il ne se refuse point a
compter seulement. si Ion veut, sur quatre operations.
— Quant aux precautious a prendre, elles se borne-
raient a descendre, au moment du tirage, les trois quarts
— 81 —
du vin dans les caves les plus Iroides, et a atteudrc
ainsi 1 achevement de la fermentation du premier quart
introduit dans le paracasse. En supposant meme que
les trois quarts conserves vinssent a entrer en mousse,
M. de Maiziere pense arrivera les maintenir au moyen de
precautions connues.
Nous voici arrives h I'un des points les plus delicats
dans Temploi du paracasse, et nous sommes heureus
de pouvoir vous presenter sur ce detail important des
resultals d'experience en meme temps que des vues
tlieoriques. Nous voulons parler de la bonne conserva-
tion du vin dans I'instrument. — Pour proceder par
ordre, nous examinerons d'abord la question dont
I'inferet est le plus considerable , celle de savoir si la
pres?ion exterieure ne gatera pas le vin en forgant
I'eau du paracasse a penetrer dans les bouteilles, par
un effet inverse de celui qu'on observe dans les recou-
leuses, et en meme temps si, independamment de la
pression, le melange des liquides n'aura pas lieu par
la puissance de Vendosmose.
Sur le premier point ( I'introduction par pression),
M. de Maiziere admet , comme reponses decisives •
1° que le bouchon est si fortement comprime dans le
sens perpendiculaire a son axe qu'il est impermeable a
I'eau, meme sous des differences de pressions encore
plus grandes que celles produites dans le paracasse;
2" que le bourrelet forme par la tete du bouchon sur
les bords de la bouteille s'oppose a tout mouvemenl du
dehors en dedans. - Sur le second point, notre- con-
frere ne regarde pas I'endosmoso comme possible dans
des bouchons fortement comprimes.
Voici maintenant pour lexperience ; — En 1842,
M. de Muller fit construire un paracasse assez grand
pour admetlre 671 bouteilles et 460 demi-bouteilles, et
une operation fut faite pendant I'ete de cette annee
avec quatre especes de vin. l/ouverture de I'appareil
— 82 —
eut lieu le 2 decembre , en presence d'une vingtaine
(Je persouncs , parmi lesquellcs se trouvaient dcs coin-
missaires de I'Acadeniie. Le rapport fail sur celle seance
ne constate aucune alteration du genre de celles que
nous venons de supposer. Les vins du paracasse pa-
raissaient un peu plus tendres , un peu plus avances
que ceux des lots mis en reserve pour la confronta-
tion ; quelques bouteilles avaient une aiquille legere ;
mais 11 n'y eut pas d'exemple d'uu coulag^ inlerieur
par suite de la prrssion ou de lendosmose. — La Cham-
bre de commerce exauiina les vins^ et les trouva encore
dans un bon etat.
Nous ne pouvons , Messieurs , passer ?ous silence les
autres resultats obtenus dans cette epreuve, et nous de-
vons vous les faire connaltre avec detail, surtout a un
dernier point de vue. Beaucoup de personnes ont en
effet regarde comme tres douteux I'achevement du tra-
vail du vin en une seule saison passee dans le paracasse ;
et elles ont soutenu que la saison suivante amenerait
un travail nouveau , et par suite une casse plus ou moins
forte. Ces craintes ne sont pas sans fondement ; mais
elles ne sont pas completement justiflees par les fails
observes dans I'experience de 1842. Ll pent-etre meme
celle experience les eul-elle fait disparailre , si toutes
les precautions indiquees et reclamees par iM. de Mai-
ziere avaient ete prises. — Voici les fails : les quatre
lotd de confrontation mis en reserve presenlereut les
rapports de casse suivants : 24, 43, 60, 80 pour o/o.
( Ces pertes exlraordinaires tenaient a la preparation
dans laquelle on avail force a dessein les doses de
liqueur. ) Les lots correspondants du paracasse presen-
Iferent une bien plus grande stabiiile : le premier et le
deuxieme ne donnerent point de casse. La perle pour
les deux autres lots s'eleva a 85 bouteilles du 2 decem-
bre au l^i- Janvier 1843. — lei, M. de Maiziere vous
prie , avec beaucoup de raison , d'observer l" que les
i
— sa-
vins (le ces deux lots avaient roru des doses de liqueur
abiolument inusitees, ce qui est reconnu par le rapport
de YDS premiers commissaires , et 2" que la facilite de
choisir d'avance les bouteiilos (ce qui est essentiei) ne
lui a pas ete accordtie.
II resulte evidemment de cette experience une tres
forte presomplion en faveur de la propriete preservatrice
du paracasse , sans doute cette presomplion serait deve-
nue une certitude, si Ton s'eiait place dans les conditions
veritables.
11 Dous reste. Messieurs, a examiner un dernier point
le point essentiei pour le commerce, la question finan-
ciere. Combien le paracasse coiitera-t-il, et comblen
pourra-t-il rapporteri' Voici le calcul simplifie, autant
que possible, et pour un tirage de 100,000 bouteilles.
DEFENSES.
Un paracasse, contenant 25,000 bouteilles, peutetre
etabli au prix de 8,000 francs. Nous le supposerons
entierement perdu au bout de 25 ans , ce qui est certes
extremement exagere. 8,000 francs representent au bout
de ce temps, avec les interets composes, 27,091 francs
soit 28,000 francs. '
L'entretien du paracasse n'exigera pas plus do deux
ouvriers, pendant six mois ou 180 jours. En evaluant
la journee tt 2 fr. 50 cent., on trouve 900 fr. ii
faudra du charbon pour echaufler I'eau : en suppo-
sant qu'on maintienne cette eau sans cesse a 30 degres
c'est-i-dire a 20 degres au-dessus de I'air ambianf, dans
le temps le plus froid, la capacite de la cuve'eOnt
d'environ 56 metres cubes, et lean n'en occupant pas
le quart, c'est environ 10 metres cubes a porter a 20
degres ou 200,000 calories a produire; et si nous dou-
blons cette somme pour representor la perte de cha-
leur par rayonnement, nous aurons enfm -400,000 ca-
lories a developper chaque jour : or , 1 kiloi.'. de bouille
- 84 -
donne aisement 10,000 calories-, il sufTira done de 40
kil. par jour ou de 7,200 kil. pour 180 jours, soil
8,000 kilog. a 20 fr. = 160 fr. Nous ajouterons, si I'on
veut, 40 francs pour menues depenses , et nous aurons
pour tous frais 1,100 fr. — En 25 ans ce sera 27,500 fr.
Enfin les 100,000 bouteilles devraient ctre choisies,
et au lieu de coiiter 28 fr. le 100, admettons qu'elles en
codtent 30, nous aurons 30,000 fr, a depenser au lieu de
28,000, soil 2,000 fr , extraordinaires, ou en 25 ans 60,000.
Nous avons ainsi pour les dopenses :
Achat et interets, 28,000 .fr.
Frais de I'appareil, 27,500
Choix des bouteilles, 50,000
105,500 fr.
RECETTES.
Nous admettons pour la casse ordinaire k la grande
mousse 12 pour o/°.
11 resultera un premier beneflce de la conservation
des bouteilles : en effet, sur 100,000 bouteilles, on en
perd 12,000 par la casse, soit 3,360 fr. qui seront eco-
nomises.
En second lieu, nous evaluons avec M. de Maiziere
la valeur du vin contenu dans une bouteille au mo-
ment de I'entree au paracasse a environ 1 fr. 10 cent.
12,000 bouteilles conservees representtnt done une valeur
de 13,200 fr. entierement perdue aujourd'hui,
Ainsi le beneflce annuel du paracasse serait 13,200^
-f 3,360 ou 16,560 fr.
En 25 ans, ce serait un benefice de 414,000 fr, —
Nous pouvons ainsi dresser le tableau suivant :
Benefices en 25 ans, 414,000 fr.
Depenses en 25 ans, 105,500
Benefice net en 25 ans, 308,500 fr.
— en 1 an, 12,340
— 8 J —
Ainsi, bien que nous ayons calcule nos dcpeiises
en les exagerant toujours , on voit que meme en les
augmentant de 2,340 fr. par annee , ce qui serait
presque doubler nos evaluations, il resterait encore un
benefice net de 10,000 fr. par an sur un tirage de
100,000 bouleilles.
CONCLUSIONS.
Vos commissaires ont I'honneur de vous proposer .
l" De remercier M. de Maiziere de son importante
communication.
2° D emettre le vceu que les negociants en vins pro-
cedent a une nouvelle experience en tenant compte
de toutes les recommandations de I'auteur, de maniere
a etablir la \erite complete sur les avantages de son
invention.
ISotc de M. Maumene.
L'examcn du paracasse d<! M. de Maiziere m'a fourni
I'occasion de connaitre un fait qui vient ii I'appui de
I'un de ceux que j'ai constates dans mon travail sur
les eaux
En 1842,comme on vient de le voir, M. de MuHer fit I'es-
sai de Tinstrunient invente par iM. de Maiziere : les bouleilles
mises en experience furent rangees sur des lits de paille
et le paracasse fut rempli d'eau. La cloture dura huit
mois i^de niai k decembre. ) Pendant I'intervalle , M. dc
.Maiziere reconnut un developpenient considerable de
matieres gazeuses et voulut en distinguer la nature ;
on ouvrit un tube superieur en presence de plusieurs
persoiines ; il s'ecliappa un jet de gaz de deux metres
qui put etre enilammc , et briila avec une flamme vive.
11 y avait beaucoup d'bydrogene bi-carbone.
Dans la fermentation ?pontanee an sein de leau,
les matieres organiques developpent done des gaz ana-
logues au gaz de I'eclairage ordinaire , ainsi que je I'ai
ilemonlre par I'aualyse des gaz degages par la Vesle a
Saint-Rrice.
— 8()
LETTRE
ADRKSSfiF; A M. LE MINISTRE DE LAGRICULTURE ET
DU COMMERCE, PAR M. MAUMENli.
Seance du 8 Novcmhre 1850.
Monsieur le Ministre ,
Je viens de lire dans les Debais, du 4 octobre , le
rapport qui vous a ete adresse par M. le docteur
Grange, a la suite d'une mission confiee par le gou-
vernement, et ayant pour but de faire I'histoire geo-
graphique du goitre , d'etudier los causes de cette af-
fection et les moyens d'en preserver les populations.
Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de vous offrir les
observations que j'ai faites sur le meme sujet dans le
travail dont je viens de presenter les resultats a I'Aca-
demie des sciences (seance du 24 aout 1850).
II m'en coiite de contredire M. Grange , mais il me
parait de la plus complete impossibilite d'admettre les
vues thooriques auxquelles ce savant s'est arrete.
Voici les points principaux du rapport de M. Grange,
sur lesquels je desire attirer votre attention.
<' La presence de ces affections parait liee a celle
» de la magnesie dans les aliments ou les boissons...
» II resulte de tout ce que j'ai vu , en effet , que la
» magnesie predispose au goitre... Ainsi ces affections
» alteignent toutes les classes de la societe , dans tons
» les pays , a toutes les hauteurs , dans les vallees
» profondes, dans les plaines , sur les plateaux eleves,
» partout enfm oii Ton rencontre des formations ma-
» gnesiennes , excepte au bord de la uier.
— 87 —
» I. a coFuparaison des cartes de (Jinliibulion du goitre
» avec les cartes gcologiqucs prouve nettpmcnt que
» celte affection est endemiqiie sur les terrains nia-
1) gnesieus. Les geologues les plus distingues, M. FJie
» de Beaumont en France, M. Studer en Suisse, M. de
)) Sismonda en Piemont , out reconnu hautement la
» verite de ces observations. Nous avons constamment
» trouve des sels de magnesic dissou? dans les eaux
» potables et dans les cendres des graines des pays
» fortement infestes.
» Toules les fois que le goitre s'cst moafre ende-
)) mique dans une localile isolee et sur uii terrain qui
» ne pouvait etre cousidore comme magnesien , les eaux
B contenaient une quantite notable de magnesia.
1) Ces fails montraient deja que les sels magnesiens
» jouent un grand role dans ie developpement du goitre ;
» mais lorsque j'ai eu constate les plitinomenes sui-
» vants, je n'ai pas hesite a considerer la presence de
» ces sels comme la cause immediate du goitre. Dans
» la plupart des pays a goitre , quelquesjeunes gers ,
» pour se soustraire a la loi du recrutement, se donnent
» le goitre en buvant tons les jours quclques litres
B d'eaux bien connues pour developper cette affection :
D ces eaux sont fortement magnesiennes. Enfln , un in-
» gt^nitur bydrograplie de la marine s'est vu atteint
» d'un goitre caraclerise et assez volumineux, apres
» avoir fait usage de la magnesie calcinee fi la dose de
» 50 centigrammes pendant 14 mois. Dans les pays
» frappes de ces maladies, quebjues families riclies
» recueillenl les eaux pluviales daus les citerncs et
1) sont parfailement prcservees.
De tons ces faits aucuu nest coiicluant. II en re-
sulte une vraisemblance ; mais si le vrai n'est qucl-
quefois pas vraisemblable, » un sail aussi , disait Fou-
» tenelle , que lorsque deux vues se presentent a uotre
v esprit, 1,1 plus vrai-cinblable est souvent la moins
« vraie. d
— 88 —
On peut jci, je crois, faire disparaitre loute illusion par
les coiisideralioiis suivantes :
1° M. Grange a Irouve beavcovp de magnesle dans
la plupart des eaux analysees, pres de 5 centigrammes
par litre dans I'eau de Gonceliu, 4 centigrammes Jans
celle de Gieres, etc., etc. ( Annales de chimie el de
phy-ique, 3"^ serie, XXIII, 364. J — Mais M. Grange
est-il bien ?ur de son fait ? Voici le precede dont il
s'est servi; jc I'extrais des annales :
a Nous avons chauffe au rouge les sels solubles evapo-
» res et pe^es dans une capsule de platine, jusqu'4 ce
» qu'elle ne perdit plus rien de son poidg en conti-
» nuant la calcination. En reprenant ce r6sidu par
» I'eau, nous avons obtenu vn precipit4 de magnate
B que nous avons dose et qui nous a donne le poids
» de viaqnesium combine avec le chlore qui s'est de-
» gage pendant la calcination. »
Quel est le chimiste qui se joiudrait a M. Grange
pour determiner la magnesle de celte maniere ?
2« Si le goitre venait de la magnesle, comment les
eaux naturelles, qui en contiennent , rcsteraient-clles
completement innocentes dans un grand nombre , ou
pour mieux dire , dans le plus grand nombre des cas?
Ce n'est pas la magnesle seulement , dira peut-etre
M. Grange, c'est sa proportion qui fait le mal. Mais,
d'une part , quelques-unes des eaux etudiees par
M. Grange lui-meme renferment tres peu de magnesle:
par exemple , celle du ruisseau de Tencin n'en ren-
ferme pas deux centigrammes par litre , et pourtant
les chiens et les pores eux-memes deviennent goitreux
par sou usage, ce qui eit tres rare. Ainsi la pro-
portion de la magnesie ne serait pas en rapport ne-
cpssaire avec I'intensite du goitre. — Et , d'autre part,
comment pourrait-on expliquer I'innocence de certaines
eaux de I'aris (jui renferment de la magnesie comme
les eaux des vailces dc I'lsere ? D'apres M. Deville (An-
— 89 —
nales, 3"^ serie, XXIII, 32 ) I'eau d'Arcueil renfernn
par litre 8 centigrammes de sels dc magnesie, c'est-
a-dire le double de ce que I'eau de Gieres eu presente,
et tout le monde sail que I'eau d'Arcueil no donnc le
goitre a personne.
3" Dans mon travail , cite plus haut, sur les eaux
de la ville et de I'arrondissement de Reims, j'ai si-
gnale uue circonstance bien remarquable et qui aurait
du etre pesee par M. Grange. Autrefois le goitre etait
repanJu a lieims. Voici, pour en donner la preuve, un
extrait dune declaration faite par les medecins de notre
ville en 1746 :
« Nous doyen, docteurs el professeurs de medecinc
» dans rUniversite de Reims, certifions que depuis qu{
) nous exer(;ons la medecine dans cette dite ville
)) nous y avons rencontre une infinite de personnes
') attaquees des maux vulgairement appeles incurables ;
» nous pensons raeme qu'il n'est pas de ville dans le
0 royaume ou Ton trouve plus de goitres, de scirrhes,
» de cancers , d'ecrouelles , de loupes , de meliceris ,
o de steatomes, et generalement de toutes les maladies
» comprises dans la classe des humeurs froides.
') II est ici peu de families ou Ton ne trouve quelque
» sujet plus on moins infecte de ce virus, et si le
» secret que nous leur devons ne nous fermait la bou-
» che, nous etonnerions le public par le recit de nos
» miseres. II arrive meme souvent qu'en donnant des
» IcQons d'anatoniie a nos eleves et en ouvraut a I'Ho-
» tel-Dieu des personnes mortes de maladies aigiies
)> telles que I'apoplexie , nous trouvons le mesentere
» farci de glandes engorgees qui preparaient des causes
» sourdes de mort u des sujets sains en apparence et
1) au-dessus de lout soup^on. «
En presence dc cette declaration si categorique, j'ai
cherclie la magiiesre dans nos eaux^ mais ni celles de
la Vesle, ni celles des puits, ni le sol lui-meme n'en
— 90 —
renferment de traces saisissables. La craie ne mVu a
pas fourni en operant sur 100 grammes.
Dc ce qui precede, il me semble resuUer avec Evi-
dence une contradiction decisive aux idees theoriques
de M. Grange, et puisque cette importante question est
soumise au conseil d'Hygiene, je croi-^ remplir un de-
voir en vous adressant ce resume de mes travaux .
Veuillez agreer, etc.
Obserualions de M. Landovzy.
M. Landouzy fait remarquer que si M. Grange a mis,
un instant, en doute I'absence de magnesie dans les
eaux de Reims , malgre la valeur que tous les savants
attachent aux travaux de M. Maumene , cela tient uni-
quement a I'assertion des medecins dc 1760 , reproduite
dans son memoire , et d'apres iaquelle la viile de Reims
renfermerait un grand nombre de goitreux. Or ie vague
de cette assertion , les termes si peu scientiliques dans
lesquels elle est congue , et I'enquete k Iaquelle s'est
livre tout recemment M. Grange , sulTisent pour la
dementir completement.
Quant a la relation etablie par M. Grange entre Ie
goitre et la magnesie , il serait au moins premature ,
d'apres M. Landouzy, de la juger aussi severemenl. Un
fait positif, c'est que Ie nombre et I'intensite des goi-
tres se trouvent partout en rapport direct avec la ma-
gnesie. Est-ce a la magnesie ou a d'autres conditions
coincidentes qu'il faul I'aUribuer? Sans doute la question
est loin d'etre resolue •, mais , ce qu'il y a de certain ,
c'est que la carte geologique peut servir de carte topo-
graphique pour Ie goitre et pour Ie crelinisme, et reci-
proquemeiit ; et que sur toutes les cartes geologiques de
France, d'ltalie, de Suisse, de Sardaigiie, etc., Ie goitre
el Ie crelinisme r^gnent partout on les terrains magnesiens
— 91 —
se trouvent indiques , non pas seuleinent par M. le doc-
teur Grange, mais par tous les geologues.
Maintenant , de ce que I'eau d'Arcueil qui contient de
la magnesia ne donne pas le goitre, ce ne serait pas, aux
yeux de M. Landouzy, une raison suHisante pour inflr-
mer les donnees de M. Grange ;, car il peut se trouver
dans I'eau d'Arcueil des conditions particulieres qui
echappent a I'analyse chimique et qui neutralisent les
effets de la magnesie.
En resume , dit M. Landouzy, d'apres les analyses
de M. Mauraene, il n'existe pas de magnesie dans les
eaux de Reims. D'apres I'enquete de M. Grange , il
n'existe pas a Helms de goitre a I'etat endemique. D'apres
les observations faites par iM. Maumene sur limper-
fcction des melhodes suivies pour la determination de
la magnesie , il est possible que les deductions de
M. Grange ne soient que des hypotheses destinees a
tomber devant des recherches ulterleures ; mais aujour-
d'hui , dans I'etat actuel de la question , tous les ar-
guments qu'on ferait valoir centre ces donnees ne se-
raient pas moins hypothetiques.
Eeponse de M. Maumen4.
M. Maumene regrette de ne pouvolr partager entie-
reraent I'opinion de M. Landouzy , que tous les ar-
guments qu'on ferait valoir contre ces donnees ne &e-
raicnt pas moins hypothetiques. M. Maumene ne s'est
pas propose de donner une explication de la forma-
tion du goitre : il fait seulement observer que la tlieorie
proposee par M. Grange manque dappuis solides, et il
pense I'avoir corapletement demontre par les conside-
rations developpees dans sa lettre a M. le Ministre de
I'agriculture etdu commerce.
— 92 —
Lecture tie M. Grandval,
Pharmacien en Chef de I'HOlel-Dieu de Reims.
DE QUELQLES PRODUITS PHARMACEUTIQ13ES, ALIMEN-
TAIRES ET INDUSTRIELS OBTENUS DANS LE VIDE
A;U MOYEN D'UN NOUVEL APPAREIL.
Seance du 27 Decembre 1850.
Les principes organiques a I'elat de dissolution ,
eprouvenl dans leur evaporation a I'air libre el avec
le concours de la chaleiir des modifications souvenl
ires importanles. Quelquefois , merae , ces modifl-
calions sont des obstacles invincibles h robieiiiion
de quelques produils souvenl du plus haul interel.
Cetle remarque faite par nos savants les plus dis-
lingues n'a pas naanque d'allirer I'attenlion el a
mulliplie les observations des hommes pratiques,
dans la recherche des raoyens propres a eviier les
inconvenients des anciens procedes. Quelques-uus
onl pense que, si I'evaporalion pouvait se faire dans
le vide , on pourrail eviter les causes principales
de toute alteration des principes organiques.
F.es lentalives faites jusqu'a ce jour onl suffisam-
menl juslifie ces previsions ; el si Temploi des pro-
cedes mis en usage ne s'cst pas plus generalise,
on ne pent I'atiribuer qu'a rimperfeclion des appa-
reils, ou irop compliques, ou trop imparfaits.
Convaincu de Timporiance d'un moyen qui reuni-
— 93 —
rail la simplicile a la garantie de la conservation du
vide , je me suis livre aussi a des recherches
suivies , dont je viens souraellre le resultat a I'ap-
precialion de I'academie.
Les produils que j'ai oblenus , consideres sous
le point de vue des services qu'ils sont appeles a
rendre, sont de trois ordrcs : d" produits pharma-
ceutiques; 2° produils alimentaires ; 3" produits
indusiriels. f
Produits pharmaceutiques. L'alteralion de la plu-
part des substances organiques , sous la seule in-
fluence de Taction atmospherique permet rarement
d'adrainistrer les medicaments de eel ordre, a I'e-
tat nalurel , avec la certitude d'en oblenir des
efTels loujours identiques. On avail pense avec rai-
son,qu'en Iraitant ces substances medicamenteuses,
dans leur etat le plus parfail, par des excipients
appropries a la nature des principes actifs , il se-
rail possible d'avoir des produils qui presenlassent
le double avantage d'une conservation parfaite el
d'une action aussi efficace, a des doses beaucoup
moindres.
En principe ce raisonnement etait juste ; raais
les procedes employes jusqu'a ce jour ont ete im-
puissants pour realiser completement les conse-
quences de celle heureuse idee ; puisque tons con-
sistent a faire evaporer les liqueurs extractives au
contact de I'air ; el qu'il a ete demontre par un
grand nombre d'experiences que lous les principes
organiques h leial de dissolution, sont entierement
modifies, ou profonderaenl alteres par le seul effel
de la concentration des liqueurs qui les contiennenl,
quand levaporalion se fait au contact de I'air , soil
— n —
a feu nu , soil au bain-marie ; que ralieralion
qu'ils eprouvenl esi tl'autant plus grande que I'eva-
poralion a exige plus de lamps ; que les produiis
soni d'aulanl moins purs qu'ils sonl plus concen-
ires.
La consislaijce molle qu'on esi oblige de conser-
ver aux exiraiis , pour eviler les alleraiions que
leur fail eprouver une plus grande concenlralion ,
donne naissance a d'aulres inconvenienls : 1° la
quantile d'eau qu'ils conliennenl elanl loujours Ires
variable , un poids donne de ces produiis ne re-
presenle jamais une quanlile determinee el absolue
des principes aciil's qu'ils conliennenl; 2° celte con-
sislance molle favorise des modificalions ullerieures
cnlrc les elemenls des principes organiques qui les
consliluenl el en apporle consequemmenl aussi dans
leur aclion sur nos organes.
Trouver le moyen de prevenir les alleraiions des
principes organiques pendant I'evaporation el donner
aux exiraiis une forme qui les mil a I'abri de toule
alleralion ullerieure , elaii done , a resoudre , un
probleme de la plus liaule importance.
Je crois avoir resolu ce probleme au moyen
d'un appareil que j'ai imagine pour evaporer dans
le vide louies especes de liqueurs. Les produiis
que j'ai I'bonneur de meltre sous les yeux de I'A-
cademie onl ele obienus dans un elat complel de
siccile avec eel appareil ; el cependanl ils paraissent
exempts de loule espece d'alieralion , puisqu'ils
reunissenl : solubilite complete dans les vebicules
d'exlraction , saveur , arome , malieres colorantes ,
elc. , tout , cntin , indique une parfaite conserva-
uon.
— 95 —
Avec ces extraits desseches dans le vide , on a
une garanlie de conservation indelinie et un moyen
de dosage precis des principes aciifs de (ouies les
substances organiques.
De pareils produits, qui auronl tonjours eel elat
de purete , devront done etre preferes ii ceux pre-
pares dans les conditions ordinaires ; puisque ces
derniers , quelque soin que Ton prenne pour les ob-
lenir , sonl loujours alteres et ne presenlent jamais
d'idcnlilc dans leur composition.
Je penso done que, dans un grand nombre de
preparations piiarmaceutlques , il y aurait avantage
a siibslituer ces produits aux substances employees
en nature ; soil pour sirops , teintures, vins, infu-
sions, decoctions, sues d'herbes, etc., etc.
Produils almentaires. — Toutes les conserves
obtenues par concenlraiio.i , telles que bouillons
gelees, gelatines, laii , etc., eprouvent les memes
alterations que les autres principes organiques , quand
on les evapore au contact de I'air ; aussi , jusqu'a
present n'a-t-on fait que des tentatives infruc'tueuses
en grande parlie , pour les oblenir avec les qualites
indispensables.
Le bouillon qui , parmi les produils alimentaires
est, sans conlredit , le produit par excellence ne
peut etre obtenu sec et sans alteration , que dans
le vide et a une basse temperature.
L'importance que ce produil presente peut etre
appreciee par les services incomparables qu'il rend •
et sans nous arreter aux marins el aux passagers '
presque tonjours prives d'aliments frais , cause fre-
quente des maladies, dont ils sonl irop souvent
— 96 —
viclimcs , nous en signalerons aussi I'usage prccieux
pour les convalescents, donl les organes digestifs
aflaiblis par suite de longues maladies , temoignenl
souvent de leur impuissance pour I'elaboralion de
touteespeced'aliments ; en effet, ne pourrail-on pas,
sous un ires petit volume, presenter a ces organes
affaiblis , une substance presque enlicrement assi-
milable el qui ne leur necessilerail en quelque sorie,
aucun travail? Le bouillon, ce nous semble, rem-
plirail ce role , s'il pouvail elre pris a un degre
determine de concentration.
Le lail, aliment moins precieux , sans doule ,
que le bouillon , n'esl cependanl pas sans offrir
quelques avanlages aux marins , en I'employanl
comme condiment dans une foule de mets qui n'onl
de mcrile qu'aulanl qu'ils sonl prepares avec des
substances fraiches , telles que la creme, le beurre,
elc. , el comme en cmployanl I'extrail de lait dans
une quantile d'eau suflisanle el delerminee , on
relrouve frais lous les principes qui le cons^lituent ,
nous concluons que Ton y trouverail , dans les
voyages de long cours , une nouvelle source de bien-
etre.
Le lail en pale que je joins aux exlraits sees dont
je viens de parler , presenle les raemes avanlages ,
puisqu'il conserve egalemenl la purete de ses prin-
cipes ; mais comme il n'est que d'un ordre secon-
daire pour la difficulte d'extracUon , el sans aucun
doule pour la conservation , j'ai cru devoir ici ne le
menlionner que pour memoire.
Produits industrieh. L'applicalion de I'evaporation
dans le vide , aux principes colorants des bois ,
ocorces , racines , elc. , emplojes dans I'arl de la tein-
— 97 —
tiire , me pnrail aussi , el sous pliisieiirs rapports,
offrir un grand interct a I'indiislrie.
Les matieres colorantes, ii I'elat de dissolulion,
comma loiis les principes organiques, sonl siiscep-
tibles d'alleralion, par I'aciion combinee do la chaleiir
et de I'air; quelqiies-uncs Ic sonl meme a une tem-
perature inferieure a 40" cont., ei lous le sonl plus
ou moins a 100".
Ccs exlraits linctoriaux prescnteraienl pour avan-
(ages : 1° la garanlie d'une parfaite conservation
des principes ; 2° une concentration aussi grande
que possible des matieres colorantes ; 5° une reduc-
tion immense des frais de transports des matieres
tinctoriales qui provienneiil surtout des pays eloi-
gnes ; 4" enfin la jusle appreciation que le nego-
ciant pourrait faire de leurs caracleres essentiels.
La gelatine pourrait etre aussi dessechee rapi-
demenl et avec les memes avantages, dans un appa-
reil de ce genre, ainsi qu'une I'oule de produits
cbimiques plus ou moins altcrables dans les con-
ditions ordinaires d'evaporation.
— 98 —
ECOINOMIE AGRICOLE.
Leclure de SI. Bouvard, des Ardennes.
Seance clu 27 Deccmbre 1850.
SYLMCLLTURE.
VIEILLES F0R£TS DOM l'aSSOLCIIEMENT A BESOIN
d'etre RElSOUVELfi.
II esl constant que la vie des vegeiaux a un lerme
plus ou moius eloigne , a la verite , mais qui n'en
est pas nioins positif. II est egalemenl certain que
la majeure parlie ties sols ne peuvent loujours nour-
rir la m6me espece de planle avec profit pour le
proprielaire. Depuis longtempsles cullivaleurs ont fait
cette remarque , el le sysierae d'alternance en a et6
la consequence. C'est une chose simple et facile pour
le cultivaieur qui recolle ses champs chaque annee ,
et qui peui , a volonte , faire succedcr une plante
d'une faniille a une plante d'une autre famille, 11
n'en est pas de m6me pour les bois, dans la culture
desquels rallernance doit consister dans le melange
des essences. Le renouvellement de ccs essences di-
verges se fail a de Ires longs iniervalles , et il en
— 99 —
resulle des perles considerables dans le rcvenn ; at-
tendu qu'une essence qui (lail occupe encore le sol
pendanl un siecle et plus , ne donnanl qu'un minime
produit qui va toujours en diminuani jusqu'a ce que
les vieilles souches soient pourries el rcmplacees par
des essences productives. Mais dans eel intervalle de
transilion , les epines ^ les ronces , les cornouillers,
les viornes , les troenes , les noiseliers, les bruyeres ,
les genets , etc. , s'emparent du sol el ne le cedent
que quand des essences d'une croissance promple
arrivent a leur tour et prennenl le dessus. De eel
elat de choses observe depuis longlemps , il resulle
une perle considerable pour le proprielaire. Nous
devons cependant convenir que rhomnic n'esl pas
elranger a un pareil resultat , ou du moins , il y a
conlribue pour une bonne panic : en ne balivant
que des cbenes , en choisissant , commc cela doit
etre , les plus beaux brins el les plus vigoureux des
semis naturels. Une parlie decesjeunes planles au-
raient remplace les vieilles souches usees , si on les
avail conservees en taillis. En les elevanl en bali-
veaux , elles onl fail defaui a leur destination nalu-
relle.
Si le forestier, au lieu de raarquer chaque annee lous
les baliveaux de chene qu'il trouvait dans la coupe ,
s'etail conlenle de n'en nieltre que moitie du nombre
qu'il desirait conserver, et, en raison de la nature du
terrain , composer i'aulre moilie de bouleaux , de
trembles , de merisiers , de sycornores , de frenes ,
de h6tres et d'ormes , loules essences productives,
ce melange aurait perpeiue I'assouchement en chene ,
comme aussi il aurait mainlenu le riche revenu de
ces vieilles forels. C'est, d'ailieurs , la marche suivie
— 10U —
par la nature , que I'on dcvrail loiijours imiler si Ton
jie veiU se iromper. Tamils qu'avcc le sysleme ge-
neralemtnl suivi jusqu'a prosenl , apres quelques
revolutions de rotation des coupes^ on ne trouve
plus asstz de chenes ; el , pour avoir un certain
nombre de baliveaux par hectare , on remplace le
chene qui manque par du charme , le baliveau qui
croil le plus lenlement el qui rapporie le nioins ,
outre le tort qu'il fait aux autres essences en elouf-
fanl leurs jeunes produils sous son ombre epaisse,
ne protogeant que sa famille, qui a la propriete de
croitre a I'ombre-
Celte exploitation pcu raisonnee a eu pour resui-
tat la dispariiion des bonnes essences el I'envahis-
sement des vides , qui en sonl la consequence , par
des menus bois el surioul par le charme , dont les
nombreuses racines traccnl a une faible profondeur
dans le sol qu'il couvre de ses rameaux trainan'.s el
d'un mince produit.
Lcs vieilles cepees de charme ne donnenl plus
de brins qui s'elevent ; ieur produil ligneux est a
pen pres nul. Une Ibret , arrivee dans cet eial , a
perdu plus d'un tiers de son produil en maliere li-
gneuse ; le terrain qui est occupe par les vieilles
souches, donl quelques-unes onl plus d'un metre de
diamelre , n'est pas propre a favoriser la levee des
semis nalurels des auires essences. Les choses reslent
ainsi pendant de iongues annees , c'est-a-dire, jus-
qu'a ce que les souches soieol pourries on cnlevees.
Nous avons trouve de vieilles forels dans cette
irisie position ; nous avons dii aviser au moyen de
changer eel etat de choses si contraire aux int6rets
des proprietaires , el d'alleiudre ce but a moins de
— iOl —
frais possible. Nous avioiis des aiil6codenis qiii nous
ont mis siir la voie.
Vm general , snr le iLMTain Anlennais proprtMiient
dit (siliceo-schisleux), les bois croisscnt tres bien;
les taillis surtoul donnenl de riches produils. Les
essences dominanles sonl le clienc el le bonlean ; niais
sur quelques parlies clevees ou le sol est sec el peu
profond , les essarlages successifs el Irop rapproches
les uns dcs autres I'ont encore diniinue d'epaisseur
el appauvri : el quand I'essarlago elait snivi d'un
hivcr inconstanl et sans neige , les gels el -degels
qui sesuccedaienl sans autre Iransilion que des pluies,
onl occasionne la mort d'une panic des cepees de
rassouchement principal. Les vides onl ele peuples
par du charnie, du coudrier , elc, dout le produit
n'avait aucune valeur sur un sol peu genercux ;
il fallait done ramener les essences qui avaient dis-
paru , ou les remplacer par d'aulres egalemenl pro-
duclives. Voici ce que nous avons fail : Sur une
coupe de 12 hectares qui, 60 ans avanl, avail ele
essartee apres une exploitation suivie d'un hiver
comme celui que nous venous de signaler, elle avail
perdu une partie notable de ses cepees de chene
qui avaient ele remplacees par du charme el par
du coudrier , essences qui demandenl un sol riche
pour donner quelque produit , el qui occupenl inu-
tilemenl un terrain peu fertile. A.u moment de Tex-
ploitation^ nous avons impose au marchand de bois
I'obligalion de faire extirper ces deux essences ,
sauf a replanter, si les semis nalurels, sur lesquels
nous coraptions, ne reussissaienl pas. Nous avions
eu la precaution de laisser de nombrcu\ baliveauv
de bouleau et quelques chenes commc porie-graincs.
— 102 —
La bruyere elail nombroiise dans ceite coupe; nous
avons du la fairo essarlcr a feu couvcrt comme
elle Favait eie a chaque exploitation, c'est-a-dire
lous les vingl ans. L'annee siiivante, apres I'en-
levement du seigle , nous avons remarque de jeunes
bouleaux dont quelques-uns avaient O'MOde hauteur;
mais les plus nombreux n'avaicnt encore que deux
feuilles. Unc visile faite au mois de mai suivant ,
nous a convaincu que la plantation elait inutile et
que le semis naiurel elait dix fois liop nombreux.
En pareille circonstanco , une autre fois, nous n'a-
vons plus hesite. Si le plant ne parail pas la pre-
miere annee , c'est le defaut de graine ; mais alors les
annees suivantes sont la pour operer le repeuple-
ment. qui a tonjours lieu avant la quatrieme annee.
Nous ferons observer quo les graines foreslieres
qui existent sur le sol au moment de I'ecobuage,
ne sont pas loutes perdues ; quand I'essarteur enleve
le gazon , il le dresse en forme de cone pour le
faire secher , I'herbe en dedans, la terre et les ra-
cines en dehors. Les graines fecondes onl toujours
un certain poids qui les fait tomber sur I'aire de
la coupe ou elles prennenl racine quand la saison
favorable est venue. Elles en sont done pas toutes
incinerees avec le gazon.
Nous ferons encore observer un fait important
que I'experience a mis en evidence : c'est que I'es-
sarlage equivaut a un demi-defrichement ; il faut
dans ce cas au moins deux periodes d'exploilation
pour que la foret essartee puisse reparer les pertes
qu'elle a faites. On ne pent done, sans un grand
dommage, se permeltre d'essarter dans la presque
lotalile des bois du departement de la Marne , et
en general dans les sols calcaires.
— 103 —
Depuis longlcmps nous avions ete frappe du [leu
de produil que donnaieni les taillis dans des sols
riches el profonds, non seulemenl dins les forels
Ardennaises , mais encore dans cellcs da deparie-
menl de la Marne. En observant avec atlenlion
et a I'inspeclion dcs lieux , il elait facile d'en re-
connailre la cause : une quanlile considerable de
fortes souches de charme occupait le terrain , ne
donnant a I'age de vingt ans qn'une poignce de
ramilles. Elles elaient la cause majeure de la di-
minution du produil en combustible, diminution
qui se faisait sentir depuis longlemps dans I'arron-
dissement d'Epernay, sur le plateau boise au midi
de celte ville, ou sont siluees les belles forels de
Brugny, de Montmort, etc. C'est en 1856 que nous
avons commence a y appliquer le moyen que nous
avions employe dans les Ardennes , c'est-a-dire , a
faire extirper a I'epoque de I'exploitaiion de chaque
coupe, les vieilles souches de charme qui ne pro-
duisaient plus que des brindilles trainantes. Nous
n'avons pas ete trompe dans notre attente ; ce que
nous avions prevu est arrive. Le semis naturel de
bouleau, de marsault, etc., s'est montre nombreux
et vigoureux des la deuxieme annee; le chene, apres
avoir glandee^ malgre la presence de nombreux san-
gliers, a donne une grande quantite de plants. Ce
resullat nous a encourage ; nou-s n'avions , dans les
premieres annecs, enleve que les souches mortes
et celles a peu pres improductives ; mais depuis ,
nous avons opere plus en grand, en faisant dispa-
railre toutes les souches dont le produit commen-
Qait a diminuer ou a s'affaiblir , et nous conti-
nuames , sans frais, ce rajeunissement des hois.
— loa —
coupe par coupe, ;t mesure que chacuno d'ellfs arrive
a son lour d'exploilation.
On voil que noire moyen , pour reoouveler I'as-
souchemcnl improductif des vieilles forels, esl ires
simple. II consislc , iors des exploilalions, a faire
exlirper les vieilles souchos improduclives qui oc-
cupent unc cerlainc elendue de terrain , el qui em-
pechenl les semis naiurels de se dcvelopper , et a
avoir la precaution de laisserdes baliveauxdes bonnes
essences , donl les plants provenus des graines pros-
pereroul el remplacerontavanlageusemenl les souches
improduclives enlevees , ci cela , des la premiere
periode , au bout de laquelle on irouvera deja des
baliveaux de ces semis.
Si Ton veul encore augmenler le produit du laillis
en combustible et les chances de succes pour la reus-
site des semis , il taut , outre Tenlevemenl des vieilles
souches de charme, exlirper egalement les coudriers ,
les epines , les ronces , les viornes , les troenes ,
Ics bruycres , les cornouillers, et enfin loutes les
plantes nuisiblcs. II restera assez d'ombre el assez
d'herbes pour proleger le jeune plant.
II ne faut pas croire que ce travail soil une de-
pense : non, les bucherons se Irouvent araplemenl
dedommages par les souches el les racines extirpees
qui Icur sont abandonnees : c'est le moyen que nous
employons sans bourse delier.
Si le sol d'une foret n'etait pas propre a se re-
peupler par les semis naiurels, cas fort rare, ou
si les baliveaux n'eiaienl pas d'essences convenables ,
on devrail alors planle.' a gazon retourne , tin de
I'annee d'exploilation si le terrain esl sec, et en
fevrier ou mars suivant si le sol esl humide.
— 105 —
RfiSUMfi.
II resulie des observations qui precedent , que
pour renouveler rassouchement d'une vieille foret
dont le produit du laillis decroit par suite de I'age
avance des souches , il faul extirper , lors de I'ex-
ploilation , celles de ces souches qui ne donnent
plus de brins vigoureux , toutes les mauvaises
essences el celles peu produclives qui se trouvent
dans la foret.
On doit conserver, comme porle-graines, des bali-
veaux d'essences productives pour elre certain d'avoir
un bon semis nalurel qui ne tardera pas a peupler
les vides que Ton a fails. Ki , dans le cas ou le
terrain ne serail pas propre a se repeupler ainsi ,
ce qui est rare , on devra a la fin de I'annee de I'ex-
ploilalion , si le terrain est sec , el au printemps
suivant , s'il est humide , repiquer, a gazon retourne ,
de bonnes essences qui conviennenl au sol.
II arrive encore souveni que le semis est irop
dru sur un point , tandis qu'il Test trop peu sur
un autre. C'est une faible depense de faire eclaircir
ces taillis el de replanler de suite les aulres ; niais
eelle operation doit toujours se faire a gazon retourne.
— 106
LETTRES.
Rapport sur le livre intitule la Purete da coeur ,
PAR M. L'ABBfi F. E. CHASSAY , PROFESSEUR AU
SfiMINAIRE DE BAYEOX ; 1 VOL. IN-12 XV -558 [).,
2® £dit. 1850 ; — par m. v. tourneur.
Seance du iS Decembre 1850.
Messieurs ,
Quand rerreiir se leve forte el puissaole pour
attaqner la societe, quand les dogmes ebranles sous
ses coups menacent de laisser sans fondemenls la
morale et les vertus les plus indispensables au bon-
heur de I'homme , il faut que les esprils d'elile
s'avaocent pour les souteuir, et se fassent les cham-
pions de la verite. — Tout citoyen devienl soldat,
quand les hordes etrangeres envahissent la palrie ;
raais ceux-la surlout doivent courir aux armes , que
leurs forces, eprouvees dans cent combats , designent
d'avance comme des capitaines a tous ces hommes
inexperimenies. C'est ce qu'a compris M. I'abbe
Chassay. II a compris qu'en ces jours ou les veriles
les plus necessaires sont attaquees de loutes parts ,
c'est au preire caiholique qu'apparlient la noble mis-
sion de lutter pour elles ; k lui surtout , quand les
— i07 —
loisirs (le sa position lui pcrmeUeul dc cosisacrer a
ces travaux penii)les , un lalent male, plein de sou-
plosse cl de vigueur, nourri par de longues ct pa-
tientes etudes. Pendant quelquc temps , a I'ombre
d'lin transparent pscudonyme, M. Chassny exer^a ses
forces dans nos meilleures Revues j^hilosophiqucs ct
lilteraires, ; mais bientot sa genereuse ardeur I'em-
porta dans I'arene, le front haul, la visierc levee,
portant sur sa modesle banniere cclle noble devise :
Exister , c'est combattre; el, depuis lors, il n'a point
cesse de s'y montrer fideie.
La pluparl des ouvrages polemiqucs de M. Chassay
vous ont ele adresses , Messieurs ; divers membres
de la Compagnie vous en rendronl compte tour-a-
tour, el vous verrez avec quelle infatigable ardeur
il sail se porter simullanement , pour ainsi dire , a
tous les points altaques, pour les defendre.
M. Pierre Leroux, en France ; en AUemagne , Sem-
ler, Schleiermacher, De Velte , le d' Strauss, et plu-
sieurs autres , s'efforcent , a I'aide de nouveaux sys-
lemes d'Exegese , d'enlever , au nom de la science ,
toute outorile a nos livres saints. Le prernier ou-
viage de M. Chassay, intitule /e Christ et VEvangile ,
est destine a les refuler ; j'espere vous dire prochai-
nemenl comment il s'esl acquitle de cetle lache.
Mais les verites morales ne sont pas corabaltues
moinsvivemenlque lesdogmes; en quelquesmois, I'au-
leurdont je vous parle a compose, pour venir en aide
a ces verites , toute une serie de livres non moins
erudiis , non moins remarquablesque les precedents,
et c'est du premier volume de cette seconde serie
d'ouvrages queje viens aujourd'hui vous rendre compte,
pour reuiplir la mission qu'a bien voulu me contier
not re honorable president.
— 108 —
L'ouvrago dont j'ai ii vous entrelenir a pour litre:
La Pitrctc (111 cceur , et ce lilre en designe parfai-
lemeni le sujei. Sujet delicat, sujet diflicile ! Car il
s'agil dofaire connailre, a ceuxqui ne voudraient don-
ner a riiomme d'aulres regies de conduile que ses
penchants el ses passions, les droits imprescriptibics
de laloi morale, devantlaqueil e tout doil s'incliner.
Sujel important ! Car on ne repelera jamais assez que
la Purete du coeiir , vertu inconnue , meme de nom ,
a la sagesse antique, est cependanl le principe du
repos et de la dignile de I'liomme , le garant unique
de la paix des families , la source des moeurs douces
el bienveillantes, et de la Aerilable civilisation. Sui-
vons pas a pas la marche el les principals idees de
M. Chassay dans la demonstration de cette verite.
Dans une courte introduction , Fauteur rappelle
le dogme f'ondamental de la dccheance et de la chute
originelle , que Voltaire et Kant n'ont pu s'empficher
de reconnaitre comme la base des traditions reli-
gieuses de lous les peuples. II invoque cette verite
comme devanl servir a expliquer el h eclaircir les
redoutables problemes dont il veul aborder la so-
lution.
Penetrant ensuite au fond de son sujet , il montre,
dans le premier chapitre, I'homme perpetuellement
sollicile par deus forces rivales , dont I'an'.agonisme
explique les contradictions de sa nature. « D'un
» cote s'agitent en lui , avec une impetuosite sau-
» vage , les desirs sans frein , les affections abjectes ,
» les passions devorantes ; de I'autre s'effcrcent de
» monter vers le ciel les inspirations de la piele,
» du devouement el du sacriflce. » — Tournez vos
regards vers un certain cole de la nature humaine,
— 109 —
dil M. Chassay , p. 25, voyez-vous quel egoisme
elroil , quel fol orgueil , ([uel desir d'amasser? —
Yous n'elcs pas homme, si vous no, scnlez au fond
du coeur gronder la tempete des passions , nailre a
cliaquc inslant, comme des planles venenouses , les
pensees inquietes , les desirs agites , les revolles
orageuses. Voila riiomme ; mais ce n'est pas Ici tout
riiomme : — Ce ver de terre c'est lui ; mais celui
qui compreiid la vertu , qui cheril I'ordre, qui cherche
le devouement , c'est I'liomme encore ! N'est-ce. pas
la une ruine gigantesque , qui conserve au milieu
de ses murs demolis quclque tour isolee ? N'esl-ce
pas la le papillon qui sort do la fange pour secouer
au soleil son aile chatoyanle et radieuse? Voila ce
prodige de la duplicite de la nature humaine. C'est
ce que le chrislianisme appelle la lulie du cmir et
de Veaprity el dans laquelle il fuut necessairement
choisir son drapeau. D'un cole le cwur, la sensibi-
lite , avec toutes ses seductions et ses amorces • —
de I'aulre Vesprit, qui voil le mal el qui le repousse,
malgre ses attrails niensongers ; Vesprit qui veut la
lulle, TefTort par excellence, et ce qu'une antono-
mase sublime appelle dans toutes les langues la
vertu.
Or, landis que la veritable morale tjavaille a com-
prinier la revoke des passions, une parlie de la
lilierature du jour semble avoir pris a lache de les
legiiimer. On pose en principe la saintete des epan-
chemenls du coour , et Ton s'indigne des obstacles
qu'ils renconlrenl dans les institutions et les lois
sociales; c'cst-a-dire que, par un elrange renverse-
ment, la voluple devient une verlu genereuse , et
le principe des plus nobles inspirations. Et telle est
— 110 —
la iheorie seniimenlale de Rousseau , qui a Irouve
dans TauttHir d'Indiana un eloquent el rigoureux
interprele ; car celui-ci n'a fail que developpcr les
idecs de son maitre. Si Jean-Jacques a dil vrai ,
Georges Sand n'a pas tori ; Spiridion est le digne
successeur du Vicaire Savoyard ; mcdame de Warens
n'esl ni plus noble ni plus poetique qu'Indiana ;
Jacques pent bien conlinuer Wolmar ; et Valentine
n'esl qu'un coup d'epingle apres les Confessions.
Cela pose, I'auteur examinera I'induence da ces
deux tbeories rivales sur le bonbeur de I'homme ,
soil comme individu, soil dans la sociele ; el dans
une suite de tableaux admirablemenlpeints, il nous
montrera par quelle penle rapide les maximes de
Rousseau et de Georges Sand, en legitimant la
volupte, en'aainent I'liomme d'abime en abime , jus-
qu'au gouffre le plus profond de I'abjeclion et du
desespoir.
Premiereraent le cube du plaisir entraine apres
lui la irislesse et le decouragement. Qu'on in-
terroge tour a tour saint Augustin ou Byron, saint
Jerome, ou Werlher, ou Rene, ou don Juan, ou
Foscolo , ou Ortis , ou Oberraann , loujours un cri
de douleur s'ecbappe des ames enchainees au plaisir ;
parce qu'il y a dans les creatures un fond d'im-
puissance qui ne leur permet pas d'atteindre a la
bauleur de uos convoitises et de nos besoins.
Ecoulons : y Child-Harold passait I'ete de ses
B jours a voter de plaisir en plaisir, sans penser
» que la froide misere viendrait le glacer lout a
» coup, Mais il n'etait encore qu'au tiers de sa
» carriere, qu'il fut arrete par quelque chose de pire
» que les malheurs de la fortune : il eprouva le de-
— HI —
» goiU de la satiele; sa lerre naiale liii devini
» odieuse el lui sembla plus trisle que la irisle cellule
» d'un anachorele... »
Mon corps souffre el mon coeur gemil , dil Jean-
Jacques ; mon ame est oppressee du poidsde la vie!
Le chantre d'Elvire n'est pas plus conlenl du sort:
Pourquoi gemis-lu sans cesse ,
0 moa ame ? Reponds-moi :
D'oii vient ce poids de tristesse
Qui pese aujourd'hui sur toi ?
Au tombeau qui nous devore ,
Pleurant , tu n'as pas encore
Conduit tes derniers amis ;
L'astre serein de ta vie
S'elfeve encore; et Ten vie
Cherche pourquoi lu gemis !
Tous les ecrivains de I'ecole senlimenlaie conflr-
meraient noire assertion, car Werther, Ewen, Sau-
lelel , Escousse , Lebras , Challerlon , sonl si peu
saiisl'ails de ce monde , qu'ils s'echappenl dans I'e-
lernile ; Cliild-Harold , don Juan , Frolio, Antony,
Monte-Christo prennent la vie a degoiit; Oberraann ,
Aleko , Brulart , Rousseau maudissent la civilisation
moderne ; Indiana , Valentine, Magnus, Tremnor ne
connaissent pas le Bonheur.
Sans doule la verlu ne preserve pas des dechi-
rements du coeur. Pour tous les entants d'Adam ,
la terre est une vallee de larraes . et leur joug est
pesaul a porter. Mais il y a deux tristesses, comme
il y a deux joies. La joie , pleine de licence et
de dissolution , qui s'efl'orce d'oublier par I'enivre-
meni des passions les inguerissables miseres de I'exis-
tence , ct la joie verlucuse qui, pareille a celle
— 112 —
d'Androniaquc , esl un sourire mele de larraes. I.e
voluplueux esl triste, el sa trisicsse n'a point lie
remede. L'homme verlueux esl irisle , mais il a
pour consolation resperaiico.
A la tristesse et au decouragement, que la volupte
eutraine a sa suite, vient bieulol sejoindreun mal
plus grave , c'est Vanarchie du cceur ; puis , imrae-
diatement apres, la servitude. Trois chapitres nou-
veaux expliqueront ces idees, sur lesquelles je passe
rapidement. La sen&ibilite est si envahissante que ,
quand elle n'esl pas reglec par rintelligence , elle la
doniine et la lue. Tout ce qui depasse la portee des
sens est alors traite corame une chimere ; on oublie
tout, ou du moins on doute de tout. Comment le
dire mieux que I'auteur des Orientates ?
Si vous me demandez , yous muse , a moi poele ,
D'ou Tient qu'un reve obscur sembie agiter mes jours ,
Que mon front est couvert d'ombres , et que toujours ,
Coinme un rameau dans I'air , ma vie est inquiele ;
Je vous dirai qu'ea moi je porle ua ennemi ,
Le doute, qui m'emmene errer dans le bois sombre,
Spectre myope et sourd , qui , fait de jour et d'ombre,
Monlre et cache a la fois touts chose a demi !
Herweg, poele allemaod , sera plus expressif eu-
core. Voici un disiique adresse a la jeunesse :
Doute, et doute toujours, et sans croire savoir ,
Dul ton coeur se briser sans foi e» sans espoir !
Ailleurs il ajoute :
Qu'il soit un Ditu , qu'il n'en soil pas .
Eh ! qu'imporle ce Dieu a qui croit au Irepas ?
lei loute clarle fail faute a mon desir ,
Et rieii n'est vrai que le plaisir !
— 113 —
Gnillaiime Marr ira plus loin, ct il dira : je veux
dti grands vices, des crimes sanglnnls, colossanx.
Quand rie verrai-je plus cclle morale Iriviale el cede
vertu qui m'enniiic ?
Ah ! c'esl que le souvenir de Dicu el de la verln
imporlune I'ami du plaisir; il Tecnrie avec ironic
el dedain. Si le ciel le frappaii de la loudre, comme
don Juan, il I'insulleraii avant de moiirir.
Servitude effroyable que celle des passions, puis-
qu'elle conduit falalement de la Irislesse au doute,
du doute au blaspheme et au desespoir ; mais ser-
vitude d'autant plus terrible, d'aulani plus a craindre,
qu'elle revel mille formes Irompeuses. Elle n'est
d'abord qu'une innocentc reverie, un besoin d'epan-
chement : mais apres avoir gronde sourdement , la
passion eclale avec fureur , el quand une fois elle
s'esl enracinee , la vieillesse elle-meme, qui delruit
tant d'illusions , ne parvient pas toujours a Farra-
cher. Et quand il en est ainsi . il se fait une des
situations les plus avilissanles qu'on puisse imaginer.
Dans les commencemenis de la vie , la passion ren-
contre encore des freins et des obstacles , parce que
Tame alors n'a pas pu briser syslematiquemenl toutes
les pures traditions des ancetres ; roais quand vient
la vieillesse , il n'en est plus ainsi : tout devieni
science et calcul ; on achete ce qu'on ne peul avoir
par affection , et Ton voil des elres miserables et
fletris qui , n'ayanl plus pour excuses leurs passions
odieuses, ni renlrainement des sens, ni la faiblesse
du coeur , trafiquent du bonheur el de la paix des
families indigentes.
Apres avoir apprecie les consequences morales de
la volupte relativement a Tindividu , M. Chassay
I. 8
- 114 —
envisage la qucslion par rapport a la famille. II com-
pare la position que le paganisme avail faile a la
compagne de riiomme avcc la magnifiqiie preroga-
tive qu'elle doit a la religion chretienne. Apres un
rapide coup d"oeil jete a la hate sur I'ancien monde
payen , alors que la lemma elail tour a lour une
esclave courbee sous le baton , ou une Mcssaline
effrayanl Tunivers sur le irone des Cesars , I'auteur
nous iransporle au milieu des peuples de I'Orient
moderne , pour nous y faire toucher du doigt les
etonnants services rendus a I'humanite par I'ensei-
gnement chrelien. Car il semble que la Providence ,
pour confondre I'ingraliiude du peuple moderne et
monlrer la toule puissance de la purete evangelique,
ait voulu conserver la , sous nos yeux , une portion
de ce vieux monde payen garrotte dans ses fers
eternels donl la civilisation catholique commence a
briser les lourds anneaux.
En etfet, chezles peuples encore barbares de I'Asie,
la fenime est un slupide instrument de plaisir, ouplutot
une bete de somme.
Chez les musulmans, elle est privee de loute edu-
cation morale , prisonni^re , gardee par de hideux
geol.ers ; ou bien vendue sur les marches et jetee
au milieu des bazars comme un betail vnlgaire. —
Les Indous en font une esclave. — Et a la Chine ,
au rapport d'un ofBcier de marine nalionale qui re-
vcnail naguere du celeste Empire , elle eCFraie I'im-
pudence par sa corruption. Elle a perdu le senti-
ment qui meurl le dernier an coeur d'une femme ,
le sentiment de la maternile. Ce sont les Chretiens
qui sauvent ces malheureux enfanis , auxquels des
passions brutales ont refuse jusqu'aux larmes d'une
mere.
— 115 —
En Gr^ce , autrefois , il y eul plus de liberie pour
la femme , il y eul ni6me des honneurs ; mais ce
n'etait pas a la verlu que ces honneurs elaient de-
ccrnes. C'elaient Ics couriisancs Aspasie , Theodora,
Lais, qui avaienl le privilege de reunir autour d'elles
les hommes les plus dislingues , ies pliilosophes les
plus graves. II n'esl point etonnant qu'avec de pa-
reilles moeursles fcmmes grecquesaienlele debauchees
jusqu'au cynisme.
A Rome , il est vrai , la condition des fcmmes
fut generalement meilleure qu'li Aihenes ; la famille
elail prise au serieux , et lant que se conserva I'auste-
rile des mceurs republieaines , on put croire un
instant que la cile romaine echapperait a la con-
tagion qui devora lentement la societe payenne. Mais
la decadence arrivabieniot: etl'on ecrirail une affreuse
histoire , si Ton voulail recueillir avec patience ce
que les auteurs latins ont raconte sur les moeurs
des dames de Rome vers les derniers temps de
la republique.
II elait temps qu'une impulsion nouvelle fit aban-
donner aux hommes le parli du cwur et de la vo-
lupte, pour faire triompher celui de la purete et de la
vertu. Le chrislianisme opera cette merveille quand
il vint purifier et sauver la femme, en faire le
centre de la famille, I'ange tulelaire des jeunes
generations. Cette rehabilitation a eu pour principe
la chastete chrelienne, et la civilisation moderne est
nee de I'institution vrairnent sociale du mariage
calholique , c'est-a-dire, un , indissoluble, et dans
lequel la femme sera I'aide, la compagne, la con-
solation de I'homme, et non pas son esclave.
Une telle institution devail etre attaquee par ceux
- 116 —
qui onl pris parti pour le plaisir contre ie devoir.
Au milieu de notre sociele si malade , ie manage
se discredile et s'avilit. Autrefois, dil M. St. -Marc
Girardin, il y avail un mariage sur 120 liabitanls,
aujourd'hui ii n'y a plus qu'un mariage sur 150
habilanls. L'accroisseraeni du nombre des enfants
naturels correspond a la diminution dn nombre des
mariages : on compte dans la pluparl des grandes
villes sur 5 enfants, 1 enfant nalurel.
De nos jours , ajoute le spirituel professeur , on
a invente, pour designer les commerces illicites , un
nouveau mot : le mariage libre.
El d'oii \ienl cela? - La litteralure conlera-
poraine ne tend-elle pas a donner de la femme
une opinion si Irisle , qu'on n'ose plus lui cousa-
crer son avenir el toule sa deslinee par des nceuds
elernels? Quelles femmes que les tilles du pere Goriot,
que les heroines des Memoircs du Diable , que les
comlesses du Compagnon du tour de France et des
Mysteres de Paris !
Mais le principal cnnemi du mariage social et
caiholique , n'est-ce pas Georges Sand , adversaire
d'autani plus serieux qu'il parait convaincu, parce
qu'il e.-^t passionne? Aussi, M. Chassay I'attaque avec
aulant d'eclat que de vigueur. Suivanl I'auleur de
Valentine , de Lelia , de Leone Leoni , le mariage
est une oppression consacree par I'Eglise , la vio-
lation des droits imprescripiibles du coeur. — Certes,
lui repond noire auieur , nous n'avons jamais pre-
tendu que le mariage dfii procurer a la femme un
bonheur sans melange. Si des ecrivains irreflechis,
dans de pieux romans , ont monlre a la femme le
mariage catholique comme un avant-goul des joies
— H7 —
du paradis , nous ne voulons point 6lre rcspon-
sable de ces pueriles excentricites , si posilivemenl
dementies par ces grands iheologiens qui joignenl
a la connaissance de nos doctriDes une s6rieiiso
elude de la nature humaine.
Saint Chrysosiome appelle le mariage unc servi-
tude eternellCj une chaine atlachant deux esclaves
de maniere a ce qu'ils ne peuvent niarclier I'un sans
I'aulre.
Bossuet annonce aux epoux les mieux assortis ,
les peincs , les contradictions , les angoisses.
Bourdaloue nomnoe leur union: une croix, un joug,
une sujelion , un esclavage.
En demandant a la femme des sernaenls elernels^
I'Eglise ne lui dissimule pas les durcs obligations
qui en decoulenl. L'Eglise cxige d'elle un devoue-
nienl austere ; mais cependant le mariage n'est pas
une institution tyrannique, car I'Eglise ordonne au
mari de respecter la liberie de son epouse. Ce n'est
point assez ; elle veut qu'il ait pour sa compagne
une afl'eclion si puissante, si desinteressee , que
ne trouvanl point de comparaison dans les choses
humaines , elle lui propose , comme type de cot
amour, I'amour de Jesus-Christ et de I'Eglise.
Tel est, en abrege, le livre deM. Chassay. Je vou-
drais que cette rapide esquisse eut pu vous en donner,
Messieurs , une idee neite et precise. Vous le voyez ,
on se tromperait si , d'apres le litre , on s'atleu-
dait a ne rencontrer dans cet ouvrage que des consi-
derations morales el de pieuses exhortations. Ce
n'est la ni du mysticisme , ni de I'ascelisrae , c'est
une appreciation consciencieuse et Tranche d'unc
— 118 —
des plus grandes ])laies de noire pau\ic sotieie ,
I'indicaiion de ses causes el de ses remedes. Ajoutons
que le lout esl rendu dans un slyle peul-6ire quelque
peu pretenlieux par place , mais presque loujours
elegant , clair , clialoureux , et heureusement coupe
de citations interessantos, enipruntees aux princi-
cipaux ecrivains de tous les parlis , qui delassent
le lecleur , et fornienl de I'ouvrage nn iresor d'im-
porlanles verites cxpriinees dans le plus beau langage.
Des notes elenducs , placees a la fin de chaque
chapitre , confirincnt aussi la doctrine par de nom-
breux temoignages, dont plusieurs ont d'aulanl plus
d'aulorite qu'ils viennent des adversaires eux-memes.
Ces notes font d'aiileurs connaitre aux lecteurs qui
. n'ont ni le temps, ni le gout de lire tout ce qu'on
appelle les chefs-d'oeuvre de notre litl6ralure mo-
derne , ce qu'il y a d'important a savoir de ces pro-
ductions quelquefois bien irislement celebres.
Je ne crains pas d'etre desavoue par les differents
rapporteurs qui auronl a vous entrelenir des autres
ouvrages de M. Chassay , en demandant a I'Acade-
mie de I'inscrire sur la lisle des candidals au litre
de membre correspondant. Aucun ne fera plus
d'honneur a la Compagnie , par son aciivile et son
incontestable talent.
119 —
RAPPORT DE M. GAINET
sun LE LIVRE DE M. CHASSAY , INTlTULf: MyslicisviC
cathoUque.
Sdance du 13 Decenibre 1850.
Monsieur I'abbe Chassay jouil dejii depiiis long-
lemps d'line belle reputation dans le monde lilleraire.
II appartiont a I'ecole dc Bayeux , oii il a pour
emules MM. Noyget, Valroger el d'autres savants
ecclesiasiiques : cetle ecole a merite les suffrages et
les encouragements du Souvcrain Ponlife.
M. I'abbe Chassay est un des plus illuslres repre-
senlanls de celte savante et glorieuse famille. Sa
feconde et infatigable activite poursuit deux buts en
meme temps. II a congu le plan d'une biblioiheque
Chretien ne pour les meres de families , et dcja cinq
ou six volumes onl paru pour remplir son cadre ;
ils atlestent unmoraliste sage eljudicieux , en meme
temps qu'un ecrivain exerce. Une autre serie de ses
publications a un objel plus speculatif ; elle est con-
sacree a la defense du dogme catholique. De ce nombre
est Fouvrage dont je rends cum|)te en ce moment.
En oft'rant an public son Mystict'sme catholique , il
lui donne une nouvellc preuve de son aptitude a
combatlre I'erreur et a la pnursuivre dans ses rami-
fications les plus eloignecs.
— 120 —
Los questions qu'il traile sonl plus iiiieroosantes
et plus elendues que no senible d'aboid i'indiquer
le tiire : le quielisme braminique impute au caiho-
licisme ; Taccord de la yrace avec la liberie humaine,
le salul des heretiques ei des jnfideles , la vie mo-
naslique , c'esl-a-dire loul un ordre de questions qui
touchonl a la partie la plus delicate du dogme ca-
tholique : voila I'objel du livre , el ces maximes sent
discutees avec un grand succes par M. Chassay. Son
livre brille par deux qualiles essenlielles : premiere-
menl par une grande clarle et une grande exactitude
tlieologique ; le lecleur peut toujoiirs suivre sa dis-
cussion sans fatigue , alors memo qu'elle louche aux
questions abslrailes de la nielaphysique ; en second
lieu , par I'heureux choix des documents de la Ira-
diliori'; et comme il met en regard les assertions
coniradicloires des adversaires du clirislianisme , on
a sous les yeux loutes les pieces du proces.
L'auleur commence par ecarter I'accusation qu'on
a faite a I'Eglise de n'offrir qu'une doctrine emprun-
tee a quelques philosophes plaloniciens et aux bra-
mines de rinde. Pour quelques-uns , le chrislianisme
est un plagiat.
Sans dome , c'esl ia gloire du chrislianisme de
remonler a I'origine du monde , el de conlinuer la
tradition primitive ; de conserver et de resumer dans
son scin lout ce que les premiers ages conservaient
de juste et de vrai. Le chrislianisme n'est si sur
de I'avenir que parce qu'il est solidemenl etabli sur
le passe. Sous ce point de vue , la religion chre-
tienne n'est point une innovation. Mais il faut bien
pen connaiire ce qui s'est passe dans le monde , il
faut eire bien etranger aux revohilions intellectuelles ,
— 121 —
pour lie voir lians le divin roiidalcur du chrislia--
nisme qu'un plagiaire de Brama , dans les firemiers
peres de I'Eglise que des disciples de Plalon. L'eru-
dilion de M. Cliassay ne laisse ignorer auciine des
pieces de conviclion qui confondent ces assertions
de MM. Barlhelemy Sainl-Hilaire , Sainte-Beuve el au-
ires superficiels ou malveillanls imilatcurs deMosheim.
Ceux qui meconnaissent la profonde originalitc du
chrislianisme el qui n'y voienl qu'un developpement
des ecoles philosophiques de I'anliiiuile, sonl des
myopes auxquels M. de Maislre defend de lire I'his-
Joire.
La question de I'accord de la liberie humainc
avec la grace a ele presentee par I'auteur avec un
rare bonheur.
On ne sail ce que Ton doil le plus admirer, ou
la judicieuse inlerpretalion des lextes sacres , ou la
parfaile connaissance des peres de I'Eglise, qui ,
dans la discussion de M. Chassay , viennenl tour a
tour, el avec un a-propos parfail , dire ce qui est
necessaire pour vider le debat. On voit la decep-
tion de ceux qui out espere irouver I'Eglise en defaul
par eel endroit.
On peut faire remarquer ici une inconsequence
de plusieurs pbilosophes de ce temps-ci, qui a loules
les proporlions d'une enormiie. D'une part , ils ac-
cusent I'Eglise de blesser la liberie humaine , elle
qui a loujours ele si jalouse de la defendre contre
lous les novateurs de lous les leuips ; de I'aulre ,
ils ouvrenl eux-inemes les porles h un degradanl
lalalisnie. Ce fatalisme , ils I'ont applique a I'liis-
loire el a la conscience humainc ; el dejii certains
reformateurs onl essay6 de rappli(jU('r a la vie pra-
— 122 —
lique. Le falalisme n'esi-il pas le premier corrolaire
du panlheismc, qn'on a voulu populariser tie nos
jours en Allemagne el en France? Dans ce systenie,
vous chercliez en vain une personne humaine, vous
ne irouvez qu'un accident lugilif de I'infini. De la
ces sottes el dangereuses doctrines , que la vertu
se revele par le succes : le succes devienl toule une
morale.
Le prudent Jonffroy lui-meme , tout en voulant
respecter noire liberie , Taneanlit d'une autre ma-
niere. II ne voulail pas que Dieu trouvat de cou-
pables a punir ; el, pour ceia, il emploie un excellent
moyen : il absout tout le monde. L'homnie, dit-il,
est enchaine a sa fin par ses tendances el ses pas-
sions ; il faul qu'il y arrive... Les fautes, les crimes
meme, n'empechent point Thomme d'arriver a sa
fin. Le meme auteur developpera , si vous voulez,
sa pensee, el il en fera I'application a la distinction
du bien el du mal , ceite base premiere de toule
morale. L'effet du bien et du mal dans Vctre sen-
sible, dit-il, c'est le plaisir et la douleur. L'ordre
et le bonheur , le bien et le plaisir sont done insepa-
rables , pane que I'un est Veffet de Vautre ; c'est une
illusion qui les a fait ennemis. Owen , Saint-Simon
et Fourrier n'ont pas dit autre chose. Mais avec un
pareil enseignemenl on va plus loin qu'on ne pense.
Dans la polemique contre I'Eglise sur celte ques-
tion du libre arbiire, il est reniarquable qu'au lieu
de lui rendre hommage pour avoir anathematise le
grossier falalisme de Luther, qui prechait I'inutilile
des bonnes oeuvres el le dograe pervers de I'ina-
dmissibilite de la justice , au lieu de lui rendre hom-
mage pour avoir condarone les tendances fatalisles
— 123 —
de la (luret^ janseniste, une foule d'auleurs onl ou
(les lendrosses pour ces sectes condainuees. On peut
juger par la de la moralile de leurs s\mpaihies el
de leur bon sens philosophique. Heureusemcni pour
rEurope, qu'clle eiait suffisammenl eclairee par !a
sagesse de I'evangile ; memo dans les pays separes
de la communion romaine, elie a repousse le fa-
lalisme. En sorle qu'on peul dire qu'en ce point
le calholicisme a ete vainqueur, nieme au sein des
communions dissidentes.
On trouvera dans I'ouvrage de M. Chassay d'uiiles
aper^us sur toules ces questions.
La lulle victorieuse conlre les erreurs de cette
nature rappelle nalurellement le nom d'un pr»'>lal
aujourd'hui revelu de la pourpre romaine , doni la
iheologie est devenue populairc, el qui, parsapopu-
larile meme, a porle le dernier coup au jansenisme.
Je ne veux dire qu'un moi sur la maniere donl
I'auleur a traite le point imporlant du salul des here-
liques el des infldeles , ce point si mal compris el
si defigure de I'enseignemenl Chretien. Impossible
de faire sur ce sujel une dissertation plus savanle,
plus complete, plus raisonnable.
Enfin M. Chassay avail a venger la vie monas-
tique, dans les premiers siecles de I'Eglise , de quel-
ques reproches. II a mis hors de lilige ce point capi-
tal : que les moines de I'Orienl ne se livraienl pas
seulemenl a la contemplation, comme tant d'ecri-
vains ratTu'ment , mais partageaienl leur vie enlre
le travail et la priere.
Les moines de la primitive Egliso etaient des
hommes qui vivaient de peu , ne demandaieut rien
~ 124 —
el doniiaienl souvent aiix aulres. La sociele, meiue
clans ses epoques les plus forlunees , aura loujours
besoia tie pareils hoinmes , parce que rabondance
des biens nialeriels ne sera jamais telle que la mo-
deralion cl la patience dans les privations uecessaires
ne soienl une verlu de la plus haute importance.
Sur les diverses malieres que nous venons d'in-
diquer , le livre de M. Chassay est plein d'ensei-
gnements les plus siirs et les plus utiles : au me-
rite de I'exactitude dans la doctrine , il joint le raeriie
du savoir el du talent.
— 125 —
ANALYSE
LITTER AIRE ET PHILOSOPHIQUE
DES OUTRAGES LES PLUS UTILES AUX MOEUUS,
par SI. Ernest Arnould.
Seances du 8 et du 22 Novembre 1850.
S'il est une pensee qui puisse , aiix epoques agi-
tees de rhistoiro du monde, rassurer les esprits
sludieux et consoler les ames meditaiives , c'est la
pensee sereine et eclatanle qui se revele a certains
jours en des livres choisis ; nos croyances au bien
se raffermissent sous I'impression de ces paroles
harmonieusement inspirees ; nos aspirations vers un
avenir meilleur s'elargissent et s'epurent en ecou-
lant ces recils, qui ne sont que I'expression et
recho des senliments les plus vrais et les plus pro-
fonds de I'humanite.
A I'ombre des devoirs bien remplis et des joies
calmes de la famille, des poetes, des philosophes
Chretiens , des femmes surtout , animees par le saint
amour maternel , out fait sortir de leur coeur , a
I'aide de paisibles eludes , des conseils qui ont
renipli des plus douces emotions des pages nom-
breuses ; tandis que des esprils plus graves discu-
taient et analysaient avec une incontestable supe-
rioriie, les difliciles problemes qui ont ele agiles dans
lous les temps, h toutes les epoques.
— 126 —
Si vous reunissez quelques-uns de ces livres aux
recits heureux , ou quelques-uns de ceux donl les
convictions philosophiques se manifeslent avec tanl
d'erapire , vous serez bienlot convaincu que loutes
les saines idees morales ont conserve leur foi vive
qui illumine dans plus d'une arae d'elile; les idoles
n'onl pas encore p^netre dans tons les temples.
L'un des sanctuaires les plus glorieux parmi ceux
qui font le plus d'honneur h la France , et dans
lequel la verile morale est restee sur son piedestal ,
debout , dans toute sa majeste et dans toule sa
purete antique, est ce cenacle lilteraire fonde par
un minisire illuslre , qui a precede et prepare le
grand siecle de Louis XIV. Les liberaliles repan-
dues par les mains magniflques el intelligentes de plu-
sieurs hommes de bien, ont permis a I'Academie
Frangaise d'appeler a elle chaque annee , dans de
nombreux et eclatants concours , toutes les imagi-
nations fecondes , toules les superioriies ; tour a
tour elle couronne les poetes , les savants , les histo-
riens , les oraieurs , landis que, tout autant libe-
rale pour les verlus les plus modestes et pour les
devouements les plus caches , elle decerne les re-
compenses merilees a tous ceux qui lui sont si-
gnales par les actions courageuses de leur vie exem
plaire.
Mais les concours qui doivent particulieremenl lixer
aujourd'hui notre attention, ce sont ceux ou se de-
ploient les efforts de ces athletes lilteraires, qui
combattent vaiilamment pour I'amelioralion morale,
le perfectionnement intellectuel , et savent dans leurs
lecons el leurs meditations, encourager, reformer,
emouvoir et instruire. Parmi les fondations leguees
I
— 127 -T
k TAcademie Frangaise par le plus genereux des
bienfaiteurs, celle qui a pour but de recompenser
les auteurs des ouvrages les plus utiles aux mceurs,
excile chaqiie annee remiilalion des plus nobles
esprits , el chaque annee FAcddemie fait un clioix
et decerne des couronnes aux ecrils qu'elle a juges
les plus recommandables parmi tons ceux qui sont
deferes a son jugemenl souverain.
Enlendez-vous au jour indique la foule accourir,
curieuse et sympalhique, envahissant I'enceinte de
rinsiiiul : elie ecoule la voix si sobre , dans son
eclat, de I'auteur toujours admire du Cours de Litte-
ratiire frauQaise qui , dans ses grand es IcQons de la
Sorbonne , dictait les pages inelfaQables des tableaux
de la Lilteralure au moyen-age, et de la Litleralure
au xviir siecle. Elevc , pour I'honncur des letlres ,
k la place de secretaire pcrpeiuel de TAcademie
Frangaise^ il proclame les noms des laureats, apres
avoir analyse et fait ressorlir , en quelques lignes
empreintes de force et de concision , le merite des
ouvrages couronnes , les qualites litteraires et morales
dont ils brillent , el qui les ont fait preferer. Gloire
eclalanle el pure ! Palme d'or , dont les feuilles ne
doivent pas se lernir en quelques jours ! Ce ne
sont pas la seulement des succes litteraires et des
trioniphes dus au bon gout el a I'imaginalion ou au
style ; I'Academie Fran^aise proclame, en quelque
sorle, que Ton a bien merite de la civilisation et
de riiumanite ; que, par ses travaux, ses veilles , ses
efforts, un poele , un pbilosophe , une femme ^ ont
ete utiles aux bonnes moeurs ; ils ont remonte par
des chemins differents aux sources du vrai bien ; ils
ont servi la grande cause du progres , non point
— 128 —
par I'exposiiion imprudenle de systeraes exclusifs, irre-
flechis et ardents , theories qui menenl aux abimes ;
mais , d'un geste calme et bienveiilant , ils vous in-
vitent a les accompagner dans la route qu'ils ont
pr6cedeinmenl suivie , a I'abri de nos insliiulions
liberales. Ces institutions, ils ne veulcnl ni les briser,
ni les faire disparaitre, pour les remplacer par des
reves ; ils lentent de les reformer , de les perfec-
lionner , en laissanl pour bases a la vie sociale les
principes eternels ; ils monlrent que I'edueation , la
verile du sentiment religieux mis en pratique , la
simpliciie des mceurs , le labenr de chaque jour . et
les affections aimees de la famille et des amities
fideles , sent a la fois les croyances et les garaniies
qui peuvent nous conduire plus surement a la pour-
suite , el raeme a la realisation de nos esperances.
Ce ne soni pas la des illusions, non, ce ne sonl
pas la des ulopies. Nous allons lire ensemble quel-
ques-uns de ces livres qui, au concours de 1850,
ODt ele disiingues par le choix de rAcaderaie Fran-
Oaise, el oni merite I'un des prix Monthyon. Nous les
passerons lous en revue dans line analyse rapide et
incomplete sansdoule; mais assurement, a noire sens,
il ne sera pas possible de ne pas y reconnailre ce
charme des bons livres el des livres utiles qui nous
enlraine et nous emeut, sans nous laisser ni regrets
ni lassitude. — Vous les lirez vous-memes, ces
pages choisies el couronnees , el les impressions
douces qu'ellcs laisseronl dans voire esprit , vous
dedomraageront du recil que je dois en faire. pour
vous mettre a meme de connailre el d'apprecier
ces livres utiles aux mceurs.
II y a , je le sens bien , quelque temerite a en-
— 129 —
treprendre le travail d'analyse el d'exposition que
je vous soumets : surloul en presence de ce rap-
port si complet, dans leque! M. Villemain , le secre-
taire perpeluel de I'Acaderaie Fran^aise, rend comple
au public, ami des leltres, des motifs qui ont merile
a ces livres eux-memes les suffrages de rAcademie ;
il donne a chacun d'eux par un mot original , par
une idee saillante , par une expression spirituelle et
concise , la physionomie qu'il doit avoir , ct il im-
prime a tous et a chacun le cachet toujours exact
de sa critique pleine de verve el de justesse. Nous
n'avons pas a lutter conlre I'eminent rapporteur ;
nous nous degagcons de nos souvenirs , el nous
nous laissons aller simplemenl au courant de nos
impressions litteraires et philosophiques.
Sans suivre exactement I'ordre adopte par I'Aca-
demie FranQaise dans I'examen des livres couronnes,
celui que nous aimons a etudier I'un des premiers,
embrasse I'un des plus vasies sujels qui jamais aient
ete soumis aux meditations de I'esprit. Determiner
les devoirs de I'Etat et les devoirs des citoyens dans
kurs rapports avec les institutions etablies et avec
les principes generaux^ constituer , en un mot, les
elements de la morale sociale ; tel est le cadre dans
lequel un ecrivain , qui depuis plusicnrs annees en-
seigne la philosophic dans une des chaires de la
Faculte des Leltres de Paris , a trace a grands traits
le tableau anime de nos societes modernes , sans
dissirauler la profondeur du mal qui les lourmenle ,
sans laire les esperances du meilleur avenir qu'il
entrevoii pour clles.
Des le debut de son livre, il pose avec fermeie
I. 9
— 130 —
les principes fondamentaux de la morale sociale ; il
eiablii ijue ia propriele esl fondee , en fail comme
en droit , sur le travail ; el nalureilenienl il esl con-
duit a examiner, dans des chapilres dislincls, les dil-
ferents sysiemes emis sur la propriele : le sysleme
du privilege el celui de la communauie , les doc-
trines de Robert Owen , celies de Saini-Simon el
de ses disciples , celies de Fourier ; el apres avoir
demontre I'impossibilile el I'injusiice de I'egaliie des
salaires , il prouve, a I'aide de rapprochements in-
genieux , que le sysleme recent de ['organisation du
travail n'est que la reproduction de doctrines ante-
rieures , el nolammeul de celies professees par Tecole
de Saint-Simon.
Apres avoir pose, comme un fail incontestable,
que I'amour de la propriele esl I'un des principes
les plus enertjiques de rinstincl de conservation , il
faut arriver a celte consequence^ que le travail est,
dans I'elal de civilisation auquel nous sommes par-
venus , la seule charle qui nous inveslisse de la
propriele soil mobiliere, soil immobiliere ; en quel-
que temps que viennenl les hommes , ils regoivent
le prix de leurs travaux : voila pourquoi , malgre
quelques traces de fortunes mal acquises , la pro-
priele esl respectable el respectee. Le droit du pro-
prietaire est une suite du principe de merile et de
deraerile : celui qui a beaucoup travaille merile d'etre
beaucoup recompense.
C'esl encore a litre de recompense qu'il esl permis
au proprieiaire de transmelire ses richesses a ses en-
fanls. Ce droil qu'on lui accorde ne porle aucuu
prejudice aux autres hommes , car la fortune qu'il
possede esl I'equivalent de ce qu'il a cree par son
travail : elle est son oeuvre, et non la part d'au-
trui. Vous reconnaissez done, nous dira-t-on , que
les enfanls naissent dans une foriiine inegale , c'est
a dire, avec une quantile inegalo des elemeuls de la pro-
duction? Sans ancun doute ; mais ils naissent aussi
inegaux en intelligence, conime inegaux en beaute,
comme inegaux en force : la socieie ne pcui done
pas deiruire I'inegalite ; les enfants doivenl profiler
des Iravaux palernels. C'est ainsi que Ton rend plus
facilement la propriele accessible au plus grand
nombre de ciloyens ; car alors ils comprennent que
la propriele Ibndee sur le travail est seule en iiar-
monie avec les faits el la justice.
Mais au dessus de Tinstinct de conservation, au dessus
du desir legitime d'acquerir et de transmeltre la pro-
priete, se placent , dans I'ordre moral , les inclina-
tions sociales, les inclinations du coeur, les allections
de la faraille ; le devoir de I'Etat est de favoriser
et de salisfaire ces inclinations naturelles. Ainsi , les
affections du sang doivenl etre surtout I'objel de nos
respects les plus profonds, el il ne faut passe borner
a un respect exlerieur ; il faut , apres avoir examine
la constitution interieure de la famille , en augmen-
ter de plus en pins la purele. Les peuples moder-
nes ont encore beaucoup a faire pour maintenir la
purete et I'auslerife du mariage ; la disproportion
de I'age des deux epoux est , suivani I'auieur que
nous analysons, la cause principale des laches qui
souillent encore chez nous le mariage. II faudrait
celebrer le mariage en son temps pour les deux
sexes , dans les jours de la jeunesse el de la beaute,
de celle beaute au moins que donne la fraicheur : ce
serail le moyen de ne pas condamner le jeune homme
a uu mariage donl il mesuse et qui le rend d'a-
-. 132 —
vance infidele a un manage eloigne ; ce serail aussi le
moyeii de diminuer les causes de seduclion , le moyen
d'eiablir I'cgalite enire I'homme et la femme. C'est en
n'imposani pas de role serieux a un jeune homrae ,
que vous proloiigez sa jeuncsse ; donnez-lui , au
conlraire , une fcmme ;i aimer el a guider , des
enfanls a elever , une forlunea enlreienir ou a faire,
vous le rendrez serieux, vous epurerez ses moeurs,
ne fut-ce que par la presence de ces temoins inno-
cents devant lesquels il craindrait de roiigir ; il sen-
lira le bcsoin de se rcndre meilleur pour les arae-
liorer. Mais en France , on ne veul pas liasarder
I'avenir ; on exige des positions assurees ; el , pour
garaniir la condition materielle , on ferme les yeux
sur les conditions morales ; on marie les corps el
les biens , non les iulelligences el les coeurs. Mais
le devoir , dira-l-on , est assez fori pour soumettre
la femme el la retenir dans la fidelile : cela esl vrai
souvenl; mais il est encore plus siir de rendre le
devoir agreable , el de meltre I'inclinalion d'accord
avec I'honneur.
Toulefois , pour les jeunes filles placees dans une
certaine position de monde ou de fortune , il est
facile d'augmenter la liberie du choix ; mais , pour
les filles de la classe pauvre , il y a beaucoup plus
de difficulies a surmonter : les filles pauvres n'ont
pas de doi , il faut leur en conslituer une par des
professions ; c'esl le seul moyen de les souslraire a
la seduction , de leur ouvrir les porles du mariage ,
et de leur y donner une position plus digne el plus
honoree. II faul non seulemenl que parmi les em-
plois dont I'Elal dispose , il reserve aux femmes lous
ceux qui conviennenl a leur sexe ; il faul que la
— 133 —
loi leur assigne excliisivement loules les professions
relatives aux femmes ; qu'elles aient seiiles le droit
de preparer et de vendre les objets de la toilette dcs
femmes , qu'elles aient seules Ic droit de leur rendre
les soins personnels , qu'elles soienl seules chargees
de I'instruction el de Teducation des fonimes dans
les institutions publiques ou privees ; il faut con-
stiluer , en ua mot , rindependancc de la femme ,
pour donner au mariage toute sa dignile. De la sorie,
vous eiendrez aux classes les plus pauvres le bene-
tice de la fan:ille ; vous rendrez la famille plus chaste
et plus sainte , du jour ou vous I'a'irez rendu acces-
sible a ceux qui n'ont pu jusqu'a present y enlrer.
A uii autre point de vue de la morale sociale , el
pour mainlenir la puretc du mariage , il faul que la
fidelite des deux epoux soil reciproque; c'esl une
obligation rigoureuse : I'opinion et la legislation sont
encore entachees sur ce point d'une faclieuse pnr-
tialite qui disparailra devant le progres des moeurs.
L'indissolubilile du mariage , consacree par la loi
Fran^aise , est en ouire une surele donnee a la
femme ; c'est un progres , en harmonic avec la loi
morale : c'esl peut-elre un sacrilice que la force fait
a la faiblesse , et qui peut augmenter Tindependance
ou meme I'orgueil de la femme ; mais c'esl une
justice rendue au merite de I'epouse et de la mere.
En dehors des obligations des epoux , les devoirs
de la fiimille comprennent les obligations des parents
envers leurs enfants , et surlout les devoirs des en -
fanls envers leurs parenls. Abordant successivement
I'examen hislorique el philosopliique des questions
qui s'y rattachent , apres avoir elabli par de uou-
veaux arguments , que la famille est un des moycns
— l'6k —
les plus etlicaces dii perfectiontieineiu ile I'espece
humaine , raiileur de la Morale sociale arrive a
Time des obligations les plus imperieuses des chefs
de fan)illc , le soin de reducalion des onfants.
La section de son ouvrage oii il iraile de {'edu-
cation , a parliculieremenl attire I'atleiition de I'Aca-
demie Fran^aise : « Sur une question lant disculee,
dil M. Villemain dans son rapporl . M. Adolphe
Gamier n'innove pas ; mais il expose , dans un
langage inleressani et caline , le but de I'enseigne-
ment , sa destination morale avanl tout , sa puis-
sance tresgrande pour prevenir ei nieme pour refor-
mer. Parcourant lous les degres , toutes les formes
d'instruciion qui conviennent chez un grand peuple ,
depuis la plus necessaire jusqu'a la plus complete,
il monfre quelle place doit toujours y conserver
I'elude de ces verites philosophiques qui prouvenl
a la raison ce que la religion enseigne au coeur... »
En effet , toutes les-idees de M. Garnier sur i'e-
ducalion , et d'abord sur la necessite d'line educa-
tion pubiique , nous apparaissent pleines de force et
de maturile. Le gouvernement de la nation qui,
pour etre legitime , doit se composer des hommes
}es plus eclaires , doit presider a I'education pubii-
que : I'education morale doit etre dans la main de
I'Elat ; il faut , en effet , que I'enfant puisse com-
prendre el aimer la societe dont il sera membre.
L'inslruction doit culliver I'intelligence : ceux qui juge-
roni le plus sainement du genre d'instruction qu'il
laul repandre , ce sonl les hommes qui gouvernent
I'Etat , parce que ce sonl ceux qui connaissenl le
mieux les besoins du pays.
A Rome , comme a Athenes , le pere de famille
— 135 —
envoyait ses fils ii ties ecoles piibliques regies par
I'Etal. Lorsque I'empire fiit elahli , tons les princes
qui gouvernerenl avec sagesse s'occiipercnl de faire
fleurir les ecoles ; el Theodose et Jusiinien acciieil-
lirenl et developpercnl dans lenrs codes les salulaires
instilulions fondees par Aulonin el Valenliiiien , leiirs
predecesseurs.
Au moyen-age , le clerge , qui eiait la seule lu-
niiere du temps , dirigeail I'education publique. Les
ecoles furent placees d'abord dans la demeure des
eveques , qui enseignaienl eux-memes ; ou elles se
tenaient sous le parvis des eglises. Sous Charlema-
gne , se fondereni les ecoles de Tours , de Corbie ,
de Fulde et do Reims. Dans la suite , brillerent a
Paris celles de la Calhedrale el celle du nionaslere de
Saint-Germain ; celles des abbayes de Sainte-Gene-
vieve et de Saint-Victor ; et I'ecole du Cloitre Nolre-
Dame, qu'on appela par excellence I'Ecole Parisienne,
et qui , la premiere , fut ouverle ^ la jeunesse secu-
li^re.
Ce fut sous Louis le Jeune que tous les mailres
qui enseignaienl a Paris furent reunis en une cor-
poration qui prit le nom d'I/m'iersj'(c, et qui devint
capable de posseder des biens ol d'exercer certains
privileges. — Mais cede Dniversile etait surlout une
ecole pour le clerge , un gymnase de la soci6te
ecclesiaslique : elle etait regie par les chefs de
I'Eglise.
A I'epoque de saint Louis , un element nouveau
s'inlroduisit dans I'Eiat : ce fut le droit ou la juslicn
laique. Des lors une nouvelle direction morale fut
imprimec a la France; elle ne venait plus du Saint-
Siege , mais du trone. Les nouvelles instiluiioDs ,
— 136 —
pour se mainicnir, devaienl modilliM' I'ediication pu-
blique. L'Universile^ jiisqu'alors cxclusivenient sou-
mise a I'aulorile ponlificale, s'en detacha peu a peu
ei loniba sous I'aulorile des rois. Philippe le Bel ,
Charles le Sage, Charles VII, Louis XI el Charles
YllI gouvernaient aussi TUniversile ; Louis XII enfin
acheva de delruire ce qui pouvail faire de la cor-
poration universiiaire un corps separe de I'Elat ou
de I'aulorile seculiere ; il la plia pour toujours au
mouvement general du royaume. Francois 1"" fut
un magnifique prolecieur des arts , des sciences et
des lellres ; il fonda des chaires pour les lillera-
lures grecques ei lalines, et pour Thisloire de la
philosophic anlique; il appela de toule I'Europe les
savanls les plus celebres pour donner de nouvelles
lemons , el ordonna que lous les professeurs insti-
tu6s par lui fusscnl reunis dans un edifice qui porte-
rail le nom de College Royal de France. La cullure
des lellres se repandit alors dans lous les colleges
et dans loules les Universiles des provinces qui su-
bissaienl la m6me influence. Les families nobles pri-
renl a ceile epoque Thabiiude d'envoyer leurs enfanls
eludier dans les ecoles publiques. Les ordonnances
de Louis XIV reglerent la discipline inierieure des
Universiles, et elablirenl des colleges et des ecoles
publiques dans les villes qui ne pouvaient avoir
d'Universile. La fin du dis-huilieme siecle arriva.
On decrela la liberie d'enseignemenl, au milieu des
orages de la Revolution ; il n'y eut plus d'ensei-
gneraent en France.
Nous arrivons a I'bistoire conlemporaine ,
ci nous louchons a une question delicate, celle
de la direction de renseignement par I'Etat;
aussi ne voulons-nous discuter en aucune facon;
— 1S7 —
noire role esl plus modeste. Nous analy-
sons, en rcproduisant la pliipart dii temps ses
expressions propres , un auteur donl les theories
Dous plaisenl, el dont la logique nous seduit et
nous enlraine. L'avenir dira si les modificalions pro-
fondes inlroduiles dans I'enseignement el dans I'e-
ducalion publique par une legislation nouvelle, sont
favorables a Tamelioration des generations qui s'e-
levent. Les bienfails que celle legislation doit re-
pandre , et qui ont ete si solennelleinenl promis a
noire pays par les voix les plus eloquenles, viendront-
ils completer, reformer ou detruire I'ffiuvrecommencee
par des lois anterieures, el qui dispensaienl li-
beralemenl rinstruction a lous les degres de rechelle?
— Problemes dont la solution esl infaillible pour
quelques uns, incerlaine pour un grand nombre, et
au milieu desquels nous n'avons pas a penelrer en
ce moment. Nous nous contenterons d'indiquer quel-
ques-uns des arguments au moyen desquels I'auteur
de la Morale sociale refule les raisons qu'on oppose
a la direction de I'enseignement par I'Elat. — II pro-
clarae hardiment que le monopole de la direction
des sentiments el des idees apparlient a I'aulorile
publique , comme le monopole de la justice. Tout
en rendanl hommage a la puissance paternelle, il
place au dessus d'elle la puissance de I'Eial. Le
pere de famille assurement a le droit de choisir enlre
les ecoles publiques et les ecoles privees , pour y
faire clever ses enfanls ; mais, dans Tinteret merae
du pere , qui , la plupart du temps , n'a pas la
liberie de surveiller ces ecoles, aulant que par
sollicilude pour l'avenir des enfanls, toutes les
ecoles, ou privees ou publiques, doivent eire sur-
— 138 —
veillees par I'Etal. Si, au contraire, on abandoune
I'education morale a la merci de I'induslrie parti-
culiere , les idees communes disparaissent , il n'y a
plus d'esprit public , il n'y a plus d'espril Na-
lioual. — Si I'Etat ne gouverne pas rinsiruction ,
les enfanls pauvres en seront de nouveau prives,
et de nouveau I'ignorance envahira les campagnes.
Et pourquoi ne pas le dire ? on peul meme sur
ce point reprocher a I'Elai de n'avoir pas fait assez.
Un bon gouvernemenl doit done presider aux soins
qu'on donne a la jeunesse ; et aussi bien pour les
melhodes d'enseignement , pour le genre d'instruc-
tion , el pour I'education morale, il est le meilleur
juge des lumieres qu'il faut repandre. Dans la pen-
see inlime de I'auteur, I'education donnee par une
autorite laique ne doit pas etre purement morale,
elle doit etre profondemenl religieuse; elle doit
s'appuyer , non seulemenl sur les lois nalurelles
de la conscience , mais encore sur les verites eter-
nelles de la foi et de la religion. Toulefois il s'at-
tache a prouver , en invoquant I'autorite d'un des
plus illustres membres de I'eglise conlemporaine,
que Ton peut enseigner par la raison les verites
communes a toules les religions : « On prouve I'exi-
slence de Dieu, sa justice, sa providence, I'immor-
t&lite de I'ame, le libre arbiire , la vie future,
ses peines et ses recompenses , en consultant les
texles sacres , et en consultant les lumieres de la
plus saine raison. » — C'est ainsi que s'exprimait
le dernier arclieveque de Paris, saint et glorieux
martyr ! dans I'un de ses ouvrages les plus estimes,
le Memoire sur I'enseigncmenl philosophique .
Celte moderation pleine d'independance, qui dis-
— JS9 —
tingiie a un degre si emiuenl ces appreciations di-
verses de ronseigneineiU moral et religieux , nous
la relrouvons dans les dernieres pages du iivre
consacre a lYducalion. L'eiude des sciences et la
culture des arts sonl de belles institutions, qui favo-
risent I'anielioration des moeurs publiques. I'^l apres
avoir refute en passant la these paradoxale soutenue
par Jean-Jacques Rousseau devant I'Academie de
Dijon , il demontre avec la meme fermete que I'igno-
rance n'est pas la sauvegarde de I'honnetete , comme
le prelendent encore quelques uns des ennemis eter-
nels du progres des lumieres.
Apres avoir satisfait les inclinations du coeur dans
le sein de la famille , dans le culte de la palrie ,
dans I'amour de I'liumanite ; apres avoir contente
les inclinations de I'esprit par les arts et par les
sciences , il reste encore dans la nature de I'homme
d'aulres inclinations inoperieuses auxquelles il faut
donner satisfaction dans de justes limiies : le desir
de la liberie , de I'egalite , de I'honneur , du pouvoir,
doit etre pris en consideration : il faut concilier
la necessile de raccomplissemenl de I'cEuvre com-
mune avec I'amour de I'independance. C'est la con-
ciliation de I'ordre avec la liberie , c'est I'un des
problemes de la science politique et de la morale
sociale.
Passant en revue , an point de vue superieur du
dogme de la liberie el de I'egalile , Tabolition de
I'esclavage , les rapports des maiires et des servi-
teurs , I'emprisonnement pour dettes , toutes nos
liberies publiques , la liberie de la pens6e , la liberie
religieuse , la liberie individuelle , la liberie du com-
merce , la distribution des honneurs et des emplois
— 140 —
publics, M. Garnier resume sa pensee en faisant uo
devoir a I'Etat de laisser aux ciloyens loute la liberie
compaiible avec la bonne direction de la sociele ,
el fait voir commenl les emplois el les fonclions
doivent elre distribues avec plus de justice , pour
satisfaire a la fois rinleret public et I'amour de I'ega-
lite.
Le partage des emplois par un gouvernemenl moral
el eclaire, se rattache deja au probieme de I'orga-
nisation du pouvoir : ici apparaii I'elude des diverses
formes de gouvernemenl el des theories politiques.
Le sujel si vaste choisi par I'auleur s'agrandil en-
core par I'examen rapide des constitutions succes-
sives de notre palrie : « Bien des choses peuvent
elre conlestees ; mais , du moins , on reconnait
toujours , avec I'elude atlenlive des lois , le sens
palriotique de I'auleur el sa moderation coura-
geusc. »
Nous passons nous-memes rapidement sur les
chapitres essentiellemenl politiques, el qui ont trait
a I'organisalion conslilulionnelle de notre pays. —
L'analyse des chapitres oii Ton discutc la conslilu-
lion de 1793, la monarchic representative, les
constitutions Americaines, la constitution Frangaise
de 1848, et les modifications donl elle est suscep-
tible , nous eulrainerail dans des debals que nous
ne pouvons pas et que nous ne devons pas soulever
ici : la conclusion de I'auteur, a la suite du chapilre
de I'organisalion du pouvoir , se lermine ainsi : Une
sociele doil 6tre organisee de la maniere la plus
favorable a la satisfaction des besoins el des incli-
nations de lousses membres.
Mais apres avoir monlre les moyens propres a
— 141 —
saiisfaire les inclinations du coeur et de I'esprit ,
I'amour de I'independance et de Tegalile , et ceux
qui semblent assurer le meilleur regime de I'admi-
nistration publique, il faut encore, pour goiiler en
paix tous ces avantages , que I'Etat garantissc la
siirete et la vie des citoyens. Examinant les attentats
centre les personnes , el principalement le duel , on
s'aper^oit bientot que la loi Frangaise est irapar-
faite et incomplete , au sujet de la puniiion des coups
et des blessures ; la legislation acluelie ne frappe
pas le combat singulier d'une maniere assez evi-
dente et surtout assez efficace ; une peine morale ,
telle que la privation des droits poliliques , par
exemple , qui frapperait le duel dans sa source
(ce n'esl souvent qu'une affaire de vanite) lendrait
bien vite k le faire disparaitre.
Un sujet plus grave , et qui a longtemps arrete
les meditatioris des philosophes et des homraes d'Etat ,
est celui de la necessile ou de rillegitimile absolue
de la peine de mort. Le bien-elre general qui adou-
cit les mceurs , doit aussi adoucir les chaliments ;
mais si la peine de morl doit etre supprimee , elle
doit disparaitre de I'usage avant de diparaitre de la
loi. II faut reconnaitre que I'abolilion de la peine
de mort en matiere politique est un acheminement
t» son abolition complete. L'usage pieux et louchant
d'accorder aux condamnes les secours de la religion ,
doit surtout encore preparer la suppression du sup-
plice. La voix du christianisme , les prieres du pretre
qui amenent le coupable au repenlir , s'eleveront
vers les hommes pour implorer la fin des sacrifices;
elles s'eleveront avec autant de gravite et d'emotion
qu'en emportail avec elle la parole feconde du Car-
— 142 —
diiial-Archev6que qui nous preside, lorsqu'ilprediailau
monde , dans un chapilre de pes oeuvres , la com-
munion des condamnes a mori.
Les preceples de la Morale sociale doivent exisler
entre les nations, aussi bien qu'enlre les individus;
et, jusqu'h present, celie parlie de la morale a ele
constamment violee par la guerre et par les con-
queles. Ceci est grave , parce que dans la question
de la guerre sont enveloppees touies les autres ques-
tions : propriete, fa mi lie , education, egalite ,
liberie , organisation du pouvoir , surete interieure
et eslerieure , la guerre change la face de loutes
ces choses. Supprimez la guerre , au contraire , et
grace aux travaux paisibles de I'agriculture et aux
decouvertes de I'industrie, le bien-elre de.vient plus
eeal, les families se multiplient, les arts et les sciences
se repandent sans trouble d'un bout du monde a
I'aulre •, les besoins des peuples sont raieux ecoutes,
parce que les gouvernements sont plus moderes;
la liberte et I'egalite sont plus respectees^ les moeurs
s'adoucissent en s'epurant. Ainsi , toute la morale
sociale est interessee dans le probleme de la guerre ;
la paix assure le raaintien de cette morale: elle
permet a I'Etat et aux citoyens de remplir tons
leurs devoirs , devoirs qui consistent a saiisfaire ,
chez le plus grand nombre possible de nos sera-
blables, le besoin du bien-etre materiel , et les in-
clinations du coeur et de I'esprit.
Telles sont les dernieres paroles qui lerminent
le remarquable ouvrage de la Morale sociale. L'A-
cademiede Reims, dans la rapide el incomplete analyse
que nous en avons faile , aura facilement , nous I'es-
perons, compris quel avail ele le but constant de
— us —
Tauteur : il a voulu montrer que tous les principes
et loutes les applications de la morale doiveni avoir
pour base la connaissance de soi-meme ; et, agran-
dissant son sujet jusqu'a embrasser les theories de
la politique, ce mot pris dans son acceplion la plus
generale, il s'est efforce de prouver que la morale devait
loujours dominer la politique. C'est une doctrine con-
forme a la doctrine de Socrale : la morale et la politique
doivent avoir pour fondement la connaissance de
soi-meme.
Nous croyons que ce que I'Academie Frangaise a
voulu couronner dans I'oeuvre de M. Adolphe Gamier,
el ce qu'elle a distingue^c'est celte pensee constamment
presente a chaque page de son livre : Tout acle
d'un citoyen , aussi bien qu'un acle ou une ma-
nifestation emanant de I'Etat, doivent etre en harmo-
nic avec les scrupules de la morale privee; c'est a
cetle condition qu'ils auront leur justice et leur utilite
et qu'ils pourront concouiir a I'amelioralion de la
societe humaine. N'oublions pas enfin que M. Adolphe
Garnier n'a pas merile les suffrages de I'Academie
Fran^aise, sans s'y etre prepare par de profondes
etudes sur Descartes el sur Thomas Reid, le chef
de la philosophic ecossaisc ; — oeuvres savanles, qui
ont depuis longlemps atlire rattcniion dcs penseurs.
u
En dehors dcs theories speculatives de la philoso-
phic, I'Academie Fran^aise couronne encore chaque
annee de modcstes livres, pieusemcnt ecrits pour
les enfants et pour les meres ; recils simples el
doux, qui insiruisent el moralisent sans blesser en
aucunc sorte ; lemons loujours indulgenies et fecondes
qui se gravenl dans les imaginations jeunes, pour
— illk —
ne s'en effacer jamais. La moisson, cette ann^e, est
abondante , et ce sont des femmes qui I'ont re-
cueillie presque tout enliere ; c'est un privilege donl
on ne saurail s'elonner. II y a dans la parole des
femmes un charme qui vous sourit el vous captive ; il
y dans leurs ecrits surtout une emotion qui , toule
puissante, vous prend et vous livre tout eniier ;
le cceur bat plus vite , les yeux se mouillent de
larnies , vous ressentez vous-raeme ces sensations
qui sont peintes , vous avez eprouve ces emotions,
vous reconnaissez ces cris de joie, ces accents du
repenlir, ces transports d'amour filial ou d'amour
paternel : c'est bien la I'expression pure et Iranspa-
rente des verilables sentiments de I'ame humaine.
Nous I'avons dit , la plupart de ces livres s'adres-
senl aux enfanls ; ils ont pour objet leur instruction
et leur education ; sous une forme altrayante , ils
meltenl en relief tantol les defauls ou les vices les
plus frequents au jeune age : ils indiquent les erreurs
qu'il faut eviter , les habitudes qu'il faut fuir , les
travers qu'il imporle de redresser. Tantot, d'une voix
allendrie, ils celebrent les douces vertusde la jeu-
nesse , ils honorent les exemples de devouement
au malheur, les nobles entrainements de la piete
filiale ; et , guides patients et eclaires, ils montrent
la voie du bien , qu'ils embellissent encore par
I'esperance d'une existence heureuse , qui , presque
loujours , est la recompense du devoir accompli.
Le premier de ces livres , que nous aimons a
citer , est un raodeste recueil de quelques conies
moraux, les Soirees des jmnes personnes, par Madame
de Bawr. Depuis longtemps deja le theatre el les letlres
avaient apprecie la delicalesse de cet esprit aimable
dans sa simplicite ; des comedies et de gracieux
— 145 —
romans avaient revcle (oulc la fin'^sse de sa critique
spiriluelle el de bon goiil ; cc^ nouveanx recils, dedies
aux jciines fdles, sonl empreinls d'une emolion dont
le soavenir vous resle , m6me apres la ioclure;
ce sont des Icrons donl la severile est temperee
par la douceur el riiarmonie du langage ; fails inge-
nieuscmcnl rassembles , donl quelques uns deja se
sont produils dans d'autres livres ecrils pour les
enfanls , mais qui jamais n'onl ele presenles avec
tant de sobriele et de passion conienue. Dans I'un
de ces recils ritigeiiieux aulenr des Soirees des
jeunes personnes, Icur nionlre , par une serie d'eve-
nemenls bien clioisis et bien conduils, que VEi^prit
d'ordre est un des dons les plus uiiles an bonheur :
Une jeune fille , meconnaissant les avertissements
de sa mere et les tendres conseils d'une soeur ainee
qui I'aime tcndrement, prend Thabilude du desordre
et de I'irreflexion a un lei point , qu'elle cornpro-
met la forlune de sa mere , delruil ou allere la
tranquille existence de ceux qui renlourenl, el finit
elle-meme par perdre son bonheur el son indepen-
dance. Dans la Romance de Nina , c'est une jeune
fille dont la familie est proscrile , el qui , ne pou-
vanl par son travail du jour et de la nuil subvenir
aux besoius de sa mere malade , prend une guilare ,
debris de son ancienne opulence , el va , convene
d'un voile, cbanler sur les boulevards publics. L'al-
tendrissement gagnerait les plus dilficiles censeurs ,
a la lecture de ce recil qui monire celle enfant ,
modele de piele liliaie, rapporlant a rbumble logis
Jes offrandes benies de Dieu, qui font vivre sa mere.
— L'amilie fra;ernelle ajoule [au livre de Madame de
Bawr quelques pages eloquenles par I'emotion qu'elles
I. 10
— UH —
inspirent : Dans I'lusloire des Deux Orphelines ,
deux jeunes filles d'un age inegal , abandonnees sur
la lerre d'exil , n'onl d'aiUres ressources , pour echap-
per a la niisere , que la venle des fleurs arliflcielles
que Tainee des deux soeurs reunissait en couronnes ,
pour Ics vendre a bas prix. L'esces du travail, les
soins assidus qu'elle donnc a Teducalion el a I'ln-
slruction de sa jeune soeur, les privations qu'elle
s'impose par devouement pour cette enfant , amenent
une maladic grave. Un jcune medecin , que le hasard
conduit a ce lit de douleur , se prend de pitie el
bienlol d'admiraiion pour la sceur couragcuse ; il
lui rend la sanie , adople Tune des orphelines el
epouse celle qu'il a sauvee , profondemenl emu dans
son coeur des sentiments nobles el touchanls dont
il a eie le spectaleur enihousiaste. Les derniers recils
s'allacbent a d^iruire, par des exemples qui frappent
heureusemenl I'imagination, deux defauls communs
Chez les enfanls, la peur el I'orgueil. Dans I'un, la
peur est guerie par le devouement lllial ; dans I'aulrc,
I'orgueil esl deiruil par le spectacle du malheur no-
blemenl supporle. Le dernier recil, le plus consi-
derable du livre, el peut-etre moins attachant que
les precedents, est suivi d'un conle, gaiment el faci-
lemenl raconte : la Bonne Fee, ccnle de fee qui
n'en est pas un. Une mere, quelque lemps avant
sa raorl, confle a sa tille qu'une fee lui apparait
dans le boudoir de son apparlemenl, ou elle s'en-
ferme chaque jour, el qu'elle lui enseigne la con-
duile a lenir, pour elre heureus^.', aimee el honoree.
La jeune femme, donl le caractere esl medisanl
el leger, apres une experience de la vie qui
ne lui esl ni bonne ni favorable, se retire.
— 147 —
elle aussi , chaque jour dans le boudoir de sa rn^re ;
el elle s'aperQoit bienlol que la bonne fee, c'esi la
reflexion. La morale du dernier conle peul se Ira-
duire ainsi : La reflexion est une des routes qui
menenl au bien.
II ne faut pas croire que ces doux et charmanls
recits , qui sont seulement au nombre de six , et
qui ferment la maliere d'un petit volume , soient un
leger bagage pour se presenter en lice el meriler
I'un des prix Monlhyon. Ce qui plait dans leur lec-
ture, et ce qui I'eleve a la hauteur d'une emotion ,
c'est un sentiment exquis et toujours jusle du devoir
accompli , du devouement qui s'abandonne et se livre
avec sa confiance en la Providence, de la verite qui
eclate et qui penetre dans Tame, comme la lumiere
de I'aurore jailiit a I'horizon : et puis , ces livrcs
sont fails pour nos enfants , el nos enfants les aiment.
Autour de la table de famille, que de conies ecoules
avec joie, que d'histoires retenues et gardees dans
les jeunes souvenirs; que d'aclions morales et ver-
tueuses qui penetrenl sous la forme dc lemons faciles
et altrayantes J C'est ainsi que I'enfance , impres-
sionnee par les plus nobles exemples, recoil les
germes de la verlu , de la piele, de I'honneur ; c'est
ainsi que le livre de Madame de Bawr est accueilli
par les ecrivains d'elile , qui I'ont distingue entre
les plus utiles ; c'est ainsi qu'il est place par les
meres entre les mains des enfants, afin d'instruire
et d'elever leur coeur au contact d'emotions em-
preintes de la plus touchante simplicile.
Ce dernier merite est fort rare ; el , commune-
menl , il y a un pen d'affeterie el de mignardise
— 148 —
dans I'expression des recils coDsacr^s h I'enfance. Je
ne veiix pas cacher ma pensee sur I'un des livres
que I'Academie a couronncs, les Anges de la famille ;
I'auleur , femmc el poeie , a consacre sa vie lille-
raire a chanler en vers melodieux les seniimenls qui
se rallachenl a la famillc , les joies et les douleurs
de ramour maieniel , les encouragements a la cha-
rile , les esperances reservees a ccux qui prienl et
qui croient. Les enfanis doivenl a Madame Desbordes-
Valmore de grandes jouissances iniellecluelles et mo-
rales ; loulel'ois , ct la remarque en a deja ete faite,
il y a quelque chose d'un peu appreie dans son
langage.
Ce livre s'adresse anx meres avec une espece de
solennite : « Les jouets de mon enfance, cheres
visions des premiers beaux jours de ma vie, inno-
centes compagnes de I'enfance , precieusement con-
servees , m'ont aidee souvent a mioux coraprendre
mes enfanis, el sont demeurees pleines de conseils
pour moi , meres ! el je partage leurs conseils avec
vous ! »
Ces conseils, Madame Desbordes-Valmore les iraduit
en recits , aliernativemenl en prose el en vers, et
qui sonl de nature a inslruire et 6 emouvoir les
jeunes imaginations. L'Enfant des Champs Ehjsees est
un pauvre petit etre delical el souffranl , qui , sous
la sauvegarde d'un vieux serviieur de sa mere, est
conduit a la promenade dans une petite caleche
altelee de qualre chevres , afin qu'il puisse , les jours
de soleil , respirer el se rejouir dans I'air pur ; il a
pour guide sa soeur , plus agee de quelques annees,
qui veille avec une sollicitude passionuee sur ce ber-
ceau roulanl, el qui chaque soir ramene dans les
N
— 149 —
bras cle la plus lendre mere , I'enfanl jojeux el
repose. — La mere esl dans I'obligaiion de s'ab-
senter une journee enliere, ainsi que le compagnon
habituel des promenades de I'enfanl maladc ; aussi-
lot apres ce depart , la jeune soeur , malgre les
sages recommandations qui lui sonl I'ailes , allele les
cbevres a la pelile voiiure , el fail sorlir , comme
de couiume , I'enfanl dans les Champs Eiysees. Au
relour , elle s'empresse au devani de sa mere pour
lui porler bien vile des nouvelles heureuses du Iresor
qu'on lui avail conlie , el laisse a la porle du jardin
la pelile caleche oii I'enfanl eiail endormi ; la mere
accourt rayonnante de bonheur el d'impaiience; la
caleche etaii vide : son enfant avail disparu
Les episodes de ce recit se succedenl d'une fa^orr
\raimenl louchanle ; el lorsque la mere el la soeur
relrouvenl le pauvre cnfanl vole , sur les boulevards
de Paris , accompagnanl un Savoyard el vendani des
fleurs , il n'est pas possible de n'eire pas profon-
demenl emu aux accenls de desespoir , de lendresse
el d'amour qui exprimenl a la fois la joie passion-
nee el la douleur de la mere : son enfanl eiait
devenu aveugle.
II y a dans ce premier conle aux enfanls des delails
poeliques que I'analyse ne peul rendre , el qui lais-
senl a plus d'une page la pensee aiiendrie : aussi,
la critique que nous adressions , en commenganl, aux
ceuvres de Madame Desbordes-Valmore , de manquer
quelquefois de naturel , s'appiique plulot , suivanl
nous, a plusieurs des rccils qui terminenl le recueil
des Anges de la famille ; ainsi , la Hoyaule d'unjour,
Clochelin on le Roijaumf; de Sa-Sa , seronl pcu on
raal compris par les eufauls ; les fails y sonl expose i
— 150 —
d'une maniero confuse. L'auleur a fait de grauds
frais d'imaginalion pour appeler a son aide le mer-
veilleux de la fable ; mais toutes ces fanlasmagories
ont depasse le but , je le crains ; ce oe sont ni
des histoires , ni des contes de fees : la sobriete
et la simplicite ne s'y rencontrent pas ; el ce sont
la cependanl des qualiles essenlielles pour plaire aux
enfants en les inslruisant.
On eul pu relrancher sans inconvenient quelques
unes des pieces de vers intercalees apres chaque
recit en prose , dans lesquelles on voil percer Irop
d'cfTorts pour alleindre a une naivete que ron
ponrsuit en vain ; ainsi ; la Grande petite fiUe ,
le Petit mecontent , la Petite frivole ; je ferais une
exception pour : le Nuage et I' Enfant , elegie pleine
de melancoiie, et pour les dernieres sliophes de la Re-
verie. que ie poete appelle : les Enfants et les Miroirs.
Ce qu'il fautremarquer encore dans le livre de Madame
Desbordes-Valmore , c'esl que ce sont les contes
les plus courts qui sont les mieux raconles.
Les trois ou quatre pages ayant pour litre : L'amour
d'une vieille femme , nous plaisenl plus que les
chapilres nombreux oil disculenl d'une fagon loute
nouvelle les Pettis politiques de dix ou douze ans.
La Priere de la vieille femme a emprunte ces paroles
chreliennes au livre de YImitation : « Ma paix est
pour ceux qui sont doux et sensibles de coeur. »
El il y a dans toute cette priere conime un mur-
mure de foi , de resignation et d'espcrance , qui doit
reveler aux enfants I'efficacite et la verite de la
priere. — Les Etrennes de Gustave, ou la bienfai-
sance s'exerce avec une candeur sincere ; le Cole du
noleil , que nous donnons seulement a nos amis, sont
— 151 —
les deux derniers r^cils que nous ayoiis b. cilcr. lis
onl le merite d'etre courls el faciles, el celiii d'avoir
line porlee philosophique pouvanl servir a I'education
morale de ceux auxquels i!s sonl deslines.
Nous appliquerons volonliers celte observalion aux
Entreliem varies d'un livre plus serieux, compost
avec une incontestable superioriie , ciqui, au juge-
menl del'Academie, a place, pour la seconde fois,
son auleur au rang des esprils les plus dislingues et
les plus zeles pour le bien : c'esl une femme plus
jeune, et peut-6lre aussi plus modeste que le poele
dont nous venous de parlor. Simple dircclrice d'une
salle d'asile h Paris, Madame Marie Carpaniier a
rassemble il y a queiques annees , dans un pelit
livre , des conseils heureux et feconds qui lui ont
^te inspires par la science qu'elle appelle la science
des enfanls ; c'esl dans le bruit ci dans le mouvement
des ecoles , c'esl en se melant a la vie des enfanls,
qu'elle a approfondi celle science , dont elle a adopte
pour loi fondamentale cette maxime qu'elle repele h
chaque page aux maitres el aux amis de renl'ance :
« Soyez indulgents , et fakes vous aimer ! » Cost en
quelque sorle le resume el la corclusion de son pre-
mier livre, couronne a son appariiion ; II y respire
autant d'ardenle charile que de noble devouement , et
il est digue de eel elernel souvenir dont on lit les
paroles au frontispice : « Laissez venir a nioi les petits
enlants , el ne les empechez point. Et , les ayant
embrasses , il les benit en leur imposanl les mains. »
Les conseils pour la direction d'ut)e salle d'asile
ont principalement pour but de prouver la necessile
de substiluer I'affeclion a la sevcrile, el d'entourcr
L'insliiuleur de la consideration et de la confiance de
— 152 —
lous les eieves. L'auleur indique, en des pages pleines
de foi el d'effusion , Irs nioyens facilcs d'iiispirer aux
enfanls I'amour de Dieu ; i! monlre commeul on ar-
rive a leui- faire comprendre el respecter I'imporlance
de la dignile morale, et commenl Ton oblieiil d'eux
I'obeissance, sans efforts el sans irritations; sans
oublier cependant que la repression est utile, el qu'il
est bon d'en varier les moyens , suivanl la variele
des caracleres. Les derniers cbapitres sont consa-
cres a la distribution dos recompenses, a I'examen
de Temploi de la journee dans les sailes d'asile ,
el a la demonstration de la necessitc d'y joindre
I'instruction a I'education. II se termine par un elo-
quent appel a la sympaihie cl au devouement de
tons ceux qui ont acccpte la diflicile mission d'elever
les enfanls pauvres dans les asiles.
Le second livre, qui vienl de meriler a madarae
Marie Carpantier les nouveaux suffrages el les eloges
non sans gloire de I'Academie FrauQaise, est le
developpemenl de ses Conseils adr esses aux direc-
teurs des sailes d'asile; c'est le complement et la
justification de ses premieres eludes.
« Pres de sa mere, I'enfanl n'apprend pas loules
choses, mais il apprend des choses de loules sorles,
car il commence a vivre par loules ses facultes a la
fois. »
Celie epigraphe, miso en tete du livre de VEnsei-
gnement pratique dans les Ecoles maternelles , nous
apprend que l'auleur a envisage son sujet sous ua
point de vue plus eleve en quclque sorte. Ce ne
sont plus des confidences, des prieres, des esperances,
des aspirations formulees dans un langage plein de
lendresse et d'abandon ; la lendresse et le zele sont
— 155 —
restes aussi purs ; mais le langage a chang^. La
voix est plus forte el plus sure (rclle-meme , les
prieres sont des exhortations , les esperances sont
des lefons^ les voeux sont des enseignements ; c'esl
la maitresse qui s'adresse aux niailresses, non plus
en novice tiniide demandant appui et encouragement,
mais devenue habile par I'experience , par la me-
ditation, par le devoir accompli sans cesse et sans
relache ; elle montre aux meres el aux enfants la
route deja parcourue, et qu'elle a largement agrandie.
Les lemons contenues dans ce livre des Ecoles
maternelles s'adressent en effet tanlot aux eleves ,
tantot aux mailres et aux maitresses. Toutefois, les
inslituleurs ne doivenl considerer que comme un
canevas , comme des enseignements elementaires
a developper, les exemples qui leur sont fournis ,
el s'approprier les raateriaux d'un enseignemenl utile
aleurs propres legons.
Les eleves , les enfants plutot , se rejouironl a
I'apparilion de ce nouveau livre , qui parle leur
langue et la langue de leurs meres , qui reflete
leurs jeunes idees , qui les instruit en les 6gayani,
qui fait entr'ouvrir la fleur de leur intelligence
naissanle, et qui, en meme temps, s'adressant a
leur coeur , leur donne les premieres notions de la
conscience el de la raison.
Nous avons quelque scrupule d'analyser les cha-
pitres de ce livre essentiellement pratique ; il faut
de toule necessite leur conserver leur ensemble et
leur etendue. Le premier d'entr'eux , notamment ,
a trait a I'enseignemenl de I'histoire sainte et au
choix des passages de la Bible , qu'on peul meltre
en recil pour les petits enfants. Cetle partie du
— 154 —
livie, qui est assez importante, a ele soumise au
controle d'une aulorite irrecusable, celle de M^'
I'Eveque du Mans; el en celte matiere grave, il
n'y a pas a disculer. Les enireliens varies el les
peliles histoires sont, suivant nous, ce qu'il y a
de plus interessanl, de plus inslructif el de plus
moral dans lout le livre ; el, nous le disons sans
hesilalion , ce sont ces enireliens el ces conies qui
impriment a I'ceuvre de madame Marie Carpanlier
ce cachet de superiorite qui la dislingue de bien
des conleurs de I'enfance. C'esi qu'il y a dans ses
recils lanl de juslesse el de simplicile, lanl de naivele
nalurelle el de raison ; les exemples sont lous
choisis avec discerneraenl ; le lacl , le bon gout,
la mesure donnenl a chaque bisloire sa valeur et
son ulilile ; les verlus et les qualiies sont raises
en relief el honorees , de telle sorte que les im-
pressions se gravenl dans les jeunes esprils ; les
defauls el les vices sont flelris avec une severite
qui en fait ressorlir la honle el le danger. Toules
ces legons sont offerles avec une bonhomie pleine
de grace, el elles seront a coup siir accueillies
avec aulanl de joie que de succes.
Les aulres divisions du livre des Ecoks maternelles
soul des indications graves, faites avec une voix per-
suasive , sur les meilleures melhodes pour Tenseigne-
menide la lecture, du calechisme, de la grammaire,
du calcul, du dessin, de la musique, de la geographic;
et encore des notions familieres sur Thomme , sur I'his-
loire nalurelle usuelle, avec des cadres de legons enfan-
lines sur des sujeis speciaux. Ce livre si utile, se-
rienx et tendre a la lois, se lermiue par des jeux,
des rondes et des chansonnelles , qui ameneronl sur
-. 155 —
les l^vres de vos enfants les rires les plus gais et
les plus sonores , en meme temps qu'ils laisse-
ront en leur souvenir le germe d'une nolion utile
ou d'une idee morale. C'est un bon livre , nous ai-
mons a le repeter ; c'est uu livre complet : et lors-
que Ton a visile souvent des asiles bien diriges ,
lorsque Ton a vu a I'ceuvre les hommes devoues
qui , dans nos trois asiles de Reims en particulier,
remplissent dignement leur mission , il est impos-
sible, apres avoir medite les conseils de cet ensei-
gnement si precieux , de ne pas connaitre combien
ces ecoles maternelles presentent de ressources pour
elever et pour ameliorer le sort de ces inleressanles
generations d'enfanls. Aussi , faut-il glorifier et
benir le devouemenl de ceux qui , par ces nobles
efforts , preparent , en moralisant les enfants , un
meilleur avenir aux socieies futures.
Dans une condition qui differe peu de celle des
instituteurs de I'enfance , &e trouvent places les ins-
tituleurs des ecoles de village , voues a des fonc-
tions modestes qui deraandent plus d'aptitude qu'on
ne le pense generalement. De nombreux livres ont
eie publics pour leur tracer leurs obligations , et
leur rappeler I'etendue dp leurs devoirs ; et, parmi
les plus utiles de ces livres, I'Academie Fran^aise
a decerne cette annee I'une de ses belles couronnes
aux Entretiens moraux d'un insliluteur avec ses
eleves , publies sous le pseudonyme de M. de Saint-
Surin; I'auteur de ces entreiiens est, celle fois encore,
une femrae et une mere, Madame de Montmerque;
deja I'un de ses livres beureux , le Manuel des En-
fants , avail eie distingue il y a quelques annees
par les illuslres dispensaleurs des liberaliles de M. de
— 156 —
Monthyon. Paul Morin , I'insliluteur dii village,
prend pour base de son enseigneinent cetie maxime
bien connue : qu'un bon exemple est la meilleure des
legons, et seconde par le zeic d'un maire , qui nous
parait un peu 6lre un magistral de convention , il
reunit les principaux recueils que I'lnsiilut de France
fait dislribuer chaque annee, et qui conliennent les
louchants recils des bonnes et genereuses actions
qui ont nierile les grands prix de vertu : il choisit
avec discernement les trails de devoueraent et de
courage qui bonorent I'bumanile ; il raconie les
existences sublimes oii Tabnegaiion et le devoir con-
duisent aux sacrifices les phis admires ; il met en relief
tout ce que la cbariie repand de bienfaits que le
hasard seul a rcveles , el tout ce que la vertu, unie
a la religion, fail nailre de pieuses et fecondes in-
spirations. Le cadre du livre 6es, Enlretiens Moraux
est sans doule facilemenl rempli ; il n'y a qu'a
puiser dans une mine ouverte a tons, et la plus riche
en verluset en belles actions. Neanmoins, les acles nes
d'un sentiment genereux sont presenles au lecieur
avec un entliousiasme qui se communique vile el qui
laisse son impression dans les coeurs. Avec beaucoup
d'art,rin8liiuleur se met successivemcnt en rapport
avec de jeuues enfanls, avec des adultes, avec les
femmes el les filles des habitants du village ; il
inslruit les plus jeunes , il donne une direction
nouvelle aux hommes de Ircnle ans, en clargissanl
leur intelligence ; il ailendrit el fait pleurer les femmes
au spectacle du soulagemenl des miseres , coura-
geusemenl accompli par des ames heroiques, pla-
cees dans les plus humbles conditions de la vie.
C'est un livre utile, ainsi que I'a proclame I'Acade-
— 157 —
mie , ulile aux enfants , mile aux instiluteurs, digne
enfin d'etre lu dans toutes nos ecoles ; c'est en-
core I'cloge eclatanl de M. de Monlhyon qui se
rencontre a chacune de ces pages, el Ton ne sau-
rait trop faire penetrer le souvenir touchant de cet
homine de bien , partout ou ['education a pour
bases le devoir et la loi morale.
Si nous n'avions use au de-la d'une juste mesure
de raltention de nos confreres , nous aurions en-
core a examiner trois ouvrages importants , pour
parcourir la serie des livrcs les plus utiles aux
moeurs, couronncs celte annecpar I'Academie Fran-
taise : ils Irailent les uns et les aulres de sujels
serieux qui renlrenl dans le domaine des hautes
eludes religieuses et phiiosophiques : I'Essai sur la
liberie, Vegalite et la fralernite, considere aux points
de vue cbreiien , social et personnel, est ecrit par
une femme eminemmenl chreiienne , madame L.
de Challie, el se rattache, comme il serait facile de
le monlrer, par des liens assez elroils, au livre
de la Morale sociale de M. Gamier. Un Iraite Ires
severemenl consciencieux de la Pi^ychologie d'Aris-
tote , par M. E. W adding ion- Kastus ; et une
Inlroduclion a I'hisloire des sciences physiques dans
I'antiquite, sous le litre de Philosophie spiritualiste
de la nature^ par M. Henri Martin, completenl la
serie des travaux qui onl paru dignes du prix
d'ulilite morale.
D'autres travaux remarquables se rattacbanl a
I'etude de I'hisloire , a la poesie el a I'eloquence ,
onl re^u egalemenl les couronnes de I'Academie
Fran^aise, en vertu de fondalions diverses.'- Le prix
merite par le morceau le plus eloquent d'histoire de
— 158 —
France a el^ mainlenu aux Considerations sur VHiS'
toire de France de M. Augiislin Thierry, et a Vllistoire
de Louis XIII de M. Bazin. Une comedie, qui a eu
grand succes sur la scene fran^aise , Gabrielle , et
une elude antique, la Fille d'Eschyle, ont partage, a
des degres inegaux, le prix offert a I'ceuvre drama-
lique, en cinq acles et en vers, composee par un
Fran^ais, imprimee, representee, publiee en France,
et joignant au merite lilteraire le merite non moins
grand d'etre utile aux moeurs et aux progres de la
raison. Tous ces travaux lilteraires, qui mainlien-
nent avec honneur la superiorile des bonnes lettres
Fran^aises , doivent etre , selon nous , pour les
Academies de province , un encouragement a pour-
suivre et ci elever leurs propres travaux ; et encore
a preparer pour les hommes studieux , qui ont des
loisirs et du zele, des concours qui, par leurs succes
et leur ulilile, conlribuent au developpement moral
et au progres de la science.
— 159 —
LA JUSTICE NORMANDE.
CONTE
par M ViOLETTE.
«
Stance du 8 Novembre 1850.
Au carrefoiir d'un bourg de Normandie ,
Jadis , d'oiseaux parleurs logeait certaio trio ,
Le Geai , la Pie ctrElourneau ,
Dont les chants aux cnfants doonaient la comedie. j
Les deux premiers vivaient en liberie.
Jacol d'un brocanleur elait I'enfant gale :
A ce tilre , il usait de lant d'iuJependance ,
Qu'on ne Toyait parlout d'un ceil surpris
Que des mefails de la licence
De ce Geai mal appris.
Margol , tout au conlraire ,
Avail pour mailre un savetier serere,
Qui , sur le moindre rien ,
Par I'emploi familier de cerlaine laniere ,
La redressait , disail-il , pour son bien.
Ainsi , chacuii nous forme a sa maniere.
L'filourneau , lui , dans sa cage d'osier,
En face suspendue a Tauvent du Tannier,
Sans cesse il babillait , faisait un lei ramage
Que la tele en tournait aux gens du Toisinage.
Quelques uns prelendaient que le drole elait fou ,
D'aulres qu'il merilait qu'on lui lordit le cou.
Tuer mon sansonnet ! dit le mailre en colere ,
Qu'on y yienne , el c'esl moi qui souliendrai I'affaire I
— 160 —
Ln matin done , le brocanteui
De rhomme au lire-pied s'approchanl loul rSreur :
« Voisin, dit-il, je suis bien desole ;
« Pendant qu'hier j'elais a la campagne ,
» Dans ma boutique on ra'a vole
■ Un bout de vieux galon du frac de Charlemagne,
» Qu'un juif, d'Aix-la-Chapelle, un jour m'a brocanl6.
D Depuis , dix amateurs se I'etaient dispute :
» Un riche anglais, venu chez nous deux matinees,
» En bon or et comptant m'en offrit vingt guinecs.
» J'attendais pour conclure aujourd'hui son relour ,
» Mais sur lui mon voleur prit I'avance d'un jour.
. Pour des gens comme nous, c'cst une pcrte enorrae ;
» J'aurais beau de bonquins augmenler mon trafic,
* Pour du neuf , vendre cher mes rebuts au public ,
» Vous-meme rajeunir du vieus cuir sur la forme ,
» Jamais nous ne pourrions, dans un an de labour,
» Par nos commons proflts, reparer mon raalheur ;
» Je n'en ai point dormi , ma fenime en est malade ! »
Notre homme allait , sans doute , allonger sa tirade ,
Quand le yannier surTint et dit : « votre galon
» Fait , je crois pour Porthsmouth , voile avec le larron.
* Hier, midi sonnant , pendant qu'a ma croisee ,
» Je clissais d'un panier I'anse a raoitie brisee ,
* J'ai vu cette margot qui , (reliant sur ce ban ,
t Dans son bee emportait comme un bout de ruban ,
» Puis, par un tour de main en passant devant elle ,
B Un anglais lui souffler cetle humble bagatelle,
> Et comme rien pour moi n'indiquait sa valeur ,
s J'ai fiai mon panier sans crier : au voleur ! »
El la-dessus vlin-vlan ! bien sangles sur I'Agace ,
Deux coups de tire-pied la font rouler sur place.
« Mais pourquoi, dit le brocanteur,
» Centre I'oiseau monlrer tant de rigueur?
> Pour moi , je n'y vols rien qu'une elrange conduite.
* Que me faut-il , enfin ? me payer mon galon ,
» Ou si non ,
— 161 —
» Seloii luon droit, et lout de suite ,
» Je voiis iiileiile un bon proces »
— « n vaudrait mieiix , voisin , coiirir apres I'Anglais ,
» On peut encore Tarreler dans sa fuile ;
« Si c'esl voire inylord , bien stir il vous payera ,
» Un voleur, an conlrairs ? alors on le pendra ,
» Et nous verroDs ensuile. »
— « Quanl a moi, repond le plaideur,
» Je suis un peu poltron , le roulis me fail peur,
» la mer d'ailleurs me ful loujonrs coutraire ,
» Et je liens d'un raarin quo j'appelais mon pore,
» Que sans grave raison il ne laut s'y risquer.
» Et pourquoi, s'il vous plait, irais-je m'embarquer ?
» Votre oiseau m'a vole, j'ignore son complice,
» Et demain sans larder, j'en appelle en Justice;
» Petit-Jean, mon huissier , conlre vous plaidera.
» Mais vous, sans doute , au barreau dc Coulance,
u Vous irez recruler quelqn'homme d'imporlance.
» Eh bien , il peut venir , Petit-Jean I'attendra ;
» Ses moyens seront prels pour oblenir sentence »
— a Ah ! vous voulez plaider ! Eh bien nous plaiderons ,
» Reprit le savelier ; mon huissier c'est moi-meme ,
Et , morbleu , nous verrons
» A qui donnera droit la Justice supreme !
Comme entr'eux ces debats etaienl de faux aloi ,
Que de gens du quartier se grossissait la masse ,
Le vannier les pria d'enlrer chacun chez soi,
Et les dernieis de deblayer la place.
line heurc apres, aus qualre coins du bourg ,
Sur le bruit de proces chacun tendait I'oreille :
Par tons pays, le peuple aux plaids volonliers court,
Mais la c'etait pour tous unc ardeur sans parcille.
Le tribunal du lieu bieulot Gxa son jour.
En grande pompe , alors , parut loute la cour ,
Deux assesseurs, le juge, en robe solennelle,
Renfrogaant gravement s^a mine palernelle.
Debout dans le pretoire 6tait le bourg entier.
11
— 162 —
I)e» qu'on eut enlendu I'expose de I'afTaire,
Sur la foi de ses yeux , deposa le vannier ,
I'aria pcu de I'Anglais et beaucoup , au contraire ,
De Margot, que de vols il disail coiiluiniere.
Bref. II la chargea tant qu'il put ,
Si bien que, dans la foule, on crut
Qu'avec le brocanleur c'etait chose arrangee.
Lorsque dans son canal , de vagues surchargees
La Manche , lout a coup, ^ronde, ecume, bondit,
C'esl inoins que rien tu du rivage ,
Aupres des cris , de I'infernal lapage
Que dans la salle on enteudit.
Les plus mulins trepignaient a leur place,
Con Ire le faux temoin un bruit aftreux tonnait ,
Et les gens du quartier poussaient celle menace:
Nous le tiirons son Sansonnet,
Lui qui veut perdre et le mailre et I'Agace !
Sur son siege, un moment, le juge fut crispe ;
L'emeule etait flagrante, il craignait son audace ,
Car Traiment le vannier pouvait etre echarpe.
« Mes amis, disait-il, ecoutez votre pere ,
» Au nom de la justice, et pour moi , calmez-vous ;
» Mon jugement sera severe,
» Mais je rendrai justice a tous. »
Sa voix enfin fut entendue.
Et corame un sombre echo mouvant dans I'^tendue ,
Cetle menace encor sourdement bourdonnait :
Nous le tiirons son Sansonnet !
Apres cet incident, comme au sortir d'un reve ,
Voici , I'air effare , Petit-Jean qui se leve;
II craint pour son discours : aussi, des le debut,
Vit-on qu'a son palais s'embarrassait sa laogue,
Que de moitie , pour arriver au but,
Le Ciceron trouble reduisait sa harangue.
Cependant il allait etalant , en chemin ,
Un bagage complet d'extraits du droit romain ,
Denon^ant sans pitie la Pie a la Justice ,
— 163 —
Et sur les fails du vol menageaot son coiuplice.
Lorsqo'il en fut a sa peroraison ,
Alors il rehaussa la valeur du galon ,
Parla de son client en termes palbeliques,
De sa ferame plaignit les crises spasiuodi(iucs ,
Eniployant de grands mols pour les peindre aux abois ,
Disant que tout chez eux perirait a la fois ,
Puis, enfin , il conclut qu'au marchand de vieux livres
Le maitre de Margot coinpteraii cinq cents livres.
La foule , tout a I'heure , en si grande furenr ,
Muette de surprise , adrairait I'orateur ,
Quand , lout a coup , du sein de I'audiloire =
<i Cinq cents livres , Messieurs , c'esl a ne pas y croire !
S'ecria notre savetier ;
» Mais oii veut-on que je les prenne ?
» A moins que quelquc fee, au fond d'un vieux Soulier,
t N'en ait fait un depot jiour me lirer de peine.
1 Cinq cents livres encor ! jamais dans mon laudis
» Pareille aubaine n'est entree ,
» El c'esl, sans rien cacher , bien au dela du pvi.x
» De toule ma vieille denree,
» Quand je joiadrais mon personnel avec ,
» Ma femme , mes enfanls , nieme Ca<iuel-bon-bec.
» D'ailieurs , Messieurs , dans loute cetle affaire ,
» J'ai bien aussi quelque reserve a faire ;
» Car qui n'a pas soufTert du Geai de mon voisin ,
» Oiseau sale , gourmand , toujours mourant de faim ?
» En vain ,1a brosse en main , je cirais raes chaussures,
» Derriere moi c'etaient de nouvelles souillures ,
» L'insolenl animal s'en faisail comme uu jcu ,
» El contre lui ma femme en vain jeltail son feu.
•> Du reste , tout chez nous flattait sa gourmandise,
» Jusqu'a mon Livarol [') qu'il trouvait a sa guise.
{■) Livarot. Fromage aussi counu du cote de Coutance (jue
le marolies a Paris.
— 164 —
. Et combien tie inoicca;i\ empales ilans son bee,
• M'ont reJiiil dans I'echoppe a broyer mon pain sec !
» L'autre jour, il fit plus ; par exces de rapine ,
» A inon petit Joseph il surprit son gouter :
» Le droie vaillamment defendit Fa larline ,
» Mais I'altaque etait vive, il ne put resister
» Vit-on , chez les anciens , plus iinmonde harpie ,
» A I'estoraac plus creux , a Tails plus bardie ?
» Car ce qu'il put soustraire a sa Toracite ,
» L'enfant lerejela; tout etait infecle !
• Voila , Messieurs , des traits de ce Geai faraeliquc.
• Eh bien! en ai-je fait une affaire publiquc ?
» Me suis-je aulreinent plaint qu'en donnant a I'oiseau
• Certain avis direct a I'endroit du rauscau ?
> M'a-l-on Yu , lair sournois, clignottaut un oeil louche,
• AborJer mon voisiii un proces a la bouche ,
» Et d'ua ami ccmmuii caplanl I'ame ayec soin ,
• Pour un vil interet faire un lache temoin !
• Du galon, apres lout, durant deus matinees,
» Qui prouve que I'Anglais offrit bien vingt guinees ?
» Mais c'est vous , mon ?0!sin , vous seul qoi Tarez dil.
» Vos aveux , permcltez , ne sonl guere en credit.
• Comment ! quand ce Mylord vint voir vos vieilleries ,
» Vous n'avez pas compris , dans son long entrelien ,
» Que c'elait un filou, dressanl ses batteries
» Pour acheler voire galon pour rien !
» 11 vint aussi chez moi, trouvaMargot geutille . »
— J'aimais beaucop , dit-il , le oiseau qui babille.
« Ensuite , en amateur distrait
» Que poursuit une idee ou qui bat la campagne ,
» ]l ajouta qu'il regardait
» Si , dans I'echoppe il trouverait
» La pantouffle de Charlemagne.
» Soudain , prenant la balle au bond ,
» Je iui Cs voir une sandaie
» Barriolee , a forme originale ,
' Qu'un mien parent rapporia du Japon. «
— 165 —
— Volez-vos , vos , dit-il , Irento guinees ?
« Son offrc vaut autant que s'il les eiit donnees.
• Ma pantoufDe , Messieurs , vaut done un tiers en sus
» Du vieux galon. Eh bien ! Si la cour me condamne,
" Pour e?itor tout snjet de chicane ,
' Sans retour je la donne a nion Olibrius ;
» Moyennant quoi , sans regret ni raurmure ,
» Ce bon voisin paira les frais de procedure. •
11 dit ; et c'est a qui, dans I'auditoire entier.
Pour lui serrer la main s'oflfrira le premier.
Et pendant qu'elonne du prix de sa defense ,
Le Demosthene en tablier ,
Altendait la sentence ,
La cour avail delibere ;
Car apres ce succes , eclipse dans son role ,
Petit-Jean n'avait point reclame la parole.
Le juge done d'un air grave , inspire ,
Et de I'arret pourlant riant d'avance,
Ota sa toque , et chacun fit silence.
« Consideraut , dit-il , que la Pie a vole
» Le galon ; que le Geai, par une etrange audace,
• Par son instinct glouton et si bien devoile ,
A surpasse I'oiseau le plus vorace ;
» Considerant ,
» Incidemment ,
B Qu'au premier chant du coq , au carrefour Saint-Pierre ,
» L'liltourneau du vanoier,
» Avec ses cris aigus , son babil de commere ,
» Trouble dans leur sonimeil les ronfleurs du quarlier ;
0 Qu'en vain , le jour , berce par sa nourrice,
» Aucun enfant ne saurait sommeiller ;
» Considerant enfln , pour que cela finisse ,
» Que le barbier du coin , las d'enlendre crier
» Son marmot , est venu sc plaindre a la justice :
• La cour , auxdits oiseaux appliquant son arret ,
» Les condamne a subir la peine du gibet ,
' El dit que, sans surseoir , sur la place publique ,
— 166 —
> Demain sera peadu le trio satanique.
« Quant aux frais
» Du proces,
» Voulant de son auteor adoucir le mecompte ,
■ La cour a declare les prendre pour son compte.
Toute la salle alors cria : bravo !
Sinon le brocanteur et son fourbe compere
Qui , sur leur tele enfoncant leur chapeau ,
Sans mot dire etouffaient de honte et de colere.
Reims. — Imp. dc P REGNIER.
THAVAIX 1)E L'ACAOtMIE DK HEUIS.
ANNEE 1850-1851.
N° 2, — Trimestre de Janvier 1851.
SCIENCES.
OBSERVATION
D'uN CAS DE Fli;VRE INTERMITTENTE CHEZ LE CIIEVAL,
Presentee a I'Academie de Reims
Par M. A. BAUDESSO\ , Velerinaire.
Seance du 40 Janvier 185L
La fievre intermittente, cette maladie si commune
cliez riiomme , n'a pas benucoup d'exemples dans
les annales de medecine velerinaire. Nice par les
uns , adoplee par iin pclit nombre, elle est presque
encore aujourd'bui un sujet de doute pour la plu-
part des velerinaires.
Riiini, qui ecrivail en Ilalie vers la fin du xvP siecle,
est le premier auteur qui fasse mention de la fievre
intermittente chez les animaux: il rapporie en quel-
ques mots un cas de fievre quarte subintrante dans
ic cbeval.
I. 12
— 168 —
Apres lui, deux siecles s'ecoulerent muds siir celle
maladie; puis la question fut reprise par Fromage
de Feugres , dans sa correspondance , t. IV^ par
Pozzi (Zovialria del Giov. Milano, 1809, t. 111.)
Les annales de lilleralure clrangere , lopographie
medicale de la Grande-Breiagne, juillet 1810, rappor-
tent, d'apres M. Royslon, que, dans les environs des
raarais de Cambridge, les animaux qui sonl employes
aux travaux de ragricullure prcsentent quelquefois
des fievres intermillentes tierces parfaitemenl carac-
lerisees.
Certains auteurs onl admis, dans ieurs ecrits ,
I'exislence de la fievre iniermiltenle chezles animaux ;
mais pas un ne semble Tavoir observee. Girard fils,
en examinanl ce qui avail ete ecrit avanl lui sur
les fievres esseniielles des animaux, concluait ainsi (1):
1° que Solieysel , Garsauli , Bourgelat el Delabere-
Blaine admeliaienl I'existence des fievres esseniielles
dans les animaux domesliques sans les avoir jamais
observees eux-memes ; 2° que Lafosse el "Volpi n'y
croienl pas ; o" que Vilel el Aygaleng se sonl servis
d'ouvrages de medecine humaine pour les decrire ;
A^ que les observations meniionnees dans les instruc-
tions velerinaires el celles produiles par Grognier ne
peuvenl servir ces preuves , 5" que les trois observa-
tions de Damoiseau doiveni eire considerees corame
iiulles; elles onl rapporl a une intlammaiion de la mu-
queuse gasiro-inleilinale avec ou sans complications.
Nous n'allachons pas plus d'importancc aux ob-
servations de MM. Rodel el Liegard , aux deux de
M. Laulour, qui ne doiveni elre regardees que comme
(1) Recueil periodique
— i69 —
ayant Irait a des ficvres symptomatiques d'affections
qui se sont simullanement declarees.
Jusqiie la, !es velerinaires etaient done fondes a
croire que la fievre intermiuente n'exislait pas chez
le cheval; lorsque, en 1818, M. Clichy, veterinaire
aussi consciencieux que distingue , par un cas bien
observe, est venu decider la question en faveur de
I'existence de cettc maladie. Le type que M. Clichy
a observe est le type quotidien. Aussitol I'appariiion
de celte observation publiee sous d'aussi bons auspices,
les idees changerenl : d'Arboval qui, dans la 4'" edi-
tion de son diclionnaire, niait I'existence de la fievre
essentielle cliez le cheval , se range de I'avis con-
traire dans la 2'= edition du meme ouvrage. II en
I'ut de meme de beaucoup d'aulres velerinaires.
Certaines observations ont etc, comme nous venous
de le voir, donnees pour appuyer I'existence de la
fievre intermittente dans les animaux ; nous les avons
rejetees et nous avons dit pourquoi. C'esl qu'en effet,
pour eloigner tout moyen d'erreur dans le diagnostic
de ces maladies, il faut s'aitacher scrupuleusemcnt
a en connaitre le caraclere, I'essence meme. Dans
notre esprit, nous divisons les fievres intermittenles
en deux classes : 1° les fievres intermitlentes primi-
tives, essentielles ou idiopalhiques ; 2° Ics fievres inter-
mittenles symptomatiques.
( En admeltant cette division, nous pensons, en-
seigne par les observations pratiques d'un grand
nombre de medecins distingues, que le gonflement
de la rate n'ost que consecutifh I'apparition de la
fievre. Assuremenl il doit en etre de meme chez les
animaux; nous n'avons pu constaler ce gonflemenl
— 170 —
choz le chevo! , vu la position analomique de
rorgaue qui en est !e siege, dans la caviie splan-
chnique qui le contient.)
Nous avons souvenl eu occasion d'observer les
fievres du second genre, parliculieremenl dans I'en-
terite du cheval ; mais aussi nous fcrons remarquer
que, dans ce cas , I'intermiltence est loujours irro-
guliere.
L'obseivalion que nous allons rapporler presenle
un type de iievre intermiitenle inensueilc (1). Le
cheval, qui en fait le sujet, est d'un temperament
lymphalico-sanguin, de race normande, de I'age de
six ans , de laille moyenne, sous poil bai-clair ,
propre au trait leger , appartenant a M. D....,
proprieiaire cullivateur, demeurant a C
Le 5 fevrier 1850, visitant ce cheval, je trouve
le pouls llasque , a 80 pulsations , les muqueuses
pales, la resi)iration acceleree, les reins iiifiexibles,
le poil pique, la facies trisle, les membres engorges
ainsi que le fourreau.
L'animal, d'un embonpoint a peu pres salisfaisant,
(itail nouvellenient achete, ct, d'apres quelques ren-
seiguenienls que me fournit son proprietaire , je le
crus debilile par un travail force. II semblait avoir
L'ie remis en eiat , comme on dil, pour la vente ;
ce que m"iudiquait assez la presence d'un seton au
poitrail, que Ton a I'habilude, a lort ou a raison ,
de passer en pareille circonslance. Prescriptions :
(1) Bien qu'on ait ecrit, comme Sauvage, dans sa Nosologie, qu'il
faut bannir du cadre des fi^vrcs inlermillentes toutes celles qui n'ont
pas au moins deux acc^s en quinze jours , nous n'en persislons pas
moins a classT, dans les G^vres intermiltentes , le cas que nous pre-
senions.
— 171 —
electuaire de geniiane , panade cxcilanle , IVicdons
seclics sur toiite la surface du corps, promenade au
pas, I'animal etanl bien convert. Ses alimenis devront
elre arroses avec de I'eau legeremeni salee.
Le 4 au soir, quelcjue temps apres la promenade,
le cheval est aballu , il resle etranger a lout ce qui
se passe autour do lui, sa respiration est agitee ; il
est pour le proprietaire dans un elat inquielant, qui
le decide a venir me chercher.
A mon arrivee, huit henres du soir, je tronve
le malade Iriste , il est au bout de sa ionge , i'ex-
tremile inferieure de sa lelc repose pre^que sur la
litiere ; de temps a anire il se rapproclie peniblenieni
de la mangeoire, sur laquelle il prend immedialemenl
un point d'appui. Les yeux sont a demi fermes ,
languissanls, la conjonctive est a I'elat normal, ie
pouls bat 100 pulsations; la respiration est fre-
quenie , la colonne veriebrale raide, les extremites
froides. Vers neuf heures, arrive un frisson general
plusdeveloppe cependant dans les muscles de I'epaule,
surlout les olecraniens, et dans ceux dn grasset,
Get elat morbide dure environ une heure el demie ;
puis, lout h coup, un cbangi-ment brusijue s'opere
dans la position du malade, les frissons disparaissont,
puis survienl une cbaleur plus que normale qui se
termine par une sueur abondanle a la iiase des
oreilles et anx llancs ; bienlot Joule la surface du
cr)rps devieni ecumaule, le pouls est rcleve, I'arlere
est pleine, loulante sous les doigis, la bouclie est
seche, la langue chargee , la soif est ardenle ; le
maiade , qu'on me pardonne I'exprcssion , d<ivorc
le liquide qu'on lui presenle , il se campe souveni
el ex|)ulse une urine pcu coloree , limpide, (jue nous
— 172 —
rrgreltons vivement de ne pas avoir analjsee. L'a-
ballement est le meme, les niouvemenls du flanc
sont lumullueux, le souffle respiraloire est bruyant
ct simule assez bien le cornage ; I'animal semble
combaltre un soimueil qui I'accable, il se balance
a droite et a gauche, ses membres flechissent raalgre
lui a certains intervallcs : eufln , il lonibe , tend
I'encolure et parait se complaire dans cetle position.
On le seche , puis on le recouvre de bonnes cou-
verlures.
Au bout d'une heure , peut-etre un pen plus ,
I'animal se releve , se secoue et tire sa paille du
ratelier; mais il mange peu. Le calme se retablit
peu a peu dans toutes les fonclions , linquielude
cesse, I'oeil est brillant, la respiration a repris son
ryibme accoutume , la marche est facile; bref , la
same semble elre revenue comme par enchantement.
J'avoue que, lorsque j'assislais a toute cette scene
palhologique, j'elais loin d'avoir le meme calme que
celui avec lequel j'en trace aujourd'hui I'histoire.
M. D.. . avait la conviction inlime que la maladie
etrange a laquelle son cheval venait d'echapper, avait
ele provoquee par I'administration de la gentiane ,
aussi ne voulul-il plus continuer cette medication ;
je lui assurai le contraire. Bien que je ne pusse ce-
pendant pas decouvrir de trace d'une lesion orga-
nique quelconque, I'idee que nous venions de voir
se developper toutes les phases bien caracterisees
d'une fievre essentielle , n'etait que bien hypothe-
tique dans mon esprit ; pourtant, je le confesse, j'en
hasardai I'explicalion a M. D... Les trois stades ,
comme nous les avions si distinctement observes,
donnaieni a mes paroles un certain air de conviction
— 173 ~
siir lequel s'appuya inon clienl ; je pronostKiuai
d'avance un nouvel acces dans un (emps quo je ne
pouvais determiner, el j'insislai aiipres de M. D —
pour qu'il me fit appcler quand pareille cliosc se
reproduirait.
Le deuxieme jour apres celle crise , I'animal clait
rendu a son travail ei a sa nouiriUire liabituelie ;
I'exercice fit rapidement disparailre I'engorgemeii
des membres.
Dans les premiers jours de mars , I'animal perdit
de son appelit , un trouble particulier se manifesta
dans toutes les fonctions de Teconomie ; enlin , le
-4 au soir , je pus voir se developper un accfes de
fievre en tout seinblable au premier. Le proprielaire
s'en inquiete peu et revient de sa premiere erreur:
la gentiane etait eirangere a la maladie de son
cheval.
Men diagnostic se trouva encore confirme par un
autre acc^s qui se reproduisit le 4 avril suivant ,
avec les m6mes prodromes. Uien de particulier a
noter , cet acces etait aussi violent que les deux
premiers.
Toujours, pendant I'apyrexie , et nous insistons
sur ce point , nous avons vu i'animal dans de bonnes
conditions de same; huil jours ne s'ecoulaient pas
sans que nous le visilions au moins une I'oisou deux.
A partir de ce moment, rintcrmittcnce changea et
les acc6s furent bien moins inlenses ; c'est ainsi
qu'ils suivirenl cette periode : 15 avril , 1" mai ,
15 mai.
Pendant le mois de juin et les mois suiyants, nous
avons vu disparailre la serie des symplomes qui
— Mil —
annongaicDt h pyrexic ; seulement, a ties iniervalles
dont il nous a ele impossible de rcconnailre la pe-
riodicite , nous avons remaique un leger trouble
febrile sans suite qui se produisait parliculi6rement
lorsque Tanimal avail ele soumis la veille a une
course rapide ou a un travail irop fatiguaul ; le
repos d'un seul jour ramenait bienlol la saule.
Depuis le mois de septembre jusques aiijourd'bui,
Taniraal a loujours monlre les signes evidenls d'une
bonne sante.
Pendant lout le temps que ce cheval a ele soumis
a notre observation , aucune substance medicamen-
teuse ne lui a ele administree, dans cetle seule in-
tention de voir comment se terminerait ce cas qui
excitail si vivement noire curiosite. M. D.... y
consenlil de grand cceur ; qu'il accepte ici toute
noire reconnaissance, puisqu'il nous a permis d'obser-
ver el de suivre un sujet presque encore nouveau
pour la plupart des velerinaires.
— 175 —
Lecture dc M. Maumene.
Seance du 10 Janvier 1851.
NOTE 5UR L'EMPLOI DES SULFATES d'aLUMINE.
J'ai regu ces jours derniers deux echantillons de
sulfate d'alumine, avec priere d'en jnger la valeur.
— L'analyse de ces deux sels a fourni les resuhals
suivanis :
N» i . lo.75 alumine pour 100.
N" 2. 41.84 id. id.
Si les sels elaient absolument purs, lis devraient
renferraer 15.4 d'alumine pour 100. — La difference
est assez grande pour amener les observations dont
voici le resume :
Le sulfate d'alumine est preferable a I'alun par
I'exces d'alumine qu'il renferme. En effet, tandis que
100 kil. d'alun ne donnent au teinlurier que 10.82 kil.
d'alumine. 100 kil. de sulfate d'alumine pur en
fournissent 15.40. — Cependant I'avantage n'est reel
pour le consommateur que dans le cas d'une exacte
proportionnalite entre les prix ; en d'aulres lermes ,
il faut ne pas payer I'alumine du sulfate plus clier
que I'alumine de I'alun. Pour meltre celte verile
sous une forme generale, il faut loujours avoir entre
les prix de I'alun et du sulfate d'alumine la pro-
portion suivanle.
Le prix de I'alun : le prix du sulfate : : 10.82 : 15.40.
— 176 —
Les analjses precedentes m'ont donne I'occasion
de cliercher si celte proporlionnalile existe et si nos
tcinturiers sonl a I'abri des perles : void les resullals
auxquels je me trouve conduit.
On obfient actuellement dans le commerce les
aluns au prix de 22 francs les 100 kil. Pour pouvoir
employer les sulfates d'alumine sans desavantage, il
faudrail que leur prix ne depassat pas celui qu'on
trouve par la proportion.
22 francs : x : : 10.82 : 15.40.
Prix de I'alun Prix des sulfates.
C'est-a-dire a? = 51 .32.
Ainsi, quand les aluns sont a 22 francs, on peul
sans perte employer le sulfate d'alumine tant que
son prix ne depasse pas 51 fr. 52 c.
II est facile, d'apres cela , de juger si nos tcin-
turiers sont aujourd'hui dans une position avan-
tageuse ,
Car le sulfate n" 1 se vend 55 fr.
Et le sulfate n°2, 50 fr.
Pour le n" 1 la perte est evidente ; pour le n" 2
on pourrail elre lente de croire a un benefice, mais
il est aise de perdre €elte illusion. — En effet, ni
Pun ni I'autre des sulfates n'est enli^remenl pur;
ni I'un ni I'autre ne donne 15 kilog., 4 d'alumine,
et il faut evaluer leur prix d'apres la quanlile vraie
de cette maliere. On a ainsi les proportions :
22 : Prix du sulfate n° 1
22 : Prix du sulfate n" 2
et ces proportions donnent
: 10.82 : : 15.75.
: 10.82: : 11.84.
— 177 —
Pour le n° 4, 27 fr. 96 c, soil 28 00.
Pour le no 2, 24 00.
C'esl-a-dire qu'au prix actuel de I'alun (22 fr. les
100 kilogrammes), le sulfate n° 1, renfermant 15.75
d'aluniiue, vaut seulement 28 00 ; et le sulfate n" 2,
renfermant 41.84 d'alumine, vaut seulement 24 fr.
Le n" 1, qui vaut 28 00, so vend 53 fr. 00.
Le n» 2, qui vaut 24 00, se vend 50 fr. 00.
Je laisse k chacun le soin de lirer les consequences.
II faut pourtant observer encore que le sulfate d'a-
lumine est presque toujours charge d'un exces d'acide ;
que sa constitution ne pent 6lre envisagee comme
constante, et qu'il renferme toujours une proportion
de fer notable , inconvenients dont on n'a pas a
souffrir par I'emploi de i'alun.
— 178 —
JURISPRUDENCE.
SUR LES OEUVRES DE M. TROPLONG, ET SPfiClALEMENT
SUR SON COMMEISTAIRE DU TITRE DU CONTRAT DE
MARIAGE
Par M. G. MASSE.
Stance du 24 Janvier 1851.
Ceux qui sont d'age a se rappeler quel elaif, il y
a vingl ans , I'elat des eludes juridiques , peuvent
facilemeni mesurer les progres que ces etudes ont
fails depuis 1830, grace au mouveraenl des espiits
qui, a parlir de celle epoque memorable, a pousse
la science dans des voios nouvelles, ou , pour elre
jusie envers un passe deja vieux, lui a fait relrouver
les voies ancienncs ouverles par les grands juriscon-
sulles du XVI' siecle.
Deux hommes , donl I'un se rapporte plus parii-
culieremenl a I'epoque imperiale, et I'antre a la res-
tauratiou. Merlin el TouHier , avaient sans doule
brille d'un vif eclat ; et tous les deux eurenl, en-
ire aulres merilesinconteslables,celui de venir a point.
Mais la science du droit ne pouvait faire des progres
veritables qu'a la condition de sorlir des limites
dans lesquellea la force des circonstances avail ren-
I'crme ccj jiirisconsu'le-.
— 179 —
On sail, en effet, que les commenlaires el les
commenlaleurs n'etaicnl pas en faveur sous I'Empire.
C'etait un prejiige fort generalement repandu alors
el parlage par le maiire et par les siijeis , que
tout le droit etait dans les nouveaux codes ; qu'ils
se suffisaient h eux-raemcs et que la legislation nou-
velle, nee du progres des idees et de la regeneration
politique et sociale, inauguree en 1789, ne devait
rien a la legislalion ancienne et n'avait ricn a lui
demander. Cependant le prejuge ne pouvait faire
qu'il n'y eut pas des lois anciennos qui cessaient a
peine d'etre en vigueur, une legislalion inlermediaire
qui venait d'etre remplacee par la legislation nou-
velle, et que du choc de ces elements divers , qui
avaient successivement regi I'elat des ciloyens, leur
fortune et Icurs acles , ne jaillit pas une serie de
dilTicultes dont la solution , en raison de lour ca-
raclere essentiellement transiloirc , ne pouvait eire
remise au lendemain. C'esl done a celle ceuvre que
furenl appeles les legistes de celle epoque, el a leur
lete , Merlin, le premier d'enlre eux, dont les savants
requisitoires , Irop depourvus d'ailleurs du sens phi-
losophique, et jusqua un certain point de rinlelligence
historique , lors merae qu'il remonle vers le passe,
facililerent la Iransilion de I'ancien droit ecrit ou cou-
tuniier, au droit nouveau.
Si bieniol apres la pratique demonlra que les
codes, quelque parfails qu'on les supposal, avaient
cependant besoin d'explications, qu'ils n'elaient pas
h la poriee de tout le monde, et qu'il ne suOisait
pas de les avoir lus pour les comprendre et devenir
juriscousulle, les premieres lentativcs furenl nalu-
rellemenl fori timides: on semblait craindre de toucher
— 180 —
au livre de laloi. Aussi , voyez Toullier lui-meme,
avec quelle reserve, dans les premiers volumes de
son ouvrage, il se borne k une paraphrase plus ou
moins developpee du code civil. C'esl en avan^ant
dans son travail qu'il sent ses forces , que peu k
peu il se decide a s'en servir pour dominer son
sujet , et qu'enlin , dans le titre des obligations, il
s'eleve a une hauteur telle , qu'il place son nom
au dessus des alteinles du temps.
Disons-le toutefois, les ouvrages de Toullier
el ceux des jurisconsultes de son ecole se ressen-
tent de la preoccupation de I'epoque au milieu de
laquelle ils ont ete congus : Toullier isole Irop
completement le code des precedents historiques
dont il est issu; et son traite des obligations lui-
meme est plutot le chef-d'oeuvre d'un esprit juste
et d'un sens droit que celui d'une intelligence pla-
cee au dessus de son sujet, et en embrassanl les rap-
ports non seulement avec le present , mais encore
avec le passe pour eclairer la legislation , en remon-
tant aux sources , et avec I'avenir pour la juger
d'apres les resultats qu'elle doit avoir.
L'etude des questions transitoires qui se person-
nilie dans Merlin, et I'explicalion peut-etre un peu
timide des codes nouveaux qui se personnitie dans
Toullier, telle fut done et telle dut etre la mission
des jurisconsultes dans les temps plus ou moins
prochains de la promulgation des codes. Cette mis-
sion fut remplie avec eclat tant que les hommes
eminents qui s'en etaient charges eurent assez de
force pour en soutenir le fardeau et que les cir-
constances s'y preterent. Mais Merlin avait cesse de
conclure au moment ou TFippire avait cesse de
— 181 —
vaincre; el la Restauration , pendant laquelle Toul-
lier avail pris son essor le plus hardi, n'eiait pas
encore lorabee que , deja affaiblie par I'age , I'inlel-
ligence de I'illuslre professeur de Rennes sommeil-
lait sans Irouver le reveil d'Honiere.
Cependanl les idees avaient marche , la revolulion
de 1850 avail donne un nouvel elan h Tesprit
crilique el liberal qui s'elait manifesle dans les
dernieres annees de la Restauration , el qui avail
mis lanl de choses en question dans les arts , dans
les lettres , dans les sciences. On peut, sans parla-
ger les egaremenls des novaleurs, avouer ce que
leurs tendances onl eu de saluiaire, el reconnailre les
services qu'elles oni rendus. L'hisloire ful la pre-
miere h en profiler ; la science du droit, qui se lie
si intimement a I'histoire, devail en profiler aussi.
C'est alors que M. Troplong fit paraitre son
premier ouvrage, le coramenlaire du Titre des pri-
vileges et hypotheques , qui fut presque aussitol suivi
du Commentaire de la vente et de celui des pres-
criptions. Le succes de ces livres fut immense , et
il devait I'elre. On n'eiait pas habitue a celte
hauteur de vue , a celte profondeur d'apergus , a
celle hardiesse de crilique , a celte chaleur de style
qui repandenl la vie el I'inleret dans toules les parlies
de I'ouvrage. On y trouvait reunies I'histoire , la
philosophic , I'oconomie politique donl I'alliance
elait aussi heureuse que nouvelle , du moins de
nos jours. La science du droit, qui semblait s'e-
leindre faute d'air el d'espace dans les limiles trop
etroiles ou on I'avait renfermee , revenait a la vie
et voyait s'ouvrir devant elle unc carriere donl la
richesse cl I'elendue appelaienl les explorateurs. Dc
— 182 —
ce jour, enfin , dalait line impulsion salulaire el
puissanie donnee aux etudes juridiques; elje necrois
elre dementi par personne , en disanl que c'est a
M. TroploDg que revient I'honneur d'en avoir le
premier donne le signal el I'exemple.
Depuis lors , avec une fecondite qui ne s'est pas
dementie el loiijours avec le meme succes, M.
Troplong a complete le commenlaire de loute la
parlie du code civil qui elail reslee en dehors des
iravaux de M. Toullier. Maintenaut il resle sur le
terrain meme des ceuvres de son illuslre devancier,
et il public le commenlaire du Contrat de manage,
dont I'examen clot la serie des maiieres iraitees
par le savanl professeur.
On sail qu'a la difference de M. Toullier , qui a
donne a ses explications sur le code civil la forme
d'un traite methodique , M. Troplong a adopte la
forme assurement plus commode d'un commenlaire.
Peut-etre celle forme se prele-t-elle moins que celle
d'un iraile a la deduction logique des idees et au
developpement syslemalique des principes el de leurs
consequences. Mais quel que soil le merite relalif de
ces deux meihodes , entre les mains d'un bon ouvrier
il n'y a poini d'oulil mediocre; et on ne pent nier
que la forme du commenlaire , telle qu'elle a ete
employee par M. Troplong, ne reunisse aux avan-
tages syntheliques du traite ceux d'une melhode plus
analylique dont le merite incontestable est de rap-
procher les explications des textes et de forcer
I'auteur el le lecteur a ne pas perdre de vue
la loi qu'il est permis de critiquer^ raais a laquelle
doivent loujours etre rapportees les solutions.
— 183 —
Les belles prefaces qui servent d'iiUroducliou aux
commenlaires deM. Troplong rcunissent en faisceau
les idees generales de la maiiere qu'il iraile; et il
a aussi I'art de grouper sous les principaux articles
du tilre qu'il commente les principes dont plus lard
I'application sort a resoudre les queslions particu-
lieres.
Les meriles qui distinguent les precedents ouvrages
de M. Troplong se renconlrent au meme degre dans
son cominentaire du Conlrat de manage. II en est
in6me qui liennent moins au talent de I'ecrivain
qu'a sa conviction , et que le sujel du com-
mentaire du Conlrat de manage rend plus saillanls.
M. Troplong apparlient comme jurisconsulte a
I'ecole spiritualiste qui donne pour base au droit, non
seulenienl rulilite et une morale abslraite, mais la
morale t'ondee sur la religion et sur I'idee de la di-
vinite. Plus que lout autre, il a proclame et defendu
dans ses ouvrages les principes fondamentaux de la
societe. Or, quel conlrat plus que le conlrat de
mariage, qui a pour but de regler les interets civils
d'une union que la religion consacre dans lous les
cultes, admel plus nalurellement I'element spiritualiste
dans la legislation qui le regit? Quel conlrat plus
que le conlrat de mariage , qui est I'origine de la
famille et par consequent de la societe humaine ,
doit eire plus necessairement conforme aux principes
immuables sur lesquels repose celte societe ?
Je ne veux pas savoir qui a dit (si jamais cela
a ele dit) que la loi doit elre alhee. On comprend
que la loi ne doive faire acception particuliere d'aucuns
cultes, mais ne faire acception particuliere d'aucun
culle , c'est n'en exclurc aucun et par consequent
I. 13
— iSli —
les admeiire tous avec la Qolion de Dieu. El des
lors , il est nalurel quand une loi est destinee a
regir une nation dont Timmense majorite professe le
nierae culte, ou des culles qui ont la meine religion
pour origine commune, de rapporter I'espril de cette
loi a la religion dominanle,
Dans un livre qui date deji de plusieurs annees,
M. Troplong avail montre la bienfaisante influence
du christianisme sur le droit civil des Romains.
Dans son commenlaire du Contrat de manage (1),
il montre I'influence du christianisme sur le manage ;
el comment le mariage qui, sous I'empire romain a
une epoque d'extreme civilisation , avail perdu sa
dignite , malgre les efforts des lois et de la philo-
sophie, I'avait conserve au moyen-age, dans un temps
d'extreme barbaric, sous Fintluence de Taction re-
ligieuse. « Les celebres lois d'Auguste, portees contre
le celibal, ne purenl, dil M. Troplong, rendre au
mariage son lustre efface. Ces lois tiraienl leurs forces
de la politique, il aurail fallu leur donner celles des
moeurs , el le paganisme n'etait pas assez puissant
pour ceite regeneration. Au moyen-age, ce ne ful
pas le celibal qui til la guerre au mariage , ce ful
la pluralite des mariages et le concubinage. Le
celibal, revetu d'un caraclere austere, ne ful qu'une
loi difficile imposee aux ecclesiasliques dans des vues
de perfection ; il n'etail pas un elal hostile dont les
institutions de la famille eurent a s'inquieler ; mais
les repudiations, les divorces el le concubinage, re-
pandus dans loules les classes de la societe el encou-
rages par les scandales des rois et des grands ,
(1) Preface, p. 3, 3 et suiv.
— 185 —
fnrenl la phiie dc I'epoqiie et la cause dii trouble
dans les unions, de la perUirbation dans I'elat civil
el d'une effroyable dissolution dans les moeurs.
L'eglise lulta , elle s'arma des decrels des conciles
el des foudres de i'excommunicalion. EUe agit par
la persuasion el par la terreur des peines. Le ma-
riage resia viclorieux. II sY'leva a la verilable bau-
teur oil I'a place le christianisme. A la favcur de
ceUe restauraiion, il csl resle un sacremeiii dans
I'ordre spiriluel el un lieu indissoluble dans la loi.
C'esl un des grands services que I'Eglise ail rendu
k la civilisalion moderne. La France en recueille
aujourd'hui les fruits, et elle les recueille avec
reconnaissance pour les pbilosopbes cbreliens qui
de bonne heure onl depose dans son education la
source de ccitc bonne doctrine. »
Ce passage , qu'un homme convaincu aurail sans
doule os6 ecrire , il y a quelques annees , mais que
peu de personnes peul-etre auraienl ose approuver
landis qu'aujourd'hui il rencontre parlout des sym-
pathies, indique I'espril general du commenlaire
de M. Troplong, el j'avoue que pour faire connailre
ce livre, ou du moins inspirer le dcsir de le
connailre , j'aime mieux m'en lenir aux generaliles
qui lui donneni une coulcur et lui servent en
quelque sorle de drapeau , que d'enirer dans le
detail des questions particulieres qui naissenl en
foule sous cbacun des articles du code et dans
I'examen desquelles on reirouve tonjours la nieme
vigueur et la meme variele d'apergus lors merae
qu'on n'adrael pas les solutions de I'auteur. II est
cependanl un poini sur lequel je m'arietcrai
quelques instants non pour combaltri' I'opinioii
— 180 —
emise par M. Troplong , hien qu'ellc soil contiaire li
celle que j'ai cru *a regret devoir moi-mcme adop-
ter (I); mais pour signaler une des discussions les
plus approfondies el les plus completes que renferraent
les livres de jurisprudence.
Une des plus illuslres viclimes du mouvemenl
revolulionnaire de 1848, M. Rossi, a lu a ['Academie
des sciences morales el poiiliques , il y a dix ou
uouze ans, un memoire resle celebre renfermanl les
observalions les plus curieuses sur le droit civil
irangais considere dans ses rapporls avec I'elat ecouo-
mique de la sociele, memoire dans lequel il de-
monlre que les auleurs du code civil n'ont pas
loujours ele a la hauteur de leur tache lorsqu'ils se
sont irouves aux prises avec les principes des sciences
oconomiques , lorsque les previsions dulegislaleur au-
raienl dii erabrasser dans louie Tclenduc el la variete de
ses rapporls , le double phenomene de la formation el
de la dislribuliondela richesse nalionale, lorsque la loi
civile auraitdu reflechir avec une scrupuleuse exacti-
tude,I'iraoge mobile des fails economiques de la socie-
le ; el cuire autres exemples de celle insuffisance , il
cite la controverse deja ancienne sur I'applicalion a la
dot mobiliere du principe d'inalienabilite, expressement
admis par I'arl. 1554 du code civil pour la dot immobi-
liere, el il fail voir que si le Palais, qui adniet I'inaiiena-
bilite de la dot mobiliere , est en guerre sur ce
point avec I'Ecole qui admet son alienabiliie , celle
dissidence vient de ce que la doctrine concenlre son
attention sur le lexle el les origines hisloriques
(2) Voyez inon Droit commercial dans se$ rapports avec le droit
des gens et le droit civil , t. Ill, n 370.
— 187 —
(k's levies, landis que los iribiinaiix , |»lacds eii pre-
sence cles applicalioiis el de leurs consequences ,
eprouvenl, bon gre nial gre, rinlluence du fail eco-
Momique qui caraclerise noire epoque, c'esl a dire,
racci'oissemenl de jour en jour plus considi rable de
la richesse mobiliere. lis ne pcuveiil concevoir , dil
M. Rossi, que la garatilie de Tinalienabiliie accordei'
;i la femme qui apporie en del une cabane el un
arpenl de bruyeres , puisse CUe ret'usee i celie qui
possede cent niille livres de renies en capilaux
niobiliei's (1).
M. Tropiong se prononce pour ralienabilite de la
dol mobiliere. Apres avoir uionlre les inconvenienis
generaux el inconlosiables de I'inalienabiliie de la
dol « que Rome antique , dii-il , ne commen^a .'i
counaiire que lorsque Rome linissail ; que Juslinien ,
son fondaleur , crul lui-meme necessaire d'adoucir ,
qui ne se perpeiua dans divers elats qu'a la faveur
des sjslemcs de gene polilique el civile , qui pese-
renl par lanl de coles sur la propriele, (pie la Nor-
mandie u'accepla dans sa sage coutume qu'en I'ac-
commodant a cerlaines faciliies, que le commerce
lyonnais re[)oussa energiquement alin de se livrer a
son developpement el a son brillanl essor , qui , en
Italic, dans la terrc ciassique du droll romain , a
regu de notables echecs par rinlluence du droit canu-
uique , el a ele limilee , modiiiee , assuuplie par la
jurisprudence pratique des iribunaux ; w apres avoir
moulre , dis-jc , ce que c'est que rinalienabiliie de
la dot , il en fail I'historique , en droil romain , et
(1) Viiyrz il' iiifiiiijirc ilc \\. Rossi, ihiiis l:i liivuc de leyiilaltuii,
I. li. 1.. :..
— 188 —
conclul dps lexies (ju'il expliqne el (ju'il rapproclu;,
que jamais en droit roraain rinalienabilile n'atteignil
que ia dol immobiliere, el que la t^rande majoriie
des anciens comraenlaleurs n'a jamais Irouve dans
la loi romaine le priiicipe de rinalienabilile de la dol
mobiliere. II reconnail que, dans Tancieiine juris-
prudence fran^aise, certains parlemenls s'eloignanl
do ce qu'il regarde comme les saines tradilions
du droil romain , pencbaienl vers ]'inaliena])i!ite de la
dol mobiliere ; mais il soulienl que le code civil ,
qui avail devant lui les deux syslemes , a donne la
preference a celui qui pcrmel I'alienabilile des mcu-
bles , puisqii'il n'est question que des immeublcs dans
les arlicles relalifs a la prohibition d'aliener. !1 combat
ensuile la jurisprudence qui, selon son expression, a
ess;ne do trailer le code civil comme certains parlemenls
iraltaienl la loi romaine ; et , pour elablir I'erreur
dans iaquelle seraient lombees nos cours de justice ,
il examine scparement les droits du mari el ceux de
la femme sur la dol mobiliere. Mors commence une
discussion donl aucune analyse ne pourrail rendre
rhabilet6 et les ressources. Dans une longue serie
d'hypolhesos, M. Troplong parcourl loutes les situa-
tions dans le&quelles les epoux peuvent se trouver,
soil enire eux, £oit a I'egard des tiers, cl pose enGn
comme regie quo , pour I'un comme pour I'auire ,
la dol mobiliere est alienable. Je n'ai vu dans aucun
livre une dissertation aussi complete el plus faile pour
servir de modele. Apres I'avoir lue on peui , sans
doule , 6lre en dissentiment avec I'auleur, el les avis
peuvent resler parlages sur la question. Mais, assu-
remeni, il n'y aura qu'un avis sur rinlelligente
erudition qui y est mise en oeuvre , sur la nauleur
— 189 —
de vues avec laquelle le sujel est embrasse el la pene-
tration qui en deveioppe loules les parlicularites el
lous les contours.
Je serai flu moins , en un point , de i'avis de
M. TropioDg. L'inalienabilile de la dot est une mau-
vaise chose en cconomie politique. Ainsi qu'il le dit
fori bien, le code civil I'a laissee deboul au milieu des
mines de la main-morle, comme une derniere enlrave
a la liberie.
Si done la question devait se decider par les prin-
cipes economiques , la regie de I'alienabilite de la
dot inobiliere ne souffrirail aucun doule. Mais elle
doit se decider par des raisons de droit, el je crains
bien que sur ce point encore , comme sur la plupari
de ceux indiques parM. Rossi, le code civil n'aii
meconnu les donnees les plus simples de reconoraie
politique. Tanl de lois nouvelles , au surplus, les
meconnaissenl lous les jours qu'on peul bien par-
donner aux auleurs du code civil de les avoir un
instant oubliees.
— 190
Lecture de ^!. Forneroii.
Seance du 14 Fevrier 1851.
DE ISOS FACULlfiS L1TT£RAIRKS.
Le principe de la pensee humaine est un, quelque
nom qu'on lui donne ; ame, moi , entendement,
conscience, talent, genie. Comme ce principe semble
differer de lui-meme, et en differe en effet, dans
I'exercice de son aclivite , on lui a attribue des facul-
tes diverses, on a range ses operations sous des titres
nombreux qui ont presente la pensee comme mul-
tiple, qui I'ont faite materielle et divisible, aux yeux
de ceux qui s'etudient moins eux-memes que le milieu
ou ils sont places. Mais la pensee est une dans I'indi-
vidu, une, de la naissance a la mort, au milieu des
fluctuations de la volonte, une encore au-dela.
Ou ne saurait rappeler avec trop de soin cette unite
intime, ce caractere inalienable et indestructible de
la pensee, lorsqu'on veut se rendre compte d'une
oeuvre complexe, a laquelle plusieurs facultes concou-
rent, de I'ceuvre litteraire, par exemple.
Oui, la pensee fonctionne tout entiere dans une
production litteraire; toutes les facultes entrent en jeu
pour la mettre en lumiere: trois d'entre elles pourtant
semblent y prendre plus de part; le genie litteraire
parait avoir trois manifestations principales et s'ofTrir a
1 appreciation sous trois phases diverses: la sensibi-
Ute . i'imagination, la raison.
— 491 -
Par la sensibilite, nous recevons et fixons en nous les
impressions des sens, les donnees de I'experience, les
notions des choses. Par la sensibilite, le monde exte-
rieur et le monde des idees se reflechissent en nous
comme en un miroir fldele ; par elle , semblable a la
barpe qui resonne au souflo des vents, lame se met en
harmonie avec I'univers au milieu duquel elle vit.
Les elements fournis par la sensibilite, riniagination
s'en empare, les fagonne et les dispose a son gre; elle
les combine a I'aide de rapports nouveaux qu'elle
pergoit entre eux et d'apres les vues qui lui sont pro-
pres; habile architecte dont le compas aspire a embras-
ser I'iufini, fee puissante dont la nature materielle
ecoute la voix, genie irresistible dont la nature morale
suit le comraandement.
»
Mais, abandonnees a elles-meraes, la sensibilite et
I'imagination , dans raccomplissement de iauvre lit[e-
raire, ou s'epaucheraient outre mesure, ou se laisse-
raient emporter a la fougue de I'inspi ration; elles
depasseraient le but , le deplaceraient incessamment
ou le perdraient de vue: il faut que la raison les
dirige; la raison, c'est a dire, le discernement, la
juste appreciation des choses, la lumiere qui eclaire
tout homme a sa naissance et lui revele en toute
carriere le droit chemin,
11 n'est pas un talent de quelque distinction, pas
un ecrivain de quelque merite qui ne se recommande
sous un de ces trois points de vue ; heureux ceux dont
les ouvrages sont eclaires a un certain degre d'inten-
site par ces trois foyers de lumiere a la fois; c'est,
selon nous, le privilege irrecusable du genie. Que les
trois facultes, en efTet, convergent dans leurs efforts,
qu'elles s'associent harmonieusement et fondent leur
concours mutuel dans une action unique : alors les
grands ouvrages paraissent, les monuments immortels
s'elevent, et les liautes renommees s'etablissent.
— 192 —
Le temps et les mceurs sont (Strangers a la question.
Le grand poete de I'antiquite, Homere, n'est qu'une
individualite puissante par la sensibilite, par Tiraagi-
nation et par la raison , comme Bossuet ou Corneille,
dans les temps modernes, sans aucune difference au
fond , tant il est vrai que I'esprit et le cceur de I'hom-
me sont toujours et partout les memes; qu'ils restent
tels qu'ils ont ete fails a I'origine, en depit de toute
pretention contraire.
11 n'y a pas non plus a se preoccuper de la nature
des sujets. Corame auteur, Homere ne presente pas
d'autres elements intellectuels ou moraux que La
Fontaine, par exemple. Dans le poete epique ancien,
ainsi que dans le fabuliste moderne, on trouve a des
degres differents peut-6tre, nos trois facultes primor-
diales : sensibilite, imagination, raison.
On pent s'etonner de voir La Fontaine figurer ici
sur la meme ligne qu'Homcre: et pourtant, que par
la pensee on separe d'Homere, s'il est possible, ce qui
n'est pas lui, c'est a dire , le prestige de Fantiquite, la
veneration des siecles, ces combats de geants et de
dieux et le charrae de la langue la plus melodieuse
qui fut jamais-, que Ton prenne le genie seul a seul,
tandis qu'il peint les evenements, les moeurs, les pas-
sions et les caracteres d'un age presque fabuleux ;
cree-l il plus, tire-t-il plus de lui-meme que linterprete
charmant et profond qui met les animaux en scene ,
pour nous exposer, dans une piquante ironie, nos
travers et nos vices? Nous ne le pensons pas. Le
theatre est un grenier et non les champs de Troie ; il
s'agit du peuple souriquois el de la gent trotte-menu,
et non des formidables Dolopes: qu'importe , si lefTet
litteraire est aussi siirement produit, si le plaisir
intellectuel a gouter des deux parts est egalP 11 y
aurait meine a dire, en faveur de La Fontaine, que
li.'iral (il! la vie cninmune et des manirs vulgaires
— 193 —
est plus (liflicile a concevoir et a reaiiser que I'ideal
de la vie et des mceurs heroiques :
Diflicile est proprie communia dicere.
Uevenons a notre sujct. les grands ecrivains font
tonjours preuve de nos trois facultes princlpales, pour
peu que le comporte I'ordi-e d'idees qu'ils Iraitent, et
il n'y a de premier rang dans aucuu genre pour qui-
conque offrirait une lacune a cet egard. La malveil-
lance qui s'est attachee a Racine, pendant sa vie, le
poursuivait encore dans ces derniers temps, a un
siecle et demi de distance. On consentait a I'appeler
I'elegant, le tendre Racine^ on lui octroyait done la
sensibiiite et quelque usage de la raison dans la dis-
tribution de sesmateriaux, dans le cadre de ses pieces;
on en faisait volontiers lui versificateur babile , mais
on lui refusait I'imagination, ct partant le titre de
poete .
Observons k cette occasion que le role de imagi-
nation dans la litterature et les arts n'est pas tel que
plusieurs se le reprcsentent. L'homme doue d'imagi-
nation voit au fond des evenements et au fond des
coeurs plus vite , plus loin et plus clair que le vulgaire
des hommes. Son regard penetrant saisit entre les
objets dans toute la nature des rapports qui Ochappent
au plus grand nombre et qui, produits au jour, oflrent
comme un caractere d'inspiration et de revelation.
L'iniagination procede en quelque £orte par decouver-
tes, mais elle ne cree pas, elle ne cree rieu. A qui doit
s'attribucr le mot creer? a Dieu scul. De quelle puis-
sance peut-il se dire ? de la puissance divine, et d'au-
cune autre.
D'apres ces principes, nous n'oterons rien h la gloire
de Racine : s'il a lu dans Tame des tyrans de Rome,
comme Tacite ; s'il a decrit avec une verite saisis-
sante les angoisses d'un coeur quiine passion crimi-
nelle et le remords dcvorent a I'envi ; s'il a sonde
- 194 —
I'abinie mysterieux dc la tendresse maternelle ; si,
alliant I'art profane a la terreur religieuse , il a re-
nouvele les solenaelles impressions de la tragedie anti-
que ; lisons , relisons ses cliefs-d'cEuvre qui sont pleins
de sensibllite , d'imagination , de raison et marques
a jamais du sceau du genie. Une ou deux facultes, a
defaut des Irois reunies suflisent, comme il a etc dit
plus haul, pour atlachei- de precieux avantages a une
production de I'esprit. Pour en citer un ou deux exem-
ple : une exquise sensibilite et quelque imagination
ont presque fait classer M^^ de Sevigne au nombre
des grands modeles.
LaHenriade, composition depourvue de sensibilite
et d'amour de la nature, car elle n'offre pas meme
d'herbe pour les chevaux, ainsi qu'on I'a dit plaisam-
raent ; la Henriade, depourvue d'invention ou d'ima-
gination, n'est pas moins un poeme que la raison et
le gout font estimer. Voyez les romans; c'est la patu-
re que livre a la sensibilite exaltee el avide d'emotion,
I'imagination repoussant tout controle de la part de la
raison et justifiant le titre de foUe du logis, qu un
philosophe lui donnait. Pourtant, quand la raison re-
prend le dessus et s'associe la sensibilite qu'elle dirige,
il peut naitre, nieme dans ce genre de composition,
des ouvrages dun interet infini, ou Tbistoire semble
emprunter a la poesie ses pinccaux pour peiudre des
caracteres et des moeurs qui touchent a I'ideal, sans
s'eloigner beaucoup de la verite.
On n'isole pas les trois facultes , on ne les preud
pas une a une impunement. Quand on le fait, on
retrouve diffloilement la marque d'une superiorite
inconteitee ; si on les reuuit, au contraire, des noms
immortels se presentent aussilot dans tons les genres.
On trouve dans les sciences, Pascal; dans la philo-
sophic, Descartes; dans les sciences morales et poli-
tiques , pour parh-r le iangage du jour, Fenelon ;
— 195 —
dans leloqueiice sacree , Bossuet ; dans Ihistoire ,
encore Bossuet; dans la poesie, depuis la tragedie
jusqu'a I'apologue, et a la critique, Corneille et
Racine, Moliere, La Fontaine et Boileau, c'est a dire
les gloires les plus hautes et les plus pures de notre
litterature.
11 se trouve que tous ces noras sont empruntes k
une seule periode litteraire: est-ce predilection ou
necessite? II serait bien difficile de faire un choix
semblable , hors de cette periode meme. Chaque
Steele a son partage dans les dons intellectuels ; celui
du xvu'', en France, est un des plus beaux qui ait etc
jamais confere d'en haut a un peuple. La reunion
des trois facultes a un degre eminent s'est pre-
sentee souvent alors: combien citerait-on d'exem-
ples pareilSj au siecle suivant? Le scepticisme qui
n'a jamais produit les grandes choses domine bien-
tot les esprits; on abandonne les principes et la
nature morale, pour les fails et la nature physi-
que ; on parait vouloir se renfermer dans la car-
riere finie des sens. La raison se montre puissante
assurement dans le domaine des sciences; partout
ailleurs, a deux ou trois exceptions pres, la sensibi-
lite s'amollit, I'imagination s'egare.
On a continue depuis a descendre la pente , sans
trop d'espoir de s'arreter a temps ou de la re-
monter. La raison toujours, avec son lot des
sciences, a etendu ses limit^s et assure son empi-
re ; mais qui oserait dire que la sensibilite ne s'est
pas enervee sous le coup d'une surexcitation conti-
nuelle, et que les habitudes de I'imagination n'ont
pas tourne a la debauche?
A quelles casues rattacher le developpement et la
combinaison des trois facultes que nous appelons
lilteraires par excellence ? Nul ne saurait le dire avec
assurance, peul-etre. Les ecrivains des grandes opo-
— 196 —
ques de Pericles, d'Auguste, de Leon X et do
Louis XIV avaient recu du Ciel I'inflxience secrete.
Au reste, les circoustances particulieres qui les ont
vusnaitre, grandir et fleurir, furent esseutiellement
differentes.
Les productions du genie , la fecondite des nations
dans I'ordre intellectuel dependraient-olles, comm3
les productions des champs et la fecondite de la terre^
des desseins de celui qui, reglant les annees de disette
et d'abondance, reglerait de meme a son gre les
epoques steriles ou riches en talents superieurs? Le
mouveraent general des litteratures porte a le croire.
Dans la duree historique, les hommes de genie^
s'appelant de loin et se conviant les uns les autres,
semblent se grouper autour d'une epoque, puis dis-
paraitre bient6t et ue laisser pendant longtenips
apres eux que le bruit de leur renommee. A de
longs intervalles , on dirait que Tesprit humain s'en-
loure d'une aureole et resplendit un instant; puis
qu'il depouille ses rayons de gloire et reprend sa
lumiere habituelle. Ce phenomene moral est bien
propre a exciter I'admiration , le ravissement des
generations con(eniporaines, et pourtant on ne voit
pas qu'elles en apprecient toujours dignement la
beaute. Les ages suivants y sont plus sensibles ,
parce que le demi-jour qui se fait autour d'eux ne
pent la satisfaire. La critique alors entreprend sa
tache , elle s'efforce de remonter de TefTet aux
causes, pour cela elle etudie les croyauces, les
mffiurs, les institutions, les climats, toute linfluence
grave , toute revolution qui passe sur les idees et
en modifie le cours. Des ouvrages importants sont
produits , lesquels honorent egalement I'erudifion
et le bon goiit de leurs auteurs. On arrive ainsi a
une foule de solutions parlielles et diverses qui
n'equivalent nullement a one solution generale et
definitive.
— 197 —
Comme dernier mot, la critique reconnait en cette
matiere, ainsi qu'en beaucoup d'autres, que la loi
pro\identielle s'accomplit sur le monde , mals qu'il
ne nous est pas donne d'en comprendre Taction,
quand bon nous semble, et de nous en rendre en
toute occasion les interpretes.
I
LETTRES.
RAPPORT
SUR UN OUVRAGE DE M. TH. LORIN , INTITULfi :
Essai sur quelques Proverbes contesles et contestahles ; i
Par M. PIERRET.
Seance du 24 Janvier 1851
Nous avoDs toujours cru que les proverbes soul la
sagesse des nations, que ces sentences passant de
bouche en bouche ci travers les siecles , n'arrivent
jusqu'i nous que comme I'expression de la verite.
Nous avons toujours ele persuades que ces propositions
simples , courtes , precises, souvent originalcs, sont
comme autant d'axiomes inconteslables ou les verites
les plus haules sont presentees a notre intelligence,
ou les observations les plus flnes, les plus judicieuses
sont offertes a notre esprit. Nous avons toujours cru ,
en un mot, que les proverbes epures par le temps,
par le gout des peuples differents chez lesquels on
les retrouve , pouvaient etre accueillis comme une
sorte de compendium philosophique , sans qu'il fut
besoin de les faire passer par le creusel d'une cri-
tique severe. M. Theodore Lorin , dans une brochure
iiititulee : Essai sur quelques proverbes contestes et
— 199 —
fonlestahles , brochure renvoyee a mon examen, vieiil
nous delroniper. II passe en revue sinon lous les
provcrbes , le travail cut ete long , au moins quel-
ques uns d'cnlre eux , et il leur demande impiloya-
blemcnt leur cerlifical de verile.
II examine leur origine et rejelte ceux donl la source
ne lui parait pas assez noble. Ce n'est qu'en passant
qu'il parle de ceux de nos diclons populaires qui ne
doivent leur origine qu'a de fades quolibets, de froids
jeux de mots. II en cite quelques exemples. Le mo-
nogramme MB peul indifferemment representer les
mots Mulier bona , Mula bona et Mala bestia. II n'en
a pas fallu davanlage pour donner naissance au pro-
verbe aussi injusle que peu courtois : Une bonne
femme et une bonne mule sont deax mechantes betes.
xvutre exemple : « Owen , pour cxprimcr que toules
veriles no sont pas bonnes a dire , qu'il faul plutOt
chercher a plaire, et qu'une irop grande sincerite
est un mauvais moycn de sc faire bien venir dans
le monde, dil que Vcrone n'est pas le chemin le plus
sur pour alier a Benevent, el que, pour y parvenir ,
il vaut mieux prendre celui de Plaisance,
Verona Benevenlanam raro itur in iirbein
Esto Placentinus , tu Benevcntus oris. »
Je le demande , des facelies aussi pucriles , et nos
anciens proverbes sont souvont enlaches de cc mau-
vais gout , meritont-elles d'etre nommees la sagesse
des nations?
J'admels avec M. Lorin (jue quel([ues proverbes
sont inexacls, dans le temps ou nous somnies, par
suite de decouverles recentcs, parce qu'ils s'accordent
peu avec le tenioignoge de tel ou tel auicur ; et ,
1. Ml
I
— 200 —
cependant , malgre ce manque de verite qu'on leur
Irouve , on pent dire que toujours ils seront admis.
On pent les comparer a certaines monnaies usees par
le temps donl la valeur egale , cependanl , celles qui
ont encore toute leur fraicheur , lout leur eclat.
L'enletement de la mule restera proverbial, quoique
selon Lady Blessinglon, ce reproche soil calomnieux.
Nos horliculteurs ont decouvert un rosier sans epines.
On n'en citera pas moins a I'avenir , comme par le
passe, ce proverbe qui ne manque pas d'une certaine
grace , et Ton dira toujours qu'il n'y a pas de roses
sans epines. Depuis longtemps le chant du cygne est
relegue parmi les fables, celle expression se conser-
vera cependant , et si Ton veut peindre les derniers
accents d'un poete , ils resonneront toujours a nos
oreilles comme le chant du cygne.
C elait autrefois un prejuge assez repandu que le
poil ou le sang d'un chien dont on avait ete mordu,
applique sur la blessure, la guerissait radicalement. Les
docteurs n'onl jamais admis la verite de ce proverbe.
Les buveurs en ont fait une application metaphorique
et ont prelendu que I'ivresse se dissipe en buvant de
nouveau ; I'homoeopalhie n'est pas nee d'hier. L'ecole
de Salerne a meme voulu elre de leur avis.
Si nocturna tibi noceat polatio vini
Matutina hora rebibas, et erit medicina.
On doit considerer ces vers plutot comme une plai-
sanlerie que comme un precepte serieux. Cependant
les anciens regardaient deja le vin comme I'antidote
de celui qu'ils avaient bu.
M. Theodore Lorin examine les proverbes qui ont
pour objet les peuples , les provinces , et il lui est
— '201 -
(iiflicile d'atlmcltrc quelqucs uns d'enir' eux comme
I'expression do la sagesse des nations. Croira-t-on que
la verile paric par leiir voix dans des proverbes comme
celui-ci : qualre-vingt-dix-neuf moulons et un cham-
penois font cent betes ? esl-ce de I'impartialite que
do Jeter cette injure a une province qui a produit
Colbert, Mignard, Girardon, Mabillon, La Fontaine et
tant d'aulres; el la bonhomie et la simplicite qui
constituent le caraclere champenois , seront-ils tou-
jours synonymes de sotiise ? Ne faut-il pas faire re-
monter I'origine de i)areils adages a la rivalite, a la
jalousie qui existaient autrefois entre des provinces
voisines , et que des rapports plus frequents^ des
relations plus suivies doivent completement faire dis-
parailre?
Sonl-ils done plus admissibles les proverbes qui
courent sur les medecins ? Malgre la malignilc de nos
peres qui ont lance force sarcasmes centre une pro-
fession si utile, si honorable, toujours nous croirons,
comme Labruyere, que tant que les honimes pourront
mourir et qu'ils aimeront a vivre, les medecins seronl
railles et bien payes.
Bien des proverbes se contredisent. Qui nc risque
ricn n'a rien est un dicton qui n'empeche pas celui-ci :
Qui s'avenlure perd cheval et mule.
II vaut mieux manger le pain des autres que le sien
est une maximegeneralemenl adoptee. Le Dante dit
cependant, et avec plus de verite selon nous, « Tu
eprouveras combien le pain d'aulrui est amer et com-
bien est dur a monter et a descendre le degre de
I'escalier d'aulrui. »
Tii provcrai si como a di sale
II pane altrui, e come c dure calle
Lo scander e il salir d'altrui scale.
— 202 —
Mainlcnanl, doil-on admelire , dans loule leur
generalile, des proverbes coinme ceux-ci : les absents
ont lorl, loin des yeux, loin du coeur? Ne serail-ce
pas delriiire loule amilie? Devra-l-on dire comme
Marie-Tberese, je ne sais comnacnl cela se fait,
raais les absents me passenl de Tame ? Si I'absence
de ceux qui nous sent cbers suffisait pour effacer
le souvenir de la douce amilie de Tame , bientot
il n'y aurail plus dans les coeurs que le froid
egoism e.
La distance des lieux pcut affaiblir peul-etre le
sentiment de I'amilic, mais elle ne le delruit pas
toujours.
Est-il done toujours conforme a la verite ce
proverbe que nous oirrent ces vers d'Ovide :
Donee eris felix mullos numerabis amicos
Tempera si fuerunt mibila, Solus eris.
Pensee qui se trouve deja dans les proverbes de
Salomon : une dent qui se brise , un pied qui
chancelle , voila I'ami au jour de la delresse. N'y
a-l-il plus d'amis des que le malhcur se fait sen-
tir, el les verilables amities ne sonl-elles pas eler-
nelles?
Quant au proverbe : les loups ne se mangent pas^
M. Lorin nous affirme qu'il n'esl rien moins que
vrai , puisque, d'apres Buffon, les loups s'enlre-de~
vorenl ; el lorsqu'un des leurs est grievement blesse,
ils le suivent an sang el s'atlroupent pour I'ache-
ver. El selon noire celobre naiuralisle, il n'y a
que le loup qui mange volontiers du loup.
Osera-l-on dire maintenant : Heureux comme un
roi ? M. Lorin, dans une jolie fable, retourne ce
— 20S —
proverbe el nous affirme qii'il faut dire desormais :
Malheureux comme un roi. Les revolulins nous ont
appris a elre de son avis.
La voix du peuple esl-elle loujours la voix de
Dieu ? La verite de cet axiome n'a-t elle pas ete
bien des fois contesiee, hien des fois dementie,
et sans remplacer cet adage par cet autre pro-
verbe : Vox populi, vox stuUonim , ne peut-oii pas
elre de I'avis de La Fontaine et dire comme !ui :
Le peuplfl est recusable ;
En quel sens done est veritable
Ce que j'ai lu dans certain lieu
Que sa voix est la voix de Dieu ?
Je ferai remarquer en passant que ces paroles :
vox populi, vox Dei, ne se irouvent pas dans la
sainte Ecriture comme I'.iflirme I'auteur.
Horace, pas plus que M. Lorin, n'admet I'infail-
libilite du peuple, « qui, sol esclave de la renom-
mee, prodigue sou vent les lionneurs a ceux qui en
sont indignes. »
Popul'i, qui stullus honores
S(C[ie dat indiguis et famte servit ineptus.
II n'est rien de plus sot, disait Ciceron, que d'at-
lacher quclque prix au jugemcnt d'une ass<^mblee
donl on nieprise cbaque individu pris iso!6ment. On
ne doit done pas considerer sans restriction comme
la voix de Dieu , la voix du vulgaire qui so laisse
entraiiier le plus souvenl par do rnauvais conseils,
de perfides suggestions, ou par les clameurs fou-
gueuses d'oraleurs egoistes et intrigants, brisc le len-
demain I'idole qu'il cncensait la veilie, el se pre-
cipile dans les demarches les plus dangereuscs>
quelquefois meiiic les plus ciitiiiucllcs.
— 204 —
De I'exaDien de ces proverbes, M. Lorin conclut
que le nom de sagesse des nations qui leur est
donne n'est rien moins qu'cxacl , qu'en rendanl
justice aux observations fines el judicieuses que
les proverbes ren ferment le plus souveiit, 11 ne faut
pas cependant les adraettre tous sans examen et
sans restriction, et qu'enfin, comme le dit plaisani-
ment Montaigne : « La v6rite est un pot a deux
anses, qu'on peut saisir a gauche ou a dextre. »
J'ai lu avec inleret ces trenle pages ; j'y ai re-
connu un esprit observateur , un jugement solide
qui Yoit promptement le vrai el le faux de chaque
chose. L'analyse de cette brochure a pu vous prou- ^
ver que M. Lorin est un auleur serieux, nourri de ~
la lecture de nos vieux moralistes fran^ais. Je
le crois done digne de vos suffrages , comme
membre correspondant de la Compagnie. D'ailleurs,
un de nos collegues doit vous presenter pour son
admission un litre plus serieux encore , en vous
parlant de ses fables dont la morale est si vraie,
ia lecture si atlachante, la versification si facile.
I
— 205 —
RAPPORT
A L'ACADfiMIE DE REIMS
Sur le Congres des Delegu^s des Societes savantes
de France, tenu au Luxembourg le 20 f^vrier 485i
el jours suivants ;
Far M. de MZIiXiST ,
Membre de I'lnstitul des Provinces de France , el de rAcadeniie
do Reims.
Messieurs ,
Le Congres des Delegues des Socieles savanles vieiil
de se terminer apres une session deneuf jours, qui
a ele parfailement remplie , et pendant laquelle on
a pu a peine epuiser et passer en revue toutes les
questions qui avaient ele soumises a ce parlement
des forces scientifiques cl artisliqucs de nos provin-
ces. Cent cinquante delegues environ y ont repre-
senle soixante-cinq Academies ou corps savants. Les
differentes seances ont ele successivement presidees
par les Iiommes les plus cminenis , parmi lesquels
je nommerai M. Dumas , I'ancien minislre des travaux
publics ; M. lo comte de Monlalembert , et enfin ,
pour la seance de cloture , M^"' le cardinal arcbeve-
que de Reims , que tous ont vu avec bonbeur appele
a occuper un faulouil sur lequel il jettait tanl do
— 206 —
relief. I.a premiere seance a etc presidee par rilluslre
M. de Caiimonl , :: qui la pr6sidencc appartenail de
droit comma Directeur de rinsiitnl des provinces de
France , sous les auspices duquel se (enail le Congres.
Le but du Congres elail de rallier enlre eux d'une
raaniere uniforme les travaux des Societes savanles
du pays, en indiquant a cel!es-ci les questions dont
I'imporiance appelait plus parliculieremenl leur al-
lenlion, ct en leur signalanl les regies pratiques qui
pouvaient donner a leurs efTorls une morche plus
symetrique et plus concordanle. Plusieurs Commis-
sions , formees de membres s'elanl reunis sous un
meme chef d'etudcs , preparnicnt dans des reunions
particulieres les malieres qui devaienl revenir a la
discussion dans les seances publiques. Les Presi-
dents et les Commissions avaient ete nommes par le
Direcleur de I'lnslitut des provinces. J'ai eu Thon-
neur de presidcr la Commission d'archeologie ; los
au'res Commissions se sont reparlics enlre I'agricul-
lure, les sciences nalurelles et la lUteralure.
Je n'enU'crai point ici dans le detail des ques-
tions aussi nombreuses que varices qui ont suc-
cessivemcnt passe a la discussion du Congres et qui
ont provoque de sa part unc serie de voiux ou
de resolutions. Je ne puis pour des matieres aus-
si complexes qu'inviter I'Academie a prendre con-
naissance des proces-verbaux detaillos et imprimes
des seances, qui sont enlre les mains de M. Sulai-
ne, riionorabic President de I'Academie et I'un
de ses represcnlanls au Congres des delegues.
J'ajoulerai qu'il est indispensable que TAcademie
veuille bien examiner a fond ces proces-verbaux,
^ns Icsqucis eilc ne pourrait enlrer suflisammenl-
~ 207 —
dans I'esprit desCougros, ni connaitre les inaliores
sur lesqucllcs le Congres appellc les plus parlicu-
lieres preoccupaiions.
Je mo bornerai , pour ce qui nie concernc , a
nietlre en relief et sous les yeux de nos lionora-
bies confreres quelques considerations qui les met-
Iront h meme d'entrer dans I'espril pratique de la
reunion des deiegues.
Pendant la session de 1850, il avail etc deci-
de qu'un depot de toules les publications failes par
les Societes savanles de France serait elabli dans
la bibliotheque du Luxembourg, el que M, Ciiavin
de Malan , bibliothecaire de ce paiais , qui acceptait
ce mandal de confiance , voudrail bien veiller a sa
conservation. Conformemenl a cetle decision , un
grand nombre do Societes ont fait deposer leurs
publications dans la bibliotheque du Luxembourg
enlre rinlervalle des deux sessions de 1830 iil851,
Le Congres vient de renouvclcr le vceu que ce depot
finit par etre entendu par toutes les Societes savanles
du pays , de maniere a ce que tous les travaux in-
tellectuels produits sur les differents points de la
France , y fusscnt complelement representes. Je de-
mande done a I'Academie la permission de Tinviter
a faire deposer a la bibliotheque du Luxembourg non
seulemenl les ouvrages resultant des travaux collec-
tifs de ses membres, mais encore toufcs les publi-
cations emanees des etudes particulieres de ceux-ci.
Le Congres des deiegues avail egalemenl decide ,
dans sa session de 1850 , qu'un bulletin bibliogra-
phique et analylique des travaux des Academies de
France serait public dans la forme d'unc revue men-
suelle, el qu'une Commission pcrmancnle , prise dans
— 208 —
le sein de I'lnstilut des Provinces de France, serail
chargee de la redaction de ce bulletin, auquel toules les
Societes seraienl invitees a souscrire. Celte decision
a reQU son execution ; j'ai I'honneur de d^poser entre
les mains de I'Academie le premier numero de ce
bulletin que le Congres lui fait remetlre comme spe-
cimen et commencement de mise en pratique du
projet, qui va s'accomplir sans interruption. Le bul-
letin bibliographique paraitra tous les deux mois , en
six cahiers pareiis a ceiui que j'ai I'honneur de re-
mettre a I'Academie : le prix de souscription est de
5 fr. par an. Je ne puis qu'engager I'Academie a
s'abonner a ce bulletin , qui est destine du resle a
prendre plus d'extension que celle qui lui a ete donnee
pour le moment,
Dans sa session de 1851 , le Congres a invite les
Societes savantes a charger les delegues qu'elles de-
puteront aux reunions centrales subsequentes , de faire
un rapport deiaille sur les travaux des corps savants
qu'ils representeront pendant le temps qui se sera
ecoule depuis la derniere session.
Je ne lerrainerai pas cet aper^u sur les mesures'
d'ensemljje que le Congres de 1851 a proposees pour
la coordonation des travaux des Academies de pro-|
vince, sans exposer a I'Academie de Reims que la!
Commission chargee celte annee du compte-rendu des
travaux des differentes Societes a rendu I'hommage |
et la justice les plus complels aux resultats produiis]
par la Compagnie a laquelle j'ai I'honneur d'appar-
tenir, et qui a bien voulu m'adopter pour un dej
ses representants.
Un honimage egalemenl merite a ete rendu par
la commission a Tillustrc Cardinal-nrchcveque, I'on-
— 209 —
daleur de ['Academic el promoleur de ce mouve-
vement intellectuel dans la ville de Reims.
Enfin, Messieurs, permettez-moi, en terminant ce
rapport, de vous faire connailre que M. le President
de la Republique ayant fait savoir au bureau du
Congres qu'il le verrait avec plaisir avant la sepa-
ration des delegues, celui-ci a eu I'honneur de lui
elre presente par M. de Caumont , qui a designe
nominalement a M. ie President chacun des mem-
bres du bureau , avec {'indication des Societes aux-
quelles ils appartenaient : douze ont ele ainsi admis
auprcs du Cbef du pouvoir execuiif, auquel j'ai ete
designe comme I'un des representants de I'Academie
de Reims.
Tels sont. Messieurs, les fails sur lesquels je de-
sirais appeler plus partiiiulierement voire atlenlicn:
je m'estimerai fort heureux si en vous engageant,
pour ce qui me concerne, a entrer d'une maniere
complete dans les vues du Congres el de I'lnslilut
des provinces de France, je puis esperer que vous
accueillerez avec bienveillance cet expose resultant
du mandat que vous aviez bien voulu me conGer.
210 —
HISTOIRE ET ARGHEOLOGIE.
Lecture de M. Soriiin.
RUINES DE l'aBBAYE d'oRVAL,
Messieurs .
J'ai en occasion pendant les vacanccs derniferes
de visiter les mines de i'abbaye d'Orval. Bien que
ce soil enlrer dans le domaine de I'arclieologie, ou
nos savants antiquaircs reconnailront bien vite mon
inexperience, j'ai essaye de relracer ce qu'a ele celte
vasle et piiissanle abbaye , el de dire ce qu'il en
reste aujourd'hui,
Deja M. Jeanlin, president du tribunal de Monl-
medy, a publie, sous le tilre de Chroniques de i'abbaye
d'Orval, nn livre oii j'ai puise les principales notions
historiques sur les anciens posscsseurs du pays ; niais
j'ai cru qu'il pouvail elre inleres^ant de resserrer en
quelques pages les fails que le chroniqueur a du
disseminer dans son volume, d'apres le plan qu'il
avait adople, en y ajoulanice que j'ai pu apprendre
moi-meinc auprcs des anciens babitanls.
^ 211 —
Le voyageur qui franchil la fronliere Beige, enlre
Carignan et Monlmedy , renconlre devant lui des
villages doiit les noms lui rappellent qu'il est sur les
terres de I'ancienne abbaye d'Orval. Ces villages,
autrefois les faubourgs du riche monastere , sont
restes deboul lorsque le colosse est tombe, et comme
pour garder le souvenir do celle puissance dccliue ,
onl laisse a la suite de leur nom les mols : devant
Orval ; mais Orval n'est plus , seulement les ruines
les plus grandioses allestent ce qu'il etait.
Depuis plus de cinq cents ans, de pieux ermites
faisaient leur demeure dans les solitudes de la for6t
de Cbiny , et etaient en grande veneration dans tout
le ducbe de Lorraine , lorsque , vers 1070 , cinq
moines benedictins, venus de Calabre, obtinreni du
comte Arnould , liomme pieux et liberal, la donation
de tout le terrain qui serait necessaire pour leur
eiablissernent. lis cboisirent la parlie de la fofet la
plus reculee el la plus sauvage ; c'eiait une vallee
couverte de racines , de ronces el de raauvaises
plantes , mais arrosee d'eaux limpides. Les mains
laborieuses des moines la defricberent rapidement
el la Iransformerent en une culture ou ils trouvaient
ce qui etail necessaire a leur sobre vie. Bienlot, sur
le penchant de la colline, s'eleva une petite eglise ,
et deja quelques cellules I'entouraient , quand un
ordre de leur superieur rappela les benedictins en Italie.
C'est pendant le sejour de ces moines, qui n'avail
pas dure plus de 40 ans, que le pays qu'ils habitaient
re^ut le nom d'Orval. La chronique qui fail con-
naitre I'origine de ce nom est trop touchante pour
que je la passe sous silence. Voici le resume du
recit qu'on donnc nn liistorien latin du xvi' siecle.
— 212 —
Vers I'an i076^ le due de Lorraine Godefroid, luc
a la balaille d'Anvers , laissait une jeune veuve ,
Mathilde, fille et heritiere du marquis de Toscane,
et un Cls a peine age de huit ans. Par les conseils
de son cousin le due de Bouillon , la duchesse se
separa de son fils et le conlia, pour son education,
a un savant ecclesiastique habitant le comle de
Chiny. Mais, moins de deux ans apres, cet enfant
p^rii , par un accident fortuit selon les uns, tandis
que d'autres altribuent sa mort a la mechancete de
ceux qui coraptaienl sur son heritage. Ainsi cruel-
lemeni eprouvee, Mathilde quilta le pays de ses
infortunes , el pendant plusieurs annees vecut en
Italic de douloureux souvenirs. Elle revint pourtant
aux lieux temoins du Irepas de son fils. La duchesse
habilait la cour brillanle du comle de Chiny ; mais
preferant la solitude aux plaisirs et aux fetes , elle
passait ses journeesa I'ermitage desreligieuxCalabrais,
aupres desquels elle irouvait dans la priere des con-
solations a son cuisant malheur.
Bien souvent, assise au bord de la fontaine qui
coulait aux pieds de I'eglise , laissant tremper sa
blanche main dans ces eaux de crislal, elle se livrait
a ses profonds regrets et a ses tristes reflexions.
Un jour son anneau nuptial , I'anneau d'or qu'elle
ne quittait jamais , s'echappa de ses doigts , et mal-
gre les recherches empressees de ses serviteurs , il
fut impossible de le retrouver. C'est alors que la du-
chesse, saisie de douleur, adressa a la Vierge Marie
une fervenle priere : « 0 Vierge des vierges , dit-
» elle , digne mere du Christ notre Sauveur , je vous
» supplie , dans votre bonte , de ne pas permeltre
» que je sois irompee dans mon desir ; faites que
— 213 —
» je relrouve I'anneau submerge dans celle fontaine ,
» et je promels qu'alors ce lieu , place sous voire
» patronage, sera elernellement consacre au culle
» de voire Fils notre Seigneur. »
A peine avait-elie lermine celle priere, que ies
eaux depla^ant elles-meines le sable qui lapissait le
lit du ruisseau, decouvrirenl a ses yeux I'anneau d'or
qu'elle chercbait. « Benie soil celle vallee, dil-eile,
et puisque j'y ai relrouve mon or, qu'elle prenne le
nom de Val d'Or; et une pierre elevee sur Ies bords
de la source porta celte inscription : Fons aurew Val-
lis, (Fontaine d'Orval.) C'est encore pour rappeler ce
fail que, dans la suite, Ies armoiries d'Orval, en
style heraldique, porterent d'argent a un ruisseau
d'azur, d'oii sortait une bague a trois diamanls au
naturel.
La reconnaissance de la duchesse ne fut pas
sterile. Elle tint sa promesse, et une donation,
conservee depuis dans Ies arcbives du monaslerei
regia, d'une mani6re irrevocable, Ies limites et Ies
dependances de cet etablissement. Elle donna de
plus une forte somme d'argent pour construire une
magnifique eglise, et I'eveque de Verdun vint peu
aprfes instiluer le monaslere d'Orval.
Celle belle figure de Mathilde, que nous retrou-
vons dans cette naive bisloire , est une des plus
nobles et des plus imposanles du xii' siecle. C'est
elle qui soulint Ies papes Gregoire VII et Urbain II
contre Ies empereurs d'Allemagne dans la question
des investitures, et qui, apres avoir servi la cause
de la papaule , de son influence ot de ses armes,
fit encore au saint-Siege, en mourant, une donation
solennelle de tons ses biens , ricbe berilage qui
— 2U —
coraposa depuis lo patrimoine de S'^ Pierre. Aussi
Malhilde, connue en Ualie sous le nom de la grande
Comtesse , est-elle avec la reine Christine de Suede,
la seule femme dont on voit le lombeau conserve
encore de nos jours dans la Basilique du Vatican.
Le monastere , fonde par Malhilde et adople par
les corates de Cliiny, prit un rapidc accroissement.
Aux bcnediciins do Calabre, rappeles en HIO, suc-
cederenl des chanoines reguliers jusqu'en Hoi ; mais
le relachement de la discipline ne tarda pas a s'in-
Iroduire parmi ces derniers : aussi , pour remedier
a des abus graves , sur la demande du comte de
Chiny , le saint fondateur de I'abbaye de Citeaux dut
envoyer quelques uns de ses disciples qui lirenl re-
vivre a Orval I'austerite des mceurs et la parfaite
observance de la regie. C'est de I'etablissenient de
ces Bcrnardins que date la prosperile de I'abbaye.
Recoiinue par le pape Innocent II en 1141 , protegee
par la noblesse et veneree dans tout le pays , elle ne
cessa de s'enrichir , et le nombre de ses religieus de
s'accroilre. Cependanl, vers le milieu du xvii° sie-
cle^ une nouvelle reforme fut necessaire ; des reli-
gieux de I'ordre de saini Benoit vinrent remplacer les
Bernardins, et des lors la regularite regna dans cette
maison jusqu'a sa fin.
Pour se faire une idee de la richesse et de la
puissance a iaquelle elait parvenue I'abbaye d'Orval
au xviii^ siecle , il suffit de dire que, d'apres des
documents authenliqucs , le revenu annuel de Tab-
baye etait de plus de douze cent mille livres ( pres
de trois millions de notre epoque), et que les ter-
ritoires , villes , villages , hameaux , fermes , tribu-
taires de ce revenu , etaienl au nombre de plus de
Irois cents.
— 215 —
Une aiiciennc gravnro nous a conserve exactemcnt
le dessin de I'abbaye dcs Bernardins , telle qu'olle
exislait avanl les dernieies conslniclions des Fcuil-
lanls. II faul avouer qu'il est difficile dc trouvcr
nulle part maintenanl un eiablissement aussi gran-
diose. On ne sail ce que Ton doit le plus admirer,
de cello belle cglise goihique, de ccs cloilres , dc
ces nonibreux aleliers d'ouvriers de toules les indus-
tries , ou de ces belles terrasses qui , erigees en gra-
dins planles d'arbres et garnis d'espaliers, n'elaient
que la coniinualion des cours spacieuses et des splen-
dides jardins que renfermait la vaste enceinte. Mais
I'abbaye avail encore regu un accroissement lors de
rinstallalion des derniers religieux. Une nouvelle
eglise, plus vasle et plus riche que la premiere, avail
ete batie, de nouvelles cellules et de nouveaux ate-
liers avaienl etc ajoulcs aux premiers. On se fera une
idee exacte de I'ensemble par le recil suivanl , que
j'extrais de I'ouvrage de M. Jeanlin.
« Dans le fond du vallon , sur un immense qua-
» drilatere de 22,500 metres carres (225 ares),
» qu'on se figure un Louvre, acheve sur trois faces,
» et qui devail se composer de quaire corps de ba-
M liments , de style et de dimensions uniformes
» relies a cbaque angle par une lour ou pavilion.
» Au centre de la principale facade , an dessus d'un
0 porlail richemenl cisele, s'eleve, superbecl resplen-
» dissanl de lumiere , de dorure el de majestc , le
» splendide vaisseau dedie a saint Bernard, avec sa
» lour et sa coupole supportees par les slalues co-
» lossales des cpiatre evangelistes ; el a I'arriere , le
» clocber dont la flecbe , bravant la foudre , s'elance
» audacieuse jusquc dans les nues.
I- 15
h
— '•216 —
» Tool a I'enlour sonl des fahriqim de loutes for-
» mes ; ici , au sud , t'ancicn convent des Benedic.lim
» el I'eglise Sainte-Marguerile ; la , a I'csl , quelques
» deriiiers vestiges de la chapelle des premiers crmites;
» plus loin du memo cole , ct loujours a Test , la
» scierie mecaniqne, les deux moidins a ble , les deux
» brasseries, les deux distdleries, la tannerie , h la-
» vanderie , la bouJangerie , les cuisines, la mare-
» chakric , les ecuries , les magasins de loutes flns
» el destinations; de I'autre cote, a I'ouest, la tour
» du Braconnier el le premier convent des Bernar-
» dins, Vancienne eglise Notre-Dame d'Orval el la
» chapelle de Montaigu ; puis la draperie , la serru-
» rerie ., les ateliers des beaux arts el cewj; de lous
)> les metiers.
» Le lout est encadre par le triple amphitheatre
)> des cinq terrasses de droite , des cinq lerrasses de
» gauche, du batiment de la serre el des bois qui
» se relevcnl dans le loinlain jusqu'au pied de la
)) tour de Brunehaut. »
Tel etait le tableau que presenlail I'abbaye d'Or-
val en 1795.
Que si Ton penelre dans I'inlerieur des edilices ,
el qu'a I'aide des souvenirs des ancieus moines en-
core cxisiants , ou des anciens habitants du pays ,
on remetle ces pierres les unes sur les aulres ; que
Ton replace ces grands marbres noirs , ces ogives
elancees , ces hautes colonnes ; qu'on relablisse en
leurs places ces statues , ces tableaux , brises par le
canon ou detruils par I'incendie ; qu'on recueille , en
un moi , ces produiis de la haute intelligence el de
la merveilleuse habilele des pieux cenobiles , on de-
meurera persuade que les religieux d'Orval ont
— 217 —
contribiie plus que lout autre couvenl de cet ordre
si iliustre , au progres et au perfoclionnement liuraa-
nilaire. La plus que partout ailleurs on a vu, pour
rappeler les paroles d'un celebre cconoraiste , les
abbes les plus veneres pour lenrs vertus s'occuper
d'archilecture , faire elever dcs temples , encourager
les artistes, faire eclore leurs chefs-d'oeuvre , dirigcr
des travaux agricoles , faire balir des moulins , cdi-
lier des usines et pen pier des clangs,
Mais ie temps eta it venu oii la revolution fran-
Qaise allait lancer ses terribles armces hors de ses
frontieres.
Le 12 juin 1793, la brigade du general Loison
venail de camper devant le monaslerc pour executer
les vengeances de la Convention. Le comite de salut
public ne pardonnait pas aux moiaes d'avoir accueilli
les emigres fran^ais , et il savait que Louis XVI
devait trouver riio.^pilalitc dans ce convent le jour
de son arrestation a Varennes. Dejh pUisieurs ten-
lalives avaient eie faites par divers delachements
pour penetrer dans I'abbaye ; mais cellc fois~ci les
raoines ne pouvaient resisler , puisque leurs defen-
seurs etaienl bloques dans Luxembourg. Aussi durent-
ils ouvrir leurs porles aux cavaliers qui s'y presen-
terent. La journee se passa au milieu du dcsordre ,
du trouble , des orgies , sans insulte cependant cen-
tre la personne des nioines , qui continuerent leurs
exercices religieux. Mais la nuit vint, et avec elle
commen^a la devastation d'Orval el la fuile de ses
habitants epouvantes. L'abbe et les nioines avaienl
pu s'echapper par nn souterrain, emporlant avec eux
les archives et les objels les plus precicux du tresor ;
el ils elaient parvenus, par des chemins detournes,
— 218 —
h gagner Luxembourg. Mais le bulin qu'ils laissaienl
ctail immense. On en cliargea plus de six cents
(hariots , qui furent diriges sur Sedan , Mclz el
Verdun.
Ce n'elail pas assez ; I'abbaye d'Orval elait vouee
a une euiiere deslruclion. Puisque les boulels ne
sauraient entamer ces epaisses murailles , apres le
pillage , rincendie. Six cents cordes de bois , amas-
sees dans les magasins , sont dislribuees dans lous
les cloitres ei les divers balimenis , el bienlol lous
ces foyers confondus deviennenl un ocean de flammes,
oil les prodiges des arts , les tresors des siecles de-
meurenl engloulis. C'etail le 25 juin 1795.
Que reste-t-il d'Orval, aujourd'hui? Des pierres
amoncelees , quelques parcbemins deposes au cbef-
lieu de la province , el les traditions qu'ont laissees
les anciens moines , donl le dernier esl morl il y a
peu d'annees.
Les ruines respeclees par les divers proprietaires
qui se soul succedes dans ces derniers lemps , atli-
renl de nombreux pelerins. II esl encore facile de
reconslruire par la pensee ce qui n'existe plus, el
la grandeur des souvenirs qui s'y raltachent rend
celte visile des plus precieusos pour les adeptes de
celle science qu'on nommeTarcheologie, el qui ren-
ferrae lous les elements de la philosophie de I'bis-
toire.
Parmi les iradilions qui se rapporlenl a I'abbaye
d'Orval , il faul ciler une celebre prophetic , qu'on
altribue a I'un des religieux de ce monaslere.
Celte propbelie , inlilulee : Previsions cerlaines re-
velees par Dieu a nn solitaire, pour la consolation
— 219 —
des cnfants de Dieu, daterail , dil-on , de 1544 : elle
a pour but de faire connailre les piincipaux evene-
ments du xix"" siecle. Tout ce qu'on peut dire tou-
chant I'authenticite de cette piece c'esl que, de 1795
a 1828 , plusieurs lemoignages paraissent indiquer
son existence ; seulement , le texte etait-il le meme?
A partir de cette dcrniere epoque , le doute n'est plus
permis ; car une enqufile de M^'' Teveque de Verdun ,
faile en 1849, a constale posilivemenl que fies copies
du texte que nous possedons exislaient dans cette ville
en 1828. Nous pourrons plus tard (aire connailre a
I'Academie cette piece inleressante.
Messieurs , j'ai lermine ma (ache dans ies limites
resserrecs que je rn'elais iracees. On irouvera dans
I'ouvrage de M. Joan tin des details sur I'architeclure
et les decorations des divers ediGccs , sur les cere-
monies du culte et sur la haute justice dout les abbes
elaient les dispensaieiirs , ainsi que sur la vie inte-
rieure des moines. 11 ine suffit d'avoir essaye de
vous interesser a la momoire de quelques hommes
qui ont rendu de grands services a la religion, aux
arts el aux sciences.
220 -
Lccdue (le M. Baiidevillc
RAPPORT
StIU UN OUVRAGE DE M. F. GUfilllN , INTITULE
Manuel des ConcUes , etc.
Seance du 24 Janvier 1851
Messieurs ,
Vous m'avez charge de vous renure conipte d'uD
ouvrage qui vous a ele adresse par M. F. Guerin ,
redacleur en chef du Memorial catlwlique ^ et qui
a pour lilre : Manuel de I'liistoire des ConcUes, ou
Traite theo'ogique, critique, historique, etc., de.f Con-
cUes et Synodes. Deja je connaissais cet ouvrage,
qui a paru en 18i6, dans I'EncycIopedie caiholique,
et que son importance a fait tirer ix part , dans un
format plus commode , pour le meltre a la portee
d'un plus grand nombre de lecteurs. Je I'ai relu
avec une nouvelle attention, et je n'en ai que raieux
apprecie le merite.
Dans une courlc introduction, I'auteur demontre
I'utilite generale de I'etude des conciles , elude ne-
cessaire pour un ecclesiasliquc , qui doit connaitre
les decisions de I'Eglise, et qui trouve la un code
complet de ce qui a etc statue touchant la foi , la
— I^i —
morale el la discipline; elude edidanle pour le fidele,
qui pcul suivre de siecle en siecle la conslanle
soliicitude des pasteurs, pour dinger le troupeau de
Jesus-Clirisl dans le senlier des regies evangeliques ;
etude inleressante pour le savant , qui y decouvre
I'origine de ce qu'on admire le plus dans ies lois
modernes ; car, comme le dit noire auteur, « c'esl
)> de la qu'a ele lire lout ce qu'il j a de bon, de
» grand, d'equilable , dans totiles Ies couvenlions ,
» Charles, conirats, et inslilnlions des peuples (p. 1).»
L'ouvrage de M. Guerin est divisc en trois parlies.
Dans la premiere, qui conlient quinze chapilres,
il traite des conciles en general ; il donne ia de-
finilion cl la dislinclion de ces grandes assemblees ;
il en indique I'origine el I'iusiilulion ; il en demonlre
raulorilc, soil en maliere de foi, soil en matiere de
discipline ; il fait voir a qui opparlienl le droit de
convoijuer, de presider et de confirmer Ies conciles ;
il parle du rung que doivent occuper ceux qui y
assistenl , des ceremonies qui y sonl observees, des
travaux qui s'y font, des decrets qui y font rendus.
— Enlln, c'esl une sorte de iraile complel, ou I'au-
leur, puisant toujours aux meilleures sources, a
recueilli toul C3 qui peul elre dit sur celte impor-
tante maliere. — C'esl sans doule pour se conformer
a la maniere de parler de certains auteurs , que
M. Guerin distingue qualre series de conciles:
« rcecumeuique ou general , le national , le pro-
» vincial el le diocesain (p. 9).» 11 reconnaii lui-meme
un pen plus loin que le nom de Conciles ne peul
pas elre exaclemenl applique aux synodes diocesains,
pniscpie ce ne snni pas des assemblees d'eveques.
— 22^ —
Quant an Concilc nnional, nous lui dirons, d'apres
Teminetit aiiteur di3 la Theologie dogmatiqiie , que
« celle denominalion est impropre : on peul bien
» I'appliq'jer a une assemblee du clerge convoquee
» par Ic roi, pour trailer des affaires de I'Elat plutot
» que de i'Eglise ; mais elle ne convienl point a
» un concile proprement dit ; une nation , comme
» nation , ne forme point une circonscription eccle-
w siastiquc {Theol. dogm., torn. I, p. 61o.) »
La seconde partie est comme le point capital de
I'ouvrage : elle contiont plus de 600 pages. Elle
renferme, par ordre clironologique, la nomenclature
et I'analyse de tons ks conciles generaux ou parli-
culiers qui se sont tonus depuis Ic premier siecle
jusqu'a nos jours , avee les motifs qui les ont fait
couvoquer, les decisions qui y ont ete prises, etc.
Ici, I'auteur s'est principalement aide du travail des
Beuedictins dans I'Art de verifier les dat.'s ; mais il
a su completer I'oeuvre des savants religieux par de
nombreuses additions , surtout pour ce qui regarde
le dernier siecle et les temps actuels. On pent dire
de cetie partie que c'est une sorte de tablettes chro-
nologiques pour Thistoire ecclesiastique. On y voit,
en eifet, apparailre, par ordre de date^ toutes les
questions qui se sont agilees dans TEglise , les
erreurs, les schismes qu'elle a cus a combattre, les
enirepriscs qu'elle a dii reprimer, les abus qu'il lui a
faliu extirper, les modificaiions que le temps lui a
fait introduire dans sa discipline ; et, an milieu de
toutes ces lultes, sa foi se maintenir toujours in-
variable, sa morale toujours pure^ sonautorile toujours
respectable. « C'est une cbose admirable, dit notre
» auteur (p. 4), que dans le grand nombre de conciles
— 223 —
» recus dans I'Eglise, on voie la meme croyance en-
» seignee parlout ; que dans une r«i longiie suite de
» siecles, les eveques, lieriiiers do I'esprit de Dieu
» et des apotres, et leurs successeurs, quoique de diffe-
» rentes nations, animes d'un merae esprit , sesoient
» loujouis reunis dans la meme foi , aient elouffe
» les troubles des leur naissance, rendu la paix a
» I'Eglise par la condamnalion des lieretiques ; au
» lieu que ceux-ci, se combatlant les uns les autres,
» se soni divises en plusieurs sectes , et onl donne,
» non seulement par la nouveaule de leur doctrine,
» niais encore par la contrariete de leurs opinions,
B des preuves evidenles de leur schisme. » — II
etail impossit)le que dans la liste d'un si grand nombre
d'assemblees tenues dans touies les parlies du monde,
pendant plus de 18 siecles, il n'y eut pas quelques
lacunes, au moins pour les conciles les moins impor-
lanls, el qui ne se trouvent pas dans les collections.
Pour ce qui concerne la province de Reims en par-
liculier, j'ai eu occasion de signaler a M. Guerin
quelques omissions dont il a pris note, et qu'il se
promet de reparer dans une autre edition.
Dans la troisieme parlie , I'auleur , analysant le
savant Traite de Salmon sur I'etude des conciles^ s'alta-
clie a prouver I'utilile de ces assemblies sous le triple
rapport du dogme , de la morale el de la discipline
ecclcsiaslique. 11 rappclle les decisions des souverains
pontiles , les decrets des conciles generaux ou parti-
culiers, qui en presctivenl la reunion ; puis il s'ecrie ,
(page 752) : « Comment done se fait-il qu'apres tani
» de prescriptions reilerees de siecle en siccle ;
» qu'apres tanl de conciles generaux ou particuliers
» qui tous out ordonnc la tenue des conciles [novin-
— 22/i —
» ciaux et des synodes diocesains ; qii'apres les re-
» inonlrances de tanl de papes , de percs de I'eglise
» ct d'ecrivaics ecclesiasliques do la plus grande au-
» torite, qui ont monlre I'urgence el la necessile de
a ces assemblees, el qui les ont declarees un moyen
» sur el puissant d'enlrelenir la foi et les mceurs
» parnii les fidelcs, et la discipline ecclesiasliqueparmi
» leclerge;... comment se fail-il qu'apres I'ordre
» formel du dernier concile general, qui a renouvele
» les decrets precedents et resume en lui toule la
» traililion , les conciles provinciaus el meme les
» synodes diocesains soient tombes en desuetude
» parrai nous ? » Apres avoir cherche la cause de
celte interruption dans certaines raaximes qui ont
longlemps predomice , et qui, sous le nom de liberies,
ont assujeti chez nous I'eglise au pouvoir teraporel ,
I'auteur insiste sur la necessile de revcnir a I'usage
des conciles el des synodes. 11 demonlre qu'a I'ex-
ception des articles organiques, qui toutefois le genent
peu, il n'y a point de loi qu'on puisse invoquer centre
le retablissement de ces reunions. — Ce vceu , qui
eiait exprime en 1846 , a re^u son acomplisseraent
par la celebration des conciles provinciaux qui se sont
lenus, en 1849 et 1850, dans plusieurs villes de
France , dilalie el d'Allemagnc.
Avanl le travail de M. F. Guerin , il avail paru
beaucoup d'ouvrages du meme genre. Sans parler des
grandes coUeciious , qui ont le double inconvenient
de n'etre a la porlee ni de tous les lecteurs , ui de
loules les bourses , il existe un assez grand nombre
d'ouvrages analytiques , que notre auteur hii-meme
indique a la lin de sou livre. Parmi ces analyses, il
en est sans doute de |)lus volumineuses que cello dont
— 2^25 —
je vous entreliens : I'ouvrage do D. Richard , eiiire
aulres , ne comple pas moins de cinq volumes 111-4",
y compris le supplemenl ; mais on peuldire qu'il n'en
est aucune qui soil ecrite dans un mcilleur esprit ,
aucune qui soil aussi complete , malgre les lacunes
dont j'ai parle. — Ce qui distinguera toujours I'ceuvre
de M. Guerin de celle de scs devancicrs , e'est i° la
liste des conciles tenus sur les differents points du
globe dans le cours du 18'' et du 19"= siecle ; 2° des
notes curieuses sur les conciles pretendus nalionaux ,
convo(]U('!s a Paris en 1797 el 1801 par les eveques
conslilulionnels de France; 5° des details peu connus
sur le lameux concile national, assemble en 1811 par
la volonte imperiale , avec un eclat extraordinaire ,
et dissous peu de temps apres, par la meme volonte,
avec bien peu de ceremonie , etc.
Des critiques un peu severes ont censure le travail
de M. Guerin, non pas qu'iis y aient Irouve aucune
maxime reprehensible, si ce n'est peut-etre quelques
idees ultramontaines qui leur plaisaient peu ; mais
ils ont trouve mauvais qu'un lai'que , sans aucune
espece de mission, se permit d'ecrire sur des raatieres
purement Iheologiques. M. Guerin avait prevu et
refute d'avance cette objection : « Lorsqu'un fidele,
» dit-il, desire prendre la plume pour combatlre les
» erinemis de I'Eglise, puisque la plume est dans ce
» siecle , suivant Texpression d'un digne prelat,
» rinstrument du combat ; il ne pretend nuUement
» enseigner , ni commander , ni imposer a qui que
» ce soil ses opinions ; il dit ce qu'il croit eire la
)j verile ; il apportc le tribut de son zele et des
B lumieres qu'il a revues de Dieu ; il propose sim-
» plemcnt son avis , el la sc borne sa mission. »
— 226 —
Avanl lui un grnnd ccrivaiii, auque! les critiques susdits
aiiraient pu adresscr le meme reproche, M. de Maistro,
avail dil: ( du Pape , disc, prelim. § /.) « II pourra
» paraiire surprenant qu'iin Iiomme du monde s'atlri-
» bue le droit de iraitcr des questions qui, jusqu'a
» nos jours , onl semble exclusivement devolues au
» zele et a la science de I'ordre sacerdotal, j'espere
» neanmoins que... tout lecleur de bonne volonte...
» m'absoudra de loule lacbe d'usurpalion. En premier
» lieu , puisque notre ordre s'est rendu , pendant le
» premier siecle , emincmment coupable envers la
» religion, je ne vois pas pourquoi le meme ordre ne
» iburnirail pas aux ecrivains ecclesiasliques quelques
» allies fideles qui se rangeraient autour de I'autel
» pour ecarler au moins les lemeraires , sans gener
» les leviies. Toule science d'ailleurs doit toujours,
» mais surloul a cette epoque , une espece de dime
» a celui doni elie procede ; car e'est lui qui est le Dieu
» des sciences , et e'est lui qui prepare nos pen sees
» (l.reg. 2). Une autre consideration encore n'a pas
» eu peu de force pour m'encourager. Le preire qui
» defend la religion fait son devoir, sans doute , et
» meriie loute notre estirae ; mais aupres d'une foule
» d'bommes legers ou preoccupes , il a I'air de de-
« fendre sa propre cause ; el quoique sa bonne foi
» soil egale a la noire, loul bbservaieur a pu s'aper-
» cevoir mille fois que le mecreant se defie moins de
» Tbonime du monde, el s'en laissc assez souveni
» approcher sans la moindrc repugnance. — Me
» sera-l-il encore permis de le dire ? Si riiomme qui
» s'est occupe toule sa vie d'un sujel important, qui
)i lui a consacre lous les instants dont il a pu disposer,
» et qui a tourn6 de ce cote loules scs connaissauces ;
— 227 —
» si eel homme, dis-je , sent en liii je ne sais quelle
» force iiidcfinissable qui lui fail eprouver le besoin
» de repandre ses idees , il doil sans doule se defier
» des illusions de I'amour-propre ; cependant, il a
» peul-elre quelque droit de croire que celle inspi-
» ration est quelque chose, si elle n'est pasdepourvue
1) surlout de touie approbation eirangere. »
Pour notre part, nous ne pouvons que feliciter I'au-
teur, et du courage qui lui a fait enlreprendre une
ceuvre de ce genre, et de la maniere donl il I'a accora-
plie. — Le Manuel de llmtoire des Conciles n'est pas le
seul livre qui soil sorli de la plume de M. Guerin :
on lui doit encore plusieurs ouvrages de piele, et un
assez grand nombre d'ecrils polemiques. Puis, comme
je I'ai dil, il est redacteur en chef du Memorial catho^
lique ; c'est assez vous dire qu'en vous proposant
M. Guerin comme membre correspondant de I'Aca-
demie , je vous presenle un ecrivain a la fois erudit
et laborieux.
— 228 —
Lecture de SI. Duqueiielle.
RAPPORT
smi l'ouvrage de m.de fontenay, ayantpour titre:
Nouvelle Etude de Jetons,
Presente a I'Academie dc Reims.
Seance clu 10 Fevrier 1851.
Parmi les monuments numismatiques qui onl trouve
place dans les collections^ il est une serie qui, jusqu'a
nos jours, a ete presque completemenl negligee, ce
sonl les pieces designees sous le nom general de
jelons : la bizarrerie des types , la diversile des lan-
gues employees pour les legendcs, quelquefois meme
I'absence de legendes , presentaient des dilTicultes
regardees comme insurmontables par les anliquaires,
qui, d'ailleurs, Irouvaient dans la numismalique an-
cienne un travail recreatif el des allribulions faciles,
Mais quand celte mine fut epuisee , quand on eut
etudie et classe tout ce qu'avaient produit les Grecs
€t les Romains, il fallul un aliment nouveau h cet
esprit de recherches qui caracterise le xix° siecle.
Le moyen-age elait a exploiter. Ce fut vers cette
«poque que se reporta I'ardeur archeologique. Malgre
— 229 —
robscui'ile qui I'enveloppait de toute part , Teiude
des raonnaies royales el baronnales ful courageiise-
raent abordee , heureusement expliquce. Cependant
cetle pailie de la numismalique ofTre encore un
champ vaste aux recherches; chaque jour voil eclore
quelqucs publications qui ont pour objet de cora-
pleler I'histoire metallique de la France.
M. de Fontenay, pour sa pari, a enlrepris I'elude
des jetons, el le volume qu'il a presenle h I'Aca-
demie ii'est pas son premier ouvrage en ce genre;
il nous le dil lui-meme dans sa preface. Un pre-
mier iravail , sous le litre de Fragment d'Histoire
metallique , a re^u I'approbalion de I'Academie des
Inscriptions el Belles-Lettres ; mais, en memo temps,
il ajoule franchement que cet essai contenait des
erreurs inseparables de ses premieres eludes : aussi
fail-il connaitre quclques rectiflcalions que lui ont
signalecs des critiques bienveillanles.
Son nouvel ouvrage commence par la definition
des jetons, puis I'expose des arrets concernant leur
fabrication , et la difference qui exisle enlre les
droits des graveurs el des tailleurs-graveurs. En
parlant de I'execution de cs genre de medailles ,
M. de Fontenay dit :
« En general, les arts onl, comme la civilisation,
» des periodes caracteristiques ; quand un Etat est
» grand et florissant, les ceuvres qu'il voit eclore
» sont belles; quand la discorde agile la sociele,
t les ceuvres sont, a pen d'exceplions pres, maigres,
» sans style, el comme produites a la hate dans I'in-
» certitude du lendemain. Voici, en cetle matifere,
» I'opinion du premier consul sur I'epoquc qui avail
» precede son avenemenl an pouvoir :
— 230 —
Paris, 20 Thermitlor an x de la Republique.
Au Minislre de I'lnlerieur.
« J'ai donne ordre , ciloyen Minislre , de faire
» frapper pliisieurs medailles ; cellos que Ton a
» frappecs sonl d'un si mauvais style qu'elles desho-
» norent aux yeux de la poslerite noire siecle,
» dans Icquel les arts ont ele porles \y un plus haul
» degre que dans les si6cles passes.
« Je vous salue.
« Bonaparte. »
Les reflexions de I'auteur, et le jugement severe,
mais juste, du premier consul, pourraienl etre avec
raison appliquees aux productions numismatiqucs de
la revolution de 1848. Ces productions, du resle,
ont ete appreciees, non en France, mais en Bel-,
gique. Dans la TJewue numismatique Beige (tome 6,|
page 192), on lit : '< II a paru en France, a Tocca-^
sion de la revolution de 1848, une innombrable]
quantite de prelendues medailles, grossieres et ridi-
cules parodies de la numismatique, dont le resuUati
sera probablement de degouter des collections del
medailles modernes. Quel inler6l , en ellel, peu-i
vent avoir ces morceaux de plomb coules dans dcsl
monies de cuivre ou de platre par deux ou Irois
farceurs industriels, speculani sur le desir qu'ontJ
toujours les amateurs de completer leur suite? Cesi
pieces, fruit du caprice individuel, n'emanent nulle-l
ment des clubs, des socieies ou des personnagesj
auxquels on les allribue. Sans aucun caract^rej
d'auihenticite, elles n'ont pas, comme quelques me-]
dailies de la premiere revolution, le merite de peindre|
leur epoque ; leurs legendes de sanvages, leurs em-
— 231 —
l)16mes lie cannibalcs ne sont pas dc noire sifeclc :
Vhonneur ct le profit doivetU en revenir a JIM'**. »
Mais revenons a nos jetons. A|)res ces conside-
ralions preliminaircs , M. de Fonlenay passe en revue
un bon nonibre de pieces qu'il apprecie an point de
vue historiqne et arlislique. Nous anrions aime , dans
ce Iravail , un ordre quelconqiie ; mais nous avouerons
avcc I'aulcur qu'il etait (iidicile , impor^sihlc nie:iic ,
de classer ceile masse considerable de medailles d'epo-
ques , de localiles el de slyie si varies ; aussi est-co
sans etonncmcnl qu'apres la doscriplion des pieces
frappees sous les dues de Bourgogne et Louis XII[,
nous Yoyons une scrie que I'auleur nomme jetom
d'amour , dont les legendes ct Ics eniblemes sont
d'une naivete qui rappelle les temps romanes-
ques, ct que noire epoque ne [tent comprendro. II
decril ensuite une scrie de devises qui , selon M. de
Fonlenay, doivent , pour eire bonnes, se composer
d'une represent;: lion malerielle el de paroles propres
a eclaircir la representation. Celte exigence n'est pas
salisfaile par I'examen de toutes les pieces qu'il etn-
die , nolamment de celle decrile page 28. Celte me-
daille represenle , an droits deux forgerons froppanl
a coups de marteaux une leic placee sur une en-
clume , avcc celte legende : Unicus est specie. Au
revers , un ane porlant dans un panier trois leies,
qu'a la coiifure on reconnait pour des tC'tes de femmcs.
Sup le bat, est monte un singe armc d'un fouct;
pour legende : Omne ferens malum. Elle portc la
date de 1660. II y a, comme on pent le voir, une
grande difference entre celte medaille et les jetons
d'amour de la memo epoque. M. de Fonlenay . par
convenance , n'ose en faire rallribution ; nous imi-
I 16
— 2?2 —
torons sa reserve , et , pour excuser raiitcur de ceue
salyrique medaille , nous dirons que des malheurs
personnels ont pu seuls Ic rendre aussi aveugle et
aussi injuste.
En parlanl des jclous hisloriques , i'auleur dit :
Lorsqu'on sera parvenu a former la colleclion com-
plele des jelons , il sera facile d'ecrire I'hisioire de
France pendant plusieurs siecles, non seulemenl pour
les fails gcneraux, mais encore pour les moindres
details. Puissenl ces paroles elre enlendues de lous
les amateurs ; que tonsils suivent I'exemple que donne
M. de Fonlenay en decrivanl les principales pieces de
sa colleclion ; et , guidees par le blason , ses attri-
butions sont positives. Dans cetic serie figurenl les
jetons royaux; inais , avec les legendes historiques,
apparaissent ces legendes flatieusts invcnlees par les
courlisans. Ici , Tauleur est Ires sobre de citations;
nous Ten felicilons , car, outre qu'elles ne sonl pas
Texprcssion de la \erile , elles ont cle decrites dans
des ouvrages speciaux.
Apres quelques pieces des raunicipalites I'^s plus
imporlanles, nous arrivons aux jetons de confreries
ei de corporations , parmi lesquels nous remarquons
la medaille de MM. les arquebusiers de Reims ; puis
viennent les jelons de \illes, de personnages histo-
riques. Ici seulemenl qne'ques privilegies sonl indi-
ques , et cependant la lisle en serail longue et in-
teressante, surlout pour la science heralditiue , les
armoiries elanl tidelement representees ; mais I'auleur
elail soumis a un cadre trop restreint, qu'il lui etail
interdil de franchir.
Au sujel des piecfs designees sous le nom de
jetons, qui sonl personnclles a des individus, nous
— 233 -
partagerons rupinioii do M. de Fontenay. Cos pieces
otii siir celles dilcs capilukdres line \aIoui' arciieolo-
giquo plus grande , car dies ont cle frappoes par
ordre des seigneurs qui y ont place leiirs armoiries.
Elles sonl done d'un grand interel, el penvcnt don-
ncr lieu a des dissertations bistoriquos d'un haul
inlerei : nous en voyons iin exenipic dans col on-
vrage an sujel d'un jelon au noni de Piiilippc, due
de Bourgogne el ci>mle de Flandre.
Puis vieni une serie de mereaux. Taut ipio Ton
n'aura pa^ delini la valour de cc mol , il sera diHicile
do s'cnlendre sur rori;.Mno des mereaux. Generale-
meut coniidercs conune des jetons de presence des-
tines a conslaler I'assiduile des chanoines aux ccre-
inonies religieusos , ils presenlenl une grande variete
d'emblemes sans autre iniercl que les noms des loca-
liles elles noms de.^ sainis veneres dans cha(ine pays.
Parmi lous ceux que I'auteur decrit , nous c:i rcniar-
quons un dePieiir.s ; nous I'acceploiis volonliers, (juoi-
que rieii nc justilie cniieremenl ccUe aUribulion. En
voici la description : S' Paul deboui , nimbe , tenant
un livre ouverl et s'appuyani sur une epee ; dans le
champ , un R couronne, un croissant el les iniliales
S. P. (SancUis Paulus). Au revers, un grand P» dans
un croissant couronne , accoste des leltres S. P. et
de deux (leurs de lis.
Pour rompre la monolonie inseparable d'un cata-
logue , I'auteur se livre a quelques ciialions, qui ne
sonl pas sans inlerei ; ainsi , au sujet d'une piece
de la fabrique de Saint-Nico'as-des-Champs de Paris,
il donne celie legendc hislorique :
Saint Nicolas , eveque de Myre , voyageail dans
son diocese. II onire un jour dans une hotellerie ^
— 2M —
oil il liii esl miraculeusemenl revele que I'holesse avail
lue Irois enfanis, donl elle avail mis les corps a saler
dans un baqiiet. Le sainl prclat se fail represenler
I'horrible vase , el , iniposant sur ces Irois jeunes
victimes le signe de la croix , il les rappelle a la
vie. Voila pourqiioi , dans los tableaux el dans les
images, on veil constammenl sainl Nicolas operant
ce miracle ; el , dans le but d'en perpeluer le sou-
venir , les enfanis I'ont pris pour palron.
II serail irop long de vous dccrire loules les pieces
qu'a savammenl eludiees M. de Fonlenay. Pour vous
donner une idee de eel ouvrage , nous dirons qu'il
conlienl pres de oOO medailles habilemenl dessinecs,
reproduiles avec une fideliie au dessusde lout eloge,
el qui fonl regreller que I'auleur n'ait pas fail plus
encore.
En terminant son travail , M. de Fonlenay ajoute :
« La science numismalique manque d'ouvrages eie-
menlaires. La branche que nous avons cherche a
exploiter est nouvelle ; il fallait , en quelque sorte,
une inilialion. Puissions-nous avoir reussi a facililer
les recherches, a developper un goul dans lequel nous
avons irouve un agreable passe-lemps. » Nous re-
pondrons a i'auleur que son Iravail sera un slimulanl
puissanl pour les coliectionneurs , qui s'empresseronl
de publier les raedaillf^s de leurs localiles , el que
rinipulsion qui resullera pour la numismalique de la
lecture de son ouvrage , sera la realisation de ses
vceux ; mais nous demandons en mcme temps a ses
imitaleurs de faire preuve d'une erudition aussi in-
genieuse el aussi profonde que celle de M. de Fon-
lenav.
1
— 235 —
RECHERGHES
SUK
LES LIGURES,
Par M. AZAIS , membre corrospondanl.
L'histoiie ties laiigues est l.i hjse
(le celle des iialioiis.
ElCIlIlOFl.
La Ligurie, dans Ic teoips ou elle etait coruiuo
sous ce nom , compreiiail celle longue cote reiifer-
mee enlre rApeiinin ct la raer , clepuis la Macro
jusqu'a la fronliere tie la mer. Elle s'etendait , en
oulre, dans les pays ;Mlues enlre I'Apennin el le P6,
depuis los Alpes jiisqiie vers la Trebia. C'esi anjoiir-
d'hui I'Elal de Genes, le Marqiiisat de Monlfei-rai
avec la parlie du Pieraont el dii Milanais qui se trouve
au midi dn P6 (1).
Les hisloriens represetitenl les anciens Ligures
comme des liommcs ferocrs e! sauvages, liabilan!
un sol slerile , ingral el monlagneux , nienant nne vie
dure et laborieuse , associes a des fentimes aussi te-
roces el aussi sauvages qu'eux, sobres, inlrepides,
mais ruses, el joignanl I'asluce a la bravoure pour
defendre leur liberie conire les altaqnes inces-
sanles du peuple Romain (2|.
'1) Gibrat, Geograpliie annienne , loiiui I , page -122.
(2) Ligures patriani haliilaiitrs asperani , ac omnino sterilem , pliirimn
laboro coiiliiuKi'iiic vitaiii a^'unt.... in lorrfi ciiliaul; raii sub lectn am
— 256 —
Mais Ics Ligiires (|iii , apr^s une ri^sislancc aiissi
longue qii'opiniatre, fiirenl soumis a la dominaiion
Roniaine, I'an de Rome 658 (1) ,~ elaienl-i!s origi-
naires d'llalie , et parlirenl-ils de la pour occuper
les coles de la Mcditerranee dcpuis remhouchiire du
Var jiisqn'anx Pyrenees orienlales, ct peiieirer ensiiile
dans la peninsule Iberiqnc? N'claient-ils pas, au con-
Iraire, originaires d'lberie? Et n'est-ce pas des champs
Iberiens qu'ils partirent pour traverser les Pyrenees,
ocoupcr la cole de la Medilerranee depuis les Pyre-
nees orienlales jusqii'a remhouchiire du Var , passer
les Alpes et s'elahlir en Ilalie?
Celle question ne manque pas de difllculles , parce
que les fails auxquels elle se ratlache ne remontent
pas a moins dequinzeou seize siecles avani J.-C. (2).
Les savants auteurs de I'histoire du Languedoc di-
sent, en parlant des Ligurcs , qu'oo en ignore la
veritable origine (5). Aulant en avail dit , avant eux ,
Denys dllalicarnasse dans ses Anliquites Romaines (4).
L'auleurde la slatislique des Douches du Rhone dit
qu'il est probable que les Ligures elaienl d'origine
C,elii(iue, et que ce nom fut donne aux Celtes qui
se fixercnl sur les bords de la Medilerranee (5j. ]\Jais
in tuguriis jaceiil... Ferot^es sunt et acuti ingenii , non in bello solum,
sed in cominLiiii vita... Mulieres quoqiie virurum laborcs perferunt. . . .
Denique mulieres viroruni , viri ferarum robur ft vires iiabent. — Diodo-
rus Siculiis , lib. 0 , cap. 9.
(1) Gibrat, Geogiapbie ancienne , tome !'■■ , page 435.
(2) Amedee Tliierry, Histoiie des Gaulois , tome i" , pages 8 et 9.
(3) Hisloire de Languedoc , tome l^r, jiage 57.
(i) Ligurcs raullas Italite partes habitant , Gallise etiam quasdam inco-
lunt. Utra autom sit eorum patria incertum est. — Rom. Ant. lib. 1.
(i) Tome 2, pajn 10.
— 257 —
cetle opinion , ijiii n'ost appnyi'e il'anci'.ne |)reuve ,
lonihe devani le temoigiinge (\e ions les liisloriens ,
qui font des Lignres un peuple loul differenl des
Celles , tin peuple ayani uno langue , nne origine ,
qui n'avaienl rien de commun avec la langue et rori-
gine dos Celles.
MicaJi, dans son ouvrage sur I'/^a/ie aiant la do-
mination des Romains , apres avoir mis en fail que
los Ligures cinienl originaires d'Flalie, ajoiile qu'ils
elaient peul-eire un demenibremenl de I'anlique nation
des Ombriens (1).
M. Amodee Thierry, dans son Uistoire des Gaulois{%,
ne balance pns a considerer les Ligures conime ori-
ginaires d'Iberie. Voici ce qu'il dil de leur origine et
de leur elablissemenl dans les Gaules et dans I'ltalie :
« Les vicloires des Celles, au midi des Pyrenees,
» eurenl , pctur leur palrie , un conlre-coup funeste.
» Tandis qu'ils se picssaienl dans roccidenl el dans
» le centre de I'Kspagne, les nations Iberiennes ,
» deplacces el refoulees sur la cole de Test , for-
» cerenl les passages orientaux de ces monlagnes.
M La nation des Sicanes, la premiere, peneira dans la
n Gaulequ'elle ne fit que traverser, el enlra dans I'lla-
» lie par le liltoral de l,i Meiliterraiiee. Sur ces traces
h arriverent ensuile lesLigors ou Ufjures, peuple ori-
» ginane de la cbairie des monlagnes au pied de la-
» (luelle coule la Gaadiana ['h\ , et c'lassedeson pays
» par I 's Celles couquerants. Trouvanl la cole deblayee
(1) Tome l<"', page 103,
(2) Tume \" , pages 8 el 9.
(3) I. a Giiadiaua , aji|ii'lee ancienneiiii'iU Anas , iv. foriue sur la Siorra
(le Al(;ar8z. Son hassin est compi-is enlrc la elijiiie d'Ossa an nuni , efc
rcjlc i]i' la Si( rra MoicMiii an siii|.
— 238 —
a par les Sicanes , les Ligures s'en emparerent , el
» elendirenl Iciirs e'ablissemenls loul le long de la
» mer , depuis les Pyrenees jusqu'a rembouchure de
» I'Arno.... Dans les temps postericurs , lorsqu'ils
» se furenl muliiplies, leurs possessions en Gaule
» comprirenl loule la cote a roccidenl du Rhone
» jusqu'a la ligue des Cevennes , et a I'orienl de ce
39 fleiive , lout le pays situe entre I'lsere , les Alpes
» le Var et la mer. »
A I'appui de cet expose, M. Amedee Thierry cite
plusieurs auloriles {]) qui le rendenl ires vraisem-
ble, mais qui n'cn demonlient pas la verite au point
de ne laisser aucune place au doule.
C'esl a I'aide de la linguisiique que je vais essayer
de completer les preuves qui peuvent manquer a cet
expose , en ce qui concerne I'origine Iberienne des
Ligures.
Les pcuples , dans leurs migrations , imporlent dans
les pays qu'ils parcourent , dans ceux ou ils s'eta-
blissenl , la langue du pays d'ou ils sont venus ; et
pour connaitre le pajs d'oij ils sont venus, il sufiit
de savoir a quel pays apparlient la langue qu'ils ont
importee. C'est sur ce principe , qui ne pent elre
conleste , que sera fondee la discussion qui va suivre.
II existe en Espagne une langue loute pariiculiere,
une langue qui ne rcssemble guere qu'a elle-m6me ,
qui se distingue de toules les autres par je ne sais
quel caraclere d'originalite qui n'apparlient qu'a elle.
CeKe langue est la langue Escuarra, que nous
appelons la langue Basque et qui n'est parlee aujour-
d'hui que par les anciens Cantabres , c'est a dire ,
(1) Eliennc de Bysance , Festus Avienus , Thucydide , Slrabwi.
- 239 —
par les habitants do Guipuscoa, de I'Aslurie , de San-
tillane, de la Biscaye el de la Navarre. Celle meme
langiie est parlee , a quelques differences pres , dans
les pays Basques (1) , soil qu'ils aienl fait partic de
I'ancienne Canlabrie , soil que le voisinage et la
frequence des communications y aienl naturalise la
langue Basque.
Le pere Larramendi a soutenu dans sa grammaire,
et d'autres linguistiques onl soutenu apres liii , que,
dans les temps les plus recules, la langue Escuarra
ou Basque etait la langue universelle de I'Espagne.
Ce regne primitif de ia langue Basque en Iberie,
a etc conlesle , j'en conviens , par quelques linguis-
tiques ; mais ce qui est incontestable , c'esl que le
mot Espagne est un mot Basque qui signifie levre ,
el que I'Espagne est , dans la realite , nne levre , un
bord, une extremHe de I'Europe. Or, si le mot
Espagne est un mot Basque, il est vraisemblable que
la langue Basque a eie la langue du pays dont elle
tire son nom.
Dira-t-on que le mot Espagne n'esl pas assez ancien
pour qu'on puisse en conclure I'antiquilede la langue a
laquelle il appartienl? J'avoue que I'Espagne eiaitap-
pelee Iberia , longtemps avant d'etre appelee Hispania,
en observant toulcfois que le mot Hispania est d'une
assez belle antiquile , puisqu'il est employe par le
geographe Strabon , qui etait conlemporain de Jesus-
Christ. Mais ce qui tranche toute difficulte , c'est que
(1) Les pays Basques francais sont le pays de Labourd, le pays de Soule
et la basse Navarre. En langue Basque, Labourd sigaiHe pays desert ,
inculle , expose aux voletirs ; Soule signifie paiis couverl de bois ;
Nava sitrnifie plaine au pied des montruincs.
— no —
le niol Ibhie derive, conime le moi Espagne , de la
langiie Basque ; Iri signilie ;jaj/.s , peuple , el Bert
signitie nouveau, Ibcn'e , c'esl done pays nouveau ;
el il esl assez naiurcl de penser que ce nom Cut donne
ii I'Espagne par le peuple qui y arriva le premier, el
pour lequel le pays elait evidemmenl nouveau. La
languc Basque ne pouvait done qu'elre la langue d'un
peuple qui doniiail un nom Basque au pays oil il s'e-
tablissail , el qui , chaugeani plus lard le nom de ce
pays , lui donnail encore un nom Basque.
Kl si la langue Basque n'avail ele la langue
du peuple qui s'elablit prirailivemenl dans I'lberie ,
qu'on m'explique conimenl il se fail que le mol An-
dalousie ail etc (or me de deux mots Basques Anda
lucid { lerre longue ) ; le mol Aslurie , des deux mots
Basques Ast, uria { lieu pierreux el pluvieux ) ; le mot
Bidassoa, des deux mols Basques Bide soa fla bonne,
la pure riviere); le mol Fontarabie , des deux mols
Basques Oiidar ibmja ( ville au dela du fleuve ) , le mol
Sara, bourg d'Espagne pres de Burgos, du mol Basque
Sara ( paturage ) ; lo mol Ibarra , ville do Catalogue,
du mol Basque Ibarra ( petite vallee ) ; le mol Herrera.
bonrg d'Aragon , du mol Basque Hcrria ( lieu , pays ,
conlree); el le mol Carrion, bourg d'Espagne , au
royaume de Leon , du mol Basque Carrioa i cher ,
agreable , d'un haul |)rix ) ?
Je ne fmirais i)as si j'enlassais ici tons les noms
de lieux , de rivieres, villes , bourgs ou villages de
ia pcninsulc lispagtiole , qui dcrivenl de la langue
Basque ; je crois on avoir ciie un assez grand nombre
pour dcmonlrer que celie langue a primilivemenl regne
(laiis I'anlicpie Ibeiio (1). Bien n'est sujel a I'inslabilile
1 . L'aiiiiiiiiile de hi laii^iio Basijiie , Jit M. Ameilee Tliicri-y , w
— ni —
comme le langage des liommes. Lcs larigues s'alle-
renl , sc denaturenl , disparaissent ; mais les lieux
auxqiiels elles onl donne iin noni, Ic conservcnt long-
temps apres qu'elles onl dLspani , el revelenl , par
ce meme nom , aux hommes d'etude la langue donl ,
dans les (emps anciens , Icl ou lei pcuple a use.
II esl done certain que la langue Escuarra ou Bas-
que, que les seuls Canlabres conserverent, mais donl
I'empreinle osl encore gravee sur Ic nom meme de
riberie , de ses provinces , de ses rivieres , de ses
bourgs , de ses hameaux , ful primitivcmenl la langue
de la peninsule Iberique.
Mais, comment se faii-il^ va-l-on me dire, que
celle langue Basque^ qui fut la langue de lous les
Ihercs, n'ait ele conscrvee que par les habitants de
I'ancienne Canlabrie? La reponse esl facile.
L'hisloire nous represenle les Canlabres comme
des hommes forts, robustes, d'une bravoure a loule
epreuve, supporlaut avec la plus grande facilile le
froid el le chaud , passionnes pour la liberie, lou-
jours prets a courir aux amies pour la defendre ,
preferant la morl a la servitude, vaincus quelque-
fois, mais jamais enlierenienl soumis.
Les Canlabres furenl do lous les peuplcs, ceux
qui resislerenl le plus longtemps et avec la plus ener-
gique opiiiialrele, aux armes des Romaius. Veut-on
avoir une idee de leur energie ? Forces uii jour par les
• saurait faire doute , qiiand on voit qu'elle a fuiirni les plus vieilles
» denominations des fl'^iives , des nionlagnes , des villes , des tribus de
• I'ancienne Espagne..,. II resuile de lout ceci la presomplion legitime
> qne la langue Basque est nn resle de Taneiennn langue Esjiagnole ou
" Iberienne. »
— 2Z|2 —
lieutenants d'Augiiste dans leurs derniers relranclie-
ments, la piiipart se donnerent la niorl pliilot que
de se rendre; les meres elouffaicnt leurs enfanls
pour les souslraire a la caplivite, et une femme,
oui, une femme, egoigea de sa propre main lous
ceux de ses compalrioles qui elaient prisonniers
avec elle.
Les Iberes^ domines successivemenl par des con-
queranls de loute espece , s'abandonnerenl au joug
qui leur etait impose, et oubli^rent pen a peu leur
langue primitive pour adopter celle de leurs vain-
queurs ; mais les Caotabrcs , qui eurent toujours en
horrcur la domination de I'etrnnger , en repousserent
le langage avec loute I'energie de leur patriotisme,
et conserverent ainsi pure et intacle la langue que
leurs peres leur avaient transmise, el qui etait a
peu pres le seul bien que la conquete ne put leur
ravir.
Remarquons que, quoiqu'on puisse dire de la
tendance qu'onl les peuples a degenerer, les Espa-
gnols qui habilent I'ancienne Cantabrie , et qui onl
conserve la langue Escuarra avec une tenacile digne
de celle que deployerent leurs ayeux, onl prouve de
nos jours, les armcs a la main, qu'ils onl herile
aussi de leur encrgie.
Apres avoir etabli , comme point fondamental, que
la langue Basque a primiiivemenl regne dans I'an-
lique Iberie, je dis qu'il suliil presque du nom que
porlaieni les Ligures, pour demontrer qu'ils etaient
originaires d'Espagne et non d'Ualie.
I/histoire nous apprend que les peuples conque-
rauls, quelque lointaines qu'aienl ele leurs expedi-
tions, onl toujours conserve, dans les contreos
— 243 —
qu'ils ontenvahics, leur nom primilif, apparlenant
h la langue du pays qui les vit nailre. Or, si je
prouve que le nom des Ligures apparlient a celle
langue Escuarra qui, a I'epoque de leur migration,
elait la langue de I'lberie , ne serai-je pas aulorise
a conclure que c'est d'Espagne et non d'ltaiie,
qu'etaient originaires les Ligures?
Les hommes qui habitent les montagnes el qui
vivent au milieu des rocliers, sont , en general ,
plus sauvages, plus feroces meme, que ceux qui
passent leur vie dans les plaines rianles et ferliles ;
et les Ligures, au dire de tous les hisioriens , tenaient
leur sauvage ferocile des terrains sleriles , ingrats
el montagneux qu'ils avaienl toujours habites. Or ,
dans la langue Basque, Ligorra signilie terre elevee ,
pmjs montagneux; done le nom des Ligures appar-
lient a I'ancienne langue des Iberiens; done les Ligures
elaient originaires d'Iberie.
Ajoulez que le Languedoc, avnnt d'etre envahi par
les Goths, et de recevoir d'eux le nom de Land Goth,
devenu plus lard Languedoc, etait appele Ibero-Li-
guria : preuve certaine que les Ligures, qui le tenaient
sous leur domination, etaieni originaiies d'Iberie.
Ajoulez encore que les Grecs donnaienlaux Ligures
le nom de Ligues, et qu'Eticnne de Bjzance place,
dans I'occidenl de I'lberie pres de Tarlcsse , nne
ville qu'il appelle Ligustine , dont il dit que les
Ligues elaient habitants : nouvelle preuve que les
Ligues, ou, ce qui revienl au meme , les Ligures
elaient originaires d'Iberie (1).
Ces irois premieres preuves paraissent-elles in-
(!) Oritlxi Thesaurus qeographicus, au mot Ligystina.
•Ff"
— nil —
suffisantes? En voici uiiequalri^mc qui, je I'esp^re, nc
laissera rien a desirer.
En Espagne, dans I'Arragon , pros de la IVon-
tiere de Fiance , csl une ville appclee Venasque ,
donl Ic nom est forme des deux mols Basques
pena Arquen , qui signifienl la dernicrc roche , la
roche (Jcs Con fins. Or, dans le deparlemenl de
Vaucluse , nous irouvons la ville de Venasque, qui
donna jadis son nom au comle Venaissin, et , de
phis, nous irouvons Venasca dans les eiats Sardes,
division de Turin.
En Espagne , dans la Biscaye , esl un bourg
appele IVtm, donl le nom derive du mol Basque
Iria (ville, village, habitation). Or, dans le duclio
de Milan , on irouve unc ville appclee aujourd'hui
Voghera , mais qui, dans les temps anciens, elait
appolee Iria.
En Espagne, dans le royaume de Leon, esl une
petite ville appelee Huron, donl le nom derive du
mot Basque Bum (cime). Or, dans les Basses-Pyrenees,
arrondissemenl de Pau, on irouve un village appele
Euros, el dans les elats Sardes, division de Novarre,
pres de Verceil , un bourg appele liuronzo.
En Espagne, dans la Cerdagne espagnole, esl un
village appele Andore , qui donne son nom a la
vallee dans laquelle il est silue , nom qui derive
des deux mots Basques Audi gorra ( grande hauteur,
haute vallee) Or, dans Tetat de Genes, pres de
la Mediterranee , nous irouvons une petite ville
appelee Andora.
En Espagne , pres de Cordoue , esl un bourg
appele Luque , donl le nom derive des deux mols
Basq\ies hi, /e/.on ( pays , habitation). Or, nous
— 2/i5 —
lioiivons dans les Hasses-Pyr^nees, (]ans I'Aude ct
dans le Var, je ne sais combien de villages appeles
Luc ou Lucq, el dans I'ltalie^ une grande, riche el
ires ancienne ville, appelee Lucques.
En Espagne, dans le royaume de Grenade , sur
les bords dii Guadalentin , esl une ville appelee
Bafa, donl le nom derive du mol Basque Has (eau,
elang). Or, on Irouve a Beziers, sur les bords de
la riviere de Tongue , un village appelc Bassan ;
dans la Lombardie , sur la riviere de Brente , une
ville appelee Basaano , cl dans le palrimoine de
Sainl-Pierre, non loin du Tibre , un village appole
aussi Bassano.
Dans la Navarre espagnole, et sur la riviere d'A-
ragon , est une pelile ville appelee Marzilla , donl
le nom csl forme des deux uiols Basques Mera
frner, eau, elang J; Ilia (ville, villige). Or, dans le
deparlemenl de I'Aude , non loin de Carcassonne ,
est un village appele Marseillette , situe sur un elang
desseche depuis environ quaranle ans ; dans le de-
parlemenl de I'Herault , non loin de la ville d'Agde,
est une petite ville appelee Marseillan , siluee sur
I'elang de Tliau : dans le deparlemenl des Bouclies-
du-Bhone esl une grande ville appelee Marseille ,
siluee sur les bords de la Medilerranee ; el dans le
Piemonl , division de Coni , esl un village appele
Marsaglia (i), silue sur la riviere de Cbisole.
En Espagne, dans le royaume de Grenade, esl un
village appele Ossea, el dans I'Andalousic une ville
appelee Ossona, donl les noms derivenl des radicaux
(1) C'est pr^s de ce village que fut livrce, h i oefobre 1693, la ba-
taille de la Marsault.
— 266 —
Basques oso, osso, qui marquent la salubrite, I'in-
legriie, la siirele (1). Or, nous irouvons en France,
dans les Basses-Pyrenees, Ossas, Osse, Ossen, Ossau,
dans les Haules-Pyrenees , Ossen, Ossun] dans Ics
Pjrenees-Orienlales , Osseja; dans I'Etal de Genes,
Ossella, et, dans la Toscane, la riviere appelee au-
trefois Ossa, aujourd'hui Albenga.
En Espagne, dans la Biscaye, est un bourg appele
Vrbina, dont le nom derive du mot basque Urhinum
(ville, village enlre deux eaux). Or, nous Irouvons
dans les Pyrenees-Orienlales, un village appele Ur~
banija, el dans I'lialie la ville d'Urbin, siiuee enlre
les rivieres de Metro et de la Foglia.
EnGn, il est en Espagne un village appele Amos,
silue dans un pays convert de vignobles , dont le
nom derive du mot Basque Arno, qui signifie vin,
et une riviere appelee Arnoya, dont le nom derive
du meme mot Basque , el qui arrose un pays ou
les vignes abondent. Or, nous Irouvons dans le
deparlement de I'Horaull, pres Beziers , une terre
appelee en patois Arnoyo et en fran^ais Amoie qui,
dans tons les temps a ele fertile en bon vin ; et
dans rilalie, le tleuve Arno, qui tire sa source du
mont Apennin et se jette dans la mer de Toscane,
apres avoir parcouru des pays ou la vigne a toujours
ete cullivee.
Ces exeraples , auxquels je pourrais en ojouler
beaucoup d'autres, demontrent, ce me semble, qu'un
peuple, parlani la langue primitive des Iberes, et
par consequent parli d'Iberie , a franchi les Pyrenees
(1) Voyez Fauriel (Hist, de la Gaule meridionalo sous la dorainalion
<les conqiierants Germains), tome 2, appendice n" 2, page S20.
!
— ^17 —
oiienlales , ct a suivi , dans la Gaule meridionale ,
les cotes de la Mediterrane<i, d'ou il est passe dans
les pays Ilaliques.
Et si les Ligures elaient pariis d'ltalie pour
occuper les coles de la Mcdilerranee, d'oii auraient-
ils lire, je le demande, le nom Basque de L/grune,
qu'auraii porle le pays d'ou ils seraient pariis? D'ou
auraiciU-ils tire ces noms Basques qui abondent dans
ritalio, et surtout dans I'eiat de G6nes, ces noms
Basques qu'ils auraient semes sur leur passage, en
parcourant, sur le littoral de la Mediterranee, I'espace
qui separe les Alpes des Pyrenees?
Mais ces noms Basques , que nous trouvons dans
I'llalie el sur les coles de la Mediierranee, nous les
relrouvons dans I'lberie ; que dis-je? nous trouvons
encore vivante dans une parlie de I'lberie , la langue
de laquelle ils derivenl , et qui fui la langue de
I'lberie enliere : done le mouvement des Ligures ,
loin d'avoir lieu d'ltalie vers I'Espagne, eut lieu
d'Espagne vers I'llalie ; done , encore une fois , c'esi
d'Espagne et non d'ltalie , qu'elaient originaires les
Ligures.
17
— 2/i8 —
Coraraunicalion dc !i. Opperl,
Membrc correspondant.
DE L'IMPORTANCE HISTORIQUE
DES INSCRIPTIONS ASIATIQUES NOUVELLEMENT
D^CHIFFRfiES.
Premier article.
Noire siecle , dcja si I'econd en grandes decouverles
scienlifiques , vienl de s'immorlaiiser par une decoii-
vertc nouvelle qui sera d'une immense imporlance
pour I'hisloire du genre humain. A cote des sciences
nalurelles auxquelles noire epoque a vu prendre un
developpemenl inoui dans les fasles des connaissances
humaines; a cole de Tinduslrie, I'enfanl cheri de
noire ere et doni nous apercevons lous les jours
les progres giganlesques, il se fonde une science
nouvelle appelee egalemenl a un grand el bel avenir.
Celte soeur modeste et conteniporaine des sciences
de la nature , pour laquelle je reclame ralienlion
bicnveillante de 1' Academic, est la philologie comparee
et hislorique, en lanl qu'elle s'applique au dechiffre-
menl des inscriptions asiatiques , connues sous la
denomination d'inscriptions cuneiformes.
Que sont-ils devenus, ces grands peuples de noire
berceau asiatique, ces nations donl le noni a deja
— 2/i9 —
frappe les oreilles de noire cnfance? Quelles traces
ont-elles laissees, ces civilisations antiques succes-
sivement aneantics par le soufile exlerminateur de
celles qui les suivirent? Connailrions-nous leur
existence, si quelques aulres peuples, plus favorises
par la Frovidence, ne nous avaient pas transmis a
leur sujet quelques notions imparfaites ?
Ces vestiges de leur antique existence, que I'hu-
manite avail perdiis, la science moderne vient de les
relrouver. Le voyageur inlrepiile , parcourant ces
pays de I'Asie, autrefois florissants, aujourd'hui de-
serts, elait frappe par {'aspect de grandioses monu-
ments, sur lesquels il lisait, ou plutot ne lisail pas,
des caracleres inconnus. Les descendants des peuples
auteurs de ces signes en avaient perdu depuis long-
temps la connaissance, et il n'a ete reserve qu'au
siecle actuel de dechiffrer ces myslerieuses inscrip-
tions , dont des milliers d'annees avaient ete les
depositaires respectueux, mais lacilurnes.
Nous connaissons, et nous connaissons seulement
par des inscriptions , une parlie de I'hisioire de
rinde ; car la lillerature bralimanique, qui nous a
legue des masses enormes d'ecrils , manque absolu-
ment d'historiens. On a dechiffre et lu les noms des
dynasties enlieres dans les inscriptions des Topes , el
c'est par les inscriptions en langue pali du roi Asoca,
que Ton a en une idee de la legislation des princes
Bouddhistes , aneantis par la reaction brahmaniquc
survenue depuis. On a pu reconstituer I'hisioire de
I'empire Indo-grec des successeurs d'Alexandre, par
les legendes de Caboul, en les combinanl avec le peu
de renseignements que les grecs nous ont transmis
a leur sujet.
— 250 —
Lcs egypliens nous out Inisse une masse immense
do monuments en plusieurs langues el ecrilures ; la
science travaillc el fait penibiemenl chaque jour de
nouveaux progres sur ce domaine si apre et si ardu,
Ce donl on peul deja se rendre comple, par les nonns
de rois qu'on dechiffre, c'est qu'une civilisation beau-
coup plus ancienne que ne I'oni presume nos peres,
fecondait deja les bords du Nil a des epoques ou les
donnees hisloriques, autres que cclles deMoyse, nous
font completemenl defaut. Nos descendants qui
pourronl lire toutes ces inscriptions, tous ces rou-
leaux manuscriis hisloriques , judiciaires el rituels,
lireroni de ces nouvelles donnees des consequences
donl nous ne pouvons pas nous douter acluellement.
En Asie Mineure, le dechiffremenl des inscriptions,
peu considerables par leur etendue , a deja abouti a
prouvcr que les Phrygiens, les plus anciens hommes
d'apres la croyance du roi Psammelique, apparte-
naient a la race Indo-gcrmanique. Les monuments de
la Lycie , deterres par un savant anglais, M. Fellows,
dechiffres depuis par plusieurs crudils, montrent que
cette conlree etait habitee par un peuple d'origine
loute differenlo , el dans lequel nous airaerions a
reconnailre une nation de race Finno-Mongole.
Les commerganls de rautiquite, les Pheniciens, ne
nous sonl connus que par quelques notions eparses
des Grecs et des Hebreux , leurs livres sontperdus,
comme I'esl egalemenl la lilleralure de la formidable
rivale de Rome, de Carthage. Le dechifTremenl et
Texplicalion presque accomplie des documents phe-
niciens et carlhaginois, nous montrent, bien qu'ils
ne soieni pas considerables par leur importance histo-
rique , que les negociants de Tantiquile etaient les
proches parents du peuple israelile.
— '251 —
D'aulres savants onl explore le inidi loiiuaiii do I'A-
rabie, ei onl commence la decouverte des inscriptions
Himyariles, et celles de Saba, d'aulres encore onl lu
celles du monl Sina.
Mais aucune des branches nouvelles de la science
philologique n'a ete jusqu'ici si feconde pour la phi-
lologie linguislique el pour I'hisloire que cellc di s
documenls cuneiformos.
Qu'esl-ce qu'on designe sous le nom d'inscriplions
cuneiformes?
On trouve en Mesopotamie, en Babylonie et en
Perse, un grand nombre de notes epigraphiques qui
se composent de signes differemment combines avec
un merae element, le coin ou la fleche (cuneus).
C'est cet element primitif qui leur a donne le nom.
On pourrait facilement demontrcr pourquoi Ton a
choisi cet element constilutif , c'est en effet celui qui
s'adaple le mieux au ciseau du lapicide, deux coups
de cet instrument sulTisent pour en produire la forme.
II est probable que les Assyriens onl les premiers
combine des coins pour former leur ecriture lapidaire ;
mais bienlol les peuples donl la dominaiion succed:i
a celle des sujels de Semiramis , I'adopterenl [tour
en composer leurs ecrilures , symboles de langucs
loules disparates. Ceite difference d'idiomes el de
caracieres n'a pas empeche les Grecs de designer toiites
ces ecrilures sous les noms communs de yfccuiAATa
Aa-ffi/p;*, ecrilure assyrienne , lerme qui se lit egale-
menl dans la Bible.
On relrouve Irois on peiil-elre qualre especes d'ecii-^
lures cuneiformes ; nous parlerons d'abord du syslcuK
— 252 —
assyrien ou babylonien. II se lit sur les rocs de Van ,
siir des monuments epars en Asia, surloul dans les
ruines du vaste palais de Ninive , decouvert par
M. BoUi , alors consul de France k Mossoul. Geile
merveilieuse decouverle frangaise nous a fourni des
inscriptions de la valeur de 56,000 metres de longueur,
el M. Layard vient d'y ajouler celle d'une archive de
briques assyriennes, de sorte que le volume des testes
mis a la disposition des savants est prodigieux. Eq
outre, la Babyionie nous exhibe egalement une masse
de briques empreinles de caracteres presque iden-
tiques a ceux doct nous venons de parler.
La deusierae espece de ces ecritures, qui scrvail a
elerniser une laarjue probablement Mongole, est con-
nue jusqu'ici sous le nom d'inscriplions mediques.
Nous croyons devoir proscrire ce nom el le rempla-
cer par celui de Scythique et cela par des raisons que
nous avons cxposees ailleurs.
Les rois de Perses adopterent pour leur ecrilure
des caracteres combines du meme element , et creerenl
le syslerae perse. Mais la langue n'etait parlee que
dans iin terriloire tres restrcint, eu egard a Timmen-
se elendue del'empire qu'ils avaicnt fonde. Le premier
monarque perse, ainsi quesessuccesseurs, prirentdonc
le parti, qui est pour nous d'une precieuse importance,
de publier leurs decrets dans les trois idiomes dout nous
avons parle jusqu'ici : ainsi toutes les inscriptions
qu'ils ont laissees sonl trilingues. II est done facile
de prevoir que Ton arrivera a dechiffrer et a inter-
preter toutes les inscriptions cuneiformes du moment
oil Ton aura reussi a dechiffrer et a interpreter Tun
des trois .syslemes.
— 25S —
C'esl ce qui est arrive , Messieurs. La science
moderne a su soulcver le voile qui couvrait ce niyslcre ;
ii y a vingl ans , on ne connaissail ni I'ecrilure, ni
la langue dans laquelle etaienl con^us ces documents;
et , chose a jamais glorieuse dans Thisloire de la lin-
guislique naissanle, on a lu les signes, on a explique
I'idiome; et notre connaissance est, des aujourd'hui,
arrivee a un degr^ de perfection tel que nous pouvons
appliquer les principes de la critique philologique
au langage ressuscile de la lombe des vaincus de
Marathon.
Je me permetlrai , Messieurs , de vous exposer
comment on a pu y parvenir. Les ecritures assyrienne
et medique sont syllabiques^ et ont unegrande quan-
lite de signes ; I'ecrilure perse ou achemenienne est
alphabelique , et n'a que quaranle caracteres. Les
mols y sont separes pai' un signe special , avantage
que ce systeme paleographique a mfime sur les in-
scriptions grecques. II s'agissait done de deviner quel-
ques-uns de ces signes pour arriver , plus tard et
pen a peu au dechiflVement du systeme entier.
Un savant allemand , M. Grotefend , do Hanovre ,
etudiait il y a trente-cinq ans les peliles inscriptions
que Niebuhr avail apporlees de Persepolis , sculplees
au dessns des porlcs du palais venerable delruit en
parlie par Alexandre le Grand. M. Grotefend remar-
quait que deux de ces inscriptions eiaient presque
identiqucs, sauf deux termes seiilemenl. Le mot com-
mencanl les deux inscriptions n'etail pas le meme ,
el , un peu plus bas , on lisail au lieu d'un autre mot
le terme qui coramengait la premiere. M. Grotefend
croyail voir dans ces expressions les noms de deux
rois qui avaient fait balir lo monument de Persepo-
F
— 25a —
Jib , el ceiix des deux peres de ces monarques ; il
conclui , en oiilre , que le roi nomme dans la pre-
miere inscription elaii le pere de I'auire. II fallait
savoir quels elaient les rois caches sous ces noms
myslerieux ; il conclut a Darius , fils d'Hyslaspe , et
Xerxes , fils de Darius , et se mil hardimenl a epeler
le nom du premier roi DAR.
Audaces\fortuna juvat ; il ne s'etait pas trompe ;
et e'est a celie inspiration intuitive que^nous de-
vons , apr^s un travail de six lustres , le dechif-
frement complet de I'alphabet de I'idiome perse. Plu-
sieurs erudhs'eiendirent le domaine de la nouvelle
decouverte ; mais ce ne fut qu'en 1856 que MM.
Burnouf et Lassen , se livrant isolement aux memes
rechcrches , decouvrireni les noms des provinces de
I'empire Perse , enumerees dans une de ces inscrip-
tions , et firent un pas gigantesque vers le but desire.
En J846 , M. Rawlinson, consul d'Angleterre a
Bagdad , copia une grande inscription con^ue en trois
langucs et gravee sur le roc de Bisonloun. II ne
publia que la pariie perse , longue de 450 lignes el
en general bien conservee.
Ce document hislorique , le seul aulhentique qui
nous reste des Perses , contient I'histoire des pre-
mieres annees du regne de Darius , tracee par le
monarque meme el empreinle d'un cachet tout offi-
ciel. En plus d'un passage^ il confirme les donnees
du pere de I'histoire , et venge Herodole des repro-
ches et des soupgons donl d'injustes denigrements
avaient entach6 la veraciie. II donne, au contraire,
tort au rival d'Herodote , Ciesias , el sanclionne , d'un
autre cote , les traditions grccque et hebraique en op-
position a celles que les descendants des Perses nouii
onl Iransmises.
-- 255 —
On poui rail m'objecter pourlanl : « Admellons que
I'alpliabel soil completemenl dechiffre ; mais de la
jusqu'a I'inlerprelalion de I'idiome , il y a encore
loin. On pent bien lire les tables eugubines ecriles
en langue ombrique el en caracleres romains, mais
leur inlerprelalion esi-olle assuree. »
Permeltez moi , Messieurs , de repondre a cetle
objection par une coniparaison analogue. Admellons,
que I'italien ful perdu , mais qu'on connut , non
pas le latin , mais le frangais et I'espagnol , ne
pourrait-on pas parvenir a interpreter les texles
italiens par des combinaisons pbilologiques plus ou
moins ingenieuses, plus ou moins doctes? Pour le
perse ancien la question serail la meme. On connait
parfailemenl la langue Sanscrite, parenle a un degre
assez proche de I'ancien perse ; on connait Ires
peu, a la verite , sa langue soeur , la langue du
Zend-avesta , et, en outre, mieux que les deux,
I'idiome des persans modernes derive de la langue
des Achemenides. C'est a I'aidede ces donnees que la
critique philologique a eu raison de celte langue
oubliee depuis plus de deux mille ans.
La connaissance des traductions assyrienne el
scythique nous guidera dans I'oeuvre ires difficile des
dechiffrements des documents assyriens, destines a
Jeter une lumiere aussi eclalanle que nouvelle sur
I'antique histoire de I'Asie.
Nous aurons I'honneur de soumettre procbainemenl
a I'Academie une traduction ou une analyse de ces
documents serieux.
256 —
(lonrnmnication de SI, Morticr des Noyers.
Messieurs ,
L'Adminislration municipale vienl de me faire
riionneur d'accepler pour le Musee de la Ville un
debris du moyen-age qui pcul avoir quelque inte-
ret pour I'Academie. el je viens vous prier de vou-
loir bien le soumeltre a son examen.
II consiste en une espece de bas ou de guetre
mauresque, c'esl a dire sans pied , el que la tradilion
fait remonler au xr siecle.
II a servi a revelir le corps de Sanche I, roi
d'Aragon, morl en 4094, enlerre dans une des
eglises de Burgos (Espagne).
A la premiere inspection , el en rapprochanl les
parlies decousues de I'etoffe, il est facile d'y re-
connailre la forme de la jambe, el de s'assurer par
rinlerruption du dessin , qui se lermine a hauteur
de la cheville, que ie bas n'avail pas de pied , el que
c'eiait plutot une guetre , autrefois dite Heuse ou
Ilouzeau , de forme mauresque , telle qu'en portent
encore les peuples de I'Algerie ct du Maroc, ci
dont k\ corps d'Infanlerie dil Zouaves a ete vetu
par imitation.
Ce morceau d'eloffe, donl ranliquile est inconles-
lable, elait dans ma faoiillc dopuis pljs de quarantc
* f
— 257 —
ans ; il y est parvenu d'uiie fagoii qui met pour
moi son origine hors do doute. Depuis mon enfance,
j'ai enlendu tanl de fois raconler son hisloire, qu'elle
n'a pas pu s'effacer de mon souvenir:
Le 9 Novembre 1809, Tarmee frangaise com-
mandee par le marechal Soull , altaquQ. I'armee
espagnole retranchee sous les murs de Burgos. Le
resultal de la bataille fut pourcelle derniere une de-
roule complete; les Espagnols renlrerenl dans Burgos
qu'ils ne firent que traverser, el a leur suite les
Frangais penelrerent dans la viile que la plupart des
habitants avaient abandonnee. Une bande de piilards^
ramassis de lous les regiments, proflla du desordre
pour se jepandre dans les eglises, et viola les lom-
beaux des anciens rois d'Aragon ; ils esperaient y
Irouver des tresors , on n'y renconira que de ma-
gnifiques momies.
Un de mes oncles, alors direcleur general des
posies a I'armee d'Espagne, que la nature de son
service avail oblige d'entrer un des premiers dans
la ville pour s'emparer du service desdepeches,
n'arriva sur les iieux que pour voir le sacrilege
accompli.
Dix generations de Sanches, de Ramires , d'Al-
phonses, etc^ elaienl eiendues sur lepave des eglises;
quelques uns elaienl encore ceints de leur epee de
bataille, rouillee par le sang des Maures^ el semblaienf,
par leurs regards ternes el immobiles , protester
conlre ces infldeles nouveaux , ces enfanls du siecle
d'impiete, que la soif de I'or poussail a violer la
paix des lombes.
Un beros que Cornciile a rendu popuiaire en
— 258 —
France, h Cid, ful lire de son cercueil par des sol-
dats frangais.
Les velements donl ces illuslres debris elaieol
recouverls furent disperses ; c'est alors que raon
oncle s'erapara du Bas que je presenle, el qui ve-
n.iil d'etre enleve par un soldat du lombeau de
Sanche I.
Depuis lors il esl loujonrs resle dans les mains
de ma mere, a qui mon oncle I'avail donne a son
retour d'Espagne.
J'ai pense, qu'a pari la vaieur qu'il pouvail avoir
comme monument archeologique, il pouvait elre enco-
re de quelque inl6ret dans une ville manufacturiere,
en foumissani un point de comparaison enlre les
lissus du present el ceux du passe.
— 259 —
Leclure de H. Cli. Loriquet.
QUELQUES MOTS SUR LES SEPULTURES DES ROIS DE
CASTILLE , A PROPOS d'uNE PIECE d'ETOFFE ANCIE?<NE
d£POS£E AU MUSfiE DE LA VILLE DE REIMS.
Messieurs ,
Dans I'une des dernieres seances, noire collegue, M.
Morlier , a soumis a voire apprecialion un morceau
d'elofTe ^ laquelle une tradition conservee dans sa faraille
attribue une origiue espagnole el fort ancienne.
J'aurais laisse passer les assertions de noire lionorable
confrere , si un journal de la localite n'en avail rendu
rAcademie complice en quelque sorte , el assure qu'elles
avaient eu son approbation pleine et enliere.
Vous vous rappelez, MM. , I'objet donl j'ai dessein
de vous enlrelenir. C'est ua Iricol de soie verte et de
fils d'or , formant une sorte de bas sans pied el de-
cousu. Sauf une bande deslinee a donner plus de lar-
geur sur lapartieposlerieure delajambe, laquelle esld'un
or plus blanchalre et presenle de petiles croix , le dessin
reproduil une suite de bouquets d'or traces en vert sur
le fond d'or, el donl un Iricol different, dil tricot a I'en-
vers, fail ressorlir en or les fleurons principaux.
— 260 —
En ce qui concerne retoffe elle-meme et !e jugemcnt
qui peut rcsulter de son inspection , je crois qu'il fau-
drait des yeux fort exerces pour qu'on put de visit lui
assigner une date.
La plupart dcs tissus antiques dont les archeologues
se sont occupiis jusqu'ici, portent en eux-memes des
sisiies indicate urs de leur orii-nne. Cettc ressource nous
manque 5 a nos yeux, du moins, le dessin de noire
etotTe n'a pas un caractere tranche, capable d'en ac-
cuser la date ou la provenance. Le mode de fabrica-
tion, la forme de tricot seule pourrait etre un indice,
si Ion pouvait preciser a quelle epoque ce genre de
tissus s'introduisit en Espagne. C'est une question dont
I'etude sera probablement sans difliculles, quand MM. de
Pastoret, Francisque Michel, Arthur Martin et Charles
Cahier auront mis au jour le resullat de leurs savantes
recherches sur les tissus anciens. Les deux derniers ont
ele consultes par nous sur le sujet particulier qui nous
occupy aujourd'hui; nous devons attendre qu'ils aient
pronouce. Bornons-nous done a constater d'apres eux
(1), que I'Espagne fut de toute I'Europe , au moyen-
age, la contree la plus avancee dans la fabrication des
etoffes. Le pannus de spanisco et les tapetia hispana
etaient en graude renoramee, a I'egal des draps d'Alex-
andrie et des soieries airicaines. 11 est a croire que
I'Espagne ne se bornait pas a la fabrication des tissus
de laine; les Sarrasins furent probablement ses maitres
en Industrie, et Ton salt qu'ils etaient grands amateurs
de vetements de sole : a leurs yeux et au dire du Koran,
les bienheureux du paradis n'en devaient pas avoir
d'autres. On peat conjecturer que toutes les manieres
de Iravailler la sole leur etaient familieres; et, ceci
admis, il est facile de voir pourquoi notre morceau d'etoffe
est un ti'icot : par son elasticite , ce genre de tissu etait,
(1) Mel. d'arclieologie , vol. ii, p. lOl el soq.
— 261 —
comrae il I'e^t encore, le plus convenable pour uno
destination semblablc a celle que paralt avoir eue notre
etoffe .
Quand I'arclieologue, desireux de donner unc date a
I'objet de son etude, se trouve deroute par labsence de
preuves materielles, i! doit interroger d'autres indices.
Les circonstances de la trouvaille, los jiouvenirs iocaux
qui s'y ratlaclient, les caracteres dautlienticite qui ont
accompagne sa mise en lumiere, peuvent encore le guider
dans sa recherche. Sans reculer devant la longueur du
chemin que nous serous peut-etre obliges de parcourir,
voyons si ces moyens peuvent nous conduire a des
resultats certains.
Et d'abord, vous connaissez le fait principal sur lequel
repose la tradition conservee dans la famille de M. Mor-
tier. Le 10 novembre 1808, I'armee d'Estramadure,
accourue a Burgos sous les ordres du comte de Belvedel,
s'etait vainement opposee au passage de la division
frangaise que commandait le marechal Soult. Nos troupe.<,
entrant pele-mele dans la place avec les fuyards (1),
pillerent les richesses de tout genre accumulees dans
les eglises et les monasteres , profanerent meme les
sepultures ; et les corps des heros de la Castille, avec
ceux des rois, revirent la lumiere, etendus sur le sol
et abandonnes aux outrages des vainqueurs. L'un d'eux
etait le (lid; a un autre appartenait le bas en question.
Jusquici le recit est aussi vrai que vraisemblable. En
est-it de meme, quand il donne un nom au roi de-
pouille? La tradition de famille est-elle exacte , quand
elle attribue a un Sanche 1 d'Aragon , mort en 1094 ,
et fait remontcr au XI<^ siecle la piece de vetement qui
(1) BiGNON , Hist, de France sous Napoleon , I. viii, p. i4. —
MONTGAiLLAiiD , Uisl. dc la Revolut. fran^uisc, t. vi, p, 562. —
Monileur univ. du 19 nov. 1808, n« bullflin du rarmiie d'Espagne,
date de Burgos 12 nov.
— 262 —
est venue jusqu'ji notre musee? N'est-ce pas s'aventuror,
en un mot, que de la croiresur parole?
Ouvrons rhistoire.
Sanche Ramirez, le seul prince du nom de Sanclie
qui ait regne en Aragon , etait en menie temps roi de
Navarre , sous le nom de Sanche V. Ce n'est done ni
le premier, ni le dernier du nom, du moins en Aragon.
11 fut atteint d'une fleche au siege de Huesca , et non
pas assassine, comme I'a dit M. Mortier, qui, en ce point,
I'a confondu avec son pere. De plus, Sanche Ramirez
n'etait pas roi de Castille et n'avait aucun pouvoir
dans ce pays : aucune raison consequemment n'avait
pu determiner a I'enterrer a Rurgos. II etait plus na-
turel qu'il eut place dans la sepulture commune des
anciens rois de Sobrarve et des premiers princes d'Ara-
gon. Voici, en effet, ce qu'en dit Mariana, et il est
entieremenl d'accord avec les autres historiens de I'Es-
pagne. Permettez-moi de le citer in extenso :
« Incommode accidit ut Sanctius Rex diuturnae obsi-
» dionis toedio moenia urbis circumlustraret et idoneum
» locum notatum, qua parte irrumpi posse cogitaret ,
» contento brachio comitibus designaret : cum sagitta
)) ex muro emissa sub ala confixus est. Lethale id
» vulnus fuit Obiit quarto mensis Junii die. Corpus
» Montaragonem delatum atque in Jesu Nazareni, quod
» ipse monasterium extruxerat , extemporario sepulcro
v) condilum est ; inde, urbe capta, in D. Joannis Ru-
» pensis : quo loco Feliciae uxoris superioribus annis de-
» functae inscriptio cum cippo monstratur (1). »
(1) Mariana, deReb. hispan., lib. x, cap. ii. — FERiiEnAs, Hist,
gen. d'Espagne, trad. d'Hermilly, t. ii, p. 272. — « Corpus tandiu
raanet insepultum. Postea Monlaragonis coenobio, quod construi cura-
verat, tumulo infertur ; atque incursionibus Maurorum urgenlibus ad
S. Johannis Pinnalensis conditur. » Indices rerum ab Aragon. regibus
ge$tarum, lib. i : Hispan. ilJiistr. I. iii, p. 29. — Hieron Blamc.*;
— ^03 —
Aiusi, apres I'avoir depose d'abord au Mont Aragoii,
lieu proclie de Ilue.-ca, duns Teglise de Jiisus-de-Naza-
reth qu il avail fond^^e , on le transporta a I'isaue de
siege, a St-Jean de la I'ena , aulre nionastcre, situc
•i quelques lieues S. 0. de Jaca et sepulture ordinaire
des rois du pays.
Mais si le prince dont nous parlons doit etre ecarte
comme n'ayant pas ete inhume a Burgos , cette ville
donna asile a plus d'un illustre niort : ce fut natn-
rellement a des princes ct a des rois de Castille ,
puisqu'ellc elait la capitalc de ce pays. Avant de
passer en revue la glorieuse suite des princes Castillans
et d'y noter les morts qui appartiennent a notre ville,
precisons I'epoque oil elle put recevoir leur depouille.
Suivant Nonius, son noni denoterait doublement son
origiiie. Elle se forma , dit-il , vers le milieu du
i.V siecle , sous le gouvernement du comte doa Diegue
Porcellos , par la reunion des villages agglomeres sur
ce point, villages appeles 6oiWY/.s par lesGermains venus
dans le pays a la suite de Charlemagne. L'archeveque
de Tolede , Roderic Ximenes, dit en parlant du meme
comte, qu'il vi;Mtait frequemment la cite des bourgs ,
Civitas Burgensis (1).
En 884, le roi des Asturies, Alphonse III , travailla
puissamment a I'agrandisscment de Burgos i il y niit des
habitants et la fortifia d'une enceinte de mnrailles ,
voulant que cette ville servit do barricre contre les
Mahometans (2). Plus tard elle re§ut des accroissements
successiff, et s'enrichit aux depens des Mores vaincus.
Dans ses murs et autour d'elle, grace a la munificence
Aragonens. rerum comment. Op. cit. t. iii.ii.G^j. — Roder. Ximen.
ToLET. AiiCiiiEP. de Reb. IIi:ip. lib. vi, cap. 1. — ^Li;c. M.\niN/Ei sic.
de Reb. Ilisp. lib vni, Op. cit. I. i, p. 567.
fl) Op. cit. lib. V, cap. x\v — Lud. No^u Hispania, cap. l\.
(il FRRr.EHAS, Hist. gen. d'Espayne , t. ii, p. 655.
I. 18
— 26Zi —
des princes Castillans, fureiit construits des cloitres et
des eglises magnifique?. Null(^ part aussi le temps , et
^urtout la guerre et les revolutions, n'ont detruil un
plus grand nombre de monuments de ce genre.
Ceci pose, en ce qui concerne Torigine et les humbles
commencements de la capitale de la vieille Castllle, nous
ne devronsy chercher la sepulture d'aucun prince au deli
du x« si^cle. Nousne pourrons pasmemeallerjusque la,£l
cause de I'incertitude qui rcgnesurles origines de la mo-
narchie Castillane. C'est done a partir du moment ou
la transmission heredilaire du pouvoir s'etablit entre ses
princes, que nous les suivrons un a un a leur derniere
demeure. Rien de plus variable que leur sepulture;
grace a la liitte si longue des royautes septentrionales
de I'Espagne, grace aux armes dont le sort placera plu-
sieurs contrees sous la meme main, grace a la mort,
enfln, qui divisera I'empire qu'un seul avait possede.
IMusieurs aus;i, en fondant des monasteres et des egli-
ses , voudront que leurs restes trouvent un abri sous le
toit hospitalier, pres de Tautel qu'ils auronl eleve. Ne
vous etonnez done pas , si , pour relever toutes ces tom-
bes et constater historiquement leur existence , nous sui-
vons une routs un peu longue.
Aprcs avoir eu pour chefs differents comtes, feuda-
taires des rois de Leon , la Castille parait s'etre con-
slituee definitivement sous I'autorite d'un seul , a partir
du grand Ferdinand Gonzalez. Ce heros mourut en 970
et fut inhume it S^-Pierre d'Arlanza, monasterefonde par
un comte de Lara qui portait son nom (1).
D. Garcie Fernandez son fils perdit la vie, on 1005,
dans une bataille pres d'Alcocer. Les Musulmans empor-
terent son corps a Cordoue , comme un trophee de leur
victoire , et autoriserent les Chretiens de cette ville a lui
(1) Mahiana , Op. cit. lib VllI , cap. VII. — Ferreras, Op. cit.
I. Ill , p IS. 8fi.'
elever uii tombeau dans I'cgUse diis saints martyrs Fauste,
Janvier et Martial. Plus tard , il fut rachele par son Ills
et inhume a S'-Pierre de Cardena , monastere situe i
deux lieues de Burgos et deja celebre par lo marlyre qu'a-
vaient subi ses religieux en S^l (I).
Apres lui, D. Sanche Garcie fonde a grands frais le
monastere de S'-Sauveur d'Ona, en expiation de la mort
de sa mere Oua Sanche, suivant les uns (2); et, selon
d'autres, a la priere de doua Frigide, sa fdic , qui
voulait se consacrer a I)ieu (3J. II y fut lui-meme en-
terre. « A gauche du grand autel, dit Mariana (4), on
montre la sepulture de ce prince , celle de la comtessc
dona Urraque son epousc, et celle du comte don Garcie
Sanches son flls et successeur. » Le relachement s'iatro-
duisit promptement dans le convent d'Ona, c'est ce qui
determina le roi Sanche de Navarre a remplaccr les fiiles
qui I'occupaient par des moines do la regie de Glugni ,
sous la conduite de saint Fnigo, moine de SWean de la
Pena(5). Plus tard, il introduisit egalement la reforme
de Glugni dans le monastere de S*-Pierre de Cardem ,
dont nous avons parle precedemment (6).
Ge fut en 1028 que la Castille passa au pouvoir de
Sanche HI de Navarre, autrement dit Sanche le Grand ,
le reformateur dont nous venons de parler, du chef de
sa femme Muua Major, soeur du jeune comte I). Garcie
Sanches, assassine (7). De la date en realite sa grandeur.
Peu d'annees apres, en 1033, elle est erigee en royante,
fl) FenuERAS , t. Ill , p. 121. — Mah lib. Vlll , cap X
(2.1 RoDEti. AnCHiEP. ToLET, de Reb. Hisp. lib. V, cap. III. —
ESTEVAN DE GAniRAY, Compeiid . hist, de Espana, I. 1, p. -134.
(3) Ferheii, t. Ill, p. 129. — Yepes, t. V, Cliarle de fondatioo.
(4) Lib. Vlll, cap. XII. — Estevan de Garicay, Op. cit. lib. X,
cap. XVllI; t 1, p. 4S8.
(5j Feureras , t. Ill, p. 168. — BoUand. .luii., ada S. Iniy.
(6) Ferrer , loc. cit.
{!) II ful cnteiTc ii Onua, G\rid\v . loc. cit.
— 260 -
en favrur tie Ferdinand, deuxieme Ms du roi de Na-
varre ; et ce prince, apres la mort de Bermude ou
V'eremond IV, roi de Leon, frere de sa femme, reunit
Its couronnes de Castille et de Leon.
Son pere, mort en 1035, avait ete d'abord inhume
dan? I'eglise du monastere AOi'ia, sepulture des dernicrs
comtes de Castille. Mais, quand la reine dona Sanche,
sa femme, eut acheve I'eglise de St-Jean-Baptlste a
Leon, et qu'elle y eut fait apporler de Seville le corps
de saint Isidore (I), elie desira que sa nouvelle famille
eiit une place dans ce sanctuaire venere. Ferdinand I,
qui avait precedemment dcmande qu'on I'enterrat, soil
au monastere de St-Pierre d'Arlanza, pres de Ferdinand
Gonzalez , soit a celui de St-Facond , saisit avec joie
cette occasion de relever sa famille en lui donnant un
tombeau parmi ceux des rois de la plus ancienne des
grandes monarchies de I'Espagne. II fit done transporter,
en 1055, le corps de son pere a St-Jean de Leon. C(t(e
operation fut-elle, comine I'assure I'annaliste de la Na-
varre, I'occasion d'une guerre avec ce dernier pays?
11 y a lieu den douter, puisque le monastere d'Ona
dependait de la Castille. Quoiqu'il en soit, Ferdinand 1
fut inhume a son tour dans I'eglise St-Jean de Leon, a
cote de sa femme, de sa belle-mere et de son pere (2). II
s'etait fait transporter, avant de mourir, aupres de I'en-
droit prepare pour sa sepulture, et la, prosterne dans
la cendre, couvert d'un sac, il avait fait a Dieu I'of-
frande de sa couronne et de sa vie.
L'eglise dont nous parlous ne fut definitivement
piacee sous I'invocation de saint Isidore qu'en 1063. En
1020, le roi Alphonse V de Leon, apres I'avoir relevee
(1) Pelag. Ovetens. Liber chron.
(2) Mariana, lib. Vlll. cap, XIV; lib. IX, cap, VI. — Rodeb.
ToLET. lib. VI, cap. XIII. — Ferber. t. HI, p. 170, 2l9. —
ESTEVAN DE Gahibay , 0}> cit. t. II, p. ."55.
— 207 —
de scs ruines, aiusi que la ville elle-in6me, y avail fait
apporter les corps oes rois, ses predecesseurs, qui en
avaient ete enleves lors de la tprrible invasion d'AI-
manzor en 996, ou qui avaiout etc enterres en d'autres
endroils. La chapelle construite pour les recevoir fut
placee sous Tin vocation de saint Martin, ot plus tard sous
celle de sainte Catherine (1). Nonius porte a38lenoinbre
des rois qui y furent inhumes (2).
Sanche le Fort ou Sanche II eut, dans le partage dos
Elats de Ferdinand I, laCaslille seule avec une portion
des Asturies. Mauvais frcre, mais vuillant guerrier, ce
prince, aide du Cid^ rendit a la nionarchie Caslillane
le developpement qu'ellc possedait avant la mort de son
pere. Aussi, quand, au milieu de ses exploits, Sanche
le Fort tomba sous le fer d'un assassin a Zamora , les
Castillans se flrent un devoir d'cmporlcr son corps, et
ullerent le deposer au monastere d'Ona, pres des Comtes
premiers auteurs de leur gloire (3).
Alphonse VI qui lui succeda etait, comme lui, tils
de Ferdinand, et deja roi de Galice et de Leon. Sorte
de Henri VIII espagnol , ce prince avail pour la pro-
pagation du rit remain un zele qui tenait de la fureur:
oe qui ne TempGcha pas de prelexter la parente de sa
deuxieme femrne avec la premiere, pour contracter un
troisienie mariage ; et, sa troisieme femme morte , il
en prit une quatrieme, puis une cinquioine, enfin une
sixieme. Sa mort fut en quelque eorte un signal de guerre
entre Urraque sa (ille et son gendre Alphonse d'Aragon.
Les infantes ses sceurs, son frere I). Garcie, roi de-
pouille de la Galice, I'lnfant \). Sanche son fils , et
plusieurs de ses femmes furent inlmimjs avec leurs an-
cetres, a Leon, dans I'egUse de St-lsidore. Quant a lui,
(I) Fkuhkh. t. Ill, p. loO
(-2) Cap. lA'll.
(">) Mu',i\N\ , lib. I\, i-ap. 1\ — l'i..i;iiKi; t. Ill , p. >.':'.l
Tl
— 2C8 —
apres avoir altendii vingt jours ;i Toltide , a cause de la
guerre (jui (roublait ses etats, son corps ful Iransfere
dans le monasterc de Suhagun ou de St-Facond, sur la
Cea (1). La furent inhumees egalenient dona Constance,
sa troisieme femmc (1092), et dona Bertlie (1095), la
quatrieme (2).
La reine Urraquc rt'gna seule depuis 1109 jusqu'en
1117, cpoque a laquelle Tolede reconnut pour roi son
fils don Alphonse Raymond. Avec cette voluptueuse prin-
cci'se commenca sur le trone de Castille la maison de
Bourgogne, succedant a celle de Bigorre. Elle raourut
en 1126 et fut enterree a S'-lsidore de Leon (3).
Alphonse le Batailleur, 1 de Navarre et d'Aragon , VIF
a Leon^ !I en Castille, peut a peine elre compte comme
ayant regne sur ce dernier pays qu'il disputa constam-
ment a sa femme et qu'il retint , autant qu'il put , en
son noiTij malgre elle et les Castillans. II disparut en
1134, apres la balaille de Fraga , et se sauva jusqu'en
Palestine , suivant les uns , etj alia mourir au monas-
tere de S'-Jean de la Pens , suivant d'autres (4).
Don Alphonse Ilaymond , deja roi de Castille et de
Leon , conjointement avec Urraque sa mere, sous le nom
d'Alphonse Hi en Castille, VIll a Leon, prit le titre
d'empereur apres sa mort. lls'etait fait couronner succes-
slvement a Tolede , a Leon et a Compostelle. Icl , vous
le voycz , Burgos disparait en quelque sorte; detachee
pour ainsi dire de la Castille du vivant d'Alphonse le
Batailleur , au pouvoir duquel elle demeura a peu pres
contanfiment avec plusleurs autres villes , elle avail perdu
ses droits. Tolede , en se pronongant la premiere pour
le fils d'Urraque, avail pris sa place. La cathedrale de
(1) Mauiaxa , lib X , cap. VII. — Ferrer. , I. Ill , p. 507.
(2) Loc. cit. , t. Ill , p. 272.
(3; Mariana , lib. X , cap. XIV. — Ferrer. , t. Ill , p. 3(>&.
;lj ?errer. , I. HI , p. 390.
— ^269 —
Toletlc, theatre dc laveneinont d'Alphonse VII! (Ill/'),
recevra egalcment (1157) sa depouiile (1) Dona Sanclie ,
sa scciir, morte en 1159 , fut enterree a Leon (2), aitisi
que dona Tiennette, sa fille naturelle (3).
Sanche 111, son fll?, eut la Caitille seule. II fit, iioii sans
raison , reconnaitre son autorite a Burgos ; mais il eut a
peine le temps de faire apprecier aux (lastilans ses licu-
reuses qualites. La reine Blanche , sa femme , morle ,
comnie lui, en 1158, fut inhumee dans les tombeaux.
des rois de Navarre, au monastcre d'Anagro ('4). Quant
a lui , des liistorlens sans autorite (5) lui donnent place
parmi les sepultures du monastere d'Ona ; mais le tiiinoi-
gnage de Mariana, qui leur est contraire, me parait t'or-
mel : il mourut a Tolede et fut enterrc aupre^ de sou
pere , dans la cathcdrale de cette ville (6).
Ferdinand II, roi de Leon, usurpateur de I'aulorite
d'Alphonse IX, est compte a tort parmi les souverains
de la Castille. Aussi fut-il inhume dans la chapeile
royale de I'eglise St-Jacqucs de Compostelle, pres de
I'imperatrice dona Berengere, sa mere, et du conite don
Raymond , son aieul , prince d'Aragon et de Barce-
lone (7).
Sous le sage et glorieux Alphonse IX , Tolede 'itatit
aux mains des Mores, Burgos recouvre son importance.
C'est dans sa calhedrale que, en 1210, I'infant don
Ferdinand, fils d'Alphonse, se fait armer chevalier, alln
de pouvoir suivre son pere a la guerre contre les in-
(1) Maiuana, lib. XI, cap. IV. — Feruei'.. t. Ill , p, 456.
(2) Feiuieu. t. Ill , p, 465.
(3) Op. cil. p. 504.
(4) M.\iuANA , lib. XI, cap, VII.
(5) Desormeaux , Hist. d'Esp. t. II , p. 7.
{GJ Maiuana , lib. XI , cap. Vll. — fioDEii. Tolet. Op. cil. lilt.
Vll. — Santii Hist. Uisptin. — 'rAUAi'ii.E Re(/(.'.s' Hap.
[1) Mahia.na , lib. XI , iM|,. \V1. — Fkiiueii. t. HI , p, Sl'>
1^.
— 270 —
fiiJeles. Ce Ills mort k Madrid en 1211, le roi Alphonse
mort en 1214, sa feinine I.eonore qui mourut la meme
annee, Henri 1, son fils et son ?uccesseur, mort de la
chute dune laile en 1-217, furent ton? troii inhumes
pres de leur capitate . dans Togli^e Ste-Mane du rao-
nastere de Las Huelgas{l}. Foadee et datee en 1209
par Alphonse lui-meme f2}, cette magnifique abbaye,
la noble par excellence, comme on I'appelait, i cause
de la noblesse des filles qui s'y vouaient a Dieu, etait
destinee a recevoir la sepulture ties princes castillans:
a ce litre, elle devait succeder au celebre monastere
iVOna.
L'infant don Ferdinand, frere d'Henri 1, et Reren-
gere, sa soeur, mere de saint Ferdinand, furenlegalement
inhumes a Las Huelgas (3).
Heriticr de la Castille par I'abdication de Berengere,
sa mere, qui etait soeur de Henri !, saint Fprdinand
devint roi de Leon par la mort de son pere en 1230 , et,
de Ferdinand H qu'il etait, prit le nom de Ferdinand 111.
Les deux couronnes de Castille et dc Leon se trouve-
rent ainsi tlefmitivement reunies; ou plutot, comme le
dit le continuateur d'Henault (A) , « le royaume de Leon,
qui etait le premier de tous les royaumes Chretiens en
Espagne , devint province de I'uD des dernlers. » Mais
en meme temps , et par forme de compensation , les
rois Castillans , a partir de saint Ferdinand , adopterent
I'ordre chronologiquo commence par leurs predecesseurs
de Leon, tt le suivirent invariablement , fideles a celte
pretention des fondateurs de la monarchic Castillane de
(1) Maiuana, lib. XII, cap. Ill, cap. VI. — Roder. Tolkt. lib.
VII. — Ferkf.h. t. IV, p. 2S, 52. — Garibav , Op. cit., lib. XII ,
cap. XXXII.
(2) Maiuana , '.lb. XI , cap. XXII. — Gauibay , loc. cit.
(5) Abr. chron. de I'Uist. d'Esp. el de Portug. t I , p. 524.
(-4) Fehi\er. t. IV, p. 6i, 190.
— 271 —
rattachcr le jeune et glorieux rejeton de la Castille a la
souche antique des rois Gollis. Ses conquetes sur les
Mores s'ctendirent jnsqu'a I'embouchure du Guadalqui-
vir, et Seville, devenue I'un des plus riches joyaux de
la couronne de Castillo, recut en 1252 la dcpouille vene-
ree do ce prince aussi grand que vertueux (1). 11 fut
canonise en 1671 par le pape Clement X (2); mais les
respects unanimes des Espagnols n'avaient pas attendu
ce moment pour lionorer sa memoire. La cathedrale de
Seville, construite au xv^ siecle, est encore en posses-
sion de son corps; il y est conserve dans une chasse
d'argent (3).
On montre dans la meme chapelle, dite de los Eeyes,
construite au xvi" siecle sous Philippe II , le mausolee
de la reine Beatrix., femme de Ferdinand ill. celui
d'Alphonse X le Sage , son fds aine et son successeur ,
qui mourut en 1284 dcpouille d'une partie de ses etats
et fut enterre pres de son pere et de sa mere (4),
ceux enfm de plusieurs princes et princesses de la
malson royale.
L'infant don Henrique, autre fds de saint Ferdinand,
mort en 1304, fut inhume a St-Fran(:ois de Valladolld.
Sa femme, dit Ferreras (5), envoy a pour couvrir sa
tombe de riches etoffes venues de Tartarie, et beau-
coup de cire pour la ceremonie des obseques. Dona
Berengt^re, fiUe de saint Ferdinand, avait pris le voile au
monastere de Las Huelgas. L'infant don Ferdinand,
fils d'Alphonse X, mort en 1275, fut enterre dans le
memo couvent (6).
{IJ Mariana, lib. XllI, cap. Ylll, — Ferher. I. IV, p. 215.
(2) Ferrer, t. IV, p. 214, 2l5
(5) Magas. Pitlor. t. VII, p. 210.
(4) Mariana, lib. XIV, cap. VIU. — Fkrrer. I. IV, p. 15l, 512.
(.S) T. IV, p -i54.
(6) Kkrrkr. I. IV, p. 288.
— '27'2 —
Sanclie IV, dit ie Brave, fils revolte contre son
pere Alphonse le Sage et en partie desherite par lui ,
s'etait fait coiironner a Tolede apres sa mort. II vint
y niourir en 1295 et y re(;ut la sepulture dans la
cliapelle royale, laquelie, dit Mariana, se trouvait
alors derriere le grand autel (1).
C'est encore a Tolede ou a Seville, dit le meme
historien, que devaient etre portes les restes de Fer-
dinand IV mort a Jaiin en 1312. Les chaleurs de I'ete
forQcrent de le deposer provisoirement dans I'eglise
cathedrale de Cordoue et il y demeura (2).
Depuis longtemps il est a peine question de Burgos;
on ne parait plus songer du moins a transferer le corps
des rois dans cette ville. L'abbaye royale de Las HueUjas
et sa noble destination ne sont pas raoins oubliees.
Toutefois nous devons mentionner le soin que prit de
ce monastere la veinc Marie Molina, femme de Ferdi-
nand IV. La niuniQcence et la piete qu'elle avail deja
montroes dans la construction de pUisieurs monasteres,
se sigualerent encqre dans la restauration de la royale
abbaye, en meme temps qu'elle fondait a Valladolid un
monastere du meme noni , qui devait posseder scs res-
tes (3). L'infant don Pedre, fiis d'Alphonse X, avait
regu la sepulture dans le convent de Burgos en 1319^
et l'infant don Juan son frere , mort la meme annee,
avail etc enterre dans la cathedrale dc la meme ville (4).
En 1350, Alphonse XI mourut de la peste an siege
de Gibraltar. L'ennemi tcmoigna de son respect pour
sa pcrsonne , en suspendanl les hoslilites pendant ses
obseijues. Son corps fut porte a Seville, et depose dans
la chapelle royale de la cathedrale, en attendant qu'on
(1) Lib. XIV, cap. XVII. — Feruer. t. IV, p. 401.
(2j Lib. XV, cap. XI — Feisuer. t. lY, \^. 496.
to) FenuEii . i. IV, p. oiri.
fl; (>;). cit. p. o2l .
— 27o —
piit Ic transferer a Cordouc ; car ce prince avail deinande
par son testament ti etre inhume aupres de son pere
Ferdinand IV (1). Don Telio, son fils nature), mort en
1370 , fut inhume a S'-Fran^ois de Palence (2j.
Pierre le Cruel, poignarde par son frere nature), Henri
de Transtamare, en 1369, fut d'abord inhume sans pompe
dans I'egiise de St-Jacques d'Aicocere. Plus tard , et par
les ordres de Jean 11, )'un de ses successeurs , i) fut
transfeni au mouastere roya) des fdles de S'-Dominique
a Madrid (3). Bianche sa femme , tuee par son ordre
en 1361 , fut inhumee k S'-Fran^ois de Xeres (4). Ma-
ria de Padilla, merle la raeme annee et enterree d'abord
au monastere de Sainte-Ciaire d'Astudello , el les infants
don Pedre , don Frederic, don Louis, don Kmmanuel,
que Pierre le Cruel avail fait enlerrer dans la catlie-
drale de Seville, furent transferes, sous P)ii)ippe II , dans
la nouveile chapelle des rois , a c6te de saint Ferdi-
nand (5).
Avec Henri II , qui s'etait fait , conjoinlemenl avec
Du Guesclin,le vengeur de la Castille outragee parl'ava-
rice et les cruautes de son frere , commence la maison
de Transtamare. II mourut d'une maladic de langueur
en 1379 , et fut transporte , par les soins de Jean I son
fils, de Burgos a Valladolid , et de la a la cathedrale de
Tolede, dans une chapelle qu'il avail fait oonstruire a
ses frais , dit Mariana (6) , du cole de la principale tour.
(1) Chron. del Rey D. Pedro I. — Maiuana , lib. XVI , cap. XV.
— Fehrer. t. V, p. 234.
(2) Feureu. t. V, p. 416.
(5) Mariana , lib. XVII , cap. XIII. — Desormeaux , Op. cil. t. II,
p. 11 , le fait enlerrer dans la calhodrale de Co[doue. Ce senlimeiil
ne me paraU pas appuy6.
(4) Ferrer, t. V, p. 339.
(3) Log. cil.
(6) Lib. XVIIl, cap. II. — Feurer. t. v. p. 471.
— 274 —
Plus lard , sous Charles Quint , lemplaci'ment de celte
chapelle fut change 5 elle est connue aujourd'hui sous
le Dom de Chapelle des nouveaux Rois, Reyes nuevos ,
et Ion y voit encore six tombeaux qui sont ceux de Henri
II , de Jean I son Gls, de Henri III son petit-fds , et enfin
des princesses Jeanne , Leonore et Catherine , epouses
de ces trois monarques (I). Jean I etait mort en 1390,
pres d'Alcala , d'une chute de cheval ; Henri HI suc-
comba en 1407 a Taction d'un poison lent.
Avant de rendre les derniers devoirs a son pere
Henri II , Jean I s'etait fait couronner solennellement
a Burgos avec la reine Leonore sa femme. Ainsi Bur-
gos se maintenait au rang de ville principale ; ses habi-
tants recevaicnt le serment des rois, niais non leur sepul-
ture.
A la mort de Jean H, en 1454, c'est en quelque sorte
I'inverse que nous ferons remaniuer. Ce prince etant
mort 'a Valladolid, son tils Henri IV y prit solennellement
possession de la couronne; puis, pour se conformer aux
volontes de son pere, il fit transporter solennellement ses
restes a Burgos , chez les Chartreux de Miraflores, mo-
nastere que ce prince avail fonde (-2). Jean II fut aussi
peu regretle qu'il etait pen regretlable. Au milieu de
la pompe funebre, lors de son inhumation dans la
chartreuse de Burgos, le catafalque qui portail son
cercueil prit feu aux tliuiibeaux qui I'entouraienl. Les
Castillans trouverent ce spectacle diverlissaut , et le rire
universel provoque par ce feu de joie d'un nouveau gen-
re prouva quils se souciaient peu du mort et de la
conservation de ses os (3). Pres de lui furent enterres
1) Mariana, lib. XVll! , cap XV; lib. XIX, cap. XIV. — Fkiuikh.
t. V, p. [)u2; t. VI, p 30, 87, i76 , i86.
(1) Feuiikr. t. VI, p. G38 ; t. VII, p. 2l. — Estkvan i>e G\-
RiiiAV , oji. vit. lib. XVll, nap. II.
(7t) .M\i\nN\, lib \NII , i;t|> XIV. —On voil .s;y slaiiio (hnis hi
1 1
— 275 —
linfant don Alphonse son deuxieme (lis, mort en 1468
(1), et la reine Isabelle sa femme, rnorle en 1505(2).
Catherine sa fille, morte en H24, fiit cnterree a Las
Huelgas (3).
Henri IV moiirut en 1474, a Madrid, a la suite d'une
longue maladie. L'etat de maigreur dans lequcl etait son
corps dispensail de rembaumer \, il fut dispose pendant
quelque temps dans I'eglise des Hieronymites a Madrid ,
puis transfere , suivant son desir, pres de sa mere, a
Notre-Dame de Guadelupe (4), monastere d'Hierony-
mites egalement, dans rEstramadurc espagnole.
La conquete du sud de I'Espagnc et I'expulsion de
ce qui restait de Mores en ce pays permit a la grando
reine Isabelle et a Ferdinand le Catholique, son epoux, de
se preparer a Grenade une sepulture digne d'eux. Isabelle
raourut la premiere en 1504. Elle avait ordonne qu'on
rensevellt dans les habits de saint Fran(;ois, sous une tombe
plate et sans ornement. Mais comme la chapeile royaie
n'etait pas terminee, elle fut deposee au cou\ent de Saint-
FranQois, dans I'Alhambra (5). Ferdinand vint en 1516 la
rejoindre dans cette sepulture provisoire \ et tons deux
furent places enfin par Charles Quint dans un meme
tombeau de marbre blanc (6).
Philippe le Beau, mort en 1506 a Burgos, deux ans
apres y avoir pris possession de la Castille , du chef de
sa femme Jeanne la Folle, avait demande qu'on I'inhu-
mat a Grenade et quon envoyat son cceur a Bruxelies.
chapeile des nouveaux rois k ToIMo , h c6te du sarcophage de la reine
Dona Jeanne , sa bisaieuie. Le connetable Don Alvaro de Luna , son
favori , occupe une chapeile a part dans la calhedrale de Tolede. (Aug.
CiuLLAMEL , Un e(e en Espagne , p. 91. )
(1) Ferrek. t. VII. p. 218.
(2) Ferrer, t. VIII , p. 27G.
(3) Ferrer, t. VI, p. 289.
(i) Mariana , lib. XXIV , cap. IV. — Ferrer. I. VII , p. 402.
(6) Mariana , lib. XXVlll , cap. XXIII. — Frrrkm. t. VIU , p. 2Ci.
(6) Mariana , loc cit. — Fi-riiiFn. l, VllI , p. 2G4 , 428.
— 276 —
Ses dtisirs ne fiirent pas iramedialement accomplis ; et,
quaijd sa malheureuse epouse con5entit a se stiparcr de
ses restes , ils furent deposes a Miraflores pres de Burgos.
Quanta elle , elle mourut a Tordesillas en 1555, aprcs
quarante annees de captivite , et son corps fut depose
daus le monastere de Sainte-Claire de la meme ville.
Mais Charles-Quint reunit bieutol les restes de son pere
et de sa mere dans la chapelle royale (capilla real ) de
Grenade ; leur commun tombeau et celui d'Isabelle et de
Ferdinand, avec leurs statues couchees comme sur leur
dernier lit de parade, au milieu de cot edifice de marbre
noir, forment I'ensemble le plus imposant (1). La furent
encore inhumees momentanement I'imperatrice Isabelle ,
femme de Charles Quiet, et Leonore, soeur de ce prince,
reine douairiere de Portugal et de France , toutes deux
mortcs en 1539(2); cnfm Marie, femme de Philippe 11^
encore infant , laquelle mourut en ISW (3).
Charles-Quint meurt en 1558 au monastere de S'-
Just ct il y est enterre. Des lors Philippe II s'occupe de
preparer un tombeau pour sa famille et pour lui. Ce
tombeau, je veux dire I'Kscorial, est tout un immense
monastere joint a un palais. Des 1573, Philippe y fait
transferer successivement la reine Elisabeth de Valois
sa femme et son flis don Carlos, inhumes precedemment
a Madrid-, lempereur Charles- Quint son pere , jusqu'alors
a S'-Just; de Grenade, I'imperatrice Isabelle femme de
ce dernier, Leonore sa soeur, Marie sa propre femme,
les infants don Ferdinand et don Juan ses freres; de
(1) Mariana , lib. XXVUl , cap. XXIll. — Ferrer, t. Vlll , p. 295 ;
t. IX , p. 3S9. — La cliapelle est euli^remenl construite en pierrc noire
sur laquelle les omeraents , les piliers , les nervures se tra^aient en
lignes d'or. Les chanoines ont fait recemment badigeonner tout ceia a la
chaux , sans doute pour se recreer les yeux.
(2i Ferrer, t. IX , p. 215, 594.
(3 Op. cit. p. 509.
— 277 —
Tordesillas enfin, la reiue Marie de llongrie (I). D'autres
princes ies suivirent bientut : ce sont i'infant don Carlos,
autre fils do Philippe II, n7ort en bas age; I'archiduc
Wenceslas et I'iafant don Ferdinand (2).
Enfln ce fut le tour de Philippe II. II mourut a I'Es-
corial meme en 1598 (3), sur le seuil, pour ainsi
dire, de son tombeau.
Nous n'irons pas plus loin.
L'expulsion des Mores, remarquons-le, a eu pour
consequence immediate la reunion des diverses parties
de la Peninsule sous une main unique. Les chefs , Chre-
tiens sortis du nord de I'Espagne, ont peu a peu gagne du
terrain sur I'invasion Musulmane ; a mesure que celle-ci
recule et se resserrc , leur puissance s'accrolt par la fu-
sion des diverses branches, par la reunion d'etats voisins
I'un de I'autre; et, si les princes Chretiens avaient
toujours concerte leurs efforts , I'invasion aurait dispa-
ru depuis longtemps. Quand elle est defuiivement bala-
yee du sol, les royautes des Asturies, de Leon, de
Castille , d'Aragon, de Navarre niema et de Portugal
n'ont plus de raison d'etre : les principautes Sarrasines
de Murcie , de Seville , de Cordoue, de Grenade, tons
ces demembrements du Califat de Cordoue, pour la
ruine desquels les royautes dont nous parlons s'etalent
successivement elevees, n'existent plus. A partir de ce
moment , il n'y a plus qu'une seule monarchie , celle
de toutes les Espagnes; qu'une capitale , Madrid 5 il n'y
a aussi qu'un lieu destine k la sepulture des rois, I'Es-
corial. Disons en passant que tous les princes ne fu-
rent pas admis indifferemment sous le dome de ce Pan-
theon des monarques espagnols. Les divers caveaux qu'on
y disposa furent plus ou moins honorables ; il y eut
(1) Feriier. t. IX, p. 5b2 , 553 ; t. X , p. 403.
(2) Ferrer, t X , p 299 , 529. ♦
(3) Ferrer, t. X , part II , p. l i.i.
— 278 —
des degres, en un mot, la oi la mort semble avoir
renverse toutes les distinctions. Les reines qui n'avaieut
pas laisse d'enfant male furent placees plus bas que
les autres; et avec elles, vingt-deux des princes prece-
dents, trop petits apparemment pour elre inhumes dans
la meme enceinte et au meme niveau que les descendants
de Charles-Quint. Oil est ie temps des premiers rois
qui allaient cherclier dans la communaute de sepulture
avec les anciens mouarques de Leon, I'illustration de
race qui manquait a la Castille naissante ! La famille
de Charles-Quint attire a elle au contraire les illustres
morts qui I'ont precedee dans la tombe ; ello les force
a se deplacer, et cela, pour etendre sur eux. sa domina-
tion, et, en quelque sorte , en faire ta cour.
Resuiiions ce travail.
Kous avons parcouru toutes les necropoles royales de
I'Espagne. Nos guides dans cette exploration historique ,
pour suppleer aux changements , a la destruction meme,
que le temps et les revolutions y ont apportes , ont ete
les ecrivains les plus siirs 5 nous avons souvont laisse
parler chacun d'eux , et nous avons ecoute de preference
celui qui paraissait plus a portee d'etre bien inslruit.
Faisons la part de Burgos. Quels sont les princes et
les personnages de quelque importance dont les restes y
etaient encore au moment de I'occupation francaise ,
en !808?
La cathedrale actuelle fut fondee par Ferdinand HI ,
vers Ie milieu du xv^ siecle. Elle ne peut consequcmment
renfermer la sepulture d'aucun prince qui ne soil poste-
rieure k cette epoque ou qui n'ait appartenu a una eglise
plus ancienne : quoi qu'il en soit , les geographes s'ac-
cordent a dire que plusieurs rois de Castille y sont in-
humes dans des mausolees de marbre (1). La Martiniere
(I) Delices de I'Espagne , p. lie (ed. in-12). — Alex, de i.a Borde,
Ilineraire de I'Espagne.
— 279 —
rencherit encore; suivant lui (et il a probablemeut em-
prunte ce detail a don Juan Alvarez de Golmenar, auteur
d'un ouvrage intitule : Description et dclices de I'Espa-
gne ) , cinq chapelains, appartenant au chapitre do la
cathedrale , etaient specialemeut charges de desservir les
chapelles dans lesquelies etaient ranges ces toinbeaux.
En realite, quels sont les princes que nous avons vu
inhumer dans cette eglise? Un seul , Tinfant don Juan,
fils d'Alphonse X, mort en 1319; ct les recits plus
modernes, passant en revue les objets curieux qu'elle
renferme, mentionnent uniquenient, en fait de sepultures,
celles du connetabie don Pedro Fernandez de Velasco
et de sa femme dona Mencia Lopez de Mendoza Figueroa,
dans la magnifiqiie chapelle qui leur est consacree (1).
11 faut remarquer, en outre, que la cathedrale ne fut
pas atteinte par Tcntree des Frangais ;i Burgos; aucune
devastation, aucun des exces que nous avons signales
n'y furent commis. De la evidemment ne peut provenir
notre etoffe.
Mais Burgos possedait de nonibreux monasteres ; ses
faubourgs , et celui de Bega notamnient , etaient rem-
plis de couvsnts et d'hospices. Plusieurs de ces etablis-
sements n'offrent aujourd'hui que des mines ; d'autres
subsistent encore , sohtudes devastees , il est vrai , corps
prives de leurs ames , pour ainsi dire , et s'en allant
silencieuseraent en poussiere , comme les raorts des tora-
beaux , depuis que le liberalisme de 1842 en a chasse
les habitants.
Parmi les monasteres dont les murs sont encore debout,
trois principaux se faisaient remarquer : ce sont les Char-
treux ou Miraflores , Las Huelgas et Saint-Pierre de
Cardem,
Le premier, situ6 sur la route de Burgos a Vitoria au
(Ij Aug. Challamel , Un, ete en Espagne , p. 34. — Musee des
Families , t. XIV, p. 88.
I- 19
— 280 —
pied (I'une hauteur et dans un site agreabtc , est dc date
{»!us recente. 11 eut pour fondateur Jean II. Ce prince
y fut enterrc en 1454. Mais los travaux contiuuerent
longtemps encore , et en 1505, dit Ferreras (1), lorsqu'ils
fureul termines , Ferdinand Ic Catholique y fit transporter
le corps de la reine Isabelle, mere de la grandc Isabelle
de Caslille et femrae de Jean II. Le corps de cettc prin-
cesse avait ete jusque la depose dansle couvent de Sainl-
Frangois d'Arevalo. L'eglise des Cliartreux s-ubsisle encore
aujourd'hui ; on y voit , dans le sanctuairc , deux magni-
fiques mausolees de marbre : I'un, du cote de I'livan-
gile, renferme les cendres de I'infant don Alphonse ,
deuxieme fils de Jean II 5 I'autre , du cote de I'epitre,
celles de ce roi et de sa feinme (2). Le second, qui est a la
fois le plus grand et le plus remarquable au point dc vue
de rart,avec ses statues coucht'es etvelues avec anipleur,
ses blasons, ses figures sans nonibre et ses ornemeutsde
toute cspece , a part le germanisnie et le mauvais gout
qui domine dans les details , peut etre compare a ce
que Tart du xvF t^iecle a produit de plus splendide,
aux magnifiques sepultures de Brou , par exemple.
Rclevons en passant Tinadvcrtance d'un rccucil men-
suel qui donne ce tombeau comme appartenaut a don
Juan d'Autriche , fils naturel de Philippe IV , grand
prieur de Castille et premier minislre de Charles II (3).
Je ne puis vous dire ou ce prince ful enterre ; mais
Ic monument en question date incontestablement du
xvF siecle : comment pourrait-il etre le tombeau d'un
prince mort en 1679? Si les Ilevues piltorej^ques sont
utiles a leducalion du peuple et si leur propagande doit
etre encouragee , ce serait souvent risquer que d'em-
ployer sans defiance les renscignements qu'on y trouve ;
generalement , il est sage de ne les accepter que sous
benefice dinventaire.
(1) Op. cil. t. Vlll , 11. 276.
(2; ALk.\. D£ LA DoiiLii:, loc. cil.
(7); Musee des [(unillcn, t. XVIll, p lOl.
— 281 —
n faut traverser Burgos ct lArlanzoii (jui baigno sps
iiiurs, pour urrivcr a Sf'^-Marie de Las HneUjas, c'est a
(lire du repos, couvent ainsi nomiDL', dit-on , parce que
autrefois, sur son emplacement meme , s'elevait une
maison de plaisance appartenant aux rois de Castille
(1). On le trouvc a un quart de licue environ de la
ville, au milieu d'un massif d'arbres, dont le verttendre,
dit uu voyageur, rejouit la vue fatiguee par Ics arides
campagnes qui entourenl la capitale de la Castille (2).
I.es constructions qui le composent ot dont la plupart
sont des premieres annees du xni<^ siecle, forment
une masse imposante dont les details sont riches et
ruricux. Mais I'herbe y crolt, ct les plantes grinipantes,
qui s'accrocbent a ces murs delabres, se chargeront
avec le temps d'en operer la destruction , et ilis[)(!n-
scront de ce soin la bandc noire espagnole.
Nombre de personnos appartenant aux families rr-
gnantes de la Ca<^tille y ont regu la sepulture, En eui-
vant I'ordre chronologiquc , nous y remarquons , en
1214, le roi Alplionse IX, fondateur du monastere , et
sa femme Leonore •, en 1211, I'infant don Ferdinand
leur fils 5 en 1217, leurs deux autres fils, Henri !'■•■ et
don Ferdinand, et la rcine Berengere , mere de saint
Ferdinand; puis deux fils d'Alphonse X, savoir : Tin-
fant don Ferdinand, en 1275, et I'infant don I*edre, en
1319; Catherine, fllle de Jean 11, en 1424, et enrm ,
Berengere, fille de saint Ferdinand, sans compter plu-
sieurs princesses du sang royal qui prirent le voile et
vecurent, comme elle, dans ce couvent, sous la regie
de Citeaux
d'l N'otait-co pus pliiint pan'o qn'iiri huspici' ilestlin'' ;i rrcovdir los
voyiii,'Purs y rliiit aniioxe et sorvait d'olupo, imi (iiiclijiic sorte , sur la
route ilii |io'ei'iiiiige ile f'-oinposlelle ?
ii) ("lIM.I \M'\, op fit. p. 2^1.
— 282 —
j'arrive a Saint-Pierre de Cardetia , monastere do
Tordre de saint Bcnoit , situe a deux lieues de Burgos.
Son existence est anlerieure k cello de la ville elle-
meme ; nous en avons parle plus luiut, en meme temps
que de Sancbe le Grand son reformateur. La fut
enterre le comte D. Garcie Fernandez, flis de Ferdinand
Gonzalez, naort en 1005; et depuis, nous ne trouvons
mentionne aucun personnage marquant comme ayant
regu la sepulture dans ce monastere , si ce n'e^t le
heros castillan par excellence , celui que celebrent avant
tous les romanceros espagnols, en qui se trouvent per-
sonniflcs le caractere historique et la gloire dc la Castille,
le Cid Campeador , en un mot. Dans I'une des rues de
la ville , on niontre un pan de muraille sur lequel
sent sculptes deux ecussons avcc une inscription. Les
ecussons sont accoles ; I'un, entoure d'une chalne, porte
deux cpees en sautoir avec une croix brochant sur le
tout, et le second, une tour forte egalement ontouree
d'une cliaine. Ce sont les armes de don Rodrigue ou
Ruy Diaz (I) de Bivar (2), et celles de Ximene sa
femme. Quant a I'inscription, elle apprend que ce mo-
nument commemoralif fut eleve en 1784 sur les rui-
nes de la demeure du heros, qu'il mourut en 1099
(3), et que son corps fut transports au monastere de
Cardena. a Dans I'eglise de ce monastere, dit M. Alex,
de la Borde, sur le pave de la chapelle de saint Sisebute,
s'eleve le tombcau du Cid et de Ximene. Derriere ce
tombeau on lit I'inscription suivante :
« Belligcr invictus, famosus marte , triumphis ,
» Clauditur hoc tumulo magnus Didaci Rodericus ;
. Obi I era MXCIX (4). »
(1) Fils de Diegue ou Didacus.
(2) Village peu distant de Burgos.
(3) Garibay, op. cit. lib. XI, cap. XXIV, fixe cet evfenement en
1098.
[l) Alex, de i.a Boudi,, Voyage pittor. et historique de I'Espagne.
(Paris. Didot atnc, 1820), t. 11, part. 11.
— 283 —
Nous ajouterous , d'apres Garibay (1) , que don Didgue
Rodriguez de Bivar , fils du Cid, mort longtemps avant
son pere, etait inhume dans la meme chapelle de I'eglise
de Cardena.
Le recit de M. Mortier, veuillez vous le rappeler, nous
represente comme voisine de celle dii Cid la sepulture
du personnage auquel a etc ravie notre piece d'ctofTe. Cette
donnee n'est peut-etre pas a negliger. Car les rensei-
gnements ecrits sur I'entree des Fran^ais a Burgos man-
quent absolument; du moinsleshistoriensque nousavons
pu consulter sont muets au sujet des profanations qu'elle
occasionna, et ne peuvent nous servir a designer les sanc-
tuaires et les sepultures qui en ontete I'objet. Si tlonc nous
avions quelque motif d'accepter ce recit avec une sorle de
certilude, notre etude aurait un rosultat immediat, et le
fils du Cid ou le comte don Garcie Fernandez serait le
personnage que nous chcrchons. Notre etoCfe conserve-
rait alors son age venerable 5 elle serait meme plus vieille
encore do pres d'un siecle , dans Ic dernier cas. Mais ,
quelque envie que j'aie de lui conserver cet avantage
et de lui trouver un proprietaire aussi ancien que pos-
sible , je ne me crois pas de force a ajouter une garantie
nouvelle a celle qui vous a ete donnee. Le cote histo-
rique et le c6te artistique de la question qui se prete-
raient un mutuel appui , s'ils etaient resolus , demeurent
a mes yeux dans un pareil etat d'incertitude 5 sur une
base aussi mal assise , on ne pent etablir que des
probabilites.
Fallait-il , me direz-vous , pour arriver a ce beau
resultat , vous meltre en frais si grands de paroles et de
chronologie? — II y avail une erreur a relever : c'est
tout ce que j'ai voulu faire , et , ce f aisant , j'aiderai
peut-etre un autre a trouver niicux ; j'ai parcouru la
route entiere et marque les points de repere.
(1) Loc. oil.
— 284 —
Je ne finirai pas toulefois sans vous tircr de peine aii
sujet du Cid et sans vous dire ce que sont devenus ses
restes, depuis le moment oii vous les avez vus gisants
sur le pave. J'emprunterai pour cela quelques lignes b.
la relation d'un voyage effectue en ISW (1) : « Une mo-
deste salle attenant a la sacristie de la calhedrale ren-
ferrae un souvenir du fameux Cid , une vieille malle i
moitie cassee , enticremont vermoulue , dont il se ser-
vait , dit-on , dans ses voyages ou ses expeditions guer-
rieres. On lit dessus cette simple inscription : El cojre
del Cid, le coffre du Cid (2). Je dcmandai a voir le
tombeau du heros que je savais avoir ete depuis peu
transporte a Burgos. II fallut aller a la Casa de Ayun-
tamiento, c'est a dire k la maison de ville, oil ses restes
avaient ete ivovisoiiement deposes. » lis y sont en effet,
ainsi que ceux de Ximene ; tout dcrnierement, un journal
racontait qu'on venait de les decouvrir dans un
bahut. 11 n'ajoutait pas ce qu'on voulait en faire , ni
si I'oubli provisoire , j'allais dire le babut, dont ils avaient
ete precedemment honores, devait etre definitif. Quel-
que jour, belas ! ces reliques sacrees pour la Castille
seront peut-etre beureuscs , avant de retronver un tom-
beau , de rencontrer un sort semblable a celui du corps
de notre Turenne, et d'etre assez curieuses pour avoir
place dans un cabinet d'bistoire naturelle , parmi les
crocodiles et les serpents empailles'.
(1) Aug. Ghallamel, op cit., p. 38.
(2J Gakiuay, loc. cit., passe en revue los objets precieux donnes par
le Cid il I'eglisc du nioiiasterc de Cardena cl <[\xc les moines consorvaii-nt
precieuseiiient.
285 —
Leclurc dc M. Duqiieiiolle.
stance dn 13 Decern bre 1850.
Dans I'une de ses precddentcs seances, TAcadomie
a renvoye a la section de numismalique Texamen
de qiielquGS monnaies d'or.
Le rapporl dont je vais donncr lecUiro est i'oeuvre
de noire collegue M. I'abbe Qiierry. C'est a ses re-
cherches qn'est due I'atlribution exacte de ces mon-
naies Irouvees dans le mois de juillel 18o0, siir la
place publique de Yiilers-Allerand , a I'angle d'un mur
du presbylere.
Sur Ics vingt-une monnaies communiquees par M.
Midoc, on distingue six pieces anglo-fran^aises , douze
pieces franfaises, une anglaise et deux bourguignones.
Cinq monnaies anglo-fran^aiscs apparliennent a
Henri VI, roi d'Angktcrre , qui fut proclame roi de
France a Paris en novembrc 1422 , sous la regence
du due de Bedfort.
Cinq de ccs pieces sont appelees Saluts d'or. Dans
le champ de I'avers sont representees les armes ecar-
telees de France et d'Anglelerre , surmonlees de I'angc
Gabriel annon^ant I'lucarnalion a la vierge Marie,
placee a sa droite ; les deux personnages sont separes
par une bnndelette peipendiculaire , sur KKjuelle
est inscrit le premier mot de la Saluiation angelique ,
AVE ; do la le nom vulgaire qu'ont regu ces mon-
naies. Amour on lit : iiENRicus dei guacia fi^an-
CORUM ET ANGLiyE REX. — Rcvers, croix longuc, accos-
tee du le(!pard et de la lleur de lis; legende: Christies
— 286 —
VmClT, CHRISTLS REGiSAT , CHRISTUS IMPERAT ; SOUS
la croix , la leltre iniliale ii.
La 6""^ monnaie anglo-franeaise est un 1/2 noble
d'or, ainsi appele parce que le roi est reprcsenle en
costume de guerrier , porlant tie la main droite une
epee nue, et de la gauche un ecu aux armes ecar-
telees de France et d'Angleterre. Le prince est de-
bout sur un vaisseau en mer. La legende porte
IIENRICUS DEI GRACIA REX ANGLIC ET FRANCIS.
Au revers, une croix fleuronnee ; au milieu, la leltre
H^ initiate du nom royal : la croix est entouree de
leopards couronnes , legende : domine ne m furore
Tuo ARGUAS ME. Nous avous remarque que sur celte
piece le mot aisgli/E precede celui de franci.e , qui
est en tete sur les saluis d'or; nous pensons que, pour
satisfaire a I'amour-propre national, le nom du pays
oil la monnaie a ete frappee a ele mis le premier.
La monnaie anglaise est un noble d'or d'Edouard.
EDUARDIS DEI GRACIA REX ANGLLE , DUX IIIBERNLi;.
Le revers est le meme que sur la monnaie prece-
denle , seulemenl la legende dilTere. On lit : ciiristus
AUTEM TRANSIENS PER MEDIUM ILLORUM , IBAT.
Les monnaies bourguignones doivent appartenir a
Philippe le Bon , qui succeda a son pere Jean sans
Peur, en 14-19. A I'avers, on voit le lion de Flandre.
En 1427 , Philippe le Bon se ht reconnaitre comme
comte de Hainaut ; ainsi celte piece n'a pu elre frap-
pee qu'a celle epoque , et doit elre placee aussi bien
parmi les monnaies de Flandre que parmi celles de
Bourgogne , comme I'indique la legende : philippus,
DEI GRACIA , DUX BURGUNDLE , COMES FLAISDRL*;.
Au revers , I'ecu de Bourgogne ecartele de Flandre ;
Jegende : sit nomen domini benedictum.
— -287 —
Siir les (loiize inonnaies iran^aises , luiil appar-
liennenl a Charles VII, qui regna de 1422 a i-IGl.
Ce sont (Ics ecus d'or dils a la couroniie. Ecusson
royal aux irois fleurs de lis ; sur sepl de ces mon-
naies, I'ecu est accoste de deux fleurs de lis; sur
la 8°"' , I'ecu est libre. Legende au droit : cauolus
DEI GRACiA FRANCORUM REX ; revers , croix feuillee
cl canlonnee de qua Ire couronnos ; legende : ciinisrus
VINCn , CIIRISTUS REG^AT , CIIRISTIS IMPliRAT.
La 8"' , donl I'ecu est libre , porte au revers la
croix feuillee et tleurdelisee , avec une eloile ; elle
est encadree dans un cercle a ogive ileurdelisee el
cernee par quatre couronnes.
Trois inonnaies appartiennenl h Louis XI , qui
succeda a sou pere Charles VII en 1461. Ce sont
egalemenl des ecus d'or a la couronne. Au droit ,
r6cu est accoste de deux fleurs de lis couronnees;
legende : ludovicls dei gracia francorum rex. Au
revers , croix feuillee , cantonnee de quatre couronnes
dans un cercle a ogive ; legende : ciiristus vincit ,
CHRISTUS REGNAT , CHRISTUS IMPERAT.
La monuaie la plus recente est anterieure a 1483 ;
c'est de celte epoque que doit dater le depot de ce
petit Iresor.
Quoique ces monnaies generalement communes aient
peu de valeur nuraismatique , la Commission emet le
vceu que des demarches soient faites pres du proprie-
taire pour acquerir ces pieces, qui ligureront avan-
lageusement au Mus(^e de la ville.
Dans le mois de novembre 1850, TAdministralion
municipale a fait acquisition des vingt-une monnaies
qui onl ele deposees dans le medailler du Musee de
la ville de Reims. 20
— 288 —
Lecture de Jl. E. Sfaumene.
Seance du i4 Fcvricr 1851.
ANALYSES DE PIECES GAULOISES EN PLOMB ET EN OK.
Dans la seance du 15 Decenibre dernier, noire
confrere M. Duquenelle a entrelenu I'Academie de
la decouverte interessanle faiie a Reims de bandes
de ploml) coulees , decoupees a jouf et offrant une
reunion de rouelles gauloises. Ces rouelles paraissent
en plonib pur , el , pour ne conserver aucun doute
a cet egard , M. Duquenelle m'a demande d'en faire
I'anal^se.
II y a, ce me semble , de rinlerel pour les archeo-
logues et les hisloriens a connaii.re avec exaclilude
la composition de certaines monnaies ou medailles.
En effct , celte composition pourra souvent , d lUfaut
d'autres renseignemenls , servir a faire connaitre I'ori-
gine et meme , dans des limites plus ou moins elen-
dues , la date des objets rerais de temps en temps
au jour par ceux qui fouillent le sol.
On en jugera par I'analyse suivante :
La rouelle de plomb, debarrassee d'oxide, a donne :
Plomb .... 0,s'«'" 575 986
Zinc.
0, 008 \ U
Aulimoine
Cuivre . . .
Fer
0, 585 iOOO
— 289 -
Elle coniienl done environ iin el denii pour cenl
de metaux autres que Ic plorab.
Le zinc ei I'anlimoine ont seuls de rimportance.
Cos rouclles peuvent etre rclrouvees dans des loca-
liles eloignees de Reims, et la cominunaule d'origine
pourra etre reconnue , ou , si Ton vcut , confirmee,
dans Lien des cas , par la presence do ces metaux.
Voici maintenant {'analyse d'une piece d'or sur
laquelle M. Duquenelie m'a remis la note suivante :
« La piece d'or est classee par M. Lambert parmi
» les medailles symboliques de la deuxieme periode
» et rcproduilc sous le n° 18 de la planche 7 de
» son ouvrage. — C'est une medaille connue depuis
» longlemps et qui se rencontre fre(juemmenl dans
» quelques localiies. »
La piece pesait Q,^'' 085. La moyenne de deux
analyses est :
Or 505
Argent.. 245
Cuivre.. 252
1000
L'alliage a ete fail evidemment avec deux pailies
d'or , une d'argent et une de cuivre. — L'argenl
aura contenu du cuivre , et ce dernier se trouve
ainsi en exces. — L'or depasse un peu la moitie du
poids de l'alliage , parce qu'une portion du cuivre
s'est oxydee pendant la fusion et a ete perdue en
scorie.
Get alliage n'esl jamais employe aujourd'hui. La
soudure pour les bijoux d'or contient 4 d'or , i d'ar-
gent et 1 de cuivre , ou a Ires peu pres.
— 290 —
Je dois remarquer rexlreme durcle de I'alliage.
II m'a fallu loutes sortes d'efforls pour reduire la
piece en fragments. Le recuit ou la irempe ne I'ont
pas rendue malleable. Un ciseau d'acier n'a pu la
couper enlierement. Les prises d'essai onl ele failes
a I'aide des limes.
J'ajoule que les acides azotique el sulfurique el
I'eau regale altaquenl avec la plus grande peine.
La durele el la couleur , qui est ir^s belie , de-
vraient peul-elre faire employer eel alliagedans la bi-
jouterie.
— 291 —
BEAUX-ARTS.
Lecliire de ill. Max. Sulaiiic.
Seance du 24 Janvier IS^)! .
NOTICE
sur G. Baussonnet , de Heims,
Dessinateiir & poete f xvi« it xvii« si^clos ).
De ineme que Ics nalions, les villes onl Icur
epoque d'apogee, apres laquelle vient ordinairemcnt
celle d'une decadence plus ou moins rapide. Ceile
ere de lustre eprouve elle-meme aussi ses phases
de transformalion. Ainsi , dans noire cite, la pros-
perile industrielle a succede a la gloire artisiiqne
qui I'eclaira de ses rayons les plus lumincux depuis
la seconde moilie du xvi" siecle jusque vers la fin
du xvii*. Pendant celte periode, des artistes en tons
genres (irent relleter sur notre patrie I'eclal de leur
talent el de leur nom. Sculpieurs, pcinlres, gra-
veurs formaient alors une chaine non interrompne ,
commencant aux statuaires Jacques et tinissant a
Nanleuil el Helard.
Au milieu des noms qui composaient celte pleiade,
il en est un plus modeste , dont I'llluslration n'a
pas depasse peul-etre I'enceinte de nos niurs, niais
qui cppendanl nierile , a plus d'un litre, une place
- 292 —
dans CO recucil. C'esl celui dc Baussonnct, archi-
leclc el dcssinaleur , qui nous a laisse de nombreux
iravaux se rallachanl [ircsquy ions a Vhisloirc dii
pays.
Plus heureux celle fois que nous ne I'avons ele
avec la pluparl de nos autres artistes , nous pouvons
fixer d'unc maniere a pen pres certaine I'epoque de
sa naissance. Nous avons vu en effel , dans un rc-
cueii que possede !a bibliothequo niunicipalc el donl
nous aurons occasion de parler dans cette notice,
de pelils croquis deporirails, a la plume, executes
en 1589 et 1592, nlors que Baussonnet n'eiail encore
que petit ccolier an college dcs Ecreves. Ces dales
reporteraient celio de sa naissance a Tannee 1580 ,
environ.
Nous devons a eel artiste le dessin de I'ancienne
porte Basee , dale de 1602, el celui bien superieur
du rare et somptueux tombeau de saint Reiny dale
de 1655, reproduits lous deux par le burin d'Edme
Moreau , et qui orneni Thisloire de Reims de
Bergier.
Le beau I'rontispice de la premiere edition des
Grands chemins de I'empire (1) peut donner une
idee de son habilete de composition et d'execulion.
Celle piece ires remarquabic, el qui ne serait pas
desavoueo paries plus babilesdessinateurs, peut etre
consideree comme Tune des ceuvres capitales de noire
artiste. Hormis ces dessins et quelques vignettes
perdues dans des livres d'heures de I'epoque, nous
ne possederions au surplus que de rares temoignages
du talent de noire compalriote, si les recherches
'A) Etrak'nieiit de Nicolas B('rt;ii'r.
— 293 —
inlelligeiiles (J'lin hoiume a (iiii les IcUros doivoiii
beaiicoup a Reims n'avaienl eniichi notre bihliolheqiic
comiminale (i'uu rocueil tros precieiix pour nous a
lous egards.
Vers I'anuee 1856, si nous avons bonne meuioiro,
M. Louis Paris , bibliolbecaire de la ville , en fouil-
lant et retournanl Telalage d'un bouquinisle , avise,
blancbi par la poussiere, un in-folio liislemcnl aban-
donne. Son insiincl de bibliophile lui fail presserilir
un Iresor dans ces feuillels delaisses qui alliienl son
allention. Ce livre , en effel , n'ctail aulre (lu'une
collection de dessins manusc'iis ayanl |)ouf litre ;
« Desseins de Peinture, Graveure, Orfevrerie, Masson-
« nerie_, Menumrie , Tourneiie , Fenire el aulres arlz.
« De la main et. invention de G. Baussonnet , de
« Reims (1). »
C'etait une precieuse trouvaille pour noire ville si
pauvre en souvenirs de nos artistes : aussi M. Paris,
tout heureux de sa conquele , I'elala-t-il victoiieuse-
meni sur les rayons de noire biblioihequc.
Ce recucil renferme un nosnbre considerable de
dessins de touie nature. Nous y trouvoiis des crocjuis
d'armes, chilTres el ecussons C^) ; des projels d'or-
nements de inenuiserie , nia^onnerie et peinture ,
dont peul-elre quelques niaisons de noire ville con-
(1) D'apres un ri'iiSDignemciit i(ue nous devons a I'ubligeance de M.
Uuohesne , bibliophile erudil cl zele de noire ville, c'est chez M.
Cordicr, libraire antiquaire de Reims, que M Paris aurait relrouve ce
volume. M. Cordier avail en la bonne fortune de le decouvrir parnii
les rareles d'un amateur du dqiarlement.
(2) Knlre autres ceux do Dames Anno de Roucy, |iremiere abbess
de Saint-Etienne , el Huneo do Lorraine , abbesse do Saint-Picire-les
Dames.
— :29/i —
servenl encore les lr;ices (1), il des modele:. d'or-
fevrcrie el de broderies religieuses nielcs a des sii-
jels d'lin style plus eleve el a des composilions
completes.
Nous avons lemarque surloul une charmante ex-
quisse d'un tableau compose en I'lionneur de saint
Benolt pour M™' Catherine de Joyeuse, religieuse de
Saint-Pierre-les-Dames (2) ; un tres beau raodele
de fonlaine allegorique entouree de constructions
d'une architecture remarquable , el un autre dessin
mystique intitule Sacrum Palladium Remense^ el re-
presentanl , surmontee d'une coupole, la Vierge
ayanl a ses coles les qualres statues de I'antiquite,
de la prudence, de la piete el de la gloire.
Nous devons mentionner aussi un delicieux mo-
dele de lapi.»serie destine a M. de Joyeuse et exe-
cute avec une reujartpiable delicalesse. La plupart
de ces dessins sonl signes soil des initiates G. B. ,
soil du nom de Baussonnel toul entier et revetus de
dales qui pourraienl a Toccasion servir de points
de repere pour I'eiude de cello epoque de noire
bisloire. Presque toutes les grandes pieces oni ete
gravees par Edme Moreau qui , par ses Iravaux
cnlieremenl consacrcs a noire ville, avail conquis
son droit de ciloyen remois (5).
(t) Plusieurs de ces projets ont ete executes dans une raaison
appartenanl alors a M. Dorat, clianoine, et dans le choeur de
t'eglise des Dames religieuses de Saint-Etienne de Reims.
i'2l Le tableau a ele execute d'apr(^s ce dessin par Murgalle,
poinlre de Troves , en 1C22.
(5) Ednic Moreau etait de Chalons-siir-Marnc , ntais il a presque
loujours travaille a Reims el pour l^oims.
— 295 —
Nous Uouvous encore dans ce recueil la collection
curicuse des dessins , des ornemcnls , arcs de Iriom-
phe, allegories et decors de tons genres donl s'elail
paree la vieille cite lors du sacre dn roi Louis XIII ,
el du retonr de la reine Anne d'Autriche de son pele-
rinage a Notre-Dame de Liesse , en 1620 (1).
On sail que notre compatriote avaitete, conjoin-
tenient avec MM. le chanoine Dorat , De la Salle et
Bergier , charge , par le corps de rEchevinage , de
la condnite et de I'inspection des Iravanx et des
embcllissemenls.
Artiste el bel esprit , Baussonnet elait, en effel,
riiomme indispensable de ces solennites. Non seu-
lemenl on lui conliait la direction des decors , mais
c'etait a lui aussi que revenail le soin de fiiire parler
ces monuments ephemeres que le meme jour voit
s'elever et disparaiire.
Ecoutons, au surplus, ce que dit de lui son savant
collaboraleur et conicmporain Nicolas Bergier , donl
nous parlions lout a I'heure.
a Quant au sieur Baussonnet, outre la gentillesse
» de ses inventions et de la parfaicte poiilesse qui
» se voit en ses vers et comme estant fort entendu
» en tout ce qui depend de la sculpture ci peiniure,
» il eut le principal soing d'en faire mettre les des-
» sins a due et enliere execution ; ce qui vint fort a
» propos , d'aulanlqu'il n'a passeulement la specula-
» live des proportions qu'il faut observer en ces deux
» ariz ; mais aussi la pratique de cc que la [)iumc
(1) M. Maubetigp, conservateur actuel, a retroiivc recemment, perduos
dans divers cartons di; la hibliolheque inunicipale, pliisicurs autres
pieces do Baussonnet qui , reunifs an viilunio , nc fornicronl plus
qu'un spul coi'ps.
— 296 -^-
« peui rendre en poesie et en pourlraiclure » (1).
Voici maintenanl quelques uns de ces quatrains ,
stances ou sonnets composes par noire artiste , et
dans lesqiiels s'epanouissait en rimes plus ou moins
heureuses Tenlhousiasme officiel de nos bons ayeux.
Sur I'une des faces d'un arc de Iriomphe consacre
a I'anciennc ville de Troie , donl on prelendail que
Reims tirait son origine (ce qui, par parenthese ,
nous semble un peu hasarde ) , on lisait du cole droit
les vers suivants :
« Reims remet la grand Troye en sa gloire premiere,
« Piiijqu'au temps que les Grecs la privaient de lumierc
« Reims naqiiit plus luisante et pour Troye et pour soy ;
« Si Ton les voit liriiler, c'est de diverse flarame ,
« Car Reims brule en son cceur de I'amour de ses roysj,
<■ Et Troye en ses palais pour I'amour d'une fcmmc.
El sur le cote gauche :
« Reims est un grand amas de singularitez ,
« Un modele parfait des plus braves cites ,
. Un lyce?, de tous arts un tris fecond parterre ;
» Si voit-elle anjourd'hui le comble de son raieux
« Voyant oindre sou roy le plus grand de la lerre
« Uu saint chresme cnvoye par I'empereur dt^s cieux. »
Conlre une fausse poite elevee sur un pelit ilol
lorme par la riviere, on avail ojuslc un grand ta-
bleau repre>ontant la Nymphe de la Vcsle. Voici
comment Baussonnel faisail parler noire Naiade
Champenoise:
a Je retarde le cours de mos flots argeiiles
„ Pour admirer mon roy , dout les jeanes beautes
« Couvrent une vertu qui n'a point de seconde.
. Mnn Roy , qui tout parfait a ja I'Smc , le cneur ,
(1) Le Bouquet roijal , p.ir M N. ISergier ; Reims, cho/, Simon lio
Fois[ny , Wt"i.
— 297 —
« La bonle , les altraits , le courage vainqucur
« De sou p6re, qui fut la inervcills dii monde. »
Un aiilne qui avail cru miraculeusement dans les
joints de pierres d'lin deversoir , voisin du ponl-levis
de la porle de Vesle , clalail joyeiisement ses rameaux
verls ail soleil. Au milieu do toutes ces merveilles ,
le pauvre arbre ne pouvait resler muet. Aussi s'em-
pressa-t-il a son lour de faire en ces lermes son
complimenl au prince :
« Assis sur cclte picrre dure
» Jfi vis de la fraicheur des eaux ,
» Et Phoebus nuit a ma verdure
« Quand il prend ses plus chauds flambeaux.
« Mais aujourd'hui j'ay d"avcDlure
« Un heureux change en ma nature ;
« Car si la trop cruelle ardeur
« De Phoebus me tue et m'offence ,
« Je revis voyant la spleudeur
I De Louis le soleil de la France. ■
Dans une inscription qui s'etalail glorieusemenl
sur un arc de iriomphe eleve en I'honneur des
trois rois, Salomon, David el Josias , notre com-
palriotc s'elait eleve jusqu'au sonnet. Cel epouvanlail
des poetes de lepoque, qui ne I'abordaienl qu'avec
une sainie lerreur , n'avait nullement effraye le notre.
La fortune, qui sourit aux audacieux , n'a pas ele,
comme on va le voir, trop cruelle pour la muse de
notre artiste. Voici son sonnet :
« David eut son printemps d'une force admirable ,
« Salomon eut le sien plein de sage action ;
« .losias I'eut si prompt h la devotion ,
<• Que sa piete reste a toujours memorable.
•< Grand Louis , joins ton los a leur l«>s perdurable ,
« Kn prcnaut pour miroir lour grand perfection ,
— 298 —
. Et te moulaul sur cux avec affection ,
« Tu seras uri roy seul i trois rois comparable. ;
« Si hi veux pour modfele un roi de ton pays ,
. Au lieu de ces trois rois pren ton grand sainct Louis,
" Lui de qui I'age enlier a leur printemps ressemble.
• Car en le prenant seul pour objet de tes yeux ,
" Tu seras anssi fort, aussi sage et pieux,
• Que David , Salomon, et Josias ensemble.
Cerles , comme pensee el comme facture , ces vers
valent aulant et beaiicoup mieux peut-etre que bien
des sonnets du temps , ires vanles el Ires a la
mode.
Notre celebre sculpleur Jacques avail execute pour
celle solennile une belle slalue represenlanl la France.
Elle eiail supporlee par un piedestal donl les qualre
laces elaienl enrichies d'inscriptions. — Les deux
suivanlcs elaienl dues a I'imaginalion de noire poete.
Sur Tun des coles on lisail :
« Deja mes beaux jours esclaircis
' Semblaieul devenir obscurcis,
« Retombant dans leur uuit premiere ;
« Mais le lever de mon soleil,
« Astre d'un aspect nompareil,
« Change cette nuit en lumiere.
El sur I'aulre :
« Quand les fiers autans ray-brillez
" Rendraient les rochors ebranlez ,
« Leur soufHe me m'est qu'un zepliire
, « Puisq'ie je vols mon jeune Atlilas
'< Si bien porter sans 6tre las
« Le pesant ciel de mon empire. »
Tous ces vers, en resume , ne soul ni beaucoup
au dessiis. ni beauconp au dessous do ces rimes de
s
— 299 —
circonslance que riraaginalion des poetes meltait au
service des ceremonies d'apparai, et qui n'affichaient
pas de grandes pretentions a rimmortaiite.
II ne faut done pas se montrer trop severe pour
la muse de Baussonnet qui parfois^, au surplus, et
quand die pouvail se degager de ses enlraves ofB-
cielles, ne manquait ni de verve ni de sensibilite.
L>a bibliotheque nalionale de Paris possede un ancieu
el curieux manuscril dont Texistence , ainsi qu'on va
le voir, est precieuse pour nous a plus d'un titre. Ce
livre, enrichi de lines el delicales vignettes, comme
on les faisail alors , esl un roman de chevalerie
intitule Trdile et Grise'ida , et qui a appartenu a
notre celebre abbe De la Salle (]).
Des liens d'affeclion unissaienl Baussonnet el Til-
lustre fondateur des ecoles chretiennes; el ce dernier
re?ut plus d'une fois peul-etre de ces confidences
qu'on ne depose que dans le sein d'un ami.
Noire compatriote avail eu des peines de cceur
( les artistes n'en sonl pas exempts), el un jour que
la lecture du roman de son ami avail sans doute
ravive en lui des blessures saignanies encore, il
lui rendail le livre avec ce sonnet ecril de sa main
sur le premier feuillet:
« 0 qu'amour est cruel et cruelles ses armes ,
« Que ses coups sont divers et divers ses cffets !
« J'en suis temoin, La Salle, et ces tristes portraits
• Que je te rends baignes du ruisseau de mes larmes.
• Ce ujauvais , par I'effet d'un bel ceil plein de charmes ,
« M'a mis comme Troile , an rang de ses subjects;
(1) J. B. De la Salle, fondateur des freres des ecoles chretiennes,
ne h Reims en 1651 et mort en 1119.
— 300 —
« II nous priva loiis deux de nos rares objects ;
- L'un en uq temps de paix , Toutie en un temps d'alarmes.
« Mais Troile eut un bien au cours de son malhpur;
« Car la mort lui borna sa vie et sa doiileur ,
« Aprfes qu'il eut , longtemps , son ardeur assouvie.
« Et moi qui ne recueille au cours de mes travaux
« Que le fruit malheureux de cent tourments nouveaux ,
« Plus je cherche la mort, plus je trouve la vie.
Cerles , ces vers sont charmants el laissent bien loin
derriere eux bon nombre de ces compositions de
I'epoque qui valurenl a leurs auleurs une reputation
usurpee. Cependant , nous devons le dire, I'elegance
et la facilite de leur tournure est leur moindre merite
a DOS yeux.
II y a dans ces quelques lignes , si pleines de sen-
sibiiite , tonte une bistoire , tout le secret d'une
existence brisee ; el nous doulons fort que le roman
entier de Troile el Griseida vaille cette melancolique
poesie du cceur.
G. Baussonnel mourut vers le milieu du xvii*
siecle.
Reims. — Imp. de P. Regnier.
9.
TRAVA.UX
DE
L'ACADEMIE DE REIMS.
N» i.
ANN^E 18S1 - 18S2.
TiiiMESTRE d'Avril 1854.
REIMS
P. REGNIER, IMPRIMEUU DE L'ACADIiIMIE.
1851
'iii
SOMMAIliE f)U IVHiytfiRO.
SCIENCES. — Lecture de M. J. Sormn — Sur une experience
ricenle de M. Foucault.
Lecture de M. Velly. — Notice sur la dislillation dti vin.
Rapports sur plosieurs appareils presentes par le sieur Caillet,
de Chalons-s.-Marne, par ]M. LEBauw, membre correspondant.
BEAUX-AKTS. — Lecture de M. Max. Sctaine. — Notice
sur Edme Moreau, graveur, ( xvi'-xviie siecle).
LETTRES. — Lecture de M. Mourin. — Etudes biographi-
ques. — ix« et x« siecles.
HISTOIRE ET ARCHEOLOGIE — Communication de
M. Oppert. — De V Importance historique des inscriptions asia-
tiques nouvellement dechiffrees, (Deuxicme article. )
Lectures de M- Ch. Loriquet. — Rapport sur les memoircs
de I'Academie nationale de Metz, xxxi° annee.
Note au sujet d'une lampe antique Irouvee a Grand,
( Vosges]).
SCIENCES. — Lecture de M. E. Maumene. — Mouvemenl dc
rotation dc la terre , demontrc sous les voutcs de la CatMdrale.
V '
SEANCES ET TRAVAUX
DE
L'ACADEMIE DE KEIMS.
^
a;
SEANCES
KT
TRAV4
T
J
DE L'ACADEMli: DE REIMS.
2* TRIMESTRE I.S5I. — ?,'•■ TRTMESTRE 1851,
REIMS
p. REGNIER, IMPRIMEIJR DE l'at, ADEM[E.
BRISSART-RINET , LIBRAIRE DE l'acADEMIE.
4,^^"^
w'^m
TIUVAIX l)E I;AC4I)EMIE M REIMS.
ANNEE 1851-1852.
N" 1, — Trimestre d'Avril 1851 .
SCIENCES.
Leelure dc M. J. Scriiiii.
Seance du 14 Mars 1851.
SUR IINE EXPERIENCE RfiCENTE DE M. FOUCAULT.
Messieurs ,
Un jeune pliysicien , deja connu dans le monde
scientiGque par pliisieurs Iravaux siir I'electricile ct
la lumiere, M. Leon Foucaull, vient d'allacher h son
nom une gloire durable, en irouvant dans une ex-
perience bien connue le moycn de prouver que la
lerre tourne sur elle-meme.
Ce n'est sans doule rien de nouveau a nous ap-
prendre ; mais , en rappelant quelles sonl les
II 1
— 2 —
prcuvcs que nous avions jnsqu'a ce jour du mouve-
nienl de rotation de la lerre , on verra de quelle
uiilile est I'experience de M. Foucauli , d'ailleurs si
iug6nieuse el si remarquable par sa simplicile.
La croyance au mouvemcnl de la teire est un des
fails les plus anciens de la science. L'ecole de Py-
Ihagore el plusieurs autres ecoles grecques I'admel-
taieul comme seule capable d'expliquer le mouve-
menl diurne du ciel. Mais la force des prejnges ,
ou, si Ton veul , I'absence d'une preuve malerielle,
onl cle les causes des obslacles qui repousserenl si
loiiglemps celle idee. II y a deux siecles a peine,
Galilee , moins prudent que Copernic , osa ecrire et
enseigner que la lerre n'etait pas immobile dans
I'espace. La lerre lourne , disail-il , et la preuve en
est dans I'aspecl des cieux qui nous cnlourcni. Com-
menl concevoir , en cffet , que le Goleil, Icseloiles,
ces mondes aupres desquels le noire est un atome,
s'accordent tous a tourner dans le me me temps a u lour
de nous , el quelle vitesse ne faudrait-il pas leur sup-
poser pour accomplir celle revolulion en 24heures,
vu Timmense distance qui les separe de la lerre?
N'esl-il pas plus simple el plus rationnel d'admetlre
que ces astres sonl fixes et que la lerre scule lourne
sur son axe , en sens coniraire du mouvemenl appa-
rent des corps celestes.
A ces raisons parfaiiemenl jusles , il faul dire que
Galilee m6lail des idecs Tausses : ainsi , dans la fa-
meusc experience qu'il iit sur la lour de Pise, il
n'expliquail pas pourquoi une pierre tombanl du sora-
mel atieigoait le pied de la lour. Si la lerre esi en
mouvemenl , dis^ieni scs advcrsaires , elle doit avoir
avance pendant le lemps de la chiilc , et la piorrc
— 3 —
ne participant pas de ce mouvemenl tie I'ouest a I'est,
doit tomber bien loin l\ I'ouesl de la tour.
Galilee essayait de cacher sous des siibtililes me-
taphysiques linsufiisance de sa Uieorie ; i! ne remar-
quail pas qu'au moment oii la pi«^.rre va elre lachee,
ello possede la vitesse de translation de la (our, e!
que, par suite, elle doit I'accompagner dans son
mouvement. Dc la I'erreur de ce £?rand genie, qui
voyait la verite et ne pouvait , a des esprits prcve-
nus , la demonlrer par des preuves prises sur la
terre elle-meme.
Mais , chose mervcilleuse , Galilee venail precise-
ment d'.'nventer un instrument a i'aide duquel il
pouvait demontrer aux plus incredules !e irouvement
de la terre. II venait d'invenier le pendule. C'est ,
en effet, avcc le pendule de Galilee que M. Foucault
a demonlre le fait dont rinluilion a coute si cher a
son auleur.
Supposons une boule de metal attachee a un fil
de fer, sans elaslicite ; que ce fd , long de plusieurs
metres, soit suspendu a un point immuable. Si Ton
vient a ecarter ce point^de la veriicale , et qu'en-
suite on Tabandoisne a lui-meme, il oscillera pendant
un temps assez long de cliaque cole de celte verti-
cale. La cause dc ce mouvemenl regulier, c'est
Tallraclion terreslre. Cettc altraciion le.id a ramener
le pendule vers la veriicale donl il s'ecarle ; raais
d depasse cette position en verlu de sa vitesse ac-
quise , et de la ces oscillations qui ne s'eteignent
que par la resistance dc Fair. Or, la masse attiranto
di! la terre ne changeanl pas, il est facile de concevoir
et de demontrer que le mouvement de rotation de
la terre est tout a fait indilferent an mouvement dia
— ll —
pendule. II est vrai que le poiiil de suspension est
enlraine avec le meridien dans lequel il se irouve;
mais I'orienlalion du plan dans lequel se font les
oscillations n'est pas allerec. Voila done un plan doni
la trace sur noire horizon est parfailemenl inva-
riable, et par rapport auquel on pourra apprecier
le changemeut de position d'un observaleur en mou-
vement. Si, en efl'et, Tobservaleur est emporie vers
I'orient, il lui parailra^ a lui qui se croil lixe, que
le plan d'oscillation du pendule a un mouvement
inverse vers I'occident.
C'esl ce que confirme rcxperience, II suffit , pour
bien conslaler le resultat , de placer un repere pres
du point de depart. Si le lil est assez long , ou si
les oscillations sont assez lenles , on pent remar-
quer , pour cbacune d'elles , une distance sensible
entre le point extreme de la course du pendule et
sa position precedente. On voit ainsi le plan d'oscil-
lation se mouvoir uniformcraent vers I'occident , ou
dans le sens meme du mouvement du ciel: ce qui
prouve , d'apres les considerations prccedenles , que
la lerre se meut en sens contraire, c'est a dire vers
I'orient.
II ne faut pas croire , cependant , que le depla-
cemcnt du plan d'oscillation soit juslemenl egal au
deplacemenl du meridien , il n'en est qu'uiie Trac-
tion , laquelle depend de la latitude du lieu oii Ton
opcre. Une note quo je joins ici ie mouire aisement,
a I'aide de quelques considerations geomelriques (I).
(Ij Supposons, pour fixer les idces , que le pendule oscille
primilivement dans le plan du meridien , el un observaleur
place dans ce plan , regardant le pole uord. Pour un depla-
cemenl infiniment pelil du meridien , le deplacemenl de I'ob-
— 5 —
On voit , en effel , qu"aii pole soul le~ tieplacement
serail de 1S° par heure , comme la vitesse dc rolation
de la lerre ; a I'equaleur , le deplacement serait nul ;
el a Reims, le calcul donne environ H° 1/3 par
heure.
M. FoucauU a d'abord fait son experience dans
une cave pour se mcttre a I'abri de toule perturba-
tion extericure. II I'a reproduite ensuile dans la grande
salle de I'Observaloire ; et aujourd'hui , lout Paris
pent aller voir au Panlheon un pendule de 60 metres ,
donl chaque oscillalion allesle la rolation de la lerre.
Voire section des Sciences se propose. Messieurs,
si clle peut se procurer les moyens d'execulion ne-
ccssaires , de vous faire assister incessamment a la
reproduction de I'experience de M. FoucauU dans la
giande salle du Palais archiepiscopal.
seivaleur , par lapporl au plan d'oscillalion , est mesure par
I'anglc des lieus langcntcs ;iux meridicns inenees au licii de
I'observaleur Or , eel angle est egal au deplacomeni angulaiie
du incridien , miilliiilie par le cosinus de Tangle du })lan
de I'cqualeuT et du plan tangent ( liniile du plan des deuK
taogontes ) ; ou , ce qui est la meme chose , multiplie par
le sinus de la I'alitiide. Done , apres un ieiups fini , la somcio
des angles est egale au deplaccmem angulaire total multiplie
par le sinus de la latitude.
Par exemple , !e deplacemenl angulaire elant IS" par heure
pour une latitude a il sera 15 sin \
11 est clair que ce calcul subsiste , quel que soil le plan
initial d'oscillalion , la meridienne n'ctant prise ici que coinine
ligne de reiicre.
I'our Reims , on trouve par logarithincs 16" sin ,\ = 11" 20
= M« 1/3.
— 0
Lw'du'c (Ic I!. Velly,
Seance du 27 Juin 1851.
NOTICE SUR LA DISTILLATION DU VIN.
Places corame nous le sommes (Jans un pays essen-
iiellemeiit vinicole, j'ai pense qu'il pourrait y avoir
utilite i soumeltre h TAcademie quelques experiences
auxqueiles je me suis livre sur la dislillaiion du vin.
Le via, connu dans les leraps les plus recules , a
ele pendant lonsjtemps I'apanage des tables royales.
Peu ii pen les classes elevees s'en sonl eniparees, et
I'usage de cette boisson est lellenient repaadu aujour-
d'hui , qu'il forme un des condiments indispensables
a notre systeme alimenlaire. Aussi , sa preparation
Ibrme-t-elle de nos jours une des branches les plus
imporlantes de notre Industrie agricole.
Tout le monde connail les effeis singuliers qu'il
produit sur I'economie animale. Pris moderemenl ,
son action bienfaisante se poriesur le sjsleme nerveux,
auquel il apporte plus d'activile el plus d'energie.
Pris en plus forte proportion , il le paralyse , et cela
d'une maniere si complete qu'il pent determiner la
mort dans certains cas , heureusement ce sonl les
plus i-ares ; mois i! nrrive Irop frequcmnionl qn'ii
amene la paralysie fie (ous nos niembres. J'aime'
mieux croirc , pour notre nature , qu'elle ne se rend
pas bieii compte de ces cffets singuliors , plu-
lot que de liii iaire un reproche d'inlemperance qiiand
elle en abuse. Mais comme le bienfaii oblenu sen a
Iaire oublier le mal , il s'ensuit que nous voulons
profiler du bienfaii, ce qui souvent pent nous en-
trainer trop loin.
La nature des vins varie a I'infiui , suivant la
conlree qui les produit. Les terrains meme ont une
aclion qui peul y determiner des saveurs parlicu-
lieres qui leur sont propres , ot tn foul souvent
reconnaitrc \\ provenance. C'esl a I'aide de ces indi-
calions que Ton determine generalemenl la diversilc
des crus producteurs ; dans ce cas , le commerce
lire profit a les classer par especes. C'esl la evidern-
ment ce qui constitue le commerce des vins propre-
ment dit.
Chaque esp6ce de vin soutnis a la degui-lation
donne au palais uue impression parliculiere. Ccttc
savour devienl d'autant plus sensible que le vin arrive
a un etat plus parfail de composition ; aussi , est-il
facile au palais bien exerce de recounaitre non seu-
lemenl le lieu de production , mais souvenl d'indi-
quer I'annee oii il a ele recolte.
Pendant des siecles , on a bu le vin sans savoir
ce qu'il contenait; il a fallu que la chimie vinl en
determiner les divers priucipes en les dislillanl. Elle
en a oblenu un liquide blanc , qn'oUe a d'abord
appele esprit de vin , que nous designons sous le
nom d'alcool aujourd'hui ; c'esl bi la presence de ce
corps liquide qu'il doit la propriele la plus essentielle
— 8 —
de ses eflfets sur iiolrc economic , cl c'esl siuloui a
la presence de ce corps qu'il doit la possibilitc de sa
conservation pendant plusieurs annees.
Toiites les fois que vous laissez du vin expose a
Taction de i'air libre , dans un vase quelconque,
vous le voyez bientol perdre de ses proprieies ; il
absorbe I'oxig^ne de I'air , passe a I'etal acide ; il
lourne, ce que Ton appelle vulgairement , apres avoir
perdu une portion de son alcool , et bientot sa des-
truction est complete si Texposition a I'air continue.
Si vous le soumettez , au contraire, a Taction de
la cbaleur , dans un vase clos, et que vous dispo-
siez Tappareil de manierc b recueillir les produits
volatilises, vous obtenez alors un liquide blanccomme
de i'cau , c'est Talcool plus ou moins etendu d'eau :
dans lous les cas , les resuilats sont les memes ,
sauf la proportion d'alcool dans le melange ; il n'est
meme pas de moyen plus certain de determiner la
richosse du vin en alcool. Ce dernier ne varie pas
dans sa composition ; il peut cependant se distinguer
en diverses especes , suivant la provenance des vins
soumis a la distillation , car il est ordinairemenl
d'une odeur qui peut rappeler ceile du vin employe.
Dans ce cas , on le distingue par le nom des criis
d'oii il lire son origine.
On a deji cherche a determiner la nature de cette
saveur pariiculiere des diverses especes de vin appelee
bouquet; elle provient , suivant certains chimistes, de
la formation de plusieurs ethers dans leur milieu.
Je suis assez dispose a me ranger a cette idee, bien
que la chimie ne soit pas encore parvenue a les deter-
miner d'une maniere bien certaine.
En se rendant comple de leur composition la plus
— 9 —
gcnerale , on arrive assez lacilemcnt a porter c<3
jiigement; avec le temps, les divers principes du
vin , reagissaiu dans leur ensemble , peuveul faire
comprendre ce resultat.
En reflechissant a cet ordre d'idees , je me suis
demande s'il ne serait pas possible de hater la for-
mation de ce caraclere parlicuiier a chaque espece.
Je me suis dit : les vins sonl pour la plupart acides ,
il est probable que la formation du bouquet est due,
en grande parlie , a la reaction de I'acide du vin snr
Talcool ; celle action , prolongce pendant des annees
en presence des diverses substances qu'il contient ,
peui avoir pour resultat de produire des ethers pou-
vanl eux-memes varier arinfini, suivant la propor-
tion d'alcool et des principes divers qui en forment
la base.
C'est en poursuivant I'examen de cetle conclusion
que j'ai ete amene a faire quelques essais , donl je
viens enlrelenir rAcadcrnie.
Muni d'un petit appareil distillaloire, propre a
determiner la richesse des vins en alcool , j'ai fail
piusieurs distillations, donl voici des echanlillons sous
vos yeux. Dans ma pensee , ces divers essais con-
firmeraient l'opinion,dej& emise, que le bouquet pro-
viendrait , en grande parlie , de la reaction acide sur
I'alcool el les differents principes duvin, lels que la
maiiere coloranle , I'acide acelique , le tartrate acide
de potasse , le tartrate de c.haux , le muriate de sonde,
le sulfate de potasse , le tannin , etc.
J'ai pris pour type du vin de Rilly-la-Monlagne ,
de 1848 , en bouleilles depuis dix-huii raois ; j'ai
commence par le distiller pur , j'en ai obtenu par ce
moyen un alcool dans deux operations successives,
— 40 —
la meme odeur et la raeme saveur. Ca ele la mon
point de depart.
Puis , successivemenl et dans des conditions ana-
logues , j'ai souniis ce meme vin a la distillation ,
sous I'influence de plusieurs acides pris separemenl.
J'ai procede d'abord par I'emploi de I'acide snlfu-
rique, que j'ai ajoute au vin dans la proportion de
cinq grammes par litre, puis j'ai distille. Le produit,
obtenu par cette operation, m'a fourni un alcool d'une
odeur et d'une saveur differentes de celui obtenu
par la distillation du vin pur. Une seconde distilla-
tion, dans les memes conditions, a donne un produit
idenlique ; j'en ai conclu que , dans cette circon-
stance , I'acide sulfurique avail reagi d'une raaniere
tres sensible sur les divers principes du vin soumis
a I'epreuve.
PoursuivaiU raes experiences , j'ai employe dans
une serie de distillations differents acides , toujours
dans les memes proportions que I'acide sulfurique.
Tons les resultats obtenus separement et a diverses
reprises, m'ont toujours donno de I'alcool d'une odeur
plus prononcee que celle du type de comparaison.
J'ai experimenle I'acide sulfurique , I'acide azolique ,
I'acide chlorydrique, oxalique, citrique, tarlrique. Tous
ces differents acides onl reagi dans les memes con-
ditions et d'une maniere idenlique, bien que I'esamen
le plus attentif puisse donner une difference dans
I'alcool , suivani les acides employes. En somrae il
est Ires facile de reconnaitre , dans ces differents
alcools , une odeur , un bouquet , en un mot , plus
ou moins dislincls, suivant que I'acide a ete plus ou
moins energique. Aussi , tous les acides mineraux
onl donne a la distillation avec le vin le bouquet
— 11 —
io plus prononce ; cela lient evidemmenl a leur pro-
priete plus energique , corame acides. Lcs acides
vegelaux ont fourni de I'alcool , franc de gout, cl
avec un bouquet moiiis prononce. Dans tous les cas
dejii cites , il est h remarquer que , sous ['influence
de I'acide , la distillation a presenle un alcool n'ayanl
pas la moindre odeur empyreumalique, tandis qu'il
a eie facile de la constater dans la distillation du
vin pur.
Toutes ces indications tendraietit a demontrer qu'il
y a dans ccs reactions une influence reelle de la
part des acides sur le vin , qui pounait expliquer
la formation du bouquet dans les vins de diA'crents
crus.
En reflechissant a ccs divers eflets, on est amene
naturellement a se demander si I'industrie de la dis-
tillation des vins en grand ne pourrait pas employer
ce moyen pour obtenir des alcools francs de goiit
du premier jet.
L'acide sulfurique, employe dans la proportion de
500 grammes par hectolitre , serait une petite de-
pense. Les diverses experiences auxquelles je me
suis livre m'ont demontre que, sous I'influence do
I'acide sulfurique, le degre alcoolimeirique avait ete
sensiblemcnl plus eleve que dans les dislillations
ordinaires. Je conclus que son emploi dans ces
circonstances ne pourrait qu'avoir une bonne in-
fluence sur le rendement.
Pour ceux qui connaissent la distillation du vin ,
il leur est bien demontre qu'a chaque operation
Talcool produit conserve une odeur empyreumalique
qui en cache le bouquet. Celte odeur persistc sou-
vent d'une maniere si nermanenle, qu'il faut plusicurs
— 12 —
annees [)Our la faire disparaitre. Sous rinfluence d'un
acide, suilout energique comme I'alcide sulfurique,
cette odeur ne se produil pas comme dans la dis-
tillaiion ordinaire du vin pur. C'est ce qui me porte
a penser que I'industrie pourrait Irouver profit a
uliliser cette reaction ; la depeose , par hectolitre ,
serait de 7 centimes environ , depense qui serait
largement couverte par TaugmeDlation du degre al-
cooliraelrique.
Preocccupe des resullats deja obtenus en dislillant
du vin vieux , j'ai voulu voir si j'obliendrais les
memes effets avcc le vin nouveau. J'ai done pris
du vin nouveau de Rilly , que j'ai distille pur; j'en
ai oblenu de I'alcool , qui est la , sous vos yeux ;
puis j'ai distille le raeme vin avec addition d'acide.
La difference de bouquet dans les deux alcools a eie .
comme precedemment , Ires facile a etablir.
— 13
RAPPORTS
SUR PLUSIEUUS APPAilEILS
PUfiSENTfiS PAR LE S"" CAILLET, DE CUALONS-S.-MARNE ,
Par M. LEBRUN ^ meinbre correspondant.
Seance du 27 lUai 1851.
Monsieur le President,
Je me siiis livre, sur I'invilaiion de M. le Secre-
taire general, a I'exa'.nen des irois objetspresentes ou
indiijiics par M. Caillel, de Chalons. Ces objeis sont :
i" Un appareil porlalif pour bains de vapeur ;
2" Une pompe aspiranle et foulanle pour arrose-
raenls et epuisements ;
3" Une pompe a incendie , a volonte aspirante et
foulanle , ou simplemeni foulante.
L'appareil pour chauiTer ies bains de vapeur est
simple , en meme temps que bien complet. 11 con-
sisle en une petite chaudiere de fbrdie arrondie en
lous sens, avec tuyau de depense; en quatre pieces
ariiculees pour allonger , raccourcir , elever ou abais-
ser, a volonte, le jet de vapeur. Cette chaudiere
est munie d'une soupape de siirete. A son somraet
se trouve vissee une cage, ou reservoir cylindrique,
percee d'un grand nombrc de Irous et plongeant en
partie dans le liquide. Ce reservoir est destine aux
planles aromatiques qui devraient entrer dans la
composition du bain .
— u — S
Le liquidc pent elre de 10 a H litres, nc rem-
plissani que les 2/3 de la capacite de la chaudierc,
que I'on pose sur un petit fourneau portatif.
II parait que cet appareil, destine a porter a domi-
cile les bains de vapeur, fonctionne bien ; j'ignore
s'il en existe de semblables oa d'analogues.
La pompe pour arrosements et epuisemenls se com-
pose d'une piece de fondation el d'un corps servant
de recipient, en 2 pieces en fonte.
Elle est a double mouvement , c'esl ii dire , a
balancier.
Dans le recipient soDt places deux cylindres en cuivre
mince , dans lesquels fonctionnent les pistons. Le
cuivre peul y etre tres raince, parce qu'a I'exterieur du
corps il est soutenu d'un cole par la parol demi-cjlin-
drique, en cetle parlie^ du recipient, et, de I'aulre, par
la pression de I'eau dans le recipient.
Les clapets d'aspiration sont poses a plat sur la
piece de fondation , a laquelle s'attache verlicale-
ment , an dehors , le boyau d'aspiration. Les pistons
ne ressemblent en rien a ceux des pompes aspi-
ranlcs el foulantes ordinaires ; ils sont munis de
clapeis comme ceux des pompes simplemeni aspi-
ranles. Des lors, on comprend que, au moment ou
le piston remonte , il aspire ou fait ouvrir la sou-
pape infericure pour remplir le corps ; en meme
temps les clapets du piston soni fermes , et celni-ci,
pressanl I'eau du recipient centre ses parois, lance
i'eau d'arrosement en meme temps qu'il aspire.
Unc capacite , terminanl en dome le recipient et
conlenant de I'air , fail I'office de regulatcur. Elle est
surmonlee d'un orifice hermetiqueraenl ferme , mais
— 15 —
que Ton peul ouvrir pour y iiUroduire de I'eau pour
amorcer la pompe , s'il en est besoin.
Aspirer et refouler en m6me lemps dans le meme
cylindre , et smlout au momenl ou les Iravailleurs
soulevenl le levier au lieu d'y peser de leur poids ,
serait un grave defaut pour I'emploi du travail me-
canique, s'il s'agissaitd'une pompe ordinaire a simple
mouvement. Ici , oil Ics hommes agissenl aux deux
exlreraites d'un balancier , les uns en soulevant , les
aulres en pesanl , il n'y a nul inconvenient.
La pompe fonclionne bien ; elle est simple de
construction. Elle est montee sur deux roues basses
et un avant-lrain a une seule roue. On pent la trainer
par un cbeval, ou a bras d'homme avec I'avaut-train
ou avec des leviers.
Son poids total est de o55 kil. , et )e prix , pro-
bablement , de 400 fr.
Celle pompe a servi ix des arrosements et , par-
ticulieremeni, a des epuisements de puils infecles et
alimentes, a ce qu'il parait , par de fortes sources.
Aussi , le volume effeclif par chaque coup de piston
est-il considerable (2 litres 11, produil d'un volume
eugendre de 2 litres 78). Le produit net est les 0,76
du volume engendre.
Ce produil de 76 p. "/„ , (andis quecerlaiues pompes
a iiiccndie produiseul jusqu'a 90 p. °/o , est peut-etre
inlerieur a ce qu'il aurail du elre. Dans noire ope-
ration , ou Ton a puise I'eau a 5 metres 50 ue pro-
fonclcur , la pompe n'etail tnanoeuvree que par qualre
hommes au lieu de huit , el , par consequent , elle
marcliail irop lentement.
Ceile pompe csl conslruiic ingenieusemeni dans
tous ses details , commc tous les ouvrages de cc
— 16 —
genre executes par M. Caillel ; mais je pense que
si elle (levait etre employee aux seuls arrosemenls,
elle (levrail elre de beaucoup reduite dans ses dimen-
sions , el parliculierement dans celles qui reglent le
volume de la depense. On n'a pas facilement , el
pour un Iravail de duree , huit homnies a meltre au
iDalancier. II serail , le plus souvent , preferable de
ne tirer qu'une quanlile d'eau moins considerable
dans un temps donne , moitie^ par exemple , et de
n'y employer que quatre honimes aux leviers.
J'insisterai pen sur la porape h incendie , que Ton
peut , a volonte , rendre aspiranle et foulante , ou
seuleraent foulanle. Le principe des pistons a clapels
y est le meme , mais sans avoir Tavanlage de sim-
plification qui se fait remarquer dans la petite pompe
a epuisements et arrosements.
On peut dire qu'elle est un passage pour arriver
a la petite pompe a epuisements que je viens d'es-
sayer de decrire.
Du reste , la pompe a incendie , aspiranle el fou-
lante , a deja ete menlionnee honorablement en 1849
par la Sociele d'agricultare du deparlemenl de la
Marne.
Pour apprecier a leur veritable valeur des pompes ,
il faudrait se livrer a de longues experiences com-
paratives , avec des iuslrumenls que je n'ai pas i
ma disposition. Je crois , cependanl , avoir fail res-
sortir le merile de simplicile de la petite pompe.
Quelle recompense proposer pour les trois appareils
presen(es? Je serais fort embarrasse a le dire ; mais
Je pense qu'ils peuvent meriler un encouragement.
Je V0U8 prie d'agreer , M. le President , etc.
— 17 —
BEAUX-ABTS.
Lecture de M. Max. Sulaine.
Seance du 23 Mai 1851.
NOTICE
SUR EDMi: MOIIEAU , GRAVEUR , ( XVI^-XVIl* SIECLE ).
L'ariisle qui fait le sujel de celle notice n'est
pas , il est vrai , ne a Reims ; mais il y avait fixe
sa residence a peu pres conlirnielle. De plus , ses
nomlircux iravaux , piesque enlieremcnt consacres h
i'hisloire de noire ville, lui avaient juslement acquis
son droit de cite ; ses ocuvres sont lellement liees
a uos souvenirs , que I'absence 'de son nom dans co
recueil constiluerait une iacune que nous ne pouvons
laisser subsister.
Edme Moreau naquil a Clialons-sur-Marne vers la
fin du xvi" siecle, el llorissait pendant la premiere
moitie du xvii^ II vint de bonne heure a Reims ,
el, soil que noire ville oflril un ibealre plus vaste
a son imagination , soit qu'elle lui presenlat des
chances plus probables de succes , il finii par s'y
fixer.
II 2
— 18 —
L'oeuvrc de cet arlislc ne manque pas (I'imporlance
sous le double rapport du nonibre el du merile des
pieces qui le composenl. Nous aliens nous occuper
de celles qui eoncernenl plus specialenieni noire ville.
Edme Moreau a grave irois plans de Reims. L'un
d'eux , donl le fond represente une draperie ornee
de frangcs , est enloure de vignettes representant :
la Cathedrale , le Tombeau de saint Remi , le Poriail
de Saint-Nicaise , le Bapteme de Clovis, I'Hotel-de-
Ville el les amies de la Ville avec la devise : Dieu
en soil garde.
Le second a eie execute d'apres Ic dessin de Chas-
tillon , oncle de Moreau , el qui a laisse lui-raeme ,
comme graveur , un assez grand nombre de pieces
sur Reims el les environs. A en juger d'apres une
espece de uedicace qui accompagne ce plan , il dut
6lre l'un des premiers Iravaux de noire artiste , el
comme un hommage rendu a la cite qu'd avail,
comme il le dit lui-meme , choisie pour son sejour.
Voici cetle letlre adressie a 31c'ssieurs les habitants de
la ville de Reims.
" Messieurs ,
» Ayanl faicl clioix de cetle ville pour mon sejour,
» j'ai bieii voulu vous I'aire parailre par quelque
» traicl de mon art en lemoignage de mon labeur
» el du service que je vous ai voue des Thinire on
» j'di eu riionneur de ni'approclier de vous , el
» n'ayant lien irouve de plus digne de vous etre
)) ofTerl que le pourlraicl de cetle ville , de qui vous
» eles le plus beau lustre el qui lui servez de ferme
» appui , il m"a semblc fori b propos de m'en ac-
» quitter par I'entreitite de mon burin, qui I'a trace
— 19 —
» (I'apres un dessein que j'ai renconiie, ainsi que
n M. do la Clieze vous le dira cy dessoube. Je vous
» I'offre done , Messieurs , et vous prie de le rece-
)) voir avec autaui de faveur que j'ai d'affeclion a
» me I'aire couuaitre.
» Signe : Votre Ires humble scrvileur , Edme
» Morcau , cbalounais , graveur en taille-douce. »
On Irouve en effct , an bas de ce plan , une longuc
notice sur Reims ecrite par licne de la Cheze, remois ,
indiquant qu'il faisail parlie dcs dessins de feu le
Sieur de Chastillon , oncle de notre graveur et digne
topographe du Hoi. G. Beaussonnei avail roiouche
el augmenle ce dessin (i).
Enfin , le troisieme plan de Moreau , qui est en
menie lemps le plus connu , est inlitule : Le Pour-
traict de la Vdle , Cite et Universite de Reims. II est
dale de 1653 , et signe Ed : Moreau del : et sad: Au
bas, on lit les vers suivants (2).
Je suis Reims dont les fondemenlz
Ont pris leur vrays conimcncemenlz
Quand llion fut mise en proye ,
Et Remus me donna son nom ,
Au lemps que la ville de Troye
Perdit son luslre el son renpm
Si Rome enlre ses vanitez
Vanle un nombre d'antiquilez ,
(1) Claude de Chaslillon etait de Chalons-sur-Marne , comnie
Moreau. Il naquit vers 1646 ou 1550, el signAiUnginieur to-
pographe du roij. On lui doit une foule de vues de viiles et
chateaux. Parmi celles qui interessent Reims, nous lemar-
quons : Le vieil Chateau de Reims mine ; les Chateaux de
Verzenay , Sillery , Sept-Saulx ; le rcmarquable bourcq d'Ay.
(2) M. Brissarl fils , libraire de I'Academie de Reims , publia
en 1S45 une noiivelie edition de ce "plan , lithographic par
MM. Roudie el Camuset , de Reims.
— 20 —
Dans moy mille antique s'enserre
De qui I'uu pour oindrc nos roys
Flit cnvoye du del en terre
Au plus saint prelat des Francois.
Oiilre ces irois plans , qui tous sont de pelile
dimension, notre arlisle a encore public sur Reims
un grand nombre de pieces , dont voici les plus im-
porlanles el les plus counues :
Le Portail de la Calhedralc , piece assez mediocre,
dalee de 1625.
L'H6tcl-d^-Ville , belle eslampe assez grande el
dediee ;> « Messieurs le Lieuleuant , Gens du Conseil,
Eckctim de la Villc de Rcimf,. » Les plancbes sont
conserveos a la bibliolheque municipale.
Le Portrait de Louis XIII , d'apres le bas-relief
qui orne la facade de rHotel-de-Ville, dale de 1656.
Le sacrum Palladium Rememe , assez grande piece
execulee d'apres un dessiu de G. Beaussonnel (1).
Le rare el somptueux Tombeau de saint Remy , piece
importanle, au bas de laquello on lii : Rem
Regem
Rege
Remigi (2).
Le mome Tombeau de sainl Remy , d'une pins
pelite dimension.
(1) Voir la notice sur G. Beaussonuel.
(2) Dans ceUe piece , tres curieuse et tres rare , neuf statues
servent d'ornement au Tombeau. Voici , en conimeucant par
la gauche , les personuages qu'elles representent : Clovis.
Arcliiepiscopus Remensis. Episcopus Laudunensis. Episcopus
Lingonensis. Louis XIII. Episcopus Bellovaceiisis. Episcopus
Caialannensis. Episcopus ISovivdunensis. Saiut Louis.
— 21 —
La Porte Basec , gravee po'ir I'Hisloire do Reinr;,
(le N. Bergior (i),
Un Portrait de N. liergicr , avec ces vers :
La Parque , nous privant des fruits do noire hisioire ,
N'a pourlant pu ravir ce grand Bergier Rcraois ;
Car SOD corps vit parl'arl , ainsi que lu Ic vois,
El par ses beaux diseours son espril plein de gloire
On voil , par la riomenclaliire qui precede, qu'Edme
Moreau s'est cffeciivement beaucoup occupe de noire
ville. II est certain qu'ii y a execute ses plus impor-
tants et ses meilleurs travaux^ el qu'a ce lilre nous
devons , comme nous le disons au oommencemcnl de
celle notice , le comprendre dans la famille de nos
artistes remois.
La bibliolheque nalionale possedo une bonne parlie
de I'oeuvre de Moreau. Parmi les plancbcs de colie
collection , nous avons remarque plusieurs grandes
pieces ailegoriques accompagnees de Tanagramine
HIS, el deux eslampes ires curieuses, I'une inti-
tulee : Arc de triomphe de la Mort, Taulrc dirigee
contre les Dissidents (les Protestants). Nous allons
donner la description de celle derniere.
Elle represenle un moulin construil sur une ile
llotlanle , el sur le toil duquel on voit Calvin perchc
en compagnie du diable. Une seule a'ile esl tendue de
voiles , au bas de la gravure , on lit ce sonnet :
Ce moulin que le rent de la dissension
Faisail alter au gre de celui qui le meiau ,
Quand le liborlinage el la rebellion
Abusaient ses chalands d'une esperance vaine.
(1) Ces deux derniercs pieces, egalement d'apres Beausson-
nct , ornenl I'Hisloiro de Heims de N. Bergier.
— 22 —
Le Demon du ruidi manquanl d'iiiveutioii
Pour faire que Galviu ne manque pas d'balcine ,
ittaiutenant ce moulin De tourne plus qu'a peine
Sur le pivot rouille de sa religion.
II fournissait jadis Nismes et la Rochelle ;
11 fournissait Sedan devanl qu'il fut Francois ;
Mais ne les ayant plus , il ne bat que d'une aile.
Et si Geneve enfln , connaissait ses faux poids ,
Ne trouvant plus a qui debiler sa farine ,
Musnier , asne , moulin, tout irail eu ruine.
Celle gravure , qui se vendait cliez Edrne Moreau
lui-meme . avec privilege , ne porte pas do date ;
mais ello a dii elre executee apres rannec 1628 ,
qui est celle de la souraission de la Rochelle. Elle
porte bien rempreinle el le caractere des dissensions
religicuses qui divisaient la France a cette epoque,
ct ausquelles noire artiste ne voulut pas rester
fttranger.
Le sonnet ne manque pas d'originalile ni d'une
cerldine faciliie de versification. Nous regrettons de
n'en pas connaitre I'aulenr.
Edme Moreau elait loin d'etre sans raeriie : son
burin avail de la finesse el de la legerele , el plusleurs
pieces de son recueil sonl remarquables.
N'oublions pas qu'il preceda la grande ecole fran-
?aise , el qu'h I'epoque ou il vivait, I'arl de la gra-
vure elait loin d'avoir acquis le degre de perfection
qu'il a alleint depuis.
Voici ce que dil de lui Alf. Bomardot, dans son
Histoire arlislique-archeologique de la gravure en
France :
— '23 —
« Edme Moreau etait ne a Reims (i) , il grava ot
» edita, en 1619, des vignettes ponr I'ouvrage inti-
» tule : les Roses de I' Amour celeste., par deRosieres
» de Chaudeney Son burin leger rappelle Crispin
» de Pas. En 1655 , il grava sept vignettes (2) pour
» le Dessein de I'Histoire de Reims, par Nicolas
» Rergier. On lui doit entre autres le Tombeau de
» saint Remij , aujourd'hui demoli ou mal reslaure.
» Un autre Moreau , ou peut-clre le meme , gravait
» des raodeles d'ecriture. »
(1) On sail que c'est iine erreur.
(2) Aulre erreur : il ne grava , pour celle tiisloire , que la
Porte Basee el le Tumbeau de saint Remy .
_ 24 ~
LETTRES.
Leclure de M. Hlouiin.
^TUDKS BIOGUAPHIQUES. — IX'' ET X° SIEGLB.
ItUroduclion.
Messieurs,
L'Uistoire de France a ete presque entieremenl re-
riouvelee de nos jours. D'un cote, de laborieux eru-
dits, rassemblant et coordonnant les materiaux epars,
ont eclaire de leurs savantes investigations les points
les phis obscurs, et de I'autre, de hardis penseurs
onl determine les lois philosophiqiies de son deve-
loppement. Les travaux de MM. Thierry , Guizot ,
Faiiriel, Bagnanard, Michelel, Sismondi, Henri Mar-
tin, Chateaubriant, de Baranle, etc., ont popularise
la science nouvelle. Grace a ces illusires maitres ,
dont quelques uns sonl aussi de grands ecrivains,
notre vieilie France a recouvre sa physionomie vraie
et depouilie celte apparence a la fois mensongere
el uniforme dont I'avaient revalue les hisloriens du
xvii° et du xviii' si6ele.
— 25 —
Kii general, rallenlion de ces rarcs csprits s'esl
portee de preference sur les epoqiies agitees par
quelque grande revolution. C'esl, sans doule, parce
que, dans nos commotions poliliques ou sociales ,
il se fait lout h coup unc vive luraiere , eclairanl
le passe et I'avenir, et a I'eclat de laquelle il est
plus facile de saisir et d'apprecier la marclie des
fails generaux. Ainsi, nos historiens so sont occu-
pes avec une legitime predilection de ces grands
evencmenls qui donnerent aux rois Merowings un
debris du colosse romain ; qui, apres de longues et
dramatiques luttes, lirent passer la couronne sur la
tele du clicf de I'Auslrasie viclorieuse ; qui , plus
tard, decliirerent en lambeaux I'empire de Charel-
magne et morcelerent les vieilles Gaules en 70,000
liefs; qui enfin, brisanl les entraves feodales, eman-
cip6rent a la fois la bourgeoisie et la royaule na-
lionales. Descendez plus bas encore le cours des
ages , el vous Irouverez sur chacune des grandcs
phases de noire hisloire des travaux considerables.
II est cepcndanl une rcvolulion, imporlanle cnlre
toules, que I'ecoie contemporaine n'a point ab-
sorbee avec lout le soin, tout rinlerel qu'elle me-
rite : c'esl celle qui transfera la couronne de Pepin-
le-Bref dans la famille do Roberl-le-Fprl.
II clail digne, je pense, de I'un des plus illusties
raailres, et je m'elonne qu'aucun ne Fail tenle, de
s'arreler quelques instants au ix" et au x" siecle,
et d'elever, avec la science et le genie, sur le
berceau des Capeliens, un monument qui servit de
portique a noire hisloire.
On parle souvent des qualorze sikles de noire
monarcbie. A Dieu ne plaise que je louche a la
— 26 —
venerable antiquite de nos origines. Mais il fant
cepcndant s'entendre et no pas confondre la mo-
narchie barbare des fils de Clovis , la monarchie
imperiale de Charlemagne el la monarchie vraimeni
frangaise des Capciiens. II est d'une verite aujour-
d'hui vulgaire qu'on ne peul reconnailre une France,
dans la bonne acceplion du mot, qu'a partir de la
troisieme race. Les deux premieres ont tout au plus
prepare le terrain si heureusement feconde par les
fds de Hugues Capet. La carte du pays, notre sys-
teme adminislralif, Tedifice de nos institutions, nos
moeurs publiques, notre esprit national , noire ca-
raciere, noire civilisation, notre langue, notre gloire,
tout cela nail, se forme, s'eleve, se developpe sous
les rois Capetiens (i). Je n'ai pas a apprecier (a
part directe prise par les monarques dans celie
grande oeuvre hislorique Mais il suffirait que, dans
la plupart des cas, ils se fussenl conteutes de suivre
I'impulsion populaire, pour qu'a mon sens, on les
eut appeles, a juste litre, notre dynastie nalionale.
Or, la familie Capeiienne ne date pas seulemenl
du jour oil elle s'esi affermie sur ce Irone glorieux
qu'elle ne devail perdre que de noire temps. Son
hisloire compie en dega plus de cent annees , pen-
dant lesquelles elle soutint , avec les descendants
de Charlemagne , une lutte ardenle et laborieuse.
Ce sont ces cent ans , occupes par I'enfance des
Capetiens, donl on a jusqu'ici trop neglige I'etude.
Nous avons fait comme ces peuples d'Afrique donl
les champs sont periodiquemenl fecondes par les
(1) 11 esl bien enlendu qu'en parlant ainsi, je teste dans les
doiuaines purement tiisloiiqiies et que je ne franchis |ias
1789, (late qui ouvie aussi une France nouvelle.
— 27 —
CMUx (J'uii grand ileuve , et qui n'on reclierclienl
pas la source.
II est vrai qu'au xvii" siecle el au xviii% on s'esi
vivement preoccupe de la genealogie des Capetiens.
On irouve dans la bibliolheque du Pere le Long
( tome II ), la lisle de cinquante-deux ouvrages, dont
quelques uns considerables , sur cette question. Les
Bencdiclins ont savamment resume, dans la preface
du 10" volume des historiens de France, le me-
moire le plus connu sur cctle matiere , celui de
M. de Fancemagne. Mais ce n'esl la, a coup sur,
qu'un des coles secondaires do la question. Pen
iniporte, en deiinilive , que Roberl-le-Forl ail ele
Ic pciii-fds de Willikind , suivant I'opinion la plus
probable, ou qu'il ait en pour premier aieul Cliil-
debrand , frere de Charles-Marlel , comme le pre-
tendenl les partisans de I'unile de nos races royales,
ou enfin qu'il ail tire tout simplemenl son origine
d'un boucber de Paris, ainsi qu'on le croyait vul-
gairemenl au xni" el au xiv siecles. Ce qui im-
porlerail bien davnntage , ce serail de determiner
par quelle serie de causes et de fails, une famille
d'origine obscure , supplanta les descendants d'un
I des rois les plus gloricux ei les plus populaires
j qu'ail vu naitre I'liumanite. llfaudrail eiablir, dans
loute son elendue, le sens vrai de I'avenement des
Capetiens. Mais, pour arriver a une conclusion se-
rieuse , ii est indispensable d'eludier de plus pres
qu'on ne I'a fail, le ix" et le x' siecles.
De nos jours, les ecrivains qui ont jete un coup-
d'oeil sur cette epoque , en ont fait la theorie au
gre de leur fantaisic et ont passe rapidcment. Les
uns ont vu dans I'avenement de Hugues Caj)ei le
— 28 —
denouement d'une rivalite de races el le triomphe
d'un pretendii parli national; pour d'autres, les
Capetiens n'ont represenle que la defense du sol
contre les Norihmans ; d'autres enfin ont considere
les Capetiens comme la haute personnificalion de la
feodaliie victorieuse. Chacun a donne son avis en
courant; il semble que nos hisloriens ont hate
d'entrer dans la France nouvelle et d'aller applaudir
a la naissance de la chevalerie , a I'ebranlement
europeen de la premiere croisade et au double re-
veil de la royaiitc et des communes.
Et cependant ce sujet, neglige avec un singulier
dedain, renferme . a mon avis , une de ces mines
fecondes dont les richesses devaient tenter un de
ces beaux talents, comme il s'en rencontre anjour-
d'hui , qui savent unir a I'infaligable patience de
I'erudil , le feu , la couleur , la poesie du grand
ecrivain.
Je n'ai pas la pretention d'abordcr celle lache.
Je voudrais seulement en detacher des fragments et
faire passer devant vos yeux quelques unes des grandes
figures qui dominent I'epoque et furent les princi-
paux roles dans le drame hislorique. Mais avanl de
vous les presenter, je dois tracer le cadre general
et deflnir le milieu dans lequel elles se meuvenl et
s'agilent. Je suis oblige pour cela de rappeler ra-
pidemcnt des fails bien connus.
Consideres d'eiisemble, le i\» et le x^ sifecle
portent I'empreinle d'une profondc tristesse. Les
Gaules n'avaient jamais traverse d'aussi douloureuses
epreuvps. Aussi, quand on parcourt les documents
de cetle epoque, on croii enletidre sortir de chatjue
page un long gcmissemcnt.
— 29 —
Invasions , guenes privees , famines, contagions,
tons les fleaux frappenl a la fois ou tour a lour.
Les pirates Noilhmans avaient commence leurs in-
cursions en France dans !a premiere moilie du ix^
siecle. lis les renouvelerent sans rclaclie pendant cent
cinquanle annees, bien au-dela , (juoiqu'on en ait
dit, du celebre iraile de Saint-Ciair-sur-Eple. Vers
919, apparurenl dans TEsl les premieres hordes
des Hongrois, dont la ferocile laissa dans plusieurs
provinces une si profonde impression de terreur.
M. Guizot fail remarqucr dans ses Essais que ce
qui frappe et allriste dans la lecture des documents
de la grande invasion , c'esl que rien n'y revele
I'exislence d'une nation. II semble que les Barbares
parconrcnl un desert inhabile. II n'en est pas ainsi
au ix° et au x"* siecle. Los etrangers qui viennent
piller les Gaulcs y trouvenl une societe, mais une
societe sans defense, sans energie, sans espoir. Des
que le cor d'ivoirc des rois de la mer a resonne
sur les rives incendices de la Loire ou de la Seine,
ou qu'on enlcnd dans les plaines de la Lorraine,
de la Champagne el de la Bourgogne , le galop
prccipile de la cavalerie hongroise , les populations
s'enfuient, eperdues d'eponvanle. Les paysans pous-
senl devanl eux leurs Iroupeaux ; les habjtants des
bourgs el des villes chargent sur leurs chariots
leurs objels les plus precieux ; les moincs empor-
lenl sur leurs epaules les reliques venerees de leurs
couvenls. Ce tableau, qui rap[)elie la fuiie des Re-
mains, a I'approche des daulois, si dramatiquemenl
decrile par Tile-Live, se relrouve a chaque instant
dans les legeudaires et dans les chroniqueurs. Chaque
annee, chaque saison, se reproduisaienl les memes
- 30 —
devasialions, les nienies lencurs, Ics memes miscres.
Les corsaires, reinonianl Ic cours dcs fleuves, pene-
Iraienl si avant dans I'inlericur, que Ton comple a
peine quelques vilies qui aienl ele epargnees par
les nammes. Pour se mellre a I'abri , les habitants
qui ne fuyaienl pas au loin , cherchaient un asile
dans de profonds et vastes souterrairis creiises pres
des vilhig! s ; d'autres, moins craintifs, forliliaioiil leurs
bourgades, crenelaicnt les abbayes et les egiises, el,
devores d'anxietc , guellaient du haul des clochcrs
les hordes devastalrices dispersees dans les campa-
gnes en flamme.
Aux inaux de I'invasion venaienl souvenl se join-
dro les fleaux qui sont la suite dcs miseres pu-
bliques : des maladies peslilenlielles ou de cruclles
famines emportaienl ccux qu'avaicnt epargnes les
rois de la mer cl les descendants des Huns.
A chaque heure etail reservee sa souffrance ; et,
pour comble de trislesse, les imaginations ebranlees
par de si douloureux spectacles voyaicnl apparailre
dans le ciel des signes effrayanis , presages d'un
avenir plus sombre encore.
Enlin, il arriva un jour ou la somme des maux
sembia depasser les forces humaines. Alors {'Eu-
rope chrelienne chancela sous le poids de ses an-
goisscs et perilit toute esperancc. Comrae le biichcron
de la fable, die jela la son fardeau, el s'affaissant
dans un sombre desespoir , elle attendil la inort.
Ce fut une croyance universelle que I'an mil etait
le lerme fatal marque pour la supreme catastrophe.
Voila, Messieurs, la physionomie generale et dou-
Joureusemeni monotone de cetle epoque, telle (ju'ellc;
— 31 —
esl relracee dans lous nos hisioriens. Mais si nons
IVanchissons le cadro ot que nous pendtrions au
cocur de la sociele, dans ce que Ton appelle le
monde politique , nous nous Irouvons en presence
d'un tout autre spectacle.
Dans ces jours de dct'aillanco populaire, tous n'a-
vaienl point tleclii. II elail reste quclques v.iiilanla
coeurs , luttanl conlre I'etranger et ponrsuivani la
carriere des ambitions humaines, comme s'ils croyaiont
la France elernellc.
Celle societe politique achevait de jtrendre sa
forme, completait son organisation, au prix des plus
dures experiences. Elle etait deja divisee en deux
corps disiincts, rivaux, campani, pour ainsi dire, en
presence et invoquanl des principes opposes. L'un,
c'elaii la feodalile, grandie a la faveur des mal-
heurs publics, consacree par le capiiulaire de Kiersy-
sur-Oise, ei maitrcsse en grande parlie du pays dont
elle couronnail toutes les hauteurs de ces donjons
i creneles, surgis du sol national , des les premieres
invasions normandes ; elle represenlail la force vive,
I brulale , Tindependance individuelle, I'orgueil de la
1 personnalite, et semblait porter dans son sein toutes
I les passions nobles mais desordonnees des anciennes
bandes germaines. L'autre, c'elait I'Eglise, disposant
aussi d'immenscs rossourccs materielles , enlrainant
a sa suite les masses croydutes de I'epoque el, quoique
profondemenl alteree an contact de la barbaric ,
opposant deja le droit , la loi morale, comme une
barr;ere a la violence , comme un bouclier pour
I'opprime. Cci antagonisme esl le fait essenliel du
moyen-age ; il doit se produire plus tard avec eclat
sous le uom de lullc du sacerdoce et di; I'empire.
■^•
— 32 —
]l esl (lojii sensible dans la pcriode doni je m'occnpc
el s'accusc dans unc mullitudc de fails.
Enlre ces deux puissances , enlre ces deux camps
sur lesquels so porle d'abord Ic regard philosopbiquc
de I'hislorien , s'agilent , luUenl el deperissent les
descendants de Charlemagne , non pas aussi dcge-
neres , aussi incapables que I'ont dil les flalleurs des
Capeliens ; niais souvent braves , aclifs , resolus ,
comballanl avec perseverance el presque avec genie.
Mais le mouvenienl feodal Temporle. C'est en vain
que Charles III, Louis d'Oulremer , Lolhaire, s'epui-
ient en efforts. La tecdalite, comme les flots de la
mer , moute sans cesse autour du trone Carolingien ,
qui s'abime insensiblemenl. Un jour viondra ou les
fds du grand empereur , ayanl vu lomber un a un
les fleurons de leur couronne, erreront comme des
proscrils dans le domainc de leurs ancelres.
La lutle ful longue , cependant. A quoi doit-on
aitribuer ce fail siugulier d'une race survivanl , pour
ainsi dire, k ses principes de vie? Sans doule qu'on
pent expliquer , en pariie, ce phenomene hisiorique
par le prestige qui s'allache aux vieilles royaules.
La gloire de Charlemagne vivait encore dans la
meraoire des peuples el planail comme une eglde
sur ses descendonls avilis. On se souvenait aussi ,
peul-etre , des anaihemes portcs par le pape Elienne
11 centre les Francs, s'ils mellaient sur le trone un
roi issu d'un autre sang que de celui de Pepin le
Bref. Mais , en verite , si les Carolingiens n'eusseul
en autour d'eux que ce rempart njoral , je doule
qu'ils eussent aussi longtemps arrele la feodalite
conduite a raila(|ue par I'ambilion Capelienne. lis
en avaient «n auire plus materiel el plus, sur.
1
— 33 —
Tandis que la feodalile adoplail pour chefs les fils
de Robert-le-Fort, I'Eglisc prit la defense des vieilles
tradilions et proiegea Ics lieriliers de Chailenngne.
Les chefs de celle eglise etaient les archeveques de
Reims. Aussi peut-on considcrer Reims com me la
verilahle capilale des derniers jours Carolingiens.
Cede ville est du moins le centre principal des eve-
nemenls : a vrai dire, I'hisloire de France se fait
pendant cent ans sous ses murs. Durant cetie longtie
periode, le siege archiepiscopal fut occupe par nne
suile de grands prelats que nous retrouverons bien-
tot, Foulques, lierivee, Artaud, etc., tous partisans
et champions aclifs de la cause CaroHngienne, Mais
apres ces illustres chefs de I'Eglise gallicane, il en vint
un qui oublia les traditions de son siege, et qui,
enlraine par le mouvemenl general, passa dans le
camp capetien. C'en etnit fail desormais du trone
consacre par Elienne II. L'archev6que Adalberon
ayant retire la main qui soutenail I'edifice... I'edi--
lice s'ecroula.
Telle est, Messieurs , Taction qui commence , se
developpe et se denoue, sur une scene fort chan-
geante, a travers de dramaii(iues peripelies dans la
periode qui s'eiend de la deposition de Charles le
Gros (8b7) a la captivite de Charles de Lorraine, le
dernier preteiidani Carolingien (991). J'essaierai, dans
une serie d'etudes biographiques, de vous en retracer
les phases caracterisiiques.
Un mot maintenaut sur les sources auxquelles je
puiserai. Par un bonheur qu'un singulier hasard a
reserve a notre epoque, on pent aujourd'hui, ce que
n'ont pu faire nos devanciers, interroger sur le x*
siecle un documonl du plus haul interel.
11. 3
— 34 -
Los maleriaux liislonqiies soul fort rarcs au ix" el
au x^ siecle. Qaand on a cpuise Flodoard, Aibon
de Fleury, Raoul Faber, quelqiics legcndes do Bal-
iaodistes, les lellres de Gerberi el de quelques aulrcs
personuages , les actes d'un Ires peiil uoinbre de
conciles, quelques chartes, on esi oblige de recourir
aux chroniqueurs raensongcrs el credules des xi%
XII", xiii% XIV' siecles^ ou meme aux poemos do la
meine epoque.
Deux causes pi-incipales expliquenl cetie diseile de
docuiiienls. 11 faul se souvenir d'abord que nous
sonunes aux plus mauvais jours de I'epoque la plus
lourmenlee de noire hisloire. Le sol esl morcele a
I'infini par le sysleme feodal. Chaque ville, cliaque
bourgtulo, chaque chateau, chaque nionaslere, de-
vcuu le siege d'uue pelite souveraineie, forme une
s cieic isolee, un nionde a part, sans rapports suivis
avec les contrees voi^ines. La royaute , avilie, esl
a peu pres annulee ; il n'y a plus de pouvoir public
dirigeant les inierels generaux el entretenant une
vie commune dans un vasle corps. L'histoire, ne
pouvanl se raltacher a aucun centre, perd necessai-
remenl son unite el se fraclionne corarae le teiritoire.
En outre, les relations entre les diverses parties de
la France sonl de plus en plus rares el difliciles.
Les voyages devicnnenl perilleux ; les marchanus ne
vonl d'une ville a Taulre que sous bonne escorle.
Snr chaque route, sur chaque ponl, a renlree de
chaque I'oret, aux porles de chaque bourgade, il faul
payer des droits. Heureux encore les avenlureux
voyageurs, si, du haul de quelque donjon, aire du
vautoiir feodal, ne dcsoendenl pas brusquenienl de
farouches gens d'arnies qui les dcLroussent sans merci.
85
Le fail snivanl pcul donner une idee aussi vive
qu'exacle dc cede difficuUe de commiinicalioiis. Sous
ie regne de ITugues Capet , un comte de Corbcil ,
voulant relablir le fameiix monastere de Sainl-Maur,
envoya demander I'aide de I'abbe Magal, qui s'etait
rendu celebre par la reforme de Cluny. Magal, ayanl
regu le messager, s'ecria : « N'avez-vous pas, dans
voire pays, un assez grand nombrc de monasteres ?
Pourqiioi n'y cherchez-vous pas ce que vous desi-
rez? Combien il me sera penible d'aller ehcrcher au
loin des nations etrangeres et inconnues , d'aban-
donnor mon pays et d'alleindre le voire ! » Au loin!
des nations etrangeres et inconnues ! Eii\ s'agissait d'une
distance de moins de cent lieues.
On congoit, Messieurs, il eut ele difficile, dans un
pareil eial de choses, de rassembler des renseigne-
ments hisloriques bien complels.
A eel isoleinenl politique el materiel, venail se
joindre une extreme ignorance. Pormeitcz -moi de
m'arreter un instant sur celle seconde cause de la
pauvrete litleraire de la periode que j'eiudie.
Pour apprecier I'etal des lellres au x^ siecle, il
suffit de pnrcourir la preface du qualrieme tome de
rilistoire litleraire, une de ces belles prefaces dans
lesquelles les savants Benediclins out condense, en
quelque sorte, la .science rassemblee dans leursin-f°'.
Voici ce qu'on lit aux premieres pages : « II faut d'a-
bord convenir que Tignorancc y a ele grande et foil
repanduc. . ., a peine se Irouvait-il quelques laics qui
sussent lire et ecrire....B Les Benediclins notent
qu'on Irouve, au bas d'un diplome du roi Piaoul, un
quatrain fail pour nous apprendre que ce prince savail
signer de sa propre main « II n'y avail que les
— 36 —
ecclesiasliques el les moines qui se raelassenl de
leltres. Encore la pluparl des clorcs, de I'aveu d'un
lemoin ociilaire, n'enlendaienl pas ce qu'ils disaienl.
11 est certain qu'on en voyail raremenl qui fussent en
elatde parler en public et d'inslruirc le peuple. . . Tel
etat le sort des letlres parmi le gros des ecclesias-
liques el la mullilude des laics; lei il ful aussi dans
quelques monasl^res, ces asiles les plus assures de
la lilleralure depuis sa premiere decadence. Ceux a
qui Ton donnail ordinairement radniinislralion na
savaienl seulemenl pas lire... » El un peu plus loin:
« Quant aux monaslercs, ceux qui avaient echappe
aux flaniraes et aux depredations dos barbarrs, se
irouvaient entre les mains d'abbes laics, a qui on les
avail donnes en fiefs, on qui s'en etaienl empare de leur
propre aulorile, el qui y vivaienl avec leurs femmes,
leurs enl'onts, leurs soldals el leurs chicns.. . »
Ainsi, Messieurs, I'ignorance etait a peu pres gc-
nerale; les anciennes ecoles calhcdrales etaienl presque
touies descries, el les ecoles des couvenls iransformees
en cbenils par la grossiere barbaric des abbes laics.
Cependant, au milieu de ce chaos social, convert
des lenebres de la barbaric el de I'ignorance , on
voyait, de loin en loin, briller quelques points lunii-
neiix. Les ecoles de Cluny, d'Aurillac, de Melz, de
Lorge, de Toul, de Fleury, de Luxeuil, elc.,elaienl
autanl d'asiles pour les sciences et les lellres. De
nombreux ecoliers y affluaient.
Enire lous ces foyers, encore ardents, ou I'on en-
irelenail avec soin le flambeau rallume par Charle-
magne, I'Europe emigre remarquail la grande ecole
de Saiul-!»emy de Reims. Je le constate avec plaisir,
Reims Cut, au moyen-age, une des rares ciies qui
— 37 -
siirent conserver presque toiijoiirs intact le double
depart des liberies municipales ct des lumieres inlel-
lectnelles que Rome lui avail confie. Dopuis surioul
rarcheveque Foulques, snccesseur, eii 882, dti grand
Hincmar, qui reslaura renseignemont de saint Hemy,
une serie de savants ccolatres, commen^ant avec IIuc-
bak! el Remy pour aboulir a Tillustre Gerberl, se suc-
cedercnt avec un grand eclal. On venait de fori loin
pour entendre la voix de ces grands inaitres. Dom
Mariol donne la lisle des personnages distingues qui se
formerent successivement aux lemons des rnoines de
Reims. Gerberl, dont un iivre qui a fail rtcemmcni
quelqne broil a popularise la vieille renommee, fut
le plus habile de ces ecolatres. II vii s'asseoir autour
de sa chaire phisieurs illustres disciples. Deux etaienl
destines a porter la couronne, Ollion II el Robert I"'.
Un Iroisieme, el le plus remarquable sans doulepar
son intelligence, porta, au lieu de pourpre royale.
la burc modeste des raoines. C'est le chroniqueur
Richer. Je vais iinir, par I'histoire de son Iivre, cetlc
longue course a travers le ix'^ el le x" siecle.
On sail que I'hisioire de Flodoard se lermine en
966. Gerberl, en devenant archeveque de Reims
sous Hugues Capet, chargea son disciple, le moine
Richer, de conlinuer I'oeuvre et de raconler a la
posleriie les evenemenls qui remplFsseni celie periode
si inq)ortante qui s'etend de 966 a rafferniissemenl des
rois Capetiens. Le travail ful fait, public, et parut digne
du mailre et du disciple. Mais, par une fa^dite sin-
guliere, celle chronique disparut au xv" siecle. Les
dcrnieres traces elaient restees dans Triiheme, moine
qui vivait vers 1480, el qui a ecril la chronique
d'llirsange. Le Triiheme admirail beaucoup Richer;
— 38 —
i\ (iildelui : « Clariiil hoc lempore in Gallia Riciierus,
» nionachus Rcmensis^ordinis noslri, homo sUidiosus,
» et lam in divinis scripluris quam in sccuiaiibus
» liiteris egregie doctus, ingenio proraptus, et clarus
» eloquio : qui scripsit ad Gerberlum Rhemoiiim ar-
» chiepiscopum, pulchriim et compendiosum opus de
» geslis Gailorum quod sic incipil : Oibis ilaque plaga
B quce morlalibus sese coramodara prsebei. »
Qu'elail devenu, depuis le chroniqueur d'Hirsange,
le prccieux ouvrage, Pulchruin et compenJiosuin opus?
Nul ne ie savail.. . Ce qui conlribuait a le mainienii
<]ans I'obscurile, c'est qu'on avail lini par coufondre
g6u.'!ialcnienl le Richer du x'' siecle avcc un aulro
Richer, moine Benediclin du xiii^ siecle, auleur de
la chronique de Senones.
Etifin, Messieurs, un heureux hasard a permis de
secouer la poussiere qui couvrail injusteraenl le
manuscrii du disciple de Gerberl. M. Peng, I'edileur
des Monumenta GermanicB Hislorica^ esl, com me on
sail, un de ces Benediclins modernes, qui s'occupeol,
de nos jours, a recueillir les vesligcs lilleraires du
passe. L'infaiigable savanl a I'ouiile les bibliolheques,
les archives, les depots, les collections de !a France,
de rilalie, de I'Allemagne. II est parvenu ainsi a
elever a la tradition historique de la palrie un ve-
ritable snonument.
Dans un de ses voyages d'exploration, M. Perig
visila, vers 1855, la bibliolheque publique de Bam-
berg. II Y decouvrit un venerable mannscrit portant,
en ecriture du x*^ siecle , le litre : Hisloria Richeri
Monachi , — et au-dessus, mais d'une ecriture plus
recente, ce litre plus eiendu ; Richeri monachi Se-
nensis ord. S. Benedicli libri quatuor Historiie.
(Achiry Jpicili, t. u, non convenit.)
— m —
Hcureusemetit que cette irirlication n'arr6te point
10 savant allemand, commo elle en avail sans doule
arrete beaucowp d'aalres avant iui. 11 parcourut les
premieres lignes du maniiscril of s'apergut, avec une
joie. . . d"eriidit, qu'il avail mis la main siir un Iresor.
Le mannscrit commen^ail par la phrase indiquee dans
Trilheme : Orbis ilaque plaga, &c. Le moine Rich.'^r,
I'intclligenI disciple de Gerbert , le lemoin oculaire
de la rcvolniion Cipelienne , revojail le jour apres
un si long, un si elrange oubli.
M. Perig insera Richer dans sa collccUon, en 1859.
11 clablil, avec loule Tauinriie de la science, I'aii-
ihenliciie de Touvrage. Par un bonheiir singulier, io
manifscril porle tousles caracleres d'un aulograpue, el
ni M. PerIg, ni auciin savanl , ne douleni que nous
n'ayons I'oiigiual m6aie de Richer.
Celte publication a emu loute i'Europe savante. En
France, I'lnsliUit s'cst occupe piusieurs fois de Richer.
Lo journal des savanis Iui a consacre de nombreux
arlicles. Enlin, la sociele do I'SIisloire de France a
fail publier et iraduiro, par M. Guadel, I'un de ses
membres, eel imporiant ouvrage.
On n'a snr I'auleur que les renseignements qu'il
fournit Uii-nieme dans le cours de son livre. II parle
d'ailleursfort peu desa personne. II n'esl pas un de ces
ecrivains, si nombreux a notre epoque, qui^, dans leur
naif amour-propre, se persuadenl que la posleriLese
preoccupe avec anxieie de lous leurs fails el gesles.
Qu'aurail-il, du reste, a raconter, le modesle moine,
sinon la vie commune, paisible, siudicuse, monotone,
des monasieres de Sl-Reniy ?
Son pore, qu'i! nomme Rauul, elait un partisan
ardenl de la cause Carolirigienne. II suivii, en brave
— llO —
soldat, pendant une longue et aveniureiise carricro,
la foriune changeaute do Louis d'Oulrenier el de
Lolhaire.
Sans doule, qu'avanl d'enlrer au monaslere. Ri-
cher , lout enfant , assis sur les geuoux du vieux
soldat, ecouta les longs recils des lulles qn'il devait
un jour relracer. II connut ainsi, par un des acieurs
les plus aclifs, plusieurs circonslauces, plusieurs fails
ignores du vulg.ijre.
Cost vers 969, par consequent Irois ans apres la
mort de Flodoard, conime le conjecture M. Perlg,
que Richer ful adniis dans I'abhaye de Saint-Remy.
11 dcvinl aussilot un des disciples favoris deGer-
berl, qui Tinitia a loulcs les sciences qu'il enseignait
aux applaudissemen'.s d'une partie de I'Europe. Richer
Youa a son illustrc mailre une sorie de culle. II
consacre vingt-deux chapiires a Thistoire on plulot
a I'eloge de eel homme etrange, si divcrseraent juge,
calomnie par ses conleniporains, el releve, je crois,
outre mesure, par le xix" siecle.
Le pauvre moine suivii le grand homme dans h^s
phases diverses que parcourut sa foriune. II I'ac-
compagna sans doule, suivant les ingenieuses con-
jectures de M. Lenormant, dans son second arche-
veche a Ravenne, el vecul peut-elre encore a ses
coles, lorsque le Gis du palre de Rcllias eul ele
couronne de la Ihiare, sous le nora de Sylveslre IL
Apres la mort du mailre, le moine se relira en Alle-
magne, oil il passa sos derniers jours. Celle circon-
stance explique la dccouverle de son manusciil a
Ramberg.
L'ouvrage de Richer s'elend de 888 a 995, avec
un appendice qui fournit des fails jusqu'en 998.
_ /ll -
Jc ii'ai pas lo. dessein d'apprecier ioiigucmenl celle
precieuse chronique; le travail n'esl pas a faire, et vous
me permelliez de vous renvoyer au Journal dcs savants.
Qu'il me sullise de dire que, par Tabondance des
fails el la siirete des renseignemrnls, Richer est la
source principale de loute la periode ; qu'il fait conaitre
un grand nomhre d'evcnemcnis ignores jusqu'ici, et
qu'il dsssipe robscuritc qui recouvrail certains autres.
Du reste^ si Ton considere sa haute intelligence,
son experience d'homme me!e aux affaires, son (aleni
d'ecrivain, il est a urie prodigieuse distance de lous
les auleurs de son temps.
Flodoard ne peui lui etre compare sous aucun rap-
port. On pourrait, en le pla(?ant toutefois a un degre
au dessus, (rouver quclque analogic entre lui ct Tau-
leur de I'Histoiie ccclesiastique de France.
J'ai insisle un pen longuement sur Richer, parce
qu'il est Tun des elements principaux et le moins
connu du travail que j'anrai I'honneur de vous sou-
nietlre. Je n'ai point tout dil, cependant; mais comme
il me servira habiluellement de guide, je lui lais-
scrai souvenl la parole, et quand, en passant aupres
des grands personnages que je me propose d'etudicr,
il dira un mot de lui-nieme, je le recueillerai afin
que nous fassions peu a pen une connaissance com-
plete avec le Gregoire de Tours du x« siecle.
- h'2 —
HISTOIRE ET ARCHEOLOGIE.
Commiiiiicalioii de M. Oppert,
Membre correspondant.
DE L'IMPORTANCE HISTORJQUE
DES INSCRIPTIONS ASIATIQUES NOUVELLEMENT
DfiCHiFFRfeS.
Deuxieme article.
La gramle inscriplion de Bisontoun , dont j'avais
riioiiiieui- de parler h I'Acadejnio , sc irouve gravee
sur un grand rocher sur la roule de Kirmanshah a
Egbalanc. Elle est, pour ainsi dire , rexplicatioti des
sculptures par lesquclles Darius crojail tcrrifier les
nations de son vaste empire.
On voil, sur un roc escarpe, reprcscnle leroi Darius,
suivi de deux serviieurs. Du pied gauche , le monar-
quc foule le mage pseudo-Smerdis, el devant lui se
tiennenl neuf individus ,. les bras lies au dos el la
corde au cou. Au dessus du groupe ediliani plane
Ormnzd , le hon principe , d'apres la croyance de
Zoroaslre.
Quaranle-six inscriptions d'elendue fort differente
oriient ccj sculptures giganlesques, execulees a peu
pres a 500 pieds au dessus de la route. De ces qua-
rante-six inscriptions , seize sont en langue perse ,
sept sunt congues dans Fidiome scylhique, el treize
^30 assyrien. Nous ne connaissons jusqu'ici que les
seize tableltes achemeniennes ; les traductions soul
- /i3 -
copiees par M. llawiinson , ([iii ne los veul \k\^
publier pour ne pas laisser a un aulre .sivaiil la gioiie
de clecliiffrcr Ics documents de Ninivc.
Des seize inscriptions dans I'idiome des aucicns
Perses , onze sej'vent a expliquer les figures sculp-
tees de Darius el de ses cnnemis vaincus. Les autrcs
tables, d'une longueur lout autremenl considerable,
racontetii I'histoire des premieres annees du regne de
Darius, fils d'Hysiaspe. C'est sur ces tables cl sur
les (lunnees iuieressanles qu'elles nous fournissent ,
<jue je voudrais fixer I'attenlioi) de rAcademic.
Voici ie commencement de la premiere table,
lougue de 96 lignes. Nous la donnoiis d'apres Tin-
terpretalion modifiee dans les points his plus impor-
tauts , quo t;ous avons justifies ailleurs :
n Je suis Darius grand roi , roi des rois , roi en
Perse , roi des provinces , fils d'Hysiaspe , petil-lils
d'Arsanies, Achemenide.
Le roi Darius declare : Mon pere est Hyslaspe , le
pere d'Hysiaspe esl Arsanies ; le pere d'Arsames ,
Ariaxamnes ; le pere d'Ariaxamues. Tei'spes; !e pere
de Tcispes, Achemenes.
Le roi Darius declare : C'esl pour cela que nous
sommes intitules Achemenides; depuis hongtemps nous
sommes puissanls , depuis longtemps noire race esl
une race royale.
Le roi Darius declare : Hnit de noire race furoni
rois avani moi , je suis le neuvieme ; nous elions
neuf rois en deux branches,
Le roi Darius declare : Je suis roi par la grace
d'Ormuzd, Ormnzd m'a confere I'empire.
Le roi Darius declare ; Voici les pays qui elaiene
~ hli —
sous ma dominaiion ; par l.i grace d'Ormuzfl je fus
leiir roi : la Perse, la Medie , la Snsiane, la Baby-
lonie , i'Assyrie , I'Arabic , I'Egyple , les loniens
marilimes, In Lydie , Tlonie conlinenlale, I'Armenie,
la Cappadoce, !a Parlhie , la Larangie , la Sagarlie,
I'Ariane, la Chorasmie , la Bactriane , la Sogdiane,
la Sacie (Scylhie), la Sallagydie , I'llrachosie , la
Mucie ; en toui , 23 provinces.
Le roi Darius declare ; Voila les provinces qui
elaient sous ma domination ; par la volonte d'Or-
muzd , ellos elaienl mes esclaves , elles me porlaienl
leurs trihuls ; jour el nuil on cxeculait ce qui avail
e(e ordonne par moi.
Le roi Darius declare : Cclui qui, dans ces pays,
etail eiranger, je !'ai supporie s'il elail supporlalde ;
celui qui eiail cnnemi , ctail eprouve comme il le
meritail. Par la volonle d'Ormuzd , ces pays sui-
vaienl ma loi ; ainsi que j'ordonnais , ainsi ils le
faisaient.
Le roi Darius declare : Ormuzd m'a confie I'cm-
pire , Ormuzd m'a accorde son secours jusqu'a ce
que je parvins a I'empire ; c'esl par la grace d'Or-
muzd que je liens la royaute.
Le roi Darius declare : Voici ce que je lis avant
d'etre roi. Le nomme Cambyse , fils de Cyrus, tie
noire famille , ful roi ici avanl moi. Ce Cambyse avail
un frere nomme Smerdis (Bardiga) , issu de la meme
mere el du memo p6re. Puis Cambyse tua Smerdis.
Lorsque Cambyse tua son frere , le peuple ignorail
que Smerdis ful mort. Ensuilc Cambyse allail en
Egypte. Pendant que le roi ctail en Egyple , le peuple
devinl rebelle , rimposlure fit des progres en Perse,
en Medie et dans les aulres pays.
— Il6 —
Le roi Darius declare : II y cut iin liomme , un
mage nomme Gomales; celui-la serevolla; il exisle
une moniagne nomrnee Aikadris, c'esl de lii (lu'il
s'insiirgea ; c'est le 14 du inois de Viyakhna qu'ilseie-
volta. 11 Ironipa le peiiple en disanl: « Je suis Smerdis,
le fds de Cyrus, le frere de Cambyse.w Etisuile I'l'^lal
cnlier flt defection de Cainbyse; et la Perse oi la
M6(lie el Ics autres provinces; cc ful le 9 du mois
deGarmapada qu'il ravil la royaul6 ; puis Cambyse
mourul en se blessanl lui-meme.
Le roi Darius declare : L'empire que le mage Go-
mates usurpa , avait ete a noire race depuis long-
lemps. Gomates le mage deroba Cambyse de la
Perse, de la Medie et des autres provinces ; il fit
d'apres sa volonte; il fut roi.
Le roi Darius declare : El il n'y avail ni Perse,
ni Mede, ni de notre race, quelconque qui aurail de-
pouille de sa couroni>e ce Gomates le mage. Le
peuple le craignait a cause de sa ferocile. II aurail
volouliers lue beaucoup de monde qui connaissail
I'ancien Smerdis, pour cela il aurail tue le peuple.
« Afin que Ton ne me reconnaisse pas que je ne
suis pas Smerdis, le fils de Cyrus. » Personne n'osail
dire quoi que ce ful a I'egard de Gomates le mage,
jusqu'a ce que je vins. Alors je priai Ormuzd ;
Orrauzd m'apporla son secours. Ce ful le 10 uu
raois de Bagayadis que je luai, accompagne d'hommes
fideles, Gomates le mage el les hommes qui etaienl
ses priucipaux complices ; il y a un fori uouinie
Siklhanvalis dans le pays de Nicee en Medio, c'esl
la que je le luai. Je lui ravis l'empire. Par la vo-
lonte d'Ormuzd je devins roi ; Ormuzd me confera
l'empire.
— i6 -
Lc roi Dnrius declnre ; L'empire qui avail ele
arrache a notre race, je I'ai restaure. Je I'ai rcmis
a sa place. Coninie il avail ele avant moi, ainsi je
I'ai relabli. Les aiilols que Gomales lc mage avail
reuvcrscs, je los ai restaures en sauvenr dti peuple,
j'ai relabli le monde el le ciel (Ics clianls el lc
saiiil office) ; el j'ai relabli I'ordre dans le peuple
en Perse el en Medie el dans les aulres provinces.
Comme g'avaii etc avant moi , ainsi j'ai rcslaure ce
qui eiait renvcrse. Par la volonle d'Ormu/,d , j'ai
lail loul cela. J'ai dispose tout jusqu'h ce que
j'eus<e relabli I'Etal. Je I'ai arrange par la volonle
d'Orniiizd comme g'avail etc avant moi, lorsqne Go-
males le mage n'avail pas usurpe notre pays.
Le roi Darius declare : Je fis cela aprcs que je
devins roi. »
Voiia le commencemenl de la premiere table. La
fin, comme la seconde el la Iroisieme , el enfin ia
cinquieme inscription , font I'bisiorique du regne de
Darius, fds d'Hyslaspe, jusqu'au deuxieme siege de
Babylone.
Nous avons essay6 d'etablir la cbronologie el de
la mellre en accord avec les evenements Iransmis
par les Grecs.
Darius, apres avoir vaincu le mage, avail a re-
primcr les revoltes des peuples que Tabsence de
Canibyse avail porte a secouer le joug incommode
dcs Pcrses. Les Indiens se revolterent les premiers,
commandes par un nomme Alkrina, ills d'Eipadar-
ma ; ils furenl vaincus. Mais, apres celle defaite,
une insurrection beaucoup plus redoulable eclata,
celle de Babyione. Nous savons main tenant les de-
tails de celle affaire : un nomme Naditabira pril les
j'enes du gouvcrnemeni sous le nom de Nabonchodo-
/
— Ill -
iiosor II, fils (le Nabonidc, vaincu par Cyrus. A la nou-
velle de la revolle , Darius marcha vers Babyloae ,
inais Naditabira Tallend deja sur les bords du Tigre.
Le nionarque francliii le flenve el repoussa I'insurge
le 27 du mois d'Akigada, enOclobie 3210. A. P. C.
II poursulvil son adversaire jusqu'a I'Eupbrale et lui
livra une seconde balaillc ic 2 Aiiamaka, en Dc-
cembre de la if"eme anrnk'. Cclle balaille malbeu-
reusc livre an vainqueur le chemin de Cabylone,
oil s'eiail rei'ugie le prelendu Nabonchodonosor.
N'oublions pas pourlaiil que le document de Bi-
sontoun esl une piece loute officielle, el il esicurieux
a voir que le monarque Terse parle, avec la meme
reserve de ses echecs que, dans nos jours, lefaisaiont
les gencraux Aulrichieiis elRusses, quaud il s'agissait
des Hongrois el des Tana'es. Darius dil qu'il prit
Babylone ; il raconle ce que ses generaux onl (ait
pendanl sou sejour, inais il se garde bieu de nous
dire quclles clrconslances le relinreiU si longtemps
dans la cile de Semiramis. Nous savous par Herodole
ce qu'il sail, c'esl-a-dire qu'il fallul vingt mois pour
dompier ces preiendus rebelles.
Pendant le siege de Babylone, loutes ces provinces
se soulevenl; a la tele de chacune surgil un autre
prelendant, ou, comme le monarque Perse dil, un
auire imposleur, produisant le liire legitime de ses
aucctres. Divers insurges, Omane en Susiaue, Ci-
Iralakhmes en Sugarlie , Frador en Margiane,
Arakha en Arnienie, sonl succcssivemenl vaincus par
Its g6neraux de Darius. Mais surtoul la M(^die s'arma
pour secouer le joug des successeurs de Cyru^, ct 11
faliut quaire balaillcs, livr6es en dccembre SI 8, en
mai, en aout ct en novcmbre 517 pour relablir Tor-
dre parmi les Medes levolles.
- 48 —
Cambyse avail tue son frere Siiierdis ; iriais malgre
I'aveu fail, sur son lit de mort , par U; frere denature,
le people Perse croyail a !a vie du fis piiine de Cyrns.
Un nomnie Veisdales arbore, au nom de Smerdis, le
drapeau de hi legilimite, el faillil arracher reellemenl
le scepire des mains energiques qui s'en elaienl em-
parees. Celie insnrrcclion d'un second pseudo-Smer-
dis n'esl connue quo par le roc do Bisonloiin ; aucun
histcrien n'eu a garde le souvenir, malgre Timpor-
lance de la revolle, qui fail dire au monarqnc Perse,
a I'endroit de Veisdales : all fut roi en Perse.
Ce deuxieme imposleur est aulrement energiqne
que retail le Mage. Disposant d'une armce consi-
derable, ce n'est qu'apres deux bataillcs, en mai el
en juillel 517, qu'il est aneanti par le general de
Darius, Arlaordis Mais Tinsurreclion siirvecul h celui
qui I'avaii fomenlee; il ne s'eiail pas conlenle d'amculer
la Perse ; il avail jele des armees considerables dans ies
provinces orienlalesdel'empire, el ce n'esl qu'apres
deuxbataillessuccessives, en decerabre517 etavril516,
querarmeeinsurrectionnelle est detruile. II eslcurieux
' a lire, dans le recii officiel du roi Perse, comraenl
celte.armee resista , pendant presque une annee ,
apres que le pretexle legitime de la revolie lui a eleenieve.
Darius nous raconte une derni^re tentative des
Babyloniens de regagner leur independance ; mais
la ville fut detruile. 11 nous parle d'une expedition
centre Ies Scythes; mais ce ne fut certes pas la
fameuse guerre qui a fant de ressemblance avec la
grande expedition de Russie, faiie presque sur le
meme terrain par Napoleon.
C'esl ici, apres une longue priere a la poslerite de
garder iniacles ces inscriptions , que se lermine ce
document, donl je n'ai donne que Ies details principaux.
Ii9
Lectures de M. Loriquel.
stances des 26 Juin et 25 Juillet 1851.
RAPPORT
SUR LES MfiMOIRES DE L'ACADfiMIE NA.TIONALE
DE METZ , XXXr ANNfiE.
Messieurs ,
Charge par vous , conjointement avec M, Paris,
de prendre connaissance du volume que rAcademie
de Melz vous a recemmenl envoye, et muni des
pleins pouvoirs de notre honorable collegue , je viens
vous rendre compte des travaux de celte Sociele.
Savante parmi ies plus savanles , la cile Messine
a sur nne foule d'aulres de son rang I'avanlage de
posseder dans la sience el le genie mililaire un conlin-
genl aussi nombreux qu'eclaire, dont s'enrichit son
Academic nationaie. Apres la lisle de ses membres
et I'enserable de ses iravaux , nous en avons pour
preuve Ies paroles memes de son Secretaire qui ,
dans le comple-rendu annuel , et avec I'experience
11. 4
— 50 —
des irenie-une annees d'exislence de I'Academie de
Melz , nous assure que, « sans etre complelement in-
connues sur les bords de la Moselle, les muses en aucun
lemps n'oul beaucoup hante cette sociele , inlimi-
dees qu'elles soni par les fronts calmes et froids du
chiniisie el du geomelre. » M. le secretaire avail sans
doule ses raisons pour s'expriraer ainsi; c'elail peu
poli, louielbis , qu'il nous permelle dele dire, a Tegard
de la musique, du moins, « celle museaimable elgra-
cieuse qui est loujours venue preler a TAcademie de
Metz son concours harmonieux el rehausser Teclat de
ses solenniles (1), » de la musique enfin, qui avail, celle
annee meme, les honneurs du discours presideniiel.
M. le secretaire a-l-il egalemenl raison quand il
plainl I'Academie de Melz d'avoir peu produit ? Vous
en jugerez plus favorablement. C'est beaucoup, au
reste, suivant nous, que de repandre, comme elle le
fail, aulour d'elle, Tinslruclion et les encouragements.
Les beaux-arts et I'industrie nolammeul regoivent de
I'Academie de Metz une salutaire impulsion. Des ex-
positions onl lieu, sous ses auspices, tousles deux ans
pour les premiers , de cinq ans en cinq ans, pour la
seconde,el Ton paraii s'applaudir du succes obtenu.
De plus, « repondaot, dil M. le secretaire, au voeu
qui lui en a ele exprime par I'administration muni-
cipale, I'Academie a continue ses lectures du soir,
qui, pcndanl qualre mois de I'hiver, onl reuni, Irois
fois la semaine, un audiloire aussi calme el honu6le
qu'intelligenl el sympatliiquc. » De tels soins de la
part d'une Academie sont de ceux qui satisfont le
plus aux besoins des populations, el les resultatsheu-
(1; Paroles de M. A. Malfaerbe, president : Seance du 19 mai 1850.
— 51 —
reiix qii'elle est appeleo a reciioillir, doivent la coii-
soler amplemenl, ce nous semble, de I'absence de
loul memoire en reponse aux divcrses queslions
qii'elle avail proposees ei mises au concours pour
celle annee. « Les socieies savanles , qui s'cfforcent
d'eclairer du flambeau de la science le developpemeni
des arts, les progres de I'industrie el de TagricnUure,
ne sonl pas un rouage supcrflu dans la grande ma-
cbine sociale ; et, a quelque point de vuc que Ton
se place , on ne saurait dedaigner ces iravaux ob-
scurs, celle influence lenle el cachee, donl I'eff'el est
d'aulant plus assure qu'elle s'exerce plus loin du
conflil des inlerets el des passions. » C'est encore
M. le secretaire de I'Academie de Meiz qui parle ici ;
nous ne pouvons mieux appliquer ses paroles qu'au
corps savant auquel il appartient.
Je ne suivrai pas M. le secretaire dans I'enume-
ration complete des iravaux de son Academie. Sans
parler d'objels d'une importance loule locale, d'ob-
servaiions meteoroiogiques, par exemple,de renseigne-
menissur le poids moyen des aniniaux livres a la bou -
clierie de Metz, sur I'etal de la population, sur I'ame-
lioralion de I'espece chevaline dans le pays, il y a dans
ce volume une foule de choses a I'egard desquelles je
dois , en touie humilile, me declarer incompetent. J'ai
mieux airae faire un choix approprie araa convenance,
que de me fourvoyer dans des sujets lels que ceux-ci ;
Rapport sur le lelcgrapbe electrique de MM. Scbia-
velti el Bellieni, par M. E. de Saulcy ;
Sur le daguerreotype, par M, Vincenoi ;
Sur les essais fails a Melz des produils de la
sociele du blanc de zinc et couleurs a base de zinc,
par M. Langlois ;
- 52 —
Sur des minerals de fer du deparlemenl de la
Moselle, par le memo;
Sur la maladie du froment, qualifie ble vibrione, par
M. Andre;
Memoires sur les moyens d'apprecier la situation
des exploitations agricoles, par le meme ;
Rapport de M. Genot sur les experiences faites
par M, Keinholt, relatives a la maladie des pommes
de terre.
En pareilles matieres, il m'eut ete difficile de ne
pas commellre d'heresies.
II y a d'autres travaux sur lesquels je ne puis
me taire absolumenl, dusse-je y toucher lemeraire-
meni. Ce soul ceux qui ont pour objet I'ameliora-
lion du sort des classes souffrantes, question a I'ordre
du jour depuis quelques annees surtout, mais dont,
il faul le dire, on n'aurait pas tant a s'occuper, si
les idces et les habitudes rentraient dans le calme
que prolegeaienl autrefois des institutions, soil civiles,
soil politiques, soit religieuses, sans lesquelles, suivant
nous, ii n'y a que trouble et confusion.
Une commission prise dans le sein de I'AcaderKie
de Metz avait ete chargee de constater les causes
et le degre d'insalubrite des habitations de cette
ville et des campagnes environnantes , elle devait
rechercher en outre les moyens d'y remedier. La
peintuie que fait M. le docieur Laveran des habita-
tions d'ouvriers dans la ville de Mctz, pent s'appli-
quer a toutcs les cites industrielles , et particulie-
renient a la notre : les remedes proposes, en attendant
mieux, pourraient etre les memes. Je mettrai done
sous vos veux. Messieurs , les conclusions de I'ho-
— 53 —
norable rapporteur. II pro|)oso b rAcademie de Melz :
i' D'appuyer de ses voeux la proposition faile a
I'assemblee legislative , par M. de Melun. dc donner
a I'autoritc municipale le droit de declarer inhabi-
tables les maisons insalubres;
2* D'eclairer, par des encouragemenis et des pu-
blications, les populations des canipagncs , sur les
conditions hygieniques des habitations ;
5° H'atlendre que Texperience ait pronouce sur la
convenance d'elever des maisons specialement de-
stinees aux ouvriers ;
4° Enfin , d'appeler I'attention de I'aulorile snr la
question de I'insalubrile des habitations.
La legislation, vous le savez, a con'^acre, dcpuis,
plusieurs des dispositions proposees par rAcademie
de Metz.
Apres ce rapport, vient le compte-rendu de M. de
Saint-Vincent sur retablissement d'une societe de
prevoyance dans les villes de Charleville et de Me-
zieres. L'organisaiion de cette societe se fait remar-
quer par des particulariles heureuses; elle s'est eievee
sans bruit, apr^s avoir vequ son institution de I'au-
torite locale ; elle ne dedaigne pas la religion pour
auxiliaire ; elle n'est exclusive de personne : toutes
choses donl nous felicitous fort les fondateurs de
cette association, et de celle-ci enlre aulres el sur-
lout, qu'ils n'oni pas perdu leur temps a faire des
reglements, ni depense , comme il arrive quelque-
fois, leur zele dans le travail de I'enfantement.
C'esi quelque chose, sans doute, que tous ces
merites; on pent meme produire quelque bien en
mettant en oeuvre les conclusions exposees au sein
— 5/1 -
(le I'AcadeiDie de Metz. , an sujet des habitaiions
insalubres. Mais vous conviendrez probablemenl avec
moi que le mal qui Iravaille nos populations ou-
vrieres a besoiu d'aulres remedes , quand je vous
aurai fait connaiire Teloquenl rapport de M. Faivre
sur le liviede M. Robert Guyard, intitule : Essai sur
I'etai du pauperisme en France.
« La pauvrete, dit M. Faivre, est un fait ancien,
qui a commeuce avec le monde, et qui vraisembla-
blement ne finira qu'avec le monde ; le pauperisme
est un fait nouveau, ou du moins un fait recemmont
observe, pour Icquel il a fallu inventor uu nom,
comme pour le magnetisme ou I'electricile L'i-
negalile des conditions, suite inevitable de Tinegalile
des aptitudes, est un fait naturel et divin. 11 y aura
done toujours des pauvres. La plaie sociale, designee
sous le nom de pauperisme, doit-elle pareillemcnt
exister toujours, est-elle sans remede?... » Pour
s'en rendre compie , il faut savoir d'abord ce que
c'esl que le pauperisme. L'humanite veut jouir, a dit
un apotre du socialisme. La est lout le secret du
pauperisme, que M. Faivre definit : V impatience crois-
sante des pauvres. « Du jour , dit-il , ou I'humaniie,
libra des entraves antiques , eul en outre repudie
les esperauces celestes pour aspirer esclusivement aux
jouissances de la terre , cbacun s'est dit : Pourquoi
pas moi? Une briilanlc emulation s'est emparee de
toutes les ames La masse innombrable de ceux
que leur faiblesse intcUectuolle ou physique retient
dans les rangs inferieurs , fit entendre de sourdes
menaces et s'expliqua pen a peu plus clairemenl. »
Le pauperisme , maladie nouvelle , apparaissait dans
le monde.
— 55 —
Comme remedc h ce flean , on a propose , d'une
pai'l , ie remaniemenl coiDplel dc la sociele; c'eiail
Iransformer Ie mol que nous avons cite plus haul
en eelui-ci : Vhumanite veut perir ; Ie remede n'esi
pas du gout de loul Ic monde. On a indi(iue d'au-
ires inoyens , tels que les Caisses d'epargnc , les
Associations de prcvovance plus ou raoins mutuelies,
les Cites ouvrieres , les Salles d'asile , les Creches ,
et toules les inventions de la moderne philanlhropie ,
topiques ou palliatifs, capables au plus de calmer Ie
mal et de lui faire prendre patience.
» Ce qui IVappe , coniinuc iVl. Faivrc, dans i'etnde
qu'ont faite de la situation dcs hommcs lels que MM.
Buret, Thiers, Blauqui , et avec eux I'auteur de
I'ouvrage souniis a I'Academie de Melz , c'esl que ,
plus ou moius 6!rangers par leur passe ou par leurs
convictions a la foi chrelienne, ils s'accordeiil a de-
clarer avec Iristesse que Ie mal est dans la perte de
la foi, que Ie remede est dans Ie reveil de la Ibi...
Admetlons pour un moment que I'l^^vangile soil la
regie de loutes les consciences : a I'instant ceKe soil'
de jouir s'apaise,... I'cspril de devouemenl se sul»-
slitue :i regoisme , . . . Ie riche est lenu d'aimer et
de soulager son frere Ie pauvre ; Ie pauvre , a son
tour , est tenu d'aimer el de respecter son frere Ie
riche. Un lien d'amour , qui , sous Ie nom de cha-
rite , se noue dans Ie ciel , unit enlre eux tons les
hommes , el ne fait de toules les families qu'une
grande , qu'une immense famille. Que reste-t-il en-
core . je vous prie , de ce hideux fanlome que vous
appelez Ie pauperisme ? »
Tout cela est ilil par I'honorable secretaire de
rAcademie de Melz avec Tenlrain que doniionl Ie
— 56 —
talent et la conviction. Le tableau qu'il fail de la
situation est severe; il est vrai cependanl, en partie
rill nioins et a un certain point de vue : mais esl-il
complet? Le remede indique , sans doule, est des
plus eflicaces : mais croycz-vous qu'il puisse eire
applique sans difficuites? Croyez-vous aussi qu'il n'y
ait rien de plus general a dire sur les causes du pau-
perisme, de celte impatience de toute subordination ,
de cette ardeur de jouir qui pousse les populations
hors des voies tracees par la volont6 divine et par
la main du temps? Si, par excmple , il y a per-
turbation dans les regions superieures de la sociele,
n'est-il pas raisonriable d'y remettre tout a sa place,
d'y ramcncr I'ordre, avant de toucher au desordre
des degros inferieurs? Quand tout le corps est ma-
lade^ c'esi tout le corps qu'il faut reformer et guerir ,
non pas membre a membre , mais en corrigeant le
regime general de I'ensemble et en commen^ant par
la tele. Vous voulez que I'Evangile rcdevienne la loi
(ies individus ; qu'il soil done aussi la loi des gou-
vernemenls , la loi des nations , la loi des socieles.
La morale est une : elle doit elre la meme pour lous,
regler les rapports de tous= II faut done que los
puissants se replacent dans la justice et la verite,
si vous voulez que les petils y rentrent ; et , de meme
que, suivant I'expression d'un eminent publicisle ,
il n'est p:\s au pouvoir des gouvernements qui se
sonf places dans le mal d'empecher le fait qu'ils ont
produil de realiser les consequences qu'il renferme:
ainsi , tout se remettra de soi , dans les socieles ,
naturellement et sans secousse, des que la tele aura
repris son assietle.
Les consciences n'appartieunent qu'a Dieu, le
— 57 -
pouvoir civil n'a rien a y pretendre ; mais il peul
interroger les ceuvres qui apparliennent a la loi ,
a dit M. de Frayssinous (1). C'est en suivanl cette
peosee que I'auteur du livrc examine , M. Robert
Guyard , demande , en faveur du clirislianisrae , des
lois el des manifestations ofiicielles. Pour M. Faivrc,
au conlraire , le pouvoir est un auxiliaire suspect :
il ne peut et ne doii , suivanl lui , qu'assurer a I'Evau-
gile loute sa liberie d'aclion. Ainsi se tronve posee
et jugee la question d'une religion d'etat , laquelle
exisle cliez nous en fait , vous le savez , sinon dans
le texle de la loi. II iresl pas bcsoin de vous dire,
je crois , de quel c6l6 me parait etre la logique .
La charite n'est autre que I'economie sociale pre-
nant en haul ses inspirations bienfaisanles. Nous ne
quilierons done pas les regions elevees, si nous sui-
voosM, rab!)e Marechal dans le doniaine des lelircs
'divines. II a enrichi les memoires de I'Academie de
Melz d'un travail importanl sur le bonheur des elus ,
et il a joint a celte dissertation des notes fort inle-
rcFsanles sur le Canlique des canliques.
Parlous d'abord de la disserlalion sur le bonheur
des elus. L'auieur I'a pariagee en sept chapitres ;
mais nous n'aslreindrons pas tout a fait noire ana-
lyse a cetle division.
Saint Auguslin , Boece el Danle I'aidenl d'abord
h detinir la beatitude ; il recueiile ensuite les diffe-
renles denominations que lui donne I'Ecrilure, les
divers sens attaches aux mots del el paradis , el
les traces de la croyance Iradilionnelle des peuples a
une vie future , consequence de la notion de I'im-
{i) Graiotes et esperances de ia Religion.
— 58 —
mortalile de Tame, corame de celle du bien el du
raal. Chez les Juifs , les jusies ont entrevu le bon-
heur elcrnel ; mais il apparlenait au Redempleur
seid , charge de roiivrir aux homraes la porle du
ciel , de leur reveler clairemenl ce bonheur et de
le leiir donner eu perspective.
Quanl a I'idee que les hommes se soni faite du
sejoiir et de la vie des bienheureux , nous trouvons
dans I'Eden des Juifs , dans les Champs-Elysees des
Grecs ct des Remains , dans la sphere orageuse des
Scandinaves, dans la chasse sans fin de I'lndien ,
dans les sept paradis de Mahomet , aulant de sym-
boles grossiers d'une vie future en rapport avec le
degre d'ahaissemenl moral dans lequel chaque nation
est tombee L'Eglise seule, qui possede les paroles
de la vie elernelle, possede aussi la notion veritable
de ce qu'esl le paradis.
Ici , Messieurs, nous touchons a la iheologie dans
ce qu'elle a de plus intime el de plus serieux : veuilloz
vous rappeler que je ne fais qu'analyser. Notre auteur
demonire par I'Ecriture , par les Peres, par les Conci-
les, par le sentiment des piiilosophes Chretiens, tels
que Leibnitz , les differents points de doctrine qui
concernent la b6aliliide, savoir : Fintuition surnatu-
reile de I'essencc de Dieu par les bierdieureux , sans
qu'ils puissent loutefois comprendre Dieu surnalu-
rellement ; I'inegalite de cclte intuition , selon la
diversile de leurs merites; enfin la jouissance imme-
diate de la vision beaiifique , apres la sortie du corps,
pour les ames des justes auxquelles il ne resle rien
a expier. La vision intuitive que pretendent etablir
les partisans du zoo-mag nctisme , parait a M. Mare-
chal Ires propre ^ nous donner una idee de la com-
— 59 ~
niiinion qui s'elablira dans le ciel enlrc riiommc ci
Dieu par le moyen du Verbe dieu el homme ; it on
tire natiirelleinenl un argument en faveur du dognie
Chretien qu'il vieul d'exposer, 11 rapporie ensuile
qnelques unes des descriptions qu'on a donnees du
sejour des elus ; il qualifie , en passant , la curio-
site de ceux qui voudraient savoir oia est le paradis
et dans quel etat y seront les bienheureux ; il termine
en proposant a nos meditations les sentiments que
doit inspirer aux Chretiens la doctrine de I'Eglise sur
les recompenses de la vie future, rcnfermant en trois
mots , comme saint Augustin , la substance de I'e'.er-
nelle felicile : Voir Dieu , I'aimer , le louer.
J'arrive aux notes sur le Canlique dos canliques.
II n'est pas de livre divin qui, aulanl que celui-ci,
ail fourni matiere aux interpretations. Enire les
commentaires imperlinenls de Grotius et ceux de
Bossuet , enire les petils vers galants de Theodore
de Beze et la glose du Fere de Carrieres, il y a des
degres infinis. Car tous n'ont pas le sens droit, le
cceur chaste et I'elevalion d'esprit qu'exigo une pa-
reille lecture. En verite, les Juifs etaient sages en
interdisant ce livre a leurs enfants jusqu'a i'age de
irente ans; pour ccrlaines gens meme, il eui ete phis
utile qu'il demeural lettres closes : le respect dii a
son origine inspiree y en I gagne.
M. Mar6chal avail caractere pour toucher a cetle
arche sainte, el il I'a fait a I'aide des autorites les
plus respectables. II ne s'6carte en rien de Tinter-
pretation symbolique generalement admise dans I'E-
glise universelle; ses notes et ses citations s'emploient
concurremmenl a affermii ce magnifique edilice eta
rembellir. Saint Thomas, qu'il place a tort parmi
— 60 —
les saints peres, mais qui brille au premier rang des
docteurs de I'Eglise, est la source pure a laquelleil
puise principalement. Sans avoir la prelenlion d'a-
jouter aux inlerprelalions savantes des Origene, des
Theodoret, desGregoire le Grand, des Bede, des Fro-
mout , des Louis de Leon , des Bossuel , I'auteur
eclaircit quelques points jusqu'alors indecis; nous
citerons particuiierement ses recherches sur le Nard,
sur la Sunamite, sur le symbolisme du lis et de la
rose et les applications qu'on en a failes , notam-
ment a I'eglise du Christ et a la Vierge-Mere. L'eru-
dilion liiieraire vient parfois en aide a celle du
theologien, et si, de pr6s ou de loin, quelquepoete
a repete un echo du Cantique de Salomon , M.
Marechal le recueille avec soin pour en faire jouir
ses lecleurs.
Apresles travaux de M. Marechal, que nous venous
d'analyser, le plus important memoire que renferme le
recueil de I'Academie de Metz est celui de M. Victor
Simon, qui a pour titie : Documents liistoriques sur le
verre. L'auteur, s'aidanldes ouvrages deja publics sur
ceite matiere, y joint le resullal de ses propres recher-
ches et les donnecs de la science moderne ; il en resulte
un traite a pen pres complet et plein de fails cu-
rieux sur Tinduslrie verriere depuis les temps les
plus anciens jusqu'k nos jours.
Ce que dit M. Victor Simon sur I'origine du verre
el sur son pays natal, n'est pas ce qu'il y a de moins
interessant dans son ouvrage. A ceux qui ne croiraienl
pas que de Zabulon , tribu de la Judee , sont venus
I'usage du sable et son nom ( sabulum ) , il oppose les
temoignages concordants de Pline , du Talmud el de
Maimonide; il leur montre le verre de couleur fort
— Gl —
commun eJ le verre blanc ires recherche parmi les
Jiiifs , voire merae des fenfires vitrees dans le
temple de Salomon.
De la Palestine et de la Phenicie, I'indiistrie ver-
ricre passe en Egypte : on y fait des vases a boire
de diverses coiileiirs, on y couvre de verre le pave
des temples, on y coule des statues de verre; bieniot
les Ethiopiens entourent leurs morts d'un cylindre de
verre : Alexandre le Grand n'eut pas d'autre cercueil
avant celui d'or que Ptoleraee-Lagus lui fit faire.
En Chine, le verre preceda la porcelaine.
En Grece, a Rome, on souffle, on raoule, on grave
le verre, on le decore de dorures, de fdigranes, etc.;
on le colore de toule fa?on, surtout en bleu : s'il
s'agit de verre bleu transparent, c'esl avec le cobalt;
s'il s'agit de verre opaque, c'esl avec du cuivre.
Eufln, on n'ignore aucun des secrets qui concernent
le verre el les emaux, pas meme celui de les rac-
commoder.
La Gaule rcQut de Rome tons les precedes de
celte Industrie arrivee a sa perfection. Les premiers
siecles du moyen-age nous offrent les patenes el les
calices donl parle Gregoire de Tours, les verroleries
el les eraaux que recelenl les sepultures.
L'ari de la verrerie^ qui longleraps parail sommeil-
ler, recoil de Venise, au xii' siecle, une impulsion
nouvelle. Au xiv% les objets de verre propres au
menage sonl encore rares et d'un prix eleve;
lemoin la concession faite par Humbert, dauphin de
Viennois, a des verriers, el par laquelle il se reserve
un certain nombre d'usiensiles pour son usage, lels
que : « petits verres evases, coupes a pied, amphores,
urina!s, grandes ecuelles, plats, aiguieres , salieres,
' — 62 —
iampes, chandeliers, lasses, petits barils, une grando
uef el six grandes bouteilles pour Iransporler dn
vin. »
Au temps de Palissy, le sud de la France posse-
dait de norabreiises verreries ; mais il devinl urgent,
sous Louis XIV, de venir en aide a ces etabiisse-
ments; ceux de la Lorraine, qui elaieut florissanls
des le XV" siecle , avaienl disparu sous le meme
regne, lis ne reprireut lour ancienne importance qu'au
xviu" siecle.
Les preuves qu'on a donnees de I'usage du verre
pour vitrer les fenetres a Rome, avant le iv® siecle,
sont peu concluantes. De toutes celles que M. Victor
Simon a puisees, soil dans I'histoire de I'Arl monu-
mental de Balissier, soil ailleurs, une seule me parait
avoir une ceriaine valeur, c'est la presence de chassis
vilres dans les fouilles d'Hercuhinum el de Pompei.
Encore n'en pourrait-on conclure, ce me semble, en
faveur d'un usage ires repandu avant I'epoque precitee.
Quant aux miroirs de verre, ils etaient assez com-
muns, parail-il ; Sidon el I'Egypte avaienl le mono-
pole de leur fabrication, comrae plus lard il ful a
Venise.
Nous arrivons a la grande epoque de I'art de la
fenestration, celles des vilres peinles, du xii« au xvi°
siecle et meme au xvii^. Le peu qu'on a irouvede
peinlures sur verre anterieures est sans importance
et ne saurait servir a elablir une filiation entre
Tan antique et celui du moyen-age. Les quelques
vers de Sidoine Apollinaire , qu'on cite a ce propos
sont m6me plulol applicables a la mosaique. Nean-
moins, on peut regarder comme certain que les vilres
— 63 —
en veires de couleurs assoriies liirenl employees
longtemps, avant d'aniver a Tart conlemporain de
Suger el de noire abbe de Saint-Remi , Pierre de
Colics, art dont un arlisle de Metz, M. Marechal. est
aujourd'liui Fun des reproducteurs les plus habiles.
M. Victor Simon parcourt rapidement, avec M. de
Ciatimont, les differentes periodes de I'art du peinlre-
verrier, puis il aborde celui de I'emailleur. II nous
nionlre ce dernier successivement en lionneur dans
Id Phenicie, I'Egyple, la Babylonie, la Grece, I'Elrurie,
la Gaule , la Chine et la Perse. Au moyen-age ,
Constantinople, Venise et I'llalie, la France et surtout
Limoges, porlerent au plus haul point de perfection
I'art des emaux ; les faii-nces^ les gres emailles de-
vinrenl en France, en Flandre, en Hollande, une
branche de commerce des plus importantes.
Les mosaiques enfin, dans lesquelles entrerent sou-
vent le verre el les emaux, sont de la part de I'autcur
Tobjel d'un chapltre fort curieux. Apres les beaux
modelcs de mosa'ique ancienne, il rappelle les mor-
ceaux precieux que possedaient Sainte-Sophie de
Constantinople, Saint-Marc de Venise, le palais de
Ravenne et Sainl-Remi de Reims. II passe ensuite
par les mosaiques florenlines en marquelerie, a celles
de Saint-Pierre de Rome, et aux procedes nouveaux
dont Tarl s'esl enrichi.
Ceci ne veut pas dire absolument que I'art moderne
ait tout invenle ou nieme perfeciionne. On en sera
convaincu en lisant le chapilre de M. Victor Simon,
qui concerne les verresgrossissanls. On y verra qu'on
se servait de pareils verres des le temps d'Aristo-
phane, pour obtenir du feu. Quant aux lunettes
d'approche et aux besides , il serail diflicile d'en
- 64 —
preciser I'origine ; mais les ancieos savaienl filer le
verre, ils s'en servaient pour imiter les pierres gra-
vees , ils donnaienl a leurs statues des veux d'email
et de verre ; enlin, Ton n'a pas oublie la sphere de
verre d'Archimede.
La devitrification du verre est pour I'auteur I'oc-
casion d'observations archeoiogiques tres importanles.
II lermine par I'enumeration de quelques con-
structions en verre, produil fortuit de la presence
de matieres vitrifiables qui ont survecu aux mate-
riaux ou friables , ou combustibles , d'anciennes con-
structions dont elles occupaient les interstices. C'est
en France , en Lusace , ot surtoul en Irlande el en
Ecosse, que se irouvent ces constructions en verre.
Au moment ou M. Victor Simon ecrivait ce chapitre,
le palais de cristal n'avail pas encore ouverl I'ere
des exhibitions gigantesques , au moyen d'incommen-
surables chassis de verre. II a toutefois sa petite
exposition a lui , si je puis m'exprimer ainsi , car
son travail est accompagne d'une fort belle planche
reproduisant au trait une curieuse suite de vases el
d'anneaux en verre de diverses epoques , dont I'ori-
gine est grecque ou gallo-romaine.
L'archeologie a fourni a I'Acaderaie de Metz d'au-
Ires memoires d'une moindre importance, dont plu-
sieurs neanmoins meritenl une mention. Telies sont
les « Reflexions de M. Clercx sur le sceau d'or ap-
pose par Francois de Guise au bas d'un brevet
accorde a I'abbaye de Saint-Arnould » el la Note
de M. Charles Robert sur des monnaies de Postume,
decouverles, en septembre '1848, aux environs de
Pont-a-Mousson. Ces monnaies, parmi lesqcelles s'en
faisaient remarquer quelques aulres , du m' siecle
— 65 —
egalcinenl , claienl an nombre dc 207. Les revcrs
assez varies , dont M. Ch. Robert donne la descrip-
tion, sont les rneines qu'on obliul dans la trouvaille
de Danicry en 1850. Or , quand on se rappelle I'elat
des monnaies trouvees a Damery , rinegalite des types
et i'incorreclion barbare d'nn grand nombre, due
principalement au mode grossier de fabrication, il
y a lieu de s'etonner des eloges que M. Ch. Robert
donne a I'un des deniers de Pont-a-Mousson , qui
rappelle, dil-il , le beau temps de la gravure antique
el prouve que Postume restaura dans les Gaules les
arts liberaux. Je n'enlcnds pas contester, du reste,
le merite des monnaies d'or de ce prince, dont la
perfection accuse, comme le dit Eckhel, la presence
d'arlisles habiles a sa suite.
De son cole, M. le colonel Ulrich a rendu comple
de la trouvaille faile dans le Ras-Rliin d'un certain
nombre de monnaies du moyen-age. II n'a pas voulu
que nous ayons a le croire sur parole ; une belle
planche vicnt en aide a sa description ct permet d'en
conlroler I'exacuUide. La plupart de ces monnaies
apparlicnneni aux villcs de Melz ct de Strasbourg.
Leur elai n'a pas toujours permis a I'auleur d'en
juger parfailement tous les details. C'est ainsi qu'au
iroisieme type des gros de S'-Elienne de Metz , une
volute, suivant lui , remplace la main du saint diacre
el son de son vetement , landis qu'il lallait y voir
une main porlant lesoffrandes des fiddles, indice carac-
terisiique du diaconat , lout comme la palme tenue
par I'aulre main indiquait le martyr. D. Calmet ( Hist.
de la Lorraine , l. ii , pag. cxx , pi 8 et seq. ), au
besoin , aurait fourni ce renseignement a I'auleur. 11
I'aurail aide pareillement a completer la legended'une
II. 5
— 66 —
pelile piece d'argent , de forme carree a angles arron-
dis , faussemenl altribuee par lui a Tun des eveques
de Melz, Je la donne ici , telle que j'ai pu la de-
chiffrer moi-meme sur un echantillon d'une meilleure
conservation.
Au droit, THEODERICvs EPiscopvS ; au revers ,
disposes en croix , les mots MARIA VIRGO. Cetle
monnaie , qui est assez repandue dans la Lorraine ,
ne peut convenir qu'a I'eveque de Verdun, Thierry,
qui vivail de 1047 a 4090 : I'eglise cathedrale de
Verdun eiaii la seule de la Lorraine qui fut placee
sous I'invocalion de la Vierge ; le faire et Tecrilure
de celte monnaie s'accordent parfailemenl du reste
avec I'epoque precilee.
Je rapporterais volontiers au meme eveque deux
autres monnaies donl Calmet n'a pas fait mention ,
mais qui joignent au nom de Thierry, eveque , une
semblable invocation a la Vierge : SancTA MARIA,
VIRgo MARIA. La premiere legende accompagne la
lete nimbee de la Vierge , la seconde est placee
autour d'un portail d'eglise.
La musique , comme vous allez le voir , est aussi
ancienne que le monde : c'est done faire encore de
I'histoire et de I'archeologie que de vous en parler.
La ville de Metz possede une ecole municipale de
musique largement elablie et qui a merile plusieurs
fois les encouragements du gouvernement. Le pre-
sident de I'Academie a fait hommage en seance
publique au gout si prononce et si bien soutenu
de la cite Messine pour cet art. II a trace I'histoire
de la musique et I'a monlree depuis les premiers
jours faisant le charme des populations et I'ornement
— 67 —
du cnlie , merilanl la protection <los princes el les
eloges des legislaleurs el des moralisles. Vous saviez
deja que Neron cullivail la musique en veritable horame
dc I'arl; raais vous aviez oublie qu'il avail a son ser-
vice un corps de claqueurs , au moyen desquels il
n'elait guere possible de n'avoir pas un succes d'em-
pereur ; surloul en s'arrelanl au milieu des rues pour
chanter, toutes les fois que le bon peuple de Rome
Ten priail. Vous aviez peul-etre oublie de merae la
belle voix de Caligula el les couronnes d'or que Claude
dislribuait aux musiciens. C'est pourlanl sous de tels
mailres que se (orma la musique , avanl d'etre appe-
lee a rorneraenl des solenniles chreliennes. M. Alfr.
Malherbe vous rappellerait encore , enlre auircs par-
liculariles inleressanles , les 24,000 levites musi-
ciens formes par Salomon el employes par lui , au
nombre de 10,000 a la fois, dans les grandes fetes.
Convenez qu'ily a la de quoi enlever le sommeil pour
le reste de leur vie aux Musard el aux Berlioz de
nos jours. J'allais oublier qu'un poeie , je ne sais
lequel , assure que Vaimable compagne du premier
mortel fut Vinventeur des premiers sons mesures , et
qu'apres avoir rivalise de roulades et de gazouille-
raents avec les rossignols du paradis terreslre , elle
employait son pelil talent a charmer les ennuis d'un
epoux exile. Elonnez-vous, aprfes cela , de ce qu'au
temps d'Orphee on fut assez fori deja sur I'art en
question , pour que ce poete tournal la tele a tout
le monde , hommes et b6les , en mellanl en musique
les divers articles du code de son pays.
J'aurais bien encore d'autres fails curieux a em-
prunier au discours de M. Alfr. Malherbe, si je
n'avais hale de meltre un terme a ce rapport.
— 68 —
Laissnns done la miisi(|iu' , pour passer a sa soeiir
la poesie.
Sousce tilre : « Siir la pn dela vie , » M Macherez
a donne un pelil noinbre d'alexandrins de bonne
faclure.
J'ai trouve dans les cinq fables dii nierae auleiir,
qui suivenl , de i'cnlrain , de la facilile ; mais la
narration poiirrait elre quelqucl'ois plus vraisem-
blable, !a moralile mieux amenee et I'expression plus
choisie. Neanmoins , il faudrail elre bien severe pour
ne pas ciier avec eloge les fables qui ont pour tilre:
Le Leopard et les animaux et le Renard serviteur du
Lion .
Je vous signalerai encore des vers faciles et sou-
vent heureux de M. F. Munier dans une epitre a
M. le colonel Brossel , el j'arrive a la question
grarnmaticale, deja mainies fois debattue el posee de
nouveau a M. Munier lui-meme , a savoir si cette
phrase : Ah! vous vt'avez trompe , renferme deux
propositions : Ah ! proposition principale absolue ,
equivalanl a je suis etonne...; et ; Vous m'avez trompe,
principale relative. C'est a M. Chapsal qu'on en veut
ici , vous le reconnaissez.
« Suppose, dit entre aulres choses M. Munier,
que la phrase soil negative: Ah! vous ne m'avez pas
Irompc: ah! n'aura-t-il pas un autre sens? Ah!&\
Ton en croit les grammairiens , signiGe une foule de
choses souvcnl opposees. C'esl qu'en effet, et malgre
qu'en aient ces messieurs, dans ce mol el dans lous
ceux de m6me nature , c'esl a dire dans ceux qu'on
peul coiisiderer comme essenliellemenl interjections,
il n'y a ni pensce , ui pioposition implicite ; ce sont
des cris involonlaires , des accents de voix irrefle-
— 69 —
chis ; celui qui ks cnlend peiil facilemenl Ks inter-
proler : mais, quant a prelendre que celui qui les
a proferees y ail attache une idee quelconque , quant
a les traduire en sujels , verbes el attributs , aulant
vaudrait analyser de meins les cris d'appel , de colere,
etc. , que poussent les animnux. »
La demonstration de M. Munier, quoique serree
el empreinie de !a connaissance parf;iite de ccs sortes
de matieres, a de plus le piquant qu'un liomn)e
d'esprit sail donner a tout ce qu'il louche. La gram-
maire offre une foule de questions qui deraanderaient
a elre traitees avec ce sens droit el ce talent; alors
lomberail peut-etre cet echafaudage de science gram-
maticale que les bons esprils condamnent , el qui a
fait plus d'ignoranls depuis un certain nombre d'an-
uees dans nos ecoles, que n'en aurait laisse la sim-
phcile des anciennes raeihodes el la boiihomie de
nos peres.
70
Lecture dc M. Ch. Loriquet.
NOTE
AU SUJET d'UNE LAMPE ANTIQUE TROUVfiE A GRAND,
( VOSGES).
Messieurs ,
Je dois a I'obligeance de noire honorable secre-
taire-archivisle, M. Em. Arnould, la connaissance
d'une note inseree dans les Memoires de la Societe
des sciences, kttreset artsde Nancy, (annee 1847) (1),
et en meme temps d'un ohjet d'anliquite des plus
curieux : c'est une lampe de bronze trouvee, il y a
quelques annees, dans les ruines de Grand, depar-
temenl des Vosges, et aujourd'hui deposee au musee
departemenlal d'Epinal. Les renseignements que j'ai
pu recueillir h ce sujet presentant quelque interet,
je vous demande la permission de vous en entrelenir
un instant. Mais avant d'exarainer a notre tour celte
importante trouvaille, ne soyons pas ingrat, disons
(1) Page ns.
— 71 —
deux mots du sol beni des anliquaires qui nous I'a
donnee.
Grand , Grans ou Gran , silue a 52 kilometres
ouesl de Neufchateau et presque a la source de I'Or-
nain, dans I'ancien Rassigni , fut jadis autre chose
qu'un village de 1,200 habitants el qu'une fabrique
de clouterie. Un embranchement qui partail de No-
\iomagus et venait aboulir a Nasium , le roliait aux
grandes voies de Langres a Treves et de Toul a
notre Durocort ; des mines importantes couvrenl au
loin son territoire ; on y remarque des rcmparts et
des murailles de pitisieurs pieds d'epaisseur, un tL'mple
qu'on croit avoir etc dedie a Jupiter et plusieurs
aulres, un amphitheatre dont les formes se dessinaient
deja parfaitement au temps de D. Calmel (\) et qu'on
a deblaye depuis, en 1821 ; chaque jour on y decouvre
des debris scuiptes , des aqueducs souterrains , des
monnaies du haut empire. II ya quaire ans h peine,
le musee departemenlal des Vosges recevait de Grand
un petit vase et les dix-sept medailles en or qu'il con-
lenait : c'etaient des Tibere, des Nerva, des Trajan,
des Vespasien, des Titus, des Domition. On y depo-
sait, en 1846, la lampc dont nous vouions parler ;
el, dernierement, son savant conservaieur, M. Jules
Laurent , I'enrichissail encore d'lin magnifique
aureus de Marc-Aurele, irouve pres du village.
Comment done se fait-il que le nom de Grand
ne se irouve nulle pari dans les anciensgeographes?
LTlineraire d'Antonin el la Table Theodosienne n'on
(1) Cf. Calmet, Notice de la Lorraine, i. i, p. 530 el seq. —
Caylus, Recueil d'antiquites, I. in, p. 431, planche cxviii; i vi,
p 349 , planche cxi. — Jollois, Memoire sur quelques antiquiles
remarquables des Vosges, p 4 el seq.
- 7:2 —
ibnl aucune raenlion (1); Ammien-Marcellin, comme
le remarque D. Calmel (2), n'en parle pas davanlage,
quoique rien ne paraisse lui echapper en racontanl
la vie de Julien, et que, suivanl line iradilioQ con-
slante dans le pays et parmi les ecrivains de la Lor-
raine, ce prince ait fail le siege de Grand, qu'il ait
sejourne dans celte ville, qu'il y ail fait, en 561,
plusieurs martyrs.
Un litre du lemps de Charles-le-Chauve, en 886,
porle ces mots : « Actum in Granis villa. » .Mais rien
n'indique que celte denomination soil precisement
applicable a I'ancienne ville de Grand (5). C'est lout
an plus si Tabbe Rupert, anleur dn douzieme siecle,
qui a ecrit la vie du martyr saint Eliphe sur de
plus anciens monuments, semble aulorise a lui donner
le litre de cu'e, cj'uUas. Tout parail prouver seulemenl
que le meme ecrivain n'exagere pas, quand il en fait
une ville puissanle el elendue : « Urbem tunc longi-
tudine el latiludine maximam, et lurribus et muris
munilissimam, nomine Grandem (A). »
De 1220 a 1512, dil encore D. Calmel (5), Grand
flgure parmi les lieux imporlants de la Lorraine
relevant des rois de France. Depuis, il n'en est plus
question, si ce n'esl que d'anciens missels et bre-
viaires de Toul , en 1515. 1520, 1595 et 1628,
(t) Sauf I'explicalion de M. Digol, donl nous parlerons plus bas.
(2) Loc. cit.
(3) Loc. cit.
(4) Vita S. Eliphi, ap. Suribm, 16 oct. — IIiquet, Syst. chron.
des Ev. de Toul, p. 23 el seq. — D. Calmet, op. cit. p. 532.
(6) Loc. cit.
La-iTLpe Antique irouvee k Graai lAosgesI
r>^/.-"- '/^''rr7"ff/
— 73 —
renfermcnl un office desiine a celebrer la memoire
de
« L'ami de Dieu et rrai martyr Eucaire,
» Jadis de Gran eveque debonnaire, d
comme dit une ancienne inscription de la collegiale
de Liverdun, alors deposilaire de ses reliques(l).
Grand ful-il longlemps le siege d'un eveque , Ic
ful-il jamais? Rien ne le pronve, ou du moins les
auloriles sur lesquelles s'appuio la Iradilion qui lui
donne une certaine importance ecclesiastique, pen-
dant les premiers siecles, ne depassent pas le moyen-
age et sont sujettes a contestation.
Grand etait-il anciennement conipris dans le pays
des Leuquois (Toul), ou dans celui des Lingons
(Langres)? Cetle ville ful-elle longtemps florissante?
A quelle epoque perdit-elle de son importance au
point de ne plus niarquer sur la tcrre gallo-romaine?
On no salt. Des tentatives onl ete faites, a diverses
epoques, pour lui appliquer un nom antique. Tout
recemraent encore, dans un savant memoire qui a
ete lu au Congres scienliflque de Nancy , M. Digot,
avocat de cette ville, a propose celui do Grandesina,
ironque, suivant lui, dans le manuscrit de Yienne,
et Iransi'orme en Jndesina ou Andcsina, par suite
dc la suppression de plusieurs lettres (2). La question
se irouverait ainsi reduile a .a verification d'un fait
(1) « Urbs Grandis et confinium
<i Habuit in Pontiflcem. » Hymn. 1595.
(2) Cf. Congres scient. de France, xvii^ session, 1850. — Re-
cherches sur le yeritable nom et I'emplacemenl de la ville
que la table Theodosienne appellc Andesina ou Indcsina. —
Nancy, Vagner, l85).
— 7/1 —
materiel ; raalheureusemeDt, les savants no voient pas
lous de la m6me maoiere.
Nous avons suffisamment parle de Grand lui-meme;
revenons h noire lampe.
Elle a conserve dans leur etat primitif, et Ton y
voit encore attaches les chaines de suspension et le
crochet, emunctorium , destine a etendre la meche el a
la debarrasser des charbons; elle offre , en outre, le
remarquable exemple d'un fait jusqu'alors unique
dans I'histoire de I'eclairage des anciens.
Vous savez qu'il exisle, dans Fimmense collection
des Studi, a Naples, une lampe dimyxe, liree des
fouilles de Stabia, en 1782, et dont I'un des bees
a conserve sa meche (1). Ce n'esl pas le lieu d'ex-
pliquer comment celte meche , ainsi qu'une foule
d'objels tres combustibles, a pu survivre a I'envahis-
sement des laves el des cendres briilantes d'un volcan;
comment ensuite, repliee dans I'interieur de la lampe,
elle s'est conservee intacte pendant dix-sept siecles.
La lampe monolychne de Grand, longtemps enfouie
sous lerre , a rencontre des causes de destruction
non moins puissanles : cependant elle possede en-
core sa meche, comme celle de Stabia ; et de plus,
on I'a irouvee remplie d'une matiere dans laquelle,
avant loule analyse, les antiquaires, avec leur sagacite
ordinaire, reconnurent « une huile passee a I'eiat de
graisse solide (2). » L'examen plus attentif de cette
matiere et de la meche qui I'accompagne vous sem-
blera, comme a moi , j'espere, de la plus grande
(1) Le Antich. di Ercolano, v. iii p. 243. — Hercul. et
I'ompei, ser. iii, 29 et seq.
(2j Annates de la Societe d'Emulat. des Vosges, l. vi, uart,
•Fe, 1846.
— 75 —
imporiance. C'est eel examen qu'a pour objel le
raeraoire doni je parlais en commeriQaDl, et dont
I'auteur est M. Braconnot, chimisie qui s'esl fait,
depuis longleraps, a Nancy^ une repulaiioa meritee.
Suivons-le d'abord dans I'analyse de la meche.
« Trailee par I'eiher chaud el dessechee ensuite,
» dit le meraoire, elle est devenue d'un blanc liranl
» legerement au fauve et d'un aspect saline.
» Elle etait plate, tres mince, tissee beaucoup plus
» fineraent que ne le sont nos meches acluelles, en
» sorte qu'elle reunissait loules les conditions desi-
» rabies pour n'avoir pas besoin d'etre mouchee.
» Examinee au microscope , elle a presenle des
» filaments cylindriques, quelquefois articules, tels
» qu'ils existent dans le lin, tandis que les filaments
» de colon sont aplalis et lordus sur eux-meraes. »
Nous avons tout lieu de regarder comme exactes
I'analyse el la description de M. Braconnot. Ces ca-
racteres sont, d'ailleurs, ceux qu'on avail precedem-
ment constates dans la meche de Stabia, si ce n'esl
qu'elle se presentail dans des conditions beaucoup
moins compliquees : e'elait un simple faisceau de lin
peigne, non file, el tordu en maniere de corde {i).
La perfection remarquable de la meche de Grand
esi-elle le resultal d'un progres dans I'induslrie par-
liculieremenl chargee de la preparation de ces objels?
Nous ne savons; les deux exemples dont nons parlons
sont uniques, il est impossible de juger d'apres un
aussi petit nombre d'elements. Neanmoins, il est bon
de noter que la lampe de Grand est poslerieure de
deux ou Irois siecles a celle de Stabia ; ainsi , du
(1) Here, et Pompei, loc. oil.
— 76 —
moins, I'ont jugee les archeologues qui I'onl eue
les premiers sous les yeux (\).
J'arrive a la parlie du memoire qui concerne la
maliere conlenue dans la lampe. Les apprecialions
de M. Braconnot n'ont pas opere, dans mon esprit,
la menie conviction que les precedentes. II me suftlra,
je crois, de mettre sous vos yeux le resuliat de ses
recherches, pour rendre mes doules excusabies, meme
avanl que des experiences contraires et decisives aient
ete failes et les aient pleinement justifies.
Apres avoir enumere les caracteres physiques et
chimiques de cetle matiere , M. Braconnot conclut
ainsi : « Ce qui me parait bien demonlre, dit-il ,
» e'est que le corps gras de cette lampe eiait origi-
» nairement de la cire jaune, puisqu'on y trouve
» intactes la cerine et la rmjricine , ainsi qu'une
» matiere brune , qui, selon toule apparence , n'est
» autre que le principe colorant de la cire d'abeilles
» alteree par le temps. »
Ces conclusions du chimiste se trouvaient en oppo-
sition avec I'opinion exprimee peu de temps aupa-
ravanl dans un article des Annates de la Societe
d' emulation des Vosges (2) , article que m'a commu-
nique M. Braconnot el dont je vous ai cite quelqucs
expressions.
Je ne m'expliquais pas moi-meme qu'une lampe
put fonclionner avec de la cire. Pour briiler , en
effet , avec un corps gras a I'etal solide , la meche
doit y plonger presque en entier ; c'est seulement
apres que h chaleur a forme autour d'elle un godet
(1) Mem. delaSoc des sciences, lellres, etc. de Nancy, loc. cil.
(2) Loc. cit.
— 77 — .
de matiere liquefiec , que celle-ci peul imbiber I'ex-
iremite de la meche et fournir h la combustion. La
cire ainsi employee suppose done une sorle de lam-
pion , c'est a dire une lampe dont la forme presente
une patere sans couvercle.
Dans la lampe proprement dile, au conlraire ,
I'extremile de la meche peul se Irouver eloignee du
niveau de I'huile ; elle ne briile pas moins ulilemenl
et n'eclaire pas moins pour cela , parce que le liquide
destine a la nourrir monte de lui-meme a travers
les espaces capillaires que presente le faisceau de
lin , de chanvre ou de coton. Si vous subslituez a
I'huile un corps gras egalement , mais solide , sans
modifier les autres conditions de I'appareil, la meche,
d'abord depourvue d'alimenls , charbonnera presque
sans donner de lumiere ; elle s'usera sans profit ^
jusqu'a ce qu'elle arrive au niveau du corps gras,
c'est a dire au dessous de la plaque qui ferme la
parlie superieure de la lampe. Elle ne tardera pas
consequeramenl h s'eteindre ; ou , si elle brule en-
core , ce sera sans eclairer , puisque sa flamme se
trouvera renfermee dans le corps de la lampe. A
quoi , je le deraande , pourra servir une lampe de
ce genre? Qu'on y brule de la cire ou loute autre
matiere analogue, ne sera-ce pas en pureperle?
Telle est ralternaiive dans laquelle I'analyse de
M. Braconnot pla^ait, ci mes yeux, le jugement a
porter sur la lampe de Grand, quand je n'avais pas
sur celte lampe des renseigneraenis plus precis que
ceux qu'il avail bien voulu me fournir lui-meme.
Avec de la cire , ce devait elre un lampion pur et
simple ; sinon , c'elail un meuble parfaitemenl inu-
tile , quelque chose d'incroyable el d'absurde. Je ne
— 78 —
pouvais admeilre , conime nioyen terme , que les
efforls du temps eussent allere , ou plulot melamor-
phose une huile quelconque , aii point de lui donner
les caracteres conslilutifs de la cire. Les principes
de la chimie s'opposent a ce qu'il en puisse etre
ainsi , I'huile et la cire elant des produils de natures
differentes. Tune vegetale et I'autre animale.
Du reste , quand les decisions de M. Braconnot
furent connues, le fait parut si extraordinaire que,
sous le prelexle qu'il n'avait eu a sa disposition
qu'une bien petite quanlile de la matiere trouvee
dans la larape, M. Jules Laurent lui offrit de lui
en envoyer de nouveau. Mais le siege de M. Braconnot
elaii fail , il ue s'est pas soucie de le recoramencer;
et, plulol que d'examiner une seconde (ois si I'analyse
ne pourrait pas se mellre d'accord avec la disposition
de I'appareil, 11 a neglige les souvenirs qu'il avail
de ce dernier et leslement qualifie de lampion la
lampe de bronze du Musee d'Epinal.
En homme qui comprend le devoir de sa charge,
le conservaleur de ce Musee n'a pas voulu laisser
dechoir le nieuble interessant dont le depot lui elait
confie. Senlant d'ailleurs I'utilite qu'il y avait a eclair-
cir un fait qui se produii aussi rarement , il a bien
voulu me communiquer tons les renseignements dont
il pouvait disposer, et m'envoyer a la fois un dessin
capable de faire apprecier la lampe de Grand , el
une portion de la matiere et de la meche qu'elle
renfermail. Le dessin que je mets sous vos yeux
est incontestablemenl celui d'une lampe de la forme
la plus ordinaire et fonclionnanl avec de I'huile :
la qualification de lampion ne peut en aucune fagon
lui convenir. EUe porle , vous le voyez , Vemunc-
— 79 —
torium que je vous ai annonce. Suppose que nous
eussioiis de la cire , que ferait-on tic ce crochel?
Comment scrvirait-il a tirer une meche qui se Irouve
engagee au milieu d'une masse solide? Nouvelle
(lifTicuIte.
Pretendrai-je , apies cela , que la matiere dont je
meis sous vos yeux un echantillon, est precisemcnt
de i'huile ct pas autre chose? Non, Messieurs. Mais,
une petite pierre s'esl bien rencontree parmi les
frogmenis que jo vous presente , il se peut qu'on
y decouvre egaiemeul de ia terre ; j'y verrai done
le residu de tout ce qu'on voudra : seulemeni , je
crois avoir demontrc I'impossibilite d'y trouver de la
cire ou lout autre corps gras solide.
ro^ t.
— 83 —
Leclurc de ill. Waumen6.
MOUVEMKNT DE ROTATION DE LA TERRE ,
D^MONTRfiSOUS LES VOUTES DE LA CATHfiDRALE (1).
Messieurs ,
La belle experience dont nous allons etre les te-
raoins est deslinee a inonlrer le niouvement de ro-
tation de la terre, non pas ce mouvement de trans-
lation auiour du soleil,donl ladecouverle immortalise
le nom de Galilee, mais seulement la rotation auiour
de la ligne des poles, cause des alternatives du jour
(1) L'experience de M. Foucault a et^ repetee dans la cathedrale de
Reims , en presence de loules Irs notabililes de la ,\ille , le Jeudi 8
Mai , par M. Maumen6 , a?ec I'aide de MM. P. Masse et Lechat.
L'appareil se composait : d'un fil d'acier iris fin ( corde de piano
no 10 ) , de 40 metres de longueur , el d'une sphere de plomb , sans
enveloppe , d'environ 16 centimetres de diametre , et du poids de 19
kil. 82. Ce pendule , soutenu par una anse de fil d'Ecosse ordinaire ,
^tait mis en oscillation au dessus d'un cercle blanc trace sur le sol
et d'un diametre de 6 metres. Le mouvement du pendule pouvait etre
appr6cie d'une maniere exacte sur une table presentant une trentaine de
degres du meme cercle , h la hauteur de 25 centimetres au dessus des
dalles. Sur le bord interieur de celte table , on plagait un petit epau-
lemenl de sable k aretes vives. — Pendant la journee de la veille , on
avail fail osciller sans cesse le pendule dans les directions croisees S
60 degres , pour vaincrc , autant que possible , toutes les resistances
provcnant des inegaliles de la cohesion.
II 6
— 8/1 -
el de la nuit. Vous ne vous anelerez pas a line
premiere impression d'elonnomeul : Si nous nous
reunissons pour exccuier aujourd'hui cetle denions-
iralion d'une verile bien ciablie dcpuis longues annees,
vous remonterez sans peine aux fondementssur les-
quels on I'appuie ; vous vous dcmandcrez si les
prediclions aslronoraiques, doni la ceiliiude est des
plus eclatanles , ne pourraienl point elre accordees
avec d'autres syslemes encore inconnus ou lombes
dans I'oubli. Vous chercherez un Tail simple, un fail
materiel el a la porlee de tous , ou nous puissions
voir une preuve du mouvemenl de la terrc : vous
chercherez en vain. L'experience de M. Foucault
est la premiere de ce genre , et si , par bonheur ,
elle ne se prelail a aucune explication etrangere,
vous y verriez un des plus beaux exemples de la
puissance des investigations scientifiques. II faut le
dire , a ceux donl le savoir pourrait contesier encore
les vues de Galilee , a ceux dont I'astronomie mo-
derne n'entraine pas loutes les convictions, (on doil
toujours prevoir I'impossible) l'experience des mou-
vements du pendule ne semblera d'aucune valeur :
ces esprits forts y trouveront un argument en faveur
des deplacements du soleil et tiendronl, comme avant,
a rimmobilite de la lerre.
Vous le voyez^ nous n'allons pas recevoir un en-
seignemcnt direct el incontestable : uon , nous de-
vons nous borner a regarder la deviation du pendule
comme une simple consequence d'une theorie deja
demontree , comme un fail dont une theorie contraire
nous fournirail au besoin I'explication. — M. Fou-
cault pent borner la scs pretentions ; meme dans de
telles limites , vous regardercz encore son experience
comme bien digne de I'inlerei general.
— 85 —
Veuillez , maintenaiil , vous Iranspoitcr en idee
jusqu'aii pole el tuspeiidez noire pendiilo h un point
meme de I'axe de la (crre, puis demandez-vous ce
qui arrivera pendant le temps de ses oscillations k
un objel immobile sur le sol? Tout le monde sent
I'impossibilite pour la masse de plomb de cbanger
d'elle-meme la direction de son mouvcmenl primilif.
Une fois lancee dans un plan fixe au milieu des cspaces,
elle obeit bien a Taction de la terre qui produit
ses oscillations , mais qui ne peul non plus la faire sor-
tir de ce plan fixe ou elle denieurerait elerucllemenl
agitee sans les resistances que i'air el le fil de sus-
pension lui opposenl.
Par consequent, I'objel immobile sur la terre tour-
nante se dcplacera conlinuellemenl par rapport au
plan d'oscillalion, et, en nous tenant aupres du pendule,
en dehors du ccrcle dont il parcourt les diamelres,
nous suivrons facilemenl des yeux ce deplacemenl
relatif. 11 faudra seulemcnt nous defendre d'une
illusion dont nous sommes souvent el malgre nous
les dupes. Dans une voiture ou dans un bateau ,
vous le savez , nous croyons d'ordinaire lenir a une
demeure immobile et les objets exterieurs nous pa-
raissenl seuls animes d'un mouvement plus ou moins
rapide : si la voiture ou le bateau marchcnt vers le
nord , les maisons, les arbres du dehors nous sem-
blent courir vers le midi. — Pres du pendule, nous
aurons a nous defier des memes erreurs. Pendant
ses oscillations , dont le plan ne changera point ,
la lerre nous entraincra d'occidenl en orient, et si
nous oublioiis ce mouvement de noire voiture, le
pendule nous parailra seul emporle de Torienl vers
Toccident, de noire dioite a noire gauche.,.
Et si nous alions eusuile a cclte ligue comprise
— 86 —
enlre I'hemisphere nord et ('hemisphere siid de la
terre, si nous allons a requaleur comparer les mou-
vemenls de notre pendule avec ceux du pole, oh!
les choses seronl bieo changees. Ou pourrions-nous
mainlenanl trouver un point d'altache insensible a
la rotation de la terre? Evidemment nuUe part. II
faudra bien ici nous laisser emporter lous ensemble,
observateurs et pendule, et marcher avec la meme
Vitesse : alors plus de mouveraents relatifs, plus de
deplacement sensible.
Voulons-nous maintenani revenir a noire situation
acluelle , *a Reims , un des points intermediaires enlre
I'equateur el le pole, el essaierons-nous de definir
le veritable effet produit sur notre appareii? Mon
Dieu , Messieurs , nous 1h pouvons sans trop de peine.
Ne craignez rien, je ne vous demanderai pas d'a-
dopler la voie du calcul , irop longue, trop penible
peut-6tre ; un raisonnement bien simple va nous
suffire. En effet, ne sentez-vous pas la necessite
d'un mouvemenl relaiif moijen enlre celui du pole ,
qui est egal au deplacemenl meme de la lerre , et
ceini de I'equateur, qui est nul ? Bien evidemment ce
mouvemenl doit exisler, et il existe : il se prononce
de plus en plus en remontant vers le pole ; il dimi-
nue de plus en plus, au conlraire, en descendant
vers I'equateur. Dans lous les points intermediaires
comme Reims , il y a entrainement de I'observa-
teur el enlrafnemenl du pendule ; mais le pendule
resiote : le plan de ses oscillations voudrait loujours
rester parallele a lui-meme el changer de position
le moins possible : il se depiace moins autour de sa
verticale que nous-memes autour de I'axe du monde.
Dans I'impuissance ou nous sommes de suivre des
yeux la translation de la terre , nous verrons done
— 87 —
uniqucmenl I'ecarl dii pendule qui est, a Reims, ex-
ircmement considerable.
Cilons ici le resultat du calcul : pendant les vingl-
quatre heures employees par la terre a accompiir un
tour entier sur elle-meme , le pendule accomplit
seulement une parlie de cette rotation mesuree par
le sinus de la latitude. En d'aulres lermes , a Reims ,
dans la cathedrale meme , ou !a latitude est 49°, 15'
15", le pendule, au lieu de parcourir en 2i heures
les 360 degres du cercle , alteint seulement 272°,
U\ 25".
II ne metlrait pas moins de 31 heures, 40', 41'',
pour faire un tour complet. — Sa vilesse n'esl pas
aussi grande a Paris ou la latitude est, moindre ; 11
y exige 31 heures 52', 28", environ 12' en plus.
Messieurs, dans les reflexions que vous ne man-
querez pas de faire sur ce siijet, vous renconlrerez
cerlaines difTicultcs dont M. Foucault a donne la
solution. Vous vous demanderez en premier lieu
comment la suspension du pendule pent 6tre disposee
pour n'influer en rien sur la tendance de notre sphere
de plorab a se mouvoir dans des plans paralleles.
Nous devons le dire , il faut pour cela ne pas em-
ployer les pieces en usage dans I'horlogerie ; notre
pendule n'est pas soutenu par un couieau sur des
plans metalliques. Son fil est pince enlre deux pieces
de cuivre parfailement dressees. II sort d'un plan
tres-uni, bien horizontal et n'est point oblige, comma
dans nos horloges, de suivre toujours le meme plan
d'osciUation relatif a la hoite ou a I'armoire qui le
contient. — Une experience bien simple nous monire
aisement I'independance du plan d'osciUation d'un
appareil ainsi dispose. Voyez , Messieurs, ce petit
— 88 —
pendule attache h cc support louniant par ties pieces
semblables ii celle clu pendule principal. Langons-le
dans un sens precis, dans la longueur de la cathe-
drale, par exemple , el pendant qu'il oscille , faisons
tourner le support; aucun changeraent ne se produit
dans la direction des mouvements de celte peiite
boule de plomb , et pourlant nous deplagons bien
plus rapidement noire support que la terre n'enlraine
le point d'allache situe la-haul
Neanmoins, penserez-vous ensuile, rexlremile su-
perieure de notre fil est expose par le mouvenient
de la lerre a une torsion dont il nous resle a lenir
compte. Au premier abord , celle torsion exercee sur
un des bouts du fil d'acior parail devoir agir dans
loule la longueur et par consequent sur le plomb
lui-meme en lui donnanl une impulsion rolaloire plus
ou moins forte. Peut-etre craindrez-vous la necessile
d'altribuer a celte influence, malgre sa faiblesse , les
effels dont nous serons bienlot spcclateurs. — Heu-
reusemeni, nous pouvons nous rassurer de la maniere
la plus complete par une experience Ires simple ,
Ires concluanle, el dont nous parlerons avecempres-
semenl, car elle a cie I'origine de I'ingenieusc de-
couverle de M. Foucault. Placez une verge d'acier
cyliudrique dans I'axe d'un tour ordinaire : fixez Tun
de ses bouts ,et laissez I'aulre enlieremenl libre :
mettez celte exlremile libre en vibration, par exem-
ple horizonlalemenl ; puis tirez douccment a la main
la corde molrice pour enlrainer I'extremite fixe el la
verge entiere, vous verrez, non sans surprise , que
les vibrations de Texlrcmile libre ne suivront pas
le mouvcment et resleronl horizontales. Ainsi, meme
dans une verge bien moins longue, bien plus rigide
(jue notro fil de suspension , la lorsion produiie a
— 89 —
UQC cxlrcmile dans un temps assez court , n'amene
aucune deviation du plan ou I'aulre extremite lait
ses oscillations. Par consequent , nous n'avons rien
a craindre , el la torsion de notre fil an point d'at-
tache sera bien absolument sans effet , surtout pen-
dant la duree de nos experiences.
Nous pouvons metire notre pendule en mouvemcnt
avec conliance ; sa deviation resultera bien assure-
ment de la rotation de la terre , el n'aura point
d'autre cause. Llle n'en aura point si nous avons
su prendre loutes les precautions convenables dans
sa construction. A cetegard, Messieurs, nous devons
les plus vifs remerciemenis a M. P. Masse. Nous
ne pouvions trouver un collaborateur plus devoue ,
plus habile. L'appareil , sorti tout enticr de ses
mains, ne laisse rien a dcsirer sous aucun rapport
(vous en jugerez vous-memes), et sans I'extreme
obligeance dont il a bien voulu nous faire profiler,
nous n'aurions pu realiser aisement les dispositions
necessaires pour fixer en vos esprits la conviction
d'une verite si importante.
La mise en mouvemenl du pendule exige une pre-
caution tout-i-fait indispensable. II faut le placer
bien exactement sous I'influence de la pesanteur
seule, et ne laisser intervenir aucune force acciden-
lelle. Nous ne pouvons songer a tenir la boule de
plomb dans nos mains et a la lancer en les ouvrant :
malgre lout , nous n'aurions pas la regularile conve-
nable. M. Foucault n'a pas neglige de pourvoir a
ce bcsoin essentiel. II n'a pas seulement le genie
des conceptions experimcnialcs ; il sail encore vaincre
toutes les diOicultes d'execution. II nous a appris (car
rien ne nous apparlient dans celte experience ) , il
nous a appris a lancer noire pendule on le soute-
— 90 —
nam d'abord par un fil Ires fin , comme vous le voyez
en ce moment, et en brulanl le 111 apres avoir oblenu
le plus complet repos. De celle maniere , la pesan-
teur est son seul guide , el vous allez observer ses
effels degages de louie influence etrang6rc. — Faul-
il enfin vous signaler ces monticules de sable? ils
sont destines a 6lre coupes par I'aiguille donl notre
masse de plomb est inferieurement garnie : grace
a cetle autre disposition ingenieuse de I'inventeur ,
vous serez mieux frappes de la deviation par les
progres d'une tranchee que celte aiguille agrandira
sans cesse.
Telles sont , Messieurs , les observations dont noub
devions vous entrelenir , et nous pourrions imme-
diatement proc6der h I'experience. Permetlez-moi
celte reflexion derniere. Beaucoup de personnes
s'etonneront peul-eirc d'assisler a uiie experience
de physique dans ce lieu si ^igne de tons nos res-
pects. Que ces personnes Veuillenl bien y songer.
Parmi les fails naturels , oil irouverons-nous de plus
eclatanles preuves de la puissance divine que dans
ces mouveraents des aslres , dans ceile rotation de
la lerre dont nous serons certains tout h I'heure?
El si nous venons eiablir ce grand fail en presence
de Dieu lui-meme , devons-nous craindre de I'of-
fenser ? Non sans doule. Nous avons d'abord mis
quelque hesitation a solliciter la faveur de transpor-
ter ici notre appareil ; mais lout le monde compren-
dra , j'en suis stir , la bienveillance dont Messieurs
les membres du clerge nous onl honores dans cetle
occasion , bienveillance dont nous sommes ires heu-
reux de les remercier publiquemenl.
REIMS. — IMP. DE P. HEOIER.
La collection des Travaux de i'JcadSmie
de Reims parait tous les 3 mois par cahiers
d' environ douze feuilles in-8°.
Prix de la Souscriplion annuclle: 10 fr.; par la posle, iS fr.
5s'ad,TtsstT franco,
A Reims, chez.BRissART-BiNET, Libraire de TAcademie.
t
i
'/
TRAVAUX
DE
L'ACiDEMIE DE REIMS.
ANN^E 1850- 1851.
N" 2. — TuiMESTRE DE JUILLBT 1851
REIMS
p. REGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADfiMIE.
1851
SOMMAIRE DV NIJMEHO.
Discours de M. Max. Sutaine.
Lecture de M. Bandeville. — Compte-rendu dcs Iravaux de
I'Academie de Reims pendant I'annie 1850-1851 .
Lecture de M.Henri Paris. — Rapport sur le concours de 1831 .
SCIENCES. — Lecture de M. Sornin. — De V Astronomic.
BEAUX-ARTS. — Lecture de M- De Maiche. — Du hut
principal que I'ondoit se proposer dans la culture des beaux-arls.
Programme des c[uestions mises au concours pour Pannee
1852.
Prix et medailles decem^s par I'Academie.
Liste des membres titulaires et correspondanls derAcademie.
Liste des ouvrages adresses a I'Academie pendant I'annee
1830-1851.
Liste des societes correspondantes de I'Academie .
Table des auteurs pourlesdeux volumes de I'ann^e 1850-1851.
Table des matieres contenues dans les deux volumes de
I'annee 1850-1851
t^,Cf i€^ •
^1
TltAVAlX DE L'ACADEMlfi l)E HEllfS.
ANNfiE 1851-1852.
A'" 2. — Triinestre de Juiltet 1851.
Riscours de SI. Max. Sulaine.
Seance pubJique du 3 Jnillet 1851.
Messieurs ,
En celebrant au milieu d'nne aussi brillanle
assemblee le neuvieme anniversaire de ses solen-
nites publiques, i'Academie de Reims eprouve un
legitime orgueil , en m6me temps qu'un profond
sentiment de reconnaissance pour son illuslre fon-
daleur, Soutenue par le liaut patronage qui veille
sur ses destinees , entouree d'une flatteuse bien-
veillance dont elle sent tout le prix , elle s'est
efforcee par ses travaux annueis de conquerir pour
toujours son droit de cite ; aussi , peut-elJe s'ho-
ii 7
— 92 —
iiorer dc compter desormais an nonihro des insii-
lulioiis rcmoises.
On a dii quclque jtarl , il est vrai , que les palmes
academiques fleurissawH diffkilemenl a cole de Uolivier
de I'induslrie. Mais ceUe pensec d'nn de ces reveurs
scepiiques qui preteiidenl lout souniellre au niveau
de leur doulc railleur , cette pciisee , qui a du ,
conime tous les paradoxes , oblenir un certain
credit chez queliiues csprits superficiels , ha-
tons-noiis de le dire, n'esl plus do noire si^cle. Si,
a d'aulres epoques , elle a pu presenter une appa-
rcncc quelconque de verile , ce que , pour notre
pari , nous sommes loin de reconnailre , nous la
repoussons aujourd'hui conime un mensonge, commc
une calomnie.
A qui fera-t-on croirc en effet , qu'au temps ou
nous vivons , alors que tout aspire au progres , au
progres qui, bien souvenl , lielas ! n'esl qu'une illu-
sion; alors, qu'enlraine par celle agitation fievreuse
qui le devore , I'liomme se precipite avec ardeur
vers I'inconnu , Tindusirie seule , iufidele a sa*mis-
sion qui lui ordonue de marcher sans cesse , retro-
graderaii vers ces epoques de barbaric oii la routine
(qu'on me permetle d'em|)loyer une expression con-
sacree) , ou la routine elail son unique regie, ou
la science cUe-meme elaii quelquefois obligee de
voiler sos claries ?
II y a longlemps qu'il n'en est plus ainsi ; il y
a longlemps que I'arbre de I'indus'rie el I'arbrc de
la science , au lieu de se nuire , se prctenl au con-
iraire un ninluel appui , enlacenl elroitemenl leurs
rameaux el fecondeni ensemble Ic sol qu'ils abrilenl
sous leur ombrage lulelaire.
— 93 —
C'esl qu'il y a longtomps aussi que los liommes
intelligenls qui sc livicnt aux granclcs specnlnlioiis
ont compris que, sans Ic scconrs de la science,
sans I'aide des arts , il n'y avail pas dc saint ponr
eux. Piivce de ces deux auxiliaii-os, qui vivenl a
Icur tour par clie, I'industrie, commc ces plantes
que no viennent pas coloier les rayons du soleil, on
conime ces races malndives qui decrci?sent rapidemenl
qnand nne salutaire alliance ne vienl pas lajeunir
icur sang dcgcnere , Tindusirie s'etiole , languil et
menrl epuisec par le marasme de I'habitude.
Ou en seraient, par cxemple, ies moyens de com-
munication , Ies voies de transport , tons Ies grands
agents du commerce , si la science n'.nait pas fail
faire a la mecaniqiie des progres fabuleux? II y a
quarante ans a peine le plus grand genie des temps
modernes niait la vapeur , et , depuis un quart de
siecle , la vapeur a produit des miracles.
Si , dans celte lutte pacifique ou le monde enlier
vienl elaler aujourd'hui scs mcrveilles , il est donne
a la France de briller an premier rang ; si elle a
pu forcer sa puissanle rivale a admirer la delica-
lesse de ses ciselures , I'elegante disposition de ses
riches etoffes , a s'incliner devant la superiorite de
ses chefs-d'oeuvre en tout genre , c'esl anx beaux
arts dont elle est devenue depuis longtcmps la patrie,
qu'elle le doit ; aux beaux arts , qui ont Irouve
parmi nos ouvriers si intelligents leurs plus habiles
interpretes. Plus que loule autre, peul-elre , noire
laborieuse cite aurait le droit de repousscr comme
un non-sens celle proposition paradoxiale qui , si
elle etait vraie , frapperail de mort sa brillanle In-
dustrie.
- 94 -
Reims qui , b touios les epoquos , a genercuse-
mcnl paye son Iribiil (I'inlclligGiice a la commune
palrie , a conipris depuis longiemps que sur la triple
alliance tlu commerce, tie la science el des arts,
leposaienl sa prosperile et son salut. La large part
qu'ellc a su sc faire dans le monde induslriel, le
succes qui couronne les efforts de ses habiles ma-
nufacluriers , elle sail qu'ella les doil a celle inse-
parable irinite qui a ses autels dans les ateliers aussi
bien que dans le cabinet de Tariiste , que dans le
laboraloirc du savan!.
Parmi les honorables directeurs de ces nombreux
elablissements dont les produils vonl porter au.loin
le nom de noire inlcressante Cite , il n'en est pas
iin seul qui ignore dans quelle condition d'inferio-
rile le delaissemcut de ces indispensables auxiliaires
du commerce le placerait vis-&-vis de ses concur-
rents. Malheur a celui qui , ne puisant ses in-
spirations qu'aux sources abandonnces de la routine,
repousserait avec dedain les conseils des hommes
d'etude ! Surpasse , distance par tons , bientol le
spectacle de la prosperile de ses rivaux rendrait
plus poignanls encore pour lui le silence de ses
usines , la solitude de ses ateliers.
Dieu merci ! une semblable crainie ne peul nous
preoccuper dans notre ville ^ dont I'industrie peul
s'enorgueillir de tanl de noms illustres ; dans notre
ville , qui a donne le jour h Colbert. Colbert !
Ce nom ne resume-l-il pas toutes les gloires indu-
slrielles de la France? Quelle nation a vu naiire un
homme qui mieux que lui ail compris les forces
vives de son pays , alors que ie pays iui-meme
semblait douter de ses propres ressources , a la
— 95 —
ftuilo (le longs siecles peiulniil lesqiiols le briiii des
niiiios avail lout domine , alors que les hommes de
i>uei"ro pouvaient dire tout haul : Le pays c'est nous?
L'indiislrie , ("rappee, pour ainsi dire d'oslracisnie ,
avail prosque lioiite d'clle-memi;, el creail eu silence
les chefs-d'oeuvre ([u'elle nous a legues ; cile aileu-
dail son Messie. (lolhert parul , el hienlol Tordre
remplaoa Ic chaos, les caisses epuisees de I'Eial se
romplirenl , la marine marchande (ul creee , ei le
commerce , s'il ne I'ui pas eunobli encore , I'nl ac-
ceple du moins el reconnu conime una des plus
riches sources de [irosperile de la France ! A parlir
de celie epoque , on dtil compter serieusemonl avec
lui.
Notre compalriole , il esl vrai , eut la honao ior-
lune de vivre sous un prince qui savail ai)precier
lous les genres de merite. 11 apparlenail au -nonar-
(jue , qui, plus lard, devait defendre el proleger
Woliere centre ses propres courlisans, de coinprendrc
('olberl el le placer au nonibre des brilkmis fieuroiis
(]ui donnerenl lanl d'eclat a sa couronne. Maib alors
meme que la faveur eclaireede Louis XIV ne se serail
[tas eleodue sur lui , le gradd minislre , coinnie lous
les hommes que le genie a marques de sa divine
empreinte , aurait su , n'en doutons pas , rendre il-
luslres encore son nom el celui de sa ville iialale.
Si nous voulions fairc rcmonler plus haul encore
a nos souvenirs le cours des siecles , les noms
d'hommes qui soutinrenl dignemenl I'honneur de
I'induslrie remoise ne nous manqueraienl pas. P -ur
n'en ciier qu'nn seuL nous rappellerons celui du
teinlurier celebre auquel la France doit ces mervei!-
leuses tanisseries qui le dispuienl en perleciion au\
— 96 —
tableaux iles plus grands rnailros , el foul le dcses-
poir des aulres nalions.
En londanl, sous Francois I", le magnilique ela-
blissement qui porle son nom , devenu depuis long-
lemps universal , Gobelin conslalait des le xvr siecle
la superiorile de noire induslrie dont I'acUvile ne
s'est pas ralenlie, et dont I'eclat ne s'esl pas terni
depuis ceite epoque.
Toules les grandes villes de commerce pouiraienl
sans doutc, a leur tour, invoquer a I'appui de noire
raisonnemenl la lisle des grands ciloyens nes dans
leur seiu , et il ne serail peul-elre pas difficile
d'arriver a celle demonslraiion que c'esl des grands
centres industrials que s'elevent les esprits les plus
eclaires, les plus serieux. La, en effel^ le travail
devieni un besoin , une habitude ; il est necessaire
a la vie, comme Fair qu'on y respire; et la aussi,
pour rappeler un mot celebre , I'oisivete est plus
qu"un vice : c'esl une faule. Puis , elargissani le
cercle de nos consequences , nous parviendrions sans
peine a celle-ci^ que « C'esl precisemenl aussi dans
les grandes cites de commerce que les Socieles aca-
demiques deployent le zele le plus soulenu. » Les
preuves ne nous manqucraienl pas a i'appui. En-
trainees , en effet , par I'exemple de celle iocessanle
activiie qui s'agite autour d'elles , elles liennent a
honneur de ne pas se laisser depasser , et marchent
en iivanl d'un pas plus ferme. De telle sorte que ,
enlre la science el rindasirie , eutre le preceple el
son application, enlre la iheorie el la pratique , entre
les hommes qui rendenl de grands services an pays
et ceux qui font leur hisloire , regno celle noble
— 97 —
eiinilalion d'ou jaillii la liin;!iere , d'ou nail le voii-
(ahle prog res.
Loin (le nous done ceux qui preten<!raient que,
dans les villes de coaimerce , les Socieles scieiiii-
fiqiies el li'leraires ne sauraienl prosperer ; loin de
nous ceux qui repeleraieiil (jue les pabnes academiqucs
ne peuvent fleurir a cote de I'olivier de I'indiislrie.
L'evideuce des fails ferait rendre justice de celle
calomnie.
Nos laborieuses et inlelligentes ciles n'avaient cerles
nul bcsoin de nos (aiblcs accents pour se re!e\er
de la declicance dont pietendrait les frapper uu in-
jurieux paradoxe. II y a dans I'exislence des villes
et des insiilulions utiles quelque chose de plus fori
que la voix des hommes pour les defendre. Elles
onl les glorieux souvenirs du passe [)our les en-
courager et les soulenir ; elles out devanl elles le
vasle champ de I'avenir ouvert a loules les ame-
lioralions. Cest sur ce terrain sans horizon el sans
liuiiles que , se tenant par la main comme deux
soeurs inseparables , la science el I'induslrie devroni
loujours se relrouver ensemble. C"esl sur celie voie
sans tin , iracec par la Providence el qui mene au
perfecliouuement , qu'elles devront marcher sans
cesse en se prelant un muluel appui. Leur union
fera leur force et assurera leur succes.
98 —
LcduiT (Ic M. Bandeville,
SECRET AIRE-GENEBAL.
COMPTE-RENDU
DES TRAVAUX DE l'aCAD^MIE DE REIMS
PENDANT l'aNN^E 1850-1851.
Messieurs ,
En adoplant celte devise , qui indique le but de
ses travaux , servare et augere , conservalion et pro-
gres, I'Academie de Reims ne se dissimulaii pas
qu'elle s'imposail une grande lache. Mais aussi ,
ne craignons pas de le dire, depuis son origine
jusqu'a ce jour, I'Academie n'a rien neglige pour
se mainlenir a la hauleur de la mission qu'elle s'esl
donnee. Garder religieuseraeni lous les souvenirs du
passe, donl notre pays est si riclie; publier , pour
les sauver de I'oubii , tous les documents qui se
raltachent a noire hisloire ; rassembler , pour les
arracber a la destruction , les vieux et precieux
debris qui conslalent I'elai des arts chez nos de-
vanciers ; respecter les saines traditions de la lit-
lerature , ot les mettre a I'abri <le I'empielement de
— 09 — -
I'afl'eierio cl dii niauvais gout : c'est ainsi qu'elle
inlerprele ce mol servare. Reveiller parloul le gout
de I'elude et ramour dii travail ; encouragcr tons
les efforts louables ; provoquer dcs recliorcht-s siir
tout ce qui peut amencr des ameliorations dans
I'agricullure ou I'induslrie , dans la condition des
ouvriers el des pauvres ; se niettre en relation avec
les savanls de lous !es pays, pour proliler de Icurs
luniieres ; accueillir loutes les decouvertcs , pour les
etudier ; faire connailre loutes les inventions utiles ,
pour les propager : c'est ainsi qu'elle entcnd le pro-
gres , augere. Voila ce que fait I'Academie, depuis
prcs de dix aiis , ses differentes publications I'at--
lesienl ; voila ce qu'elle a tail encore cello annee ,
j'espere vous le faire voir.
Les questions agricoles , pen nomhreuses celle
annee , out eu plus particulieremenl pour objel la
culture dcs bois. M. Ozerai nous a enirelenus des
forels des Ardennes, el Ic capiiaine Bouvarl, appuye
sur I'experience , nous a indique la nieilleure me-
lliode a suivre |tour rajeunir les vieilles forels dont
rabsouchemenl a besoin d'etre renouvele. — M. Bon-
norael, cure de Pon'faverger , qui s'occupe de I'edu-
calion des abeilles , nous avail adresse , il y a quelque
temps, un petit ouvrage dans lequel il faisail con-
nailre el la melhode qu'il avail suivie jusque la , el
les resullats qu'il avail oblenus ; M. Lechat , quia
examine ce memoire , le regarde comrne un veritable
iraile sur la maliere, et le croit Ires utile [)Our guider
les personnes qui veule it se iivrer a ce genre d'oc-
cupaiion.
Mainlenant je voudrais pouvoir vous transporter
dans la voule celeste, el vous y faire a<ln)irer loutes les
— 100 —
choses curieuses que nous y a raontrees M. Sornin ;
mais je craindrais de m'avenlurer en m'elevani aussi
haul ; j'ainie niieux le laisser parler lui-meme ; nous ne
craindrons p;;s de nous egarer en le prenaut pour
guide. — Je voudrais encore vous faire connailre le
moias imparlaiiemenl possible Tinleressante disser-
tation de M. Jamiu sur les sources de la lumiere ci
de la clialeur ; ir.ais il n'en resle de traces que dans
la memoire de ceux qui ont eu Tavantage de I'en-
lendre ; et la mienne est trop inlidelc pour que je
me hasarde a denalurer les paroles du savani pro-
fesseur en cherchnnt a les analyser. — Reslons done
lout simplemenl sur la terre , et jelons un coup
d'oei! sur la belle carte geologique du deparlemont
de la Marne , drcssec par deux de nos corri'spou-
dants , MM. Sauvage el Buvignier. Nous liouvons
dans ce travail , non seulement la perfection , Fexac-
lilude , les details qui rendent si precieuses les caries
du Depot de la guerre , mais encore les diflerenles
natures de lerres plus ou moins fertiles qui sont a la
superticie de noire pays, et les nombreuses ricliesses
mineralogiques qu'il renfernie. — Je passe rapide-
ment sur une assez curieuse communication faile par
M. Maumene d'un ver planaire d'uue grande lon-
gueur , irouve a Reims par des pecheurs dans les
mailles de leurs lilets^ pour arriver plus lot aux
produits pharmaceutiques , alimentaires et industriels
oblenus par M. Grandval , d'apres une raeihode de
son invention. !l avail ele jusqu'ici bien difficile ,
ou plulot impossible, de conserver sans alteration
un grand nombre de substances qui doivent entrer
dans les medicaments , ou servir a ralimentalion :
de la une mullilude de privalions penibles , de
— iCl —
la aussi rincllicacile tie bien des remedes. Rii des-
sechaiii ces substances par un piocede nouveaii ,
M. Grandval est parvenu a leur conservei' , pour un
lemps iiidelini , loules leurs qualiles, saveur, aionie,
couleur, etc. I)u lail el du bouilloii , qu'il nous a
presentes, apres plusieurs mois de conservalioii, ot
qu'ii a remis duns leur eiat nalurel avec aulani de
pion:[)titu(ie que de facilile , ne nous o;U pas permis
de revoquer un insiant en doule I'excellencc de sa
inelhode. Ainsi , dans un voyage de long cours, les
inarins peuvenl avoir dans loule leur purele des
aliments qu'ils ne connaissaient plus , el eviter bien
des maladies doul celle priviition etait cause. Ainsi
les medecins , plus surs des remedes qu'ils ordon-
neronl , seront aussi plus surs des eirels qu'ils peu-
venl en altendre. L'Academie, apprecianl loule I'iin-
portance de celte decouverle , decerne a Tin vcn leur
une medaille d'argenl de premiere classe.
Un docteur en medccine , M. Seure , nous a en-
voye ses observations sur le cholera qui a desole
le village de Suippes du 15 juin au 28 decembre
•1849. Les maladies qui servirent comme de prelude
a Tepidemie , I'apparition du fleau meme , sa mar-
che , d'abord lenle el bienlol rapide^ sa periode
de decroissance ; les causes qui parurenl le deter-
miner dans un grand noml)re de cas ; les viclimes
qu'il enleva , celles qu'il se conlenia de frapper d'une
maniere plus ou moins grave; les remedes qui onl
ete prescrils , les resultats qui onl eie obtenus , le
docteur n'omet rien de ce qui pent aider a I'etude
d'une maladie qui , jusqu'ici , parail avoir pris a
tache de deconcerter la science elle-memc. M. Lan-
douzy , apres avoir completed ses observations de
— 102 —
I'aunee piecedeuie sur la coexisleiice de raiiianiost^
el tie la nephrite albiimineuse , cl sur rexaltalion
de rouie dans la paralysie dii nerf facial , nous a
rendu comple des decouverlcs recentf^s , faiies par
M. Bernard , Lnireal de I'lnKtimt , sur I'aclion dii
pancreas dans la digestion des graisses vegetalos on
aniraales, et sur I'existence dans le foie du sucre
a I'elat normal. II nous a monlre quel pas immense
ont fait faire a la science ces deux decou varies
operees presque en m6mc temps par le meme au-
leur , el quelle influence elles doivent avoir sur
certaines parlies de I'hygieue cl de la medecine. —
Un savant docteur , M. Grange , avail ele charge par
le Gouvernement de faire I'hisloire geographique du
goitre , d'eludier les causes de celte trisle affection ,
el les moyens d'en preserver les populations. Ce
savant avail cru devoir allribuer la cause du goitre
h la presence de la magnesie dans les alimenls tu
dans les boissons ; et pour cela il s'appuyait , non
seulement sur fes propres observations ^ niais encore
sur celles de piusieurs geologues de France , de Suisse
el de Piemont. M. Maumene nc parlage pas eel avis :
aux lemoignages invoques par M. Grange^ il en op-
pose d'autres non nioins formels ^ nolammenl cciui
d'un medecin de Grenoble ; aux observations du doc-
teur , il oppose les siennes ; ni les eaux de lieims ,
qu'il a analysees , ni le sol , qu'il a bien etudie , ne
contiennenl aucune parlie de magnesie ; el pourlant
le goitre a ele Ires commun a Reims , si on en
croii les anciens docleurs du pays, qui declarenl,
en 1746, « qu'il u'y a pas de ville en France ou
Ton trouve plus de goitres » avec tanl d'autres ma-
ladies non moins affreuses , qui sord reformees
— 103 -
aiijoiird hni comme aulam d'abus de I'ancien regime.
M. Landouzy, sans altaqiier los experiences de M.
Maiimenc, pense qu'ellcs peiivent en qiielque sorle
se concilier avec celles de M. Grange, pnisque , si
le premier declare qu'il n'y a point de magnesie dans
les eaux du pays , le second recoiinait qu'il n'y a
point non plus de goitres a I'etat endemique. Quant
a nous, content d'avoir indique le point en discus-
^ion , nous dirons avec le poete latin :
Non nostrum inter tos tantas componere lites-
Ne quiitons pas les sciences medicates sans men-
lion ner la communication faile a 1' Academic par M.
Baudesson , veteriuaire , d'un cas de fievre inter-
millenle observee chez le cheval.
C'est a M. Sornin que nous devons la premiere
notion de la belle e:iperience , faile par M. Leon
Foucaull , I'our demonlrer , au moyen du pendule,
le mouvement diurne de la lerre : experience que
ions les savants de la capilale oni admiree au Pan-
theon, el qui vient d'etre renouvelee dans la cathe-
drale de Reims par MM. Lechal et Maumene. — M.
Landouzy nous a fait connailre les avanlages d"uu
compensalenr invente par M. Pecheloche, d'Epernay ,
pour reglerle raouvemenl des montres, compensalenr
admis aujourd'hui aux honneurs de I'exposition de
Londres. — M. Lebrun , directeur de I'Ecole des
Arts , nous a fail apprecier ce qu'il y a de vraiment
utile dans diverses inventions de M. Caillel , fondeur
a Chalons, iuvenlions qui consislenl en un appareil
portalifpour les bains de vapeur ; une pompe fou-
lanle el aspiranle pour les arrosements el les epui-
sements; une pompe a incendie qui peul penelrer
— 106 —
an l)ftsoin dans I'interieur des balimenls. En consi-
deration des services que peuvenl rciidre ccs appa- (\
rcils , rAcaderaie decerne a xM. Caillel une medaille |
d'argent. — 'i. Maillel nous a fait pari de qiielques i
{lecouverles donl la realisation, s'il est possible, doit ■
aniener une revolution , heurense ceile fois , pour
le commerce el I'induslrie , sur tons les points du
globe. Cost d'abord nn moyen de mnlliplior los piiils
arlesicns , de les uliliser comme mode d'irrigalion
dans les campngnes , el comme force molrice dans
les usincs et les manufactures , de maniere a rem-
placer la vapeur el eviler les depenses et les accidents
qu'elle occasionne. C'est ensuite nn precede pour
donner a ces memes pnils une grande dimension
qui leur permetle d'alimenler, non seulemenl les
pelils cours d'eau , mais les canaux el les rivieres
navigables, de feconder les craies de la Champagne ,
et meme les deserts de TAfrique , en les arrosant
par de larges fleuves. Nous allendons, pour nous
rejouir de cetle decouverte , qu'elle ait regu la
sanction de I'experience. — Je ne suivrai pas M.
de Maiziere dans ses reflexions sur une brillante
experience d'oplique, moins encore dans la direction
des vaisseaux aeriens : je craindrais pour moi le sort
du presomptueux Icare.
J'altends , pour vous parler dc la legislation que
le meme savant propose sur les brevets d'invenlion,
le rapport que doivent faire ceux de nos confreres
qui sent charges de I'examen de ce travail. — J'ar-
rive au Paracasse. Qui n'a pas entendu parler de
cet appareil invenle par notre laborieux confrere
pour preserver de la casse et du coulage le vin de
Champagne a I'epoquc oil il forme sa mousse ,
— 105 --
appaiei! qui doit , suivant les calculs de Taulcnr ,
saiiver chaqiie annee de la dcslriiclioii la valour
moyemic de six millions de francs? Si ces calculs
voiis paraissenl exageres , vous ne reftisercz pas dii
moins d'admellre cciix de M. Maumene , qui, dans
iin rapport consciencieux , declare que le benefice
net produil par le paracasse, dedticlion faiie de lous
les IVais J doit eire , an minimum, de •10,000 fr.
par lirage de 100,000 houleilles. On s'etonne qu'en
presence d'un lei resullal, le paracasse ne soit pas
encore en usage dans loulcs les maisons de com-
merce; nous ne dirons pas, avec un de nos mali-
cieiix confreres , que les negocianls onl un grand
inlerel dans la casse de leurs houleilles , nous aimons
mieux croire qu'ils s'eirraienl d'une depense dont les
avanlages ne leur paraissenl pas encore assez certains.
Nous les prierons done , avec rAcademie , de vouloir
bicn pioceder a une nouvelle experience sur cct ap-
pareil , de manicre a elablir la verite complete sur
les avanlages de son invention. — Tandis que M,
de Maizicre Iravaille a nous conserver le produit de
nos vigneSj M. Velly chcrche , au moyen de la dis-
tillaiion, a nous faire connailre ce qui en determine
le bouquet, ce bouquet si varie , qui permet aux
amaleurs de connailre, en savouranl nos vins, non
seulement le lieu d'ou ils provieuucnt , mais aussi
I'annee ou ils onl etc recollcs. — Disons encore quo
nous devons a M. Maumene une note sur I'emploi
des sulfates d'alumine dans la leinlure ; et passons
a I'economie politique.
Ici encore, aussi bieu que sur le terrain de la
science et de I'induslrie, nous renconlrons M. de
Maiziere , toujours fecond , toujours infatigable.
— 106 —
lanlol ce sonl cies qiieslious brulaiilcs qu'il irailo
avoc calme et le sang-froid du philosophe ; tanlot
c'esl la question Malthusienue, dont il pense entre-
voir la solution scienliflque , solution qui doii assu-
rer, selon ses calculs , une longue serie de siecles
a I'existence heureuse de rhumanite sur la terre ;
lanlol il examine quelles modifications , dans les
raoeurs publiqucs el privees , paraissent devoir elre
le plus favorables au progres de ragricullure, el a
la moralile comme au bien elre des populations agri-
coles. Le soulagemenl, le bien-elre nieme, des
classes pauvres, c'est ce que |)Oursuit notre venerable
confrere avec une ardeur vraimenl digne de succes.
A-t-il trouve la solution de eel interessanl probleme?
Nous croyons pouvoir en douter; mais nous dcvons
lui savoir gre de I'avoir chercbe.
En matiere de jurisprudence, M. Masse nous a
fail apprecier le merile des oeuvres de M. Troplong^
et s'est arrele plus specialemeni sur son commentaire
du litre du contral de mariage.
Dans une analyse lilteraire el philosophique des
ouvrages couronnes par I'Academie fran^aise, comme
les plus utiles aux moeurs, M. E. Arnould a par-
couru devant nous, donnanl a cbacun la juste pari
de critique ou d'eloge qu'il merile la Morale sociale
de M. Adolphe Garnier, puis quelques opuscules
composes pour les enfanls par Mesdames de Bawr,
Desbordes-Valmore , Marie Carpentier, el de Mont-
merque. — A la vue de celle guerre plus ou moins
sourde livree de louies parls aux veriles religieuses
et morales, un courageux ecrivain s'esl leve pour
en prendre la defense. De sa plume, non moins
bardie que facile , M. I'abbe Chassay a fail sorlir une
— 107 —
sericdo Irailes polemi(iues, donldeux onl dejii ele exa-
mines par nos confreres. Le premier, la Purele du
cceur, que M. Tourneur nous a fait connaiire, a
pour but de combatlre ie scnsualisme, malgre I'appui
que lui prete une trop funesle litleraiure, el d'en
f^iire V(tir les trisles consequences. Le second , le
Mxjstichme catholiqne, analyse par M. Gainet, abor-
de les questions les plus delicales du christianisme,
et fait justice des attaqucs soulevees sur ious ces
points par la legerele ou la malveiilance. — Avec
aulant de courage que le professeur de Bayeux^ M.
Gainet s'est charge de la rude tache de soumettre
a la critique les Iravaux historiques de M. Guizot,
nolammcnt ses deux Histoires de la civilisation en Eu-
rope el en France. Ni la reputation, ni le genie de
Tauleur n'ont effraye notre confrere : tout en rendant
un juste hommage au talent, il sail relever I'erreur
parloul ou il la rencontre; il ne crainl pas de faire
voir a Tillustre ecrivain que les doctrines anarchiques
et subversives qu'il combat aujourd'hui dans son livre
de la Democratie , son\ la consequence necessaire de
celles qu'il a emises precedemment dans ses aulres
ouvrages.
M. Sornin , descendant un jour des hauteurs de
la science , n'a pas dedaigne de faire une excursion
dans les terres de I'archeologie; il est alle visiter
les champs ou furent Orval ; Orval , nagueres le
rendez-vous de tous les arts , aujourd'hui amas im-
posanl de ruines ! M. Sornin nous a exquisse rapi-
dement I'histoire de cette cclebre abbaye , dcpuis
le jour ou un evenement touchant la fit naitre ,
jusqu'au moment ou elle disparut profanee par I'or-
gie , devastee par le pillage , devoree par les flammes.
II. 8
— 108 —
— W. Duqucndle a Diis sous nos yeux d'aulres de-
bris beaiicoup raoins altrislants: ce sont difTereols
objeis d'aniiquite decouveris dans le pays de Reims
pendant I'annee 1850. Parmi ces monumenls du
lenops passe, selrouvenl quelques monnaies gauloises,
!es unes en plomb, les autres en or, donl M.
Maumene a bien voula analyser le melal pour en
apprecier I'alliage. M. Duqueuelle a fixe plus parli-
culierement notre altenlion sur une riche trouvaille
de pieces d'or <lu xv" siecle, laite sur la place
publique de Villers-Alierand, trouvaille que deja je
vous ai aiinoncee I'annee derniere. — Le meme
anliquaire nous a rendu compte d"un ouvrage de
M. de Fontenay, ayant pour tilre: Nouvelle etude de
jetons. — Une chaussure antique, tissue dor el or-
nee de dessins mauresques, avail ele presentee a
I'Acadeniie par M. Morlier-des-iNoyers, qui la destinail
au Musee de la Ville. Celte chaussure, suivanl le
donaleur, eiaii entr6e dans sa faraille par suite du sac
de Burgos, en 1809, et provenaii de la tombe de
Sanche I, roi d'Aragou , morl en 1094. Mais voici
venir M. Loriquet, qui s'avise d'inspirer des doutes
sur i'aulhenlicite dc cetie relique. Pour cela, ii nous
transporte a Burgos , nous y promene d'eglise en
eglise, de mouastere en monaslere, examine devant
nous touies les sepultures, lit toutes les epitaphes,
el nous fail remarquer que pas une ne porlc le
nom de Sanche, que des rois ne furent inhumes a
Burgos qu'a une epoque beaucoup plus recente; d'ou
il conclul que Teloffe susdite ne peut provenir d'une
lombe royale sans perdre son antiquite, Mais en
echangc de celte noble origine , qu'il lui conlesle ,
ii consent a lui en donner une anirc. plus ilhisiro
— 109 —
peiil-elrc: il en chausserail assez voionliers uiie des
jamhes dii Cid ou de son Ills. II esl vraimpnt fa-
clieux que, sur ce poinl, les rcnscignemciits du savant
archcolognc ne soienl encore que des soiip^ons. —
Noire confrere qui, comme vous le savez , a lon-
guement eUidie les divers appareils do I'eclairage
antique , nous a donne le dessin et les dimensions
d'une sortc de lampe de bronze decouverte au bourg
de Grand, dans les Vosges. Mais une chose Ta vive-
menl preoccu|)e . aussi bien que le-; savants de Nancy,
qui avaient deja examine celtc decouverte : h quel
usage pouvait servir celte lampe? Etait-elle alimentee
avec de I'huile ou bien avec du suif? Eiai!-Cv> une
lampe ou tout simi>Iement un lampion ? C'est un pro-
bleme , donl M. Maumene doit un jour nous donner
la solution.
La science historique ne possedail jusqu'ici que
des lambeaux d'histoire de I'Asie. M. Oppert nous
a donne les moyens d'agrandir , sinon de completer
sur ce point nos connaissances, el de prendre, pour
ainsi dire. I'histoire meme sur le fail, en eludiant
les inscriptions primitives du pays, qu'il appelle ins-
criptions cnneiforraes, et donl il nous a decrit , de-
chiffre et iraduit plusieurs fragments imporlants. —
Etudier I'epoque la moins connue de noire histoire,
le disicme siecle , depuis I'origine jusqu'a I'accom-
plissement de la revolution capetienne , tel est le but
que se propose M. Mourin. En retragant, dans son
introduction, I'^tat politique el litleraire d;' la France
durant celte periode , il a esquisse a grands traits
le fond du tableau sur lequel il doii grouper ses
differents personnages; deja meme il a fail appa-
railre celui d'entre eux qui doil lui servir de guide :
- HO —
jc veiix dire le inoiue Richer , noire compalriole ,
qui a commence a Reims cede elironique precieuse
longlemps perdue, longiemps ignoree, que I'AIIe-
niagne vienl cnfln de nous reveler. — Un de nos
correspondanls, M. Azais , appuye sur celte pensee
ijue I'hisloire des langues est la base de celle de^
nations , s'est servi de la laiigue basque , coinme
d'un lil conducleur, pour remonler a I'origine des an-
ciens Ligures, el suivre les traces de leur transmi-
gralion. II a lrouv6, dans los noms qu'ils ont semes
sur Iciii" loule, le long dos coles de la Medilerranee ,
depu s les Pyrenees jusqu'aux Alpes , el plus loin
encore , la j,reuve qu'ils sont parlis de I'Espagne pour
aller s'elablir en Italic. — Ai-je besoin de vous rap-
peler ce Manuel de Vhistoue des Conciles, dont jc \ous
ai rendu corapie il y a plusieurs mois, ol qui a ou\erl
a son auleur, M. Guerin, les pones de I'Academie.
— La plus douce , la plus belle portion de noire
lache , csl, sans conlredil, de conserver la menioire
des (loms chers aux sciences el aux lellres ; aussi
nous remercions MM. Deces el Robillard, le premier,
de nous avoir inilies aux details les plus iniimes do
la vie de Duquenelie, jadis chirurgien en chef de
I'Holel-Diou de Reims; le second , d'avoir jcie devanl
nous les fleurs les plus gracieuses comme les plus
suaves sur la lombe de M. Massolin, ancien profes-
seur de rhelorique an lycee de Caeu.
Pendant que chez nous la lillerature , devenue vul-
gaire , court loules les rues, M. Robillard, qui veul
du rare, est alle en chercher jusqu'en Turquie. Mais
qu'y a-t-il Irouve? De I'eloquence ? Non : le fanatisme
y parle pen , cc qu'on appellc la justice y parle moins
encore. De Thisioire? Non ; mais des hisioricns qui
— Ill —
se ressemblent lous « par le vide tie la poiisee el la
pompe emphatique du langage. » De la poesie? Oui,
et beaucoiip; c'esl comme la languc nalurelle du
inusulman ; poesie loiile parfumee d'ossence dc rose,
(|ui pejil inventer nn cliarmant apologue, soupirer
one lendre elegic . mais qui n'inspirera jamais une
epopee Aux yeux de M. Iloliillard, I'Orieui, qui ii'est
plus la j)airie des aris, le pays des enchanlemenls
ct des I'eeries, la scene des evenemenls iragiquos ,
rOrient est passe a I'etat de clirysalide , el prepare
sa ci'ise de iraustbrmalion. — Eu aitendani (ju'elle
soil operee , reveiions chcz nous, pour eludier, avec
M. Forneron, nos faculies liileraires Suivant I'autcur,
le genie lilleraire parail avoir irois mauifeslalions
principales, et s'offrir a I'apprcciation sous Irois
phases diverses , la sensibiliie, rimagination el la
raison. Si chacune de ces faculies veul agir separe-
ment,elle produira difticilement une oeuvre de quel-
que merile , ce n'esl que reunies quelics peuvent
enfanler des chefs-d'oeuvre dans tous les genres. —
Je vous enlretiendrais du comple que nous a rendu
M. de Mellel du congres lenu a Paris par les delegues
des socieles savanles des deparlemcnls, si notreCom-
pagnie, dont noire digue President a fait valoir les
Iravaux , n'y avail reQu des eloges que nous ne
pouvons repeler, sans craindre d'etre taxes d'orgueil.
— Je vous parierais du travail sur les Proverbes
contestes et constesfables , envoye par M. Lorin, et
examine par M. Pierrel, puis aussi de I'Essai sur
les noms de Jean, leannin, Genrn, et aulres noms
regardes comme injurieux par le meme auieur, si
je n'avais hale d'arriver a la poesie.
La poesie! Qui done y pensc aujourd hui? aiijour-
— 112 -
(i'hui (jiio tons les esprils sonl dislrails par les dis-
cussions poliliques , ou absorbes par le soin ties
inlerets mat^riels ! Les muses eherchenl avant loul
I'ombre des bois , le silence dos champs ; elles ai-
meni los fleurs, la verdure, le beau ciel; elles re-
doulenl I'ennui des chifi'res, la fumee de la vapL'ur,
le bruit des machines; elles se cachent, elles s'en-
fuient a I'aspect des orages. Toutefois, au milieu
des preoccupations generales il est encore des morlels,
privilegies, a qui Dieu donne des loisirs, et qui
peuvenl s'occuper de vers. Car M. Midoc nous a fait
remarquer le nombre et le merite des oeuvres poeli-
ques couronnees ou publiees I'an passe par I'Aca-
demie des Jeux floraux. — Un poete anonyme, sous
le litre de Souvenir du 6 Novembre 4850 , a chante
ce beau jour de fete, ou toute une population dans
I'enlhousiasme courait au dcvant d'un prelat bien ai-
me, que ses verlus, sa science venaient d'elever a
la pourpre romaine. — Dans un elegant apologue,
M. Robillard a peint, sous les traits d'un cerf-volant,
I'orgueil du parvenu, qui, une fois eleve, oublie
irop facilement la ficelle qui le soutieut. — Un pro-
ces intente au sujet de certains mefails atiribues a
trois oiseaux parleurs, el qui se termine par la
pendaison toute naturelle, sinon des coupables, du
moins de tous ceux donl on se plaint, telle est la
raaiiere d'un joli conte que M. Violette a intitule
La justice normande.
Pour nous offrir une trnnsition facile de la poesie
aux beaux arts, nous trouvons fort a propos le remois
Baussonnet, a la fois poete et dessinaleur, dont M.
Sutaine nous a rappele le double merite ariistique
et lideraire. Dans une autre notice, M. Sutaine nous
— 113 —
a parle d'Edme Moreau , qui prela a Baussonnet Ic
>ecoiirs de soti burin , et qui iravailla loiigtemps a
ReiiDs et pour Reims, aussi n'hosite-l-il ^ le placer
parmi ies artistes remois , bien qu'ii soil Chalonnais
d'origine.
Dans I'expose que je viens de fairs de nos (ra-
vaux , vous avez sans doule remarque I'absencc de
plusieurs noms que je vous citais I'annee derniere.
C'est que depuis cette epoque I'Academie a fail de
grandcs perles. Des savanls dislingues , des magis-
trals erudits, avaient ele envoyes a Reims pour y
exercer diflerentes fonclions; nous avions eie heu-
reux de Ies accueillir pour nous appuyer de leurs
talents. Mais la main qui nous Ies avail preles nous
Ies a repris, notammcnt celui qui Fan passe presi-
dait celle solennile litleraire. De !a se sotil faites
dans nos rangs de nombreuses, de regrellablcs la-
cunes. Ces lacunes, il est vrai , ont ele bienlot com-
blees par d'autres savants qui ont repondu a noire
appel; mais nous eussions aime a rccevoir ceux-ci
sans avoir a perdre eeux-la. 11 ne pouvait en elre
ainsi. Qu'il nous soil du moins perrais d'esperer
que Ies premiers conlinueront encore a nous aider de
leurs lumieres , que Ies seconds s'empresseront de
nous donner leur concours, et que, de loin comme
de pres , nous trouverons toujours cliez tous, ce que
nous leur promettons a noire tour , Ies sentiments
d'une veritable fralernite.
ll/l —
Leclurc de M. Henri Paris.
KAPPORT sun LE CONGOURS DE 1851
Messieurs ,
Plus heureuse que les irois annees precedenles ,
I'Academie a regu celte fois des raemoirf^s sur presque
loutes les questions mises au concours pour I'annee
4851. — C'est le comple-rendu de rexamen de ces
concours que voire bienveiilance ra'a charge de vous
presenter en cetle solennile.
La premiere question que vous aviez proposee
traitait de VHistoire de la commune de Reims. II
s'agissait de determiner quels etaienl a I'origine les
pouvoirs des echevins, el quelles en furent les varia-
tions successives.
« En meltanl au concours Thistoire de I'Echevi-
nage remois , dit M. Girardin dans le rapport special
qu'il vous a fait sur celte question , I'Academie ne
demandait pas aux candidats de reunir quelques lieux
communs sur les municipaliles du moyen-age , et
sur leur lulte contre la feodalite , elle desirait que
les documents sur I'hisloire de Reims fusseni com-
pulses avec soin , et que ces maleriaux , heureusement
— 115 —
icunis par une main savanie , piissenl servir de base
a uii recit melhodique. Vous coraprenez lous, ^!es:
sieiirs (je continue a citer noire confrere M. Girar-
(lin) , que je fais allusion a la publication de Tbis-
toire de Dom Marlol et des arcbives administraiives
et legislatives de la ville de Reims , par le savant et
regrettable iM. Varin. Jamais Ics circonslances n'ont
ete plus favorables pour remuer I'histoire de cette
ville. Grace a ces prccieuses publications^ on peut
determiner maintenanl avec assez de precision quelle
elait la juridiclion episcopale , la juridiclion du cha-
pitre , la juridiclion municipale ; comment elles
luilereni cntre elles avanl de subsister simultane-
ment ; comment enfin la royautc iniervint d'abord
par les appels du parlement , plus tard par les baillis,
et enfin par la creation d'otliciers de police relevant
directement du roi. »
Un seul memoire vous a ete adresse sur celte
question si pleine d'interet pour I'hisloire locale , et
dont I'Academie elle-meme avail facilite I'exanien a
I'avance par I'lmportanie publication de Dom Marlot.
Mallieureusement I'auteur , au lieu de se reporter aux
documents speciaux aujourd'hui mis a la porlee de
tous , s'est jete dans des generalites qui rappellent
un pen les bancs de I'ecole, et a ainsi perdu de vue
le veritable objet de la question meme. On volt que
les materiaux lui ont manque , et que les faits lui
ont ete incompletement connus.
Sur les conclusions de voire Commission (1), vous
avez decide que le prix ne pouvait pas etre decerne.
La seconde question , relative a V Assistance publi-
(•) MM. et Girardin , rapporteur.
— 116 —
que, (lomandait nn projet d'orgnnisalion tin s rvice
saiiiiaire ponr les indigents des campagnes.
L'auleur dn memoire portanl pour epigraphe Com-
muni utilitati conmlere debemus , a paru a voire
Commission (1) avoir rempli a peu pres los con-
dilions du programme. Toiilefois , le cote prati-
que, c'esi a dire le cole le plus embarrassant peut-
elre de la question, n'a pas ete suffisamment ahorde.
Comment arriver a Torganisalion de ce service sani-
laire d'une fagon reguliere , permanente, sinon avec
des ressources fixes et dont le renouvellemenl an-
nuel soil assure a i'avance. L'auteur est resie a cet
egard un peu Irop dans les probabilites et les espe-
rances. Les moyens qu'il propose ne sont assis que
sur des donnees incertaines , des bases Irop varia-
bles , pour que Ton puisse compter sur une appli-
cation immediate et soutenue. Le cote foible indi-
que , il faut reconnaitre de suite que l'auteur s"est
place des le debut et est reste jusqu'a la fin a la
hauteur du sujet, et que son memoire, ecrit avec
soin , empreint de pensees justes el morales , est
digne d'eloges et d'encouragement On y reconnait
une etude serieuse de la question , une recherche
approfondie des divers essais tenles a ce jour. II
conticul d'utiles renseigneraents sur quelques com-
munes du departemeni , et notamment sur Plivot et
Damery, ou auraient ete fails quelques pas dans
celte voie ouverle par les voeus de lous.
Aussi avez-vous juge , avec voire Commission ,
qu'il y avail lieu de decerner a l'auteur, M. Leforl,
medecin a Damery , une medaille d'argent de
(i) MM Landouzy. I'abbe Gainet et Deces , rapporteur.
— M7 —
piciiiierc closse. Voiis avez jiige oiissi qne ceUc
qucsiioi), si emiiicmmciU pliilanlhropiqiie , serait
maitiienue ;iu concours de 1852, en emclianl le
voeii que I'auleur du memoire , encourage ceUe an-
nee , poursuive ses etudes , el , qu'a I'aide de nou -
velles rechcrches , il arrive a tronver les moyens
durables d'assurer aux indigents des campagnes la
distribution de secours aussi prompts qu'edicaces et
economiques. L'Academie serail heureusc de pouvoir
recommander a la sollicilude de Fadministration un
sysl6me d'organisalion qui atteindrait un pareil but.
Trois questions d'economie agricole avaient ete
proposees ; la secondc scale a ete traitee.
11 fallait indiquer les moyens pratiques d'amener
rapidement a I'elat de culture ordinaire du pays les
lerres incultes ou en friche , connues en Cbampagne
sous les noms vulgaires de terres usagercs , trios el
savarts.
L'auteur du memoire que votre Commission a du
examiner n'a pas cru que la question put 6tre reso-
lue. Amener en pen de temps ces terrains h I'etat
ordinaire de culture, lui pnrait une oeuvre di/fkile ,
el il ajoiite, pour ne pas dire impossible.
Dans un travail, ou se revelent d'ailleurs unc
grande experience et des eludes inlelligenles et sui-
vies , il n'hesile pas a presenter la plantation en
bois des terrains inculles comme le moyen le plus
pratique de leur mise en culture. Ce moyen depuis
longtemps connu , el employe avec succes , mais
n'amenanl de resultals que dans un temps fort eloi
gne, ctail place en dehors de ceux donl TAcademie
appellailla decouverte. Aussi se borncr a cxposer ce
— 118 —
moycii J donl Ics effels lardifs avaicnl preciseiueii
ini-pire la qiieslion tHo-meme, n'etait-ce pas !a re-
soudre. I/aiileiir I'a si bieii conipris lui-meme qu'il
declare on commcnQanl son Iravail ne pas repondre
direclcmciil a la question posee. Voire commission
a done dii se borner avec regret par I'organe de
M. Goda, son rapporteur (1), a signaler a votre atten-
tion les renseignements utiles donnes par rauleur,
pour retenduc el la nature des lerres incultes de la
Champagne , sur les depenses , les regies , les re-
sultals de leur plantation en liois el a mentionner
honorablenienl son Iravail dans le Compte-rendu.
Mais elle n'a pas pense que la question fut aussi
insoluble que le suppose I'auteur , el a raison de
son importance elle sous a demande de la main-
tenir au programme des concours pour la premiere
annec.
Vous avez, Messieurs, adople ces conclusions.
Sur la question de litleralure, I'Academie a re^u
un meraoire fort volumineux portanl pour epigraphe
cette phrase de M. Ampere:
« Si Ton faisail I'hisloire de noire ancienne lit-
leralure par provinces , celles qui liendraient le
premier rang seraienl la Norn)andie el la Cham-
pagne. »
On demandail aux concurrents de suivre les pro-
gres et les developpcments de la langue Frangaise
en Champagne, d'apres les auteurs de cette province,
depuis le xii* siecle jusqu'a nos jours.
La aussi corame pour la question d'hisloire les
(i\ MM. Saiibinet, Derode et Goda.
— 119 —
ponrces ol)on(laienl. Depnis Clirctien-le-Champonois
jiis(|ira Lafonlaine ci nieme au dela tin xviH" sioclo
il eiail facile de saisir et constaler dans los nom-
breux ecrivains qui ont iliustre noire province , la
naisanco, los developpcmenls el les revokiiions sue-
cessives de noire idiome nalioi;al. Apres avoir clier-
ch ; coinn/C point de depart dans le melange des
races, I'origine et la formation de la langne, les
concurrents ponvaient en relever avec siicces la pre-
miere expression connue dans le Perceval^ le Lancelot
et les aiitres changons de Chresticn de Troves.
Poursuivanl au xiii" siecle leurs recherciies, ils !a trou-
vaieiit s'epurant, se perfeciionnant et arrivanl a nne
snperiorile (jui le disputail a la languo meme du
Danle, dans la prose si naive, si expressive^ si bardie
de Vilk'bardoin, el de Joinvillf, dans les poesies si
fraiciies , si delicates el si gracieuses dn Comle de
Champagne, d'Auboin de Sezanne, de Marie de
France d de lanl d'aulres. Avec le xiV siecie com-
men^a unc revolution dans la langue , qni en altera
la naivcic et I'elegance primitive, el la jela dans
nne confusion telle qu'il senible qu'on ail vonlu la
refouler jusqu'ii son berceau. Cost alois que naquil
CO genre allegoiique et pedanlesque du roman de
la Rose, el, commc dit Sainte-Benve , de sa menue
monnaie relournee et disiribuce en cent facons ;
epo(ine do decadence , oii Ton retrouve encore avec
boidieur les lormes originales dans les ballades de
Guillaume de r^lachault , les poesies d'Kusiache Des-
champs , les dogmaiiques cl les ceuvrcs morales de
Gerson , les potits poemes de Guillaisine Coqnillart
el les ecrils de Juvenal dcs Ursins. Nous toucbons
a la renaissance. Amadis Jamyn, I'elevc de Ronsard ,
— 120 —
le saljriqne Jean Passerat , siiccesseur de Ramus ,
Pierre Pilliou , I'lin des piincipaux auteurs de la
Satyre Menippee, Pierre Larivey , procurseur de
iMoliere, represenlent la Champagne dans cc siecle
de lullc el d'agilalion oii la bonne eloculion fran-
C-aise Unit par Teraporler , malgre Ronsard et sa
cabale. Ronsard,
Dont la muse en francois parlant grcc et lalin ,
Vit dans I'age suivant , par un retour grotesque ,
Tomber de ses grands luols le fasle pedanlesqiic.
Enfin , Malherhe vint.
C'esl alors que s'ouvre la grande epoque de la
langiie et de la litteralure. En meme lemps qne
le preceple Irouve dans la fille immorlelle de Ri-
chelieu, son legislaleiir el son soulien , I'exemplc
suit el parfois devance le preceple lui-meme. Dans
celte merveilleuse expansion du genie de la langue qui
se continue jusqu'a la fin du xviii* siecle, la Champagne
revendique avec gloire au dessus de loutes ses dhis-
irations eecondaires le cardinal de Retz , Lafunlaine
el Racine , donl un seul suffirail pour placer au
premier rang la province qui les a produils. A cetle
ere de la bonne eloculion succedenl les lemps mo-
dernes , ce qu'cn a deja appele la periode des neo-
francais. Jamais a aucune epoque on n'aura plus
parle , on n'aura plus ecrit. Peul-elre n'est-ce pas
une raison pour mieux ecrire , pour mieux parler?
Mais arretons-nous , car la question posee par
I'Academie s'arrele la. Quel sujet vasle, grand ,
plein d'ailachemenl el d'inlerel ! Et encore a'avons-
nous indique nu'une pariie de ses ressources et de
— 121 —
ses riciiL'Sses ? L'aulcur du menioire , donl I'epigra-
|)lie ie(j()iidail si bioii au sujel , I'a-l-il aiiisi com-
|)iis , I'a-t-il aiusi iraile? Un inslaiil , Messieurs,
voire Conmiission tn a con^u I'orgueilleux espoir.
Bieii (|ue I'auleur so soil peul-e(re un |)eii plus
occiipc de !a liltciralure que de !a languc ^ du loud
que de la ibnne , bien que diverses de ses appre-
ciations aienl pu soulevcr quelqucs objeclions et
quelques critiques , cependanl dans I'ensemble ,
dans les details , par les rechercbes , I'erudiiion dont
son travail faisait preuve , le style varie , souvent
cleve , qui en disiinguait plusit-urs parties , il nous
paraistait a premiere vue digne du prix que vous
aviez a decerner. Mais celle variele meme el celte
disiiuclion du style qui faisait I'un des principaux
oriunients du memoise, vous causaienl peu a peu
une certaine surprise ; ei un second cxamen meltail
bienlot a nu de frequents emprunts fails a divers
aiiteurs , qu'ou avail sans doule omis de noler.
L'oeuvre devenait alors comnie une mosaiqnc patienle
el recbercbee de citations. II aurail fallu du moins
en signaler les sources, a peine de rappeler I'une
des fable:; d'un des plus grands interprcles de noire
langue , et de ne pouvoir decemraent etre couronne.
Aussi, Messieurs , votre commission vous a-t-elle
propose de passer outre.
J'arrive a la derniere question , celle d'econoniie
induslrielle. EUe elail presentee eii ces lernies :
luvenler un appareil propre a eviler les graves in-
conveuieuls que presenle au point de vue bygicni-
que le fourneau babiluellemenl employe [)ar les pei-
gncurs de laine.
(I) MM, I'ienet , Delan cl li. Paris.
— 122 —
Cel appareil clevra etre , disait le programme, d'un
prix peu eleve, d'un emploi economique et egale-
ment applicable aux usages domesliques et indus-
trials.
Vous vous rappelez, Messieurs, que I'annee der-
niere cetle question figurait deja au programme des
concours el que M. Chevalier, pour ces essais, re-
cevail a pareille epoque une medaille d'enconrage-
menl. Dans le cours de la nouvelle annee M. Che-
valier a pcrfectionne son appareil , on peut meme
dire qu'apres bien des essais, il I'a completlement
modifie, et que celui qu'il presente aujourd'hui est
lout a fail nouveau. 11 se compose d'un poele de
fonle de forme carr6e et oblongue, dispose a I'iute-
rieur, de fa^on a chauffer irois paires et demie de
peignes a la fois, et a une chaleur convenable pour
ne pas jaunir la laine.
Les peignes se trouvent places par des ouverlures
praliquees sur le devanl et les coles, au dessus d'un
foyer mobile qui permel de regler le feu a volonte.
lis peuvent etre garantis du contact direct du foyer
par un regisire qui se meut dans une ouverture su-
perieure, ferm6e par un couvercle de tole^ sur la
partie posterieure du couvercle se trouve un autre
couvercle , propre a recevoir un vase de cuisine.
Deux clefs adoptees, I'une au luyau , I'autre dans
les coinpai timents intericurs , servenl a regler la
combustion et la distribution de la chaleur.
Telle est , Messieurs , la description que vous a
donne de cet appareil notre confrere M. Henriot-
Delamotle, que vous aviez specialement charge de son
examen. 11 lui a paru remplir loutes les conditions
du programme.
- ITd —
Au poiiil de vuc hygieni(]iie , les grav-s iiicoii-
venienls que preseiile le foiirneau acluel pour le
tiegagement des gaz carboniques, onl lolalemeni
disparu.
Au point de vue econoinique , le combustible
employe elant ia houille , la depenso d'une journee
li'excederait pas 9 centimes, en calculanl la houille
gailielerie au prix de 50 fr. les mille kilogrammes,
prix de !a venle au detail , landis que la consom-
malion du charbon de bois est de 50 centimes [lar
jour.
Le prix de rappareil de M. Chevalier serait de
20 francs , environ ; ce prix n'est pas trop eleve ,
compare a I'eccnomie journaliere qu'en procurerait
I'emploi,
Enlin , a rnison de sa forme el de ses luyaux ,
il pent utilement remplacer le poeie en fonle^ doul
Irs ouvriers ont bcsoin I'hiver pour tous les usages
domesiiques du menage , Tapprel de la nourrilure
el le chaufTage.
Celto invention de M. Chevalier a perdu aujour-
d'hui une pariie de son importance, par suite de la
decouverte recente des machines a peigner. Mais
c'est la un fail elranger a M. Chevalier qui ue dimi-
nue en rien le merite de son travail, de ?es nom-
breux essais el du resuliat qu'ii a obtenu, resultat de
lous points conformes a celui que vous atlendiez.
Aussi avez-vous decide que la medaille d'or serait
decernee a M. Chevalier.
Tel est, Messieurs, le compie-rendu general de
I'examen 1851. Si vos diverses commissions n'arri-
vent pas toules avec des conclusions qui vous per-
il 9
— 124 —
nieltcnt dc decerner le prix dans chaque concours,
du moins se plaiseiU-elles a temoigner de leur vive
salisfaclion d'avoir vu repondre dans iinc certaine
mesiire aux efforts ol aux sacrifices de rAcademie
de Reims, pour slimuler el feconder I'etufie dos
lellres, des arts el des sciences dans ce pays.
- 125
!>i'cUsri' (Ic ill. Sor?ii{s.
OE I. ASTRONOMIE.
Messieurs ,
All milieu du progres universel des sciences ei
dus arls, lorsque i'esprit humaiii s'elance avec una
nouvelle ardour sur Ics routes ies plus difliciles ,
on pent, en resumant ses travaux, se demander
quelle est celle de ses connaissances qui fait le plus
d'liouneur a I'homnie , quelle est Tceuvre oil son
genie s'eleve a la plus grande hauteur. Au premier
abord , il ne parait pas qu'on puisse repondre a
cette question d'une maniere absolue. Le philosophe,
en effet, aura raison de regarder comme la science
la plus sublime la connaissance de I'homme et de son
auteur; I'ingenieur voudra mettre avant lout, et il
ne manquera pas d'approbateurs, Ies decouvertes de
la mecanique et ses applications si belles et si utiles
aux besoins de la vie; a son tour le poete souliendra
que le culte du vrai , le culte du beau nous est aussi
indispensable que le pain de chaque jour.
Ainsi la reponse ditfere suivant le point de vue
sous lequel on considere noire nature, en raeme
— i2<) —
tpmps corporfilo el immalericlle, selon qu'on envisage
I'elre sensible ou I'elre inlcliigenl et mora!. Mais
n'esl-il pas une branche de nos conuaissanecs qui
(lonne ties aliments a loules les faciilies de I'homme,
qui sail parler a la fois a ses sens et a son inlelligence,
a son imaginalion et a son coeur, et cclle science,
n'esl-ce pas I'astronomie?
L'astronomie n'est pas encore arriveo a sa perfec-
tion ; pent-etre ne pourra-l-eile jamais avec les faibles
ressources dont pent disposer riiomme , alleindre le
bnt admirable qu'elle s'esl propose, a savoir :
connaitre I'univers , la conslitiuion physique des
niondes qui le peuplcnl, el les lois qui regissenl
Icurs mcuvemenls.
Mais la difficulle raeme de celte ceuvre montre
bien loui cc qu'il a fallu de savoir, de perseverance,
de genie a I'asironome, pour oser enlreprendre une
iaciic qui semblait a un tel point au dessus de ses
forces. Les resuUats merveilleux auxquels il est par-
venu feroni encore mieux voir la grandeur de la
pensee qui a preside aux iravaux immenses dont
nous recueiUons les fruits.
Ne semblail-il pas lemeraire de vouloir sender avec
Dolre faible vue les proi'oudeurs des cieux , au milieu
desquels la terre est moins que le grain de sable
perdu dans I'ocean ? Mais si le globe qui nous porle
ire.-l rien , quand on le compare a ceux qui roulent
autour de nous, Thomme est, par la grandeur de
son anie, capable de comprendre TinGni qui Tentoure,
De ces points eiincelanls qui brillent sur nos teles,
Tastronome a su d'abord faire deux classes : les
uns soiil de la meme nature que notre Icrre et gra-
viicni avec ello autonr du soioil. O.'s plan&tes il ks
coimaii aussi bieu que nous pouvons connaiire la
lorre cllc-ineme; il sail avec une precision, qui est
I'ailc pour trouver des incredulcs panni ceux qui nc
sonl pas initios aus meiliodes de la mecanique celeste,
quelle est leur forme, ienr distance, leur volume,
Icnr double mouvemenl , les forces auxquelles elles
obeissenl, a tel point qu'il prevoit les positions futures
de ces masses errunles, et pent, a un instant de-
termine, indiquer, avec la plus etonnantc exactitude,
leur place dans I'espace. Ainsi la minute a laqueiie
doit comniencer une eclipse, l;s nioiudres details du
phenomene, lui sont connus longlcmps avant Icui'
apparition. Bien plus , ses calcuis etablissent la route
des astres qu'il ne peul plus apercevoir ; le^: comeies
qui out fui nos regions ne peuvcnt echa[)per a la
puissance de ses recberches , et leur rctour est predil
un demi-siecle a I'avance.
Ces beureuses decouvertes onl enbardi I'astro-
nome ; il a ose aborder I'elude d'un.; ouiie classo
de corps, dont il ne connaissail, jusque dans ces
derniers temps , que limmense distance qui les se-
pare de nous. Tout le monde sail quel est I'eloi-
gnemenl presque fabuleux des etoiles. II est piouve,
en elTei , avec une complete cei lilude , que la In-
raiere qui francbit par beure 275 millions debeues,
nieltrait au moins 3 ans pour nous venir de Tetoile
la plus rapprocbee.
Tels sonl les astres dont on a voulu connaiire
les mouvemeuls el la nature intime , tout comme
s'ils etaienl a nos cotes. C'est ce qu'on pent nom
mer la grande decouverte de notre siecle. L'obser-
vation attentive des conslellaiions , I'emploi ile
— 128 ~
telescopes d'une grandeur inconnue jusqu'alors , onl
fail decouvrir dans les cloiles iin mouvement pro-
pro ; seulemeni ce mouvement provenait-il des eloiles
memes , ou bien etail-ce une apparence due a la
translation de noire sysleme solaire. Les astronomes
sont parvenus a separer ces deux elements , el il
resulle de leuis demiers iravaux que les eloiles el
le sysleme solaire sont a la fois en mouvement dans
I'espace. Tout porle h croire que notre soleil el
son cortege de planetes , enlraines par une enorme
Vitesse d'enviroii 1,500 mille lieues par jour, gra-
vitent aussi bien que chaque eloile aulour d'un centre
qui nous est encore inconnu.
Ainsi , quelle magnifique concordance entre les
lois generales du mouvement ! Les lunes ou planetes
sccondaires lournent siir elles-memes ot aulour de
la planele principale. Les planetes lournent aussi
sur leur axe ct aulour dn soleil; el enfin le soleil ,
premier moieur de lout le sysleme , est emporte
avec liii dans les cieux , dans un double mouvement
semhiable & colui des planetes.
Qu'on se represenlc mainlenant ces milliers d'eloi-
les que Ton decouvre dans le champ du telescope ,
accompagnees chacune de leurs planeles, el enlrainees
avec elles dans un double mouvement comme notre
sysleme solaire , le lout obeissanl h une seule et
meme loi de rallraction universelle , el on demeurera
frappe de la simplicile el de I'ordre qui president
a ces mouvemenls grandioses.
II y a plus, c'est I'elude de ces mondes, de leurs
groupes et de la maliere qui les forme , qui a
donne naissance a I'idee la plus vaste que rhomme
puisse se faire de la creation. L'apparilion subilede
— 129 —
noiivellos eioiles, raffaiblissemeni , rexiinclion nieme
ti'eloiles ancioiines, les formes diverses el variables
avec le leraps qu'affecle la matiere luminouse dans
I'espace, onl conduit h cello croynnce, que Ics mondes
naissent, vivent el meureni, corame les etres ter-
reslres. La matiere aeriforme et Iiimineusc se conden-
se perpeluellemenl autour de cerlains centres , sui-
vanl les lois de la gravilalion , el en s'agglomerant,
elle prend des formes de pluo en phis deterrainees.
Telle est I'origine des globes lumineux qui nous
eclairenl : raais apres avoir vecu comme soleii ou
comme etoile , la matiere perd pen ii pen son
eclat, pour devenir liquide puis solide, comme la
lerre, qui brule encore sous nos pieds.
Si les travaux des hommes les plus considerables
ne veuaienl coniirmer de loule leur autorile I'idee
que nous venons d'emeltre , ne serail-on pas ten-
le de croire a un reve magnifique, representation
exacle des pbenom^nes qui marquenl la jeunesse,
la virilile el la vieillesse de lous les etres qui vi-
vent ici-bas.
Get apergu doii suflire, Messieurs, pour monlrer
que I'astronomie donnc a nos facultes inlellectuellcs
la plus grande tension donl elles soienl susceplibles;
elle developpe aussi au plus haul point nos facuUes
morales, car qui peul reveiller vivemenl en nous
le souvenir du Crealeur , qui recompense le bien
et punil le mal, si ce n'esl la contemplation de
ses oeuvres infinies. Sous ce double point de vue
I'astronomie serail done la premiere de nos connais-
sances
Celte opinion renconlrera, il est vrai , pour contra
dicteurs lous ceux qui pensent que le spectacle des
— 130 —
choscs Icrrestres est plus necessaire a I'homme que le
spectacle des cieux, ou pour qui les merveilles de I'in-
dustrie sont au dessus des merveilles de la nature.
11 serail facile de montrer que Telude de ce qui
se passe loin de nous, n'a pas loujours ele inutile
aux progres des arts et de I'induslrie, mais j'aime
mieux dire de suite pourquoi les sciences speculatives
me semblenl, dans I'etat actuel de la sociele, pre-
ferables aux sciences d'applications. Les unes ten-
dent a etablir le bien-etre materiel , les autres
donnent le bien-etre intellecluel el moral. Notre
siecle est trop dispose a sacrifler les joies de I'esprit
a la satisfaction des sSns. Cepcndant les quelques
annecs passees sur cetle terre valenl-elles ceile
sollicilude de tous les instants, qui nous fait negli-
ger le culte de la scule partic de nous-memes qui
nous survivra. El encore pour le malerialiste qui
ne se preoccupc que de la courle existence qui s'ac-
complil sur celte terre, esi-ce un moyen de la rendre
heureuse que de preferer le culte du corps au perfec-
lionnement de I'esprit ?
On a dil avec raison que I'homme etail le plus
grand obstacle a son bonheur ; tachons done de le
rendre meiileur , pour que ses joies plus pures soient
plus durables. Or , le propre des idees qui delachenl
I'honime de cetle terre, comme les franchises qui
ont enleve autrefois les serfs a la gl6be , c'esl de
developper I'ame , resserree dans les liens etroits de
nos interets materiels ; c'esl de permettre a I'intcl-
ligence de deployer ses ailes el de s'elever au dessus
des passions qui la voileni a chaque instant. Alors
rhomme devieni accessible a la voix de la raison
et de la conscience , il discerne le vrai du faux ,
— 131 —
I'ordre tin desordre . dans le monde moral comme
dans le monde physique.
Ce but si desirable , il y a deiix moyens de i'al-
teindre. Ou bien I'ame se replie sur eile-nieme et
s'inlerroge sur ses destinees , c'esl I'objet de la
philosophie; ou bien elie apprend a connaitre son ori-
gine, ses devoirs, son immortalile par la connaissance
des creatures qui I'entourenl, c'est le resullai de
I'etude des sciences nalurelles et de TAstronomie.
Pour assurer davantage noire marche, unissons ces
deux methodes , ei bienlot de I'esprii de chaque honi-
me jaiilira la lumiere qui doit eclairer sa route et
le guider d'un pas sur vers la perfection morale.
— 132 —
BEAUX-ARTS.
Lcclure de M. Dc illaiche.
DU BUT PRINCIPAL QUE l'ON DOIT SE PROPOSER
DANS LA CULTURE DES BEAUX-ARTS.
Je desire aujourd'hui , Messieurs , soumeltre a
voire jiidicieuse appreciation quelques considera-
tions philosophiques siir ies beaux-arls. Philoso-
phic et beaux-arls, deux lermes qui paraissent incom-
patibles, el qui pourlant sonl unis par Ies rapporls
ies plus eiroits , comme le fond Test avec la forme,
la Iheorie avec la pratique.
La philosophic , vous le savez , Messieurs , a la
pretention de penetrcr partoul, de tout dominer par
ses vues generalcs ; il n'esl rien qu'elle ne cite a
son tribunal , qu'elle ne sonde , qu'elle ne juge ; elle
veul , dans chaque chose , rechercher Ies principes ,
Ies moyens el la lin. Les beaux-aris en parliculier
sonl devenus I'objet de ses haules invesligalions ,
et , loin d'avoir a s'en plaindre , ils y ont gagne de
sublimes elevations sur le beau , pour eux loujours
si fecondes en applicaiions nierveilleuses. Aussi , les
— 133 —
deux plus fameux legislaieurs dii Parniisse , Horace
ot Boileaii , onl-ils signale les ecriis dcs philosophcs
comme la source de I'inspiration , el la raison comnie
la facuile d'ou ses oeuvres tirent leur lustre el leur
paix.
Mais la philosopliie n'a-l-elle pas encore a remplir
envers los beaux-arts un devoir plus imporlanl? A
leur devoiler un autre ideal que celui du beau ? Ne
lui apparlienl-il pas surloul de leur presenter I'ideal
du bien el de lour exposcr quelles relations les y
rattachent? En d'aulres lermes , I'art a-t-i! des buts
differenls , el, parmi ccs buts, y a-l-il un but
principal que la philosophie assigne comme le plus
obligaloire et le plus releve ?
11 n'est pas dans Vamc humaine de facuile plus
admirable que celle qui preside a la production du
beau. Par elle , Tbomme parlicipe en quelque sorle
a la verlu creatrice ; il fail sortir des combinaisons
de son genie des Ctres nouveaux qu'il appelle a
une veritable vie, et qu'il revel comme d'un rayon
divin donl le charme exeice sur la sensibilite un
prestige cnchanteur , une irresistible seduction Dieu
n'a pas pu faire a I'homme un pareil don , lui ac-
corder une telle prerogative sans se proposer de
grands desseins. S'il est vrai que loute faculie elanl
un moyen, doit avoir une fin , il est vrai aussi que
plus celle facuile est elevee , plus sa fin doit I'etre.
Les beaux-arts out done une mission , mission pro-
porlionnee a la puissance donl ils disposenl et qu'ils
sent lenus de connaitre , sous peine de transformer
cette puissance en un fleau d'aulanl plus funesle,
qu'olle est plus energique et plus elendue.
— 134 —
Dans les beaux-arls, on distingue facilement, el :.iti
premier coup-d'oeil , irois biUs parfaitement dislincls :
le plaisir , le beau el le bien ; ils peuvenl causer
aux sens de delicieuses emolions , produire le beau
pour le beau , ou meltre le beau au service de la
verile el de la verlu. II suffil d'indiquer ces irois
buls pour que la raison en saisisse aussilol I'impor
tancc relative , el designe sans hesiter celui qu'avant
tout Ton doit poursuivre ; mais ce que la raison
pressent par one immediate intuition se comprend
mieux lorsque la reflexion I'a disliugue par une medi-
tation sericuse, et I'a developpe par le raisonne-
menl.
Assurement il ne viendra a Tespril de pcrsoune
de conlesler a I'art le droit de flatter la sensibilite
humaine et de lui procurer ses jouissances les plus
distinguees ; e'est la sa nature , sa propriete premiere,
sans laquelle il ne serait plus ce qu'il est, il cesserait
de posseder le doux el mysterieux allrail qui le
caracterise. Mais s'il borne a ce poinl ses visees ,
s'il comprime ses aspirations , il se coupe a lui-
meme les ailes, s'interditde planer dans les spheres de
pure lumiere, et Irahil Thuraanite qui pouvail fonder sur
lui de plus solides esperances. En efl'et, il oublie sa ce-
leste origine et ses nobles destinees pour se perdre dans
la matiere et demeurer avec el!e le scrvileur des
plus humbles bisoins , el quelquefois le fauleur des
plus redoulables passions. Retenu dans ces basses et
elroites limites, il no conlribuera pas a elever I'honi-
me, il deviendra plulol la cause de son abaissement
en I'asservissanl aux choses qui subjuguent sa vo-
lonte et ramollissenl par la langueur du plaisir. Ce
n'esl point ia le vrai bul de I'arl , ce n'en est que le
I
— 135 -
inojen , on, si I'on veiM, c'orl uu bul accessoire,
iiiforieur, qui se rapporte a nn Iiii[ principal et su-
periour, sans qiioi ii faiulrail dire que I'art est infini-
menl plus dangereux qu'ulile, el souhailer, comme les
sagos romaiiis faisaienl des doctrines d'Epicure ,
qu'on offiit aux ennemis un pareil present, afiti qu'ils
(levinssent plus f'aciles a vaincre lorsqu'oo aurait a
ies combatlre. Du rcsle, en se livrant a la merci
des caprices liumains , I'art courrait le risque de
tornher dans une prompte decadence. Les caprices
huniains sonl dans un eiat do perpeluelle variation ;
ce qui leur plait anjourd'hui leur deplail demain;
ils s'eprenncnt des formes cxagerees comme des
formes nalurelles; ils aiment le laid parl'ois avec
la merae passion qne le beau , et pour les sati.sfaire ,
ponr conlenter loutes leurs fanlaisies, il faut lancer
rimaginalion, je ne sais dans quel monde fantaslique,
a la recherche du bizarre el du monsirueux.
Cultiver la beaule pour elle-meme , faire , comme
on dit , de I'ait pour Tart , lei est, nous Tavons vu ,
1." second but (]ue renconlrent l.^s factiites e.slhetiques.
Sans doule, ia beaule a quelque chose de si divin ,
tile cause a i"ame de si suaves ravissements ,
qu'il est bien permis de I'aimer avec passion , de
la rechercher pour ses charmes inlrinseques, de la
desirer pour son propre prix. Neanmoins ii imporle
de ne pas so faire illusion , de ne pas se laisser
absorber par une preoccupation exclusive. Nulle
puissance , Dieu excepie , n'esi a elle-meme sa propre
fin ; il exisle une harmonie generate dans les causes
qui les subordonnc liierarchiquement les unes aux
autres et soumet les inferieures a la loi des su-
perieures. Les lacultes eslheliques ue sonl pas
— 130 —
iiidepcndaiites , |)nrce cjii'll y a dans I'liomine des
laculies qui Us surpassctil ; si olles possedonl lo
magnilique privih-i^e de produire la beaiite, il en
est d'aulres qui out regu uu privilege plus raagni-
iique eucore , celui de rcaliscr le bien. C'est pour-
quoi la pensee que le beau ne releve que de Ici-
tn6me , qu'il est a lui-nieme son propre terme,
osl une pensee fausse el orgueilleuse a laquelle il
faut prendre garde de s'abandonner.
En rccherchanl le beau pour le beau , on pour-
suil une abstraction , une ombre, idole de rinlel-
ligence , mais chimere , neant pour le cceur. Allons
plus loin, II est inipossible que I'ideai de la beaule
resle dans le domaine metapbysique de Tahslraciion ,
il faut qu'il s'incarne dans une forme saisissable aux
sens, dans une forme mat6rielle el visible. Ausj>i^
en definitive , cultiver I'arl pour I'art , c'esl culll-
ver une forme froide , c'esl encenser un dieu de
pierre ou de bois , qui a des yeux el qui ue voil
poiiil , des oreilles et qui n'enlend pas.
Conime regoisie, I'arl en se prenant pour son
propre but se rapeiisse el se degrade ; il se presenle
sous une apparence vaine , raide el glacee , doni
I'ame se degoiite bienlol et qu'elle rejetie avec
ce dedain si bien maique par le fabulisle :
Belle tele, mais de cervelle point !
Pourquoi lanl de chefs-d'oeuvre , objets autrefois
d'une admiration si vive , admires non moins vive-
meni encore par les homraes verses dans la connais-
sance de ranliquite , ne sonl-ils plus accueillis , mal
gre leur incontestable perfection , qu'avec une pro-
fonde indifference par le commun des intelligences?
C'est qu'on ne peul eprouver aucune satisfaction reelle
— 137 -
a conlempler des formes belles a la vcrilo , mais
semblables a ces sepulcres blaiicbis, donl parle
TEvangile , el qui ne recouvrenl que le silence el
la morl.
Un ouvrage d'arl oil les formes laissenl irans-
liarailre ci Iravers la beauie une idee ingcnieuse el
vraie ou un sentiment moral , est generalemenl
prefere a une simple elude donl le merile ne de-
passe pas le fini des lignos el la combinaison des
couleurs ou des sons. On a remarquc en effct qu'en
France , dans la visile des expositions publiques , la
foule s'arrelait plus volonliers devant les lableaux,
quoique mediocres, donl les sujets impressionnaieni
son ame , que devoni des lableaux du plus grand
merile arlistique niais muels , ininlclligibles pour
elle ; el Ton est parti de la pour lui adresser les
plus vifs reproches d'ignorance , de faux-gout , |)res-
que de barbaric. Ces reprocbes sonl injusies , et
nous ferons ici reparation d'honneur an bon sens
liauQais ; nous affirmerons hautemenl qu'il se monlre
digue de son vieux renom , en eslimanl non pas
la forme pour la forme , mais la forme pour le fond
(ju'elle exprime.
Le raisonnemenl , iidele a rinluilion rationnelle ,
demontre dune avec evidence que le plaisir ni le
beau ne peuvent elre le dernier lerme de I'arl ,
son but souverain. Essayons de resoudre compleie-
menl la question qui nous occupe , en proiivant que
le bien est ce bul souverain , but won moins im-
portant pour I'arl qu'ulde a I'bumanite.
Le genie des arts vii surloul d'eniliousiasme et
d'inspiration ; il n'enfante ces prodiges de beaute , si
bien nommes cbefs-d'oeuvre , que lorsiju'il se sent
— 138 —
erabrasc par une ^orle de (eii sncre. Mais si I'ima-
ginaiioii ne voi! on perspective que des reves de
plaisir ou des conceplions abslraites qui , en derniere
analyse , se rcduisenl a des disposiiions nialerielles
plus ou moins savaules , esl-il presumable qu'elle
resscnlira celle ardeur penelraote, seule capable de
rexaller jusqu'a Texlase, el de lui ouvrirces inimenses
borizons oil le beau rayonne dans sa splendeur?
Nous ne le pensons pas. Nous dirous nieme a la
gloire de rhomme que son coeur n'eprouve de veri-
lables elans que iorsqu'il enlrevoit les magnificences
reclles de I'Eire , les ineffablcs allribuls dcul il se
pare. Aussi , jamais celui doiil I'esprii ne con^oit
rien au delii des iristcs docuiues de la raaliere nc
sera un grand arlisle ; jamais il n'aUeindra le su-
blime . parlage exclusif de ces ames d'elile dool les
idees absolues du vrai el du bien sonl Tobjel du
plus vif amour, de la plus conslanle contemplation.
Nalurellemerit , le fond provoque la forme , ou
pluiol , dans I'ordre des choses , la forme est inse-
parable du fond. Tout ce qui tient au Aral, au
juste , au bien, parlicipe au caractere cternel de ces
idees , el I'arl , en s'efl'orQanl de les refleter dans
le monde sensible , n'a pas besoin de les revetir
d'une beaute d'emprunt , puisqu'elks portent avec
elles une celeste beaute. Apres avoir con^u son mo-
dele , il |)eul se contenter d'en reproduire les trails,
et s'ii arrive a la perfection , son suctes sera jusie-
raeni celebre au double point de vue de la concep-
lion el de I'execulion. Ces oeuvre:. seules onl iriomphe
du temps, onl conserve, en face des siecles,la fraichtur
de la jeunesse et la chaleur de la vie qui consacrent
des idees el des senlimeuls imperis.-ablcs , iinmua-
blenient unis a I'ossence de la nature humaine.
— 131) —
Coinme on le voil , I'arl, en se proposaiil le bicn
pour lerme, sen efficacemenl scs propres inlercls ,
el il est facile de se coiivaiiicre qii'il ne serl pas
molns efBcacemenl les inlerSts de riiiimaniie. Ce
dont riiumariile a reellemenl besoiii , ce n'cst pas
de pla'sir et de beaute; le plaisir irop souvetil I'e-
nerve el la corrompt ; la beanie vaine, a pros ['avoir
un instant flallee , I'ennuie el la fatigue ; ce qu'd
faut surtoul a Tbumanile , ce qui lui esl indispen-
sable , c'esl la verile et la veriu. Oiez a I'bomme
la verile et la verlu , ne lui laissez que les jniiis-
sances sensibles les plus delicaies meme et les plus
legitimes, et vous I'aurez niuiile dans son propre
caraclere , vous I'aurez reduit a la condition des etres
sans raison ; rendez-lui la verile el la verlu , dega-
gez-le des seductions qui envirounenl la sensib.liie ,
et vous en aurez fait un elre presque divin.
Mais la verile et la verlu , Iresors les plus pre
cieux pour Thomme , ressenoblent a un riche dianianl
dont une lerre grossiere ensevelit I'eclat. Tanl que
la main d'un habile lapidaire ne I'a point laille et
poli , il ne parait guere ditferer d'une pierre ordi-
naire , el laisse dormir en paix les convoitises ;
mais aussilot qu'il a cle degage de sa rude appa-
rence, il brille comme la lumiere et eveille les desirs
par ses eblouissants eclairs. Ainsi on est-il de la
verile et de la verlu ; et c'esl Tart qui remplil a
leur egard I'office du lapidaire. Sa mission est sainle
et salulaire alors , il nous apparait comrae un mes-
sager des cieux , charge d'en interpreter les ravis-
sanls secrets. Toutes les intelligences s'eclairent, lous
les coeurs s'ennoblissenl, la lerre s'emeut et se renou-
velle. Pour exprimer les prodiges de I'art antique , la
11. 10
_ HO -
fable nous raconte qu'au son melotlieux de la lyre les
pierrcs s'agitaient en cadence el venaient d'elles-
memes baiir des villes ; que les animaux farouches ,
saisis d'atlendrissemenl , accouraienl du fond de
leurs foreis et de leurs deserts.
II imporle done a ceux qu'on appelle les favoris
des Muses de connailre I'influence qu'ils exercent
el de savoir en laire un bon usage. En devouant
leur lalenl el leur genie a la propagation du vrai el
du bien par le charme de la beaule, ils se consliUienl
les apolres de la civilisation , ils se placenl a la tele
de I'humanite et Tenlrainenl comme d'enlhousiasme
dans la voie de ses destinees immortelles.
Voila pourquoi nous avons cru qu'il etait oppor-
lun de rappeler les devoirs qui s'attachent a I'exer-
cicedes faculies esiheliques , devoirs on ne peul plus
evidents , mais malheureusement trop souvent oublies
on meconnus. On a montre pour Tart une faiblesse
excessive ; comme autrefois a la noblesse , on s'esi
contente de lui demander ses litres , el quand il a
pu les fournir , on ne lui a pas demande autre
chose; on ne lui a demande que de rejouir les yeux
et les oreiiles, que de stimuler^ les tendances pas-
sionnees. Celie indulgence condamnalde devait avoir
el elle a eu reellement les plus funestes resultats;
elle a fail devier I'ari de sa vraie ligne, et, dti
meme coup, elle a porle une grave atlcinte a la
civilisation. L'art qui, au lemoignage d'Horace,
s'etait consacre, dans le principe, a retirer los hom-
mes de I'abrulissement et du crime , qui s'elait appli-
que a les instruire du droit et du devoir, a-l-il
ele fidele a son bieufaisanl apostolal? Des voix severes
se sont elevees pour Taccuser et I'hisioire ne parall
pas demeniir leurs accusations.
— 141 —
Le divin Plalon, le philosophe du beau, voulaii
qu'on bannit les poeles de sa republique, el J. -J.
Rousseau , le philosophe artiste , a pris a tache de
demontrer , dans son celcbre discours couronne h
I'academie de Dijon , que les arts avaicnt corronipu
el non pas perfectionne les mceurs. Je sais qu'on
taxe celte opinion d'exageraiion paradoxiale , mais
il n'est pas possible de nier que les siecles de plus
grande corruption suivenl immedialement les siecles
de plus grande gloire arlislique , que la decadence
romaine vienne apres le siecle d'Augusle, el que les
scandales du siecle de la Regence et de Louis XV
touchenl au siecle de Louis XIV.
Conlrairemeni a I'avis de Rousseau , nous n'lm-
puterons pas a Part lui-m6me ces tristes resullats ,
mais 11 nous sera permis de lis irapuler a la liberie
humaine , coupable d'avoir abuse de sa plus mer-
veilleuse faculte.
Boileau I'a dit :
<c 11 n'est point de serpent ni de monslre odieux
» Qui , par I'arl imile , ne puisse plaire aux yeux. »
C'esl la certainement une gloire , et c'est aussi , on
n'en disconviendra pas, un immense peril. Tout ce
que Fart louche de sa magique baguette subit une
soudaine et elonnante transformation ; la laideur
meme peut prendre Taspeci de la beaute , el cette
transformation n'esl pas indilTerente , car la beaute
ne Test point ; si elle emeul le coeur en faveur du
vice J elle Vy aliirera presque infailliblemenl. Les pas-
sions onl deja par elles-memes un tel empire , que
les plus resolus les dominenl avec peine ; que sera-ce
lorsqu'a leur seduction native s'ajoutera la seduc-
— U2 —
tion (111 beau ? N'esl-il pas a craindie que la volonte,
fascinee par le chant de ces perfides sirenes, ne coure
se precipiler dans I'abime qu'elle n'apercevra plus.
En se pla^anl a ce point de vue , il n'est pas
difficile d'apprecier les consequences possibles de
I'art , de juger ce qu'il a du produire dans le passe,
de prevoir ce qu'il est raisonnable d'en atlendre pour
I'avenir. On ne I'a guere considere jusqu'ici que sous
son cole inferieur, dans sa partie plastique; on ne
I'a pas assez envisage au fond, par son cote moral.
De la vient qu'on en a mecoiinu Taction soit en bien,
soil en mal.
Beaucoup de gens s'imaginent de bonne foi qu'un
objet vraiment beau n'est jamais dangereux , el ,
dans leur incroyable illusion , ils exposeront sans
scrupule a tous les regards un de ces chefs-d'oeuvre
ou respire la grace , mais oil expire la pudeur.
On n'a pas niieux compris , ce me semble, I'in-
fluence civilisatrice des beaux-arts. On s'est monlre
generalemenl persuade qu'ils elaient par eux-memes ,
par leurs eCfets purement sensibles , des instruments
de civilisation , tandis qu'ils ne le deviennent en
realite que lorsqu'ils se font les organes du vrai el
du bien.
II est deplorable qu'au milieu des angoisses de noire
societe malade , de notre sociele qui se sent defaillir
fauie d'une moralite sulfisante , on n'ait pas mieux
connu et plus largement utilise I'lnfluence des beaux-
arts. Peut-etre m'abuse-je, mais je crois que, par
ce moyen , on arriverait promptement a une regene-
ration sociale. Si la poesie et I'eloquence , la musi-
que , la peinture el la sculpture formaient une sainte
— us —
liguedu bicn public et travaillaienl de concert, dans
la presse , an theatre, dans les exposilions publiques,
a dissiper I'erreur , a flelrir le vice , a nieltre en
lumiere la verite , a exalter la vertu , rien ne resis-
terait a leiir action conibinee.
Ce reve est trop beau , sans douie , el je ne m'y
arrete point ; n'est-il pas bon cependani de le poser
comme un ideal qu'il faut realiser , comnie un but
auquel il faut tendre et dont on devra de plus en
phis s'efforcer d'approcher , si Ton ne veul toucher
a la civilisation que pour relomber dans la barbaric
et tourner ainsi dans un cercle qui ne laisse jamais
au genre huniain I'espolr d'entrer enfin dans la car-
riere de I'indefinie perfection ? Ne serait-il pas utile
au moins de tracer aux artistes un code de morale
serieux , et de les avertir , s'ils le dedaignent , de
la terrible responsabilile qu'ils assument sur leur
tete?
Esperons , en attendant , que les talents genereux
sauront resister au torrent , lulier conire les prejuges
et se livrer au culle des beaux-arts avec desinteros-
sement et dans la pensee d'en (aire autre chose qu'un
amusement frivole ou un dangereux enchantemenl.
Honneur a ceux-la ! Mais aussi , honle el deshon-
neur sur ceux qui , detournant de leur fin les dons
qu'ils ont re^us , les changent en fleaux publics. lis
comhinent de sang-froid les moyens de rendre le
mal plus atlrayant et reussissent , en I'immobilisant
dans une forme materielle , h creer un permanent
scandale. Phares Irompeurs allumes sur I'ecueil , ils
perdenl leurs semblables qu'ils avaient mission de
sauver ; ils devaient inoiitrer le port, ils menent a
I'abime.
— Vili —
La conclusion a lirer des considerations pr^cedentes
en sort trop clairemenl pour que nous ayons besoin
de la formuler aulremenl que par un voeu. Puisse
I'uliliie , rimporlancc des beaux-arts etre enfin bien
comprise ; puissenl ceux qui les cullivent se pro-
poser surtout pour but de rendre populaires les
elernels principes de morale qui seuls empechent les
nations de. tomber dans la decadence el la ruine.
Par leurs soins , par leurs services , I'art se rele-
verait des graves reproches qui lui ont ele adresses
au nom de la civilisation ; il se revelirail d'un lustre
nouveau , d'une dignile nouvelle , ou plulot il revien-
drail ci sa destiiiation premiere , a ce qu'il fut dans
ces temps anciens ou les Orphee et les Araphion en
firent un ministere sacre :
a Silvestres homines sacer interpresque deorum
» Cwdibus et victu fcedo detenuit Orpheus. »
(Horace, Art poeliiine )
A^ad^suic de SleiiiaN.
SfiANCE PUBLIQUE DU 3 JUILLET 1851
PROGilAME
Des conconrs oiiverls pour laiuiee 1852.
HISTOIRE LITTERAIRE.
BIOGRAPHIE DE FRANCOIS MAUCi'.OIX,
Chanoine ei Seneclial de I'Eglise de Reims.
Appreciation de ses iravaux lilleraircs publics oti
ill edits.
LITTfiRATURE. — POfiSlE.
filoge en vers de Jean-Baptiste Delasalle ,
Fondaleur de I'lnstitul des Frfcres des Eisoles Chrotionnos.
ASSISTANCE PUBLIQL'E.
Donner un projel d'organisalion dii service soni-
taire pour les indigents des campagnes.
— 1/|6 —
Ce projet devra 6tre pr^sent^ sous la forme d'lin rfegleraent adtni-
uistratif , anquel serait joint , au besoin , line instruction explicative
des points qui pourraient necessiter des comnientaires.
L'auleur , entrant dans les moiudres details pratiques de cettg
organisation , devra examiner si ce service sanitaire pourrait com-
prendre , en mfime temps que les soins a donner aux indigents , la
constatation des deces, les vaccinations gratuites , des consultations
reguli&rcs , etc ; indiquer comment pourrait 6trc etablie , au presby-
tfere , ou Ji la mairie , ou a la maison d'ecole , une pharmacie com-
posee des medicaments et appareils d'urgence ; Oxer le mode de nomi-
nation des racdocins , leurs obli^'alions , leur indcmnite , etc. ; indiquer
quelle somme serait necnssaire aux frais de premier etablissement et
d'entretien annuel de la petite pharmacie communale , a I'indemnite
du medecin , au salaire des gardes-malades , etc. ; fixer d'une ma-
ui6re precise comment il serail pourvu a ces depenses , et comment
.-erait exercee la surveillance de ce service , etc. etc.
Afin de monlrer comment ce projet pourrait recevoir son execution
immediate , I'auteur I'appliquera , dans tous ses details , a une ou
plusieurs communes du deparlement de la Marne ayant des ressources
suffisanies , et a une ou plusieurs communes depourvnes de tout
revenu.
eCONOMIE AGRICOLE.
Premiere question. — Indiquer les moyens pra-
tiques d'amener rapidemont a I'titat de culliire oidiiiaire
du pays, les terres inculles ou en friche , connues
en Champagne sous les noms vulgaires de terret
usag^res, trios, savarts , etc.
DEUxifeME QUESTION. — Qucls sont les procedes
les plus certains el les plus econoiniques d'operer
le dessechemenl el I'assainissemenl des raarais qui
border! I les rives de la Vesle ?
— 147 —
Peut-on , en conciliant les inlerets de I'agricul-
tiirc avec ccux de I'induslrie , associcr ces precedes
aux iravaux hydrauliques necessaires pour deriver
les eaiix de celle riviere , par des canaux d'irri-
galion?
Les concurrents feront ressorlir la necessite du dessechement des
niarais au double point de vue des avaiitages que peuvent y trouver
la salubrite publique et i'agriculluie.
Dans le cas ou ils constateraienl la possibilile d'elablir des canaux
d'irrigation , sans nuire au dessechement des marais , ils indiqueraient
avec soin les conditions d'etablissement que doivent offrir , el les canaux
d'introduction , et les canaux de fuite , pour recueillir les eaux d'ecou-
lement.
lis appuieront en outre la question du dessechement sur quelques
nivelleraents en long et en travers.
Troisieme QiESTiON. — Faire connailre , par une
complabilile lenue avec exactitude pendant le cours
de trois annees , le produit oblenu par remploi de
diverges rspeces d'engrais naturels ou composes.
Indiquer avec precision le nom el la quanlile de
chaque nature d'engrais employe , et le resultat qu'il
a produit.
fiCONOMlE INDUSTRIELLE.
CHIMIE APPLIQUfiE.
Indiquer un moyen usuel de determiner la quan-
titede sucre ou d'albumine contenue dans les liquides
vegetaux ou aniraaux.
— \kS —
Les prix consistent en une medaille d'or de la valeur
de 200 francs , pour chacune des questions.
Ces medailles seront decernees dans la prochaine
seance puhlique de I'Academie , dans le courant de
Juillet i852.
Les auteurs , ne devant pas se faire connaitre ,
mscrironl lews nonis et leur adresse dans un billet
cachete , sur lequel sera repetee I'epigraphe de leur
manuscrit.
Les memoires devront eire adressds (franco) a M.
le secretaire general de I'Academie avant le 45 Juin
4852.
L' Academic distribuera, en outre, des medailles
d' encouragement aux auteurs des travaux quelle jugera
dignes de recompense, les personncs qui croiraient avoir
droit a cette distinction , devront envoyer lews titres
au secretariat avant le 45 Juin 4852.
ARGHfiOLOGIE.
Prix fonde par un anonyme.
PKIX A DfiCEUNER EN 1854.
Une medaille du prix de 1,200 francs sera decer-
nee a Tarlisle qui aura dOnne les dessins les plus
exacts de loules les parlies de la calhedrale de Reims.
L'auteur devra dessiner I'edifice , tel qu'il est aujourd'hui , lant ^ I'in-
terieur ((u'a I'extcrieur , indiquer les achfevemenls qui peuvent 6lre faits.
— 'U9 —
II devra donner : 1° sur line ecliplle d'un centimetre pour rafelre , le
plan par terre et Ic plan au niveau du trilbrium ; 2" sur unc eclielle de
5 millimMres par mfetre , quatre coupes de la basilique , une , longitu-
dinale depuis le portail jusqu'a I'abside , une , transversale h la croisee ,
une , vers I'abside , une , vers le portail; quatre elevations , une, du
portail , une , de I'abside , une , du cOte septentrional , une , du cole
meridional , avee des attaches oil seraient Ogurees les flfeches des lours
el celles de la croisee.
11 donnera , en outre, la description des materiaux qui composent
Tcdifice , la charpente , les agiafes , les plouibs , les fers ; il indiquera
la nature des bois , des pierres , etc.
Le prix sera d»icerne en 1854 ; la question sera
rappelee, lous les ans , jusqu'a cette epoque , dans
la seance annuelle.
PRIX A DfiCERNER EN 1855.
Histoire de la conslruclion el des principales repa-
rations de la cathedrale de Reims. — Description de
I'enseinble de I'edifice.
L'auteur du raeraoire devra dire quand , par qui , de quelle manifere
la cathedrale a ete construite et reparee a diverses epoques.
Faire connattre I'etat acluel de scs parlies les plus imporlantes , el les
modifications qu'cUes auraient successivement reQues. — Ainsi I'abside ,
le transept , les nefs , les portails, les combles, les tours et clochers, etc.
Indiquer le systeme general d'ornenienlation architecturale. — Les
ogives , raoulures , la flore el le faune.
PRIX A DfiCERNER EN 1856.
Iconographie de la cathedrale. — Interieur.
Decrire et expliquer les vitraux el les statues de I'interieur.
Dire I'epoque et le lieu oil onl ete executees les diverses verri^rcs de 1»
I
— 150 —
calh6drale de Reims ; quels en sont Ics auleurs ; decrire et expliquer les
sujets. — Faire connaUre les differenles reparations que les vitraux au-
raient subies.
Donner les mgmes indications sur les statues.
PRIX A DfiCERNER EN 1837.
Iconographie de I'exterieur.
Decrire et expliquer les statues qui decorenl la cathedrale a I'exterieur,
Par qui ces statues ont ele faites , — a quelle epoque , — quels en
sont les auteurs , — la place qu'elles occupent , — les reparations qu'elles
auraient regues , les sujets soit historiques, soit allegoriques , qu'elles
representent,
L'Academie de Reims a voulii poser toules ces
questions a la fois pour faciliier les recherches des
concurrents , el ieur donner plus de temps pour trailer
les questions les plus difliciles.
LE PRESIDENT DE L'ACADEMIE , LE SECRETAIRE GENERAL ,
f Cardinal Thomas , Henri Paris.
Archevfique de Reims.
i
PROCLAMATION
des prix cl dcs medailles d'cncourageuienl.
Question d'economie industrielle .
Invention d'un nppareil propre a eviter les graves
inconvenients que presenle , au point de vue hygie-
nique , le fourneau habiluellenienl employe par les
peigneurs de laine.
L'Academie, adoptant les conclusions desa commis-
sion, decerne la medaille d'or k M. Prosper Chevalier
de Reims.
Question d' assistance publique.
Donner un projet d'organisalion du service sanitaire
pour les indigents des campagnes.
L'Academie , lout en laissant la question au con-
cours , decerne une medaille d'argent a M. Lefort ,
chirurgien a Damery (Marne).
MEDAILLES D'ARGENT.
L'Academie decerne des medailles d'argent :
1° A M. Grand val , pharmacien des hopitaux de
Reims , pour ses produits pharmaceutiques.
2° A M. Caillet, de Chalons-sur-Marne, pour ses
pompes aspirantes et foulantes.
TABLEAU
DES
MEMBRES COMPOSANT L'ACADEMIE ))E HELMS
AU
Bureau pour I'annee 4850-1854.
President ,
Vice-President ,
Secretaire general ,
Secretaire archiviste ,
Tresorier ,
Membres du conseil
d' administration ,
MM. SUTAINE.
rohillard.
Bandeville.
E. Arnould.
SAtBINET.
touiineur.
Dubois.
Lucas.
I
Bureau pour I'annee 4851-4852.
President ,
Vice-President .,
Secretaire general ,
Secretaire archiviste
Trhorier ,
Membres du conseil
d' administration ,
S. E.
MM.
le Cardinal Gousset(0.*).
Landouzy (*).
Henri Paris.
TOURNEUR.
SAUBI^ET.
SUTAINE.
Heinriot-Delamotte.
Bandeville.
— 153 —
Mernbres d'honneur.
MM. ViLLEMAiN (G. 0. *), membre de I'Academio
frangaise et de eelle des inscriptions ei belles-
lellres.
Cunin-Gridaine (G. 0. « ) , ancien ministre dc
ragriculture et du commerce.
Salvandy (comte de) (G. C. ^), membre de
I'Academie frangaisc, ancien ministre de I'in-
slruclion publiqiie.
Mernbres titulaires.
Ms^ GousSET(0. *), cardinal , archcveque de Reims.
MM. Saubinet, nalnraliste , membre de la Sociele
d'agriculture de la Marne.
RociLLAiiD , juge d'inslriiction.
Bandeville, cbanoine honoraire, aumonier du
lycce.
Fanart ( L.) , direcleiir du Conservatoire de mu-
sique , membre de la Commission des arts et
edifices reiigieux au ministere de I'instruclion
pubbque.
Landouzy fH.), correspondant de I'Academie
de medecine.
DfiRODii (E. ), avocat, ancien representanl h
rasserablee constituante.
GoBET, avocat, membre du conseil municipal.
Sutaine (M.), adminislrateur de h Sociele des
amis des arts.
Maquaut (J. J.), secretaire du Comite d'arcbeo-
logie el de la Societc des amis des arts.
— 15/i —
MM. DuQUkiNELLE, pharmacicii, menibre dii Comile
d'archeologie.
Louis-Lucas, nolaire, membre du Comile d'ar-
cheologie.
Clicquot (F.-L.), homme de leltres.
PiNON (F.) , homme de leltres , membre du Comile
d'archeologie.
TouRNEUR , professeur de rhttorique au pelit
seminaire, membre du Comile d'archeologie.
Arnould (Ernest), avocat.
GossET , architecie.
Henriot-Delamotte (F.), membre de la Chambre
de commerce.
Paris (H.) , avocat.
MiDOC (L.-H.), greffier du Iribuoal de commerce.
Deces, chirurgien de rholel-Dicu.
Lechat , |)rofesseur de physique au lycee.
SoRNiN , professeur de maihemaliques au lycee.
Gainet, cure de Cormonlreuil.
Velly , fabricanl de produits chimiques.
GfiRARDiN , professeur d'histoire au lycee.
Pierret, docteur en iheologie, vicaire de Notre-
Dame.
FoRNERON f#), recteur de I'Academie de la
Marne.
MAUMENfi , professeur de chimie.
Loriquet , homme de letlres.
Mass^. , juge au tribunal civil.
FfiART(4^), sous-prefel de I'arrondissemerit de
Reims.
— J 55 —
MM. CuEviLLiii;'!, piofesseur de mathemaliques aii
lycee.
Laiglk , pi'oviseiir clu lycee.
GoDA , nolairc.
MouniN, professeur au lycee.
Delan, professeur au pelit seminaire.
DeMaiche, professeur tie philosophie au lycee.
DupARC(.^f ), ingenicui des ponts el chaussees.
Galdemar, conservateur des hypolheques.
Roiiault-de-Fleury , procureur de la Repu-
blique.
Sevestre , cure de Saint-Thomas.
Mxsst (P.) , negociant.
Raudesson, medecin velorinaire.
Membres honor aires.
TarbiS (P.), correspondani du minislere de I'in-
slruclion publique , 6 Paris.
ViNCENS DE Gourgas . rcclcur de I'Academie de
risere.
Fleury (H,), ancien secretaire general du minis-
tre du commerce , a Paris.
Relin-Delalnay , professeur d'histoire.
Maille-Leblanc , ancien president du tribunal
do commerce de Reims.
Gilbert de Sayigny (#), direCleur de Tecoie
de raedecine , h Reims.
HERBfi, peinlre, professeur i I'ecole superieure,
h Reims.
Hubert (E.) , avocat h la cour d'appel , h Paris.
II. 11
— 156 —
MM. Belly (de), proprielaire a Beaurieux (Aisne).
Baka , cure de Notre-Dame , ci Reims.
Paris (L.j (^J , correspondanl du minislere de
rinsiruction publique, faubourg S'-Honore ,
466 , a Paris.
Bonneville (^.) , procureur de la Republique ,
h Versailles.
Geoffroy dk ViLLENEUVE, proprielaife , k Char-
Ireuve (Aisne).
GoNEL (E.) , a vocal , a Chateau-Thierry.
Garget (H.), professeur de malhemaliques au
lycee Napoleon , a Paris.
Wagner, homme de lellres, rue Saint-Germain-
des-Pres, 9, a Paris.
GuiLLEMiN , docteur es-leures, recleur de
I'Academie de la Correze.
Tarb6 de St-Hardouin , ingenieur dcs pouts
el chaussees^ a Joigny (Yonne).
SoiLLY , oOicier de I'Universile , recleur de
I'Academie de I'Eure.
Alexandre, procureur de la Republique, a Laou.
Nanquette, cure de Sl-Charles, a Sedan.
Edom, recleur de I'Acadomie de la Sarthe.
Aubriot , ancien receveur de radrainislraliony
des hospices, a Tournes, pres de Charleville*
QuERRY, vicaire general du diocese.
Dubois, president du tribunal civil d'Auxerre.l
De Leltre, president du tribunal civil de
Briere-Valigny, subslitul du procureur de la
Republique, a Paris.
— 157 -
Membres correspondanls .
MM. Alluard, profpsseur de physique au Lycee de
Clermonl-Feirand (Puy-de-D6me).
Anot de Maizieres , prol'esseur de rhelorique
au lycee de Versailles, oflicier de I'Universile.
Arnould (Ed.) menibre du Cornice agricole, a
Toussicourl, pres Reims.
Arrivabene (comle)(#), economisle, a Bruxelles.
Arveuf, archilecle, a Reims.
AuBERT, cure do Saiul-Remi, a Reims.
Auger (Alexandre), a Reims.
AvRARD , docteur-medecin , a la Roclielle.
AzAJS (#), membre de la Sociele arclieolo-
gique, a Beziers (lleraull).
AzAOLA (don Inigo Gonzales de)(^^-), ancien
gouverncur de Tondo , bolanisle a Manille
(^Philippines).
Balestier (J.), consul des Elats-Unis, a Sin-
gapore (Malaisie).
Ballin, direcleur du mont-de-pieie , a Rouen.
Bailly ( # ), ancien president de I'Academie
de mcdecine, a Villeneuve-le-Roi (.Yonne).
Barbey, notaire (membre du conseil d'arron-
dissement de Reims), a Fismes (Marnej.
Barthi5lemy (A.) (conseiller de prefecture) , a
Saint-Brieuc (Cotes du Nord).
BARTHfiLEMY, chauoine honoraire de Reims,
vicaire a Saint-Denis du Sl-Sacrement, rue
St-Louis-au-Marais, a Paris.
Barthelemy (Ed. de), a Chalons.
Barse, professeur de sciences, a Paris.
Baudiin (Richard), professeur au college de Dole.
— 158 -
MM. Bazin (#), direcleur de la colonic agricole, an
Mesnil-Sainl-Firmin (Oise).
Bazin, professour au lycee de Reims.
Beluomme ( ^' ) , docleiii" en medecine , jiie
Charonne, i6o, a Paris.
Berger de XiVHEY (#) , membrc de TAcado-
miedes inscriptions el belles-lettres, rue Sainl-
Gerraain-des-Pres, 15, a Paris.
Bertrand , jiige d'inslruciion a Paris , rue de
Seine-St-Germain, 15.
Blanc, vicaire-general de Reims, rue Neuve-
Sainte-Genevieve, 21, a Paris.
Bogaerts, professeur d'liisloire, a Anvers.
BoNJOUR (Casimir) (#), conservateur de la
bibliolheque Sainle-Gpnevieve, k Paris.
Bonnay (I'abbe de), direcleur de la mailrise,
a Reims.
Bonneville (F.) (^) , ancien essayeur de la
banque de France, rue des Moulins , 14,
a Paris.
BoRGNET, professeur de malhemaliques au lycee
de Tours.
BotiLLEVAUX, cure de Cerizieres (Haule-Marne) .
BouLARD (#), secretaire du bureau central du
Comioe agricole de la Marne , a Chalons-siir-
Marne.
BouLLOcHE (iji^), conseiller a la.cour d'appel ,
rue de Lille , 3, ;i Paris.
BouRASSfi ( I'abbe ) , archeologue , a Tours.
BouRDONNfi, direcleur de I'ecole primaire supe-
rieure , a Reims.
Bourgeois-Thierry , membre du conseil general
de la Marne , a Suippes ( Marne).
— 159 —
MM. BouRGAiN , jiige de paix , a Sedan (Ardennes).
BoiivART , membrc de !a Sociele d'agricullure ,
a Cliarleville.
Brissaud, professeurd'hisloire au lyceed'Orleans.
Bl'SSieres (Broquardde) (i^) , ancien ofticier
du genie ^ rue Gredfulhe , 7, a Paris.
BoviGNiER , geologiie , memhre de la Sociele
philoniatique , a Verdun (Meuse).
Carette (0. i,^ ) , ancien ollicier snperieur du
genie , rue de Bagneux , 7 , a Paris.
Carette (#), capitaine du genie, mencibre de
la Commission scieniitique de I'Algerie.
Carette, avocat au conseil d'elal el a la courde
cassalion, rue desGrands-Auguslins, 5^ ii Paris.
Carteret , conseiller-d'clal, rue de I'Arbre-Sec,
22, a Paris.
Caton , cure-doyen de Craonne (Aisne).
Caiimoint (de) (0. ^ ) , corrcs[)ondanl de I'lnsli-
lut , a Caen.
Cayx (0. ^- ) , iuspecleur-general dc I'Universile,
adrainislrateur de la bii)liollieque de I'Arsenal ,
a Paris.
Ciiaix-d'Est-Aisge (0. #) , ancien depute de la
Marne , avocal a la cour d'appcl , boulevard
Poissonniere^ 23, a Paris.
Chambert , docteur en medecine, a Laon.
CiiARLiER , niembre correspondanl dc la Sociele
cenirale de medecine velerinaire , a Beims.
CiiARPENTiER , iuslilulcur , h Beims
Chassay (Tabbe), prolesseur au grand seminal..'
de Bayeux.
CiiAiBRY DE TRONCEisoRD(baron)(-j;t) , conscillei
\
— 160 —
a la cour d'appel de Paris , membre du conseil
general de la Marne, rue Jacob , 48.
MM. Chevallet (Emile), au Pre-S'-Gervais , ban-
lieu de Paris , rue des Bais , 6.
Chevallier (#) , merabre de I'Academie de nie-
decine, professeur a I'ecole de pharmacie ,
quai Saint-Michel , a Paris.
CiiEviLLiON , docteur en medecine , a Vitry le-
Fran^ois (Marne).
Cl£meist (P.), homme deleltres, rue de Miio-
menil, 50 , a Paris.
Clekc , professeur de rhelorique au serainaire
de Luxeuil (Haute-Saone).
CocHARD, fabricant de produils chimiques, h
Reims.
CoETLOGON ( comte Em. de ) , proprietaire a Paris.
CoETLOSQUET (comle Du) (^:) , menibro de I'Aca-
demie de Me(z , a Meiz,
CoLLAKD, docleur-medecin , a Beine.
CoLLESSON, docteur-medecin, a Noyon.
Comte (Ach. ) (i^) , professeur d'histoire nalu-
relle au college Charlemagne , a Paris.
Coulvier-Gravier , aslronome , a Paris. X
Crosnier , cure de Donzy (Nievre).
CussY (vicomte de) (#) , membre de I'Academie
de Caen , a Sainl-Mande (Seine ).
Cuyper (J.-B. de), professeur de sculpture, a
Anvers.
Daconet (#) , docteur en medecine , a Chalons-
sur-Marne.
Danton (#) , inspecleur de I'Academie de Paris.
- 161 —
MM, Daudville (Ch.) , inembre de la Socieie acade-
mique de Sainl-Qiienliii (Aisno).
Dkfouuisy, cure de Brognon (Ardennes).
Delafosse (#), professeur a la Faculie des
sciences de Paris, iiied'Knfcr, 47.
Delaporte, (marquis), a Vondome.
Demilly , vetcrinaire de rarrondissemenl de
Reims.
Denis , (^) , membre de la Socieie des Anli-
quaires de France, aCommercy (Meusi-).
DfiRODfi (A.), ancien officier de marine, a Reims.
Desrousseaux de Medraino , manufaclurier ,
membre du conscil general des Ardennes ,
a Charleville.
DessaiN'Perin , homme de lellres, a Cumieres
(iMarne).
DiDRON (^■) , secretaire du Comite hislorique des
arts et monuments, rue d'Ulm, 1, a Paris.
Drouet, ancien professeur derUniversite,a Reims.
DuBRocA, veterinaire, a Sedan.
Duchesne (A), numismate, a Reims.
DuFOUR, conservaleur du musee, a Amiens.
Duhi1;mk, docieuren medecinc, a Douai.
DupuiT (^) , ingenieur en chef des ponts et
chaussees, a Anders.
DuRAND (H.),architecte,rue Coquenart,51,a Paris.
DuTEMPLE , membre de la Societe geologi(|ue de
France, a Pierry (Marne).
Duval, docteur en med;'cine , a Fperiiay.
Duval (Ferdinand), avocal, a Paris.
Ernoult (Ch.), sous-prefet, a Vouziers.
- 162 —
MM. Estuayek-Cabassole , chanoine , a Chalons
(Marne).
Failly, inspecleur des douanes, a Lyon.
Farochon, sculpleur, rue d'Enl'er, 76, a Paris.
Faucher (Leon), represenlant du peuple , rue
Blanche, 10^ a Paris.
Feuillet, juge de paix, rue des Trois-Maries,
12, a Lyon.
Fontenay (J.dk), secretaire de la SocieleEducnne,
a Aulun.
Fosse d'Arcosse, membre du Comile archeo-
iogiquc, a Soissons (Aisne).
FoucHER (J.-N.), proprielaire, k Mareuil-sur-
Ay I'Marne).
FouuiNiER, cure, a Relhel (Ardennes).
Frignez, docteur es-scicncos, boulevard Bonne-
Nouvelle, impasse Cendrier, a Paris.
Galeron, professeur de rhelorique au lycee de
iteinis.
Gallois (Etiennc) , ancion biblioihecaire de la
chambre des pairs, a Paris.
Garinet, conseiller de prefecture, a Chalons-
sur-Marne.
(jasc, homme de lelires, a Bruxelles.
Gastebois (0. #), lieutenant-colonel en relraite,
a Lachy, pres Sezanne (Marne).
Gauthier { # ) , architecte , membre de I'Aca-
demie des beaux-arts, rue des Bons-Enfants,
28, h Paris.
Gayot (E.), avocal , secretaire de la Sociele
academique de I'Aube, a Trpyes.
163
o
MJI. GfiLis , chirurgien a Thopilal mililaire de Sedan.
Geouges (EucuneJ, cure de Traniies.
GfiiiuzEZ (Eug.) (#), professeiir a la Faculle des
leltres, rue de Vaugirard, 72, a Paris.
GiRAUDiN, professeur de chimie, a Rouen.
GoDiNOT, juge de paix , a Clialil!on-sur-Marne
(Marne).
GoGUEL, membre de piusieuvs Socieles savanles,
principal du college de Brischveiler i^Bas-
Rhin).
GoMAUD, vice-president du Congres agricole du
nord, a Saint-Quenlin.
GouLET-CoLLET , iugenieui-hydraulicien , a
Reims.
Gouniot-Damedor, professeur de rhetorique au
lycec de Blois (Loir et Cher).
Grandyal, pharmacien a I'liotel-Dieu, a Reims.
Ms*' Gros, eveque do Versailles.
MM. Grosjeain, pharmacien, a Fismes (Marne).
GiiossELiN, rue du PaonSainl-Andre, 1, a Paris.
GoERiN,redaclcur du Memorial calholique, a Paris.
GuicHEMERE, rcck'ur de I'Academic du Gers.
GuiLLORY, president de la Societe industrielle,
a Augers.
GuiSLAm , censenr des eludes au lyceed'Orleans.
Hardy (#), professeur agr6ge a la Faculle de
mt'deeine, rue Cadet, 19, a Paris.
HUBERT, sous-directeur a I'ecole normale , a
Paris.
Hedde (Isid.) (#), dclegue de i'induslrie seri-
gene , attache a I'ambassade de France en
ChinCj a Saint-Etienne.
— 164 —
MM. H 6m ART (baron), ancien officier, membre du
conseil d'arrondissement de Reims , a Ay
(Marne).
Heniuot fEiienne), proprietaire a Trigny.
HoMBRES-FiRMAS (baron d' ) (#), docleur es-
sciences, correspondanl de I'lnslitut, a Alais
fGard).
HuBKRT (J.), professeur de philosophic au col-
lege de Charleville (Ardennesj.
HuoT (P.), substiiiit du procureur de la Repu-
blique, a Orleans.
HussoN (-^'i, membre de I'Academie de mede-
cine, au lycee Descarles, a Paris.
Jamin, professeur au lycee Louis-le-Grand, a
Paris.
Jarry de Mancy (^.), professeur a I'ecole des
beaux-arls, rue Casseiie, 5, a Paris.
Jobard (#), direcleur du rausee de I'industrie,
a Bruxelles.
JoLiBois (E.), professeur d'hisloire au lycee de
Colmar (Hant-Rhin).
JoLY , professeur de rhelorique, au lycee de
Marseille.
Jopp£;, conservaleur de la bibliolheque, a Cha-
lons-sur-Marne.
Jourdain-Sainte-Foi, homme de leltres, a Done
(Maine-el-Loire).
JL■Bl^AL (A.) (#), homme de lettres , rue Ta-
ranne, 16, a Paris.
JuLiEN fStan.) (#), membre de I'Academie des
inscriptions el belles-lellres, professeur de
— 165 —
langiie el de liileraUue chinoises au college de
France, place dc TEslrapaile, 34-, ix Paris.
MM, Kerckove (vicomte de), president de I'Acade-
mie d'archeologie de Belgique, h Anvers.
Kerckoye ( vicomle Eugene de) (#), charge
d'affaires du roi des Beiges, a Constantinople.
KoziEuowsKi , architecte , niembre du Comile
d'archeologie, a Paris.
Ladeveze (comle de), niaire d'Orbais (Marne).
Lair a^), secretaire perpeiuel de la Societe
d'agriculture et de commerce, a Caen.
Lambertye (comte de), proprietaire, a Chaltrail
(Marne).
Leberthais, peinlre graveur, ix Lisboiine.
Le Bidard de Thumaise (le chevalier dej, secre-
taire-general de la Societe libre d'emulation de
Liege.
Lebrun, directeur de I'ecole des arts et metiers,
a Chalons (Marne).
Leclerc , economiste , a Paris.
Lecointe (L.) , professeur a I'athenee royal.
Lejeene, professeur au lycee de Reims, olTicier
de rUniversite.
Leleu-d'Aubilly , membre du conseil general de
la Marne, a Aubilly (Marne).
LfiPAELE, peinlre, a Paris.
LfipiNE , jurisconsulle , a Renwez (Ardennes).
Leroux , docleur en medecine, h Corheny (Aisne).
Lesure , docteur en medecine , h Altigny (Ar-
dennes).
Leuchsenring , docteur en medecine , h Reims.
Levesque de PouiLLY(#), ancicn depute, a
Arcv-Ponsart (Marne).
— 166 —
MM. LicouRT , docteur en medecine, a Chaiillon-aur-
Marne.
Li^NARD , peinlre, membie du Comiie d'arclieo-
logie , & Chalons-sur Marne.
Lies , docteur es sciences, chef d'insiitulion, a
Charleville.
Loiso^j, homnae de lettres, quni Bourbon , 35,
ci Paris.
LoRiN fTh.) membre de la Societe des anliquaires
de France, a Vauxbain , pres Soissons (Aisne.)
Lours {^^ , medecin en chef des epidemics de la
Seine , rue de Menars , 8 , i Paris.
Ll'Ndi (Jules) , paleographe , a Paris.
Maillet , membre du Cornice agricole , a Reims.
Maizieres ((!e), ancien professeur de I'Univer-
sile , h Reims.
Mangeart , avocat, h Valenciennes.
Mareuse (V.), avocali la cour d'appel d'Amiens,
rue Bleue , 4 , ^ Paris.
Marolles (Quatkesols DEj, president du tri-
bunal civil , a Arcis-sur-Aube.
Marinet (#), ingenieur en chef des ponls ct
chaussees, h Chateau-Thierry (Aisne).
Mathieu, avocat & ia cour d'appel, rue Riche-
lieu , 29, S Paris.
Maupassant, professeur de philosophic an college
de Chaloiis-sur-xMarne , oiBcier de rUnivcrsiie.
Maupied , professeur a la Faculte de theologie
de Paris, rue S'-Dominique-d'Enfer , 20, a
Paris.
Mauvais (#) membre de rAcadeniie des sciences
— 167 —
et dii Bureau des loiigiiudes , a robservaioire,
a Paris.
MM. Mellet (conile de),proprielaire,a Cliallrait (Maine)
Menisesson (M.) , doclenr en droil , a Laon.
Mkhode (comle de) (0. ^), minislre d'Eial , a
Bruxelles.
Meugy, docleur enmedecine, a Relhel (Ardennes)
MiciiELiN (II.) (#), conscilier a la Gourdes
comptes, membre de la Societe geologique de
France , rue Sainl-Guillaume , 20 , a Paiis.
MiGEOT , cure-doyen de Signy le-Pelit (Ardennes).
Millet, jugede pais deSissonnc, aLiesse (Aisne.
Millet , iiispccteur des forels , sous-chef a I'ad-
niinislralidn des forets , a Paris.
MoNMERQUfi (0. :^ ), membre de I'Academie des
inscriptions el bellcs-lcUres, rue Saint-Louis ,
o9 , au Marais , a Paris.
Morel , professeur de rhetorique au college de
Niort.
MozEii , imedecin , a Verzy (Marne).
MiiLBACH , professeur de litlerature allemande ,
a Eger (Boheme).
NicoT (0. #) , ancien recleur de I'Academie de
Nimes.
NizARD ( Desire ) (#) , professeur an college de
France , a Paris.
NiTOT , maire d'Ay, ( membre du conseil general
de la Marne j.
NoEL-AGiNi;s , ancien sous-prefet de Cherbourg.
Oppert , professeur de langues , a Paris.
OzANNEAUX (0. #), inspecteur general de I'Uni-
versile, quai Bourbon , 55, a Paris.
— 168 —
MM. OzERAY , aichivisle paleographe , a Bouillon
(Belgique ).
Pape (Lutlwig) , docleiir en metlecine , au cap
do Bonne-Esperance.
Pakis , notaire , a Epernay.
Paris ( Paulin ) (t) ^ mcmbre de rAcatlemie
des inscriptions el belles-iellrts, conservaleur-
adjoinl de la bibliolheque nalionale , a Paris.
Pauffin ( Cberi ) ,. ancien juge , rue Bacine , 45 ,
a Paris.
Peugant, mcmbre du Cornice agricole, a Vilry-
le-FranQois (Marne).
P£riin(A), peintre, rue Saint-Lazare, H, a Paris.
Peiinot f#) , peinlre , mcmbre du Comile des
arts el moruimculs , rue Saiiit-Hyacinlhc-Sainl-
Honore, 7 , a Paris.
PerueaL' ( J'jies ) , bonime de lellres, a Beims.
Perier (E.) , mcmbre de la Socieie academique
de Chalons-sur-Marne.
Perron , professeur a la Faculle des lellres de
Bcsan^on.
Perrotti-t (#) , direcleur du jardin du roi , a
Pondichery (Inde fran^aise).
Petit , doclcur en medecine, a Hermonville.
PiERQUiN , cure dc Sarcy.
PiiSGUET , gravcur , rue Guenegaud , 5 , a Paris.
Piinteville-Ckrnon (de) , president du Cornice
agricole dc la Marne , a Cernon (Marne;.
Polonceau (^ ) , ancien reclcur de I'Universiie,
rue Neuve des-Pelils-Cbamps, 77 , a Paris.
PoNsiNET , subslilul a AlenQon fOrne )
— 169 ^
MM. PoNTAUMONT (de) , niembre de la Sociele acatle-
mique , a Cherbourg.
PoQUET , directeur de I'Inslilul des sourds el
muels , a Soissons.
Pr^gnon , cure a Toicy (Ardennes).
Priin (#) , docteur en medecine , a Chalons-sur-
Marne.
Prompsault, auraonier de la maison desQuinze-
Vingts , a Paris.
Provosta've (de la ) , inspecteur de I'Academie
de Paris.
Rafn (Christ. j (#J , secretaire de la Societe des
anliquaires du Nord , a Copenhague.
Rattier (^j, recteurde TAcademie de la Creuse.
Regazzoni (I'abbe), docteur , cliapelaiu pres I'e-
glise S.-Fidele, a Milan.
Richard , docteur en medecine , a Hermonville.
RiCHELET , conservateur de la bibliotheque , au
Mans.
RoRELiN , architecte , a Paris.
RoRERT fCh.) (#) , ancien eleve de I'ecole poly-
lechnique , sous-intendant miliiaire , a Melz.
RoisiN ( baron de ) (^) , proprietaire a Ronn ,
( Prusse rhenane), — ou rue Fran^aise , 58,
a Lille.
jftoNDOT (Natalis) (#) , delegue en Chine pour
les industries des laines eldessoies, membrede
la Societe asiatiquc, rue Monlholon„24, a Paris.
Rolciier-d'Aubainel , docteur en medecine , a
Fere-en-Tardenois (Aisne).
Rouit , directeur de I'ecole normale primaire , a
Laon.
— 170 —
MM. Rousseau , doclcur en medecine , a Epernay.
RoYEU (E. de) , procureur-general pies la com-
d'appel , rue Sainl-Benoil , 17 , a Paris.
Ro\ER-CoLLAi\D (P.) (#), dojcn de la Faculle de
droit , a Paris.
RuiNART DE BuiMONT (Ed.), mcmbre de la Sociele
geologique de France, rue Casselle , a Paris.
Saiint-Vinceist, president du tribunal, aCharleville
Salle, docteur en medecine, a Chalons-s-Marne.
Saunier , professeur d'hisioire au lycee de Nancy.
Sauvage (#) , ingenieur des mines, a Melz.
Sauville (Guillaume de), conseiller de prefec-
ture , h Mczieres.
Say (H.) (stej , membre du conseil-general de la
Seine el de la chambre de commerce de Paris ,
rue Bleue , 13, a Paris.
Say (LitON) , economisle . a Paris. .
Selliei\ , secretaire de la Sociele d'agricullure ,
a Chalons-sur-Marne.
Selre , docleuren medecine. a Suippes (Marne).
Seure ( Onesime ) , homme de leltres , rue Neuve-
des-Malhurins , 70, a Paris.
SucKAU , professeur d'allemand au lycee Monge,
rue Saint-Hyacinlhe-Saint-Michel , a Paris.
SuRY , cure a Loivre (Marne).
Sylvestre v#) , bomme de leltres , place Belle-
Chasse , a Paris.
Taillefert, censeur des etudes au lycee d'Angers.
Tampucci (H.) , homme de lettres , a Reims.
Tempihr , jurisconsulle , a Marseille.
Teste d'Oukt , homme de lellres , correspondant
— 171 —
(111 minisiere de rJnslruciioii juibliquc , rue
Boiirg-l'Al)lje . 7 , a Paris.
MM. ThieuiondkMonclin (J.), a Nanieuilf Ardennes).
TiUFKRY ( E. Du ) , ancien officier de cavalerie ,
rue du Faubourg-du-Roule , 68 , a Paris , —
el a Fismes (Marne).
Thomas (Honore) , liomme de lelires , a Reims.
TiRMAN , docteur en medecine , a Meziercs.
Varennes , avocat , a Vliry-le-Frangois.
ViANcm , membre de FAcademie de Bcsan^on.
ViLLEMiNOT , ingenieur mecanicicn^ membre de
la chambre de commerce dc Reims.
Vincent , ins; ecu ur des ecoles priiuaircs de Melz.
ViOLETTE , honnue de lelliis, a Mary-sur-Marne
(Seine-el-Marne).
ViONNOis, juge au tribunal civil, a Monlpellier.
VisMES (de) (#), ancien prefet, a Sezanne (Marne).
VoiLEMiER , docteur en medecine, a Senlis (Oise).
Vroil (Jules HfiRiOT de), membre de la Societe
des economistes , a Reims.
Weiss (#) , correspondant de I'lnsliiut, conser-
vaieur de la bibliolbeque, a Besan^on.
WiNT (Paul DE) , homme de letires , rue des
Marais-St-Marlin,29, a Paris.
YvAN (#) , docteur en medecine , medecin de
I'ambassade de Franco en Chine , professeur
d'hisloire nalurelle medicale , place Breda , 10,
ii Paris.
II.
12'
LISTE
DES OUVRAGES ADRESSES A L'ACADEMIE
DE REIMS
pendant I'annee l8S0-i851.
Un Souvenir ou VErmitage de Sl-Valbert, pres tie
I'ancicnne ahbaye de Luxeuil, par M. I'abbe J.-B. Clerc.
De I'tdncalion, discours proiionce a la distribulion
des prix dti college dc Chalons-sur-Marne, par M. Mau-
passant.
Notice sur M. Gay-Lussac , par M. A. Gardeur-Le-
brun.
Histoire de la Redemption , par M. I'abbe Chassay,
professeurdephilosophie au grandsemiuairedeBayeux.
Notice biographique sur M. J.-F.-J. Ruinart , vi-
c.omie de Brim ont , par M. Lacalle-Joltrois.
Manuel de I'lmloire des Conciles , par M. H.-P.
Guerin , redacleur en cheidu Memorial ca(holique.
Sur nne recetile el brillaule experience d'oplique,
d'oii Ton a conclu a lori lo renvcrsemenl de la theoric
Newtonieniie de la lumiere , par M. de Maizieres.
Dtselfetsphysiologiquesei iherapeutiques des ethers,
par M. le docleur Chamberl.
Souvenir poelique du 6 Novembre 4850, barmonie
dediee a Monseigneur le Cardinal Archcveque de Reims;
maniiscrit olferl par M. Flin.
Manuel d'une Femme chretienne, par M. I'abbe Chas-
say.
— 173 —
Le iMyslicisme calholique , par le raeme.
Vie abregee de saint Remi , apolre des Fran^ais ,
aicluveqiie de Reims, patron du pays de Reims, par
M. I'alibeV. Toiiriieur.
Rapporl sur uii app;treil destine a concenlrer dans le
vide les exlraits pharmaceuliquos, invenle par M.Grand-
val , phanviacien des hopilaux de Reims^ par M. Faiir.
Memoirc sur la double refraction elliplique du quartz
par M.J. Jamin.
Sur le vaisseau aerien , par M. de Maizieres.
Fables, par M. Th. Lorin, membre de la Societe
polytcchnique el dela Society des aniiqnaires de France.
Essais sur quelques proverbes coulesies el contcs-
lables , par le meme.
Nouvellc etude des jetons , par M. J. de Fontenay,
secretaire de la Societe Eduenne.
Hisloire populaire de Napoleon, parM. Chauvet.
Memoire sur la question : Monlrer quelles modifica-
tions dans les mwurs publiqiies et privies paraissent
devoir elre les plus favorable^ au progres de l' agri-
culture et a la moralite , comme au bien-elre des
populations agricoles , par M. de Maizieres.
Le Divorce, poesie , parM. 0. Seure.
Petition a I'A-serablee nalionale sur plusieurs ques-
tions briilantes, par iVl. de Maizieres.
Memoire pour le Irailement des plaies succedani a
I'extirpation du seiu el de I'aisselle , au moyen de la
suture enlortillee , par le docteur Collet son de Noyon.
Alliance de la for et de la raison , par M. 0. Seure.
Los solenciles Paschales ou I'Alleluia d. 1850, par
le merne
Elude critiques sur les iravaux historiques de M.
Gnizot , ^ ^r M . Gainel , cure de Cormonlreiiil.
— illi —
Cousideraiions sur les privileges dii genie , paiM. do
Coellosquel.
Consideralionssur lesmoyeiisdedeiruireou au moins
d'affaiblir en France le prejuge dn duel, par le meme.
Histoire du Synode de Reims de I'an 1850 , par
M. Delan.
De la legislaiion sur les brevets d'invenlion , par
M. de Maizieres.
Reponse a la Presse sur la maladie des pommes de
terre. par M. Leroy-Mobillon.
L'eclusierde Nanieuil , episode de la guerre d'Afri-
que, par M. Chery Pauffin.
Lellre sur le proverbe de madame Emile de Girar-
din: C'est la faute du mari, par M. 0. Seure.
Notice sur M. Bogaerlz , professeur d'histoire a
I'Athenee d'Anvers, par M. de Ponlaumont.
Application de relectro-magnetisme dans la locomo-
tion sur les chemins de fer, etc., par MM. Amberger,
Riekbi el Casser.
De I'amaurose albuniinique, par M. Avrard.
Notes hisloriques sur la maitrise de Sainl-Quenlin
et sur les celebrites musicales de celte ville.
De la nature de I'homme et des moyens d'ame-
liorer sa condition , par M. A. Fignorei.
Quiquengrogne, par M. Em. Chevallet.
Description d'une nouvelle espece de cariophille,
par M. Michelin.
De la question malthusienne, par M. de Maizieres.
Lettre el discours de Gerbert , par M. L. Barse.
Precis hislorique de Thopital de la marine a
Cherbourg, par M. de Poutaumont.
— Mb —
La Compagnie de rarqiichuse h Chalons , par M. de
Barthelemy.
L'echevinage et le presidial h Chalons , par ie
meme.
Nolice sur le chaplire de St-Etienne a Chalons,
par le meme.
Notice sur les ^tablissements des hospitallers mi-
litaircs en Champagne, par le meme.
Memoire sur I'eleclion & I'empire d'Allemagno de
Francois Elienne, due de Lorraine, par le meme.
ACADtMIE DE REIMS.
LTSTE DES SOCI^TfiS CORRESPONDANTES.
Sociele academiqiie, a Sl-Queniin fAisne).
archeologique, a Soissons.
d'eniulalion , des sciences , arts el belles-
lellres, a Moulins fAllier).
d'agriculuire. a Mezieres (Ardennes).
d'agriculuire, sciences, arts el belles-leUres,
' a Troyes fAube).
(ies leilros , sciences el arls , b Rodez
(Aveyron).
Academic des sciences , lellres et arls , a Marseille
(Bouches-du-Rhone).
des sciences, arts et belles-lellres , h Caen
(Calvados) .
Sociele des anliquaires de Normandie, a Caen.
d'agriculuire el de commerce, a Caen.
academique , agricole , induslrielle et d'in-
slruclion, a Faiaise (Calvados).
d'agriculture , sciences el bdles-lellres , a
Rocheforl ( Cbarente-Inferieure).
d'agriculure, a Bourges (Cber).
Academie des sciences, arls el belles-lettres, a Dijon
(Cole-d'or) .
des sciences , lellres el arls , a Besan?on
(Doubs).
Sociele libre d'agriculuire , sciences, arts et belles-
lellres, h Evreux (Eure^.
11
w\
I
— 177 —
Acadernie
Socieio
Acatlemie
Sociele
Societe
Cornice
Sociele
Academie
du Card, a Nimes (Card).
des sciences, inscriptions el belles-letlres,
a Toulouse (Haute-Garonne).
des jeux floraux, a Toulouse.
archeologique du Midi de la France, a
Toulouse.
des sciences, belles-lellres cl arts , h Bor-
deaux fGirondc).
archeologique , a Beziers (Heraull).
d'agricullure el d'industrie, a Rennes (Flle-
el-Vilaine).
d'agricullure, des sciences, aris el belles-
lellres, a Tours (Indre-el-Loire).
d'emulalion, a Lons-le-Saulnier(Jura).
economique, d'agricullure, sciences, arls el
manuf., a Monl-dc-Marsan (Lamies). •
acadeniique, h Nanles ( Loirc-Inl'erieure).
d'agricullure, sciences, arls el commerce,
au Puy (Hauie-Loire).
des sciences, belles-lellres el arls, a Orleans
(Loirel).
d'agricullure, commerce, s^jiences el arls,
a Mende fLozere).
d'agricullure , sciences el arls , a Angers
(Maine-el-Loire).
academique, & Cherbourg (Manche).
d'agricullure , commerce, sciences el arls,
h Chalons-sur-Marne fMarne).
agricoledela Marne, i Chalons-sur-Marne.
des sciences , lellres el arls , k Nancy
(Meurlhe).
philomatique, a Verdun (Meuse).
a Melz (Moselle).
— 178 —
Sociele
cenlrale d'agriculture.
Athenee
Sociele
Academic
Sociele
Academic
Sociele
sciences el arts , ci
Douai (Nord).
d'agricullure , sciences el arls , k Valen-
ciennes.
des sciences, de ragriciillure el des arls ,
a Lille.
de Beauvaisis, h Beauvais (Oise).
pour Tencouragemeni des sciences , des
lellres el des arts , a Arras ( Pas-de-
Calais).
des antiquaires de la Morinie, h Saint Omer.
d'agricullure, du commerce, des sciences
et arls, a Boulogne-sur-Mer.
des sciences , belles-letlres el arls , h
Clermont-Ferrand (Puy-de-D6mc).
agricole, scienlilique et lilleraire, a Perpi-
gnan ('Pyrenees-Orienlales).
des sciences, agficuliure el arls, h Stras-
bourg (Bas-Rliin).
d'agriculture, commerce, sciences el arls,
a Vesoul (Haule-Saone).
d'hisloire el d'archeoiogie , & Chalons-sur-
Saone fSaone-el-Loire).
d'agricullure , sciences el belles-lettres, h
Macon.
Eduenne, i Autun.
d'agriculture , sciences el arls , au Mans
(Sarlhe).
d'agriculture , sciences el arts , a Meaux
(Seine-el-Marnej.
des sciences, leltres et arls, k Rouen (Seine-
Inferieure).
cenlrale d'agriculture, i Rouen.
— 179 -
Sociele libre d'emiilation, h Rouen.
liavraise d'eiiidos diverses, au Havre.
des sciences morales, des leUres el des arts,
bi Versailles (Seine-et-Oise).
de slalislique, h NiortfDeux-Sevres).
des anliquaires de Picardie , 6 Amiens
(Somme),
d'emulalion , a Abbeville.
Sociele des sciences, belles-ielires el arts, h Toulon
(Var).
des anliquaires de lOuest , h Poiliers
(Vienne.
d'emulalion, h Epinal (Vosges).
arcbeologique, a Sens (Yonne).
Academic des sciences, h Paris (Seine)
des inscriplious el belies-leltres , a Paris.
des sciences morales el poliiiques, »
Sociele cenlrale d'agricullure , »
des anliquaires de France, »
d'encouragemenl pour I'induslrie na-
liouale , »
geologique de France , »
degeographie , *5
d'horlicullure, >•
d'oenologie frangaise cl 6lrangere , ;>
tarlf:
DES AUTEURS
POUR LKS DEUX VOLUMES
de I'annee ^ 850- i SSL
E. Arnould.
Analyse lilleraire el philosophique des ouvrages les
plus utiles atix moeurs , page 125.
AZAIS.
Recherches sur les Ligures, p. 235.
Rand[;ville.
Rapporl sur le Manuel de I'Hisloire des Conciles , par
M. F. Guerin , p. 220.
Comple-rendu des Travaux de rAcademie pendant
I'annee 1850-1851, 2^ partie, p. 98.
Baudesson.
Observation d'un cas de fievre inlermiitente chez le
cheval. p. 167.
BOUVARD .
Vieilles forets dont rassouchemenl a besoin d'etre]
renouvele , p. 98.
— 18i —
DUQUENELLE.
Rapporl sur la noiivelle elude de jelons de M. de
Fonlenay, p. 228.
Exanien de pieces de moniiaies du xv« siecle , p. 285.
Gainet.
Rapporl sur le livre de M. Chassay , inJilule : Mysti-
cisme catholique , p. 119.
Grandval.
De qnelques produils pharmaceuliques aliraentaires
et iuduslriels obtenus daos le vide au moyen d'un
nouvel apparcil , p. 92,
FOUNERON.
Ve nos I'aculies liueraires, p. -190.
Landouzy.
Observations sur I'hisloire geographique du goilre ,
p. 90.
De I'amaurose dans la nephrite albumineuse , 2^ me-
nioire, p. 29.
De I'exaltation de I'ouie dans la paralysie du nerf
facial, p. 52.
LORIQUET.
Quelques mots sur les se[)uliures des rois de Cas-
tille , p. 259.
Note au sujet d'une lampe antique , 2" parlie, p. 70.
Rapport sur les memoires de TAcadenoie de Melz ,
xxxi« annee, 2» parlie, p. 49.
Lebrdr.
Rapports sur diverses pompes presentees par M.
Caillet , 2" partie , p. 15.
— 182 —
Maumene.
Rapport sur le paracasse deM.de Maizieres , p. 74.
Note sur I'emploi des sulfates d'alumine, p. 175.
Analyse de pieces gauloises en plomb et en or ,
p. 288.
Lettre a M. le ministre de ragriculturc et du com-
merce sur I'hisloire geograpliique du goitre , p. 86.
Mouvement de rotation de la terre, demontre sous
les voules de la caihedrale , 2« partie , p. 83.
G. MASsfi.
Sur les ceuvres de M. Troplong , el specialement sur
son commenlaire des titres du contrat de mariage,
p. 178.
De Mellet,
Rapport sur le Congres des delegues des Societes
savantes de France , tenu au Luxembourg le 20
Fevrier J851 el jours suivants , p. 205.
MORTIER DES NOYERS.
Has de Sanche I", p. 256.
MOURIN.
Eludes biographiques , ix* et x" siecles , p. 24.
Oppert.
Importance hisiorique des inscriptions asialiques nou-
vellement dechiffrees , i^' article, p. 248.
Meme sujet , 2^ article, 2" partie , p. 42.
Henri Paris.
Rapport sur les Concours de 1851 , 2» partie , p. Hi.
I
— 183 -
PlERRET.
Rapporl sur un ouvrage de M. Lorin , inliuile :
Essai sur quelques proverbes conlestes et contesta-
bles, p. 198.
Max. Sutaine.
Allocution , p. 1.
Notice sur G. Baussonnet , p. 291 .
Notice sur Edme Moreau , 2= partie ^ p. 17.
Discours d'oiiverlure a la seance publique, 2' partie,
p. 91.
Seure.
Relation du cholera-morbus a Suippes en 1849,
p. 3.
SORNI
Ruines de I'abbaye d'Orval, p. 210.
Experience recente de M. Foucault, 2*= partie, p. 1.
TOURNEUR.
Rapport sur lo livre : La purele du coeur , par M.
Chassay , p. 106.
Velly.
Notice sur la distillation des vins , 2' panic , p. 6.
VlOLETTE.
La Justice normande, conte , p. 159.
TABLE DES M4TIERES
COINTE^UES DANS LES DEIX VOLUMES
de Vaniice 4850-1854.
ARCHfiOLOGlE ET HiSTOIRE.
Kapporl sur Ic nianuel de Thisloire das Conciles de
M. F. Guerin , par M. Bandeville, p. 220.
Recherches sur los Ligiircs, par M. Azai's, p. 235,
Importance liislorique des inscriplions asialiques
nouvellemenldechiffrees (1" article), parM. Oppert,
p. 248.
Bas de Sar.che I", par M. Mortier des Noyers ,
p. 2o6.
Quelques mots sur les sepultures des rois de Cas-
tille, por M. Ch. Loriquet, p. 239.
Eludes biographiques (ix« et x'' siecles), parM.MouRiN,
p. 24.
Importance historique des inscriptions asiatiques
nouvellement dechiffrees (2" article), par M. Oppert,
2« partie, p. 42.
Note au sujel d'une lampe antique Irouvee h Grand
(Vosgesj, par M. Ch. Loriquet,2'' pariie, p. 70.
Beaux-Arts.
Notice sur G. Baussonnet de Reims, par M. Max.
SUTAJNE, p. 291.
— 185 —
Noiice sur Ednie Moroaii , gravour , par M. Max.
SuTAiNE, 2' parlie , p. 17.
EcoNOMili AGUICOLE
Vieilles forels dont I'assoiicliemenl a besoin d'etre
reiiouvele , par M. Bolvard, des Ardenues, p. 98.
ECONOMIE INDUSTRIELLE.
Rapport siir le parncasse de M. de Maizieie , par
M. Maumene , p. 74.
Nolicc sur la dislillalion des vins, par M. Velly.
2« parlie, p. 6.
Rapporl sur diverses pompcs presentees par M.
Caillel, de Chalons-sur-Marne , par M. Lebuun,
2« panic, p. 13.
Jurisprudence.
Sur les oeuvres de M. Troplong, et specialemeni sur
son commenlaire du litre du conlrat de mariage,
par M. G. Mass6 , p. 178.
LlTT^RATURE.
Analyse liiteraire et pliilosophique des ouvrages les
plus utiles aux moeurs , par M. i.rn. Arnould ,
p. 125.
Rapporl sur un ouvrage de M. Th. Lorin, intitule :
Essai sur quelques proverbcs contestcs et conteslables,
par M. Pierret, p. 198.
Ruines de I'abbaye d'Orval , par M. Sorinin, p. 210
MfiDEClNE.
Relation du cholera-morbus qui a regne k Suippes
en 1849, par le docteur Seure, p. 3.
De I'amaurose dans la nephrite olbumineuse (deu-
xieme memoire), par M. H. Lai\douzy, p. 29.
— 186 —
De I'exaltation dc I'ouie dans la paralysie dii neri
facial , par M. H. Landouzy . p. 5'2.
Observation d'un cas de fievre inUM-miltente chez le
cheval , par M. A. Baudesson, p. 467
NUMISMATIQUE.
Rapporl siir la nouvelle elude dejeionsde M. de Fon-
lenay, par M. Duquenelle , p. 228.
Examen de pieces de monnaie du xv^ siecle, par M.
DUQUENELLE , p. 285.
Analyses de pieces gauloisos en plomb el en or, par
M.'MAUMEisfi, p. 288.
POESIE.
La Justice normande, conle, par M. Violette, p. 159.
Philosophie.
Rapporl sur le livre la Purete du coeur, par M. I'abbe
Chassay, par M. V. Tourneuk , p. 106.
Rapport sur le livre de M. Chassay, intitule: Mys-
licisme catholique , par M. Gainet, p. 119.
De nos facullcs litleraires , par M. Forneron ,
p. 190.
Sciences.
Lettreadressee a M. le minislre de I'agriculture et du
commerce, par M. MAUMEiNt; , sur I'hisloire i^eogra-
phiquedu goitre, p. 86.
Observati;-ns sur le meraesujet, par M. H, Landouzy,
p. 90.
De quelques produits pharmaceuliques, alimentaires
el industriels oblenus dans le vide au moyen d'un
nouvel appareil , par M. Grandval, p. 92.
— 187 —
Note sor I'emploi des suUaies d'alumine, par M. Mau-
MEINE, p. 175.
Experience recenie de M. Foiicault , par M. Sounim ,
2« parlie, p. 1 .
Mouvement de rotalion de !a terre, demonire sons les
voiiles de la cathedrale, par M. Maumen^, ^•'par-
lie, p. 83.
VARlfiTfiS.
Allocution de M. Max. Sutaine, p. 1 .
Rapport sur le Congres des delegues des Socieles
savantes de France , lenu au Luxembourg le 20
fevrier 1851 et jours suivants, par M. de Mellet,
p. 205.
Rapport sur les raemoires de I'Academie de Meiz
(xxxi» annee), par M. Loriquet, 2' parlie, p. 49.
Discours d'ouverture prononce a la seance publiqne
par M. Max. Sutaine, 2» partie, p. 91.
Compte-rendu des iravaux de I'Academie pendant
I'annee 1850-1851, p;ir M. Bandeville, 2« p.artie,
p. 98.
Rapport sur les Concours de 1851 , par M. Henri
Paris, 2^ partie, p. 114.
De I'aslronomie, par M Sokmn, 2« partie, p. 125.
Du but principal que Ton doit se proposer dans la
cnlture des beaux-arts, par M. De Maiche , 2«
partie , p. 132.
Programme des questions mises au concours pour
I'annee 1852, 2" partie, p. 145,
Prix et medailles decernees par I'Academie, 2" partie,
p. ISl.
Liste des membres lilulaires et correspondanls ,
2' partie, p. 152.
— 188 —
Lisle des ouvrages adresses h TAcademie peiidani
I'annee 1850-1851, 2* parlie, |). 172.
Lisle des socieles correspondanlcs, 2* parlie. p. 174.
Table des auleurs, 2' parlie, p. 180.
Table de-^ maiieres, 2" parlie, p. 184.
Reims, Imp. de P. Rkcnieu.
I
La collection des Travaux de I'Jcademie
de Reims parait tous les 3 mois par caliiers
d'environ douze feuilles in-8\
Prix de la Souscriplion annuelle: iO fr.; par la posle, 13 fr.
A Reims, chezBrnssART-BiNET, Libraire derAcadtiiiiie.
TRAV4UX
DE
L'ACIDEMIE DE REIMS.
xmtE I80I - 18L2.
No 1. — 4« Trimestre 1851.
REIMS
P. REGNIER, IMPRIMEUR DE LACADEMFE.
1852
e' ilV' |RJ>? .'V-^''.l.'j ■-'
so.}] HI Aim- IW NUMEIIO.
SCIENCES. — Cyclocephalie chez un agneau femelle , par
M. ie D"" Laudouzy.
Lecture de M. Landoczv. — Quelques mols sur un cas de
pellagre observe a I'Hotel-Dieu de Reims.
Communication de M. P. Charlieh. — Dronco-pneumonie
suraigue, non conlagieuse, observce die: line vache le cinquieme
jour da velage ; son (raitemenl , scs causes probables.
Communication de M. Maumese. — Nouveau procede de
preparalion dn chhre el de I'azole. — Remarques sur I'anes-
thisie.
Experiences de ielegraphie eleclrique , par le meme.
ARCHEOLOGiE. — Rapport sur la qneslion des fleches de
hi calhedrale de Reims , par M. I'abbe V. TonRSEUR.
Lecture de M. Cu. Loriquet. -^ Suite de la discussion au
sujet de I'creclion de {leches sur les tours de la calhedrale de
Reims.
Stalislique des scignenries de Veleclion de sainle-Menehonld
el des families qui les onl possedees, par M. Ed. Barthelemt.
mSTOIRE. — Lecture de M. Forkero.n. — Visile aux ruines
de La Motle.
Lecture db M. Gerabdjx. — Comment Henri III ful Hu roi
de Polognc.
Communicaliou de M. J.-J. Maqoart. — Examen de la
nolice de M. .1'* Galimard , sur les dessins composanl la collec-
tion des drapeaux , bannicres , pennons tt cornelles de la nation
(rancaise, par .\J. F.-A. Per\ot.
POESIE — Communicalioii do ^L A. Violftte. — Le
Loir et I'Kcnr'jnU., [able.
SEANCES
&
TRAVAUX
de
I'Academie
DE REIMS.
'\' Trimeslre 1851
l-'TiiineslrelSSa
IS^VOI.UMK.
'C'3'*
"""^f
~^C^
ET
ri^
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VA
DE L'ACADEMIE DE RfaMS.
QuiDzieisie voSumc.
4« TRIMESTRE 1851. — 1™ TRIMESTRE 1852.
REIMS
p. REGNIER, IMPRIMEUR DE LACADEMIE.
BRISSART-BINET LIBRAIKE DE I.'ac ADKMIE.
immi
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SEANCES ET TRAVAUX
DE
L'ACADEMfE DE REIMS.
0> ^ i^^
SEANCES
ET
T R A V A U X
DE L'ACADEMIE DE REIMS.
Qufinzldnii<> volume.
4'' TRIMESTRE 1851. — i<" TRIMESTRE 1852.
REIMS
p. REGNIER, IMPRIMEUR DE LACADEMIE.
BRISSART-BINET LIBRAIRE UE l'aCADEMIE.
PCttLII.
. 5-.. - l>-'-J*i ! /
A.NiNEK 1851-1852.
N-' 1. — /i'^ Trimestre t(S51.
SCIENCES.
CYCLOC£;PHALIE CHEZ UN AGNEAU FEMELLE
Par M. le D' Landouzy,
Seajice du 26 Decembre 1851.
J'ai I'horineur de presenter a I'Academie un agneau
cyclope envoyedeBrienneparM. Menu-Creveau qui
n'a pas voulu que celte anomalie si curieuse et si
rare fill perdue pour la science.
Pour donner a ceile communicalion lout I'inierei
qu'elle comporte , il eut fallu dissequer avec soin IVfii
et le cerveau. L'oeil, atiu de savoir s'il y a bien li un
globe oculaire unique dans toutes ses parlies , ou seu-
lemenl deux yeux inlimemenl confondus dans une
seule orbite ; le cerveau, afin d'apprecier les anomalies
1. 1
— 'i —
c]iril piesciilc conslammenl dniis celle rormc dc mon-
i^l^uosile, el atin, surloiit, de delerminer Ics caracleres
dii ncrf optique, des nerfs olfaclifs , eic. Mais, ouiro
ilifil fallaii necessairemenl laisser durcir le ceivcau
(ians I'alcool avanl de I'exaniiner en detail , je n'au-
rais pas voulu dissequer I'cBil et ses annexes avanl
i|iio I'Academie ne les ail vus a leur place el dans
louie leur inlegrite.
Ces details d'analoraie seront I'objel d'une deu-
xieme communicalion dans la procliaine seance. Au-
jourd'hui . je me bornerai a faire remarquer princi-
palenienl I'exitlence d'un ceil unique , au moins en
apparence ; sa situation jusle au milieu de la face ,
a la place du nez ; I'abscnce complete du nez et
meme de loul vestige d'ouverlure nasale ; la posiiioii
(les oreilli'S a la parlie inferieure de la face; I'alrophie
des macboires el I'exlreme pelitesse du cerveau com-
paree <'i la capaciie du ciane.
Gel agnoau esl morl-ne , el il n'a pas donne io
moindre sigin' de vie. Los cyclocephales nieuront, en
otfei . en nais>.aiii, ou ties peu apres la naissancc ,
comme les anencepbales , el par la nieme cause ,
c'esl-i dire par I'absence des parlies essenlielU's du
cerveau. Quelques cyclopes cliez lesquels les anoma-
lies eiaienl moins prononcees que chez celui-ci , oni
bien pu vivre un certain lemps , mais on ne irouve
dans la science aucun fait aulhenlique de cyclope
(]ui ait vecu plus de quelques jours. I'robabkmoni
dans ces cas la duree de I'exislence extra-uterine esl
en raison inverse de latrophie de Tencephale.
Les causes speciales de celle monslruosite soul en-
core inconnuos , mais son mecanisme s'expiique jus-
— 8 —
qu'ii iin cerlain point par la iheorie de ratiraciioii
(le soi pour soi , c'esl-^-diro par la lendance des
organes similaires h se porler vers la lignt; meJiaiie,
el a se confondre intimeiiient quand leur reunion
n'esl pasempechee par les or^^anes inlcM-mediaires.
Ce n'est done pas , on le voit, I'unile de I'ceil qui
conslitue scienliliquonienl la cjclopie , mais le rap-
prochement des deux yeux. Ce rapprochement oUVe,
en effet, tous les degres, depuis le simple contaci des
deux cavites orbilaires jusqu'ileur complete confusion,
depuis la simple juxlaposilion des yeux jusqu'a leur
reunion intime daus un seul ceil central.
On irouve , du reste , des exemples de celte ano-
malie dans presque loute la serie animale , depuis
I'homme jusqu'aux insecles. Chez certains insecles ,
ceile fusion des deux yeux en un seul ceil median
est meme I'etat normal , et c'est elle qui sen de Ijase
aux genres cyclopus , polyphemus, monoculus , elc.
M. Geoffroy-Sainl-Hilaire n'a pas manque de faire
remarquer combien cet elal physiologique , chez cer-
tains cruslaces , fortilie sa theorie de Taction cen-
tripele dont je parlais lout a I'heure , puisque I'ceil
unique de ces animaux, des daphnies , par exemple ,
est d'abord forme de deux yeux dislinclement separes
Tun de I'aulre , et qui se rapprochenl plus lard pour
se confondre entierement.
L'agneau-cyciope que je soumets k I'Academie
apparlient au sexe feminin , el sous ce rapport ,
il confirme la regie posee par Tiedemann el Geoffroy-
Sainl-Hilaire , qui onl constate, dans celle ano-
malie , la predominance du sexe feminin, soil chez
I'homme, soil chez les auires animaux.
- /l -
PuiH (loriiiere observation, j'insislerai siir la forme
ret>iilier(.'n)oril roiide tie eel ceil unique ( c'esl tie ceiie
forme circulaire que derive le mol cyclope); sur l;i
saillio consiilerable qu'il forme, el qui le fail prendre
loni d'nhord pour le museau de I'animal; enlin, sur
sen volume exagere qui s'ex|)lique loul nalurellemeni,
puisque eel ffiil, simple en apparence, esl , en realiie,
compose des deux yeux ou des elements des deux
yeux.
Ai-je besoin de rappeler que la fable est reslee bien
en dehors de la science, en allribuanl des propor-
tions giganlesques ( monstrum horrendum , inforine ,
INGENS. ..) h des etres necessairemenl prives de vie,
et chez lesquels loules les parlies esseniielles doiveni
rcster atrophiees ?
Je prierai , en terminani, I'Academie de remercier
M. Menu-Creveau de I'envoi qu'il nous a fall. II n'esi
pas d'annee, peul-etre , oii un cultivaleur ne trouve
dans ses etables quelque phenomene important pour
la science. L'Academie accueillera toujours avec re-
connaissance ces communications, soil comme elulo,
soil comme don pour les musees de la ville ou de
I'ecole de medecine.
5 —
LccUirc dc M. Landouz}.
QUELyUES MOTS SLK UN CAS DE PELLAGKE uBSEKVE
A L'HOTEL-UIEU DK REIMS.
L'inlerel qui s'allache h I'elude de la pellagre ci
le Ires peiil nonbre de fails observes en France, on
dehors des conlrees oii celle afleclion esi endcmiqtie,
m'cngagenl a diie a I'Academie quelques mois (run
cas de pellagre (jue je vit iis d'observer a rH6iel-Dieii
de Reims.
II s'agii d'une fenime agee de 70 ans, originaire de
Sonimepy , village du deparlement de la Marne , oi(
I'lisage (111 mais est completemenl inconnii , ei oii les
cereales sonl de qualile ordinaire.
Celle femme qui a habile Reims pendant 47 ans .
comnie domeslique, avail loujours joui d'nne bonne
sanlc , lorsque, vers I'annee 1842 , elle connncnija a
eprouver une cephalalgie violenic , de I'insomnie , de
I'anorexie , des vomiisemenls assez frequents , de la
con>lipaiion el des lassitudes dans les niembres.
Vers la ineme epoque elh; commonc^a aussi U se
plaindre d'avoir souvent le dos des mains noir, qiioi
qu'elle prit soiii de les laver plusieurs (ois par jour.
Cei eiat de la pean lui iiiirait merne de frequenls re-
proches de ses maiircs qui la laxaienl de malproprete.
Le deperissemenl suceessif de sa sanie la Ibcc^ant
— 6 —
tie roiioncer a servir , die reiourtia, an mois d'avril
(le I'amiee tlerniere , a son pays oil tons les sympio-
mes precedents augmenl^renl heaucoup. Ne gagnant
par son Iravail que cinq a six liards par jour , tile
se nourrissail presqueexclusivemenl de pain de mcieil,
Les digestions devinrenl de plus en plus dilVu iles,
la Louche se couvril d'aphies el de muguet. La ce-
phaialgie etait presque consianle , le sommeil nul et
presque loujours remplace par une agilalion extreme,
des illusions, des halliicinalions , etc.
Les mains el les extremites inferieures se paralyse-
reni complelemenl , et, enlin , privee de tous soins
et de loutes ressources, clle ontra a la ciinique de
rMotc'l-Dieu le 4 juillel dernier.
Des ma premiere visile, a la vue de eel crylheme
lerreux, borne au dos des mains, termine netlement
au poigncl, el coincidanl nvec la domence, avec un
trouble profond des lonciions dii^estives , avec la
paralysie des membros, etc., je nonimai la pellagre.
C.es symptomes eiaient tellcment caracterisiiqucs
queM. le docleur Bienfail qui assisiaila ma visile le
lendemain , et qui ignorait complelemenl mon opi-
nion , diagnosiiqua rafl'eclion , surtout d'apres I'a-
nalogic de celte ichlhyose dorsale des mains avec
un cas semblable qu'il avail observe, il y a quel-
ques annees, a Thopilal Saint- Louis, dans le ser-
vice de M. Giberl.
Apres quelques bains , il se fit une exfoliation
epidermique assez considerable sur le dos dc la
main. Sous les squames, la peau elait rosee et
Iiiisante : cetie exfoliation conliima cnsuite lenlement,
excepto an niveau des articulations des phalanges et
— 7 —
(los doigis oil les squames rcsleronl ties epiiisses^
comme cornees, el ou on les voil encore aiijoui-
(riiui, quoique, depuis I'autopsie, la maceration dans
I'eau et dans Talcool en ait deja delachc une assez
grande parlie.
Pendant loul le temps de son sejour a I'hopital , la
malade continua a etre en proie a une folie trisle ,
sans acces violents el avee des hallucinations pres-
que constantes. Elle ne prenail et ne voulait prendre
que du lait. Le marasme et la fievre heclique al-
lerent en augmentanl chaque jour, et elle mourul
presque sans agonie.
A I'auiopsie, on constata un engorgement sanguiii
des sinus cerebraux, uu ramollissemenl nuirque de
la moeile epiniere au niveau de la region lombaire,
de la pneumonic hypostatique, deux ulcerations de
trois millimetres au grand cul-de-sac de I'estomac,
une rougeur tres foncee de la muqueuse digestive,
depuis I'eslomac jusqu'h I'ileon , une eru|)tion mi-
liaire dans re>pace des soixante premiers centi-
metres de I'intestin grele , et quelques plaques
gau frees.
Cette observation, que, du reste, je me propose de
publier dans tons ses details, celle observation, si
Ton en exceple I'etiologie , ne renferme, comme on
le voit, que les phenomenes morbides ou necrosco-
piques qu'on a toujours remarques dans la pellagre,
ainsi, meme precision des desordres constates pen-
dant la vie , meme insuffisance des lesions trouvees
apres la mort. Aussi , C(! tail n'anrail-il rien d'intc-
ressanl s'll eut etc recueilli en Italic, en l^spagne ,
dans I'Aude ou dans les Landes ; mais il a ele re-
cueilli dan> le deparlement de la Marne, ou jamais on
- 8 —
ii'a signale un seiil cas de pellagi'c , chez une lenimc
qui a habile Reims pendant 47 ans, chez une femme
donl les parents n'ont pas quitte le village ou elle
est nee, el c'est I& , selon moi, ce qui doit exciter
I'interfit de I'Acadfimie.
Invoquera-t-on ici Vinsolation ? mais cette fille n'y
etait pas plus exposee que les autres servantes des
villes ; le mal de misere ? mais elle n'esl devenue mi-
serable qu'^ la fin de la maladie , et par le fait de
la maladie; ra/mien<a<Jo» ? mais c'est seulement dans
la derniere annee qu'elle a ete nourrie de pain de
meleil, el, d'ailleurs, ce pain elaii le meme que celui
de la plupart des habiianis d(i village qui jouisseni
d'une bonne sante.
Ces causes, regardees comme esseniielles.ne peuvent
done etre invoquees ici, et ce fait, rapprochede ceux
qu'on a observes depuis quelques annees k Paris , me
semble de nature a rendre moins cxclusifs les mede-
cins qui ont ecril suria pellagre.
Mainlenani , serait-ce que la pellagre augmenie en
France, comme on I'a dii depuis ces quelques fails
des hopilaux de Paris ? serail-ce au contraire que
cette affection ayanl une marche Ires longue , des
sympiomes complexes , el se terminant ordinairement
a une epoque dejii assez avauQce de la vie , on a pu
la rapporter lantot & un simple ramollissement de
I'eucephale, tanlol a une simple lesion des organes
digestifs? Je suis de eel avis, et je pense que I'al-
tention excilee sur ce point , il en sera de la pellagre
comme de la morve , conmie de la maladie de Brigtli
el de beaucoup d'autres qui ne sont devenues plus
frequentes que depuis quelles out etc mieux connucs.
— '.) -
riOmniunicalion dc ^1. P. tlliailicr,
Veterinaire h Reims . corresiiondanl dc lAcademie
BKONCO-PNEUMONIE SURAIGUE , NON-CONTAGIEUSE ,
OBSEKV^E CHEZ IINE VACHE LE CINQUIEME JOUR
DU VftLAGE ; SON TRAITEMENT , SES CAUSES
PROBABLES.
En rolalani mes observalions sur un cas dc hronco-
[)neiiinonic aigiie, je n'ai pas, je ilois le dire toiii
d'abord, la prelenlion de decrire iinc iiialadle noii-
velie; ceile afleciion esl hien connue chez lesanimaux
de Tc'spece bovine; ses causes, ses symplomes, son
iraiienienl, oni ele savammenl decriis |)ai' ncs aiilenis
veierinaires.
Ce que jc veux , c'esl signaler I'exislence d'uiie
I'oncliou physiologique consecuiive a la parlurilion ,
cpii me |)aiail ignoree , chez la vache , el donl la
suppression a sans douie ele la cause de la maladit'
donl je vais tracer I'hisloire.
Ce que je veux encore, c'esl faire connailre i'e-
nornie quanlile de sang quo je lirai avcc succes ,
dans ce cas, afin qu'oii soil dorenavanl moins li-
mide dans I'emploi des spolialions sanguines, pour
coinbadre les maladies de poilriue dc Tespece !»(>-
vine el surloul des vaches desiinees a la i)roduc-
liou tlu laii , (|ui re^oiveni loujours une riclic
alimeulalion, el t'oni beaucoup de i^aug.
— 10 —
Le 1" novL'inbro 1851 , j'aclielai 6 ^Yilry-les-
Reims deux vachcs rraichemenl veloes qu'on m'envova
le lendemain matin avec lous les soins possibles-
Mais le lemps elail raauvais, le vent glacial, une
petite pluie, fine el fioide , comme de la neige fondue,
torabait sans interruption, et il fallul s'arreter deux
ou trois fois aux porles de la ville, pour satisfaire
aux droits d'octroi.
A leur arrivee , je me contenlai cependant de les
faire nieltre a cole des autres vaches , pensant que la
chaleur de I'elable suffiraii pour les rechauffer ; cela
cMl lieu.cn efTet.pour I'une d'entre elles; le lendemain
elle donna pourtanl beaucoup moins de lait, mangea
peu, ne rumina point, mais celle indisposition ne ful
que passagere , 24 hcuros apres, loutes les fonctions
chcz elle avaient repris leur rlijthme normal.
L'auire, au contraire, ne parut pas souffrir dans les
premieres 48 heures de son arrivee , seulemeni il ne
s'ecoulait plus, comme la veille, aucune maiiere par la
vulve, le pis iegerement lumefie paraissail douloureux
a la pression , et Ton cut beaucoup de peine a la
traire.
Le surlendemaiu a la iraite du matin , elle donna
son lait avec inliniment moins de resistance, mais
ne mangea pas sa provend ? d'un bon appetit, et des
sept houros on I'ent'^ndit se plaindre assez forlemenl.
Jo ne la vih que vers deux beures de I'apres-midi.
La vache alors est trisle , eloignee de son auge
autant que sa longe le lui permet, elle parait immobile
sur ses membres, les anlerieurssont ccarles ; la respi-
ration est courie , laborieuse , jirecipitee el plaintive ;
I'air expire est cb;uid, les ailes du nez sont agitees et
— 11 —
les nasoaux dilates; la tele est lendiie sur le con ,
le regard esl lixe el iion dirige vers rabdomeii, comme
dans rinnamiiialion de la nialrice ; les yeux sonl clias-
sieux, d'lm rouge jaunatre ; le poiils esl piciii , el ii
bal si vile qu'il esl diflicile de compler les puisalions;
les flancs sonl affaisses, rclracles ; la vulve, pas plus
(]ue la muqueuse du vagin, n'esl ni rouge, ni chaude,
ni douloureuse. ni lumellee, elle esl seche , comme
rcniiee dans le bassin el ne laisse rien ecouler au
dehors. Le gontlemanl du pis el des mamelles a dispa-
ru , le murmure respiraloire se fail a peine entendre
dans les deux poumons.
Je diagnosiique une c ngeslion pulmonaire, el pra-
tique immcdialement une saignee de 5 litres ; le sang
I'ornie promptemenl un caillol epaisd'iin rouge loiice:
une couvertiire de laine est mise sur le dos el Je re-
commande de ne donncr |)0ur loule nourriuire, que
de I'eau dcgourdie, blanchie avec de la farine d'orge.
Frictions secbes, longlemps conlinuees, failessur lout
le corps el les membres.
De 9 a \0 heures du soir, moment oiije relourne
la voir, la vache se plaint plus foriemeni , on ne
I'a pas vue ruminerel elle a peu tienie dans la jour-
neo; son lail n'a cependant pas diminue el elle a bu
et mange encore assez volontiers.
Nouvelle saignee de 4 litres, conliniialion de breu-
vages d'eau de son et de farine d'orge , epaisse li-
liere pour eviier le refroidissement de la peau , si
la vache se couche.
Deuxieme jour , meme elal , si ce n'est que la
bete lousse de temps a autre, el que le murmure
respiraloire est h peu pres nul dans la partie infe-
— 12 —
ricure dt^s poinnoiis. Dii resU; , die lienle , elle urine,
el mange le pen d'aiimenls qu'on Ini donne , inais
son laii dimiuuo , ellc se plaint loujonrs ires fort,
on ne i'a pas vii riiminer , elle s'esl coucliee pendant
quelque temps, ce qui a paru augmenler ses douleurs.
Saignee de 5 litres 1/2 , frictions d'essence sur les
membres , le dos et les reins , application d'un si-
napismc sous la poilrine, lavements adoucissanls ,
bains de vapeur sous le ventre et deux couverturcs
de iaine sur le dos ; meme regime.
Le troisieme jour au matin, la vache donne plus
do lait que la veille , elle mange avec plus d'ap-
pelit , se plaint moins; on me fait dire qu'elle va
mieux ; je la vois vers le soir , et a mon grand
elonnement , je la irouve dans un otal pen satis-
faisanl.
Elle avail tousse davanlage dans le courant de
la journee ; ses delecalions n'avaient poini eu lieu,
on ne I'avail pas vu urinor , le sinapisme n'avait
produil que peu de tumefaction ; la bouche cbaude,
rouge et brulante laissait ecliapper une abondante
bavefilante ; la gorge etait gonflee et douloureuse h la
pression , les cornos el les oreilles etaien( alterna-
livemeni cliaudes et froides, et les exlr6miies glacees ;
la respiration penible, laborieuse, I'air expire toujours
chaud et sans odeur; les deux coles de la poi-
lrine sensibles a la pression ; en appliquanl I'oreille
sur les parois pcclorales on entend lout a la fois,
une crepitalioii humide, el le bruit de souffle fort
et sec , si bien decril par le professeur Delafond
dans son traite de palhologie (jeiierale.
Une bronco-pneumonie . avec inflammation nia-
— 13 -
nifesle des premieres voies respiraloires s'eiait done
declaree malgre les forles saignees, les revulsils, el
le Iraitement aniiphlogistique employe jiisque-l;i dans
loiile sa vigueur. Je commencai a craindre I'appa-
rilion de la peripneumonie conlagieiise dans mon
etable, ainsi que je I'ai vu lani de fois se mani-
fesler sur des vaclies d'acquisilion ; j'en ecrivis au
marchand qui me rassura quelque pou, en m'aflir-
manl que celle bele provenail d'un pays d'elevcs
oil la maladie est inconnue.
Je n'hesitai pas a renonveler la saignee pour la
quatrieme fois , je tirai environ 6 litres de sang ,
j'adminislrai 500 grammes de sulfale de soude dis-
sous dans une decoction d'eau de son miellee, je
fis donner phisieuis lavements, el pratiquer une
forle friction d'essence de lerebenthine qui no pro-
duisit aucun cffel sensible ; j'ap[)liquai sons la poi-
Irine un nouveau sinapisme , je soumis moi-meme
la vache a un bain de vapeur, el ne la quiltai que
quand remise de toutes ces secousses , elle eul bu
en ma presence un demi-seau d'eau blanche liede.
Le lendemain malin, quatrieme jour , point da-
melioration dans I'etal de la malade ; ses yeux lou-
jours rouges, jaunatres el chassieux, s'enloncent dans
leur orbite; elle maigril a vue d'ceil. Plus d'appelit,
plus de defecations , plus de secretion laiteuse , un
litre de lait seulemeni en loule sa journee; le pis
el les raamelles commcncent k se lletrir. Le pouls
esl moins fori et moins precipile; je crois avoir assez
saigne
Je place irois setons animes avec I'essence de
terebenlliinc , deux sur les coles de la poitrine ,
- l/l -
01 un ail I'anon, je fais une nouvelle friclion irri-
tanle sur Ics menibres et une fumigalion sous le
venire; j'adminislre en deux fois 15 grammes d'eme-
liqiie , aliernes avcc 250 grammes de sulfate de soude,
el je rends les lavements purgatifs. Le soir , les se-
lons sonl recouverts d'un large sinapisme.
Cinqtiitme jour. La vachc semble aller un peu
niieux , olle se plainl moins , le murmure respiratoire
esl plus sensible dans quelques endroits , elle mange
nonchalammenl quelques lianches de belieraves el
des feuillesde cboux que je lui donne, boil volontiers,
el rend davantage de lait, 5 litres a sa journce ; mais
la loux persisle, les defecalions n'ont pas lieu malgre
les purgaiifs,et les urines sonl rares ; ils'esl developpe
un enqibyseme sous-culane s'eiendant de Tencolure h
la region lombaire qui ne disparail que faiblemenl
par de nombreuses scarilications failes a la peau.
A quoi eel emphyseme est-il dii? Je I'ignore encore,
peul-eire est-ce cependanl a Tapplication des setons,
celie vache ayant le tissu cellulaire abondanl el la peau
Ires lache.
Les selons el le sinapisme onl produil une forte
lumefaclion.
Continuation des frictions , des bains de vapeur ,
des lavements purgalifs el administration de 500 gr.
de sulfate de soude.
Avanl d'aller plus loin, je ne dois pas oublier de
meuiionner un fait assez singulier qui prouve une fois
de plus combien le lail se ressenl vile des substances
ingerees dans I'estomac. La veille , le marchand que
j'avais mande el qui etail venu voir la vache en mon
absence , lui avail adminislre un litre d'liuile douce ,
— 15 -
dans la conviclion oii il etail, que le pmutier seul etait
pn's, [el\c est son expression; celle liuile qui avail
circule avec le sang, so iioiivait en naliire dans le laii
de la iraile du matin ; en le faisant bouillir elle se
montra a la surface conime la graisse dans le bouillon.
Sixieraejour. L'elal de la bete est aggrave, on Fen-
tend au loin gemir et se pi lindre ; la respiration est
courte ; le bruit respiratoire tres faible est accom-
pagne de crepitation; il n'y a toujours point de defe-
calion ; I'urine est rare, coioree et odorante ; le lail a
diminue ; le pouls est plein, serre et bat au moins 100
fois par minute. Pour la seconde (bis depuis le debut de
sa maladie, la vache se couche pendant un moment.
Je me decide t saigner de uouveau ci tire 4 bons
litres de sang : celui-ci est noir el se coagule lente-
menl. Coniinualion des memes soins.
Septieme jour. Un leger mieux se manifesie , les
plainles sonl moins fortes, la bete urine beaucoup en
ma presence , son urine est moins odorante , moins
coioree; le lait a un pen augmenle. Meme trailement.
Je change les rubans des selons que je Irempe dans le
chlorure de chaux liquide.
Huilieme jour au niatin. La vache va plus mal en-
core, elle est plus irisle, se !)laint davauiage , refuse
les aliments aussi bieii que les boissons , et donne
moins de lail. Le pouls esl toujours fort et accelere.
Je suppose qu'il y a des paroxismes, el je remarque que
ceux-ci diminucnl apres la saignce, pour augmenter
ensuite. Je me decide encore a rouvrir la veine, el
pour la sixieme sjignt^e je lire 5 litres 1/2 de sang,
celui-ci e,U assez .ouge , se coagule promplement el
lorme un caillol ferme. Memes soins que les jours pre-
— 16 —
cedents el adminis'ralion de 250 grammes snll'ale dc
sonde, la vache irayiini pas encore purge.
A la traite de midi , le lait augmenle; le soir il
augmenle encore, !a bele mange avec assez d'appelil,
ses lavemenis soni accompngnes de quelques excre-
menis reconverts de faiisses membranes, et on la voit
rnminer pour l;> premiere fois , depuis le |)remier
jour de sa maladie.
Neuvieme jour. Le lait continue d'augmenler , la
vache se couche do temps en temps , elle rumine
pendant qu'on l;i trait , se plaint beaucoup moins ,
mange avec plus d'appelil encore , commence a pur-
ger, sa fienie (res molle repaud une odeur infecle ;
jes urines sonl abondantes et claires ; la vulve est
bumide . il s'en ecoule des maiieres glairo-sanguino-
lenies. Le bruit respiratoire se fail entendre dans
la majeure partie des poumons , la respiration se
regularise , le pouls bat moins fort et moins vile ;
les selons commencent a suppurer ; il y a, cetle fois ,
je I'espere , une amelioration reelle.
Cette amelioration se continue, en effet, Jelendemain
el les jours suivanls. Quoique ayani une forte diarrhee,
la vache redevieni gaie , elle s'allonge en se relevani
comme une vache en bonne same , el quand on lui
donne i manger , elle se lance sur sa voisine pour
i'empecher d'avancer , elle rumine biea et souvent ,
son lait augmenle ; les maiieres qui s'echappeni de la
vulve sonl abondantes, surtoul pendant le decubitus.
Un pen plus lard la fienle se moule, mais je re-
marque que la vache se plaint encore apres ses repas;
je fais diminuer les rations.
— 17 —
Le (louzieme joiir , elle est en pleine convales-
cence; le laii revienl, die esl remise pen a peu &
son regime ordinaire. Bienlot il ne reste plus de
trace de la maiadie que I'exlreme maigreur qui en
a ele le resullal, el qui a son tour Jisparait, pour
etre remplacee par rembonpoinl.
Apres avoir iriomphe d'une maiadie aussi grave ,
aussi comproraetlante pour la vie de Tanimai, mon
premier soin ful d'en eludier s6rieusemenl les
causes .
Celle qui se presenia la premiere a nion esprit ,
ce fut le refroidissement que la vache avail eprouve
pendant le trajet de Witry a Reims , ce fut I'arret
de la transpiration , car si les retroidissements soni
dangereux en tout temps , combien ne le sont-ils
pas plus dans les premiers jours qui suiventla parturi-
tion, alors que la peau et la muqueuse des voies
respiratoires reprennent toule I'activite qu'elles avaient
perdue pendant la gestation , que la fibrine predo-
mine dans le sang, et qu'il y a sur-activite vitale,
ou trouble dans les I'onctions organiques, en raison
de I'exces de ce fluide qui se trouve sans emploi
pendant quelqwe lemps dans I'economie. — Mais une
autre cause lixa mon attention.
J'avais remarque, en'achetant mes deux vaches,
qu'elles laissaient ecouler toutes les deux par la vulve,
des malieres glairo-sanguinolentes, qui temoignaient
de leur velage recent. Je savais en outre , que pour
que les vaches, apres le part, se conservassent en
sante, et que la secretion iaiteuse s'etablii regulie-
ment, il fallail qu'elles se nelioy assent bien , comme
on le dii vulgairement dans nos contrees.
I. 2
— 18 —
Or , rcxcretion dc cos maliercs , si aclivc cl si
iihoiidante !a vcille , avail subilemcnl tari chez la
vache qui fail le sujel de raoa observation ; elle avail
aussi cesse , pour reparailrc le suriendemain chez sa
compagne, qui, comme nous I'avons vu , eul une in-
disposition passagere peiidanl sa suspension , landis
que chez la premiere la secretion no se retahlit
que quand la maladie niarcha vers une lerminaison
heureuse.
Des lors je fus porie a penser qu'il y avail chez la
vache, aussi bien que chez la femme , el Ires proba-
blemenl chez loutes nos femclles mammiferes domesli-
ques, des Lochies, c'csl-i-dire, un ecoulemenl par la
vulve, de malieres d'abord sero-sanguinolenles, puis
glairo-sanguinolenles , el mucoso-blanchatr<'.s , q-ii a
lieu depuis le moment de la delivrance, jusqu'a cv
que I'appareil genital, el noiammenl I'uterus , soieni
revenus h leurs proportions et a leur conslitulion
normales (1).
Seulemenl chez la femelle bovine, cet ecouk-meni
parait intermittent , sans doute a cause de la situation
horizontale de la malrice el du canal vaginal , dans
lesquels les malieres se deposenl, a mesure qu'elles
sonl excretees , pour ne s'cchapper le plus ordinai -
rement que quand la vache fail des efforts expulsifs
pour s'en debarrasser, on pour fienler el uriner ; mais
alors on les voil sorlir en abondance , salir la base de
la queue el tomber sur la litierc, ou elles s'accumiilent
quand la vache est coucbee ; je crus done que Tarrel
(1) Depuis la piiMicalion de cede notice, j'ai pii coiistaler , tie
concert avec le docteur Landouzy , I'existence de la secreSiot;
lochiate apres le part , chez la jnment , la brcbis el ia rliieniio.
— 19 —
(\o ceUe secretion n'eiait pas eirangcr a la maladie de
ma vache, el en leflechissanl a I'imporlance qiralta-
rhenf les medecins a la mainlenir dans toule son
inlegrite, chez la femmo qui vienl d'accoucher , je
pensai meme qu'il pouvail on elro la cause principale.
En effet, lorsqii'il exisledans I'economio une abon-
danle secrelion, lut-elle anormale, sd suppression est
toujours dangereuse , quand elle n'est pas lent2 et gra-
duce ; a plus forle raison , fi cetle secrelion esl la
consequence necessaire d'un e(al physiologique.
Qui ne sail a combien de maux sent exposees les
femmes qui nourrissent, lorsque pour une cause quel-
conque , le lai( vient a tarir subilement.
Qui ne sail que les jumcnls , les chiennes , les
chalies, privees de leurs petits, au moment ou la
secretion lailee esl en plcine aclivite , sonl souvont
altaquees d'affeciions diverses , si on ne prend les
precautions voulues.
On a compare la condition d'une femme en couche
a colle d'une personne qui aurait subi une grandc
oporalion, el on a dit : que la surface interne de I'ute-
rus, apresla separation du placenta et dss membranes
de I'oeuf , ressemblait a une vasie plaie qui doii
supj)urei'.
Si cette comparaison peul etre faite cbez la femme,
elle pent I'etre egalemeni |)our nos femelles domes-
liques, et plus parliculierement pour la vache, doni
I'organisation de I'uterus esl si complexe.
Mais il me parait plus rationnel d'admeltre une
autre bypoihese :
C'esi que la secretion de- lochies n'est que la
conlinuation de la secrelion cotyledonaire, el qu'olle
— 20 —
esl au foelus ce que la secretion mammaire est an
nouveau-ne.
Le produil do celle secretion, quand il n'csl pas
melange de sang, soit liquide, soit coagule, ou de
debris placenlaires, esl en effel , comme le produit de
la secretion colyledonaire, essenliellement albuminoux;
il n'esl purulent, sanieux, el ne repand une manvaise
odeur que quand la malrice, par suite de son irritation,
quelle que en soit la cause , devicnt le siege d'un
etal pathologique , ou que les portions de placenta
reslees dans son inlerieur s'y decomposent.
Quoiqu'il en soit , la secretion lochiale produil
evidemmenl le degorgeaienl de Tulerus el dos co-
tyledons , phj'siologiquemenl liyperlrophies par I'etal
de grossesse, en meme lemps qu'elle combat I'exal-
lation donl eel orgaue et ses annexes ont ete le
siege pendant le travail plus ou moins penible de
la parturition; son abondance varie suivanl les sujels
el les circonslances, elie paraii elre en rapport avec
la force du veau , le volume du placenta et des
enveloppes foetales s'etablit apres la tievre de lait ,
vers le Iroisieme ou quatrieme jour, el dure envi-
ron de quinze jours a trois semaines, comme j'ai
pu m'en assurer par Texploration du vagin et de
I'ulerus, a ces diverses epoques du velage.
C'est bien ainsi le refroidissemeni qui a determine
I'arrel subil des lochies , dans le cas qui nous oc-
cupe, puisque chez I'autre vache , elles lureui ega-
lemenl suspendues, pendant environ 24 lieures , el
celle cause de suppression , qu'elle soil lenle ou
brusque , qu'elle ait lieu h fair ;ibrt' ou dans les
eiables , sera loujours louie puissanle , pour deter-
miner un elat morbide.
— 21 -
iMais elle n'esl pas la seiile qui k prodiiise.
Ainsi: 1° La plelhore sanguine, resullaul d'uii
i-xces de nourrilure , donnee pendanl la gestation, ou
apres le velage, par les marcliands, ou les nourrisscui's,
dans le but de donner plus d'apparence aux vaches
el d'augmenler la secretion du lait.
2° L'n-ritation plus on mo'uu violeiilo du vagin el
de I'ulerus, produite par les parts laborieux , ou |)ar
les manoeuvres nialadroiles eliniempeslives d'hommes
ignoranls, loujours prets a vouloir terminer prompte-
menl el forcement la soriie du veau , qui, dans la
majoriie descas, aurail eu lieu spontanemenl.
5° Le renversemenl du vagin ou de I'ulerus , mal
reduit, el dont les effets no soul pas combadus par iin
iraitomenl rationnel et des soins appropries.
4" La non-delivrance, ou la delivrance artificielle ,
opereo incompletemenl, mahdroitement ou Irop vite,
le gonflement intlammaioire du pis et des mamelles,
etc., sont aiitani de causes d'irrilaiion el d'inllamma-
tioQ, capables d'empecber, d';irreter, ou de suspendre
la secretion locbiale, de meme qu'elles nuisenl lou-
jours a la secretion du lail.
Ainsi, s'explique peul-etre la fre<|uence des acci-
dents de loutes sorles , qui surviennenl si souvent
cbez les meillcuifs vncbes , ajir^s la pariurilion , el
parnii lesqucls on doit placer au premier rang : la
tievre vilulaire ou plul6t la fievre trauraatique-puer-
puerale ; la melro-vaginile aigue ou chronique, simple
ou compli(ju6e ; I'inflammation des ovaires , de la
vcssie, des reins, du periloine, de la rnoelle epiuiere;
les engorgements inllanimaloires du pis el des ma-
melles ; les enleriles, el (piebjuefois meme les pneumo-
— 22 —
iiifS, etc. Seiilcment ces deinieresne se d6veloppenl
probablemeni que quaotl les vaclies voyagenl par un
temps froid el pltivieux , ou a raarche forcee , les
organes respiratoires elant alors plus fortcmenl irrites
que les aulres visceres , par I'impression directe de
I'air ambiant , el ractivile plus grande des poumons.
Je n'hesile pas h dire: que I'epoque la plus critique
pour la same des vaches , n'esi pas cellc de la partu-
rilion, mais bieii celle qui suit la parturilion.
Ce n'est pas qu'a la suite de la parlurilion les mala-
dies que je viens d'enunnerer ne puissent se developper
Sous I'influence d'autres causes que I'arret subil des
lochies , celui-ci tsl alors consecutif, mais il n'en
influe pas moins sur I'elat general de la vache, el je
persiste a croire, quejusqu'a present, on n'a pas fait
assez attenlion h celle cause efficienle de maladies
toujours graves, qu'i^ serail facile d'eviter , par les
simples soins d'unc hygiene bien enlendue.
II me resie a revenir quelque peu sur le Iraiiemenl
que j'ai employe dans ce cas, ei nolammeni sur Te-
norme quanlile de sang que j'ai tire.
50 kilog. au moins, en sepl jours... Mais la vache
etail d'assez forte taille , du poids de 500 kilogrammes
sur pied, elle etail jeune , vigoureuse, avail beau-
coup de sang, un sang riche ; I'inflammalion etait
violenle, ei ia plelhore sanguine elail manifesie , en
raison sans doule du pari recent el de I'abondanle el
succulenle nourrilure a laquelle la bete avail ele
soumise.
Je ne pense pas , en efifet , que chez une vache
ayant vele depuis longlemps , el donnanl du lail,
j'cusse ose lircr aulani de sang , car je ne oache
- 2'6 —
pas c|ii'il ,til jamais ele i'uii iin'ntion do seinblaliK'
fails.
Chez les vaclies laitieres, vieilirs veleos , los sina-
pismes , les frictions iiiilanU's , les selons , les
purgatifs a liautes doses , employes concurremment
avec les |)remieres saignees , eussent evidcmmenl
prodiiit qnelque effei , on la beie eut ele perdue.
LS, rien ne put arreter les progres du mal ; les
saignees seules amenaient un pen d'amelioratioii. Le
lendemain , quelquefois le jour meme de remission
sanguine on voyail la vache se plaindre un pen
moins , respirer jihis facilemont et donner plus
de lail , pour revenir au merae elat le surlen-
demain , il esl vrai. Ce ti'est qu'aprcs la sixieme
saignee, qui en desespoir de cause fui une des plus
copieust's , que le mal ceda , que les sinapismes,
les selons, les purgalifs agirent, et que les fonclions
secretoires des mamelles el de I'uterus se retablirent.
La saignea a forte dose, repetee coup sur coup,
a done ele dans ce cas le raoyen le plus elficace ,
le plus puissant^ pour comballre rinflammation, celui
sans lequel la maladie eut determine necessairemenl
la mori.
Ce fail est pour nous un enseignemenl pratique,
il nous indique clairemcnt la necessite des grandes
et ires grandes saignees , dans loutes les maladies
conseculivts au v6lage qui, chez les bonnes vacbes,
sonl on des congestions ou des inflammations
aigues.
II nous indique aussi que !a saignee a la suite
de la parturition ou un pou avanl le pari, esl sou-
vcni utile comme nnsNcn j)reventif, (piand les vaclics
— 2/1 —
sonl plolhoriques , ou que les organes surexciles ,
soil par les velages difficiles , le renversement de
malrice, I'affliix trop considerable du sang dans les
glandes mammaires , ou toute aulre cause d'irritaiion,
ne pernicttenl pas aux secrelioiis lochiale el laciee
d'enlrer regulierement en fonciions.
Depuis le perfeclionnemenl des cultures; depuis
que les prairies arlificielles, dans beaucoup de loca-
liies remplacent la jachere , le lemperamment des
vacbes est evidemment change, de lymphaiique qu'il
elail en general , il est devenu sanguin ; mieux
nourries , elles ont nn sang plus riche, plus abon-
danl, qu'elles iransmellenl a leurs descendants, qui
mieux nourris encore, ac(]uieroul uu degie de vi-
talile qu'il deviendra bienlol utile de moderer.
Notre Iberapeulique, chez ces animaux, doit done
changer aussi, el avoir pour base le j)lus souvent,
la medication essenticlkmenl depletive, surloul pendant
les derniers temps de la gestation . ou immediale-
ment apres le velage , alors que le sang est plus
abondant, plus fibrineux , el predispose aux conges-
tions, aux maladies inllaairaaloiros.
C'est ainsi que bion des fois j'ai sauve des vaches
d'une mort imniinente, ou en ai preserve de mala-
dies graves, a la suite d'un part laborieux, d'un
renversement de I'uierus, etc., en lirant, en moins
de 24 heures, de-lS k 15 litres de sang, et que
contrairemenl aux prejuges , ces vaches onl donne
un lait aussi abondant que les annees precedenles.
C'est ainsi que j'ai pu encore, par de fortes
saignees , erapecher des avorlemenis raanifestes ,
donl les premiers symptomes s'elaient declares a
— 25 —
la suite do conliisions, de heiirls , do chules, de
saillies, elc, (1).
CONCLUSIONS.
Dans cette simple notice , je crois avoir de-
montre :
1" Qu'il exislo chez la femelie bovine , apres le
part, un ecoulernent ayant la plus grande analogie
avec cclui qui a lieu chez la femme, a la suite de
i'accouchement, ecoulernent auquel on a donne le
nom de Lochies.
9° Quo la Bronco-Pncumonie si violente , qui s'esl
developpee chez ma vache , le cinquieme jour du ve-
lage, a et6 delermineo par i'arret subit de eel ecou-
lernent lout physiologique.
3" Que Ics fortes emissions sanguines, plus encore
que les revulsifs el les purgatifs , out ete toules
puibsantes, pour iriompher du mal.
M.'iis mon but principal sera atteint, si par ces
details et les retlexions auxquels je me suis laisse
entrahier , j'ai rcussi a attirer ['attention des vete-
rinaires cl de^ agiiculleurs, sur une cause de mala-
dies graves, chez les vachcb fraichement velees, qui
me paraii avoir cle incounue jusqu'ici.
( ! ) Aujouid'hiii , fin fevricr 1862 , que celle communica-
tion est livree a I'iraitressioii , je crois bon de dire que la
vaclie qui en fait le sujet , a subi ia castration en presence
des docteurs Blanchard el Maldan ; que I'oiipration a reussi
a souhait , mais que , sans doute a cause de sa constitution
pletiiorique , I'etal du pouls et quelques syniplomes u'irri-
tation itulinonaire me foicerent de lui tirer encore 15 litres
de sang, ce (jui n'empecha pas son lait, ijui diuiinua quelque
peu, de revcnir promptement a sa quanlilc lioruiale, d'augmen-
ter meme de deux litres, bien que souuiise au meme regime
qu'arant i'operalioii.
— 26 —
roinimmicsUicn dc i. iaiimeiic.
NOUVEAU PilOC^Dfi DK PI\6PA»ATI0N OU CIILOKIi ET
DE l'aZOTE. — UEMARQUES SUIl L'ANESTHfiSIE.
J'ai riioineur do communiquer a I'Academie une
decouverle h laqiiello eile accordera peul-6lre de I'in-
terel , pour I'ulilile qu'ellc offrirail h I'induslrie dans
cerlaines circonslances, ei pour les Inmieres qu'elle
repand sur I'aciion des agents aneslhesiques comme
Tether ou le chloroforme.
L'un des premiers agents d'anesthesie connus a
eie le gaz protoxyde d'azote : I'etude de ce corps a
presenle des accidents ties analogues h ceux dont
I'emploi de I'eihcr et du chloroforme a ele la source
de nos jours.
En Anglelerre, tons ceux qui respiraient du pro-
toxyde d'azote eprouvaient une sorle de delire joyeux
et sans souffrance , et, chose singuliere , des effets
compleleiueni opposes se manifeslaient en France sur
les observateurs les plus habiles. L'ilhistre baron
Thenard , qui a porle si haut notre gloire scienti-
tique, faillit perir avec deux de ses preparateurs k
la suite d'une inhalation de protoxyde d'azote.
J'avais songe depuis longtemps a rechercher les
causes de cette discordance bizarre , el j'avais cru
Jes irouvcr dans une impurete du sel employe pour
— 27 —
Ja pioparalioii dti gaz donl il s'agit, impiirete donl
il t'sl soiiille prosque n^cessairemerU d'ordinaire. H
nvavail sernble, en uii mol, quo I'azole d'amnionia-
que mis en usage pour obtenir le proloxyde d'azoto
leofermait loujours une peliie quanlile de chloihy-
drale de la nieme base, el que I'aclion des deux scis
pouvaii dotiner naissance a des produils secondaires,
qui rendaienl ie gaz anesthesique dangereux.
En eludiant celle aclion , mcs previsions se sonl
realisees et je suis parvenu aux resuilals suivaiils:
On a theoriquement :
2Az0.5H3Az.HO+H3Az. HCL=15H0+CL+5Az.
L'experience esl d'r-ccord avec la iheorie ; aussiioi
que le melange alteint la lempeialure de fusion de
I'azolale, une action tres vive s'elablil el elle fournil
les resuilals indiqucs. f)es !es premiers momenls , le
leu peu! eire relire ; la decomposilion conlinue el
s'acheve presque enlieremeni d'elle-meme.
La projiaration ainsi execuiee pourrail devenir
dangereuse pour deux raisons :
i° Parce qu'elle fournit avec une grande rapidile des
produits qui sonl tousgazeux^ une quanlile de ma-
liere un peu forlc donnerait loujours chance d'ex-
plosion ;
2" Parce que le melange des deux sels dcvienl
paleux, se boursoullle considerablemenl, el va se liger
dans les cols des cornues en produisanl une obsiruc-
lion coraplele.
11 esl facile de remedier a ces difficulles ; il sullii
de ne pas agir sur une grande masse de melange a
la fois, el d'ajouler ix peu pres qualrc fois aulani de
sable. On mel ainsi l'experience au rang des plus;
' — 28 -
Taciles; en pen d'inslanls la ciialeur ameue le devo-
loppement des gaz sans fumee el sans tumulle. On
abaisse un peu le feu el I'operation marche promple-
menl el avec uue grande regularile.
Voici les chiffres de la preparation :
,„„ I 75 azolale d'ammoniaque sec ,
100 grammes at; l^ u a , v •
° I 25 chlorhydrale d ammoniaque sec,
400 grammes de sable.
Ces proportions fournissent 26 litres d'azote sec
el 5 lilres de chlore.
Je crois superflii de faire observer que la chaleur
est assez elevee pour ne laisser aucune crainte de
production du chlorure d'azote. Jamais les gaz n'en
ont la plus faible odeur.
Lorsque les proportions indiquees pour le melange
sont bien observees el lorsque les sels sont purs, on
n'oblient pas autre chose que de I'eau, de I'azote el du
chlore.
Ces deux resuiiats m'ont conduit aux consequences
suivantes :
i° Les petites quantites de chlore produites par
les traces de chlorhydrale d'ammoniaque qui existent
souvenl dans I'azotate de cette base , expliqueni les
facheux ellels observes dans certains cas , par
exemple, en France, lors de I'inhalalion du protoxyde
dazoie.
On est fonde ainsi a admeltre que les effels facheux
de rather et du chloroforme sont dus souvent a des
impureles , comme cela arrive pour le protoxyde
d'azole.
2° L'aclion reciproquo des deux sels fournil un
moyen nouveau d'oblenir Tazole et le chlore.
- 29 —
Les proccdes pour l.i propanilion de I'azole soiit
mainienanl assez nonibroux ; mais , a pari celiii de
la decomposiiion de I'air par les metaux , ils laisseiU
a dosirer sous le rapport de la simplicite. Cu!ui qui
faiirobjel de cette commnnication parailra sans doute
preferable quoique , ou plutot parce qu'il donne en
mime temps du chlore.
Le jour peut veiiir ou I'indusirie (rouverait une
grande ressource dans ce nouveau mode de produclion
du chlore sans bioxyde de manganese, et au moyen
de subslanci^s qui tcndeni continucllement \i devenir
moins couieuses.
— 30 —
EXPftUlKNCES OK TELEGUAPHIE liLECTniQllR ,
par M. E. Maumene.
Le lelegraphe clectrique esl un des iriomphes de
la physique modeine. Se paiier h mille lieiies comme
en lete a lele nVsl plus un probleme : c'esl un fait
do la pratique la plus ordinaire aujourd'hui. — Le
gouverneinenl, los chemins de for emploicnl le lele-
graphe eleclrique couime principal moyen de commu-
nicalion. Bienlot nous en jouirons tous a peu de frais
et la posle s'cn servira pour la plupart de nos cor-
respontiances.
En meltanl sous les yeux de I'Academie le
specimen du merveilleux instrument dont nous rece-
vous deja lant de services, M. Maumene s'esl em-
presse d'indiquer brieveraent les principes mis en
usage dans sa construction.
L'Academie a pu .Miivre la transmission d'une de-
peche entre deux stations eloignees an moyen d'un
telegraphe a cadran. Les lellres successivemenl prises
pour guides sur un transmetteur , metteni I'eleciri-
ciie en mouvement dans un fil dont la longueur ne
peul jamais etre assez grande , d'un point k un
autre , sur notre globe pour exiger un temps de
parcours sensible ; les mouvements reproduits k
— 31 —
I'inslanl mcmi! shms mi rcceplcur place an !icu do
destination, y font paraiiro les m<} ;ios lellres, conime
i^i la main qui les envoie tenait raignillc dc cc re-
cepteur. La rapidite avec laqnelle lonciionnc uii
lelegraphe depend de sa conslruclion < t de I'habi-
lude des personncs. Le modele presonle par M.
Maiimene a ele consiriiil, seulcnient pour la de-
monstralion, par M. Froment, I'un de nos plus lia-
biles ingenieurs ; il pent cnvoyer deux lelires par
seconde ; mais il s'en faut que ce soit la limile du
travail des tclegraphes de service, ceux-ci peuvent
tracer huil el dix lettres.
M. Maumene a fait atissi fonctionner un modele
execute par lui-meme, de la disposition adoptee
pour mouvoir une sonnette d'avcrtissoment au mo-
ment de la transmission des dcpeches.
Eniin, TAcademie a vu repeier ia curieuse expe-
rience donl li' public a ete enlretenu lors de I'ela-
blisscmenl du lelegraphe sous- marin. On pent tirer
le canon a Calais en y mcilant le feu de Douvres,
on reciproquement. M. Maumene a explique celte
merveille, si sisnplement produile avec I'aide de I'e-
lectricite. II suffit d'amencr le fd telcgrapliique sur
la lumiere du canon, el, apres I'avoir coupe, de
reunir ses deux parties au moyen d'un fil de pla-
line, presque aussi lin qu'un clieveu ct long de 10
a 1*2 millimelrcs. L'eleclricile peut traverser le
gros fil lelegraphique el ne pas i'echaulTer nota
blemenl , mais elle porle le fil fin de plaline a
une cbalcur rouge, el elle determine tout naturel-
lemenl rinilammaiion de la poudrc que le fil ira«
verse. Le canon elant a Calais el la source elec-
/ , _„ ao
/ ^-
irique a Douvres , le fluide mis en mouvemenl a.
ceile derniere station arrive au roomenl meme h
Calais el fail rougir le fil de platine qui determine
I'esplosion. — M. Maumene a produil de ceile
maniere rinllammation de la charge d'un petit canon
de cuivre.
— S3 —
ARCHtOLOGIR.
RAPPORT
sun I A QT'ESTION DES FLfeCIlES DE LA CATIlfiDKALE
!)E UEIMS ,
I'ar M. i'abi'C V Tniirnrtir
Messieurs .
Un nrlicic publie par VIndicaleur de la Champagne
(111 mardi 2 decembre 4851 , reclamaii d'une nianiere
assez vive conlre loute erection de (leches sur !es lours
de noire calliedrale de Rcin)s. L'estimable anieur de
cet arlicle, entraiiie par son coeur eminemmciil remois,
el par son ardcni amour pour I'admirable basiliquc,
clierchail partout des appuis h sa cause ; il invoquait
I'hisloire, Terudilion , la science el I'archeologie ,
Pliiche el le Congres scienlilique , pour proaver que
Ics arcliilectes qui ont hCili la calhedrale n'ont jamais
vouhi terminer son porlail par des flecheSj et que par
coimqiient il no doit point , il ne devra jamais en
reccvoir. Des le jour nieme de I'apparilion de cet ecril
dans les coloniies de VIndicaleur , un arciieologue
ol)scur s'elaii cITorce (j'en ai regu dans le temps la
confidence ), do le refuler sur un grand nonibrc de
I. ^ 3
- dh —
poinls el de lairc voir la question sous un tout aulre
jour. Mais il avail du laisser dans rombre son travail;
ralleniion du public el ses preoccupations eiaient a
d'autres evenemenls beaucoup plus serieux , el il y
aurail eu quelque inconvenance a venir faire de la
polemique dans les journaux sur una question d'art
el de gout , quand une portion du pays clail en proie
aux horreurs de la guerre civile , el qu'une question
de vie el de mort pour la France etail encore peu-
danie.
L'ariicle de V Indicaleur , malgre I'importance de
son sujel aurail done probablement passe inaper^u ,
si noire zele correspondant M. le comle de Mellel,
^> qui rien ne sauraii faire perdre de vue les intcrets
de nos monumenis , n'avail par une proposition
formelle , saisi I'Academie de la question des Heches
el reclame son intervention pour protester aupres du
Ministre des cultes , suppose que le gouvernement
ail etleclivement le projel d'eriger ces flecbes , el
qu'il ail meme , comme I'assure Tarticle de YJndica-
teur , donne a ce projel un commencement d'exe-
cution.
Vous avez partage , Messieurs , sinon les crainies ,
du moins la sollicilude de I'bonorable M. de ftiellet
pour noire calbedrale ; vous n'avez point oublie
I'inlerel que Ton attache a Reims et dans tout le
monde des archeologues , a cette question lant de
fois debaltue de I'erection de filches sur les lours
de notre incomparable porlail; vous avez egalemenl
lemarque combien I'opinion publique s'est preoccu-
pee autour de nous , a la vue des iravaux de res-
tauralion , ou meme , selon quelques personnes , de
conslruclion recemmenl executes sur ces memes lours,
— ;V5 —
el voiis avcz tlc-sire qu'iinc commission, apr6s avoir
eliidie serieusement cellc question si grave , vinl
nous commiiniquer dans un rapporl le resullat de
ses eludes. Voire commission s'est reunie sous la
presidence de M. Bandeviiie ; elle sc coinposail de
MM. Fanarl, Sutaine, Maquart , Gossel , Duparc et
Tourneur. Nos collegues m'ont fail I'honneur de me
designer pour vous rendre coraple de leurs delibe-
rations. Tache dillicile, h raccomplissement de la-
quelle je me suis efibrce d'apporler tous mes soins
el pour laquclle j'ai bcsoin d'etre soutenu par la
bienveiilance a laquelle vous m'avcz dcpuis si long-
lemps accoulume.
En elfet , Messieurs , il y a cerlaines questions
qui ont le privilege de diviser presque necessairement
les esprils el sur Icsquels il semble qu'on ne puisse
jamais s'enlendre , loutcs simples qu'elles paraisscnt
au premier abord. Ce sonl celles qui sonl posecs
d'une maniere confuse, vague ei indecise, ct dans
la discussion dcsquelles chaque cbampion s'escrimanl
avec fureur , frappe sans cesse a cole de son ad-
versaire , croyant a lout instant le lerrasser quand
il ne le louche meme pas. Ce sonl encore les ques-
tions d'arl , de forme ou de goiit qui , ne se rat-
tachanl immediatementh aucun principe incontestable
ne penveni non pliiselre tranchees par aucune uutortte
inl'aillible, el se resumenl toujours en deux ou trois
propositions opposees , que Ton admetlra on que Ton
rejetlera a son gre , sans jamais pouvoir C'lre con-
vaincu d'orrour. Vous aimez un j)ortrail eiiloure d'un
ovale el moi je le prel'cre cncadre dans un carre
et ainsi de mille aulres choses qu'il si>rait fort aise
de citer ici.
Or, telle esi precisemonl, selon uioi, rinierminnhie
— 36 —
question des fleches. Elle ii'a ete lanl dcballue au
Congres scienlifique de 484.5 que parcc qu'elle a ele
posee sans precision ; car , bien definie , elle se
resumera en quelqucs propositions, les unes si cvidenles
qu'elles doivenl nieltre lout Ic nionde d'accord ; ics
aulres si pcu evidenlcs , si fort du domaine du gout
ei de I'apprecialion pcrsonneile qu'elles ne pourront
jamais etre resolues , et que tout esprit sage doit se
borner 6 les exposer sans chercher a les resoudre.
Essaycr done en ce moment de debrouiller ce formi-
dable probieme en plagant , d'un cote, ce qui peut ,
ce qui doit elre admis par lout le monde , et de
I'aulre, ce que personne ne saurail decider, toulefois
en exposanl lidelement les raisons des deux parlis ;
arrivcr surloul a des conclusions pratiques nelles ,
positives, acceplablcs pour tout le monde et telles que
I'Academie puisse les sanctionner de son vote ; voila
la tache difficile que j'ai re^ue de voire commission
et que j'ai acluellement a remplir sans m'engager
cependanl a ne point vous laisser deviner mes predi-
lections el a vous cacher le drapeau flechisle ou anti-
flechiste sous lequel j'aimerais a me ranger.
Avant tout , la question des fleches peut 6tre en-
visagee sous deux aspects enlierement distincis , et
qu'il importe beaucoup de ne pas confondre. Tlieori-
quement, au point de vue de I'art, du gout, de Thisloirc,
mais comme unc these purement speculative ; ou
praliquement el en vue d'une execution plus ou moins
immediate. Quoique liee? tres iniimement , ces deux
questions sonl cependanl parfaitement independantes
sous plusieurs rapports. On peul tres bien reconnaitre
en effel que la calhedrale devrait avoir des fleches ,
qu'elle serait mieux, plus achevee, plus complete avec
— 37 —
cclle addition, sans cire pour cela force de demander
Icur construction immiidiaic, sans avouer meme qu'il
f;i!lle jamais les eriger.
C'esl pour avoir oublie ce point essentiel, que,
confoudant les deux questions, on s'esl jcte dans des
suppositions inadmissibles, on a nie des fails evidenls,
el consid6rab!emenl embrouille la discussion. Apres
avoir signale eel ecueil , lachons de Teviter.
Premieremenl done : En thiorie, vaudrait-il mieux.
serait~U preferable quo le portail de la cathedrale fut
termine par des fleches ?
Pure question de gout ct absolumenl insoluble, si
Ton ne veut consulter quo la raison. Apres avoir
bien allenlivemenl ecout^ loutes les discussions qui
onl eu lieu en nia presence sur ce sujet, apr^s avoir
relu avec grand soin les j)roces-verbaux du Congr^s,
Tarticlede Vlndicaleur , les divers articles des Annales
archeologiques concernant les Heches de la cathedrale
de Reinns , je trouve pour raflirmative ou pour la
negative deux ou Irois raisons au plus, niais qui n'ont
rien de peremploire el qui finissent loujours par equi-
valoir a ceci : Vous aimez une c/ioce , el moi j'en
prefere une autre ; a qui don^erc^t-c.z raison ?
Ainsi : il faul des fleches , disent les uns, parce
que lout dans la cathedrale se termine par des fitches,
les conlre-forts , les dais , les niches , el le reste,
bati dans le style pyramidal ; il faul des fleches, parce
que les lignes du portail s'elevanl verlicalemeni doi-
vent se reuniren un faisceau el former des fleches ; il
faul des fleches parce que Saini-Nicaise, veritable modu-
le reduit de Notro-Daine, avail les siennes ; que Char-
ires, Tours ct autrcs eglises onl les leurs, endn parce
— 38 —
que lien lie seiail plus sublime que le portail de
Reims s'il allait se perdre el mourir dans les nuages
a cinquanle metres plus haul , precisement ;i la
liauleur de la lanlerne du dome de Sainl-Pierre de
Rome.
li ne Taut pas de Heches, disenl les auires, parce
que la Ci.lhedralc esl parfaile comme elle es» , el que
cede addition pourrait la galer, en rompanlla pers[)ec-
livc el I'harmonie des lignes, el atliranl necessaire-
menl le regard au detriment du portail, qui ne serail
plus vu, plus ndmlre. If ne faut pas de ileclies, parce
que Nolre-Dame de Paris, de Rouen, d'Amiens , do
Bourges, el autres caliiedrales niagnifiques n'en onl
jamais en el n'en sont pas rnoins admirees des con-
nai^seurs Que voire pcnsee ne me devauce pas,
Messieurs , el veuillez bien remarqucr que tontes les
auires raisons allegtices pour ou conlre les Heches se
rapporlenl a la question de solidite des lours ou a
Yopportunile d'un aclievemenl , ou a tout autre point
en dehors de la question pre>eiite , telle que nous
I'avons posee au point de vue puremenl specidalif.
J'avais done le droit de vous dire qu'aucune de ces
raisoDS n'est peremploire, el que, posee en ces
termes , la question ne saurait elre resolue par la
discussion.
Toutefois , un argument d'un tout autre genre a
6le produit au sein de la commission en faveur de
I'afTirmative ; mon role de rapporteur m'oblige a le
repeter ici avec quelques developpements , peut-etre
fera-t-il sur nos esprils une certaine impression. Un
membre a dit : Sans doute en s'appuyant sur les
seules considerations arlistiques de convenance et de
heaute, la question des fleches au point de vue spe-
— 89 —
culalif esl insoluble ; mais ne pourrait-elle pas e(re
Irancliee par Vautorite ? Si un arlisto eminent, le-
connu par I'univers entier comme le plus compelenl
en fait d'architeclure goihique ; si un homme de
genie , aussi bon juge en celte maliere que Michel-
Ange en fait de sculpture , que Raphael en fait de
peinture, venail vous dire clairement et sans hesiler
que la caihcdrale devrait avoir des Heches pour
complement de son porlail, scrail-il permis d'h6,siior
encore et de le coiitredire? Or, ii en (,'si |)rL'cise-
ment ainsi ; et le grand hoaiuic, Thomme do genie
qui vient nous parler de la sorle, c'est Hugues Li-
bergier, ou Robert de Coucy, ou Tauleur inconnu
pour nous du porlail de la caihedrale. En effet, la
calhedrale enliere , et le porlail en parliculier, sont
baiis sur un plan unique , an moins pour I'ensemble.
Ces parlies reunies, si harmonieuses , si bien pro-
porlionnees I'une a I'autre ne so soni pas surajoulees
ies unes aux autres au grc du hasard ; une seule tele,
un seul genie a couqu ce merveilleux poeme, et
lous Ies maitres de I'oeuvre qui se sonl succ6de , se
sont plii h le iraduire sur la pierre, sans rien chan-
ger , que des details peut-etre , aux premieres idees
du mailre. Ce fail est inconlesiable ei avoue , pro-
clam6 par tons Ies archilectes, par lous Ies hommes
qui onl eiudie I'ensemble du porlail de Reims. AUri-
buer ce chef-d'oeuvre a la pensee successive de plu-
sieurs hommes, ce serait dire que I'Eneide aurait
pu elre enfantee par plusieurs poeles ; le Moise do
Saint-Pierre-aux-Liens , congu par plusieurs sculp-
leurs ; la Transfiguralion du Vatican creee par plusieurs
peinires. Prciendre le conlraire serait se jeler dans
une supposition absurde et vouloir evidemmenl I'im-
— 40 —
possible. Or , la base des tlechcs , leur coinnienccw
nieiil , les filches elles-memes avec leiirs clochelons
existent sur la calhedrale depuis des siecles , a iiiie
hauleur de trois mfetres au-dessiis des tours; cela
est un fait materiel et palpable qu'il est impossible
de nicr. L'auteur du portail lui-meme demande done
Texistence des fleches pour rachevemeiit parfait de
la calbedrale.
A cela qu'oppose-l-on ? Que I'idee des lleclies
n'apparlient peut-6lre pas a rimmorlel auleur du
portail, mais qu'elle a pu venir des derniers ma-
sons qui I'oDt eleve. Cela, ajoute-t-on , serait d'au-
tent plus probable que I'hisloire nous moutrc
loulos les grandes conslruclions du nioyen-age al-
terees et modifiees par les differents archiiccles qui
ont successivement iravaille a les batir. Mais Ton
donne cetle reponse :
Qu'il en ait ete ainsi pour les autres construc-
tions , nous ne le nierons pas ; nous avoueions
meine que la calhedrale de Reims porle en beau-
coup d'endroils la trace du passage de differenies
mains qui ont voulu faire mieux ou du moins au-
Irement que celles qui y avaienl prccedemnient
iravaill6. iMais, et c'esl la le glorieux privilege de
iiotre basilique , c'est la ce qui la distingue dc
toutes les autres, les differences qui se font reraar-
quer dans les autres cath6drales aux grandes lignes
de I'edifice et dans les parlies les plus considerables
el les plus essentielles, n'apparaissent a Reims que
dans quelques moulures et dMmperceplibles details,
11 faut I'ceil exerce de I'archeologue pour remarquer
les changements, et ses invesiigalions patienles pour
les decouvrir ; hors de cela , le plan , les formes
— I\\ —
priiicipales sonl parloul religioiisemcnl , sciupulcu-
senicnt conservdes. Pas ini pillicr, pas uiic base,
pas un dais, pas iin clochelon , une pyramide, une
ileclie donl le plan ne soil oclogone. Pas une voulc
qui ne soil d'arele ; pas une fenelre, pas un com-
parlimenl de rose ou de fenelre qui ne reproduise
exaclemenl la menie forme el un type unique. Les
derniers architecles onl done consciencieusemenl
suivi le plan du premier; c'csl a celui-ci el non
aux aulres qu'il faul allribuer I'idee des fleches.
D'ailleurs , a defaul de ce raisonnemenl, le monument
parle pour conlredire I'hypoihese loute graluite d'un
changemenl de plan. Jamais on nepourrait placer des
fleches de 150 pieds de haul sur des tours qui n'au-
raient pas ele disposees pour les recevoir el pour en
porter le poids; ces lours elles-mcmes onl du ne-
cessairement 6lre appuyees , elayees sur un systerae
complel de bases el de conlre-forts nienages de
maniere a leur offrir un point d'appui iiiebranlable.
Quand on veul charger un edifice d'un pareil far-
deau^ il faul y penser non pas en posant la derniere
pierre , mais en pla^ant la premiere. Aucun archi-
lecle ne demenlira cerlainemenl celle observation.
Aussi voyons-nous a la calhedrale des bases colos-
sales el massives ; une suite de conlre-forts el de
solides elais savammenl combines pour se soutenir
el s'appuyer muluellement. Les lourelles angulaires
des clochers en parliculier , sonl conslruiles avec un
artilice tout special, pour appuyer la lour princi-
pale el contrebalancer la poussee de la fleche, Ce
n'esl done pas le dernier archilecte , mais le pre-
mier, mais le puissant genie crealeur de noire por->
tail qui demaude I'erection des Heches.
- h^l -
On ajoule encore que les Heches n'ayant point ele
baties, I'archilecle s'esl pcui-etre dejuge en renon-
^anl a leur construction, dans la crainle ou d'allerer
la beaule de son ceuvre ou d'en compromeltre la
solidile. El Ton repond encore :
Cela ne peut souienir le plus leger examen. D'a-
bord, si un archilecle a renonce a bjklir les fleclies,
ce n'est point I'auleur du porlail, car le porlail a
ete conQu en meme temps que la cathedrale en
1212, ou peu d'annees apres ; et ce n'est qu'en 4450,
218 ans plus lard qu'on s'est arrete dans sa con-
struction. Nous pourrions done repeter toujours, meme
en admetiant I'objection , que I'auteur du portail y
veut des fleches. Mais ensuite , il ne se peul pas
que la crainte de gater le portail ou d'en compro-
meltre la solidite en ait arrets rachevemeni. Non ;
nous avons foi au genie , et en presence d'une
merveille presque complete nous ne ponvons croirc
qu'on I'eut galee en la terminant. Si Virgile nous
avail laisse VEneide incomplete el priv6e du XII*
livre , qui oserait dire qu'il s'esl arrete par crainle,
el qu'il aurait pu faire perdre a son poeme toute
sa beaute en le terminant? Nous dirons la meme
chose pour la solidite. El enfln, nous ajoulerons un
seul mot : c'est que cetie supposition touie gratuite,
recoil des fails le dementi le plus solennel el le
plus evident. Ce qui nous prouve qu'on n'a pas
abandon ne I'idee des Heches quand est venu le mo-
ment de les construire, c'est qu'on les a com-
mencees.
Quoi de plus facile que de completer les tours,
comme h Paris , par une balustrade et une plate-
forme? on eiil eu du moins la joie de terminer Ic
— /|3 —
nicrvc'illeux porlail, d'y nuMlre la dernierc pierre ,
laiidis (ju'iin si grand nonilno d'aiiii'os, celui d'Ainiens
par exempic , demeuraient hoileiiv el impart'ails.
La derniere pierre! y pensc-l-on bion? el avec quelle
allegrcsse, quel Lonlieur^ el I'archeveque, el le cha-
pilre, el la ville, el i'archilecle ne Tauraienl-iis pas
posee? Au contraire, ils n'ont pose que des pierres
d'allente , dans i'espoir d'un achevemenl complet
el de I'enliere realisation du plan de rarchilecle ;
ils ont mis un toil , niais toil en ardoises, a ma-
lerianx Ires legers, essenliellemenl provisoire , lout
sembJablo aux toils qui masquent les blcssures faites
par I'incendie aux quatre tours du transept, el tout
difTerenl des toils definilifs des aulrcs parties de la
cathedrale. II ne faui point chercber si loin la cause
de rinlerruption de la construction des fleches. On
s'arrele en 1450, I'annee qui a suivi le sacre de
Charles VII ; la guerre des Anglais continue durant
de longues annees, jusqu'au traile d'Arras ; bienlot
viennenl les lutles entre Louis XI et Charles-le-
Temeraire durant lesquelles on n'a probablemenl rien
pu construire. (Touiefois personne ne peut nous re-
pondre que Ton n'a point, durant cetle periode,
accompli sur d'aulres points, a I'inlerieur ou h I'ex-
terieur, des iravaux importants.) Arrive I'incendie
de 1481 , toules les ressources du cbapilre s'epui-
sent en vain a en reparer les degals ; Charles VIII et
Louis XH accordent sur les gabelles du royaume
enlier des sommes considerables qui sont encore
trouvees insuflisantes pour refaire ce qui a ete de-
vore par les flamraes. Bienlol il faul payer la ran-
?on du prisounier de Pavie, et la fabrique k bout
de toules ressources vend ses calices, ses reliquaires
- lll\ —
el ses joyaux ; suivcnt les gu(;rres de religion qui
nous amencnl au xvii' siecle , el duranl ce siecio
aussi bien que duranl le xviii% il faul recourir aux
largesses du monarque el au iresor public pour
reparer diverses parlies qui menacenl mine, nolam-
ment au portail , el pour refaire dans leur enlier
les loilures des basses nefs el les couvrir de plomb.
Voila pourquoi les Heches n'onl point ele lerminees.
La question theorique parait done resolue , c'esl
riiomrae le plus habile en fait de golhique, c'esl un
genie egal a Buonarotti , a Sanzio , c'est I'auleur
du portail , qui demande des Heches pour le com-
plement de son ceuvre : qui oserail dire que les
(leches en altereraient la beaute, en detruisanl I'har-
monie? En presence d'une telle autorile , ou je me
trompe, ou il faudrait beaucoup d'audace , plus
peut-elre que de I'audace pour oser discuter la ques-
tion , el parler encore du plus ou moins de beaule
que les fleches ajouteront au portail.
Convaincue par ces raisons, la minoriie de la com-
mission se prononce r^solument pour I'atfirmalive
dans la question de pure theorie. La majorile ne
voyant aucun motif de prendre une decision dans la
circonslance presenle, prefere s'abslenir, el laisser le
problerae au libre examen des archeologues. Cela
pose, je passe a la question pratique que je trailerai
plus sommairemenl.
2° I)oit-on songer a halir des fleches sur les tours
du portail de Reims ?
II faul encore divisor celle question , sinon pour
la resoudre , au moins pour la faire comprcndrc
clairemcnt, et se demander tour-a-tour : i" La ca-
th^drale peul-elle recevoir des Heches sur son por-
- as —
tail? Questioti de solidite. 2« La catluklrale doit-
ellc recevoir acluellemenl ccs lleclies, suppose qu'elle
puisse les porter? Question d'opporlunile. 5" Eiiiin,
la calliedrale devra-t-elle jamais les recevoir? Ques-
tion plus theorique que pratique , et qui depend d'un
grand probleme , fort agile entre les archeologues ^
sur la re|taralion , la reslauration et rachevemenl
des monuments.
Question de solidite. — Voire commission, Messieurs,
s'est unanimement dccbree incompctente pour la re-
soudre ex professo et scientifiquement. Celle question,
cntierement technique, nepcut etre decidee en ce sens
d'une maniere irrefragable que par les hommes spe-
ciaux ; il faul avoir fait le calcul des forces et des
resistances , cube el pese la pierre , sonde le monu-
ment , verifie les aplombs , pour eire ti meme de
dire avcc autoriie et une pleine assurance : la ca-
tiiedrale pent ou ne peul pas supporter le poids des
fleclies. Cependant, nous ne devons point oublier
que , en dehors de la science, chaque homme est
doue d'une experience et d'un bon sens pratique
qui lui permettent d'emettre son avis avec quelque
poids , meme sur une question du genre de celle
qui nous occupe ; el pourvu qu'il n'ait pas la pre-
tention d'attribuer a ses affirmations ou a ses ne-
gations une valeur exorbitanle, ses jugements seront
ecoules, comples, peses par les esprits serieux qui
voudront sincercmeni s'eclairor sur le point en
lilige.
Voila pourquoi. Messieurs, voire commission, lout
en reconnaissant son incompetence au point de vue
scientifique (je ne parle, veuillez le remarqucr, que de
la commission, et non de tous les membrcs de la com-
mission ; car je nrompresse de reconnoitre comme
- /|6 —
vous la paifaile compcieiice tie plusieurs d'cnire eii\),
voiPa pourquoi, dis-jc, voire commission, toiil en rc-
connaissjnl son incompetence au point de vue de la
science el de I'arl, a cm ccpendanl pouvoir discnier la
quoslion d'apres I'oxperience pratique et ie bon sens.
Deux avis conlradicloires se sonl produils dans son
sein : les uns ne peuvcnt comprendre que des tours
aussi delicales, aussi freles, puisscnt porter des fleciies
de 50 metres de hauteur ; d'ailleurs, ajouicnt-ils, la
cailiedrale est viei'le, le temps a du alierer sa solidite,
il ne faut point imposer a sa decrepitude un fardeau
que sa jeunesse n'aurait supporte qu'a grand'peine.
L'exemplede Saint-Denis, qui a failli s'ecrouler sous
le poids d'une nouvelle Heche , doit donner beauconp
a craindre pour la cathedrale de Reims , si on osait
la surcharger aussi.
Les aulres repondenl qu'ils sont pleins de sccurite
pour la solidite du portail. D'abord, disent-ils , on
s'exagere considerablcment le poids des fleches ; on
oublie qu'elles ne se composent que de minces parois
de pierre qui vonl se retiecissani, s'allcgeant, se di-
minuant toujours au fur et a mesure de leur elevation;
on oublie qu'elles doivenl etre percees de larges ou-
vertures, de vides immenses qui ne laisseront prise
d'aucun cole aux efforts du vent. On oublie enfin
que la base de la flechc , telle qu'elle vient d'etre
reconstruite sur la lour du nord, a plus de la moilie
du poids de la ileche lotale. La cathedrale n'esl
pas vieillc : un edifice bati pour durer vingl siecles
est encore jeune quand \\ n'en a dure que six ; qu'on
vcuille prendre la peine d'examincr le portail , el
on verra que sa masse est encore aussi solide, aussi
inebranlable qu'au premier jour. Le temps a ronge
- hi —
la surface do la pierre, alierc les moiiliircs, cndom-
mage les slalucs, cela esl vrai, mais a la profondeur
d'lin ou de deux cenlimelres au plus; le reste est
^videmmcnl inlacl.
Les lours du porlail iie sonl freles cl deiicales
qu'en apparence; qu'on les eludie non |)as du dehors,
mais de rinlerieur, el on y reconnailra huit enormos
piles, aussi considerables que les piliers de la nel',
d'autanl plus solides qu'elles sonl abrilees au dehors
par les eleganies lourelies qui les protegenl on les
dissimulanl, el reliees , arc-boulees I'une sur I'auire
a I'aide des ogives dont elles sonl surmonlees.
L'exemple de Sainl-Denis n'esl applicable en rien
a la calhedrale de Roims. On sail que Sainl-Denis
n'avait pour soulenir sa fleche qu'une nuiraille balie
en mauvais moellons, fardes a I'exlerieur d'un mince
paremenl de pierre de laille ; Sainl-Denis devail
s'ecrouler. Mais noire calhedrale csl balie en pieries
parfailemenl solides el massives qui no pouvenl
laisser aucune crainle. D'ailleurs, rargumeiil d'auto-
riie reparait encore ici. Les plans de I'auleur du
poriail onl ele religieusemenl suivis ; on ne sau-
pas concevoir que celhomme, donl le gdnie se monlre
si evidenl en tant d'endroils de la calhedrale , n'ail
poinl donne aux fleches qu'il voulail balir les sup-
ports donl elles avaieni besoin ; redillce n'ajanl subi
aucune alleraiion dans sa masse ni dans son aplomb,
il s'cnsuil qu'il doit pouvoir parfailemenl porter ks
fleches. Voili , Messieurs, en resume les arguments
produiis de pari el d'aulre pour ou conlre la soH-
dite; il n'appariienl poinl h voire commission , qui
s'esl declar^e incompeleute au poinl de vue scienti-
(ique, do formuler de conclusion rigoureuse cl de
- 68 -
prononcer d'uno inaniere absoliic ; mais d'apros Ic
simple bon-sens el rcxpcrioncc vulgaire, la minorite
reconnail la solidilc, que la majorite ne nie pas,
mais ne veut pas proclamer.
2" La calhedrale doil-elle recevoir actuelkmeni
<les Heches , suppose qn'elle puisse en supporter le
poids ?
Ici, je serai fort court. A I'unanimite , la com-
mission repoud : Non ; la calhedrale ne doit point
recevoir actuellement de fleches.
11 faut reparer un edilice avant de I'achever ; quoi-
que dans sa masse et dans son ensemble la calhe-
drale soil parfailemcnl conservee el d'une solidilc
inebraniable, cependant beaiicoup de ses parlies ac-
cessoires sonl en mauvais etal ; plusieurs galeries
menacenl ruine; les arcs-boulanls du midi, snrlout,
sonl horriblemenl degrades , et leur chulc pourrait
gravcment compromellre I'exislence meme dcs vofitcs.
Les clochetons des conlre-forls du midi chancellent
et peuvent lomber d'un jour h I'autre. La lour
meridionale du poriail est exlerieurenient rongee
par la pluie, elle doit elre reparee ; tout le pourlour
de I'abside est terrassc de plusieurs metres; dela
humidile qui delruit pen a peu les murailles, pousseo
conlinueile et ebranlemenl qui peuvenl a la longue
amener dcs desaslres; cl quand loutes ces repara-
tions seront accomplies , avant d'entrer dans une
voie d'achevemenl , ne faudra-t-il pas refaire tout
ce qui a existe et que I'incendie ou le temps onl
I'ait disparailre? La Heche centrale de la croisde dont
les plans el devis existent encore lels que le cha-
pilre les avail comniandes apres I'incendie, en loOi ;
celle fleche qui devail etrc plus elancee, plu:^ bardie,
plus haute do plusieurs melrcs que celle d'Amiens ?
- /|9 —
La base en est prele, el pendant plusieurs siecles
on a vn dans iin des bas-cotes de la metropole les
poiitres enormes destinees h en elre larbre prin-
cipal. II faudrait refaire les quatre tours des portails
lateraux , la galerie qui masqnait les combles des
bas-c6les et tanl d'autres clioscs , & i'exterieur el a
I'interieur.
D'ailleurs , autre raison , on presence de ces dis-
cussions animees sur la question de reconstruction
des Heches il esi perm is de se demander si la
science est assez avancee, assez sure d'elle-meme,
pour les construire dans 'in siyie convenable et dans
la forme que voulait I'auleur du portail. Pour toutes
cos raisons , la commission , unanimoment et sans
hesiter , se prononce negaiivemenl el dil qu'il ne
faut pas songor acluellemeni ^ eriger les (leches.
Mais 5" devra-t-on jamais les construire ?
Grave probleme archeologique qui divise en deux
camps opposes les plus compelents et les plus doctes,
el que nous ne voulons nullemenl vous proposer de
resoudre ; car avanl tout, cette question apparlient
lout entiere d Vavenir, el jusqu'^ ce que toutes les
reparations , loutes les reconstructions que nous enu-
merions loul-a-l'heure aienl ele achevees , il n'y a
point urgence a pronoucer. Mors , quand ce moment
sera venu , vous entendrez MM. de Montalembori ,
Dideron , de Caumont, vous donnor comme un
axiome : Qu'il faut entretenir les monuments , les
rcparer le moins possible , mats ne les achever on
ne les reconstruire jamais. Le bureau de la section
archeologique du congres s'esl i)rononce contre les
Heches ; la commission emincmment competenle ,
1. 4
— 50 —
envoyeeieccmment parlegouvcrnemenl,s'eslprononcee
pour, Disoiis, loutefois, que le congres a vote aulant
sur la question de solidite , qu'il n'etait point apte
h resoudre d'une maniere deliniiive , et sur la ques-
tion d'opportunite que nous venons d'exposer, que sur
la question d'erection pour I'avenir.
Pour nous, nous disons que cette question est de
celles que Ton peul exposer, discuter, mais non
irancher rigoureusemenl. II ne faut jamais, disent
les uns , achever un monument que les ages nous
onl laisse incoraplel. La calhedrale est admirable et
admiree sans fieches , pourquoi lui en donner? Elle
existe historiquement telle que nous la vojons ;
I'Europe, le monde entier la connaissenl pour un
chef-d'oeuvre dans son etat actuel ; celie forme, cet
etat sont consacres par les arts , par mille pein-
lures , mille gravures , il faut les respecter. Prenons
garde, en achevanl la cathedrale, de mentir a la
poslerile , en donnant pour du io" siecle une oeuvre
du 19° el d'induire ainsi nos neveux dans I'erreur.
Les aulres vous diront que ce refus d'achever les
monuments, vrai dans la plupart des cas , doit souf-
frir de nombreuses exceptions. Qu'on laisse inacheve
un arc-de-iriomphe, un temple payen , une ruine ,
ccia se con^oil ; mais on acheve Cologne aux applau-
dissements du monde catholique , un grand nombre
se rejouissent de voir terminer St-Ouen , un plus
grand nombre baltrait des mains si Ton substituait
un portnil goihique a I'horrible magonnerie du style
Pompadour dont le siecle de Louis XV a gratilie
les belles caihedrales de Metz el de Chalons-sur-
Marne. Une basilique chr6lienne ne doit jamais etre
finie , on doit pouvoir y travailler toujours. Elle est
— 51 —
la fille d'line religion qui coinple sur les siecles et
qui a foi en I'avenir ; I'eveque qui en pose la pre-
miere pierre sail bien qu'un autre placera la derniere;
mais il espere en ses successeurs el il raeurt en
paix , en leur leguant son oeuvre a consommer,
bien convaincu qu'ils ne failliront point a la tache,
et que fallut-il attendre des siecles , la maison de
Dieu aura son achevement , qu'elle s'appelle Nolre-
Dame de Reims, qu'elle soil la melropole insigne
de la seconde Belgique , ou bien une simple et
modesle chapellede faubourg, et qu'elle ait nom Saint-
Thomas. Ainsi en a-t-il ete jusqu'^ ce jour de la
calhedrale de Reims. Qu'on prenne la peine de compul-
ser ses volumineuses archives et on se convaincra qu'a
loutes les epoques on a iravaille aclivement et h grands
frais a la reparer , h I'embellir , a I'augmenter et
a la terminer. Pourquoi le gouvernement qui s'est
substitue au clerge pour la propriete des grands edi-
fices religieux reculerait-il devanl une pensee d'a-
chevement , quand il aura repare toules les breches,
gueri toules les plaies et rendu a la calhedrale sa
beaute premiere? Nos neveux n'y seronl point trom-
pes ; I'histoire leur dira ce qui est du 19^ ou du
20^ siecle et ce qui est du 15°; I'aspecl sera change,
mais comme il a change pendant Irois siecles a
mesure que quelque parlie notable eiait construite,
I'aspect hislorique vivra dans I'hisloire , la gravure
le conservera , le monument lui-meme ne cessera
d'en porter la trace. El si la calhedrale est assez
solide pour porter les fleches, on saluera sans doule
avec enthousiasme la realisation complete des plans
du grand artiste qui dessinait le porlail en 1212 ,
el le laissail a des successeurs comme le lype
— 52 —
elernel ilu beau gotliique el le nee plus ultra, de
I'art Chretien.
Ces raisons sont de quelque poids sans doule ;
elles decident la minorile ci se prononcer pourl'alTir-
niative ; mais elles n'ont point cependant semble
assez graves a la majorite de la commission pour
renlrainer a se prononcer sur une question qui
n'esl raaintenanl que la pure theorie et que Vavenir
seul devra delinir , si tant est qu'elle puisse I'elre
jamais.
Apres ces debals generaux , que penser des Ira-
vaux recemment executes sur les lours, el qui ont
eie I'occasiou de Farticle de VIndicaleur , des pro-
positions de M. de Mellet el sur Icsquels voire com-
mission doit se prononcer ?
D'apres des renseignemenls posilifs el pris h bonne
source , Tarchilecle charge par le gouvernement de
reparer la tour s'esl borne a reconstruire ce qui s'y
trouvait ; seuleroenl , il a exhausse de trois assises
de pierre la base depuis longlemps exisiante de la
fleche projetee, parce qu'il avail h reconstruire les
qualre pignous triangulaires qui terminenl chacun
des cotes de la tour. Celie operation eiaii indispen-
sable , d'a|)res les regies d'uue bonne et sage repa-
ration , atiendu que la base de la fleche dovani
relier el consolider entre eux les qualre frontons ,
elle devail etre elevee avee eux el comme eux.
Mais renlevemenl du toil conique a huil pans qui
couronnait autrefois la base de la fleche inachevee,
en a tout a fail change I'aspecl. Antcrieurement le
monument semblait termine , le toil etaii comme un
appareil place sur le trougon de fleche inlerrompu,
pour en masquer cl on dissimuler Tabsonce ; aujour-
— 53 —
d'liui que I'lippareil est enleve, la plaie esi d'aiiiani
pins hideuse qu'elle est plus fraichomenl renouvclce.
]| faut done pour rendre k la tour et par conse-
quent au porlail son aspect ancien et historique ,
pour rassurer les esprils qui craignent les projels
delevation immediate de la Heche , refaire une loi-
lure conique a huit pans dans la forme de celie qui
coiffe la lour du Midi, el de celle qui se voyait sur
la tour meme du Nord , avanl les rccenls Iravaux.
Quant au projei de conslruire actuellemenl la fleclie ,
ce projet n'existe pas , el aucuns fonds n'ont ele
accordes pour celte destination.
Cela pi se je me resume :
La majorile de la commission , ne voyant aucune
necessite pour I'Academie, de se prononcer dans une
question purement theorique, de sa nature tres con-
troversalile, propose seulement a la Compagnie de
declarer ; 1" Entierement inopportuns el conlraires a
rinleret du monument , tons projels d'achevement
actuel des Heches du porlail ; 2-^ Elle emel le
voeu que les fonds destines a la cathedrale soient
employes a des Iravaux de reparation on de restau-
ration b(\aucoup plus urgenls ; 3" Que Ton donne
a la lour septenlrionale une couveriure analogue i\
celle de la tour du midi, afin de reiidre au porlail
de Reims sa regularitc parfaiie et autanl que pos-
sible son aspect ancien ; 4" Quo ces conclusions
seronl communiquees an Ministre des culles pour
qn'il pourvoil, s'il y a lieu, a leur execution.
— bk -
Seance du 24 Janvier 1862.
Lecture dc M. €ii. Loriquet.
Suite de la discussion au sujet de l'£rection
DE FLECHES SUU LES TOURS DE LA CATHfiORALE
DE REIMS.
Messieurs ,
Un rapport vous a ele fait au nom de la com-
mission chargee par vous d'examiner la proposition
de M. le comle de Mellet, voire correspondant, au
sujet de la calhedrale de Reims. Le savant et in-
genieux auteur de cc rapport n'omet aucune des
raisons qu'on a donnees pour ou conlre I'erection
soil presenle , soil a venir , de fleches destinees a
completer noire imcomparable calhedrale ; il les
approfondit , il les discute , il les oppose les unes
aux aulres, et cetle exposition sage et nette a jete,
je crois pouvoir le dire , un grand jour sur plusieurs
points ou beaucoup d'esprils elaient indecis. De
quel cote surlout s'est faite la lumiere, il ne m'appar-
tient pas d'en juger encore. Constalons des mainte-
nant que le rapporteur , enlraine par sa conviction
hers de la voie iracee par la majorite de la com-
mission , ne pouvait s'emp6cher de nous monlrer
celle oil la verile lui apparaissait aussi claire que le
soleil. La separation est flagrante, mais nous y trou-
vons trop noire compte pour en faire un crime au
rapporteur.
— 55 —
II peut elre difficile de parler au nom d'une nia-
jorile, quand on est en complele opposition avec
elle et de faire valoir, en fin de comple, des con-
clusions dans lesquelles 11 n'y a rien qui ressorle
nalurellement de ce qu'on a dit. Mais celle position
faile a un rapporteur a son bon cote. C'est queique
chose pour lui sans doute que d'avoir son franc
parler, de pouvoir presenter sous un jour favorable
les fails el les raisons qu'il prise le plus. Notre
honorable confrere s'est habilemenl lire d'affaire,
vous en conviendrez , il a meme un peu malicieu-
semenl joui de ses avanlages.
Mais que devient, je ious le demande, la majorile
ainsi representee ? Quelle force lui resle, apres s'elre
exposee de gaite de cceur aux coups de ceiui qu'clle
a choisi pour organe ? Brisee et desarmee par le
rapport fail en son nom, quelle sera son autorile?
A-l-elle cru trouver une echappatoire dans ses con-
clusions ? C'est ce que nous examinerons principa-
lement , en prenant la question ou la discussion I'a
laissee dans la derniere seance.
Tachons d'abord de reconnailre par quelle filiation
d'idoes les conclusions de la commission peuvent so
raitacher au rapport.
Le rapporteur a groupe sous divers chefs les
points discutes au sein dc la commission : suivons-le.
En fait , les tours da portail occidental de la
calhedrale ont-eUes ele destinees a recevoir des fleches ?
— Oui, dil-il, car ces fleches onl etc commencees.
— La majorile s'absiicnt, el son abstention va presque
jusqu'a douter du temoignage de ses yeux a I'endroit
de ce commencemenl originaire des Heches, jusqu'i
— 50 --
nicr ce que tout le nionde peul voir , toucher ,
mesurer.
All point de vue de I'arl et du goiit , mais en
theorie seulemenl , serait-il hon de lui en donner ?
— Oui , (lit encore le rappoiteur , car I'auteur du
porlail et probablement de la calhedrale loute en-
liere , en a juge ainsi , el nous devons avoir con-
fiance dans son jugemenl. Ne les eut-il pas com-
mencees, Tensemble du monument les appellerait.
II est facile d'expliqucr comment ce couronnement
n'a pu lui etre donne. — La majorile s'abstient ;
elle ne voit pas la necessite de prendre une decision,
quand la commission est precisement chargee d'en
proposer une.
Apres les questions de principe et de gout vien-
nent celles de la solidite et de ropportunite.
Sur la premiere , comprise au point de vue de
la science et de I'art de balir, il y a accord parfait
dans la commission : elle se declare incompetenle ,
bien qu'il y ail uu archilecle et un ingenieur dans
son sein. Au point de vue du bon sens el de ce
qu'elleappelle I'experience pratique, elle croit pouvoir
disculer : et le resullat de ceite discussion, vous ne
I'avez pas oublie , consiste a proclamer de part et
d'autre, au nom du bon sens, les uns, que les
tours sont tout a fait incapables de supporter Ve-
norme fardeau qu'on vent leur imposer ; les autres,
que rien n'(st plus soiide que les tours , que rien
n'esl plus leger que les Heches projelees. Du nombre
des derniers est le rapporteur : les opposants , je
n'ai pas besoin de vous le faire remarquer, forment
la majorile. Qu'importe, du rcslc, cetic opposition
— 57 —
de seulimenis? Puisque lous onl le bori sens pour
guklf, il faut bien, si Ton a raison de ce cole, que
de I'aiilre on n'ail pas lorl.
Enfin , la cathedrale doil-elle recetoir acluellement
des fUclies? — Ici, je le reconnais, le concert est
unanime : ceux qni onl h coeur de legucr a la pos-
lerile la calhedrale absoiument telle qu'ils I'onl vue,
lie veulenl pas qu'on y louche ; il faul reparer
Tedifice avanl dc I'achever, disenl les partisans de
rachevemeni.
II semble que tout soil lini. Aliendez. Voici venir
les amateurs du vieux pour le vieux ; difficilemenl
lis permellent qu'on repare un peu les monuments ;
h peine consentiront-ils qu'on les soulienne, qu'on
les cnlrelienne , tanl ils onl peur qu'on les rajeu-
nisse; quanl a les achever, jamais. La niajorite de
la commission voil racbevement de noire cathe-
drale loul-a-fail du meme oeil que les doctesperson-
nages auxquels je viens de faire allusion : pour eux,
ce serait la profaner que de lui donner un jour des
Heches ; ce serait de plus allerer son caractere his-
torique, s'exposer mfime a Iromper nos neveux en
leur donnant du neuf pour du vieux. Comme si le
caractere plus ou moins hislorique de noire eglise
n'avail pas deja change dix fois , comme si nous
nous meprennions aujourd'hui sur I'age des diverses
portions qui se soul surajoutees pour la faire ce
qu'elle est !
Le rapporteur el la minoriie n'onl pas ces crainles
excessives, leur respect pour la pierre ne va pasjus-
qu'a ce I'eiichisme.
Ce dissenlimcnl nouvcau vou^ descsperc. Rassurez-
— 58 —
vous, nous arrivons aux conclusions. En loules chosos,
vous le savez , c'esl la fin qu'il faul considerer.
La majorile de la commission , veuillez vous le
rappeler , declare herelique , sans goiil et deslrucleur
des monuments, quiconque voudrait meilre des Heches
sur les lours de la calhedrale ; clie ne veul de ces
fleches ni mainlenant, ni jamais. La minorile desire
au conlraire qu'on les eleve, non pas tout de suile
peul-elre , mais aussilot que faire se pourra , parce
qu'elle croil que I'edifice devait les avoir et qu'il les
porlcra bel el bien.
Yous n'allendez pas, sans doute , que I'accord se
fasse sur les points contestes , aux depens de I'une
ou de I'aulre opinion. 11 en est un sur lequel les
membres de la commission se sent trouves reunis,
c'esl celui de I'opportunite ; lous Tonl resolu negati-
vemenl el je n'ai garde de leur en savoir mauvais gre.
Vous esperez peut-elre qu'une decision commune sera
prise sur ce terrain ? — Mais , demander que Ton
sursit , quanl k present , a raclievemenl des ileches
commencees , ce serail les admellre en principe ; la
majorile, en faiblissanl de ce cote , se dejugerait.
U esl bien plus concilianl , el c'esl aussi plus lot
fait, de prendre les choses lelles qu'clles sonl , et ,
sans toucher a rien , de declarer que loul serail au
micux , si Ton « repla^ail sur la lour septentrionalo
du portail une toiture conique a huil pans dans la
forme de celle qui coiffe la lour du midi. » Avec
cela, tout le monde ne devra-l-il pas se irouver sa-
tisfail , flechislcs el anti-flechistes , minorile et majo-
rile , architecle el commission ?
M. de Mellel avail demande qu'une protestation ct
une reclamalion tusseiit immediatemeni adressees par
— 59 —
rAcademie au mioisire de I'inslruciion publique el
des culles , dans le cas ou I'enquete el le rapport de
la commission juslifieraient les apprehensions expri-
mees dans Y Indicateur . L'enquele a ele faite, nous
dil la commission, le projet de construire acluellement
des fleches n'exisle pas : il n'y a done pas lieu a
reclamation, ni a proleslalion. — Fort bien. Mais ,
plus lard , permellez-vous que Tarchitecte en fasse a
sa guise? M. de Mellcl n'a-t-il pas exprime le voeu
que la commission et I'Academie ensuite se pronon-
Qassent sur le principe meme et sur les consequences
de I'erection des fleches, soil presenle , soil a venir?
Esl-ce qu'il n'a pas declare, quant a lui , considerer
leur execution comme inlinimeni regrettable, au triple
point de vue des convenances archeologiques , de la
solidite du monument ei des depenses qui seraienl
oecessaires ? Croyez-vous lui avoir repondu, croyez-
vous I'avoir rassure, en lui iransmellant les protesta-
tions de Fadminislrafion au sujet de I'ercciion actuelie?
Si aucuns fonds u'ont ele accordes pour cette destina-
tion , etes-vous bien certains que ceux destines a la
restauration ne seront pas detournes de leur objet ?
Ce n'est pas raoi qui le dit : pendant que vous nous
donnez une reponse si p6remptoire , un homme par-
faitemenl au fait de ces sorles de choses el dont la
parole a quelque poids, a part un pen de severitedans
I'application des doctrines archeologiques, nous assure
« qu'en ce temps-ci, ce qu archilecte veut, Dieu le veuty
etqu'avec I'argentque nous lui donnons pour rcparer
la cathedrale, Tarchilecte montera tranquillement ses
fleches. » Ce qu'ecrit M. Didron dans les Annales
Archeologiques, la voix publique le dit et le repete.
A tori ou ci raison , on se persuade generalement
f
— GO ~
que des iravaux urgents sonl negliges , et que les
soins de rarchilecle et les fonds alloues sonl portes
sur des points qui ne reclament pas du tout cet
empressement. II y a peu de personnes, en dehors
de la commission, qui croient que la surelevation de
trois assises, donnee recemment aux trouQons de
(leches de la tour septenlrionale , ait eu pour but
unique la consolidation des pignons triangulaires qui
terminent les quaire faces de la tour. Les commis-
saires que le gouvernement a envoyes, il y a quelques
mois, n'ont approuve, on ne I'ignore pas, cette sur-
elevation , qu'en vue du prochain achevement des
fleches qu'ils irouvaieni parfaitement convenable. On
dit enfin, (que ne dit-on pas?) que I'architecte de la
cathedrale ne releve de personne, que la commission
archeologique de I'arrondigsement n'a pas meme le
droit de le censurer, el Ton s'en effraie. Vos proces-
verbaux vous rappelleraient, au besoin, certain requi-
sitoire danslequel un honorable mais trop susceptible
magistral proclamait ceci : qu'un archilecie du gou-
vernement est inviolable ; que, s'en prendre a ses
acles , c'esl presque un atlenlal de lese-majeslc.
Est-ce qu'il ne fallail pas une reponse h lout cela ?
Est-ce que les craintes que j'ai rapportees, craintes
Ires fondees , aux yeux d'un grand nombre , ne
reclamaienl pas des garanties? — Voyez du resle
I'effel que peul produire voire abstention. L'ecrivam
que je citais toul-a-l'heure assure d'avance que I'Aca-
(lemie se declarera incompetente : voulez-vous
donner raison k cetle especc de defi ?
Je linis.
A mon sens, rhonneur de ['Academic est engage,
elle doit prendre une decision , el ne pas craindre
— 01 —
d'emellrc un voeu conforme aiipres dii gouvernement.
Suppose qu'elle resolve affirmalivement, comme je I'es-
pere, la question i\eprincipe, elledevrait provoquer une
cnquele toul-a-fail serieuse sur la question desolidite,
en faisanl des reserves sur celle de Vopportunite de
I'erection projelee, vu Turgence d'une indnile d'autres
travaux. Enfin, je voudrais que les actes de I'ar-
chitecle et I'emploi des deniers qui lui sont ailoues
fussent I'objel du conlrole permanent de personnes
compelenles.
Quant a I'espece de bonnet pointu que la com-
mission propose de |)lacc'r sur la construction neuve
de la tour septentrionale , je ne sais si Ton s'est
bien rendu comple de sou effol. Loin de recouvrer,
avec lui, son aspect ancien , notre portail aurait ,
pour longlemps sans doute, deux tours ires inegales
et tout aussi dissemblables qu'elles le sont aujour-
d'hui : a moins toulefois qu'on ne demandat I'en-
levemcnt des Irois assises r^cemmenl posees; et cela
deviendrait lout i\ fail necessaire , dans le cas ou
Ton renoncerait dclinilivemenl a rachevement des
Heches.
Au surplus , j'ai I'honneur de deposer sur lo bu-
reau les conclusions suivantes :
« L'Academie, reconnaissanl que l^^s fleches des-
» linees par rarchitecle de la calhedrale de Reims
)» a completer son ffiuvre ont eu dans I'origine
» un commencement d'oxecution , mais considerant
» i" qu'il ne serail pas prudent d'elever ces (leches,
» avant qu'une enquete serieuse ait ete faile sur la
» solidite des lours , el 2° que le monument reclame
» sur presqiie tons les points des soins immedials ;
— 62 —
» Prie M. le Ministre de I'lnstruction publique el
» (les culles d'inveslir une commission des pouvoirs
» necessaire3 pour juger de I'opportuniledes iravaux
» que projelte I'archiiecte charge de la reslauralion,
» pour surveiiler I'execulion de ces Iravaux , et ,
» subsidiairement , pour proceder h I'enquele ci-
» dessus. »
NOTE.
Cctie lecture ful suivie d'uue discussion dans laquelle fut
proposee par M. Henri Paris la resolution suivanle :
« L'Academie de Reims , vivcment preoccupee des travaux
» reccmment executes sur Ic sommet de !a tour seitentrionale
1) de la calhedrala de Reims, et qui paraissent aroir pour objet
e de commencer I'ereclioM des fleches;
» Appellc I'altention de M. le Ministre des culles sur I'op-
» portunite de ces Iravaux ;
» Et cmet le vceu que les fonds destines aux reparations de
ce monument soient employes a travaux plus urgents. »
Ce sont ces derniercs conclusions qui , mises aux Toix ,
onl etc adoptees par I'Academie.
— 63 —
STATISTIQUE
DES SEIGNEUUIES DE L'^LECTION DE S\INTE-m6NEH0ULD
ET DES FAMILLES QUI LES ONT POSSfiDfiES,
Par M. Ed. BARTHfiLEMY, corrcspondant de I'Academie.
Le bailliage de Sainte-Menehould ne remonte qu'au
XVI*' siecle. Jusqu'alors ceile ville avail ele sous
la dependance immedialc dii bailliage de Vilry , dont
la crcalion datail dii XIII* , el avail pour bul de
dirniouer le nombre des affaires qui affluaienl pres du
grand bailli de Vermandois, elabli d'abord a Laon
el ensuiie iransfere a Reims. II y eut de loul lemps
a Sainle-Menehould une prevole royale ; niais on ne
peul preciser a quelle epoque se forma le bailliage
royal. Les premiers conseillers , adjoinls au lieute-
nant parliculier, furenl instilues par edit du mois
d'oclobre 1571. Ce bailliage comprenail le Relhelois,
une parlie de la Thieracbe, le Porcien , Rocroy,
Mezieres, etc. Ce ne ful qu'en 1635 qu'un edit crea
une election en chef qui eiendait sa juridiclion sur
120 paroisses: elle ful supprimee en 1662 et rem-
[)lacee par une election particuliere qui subsisla jus-
qu'a la grando revolution.
Nous allons faire ici I'enumeralion des seigneuries
siluees dans les limiles de celle juridiclion qui re-
gissait en parlie les terriloires acluels du canton de
Ville-sur-Tourbe, Sainle-Menebould , el Dommarlin
— ca -
dans la Marne, de Grandpre, Monlhoi*-- , Renwez ,
Asfeld, Busancy, Chaleaii-Porcien, Reihel, Vouziers,
etc., dans les Ardennes, et de quelqiies communes,
notammenl de Varennes dans la Meuse : le lout com-
pris dans I'evcche de Chalons el surloul dans I'ar-
cheveche de Reims.
Le depol des archives de la prefeclure de la Marne
renferme peu de renseignemenls parlicuiiers sur celte
maliere; nous y avons Irouvecependanl deux regislres
terriers de I'eleclion dans lesquels nous avons puise
une partie de noire iravail : I'un est de peu posle-
rieur a Tinsiiiution de I'eleclion, el I'aulre du milieu
du siecle dernier. Nous y avons decouvert aussi
plusieurs liasses saisies dans les papiers du marquis
d'Ecqueviily lors de I'emigralion el qui renfermenl
de curieux details sur le marquisai de Ville-sur-
Tourbe ; les archives des communes sonl genera-
lemenl pauvres el ne peuvenl etre d'aucuns secours.
Enfin nous avons fait lous iios efforts pour rendre
celte slatislique complete el la moins longue pos-
sible.
Les noms mis a la suite du nom de la seigneu-
rie indiquent : le premier , le depariemenl ; le
second , le canton ; el le Iroisiemo , la comiriune
ou elle est siuiee.
— 05 —
DUCHES.
Retiiel (Ardennes, Relhel ). Chef-lien an moyen
age (J'nn pnissanl conile qni |)assa anx niaisons
de Fiandres , de Bourgogne ^ de Cleves J4oo) , de
Gonzague (1o65), de Mazarin pour qui il fut erige
en duche-piirie de son nom : le due de La Meilte-
raie en hdrila en 1771 ; le due de Duras en rendit
denoinbrement. An moment de ia revokiiion . il
apparienait au due de Valentinois. II mouvaii du
roi.
PRINCIPALTES
De Chateau-Porcien (Ardennes). — D'abord
simple seigneurie dependanle du comte de Sainle-
Menehould , Clialeau-Porcien passa par donalion au
comte Tlnbaul de Champagne (1263J, el le roi Plii-
lippe-le-Bel I'erigea en comte en faveur du connelable
de Ckalillon (1505): il passa a Louis de France,
due d'Orlcans, en 1595 ; Charles, due d'Orleans ,
son fils aine ayant ete fail prisonnier a Azincourl,
le vendil en 1459 h Antoine de Crouy pour payer
sa ranQon. Charles IX erigea Chaleau-Porcien en
principaute pour Charles de Crouy , comle de Se-
nigen, el y joignil de vasles domaines (1561). Celte
lerre passa a la maison du prince de Gonzague
(1605), en 1668 au due de Mazarin , el en 1771
au due de Duras : elle mouvaii du roi.
MARQUISATS
D'AsFELi) (Ardennes). C'etait un pros bourg
primilivemenl nomme Ercuy , el qui joue un certain
I. 5
- 66 —
role a I'epoqiie dos comles de Champagn.^ ; |)0s-
sedc successivemenl par les families de Bossu , de
Bouri et de Mesmcs, il fiit crige en 1671 en comle
d'AvAUX. Louis XV en fit un marqiiisal , sous le
lilre d'AsFELi) , pour Francois de Bidal , baron
d'Asfeld, pair el mar^chal de France.
De Mom-Cornet (Ardennes, Renwez). Terre erigee
on marquisal et possedee par le dnc de La Meilleraie,
puis par les princes de Gonzague ; elle fut vendue
en 1732 au due d'AiguiUon qui en deinolil le cha-
teau : trente-deux seigneuries en relevaieni : il
mouvait du roi.
De ViLLE-suR-TouRBE (Mame). Ce fut d'abord
unc barounie possedee en 1509 par Auloine de
Luxembourg, en 1588 par Jean d'Aguerre , baron
de Vienne-le-Cliateau , en 1618 par les marquis rfe
Brichanteau; elle passa ensuile aux comies de Joijcuse-
Grandpre en faveur desquels elle ful 6rigee en mar-
quisal, ct par succession aux Hennequin , marquis
d'i cquevilly, sur qui elle fut confisquee en 1793;
vingl-cinq seigneuries en relevaient : il mouvait du
roi.
De Bussy-le-Chateau (Marne, Suippe). kiaronnie
qui passa par heritage des comtes de Vignory a
Charles d'Amboise (1633) : une 8« de la seigneurie
an d'Eu de Vieux-Dampierre (1635), puis aux de
La Bochefonlaine (1702), el par succession aux du
Bois d'Esco.dat (1735): mouvant du roi.
I
- 67 —
COMTES
D'AuTCY (Ardenne?, Moiiihois). Ce lui d'abord uns
baronnie a[)paiTenanl a uiie famille qui en porlail
le noni , puis aux de Carhonne (1351); die passa
par iiiariat,'e a Henri des Salles (1664). En 1G85
Jean de Goujon , marquis de Tbuisy , I'acheia el
la 111 6riger en conile au mois de Decembre 1693;
buit ou dix fiefs en relevaient : cbalellenie royalc.
D'Imkcouiit (Ardennes, Busancy). De tout icmps
a la famille de Vassinhac.
De GiZAUCOURT (Sle-Mcnebould). Celle seigneurie
a apparicnn de lout len);)S a la famille de Cuissotle,
uno dcs plus anciennes de la province el des plus
dislinguees ; elle ful erigce en comle el niouvail du
roi .
De GnANDPi'.fi (Ardenncsy. Grandpre avail le lilre
de comle des le ix^ siecle el eiail une des sepl pai-
ries de Champagne. En i488 , Isabello de Halluyn
porla celle icrre a la maison de Joycuse , el elle
passa au marquis Ilennequin d'Ecqueviily , par son
mariage avec Honoree do Joyeuse (1741; . Ce comle
so composail des fiel's de Calmarl, S. Junin , Cham-
pigneiil, S. Georges, Bulfel, la Neuville, les Hermilaux,
Bray el Briquenay, el mouvait du roi.
VICOMTES
De la Glageole ("Marne, Ville-sur-Tourbej. C'esl
une conliee de la comnmnc aclndle de Riponi, ayanl
lilre de vicomie des 1588 cl qui dependail de la terre
de Ville-sur-Tourbe.
— 08 —
iJe VouziEHS (Ardennes). C'elail au xiv* siecle un
village avec litre de vicomle : en 1633 les i\'Escannol
el d'Alaumont se Ic parlageaien!.
BARONNIES
De Cernay (.Varne, Vil!e-sur-Tourbe). Ce village
porlait jadis Ics litres de viile el de baronnie possedee
au XIV* siecle par la famille Je Neufchatel et passa
par mariage, vers 1630, aux Le Danois. Charles le
Danois en perdit sa pari pour crime de rebellion et
Philippe de Rouvroy en ful invesii (1657). En 1668,
le comle de Grandpre tcnait la baronnie el une part
senlement de la seigneurie resiail'aux Le Danois.
Elle relevaii de Ville-sur-Tourbe et mouvail dii roi.
De MiNAUCOURT. Elle dependail de Ville-sur-
Tourbe.
De RuMiGNY (Ardennes). Impcrlant fief au moyen-
age apparlenanl aux Chatillon , puis aux dues de
Lorraine el reuni au duche de Guise.
De S' Jean-sur-Tourbe (Marne, Sle-Menehould).
Dependant, de Ville-sur-Tourbe.
De Termes (Ardennes, Grandpre). La seigneurie
elait divisee, enlG34, enlre les families de Lardenois,
de Roucy, de Choiseul, de Conde : elle avail le litre
de baronnie des 1590, el mouvail du roi.
De Verpel (Ardennes, Buzancy). Baronnie des
comtes de Grandpre: mouvant de roi.
— 69 —
SEIGNEURIES ET FIEFS.
Antk (Sle-MenehoiildJ. Posseclce d'ahord j)ar Tab-
baye de Toussainls (dc Chalons) , celle scigneiiiie
appailenail en 1630 aiix maisons de Cicquy el de
Godd : pou apres elle passa h celle de Chamisso qui
la conserva jnsqu'a la revolution. Elle mouvaii dii
roi.
Argeus [[}.) Au nioyen-age ce village formail une
imporlanle seigneurie qui pril le nom do ses pos-
sesseurs (1592) : a daler de IGoO on y voil la fa-
rniile de Moisy, puis les conUes de Cleron d'llaus-
sonviUe (1755). Ello mou'.ail du roi.
AuBENTON (Ardennes). Dependani du duclie de
Guise : mouvanl du roi.
AuvE ( Marne , Sle-Menohould). Les comles de
Gizaucourl eurenl loujours la seigneurie du village :
celle des dixnies ctaii parlagee enlre les d'Eu de
Vieux Dampierre fdGSS), de Pinteville el de Bar :
une portion du lief du d'Eu passa aux de Braux,
el de 1^ au du Pin de la Geriniere : toutcs deux
relevaienl du roi.
Baionville (Aidenne.-;, Ruzancy). Aux comics de
Vassinhac d'Iniecourl avanl 165i: mouvant du roi.
Baldrange U. Fief possede aux Irois quarts
l)ar messieurs de Puuilly en 1650; ils acquireiil
[leu apres la dcrniere |)arl de la veuve de Charles
de Doret
Uaiv de Bussy (Marne, U., Bnssy-le-Chaieau). De-
pendant du marquisa! de Bussy et appaiiennnt aux
d'Ambohe. en 1650. N. Y;/(;/n':;n<, seigneur de rEjjine,
I'acheta pour six cents livres, en KiiO; au siecic
— 70 —
suivant, le marquis de Nazelles en devinl seigneur
par succession. II niouvail du roi.
DiXMES DE Beaumont (Ardennes, Mouzon). A Jean
de La Roche fonlainc en 1674.
Behzieux (Marne, Ville-sur-Tourbe). Aiix Joxjeuse :
ellc relevail de la haronnie de Hans (arret du par-
lement de 1060).
La Besace fArdennes , Raucourl). Possedec en
1650 par la famille de Coussy , puis divisee par
mariage entrc celles de Meslin et d'Aymery : la
part des premiers passa , vers 1750, a Louis de
Paillart de Grandviliiers, donl la (ills unique la re-
porla aux d'Aymery (1779) : niouvant du roi.
Maison en Biesme ou bois d'espence ( Marne ,
Ste-Menehould). Pelit (ief aux de Vaudclaincourt ,
avant 1650^ puis partage entre les de Gmtil et de
Bigauh. Jacques Beuvillon acheta en 1700 la part
dcs premiers, el M. de Bonnay en herila : mouvanl
dn roi.
BiGNiPOiNT (U., Ste-Menehould, Chaude -Fontaine).
D'abord a la niaison de Beauvau : Pierre Beaitgier
I'acheia en 1697. Mouvanl -du roi.
BiNARViLLE ( U. ViMe-sur-Tourbe ). Seigneurie
considerable qui mouvait du roi: elle elailcnlool
aux de Carbonne ; les de Pouilly I'acquirenl an xvi*
siecle et s'y maintinrent pour un quart : le reste
appartenail aux comles de Rouge.
Blouquenet. Fief divise : 5/5" aux iVEpinoy
(1750) et 2/5* aux comics de Salus d'Apremont :
il mouvait du roi.
Bois DE Brienne (Ardennes, Monlhois). Divise
— 71 —
entre les de Chamii-so el le$ Beaugicr : il relevait
d'Aiilry.
De BnifeuES et Ciiarbogne (Ardennes, Altigny).
Dependant d'Aulry : tnouvant dii roi.
De CoRNAY (id. Graiul[>r<^) . Fief possede par ies
de MaiUart.
GERARD (Marne, Ste-Meneiioiild, Argersj. Fief <iiix
Robinet en 1765.
De Hai'Lzy (U. Viile-sui'-Toiiihe). Divise entre les
Joyeuse et ies marquis de BroaUhj Vartigny ^1650):
la pari de ce dernier se transmit aux comles des
Salles (1712) , utie outre p.irl au baron de Hans :
il relevail de Ville-sur-i'ourbe.
De Hans on Joinville (Ardennes, Grandpre). Aux
mar(|uis de Vartigny, puis aux Dessalles : mouvant
du roi.
JuRfi (Ardennes, Buzancj). Possede par les families
de Bouzieres d'abord, el da CImrtel en 1664: mou-
vant du roi.
De la Have Rigault (Ardennes). Aux de Fiilly.
D'AuRE (Marne, Vil!e-sur-Tourbe). Fief du bois
d'Haulzy, possede par les Maihe, puis les d'Ea de
vievx Dampierre.
Grand bois be l'Ou (Ardennes). Possede succes-
sivement par les de Quai^ta, Uoccarl el Barbin de
Broyes (1779): mouvanl du roi.
Petit bois de l'Or ou la Noue le dug (Grandpre,
Marcq). A Pierie dj La BouUayc , en 1663: mou-
vanl di! loi.
Hois LES Dames ( .Marne, Dommariin, Rclval). A
la famille du Bourg : ninuvaiil du roi.
— 72 —
. Bois DE Malinsaut (Mouse , Donnevoux). A la
memc : mouvanl dii roi.
Bois de Saulcy (Marne, Ville-sur-Tourbe , Binar-
ville). Aux comles de Rouge.
Bois de Saulcy (Ardennes, Buzancy, Saini-Pier-
remont). Aux de Chartogne : mouvanl du roi.
BONCOUUT (Maine , Dommariin , Anle). Fief qui
passa aux Baillel (1650), de Cherisey , de Bareuille,
el enfin aux comles de Chamisso , ei donna son
nom a I'une dcs branches do celle famille : mou-
vanl du roi.
BouiiREL'LLES. Ficf divise enlrc Irs maisons de
Oranges , de Vassinhac , de MaiUart el Gillet :
puis aux de Bonnmj, de Conde, clc. En 1665 le
marquis A'Adres de Chamblay en achela une pari :
mouvant du roi.
BoucoNviLLE ( Ardennes , Monlhois;. Seigneurie
appartenanl en 1650 a Huberl de La Rimere , puis
par mariage an comle de Choiseul-Chevigne .
Louis de Barbin de Broyes I'achela en 1751 : mou-
vanl du roi.
Boup.oiNviLLE ( Marne , Dommariin , la Neuville-
aux-Bois). Fief dependant du marqnisaf de Givry
el appartenanl en 1650 a Jean de I'Escalopier :
mouvant du roi.
Braux S'^-CouiERE (Marne, Saintc-.MenehouId j.
Possede par los Le Gorlier (1640), les Drouet ,
el vendue en 1756 a Adam iVOrigny: mouvanl
du roi.
BouRU (Ardennes). Fief d'abord aux de La Folie,
el achele en 1679 par le comte de Grandpre :
mouvanl du roi.
— 73 —
Buieulles-suu-Meuse (Arileniies, Ic Chesne). Lc
prince de ComU I'acheia, en 166:2, ;i la famillc de
Treinolot .
Blonquenay (Mariic, Ville, Souaiti). Fief possede
success! vemen I par les de La Fotie (16!22),rfe La March
el du Bois de Crance en 1715 : mouvant du roi.
Br.iQiJENAY (Ardennes, Buzancy). Le comie de
Grandpre vondil colic lerre au marquis de Goiijon
de Thuisij, qui la ceda , en 1757, a Claude de La
Villelongue ; clle passa ensuiie par mariagc aux
families de Im four ei de Sl-Vincenl.
BussY-LES-S6ciiAULT (Ardennes, Mouihois). Fief
depondanl d'Aulry el possede, des 1650, par la fa-
mille de Tourncbulle. II ful vendu, en 1751, a J(\Tn-
Bapliste Doulcct, el dix ans plus lard a M. de Finfe :
il mouvail du roi.
IIaut liT BAS Champy (Ardennc.s). Fief depen-
dant du comle d'Aulry, et que possedail, en 1655,
la famille d'AUaumonl; un mariage le porla aux
marquis d'Amhiy , puis aux dc Villelongue qui
le vendirent , en 1752, h Jean-Baplisle Fumeron.
secrelaire du roi: mouvaiu du roi.
Chatel-les-Cornay (Ardennes, Grandpre). Fief
qui passa successivement aux de Roussy (1651), de
IJEspinoh (1666), el aux de Choiseul , en parlage
aux de Lardenois. M. de Salccs d'Apremont en
devinl seigneur vers 1754 : mouvant du roi.
Chaude-Fomtaine fMarne, Sainle-Menehould ).
Fief qui passa des Le Gorlier aux Drouel.
Ciiaumoint-en-Porcien (Ardennes, Chaumont).
Imporlanlc seigneurie do la famille de La Haye, puis
de celle d'Amhiy (1698). Des mariages en porlcreul
— 74 -
des parts aux maisons de La Mothe Houdancourt el
Rouault de Gamaches (1776). Le marquis de Bois-
gelin y avail un vasle chaleau , delruil en 1795 :
mouvant du roi.
CouRTEMOiNTCMarne, Sainte-Meuehouid). Seigncurie
mouvant d'abord du roi , puis adjugee en 1682 au
baron de Hans ( comte du Vail de Dampierre) et
qui apparlini aux eomtes des Salles,
Chevieres (Ardennes, Grandpre, Marcq). Mouvant
du roi jusqu'en 1664, puis d'Aulry, el possede suc-
cessivemenl par les families de Roussy , de Courte-
ville et de Vassinkac.
CiERGES ET LA Grange-au-Bois (Ardennes, Grand-
pre). Fiefs possedes en 1655 par les families de
Mouza , Delaire , de Pouilly et de Fontaine , puis
divises en 1725 enlre celies de Be/jroy el de L'Es-
pinoy : mouvant du roi.
CoNDfi (Ardennes, Vouziers). Aux Dorlodol el de
Finance, (genlilshommes verriers).
CoNDfi-LES-AuTRY (U. Montbois). Aux Rouge et en
dernier lieu par berilage a la ducbesse de Lorraine-
Elheuf (1119) : mouvant du roi.
CoRNAY (U. Grandpre). Anx de Pouilly : mouvant
du roi.
CuPERLY (Marne , Suippe). Aux d'Amboise, par
les corates de Vignory.
Dampierre-sur-Auve (Marne, Sle-Menebould).
Aux Le Gorlier en 1640, puis aux Barbin de Broyes,
et en 1768 aux marquis de Pons-Praslin : mouvant
du roi.
Daicourt (U. U.). Scigneurie qui passa par ma-
nage des liailli't aux comics de Gizaucowt {MIA).
— 75 —
Dommaiitin-la-Planciirtte (U. U.J. Aux Duprd
(1640), puis aux de Bellericurl , el en 4747 a M.
d' Argent, irosorier de France: niouvaul du roi.
DoMMiTifciiKS ET Bois Haunault. Aux de Failhjy
puis au Crcve-Coeur.
DoNNEVOUX (MeUbG, Varennes). Seigneurie achelee
35,000 livres par Adrien de Drac en 1641 , puis
aux Brigonnet el aux de Thomassin en 1086 : mou-
vanl du roi.
Dommartin-sur-Yevue (Marne, Dommarlin-sur-
Yevrc). En lOO^ au sieur de Saint-Remy , el en
1696 aux marcpiis de liaillet.
Elise (Marne, Sainle->leneliouUl ). D'abord aux
Creqiuj el aux lieauvau (1652) , puis divise entre
les Baillel ci ds Barbery (1686): mouvant du roi.
Epanse (U. Dommarlin-sur-Yevre). Aux Beauvau,
puis par herilago aux Baillct. Le bois d'hpanse
passa des Beauvau aux Barbin de Broyes ei aux
Pons-Praslin (1762): mouvani du roi.
Fayet (Marne, Ville-sur-Tourbe). Dependance de
la baronnie de Cernay.
Fleville (Ardennes, Grandpre). aux de PouiUy :
mouvani du roi.
P^lorent (Marne, Sainle-Meneliould). Aux Braux
en 1640 : une pari apparlenanl aux Goujon de
TImisy ful vendue en 1752 ;i M. de Failly: mou-
vant du roi.
FoNTAiXR (U. Villesur-Tourbe). A Guelin Des-
champs en 1620, puis aux Dorthe, de Boubere , el
vendue en 1720 aux Beaugier : mouvani du roi.
FoMEKOis (Ardennes). Fief dependanl d'Aulrv
— 76 —
ol possede par los famillos L'EspaynoI ol HJaapus
(1652).
Frais-Folsi&s (U. Moniliois, Bouconville). Fiefqui
passa des Constant aux du Ilauioy par mariagc en
1751: mouvani du roi.
Gergeau (Marne, Sainle-Menehould). Fief d'abord
aux Drouct , puis aux Talon el aux de Corvizier
(1691): mouvant du roi.
GoMicouRT. A Jacques de St-Remy en 1668.
GuATREUiL (Marne, Vilie-sur-Tourbe).Aux Beaugier.
Grandham (Ardennes, Grandpre). Aux dc Pouilly,
puis aux de La Boxdlaye (1665), el enfin h M. de
Guasta: mouvani du roi.
Gratndrup (Marne, Dormans, Vieil-Dampierre). Aux
Beauvau , puis aux comles de Chamisso : mouvani
du roi.
Hasle. Fief qui passa des Moussa aux d'Es-
f.arnol (1655), el en 1654 aux Chamisso : mouvani
du roi.
HuRLUS (Marne . Ville-sur-Tourbe). Aux Joycusc ;
en 1765 Claude d'Eu en acquierl une part du chef
de sa mere Anne Le Vautrel.
Haecourt (Ardennes). En 165i aux de Pouilly
el de Redhon , en 1755 M. de Goblel en elail
seigneur: mouvani du roi.
La CiiArELLE (Marne, Sainie-Menehould ). Aux
comics de Gizaucourl.
La CiiEPPE (U. Suippe). Aux d'^mfco/se, puis aux
Joyeuse; en 1641 Hugues Malhe rend denombrc-
meni pour une pari.
— T' —
La Gloyette ( Mariie , Ville-sur-Tourbe). Aux
Joyeuse.
Le Jahdinet (U. Sainle-Menehould, Valmy). Des
1654 aux de Bigot: mouvanl du roi.
La Gr.ANGE-AU-Bois (U. U. \ Parlage enlre ies
Beauvau el Ies Iloccart (1654, 1684); mouvanl du
roi,
La Grakgette (U. U.}. Anx de Marolles (1625):
mouvanl du roi.
Lan^on ( Ardennes , Grandpfe). Aux de Pouilly
(1654). En 1715 MM. de Rouge el de Qucrhoent onl
une part.
La MALiviAisoiN(U.Buzancy, Bar). Dependanld'Aulry,
au.x Conslant : mouvanl du roi.
La Noue-le-Coc (U. Grandpre, Marcq). Mouvanl
d'Autry, el divise enlre le conite de lioucg el le
sieur de Courteville (1671j: mouvanl du roi.
La t'lENAUDE (Marne, Ville-sur-Tourbe, Vienne-le-
Cliateau). Henri de Godtt rend foi el liommage en
1655, puis le fief passa aux Rosnay avanl 1768.
Landres (Ardennes, Buzancy). Mouvanl d'Aulry ,
aux de Maillarl (1655), puis une part aux de Vas-
sinhac (1711): mouvanl du roi.
Les iiautes et basses Loges (Ardennesj. Mouvanl
de Grandpre et des 1654 aux de Vassinhac: mouvant
du roi.
La Hocarueiue en Chinerie (Marne, Sainle-Me-
nehould). Aux de Vassinhac.
Igny (Marne, Uommartin, Vieil-Dampicrre ). De
Beauvau anx Chamisso.
IvoY (Ardennes, Monihois , Conde-los-Aulry ).
Dependant de Ccrnay.
— 78 —
JossELiN-MALinufi ou FiKF Sagau (MaiMC, Saiiiic-
Meneho^ild). Aux de Maillart el de Vassiuliac: inoii-
vanl dn roi.
Les Hougnes (Manic, Sie-Meii«ilioiikl , Aii(e). Aux
Chamifso (1654-): mouvaiil tin roi.
Les Planches ( U. U. Dommariin-la-PlanclicUe ). .
Aux Baillel el Dupre ('1634): mouvanl du roi.
Le Mesnil-IIuulus (U. Ville-sur-Tourbe). En 1652
aux Joyeuse ; en 174-1 Ciauiic cl'Ea en acquiert une
pari du chef de sa mere Anne Le Vautrel.
La Couuajsdiere. Aux dc Maucourl (1635).
La Tour-le-Renaud (Marne , Sainie-31enehould,
Valmy). Possedee en 1635 par les Rosnier el Maiipas;
en 1711 Ic marquis de Maiily-Nesle en elail seigneur:
mouvanl dii roi.
L'Etang-du-Rup (U. Dommarlin). Aux Bosschefer
(1680), puis anx jesuites de Reims.
L'Etang-de-Royon (Marne, Villc-sur-Tourbe, Be-
rizieuxj. Aux Joijeuse.
Les Mauotines (Meuse, Varennes). A Claude des
Fosses, seigneur de Vienne-la-Ville (1655), el vendue
au due de Boiirhon en 1725.
[.E ViEL-CoHBON (Ardcnnes) . A Brion de Lescol-
lade en 1655, en 1660 aux deVilliers, el en 1759
aux de Villelongue : mouvanl da roi.
Le Yiel-Dampieuue (Marne, Dommarlin-sur-Yevre).
En 1652 celle seigneurie elail divisee enlre les Cha-
misso , de Rohan , de Cherisey, de Beauvau el Cle-
ment. Daniel de Cordon y acquiert un quarl qu'il
vendil en 1610 h Charles d'Eu, seigneur de Sainl-
— 79 —
Remi , Auve , etc., et qui augmenia sa porlion
jsusqu'a 9 |)arls sur 2i; le resle demeure aux Cha-
misso seiils : niouvant dii roi.
Malancourt. Fiefpariage cnlre les de Goblcl ^
de Bray el de Boutleville (1755J.
Massiges (Marne, Yille-sur-Tourbe). En 1C48, un
tiers au marquis d'Amhhj, el deux liers & M. d'A-
laumont. M. de Pons achela une pari en 1657 (|ui
passa par niariage a Charles de Tournebtdle (1615),
cofin les Joyeuse racquircnl : mouvanl dii roi.
Maupertuis (Marne). Divisc aux Danevon et
Clairon d'Haussonviile (1635); mouvanl du roi.
Welzicouut (Marne, Ville-sur-Tourbe). Aux
Joyeuse.
Millet (U. Dommariin, Belval). Aux de Maiilarl,
puis en 1722 aux du Bant: mouvanl du roi.
Moulin d'Anty (U. Sainle- Menehould ). Aux
Cauchon (1652), puis aux jesuiles : mouvanl du
roi.
MoNTCiiEUTi^ (Ardennes, Monlhois). A ia famille
Marin , puis divise enlre les^ie Constant^ du Ilauloy
el de Sain guy (.1665).
MoNTHOis (Ardennes, Monlhois). Aux de Chalem-
bergue (1649), puis au comle de Bohan-Nanteuil, el
divise aux de Villelongue , de La four, de Pois el
Gonjon de Tkuisy (1781).
MoLRON (U. Grandpre). Aux Joyeuse.
MAFFRecouRT (Marne, Sainle-Meneliould). Aux f/c
Berk (1755).
— 80 —
OMir.OLiiT (Aiilennos, Flizc). Vendn par le due
de Nomlles a M. Rogier en 1770.
Or.R^VAL (\larno, Sainle-Menehould). Aux Dorville
en 1709.
OcHES (Ardennes, Buzancy ). Se'igneurie do la
maison d'Anglure f1G32), possedee ensuiie par les
Holland, iVaiUefer, de Finfe el de litencowl : mou-
vanl du roi.
OuciiEUY (Ardennes). Aux Gougon de Thuisy :
mouvanl du roi.
Pi\fi DE PnEFONTAiNE ( Marnc , Sainie-Menehould,
Valmj). Aux de Bigol (1659): mouvanl du roi.
Remicolut ( Marne, Domniarlin-sur-Yevre. ) Aux
Courlain (IGo^), puis une part aux Baillet ('1774).
RfiMOisviLLE (Ardennes, Buzancy). Parlage des
1633 cnire les families de Ncufchdlel , de Rouvroy,
Le Danois el Joxjeme : mouvanl du roi.
RiPONT (Marne, Ville-sur Tourbe). Aux Joyeuse.
RotVROY fU. U ). Aux Joyeuse: mouvanl du
roi.
RAPuficouRT (U. DoRimarlin-sur-Yevre). A la fa-
mille des Houx , une pari a celle des Vaillant.
Saint-Georges. Aux Joyeuse.
Saint-Lotin (Maine, Sainle-Menehould, Braine-
sur-Cohiere ;. Divise enire les Drouet el les Le
Gorlier (1644).
Saint-Marc suR-AuvE (Marne, Dommariin ). Aux
Cuissolte de Gizaucourt : mouvanl du roi.
Saiist-Mars-soi:s-Bourcq ( Ardennes . Vouziers ,
Rourcq). A Pliilberl d^ Saguy en 1634, puis par
— 81 —
parties anx de Grafeuil , de Vdliers el de Roucy :
moiivant du roi.
SouAiN (Marne, Ville-sur-Tourbe). Cede soii^neurie
formait plusieurs fiefs reparlis enire les families
Raukt, Billet, Mauclerc e\. Goujon de r/cu'.sj/ (1643):
mouvant du roi.
Saint-Piekuemont (Ardennes, Buzancy). Seigneiirie
partagee des i633enli"e sepl families: de Hosecque,
Demy, Chamkso , Bcauvau, de Blaisel , de Finfe et
Devias .
Saint-Remv-sous-Bussy (Marne, Dommariin ).
Achclee au roi en io72, et possedee en 1632 par
MM. d'E/fonjes, Beaudier el de Beauvau. En 1649
Charles d'Eu de Vieux-Dampierre rend hommage
pour un huilieme ; en 1770 le marquis de Thuisy
acheta une pari : mouvant du roi.
Saint- Vallery (Marne , Dommariin, Herponl).
Aux Braux (1750), achete en 1770 par M. de Bar.
SifiCHAULT ( Ardennes, Monlhois). Aux de La Ri-
viere ('1665), puis en 1670 aux de choiseid et Barbin
de Broyes : mouvant du roi.
SiVRY les-Buzancy (U. Buzancy). Aux Sandron-
nieres , puis en 1 65i par heritage aux Maugion ;
une part aux Vassinhac : mouvant du roi.
Sivry-sur-Ante (Marne, Dommariin J. Aux Cha-
misso (1635): mouvant du roi.
SoMMl^RANCE ( Ardcnues , Grandpre). Divise entre
les families de Maillart, Vassinhac, Fuchsamberg el
de Buart (1633): mouvant du roi.
SoMME-TouRBE (Marne, Sainle-Menehould). Aux
Joyeuse.
I. 6
— 82 —
SiONNE ( Ardennes , Raucourl ). Seigneurie Ires
considerable des Joyeuse ; une part aux de Coussy :
niouvanl du roi.
Tauure ( Marne , Ville-sur-Tourbe). Aux Joyeuse.
Valx (Marne, Sainle-Menehould). Aux Ilouart ,
el par succession aux Braux (1632)^ el au milieu
du si^cle dernier ce fief passa par mariage aux
Dupin de la Geriniere : mouvanl du roi.
Vautigny (Ardennes). Au Vassinhac d'Imicourt
(1638).
Valmy (Marne, Sainte-Menehould ). Terre doma-
niale: une pari aux Cuissotte.
Veuriere (U. U.j. Aux de Beauvau (1635).
ViLLE - Franche. Aux Noirfontaine el Deligny
(1638).
Villers-en-Argonne (Marne, Sainte-Menehould).
aux Chamisso ; une pari aux Beauvau : mouvanl du
roi.
Vienne-La-Ville (Marne, Ville-sur-Tourbe). M. des
Fosses, seigneur en 1638; vendu en 16-48 au due ^
de Bourbon.
VoiLEMONT ( U. Sainte-Menehould ). Au seigneur
d'Argen des 1392 ; acquis ensuite par les Clairon
d'Uaussonville: mouvanl du roi.
Wargemoulin (U. Ville-sur-Tourbe). Xux Joyeuse.
— 83 —
HISTOIRE
Seance du 28 Novembre 1851.
Lecture de H. Fornei'Oii.
VISITE.AUX KLINES DE LA MOTTE.
Suria frontiere des anciennes provinces de Lorraine
et de Champagne, a la limite des deux departemenis
des Vosges et de la Haule-Marne, enlre Neufchaleau
et La Marche^ existait une place forte que, dans
I'annee 1645 , le gouvernement frangais de I'epoque
renversa d'un trait de plume et detruisit de fond en
comble , ainsi que I'eut pu faire une grande commo-
tion de la nature.
Dans ces lieux que nous venons d'indiquer , au
milieu d'un groupe de collines de moyenne hauteur,
on en voit une qui domine les aulres , qui de loin
a la forme d'une pyramide tronquee par le milieu :
c'esl sur son plateau que la ville dont nous parlous
elait siluee. Assise sur le roc et de loutes pans envi-
— 8/1 —
ronnee de penles rapides , t'oriiliee d'age en age par
les (lues de Lorraine el de Bar qui voyaienl en elle
le boulevard de leurs etats conlre la France , elle
elaii repulee imprenable ; ses forlilicalions avaieiU du
moins repandu sa renunimee en Europe.
C'esl en 1258 que le comte Thiebaul de Cham-
pagne I'avail erigee en commune , el avail ainsi
determine les habilanls des environs a venir aug-
menier sa population.
J usque-la elle s'elail appelee Clermonl ( Clericorum
Mons), parce que deux convents avaient , des le
xi^ siecle , forme la le nojau de quel(|ues habitations;
puis S'-Hiiairemonl , d'une chapelle dediee a saint
Hilaire el qui ful longlemps on grande veneration
dans le pays. Enfin , en raison de la forme de la
monlagne qui lui servail de fondement , elle pril
le nom de La Moiie , sous lequel elle s'csl rendue
celebre el a succombe. Elle avail passe plusieurs
fois de la domination des comtes des Champagne a
celle des dues de Lorraine , el avail conime servi
d'appoini a plusieurs trailes. La France , pendant
ses longs demeles avec I'AUemagne , au sujei de
la Lorraine , ne I'avail pas quitlee des yeux : c'etail
une forteresse de premier rang, qui ofl'rail.a ses
deirseins une barriere difficile a surmonter ; c'etail de
plus un refuge pour des partisans qui infostaient ses
froniieres dansl'occasion, el qu'il n'elail pas toujours
aise d'aileindre el de chalier.
En 1634, a la suite de troubles survenus dans la
maison de Lorraine, le due Charles, iv° du nom:,
ful contrainl de faire cession de sts etats a son
frere , le cardinal Nicolas-Francois. L'occasion parut
— 85 —
favorable a la cour de France, elle negocia el oui.ti.,
a I'aide de |)romesses qui devaienl rester sans effet,
ujie lelire de jussion adressee au gooverneur, le comle
de Choiseuil d'Ische , pour qu'il reniil la place aux
Iroupes (lu roi. Un marechal , le due Cauinont de
La Force , age de 71 ans , avail ele cnvoye avec
une armee de 20,000 homines pour en prendre pos-
session ; mais il devait eprouver une vive resistance.
A la double sommalion qu'il til signilier au gou-
verneur , en alleguanl les ordres emanes du due
Francois , celui-ci repondil que le due Charles avail
refu son serment , qu'il ne reconnaissait pas d'aulre
mailre que lui , el que , dans cos disposilions , il sau-
rail defendre son posle el y mourir, s'il le lallait.
Celle reponse lui elail dictee par sa fidelile el son
cour;ige ; elle elail de plus conforme aux sentimenis
des olliciers lanl tie la garnison que de la bourgeoisie.
Dans un conseil de guerre lenu a I'occasion de la
lelire du general franc^-ais , Vallevillo, le plus age des
capilaines assembles , avail dil qu'il se croirail oblige
d'arracher la langue a quiconque oserail parler d'ou-
vrir les porles a I'ennemi , el les signes d'approba-
tion les moins equivoques avaienl accueilli ccs tieres
paroles.
II fallail doMC combaltre. Le marechal dislribua ses
iroupos dans les villages qui environneni la ville ix de
courlcs distances; il etablil son quarlier general h
Vrecourl, gardant aupres de lui le vicomie de Turenne,
qui devail meriler a ce siege le litre de marechal de
camp , Testime de son chef el I'honneur de devenir
plus lard son pelil-fils par alliance. Les Iravaux
commenceronl aussilol; des balteries furent praliquees
sur les collines les plus rapprochees el pariiculie-
— 86 —
remenl siir celle ile Frehaut qui en a conserve un
maiivais renom dans le pays. Pour la premiere fois,
les bombes el les pots a feu allaient ajouler aux
horreurs de la guerre ; il n'en avail pas encore ele
fail usage par les Fran^ais dans aucun siege.
Cependanl les populations voisines se Irouvaient
placees sous le coup des premieres hostilites ; sept
villages etaient incendies el en grande parliedelruils ;
ceux qui reslaienl avaienl h pourvoir aux besoins
du soldal , au milieu des mauvais irailemenls el du
pillage ; pour comble d'infortune , une epidemic, la
suetle miliaire , exer^ait dans le meme moment ses
ravages.
Du cote des assieges , le comle de Choiseuil pril
ses dipositions pour la defense en homme habile el
determine. II distribua les posies , confia la garde
de chaque bastion b des capilaines donl I'intelligence
el la bravoure lui etaienl coiinues ; il divisa les
bourgeois en compagnies el les astreignil au meme
service que la troupe reglee ; alin de menager les
vivres, il ecarla l^s bouches inutiles el soumil les
autres a une juste ration. Pour faciliter les tran-
sactions journalieres el suffire a la paye des troupes,
il haussa le laux de la monnaie couranle el lil
frapper une monnaie obsidionale , presenlanl d'un
cole deux C enlrelaces el couronnes, et de I'aulre
ces mols signilicatifs qui rappelaienl incessamment
h chaque homme sa deslinee presente : Vincendum
aut pereiindum , vaincre ou mourir. Du resle actif,
infaligable , loujours prel pour le conseil ou pour
le combat, inspirant a Ions par son exemple les
sentiments genereux donl il elait anime : lels sonl
les trails qui retracent le caraciere du gouverneur
dans les recils que nous avons lus.
— 87 —
Le siege dura pres de cinq mois , dii premier
Jour dc Mars h la fin de Juillel (1654). Nous n'en
suivrons pas I'hislorique point par point ; nous ne
raconterons pas les sorties , enlreprises a propos ,
vigoureusement dirigees et souvenl tres meurlrieres.
Les Frangais eprouverenl parfois des pertes consi-
derables dans ces engagements inopines : Castel-
Moron, fils du marechal, y fut blesse ; un gentilliomme
du nom de Noailles , aussi briilant officier qu'opi-
niatre huguenot , y fut tue et son corps fut inhume
au village de Mont pres de La Marche.
Nous ne decrirons pas non plus les assauis dans
lesquels les femmes , placees derrriere leurs maris
el leurs freres sur les remparts , dislribuaient les
munitions , chargeaienl les mousquels el au besoin
faisaienl feu elles-memes ; dans lesquels aussi on
voyail, parmi les plus braves, le frere du gouverneur,
Euslache , capucin , faisant fonclion de capitaine.
Comnie moine, il croyait ne pouvoir faire usage des
armes a feu ; mais doue d'une force peu commune,
il ne se faisai* pas scrupule de lancer sur les assail-
lants des quarliers de roche , a la maniere des temps
heroiques.
Si nous n'enlrons pas dans les dtUails , aitendu
que lous les sieges d'une meme epoque se ressembleul
plus ou moins , nous citerons quelques fails qui
assignenl au siege de La Molle son caraclere par-
liculier.
Les femmes de la ville bravaienl le danger sur
les murs ; elles allaient aussi le clierchcr au dehors.
Un jour, irente d'enlre elles sorlirenl des relranche-
— 88 -
menis, sous la conduile d'une boileuse, la faucille
a la main , comnic pour couper de I'herbe. Aussilol
que le corps le plus voisin s'en apergul, les cadets
en grand nombre se delaclierent , allereni a elles ,
sans armes et empresses de saisir I'occasion au
passage. Elles leignirent la peur el se reiirerenl pres
de la porle pour rentrer plus surenienl dans laville,
apres avoir execute leur dessein. Quarid les jeunes
soldats se fnrent meles a leur troupe, sans defiance
et aveugles par la passion du moment , lirant h
rimprovisle de dessous leurs vetements des armes
qu'elles y avaient cachees , el , secondees par des
jeunes gens deguises qui les avaient accompagnees,
e'les leur donnerenl la mort. Celle action fit le
plus grand honneur aux femmes de La Motle; celles
qui y avaient pris part devinrent des heroines aux
yeux de tout Lorrain fidele.
L'arlillerie eiait habilement servie el aucune im-
prudence n'avait lieu du coie des assiegeanis, sans
qu'elle fui promplemenl expiee. Le gouverucur ayant,
pour un motif qu'd imagina, fait disposer des pieces
d'arlitice sur un bastion en face duquel s'elevail , en
penie douce et a demi-portee de canon , la colline
de Frehaul , les soldats, vers le soir, ne mauquerenl
pas de venir prendre place h I'amphiiheaire si bien
dispose pour les recevoir. Au moment ou leur atten-
tion elaii captivee par le spectacle du feu de joie,
un autre feu eclata soudain , et les boulets et les
Lalles porlerent la mort dans leurs rangs.
Le chevalier de Seneclerre, jeune et joyeux ollicier,
ami du plaisir el fori pen soucieux de la raorl,
avail invite ses amis a un banquet en plein air el
en vue des remparts . sur le gazon , aupres d'une
— 89 —
source d'eau vivo. Tandis que la lable s'elait dressee,
du cole des assiegeanis, sur !e bastion le plus pro-
che, les assieges avaienl braque deux couleuvrines.
Au milieu du repas, lorsque la joie commenQail a
animer les convives, une volee parlit : la table fut
renversee , plusieurs gentilsbommes furenl blesses ,
I'infortune Senccierre eut les deux cuisses fracassees.
II mourul le lendemain a la suite d'une operation
qu'il eut a subir et fut enterr6 dans I'abbaye de
Flabemont,
Les Frangais aussi montraienl de la bravoure,
mais non de la fureur. Quand le raineur fut attache
a la mnraille, il arriva souvenl pendant la nuit que
des colonels, lels que Nelennecourl, Praslin et Nan-
leuil , de garde dans la Iranchee, elevaienl la voix
vers le sommel des tours , appelaient les capilaines
par leurs nonis et les inviiaient a capiluler , leur
assurant que toule resistance etait vaine , que la
ruine de la ville n'otail pas eloignee. Ceu\-ci attri-
buaienl h I'inipuissance el a la ruse des avis que la
geoerosite inspirail a de nobles ames.
11 n'y avail done pas lieu d'esperer qu'aucun danger
pill faire tlechir des courages embrases par le pa-
Iriotisme ; mais les ressourccs de la defense s'epui-
saient de jour en jour. La garnison avail essuye
des pertes considerables ; I'eau el les munitions
allaient manquer ; les renforls promis par le due
Charles n'arrivaient pas ; reveneraent le plus deplo-
rable devail aggraver encore cetle situation critique.
En visitant un jour les posies et en traversani
le ponl du relranchement , le comte de Choiseuil
fut aileinl dans les reins par un boulet el renverse
— 90 —
dans le fosse, on il expira, sans avoir le temps de
prononcer d'autres paroles que Jesus, Maria ! Ce
coup frappait cliaque habitant el chaque soldat de
la garnison. Tons admiraienl la fidelite el le de-
vouemenl du gouverneur ; tous cherissaient en lui
les vertus palrioliques les plus elevees. Lecapitaine
Sarrazin de Germainviilers prit le comraandemeni
en sa place, el le secret de sa mort fut si bien
garde qu'apres la capitulation , le corate de Neten-
necourl , son parent , qui servait dans le camp
oppose , se presenta encore a son hotel pour lui
faire visile.
La vilie n'esperant plus de secours de la pari des
hommes , en demanda a Dieu par une demarche
solennelle Reunis dans I'eglise coilegiale dedi6e a la
Vierge Marie , « le Mayeur , le Gouverneur , les
» Echevins el le Procureur de la Ville representanl
» la communaule de La Motte , etant a genoux
» devanl le Sainl-Sacremenl expose sur I'autel , en
» presence du Prevost, des chanoines ei d'un grand
» nombre d'liabitanis , vouerenl el promirent qu'in-
» continent apres qu'il aurail plu a Dieu de donner
» la lib( rte a la Ville , lesdils representants de la
» communaute iraient par un pelerinage expres en
» la chapelle de Nutre-Danie de Bon-Secours-les-
» Nancy, el de la en I'eglise Si-Nicolas, pour re-
0 raercier la sainle Vierge et le patron de la
» Lorraine... »
Leur vceu ne fut point exauce. Dans la nuit du
26 au 27 juillet , enlre minuit et une heure, une
explosion effroyable se (il entendre; une luraiere
rapide eclaira les montagnes d'alentour ; par I'effet
de la mine, le bastion Si-Nicolas chancelait , bon-
— 91 —
dissaii et rftombait avec fracas sur liii-nieme. Le
fosse en elail comble et la breche resultant de I'e-
boulemenl pouvail livrer passage a trente hommes
de front.
Trente bourgeois commandes par le sieur de
Roncourt, veillaient a la garde de ce bastion et ne
furent point atleinls dans leur poslc. Pense-t-on
qu'ils se reiirereni effrajes el repandirent I'alarme
dans la ville? Non. lis se rangerent sur cetfe bre-
che, a la place des murs abaltus , appelant a eux
les compagnies d'atlaque , les provoquant au com-
bat par des decbarges reil6rees de mousqucterie.
Toute la population accourut en amies , prele k
repoiisser I'assaut , s'il avail lieu ; mais le due de
La Force crut devoir atlendre I'effel que celte nuit
terrible produirail sur I'esprit des habitants. II agit
sagement el arriva a son but sans elTusi m de sang.
Le lendemaiii au nialin, le commandant de la place,
Germainvillers, tint conseil sur la brecLe meme, avec
les capilaines, les principaux bourgeois et le clerge
de la ville. Apres de vifs debats , dans lesquels
Valteville soulenait encore le parti de la resistance
acharnee, il fiit resolu qu'une capitulation honorable
serait demandee au marechal de La Force. Elle fut
aceordee sans trop de difficulte, malgre I'opposition
du vicomie de Turenne , qui reclamait des condi-
tions plus rigoureuses, ou Tassaut.
Mailres dft la foricresse , les Fran^ais la garde-
rent jusqu'en 1641. A cette epoque, le due Charles
rentra dans ses droits, par suite d'arrangements pris
avec la cour de France. Ce prince, sans caraclere,
sans loyante et sans autre qualite que la bravoure
dans les combats, n'eul pas plus tot pris possession
— 9"2 —
(le La Molle^ qu'il refiisa de remplir sos engage-
ments, prelexlant qu'on les Ini avail fait conlracter
par la ruse, en abiisanl de son infoiiune. Le ma-
rechal de I'Hopital ful envoye aveo des troupes pour
reprendre la ville. II la tenait, investie dej^, lorsque
le prince Lorrain , accourani celie fois ^ la tele
d'une arniee forraee a la hate , lui tit quitter ses
positions , le battit el le contraignit d'abandonner
le siege. Le grand cordon du marechal ful trouve
sur le champ de bataille, ce ful un irophee enlre
les mains du vainqueur.
II y eul alors un repit dc trois annees ; mais la
France nc se desislait pas de son projet. Au mois
de Decembre 164i, Magalolti , neveu du cardinal
Mazarin . reQut ordre d'nlier s'cmparer de la place.
Les travaux furent executes pcndanl I'hiver , el la
tranchee ne s'ouvril qu'au mois de Mars. Ce iroisieme
siege ne devail pas durer moins que le premier ;
il devail ofTrir egalenient de grands exemples de
valeur el de patrioiisme. Le baron de Clicquol com-
mandait dans la ville, homme d'un courage h loule
epreuve el d'une inviolable lidelile. On savait quelle
etail sa resolution et quel ascendant il exer^ait
autotir de lui; on avail essaye de le seduire. II fit
arreter ct condamner a mort ceux qui s'etaienl
charges de lui tiansmeilre dos propositions cou-
pables.
Sous un lei chef, la garnison el lee bourgeois
se surpasserenl. Les assiegeants eprouverent de graves
echecs. Dans un assaul general que iMagalotli livra,
parce qu'il voulail en (inir promptemenl el comptail
sur !e baton de marechal, il fut force de batire en
retraite avec loutes ses forces, apres avoir ete blesse
- 93 —
morlellemeni d'nn codp cl'arquebuse lire par le
prevost (111 chapilre.
On envoya pour prendre le commandemenl dc
I'armee lo marechal de Villeroi qui, a i'aide de nou-
veaux iravauji ei a la suile de nouveaux combjls,
contraignil les assiegeanis de capiluler , aux memes
conditions a pen pres que celles qui avaient ele
imposees par le due de La Force, dix ans aupa-
ravant.
Depuis plusicurs jours la viile etail au pouvoir
des frangais , Ics conditions slipu!6es etaienl rem-
plies, le sermenl de tidelite au roi avait eto prete
par les ecclesiastiques, Ics officiers de justice el les
notables du lieu, enire les mains de I'intendant de
rarmee Gombaut. Les habitants Irailes avec huma-
nilc coiiimen^aienl a regrelter moins ameremenl
Tissue de leur derniere lutte. Tout a coup le bruit
se repand qu'une depeche venue de la cour de
France porle I'ordre de detruire la ville de La Molte,
de raser ses forlilications, sesediflces elses baliments
lant publics que particuliers.
Celte nouvelle etail vraie ; la forleresse avail coute
tanl de sang et d'argent qu'on ne voulail plus se
trouver a I'avenir dans I'obligaiion de la reprendre,
si, par cas fortuit, elle venait a echapper.
Dans le premier moment, les bourgeois se repan-
direnl dans les rues inlerrogeant les frauQais, s'in-
terrogeant les uns les autresel refusant d'en croire
leurs oreilles. Lorsque I'ordre de la cour ful oliici-
ellemenl nolilie , leur desolation fut extreme. lis
expedierent en loule hale aupres du roi pour implo-
rer son humanile , sa clemence ; ils n'oblinrent rieu.
- m —
La perie de La Molle avail ete irrevocablement re-
solue et (levait se consommer.
Le 15 juillet 1645, huit jours apres la reddition,
I'intendanl de I'armee, Gombaut, convoqua une se-
conde fois le clerge, les magistrals et les priocipaux
bourgeois ; il ienr sigoiQa i'inlenlion de sa majeste,
et leur annoriQa que le siege de la commune de La
Molle, celui du bailliage el celui de la seneehaussee
elaieni iransferes a Bourraont , peiile ville dislanle
de deux lieues. Quant au gros des habitants, il etait
permis a chacun de se relirer parloul ou bon lui
semblerait, avec ce qu'il pourrail enlever de son
avoir. Les villages voisins recneillirent les fugitifs ,
parlageanl leur douleur, s'associant a leur destinee
el leur epargnant au moins les angoi ses de la misere.
Des niiiieurs et 1,500 paysans des elections de
Langres , Chauraont et Bar-sur-Aube, entreprirent
aussilol I'oeuvre de la demolition. Dans I'espace de
irois jours, celte ville si heroique et si digue d'ad-
miration, devint un sujei de pitie. Elle fut renversee
dans ses fondements ; elle u'offrit plus aux regards
que des monceaux de decombres et de ruines. Chez
les anciens, on epargnait au moins les temples des
dieux , quand on condamnait une ville a perir;
templis tamen Deum (ita enim edictum ah rege fuerat)
temperatum est, dit Tile-Live, en parlant de la ruine
d'Albe. L'eglise de La Motle , monument d'une
grande importance, fut couchee avec les autres edi-
fices sur le sol. En presence des resles deplorables
de la ville, un poete du pays put s'ecrier :
0 niurs qui serviez de remparts
A DOS provinces desolees,
Vous n'etes plus que mausulees
Pour enterrer nos dtendards !
— 95 —
Nous avons eu recemmenl I'occasion de visiter
les ruines de La MoUe. On apercoit de plusieurs
lieues sa moutagne qu'il est aise de dislinguer entre
toutes, car elle est depouillee, entierement nue, et
les aulres sonl couronnees de forels. En attendant
qu'elle soit boisee , selon le projet de deux com-
munes qui revendiquent la propiiete du plateau, on
dirait qu'elle subit I'effel de I'arret qui I'a frappee,
et qu'elle demeure placee , comme d'autres villes
plus celebres, sous une sorle de malediction. Les
premieres rampes conduisent a la ligne des fortifi-
cations exterieures et sonl pen escarpees ; mais la col-
line redresse tout h coup ses flancs abruples et
6leve bien haul le plateau qui comprenail la se-
conde enceinte et la ville meme. A quelque distance,
elle a la forme d'un tombeau giganlesque; aujour-
d'hui, en effet , ce n'est pas autre chose. Elle ne
presenle aux yeux que des pierres de construction
entassees ou dispersees, veritables ossemenls d'une
cite. Les habitants d'alentour conservenl reli^ieu-
sement le souvenir de son existence et de sa vieille
renommee ; ils en parlent avec flerte; ils exposent
au dessus de la porte de leurs maisons les boulels
et aulres projectiles que le soc de la charrue met
parfois a decouvert dans les champs. De notables
families se piquent de descendre de la bourgeoisie
de La Molte. Mais les regrets accordes a la ville
ensevelie n'empechent pas de troubler chaque jour
sa cendre : quiconque a une maison ou un mur a
construire , tire de ses fondations les principaux
materiaux dont il a besoin.
II n'y a done, sur I'emplacement de La Motte,
plus rien, rien que des carri^res et de grands sou-
— 96 —
venirs. Mais, le plan ^a la main, il esi facile de re-
trouver le lieu de chaque edifice public, de I'eglise,
du gouvernenienl, des rues , el surloul des grands
iravaux niililaires qui couvraient la moniagne comme
une cuirasse couvre la poilrine. Alor.s on se re-
fuse a comprendre pourquoi une ville si pleine
d'aclivile el avec une si vaillante population, a du
passer brusquement de vie a ircpas , ainsi qu'un i
homme frappe de morl subilo a la fleur de ses ans. '
On deplore au dedans de soi les injuslices el les
cruauies que I'inlerel ualional a commandees sou-
venl.
Si Ton veul delourner le regard de ce vasle
cbamp de deuil el le porler aulour de soi, il n'y a
pas dans la conlree de poinl de vue plus eiendu ,
de campagne plus riche, plus variee el plus digne
d'inierel.
Ce soni les collines ou les balieries frangaises ||
avaienl eie elablies el sur une desquelles il esi de
Iradilion que Turenne poinlait lui-meme les pieces.
Ce sonl des villages au nonibre de vingl a vingt-cinq,
que I'oeil comple sans peine el donl les plus rappro-
ches fureni occupes par nos iroupes duiaul les Irois
sieges.
C'osl la plaine de Bulgneville ou, le 2 Juillel de
I'annee Uo4 , Rene d'Anjou , disputant a Antoine
de "Vaudeniont la succession de Charles 11 , due de
Lorraine , ful complelemenl ballu , el ou fut blesse
morlellemenl Barbazan qui commandait les iroupes
fran^aises au service de Rene pour I'espedilion ,
Barbazan , le chevalier sans reproche. Le pont jele
sur le ruisseau qui divise la plaine porle encore
ce nom , un des plus glorieux de nos annales.
— 97 —
C'esl encore le chene des parlisans , c^l5bro dans
la coniree, leqiiel doniine de loiilc la lele les
aiilrcs arhres de la forel el presenlc iin Ironc de
9 melrcs de circonterence. Age, dil-on, de plus de
qualre siecles , il a servi de guidon pour la reunion
des bandes armees qui se jelaienl a I'improvisle de
Lorraine en France; de la lui viendrail son nom.
Enlin, si la vue s'eleve el se dirige vers un des
points extremes de {'horizon , die rencontre les
croupes aliieres des Vosges el les sommets vaporeux
du Jura.
Nous avons eprouve de vives impressions en
lisanl riiisioire de La Motte el en visitant ses
ruities ; nous nous etions engage |)ar reconnaissance
h lui consacrrr un Caible souvenir. Maintenant que
nous venous de nous acquitlerde noire voeu, comuie
nous Tavons pu , h Taide de notices maniiscriles
Ires imparfailes el de la tradition locale , il nous
resle a desirer que I'hommage ne soil pas jiige trop
indigne dc cetle ville inforiunee.
I.
- 98
Seance du 28 Novembre 4S5^.
Lecluie de M, G('rardiD.
COMMENT HENRI HI PUT tlV UOI DK POLOGNE,
Tom le monde sail qu'avant de parvenir au lr6ne
de France, Henri de Valois , due d'Anjou, ful elii roi
de Poiogne. cl qu'il alia faire, pendant quelques mois
a Varsovie , un innlile apprenlissage de la rojauie.
L'hisloire de ce regne si court ne merite point d'etre
ecriie el n'offre aucun fail reinar(]uable ; mais les
circonslances qui ont precede Telection, les rivalites
des compelileurs el les habiles negocialions do Jean
de iMontluc, ev^que de Valence, sont raconlocs dans
les memoires du xvi'' siecle el offrent des details
curieux. A celte epoque, oii la violence el la crnaule
ven;iienl trop souvenl en aide a la politique, il esl
inierossant de voir un negociateur adroil, sans soldats,
sans argent, denouef une intrigue asscz compliquee,
el arriver a son but par la persuasion, sans recourir
a la corruption ni a la violence. Jean do Montluc
niontra plus de talent pour assurer la couronne a son
maitre, que celui-ci n'en deplova pour la conserver ;
personne n'ignore commenl Henri HI, a la nouvelle
de la mort inattendue de son frere , s'echappa de
nuil, comme un fugilif, du palais de Varsovie, pour
— 99 —
aller proiuener dt; cour en cour, pendant pliisieurs
mois, son oisive inajesie. Mais ce que les hisloriens
(le France ne disenl pas, absorbes qu'ils sonl par
les calasirophes du royaume a ceile epoque, c'esi bi
simation de la Pob)gne, el le singnlier conconrs de
circonslances par lequel un prince fian^ais monla sui'
ce irone eloigne. Copendanl les maleriaiix ne man-
quenl pas pour conibler celle lacune ; Jean do Moniluc
dil qu'il ecrivil plus de dix rames de papier pour
assurer le succes de sa negociaiion : cclle volumi-
neuse correspondance a peri el merilo pen de regrels.
Mais I'evdque de Valence avail pros de lui un secre-
taire inlclligcnl, Jean Uioisnin qui, apres son retour
en France, redigea la relation de Tambassade, el c'esl
d'aprcs ce curieux volume que je veux essayer de
raconler comment Henri III devinl roi de Pologne.
Ce fut en 1571 que Caiberine de Medicis , donl
I'ambilion inquiete elail loujours en eveil ^ consul
I'idee d'assurer a son lils le Irone de Pologne. Ce
n'eiail pas le premier jdan qu'elle forinail pour la
grandeur du jeune prince : rien ne faisait prevoir qu'i|
diil bienlol beriter de la couronne de France. Qui
cul dil que Cbarles IX mourrait trois ans apres ,
a la lleur de lage, apres avoir eu le temps, malgre sa
jeunesse d'atlacher h son nom d'borrib'es souvenirs ?
Suivaul un bistorien conlemporain , la reine-niere
elail tourmcnlee par un boroscope qui lui predisail
qu'elle verrail regnerse trois fils ; deja la morl pre-
maturee de Francois II avail realise une parlic de la
propbetie. Pour delourner ce lacbeux presage, elle
voulul doniier au due d'Anjou une couronne an de-
hors, el il est certain qu'elle forma des plans cbime-
riqucs. D'abord Castelnau , le plus actif ncgociateur
— 100 —
du XVI* sikle , raconle qu'il fut charge, pendant une
de ses aniliassades en Anglelerre, de demander pour
le jeiine prince la main d'Elisabelh : c'elail une cora-
binaison bizarre que de vouloir unir un prince presque
enfant avec une reine qui louchail a la quarantaine;
un prince calholique avec une reine proleslanie , le
be.TU-frere de Marie Sluarl avec celle qui la icaait
prisonniere en attendant I'echafaud. La reine d'An-
glelerre, qui refusa plus de prelcndanis que son pore
Henri Vlll ne fit perir de femmes, rejeta, apres bien
des longueurs, I'ollre de Castelnau. Alors Catherine
de Medicis consul un plan plus singulier encore :
elle voulail negocier avec le sultan Sdliin II pour
faire obienir an due d'Anjou I'investilure du royaume
d' Alger.
Jean de Moniluc (it comprendre a la reine combien
ses fsperances elaiont chimeriques et lui rcpresenla
que le trone de Pologne elail eleclif , que le dernier
dt'S Jagellons, Sigismond Augusle II, doja au bord du
tombeau, n'avait point d'enfanl, et que le due d'Anjou
pourrail peut-etre occuper ce trone bienlot vacant.
Catherine se rendil h ces raisons ; deux plans diffe-
renls lui fiirenl suggcres par I'^veque de Valence :
comme lesPolonais, quoique elisanl leur.s rois, avaienl
toujours moiilre beaucoup d'attachement a la dynastie
des Jagellons , on pouvait songer a faire opouser au
due d'Anjou, la sceur de Sigismond, ou bien, et cc
fui h ce dernier plan qu'on s'arrela, il fallail simple-
ment atlcndre la vacance du trone, el alors presenter
aux suffrages de la noblesse polonaise un prince,
heritier d'unc race glorieuse , et apparienant a une
nation aimce des Polonais.
II ne faul pas se figurer, que malgre les distances.
— 101 —
la France el la Cologne fusseiil aluis toul-ii-faii ^trao-
g^ies I'une al'autre: soiiveni, dans les guerres conlre
les Tiircs, des Polonais el dcs Francais elairnt veiuis
combaiue avec les llongrois ; outre cela. les voyages
elaieni moins rares an xvi« siecle qu'on ne le pense
comniuncmcni ; doja Monllnc elaii al!e en Pologne ,
et nn noble Polonais , nomine Crasoski , ;venail de
qniuer la conr de France ou il avail eie combic de
prevenances. De rclonr dans son pays , il commen^a
5 I'aire des parlisans au dnc d'Anjou.
Avanl de s'embarquer dins celle negocialion ct
d'envoycr une ambassade en Pologne, la reine vonliit
s'assnreren secret des dispositions dts Polonais : elle
choi^it pour cette mission Balagny , Ills de Jean de
Montluc, qni devinl dcpnis mareclial de France, et
fill cliasso de son gouvernemenl de Cambray par les
habitants indignes de ses violences. II elail alors a
Padone, s'exer^anl au metier des amies ; il re?ul les
instructions de la cour et Tordre de parcourir , sans
aucnn caractere olficiel , lEmpire, la Pologne, le
Danomark el la Suede. Dans nn chateau du Tyrol ,
prcs d'Inspruck, il vil I'archidiic Ferdinand; a Vienne,
I'empercur Maximilien II , qui esp6rait le Irone de
Pologne |)our son jeune Ills I'archiduc Ernest, et qui
ne soup^onna point le bul du voyage do Balagny. —
Celui-ci ne trouva pas le roi Sigismond a Varsovie.
Ce vieux prince (jui, (lepuis deux ans, relenu par de
continuelles soulTranccs, n'etait pas sorti de sa capi-
lale, avail ele oblige de fuir devanl une maladic plus
terrible qne celle qui le minail. La pesle desolait la
Pologne, et le roi etail alle cliorcber un ret'nge en
Lilhuanie, palrie originaire de sa famille, au chateau
de Knicbin. Le voyage redou!)la ses soulTrancrs et no
— 102 —
ponvaiU accorder une audience a Balagny, il le re-
conimanda aiix grands digniiaires do la Pologne qui
lui firenl uii accenil plein de bionveillance. L'eveque
de Cracovie, le vice-cliancelier de Lilluianie, lo ma-
rechal Radzival doployerent pour le ivcevoir lout le
luxe de rii\>spiialiie polonaise, el il ne pouvail trop
admirer les allures guerrieres de ses liOles , leurs
arnies , leurs beaux chevaux , el" les vins rares el
varies servis sur ces tables auiour desquelles on par-
lait fian^ais aussi puremenl qu'a Paris,
Le roi Sigismond mourul le 7 juillet loT^, el,
d'apres Ic leraoignage de Cboisnin , il ne lul pas
Ires regrelle. Cependant on devail reconnailrc a sa
louange que pendanl son long regne, les progres de
la reforme n'avaienl amene en Pologne , ni guerrcs
civiles , ni ces apres animosiies qui ailleurs avaient
fait verscr lanl de sang. C'etait a Varsovie qu'avait
lieu d'ordinaire Timposanle ceremonie des funerailles
des rois: mais les palatins, a cause de la peste, reste-
rent en Liihuanie. On exposa le corps du roi , v6tu
d'un pourpoinl et d'une robe de damas cramoisi, le
visage et les mains nues : au bord du lit I'unebrc, on
voyait f=es amies, une pique, des ganleleis, une ron-
defled'acier ;audessus flotiail une banniere de damas
cramoisi, avec une aigle blanche h une tete ; snr un
oreiller de velours elaienl deposes les insignes de la
royaute, I'epee royale, la ceinlure, le scepire, et \\n
globe d'or surmonle d'une croix. L'eveque de Cra-
covie celebra la messe, et on ne peul omeiire un fait
bien remarquable pour le temps : les seigneurs pro-
lestanls y assislerent comme les caiholiques ; les grands
dignitaires remirenl a l'eveque les insignes de la ro-
yaut6 afin qu'il en ornal une derniere fois le roi
- lO.*^ -
ileliiiJl. Mais li grande coiiroiiin; do PologDC do |>ul
elre placee siir sa lele ; elle etail deposee, 6 quelques
lieues de li, dans une forlerosse enlouree de marais,
oil clail le Iresor royal, el il e'.ail defendu, apres la
morl du roi, d'y laisser penelrer personne.
Pcu de leiiips apics la cdromonie, Balagny , qui
avail gagne beaucoiip de pariisaiis a la France el
au due d'Anjou , mais qui ne pouvaii prolonger
ulilemeril son sojour en Pologiie puisqn'il n'avait
pas d'insiruclions officiellos , descendil la Vislule
jusqu'a Danlzick , visila celle ville alors polonaise et
deja florissante , el s'cmbarqua pour coniinuer ses
voyages sur VAnge , vaisseau marchand de Fecamp
qui se irouvail dans le poil.
Cailierine de Medicis , en recevatU la nouvelle de
la morl du roi de Pologne , donna mission &
Montluc d'aller demander la couionne ponr le due
d'Anjou. L'eveque de \alence, qui connaissail dcja
la Pologne , el qui pendanl le regiie de Francois !••■
avail eie charge d'une negocialion, ne pul refuser,
malgre son age , d'obeir aux desirs de la cour. 11
fallail, pour cetle anibassade , un homine de robe
longue , dil Choisnin , qui sut aller et venir ; il
fallail surloul un liomme habiiue a parler el a ecrire
en latin ; Moniluc remplissait bien ces conditions.
II eul voulu s'adjoindre le savanl Pihrac ou Joseph
Scaliger : mais le premier resia a Paris ou la cour
le cbargea d'une a|)ologie de la Si-Barihelemi , et
le second ne voulul pas quitter Geneve. A Strasbourg,
l'eveque de Valence renconira JeanBa;:in, procureur
»le la prevote de Blois. horn me bien verse aux h'(tre$ ,
el I'emmena avec Ini.
— loa —
Monlluc quilla Paris le 17 aoul, hull jours avanl
la Si-Barlheletrii , cl ful relemi Irois jours a Sainl-
Dizitr par line indisposilion. x\pres le massacre, il
coiirul les plus grands dangers ; il avail Innjours
favorise les proleslanls, el uii sccrelaire de l'e\eque
de Verdun mil a sa poursuile line comjiagnie de
soldals. Moniluc ful arrele h Sainl-MihitI el amene
prisonnier a Verdun ; mais il irouva moyen de
I'aire parvenir promplement a la cour la nouvellc
de sa caplivitc , el le roi , ainsi que Catherine de
Medicis , se monlrerenl irriies du Iraitemenl qu'il
avail souirert. On Irouve dans les memoires de
Choisnin les leilres de la reine-mere el du due
d'Anjou , adiessees a I'eveque de Valence : Je ne
mets point ici, dil I'auleur , la lellre du roi, puree
qu'il y a affaire de conseqwnce .
Celle lacune esl regreilable: une lellre de Cliarles IX,
dalee du o seplembre 1572 , serail un document
hislorique precieux.
A Frand'ori, iMonlluc eul une avenlure singuliere
el qui peinl lidelemenl les nioeurs de I'epoque.
On sail que, pendanl les guerres de religion, les pro-
leslanls soudoyerent ea Allcmagne des baiides de
Reiires. La iS'oue, un des hommes les plus remar-
quables du parii proleslant , raconle, dans ses me-
moires, comment I'amiral de Coligny el les aulres
chefs du p.irli se coliserent pour acheler les secours
de ces avides mercenaires. Apres le iraile de Long-
jumeau il ful ires dinicile de les faire sorlir de France,
ou ils avaient pris I'habilude du pillage. Caslelnau ful
envoye par la cour pour negocier avec cux , el il
ne remplit jamais une plus diflicile mission ; il
eourul do grands dangers. Cependanl il ablint la
— 105 —
relraiie des Alleinands , h contliiion qu'on leur
paierail six raois dc sokle a Francfort, dans tin href
delai : il ne dil poinl si rcngagtMncnl ful rompli ;
mais le grand avantage qii'oflVenl de nonibrcn.v me-
moircs du xvi' siecle, c'esl dc se conlrolor les uns
paries aulres , el ii parait, d'ap-es Choisiiin, que les
Roiires altendaienl encore leur argent en 1572. qualre
ans apres leur rclraite. Des qu'ils apprirenl I'arrivee
de Monlliic, iis so saisirenl de ses elTels , de ses
chevaux, prelendant que c'etail leiir droit et que
Charles IX lenr avail engage h*s hiens de ses siijels.
L'ambassadeur se piaignil au senal, ct dii au\ Reilres
qu'ils perdaient leur peine , vu qu'il n'avait poinl
d'argenl.
Cei argument decisif flit plus utile a Monlluc que
la sentence du senal de Francfort ; il put continuer
son voyage , traverser incognito la Saxe, dont le due
se irouvail alors en Daneraark, el enlrer en Pologne
vers la mi-oclobre.
La vacance du Irone tr.etlail en niouvernenl bieu
des andjiiions : le czar de I5nssie, Ivan, el le roi de
Suede, dont la femme etait soeur de Sigismond do
Pologne, pretendaienl vainement a la couronne.
L'empereur Maximilien 11, b(\au-()ere de Charles IX,
appujait {'election de Tarchiduc Ernest et , depuis
plusieurs annees, I'abbe Cyre, represenlanl de I'Au-
iriche , menageail des partisans a ce jeune |)rince.
Apres la mort de Sigismond , l'empereur envoya, en
qualite d'ambassadeurs , deux grands seigneurs de
Boheme, qui llrenl leur entree en Pologne, avec une
suile nombreuse, sans meme averlir le senal de leur
arrivee. Ce procede froissa la susceplibilite des Polo-
nais ; les intrigues des amhassadeurs Autrichiens, c\
— 106 —
surloul des lellres saisies a la froiilieie oij la iialiou
polonaise etail designee par les mols de gens inepta
et barbara , accnirent le meconlenlcmenl de la no-
blesse.
L'eveque de Valence agil avec plus de reserve : il
adressa au senal une lelire dans laquelle, apres avoir
enumere les quali:es du due d'Anjou , il exposail
adroiiemenl les raisons qui devaieni deiourner les
Polonais de tout autre choix ; le czar eiail un barbare
el suivail la religion grecque; le roi de Suede ne
pouvail gouverner deux royaumos si eloignes, el son
fds n'avait que huil ans; Tarchiduc Krriesl elail irop
jeune. Quanlau parii qui desirail un roi polonais, il elail
peu nombreux el Moniluc savail bien que la noblesse
n'obeirail pas volonliers \x un roi lire de son sein.
Toul semblall done favoriscr les desseins de l'e-
veque de Valence lort-que la nouvelle de la Sl-Bar-
ihelemi arriva en Pologne •, elle y causa une borreur
difficile a decrirc. Celic noblesse, brave et gcnereuse,
detesiail les guerres civiles ; el la rcforme , parloul
sanglante, n'avait pas mis les amies aux mains des
Polonais : les dames, dil Choisnin, parlaicnt du massa-
cre avec telle effusion de larmes, comme si elles eussent
ete presentes a I'execulion. Cboisir pour roi le due
d'Anjou, dans de idles circonslancfs, c'elail peul-eire
introduire en Pologne riniolerance, la persecution el
la guerre civile. — Les proteslants ne cachaienl pas
leurs inquietudes h eel cgard el Moniluc, comprenanl
la difficuhe de sa position, desavoua, autant qu'il lui
ful possible , les cruaules allribuees h la cour de
France, le Connin , que le senal lui avail assigne
comme residence, il rel'ulail ies faux bruits repandus
siir les projets sanguinaires dn due d'Anjou ; et ,
— 107 —
avec line activile nierveilleuse , il ecrivait jtisqu'a
trente lelties par jour, se laisait des partisans parini
les Castellans et les Palitins, ei repondail aux pam-
phlets et aux lilielles publics centre la France. II
avail snrtoui a killer contre la niiilveillance des Fran-
(;ais elablis en Pologne; ils se montraieiil encore plus
opposes que les protestanls h relcctioii d'un prince
fran(;ais.
Lc jour de la I'eie des Rois, la diete des nonces
terrestres ou deputes des palalinals , sc reunil i)Our
fixer le lieu et I'epoqiie de I'election ; elle I'ul ajournee
au 5 avril , a "Varsovie. Le 4 avri! , les bords de la
Vistule presentaient un spectacle imposanl: 50,000
gcntilshommes se trouvaienl reunis autour de Varsovie;
a une lieue de la ville s'elevait une vaste lente ; lar-
chevcque celebra une messe solennelle ; ensuitc ,
calholiques el prolestants chanierent le Veni, Creator
pour appeler sur I'election la benediction du ciel.
Suivant la coulume de Pologne, on entendil succes-
sivement, les jours suivants , les ambassadeurs des
diverses puissances. Le cardinal Commendon . legal
du pape, celebre pour avoir negocie la courle recon-
ciliation du Saint Siege el de I'Angleterre , sous le
regne de Marie Tudor , oblinl le premier la parole.
11 fit un discours grave, mesure, elegant, mais il ne
conclul en faveur d'aucun des coinpetiteurs. Pourvu
que le roi de Pologne fui calbolique , et il n'y avail
pas de doute A eel egard, peu importail au Saint
Siege qu'on choisil un Autrichien ou un Fran(;ais. Le
grand burgrave de Rosemberg, anibassadeur de Maxi-
milien, pronon^a d'une voix i'aible, une froide haran-
gue qui eul |)eu de succes. Le lendeinain, I'eveque
de Valence devait etre entendu ; mais aliu d'avoir
- 108 —
connaissance du discouis de Rosemberg el de pou-
voir le refiiter, Moniluc prelexta nne maladie el obtinl
un delai de qiielqiics joiirs: le grand biirgrave s'ciait
corilenle, a I'exemple drs aulres ambassadcurs, de
dislribuer aiix palalins 32 copies do son discours.
Monlinc fil davanlage; il compril que rimprimerie
n'elail jamais plus mile qu'en lemps d'eleclion, el il
fil lirer socrelemenl un grand nombre d'exemplaires
de sa harangue, en lalin el en polonais.
L'orateur avail eu soin d'exagerer les avanlages
que la Pologne lirerail de releclion du due d'Anjou •
il venail d'un pays cloigiic , donl, par conscquenf,
on n'avail rien k rcdouler ; il forulerail a Cracovie
une univcrsile sur le modele de ceile de Paris ; il
depenserait dans son nouveau rojaume le revenu
de ses riches apanages. Qunnl a la Sl-Barihclemy ,
il ne fallail I'impuier ni au roi, ni au due d'Anjou,
mais h la fureur sanguinaire de la populace. — Cc
discours, plus habile que v6ridique, fiii accueilli avec
enlhousiasme. — Lc jour de rdleciion , la dido
noblesse, dil Choisnin, avant que dedelibercr chacune
en son quartier , se mil a gcnoux, ei la plus grande
parlie acec larmes frent leurs prieres , clianterent
une hymne au Saint- Esprit ; el faut confesser qu'il
n'adinnt jamais cho%e semblahle a cdle-ld, car incon-
tinent Icur oraison faile, la par tie franQaxse se trouva
en lous Ics palatinats si grande, que les autres avaienl
presque honle de lenir k parti conlraire , qui fut
cause qu'en mains d'une heure nous emportdmes la
pluralite des voix.
Le due d'Anjou ful proclame roi de Pologne. —
Celie unanimile si louchanle, ce naif enlhousiasme,
cetle election si calme ou pas un sabre ne soriii
— 109 -
(In I'ourreau, ofiVenl une dos scenes les plus remar-
quahlos de I'liisloire de Pologtie Qui cut dil, a voir
ces milliers de cavaliers iiilaligables , ces brillanlcs
armures, celte noblesse inielligenle el brave, que les
Polonais n'elaieol pas un grand peuple? El copen-
danl celle consiilulion reposaii sur des bases bien
fragile s: so ixanle ou quaire-vingt mille nobles peuveni
former une armce beroiqne ; ils ne sonl pas une
naiion : que irouvons-nous derriere celle pliaiange
brdlante , sinon des serfs qu'on vend avec la lerre
qu'ils culiiveni? A quoi aboulirenl ces eleclions de
rois eirangers , sinon a eveiller des ambitions ri-
valcs el a amener de lerribles catastrophes ? Mais
au xvi« siecle , on ne pouvait encore prevoir ce
sombre avenir ; le courage tenait lieu de prudence ,
el les Palalins suluaieni ra\cnemenl du due d'Anjou
comme le commencement d'une ere prospere.
— no —
rommunication dc M. J. -J. Jlaquaii.
EXAMEN I)E LA NOTICE DE M. A'" GALIMAUD , SUH
LES DESSINS COMPOSANT LA COLLECTION DES
DRAPEAUX , fiAMNIERES , PENNONS ET CORNETTES
DE LA NATION FRANQAISE,
Par M. F.-A. PERNOT, arlisle peintre.
Aux yeux de quelques-uns , une colleciion de
dessins reprcsenianl dcs bannieres el des drapeaux
offrirail pen d'inleret ; ce serail, suivanl eux, don-
ner beaucoiip irop d'imporlance h mie collecliou
donl toul I'avaniage el le meriie sont d'etre
unique el spcciale. Une lelle rnaniere d'cnvisager
le travail patient el laborieux de notre confiero
M. Pernot, serail une grave erreur, sur laquelle il
peul elre bon d'eclairer le jngemcnl de ceux qui
pourraieni la parlager.
En effot, qu\'St-ce qu'un drapeau, sinon le plus
glorioux synibolo auqnel rhomnie s'esl plii a rai-
laclier lous los seii'iments d'lionneur el de patrie,
le principe materialise de loul un penple , son idee
politique, son gouvernemenl, sa couleur, comine
on dit maintenani ? N'esi-ce pas sous le drapeau
que viennent s'enroler, el lo courage militaire qui
— HI —
Cail les hoios el les braves, el le devouenienl joint
a la discipline qui animenl les defensenrs du pays
el des lois? Sous le drapeau, I'inlrepidite s'exalie;
elle marche d'un pas egal au danger comme a la
gloire. Le drapeau csl le lalisman qui protege la
valeur ; c'esl lui qui donne la vicloire. C'esl en-
core lui qui ranime I'ardeur des comballanls fatigues
ou accables ; c'esl pour sa defense que le sang
coule sur le champ de balaille; enfin , il esl glo-
rieux de mourir pour son drapeau. Depuis Cesar,
conqucranl des Gaules , jusqu'au Cesar moderne,
I'hisloire fourmille de fails ci I'honneur de la vieille
France, comme de la France nouvellc, dans lesquels
le devouenienl au drapeau alleinl la derniere limile
du sublime : Ic sacrilice de la vie.
C'esl, je le rd'peie , parce que I'elendard national
reprcsenle le principe politique d'une nation , le
corps enlier qui la compose, en un mol, la Palrie
el lout ce qu'elle renferme , qu'il est Tohjei du
plus profond respect. Aussi , de quels honneurs
n'esl-il pas enloure? S'il est I'idole du soldat , 11
est encore I'ame du peuple. Dans chaque cile ,
dans chaque commune, nous vojons le drapeau au
faile des edifices publics ; nous le voyons aussi
floller, dans nos campagnes, au sonimel des edi-
fices religieux ; el , de celle union du drapeau h
la maison de Dieu, resulte I'assemblage le plus digne
de la veneration du peuple, h savoir : le culle de
Dieu el celiii de la palrie. Gloire done esl au dra-
peau, car 11 signifie encore , chez lous les peuples
civilises : Proleclion a la loi el proleciion au droit
des gens. II y a celle difference cnlre les eiats
civilises oi les pays barbares cl sauvages , que si
— 112 —
le drapeau esl en honneur chez ceux-lli , il esl
inconnu choz ccux-ci ; d'ou Ton peiil concliiro que
la oil ne flolie pas le drapeau , il y a ab>-ence de
civilisalion , el que \h ou le drapeau est nbalUi, il
y a honle el defaile, sinon morl ct anarchie.
On ne peut penser que le drapeau soil chose
indiirerenle lorsqu'il est le symbole sacre siir lequel
brillenl el se reflelenl ies couieurs d'unc nalion
unies h rembleme qu'elle s'esl choisie. Image loule
materieile , Tembleme que porle Telendard n'esl
pas moins respectable que la majesle du prince ; je
dirai mieux, il esl plus respectable encore, cir Ies
rois se decouvrenl el s'inciincnl devanl le drapeau.
Telle est sa puissance el sa force morale , qu'au-
lour de ses plis onduleux Ies monarques lombenl
el se succedent, alors que la banniere de I'eial
resle el plane sur le pays comme pour le proleger
de son ombre lulelaire.
Veneree dans lous Ies ages et dans lous Ies
lieux , la religion du drapeau reslera longlemps
encore dans le coeur des hommes. Depuis Ies pre-
miers lemps Chretiens de la monarchic frangaise
jusqu'a nous, sa puissanle influence n'a pas faibli ,
el quand la banniere nalionale porlail I'image des
sainls , ou que I'oriflamme de Si-Denis conduisait
nos armees k la vicloire , le drapeau elait chose
sainle ; Ies sciecles ont passe, el le drapeau esl en-
encore, aujourd'hui, chose sacree : I'eglise benil Ies
drapeaux, elle a beni ceux qui porlaienl I'ecusson
fleurdelise de France, avec la devise : « Dieu el le
» Roi. » comme elle benira ceux qui porieront la
legende : « Dieu el Palrie! »
Ceci dil, je dois, Messieurs, vous faire coonallre
— lis —
ce qu'esl la collection dcssinee par M. Pernol el
donl le gouvernomenl a fait I'ncquisition. Elle se
compose de 1.500 ligiires represenlanl aiilaiU de
drapeaux , barinieres, eieiidards, pennons el cornettes
de la nation franf.aise , depuis le V siecic jnsqii'a
nos jours ; en voici le court enoncc :
Dn v« au x° siecle, el a partir du Labanim, eten-
dard de Constantin le Grand , j'on voit , bien loin
dans notre liistoire , la Chape bleue dc saint Martin
de Tours , banniere de I'abljaye de Marmoutier ;
ce fut , au temps de Glovis , le premier etendard ;
on le perdit dans nne bataille. A cctte banniere suc-
ceda rOriflamme, reliquc veneree sous les rois de
la Iroisieme race. A la fin du regno dc Louis le
Jeune , apparaissent les lys sur lo drapeau de France.
Puis du xi" au xiv* siecle , les bannieres semul-
tiplient ; les preux cbevaliers des croisades eurenl
chacun lo leur, sur laquelle brillaient leurs armoiries.
Parmi les bannieres speciales a divers ordres mi-
lilaires el religieux 6 la (bis, ligiirerent, noiammenl,
celles des cbevaliers de I'Kloile , ordre fonde par le
roi Jean, en looO, et celles des templiers et des
cbevaliers de Malic. Au xv' siecle, surgil, pour la
premiiL're fois, la Cornelle blanche ; suivanl M. Au-
gu.'to Galimard , auteur de la notice que vous avez
renvojee a mon examen , c'esl , depuis ce temps ,
que le drapeau blanc esl devenu I'eiendard royal ,
en opposition au drapeau anglais, qui etait rouge.
Gbarles VII I'avait adopte avec le grand etendard
de Sl-Micbel. Frangois I" reprend Tciendard bleu
autrefois adopte par Philippe-Augusie : il n'eul qu'uo
temps, le drapeau frangais redevenu blanc regul les
plus grands bonneurs niilitaires. Aux xvi' et xvii'
I. 8
— iU -
sieclos , los pavilions, flammcs el banderollcs tie h
marine , flotlcnl sur Ics galeres royalcs , elles sont
rouges el seinees de fleurs de lys ; inais le grand
pavilion royal resla blanc.
Pendant le xviii' siecle, le drapeau frangais porlail,
sur fond blanc, I'ecu de France, lorsquesonna 1789,
qui amena , pour la premiere fois , le drapeau aux
(rois couleurs. L'auleur de la nolice , par un rap-
prochement fori delicat, sanclilie le nouveau drapeau,
en disanl qu'il ful la reunion des couleurs de la
chape de sainl Mariin, laquelle elaii bleue, de I'ori-
flamme , qui etaii rouge , el de la cornelle do
Charles VIl, qui elail blanche ; je dirai, pour niori
comple , que la glorieuse renommee du drapeau
Iricolore , sous I'empire , iui donne assez belle
origine pour n'avoir |)as besoin de Iui en decouvrir
une aulre.
Je n'ai pas a vous apprendre , Messieurs, ce (jue
devinl le drapeau de la France depuis la chiile de
t'enipiro. Homracs du siecle , nous en suivons les
icmpeles. Puissions-nous sauver, sain el sauf , noire
drapeau !
Je dois encore ajouler, a la louange doM. Pernol,
noire savanl el habile confrere , que M. Galim-ird
lermine son rapporl en faisant rcmarquer que la
precieusc colleclion dcM. Pernol, unique noa seu-
lemenl en France, mais parlout ailleurs.a coule,
aranleur. six annees de Iravail. Par les ordres de
M. le Minislre de la guerre, celle inleressante pariie
<le noire hisloire nalionalc a ele placee a I'holel
des Invalides. On ne pouvaii irouver nri asilc plus
convenable a la conservation du Iravaii de M. Pernol.
— 115
POESIK.
(Icmmuiiicalioii de i\l. \. ViolrKc.
LK LOIII EV L'fiCUUKLlL
Avec certaines gens ue jouez pas au liii ;
Tar lei qui tous parait n'etre qu'un pauYie sire
Parfois a vos depeiis peut bien preler a rire.
Cellc fable en fail foi , jugez-an par la fin.
Sur un helre habilaient, dans un bois solitaire,
Deux rongeurs, TJvanl la chacun de son bulin :
L'Ecureuil a tele legere,
Puis cerlain luailre Loir appele inuscadiii.
Noveiubro aiors louch;iil a son declin.
L'Ecureuil avail pris son quarlier vers le faile ;
Dans un creux du vieux Ironc, I'aiilre sire, a loisir.
Avail conlre le froid assure sa relraile ,
Ou sur un lil de mousse il bravail la lempcle.
On peul bicn, pour le moins, se donner ceplaisir,
Alors qu'on doil passer loul I'hivcr a donuir;
BulTon, sur ces dormeurs, adjuge au Loir la pouiiue.
C.epciidanl comnio on peut, duranl un si long sommp,
Au bruit d'uu vent soudiiln
— lie —
Se rcTeiller avec la faim,
Daus Ics derniers beaux jours, le ciuupere an plus vile ,
De chataignes, de glands avail garni son gite.
Quanta I'autre, il n'avait, en lout, pour s'abriter
Que sa queue en panac.be ; aussi le vent, la pluie,
Sous cet abri flollant, le faisaicnt grclotler.
Je suis bien bon, dil-il, de mener cette vie,
Tandis qu'un luuscadin, a I'elage d honneur,
Bien chaudenicnt couche, dorl conime un grand seigneur.
Quoi, je loge en plein vent quand il vit de la sorte !
Mais je vais lui servir un plat de mon metier.
Aussitot il descend, et s'offranl a la porte :
« Ami, je suis ronipu : du haul de nioa palier
» J'ai roule, comme un bloc, le loug de Tcscalier ;
» Pour quatre ongles brises heureus si j'en suis quille
» Le ciel vous beuira, cedez-moi voire gite.
» Parbleu, voisin, vous jouez le bonbeur !
» Repond gaiment noire malois ermile ;
» Car des ongles brises je suis operaleur
» J'ai fait, en cas pareils, des cures de docteur :
» Messire le Blaireau, I'autre jour sur la pierre
» S'en etait rorupu six en creusant sa tanniere.
• 11 m'envoya querir, et lors du bout des dents
» Les ayant oi eres, cbacun a ma maniere.
» J'ai dii pourevilcrde nouveaux accidents
» Faire une razzia de tons en meme temps,
» Sa seigneurie en ful emerveillee
» El largement ma cure ful payee.
• Croyez-moi, subissez celle operation ;
• Ensultc vous aiirez chez moi bonne pature,
» Abri bien chaud et rianle ligure.
» Eh bien soil ! mais prenez loute precaution ,
» Compere : car je suis nerveux outre-meture ,
« A la douleur obslinement relif.
• Parlanl , gardez-vous bien d'enlamer le vif.
» Rassurez-vous, mon cher, pour les cures aigues
• N'avons-nous pas d'aillenrs relherisalion ,
— 117 —
» Lc chloroforino el maiiito invenlion.'
n P.ir quoi, le palienl transporle jusqu'aiix luics,
» Siibit a son inscu loiile Oi»eratioii.
» Voire accitlcfil n'esl rieii ; couchoz-vous siir la bianclic,
» En dehors, s'il se pcu(, poilcz un pen la hanche...
» Tourncz-voiis snr le dos... Ties blen ! voiisy voila.
» Mors (i'un air savanl , le docleur opera »
Puis, I'affaire reglee, il fll d'un coup de tele,
DaQs I'aira son boilenx danser la [liroiioilo.
L'Ecnrcni! sans accroc fil le saiil peril lenx.
Le depit, la colere cclalenl dans sos yenx,
11 court an pied de I'arbre ; ea vain il veul griniper,
II senl du Ironc glissant ses onglos echappcr.
II lempele, il fail rrgc,
II jetle a son doclenrla menace el I'oulrago.
Ingral! lui dit Ic Loir, vons m'insuKcz en vain ;
Revenez au prinlenips, qnand j'aurai fail inon soinme,
Pijiir vons aider, foi d'honnelc lioiuine,
Jc vons lendrai la main.
Reims, Imp, de P. Rf.gnier.
La collection des Travaux de t'Acad^mie |
de Reims parait tons les 3 mois par caliiers
d'environ douze fcuillcs ia-8°.
Prix dc la Souscriplion annucllc: 10 fr.; par la poste, 13 fr.
S'aillTesseT \vaTvco,
A Reims, chez Bkissart-Binet, Libraire de I'Academie.
X
n-e-
-go^
TRAVAUX
D£
L'ACADEMIE DE REIMS.
ANNifiE 1852 -1853.
N» 2. — 1" Trimestre 1832.
REIMS
P. REGNIER, IMPRIMEUR DE LACADtMIE,
1852
^J'. i> I'O 1 'J' r^'
SOMMAIRE DU NUMhJlO.
SCIENCES. — Note sur des calculs d'oxyde cyslique , par
M. E. Maumen^. ']^ ^yf^i' f'')/^'' .t
Vn mot sur I'etat general de la production chevaline dan^
I'arrondissemenl de lieims , par M. Baudesson , MMecin-
Teterinaire.
Lecture de M. P. Masse. — Rapport sur les armes a
percussion , sysleme de securite , par M. Fomenau , de
Nantes .
BEAUX-ARTS. — Lecture do M. Max. Sctaine. — Quelles
sont les causes des revolutions que les beaux-arts ont subies depuis
I'anliquite jusqu'd nos jours et quels sont les enseignements qxi'il
faul en lirer pour assurer Favenir de I'art ?
Notice biographique sur la vie et les ouvrages de Paolo
Caliari Veronexisis, dit Paul Veronese,'' peintre vinilien, ne en
1552, mort en 1588, par M. L. Detodche.
LITTERATURE. — Communication de M. Ch. Loriquet. —
La Quiquengrogne , par M. Emile Chevalet.
HISTOIRE. — Lecture de M. GAI^■ET. — Le voyage de
Gerbert en Espagne.
/)' ' f r 6 ^
THAVAIX DE I/ACADEMIE DE REIMS.
AMNIilE 1851-1852.
]^^ 2 . — 1" Trimestre 1852.
SCIENCES.
NOTE
Sim DES CALCULS d'oxyde cystique ,
par A1 . £. KlAUiHEifE.
M. X.., medecin des environs de Reims, m'a reniis
ail mois de seplembre dernier, pour en faire I'analyse,
quelques fragmenls de calculs fournis par un des ses
malades.
La nature de ces calculs n'est pas nouvelle : ils sont
formes par la cystine ou oxyde cystique. Je ne croirais
done pas devoir entretenir I'Academie des resultatsde
mon analyse, si I'origine palhologique de ces excretions
en general et de la cystine en parliculier, n'avail pas
un grand inleret pour la medecine. N'ayant pas revu
M. X... depuis ceite epoque et ignorant meme le lieu
de sa residence, j'espere, a I'aide de la publicite des
I- 9
— 1-20 —
travaux ile rAcademie , faiie parvenir a M. X... le
resiillat de mon examen et oblcnir tous It!s rensei-
gnemenls necessaires pour elablir les conditions dans
lesquelles ont pris naissance les depots Studies dans
ceile note , et qui sonl Ires rares.
Void le resume de mes observations.
La substance est jaune-brunatre, cristalline (IJ,
Iransparente, en masses arrondiesou oblongues, old'un
exterieur analogue k celui des calculs muraux. — Elle
est friable el s'ecrase aisemenl en la frottant sur une
capsule de porcelaine.
Elle est presque insoluble dans I'eau, meme bouil-
lanto. On parvient a la dissoudre, en ajoutani de I'am-
moniaque(5 vol. d'eau el i d'ammoniaque) ; il resie
queiques debris organiques, tilamenteux, ires legers. —
En noutralisanl par I'acide acelique, evaporant h sec,
on relrouve la matiere insoluble dans I'eau. — Une
portion de la solution ammoniacale, evaporee spontane-
ment, donne un depot blanc non cristallise^ insoluble
dans I'eau.
L'acide acelique cristallisablen'excrce aucune action.
L'acide azotique ne dissout pas la substance 5 froid.
A nn feu doux il se produil des vapeurs rouges el il
resle nn residu visqueus brun.
L'acide sulfurique dissout h 100° avec une legere
coloration brune. — A. une plus haute temperature la
liqueur devienl noire , il se degage de l'acide sulfureux
et du soufre.
La polasse dissout les calculs au dessous de 100",
(i; Eiamiiies avec une loupe de 20 mm., queiques crislaux
paraissaienl elre des prismes rhoiuboedriques.
— 121 —
elle se colore on vcrl lonce el se decolore ensuito h
mesure qu'il se forme un depot noir Ires divise. —
La liqueur additionnee d'acide chlorliydrique degage
de I'hydrogene sulfure.
L'alcool est incapable de dissoudre la maliere calcu-
leuse.
Enfin la chaleur lournit les derniers indices el les
plus caraclerisliques. — Sur une lame de plaline chauf-
fee au rouge il se produit uno. odeur de maliere animale
Ires inlen?e, ires desagreable el il resle un charbon leger
difficile a bruler, mais ne laissant poinl de residu. —
Les effels sonl les memes sur un charbon.
Tous ces caracleres el surloul I'odeur developpee par
la calcinalion parailronl sans doule bien decisifs et
si, comme je I'espere, ils viennenl a la connaissance de
M. X..., ce medecin s'empressera probablemenl d'in-
diquer les circonslances dans lesquelles la cystine s'est
formee sous ses yeux.
— 122 —
UN MOT SUR L'fiTAT GfiNfiRAL DE LA PRODUCTION
CHEVALINE DANS L'aRRONDISSEMENT DE REIMS ,
Par M. BAVDESSOy, Medecin-Velerinaire.
Stance du 27 Fevrier 1852.
L'arrondissement de Reims osl encore sous reneur
de celle idee sans Ibndemenl ol jugee par la sage
praiique, que sans palurages I'eleve du cheval est
impossible : erreur grossiere qu'il est mainlenanl fa-
cile de comballre par des fails.
La routine n'esl pas eirangere non plus a I'apathie
des cultivateurs a I'endroit de I'eleve du cheval; il
suffil que de lemps immemorial les grands parents
n'aient jamais eleve pour que les arriere-pelils-fils
se croient dispenses d'essayer de le faire.
La grande division de la propriele esl aussi , il
faul le dire , assez defavorable , sinon h I'education
du cheval du moins a son eleve.
Malgre les causes que nous venons d'enoncer , il
semble que de jour en jour on cherche davanlage
a produire des chevaux ; mais, dans beaucoup de cas,
on ignore encore les regies qu'il faut suivre pour
arriver au but qu'on se propose. II esl vraimenl
penible de voir chez cerlains proprietaires la maniere
donl ils pretendent clever des chevaux : a de bonnes
— 12,S —
jumenls, souvenl ils donnonl do maiivais elalons el
reciproquemenl ; ils n'ont aucune connaissance des
effels de raccouplemenl, ou du moins on dirail qii'ils
les igiiorent completcment. Non seulemenl cetle ineplie
se monlre avani, niais aussi apres la naissance du petit
sujot. C'est ainsi que chez certains proprielaires nous
pouvons affirmer avoir vu de pauvres poulains ren-
fermes dans des endroils obscurs ou la lumiere ne
penetrc jamais , vcnir des qu'on les met dehors, se
frapper la lete conlre lous les obstacles qu'iis ren-
conirent, lant ieurs yeux sont pen habitues a la
lumiere. Non seulement le jour manque S cos mal-
heureux quadrupedos, mais ils onl a peine assez d'air
pour ne pas aspbyxier, n'ont pas de place [)0ur se
bouger, encore hcureux quand ils ne sont pas per-
petuellemenl allaches : en un mot I'hygiene des pou-
lains jusqu'au moment oil ils echappent a la barbarie
de certains eleveurs est completemenl meconnue.
Nous dirons lout a Theure quels seraienl les nioyens
de remedier h un pareil sysieme II n'en est pas de
meme chez tons les eleveurs. On rencontre chez
quelques hommes intelligents et comprenant la mis-
sion qu'iis s'imposent toules les conditions desirables
pour arriver a bien.
L'administralion des haras, les comices , quelques
hommes influents onl fail comprendre a lous ceux
qui vetilent produire, quelles ressources soul celles
que Ton retire de raccouplemenl de bonnes juments
de Irail avcc Tetaion demi-sang , trois quarts de sang,
etc. Aussi maintenant commence-t-on a demander des
chevaux de sang, i.k n'est pas le lieu de developper
loutes les considerations favorables au cheval de sang,
sculcmont nous conslatons avec plaisir que deja dans
— 12/1 —
prosquc loiis Ics cniiioils on rcjoile Ics elalons lounls
cl massifs de la Belgique pour reprendre Ic cheval
leger el plein do feu , le chev;d de sang : c'esl iin grand
pas de fait, csperans qu'il sera riche de succes. L'ad-
rainislralion dps liaras n'esl pas seule assnremcnl a
s'allribuer le merite de celic exclusion , a M. Thierol
de Reims en revienl aussi une certaine pari, par le
soin qu'il a mis dans le choix de ses elalons.
Pour donner une idee de I'elat de la reproduction
dans rarrondissemenl de Reims, nous ne pouvons
mieux faire que de donner lecliiffre des jumenls sail-
lies depuis quelques annees.
En 1845 environ, epoque a laqueile ful fondee la
slalion de Reims, les elalons de sang nationaux, places
dans cette ville, ont sailli H9 jumenls. Les produils
n'onl pas repondu a I'espoir qu'en avaienl les proprie-
laires, parcc que I'adminislralion, des haras s'est laisse
forcer la main en acceplanl la mesalliance de bons chc-
vaux avecde mauvaises jumenls, ou plulot en ne gui-
danlpasassez les eleveurs dans le choix d'un elalon :
lei elalon convienl a lelle jumenl qui est a rejeler pour
telle ou lelle autre. Mais le coup avail ele pone, il n"e-
lail pas facile de le parer pourTavenir ; c'esl ainsi que
dans les annees qui suivirenl, on vit diminuer le nombre
des jumenls a saillir: en 4847-48 par exemple, les
elalons nationaux n'onl eu a saillir que 20 jumenls. Les
eleveurs onl manque, depuis lors, de confiance dans les
chevaux de sang, ils ont voulu des chevaux plus elof-
fes, plus pres de lerre, plus merabres , I'adminislra-
tion des haras a peul-elre eu le tort de ne pas compren-
dre assez tot le besoin des parliculiers a eel endroil ,
on peul-etre luielail-il diilicilede faire autrement.
t
— 125 —
L'in(lusi.ri(? parliciiliere favorisee pai' rarrel (Je t'e-
vriorl848 sur leselalonsapprouves, connaissanl d'line
mani6re loule pratique les besoins des prodiicleiirs ,
est alors entree en lice avec les haras, [/essai fut IVnc-
lueiix, car bien que les etalons approuves et inlroduils
dans noire de|)arlfnient en 1849 lussent arrives Ires-
tard puisque le moment de la monle loiichait a s;i lin ,
nonsavons vu VEtoarneau, eialon 3/4 de sang, faire 50
saiilies et trois autres clalons apparlenant egalement a
M. Tliierol, places dans rarrondissement d'Epernay a
la meme epoqne, saillir 90 jumenls.
Le canton de Fismes a decidenient abandonne les che-
vaux de sang pour adopter le cheval de irait^ I'etalon
Percheron. L'elalon de celte race place dans ce canton
en 1850 a sailli 85 juments. En 1851 deux etalons Per-
clierons ont sailli dans ce memo canton 180 jumenls.
L'elalon de meme race, resieen station ^ Reims, a sailli
dans la meme annee 45 juments. Tous ces etalons
appartenaient h il. Thierol.
Ceci semble etre contradictoire a ce que nous avons
dit tout h riieure , a savoir , que le clieval de sing
commence a eire apprecie dans noire arrondissemeni.
On s'en elonnera moins iorsqu'on saura que la lopo-
grapliie du canton dont nous venonsde parler, n'esl
pas la meme que partout ailleurs. Le terrain argileus ,
marneux meme de ce pays, rend les communications
dilTlciles, la culture elle-meme exige le concours do
fortes altelees. Ces raisons doivent suffire pour faire
comprendre pour(|U(>i les cultivaleurs recherchent des
cheviux de poids , Tetalon Percheron est done, a noire
avis aussi , le cheval le plus approprie anx besoins de
ce canton. Un jour viendra, nous en somnies persuade,
on les chemins vicinanx c'.ant aineliores on rcviendia
an cheval de sang.
— 120 —
Mais halons-nous de lf>. dire, relcve tin clieval
n'esl pas I'iiiduslrie predominanle de noire arron-
dissemenl; nous avons deji doone a entendre que
la division (rop grande de la propriele en est la cause;
mais le goui du cheval se developpant dans les Jeunes
generations , on finira peut-eire p?.r donner quel-
ques soins h la production du cheval.
Dans tous les villages, au nord de la ville , on ne
produii pas de chevaux, on en eleve el voici a pen
pres la maniere dont s'arrangent les cullivaieurs de
cette parlie de I'arrondissement ; du reste ce mode
est encore celui qui a le plus de succes pour notre
pays. L'agriculiure dans les cantons de Bourgogne,
Beine, etc., est assez avancee pour produire une
grande quantite de fourrages, on y est arrive a faire
le plus qu'il est possible de prairies arlificielles, les
graiijs el la paille y sont d'excellenle qualite : nous
voila done places dans des conditions favorables pour
elever des chevaux. Les cullivaieurs qui se livrent
k cette induslrie achelenl sur les frontieres de la
Belgique , en Ardennes , des cheveaux de irois ei
qnatre ans ; ils ebauchent leur education lout en les
faisanl travailler , puis les revendenl a la remonte
un an ou deux ans apres lorsqu'ils en Irouvent
I'occasion. Ces chevaux, la plupart a loutes fins, Irou-
vent aussi une vente facile dans nos villes , en pro-
curant a leurs proprielaires un benefice plus consi-
derable. Celte methode les oblige cependanl a avoir
dans leurs ecuries un, deux ou trois chevaux de plus
que ne I'exige I'elendue de leur exploitation. Ce
systeme qui relarde evidemment la production du
cheval chez nous, nous ne le blamerons cependanl
pas, parce qu'il csl productif pour l'agriculiure: Ic
— 127 —
cullivaleiir, en general, pauvrc de capilaux , csl lou-
jours henreux de pouvoir dclourner la valeur d'une
parlie de ses produils pour la replacer dans sa lerre.
Du rcslc I'elevage ne serait-il qne la seule specialiie
de rarrondissemenl de Reims qu'il y aurail encore
avanlage a I'encouragcr : nous eleverions ici les che-
vaux qii'on produil ailleurs et qu'on ne penl pas y
etever , les conditions dans lesquelles so irouvent
places les eleveurs s'y opposanl.
II est vrai que nos cultivaleurs onl encore beau-
coup a faire pour connaiire la science de I'elevage.
Pour developpcr le gout de celte science, car e'en
est une, ne pourrail-on pas affecler une ou plusieurs
primes aux cultivaleurs qui auraienl produit ou eleve
le plus grand nombre de cbevaux propres a la remonte,
nous entendons dire aussi, qui les auraient le mieux
dresses. Qu'arriverait-il dela? C'est que Tcmulalion,
poussee par Ic gain, s'emparerail de beaucoup de
cultivaleurs ; ils eleveraient beaucoup , puisqu'ils
onl tout sous la main pour pouvoir bien faire , el
alors les ofliciers de renioule trouveraienl en un clin
d'ceil ce qu'exigent les besoins de la guerre. Pour
facililer encore la besogne de MM. les ofliciers de
remonte, I'elat de tons les cbevaux propres a la ca-
valerie serait consigne k la mairie de cbaque com-
mune, el, par ce moyen, il n'y auraitplus de privi-
legies, tous les eleveurs auraient cbance devoir, une
fois au moins, les acheteurs du gouvernement.
On favorisera I'induslrie cbevaline cbez nous, comme
partout ailleurs, lorsque la guerre viendra acheler les
cbevaux qui lui sonl propres, a un prix au dessus
du prix dc rcvieni et pour cela il ne faudrail pa?
— 128 —
que son pnx lul, comme il Test, invariablo ; il fau-
(irait qu'il fiil toujours en rapporl avec la valeur des
aniniaux. « Je ne vois pas la necessile, (lit un des
» savants professeurs d'Alforl, de payer oOO francs
» et plus, un cheval capable par sa laille, scs formes,
» sa vigueur, de laire un bon service, si le pro-
» prieiaire ne le fait que 550 ou 400 francs , raais
» aussi je voudrais que le cheval qui vaul 900 francs
» ou 1,000 francs ful paye son prix. » La juslesse
de celte observation n'adraet , nous le croyons,au-
cune objection.
Voyons, un peu, comment se fail la remonle dans
noire pays.
Cetle grande affaire d'ou depend assuremeni la
valeur de noire armee, est confiee , chose facheuse a
dire, la pluparl du temps a des hommes nuls a
I'endroil de la connaissance du cheval; el commenl
pourrail-il en elre aulremenl. Ecoulons ce qu'en
disait en 1843 le due de Grammoni , rien n'esl guere
change depuis cede epoque :
a En reclamanl ici les lumieres de nos ofiiciers
» de cavaierie , quMI me soil permis d'exprimer le
» regrcl que leur premiere instruction soil frustr6e
» de loule connaissance du cheval, etc. » Puis plus
loin, continue M. de Gramniont:
» Ce ne sonl pas, en effel , les deux annees pas-
» sees a Saumur qui peuvenl, s'ils n'avaient prea-
» lablemenl re^u des notions elementaires, suffire
» pour donner aux jeunes officiers les connaissances,
» que plus lard I'experience acquise dans les regi-
» menls, eut perfeclionnees. Je me plais a appuyer
» men opinion de raiilorite de M. le vicomtc d'Aurc »
I
— 129 -
M. Person, habile cleveur de la Nonnandie, disait
aiissi: « La grande majorile de nos officiers de ca-
» Valerie nouo donnerail moins de souci en face d'uni-
» redoute on d'un carre, qu'au milien d'une I'oire.))
Le cornice hippique de 1845 signalail encore un
auire defaul dans rotficier-acheleur , nous savons
que, depuislors, le meme dclaul sc pcrpelue : « Dans
» des deparlemenls explores par les oCTiciers de re-
» monte, disail celle reunion d'homnies competenls,
» il arrive que non seulenient des communes, mais
» des canlons enliers , peul-elre meme des arron-
» dissemenls, ne soni pas visiles. Des lors les eleveurs
» sonl adrnis a dire : que le mode de remonlc esl
» imparfait.
» El comment ne serait-il pas imparfail? un officier
» acheleur esl seul , el fans conlrole dans sa circon-
» scriplion ; son jugemenl esl infaillible,il voii en beau
» ou en laid, il eslime cher du bon marche, souvenl
» il prend un cheval qu'il faudrail laisser , el laissece-
» lui qu'il faudrail prendre : constammonl en rapporl
» avec les memes personnes , il a ses amilies ei ses
» anlipalliies : il impose la loi , el souvent meme par
» exces de zele , il sen ires mal I'Etat. »
Pour noire pari, nous connaissons dans I'arrondisse-
menl de Reims certaines communes, qui n'onljamais
ele visilees par des officiers de remonle.
Ceci n'est point une digression hors d'a-propos , il
esl bon, necessaire meme, que tout le mondcconnaisse
un pen la physiologie des officiers-acheteurs, halons-
nous loulefois de proclamer que nous savons exisU-r
d'honorables exceptions a ce que nous venons de dire.
Nous ne pensons pas non plus que le devoir de Tof-
licier de remonle sc borne seulcmcnl ;i I'acbal des
— 180 —
chevaux qui lui semblenl bons pour le service de la
guerre , celui-ci devrait encore dans ses tournees don-
ner des conseils aux eleveurs, lanl sur la nature des
chevaux dont le placement est facile dans les regi-
ments que sur la maniere d'arriver a ce but. Malheu-
reusement il n'y a pas assez d'iutimile entre Messieurs
les officiers de remonle el les eleveurs, ils semblenl
fuir les reunions agricoles ou leur place est cependant
marquee ; aussi perdeni-ils ainsi I'influence qu'ils pour-
raient avoir sur les eleveurs.
Pour obvier a tous ces inconvenients, il me parailrait
juste d'adopter dans noire departemeni la mesure deja
en vigueur dans la Normandie, consislanl a perraellre
dans les limites convcnables I'achal de chevaux chez
certains marchands-elevcurs.
Ces marchands auraienl lout interel a procurer de
bons chevaux , persuades que s'ils en fournissaienl de
mauvais, ils perdraieniinevilablemenl la clientele del'E-
tal : connaissanld'une maniere toule pratique les che-
vaux qu'on leur demanderait, ces derniers pourraient
etre acceples immedialement par les chefs superieurs
de chaque regiment sans passer par les depots de re-
monle ; dela economic immense pour I'etal el chacun
y trouverail son comple.
Pour nous resumer, nous dirons :
Que Tarrondissement de Reims pourra produire de
bons chevaux, quand les cultivateurs voudronl donner
quclques soins a celte induslrie.
Que ce meme arrondissemeni n'aurait-il que la seule
spccialiie d'elever les chevaux qu'on produil ailleurs ,
il serail encore utile d'encourager cetle methode.
Que I'arret de fevrier 1848 sur les etalons approu-
ves a produil de bons efleis dans rarroiulisscment de
— 131 —
Reims , aUeiulu que les elalons do radministration des
haras n'elani plus goules par les proprietaires , les eta-
Ions approuves par leur bon choix n'onl pascessede
monlrer one fois de plus les avanlages qu'on peul reii-
rer des chevaux de sang ;
Qu'il seraii utile que dans chaque commune I'etat des
chevaux propres a !a cavalerie fut consigne a la mairie,
afin de facililer les parcours des ofTiciers-acheteurs ;
Que le prix des bons chevaux devrail toujours elre
en rapport avec la valeur de ces animaux afin d'encou-
rager les eleveurs h produire ou elevor les chevaux pro-
pres au service de I'armee ; que les ecuries des eleveurs
ne sont pas assez souvent visilees par les ofllciers de
remonte , que les relations de ces memos officiers avec
les eleveurs ne contribuenl en rien h ramelioralion
de la race chevaline ; que les officiers de remonte n'as-
sistent pas assez aux seances des comites agricoles
et que, par consequent, ils ne peuvent y avoir toute I'in-
fluence que devrait leur faire obtenir leur position ;
Enfin qu'il serait utile d'adopter dans le departemenl
de la Marne une mesure deja en vigueur dans la Nor-
mandie, consistanta permettre dans les limites con-
venables I'achal de chevaux chez certains marchands-
eleveurs ;
Qu'il resulterail de la une economic immense pour
I'Etat, en meme temps qu'un avantage considerable
pour les producleurs et les eleveurs.
— 132 —
Leclure de SI. P. Mass^.
RAPPORT SUIl LES ARMES A PERCUSSION , SYSlEMi:
DE SfiCURITfi ,
Par M. Fontenau , de Nantes.
Messieurs ,
Dans sa seance dii 13 fevrier dernier, I'Acatleraie
a enlendu M. Fonlenau , de Nantes, lui expliquanl
un nouveau sysleme de securile , dont i! est I'in-
venteur ; ce sysleme applicable aux armes a per-
cussion, est destine a prevenir ies nombreux accidents
dont on entend si frequemment parier. Organe de
la commission (l)quevous avez nommee pour exa-
miner celle invention , je viens vous en enlretenir.
Avanl de nous occuper de la decouverte de M.
Fontenau , il ne sera peut-eire pas superllu de nous
arreter un instant sur le raecanisme acluel des
armes a feu, ei sur Ics causes d'accidenls inherenles
a ce mecanisme.
Chacun Ic sait : dans Ies armes a percussion ,
•une niinime quantite de fulminate de mcrcure , 1(5
milligrammes environ , renfermee dans une petite
capsule de cuivre et couvrant la lumiere de I'arme,
s'enflamme sous le choc d'une espece de marteau
(1) MM. Mas Sulaine, Matiinene, Lcchat, Duparc, el P. Masse,
rapporteur.
I
— 133 —
;i|)|)ele chien , ct delerniinc ainsi I'explosion de la
poudre h laqiielle elle sen 'ramorce De la , on le
voii , doivent provenir el proviennent aussi une foule
d'accidenls. En effel , qu'on veuille desarmer un
fusil , en meme lemps qu'un doigt presse sur la
delenle pour aballre le chien, un autre le maintienl
pour eviier qu'il ne s'abaisse brusquernent el avec
violence , el que , par le choc , il n'enflamme la
poudre lulminanle. Mais sail-on que la force du
rossort qui precipile le chien sur la capsule pent
s'evaluer en poids h six el meme sepl kilogrammes,
el prend-on loujours les prf^caulions necessaires pour
soulenir ce poids? Evidemmenl non. D'un aulre
cole , quand on sail qu'un choc equivalant a Irois
kilogrammes seulemenl suffil pour determiner I'ex-
plosion de la poudre fulminanle, on comprendra que^
si le cliien abaisse sur la capsule, est souleve d'un
centimeire environ el ensuile abandonne a lui-meme,
I'explosion aura lieu. Bien plus, un choc peu violent
poriani directemenl sur le chien, produira le meme
effel. Or, dans combien de circonslances , soil par
i'inattenlion du chasseur en desarmant son arme ,
soil par des causes independantes de lui-meme, en
traversanl un fos^e , une haie, en monlanl en voi-
ture , etc., dans combien de circonslances , dis-je,
se renconlrenl loules ces causes d'accidenls. Elles
sont tellemenl nombreuses , que ce n'est en quelque
sorle qu'en Iremblant qu'on peut manier un fusil ;
el I'indiffercnce ne se rencontre que chez ceux dont
I'habilude a excite I'incune.
A cote de ces considerations de premier ordre
viennent s'en placer d'aulres , secondaires il est vrai,
mais non sans importance. Par le choc brusque
— IM —
clii chien sur I'exiremile de la diemince, il s'allacho
souvenl a celle-ci des fragments du cuivre de la
capsule, qui obligenl a de fi-equeiils el ennuyeux nei-
joyages ; quelquefois aussi il reste sur cetle ex-
iremile des parcelles de fulminate qui peuveni
devenir des causes d'accidenls, alors que I'absence
des amorces les fail moins prevoir. Ue plus encore,
par le choc brusque donl nous venous de parler ,
la parlie superieure de la cheminee, comme la
parlie du chien qui frappe sur eile, eprouvanl un
conlacllrop violent, elles se deleriorenl mutuellemcnt
et elles enlrainent a des reparations onereuses. Di-
sons encore que dans la construction acluelle de nos
armes, les debris du cuivre de la capsule n'etant
relenus par rien , ou ne Telanl pas assez , peuveni
etre lances dans loules les directions ct blesser Ic
chasseur, soil aux mains, soil a la figure.
Tous ces defauis sont irop graves pour etre de-
nieures inaper^us jusques aujourd'hui : aussi plusieurs
syslemes destines h les allenuer ou i les detruire
onl-ils deja ele presentes. Dans I'un , imagine par
M. Ch. Random, baron de Beranger , un levier
courbe , mobile aulour d'un axe, constilue I'appareil.
Dans sa position nalurelle , rexlremiie de ce levier
se irouve en parlie sous le chien cl le mainiienl a
une faible distance de la capsule, do sorle qu'il est
impossible qu'un choc quelconque fasse partir I'arme.
Pour faire feu , le fusil elant arme , on appuie un
doigl sur un menlonnet place sous I'arme, en avant
du ponlet de sous-garde, alin d'ecarier le levier de
sa position premiere, el en meme temps on presse
la detente du fusil. Le coup parti, un ressort place
en arriere du menlonnet ramenc le levier a sa po-
sition nriniilivo.
— 135 —
line aulre disposition proposee par Redforl, ar-
murier a Birmingham, est beaucoup plus compliqnee :
nous n'en cssayerons pas la description, nous con-
lentanl de dire que son usage serait probablemeni
incommode pour beaucoup de personncs , puisque la
decharge n'aurail plus lien en pressant la detente
avec I'index, mais bien en appuyani avec le pouce
sur une cheville placee au dessus du lonnerre.
Sans nous arreter davanlage a un aulre systeme
de securite dont un M. Sommerville est I'lnvenleur
brevele, sans parler non plus de plusieurs autres
dispositions que le temps el I'experience paraissent
avoir voues i I'oubli ; disons tout de suite que ,
mieux el plus heureusemenl que ses predecesseurs,
M. Fonlenau nous parall avoir ecnrle avec succes les
nombreuses causes d'accidents qu'enlraine avec lui
le mecanisme acluel de nos armcs a feu.
Pour arriver h ce resultal immense, il a suffi h
M. Fonlenau de modifier legerement le cbien el la clie-
minee. D'abord la parlie du cbien , la tele qui,
dans les armes a percussion, frappe diroctcment sur
la capsule el en determine I'explosion , est rendue
mobile c^ volonle. Cetle tele est foree cylindrique-
mcnl, taraudee h son inlerieur, el recoil une vis
a tele cannelee , qu'on pent faire tourner avec les
doigls. Cette vis fail I'oflice de marteau. La che-
minee, plus basse qu'on ne les fail dhabilude, est
calculee dans sa hauteur, de telle sorte que, lorsque
la vis est descendue au point le plus bas qu'elle
puisse atleindre, elle ne laisse que le vide que de-
vra remplir la capsule. De plus , I'embase de la
cheminee est plane , cylindrique el de meme dia-
m^lre que la t6te du cbien , avec laquelle elle est
I. 10
— 436 —
ajuslee. AjoiHons encore que la vis, le iiiarleau mo-
bile, pcrce tronsversalemenl, regoil une peiile gou-
pille de liois dur destinee a adoiicir le mouvemenl
ascendant ou descendant de cette vis, el que la tele
du chien oil elle se trouve placee est fendue sur sa
partie anlerieure pour faciiiter rechappenient des gaz.
Examinons mainlenant ce qui doit resnlter de ces
modifications aussi simples qu'ingenieuses. Si je me
suis bien explique, chacun comprendra qu'en re-
montant la vis d'un demi lour seulement, on rend
impossible toul contact entre le chien el la capsule,
el qu'ainsi I'explosion n'aura pas lieu. On compren-
dra aussi qu'en enlevant cette vis, on rendra I'arme
lout a fail inoffensive et pouvant elre maniee sans
danger par les personnes les plus inexperimenlees.
II esl aussi facile de voir que, puisque la lete du
chien en s'abaissant sur Tembase de la cheminee
opere avec celle-ci une fermelure complete , tout
crachement lateral, tout eclat de fragmenis de cap-
sule sont impossible:--. Disons encore que si la cap-
sule etait retiree , les parcelles du fulminate qui
resteraienl sur la cheminee ne pourraienl plus faire
explosion, la vis n'operanl aucune pression sur ces
restes. Esl-il necessaire de faire remarquer que le
choc elanl seulement necessaire pour ecraser I'a-
morce , le chien ne fera plus emporie-piece sur la
cheminee , et le cuivre de la capsule ne penelrera
plus dans celle-ci.
Dans une conversation que voire rapporteur a eue
avec M. Fonlenau, celui-ci a fait ressortir deux avan-
tages qui ne peuvent elre passes sous silence : c'esl,
d'abord , la grande faciliie, dans un moment de
trouble ou d'invasion, d'empecher ccux qui s'empa-
I
— 157 —
reraienl des armes . d'cn fairc un usage nuisihle :
il ne suflil pour cela que d'enlevor Ics vis marieaux.
C'esl cnsuile, dans les manoeuvres d'inslruclion de
Farmee, de savoir si les soldals execulenl avec pre-
cision les feux d'ensemble : il osl impossible au-
jourd'hui de s'en assurer, les cheminees elanl cou-
verlcs de tampons, inuliles dans le nouveau sysleme ,
puisque le chien frappera desormais , non sur la
parlie superieure do la cheminee , mais sur I'em-
base deslinee bt le recevoir.
Nous ne vous enlretiendrons pas de I'approbaiion
complete que M. Fontenau a rencoulree pres de plu-
sieurs personnes eminenles, pres de plusieurs socie-
les savanles ou induslricllcs el d'un grand nombrc
d'armuriers; nous nous conlenterons de dire que sa
decouverle a ete partout chaleureusement accueillie,
et pour terminer , nous la resumerons en disanl
que la tete du cbien rendue a volonle , soil mar-
teau frappanl sur la capsule el I'ecrasanl, soil cy-
lindre I'enveloppanl de loules parts sans la toucher,
forme la parlie essenlielle d'un sysl6me dont la
simplicile n'exclul pas I'elegance , el qui nous parail
avoir reuni, mieux qu'aucun aulre, tous les elements
desirables de securite.
Un raol encore, line question adressce h M, Fon-
tenau par plusieurs de nos collegues peul irouver
ici sa reponse. On deraandail si ce sysleme de se-
curilc pouvail elre applique a toules les armes a
percussion dans leur elal actucl, el on desirait elre
fixe approximalivemenl sur la depense qu'occasion-
nerail ce changemenl. Par les renscignemenls qu'il
s'esl procures, voire rapporteur croil pouvoir repondre
alTirmalivemcnl a la premiere partie de la (piesiion ;
— 138 —
el quanl h la seconde, quoiqu'elle soil soumisc h
roi-neraentalion de I'arme , loul le porle a croire
que cetle depense serait d'environ 15, 20 k 25 fr.
pour un fusil double.
Voire commission , Messieurs , en prenant des
conclusions enlieremenl favorables a la decouverle
de M. Fonlenau , pense qu'il a realise, pour les
armes a feu , celles de chasse surtoul, un progres
de la plus haute importance, et qui doil d'autanl plus
fixer rallention de I'Academie , que celte decouverle
qui se recommande au poinl de vue induslriel , a
plus de lilres encore au point de vue de I'liumanite.
I
— 139 —
BEAUX-ARTS.
Leeliirc de SI. Max. Sulaice.
QUELLES SONT LES CAUSES DES REVOLUTIONS QUE LES
BEAUX-ARTS ONT SUBIES DEPUIS L'a1NTIQU1T6 JUS-
QU'a NOS jours ET quels SONT LES ENSEIGNEMENTS
QU'lL FAUT EN TIRER POUR ASSURER l'aVENIR DE
l'art (1)?
Les beaux-arts sont a la vie ce
que les fleurs sonl a la lerre ; Ms
la colorent et rembellisscnt.
II elail diflicile peul-elre de renconlrer une ques-
tion qui , aux lumieres qu'elie est appeiee h repandrc
sur riiisloire generale de I'arl , joignit a un plus
haul degre les avanlages de I'opporiunile el dc I'a-
propos. La solution n'en sera pas d'une decouveile
facile, sans doule, el nous n'osons nous flatter de
I'espoirde I'avoir Irouvee ; mais il n'esl pas moins cer-
(1) Cellc question a ete misc an concoiirs en ISiO-ISSl , par
I'Academie nalionalo des bfillcs-leUrcs , sciences ct arts de Boi-
deanx, qui a accorde une dcux-cnie nieilaille d'arsjcul (|>elii
tiiodule I a rantcur ile re inemoire.
— iliO —
tain que la coiulilion acluelic dts arlisUs ol Taspeci
general des expositions depuis plusieurs annees re-
clamenl raltenlion serieuse des hommes pour qui
I'art n'est pas seulemenl un delassement frivole, une
coiileusc satisfaclion de luxe.
II est lemps, el nous devons remercier rAcademie
de Bordeaux de I'avoir si bien compris , il est temps
de rechercher les causes de ce relachement , de ce
sceplicisme faials qui ont fait invasion dans le culle
de cette religion si veneree des anciens maitres , qui
onl jele Ic doute dans I'esprit des adeptes , el frappe
d'aveuglement quelques-uns des grands prelrcs eux-
meraes , bien pres d'adorer I'idole h la place du
vrai Dieu.
Les beaux-arls,el nous presumons que I'Academie
de Bordeaux a enlendu parler surtout des produc-
tions qui se rattachenl a I'arl plastique , les beaux-
arts ont subi la loi commune des choses de ce monde
ou rien n'est immuable ni elernel , el les revolutions
qu'ils onl Iraversees ont etc soumises elles-memes a
I'influence de celle instabilile universelle. Elles sont,
selon nous , religieuses , politiques el morales. C'esl
aussi sous ce triple rapport que nous les conside-
rons.
Religieuses : sous I'influence du paganisme mytho-
logique et de la revelation chrelicnne;
Politiques: par les revolutions violenles ou paci-
(iques qui onl amene les transformations successives
des peuples ;
Morales : sous la pression des mceurs de la mode
et du caprice des di verses socieles.
Telles sont, a noire sens, les phases par lesquelles
— i/ll —
ont passe les i)eaux-arls depuis les grands jours dc
la (ir^ce jiisqu'h noire epoque d'inccrtilude , nous
serious lenle de dire, de confusion, ou le talent
(el certes , le talent propremenl dil n'a jamais peut-
elre ele [)lus repandu qu'aujourd'hui ), ou le talent
lui-meme ne sail plus quelle route il doit suivre ,
h quelles inspirations il doit obeir.
Quelle religion fut plus propre a provoquer I'ima-
gination que le panlheisme grce? Sous les ardeurs
d'un climat oii chaque sens avail un culte , ou le
sensualisrae s'etait fait Dieu , les arts devaienl faire
de rapides progres. II y a .'oin de la Diane d'Eph^se,
grossierement taillee dans un tronc d'arbre, au Lao-
coon des Irois sculpleurs de Rhodes ( 1 ) ; de la
peintiire monochrome de Cleophantede Corinthe, aux
merveilles de Zeuxis el d'Apelles! Mais comme I'in-
(ervalle qui les separe est rempii ! Que de richcsses
sur celte route dont chaque jalon est un chef-
d'oeuvre !
La religion mythologique , en meme temps qu'ellc
encourageait la liberie des mceurs , deployait un
horizon plus vaste devanl I'imaginalion de I'artiste.
Sans s'ecarler du bon gout , qui ne les abandonna
jamais , les peinlres el les sculpleurs grecs purenl
se livrer aux capricieuses fantaisies de leur genie ;
ils n'hesilerenl pas a exposer des nudites aux regards
de populations trop amoureuses elles-memes de I'arl
pour s'eionner de ses hardiesses. Ce que la religion
chrelienne ne leur eul pas permis, ils purent I'oscr ;
et I'hommage m6me qu'ils rendaient a leurs dicux
avail d'autani plus de prix que la forme qu'ils lour
(I) Agesandrc, I.ysidore cl Atlienoclore.
— U2 —
prelaienl ciail plus noble el plus irreprochable. Aussi
nul n'a-l-il autanl qu'eux approche de la perfection
flans la represenlalion du corps humain , le type
eternel de la bciiuie. Ces grands maiires, morts de-
puis 2,000 ans, n'ont pas eie surpasses depuis el
seront loujours admires el consultes comme les mo-
deles les plus purs. II ne nous resle rien , malheu-
reu^emcnt , des peinluros de Zeuxis , d'Apelles , de
Pharrasius d'Ephesc , d'Apoilodore d'Alhenes el de
tant d'autrcs de leurs emules donl les chefb-d'ceuvre
n'ont pu parvcnir jusqu'ii nous; inais la celebrile
qu'avaienl acquise cos raerveilles, demontre suflisain-
racut que les peinlres grecs ne le cedaient en rien
a leurs iVeres les sculpteurs.
El puis, les mceurs elles-meraes de celte epoque
privilegice seconderent puissammenl la religion el
aidereni aciivemenl au developpemenl des arts. Ce
peuple grec si renomnie, h jusle tilre , pour son
elegance, son aliicisme, au milieu meme de ses
licences , n'aurait pas facilement laisse I'arl , qui
etait pour lui une seconde religion , faire fausse route.
Le peinlre, le slaluaire qui aurail sacrifie aux faux
dieux du mauvais goul, ou se seraii laisse aller a
quelque prosaique familiarite, aurail succombe bien-
lot sous les trails m "rtels du sarcasme el du
ridicule.
L'amour et le respect de I'arl elaicnl alors tene-
ment repandus et si profondement enracines dans les
moeurs que , par un accord lacite et reconnu de lous ,
I'atelier de I'arliste jouissail . pour ainsi dire , du
droit d'asiie parmi ccs republiques celebres par leurs
conlinuels decbiremenls. Au milieu de leurs san-
glanies divisions, les tableaux, les statues el leurs
— 1/ls —
auteuis etaicnl loujonrs epargnes. Qiianil Demetrius
Poliorcele assiegeait Rliotles (vers I'aii 550 avant
Jesus-Chiisl), Prologene peigiiait iranquillemenl dans
un (Jes faubourgs de la ville : coinme le general
macedonion lui icmoignail son elonnemcnl de ce
calme el de cclie securile : Jn sais bien, dil le pein-
trc , que Demelrius ne fait pas la guerre aux arts.
Et Demelrius, en effel, fil respecter la demeure de
I'artisle.
II y a loin de celle reponse el de celle mansue-
lude du vainqueur a la ferocile sauvage du soldat
romain egorgeanl froidemeni , cent ans plus lard ,
Arcliimedo (]ue le bruil des armcs n'avait pu dislraire
de ses savanles meditations.
Plus lard encore, en 1527, lors du sac de Rome
par les Espagnols, un autre peinlre celebre, le Par-
mesan , s'il ne payail pas de sa vie son zele pour
I'arl, voyail du moins avec douleur son atelier devasle
par une soldatesque brulale. La civilisation avait-elle
beaucoup gagne pendant les dix-ncuf siecles qui
s'elaienl ecoules depuis le siege de Rbodes ?
Alexandre le Grand Irailail en amis ses peinlres
ordinaires (^lion el Apelles; laudis qu'il recompen-
sail genereusemenl le premier pour le tableau repre-
senlanlson manage avec Roxane, il donnail a Taulre
sa mailresse preferee.
Un peu plus lard , les habitants de Pergarae ache-
laienl , des deniers publics , un palais en mines
renfermanl quelques ceuvres du peinlre de Cos el
suspendaient son corps a la voulc dans un reseau de
ills d'or.
Aussi , le siede qui sepaia Phidias , riinmurlel
auleur du Jupiter-Olympien , d'Apelles, qui florissaii
environ o50 ans avanl Jesus-Christ , fut-il verila-
blement I'age d'or de I'arl. Sculpteurs , peinlres ,
archilecles honores et feles h I'envi par une popu-
lation donl les ancelres avaient applaudi ie divin
Homere, par une population enlhousiasto el pas-
sionnee pour toules les merveilies de rintelligence ,
couvrirent de chefs-d'ceuvre Ie sol privilegie qui se
montrait si hospitaller pour eux. Sous I'influence
d'une religion scnsualiste et de moeurs voluptueuses,
I'art, materialisle nous Ie voulons , mais enfin I'art ,
considere au point de vue de la representation du
beau , grandit et atteignit son plus haut degre de
developpement. A ancune epoque , peut-etre , il ne
resplendil d'un plus vif eclat.
Mais, comme si la nature , epuisee par un si fecond
enfaiileraent, avail eu besoin de repos •, ou plutot ,
corame si la Providence , pour nous fairc apprecier
davantage ses bienfails , avait voulu faire succeder
les tenebres a la lumiere , I'epoque d'une rapide
decadence approchait.
L'orage grondail a I'Occidenl ; un peuple , avide
de conqueles , auquel I'Europe ne suflisait deja plus
et qui revait I'empire d'Orient, so precipilait vers
I'Asie. Le torrent dechaine nivela , en passant , ces
r6publiques enervees par leurs dissensions intestines
et incapables de lui opposer une digue serieuse. Quand
les Barbares envahirent le sol de la Grece, devenue
desormais province romaine, I'art, eperdu , eteignil
son flambeau et remonta vers I'Olympe pres des dieux
dont il avait si bien rendu I'image.
A partir de celte epoque, la peinture et la scul-
pture sommeillerenl |)cndanl des sicclcs , jusqu'li ce
— l/i5 —
qu'unc religion nouvellc vinl Ics lirer de leiir lelhar-
^\e pour les conronner d'niie aureole plus pure ,
sinon plus brillantc , que lo myrllic d'or donl avail
resplendi leur front.
La revolution donl la guerre elrangere avail frappc
I'art, lui ful morlelle ; non que les Remains fussent
insensibles a ses beautes , niais leurs moeurs posi-
tives , leur organisation guerrierc , cetle avidiie dc
conquetes qui les entrainait dans des expeditions
incessanles el lointaines, s'opposaient a ce que I'art
s'implantal profondemenl dans leur sol.
Les emolions delicales el douces qu'il provoquc
nc pouvaienl suflire a ce peuple devore par une
agitation fievreuse, qui ne lui laissait ni treve ni
repos. Ce qu'il lui fallail, a ce peuple, c'etaicnl Ics
peripetios sanglanies du cirque, I'agonic des gladia-
teurs, les rugissemcnts des betes feroces dans I'arene ;
el cependanl , a la vuc des ricliesses de ses rivanx ,
il comprit que quelque chose manquail encore a son
luxe.
Alors, seniblablcs a ces parvenus qui achelent a
prix d'or la noblesse pour deguiser la vnlgaritc de
leur origine , les Romains spolierenl les nations con-
quisesel peuplerenldc leurs chefs-d'oeuvre leur proprc
capilale. Les merveilles du Parthenon enrichirenl Ic
Capilole , el la solitude , trisle presage des mines ,
se fit dans les temples devastes dc la Grece.
Les noms de pointres romains de quelque merilo
que nous a conserves I'histoire , sent pen nombrcux;
el parmi ceux qui sonl parvenus jusqu'a nous , nul
n'est enloure de cetle aureole de celebrile donl brillenl
ceux des artistes grecs. Le plus ancien parail avoir
ele Fabius , surnomrae Pictor, qui decorait , dil Plinc
I'Ancien, le temple du Salut en I'an de Rome 450.
Nous relrouvons ensuite Sopolis et Dionysius , qui
vivaient environ 100 ans avanl Jesus-Clirist . puis
Ludius , qui florissail sous Augusle , et quelques
autres donl les noms el les ouvrages sonl peu connus.
Le statuaire . en raison de la plus grande duree
que prometteni ses ceuvres, devait flatter davantage
la vanite de ces maitres du monde qui , dans leur
orgueil , aspiraient k Timmortaiite Chacun alors,
croyaiit interesser la poslerite a son souvenir, voulail
lui leguer son effigie. Tandis que la pierre, le marbre,
le bronze, voles par la patrie, se faconnaient pour
la plus grande gloire des triomphaleurs , les patri-
ciens , les simples ciloyens , les aff'ranchis mettaient
a contribution les carrieres de Paros et d'ltalie. Le
poete Lucius Aetius faisait placer sa statue dans le
temple des Muses , comme si , pour se rendre im-
morlel , il avail plus compte sur I'habilete du scul-
pleur que sur le merile de ses propres oeuvres
tragiques.
Aussi la statuaire fut-elle plus en honneur k Rome
que la peinture , et , sous I'influence de cette passion
de gloire posthume qui s'etaii emparee de tons, un
peuple de bronze et de marbre couvrit bientol la
ville et disputa le sol aux vivants (1).
Mainlenanl : le talent ful-il a la hauteur de sa fe-
coudite? On est autorise a se decider pour la negative,
quand on sail qu'une loi ful rcndue a Rome qui
(i; Plinc nous apprenil ipic sous I'odilite dc Scaurus un seul
Ihealie , qui , encore, n'elait (jue [lr()vi!^oil•c, rcufennait 3,000
stalucs.
— Mil —
frappaii d'une amende le sculpteur dont I'oeuvre
pechait centre les regies de Part et ne satisfaisait
pas le clienl. II est triste de penser que le laissez-
aller, le sans-fagon des slatuaires, plus empresses
de produire beaucoup que de bien faire, avaienl
rendu necessaire un pared edit.
C'est qu'en effel , h I'exceplion de I'architeclure,
qui apparlient plul6t an domaine de la science ,
I'art enlrait deja dans une ere de decadence. II
fallait h ces palriciens gorges d'or de sompluetix
palais, des cirques immenses a ce peuple passionne
pour les spectacles. Aussi les restes majestueux des
monuments que les si§cles ont respectes, attesienl-ils
le degre de perfection que leurs architectes avaienl
alleint.
Mais la peinlure et la staluaire, declines de leur
ancienne gloire, n'elaient plus qu'un metier, qu'une
speculation (1). Merveilleusoment secondes par les
debordements d'un luxe qui ne connaissail plus de
bornes, les artistes avaient compris, qu'impuissants
a reveiller la delicatesse de I'intelligencc usee par
les exces, ils n'avaient plus d'aulre ressource que
de Hatter I'orgueil et la vanile.
Bientol le bronze parut trop froid et irop severe ;
il faisail tache sous les portiques de marbre, conlre
(I) Aulrefois le cuivre dlait mele a I'or et a I'argent, et ce-
pendant le travail elait plus precieux que la nialiere. Aujourd'hui
on ne saurail dire lequel vaut le moins. Chose singuliere, tandis
que le prix des ouvrages na plus de bornes, la dignile de Tart
est an^antie. En effel, on s'est mis a exercer commc tout le
reste. pour Tamour du gain, un art qui jadis ne s'exercait que
pour la gloire. Pl,ne, I. xxxit, § m
— ihs —
les lambris mix biillaiiies niosaiques. La slaluaire
dul sc mcUre h I'unisson de ccs faslueuses demcures
oil les pierrcs preciciises clincelaienl en capricieuses
arabesques^ oii les motaux les plus riches rayon-
naienl sous loules les formes. A un Neron donl des
torches humaines eclairaienl les orgies, a un Lucullus
qui devorait dans un hanqucl le revenu d'une pro-
vince , il fallail des slaUies d'or el d'ivoire. Le
sombre aspect de I'airain cut allrisle leurs debauches.
Des lors^ le prix de la malicre rempla^a le meritc
de I'oeuvre; I'arl degcnere se couvril de riches ori-
peaux pour voiler sa faiblesse.
Ce ne ful pas tout encore ; sur la penle rapide
oil il clail entraine, de nouvelles atleintes devaient
prccipiler sa chute et completer sa ruine.
Aux epoqucs de materialisme comme celle que
subissait Rome, la fortune est capricieuse et la gloire
pen durable ; le triomphaleur de la veille est bien
pres de sc voir iraine aux gemonies, et le vaioqueur
du jour raremenl sur du lendemain. Dans cetle suc-
cession rapide , cependant , il fallail bien donner
satisfaction a la vanite de ces puissances cphemeres,
qui, dans leur orgueil , voulaient sc faire imperis-
sables. On imagina alors ces statues banales donl
la lele mobile se changeail a volonle, el donl le
buste supporlail tour a lour les efhgies des favoris
du jour (1). Ce ful le dernier coup ; I'art devail suc-
comber sous la home d'une telle prostitution.
fl) La peinlure, qui transmetlail a la posterile la ressemblance
la plus parCaile des personnages, est complelement tombee en
desuetude. On consacre des ecussons de bronze, des effigies d'ar-
genl. Insensible k la difference des figures, on change les teles
des statues, cl l.i dcssus courent depuis longlemps des vers sa-
tyriques. Plink, livrc xxxv, <%. ii.
— U9 —
Helas ! en efl'et , conimc le dil Plinc I'Ancien,
I'art expiraU, sa dignile etait amanlie ! La peinlure
et la sculpture qui, autrefois, avaient ete en si grand
honneur cl respect que des hommes libres , seuls,
pouvaicnt s'y livrer, furent abandonnees au premier
vcnu ; des csclavcs purcnt en faire metier et pro-
fession (i).
Leur decadence suivii paralielement la decadence
des moeurs, qui devait h son tour liater la perte de
Rome. Deja , en efl'et , de sourdes rumours ebran-
laienl le sol, des presages sinisires remplissaienl
I'air ; le bruit des amies reten'issail au loin et bientol
des hordes barbares, vengeant les defaites des auires
peuples, rayerent I'orgueilleuse mailresse du monde
du rang des nations. Mors peril pour toujours I'arl
antique ; le colosse en lombant I'avait enlraine dans
sa chute. Ses debris se refugierenl dans la nouvelle
capitalc de I'empire, el^ sur ces restes mutiles el sans
gloire , Byzance fonda one autre ecole oii I'oeil
chercherail en vain quelque inspiration des anciens
maitrcs.
Ainsi la revolution avail ete complete. Sensualisle
sous riiifluence du paiuheismc grec , eleve a son
apogee par la delicatesse de moeurs d'un peuple
passionne pour le beau , I'arl commenga a s'aba-
lardir au milieu des exces des mailres degeneres
de ritalie, el finil par disparaitre dans le lourbillon
des amies el sous la pression de la revolution po-
litique el sociale amenee par la barbaric.
(I) Plus tard I'an do la peinturc iie se trouva plus dans des
maios honorables... L. xxxv, §. vii. Nous nous en liendrons la
sur la dignile d'un arl qui expire. L. xxxv, §. xi.
- 150 -
Mainlenant nous allons le voir, eiilranl uans line
periode nouvelle, s'epurer sous les mysliquos inspi-
ralions d'une religion loule spirilualiste et repudier
son passe.
Le sang des martyrs avail lecondc le sol ; des
milliers de disciples confessanl la foi nouvelle allaieni
repandant parloul ses veriies, el les bourreaux eux-
meraes, converiis par renlraineraenl de leur parole,
s'etaienl ranges sous la banniere de ces paciliques
conqueranls. Le raonde elail devenu chreiien ; I'art
dul le suivre dans sa iransformaiion.
Lorsqu'apres des siecles d'un long sommeil il se-
coua son linceul , il eul honle de sa nudil6 el se
voila. Pour oblenir acces dans les lemples du nou-
veau culte, il lui fallul revenir a sa primitive inno-
cence el rcvelir la robe du levile. Ce ful alors
que, se modelani sur les chasles images des basi-
liques byzaniines el des couvenls du monl Alhos ,
les naifs el admirablcs sculpleurs du mojen-age en-
richirenl nos eglises de ces ceuvres ou se manifesle
h un si haul degre le sentimenl religieux. Les
slalues antiques pouvaienl bien , par leur irrepro-
chable perfection , iroubler les sens el provoquer
radmiraliou ; mais aucuue d'elles n'a dii parler a
Tame comme ces pierres au maintien rigide et d'une
execution pourlanl si simple el si incorrecte. C'est
qu'on sent qu'une foi sincere el profonde a inspire Tar-
lisle Chretien, el cette foi, en rappelant tout un passe,
fail rever al'avenir, C'esl qu'aussi, enlre rarchileciure
el la sculpture religieuses, il y a une telle harmonie
que dans nos temples Chretiens I'ame se sent degagee
des emanations terrestres et aspire vers le Ciel comme
ces voutcs hardies donl le secret semble a jamais
perdu.
— 151 —
Enlre I'arl anliquo el Tail du inoycn-age il y a
Ja dislanco qui separe le sensualisme du spiritua-
lisme , la maliere du seniiment.
La peiniure maichaii de son cole sur les traces
de la siaUiaire. Au xiii' siecle, des maitres venus
de la Grece enseignaienl leur art a I'llalie, qui ne
larda pas a les surpasser. Cimabue ct le GioUo ,
dont recole dcvail, deux ^iecles el demi plus lard,
recevoir uii si grand lustre, arimaicnt les fresques
el la loile de I'espril dont s'6laienl inspires les
sculpteuis. Nous relrouvons dans leiirs ceuvres le
raeme senlimenl religieux, la meme conviction de foi.
Ainsi la revoluiion conimencee en Orient s'ache-
vait en Occidcnl ; la iransformalion etail complele ;
il ne restail plus rien de I'arl antique; I'arl religienx
avail desormais prevalu.
Faisons observer toulefois, comnie une chose digne
de remarque, que les memes deslinees sembiaienl
elre reservees a tons deux. Le premier avail gran-
di et atteinl sa perfection au miiieu des guerres
intestines des republiquos grecques , le second s'etait
develo|)pe el s'elail eleve a son apogee malgre les
troubles incessants ct les divisions des rcpubliques
d'ltalie. Les guerres de voisinage n'avaienl pas ar-
rele leurs progres , la guerre etrangere les frappa
morlellemcnl lous deux. Les barbares accourus du
nord de I'Europe chasserent i'un de Rome , son
dernier asile ; les hordes se precipitant du nord de
I'Asie sur rempirc d'Orienl, renverserent le berceaii
du second. Byzance legua ses debris a I'llalie, a
I'llalie qui plus tard , a son tour, vit ses ecolcs, si
brillanies naguere , succomber sous les invasions
successives el ses musees depouilles par le vainqueur.
I. 11
— 152 —
Avaiil cepentlant que !a I'alalile s'appesanlil sur
elle , rilalie . loujours sous I'influence roligiouse ,
eui Ic temps el I'honneui d'elever I'arl an plus haul
(legre de perfeclion qu'il lui ful donne d'alleindre.
Les ecoles dc Rome, de Florence , de Venise . de
Bologne rivalisaienl de lalcnl el de gloire , el les
seiiais , les princes , les chefs de I'Eglise . soutc-
naienl el encouragcaienl a I'envi ce noble elan.
L'empire de la foi chreiienue , I'aspeci des pompes
de la religion echauffaienl renlhousiasme des artistes
el produisaient ces innombrables chefs-d'oeuvre ,
inappreciables lemoignages d'une puissance de genie
que nul n'a pu egaler depuis.
L'iDfluence est si manifeste, que la poinHiro se
modifie dans chaque contree selon la nuance reli-
gieuse qui domine. Pompeuse el grandiose avoc
Raphael el Michel-Ange , au milieu d/s splendeurs
de Rome, elle se fail mystique en Allemagne avec
Albert Durer , sombre el terrible en Espagne avec
Zurbaran el Ribeira sous la pression des sanglanis
mysleres dc I'inquisition , monaslique en France
avec Eustache Lesueur , et realiste en Belgiquc sous
la palette bardie de Rubens.
Toutefois rinfluencc aussi de moeurs plus molles
el plus relachees se lit bienlol sentir. Les madones
du XVI" siecle etaienl plus correcUs, sans doule ,
ct plus parfaiies que celles du xiv% mais elles n'a-
vaienl deja plus la meme naivete , la meme candeur.
Les vierges commencerenl a respirer un amour plus
charnel que mystique, et les Madeleines semblaienl
plus preoccupees de fairc de nouveaux pecbeurs que
d'abjurer leurs errcurs passees. En cherchani bien
— 153 —
on aiirail pu <lecoiiviir dans Ics (rails de la divine
mere du Sauveur (iiiclque ressemblance avec ceux
de beanies celebres doni la veriu n'avail rien de ce-
leste ; mais enfin , grace a leur lact exquis , grace
snrloul an respect qu'inspirait encore I'arl a cette
(^poque privilegiee , les peinlres de ces grandes ecoles
ne prostituerent jamais lenrs pinceanx , el ne s'ecar-
terent jamais des regies de la distinction el de la
noblesse.
Plus lard ^ quand la foi commence a clianceier,
quand la piete vienl a perdre qnelques-nnes de ses
aspirations celestes el que Ics croyances s'enervent,
la peinlure, mortc en Italic avec les grandes ecoles
du XVI' siecle , abandonne sa palrie d'adoplion ou
elle ne reparaii plus qu'a de raros inlervalles. Nous
la voyons alors , errant on Europe, inccrtaine el
sans guide, depouiller sa majeslc el obeir an caprice
de la mode. Elle orne bien encore queiquefois les
temples, mais en meme temps elle se fait mesquine
el bourgeoise pour obtenir acces dans les dcmeures
privees. L'intluence des moeurs a jjour loujonrs rem-
place celle de la religion.
Tandis que les tavernes enfumees de la Hollande
inaiigurenl le genre trivial qui se Tail pardonner
sa vulgarite a force de perfection, on creo en France,
h I'usage des boudoirs el des ruelles, une mylbologie
de convention dont les deesses liennenl plus de la
terreque de I'Olympe. Les amours jouffluos de Boucher
el de Fragonard remplacenl les cherubins de I'llalie,
et les bergeres enrnbannees de Walteau el de Lan-
cret succedent aux puissantes inspirations de Uubens
et du Varonese.
Puis, apres la gracieuse frivolite des productions
— 15a —
ties epoques de la rt-gence el de Louis XV, vinl la
rigidilc niimismalique des peinlures de la rcpuhliquc
el de I'empire. La politique deleignil sur I'arl qui,
si on n'en exceple ceilaines oeuvrcs, d'un merile in-
conteslable, dues a»x principaux chefs d'ecoles, n'eui
que mediocremenl i\ s'applaudir de celle invasion
dans son domaine. 11 y gagna cependani, il faul le
reconnailre, un salulaire reiour a des eludes plus se-
rieuses, a une severile de lignes que les exigences du
nouveau sysleme rendaienl indispensables. L'academie
de convenlion succcda aux paysannes el aux guerriers
de fanlaisie; des heros, dont la correction analo-
mique eul delie I'oeil le plus exerc6, se baUirenl reve-
lus, pour toulc armure, du fourreau de leur glaive
ou de la hampe de leur javelol. La peinlure devinl
symelrique, reguliere, compassee peul-elre ; mais elle
se (il savanle aussi , el si celle science nuisil parfois
au nalurcl el a la verile , elle s'opposa en meme
temps comme une digue puissanle aux envahisse-
menls de I'ignorancc, aux vaniteuses pretentions de
la nulliie.
Ce fui la derniere fois que la peinlure reconnul
des lois et s'astreignil aux exigences de I'enseigne-
ment. Jusque-la , les ecoles avaient conserve leur
prestige, el le respect pour la parole du mailreelait
encore en honneur. Nous n'etions plus au temps,
sans doute, ou Raphael peignail dans les rues de
Rome, enlourc du cortege nombreux de ses eleves ;
mais enfin I'alelier etait considere encore comme
une seconde palrie qu'il n'elait pas permis de renier.
Le disciple allail y rechauffer son talent aux glorieuses
inspirations de la science el du genie, comme un bon
Ills sent son cceur s'elever sous I'influence des exem-
plos du foyer palernel.
— 155 —
Aujoiird'hiii les lemps sonl bieii changes! uu-
jourd'hui la fievre de rindependance s'esl emparee
des artistes. Impalients du freiii , ils rompenl leurs
lisieres avanl d'avoir appris a marcher sans aide ct
veulont prendre leur essor avec des ailes trop foibles
encore pour les soutenir. L'ari est bien encore nne
religion; mais divisee en secies, souvenl enneniies
irreconciliables , celle rehgion a perdu I'unile qui
faisail sa force. L'admirablo ensembe, qui f;iisail
dc la peinlure, dc rarchiteclurc el de la slatuaire
un tonl homogene, n'existe plus l.'absence do disci-
pline, la recherche effrenee du nouveau , qui n'esi
pas loiijours le progres, ont brisc ceite presligiense
harmonic tlonl les Grecs el les grands-mailres du
xvi" siecle avaient si bien compris la necessiie.
Aujourd'hni, le plus mince succes de salon venant
a cxalter des teles jeunes, ardenles a la huie, desi-
reuses avanl toui de celebrile, chacnn veul eire niailro
el se faire chef d'ecole a son lour. A def;iut d'etudes
serieuses qui, seules, peuvenl conduire a nne gloire
durable, on se lance h la poursuile dc I'inconnu.
Sous pretexte d'originalile, on se jelte dans des ex-
cenlriciies bizarrcs el le plus souvenl de mauvais
goiil ; on descrle les principes severes de la ligne
el du dessin, qui ne permellenl pas la mediocrile,
pour courir apres ce qu'on appelle la couleur, el
on se croil colorisie, alors qu'on s'abanilonne seule-
nient h tous les hasards, a toules les extravagances
<ie la palelle. En nn mot, suivant I'expression d'un
spiriluel critique : Ceux qui no peuvenl bien faire
veulent au moins faire autremenl.
Nous adnicltons , jusqu'a un certain point, les
ecarts des verilables chefs de ces ecoles de loiilef-
— 15C —
nuances ; car chez les homines viaimcnl supe-
rieiirs, ces ecarls sonl ordinairement racheles par
de grandes qualiles. El puis on pent bien aiissi
leiir pardonner quelqucfois le sommeil du bon Ho-
mere. Mais ce que nous ne leur pardonnerons
jamais, c'csl la fouie des eleves a la suite ; pauvres
jcunesgcns, que I'eblouissemenl du succes du mailre
a sC'duits el qui s'allachenl servilemenl h ses pas ,
exagerant ses defauls sans Ics illuminer de ces eclairs
du genie qui en sent, du moins, I'excuse el la com-
pensalion.
Est-ce a dire , pour cela , que le lalenl manque
aujourd'hui ? Non , cerles ; il n'a jamais peul-elre .
meme, ele plus common que de nos jours ; on pour-
rail presque dire de lui, comme de I'esprii, qu'en
France il courl les rues. Jamais peul-6lre, il faul
le reconnailre , I'habilele du faire , I'enlrain de la
brosse, la connaissance des procedes maleriels, n'onl
ele pousses plus loin. Ce qui manque : c'est la foi
dans I'aveiiir, c'est la perseverance dans I'elude ,
c'esl le respect pour Tart qui ne saurait s'accom-
moder de ces privaules el de celle licence.
La slaluaire loutelois, halons-nous de le dire, a
resiste avec plus de bonheur jusqu'ici a ces enva-
hissemenls du mauvais gout ; elle a su garder des
allures plus sobres et plus severes, el conserver
davanlage le sentiment de sa dignite. Nos scul-
pleurs font de nobles efforts pour resler fideles aux
traditions des grands mahres el se maintenir dans
la voie qu'ils leur ont Iracee. Aussi les exposi-
lions dernieres , en lemoignant de ieurs eludes
consciencieuses, onl-elles perniis d'applaudir a Ieurs
succes
— 157 —
Mais la peinlure n'a-t-elle pas de t^'ravcs ropro-
ches a se faire? Croil-elle gagner beaucoup en gran-
deur el en noblesse par la represenlaiion de ces
scenes familieres oii la vnlgarilc de la pensee ie
dispule ail sans-fa^on ctudie do rexeciuion ?
On a ecrit, il osl vrai :
« Qu'il n'esl pas de serpent ni de monslre odieiis
» Qui par I'art invite ne puisse plaire aiix yeux »
Soil ! mais on u'on saurail dire anlanl du genre
trivial. Qu'on ne I'oublie pas ; le bnrlesque est bien
pres du ridicule, el, en fait d'arl veritable, le succes
de rire est un succes qui lue.
Signalons encore une plaie cruelle qui , depuis
quelques annees surloul , est venue elargir encore
el envenimcr les blcssures donl sonffrenl les beaux-
arts. Nous voulons parlor do la camaraderie (qn'on
nous permelte celle expression lamiliere ; elle psl
consacrce), de la camaraderie donl les eloges sont
raremenl sinceres , el donl les embrassemenls soni
iriorlels Que de malheureux jeunes gens enivres
par les emanations embaumees, mais peslilenlielles
aussi, de la lonange exageree, se sonl cms toui a
coup dispenses d'eludes serieusos el devenus de
grands bommes quand leur talent commcnvail a peine
a eclore ! Une saine el bienveillante critique aurait
slimule leur ardeur el developpe leur genie naissanl ;
la camaraderie les lue sans relour; semblables a ces
planles de serre-cbaude qui ne peuvent supporter
le grand air, leurs succes d'alclier viennenl ecbouer
au grand jour des expositions |)ubli(jues. Berces au
langage de la flatterie, ils ne comprennont rien d'a-
bord au dedain de la loule ; mais enlin, la ib'vsil-
— 158 —
(usion arrive, el avrc elle le decomagemenl qui
eicinl les deroieres Incurs d'usi lalenl qui, peul-elre,
ne manquait pas d'avenir.
Les enseignemenls que nous devons lirer des
revolutions que les arts out subies jusqu'a nos jours
soul graves et serieux. Leur hisloire est eu meme
temps riiistoire des peuples et celle des phases
poiitiques et roligieuses qu'ils ont Iraversees. Apres
avoir marche avec la civilisation payenne, ils dispa-
raissenl dans la lourmenle qui rcmporte pour re-
naitre et grandir ensuite avec la societe chretienne.
Soutenus par la foi qui leur avail tendu la main
pour les exhumer des ruiues du vieux monde , ils
sappuyenl sur elle et deviennent forls el glorieux.
Puis, quand ils s'ecarlenl de la large voie qu'elle
leur avail Iracee , quand I'eioile brillanle qui , les
guidani , vienl & se voiler, ils font fausse route* et
s'egarent, s'abandonnanl aux caprices et aux hasards
de la deslinee. La foi, qui a fait lanl de miracles,
qui a 6leve nos immetses basiliques, qui a mis la
la civilisation h la place de la barbaric, la foi chre-
tienne , la foi dans I'avenir est done le premier
element de la prosperile des beaux-ar!s. Abriles sous
son aile puissante, ils pourronl peul-elre rccommen-
cer les miracles des Raphael et des Michel-Ange,
et reconquerir leur dignile donl ils ont fail Irop bon
marche depuis quelque temps. La foi , il est vrai ,
ne se commande pas; elle vienl d'en haul corame
toules les grandes inspirations; mais, heureuse-
menl, elle n'esl pas encore entierement eleinte au-
joiird'hui , el nous voyons les hommes privilegies
et esceplionnols, chez lesquels la croyance dans I'a-
venii est reslee vivace, briller au premier rang.
— 159 —
Nons (lisioiis, loiil a i'luure, qu'il eiait ituli^pcn-
sablo que I'arl conseival sa (lignite el le respect
pour lui-meme donl il ne tloil jamais se deparlir.
Nous lie prcleiidons pas ccpondaiil qu'il ne puisse
produire que de grandes choscs. Les inspirations
sublimes ne vionneni visiter, nous le savons, que
les intelligences superioures, el le passercau, quoi-
qu'il fas?e, n'altcindra jamais a la hauteur d; I'aigle.
On pent aussi , sans doule , appliquer aux beaiix-
arls le castigal ridendo , el nous admellons parfai-
tement les compositions familieres; mais , meme
dans cos compositions, Tartisle est leiui de conser-
ver une cerlaine mesure el certains egards pour
le public el pour lui-meme. Gardons-nous surloul,
gardons-nous du genre trivial el de ces vulgariles
de mauvais gout qui ne depareni que irop souvent
les expositions annuolles. Laissons la charge aux
spiriiuels crayons de la caricature (elle a besoin
de loule sa liberie pour rendre ses morsures plus
cuisanles); el ne lrem|ions jamais nos pinceaux dans
la lie ou dans la boue.
Nous parlions lout a I'heure des expositions pu-
bliques. L'opporiunile de leur relour periodique ,
chaque annee, a ele souvent conieslee, souvent mise
eu question. Nous n'oserions allirmer, quant 6 nous,
qu'elles I'ussenl un bienfail pour I'art. Sans doule,
en ouvranl ainsi lous les ans la lice aux combal-
lants , elles sliinulent leur emulation et permcllent
d'apprecier les essais des nouveaux lutleurs el les
progres de leurs ri\aux ; elles offrenl un exuloire
a I'ardeur des jeunes leles en travail, que la soil"
de la celebrile devore, el que les lauriers de leurs
devanciers anachciil au repos. Sans doule, le noble
— 160 —
elan de loulos ces intelligences vers iin nieme but
prouve que le feu sacre brule encore an fond des
cceurs el permet de bien augurer de I'avenir. Mais,
malheurensement, j'arliste enferme dans des delais
qu'il ne doit pas d6passeri pent dinicilemeiU execnter
de grandcs choses; ou s'il accomplit sa lache , il
est rare que Toeuvre ne se ressenlc pas de la pre-
cipitation du travail. Quelqucs-uns memcs semblent
avoir a cceur de se disiinguer plutot par le nombre
que par la qualile de leurs productions. Aussi, dans
cetle course au clocber, entreprise au delrimenl de
I'arl, les chutes soni-elles frequenles ; heurcux en-
core quand elles ne sont pas niortelles et quand
I'artisle se sent au coeur assez de vigueur et de
courage pour se reiremper dans I'etude et prendre
dignemenl sa revanche !
Nous aurions bien encore d'autres reproches a
adresser k la frequence des exposilions; ceux-la
touchent aux procedes materiels, au raecanisme de
I'art. L'ariiste, oblige de se tenir pret pour I'epoque
fatale, est force souvent, pour aider a la rapidite de
I'execulion , de rccourir a des moyens factices ou
perilleux, a des siccatifs cnergiques, a des mariages
de couleurs qui ne peuvenl vivre longtcmps en boii
accord el alt^rent bienlot coraplelcmcnl I'aspect du
tableau. Puis, chacun voulant se presenler dans I'a-
rene avec des amies briliantes et parees, I'applica-
lion pr6ma(uree du vernis vienl porter le coup de
grace a Tceuvre qui ne peul resister longlemps a ces
atteintes muliipliees. Aussi voit-on la pluparl des
tableaux modernes qui porlent en eux ces germes
faials de destruction, se craquelcr proinptemoiil el
se nuancer de ces tcinles qu'uiic longue duree ,
— 161 —
quo la cousecialion des lomps peuvenl sciilcs ex-
cuser.
Ainsi , pour choisir nos exeinples panni les plus
illuslres , landis que les chefs-d'oeuvre do Rubens,
de Mui-illo , des grandes ecoles dn xvi' el du xvii'
siecle , lesplendissent encore de lout Icur eclal ,
voil-OQ avec douleur les poeliques inspirations de
Girodel pousser au noir el se gercer; la belle en-
iree de Henri IV, de Gerard, lourner enlieremenl
au vert; d'adniirables peinlures de balaillcs exposees
en 1839 , el que I'auleur avail animees de celle
verve milimire , de ce brio , de eel enlrain donl 11
poss6de si bien le secret, passer au bleu fonce
dans los galeries de Versailles. D'aulres ont perdu
leurs glacis , el par suite leur finesse et leur har-
monic pour ne conserver que les Ions criards qui
faliguent Tceil. Et le plus ancicn de ces tableaux
compte a peine quaranle ans! Que seronl-ils done
quand des siecles auronl secoue sur eux Icur pous-
siere? Quelques annees encore, el I'hisloire redira
seule a nos neveux que do grands peinlres ont il-
luslre noire ecole ; leurs oeuvres auronl disparu.
Nous savons parl\Htemenl qu'un peintre n'est pas
lenu d'exposer tons les ans; sans doule, et nous
ajoulerons que, dans I'inleret de I'arl , il serail a
desirer qu'il en fiil ainsi. Plusieurs , et ce soul les
plus sages, s'absliennent parfois, en elfel , et ne
reparaissent qu'a certains iniervalles , apres avoir
signe quelquc grande et belle page lerminee dans
k recueillemenl , dans le silence de I'aielier. Mais
croit-on qu'^ I'epoque d'entraineracnt febrile oii nous
vivons, Tarliste desireux de se faire un noni , plus
soucieux souvoni , il faul le dire it regret , d'une
— 162 —
celebrite epheinere que d'une reiiommee durable ,
lesistera facilemenl a la lenlation du livrel, i Tallrait
des expositions, des expositions qui, comme les syrenes
antiques, reservent souvent de si cruelles destinees
a ceux qui cedent a leurs seductions? Ce serait trop
presumer de la sagesse humaine.
Selon nous , done , des expositions moins fre-
quentes seraient plus profiiables aux beaux-arts.
En nous resuinant , nous repelerons encore que
ce qui importe surlout , c'est d'affermir I'art dans
le sentiment de sa propre digniie. La societe ac-
luelle ( el I'affluence de la foule aux salons en est
un suffisant teraoignage), la societe actuelle est loin
de se montrer indiffercnte a ses succes. Elle s'y
inleressera davonlage encore quand elle sera cer-
taine de trouver , dans les eludes sp6ciales el
consciencieuses des artistes de serieuses garanties ;
quand I'amateur qui aura achele un tableau pourra
se croire assure que ce tableau ne viendra pas a
s'alierer el a pcrdre bientol toute ou partie de sa
valeur.
En confianl aux sculpleurs el aux peinlres I'exe-
culion de grands travaux , en dislribuant aux plus
dignes des recompenses et des distinctions meritees ,
TEtal remplit un noble devoir. Ne pourrait-on en
fairs plus encore? Ne pourrait-on, par exeraple ,
creer dans les arts des degres comme ceux qui exis-
tent deja dans les sciences et dans les lettres ?
Pourquoi n'aurail-on pas des bacheliers el des doc-
teurs es-arts, comme nous avons des bacheliers el
des docleurs es-sciences et es-leltres? Ces grades,
conferes a la suite de concours et d'examens scrieux.
— 163 —
seraienl , pour les artistes , un iilre de noblesse, el
pour le public unc garantie de leur vaieur. Qu'on
nous permette d'exprimer ce voeu, dont la realisation
ne nous semble presenter aucune difEculle serieuse.
Honneur encore une fois a I'Academie de Bor-
deaux d'avoir souleve cetle importanle question !
Nous n'osons nous flatter de I'avoir resolue entie-
remenl ; mais nous esperons, du moins, que du debat
qu'ellc a provoque surgironl de grandes el utiles
veriles. Nous nous eslimerons heureux si d'autres ,
mieux inspires que nous , onl repondu d'une ma-
niere plus complete a sa sollicilude eclairee pour
les beaux-arts , el onl decouverl d'autres moyens
encore de leur assurer dans I'avenir grandeur el
securile.
164 —
NOTICE BIOGRAPHIQUE SLR LA VIE ET LES OUVRAGES
DR PAOLO CALIARI VERONEISSIS ,
HIT PAUL VERONESE, PEINTRE VfilSITIEN ,
N6 en 1552, MORT EN 1588,
par M. L. DETOVCHE.
Tandis que la ville de Florence avail vu les Irois
arts du dessin amenes a la derniere perfection par
rimmense genie de Michel-Ange , el que Raphael
illusirait Rome de ses innombrables travaux, la
peinlure s'elail formee a Venise. Ces deux evene-
ments , resullanl de causes tout a fail differenles,
ne s'enlr'aiderent poinl ; ils se sonl operes I'un sans
I'aulre
Les ecoles de Florence el de Rome surloul s'e-
laient , des le principe , formees sur les ouvrages
apportes de la Grece dans I'anliquiie, ou ceux exe-
cutes dans ces memes villes par des arlisles grecs ;
c'est done , sans aucun doule , a Tinfluence de ces
productions de la statuaire antique, que Ton doit
attribuer la science du dessin , la beaule des formes
el la justesse d'expression qui caracleriseni ces deux
ecoles ; eiles s'y livr5renl exclusivement , sans s'at-
tacher au coloris qu'aulant qu'il le fallait pour
etablir une difference entre la sculpture el la peinture ;
a Venise, au contraire , les premiers artistes qui
essayerenl de produire , n'ayant pas sous les yeux
— 165 —
les resles de I'aniiquile, el manquant de lemons
pour sc (aire une juslo idee de la bcaute des formes
el de celle de rexpression , copierent indislinclive-
meni loutes les formes de la nature , furent sur-
loul frappes des beaules qu'elle offrait dans la
richcsse el la variele des couleurs; el n'elanl pas
dislrails de celle panic si flalleuse el si seduisanle
par d'aulres parlies d'un ordre plus severe, ils y
donnerenl loule leur allenlion el se dislinguerenl
d'une maniere loul a fait superieure dans Van du
color is.
Un archeologue qui voudrait faire une hisloire
complete de I'art venitien, depuis son origine, pour-
rait remonter jusque vers I'au 828, epoque a laquelle
les Yenitiens, liers de posseder les reliques de saint
Marc qu'iis avaient enlevees a I'Egypie, elev^rent une
eglise magnifique qui ful brulee en 970, rebatie par
le doge Selvo , ei ornee de mosaiques en iOli ;
mosaiques executees par des Grecs de Constanti-
nople.
Ces ouvrages , tout a fait a I'etal d'enfance de
I'art, existent encore el ont longtemps servi de mo-
deles aux ouvriers qui faisaient des madoues pour
les fideles, en copiant loutes ces figures sur le meme
patron ; longtemps encore I'art ne s'eleva done pas
au delc'i d'une simple mecanique , sans aucuns frais
de genie ni d'invcntion.
Toule peinture moderne, a Venise, est done ti-
ree de la peinture Byzantine, apporlee en celle ville
des le IX' siecle par les frequentes relations des
Levantins avec les Veniliens. — En 1204, lors de
la prise de Constantinople, les rapports dcvinrent
— 166 —
plus freqiionls, el enlin , dans ic coiuanl dti ineme
siecle, les iravailleurs Byzanlins, sculpteurs ct pein-
tres mosaistcs , se iroiivercnl impalronises dans les
Kials Veniliens el execuierenl leurs premiers iravaux
dans les lemples el les palais des iles el de la
lerre-ferrae.
Pour arriver de ces premiers ouvriers aux arlisles
qui illuslrerenl le xvi' siecle, a Venise, il faudrail
suivre la lenle cl souvenl sterile incubaiion qui pre-
cede celle epoque; la marche , jnsqu'a I'accomplis-
semenl des voeux de la Providence, esl si insaisis-
sable! Les premiers lalonnemenls sonl si inlinis!...
Mais on peui voir que celle ecole, nee d'elle-meme,
aima, des les premiers lemps racial el la richesse
qui lui venaienl de I'Orieul ; elle semblail cerlaine
de pouvoir inlerpreter un jour, d'une maniere plus
large el plus grandiose, les ceuvres des premiers
ouvriers mosaisles ; elle devail, h force d'eludes, ar-
river a comprendre el a faire valoir I'opposilion
harmonieuse des couleurs entr'elles, i connailre
leurs sympathies, a savoir le plus ou moins d'espace
qu'il faut donner bi chacune d'elles, pour obtenir des
masses saisissantes d'ombre el de lumiere ; probleme
giganlesque, vers lequel les efforts unanimes des
Veniliens onl ele conslamment lournes.
L'aspect de Venise, le calme el brillanl fluide qui
dore la nature dans ce beau climat, el lui commu-
nique sa sereniie, le commerce immense que celle
\ille faisait avec les Levantins qui y apportaienl tout
le luxe el la splendour de I'orient, la grandeur des
palais on I'air el la lumiere circulent avec abon-
dance, I'imposante ot toute puissante aristocratic de
son gouvernemenl ; enfin , tons ces elements de
— 167 —
richesse , do luxe el de majesie encadres pour aiiisi
dire dans un beau ciel , avaient dii necossaireineiU
exciter , chez les arlisies veniliens, ramour d'mi
an en rapport avec ce dont ils etaient entoures ;
lous , pendant I'espace de irois siecles , raarcherenl
vers ce but qii'ils siirent alleinilre, a un point qui,
depuis, ne fut jamais egale.
Je dois ici faire remarquer que la cause du prn-
gres et do la fecondild de chacune des dcoles ita-
liennes , s'est trouvee dans I'adoption unanime el
passionncc d'un goul national , la poursaite inces-
sante d'une ihese locale el la forte organisation de
I'apprentissagi; ; bnscs surlesquelles on baiira loujours
immaniiuablement pour riminorlaliie; ces bases, du
reste^ assurent Tunite do la critique dans les conseils,
dans les affections du public, aussi bien que dans la
metliode, la production et I'invenlion des artistes.
II est necessaire , je crois , d'expliquer d'une ma-
niere precise la raarche des ecoles a celle epoque ;
chacune d'elles , venilienne, romaine ou florentine,
sans se preoccuper des autres, suivait, sans arriere-
pensee, les traces des premiers maitres du pays ; chacun
des artistes, alors, a|)porlait, selon ses moyens et son
intelligence, un progres, qui, reuni aux progres
anterieurement realises , devait forrair necessaire-
menl , dans ia suite des temps, un ensemble, un
apogee, pour ainsi dire, des perleclions possibles
dans le genre adopte; qu'il soil venilien el amanl
passionne de la couleur , qu'il soil romain ou flo-
renlin el patient amateur du style et du dessin ,
loujours est-il que chacun des eleves de cette epoquo
entrait dans I'alelier du maitre pour y suivre les
traditions de I'ecole ; (!l si , parnii cux, il s'en trou-
I. 12
— 168 -
vait un^ honiiuc (Je geiiie , il ajoulail aux precieuses
ilecouverles failes par ses devanciers ; jusqii'au jour
cnfin , ou le dernier mot dans I'art fut prononce, a
Rome, par Michel-Ange el Raphael, el a Venise ,
par Tilien , Tinlorel el Paul Veronese.
De ceile consliUilion solide on pourrail encore ,
anjourd'hui , lirer des merveillos , si , depuis long-
lemps , et en France surioul , elle n'avait eie de-
monlee piece h piece.
Le plus ancien monumeni de I'art dans les Elals
veniliens (1), el que Ton ne peul passer sous silence,
est a Verone, dans un souierrain du couveiii des
religieuses de San-Nazario el San-Celso ; ces com-
positions paraissenl elre les plus anciennes de la
regeneration de i'arl en Italie. — On voil , dans
celle enceinte, la represenlaliou de plusieurs mysteres
de la Redempiion, des Apotres, des sainh Martyrs, eic.
Le morceau le plus rcmarquable est le passage d'un
Juste a la vie eternelle ; I'archange saint Michel as-
sisle a ceile scene solennelle.
Ainsi done, c'esl dans un souierrain qu'on Irouve
le premier germe de ceile magnifique ecole veniiienne,
seniblable, par son luxe el sa richesse, a une belle
fleur dont on est oblige de rechercher la racine en-
I'ouie dans les (enebres de la terre.
Pour connailre cnsuile la generation d'artistes qui
se succederenl, depuis Giovanni de Venise, Marti-
nello de Bassano, Piavano Alberegno et les Egremio, les
plus anciens connus, jusqu'en 1500, epoque brillanle
de I'art venilicn , il faudroii consulter le chevalier
(I) Peinture a Cresqiie
— 169 -
Ridolfi , dans les vies qu'il a publiees dps pcinlrcs
venitiens, Giovanni Paolo Lomazzo, f /ra^ia/c del arte
della pittura) ; Baldinucci (professori del disegno) ;
Boschini, dans les miniere della pittura, dans la
carta del Navigar Pittoresco, el beaucoup d'aulres
auteurs encore.
Desireiix d'ecrire quelques notes sur Paul Vero-
nese seulement , j'arriverai done aux poinlres veni-
tiens du XVI'' siecle, genies d'un ordre siiperienr,
qui eclipserent ceux qui les avaienfc precedes el
oterenl a leurs successeurs I'espoir de jamais les at-
leindre.
Tous ceux de celte belle epoque arriverent an
faiie de la gloire par des chemins divers, raais tous
s'accord^rent en un point, c'esl que leur coloris
fut le plus biillanl. le plus vrai et le plus applaudi
de tous ceux qui se dislinguerent dan? les diffe-
rentes ecoles qui tlorissaienl alors on flalie.
Quelle fut la cause de leur immense superioriie
dans ce genre? On pourrait el on a deja ecrit bien
des volumes a ce sujei ; on a vouhi expliquer que
la nature elait la, plus ricbe el plus coloree qu'en
aucun lieu du monde ou la peinlure eiait cullivee ;
comment alors expliquer que les peinlres flamands
el hollandais , qui sent loin d'avoir un ciel venilien,
soienl precisemeiii ceux qui lienncnt le second rang
dans cette parlie de I'arl ? — On a parle de cou-
leurs dont eux seuls avaient le secret ; mais nous
connaissons parfaitemenl aujourd'bui lescouleurs dont
ils se servaienl ; elles ctaient meme en plus petit
nombre que celles qui , a tort peut-eire, aujourd'bui,
cbargenl nos palettes impuissantes. 11 est vrai que
— 170 —
lo commerce qui, ile nos joins, a Ic privilege de
les preparer, ne sc fail pas scrupule de les allerer ;
mais ce qui faisait surlout la puissance de ces mai~
tres, c'est la science du colons, la preslesse de I'exe-
culion, qui, ainsi que je le dirai plus loin, laissaut
la louche loujours vierge , lui donne lout son bril-
lanl et loule sa richesse.
Aujourd'bui , generalement , on procede par ta-
tonnemenls , sans savoir bien , en commen^ant , ce
que Ton veul faire ; on recharge le lendcmiiin ce
qu'on avail fail la veille, le iravail s'alourdil el le
brillant de la flcur du coloris ne larde pas a s'elein-
dre. Tout le secret , je crois , est la ; dans noire
irapuissance , il ne faul pas le chercher ailleurs.
C'esl done vers Tan 1500 que les Bellini, Tilien,
Tintoret, Giorgione et Paul Veronese dcpenseronl avee
luxe et prodigalile loutes les richesses, qu'avcc un la-
bour infini leur avaiont amassees leurs devanciers, si
utiles malgre souvent leur obscurite; c'esl alors,
qu'en 1552, naquit Paolo Caliari , surnomme Paw/
Veronese , en I'honneur de la ville de Verone qui
lui donna le jour ; il est menie le fondateur de celte
ecole qui forma aussi une division dans I'hisloire de
I'arl sous le nom d'eco/e veronaise. Le pere de
Paolo se nommait Gabriele Caliari ei elait sculpieur;
il avail destine son fds a la memo profession ; dans
cctle vuc , il I'avait de bonne heure forme au des-
sin , et lui enseigna I'ari de modeler en argile.
Mais le genie de ce jeune homme pour la peinlure
s'etanl manifesto, son oncle Badila Caliari, peinire,
donl la maniere n'etait pas mauvaise, lui donna les
premieres lemons; il fit, sous la direction de celui-
ci, desprogresmerveilleux.Fa.san', qui fit le voyage en
— 171 —
l.oinhardie el nolammenlc'i Venise, aii lemps uu I'aolo
etail encore jeune homme, assure qn'il regul aussi
des leQons d'nn cerlain Giovanni Caroti , avec leqiiel
Paolo elait lie Ires inlimeinent. Quoi qu'il en soil :
« Au prinlemps de sa vie, dil Ridolfi, il proiliiisail
» deja avec des fleurs les friiils les plus agrea-
M bles (1). » — II avail beaucoup de facilile el une
intelligence extraordinaire ; il devint robusle el d'une
forte constitution , ce qui lui permit, dans la suite,
de se livrer a de grands travaux qui demandenl de
la force el beaucoup d'aclivile, surtoul dans le travail
des fresques, qui oblige une assiduite el une prestesse
infinies.
« Veronese » dil encore le poelique Ridolfi « n'eut
» pour mailre que le grand tableau de la nature ,
» sur lequel Dieu, le grand artiste, a si bien peinl
» toules choses , el brula du desir , avec quelques
» lignes el une muelte couleur , d'imiler les oeuvres
» divines; I'arl etail son instinct, comme le vol aux
» oiseaux , la natation aux poissons , la vegetation
» aux planles el le mouvemeni a lous les ani-
» maux (2). »
Sorli de I'atelier de son oncle , il comraen^a par
peitidre, a San-Ferino , sur un aulel , une madone
(t) Che nel verde Ai)rile de gli aniii, parlori confiori giocoii
(lissimi fiiilli. (Rido.fi. — Vila di Paolo Vcronensis )
(2) Aiizi |)iu cresce lo stupore, se coiisideriano, che not suo
primiiiio allro inaesiro iion ebbe , che la gran tavola del inon-
do, iiolla quale, il sovrano arletice Iddio Ic cose lulte dipitise ,
arditice di cmulare con brevi linee et muli colori le operazio-
iie divine, lecando auch' egli con larte il toIo agli angelli ,
il gui/zo a pesci, il vegcdare alic piantc, il moto agli aniniah
( liinOLFI. )
?!
— 172 —
enlre deux saints , el a St-Bernardin , /esus ressus-
citant la belle-soeur de saint Pierre, et quelques antres
premices de son fulur genie. II passa d'abord &
Vicence, puis li Mantoue, ou le cardinal Hercule
de Gonzague le conduisit , en compagnie d'aulres
jeunes peinires, enlre autres le Brusasorci, lialtista
del Moro et Paolo Farinato , qui , lous , devaient
peindre en concurrence le dome de la grande eglise.
Paolo \ represenla la tentation de saint Antoine , en
deux tableaux , I'un oil saint Antoine est frappe avec
un baton par le diahle , et I'aulre ou ce saint est
tente par une jeune et belle femme.
Dans ce concours il I'emporta de beaucoup sur
ses rivaux, et le cardinal fut si enchanle de ce
travail, qu'il voulut encore lui en confier d'aulres;
mais Paolo no voulut point, disant qu'il fallait qu'il
se perl'ectionnai encore davantage dans son art.
De retour k Verone , il copia un tableau de Raphael,
conserve dans la famille Canossa.
L'epoque a laquelle Paul Veronese s'elait adonne
h la peiniure, elait celle, peul-etre, ou il elaii plus
difficile de reussir a se disiinguer , tant I'ecole veni-
lienne elait riche doj^ en grands lalenls ; I'opinion,
alors, elait, comme toujours, prevenue en faveur
des artistes qui avaienl de la celebrile ; il ne fut
point apprecie dans ses premieres annees. Le public,
loujours lent a applaudir ci une reputation naissanle,
ou ignora , ou ne voulut point croire qu'il avail
surpasse ses rivaux au concours de Mantoue ; en cette
occasion, se verifia encore, dit Ridolfi, le mot do
Christ , que nul n'est prophele en son pays (1). C'est
(1) Verilicandosi in cffelto il detto di Christo che ninu profeta
c ben veduto nella patria. ( Ridolfi. )
— 173 —
alors que le jeuuc peinlit; , I'uire do cedcr a hi
iiecessile , alia h Tioiie , dans le Vicenlin , el ira-
vaiila pour la famille Porii ; il y Iraita , enlre unc
I'oule (I'aulres snjets , ceux de Mulius Sccevola , So-
phonisbe, Antoine et Cleopdtre, etc., etc.
Puis il passa dans le Trevisan, nolammcnt a Fan-
zolo, ou il execuia plusieurs peinlures dans le palais
du signor Enii , ensuiie il alia h Vicence, el enfin ,
preferanl Venise, alors la residence des plus grands
lalenls , il resolul de s'y fixer. Lb, il parvinl li
perfeclionner son coloris, en suivanl les traces indi-
quees par le Titien et le Tintoret; mais il sembla,
des lors , s'elre propose de les surpasser par rclc-
ganle richesse el la varieie de ses ornemenis; il
eludia beaucoup d'apres les plalres inaules sur I'aiiii-
que el d'apres les gravures du Ponnigiano cl (\' Albert
Durer.
Sa premiere peinlure a fresque, h Venise, (imide
encore , esl dans les sofliles de la sacrislie de
Sl-Sebaslien ; elle represenle le couronnement de la
Vierge entouree des Evangelistes. II devint plus libra
el plus gracieux dans le plafond de la meme eglise,
oil figure riiisloire d'Eslher.
Le peuple courul en foule admirer ces peinlures,
el les plus grands eloges fureol prodigues a leur
jeunc auleur, ce qui decida les peres de cetie Eglise
a lui conficr I'execulion de la voule de la grande
chapelle ; il y reprcsenla VAssomption de la Merge
entouree dhine multitude d'anges et d'une foule de
divers personnages ; il execuia encore d'antres pein-
lures dans celle eglise.
Paolo passa orisuile (|uoi(iue lenips ;i Masiera ,
— Ilk —
dans le Trevisan, sur la demande qui hii en ,ivaii
ete faile par le signer Daniele Barbara , elcdeiir
d'Aquilee, et son frere; il y laissa plusieurs pein-
tures mylhologiques.
D'apres la reputation que lui acquirent ces tra-
vaux dont renumeralion serait trop longue , il tut
charge, ainsi que le Tintoret el Oratio, fils du Titien.
des nouvelles peinlures qui etaient a executer a
Venise ; on lui confia une des" plus grandes pages
d'histoire destinees h orner la salle du grand
Conseil, dans laquelle il representa, avec un remar-
quable succes : Frederic Barberousse, baisant la main
de I'anti-pape Octavien, au mepris d'Alexandre III;
il y fit ligurer la pluparl des grands dignilaires de
la republique ; ensuite il peignit, au dessus d'une
fenetre, a la meme salle, quatre grandes figures
allegoriques , d'une beaute extraordinaire : le temps,
Vumon, la patience et la foi ; mais, helas ! ces pein-
lures furenl brul6es dans Tincendie de 1576.
Avanl de parler des peinlures de la bibliolheque.
on ne peui oraeitre celles qu'il executa dans la cliambre
des raembres du Conseil des Dix , el au plafond de
rantichambre qui y conduit, enlre aulres le Triomphe
de saint Marc , portant une couronne d'or sur la tete,
el soulenu par un petit ange d'une admirable beaute.
A celle epoque les procurateurs de la serenissime
republique de Venise, voulanl faire produire de nou-
veaux chefs-d'oeuvre , chargerenl le Titien de choisir
lous les peintres les plus capables , pour concourir
il un prix qui serait donne a celui qui ferait la plus
i)ellc pt'inturc dans la bibliolheque Nicerra, a Sainl-
Marc^ (lonnee a la seigneurie par le cardinal Bes-
sarion.
- 175 —
Le Titien ct Samovmo , le f,calpteur, elaient clioisis
pour jnges , ol une chaino d'or elail le prix: parmi
uti nombre considerable de conciirrenls sc Irouvaient
Paolo Veronese, Sahiali , Franco, Schim^one, Zelotti
el Frosina. — Paolo oblinl le suffrage, non-soulement
des juges el des grands de I'Etai , mais encore de
tons ses competiteiirs, qui s'avouereni vaincus et qui
applaudircnl au peinlre couronne par le Titien (1).
La pcinfurc qui lui valul celle honorable dislinc-
lion merile que I'on en donne ici la descrip'.ion faile
par Vasari : « Elle represenle dil-il , la Musique ,
o sous les traits de Irois jeunes femraes d'une beaute
» ravissante ; I'une d'elles joue du lulh et I'auire
» chante , pendant que la troisieme tire d'une lyre
» des sons qu'elle ecoule alientivement. Aupres de
a ces femmes , Paolo plaga un Cupidon sans ailes ,
» pour raonlrer que I'amour tient de la musique ct
» en est inseparable; on y voit aussi le dieu Pan,
» qui tient des fliUes d'ecorces d'arbre. »
La bibliotheque Nicerra possede encore deux autres
tableaux de Paolo: dans I'un, on voil des philo-
sophes vetus a I'anlique , et dans Tautre , Vhonneur,
auquel on offre des sacrifices et des couronnes.
Apres ce succes , il retourna a Verone oii elaii
touie sa famille. Tous les cloilres se dispuierent alors
I'honneur de posseder queique chose de sa main ; ii
y peignil plusieurs tableaux , entre autres, chez les
Peres di San-Nazaro, Jesus chez le lepreux et Ma-
deleine aux pieds du Sauveur,
(t) La ctiahic d'or ({iii fill dounec a I'aolo , fill longlcm|is
I'onseivee ctiez scs descendants, (lui ia gardereiit coniiue iiiie
leliipie |iieci(Misfi on rtiominur de Icnr ancclic.
— 176 —
« On ne peal « diiRudolfi, liislorien si poctique
» dans sfs details « sc fairo une idee de la beaute
» de cclte femme qui soulienl un des pieds de Jesus,
» noye dans un flot de cheveux d'or, qui, tout epars,
» caressenl egalemenl I'albatre de son £ein » (1).
De retour a Venise , il y acheva la plupart des
peinturcs qu'il avail commencees el en composa de
nouvelles pour les jesuites, jusqu'a ce que Girolamo
Grimani, son protecleur , qui venail d'etre nomme
ambassadeur a Rome, I'y emmena avec lui. Paul
Veronese n'y alia pas pour faire sa cour au pape,
car il avail le caraciere fler el franc du Titien ;
noais pour etudier les anliquites , les mines ei les
ouvrages de Michel-Ange el d3 Raphael; c'est alors
qu'il senlil qu'il allait prendre un nouvel essor.
( Al volo suo senti crescer Je penne. ) II senlil croitre
ses ailes pour voler.
A son relour a Venise, ses ouvrages furent encore
plus apprecies, el il peignil encore plusieurs diffe-
renls sujels dans la saile -Ju Conseii des Dix, sujets
donl on esl oblige d'abreger le detail , tanl elail
immense sa prodigieuse fecondite, enir'autres : Ju-
piter foudroyant les vices les plus infdmes, lels que
la luxure, la cupidite et I'assassinal, Ires bien repre-
senles par une puissante allegorie (2); la clemence
et Vem'se comblee de riches presents par Junon (3).
(Ij Ella sosiienc sin [liede di Giesu annodaiu dicrini d'oro,
ed allri sciolli fregiano con le aiirate fila I'alabaslro del suo seno
(Ridoi.fi.
("2) Tableau servant aujourd'iuii de plafond dans la chaiubre
a coiichcr de Louis XIV, a Versailles.
{Ti) Tableau faisanl iiariic de la (Jalerle du Louvre, avaiil ISLS.
.\otes 'If t'dutevr )
— 177 —
Les iius (le celle iigure heroique sont d'line splen-
dide beaiite.
II faul encore, pour abreger, laisser la descriplion
des nombreux travaux executes encore h Sl-Sebaslien
vers 1565.
J'ai hale maintenanl d'arriver a ces quatre chefs-
d'oeuvre si adinirables que Paolo composa vers celle
epoque , connus sous le nom de Cenes , el qui lui
valurent une si grande reputation. Ce sonl : 1° Les
Nocesde Cana qu'il peignil pour le relecloire de San-
Giorgio Maggiore et que Roger de Pise nommail le
chef-d'oeuvre de la peinture ; ce tableau qui, au-
jourd'hui , fail rornement du musee du Louvre, ii
Paris, est presque le seul des merveilles qui nous
soienl restees des conquetes des armees frangaises
en Italic. II est haul de 6" 66« cl large de 9™ 90^
II renferme 150 iigures donl ia plu|)arl sont des por-
traits d'iiluslres ptusonnages de son temps; bcaucoup
sont inconuus aujourd'hui ; mais on y remarque don
Avalos d'Espagne, marquis de Guasl ; Eleonore d'Au-
iriche, soeur de Charles-Quinl et femme de Fran-
cois I", qui, lous deux, (igurenl egalement aulour
de la table; Marie, reine d'Anglelerre ; Soiiman II,
empereur des Turcs ; un prince negre ; Victoria
Colonna , femme du marquis Pescaire. Paul Veronese
s'est represenle lui-meme au ccnire du tableau ; il
joue du violoncelie ; pres de lui est le r<7?m, jouanl do
la basse; rmtore<ef Gossan, qui font parlic du niemc
groupe , jouanl de divers instruments ; Benedetto
Caliari, frere de Paolo, est revetu d'un costume
magnilique, el ticnt une coupe a la main.
Quelle grande el sublime idee (jue relte reunion
— 178 —
des souverains el des grands liummes de celle belle
epoque, assislanl au premier miracle du Chrisl! Idee
sublime, au momeni ou les schismes de Luiher el
de Calvin divisaient la chrelienle ! voila I'immense
genie des hommes d'alors !
Sous le rapport de la peinlure el de Teffel , celle
composilion est prodigieuse d'air el de richesse ; le
ciel est pur el brillanl comme pour un jour de feie ;
les oiseaux volligenl au ciel ; une foule considerable
de domesliques el d'esclaves, occupes au service de
la table, anime celle grande reunion ; la magie el
I'accord des couleurs les plus brillanles sent incom-
parables •, aucun peinlre n'a jamais vaincu d'aussi
grandes difficulles. On reprochera , comme loujours,
rinobservanee des costumes el des usages qui de-
vaieni elre loui autres aux pauvres noces de Cana,
en Galilee J ou on n'avail pas meme de vin a boire ,
et ou les costumes d'or , de velours el de sole el
I'archileclure magnifique elaient impossibles ; mais
que Ton se reporle a I'idee philosophique que celle
composition renferme, tout sera explique , il ne faudra
plus qu'admirer. Celle merveille fut payee 90 ducats
seulemeni (1).
La deuxieme el la iroisieme des grandes Cenes
represenlenl toutes deux la Madeleine aux pieds de
(I) II faul ici menlionner uu document ciiiieux qui est con-
serve et eucadreaujouid'hui [tres du lonibeau de Paul Veronese,
a St-Sebastien, a Venise. C'est le Iraile fail par lui avec le cou-
vent de San-Giorgio Maggiore , pour leque! il fit ce celehre
tableau dos Noces de Cana. 11 y est convenu qu'il touchera 90
ducats pour pris de son oeuvrc, et que le couvenl subricndra
a lous scs IVais et a sa nourrllure pour lui ol deux aides, pendant
lout le lern|)S de I'execnlion do I'ouvrage. [Note de I'auteur.i
— 179 —
Jesus chez Simon Ic pharisien , siijels irailes lout
fJifferemment : I'lin I'm fait a Sl-Sebaslion en 1570
et oe perd un pen, que par comparaison des Irois
autrcs ; I'aulre, dans le refectoire des Peres Serviles;
CO dernier fait aussi partie du musee du Louvre ;
Louis XIV I'avait demande a ces Peres qui le lui
refuserenl ; sur leur refus , la Republique le fit en-
lever, en 1665, pour lui en faire present. La scene
so passe sous un immense portique en demi-rotonde;
de magnifiques palais decorent le fond du tableau ;
les tetcs soul , en general , de beaucoup supericures
a celles des Noces de Cana ; ce font de superbes
tetes juives qu'il avait pu choisir h son gre, tandis
que dans les Noces de Cann , il avait ele oblige
de faire des portraits, ce qui pent expliquer ia dif-
ference qui est generaiement reconnue par les artistes
el les honimcs de gout.
La qunlrieme cnfin de ces Genes represenle Jesus
et ses apolrcs, chcz Simon Levi le publicain: elle fut
faite a Sl-Jean en 1575; la composition consiste en-
core en une immense table , pincee sur une espece
de terrasse sous un triple porlique orne de figures
sculplees ; on arrive a cetle terrasse par deux esca-
liers places a droite et a gauche du tableau et occupes
par des soldais et des servileurs ; des monuments
admirables , comme toujours , d'elegance et de per-
spective aerienne, decorent le fond de cette com-
position , aussi importante que les autres comme
dimension.
Ce tableau est d'un fini plus precieu.\ que les
autres , mais il manque de franchise el de fermete.
Ces sujets de festins out ele repetes par Paul
— 180
h
Vhonesc plusieurs Ibis, dans tliirerenlcs grandoni
el h differenles epoqiies , enlre aiitres celui qui ful
execute pour le refectoire des moines de San-Nazario
el San-Celso. 11 so Irouvc aujourd'hui a Genes, au
palais Doria ; il est moins grand que ceux prece-
demmcnl cites, mais ne leur csl pas inferieur ; uno
autre de ces Genes ful envoyce de Venise a Genes,
el elait dans la famille Durazzo , avec la Madeleine,
qui est une merveiile.
II execula de plus , dans ce genre, la Cenc de
I'Eucharistie, a Ste-Sophie de Venise ; une autre du
me;iie sujel el d'un iravai! plus delical, placee au-
jourd'hui a Home, dans le palais Borghese ; le festin
que Gregoire donne aux pauvres, chez les Serviles
de Vicence ; d'aulres , dans difTerentes galeries de
Venise.
Toutes ces ojuvres sonl magnifiques de grandeur
et de majesl6 ; avanl Paul Veronese personne n'a-
vail deploye ce luxe d'architeclure qui serl , pour
ainsi dire, de cadre k ses personnages, el en com-
mande tout nalurelleraeul la composition. II y fai-
sail, sans difficuUe el sans desordre, enirer un nombre
considerable de figures ; pour eviicr la confusion, il
se servail , disenl les historiens , de pitiles figures
modelees en cire el appelees maquettes, qu'il arran-
geait el disposail suivanl les exigences de sa com-
position ; il en avail meme , dil-on , un si grand
nombre, qu'il pouvail faire ligurer lous ses persou-
nages sous ses yeux, habilles des etoffes necessaires,
ce qui explique Pair et I'espace qu'il y a dans ces
reunions mcrveilleuses , et la degradation de per-
spective d'une figure a I'autre, dans des plans dif-
ferenls. II elait conslammenl enioure d'etoffes el de
— 181 —
vases (le la plus grande ricliesse, avec la luiniere et
le chaloicment desquels il se plaisail a luUer; de
plus, il avail I'avantage inappreciable de pouvoir
peindre les riches costumes de son temps ; les fonds
de ses tableaux sont toujours clairs el sentenl le
jour de niidi , heure h laquelle se font encore les
repas en ce beau pays ; toute la lumiere est tou-
jours dans le ciel , le reste n'esl eclaire que par
accidents.
On a souvent raconle que quand le tableau des
Noces de Cana fut expose au musee de France, les
jeunes eleves de ce temps , deja artistes , furenl
conslcines, disant : Nous nous sommes perdus! Nos
mailres nous onl egares... Tout en rendant justice
a cette oeuvre si magnitique, on peul dire, en lais-
sanl de cote toute partialite, qu'ils s'egaraient aussi
dans ce decouragement : la Transfiguration de Raphael
est autre chose et n'en est pas moins un des chefs-
d'oeuvre d'art ; la peinture, comme la litterature, a
un coloris pour la poesie et un pour la prose ; il y
a deux genres de sublime : celui de la poesie et du
sentiment, comme on le comprenait a Rome et a
Florence, et celui de la richesse el de I'imaginalion
que les Veniliens ont porl6 a la derniere perfection.
Toule discussion devrail finir a ce point.
Avant d'achever la suite des oeuvres de ce grand
peintre , il reste a parler d'une colossale et sublime
composition qui lui valul I'honorable distinction
de chevalier de I'ordre de St-Marc ; cette pein-
ture forme le plafond de la grande salle du Conseil
au palais ducal ; elle ful execulec dans les derniers
temps de sa vie , el represenle Venise triomphante ,
sous la forme d'une admirable femme revetue de la
— 18l —
pourpre royale, placcc dans le haul de la conipusi-
lion , elle est couronnee par la gloire^ cel^bree par la
renommee, enlouree de figures allegoriques , lliouneur ,
la liberie ct la paix; Junon el Ceres offronl les em-
blemes de la grandeur et de la prosperite. La partie
superieure du tableau esl ornee d'uue magnifiquc
archileciurc soulenue par de riches colonoes lorses;
plus has, dans une galerie , on voil une muliiiude
de malrones avcc lours enfanls , el (rhommes donl
les costumes indiquenl les divers rangs et les dignites
diiferenles ; des guerriers a cheval , des amies, des
enseignes , des prisonniers el des trophees de guerre
occupeni Ic premier plan de la scene.
Ce tableau , ou plulol eel immense ovale, esl un
abrege des merveilles a I'aide desquelles Paolo fas-
cinail les ycux en presentant un ensemble ravissanl
forme d'une muililude de details agreables, des espaces
aeriens , brillant d'une lumiere fraiche el pure, des
edifices somplueux qu'on voudrait parcourir, etc., etc.
Ceite magnifique composition represente reelle-
ment une des belles epoques de la vie de Veronese,
et devrail clore la suile innombrable de ses travaux.
Je vais cependant essayer de terminer d'une maniere
rapide la longue enumeration des peinlures du palais
ducal , quoique je ne suive pas de celte maniere
I'ordre chronologique, ordinairement usile.
Dans la m6me salle du grand Conseil se Irouvenl
deux aulres tableaux peints a la meme epoque que
Venise triomphante , ce sont : 1° Le retour du ge-
neral Pietro MocenigOj apres la prise de Smyrne. —
2° La defense de Scutari par le courageux capitaine
Antonio Loredano, contre les Tares.
— 185 —
Dans la salle du giaml Coiiseil, on voil plusioius
anlres tableaux doni rcxeculioM fiit decrelee par le
senat, el fails en concurrence avec le Tinlorei ,
savoir : i° Le doge Seha^tiano Veniero , un des plus
fameux heros de la Ripuhlique Venitienne, remlant
des actions de graces a Dieu, pour la vicloire rempor-
tee par lui sur les Turcs ; des Anges lui apportent
les symboles du triomphe. 2" Une Venise triomplmnle
sur un trone ; la Justice el la Paix l'ac:ompagnent.
5° Le doge Veniero faisant un sacrifice, pour ensei-
gner que la religion eiait un des princi[)es de la
Repnbliqne de Venise. 4" Eofin le Triomphe de
Neptune el de Mars.
Huil figures allegoriques sonl peinles dans les
caissons de celle salie.
L'enlevemenl d'Europe esl aussi une des merveilles
dn palais ducal.
II faut encore menlionner a Venise une ires belle
peinlure executee pour les dames du convent de
Sle-Calherine, c'esl le Man'age de cette Sainte; tons
les anges el les arcbanges assislenl i celle splen-
dide ceremonie. Ce tableau esl d'un aspecl clair el
argenlin.
II lui arriva, dans un convent de dames, une aven-
ture qui, je crois , pent interesser : il avail peint ,
pour ce convent, nn tableau repreienlanl le Paradis;
observant les regies de I'arl, il avail fait les figures
du fond , nioins lerminees que celles des premiers
plans, el plus adoucies de couleurs; ces dames
chucbotaienl enlre ellcs, el parlaienl du meconlen-
temenl qu'clles eprouvaient de ne pas voir asscz de
bleu , de vert el de rouge, el de ne pouvoir discernei'
I. 13
— 18ft —
les cheveiix ci les cils dos yeux des peisoiinages ;
qiiand arriva iiii peinire flamand , avec ses pelils
tableaux dores qui eblouireul les yeux de ces bonnes
soeurs ; elles ne larderenl pas a se repenlir de n'a-
voir pas employe uii lei peinire pour I'execulion
de leur Paradis; elles se disaienl, en se joignanl
les mains : quels beaux yeux ! comme ces chevenx
sont jobs! — D'aulres louaienl les levres de corail et
la flnesse des couleurs?. .. Une d'elles, enfin, s'avisa
de proposer de changer la peinlure de Paolo conlre
un des pelils tableaux qu'elle lenail dans ses mains;
les aulres, irouvanl I'occasion avanlageuse, appuye-
renl celle proposition el changercnl le diamanl cen-
tre le verre. Paul Veronese, loul lier, repril son
tableau el le vendil 400 ecus d'or (1).
Avanl de quitter Venise , revenons un instant au
palais Pisani , ou se trouve le tableau admirable
de la Famille de Darius presentee a Alexandre ; I'ex-
pression des leles y esl supeibe.
La famille Bavilacqua possedait de ses ouvrages ;
les ancelrcs de celle famille ravaicnl protege; on
voil meme un tableau represenlanl un des membres
de cette famille pres duquel Paolo se peignit lui-
meme, sous le costume d'un servileur; humble
hommage de reconnaissance qui , a celle epoque ,
n'avait rien de set vile.
II ne laul pas oublier un tableau place , aujonr-
d'liui , au musee de Venise el qui esl d'une grande
beauie ; je veux parler de la Grande sainte Famille^
on Ton voil figurer saint Jean, saint Jerome et saint
(1) Tire de Ridolli.
— 185 —
Marc en tusiu/ne dc cardinal, (^e labloaii celebre l';ii-
saii panic (In mu^ce dii Louvre avanl 1815.
Venise, cnfin , csl remplie de ses peiiiUires ; il
n'y a pas de palais, pas d'eglise , pas de couvent ,
on il n'ail laisse la trace de son passage.
A Sl-Sylveslre, une Adoration dcs Mages.
A Monleguana, an dome, une Trans/iguration el
une Ascensio)i ;
A St-Fraiigois de la Vigue, une sainte Famille en-
louree d''. divers saints , el une copie de la Cene, donnee
a Louis XIV; elle a ete faile par Valentin Lefevre;
A Sl-Pierre Sl-Paul , la Representation de ces
deux saints;
A Sl-Joseph, une Nativite ;
A Sl-Luc, ce saint ecrivant I'Evangile ;
A St-Andre, saint Jerome dans le desert ; ce ta-
bleau est uii de ccux on Veronese s'esl distingue
pour re.\ecuiion dii nu ;
A Sl-Julien , une Cene et Jems soutenu par des
Anges ;
A St-Jean —Sl-Paul, une Nativite ;
A Murano , aux environs de Venise , un saint
Jerome dans le desert. (Sujel probabiemenl repele
par lui.)
Au palais d'Oriago , qui a npparlenu an signer
Girolamo Grimani, son prolecleur, (|ui I'avail emmene
a Rome, on voit de Ires belles iVesques.
Je ne puis encore passer sous silence le Marlyre
de saint Georges, a Verone ; tableau admirable, au
haul duquel est represenle le del prmant part au
Martyre de ce saint , saint Pierre el saint Paul
— 180 —
inlercedanl pour lui ; les mis, iiolamnunl ccux dii
mariyr, sonl d'une beaule ineprochablo.
A Rimini, un saint Julien de Rimini; labieau ires
precieux de (ini el d'execiilion.
La Sant' Afra de Brescia el la sainle Justine de
Padoue, sonl deux immenses compositions que i'on
voit dans ces deux villes ; elles onl beaucoup souf-
ferl. On voit aussi a Padoue un saint Francois el
line Ascension; les Apotres qui figurenl dans ce der-
nier tableau sonl d'un peinlre nomme Damini , les
premiers ayanl eie I'urlivemenl coupes el derobes.
A Genes, au palais Durazzo, Olinde el Sophronie,
labieau superbe de coloris el de mouvemenl ; el
au palais Caregu, une Adoration des Mages.
A Florence ( galerie publiquo), une Esther devant
Assuerus; un Christ sur le Calvaire , admirable de
desolation . Un Portrait dc vieillard , vHu d'un cos-
tume a fourrures rouges, ; un Mariage de sainte Ca-
therine ; labieau cxquis el harmonieux.
Au palais Pilli, le Portrait de la femme de Ve-
ronese .
A Vicence , a Santa-Corona, xine Adoration des
Mages .
A Trevisc , on voii un labieau represcnlanl la
Justice ; c'est une fresque (ransporlee sur toile.
A Rome, au musee du Vatican, une sainte Helene ,
qui est de son beau icmps ; au palais Borghese ,
le massacre des Innocents, termine comme une mi-
niature, et saint Jean prechant dans le desert, en-
loure de cinq a six figures admirablemonl groupees.
On voit des peintures de Veronese dans loule
I'lialie, a Trevise, aPadoue, a Vicence, a Verone,
— 187 —
a Brescia, a Bergamo, h Genes, a Murano , no-
lammenl dans le palais du signer Camillc Trevisano,
a Torcello.
Oiiire les peintures execiUees par iui pour les
hlals Veniiiens, il recevail des commandos de lonles
les capiiaies (1). Vienne, Rome, Turin, Modene,
Londres, Amsicrdam , Anvers el Paris soilicilerent
la laveur de posseder qiielqu'nne de ses oeiivres.
M. du Housset , arnbassadmr de France a, Veniiie,
Ini acliela, a celte epoque. nn lableau represenlani
Ic Marlyre de sainte Jaslinc , i(i meme sans doule,
qui, aujourd'hui, est relourne a la galerie de Flo-
rence, et qui esl u!!e delicieuse composilion ; puis
la Conversion de la Madeleine , une Resurrection el
Venus et Adonis : je ne sais ce que ces derniers
sonl deveniis.
II fit , pour un cerlain Melcliior Piov;ino di Sjiii
Fosan , I'llistoire de Genevieve de Brabant, legende
raconlee tout au long par Ridolfi qui avoue ne pas
connailre le nom de celle heroine.
Je termine enfin ici la longue enumeration d'lMU!
parlie des ceuvres de ce puissant genie (2).
II laissa k sa mori un nombre eonsideral)Ie de toiles
inachevees el de fresques non lerminees, notamment^
un Depart de I'Armee Venitienne pour la Croisade ;
lahleau coinmande par le Senat et la Rcpubli(jne.
(I) il ne voulut jamais qiiitler I'Kaiie, sa faiuille et ses amis,
iiiaigre les sollicilalioiis pressanles qui Iui fuient falles, iiolarii-
iiieiil par Philippe II, roi d'Espagnc, (|ui voulait te charger de
la decoralion de t'Esciirial. (itiuoi.n.)
(■2) Uidolfi calalogue , poiir ainsi dire, loules los (ciivres de
Paul Veronese ; j'espere elre asscz heureux pour doiinor |>li)
lard une traduction lilleralc e( coinplele de cet auleur.
{Nate, fic I'auteur.)
— 188 —
II lain aussi parler d'une coiiiposilion oilgiiiale
oil il represente saint Antoijte de Padouj preclmnt ;
les poissons sorlis de I'eau forment son nudiloire.
Ce tableau est aiijourd'hui an palais Borghese.
Paul Veronese faisail aussi des dessins morveil-
leux pour ses compositions ; ils sonl pour la plu-
part executes a la plume, Lien arreles el laves au
bistre ou a I'encre de Chine; ils sonl Ires finis
el font les delices des amaleurs. tl travailla aussi ii
des dessins pour etre copies en lapisserie.
C'csl a Venise que ce granJ homme rendil son
ame a Dieu , en 1588, le 20 mai , jour de la 2*^
fete de Paques. 11 elail age de oG ans ; il mourul
d'une flevre aigue qu'il gagna a la suite d'une pro-
cession faile a I'occasion d'une indulgence accordee
par le Pape.
Son fiere el ses deux fils lui firent faire de ma-
gniflques funerailles a Sl-Sebaslien, oil il ful enierre
au milieu de ses ceuvres.
Son lombeau , en pierre, est ires-simple; son
busle , sculpte par Matleo Carneri en est le seul
ornemenl ; au dessous est celle inscripiion :
PAVLO CALIARI VElVONENSI PICTOKI
NATVR^ ^MVLO ARTIS MIRACVLO
SVPERSTITE FATIS FAMA VICTVRO ;
el sur la pierre qui recouvre sa depouille morlelle,
ce seul souvenir:
Paulo Caliario Veron. Piclori celeberrimo
iilii el Benedic. fraler Pienliss.
el sibi Poslerisnue
Decessit xii kalend. Maij
M.D.LXXXIII.
— 189 —
Ell inemoirt'. de ce grand peiiiire, il resle encore
son porlrait peint par lui-memc ; il fait partie de la
galerie des portraits des peinlres a Florence.
Son frere , Benedetto Caliari , qui lui surveculet
ne mourut qu'en 1598, age de 60 ans , lui peignail
souvenl les fonds de ses tableaux el surtoul ies
parlies d'architeclure ; il eiait fort habile dans cet
art; il cultiva egalement la pcinlure avec succes.
Paolo laissa deux Ills, Carlo ct Gabn'ele , qui,
heritiers de ses talents, terminerenl , ainsi que leur
oncle , les tableaux de leur pere. On lit meme dans
quelques tableaux : her(Bdes PauU Caiiari Veronensis
fecerunt. L'aine mourut a 26 ans, en 1596 ; il aurait,
dit-on, surpasse son pere; le second . Gabride, plus
adonne au commerce, el arlisie-amaleur distingue ,
mourut viclime de son devouement, pendant la peste
qui , en 1631 , desola une grande partie de I'llalie.
Outre son fr^re et ses fils, Paolo laissa un soul
eleve , nomme Giovan- Antonio Fasvolo ou Fasolo ,
de Verone, qui avail deja de la reputation en 1565 ,•
son niailre faisait le plus grand cas de lui. II peignil,
nolamment a Sl-Roch de Verone, un tableau repre-
sentanl le Miracle de la Piscine, dans lequel il imila
tellemenl la maniere de Veronese, que ceux qui
n'en connaissaient pas I'auleur , I'ont toujours altri-
bue a son maitre. II composa aussi , pour la salle
du Podeslal, plusienrs verlus morales; on raconic
qu'etant arrive a la tin de son oeuvre, des envieux
briserent la charponie de son ecbal'audage; il loin-
ba el se rompil la cuisse ; cvenonient qui causa sa
morl a I'age de 44 ans (1).
1 1) Ilultliiiucci .
— 190 —
« Paul Veronese « dil M. de I'llos « ciail liominc
» (le bien, pieux, civil, officieux, religieux dans ses
» promesses, soigneux dans I'educalion de ses en-
» fan is, magnifiqufj dans ses maniercs d'agir, aussi
» bien que dans ses habits ; el quoiqu'il eut amasse
» beaucoup d'argenl, il n'avail pas d'anlre ambition
» que de devenir habile peintre. II avail uue haute
» idee de la peinture , et repetail souvenl que la
)> peinture etail un don du Ciel ; que pour en bien
» juger , il fallail avoir de grandes connaissances ;
» qu'un peintre, sans le secours de la nature pre-
» sente, ne ferail jamais rien de parfait, et qu'on
» ne devait mettre dans les cglises que ies pein-
» lures sortant d'une main habile, parce que I'ad-
» miration cxcitail la devotion , el qu'enlin la
» pariie qui couronnail loutes celles de la pein-
» lure , consisiait dans la purete et I'integrite des
)) moeurs (Ij. »
A ce bel eloge, il taut ajouter qu'il ful I'ami de
ses rivaux ; le Tilien el le Tintoret avaient pour
lui la plus grande estime ; ils furent constammenl
en concurrence ensemble , et il est certain qu'une
si noble emulation n'a pas peu contribue ^ ses
progres .
Quoique Paolo eut vecu sans souvenl songer a ses
affaires qui , d'abord , furent assez mauvaises pour
I'obliger a se soustraire a ses creanc.iers, en vivanl
dans des monasteres, I'aclivite prodigieuse qu'il ap-
porlail dans ses Iravaux lui acquit cependani assez
de fortune pour soulenir honorablemenl sa famille
(1) Get eloge do Paul Veronese est tire en enlier de Ridolli,
son hislorieu. [Note de I'auteur.)
— 191 —
el la clignile des arls ; ses ceuvies, dii resie, ros|)i-
rent celle noble iiKlependancc qui esl le cachei d'nn
genie eleve el d'une anie pen commune.
On peui encore , a I'appui des (emoignages
transmis sur la noblesse de son caraclere qui, sous
cerlains rapporls, ressemblail beaucoup a celui du
Titien , ciler nn exemple de sa generosile : ayanl
ele re^-u lionorablemenl dans une campagne aux
environs de Venise, dans la maison Pisani, il fil un
tableau ropresenlanl la Famille de Darius (mcnlionne
plus haul), el Ic laissa en £'en allanl ; ce tableau
renferme les portraits de toule la famille Pisani.
Ses premiers essais avaienl ete des coups de mai-
Ire ; il elait devenu le rival du Tintorct, et ses
ouvrages consciencieux el rcflechis furenl presque
tons fails en concurrence de cet homnie fougueux.
II n'egalail point la force du pinceau de ce dernier,
ni la vigueur de sa composition ; mais il le surpas-
sait de beaucoup par la noblesse avec laquelle il
rendait la nature ; une imagination feconde , vive,
elevee , beaucoup de majesle el de vivacile dans
ses airs de tele loujours nalurels, la ricliesse de son
ordonnance, I'ensemble de la composition rendu
d'une maniere telle, que beaucoup d'observateurs
ont remarque que ses tableaux , ainsi que ceux de
la meme ecole, ne pouvaienl elre divises, taut les
parlies se lenaient elroitemenl liees enlre elles; ce
qui n'arrive point aux aulres ecoles. L'elegance dans
ses figures de femmes, la fraicheur extraordinaire de
son coloris argenlin , im[)ossiblc a c >pic'r a cause
de la preslessc de I'execution franclic et bardie, la
verile el la magnificence des draperies , \o\\h ce (pii
caraclerise surlout ses rcmarquables produciions.
- 192 —
Veronese peignait avec une rapidile etonnanle; ses
couleurs semblaient avoir eie posees vicrges dans
leur purete; sa palelle eiail la loile sur laquelle les
couleurs se melangeaieiit. Baldinucci pretend qu'il
preparait lous ses tableaux dans un aspect de demi-
teinle, egale dans toule la composition, qui , ensuite,
avec une prcstesse et un savoir infinis , elaient re-
haussee de touches lumineuses dans les parties eclai-
rees. Souvenl in6me, dit cet auteur, les lumieres
les plus vives de ses tableaux etaient reiouchees a
la gouache Iguazzo), ce qui fait que beaucoup des
ceuvres de ce maitre out cte gaiees par des hommes
assez inexperimenles, qui , voulant laver le tableau,
enleverent toute celle ileur qu'une main bardic y
avait resolumenl dunnce.
On comprcnd facilement que celte maniere, grande
el simple, de peindre pouvait seule avoir ce resuliat
brillant qui mt-t les ceuvres de Veronese en elat de
soutenir la lutle avec la nature meme ; rnais aussi,
il faul I'avouer, que de science ii Hiul pour operer
ainsi !. ..
Pour resumer, enfin, on [)eut dire que son dessin,
sans elre irreprochable , etait ferrae el vrai , que sa
couleur doit servir de guide a ceux qui veulent se
perfeclionner dans le clair-obscur , qu'il composail
avec une facilile extraordinaire , el que cliacun de
ses tableaux etait digne de lui ; il a eu I'honneur
de les voir presque lous copies de son temps ; c'est
une mine inepuisable poar ceux qui savenl I'appre-
cier.
Lc Guide disail de lui que s'il avait l\ choisir
entre tous les peinlros , il desirerait elre Paul Ve-
ronese; que dans lous U's aulres on reconnaissait
— 193 —
I'arl, inais que dans los ouvrages dc I'aal , la na-
ture se mniitrail dans loiKe sa verile.
La Galerie frangaise , a u Louvre, possede doiize
lahloaux de ce maitie :
Les Noces de Cana. (Meulionne plus haul.)
Le Repas chez Levi le Publicain. (Menliounc plus
haul.)
Les pelerins d'Emmam. (Ou il s'est repr6senle, lui
el loule sa famille.)
L' Evanouissement d' Esther. (Tableau niagnitique )
Loth el ses Filles. (Magnifique esquisse.j
Jesus dans la Maison de Pierre. Pelitc esquisse
legeremenl Irailee.)
Jesus au Golgotha. (Tableau ires riche do cou-
leur ; les foods ne sonl qu'esquisses.)
Le Christ enlre deux Larrons. (Tableau de clie-
valet merveilleux.)
Suzanne au bain. (D'une verile saisissanle.)
Un Portrait de Femme.
El deux Saintes Families.
Le nuisee possede, en oulrc, 14 magniliques des-
sins de ce grand peintre.
Avanl rexeculion des trailes do 1815 , le musee
imperial possedail encore :
1" Le Martyre de saint Georges. (Juste litre de
gloire, qui a cle replace a Venise.)
2° La grande Sainle Famille. (Reiourue au mu-
see de Venise.)
5° Un Christ au Tomheau. (Tableau inagnilique,
— 19/1 —
qui a beaucoup soiiffert par racliori du Icmps cl a
ele reslaure; il ful replace h Verone.)
4° El enfin , le plafond represenlant Junon ver-
sant des tresoi^f sur la ville de Vem'se , remis en
place, aujourd'hui, au palais ducal.
On voil encore au palais de Versailles deux su-
perbes tableaux de Paid Veronese ; le premier serl
de plafond a la charabre h coucher de Louis XIV, el
re|)resenle Jupiter foudroyant les Titans ; ce lableau
ful enleve a la galerie du Conseil des Dix , par
I'armee Frangaise , lors de la premiere campagne
d'llalie. Le deuxieme, provenanl de la meme origine,
sen egalemenl de plafond au salon dii du grand
Couverl de la Reinc et representanl saint M^rc
couronnant les vertus theologales.
L'ancienno colleclion de Louis XIV se moniaii ,
dil-on, a 26 tableaux do Paul Veronese.
On peut encore citer tin beau Portrait de Femme
dans le musee de Nantes, et deux tableaux repre-
senlanl , I'un la Femme aduUerc , el I'aulre une
Adoration des Mages, qui tous deux (onl parlio du
musee de Bordeaux.
- 195 -
LITTERATURE.
Cominuiiiciition de SI. Loriqiiet.
LA QUIQUENGROGNE ,
par M. Emilc CHEVALET.
II y a plusieurs annees qu'on annon^ail, sous ce
liire, nil roman de M. Victor Hugo. Ce livre, prone
il'avance, devail servir de pendant h Nolre-Dame
de Paris. L'aulcur , disaient les propectus , se pro-
posail d'y developper ses idees sur la feodalile mi-
lilaire el civile, cotiime Nolre-Dame de Paris lui
avail servi pour exposer celles qu'il avail sur la
I'eodalilc religieuse el ecclesiastique. Je ne sais si
M. V. Hugo a jamais eu dessein semblable en ecri-
vant Nolre-Dame de Paris ; on pent en douler en
lisanl son ouvrage; mais le pendant de Nolre-Dame
de Paris n'a pas vu le jour, il n'a meme jamais ele
tail, que je sache. En allendanl que M. V.Hugo
daignal trailer le sujel annonce, pour repondre h
Tempressement de ses edileurs el de ses prospecius,
iM. Eraile Clie valet s'esl empare du litre la Qiiiquen-
groyne, conimc d'un bien qui apparlenail a tout le
monde ; el , sans se preoccuper des scrupules du
mailre a I'egard des capitalisles associes pour I'ex-
[iloil;tiion de ses oeuvres passees , presentes el /i
— 19G —
venir, ii nous a donne rouvrage inleressanl tlonl
jc viens vous enlrelenir.
Le litre n'est aulre chose que le nom de la scene
oiise passcnl les evenemenls raconles par M. Chevalel.
II esl juste que vous sachiez oil nous allons avec
noire auleur, avanl d'apprendrc ce qu'il pretend y
faire. Qu'esl-cc done que la Quiquengrogne?
Si le nom flalle peu I'oreille, la chose n'etail pas
plus agreable aux yeux, Figurez-\ous queiquc cha-
leiain donl la force a fail le droit , el qui a besoin
de faire senlir le joug au vilain pour etre assure de
ses respects; un seigneur, due, conile ou baron,
aulour duquel s'agile une population inquiete , qui
dispute piece a piece avec elle loules les parlies de
la souverainete : pour lenir les mutineiics en ochec
el n'en etre pas loujours a balailler avec elles , il
voudrail bien museler court cl serrer ces teles re-
muanies. Rien ne commandera mieux le respect aux
mananis conime aux bourgeois qu'une bonne garni-
son, bien armee , bien fournie de loul ce qu'il faut
pour se soulenir en pays ennerni , surtoul si elle
esl abrilee derriere de solides murailles. Chateau,
tour ou donjon , le relranchemenl seigneurial s'ele-
vera loul pres d'eux , malgre qu'ils cm aient ; il
demeurera , comuie une perpeluelle menace , au
dessus de leurs habitations, au dessus des places el
des rues de la cite, au dessus des remparts meme
avec lesquels ils avaienl cru proleger a loul jamais
ce qu'ils appelaienl leurs droits el leurs franchises.
II n'esl pas de localite d'une cerlaine importance,
au moyen-age , oii I'on ne pourrail monlrer des
constructions feodales de ce genre.
— 197 —
Au nonibre lUs vingl-qualre tours qui llanquaienl
le clialeau de Bouiboii-rArcliamliault, il y en avail
deux remarquables surlout par leur grosseur: Tune
se nommail VAdmirale , el I'autre la Quicangroigne
ou Qmquengrogne. La derniere, seul debris de ce
formidable assemblage de pierres, sert aiijourd'huide
beffroi. Quand le due Louis I fil Iravailler a sa
conslruclion , les bourgeois se plaignirent de ce
qu'elle dominerail el battrail la ville, ils se sou-
leverent el voulurenl chasser les ouvriers. Mais le
due posla ses bommes d'armes autour des fondalions,
el fil conlinuer les travaux, repondaol aux clameurs
de ses vassaux : « On la balira, qui qu'en grogne. »
Le mol esl resle, vous le voyez, et longlemps en-
core ce ne ful pas un vain mol ; car ceci se passail
de 1517 a 1541. La Iroisieme enceinle de la ville
de Tours, qui comprenail une lour egalemenl ap-
pelee Quiquengrognc (1), elail de la meme epoque.
On peul done faire remonter au premier liers du
qualorzieme siecle au moius, ('usage de celle de-
nominalion. Nous la Irouvons menlionnee dans I'his-
loire de diflerenles villes , soil que I'opposition des
babilanls Tail originairemenl atlacbec a une con-
slruclion semblabie ix cellos dont nous venons de
parler, soil qu'on la leur ait donnee depuis par ana-
logic. II n'est pas meme toujours possible de pene-
irer jusqu'aux raisons qui en onl motive I'appli-
calion.
Vous vous rappelez le clialeau des arcbeveques
de Keims , aulrement dil Chateau de la Porte de
Mars, terrible epouvanlail dont on ne connait pas
(i; Enlre la porte du Chardoriiiel el la lour du Midi.
— 198 —
bien la tondalion originelle^ mais ilunt uos cliro-
niques onl conserve le souvenir comme de I'objet
perpelnel de la haine et de TefTroi de noire cile.
A voir remprcsscmenl que les habilanls mirent a
le delruire, quand ils en eurenl la faculle , il est
facile de s'imaginer leur deplaisir en le voyanl s'e-
lever ; nos peres, sans doute, n'assislerent pas a sa
construction sans protester, sans grogner, comrae
dit I'histoire d'aulres populations : Us se plaignirent
souvent des additions que le pouvoir archiepiscopal
y apporlait. lis eurenl aussi de fail leur Quiqiien-
grogne, bien qu'aucune parlie du chateau des ar-
clieveques ne paraisse avoir porte ce nom.
Mais j'oublie la Quiquengrogne de M. Chevalet,
ou plut6t cello de Sl-Malo, dans laquelle ii a place
son recii. Toulefois en vous parlant de la lutte des
archeveques de Reims avec ses habitants , je m'e-
loignais peu de men sujet : car I'histoire politique
des Malouins est aussi tout enliere dans leur per-
sislance h refuser I'obeissance h leurs seigneurs di-
rects, les dues de Brelagne ; et , quand plus tard
le duche ful reuni a la France, ils bouderent ega-
lemenl Louis XII et Francois I, rongeant leur
frein , toujours insoumis. De la part de gens qui
regardaient leur ville corame la cinquieme parlie du
monde, on comprend cet orgueil.
Sans cesse en discussion au sujet de la regale,
du liercage, du past nuptial, des irapots, des droits
de bris et de brefs de mer , etc. , les dues et les
eveques de Brelagne entrainaienl lour a tour les
populations dans leur querelle. Les prelats bretons
conserverent jusqu'au xv" siecle la preponderance
politique que ceux de France avaient perdue; ils
— 199 —
avaienl loujoiirs leurs sujeis, leurs armecs, leurs of-
ficiers, leiirs reveniis , ct pretendaient ne relever
que de Dieii et du Pape , meme en depil des de-
clarations contraires de ce dernier. L'eveque de
St-Malo , plus que lout autre , eiail a meme de
soulenir de pareilles prelentions. S'aulorisanl de ce
que I'ilc d'Aaron, sur laquelle s'elevail la ville, elail
dans le principe nne dependance de I'eveciie , il
prenait le litre de seigneur de St-Malo ; les Ma-
lonins , jaloux de I'indep ndance de leiir commerce el
de leurs murailles , faisaient "'olonliers cause com-
mune avec Ini ; do fait , leur ville n'eiait guere
autre chose qu'une republique , donl Teveque elaii
le chef, el donl le chapilre etait le senat. I.e droit
d'asile , au milieu du deluge de lois penales el de
juridiclions diverses qui inondaien! les cites du
moyen-age , faisail de Teglise et du cloiire la sau-
vegarde de I'innocence on la prison perpeluelle du
crime ; cetie justice , qui s'elevail au dessus des
justices huraaines et comme hors de leur atleinle ,
en valait bien une autre : comme les mcilleurs
choses, elle eul ses abus. Ce droit se irouvait atta-
che en Brclagne a lous les minihis ou lieux con-
sacres par la demeure ou la penitence de quelque
saint ; la ville de St-Malo , qui en jouissait lout
enliere, elail devenue surloul par la redoutable aux
dues. Les accuses, de quelque nation qu'ils fussent,
s'y trouvaieni en surele. C'etail naturellement la re-
iraile de lous les brelons qui aNaienl encouru la ven-
geance de leur souverain.
Longiemps done les dues furenl impuissanlsconlre
le mauvais vouloir des Malouins. En 1365, Jean IV
veul essayer d'6lablir nn iinpolsurles marcliandises ;
I. la
— 200 —
pour deciclor I'eveque el los habilaiils a s'y somnelire,
il Icur abandonne Ic tiers de ce qui se leverail dans
leur port, el les en excmple personnellemeni pour
tout ce qui concerne Icurs provisions de bouche.
Encore promel-il de reitoncer toul-a-fail a eel impol
irois ans apres.
Assieges par le due en 1594, i!s s'elaient donnes
au pape d'Avignon, soulenant que levfique el le
chapilre de Sl-Malo ciaienl seigneurj lemporeis el
absolus de la viiie, el tenaieni immedialemenl ce
fief du siege aposiolique , le prianl, au defaul du
roi de France , de pourvoir a lour defense. Cedes
ensuite par Clemenl VII au roi de France, el rendus,
malgre eux , par iransporl de Charles VI, au due
Jean V, en 1415, I'eveque, le chapilre et les habi-
lanis prolesient et prosenlenl une opposition au
roi. Le due est si pen sur de son droit, on plulot
il a lellement peur de le faire valoir , qu'en 1419,
il deraande au Pape des bulles qui lui assurent la
souveraineie dans Sl-Malo. Le Pape lui accorda ce
qu'il demandail , par une bulle du 24 mars 1424,
dans laquelle il est dil , contre ce que pretendaienl
I'eveque et le chapilre de Sl-Malo , que la souve-
raineie aussi bien que la garde de la ville, du cha-
teau el du territoire de Sl-Malo , apparlenaient de
loul temps aux dues de Brelagne. « Celle con-
firmation aulhenlique, dil D. Lobineau , n'empecha
pas i'eveque de faire une action d'eclal , qui fit voir
qu'il elait dans les memes principes que ses prede-
cesseurs. Revenant avec tout son clerge en procession
de la chapelle de Nolre-Dame du Laurier, le 29 mai,
et renlrant dans la ville par la porle Si-Thomas ,
il s'arrela sur le ponl el fil arreler la procession ,
— 201 —
pour regarilor line nouvello lour quo Ton elevail par
ordre du (Juc , el qui elail dej5 un pied liors de
lerre , lout joignanl les murs ; il demanda aux ou-
vriers par ordre (ie qui ils Iravaillaient ; ils lui re-
pondirenl que c'elaii pour obcir au due. Alors il
prolesla publiquement que la ville , les murs , les
fosses el Ie foods sur lequel on balissail cede lour
apparlenaienl de plein droil a lui el a son ('gllse ;
il d^fendil au due , a rarchilecte el aux ouvriers
de passer oulre ; enfin il prit un caillou qu'il jela
en presence de loul Ie monile sur I'ouvragc, conime
une marque de sa proteslation , el s'en fil donner
acle, pour sorvir en temps et lieu. »
En 1425, nouvelle bulle de Martin V, confirmanl
la reslilulion do Sl-Maio au due de Bielagne , el
declarani non fondees les pretentions et I'opposilfon
de I'eveque , du chapitre el des habitants.
Rcconcilies avec leur due, dix-huil ans apres ,
les Malouins veulent bien envoyer un depute au
sacre do Frangois I", mais loujours en proleslant
pour Ic mainlien de leurs prerogatives. Leur fidelite
n'esl pas moins douieuse sous ses successeurs.
En 1475 , Frangois II se vil encore oblige de
demander au pape Sixie IV la permission do balir
un chateau sur un fonds de l"eglise de Sainl-Malo,
« Ouverle aux criminels de toulc nation , disail Ie
due, a cause du droit d'asiie dont elle jonissait, il elail
a craindre que I'un de ces rel'ugies ne vint a la livrer
aux anglais. » Le Pape auiorise Ie due a faire ce
qu'il dcmande , mais a la condition qu'il deJomma-
gera lo chapitre el que la compensation sera acccplee
par dts commissaires.
— 20-2 —
Assiegcs , sous Anne ile Brelagne , par los troupes
de Charles VIII , les Malouins se defendenl d'abord
laiblemenl , puis ils se rendenl, en slipulanl la confir-
mation de tous leurs droits ; ils demandent nolam-
ment a etre juges par le chapitre on par des magis-
trals de Icur choix , ct a ne relever que du parlement
de Paris, ou seront porles les appels (1492).
Mais la duchesse Anne est devenue reine de France
ei le roi Charles VIII est son epoux. Abandonnes
des lors aux volontes de cette princesse , I'eveque,
le chapitre el les habitants sont bien forces d'obeir ;
loutes les franchises, loules les prerogatives el les
parlies du pouvoir pour lesquellcs ils avaienl si
loiigtemps combaitu s'en vont une a une; la du-
chesse , qui sail h quoi s'en tenir sur lour soumis-
sion, prend chaque jour de nouvclles garantios. Elle
veut bien exempler les Malouins de tout impot ,
moyennant une rente annuelle de irois cents livres ,
parce que , apres tout , cc sont les plus valeureux
enfants de sa Cretagne el qu'elle a inierel h voir pros-
perer leur commerce, mais elle met en meme temps
a execution le projei que son pere n'avail pu accomplir :
elle fail construire a I'entree de la ville une forteressc
rodoutable , destinee k tenir en respect cette indocile
population , el qui rendra inutiles , en les coupanl ,
Icsremparlsderriere lesquels elles'abritait. Le chateau,
ainsi mis au Carre el semblable a un immense char
c!e guerre , avec les quaire tours qui le soutiennenl
aux angles , deiie les Malouins et semble a Tabri de
leurs agressions ; il logera bel et bien le gouverneur
el les hommes d'armes de la duchesse.
Cependanl les Malouins murmurerent en voyant
les tours s'elever au dessus du sol.
— 203 —
Quic en groigne
Ainsy sera
C'est mon plaisir,
lenr repond la duchesse, a la maniere du due Louis I
de Bourhon ; et, pour leur laisser a perpetuil6 sous
les yeux ce rude, mais salulaire averlissement , ellc
ordonne de le graver en toules lellres el en relief
sur une des lours qui regardenl la ville.
Ainsi se irouva baplisee la lour qui porlait cellc
inscription. Ellc a garde ce nom de Quic en groigne,
sans conserver I'inscriplion que des sols onl effacee
des le commcncemenl de la revolution. Ne voulaienl-
ils pas alors delruire le chateau lui-meme , el avec
lui la trace des chaines qu'ils avaienl un momenl
portees de si mauvaise grace ; comme s'ils rougis-
saienl encore d'avoir cle brelons , el qu'ils ne se
fussenl crus Fran^ais que du moment ou disparaissait
I'anlique royaule de France qui les avail proteges
conlre les dues!
Le chateau subsisle encore. Ses lours de gianii
onl [)lus de cent pieds de haul. Celle qui fail face
a la Quiquengrogne , du cote de la ville, s'appelle
la Generale ; la Icur des Dames el celle des Moulins
flanquenl les deux angles atlenants au bastion de
Vauban qui fornje ce qu'on appelle la Pointe de la
Galere.
Tel est le chateau dans lequel s'accomplisseni la
]>lupar! des fails racunles par M. Chevalet. II me
pardonnera, si j'ai donne ici moins de place a son
livre qu'aux fails histuriques et aux reflexions qui s'v
rapporlenl. II a lui-nienio expose son dessein, je le
iaisserai d«tiic pailei'.
— '20k —
« J'avais (Iccouverl , dil-il , on visilanl la Qni-
queugrogne, une vieille inscription a peine dechiffrable
el qui clail absolumenl semblabie h une autre que
j'avais vue sur un inur en mines de I'ancien chateau
de Frapeslos , en Berry. Ces inscriptions idenliques
me semblaieut devoir apparlerir a la meme epoque ;
el, chose plus remarquable, avoir ete inspirees par
la meme pensee el gravees par la meme main....
Un antiquaire que je consultai a ce sujet , reconnut
que ces inscriptions dalaient de la fin du xiV si^cle,
el ful d'accord avec moi sur lour identite absolue,
avec celte difference pourtanl, que celle de Frapesles
avail precede de quelques annees celle de !a Qni-
quengrogne. — A la fin du xiv^ siecle , le chateau
de Frapesles servit de residence a Jeanne de France,
epouse repudiee du roi Louis XII ; mais il y a loin
de Frapesles a St-Maio , et je trouvai piquanl de
chercher a relier les anneaus eparpilles de la chaine
qui devaient me conduire h reconnaitre comment
on pouvait expliquer la presque siraultaneite de cetle
inscription laline : Nihil ex mhilo, exislanl au manoir
de la reine Jeanne, et dans la ciiadelle d'Anne de
Brelagnc. »
« Rien de rien : » Ceci est une loi generale ci
laquelle Dieu seul et les poeles font exception ; et
par poeles j'entends aussi les romanciers, qui, par
metier , sonl souvenl appeles a faire de rien quel-
que chose. Un mol leur serl de theme pour des
flols d'encre et de paroles. « Rien de rieu : » Com-
bien de volumes on pourrait faire avec cela ! quelle
mine inepuisable pour I'ecrivain qui court apres des
idees ! La rencontre seulc d'unc pareille inscription
n'esi-ellc pas une bonne fortune ? Quelle main I'a
— ^05 —
iracee, quelle csl rinielligence capable de penser d'aussi
serienses choses , qui a laisse son empreinle ici el la,
en deux endroils si differenls?. . . Dans celle seule
question, il y a maii^re pour unc longne hisloire.
Enlre les deux inscriptions , il y a loute la vie
d'nn hommc , peut-^tre nieme de plusieurs , el ce
rien se Irouve avoir enfante un nioiide.
Knlrons done dans le monde que M. Clievalet
vient de nous ouvrir.
Quelques raois apres avoir ete porler au due
d'Orleans, prisonnier h Biurges, les consolations
d'un coeur devoue , bien qu'abreuve de se:^ mejjris,
Jeanne de France elait venue a Frapesles el y avail
fail un asscz long sijour. En nienie temps un enfant
naissail dans ce chateau ; Tacie constatant qu'on
I'avait ondoye sous le nom de Louis-Yorik, declarait
qu'il elail sans parents connus, el cependant il lui
donnail la qualite de vicoinie de Frapesles , de la
volonle expresse de la jtrincessc. Alix de Kerloguen,
la lidele el inseparable compagne de la dnchesse,
s'elail chargee d'elever renfanl, elle pdssait pour sa
mere. Le chevalier de Lignac . auquelle elle elail
fiancee , rcnonce a elle ; la baionne de Kerloguen,
sa mere , devenue folle de douleur , maudit sa lille
qu^'llecroil deshonoree.
Plus lard , Anne de Breiagne fait accepter a la
baronne un asile dans le chateau de St-Malo. Alix
ell(!-nteme , apres la morl de Jeanne, vieiil habiler
celle ville avoc renfanl devenu grand , qui passe
loujours pour son his el qui croil I'eire, line forte
el pieuse education a developpe cliez Yorik les plus
nobles qualiies. Quand ranteur nous le nionlrc
arrivanl d'luie course loiniaine , sur son vaisseaii
— 206 —
la princesse Jeanne, on devinc, a sa coniiaissancf^
des hommes et des choses , h sa noble confiance ,
au respect qu'il coinraande aulour de lui , que le
myslere de sa naissauce cache une grande origine
el qu'il n'esl pas fait ponr I'obscnrite. Tandis qu'Alix
garde rcligieusemenl dans son sein le secret qu'eile
seule possede, et qu'eile fait lout pour detourner
celui qui I'appeile sa mere d'enlreprises trop elevees,
la fol!e de la Quiquengrogne qui a I'inluition vague
de ce qu'il est , reve pour lui des destinees royales
el le pousse a realiser ses reves ambiiieux. Place
par les Malouins a la tele de leur milice , dans le
moment oil le chateau vienl de reeevoir une gar-
nison francaise et le gouverneur que le roi Francois I"
a charge de ses pleins pouvoirs , il attire les regards
des nobles bretons, et prepare de concert avec eux
la delivrancc du duche.
En eponsant le due d'Orleans devenu Louis XII,
la duchesse Anne avail stipule qu'apres elle et son
mari, sa Bretagtie passerait a I'aHie de leurs enfanis.
Le mariage de Madame Claude de France avec le
due d'Angouleme derangea ses plans, el Anne
mourul sans que le fils qu'eile altendail pour lui
donner la Bretagne arrival ; quand Francois d'An-
gouleme ful devenu roi de France, le sort du duche
ful decide. Renee , seconde fille d'Anne, elait sans
droits sur la Bretagne ; le dauphin , fils de Francois!"
et de Madame Claude de France, devenait I'heritier
que designait le conlrai de mariage de la reine
Anne ; de gre ou de force, les bretons deraanderenl
a le reeevoir solennellement en celte qualite.
Ainsi ful consommee I'union de la Bretagne k la
France.
— 207 —
L'anlenr do la Quiquemjrogne esl icsic dans los
limiles du vraisemblabic , sinon du vrai hislorique,
CM imaginant un complot des nobles bre(ons pour
rorr.pre les chaines de la Rrclagne. I.a populalion
agissanle du pays elait recllement, ii cetlc epoquc ,
partagee on deux camps ; les parlisanis de ['union nc
i'emporterenl, aux etals de Vanncs , qu'en employani
I'adresse el la corruplion.
II esl permis d'admelire aussi , avec M. Chevalel ,
que les ennemis de !a servitude franpaise aienl pu jeler
les yeux sur Madame Renee dt France , comme reprc-
senlnnl mieux , au point de vue de I'independance de la
Brelagne, le sang de la reine Anne. Mais, suppose
que celle princes^e eut ecoute leurs propositions,
quelsecours, quelle influence utile meme leur eut-elle
assures? L'auleur s'aulorise en quelque sorte de cclte
impuissancepour amener Renee dans la Bretagnc , avec
mission d'etudier les besoins des nouveaux sujets du
roi , de conciiier les esprils, el surlout de calmer I'hu-
meur bouillante desMalouins. La cour se defiait d'clle
cependant , la regenle Louise de Savoie la voyail per-
sonnellement d'un mauvais oeil : comment accorder
cette mission de confiance donnee 5 une princcsse
suspecic, avec la polili(iuc que Ton suivait h Blois
et telle que l'auleur Ta depeinte ?
En prenant les ehoses de plus haul , on pourrail en-
core se demander si c'est bien a St-Malo qu'il faut
faire naJlre une ligue donl le but est de reiircr la Bre-
lagne des mains du roi de France pour la [)lacer sous
un chef & ello. Le lieu esl-il bien choisi? Cetle cite
jusqu'alors n'avaii jamais fait cause commune avec la
Brelagne. En opposition [terpeUielle avec ses dues , et
en dernier lieu surlout avec la dnchesse Anne, son
— 208 —
cri el sa devise etaieiit, M. Chevalel I'a dil : « Point
hreton, Malouin suis ! » La Quiquengrogne est \h pour
prouver que ce cri disail \ rai ; I'inscription qu'elle porte
au front est la reponse h ce memo cri , il ne vous est
pas permis de Ic faire menlir. Je sais bien que le corn-
plot est, a St-Malo, i'oeuvre d'un seul; le vicomle de
Frapesles agil dans I'ombre, dans le plus grand secret.
Je sais de plus que le populaire est mobile en ses gouls
comme en son humour. Mais , si je permels que les
Malouins regoivent mal leurs anciens amis les Francais,
el qu'ils s'insurgent centre ceux qu'aulrefois ils appe-
laient a leur aide, c'esl parce que la presence d'une
garnison est devenue menaQante pour les franchises
auxquelles ils liennenl par dessus lout, c'esl parce que
celle garnison represcnle pour eux aujourd'hui le pou-
voir ducal qu'ils n'oni jamais voulu reconnailre, c'esl
aussi parce qu'ils ont ele provoques par le Ills du gou-
verneur, el que les suites de cclle allaque onl ele la
mort de leur prevol el la disparilion de sa fille. A leur
insQU les Malouins sont Francais par le cceur el par
les habitudes , par leur amour de I'independance
principalemenl ; jamais vous n'en ferez des brelons :
nous croyons I'avoir demonlre au commencement
de ce travail.
Quoiqu'il en soil, poursuivons. Madame Renee de
France est en Breiagne ; des I'abord , renlenle la
plus cordiale s'elablii enire elle el le vicomle de
Frapesles, ces deux ames se sonl comprises. Raou-
letle, la douce tille du sire de Bizien, du prede-
cesseur du vicomle dans le posie important de prevol
de la milice malouinc , Raoulelle , ii laquelle le
vicomle est liance depuis longlemps , son enle-
vement , sa caplivit(i dans la Quiquengrogne el les
~ i()9 —
dangers qii'ellc courl n'oui plus qu'uii mince inlerel
|)om' Iiii. Nous soninies loin tlu temps eii Yorik
provoquail lo Ills dii goiiverneur , le ravisseur dc
sa fiancee , et le jelail .'i la mer du haul dc la
Qniquengrogne. Arrele ini-nie:iie par le comic de
Qiarolles an milieu de ses plans , il avail vu le cha-
teau lomber aux mains de la milice malouino, sans
pouvoir s'employer a pacifier Ics esprits. Disons en-
core que ce cnmle de Charolles qui commande le
chateau, n'etail autre que le chevalier de Lignac.
Alix a reconnn le fiance qui I'a dedaignee ; pressee
par le danger de celui qui I'appelle sa mere, elle com-
munique an gouverneur des preuves irrecusables de
la haulc origine d'Yorik. Malheurensemenl cc secret
qui la rehabilite meurl avec le comle de Charolles ;
sculemenl (pielques mots d'Alix avaienl cte retenus
et porles a la cour de Blois ; Renee en avail eu
connaissance , la folic de la Quiquengrogne lui avail
repele que le vicomle dc Frajiejles devait etre du
sang des rois : « Madame Jeanne de France , disail la
baronne, recevait bien souveulla visite de Charles VIII,
du temps qu'Alix vivail pres d'elle. » El la dessus
Renee trailnil Yorik de cousin, desireuse de lui donner
publiquement cetle qualile, el hientot de se rapprocher
de lui d'une maniere plus inlime encore. La poli-
tique des nobles brelons qui exige que la princesse
appelee a regner sur la Bretagnc cpouse I'un d'eux ;
le danger qu'elle courl en mer avec Yorik, sur le
vaisseau la princesse Jeanne ; I'ordrc de revcnir a
Blois que lui intime la cour inslruile de ses me-
nees; et, par dessus tout , un irresistible penchanl
renlralne a precipiter son mariage. L'eveque de
Sl-Malo allaii unir secretemeni Yorik el Renee ,.
— 210 —
quand Mix accourl el revele a lous les deux cc
secret religieusemenl lenu par elle. lis etaienl les
enfants du meme pere ; la mere inconnue d'Yorik,
c'elail Jeanne de France , celte princesse delaissee,
bannie de la presence de son roi el de son cpoux,
pour ceder sa place et son litre a celle qui depuis
longlemps posscdait le coeur de Louis XII.
Je passe rapidemenl sur ce qui suit et je neglige
dans le recil de M. Chevalel la renoncialion d'Yorik
h reclamer ses droits sur la couronne de France, sa
determination d'aller chercher sur d'autres lerres I'em-
pire auquel son grand coeur el ses nobles facultes sem-
blaienl le dcsiincr , son mariage avec Raouletle , Icur
mort enfin , de la main de ce fils du comte de Charolles
qu'Yorik avail cru tuer el quis'etait charge jusqu'alors
d'epier sa condiiite pour en rendre compte a la cour
de Blois ; je ne dirai meme rien de Jacques Car-
tier , I'eleve d'Yorik et le chef de celle suite de na-
vigaleurs hardis que St-Malo a donnes a la France.
Le fail de la naissance d'un fils issu legitimeraeni
du mariage de Louis Xll el de Jeanne de France ,
domiue ici lout autre interet. Suppose qu'il Cut vrai ,
il aurail pu cnlrainer les consequences lis plus gra-
ves : meme a I'eial de supposition , il merile au moins
d'etre examine. Nous devons done rechercher sur
quels fondemenls on pourrail Tappuyer.
II y a eu peu de princesses plus malhcureuses que
Jeanne, si toulefois on peul I'elre, quand on sup-
porle aussi paliemmenl les plus rudes epreuves. Tout
le mondc connatl sa vie, son mariage el la disso-
lution de cette union mal assortio, rallachemenl con-
stant qu'elle cut pour Louis Xll, sa soumission au
jugemonl qui la comlumnait au pire des vcuvages.
— 211 —
celtii des e|»oiJses ropudices , s:i conslance el sa re-
signation, qui, non moins que sa piele, lui onl
meriie des aulels.
Nous nvons deja rapporle que Jeanne oblint a force
de prieres la permission dc visiter son epoux pen-
danl sa delenlion a Bourges. Que se passa-l-il dans
celle enlrevue? L'infidele epoux ful-il louche de I'i-
nallerabie devoument de celle qu'il avail loujours
si crueiiemenl Irailee ? rinfortunee princesse rcQul-
elle de lui, comme le dil M. Ciievalol , un accueil
un peu cordial el capable de lui faire oublier lout
ce qu'elle avail soufferl ? je ne sais. Ce boolieur ,
en tout COS, n'aurail pas ete de longue duree. De-
sesperanl de flechir sa sceur en faveur du due , ellc
s'adressa au roi seul el parvinl a remouvoir : « Vous
aurez, lui dil-il , I'objel de vos regrels , el veuille
le ciel que vous ne vous en repenliez pas ! » En
sorlanl de prison , Louis d'0rl6ans rononga (ormel-
lemenl a ses prelenlions sur Anne de Brelagne,
il se chargea meme de negocier aupres d'elle I'al-
liance qui amena la reunion de la Brelagne a la
couronne. C'elail I'exposer a la lenlalion de faire
ses afT:jires aupres d'Anne prcferablemenl a celles
du roi ; aussi n'eulil pas le sncces qu'on avail
espere de sa mission, el, si son amour ne I'ul pas
paye de relour ouverlemeni , tanl que vecul Charles
VIII, Anne ful lonie prele a se donner & lui, des
qu'il so pourrail, « ne dcsesperant pas lam de son
» bonheur, comme dil Branlome, qu'elle ne pensasl
» eslre un jourreyne de France regnanle, comme elle
» avoil eslc, si elle vouloil. Ses anciennes amours
» luy foisoieiil dire ce mol , ajoule naivcmcnl le ma-
» lin biographe, car mal-aisemeni se peul-on de-
— ^2\2 —
» i'aire d'uii yrand ten ciuaiid il a uno fois saisi
» I'ame. »
Colle meme Anne , qui avail fail loulos sorles do
difficulles h son mariage avec Charles YIII cl qui
avail feinl alors de lenir a la parole donnce h Ma-
ximilien d'Autriche , elie si timoree , si bciupuleusc
d'ordinaire h I'endroil des prescriptions de I'eglise
el de la morale, ne Irouva point que le mariage dc
Louis XII avec la fillc de Louis XI pul rempecher de
parlager le lit el le ironede sonamanl. Seulemenl elle
vouhit qu'on mil au renvoi de Jeanne loulesles formes
requises, que Jeanne (ul , en un mot, legalemenl
repudiee. Do son c6te, ce roi qui ne vengeait pas les
injures du due d' Orleans, ce Louis XII donl on
a vante la justice el la bontc , n'eiail pas moins
oublieux des devoumenls donl il avail ele I'objel.
Commines s'en plainl : la conduile dc Louis XII
envers sa fcmme a donnc Irop raison h Commines.
Le beau role du reslc dans ce proces deplorable ne
fut pas du tout pour iui
c. Jeanne, dii M. Chevallel, opposa des obstacles
6 cello repudiation, non pour conserver un rang qui
.n'avail plus a ses yeux la moindre valeur, encore
bien moins dans le bul de contraindre a la garder,
un mari donl elle elail cerlaine de n'avoir pas le
cceur, mais seulemenl parce que ses convictions re-
ligieuses Iui faisaienl considerer I'annulalion de son
mariage comme nn crime donl elle ne voulail pas
elre complice. » Rien n'esl plus vrai , la fille de
Louis XI prolesla longlemps conlre ce scandale ;
mais, une fois le proces engage, elle sul defendre
pied-a-pied le terrain qu'on Iui disj)utait. Elle demontra
clle-memc Tinanite des premiers motifs allegues; elle
— 215 —
sut bien prouvcr en outre que la conlrainle donl se
plaignait Louis XII n'avait pas loujours exisle pour
lui, et que, s'il avail protesle differentes fois contre le
mariage qu'on lui avail fail faire, il n'en avail pas
loujours ele de meme dans leur vie interieure. Quand
son epoux el son roi n'iiesila pas i livrer a dcsjuges
vendus (1) les secrets de la couche nupliale, Jeanne
protesla haulemenl el rcfusa de subir des 6preuves
injurieuses ; son langage fut fcrmc sans arrogance ,
precis sans ostentation. Le point qu'elle s'attache le
plus a comballre est precisemenl celui qu'il nous
importail le plus d'eclaircir ici. On la disait improprc
au mariage^ on alleguail meme comme preuve unc
leltre de son pere au comie de Dammarlin , par
laqr.ello, lui annon?ant le mariage projele de sa fille
avec le due d'Orleans , Louis XI declarail en quelque
sorle qu'il s'y elail decide dans I'cspoir qu'ils n'au-
raienl pas d'enfanls; el, pour atlesler I'aulhen-
ticile de cetle leltre fabriquce , on faisail entendre
una foule de lemoins pour cerlKier que la signature
elail de Louis XI el le contre-seing de Tillart;
comme si Louis XI avail pu prevoir que sa fdle
scrail slerilo , a Tcpoque ou elle fut promise , c'est
a dire quand elle avail deux mois.
A regard de la consommalion que le roi avail nice
faiblemenl d'abord, puis fdrmcllement en dernier lieu,
elle savail bien ciier les occasions, Ics lieux , Ics
propos meme de Louis XII , a ce sujet, dans certains
moments de bonne bumeur , loutes les circonslances
(1) La decision etait tetlcraent arrel^e et convenue d'ayance,
que le Papc I'avait devancee lui-memo en donnanl les dis-
penses necessaires en raison de la pareute qui exislail entre
Louis XI! ot Anne de Rrelagne.
— 21/1 —
cnfiii propres a demonlrer que ce prince mentait ,
qnand il preiendait n'en avoir use ainsi (jue par dissi-
mulaiion et pour la paix, meme apres la morl
de Louis XI , el que jamais il n'avail approche
d'elle. Branlome, avecsa franchise ordinaire, rapporle
I'opinion la plus accreditee sur ce point. « Je croy ,
>, dit-il , que son mary , comme j'ay ouy dire , I'avoit
» fort bion connue et viveraenl loiicliee , encore
« qu'elle fust un pen gastee du corps. Car il n'tsloil
» pas si chaste de s'en abslenir , I'ayant si pres de
)) soy el autour de scs costez , veu son nature! qui
» esioit un peu convoileux el beaucoup du plaisir de
» Venus , comme ses predecesseurs. » Entre Louis
XII juranl d'une part qu'il n'y avail pas eu consom-
raalion , el Jeanne declarant de I'aulre que sa con-
science I'empechail d'en demeurer d'accord, le choix
n'etait ni difficile , ni incertain ; quand meme Jeanne
n'eul eu pour defense que sa vertu , el que le
peuple ne se fiit pas encore plu k chercher I'inler-
venlion du Ciel en sa faveur dans des miracles el
des prodiges plus ou moins coniestables.
On peul consulter sur tout cela le proces-verbal
de dissolution du mariage; Dnclos , dans son Hisloire
de Louis XI , ea a donne des exiraits d'apres le
manuscrit en 434 roles qui exisle a la Bibliolheque
nationale, sous le n° 5974. Aucune piece n'esl plus
propro, suivanl moi , a etablir le bon droit de Jeanne
el I'abus qui ful fail de Tauloriie religieuse pour
complaire aux volonles de Louis XIl et donner pleine
carriere a I'intemperance qui devait hater sa mort.
La raison d'Elal et le besoin de donner un heriiier
direct a la monarchic ne furent pas invoques, comme
ils le furent i)lus lard dans une circonslance du meme
-— '215 —
genre; mais les aulres moyens employes etaieul les
memes, ils ne valaieni pas mieux. Les theologiens
de I'Universile de Paris ne craignirenl pas d'en dire
leur sentiment , en presence nieme du Roi ; le peuple
murmura hauloment , et le Irisie siicces de Louis XII
que Jean de Sl-Gelais , son panegyrisle, appelait nn
tour fait selon Dieu et conscience (I) , lui eut aliene
bien des esprils, s'il n'ciil Iravaille a devenir un bon
roi, pendant que sa viciime devcnait unc sainte.
Joanne n'eul pu reclamer conlre la separation,
sans donner lion a dcs troubles qui eussent nui aux
interels de I'Elal. A qui d'ailleurs se fut-elle adres-
see en ce monde ? Alexandre VI n'^lail pas liotnme
|i revenir sur une decision donl son fds avail reQu le
prix. Elle eut done iccours :i Dieu seul , et , retiree
dans le Berry que le Roi lui avait donne , elle se
livra tout eniiere h In vi'^ roligieuse qui avait tou-
jours eu des altraits pour elle.
M. Chevalet a cherche a expliquer le silence de
Jeanne au sujct de rcnfant donl il I'a bupposce mere.
« Dcvonuc grossc , dit-il , dans un temps ou Loui^
Xll preiendait rnvoir traitee toujours comnie sa sceur,
un sentiment do pudeur Tcmpecha d'avouer sa gios-
sesse. Que n'eussent pas dit scs enncmis?.... Elle
remit done a plus tard de reconnaitre publiquement
le fils auquel elle devait donner le jour.. . . Lorsque,
par I'annulation de son mariage et par le silence
qu'elle avait garde jusque la , Jeanne se trouva dans
I'impossibilite morale de faire constater la legilimit^
de son Ills , elle se consola aisement de cetle mau-
vaise fortune, disani que son Yorik seruit bien plus
(I) Hist, de Louis XII, page 135.
I. 15
— 216 —
heui'eox d'etre eleve dans la mediocrii6 que dans la
grandeur; elle ajonlait qu'il etail bien difficile, dans
un haul rang, de conserver les belles qualites dn
coeur , et que le roi Louis XIl en etail la preuve ,
lui qui etail si bon nalnreliement , el qui avail nean-
moins a se reprochcr de grands crimes envers elle
Knfin elle disait encore qu'elle avail tani soufferl parce
qu'elle etail nee sur le trone , qu'elle voulait epargner
a son enfant adore les douleurs inseparables du rang
supreme. »
Ces motifs de la part d'une princesse telle que
Jeanne , joints a la position etrange dans laquelle elle
se Irouva el au jonr singulier qui ressorl de ses decla-
ralioDS dans son mallieureux proces, suffisentS donner
quelque vraisemblance au fail que M. Chevalel n'a
pas craint de meltre en lumiere , quoiqu'il ful in-
connu a I'histoire. II ajoute avec raison que la reine
n'avait pas le droit de disposer ainsi de la vie d'un
prince ; les rois et leurs families apparliennent a
I'Etal, c'est une loi commandee par la religion elle-
meme dans I'interet des societes , el que le droit
public de la France a particuliereraent consacree ;
Jeanne ne pouvait roublier , sans que la sagesse de
son esprit eut ele troubl6e par I'exces des inforiunes
dont elle avail fait la triste experience ; h moins
que eel ange ne tini plus & la terre el a ses inte-
rels , depuis qu'on avail tanl fait pour Ten detacher,
el que , s'exageranl d'une part les perils de la vie
publique, et de I'autre les avanlages de Tobscurite,
son amour de mere chretienne preferai pour son fils
ce dernier heritage avec les graces celestes qui le
suivent. Ainsi nous la presente , en effet , M. Che-
valet , el ce caraciere , aussi vrai que louchanl ,
— ^217 —
trace par la [jit'iise Alix do Kerloguen el souvenl
reflete par elle, nVst pas le moindre inlerel de soa
livre.
Nous avons ele irop long pour nous etendre davan-
tage sur les meriles que nous avons reconnus dans
I'ouvrage de M. Chevalel. Disons seulemenl que son
action marche d'elle-merne, sans embarras , comme
sans I'aide des grands moyens que le drame nioderne
a inventes dans scs momenls de deiresse. Un lecteur
difficile Irouverait peut-6lre un peu de lenteur au
debut , la suite menage d'agreables jouissances ^ sa
perseverance. Sans employer les mots sonores , les
images a eflfet el les singulariies , M. Chevalet a
quelquefois de bonnes fortunes de style , comme dit
M. Hugo en parlanl de Sauval. Plus simple el plus
vraie , plus morale surloul , sa Quiquengrogne est
quelque chose de niieux qn'uii |)endanl de Notre-
Dame de Paris.
218 —
Lecture de )i. Gaiaet.
LE VOYAGr; DE GERBERT EN ESPAGNE.
Au milieu du x' siecle , un comle d'Urgel, qui elait
venu en pelerinage a I'abbaye de St-Gerault, erame-
nail avec lui un jeune Aquilain. Ce jeune homrae ,
sorli des rangs du peuple , avail ele accueilli a I'age
de \0 ans comme un fils par I'abbe du raonaslere,
el les membres les plus erudils de celle famille de
moines en firent un si grand cas , qu'ils I'envoyerent
en Espagne afln d'y perfeclionner son educalion scien-
tifique , et de rapporler dans sa patrie les secrels de
la science que pouvait posseder ce pays dont la
renommee disail de grandes choses.
Ces moines avaieut compris Gerberi , c'esl a dire
I'homme du x^ siecle, dont la vie pique le plus vive-
ment la curiosile. Aux dons du genie sont venus se
joindre en lui non seulement les souvenirs d'un
voyage loinlain , mais les conlrasles d'une exisience
pleine de mouvemeni et de peripelies , d'une nais-
sance obscure , qui aileint le dernier lerme de la
grandeur humaine.
J'ai voulu savoir s'il 6lait possible de se rendre
un comple a peu pres exact des choses que Gerbert
avail rapporlees d'Espagne, je n'ai pu arriver qu'a
— 219 —
un resullal bien peu precis ; mais il m'a semble
que le pins sur mojon d'approcher du vrai, elait de
comparer enlre elles les deux civilisalions la civi-
lisalion chretienne el la civilisation arabe : ( car
quoi qu'il ne soil pas certain, il est assez vraisem-
blable que Gerbert a peneire jusqu'a Cordoue. ) Par
ce moyen , on est en mesure de resoudre la question
plus generale , de savoir quels emprunts les Chretiens
du moyen-age ont fait aux peuples musulmans.
Les principales faces d'une civilisation sont : la
legislation , les sciences , les letlres , les arts , le
commerce el la guerre. On peul, sans entrer dans
tie longs details el d'apres les fails les plus generaux,
fixer sa pense en comparanl ces divers aspects des
deux civilisalions.
La premiere observation que fail naitre I'histoire
comparee des deux peuples , c'est que le x° siecle
est le dernier des siecles chretiens pour la culture
inlellectuelle , el pour le desordonne el le decousu
de la sociele exterieure ; el, tout au conlraire , c'esl
le grand siecle des mahomelans ; c'est leur siecle de
grande prosperite , de grande puissance , el du plus
haul degre de lumieres ou ils aient pu alleindre. II
ne serait done pas Ires humiliant pour nous qu'ils
eussenl ete nos maitres a celle epoque el dans un
seul moment de noire hisloire. Nous pouvons etre
irapartiaux , el genereux meme, dans nos jugements
a leur egard , sans qu'il en coute beaucoup h noire
amour-propre. II esi de fait , cependanl , que nous
n'avons guere de concessions U (aire.
Les regnesdAbderame II, d'Okam , d'Abderaine III
en Espagne, le regne des califes d'Egyple , de Syrie
el de Perse , a la meme epoipie , sont memorabli's
— -220 —
el jellent uti grand eclal. Bagdad , Danias , Bassora ,
Alexandi'ie el Cordoue elaieiil des centres d'aciivite ,
de richesses el m6me de savoir.
Les mosquees de Danaas el de Cordoue , le palais
de I'Alhambra , avec ses elegantes el legeres colonncs
multipliees a I'infini, avec sa cour des Lions si vantee,
nous disent assez a quel point de splendour etait monlee
rarchileclure.
La superiorite de lours amies se deraonlre par le
fait : ils dominaienl en vainqueurs dopuis les regions
qui s'etendent enlre I'Euplirale el I'fndus jusqu'a
rOcean atlanliquo, Leurs conquetes enfermaienl I'em-
pire Grec dans un cercle de jour en jour plus elroil.
Les soldats Chretiens d'Espagne revenus de lour abat-
temtnt , commenQaieni, it est vrai , h Icur disputer
la victoire ; et , au x" siecle memo , Ramire II , roi
de Leon , sul aueantir , dans la journeo de Simancas,
une arnnee de 150,000 arabes commandee par un
capilaine tel qu'Alcxandrc III. Toulcfois , on doit
avouer que , jusquo la , ils avaienl eu la superiorite
de la discipline railitaire , qui est d'un si grand poids
pour le succes des arraes. Aussi leur nom elait
redoute par le resle de I'univers , meme alors qu'il
y avail en Occident un empereur qui s'appelait
Othon I".
Par Adorn, Alexandrie el la mer Rouge, ils etaient
les courtiers du conimorce entre I'lndo et I'Europe,
et ils en profitaienl avec assez d'habilete pour le
temps ; ils ne s'oubliaienl poinl dans les droits de
transit , qui etaient fort eleves, alors qu'ils ne savaienl
accorder qu'nue mediocre securite aux raarchands.
Plus lard , ils confectionnerenl de riches eloffes de
soio , d'argcni el d'or. Les lapis de Perse onl loujours
— ^2*21 —
ele une specialile de celle nation ; mais ils iie pureiil
jamais elre les conciirrenls daiigereux de Barcelone ,
de Genes, Florence el Venise. M. de Sismondi nous
a fail bien connailre la valeur commerciale de ces
dernieres villes. Je vais , d'apres M. Dipping, dire
un mol de Barcelone , qui nous csl moins connue.
Nous y Irouvous , pendanl le inoyen-age , loulcs les
inslilulions qui caraclerisenl une ville de commerce
marilime de premier ordre ; un porl defendu par
des travaux imporlanls el bien frequenlc par les
navires etrangers , des chanliers de constructions,
de vasles magasius, une douane , une bourse, un
consulal, une municipaiiie, des t'abriques , des depois
de marchandises etrangeres , enlin un njagnilitjue
arsenal conslruil aux frais de la ville : voila ce qu'elail
une ville marchaudo cliez les chreiiens du moyen-
age. Aussi, dans sts plus nKuivais momenls, Th^urope
clirelienne n'avait rien a apprendre des Maures dans
le commerce. Les Grecs de Consianiiuople les ega-
laienl ou les effagaienl dans les objels de luxe , el les
Occidenlaux puuvaicnl s"en pas^n^r pour les usages
ordinaires de la vie; seulemen! , les brillanles elodes
que porlaienl les clialelains leur elaienl envoy6es de
Grece ou de Perse ; maiselles elaienl echangees conlre
des produils dc nos conlrees.
II s'en t'aul que les nations chreiiennes fussenl lou-
jours des modeles de bonne t'oi commerciale , mais
la perfidie mahomelane envers la race clirelienne
n'avail point demesure. Cliacun sail ce qu'est devenue
la mer Medilcrraiiee pendanl qu"ils en occupaien' les
principaux ports. Au lieu d'etre Ks grande ronle (pii
reuuit Us trois |)arlies du monde elle elait un piege
conlinuel que la [uralerie musulmane teudail au com-
— 222 —
merce. II a lallii le genie de Ximenes el de Charles
V pour rendre un pen de securite aux voyageurs
Chretiens. Ce qui n'a pas erapeche qu'une flolle du
Grand Seigneur , avcc lequel Francois I" avail conclu
line inconcevable alliance , par les soins de I'incon-
cevablc Moniluc ; cela n'a pas empeche, dis-je , que
celle floUe ne s'en relournal chargee de jeunes lilies
que k's soidals lures avaienl arrachees des bras de
ieurs meres , en Provence , pour les conduire dans
les harems de Constantinople , el ce ne t'ul pas pour
la France uu casus belli.
Les Musulmans ne pcuvenl reveudiquer aucune des
belles invoniions qui onl valii au commerce son im-
mense deveioppement. La letlre de change, qui a
donne au credit ses proportions fabuleuses , est
d'origine lombarde. Jamais Bagdad , Alexandrie el
Florence n'onl compris I'economie politique comme
Barcelone el Venise. Le doge Moncenigo esl surpasse
par les economisle du xix*" siecle ; mais il reste leur
pere.
La superiorite arabe paiail plus decisive dans le
domaine des sciences. Toutefois , la vicloire est plus
dispulee par les Chretiens qu'on ne le croil commu-
nemenl. Le Triviuin , qui comprenail la grammaire,
la logique el la dialoclique , etait cultive chez nous
aveczeleel non sans qoelques succ6s. Mais le Qua-
dravium , qui comprenail les sciences que nous appe-
lons aujourd'hui exacles, etait lombe bien bas. Ger-
bert , cepciidant , n'elail pas le seul savant qui leur
lit honncur. II a meme lrouv6 un concurrent dans
la cour d'Othon IL Dans utie fete que I'empereur
donnait a Kavenne , un duel scientifique fut etabli
cnlre Oirie el Gerberl , et la gloire du combat fut
- '2^3 —
pai'lagee ciitre los deiix coiicurreuls. Oirie on savail
assez pour redresser son emule sur un poinl demalhc-
maliques. Le docle Monlucla , qui s'esi livre a des
recherches Ires approfondies sur I'etal dcs sciences
chez les Arabes, convient qu'ils ne leur onl pas fait
faire un seul pas. lis avaieni loul regu de Consian-
tinople ; c'esl de la qu'elaienl venus leurs mallres .
et les desciples n'ont jamais pu egaler ces niailres ,
deja degeneres du Bas-Empire. De tous los livres
qu'ils onl regus des Grecs , ils n'oni pu en conserver
un seul dans son int^grile. En les iraduisanl , ils
interprelaionl , ils bouleversaient les ouvrages , dils
iMoniucIa. lis savaioiil faire de mauvais el prolixes
conimenlaires , mais pas une seule bonne Iradiiclion.
C'elail cependant la seule porle par laquelle ils pouvaienl
enlrer dans le sancluaire de la science. Co n'esl done
pas par les Arabes que la science moderne a res-
suscile ; c'esl direciemenl par les anciens. Frederic II
fil donner, |)our la premiere fois, une bonne Ira-
duclion de I'almageste de Plolemee , qui esl le pre-
mier poinl de deparl de la bonne el solide aslrono-
mie. Ce fut sainl Tboraas qui iraduisil los oeuvres
d'Arislole , pour echapper aux nombreuses inlideliles
el aux erreurs de la iraduclion arabe. Les chiffres
que nous appelons arabes , leur fonl un pen irop
d'honneur ; ils vionneni des Indions. Un hislorien
compelenl dii que I'algebre , quoique re\elue d'un
nom arabe, vienldes Grecs; mais il faulconvenir qu'ils
ont presque le merite de Tinvenlion , par cela seul
qu'ils onl su populariser cos doux belles choses. il
n'en est pas nioins vrai quo la cbaine des sciences
exacles a ele coniinuee, en Occideni, par Boece et
Cassiodore , oi non par Avorrhoes el Avicenne , qui
— 224 —
n'onl parii qu'au xm° siecle , el qui n'oiil rien laisse
de memorable que leur nora ; ils ne peuveni elre
compares a Vincent de Beauvais et Roger Bacon, leurs
contemporains.
Les Arabes n'onl jamais pu comprendre Gallien
donl ils avaient les oeuvres. L'auleur du dictionnaire
hislorique de niedecine observe, a bon droit , que
la medecine ne pouvail faire de progres la ou la
loi defendail sous peine de mort la dissection des
animaux , el sisrtout rouverture des cadavros hu-
mains. Le corps humain, avcc ses elonnantes mer-
veiiles , etail pour eux un livre ferme ; par cela
meme , le sort de la cbirurgie elail chcz eux pire
que celui de la medecine. Aussi , ajoute le memo
auleur , la science ne leur doil que d'avoir decou-
verl el nomme deux ou hois varieles de lievres.
On voil par Ui ce qu'il faut peuser d'Abenzoar ,
leur plus grande renommee medicale.
Nous avons aussi noire concession i faire. La
medecine elail encore plus pauvre cbez nous. Au
moins les Arabes, du temps de Gerbert, avaient a
defaul d'un homme de vraie science, un homme de
reputation qui etait eel Abenzoar ; el nous , nous
n'avions ni Fun ni I'aulre, el nous avions a atlendre
jusqu'au xvi' siecle, et toulefois, il est vrai de dire
que la decouverle du systeme symphatique, et I'her-
bier de I'ecole de Salerne, la mellenl encore au dessus
de la science medicale chez les Arabes.
Nous n'avons rien a dire de la litlerature, propre-
ment dite, cbez les musulmans , parce qu'elle ne
fournissait alors rien autre chose que de fades
compilations scientifiques , des commenlaires qui
avaient plus de loquacile que dc gout. La haute
— 225 —
poesie el la beile liueinlme rie peiivent eclore sous
i'inHuonce du despolisme. Plus lard, cependanl, leiir
poesie devint brillanle , mais clle devait restcrsrns
grandeur. Le sensualisnie du Goran no pouvall in-
spirer qu'un seul entliousiasme , celui du plaisir :
cl Ics ailes de cot cnlhousiasme la sonl ires courlcs.
Du cole des chreliens , quoique le niveau des
connaissauces i'lil descendu plus bas que jamais , il
y avail encore des iiisloriens , lels que Flodoard el
Suilpraud de Veronne ; des ecrivains judicioux,comrnc
Pascase el Valram. Doni Cellier nous a decouvert
les oeuvres de Strabon , qui a decril les diverses
pianles, leurs moeurs, leurs verlus medicinales, avec
one elegance el un nalurel qui ne peuvent guere
elre surpasses que dans les meilleurs siecles.
On lil encore avec inierei, de oos jours, les salu-
laires conseiis de Jonas. Son langnge exclul loiile
inulilile, tout va au but avec clarle el simplicite.
Vous aimez h entendre un auteur du x" siecle qui
vous donne de solides conseiis pour loules les cir-
conslances dc la vie.
Mais n'oublions pas noire iiluslre Hrosvilha. Cello
humble fille du cloilre, qui, dans le fond de I'AIle-
magne , sut culliver ia poesie avec un succes qui
commence a exciter I'admiralion, meme au xix" siecle.
C'elait Saint Cyr avec Taurore de Racine au milieu du
siecle de fer; I'hisloire de ranacborete Abroham el
de sa niece, avec la difference des temps; c'est
Esther parlani latin , et monlranl deja de la grace,
meme sous le costume du moyen-age.
Deux lilleraleurs modernes, Erasme , dans un de
scs colloqucs , cl un poele .inglais dans un de scs
— 2->6 —
drames , onl traite le meme siijet que Hrosviiha;
or, il esl reconnu aujoiird'hui que, pour la delica-
tesse des senlimenls , la finesse et la retenue du Ian-
gage , la bonne religieuse du x" siecle remporte
sur le poeie anglais et sur I'habile ecrivain de Rotter-
dam. Ce n'est pas tout , dans ses pieces de theatre,
la religieuse de Gandersheim se nionire Ires fami-
liariseeavec la musiquo , raslronomie et meme avec
la philosophie d'Aristole.
II nous resle a parlor du point principal de com-
paraison enire les deux races : c'est celui par lequel
eclate reternelle etindelebile inferiorile du Croissant.
Je veux parler de la legislation. La legislation
niahometane est tout tnliere dans le Goran. Les
ordonnances posterieures qui en sont sorties ne sonl
pas des commentaires du livre par excellence. La
critique de ceile loi se fait en quatre mols : elle
est contre nature dans la composition de la famille,
cruolle envers les esclaves, alroce envers les elran-
gers el les vaincus, et enfin, absurde dans la police
des moeurs. Ges choses ne se prouvent pas : elles
sont prouvees par une bistoire de douze siecles.
Les principes foiidamenlaux de celle civilisation sont
la negation meme de la civilisation. Ge n'esl que
parce que cinq on six princes capables se sont mis
au dessus des prcjuges de la loi, el I'ont violee,
qu'ils ont pu eclairer leurs peuples et leur faire
goulcr quelques fruits de la civilisation.
Mais ces brillantes exceptions ne pouvaienl I'em-
portcr sur la nature des cboses.
Jamais aucun peuple n'a ofTerl une serie aussi
longue do guerres, d'oxtcrmiualion , de violation du
droit des gens. Un scul fail sulTit pour faire con-
— 227 —
iialire I'cspril qui anime celie civilisation eirange et
la faiblesse de ses mceurs : c'est la necessite oii
furenl les Califes, pondanl une longue periode , d'as-
sassiner leiirs freres en monlanl sur le trone , fus-
sent-ils aussi uombreux que les fils de Priam. C'e-
(ait sous de lels auspices que s'inaiigurait la tran-
quillile de leur regne.
Le gouvernement de Louis-Philippe a ordonne la
traduction de Tensemble de la legislation qui regit le
littoral africain. C'est M. Perron, membre de la
societe asiatique, qui s'est livie a ce long et penible
travail. II contient les oeuvres dcs principaux juris-
consultes depuis le ix° siecle, particulierement de
Sidi Kalil , le plus grand de tous. C'est en vain que j'ai
essaje de trouver dans eel immense recueil quelques
chapitres qui aient vraiment le sens commun , soil
pour la forme, soit pour le fond. Essayez, tant que
vous voudrez, de faire la part des diflerencesduculte,
du climat.du genie, de la race; le seul sentiment
qui en reste, apres une lecture attentive , c'est un
profond sentiment de pilie ; et on gemil en pensant
qu'il y a encore aujourd'hui 95 millions d'ames sou-
mis h ce piloyable regime. Les siecles passent , I'ex-
perience instruit les autres peuples, ceux-ci n'ont
rien appris depuis les temps d'Arounal Raschid.
Ce qui explique celte grande celebrite au x" siecle,
c'est la puissance el la gloire de leurs amies , ce
soni les depouilles des peuples vaincus. Cos immenses
richesses , entre les mains d'un peujtle qui , sous la
conduile de quelques princes sages , avail pris du
gout pour les arts , devaient jeter une couleur tres
brillante sur leur civilisation , lorsque leurs voisins
etaient accablos de rovers. Mais qu'il s'en fallail que
— 228 —
les conditions essentiellcs du piogres fussenl adiiiises
dans celte sociele. La science ue pent leur arriver
que par conlrebande , puisque le Goran contient une
peine de mort conlre tons ceux qui s'occupent des
arts liberaux : c'est ce qui explique le dilemme
barbare d'Omar , qui ordonna, par principe de reli-
gion, de bruler I'incomparable bibliolbeque d'Alexan-
drie.
En resume , c'est Tarchitecture qui a eu chcz les
Arabes la plus belle dcsiinee. lis ont d'abord copie
les raodeles grecs , puis ils ont imprime a cet art
un caraclere original et une veritable grandeur. Mais
a peine avaient-ils atteinl le plus haul point de leur
perfection , que les Chretiens , goutanl enlin quelque
repos apres les invasions , se rairent aussi a I'ceuvre
el , de prime abord , ils se placent au premier rang
et par une originalite plus feconde , et par des pro-
portions plus grandioses. L'ogive s'etait d'abord mon-
tre au Caire pendant le x« si^cle , mais comme un
incident , dit M. Balis-ier. Les architectes Chretiens
en firenl un genre nouveau qui produisit des
merveilles inconnues , et leur valut une gloire a pari.
Voici done I'etat acluel de la societc musulmane
en 950 ; ils avaienl le bonheur de posseder quelques
cbefs-d'ceuvre scientifiques des Grecs , echappes k
leur propre Vendalisme, qu'ils comprenaient ires
peu.
lis etaient magnifiques en architecture , habiles
dans la fabrique des objels de luxe , commergants
mediocres et perfides , guerriers vaillants mais bar-
bares, ecrivains patients mais inintelligibles et sans
melhode. Avec beaucoup plus d'elements deprogr^s,
non seulemcnt ils n'ont pas marche , mais ils
— 229 —
sont, de siecle en siecle, descendus au dessous d'eux-
niemes.
En effet, si nous appliquons a ce jugement la
contre-epreuve de rexperience , elle donnera la memo
reponse.
Voila douze siecles qu'ils occupent la plus belle
zone de noire globe ; el ces cbarmanls pays , que
sonl-ils devenus enlre leurs mains? lis les regurenl
fecondes par une savanle agricullure , couverls de
riches moissons : les coles d'Afrique elaient les gre-
niers de Rome. La Medilerranee elait environnee,
a Test el au sud , par une brillanle ceinlure de
villes bien peuplees , les campagnes elaienl couverles
d'ouvriers inlelligents. Tout cela n'exisle plus : dej&
les signes de la decadence onl apparu. Celle sociele
se meuri , non point par les coups qu'elle a regus du
dehors ; sa maladie est dans le vice meme de sa
constiuiiion. Elle etail organisee pour la guerre ;
lanl que la guerre a fourni des esclaves et des
tresors au luxe de ces hommes avides dejouissan-
ces , ils eurent I'apparence de la force. Mais quand
sont arrives les revers, et , chose remarquable, le
premier de ces revers elait d'etre forces a la paix (1),
il s'est demoralise dans I'oisivele ; les villes se sont
depeuplees, les campagnes sesonl changeesen deserl,
et ce desert commence aux porles de Constantinople.
Ce qui doit etonner aujourd'hui, ce n'est pas que
le Croissant paraisse h son declin, c'esl, au conlraire,
que la sociele qui lui obeit se soil conservce si long-
temps en depit des principes mortels deposes dans
sa loi. Nous la voyons de pres sur la terre d'Afri([ue ,
(I) Rarse , Hisloire de Gerbert.
— 230 —
nous voyonsqiie ces Iiommes ne peuvent comprcndre
Ics moiifs de proprele, de salubrite, de seciiriie
publique qui onl preside a notre Code civil, si sage
et si liberal.
Mais las sujeis eclaires du Grand Seigneur nous
compreuncnl dej6 mieux. lis sonl insensiblemcnl en-
iraines par le mouvement de la civilisation chreiienne.
Un voyagcur fran^ais, dans ces regions du Levant,
et qui fait honneur ^ notre nom par ses connais-
sances et son devouement , M. Eugene Bore, assure
que le Goran ne conserve encore des disciples que
parce qu'il pr(»scrit I'instrnction.
Si nous avions bfsoin de justification pour avoir
paru un moment faibles devant les enfanis de Ma-
homet, nous la trouverions trop peremptoire , trop
persuasive . dans deux siecles d'invasions continuelles
qui ne laissaient du temps que pour pleurer les mal-
heurs publics et prives , el n'en laissaient guere pour
I'eiude.
Nous la trouverions, en parliculier pour la France,
dans I'etat de faiblesse d'une dynaslie qui se meurt
faute d'hommes capables , et qui abandonne la na-
tion & elle-m6me dans ses dangers.
Nous la trouverions surtout dans I'invasion des
Normands, la plus meurtriere pour les lettres , quand
lis s'en retournaient dans leurs pays , apres leurs
pillages dans nos contrees; on pouvait les suivre,
dit Dom Pitra , aux chasses, aux reliques des saints,
aux raanuscriis precieux qu'ils repandaient sur leur
route, comme on avait pu les suivre a leur entree par
I'incendie des villes , des eglises et des monasteres.
Mais , grace h Dieu , nous n'en sommes pas reduits
— 231 —
a faiie valoir ions nos moyens , et I'illustro Gerberl
ne sortanl jamais de Cordoue , si jamais 11 y est alle ,
c'est peul-elre l'ev(?que de Vic , c'esl peul-etre Haiton,
qui furent ses derniers maitres dans les sciences.
Quoiquil en soil, Gerberl en rentraul dans sa patrie, au
milieu de la sociele chretienne, pouvait vanler les mer-
veilles qu'il avail admirees chez les Maures, el irouver
encore belle la pairie des Olhon , d'Alfred le Grand,
de St-Elienne de Hongrie, moins exalie que Pierre \"
de nos jours , el qui a oblenu des succes semblables
avec la cruaule de inoins.
II est vrai , les Maures eiaient alors superieurs a
nous dans les sciences pbjsiques el malbemaliques :
Albaiene corrigea plusieurs erreurs de Ptolemee ; il
recoiinut lemouvenienl de I'apogee du soleil d'occidenl
en orieni. La longueur de I'annee fut fixee avec une
precision elonnatile dans le meme temps. N'eussions-
nous aucun monumenl qui en fil Ibi, la repulalion qui
arrivail de ces pays devaii repondre a quelque cbose de
reel, lleslnalurel de croire que Gerberl n'aurail pas
reussi aussi aisement a fabriquer son horloge ii rones,
sa sphere celeste , son jeu d'orgnes a vapeur , qui
semblail predire les merveilles de noire temps , s'il
n'eut viviie d'auires conlrces. Toutefois, il pent se
t'aire que plusieurs de ces inventions fussent dues ii son
genie inventif. Dans ses letlres si nombrenses, donl
plusieurs rappellenl ses savanles occupations , on ne
(rouve pas un mot qui suppose des emprunts fails
aux Arabes.
Nous avons une lellre , cepcndanl, oil ce grand
liomme parle de cello nation , ei , dans celte lellre,
il 1.1 j'jge de ires haul : c'est le chef supreme de
ri^glise qui , avec un regard d'aigle , prevoit les
I. ' 16
— 232 -^
evenements futurs el anoonce les Croisades. II en
donne le signal. 11 fait apparailre Jerusalem tout eplo-
ree aux regards de la Chretien le, il met dans sa bou-
che des paroles eloquenles pour les determiner a venir
promplemenl la delivrer des mains infideles el rendre
le berceau du Sauveur h la veneration des Chretiens.
Ainsi, Gerbert ne ful pas seulement le plus savant
homme de son siecle, il ful aussi le premier des Croises.
Reims , Imp. dc I>. Rk.meh.
; i
1-
La collection des Travaux de I'AcadSmie
de Reims parait tous les 3 mois par caliicrs
d'environ douze feuilles in-S".
Prii de la Sooscriplion annaelle: 10 fr.; par la poslc, 13 fr.
A Reims, cliez BRissAni-BmET, Libraire de rAcademie.