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Full text of "Tristan et Iseult"

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Music Library 



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RICHARD WAGNER 



Tristan et Iseult 



ESSAI D'ANALYSE 

bu Brame et bes Xeitmottfô 



Charles Cotard 




PARIS 

LIBRAIRIE FISCHBACHER 
33, rue de Seine, 33 

1S95 

TOUS DROITS RÉSERVÉS 



1 



TRISTAN ET ISEULT 



RICHARD WAGNER 



Tristan et Iseult 



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ESSAI D'ANALYSE 

be8 Xeitmotifs 

PAR 

Charles Cotard 




PARIS 

LIBRAIRIE FISCHBACHER 
33, rue de Seine, 33 

1895 

TQUS^PÏlpITS RÉÇERVéS 



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• • • • • 



INTRODUCTION 




/est après avoir publié la traduction du GuÛ^l 
thématique de Hans de Wolzogen que nous?*^ 
est venue la pensée de cette nouvelle étude 
sur Tristan et Iseult. 

Il existe déjà un très grand nombre 
d'écrits fort remarquables sur cette œuvre 
maltresse de Richard Wagner; mais aucun 
d'eux, à notre connaissance du moins, ne 
donne une analyse méthodique su&sante de 
la partie musicale et, notamment, des leitmotifs (Leitmotivé) 
qui en forment les éléments essentiels. 

Les leitmotifs sont des thèmes conducteurs qui, se 
poursuivant dans le cours de Taction, reparaissent à chaque 
, fois que reviennent les idées et les situations auxquelles ils 
sont attachés; ce n'est donc qu'en s'assimilant tous ces des- 
sins mélodiques et en se pénétrant de leur sens dramatique 
que Ton peut arriver à ressentir pleinement Tintensité d'im- 
pression qui résulte de la fusion parfaite de la musique 
avec les paroles. 

Les parties vocale et instrumentale sont liées si étroite- 
ment que ces thèmes figurent aussi bien à l'orchestre 
que dans le chant. Il arrive même, parfois, que le chant 
n'est qu'une sorte de prosodie accentuant les paroles de 



./ 



son éclat mélodique ^-îjors que les motifs eux-mêmes qui 
en caractérisent le sênîirâent sont plus particulièrement 
confiés aux sonorités et .aux harmonies de l'orchestre, dont 
la voix puissante '^'é -fait, à chaque moment, l'interprète 
des événements/<^t-^s émotions du drame. Ainsi se trouve 
réalisée danv^Jite sa plénitude l'action simultanée du jeu 
des acteurs; 'de la parole, du chant et de la musique instru- 
mentale. •*•/*•• 

Mais;-à^ la lecture de la partition et aussi à l'audition 
de^l'œuvré, on peut ne pas apercevoir toutes les concor- 
dant^ de ces motifs qui se succèdent et se combinent 
^firtte»'eux à travers les développements harmoniques les 
•/îtlûs variés. 

•C'* Le but de la présente étude est de dégager de cet ensem- 
• • ble les motifs principaux, d'en montrer la constante adapta- 
tion au texte du poème et de faciliter ainsi, par cette double 
initiation, la compréhension poétique et musicale de cette 
merveilleuse création lyrique. 

Pour faire ce travail, nous nous sommes écarté du pro- 
cédé qui consiste à étudier d'abord les préludes. Ceux-ci 
ne sont, en eifet, que des prologues musicaux destinés à 
préparer l'auditeur; les motifs qu'ils renferment et qu'ils 
résument ne prennent de sens déterminé qu'au cours du 
drame, avec les paroles qui s y rapportent. L'analyse de 
ces préludes a, ainsi, été mise à la fin, et elle se trouve 
réduite au rappel de passages et de motifs déjà décrits et 
indiqués. 

Cette étude commence donc, pour chaque acte, au lever 
du rideau. 

Nous avons noté les différents thèmes au fur et à me- 
sure qu'ils se présentent, soit au chant, soit à l'orchestre, 
en y ajoutant les paroles correspondantes et nous leur 
avons appliqué des dénominations s'accordant autant que 
possible avec le sens de ces paroles; nous les avons aussi 
numérotés, afin de pouvoir s'y reporter plus aisément. 
Ces dénominations, dont quelques-unes sont déjà con- 



- 7 - 

nues et communément employées, n'ont, d'ailleurs, rien 
d'absolu et, comme nous l'avons dit dans une note de la 
traduction du guide Wolzogen, ce serait une erreur de 
vouloir leur donner une signification trop précise ; elles ne 
font que rappeler les. idées et les circonstances du drame 
auxquelles les motifs sont associés. Ce sont de simples 
désignations qui servent à reconnaître ces motifs et à les 
suivre dans leurs diverses applications et dans leurs déve- 
loppements successifs. 

Un des motifs les mieux caractérisés, par exemple celui 
qui se rapporte, au début du premier acte, au spectacle de 
la mer et à la traversée sur le navire, a été appelé fort à 
propos le motif de la mer (Meeresmotiv); mais on ne saurait 
y chercher, à notre avis, aucune intention quelconque de 
musique descriptive ou imita tive. C'est un des mérites de 
la musique de Wagner de s'attacher à exprimer les im- 
pressions purement subjectives qu'inspirent les événements 
du drame, plutôt qu'à en dépeindre les manifestations 
extérieures. 

Là est le véritable rôle des motifs; ils s'identifient à ce 
point avec les sentiments exprimés qu'on ne les en sépare 
plus et qu'ils en marquent, dans leurs développements, 
leurs combinaisons et leurs rythmes divers, le sens le plus 
intime et l'évolution dramatique. 

Toutes les citations que nous avons faites ne sont pas 
des leitmotifs proprement dits; mais, il nous a semblé 
intéressant d'indiquer aussi certaines phrases caractérisant, 
même d'une manière isolée, les paroles qu'elles accom- 
pagnent. 

La version française est si éloignée de l'original que 
nous avons dû nous reporter au texte allemand, dont nous 
avons donné, pour chaque citation, la traduction littérale; 
c'était le seul moyen d'étudier l'adaptation des paroles à la 
musique et de déterminer le sens à attribuer aux motifs. 

Ces citations de texte sont assez étendues pour qu'on 
puisse, à leur seule lecture, suivre la marche du drame, en 



- 8 - 

pénétrer la pensée véritable et apprécier les caractères si 
admirablement tracés des personnages. 

Cet emploi du texte allemand, même traduit, présentera 
assurément quelque di&culté pour ceux qui n'auront entre 
les mains que la partition française ; mais, l'indication des 
phrases musicales suffira pour s'y reconnaître et on pourra 
se rendre compte, en même temps, des imperfections de la 
version française et de son insuffisance pour apprécier à sa 
valeur l'œuvre de Wagner. 

Disons, enfin, que le présent travail, qui n*a d'ailleurs 
aucune prétention de technique musicale, a été fait sur la 
partition de piano et chant. Il y manque donc tout ce qui 
concerne les instruments et l'emploi de leurs sonorités, 
ainsi que beaucoup de détails intéressants que pourrait 
seule fournir la partition d'orchestre. Mais, il faut bien se 
borner et, au surplus, le public auquel cet écrit est destiné 
n'a généralement à sa disposition que la partition au piano. 

Nous nous sommes abstenu de tout commentaire adnii- 
ratif, estimant que les beautés poétiques et musicales se 
sentent plutôt qu'elles ne s'expliquent et qu'il suffit de 
comprendre l'œuvre incomparable de Tristan et IseuU pour 
en être profondément impressionné. 

Cette œuvre est, par sa perfection et la hauteur de son 
inspiration, unique en son genre dans le domaine de l'art 
lyrique; elle offrira, à mesure qu'elle sera mieux connue, 
un fonds inépuisable de recherches et d'observations psy- 
chologiques, poétiques et musicales, qui n'a pu être ici 
qu'à peine indiqué. 

A tous ces points de vue, notre étude est donc fort 
incomplète; mais elle ouvrira peut-être une voie que 
d'autres, plus autorisés, pourront reprendre utilement. 




PREMIER ACTE 



E premier acte se passe en mer, sur le 
navire qui porte Tristan et Iseult d'Irlande 
en Comouailles. 

Rappelons, en quelques mots, la situa- 
tion. 

Tristan, neveu du roi Marke, avait pro- 
voqué, en combat singulier, l'Irlandais Mo- 
rold pour délivrer la Comouailles du tribut 
paj-é à l'Irlande. 
Morold fut tué et sa tête envoyée à la cour d'Irlande en 
guise de paiement. 

Tristan, qui avait été blessé, aborda, presque mourant, 
sur les côtes de l'Irlande, comme un inconnu, sous le nom 
deTantris. 

Iseult, la fiancée de Morold, habile dans l'art de guérir, 
eut pitié de sa détresse et le soigna. S'étant aperçue que 
l'épée du blessé portait une brèche et que, dans cette 
brèche, s'ajustait le fragment resté encastré dans la tête 
de Morold, elle découvrit que Tétranger auquel elle pro- 
diguait le secours de ses baumes était le meurtrier de son 
fiancé. Dans un mouvement de colère, elle saisit alors cette 
épée pour l'en frapper; mais, troublée tout à coup par un 
regard de Tristan, elle laissa l'épée s*échapper de ses 
mains. 

Tristan, guéri, revint en Comouailles. Enivré des hon- 
neurs dont il fut entouré à la cour, pour sa victoire sur 



— 10 — 

Morold, et pressé par les courtisans que sa gloire rendait 
jaloux, il crut échapper à leurs intrigues en offrant à son 
oncle Marke de lui amener, comme épouse, la « blonde 
Iseult», dont il lui vanta les charmes et qui serait, ainsi, le 
prix de la paix signée avec l'Irlande. 

Tristan repartit pour Tlrlande, non plus, cette fois, en 
inconnu dans une simple barque, mais sur un vaisseau de 
haut bord et comme messager royal. 

Iseult, dont le pays était asservi, dut se soumettre ; elle 
, jura cependant de se venger de celui qui, après avoir tué 
son fiancé, l'avait subjuguée par son regard, de celui 
qu'elle avait guéri et sauvé en le cachant à ses ennemis et 
qui, sans pitié pour sa fierté et sa faiblesse, la livrait main- 
tenant au roi Marke, en gage de Thumiliation de son pays, 
de sa race et de son propre cœur. 

Tristan, de son côté, en revoyant Iseult, avait senti tout 
le poids de l'engagement d'honneur qu'il avait pris vis-à-vis 
du roi, son oncle. 

C'est à ces sentiments que sont en proie Tristan et Iseult, 
emportés tous les deux sur ce même navire qui les conduit 
à une fatalité mutuellement pressentie. 

Poussé par un vent léger, avec ses voiles gonflées 
qu'éclaire la lumière du jour, le navire glisse sur la mer 
tranquille. Déjà apparaissent à l'horizon les rives de Cor- 
nouailles. La traversée touche à sa fin. 



SCÈNE I. — Dans une tente dressée sur l'avant du na- 
vire et fermée au fond, Iseult est couchée sur un lit de repos, 
immobile, le visage caché dans les coussins. Brangaine, 
soulevant un coin de la draperie, regarde de côté par 
dessus le bord. 

Pendant un silence de l'orchestre, au lever du rideau, se 
fait entendre, du haut de la mâture, la chanson d'un jeune 
matelot qui songe à quelque amie laissée en Irlande et au 
pays natal qu'il va revoir. 

La phrase principale de ce chant : « Le vent souffle frais 
vers le pays natal — Frisch weht d^r Wittd dtr H^fnai sm xk 



tl — 



a été désignée sous le nom de motif de la mer (MeeresmoUv): 




Ce motif caractérise, en effet, pendant la durée de l'acte, 
tout ce qui se rapporte au spectacle de la mer et aux cir- 
constances de la traversée. 

Aux derniers mots de la chanson du jeune matelot : 
« Hélas ! hélas I mon enfant, fille d'Irlande, toi farouche, 
amoureuse fille! — Weh\ ach wehe mein Kind! Iriscke Maid, 
du wiîde^ minnige MaidI », Iseult se redresse vivement, 
croyant qu'on parle d'elle et s'écrie : «Qui ose me narguer? 
— Wer wagt mich 2U hôhnen ? », sur cette phrase pleine de 
trouble : 



En même temps, interviennent à l'orchestre deux motifs 
importants; l'un, que Ton a appelé le motif du regard 
{BlickmoHv), mais qui sera sans doute dénommé plus exac- 
tement, d'après les paroles qui s'y rapportent, le motif de 
la passion : 




et l'autre, auquel il convient de maintenir son appellation 
habituelle de motif de la colère [Zornmotiv) : 




Ainsi s'expriment, dès le début de l'acte, les sentiments 
tumultueux et complexes qui agitent Iseult. 



— 12 — 

— « Où sommes-nous? — Wo sind wir? » demande-t-elle. 

Tout de suite vient le motif de la mer (i), avec la réponse 
de Brangaine : « Paisible et rapide vogue le navire ; avant 
le soir, par une mer tranquille, nous atteindrons sûrement 
la terre — Sanfl und schneU segeli dos Schiff; auf ruhiger SeCy 
vor Abend errekhen wir sicher dos Land ». 

IsEULT. — « Quelle terre? — Weîches Land? » 

Brangaixe. — ce Le vert rivage de Cornouailles — Korn- 
walTs grûnen Strand ». 

A ces mots, Iseult éclate de colère. 

Après quelques paroles proférées dans une sorte d'éga- 
rement : 

IsEULT. — « Non, jamais I Ni aujourd'hui, ni demain ! — 
Nimmermehr J Nicht heui^ noch morgen! » 

Brangaine. — « Qu'entends-je I Maîtresse I Quoi I — Was 
hôr ^ichl Herrin! Haï » 

et qu'accompagne un dessin mouvementé de Torchestre, 
aboutissant en fortissimo aux deux notes exprimant la souf- 
france, 



Iseult, le regard effaré, évoque, sur une reprise en mode 
mineur du motif de la mer (i) renforcé de basses vigou- 
reuses, Pantique a pouvoir de commander aux flots et à la 
tempête — die Maeht ûber Mur und Siurm zu gébieUn », et 
reproche à sa mère de ne lui avoir transmis que Tart déchu 
des philtres et des baumes. 

Ici apparaît, sur un accord caractéristique, le dessin 
harmonique fondamental, 




composé des quatre notes chromatiques ascendantes qui 



- i3 - 

formeront, plus tard, le motif du charme d'amour, ou du 
philtre (80) qui en est le symbole, accompagnées, à la 
basse, des notes de soufiErance (5). 

Cette phrase a aussi été dénommée motif du désir 
{SehnsuchtsmoUv) \ mais cette appellation parait devoir 
s'appliquer plus généralement aux ascendances chroma- 
tiques associées aux sentiments d'attente anxieuse, de 
langueur passionnée et. d'exaltation souvent exprimés 
dans le drame, par opposition aux descendances chroma- 
tiques qui marquent la souffrance et l'abattement, tandis 
que le motif du philtre se distingue de ce simple chroma- 
tisme par un rythme particulier. On aura plusieurs fois 
l'occasion de remarquer qu'en effet le rythme caractérise 
les motifs aussi bien que la phrase musicale elle-même. 

Notons aussi le retour fréquent des deux dernières 
notes du motif de la passion (3) : 



que l'on peut appeler notée de passion et dont l'intervalle 
caractéristique sera, dans la suite, souvent employé. 

Aussitôt introduit, le motif du philtre (6) s'alterne avec 
celui de la mer (i) et avec le chromatisme du désir 




mêlé aux notes de souflTrance (5). 
Ces motifs, traversés par le large fortissimo: 




accompagné d'tme double gamme chromatique, suivi des 

2 



- î4 - 

*• traits ascendants pleins d'emportement, s*élançant comme 
des vagues, 




soutiennent alors, avec une violence croissante, les impré- 
cations d'Iseult qui en appelle à la puissance et à la fureur 
des éléments pour briser « ce navire arrogant — dies iroUigc 
Schiff», 

Brangaine, saisie d'effroi, s'empresse auprès d'Iseult. 

Après V accord foriissimj qui termine le crescendo du double 
chromatisme du désir (8) et de la souffrance (i6), viennent 
les notes plaintives, qui seront reprises dans la suite, 
comme motif de la douleur (42), 



accompagnant ces paroles : « Ahl malheur que j'ai pres- 
senti! — Ach des Uebeb^ das ich geahnt! » 

Le malheur pressenti, c'est la passion d'Iseidt ; et c'est 
ce qu'indique, dans le chant, le motif de la passion (3). 

Suivent les notes d'angoisse, qui reviendront plus 
loin (58): 



sur ces mots : « Cher cœur! — Tkeures Herzl » 

Alors, reparaît le motif chromatique du désir, mais avec 
un rythme qui va être spécialement attaché aux efforts 



- i5 - 



d'apaisement de Brangaine 
motifs de la supplication. 



et qui peut être dénommé 




En même temps reviennent, avec persistance, les deux 
notes de souffrance (5) et une suite de quatre notes chro- 
matiques descendantes, dont elles étaient la préparation et 
qui, offrant, comme il est dit plus haut, un dessin opposé 
aux quatre notes ascendantes du motif du désir (8), forment 
le motif de la souffrance (Leidensmotiv) : 



16 



— « Que m'as-tu caché si longtemps? — Was bargsi du mit 
so lang? », dit Brangaine, sur la phrase : 



Ce qu'Iseult lui a caché, c'est Tafifronl qu'elle accuse 
Tristan de lui avoir fait, à elle Iseult. Aussi cette phrase 
se reproduira-t-elle plus loin, tout au moins sous une forme 
analogue, dans plusieurs passages se rapportant à cet 
affront ou à son expiation. 

Puis, vient cette autre phrase, pleine de sollicitude, 
accompagnant ces paroles : « A peine as-tu accordé un 
salut à ceux que tu quittais — Kaum einen Gruss den Bleiben- 
den bcUsi du » : 

i8. ^^Mpp|||i i r ii M ii i i i| ^iU- 

Brangaine questionne Iseult sur les causes de sa tristesse 



- i6 — 

et de son silence, au départ du pays et pendant la tra- 
versée. Dans tout ce morceau, se font entendre, entre- 
coupés de traits rapides et contrariés, 



19 




cette phrase pleine d'anxiété : 




le motif et les notes de la passion (3 et 7) et le motif de 
la mer(i); 

puis, avec ces paroles émues : « Comment ai-je pu 
endurer, en te voyant ainsi, de n'être plus rien pour toi, de 
n*être auprès de toi que comme ime étrangère? — Wie 
erirug* ich, so dich sehendy nichts dir mekr su sein^Jremd vor dir 
BU sUhn? », le dessin expressif : 




et cette phrase, empreinte de sympathique affliction : 



A la fin, sur ces mots : « Dis, explique ce qid te peine! 
— Sagc^ kûnde^ was dich quàli! », se placent ces notes ascen- 
dantes : 



— 17 - 

et cette phrase de pressante prière « Maltresse I Iseult! — 
HerrinI Isoldel»: 




d*où se dégagera plus loin le grand chant de Brangaine. 

Mais Iseult, sans écouter ces tendres instances, s'écrie 
impétueusement : « De Pair! De l'air! Mon cœur suffoque! 
Ouvre, ouvre tout, là bas! — Lufi! Lufi! Mir crstickt das 
Herzl Œffneî œjffne dori weii! » 

A Taccompagnement, d^m dessin agité, se succèdent 
et s'élèvent les notes de souârance (5), jusqu'au fortissimo 
d'accords syncopés qui redescendent en diminuendo pour 
s'éteindre dans le trémolo qui ouvre la deuxième scène. 



SCÈNE II. — Brangaine a écarté les draperies du fond 
de la tente. On découvre tout le pont du navire. Tristan, 
debout près du gouvernail, les bras croisés, pensif, regarde 
la mer. Kourvenal est étendu nonchalamment à ses pieds. 

Après une reprise du chant du jeune matelot, soutenu 
par un trémolo en gamme chromatique descendante rap- 
pelant le motif de la souffrance (i6), se placent, sur le motif 
du philtre (6) repris en pianissimo^ ces paroles, qu'Iseult, 
dont le regard s'est tout de suite &xé sur Tristan, prononce 
d'une voix sourde, comme se parlant à elle-même : « Lui, 
mon élu, perdu pour moi — Mir erkoren^ mir verîoren », et 
dont le sens s'exprime dans la large phrase qui apparaîtra, 
plus tard, comme motif de l'aveu (io8) : 



«5 <fl''l- ij, I ^lllliil 



et, en effet, comme on le verra par la suite, le courroux 
d'Iseult ne procède pas seulement d'une idée de vengeance, 
mais aussi d'un sentiment de révolte contre sa propre 
faiblesse et contre l'apparente indifférence de Tristan pour 



— i8 — 

la passion qui la domine et dont une mort expiatoire 
pourra seule lui arracher l'aveu. 

C'est ce que traduit tout de suite, sur un Siccoiâ fortissimo, 
le motif de la mort [Tcdesmoiiv)^ oix l'on distingue générale- 
ment deux parties, la première se rapportant à la mort de 
Tristan, « Tête vouée à la mort! — Tod gewethies Haupil » : 




et la seconde à la mort d'Iseult, « Cœur voué à la mort! — 
Tod geweihUs Hcrzl »: 



27 



||' riijii,j jiu 



Tout à coup, Iseult s'adresse à Brangainê, avec un rire 
étrange : 

Iseult. — « Que penses-tu de ce valet? — Was hàltst du 
von dem Knechte ? » 

Brangainê. — « Qui veux-tu dire? — Wen meinsi du? » 

Iseult. — «Là-bas, le héros qui détourne son regard 
devant le mien — Dort den Helden, der meinem Blick den seinen 
hirgi ». 

Sous l'ironie de ces paroles, s'expriment, à l'accompa- 
gnement, les véritables sentiments d'Iseult, dans la phrase: 



^8 ^ rEJjjjjjjrp 



où le motif du désir (8) se trouve associé, aux dernières 
notes, avec celui de la vengeance (gS), et dans cette autrQ 
phrase : 



29 




- 19 — 

qui sera, plus tard, celle du regard (48) et dont les deux 
transformations : 




seront ensuite reprises comme motifs de la peine d*amour 
(76 et 77). 

Du motif du regard (29), se dégage immédiatement, 
dans la protestation enthousiaste de Brangaine : « Au pro- 
dige des royaumes, à l'homme tant vanté, au héros sans 
pareil? — Dem Wunder aller Reiche, dem hochgej>rics'nen Mann, 
dcm Helden ohne Gleichâ? )>, ce thème chevaleresque : 



Sur un trait rapide en triples-croches, marquant un sen- 
timent d'impatience et de révolte, Iseult reprend ce thème 
avec un ton d'amertume qui se poursuit jusqu'à cette 
phrase : « Ohl il sait bien pourquoi? — Oh! er weiss wohl, 
warum! » : 



33 



luI^JljJ^JI^J- ^^ 



qu'accompagne, en diminuendo^ le motif de la douleur (12). 
— a Va trouver l'orgueilleux ^ Zu dem Stohen geK », 
dit-çllç avec impétuosité sur cette phrase ; 



fc transmets lui la parole de sa souveraine! Que, prêt à me 
servir, il vienne à l'instant auprès de moi — MeW ihm der 



20 — 



Herrin Woril Mfiinem Dienst berâty schkunig soU er mir naKn »; 
et, après une reprise du trait de révolte en triples-croches: 




où s'exprime son irrévocable détermination, elle répète 
son ordre à Brangaine. On retrouve, ici, les octaves des 
motifs de mort (26 et 27) qui font pressentir Tissue fatale 
de rentre vue. 

Pendant que Brangaine, sur cet ordre impérieux, se rend, 
tout émue et la tête baissée, à travers le pont du navire, vers 
Tristan, l'orchestre reprend, en l'appuyant de basses forte- 
ment marquées, le motif de la mer (i). 

— a Fais attention, Tristan I un message d'Iseult — 
HaV Ackt, Tristan I Botschaft von I solde », dit Kourvenal sur 
des gammes majeures descendantes, qui caractériseront, 
un peu plus loin, la brusque franchise de sa réponse (39 . 

Tristan (sursautant). — « Qu'y a-t-il? Iseult? — Was ist? 
I solde? y» 

Suit le dialogue entre Tristan et Brangaine, où chaque 
phrase trouve son expression musicale appropriée, mais 
sans qu'il y apparaisse de motifs nouveaux bien déterminés. 
Il convient, toutefois, de signaler : 

au début, la phrase combinée du désir et de la ven- 
geance (28) rappelant la volonté d'Iseult, dont le regard 
reste, pendant tout l'entretien, fixé sur Tristan; 

la gamme descendante majeure, accompagnant les 
paroles : « Le long voyage la chagrine-t-elle? — Gràmi 
sic die lange Fahrt? », qui prépare le refrain plus fortement 
accentué de la réponse de Kourvenal (39); 

le retour du ? motif du désir 1(8), lorsque Brangaine 
exprime « la volonté de la souveraine — der Herrin WilT » ; 

cette un de phrase, d'un sentiment mélancolique : 



— ai- 



le motif pressenti de la vengeance (98), qtiand Brangaine 
insiste pour « que Tristan se rende tout de suite auprès 
d'elle -~ dass du sur Stell* ihr nahiesim; 

et, après ce trait d'impatience de Tristan, 




la phrase : « Si j'abandonnais en ce moment le gouvernail, 
comment conduirais-je sûrement le navire au pays du roi 
Marke? — LUss ich dos SUuer jetzt zur Stund', wie Unkf ich 
sicher dm Kkî su Kônig Marke's Land? )>, que Ton pourrait 
appeler le motif de Texcuse : 



— « Pourquoi me railles-tu, dit enfin Brangaine; si la 
sotte servante ne sait s'expliquer, écoute les paroles de 
ma maltresse I Voici ce qu'elle m'a commandé de te dire : 
Elle ordonne au vassal de craindre sa souveraine, elle, 
Iseult — Was hôhnst du mich? Dunki dich nichi dmiUch die 
thôr'ge Magd, Hdr* meiner Herrin Wort! So kiâss su, sollf ich 
sagiH : befâkUn liess* dem Eigenhcldâ Furcht der Herrin, siâ, 
Isolde » et, pendant cette fin de dialogue, reviennent, sur un 
crescmdo, le motif du désir (8) et le trait en triples-croches 
^35), suivi de la figure en octaves rappelant, comme pré- 
cédemment, les motifs de la mort (26 et 27). 

— « Puis-je donner la réponse? — Darf ich die Antwort 
sagen? », demande Kourvenal à Tristan en se levant brus- 
quement; et, tout de suite, il entonne son refrain (39) plein 
de moquerie pour les menaces d'Iseult : « Qu'elle dise ceci 
à Dame Iseult : Celui qui donne à la fille d'Irlande la cou- 
ronne de Cornouailles et l'héritage d'Angleterre ne peut 
être le vassal de la servante dont il fait présent à son 
oncle, lui, un maître du monde, Tristan le héros ! — Dos 
sage sie der Frau Isold' : Wer KornwaUs KrofC und Englands 
ErV an Irlands Maid vermachiy der hann der Magd nichi eigcn 



— 33 — 

sein, die seîhst dem Ohm er schenkt; ein Herr der WcU Tristan 
der Heldl » : ' 



Au moment où Brangaine se retire, tout offensée des 
paroles de Kourvenal, on entend un instant les motifs de 
supplication (i5), du désir (8) et de la souffrance (i6); 
puis, Kourvenal, sans prendre garde aux gestes deXristan, 
qui cherche à le faire taire, continue, avec encore plus 
d'entrain, son chant sur Morold, dont la tète a été envoyée 
en Irlande « comme tribut payé par l'Angleterre -- Aïs 
Zins gezahît von Engeîand » : 



40 'AT ifrrr i^J" ^^ 



se terminant par le motif de la gloire de Tristan : « Salut 
à notre héros Tristan I — H et! unser Held Tristan! », que 
reprend en chœur tout l'équipage : 



41 



SCÈNE III. — Brangaine est revenue vers Iseult et a 
fermé derrière elle les rideaux de la tente. 

Une grande gamme en crescendo, un fortissimo chroma- 
tique et quelques mesures pleines d'agitation, où s'entend 
encore le motif de la gloire ci-dessus (41) et où réapparaît 
le motif de supplication (i5) combiné avec celui de la 
souffrance (i6\ marquent le commencement de cette scène. 

Brangaine s'est jetée aux pieds d'Iseult : « Douleur I 
Ahl douleur. Supporter cela! — Weh\ ach wehe! dies su 



- 23 - 

duldcn! », s'écrie-l-elle, sur ces notes plaintives du motif de 
la douleur déjà indiqué (12), 



suivies des notes de passion (7). 

Après quelques mesures, où se continuent les motifs de 
supplication (i5) et de souffrance (16) et que termine un 
crescendo d'accords chromatiques d'une violence extrême, 
Iseult, dominant son émotion et sa colère : « £h bien! 
quelle réponse de Tristan? Je veux le savoir exactement — 
• Doch nun von Tristan! Genau willicVs vernehmen », dit-elle sur 
le motif de la passion (3). 

Brangaine. — « Ah! ne le demande pas! — Ach frage 
nicht! », 

IsKULT. — « Parle librement, sans crainte ! — Fret sag's 
ohne Furchtî » 

Sur cette injonction, Brangaine répète les réponses de 
Tristan. 

Le thème de l'excuse (38), précédé du trait d'impa- 
tience (37), est ensuite repris avec tristesse par Iseult, dont 
Tàmertume s'exprime dans le contraste du motif de la 
gloire (41), qu'évoque la pensée du tribut à payer au roi 
Marke, et à.\x fortissimo de gammes majeures descendantes 
rappelant certains traits du chant de Morold (40) ; un peu 
plus loin, dans le retour du motif de la douleur (42), sur 
ces paroles : « Je l'ai bien entendu — Den hab' ich wohl 
vernommen », et, enûn, dans cette phrase : « Pas un mot qui 
m'ait échappé — Kein Wort, das mir entging », 



86 terminant par les notes de passion (7). 

Après une nouvelle gamme chromatique prolongée en 
accoids fortissimo et sur ces mots : « Tu as appris l'outrage, 
écoute maintenant ce qui me l'a valu — Erfuhrest du meine 



- «4 — 

Schmachy nun hore^ was die mir schuf », commence le grand 
Récit dlseult. 

Iseult raconte à Brangaine comment elle trouva, dans 
une misérable barque, un pauvre homme qui gisait, 
presque mourant. 

Le thème principal de ce récit, appelé le motif de Tristan 
blessé (Thcma des siechen Tristan)^ 



est un développement, sur un rythme spécial, du motif de 
la souffrance (i6). 

Dès le début et à chaque reprise du récit, réapparaît la 
gamme rapide et en crescendo^ qui exprime, comme précé- 
demment, le sentiment de révolte dlseult (35). 

L'accompagnement, d'abord en simples croches, s'anime 
tout de suite en triolets, pendant qu'interviennent : 

le motif du philtre (6) : « Il apprit à connaître l'art 
d'Iseult — I solde* s Kunsi ward ihm hekannt » ; . 

la phrase de compassion : ce La blessure dont il souf- 
frait, fidèlement alors elle la soigna — Der Wunde^ die ihn 
plagie, getreulich pflag sieda» : 



et, après une reprise du motif de la souffirance (i6), le 
motif de la gloire (41), ramené par une gamme rapide (35), 
sur ces mots pleins d'animation : a Par une ruse pré- 
voyante, il avait pris le nom de Tantris; mais, en lui, Iseult 
eut bientôt reconnu Tristan — Der Tantris mit sorgender List 
sich nannte, dis Tristan Isold* ihn bald erkannte ». 

Ici, se présente ce dessin en triolets 




- 25 - 

qui, travaillé dans la suite de toutes façons, exprimera, 
suivant sa forme plus ou moins animée, les diverses impres- 
sions d*Iseult. 

— je le reconnus, dit Iseult, car, sur son épée, je décou- 
vris une brèche où s'ajustait le fragment resté encastré 
dans la tête de Morold. — Le dessin de triolets (46) s'élève 
en cresceitdo jusqu'à une reprise violente, fortissimo^ des 
traits de révolte (35) et les triolets de l'accompagnement 
du motif (44) se précipitent en doiibles-croches, encadrant 
cette phrase d'amertume ; 



et traduisant l'agitation croissante des paroles : « Alors, 
debout devant lui et l'épée à la main, je sentis s'élever du 
plus profond de mon cœur un cri de vengeance contre Tin- 
soient meurtrier de sire Morold — Da schrie's mit auf aus 
Uefstem Grundl mit dem heUen Schwert ich vor ihm stund^ an ihm 
dem Uéberfrcchen Herrn Morolds Tod su ràchen ». 

Tout à coup, les simples croches reviennent à l'accom- 
pagnement et le récit se calme au souvenir du regard de 
Tristan : « De sa couche, il leva son regard non sur l'épée, 
non sur la main, il me regarda dans les yeux — Von sHmm 
Loger bUckf cr ker^ nichtaufdas Schwert, nicht auf die Hand^ er 
sah mir in die Augm ». 

A ce moment, et sur un mouvement ralenti, se font 
entendre : 

le motif du regard : 




qui est la phrase allongée et en majeur du motif de la 
passion (3) ; 

la phrase déjà citée (3o), qui deviendra plus tard le motif 
de la peine d'amour (76); 

3 



- 26 ^ 



et cette autre phrase : 



50 



que Ton peut appeler le motif de l'épée ou de la faiblesse, 
accompagnant ces paroles d'Iseult : « L'épée, je la laissai 
tomber I — Dos Schwerf, ich Uess es faîUn! » dont l'émotion se 
traduit, dans le chant, par ces notes entrecoupées : 



Dans tout ce passage, se trahit le sentiment qu*a fait 
naître le regard échangé, sentiment qui vaincra finalement 
la fierté et la rancune d'Iseult, aussi bien que la loyale 
résistance de Tristan. 

Après avoir rappelé, sur une transformation expressive du 
thème de Tristan blessé (44) en une ascendance chromatique, 



qu'elle guérit la blessure de Tristan, et, sur une répéti- 
tion du motif du regard (48), qu'elle la guérit « pour qu'il 
retourne bien portant dans son pays et qu'il ne l'importune 
plus de son regard ! — Dass er gesunde und heim nach Hause 
kehre, mit dem Blick mich nkht mehr heschwere! »« Iseult, 
répondant aux étonnements de Brangaine, est reprise de 
son courroux : « Tu viens d'entendre son éloge — Sein Lob 
hariest du eben », dit-elle, pendant que revient, sur des traits 
rapides, le motif de la gloire de Tristan (41). 

Suivent quelques mesures en fortissimo ^ où le thème prin- 
cipal (44), toujours précédé du trait de révolte (35) et dure- 
ment appuyé, est renforcé de triolets en croches et dpubles- 



- 27 - 

croches, jusqu'à la phrase d'amertume (47), sur ces mots : 
« Cest de cet homme-là que j'avais eu pitié j — Der war 
iener traur^ge Mann! » 

A ce moment, se dessine à l'orchestre cette figure pleine 
de hardiesse, 




pmolio cresc. 

préparant la phrase du serment 



« Il me jura, par mille serments, éternelle reconnaissance 
et fidélité! — Er schwur mit iausend Eiden mit ew'gen Dank 
und Treue! » 

Alors, revient le motif de la colère (4), d'où se dégage ce 
développement formé d'une suite ascendante des notes de 
la souffrance (5), qui, se précipitant en crescendo^ marquent 
l'exaltation croissante d'Iseult ; 




u Maintenant, écoute comment un héros tient ses ser- 
ments ! — Nun hor\ wie ein Held Eide hait! » 

Le sentiment de rancune d'Iseult trouve son expression 
dans les dernières notes 



qui se répètent plus loin. 

Tout de suite reprend sur un forUssimOy le motif de la 
colère (4) qui se continue, en diminuendo^ jusqu'à un rythme 



— 28 — 

syncopé, plein d'agitation, où s'alternent, à la basse, le 
motif de la colère (4) et le groupe des quatre notes chroma- 
tiques (8), pendant qu'Iseult poursuit son récit : ce Celui 
que j'avais ïaissé partir comme Tantris, en inconnu, il osa 
revenir comme Tristan, sur un navire orgueilleux, de haut 
bord, demandant en mariage Théritière d'Irlande pour le 
roi décrépit de Cornouailles, pour Marke, son oncle. — 
Den aïs Tantris unerkannt ich enilasseny àls Tristan hchrfer 
kùhn zurûck; nuf stolzem Schiff, von hohem Bord, Irhnds Erhin 
begehrf er sur Eh' fur KornwaUs milden Kônig, fur Marhe^ 
sHnenOhm, » 

Au souvenir de cette offense et sur ces dernières paroles 
se place cette phrase 



dont le commencement sHnspire de celle déjà citée (17) et 
dont les dernières notes rappellent le motif de la dou- 
leur (42). 

Puis, sur une répétition des motifs de la colère (4) et de 
l'exaltation (55), se font entendre les notes d'angoisse, 
déjà indiquées (i3) 



et, au moment où revient le souvenir de Morold : « Quand 
Morold vivait, qui l'eût osé? — Da Morold Ubie^ wer haifes 
giwagt? » cette phrase : 



59 



de la première partie de laquelle sera tiré, plus loin, le 
motif du remords (61) et dont la seconde partie rappelle le 
motif d'amertume (47); ensuite, réapparaissent, après les 
gammes rapides, les motifs de colère[(4),[de rancune (56), 



- 29 — 

d'angoisse (58) et d'exaltation (55), jusqu'à la grande phrase 
désolée : <c Ah! malheur à moi! c'est moi-même qui, par 
mon silence, ai fait ma propre honte \ ^- Ach wâhe mir! Ich 
ja war*s^ die Mmlich seïbsi die Schmach sich schuf! » 



dont les premières notes ramènent le motif de la douleur 
(i2 et 42); à l'accompagnement, la forme alanguie du 
dessin de triolets (46) traduit l'amertume d'Iseult. 

Mais, bientôt, les gammes reprennent au souvenir de 
« L'épée vengeresse — Das ràchende Schweri », suivies d'un 
rappel fortissimo du motif du regard (48), de ce regard qui, 
laissant Iseult « sans force — machUos », lui fit tomber 
l'épée des mains, et des notes entrecoupées déjà signa- 
lées {5i). 

En vain Brangaine, sur une reprise en forUssimo de la 
figure de hardiesse (53) et du motif du serment (54), 
rappelle le jour où, à la joie de tous, on s'était juré « paix, 
réconciliation et amitié — Friede, Sahn, und Freundschafin\ 
ces nouvelles instances, appuyées par quelques mesures 
où se retrouvent les motifs de la supplication (i5), de la 
colère (4) et les notes d'angoisse (58), ne font que surexciter 
le désespoir d'Iseult qui, en même temps que revient le 
trait d'exaltation (55), et, dans une sorte de rage, s'invec- 
tive elle-même : « O aveugles yeux! — O blinde AugenI »sur 
cette phrase d'une violence extrême, soutenue par le 
dessin de triolets (46) s'élançant en crescendo^ que l'on peut 
appeler le motif du remords 



et qui s'inspire du thème, déjà indiqué, du souvenir de 
Morold (59). 

Vient ensuite, dans un apaisement momentané, cette 
figure mélodique empreinte d'un sentiment de reproche 



— 3o - 

« Comme, tout au contraire, Tristan s'est vanté de ce que 
j'avais tenu caché! — Wie anàcrs prahUe Tristan aus, was ich 
verschîossen hieîi! » 



62 



qui conduit par un decrescendo hSixmomeyiJi au passage 
pianissimo, accompagné du dessin de triolets (46) sous la 
même forme que pour la phrase désolée (60), où Iseult 
accuse d'ingratitude celui auquel, a en se taisant, elle avait 
donné la vie — die schwe^end ikm das Leben gab » 



Après quoi se répètent les motifs de la colère (4) et de 
l'exaltation (55), quand Iseult rappelle que Tristan, dans 
Tenivrement de ses succès, « la livra avec son secret I — 
mit ikr gab er es prêts / » . 

Sur les dernières. notes, lancées avec force, 




reprend, alors, animé de trilles brillants et du dessin de 
triolets (46), le motif de la gloire de Tristan (41), « enor- 
gueilli de la victoire — siegprangend » ; puis viennent, sur 
cet autre motif : 



toujours accompagné du dessin de triolets (46), ces paroles 
pleines d*ironie : « Ce serait une douce amie, mon seigneur 
et oncle; qu'en pensez- vous pour épouse? La jolie Irlan- 



— 3î — 

daise, je l'amènerai ici — Das wàr ein Schaiz, mein Herr und 
Ohm; wie dûnkteuch die sur Eh*? die schmucke Irin hoP ich her»\ 
et, dans ce passage, s'expriment les sentiments d'Iseult, 
rhumiliation, la rancune et le dépit. 

Finalement, après une violente répétition du motif de la 
gloire (41) et du dessin de triolets (46) précipité en crescendo, 
sa colère éclate, furieuse sur le double chromatisme fortis- 
simo du désir (8) et de la souffrance (16) 




avec cette phrase 
dir, Verruchterî » 



«Malédiction pour toi, infâme! — Fîuch 



à laquelle se mêlent, toujours en fortissimo, les motifs de la 
colère (4) et de l'exaltation (55), suivis de gammes rapides 
pleines d'emportement, d'octaves violemment frappés 
rappelant ceux de la malédiction (67) et de la mort (26 et 27) 
et enfin, des notes de rancune (56), sur ces mots : « Ven- 
geance! Mort! Mort pour nous deux! — Rachel Tod! Tod 
uns Beiden! n. 

Brangaine se précipite vers Iseult : u O douce ! Chère I 
Adorée ! Gracieuse maltresse ! Bien aimée Iseult ! — O Susse I 
TrauUI Theurel Holdel Gold'ne. HerrinI Lieh* I solde! », lui 
dit-elle, avec une impétueuse tendresse, sur ce dessin 
d'orchestre. 



68 




traversé de gammes rapides, dans un fortissimo où revien- 
nent le motif de la colère (4), les notes de souffrance (5) et 



-Sa- 
le motif de supplication (i5), et qui s'apaise ensuite pendant 
que Brangaine entraîne peu à peu ïseult vers son lit de 
repos :« Ecoute-moi! Viens! Assieds- toi ici! — Hôr miehl 
Kommet Sets* dich hsrl » 

Alors, commence le grand chant de Brangaine. 

Ce chant, empreint de délicate et caressante tendresse, 
forme un ensemble mélodique qui ne se prête pas aisément 
à Tanalyse ; on y distingue, néanmoins, les dessins prin- 
cipaux qui traduisent les efforts de Brangaine pour calmer 
Iseùlt : 

les notes d^apaisement 



69 



déjà pressenties (33) ; 
la phrase de persuasion; 



70 j^'urrPiiVi'.j i JJf^f ii i i i i ^ i r iiH L 



et, à l'accompagnement, ce dessin. 



72 




travaillé sous diverses formes. 

— c( Quelle erreur I dit Brangaine, quelle que soit la 
dette de Tristan envers toi, dis, pouvait-il s*en acquitter 
plus hautement qu'avec la plus magnifique des couronnes ? 
— Wekher Wahnl Was je Herr Tristan dir verdankfe, sa^, 
konnf er's hoher lohnen, ak mit der herrlichsten der Kronen? » 



— 33 — 

Revient une réminiscence du thème chevaleresque (Sa), 



sur ces paroles : « A son propre héritage, noble et géné- 
reux, il a renoncé, le mettant à tes pieds pour te saluer 
comme reine I — Dem ei^nen Erbe, àcht und edd, misagf er zu 
dûinm Fûssen, ak Kônigin dich zu grûssenl » 

A ce^ mots, qu'accompagne, avec une flatterie recher- 
chée, la cadence. 




Iseult fait un mouvement d'impatience, indiqué par un 
fortissimo momentané de l'orchestre, sur un motif qui 
s'inspire de la phrase de la blessure de Tristan (52); puis 
reprennent, avec une nouvelle efiusion, les instances de 
Brangaine; mais, lorsque, parlant des mérites de Marke, 
« de noble race et de cœur magnanime — von edkr Art und 
miîdem Muth », 



elle vante encore à Iseult son titre d'épouse, tout à coup, 
après le retour de la cadence de flatterie (74), un fortissimo 
de l'orchestre fait entendre cette phrase 



et cette autre 



-34- 

rappelant les motifs de la peine d*amour (3o et 3x), pendant 
qu'Iseult, tout absorbée, les yeux fixés dans le vague, pro- 
nonce ces paroles : i< Sans être aimée de l'homme le plus 
accompli et le voir toujours auprès de moi! — Ung^minnt den 
hehrsUn Mann sUts mir nah' zu seheni », sur les notes chroma- 
tiques du désir, suivies de cette phrase, 



tirée du motif de la mort du cœur d'Iseult (27). « Comment 
pourrai-je endurer ce supplice? — Wie kônnf ich die Quai 
hestehen? », ajoute-t-elle, sur les notes de passion (7) et le 
motif de la douleur (42). 

— ce Sans être aimée? — Ungeminnt? » reprend, avec 
une affectueuse quiétude, 



j) doh'tf 

Brangaine, qui, s'imaginant qu'il s'agit de Marke et se 
sentant tout à coup rassurée, affirme à Iseult, dans un der- 
nier chant, où se combinent harmonieusement les motifs 
précédents, qu'elle saura le soumettre au charme de 
l'amour. 

C'est à ce moment qu'arrive, en pianissimOy le motif 
caractéristique du philtre, déjà indiqué (6), 




précédant la question que Brangaine adresse à Iseult avec 
une sorte de confidence mystérieuse ; u Ne connais-tu pas 



les arts de ta mère? — Kenmt du der Mutter KûnsU nickt? » 
et cette autre, qui n'en est que le développement, sur le 
motif plus général du désir (8), accompagné du motif de la 
douleur (48) : 




. Aussitôt, Iseult, d'un air sombre : « Le conseil de ma 
mère m'est rappelé à propos — Der Mutter Rath gemahnt 
mich recht » ; et, après un crescendo que suivent, en pianissimo, 
des trémolos de l'orchestre, « Vengeance pour la trahison I 

— Roche fur dm Verrath! » ajoute- t-elle, sur le motif de la 
mort de Tristan (26); ce Paix au cœur dans la détresse! 

— RuW in der Noth dem Herzen! » sur le motif de la mort 
d*Iseult (27). c< Apporte-moi ce cofifret! — Den Schrein dort 
bring' mir herl n 

Alors, apparaissent successivement, dans la réponse de 
Brangaine, les motifs suivants : 
le motif. 




dérivé du motif (3i), qui peut être appelé motif du cofifret 
ou du secours : « Il contient le secours qu*il te faut' — Er 
hirgt was Heiî dirfrommt x>; 
le motif. 




auquel est attachée, dans la suite, l'idée de délivrance : 
« Cest ainsi que ta mère a rangé les puissants breuvages 



- 36 - 

magiques — So reikU sie^ die MutUVy die màchfgen Zanher- 
trànke » ; 

et, après une gamme chromatique, dont la terminaison, 
sur un accord en forte, se retrouvera plus loin dans la 
phrase de la passion révélée (m), le motif du breuvage 
d'amour : « Le breuvage merveilleux, je le tiens ici — Den 
hehrsUn Trank, ich haW ihn hier », dit Brangaine en mon- 
trant à Iseult un petit flacon : 




puis, sur ces paroles d'Iseult : « Tu te trompes, je le 
connais mieux, je Tai marqué d'une forte entaille; voilà le 
breuvage qu'il me faut — Du irrsi^ ich kenn' ihn besser; ein 
starkes Zeichen schnitt ich ein. Der Trank isfs, der mir taugt », 
et pendant un trémolo, le motif du breuvage de mort, qui 
résonne à la basse, comme un glas funèbre, 



et dont les dernières notes rappellent celles de la passion (7). 

Ce motif a été appelé, par quelques commentateurs, 
motif du destin [SchicksaîsmoUv)'^ mais la dénomination 
ci-dessus de motif du breuvage de mort semble mieux 
appropriée. 

— « Le breuvage de mort! — Der TodestrankJ n s'écrie 
Brangaine, qui recule d'épouvante', à la vue du flacon que 
lui montre Iseult. 

A ce moment, après un fortissimo à l'unisson sur le motif 
de la souffrance (16), se font entendre les cris des matelots : 
«jc Ho! Hé! Carguez la voile! — Hol Hel Die Segelein! » 




-37- 

La scène se termine sur une reprise en forfissimo du 
motif de la mer (i) et du motif d* exaltation (55). 

Iseult s*est levée de son lit de repos et entend les cris 
des matelots avec une terreur croissante. «Malheur à moi, 
dit- elle, la terre est proche ! — Weh*mirl Nahe das LandI » 



SCÈNE IV. — Les tentures s'ouvrent et Kourvenal entre 
brusquement. 

Le motif du cri des matelots (86) et celui de la mer (i), 
égayés de fioritures et de trilles, accompagnent les paroles 
jovi^es de Kourvenal qui annonce la prochaine arrivée et 
demande à Iseult, de la part de Tristan, « de s'apprêter 
pour qu'il puisse la conduire à terre — fûy's Land sich zu 
bereiUny dass er sie kônnf geîàtm ». 

Un fortissimo marque l'extrême émotion d'Iseult qui, 
cependant, se maîtrise aussitôt. 

Des accords répétés en triolets accentuent la phrase sur 
laquelle Iseult exprime sa volonté: 

elle ordonne à Kourvenal de dire à Tristan qu'elle exige 
d'abord la réparation de « l'oflfense non expiée — ung^ 
suhnie Schuld »; et ces derniers mots s*appuient sur un 
motif rappelant celui d'impétuosité (34). 

Après un retovLT pianissimo du motif de Tristan blessé (44) 
et un trait violent marquant un mouvement de défi de 
Kourvenal, les accords en triolets reprennent, pendant que 
s'entend en forfissimo la phrase de la peine d'amour et de la 
mort (78 et 27); Iseult répète avec plus de force encore : 
« Je n'irai pas à son côté devant le roi Marke avant quHl 
ait, auparavant, demandé, comme il convient, l'oubli et 
le pardon de la faute qu'il n'a pas réparée — Nicht werc^ ich 
sur Seif ihm gehm, vor Kônig Marhe zu sUhen, hcgehrU Vergessen 
und Vergeben nach Zucht und Fug er nicht zuvorfûr ungehûsste 
Schuld ». Sur ces paroles, reviennent le même motif de la 



— 38 - 

volonté (87) et, à la fin, les motifs de la mort (26 et 27) 
traduisant la pensée d'Iseult qui, en appelant Tristan 
auprès d'elle, songe à leur mort commune. 

Kourvenal s'est retiré rapidement; Iseult se précipite 
vers Brangaine, qu'elle embrasse avec véhémence. 

Un saisissant dessin d'orches.tre, d'une* extrême énergie, 
marque la décision suprême dlseult : 



88 



— « Maintenant, adieu, Brangaine! — Nun leb' wohî Bran- , 
g໫./» dit-elle. 

Brangaine — «Qu'y a-t-il? A quoi penses-tu? Voudrais-tu 
fuir? Où dois- je te suivre? — Was isfs? Was sinnsi du? 
WoUtest duflieh*n? Wohin solîich dirfolgen? » 

Les motifs du breuvage de mort (85) et de la douleur (42) 
accompagnés de trémolos, préparent la réponse d'Iseult, 
qu'accentue encore ce groupe de notes 





d'où sera plus tard dérivé le motif de vengeance (93) : 
« N'as-tu pas entendu? Ici, je reste; je veux attendre 
Tristan — Hôrtest du nickt? Hier hUib* ich; Tristan wiïl ich 
erwarten », dit-elle sur le motif de la volonté (87). «Exécute 
fidèlement ce que je t'ordonne; prépare vite le breuvage de 
l'expiation, tu sais, celui que je t'ai montré. — Getreu 
befolg* was ich befehr, den Sûhnetvanh rûste schneU; du weisst, den ich 
dir wies? » ajoute-t-elle sur ce thème d'impérieux com- 
mandement : 



- 39 - 

pendant que persiste et s'affirme, à la basse, le motif du 
breuvage de mort (85). 

La question de Brangaine : « Et quel breuvage? Und 
welchm Trank?» ramène un moment la phrase du philtre (80) 
aboutissant, par un crescendo à l'accord fortissimo sur lequel 
Iseult, qui a tiré le flacon du cofifret, répond impérative- 
ment : « C'est celui-ci! Verse-le dans la coupe d'or; rem- 
plie, elle le contient tout — Diesen Tranh! In die gold'ne 
Schaaîe giess' ihn ausr gefûlli fasst siâ ikn ganz » , sur ce motif de 
la coupe remplie : 



Brangaine, saisie d'efl&roi, prend le flacon. A ce moment 
revient avec force le grand dessin d'orchestre (88) suivi de 
traits violents, s'élançant sur des accords en fortissimo, 
pendant ce dialogue désespéré : 

Brangaine. — « Ai-je bien compris? — Trau' ich dm, 
Sinn?» 

IsEULT. — « Sois-moi fidèle ! — Sei du mir treu! » 

Brangaine. — «Le breuvage pour qui?— D^» Trank,fûr 
wen?» 

IsEULT., — « Pour qui m'a trompée. — Wer mich hetrog.nï 

Brangaine. — « Tristan ? » 

— « Qu'il boive son expiation! — Trinhe mir Sûhnef yy 
répond Iseult sur les notes de passion (7). 

Brangaine, tombant à ses pieds. — «Quelle épouvante! 
Malheureuse que je suis, aie pitié de moi ! — Entsetzen! 
Schofu mich Armel » 

IsEULT, avec emportement. — « C'est à toi de m'épargner, 
servante infidèle ! — Schone du mich, untreue Magdl a 

Tout à coup, après une grande gamme descendante en 
fortissimo, qy vient s'appuyer sur l'accord caractéristique du 
philtre (80) : « Ne connais tu pas les arts de ma mère? — 
Kennst du der Mutter Kûnste nicht? » dit Iseult, répétant ainsi, 
avec une sorte d'ironie les paroles précédentes de Bran- 
gaine. « Pour la suprême douleur, elle a donné le breuvage 
de mort, que la mo.t maintenant lui rende grâces! — Fur 



— 40 - 

hochsUs Leidj gab sie dm Todestrank, Der Tod nun sag' ihr 
Dank!ï> ajoute-t-elle, pendant que reprennent les motifs du 
breuvage de mort (85) et de la mort (26 et 27). 

Les notes de souffrance (5) ajoutent leurs soupirs doulou- 
reux 

à ces dernières paroles : 

Brangaine, se soutenant à peine. — « O la plus profonde 
douleur! - O UefsUs Weh'Iïi 

IsEULT.— tt M'obéiras-tu, maintenant? — Gehorchst du mir 
nun? » 

Brangaine. — «O suprême souffrance! — Ohôchstes Leidh) 

Entre alors Kourvenal, annonçant l'arrivée de Tristan. 

Brangaine se relève, éperdue. Isei;lt fait un effort terrible 
pour se contenir ; Torchestre reprend, sur un violent cres- 
cendo, le trait de la décision suprême (88), puis le motif de 
la colère (4) qui s'achève en diminuendo sur des notes 
détachées : « Que le seigneur Tristan s!approche I — 
Herr Tristan irek nah! » dit Iseult à Kourvenal. 



SCÈNE V. — Pendant le silence prolongé, plein de 
menace et d'anxiété, où se tiennent tout d'abord Tristan et 
Iseult, Torchestre fait entendre ce thème d'un caractère 
violent et impérieux : 




que certains commentateurs ont rapporté à Tristan en 
l'appelant motif du héros (Heldenmotiv), Comme oa le verra 
plus loin, d'après le sens des paroles, ce motif appartient 
plutôt à Iseult, dont il exprime le désir de vengeance. 
Sous la tenue prolongée qui suit le motif ci-dessus (gSj 



— 41 — 

se succèdent des accords fortement frappés, terminés par 
ce développement 




pouvant se rapporter à Tapparition de Tristan, qui se pré- 
sente à Iseult avec une intention de résistance mêlée d'un 
sentiment de crainte ainsi exprimé 




Dès qu'il parait, on entend, à la basse, le motif du breu- 
vage de mort (85), et, sur une répétition en fortissimo du 
motif de vengeance (gS), s'ouvre le dialogue entre Tristan 
et Iseult ; dialogue solennel dans lequel viennent se heurter 
les sentiments d'honneur et de loyale fidélité de Tristan et 
la résolution de vengeance et d'expiation d' Iseult ; terrible 
conflit où tous les deux, également combattus par leur com- 
mune passion inavouée, ne voient plus, avec une héroïque 
fierté, d'autre issue que la fatalité de la mort. 

— « Que ma souveraine ordonne ce qu'elle désire — 
Begehriy Herrin, was Ihr wûnschi », commence Tristan, avec 
une émotion à peine contenue. 

— a Comment ne saurais-tu pas ce que je désire, 
puisque la crainte de me l'accorder t'a retenu loin de mon 
regard? — Wûsstest du nicht was ich begehre, da dock dû Furckt, 
mit' s su erfûlUn, fern meinem BUck dich hielt? », reprend Iseult, 
d'un ton hautain, sur les motifs de la vengeance (gS) et de 
la crainte (95). 

Dans la réponse de Tristan ; « Le respect m'a com- 
mandé cette réserve — Ehrfurcht hielt miçh in Acht », les 
traits rapides de la basse semblent rappeler le trait d'im- 
patience (37). Ce trait revient encore, un peu plus loin, 
mêlé aux accords du motif de Tristan (94), avec ces paroles 
d'Iseult, que précède un retour rapide, en pianissimo, du 
motif de la colère (4) : « Puisque tu es si scrupuleux, 
seigneur Tristan, rappelle-toi aussi une autre coutume, 



- 42 - 

c*est de te réconcilier avec ton ennemi — Da du $o siUsam, 
mein Herr Tristan, auch einer SiUc sei nun gemahni : den Feind dit 
zu sûhnen ». 

Tristan. — « Quel ennemi? — Und wdchen Feind? » 

— « Interroge ta crainte! Une dette de sang nous 
sépare - Fra^ deine Furcht ! BlutschuU schwebt zwischen uns », 
répond Iseult, sur une phrase rappelant le motif d'impé- 
tuosité (34) et sur les motifs de la vengeance (93), de la 
crainte (95) et de la mort (26). 

Tristan. — <r Elle a été effacée — Die ward gesûhni.n 
IsEUtT. — « Pas entre nous! — Nicht zwischen uns!» 

— « Devant tout un peuple fut jurée une paix éternelle — 
Vor aUent Volk ward Urfehdô geschworen », dit Tristan, avec un 
désir de résistance qui s*affîrme dans ces phrases ascen- 
dantes 



accompagnées, à la basse, par des traits rapides de figure 
analogue. 

Mais, pendant que reprennent les motifs de Tristan 
blessé (44), la phrase d'amertume (47) et celle de ran- 
cune (56), Iseult rappelle à Tristan qu'à un autre moment, 
il avait été en son pouvoir, lorsqu'elle tenait Fépée devant 
lui : « Alors, j'ai fait taire ma bouche et retenu ma main ; 
mais, le vœu que j'ai fait, de ma bouche et de ma main, 
j*ai juré, en silence, de le tenir — Schwieg da mein Mund, 
bannf ich meine Hand, doch was einst mit Hand und Mund ick 
gelobt, das schwur ich schweigend zu haîten », et, sur ces paroles, 
le motif de Tristan blessé (44) s'anime, avec ses gammes 
ascendantes et ses triolets en doubles-croches, jusqu'à la 
reprise violente, en fortissimo, du motif de vengeance (93), 
que suit un crescendo du dessin de triolets (46) . 

— « Maintenant, je veux accomplir mon serment -— 
Nun, will ich des Eides walten », ajoute Iseult, pendant que 
s'entend le motif de la mort (26). 

— « Qu'avez-vous juré. Madame? — Was schwuri Ihr, 
Frau? » demande Tristan. 



- 43 - 

— « Vengeance pour Morold ! — Rache fur Morold! », 
répond Iseult. 

— « Y tenez vous? — Mûh't Euch ^i^?» interrogé Tristan. 

— « Oses-tu railler? — Wag^st du zu hôhnen? » reprend 
vivement Iseult, toujours sur le motif de vengeance (gS). 

Puis, un instant émue au souvenir du passé : « Il était 
mon fiancé, le noble héros d'Irlande; j'avais béni ses 
armes — AngeloU war n mir, der hehre Irenheld; seine Waffen 
hatf ichgeweiht », dit-elle sur ce thème empreint d*un senti- 
ment de regret : 




j9 cresc. 



— « Quand il est tombé, est tombé aussi mon hon- 
neur! — Da er gefaUen,j^l meine Ehr*! » ajoute-t-elle sur le 
motif de la passion (3), pendant que reprend le motif de la 
vengeance (gS) avec le motif d'exaltation (55). Suivent les 
triolets en doubles -croches, qui s'élèvent en crescendo jusqu^é. 
un accord en forte, sur lequel se place la phrase de l'expia- 
tion (17), terminant ces paroles : w Si nul homme ne venge 
sa mort, moi, femme, j'oserai le faire — Wûr^ ein Mann 
den Mord nicht sûknen, woUf ich, Magd, mich dessi' erkûhnen ». 

Viennent alors : 

ce trait, qui est un développement du triolet en doubles- 
croches et du dessin (46), 




auquel s'attache un sentiment de dépit ; 

le motif d'impétuosité (34) : « Pourquoi ne t'ai-je pas 
alors frappé ? — Warum ich dich da nicht schlug? » ; 

le motif de la colère (4), encadrant cette phrase : « Tu 
peux maintenant te dire à toi-même ton sort — Dein Loos 
nun seïber magst du dir sageni » ; 

et, après les mots : « Qui doit maintenant frapper Tris- 



— 44 — 

tan? •— Wtr muss nun Tristan schïagen? », sur cette phrase 
dUnterrogation menaçante, rappelant aussi le motif d'impé- 
tuosité (34), sous une forme un peu modifiée, 



99 



le trait rapide de révolte (35) et le motif du dépit (98), 
s'éteignant en diminucndo sur le motif de la passion (3). 

— « Si Morold t'était si cher, reprends maintenant cette 
épée et dirige-la d'une main ferme et sûre — War Morold 
dir so werih, nun wieder nimm dos Schwert,undfilhr' es sicher und 
fcst », dit Tristan en lui tendant son épée, sur cette phrase 
de soumission résignée: 



100 



et sur une autre phrase rappelant celle de la menace (99). 
— « Que dirait le roi Marke, si je tuais son meilleur 
serviteur? — Was wûrde Kônig Marhe sagen, erschlûg' ich ihm 
den besten Kfiecht?»y réplique Iseult sur ce motif d'apparente 
remontrance 




101 



que traverse, un moment, la phrase du dépit (98) et à la 
suite duquel reparaissent : 

le motif de Tristan blessé (44) : « Garde ton épée! 
— Wahre dein Schwert! » ; 

le motif de la vengeance (93) s'accélérant en crescendo : 
« car je l'ai un jour brandie, alors que la vengeance me 
torturait le cœur — Da einst ich's schwang, aïs mir die Rachê im 
BUsenrangyi\ 

le motif de l'ironie (65) : — Quand ton regard scrutateur 
se demandait « si je conviendrais au roi Marke comme 
épouse — Oh ich Herrn Marke taug* aïs Gemahh) ; 



-45- 

et, enfin, après un fortissimo rappelant le motif du 
regard (48), les notes entrecoupées (5i), sur ces mots : 
« Tépée, alors, je la laissai tomber — Das Schwert, da îiess 
ich's sinken. » 

— « Maintenant, buvons à la réconciliation ! — Nun, lass' 
uns Suhne trinkenln conclut Iseult; tout aussitôt, elle fait 
signe à Brangaine, et, voyant à son effroi qu'elle hésite 
encore, lui ordonne, d'un geste impérieux, de préparer le 
breuvage. 

Pendant ce temps, on entend à Torchestre, accompagnés 
de trémolos, en ^nissimo, les motifs du breuvage de 
mort (84) et du dépit (98), les soupirs douloureux (92) et le 
motif de la vengeance (93), suivi d*un crescendo d'un mouve-. 
ment accéléré, sur les motifs du désir et du breuvage de 
mort, après lesquels reprennent les cris des matelots (86). 

Sur un trait violemment tourmenté, en fortissimo^ formé 
du motif de la mer (i), Tristan, tressaillant : « Où sommes- 
nous? — Wo sind wir?y> 

— « Tout près du but ! — Hart am Ziell » répond Iseult, 
sur les motifs de la mort {26 et 27) ; car, pour elle, le but 
c'est la mort. 

Iseult — « Tristan, acceptes-tu la réconciliation? Que te 
reste-t-il à me dire? — Tristan, gewinn' ick Sûhne? Was hast du 
mir zusagenhy 

Tristan, d'un air sombre, se parlant à lui-même, et 
pendant que se dessine à Torchestre cette phrase pleine de 
mystère dont les dernières notes rappellent le motif d'in- 
terrogation anxieuse (20) : 

102 




« Si j'ai compris ce qu'elle ma caché, je lui cacherai ce 
qu'elle ne comprendrait pas — Fass' ich, was sie verschwieg, 
verschmeig* ich, was sie nichtfasst », dit-il sur cette autre phrase 

108 

répétant celle de la soumission (100). 



- 46 - 

— « Me refuses- tu la réconciliation? — Weigerst du die 
Sûhne mir? » demande encore Iseult, pendant que repren- 
nent les cris des matelots (86). 

Sur un signe impatient d*Iseult, que marque violem-^ 
ment et en fortissimo le motif de la souffrance (5u Bran- 
gaine tend la coupe remplie à Iseult, qui, en s'avançant 
vers Tristan, les yeux fixés sur les siens, lui répète, sur les 
accords en triolets déjà entendus et toujours sur le motif de 
la mort (26) : « Dans un instant, nous serons devant le roi 
Marke — In kurzer Frist stehen wir vor Kônig Marke, » 

Le ton ironique donné à ces derniers mots se maintient 
dans tout le morceau qui suit, caractérisé par le motif du 
dépit (98, qui prend ici une allure plus vive et auquel 
s'ajoute ce trait de raillerie : 



104 



accompagnant les paroles amères dlseult : « En me con- 
duisant à lui, ne seras-tu pas enchanté de pouvoir lui dire : 
Mon seigneur et oncle, regarde moi cette femme-là ; tu n*en 
trouverais jamais de plus douce. J'avais tué son fiancé et 
lui avais envoyé sa tête ; la blessure qu'il m'avait faite, 
elle l'a gracieusement guérie; ma vie était à sa merci, la 
bonne fille m'en a fait cadeau ; elle m'a donné, par dessus 
le marché, la honte et l'humiliation de son pays, et tout 
cela, pour devenir ton épouse — Geîeitestdu mich, dûnktdich's 
nicht lieb, darfst du so ihm sagen ? Mein Herr und Ohm, sieh' die dir 
an ! Ein sanffres Weib gewànnsi du nie, Ihren Angeîobten erschîug 
ich ihr einst, sein Haupt sandf ich ihrheim; die Wunde, die seine 
Wehr mir schuf, die hai sie hold geheilt; mein Leben lag in ihrer 
Macht, das schenkfe mir die miîde Magd, und ihr es Landes Schand' 
und Schmach, die gab sie mit darein^ dein Ehgemahl zu sein ». 

A la fin, sur l'allusion faite au « doux breuvage de 
réconciliation — ein sUsser Suhnetrank », revient, à la basse, 
le motif du breuvage de mort (84), et le chant se termine, 
en fortissimo, sur les notes de rancune (56) et de souf- 
france (5). 



- 47 - 

— « Lâchez l'ancre ! — Ankerîos! » crient les matelots, 
sur une suite de gammes montantes et descendantes. 

— « Relevez Tancre! Les voiles au vent! — Los den 
Anher! Den Winden Segeî! » s'écrie Tristan, épouvanté tout 
à coup par l'imminente arrivée; et, prenant vivement la 
coupe des mains dlseult : « Cette coupe, je la prends main- 
tenant pour qu'aujourd'hui je guérisse tout à fait! — Den 
Bêcher nehnt' ich nun, dass ganz ich heuf genèse! », dit-il sur cette 
phrase de renoncement dérivée du motif d'amertume (47) : 



105 



Après un retour en fortissimo du motif de la colère (4), 
suivi de celui de l'exaltation (55 , et sur une répétition des 
accords frappés en triolets, viennent ces paroles de Tris- 
tan : « Ecoute aussi le serment d'expiation que je te fais 
en remerciement ! — Und achte auch des Suhne-Ei^s, den ich 
zum Dank dir sage! » avec cette phrase, où se retrouvent la 
forme modifiée du motif d'impétuosité (99), le motif d'expia- 
tion (17) et les notes de passion (7) : 



106 



Suit une reprise du motif de vengeance (93), aboutissant, 
par une grande gamme descendante, à un Siccoid fortissinio. 

Alors s'expriment, sur les motifs de la peine d'amour (78) 
et de la mélancolie (36), les déchirements d'âme de Tris- 
tan songeant une dernière fois à tout son passé de loyaux 
services et de gloire sans tache, « à sa fidélité, qui était son 
honneur, «t àson orgueil, qui a causé sa détresse — Trisian's 
Ehre, hôchsU Treu' ! Tristan' s EUnd, kûhnster Trotz! n 

Mais tous ces souvenirs douloureux s'éteignent et s'efia- 
cent dans l'ivresse de la passion qui déjà le domine, 
pendant que se font entendre avec force les motifs de la 



- 48 - 

mort (26 et 27), sur celte phrase de Toubli, qui rappelle 
le motif de Texpiation {17) : 



107 



« Bienfaisante liqueur d'oubli — Vergessen's gûfger Trank », 
et sur celle du renoncement (io5) : « Je te bois sans hésiter! 
— Dich trink* kh sonder Wank! » et il porte la coupe à ses 
lèvres. 

Tout aussitôt, s'élancent les gammes rapides exprimant 
les emportements dlseult : « Me trompes-tu encore? 
Traître! A moi la moitié! — Betrug auch hier? Mein die 
Hàlfte! Verràiher! » s'écrie-t-elle, comme possédée, sur le 
motif l'impétuosité (99), en arrachant la coupe à Tristan, 
pendant qu'éclate et se répète, en fortissimo^ le motif de la 
passion (3), soutenu par celui de l'aveu (25), déjà indiqué, 
et enfin s'épanouit, après une gamme descendante accélé- 
rée de triples-croches, la grande phrase de l'aveu, sur ces 
mots : <c A toi, je la bois ! — Ich trink' sie diri » 



108 



Sur la dernière note, s'applique un Siccorà fortissimo, d'où 
descend une autre gamme aboutissant à l'accord caracté- 
ristique du motif du philtre (80), sur un point d'orgue 
ouvrant le morceau d'orchestre dont les frémissantes har- 
monies traduisent l'exaltation croissante de Tristan et 
d'Iseult qui, dans leur attente de la mort, passent du mépris 
de la vie et de ses vanités, à la passion la plus ardente. 

Le motif du philtre (80), repris en descrescendo, est suivi 
d'un trémolo, s'éteignant dans un j^nissimo où réappa- 
raissent les motifs de la soumission (loo) et de l«i peine 
d'amour ( 78); la phrase de l'aveu (108) vient ensuite s'appuyer 
sur le dessin harmonique fondamental (6) du motif du 
philtre (80). Intervient alors, pendant que Tristan et Iseult 




- 49 — 

sont en proie à la plus extrême agitation, xxnfdyHssifno plein 
de trouble sur ce motif 




qui, marquant ici une sorte de combat intérieur et de 
pressentiment, exprimera, plus tard, le désespoir de Tristan. 
Puis, reprennent le motif du philtre (80) sur un ivé- 
molo pianissimo^ le motif de l'aveu (108) et le motif harmo- 
nique (6) légèrement modifié ; l'ascendance chromatique 
prend le caractère plus général du motif du désir (8) dans 
cette phrase déjà citée (8i) : 




à laquelle sera attaché, plus loin, un sentiment d'étonne- 
ment (119). 

Après deux reprises de ce motif, suivies de points 
d'orgue, et des deux dernières notes répétées aussi deux 
fois, en crcsundo^ arrive la grande phrase déjà pressentie, 
dans la scène du philtre, de la passion désormais révélée 




^ f 



des amants, qui, dans la ferme croyance qu'ils vont mourir, 
ne cherchent plus à se cacher leurs véritables sentiments 
si longtemps contenus. 

— Tristan I s'écrie Iseult, sur ces deux notes d'amour, 
soutenues par le motif de la passion (3) : 



ïiZ 



— 5o — 

— Iseultl s^écrie Tristan, sur ces deux autres notes 
d'amour, 



notes qui reviendront à la fin, lorsqu'au moment de la 
mort des amants, chacun d'eux, en rendant le dernier sou- 
pir, prononcera le nom bien aimé. 
Iseult est tombée dans les bras de Tristan. 

— « Infidèle amil — Treuhser Holdcrî » 

— <c Femme adorée I — Seligste Frau! » 

disent-ils en s'embrassant éperdument; et ils restent silen- 
cieusement enlacés. 

Pendant ce temps, se développe cette phrase d'un élan 
passionné, 




où se retrouvent les motifs de la peine d'amour (3o), du 
secours (82) et de la faiblesse (5o). 

Puis, cette autre, de fervente tendresse 



m 




eresc. 



dérivée aussi du motif de la peine d'amour (3i) et soutenue 
par le motif de l'aveu (108), aboutissant, en crescendo^ sur 
cette figure en triolet, qui marquera Tanimation croissante 
de cette scène. 




— 5i — 

à ce motif tn fortissimo^ qui en est la suite et le dévelop- 
pement, 




sempre piûf 



pendant lequel les matelots font entendre leurs saluts au 
roi Marke, au milieu ô^^mh fortissimo de fanfares. 

Suivent de violents traits descendants avec ces paroles 
de Brangaine, affolée de désespoir: « Malheur! malheur! 
Eternelle et inexorable détresse, au lieu d'une prompte 
mort f Œuvre trompeuse d'une fidélité insensée, d'où vont 
naître maintenant tant do souffrances î — W^/r^/ Weh! Unab- 
wendbar ew'ge Noth fur kurzen Tod! Thor'ger Treue truguoïUs 
Werk hlûht nunjammernd empor! » et que termine wn fortissimo 
sur les motifs du philtre (80) et de la- souffrance (16). 

Tristan et Iseult se dégagent de leur étreinte, éperdus : 

TAiSTAN. — « Que rêvais-je de l'honneur de Tristan? — 
Was tràumte mir vofi Tristan' s Ehrc? » 

Iseult. — « Que révais-je de la honte d'Iseultl — Was 
iràumU mir von IsoWs Schmach? », disent-ils sur ce motif de 
rêve. 




suivi delà phrase déjà citée (iio), où s'exprime leur éton- 
nement : 



119 



Tristan. — « Je t'aurais perdue? — Du mir veriorm? » 
Iseult. — « Tu m'aurais repoussée? — Du mir ver- 

siossm? » 

Et, après cette phrase de tendre ivresse, sur un rythme 

syncopé, soutenu de triolets. 



120 



— 52 - 

ils répètent les noms bien-aimés « Iseult ! Tristan I » sur le 
motif de la passion révélée (m), qui éclate en un fortissimo 
se continuant en accords syncopés avec les motifs de la 
passion (3) et de Télan passionné (114), sur ces paroles : 

— « Héros bien-aimé! — TrauUsUr Mann! » 

— « Femme adorée I — SûsstsU Maid! » 
Puis, Tristan et Iseult reprennent ensemble, 

sur le motif de la passion (3) et sur cette phrase de pal- 
pitante ardeur, 




121 _ . ^ 

« Comme les cœurs palpitent et s'exaltent, comme tous 
les sens frémissent de joie! — Wie sich die Herzen wogend 
erheben, wie aîk Sinne wcmnig eroeben ! » ; 

sur le motif de la délivrance (82), qu'exaltent de rapides 
traits ascendants, <c Floraisons épanouies des langueurs 
d'amour, ardeurs enivrantes d une passion qui dévore I — 
Sehnender Minne schweUendes Bluhen, schmachtender Liehe seliges 
Glûhenl »; 

et enfin, avec le motif du breuvage d'amour (84), qu'ani- 
ment, en un rythme syncopé, des traits de triolets et sur 
ce motif de brûlante joie, 

«* jjj^j i TifrrM ' ^^ 

ces paroles enflammées : « Tristan ! Iseult I Je te possède 
donc, toi, mon unique bien, suprême volupté! — Dutnir 
gewonnen, du mir einzig bewusst, hochste Liebesîust! » 

Tout à coup, sur une reprise du chant des mate- 
lots (86), s'ouvrent en grand les draperies de la tente, 
découvrant tout le pont, rempli de chevaliers et de gens 
de mer faisant des signes d'allégressie. 

— « Vite le manteau, la parure royale! — SchneU den 
Manteî, den Kônigsschmuck ! n s'écrie Brangaine, en appelant 
les femmes, qui sortent aussitôt de l'intérieur du navire; 



— 53 — 

elle se précipite entre Tristan et Iseult, les adjurant : 
« Malheureux I revenez à vous ! Ecoutez où nous sommes ! 
— UnseVgel Auf! Hôrt wo wir sind! » et elle revêt du man- 
teau Iseult, inconsciente de ce qui se passe. 

En même temps éclate, au son des fanfares, le chant 
d'allégresse de tout l'équipage [Jubelgesang der Mengt) : 
« Salut ! Au roi Marke, salut ! — Heiîî Kônig Markc Hcill » 

auquel se mêle le motif de la mer (i). 

— « Salut, Tristan ! Heureux héros! — Heil Tristan i 
GUcklicher Heldl » s'écrie Kourvenal, qui, s'avançant tout 
triomphant vers Tristan, et, sans se douter de l'ivresse pas- 
sionnée de son maitre, lui annonce, dans ce chant empreint 
d'une joie si sereine, qu'égayé encore, à l'orchestre, une 
transformation animée du motif des matelots (86), 




qu'une barque approche, portant le roi Marke, « avec sa 
cour brillante — mit reichem Hofgesinde ». 

Tristan et Iseult, éperdus, égarés, pendant que redoublent 
les cris de l'équipage : 

Tristan. — « Qui approche? — Wer naht? » 

Kourvenal. — « Le roi ! — Der Kônig! » 

Tristan. — « Quel roi? — Welcher Kônig? » 
et. sur une reprise du motif du rêve (ii6), 

Iseult. — « Qu'y a-t-il, Brangaine? Ah! quels sont ces 
cris? — Was ist, Brangàne? Ha! Welcher Ruf? » 

Brangaine. — « Iseult! Maîtresse! contenez- vous au 
moins en ce moment! — Isolde! Herrin! Fassung nur heuf! » 

Iseult. — « Où suis -je? Suis- je vivante? — Wo Un ich? 
Leh* ich? — Ah! quel breuvage? — Ha! Welcher Trank? » 
demande t-elle. 

5. 



« Le breuvage d'amour I — Der LiebesirankI » répond 
Brangaine, avec désespoir. 

Dans un mouvement de fatale compassion, Brangaine 
a substitué au breuvage de mort, que lui avait remis 
Iseult, le breuvage d'amour, et ainsi, les amants, qui se 
croyaient déjà dans la sécurité de la mort, se trouvent 
rejetés, avec leur amour maintenant avoué, dans les ser- 
vitudes et les angoisses de la vie I 

A ce mot de breuvage d'amour, et après un chromatisme 
ascendant, en crescendo, conduisant à \xn fortissimo d'accords 
syncopés et à une reprise du motif du breuvage d'amour 
'(84), Iseult regarde Tristan avec terreur: « Tristan, faut -il 
vivre? — Muss ich leben?» dit-elle, sur les notes d'amour (112), 
et elle tombe évanouie entre ses bras. 

Brangaine appelle les femmes au secours de la reine, et 
après ce crescendo, d'une extrême violence : 



125 



— « O perfides délices I O trompeuses joies I — O Wonne 
voiler Tiicke! O truggewethtes GJûckel » s'écrie Tristan, sur la 
phrase de l'expiation (17) : 




soutenue d'accords prolongés. 

Mais ce soupir de détresse est bientôt interrompu par 
les cris renouvelés de l'équipage : « Salut à Cornouailles ! 
— Kornwall Heill » 

Le navire est entré dans le port, au milieu des barques 
pavoisées qui se pressent à sa rencontre. 

De toutes parts retentissent, à l'approche du roi, les 
vivats, les saluts et les acclamations; et, dans l'éblouisse- 
ment du jour radieux et des bannières déployées, éclatent 



- 55 — 

des trompettes et des fanfares répétant les motifs de l'allé- 
gresse (122) et de la mer (i). 

Ainsi finit le premier acte, sur ce tumulte joyeux et cette 
explosion de sonorités qui forment un contraste saisissant 
avec la muette angoisse des amants éperdus. 

Le rideau tombe rapidement, pendant un violent fortis- 
simoy où revient encore le motif chromatique du désir et 
que termine, après de rapides triolets, un brusque accord 
finaU 



^^?^. 



DEUXIÈME ACTE 




CÈNE I. — Le second acte se passe dans un 
jardin planté de grands arbres, devant la 
demeure d'Iseult, par une nuit sereine et 
magnifique. 

Près de la porte ouverte, est une torche 
allumée. 

Dés fanfares de chasse vont s'éloignant ; 
on y distingue les trois motifs principaux : 




129 



Ces échos de chasse s'affaiblissent peu à peu. 
Brangaine,^ près du perron, prête l'oreille pendant quo 
se dessinent, en pianissimo, les motifs suivants : 



- 57 — 

d'abord, celte phrase formée des dernières notes du 
motif (127) et qui traduit l'inquiétude de Brangaine, 




puis, ce groupe de quatre notes chromatiques descen- 
dantes rappelant le motif de la souffrance (16) du premier 
acte et qui se transforme ici en motif de l'attente ; 




le motif de l'ombre protectrice de la nuit; 



Î92 



j-iij- ^m 



les notes marquant la hâte, pleine de confiance, d'Iseult; 



133 



et, enfin, cette phrase 




exprimant la douce anxiété d'Iseult, qui paraît à ce moment 
et s'approche, tout agitée, de Brangaine; 

— « Les entends-tu encore? — HÔrst du sic noch? » 
demande vivement Iseult sur les motifs du philtre (80) et 
de l'attente (i3i); 

puis, vient la phrase syncopée de tendre ivresse (lao;. 



- 58 



conduisant sur un forte à cet autre motif, auquel a été 
donnée la désignation d'ardeur et d'extase d^amour ; 




suivi de la gamme chromatique du désir (8). 

— ce Ils sont encore tout près — Nock sindsie naVïi répond 
Brangaine, sur la phrase de l'inquiétude (i3o), pendant que 
reprennent un instant , déjà affaiblis, les motifs de chasse. 

Ces motifs s'effacent bientôt dans un pianissimo d'où 
<^mrrge, placé entre la gamme du désir (8) et le motif de 
l'ombre protectrice (i32) et sur ces paroles d'Iseult : « La 
crainte égare ton oreille - Sorgende Furcht heirrt dein Ohr », 
ce motif rappelant la figure de hardiesse (53): 



186 




— « Ce qui te trompe, c'est le murmure des feuillages 
frémissants — Dich tàuscht des Lauhes sàusehtd Geton' », ajoute 
Iseult pendant un retour en pianissimo du motif de 
chasse (127), sur cette phase dérivée du motif d'inquiétude 



i37 




suivie des motifs de l'attente (i3i) et de l'ombre protec- 
trice (l32). 

— « Ce qui te trompe, reprend vivement Brangaine, c'est 
la fougue impétueuse de ton désir — Dich iàuscht des Wun- 
sches UngestUm », et avec ces paroles s'entendent la phrase 
syncopée de la tendre ivresse (120) et le motif de l'ardeur 



- 59 - 

d'amour (i35), auquel se joint, en .crescendo^ ce développe 
ment mouvementé 



138 




combiné avec les notes de soufirance (5). 

Un dernier écho du motif de chasse se perçoit encore 
ce J'entends les sous du cor — Ich hore der Hôrner SchaU », 
insiste Brangaine, sur cette phrase pleine d'appréhension 



dont les dernières notes rappellent celles de la phrase 
désolée (6o). 

Le motif de chasse (129), le seul qui subsiste dans ce 
pianissimo, finit par s'éteindre tout à fait et se transforme 
en des battements d'une extrême douceur, accompagnant 
cette pénétrante mélodie, qui semble éclore dans le silence 
et la sérénité de la nuit : 



pendant qu'Iseult, tout entière à la joie de son attente et 
comme enveloppée d'une paix infinie, répond à Brangaine : 
« Les sons du cor ne sont pas si doux, c'est le suave mur- 
mure de la source voisine; comment l'entendrais-je, siles 
cors résonnaient toujours? — Nicht Hôrnerschall tôntso hold, 
des Quelles sanft riesdnde Welle rauscht so wonnig daher; wie hôrt* 
ich sie, tos*Un noch Hôrner? » 

Puis, reviennent, avec un accompagnement analogue, 
les motifs de l'attente (i3i), de l'ombre protectrice (iSa) et 
de la douce anxiété (134), que traverse, sous une forme 
adoucie, le motif de l'exaltation {SS), 



^ 6o - 

Tout à coup, Iseult s'anime : « Comme si le cor réson- 
nait encore près de npus, veux-tu donc tenir loin de moi 
celui qui m'attend? — Ah oh Hôrnér noch nah' dir schallten, 
wiUst du ihn fem mir haîten? y> dit-elle avec quelque irrita- 
tion, sur le motif d'impétuosité (34), pendant que repren- 
nent les notes de hâte (i33), la phrase syncopée de la 
tendre ivresse (120) et le motif de l'ardeur d'amour (i35), 
se terminant par un trait descendant en fortissimo^ alterné 
de triolets et suivi des notes de passion (7). 

— Celui qui t'attend? Ohl écoute mes avertissements! 
— Dcr deincr harrt, hôr' mein WarnenI » reprend Brangainc 
sur le motif de la supplication (14), suivi d'un crescendo, se 
terminant par un accord en forte, après lequel vient ce 
motif d'avertissement : 



Brangaine s'eflforce de convaincre Iseult d'une trahison 
de Mélot. 

Dans tout ce passage, d'une expression persuasive, se 
répète le motif d'avertissement (141) et reparaissent les 
motifs de la passion ^3), de l'impétuosité (34), de la mort (27), 
de la douleur (42) et de l'expiation (17). « Défie-toi de 
Mélot I — Vor Meîot seid géwarntl », conclût-elle sur l'octave 
de la mort et sur les notes d'appréhension (139). 

Iseult reste insensible à ces avis : « Ohl combien tu te 
trompes! — O wie du dich trûg'st! » dit-elle; et l'on entend 
de nouveau les motifs de l'attente (i3o), du désir (8), de la 
hardiesse (r36) et de l'ombre protectrice (i32). 

Brangaine insiste; reviennent les notes de douleur (12) 
et de soufiFrance (5); puis, les motifs de chasse (127) et 
d'inquiétude (i3o), quand elle parle de cette « chasse noc- 
turne — nàchtliches Jagen », si rapidement décidée et dont 
elle soupçonne le but. 

leeult ne v^ut rien entendre ; sur une reprise du motif de 
chasse (127), auquel s'attache cette phrase pleine d'entraî- 
nement 



6i - 



142 




et que suivent les notes de hâte {i33;, elle proteste de sa 
confiance en Mélot : 

— « Il m'est plus dévoué que toi-même — Besser aU du 
sorgt er fur mich », dit-elle à Brangaine sur la phrase syn- 
copée (120) animée de triolets et sur le motif de Tardeur (i35) 
qui, à ces paroles : « Ohl épargne- moi le supplice de 
l'attente — O spare mir des Zôgernh Noth»^ se combine, dans 
une harmonie tourmentée, avec le motif d'exaltation (55) 
et les notes de souffrance et d'angoisse (5 et 58). 

Laissant bientôt de côté ces explications : « Le signal, 
Brangaine; ohl donne le signal I — Dos Zeichen, Brangànel 
O gieb das Zeichen h>, s'écrie Iseult avec les notes de 
passion (7) et sur un accord eu forte après lequel reprennent, 
alternés, les motifs de l'attente (i3i) et de l'ombre protec- 
trice (i32); «éteins la dernière lueur de la torche I — Lôsche 
des Lichtes letzten Scheinl» ajoute-t-elle, sur cette phrase qui 
reparaîtra plus loin comme motif du jour perfide (163) 



148 



Puis vient, avec le motif de l'ombre protectrice (i33), ce 
large chant dlseult d'où sera tiré ensuite le motif de l'invo- 
cation à la nuit (171) : 



« Déjà la nuit a répandu son silence sur les demeures et 
les champs; déjà, elle remplit le cœur d'un émoi délicieux 
— Schon goss sic ihr Schweigen durck Hain und Haus; schonfûHt 
sic dasHerz mit wonnigem Graus ». « Eteins maintenant l'éloi- 
gnante lueur! Laisse venir mon bien-aimél — Lôsche den 





— 6:î - 

schôochenden Schein! La$s^ meinen Liebsten ein!» ajoute Iseuit^ 
pendant que reprend enforUle motif de l'attente (i3i). 

— « Oh I conserve la lumière protectrice I — O lass' die 
warnende Zûnde ! y* supplie encore Brangaine, sur un fortissimo 
chromatique dont les dernières notes rappellent le motif de 
la mort dlseult (27), et elle s'accuse amèrement de son mou- 
vement de compassion inconsidérée : « Ah! infortunée que 
je suis, fatal breuvage! — Ach, mir Armenï Des unseligen 
Trankeshy dit-elle, avec les notes de douleur (12) et sur une 
phrase rappelant celle de l'expiation (17), pendant qu'une 
gamme chromatique descendante, à laquelle se joint le 
motif de la mort (26), conduit à une reprise du motif du 
philtre (80). « Si, sourde à tes plaintes, je t'avais obéi aveu- 
glément, la mort eût alors été ton œuvre ; tandis que ta 
honte et ton humiliante détresse sont l'œuvre dont je dois 
me reconnaître la seule coupable ! — Gekorchf ich tauh und 
hlind, dein Werk war dann der Tod; dock deine Schmach, deine 
schmàhlichste Noth^ mein Werk mms ich SchulcTge es wissen ! » 
et, avec ces paroles désolées, s'entendent cette phrase de 
repentir 



et les motifs du breuvage de mort (85) et de la mort (37), 
que suit, à la basse, un dessin expressif de traits en 
triolets. 

— «Ton œuvre? ô fille insensée! — Dein Werk? thôr^ge 
Magd! » s'écrie Iseult, pendant que s'élance, à deux reprises, 
le motif de l'exaltation (55) suivi du motif du philtre (80). 
« Ne connais-tu pas la Déesse de l'amour, la puissance de 
sa magie? — Frau Minne kennUst du nicht? Nicht ihres Zauhers 
Macht?y>j et alors, sur ces paroles enhousiastes : « La mort, 
et la vie lui sont soumises, elle les tisse de peines et de 
joies, changeant la haine en amour ; l'œuvre de mort que 
j'avais osé entreprendre, elle Ta soustraite à mon pouvoir, 
elle a pris en otage celle qui était vouée à la mort pour 
achever l'œuvre de sa main — Leèen und Tod sind unterthan 
ihr, die sie weU aus Lust und Leid, in Lieh wandelnd den Neid. 



— 63 — 

Des Todes Werk nahnt icWs vermessen sur Hand, Frau Minne hat 
es meiner Macht ^ntwandt, die Todgeweihte nahm sie in Pfand, 
fasste das Werk in ihre Hand m , apparaissent : 
cette phrase de la puissance dominatrice 



146 



rappelant le motif de la volonté d'Iseult (87) qui se confond, 
ici, avec sa passion ; 
ce trait d'enthousiasme 



147 



combiné avec le motif du philtre (80), et que traversent, aux 
mots qui s'y rapportent, les motifs de la mort (26 et 27) et 
du breuvage de mort (85); 

et, enfin, cette phrase de possession exaltée que termine 
la forme un peu modifiée du motif d'impétuosité (34). 



148 



Suit un fortissimo^ sur le motif du désir, après lequel le 
trait d'enthousiasme (147) passe, sous cette nouvelle forme 





à l'accompagnement d'un nouveau motif, celui du chant 
d'amour (Liebesthema). 



150 




-64- 

Ces deux motifs, ainsi réunis, et qui s'animent en cres- 
cendo, expriment une sorte de glorification de Tamour, avec 
ces paroles de passion : « Quel que soit le chemin où elle 
me conduise, quelle qu'en soit l'issue, quelque sort qu'elle 
m'assigne, je lui appartiens; laisse-moi donc lui obéir! — 
Wie sic es wendet^ wie sie es endet, was sie mir kûhre, wohin mich 
fuhre, ihr ward ich zu eigen; nun ïass* mich Gehorsam zeigen ! ». 

Brangaine supplie en vain, pendant qu'intervient, sur 
une modulation tourmentée, un accompagnement de 
triolets marquant son agitation: « Ecoute, pour aujourd'hui 
seulement, oh! écoute mon instante prière, dit-elle; cette 
lumière qui montre le danger, cette torche, ne Téteins 
pas! — Nur heute h6r\ o hôr' mein Fîehen ! Der Gefahr teuchUn- 
des Licht, die Fackeî dortîosche nichthy. 

Iseult s'exalte de plus en plus; le chant d'amour (i5o) se 
poursuit, accompagné des mêmes triolets en gammes chro- 
matiques et du trait d'enthousiasme (149) ramenant sur un 
forte la figure de glorification : « La déesse d'amour veut 
que la nuit se fasse — Frau Minne wiîl, es werde Nacht » dit- 
elle enfin, et, pendant que le motif de l'ardeur d'amour (i35) 
est repris en fortissimo sous une forme plus élargie et suivi, 
après un decrescendo, d'un trémolo prolongeant la dernière 
note, elle court vers la torche et la saisit : a A ton poste, 
toi, et veille fidèlement! — Zur Warte, du, dortwache treul » 
ordonne-t-elle à Brangaine; et, sur les motifs de la 
passion (7) et de l'impétuosité (34) qu'accompagnent en 
forte les motifs de l'attente (i3i^ et de l'ombre protec- 
trice (i32), elle s'écrie, dans une exaltation passionnée : 
« Celle lumière, fût-elle celle de ma vie, c'est en riant et 
sans crainte que je l'éteins! — Die Leuchte, und wàr's meines 
Lébens Licht ^ îachend sie zu loschen zag^ ich nichti ». 

Iseult abat la torche, qui s'éteint sur le sol. 

Une grande gamme descendante en fortissimo conduit à 
une reprise violente des motifs de l'attente (i3i), de pas- 
sion (7) et d'impétuosité (34). Le motif de l'attente se répète 
ensuite en decrescendo, avec les notes de passion et de 
mort (27), pendant que Brangaine, se détournant cons- 
ternée, s'éloigne, monte lentement l'escalier de la terrasse 
et disparaît. 



— 65 — 

Ici commence un important morceau d'orchestre. 

Iseult, restée seule, prête Toreille et regarde, d'abord 
avec quelque inquiétude, vers une allée plantée d'arbres. 

A la basse se dessine, en pianissimo, le motif de l'im- 
patience [Tkema der Ungeduîd), dans une phrase terminée par 
une tenue prolongée donnant l'impression d'une attente 
interrogative qu'accentue encore l'accord léger qui suit les 
battements de triolets. Cette phrase est ensuite continuée 
par un dessin rappelant le motif d'exaltation (55); et, en 
effet, Iseult s'anime, dans son attente, s'avance vers l'allée, 
et regarde avec plus de confiance. Le motif de l'impatience 
se développe alors plus complètement 



et bientôt, pendant que se poursuivent toujours les batte- 
ments de triolets brisés, Iseult commence à faire, avec son 
écharpe,des signes que marque, sur un forte, ce motif d'ap- 
pel, d'abord assez lent. 



Ces signes deviennent de plus en plus fréquents à mesure 
que grandit l'impatience d'Iseult, et le motif d'appel (i52) 
s'anime en même temps, arrivant, dans un crescendo continu, 
à cette forme haletante. 



153 




qui aboutit elle-même à un vioXeni fortissimo ^ au moment où 
un geste de ravissement d'Iseult indique qu'enfin elle aper- 
çoit Tristan. 
Alors, vient ce motif 

6. 



— 66 — 
154 




qui, commençant en piano, s'élève et s^exaspère en cres- 
cendo, pendant que reprend, avec violence, à la basse, le 
motif de Timpatience (i5i), jusqu'à un nouvesiXi fortissimo qui 
éclate à l'arrivée impétueuse de Tristan. 



SCÈNE IL — Iseult, qui était montée sur les degrés du 
perron, pour mieux le voir, s'élance et se précipite sur lui 
avec un cri de joie : 

a Iseult I bien-aiméel Tristan! bien-aimé ! — Isoldel Ge- 
Uebie! Tristan! GeUebterl » s'écrient-ils, et ils se tiennent 
étroitement embrassés pendant que reprend avec véhé- 
mence le motif de l'ardeur d'amour (i35) jusqu'à un su- 
prême et stndent fortissimo y où reparait le chromatisme du 
désir. 

Tristan et Iseult, au comble de l'émotion, échangent ces 
paroles entrecoupées qu'accompagnent de courtes phrases 
musicales également empreintes d'une agitation passionnée 
et qui s'inspirent du chant d'amour (i5o) et des notes 
d'amour (ii2 et ii3) : 

Iseult. — « Es -tu à moi ? — Bist du mein? » 
Tristan.— « T*ai-je de nouveau?— Hab^ ich dich wieder?» 
Iseult. — « Puis-je te saisir? — Darfich dkhfassen? » 
Tristan. — « Puis-je y croire? — Kann ich mir irauen? » 
Iseult. — « Enfin I enfin! — Endlichl Endlich! » 
Tristan. — « Sur mon cœur! — An meiner BrustI » 
Iseult. — « Est-ce vraiment toi que je sens? — FûhF ich 
dich wirklich? » 

Tristan. — « Est-ce toi-même que je vois? — SeW ich 
dich seïber? » 

Iseult. — « Sont- ce tes yeux? — Diess deine Augen? » 
Tristan. — « Est-ce ta bouche? — Diess dein Muud? » 
Iseult. — « Ici ta main? — Hier deine Hand? » 
Tristan. — « Ici ton cœur? — Hier dein Herz? » 
Iseult, Tristan. — « Est-ce bien moi? Est ce bien toi? 



-67 - 

Est-ce que je te tiens sûrement? N'est-ce pas une illusion? 
N'est-ce pas un songe? — Bin ich's? Bistdu's? Haîf kh dich 
fest? Ist es hein Trug? Ist es hein Traum? » 

Puis, après un trait en fortissimo, d'un transport passionné, 
auquel conduit un crescendo sur le chromatisme du désir, 




reprend le motif de ravissement (154) : 

— « O délices de Tâme! s'écrient les deux amants. O 
douce, sublime, audacieuse, adorable, enivrante volupté I 
— O Wonne der Seeleï O sùsse^ hehrste, hûhnste^ schonste, seligsU 
Lust! » 

Le motif de ravissement continue en crescendo, traversé, 
à deux reprises, par le trait du transport passionné (i55) et, 
après avoir atteint le fortissimo sur ces paroles : « A moi 1 mon 
Tristan! A moil moniseulll — Mein! Tristan mein! MeinI 
Isolde mein ! » passe à la basse, où il s'alterne avec le motif 
d'enthousiasme (149) pour faire place au chant d'amour (i5o) 
et renouveler la figure de glorification déjà indiquée. 

— « A moi ! A toi ! Tristan I Iseult ! ne formant plus qu'un 
pour toujours, éternellement! — Mein und deinî Tristan! 
Isolde! Ewig, ewig ein! » répètent encore les amants, 
affolés, éperdus, sur les notes de passion (7) et d'amour (i 12 et 
II 3) et, aussi, sur cette phrase, qu'ils chantent à l'unisson 



156 



^^ 



* 



^ft 



d où sera tiré plus loin le motif de l'union éternelle (188), 
pendant que la figure de glorification atteint, par un cres- 
cendo continu, un dernier /(»^'55im(>. 

Après ce paroxysme d'exaltation, arrive progressive- 
ment un peu d'apaisement, avec le retour des motifs de 
l'attente (i3i) et de l'ombre protectrice (i32), que traverse 
encore le motif d'exaltation (55) pendant que se prolonge, 



- 68 - 

à l'accompagnement, avec le même rythme, le motif de 
ravissement (i54), peu à peu modifié. 

— « La lumière! la lumière! Oh! cette lumière, qu'elle a 
été longue à s'éteindre ! — Dos Licht! Das Licht! O dièses 
Licht! Wie lang* verïosch es nicht! » dit Tristan; et quand, 
dans un mouvement d'impétuosité marqué par un retour 
du motif (34), il accuse ensuite le jour, sur cette phrase de 
défi accompagnée d'un dessin caractéristique en triolets, 



d'avoir allumé le signal « devant la porte de la bien-aimée 
— an âer Liebsten Thûre », apparaît ce motif 



158 




qui est une préparation à celui du Jour ci-après {i5g), 

— « Cependant, la main de la bien-aimée a éteint la 
lumière; avec le pouvoir et la protection de la Déesse 
d'amour, j*ai défié le Jour — Doch der Liebsten Hand îôschte 
das Licht; in Frau Minne^s Macht und Schutz bot ich dent Tage 
Trutz! » reprend Iseult, sur le motif précédent (i57), et, tout 
de suite après une gamme de triolets en crescendo et sur ces 
paroles de Tristan : « Au Jour I au Jour perfide, à l'impla- 
cable ennemi, haine et malédiction!. — Dent Tage! Dem 
tUckischen Tage, dem hàrtesten Feinde Hass und Klage!»^ s'affirme 
l'important motif du Jour [Tagesmotiv) 



qui va devenir le motif fondamental de toute cette scène. 

On a rapproché, avec quelque raison, ce motif de celui 

de la gloire (41), dont il rappelle* les premières notes; et, 



il 



^69- 

en effet, au Jour et à la lumière vont être associées, dans 
ce qui suit, toutes les idées se rapportant aux gloires, aux 
vanités et aux servitudes du monde, marquant ainsi une 
constante opposition entre le Jour ennemi et la Nuit pro- 
tectrice. 
Puis, arrive ce trait plein de véhémence 



160 




suivi de dessins mélodiques d'une grande énergie d'expres- 
sion. 

— a Ainsi que tu as éteint ce flambeau, oh! que ne 
puis-je, pour venger les souffrances de l'amour, arracher 
la lumière au Jour insolent — Wie du das Licht, kônnf ich 
die Leuchte, der Liehe Leidcn zu ràchm^ demfrechen Tage verlôs^ 
chen! », s'écrie Tristan sur cette phrase pleine de ressenti- 
ment 



dont les dernières notes rappellent celles du motif de la 
menace (99). 

— « Est-il une douleur, est-il une peine qu'il n'éveille pas 
avec sa lueur? — Giehfs cine\Noth, giebfs einePein, die er nicJii 
wechtmit seinem Schein? » ajoute-t-il, sur ce motif du Jour 
perfide 




i6Z 



et sur le motif d'impétuosité (34) que suit à la basse, en 
diminuendo, le double chromatisme du désir (8) et de la 
soufîrance (16); et, sur son allusion à la lumière qui était 



» — 70 — 

devant la demeure d'Iseult, revient le motif du défi au 
Jour (i57). 

Un peu plus loin, reparaît le motif de la gloire (41), orné 
de trilles et de triolets, au moment où Iseult rappelle à 
Tristan que cette même lumière du jour, il l'entretenait 
naguère dans son propre cœur : Tristan, s'écrie-t-elle, sur 
les notes de passion (7)et de douleur (42), « n'était-ce pas le 
Jour qui mentait en lui quand il vint en Irlande me deman- 
der en mariage pour le roi Marke, vouant ainsi à la mort 
l'amie fidèle? — War's nicht der Tag der aus ihm log, aïs ér 
vach Irland werhend zog, fur Marke mich zu frètent dem Tod die 
Treuezu weiWen? » et, sur ces derniers mots, s'entendent les 
motifs du désir (8), de la souffrance {16) et du philtre (80). 

Pendant ce passage et au milieu de gammes chromati- 
ques en crescendo conduisant à chacune des reprises du 
motif du Jour (iSg), s'esquissent des syncopes qui seront 
attachées plus tard aux motifs de l'hymne à la nuit (169^). 

De nouveau, en fortissimo^ le motif du Jour (iSg) appuyé 
du même trait de véhémence (160), accentue la réponse de 
Tristan : « Le Jour ! c'est le Jour qui, t'environnant de son 
éclat, me dérobait Iseult ! — Der Tag! Der Tag, der dich 
utngliss, Isoîden mir entrûckf! » et, tandis que le motif d'amer- 
tume (47) accompagne ces paroles : « Ce qui éblouissait 
ainsi mes yeux m'obscurcissait le cœur — Was mir dos 
Auge so entzûckf, mein Herze Uefzur Erde drûckf»^ toujours, 
avec persistance, revient le motif du Jour (iSq), enchâssé 
dans des dessins de triolets (46) de plus en plus mouve- 
mentés. 

— « Dans l'éclat rayonnant du jour, dit Tristan, comment 
Iseult pouvait-elle être à moi? — In lichten Tages Schein, wie 
war I solde mein? » 

— « Comment n'aurait-elle pas été à toi, celle qui t'avait 
choisi? — War sie nicht dein, die dich erkor? » reprend Iseult 
sur le chant d'amour (i5o). 

Mais, tout de suite revient le motif du Jour {i5g) sur ces 
paroles : a Quel mensonge te faisait donc le Jour pervers? 
— Was log der hôse Tag dir vor? » et, un peu après, avec des 
triolets rappelant ceux attachés plus haut au motif de la 
gloire, dans la réponse de Tristan expliquant qu'ébloui par 



~ 7î - 

Téclat qui rayonnait autour d'Iseult, il fut aussi aveuglé 
par les vains honneurs du monde. Ici, s'entendent égale- 
ment les notes de passion (7), la phase d'expiation {5y) et le 
motif de la douleur (42). 

— « Ce qui veillait obscurément enfermé dans la chaste 
Nuit, l'image que mes yeux n'osaient contempler — Was 
dort in keuscher Nachtjdunkeî verschlossen wacht\ ein Bild das 
meine Augen bu seh'n sich nickt gefrauten », continue Tristan sur 
cette phrase qu'accompagnent encore, en pianissimo^ les 
syncopes des motifs de la Nuit 




et, avec ces paroles : il la vanta tout haut comme <f la 
fiancée royale la plus belle de la terre — der Erde schônsU 
Konigsbraui », vient se joindre au motif du Jour (iSg) le 
chant d'enthousiasme (149) suivi de gammes montantes et 
du dessin de triolets (46), dans un crescendo d'un éclat saisis- 
saut. 

En même temps, apparaît cette forme un peu modifiée 
du motif du Jour (iSg) 

164 




qui est plus particulièrement attachée à la vanité des hon- 
neurs et de la gloire. 

Ce motif reprend en fortissimo sur ces paroles de Tristan : 
« La haine que le Jour m'avait attirée, l'ambition et les 
jalousies que ma fortune commençait à faire naître, je 
défiai tout; et, pour conserver honneur et gloire, je 
résolus de me rendre en Irlande — Dem Neid, den mir der 
Tag erweckf, dem Eifer, den mein Glûcke schreckt\ der Missgunsty 
die mir Ehren und Ruhm hegann zu schweren, denen bot in Troiz, 
und ireu besckloss, um Ehr' und Ruhm zu wahren^ nach Irîand ich 
zufahren, » 

— a O vain esclave du Jour I — O eitUr Tagesknuht! » 
s'écrie Iseult sur l'octave du motif de la mort (26) et les 



- ?:> - 

notes de passion (7), pendant un fortissimo du motif de la 
vanité (164) suivi d'une reprise du motif de la colère (4). 
Puis, reviennent encore, traversés par un trait agité de 
doubles-croches en fortissimo, le mouvement syncopé de 
rhymne à la nuit et les dessins de triolets, accompagnant 
les motifs de Famour (i5o), de la passion (3), du Jour (i59), 
de l'exaltation (55), du désir (8), de la douleur (42), de 
l'ardeur d'amour (i35) et de l'impétuosité (99). « Cette 
lumière du Jour qui te montrait comme un traître, continue 
Iseult sur une phrase rappelant celle de sa malédiction (67), 
accompagnée d'une succession de traits descendants en 
doubles croches, je voulus la fuir, t'entraîner avec moi 
dans la Nuit où mon cœur me promettait la fin du men- 
songe — Das als Verràther dich mir wies, dem Licht des Tages 
wcUf ich entfliéhen^ dorthin in die Nacht dich mit mir ziehen^ wo 
der Tàuschung Ende mein Herz mir verhiess », et alors, toujours 
avec le motif du Jour, s'entendent, sur un dessin de triolets 
en decrescendo et peu à peu ralenti, les motifs de la mort, du 
désir et de la douleur. 

Après un crescendo de triolets : « Le doux breuvage dans 
ta main — In deiner H and den siissen Trank », dit Tristan, 
sur une reprise du motif de l'image (i63) et du motif du 
philtre (80); quand je le reconnus et que je compris « ce 
que me promettait la réconciliation — was mir die Sickne ver- 
hiess », ajoute t-il sur cette phrase de prouesse 



'" f "^"'1 'iTj i"i - 



et sur le motif de l'impétuosité (34), se terminant par un 
SLCCOxd fortissimo; puis, viennent ces paroles : « Alors, dans 
mon cœur, la Nuit commença à répandre sa douce et 
sublime puissance, mon Jour était accompli — Da 
erdàmmerte mild erhàb'ner Macht im Busen mir die Nacht; mein 
Tag war da vollbracht»^ qui trouvent leur expression dans la 
large phrase 



-iî- 

qui deviendra plus lard le motif de l'invocation à là 
Nuit (171). 

— «Mais, hélas I reprend Iseult, sur les phrases du 
philtre (80) et de Timpétuosité (99), accompagnées d'un 
dessin de triolets, le perfide breuvage t'a trahi », et, avec 
le motif de la mort (36), « il a rendu au Jour x:elui qui ne 
cherchait que la mortl — Dock ach, dich tàuschU der falsche 
Trank; dem ànsig am Tode lagj den gab er wieder dem Tag! ». 

Sur une reprise véhémente du trait de transport pas- 
sionné (i55), travaillé et développé de la manière la plus 
variée et pendant que reviennent les motifs du philtre (80) 
et de la tendre ivresse (lao), Tristan prononce ces paroles 
exaltées : « O béni soit le breuvage! — O Heil dem Tranke!yi\ 
sur le seuil de la mort il m'a laissé entrevoir « le merveil- 
leux royaume de la Nuit ; de l'image cachée dans le secret 
de mon cœur, il a chassé les lueurs décevantes du Jour 
pour que mes yeux-, pénétrant dans la Nuit, puissent la 
contempler dans sa vérité — dos Wunderreich der Nachi; von 
dem BUdin des Herzens hergendem Schrein, scheuchfer des Tages 
iàuschcnden SchHn, dass nachtsichiig mein Auge Wahres zu sehen 
iauge », et, pendant ce temps, s'entendent cette phrase du 
royaume de la Nuit, 



167 



et les motifs du Jour (159) et du philtre (80). 

Et, alors, sur une combinaison mouvementée des motifs 
de l'amour (i5o), de l'enthousiasme (149), du Jour (159) et 
delà vanité (164): «Il s'est vengé pourtant, le Jour vaincu, 
dit Iseult, il a conspiré avec tes erreurs. Ce que la Nuit 
naissante t'avait révélé, tu as dû le livrer à la souveraine 
puissance de Téclat du Jour pour y briller solitaire dans de 
désertes splendeurs — Doch es ràckie sich der verscheuchfe Tag, 
mit deinen Sûnden RatKs er pflag; was die gezeigi die ddmmernde 
Nachtyan des Tags Gestirnes Kônigsmachtymussiest du" s ûbergeben, 
um Hnsam in ôder Prachi schimmernd dort su leben. » — - « Com- 
ment ai-je pu, comment pourrai-je encore le supporter? 




- "TA- 

*— Wû ertrug ich's nur? Wie ertrag' ich's noch? » ajoute tseult, 
pendant que le motif du Jour (iSq) s'éteint en pianissimo. 

Tout à coup, s'élance un trait impétueux, rappelant le 
motif d'exaltation (55) : 

— c< Ohl nous étions déjà voués à la Nuit — O uuu 
waren wir Nachtgeweihtâ », s'écrie Tristan sur cette phrase 



168 



qui exprimera plus loin l'oubli et l'anéantissement; puis, 
viennent, après une gamme rapide, des accords répétés en 
triolets où s'entremêlent les motifs du Jour (159), du philtre 
(80), delà mort (26 et 27), et de l'anéantissement (168), 
pendant lesquels Tristan ajoute, s'exaltant de plus en plus : 
« Pour qui a contemplé avec amour la Nuit de la mort, les 
mensonges du Jour, gloire et honneur, puissance et ri- 
chesse, sont déjà évanouis! — Wer des T odes Nacht liehend 
erschau't, des Tages Lugen, RuJtm und Ehr\ Macht und Gewinn, 
sind sie vor dent zersponneni » 

Le motif du philtre (8o) ramène alors ^ en pianissimo, les 
motifs de l'attente (i3i) et de l'ombre protectrice (i32), 
suivis d'un crescendo suv le trait d'exaltation (55) conduisant 
à ces dernières paroles de Tristan : « Un seul désir lui 
reste, le désir de la Nuit sainte où la volupté d'aimer lui 
sourit dans son éternelle et unique vérité — Bleibt ihm ein 
einzig Sehnen, das Sehnen Un zur heil'gen Nacht, wo urewig, einzig 
wahr Liebeswonne ihm lacht! » qu'accompagne en fortissimo 
cette phrase de la sainte Nuit d'amour 

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sur laquelle s'apaisent les amants et qui deviendra, plus 
loin, un nouveau motif de mort, non plus de la mort ven- 
geresse ou expiatoire, comme les motifs (26 et 27) du pre- 
mier acte» mais de la mort libératrice. 



- '75 -- 

A ce moment, Tristan conduit doucement Iseult vers un 
banc de gazon, s'agenouille auprès d'elle et appuie sa tête 
sur son bras. Tous deux restent silencieux, pendant que 
reviennent à l'orchestre, sous une forme harmonieuse et 
plus élargie, les motifs du désir (8) et de l'ardeur d'amour 
(i35), dans un decrescendo^ où s'entend encore le motif du 
Jour (iSg), avec l'accompagnement syncopé qui se trans- 
forme en pianissimo dans le rythme caractéristique sur 
lequel s'épanouit, finalement, empreint d'une paix infinie, 
l'hymne à la Nuit (heilige Nachi) 



170 




— « Oh ! descends sur nous, Nuit de l'amour — O sinh' 
hernieder, Nachi der Liébe », chantent alors les deux amants, 
sur ce motif, déjà indiqué (i66), de l'invocation à la Nuit 




que complète cette phrase 



dont les deux dernières notes, 



qui se répètent à l'accompagnement, dans tout le morceau, 
expriment la sérénité de la nuit. 
Pendant que s'élaborent d'autres motifs, flotte encore le 



-76- 

motif du Jour (iSg), qui semble rappeler aux amants la réa- 
lité de la vie. 

Après un fortissimo sur les notes de sérénité (173), ap- 
puyant ces paroles : « En nous affranchissant du monde — 
WeUt'crlôsmd aus », 



174 



vient cette phrase de la Nuit révélatrice ; « Le soleil s'est 
retiré dans notre sein, et les étoiles de la félicité brillent de 
leur riante lumière - Barg im Busen uns sich die Sonne, 
îmchUn lachend Sterne der Wonne», 




et cette autre phrase empreinte d^un sentiment d'ineffable 
félicité ; a Cœur à cœur, lèvre à lèvre — Herg an Herz dir, 
MundanMund ». 



"' ê ^ h^ ,\ UJ ^^ J I 



Puis, reprend le motif du Jour (iSg) sur ces paroles : «Le 
monde que nous montre le Jour trompeur avec ses déce- 
vantes illusions — Die Welt^ die uns der Tag trûgend erheUt, zu 
tàuschendem Wahn entgegengesteîlt », jusqu'au fortissimo sur 
lequel les amants extasiés expriment, dans une sorte de 
vertige, leur détachement de l'univers : « Alors, c'est moi 
qui suis le monde — Selbst dann bin ich die Welt », sur un 
noxiweeiVL fortissimo auquel conduit un crescendo du chroma- 
tisme du désir (8), « Sainte vie d'amour — Liebeheiligstes 




- >7 - 

Leben », s'écrient-ils, sur le nouveau motif de la mort libé 
ratrice, déjà indiqué (169); 



177 



et dans un pianissimo d'accords harmonieux où reparaissent 
le chromatisme du désir et les syncopes de l'hymne à la 
Nuit, s'éteignent ces dernières paroles : « Désir ineffable, 
sans déception et sans réveil — Niê-Wicder-Erwochcns 
wahnîos hold hewussier Wunsck ». 

Tristan et Iseult s'abandonnent à leur extase; leyrs tètes 
se rapprochent dans un long embrassement. 

Mais, au milieu de ce silence, et pendant qu'à l'orchestre 
les notes de sérénité (173) s'alternent, en pianissimo^ avec 
des arpèges aussi légers que les souffles de cette paisible 
nuit, surgit doucement la voix de Brangaine, restée invi- 
sible : 

— « Solitaire, je veille dans la nuit — Einsam wachend in 
der Nacht », dit-elle sur cette phrase 



reproduisant, sous une forme élargie, le motif du Jour(i59), 
qui devient ici le motif de veille de Brangaine. 

— a Vous à qui sourit le rêve d'amour, continue -t-elle, 
prenez garde l Bientôt la nuit aura fui I — Wem der Traum der 
Liebe ïachf, habet achtl Bald eniweicht die Nacht! » et pendant 
ces paroles, s'entendent, à travers des dessins d'orchestre 
de la plus extrême douceur, les motifs de la nuit révéla- 
trice (175) et de la félicité (176), traversés par cette phrase 
de pressentiment 




qui reviendra plus loin à la mort de Tristan, et enfin, le 



~ 78- 

motif de la Nuit (167) qui s'éteint, sur une tenue prolongée, 
dans un arpège pianissimo. 

Après ce chant de Brangaine, reprend à l'orchestre seul 
le suave motif de la félicité (176), sous cette forme plus 
développée 



180 




à laquelle on a aussi donné le nom de motif du sommeil 
(Schlummermotiv}, msiis cette dénomination paraît critiquable, 
parce qu'elle ne se rapporte pas aux paroles ci-dessus (176) 
et qu'ensuite l'idée de sommeil n'est pas celle du non 
réveil, a nia wieder erwachen w, que rêvent les amants. 

Sur ce motif de félicité (180) et au milieu de cette paix 
de la nuit, viennent éclore ces tendres paroles que mur- 
murent les amants ; 

— « Ecoute, bien-aimé I —Lausch', Geîiébter! », dit Iseult, sur 
les notes d'amour (ii3); 

— « Laisse-moi mourir! — Lass* mich sterbeni » répond 
Tristan sur le motif de la mort libératrice (177) ; 

et, pendant que l'orchestre reprend pianissifno le motif de 
félicité (176), «jamais de réveil! Laisse la mort vaincre 
le Jour — Nie erwachen! Lass den Tag dem Tode weichen! », 
ajoute-t-il sur le motif de la mort libératrice (177). 

Vient une combinaison des premières notes du motif de 
la félicité (176) avec le motif de l'exaltation (55) : 

Iseult. — « Le Jour et la Mort menaceraient-ils des 
mêmes coups notre amour ? — Tag und Tod tnit gUichcn Sireù- 
chen soIUen uns*re Lieb' erreichen? » 

— « Notre amour? L'amour de Tristan? L'amour 
d'Iseult? Le tien et le mien? — Uhs^ù Liebc? Trisian^s Lid^e^ 



— 79- 

I soldé' s Liebe? Dein* md mein' ? » répète Tristan, sur cette 
phrase de l'amour partagé 



181 



et, pendant une reprise des motifs du Jour(i59), de la mort 
libératrice (177) et de la mort (26 et 27) : 

— « Fût-elle devant moi, menaçante, la puissante Mort 
— StûfuP er vor mir, der màchfge Tod » dit-il, sur cette phrase 
que terminé le motif de Timpétuosité (99) 



182 



pendant que s'entendent, à la basse, les motifs de la 
mort (26 et 27). 

« Comment pourrait-elle porter atteinte à Tamour lui- 
même? — Wie wàre seinen Streichen die Liebe seibst zu errai- 
chen? » ajoute-t-il sur cette autre phrase du défi à la mort 
qui s'inspire du motif de Tamour partagé (181) 



18 g 




tandis qu'un pénétrant dessin d'orchestre ramène le motif 
de félicité (180), jusqu'à un retour du motif de défi (i83) 
élargi de points d'orgue. 

Ensuite reprennent les motifs combinés de félicité (180) 
et d'exaltation (55), accompagnant ces paroles d'Iseult : 
(c Mais notre amour ne s'appelle -t-il pas Tristan et Iseult, 
et, si Tristan mourait, le lien ne serait: il pas brisé? » 
pendant lesquelles se place cette phrase du lien d'amour 



— 8o — 

qui reviendra au troisième acte dans la Vision de Tristan 

(211) : 



184 




Tf dolce 



— « Qu'est-ce qui succomberait à la mort, sinon ce qui 
nous sépare ? — Wa$ siûrhe dem Tod, als was uns stort? » dit 
Tristan sur un accompagnement plein de douceur et de 
tendresse dont le dessin s'inspire du motif du chant 
d'amour (i5o). 

— « La vie même d'Iseult causerait-elle donc la igaort 
de Tristan? -^ Als mit I solde* s eig^nem Lébm wàr* Trisian d$r 
Tod gegehen? y> inieïToge Iseult, sur une phrase rappelant 
celle de la puissance de la mort (182). 

Viennent quelques mesures d'orchestre. Le dessin pré- 
cédent prend une forme ascendante et se perd dans un 
extrême ^nissimoy pendant lequel Tristan attire Iseult 
doucement vers lui, et alors, sur ces paroles : 

Tristan. — « Alors, nous serions morts pour être insé- 
parés, unis pour toujours, sans fin, sans réveil, sans an- 
goisses, sans nom, dans l'embrassement de l'amour — So 
starben wir, um ungetrennt^ ewig einig, ohne EnéP, ohn' Erwachm, 
ohne Bangen, namcnlos in LieV umfangen », comméuce, ac- 
compagné d'un trémolo en pianissimo y l'important motif du 
chant de moxi[sUrhelicd) 



185 



se terminant avec ces mots : « Ne vivant que pour l'amour! 
— Der Liebe nur zu lebenl » sur cette phrase de fervente 
croyance : 



Î86 



Iseult, regardant Tristan, recueillie et pensive: « Alors, 



— 8i - 

nous serions morts pour être inséparés? — So sf&rhm wir^ 
um ungeirennt? », interroge-t-elle sur le même chant de mort 
(x85), qu'accompagne un dessin de triolets. 
. — « Unis pour toujours », répond Tristan, et tous les 
deux répètent à Tunisson, sur la phrase de fervente 
croyance (i 86), ces mêmes paroles: « Ne vivant que pour 
l'amour 1 — Der Lièbe nurzu Uben! » 

Iseult, succombant à son émotion^ laisse tomber sa tête 
sur la poitrine de Tristan. 

A ce moment, se fait entendre, une seconde fois, la voix 
de Brangaine sur le motif de veille (178), suivi, comme 
précédemment, du motif de la nuit (167), de sa tenue pro- 
longée et de l'arpège en pianissitno. Mais, de nouveau^ sur 
une reprise du motif de félicité (176) : 

Tristan, qui se penche vers Iseult en lui souriant : 
<c Dois-je écouter? — SoU ich îauschen? » 

Iseult, levant vers lui un regard éperdu : « Laisse-moi 
mourir 1 — Lass tnkh sUrbenI » dit-elle sur le motif de la 
mort libératrice (177) ; et elle répète, en s'animant, les 
paroles de Tristan : « Pas de réveil I Laisse la mort vaincre 
le Jour I — Nù crwackeni Lass den Tag dem Tode weichen! » 

— « Ainsi, nous braverons maintenant les menaces du 
Jour? — i)^5 Tages Dràuen nun irotzUn wir 50?» reprend Tris- 
tan, sur les motifs de l'exaltation (55) et du Jour (159). 

— c< Pour fuir à jamais ses mensonges — SeinetH Trug 
ewig zu flieKnl » xé^onà Iseult, sur le motif de l'ardeur 
d'amour (i35), suivi d'une reprise en crescendo du motif de 
l'exaltation (55); et, pendant que résonne à la basse le 
motif du breuvage de mort (85), dans une sorte de vertige 
du néant et de délire extatique : « Que la Nuit dure pour 
nous éternellement I — Ewig wàhr^ uns die Nachi! » s'écrie- 
t-elle, en se levant et s'avançant avec décision* 

Tristan la suit et la prend dans ses bras avec passion. 

Tous deux alors, après quelques mesures d'orchestre 
pleines d'emportement rappelant le motif de l'ardeur 
d'amour (i35) : 

— « O étemelle nuit! Douce nuit! — O ew'ge Nachi I 
Susse Nachi I » s'écrient-ils sur le motif de la mort libératrice 
(177), à travers des dessins d'orchestre de plus en plus 



— 82 - 

^niméSy où s'e mêlent les notes de sérénité (173), jusqu'à un 
yéh.émentfoHissim&^ sur lequel se terminent ces paroles : 
« Dissipe maiijtenant les alarmes, mort propice, mort 
d'amour ardemment désirée ! Dans tes bras, é toi consacrés, 
dans un éternel repos, délivré? des misères du réveil! — 
Nuu banne dos Bangen, :kolder Tod, séhnend verlangter Liebes* 
iod! In deinen Armen, dir geweikt, utJiHUg Erwartnen, von 
Erwachens Noth hefreit! » 

Reprend, ^n piano ^ léchant de mort (i 85), auquel viennent 
^ejoind,re les motifs du Jour (iSg) et de Tardeur d'amour 
(i35) avec cette, phrase pleine d'ivresse rappelant celle dé 
l'aveu (108) : 



187 



« Comment laisser échapper de telles délices; loin du 
solcU, loin des tristes séi>arations du Jour! — Wie su 
lassen, dièse Wonne, fern der Sonne^ fern der Tage Trennungs- 
klagel » puis, ce développement de la phrase de l'union 
jéternelle (i56) que l'on a aussi appelé le motif d'extase 
( Verkïdrungsfigur) 




accompagnant ces paroles : « Tendres langueurs ! Doux 
désirs! Sublime trépas! Ténèbres propices! — Sanfies Seh- 
nen ! Sûss Verîangen! Hehr VergehenI HoU Umnachten!» et qui, 
après cette phrase empreinte des suprêmes délices 



s'alterne, au chant et à l'orchestre, pendant que Tristan et 
IseuU, au comble de leur exaltation, s'écrient, comme 



- 83 ~ 

àÔblés, en répétant la phrase d'extase dé l'union éternelle 
(i88) : «Tristan, c'est toi Iseult; Iseult, c'est toi Tristan; A 
n'y a plus d'Iseult, il n'y a plus de Tristan ! Plus de noms, 
plus de séparations! — Du I solde, Tristan, ich; Tristan du, ick 
I solde; nicht mehr Tristan, nicht I solde; ohne Nennen^ ohne 
Trennen! » et, enfin, après un crescendo sur le motif de 
délices (189) et une reprise ardente du motif de l'union 
éternelle (188), éclate, en fortissimo^ le . motif de l'ardeur 
d'amour (i35) qui, encore animé par la figure en triolet 
(116), s'élève et se précipite en un véhément crescenâp suï 
ces paroles extasiées : « Sans fin, éternellement, suprçmç 
volupté d'amour! — Endlos^ ewigy hôchste Liebeslust! » jus- 
qu'à l'accord violent qui ouvre la scène suivante. 



SCÈNE III. — En même temps que cet accord, on 
entend un cri strident de Brangaine; Koùrvenal entre 
impétueusement, l'épée à la main. Tristan et Iseult restent 
dans leur attitude éperdue. 

— « Sauve- toi, Tristan! — Retie dich^ Tristan! y^ s'écrie 
Koùrvenal en regardant avec terreur derrière lui ; et tout 
de suite s'entend le motif de chasse (127) annonçant l'arri- 
vée de Marke et de sa suite. 

Pendant un morceau d'orchestre agité, où reparaissent 
les motifs précédents, le roi Marke, Melot et la suite sont 
entrés et se sont arrêtés, stupéfaits, en^ce des amants. 
Brangaine est accourue auprès d'Iseult ; Tristan a étendu 
son manteau pour dérober Iseult aux regards des arri- 
vants. Le jour commence à poindre. 

— « Le néant du Jour pour la dernière fois I — Der ôdc 
Tag zum ktzten Mal I » soupire Tristan, sur le motif du Jour 
(iSg), accompagné des mêmes syncopes précédant l'hymne 
à la Nuit (170), et, sur ce même dessin d'orchestre, vient la 
question de Melot ; « Dis-moi, Seigneur, si je l'ai accusé 
justement ? J'ai fidèlement préservé de la honte ton nom et 
ton honneur — Das sollst du^ Herr^ mir sagen oh ich ihn recht 
verklagt? Namen und Ekr' haV ich getreu vor Schande dir 
hewahrt. ». 




Ici se place le motif de chagrin de Marke (Figur âer 
Trauer)y où Ton peut distinguer deux parties ; 
la première, 



190 



qui rappelle le motif d'amertume (47), 
et la seconde, 



191 



d'une forme interrogative (Frage)^ exprimant le doute que 
fait naître, dans la conscience de Marke, la trahison inex- 
plicable de son fidèle Tristan. Ce sentiment se traduit dans 
la réponse que Marke fait à Melot, d'une voix tremblante 
d'émotion: « L'as-tu fait vraiment? Te Timagines-tu? 
Vois-le, le plus fidèle des fidèles; regarde-le, le plus 
affectionné de tous les amis; si Tristan m'a trompé, 
devais-je espérer que le conseil de Melot me préserverait 
loyalement du coup que m'a porté cette trahison? ~ Tha- 
test durs wirkltch? Wàhnst du das? SUh ikn dort, den Trm*stm 
aller Treuen; bUck* aufihn, den frcundlkhsten 4er Freunde. Trog 
mich Tristan, sollf ick offen, was sein Trûgen mit getrofen, sei 
durch Melofs Rath redlich mir bewahrt? » 

-^ « Fantômes du Jour ! Rêves du matin,, vains et 
trompeurs! Disparaissez I Enfuyez-vous ! — Tagesgespenster! 
Morgeniraûme! Tduschend und wûstl Entschwébtl EntweichtI » 
s'écrie Tristan dont la pensée est déjà hors de ce monde et 
pour qui les réalités du jour ne sont plus que de vaines 
apparences; et sur ces paroles, proférées avec une violence 
convulsive, se place le motif du jour perfide (i6a), dans un 
crescendo conduisant à un accord fortissimo suivi, à la basse, 
du chromatisme descendant de la soufirance (i6)« 



- S5 - 

. Alors, sur cette phrase de douloureuse interrogation, à 
laquelle se joint le motif de la douleur (42) 



H ^' H SSj 




192 

ff 



commence la longue lamentation de Marke. 

— « A moi ces paroles? O Tristan! dit -il; où trouver 
maintenant la fidélité, puisque Tristan m'a trompé? — Mir 
dits} DiâSf Tristan, mir? Wohin nun Treue, da Tristan mick 
betrog? » 

Pendant un silence, se dessine à l'orchestre cette phrase 
que Ton a appelée le motif de Marke (Markemotiv)^ tradui- 
sant son sentiment de consternation, 



198 



suivie du chromatisme descendant de la souffrance (16). 

Ici se manifestent la noblesse et l'élévation des sentiments 
de Marke qui, oubliant un moment l'atteinte portée à sa 
dignité et à son propre bonheur, ne songe qu'à la perte de 
Tamitié en laquelle il avait foi, et ne peut se résoudre à 
croire que Tristan l'ait volontairement trahi. 

Tristan baisse lentement les yeux vers la terre, son 
attitude montre une tristesse croissante pendant que 
Marke reprend : « A quoi bon les services sans nombre 
que tu m'as rendus, les honneurs, la gloire et la puissance 
que tu m'as conquis, si tous ces services devaient être 
payés par la honte de Marke? —Wozu die Dienste ohm Zahly 
der Ehren Ruhm^ dcr Grosse Macht, die Marken du gewannst^ 
musste die Dienste dir Marke's Schmach hezahUn? » 

Dans un magnifique langage et sur une suite de phrases 
musicales qui s'inspirent des motifs ci-dessus et où Ton 

8 



- 86 — 

retrouve aussi les motifs de la passion (7), de ramertume 
(47) et de la douleur (42), Marke exprime les sentiments 
qui le torturent. — « Je t'aimais à ce point, dit-il à Tristan, 
qu'étant resté sans héritier et t'ayant légué tout ce que tu 
m'avais conquis, j'avais renoncé à une nouvelle union. 
Après avoir résisté aux sollicitations de la Cour et du 
peuple qui me pressaient de prendre une reine, et à tes 
propres instances, je n'ai cédé que devant ta menace de 
quitter mon royaume si tu n'étais chargé de rn'amener une 
fiancée. Et c'est après m'avoir présenté cette fiancée, con- 
tinue Marke, sur une reprise des motifs du chagrin (190) 
et du doute (191), suivis de trémolos et de dessins d'or- 
chestre violents et bouleversés que traverse le motif de la 
souffrance (16), c'est après que sa merveilleuse beauté a 
touché mon cœur, que tu viens me frapper d'une inguéris- 
sable blessure et d'une douleur si cruelle « qu'elle étouffe 
en moi la fidélité de l'ami, remplit de soupçon mon cœur 
confiant et me conduit à me glisser secrètement dans 
l'ombre de la nuit pour t'épier, et à rabaisser ainsi mon 
honneur — das mir dent Freund die Treue verwehrt, mein off'nes 
Herz erfullt mit Vefdacht, dass ich nun heimlich in dunkler 
Nacht den Freund lauschend heschîeiche, meiner Ehren EncP 
erreichel » 

Après un retour agité et en crescendo du motif de la 
colère (4) : 

— a Pourquoi cet enfer dont nul ciel ne saurait me 
délivrer? — Die kein Himmel erlôst, warum mir dies£ Hôlle? » 
ajoute-t-il, sur cette phrase de cruelle perplexité 



qu'accompagnent en fortissimo des battements précipités 
de triples-croches et que suivent des gammes ascendantes 
d'une extrême violence, après lesquelles reviennent, en 
piano, les motifs de consternation (igS), de chagrin (196) 



-87- 

et de doute (191), s' éteignant avec ces paroles : « Qui en 
expliquera la cause impénétrable et le profond mystère? — 
Den unerforschîich furchtbar tief geheimnissvollen Grund, wer 
macht der Weît ihn kund? » 

Tristan, levant vers Marke un regird plein de com- 
passion : — « O Roi, je ne puis te le dire; ce que tu 
demandes, tu ne pourras jamais le savoir — O Kônigy dus 
kann ich dir itichi sagen; und was du fràgst, das kannst du nie 
erfahren », dit-il, sur cette phrase de douleur et d*afiliction : 



1»5 



Ce que Tristan ne peut expliquer, c*est la cause de son 
apparente trahison. 

Lorsque, dans un sentiment d'orgueilleuse fidélité, il 
proposa à Marke de lui amener Iseult comme épouse, il 
croyait éteinte la passion née autrefois du regard d'Iseult; 
repris et dominé par cette passion qui, malgré sa noble 
résistance, s'était rallumée devant les pressants appels, les 
emportements et la violence même du courroux d'Iseult, il 
n'avait pas hésité, pour échapper au parjure, à faire le 
sacrifice de sa vie ; mais un destin fatal avait été plus fort 
que sa volonté; la mort avait trompé son attente. Tout cela, 
Tristan ne peut le dire à Marke qui avait le droit de 
compter sur sa loyauté, ni en faire l'aveu devant Iseult. Il 
demeure donc silencieux, sans défense, sans excuse, ne 
songeant plus, pour lui comme pour Iseult, qu'à leur mort 
commune, déjà résolue et involontairement différée, à la 
mort qui les a unis et qui reste pour eux Tunique refuge de 
leur fierté et de leur amour. 

Devant cette fin nécessaire, inévitable, maintenant 
imminente, Tristan se tournant vers Iseult qui le regarde 
avec des yeux suppliants, pendant que reviennent les 
motifs de l'aveu (108), du philtre (80) et de la passion 
révélée (m), déjà entendus à l'acte précédent dans la 
grande scène de Taveu, et après quelques mesures d'or- 



- 88 - 

chestre suivies d'un retour du motif de félicité (167) : « Là 
où va maintenant aller Tristan, veux-tu, Iseult, le suivre? 
— Wohin nun Tristan scheidei, willst du, Isold', ihm foîgen? » 
lui demande-t-il sur les motifs de la mort libératrice (177) 
et de la mélancolie (36). 

Vient alors ce nouveau motif, que Ton peut appeler le 
motif du destin partagé 



196 



suivi du motif de l'invocation à la Nuit (171) accompagné 
de syncopes : « Dans le pays auquel pense Tristan ne luit 
pas la lumière du soleil; si Iseult veut le suivre, douce et 
fidèle, qu'elle le lui dise maintenant! — Dem Land, das 
Tristan meint, der Sonne Lickt nicht scheint ; oh sie ihmfolge^ treu 
und hoîd, dus sag' ihm nun IsoW ! » ajoute Tristan, et, avec ces 
dernières paroles, reviennent les motifs de la félicité (167) 
et de la mort libératrice (177). 

Sur les mêmes motifs, Iseult répond : « Où est Tasile et 
le pays de Tristan, Iseult se rendra; qu'il lui montre 
maintenant le chemin, elle le suivra douce et fidèle — Wo 
Tristan' s H ans und Heim, da kehr^ I solde ein; auf dem sie folge 
treu und hoîd, den Weg nun zeig' Isold\ » 

Par une évolution vraiment humaine de sa passion, qui 
se manifeste dans tout ce second acte, Iseult n'est plus la 
femme hautaine, violente et jalouse qu'elle était aupara- 
vant, lorsqu'elle pouvait encore douter de l'amour de 
Tristan. Maintenant qu'elle a la certitude de l'avoir con- 
quis, elle s'en fait l'esclave; soumise et docile, elle con- 
temple et admire comme un maître et un héros celui dont 
elle a enchaîné le cœur. Là où ira Tristan, elle le suivra, 
aveuglément, heureuse de partager sa destinée. Après 
l'avoir subjugué, elle ne songe plus qu'à lui obéir. 

Tristan s'approche d'Iseult, qu'il baise doucement sur 
le front. 

Pendant ce temps, reparaissent la gamme chromatique 
du désir et les motifs de la tendre ivresse (i2o), de l'ardeur 



d'amour (i35) et de Tunion éternelle (i88) aboutissant à un 
fortôy au moment où Melot s'élance, plein de rage, en tirant 
son épée : « Traître ! s'écrie-t-il sur les notes de passion 
(7), suivies, à l'accompagnement, du chromatisme descen- 
dant de la souffrance (16), ah! vengeance, ô Roi, souffri- 
ras-tu cette honte? — Verràther! Haï Zur Rache, Kônigl 
Duîdesi du dièse Schmach? yy 

Suivent des dessins d'orchestre agités de triolets et de 
traits courts et rapides, préparant le combat : 



197 



¥ sf 



Tristan se retourne brusquement et tire aussi son épée. 

— « Qui ose risquer sa vie contre la mienne ? — Wer wagt 
sein Leben an das meine? » dit-il en regardant Melot fixement. 

— Cet homme était mon ami ; il me témoignait hautement 
son attachement ; il excitait mon cœur à la présomption ; il 
était le premier à me pousser « à augmenter ma gloire et 
ma renommée et à te rechercher comme épouse pour le 
Roi ! — Ehr* und Rukm mir zu mekren, dem Kônig dich su ver^ 
mâhUnlm continue Tristan sur des phrases rappelant les 
motifs de l'amertume (47) et de la vanité (i56), entremêlées 
des traits rapides du motif du combat (197). 

Puis, s'entendent le motif du philtre (80) et les notes de 
passion (7). avec ces dernières paroles de Tristan : « Ton 
regard, Iseult, l'a aussi ébloui; l'ami, dans son zèle jaloux, 
m'a trahi auprès du Roi que, moi aussi, je trahissais! — 
Dein Blick, Isolde^ hlendef auch ihn, aus Eifer verrieth mich der 
Freunddem Kônig^ den ich verrieth! » 

Melot a subi, lui aussi, l'empire d'iseult; mais l'amour 
n'a éveillé en lui que des instincts de jalousie et de haine. 
Sa trahison offre un contraste frappant avec les sentiments 
élevés de sacrifice, de pardon et de dévouement qui ani- 
ment les amants, le roi et les deux fidèles serviteurs. 

« Défends-toi, Melot ! — Wehr* dich^ Meïot! » s'écrie 
Tristan. 

Melot se met en garde; Un impétueux crescendo ^ sur un 

8. 



-^ 90 - 

dessin agité de triolets, avec une gamme ascendante 
aboutissant à un fortissimo, ouvre le combat. Tristan cher- 
chant la mort, s*est jeté sur Tépée de Melot; il laisse 
tomber la sienne et s'affaisse, blessé, entre les bras de 
Kourvenal; Iseult se précipite sur lui; Marke retient 
Melot. 

La toile tombe rapidement, pendant que retentissent de 
violents accords, après lesquels revient une phrase rappe- 
lant le motif de Marke, qui est ensuite répétée dans un 
diminuendo brusquement interrompu par un accord final 
fortissimo. 





TROISIÈME ACTE 



^ E troisième acte se passe sur la côte de Bre- 

y tagne, dans l'enceinte du manoir de Karéol 

où Kourvenal a ramené Tristan; cette 

,^^..^ ancienne demeure présente un aspect de 

Jjp* délabrement et d'abandon. Çà et là, des 

pierres écroulées et des broussailles ; par les 

embrasures du parapet, s'aperçoit l'horizon 

de la mer. 



SCÈNE I. — Tristan est étendu, comme inanimé, sur 
un lit de repos, à l'ombre d'un grand tilleul. Kourvenal, 
courbé sur lui, épie son souffle avec inquiétude. Dans 
toute cette scène se montre la touchante sollicitude de ce 
fidèle serviteur qui, avec sa rude et généreuse nature, 
s'ingénie à entourer son maître des plus tendres soins. 

Au lever du rideau, on entend le chalumeau d'un pâtre, 
jouant une mélodie pleine de langueur et de tristesse. 

Dans cette longue et plaintive mélodie (Die traurige Weise), 
se distinguent les phrases principales suivantes : 



p^^ f 




(ivm. p -=tf/* : 



- 92 - 



200 




QLa mélodie s'achève sur ces notes ralenties 



202 




molto rit. 



dont la dernière, sur yxn forte saisissant, se prolonge en un 
trémolo pianissimo, accompagné du motif (199), pendant 
lequel apparaît le pâtre, à mi-corps au-dessus du parapet, 
appelant Kourvenal, sur une phrase de tierces descen- 
dantes suivies d'un soupir en point d'orgue : — « Kourve- 
nal! Hé! Dis, Kourvenal! Ecoute donc, ami! n'est-il pas 
encore éveUlé? - Kurwenal! He! Sag', Kurwenal! Hôr' doch, 
FreundI Wacht er noch nicht? » 

Kourvenal se tourne un peu vers lui, secouant la tête 
avec tristesse : — « S'il s'éveillait, ce ne serait toujours que 
pour mourir — Erwachie er, wàr*s doch nur wmfiir immer zu 
verschciden », répond-il pendant que s'entend à la basse 
le motif de la fatalité 



203 




auquel se joignent les notes de souffrance (5). « A moins 
que n'apparaisse, auparavant, l'unique guérisseuse qui 
puisse nous secourir — erschien zuvor die Aerztin nicht, die 
einz'ge, die uns hiîfl », ajoute-t-il sur cette phrase pleine de 
langueur, exprimant la détresse de Tristan, qu'on a aussi 





^93- 

nommée thème de la privation d'amour {Thema der LiébesenU 
hehrung) 



204 



et que termine un point d'orgue. 

Puis, vient, après une répétition du motif de la fatalité 
(193), la succession de tierces montantes en dintinuendo 



205 



attachée à l'impression d'abandon, de solitude et de déso- 
lation qui caractérise cette scène, et accompagnant la 
demande de Kourvenal au pâtre : « N'as-tu encore rien vu? 
pas un navire sur la mer? — SaKsi du noch nichts? Kein 
Schiffnoch aufder Sec? » 

Le PATRE. — « Tu aurais alors entendu une autre chan- 
son, la plus joyeuse que je sache. Maintenant, toi aussi, 
parle-moi franchement, vieil ami : qu'est-il arrivé à notre 
maître? — Eine and're Weise hortest du dann^ so lustig dis ich 
sic nur kann, Nun sag* auch ehrlich, alUr Freund : was hafs mit 
unsrem Herrn? » Et, pendant ces quelques paroles du pâtre, 
qui se terminent sur des notes rappelant la phrase d'appré- 
hension (139), s'entend à l'orchestre, avec un trémolo, le 
motif de la tristesse (199). 

— « Laisse là cette question; tu ne pourras jamais le 
savoir. Veille attentivement, et, si tu vois un navire, joue 
alors un air vif et joyeux ! — Lass die Frage, du kanitsfs doch 
nie erfahren, Eifrig spàh% uud siehst du ein Schif, so spiele lustig 
und hclî! » répond Kourvenal avec les motifs, en crescendo^ 
de la fatalité (2o3) et de la solitude (2o5). 

Ce motif de la solitude se répète en dintinuendo, et le 
pâtre, mettant la main au-dessus de ses yeux, regarde au 
loin : 

— c< Déserte et vide est la mer 1 — OecP und îeer das 



- 94 — 

Meer! » dit-il, sur le dessin précédent de tierces descen- 
dantes, et il s'éloigne pendant que reprennent les motifs de 
son triste refrain (201, 198 et 199). 

Bientôt s'entend de nouveau, à la basse, le motif de la 
fatalité (2o3). 

Alors, Tristan, sans se remuer et d'une voix sourde : 
« La vieille chanson, que me réveille-t-elle? Où suis-je? 
— Die altc Wèise, was wecht sie mich ? Wo Un ich ? », et il ouvre 
les yeux, tournant un peu la tête. 

KouRVENAL, tressaillant. — « Ah I cette voix ! Sa voix ! 
Tristan ! Seigneur ! mon héros ! mon Tristan ! — Ha î Dièse 
Stimme! Seine SUmme! Tristan! H erre! Mein Heîd! Mein Tris- 
tan! » 

Tristan, avec effort. — « Qui m'appelle ! — Wer rufl 
mich? » 

KouRVENAL. — « Enfin! enfin! La vie, la douce vie 
rendue à mon Tristan! — Endlich! endlich! Leben, Leben! 
Susses Leben, meinem Tristan neu gegeben! » 

Et, pendant ces paroles, intervient un motif d'orchestre 
plein d'animation 



206 



exprimant l'agitation joyeuse de Kourvenal. 

— « Kourvenal, est-ce toi? Où étais-je? Où suis-je? — 
Kurvenal^ du? Wo war ich? Wo Un ich? », demande faible- 
ment Tristan. 

— « Où tu es ? Libre, en paix et en sécurité ! A Karéol, 
Seigneur ; ne connais-tu pas le château de tes pères? — 
Wo du bist? In Frieden, sicher undfrei! Kareoî, Herr; kennst 
du die Burg der Vâier nicht? » répond Kourvenal sur ce 
thème, empreint de satisfaction, qu'on a appelé le motit 
de Karéol (Kareoîmoiiv), 




207 




— « Quels sons ai-je entendus?— Was erklang miy?y)^ in- 



- 95 - 

terroge Tristan pendant que reviennent les premières notes 
de la mélodie de la tristesse (198). 

— « La chanson du berger qui garde tes troupeaux sur 
la colline — Des Hirten Weise; am Hûgel àb hûiet er deine 
Heerde », répond Kourvenal sur une gamme descendante 
rappelant son refrain du premier acte (39). 

— « Mes troupeaux? ~ Meine Heerde? », répète Tristan. 

— « Certainement, Seigneur! — Herr^ das nteifC ichl » 
reprend Kourvenal avec le motif de Karéol (207); la mai- 
son, le burg, l'enceinte sont à toi ; les vassaux fidèles en 
ont pris soin, quand leur seigneur aimé « abandonna tout 
pour se rendre en pays étranger — Ah AUes er verliess, in 
^remde Land* zu zieh^n ». 

Tristan. — « Dans quel pays? — In welches Land? » 

Kourvenal. — « Hé! en Cornouailles, pour savoir 
quelle fortune et quels honneurs Tristan, mon héros, vail- 
lant et heureux, pourrait glorieusement y conquérir — 
Heil nach Kornwall; hÛhn und wonnig, was sich da GlûckeSy 
Glanz und Ehren Tristan, mein Held, hehr ertrotzi » ; et ces 
paroles sont accompagnées par le refrain de Kourvenal et 
par le motif de la gloire (41) 

Tristan. — « Suis -je en Cornouailles? — Bin ich in 
Kornwaîlpyy 

Kourvenal. — « Mais non, tu es à Karéol! — Nichi doch^ 
in Karéol! » réponse sur laquelle reparaît le motif de la 
solitude (2o5). 

Kourvenal explique à Tristan comment il l'a amené 
dans une barque, le portant sur ses épaules. 

— « Maintenant, tu es chez toi, dans ton pays, ton vrai 
pays, au milieu de tes propres champs, sous la lumière du 
bon soleil; là, tu vas échapper à la mort, guérir de tes 
blessures et retrouver le bonheur — Nun, hist du daheim^ 
daheim zu Land, im eckten Land, im Heimatland, auf eig*ner 
Weid' und Wonne^ im Schein der aîten Sonne, darin von Tod und 
Wunden du selig soïlst gesunden », ajoute-t-il sur le motif de la 
joie (206) et sur celui de Karéol (207), élargi d'accords 
fortement marqués. 

Mais, pendant que Kourvenal se presse aôectueusement 
contre la poitrine de Tristan, ce motif s'afiaisse tout à coup 



-a6- 

en âiminuendo et disparaît dans une transformation assom- 
brie qui conduit à ces paroles découragées de Tristan 
« Tu crois? Je sais, moi, qu'il en est autrement ; mais je ne 
puis te le dire — Dûnht dich das ? Ich weiss es anderSj doch 
haUn ich' s dit nicht sagen », sur une phrase dont les dernières 
notes rappellent le motif de la mélancolie (36). 

Puis reprend, à la basse, le motif de la fatalité (2o3). 

Viennent ensuite : 

la phrase de douleur et d'affliction (igS), qui accompa- 
gnait la même réponse faite par Tristan au roi Marke, dans 
Tacte précédent : « Je ne saurais te le dire — Das kann ich 
dir nicht sagen » ; 

le motif du destin partagé (196), déjà entendu, à la fin 
du second acte, quand Tristan invite Iseult à le suivre 
dans le pays où ne luit pas la lumière du soleil et que pré- 
cède, à la basse, en pianissimo, la phrase d'amertume (47) 
« J'étais là, où de tout temps j'ai été, où je retourne pour 
toujours — Ich war, wo ich von je gewesen, wohin auf je ich' 
geh'yi\ 

le motif de l'invocation à la Nuit (171), suivi de l'octave 
du motif de la mort (26) : « Dans la vaste nuit de l'univers 
— Im weiten Rcich der Welten Nacht » ; 

le motif de la puissance de la Nuit (167) et la phrase 
d'oubli et d'anéantissement (168) : « Là, une seule con- 
science survit, le divin, l'éternel, l'originaire oubli 1 — Nur 
ein Wissen dort uns eigen : gôttlich, ew'ges Urvergessenl »; 

les motifs de l'aveu (108), du philtre (80) et de la tendre 
ivresse (120), sur ces paroles enfiévrées : « Dirai-je le pres- 
sant appel qui, de nouveau, m'a attiré vers la lumière du 
Jour? — Sehnsûchfge Mahnung^ nenn' ich dich, die neu dent Licht 
des Ta^s mich zugetriehen? n\ 

le motif de la mort libératrice (177) et cette phrase de 
Pamour implacable, où se retrouve aussi Toctave du motif 
de la mort (26), suivi du chromatisme du désir (8) : 




208 __ 

— « Ce qui seul m'était resté, une ardente ferveur 



- 97 - 

d*amour m'a arraché aux délicieuses approches de la 
mort — Was ôinzig ntir geblieben, ein heiss-indrunstig Lieben^ aus 
TodeS' Wanne-Grauen jagt miches » ; 

et, enfin, sur un crescendOy les motifs de la douleur (42) et 
du Jour (159) : « Pour me ramener à la lumière qui tVntoure 
encore, Iseult, de son éclat trompeur I — Das Licht zu 
schaucn, das trûgcnd hell und golden noch dir, Isolden, scheint! » 

Kourvenal est saisi d'effroi devant l'agitation de son 
maître. 

Tristan, se redressant un peu, continue son monologue, 
pendant que se succèdent ; 

les motifs de la mort libératrice (177), de Tamour impla- 
cable (208) et du Jour (iSg) et la phrase d'expiation (17) : 
« Iseult est encore dans l'empire du soleil ! — Isolde noch im 
Reich dey Sonne! »; 

les motifs de passion (3) et d'anxiété (20), avec les traits 
en triples croches (19) : « Quel ardent désir, quelle anxiété, 
quelle soif de la voir I — Weîches Sehnen! Weîches Bangen! 
Sie zu sehen, welcW Verhngen / » ; 

les motifs du combat (197) et de la mort (26 et 27) : « J'ai 
déjà entendu se fermer derrière moi avec fracas la porte 
de la mort — Krachend horf ich hinter mit schon des Todes Thor 
sich schliessen » ; 

les motifs du Jour (159), de la passion (3) et de l'amour 
implacable (208) : « Maintenant, elle est de nouveau large 
ouverte, ce sont les rayons du soleil qui l'ont brisée — 
Weit uun sieht es wieder offen; der Sonne StrahUn sprengC es 

les motifs de la sou£Erance (x6), du désir (8) et de la féli- 
cité {180) : « Les yeux ouverts à la lumière, je dois émerger 
de la nuit; la chercher, la voir, la trouver; en elle seule se 
fondre et disparaître, tel est le destin de Tristan — Mit heU 
erschloss'nen Augen muss ich der Nachi enttauchcn^ sic zu suchen, 
sie zu sehen, sie zufinden, in der einzig zu vergehen, zu entschwin- 
dcn Tristan ist vergônnt»; 

lès motifs de la fatalité (2o3) et les notes de la souffrance 
(5) : « Hélas! maintenant s'augmente pour moi la fatale 
domination des mornes angoisses du Jour — Weh*, nun 
wàchst, hUich und bang, mit des Tages wilder Drang »; 



-98- 

puis, après un violent chromatisme ascendsoit en crescendot 
les motifs du Jour (iSg) et de Texpiation (17) : « Jour mau- 
dit, avec ta clarté! Eclaireras-tu toujours mes tourments? 
Brûlera- t-elle éternellement, cette lumière qui, même la 
nuit, me tenait loin d'elle? — VerfluchUr Tag mit deinem 
Schein! Wach'st du ewig meiner Pein? Brennt sie âwig, dièse 
LeuchUj die selhst Nachis von ihr mich sckeuchte?»; 

et, enfin, sur un decrescendo, les motifs de l'attente (i3i), 
de Tombre protectrice (i32), de Texaltation (55), du désir 
(8), de la tendre ivresse (120), de Tardeur d'amour (i35) et 
de l'invocation à la nuit (171) : « Ahl Iseult, douce adorée! 
Quand, enfin, éteindras-tu la torche pour m'annoncer 
mon bonheur? Cette lumière, quand s'éteindra -t-elle? 
Quand la Nuit sera-t-elle entrée dans ta demeure ? — Achj 
I solde! Susse! Holdel Wann endlich, wann,ach wann lôschest du die 
Zûnde, dass sie mein GlUck mir hûnde ? Das Licht, wann lôschi 
es aus ? Wann wird es Nacht im Haus? » 

Ici, reparaît le motif du rêve (118). Kourvenal, surmon- 
tant sa grande émotion et son abattement : — « Celle que 
j'ai bravée autrefois, par fidélité pour toi, dit-il sur les 
traits d'exaltation (55), il faut maintenant qu'avec toi j'aie 
hâte de la voir arriver! Crois à ma parole, tu la verras ici 
aujourd'hui même! — Der einst ich trots f, aus Treu^ zu dir, mit 
dir nach ihr nun muss ich mich sehnen! Gîaub' meinem Wort; du 
soUst sie sehen, hier und heufl »; et, après une reprise rapide 
du motif d'exaltation (55), « si, toutefois, elle vit encore 
— ist sie nur selbst noch am Leben », ajoute- t-il. 

Tristan, d'une voix épuisée : « La lumière n'est pas 
encore éteinte. Iseult vit et veille; elle m'a rappelé hors de 
la Nuit — Noch îosch das Licht nicht aus; I solde lebt und wacht; 
sie riefmich aus der Nacht n, et, avec ces paroles, sur un tré- 
molo en pianissimo y les motifs de la résignation (100), du 
Jour (i59), de la douleur (42) et du philtre (80). 

Après quelques mesures du motif du rêve (118), reprend 
alors, avec animation, le motif de joie (306) de Kourvenal, 
qui s'écrie : 

« — - Puisqu'elle vit, laisse donc l'espérance te sourire ! — 
Lebt sie denn, so lass die Hoffnung lachenl » — « Comment la 
guérir, cette mauvaise blessure ? ajoute-t'il. J'ai pensé^ dans 



- 99 - 

ma simplicité, que celle qui ferma autrefois la blessure de 
Morold guérirait aisément la plaie faite par l'épée de 
Melot — Die bôse WundCy wie sie heilen? Mir thôr^gem Manne 
dûnW es da, wer einsi dir MoroWs Wunde schloss^ der heilte leicht 
diePlagenvon Meîofs Wehr geschlagen », et, sur ces paroles, 
reviennent les-motifs de Tristan blessé (44), de la blessure 
guérie (52) et du chant d'amour (i5o), aboutissant à un 
fortissimo des notes de passion (7). — « La meilleure guéris- 
seuse, continue Kourvenal sur un dessin d'orchestre en 
crescendo préparant le motif suivant, je Tai bientôt trouvée, 
j'ai envoyé en Cornouailles ; un homme fidèle t'amène ici, 
par mer, Iseult — Die leste Aerztin haîd ich fand; nach Korn- 
waïl haV ich ausgesandt; ein Treuer Mann wohl ûber's Meer hringt 
dir Isolden her, » 
A ces mots éclate, en fortissimo le thème de jubilation 



209 



de Tristan, qui s'écrie, hors de lui: « Iseult arrive! Iseult 
approche! — Isolde kommt! Isolde nahtl »; puis, viennent, 
toujours en fortissimo^ les motifs de ravissement (154) et de 
l'attente (i3i), pendant que Tristan, suffoqué par son 
émotion, s'efforce de retrouver la voix. 

— « O fidélité! Sublime et généreuse fidélité! — O 
Treue! Hehre^ holde Treuel », dit-il, sur une large phrase rap- 
pelant la gamme descendante du refrain de Kourvenal (39); 
et, pendant que s'élance, à l'orchestre, une forme animée 
du trait d'exaltation (55), conduisant, par une gamme rapide, 
à une reprise du motif de jubilation (209), Tristan attire 
vers lui Kourvenal et le prend dans ses bras : « Mon Kour- 
venal, toi, l'ami le plus cher ! Toi, le fidèle sans défaillance, 
comment Tristan pourra-t-il te remercier? — Mein Kurwe- 
naî, du trauter Freundl Du Treuer ohne Wanken^ wie soll dir 
Tristan danken ? » 

Revient ensuite, en fortissimo, le motif de détresse (204) : 
a Dévoué à moi seul, tu partages mes souffrances — Einzig 
meiny mit Uidest du^ wenn ich îeide »; et pourtant, ce dont je 




— loo — 

souffre, tu ne peux le ressentir : « ce terrible désir qui me 
dévore, cette ardente langueur qui me consume, si je te le 
disais, si tu pouvais le savoir — dies furchtbare Seknen, da$ 
mich sehrt; dies schmachUnde Brennetty das mich zehrt, woïlf ick 
dir*s nennen, kônnUst du' s kennen », ajout e-t-il sur une forme 
mouvementée du motif de la mort libératrice (177) auquel 
se mêle le motif du Jour (iSg) ; et, s'animant de plus en plus^ 
pendant que le motif de détresse, ou de privation d'amour 
(204) reprend en violent crescendo^ « alors, dit-il à Kourve- 
nal, tu ne t'attarderais pas ici, tu monterais bien vite sur la 
tour, avec toutes tes pensées et tes désirs tendus au loin, 
pour épier et fouiller du regard Thorizon où s'enfle la voile, 
où, sur l'aile des vents, Iseult se dirige vers moi pour 
venir me retrouver, tout enflammée par Timpulsion de 
l'amour ! — nicht hier^ wûrdest du weilen ; zur Warie mûsstest 
du eiUn, mit aUen Sinnen sehnend von hinnen nach dorien trachien 
und spàhcn, wo ihre Segel sich hlahen, wo vor den Winden, mich 
zujindeny von der Liehe Dr an g befeuert^ I solde zu mir sfeueril » 

« Il s'approche! » s'écrie Tristan, dans la fièvre de son 
exaltation, sur des phrases rappelant le motif d'impétuosité 
(34), il s'approche à "toute vitesse I Le navire! le navire! 
voilà qu'il rase les écueils! — Es naht! Es naht mit muihiger 
Hast! Das Sckiff, das Schiff! Dort sireicht es am Riff! », et, sur 
un fortissimo auquel conduit, en crescendo ^ une ascendance 
chromatique du motif du désir : « Kourvenal, ne le vois tu 
pas? — Kurweftall Siehst du es nicht? » demande-t»il impé- 
tueusement. 

Tout à coup s'entend de nouveau, sur un trémolo, 
le triste chant du berger (201), et alors Kourvenal qui, 
craignant de s'éloigner de Tristan, hésitait à obéir à son 
impatience, répond avec abattement : « Aucun navire 
n'est encore en vue ! — Noch ist hein Schiff zu sehen! » 

Tristan écoute et s'apaise peu à peu; mais il reprend 
bientôt, de plus en plus accablé, son grand monologue^ 
qu'accompagnent, avec une persistance impressionnante, 
les diverses phrases de la mélodie de la tristesse, soutenues 
par des trémolos où se dessine le chromatisme descendant 
de la souffrance (16). 

Cette mélodie du pâtre, interprète inconscient des 



— lOI — 

regrets du temps passé et du çays natal, avait déjà répandu, 
au commencement de l'acte, ;sa touchante mélancolie. Elle 
reparaît ici, reprise par Torchèsti:® avec plus de force et 
d'intensité, et elle forme, dans toaX le. morceau auquel elle 
s'incorpore étroitement, la trame sàî{4a.q,uelle viennent se 
tisser, avec un art merveilleux, les aûti'è's paotifs se rappor- 
tant plus spécialement au récit. De même^^sur.un fond de 
soufifrances, de chagrins et de décevantes asfifalions, s'est 
déroulée l'existence tourmentée de Tristan, ce «héros de la 
-douleur ». 

Cest un des exemples les plus frappants de la p^^tra" 
tion réciproque de la musique et de la parole et de l^^lgr . 
action simultanée dans la manifestation des émotions d\i: 
drame. 

L'assimilation est si complète que cette mélodie, de plus 
en plus assombrie et, par moments, comme secouée de 
sanglots, s'identifie avec les souvenirs qu'évoque Tristan 
et devient pour lui l'expression même des fatalités qu'il a 
subies et sous lesquelles il succombe. 

« Est-ce ainsi que je dois te comprendre, soupire-t-il, 
vieille et triste mélodie, avec tes sons plaintifs? ~ Muss ich 
dich so versteh'n, du alte, ernsU Weise, mit deiner Kîage Kîangpy* ; 
quand mon père m'engendra et mourut, quand ma mère 
me mit au jour en expirant, tu les opprimais déjà de tes 
accents de douloureuse anxiété ; « c'est toi qui me deman- 
dais autrefois et qui me demandes aujourd'hui quelle est 
ma destinée? Ma destinée? La vieille mélodie me le répète 
encore : désirer et mourir I — die einst mick frug, und jetzt 
mick fràgt : zu welchem Loos erkoren^ ich damais wohî gehoren? 
Zu welchem Loos ? Die alte Weise sagt mir*s wieder : mich sehnen 
undsterbeni» et ces paroles, que traversent aussi les phrases 
de résignation (loo) et d'amertume (47), s'achèvent sur la 
sombre phrase (202) de la mélodie de la tristesse. 

Mais, tout de suite, reprend avec violence le premier 
motif (198) du thème de la tristesse, auquel viennent se 
joindre le motif du Jour (iSg), la phrase de l'amour impla- 
cable (208), un chromatisme rapide du désir (8) et la phrase 
du philtre (80), jusqu'à un extrême forUssimo, pendant que 
Tristan s'écrie : « Non! Ah! non! Ce n'est pas là son sens! 



— I02 



Désirer! Désirer! Jusque devant la mort désirer, et, par la 
force même du désir, nç pouvoir mourir! — Nein! Ach 
nein ! So keisst sic nichiJ^Sehien! Sehttenl Im Sterhen mich zu 
sehnen^ vor Schnsuchlnlckt- zu sterhen ! » Puis, après s'être 
arrêté un moment ;-e^€Lcablé, tandis que reparaissent les 
motifs de tristesse/ ^198 et 199) : « L'éternelle mélodie, 
invoquant maint'çnant le repos de la mort, appelle au loin 
celle qui-peÇi< guérir — Dié nie esUrht, sehnend nun ruft um 
Sterl^ens ^^W sie derfernen Aerziin zu ». Là s'interrompt,, en 
dimtnaendOy^le motif (198) pour se combiner avec le motif de 
Tristaji blessé (44) : « Mourant, j'étais couché sans voix 
\<J^8 la nacelle — SUrbend lag ich stumm im Kahn », et, avec 
-(à 'phrase d'amertume (47), « le venin de la blessure était 
près de mon cœur — Der Wunde Gift dem Herzen nah* » . 
Alors se succèdent : 

avec )e chant de tristesse (198) et le motif du Jour (159), 
le motif de l'amour implacable (208) : « La plaintive mélo- 
die faisait entendre ses accents de langoureux désirs — 
Séhnsucht klagend hlang die Weise » ; 

le motif de Tristan blessé (44), toujours associé avec 
celui de la tristesse (198) : « Le vent enfla la voile vers la 
fille d'Irlande — den Segel blàhie der Wind hin zu Irîan^s 
Kind » ; 

puis, de nouveau, après quelques mesures où se combi- 
nent encore le chant du pâtre (199) et le motif du Jour (iSg), 
le motif de Tristan blessé (44) animé, comme dans ses 
reprises du premier acte, de gammes ascendantes et de 
triolets en doubles-croches : « La blessure que ses baumes 
avaient fermée, elle la rouvrit avec Tépée — Die Wunde ^ 
die sie heilend schloss, riss mit dem Schwert sie wieder ïos » ; 

le motif d'amertume (47) : « Mais alors, elle laissa tom- 
ber l'épée — Dos Schwert dann aber îiess sie sinken » ; 

le motif du breuvage de mort (85) : « Elle me donna à 
boire le breuvage empoisonné — Den Gitftrank gàb sie mir 
zu trinken »; 

et, enfin, une combinaison des motifs de la douleur (42), 
de la mort libératrice (177), du philtre (80), de l'amour 
implacable (208) et des notes d'angoisse (58) : « Au moment 
où j'espérais guérir tout à fait, elle choisit le philtre le 



— iô3 — 

plus dévorant pour que je né puisse jamais mourir et que 
je sois voué à un éternel tourment! — Wie ich da Jioffie 
ganz zu genesen, da ward der sehrend'ste Zauber erîesen; dass nie 
ich soUie sterben, mich ew'ger Quai vererben! » 

— « Le breuvage! le breuvage! le terrible breuvage! — 
Der Trank! der Tranh! Der furchibare Tranh! » s*écrie Tris- 
tan avec désespoir, sur un impétueux fortissimo que suit le 
trait du désespoir (109), déjà entendu dans la scène de 
l'aveu au premier acte et qui s*exalte ici dans des déve- 
loppements violemment mouvementés exprimant la plus 
extrême angoisse. 

« Nul remède à présent, gémit Tristan, nulle douce 
mort qui puisse jamais m'affranchir de la torture du désir; 
nulle part, ah! nulle part, je ne trouverai le repos; la Nuit 
me rejette au Jour pour repaître éternellement de mes 
souffrances l'œil du soleil — Kein Heil nun kann, hein sûsser 
Todje mich befreVn von der Sehnsucht Noth; nirgends^ ach nir- 
gends,Jind* ich Ruh'; mich wirft die Nachi dem Tage zu, um ewig 
an meinen Leiden der Sonne Auge zu weiden », et avec ces 
paroles désespérées s'exaspèrent et se précipitent le chant 
de tristesse (198) et le motif du Jour (159) jusqu'à un strident 
fortissimo, dont le trait descendant vient s'appuyer sur les 
notes de douleur (42), et après lequel reparaissent les motifs 
réunis du Jour et de la fatalité (2o3) : « O brûlant, rayon 
de ce soleil; comme sa cuisante souffrance me brûle le 
cerveau ! - O dieser Sonne sengender Strahï, wie brennt mir dos 
Hirn seine gliihende Quai! » 

Vient, enfin, après un chromatisme du désir soutenu par 
un trémolo, en crescendo y un rythme tourmenté de triolets 
où s'entrelacent impétueusement le motif du philtre (80), 
les notes d'angoisse (58) et les deux phrases (198 et 201) 
du chant de la tristesse, conduisant avec un nouveau 
crescendo sur lequel se place la phrase de l'impétuosité (34), 
au motif déchirant de la malédiction de l'amour (Liebesfluch) 




210 
qui éclate et se poursuit, dans un paroxysme de violence 



— 'I04 — 

et sur des rythmes bouleversés, pendant ce déchaînement 
de désespoir de Tristan, jusqu'au cri de délirante torture et 
de malédiction qui forme le point culminant du drame : 
«Ce breuvage terrible qui m*a précipité dans les tourments, 
c'est moi, c*est moi-même qui Tai brassé I Breuvage qui a 
été versé pour moi, que j'ai alors goûté avec les délices de 
la volupté, maudit sois-tu, bretivage effroyable ! Malédic- 
tion à qui t'a préparé I — Den furchtharen Trank, der der Quai 
mich vertraut, ich selbst^ ich sâlbst, ich hah' ihn gébraut! Der mir 
geflossen, den Wonne-sMûrfend je ich genossen^ verflucht set, 
fufcMbarer Trank! Verflucht, wer dich gebraut! », et sur ces 
derniers mots reviennent encore, en fortissimo, le chant de 
tristesse (198), les notes d'angoisse (58) et, en diminuendo, le 
motif du Jour {iSg), 

Epuisé par cette horrible émotion, Tristan retombe 
évanoui. 

Kourvenal, qui s*était efforcé en vain de Tapaiser, s'écrie, 
épouvanté, pendant que persiste le motif de la malédiction 
(210) : « Tristan, mon Seigneur! Effrayante magie I Men- 
songe, tyrannie de Tamour! Suprême folie humaine! Le 
voilà maintenant étendu ici, l'homme incomparable qui a 
aimé comme nul n'aima jamais! — Mein Herrel Tristan! 
Schrechlicher Zauher! O Minne-Trug! Liébes-Zwang! Der Wett 
holdester Wahn ! Hier liegt er nun, der wonnige Mann, der wiô 
Keiner geîieht und geminnt! », et, sur un rythme de triolets 
syncopés et comme haletants, en pianissimo : « Es-tu mort 
maintenant? Vis-tu encore? Ta malédiction t'a-t-elle 
emporté avec elle? — Bist du nun todt? Lebst du noch? Hat 
dich der Fluch entfuhrt? » ajoute-t-il avec des sanglots dans 
la voix; mais, tout à coup écoutant la respiration de Tris- 
tan : « O bonheur ! s'écrie-t-il. Non ! Il remue, il vit ! Comme 
ses lèvres s'agitent doucement! — O Wonne! Nein! Er regt 
sich, er leht! Wie sanft er die Lippen rUhrt! » 

Pendant que revient le motif du désir (8) et que conti- 
nuent les mêmes triolets syncopés, Tristan, à voix basse : 
« Le navire, ne le vois-tu pas encore? Das Schiff, siehst du*s 
noch nicht? » 

— « Le navire? répond Kourvenal tout tremblant d'émo- 
tion, certainement il sera ici aujourd'hui, il ne peut plus 



— io5 — 

tarder longtemps — Das Schiff? Gewissj es nakt noch heuf; es 
hann nicht ïang* mehr sàumen ». 

Alors, après quelques mesures pendant lesquelles le 
rythme de triolets soutient, avec une extrême douceur, le 
motit élargi du désir et sur un retour du motif de la malé- 
diction (210), tout à coup transformé en une phrase em- 
preinte de tendresse, commence la scène de la Vision de 
Tristan. 

Avec une sorte de clarté anticipée que fait naître en lui, 
dans la fièvre de son attente, l'acuité même de son désir, 
Tristan croit voir le navire, il le voit arriver I 

— « Et sur le navire, Iseull ! Comme elle me fait signe, 
comme elle boit, gracieuse, à notre réconciliation; la 
vois-tu? Ne la vois-tu pas encore? — Und drauf Isolde, wie 
sic winki, wie sie hold mir Sûhnt trinkt; siehst du sie? Siehst du 
sie noch nicht? » dit-il sut une phrase qui rappelle le motif 
de la coupe remplie (91) et qu'accompagne le motif du 
breuvage d'amour (84). 

Puis viennent, avec le motif de félicité (180), 

le motif de la vision, déjà préparé par la phrase du lien 
d'amour (184) 



211 



« Comme elle traverse heureuse, fière et douce les champs 
de la mer — Wie sie seîig, hehr und milde wandelt durch des 
Meer's Gefilde » ; 

et cette autre phrase d*adoration à laquelle se mêle 
encore, avec un élan de tendresse, celle de félicité (180) 



212 




V Son sourire me verse la consolation et le doux repos ; 
elle m'apporte le suprême apaisement. Ah! Iseult! Iseult! 



— io6 — 

que tu es belle ! — Su làcheU mit Trost und susse RuW; sùfûhrt 
mir UtzU Làbung zu. Ach, Isoldel I solde! Wie schôn Ust du! » 

Alors, sur un mouvement plus animé et en crescendo^ 
commence, à la basse, le motif de la Nuit révélatrice (175) 
auquel se joignent ensuite, d*une manière expressive, les 
premières notes de la phrase d'adoration (212) : « Et toi, 
Kour vénal, comment ? ne la vois-tu pas? Monte sur la tour, 
pauvre aveugle, pour apercevoir ce que, moi, je vois si 
bien et si distinctement. Ne m'entends-tu pas? Va vite à 
ton poste, hâte- toi I Y es-tu? Le navire 1 le navire I le 
navire d'Iseultl Tu dois le voiri II faut que tu le voies! — 
Und Kurwenal, wie? Du càh'st sie nicht? Hinauf zur Warte, du 
hîôder Wicht! Was so heîl und îicht ich sehe, dass das dir nicht eni- 
gehe ! Hôrst du mich nichi? Zur Warte schneîl! Eiîig zur Warte! 
Bist du zur Steïï? Das Schiffy das Schiffl Isoldens Schiff! Du 
muss es sehen! Musst es sehen ! » 

« Le navire ? Comment, tu ne le vois pas encore? — Das 
Schiff? Sieh'st du' s noch nicht? » répète Tristan, dans l'hallu- 
cination de son délire, sur les motifs d'adoration (212) et de 
passion (3), pendant qu'apparaît, en crescendo, cet autre 
motif de la Vision 



213 




auquel se substitue, tout de suite après, en fortissimo^ l'an- 
nonce de l'apparition réelle 



ZÏA 




Kourvenal, qui avait jusque-là résisté aux injonctions de 



- 107 — 

Tristan, en entendant la chanson joyeuse du pâtre (die 
frohliche Weise) qui, tout à coup, donne le signal attendu, 




tressaille de joie et s*élance sur le rempart : «Ah I le navire I 
crie-t-il hors d'haleine, je le vois s'approcher, venant du 
Nord — Haï Das Schiff! Von Norden seh' ich's nahen! » 

Tristan, avec une excitation croissante que marque une 
reprise en crescendo des motifs de la Nuit révélatrice (i75), 
de l'adoration (212), de la chanson joyeuse (21S) et du 
rythme de l'apparition réelle (214) : « Ne le savais-je pas? 
Ne l'avais-je pas dit qu'elle vit encore, qu'elle me rend 
encore à la vie ? — Wussf ich's nicht? Sagf ich's nicht ? Dass 
sie noch lebi, noch Leben mir webt? » 

« Comment Iseult pourrait-elle être pour moi hors du 
monde, puisqu'à elle seule elle me le remplit tout entier ? 
— Die mir I solde einzig enthàlt, wie wàr* I solde mir ausder Weît?» 
ajoute-t-il sur cette phrase de joie débordante 



216 




que termine la forme déjà indiquée du motif d'impétuosité 

(34). 

Eclate alors, sur un trémolo, ce violent dessin d'orches- 
tre annonçant l'arrivée du navire 



217 




pendant ces paroles affolées : 

KouRVBNAL, du haut du parapet, dans un transport 



— io8 — 

d^entbousiasme : — « Hourra ! hourra ! Comme il vogue 
bravement ! Comme sa voile se gonfle avec force! Comme 
il court, comme il vole! — Hàhei! Hahci! Wic es muthig 
steueri! Wie stark der Segel sich blàkt! Wie es jagi, wic esfiiegtfyy 

Tristan. — Quel pavillon ? quel pavillon ? — Die Flagge? 
die Flagge? » 

KouRVENAL. — « Le pavillon de la joie flotte au mât, 
clairet joyeux! — Der Freude Flagge am Wintpel iustig und 
Mil » 

— « O joie! Iseult à moi dans la lumière du Jour! Iseult 
à moi ! — Heiaha der F rende! Hell am Tage zu mir I solde! Isolde 
eu mir! » s'écrie Tristan avec ivresse, en se dressant sur 
son lit, pendant que le motif de l'arrivée (317) s'exaspère, 
sur un. trémolo de la basse, en un violeni fortissimo ; a \2i 
vois-tu elle-même? — Siehst du sie selbst? » crie-t-il à Kour- 
venal. 

Et tout à coup s'assombrit le, même motif (217) sur ces 
paroles : 

KouRVENAL. — « Maintenant, le navire a disparu der- 
rière le rocher — Jetzt schwand das Schiffhinter dem Fels, » 

Tristan, — « Derrière le récif? Est-il en danger? — 
Minier dem Riff? Bringt es Gefahr? » 

A ce mot de danger, intervient, à la basse, en fortissimo 
et sur un mouvement encore plus animé, cette phrase de 
défiance et de soupçon, 



218 



sorte d'inversion du motif de la Nuit révélatrice (175), 

et Tristan reprend : « Là, les brisants font fureur, les 
navires s'y perdent ! Le gouvernail, qui le tient? -^ Dort 
wUthet die Brandung, scheitern die Schiffe! Das SUuer, wer 
fûhrfs? » 

KouRVENAL. ^— « Le pilote le plus sûr -- Der sicherste 
Seemann, » 

et, sur un rythme toujours plus violent, agité de trio- 
lets : 



— I09 — 

Tristan. — «Me trahirait-il? Serait-ce un partisan de 
Melot ? — Verrieth* er mich? Wàr* er Mâlofs Genoss ? » 

KouRVENAL. — « Fie-toi à lui comme à moi-même I — 
Trau' ihm wir miri » 

— « Me trahirais-tu aussi ? malheureux I La vois-tu 
reparaître? — Verrâther auch du? UnseVgerl Siehst du sic wU- 
der ? » dit Tristan fou d'angoisse, pendant que s'exaspèrent 
les motifs du soupçon {218) et de l'arrivée (217) ; 

et sur cette réponse de Kourvenal : « Pas encore — : 
Ncch nicht », 

— c< Perdue I — Verlorenl » crie Tristan, sur \in fortissimo 
déchirant. 

Mais, tout de suite, pendant que reviennent, toujours en 
Jbriissimo, 

le motif de la joie (2i5), 

Kourvenal. — « Hourra! hourra ! Passé ! passé! Heu- 
reusement passé ! — HeihalHeiha! Vorhei! Vorhei! Glûcklich 
vorhei! » 

et le motif d'adoration (212) 

Tristan, exultant, et comme secoué d'un rire de joie — 
«Hahahahal Kourvenal, ami le plus fidèle! Tout mon 
avoir, tous mes biens, je te les lègue aujourd'hui même 
— Heihahàha! Kurwenal^ tremster Ffcund! AW mein Hàb' und 
Gui vererli' ich noch heute, » 

— « Ils volent vers nous — Sic nàhen im Flug », dit 
Kourvenal, sur ces phrases pleines de mouvement 



219 



— « La vois-tu enfin? Vois -tu Iseult? — Siehst du sic 
^ndîich? Siehst du I solde} » interroge Tristan, et alors, pen- 
dant que la transformation en forme ascendante de la 
phrase du soupçon (218) marque la confiance revenue et 
que se poursuit en crescendo, avec une animation croissante^ 
le motif de larrivée (217) : 

— « Cest elle! crie Kourvenal, elle fait des signes! — 
Sic isfs! Sic winktî » 

Tristan. — « O femme adorée! — O Sdigstes WeibI » 



— IIO — 

KouRVENAL. — « Le navire est dans le port ! — Im Hafefp 
der Kielî » 

et, sur un exixévae fortissimo ^ suivi de l'ascendance chro- 
matique du désir : « Iseult, ah I d'un saut, du bord elle 
s'élance à terre — I solde, ha! MU einemSprung springt sie vom 
Bord zum Strand, » 

— « Descends vite, badaud, fainéant! lui crie Tristan 
haletant, sur les notes de passion et sur des accords préci- 
pités. En bas! en bas, sur le rivage I Aide-la I aide-la I — 
Heràb von der Warie, mûssiger Gaffer! Hinab! Hinab an den 
Sir and! HUf ihr! Hilf meiner Frau! » 

— « Je vais la porter jusqu'ici; fie-toi à mes brasi Mais 
toi, Tristan, ne bouge pas de ton litl -- Sie trag' ich 
herauf; trau' meinen Armen! Doch du, Tristan^ hleib* mir 
freulich am Bett! » répond Kourvenal sur le motif de l'im- 
pétuosité (34). 



SCÈNE' II. — Kourvenal est sorti en courant; Tristan^ 
ne pouvant se contenir, cherche à se soulever sur sa 
couche. Vient alors la grande scène de son agonie. 

Après quelques mesures d'orchestre où, dans un rythme 
mouvementé, apparaît une forme syncopée du motif de la 
Nuit révélatrice (175) 



220 



que traversent les notes de souffrance (5) : 

— « Oce soleil I O ce jour! O ce jour de radieuses délicesf 
— Ha, dièse Sonne! Ha, dieser Tag! Ha, dieser Wonne sonnigsUr 
Tag! » s'écrie-til, sur le motif du chant d'amour (i5o). 

Puis, viennent successivement, toujours de plus en plus 
tourmentés et enfiévrés, le motif de délivrance (83^ : « Bat- 
tements du sang, transports de l'âme, désirs sans mesure , 
délire de joie, enchaîné sur cette couche, comment vous 
supporter ! — Jagendes Blut, jauchzender Muih ! Lust ohne 




— m — 

MaassâH, freudiges Rasenî Auf des Lagers Bavn, wie sie-^ ertra- 
gmj»; 

le motif de félicité {i8o), qui s'exaspère sur wn fortissimo^ 
de triolets et de rythmes violemment alternés : <c Debout 
donc, allons là où battent les cœurs! — Wohîaufund daran, 
wo die Herzen schhgen! »; 

l'ascendance syncopée (320) : « Avec ma blessure 0U7 
verte, je combattis autrefois Morold — Mit blutender Wunde 
lekàmpft ich einst Morolden » ; 

la phrase d'adoration (212): « Avec ma blessure ouverte, 
je vais aujourd'hui à la conquête d'Iseult ! — Mit blutender 
Wunde erjag ich mir heuf Isolden! » ; 

et, sur une ardente reprise, en fortissimo^ du motif de . 
félicité (180), Tristan, en proie à la- plus extrême agitation, 
se dresse sur sa couche : « Allons, mon sang! coule main- 
tenant joyeusement ! —if ^w/ Mein Blut! Lustig nun fliesse! » 
s'écrie-t-il, dans l'ivresse de sa souffrance et de sa joie, en 
arrachant le bandage de sa plaie ; et il se lève en chan- 
celant : « Celle qui doit pour toujours fermer ma blessure 
s'avance triomphante, m'apportant le salut! Périsse le 
monde, de la hâte de ma joie! — Die mir die Wunde auf 
ewig schliesse^ sie nakt wie ein Held, sie naht mir zum Heû! 
Vergeh* die Welt meiner jauchzenden EiP! » 

Tout à coup, après un véhément crescendo et, sur un 
retour en fortissimo du motif de l'attente (i3i) et de l'ombre 
protectrice (i32), s'entend au dehors, éclatante, la voix 
d'Iseult : « Tristan! Bien-aimé! — Tristan! Geliebter!» sur 
les notes de passion (7). 

Tristan, comme égaré : « Quoi! Entends-je la lumière ? 
Le flambeau, ah ! le flambeau s'éteint ! A elle ! A elle ! — 
Wie, kdr ich das Licht? Die Leuchte, ha! die Leuchte verîisehtl 
Zu ihr! Zu ihr! » 

Iseult arrive, hors d'haleine, sur une reprise fortissimo du 
motif de l'attente (i3i). 

Par un suprême effort, Tristan s'élance vers Iseult, qui 
le reçoit dans ses bras, pendant que s'entendent à l'orches- 
tre, en /or^wsiwo, le motif de la mort (26), la phrase de pres- 
sentiment (179), les motifs de l'aveu (108) et du philtre (80), 
et il s'affaisse lentement à ses pieds 



— 112 — 

-:- « Tristai^ I » s'écrie-t-elle sur les notes de passion (7) et, 
à Torchestre, se continue le motif du philtre (80), suivi, 
dans un decrescendo ralenti, des syncopes de la tendre 
ivresse (lao) et de la phrase de la passion révélée (m). 
. Puis, avec les motifs du regard (48) et de la peine 
d'amour (49), Tristan, mourant, les yeux fixés sur Iseult, 
prononce une dernière fois le nom bien-aiméj sur les notes 
d'amour (11 3) et il expire, pendant que revient, en pianissimo 
et entre des points d'orgue, la phrase de l'élan pas- 
sionné (114), qui tout à coup s*arrête, inachevée. 

— « Ah! » soupire Iseult, en s'agenouillant toute fré- 
missante auprès de lui, « C*est moi, c'est moi, mon doux 
ami I Une fois encore entends ma voix I — Ich bin's^ 
içh Un* s, siissester FreundI Aufy noch einmal hôr* meinen 
Ruf! » dit-elle sur des notes entrecoupées rappelant le 
motif d'impétuosité (34). 

Alors commence sa douloureuse et pathétique lamenta- 
tion, où se succèdent, accompagnant ce sappels désespérés : 

le motif de l'appel 



221 



« Iseult t'appelle, Iseult est venue — I solde rujt Isolde 
kam » ; 
le motif de la mort partagée 



222 



« pour mourir^ fidèle, avec Tristan I — Mit Tristan tren 
zu sterhen! » suivi de cette phrase 

jfriîiTiTîT I 



rappelant les motifs de la peine d'amour [ydt) et de la mort 
d'Iseult (37); 



I 



— ii3 — 

les motifs de ]a passion (3) et de la douleur (42) : « £s-tu 
muet pour moi ? Reste vivant un moment encore, un seul 
moment ! — BUihst du mir siumm? Nur eine Siunde, nur Hne 
Siunde bkihe mir wach / » ; 

le motif de la détresse d'amour (204) : « J'ai passé tant de 
jours d'angoisse et de désirs pour être encore une heure 
avec toi — So lange Tag$ wachU sie sehnend, um eine Stunde mit 
dit noch zu wachen » ; 

les motifs de la mort libératrice (177), de la mort parta- 
gée (222) et de la peine d'amour (78) : « Tristan va-t-il lui 
ravir cet unique et dernier instant d'éternel, et suprême 
bonheur? — Beiriigt sie Tristan um dièses einzige, ewigktiru, 
Utzte WeltenglOck ? » ; 

le chant de mort (i85),le motif de Tristan blessé (44) et la 
phrase de l'union éternelle (188) : « La blessure, où est-elle? 
Laisse-moi la guérir, afin que nous partagions les suprêmes 
délices de la- Nuit I — Die Wunde, wo ? Lass* sie mich keiïen, 
dass wonnig und hekr die Nacht wir iheilen » ; 

le motif du breuvage d*amour (84) associé à celui du 
breuvage de mort (85) : « Que pour nous deux réunis 
s'éteigne en même temps la lumière de la vie I — Uns Beiden 
vereint erîôsche des LebensUcMl »; 

les motifs de la mort partagée (222) et de la peine 
d'amour (78) : « Ton regard est éteint I Ton cœur est sans 
mouvement I Ton haleine ne donne plus aucun souffle — 
Gebrochen der Blich! Siill das Herz! Nickt eines A thèmes 
muhfges Weh'nl»; 

les motifs, en fortissimo et sous une forme véhémente, de 
l'exaltation (55) et de l'union éternelle (188) : « Doit-elle 
donc rester devant toi gémissante, celle qui, heureuse de 
s'unir à toi, traversa courageusement la mer? — Muss sie 
nun jammernd vor dir steh'n, die sich wonnig dir zu vermàhkn 
muthig kam ûher Meer? » 

et, toujours en fortissimo, les motifs de la mort parta- 
gée (222) et de la peine d'amour (78) : « Trop tard ! Trop 
tardi Cœur obstiné! Est-ce ainsi que tu me condamnes 
au plus dur exil! Seras-tu sans pitié pour mes fautes et 
mes souf&rances? Ne pouirai-je te confier mes peines? — 
Zu s^àt! Zu s^àtl Trotziger Mann Strafst du mich so mit 



- 114 — 

hàrUsUm Bann? Gam ohne Huld meiner Leidens Schuîd? Nicht 
meine Kîagen darfich dir sagen? »; 

ensuite, revient, ralenti en diminuendo, le motif de Tappel 
(221), et d'un accent suppliant ; « Une fois seulement; ah! 
rien qu'une fois encore I — Nur einmal, ack! nur einmal 
noch! » 

« Tristan!» s'écrie Iseult sur les notes d'amour (11 3) et 
sur le motif de la mort partagée (222), dont la dernière 
note se prolonge en une tenue syncopée ; puis, dans une 
sorte de vision subite et fugitive : « Ah ! écoutez I II 
s'éveille! —Ha! Horch! Er wachtf » 

et, avec cette dernière parole : « Bien-aimél — GeliebUrl» 
qu'elle exhale en un soupir suprême, sur une phrase mélo- 
dique d'une si poignante intensité d'expression que toute 
l'émotion du drame semble y être concentrée, Iseult tombe 
évanouie sur le corps de Tristan, pendant que reprend, sur 
un trémolo pianissimo, le saisissant chant de mort (i85), 
auquel se joignent les notes de souffrance et de douleur, au 
milieu d'impressionnantes harmonies. 



V SCÈNE III. — Tout à coup, sur un mouvement agité, 
s'entend à l'orchestre, en crescendo, le motif du pâtre (201), 
en même temps que vient, du fond de la scène, une sourde 
rumeur et un bruit d'armes. 

Le pâtre, franchissant le parapet, s'approche vivement 
de Kourvenal qui, revenu derrière Iseult, a assisté à toute 
cette scène dans une affreuse anxiété : 

— « Kourvenal! Ecoute! Un second navire — Kurwenal! 
Hôr*I Ein zweiies Schiffyy, lui dit-il à voix basse. 

Sur le motif de l'exaltation (55), qui s'élance en fortis- 
simOy Kourvenal, tressaillant, regarde au-dessus du parapet, 
et alors, éclatant de fureur ; « Mort et enfer! Venez tous! 
J'ai reconnu Marke et Melot. Des armes et des pierres ! A 
l'aide! Défendons la porte! — Tod und Hôîîel Marke und 
Melot haf ich erhannt, Waffen und Sieine! Hilf mir! Ans 
Thor! » 

Le pilote, entrant précipitamment : « Marke arrive avec 
ses matelots et ses guerriers, la défense est inutile, nous 



— ii5 — 

sommes accablés ! — Marke mir nach mit Mann und Volh ver- 
géb'ne Wehr ! Bewàliigt sind wir. » 

KoûRVENAL. — ce Reste et aide-notis ! Tant que je vivrai, 
nul n'entrera ici ! — SieW dich, und hilf! So lang' ick Uhe^ lugt 
■mir Keiner kerein ! » et, sur ces mots, le motif de rancune (56). 

Pendant ce temps, reviennent à Torchestre, par frag- 
ments et comme violentés dans une sorte de rage, les motifs 
de Karéol (207), de la jubilation (209) et de la tristesse (201). 

Brangaine, appelant d'en bas : « Iseult ! Maîtresse I -, 
Isolde! Herrin! » sur les notes de passion {7). 

kouRVENAL, qui a reconnu sa voix : « Que cherches-tu 
ici? Toi aussi tu trahis? Malheur à toi, infâme! — Was 
sucKst du hier? VerràihWin auch du? Weh' dir, Verruchtef » sur 
les notes de passion (7) et sur des accords, frappés en forte, 
rappelant le motif de la mort d'Iseult (27). 

Melot, criant du dehors : « Arrière, insensé I Ne résiste 
pas I — Zurûck, du Thor / SiemnC dich dort nicht / » 

Puis, sur une reprise en fortissimo du motif de jubila- 
tion (209) et avec un rire terrible : « Hourra! pour le jour 
où je te rencontre! — HeiakahaJ dem Tag an dem ich dich 
ireffe! » s'écrie Kourvenal; et au moment où Melot paraît 
sur le seuil, suivi de son escorte, il fond sur lui et Tétend à 
terre. 

Malgré les adjurations de Brangaihe, qui lui crie : 
<c Ecoute, furieux! tu te trompes ! — Wûihender ! Hôr\ du 
heirùgst dich ! » Kourvenal, affolé, entraîne ses hommes au 
combat, pendant qu'éclate avec emportement le motif de la 
joie (206). 

Marke, encore du dehors : « Arrête-toi, enragé ! Es-tu 
fou ? — Halte y RasânderJ Bist du von Sinnen ? » 

— « Ici, la mort est déchaînée! Ici, Roi, il n'y a rien autre 
chose à trouver; si tu la cherches, viens! — Hier wûthet der 
Todl Nichts aruTres, Kônig, ist hier zu hoîen; willst du ihn kiesen, 
so komm! » répond Kourvenal sur le motif, de la malédic- 
tion (210), en s'avançant sur lui. 

— « Arrière, insensé ! — Zurûck, Wahnsinniger ! » lui crie 
Marke. 

A ce moment, et pendant que continuent, ayec une viô- 



— Ii6 — 

lence forcenée, les motifs précédents, Marke forçant le 
passage, est entré avec sa suite ; Kourvenal, mortellement 
blessé, recule devant lui et tombe auprès de Tristan; Bran- 
gaine, qui est parvenue à franchir le parapet, se précipite 
vers Iseult. 

Alors reviennent, sur un fortissimo , les motifs de la mort 
partagée (222), de la peine d'amour (223) et de la mort (27)^ 
accompagnant ces paroles : 

Brangaine. — « Iseult ! Maîtresse ! C'est le salut, le 
bonheur! Que vois-jel Ahl Es-tu vivante? Iseult! — 
Isoîde! Herrinî Gîûck und Heilî Was seh* ich! Ha! Lebsi du? 
I solde! » 

Marke. — « O fatale erreur! Tristan, où es-tu? — Trug 
und Wahn! Tristan^ wo hist du? tu 

— « Là, gisant, où je suis moi-même — Da liegt er hier^ 
da hier y wo ich îiege » répond Kourvenal, sur la phrase (223) 
complétant celle de la mort partagée (222). 

— «Tristan! Tristan! Iseult! Malheur! — Weh! 'y\ 
s'écrie Marke avec désespoir. 

Kourvenal, prenant la main de Tristan : « Tristan ! 
cher aimé! Ne te courrouce pas de ce que ton fidèle t'ac- 
compagne aussi! — Tristan! Trauter! Schilt mich nicht, dass 
der Treue auch mit komntt! » et il meurt, pendant que reprend 
en j>iamssimo un écho assombri du motif de Karéol (207), 

— « Ainsi, tout est mort! Tout est mort! — Todt denn 
Allés! Ailes Todt! » continue Marke, éploré, sur les motifs 
de la mort partagée (222) et de la consternation (193) : « Mon 
héros! Mon Tristan! Mon ami le plus cher, faut-il donc 
qu'aujourd'hui encore tu trahisses ton ami, aujourd'hui qu'il 
vient te témoigner sa fidélité suprême? Eveille-toi! Eveille- 
toi! Eveille- toi à mes lamentations, toi infidèle et si fidèle 
ami! — Mein Heldî Mein Tristan! Trautester Freund! Auch 
heuie noch musst du den Freund verrathen? Heut\ wo er kommt 
dir hôchste Treue zu hewàhren? ErwacK ! Erwach'! Erwache 
meinem Jammer, du treulos treu'ster Freund! » et il se baisse 
sur le corps en sanglotant, pendant qu'un decrescendo conduit 
au chant de mort (i85), soutenu par un trémolo pianissimo» 

Brangaine, qui a relevé Iseult entre ses bras, croyant 
qu'elle se ranime et qu'elle l'entend : « Elle respire! 



- 117 - 

EUe vit! Iseultl Ecoute-moi, entends mon aveu! J'ai 
dit le secret du breuvage au Roi qui, plein de sollicitude, a 
traversé la mer pour venir te trouver, pour te rendre ta 
parole, pour te donner à ton ami — Sie wachtl Sic khtf I solde f 
Hor' mich, vernimen meine Suhnel Des Trankes Geheimnis entr 
deckf ich dem Kônig : mit sorgender EU' stach er in See^ dich zu 
erreichen, dir zu entsagen^ dich zu zufûhren den Freund », et, sur 
ces paroles d'anxieuse tendresse s'entendent les motifs de 
l'aveu (io8), du philtre (80), de la peine d'amour (78) et de 
l'amertume (47), suivis du chant de mort (i85). 

Et Marke, accablé de douleur, reprend, sur le motif de 
magnanimité (76) déjà entendu au premier acte ; « Pour- 
quoi, Iseult, pourquoi tout cela? Dès que m'a été dévoilé 
ce qu'auparavant je ne pouvais comprendre, avec quel 
bonheur j'ai reconnu l'innocence d'un ami! Pour te donner 
comme époux ce héros fidèle, je t'ai suivie à pleines voiles. 
— Warum^ I solde ^ warum mir das? Da hell mir ward enthûUt, 
was zuvor ich nichi fassen konnf, wie selig, dass den Freund ich 
fret von Schuïd dafand! Dem holden Mann dich zu vermàhlen, 
mit voUen Segeîn flog ich dir nach, » « Mais le malheur impé- 
tueux ne devance-t-il pas celui qui apporte la paix? — 
Doch Unglûckes Ungestûm, wie erreicht es^ wer Frieden hringt? » 
ajoute-til sur un accord fortissimo que suivent les motifs de 
passion (3), d'impétuosité (34) et d'amertume (47) : « Je 
n'ai fait que grossir la moisson de là mort; l'erreur est 
venue accumuler les douleurs! — die Aernte mehrf ich dem 
Tody der Wahn hàufte dit Noihl » 

De nouveau s'entend, comme un refrain solennel, le 
chant de mort (i85); puis, avec ces dernières paroles de 
Brangaine, et sur une phrase empreinte d'un suprême élan 
de tendresse : « Ne nous entends-tu pas, Iseult bien-aimée? 
N'entends- tu pas ta servante fidèle ? — I:ïôrst du uns nicht? 
Isûlde! Tr autel Vernimmst du die Treue niçht? >y, vient une 
suite d'accords qui se prolongent en pianissimo au milieu 
du silence et de l'émotion des assistants. 

Iseult, qui était restée immobile et comme étrangère à 
toute cette scène, ouvre les yeux et les tourne vers Tristan 
dans une sorte de contemplation extatique. 

Alors commence, sur un trémolo pianissimo, le chant final 



— ii8 — 

4'Iseult pendant lequel se succèdent et S'épanouissent, sur 
des développements harmoniques d'une richesse extrême, 
exprimant une exaltation croissante, 

le chant de mort (i85) et le motif de fervente croyance 
(i86) : « Comme il sourit doucement, comme il s'élève 
radieux; amis, ne le voyez- vous pas? — Miîd und Uise me er 
làcheli, wie er îeuchiet, hoch sich hebt; Freunde,sàhi ihr's nicht? »; 

les motifs de mort (i85), de douce ivresse (187), d'ardeur 
d'amour (i35) de suprêmes délices (189), d'extase et d'union 
étemelle (188) ; « Comme se gonfle son cœur généreux; 
comme est délicieux, suave et doux le souflBle qui s'échappe 
de ses lèvres; amis, ne le sentez- vous, ne le voyez-vous 
pas? Suis-je donc seule à entendre cette merveilleuse 
mélodie qui me pénètre de ses doux accei^ts? — Wie das Herz 
ihm muthig schwiïït, wie den Lippen wonnig mild sûsser Athem 
sanft entwehi; Freunde, fûhli und seht ihr^s nicht? Hôre ich nur 
dièse Weise, die so wundervoll und leise, Wonne klagend in mick 
dringt?»; 

le motif de l'ardeur d'amour (i35), qui, repris sous une 
forme toujours plus élargie et plus puissante, atteint un 
suprême fortissimo et s'apaise ensuite progressivement, 
accompagnant le motif de Tanéantissement (168) suivi de 
l'octave ascendante de l'espérance, sur ces dernières 
paroles : « Dans Je souffle de l'immense univers, se perdre, 
s'anéantir, sans conscience, suprême volupté! — In des 
Welt'Athems wehendem Alî^ ertrinken, verfinken, unbewusst, 
hôchste Lust! » 

Iseult, comme transfigurée, s'aflFaisse doucement entre 
les bras de Brangaine, sur le corps de Tristan. 

Une émotion profonde a saisi les assistants; Marke 
étend la main comme pour bénir les cadavres. 

Le motif d'amour s'éteint dans un pianissimo où reparaît 
encore la phrase du désir, terminée par une tenue d'accords 
prolongés sur lesquels la toile tombe. 



^^^^<y^' 



PRÉLUDES 




I ES préludes comprennent et condensent un 
certain nombre des motifs de chaque acte. 
Pour en faire l'analyse et en indiquer le 
sens dramatique, il suflSra donc, comme il 
a été dit dans V Introduction y de signaler ces 
motifs et de rappeler les idées et les situa- 
tions auxquelles ils sont attachés. 
^^^' Le caractère de ces motifs ne se préci- 

sant qu'au cours de l'action, avec les paroles qui s'y rap- 
portent, on conçoit que les préludes ne puissent pas encore 
leur emprunter une signification définie ; mais ils sont une 
préparation très eflScace pour l'auditeur, qui se sent tout de 
suite enveloppé par ces sortes de prologues mélodiques 
dont les thèmes essentiels se poursuivent à travers tous les 
développements du drame. 



Le PREMIER PRÉLUDE, notamment, oflfre un ensemble sai- 
saissant des motifs qui caractérisent les principales scènes 
du premier acte. 



~ I20 — 

Il débute par la grande phrase de Taveu (io8; qui vient s'ap- 
puyer sur le dessinharmonique fondamental (6), lequel com- 
prend le motif du philtre (80) et les notes de souffrance (5). 
A la troisième et à la quatrième répétition, que suivent 
des points d*orgue, le dessin harmonique subit une modifi- 
cation; raa,cendance chromatique, un peu allongée prend 
le caractère plus général du motif du désir (8) et, au-des- 
sous, se placent les trois notes du motif de la douleur (12). 

Après deux répétitions des deux dernières notes ascen- 
dantes, en pianissimo, apparaît la large phrase de la passion 
révélée (m) qui s'affirme sur un accord enforiissimo; et, 
tout de suite, s'entend, à la basse, le motif du regard (29) 
auquel répondent, au-dessus, le motif de la palpitante 
ardeur (121) et celui de l'élan passionné (114) où se 
retrouvent les motifs de la peine d'amour (3o), du secours 
(82) et de la faiblesse (5o)* Puis, après une gamme chroma- 
tique en doubles-croches ralenties, a tempo^ le motif du 
breuvage d'amour {84), auquel se joint une phrase rappe- 
lant le motif de la détresse d'amour (204). 

Tous ces motifs sont alors travaillés dans des combinai- 
sons qui se développent en crescendo jusqu'à un fortissimo 
sur lequel se place le motif de la délivrîince (83) ; ce motif 
s'exalte lui-même progressivement sur des gammes ascen- 
dantes en triples-croches et conduit aux motifs de la 
passion (3) et du désir (8), qui, sous une forme élargie, 
éclatent avec violence jusqu'à un paroxysme d'exaltation 
sur un accord d'une puissance extrême. 

De ce faîte de sonorités, descend un trait rapide, eu 
diminuendo^ à la suite duquel reprennent les motifs du 
philtre (80), de la passion (3), de Taveu (108), du secours 
<82), de la passion révélée (m) et de l'élan passionné (114), 

Puis, sur des trémolos de la basse, s'entendent encore les 
phrases du commencement qui finissent par s'éteindre 
dans un pianissimo que termine, pendant que se lève le 
rideau, une phrase dont les dernières notes sont emprun- 
tées au motif de la mort (27). 

Ainsi se trouvent résumés, musicalement, les principaux 
traits du premier acte : la passion née du regard échangé , 
regard qui a été, pour les amants, leur véritable breuvage 



— 131 — 

d'amour, et Taveu qu'ils se font, au moment où ils se 
croient délivrés par la mort de toutes les entraves de la 
vie, de cette passion irrésistible qui leur fait oublier leurs 
fiertés et leurs devoirs. 

Le PRÉLUDE DU DEUXIÈME ACTE, s'ouvre sur un violent 
Siccord fortissimo, auquel s'attache le motif du Jour (iSg), 
qui, comme on Ta vu précédemment, devient le motif 
fondamental de la première partie de cet acte ; tout de 
suite, après un decrescendo, commence le dessin d*orchestre 
déjà décrit dans la scène où Iseult, après avoir éteint la 
torche, attend Tristan. On y entend d'abord la phrase 
préparatoire du motif d'impatience (i5o) suivie d'une tenue 
prolongée, qu'accompagnent des battements de triolets et 
que termine un accord léger en pianissimo. 

Après deux répétitions de cette phrase, apparaît le 
motif plus développé de l'impatience (i5i), toujours 
accompagné des mêmes battements de triolets brisés et 
auquel viennent ensuite se joindre les motifs de l'attente 
(i3i), de l'ombre protectrice de la nuit (i32) et de la douce 
anxiété (134). 

Reprennent alors le motif du philtre (80), de la tendre 
ivresse (120) en crescendo et, sur un fofUssimo^ le motif de 
l'ardeur d'amour (i35) dans un développement violemment 
agité, que suit en pianissimo une reprise des motifs de l'at- 
tente (i3i), de l'ombre protectrice (i32) et de l'exaltation 
(55) ; après une répétition de ce même ensemble de motifs, 
et sur un dernier diminuendo, se lève le rideau. 

Tout ce morceau prépare les scènes principales du 
second acte : l'attente d'Iseult. l'arrivée de Tristan, la 
rencontre passionnée des amants au milieu de la sérénité 
de la nature et dans le silence de la nuit, leurs aveux 
suprêmes et pour échapper aux servitudes que le Jour 
oppose à leur union, leur décision de se réfugier dans la 
Nuit de la Mort. 

C'est, en effet, dans ce second acte que se manifeste la 
pensée dominante du drame, la Puissance de l'Amour, de 
l'amour triomphant de tous les obstacles, terrassant les 
volontés, vainqueur impitoyable et jaloux du monde, de 



— 123 — 

ses liens, de ses devoirs, de ses ambitions et de ses gloires, 
de la lumière du jour et de la vie elle-même. 

Le PRÉLUDE DU TROISIÈME ACTE est empreint de la plus 
morne tristesse. Dès le début, s'entend le motif de la 
fatalité (2o3) commencé en forte et se répétant en dimi-: 
nuendo; sa troisième répétition est continuée par le motif 
de la solitude (2o5), qui s'élève en tierces jusqu'à une tenue 
pianissimo; puis, vient le motif de la détresse d'amour (204), 
qui se termine en crescendo sur une tenue prolongée de 
points d'orgue. 

Après une reprise des motifs de la fatalité (2o3) et de la 
solitude (2o5), revient le motif de la détresse d*amour (204), 
auquel se mêlent les motifs de la douleur (42), et, sur un 
fortissimo^ le motif de la mort (27) ; et, enfin, une dernière 
répétition du motif de la solitude (2o5), dont les tierces, 
après leur ascendance en diminuendo, s'abaissent ensuite 
progressivement. 

Ce sombre prélude que continue, au lever du rideau^ la 
longue mélodie du motif de la tristesse, fait pressentir les 
fatalités du drame : le désespoir de Tristan que torture, 
sur son lit de douleur et d'agonie, dans une sorte d'hallu- 
cination, la double angoisse du Jour et de la Nuit, de la 
Vie et de la Mort, de l'Existence et du Néant, de la Souf- 
france et du Désir, du Devoir et de la Passion ; et, enfin, sa 
Malédiction de TAmour et de la Femme qui en a versé le 
poison dans son cœur I Mais tous ces désespoirs sont bien- 
tôt oubliés à l'arrivée d'Iseult, Tristan meurt en •pronon- 
çant le nom de la bien-aimée, et le drame, où interviennent 
d'une manière si touchante la noble magnanimité de 
Marke et le dévouement fidèle de Kourvenal et de Bran- 
gaine, s'achève sur le chant extatique d'Iseult, qui, déjà 
hors de la vie, entrevoit et glorifie l'espérance des unions 
éternelles. 




Bruxelles. — Imp. Th. Lombaerts, 7, Mont. -des- Aveugles. 



â' 






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