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Full text of "Life of Rear Admiral John Randolph Tucker, commander in the navy of the United States ... with an appendix containing notes on navigation of the upper Amazon River and its principal tributaries"

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^r. A. 



2 



9 



/ 




r 



"~> 



fiTUDE ET ENSEIGNEMENT 



LA LANGUE FRANQAISE 

A L'fiT RANGER. 



PRINCIPAUX OUVRAGES DU MfiME AUTEUR, 

PDBLlis EN DIVERS PATS. 



ALLEMA6NE. 

Conseds el prSceptes sur la maniorc d'cnseigner et d'etiidicr la langue 

francaise en Allemagne. Stuttgart, Paul Neff. 
(icrnianismes corrigSs, ou Remarques sur les faules ordinaires aux Al- 

leniands qui parlent Ic franenis. Stuttgart, Paul Neff. 
Nouvelle grammaire francaise complete, a Tusage des AUemands, redi- 

gee d'apres un plan methodique, ralionnel, et en partie nouveau, et 

enrichie d*un traite d*analyse grammaticale. Stuttgart, Louis ffaff- 

l)erger, 
Exercices de levicographU et de spntaxe ', ptrtie pratique de la Nou- 

vellc Granimaire francaise a Tiisage des Allemands. Stuttgart, Louis 

Hallberger. 
Corrig4'Traduction des Exercices de la Nouvelle Grammaire francaise 

a Tusage des Allemands. Stuttgart, Louis Hallberger, 
Guide de la conversation francaise et allemande. Stuttgart, Louis Hall- 
berger, 
Nem /Yanz6$isch$ SpraehleMre, turn ersten Sehol-und Privat-Unterricht. 

Stuttgart, bei Ludwig Hallberger. 

P0L06NE 

Guide de la conversation francaise, allemande, polonaise et nisse. Var- 
sovie , J. Bernstein. Przewodnik rozmow potocznych w jezykach : 
francuzkim, niemieckim, polskim i rossyjskim. Warszawa, Nakla- 
dem J. Bernsteina, 

RUSSIE. 
( En voie de publication. ) 

Cours 4Umentaire de langue frangaise ', en 5 tomes. 
Tome I. Le livre du premier kge. \ En regard du texte 

Tome II. Exercices et Grammaire, T* partie. J fraucais, traduction russe. 
Tome III. Exercices et Grammaire, ?• \iSiri\e.\ allemande, polonaise, an- 
Tome IV. Premieres lectures. ( glaise, etc., etc., selon la 

Tome V. Secondes lectures. ) langue de I'eleve. 

L'auteur, chef d'institution a laroslaw (Russie), recevra avec empres- 
scment et reconnaissance les propositions des personnes qui voudraient 
c^ntribuer a la propagation de son Cours 4Umentaire de langtie/rangaise 
dans les pays etrangers. Le texte francais reste le meme pour toutes les 
nationalites, la traduction scule change. 

' Ell langue allemande. 

' Voir le present ouvrage. Premiere partie, cliapitres VI et VII. 



ETUDE ET EiNSEIGNEMENT 

Ilalie. 
1)E LA _ 

G^-Bratagne. Poiogne. 

LANGIJE FRANCAISE 



A L'ETR ANGER. 



PAH IS, 



LIBRAIRIK DK KIRMIN DJDOT FRfcRES. KI1,S KT (' 

IwmiMEl/RS PE L'l^STIll<T, M'K lArjOU, 06 

1858. 

I)ii»it dc lr.idnril<m «■! d« rcpnidiiclion i^«nv6 



Portugal. 



Hassle. 



Turqule, 



Grtce »o;<^o« Sukde. 

CONSKILS — PRECEPTBS. — F.XBRCICF.S. 



Oiivrage comprenant I't^tudc i-t rKiisei)nii<'mfiil primaires , 

secoiukUres et superieurs, et d(>Htin(^ aux Maitrest et Mattresses de lau^iic 

fr.iiiCaisc, aux Precepteurs, txiwdourernantes, aux Chefs d' institution, aux Pert 

f'f Meres dc famiUc, et (^n^ralement A toutes Ich |>ersonncs<|ui 6tudi<>nt on 

eiiscignent la laugnv francaiso, on loute autre lanKue culiiv^i*. 



PAR CHARLES BIGOT, 

Autcur de nombreux ouvraKct pour runseittncDionl de la Unpui* TranvaUe 
a TEtranffpr. 



---- ^.v<-^- 



z' y-,--'^-- 




La langue franqaise est d'lin usage unWersel; elle 
e^t devenue le moyen de communication des penples 
entre eux. 11 est done d'mi int^fit majeur pour ceux 
qui rensdgnent et les Strangers qui I'etudient, d'avoir 
quelques principes %tar% auxquels ils puissent se rat- 
taeber. Le terrain que nous explorons est encore 
vierge; il existe une masse de grammaires, mais nous 
ne connaissons pas d'ouvrage qui traite de la ma- 
niere d'enseigner et d'etudier notre langue h Tl^tran- 
ger. Cast une lacune que nous desirous avoir conve- 
nablement remplie ; le public en jugera. 

On se tromperait bien si Ton allait prendre les pr6- 
ceptes exposes ci-apr^s pour la methode absolue et 
invariable qui doit regler le maitre et le disciple ; il 
n'en existe pas dans ce sens. Tel sujet exige telle 
marche appropriee a ses facultes intellectuelles , tel 
sujet demande une autre regie de conduite. Poser une 
serie de donnees que fera fructifier une intelligence 



apte a saisir les principes , voila tout ce qui est en 
notre pouvoir. Nous dirons, autant quil est en nous, 
ce que doit etre le maitre, les qualites qu'il doit offrir 
a son eleve , celles que I'eleve reunira pour que Ten- 
seignement porte fruit, bref, la maniere dont Tun 
pent seconder les efforts de T autre et les amener a 
bonne fin. 



Les ligiies qui precedent servaient d'Introduction a 
uo petit essai que nous avons publie, il y a longtemps 
deja^ sur la mfeme matiere * . Nous Tavons reproduit, 
a peu pres intact, dans le travail que nous publions 
aujourd'hui. Nps id^es sont restees les m&mes sur 
Tobjet dont nous traitons, mais elles se sont elargies 
et developpees dans les proportions de Texperience que 
nous avons acquise dans une periode de quinze annees 
d'enseignement. Nous reridre utile est, aujourd'hui 
comme alora, Botre unique desir. 

Paris, aout 1858. 



' CoNSEILS Kt prIm^RPTES sur la maniere tTenseigner et (Tetudter la Ian- 
gue francaise en Jllemagne, petite brochure de 5? pages. — Stuttgart, Paul 
Neff, ^iteur, 1843. 



ETUDE ET ENSEIGNEMENT 



DE 



LA LANGUE FRANCAISE 

A L'fiTRANGER, 



CONSIDERATIONS PRfiLlMlNAlRES. 
I. 

Jules Janin dit quelque part : « II n'y a guere que 
a les mathematiques que Ton ne puisse pas ensei- 
<€ gner sans les avoir apprises. » Ges paroles de Til- 
lustre critique sont Texpr^ssion dune grande verite, 
que confirme Tobservation de tons les jours. Mais il y 
a enseignement et enseignement. L'un est serieux, 
Tautre derisoire ; Tun a un but, dont il nous rapproche 
incessamment , Tautre est un vaisseau en derive , qui 
va se briser sur les ecueils. Helas ! de combien Ten- 



2 CONSIDtKATIONS PKKLIMINAIRES. 

~ seignement derisoire du franqais n'est-il pas plus fre- 
d'uiiraaitre. quent, a Tetranger, que Tenseignement serieux ! 

Parcourez TEurope, visitez les plus modestes petites 
villes du continent, partout vous trouVe[pez , en grande 
majorite, les gens qui font semblant, les uns d'etu- 
dier, les autres d'enseigner notre belle langue fran- 
caise ; vous en trouverez qui Tetudient depuis des an- 
nees s^ns en aavoir autant que sait de latin , chez nous, 
un eleve de sixieme; vous trouverez (et maintenant 
etonnez-vous encore de quel que chose ! ) des maitres 
de langue francaisene parlarit point francais, et, fort 
probablement , ne pensant pas davantage. 

Un des pays de TEurope ou la langue francaise est 
le plus maltraitee, c'est rAllemagne. Chaque annee 
rAllemagne e^nyoie^eu France de nouv^Ues immigra- 
tions, avides de connaitre ces belles cbntrees et de 
posseder notre idiome. Negociants en herbe, artistes, 
gens de lettres , publicistes , chacun veut passer au 
moins quelques lunes dans Tatmosphere de la Mecque 
occidentale , chactiri veut faire ce pelerinage, admirer 
de ses propres yeux les merveilles de la capitale des 

arts et des sciences , avoir ete a Paris ! Chaque 

ann^e aussi, TAHemagne voit poindre de ces hommes, 
nous dirions rares s'il n y en avait tant, qui, en un 
laps de vingt a trente mois (absolument ce qu'un gar- 
QOrt tailleur met a faire son tour de France), ont ab- 
sorbe tons les tremors de la langue francaise, et vien- 
nent en gratifier leur patrie recotinaissante. 

En Russie , les choses ne se passent pas tout a fait 
de mfeme. A part un assez grand nombre, il est vrai, 



CONSIDftHATIONS PRELIM IN AIRES. 3 

de gouvernantes indigenes pour tout faire, les institu- T" 

teurs ruBses de naissance qui enseignent le francais a^unmaitre. 
ferment comparativeinent un chiffre. as^z modeste. 
Mais, en revanche, de quels elements* heterog^nes et 
discordants ne se compose pas la cohorte des etrangers , 
Francais, Suisses, Beiges, Savoisiens, etc., etc., etc., 
qui professent la langue franqaise sup Tetendue de cet 
immense empire ! On est venu en Russie pour faire 
des chapeaux, apprfeter des soieries, dorer an feu, 
decouper des gants ou des biftecks, et, la chapellerie 
ayaxit chdme, la fabrique nous ayant congedie, le vif* 
argent nous ayant fait renoncer a la dorure, la de- 
bauche au metier de queux, voila nos chapeliers, ap- 
pr^teurs, doreurs, gantiers et chefs, metamorphoses 
en marchands de participes ^ eomme its s'intituleiit 
ironiquement , sous Timpression du malaise que leur 
fait eprouver cette profession improvisee. 

La langUe francaise etant devenue, dans les pays 
etrangers, une mode pour bien dumonde, chacunveut 
enattraper unbrimborion. Mais, si toutes les bourses 
peuvent avoir la mime capacite, toutes sont loin d*6tre 
egalement bien garnies. Et cependant les inaitres, 
quelles que soient leurs modestes pretentions, doivent 
Stre paye». Que faire alors? 11 ne reste d'autre parti 
que le bon marche. Cela fait que tout le monde se 
place, et que tout le monde est peu satisfait. Et il ne 
pent en 6tre autrement. Quand on a passe sa jeunesse 
a 6tudier tout autre chose que Talignement des mots 
et Tagencement des phrases , il est difficile de se met- 
tre a regenter avec succes des marmots, et a enseigner 



fX>^SII>KR\TIOi%S PRklJMIlS AIRES. 



jj^^j^. one langue. Le francais que monirent^ de pareils ins- 
J tin maitrfc titateors sied anssi bieD ^ dans la boaehe de leors eleves^ 
qoe les ehapeaox confeclioDiies d apres les joomaux 
de modes pari»ennes sar la tete des ele^Dtes, dans 
les petites yilles de Finteriear de la Russie. Ridicule 
par^ci , ridicnle par-la. 

Nous avons connu , quelque part a Telradger, un 
chapelier qui , le matin, donriait des lecons de sa Ian- 
gue, Tapres-midi repassait ses chapeaux , et, le soir, 
preparait ses lecons du lendemain. Arrive dans le pays 
pour omer les tStes a sa raaniere , le InraYe homme a 
eu le bon sens de retourner a ses gaieties ^ et, dit-on, 
il ne s'en trouve pas mal. Lorsque, a son etabli, il 
perore sur les connaissances necessaires k un maitre 
de langue francaise , il ne manque jamais de repeter 
cette pbrase, qui est comme stereotypee sur ses levres : 
a Au jour d^aujord'hui, il faut d'abord bien sayoir ses 
« dix parties du discours. » Et , tout fier, il pose pour 
un moment son carreau, et promene sur son auditoire 
un regard plein d'une majestueuse assurance. 

Nous avons egalement connu , dans la mSme ville^ 
un individu qui , se mdlant aussi du commerce de 
participes, etait parvenu a se placer dans une fa* 
mille trfes-distinguee. Un beau jour cependant, le d^- 



' Un penoDiuige occupant une eminente position a VarsoTie avait Thabitude 
de te faire presenter les etraiigers qui arrivaient en Pologne et de leur demander 
ce qui les amenait dans le pays. « Je viens montrer ma langue, dit un jour un 
nouveau venu. — Ah! lui fiit-il a Tinstant replique, vous venez nous montrer 
votre langue ; eh bien , moi , je vous montre la langue russe. » Et une langue 
d'un demi-pied , etalee aux yeux de ce quidara ebahi ^ prouva d*une maniere 
irresistible qu'i! avait trouve son maitre. 



CONSlDfiRAtIOI»^S PRELIMmAIRES. 5 
gout da metier le prit si fort que , dans tine reunion 7" 

J • •! » f • T» 1 I ■ ^ choix 

de eompatnotes , 11 seeria : « Bah! je retourne & la d'nhmaitre. 
« place Maubert , et, messieurs , si vous allez un jour 
« gi Paris , venez me voir ; je vous veudrai une fa 
« .meuse i^^ive^e philosophes I » Et ii tint parole, etla 
place Maubert le Toit continuer le noble trafic qu'il 
herita de ses peres. 

8i les idueatioiu faites par de tels maitres n'a- 
vaient d-auU*e inconvenient que de transmettre a k 
j^unesse des^eonnaissanees incompletes, on pourrait, 
ju&qu'a utt certain point, en prendre son parti. II y a 
dea'degriSs^iians lacultare intellectuelle, et, sous ce 
rapport, l^'ambitk)nss6nt d'ordinaire assez modestes \ 
mais^ k chl[^s^ inerite qu'on y regarde de plus pr^s. 
L'homme que nous donnons pour gouverneur a notre 
eofwit ex^ee une notable influence sur son el^ve. S'it 
est a li hauteur de sa position, il doit imprimer aux 
etuctes diverses une direction intelligente, et, pour at- 
teindre ce but, il lui faut autre chose qu'une langue , 
m6mfe-p*8sablement parl«ee. On sait ce que devien- 
nent deiax aveugl^s se condui^ant Tun I'autre. 

On ent^d quelquefois dire : « Mais je ne veux pas 
« qtie mon enfant devienne un savant; s'il parle 
« francais^^ c'est tout ce qu*il me faut. » I^sperson- 
nes qui font un pareil raisonnement out Tair de He 
pas se douter qu'il y a francais et francais : le fran- ^ 

cais des gens cultiv^s et celui des ignorants ; le fran- 
cais des gens bien eleves et celui des gens sans edu- 
cation; le francais du salon et celui de la rue. Quand 
on a mis totite sa* pauvre logique a deraisonner de lii 



6 CONSIDERATIONS PRELIMINAIRES. 

— sorte, on prend un maitre qui enseigne tout simple- 

d^immaitre. meat 9. parlor le francais, et, cette belle education 
terminee, yous avez un jeune homme dont le langage, 
reproduction fidele de celui de son maitre, est d'ordi- 
naire ridicule, trivial, voire m6me saugrenu. 

Le Franqais qui enseigne a Tetranger doit a{^orter, 
dans le choix de ses expressions une circonspection 
toute particuliere. En parlant avec nos qompatriotes, 
nous pouvons, sans que cela tire a consequence , em- 
ployer un mot hasarde ; mais devant des.Etrangers, qui 
vous prennent pour ainsi dire les parples sur la \m- 
gue, notre elocution doit fetre toujoura ehatite, tou^- 
jour^ de bon gout et do bop ton. Ppur. celui qui ^at 
peu au fait d'uue languQ, un mot eu.yfiut m au^re; et 
si, par exemple, qu^lqu'un ne s'etait poin^ oubUe en 
presence de certaine jeune personne etrangere ,. bien 
el^v^^ du reste, nous ne Taurions point en teudue dire 
uu JQur a une de ses amies : « Tu blagues^ ma chere, 
a tu blagues! ^ 

Nous ne croyous pas qu*il existe beaucoup d'hom- 
mes meritaot le aom de polygloites. Ou pent parler en 
perfection une langue, et <^'est toujours la langue ma- 
ternelle ou celle qui s'y est substituee ; mais en parler 
plusieurs en perfection nous semble impossible. Pour 
bien s'e^pHmer dans un idiome 9 il y a tant de points 
a observer, tant de nuances dMicates a saisir, tant 
d'usages a connaitre, usages divers ou m^me con- 
traires dans les langues diverses j que celui qui reus- 
sirait egalement bien dans plusieurs devrait posseder 
des dispositions surhumaines. Tel mol,.qui rend par- 



CONSIDERATIONS PHELIMINAIRES. 7 

faitement moa id^e a moi, Cait pouffer de rire tin ^7 ~" 
AUemand ^ ou est peut-^tre empreint de sattise pour duainwtre. 
un AilglaiB, ct vice versa. Pour s'exprimeF egalement 
bien dains deux langues differentes, il faudrait en 
qiielqtiie^orte^yoir des facult6s enpartie double, et 
faire usage des tines et des autres, selon que Von au- 
rait k r^pondre a telle ou telle exigence ^ Du choix 
des expressioDd depend toujours I'exacte interpretation 
de la pensee, et sou vent, avant toute intervention du 
jugement ou du gout, nous n'avons d'autre moyen 
de nous fixer que ce sens intime , ce demon de So- 
crate y si nous pouvons hasarder cette comparaison , 
lequel a pris son gite en notre esprit des le principe, 
et dont Texistence s'est developpee et affermie a 
mesure que nous avons cr6 sur la terre paternelle ; 
souvent, a Texelusion du jugement et du gout, ces 
deux facultes fondamehtales , il nous faut puiser a 
cette source interieure la solution qui nous tourmente. 
Et la , nous le demandons , quelle ressource reste a 
I'Etranger? 

L'Etranger, avec son organe brise a des inflexions , 
a des emissions de voix toiites locales; avec son es- 
prit, qui modfele la pensee et la fait jaillir sous I'im- 
pression du climat et de sa race ; T^tranger, des qu'il 
franchit les limites des langues, porte toujours un 
cachet ineffacable, dont le temps lui-mfeme ne fait 
que renforcer Tempreinte et charger les couleurs. 

Les considerations qui precedent nous portent a 
conclure que, pour enseigner le francais aux Stran- 
gers, il faut Mre Francais, non de titre, mais d'ha- 



8 CONSmtoATIONS PRELIMINAIRES. 

"7 ~" bitudes, d'education , d'esprit, d'affection , et surtout 
d'unnuiitre. de langage ; avoir balbutie sa langue au berceau, 
Favoir trituree dans les ebats de Tenfance, dans la 
vie agitee du jeune homme, dans la vie calme de 
r^e mfir; en posseder les principes grammaticaux 
et logiques ; enfin, vouer son existence enti^re au but 
que Ton vent atteindre. Telles sont les conditions de 
reussite dans notre branche d'enseigHement. 



II. 



Si le mattre a.de grands devoirs k remplir, Velev^, 
lui aussi, doit, pair nne cooperation active et serieuse^; 
mettre^ profit Tinstruction qu'on lui presente. L'etude 
d'une langue est chose plus serieuse que le vulgaire 
ne se Timagine; c'est une mine qui offre d'inepuisa- 
bles filoni an travailleur ardent a la t^he; c'est un 
monde oft Von decouvre, a chaque pasj des plages in - 
connues. 

Pour marcher feurertient de decouverte en decou- 
verte dans ce travail; pour ajouter acquisition a ac- 
quisition, il faut.k r^leve inexperiment6 une bousaole 
qui ne Tinduise point en erreur; it lui fauty du moins 
a partis de Tenseignement secondaire, commitre sa 
langue maternelle^ non de routine, mais par 1- etude 
etle raisonnemeht. Trop souvent le maitre est oblige 
de faire marcher de front Tetude des deux langues,' 
d^apprenirek son el^ve a ranger, dans Tune comme 
dans I'autre, chaque mot dans une classe particu- 
litee, de lui fair6 remarquer le r&le que chaque signe 
joue dans le discours , sa valeur intrinseque et rela- 
tive. C'est la un retard deplorable, et heureux leleve 
que ses facultes mettent a mfeme de combler rapide- 
ment cette lacune. 



H^rar^e. 



On renecmtre assez firequemiDait, a reCrangier, des 
yenouDes qui Tcms disent : « Mes eofuits iie parient 
« que le francais; ils com[«tDiieol a peine leor langne 
« maternelle , el f (ml en la parlant |H^esqae antant de 
c fiaoles que des etrangers. » Noos regaidons cela 
e<Hnme on Teritable malheiur, et poor les parents, 
et poor les enfants : poor les parents, parce que 
cela indiqiie une bien foiUe dose de palrioliaBie, sans 
eomplCT mainte antie conseqooioe defanirahfo; pour 
lea oiCants, paroe que c'est, a notre avis^ chose fori 
trisiB et hnnnliante de ne pas posaeder sa langpe ma* 
t^rnelle, sortoni qiiand on est ne dans nne condition 
dcmtrignoiaDce n'est point lapanagehabitueLEnsuite^ 
cette mamefe de trails la langne de son pays, dans 
la propre personne de ses enfants, n'est guere pcfpre 
a la leor faire aimer et cultiver dans un age plus 
antnce. Un bomme qui dedaigne Tidiome national ne 
sera jamais na grand ni meme un IiK^n citoyen; car, 
qu'est-ce qui constitue la nationalite? Deux choses : 
la retigian et la langue. En dehors meme de ces con^ 
siderations, doni la haute verite ne saurait ^tre mise 
en ddnte, et sons le rapport exdusif de Tetude des 
langues etrangeres, il y a tout avantage et profit k 
posseder la langue de son pays. Bien apprise, elle 
nous foumit un point de depart et une base oA nous 
pomrons asseoir les acquisitions philologiques que 
nous procure Tetude d'idiomes etrangers; elle nous 
foumit Foccasion d'etablir des paralleles interessants 
et instructifs, qui ne contribuent pas mediocrement a 
developper notre sagacite et a murir notre jngement, 



CONSIDERATIONS PR£LIMIN AIRES. 11 

tout en nous faisant contracter, d^s la jeunesse , des 
habitudes serieuses dont profite T^e m<ir. Et puis , 
est-il une seule branche (Joa connaissances liumaines 
a laquelle la langue maternelle soit etrang^re? Dans 
les sciences, les grands mattres ne sont-ils pa? tou- 
jours de grands ^riyains? Ce que Boileau dit de la 
langue a propos de Tart poetique, il I'eiit dit k I'oc- 
casion de tons les autres arts. Sans la langue, c'est^a- 
dire sans la langue bien comprise, bien 6tudi^e, tna- 
ni^e de main de mattre, jamais on n'atteindra la bau* 
teur d'aucun art« 

Pour en rev^nir done a notre sujet, ce sera un 
avantage immense, pour Tecolier, que de posseder sa 
langue maternelle. 



De Televc. 



III. 

R^^les irenerMles de condiilte |ioiir le iiiaitre. 

Si Ton se reporte k ses premiers debuts : dans 
Tetude d'une langue etrangere, on se rappellera avec 
quelle dif ficulte on parvenait a saisir le langage parle, 
a partager les phrases en mots, et les mots en sylla- 
bes, a repeter le troncjon de phrase le plus exigu, a 
distinguer les expressions les unes des autres dans 
Facte de la parole. On se rappellera toutes les peines 
que ces premiers pas ont coutees, toutes les larmes 
dont on a trempe cette graramaire si rebelle. Eh bien ! 
e'est ici que commence la tache serieuse de Tinstitu- 
teur : inspirer a ses disciples le goAt de Tetude, leur 
offrir comme une recompense la decouverte de prin- 
cipes nouveaux pour eux, leur alleger le travail, voila 
son devoir, II stimulera Tamour-propre de Tun, cares- 
sera la timidite de Tautre en lui tendant une main 
secourable, fera honte a celui-la, qui, sottement enti- 
che de sa naissance, se laisse depasser par le fils de 
rhumble proletaire ; il emploiera, pour parvenir a ses 
fins, tons les moyens qui agissent sur la nature hu- 
maine : voila une partie importante de sa tache morale. 

Ne parler a son eleve que la langue objet de Tensei- 
gnement, doit etre une regie de conduite dont on ne 
pent jamais s'ecarter. « Mais, » dira-t-on, « comment 



CONSIDERATIONS PRELIMIN AIRES* 13 

lui parler^dds le priocipe, ijin iangage qui lui e&tab* 
solument inconnu ? » L'exp^rience de tous les jours g^^sOes 
nous demontre que, cette objection n'a rien que de * J^r * 
specieux. Parlez frangais a votre eleve, interpretez-lui *^ "^'*'*' 
sur-le-champ votre phrase, membre par membre ; unQ 
fois qu'il est entre dans le sens de vos paroles^ repe* - 
tez-les-lui telles qu'elles ont ete prononcees d'abord, 
lentement et en ayant soin d'attirer son attention sur 
vos levres; Timitation en sera allegee d'autant. (iette 
phrase, dont il a I'inteUigence , qu'il la redise enfin 
iui-mfeme, jusqu'a ce que I'elocution et la prononcia- 
tion soient aussi parfaites que possible a ce premier 
debut. Mais, sur toutes choses, gardez-vous de lui 
formuler votre pensee d'une maniere qui se rapproche 
de sa langue , en s'ecartant de la votre; gardez-vbiis 
de faire perdre a cette pensee sa physionomie fraii- 
caise, pour lui donner une teinte etrangere, sous pre- 
texte de la mettre plus a la portee de son intelligence; 
ce serait lui rendre un deplorable service. Parlez-lui 
comme a un de vos compatriotes, franchement et sans 
circonlocutions officieuses. 

Grand nombre d'instituteurs francais, en Kussie, 
m^ritent utt repfoche, que nous regardons comme un 
devoir de leur adresser ici. Loin de la France, dans un 
pays qui absorbe et neutralise promptement les natio- 
nalites etrangeres, ils ont besoin de faire des efforts 
incessants pour conserver, dans toute leur puret6 na- 
tive, accent, elocution, style, etc., etc. A tout prix, 
pour continuer a purler francais^ ils devraient s'as- 
treindre atoujours petiser en jroncau ; car la pensee 



14 CONSIDERATIONS PRftLIMIN AIRES. 

— ' formulee int^rieurement fen francais, am^ne n^cessai- 

gteirties rfement une expression fraticaise. Cependarit on les 

ie eonduite •* o • i • ° -i i 

p«nr voit tarcir leur conversation de mots riissed?* de ma- 
nifere k la rendre inintelligible k un compatriote frat- 
chement d^barque , et faire des phrases dignes d'un 

" Iroqiiois^ comme celle-ei, par exetnple : 

Tretduction, 
Douchineka, dites au tcMlowek Ma chkre amie (litteralement , 
d'apporter le ^amott^ar*. petite dme), dites au domestique 

d*apporter la biniUloire. 

C'est a faire fremir les m^nes de Voltaire et de 
Lemare ! 

Mais que deviendraient les ombres de ces hommes, 
qui respectaient tant la langue franqaise , si elles 
etaient obligees de subir les conversations de certains 
instituteurs ou institutrices avec leurs elfeves? 

' La gvwvemante, Enfants, que faites-vous l^ pour * un tapage? 
Yeneiikiplusvite^. 

MademoUelk Nadine, C'est ma soeur qui se bat *, 

La gouvernante. Ah ! Macha (diminutif de Marie) , c'est tres-mal. 
Vous vous grondez * toujours avec votre soeur. II faudra, pour vous 
cottiger, vous rendre^ h rinstitut. 

Mademoiselle Macha, distiraite et regardant par la fenStre: Mon 
Qncle ! mon onc)e ! II vient sur ses chevaux ^. 



' Phrase franco-rnsse. 

* Germanisme, Quel tapage faites-vous la? 

3 Russicisme. Venez vite ici. 

< Russieisme, C'est ma soeur qui me bat. 

'' Russieisme, Vous vous chamaillez. . . 

" Russieisme. Vous mettre en pension. 

' Russieisme et polonisme, Dkm son propre Equipage. 



COJISWERATiai^S ^RELIMINAIAES. 15 

Miidefinaisdle iodine. Non, c'est sur les chevaux de ma tante 

que mon oncle 'part * depuis qu'il s'est mari6 sur * ma tante. Mon f^^^ 
oDcle a done * rendu * ses chevaux pour les argents *... de eonduite 

La gouterndnte, interrompant. En voil^ assez, travaiflez. . P®"^ 

Mademoiselle MMha. Ma plume in'icrit pas^... 

Mademoiselle Nadine.,, Ma soeur se pousse ^... 
etc. , etc. , etc. 



C'est un veritable massacre des Innocents ^. On 
donne les etrivi^es a moins^. 

Quand un instituteur francais arrive dans un pays 
etranger, il entend des expressions soi-disant frauQai- 
ses, qui lui font Teffet d'une douche d'eau glacee. Au 
bout d'un certain temps, cette impression desagr^able 
s'affaiblit ; quelque temps encore, et il y est aussi ha- 
bitue qudiux fans, j* avians et dont auquel des villa- 
geois de sa province. De cette habitude a Timitation 
il n'y a qu'un pas. Ce pas franchi , on n'a plus de 
motif pour s'arrfeter. Non-seulement les fautes de 
langage ne choquent plus, puisqu'on les commet soi- 



* Rusticisme et polonisme des plus affreux en francais. Part, pour voyage . 
partir, pour se promener en voiture , est une faute presque generate. 

^ Russidstne. Sur pour mee, 

^ Superfetation de langage germano-polono-russo-franf^is. 

* Russicisme, En Russie, rendre se met a toutes les sauces; il signifie 
mettre, dinner, vendre, etc. 

^ En russe, argent s^emploie au pluriel. Du reste, expression pleonas- 
tique. 

* Germanisme et russicisme. Ma plume ne marque pas. 
^ Russicisme, Ma sceur pousse , me pousse. 

' De ce que cette scene se parle en Russie , on aurait grand tort de con- 
dure que notre langue est plus maltrait^ dans Tempire des tsars que dans 
d'autres pa^. G'est, au contraire, de notoriete universelle que les Russes 
parlent notre langue presque sans accent et avec une purete'remarquable. Le 
maitre de langue prend son bien ou il le trouve. 



16 CONSIDERATIONS PR^LIMINAIRES. 

mSme, mais on trouve mdme etranges les bienyeillan- 

ge^es tes remarques de ceux qui attirent rattention sur ces 

poor enormites. a C'est comme cela que Von dit ici ! » 

* "^ * repond-on, et Ton croit avoir donne une reponse sans 

replique. 

Les instituteurs qui abandonnent ainsi les bonnes 
traditions du langage correct, sont toujours ceux qui 
n'ont fait qu'ebaucher un semblant d'etudes dans leur 
patrie. Ceux, au contraire, qui out fait un cours d'e- 
tudes classiques, dont est garant le dipl&me de bache- 
lier ^s lettres, et qui, bien que possesseurs de ce par- 
chemin si envie, n^en ont pas moins continue a s'ins- 
truire , ceux-la resistent victorieusement a la conta- 
gion de Texemple; ils restent Frangais, soit qu'ils 
parlent, soit qu'ils ecrivent, De prime abord, ils se 
reconnaissent avec joie les uns les autres, a leur par- 
ler frappe au bon coin. 

Les institutrices, dont les etudes n'embrassent guere 
que des elements, sont bien plus exposees encore que 
les instituteurs a parler allemand, anglais, russe, etc., 
en franqais. Celles qui sont originaires de grandes vil- 
les, ou la langue jette de plus profondes racines dans 
les individus, courent encore la chance de conserver, 
au prix de violents efforts, leur langage a pen pres 
' pur; les autres, helas!... 

— « Madame, disait une de ces pauvres depaysees 
« a une malade, vous fetes dangereuse. 

— : « Mademoiselle, repliquaTagonisante, spirituelle 
« jusqu'au dernier moment, vous /'fetes bien^lus que 
« moi ! » 



CONSIDERATIONS PRl^XI MI N AIRES. 17 

« La reine Marie de Pologne, dit la marquise de — [ 

cr Crequy, avait appris le frariQais dans son enfance, generaks 

« et Dieu salt comment, par une gouvernante bour-» ^ ^u^"* ^' 

a geoise^ ou peut-6tre bien par une Suissesse! de sorte **"*"**^^ 

«r qu'elle en avait appris une foule de locutions vul- 

« gaires a surprendre; et, par exemple, elle nous 

a disait alors eduquer pour eles^er^ flattee pour satis- 

afailej oj^pour hardi^ etc. Moncrif, son lecteur, en 

« etait contrarie comme bon serviteur de la reine^ 

« desol6 comme academicien, et d^sespere comme 

<x puriste. II en disait respectueusement son avis a Sa 

a Majest6, qui prenait toujours la chose en trfes- 

« bonne part, et qui travaillait assidClment pour s'en 

« corriger. 

(c A la fin d'un billet qu*elle avait fait ecrire a M* de 
a Moncrif,' par un autre secretaire d% ses commande- 
« ments, et pour une chose de son service, elle ajouta 
« de sa.propre main : Des^inez.,.^ et Moncrif y repon- 
« dit par le quatrain suivant : 

Ce mot, trac^ par une main divine, 
Ne m'a caus6 que trouble et embarras. 
C'est ^tre osi si mon coeur le devine ; 
G'est ^tre ingrat s'ii ne devine pas. 

a Le roi blama cet emploi du mot osc. — « Mais c'est 
a une epigramme . contre moi, repondit cette bonne 
a princesse; et depuis ce temps-la je n'ai pas vu 
« qu'elle ait mal applique cette meme expression. » 

11 n'y a pas beaucoup d'eleves qui, devenues dames, 
voire meme reines, aient assez d'abnegation et de cou- 



18 CONSIDKRATIONS PRELIMIIN AIRES. 

; rage pour reconnaitre les defauts de leur education 

generaies premiere, et se mettent franchement a desapprendre 

* ^r"' ^ pour r^apprendre. D'ordinaire on ne revient pas sur 

e maitpp. j^ passe ; ce qu'on a appris on entendu dans Tenfance, 

on le retient et emploie dans I'slge mur. 

Avis done an lecteur avise ! 



IV. 

De la pronoiielatlpn et de I'aecent. 

L'accent du maitre doit 6tre Tobjet d'une attention 
particuli^re. II ne sera, sous ce rapport du moins, 
d'aucune partie de la France plut6t que d une autre. 
Nous entendons par la que son accent doit ^tre celui 
des gens cultiv6s, qui est a pen pres partout le mfeme. 
11 faut n6cessairement que toute phrase soit accentu6e, 
soumise a des inflexions en rapport avec les sentiments 
deTUme, faute de quoi le discours, denue de couleur, 
deviendrait insipide. « Se piquer de n'avoir pas d'ac- 
« cent, dit Jean-Jacques , c'est se piquer d'&ter aux 
« phrases leur grS,ce et leur energie. L'accent est I'^me 
« du discours; il lui donne le sentiment et la verite. 
cc L'accent ment moins que la parole ; c'est peut-^tre 
cc pour cela que les gens bien eleves le craignent tant. 
« C'est de Tusage de dire tout sur le m^me ton qu'est 
(c venu celui de persiQer les gens sans qu'ils le sentent. 
« A l'accent proscrit succ^dent des mani^res de pro- 
a noncer ridicules, affectees et sujettes a la mode, tel- 
<c les qu'on les remarque surtout dans les jeunes gens 
<c de la cour. » 

C'est dans I'enfance que Ton acquiert une bonne 
prononciation ; aussi les parents doivent-ils choisir avec 
soin la pcrsonne qu'ils mettent aupres de leurs enfants 



20 CONSIDKRATIONS PRELIMINAIRES. 

"~~ pour leur enseigner, par Tusage habituel d'une langue 

iionciatioii etrangere , les premiers elements familiers de cette 
lacceni. langue , et leur faire contracter une prononciation 
pure, exempte de reproche. aQu'onse represente,» dit 
« mademoiselle de Lajolais dans son Education des 
femmes^j livre qui doit fetre le conseiller quotidien 
des meres et des institutrices, « qu'on se represente le 
« desappointement d'une famille anglaise ou allemande 
« qui^ayant fait venir une bonne francaise^ d^couvri- 
« rait un beau jour que ses enfants ont appris le fran- 
« cais suivant les idiotismes de la Provence, de la 
« Normandie, de la T^orraine, ou ceux qui sont usites 
« dans les classes populaires de Paris , et Ton com- 
« prendra la necessite de bien choisir une bonne etran- 
« gere, Mieux vaut apprendre une langue par princi- 
« pes a rSge de raison, en comlnencant dans les livres, 
« que de se familiariser avec des locutions triviales et 
« incorrectes, et prendre un mauvais accent dont il est 
« ensuite fort difficile de se defaire. 11 est incontestable 
(c que chaque rang a son idiome. La langue parlee de 
« Tantichambre n'est pas admise dans le salon. Le 
« progres effacera peut-Stre ces nuances ; mais, pour 
« le moment , ces nuances sont encore tres-pronon- 
« cees. » 

Un enfant qui, a I'age de douze a quatorze ans, ne 

' possede pas une bonne prononciation, court griand 

danger de ne jamais bien prononcer. Les mauvaises 



' Education des femmesy ouvrage couronne par rAcademie francaise. A Pa- 
ris , chez Didier. 



CONSIDfiRATlOJNS PRELIMUNAIRES. 21 

habitudes, contractees avec des maitres prononcant ^ 

* De la prc>- 

mal ou ayant un accent reprehensible , ne se perdent uonciatiou 
guere passe cet age. raccent, 

11 est rare qu'un enfant, quand on le prend de 
bonne heure, ne jmrvienne point a obtenir une bonne 
prononciation. Mais quelle peine ne faut-il pas se 
donner pour lui faire acquerir, en outre de la pronon- 
ciation, une intonation purement francaise! Qui ne 
saitavec quelle facilite on reconnait, en toute langue, 
la nationalite etr^ngere de gens qui parlent, quelque - 
fois avec une etonnante facilite , un idiome autre que 
leur langue maternelle? Chaque peuple apporte dans 
le franigais un accent particulier : les Anglais ne le 
prononcent pas compie les Russ^s , ni les Alleinands 
comme les Italiens ou les Polonais. Une petite 
nuance d'intonation etrangere ne messied pas plus, 
dans le langage d'un etranger parent francais, qu'un 
leger grasseyement ne depare la conversation d'une 
jolie fenime. Mais ce certificat d'origine doit a peine 
Hre sensible a Toreille. 

La bonne prononciation est toujours accompagnee 
d'une certaiue distinction d'esprit : de meme qu'une 
corde d'instrument de musique ne rend un son pur 
et m^lodieux, que lorsque les parties qui la compo- 
sent sont sans melange grossier. 

La bonne prononciation est une veritable musique, 
et flatte aussi agreablement Toreille que les parfums 
I'odorat, les saveurs le gout. 

Donnez a vos enfants un beguc pour maitrc de 
langues, Tinstituteur vous fera des cleves bcgues. 



22 CONSmfiRA'nONS PIU&LIMINAIRES. 

Quelques mattres se servent, dit-on, avec succ^s du 

nonciation chant pour rectifier la mauvaise prononciation de 

I'accent. Icurs eleves. Le moyen est peut-^tre recommandable ; 

cependant le defaut a presque toujours sa racine, non 

dans Torgane de la voix, mais dans Tome : beaucoup 

d'el^ves ont des oreilles de rossignols d'Arcadie ! 



PREMIERE PARTIt. 



ETUDE ET ENSEIGNEMENT PRIMAIRES. 



I. 

Premiers exerclces. 

Dans le bon vieux temps , il n'y avait qu*une seule 
et unique methode pour.enseigner les langues, mortes 
ou vivantes, rhistoire, les mathematiques, etc. On 
prenait un elfeve et un livre , et , en montrant le der- 
nier au premier , on disait : a Vous apprendrez d'ici 
jusque-la. » Ce grand acte de civisme accompli , on 
laissait le marmot et le grimoire, et , a son retour, on 
s'6tonnait, pestait, jurait, en voyant les cornes de 
celui-ci et Tignorance de celui-la. 

Dans le bon jeune temps ou nous vivons, on com- 
mence a proceder d'une mani^re toute diff^rente. Une 
maman vous prend sa fillette sur ses genoux. Arriere 
les livres! Qu'ont-ils de commun avee cette deli- 
cieuse petite creature de cinq ans, toute rose, toute 
bouclee^ toute heureuse d'etre? L'institutrice-mere ap- 



?4 PREMIERE PARTIE. 

■ prend a son eleve bien-aimee , peut-etre bien satee, 

Premiers '^ ? f D ' 

exercices, quelques vers a la portee de son intelligence naissante, 
puis la renvoie a ses poupees, a ses papillons, a ses 
larmes d'une minute, qui s'effacent daps un sourire, 
a ses joies sans fin. Le lendemain, nos deux amies re- 
petent la lecon apprise en commun. Au bout de trois 
ou quatre seances, la petite eleve, une orange a la 
main^ vous dit de sa ch^-rijiante et douce vqi^, tendre 
comme la rosee : 



De marnanje tiens cette orange. 
Pour ma lefonje Ic^ repis; 
Et quandjoyeuseje la mange, 
Son goat me plait encore plus. 



Franchement, dites-le-moi , cette gentille enfant 
n*a-t-elle point appris la, tout en souriant a sa bonne 
mire, plus que maint grand garcon avec un livre so- 
popifique et un maitre sans m6thode? Mais ce n'est 
pas tout encore ; ces quatre petits vers innocents vont 
nous fpurnir toute une serie de lecons. Voyez un peu 
Vintielligente tendresse de la m^re poursuivant son 
cours pratique de langue, et venez encore nous parler 
de vos dix parties du discours, avec des enfants qui ne 
savent pas encore qu'ils ont dix doigts. Inutile d'ajouter 
que la maman, en faisant apprendre cette premiere 
lecon a sa jeune fiUe , lui a appris aussi le sens de 
chaque mot et celui de toute la phrase , en s'assurant, 
par de frequentes repetitions , que sa petite eleve a 
bien loge phrase et mots dans sa fraiche memoire. 



CHAPITRE PREMIER. 25 



DIALOGUE. Pi^miers 

exercices. 



LA MAM AM, LA FILLETTE. 

La maman (traduisant aussit6t et ses questions et les r^ponses 
qu*elle souffle a Feiifdnt). Qui est ta maman? 
, La fillett€p C'est vous, 

La maman, Et qui est la 01|e de ta maman? 

La fillette. C'est moi. 

On peut fetre certain que notre jeune elfeve ne comr 
mettra jamais la faute de francais que fit, a^Tentrevue 
de Tilsitt, un officier superieur russe. L'empereur Na- 
poleon ayant demands qui commandait la cavalerie 
russe a la derniire affaire, un officier s'avauQa, et 
dit : « /e, sire. » Un sourire imperceptible se dessina 
sur les livres de plus d*un personnage de sa suite, 
mais Napoleon le r6prima bien vite par ces mots : 
« General, si vous ne maniez pas parfaitement la 
« langue francaise, en revanche vous faites admira- 
a blement bien manoeuvrer vos troupes. » 

Mais continuous. 

La mav^n. De qui tiens-tu cette orange ? 
La fillette. De ma bonne maman. 
La maman, Pourquoi Fas-tu re^ue ? 
La fillette. Pour ma lei^on. 
La maman, As-tu done bien su ta le<^on ? 
La fUlette. Qui, maman, puisque vous m'avez embrass^. 
La maman, II me semble que tu ^tais bien triste en la mangeant. 
La fUlette, J'avais votre baiser, et une belle orange dor6e; je ne 
pouvais pas 6tre triste. 
La maman, Les oranges sont-elle« bonnes ? 
La fUlette. Bien, bien bonnes, maman. 



Premiers 
exercioes. 



26 PREMIERE PARTIE. 

La maman. Et qu'est-ce qui est encore meilleur que les oranges ? 
La fillette, line bonne maman. 

Comptons un peu les mots et les constructions de 
phrases que vient d'apprendre notre petite eleve , en 
jouant pour ainsi dire avec sa m^re. C'est Tequivalent 
de bien des lecons au cachet dans un flge plus avance, 
obtenu sans fatigue, sans pleurs, sans degotit. 

II y a, dans ce premier dialogue, la matiere de 
seances plus ou moins nombreuses , selon le plus ou 
moins de dispositions de Tenfant. L'instinct maternel 
sentira bien oii il faudra s'arrfeter chaque fois. On 
pourrait le prolonger, pour ainsi dire, a Tinfini ; mais 
il faut se gard^r de lasser Tattention de I'enfance, 
qui, dans Tetude comme dans ses amusements, aime 
la diversite. « Dwersitey c'est ma devise, » disait 
celui que madame de la Sabli^re nommait son fa- 
blier, un grand enfant, la Fontaine. 

A ces petits vers tout enfantins on pourra faire suc- 
ceder un morceau plus etendu , demandant deja une 
intelligence plus developpee , comme , par exemple , 
ces trois belles strophes de madame Amable Tastu, 
oil se r6v^le tout Tamour de la femme po^te pour 
Tenfance : 

PETITE PRIEBE POUB LES PETITS ENFANTS. 

Notre Pere des cieux , Pere de tout le monde , 
De vos petits enfants c'est vous qui prenez soin ; 
Mais a tant de bonte vous voulez qu'on reponde » 
Et qu'on demande aussi dans une fol profonde , 
1^8 choses dont on a besoin. 



CHAPITRE PREMIER. 27 

Vous m'ayez tout doim6 , la vie et la lumi^re , 
Le bl^ qui fait le pain, les fleurs qu'on aime k voir, 
Et mon p^e et ma m^re, et ma famille entiere; 
Moi, je n'ai rien pour vous, mon Dieu, que la pri^ 
• Que je vous dis matin et soir. 

Notre Dieu des cieux, b^nissez ma jeunesse; 
Pour mes parents, pour moi, je vous prie a genoux ; 
Afin qu'ils soient heureux, donnez-moi la sagesse , 
Et puissent leurs enfants les contenter sans cesse , 
Pour fitre aim^s d'eux et de vous ! 

DIALOGUE. 

LA MAMAN. LE PETIT GARgON. 

La maman. Pour qui cette belle petite priere a-t-elle ete faite ? 

Le petit garcon. Pour les petits enfants. 

La maman. Ou est le bon Dieu ? 

Le petit garcon. II est dans les cieux. 

La maman, De qui est-il lej)ere? 

Le petit garcon, De tout le monde. 

La maman, De qui prend-il soin? 

Le petit garcon, De ses petits enfants. 

La maman. Que demande-t-il en retour? 

Le petit gargon, 11 demande qu'on r^ponde a ses bont^s. 

La maman. Et quoi encore, mon fils? 

Ije petit garfon. Qu'on lui demande les choses dont on a besoin. 

La maman. Qu'est-ce que Dieu t'a donn^ ? 

Le petit garcon. Tout , la vie et la lumi^re du jour. 

Jm maman, Est-ce bien la tout ? 

Le petit gargon. Non, maman. II m'a encore donn^ le ble, qui 
sert a faire le pain, et les fleurs, qui rejouissent la vue. 

La maman. Et toi , que donneras-tu au bon Dieu ? 

Le petit garcon. Rien, maman. II ne me demande que ma petite 
priere du matin et du soir. 

La maman. A quoi la benediction du bon Dieu est-elle n^cessaire? 



Premiers 
exercices. 



PremienB 
exercices. 



28 PRE:\UERE PARTIE. 

Le petit g argon. A ma jeimesse. 

La maman. Pour qui le pries-tu a genoux ? 

Le petit gargon. Pour papa, pour maman, ei pour moi-meme. 

La maman, Pourquoi lui demandes-tu la sagesse ? 

Le petit gargon. Pour faire le bouheur de mes parents^ 

La maman, Et si, ton papa et moi, nous sommes contents de ta 
soeur et de toi ? 

Le petit garcon. Alors nous aorons Tamour du bon Dien et celui 
de nos parents. 

Les deux exemples qui precedent donneront aux me- 
res et aux institutrices inexperimentees une idee suffi- 
sante de ce genre d'exercice, que nous recommandons 
a toute leur attention. Nous avons maintes fois re- 
marque que les petits enfants y prennent vite gout. 
Seulement il faut bien se garder de fatiguer leur me- 
moire, et de les rebuter par des t&ches trop longues, 
ou par des leoons trop rapprochees. Pour ces premieres 
lecons, nous donnons la preference aux vers sur la 
prose. Les enfants les retiennent mieux; la rime vient 
en aide a leur memoire , et le soin qu'il faut mettre a 
observer la mesure en recitant , les habitue a donner 
a tout ce qu'ils disent une intonation convenable. . 

Dans beaucoup de families , les enfants ont Tocca- 
sion d'apprendre par la pratique les langue^ etran- 
geres. Nous ne nions point que cela soit un avantage 
notable; mais il sera encore plus appreciable, si Ton 
y joint Texercice que nous venous d'indiquer, en le 
faisant suivre de tous ceux dont nous parlerons suc- 
cessivement. La jeunesse est naturellement presomp- 
tueuse et encline a elever , dans son imagination , ses 
rudiments de science au niveau du veritable savoir. 



CHAPITRE PREMIER. 29 

Les instituteurs qui s'occupent de renseicnement des 

, , , , Premiers 

laDgues etrangeres, s accordent assez generalement a exemces. 
reconnaitre que les families ou ces iangues sont pra- 
tiquees fournissent a leurs classes plus de mauvais 
eleves que de bons. Lances au milieu de condisciples 
dont le plus grand nombre ne connaissent pas les 616- 
ments de la langue qu'ils etudient, ces petits jeunes 
gens qui gazouillent quelque peu cette langue se 
croient presque tons des esprits superieurs. T^moins 
dedaigneux des penibles efforts de leurs camarades 
pour articuler des mots qu*eux-m6mes ils prononcent, 
pour ainsi dire^ en se jouant, ils se laissent gagner par 
une funeste presomption. lis se prelassent sur le pi6- 
destal ou leur vanile les a hisses, n'ecoutent que pour 
la forme les instructions des mattres, et ne suivent 
point les progr^sde renseignelnent. Aussi qu'arrive-t-il 
immanquablement? Ce qui advintau liet^re luttant de 
Vitesse avec la torlue. Ils finissent par se voir depasses, 
et m^me par oublier ce qu'ils ont pu apprendre dans 
la maison paternelle. La jeunesse apprend trfts-vite les 
langnes; mais, quand la pratique lui fait defaut, elle 
les oublie avec la mfeme rapidite; elle oublie jusqu a 
I'idiome maternel. Un vieux general, Finnois de nais- 
sance, nous racontait un jour que , plac6 dans une ins- 
titution militaire a Saint-Petersbourg, il requt, apres 
deux ans d'absence, la visite de sa m6re, qui fondit 
en larmes en entendant son fils repondre en russe, 
langue qu'elle ne comprenait aucunement, aux ques- 
tions qu'elle lui adressait dans leur langue commune, 
Tallemand. Cel exemple, auquel on pourraiten ajou- 



30 PREMIERE PARTIE. 

; — ter bien d'autres, nous prouve quel soin il faut appor- 

exercicM. ter, daus la jeunesse, a T^tude de toute langue, si Ton 
veut qu'elle soit pour nous , dans Tage milr , un ins- 
trument d'une utilite r^lle. 



II. 



IMoycn tkttrmjmnt pour enselgner au« petite en- 
fant* le francs, on toute antre lanrue. 



Dans le chapitre precedent, nous avons indiqu^ un 
exercice dont les meres et les institutrices peuvent 
tirer un grand profit pour Tenfance. Mais, en soi, cet 
exercice n'a rien d'attrayant, et il faut le pratiquer 
avec sobriete , sans toutefois le negliger. 11 a le pre- 
cieux avantage de faire penser, dans la mesure de 
leurs facultes naissantes, ces petites t&tes d'elfeves k 
peine echappes au maillot , et , a ce titre , il reclame 
toute notre attention. En voici un autre qui, de prime 
abord, conquerra le suffrage des mamans et de leurs 
enfants. 

C'est chose connue que Tenfance n'accorde gu^re 
d'attention qu'a ce qui frappe ses yeux. Le moyen en 
question repose sur ce principe. On prend une de ces 
gravures coloriees qui se fabriquent expr^s pour le 
jeune age. On ecrit au-dessous un petit dialogue ou 
une petite narration bien simple, qui se rapporte a la 
scene representee, et on les lit a Tenfant fragment par 
fragment, en y joignant la traduction, et surtout, 
ce qui est une tache facile, en attirant son attention 
sur Vimage. Nous choisissons, par exemple, une scene 
champfetre representant une maison villageoise , en- 



32 



PREMIERE PARTIE. 



Moyen 
uttrayant 

pour 

eiiseigner 

le fran^ais 

aiix petits 

enfants. 



touree d'arbres dont le pied baigne dans un limpide et 
frais ruisseau. Le toit est rouge, et Ics contrevents 
sont peints en vert. Sur le seuil de la porte, la fer- 
mi^re jette a ses poules du grain, qu'elle prend dans 
son tablier. Une petite fiUe, assise aiipres d'un tas de 
sable, en remplit un petit vase, dont elle repand le 
contenu de I'autre c&t6 d'elle. Son frere , plus ^6 
qu'elle de quelques annees, fouette une toupie. Des 
oiseaux, aux vives couleurs, gazouillent sur les bran- 
ches des arbl'es les plus rapproches, tandis qu'un gros 
chat, couche au soleil sur le rebord exterieur d'une 
fenfetre^ jouit de Texistence a sa manifere. Plus loin, 
une grosse Margot, aux bras rouges, trait line vache^ 
qui, de son regard impassible, la regarde faire. En 
voila plus qu'il n'en faut pour interesser un petit au- 
ditoire. Voici une partie des petits entretiens que nous 
ecririons au bas d*une pareille gravure : 



Cette paysanne s'appelle N. — C'est elle qui nous apporte chaque 
semaine du lait et des oeufs. — Elle a une robe gros bleu. — Son 
bonnet blanc est bien propre. — Comme elle sourit eA donnant k man- 
ger h ses poules. — J'aimerais a toe h sa place. — Les poules sont 
bien gentilles, mais le coq me ferait un peu peur. — Sa cr^te est si 
rouge, et il bat si fort des ailes. 

II. 

Voil^ un petit gan^on bien heureux. — II fouette sa toupie. — II a de 
beaux cheveux boucles. — Sa blouse est verte, et sa ceinture est noire. 
— II sort de I'ecole, et a bien appris sa lecon. — Quand im enfant est 
sage, il a plus de plaisir a jouer. — Le petit garcon tient danssa main 
une belle pomme rouge. — Sa maman la lui a donnee pour sa bonne 
oonduite. 



CHAPITRE DEUXifcME. 



33 



III. 

Le toit de cette maison est rouge. — II y a sur le toit des pigeons 
blancs. — Us regardent la paysanne qui donne du grain k ses ponies. 

— Us voudraient bien en prendre leur part. — Mais ils craignent le 
fouet du petit garcon. — D'autres oiseaux gazouillent sur les arbres. 

— Celui-ci est un chardonneret ; eelui-la un serin. — Plus haut est 
un pinson ; de I'autre c6t6, je vois un merle au bee jaune. — Gros 
chat gris, tu ne les mangeras pas. 

IV. 

La gentille petite fiUe. — Comme ses joues roses sont frafches ! — 
Cest un grand plaisir de jouer avec du sable. — La maman a donn6 a 
sa petite fiUe une robe rouge. — Un grand chapeau de paille protege 
Venfmt contre le soleil. — Voil^ le papa qui revient de la campagne. 
-^ 11 embrassera bien fort le petit garcon et la petite fiUe. — U a un 
panier a la main. — Dans ce panier, il y a de beaux fruits, des pom- 
mes, des poires, des raisins blancs et noirs. 

Get exercice precede la lecture; Tenfant ne lit 
done point ce qui est ecrit au bas de I'image colo- 
rize; 11 Tapprend par les oreilles, en rZpetant chaque 
phrase prononc6e par le mattre, et par les yeux , en 
fixant ses regards sur la partie de lagravure a laquelle 
elle se rapporte. A la suite de chaque petite conver- 
sation vient un questionnaire^ par lequel on s'assure 
que I'enfant a bien saisi et reterni ce qui pr6c6de, et 
qui ajoutelui-mSme de nouvelles connaissances k celles 
qui resultent du dialogue lui-meme 11 doit 6tre egale- 
mentaccompagnZ d'une traduction. Envoici le modele 
pour la premiere partie des petits entretiens ci-dessus . 

QUESTIONNAIRE. 
Qu'est-ce que cette femme nous apporte chaque semaine? — De 



Moyen 
attrayant 

pour 
ensei^er 
le francais 
aux petits 

enrants. 



34 PREAllEHE PARTIE. 



quelle couleur est sa robe ? — Et son bonnet ? — Que fiait-elle en 

auravant d^^"*^'^* ^^ g'^^un a ses poules ? — Qu*aimerais-tu bien ? — Comment 

pour trouves-ta les poules ? — Et le coq ? — Qu*a-t-il de rouge sur la t^e ? 

^t^^ — I>c quoi bat-il si vivement ? 
a«\petits 

enfants. Qe petit moyeii, a laporiee de renfance, nous a ete 
indiqu6 en Pologne. Nous en avons fait, le premier essai 
avec un petit garcon de quatre ans. Deux mois apr^s 
avoir commence le franqais, il le comprenait et par- 
lait d'une manifere vraiment etonnante. Si les gravures 
n'^taient pas colorizes, le procede perdrait beaucoup 
db son prix; il faut m6me de fortes couleurs qui cap- 
tivent I'attention des petits eleves. Leur curiosity est 
tellement piquee , qu'il suffit de leur faire entrcToir 
un coin des gravures qui suivtent celle qu'ils out sous 
les yeux, pour qu'ils se hS,tent d'etudier celle-ci afin 
de voir les autres plus t6t. 

Une petite publication de ce genre serait fort utile 
a I'enfance, pour la premiere etude des langues, mor- 
tes ou vivantes. Les memes gravures pourraient servir 
pour plusieurs; il n'y aurait que le texte etranger a 
changer. Un magistrat polonais , habitant Varsovie , 
avait enseign^y par ce moyen , plus de latin au fils de 
son portier que Ton n'en apprend, en trois fois plus de 
temps, par Tancienne methode. La le^on se donnant 
dans la loge , le p^re et la mere en avaient presque 
autant appris que leur fils. Cela rappelle ce que ra- 
conte Montaigne. 



III. 

I4i lef^on de conTeraatloii. 

A Tetranger, on entend souvent des institutaurs , 
mattres de laogues dans des families pu dans des eta* 
blissements publics , s'ecrier : « Ah ! quel ennui d'etre 
« oblige de faire la conversation avec ces enfante ! II 
« faut leur arracher les paroles de la bouche ; et, soi* 
<c mfeme, on se decroche la m&choire, a force de 
a boiler. » Quicoiique a enseigne en pays etrangers 
ne sait que trop ce qu'il y a de douloureusement vrai 
dans ces exclamations arrachees par I'ennui et le du- 
gout. Quand un maitre remplitun devoir fastidieux et 
a peu pr^s ingrat, sa t^che court grand risque d'etre 
tant spit peu negligee. Mais souvent la faute en est a la 
mani^e dcmt il s'eu acquitte. Si, au lieu de conversa- 
tions banales et roulant presque uniformement sur des 
sujets d'une extreme vulgarite, on a recours au ^loyen 
que nous allons proposer, on obtient des r^sultats fort 
satisfaisaote, sans ennui, sans colere, sans maledic- 
tions a I'adjresae Am metier que I'oa a le ma}heur 
d'exercer. Nos logons de con\^0rsalion pu de langage 
^m^fie conviennent surtout aux classes, aux reunions 
de famille ou de jeunes amis du mSme age. Les enfants 
aiment les contes, les historiettes a la portee de leur 
intelligence. Utilisons ce gotit de nos jeunes el^ves, 



36 PREMIERE PARTIE. 

""JJj ~ et nos chagrins d'instituteurs se changeront en jouis- 
«*« sances. Avons-nous, par exemple, six, dix, vingt, voire 
tion. m^ine trente enfants qui ne parlent point encore le 
francais , nous les disposons les uns a c6t6 des autres, 
sur un ou sur plusieurs bancs. Nous leur faisons met- 
tre les bras derri^re le dos : cela d^gage la poitrine 
et dispense de surveiller toutes ces petites mains. Ces 
dispositions prises, nous commandons que I'on fasse 
silence, et pronon^ons, a haute et intelligible voix, 
sans nous presser, et en detachant bien les mots les 
uns des autres, le titre de Thistoriette que nous allons 
raconter ensemble. Ce sera, si Ton .veut , celle-ci : 

fJermitage du petit Bernardin, 

Mais r6p6ter trois ou quatre mots qui viennent d'etre 
prononc^s dans une langue etrang^re, c'est plus que 
ne peuvent faire des enfants qui entendent , presque 
pour la premiere fois, cette langue. Au lieu done de 
prononcer le titre ci-dessus d'une seule haleine, ie 
mattre dit d'abord : Vermitage, . . , et toute I'enfantiae 
assistance r6pfete avec ensemble : Verrnitage,.. 

Le mattre dit ensuite : . . . . du petit, . . 
La classe r6pMe apres lui : . . du petit, . . 

Enfin le maitre dit : Bemardin, 

La classe r6pfete encore : . . . Bernardin. 

€ela fait , le maitre traduit le tout dans la langue de 
ses elfeves. Plus tard, quand ceux-ci auront fait quel- 



CHAPITRE TROISlfeME. 3T 

ques progrcB, les plus avances d'entre eux ferofit la ]^^ 
traduction a tour de r61e. Plus tard encok'e, ce sera le ^^ 

' con versa - 

premier el^ve venu, designe par le maitre, ^ob. 

Une fois le sens des mots prononces bien clair pour 
tout le monde, on fait lever un eleve , qui repfete : 
Vermitage du petit Bernardin, Un autre en fait autant, 
puis un troisi^me, puis un quatri^me, etc., etc., jus- 
qu'a ce que tons aient prononc6 ces mots. Le mattre 
a soin de faire ajouter de temps a autre la traduction, 
pour s'assurer que les eleves comprennent bien ce 
qu'ils disent. Au fur et a mesure que Ton r6p6te la 
phrase, il corrige les fautes ^intonation et de pronon- 
ciation, Dans les commencements, il doit proc6der 
avec lenteur et circonspection, exiger pen mais bien, 
et tendre Toreille, afin qu'aucune nuance 6trangere ne 
lui ^chappe. L'observation meticuleuse de ces recom- 
mandations diverges est un gage de succfes pour Ta- 
venir. 

Les morceaux du style le plus simple, leplus en- 
fantin m^me, ne peuvent servir a la Lecon de conver- 
sation^ sans fetre retouches et appropri6s a cet exercice. 
Les pensees abstraites doivent fetre supprim^es , les 
trop longs details elagues, et les phrases raccourbies 
autant que possible, de maniere a ce que le conte ou 
rhistoriette soient reduits a une esp^ce de canevas, 
d'argument. Voici, par exemple, a c6t6 du texte , la 
reduction que nous ferions subir a Thistoire dont 
nous avons donn6 ci-dessus le titre deja simplifie. Les 
points indiquent les coupes et repos que reclame Tin- 
experience de Tenfant, dont Toreille novice ne pent 



88 PRBMI£R£ PARTIE. 

saisir et retenir k la fois cpi'un nombre trta-restreint 



La le^n 

<)e de mots et de sons. 

convena- 
tion. 

TtXTB PBIMITIF. 



hermitage 
de Bemardin de Saint-Pierre. 

BernardiD de Saint-Pierre passa son en- 
ftmee au Havre-de-Gr4ce, dans la maison 
paternelle, eleve par une vieille bonne, 
qui Tentretenait souventdes histoires mer- 
veilleuses de la vie des saints. Un jonr 
qu'il oheminait a I'ecole, son petit panier 
a la main, il lui vin,t la pensee de se faire 
etmite et d*imiter les saints anachoretes 
dont on lai avait raconte la vie, 



Pour executer ce beau projet, il change 
de chemin, et tourne ses pas vers les por- 
tes de la ville. Apres avoir marche quelque 
temps, il trouve un joli bosquet, dont les 
arbres reposaient la vue par une douce 
verdure, et embaumaient lee airs par les 
parfums les plus suaves ; ce lieu lui paralt 
an d^rt convenable. 



Instatle dans oette solitude, a une ou 
deux portees de fusil des vanites humai- 
ate, il commence la penitence par dejeu- 
ner, «B 86 prameltaDt bien de jeikner U 
lendemain. Apres avoir bien mange , 
66mme il refermait le t>etit patiier vide, 
il aper^t sa balle, la prit, et la rogarda 
d*an air pensif. 



TBXtk BfoUIT. 

L'ermitage... du petit... 
Bemardin. 

Le petit Bernardin... fut 
eieve... par une vieille 
bonne... SUe lui racontait... 
souvent. . . la vie des saints^ . . 
Un jour... il allait... k Te- 
cole,... son petit panier... a 
la main... II lui vint... la 
pensee... de se faire... er- 
mite. 



Aussitdt... il change... de 
chemin... II tontne... ses 
paSt.. vers la porte... de la 
ville... II trouve... bient6t... 
un joli... bosquet... Ce 
lieu... lui parait.. an de- 
sert... convenable. 



JBemardin.., s'installa... 
dans cette... solitude.... // 
oommeni^... sa penitence... 
par dejeuner.... Apri$ a- 
voir... bien mange,*., il re- 
ferme... le petit... panier 
vide... . iliorx. .. il aper^i. . . 
sa balle.... II la prend... et 
la regarde... d*un air... pen- 
sif. 



CHAPITRE TROISlfiME. 



39 



TBXTB PRIMITIF. 

II i\Mi indigne d'un senritear de Dieu 
de se livrer a un divertisaement aussi pro- 
fane. Beraardin le lentait bien; aussi, 
aprw aToir fait santer cette balle d'une 
main dans Taaftre poor la dernlere fois, il 
la jata aveo dedain, sans oapendant la per- 
d^ de vua ; et, quand elle ae fut arretee, 
par «n moaveoMat d'habitude dont il ne 
fut pas le maitre, il ooumt la chercber. 



eonfiis de sa faibleise , 11 resoli^t 
de lure one bonne oeuvre avec cette mepoe 
balle qui Ini avait fait commet).i:e une 
ianie, et, voyaat passer un petit gar^n 
qui a*etait pas encore d6tache des biens 
de oe mande« 11 la lui donna, npn sans etre 
tente de lui proposer une partie. 



II rentra dans sa retraite, et se mit en 
priere. Le petit bosquet qui lui servait d'a- 
sile, n'etait separe d'un verger spacieux 
que par une bale au-dessus de laquelle se 
pendukit un abricotier cbarge de fruits ; 
Beraardin s'en apenjut, et tout en faisant 
sa priere, il tournalt de temps en temps 
un regard Yers Tarbre fruitier, qui sem- 
blait pla«}e dans cet endroit tout express 
pour eprouver m vertu. 



« Que de peines, se disait-il, que de »• 
« orifices pour faire son salut ! » Comme il 
acbevait ces mots, une brancbe de Tabri- 
coiier, courbee par le vent, vint, comme 



TEXTS aiouiT. 

Vn ermite... ne doit pas... 
jouer... a la balle.... JBer- 
nartUn.., le sentit biea... II 
fait sauter... cette biilk... 
d'une main... dans Tautre... 
pour la... derniere fois.... 
Alors,,. il la jette... avec de- 
dain.... Quand elle... s'est 
arretee,... il court... la cher- 
cber. 



Bfimardin,,, fut boQ- 
teux... de sa faiblesse.... II 
resolut... de faire... une 
bonne oeuvre... avec cette 
balle.... Un petit g^r^on... 
Vint a passer.... II la lui 
donna,... mais fut... sur le 
point... de lui proposer... 
une partie. 



// rentra... dans sa re- 
traite,... et se mit... en 
priere.... Le petit bosquet... 
touchait... k un verger...- 
Un abricotier... cbarg6 de 
fruits... se pencbait... au- 
dessus... de la baie.... fier^ 
nardin... le regardait... en 
faiu^nt... sa priere. 



«( Qu'il est difficile,... se 
^disait-il,... de faire... Bfm 
« salut !... » Common i&cbe- 
vait... ces mpts,....le vent... 



La le^on 

de 
conversa- 
tion. 



40 



PREMIERE PARTIE. 



La le^oii 

de 
conversa- 
tion. 



TBXTB PRIMITIF. 

d'elle-memey lui presenter deux fruits 
d*une couleur et d'une beaute irresistibles. 
L'enfant saisit la branche, puis la laissa 
echapper ; mais les deux abricots etaient 
restes dans sa main. 



II n'eut pas plus tot cede a la tentation, 
que sa conscience liii reproche sa faiblesse, 
et il ne regarde plus qu'avec confusion les 
fruits voles qui sont en son pouvoir. II 
desirerait de tout son coeur pouvoir les 
replacer sur Tarbre qui les portait ; mais 
que doit-il faire, maintenant qu'ils sont 
pour toujours s^pares de la branche? Les 
Jeter? mais ils seront perdus sans que per- 
Sonne en profite. Toute reflexion faite, au- 
^nt vaut les manger. Cependant sa faute 
restera-t-elle impunie? «Non, dit-il, et par 
« penitenc^e, je veux les manger a genoux. » 



A ces mots, il se prosterne, et mange les 
abricots le plus religieusement du monde; 
engllite il se leve avec serenite, satisfait 
d*avoir aussi bien repare ses torts. 

C'etait vers le milieu de la journee. Le 
soleil brillait de tout son eclat; un vent 
leger, qui venait de la mer, temperait la 
chaleur du jour; la nature fraiche et riante 
invitait a la promenade; Bernardin vonlut 
jouir de ce plaisir. N'etait-il pas bien juste 
qu'apres avoir eu Tesprit tendu toute la 
matinee par de graves meditations, iJ se 
permit enfin un innocent delassement? 



TEXTB r6dUIT. 

poussa vers lui... une bran- 
che... de I'abricotier.... Sur 
cette branche... il y avail... 
deux beaux... abricots.... 
V enfant.., saisit la bran- 
che,... puis l&laissa... echnp- 
per.... Mais... les deux abri- 
cots... etaient rest^... dans 
sa main. 



Notre ermite... se repro- 
che... aussitot . . sa faibles- 
se.... // regarde... avec hon- 
te... les fruits voles.... II de- 
sirerait... pouvoir... les re- 
mettre... sur rarbre.... 
Mais... c'est impossible.... 
S*il lesjette,... ils seronU. 
perdus..... Aprestout,...au- 
tant vaut... les manger.... 
Mais,... par penitence,... il 
veut... les manger... a ge- 
noux. 



II se prosteme,... et man- 
ge... les abricots... avec re- 
cueillement.... Pais... il se 
releve,... satisfait... d*avoir 
aussi bien... repare... sa 
faute.... // etait midi.... Le 
soleil... brillait.... Un vent 
frais... soufflait... de la 
mer.... Tout... invitait... a 
la promenade.... Bernar- 
din... voulut jouir... de ce 
plaisir.... Apres... la medi- 
tation,... un tour... de pro- 
menade... n'est que justice. 



CHAPITRE TROISlfiME. 



4f 



\ 



TBXTB PRIMITIF. 

Le. voila done parti, tantot grave comme 
iin philosophe, Un\6i gai comme uu en- 
fant, Renc€i|itra^it-il una persoone de la 
^ille , il raleutissait le pas, et se donaait 
nun air leflechi ; voyait-il voler uo papil- 
lon , adieu la cootrainte et la gravite I II 
courait apres cette proie legere, qui faisait 
l)riller a ses yeux les couleurs de Teme* 
xaude et du saphir- Eofia il se reposa sur 
le ga2on et s'endoripit. 



Apres deux heures de sommeil,il ouvrit 
lesyeux : la faim le saisit au reveil. Le 
petit panier efait vide , mais Bernardin 
D'etait point inquiet; il etait persuade que, 
d-un moment a Tautre, un ange, comme 
a filie, 9U un corbtou, comme a saint 
Paul, viendrait lui apporter les secours 
dont il avait besoin. Il etait dejanuit, et 
le messager celeste n'etait ps^ encore ar- 
rive. 



Le solitaire n'etait pas dispose a s^ oou- 
cher sans souper ; son esprit ne savait a 
quel parti s^arreter, quand parut sa bonne, 
pour le tirer d'embarras. « Comment! 
"Monsieur, ■ lui dit-elle, t^chant de ca- 
cber la' joie qu*elle eprouvait en le re- 
voyant, « comment I vous d^rtez I'ecole 
« pour co.urir les champs, sans vous met- 
« ire en peine de Tinquietude que vous 
»donnez a vos parents, et, tandis qu'on 
• vous pleure la-bas, vous voila tranquille, 
<« oonune si vous aviez fait merveille ! » 



TEXTS R^DDIT. 

le voila... done parti.... 
Notre ermite... etait... tan- 
tot grave,. •• tantdt gai.... // 
rencontra... plusieurs per- 
sonnes... de la ville.... 
Alors,.. il se donna... un 
air... reflechi....' Bientdt a- 
pres... ii vit voler... un pa- 
pillon.... Adieu... la gravi- 
te.... // courut... apres... ce 
bel insecte.... Enfin... ii se 
reposa.... surlegazon,... et 
s*endormit. 



//dormit...deux heures,.., 
puis s'eveilla.... Jl avait... 
faim.... Le petit panier... du 
matin... etait vide.... Mais 
Bernardin... n'etait point... 
inquiet.... //etait... persua- 
de.,, que Dieu... ferait... un 
miracle... pourlenourrir.... 
La nuit vint,... et pas de 
miracle. 



Le solitaire... n'etait pas... 
dispose... a se coucher... 
sans souper.... Mais... il e- 
tait... un peu... indecis.... 
Tout CL coup... sa bonne... 
parut. ... « Comment ! Mon - 
« sieur,... lui dit-elle, vous 
« n'etes pas... a I'ecole .^.., 
<c y(m5 CO urez... les champs !.. . 
ft Vos parents... sont in- 
« quiets.... On vous pleure... 
aa la maison.... Et vous 
« voila... tranquille,... com- 
« me si... vous aviez... fait 
« merveille I » 



La lecon 

de 
conversa- 
tion. 



42 



PREMIERE PARTIE. 



Lale^on 



TEXTK FBIMITIF. 

« N^ayons-aous pat la ensemble, re- 
« pond Bernardin , dans ee groe livre oq 
^c 0008 lifiooa tons leg soin, que leg vraia 
« ebietieiM qnittaieat toat poor senrirDiea 
« dans UD d^rtr Eh bien 1 j'ai feit eomme 
» eax : je snis ennite. » — « Taises-Toiis, 
« MonsiaDr..., venes vite avec moi rasso- 
• rer votre pere, qui vous cherche, et vo- 
«■ tre paavre mere, qui «e desole depuis 
« deux heares. Oo va vous servir a sou- 
» per, et, si vous recommencez a vous 
« faire ermite, on vousdoonera le fouet. » 



TEXTE RfiDUIT. 

Bemardim repondit : ... 
« Let yrais ehiitieiis... quit- 
taient toot... poor servir 
Dieo,... AiMif avonslo oela... 
ensemble.... Bk Henl.,, j*ai 
fait... eomme eox.... Je sois 
ermite. » — «Tai8eB-yoa8,... 
Monsieur... Venez vite... 
avee moi.... Voire pere... 
vous chercbe.... Votre pao- 
vre mere... se d^le... de- 
puis deux heures... On va... 
vous servir.... a souper.... 
Si vous recommencez... a 
vous faire ermite,... on vous 
donnera... le fouet. » 



Voila line petite histoire qui nou$ fournit la matiftre 
de treize lemons ou Tattention de nos petits 6l6ves est 
vivement piquee. La pratique de cet exercice nous a 
constamment procure des r^sultats tr^s-satisfaisants : 
aussi le recommandons-nous instamment aux person- 
nes qui s'occupent de I'instruction de la jeunesse. 
Une seule de ees petites lecons sera, a coup sftr, plus 
profitable qu'une semaine de ce fastidieux enseigne- 
ment qui s'op^re a grand renfort de grammaires in- 
comprises. Au commencement de chaque lei^n, il 
faut avoir soin d'avertir les 6l6ves qu'on s'assurera 
de I'attention qu'ils y auront apport^e, en leur deman- 
dant le sens des motscontenus dans les phrases appri- 
ses. A cet effet, on ecrit sur le tableau noir, Je plus 
pr6cieux et le plus indispensable meuble d'une classe 
apres les tables, on ecrit, disons-nous, les mots de 



CHAPITRE TROISIEME. 



43 



chaque exercice. Pour decevoir la nonchalance de cer- 
tains paresseux, a qui le sens general des phrases indi- 
querait a pen pres celui des mots composants, si ceux- 
ci se trouvaient au tableau dans I'ordre ou chaque 
phrase les presente , on en intervertit la place a des- 
sein. Pour la premiere leqon ci-dessus, par exemple, 
nous inscrirons les mots comme il suit : 



Lalecon 

de 

convei'sa- 

tion. 



une vi^le/emme. 


lapens4e. 


a lui Vint 


drScole. 


U allait. 


lepanier. 


futHev^. 


sefaire. 


un jour. 


HlMtC, 


la vie des Mnts. 




eUe lui racontait. 


d la main. 





La le^on terminee, on fait avancer au tableau tons 
les 61feves , les uns apres les autres , en commen^ant 
par les moins attentifs. Le maitre prononce alors cha- 
que mot francais a ceux qui ne savent pas encore lire; 
ils doivent dire sans hesitation le mot etranger cor- 
respondant. Les eleves qui savent lire lisent eux- 
mSmes les mots inscrits au tableau , et en donnent a 
Finstant la traduction. 

La lepon de conversation ou de langage pratique ^ 
qui commence dfes avant la lecture, doit se pratiquer, 
a raison de deux ou trois seances par semaine , jus- 
qu'a ce que les eleves soient assez avances dans la lan- 
gue pour raconter eux-mSmes soit une anecdote, soit 
un fait historique , qu'ils ont lus en francais ou dans 
leur langue matemelle. 



IV. 



De Ia lecti 



Deux manieres d'enseigner la lecture d'une langue 
se presentent a Tinstituteur. I/une, assez frequem- 
ment suivie, est de mettre entre les mains de Telfeve 
le premier ouvrage venu, et de le faire debuter par la 
lecture elle-mSme une fois qu'il connait les lettres de 
Talphabet. Cette methode, nous ne saurions la desap- 
prouver totalement, I'ayant pratiquee nous-m^me 
avec quelque succes; mais nous croyons que, pour 
porter tous ses fruits, elle demande d'excellents ele- 
ves, dont la memoire retienne facilement toutes les 
combinaisons de lettres qu'ils rencontrent ca et la dans 
le cours de la lecture ; malgre cela, il leur en echappe 
immanquablement un grand nombre, puisque leur 
livre, quel qu'il soit, n'a point ete compose pour le 
but auquel on le fait servir accidentellement. 

La seconde maniere , a laquelle on donne g6nerale- 
ment la preference, c'est de faire usage d'un ouvrage 
special, qui presente graduellement les principales ar- 
ticulations de la langue, en un mot, d'une Methode 
de lecture, 

« Les personnes, ditle Manuel des aspirantes aux 



CHAPITRE QUATRlftME. 45 

c< breifets de capacite * , les personnes qui savent lire 

«c et qui out oubli^ les tribulations dont cette etude a la lecture. 

« 6t6 entouree pour elles dans les premieres annees 

« de leur enfance, peuvent r6p6ter que rien n'est plus 

« facile que la lecture ; il n'en restera pas moins cer- 

« tain, pour les institutrices, que Tart d'enseigner a 

« lire est encore ce qu'il y a de plus difficile et de 

« plus complique dans leur modeste mais utile profes* 

a sion. Aussi doiton payer un juste tribut d'elogesme- 

c( rites aux hommes habiles qui n'ont pas craint de 

« consacrer leurs meditations a simplifier Tenseigne- 

« ment de la lecture et a la mettre a la portee des 

« plus faibles intelligences. 

« Autrefois on enseignait aux enfants la valeur de 
« cbaque lettre de Talphabet, puis on faisait combiner 
« ces lettres pour en former les syliabes, ensuite on 
« assemblait les syliabes, et plus tard on lisait cou- 
« ramment. . . 

« Telle est en pen de mots Vancienne methode (Te^ 
^pellalion^ methode abandonnee aujourd'hui par tons 
(( les instituteurs eclaires... 

a La methode sans epellation repose sur le principe 
« que, dans la lecture, les veritables elements des 
« mots sont les syliabes ; partant de ce principe , elle 
« fait lire les syliabes sans chercher a les decompo- 
« ser... 

« La methode de lecture sans epellation consiste 

' Manuel des aspirantes au brevet de capacUe pour V instruction primaire 
ft aux dipldmes de mattresses de pension et d* institution , etc., etc., par phi- 
sieurs membres de FUniversite. Paris, Hachette, 1836. 



^6 FKEMIEBK PAKTIE. 

« done a presenter d'abord les syllabes les pluA aim- 

la lecture. « ples, a Bu former des mots, a offirir ensuite les syl- 
« labes les plus compliqu^es, puis enfin les syllabes 
« difficiles soil par le nombre des lettres qui s'y trou- 
« vent, soit par le nombre des lettres qui ne se pro- 
« nonoent pas, soit enfin par les alterations que INi- 
« sage a fait subir a la prononciation de certaines 
« lettres dans quelques syllabes. 

a Cette methode, dont les heureux resultats ont ^te 
« constates par une foule d'experiences faites dans 
(c I'enseignement public et individuel , nous parsdt la 
« plus simple et la plus logique... » 

Notre opinion sur la veritable mani^re d'enseigner 
la lecture etait depuis longtemps arr^tee d'une ma- 
nidre bien definitive, lorsque nous avons eu connais- 
sance du livre dont nous venous de donner un extrait: 
nous avons ete heureux de la voir confirmee par un 
ouvrage faisant autorite dans la mati^re. Parce qu'on 
a appris une chose d'une mani^re defectueuse, ce n'est 
pas une raison pour s'ent^ter a Tenseigner en depit 
du progr^s des methodes. Le mieux en aucun genre 
n'est a dedaigner, et nous sommes bien dispose a c^oire 
que les gens qui s'obstinent a anonner et a faire inon- 
ner en lecture ont, sur les autres parties de Tensei- 
gnement des langues, des idees tout aussi arrierees. 

Dans I'etude d'une langue etrang^re, tout doit ten- 
dre aubut que Ton se propose, et la lecture elle-meme 
offre le moyen de faire quelques acquisitions de ma- 
teriel qui seront les bienvenues plus tard. Si, par 
exemple, les mots qui , dans une methode de lecture , 



CHAPITRK QUATRlfeME. 47 

servent d'^xercices, sont accompagnes des mots cor- 

respondants dans la langue de I'eleve, et si les petites la te<iture. 
lectures qui doivent suiyre et servir d'application sont 
aussi aceompagnees d'une traduction , il est Evident 
que le profit sera double pour notre disciple. La lec- 
ture en ira mieux, puisqu'elle aura un sens pour ce 
dernier, et celui-ci, apprenant chaque jour^ pour ainsi 
dire k son insu , quelque chose de la langue qu'il se 
prepare a etudier, verra ses efforts recompenses pdr 
des succes obtenus sans aucune peine sensible. 

La pratique de la lecture a haute voix est un com- 
plement obligatoire de Tenseignement d'une langue a 
tons les degres. Bien lire est un art difficile^ et qui 
demande un travail continuel et intelligent. On n'y 
parvient guftre qu'a un alge ou T^tude 6lementaire des 
langues a cess6 depuis longtemps. Aussi ne nous oc- 
ciq)on8-nou8 ici que de la lecture faite sous la surveil- 
lance du mattre, et ne pr6senterons plus que deux 
observations que nous a foumies notre assez longue 
experience de Tenseignement. 

Nous avons souvent remarqu6 qu'il n'est point pro- 
fitable > pour Televe etragiger qui fait une lecture a 
haute voix , que le maitre suive cette lecture sur le 
livre. II lui echappe bien des inexactitudes de toute 
sorte, qu'il remarquerait infailliblement s'il n'avait 
point les yeux sur le texte qu'il ecoute lire. Dans ce 
cas la vue fait tort a Touie, en completant les percep- . 
tions inachevees de ce dernier sens. 

Le principal ou du moins le persistant defaut de la 
lecture des eleves etrangers, c'est la non -observation 



48 PREMIERE PARTIE. 

^^ des repos, indiques par les divers signes de la ponc- 
la lecture. tuatioQ. Nous 611 avons mgme rencontre , et en assez 
grand nombre, pour qui les observations les plus bien- 
veillantes etaient completement inutiles. Aux petits 
maux les petits rem^des. Nous avons imagine, pour 
cette circonstance, un moyen dont nous nous sommes 
assez bien trouve : c'est d'obliger I'elfeve recalcitrant a 
nommer tous les signes de ponctuation qiiil rencontre 
dans le cours de la lecture. Nous faisons, par exem- 
ple, lire ainsi les lignes suivantes ; 

LA SOUBIS BLANCHE [poiot]. 

— D*ou viens-tu [virgule], enfant [point d^interrogation ] ? 
*- De I'Auvergne [virgule], monsieur [point]. 

— Que portes-tu dans cette bofte [virgule], que tu d^fendais tout 
a rheure si bravement [point d'interrogation] ? 

— H^las [point d'exclamation] ! monsieur [virgule], c'est ma 
pauvre petite souris blanche [virgule], que ces m6chant8 petits gar^ 
coos voulaient me prendre [points suspensifs] 

etc. etc. etc. 

Vingt lignes d'une pareille lecture sont un calmant 
plus efficace que vingt morceaux de pain sec , vingt 
oreilles tirees, vingt maledictions energiques adressees 
in petto on autrement a ce vilain metier. 

Nous recommandons done, d*unemaniere toutespe- 
ciale, notre petit moyen. Probatum est. 

Une recommandation encore : c'est de faire prepa- 
* rer leurs lectures aux eleves. On s'en trouvera bien. 



lie r^cHtiire. 

On a sottvent piv^tendu que le caractftre individuel se 
reflate dans T^criture, et qu'il est possible de trouver 
des indices moraux d'une eertaine probabilite dans la 
mani^re dont nous tra^ons nos lettres , fines ou '^pais- 
ses, espac^es ou serr^es, larges ou ^troites, forinant 
avec la ligne un angle plus ou moins ouvert, etc., etc. 
Nous aussi, nous croyons qu'il n'y a pas au monde 
deux hommes qui fassent la mdme chose d'une ma- 
ni^re absolument identique. Mais cette question n'est 
point de notre ressort, et nous ne la mentionnons qak 
cause de Tanalogie qu'elle presente avec Topinion que 
nous allons 6mettre. 

L'6criture de tout peuple qui posskle un type de 
caract^re particulier, comme les AUemands et les 
Russes, a quelque chose d'^minemment national. Ce 
cachet distinctif , il est tr^s-difficile, sinon impossible, 
aux etrangers de le saisir et de le reproduire sans al- 
teration aucune. 

La langue francaise se sert dans Tecriture du carac- 
t^pe latin, qui lui est commun avec plusieurs autres 
langues, I'anglais, Titalien, le hollandais, Tespagnol, 
le portugais, le flamand, le polonais, etc., etc. Mais, 
quoique ce caractfere latin ne soit pas aussi tourmente, 



50 PRKMIKHE PARTIE. 

~ aussi crochu, aussi anguleux, aussi cornu, multipede, 
I'ecriture. que Ic caractcre gothique-allemand, et surtout que le 
caractere slavo-greco-russe, nous inclinons fortement 
a croire, sans toutefois pouvoir en fournir aucune 
preuve concluante, que chacune des langues designees 
ci-dessus, tout en employant les mfemes caracteres que 
les autres, a dans I'ecriture quelque chose d'essen- 
tiellement autochthone, si nous pouvons nous exprimer 
de la sorte. 

Nous croyons.done qu'un maitre de langue qui 
s'occupe de Tecriture de ses eleves, et qui, pour le 
franqais en particulier, ne leur permet point d*em- 
ployer certaines formes heteroclites de lettrea, de 
gnillemets, d'accents, de parentheses^ certains usages 
que nou$ ne r^^onnaissons pas, celui , par exemple, 
de supprimer un m dans les mots qui en ont deux de 
duite, et d'indiquer cette suppression par un trait pra- 
tique sur le A/i restant (con&tainent ); nous croyons 
fermement que ce maitre a moins perdu de sa natio- 
nalite, qu'il est reste plus Francais que tel autre, qui 
passe sur c(&s soi-disant bagatelles. La perfection est 
dans lesi. details. Un usage eti*anger, introduit dans la 
langue ecrite, nous choque tout autant qu'une intona- 
tion etrang^re dans la langue parlee. 

Bien que dans un maitre de langue parfait il y ait 
un pen de tout, voire mSme du maitre d'ecriture, 
notre intention n'est pas le moins du monde de faire 
intervenir celui- ci dans Tenseignement du premier : 
les calli'graphes ne sont pas des ortho-graphes. 



VI. 

lie llwre da premier l^e. 

Les progr^s uUerieurs des 61eve8 arrives au point 
ou nous en Bommes, dependent en grtode partie du 
choix des livres que Ton met entre leurs mains. C'est 
surtout a leur memoire que Ton doit maintenant s'a- 
dresser; mais que de precautions ne fautril pas em- 
ployer pour ne point faire succeder un degoiit insur- 
montable k la juvenile ardeur qui les animait peut-fetre, 
au debut d'une ^tude assez pen attrayante en soi^ 
m6me! 

AcquSrir d'abord une partie suffisante du materiel 
dela laiigue que Ton veut poss^der, c'est-lnlire des 
mots de toutes les classes grammaticales, telle est, 
nous le croyons, la marche que prescrivent la nature 
et le bon sens. La memoire des enfants , comme leur 
estomac, est trfes-complaisante; cependant il ne faut 
surcharger ni Tun ni Tautre. Une dizaine de mots, 
substantifs, adjectifs, pronoms, verbes, adverbes, 
prepositions , conjonctions et interjections , appris 
chaquejour, ou mfeme seulement de deux jours Tun, 
leur fourniront en pen de temps un petit butin philo- 
logique, qui leur sera plus tard d'une grande utilite. 
Cette etude des mots doit commencer aussitOt que les 
enfants peuvent lire sans trop de peine. D'ailleurs, en 



52 PREMIERE PARTIE. 

preparant ces mots avec eux , on peut m6me se dis- 

du premLr penscF d*attendre qu'ils aient mis de c&te leur abece- 
^^^' daire. On aura soin de leur faire envisager cette tran- 
sition comme une preuve de confiance particuli^re en 
leur application; leur petit amour-propre sera agrea- 
blement chatouille, et leur t^che allegee d'autant. 

Des mots simples on passe aux phrases, simples 
aussi et sans aucun appr^t. Mais, 6 instituteurs et ins- 
titutrices , gardez-vous de mettre entre les mains de 
vos el^ves ces volumineux et soporifiques dialogues ^ 
qui ne leur apprennent rien et les degoAtent d^s les 
premiers essais qu'ils font d'une langue etrang^re. Ne 
les affligez pas de la vue de ces compilations indi- 
gestes, dont le bon marche est par trop souvent un 
leurre qui rend dupes les personnes les mieux inten- 
tionnees. Composez-leur plut&t vous-m6mes de petites 
phrases a la portee de leur intelligence ; faites mieux : 
feignez de les associer a ces petits travaux. S'agit-il de 
leur apprendre les principaux temps des verbes, arri^re 
les grammaires ! Prenez un cahier , et 6crivez-y ensemble 
quelque chose debien enfantin, avec la traduction dans 
leur langue maternelle, ces phrases-ci, par exemple : 

J'ai une bonne mere. 
Tuas un livre d'images. 
// a un comet de bonbons. 
7Vot*5 avons deux grandes poup^es. 



CHAPITRE SIXifeME. 53 

yous avez soin de vos cahiers. 

JiC livre 

du premier 

lis ont conge aujourd'hui. age. 



Voila le present de tindicatij du verbe avoir appris, 
et, nous Tesperons, bien appris. 

Demain , ou a la prochaine seance , nous appren- 
drons, de la m^me manifere, Vimparfait, 

Una autre fois, ce sera le tour du futury puis du 
present du conditionnelj et enfin de Ximperatif, 

Notons en passant que, pour le moment, nous ne 
nousattaquons qu'aux principaux temps simples. 

Quand on a conjugue ces quelques temps dV/ro//- 
sous la forme affirmatii^e ^ on les reprend sous la 
forme negawe ; puis on les fait entrer dans des 
phrases interrogatwes . et on termine en combinant 
V interrogation avee la negation : 

Je n'ai point de petite soeur. 
Tu n'as pas a craindre la verge. 



etc, etc, 
Ai'je aujourd'hui mes petites amies ? 

AS'tu une aussi bonne mere que moi ? 

etc, etc, 
N'ai-je pas les meilleurs maitres? 

N'as-tn pas toutes sortes de joujonx ? 

etc, etc. 



54 PREMIERE PARTIE. 

u livre ^\H>ir cxpecUe de la sorte, on passe a ^tre 

du premier 



4ge. 



Je mis heureux de savoir ma le<^n. 

Tu es le meilleur ^leve de la classe. 

Ma soeur est une charmante camarade. 

Nous sommes en train de jouer. 

Vou9 4tes la joie de votre famille, 

Nos amies sent des modules de bonne ocMiduite. 



Je ne suis pas jaloux de mes amis, 

Tu n'es pas amateur de jeux bruyants. 

etc» etc. 
Vous suiS'je toujours n^cessaire? 

Pourquoi es-^tu \h a ne rien faire ? 

etc, etc. 
Ne vous suiS'je pas d^voue ? 

JS'es-tu pas de la famille ? 

etc^ etc, 

Les principaux temps simples du verbe ^tre etudies, 
nous arrivons aux quatre conjugaisons. 

Ce qu'il faut le plus soigneusement eviter dans Te- 
tude du verbe, c'est la routine. L'experience nous a 
prouve que savoir conjuguer^ en suivant Tordre gram- 



CHAPITRE SIXI^ME. 55 

matical des temps , et savoir Its verbesj dont deux ' 
choses absolument differentes. L*incorporation de ^ prtmier 
chaque personne du verbe dans une phrase ^ comme 
ci-dessuSy est le meilleur moyen pour echistpper a la 
routine. 

PREMIERE CONJUGAISON. 
AIBIER. 

faime mes parents de tout mon coeur. 

Tu aitnes h secourir les malheureux. 

Notre m^re aime ^galement tous ses enfants. . 

Notts aimons a bieu employer notre temps. 

f^ous aitnez les propos honnStes. 

Ces jeunes demoiselles aiment une bonne soci^te. 



Je n'aime pas les enfaEts menteurs. 
Tu n'aimu p(u les livres futiles. 

etc. etc. 

Est-ce que faime h ne rien faire ? 
Aimi'je k ne rien faire ? 

Aimes'tu a faire du bien ? 
Est-^gue tu aimes h faire du bien? 

etc, etc. 



56 PREMIERE PARTIE 

""^ ; EU-ce qmje n*aime pas h in'occuper ? 

du premier iV'aiwe;fe|>a* a m'occuper? 



Eit^e que H n'ahnes pas la lecture ? 
N'aimes'tu pas Ut lecture? 

etc, etc. 



DEUXI£ME CONJUGAISON. 

FntiR. 

Je finis a rinstant mon ouvrage. 

Tu finis quaud on te rordonne. 
Gelui qui commence bien finit bien. 
Nous finissons toujours a temps. 
f^ous finissez en mSme temps que moi, 
Ceux qui commencent hien finissent bien. 



Je ne finis pas trop tdt mon travail. 

Tu ne finis pas ce que tu entrepreuds. 

etc, etc, 
Bst-ce queje finis mal ce que je fats ? 
Finis-je mal ce que je fais ? 

Finis 'tu toujours a la mSme heure ? 

Est'Ce que tu finis toujours h la m^me heure ? 

etc. etc. 



GHilPITRE SIXI^ME. 57 

, Bst-ce que je ne finis pas tout de suite ? , ,. 

Ne finiS'Jepas tout de suite ? du premier 



Est-^e que tu ne finis pas ton ouvrage ? 
Ne flniS'tu pas ton ouvrage ? 

etc, etc. 



TROISI&ME CONJUGAISON. 
REGEVOIR. 

Je regois quelquefois des lettres. 

Tu regois une r^ompense m^rit6e. 
Ma m^re regoit du monde aujourd'hui. 
Ge que nous recevons est k nous. 
Quand vaus recevez im cadeau, remerciez. 
Ilsregoivent ce qu'ils m^ritent. 



Je ne regois pas de nouvelles de ma famille. 

Tu ne d^penses pas Targent que tu regois. 

^c, etc, 
Bst'Ce queje regois plus que je ne m^rite ? 

Hegois-Je plus que je ne m^rite ? 

RegoiS'tu exactement tes menus plaisirs ? 
Est-ceque tu regois exactement tes menus plaisirs ? 

etc, etc. 



58 PREMIERE PARTIE. 

; Esi'ce qiJis Je ne regoU pas hcMmdteineiit tout le tnonde ? 

lu mlMflSer ^^ regois-je pas honntftemttit tout le mond^ ? 



Est-ce que iu ne regois pas ee qu'il te faut ? 
Ne refois'tu pas ce fall te faut ? 

etc, etc. 



QUATRltME CONJUGAISON. 
RENDRE. 

Je rends a C^sar a^ qui appartient a C^r. 
Ce qui ne f appartient pas, tu le reno^^toujours. 
// rend justice a tout le monde. 
Nous rendons h Dieu ce qui appartient a Dieu. 
P^(yus rendez le livre qu'on vous a pr^t^. 
Les Chretiens rendent le bien pour le mal. 



Je ne rendspas ce que je n'ai pa8 re^u. 
Tu ne rendspas les armes a tout le mdnde. 

etc, etc, 
Est<e que je vous rends un mauvais service ? 

RendS'tu le salut de cettcr personne ? 
Est<e<(uetn rends le imlutde cette personne ? 

etc, etc. 



CHAPITRE SlXlfeME. 59 

Est'Ce queje ne lui rends pad tout son argent ? 

Le livre 

du premier 

Est-ce qftetunete rends pas k I^lise f ^. 

Ne te rends-tu pas h l*^1ise ? 



etc, etc, 

Chaque lecon doit Sire, seance tenante et aussit6t 
apres la recitation, ecrite sous la dictee. Le maitre dit 
chaque phrase dans la langue des elfeves; un de ceux- 
ci la r^pfete telle qu'ils I'ont apprise en francais , et 
tous la couchent par 6crit. 

Une fois que nous saurons imperturbablement les 
cinq principaux temps simples des verbes^ ce qui ne 
se fera point en un tour de main, nous mettrons notre 
petit savoir k T^preuve, au moyen de deux petits 
exercices. 

Le premier consistera a tirer des phrases appri^s 
les elements de phrases nouvelles, que Tenfant, s'il a 
bien appris et retenu ses petites lecons, devra com- 
prendre k Tinstant, et rendre sans h6siter dans sa 
langue maternelle : 

Les malheureux aiment ceux qui rendent 

Justioe a toot le monde. 
Led livres futiles ne rendent pas les aifants 

heureux. 
Tous les enfants sont-ils amateurs de pou- 

p^es? 
Ma soeur, n'aimes - tu pas quelquefois a 

ne rienfaire? 
Dieu nous ordonne de faire du bien a 

tout le monde. 



UO PREMIERE PARTIE. 

"""^ Nous sommes heureux d'avoir conge 

.^^''^ auiourd'hui. 

du premier awjwwunui. 

Age. Les enfants menteurs ne sont pas des 

modules de bonne conduite. 
Remerciez Dieu , qui vous donne une 
bonne m^re , la joie de sa fa- 
mille. 
Ne recevez - vous pas quelquefois le 
bien pourle mal? 

etc. etc. etc. 

Le second de nos petits exercices consistera egale- 
ment a prendre dans les phrases apprises des ele- 
ments de phrases nouvelles, mais que le maitre redi- 
" gera dans la langue des elfeves et leur donnera a 

traduire en fran^is , d'abord de vive voix, puis par 
ecrit. On pent faire executer les deux exercices simul- 
tanement : une phrase fran^ise d'abord, puis une 
phrase en langue etrangere, suivie d'une nouvelle 
phrase. fran^aise, etc., etc. 

Bien que nous n'ayons point de declinaisons pro- 
prement dites, puisque nos substantifs et adjectifs 
n'ont qu'une seule terminaison pour chaque nombre, 
notre langue n'en rend pas moins les divers rapports 
de ces mots dansle discours, ce qui constitue aussi des 
declinaisons. II sera done egalement tr^s-utile de faire 
quelques exercices de ce genre, au moyen de phrases 
analogues a celles que nous avons faites pour les 
verbes. 



CHAPITRE SIXliilME. 61 



DfiCLINAISONS. Le Uvre 

du premier 



Mots masculins. 
A. 
Le livre de mon frere est beau. 

Les gravures du livrede ma soeur soot fines. 

Je pense au livre que j^ veuxadieter. 

Lisez le charmant livre que je vous ai prSt^. 

• 

Cette Ustoire est tiree du livre que vous c<»maissez. 



Les livres sont utiles a tout le monde. 
La lecture des bons livres eleve Tesprit. 
Nous devons toute notre science aux livres, 
Aimez les livres qui vous instruisent. 
Toute notre instruction vient des livres. 



B. 
Venfant bien n^ cb^ric ses parents. 

La tendresse de Venfant r^ouit la mere. 



age. 



62 PREimtRE PARTIE. 

II faut a Venfant des soins continuels. 
Le livre 

du premier 

%. Respectez Venfant et son innocence. 



La bonne mere est toujours aim^ de V enfant. 



Le$ enfants doivent Itre ^lev^ avec tendresse. 
La bonne ^docation des enfants est un devoir. 
Nous devons 1« bon exemple aux enfants. 
Laissez v«nir ^ moi /^^petits enfants. 
Le bonhenr des parents depend tf0^ enfants. 



IL 
Mots fahninins. 
La mtre aime son enfant plus que tout an motod^. 
Le coeur de la m^e est un tr^or d'amour. 
C'est a la mire que I'enfant doit tout. 
Plaignons la mtre qui pleure son enfant. 
Quel enfant n'est aime de sa mere ? 



Les bonnes meres sent Fomementdes families? 



CHAPITRE SIXiftME. 63 

Le devouemeut des nitres est sans bornes. 

Le livre 
dii premier 
Tout importe aucc mires dans i'Mucation de leurs enfants. ^. 

Les enfants bien ^lev^s louent le$ mires. 

Cest des mires que provient notre bonheur a tous. 

Notre aversion pour les dialogues p&teux, insipides, 
ineorrects, comme ils sont assez gen^ralement , ne va 
point cependant jusqu'a proscrire tout ce qui existe en 
ce genre. Nous avons, au contraire, toujours accords 
quelque place dans notre enseignement el6mentaire a 
de petites conversations ecrites avec simplicite et bon 
sens; mais nous n'avons jamais oublie que ces entre- 
tiens familiers ne peuvent avoir d'autre but que d'i- 
nitier nos jeunes el^ves a la facture generale du Ian- 
gage. Nous croyons done qu'il faut user des dialogues 
avec une extreme sobriete. 

Nous voici a la derniere page de notre Iwre^ ou, si 
Ton veut, de notre cahier du premier dge, 11 con- 
tient, en elements, la base de tout ce que nos eleves 
peuvent savoir un jour de francais. Nous croyons 
mfeme, fort de notre experience de Tenseignement, 
pouvoir avancer que tout el^ve qui passerait outre, 
sans Tavoir consciencieusement etudie, ne serait ja- 
mais qu'un francisant des plus mediocres. 

Nous avons donne les declinaisons ci-dessus , et les 
fragments de conjugaisons qui les precedent, sans 
noms de temps ni de cas. Cette omission a, pour nous, 
sa raison d'etre. Le premier age ne comprendrait rien 



Le livre 
du 



64 PREMIERE PARTIE. 

k ces denominations; il est done inutile d en surchar 
premier ger sa memoire , puisque le temps n'est point encore 
venu de les lui expliquer. 

C'est sans la moindre intention que nous avons 
place tout a I'heure les conjugaisons avant les decli- 
naisons. La place des unes et des autres est sans im- 
portance. En grammaire, il n y a aucune esp^ce de 
priorite justifiable, bien qu'en disent les granmiai- 
riens, sautant, les uns apr^ les autres, a travers les 
^es, par-dessus un tas d'absurdites, veritables mou- 
tons de Panurge. 



VH. 



Exerclces et fframmalre. 



II y a longtemps d^ja que Ton^discute, en tous 
pays, sur le merite .des diverses m^thodes appliquees 
a renseignement des langues, vivantes ou mortes, et, 
tant que durera cet enseignement, c'est-a-dire jusqu'a 
la consommation de la civilisation actuelle, il y aura 
sur ce sujet des discussions vives, llpres, acrimonieu- 
ses, int^ressees. Celui-ci traite de sot quiconque ne le 
croit pas sur parole, lorsqu'il se fait fort de montrer 
en soixante lecons tous les idiomes imaginables. Ce- 
lui-la, fiddle a Lliomond et consorts jusqu'a extinction 
de chaleur naturelle, anathematise tout maitre qui 
veut faire un pas en avant et sortir de Torni^re an- 
tique. II est convaincu jusqu'au fanatisme, et soutient 
morcUcus (c'est son expression favorite) qu'une langue 
ne s'apprend bien qu'a grands coups de grammaire et 
de dictionnaire. Foin de la pratique! On rencontre 
m^me des gens qui vous prennent un livre , excellent 
du reste, le Tdlemaque de Fenelon, et, frappant sur 
ce livre, s'6crient : « Toute la langue fran^se est 
« ici; honni soit qui la cherche ailleurs! » Nous 
ne dirons rien de ceux qui vous deniontrent , par re 
plus /a, que le chant est I'unique moyen d'apprendre 
les langues, et font monter et descendre des gammes a 



Exercices 



grammaire. 



«0 PRKMIKRE PAKTIE. 

leurs eleves , que ceux-ci aient des oreilles d'ftne ou 
et de rossignol. Nous en passons, et des plus drolatiques. 

« Quel parti prendre d^s une si grande affaire? » 
dirait le grammairien Lemare. — Celui du bon sens, 
de la raison ; fuir les extremes , et tacher de trouver 
une petite voie naturelle, commode, a 6gale distance 
de celles que s*obstinent a suivre , bon gre mal gre, 
ceux qui se prennent aux cheveux a propos de letirs 
methodes incomprises : in medio tutissimus this. On 
voudra bien nous passer cette reminiscence du temps 
oil, rival de Virgile et Ovide, nous scandioiu les 
flancs escarpes du Parnasse latin, notre prosodie 
d'une main, de Tautre le Gradus ad Parnassum. 

Et nous aussi qui tracons ces lignes, si nous con- 
sultons notre conscience, nous dirons, le coeur contrit 
et repentant : 

« fed soui^etiance que, pendant de longues ann^, 
a grammairien fanatique, nous couvrions de notre plus 
« profond dedain tout livre qui etalait Tinsolente pr6- 
« tention d'enseigner le francais autrement que nous 
« avions appris le latin. » 

Je n'en avais nul droits puisqu'il faut purler net, 

Revenu a des idees plus saines , nous nous glori- 
fions d'avoir pris rang dans la phalange, tous les 
jours plus nombreuse et plus imposante, de ceux qui 
battent en brftche les vieux prejuges en mati^re d'en- 
seignement. Maintenant, Dieu merci, la lumiere com- 
mence a se faire; on enseigne de nos jours d'une ma- 
niere plus rationnelle , et , quoi qu'en disent les gens 



/ 



CHAPITRE SEPTIEME. 67 



attardes dans lea ancieanes voies, plus methodique ^ 

* * Exercices 

gue par le passS. Ge n'est point que les precedes per- et 



feetionnes soient une decouverte recente, Des esprits 
superieurs, Dumarsais entre autres, avaient depuis 
loix^mps indiqu^ la direction a suivre ; mais la rou- 
tiz^^^ I'antipathie des innovations, la nonchalance, 
etsuent venues se mettre en travers du progres et 
av"Si.ient reussi, sinon a Tetouffer, du moins a Tempfe- 
cli^^r de faire sentir sa bienfaisante influence. 

« Mais, nous dira-tron, est-ce d'aujourd'hui que Ton 
•* ^tudie et possede les langues? Pourquoi abandonner 
« ^j&ne methode dont on s'est bien trouve pendant 

* sai longtemps? » 

TNotre r^ponse est facile. Nous ne rompons point 

^"v*^ le passe, mais nous ne nous passionnons point 

^c>in plus pour aucun procede exclusif ; nous conser- 

"v^ons le passe, mais nous Tenrichissons des apports du 

Px*^sent : en un mot, nous sommes, comme toujours, 

PetiHisan de la grarnmaire, mais nous y ajoutons un 

^oxnplement indispensable, la pratique. 

INous enseignons la theorie^ mais nous n'en faisons 

plvts le point de depart. Et, certes, c'est a pen pres en 

** v^t enseignement que Ton procede de la sorte aujour- 

" l>ui. S'agilril de musique vocale, ecoutons ce que 

^^ent les maitres en cet art : 

< On a longtemps augmente les difficultes de Te- 

* %-ude de la musique vocale, en voulant d^s Tabord 
^ Va rendre complete par Tenseignement prealable de 
^ Va throne; de telle sorte que les enfants perdaient 

* 1:out leur temps aux preliminaires et ne chantaient 



grammaire. 



\ 



68 PHEiMlfeRE PARTIK: 

« que tr^&-tard. I^musique, si attrayante par elle- 

et « meme, devenaitamsi pour eux penible, desagreable, 

grjimmaire. ^ pebutaute 111^1116. Noiis suivousune hiarche oppose, 
« et nous d6butons par la pratique du chant. Ce pro- 
« cede est fonde en raison sur la nature et Texpe- 
« rience : en effet, c'est en lui parlant que la m^re 
(c apprend a son enfant a parler; c'est en travaillant 
((SOUS ses yeux que Tartisan faconne son apprenti au 
(( savoir-faire manuel , et c'est en chantant a ses 
« oreilles qu'on enseigne sArement le chant a I'enfant. 
<« Voici done le principe fondamental : la pratique 
« du chant d'abord , Tetude de la theorie ensuite * . » 
r/est en lui parlant que la mere apprend a son en- 
fant a parler ; c'est en parlant a notre eleve^ ou en lui 
faisant pratiquer des exercices qui Tobligeht a parier, 
que nous lui apprendrons le franc ais , ou toute autre 
langue cultivee : \k pratique de la langue d'abord , Te- 
tude de la theorie ensuite. 

Tons les moyens que nous avons indiques jusqu'ici 
dans le cours de cet ouvrage, tendent a un m^me 
but : Tacquisition du materiel de la langue par la/?/*a* 
lique^ precedant la the'orie. Mais le moment est venu 
ou des etudes plus fortes, a mesure que Tacquis de 
Televe prend des proportions plus considerables, vont 
reunir les deux moyens qui sont a notre disposition. 
Avant de poursuivre , qu'on nous permette de con- 
sacrer ici un hommage sincere a un homme qui a eu 



^Recueil de morceaux de chant, a Tusage des ficoles normales et des ^oles 
primaires, par MM. Delcasso et Gross. 2« edition, 1856. Preface. 



Exei*cices 



CHAPITRE SEPTIEME. 69 

le courage d'elever la voix pour demontrer , par des 

Aits concluants , \ impuissance de la methode appli- « 

^uee generalement a V enseignemenl des langues an- 

^iennes. filoigne de la France depuis pres d'un quart 

^e sifecle, nous ignorons si le succ^s a couronne ses 

-efforts ; mais nous n'hesitons point a proclamer que 

IM. J,'E. Boulet^ auteur du Cours pratique de langue 

Jatine^^ a bien merite de la France. Heureux les 

jays oti des hommes d'elite consacrent toute une vie 

laborieuse au triomphe d'une idee de progres ! 

Nous avons jadis accueilli avec dedain Toeuvre de 
M. Boulet, sans nous donner la peine de Texaminer ; 
-aujourd^hui que nous avons etudie et applique sa me- 
thode avec succes, nous r^parons notre injustice en 
la propageant avec une conviction ardente. 

D'antagoniste de M. Boulet, nous sommes devenu 
un de ses convertis. 

C'est done le Cours pratique de langue latine qui, 
a quelques legeres modifications pres , va maintenant 
nous servir de modeje et de guide. 

Nous avons redige, pour Tapplication de cette me- 
thode a Tetude de la langue fran^aise a TEtranger, 
deux series de lecons progressives, sous le titre 
a Ex^rcices et Omm/naire, 
Ghaque IcQon comprend : 
1^ Quatre exercices differents; 
2° Quelques paragraphes de grammaire. 



' A Paris, chez Tauteur, rue Basse-du-Renipart , 14, et dans toutes les 
^nnes librairies de ri5tranger. Deux tomes en un volume. 



70 



PREMIERE PARTIE. 



Exercices 

et 
grammaire. 



Nous prenoDs , au hasard , une des premiferes 
cons , que nous reproduisons ici comme specimen 
notre travail. 



QUINZlfiME LEgON. 



PBEMIEB EXEBCIGE. 



Joseph, 
II y avail 

a Bordeaux un fou 

qu'on nommait Joseph. 
II ne sorlait 

jamais sans avoir 

cinq ou six perruques 

entassees sur sa tSte, 

et autant de manchons 

passes dans chacun 

de ses bras. 
Quoique son esprit 

fut derange, 

il n'etait point mechant, 

et il fall ait 

le harceler longteinps 

pour le mettre 

en colere. 
Lorsqu'il passait 

dans les rues, 

il sortait 

de toutes les maisons 

des pet its gan^ns 

malicieux , 

qui le suivaient 

en criant : 
Joseph I Joseph ! 

combien veux-tu 

vendre tes manchons 

et tes perruques ? 
11 y en avail 

meme d'assez mcchants 

pour lui Jeter 

des pierres. 



MOT A MOT 



aUemand, anglais^ espagno 
Ualien, russe, etc., etc., 
selon la langue de Televe. 



CHAPFfRE SEPTlfiME. 



71 



Joseph supportait 
ordiDairement 
avec douceur 
toutes oes insultes : 
cependant il etait 
qaelquefois si tourmente, 
qu*il entrait en fureur, 
prenait des cailloux 
ou des poignees de boue, 
et les jetait 
aux polissoDs. 
Ce combat 

se livra un jour 
<l«vaiit la maison 
de M. Desprez. 
L« bruit 

I'attira 
a. la fenetre. 

" Vrit 

«ivec douleur 
C|ue son fils Henri 
^tait engage 
clans ia melee. 

s'en fut-il apercii 

c|u'il referma 

la croisee, 

«t passa 

dans une autre piece 

de son appartement. 
^^t-ta^u'on se mil 

Q table, 

^. Desprez 
^^ dit a son Bis : 

*^*»«l etait 

cet homme apres qui 

tu courais 

en poussant des cris? 
^«>»^<. Vous 

le connaissez bien, 

mon papa ; 

c'est ce fou 

qu'on appelle Joseph. 
^' i)esprez. Le pauvre 



MOT A MOT 

allemand, anglais, espagnol, 
italien, rmse, etc., etc., 
selon la langue de I'eleve. 



Exercices 

et 
grammaire 



72 



PREMIERE PARTIE. 



, homme ! Qui peut 

Exercices lui avoir cause 

®* . cemalbeur? 

S™™"""- Henrt. On at 

que c'est un proces 

pour un riche heritage. 
Ilaeu 

taut de chagrin 

de le perdre, 

qu'il en a perdu 

aussi Tesprit. 
M, Desprez. Si tu 

Tavais connu 

au moment 

qu'il fut depouille 

de cet heritage , 

et qu'il t'eiit dit , 

les larmes aux yeux : 
<c Mon cher Henri, 

je suis bien malheureux ; 

on vient 

de m'enlever 

un heritage dont 

je jouissais paisiblement. 
« Tous mes biens 

ont ete consumes 

par les frais 

de la procedure ; 

je n'ai plus 

ni maison de campagne, 

ni maison a la ville ; 

il ne me reste rien ; » 

est-ce que tu 

te serais moque de lui ? 
Henri. Dieu 

m*eo preserve ! 

qui peut etre 

assez mechant 

pour se moquer 

d'un homme malheureux ? 
J*aurais 

bien plutot cherche 

a le consoler. 
M. Desprez, Est-il 



MOT A HOT 



allemand, anglaU, etpagno 
italien, ruise, etc., etc., 
selon la langue de r^l^e. 



CHAPITRE SEPTlfeME. 



78 



plus heureux aujourd'hui 

qu'il a aussi perdu 

Fesprit? 
Henri, Au contraire, 

ilest 

bien plus a plaindre. 
iV- Desprez. Et 

cependant aujourd'hui 

tu iDSultes 

et tu jettes des pierres 

a un malheureux 

que tu aurais cherche 

a consoler 

lorsqu'il etait 

beaucoup moins 

a plaindre. 
^^^nri. Mon cher papa , 

j'ai mal fait ; 

pardonDez-1e-moi. 



MOT A MOT 



allemand, anglais, espagnol, 
italien, russe, etc., etc., 
selon la langue de Televe. 



Exercices 

et 
grammaire. 



Vis-i-vis du texte francais, ainsi dispose, se trouve 
1^ traduction, dans une disposition absolument iden- 
'^ique; de maniftre que le premier, le deuxi^me, le troi- 
^ieme mot de chaque ligne du texte francais, est tra- 
^uit par le premier, le deuxieme, le troisi^me mot de 
^^haque ligne de la version en langue etrang^re. 

L'6Ieve apprend par coeur une partie du texte fran- 
cais, proportionnee a ses capacites. Nous avons vu 
^es jeunes gens d^vorer, en deux seances, tout le pre- 
xnier exercice de cette quinzieme lecon. C'est fort 
lean pour des enfants etrangers ; mais, on le sait, les 
exceptions ne font que confirmer la rftgle. 
En classe, I'^l^ve doit : 

1" Reciter le texte fpancm\s^ sans que le matU^ taide 
en lui lisojit la traduction juxtaposee , 
Cette abstention, de la ps^rt du maitre, est d'une 



74 PRF^Ill* RE PARTIE. 

~ ] necessite absolue. L'espoir de trouver quelque se- 
ct cours dans la version pourrait engager I'eleve a etu- 

grammaire. *j t^ 

dier sa lecon avec moins de soin. 

2® Reproduire de vwe voix la traduction au fur el 
a mesure que le mattre lui lit le texte original, 

Cette reproduction de la version par I'eleve four- 
nit au maitre la preuve que le francais est compris, et 
qu'il n'a point devant lui un perroquet. 

3" Repondre aux questions de grammaire fournies 
au mattre par le texte de la le^on^ et dont la solution 
se trouife dans les lecons de grammaire apprises pre^ 
cedemment. 



La version en langue etrangere, dans la disposition 
pour ainsi dire forcee ou elle se trouve , a pour seul 
et unique but de donner a Televe une idee de la ma- 
nifere dont on s'exprime en francais , et surtout de la 
construction particuliere a notre langue. II se pourra 
bien faire que I'eleve etranger, apres avoir lu certai- 
nes parties de ce mot-a-mot, s'ecrie, comme dans la 
fable : 

. Je vois bien guelque chose; 
Mais J e ne sais pour quelle cause 
Je ne distingue pa^ tris'bien, 

Aussi nous hS.tons-nous de parer a cet inconvenient en 
donnant , comme complement et imm6diatement au- 
dessousdu premier exercice, la traduction corfecte du 
texte francais dans la langue 3e Telfeve. 



CHAPITRE SEPTlfeME. 



76 



Pour terminer la premiere partie de sa lecon, Te- 
leve doit : 

4" j^crire, en man/ere de dictee^ le texte francais . 

Le maltre lit, partie par partie, la traduction cor- 
recte; I'elfeve dit, de memoire et i haute voix, le texte 
franqais correspondant, et le couche immediatement 
par eerit. 



Exercices 

et 
grammaire. 



DEUXlkME EXEBGIGE. 



1. Quelle ville habitait Taliene 
qu'on appelait Joseph? — 2. Qu'a- 
vait-U toujours quand il sortait? 

— 3. Son esprit ^tait-il sain? — 
4. Se mettait-il faeilement en co- 
lere? — 5. Que liii arrivait-il 
quand il passait dans les rues ? — 

6. Que vociferaieDt ces droles ? - 

7. N*y en avait-il pas qui faisaient 
plus que crier? — 8. Quelle 4tait 
la conduite ordinaire de Joseph? 

— 9. Mais quand on le poussait a 
bout? — 10. Ou cela arriva-t-il un 
jour ? — 11. Qui fut attire a la fe- 
netre?— 12. Par quoi? — 13. M. 
Desprez fut-il bien satisfait de voir 
son tils au milieu d'un tas de vau- 
riens?— 14. Resta-t-il a la fenetre? 

— 16. Quand adressa-t-il la parole 
a son morveux de Ills? - 16. Henri 
gardait-il le silence en galopant 
apres le pauvre Joseph ? — 17. Que 
demande M. Desprez a son tils ? — 
18. Quelle etait la cause de la folic 
de Joseph?— 19. Quel fut Feffet 
du violent chagrin qu'il eprouva? 

— 20. Quand Henri aurait-il pu 
connaitre Joseph ? — 2 1 . Qu'avait- 



TRADUCTION 



allemande, anglaise, espagnole, 
italienne, russe, etc., etc., 
selon la langue de Televe. 



76 



PREMIERE PARTIE. 



Exei'cices 

et 
grammaire. 



on ravi a Joseph ? — 22. Par quoi tbadugtiovt 

sa fortune a-t^jlle ete consumee ? ^^^.^^^^e^ ^^gi^ise, espagnole, 

- 23. Ouelles privations eprouva ^^^^^^^^^ ^,^^ ^^ ^ ^^ 
t-il apresla pertedeson proces.»- ^^^^ j^ ^ deVeleve, 
24. Henri se serait-il alors amuse 
aux depens de Joseph? — 25. Celui 
qui se moque des infortunes a-t-i1 
un })ien bon coBur? — 26. Qu'est-ce 
que Henri aurait prefere faire ? — 
27. Le malheur de Joseph fou 
est-i1 moindre que celui de Joseph 
ruine? — 28. Quelle avait ete pe- 
pendant la conduite de Henri en- 
vers Joseph ? — 29 Qu'est-ce que 
le petit Henri aurait du faire au 
contraire? — 30. Quel aveu fait-il? 

— 31. Que demande-t-il a son 
papa? 

Voila trente et one questions numerotees^ auxqueltes 
Televe doit pouvoir repondre en ftaricaisy s'il a bien 
appris et compris le texte du premier exercice. Ces 
trente et une questions sont reproduites, en traduc- 
tion, avec leurs numeros, dans la colonne laissee en 
blanc, de maniere que Televe trouve sans peine celles 
qui se correspondent dans les deux langues. Nous ne 
voyons rien de plus beau qu'une pareille methode • . 
Et quel profit pour Tel^ve ! Combien ne peut-il pas 
^.jouter a ses connaissances au moyen de ce deuxieme 
exercice ! Et cela, au prix d'un travail qui merite a 
peine ce nom. La traduction l^ve toutes les difficultes, 
et offre la facilite de faire les questions dans des ter- 
mes autres que ceux du texte fran^ais du premier 
pxercice. Encore autant d'acquis! Quand on pense 



^ N. B. Nous n'en sommes pas Tinventeiir. 



CHAPITHE SEPTlt:ME. f7 

qu oa a eu Tineptie de trailer de charlatanisme une 
methode aussi ingenieuse, aussi bienfaisante ! 



Exercices 

et 
grammaire 



TBOISI^.MB EXEfiCICE. 

Le perruquier ne sortait jamais sans avoir la figure blanchie, et le 

iE:"£imoneur ne sortait pas sans Tavoir noircie. — Le malheureux Joseph 

^^ait perdu tons ses biens , et les m^chants polissons se moquaient 

de lui. -^ II ne faut insulter personne, encore moins un homme aussi 

^ plaindre que celui qui a perdu Tesprit. — Que devons-nous penser 

dc freres qui ne s'aiment pas les uns les autres, comme 6taient ie§ 

f ireres de Frederic ? — Les enfants qui insultent les hommes qui ont 

1 « malheur d'etre fous , sont de m^chants polissons ; ils n*ont p£is 

1 ^ amour de Dieu. — Si Joseph jetait des cailloux et de la boue , k'est 

^u'on le tourmentait et le poussait a bout. — Cependant il n^aurait 

I^as fait cela , sMl avait eu Tesprit sain. — Le pere de Josephine vit 

Sivec douleur le mauvais coeur de deux de ses fils. — Joseph devint 

CV>u pour avoir perdu , avec un grand heritage , sa maison de cam- 

^>agne et sa maison de ville , dont il jouissait paisiblement. — Les 

ITous n*ont ordinairement pas longtemps a vivTC. — La petite fille 

sippelait le papillon, non pour lui arracher les ailes, ni le tourmenter, 

^nais pour regarder les mille couleurs dont il ^tait bigarre. 

Pour composer les phrases qui pr6cMent et for- 
ment notre troisi^me exercice , nous avons puise dans 
les quatotze lecons deja apprises , et oil Ton pent en 
retrouver les elements epars. Un boa eleve les tra- 
duirUy a premiere vue^ dans sa langue. Nous en avons 
eu quelques-uns qui , par une curiosite que nous de- 
clarons fort louable, indiquaient les endroits auxquels 
nous avons fait des emprunts. 

On voit que, dans la methode que nous avons adop- 
tee, tout s'enchaine, tout engage T^l^ve a 6tre stu- 



grammaire. 



78 PKEMlfeRE PARTIE. 

"I '. dieux. Mieux il apprend chacune de ses lecons en 

Exercices * * * 

et particulier, plus il eprouve de facilite a apprendre 
toutes celles qui suivent. Nous aurions pu multiplier 
ces phrases a rinfini, pour ainsi dire; mais il y a des 
bornes a tout. D'ailleurs il est loisible au maitre , s'il 
lejuge convenable, de charger les bons eleves de com- 
poser, pour leur compte, de nouvelles phrases, qu'ils 
soumettront a sa critique. G'est la une preuve de con- 
fiance qui ne pent qu'fetre tres-encourageante pour les 
enfants que distingue une application particuli^re. 



QUATBIEMB EXEBGICE. 

Continuer le dictionnaire. 

L'el^ve doit avoir un cahier cartonne et assez fort, 
ou il inscrily Jour* par jour, les mots de sa legon quHl 
rencontre pour la premiere fois ^ a^ec leur traduction 
dans sa langue maternelle : c'est la ce que nous ap- 
pelons son Dictionnaire. 

On Tastreindra a repasser souvent ces mots, et, 
pour s'assurer de son exactitude a remplir ce devoir, 
on rinterrogera de temps a autre, au moyen de son 
propre cahier. . 

Les bons eleves ont toujours leur Dictionnaire bien 
garni; les eleves negligents et paresseux ne mettent 
guere d'empressement a remplir les colonnes do leur, 
qu'ils laissent en blanc, sous des pretextes a leur usage 
particulier. 



CHAPITRE SEPTIEMK. 



7a 



Partie grammaticale de la quinziime lecon. 


Exercices 
et 






grammaire. 


CHAPITRE V. 


TRADUCTION 




[Suite.] 


allemande, anglaise, espagnoUy 




TroisUme <X>r^ugaison, 


italienne, russe, etc. etc., 
selon la langue de Televe. 




INDICATIF. 






Present. 






Je rec oU. 






Tu rec ois. 






11 rec oit. 






NoQg rec evons. 






Vous rec evez. 






lis req oivent. 






etc. etc. 


• 





La le^on de grammaire de cette quinzieme le^on se 
compose, comme on voit, du modele de la conjugai- 
son en airy accompagne de la traduction. On remar- 
quera que, d'un bout a Tautre de notre Cours elemen- 
Uiire de langue frangaise a t usage des Etrangers^ 
dont la partie franco-russe est en voie de publication, 
il ne se trouve pas un mot de francais dont nous ne 
donnions la traduction juxtaposee. 

Nous sommes arrive a la fin de la leqon, choisie 
au hasard, que nous donnons comme specimen de 
notre maniere d'appliquer la methode J.-E. Boulet 
a I'etude elementaire de la langue francaise a TE- 
tranger. 

Nous n'avons plus que quelques mots a ajouter sur 
ce sujet. 

\a premiere serie de nos lecons progressives, inti- 
tulee, comme nous Tavons deja dit, Exercices et 



Jlxercices 



80 PREMIERE P ARTIE. 

Gtiumruiire^ epuise, en trente-deux lecons, la premiere 



et partie de la grammaire. 



grammaire. 



La seconde serie donnera ce qu'il y a de plus ele- 
mentaire et de plus indispensable dans la syntaxe de 
la langue francaise. 

Chacune de ces deux series de lecons forme un vo- 
lume. EUes font suite au Lwre du premier dge^ pre- 
miere partie de notre Cours dlhnentaire de langue 
francaise a V usage des Et rangers. 

Nous recevrons avee empressement et reconnais- 
sance les propositions des amateurs de la langue fran- 
caise qui, dans les contrees ou ce livre penetrera, vou- 
draient bien travailler a la propagation de notre Cours 
elemeniaire. 



VIII. 

Oe I'»iial7»e sramiiiaticale an premier de^r^. 

On ne connait une langue que bien imparfaitement, 
si Ton ne pent rapporter, d'une maniftre sure et ration- 
nelle, a chaque partie du discours le mot qui lui ap- 
partient. C'est TAnalyse grammaticale qui fait deeou- 
vrir, et la classe de chaque terme, et les rapports des 
mots entre eux, ceux qui regissent, et ceux qui sont 
complements. Le nom est propre ou commun; Tadjec- 
tif qualifie ou determine; le pronom est personnel, ou 
relatif, ou possessif, etc. ; le verbe, regulier ou irre- 
gulier, transitif ou intransitif * : toutes idees qu'il est 
utile de s'inculquer de bonne heure; c'est un levier 
qui aide a soulever bien des obstacles. 

Connattre la nature des mots et leurs rapports dans 
Texpression de la pensee, est done chose absolument 
indispensable pour bien coraprendre, parler et ecrire 
une langue : v6rite presque triviale a force d'evi- 
dence. Aussi est-ce a la negligence que Ton apporte 
assez generalement, sous ce rapport, dans Tetude de 



^ Cette denomination distinctive des verbes est preferable a tielles d'actif et 
de neutre, qui est absolument irrationnelle. Marcher est actif, tout aussi bien 
que donner : tous les deux marquent une action, Mais , dans le premier. Tac- 
tion ne passant point directement du sujet sui' un objet, nous le disnns intran- 
sitif; r autre, pour la raison contraire, sera transitif. 



82 PREMIKKK PAKTIE. 

la laneu^ francaise a rEtrani^er, qu'il faut atliibuer e 
giammaii- partic les faiDles resultats de cet enseignement. 
ail premier Nous HC Hous occuperoDs ici quc dc TAnalysc gram 



degre. 



maticale au premier degre^ c'est-a-dire de celle qu 
s'occupe des mots, ^onsideres seulement sous le rap 
port de leur classification grammaticale, et de leur 
accidents de genre, de.nombre, de mode, etc., etc 
Quand nous traiterons de Tenseignement secondaire 
nous donnerons des analyses completes, ou nous abor 
derons et resoudrons des difficultes regardees jus 
qu'ici comme insolubles, a en juger du moins par I 
silence qu!observent a leur egard les auteurs de trai 
tes di' Analyse grammaticale. 



Modules. 
I. 



Soit a analyser uue phrase quelconque au premiei 
degre^ nous Tecrivons d'abord dans toute la largeui 
de la page ; ensuite nous en disposons tons les motfi 
le long de la marge du papier, et nous les analysons 
successivement, en suivant la ligne qu'indique la place 
qu'ils occupent, comme il suit : 

Je me cowperais plutdt la main que de Hen faire contre than- 
neur de mon pays, Callot. 



Je 
me 
couperais 



Pronom de la premiere personne, masculin et singulier. 
Pronom de la premiere personne, masculin et singulier. 
Yerbe transitif (ou actif) et r^gulier de la premiere c<m- 

jugaison, a la premiere personne singuli^re duPr^ent 

du Conditionnel. 



CUAPITKE HUITIKME. 



83 



plutSt 
la 

qtte 
de 

rien 
fairc 

V 

hottrteur 

de 

mon 

pays. 



Adverbe de preference. 

Article , f^minin et singulier. 

Substantif commun , f^minin et singulier. 

Conjonction. 

Prepositibn. 

Substantif commun, masculin et singulier. 

Yerbe transitif et irregulier de la quatri^me conjugaison , 

au Present de Flnfinitif. 
Proposition. 

Article elidO, masculin et singulier. 
Substantif commun, masculin et singulier. 
Proposition. 

Adjectif dOterminatif possessif, masculin et singulier. 
Substantif commun , masculin et singulier. 



De r analyse 
grammati- 

cale 

au premier 

degre. 



II. 



*^* tmit le monde arait des palnis , pemoline ne se trourerait 
heut'^tix cTen avoir. Nicole. 



Si 

tout 

le 

arait 



des 

P^^onne 
ne 

se 
^^^f>uzf€rait 



heuTi 



enx 



Conjonction. 

Adjectif indOfini , masculin et singulier. 

Article , masculin et singulier. 

Substantif commun , masculin et singulier. 

Verbe transitif et irregulier de la troisiOme conjugaison * , 
a la troisiOme personne singuliere de Tlmparfait de 
rindicatif. 

Contraction de la preposition de et de Tarticle les, mas- 
culin et pluriel. 

Substantif commun, masculin et pluriel. 

Nom conmiun , masculin et singulier. 

Adverbe de negation. 

Pronom de la troisieme personne , masculin et singulier. 

Verbe transitif et regulier de la premiere conjugaison , a 
la troisieme personne singuliOre du Present du Condi- 
tionnel. 

Adjectif qualificatif , masculin et singulier. 



-^voir, ainsi qu'«/r«, n'est auxiliaire que lorsqu'il aide a coujuguer uu 
''*^ ; en tout autre cas , ces deux signes doivent etre ranges dans la classe 
^^*^Ie ou ils rentrent par leur terminaison. 



84 PHEMlfcHK PAKTIE. 



d' 

D<^ Taiialyse ^^^ 
grammati- 

eale 
au pi*emier avoir. 



Prepositiou el idee. 

Pronom de la troisieme personne, uniforme aux deux 

genres et aux deux nombres. 
Verbe transitif et irr^gulier de la troisieme conjugaison, 

au Pr^nt de FIufiDitif. 



Ces deux modMes suffisetit pour indiquer la marche 
a suivre dans Tanalyse grammaticale au premier de- 
gr6. Les el^ves doivent pratiquer fr^quemment cat 
exerciee , en rfegle generale, une fois la semaine. On 
doit les faire analyser cuissitdtqu'ils ont appris lapre^ 
miere partie du idiscours, lis ont, a cet effet, un cahier 
special, oil ils ecrivent chaque phrase a analyser des 
deux manieres que nous avons indiquees en commen- 
cant. Ils auront le soin de soidigner tons les mots de 
la phrase, (]ui, ainsi presentee, se detache mieux de 
Tanalyse proprement dite. En espacant convenable- 
ment les mots disposes le long de la marge de leur ca- 
hier. Us e\fiterontle desagrement de voir I' analyse d*uti 
mot qui demande un certain dey^eloppement^ empiefer 
sur la place resen>eeau mot qui vient immediatement 
apres, Quand ils ont appris le substantif^ ils analysent 
tons les noms, propres et communs , qu'ils rencon- 
trent dans leurs phrases. V article appris, ils ont deja 
deux mots a analyser. Us laissent en blanc la place 
destinee a Tanalyse de mots appartenant a des parties 
du discours qu'ils ne connaissent point encore, et les 
analysent aussit&t que leurs progres le leur permet- 
tent, compleUmt ainsij petit a petit, les analyses qui 
se trouvent inachevees dans leur cahier. La t&che 
augmente done au fur et a mesure qu'ils avancent 



CHAPITRE HUITlfiME. 86 

^^ns Texamen des parties du discours. Ce petit tra- "7~ "^ 

* * De r analyse 

^8til qui n'offre pas de difficultes serieuses, mfeme aux grammati- 

* . cale 

commenQants, est leur premiere redaction en francais, au premier 



et, a ce titre, flatte leur petit amour-propre : ils sont 
toutheureux d'ecrire deja d'euvmemes quelque chose 
dans une langue dont ils ne possMent encore que 
quelques maigres elements. 

Quand nos eleves sont assez avances pour analyser, 
au premier degre, des phrases enti^res , ils doivent 
avoir un cahier de copie^ oil ils mettent au net, de 
leur plus gentille ecriture, toutes leurs analyses, d6s 
qu*ils les ont corrigees avec le maitre. 

Nous conseillons fort aux instituteurs de ne permet- 
tre, dans les analyses, aucune abris^iation de mots^ ni 
aucun ecart de la maniere suiine dans lea modeles. 

L'exercice que ce ^travail donne a Tesprit de nos 
jeunes eleves, surtout quand on Topere au second de- 
gre ^, lui fait contracter des habitudes de precision et 
d'exactitude, qui ne peuvent qu'exercer une salutaire 
iiifluence sur leurs autres objets d'instruction. 

* Voir Ertseignement secondaire, IV. 



degre. 



IX. 

Arltlimctlque. 

Ce titre surprend sans doute plus d'un lecteur, et 
fait lever les epaules a plus d un maitre de langue 
franqaise, qui, dans la pratique de leur enseignement, 
n'ont jamais fait tracer un chiffre a leurs eleves. a Qu'a 
c( de commun, se demandera-t-on, Yarithmetique^ qui 
« est la science des nombres, avec Tetude d'une lan- 
« gue, quelle qu'elle soit? Ne suffit-il pas d'apprendre 
a Tart de combiner les nombres au moyen de la lan- 
ce gue maternelle? Ne sait-on pa.s alors calculer dans 
« toutes les langues possibles ? » 

Non, cela ne suffit pas. Des personnes, du reste bri- 
sees sur Tusage de notre langue, nous ont souvent paru 
eprouver des difficultes a faire de vive voix en francais 
le calcul le plus simple. Cette observation nous a fait 
reflechir, et nous avons decouvert (decouverte fort 
simple, si Ton veut) que cela provenait sans aucun 
doute du defaut d'exercice. II est vrai qu'il ne nous 
arrive pas frequemment d'etre obliges de faire un caj- 
cul dans une langue etrangere, mais cela ne pent s'e- 
viter de temps a autre. Nous croyons done qu'il vaut 
mieux savoir se tirer d'affaire, lorsque le cas se pre- 
sente, qu(^ d'etre oblige de reconnaitre son ignorance 
des termes usites en pareil cas. Ce n'est qu'au bout 



CHAPITRE NKUVlfeME. 87 

d'u.n certain nombre d'annees consacrees a Tenseigne- 

iw^nt de notre langue a TEtranger, que nous avons in- metique. 

trc>cluit ce nouveau petit objet dans nos lecons. Toutes 

1^^ personnes capables d'emettre un jugement en ma- 

ti^x'e d'instruction ont declare notre innovation des 

p^V]is heu reuses et r6pondant a uff besoin reel. Nous 

^ a.Yons point la pretention de faire des arithmeticiens 

?^ancais de nos petits eleves, AUemands, Anglais, Es- 

pagnols, Italiens, Polonais, Russes, etc., etc.; on nous 

croira bien sur parole. Nous voulons seulement que la 

langue que nous leur enseignons puisse leur servir 

dans des circonstances que les relations internationales, 

gagnant chaque jour en etendue, rendent de plus en 

plus frequentes. Qu'on se garde done bien d'eliminer 

de Tenseignement elementaire nos petits travaux, sous 

pretexte que ce sont des hors-d'oeuvre et une perte de 

temps. Et puis, en fin de compte, c'est du francais, et 

du francais souverainement pratique. 

Tons les enfants a qui nous avons fait faire un pen 
de notre arithmetique, y ont pris plaisir. Cela ne veut 
pas dire qu'ils en prendraient moins a Peau-d'Ane, 
s'il leur etait conte ; mais, en fait de langue enseignee, 
qui dit plaisir y dit profit. 

Nous arrivons enfin a notre sujet ; on verra qu'il 
n'y a pas de quoi jeter les hauts cris. 



88 PREMlfeRE P ARTIE. 

Arith- PREMIER EXERaCE. 

metique. 

LA NUMERATION, PABL^E ET ECBITE. 

Notre premier exercice coiisistera a faire nommer 
depuis un jusqu'a fp^/?^, en y ajoutant les nombres 
mille^ dix mille^ cent mille^ million^ etc., etc., chaque 
nombre accompagne du mot qui le traduit dans la 
langue de Telfeve. 

Cette serie de nombres apprise en partant de un^ 
on la fera reciter en partant de.c^w/ pour revenir 
a un. 
^ L'eleve doit fetre astreint a compter lentement, en 
faisant une legere pause apres chaque nombre, 

Ne croyons pas que cela suffise a Tel^ve etranger, 
pour savoir les noms des nombres d'une mani^re im- 
perturbable. On s'^tssurera du contraire en prenant le 
premier nombre venu, quarante'cinq^ trenie-deux^ 
vingt-quatrey quatre-vingtSj etc., et Ton verra que 
Ton n'est pas au bout de sa t&.che. 11 faut done faire 
reconnaitre a notre elfeve toutes sortes de nombres, en 
les lui nommant tant&t dans sa langue^ tant&t en 
francais. II devra les traduire sur-le-champ. 

Nous avons en fran9ais certains noms de nombres 
passablement absurdes ; pqurquoi ne pas le reconnai- 
tre ? Quel usage irrationnel et inexplicable a pu rem- 
placer les expressions : 

septante '■ / soixante^dix 

septante-un I I soiocante-ronze 

nonante I ^ j quatre^vingt^div 

nonante-un } \ quatre'Vingt^nze 



CHAPITRE NEUVIEME. 89 

denominations numerales si pen en rapport avec la ""^~^ 
maniere francaise, avec X esprit francais^ qui aimece metique. 
qui va lestement et elairement au but, sans ambages, 
ni circonlocutions superflues? 

A notre sens, Tesprit de precision et de clarte qui 
caracterise la langue franqaise, n'A point a se glorifier 
d'avoir substitue a nonante-neufiAewji mots, onze let- 
tres), quatre'vingt^dix-neuf {qnaXve mots, dix-huit 
lettres) ! 

Esperons que Tusage des denominations anciennes, 
conserve dans les departements a Tinstar d'une pro- 
testation, fera reconnaitre et reparer, dans un avenir 
plus ou moins prochain, le tort fait a la langue et a 
I'esprit francais'. 

Nous avons Thabitude de faire apprendre simultane- 
ment aux elfeves etrangers les deux manieres dont on 
pent nommer les nombres, depuis soixanfe-neu/jus- 
qu'a cent. On rencontre assez souvent, hors de France, 
des Francais employant les denominations rejetees 
par Tusage dominant, et le moins qu'ils puissent de- 
mander aux Etrangers qui parlent leur langue, c'est 
d'etre compris. 

Lqrsque nos eleves sauront bien la numeration par-- 
l^e^ nous passerons a la nummition ecrite, 

lis ecriront au tableau, sous notre dictee, toutes 



• Deg recherches sur repo(|ue de riutrusioii dans la langue des expres- 
sions numerales que nous attaquons , et la maniere dont elles nnt etc substi- 
tuees a eel les que le bon sens doit seul reconnaitre, offriraient, ce nous sem- 
ble, un assez grand inter^t. 



9() PREMIERE PARTIE. 



~77 sortes de nombres, depuis les plus peiits jusqu'auiL 

metiqiie. plus gTands. 

Nous les exercerons egalement a partager les nom- 
bres en tninches^ et a designer chaque tranche par le 
nom qui lui est partieulier. 

Exemple. 

Tranche des billions ... inilliODS ... mille ... unit^. 
27, 609, 087, 006. 

II est inutile de faire observer que ce nest point en 
francais que nos eleves etrangers doivent apprendre, 
pour la premiere fois, ces elements d'arithmetique. 
Ce que nous voulons, c'est qu'ils appliquent la langue 
fran<;aise a leurs petites connaissances dans cette 
science exacte. 

Quoi qu'on en dise, c'est toujours du francais que 
nous faisons avec eux, de tres-bon et tres-utile //v^a/- 
cais. 



DEUXiftME EXERCICE. 

l' ADDITION. 



Nous ne donnons point de definitions; nous n'en 
avons que faire, et arrivons tout de suite a Topera- 
tion. 







au 


; fr/fifj 


nr. 




,1) 


7 


9 


4 


8 


^ 6 


5 


9 


9 


8 


5 


7 


9 


8 


' 7 


8 


7 


9 


9 


8 


9 


6 


5 


6 


8 


6 


7 


7 


5 


6 


9 


7 


9 


6 


6 


8 



.3927288 



CHAPITHK NEUVIKME. 



91 



!*•« coionne. Neuf et sept font seize, et six vingt-deux, et cinq vingt- 

sept, et huit trente-cinq ; je pose cinq, et retiens trois. 
2* coionne. Trois de retenue et cinq font huit, et huit seize, et neuf 

vingt-cinq , et sept trente-deux , et six trente-huit ; je 

pose huit, et retiens trois. 
3* coionne, Trois de retenue et six font neuf, et neuf di\-huit, et 

huit vingt-six, et sept trente-trois, et cinq trente-huit; 

je pose huit, el retiens trois. 
4® coionne, Trois de retenue et huit font onze, et sept dix-huit, et 

neuf vingt-sept, et six trente-trois, et neuf quarante- 

deux ; je pose deux , et retiens quatre. 
5* coionne, Quatre de retenue et quatre font huit, et cinq treize, 

et neuf vingt-deux, el huit trente, et sept trente-sept; 

je pose sept, et retiens trois. 
6« coionne, Trois de retenue et neuf font douze, et huit vingt, et 

sept yfngt-sept, et six trente-trois, et six trente-neuf; 

je pose neuf , et retiens quatre. 
7« coionne, Quatre cfe retenue et sept font onze, et neuf vingt, et 

huit vingt-huit, et cinq trente-trois, et six trente- 
neuf; je pose neuf, et avance trois. 
SoMME : Trente-neuf millions , deux cent soixante-douze mille , 
huit cent quatre- vingt-cinq. 



Arith- 
metiqiio. 



TROISlfe.ME EXERCICE. 




LA 


SOUSTB ACTION. 








Exemple. 






4 


3 


• 


5 


7 




3 


8 9 





8 


3 


9 


1 1 


4 


9 



1"" coionne. lluit de dix-sept, reste nenf. 
2*" — Un de cinq , reste quatre. 

3' — Neuf de dix , reste un. 

4« — Neuf de dix, reste un. 
^^ — Quatre de treize , reste neuf. 

6« — I In de quatre, reste trois. 

Rests, exces, ou mffebeiice : Trois cent quatre - >in^ - nnze 
mille, cent quarante-neuf. 



92 



PREMIERE PARTIE. 



Arith- 
metique. 



QUATRlfeME EXERCICE. 

UL MULTIPUCATION. 



Les Aleves commencent par apprendre le /iWet, que 
void : 



I>eux fois deux font quatre. 
Deux fois iro'is font six. 
Deux fois quatre /onf huit. 
Deux fois cinq/on^ dix. 
Deux fois six/onf douze. 
Deux fois sept/on^ quatorze. 
Deux fois huii/ont seize. 
Deux fois neuf font dix- huit. 
Deux fois dix font vingt. 

Trois fois irois font ueuf. 
Trois fois qusiire font douze. 
Trpi9 fois cinq font quinze. 
Trois fois six/on^ dix-huit. 
Trois fois sept/on^ vingt-un. 
Trois fois huii font vingt-quatre. 
Trois fpis neuf font vingt-sept. 
Trois fois dix font trente. 



Quatre 
Quatre 
Quatre 
Quatrp 
Quatre 
Quatre 
Quatrp 



fois quatre /on/ seize, 
fpis cinq /on/ vingt. 
fois six /on/ yingt-quatre. 
fois sept /on/ vingt-huit. 
fois huit /on/ trente-deux. 
fois neuf /on/ trente-six. 
fpis dix /on/ quarante. 



Cinq fois cinq /on/ vingt-cinq. 
Cinq fois six fbnt trente. 
Cinq fois sept /on/ trente-cinq. 
Cinq fois huit font quarante. 
Cinq fois neuf /on/ quarante-cinq. 
Cinq fois dix /on/ cinquante. 

Six fois six /on/ trente-six. 
Six fois sept font quarante-deux. 
Six fois huit font quarante- huit. 
Six fois neuf font cinquante-quatre. 
Six fois dix /on/ soixante. 

Sept fois sept /on/ quarante-neuf. 
Sept fois huit font cinquante-six. 
Sept fois neuf font soixante-trois. 
Sept fois dix /on/ soixante-dix. 

Huit fois huit /on/ soixant&-quatre. 
Huit fois neuf /on/ soixante-^ouze. 
Huit fois dix /on/ quatre-vingts. 

Neuf fois neuf /on/ quatre^vingt-un. 
Neuf fois dix /on/ quatre-vingt-dix. 

Dix fois dix /on/ cent, 



Exemple de multiplication. 



8 



l»'« colonne. Six fois nevX font cinquante-quatre ; je pose quatre, et 
retiens cinq. 



CHAPITRE NEUVlfeME. 



93 



2^ coloDne. Six fois sept font quurante-deux , et cinq de refenue 
quarante-sept ; je pose sept^ et retiens quatre. 

Six fois six font trente-six , et quatre de retenue qua- 
rante ; je pose z^ro, et retiens quatre. 

Six fois quatre font vingt-quatre > et quatre de retenue 
vingt'-huit; je pose huit , et arance deux. 



3«- — 



4* — 



Arith- 
luetiqiie. 



En fraD^aiS) le nombre multipliese nomme multipli- 
cande ; celui qui le multiplie se nomme multipUcateui\ 
L'un et Tautre ont requ le nom commun de Jacteurs. 

Le resultat de la multiplication s'appelle/^ro^o/V. 

Prodoit de la nuUtiplication ci-dessus : Vingt-huit 
inille, soixante-quatorze. 



CINQUlfiME EXERCICE. 



LA DIVISION. 
A. 

Premier modde. 

5 2 5 6 6 
4 8 



4 5 
4 2 



8 7 6 



8 6 




Huit fois six font quarante-huit. Huit de douze, reste quatre; 

cinq de cinq , quitte ou ne reste rien. 
J'abaisse cinq. 
Sept fois six font quarante-deux. Deux de cinq , reste trois ; 

quatre de quatre, quitte. 



»-* PKElVUfiKK PAKTIK. 

— J'ahaiise six. 



metique. "" ^" ^^'^ ^*^ /^' trente-six. Six de six , quitte; trois de Irois , 
quitte, 

B. 

Second modik. 

5 3 5 6 6 
4 5 

3 6 





8 7 6 



— Huit fois six font quarante-huit. Quarante-huit de cinquante- 

deux , reste quatre. 

— J'abaisse cinq. 

— Sept fois six font quarante-deux. Quarante-deux de quarante- 

cinq, reste trois. 

— Tabaisse six. 

— Six fois six font trente-six. Trente-six de trente-six, quitte. 

En francais, le noinbre divise se nomme (/ii^idencte ; 
celui qui le divise se nomme diviseur. 

Le resultat de la division s'appelle quotient. 

Quotient de la division ci-dessus : Huit cent 
soixante-seize. 



Ces cinq exercices doivent etre repartis sur toute la 
duree de V Enseignernent (Hementaire du francais. Le 
premier termine, ne parlous plus de nombres a nos 
eleves pendant quelque temps; laissons-leur un inter- 
valle de repos, apres lequel nous repeterons ce qui a 
ete appris. Apres une nouvelle pause, nous passerons 
au deuxi^me exercice, et, en faisant altemer les temps 
de repos et ceux d'etude, nous amenerons nos Aleves, 



CHAPITRE NEUVIEME. 95 

sans eniiui ni contrainte, a posseder, en avithrnctique TTT"" 
francaise^ de petites connaissances qui pourront leur metique. 
etre de quelque utilite dans le commerce de la vie. 

U est bon d'habituer les eleves a mettre la date du 
jour au bas de leurs diff brents ouvrages, tant&t en 
chiffres arahes ou lomains^ tantot en toutes lettres. 

Bien des etrangers ne savent point comment pro- 
noncer les adjectifs numeraux cinq^ six, sept, huity 
neufy dix el vingtj ou, dans certains cas, la consonne 
finale ne se fait point sentir. Nous croyons done fetre 
agreable a quelques-uns de nos lecteurs, en reprodui- 
sant la regie qui concerne la prononciation de ces noms 
de nombres. 



« A. La consoune finale des adjectifs uumeraux cinq, six, sept, 
« huit, neuf, dix, sonne toujours, except^ quand ils sont imm^dia- 
« tement suivis du mot nombr^ , et que ce mot commence par une 
« consonne oil un h aspir^ : 



Marcher cin^ a cin^ {q sensible). 
Us sent neu/* (/'sensible) dans 
celte chambre. 



2* cas, 

Ciug soldats {q nul). 
Neu/* hameaux ( f nul ). 



« L'interposition d'un mot entre I'adjectif et le substantif exerce , 
sur la prononciation du'nombre , la m^me influence que si c'^tait 
le substantif nombr^ lui-m§me ; 

Hui^ {t sonore) inMpides raa- 1 Sep^ {t nul) gros enfants. 



rins. 



« B. Nulle dans vingt , employ^ seul ou suivi d'un mot commen- 
« ^ant par une consonne ou un A aspir^, la lettre t sonne devant une 
« voyelle ou un h muet, et dans vingt-un, vingt-deux, et la s^rie de 
« nombre ou il se trouve jusqu'a trente : 



90 PHEMIERE PAKTIE. 



l**^ cos, 

Arith- 

mcliquc. 1^8 sonl viug< (/ nul). 

Ving/ livres {t nul). 
Vingf heros (^ nul). 



2* ctf*. 



Ving^ (^ sensible) ares de terre. 
Ving^ (t sensible) hommes. 
lis etaient ving^ {t sensible) 
trois. 



« Le / de quatre-vingts ne se fait jamais sentir * . » 

En fait de langues, les petits moyens ont souvent 
d'excellents effets. Nous avons vu, par exemple, des 
enfants qui ne pouvaient parvenir a enoncer les nom- 
bres sans difficulte ni hesitation. lis les connaissaient 
parfaitement tant qu'on les leur presentait dans Tordre 
naturel ; mais du moment que cet ordre etait inter- 
verti, ils ne savaient pour ainsi dire plus rien. Un 
loto, un jeu d'oie, renouvele des Grees, grace aux 
ehamailles qui ne manquent jamais entre les petits 
joueurs, leuravaient bient&t rendu la numeration aussi 
familiere en francais que dans leur langue maternelle. 

* Nouvelle Grammaire francalse, a Tusage des AUemands. 



X. 



tUmuHmim. 

Au poiat oil sent arrives nos eleves , iU doivent sa-^ 
voir : 

1** Lire couramment; 

2® Comprendre tout ce qvCils entenderU dire sur 
les choses ordincdres de la vie : leurs dei^oirs, 
leurs jeuXy leurs occupations journalieres ^ 
leurs petites relations sociales^ etc., etc.; 

3^ Sautenir la conversation en assez ban fran-- 
cais. 
£n Grammaire, ils doivent : 

4® Connaitre la premiere partie tout entiere , et 
ce quiljr a de plus indispensable a saiHur dans 
la Sjrntaxe, Ils doivent surtout ^tre de pre- 
miere force sur les Verbes^ la plus importante 
partie du discours [Ferbumf parole ! ], et pou^ 
voir conjuguer^ sans broncher^ le plus grand 
nombre des Verbes irreguliers. 

Si nos eleves sont en etat de remplir ce petit Pro- 
gramme, ils sont en bon chemin, et nous devons en- 
visager I'avenir avec confiance. 

S'ils en sont incapables, ne disons point encore : 
Opera et impensa periitl mais remettons-les impi- 



Resultats, 



98 PREMIERE PARTIE. 

toyablement aux Elements, dut se borner la tout ce 
quails apprendront de francais dans le cours de leurs 
etudes. Peut-etre en sauront-ils un jour plus que 
maint grand garcon, plus que mainte grande demoi- 
selle , dont le caquet incorrect et vulgaire donne una 
pauvre idee de toute leur education. 

Un maitre de langue ne doit jamais, en regie gene- 
rale ^ trdnsig^ sur 6es principes^ k moiris cepeilijb,nt 

que sa bourse, son estomac Dieudu ciel, il y a 

tant de miseres ici-bas ! • 

On reikiontfe en foud pays des mamand tpii vous 
disent \ avec un air de complaisance : tc Monsieur, 
rc^TQilk ma fille; ^\\e tk pass/* six, ^pt, buit fois sa 
« gramrtiaire; ayei la hoi*l§ de hit <iomxrtetf'6<fer la lit- 
<< terfetupe. a Vmid adredsefis ifaelques p^tit*^^^u6stions 
k la jeune personne, et, effectivement, voui dfecouvrez 
qu'en Grammaire elle a pass^ tout, absd^tifMnt tdkit. 
Que fabe en pareille circonstance? fl^mettite k de- 
moisetle dans la 'voie oiJi elle a pasi&e saos ^ laisser 
trx<^e de ses pas l^gere, it moins eepetidaAt que la 
figuf^e i^eoonteifte de la tendre mfere^ k mDitid surtout 
€[UB la bourse, que Tedtoihac du maitre de langue .... 
'Dieu tin ci^lv il y a tant et tant de mjAferes iei-bas !! ! 











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DEUXIEME PARTIE. 



ETUDE ET ENSEIGNEMENT SECONDAIRBS. 



De la gmmauilrr. 

^ La labgue fran^aise est, plus que toute autre lan-^ 
gue , une mine inepuisable pour le philologue ; nous 
prenoQs k t^moin ceux qui en out fait I'etude de ieur 
vie entierSi Aucun dialecte ne presente une Syntaxe 
aussi riche^ aussi rationnelle. Le moment ou Tel^e 
redoublera de zdle, sera done le debut de son second 
eonrs de Orammaire, quand un traite de cette science, 
^rit dans la lan^e qu'il etudie, remplacera celui qu*il 
a Ai^k pardouru dans sa langue matemelle. L'auteur 
de ce nouvel ouvrage aura d6 y deposer, outre les 
r^les ooiistitutives de Tidiome en lui-m^me, les lu* 
mitres qui ressortent de Tetude comparative de cha- 
que langue etrang^re avec le fran^ais. Ce sera la 
soui^ee d'une foule d'apercus qui ont echappe et ont 
Aik ^happer aux grammairiens qui ont ecrit en France, 



100 DKUXIKMK PARTIE. 

^^^ et pour des Fran^ais seulement. De ce travail naitra 

grammaiie. pour notre disciple un double avantage, une nouvelle 

cause d 'acquisition et de rapides progres, puisque, en 

se servant de notre langue elle^-mSme pour en appro- 

fondir i'etude, il joindra la pratique a la theorie. 

Dans les pays etrangers, il r^gne une grande disette 
de grammaires ecrites au point de vue de la langue des 
el^ves. Ce n'est pas qu'en certaines contrees^ en AUe- 
magne par exemple , ie commerce de la librairie ne 
fourmille de traites de Grammaire francaise, ecrits 
dans le pays mSme, et soi-disant adaptes a Tusage des 
eleves particuliers qui doivent les etudier. Mais, grand 
Dieu, quel fatras! Des regies, puis des regies, en- 
core des regies ! Des regies fausses, des regies sur des 
cas imaginaires, des regies a perte de vue sur des 
emplois que Tusage seul pent enseigner. « L'usage, 
f< disait le pr^ecesseur de tons ces grammairiens im-* 
K provises, Meidinger, un grand fabricant de gram^ 
« maires des temps passes, I'usage est le meilleur 
H maitre de langue. » Le brave homme, il ne s'en 
inquietait guere de Tusage dans ses livres; mais il en 
debitait tant et tant, qu'il avait, dit-on, etabli une 
imprimerie pour se typographier lui-mfeme. Au milieU 
de toutes ces richesses, un maitre capable et conscien- 
cieux est vraiment bien embarrasse. Car, voici ce qui 
arrive. Dans bien des pays etrangers, parmi lesquels 
TAllemagne encore figure au premier rang, la langue 
francaise est enseignee par des maitres qui, la plu-^ 
part , n'ont jamais foule le moindre petit tjoin du sol 
de la France. Or, les appointements des professeutrs 



CHAPITRK PREMIER. 101 

€t Enattres sent partout, on le sait, passablemeiit 6tri- 

qti^s. Cependant presque tous ont a entretenir une g»ainm«irr. 

compagne, avec laquelle ils descendent cahin-caha 

le fleuve de la vie; des enfants a elever, instruire, ha- 

biller; de^ndes demoiselles, ce qui est le comble de 

la desolation y a faire valoir, pour trouver acquereur 

i letirs charmes. A quel expedient recourir en cette 

deti-esse?... Oh! mon Dieu, on a bient6t avise. Dans 

J'^tablissement auquel on est attaohe, on a de cin- 

T^fitnte a cent elftves, qui veulent avoir des livres a 

^^viclicr, a perdre, a d6chirer. Parmi ces livres, doit 

&S^^r une Grammaire fran^aise. <c Eh bien , s'ecrie- 

^ ti-on en se frappant le front, si je faisais quelque 

^ ehose de mieux que ce que Ton a en fait de Gram- 

* ttiaires fran^ises ! » On a bient6t calcule ce que 

^o^iteront impression et papier, le nombre des exem^- 

plaires dont le placement est assure, etc., etc. On 

^^rait bien du guignon si par-ci par-la, hors du cer- 

^le d'activite de Tauteur, il ne se rencontrait pas une 

^^ deux bonnes iLmes pour acheter ou faire acheter 

^uelques exemplaires du petit chet-d'oeuvre gramma*- 

^^^h1. Voila done une nouvelle Grammaire francaise 

*an.^^ ^ang \q monde de la librairie. C'est la centidm^, 

*^ HiiUidme peut-^tre, mais qu'importe? Tant que Tatf- 

^Ur aura des Aleves pour user leurs pantalons sur les 

*^^tics de r^ole, et pour acheter, dechirer, perdre siBS 

^^^eSf le succ^s de son ouvrage est assure. 

<^'efit fort triste, sans doute; mais le mal est sans 
*^^»»iede. 

l*armi les Grammaires francaises publiees en France, 



102 DEUXIEME PARTIE. 

notis n en connaissons pas une que nous puisaiotiB 
gnunmaire. recoiiunander aux Etrangers. Rentes an point de Yi^e 
francais, pour des eleves dont la langue fran^aise est 
la langue materaelle, elles negligent aombre deica^ 
que Toudra^nt y trouver traites un Allemaod^ un Aii^ 
glaisy un Russe, etc., ete., tous peuples parlant 'des 
idiomes pariiculiers , assujettis a une syntaxe partii- 
culi&re, et oi)eissant aux inspirations d*un esprit na>- 
tionaU egalement partioulier. De tous ces liTves' )le 
plus repandu esty sans contredit, la OrammAz^ 
Noel et Chapsal, et nous doutons que jamais reputa- 
tion ait ete aussi injustement acquise. On y rencdoiriB 
plus dune r^e appartenant au Cran^ais des auteurs, 
mais compl6tement etrangeres au fran^ais que con- 
naissent et parlent les gens cultives ea France^ Nous 
croyons pouvoir affirmer, sans injustice envert les 
auteurs, qu'aueun eleve, Francais ou Stranger^ : n'a 
jamais appris, dans ce livre elementaire, la nioitteide 
ce qu'on doit savoir de francais au sortir des elaBsesi 
Nous avanc^rons m^nie, et tout le monde peat le Tev 
rtfi^^ qu'il est impossible/ a quiconque n'a jamais 
etttdie que Noel et Chapsal, de oonjugu^ oomnie il 
feut ceux des verbes irr^guUers qui ne sont pas. dun 
usage frequent dans fa. langue, parlee on ecritdy taat 
ces verbes y sont presentes d'une maniere incompl^ 
et defectueuse. Le reproche que nous adres^ons id 
a un ouvrage particulier s'applique aussi, plus ou 
moins, a toutes les autres grammaires. Les vethes 
irHguliers de la langue francaise sont assez nomr 
breux : nous en avpns recueilli plus de fntis cenU\y\\\\\ 



CBAPITRE PRE:M1ER. 



tos 



ran^^Bt sous environ soixante-dix chefs de jamille. 



Del» 



^5b son;t done soixante-di^i. conjugaisons, plus ou moins grammaii^ 
if reguli^res , qu'il faut absolument connattre, si I'on 
"v^eut pouvoir dire que Ton possede la langue fran- 
«aise, le verbe etant, en toute langue, le mot essen- 
:i:*:ieU ^ nw)t par excellence. 

Qp poua «ftura peut-Stre gre d'indiquer iei le moy^n 
qii^ nous employons pour presenter convenablement 
^ nos 616 ves les verbes irreguliers francais. La pre-* 
^cjodere chose a faire , c'est de ne tenir aucun ea9 des 
.^i^leatix que donnent de ces verbes la plupart de§ 
^rpdoaia^rea coqnu^. Nous leur faisons ecrire ce) 
rvej^beip datis mn cabier special, le chef en t6te dei^ 
^ffp^. derives, que suit enfin une liate, ausgi cqW.^ 
pl^te jqpi^; possible , des sujets ou Von remarque le9 
^Kq(i|^ni^ irregularites que dans le chef de famille. 



Exemple. 
DIRE. 



fc^-l^BflT WB L>n. 


9km n^FiM. 


-»««s. 


Jed«9. 


'^uiak. ■' " 


'' imparf.duSubj 


^14^. . : 


QW>J^dM8e,elc 


iMousflisoos. 




"%7oakalteK 




^I»4l8fnt. 


, 


Impiratif. 




^tolt, et^ 


• 



PHiSENT DE L*INF. 

Dire. 

Futur. 

Prisent du Cond. 
Je dirais, etc. ' 



PAKTIGIPK rit^s. 

Dipant. 

tmparf. de i'ind. 
Je disfii^, Qtc, 

Present du Sutij, 
Que Je dise, etc. ' 



Participe pa8$i. 
Dit. 



Conjuguez de m&me contredire ^ dedire, interdire^rmdv^e^ 
^oridire, excepte a la seconde personne plurielle du present de IMn- 
^iicafif, ohaes verbes font regutiereihent : rota contredisez^ vous 
^Uedi$e%9 eie. ' - ' : ' * - • -.' 



grammaire* 



104 DEUXI^ME PARTIE. 

Conjuguez ^galement de m$me mavdire , ^ l'exee|>tioii du partis 
cipe pr^nt, maudissant , et de ses d^riv^s , qui prennent auaai 
deux 8 : nous maudissons, Je maudissaiSy qu'il maudisse^ etc. 



Que I'on cherche, dans quelle grammaire on vcm* 
dra, un tableau aussi simple, aussi complet, de la 
conjugaisoii du verbe irregulier dire et de sea d6- 
riv6s. 

On voudra bien remarquer que nous n'avons ici qW 
quatre Temps primiufs. Tons les maitres de langae 
francaise, un pen au-dessus du commun des martyrb^ 
savent qu'il n'y a pas de temps primitifs^ ni de temps 
d4rMs y proprement dits. lis savent qu'on n'a adopts 
ces denominations et les regies de la formation* des 
temps que pour grouper ceux qui offrent des analo^ 
gies, et que le temps derive pourrait, en subissant ou 
un retranchement ou un changement de terminaison, 
selon le cas, former le temps primitif, au lieu d'en 
fetre forme. Fort de ce principe, nous prenons done 
la liberty grande de destituer le Participe pass6 de sfes 
fonctions de temps primitif, qui, d^apres les regies 
elles-mSmes de la formation des temps, sont une ve- 
ritable sinecure. Et que de bois il reste encore a aibat-* 
tre dans la forfet des prejuges grammaticaux ! G'est 
sans doute pour cela que Ton debite tant de fagota^ 
sous pretexte de grammaire. 

Dne opinion erronee, presque generalemerit r6pan- 
due, c'est qu'une grammaire, pour ^tre reconnue 
bonne et complete, doit presenter des regies sur tou- 



Dela 



CHAPITRE PREMIER. 106 

l.«8 les difficultes que la langue offre aux Strangers. 

INous a^ouons avec plaisir que e'est la, pour quel- grammain 

copies grammairiens de circonstance, une occasion d'^- 

^p^ler une erudition et une profondeur brill antes et peu 

^[^oiiteuses ; mais voila tout.' Un grammairien doit 6tre 

.^BftYare de regies de detail ; les principes generaux du 

.S^angage doivent absorber toute son attention : le reste 

^^i^ient de soi-mSme. Et en verite, n'est-il pas temps 

^c3'avoir un peu pitie de ces malheureuses petites cer* 

"^"welles d'ecoliers, et de leur faire gr&ce de toutes nos 

^gpesantes et indigestes formules , qui ne sont propres 

«iciu'a leur inspirer une insurmon table aversion pour 

~^mme langue dont on leur rend les abords si ^pineux ? 

^ue resulte-t-il de cette fureur de faire des regies? 

On accumule erreur sur erreur, et, loin de h&ter les 

prc^r^s de la science, on T^touffe. 

Notre intention n'est point de remplir ici le r61e de 
redresseur de torts gramma ticaux^ nous pensons nean- 
moins que c'est rendre service aux maitres et institu- 
teurs serienx que de leur signaler certaines doctrines 
trfes-respectees , puisque personne n*y a touche jus- 
qu'a present, mais qui n*en sont pas moins entachees 
d'une evidente erreur. 

- Les grammairiens se sont transmis , d'age en &ge , 
des articles de foi que nous avons Vaudace de ne point 
t^specter. Nous serious heureux de faire partager 
notre salutaire incredulity a tons nos lecteurs : ce se* 
x*ait autant de gagne poi>r ceux qui ont charge d'6le- 
^es, pour les eleves eux-mfemes. 11 n'y a rien de plus 
clifficile a faire entrer dans une eervelle et a conserver 



m DpyXlpME PARTIE. 

dans une des cases de ia memoire qu'un^ rfegle fausse, 
grammaire. qui ^ a aucuue raison d'etre, qui est en contradiction 
flagrante avec le sen3 conunun, ayec Tesprit d'une 
laqgue. Nous rangeons au nombre des plus incroya^ 
h]0^ traditions grammaticales la r^le que tous lea 
gi^aiaunairiensy grands et petits, modestes ou foUemeat 
eQti(;h^s de leur superioiite pretendue, so passent lea 
41PA aux autres, avec grande v^ikeratioii pour sa pou^ 
disuse antiquite, qui se perd dans la nuit des temps^ 
Ji^, regie qui declare vague, indeterminey 1« pronom sot; 
,ilie pronom soi un mot vague! Mais ou a-t-on de-^ 
^uvert cela? Qu'est-ce qui nous autorise a dire da « 
vj'<^" ce que nous n oserions pas avancer de se, qui est 
l^nai^memot? ... 'j 

iJ^qiiand on pense que de Saint-Petersbourg a Md^^ 
drid, de Londres a Naples, en passant, proh pudorl 
pjar Paris, on enseigne, on ressasse une absurdite 
q^ .eherchera longtemps son egale dans toute autre 
spi^noe, et cela depuis que Ton 6crit des grammak'es 
Jfz^nQaisfes 1 Peut^on bien se figurer ce qu'une erreur, 
ni^,fu>rrce meme qu*iine erreur grammaticale, prodiiit 
de 4^sordres dans lea jeunes tetes ou on Imtroduit 
avec toute Tinflexibilite du fanatisme? De quel profit 
nest point, au contraire. pour de tendres e^prita la 
peftite et modeste lumii^re dont on fait jaillir un» rayon 
sur une doctrine erronee, qui se trouve, subitement et 
presque miraculeusement, passer du £aux au vrai^ -de 
rillogisme a la logique pure,^inattaquable ! ^ * 

Voici la regie que nous avons pris la^ liberted^ 
sub^tituer a celle de tous les gramiiraiFiens sui* le»ptfo!« 



CHAPITfUE PREMIER. 107 

nomsoi. On verra que nouB prwiona le contre-pied de 
nos honorables confreres, qui bnt jug^ a propps de 
ren^^rs^r ta question^ et Tont rendue insoluble a force 
de vodioir m^corihattre la veritable question de ce mot, 
si inaltraite. 



Deif 



DU PRONOM 5a/. 



(fktrait de la MouvtUe Orammaire a fustige des Aliemam4js,) 

« Le pronom soi n'est point un mot vague de sa nature, comme 
« on se Fimagine rufgairement ; |l a toujonrs au eontraire an s^ns 
« tr^pr^cis, et, dans notre langue, comme en latin et en allemand, 
« il sert ^ repr^senter un ou plu^eurs ^tres qui sont I'objet de leur 
« propre action : c'est pour cela qu'on le nomme reflechi, 

* Ce pronom se dit des personnes et des cboses; 11 est des deux 
« genres et des deux nombres : 



Avec^ un nom de personne : 

.11 faut laisser Melinde parler de 
soiy de ses vapeurs, de ses insom- 
nies. La Bruti^re. 

Idom^ee, Tevedant a soi, remer* 
cia Res amis. F^hbloiv. 

Ces g0QS n'aimeDt que soi. 



Avec un nom de chose : 

. L'aimaDt attire le fer a soL 
Le chat ne parait sentir que pour 

soi. BtFFOir. 

La sagesse appes soi laisse un 

long sooveoir. Aubert. 



« Lorsque soi se dit des personnes , il est assez d*usage de le 
« remplacer par un pronom de la m^me espece, lui, eux, elle, elles, 
« si ia-Qiurfe du.rapport n'en souffre point, et, dans les exemples 
« de la premiere serie , c«tte substitution , particuli^re a la langue 
« frangoMse, n'auiait rien d'incorreet. 

« Mais elle ne pent avoir lieu du moment qu'elle cause oil %n^ 
« amphibologies ou la destruction du rapport exprfm^ par le pro- 
a nom soi, II faut done dire : 



Quiconque rapporte tout a soi 
n'a pas beaucoup d'amis. Acad. 



A lui serai t equivoque. On ne 
saurait s'il repr^^nte quiconque, 
ou un autre sabslantif enonce |^re- 
cedemment. 



lOS 



BKUXlfeME PARTIE. 



Dela 
grammaire. 



Eu remplissant les volontes de 
sqn pere, ce jeune bomme travaille 
pour soi. 

Psnonne ne meditde soi. 



Pourhu. 

lefils? 



Pourqmt?.lepereoH 



De M indiquerait uo rapport 
tout different; la phrasesignifierait 
alors: Personne ne m4dit decET 



« Quand il s'agit de cboses, la substittUi&n pent egalement se 
« faire^ mais plus raremenl, vu que les pronoms /tti, euXy etle, 
« elles, sent moins propres que sot a representer des objets ina> 
« nim^s : 



Helas I voila dooc les maux que 
la guerre entraine apres elle! 
F£nblon. 



En se servant du pronom soi, 
rauteur de Telemaque serait egale- 
ment reste dans I'usage, et le rap- 
port eut ete encore mieux marque. 



« Par cela m^me que remploi de lui; eiiocy elle, elles^ substitues 
« au pronom soi^ est dans notre langue une singularity que nejus- 
« tifie aucun principe de grammaire g&nerale , la question n'en 
« est que plus difficile a r^soudre dans toutes les nuances qu'elle peut 
« presenter. La contexture de la phrase, la presence de tel ou tei 
« mot, d'autres circonstances encore, influent sou vent sur Tadop- 
« tion de sol ou des pronoms qui peuvent le remplacer. Mais il est 
« une chose capitale qu' il ne faut jamais perdre de vue : c*est la 
« clart^ du rapport, clart^ qui doit toujours motiver notre ohoix. 



Fonction particulUre de Soi. 
Soi remplit encore d*autres rdles qui ne sont point r^fl^his : 



Voudrait-on, 50t*meme, causer 
saperte? 

Dans cette phrase, soi sert a mar- 
quer que Taction reste dans le sujet 
de la phrase. 



De so'i, le viee est odieux. 

Dans cette phrase, sol veut dire 
de sa nature, dans son essence. 



« Mais cet emploi confirme toujours ce que nous avons avance ; 
« que soi n'est rien moins que vague. Si parfois it semble indeter- 
« mine, c'est qu'on lui pr^te mal a propos le caractere des pronoms 



CHAPITRE PREMIEH. 109 

n imkinis arec lesquels U se trouve souvent construit, caractere au- 
« quel sa precision fait pour ainsi dire contre-poids. i> 



DeU 
grammaii'e. 



C'est rendre service a la jeunesse, et faire acte de 
respect envers Tesprit humain^ que de demontrer et 
combattre Terreur en matiere d'enseignement. La ta- 
che est peut-fetre ingrate; on s'attire peut-6tre maint 
sarcasme de la part de ceux qui, se cramponnant a la 
routine, trouvent si doux de se laisser aller les yeux 
fermes; mais un esprit droit trouve une lai^e com- 
pensation dans le sentiment du devoir et du bien ac- 
complis. 

Nous arrivons a une autre petite erreur des gram- 
mairiens. 



DE L'ARTICLE. 

(Extrait d*un Traite (T Analyse grammaticale , inedit.) 

Qoot capita , tot sententue. 



« Voici , a noire avis, le double r6le de Tarticle dans le discours : 

« Dans la presque totality des cas, sa fonctiou se borne h indiquer 
cc que les mots qu'il pr^de, sont substantifs^ ou employ^ substan- 
« tivement. 

« Dans quelques cas seulement, il indique quele substantif est pris 
<i dans un sens d^termin^ ; mais jamais il ne le determine d la ma- 
a m^c des adjectifs dits DiTERMiNATiFS. 

« La faculty determinante des mots /«, la^ lesy est absolument 
« nuile , et si le substantif n'est point determine par une apposition 



11G 



nKlIXIfeME PAHTIK. 



lie \n 



ou par line cireotigtaiioe quel«oiique, ilt le laissNit teujoimdaiM'.sa 



MtiMkiaire " P'^ grande extension, comme, par exempie, dans cette phraie : 
Le cheval est utile a Vhamme. 



« Retranchez les articles le et /', la phrase ne sera plusfinD^aise , 
« 11 est vrai ; mais Textension des mots cheval et kommt setrar .ttm*- 
« jours la mdme qu'auparavant, c'est^a-dire , austi g^randBlpie pos- 
« sible, et, de plus, le sens de la phrase ne perdra rien de sa nettete. 
« Tout le monde , en effet , comprend ce que veut dire : c/ieral est 
« utile a homme. 

« S) done le, la, les, accompagnent quelquefois un snbstantif eom'^ 
« mun pris dons un sens d^rmin^ Textension de oe substantif es»t 
« indiquee par des circonstances enonc^s ou sous-entendues. Quand 
« je dis : 

■» Lk roi^ LA reine et les 'princes etaient au spectacle, 

« les substantifs roif reine, princes, spectacle, ne sont pris dans un 
« sens determine que parce qu'on sait d'avance de quel roi, de quelle 
« reine, de quels princes, de quel spectacle je veux parler. Les ar- 
» tides le, la, les, doivent done id Tapparence de leurroled^termi- 
«• nant aux circonstances qui me permettent de passer sous silence le 
« nom de la race oil da pays de cette famille royale, ainsi que le nom 
« du spectacle en question. 

« JEt il faut bien qu'il en soit ainsi, car que deviendraient les Ian- 
» gues sans article, comme le russe et le polonais, par exemple ? 

« Nous terminerons cette courte digression, en appuyant notre 
« maniere de voir d'exemples qui , nous osons Fesperer, acheveront 
« de porter la conviction dans Tesprit de I'observateur impartial. 



On dil nvec Varttcle : 

filisa rentra dans ce moment, et 
yiut raconter a son pere ce qui ve- 
nait de se passer entre les deux 
Savoyards. J. N. Bouillt. 

Lks deux Savoyards, c'est 

oomme s'il y avait : les deux Sa- 



On dU sans arliqle: 

Elisa rentra dans ce moment, et 
vint raconter a son pere ce <(ui 
venait de se passer entre rfctia: Sa- 
voyards. 

Dans cette phrase, safis article, 
deux Sm)(*yards a nn sens tout «iu- 



CHAPITRK PRKMlER. 



fit 



voffkrds eii qA^kiR, dont nous xe- 
pdns de pAirler. 

Une obooe, a remarquer , c'est 
f|ue« dans cette phrase, le mot 5a« 
voyards est doublement determine: 
d^abdrd, par la circonstance que 
rappelle l*article les, ensuite par 
Tadjectif determinatif (fetu;. 



tre que dans Pexemple de la pre- 
idi^re oolonne. Cesont dtnx per- 
stonagetqni apparaissent pcmMa 
premiere fois sur la scene. La de- 
termination est simple. $'il en etait 
question plustard.il faadrait,com- 
me ci-contre, employer Tarticle 
pouf jndiquer que ce sont des per- 
sodbages d6ja connus. 



De hk 

grammarre. 



Papons k une autre question. 

DE CEBTAHfS PBIOBITE. 

Quelqiie ^mmairien s'est un beau jour avise de 
dite : 

« La premiere persoune a la priorite 
« sur la seconds , et celle-ci sur la 
« troisieme. » 

61 toiit^ la podterit^ grammaticale de rep^ter, avee 
V^lieWtemeTit : 

« La premiere personne a la priorite 
« sur la seconde, et celle-d sur !a 
« troisieme. »» 

Vbiia comment s'etablit le dogme grammatical. 

« Quand nous disons : 

toi , \ 

lui, I noaf.f voyagerons a pied, 

et mat, } 
toi 



et 
lui, ] 



rou.s voyagerez a pied. 



De U 
grammaire. 



112 DEUXI£i\IK PARTIE. 

<i les mots nous et rou$ sont des mots recapitulants, choisis de ma* 
« nieie a ce quits repr^sentent tous les sujets qu*ils r6capitiilent. Si^ 
« dans la premito phrase , od disait : Vans ropagerez^ la pei'sonne 
« qui parle s'exclurait elle-m^me , tandis que nous resume les trois 
•t sujets. L'emploi de rotis, dans la seconde phrase, se justifie abso- 
» lument de mtoe, c*est-^-dire, par la necessite d*embrasser tous les 
« sujets dans une seule expression. 

« La formule des grammairiens est done assez etrange ; il n'y a 
« point de priority, mais il y a un besoiu d'etre clair : cela suffil, je 
« pense * . *» 



Nous lie finirions pas de si tot, si nous voulions 
relever toutes les erreurs epajrses dans les grammai- 
res publiees jusqu'a ce jour. Mais nous ne perdons 
point de vue que les quelques observations et redres- 
sements que nous consignons dans ces lignes , n'ont 
d'autre intention que de donner Teveil aux mattres 
de langue qui pourraient enseigner de bonne foi des 
enormites, comme cela nous est arrive pendant pris 
de dix ans, sans nous en apercevoir. Nous sommes 
persuade que beaucoup de nos lecteurs, qui font 
profession d'enseigner serieusement la langue fran- 
^aise, soumettront desormais les regies que contien- 
nent leurs livres elementaires a un examen critique, 
qui ne pent que profiter a tout le monde. C'est li, 
pour notre part , le seul avantage que nous desirions 
en tirer. 

' Nouvelle Grammaire francaise, a Tiisage des Allemands. 



CHAPITRE PREMIER. 113 

Les rfegles et pr^ceptes contenus dans la Grammaire ~ 
sont la theorie de la langue; les exercices de lexico- grammaire, 
^z*dphie et de syntaxe en sont la pratique. 

Ici se pr^sentent au choix des mattres plusieurs 
nncyenSy qui m^nent au m^me but, mais qui sont loin 
<i'^tre egalement recommandables. 

Nous rejetons tout k fait , comme souverainement 

^^uxisibles, les exercices connus sous le nom de caco- 

^ST^^^^phie ou cacotogie. Mettons-nous, s'il vous plait, a 

^^ place de Televe. Nous voulons lui enseigner Vor- 

^^-^gmphe : c'est une preuve qu'il ne la connatt pas. 

^^-^dimment peut-il seuleroent nous venir a la pensee de 

*^^^ttpe sous ses yeux des mots mal orthographies? 

^^^us voulons lui enseigner a former sa phrase, en 

^-^liservant les regies de concordance^ de dependancc 

^^ de construction^ qui montrent I'emploi et Tarrange- 

*^Xent des signes dont on se sert dans notre langue. 

^^omment pouvons-nous alors avoir la malencontreuse 

^^ee de lui laisser meme entrevoir des phrases ou un 

^c^jectif masculin est accole a un substantif feminin, ♦ 

c^\i un verbe est au singulier avec un sujet pluriel , ou 

^^n regime indirect est a la place d'un complement 

direct , oil enfin la place respective que les mots doi - 

"Vent occuper dans la proposition est ridiculement in- 

texvertie? Est-ce ainsi que Ton procede dans les arts, 

l^s sciences, les metiers eux-mfemes? Un peintre, 

3'Pres avoir indique les regies de la peinture a son 

^l^ve, ne s'avisera jamais de lui donner des jours mal 

Pris a corriger, une perspective defectueuse a retablir 

selon les r^.gles de Toptique. Un chimiste ne suivra 



114 DEUXIEME PARTIE. 

~~ point des precedes analogues. Un menuisier montrera 

lie IB 

grtmmaire. a soH appronti des meubles dont toutes les, parties sent 
d'equerre , et se gardera bien de lui en faire voir d'a- 
borddune construction manquee. Etnous aussi, sui- 
yant les regies de la raison et dn boa sens le plai 
vulgaire, nous ne soumettrons a notre ^l^ve que des 
phrases bien orthographi^es. Et les moyens ne nous 
font point defaut pour parvenir au but que nous avons 
en vue. lis sont de deux sortes, pour renseignement 
du fran^ais aux fitrangers.-Voulons-nous, par exem*- 
pie, exercer notre el6ve sur la formation du pluriet 
dans les substantifs, au lieu de lui donner k corriger 
des phrases comme celles-ci , qui sont le comble de 
Thorreur : 

Les oiseavs sont les habitant de Tair. 

II est plus facile a i'homme d'influer sur la nature 

des animals que sur celle des regetals. 
Ces enfant se livrent avec joie a leurs jeus, 



• 



nous leur donnons les nifemes phrases, mais presen- 
tees ainsi : 

Les (oiseau) sout les (habitant) de Tair. 
n est plus facile a rhomme dlnfluer sur la nature des (ani- 
mal) que sur celle des (v6g6tal). 
Ces (enfant) se livrent avec joie h leurs (jeu) . 

En isolant, au moyen de la parenthese, les mots a 
orthographier en consequence des regies posees dans 
la grammaire, nous 6vitons ce qu'offrent de hideux et 
de nuisible les cacographies ; du reste, les mattres un 



CHAPITRE PREMIER. 115 

peu experiment's les ont, depuis longtemps dej^, re- ~ 
I'guees au nombre des moyens qui detournent du but, Krammaire. 
au lieu d'y conduire. 

Le second moyen qui se presente au mattre ensei- 
gnant a I'Etranger, et que nous regardons comme in- 
fij&imeat superieur k tout autre, c'est de donner k I'el^ve, 
dans sa langue maternelle, des exercices a traduire en 
fran^is. Ces exercices ne seront pas une vaikie com- 
bitiaison de mots vides de sens , de phrases insigni* 
fiantes et plates , prises au hasard , dans le seul but 
d'amener la reconnaissance et Tapplication d un pr6- 
cepte. Extraits de bons auteurs, d'une comprehension 
facile, ils renfermeront toujours une pens'e profitable. 
Une maxime de morale , un fait historique , une date 
c6lfebre, un proverbe, un bon mot ingenieux , en fe- 
ront ordinairement la matiere. 

Les exercices, une fois corriges, dowent e'tre mis 
au net dans un cahier special, 

Une matiere a d'amples observations, mais que nous 

ne pouvons presque qu'indiquer ici, cest la pone- 

tualion. Dans plusieurs langues, elle est plus meca- 

nique que raisonnee ; toutes les phrases se ponctuent 

d'apres un unique etmeme syst^me. En francais, elle 

doit avant tout Stre logique. « Les principes de cet 

« art, dit Beauzee, sent n'cessairement lies a une m6- 

c< tapfaysique tres-subtile que tout le monde n'est pas 

« en etat de saisir et de bien expliquer. » L'importance 

d'une simple virgule est telle, que son absence ou son 

emploi op^re un changement de sens souvent tres-coii- 

siderable. Si je dis : 



Oela 
l^rammaire. 



U6 DEUXIEME PAKTIE. 

Les AUemanda qui sont braves, honn^ieg, courageux , 

ou bien : 

Les AUemandSy qui sont bra res, ftonnites^ courageux , 

ai-je emis une idee absolument identique? Non, Bd- 
rement. Les trois adjectifs Ar^t'ej* , honn^tes ^ coura" 
geux J ne qualifient, en premier lieu, que quelques 
individus de la nation allemande; c'est comme 8*il y 
avait : Ceux des Allemands qui sont, etc. En second 
lieu, au contraire, Tusage de la virgule fait rapportw 
a tout le peuple allemand les qualifications de ma 
phrase incidente. « II y aurait, dit TEncyclopedie, au- 
« tant d'inconvenient a supprimer ou a mai placer 
« dans Tecriture les signes de la ponctuation , qu'^ 
« supprimer ou a mal placer dans la parole les repos 
« de la voix. Les uns, comme les autres, servent a de- 
« terminer le sens; et il y a telle suite de mots qui 
« n'aurait, sans le secours des pauses ou des ca- 
« racteres qui les indiquent, qu'une signification incer- 
c( taine et equivoque , et qui pourrait mfeme presenter 
if des sens contradictoires, selon la mani^re dont on y 
« grouperait les mots. 

« On rapporte que 4e general Fairfax, au lieu de 
« signer simplement la sentence de mort du roi d'An- 
« gleterre Charles I**", songea ase menager un moyen 
a pour se disculper, dans le besoin, de ce qu'il y avait 
c< d'odieux dans cette demarche, et qu'il prit un detour 
« qui, bien apprecie, n'etait qu'un crime de plus. II 
cc ecrivit sans ponctuation, au has de la sentence : Si 



CHAPITRE PREMIER. J 1 7 

« omnes consentiunt eso nan dissentio, se reservant ~ 

^ ' De la 

« d'interpreter son dire, selon Toccurrence, en X^ponc- grammaire. 

« tuant ainsi : AY omnes consentiunt^ ego non; dissen- 

« tio , au lieu de ie ponctuer conformement au sens 

*« naturel qui se presente d'abord, et que surement il 

*< voulait faire entendre dans le moment : Si omnes 

« consentiunt , ego non dissentio. 

« Un syst^me de ponctuation construit sur de solides 

<^ fondements n'est pas plus propre a la langue fran- 

^ ^ise qu a toute autre langue. C'est une parlie de 

^ i'objet de la grammaire generale, etcette partie es- 

^ sentielle de Torthographe ne tiont de Tusage national 

^ <|ue le nombre, la figure et la valour des signos 

"^ qu'elle emploie. » 



II. 

Bmerelccs de itii^iiiolre, et dlci^e«. 

Les exercices de memoire sont raccompagnement 
oblige de l'6tude d'une langue, morte ou vivante. a Ces 
<c Etudes , dit mademoiselle de Lajolais, que nous ci- 
« tons toujours avee bonheur, ces etudes ont le m6rite 
« dedevelopper et d'entretenir la memoire, d'agrandir 
« le cercle des idees, et de penetrer Tesprit du m6ca- 
cc nisme de la phrase ou du choix des expressions. 

La plupart des maitres ont la louable habitude de 
faire apprendre a leurs eleves des morceaux choisis 
dans les bons auteurs en prose et en vers. Nous faisons 
de mfeme; seulement nous croyons que, malgre les 
incontestables et superieures beautes des grands 6cri- 
vains du sifeclede Louis XIV, ce n'est point exclusive- 
ment dans leurs chefs-d'oeuvre que nous devons pui-. 
ser les extraits que nous faisons apprendre a nos eleves. 
II ne nous faut pas oublier que nous enseignons una 
langue qui doit surtout servir dans les relations so- 
ciales, oii le langage va, s'il est permis de s'exprimer 
ainsi, plus terre a terre, sans cesser pour cela d'etre 
francais. Notre litlerature possede des ecrivains d'un 
merite sans doute bien inferieur a eelui des Corneille, 
des Racine, des Boileau, mais qui, par cela mfeme que 
leur diction se rapproche davantage du langage de la 



CHAPITRE DEUXlilME. 119 

conversation, conviennent mieux aux Etudes de me- 

1 »S , . Exercices 

moire des Etrangers. h Athaiie de Rateme est, sans dememoire 
contredit, un chef-d'oeuvre du premier ordre; mais 
nous sommes intimement convaincu , pour en avoir 
fait Texperience, qu'un eleve qui a appris et r6cit6 avec 
toute la pompe qu'ils comportent ces beaux, ces ma- 
gnifiques vers : 

Qui, je viens dans soa temple adorer i'Eternel. 
Je viens, selon I'usage antique et solennel , 
etc. etc. 

en tire moins de profit que de eeux-ci, dont le merite 
est des plus modestes : 

On pent bien quelquefois se flatter dans la vie I 
Tai , par exemple , hier mis a la loterie , 
Et mou billet enfin pourrait bien Itre bon. 
Je conviens que cela n'est pas certain : oh ! non ^ 
Mais la chose est possible, et cela doit suffire. 
Puis, en me la donnant, on s'est mis a sourire, 
Et Ton m'a dit : « Prenez, car c'est la le meilleur. » 
etc. etc. 

Ce n'est pas que nous conseillions de se borner, dans 
le choix des morceaux a apprendre par coeur, k ceux 
qui se rapprochent de la langue parl6e. Notre opinion 
k cet ^ard est que Ton doity mettre de la gradation 
6t de la mesure : pr^f6rer, au d^but des etudes, les 
extraits les plus simples , et r^server ceux de haute 
litt^rature pour Tenseignement superieur. 

L'usage de bien des maitres est de ne faire apprendre 
que des vers a leiurs elfeves; iis n*ont pas lair de se 



120 DEUXIEME PARTIE. 

"T '. douter qu'un peu de bonne prose ne serait aucunement 
dememoire, a dedaiffner. Nous osons ne point fetre de cet avis. Nos 

et dictees. ^ ' 

eleves doivent un jour, comme le bon M. Jourdain, 
s'exprimer en prose et non en vers. Notre habitude 
est d'adopter en cette circonstance comme en mainte 
autre un moyen terme, dont nous noustrouvons bien : 
nous faisons alterner les morceaux de vers et de prose. 
Les maitres de langue franqaise ont, du reste, souvent 
Toccasion de remarquer que les fitrangers ne goutent 
pas si fort notre poesie : ils la trouvent un peu trop 
collet monte. 

Les librairies sont encombrees de CAoix depoSsies, 
de Chrestom/ithies, A'OrnemerUs de la memoirej etc., 
dont les auteurs, se reproduisant les uns les autres, 
semblent s'6tre donne la parole de ne fournir d'extraits 
que de nos chefs^l'Geuvre, en prose et en vers. Cette 
tendance uniforme n'a point, en France , Tinconve- 
nient qu'elle offre a Tfitranger. Nous en avons d6ja 
donne la raison. Les maitres de langues doivent, mal- 
gr6 cela, posseder ce qu'il y a de mieux en fait de 
compilations de ce genre; mais ils ne doivent pas s'y 
borner. II faut utiliser dans le m^me but nos lectures 
courantes. Nous nous sommes souvent felicite d'avoir 
fait apprendre des passages tires des feuilles p^rio- 
diques ou quotidiennes. Les fcuilletons de Jules Janin, 
par exemple, dans le Journal des D^bats^ le plus lit- 
teraire des journaux de TEurope, contiennent sou- 
vent, malgre les oh\ et les ah ! dont ils sont emailles, 
des endroits delicieux, eminemment francais, et d'un 
style des plus pratiques. Nous nous souvenoris d y 



CHAPITRE DEUXifeME. 121 

avoir lu, dans le courant de la presente annee (1857), ; 

un article , que nous intitulerions Ui Sonneite, et qui dememoiri 
ferait Tornement des Ornemenls de la memoire. Les 
Fails (Hirers renfei\ment, de temps a autre, de petits 
recits pleins d'animation, des anecdotes piquantes, 
dont nous pouvons faire notre profit. Butinons done 
partout, et gardons^nousde nous en tenir aux Recueils 
et k leurs morceaux emphatiques. Ne negligeons pas 
les Scenes de tribimaux ; quoi de plus saisissant, de 
plus actuel, de plus vrai ! Seulement gardons-nous du 
grotesque et du vulgaire. 

Quand on ne met point entre les mains des eleves 

une des nombreuses compilations qui se publient cba- 

cjue jour, on a ses coudees Tranches pour leur dieter 

les morceaux que Ton croit les plus convenables a 

leur instruction. On leur compose de la sorte, dans le 

cjours de leurs Etudes, un choix de vers et de prose 

cjui a, pour eux, le merite de Timprevu et de la nou- 

"veaute. Nous avons remarque qu'iU apprennent avec 

;plus de plaisir les extraits qui leur arrivent ainsi de 

t;ous les c&tes, que ceux qu'on leur dicte d*un livre, 

t»ujours le mfeme, et dont la seule vue finit par leur 

^tre desagreable. On les oblige a mettre ces dictees au 

net dans des cahiers intitules Melanges en prose et en 

vers, et portant cbacun leur date et un numero d'or- 

dre. Ces petits choix sent toujours bons a conserver, 

mais on salt que les enfants n'aiment a garder que 

les cahiers qui leur ont coute beaucoup de peines et de 

soins. 

Les enfants qui ont une mauvaise memoire, se fati- 



Exerrices 



122 DEIIXIEME PARTIE. 

guent beaucoup pour apprendre quelquefois fort peu. 
tememoire, Nous Youlons rcndre a ces pauvres petits amis le 14- 
ger service de leur indiquer un moyen d'all^ger leurs 
Etudes de memoire. 11 ne nous a' point ete inconnu 
dans notre jeunesse, mais nous Tavions completement 
perdu de vue, lorsqu'il notts a 6t^ rappel6 par une per- 
Sonne fort distingu^e sous le rapport de la naissance, 
de Tesprit et du coeur, madame la comtesse Xaverine 

Gr ka, bien connue dans le mondeparisien. Voici 

en quoi il consiste. 

Supposons que nous ayons a apprendre par coeur 
quelque chose de particuli^rement difficile, dans le 
genre des lignes suivantes, qui sent sorties de la plume 
immortelle de Bossuet : 

Qui a forme tant d*espices d'animauoc, et tant d*eipece& stthor- 
donnies d ce genre ; toutes ces propri^tes^ tous ces mouvements^ 
toutes ces adresses , tous ces aliments^ toutes ces forces dh-erses^ 
toutes ces images de rertus , de penetration , de sagacite et de 
violence f Qui a fait marcher, ramper, glisser les antmaux f etc. 

Ce passage est, a coup sur, un des plus abstraite- 
meat sees que Ton puisse vouloir faire entrer Abxxb la 
t6te follette d un enfant. II n y a la rien qui parlc k sa 
jeune imagination, rien qui Tattraye en aucune ma- 
ni^re, rien qui rentre dans le cercle habituel de ses 
id^es naissantes. Je doute m^me que Fenfant com- 
prenne bi^n la portee de ces paroles du grand pr^lat. 
Eh bien! qu'il detache de chacun des mots ci-<les8U8 
la lettre initialey et qu*il ecrive toutes ces lettres k la 
suite les unes des autres, comme il suit : 



CHAPITRE DEUXifeME. 123 



Q, a f. f. rf>. rfV-, e. t. d'e. s. a. c. g.; — t. c. p., t. r. Exercices 



w., t, c, «r. , t, c. a., t. c. f. d., t. c. i. d. r., d, p,, d, s, 
e. d. V,? — Q, a, f. w., r., g, I. a J 



dememoin 
et dict^. 



Qu'il Use maintenant, phrase par phrase, cette en- 
nuyeuse lecon; qu'il essaye ensiiite de la r^peter au 
moyen des initiales detachers de chaque mot, Ces 
initiales seront pourlui, avec Taide de la ponctuation 
conservee^ des points de repere qui lui allegeront con- 
siderablement sa tache. Si Ton se trouve bien du pre- 
cede, nous le livrons avec plaisir. 

Nous avons choisi a dessein ces lignes de Bossuet, 
qui sont tirees d'un livre intitule : Exercices de me- 
moire et de styles et faisant partie, nous n'en impo- 
sons point, d'un Cours (Penseignement elementaire, 
L'auteur croit devoir ajouter : mis a la portee des en- 
fants; et nous sommes persuade que I'honnfete 
homme est de bonne foi. Helas! il faut lui pardonner, 
car il n'a pas plus failli que tons ses honorables con- 
freres, auteurs de compilations analogues. Tons, sans 
exception, en ecrivant pour de pretendus enfants, ont, 
a leur insu, travaille pour eux-mSmes. lis ont oublie 
que I'esprit d'un garcon ou d'une petite fille de douze 
a treize ans n'est point I'esprit d'un homme qui a 
blanchi dans la penible carrifere de I'instruction pu- 
blique. Au lieu de redevenir momentanement enfants, 
ils ont fait de leurs petits el eves des barbons a che- 
veux gris et rares, portant lunettes, et ayant un air 



124 DEUXIEME PARTIE. 

grave et r^flechi , comme Bernardin de Saint-Pierre, 

icnSmSre, cx-ermite, ecrivant ses Harmonies de la nature. 
et dictees. ^ ^^^ gens-la, nous autres maitres de langue, nous 
ne devons jamais ouvrir notre porte. 



III. 



De la traduetlon* 

Un exercice d'une inconcevable utilite, quoique bieil 
des maitres le negligent, c*est la traduction, lei, 
comme ailleurs, on procedera par degres. Soumetti^ 
de prime abord un jeune Etranger a Tepreuve d'une 
version, en Tabandonnant a ses propres forces , c'est 
ie pousser sur un 6cueil ou il echouera. Rien de plus 
penible, aussi rien de plus rare qu'une bonne traduc- 
tion. Nous ne debuterons done point par obligernotre 
el^ye a traduire en francais un morceau ecrit dans sa 
langue matemelle, quelque fecile qu'il soit d'ailleurs. 
Bien que passablement verse dans les elements de 
retude qu'il poursuit, c'est tqujours un elfeve, un 
Etranger, dont Tesprit est accoutum6 d6s I'enfance a 
des tournures de phrases, a des locutions particuliferes, 
a une construction de mots essentiellement nationale. 
En lui donnant a traduire un passage en francais, 
nous lui dicterons de courtes notes sur telle question 
grammaticale non encore debattue, sur telle difficulte 
qui va se presenter a lui pour la premiere fois. Alors 
il est efficace d'entrer dans des details explicatifs sur 
les differences observees. Nous tiendrons a ce qu'il 
saisisse et retienne les nuances qui caracterisent les 
expressions diverses et font preferer celle-ci a 



126 DEUXlfeME PARTIE. 

~r~ celle-la : parlons a son jugement , mettons en relief 
traduction, le sens faux de ce mot francs, dont Tauteur que 
nous traduisons ensemble a voulu faire redonder sa 
periode ' ; prevenons-le constamment contre cette ri- 
dicule vanite d'erudition. Son travail termini , pre- 
nons cette version , phrase par phrase ; voyons s'il a 
tire parti des elements qu'il possede ; qu!une critique 
raisonnee porte la conviction dans 8on esprit. Un ku- 
taur paraphrase n'est pas un auteur traduit : xendre 
uae pensee par un deluge de circonlocutions » c'est 
Taffaiblir puerilement. Pour que notre eleve fasse un 
travail profitable j il s'appliquera a faire passer son 
telte tout entier , pensees et esprit, dans une version 
litt^rale et coneise, qui ne s'ecarte jamais des {»rin^ 
cipes de la langue fran<;aise. Son style sera ch&tiS : il 
eliminera ce mot oisif , remplacera par un synonjme 
plus juste cet autre au sens louche, fera disparattr^ 
cette consonnance dissonore, produite par un choc de 
yoyelles , ou par une repetition trop rapprochie des 
m^mes inflexions. 11 n'enchev^trera point les phrases 
du texte Tune dans Tautre, pour les couper ensuite a 
sa guise, a moins d'une absolue necessite. Qu'il s'ap- 
plique k reproduire la pensee primitive en la jetant, 
pour ainsi dire, dans le m^me moule, sauf les vari^tes 
de nuances que la dissemblance des idiomes rend ine- 
vitables. 

* Les Allemands surtout , dans leur langue ecrite et parl^e , se distinguent 
par la manie d'employer des mots franqais, soit en les detournaiit de leur teftk, 
comme particulier pour rentier, soit en les fabriquant a neuf, comme bid- 
mage, pouss€ige! apports gratuits dont la langue de Bossuet et de Voltaire ne 
se montre pas extr^ement satisfaite. 



CHAPITRE TR01SI£M£. 127 

Tout cela, ce n'est point I'diffaire d'un jour. 

La traduction est la pierre de touche du maitre de tradaction 
langue. 

Dans les pays ii langues difficiles, eomme la Russie 
et la Pologne, les mattres de langue francaise se par^ 
tageiit en deux partis, qui, comme tons les partis, ne 
vivent pas ensemble dans une pa^faite intelligence. 
Les uns parlent la langue du pays avec assez de faci*- 
lite, mot qui n'est point synonyme de purete , I'ecri* 
vent m^e, et, gr&ce a cette ressource, se tirent plus 
facilement d affaire avec les etrangers qu'ils frequen*^ 
tent. Les autres poss^dent a peine quelques mots de 
cette langue, ne se hasardent point a Tecrire , fijt-ee 
mSme sur le dos d'une lettre , ont pen de relaticms 
ayec les etrangers, et leurs relations, en genial, 
ne franchissent gu^re le cercle de leur p6nible etat. 

Les premiers s'estiment infiniment superieurs aux 
derniers. « lis ne savent pas la langue du pays, com- 
<c ment pourraientrils y enseigner la leur? » Tel estle 
propos que Ton entend tons les jours iancer a Tadresse 
de ceux qui ne parlent ni polonais, ni russe, par ceux 
qui pratiquent ces deux langues. 

Au fond de tout cela git ce que les AUemands ap* 
l^WenlBroflneidj mot que nous deciarons intraduisible 
dans sa saisissante simplicite; et cette jalousie de 
metier prouve une chose surtout : c'est qu'il y a bien 
pen i ronger autour de Tos qu'on nomme metier de 
maitre de langue. 

Les pays du Nord-Est europeen , nous laissons a 
d'autres le soin d'en rechercher la cause , absorbent 



128 DEUXIEME PARTIK. 

rapidemeni lea nationalit^s etrangeres : mcBurs , habi- 
traduction. tud^, langue, accent, etc., etc., tout s'y impose aux 
etrangers a leur insu, pour ainsi dire. II n'est pas 
neeessaire que la sympathie s*en mMe. On y en ren- 
contre fort peu qui soient restes eux-m^mes, au bout 
d'un certain nombre d'annees de sejour. lis subissent 
cette transformatiiui sans s'en aperccToir; s'ils ren- 
trent un jour dans leur pays natal , ils s'y pr^sentent 
comme des gens du dehors, et, pour recouvrer leur 
nationalite perdue , ils doivent attendre I'effet du 
temps et du contact journalier avec leurs anciens 
compatriotes. U en est mfeme, et le cas se presente 
assez fr6quemment, qui ne peuvent plus se rehabituer 
aux lieux ou ils sont nes, se consument d'ennui au 
milieu des splendeurs parisiennes, et s'estiment heu- 
reux quand ils peuvent retourner vivre ot mourir dans 
leur patrie d'adoption. 

Cette influence des pays du Nord-Est europeen estj 
on le conceit, souverainement dangereuse pour les 
etrangers qui vont y enseigner leur langue mater- 
nolle. Que de precautions ne leur faut-il pas employer 
pour resister a un contact aussi deletere, au point de 
vue de leur profession? Nous ne pouvons mieux les 
comparer qu'a ce malheureux et inoffensif animal qui 
a pour ennemis mortels quadrupfedes et bipfedes , 
chasse, pourchasse, de jour et de nuit, par les uns et 
par les autres, toujours aux aguets, toujours effraye, 
dormant les yeux ouverts ; . . . ♦ 

Le LiBVBE, puisqiiil faut I'oppeier par son nonty 



CHAPITUE TKOISIEME. • 129 

nous semble I'embldme le plqs frappant, le plus vrai, Deia~ 
du maitre de langue, disputant, bribe a bribe, aux po- ^'adiiction 
pulations qui Tenceignent et le pressent comme I'eau 
d'un bain, son pauvre idiome national, son gagne- 
pain. 

Un maitre de langue , au milieu de gens qui lui es- 
tropient sa langue maternelle a qui mieux mieux, 
oblige ^entendre des conversations qui lui font venir 
la chair de poule, eprouve Timpitoyable necessity de 
se revolter interieurement centre mille locutions in- 
correctes , pour se soustraire a la contagion de \ habi- 
tude ^ qui en a vaincu, terrasse, humili6 mfeme des 
plus forts sur leur partie, des plus decides, dans le 
prineipe, a conserver leur langage pur de tout melange 
etranger. 

Ce n'est done guere que dans des conditions d'iso- 
lement toutes particuliferes, qu'on pent esperer pou- 
voir conserver a sa langue sa puret6 native, et rester 
etranger au milieu des Strangers auxquels on est ap- 
pele a Tenseigner. Un maitre de langue franqaise, 
dans les pays dont nous parlons, surtout lorsqu'il vit 
loin des grands centres de population et de culture, 
doit souvent se retirer dans son for interieur, songer 
a la patrie absente, frequenter activement ses livres, 
compatriotes qui Tont suivi dans son exil pour T^tre- 
tenir de tout ce qu'il a laisse derri^re lui , et limiter, 
autant que possible, les relations qui le detournent du 
but qu'il a constamment devant les yeux. 

De la table solitaire ou nous tracons ces lignes, 
nous entendons les rires moqueurs de certains de nos 

9 



180 • d£uxi£:me partie. 

confreres ; mais nous entendons aussi le cri d'assentir 

traducHon. meut de ceux qui prennent au serieux leur modeste et 

utile profession. 

« Mais, nous objecteront ceux*ia, parmi les institu- 

<c teurs fran^ais qui parlent la langue de ces pays, 

« n*en est-il done point qui soient restes FranQais, 

« sous le rapport de la langue? » 
II en est, nous le reconnaissons ayec plaisir; mais 

quelle imperceptible minorite forment ceux qui ont 

^appe au naufrage ! 

Apparent rari nantes in gurgite vasio. 

Pour en revenir done a notre sujet, ou nous Tavons 
laisse, nous disons encore une fois : La traduction est 
lit pierre de toucke du maitre de langue, Quand on 
Iraduit, il n'y a pas moyen de s'esquiver; on se livre 
tel que Ton est, fort on faible, instruit ou inculte; on 
86 photographic soi-m6me, et on dit : cr Me voila ! » 

11 n'est pas absolument indispensable qu'un mattre 
de langue possdde a fond Tidiome de ses cloves etran^ 
gers, pour faire avec eux des exercices de traductioa, 
fidties et corrects. Quand on a sous les yeux un texte 
imprirn^, que Ton se trouve dans le pays m&me ou la 
langue se parle, on dispose de plus de ressources pom* 
obtenir une version satisfaisante, qu'un latiniste ou un 
grteiste pour rendre le sens dun auteur ancien. Une 
langue vivante tient toujours a nos ordres cent inter- 
prates divers. Nous pouvons done, avec un pen de 
travail sans doute, trouver le sens exact des expres- 



CHAPITRE TROISIEME. IS! 

sionsles plus embarrassantes; le sens general se livre 

toujours de lui-mdme. 11 vaut mieux done, et c'est no- traduction 
tre conclusion, ne pas Stre si fort sur la langue du 
pays oil Ton enseigne, quand surtout celte langue • 
offre les difficultes du polonais et du russe, et conti- 
nuer a parler sonfrangais avec purete, avec un choix 
d'expressions convenable, sans tomber dans ce parler 
francs banal, sans physionomie, sans caractere, qui 
ne se rencontre que trop fr^quemment en pays Stran- 
gers. 

Le titre mSme de cet ouvrage nous impose le devoir 
de donner des specimens de tons les exercices que 
nous recommandons. Les traductions qui suivent sont, 
a Texception des morceaux traduits de I'allemand, 
dont nous assumons la responsabilite , Toeuyre de dif- 
ferents autetirs, auxquels reviennent, en toute justice, 
i'eloge ou le blame que meritent leurs travaux d'in- 
terprStation. 



132 



I)K11X1K»IE PARTIE. 



be la 
t raductiou. 



LANGUE ALLEMANDE. 



IDer }nbxot\\ti\t finig^ 

dine 3bp(U tton (&) r f n r r. 



ein jifgewfupiger gaim lag im= 
in titiex (Bi&)c in tiefrm ©d^Iaf 
auSgefhrrrft, unt> \>it jungrn ^jr= 
ten \af)t\\ il^n. 2Blr woUen, ft)ra* 
d^m flf, \\)n ffjl an bm f&aum 
bintrn, unb bann foU rr und fur 
bif Sodlaffung ein i^ieb ftngen. 
Itnb fie Banben i^n an ben ®tamm 
ber (Bid^e feft, unb warfen mit ber 
gefaQenen S^rud^t i^n voati). 9Bo 
Wn i(^? fo frrad^ ber gaun , unb 
gal^nte; unb be^ntr bie 3(^9^- 
ffige meit auS : SBo ijl mein ,Jtrug? 
51^ ! ba liegen bie ©cl^erfcen i)om 
f^Bnfien jtrug! l£)a i(]^ gepern 
im dia\x\(f) l^ier fan!; ba i^ab i^ 
H>n gerkod^en. — Qlitx mx i)at 
mii) fefl geBunben? fo fvra(i^ er, 
unb fa^ ringg um^er, unb i^Srte 
baS gn?itfd)ernbe iattjen ber J&ir^ 
ten. ^inbet utid^ lod, i^r t$tna= 
fcen ! rief er. SBir Binben bid^ nic^t 
lod; f^rac^en fte, bu ftngefi un^ 
benn ein Sieb. ^ad foU i(^ eud^ 
nngen, i^r J&irten? ^pxa^ ber 
J?aun. aSon bem jerkodgienen 
Jtrug roiU id^ fingen ; ba fe|t eud^ 
in'S ®rad urn mid^ ^er. 

Unb bie J&irten fe^ten jt(^ in'8 
®rag urn i^n ^er ; unb er ^ut an ; 



LA CRUCHE CASSfiE , 



IDTLLR PAB SBSMBK. 



Un Faune, aux pieds de chevrc, 
gisait sous un ch^ne dans pn pro- • 
fond sommeil, et de jeunes pas- 
teurs Tapercurent. — « Lions-le a 
Farbre , se dirent-ils, et il faudra 
quMl nous chante une cbanson 
pour etre delivre. » Et Tayant at- 
tache au tronc da chene, ils ]*e- 
veillerent en lui jetant des glands 
tombes de I'arbre. — « Ou &ui&-je? » 
dit le Faune, b&illant et alloDgeant 
tes bras et ses pieds de chevre; « ou 
suis-je? ou est ma cruche? Aikl' 
voila les debris de la plus belle des 
cruches! Hier, en tombant ivre 
ici, je Tai cassee... Mais, qui m*a 
ainsi lie ? » 11 dit, regarda autour 
de lui et entendit le rire bruyant 
despasleurs.— « Deliez -moi, jeunes 
gens ! » s'ecria-t-il. — « Nous ne te 
delierons-pas, » dirent-ils, « quetu 
ne nous chantes une chanson. » — 
« Que vous chanterai-je done, ber- 
gers, » dit le Faune. « Ah I je vais 
chanter ma cruche cassee; asseyez- 
vous aulour de moi sur Therbe. » 



Les bergers s'assirenl autour de 
tui Rur rherbe, et il comment : 



CHAPITRE TROISliME. 



133 



^rit tie ®c^rr6ru um^rr. 

@^6n warmdn Jitvmj, mfiner 
JpS^lf f(^6nPf 3i<?rt>f ; unt) ging 
fin SBalbgott toorubfr, bann vief 
t<^ : itomm trmf, ttnt> jir^r ben 
fc^onflen ^rug ! 

3eu« felbP ^t f»eibem fro^ejien 
Refl nid^t einen fcj^ftnern jtvug. 

(St ifl jerfcro^en , ad^ ! er ip 
Settro^en, ber fd^ffinfte J^vug ! ^a 
liegen bie (B(t)txhtn um^er.. 

fflenn bei mir bie S3riiber ^id} 
fammtlttn, bann fafien ivir ringd 
urn ben itnig. SBir tianfen, wnb 
jrber, ber ixant, fang bie barauf 
gegrat'ene ©eft^i^te, bie felnen 
^iBip^en bie nad^^e roar. 3e|t trin- 
fen mir nicl^t me^r, i^r ©riiber ! 
au3 bcm jtrug ; je§t TiHgen luir 
iiidbt me^r bie ©efc^ld^te, bie jebeg 
^i)>^en bie naddfle ift. 

(gr ip gerbrod^en, ad^ ! er ip 
§er6ro(^en, ber fd^^njle ^rug ! JDa 
liegen bie ^(I^er6en uin^er. 

Jtenn auf bem J^rug roar gegra^ 
Un, rote $an ooU @ntfe|en am 
lifer fa^, roie bie fti^i^n^e 0?^nH)fe 
m ben umfd^lingenben Qlrmen in 
Ii4)elnbeh <B6fil\[\(f^ \)erroanbe(te. 
Sr f^nitt ba gluten i^on <B(f^i\'^ 
ro^r »on ungleid^er Range, unb 
flf^te lutt SSat^d Tie jufammen, 
unb Uied bem Ufer ein trauriged 
8ieb. JDie gd^o ^ord^te bie nene 
Wufif, unb fang fie bem erfiaunten 
^^in unb benti^tigetn. 

5(6er er ifl jerbrod^en, ei* ift 
^rbrod^en, ber fd;i)nfle jtrug. $£)a 
Ut^tn bie ^^evben uin^er. 



« Elle est cassecy elie est ca>*ee, ~ 

la plus belle dcs cruches! lii gi- ?* '• 

•,,,... IraductKHi. 

sent ses rfebris epars. 

'( Elle etail lielle, ma cruclie, le 
plus bel ornement de ma cavcine; ' 
quand uo Sylvain passait, je lui 
criais : Viens boire, et \ois la plus 
belle des cruches. 

« Jupiter lui-meme, dans la plus 
grande fete, n'en a pas une plus 
bisllc. 

« Elle est cassee, elle est cassee, 
la plus belle dos cruches! La gi- 
sent ses debris epars. 

» Quand mes compagnons se 
rassemblaif nt aupres de moi, nous 
nous asseyions autour de ma cm- 
che. Nous buvions, et chaque bu- 
veur chantait I'aventure gravee le 
plus pies de ses levres. Maiote- 
nant^ freres, nous ne boirons plus 
dans ma cruche; maintenant uous 
ne chanterons plus TaveDture la 
plus proche de nos levres. 

« Elle est cassee , helas ! elle e»t 
cassee, la plus belle d(s crudies! 
La gisent ses debris epars. 

« Sur cette cruche etait repre- 
sente Tan, saisi d'cffroi eii voyant 
se changer en roscau la plus belie 
dis nymphes, qu'il eiilacait de ses 
bras. 11 coUpa des roseaux de gran- 
deur i negate, les unit avec de la 
cire, et joua sur la rive de lugu- 
bres airs. Echo -entendit cetic me- 
lodic nouvelle, et la r^dit aux bos- 
quets etonnes et aux collines. 



« Mais elle est cassee. , elle est 
cassee, la plus belle des cruches ! 
Lh pi»ent ses debris epars. 



184 



DEUXIKME PARTIE. 



iSatin flunt aitf bem Stxn^, wit 

Sluden bie *Jli^tiM)^' (guro^ auf 

3BeUfn mtfu^tte 

3ttbfj5 

rang fir jammernb bie <&anbf u6ft 
bfin 4^aiM}t, mit beffm lodtgtem 
^ax bif gaufrlnbfti B^^itr \pieh 
ten; unb ))or i^m ^ex xitttn W 
9imoxi, la^f Inb auf bem rotlltgrn 
Dfft)^in. 

9ttft n ift getbrod^m, er ift 
jerirod^m, ber f^6nfle Jtrug ! Da 
lifgm bie ^d^rrbm um^cr. 

%x(ff mar ber fd^&ne Sacd^ud 
gegraBen. dx fa§ in etnem ianbe 
90tt SteBen, unb eine 9l\)mpfft lag 
i^m gur ®eite. 3^r linfer ^ilrrn 
umfi^Iang feine ^uften, ben xtd^^ 
ten ^ielt fte enU)or, unb gog ben 
93ed^er jururf , nad) bem feme ibpz 

pen fi(ff fel^nten 

. . . . , unb ttor i^m fplel^ 
ten feine geflWtten JTiger; fd^meis 
i^elnb a^tn fte SirauBen and ber 
IBlebedg&tter fleinen .^anben. 

after er ift gerbrod^en, er ifl ger^ 
Brod^n, ber fd^&nfie Jtrug ! ^a 
liegen bie ©d^erben um^er ! D ! 
Mag' e6, (Sd^o, bem J&ain ! Jtlag* 
ed bem gfaun in ben ^'6t)Un ! Sr ifl 
gertrod^en ! JDa liegen bie (Sd^er- 
Ben um^er. 

<So fang ber Saun ; unb bie iun^ 
gen <&irten Banben i^n lod, unb Be:: 
fa^en ivunbernb bie (Sd^erBen im 
®rafe. 



« On y voyait Jupiter, sous la 
forme d'un taureau blanc, ravis- 
sant sur son dos la nympbe Eu- 
rope a travers les ondes. , . , 

fiploreey 

elle se tordait les mains sur sa tete, 
tandis que ks zephyrs voliigeants 
jouaient avec les boucles de sa che- 
velure, et que les Amours prece- 
daient le dieu sur an docile dau- 
phin. 

« Mais elle est cassee , elle est 
cassee, la plus belle des cruchet ! 
La gisent ses debris ^pars. 

« Le beau Bacchus 8*y trouvait 
aussi represente. II etait assis sous 
une treille, et une nymphe oou- 
chee a ses cotes. Elle enla^tde 
son bras gauche le flanc da dieu, 
ety elevant sa main droite, elle re- 
tirait la coupe que ses levres sou- 
riantes briklaient d'atteindre. . . 



et devant lui jouaient ses tigra 
mouchetes; caressants, iis man- 
geaient des raisins dans let peiites 
mains des Amours. 

« Mais elle est caasde, elle est 
cassee, la plus belle des cruehes! 
La gisent ses debris epars. £cho, . 
redis ma plainte au bosquet ! Re- - 
dis-la au Faune dans lesgrottw! M 
Elle est cassee ! La gisent ses debris^ 
epars. » 

Ainsi chanta le Faune; les jeune!^^ 
bergers le delierent, et regaideren^ .m 
avec admiration les debris epars su .^i 
rherbe. 



I 








(Einem oltett frommrn I^Brautin 
^^iwarb tvx Urrnfrl getorm. SSdII 
fttbe iiift ben ©egrn, ber feinrm 
iuff mibftfa^ren roat; fprad^ 
-r : 3(]^ will :^inaud gr^en, unb 
em grogm Seift unb ^ater bet 
lotur banfett, ber und grfegnrt 
aXSi^t' et mtr ®elrgen^eit 
6m, 3^n bucd^ irgmb fine gutr 
^t }U))erfl^en! ®o f^raO^ er 
inb ging. 

3)if S(ut^ ber retnen Strube 
;;^ S)anC6arfeit, unb i^re gruc^t 
ol^lt^un. 

3XU bem leBenbtgen @efu^( ber 

fre^rung be« grogen roo^ilt^atir 

len ©eified trat ber @retd in bad 

jUbe unb in bie ®(j^atten ber 

iume. Seber feiner ©ebanfen 

■^war eitt ®e$et. 0loti^ funf elten bie 

^^^ropfen einefi frifti^gefallenen (fte^ 

^^B^ on ^alnten, Slut^en unb 

^=^lattern. S)ie Watur fd&ien i^m 

^^wrjungt unb fti^oner ate je, 06- 

"»Do^I er fdjfon neungigmal ben 

^r&^Iing gefe^en l^atte. ®ie ift 

"lDa« SBerf be«guten ®eipe«, fpraci^ 

^r. 2)em , ber %\fx »ere^ret unb 

^it bem @e6ilbe ben Silbner er^ 

^annt^ beraltet fie nidjft ! 

5£)cv @reid fe^te feinen SBeg 

foirt. IDa fanb er auf bem Betrete- 

*»«^»t$fabe eine gi^el. @4»on^tte 

^«^ Sie^en burO^ feine Befruti^f^ 



CH^PiTRK troisi£;me. 

II. 

L£ GUND, 



13^ 




Ue 

Iraduc 



FABABOLB DK KBUMllAGBBm. 



II veuail de oattre uo wricrt* 
petit -tils a un vieux et pieux bnt- 
miu. Ravi de la benedictioB aooor- 
dee a sademeure, il dit : « Je vais 
remercier le grand Esprit, pore de 
la nature, qui nous a l)eDi8. Puisse- 
tril me donnff Toccasioa de i'b^ 
norer par quelque bonne oDuvre ! » 
Et il sortit. 



La fleur de la joie pure est la 
gratitude, et la bienfaisance en est 
le fruit. 

Anime d*un sentiment respec- 
tueux en vers le grand et bienfoisant 
Esprit , le vieillard se rendit aux 
champs et sous Tombrage des ar- 
bres. Chacune de ses pensees etait 
une priere. Les ^outtes d'une pluie 
recente etincelaient encore aux her- 
bes, aux fleurs et sur les feuilles. 
I^ nature lui semblait rajeunie et 
plus belle que jamais, bien qu*il 
eut dej/i vu quatre-vingt-dix foisle 
prinlemps « Elle est Toeuvre du 
boa Esprit, dit-il. Pour celui qui le 
respecte et rec^lnnalt Tartiste dans 
ToBuvre, elle ne vicillit pas. » 



Le vieillard continua son che- 
nun. 11 trouva sur le sentier battu 
un gland. Deja la pluie, par sa 
vertu fructifiante, en avait fait sor- 



136 



DEUXIKME PARTIE. 



Oeln 
tradiicliotY. 



tenbe J^raft t>en Jteim ^eruorge' 
loit ; t>ie ciu^eve ^^ale wax jer- 
fpalten. Qlbet bcr Stem fonnte 
niti^t imirjeln auf bent ^arten fa^r 
len Q}fabe. 

il)et ©reiS biirfte fl(^, na^m fie 
aitf ttnb ft)rad& : @cl^i)n, ba|l mtci^ 
mdri ©eg ^ier^er fii^rte. Igcid^t 
^dtte bicl^ ber gfug be0 2Banbercr« 
^rtreten, cber bft ©onncnfha^l 
»ertro«fnet. SBol^f mir, ^ier fann 
i(& cm QuM SBftf tl^un^ iinb 
mfine innere Smjjffnbung bur^ 
5!^at tooHcnben, Inbem i(S) bic 
SnJfrfe beriDfifeh 0?atur brforbfie, 
bie mit iebem 5(t^emjug unS einc 
ffio^ilt^at etirelfet. ^xxti) bie flein- 
jle JlJanreavfeit ift eine fu^e 

Sin Siingling , ber ^intei* bem 
(Sid^Baum panb, ^atte bie ®orte 
beg S3raminen »eniommeti. Sr 
trat fievoox unb Ici^elte f^bttif^. 

— SBarum Ia(3^elfl bu? fogte il^m 
ber ©reig. — ^er Simgling anU 
wortete : Ue6er beinen flnbifti^en 
Sinn, mein 2(Iter, ba^ bu bici^ 
freuen fannft, einer Sicl^el bag Se= 
6en gerettet ju ^aben. — Sungling, 
fagte ber Suramin, luic »ermagft 
bumeinenSinngu erfennen, babu 
mid; ^eute junt er jlenmal fie^ep ? 
Unb roarum ft)ottefi bu beg fleinen 
IDienjIeg, ben iS} ber 0latur ju 
leiften gebenfe? 3l)r gilt bag ^ac 
nunforn fo biel a(g ber Saum, 
unb o^ne jeneg njfire biefer niti^t. 

— 5Iu(^ bie Sugenb, mein ®o:^n, 
beginnt mit bem Jtleinen, unb 
fleigt von biefem gu bem ®r5geren 
^Inauf, Wer jem'e^r fie ft^ bem 



lir le germe ; i'enveloppe exterieure 
etait fendue. Mais le germe ne pou- 
vait prendre racine sar' la voce 
dure et nue. 

Le vieillard, se courbaot, le ra- 
massa et dit : « Mom chemin m^a 
conduit ici , tant mieux. Le pied 
du voyageur t'aurait facilement e-* 
erase, ou les rayons du soleil des<- 
seche. Je suis heureux de pouvoir 
faire ici une bonne ceuvre, et con- 
sommer mou sentiment interieur 
par Taction, en favorisant les vucs 
de la sage nature, qui nous accorde 
un bienfait chaque fois que noui» 
respirons. Memc la plus faible re- 
connaissance esl un doux devoir. 



Uu jeune homme,qui se trouvait 
derriere le cbene, avail recueilli 
les paroles .du bracmane. II 8*avan- 
ca avec un sour ire moqueur. — 
« Pourquoi souris-tu? » liii de- 
manda le vieillard. Uadolesoent re- 
pondit : « Je souris de ton esprit 
enfantin, vieillard, toi qui peux te 
rejouir d*avoir sauve la vie a un 
gland. « — « Jeune homme, dit le 
bramin, comment peux-tu connai- 
tre mon esprit, me voyant aujour- 
d'hui pour la premiere fois? Kt 
pourquoi te moquer du petit ser- 
vice que je crois rendre a la na- 
ture ? Pour elle la semence est au- 
taut que Tarbre, et sans Tune Tau- 

tre ne serait pas La vertu 

aussi, mon tils, a un principe fai- 
ble, et de la s eleve a un grand re* 
sultat Mais, plus elle approche du 
type et de la perfection , plus elle 



CHAPltRK TROISIEME. 



137 



t^txt, urn bf jlontfl^r neiget fie fiti^ 
^itr (Sinfalt. Unt> banngiU if)x bad 
^(fhtfle fo \)itl aU bad <i&oti^f!e. 
<Sfnbet nic^t auti^ ®rama feinen 
@tra^( unb 3!^au auf ben ©rad- 
^alm unb ble $oIme ^einifber? — 
@o fprod^ bcr ©reid mit freunb- 
lid^mi ^rnft. 

^fc Sungling entfetnte fiti^ 
fd^ipcigmb unb i)ol( (S^vfurti^t. 
(§r ^atte ben eblen ©reid in feiner 
'iffiurbe gefe^en. @r rounfc^te, ju 
ffin line er. 2?enn felbflbec iJei(^t= 
linn mu§ in feinem ^erjen bic Tu= 
(jenb ijere^ren. 

^er 93rainin fe^te feinen 2Beg 
fort |U einem J&uget, ber vino|d= 
uml^er mit JDovnen beiraii^fen war. 
3[^nt iBegegnete ein «@anbe(dmann 
unb fragte : ^ente\t bu nod) and 
ber (gid^el bir einen 93aum ju er? 
giefeen? 2)u wirfl luo^l fc^merliti^ 
bid^ feined @(3^attend erfreuen ! 

2)er ©reiS antroortete unb 
f^rati^ : 39?u§ man Beim ^flanjen 
nur an ben @(3^atten bed S3aumed 
unb an \itf} feI6er benfen? ^adjt 
edbennbieS^atur fo ? aJfein (So^n, 
mer nid^t erfl geflevn imb ^or- 
gefietn gepflanjt f}at, finbet inbem 
^an;%ea fettfl feinen 93eruf unb 
feinegreube. 

(Sr !am an ben J&ugel. 5(uf bev 
@^)i|e beffelSen, unter ben ^or:: 
nen, \jergru6 er bie^ic^et, unb 
bebetfte fie forgfam mit ^rbe unb 
'3Hood. — ffiie ! unter ^ornen 
^jfian^eflbu? rief i^m ein^&irt ent.- 



peoche vers Thumilit^ et la sim- 
plicite. Et alor8 le petit est pour 
elle comme le grand. Brama n*en- 
voie-t-il pas ses rayons et la rosec 
au brin d'herhe et au palmier? » 
Ainsi parla le vieillard avec une 
affable gravite. 



Le jeune homme s'eloigna, silen- 
cieux et plain de respect. II avait 
vu le noble vieillard dans sa di- 
gnite. 11 desira etre comme lui. Car 
la legcrete elle-meme respecte la 
vertu dans son cojur. 



Lo bracmane continua son che- 
min vers unecollineou croissaient 
des ronces. 11 rencontra un mar- 
chand, qui lui dit : « Penses-tu en- 
core a faire sorllr un arbre d*un 
gland ? H te sera bien difficile de 
jouir de sou ombre ! >» 

Le vieillard repondit en cesmots: 
« Doit-on, eu plantant, ne penser 
qu'a I'ombre de Parbre et a soi- 
meme? La nature agil-elle ainsi? 
Mon fils, celui qui ne plante ni. 
d'hier ni d'avant-bier , trouve sa 
vocation et sa joie a planter. 



II arriva sur la coUlne. Au falte 
du monl et au milieu des ronces, 
il en terra le gland, et le couvrit 
soigneusement de terre et de mous- 
se. — «' Quoi ! planter dans les ron- 
ces? » lui cria un berger; •« tu as 



Dela 
traduction. 



138 



DKUXIEME PARTIE. 



De la 
traduction. 



gegcn^ Ut)orgettuM fur titintn 
^p^gling. — greunfe , etiDJebertf 
ber ^ramin, fo (angc bad $fian}- 
i^ffu jart unb !Ifin i\k, werben bie 
JDornen e« »or rauT^eii QBinbcn 
unb iBerle^uitg ht\(i)lxmm, unb 
nimmt f« gu, fo wirb eg fi^ ffl6p 
^inburd^arSeitftt. ^tnn cS ift einc 
@t(^e. Wein ®o^n, i<^ ^a6e bie:: 
fed ber S^atui* abgclauftifct. ^ie 
gutc abutter bfbenft juglelfj^ ble 
3art^eituubbie(gtarfc if)xcx ^^t^ 
gefinber. 

0iad^bfm ber ©reid fein SBer! 
)>on6ra^t f)atte, txat er fri)^It(^ 
ben d^iicfiDeg jitr «!&cimat]^ an, 3Ber 
am SBege i>ant, ba^t' er, f^at Dtele 
a)ieifler ! 2l6er ber erfa^reiie ge^t 
feinen etgeneu @ang. 

2(te er fid^i feiner J&utte na^rte, 
(Vrawgen i^m bie (Snfel unb Uren- 
fel entgegen, unb fragten : 3Bo 
6i{i bu fo (ange geroefen? ^ca^er 
vcrfammelte fie unt fid^ l^r unb 
erj^a^^tte i^nen alle^, waS i^m wU 
berfa^ren war. Unb bie Jtinblein 
liebfofien bem ®reife, iva^renb er 
rebcte, bie alteren a6er ^ingen an 
feinenSi^^jenunb f)'6xUn i^mjiu — 
€ ! fagte ber ®rei«, al8 er ijollem 
bet l^attc, eg ifl bo^ nirgeub fti^or 
ner, aU in bem (Sti^oofe ber ^a- 
tux, wenn man finbUti^ t^ren 
93ater tie6t, unb in bem ^reife ber 
@einen, ivo man finblic^ ^eikht 
wirb. 3fl/ tiebeooller ^rama ! rief 
er, unb Uidte }um ^immel ent|7or 
— im ftillen ,^reifc ber JJlatur unb 
bed ^audliti^en iithen^ fie^et bein 
i^eitiger ^^em^el! 



bien soin de ton Jeune piaoi 1 » — 
« Ami, » repartit le bramin , « tant 
que ce jeune plant sera teadre et 
petit, les ronces i^abriteront contre 
la rigueur des vents et contre toute 
atteinte, et, en croissant, il saora 
bien se frayer un chemtn luiHine*. 
me. Mon tils, j*ai surpris oe secret 
a la nature. Cette bonne mere son- 
ge en meme temps a la delicatesse 
et a la force de ses nourrissons. » 



Son 03uvre accomplie, le vieillard 
retourna joyeusement vers son 
foyer. « Celui qui batit pres du 
chemin, se dit-il, a bien des mai- 
tres. Mais rhomme experiniente a 
son allure a lui. » 

Lorsqu'il approcha de sa cabane, 
ses petits-tils et arriere-petits^en- 
fants coururent k sa rencontre ^ et 
lui dirent : « Ou as-tu done ete si 
longtemps? i» Alors 11 les rassembla 
autoiir de lui, et leur raconta tout 
ce qui lui etait arrive. Et les plus 
jeunes caressaient le vieillard tan- 
dis qu'il parlait, et les atnes, les 
yeux fixes sur ses levres, Tecou- 
talent. — « Oh ! dit le vieillard, 
lorsqif il eut tini , rieu de si beau 
que Ic sein de la nature, quand 
nous aimons son pere d'un anounir 
filial, et que le cercle des siens, 
quand on y trouve Tamour filial. 
Qui , gracieux Brama, s*ecria-t^il 
en regardant le ciel, ton temple 
sacie est dans le cercle paisible de 
la nature et de la vie doms8tiqu« I » 



CUAPITRE TROISIfiME. 



189 



iWf iiettypflanjtf (Bi(t)t wu0« 
f>ah aui bem Sttim ^fr^ot, unb 
«^o6 fi(]^ uBfr bif 3)otnm unb 
iDarb hatt ein froufft f(3^attigft 
^Baum. 3)a jiarb ber ®tei«, imb 
ffine (S^tifhen fcegruben i^n auf 
bfm <&U9ef. U«b wenn fif ben 
iBoum f«l^fn uiib frin ®(iufefn 
]|6rtfn, gfbo^tm fie be« iehtn^ 
imb bfr iw ifm ©^uti^e bed ©ra- 
mitten bid ju betifpatefien 3eiteit, 
tinb erga^lten Don i^m, fiid^ten ju 
iverben wie et. 

JDenn bad ffiort eitied roelfen 
SRanned ifi «le ein ©amenfprn im 
frud^rbaren !iB brtt. 



Le cheue nouvelLement plante 
sortit bientot du genne, et, s'ele- 
Tant au-dessus des ronces, il devint 
un arbre toiiffu. Le vieillard moa- 
rut, et ses bien-aimes rensevellrent 
sur la colline^ Et quand ils voyaieni 
I'arbre et entendaient son fremis- 
sement, ils songeaient a )a vie et 
aux sages maximes du bramin , 
j usque dans T&ge le plus avance, et 
t^chaient de )ui ressembler. 



Car la parole d*un sage est com- 
me la graine semee dans un sol fer- 
tile. 



Dela 
traduction 



III. 



2lit$ dcr Ctitlcitung 

But (Bti^idftt^i 5l6faU« fccr wtcinigten 

92tcb(Ttanbe u. f. tv./ 

ooK $(l)Ulrr. 



fflare ed Irgenb eriaubt, in 
mm\ti)iitSft fringe eine ^o^ere 
aSorflti^t ju fled^ten, fe n?are eS 
Bei biefer ®ef(^i(^te^ fo roiberfpie:: 
<^nb erfd^rint jie bcr aSernunft 
ttnb alien @tfal^rungen. $^ilip)} 
bet Siwite, ber ma(^tlg(te (Sou- 
wtan feiner Qtit, beffen 9efurd^= 
tete Uebennad^t ganj @uro^ gu 
oftfc^ltngen bro^t, beffen (Sd^a|c 
bit veretnigten 9^etd^t^umer aUrv 
S^tiflen^imigeuberfietgen, beffen 
Shorten in alien 9i»eeren gebieten ; 



EXTRAIT DE L^INTHODCCTION 

A L'HISTOIRE DE LA REVOLUTION 

DES PAYS-HAS, 

Par Schiller. 



S'il etait permis de faire inter- 
veuir la divinite dans les choses 
humaines, ce serai t dans cette his- 
to're, taet elle parait contradic- 
toire a la raison et a toute expe- 
rience. Philippe deux, le plus puis- 
sant souveraiii de son temps, dont 
la redoutabie superiorite menace 
d'engloutir toute I'Europe, dont les 
tresors surpassent les richesses reu- 
nies de tons le« rois Chretiens, dont 
les flottes comma ndent sur toutes 
les mers; un monarque dont les 



140 



DEUXIEME PAUTIE. 



fin SWonorti^, beffen geffi^lic^en 
tiadtlL. 5^«^^« 5«i?hei«e ^eete; biertfn, 

iftrtfgf unb fine ronuf(3^e QKannSi 
juc^t gf^artet, bur<^ timn tro^igrn 
9?ationaIfloIj begflfiert, unt> tx- 
^i|t burti^ bag Slnbenfen erfod^ite:: 
iier ^ie^e, m^ (S^re unb S3fute 
biirjifn, unbfid^ untev bem toft* 
Wfgfnfn ®cnif i^tfr gii^tfr aU 
folgfamc ©Hfbft bfivfgfn—bifffr 
gffiird^tftf a»cnf(3^, eiufm f^axtna- 
(f igfii Sntrourff l^ingegft^fu, fin 
Untfrnf^^mfn bif vaflbfe ^r6fit 
ffinfd langfn S^fgentenlaufd, allf 
bifff fmd)tf>axen ^lilfdniittfl auf 
finen einjigen ^med gerici^tet, ben 
ft am 2(6cnb feinev ^agc unerfullt 
aufgeten mu^ — *4}^IU^^) ber 
3n?fite, mit roentgen f(3^n)a(3^en 
Oktionen im Jtamvfe, ben er nic!^t 
enbigen fann. 

Unb gegen wel^e 9iat(onen? 
J&ift fin friebfertigeS gif^er= unb 
J&irtentoolf, in einem toergeffenen 
aSinfel (Suro^ja'e, ben e8 noti^ 
mfil^fam ber SWeereSPut^ aSge- 
mann-, ble ®ee fein ©eroerbe, fein 
3ieitl)(fj\m\ unb feine $Iage, fine 
freie Slrmutl^ fein ^oc^fleS ®ut, 
fein Stul^m, feine 3^ugenb. JDort 
fjn gutavtigeg, gefitteteg J&anbelS^ 
»olf , fc^^welgenb toon ben iiiJ^igen 
grud^ten eineS gefegneten gtfi§f«, 
mac^^fam auf ©efe^e, bie feine 
9&oi)lti^atex waxen. 3n ber gtiirf? 
U6)m SHuge beg SBoi^Iflanbeg toer^ 
(a^t eg ber ^ebiirfniffe angfllic^en 
Jtreig, unb lernt nac^ l^o^erer ^e- 
friebigung burflen. 2)ie neue ffia^r- 
i^it, beren erfreuenber 5Worgen 
jf|t u6er (Suro^a ^^ertoorhi^t, 



dangereux projets soot executes 
par de nombreuaes annees, armM» 
qui, endurcies par de longoes guer- 
res sanglantes et une discipline ro- 
maine , eprises d'une arrogante 
fierte nationale, et euflammees du 
souvenir d'anciennes victoires, ont 
soif d'honoeur et de butin, et, sous 
le genie audacieux de leur» diefs, 
s'ebranlent ccnnme des membres 
dociles ; cet homme redoute, pour- 
suivant un opiniatre dessein ; une 
entreprise, rincessante occupation 
de son long regne : toutes ees ef- 
frayantes ressources dirigees vers 
un but unique, qu'il doit, au soir 
de la vie, laisser inatteint; Phi- 
lippe deux , aux prises avec quel- 
ques faibles nations, dans une lutte 
qu'il ne peut terminer! 



Etavec quelles nations? lei, un 
peuple paciflque de pecheurs et de 
p^tres , dans un coin oublic de 
rEuropc, qu'il a conquis avec peine 
sur le flot de la mer; courir les 
oudes, voila son metier, sa richesse 
et ses peines ; une pauvrete libre 
est son plus grand bien, sa gloire, 
sa vertu. L<i, un peuple de mar- 
cbands, d*un bon naturel et civi- 
lise, jouissant en abondance des 
doux fruits d^un heureux travail, 
veillant aux lois, ses bienliaitrices. 
Dans I'heureux loisir de la prospe- 
rite, il abandonne le cerde penible 
des besoins ordinaires, et aspire a 
de plus bautes jouissances. La nou- 
velle verite, dont la rejouissabte 
aurore perce main tenant en Eu- 
rope, jette un rayon fecondant sur 



CHAPITRE TROISIEME. 



141 



wirft fineu befiuc^tenben ©ttal^l 
in biffe giinfllge ^ont, wnb fvfu= 
big f in^fangt be r frete l^titge t bad 
Btcl^t, bent rt(]^ 9fbru(fte traurlge 
^ftatoen toerfd^ne^ftt. (Sin fro^li= 
c|ber S^utl^mille, ber gern ben 
VJbtt^Vi^ unb ble 8frei^>eit begleitet, 
vetjt edan; bad ^nfe^en ^txiaf^xUx 
^Ketnungen ;u pxix^en unb eine 
fd&im»)fli(^e ^ette ju hxe(f)tn. JDte 
fd^roere Suti^ttut^e beg JDeSpotlg^ 
mud ^angt iiOer i^m, eine wiih 
f u^rlic^e ©eroalt bro^t bie ®runb= 
\>fMex felned ©liirfed einjurei§en, 
ber ^evDa^xex feiner (Sjefe|e irirb 
fein .T^vann. ^infad^ in feiner 
<Staatdn?eid^eit, irle In felnen <BiU 
ten, erful^nted fid^, einen ijeralte- 
tenSSertrag anfjuiveifen, unb ben 
»&errn beiber 3nbien an bad ^^a- 
turred^t ju ma:^nen. (^in 5Kame 
entfd^eibet ben ganjen 5(udgang 
ber JCinge. Wan nannte Oletellion 
in 9Wabrib, xt>a9 in 33ruffel nur 
eine gefe^Uc^e <l^nblung l^ie^; bie 
SSefc^werben S3ra6antd forberten 
tinen jIaatdHugen WittUx; $^lr 
lip^j ber jimtitt fonbte iijm einen 
J&enfer, unb bie 2ofung bed StxU^ 
ged war gegeben. Sine ^^rannei 
o^ne ©eift3iel greift I&e6en unb 
Sigentl^um on. 2)er »erjweifelnbe 
93urger, bem jiDifd^en einem imei^ 
fa(S)tn lobe bie SBal^I gclaffen 
roltb, ernjfi^lt ben ebfern auf b>m 
&^laifi^el\>t. Qin wo^I^abenbed 
Ut)Viged SSolf lieBt ben grieben, 
ater ed luirb friegerifd^, roenn ed 
arm roirb. 3e^t ^xt ed ouf, fi5r ein 
8e6en §u gittern, bem SHled man^ 
gein foH, warum ed roiiufd^end- 
rourblg nnir. S)ie 3But^ bed 9(uf^ 



cetle zone propice, et le libre bour- 

geois recoil avec transiiort la lu- ?® 'f 

.. . , „ ,1,^ * traduction 
miere a laqueile se ferme Idme af- 

faissee des tristes cscU?es. Une joie 
maligDe, accompagnemeiit ordi- 
naire de Tabondance et de la U- 
berte , le stimule a peser TautorUe 
d*opinions surannees, et a brirtr 
uoe chaine injurieuse. La rerge 
pesante du despotisme est suspen- 
due sur lui, un pouvoir arbitraire 
menace de renverser les bases de 
son bonheur, le gardien de ses lois 
devient son tyran. Simple en sa 
politique comme en ses mceurs, il 
ose produire un ancien traits et 
rappeler le maitre des deux Indes 
au droit naturel. Un nom decide 
de toute Tissue des choses. On ap- 
peiait revoUe a Madrid ce qui, a 
Bruxelles, n'etait qu'un acte legi- 
time : les plaintes du Brabant de- 
mandaient un mediateur eclaire; 
Philippe deux lui envoya un bour- 
reaii, et le signal de la guerre fut 
donne. Une tyrannic sans exemple 
attaque la vie et les biens. Place 
entre deux morts inevitables, le 
bourgeois desespere cboisit la plus 
noble, celle du champ de bataille. 
Un peuple riche et voluptueux aime 
la paix; mais, en devenant pauvre, 
11 devient guerrier. Maintenant il 
cesse de trembler pour une vie qui 
doit manquer de tout ce qui la fen- 
dait desirable. La fureur de la re- 
volte saisit les provinces les plus 
eloignees ; le commerce et I'indus- 
trietombent,lesb^timents disparais- 
sent des ports, Fartiste de son ate- 
lier, le laboureur des campagnes 
desolees. Des milliers d'habitants 



142 



DEUXltME PARHE. 



DeU 
radiM^tion. 



ru^rg ergwift bie tntfanUjktn 
$ro))insett;.<banbeI unb SBanbd 
lifgen barmeber; btf @(^tfe bee: 
ftifmiitai «i» ben ^fnt, bcr 
Jtiitiflfer aud feiner SBerf^atte, 
bf r Sanbmann aud ben oermufle:: 
ten Selbern. ^aufenbe flie^en in 
feme Sanbei*, taufenb Opftx fat 
ten oaf bent ^(utgerii^e, unbneue 
Sonfenbe btangen fvi) l^tnju ; benn 
gjbttliti) mu^ eine ^tf)xt fein^fiir bie 
fo freubig gefbrben iverben fonn. 
9}oti^ fel^U bie le^te bollenbenbe 
i&anb — bererleud^tete unterne^ 
menbe Oeifi, ber biefen qrofkn )po^ 
litifd^en ^ugenblid fyi'id^te, unb 
bie @eburt bed 3uf aitt num ${ane 
ber 9Beid]^eit erjoge. 



s^enfuient dans des f»ays loinfains, 
des milliers de victimes tombent 
sur Techafaud de sang, et d^autres 
»y prasseot: ear elle doit etre di- 
▼ine, one doctnoe pcMur laquelle on 
pent mourir avee tani de joie. Ge- 
pendant il manque encore le tais 
qui doit accomplir, i'esprit eclaire 
et entreprenant qui s'empare de ce 
grand moment politique, et qui 
eleve au plan de la sagesse le pro- 
duit du hasard. 



Parmi les auteurs allemands qui se prfetent le mieux 
aux premiers essais de traduction, se distinguent 
Gessner etKrummacher. Les Itfy-iles deTun, injuste- 
ment negligees de nos jours, et les Paraboles de Tau* 
tre, sont d'une exquise simplicity, qui n'en exclut au- 
cunement Telegance . 

Les plus beaux passages de ces deux ecrivains tra* 
duits, on trouve un riche butin dans les OEui^res 
dii^erses de Guillaume Hauf f , mort trop t6t pour les 
lettres, dans les Contes populaires des Allemands par 
MussBUS, les Prosateurs de tAllemagne et les I J gen- 
des de Gustave Schwab. On arrive ainsi, par de cer'»' 
tains degr6s, a VHfstoire de la revolution des Pays^ 
Bos et a la Guerre de TreiUe ans de Schiller, puis a 



CHAPITRE TROISrtMK. 143 

ses oeuvres dramatiques et a celles de Goethe, etc. , etc. '"^T 
Des extraits plus ou moins considerables de ces traduction. 
divers auteurs, choisis avec discernement et traduits 
avec soin, acheveront de familiariser Tecolier avec la 
phrase francaise. 



144 



UEIIXIKME PAHTIE. 



Dela 
traduction. 



LANGUE ANGLAISE. 



UNCLE TOM'S CABIN, 
by 

HARniET BSeCHER STOWS <. 
CHAPTBB XII. 

Select incident of lawful trade. 

Mr.Haley and Tom jogged onward 
in their waggon, each, for a time, 
absorbed in his own reflections. 
Now, the reflections of two men 
sitting side by side are a curious 
thing — sealed on the same seat, 
having the same eyes, ears, hands, 
and organs, of all sorts, and having 
pass before Iheir eyes the same 
objects : it is wonderful what a 
variety we shall find in these same 
reflections ! 

As, for example, Mr. Haley : he 
thought Grst of Tom's length, and 
breadth, and height, and what he 
would sell for, if he was kept fat 
and in good case till he got him 
into market. He thought of he 
should make out his gang; he 
thought of the respective market 
value of certain suppositions men 
and women and children who 
were to composeit, and olher kin- 
dred topics of the business ; then 
be thought of himself, and how 
humane he was, that whereas 
other men chained their « niggers » 
hand and foot both, he only put 
fetters on the feet, and left Tom 



LA CASE DU PERE TOM, 
par 

MADAME HENRIETTE BtfECHER S10WB >. 
CHAPITRB XII. 

Cvrieux details d*un commerce 
legal, 

M. Haley et Tom continuerent 
leur route, en meditant chacun de 
son cote. C'esl une chose curieuse 
que les reflexions de deux hommes 
assis sur le meme banc. Hs ont les 
memes organes ; les memes objets 
leur passent devant lesyeux; et 
pourtant leurs reflexions different 
essentiellement. 



Pour en citer un exemple, Haley 
s'occupait de la taille de son esr 
clave, et du prix qu'on lui en don- 
nerait s il parvenait a lentretenir 
en hon etat jusqu*au marche. W se 
demandait de combien de tetes il 
composerait sa troupe; il evaluait 
en imagination la valeur des hom- 
mes, des femmes et des enfants qui 
devaient la composer. H admirait 
ensuite son humanite: tandis que 
les autres marchands enchainaient 
leurs negres aux pieds et aux mains, 
il laissait a Tom Tusage de celles- 
ci tant que Tesclave se comporte- 
rait bien. II soupirait eu pensant a 
ringratitude de la nature huraaine. 



' London, George Rout ledge and Co., Farringdon Street, 1853. 
' Traduction de la Bcdolliere. 



CHAPITRE TROISIEME. 



145 



the use of his hands, as long as he 
behaved well; and he sighed to 
think how ungrateful human na- 
ture was, so that there was even 
room to doubt whether Tom appre- 
ciated his mercies. He had been 
taken in so by « niggers » whom 
he had favoured ; but still he was 
astonished to consider how good- 
natured he yet remained ! 

As to Tom, he was thinking over 
some words of an unfashionable 
old book, which kept running 
through his head, again and again, 
as follows : n We have here no con- 
tinuing city, but we seek one to 
come; wherefore God himself is 
uot ashamed to be called our God ; 
for he hath prepared for us a city. » 
These words of an anciens volume, 
got up principally by « ignorant 
and unlearned men, » have, through 
all time, kept up, somehow, a strange 
sort of power over the minds of poor, 
simple fellows, like Tom. They stir 
up the soul from its depths, and 
rouse, as with trumpet call, cou- 
rage, energy, and enthusiasm, 
where before was only the black- 
ness of despair. 

Mr. Haley pulled out of his poc- 
ket sundry newspapers, and began 
looking over their advertisements, 
with absorbed interest. He was uot 
a remarkably fluent reader, and 
was in the habit of reading in a sort 
of recitative, half aloud, by way of 
calling in his ears to verify the de- 
ductions of his eyes. In this tone 
he slowly recited the following 
paragraph : 

« Executor's sale. — Negroes I — 
Agreably to order of court, will be 
sold, on Tuesday, February, 20 



ingratitude si profonde, que peut- 
elre elle empechait Tom d'appre- 
cier ses bontes. II avait ete trompe 
de la meme maniere par bien des 
negres qu'il avait traitesavec egard, 
et il s'etonnait d'etre encore aussi 
rempli de philanthropie. 



Dela 
traduction 



Quanl a Tom, il ruminait ces 
mots, qui s'offraient sans cesse a son 
esprit : « Nous n'avons pas ici d'ha- 
bitation fixe, mais nous en cher- 
chons une a venir. Dieu lui-meme 
n'a pas honte d'etre appele notre 
Dieu, car il nous a prepare une 
cite. •» Ces paroles d'un livre sacre, 
que consultent principalement les 
hommes sans instruction, ont eu 
de tout temps une etrange influence 
sur les gens pauvres et simples 
comme Tom. Elles remuent Ykme, 
Farrachent au desespoir et la rem- 
plissent de courage et d'enthou- 
siasme. 



Haley tira de sa poche des jour- 
naux et se mil a parcourir les an- 
nonces avec un vif interet. Comme 
il epelait assez peniblement, apres 
avoir etudie les phrases, il les Hsait 
lentement a demi-voix. Ce fut ainsi 
qu'il recita I'avis ci-dessous : 



Vente de n^res par autoriU de 
jtistice. — Conformement a Tarret 
de la Cour. seront vendus, le mcr- 



14G 



DEUXIEME PARTIE. 



Dela 
traJiiction. 



before the Courthouse door, in the 
town of Washington, Kentucky, 
the following negroes : — Hagar, 
aged 60; John, aged 30; Ben, aged 
21 ; Saul, aged 25 ; Albert, aged 1 4. 
Sold for the benefit of the credi- 
tors and heirs of the estate of Jesse 
Blutchford, Esq. 

« Samuel MotRis, 

« Thomas Flwt, 



Executors* 



H This yer I must look at, « said 
he to Tom, for want of somebody 
else to talk to. « Ye see, I am going 
to get up a prime gang to take down 
with ye, Tom; it'll make it sociable 
and pleasant like — good company 
will, ye know. We must drive right 
to Washington drst and foremost, 
and then Til clap you into jail while 
I does the business. » 

Tom received this agreeable intel- 
ligence quite meekly; simply won- 
dering, in his own heart, how many 
of these doomed men had wives and 
children, and whether the would 
feel as he did about leaving them. 
It is to be confessed, too, that the 
naive, ofiF — hand information that 
he was to be thrown into jail, by no 
means produced an agreeable im- 
pression on a poor fellow who had 
always prided himself on a strictly 
honest and upright course of life. 
Yes, Tom, we must confess, was 
rather proud of his honesty, poor 
fellow— not having very much else 
to be proud of; if he had belonged 
to some of the higher walks of so- 
ciety, he, perhaps, would never 
have been reduced to such straits. 
However, the day wore on, and 
the evening saw Haley and Tom 



credt, 20 fevrier, devant la porte 
du Tribunal, dans la ville de Wa- 
shington, les negres suivants : — 
Agar, agee de 60 ans ; John, Age de 
30 ans; Ben, dge de 21 ans; Saul, 
&ge de 25 ans; Albert, &ge de 14 
ans. lis seront vendus au bcoeliee 
des creanciers et heritiers de Jesse 
Bin tch ford , esquire. 

Les exicuteurs testamentaires, 
Sign^ : Samuel Momris, 
Thomas Flint. 
« n faudra voir ga , dit Haley, 
s'adressant a Tom, fante d*un autre 
interlocuteur. J'ai Tintention d'em- 
mener avec vous un assortiment 
de premier choix; vous serez en 
bonne compagnie. Nous aliens done 
d'abord nous rendre a Washington, 
ou je vous ferai mettre en prison 
jusqu'a ce que j*aie terming mes 
affaires. » 

Tom re^ut avec douceur cette 
agreabie nouvelle. 11 se demanda 
seulement si un grand nombre de 
oes malheureux avaient femme el 
enfants, et s'ils souffriraient autant 
que lui en les quittant. II faut 
avouer aussi qu'il n'apprit pas sans 
peine qu'on se proposait de le jeter 
en prison oomme un crimlnel. 11 
s'etait toujours conduit honorable- 
men t : il etait tier de sa probitc, ei 
il se rendait ee temoignage a Ini- 
meme, que, s*il avait appartena a 
une classe elevee de la sooiete, li 
n'aurait jamais merite une con- 
damnation infamante. Quoi qu*il en 
soit, vers la fin du jour, Haley et 
Tom s*installerent a Washington, 
run dans une taverne, rauire dans 
un cachot. 



CHAPITRE TROISIEMK. 



147 



comfortably accommodated in Wa- 
shington — the one in a lavei'n, 
the other in a jail. 

About eleven o'clock the neat 
day a mixed throng was gathered 
around the court-house steps-smo- 
king, chewing, spitting, swearing, 
and conversing, according to their 
respective tastes and turns, waiting 
for the auction to commence. The 
men and women to be sold sat in a 
group apart, talking in a low tone 
to each other. The woman who had 
been advertised by the name of 
Hagar was a regular African in 
feature and figure She might have 
been sixty, but was older than that 
by hard work and disease, was 
partially blind, and somewliat crip- 
pled with rheumatism. By her side 
stood her only remaining son, 
Albert, a brightlooking little fel- 
low of fourteen years. The boy was 
the only survivor of a large family, 
who had been successively sold 
away from her to a southern mar- 
ket. The mother held on to him 
with both her shaking hands, and 
eyed with intense trepidation every 
one who walked up to examine him. 

« Don't be fear'd, Aunt Hagar, » 
said the oldest of the men, » I spoke 
to Mas'r Thomas'bout it, and he 
thought he might manage to sell 
you in a lot both together. » 

« Dey needn't call me worn-out 
yet, >» said she, lifting her shaking 
hands. « I can cook yet, and scrub, 
and pcour-fm wuth a buying, if 1 
do come cheap, tell em dat ar-you 
tdVenif » she added, earnestly. 

Haley here forced his way into 
the group, walked up tbo the old 
man, pulled his mouth open, and 



De la 
traduction 



Le lendemain, vers onze heures, 
une foule bigarree se reunit au bas 
de Tescalier du tribunal. En atten- 
dant rheure des encheres, les ama- 
teurs fumaient, juraient ou conver- 
saient, selon leurs goiits respectifs. 
Les hommes et les femmes & vendre 
formaient un groupe a part. La 
femme designee dans les annonces 
sous le nom d'Agar avait le type 
africain. 11 etait possible qu'elle 
n'eiit que soixante ans , mais clle 
paraissait beaucoup plus Agee. Elle 
etait presque aveugle, couverte de 
rhumatismes , et prematurement 
vieillie par le travail et les mala- 
dies. Aupres d*elle se tenait Albert, 
gar^n de quatorze ans, seul resle 
d'ime famille nombreuse dont tous 
les memhres avaient ete successive- 
ment emmenes a la Nouvelle-Or- 
leans. Sa vieille mere le tenait a 
deux mains par le pan de sa veste, 
et contemplait avec anxiete tous 
ceux qui s'approchaient pour Texa-. 
miner. 

— Ne craignez rien, mere Agar, 
dit le plus Age des noirs. J*ai parlo 
a I'executeur testamentaire, et il 
croit pouvoir s'arranger pour vons 
vendre tous deux en un seul lot. 

— Je ne suis pas encore a dedai- 
gner, repondit Agar en levant ses 
mains tremblantes ; je puis faire la 
cuisine et iaver la vaisselle. Je vaux 
la peine qu'on m'achete, d'autant 
plus que ce sera bon marche. 

En cet instant, Haley fendit la 
presse et s'avan^ vers le vieillard. 
II Ini ouvrit la bouche, lui examina 



I4S 



DKirXIKMK PARTIE. 



looked in, fell of his teeth, made 

?*" *? him stand and straighten himself, 
n;aiiclioi). . j • . , , - . 

oena his ivack, and perform various 

evolutions, to show his muscles; 

and then passed on to the next, 

and put him through the same 

trial.Walking up last to the boy, 

he felt of his arms, straightened his 

hands, and looked at his fingers, 

and made him jump, to show his 

agility. 

«He an't gwine to be sold widout 
me! » said the old woman, with 
passionate eagerness; « he and I 
goes in a lot together ; I's rail strong 
yet, mas r, and can do heaps oVork- 
heaps on it, mas*r. » 

•< On plantation? » said Haley, 
with a contemptuous glance. « Li- 
kely story ! » And as ifsatisfied with 
!i is examination, he walked out and 
looked, and stood with his hands 
in his pockets, his cigar in his 
mouth, and his hat cocked on one 
side, ready for action. 

What tink of em ? >» said a man 
who bad been following Haley's 
examination, as if to make up bis 
own mind from it. 

« Wal, » said Haley, spitting, 
« I shall put in, I think , for the 
young-gerly ones and the boy. » 

« They want to sell the boy and 
the old woman together, » said the 
man. 

c( Find it a tight pull ; why, she's 
an old rack o'bones-not worth her 
salt. M 

« You wouldn't, then ? said the 
man. 

« Anybody'd be a fooVl would. 
She's half blind, crooked with rheu- 
matis, and foolish (o boot. » 

« Some buys up these yer old 



les m&choires, et pour juger du jeu 
de ses muscles, il lui ordonna tour 
a tour de se tenir droit, de courber 
le dos et d'executer diverses evolu- 
tions. II passa a un autre esclave, 
qu'il soumit aux memes epreuves. 
11 regarda Albert en dernier lieu, 
lui tata les bras et lui enjoignit de 
sauter, afiu d'apprecier son agilite. 



— II est trop jeune pour ^tre 
vendn sans moi, dit la vieille mere 
avec impetuosity. Lui et mot nous 
ne faisons qu'un lot, monsieur; je 
suis encore forte et capable de faire 
bien de la beso^ne. 

— Sur une plantation ? dit Haley; 
comme cW probable ! Puis, satis- 
fait de son examen, il se promena 
dans la cour, les mains dans ses 
poches, le cigare a la bouche, et le 
chapeau sur Toreille. 



— Comment les trouvez-vous ? 
lui demanda un amateur qui I'avait 
suivi pas a pas pour se former une 
opinion d'apres la sienne. 

— Ma foi , je miserai su r les jeunes 
gens, et surtout sur ce petit garcon. 



— II parait qu'on veut vendre 
ensemble le fils et la mere? 

— Elle? s'ecria Haley; c'est un 
vieux squelette, qui ne vaudrait 
pas sa nourriture. 

— Vous n'en voulez done pas? 

— II faudrait que je fusse fou . . . 
Elle ne voit pas clair, et parait 
idiote... 



CHAPITKE TROISIEME. 



NU 



crittars, and ses there's a sight 
more wear in'em than a body*d 
think, » said the man, reflecti- 
vely. 

« No go, *t all, » said Haley .* 
« Wouldn't take her for a present 
fact; I've seen, now. » 

« Wall, 'tis Kinder pity, now, 
not to huy her with her son-her 
heart seems so sot on him; s' pose 
they fling her in cheap. » 

« Them that's got money to spend 
that ar way, it's all well enough. I 
shall bid off on that ar boy for a 
plantation-hand; wouldn't he bo- 
thered with htr, no way-not if 
they'd give her to me, « said Ha- 
ley. 

<« She'll take on desp't, » said the 
man. 

(c Nat'lly she will, » said the 
trader, coolly. 

The conversation was here inter- 
rupted by a busy hum in the au 
dience ; and the auctioneer, a short 
bustling, important fellow, elbowed 
his way into the crowd. The old 
woman drew in her breath, and 
caught instinctively at her son. 

« Keep close to yer mammy, 
Albert-close-dey'U put us up to- 
gedder, » she said. 

• Oh! mammy, I'm feai'd they 
won't, » said the boy. 

« Dey must, child; I can't live, 
no ways, if they don't, » said the 
old creature, vehemently. 

The stentorian tones of the auc- 
tioneer, calling out to clear the way, 
now announced that the sale was 
about to commence. A place was 
cleared, and the bidding began. 
The different men on the list wero 
soon Knocked off at prices which 



— II y a pourtant des gens qui 
achctent ces vieilles commeres, et 
qui en tirent un bon parti, dit i'a- 
mateur d'un ton pensif. 

— C'est possible, mais je n'en 
voudrais pas pour rienl 

— Ce serait pitie que de ne pas 
emmener la mere avec I'enfant . . . 
Elle semble lui etre attachee, et ne 
sera pas vendue cher. 

— Ce serait toujours de I'argent 
perdu, dit Haley; j'acheterai lejeune 
homme pour le revendre dans une 
plantation . . . Que diable voudriez- 
vous que je lisse de la mere ? 



— Eile sera desesperee. . . 

— Naturellement, repondit froi- 
dement Haley. 

La conversation fut interrompue 
par un brouhaha, et le commissaire- 
priseur, petit homme trapu a Tatr 
important et affaire, se fraya un 
passage a travers la fouie. La vieille 
poussa un soupir, et appela instiuc- 
tivement son fils. 

— Albert, tenez-vous presdemoi, 
on nous adjugera ensemble. 

— Ah! maman, j'ai peur que 
uon! 

— lis le doivent, mon enfant ; je 
ne saurais vivre s'ils n'y consentent 
pas, dit la vieille avec vehemence. 

Le commissairc-priseur annon^a 
d'unc voix de slentor qu'on allait 
proceder a la vente de plusieurs 
negres, par lots ou separement, a 
la volonte des acquereurs. Les en- 
cheres commencerent. Les negres 
compris dans la lisle furent adjuges 



Dela 
traduction. 



150 



DEUXIEME PARTIE. 



Dela 
traduction. 



showed a pretty brisk demand in 
the market ; two of them fell to 
Haley. 

« Come, now, young un, » said 
the auctioneer, giving the boy a 
touch with his hammer, • be up 
and show your springs, now. » 

u Put us two up togedder, toged- 
derdo please, mas'r, » said the old 
woman, holding fast to her boy. 

« Be off, » said the man, gruffly, 
pushing her hands sway; « you 
come last. Now, darkey, spring; » 
and, with the word, he pushed the 
boy toward the block, while a deep, 
heavy groan rose behind him. The 
boy paused, and looked back; but 
there was no time to stay, and 
dashing the tears from his large, 
bright eyes, he was up in a mo- 
ment. 

His fine figure, alert limbs, and 
bright face, raised an instant com* 
petition, and half a dozen bids si- 
multaneously met the ear of the 
auctioneer. Anxious, half- frigh- 
tened, he looked from side to side, 
as he heard the clatter of contending 
bids-now here, now there-till the 
hammer fell. Haley had got him. 
He was pushed from the block to- 
wards his new master, but stopped 
one moment, and looked back, when 
his poor old mother, trembling in 
every limb, held out her shaking 
hands toward him. 

« Buy me, too, mas'r ; for de dear 
Lord's sake! — buy me — I shall 
die if you don't ! » 

« You'll die if I do, that's the 
kink of it, » said Haley. « No ! >»And 
he turned on his heel. 

The bidding for the poor old 



a des prix eleves, qui prouvaient 
que I'offre ne repondait pas encore 
a la demande. Haley en eut deux 
pour sa part. 

— Allons, mon gars, dit le com- 
missaire-priseur en frappant Albert 
d'un leger coup de son marteaa, 
debout! et montrezvotre souplesse. 

— Mettez-nous ensemble, mon- 
sieur, ensemble, s'U vous plait, dit 
la vieille en s'accrochant a I'enfant. 

— Au large ! repondit le commis- 
saire-priseur; vous venez la der- 
niere. Allons, enfant, sautez I U 
poussa en arriere la vieille mere, et 
en avant le tils, qui se relouma un 
moment au bruit des sanglots ma- 
ternels, et s'avanca ensuite au mi- 
lieu du cercle. 



Sa belle figure, ses proportions 
exactes, ses membres agiles, excite- 
rentaussitot la concurrence, et plu- 
sifursencheres parvinrenten meme 
temps aux oreiiles dq commissaire- 
priseur. Presque effraye par toutes 
les voix qui se croisaient, Albert 
promenait autour de lui des regards 
inquiets. II fut adjuge a Haley, que 
la vieille, tremblante, se mit a im- 
plorer a genoux. 



— Achetez-moi aussi, monsieur, 
au nom de notre cher bon Dieu ! 
Achetez-moi, sinon j'en mourrai ! 

— Vous auriez plus de chances 
de mourir si je vous achetais. . . . 
Non!... 

On expedia sommairement les en- 



CUAPITRE TKOISIEME. 



]ol 



creature was summary. The man 
who had addressed Haley, and who 
seemed not destitute of compassion, 
bought her for a trifle, and the 
spectators began to disperse. 

The poor victims of the sale, who 
liad been brought up in one place 
together for yeai-s, gathered round 
the despairing old mother, whose 
agony was pitiful to see. 

« CouldnH dey leave me one? 
Mas'rallers said I should have one- 
he did,» she repeated over and 
ever, in heart-broken tones. 

« Trust in the \jord. Aunt Hagar, » 
said the oldest of the men, sorrow- 
fuUy. 

« What good will it do? »> said 
she, sobbing passionately. 

« Mother ! mother! Don't don't! » 
said the boy. « They say you's got 
a good master. >» 

« I don't care — I don't care. O 
Albert! my boy! you's my last 
baby. Lord, how ken 1? >» 

« Come, take her off, can't some 
of ye? » said Haley, drily. « Don't 
do no good for her to go on that ar 
way?» 

The old men of the company, 
partly by persuasion, and partly 
by force, loosed the poor creature's 
last despairing hold, and as they 
led her off to her new master's wag- 
gon, strove to comfort her. 

« Now! » said Haley, pushing his 
three purchases together, and pro- 
ducing a bundleof b^^ndcuffs, which 
he proceeded to put on their wrists; 
and fastening each handcuff to a 
chain, he drove Ihera before him to 
the gaol. 



cheresde la pauvre vieille. Lliomme 
qui avait couseille Haley, et qui ne 
semblait pas depourvu de compas- 
sion, I'acheta pour une bagatelle, 
et les assistants se disperserent. 

Les victimes de la vente, qui vi- 
vaieut ensemble depuis plusieurs 
annees, se reunirent autour de la 
viei lie, don t le desespoir faisait peine 
a voir. 

— Ne pouvait-on m'en laisser un ? 
On m'avait promis de m'en laisser 
un, repetait-elle avec un son de voix 
dechirant 

— Ayez foi dans le Seigneur, 
mere Agar, dit le plus age des uoirs. 

— Quel bien cela me fera-t^il ? 

— Consolez-vous, maman ; on dit 
que vous avez un bon maitre. 

— Je n'y tiens pas ; peu m'im- 
porte. O Albert! vous etiez mon 
dernier enfant. Comment vivre sans 
vous? 

— Est-ce qu'on ne peutemmener 
cette femme? dit sechement Haley; 
cela ne lui sert a rien de crier com- 
me cela. 

Quelques-uns des assistants, moi- 
tiepar persuasion, moitie par force, 
firent lacher prise a la vieille, qui 
retenait toujours Albert, et cberche- 
rent a la consoler, tout en la con- 
duisant a la charrette de son nou- 
veau maitre. 

— Marchons! dit Haley; et reu- 
nissantscs trois acquisitions, il mit 
a chacunc dalles des menottes, qu'il 
attacha a une tongue cliaine ; puis 
ii chassa devant lui son betail bu- 
main jusqu'ala prison. 



De la 
traductioi 



152 



DEUXIEMt: PARTIE. 



A few days saw Haley, with bis 
^^ [? po88t«8sioii8, safely deposited or one 
of the Ohio boats. It was the com- 
meDcement of his gang, to be aug- 
mented, as the boat moved op, by 
various other merchandise of the 
same kind, wichhe, or his agent, 
had stored for him in various points 
along shore. 

The la BeUe-Riri^re , as brave 
and beautiful a boot as ever walked 
the waters of her namesake river, 
was floating gaily down the stream, 
under a brilliant sky, the stripes 
and stars of free America wawins; 
.-ind fluttering overhead ; the guards 
crowded with well -dressed ladies 
and gentlemen , walking and en- 
joying the delightful day. All was 
full of life, buoyant and rejoicing; 
all but Haley's gang, who were sto- 
red with other freight, on the lower 
deck, and, who, somehow, did not 
seem to appreciate their various 
privileges, as they sat in a knot, 
talking to each other in low tones. 
« Boys, » said Haley, coming up 
briskly, « 1 hope you keep up good 
heart and are cheerful. Now, no 
sulks, ye see; keep stiff upper lip, 
boys ; do well by me, and I'll do 
well by you. » 

The boys addressed responded the 
invariable « Yes, mas'r, » for ages 
the watchword of poor Africa; but 
it is to be owned they did not look 
particularly cheerful. They had 
their various little prejudices in 
favour of wiwes, mothers, sisters, 
and children seen for the last time; 
and though « they that wasted them 
required of them mirth, » it was 
not instantly forthcouiing. 

" I've got a vife, » spoke out the 



Au bout de quelques jours, Ha- 
ley s'embarqua sur TOhio avec Jes 
premieres recrues de sa troupe. II 
devait, chemin faisant,en recueiUir 
d'autres , dont il s'etait assure la 
propriete par lui-meme ou par ses 
agents, et qui I'attendaient a di ver- 
ses escales. 

La Belle -RivUre, un des plus 
beaux bateaux qui eussent jamais 
sillonne le^ eaux de TOhio, descen- 
dait gaiement ce fleuvesous ud ciel 
cclatant ; les rales et les etoiles du 
drapeau americain flottaient a Fa- 
vant; le pont etait convert de belles 
dames, d'elegants cavaliers, qui 
jouissaientd'unebellejournee. Tout 
etait riant, anime, plein de vie; 
mais dans la cale gemissait la troupe 
d'Haley, arrimce avec les autres 
marchandises; les membres qui la 
composaient etaientgroupes ensem- 
ble et se parlaient a voix basse. 



— Enfants, leur cria Haley, j'es- 
pere que vous vous maintenez en 
bonne humeur ; point de maussade- 
rie, s'il vous plait: relevez la tete ; 
conduisez-vous bien avecmoi, etje 
me conduirai bien avec vous. 

Suivant la coutume invariable 
des noirs, les esclaves repondireut : 
'Qui, monsieur. Mais on etait oblige 
de reconnaltre que leur belle hu- 
meur n'avait rien de tres-evident. 
lis avaient certains prejuges en fa- 
veur de leurs femmes, de leurs me- 
res, de leurs enfants, qu'ils avaient 
vus pour la derniere fois, et la gaiete 
qu'on exigeait d'eux se produisAit 
assez difficilement. 

L'article catalogue sous la rubri- 



/ 



CHAWTRE TROISIEME. 



1S3 



article enameratdd as « John, aged 

thirty, » and be laid his chained 

/land on Tom's knee, « and she don't 

k ooinr a word about this, poor girl ! » 

«« "Where does she live? » said 
Town. 

« In a tavern a piece down here,» 
js^ft-ld John; « i wish, non, I cotUd 
f^^i^ lier once more in this world, » 
t^^ «i,dded. 

l^^oorJobn ! It was rather natural; 
^- "^ cJ- the tears that fell, as he spoke, 
<^^ «:»:i e as naturally as if he had been 
^ "%i^^hile man. Tom drew a long 
f^ **^^^th from a sore heart, and tried, 
^ ** liM^is poor way, to comfort him. 

-^^ mi overhead, in the cabin, sat 

'"'^*^ *-l:^€r8 and mothers, husbands and 

^^^^*"^^e8; and. merry, dancing cbil- 

^^'^^n moved round among them, 

^ W-^ so many little butterflies, and 

^^^^^^•ythingwas going on quite easy 

^ *"^ ^A comfortable. 

^ ■** mamma, » said a boy, who 

^^^^i just come up from below, « the- 

»^ ^^ a negro trader on board , and 

^^ ^ brought four of five slaves down 

^^^^e.> 

^» "^^ Poor creatures! » said the mo- 
- ^^^ 1", in a tone between grief and 

^iignation. 
1 « What's that ? » said another 

^^^ *' Some poor slaves below, • said 
^^ Smother. 

«<Aud they' ve got chains on, » 
"^^^d the boy. 

-«« What a shame to our country 
*^^t such sights are to be seen ! » 
^^ id another lady. 

« Oh, there's a great deal to be 
"^ id on both sides of the subject, » 



que de « John, 4ge de trente ans, » 
posa ses mains enchainees sur les 
genoux de Tom, et lui dit : k J'avau 
une femme, et elle ne salt rien de 
mon sort, la pauvre creature ! 

— Ou demeure-t-elle.^ dit Tom. 

— Dans une auberge a quelques 
milles d'ici ; je voudrais bien la re- 
voir encore en ce monde.» 

Pauvre John ! ce vceu etait natu- 
rel, et les larmes coulerentaussi ua- 
turellement sur ses joues que si 
c'eiit ete un blanc. Un long soupir 
s'echappa de la poitrine oppressee 
de Tom, qui essaya tant bien que 
mal de consoler son compagnon. 

Au-dessus de leurs tetes, dans la 
cabine, etaientassis d'heureux cou* 
pies, autour desquels gambadaient 
des enfants joyeux comme des pa- 
pillons. 



— Maman, dit un enfant qui ve- 
nait de faire une excursion dans la 
cale, il y a a bord un marchand de 
negres avec cinq ou six esclaves. 

— Les malheureux ! dit la mere 
d'un ton de douleur et d'indigna- 
tion. 

— De quoi s'agit-il.? demanda 
une autre dame. 

— D'esclaves qui sont en has. 

— Et ils ont des chaines , ajouta 
I'eufant. 

— Quelle honte pour notre pays 
qu'on y voie de pareils spectacles ! 
dit une troisicme dame. 

— Oh! s'ecria une quatrieme, 
qui cousait a la porte de sa cham- 



Dela 
traductioi 



154 



DEUXlExME PARTIE. 



De la 
traduction. 



said a genteel womau, who sat at 
her state-room door, sewing, while 
her little girl and boy were playing 
round her. « I' ve been south, and 
I must say I think the negroes are 
better (^than they would be to be 
free. » 

« In some respects, some of them 
are well off, I grant, » said Uie lady 
to whose remark she had answe- 
red. « The most dreadful part of 
slavery, to my mind, is its outra- 
ges on the feelings and affections — 
the separating of families, for exam- 
ple. • 

« That is a bad thing, certainly,» 
said the other lady, holding up a 
baby's dress she had just comple- 
ted, and looking intently on its 
trimmings; « but then , I fancy, it 
don't occur often. • 

« Oh, it does, » said the first lady, 
eagerly ; « V ve lived many years 
in Kentucky and Virginia both, and 
r ve seen enough to make one's 
heartsick. Suppose, ma'am, your 
two children there should be taken 
from you, and sold?» 

« We can't reason from our fee- 
lings to those of this class of per- 
sons, » said the other lady, sorting 
out some worsteds on her lap. 

•Indeed, ma* am, you can know 
nothing of them, if you say so, » 
answered the first lady, warmly. 
« I was born and brought up among 
them. I know they do feel, just as 
keenly- even more so, pertiaps-as 
we do. » 

The lady said <t Indeed I * yaw- 
ned , and looked out of the cabin 
window, and finally repeated, for 
a finale, the remark with which she 



hre entre ses deux «aiMii, I 
du pour et da eoatre. i'ai in 
dans le Midi, et je emt ftm 
meat que ke negres sootphn 
reux que s'iis etaient librea. 



— Quelqnes-uns jooiseei 
bien-^tre materiel, je ne le 
teste pas, reprit la premiere d 
ce qu'il y a de plus revoltanl 
I'esclavage, c'est qu'il ootrai 
plus saintes affections; c*e8l 
separe les families. 

— C'est f&cheux , sans doai 
pondit la quatrieme dame en 
minant I'effet d'une robe d'c 
qu'elle venait de terminer; 
cela n 'arrive passouvent. - 

— Qa se voit tons les joun 
cria la premiere dame. J*ai 
plusieurs annees dans le Ken 
et la Virginie , et j'ai ete tcmc 
miseres qui font saigner le i 
Supposez, madame, qu'on to* 
leve vos deux enfants pour let 
dre. 

— Nous ne pouvons juger pj 
propres sentiments de ceux de 
de cette classe. 

— Vous ne les connaiflsez 
madame, repartit la premiere 
avec cbaleur. J'ai 6te elevee i 
lieu d'eux, et je sals qu'ils oi 
sentiments aussi vifs, peni 
meme plus vifs que les ndtrec 

— Vraiment ! s'ecria la qiiat 
dame; puiselle bailla, regarc 
la fenetre de la cabine, et tei 
comme elle avait commence, 



/ 



CHAPITRE TROISIEME. 



155 



0nad begun -— «« After all , I think 
-Cbey are better oflf than they wouH 
936 to be free. » 

X lt*8 undoubtedly the intentioQ 
•^of Providence that the African race 
^^hould be seirants-kept in a low 
^ci^oodition , > said a grave-looking 
^^^entiemen in black , a clergyman , 
ftted by the cabin-door. « Cursed 
Canaan ; a servant of servants 
> liall he be% the Scripture 8ays.» 



«« I say, stranger, is that ar what 
^t^-flft 1 text means ? » said a tali man, 
^t.ckndingby. 

«« Undoubtedly. It pleased Provi- 
^^xiBce, for some inscrutable reason, 
^oom Ihe race to bondage ages 
); and wo must not set up our 
^K^iniou against that. » 

"•^ Well, then, we'll all go ahead 

^ *^^ buy up niggers, » said the man , 

f that's the way of Providence - 

2^Dn't we, squire .J> » said he, tur- 

*J ^ mg to Haley, who had been stan- 

^ ^ ■ig* with his hands in his pockets, 

^^ the stove, and intently listening 

^^ the conversation. 



•« Yes,« continued the tall man; 
"** we must all be resigned to the de- 
^^ re<is of Providence. Niggers must 
^^e sold , and trucked round, and 
^^ept under, it's what they's made 
^'^r. Pears like this yer view's quite 
^^freshing; an't it, stranger ? » said 
Vie to Haley. 

n I never thought on't, » said Ha- 
^ey. «1 couldnt have said as much, 
myself; I han't no laming. I took 



sant : — Apres tout, je crois que les — — 

negres sont plus heureux que s'ils V® '? 
,,. ^.•. traductn 

ctaient libres. 

Un brave ecclesiastique en habit 
noir, qui etait assis pres de la porta 
de la cabine, glissa on mot daiis la 
conversation. — Indubitableiiumt, 
dit-il, rintention de la Providence 
est que la race africaine soit en ser- 
vitude. <( QueChanaan soitmaudit! 
quit soit a I'egard de ses freres Tee- 
clave des esclaves. Que Dieu multi- 
plie la posterite de Japhet, et qu'il 
habite dans les tentes de Sem , et 
que Chanaan soit son esclave ! » 

— Stranger, dit un homme de 
grande taille, interpretez-vous le 
texte dans son veritable sens? 

— Assurement. II a plu a la Pro- 
vidence, pourquelques motifs im- 
peuetrables, de condamner cette 
race a la servitude, il y a des sie- 
cles , et nous ne devons pas nous 
op poser a ses decrets. 

— En ce cas, reprit I'homme de 
grande taille, j'irai de I'avant, et 
j 'ache terai des negres, puisquee'est 
la volonte du ciel , auquel il faut 
obeir. » Ces mots s'adressaient k 
Haley, qui, les mains dans les po- 
ches, appuye centre le poele, pre- 
tait une oreille attentive a I'entre- 
tien. 

— Oui , continua Thomme de 
grande taille, il faut se soumettre 
aux decrets de la Providence. Les 
negres sont faits pour etre vendus, 
troques, opprimes : voila une ma- 
niere de voir rassuraute! N'est-ce 
pas votre avis, etranger? 

— Je n'y ai jamais reflechi , re- 
pondit Haley ; je n'ai pasd'instruc- 
tion ; j'ai embrasse la profession de 



156 



DEUXIEAJE PARTIE. 



Dela 
traduction. 



up the trade just to make a living; 
if 'taint right, 1 calculated to 'peut 
OD't in time, ye know. » 

« And now youll save yourself 
the trouble, won't ye? » said the 
tall man. « See what 'tis, now, to 
know Scripture. If ye'd only studied 
yer Bible, like this yer good man , 
ye might have koow'd it before, 
and saved ye a heap o' trouble. Ye 
could jist have said, Cussed be — 
what's his name ? and 'twould all 
have come right. » And the stran- 
ger, who was no other than the ho- 
nest d rower whom we introduced 
to our readers in the Kentucky ta- 
vern, sat down, and began smoking, 
with a curious smile on his long, 
dry face. 



A tall, slender young man, with 
a face expressive of great feeling 
and intelligence, here broke in, and 
repeated the words, « All things 
whatsoever ye would that men 
should do unto you, do ye even so 
unto them. I suppose, » he added, 
a that is scripture, much as Cursed 
be Canaan ! » 

« Wal, it seems quite as plain a 
text, stranger, » said John the.drover, 
« to poor fellows like us, now ; » 
and John smoked on like a vol- 
cano. 

The young man paused, looked as 
if he was going to say more, when 
suddenly the boat stopped, and the 
company made the usual steamboat 
rush, to see where they were lan- 
ding. 

« Both them ars chaps parsons P » 



marchand d'esclaves pour avoir des 
moyens d 'existence. Si j'ai eu tort, 
j'aurai soin de m'en repentir a pro- 
po8. 

— A quoi bon 1 reprit rhomme 
de grande taille; n'avez-vous pas 
entendu ce que dit l'£critureP Voyez 
combien il est utile de la eonnaitre ! 
Si vous aviez etudie votre Bible, 
comme ce brave ministre, vous ^e- 
riez depuis longtemps debarrawe 
de tout scrupule, et vous vous se- 
riez epargne bien des inquietudes. 
Vous n'auriez eu qu'a dire : Maudit 
soit. . . le nom m'echappe ; et vous 
auriez continue votre commerce 
avec une tranquillite parfaite. » Ce- 
lui qui s euoncait ainsi ctait John 
le maquignon, que nousavons deja 
presente a nos lecteurs dans Tau- 
berge du Kentucky. Sa longue face 
anguleuse rayonna d'un sourire iro- 
nique, et il se mit a fumer. 

Un jeune honune frele et maigre, 
dont les traits exprimaient autant 
de sensibilite que d'intelligenoe, 
prit la parole et dit : — 11 y a dans 
TEcriture un autre passage : « Ne 
faites pas aux autres ce que vous ne 
voudriez pas qu'on vous fit. » N'est- 
ce pas aussi concluant que la ma- 
lediction de Chanaan? 

Cela nous semble tel, a nous au- 
tres pauvres gens, dit John en fu> 
mant comme un volcan. 



Ce jeune homme le considera 
et allait ajouter quelque chose, 
quand le bateau s'arreta. Toute la 
compagnie s'elanqa surlepontpour 
savoir ou Ton arrivait. 



/ 



CHAPn KK TROISJKMK. 



157 



said John to one of the men, as they 
were going out. 
The man nodded. 
As the boat stopped, a black 
^^^oman came running wildly up the 
plank, darted into the crowd, flew 
u p to where tbe slave gang sat, and 
tti re-w ber arms round that unfortu- 
na.te piece of merchandise before 
eii umerated, « John, aged thirty, • 
a,ft^d with sobs and tears bemoaned 
^^i joa as her husband. 

But what needs tell the story, 
^-old. too oft-every day told-of hearts- 
^'"ings rent and broken-the weak 
l3i»olten and torn for the profit and 
^oii v-enience of the strong ! It needs 
riot to be told ; every day is telling 
" * > too, in the ear of One who is not 
*^^5^r, though he be long silent. 



TVie young man who had spoken 

*'*'^r' the cause of humanity and God 

■^^'ore stood with folded arms, loo- 

^'^^ "^ S on this scene. He turned, and 

^ ^ * ^y was standing at his side. « My 

**"iond, » he said, speaking with thick 

^*^t trance, « how can you, how dare 

^^^o, carry on a trade like this? 

*-^^okat those poor creatures! Here 

^rin, rejoicing in my heart that i 

^*^ going home to my wife and 

^'^ild; and the same bell which is 

^^^ ^nal to carry me onward towards 

*^^ni will part this poor man and 

*^is ^ife for ever. Depend upon it, 

^^^ will bring you into judgment 

''^»- this. » 

"^he trader turned avay in silence. 

** I say, now, » said the drover, 
" ^^^uching his elbow, there's diife- 
"^^^ces in parsons, an*t there? 'Cur- 



Dela 
traduction. 



Aussitot qu'on eut jete la plan- 
che, une ncgresse traversa la foule, 
descendit precipitamment a fond de 
cale, et se jeta au cou de Fesclave 
designe sous la rubrique de « John, 
Age de treute ans. » 



II y a tous les jours des exemples 
de miseres semblables, de faibles 
separes les uns des autres et re- 
duits au desespoir pour le plus 
grand avantage des forts. 11 n'est 
necessaire de les redire ni pour les 
hommes, ni pour Celui qui n'est 
jamais sourd aux plain tes des mal- 
heureux, quoiqu'il ne le manifesto 
pas toujours. 

Le jeune homme qui avait plaide 
la cause de I'humanit^ contemplait 
cette scene les bras croises. — Mod 
ami, dit-il a Haley, comment pou- 
vez-vous, comment osez-vous exercer 
un pareil metier? Regardez ces deux 
infortunes ! Je me rejouis en mon 
coeur d'aller retrouver chez moi ma 
femme et mon enfant ; et la meme 
cloche dont le signal me rapprocbera 
d'eux va sonner pour cette femme 
et cet homme Tinstant d'une separa- 
tion eternelle. Soyez-en convaincu, 
Dieu vons jugera ! 



Le marchand d'esclaves s*eloigna 
en silence. 

Dites done! lui cria le maqui- 
gnon, il parait qne tout le monde 
n*est pasdu meme avis. Cet etranger 



158 



DEUXltMK PARTIE. 



sed be Cana.iD*don't seom to go down 



^ ** with this *un, does it? » 



traductiou. 



Haley gave an uneasy growl. 

« And that ar an't the worst onH, » 
said John ; « mabbe it won't go down 
with the Lord, neither, when ye 
come to settle with Him, one o' these 
days, as all on us must, I reckon. » 

Haley walked reflectively to the 
other end of the boat. 

« If I make pretty handsomely 
on one or two next gangs, » he 
thought, (« I reckon Fll stop off this 
yer ; it's really getting dangerous. » 
And he took out his pocket-book, 
and began adding over his accounts, 
a process which many gentlemen 
besides Mr. Haley have found a spe- 
cific for an uneasy conscience. 

The boat swept proudly avay 
from the shore, and all vent on 
merrily as before. Men talked, and 
loafed, and read, and smoked. Wo- 
men sewed, and children played, 
and the boat passed on her way. 

One day, when she lay- to for a 
while at a small town in Kentucky, 
Haley went up into the place on a 
little matter of business. 

Tom, whose fetters did not pre- 
vent his taking a moderate circuit, 
had drawn near the side of the boat, 
and stood listlessly gazing over the 
railings. After a time, he ^w the 
trader returning, with an alert stop, 
in company with a couloured wo- 
man, bearing in her arms a young 
child. She was dressed quite respec- 
tably, and a coloured man follo- 
wed her, bringing along a small 
trunk.The woman came cheerfully 
onward, talking, as she came, with 



ne me semble pas grand partisan de 
la malediction de... le nom m'e- 
chappe. 

Haley fit entendre un grogne- 
ment sourd. 

— Et il n'en est pas moins esti- 
mable, ajouta John le maquignon ; 
puisse sa prediction ne pas se rea- 
liser quand vous serez cite devant 
le grand Tribunal ! 

Haley s'en alia en reflechissant a 
I'autre bout du bateau. 

— Si je me defais avantageuse- 
ment de trois ou quatre troupes, 
pensait-il, je quitterai le metier; il 
a vraiment ses dangers. » Puis il 
prit son portefeuille et se mi t a re- 
passer ses comptes, procedes em- 
ployes par bien d'autres pecheurs 
que lui comme specifique contre le 
remords. 

Le bateau s*eloigna majestueuse- 
ment du rivage; les hommes re- 
commencerent a causer, a lire, a 
fumer; les femmes a condre, les 
enfants a jouer, et le steamer pour- 
suivit sa route. 

Un jour, il s*arreta devant une 
petite ville du Kentucky, et Haley 
debarqua pour affaires. 

Tom, quoiqu'il eut les fers aux 
pieds, avait la faculte de prendre de 
temps en temps Tair sur le pont. H 
s'approcha du bord du bateau, et 
regarda sans but par-dessus le pa- 
rapet. II vit le marchand revenir a 
grands pas, en compagnie d*iiiie 
femme de couleur qui portait an 
jeune enfant dans ses bras. Elle 
etait proprementvetue,et un horome 
de couleur la suivait, une petite 
malle a la main. La femme avait 
I'air gaie; elle babillait avec son 



/ 



CHAPITRE TROISlfeME. 



159 



Mhe man who bore her trunk, and 
^^ f>asged up the plank into the 
l)oat. The bell rang, the steamer 
^whizzed, the engine groaned and 
<»ughed, and avay swept the boat 
^own the river. 

The woman walked forward 
^mong the boxes and bales of the 
^ower deck, and, sitting down, bu- 
ried herself with chirruping to her 
Jbaby. 

Haley made a turn or two about 

*Aie boat, and then, coming up, sea- 

tbecl himself near her, and began 

si^aying something to her in a indif- 

^«r"«nt undertone. 

Tom soon noticed a heavy cloud 
J>«a-^sing over the woman's brow, 
^* "^ ^ that she answered rapidly, and 
^^^^ i th great vehemence. 

*« I don't believe it ; I won't believe 
i t- I », He heard her say. « You're ist 
^ ^^^olin' with me. » 

^ If you won't believe it, look 
"^■^^we! » said the man, drawing out 
^ 'M^aper ; « this yers's the bill of sale, 
^ ^^ ^ there's your master's name to 
^^ ? and I paid down good solid 
^^^^ for it, too, I can tell you — so, 
^^c^w! » 

« I don't believe mas'r would 
^t^eat me so ; it can't be true ! » said 
^^^ woman, with increasing agita- 
^«n. 

« You can ask any of these men 
^^re (hat ean read writing. Here I » 
^« «akl, to a man that was passing 
^y« « jist read this yer, won't you ! 
l^hiB yer gal won't believe me, when 
^ tell her what 'tis. » 

« Why, it's a bill of sale, signed 
by John Fosdick, » said the man, 
«< making over to you the girl Luey 



compagnon, et passa d'un pied leger 

sur la planche. La cloche sonna, la ^ '? 
.-« , 1 . .- * traductii 

vapeur siffla, la machine mugit, et 

le bateau descendit la riviere. 



La femme s'installa a Vavant, an 
milieu des bagages^ ei s*occupa de 
badiner avec son 6l8. 



Haley fit quelques tours sur le 
pont, vint s'asseoir aupres d'elle, et 
lui parla a voix basse. 



Tom remarqua qu'un nuage 
sombre passait sur les traits de la 
femme, qui repondit avec emporte- 
ment : 

— Je ne le crois pas I je ne le 
crois pas ! Vous vous jouez de moi I 

— Si vous ne le croyez pas, re- 
gardez ce papier, dit le marchand 
d'esclaves ; c'est le contrat de votre 
vente, signe du nom de votre mal- 
tre; je vous ai payee en especes 
bien sonnantes, je vous le garantis. 

— Mon maitre ne m'aurait pas 
trompee ainsi ; c'est impossible! re** 
prit la femme avec une agitation 
toujours croissante. 

— Puisque vous doutez encore, 
puisque vous ne vous en rapportes 
pas a mon temoignage, vous pouvex 
interroger le premier venu . • . Hola! 
monsieur, ayez la complaisance de 
me lire cet acte. 

— C'est, dit le voyageur inters 
pelle, un contrat de vente, dont 
le signataire, John Fosdick, voas 



\ 



160 



DKUXIKWE PARTIE. 



Dela 
tduclion. 



andherchild.It'sallstraighteDough, 
forg aught I see. » 

The woman*s passionate excla- 
mations collected a crowd around 
her, and the trader briefly explai- 
ned to them the cause of the agita- 
tion. 

ft He told me that I was going 
down to Louisville, to hire out as 
cook to the same tavern where my 
husband works : that's what mas'r 
told me, his own self, and I can't 
believe he*d lie to me ! « said the 
woman. 

« But he has sold you, my poor 
woman, there's 'no doubt about 
it, » said a good-naturel looking 
man, who had been examining the 
papers; « he has done it, and no 
mistake. » 

« Then it*s no account talking, » 
said the woman, suddenly growing 
quite calm ; and, clasping her child 
tighter in her arms, she sat down 
on her box, turned her back round, 
and gazed listlessly into the river. 

« Going to take it easy, after 
all ! » said the trader. « GaVs got 
grit, I see. « 

The woman looked calm as the 
boat went on; and a beautiful, 
soft, summer breeze passed, like a 
compassionate spirit, over her head 
— the gentle breeze that never in- 
quires whether the brow is dusky 
or fair that it fans. And she saw 
sunshine sparkling on the water, 
in golden ripples, and heard gay 
voices, full of ease and pleasure, 
talking around her every-where; 
but her heart lay as if a great stone 
had fallen on it. Her baby raised 



abandonne la liUe Lucie et son en- 
fant. L'acte est en bonne forme, a 
ce qu'il me semble. 

Lcs exclamations de la femme 
a'ttirerent -la foule autour d'elle, et 
le marchand d*esclaves expliqua 
brii'vement les motifs de son agita- 
tion. 

— II m'a dit quej'allais a Louis- 
ville pour servir comme cuisinicre 
dans I'auberge ou mon mari tra- 
vail le.Voila ce que mon maitre m'a 
dit lui-meme, et je ne puis me per- 
suader qu'il a menti. 

— ^Mais il vous a vendue, ma brave 
femme ; il n'y a pas a en douter, dit 
un homme a physionomie bienveil- 
lante, apres avoir examine les pa- 
piers. 

— C'est inutile de parler, reprit 
la femme s'apaisant tout a coup; 
et, devenue calme en apparency, 
elle tourna le dos aux curieux. Elle 
s'assi t su r un coffre, son enfant entre 
SOS bras, et fixa des regards mornes 
sur la riviere. 

— Elle se tranquillise , dit le 
marchand d'esclaves, elle prend 
son mat en patience. 

La femme ne bougea pas; le 
souffle bienfaisant de la brise vint 
rafraichir sa t^te. Elle vit les der- 
niers feux du soleil lancer des 
si lions d'or sur les eaux ; elle en- 
tendit des rires joyeux ; mais son 
CGCur etait comme <k;rase sons une 
pierre. Son enfant se dressa sur son 
sein et lui caressa les joues; il 
sautait, se renversait en arriere, 
begayait des mots inintelligibles; 
on aurait dit qu'il avait resola de la 
consoler. II sepblait etonne de 



^1 



_tw 



CHAPITRK TROISIEME. 



161 



himself up against her, and stroked 
her cheeks with his little hands : 
and, springing up and down, cro- 
'fving and chatting, seemed deter- 
mined to arouse her. She strained 
liim suddenly and tightly in her 
a.rinsy and slowly one tear after 
a.iiother fell on his wondering, un- 
oonscious face; and gradually she 
s^semed, and little by little, to grow 
c^almer, and busied herself with 
^^nding and nursing him. 

The child, o boy of ten mouths, 
'^Dvas uncommonly large and strong 
of his age, and very vigorous in his 
M M mbs. Never for a moment strill, 
l:m« kept his mother constantly busy 
^ an holding him, and guarding his 
^Ipringing activity. 

« That a fine chap ! » said a man, 
^ ^iddenly stopping opposite to him, 
"^^iTith his hands in his pockets. -« How 
^^Id is he? « 

H Ten months and a half, » said 
^fce mother. 

The man whistled to the boy, 
^^nd offered him part of a stick of 
^^«indy, which he eagerly grabbed 
<s^t, and very soon had it in a baby's 
^^eneral depository, to wit bis 
'v^outh. 

• Rom fellow !» said the man, 
<«^ knows what's what! » and he 
"^vhistled and walked on. When he 
^ad got to the other side of the 
^MMit, he came across Haley, who 
"Vras smoking on top of a pile of 

The stranger produced a match, 
^nd lighted a cigar, saying, as he 
^id so — 

H Decentish kind o' wench you' 
X^e got round there, stranger. » 

tt Why, I reckon she is tol'able 



sentir des larmes tombor une a une 
sur son visage. Son petit babil, ses 
graces naives, finirent par derider 
sa mere, qui oublia un moment ses 
peines en lui prodiguant des soins. 



Dela 
traduction. 



Get enfant n'avait pas once mois; 
mais il etait, pour son &ge, d'une 
force et d'une taille extraordinaires ; 
il ne restait pas un seul instant en 
repos; il fallait que sa mere s'oc- 
cup4t sans cesse de le retenir et de 
reprimer sa petulance. 

— Voila un beau gar^n ! dit un 
homme qui s*arr6ta brusquenient 
devant lui les mains dans ses poches; 
quel &ge a-t-il? 

— Dix mois et demi, dit la mere. 

L'homme appela le bambin , et 
lui offrit un morceau de Sucre can- 
di, dont celui-ci s'empara, et qu'il 
eut bien vite mis dans le garde- 
manger ordinaire des enfants, c'est- 
a-dire dans sa bouche. 

— Quel petit gaillard ! dit l'hom- 
me, et il s'cloigna en sifilant. 
Quand il fut a I'autre bout du ba- 
teau, il passa devant Haley, qui 
fumait perchesur une pile de colis. 



— Stranger , vous avez fait la une 
assez bonne acquisition, lui dit 
r homme en tirant une meche de sa 
poche pour allumer un cigare. 

— Jem'en flatte, rcpondit Haley. 
.11 



162 



DEUXifeME PARTIE. 



Dela 

traduction. 



iair, » said Haley , blowing the 
smoke out of his mouth. 

« Taking her down south? » said 
the man. 

Haley nodded, and smoked on. 



« Plantation hand? >» said the 
man. 

« Wal, » said Haley. « Fm filling 
out an order for a plantation, and 
I think I shall put her in. They 
telled me she was a good oook ; 
and they can use her for that, or 
set her at the cotton- picking. She/s 
got the right Qngers for that; I 
looked at*em. Sell well, either way ;» 
and Haley resumed his cigar. 

4( They won't want the young un 
pa a plantation,!* said the man. 

« I shall sell him, fist chance 1 
iind,» said Haley, lighting another 
cigar. 

« S' pose you'd be selling him 
toFable cheap,>» said the stranger, 
mounting the pile of boxes, and 
sitting down comfortably. 

« Don't know' bout that , » said 
Haley; » he's a pretty smart 
young'un — straiglit, fat, strong ; 
flesh as hard as a brick. » 

"Very true; but then there's 
all the bother and expense of rai- 
sin ! » 

« Nonsense, » said Haley ; they 
is raised as easy as any kind of 
critter there is going ; they an't a 
bit more trouble than pups. This 
yer chap will be running all round 
in a month. » 

« r ve got a good place for rai- 
sin', and I thought of takin' in a 



— Vousremmeneza la NouveUe- 
Orleans ? 

Haley fit an signe affirmatif, et 
suivit des yeux les ondul&Uons de 
sa fumee. 

— Elle est destinee a une plan- 
tation? 

— Oui, dlt Haley. Je suis charge 
de Caire des emplettet pour une 
plantation, et je pourrai I'y collo- 
quer. On m'a assure qu'elle elalt 
bonne cuisiniere; die pent senrir 
en cette qualite, ou eplucber du 
colon: ses doigts sont propres a 
cette sorte de travail, je les ai exa- 
mines. En tout easy je la vendrai 
bien. » Et Haley reprit son dgare. 

— On n'aura pas besoin de Ten- 
fant dans une plantation, dit I'hoin- 
me. 

— Je le vendrai a la premiere 
occasion, repondit Haley. 

Et il alluma un second cigare. 

— Vous le vendrez bon marofae, 
dit I'homme en montant sur la pile 
de caisses, ou il s'etablit conuno- 
dement 

— Je ne crois pas ; c'est un joli 
sujet, droit comme un jonc , gras, 
vigoureux, des chairs dures comme 
de la brique. 

—C'est vrai; mais que de traces 
et de depenses pour I'elever ! 

— Bah! bah! reprit Haley; il 
s'etevera aussi aisement qu'un p^U^ 
chieu« D'ici a un mois, onle^yerra 
courir partout. 



— J'ai une propriete a ia^ueUe 
je donne quelque extension, et ou 



CHAPITRE TROISIfeME. 



163 



little more stock ^ » said the man. 
« One cook lost a young *un last 
week-got drownded in the wash- 
iub, while she was a h^ngin' out 
clothes; and ! reckon it would be 
well enough to sed her to raisin' 
this yer. >» 

' Haley and the stranger smoked 
awhile in silence, neither seemed 
willing to broach the test question 
of the interwiew. At last the man 
ratmiMd — 

« Ton wooldn't think of wanting 
more than ten dollars for that ar 
chap, seeing you must get him off 
yer hand, any how? » 

Haley shook his head , and spit 
impressively. 

« That won't do, noways," he 
said; and began his smoking again. 
« Well, stranger, what will you 
take? » 

« Well, now, » said Haley. « I 
cotfM raise that arehapmy8elf,orget 
him raised ; he*s uncommon likely 
and healthy, and he'd fetch a hun- 
dred dollars six months hence; and 
in a year or two he' d bring two 
hundred ; if 1 had him in the 
right spot ; so I shan't take a cent 
less nor tlfty for him now.» 

« 0, stranger, that's ridiculous 
altogether, » said the man. 

« Fact,» said Haley, with a deci- 
sive nod of his head. 

« I'll give thirty for him, » said 
thestranger, «butnota cent more. » 
« Now, I'll telle ye what Til do,* 
said Haley, spitting againg, with 
renewed decisi6n ; « I'll split the 
difference, and say forty-five ; and 
that's the most I will do. » 

Well, agreed,» said the man, af- 
ter an interval. 



il trouverail sa place. Ma cuisiniere 
a perdu un enfant la semaine der- 
niere; il s'est noye dans le cuvier 
pendant qu'elle ctendait du linge. 
On ne ferait pas mal de lui donner 
celui-ci k elever. 

Haley el I'etranger fumcrent un 
moment en silence. Aucun d'eux 
ne semblait dispose a aborder fran- 
chement la question. Enfin le der- 
nier s'executa : 

— Puisque votre intention est de 
vons defaire de ce bambin, vous ne 
comptez pas le vendre plus de dix 
dollars ? 

Haley secoua la tete et cracha 
d'un air dcdaigneux. 

Allons done! dit il ; etii se remit 
a fumer. 

— Ehbien! etranger, qu'en de- 
mandez vous? 

— Je pourrais Telever moi-m6me 
ou le faire elever; il a bonne mine, 
il est plein de sante, et j'en trouve- 
rais cent dollars ; dans six mois an 
plus tard, je le vendrais deux cents 
sur tons les marches : ainsi, pre- 
sentement, je n'en accepterai pas 
moins de cinquante dollars. 

— O etranger, s'ecria I'homme, 
c'est completemenl ridicule! 

— Je n'en rabattrai pas un cen- 
time. 

— Je vous en offre trente dollars, 
mais pas un centime de plus. 

— En Irons en arrangement, reprit 
Haley : coupons le differend par la 
moitie, et donnez-moi quarante- 
cinq dollars; c'est tout ce que je 
puis faire. 

— Qa va ! dit I'homme apres un 
moment de reflexion. 



De la 
traduction 



1($4 



UEUXIKWK PAHTIE. 



Do la 
traduclion. 



« Doael » said Haley. « Where 
do you land ? » 

» At Louisville, » said the man. 

« Louisville? » said Haley. «Very 
fair; we get there about dusk. 
Chap will be adeep-all fair-get him 
off quietly , and no screaming — 
happens beautiful — I like to do 
everyting quietly — I hates all 
kind of agitation and fluster. » And 
so, after a transfer of certain bills 
had passed from the man's pocket- 
book to the trader's, he resumed his 
cigar. 

ft was a brigt, tranquil evening, 
when the boat stopped at te wharf 
at Louisville. The woman had been 
sitting with her baby in her arms, 
now wrapped in a heavy sleep. 
When se heard the name of the 
place called out, she hastily laid 
the child down in a little cradle 
formed by the hollow among the 
boxes, first carefully spreading un- 
der it her cloak; and then she 
sprung to te side of the boat, in 
hopes that, among the various ho- 
tel-waiters that thronged the wharf, 
she might see her husband. In this 
hope she pressed forward to the 
front rails, and stretching far over 
them, strained her eyes intently on 
the moving heads on the shore, and 
the crowd pressed in between her 
and the child. 

«i Now's your time, » said Haley, 
taking the sleeping child up, and 
handing him to te stranger. • Don't 
wake him up, and set him to 
crying, now ; it would make a devil 
of a fuss- with the gal. » The man 
took the. bundle carefully, and was 
soon lost in the crowd that went up 
the warf. 



— Tope I repartit Haley ; ou de- 
barquez-vous? 

— A Louisville. 

— Port bien ; nous y arriveroDs 
a la brune. Le petit dormira, c*e8t 
a merveille. Emmenez-le tranquil- 
lement, en prenant garde dele faire 
crier. J'aime a prendre les gens par 
la douceur ; je hais le bruit, le 
scandale, les emotions fortes. 

Quelques instants apres, des bil- 
lets passaient de la poche de Tac* 
quereur dans celie du marchand 
d'esclaves, qui se remit a fumer. 

La soiree etait belle etpaisible 
quand le bateau s'arr^ta au quai de 
Louisville. L'enfant dormait pro- 
fondement dans les bras de sa mere. 
Des qu'elle entendit nommer la 
ville, elle le deposa entre deux cais- 
ses comme dans un berceau, en 
ayant soin de placer sous loi son 
manteau. Elle courut ensuite se 
placer pres du garde-feu, et cfaer- 
cha des yeux son mari parmi les 
nombreux garqons d'hdtel qui eu- 
combraient le quai. Elle se pencha 
en avant, et toute son attention fut 
absorbee par la contemplation des 
grotlpes qu'on distinguait sur le ri- 
vage a la vague clarte du crepus- 
cule. 



— Voila le moment! dit Haley 
prenant I'enfant endormi et le pre-- 
sentant a Tetranger: ne le reveillez 
pasi ca ferait une affaire du dia- 
ble.» L'homme emporta sa proie, et 
se perdit dans la foule. 



CHAPITRE TROlSltiMH. 



105 



Wheu the boat, creaking, and 
groaDiDg, and puffing, had loosed 
from the warf, and wa» l)eginning 
slowly to strain herselt along, the 
woman returned to her old seat. 
The trader was sitting there-the 
child was gone ! 

• Why, why- where ?>» she began , 
in bevildered surprise. 

<t Lucy.v said the traider, « your 
child's gone; you may as well 
know it first as last. You see , 1 
know'd you couldn't take him down 
south; and I got a chance to sell 
him4o a first-rate family, that '11 
raise him better thnn you can.^ 



The trader had arrived at that 
stage of christian and political 
perfection which has l)een recom- 
mended by some preachers and po- 
liticiajis of the nord lately, in whi(h 
be had completely overcome every 
humane weakness and prejudice. 
His heart was exactly where yours, 
sir, and mine could be brought, 
with proper effort and cultivation. 
The wild look of anguish and utter 
despair that the woman cast on him 
might have disturbed one less prac- 
tised; but he was used to it. He 
had seen that same look hundreds 
of times. You can get used to such 
things, too, my friend ; and it is 
the! great object of recent efforts to 
make our whole northern commu- 
nity used to them, for the glory of 
the Union. So the trader only re- 
garded the mortal anguish which 
he saw working in those dark fea- 
tures, those clenched hands, and 
suffocated breatliings, as necessary 
incidents of Ihe trade, and merely 



Lorsque le bateau eut quitte la ri- 
ve avec ses groudements accoutu- 
mes, Lucie retourua a sa place. 



Dela 
traduction. 



— Ou est-il? ou est-il?... secria- 
t-elle avec egaremeut. 

— Lucie, dit le marchand d*es- 
claves, votre enfant est parti ; au- 
tant que vous le sachiez tout de 
suite. Je savais que vous ne pou- 
viez Temmener dans le Sud^ et 
j'ai saisi Toccasion de le vendre 
a une riche famille, qui Tolevera 
mieux que vous n'auriez pu le 
faire. 

Le marchand d'esclaves etait ar- 
rive a cet etat de perfection chre- 
tienne et politique que recomman- 
dent certains predicateurs : il avait 
triomphedetoutes les faiblesseshu- 
maines. Le regard de desespoir que 
Lucie jeta sur lui aurait trouble un 
hommemoins experimente; mais il 
avait le cceur revetu d'une triple 
cuirasse. II avait vu centfoisrle md- 
me regard. Les mortelles angoisses 
qui bouleversaient le visage som- 
bre de la malheureuse mere, sa 
respiration haletante , ses mains 
crispees, il les considerait comme 
des incidents necessaires du com- 
merce. II apprehendait seulement 
qu'eile se mit a pousser des cris et 
a provoquer une emeute a bord ; 
mais Lucie resta muette, le coup 
lui avait passe Irop droit a travci-s 
le coBur pour qu'elle eut la force d<i 
jeler un cri, de verscr uiie larme. 



1G6 



DEUXifeME PARTIR. 



DeU 
aductiou. 



calculated wheter uhe was going to 
scream, and get up a commotion 
on the boat; for, like other sup- 
porters of our peculiar institu- 
tions, be decidedly disliked agita- 
tion. 

Bui the woman did not scream. 
The shot had passed too straight 
and direct trough the heart for cry 
or tear. 

' Dizzily she sat down. Her slack 
hands fell lifeless by her side. Her 
eyes looked straight forward, but 
she saw nothing. All the noise 
and ham of the boat, the groaning 
of the machinery, mingled drea- 
mily to her bewildered ear; and 
the poor, dumb-stricken heart had 
neither cry nor tear to show for its 
utter misery. She was quite calm. 



The trader, who, considering his 
advantages, was almost as humane 
as some of our politicians, seemed 
to feel called on to administer such 
consolation as the case admitted 
of. 

«( 1 know this yer comes kinder 
hard , at first , Lucy , » said he , 
« but such a smart, sensible gal as 
you are, won't give way to it. You 
t>ee it's necessary, and c^n't be hel- 
ped! » 

ft Oh, douH, mas'r, don't! » said 
the woman, with a voice like one 
that is smothering. 

« Yow're a smart wench, Lucy, » 
he persisted, u I mean to do well 
by ye, and get ye a nice place 
down river; and youll soon get 
another husbandsuch a likely gal 
as you — » 



Frappee de vertige, elle demea^* 
rait immobile. Ses mains inanimees. 
pendaient le long de son corps; ses 
yeux etaient fixes, mais elle nft 
voyait rien. Les gemissements da 
la machine, le mouvement det. 
voyageurs, le bruit de leurs con- 
versations, arfivaient a ses oreilles 
conmie des sons vagues cr^es par 
un r^ve. Son emotion etait trop 
profonde , trop reelle, pour se tra-^ 
duire par des signes exterieurs* 
Elle etait calme. ^ 

Lemarchand d'esclaves se crut 
oblige de remplir le role de ooiumh 
lateur. 



— Luoie, dit-il , je sait que oette 
perte est cruelle pour vous; mais 
vous avez du bon sens, et yous na 
vous laisserez pas abattre. C*etait 
necessaire, inevitable. 

— Oh! monsieur, de gr&ce!... 
repondit-elle d'une voix etouffee. 

U persista.-— Vous avez des qua]i-< 
tes, Lucie; je suis bien dispose en 
votre faveur ; je vous placerai bien 
en arrivant ; vous trouverez un au- 
tre epoux, car une fille oomme 
vous... 



CHAPrrRE TROISlfeME. 



167 



« Oh , ma&'r, if you only won*t 
talk to me now, » said the woman, 
in a voice of such quick and living 
anguish that the trader felt that 
there was something at present in 
the case beyond his style of opera- 
tion. He got up, and the woman 
turned away, and buried her bead 
in her cloak. 

The trader walked up and down 
for a time, and occasionaly slop- 
ped and looked at her. 

« Takes it hard , rather, » he so- 
liloquised , • but quiet, tho' : ler 
her sweat a while; she'll come 
right, by and by! » 

Tom had watched the whole 
transaction from first to last, and 
had a perfect understanding of its 
results. To him , it looked like so- 
mething unutterably horrible and 
cruel, because/ poor ignorant. 
Mack soul ! he had not learned to 
generalize, and to take enlarged 
views. If he had only been instruc- 
ted by certain ministers of Chris- 
tianity, he might have thought 
l)etter of it, and seen in il an eve- 
ry-day incident of a lawfuld trade ; 
a trade which is the vital support 
of an institution which an Ameri- 
can divine * tells us has « 710 evils 
but such as are inseparable from 
any other relations in social and 
domestic life, » But Tom, as we 
8ee , being a poor, ignorant fellow, 
whose reading had been conGned 
entirely to the New Testament, 
could not comfort and solace him- 
self with views like these. His very 
soul bled within him for what 



— Ah! monsieur, si aetilement 
vons vouliez ne pas me parler, >» dit 



Dela 



Dr. Joel Parker, of Philadelphia. 



Lucie, n y avait tant de douleur, ♦'•a*'"*^'^" 
tant d*energie dans ces accents, que 
le marchand d'esclaves comprit 
que la maladie resisterait a ses 
moyens curatifs. II s*eloigna; Lu- 
cie iui tourna le dos et se cacha la 
tete dans «oh manteau. 

Haley se promena de long eii 
large, s'arr^lant par intervalles pom- 
la regarder. 

— Elle a de la peine, se dit-il; 
pourtant elle est tranquille. Quand 
elle aura pleure un peu , elle re- 
viendra a la raison. 

Tom avait tout observi'*; il tron- 
vait inf^me la conduite de Haley ; 
car c'etait un pauvre noir ignorant 
qui n'avait pas appris k generali- 
ser, a etendre la sphere des idees, a 
sacrifier tout a de grandes vues. 
S'il eOt ecoute les instructions de 
quelques ministres du culte, il 
n'aurait point ^te choque de cet 
episode d*un commerce qui, sui- 
vant le docteur Joel Parker, de 
Philadelphie , n*entraine que des 
maux inseparables de toutes rela- 
tions sociales. Mais Tom n'avait 
point d'instrnction ; il n'avait ja- 
mais lu que le Nouveau Testa- 
ment, et rimpression qu'il ressen- 
tait n'etait point neutral isee par 
de hautes considerations. 11 deplo- 
rait les tortures de cette pauvre 
femme, qui courbait la t^te comme 
une plante flclrie. II comprenait la 
misere de cette creature humaine, 
que les lois confondaicnt froide- 
ment avec les paquets, le& caisses el 
les ballots sur lesquels elle etail 
assise. 



168 



DEUXIKME PARTIE. 



De la 
iraduction. 



seemed to him the wrotigs of the 
poor suffering thing that lay like a 
crushed weed on the boxes; the 
feeling, living, bleeding, yet im- 
mortal thing f which American state 
law coolly classes with the bun- 
dles, and bales, and boxes , among 
which ^e is lying. 

Tom drew near, and tried to say 
something; but she only groaned. 
Honestly, and with tears running 
down his own cheeks , he spoke of 
a heart of love in the skies, of a 
pitying Jesus, and an eternal home; 
but the ear was deaf with anguish, 
and the palsied heart could not 
feel. 

Night came on — night , calm , 
unmoved, and glorious, shining 
down with her innumerable and 
solemn angel eyes, twinkling, 
beautifuld , but silent. There was 
no speech nor language, no pitying 
voice or helping hand , from that 
distant sky. One after another, the 
voices of business or pleasure died 
away; all on the boat were slee- 
ping, afid the ripples at the prow 
were plainly heard. Tom stretched 
himself out on a box, and there, 
as he lay, he heard, ever and anon, 
a smothered sob or cry from the 
prostrate creature. — « Oh, what 
shall 1 do? Lord 1 good Lord, 
do help me! » and so, ever and 
anon, until the murmur died avay 
in silence. 

At midnight Tom waked with a 
sudden start. Something black pas- 
sed quickly by him to tlie side of 
the boat , and he heard a splash in 
the water. No one else saw or beard 
anything. He raised his head — the 
woman's plac€ was vacant ! lie got 



Tom se rapprocha et voulut lui 
parler; elle ne repondlt que par 
des gemissements. II I'eutretint des 
cieux, dun Dieu misericordieux * 
d'uu refuge etcrnel ; mais Taffligee 
etait sourde; son ccBur paralyse 
ballait a peine. 



La nuit viot, pure, belle, etince- 
lante d'innombrables etoiles qui 
ressemblaient a des yeux d^auges 
abaisses vers la terre; mais eUe 
etait silencieuse, et de ce firma- 
ment splendide ne descendait au- 
cuue parole de consolation. Les 
bruits s^teignirent graduellement 
a bord de la BeHe-Rivi^. Tous 
les voyageurs s*endormirent. Tom 
s*etendit sur un coffre, et avant de 
s'abandonner au sommeil il enten- 
dit par intervalles les sanglots etouf- 
fes de Lucie : « Oh ! que faire? di- 
sait-elle; 6 mon Dieu, Seigneur, 
assistez-moi ! » 



Vers le milieu de la nuit, Tom 
fut reveille en sursaut. Quelque 
chose de uoir passa rapidement de- 
vant lui, et il en tend! t un clapo- 
tement dans I'eau. Il leva la t^te : 
Lucie avail disparu ; il la chercha 
vaiuement aulour de lui. Elle 



CHAPITRE TROlSlfeME. 



169 



up, and sought about him in vain. 
The poor bleeding heart was still , 
at last, and the river rippled and 
dimpled just as brightly as if it 
had not closed above it. 

Patience! patience l ye whose 
hearts swell indignant at wrongs 
like thes^. Not one throb of an- 
guish , not one tear of the oppres- 
sed, is forgotten by the Man of 
sorrows, the Lord of Glory. In his 
patient, generous bosom he bears 
the anguish of a world. Bear thou, 
like him, in patience, and labour 
in love; for, sure as he is God, 
« the year of his redeemed shall 
come. » 

The trader waked up bright and 
early, and came out to see to his live 
stock. It was now his turn to look 
about in perplexity. 

<( Where alive is that gal P » he 
said to Tom. 

Tom, wo had learned the wis- 
dom of keeping counsel , did not 
feel called on to state his obser- 
vations and suspicions, but said he 
did not know. 

« She surely couldn't have got 
off in the night at any of the lan- 
dings, for I was awake, and on 
the look-out, whenever the boat 
stopped. J never trust these yer 
things to other folks. » 

This speech was addressed to 
Tom quite confidentially, as if it 
was something that would be spe- 
cially interesting to him. Tom 
made no answer. 

The trader searched the boat 
from stem to stern, among boxes, 
bales, and barrels , around the ma- 



avait trouve le terme de ses mauz, 
et la riviere qui I'avait engloutie 
coulait avec autant de calme et de 
limpidite qu'auparavant. 

Patience, patience, vous que re- 
voltent de pareilles scenes : pas uu 
soupir , pas une larme des oppri- 
mes ne sont oublies par le divin 
Consolateur. II les recueille dans 
son sein, et il en tient compte. 
Supportez la douleur avec la re- 
signation dont il vous a donno 
Texemple ; car, aussi oertainement 
qu'il est Dieu, Theure de la re- 
demption viendra! 

Haley se reveilla de bonne heure, 
et vint donner le coup d'oeil du 
maitre h sa marchandise vivante. 
Ce fut a son tour d'avoir Tair in- 
quiet et trouble. 

— Ou est cette fille? » dil-il a 
Tom. 

Tom connaissait I'inutilite de la 
discussion ; il ne crut pas devoir 
faire part au marchand de ses ob- 
servations, et repondit simplement : 
— Jen'en sais rien. 

— II est impossible qu*elle soit 
descendue cette nuit a I'une des 
escales. J'etais debout et sur le qui- 
vive toutes les fois que le bateau 
s'arretait. G'est une surveillance 
dont je me charge toujours en per- 
sonne. 

Le ton de ce discours etait fait 
pour provoquer la confianc« de 
Tom ; mais il n'y repondit pas. 



Le marchand d'esclaves fouilla le 
bateau de Tavant a I'arriere, au 
milieu des ballots, des coffres, des 



Deia 
traduction. 



170 



DEUXifeME PARllE. 



De la 
traduction. 



chinery, by the chimneys, in vain. 

« Now, 1 say, Tom , be fair about 
this yer, » he said , when , after ^ 
fruitless search, he came where 
Tom wasi standing. « You know 
something about it, now. DonH 
tell me-I know you do. J saw the 
gal stretched out here about ten 
o'clock, and ag' in at twelve, and 
ag* in between one and two : and 
then at four she was gone, and 
you was a sleeping right there all 
the time. Now, you know some- 
thing-you can't help it. » 

n Well, masY, « said Tom, 
« towards morning something bru- 
shed by me, and I kinder half 
woke; and then I beam a great 
splash , and then I ciare woke up, 
and the gal was gone. That's all I 
know on't. » 

The trader was not shocked nor 
amazed; because, as we said be- 
fore , he was used to a great many 
things that you are not used to. 
Even the awful presence of Death 
struck no solemn chill upon him. 
He had seen Death many times- 
met him in the way of trade, and 
got acquainted with him-and he 
only thought of him as a hard 
customer, that embarrassed his 
property-operations very unfairly ; 
and so he only swore that the gal 
was a baggage, and that he was 
devilish unlucky, and that, if things 
went on in this way, he should 
not make a cent on the trip. In 
short, he seemed to consider him- 
self an ill-used man, decidedly; 
but there was no help for it, as the 
woman had escaped into a state 
which never will give up a fugi- 



tonneaux, autour de la machine, 
pres des cheminees. 

Apres une recherche infructueuse, 
il vint relronver Tom. * Voyona. 
lui dit-il , soyez franc : vous savet 
quelque chose. Ne me soutene^ pas 
le contraire ; vous pouvez me four- 
nir des renseignements. J*ai vii Lu- 
cie a dix heures; je Tai revue k 
minuit, a une heure. A qoatre 
heures ell e n*ctait plus a sa place ; 
et, pendant ce temps , vous n'aves 
pas quitle la votre. Vous savez 
quelque chose, c'est incontestable. 

— Eh bien! monsiear, vers le 
matin une figure noire a passe prte 
de moi; j'ai on vert a moiti^ les 
yeux,et j*ai entendu le bruit d*un 
corps qui tombait k Teau. Je me 
suis reveille, et la fille n*y etait 
plus. Voilii tout ce que je sais. 

Le marchand d'esclaves ne fut 
ni trouble ni etonne ; il etait fami- 
liarise avec tant de catastrophes 
dont nous avons a peine Tid^ ! La 
presence de la mort elle-m^me ne 
lui causait aucune Amotion solen- 
nelle. Dans le cours de ses peregri- 
nations commercialese il avait vu 
maintes fois la mort ; il ne la re- 
gardait que comme une visiteuse 
exigeante, qui le genait sourent 
mal a propos dans ses operations. 
Ne voyant dans Lucie qu'un colia, 
il se disait qu'il avait du guignon , 
et que, si ce train-^la continuait, il 
ne tirerait pas un centime de sa 
cargaison. C*etait un homme d^id^ 
ment malheureux, et d*autant plus 
a plaindre que Lucie avait passe 
dans un pa3r8 qui ne rend jamais 
les fngitifSy quelles que soient les 
reclamations. Le negociant deses- 



CHAPITRE TROISlfeME. 171 



Uvo-not 6veik at the demanded of 
the whole glorious UoioD. The tra- 
der, therefore, sat discontentedly 
^own, with his little account-book, 
^nd put down the missing body 
^nd soul under the head of losses t 



pere pritdonc son livro decomptes, 

et inscrivit Tame et le c^rps ab- ^ 1? 

sents a la colonne des pertes. 



tradncftton.- 



Tradutori^ traditoril Nous ne connaissons gu^re de 

traductions qui justifient aussi largement le dicton 

'tetlien que celle dont nous venous de donner un ex- 

tf'adt. On dirait que son auteur a pris plaisir a mutiler 

^^ texte original, a le maltraiter et deformer de toutes 

i^^ manieres imaginables. Omissions, transpositions, 

*l*.crations, changements arbitraires dans la coupe de 

^ ^^^i^uvre si remarquable de madame Henriette Beecher 

^*^Dwe, presque tons les defauts enfin qui caract^risent 

*^^ versions defectueuses , se trouvent reunis dans le 

^^"'^vail de r6crivain franqais. 

« Pour juger si des vers sont mauvais, dit Voltaire^ 

^"^ :»iettez-les en prose. Si cette prose est incorrecte, 

^ Xes vers le sont. » Nous croyons que le moyen ana- 

*^^^ue pourrait fournir une juste idee du merite d'une 

^^^^iduction, et que celle-la seule pourrait 6tre regardee 

^^^^mme exacte et digne d'eloges qui ferait retrouver, 

^ 1 aide d'une retro-traduction, le texte original a pen 

F^X^fes pur de toute atteinte. 

Substituer son travail a celui de Tauteur que Ton a 
*^ pretention de faire connaitre par une version, ce n'est 
r^Xus traduircj c'est trahir^ comme disent les Italiens. 



172 DEUXIKME PARTIE. 

~ Le premier devoir d'un traducteiir, c'est le respect 

traduction, de 8on texte. 

Nous ne donnons done point le fragment de traduc- 
tion qui precede comme un modele a imiter, mais 
comme un exemple des defauts que Ton doit eviter 
dans Timportant exercice dont nous avons essaye de 
poser les regies generales, dans la mesure de nos 
moyens. En faisant observer a nos eleves les inexacti- 
tudes, les licences par trop hardies, les manques de 
respect d'un traducteur pour son texte, nous leur ap- 
prendrons a mettre dans ce travail les qualites con- 
traires, qui sont I'indice le plus siir d'un jugement 
sain et d'un gout epure. 

Nous sommes loin de vouloir meconnaitre la correc- 
tion, Telegante simplicite, voire m^me parfois T^nergie 
qui distinguent Toeuvre du traducteur que nous criti- 
quonsici a regret; mais nous pensons qu'il eiit fourni 
un travail plus remarquable s'il s'etait attache a inter- 
preter avec une scrupuleuse fidelite cette Case du pere 
Torn^ qui a produit une si vive sensation dans le monde 
civilise. 



CHAPITUE THOISIEMK. 



173 



LANGUE ITALIENNE. 



Dela 
traduction* 



LE AflE PRIGIONI , 
Memorie 

DI SILVIO PELUCO '. 
CAPO LXVI. 

Ad un' estremita di qtiel terra- 
pieDO , erano le stanze del soprin- 
tendente; all' altra estremita allog- 
giava un caporale con moglie ed 
UD tigliulino. Quand' io vedeva al- 
cuno uscire di quelle abitazioni, io 
in*a]zavay e m* avvicinava alia per- 
sona, alle persone, che ivi com- 
parivano, ed era colmato di dimos- 
trazioni di cortesia e di pieta. 

La moglie del soprintendente era 
ammalata da lungo tempo, e de- 
periva lentamente. Si facea talvolta 
portare sopra un canape air aria 
aperta. 1^ indicibile quanto si com- 
movesse esprimendomi la compas- 
sione che provava per tutti noi. II 
suo sguardo era dolcissimo et timi- 
do ; e quantunque timido, s' attac- 
cava di quando in quando con in- 
tensa interrogante fiducia alia 
sguardo di chi le parleva. 

Io le dissi una volta, ridendo : 
— Sapete, signora, che somigliate 
alquanto a persona che mi fu cara? 

Arrossi , e rispose con seria e 



MES PRISONS, 
M^moires 

DB SILVIO PELUCO *• 
CHAPITBE LXVI. 

A Tune des extremites de ce ter- 
re-plein etait le logement du sur- 
intendant ; a Tautre demeurait un 
caporal avec sa femme et un petit 
enfant. Quand je voyais sortir quel- 
qu*un de ces habitations , je me le- 
vais, et je m^approchais de la per- 
sonne ou des personnes qui sor- 
taient, et j'etais comble par elles de 
marques de politesse et de compas- 
sion. 

La femme du surintendant etait 
malade depuis longtemps, et de- 
perissait lentement. Elle se faisait 
quelquefois porter au grand air sur 
un canape. Je ne saurais dire a 
quel point elle s'attendrissait en 
m'exprimant la pitie qu'elle res- 
sentait pour nous tous. Son regard 
etait tres-doux et timide, et , mal- 
gre sa timidite, s'attachait parfois 
avec une confiance excessive et cu- 
rieuse sur le regard de celui qui lui 
pariait. 

Je lui dis un jour en souriant : 
— Savez-vous, Madame, que vous 
ressemblez a une personne qui me 
fut chere? 

Elle rougit, et repondit avec une 



Parigi, Baudry, iibreria Europea, 1833. 

Traduction de madame Woillez. Ad. Mame et C'^, Tours, 1851. 



174 



DEUXifeME PARTIE. 



Dela 

.traduction. 



amabile simplicita : — Non vi di- 
menticate danque <)i bm» quando 
saro morta ; pregate per la povera 
anima mia, e pel figluolini che 
lascio sulla terra. — 

Da quel gioruo in poi, non pote 
piu ascire del letto; non la vidi 
pill. Ladgui ancora alcuni mesi, 
poi mori. 

Ella avea tre figli, belli come 
amorini, ed unoancor lattante. La 
sventurata abbracciaveli spesso in 
mia presenza, e diceva : — Chi sa 
qual donna diventera lor madre 
dopo di me! Chiunque sia dessa, il 
Signore 1e dia viscere di madre , 
anche pe' figli non nati da lei ! — 
E piangeva. 



Mille Yolte mi son ricordato di 
quel 8U0 prego el di quelle lagri- 
me. 

Quand' ella non era piu, io ab- 
l)racciava talvolta que* fanciulli, 
e m* Inteneriva, e ripeteva quel 
prego materno. E pensava alia ma- 
dre mia, ed agli ardenti voii che 
11 suo amantissimo cuore alzava 
senza dubbio per me, e con sin- 
ghiozzi io sclamava : — Oh piu fe- 
lice quella madre che, morendo, 
abbandona figliuoli iuadulte , di 
quella che dopo averli allevati con 
inRnite cure, se li vede rapire ! — 

Due buone vecchie solevano es- 
sere con quel fanciulli : una era la 
madre del soprintendente , I'allra 
la zia. Vollero sapere tulta la mia 
storia, ed io loro la raccontai in 
compendio. 

— Quanto siamo infelici, diceano 
coir espressione del piu vero do- 
lore, di non potervi giovare in nul- 



simplicite aimable et serieuse : — 
Ne m'oubliQl done pas quand je 
serai morte ; priez pour ma pauvre 
ame, et pour les petits enfants que 
je laisserai sur la terre. 

Depuis ce joQr» eHe nequilta pas 
son lit ; je ne la revis plus. Etie 
languit encore quelques mois, et 
mourut. 

Elle avait trois Ills, beaux com- 
n>e des petits Amours, et dont un 
etait encore a la mamelle. Souvent 
rinfortunee les avait embrasses en 
ma presence , en disant : — Qui 
sait quelle femme deviendra leur 
mere apres moi ! Quelle quelle 
soil, que le Seigneur lui donne des 
entrailles de mere, meme pour les 
eufadts qui ne sont pas nes d*elle ! 
— Et elle pleurait. 

Mille fois je me suis rappele sa 
priere et ses larmes. 

Quand elle ne fut plus, j*embras> 
sais quelquefois ses enfants, et je 
m'attendrissais en repclant cette 
priere maternelle. Je pensais alors 
a ma mere, aux voeux ardents que 
son coeur si tend re formait sans 
doute pour moi, et je m'ecriais en 
sanglolant : « Oh! mille fois plus 
heu reuse est encore cette mere qui 
laisse en mourant ses enfants en 
has age, que celle qui se les voit 
ravir apres les avoir eleves ! » 

Deux bonnes vieiiles avaient cou- 
tume d'etre avec ces enfants : Tune 
etait la mere du surintendant, Tau- 
tre sa tante. Elles voulurent sa- 
voir toute mon histoire, et je la 
leur racontai en abrege. 

— Que nous sommes malheu- 
rcusefi, disaien tulles avec Tcxpres- 
sion de la plus* sincere douleor, d« 



CHAPITKE TKOLSlfeME. 



175 



la ! Ma ftiate certo che pregberemo 
per Yoi e che ue un giorno viene la 
vostra grazia, sara una festa per 
tutta la nostra lamiglia. 

La prima di esse, ch' era quella 
ch* io vedeva piu sovente, posse- 
deva una doke, straordinaria elo- 
quenza nel dar consolazioni. Io le 
ascoltava con filiate gratiludine, e 
mi si fermavano nel cuore. 

Oieea cose , ch' io sapea gia» e 
mi colpivano come cose nuove : — 
Che la sventura non degrada Tuo* 
mo, ft' 'fit non e dappoco , ma anzi 
Io sublima ; — - che, se poteasimo 
entrare ne* giudizii di Dio, vedrem* 
mo essere, molte volte, piu da 
compiangersi i vincitori che i vin- 
ti, ^ esultanti che i mesti, i do- 
viziosi che gli spogliati di tutto ; 
— che Tamicizia particolare mos- 
trata dall' Uomo-Dio per gli sven- 
tnrati e un gran fatto; che dobbia- 
mo gloriarci della croce, dopo che 
fu porta ta da omeri divini. 



Ebbene, queste due buone vee- 
r-hie, ch' io vedea tanto volentieri, 
dovettero in breve, per ragioni di 
famiglia, partire dailo Spielberg, i 
figluoli cessaroQO ancbe di venire 
sul terrapieno. Quanto queste per- 
dite m'afilissero ! 



CAPO LXXVI. 

Oroboni, dopo aver molto dolo- 
rato neir inveroo et nella prima- 



Dela 



ne pouvoir vous etre utiles en rienS 

Mais soyez sur que nous prierons j^^JIJ^^ibn. 

pour vous, et que si un jour votre 

gr^e arrive, ce sera pour toute no- 

tre famille un jour de fete. 

La premiere de ces dames, qui 
etait celle que je voyais le plus 
souvent, avait une douce et mer-* 
veilleuse eloquence pour me con- 
soler. Je Tecoutais avec une recour 
naissance toute filiale, et ses paro- 
les se gravaient dans mon coeur. 

Elle me disait des choses que je 
savais deja, et ces choses me frap* 
paient comme si elles eussent ete 
nouvelles : « que le malheur ne 
degrade point I'homme, s'il n'est 
vil, mais Televe ; que, si nous pou- 
vions penetrer les vues de Dieu, 
nous verrioDS que les vainqueurs 
soDt souvent plus a plaindre que 
les vaincus, les heureux que les af- 
fliges, les riches que les pauvres 
depouilles de tout; que Tamour 
particulier lemoigne par rHomipe- 
Dieu aux malheureux est un grand 
enseignement ; que nous devons 
nous glorifier de la croix, depuis 
qu elle a ete portee par des epaules 
divines. » 

Eh bien ! ces deux vieilles, que 
je voyais avec tant de plaisir, du- 
rent bientot quitter le Spielberg, 
pour raisons de famille ; les petits 
enfants aussi cesserent de venir sur 
le terre-plein. Combien ces pertes 
m'affligerent l 



CHAPITRS LXXVI. 

Ofoboni, apres avoir beaucoup 
souiSert pendant I'hiver ei le priaf 



17(i 



DKUXlftME PARTfE. 



De la 
tfadiictioii. 



vera, si trovo assai peggio la state. 
Sputo sangue, e ando in idropisia. 

Lascio pensare qual fosse la nos- 
tra afflizione, quaud' ei si stava es- 
tinguendo si presso di noi, senza 
cbe potessimo rompers quella cru- 
dele parete che c* impediva di ve- 
derlo e di prestargli i nostri ami- 
chevoli senigi ! 

Schiller ci portava le sue nuove. 
L'infelice giovane pati atrocemen- 
te, ma Tanimo suo non si avvili 
mai. Ebbe i soccorsi spirituali .dal 
cappellano (il quale, per buona 
sorle, sapeva il francese). 

Mori nel suo di onomastico, il 
13 giugno 1823. Qualche ora prima 
di spirare, parlo delF ottogenario 
suo padre, s*inteneri e pianse. Poi 
si riprese , dicendo : — Ma perche 
piango il piu fortunato de' miei ca- 
ri, poich' egli e alia vigilia di rag- 
giungermi air eterna pace? 



Le sue ulttme parole furono : — 
lo perdono di cuore a' miei nemici. 

Gli cbiuse gli occhi D. Fortini, 
suo amico dair infanzia, uomo tut- 
to religione e carita. 

Povero Oroboni ! qual gelo ci 
corse per le vene, quando ci fu det- 
to ch' ei non era piu I — Ed udim- 
mo le voci ed i passi di chi venne 
a prendere il cadavere ! — E ve- 
demmo dalla finestra il carro in 
cui veniva portato al cimitero ! Tra- 
evano quel carro due condannati 
comuni ; lo seguivano quattro guar- 
die. Accompagnammo cogli occhi 
il trifito convoglio Kno al cimitero. 



temps, se trouva encore plus mal 
Pete. II crachait le sang, et deye- 
nait hydropique. 

Je laisse a penser quelle fut no* 
tre affliction quaud il s'eteignit si 
pres de nous, sans que nous pus- 
sions percer ce mur cruel qui nous 
empechait de le voir et de lui don- 
ner nos soins affectueux. 

Schiller nous apportait de ses 
nouvelles. Le malheureux jeune 
homme souffrit d*une maniere a- 
troce, mais son courage ne s*abat- 
tit pas. n re^ut les secours spiri- 
tuels du chapelain, qui heureuse- 
ment savait le francais. 

11 mourut le jour de sa f^te, le 
13 juin 1823. Quelques heures a- 
vant de mourir, il parla de son 
pere octogenaire, s*attendrit et 
pleura. Puis il se reprit, en disant : 
— Mais pourquoi pleurer le plus 
heureux de tons ceux qui me sont 
chers, puisqu'il est a la veille de 
me rejoindre dans la paix eter- 
nelle? 

Ses dernieres paroles furent eel- 
les-ci : — Je pardonne de bon cceur 
a mes ennemis. 

D. Fortini lui ferma les yeux : 
c'etait son ami d'enfance, un hom- 
me tout religion et tout charity. 

Pauvre Oroboni ! quel froid mor- 
tel parcourut nos veines lorsqa*oa 
nous dit qu'il n'etait plus,... et que 
nous entendimes les voix et les pas 
de ceux qui venaient prendre son 
cadavrev et que nous vimes de la 
fenetre le char qui le portait au 
cimetiere ! Deux oondamnes ordi- 
naires trainaient ce char; quatre 
gardes le suivaient. Nons acoo|n- 
pagnAroes des yeux le triste oonvoi 



CHAPITRE TROISIKME. 



in 



Enl^o nella cinta. Si fermo in un 
>|igoljCX.:.]a era la fossa. 

Pochi islaati dopo, il carro, i 
condaonati e le guardie toraarono 
indietro. Uua di queste era Ku- 
biizby. Mi disse (gentile peusiero, 
sorp^^te in uomo rozzo) : — Ho 
segnato con prebisione il luogo del- 
la. sepolt^rtt, affinche, se qualcbe 
parente od .amico potesse uq giorno 
ottenerie ili prendere quelle 6ssa e 
pqr^rle al suo paese, si sappia do* 
ve giacciono. 

tjuante volte Orobbni m'aVea 
d^jto, guardando dalla tinestra il 
pimitero : — Bisogna oh' io m' av- 
vc^zi all' idea d* andare a marcire 
la enjtro : oppur oonfesso che quest' 
idea mi fa ribrezzo. Mi pare che 
non si debba star cosi bene, sepolto 
in questi paesi, come nella nostra 
cara penisola. 

Poi ridea e sciamava : — Fan- 
ciuUagini! Quaudo un veslito c lo- 
goro e bisogna deporlo,che importa 
dovunque sia gettato? 

Altre volte diceva : — Mi vado 
preparando alia morte, ma mi sa- 
rei rassegnato piu volentieri ad 
Una condizione : rientrare appena 
iciel tetto paterno, ubbriaccare le 
^inocchia di mio padre, intendere 
^na parola di benedizione, e mo- 
••ire! 

Sospirava e soggiungeva : — Se 
^uesto calice non puo allontauai-si, 
^^ mio Dio, sia fatta la tua volunta ! 
E r ultima mattina della sua 
V-ita, disse ancora, baciando un 
cirocefisso che Krai gli porgea : 

— Tu ch' eri Divino, avevi pure 
^:irrore della morte, e dicevi : Si 
^ossibile est, (ranseat a me calix 



jusqu'au cimetiere. 11 entra dans 
i'enoeinte. II s*arreta dans un coin : 
la etait la fosse. 

Peu d'instants apres, le char, les 
condamnes el les gardes revinrent 
sur leurs pas. L'un de ces derniers 
etait Kubitzky. II me dit (belle et 
etonnante pensee chez un bomme 
si commun) : — J-ai marque exac- 
tement le lieu de la fiepttHufe, afin 
que si quelque parent ou quelque 
ami obtenait un jour de recueillir 
ses 08 et de les porter dans son 
pays, on put savoir ou ils reposent. 

Combien de fois Oroboni m'avait 
dit, en regardant le cimetiere de 
sa fenetre : — 11 faul que je m'ha- 
bitue a I'idee d'allor pourrir la-bas; 
et cependant j'avoue que cette idee 
me fait frissonner. 11 me' semble 
qu'enterre dans ce pays, on ne doit 
pas etre aussi bien que dans notre 
chere peninsule. 

Puis il riail et s'ecriait : — En- 
fan tillage ! Quand un vetemcnt est 
use et qu'il faut le quitter, qu'im- 
porte ou il est jete P 

D'autres fois il disait : — Je me 
prepare a la mort, mais je m'y se- 
rais resigne plus volontiers a une 
condition : rentrer un instant sous 
le toil paternel, embrnsser les ge- 
noux de mon pere, entendre une 
parole de benediction, et mourir! 

II soupirait, et ajoutait : — Si ce 
calice ne pent s'eloigner de moi, 6 
mon Dieu, que ta volonte soit faite! 

Et, la derniere matinee de sa vie, 
il disait encore, en baisant un cxu- 
cifix que Krai lui presentait : 

— Toi qui etais Dieu , tu eus ce- 
pendant horreur de la mort, ct tu 
dis : Si possibile est, transeat a me 



DeU 
tradiit?iioh. 



178 DEUXIKIIK PARTIR. 



• iiiel Perdona, lo lo dieo anoh' io. 

I>« If Ma ripetD ancfae la altre tue parole : 
traductiou- verumtamen non sicut ego voio, ted 
skm tul 



ealisf- UM! PardoBne-moi si j^ la 
dig auflsi. Blais je repeia ausri tes 
autres paroles : Verumtamen non 
sicut ego tolo, sed sieut tu f 



La traduction des deux chapitres de Silvio iPellico 
qui precedent ^ est Toeuvre d'une femme. Bien des 
hommes qui se m^lent du metier de traducteurs, 
pourraient aller a Tecole chez elle^ pour apprendre 
Tart de respecter son texte sans tomber dans la ser- 
vilite, d'etre exact sans roideur, et de ne faire diK 
dans notre langue, a un auteur Stranger, que ce qu*il 
a bien voulu dire dans la sienne, sans circonlocuttons 
oiseustes ni outrecuidantes suppressions. 



CHAPITKK TROfSlfiME. 



179 



LANftUE RUSSE. 



De I« 

traduction. 



LA PESTE DE MOSCOU, 



PAR ZAG08KINK. 



Traduit en fran^ par les eleves de la pension de demoiselles nobles, 
dirig^ par /nadame Louise Bigot, k laroslaw *. 



L'aonee 1771 eif»t memorable pour 
^^8 habitants de Moacou : elle fut 
^^«ie des plus peaiUes pour notre 
*^ ^nicieone capitale, et a present les 
'^^ -K.eillards,enparlantdu passe, disent 
^^ K30ore : « Gela est arrive deux ans 
'*«' avant la peste de Moscou ; c'etait 
«" I'annee meme de la peste. »En s'ez- 
^^ vimant ainai, ils sont si]ir8 qu'ils 
^9.^terminent avec une grande ezac- 
'^i tude Tepoque de Tevenement. De 
a:a OS jours encore les andens Mos- 
<2ovite8 se rappelleut avec effroi cette 
€S9in^e ealamiteuse, a laquelle, selon 
^uXt on ne pent guere comparer que 
Aa devastation exerc^e par les Fran- 
cois en 1812. 

Je suis presque de cet avis : en 
iai2, en contemplant Timmense 
place de cendres qui fut Moscou, 
ces milliers de maisons detruites et 
brulees, vous piltes sans peine croire 
que, si leurs habitants les brulerent 
de leurs propres mains et aneanti 
rent ainsi une partiede leurs hiens, 
ce sacrifice les sauva eux memes et 



sauva peut-etre aussi la gloire, la 
puissance et Pind^pendance de leur 
patrie. Cette pensee coosolante, 
cette pensee qui eleve Vkme, jette 
un voile enchanteur sur les ruines 
de Moscou, et fait contempler, non 
avec trislesse, mais avec orgueil et 
piete, ces saints amas de pierres, 
ce vaste tombeaa des ennemis de la 
Russie. 

Demandez a celui qui a vu Moscou 
apres la retraite des Frangais, si 
cette pensee n'a pas ele pour lui un 
ange consolateur, meme sur les 
ruines de sa propre maison. 

En 1771, Moscou ne fut pas in- 
cendie, les debris des maisons ne fu- 
merentpasdans les rues, les maisons 
resterent sur leur ancien emplace- 
ment ; mais ces portes donees, ces 
fenetres fermees de planches, cette 
enseigne demort, une croix rouge 
sur la porte cochere des maisons in- 
fectees, qui, comme deux rangees 
d!immenses cercueils, s*etendaient 
de chaque c^te des rues; n*etait-ce 



' Des circoirttaiiccs imprerups nbligpfrt I'auteur Hp re Hrre a up dornier tjii^ 
la traduction de ce morreau. 



180 



DKUXIKME PARTIE. 



tradiirtion. 



pas cent fois plus effrayaDt qo*un 
incPDdie? 

Ajoutez a cela un desordre pres- 
que complet, an silence de tom- 
beaa dans les fanboargs, les cris 
fdrienx du people revolte dans Tin- 
terieur de la ville, cette foule in- 
sensce qui, s*enivrant du sang de 
ceox qui ue songeaieot qu'a la 
sauTer, volait, detruisait les calta- 
rets, et oouvrait de cadavres ein- 
pestes les rues desertes de filoscou. 
Representez-vous tout cela, et vous 
conviendrez que la calamite de 177 1 
fut plus affneuse pour les Moscovites 
que le desastre de 1812, qui fut le 
commenceinentet peut-etre la prin- 
cipale cause de la delivrance de 
toute TEurope. 

La peste orientale, que le lias 
peuple nomine si expressivement 
la anUagion^ parut a Mosoou dcs 
1770; elle regnait en Moldavie et 
en Valachie, que nos troupes occu- 
paient dans ce temps. Les commu- 
nications frequentes des habitants 
de Moscou avec I'armee d*operation 
furent sans doute la cause de Tap- 
parition de la peste, d'abord dans 
la Petite-Russie, puis a Moscou. Les 
mesures prises par Tautorite sem- 
blerent I'avoir arrelee complete- 
ment; mais, Tannee suiTante, c'est- 
a-dire en 177 i, au mois de mars, 
elle reparut avec une telle intensite, 
qu^en septembre le nombre jour- 
nalier des morts allait jusqu*a mille 
personnes. Tons lej efforts tentes 
pour arr^ter le mal furent sans 
succes. 

Le peuple slrritait contre Teta- 
blissement des quarantaines , la 
fermeture des bains, et surtout 
contre la defense; d'enterrer les 



morts aapres des egliseB de la ville. 
Dans les temps de troubles, les 
Irom pears et les fripons profitent 
de la credulite des hommes. Un 
ouTrier drapier se mit a raoonter 
que le mal venait de oe que per- 
Sonne, non- seolement n*avait pas 
chante de Te Deum ', mais n^ayait 
pas meme allume un cierge devant 
rimage de la Mere de Dieu, a la 
porte Sainte-Barbe. 

Malgre Tabsuidite de ce oonte, 
ou, pour mieux dire, paroe que 
tout y contredisait la foi veritaUe 
et le sens commiTn, le peuple in- 
sense se predpita en foule sor la 
porte Sainte-Barbe, se mit a y 
chanter des Te Deum continads; 
sains et malades, fous y acooaraient 
de tons les bouts de Mosoou, s'in- 
fectant les nns les autres, et, rap- 
portant la mort dans leuis maisoDs, 
faisaient perir des families entieres. 

Dans ces temps malheurenx , le 
15 septembre, de grand matin, un 
char attele de trois chevaux snivait 
au pas le grand chemin dlaroslaw; 
il portait un marcband au cafetan 
de Un drap bleu, sur leiiuel etait 
jetee une pelisse en renard de hunt 
prix. 

Au premier regard jete sur sa 
barbe blanche comme neige, et sur 
son front eleire, convert de rides, ^ 
on Tent pris pour un vieillard pres- 
que nonagenaire; mais^^la Vie qui 



* Le mot Te Deum, bien que g^- 
neralement nsite en Russie pour ren- 
dre le mot Molebeme, nous aemble 
rendre tout autre chose que le mot 
russe; mais nous remplqyons, faute 
d*aiitre. 



CHAPITRK TROISIEME. 



181 



brillait dais ses yeux, de temps en 
teinpB tristes et penaifs, sa taille 
droite^ elanode, ses joues non encore 
fletries, tout montrait que cc n'e 
taient point les annees. mais les 
chagrins, qui avaient creuse ces 
profondes rides sur son visage et 
couvert, avant I'heure, sa tSte de 
cheveux blancs. 

— Le soleil commence a darder, 
dit le voyageur en laissant tomber 
&a pelisse. Eh ! Tami, reprit-il en 
B'adressant au cocher, voila dej^ 
cf uatre verstes que tu fais au pas. 
^T'est-il pas temps d'aller plus 

— Un instant, maitre, repondit 
1« postilion : en montant la cdte 
Kftous prendrons le trot. Mais pour- 
c:iuoi etre si press6 ? Maintenant tout 
Xe monde quitte Mosgou, et peu de 
^i^ens s'y rendent. 

— Y a-t-il longtemps que tu as 
^te a Moscou? demanda le mar- 
^^hand. 

— II y a cinq jours, j'y ai conduit 
^JD marchand de Rostoff. 

— T Eh bien , eel a va-t-il mieux? 

-^Comment mieux? La peste y 
^3st plus forte que jamais. On y 
:mieurt comme des mouches. On n*a 
^•8 le temps de faire les cer- 
«^.fieil8. 

— Mon Dieu, mon Dieu, mur- 
iftnura le marchand, ne me punis 
pas de mes pech^! 

— Nous avons irrite le Seigneur, 
^M>ntinua le postilion. Mais as-tu 
intend u dire, maitre, qu'une image 

e la sainte Vierge est apparue sur 
la porte Sainte BarheP 

— Non, je ne Tai pas entendu 
<lire. 

— k mon dernier voyage, j'ai pte 



moi-meme y allumer un cierge* 

Dieu du ciel ! que de monde, que de ^^ ^^ 

monde! On s'ecrasait les uns les ^^''"^'ion. 

autres. On dit que maintenant 

il meurt plus de monde qu'aupara- 

vant. 

— Et ce n^est pas etonnant^ Tami ! 
Gettemaladie est oontagieuse. Maiii- 
tenant la route descend, poorsiiivit 
le marchand; va plus vite, mon 
cher. 

~ Attends, maitre. Quand nou^ 
aurons traverse ce village, nous 
marcherons ; vois quelle boue sur le 
chemin : c*est a ne pas le voir. 

Les voyageurs arriverent au vil- 
lage de I\)uchekine. Qa et l.i deb 
cbiens maigres aboyaient, et des 
veaux affaiblis par la faim se trai- 
naient dans les rues. Mais nulle 
part on n'entendait voix humaine, 
pas une eheminee ne fumait : tout 
etait tranquille, mort comme a 
minuit. 

— Qu'est-ce que cela, Tami ? de- 
manda le marchand. Donnirait^n 
encore dans les maisons? Le soleil 
me parait Mre haut. 

— Dormir ! repliqua le postilion 
en branlant la tete. Tons les habi- 
tants de Pouchekine sont morts. 

— Serait-ce possible ! Tons, sans 
exception ? 

— Tons, p tits el grands; il n'est 
pas reste Ame vivante dans tout le 
village. 

— Tons sans exception; repeta le 
marchand a voix basse. Peut-dtre 
qu'il y a trois jours, dans cettechau- 
miere, un pere admirait encore sa 
famille une mere soignait ses en- 
fants.... 

. . . . Et a present, poursuivit le 
postilion, il n*y a personne pour 



tB2 



D£UX1£:MR PAHTIE. 



fermer la porte-oochere ; la demeu* 
De la f^i jno„ compere Thadea, ricbc 



traductiou. 



paysau . . • et quelle famille il avail ! 
Six tils, Tun plus beau que Tautre. 
n y a quinze jours que tous se por- 
taient bien ; et la derniere fois que 
je suis passe, j'ai vu le malheureux 
vieillard aasis tout seul sur legaioo 
qui borde sa cabane. 

n voulut me dire quelque obose 
eu me suivant ; mais tout a coup il 
tomba, gemit et, devant moi, rendit 
sou 4meaDieu. 

En longeaut la iongue ligne des 
maisons des paysans, les voyageurs 
arriverent a la barriere du village. 
A la fenfire de la derniere chaamiere 
se pencbait une paysanne, coiffee 
d!un mouchoir blanc. 

— Grftoe a Dieu ! dit le voyageur; 
enOnvoila un etre vivant. 

Le postilion branla la tete. 

— Est-ce quetu es aveugle? con- 
tinua le marchand. Regarde a la 
derniere chaumiere. 

— Je vois, maitre, mais c'est deja 
le cinquieme jour qu'elle est a sa 
fenetre ; sans douteque la pauvrette, 
avant de mourir, a voulu voir en- 
core une fois le monde du bon Dieu. 
Et dire qu'il n'y a personne pour 
Tenlever de la I 

Le marchand frissonna malgre 
lui en approchant de la chaumiere, 
a la fenetre de laquelle se tenait 
cette affreuse hotesse. II mit les 
mains sur ses yeux, pour ne pas 
^voir ce visage detigure et couvert 
de taches uoires, qui gardait Tex- 
presfiion de douleurs insupporta- 
hies, de souffrances infernales. 

Lorsqu'ils furent sortis du village, 
le postilion fouetta ses chevaux, el 
marcha un peu plus vite. 



— Mais avance douo I dit le nuur- 
chand; en iiUant ainsi, nous reate- 
rons toule la journee en route. 

— Comment me faut-i I done aller P 
murmura le postilion en agitant les 
renes. A quoi bon se hlter« maitre ? 
Ce n'est pas pour, ton plaiair que tu 
voyages. . . 

— Comment le sais-tn? demanda 
vivement le marchand. Qu'y a-t-il 
maintenant de si gai a Mesoou? 

— J*y ai ma femme et meeoD- 
fants. 

— Ah ! ah ! attends^ un peu, poor- 
suivit le postilion en se retoniteant 
vers le voyageur; serais-tu peut- 
etre Thadee Abramovitche^biria- 
koff, marchand de Moscoa? 

— C'est bien moi. • 

— - Justement, il me semblait eon- 
naitre ta voix. Ah ! Seigneur, men 
Dieu , c'est a peine si je t*ai re- 
connu. 

— Mais comment me oonnais>tu ? 

— Comment ne pas te connaitrel 
L'automne passe, je t'ai conduit 
avec toute ta famille a Rostoff. Ifais 
tu as ta maison a toi rue Sainte- 
Rarbe, dans la paroisse de Maximi- 
lien-le-Penitent ! une belle maison 
de pierre. 

— Attends, attends! dit le umt- 
chand : ne t'appelles-tu pas Andve? 

— Andr^, mon pere. ' Je coneais 
ta femme et tes enfants. Quelle 
bonne dame tu as la ! IMeu veuille 
qu'elle vive longtemps! Et les deux 
filles, il n'y a rien a dire, eont 
caressantes et jolies. . . Maia ton 
fils... 

— Je n'ai pas de fils. 

— Et qui etait done aveo vous? 
Un garcon roux et passablement 
laid. On le nommait Terence. 



Chapitre troisieme. 



18S 



— Q'est uum ftU adoptif. 

— Pourquol ap-tu adopts ub flte, 
puiaque t« «sde» fillag a toi? 

— Je r,^i iidoptd quaad je n'avais 
paf ^Boore de familie. 

•r^Ahlah}...EIibien,nete ficbe 
paa, ma|tre( |u m aMume une 
gn^ad« rasponsabilite ! Ga mauvais 
cujet de Tdrenee eat d'una ioaolence 
et d'une mechancete sans pareilles. 
Te rappellefr'tu qqe U9U8 nous som- 
mes arretea a Grand-Mitiohakb , pour 
Caire repoaer lea chevaux? 

Vous etes allea prendre le the, 
^l moi, je suis entre boire une 
Soutte au cabaret. 

Saia-ta ce que ce rouaaaud a (ait 
^n moo absence ? li a debrid^ lea 
^hevaux. Heureusement que je me 
^liis dep^cbe, car il serait arrive un 
^^Tnalheur. J*avais d'exoellents che* 
^^i^aux, et ils auraient tout brise ! Je 
Kque auis mis k le gronder ; alors le 
^:^r61e m'a jet^ une pierre a ia fi- 
^g^ung. et jn'a piesque creve un ceil. 

— Qui, dit le marchand avec un 
oupir; Dieu m'a puni de mes 



— fib! maitre! Est-ce qu'il eat 
^9on parent? Chasse-le. 

— Non, man ami; si le bon Dieu 

mke m'a pas encore abandonne, moi, 

p^beur maudit, je ne puis pas 

Jaisaer aans soins cet orphelin. Je 

^kua supporter les cbagrins qu*il 

me cause : que faire, mon cher ! 

que U voloDte de Dieu s'accom- 

plisse; si seulement le Seigneur 

avait piti6 de ma femme et de mes 

enianta! 

— Ne crains rien, maitre, inter- 
rompit le postilion, peut-etre que 
tout ira bien. Le Seigneur eat mise- 
ricordieux. Maintenant le chimin 



est comme un miroir ; fatut-il te (aire ' 
le plaisir dialler plus vite? 

— Voyous, mon cher ! Si tu arrives 
a Moscou pour la messe, je te don- 
nerai un rouble de pourboire. 

— lierci, maitre ! Ton equipage 
esMl solidePreprit le postilion. Obe ! 
lea amia ! . . . . Tieaa-toi bien, Thad^ 
Abramovitcbe, poursutvit le postil- 
ion eu tirant son fouet de sa oein- 
ture. A lions, pareaseux, gare les 
coups! 

« He ! Serko, tu n'avances pas ! . . . 
As-tu mal aux pieds? » Notre vif 
postilion siffla, cria, et I'equipage 
roula rnpidement sur le large cbe- 
min. Plusieurs villages, entre au- 
trea Alexievsky, avec sa maison im- 
periale et ses etangs unis comme 
glace, pasaerent rapidement devant 
les voyageurs, et les cloches des 
matines ne s'etaient pas encore fait 
entendre, lorsque le postilion, rete- 
nant avec peine son attelage, s'ar- 
reta a la barriere de Troitsky. Un 
vieil invalide s'approoha d'eux avec 
indifference, et, apprenant que le 
marchand arrival t de Theu reuse 
ville d'laroslaw, ouvrit la barriere 
sans autres questions. « Tu ea bien 
heureux, maitre! » dit le cocher, 
en fouettant ses chevaux. « A mon 
dernier voyage, on m'a retenu ici 
presque depuis midi jusqu'aux v^ 
pres, et que de questions ne m'a- 
t-on pas fiiites! » 

~ Voilaun transport qui vient 
a nous, dit le marchand ; on ne Ta 
pas du tout arr^te. 

— Qui, oui, poursuivit le cocher, 
quelle en est done la cause? 

— II me semble, mon cher^ qu'il 
n*y a personne pour garder noire 
bon Moscou. 



Dela 
traduction. 



1^ 



DKUXIKME PARTIE. 



DeU 
traductioa. 



— Quedis-tu , maitre ! crois-ta 
qu*il y ait peu de soldats ici ? II y a 
une quantite prodigiease de gardes 
de ville. Mais, vois^tu^c'est qaecela 
va mieux a Moscoo. 

— Dieu le veuille ! » fit Je mar- 
chand avec un profond soupir. 

Le transport qui se dirigeait vers 
les voyageurs prit tout a coup et 
Tivement sur le c6te,et on entendit 
crier d'une voix rauqae : « Gare- 
toi , voici un equipage ! » Une mi- 
nute apres, tout le milieu de la 
route etait vide, et le marchand 
aper^ut devant soi un convoi si af- 
freux, que son coeor se glaqa d'ef- 
froi. Une longue file de chariots s'a- 
vancaient vers la barriere, charge 
de cercueils; qoelques-uns etaient 
si mal clones, qu'ilssemblaient, a 
chaque seoousse , prets a se dislo- 
quer ; d'autres etaient sans aucune 
espece de coovercle, et les cadavres 
deiigures, k peine couverts de nat- 
tes , regardaient les passants. Les 
vivants qui entouraient ce cortege 
funebre^ parurent au voyageur plus 
affreux que les morts eux-memes , 
non parce qu'ils etaient vetus com- 
me des epouvautails, en blouses et 
en bonnets de coton, mais a cause 
de lenrs visages ivres et defaits , de 
leur air feroce, de leurs rires sans 
raison a la vue des passants, qui se 
depecbaient de se detourner; tout 
cela leur donnait I'aspect de veri- 
tables demons. Un peu plus loin, 
des soldats de la garnison mar- 
chaient le fusil au bras, aveo un 
employe de police a cheval. 

—0 mon Dieu ! dit le marchand; 
quelles gens est-ce la! . .. lis n'ont 
pas une figure bnmaine. 
— Ne vois-tu pas, maitre, qu'ils 



sont aux Un? interrompit le pos- 
tilion. Ge sont deft brigaMs. 

— Des brigands? r^peta le mar- 
chand d'uoe voix enantive. 

— Eh ! oui. D'abord des employ^ 
de police conduisaient les morts 
hors de la ville; mais , oomme il 
en mourait trop, ee sont mainte- 
nant des detenus qui font ee ser- 
vice. 

— He ! maitre ! s'ecria un des bri- 
gands; donne-nous quelqne chose! 
Nous n'avons pas de quo! edlebrer 
la memoire des morts. 

— Ne fais pas Tavare! reprit un 
autre , peut-etre que demain nous 
Vemmenerons aussi. » 

Le marchand leur jeta une poi- 
gnee de petite monnaie; tons les 
brigands, tels que des chiens affia- 
mes, se precit>iterent pour ramasser 
ce cuivre; un seul d'entre etix; qui 
mesurait trois archines*,ne sui- 
vit pas leur exemple. 11 resta im- 
mobile a sa place, et regarda atten*- 
tivement le marchand. 

— Eh! flandrin! qu*as-tu a re- 
garder ainsi? s*ecria un de ees ca- 
marades. Veux^tu goiiter du fooet? 
Marche ! 

— Passons plus vite, mofl cher, 
murmura le marchand : on ne pent 
regarder ces gens sans elfroi. 

— Si tu passes deux jours ici, in 
t'y habitneras, » murmura le postil- 
ion en fouettant ses chevaux. 

lis firent le chemin de la f]«ir- 
riere a la tour dc Soukhareff, sans 
rencontrer un passant. Un silence 
de mort , interrompu de tempe en 



' L*archine nisse eqiuvaiit a eavi- 
vinm 7 1 rentimetrf s. 



/ 



CHAPiniE TROlSlfeME. 



186 



I par des cris ^t<Ai(CB8't|tti kfr- 

taient des maisoos; iiair' Id fmrvi^ 

desfg^ifl^des troupes demeodkints 

geles, d^s poftes cloiMei; ides feo^ 

tres satis vittes^'et presqne hchaque 

pas des eroix rouges sur les portes 

coeheres. Au dela de la' tour de 

Soakhareff, les voyageurs depass^ 

rent deS passants isol^ment, puis 

des troofie^ d'hommes et de fern- 

ixiesy et Idr^e prc^ de la porte 

S^int-NicolasJls prirent a gauche, 

1 13 long du mur de la ville, il lenr 

Tollut s'arreter a chaque instant 

¥>oar ne pas ecraser le monde. 

— Regarde done, maitre, oomme 
%^ouslies ortbodoxes courent prior la 
^^^ute Mere de Dteu ! Regarde , re- 
^larde! La-bas, pres de la porte de 
:Sainte-Baii)e! ... Ah! mon Dieu! 
«:][ue de moiide, comme cela four- 
:Brnille! 

— Qu'est-ce que e'est que cela? 

«5Lit le marchand, entendant des sons 

^BAoufiGre qui , semblables au roule- 

:Kn6iit^bigne du tonnerre, sortaient 

^^ ia foule innombrable du peu- 

1>le; bela ne ressemble pas au bruit 

^ue font d 'ordinaire les gens en 

-parlaDt... Entends-tu comme on 

€rie? 

— J'entends, Thadee Abramovi- 
tche. La derniere fois il n'y avait 
pas morns de monde, et Ton ne fai- 
sait pas tant debriiit. . . Ne sont-ce 
pas des ouvtiersde fabrique? 

-~Que Dieu nous en preserve! 

— Mais attends , maitre , nous 
verrohs mieux quand nous serous 
plus pres. 

Environ trois cents pas avant d*ar- 
river a la porte Sainte-Barbe, les 
voyageurs furent obliges de s'arre- 
ter. ■ Tout Fpspaw compris entre le 



mur de 4a villis * ei Teglise^ de la 
Toussaint ^iait couverl de moMle. 

•^Eh bieft^ il n'y af rien a faiw, 
dit le murehpnd en deaoeodaot d« 
chariot. Rebrousse ehemin, peuk 
etre pourras*tu arrivtr a la pmie 
SaintCTBarbe par eelle dr Saialt 
fitie, et mot j'irai tant bien «(■€ 
mal a pied cbex moi. » i> 

Le posUUon touma aea ebevajaai 
et le marohand se mMa ku pe«|ile^ 
taHtdts'ayan^nt lentement, tantot 
entrain^ par la foule rapide, il w 
trouvaen quelques minutes pres de 
la porte Sainte-Barbe. 

Le premier objet quiifrappa ses 
yeux fut un homme de moyenoe 
taille, debout sur un baneeievi* 
les cheveux en desordre , sale , . de- 
chire; on eiit dit un prisonoifir 
^happe de son cachet; il criait de 
temps en temps d'une voix enrouee 
et en trainant see paroles : « Don- 
nez , ortbodoxes^ domez pour- mi 
cierge alasainte.Vierge ! » Oa avait 
place une echelle isous Timage^ de 
la Mere de Dieu,tnerustee dans le 
mur de la tour, k deux sagenes ^ 
du sol; le peuple y montait sans 
cesse; les uns baisaient limage, les 
au tres lui offraientdes bougies; oeux 
qui etaient en bas s'aocrochaient a 
ceux qui etaient en haut, lestiraient 
a eux , et tons tcmibaien^ ; on les 
foulait aux pieds, on les ecrasait; 
les jurements, les cris, les plaintes 
des femmes, les gemissements des 



* La partie de Moseoi^ qui coasti- 
tuait autrefois toute la vill«, la CiiS, 
est encore de nos jours entour^ d*an 
mur. 

' Une sagkne mesure trois archines. 



Dela 
tradiiefioB* 



186 



DEUXIbME PAATUi. 



Dela 
tradocfiou. 



moribofidsy faisaieut un bruit sein- 
blable a oelni d'une mer eft oour* 
roux. Le marchand preta Toreille 
aux coaTeraationsde quelqiies per* 
sonnes, eH entendit le nom de I'ar- 
cheveqae Ambroise, et dea allusions 
a tM danger qui mena^it ie yelie* 
rable paateur. H Toulut savoir au 
juste de quoi il etait question; il 
interrogea pluaeurs pertoaaes; ies 
reponaes etant obscures on na con- 
tenant que des menaces generalesi 
il cessa d'y faire attention. Lorsque 
la foule comment a s'ecJaircir, le 
marchand avan^a de nouveau. Ayaut 
d^passe I'eglise deSaint-Georges4e- 
Victorieux, il se trou^a sur une 
place vide: derriere Ini bouillon- 
nait la foule, devant lui la rue 
6tait deserte ; seulement, de distance 
en distance, des fern met de riches 
mardiands, qui vivaient enfermees 
sans oser sortir, regardaient en ca- 
chette aux fenetres. Tout a coup le 
marchand, qui allait a grands pas , 
B*arrAta; 11 avait vn de loin le toit 
de sa maison; son oBur se serra, 
une sueur froidc couvrit son p&le 
visage. Jusqu'a ce moment il n'<^- 
tait pas encore malheureux, il pou* 
vait esperer, il pouvait se dire : 
« J*ai une femme, j'ai des enfants. » 
Mais maiatenant... encore quelques 
pas, encore quelques secondes... et 
peut-etre y a-t il longtempe qu'il 
est seul au monde ; miserable or- 
phelin aux cbeveux gris, peut-etre 
cherchera t-il en vain une tombe 
sur laquelle il pourrait pleurer. 
Dieu de bonte, » murmura le pau- 
vre vieillard, « je ne t'implore point 
pour moi ; mais, pour racheter leur 
vie, envoie-moi des maladies, des 
souffrances, fais-moi descendre vi- 



vant dans la tombe, et je ce)ebrerai 
ta miscrkorde ! » . 

An meme instant, un jeuna gar- 
gon, Ies halnts dechiree ^t la figure 
bouleversee, vint, %i oourant et en 
regardant continuellement en ar- 
rier^, se heurter contre le mar- 
chand. 

^ Terence ! lui eria celui^, en le 
prenaat par la main, eat-ee U)i? 

•*-Sans doute, c^eat moi) mur- 
mura le garQon, essayaat de se de- 
gager. 

— Mais, attends ! Ou ooura-lu ?. . 
Eh bien I parle ! tout le monde ae 
porte-t'il bien ches nous? Q|k fait 
ma femme P.. . Que font mea fiUes ? 

— Qu*est-ce qui poarrait leur ar- 
river? dit le gar^n en regardant 
avec impatience devant Igi. 

— Elles sont done cm vie? 

— Et qui le saiA? 

— Ne demeure&-tu done pas avec 
elles? 

— Pas du tout! Je auis fatigue 
d'etre battu .... Laisse - moi done ! 

*- Est-ce possible I s*ecria le mar- 
chand ; tu as quitte ma maiaon ? 
Comment as-tu os^? 

— Conmie cela! dit le gar^a en 
degageant sa main, et en courant a 
toutes jambes vers la porte Sainte- 
Barbe. 

— II vit ! murmura le marohaad, 
en suivant des' yeux son- enfant 
adoptif. Peut^tre est-ce un ange 
qui a pris sa iigure; ma femme, 
mes enfants... 

Oh! marchons, marobons! con- 
tinua-t-il en pressant le pas; ce 
qui doit arriver, arrivera;jl Caut 
en tinir. 

11 arrive devant sa niaiaoo ; il 
rogarde : Ies volets sont fernu^, Ies 



CUAPITRE TR0IS1£M£. 



1«7 



pories qui doDoent sur U rue soat 
condMQBieeH^ U >8«din|o& vera la 
g«>irita.0QiA«r6.< Juite Diettl elleest 
lli«ri4M^ d'unel «pQiix rouge U'..i 
lifaifr qtt*«nUpdriL«. an chien ' a 
aU>ye dans keout .•Donela maieoo 
p*e»t point eutiereitteot ahasdoiv- 
Ace. Lemarcband fftppe^ la petite 
|iorte*«. pasde r^pOBse; seulement 
le chieiiy eentaot aen maltre, abeie 
«DCQre plus fort qu'eupafaraiil. 
Qqekiues minutes se passent.... 
Meme silenoe de mort. Maid une 
fenetrede la maison voisioe s'ov* 
yr/B dooeementv et un homme a la 
figure pile ei maUdive dit au marr 
cb^nd: 

. — ^^Ne frappe pas, mon cher; il 
n*y a peiB^nae dans cette Buiisoa. 

— PerfKMuie? repeta le pauvre 
vifiillard d'une voix eotrecoupee» et 
la maitrepfle de la maison ? 

— EUe est morte avant-bier. 

— Bt ^8 filles? • 

-T* HiBr on a conduit la derniere 
au ciiBetiere. 

T^ Ijl derniere I. . murmura le 
marcband^ 11 a'appuya au mur de 
sa maison* Le malheureux ne se 
aouyenait que trop. U seotait, il 
.^mprenait qo'il n'avait plus ni 
tf^Efime ni enfants. II y a un chagrin 
qu^ y Diea sait pourquoi , nous 
^pelons cbagrin : il n'a et ne pent 
aypir ^ nom dans la langue des 
boiumes- Ca sentiment ne dure 
poipt autant que le dernier soopir 
d'^^ qiourant 4 mais la moitie 
d'une vie de maladies continuelles, 
tout un siecle de $ouff raaofss oorpo- 
relies, rif n n'cft comparable a cette 
mort ^lomentanee de T&me. Le 
vieillard abandonne gardait le si- 
lence, il »'y avait pas unelarme 



ses yeux, pas un soupirdans 
sa; poitrine ; il rsgarda le old : le 
tiek etatt serein, «lair , mais atissi 
mnet, aiissi mome qtie son dme. 
Ik lui semUa qu'ane voix miirmii^ 
rait a son ofeille : «Ne frappe point 
noD plus k cette autre porte / viefiU 
lard, car personne non plus netcrrei- 
poudra.n Le regard eteint dn mar- 
Gband s^r6ta svr Pentree de i%- 
^iae, devant laquelle il ie ttouvait. 
Tout a coup ses yeux jeterent-des 
flammes. nQuoi! » s'ecria-t-ii' ea 
gringant des dents, « ni mow re- 
pentir, ni ma fenrente priere, ni 
mes larmes sanglantes, rten n'a 
done pa te fleohirl » En ce moment 
qaelqu'ua sortit de Teglise : oA y 
obaatait un Te Deum, et, par la 
parte entr'ouverte , on entendait 
de faibles voix cbanter au chceur : 
• Roi des eieux, vrai eonsolatenr 
d'une &me pure !»Les parolesda do- 
sespoir s'^vanouirentsur ieslevres 
dtt marchand ; une douoe mignar 
tioa descend it dans sou amecemme 
une pluie bienCaisante, des larmes 
s'eebappereat de ses yeux, et il 
s'humilia devant la puissance d'un 
Dieu vengeur. 

Une ardente priere soulagea le 
oceur du malbeureux. II sentait 
toute la grandeur de sa<perte;il 
pouvait dire : « Mon toie est triste 
jusqu'a la mort.» Mais il ne mur* 
mnrait deja plus contre Celui qui 
doane et qui reprend. « Que ta 
sainte volonte soit iaite j.» dit-ii en 
fixant les yeux sur Timage du Sau- 
veuf , suspendue h I'entree de To- 
glise. Ton jugement s est accompli 
sur moi, tu vois mes souffrances, 
Seigneur ! . . . Seigneu r ! su is-je en 
paix avec toiP>' 



De fa 
traduction. 



183 



DEUXIEA1£ PARTIE. 



Tout a coup une foule de monde 

^ ^ deboucha de la porte Saiote- 

raductioii. g^jje, el il eotendit de nouveau le 
nom d'Ambroise. Le marcbaad 
friflfionna; il conuueD^ a craindre 
pour la ft^eurite du venerable ar- 
Q^veque, qu*U connaissait pfirfai* 
iement. 

J^afflictioii dans le ocBur, nous 

devons meutionner ici un ^vene- 

* ment dont Thorreur ne nous per* 

met pas de decouvrir tous les de- 

Jtails. 

Outre les calamites que Moecou 
supporta dans ce temps, il lui ^tait 
reserve d'ajouter aussi une page 
lugubre a son bistoire. Un crime 
affreux s*accomplttdans ses murs : 
Tarchev^ue Ambroise tomba, 
oomme on le sail, sous les cou- 
teaux d'une troupe d*abominables 
malfaiteurs. Jetous vite un voile 
sur cet evenement sacrilege, que 
les andens habitants de Moscou ne 
peuvent se rappelcr sans frayeur, 
et disons seulement quelle part y 
prit notre marchand des boutiques 
de mercerie, Thadee Abramovitche 
Sibiriakoff. 

S'etant assure de la r^lite du 
projet de oes malfaiteurs, ce mal- 
heureux resolut de delivrer Am- 
broise. Le lendemain, 16 Hcptem- 
bre, de grand matin, il galopa vers 
le convent de Donskoe, ou demeu- 
rait I'archevcque. II rencontra au- 
pres de la porte cochere de Vhabi- 
tation un jeune novice et le frere 
servant d'Ambroise, et insista au- 
pres d'eux pour qu*ils persuadas- 
sent an digne pasteur de s'eloigner 
sans retard de Moscou. L'archevd- 
que n*avait pas encore eu le temps 
de suivre ce conseil, que les assas- 



sins etaieot deja a la porte du tou- 
vent. II ehereha xm asile dans 1*^- 
^ise. Les malfaiteurs enfonoerent 
la porte du temple, et Tenfant 
adoptif de Sibiriakoff, un fierpent 
sous la forme hunmine, le deooa- 
vrant a la tribune, le montra aux 
fanatiques irrites. Les brigands 
firent descendre I'arcliev^ue de la 
tribune. L*un d'eux, dans leqtiei 
Sibiriakoff reconnnt Touvrier de 
fabrique qui quetait a la porte 
Sainte-Barbe pour un cierge k la 
Mere de Dieu, se mon trait plus 
acbame eneore que tous les autres. 
Apres avoir 4puise tous les mots 
injurieux, il tenait deja son large 
couteau sup la poitrinede la victi- 
me. Sibiriakoff lui saisit le bras et 
arreta le coup. « De quoi se mele- 
t-il? » mugirent les brigands qui 
rentouraient ; «tombez-lui des8us!» 

— Ou'avez-vous, mes freres.?» 
s'ecriale marchand, « nesuis-je pas 
des vdtres? BsUce bien de prbfaner 
ainsi le temple de Dieu? Condui 
sons-le hors du convent, et la nous 
le questionnerons, nous verr()lns...» 

— « G'est vrai , c*est vrai ! h s'^- 
crierent les brigands ! « II ne 8*en> 
ftiira pas! » Sibiriakoff esperalt 
avoir le temps de toucher la con- 
science de ces monstres; mais tous 
ses efforts fnrent in utiles. Ambroise 
p^rit. Les malfaiteurs n*^happe- 
rent point an ch&timent qu*ils 
avaient merits. Pierre Dimitrievi- 
tche firopkine, alors seule autorit^ 
de Moscou, avait eu le temps de 
rassembler plusieurs compagnles 
du regiment de Velikoloutsky, qui 
etait can tonne a trente verstes de 
la ville, et, avec le seeours de Cette 
poignee de soldats , il dispersa le 



CHAPITRE TROISIEME. 



189 



rassemblemeDt et arrSta les boute*- 
feu. Le commandant en chef, comte 
Pierre Simeonovitche Soltikoff, le 
gouyerneur civil louchekoff, et le 
grand maitre de police Bakhme- 
tieff, arriverent bientot apres a 



Moscoa. La tranquilltte fut promp- 
tement retablie, et Ton crea une 
commission particnliere pour pour- 
suivre les assassins de Tarchev^ue 
Ambroise. 



De la 
traduction. 



IV. 



De I'lmalyse nrraminaticale mu second def^^. 

Quand on analyse un mot au second degre^ il faut, 
apres en avoir fait connaitre la nature, indiquer son 
rapport avec les autres mots de la phrase^ et preciser 
le r&le qu'il y remplit , r&le qui varie avec les nuances 
diverses, et quelquefois fugitives , de la pensee. 

MODULES. 

I. 

La Esmeralda se mil a emietter du pain^ que Djali mangeait 
gracieusement dans le creux de sa mail}. 



La Esmeralda 

se 

mil 

a 
emietter 

du 



Nona propre de femine Stranger, sujet du verbc 

mettre. 
Pronom de la troisieme persoiine , repr^seDtant La 

Esmeralda, et regime direct du verbe mettre. 
Verbe transitif et irr^gulier de la conjugaison en re, 

a la troisieme personne singuliere du Pass6 de- 

fini. 
Proposition pure, marquant un rapport entre les 

verbes mettre et emietter, 
Verbe transitif et rOgulier de la conjugaison en er, 

au Present de llnfinitif , complement indirect du 

verbe mettre. 
Contraction de la proposition de et de Karticle sin- 

gulier ot masculin /e, employee par suite d'un 



pain, '' • 

Djali 
mangeait 

grdekmeniimt 

dans 

ie 

creux 

de 

sa 

mam. 



CHAPITRE QUATRlftlvrE. 191 

■• iMge' pafrticulier i Va Iimgde fran<^ite * ; 
fStiMtBfttff eomtnuiK, mmsnMt^ eikigulier, regime 

•dit^duf edie ^ietter, • 
Prdnow relatif:^ m^maitt ettinguHer, Tepr^sentank 

le mot jwi<kt|, €ttif^&^r%cX &a verbe manger. 
Nom propned'aniitiaU UttAwm et singulier, sujet du 

verbe maHper.'' , . « 

\ttbe ttatu^itif t^ r^gulier de Ut premiere conjugal* 

son, a la tfoisi^mis peMonnd shiguH^re de Tlmpar- 

fait de rindfieatif . 
Adverbe de mani^e, modHiant le sens du verbe 

manger. 
Proposition pure, marquant un rapport entre le verbe 

manger et le substantif erenuv. 
Article, masculin et shiguUer, servant ii substantiver 

le mot creux. 
Adjectif substantive, masculin et singulier, comple- 
ment indirect du verbe manger. 
Proposition pure, marquant un rapport entre les 

substantifs ereux et main. 
Adjectif possessif, feminin et singulier, determinant 

le substantif main par TidOe de possession qu'il 

y ajoute. 
Substantif oommun , feminin et singulier, comple- 
ment indirect du substantif creux. 



De rM)«ly/ie 

gramsMtU- 

UGfUe 

ci6|prfl« 



II. 



J'ai remarque que les enfants out rarement peur du tonnerre, 
a mof'ns que les eclats ne soie^it off re ax et ne blessent reellement 
I'organe de I'quie. J. J. RoussEiiu. 



at 



Pronom elide de la premiere personne, masculin et sin- 
gulier, sujet du verbe remarquer. 

Verbe irregulier et auxiliaire avoir, a la premiere per- 
sonne singuliere du Present de Tlndicatif. 



' £ii gnunmaire gepienile, €e mot du est completement injustifiable ; il ne 
se traduit iii eh latin, ni en allemand, ni en polonais, ni en russe, etc., etc. : 
c'est done un gallicisme. 



192 



DEUXIBME PARTIE. 



De Fanalyse 
gramniafi-' 

tkiftie 
anseeoBd q»e 

les 



reMprqu4 



mfants 

ont 

Hurement 
pcnv 

dn 



tonnerre^ 

a 

moins 

que 

les 

eclats 

ne 

soient 

affreicx 
et 

ne 



Yerbe transilif el r^gulier de la coejugaison en er, au 
Partkipe pass^, mascuHn et Aingolier, formant, avec 
Tauxiliaire (woir^ \e Pass^ indtfni. 

Conjonction, seffvttata unir lea memlNres de phrase eatre 
lesquels eUeae trouve plae^. 

Artiele, oiaficuliQ' et piuriel,. servant k indiquer que le 
mot enfants est un substantif. 

SubstmUif tommua, masculin et pluriel, sujet de la lo- 
eutioia yeibale avoir peur. 

Yerbe transitif et irr^gulier de la conjugaison en oir, a 
la troisikne personne plurielle du Pr^nt de Tlndi- 
catif. 

Advert>e de qualite^ modifiant le sens de la locution 
verbale avoir peur, 

Substantif commun^ f6minin et singulier, regime direct 
du verbe avoir, et formant avec ce verbe la locution 
verbale avoir peur. 

Contraction de la preposition de, qui marque un rapport 
eutre la locution verbale avoir peur et le substantif 
tonnerre, et de Tarticle /e, masculin et singulier, qui 
d^signe la classe du substantif tonnerre. 

Nom commun, masculin et singulier, complement indi- 
rect de la locution verbale. crvoir peur. 

Proposition. i Locution conjonctive annoncant 

Adverbe de quantite. | Tid^ de restriction contenue 

Conjonction. ) daos la suite de la phrase. 

Article, masculin et pluriel, servant a indiquer que le 
mot ecMs est un substantif. 

Substantif commun, masculin et pluriel , sujet du verbe 
4tre, 

Adverbe de negation , faisant partie de la locution con- 
jonctive analysee ci-dessus. 

Verbe irregulier 4tre, h la troisieme personne plurielle 
du Present du Subjonctif, regi a ce mode par la locu- 
tion conjonctive a nwlns que.,, ne. 

Adjectif qualificatif, masculin et singulier, indiquant une 
qualite du substantif ecldts. 

Conjonction servant a Her les membres de phrase entre 
lesquets elle se trouve placOe. 

Mot faisant partie de la locution conjonctive analysde ci- 
dessusy et dont Tusage perroet d'ellipser les troiis pre- 
miers mots, lorsqu'elle se repete dans la m^e phrase. 



blessent 



organe 



de 



ouie. 



CHAPITRE QUATRlftME. 



198 



Verbe transitif et regulier de la premiere conjugaisoD, a 

la troisi^me persoDue plurielle du Present du Subjouc- ^^ I'analyse 
tif^ r^gi a ce mode par la locution conjonctive a moins ^^^^ * 
que,., ne, au second 

Article ^lid^ , masculin el singulier, presentant Ic mot **^* 
organe comme substantif. 

Nom commuD , masculin et singulier, regime direct du 
verbe blesser. 

Proposition pure , marquant un rapport entre les subs- 
tantifs organe et ouie. 

Article elide, fOininin et singulier, indiquant la classe du 
substantif ouie. 

Substantif commun , fOminin et singulier, complement 
indirect du substantif organe. 



in. 

Jean-Jacques disait que rien ne rendait les mceur.s plus ai- 
mables que Vitude de la nature, Bebnabdim db Saint-Piebbe. 



Jean'Jacques 
disait 

que 
rien 
ne 
rendait 



Nom propre compost d'homme, masculin et singu- 
lier, sujet du verbe dire. 

Verbe transitif el irregulier de la conjugaison en re, 
a la troisieme personne singuliere de llmparfait 
de rindicatif. 

Conjonction pure , servant a unir les membres de 
phrase entre lesquels elle se trouve placee. 

Nom commun , masculin et singulier, sujet du verbe 
rendre- 

Adverbe de negation, modifiant le sens du verbe 
rendre. 

Verbe regulier et transitif de la conjugaison enre^h 
la troisieme personne singuliere de llmparfait de 
llndicatif, temps employe pour le Present du m^me 
mode y par suite d'un usage particulier a la langue 
fran<^aise*. 



* Les Fran^ais font assez indifferemmeut usage du Present ou de Vlmpar- 
fah de rindicatif apres les verbes dire, entendre, mander, i/n'oir, roiri etc., 
employes au Passe. 



194 



UKUXIEMK PARTIK. 



Dc I'aiialyse 
grammati- 

cale 
au second 



les 



moeurs 



pius 



aimables 



que 



etude 



de 



la 



nature. 



Article, feminin ei pluriel, serTant a printer le 
mot tnceurs comme substantif. 

Substantif commun , feminin et pUiriel , regime di- 
rect du verbe rendre, 

Adverbe de comparaison , modifiant le sens de Tad- 
jectif aimables, 

Adjectif qualificatif, uniforme aux deux genres de 
chaque nombre, qualifiant le substantif mceurs. 

G)njonction pure, servant de liaison aux mots entre 
lesquels elle se trouve plac^. 

Article elid^,, feminin et singulier, marquant la classe 
du mot etude. 

Nom commun, feminin et singulier, sujet d'une pror 
position en partie sous-entendue, et qui est retude 
de la nature ne les rend aimables. 

Proposition pure, marquant un rapport entre les sub- 
stantifs etude et nature. 

Article, feminin et singulier, indiquant que le mot 
nature est un substantif. 

Substantif commun, feminin et singulier, comple- 
ment indirect du substantif etude. 



IV. 



Pendant que les Romains meprlsirent les richesses , its furent 
sobres et vertueux. Bossitet. 



Pendant 
que 

les 



Locution conjonctive , liant les 

propositions ils furent sobres 

Preposition pure. } et vertueux et les Romains 

Conjonction pure. J m^prisirent les richesses , 

placOes,par inversion, I'une a 

la place de I'autre * . 

Article, masculin et pluriel, indiquant que le mot 

Romains est un substantif. 



* La conatruction naturelle de cette phrase est la suivante : Les Romains 

furent sohres et vertueux, pendant quits meprlserent les richesses. 



CHAPITRE QUATRIEME. 



195 



nomains 

mepruerent 

les 

richesses, 

ils 

furent 
sohres 

et 

rertneux. 



Nom propre de peuple , masculiD et pluriel , sujet du 

. verbe rrUpriser, 

Verbe r^guHer et trausitif de la conjugaison en er, a 
la troisi^me personne plurielle du Pass^ d^fini. 

Article, f^minin et pluriel, marquant la classe du 
substantif richesses, 

Substantif commun, f^minin et pluriel, regime direct 
du verbe m^priser. 

Prouom de la troisieme personne, masculin et pluriel, 
repr^sentant le mot Romains, et sujet du verbe 
ifre. 

Verbe irr^gulier ^tre, a la troisieme personne plu- 
rielle du Pass^ d^ni. 

Adjectif qualiGeatif , masculin et pluriel , compl^tant 
le sens du verbe itre , et marquant une quality du 
mot Romains , repr^sent^ par le pronom ils, 

Conjonction pure , servant a unir la proposition Us 
furent sohres a la proposition ils furent rertueux, 
dont les deux premiers mots sont ellipses. 

Adjectif qnalificatif , masculin et pluriel , compl6tant 
le sens du verbe ^tre , sous-entendu , et marquant 
une quality du mot Romains, represent^ par ils, 
sous-entendu. 



De Tanalysf 
grammati- 

cale 

au second 

degr6. 



La tue de ce vaste univers, dont les merveilles nous remplissent 
d' admiration y nous fait connaitre qu'il doit armr un auteur. 



La 
rue 
de 

raste 



Article , feminin et singulier, marquant la classe du 
substantif vue. 

Substantif commun , feminin et singulier, sujet du 
verbe faire. 

Preposition pure, marquant un rapport entre les 
substautifs vue et univers. 

Adjectif d^monstratif, masculin et singulier, determi- 
nant le substantif nnivers par Tid^e dMndication 
quMl y ajoute. 

Adjectif qualificatif , masculin et singulier, qualifiant 
le substantif univers. 



I9G 



UEUXlfcMK PAKTIE. 



umvef's. 



De ranal)rs« 
grammati- 

cale ^ont 

au second 
degre. 



lex 
werveilles 



rempiissent 



admiration^ 

nous 
fait 

eonnaitre 

qu' 
it 

doit 

avoir 



Substantif comraun , masculin et siugulier, compl^^ 
ment indirect du substantif vv£, 

Pronom relatif, masculin et singulier, \ 
mis pour univers, et complement I Phrase in- 
indirect du substantif merveilles, cidente, ser- 
qu'il pr^de par une inversion com- vant a expli- 
mune a toutes les langues. quer ce qui 

Article, feminin et pluriel , marquant precede , et 
la classe du substantif inerveilles, placee entre 

Substantif commun, feminin et plu- deux virgu- 
riel, sujet du verbe remplir. les, au con- 

Pronom de la premiere personne plu* traire des 
rielle, regime direct du verbe retn- \ phrases inci- 
plir. I dentes deter- 

Verbe r^gulier et transitif de la con- minatives, 
jugaison en ir, a la troisieme per- pour indi- 
sonne plurielle du Present de lln- quer que sa 
dicatif. suppression 

Proposition pure elidee, marquant un n'empSche- 
rapport entre les mots remplir et rait pas le 
admiration. sens de la 

Substantif commun, fOminin et singu- phrase d^^tre 
tier, complement indirect du verbe complet. 
remplir. j 

Pronom de la premiere personne plurielle, regime 
indirect des mots fait eonnaitre. 

Verbe irregulier et transitif de la 
conjugaison en re^h la troi- 
sieme personne singuliere du 
Present de Tlndicatif. 

Verbe irregulier et transitif de la 
conjugaison en re, au Present 
de rinfinitif. 

Conjonction eiidee , servant a unir les membres de 
phrase entre lesquels elle se trouve placOe. 

Pronom de la troisieme personne singuliere, rappe- 
lant ridee du mot univers , et sujet du verbe de- 
voir. 

Verbe regulier et transitif de la troisieme conjugai- 
son, a la troisieme personne singuliere du Present 
de rindicatif. 

Verbe irregulier et transitif de la conjugaison en oir. 



Locution ver- 
bale,dontlesens 
est a peu pr^s 
celui du verbe 
annoneer. 



CHAPITRE QUATRIEME. 



197 



aiUeur, 



au Pr^nt de rinfinitif, compl^tant^ avec les mots 
qui suivent, le sens du verbe devoir, 

Adjectif uumerai cardiDal, masculin et singulier, em- 
ploy^ par suite d'un usage particulier a la plupart 
des laugues modemes. 

Substantif commun, masculiu et singulier, regime di- 
rect du verbe avoir. 



De Taualyftc 
grammati- 

cale 

ail second 

degrr. 



VI. 

Vhomme ne voit que Vapparence , 
Maii Dieu voit jusqu'au fond du cceur. 



L 

* homtne 
ne 

VQlt 

que 

V 

apparence, 
Mais 



Dieu 

voit 
jusqu 



Article ^lid^ , masculin et singulier, indiquant que le 
mot hontme est un substantif. 

Nom commun, masculin et singulier, sujet du verbe 
voir. 

Adverbe de negation... 

Verbe irregulier et transitif de la conjugaison en oir^ 
a la troisieme persoune singuliere du Present de 
rindicatif. 

Conjonction pure , fbrmant , avec I'adverbe de n^ga« 
tion ne, qui precede, une locution adverbiale, dont 
le sens est celui du mot seulement, et qui modifie 
le verbe voir. 

Article dide, £6minin et singulier, marquant la classe 
di| mot apparence. 

Substantif commuu, feminin et singulier, regime di- 
rect du verbe t^oir, 

Conjonction pure, servant a unir les membres de 
phrase entre lesquels elle se trouve plac^ , et an- 
non<^nt Fopposition qui se trouve dans le dernier. 

Nom propre, masculin et singulier, sujet du vejrbe 
voir. 

Mot d^ja analyse. 

Proposition Olidee. 

Contraction de la preposition d, lormaut avecjusqtie 
une locution prepositive , qui marque un rapport 
entre les mots voit et fond, el de larticle ie, mas- 



198 



DEUXIEME PARllE. 



De Fanalyse 
srammati- . , 
cale fo'nd 
au second 
^^' du 



culin et singuli^r, qui indique la classe du substan- 
tif foTid. 

Substantif commun , -masculin et singulier, comple- 
ment indirect du verbe voir. 

Contraction de la proposition de, qui marque un rap- 
port entre les substantifs fond et cceur^ et de Far- 
ticle, masculin et singulier, le, qui indique la classe • 
du substantif cceur. 

Nom commun, masculin et singulier, complement 
indirect du substantif fond. 



Bien saisir le rapport grammatical et logique des 
mots entre eux, voila tout le secret de Tanalyse gram- 
maticale raisonnee. On ne connait une langue, et Ton 
ne s'en sert correctement, que quand on est a mfeme 
de faire subir au discours un travail de decomposi- 
tion, qui fixe avec precision le r61e de chaque mot, 
les rapports qu'il subit, et ceux qu'il impose. Ce tra- 
vail n'est pas toujours facile lorsquil s'agit d'une 
langue derivee, comme le francais, ou se confondent 
des elements divers, qui froissent souvent toutes les 
donnees de la grammaire gen6rale. 

La pratique des langues vivantes, et Tetude compa- 
rative des formes qu'elles affectent dans Texpression 
des mfemes id6es, nous ont fourni peu a pen la possi- 
bilite d'analyser, d une maniere satisjaisante, nombre 
de cas que les grammairiens n'ont point ose aborder. 
En est-il un seul, par exemple, qui indique les cas oil 
il faut substituer elre a aw/>, comme dans cette 
phrase . IVous nous sommes tromp^s? Non. Pour 
tourner la difficulte, on a invente une conjugaison, 



CHAPITRE QUATRIEME. 199 

celle des Verbes pronornirumx^ qui n'en est pas une, 
puisque ces verbes suivent tous les modules de leups grammati- 
terminaisons infinitives. Par suite de cette myopie ausecwMi 



des grammairiens, des niilliers d'eleves, sur toute la 
surface du monde civilise, s'en vont repetant et grif- 
fonnant : Je me trompc^ tu te irompes^ il se trornpe, 
comme si ce verbe se conjuguait autrement que se^ 
confreres de la mfeme terminaison ; et, grice a Thabi- 
tude que les auteurs de grammaires ont contractee 
de se copier les uns les autres, on repetera et griffon- 
nera : /Vous notis trompons^ vans vous trornpezy Us 
se trompenty jusqu*a la consommation de la langue 
francaise ' . 

On voit, par les modeles qui precedent, que notre 
analyse aux deux degres est a la fois grammaticate 
ot hgique. Si nous ecartons ce dernier qualificatif , 
c'est qu'il est completement superflu. 

Nous ne disons mot de ce que certains grammai- 
riens decorent du nom ^ Analyse logique ; c'est que 
nous n'aimons point a mettre dans la t6te de nos el^ves 
des donn^es qui n'ont aucune application reellemenl 
utile. Elfeve ou maitre, jamais nous n'y avons rien 
compris, jamais nous n'y avons rien reconnu qui puisse 
faire progresser les el^ves, Fran^ais ou Strangers, 
dans I'etude de notre langue. Nous d^clarons done, 
sans aucun detour, que le temps employe k etudier 
cette Boi-disant analyse logique est un temps d^pense 



• Tout ce qui precede est extrait du Trait f ^Analyse grammaticale ( ine- 
dit) deja cite. 



defre. 



200 DEUXIEME PARTIE. 

^ j,^^^^i ^ en pure perie ; Taridite de ces exercices d6godte les 
grammati- elcvcs de la grammairc, qa'ils aiment deja si peu, et 
au second la leuF fait quclquefois prendre en haine. Nous conseil- 
Ions done tres-serieusement aux maitres de supprimer 
dans leur enseignement, comme superflue, nous di- 
rons m&me comme nuisible , la pretendue analyse 
lofrique^ telle que Tindique, entre autres, la grammaire 
de MM. Noel et Chapsal. 

On lit, dans Touvrage de mademoiselle Nathalie 
de Lajolais, que nous citons pour la troisi^me fois, 
mais, en cette occasion, avec regret , les lignes sui* 
vantes, qui concernent \ Analyse grammaticale : 

« L'analyse grammatical , ou la decomposition du 
« discours pour en reconnaitre tons les elements, est 
« un exercice indispensable dans I'apprentissage de la 
« langue. Cette analyse doit se faire de vive voix, 
« sur le devoir qui vient d'etre corrige, dans Tespace 
« de quelques minutes, et jamais par ecrit. (L'analyse 

« par ecrit n'est qu'une perte de temps )» 

Si mademoiselle Nathalie de Lujolais entend par 
analyse grammatical ce que nous appelons Analyse 
grammaticale au premier dei>re\ nous sommes pres- 
que de son avis, quoique nous pensions que ce petit 
travail demande cependant une precision qui ne peut 
gu^re fetre atteinte dans un exercice^ de vive voix. Si 
Tauteur eminent de V Jj^ducation des femmes entend 
par analyse grammaticale le travail que nous appelons 
Analyse grammaticale au second degre^ nous ose- 
rons combattre une opinion que nous regardons comme 
d'autant plus dangereuse, qu'elle emane d'une per- 



CHAPITRE QUATRIEME. 201 

Sonne consommee enmatiere d'educalion. Nous serions ~ ; 

De 1 analyse 

heureux que Texamen des mod^es que nous avons grammau- 
donnes ci-dessus , apport^t quelques modifications au second 



dans la maniere dont mademoiselle Nathalie de Lajo- 
lais envisage Tanalyse grammaticale, que nous regar- 
dons comme un des plus utiles, des plus indispensa- 
bles exepcices dans I'etude d'unelangue. 

Toutes les Analyses doivent 6tre raises au net dans 
des cahiers qu'il faut conserver avec soin. Les cahiers 
cartonnes sont tr^s-utiles pour les copies. 



degre. 



Uem vers mUi en prose. 

Met Ire des vers en prose est un exercice qui plait 
fort aux bons eleves, et que les bons maitres prati- 
quent avec succ^s. 

Voici ce qu'il faut observer pour ce travail. 

La pensee contenue dans les paroles mesurees doit 
se retrouver, intacte et sans aucun melange, dans une 
prose ch^tiee et digne, en quelque sorte, de figurer au- 
pr6s du texte primitif. Que la mesure poetique soil 
absolument brisee, la rime eliminee avec soin, Tex- 
pression assortie a la nouvelle enveloppe de Tidee, ce 
sont toutes conditions de reussite dans ce travail. Ici 
Ton fera de frequentes excursions dans le champ des 
synonymes,en posant d'une maniere claire et nette le 
sens defini des termes du texte, sens a reproduire, si 
c'est possible, dans la transformation a laquelle il est 
soumis. Lapropriete de I'expression doit seule en mo- 
tiver le choix : avant d'employer un signe, il faut s'as- 
surer qu'il se rapporte exactement aux faits et aux 
circonstances. Quelques exemples du genre de travail 
que nous recommandons ici allegeront le d^veloppe- 
mentde ces regies de conduite, tout en faisant, pour 
ainsi dire, toucher du doigt les avantages multiples 
qui en ressortent dans Tapplication. 



CHAPITRK CINQUIEME. 203 

I. 

LK CHftNE ET LE ROSEAU, 

fable de la. fontaine. 

Le ch^ne un jour dit au roseau : 
Vous avez bien sujet d'accuser la nature ; 
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; 

Le moindre vent qui, d'aventure, 

Fait rider la face de Feau, 

Vous oblige h baisser la t^te ; 
Cependant que mon front , au Caucase pareil , 
Non content d'arr^ter les rayons du soleil , 

Brave I'effort de la temp^te ; 
Tout vous est aquilon , tout me semble zephir. 
Encor, si vous naissiez a Fabri du feuillage 

Dont je couvre le voisinage, 

Vous n'auriez pas tant a souffrir : 

Je vous d^fendrais de Forage ; 

Mais vous naissez le plus souvent 
Sur les humides bords du royaume du vent. 
La nature envers vous me semble bien injuste. 
Votre compassion, hii repoudit Farbuste, 
Part d'un bon naturel : mais quittez ce souci , 

Les vents me sont moins qu'a vous redoutables , 
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici 

Contre leurs coups epouvantables 

R^sist^ sans courber le dos : 
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots , 
Du bout de Fhorizon accourt avec furie 

Le plus terrible des enfants 
Que le Nord etlit port^. j usque-la dansses flancs. 

L'arbre tientbon , le roseau plie ; 

I^ vent redouble ses efforts 

Et fait si bien quMI deracine 



Des vers 

mis 
en prose. 



Des vers 

mis 
en prose. 



204 DEUXIEME PARTIE. 

Celui de qui la t^te au ciel etait voisine *, 

Et dont les pieds touchaient k Fempire des morts. 



LE CHfiNE ET LE ROSEAU, 
fable de la fontaine mise en prose. 

Le chSne dit unjour au roseau : « Vous avez bien rabon de vous 
plaindre de la nature ; le plus petit oiseau vous accable de sou poids ; 
un l^ger zephir, qui agite h peine la surface de Feau, vous force a 
courber la t^te ; tandis que ma cime, aussi haute que le Caucasts in- 
tercepte les rayons du soleil, et d^fie les ouragans eux-m^mes ; pour 
vous tout vent est impetueux ; moi , je ne connais que de faibles souf- 
fles. Si du moins vous preniez naissance sous mes vastes rameaux , 
vous auriez moins a soufTrir : je vous protegerais contre la temp^te ; 
mais vous croissez d'ordinaire sur la limite du domaine des vents. La 
nature vous traite en marStre. — Votre pitie, repartit Thumble ve- 
getal , vient d'un bon coeur : mais soyez sans inquietude, je redout e 
moins que vous la tempSte; elle me courbe et ne me brise point. II 
est vrai que vous lui avez r^sist^ victorieusement jusqu'ici ; mais il 
faut attendre la fin. » Le roseau parlait encore , lorsque accourut des 
extr^mit^ du ciel la plus affreuse des temp^tes que le Nord edt ja- 
mais engendr^. Le ch^ne se roidit, I'arbuste cede ; Forage mugit , 
plus furieux encore, et arrache enfin Farbre orgueilleux qui cachait 
sa t^te dans les nues , et plongeait ses racines jusqu^au centre de la 
terre. 



IL 

ADIEUX A LA VIE, 

stances de gilbert. 

J'ai r^v^ie mon coeur au Dieu de Finnocence ; 
II a vu mes pleurs penitents ; 

' j4u ciel etait voisine est une faute de fraiK^ais qu^aucune licence poetique 
ne saurait excuser. 



CHAPITRE CmQUlfeME. 205 

II gu^rit mes remords , il m'arme de Constance : 
Les malheureux sont ses enfants. 



Mes ennemis, riant , ont dit dans leur colere : 

Qu'il meure, et sa gloire avec lui ! 
Mais k mon coeur calme le Seigneur dit en p^re : 

Leur haine sera ton appui ! 

Soyez b^ni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre 

LMnnocence et son noble orgueil ; 
Vous qui , pour prot^ger le repos de ma cendre , 

Veillerez pr^s de mon cercueil ! 

Au banquet de la vie, infortun^ convive, 

J'apparus un jour, et je meurs ; 
Je meurs, et sur la tombe ou ientement j'arrive, 

Nul ne viendra verser des pleurs. 

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure , 

Ct vous , riant exil des bois ! 
Ciel , pavilion de Thomme, admirable nature , 

Salut pour la demiere fois ! 

Ah ! puissent voir longtemps votre beaute sacr^e 

Tant d'amis sourds a mes adieux ! 
Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurae, 

Qu'un ami leur ferme les yeux! 



Des vers 

mis 
en prose. 



ADIEUX A LA VIE, 

stances de gilbert mises en prose* 

J'ai confess^ mrs fautes au Dieu de ta puret^ ; 11 a vu mon repentir 
et mes larmes ; il calme les reproches de ma conscience ; ii fortifie 
ma perseverance : il est le pere des infortunes. 

Mes adversaires, triomphants, se sont ecries dans leur courroux : 



Des vers 
mis 



206 DEUXifeME PARTIE. 

Qu'il p^risse , lui et sa renommee ! Mais Dieu adrea» k moD ^me 
tranquillis^e ces paroles patemelles : Leur aversion sera ton soutien. 
en prose. Je vous b^nis. Seigneur, vous dont la bont6 me rend la puret^ et 
sa fierte gen^reuse ; vous qui , pour defendre le sommeil de mes cen- 
dres, prot^gerez mon tombeau ! 

Malheureux que je suis , conVie au festin de Texist^ce, je ne fis 
que paraltre, et je succombe ; je succombe , et personne ne viendra 
r^pandre une larme sur la fosse dont j'approche a pas lents. 

Adieu, campagne que je ch^rissais, et toi , delicieuse verdure ^ et 
toi, agr^ble solitude des for^ts ! Cieux , tente des humains , magni- 
fique nature , recevez mes demiers adieux ! 

Ah ! que ceux dont Tamiti^ ne veut point recevoir mes demiers 
saluts , jouissent longuement de vos charmes divins ! Que, mourant 
dans une vieillesse avanc^e, ils fassent nattre des regrets, qu'une main 
amie close leur paupi^re ! 



III. 

LE CURE DE VILLAGE. 

(Extra! t de I' Homme des Champs de DELrLLE.i 

Voyez-vous ce modeste et pieux presbytere ? 
La vit rhomrae de Dieu , dont le saint ministere 
D'un peuple r6uni presente au ciel les vceux , 
Ouvre sur le hameau tons les tr^sors des cieux , 
Soulage le raalheur, consacre Thymen^e , 
B6nit et les moissons et les fruits de I'annee, 
Enseigne la vertu, re<^(Jit rhomme au berceau , 
Le conduit dans la vie et le suit au tombeau. 
Par ses sages conseils, sa bont6 , sa prudence , 
II est pour le village une autre Providence. 
Quelle obscure indigence echappe a ses bienfaits ? 
Dieu seul n'ignore pas les heureux qu'i4 a faits. 
Souvent dans ces reduits ou le malheur assemble 
Le besoin, la douleur et le tr^pas ensemble, 
II paratt, et soudain le mal perd son horreur, 



CHAPITRE CINQUIEME. [J 207 

Le besoin sa detresse, et la mort sa terreur. 

Qui previent le besoin pr6vient souveDt le crime. 

Le pauvre le b^nit, et le riche Testime ; en prose. 

Et souvent deux mortels , I'un de I'autre ennemis, 

S'embrassent a sa table et retournent amis. . 



Des vers 
mis 



LE CURE DE VILLAGE , 

vers de deulle mis en prose, 

Apercevez-vous cette cure, bumble et recueillie ? La demeure un 

prtoe , dont la mission sacr^ est d'offrir a Dieu les prieres d'une 

population rassemblee, de r^pandre sur le village les bienfaits du 

ciel , de secourir les malheureux , de benir les unions, de consacrer 

les recoltes, de rendre Thomme vertueux, de presider a sa naissance 

et a sa mort, apres lui avoir servi de guide pendant son existence. 

Sage en ses avis , bon, prudent , il est Thomme providentiel du ha- 

meau. Le plus humble des indigents eprouve les effets de sa bienfai- 

sance. II n'y a que le ciel qui connaisse ceux dpnt il a fait le bonheur. 

U entre frequemment dans ces galetas ou I'infortune r^unit la d^- 

tresse, la souffranee et la mort, et tout a coup toutes ces calamity 

He paraissent plus si afTreuses. Soulager les malheureux, c'est les em- 

i>€cherde deveniT criminels. II a la benediction de Tindigent, et le 

i*espect de Thomme heureux ; et maintes fois deux ennemis , devenus 

ses convives , le quittent apres s'^tre donne le baiser de paix et d'a- 

*iriitie. 



IV. 
LES TOMBEAUX AERIENS , 

par DEULLE. 

Dirai-je des Natchez la tristesse touchante ? 
Combien de leur douleur Theureux instinct m'euchante 
La, d'un fils qui n'est plus, la tendre mere en deuil 



Des vers 
mis 



208 DEUXifeME PARTIE. 

A des rameaux voisins vient pendre le eeroueil. 
Eh ! quel soin pouvait mieux consoler sajeune ombre ! 
en prose. Au lieu d'etre enferm^ daus la demeure sombre , 

SuspeDdu sur la terre et regardaDt les cieux, 
Quoique mort, des viyants il attire les yeux. 
lii, souvent sous le fits, vient reposer le pere ; 
L^, ses soeurs en pleurant accompagnent leur m^re , 
L'oiseau vient y chanter, Farbre y verse des pleurs , 
Lui prSte son abri , Fembaume de ses fleurs : 
Des premiers feux du jour sa tombe se colore; 
Les doux zephyrs du soir, le doux vent de Faurore 
Balancent mollement ce precieux fardeau ; 
Et sa tombe riante est encore un berceau : 
De Famour matemel illusion touchante. 



LES TOMBEAUX a£RIENS, 

vers de belille mis en prose. 

' Parlerai-je de Fattendrissante douleur des r^atchez ? Que de charme 
dans Finstinct de leur tristesse ! Un fils a-t-il cess^ d'etre , la m^re 
^plor^ suspend ses restes aux branches d*un arbre voisin. D*autres 
soins pourraient-ils mieux charmer la douleur de cette jeune dme 
errante? La tombe obscure ne se refermera point sur sa d^pouille; 
balance dans les airs, toume vers le ciel, il attire les regards de ceux 
que le tr^pas respecte encore. Souvent un p^re vient prendre sa der- 
niere demeure sous un enfant cheri ; les larmes de ses soeurs y suivent 
une tendre mere ! Les chantres des bois lui adressent leurs hymnes , 
Farbre lui donne des larmes, le couvre de son feuillage , jonche sa 
couche de fleurs odoriferantes. Le soleil ^claire ce tombeau d'un rayon 
matinal ; de caressantes haleines, au jour naissant, au declin de la lu- 
miere , bercent doucement ce d6p6t precieux, qui , trompant la dou- 
leur d'une mere, lui sourit dans la mort, comme aux premiers jours 
de son ei^istence. 



CHAPITRE CINQTTIKMK. »)i» 



V. Des vers 

mis 



EXISTENCE DE DIEU, 
[ Extrait du poeme de la Religion, par louis bacine.] 

Oui , c'est un Dieu cach6 que le Dieu qu'il faut croire ; 
Mais, tout cach6 qu'il est, pour r^v^ler sa gloire, 
Quels t^moins ^latants devant moi rassembl^s ! 
R^pondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez! 
Quel bras put vous suspendre, innombrables ^toiles ? 
Nuitbrillante, dis-nous qui t'a donn^ tes voiles ! 
O cieux , que de grandeur et quelle majesty, ! 
J'y reconnais un Maltre a qui rien n'a coilite , 
Et qui dans vos deserts a seme la lumiere , 
Ainsi que dans les champs 11 seme la poussiere. 
Toi qu'annonce I'aig'ore, admirable flambeau , 
Astre toujours le mtoe, astre toujours nouveau , 
Par quel ordre ^ 6 soleil , viens-tu du sein de Tonde 
Nous rendre les rayons de ta clart^ f^conde ? 
Tons les jours je t'attends, tu reviens tons les jours 
Est-ce moi qui f appelle et qui regie ton cours? 
Et toi dont le co<irroux veut engloutir la terre , 
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre ? 
Pour forcer ta prison tu fais de vains efforts : 
La rage de tes flots expire sur tes bords. 



en pros^. 



EXISTENCE DE DIEU , 

x-ers de l. bagine mis en prose. 

Oui , c'est un Dieu invisible que le Dieu impost a notre croyance ; 
0iais, tout invisible qu'il est, quels t^moignages pompeux se r^unis- 
sent a mes yeux pour sa glorieuse r^v^lation ! Ciel , oc^an , terre , 
r^ndez a ma voix. Quelle main vous tient suspendus , astres sans 
uombre ? Nuit eclatante , nomme - moi Pauteur de tes tenebres ! 



Des vers 
mis 



210 DEUXiftME PARTIE. 

O ciel , que tu es grand et majestueux ! Je vois uu Cr^teur qui a 
tout fait sans peine , et qui dans tes solitudes a repandu le jour, 
en prose, comme il repand le sable dans nos campagnes. Toi que pr^Me 
Taurore, foyer magnifique de la lumiere, qui sans changer te renou- 
velles sans c«sse, qui t'ordonne, 6 soleil, de sortir des mers pour 
nous rendre ton eclat fecondant ? Ghaque jour tu remplis mon attente 
quotidienne : est-ce moi qui te prescris de parattre et qui dirige ta 
marche ? Et toi dont la fureur veut submerger le monde, Oc^an re- 
doutable, quel bras te refoule dans tes abtmes ? Tu fefforces en vain 
de rompre tes chatnes : tes vagues furibondes vont mourir sur le 
rivage. 



J- 



Plus I'expression poetique est juste et piitoresque, 
plus il est difficile de trouver un synonyme qui la 
rende en prose, aver sa force ou son elegance. Sou- 
vent mfemo il faut, de toute necessite, la reppoduire ^^-*e 
sans aucune alteration, ou se resoudre a une circonlo- — ^zd- 
cution trainante. Dans cette alternative, Tinstituteur -a:.«ur 

fournira a I'ecolier des indications certainee et deci Jt^i- 

sives, puisees a la source du bon godt et de la raison.. Mirn. 

Les vers mis en prose doivent , comme les tradue — ^> ic- 
tions et les analyses, fetre copies dans un cahier parti— -i^-ti- 
culier, que nos eleves se garderont bien de perdre ^ 
Nous verrons bient&t quel parti on pent en tirer. 



VI. 



De« iiarmtlons oralrs. 



Ck)mine il faut proceder en tout par degres, crainte 
de compromettre son acquis faute d'une marche natu- 
:i:eUe, on passera, des exercices que nous avons succes- 
sivement, indiques a celui de la composition, par una 
"voie qui en facilite Tacc^s. Les travaux executes jus- 
<}u*ici ont sans doute fourni a nos eleves de vives lu* 
mieres sur les rapports comparatifs du francais et des 
langues etrang^res ; mais vouloir des maintenant les 
:ffaire voler de leurs propres ailes, ce serait provoquer 
%ne chute funeste : le d^godt que produisent les 
«checs, annihile le progrfes. Partant du point de vue 
^ue celui qui sait parler sur des faits aura bientdt 
■.'habitude d'6crire ses reflexions, nous preparerons 
notre disciple a la composition ecrite, en lui faisant 
Faire des narrations orales. 

Cet exercice fait immediatement suite aux Ijecons 
ie conversation ou de langa^e pratique. 

Suivant done une marche progressive qui mene Te- 
We, sans transition brusque, au but que nous avons 
a vue, nous debuterons par une simple anecdote, 

IT une historiette a la port6e de son intelligence. 

Dus la lui lirons, une, deux, trois fois, plus mftme 

I le faut, lentement, en faisant bien sentir la coupe 



orales. 



2t2 OKUXIKMK PAHTIE. 

des plirases, et eii appuyant avec intention sur les 
iiai rations uiots Ics plus saillants. Pour nous assurer qu'il com- 
prend bien ce qu'il entend , il traduira a rinstant 
mfeme, et de vive voix , chaque phrase dans sa langue 
maternelle. Alors il devra nous repeter ce petit recit, 
a peu prfes dans les termes que nous avons employes. 
Quand un el eve a suffisamment pratique la Lecon 
(le com>ersation^ les Narrations orales vont, pour ainsi 
dire , d'elles-mfemes : cela coule comme de source. 
Mais il est rare qu'un m&me et unique mattre com- 
mence et finisse un eleve : bien peu de jeunes gens 
ont cette chance heureuse. La plupart, au contraire, 
n'ont jamais pris part a une lecon de langage pratique^ 
ot ceux-la^ on le concoit^ ne sont gufere prepares a 
narrer de vive voix, mfime ce qu'ils viennent d'en- - 
tendre lire. Lorsque, dans le cours de notre enseighe- 
ment, nous rencontrons de ces langues difficiles a de- 
lier, langues qui se trouvent ordinairement au service ^ 
d'une mechante memoire^ nous adoptons une marche- 
leote et compassee. Une ou deux phrases nous four- 
nissent alors la matiere d'une lecon. Encore avons- 
nous sou vent la precaution d'ecrire au tableau les^ 
principaux mots de chaque phrase, pour que la vue de 
notre malheureux disciple vienne au secours de sa 
langue et de sa retive memoire. 

L'experience du maitre de langue est juge du mo- - 
ment ou son eleve, faisant un pas de plus, lui racon- 
tera des anecdotes , des historiettes, de petits traits 
d'histoire, quilaura lus lui-m^me enfruncais. La me— 
moire doit sans doute intervenir dans cet exercic^ 



/ 



CHAPITRR SIXIEME. 21^ 

pratique; mais nous ne pernieitroiis point qu'on - 
^ienne nous reciter une lecon apprise par coeur, et re- ttarrations 

* , orales. 

garderons comme non avenue et a recommencer toute 
narration de cette espece. Du moment que nous faisons 
cette remarque, nous devons nous hater de rendre les 
exercices de narration orale assez longs, pour 6ter aux 
Jeunes gens Tenvie de faire une affaire de m^moire 
complaisante d'un pur exercice de langage pratique. 

Les exercices de narration orale, qui, nous le repe- 

tons, font suite aux Ijecons de conversation^ doivent 

^tre le complement de Tetude secondaire du francais, 

^ tons ses degres. 11 arrive un moment ou nous sen- 

tons qu'il faut chercher d'autres difficultes que celle 

^e raconter une lecture faite en francais. Alors notre 

^leve ue doit plus nous raconter que ce qu'// aura tu 

^lans sa langue nfaternelte, C'est a lui a aviser aux 

xnoyens qu'il mettra en oeuvre : notre tache se borne a 

1 ecouter, a approuver ou a desapprouver. De meme 

^ue, tout a Theure, nous lui avons interdit les his- 

"l.oires apprises par cceur^ nous opposerons maintenant 

^in veto formel auxhistoires evidemmentm/^/^//^j';et, 

^ans le cas ou nos observations ne seraient point sui- 

^vies de Teffet que nous avons le droit d'en attendre, 

batons-nous d'augmenter la tache : cela lui otera 

I'envie de transgresser nos lois. 

Nous arrivons, par une marche toute naturelle, aux 

^narrations orales non preparees * L'eleve qui s'en ac- 

^uittera a notre satisfaction , nous prouvera qu'il a 

lien mis nos lecons a profit. Qu'il nous raconte alors, 

sans aucune preparation autre qu'une simple donnee. 



2X4 DEUXrtME PARTIE. 



un fait historique qui fournit a de nombreux d^velop- 
narrations pemcnts, a dcs Considerations interessantes, ou un ev6- 



orales. 



nement du jour quilui offre une occasion toute nouvelle 
d'employer et d'enrichir son materiel philologique. A 
chaque faux pas, remis par son guide dans la bonne 
voie, il acquerra peu a pen ce style de la narration 
soutenue, qui diffftre si peu du langage ordinaire. C'est 
le moment de lui reiterer les preceptes relatifs k la 
coupe de la phrase, au choix des expressions, au ton a 
donner au recit, selon les divers sentiments de T&me. 



VII. 



Des nnrratloiis ^crltes. 

Nous suivrons, pour les narrations rcrites , la 
jxn^me marche progressive que pour les narrations 
^rales. 

La litterature de I'enfance, si riche en ouvrages in- 

'•^ressants et profitables, nous off re un choix vari6 'de 

^Miorceaux que nous pouvons utiliser pour nos pre- 

^VQiiers essais de ojarrations ecrites. II n'y a, pour ainsi 

^^ire, (ju'a prendre au hasard. Nous avons, par exem- 

^5)le, sous la main un ouvrage de mesdames Voiart et 

-A. Tastu, les Enfant A de la vallee (tAndlau, Nous 

Tl'ouvrons, et, a la premiere page, nous trouvons une 

Tiistoire intitulee le BenecUcittL Nous lisons a notre 

^Ifeve le premier alinea, autant de fois qu'il le desire 

et que nous le jugeons n^cessaire. Nous lui dictons 

ensuite des notes, dont il s'aidera pour son travail, et 

nous terminons par une nouvelle et derniere lecture du 

fragment qu'il doit reproduire de son mieux. 

La fois suivante, c'est le tour du second alin6a, et 

nous parvenons de la sorte au bout du recit, que notre 

^i6ve se trouve avoir reconstitue au moyen des 61e- 

^ents que lui ont fournis la lecture du texte original 

^t nos propres notes. 

Quelquefois on rencontre, mfeme dans les recits les 



216 DEUXIEME PARTIE. 



ecntes. 



■~ plus simples, des passages abstrails, des reflexions 
narrations uH peu loDgucs , dcs details pcu attrayants ; on fera 
bien de les elaguer. Aimant a joindre Texemple au 
precepte , nous allons reproduire , le^on par leQon , le 
texte de notre petite histoire, en y joignant les notes 
que nous dicterions, si nous la prenions pour exercer 
un eleve a la narration ecrite. 

LE BElNtolCITE. 
I. 

L'Alsace est upe des plus riches et des plus pittoresques contrees 
de la France. La beaut^> de ses cultures, la diversity de ses industries, 
ses for^ts , ses vieilles ruines f^odales couronnant les cimes de ses 
inontagnes , les Vosges, le Khin, Strasbourg -^nfin, avec sa cafh^- 
drale, tout rend ee pays aussi curieux k visiter qu'int^ressant k con- 
nattre. £n descendant des Vosges, on rencontre la charmante vallee 
d^Andlau , entour^e de hautes montagnes couvertes de sapins et tou- 
tes surmont^es des restes d'anciens chdteaux forts. 

NOTES. 

Ge qu'est F Alsace. Cultures, industrie, for^s, ruines f^odales, 
les Vosges, le Rhin, Strasbourg et son monument principal , pays 
curieux et intere^sant. Ce qu'on rencontre en descendant des Vosges, 
de quoi la vallee d'Andlau est entour^e , ce qui couvre et couronne 
les montagnes, 



II. 

A Tendroit le plus resserre de cette vallee, 1^ ou la petite riviere qui 
donne son nom a ces lieux enchantes roule et bondit toute blanche 
d*6cume a travers les rochers, et forme une suite de fralches et bril- 
lantes cascades, s'^leve la jolie petite ville d'Andlau, Tune des plus 



CHAPITRE SEPTIEME. 217 



industrieuses du departement. Un vieux manoir, avec ses deux tours 
rondes, domine d'une maniere pittoresque la cime de la montagne, 



Des 
iiarratioiis 
et plus bas les ruines de Tantique abbaye completent le tableau. ecrites. 



WOTES. 

Endroit oil s'eleve Andlau, d'oii vient ce nom, lieux enchantes, as- 
pect de la petite riviere , suite de cascades, par quoi se distingue la 
jolie ville d'Andlau. Ce qui domine la montagne, ruines que Ton voit 
plus bas, ce qu'elles completent. 



III. 

C'est la que vivait, il y a peu d'annees, une famille honorable, dont 
le nom 6tait Watter. Le pere, homme d'un grand savoir, d'une bont^ 
in^puisable, exer<^it la m^decine, et tous les moments que ne recla- 
maient point les devoirs de sa noble et utile profession , il les consa- 
crait a Tdducation de ses enfants. M . Walter ^tait bien second^ dans 
ce soin important par sa digne epouse, qui, veritable mere de famille 
chr^tienne, ne negligeait rien pour developper dans ces jeunes coeurs 
les pr^ieuses semences de la vertu. Ces enfants, au nombre de huit, 
quatre garqons et quatre fiUes, d'dges et de caracteres differents, re- 
cevaient done de leurs parents, non-seulement la meilleure Education, 
mais encore Texemple habituel de toutes les vertus qui font a la fois 
le Chretien et I'honn^te homme. 

NOTES. 

Qui vivait dans cet endroit. Savoir, bonte , profes$>ion du pere , a 
quoi il consacrait ses loisirs. Qui secondait M. Watter, quelle personne 
^it son ef ouse , ce qu'elle s'effor^ait de developper dans leurs jeu- 
nes coeurs. Nombre des enfants, leur difference d'dges et de carac- 
teres, ce qu'ils recevaient de leurs parents, ce que font les vertus. 



2(8 l>KllXII^:!Vli: PABTIK. 

DCS IV. 

larratious 

Les domestiques de la maisou, bien traites par les mattres, regar- 
d's par eux comme des membres de la famille, entraienl dans leurs 
vues a cet 'gard ; aussi les plus jeunes des enfants, qui ne pouvaient 
encore s'astreindre a manger proprement a la table des parents , 
etaient-ils confix, sans aucun inconvenient, pendant I'heure des re- 
pas, k une gouvemante attentive et soigneuse, et ils ne rentraient dans 
la salle a manger que lorsqu'on avait desservi. 

La petite Marie, qui venait d'achever sa quatrieme annee, avait un 
graod desir de s'asseoir a la grande table avec ses frercs et ses soeurs ; 
et plus d'une fois , quand elle voyait porter le dtner dans la salle , 
elle 'chappait a la vigilance de sa gardieune , et cherchait a pen'trer 
dans le lieu eucore interdit a son §ge et a la turbulence de ses ma- 
ni^res enfantines. 

NOTES. 

Traitement 'prouv' par les domestiques, comme quoi on les re- 
gardait, en quoi ils secondaient les parents. A qui on confiait cer- 
tains enfants, pour quelle raison, a quel moment, quand ils rentraient 
dans la salle a manger. 

Age de la petite Marie, ce qu'elle desirait vivement ; a la vigilance 
de qui elle 6cbappait souvent, dans quel endroitelle cherchait a pe- 
n'trer, h quoi cet endroit 'tait interdit. 



Un jour que la porte etait restee entr'ouverte, et que la famille se 
trouvait dej^ r'unfe autourdela table, Marie s'approcha a petits pas 
et se glissa sans bruit dans la salle. En ce moment, un de ses fibres 
prononcait a haute voix une courte priere, pendant laquelle le Teste 
des convives demeurait les mains jointes et dans une attitude respec- 
tueuse. Marie imita machinalement cette action, dont elle ne com- 
prenait pas le motif ; mais bientot rappelee par sa gouvemante , et 
distraite par rexcellente soupe au lait sucre que lui servit cette der- 



CHAPITRE SEPTlfeME. 219 

niere, IVIarie oublia promptement cette drconstance. Opendant, 

quelques heures apres , se trouvant seule aiipr^ dc sa m^rc, ct tan- narrations 

dis que celle-ci etait occupee a travailler, le souvenir de ce qu'elle icritcs 

avait vu revint a la memoire de la petite, qui demanda alors a sa 

m^re pourquoi , avant de manger la soupe , tout le monde avait ainsi 

joint les mains. 

NOTES. 

£tat de la porte un jour, autour de quoi la famille ^tait r^uuie, 
comment Marie s'approdia et ou elle se gltssa. Paroles qu'un de ses 
fr^res prononcait , comment se tenaient les autres convives. Ce que 
Marie imita, ce qu'elle ne comprenait pas ; par qni elle fut rappel^ , 
distraction qui lui survint, ce qu'elle oublia. Aupr^ de qui elle se 
trouva quelques heures apr^s^ ce que faisait sa mere, souvenir 
qui revint a la memoire de Tenfant , question qu'elle adressa a sa 
m^re. 



VI. 

— C'est un temoignage de respect que nous rendions a notre P^re 
celeste, r^pondit roadame Watter. 

— Comment, est-ce que nous avons un autre p^ que papa 
Watter? 

— Qui, ma fille, et ce Pere celeste, c'est le bon Dieu qui demeure 
au ciel, la-haut au-dessus des nuages; il est le p^xe, non^seulement 
de tons les hommes , mais encore de tout ce qui vit sur la terra. Nous 
ne pouvons le voir, parce que nos faibles regards ne sauraient p^e- 
trer jusqu'a lui ; mais il remplit tout I'univers de sa presence. Sans 
ses soins et son amour pour nous , il ne croltrait ni fruits, ni fleurs , 
m U^ pour faire du pain, ni raisin pour faire du vin, ni troupeau 
pour nous donnerdu lait, du beurre, de la viande, de la laine, ettout 
oe qui sert k nous v^tir, k nous nourrir. Ton pere et moi , nous som- 
mes de bcms parents, nousaimons tendrementnos enfants ; mais Dieu 
est encore bieu meilleur que nous, et il vous aime infiniment plus 
que nous ne saurions le faire ; ton pere salt heaucoup de f hoses, mais 
le bon Dieu est hien autrement savant, car il sait tout, il voit tout. 



Des 
larratious 
Rentes. 



220 DEUXlfiME PARTIE. 

il eutend tout , il connatt jusqu'a nos plus secretes pensees , et rien 
n'est impossible a sa puissance. 

NOT£S. 

— Teuioignage que la famille reudait a Dieu. 

— Question de Marie a propos de son pere ? 

^ Madame Watter explique a Marie qui est ce Pere celeste, ou il 
habite ; de qui il est le pere. Pourquoi nous ne pouvons le voir , de 
quoi il remplit Tunivers. Ce qui ne croltrait point sans lui, fruits , 
fleurs, ble, raisin, troupeau. Ce qu'est le pere ainsi que la mere, qui 
lis aimenttendrement, qui Dieu aime encore davantage; savoir etendu 
dupere, savoir superieur de Dieu, ce qu'il sait,voit, entend, connatt^ 
son pouvoir sans bomes. 



VII. 

— Oh , que c'est drole, maman ! est-ce que, quand je parle au bon 
Dieu qui est la-haut, il entend ce que je lui dis, comme toi et papa 
vous m'entendez lorsque je vous parle ? 

— Assur^ment, ma chere enfant, il voit egalement tout ce que tu 
fais : par exemple, lorsque je te defends une chose que je juge ^tre 
mauvaise, et que tu veux ^tre un enfant d^ob^issant, tu peux bien 
faire en mon absence la chose d^fendue sans que je le sache ; mais Dieu 
le salt, parce qu'il est present partout comme Fair qui nous envi- 
ronne : ainsi quand tu es mechante, menteuse, gourmande, entetee 
ou col^, le bon Dieu te voit, et il est m^content de toi. 

NOTES. 

— Exclamation de Marie ! elle demande si le bon Dieu Fentend 
comme ses parents I'entendent ? 

— Sa mere lui repond que Dieu voit aussi ses actions ; si elle en- 
freint une d^ense de sa m^e, elle peut bien faire mal sans que celled 
le sadie ; Dieu ne Tignore point, sa presence universelle; quand la pe- 
tite fille s'abandonne aux d^fauts de son age , elle est vue de -Dieu , 
qu'elle meeontente. 



CHAHTKE SEFriKME. 22 1 



VIII. Des 

narrations 



— £st-ce qu'il peut aussi me punir comme tu me punis quelquefois 
qaand je n^ai pas ^t^ sdge ? 

— Qui , mats ce n*est pas de la mime maniere. Dieu te pimit par 
le trouble d'une mauvaise conscience, c'est-a-dire que, lorsque tu as 
fait quelque chose de mal, une horrible inquietude t^agite et te tour- 
mente ; tu crains que tes parents ou d*autres ne d^couvrent la faute « 
et quils ne te punissent ou ne te m^prisent a cause de cela ; quand tu 
es prite a commettre une mauvaise actioo , il y a en toi quelque chose 
qui te dit : Cela est mal! C'est ce qu'on appelle la conscience, c'est 
la voix de Dieu qui f avertit ; toutes les fois que tu ob^iras ^ cette 
voix secrete, et que tu t'abstiendras de mal faire, tu seras une bonne 
et sage petite fille, que Dieu aimera et que tout le monde cherira; 
mais si tu dedaignes cet avertissement salutaire, si tuneveuxsuivre 
que ton mauvais penchant, tu d^sob^iras a Dieu , tu afHigeras tes 
parents, et tu n'auras plus droit a Testime de personne. 

NOTES. 

^ Question de IVlarie concernant la punition divine. 

— Explication donn^e par la mere. Trouble d*une mauvaise cons- 
cience, inquietude qui suit le mal ; crainte des suites d^une d^cou- 
verte; avertissement int^rieur, prec^dant une action reprehensible ! 
Cette voix a un nom^ de qui elie est Tavertissemeut ; obeir ^ cette 
voix et se garder du mal, c'est bonte et sagesse , amour de Dieu et 
affection generale ; mepris de cet avertissement , entetement a mal 
faire, desobeissauce envers Dieu , affliction pour les parents, perte de 
la bonne opinion du monde. 



ecntes. 



IX. 



Cette reponse fit beaucoup reflechir la petite Marie. L'idee qull y 
avait un etre plus grand , plus puissant et plus savant que son papa ; 
qui voyait toutes ses actions et entei\dait toutes ses paroles , frappa 
son jeune esprit: elle devint des lors une gentilleet sage petite fille , 



222 DEUXlfeME PARTIE. 

~~ attentive a ^viter tout ce qui etait mal et tout ce qui pouvait deplaire 
iiamtioiib ^ ^^^ ^^^^ si boil qu'on appelait le bon Dieu, et qui Taimait comme 
cerite*. uji p^re. 

Quand ses parents eurent remarqu^ ces heureux cbangements chez 
Marie, ils Tadmirent au rang de ses freres et soeurs. Le jour ou son 
pere, apres une courte absence, se retrouva au milieu de sa fanulle, 
on pla^a pres de lui une haute chaise, ou la petite fille , toute fiore 
et toute joyeuse, vint s'asseoir, et par sa raison, sa propret^ et sa 
bonne tenue, se montra digne de Fhonneur qui venait de lui dtre ac- 
cord^. 

NOTES. 

Effet de cette r^ponse sur Marie. Idee qui frappa son esprit; ce 
qu'elle devint, a quoi elle fnt attentive. 

Ce qtte firent ses parents, cet heureux changement remarque. 
Quel meuble on pla<^ aupr^s de son p^re , reveuu d'un long voyage, 
ou la petite fille prit place, qualit^s qui la rendirent digne de cette 
distinction. 



On a sans doute remarque que, dans les Notes ci- 
dessus , nous avons conserve la ponctuation du texte 
original. Cette precaution facilite le travail de T^l^ve : 
il trouve en quelque sorte tout prepare le cadre de 
chacune de ses phrases. 

Lorsque le maitre, satisfait des premieres narrations 
ecrites de ses eleves, les croit en etat de se passer de 
ces notes detaillees, qui le maintiennent comme des 
lisieres pour le preserver de chutes par trop lourdes, 
on doit adopter une marche en rapport avec les pro- 
grfes r6alis6s. II suffira alors de dieter un simple ar- 
gument^ qui resume convenablement les parties les 
plus saillantes des compositions a rediger. La maniere 



CHAPITKE SEPTlfeME. 223 



ecntes. 



dont ces arguments sont presentes,'influe beaucoup 

sur le plus ou moins de bonheur avec lequel nos eleves narratioas 

executent leur travail. Nous pensons que, dans le 

commencement, il est bon de trancher nettement les 

diverses parties de ces r6sum6s ; on fera m6me trfes- 

bien de les num^roter, comme dans Texemple suivant, 

que nous empruntons a un ouvrage utile a consulter * . 



L'fiGUSE DE VILLAGE. 

ARGUMENT. 

Le tableau a tracer se divisera en trois parties : l"" FefTet lointaia de 
r^glise avec son clocher ; 2<' le cimetiere, a I'entr^e du temple , les 
croix de bois, Fherbe qui pousse sur les tombes ; S"" I'interieur de 
Teglise, la simplicite des omemeuts, la solitude de la nef et du cho&ur, 
ou Ton n'apercoit qu'une vieille femme en priere. 

Conclusion : la vue de ce temple rustique inspire des sentiments 
plus religieux que les eglises les plus vastes et les plus riches. 

DEVELOPPEMENT. 

Voyez-vous ce temple rustique, baiti sur le sommet d'une colline , 
et entoure de vieux ormes, qui semblent ses contemporains ? La 
fleche gothique s'^leve au-dessus des arbres , et se detache dans un 
del pur, avec les grolles et les comeilles qui voltigent autour d'elle. 
Approcbons : deja nous sommes dans Tencante funebre qui environne 
I'eglise ; aucun monument ne frappe nos regards ; Therbe a reconvert 
d'elle-m^me la tombe du laboureur qui ne fait plus la moisson, et 
quelques croix de bois , qui ne r^sisteront pas au premier orage, 
attestent seules les pertes les plus r^entes du hameau. 

La porte de T^glise est ouverte, mais personne dans le temple : ce. 

' Nouvelles narrations francaises , par M. A. Filon. A Paris, chez L. Ha- 
ehette. 



224 DEUXifiME PARTIE. 

n'est point l*heure de la pri^re , et tous les villageois se Hvrent a leurs 
narratfoiLs ^^^^aux accoutumes. Cependant une femme prostern^e prie seule, 
ecrites. derri^re un pilier. Vieille et pauyre, elle a droit au respect comme 
h la piti^ : dans la plus humble condition , sous le costume le plus 
grossier, la vieillesse imprime au front de I'homme un caract^ 
sacr^. Que demande cette femme avec tant de ferveur ? Est-ce le salut 
d'un mari mort jadis k Tarm^e , ou la vie d'un fils malade dans une 
chatimi^re voisme ? Dieu le sait ; mais, quel que soit le motif de sa 
pri^re, la pr^ence de cette pauvre femme semble ajouter quelque 
chose k la saintet^ du lieu ; et ces murs noircis, que ne d^core aucun 
chef-d'oeuvre des arts, cette image de la Vierge grossierement taill^, 
ces autels de bois , qui n'ont d'autre omement qu'une croix entour^e 
des fleurs de la saison, tous ces objets enfin, dans leur naive simpli- 
city , inspirent une Amotion plus religieuse , un recueillement plus 
profond , que les temples les plus om^s et les plus majestueuses 
basiliques 



Nous arrivons au troisifeme et dernier genre de nar- 
rations ecrites. Maintenant que nos el^ves, soigneu- 
sement exerc6s, sont quelque peu brisks sur la facture 
de la phrase francaise, nous pouvons, sans trop d'in- 
convenient, leur laisser plus de liberte dans leurs 
compositions. A cet effet, renonqant aux notes et aux 
arguments, nous nous contenterons de leur lire les 
narrations qu'ils seront appeles a reproduire par ecrit. 
N'oubliant point cependant que nous avons affaire k 
des Strangers , pour qui maintes choses , famili^res a 
Televe francais, apparaissent comme des revelations 
et des d^couvertes, nous agirons avec sagesse si nous 
leur signalons, soit une expression que nous desirous 
voir figurer dans leur ouvrage, soit une pensee ou un 
tour de phrase empreints de sentiment, de delicatessen 



CHAPITRE SEPTlfiME. 225 

d'originalit6. Nous n'entrerons pas dans plus de details ^ 
k ce sujet; nous en avons assez dit pour les maitres "anxious 
capables, et c'est a ceux-la seuls que nous nous 
adressons. 

II y a de malheureux 61^ves pour qui la nature est 
una si cruelle marSltre, qu'ils ne sont pas mSme capa- 
bles de rediger ces petites narrations ; lectures et notes 
n'y font rien. Et cependant nous pouvons d'autant 
moins les abandonner a leur triste sort, qu'on voit 
tons les jours des jeunes gens, dont on commencait i 
desesperer, se developper comme par enchantement , 
et recompenser enfin la Constance de leurs mattres. 
Voici la maniere dont nous procedons avec ces fetres 
dignes de tout notre interSt. Nous leur lisons trois 
on quatre phrases, quelquefois moins, jamais plus; 
celles-ci, par exemple, qui sont tir6es du Premier soir 
de la Pluralite des rnondes : 

« Nous alldmes done im soir apres souper nous promener dans le 
M pare. II faisait un frais d^licieux, qui nous r^compensait d'une 
« journ^e fort chaude que nous avions essuyee. La lune ^tait lev^e il 
« y avail peut-^tre une heure , et ses rayons , qui ne venaient a nous 
« qu'entre les branches des arbres , faisaient un agr^able melange 
« d'un blanc fort vif avec tout ce vert qui paraissait noir. » 

Nous leur lisons done ces phrases, jusqu'a satiete, 
s'il le faut. Ensuite nous leur dictons les mots ^ui- 
vants : 

Mler^ soir, souper ^ promener^ pare. 

Faire frais delicieux ^ recompenser ^ joumie chaude^ essuyer, 
Lune levee, heure^ rayons^ venir entre^ branches, arbres, faire 
agreable mdange^ blanc fort vify vert^ paraiire noir, * 

15 



256 DEtJXlEME PARTIE. 



rentes. 



~^ ' Bien que ces signes isol^s ne soient tinis entre eiix 
iiari-atious pap BXLcuu Hen perceptible , il y a ea^emble enXve 
tontes ces idees^ et il ne faut qu'un leger travail pour 
reconstruire les phrases d'ou ces mots sont tires. 

Quand DOS pauvres d'esprit seroDt Assez forts pour 
qu'oQ cesse de les mener aiasi par la main, on peut 
jTaire. un p^ de plus^ et rendre progressivement leiur 
tacbe plus difficile. On ne leur donnera plus alors^ 
gur les {^ases de Fontenelle citees tout a I'heure^ que 
les notes que voici : 

. Soup^Tj promenade, parc^ FraicheuVf Ugriabk campensaiion^ 
Clair de lune, vive hlancheur^ arbres, vert noir. 

Dana ces notes, toute pensee, quelque niinime 
qu'elle soit, so trouve representee parle mot genera* 
teur lui-mfeme, et Televe, avec un tantinet de sagacite, 
parviendra a retablir un texte, et a lui donner avec le 
texte original 9 sinon une ressemblance frappante, du 
moins un air de parent^ assez proche. Assortissant 
les mots ci-dessus, il dira peut-§tre : 

Apres le souper, on fait at«c plaisir une promena^ danfii nn pare. 
La fralcheur de Tair a ce moment est une agr^able compensation des 
cbaleurs de la joumee. Le clair de lune r^pand une Tive blancheor 
sur la terre, et forme un doux contraste avec le Tert nohr du feoillage 
des ari)res. 

et il n'aura pas mal employ^ les Elements de compo- 
sition qui lui out 6te confies. 

La reconnnandation que nous avons faile pour, tous 



CHAPITRE SEFnfiME. 227 

les ouvrages deja passes en revue, nous la renouvelons T 
pour les narrations ecrites : il ne faut point negliger, narrations 
una fois qu'elles ont subi les corrections necessaires, 
de les mettre au net dans un cahier a part , qui sera 
peut-6tre un jour de quelque utilite. 



vra. 

M^u slyle epistolaire. 

Un des emplois les plus importauts d'une langue 
c'est, sans contredit, la correspondance : ecrire une 
lettre est un besoin frequent, souvcnt une affaire 
grave, d'ou dependent les plus serieux interfets. Que 
de soins ne faut-il done pas apporter a s*instruire des 
regies de Tart 6pistolaire? Dans le flux de la conver- 
sation, une parole echappee se dissipe ordinairement 
dans les airs, sans aucune suite bien facheuse; dans 
une lettre, au eontraire, tout porte, parce que tout 
est sens6 reflechi, pes6, ecrit avee intention. Le lec- 
teur juge rigoureusement pens4es et expressions, style 
et motifs ; un mot devoile une quality, trahit un vice, 
donne la mesure de nos capacit6s^ met a nu le faible 
de notre Education. Le bonheur, la carrifere d'un 
homme n'a-t-elle pas souvent d^pendu de quelques 
lignes de sa main ? 

Nous n'appuierons pas davantage sur I'importance 
de Tart epistolaire ; il est le m^me pour toutes les na- 
tions, pour tons les idiomes. Notre tllche ici, c'est 
d'initie^* le lecteur aux caractferes qui le distinguent 
dans la langue franqaise. 

Nous crayons pouvoir avancer, sans exag^ration ni 
vanity , que Tart epistolaire a atteint en France , plus 



CHAPITRE UUITIEMK. 329 

' que partout ailleurs, le supreme degr6 de perfection 

La lettre etait cultivee chez nous que la litt^rature de ^^toiaire. 
plus dune nation etrang^re donnait a peine signe de 
^ie. Qu'on cherche ou Ton voudra la raison de cette 
suprematie, les monuments de notre langue dans cette 
.l)ranche litteraire depassent ceux de tous les autres 
peuples civilises. Serait-ce parce que notre langage est 
par excellence celui de la conversation ? En trouvera- 
troa la cause dans Tesprit facile, communicatif et 
i^oulant des Francais, dans la simplicity de notre cons- 
truction , dans notre syst^me verbal? Serait-ce dans 
I'heureuse absence de ce fatigant ceremonial, si cher 
^ certaines nationalites ? Ces avantages r^unis contri- 
l>uent efficacement a nous assurer une preponderance 
qu'on n a jamais ose contester a notre nation. 

Tout le monde connatt Tinimitable correspondance. 
<tes Sevigne, des Maintenon. Yoiture, malgre son af- 
feterie, Racine, Boileau, Voltaire, les Rousseau, et 
cent autres, nous ont laisse de nombreux sujets d*e- 
tudeetd'admiration. Nous trouvons. dans leurs oeuvres 
epistolaires des lecons pratiques de style, de conve- 
nance surtout. Cette derniere qualite est la plus pre- 
eieuse a acquerir; celui qui ne la possede pas, doit y 
tendre de tous ses efforts. U serait en effet souverai- 
nement ridicule d'6crire une lettre de condoleance sur 
un ton leger, de narrer une partie de plaisir en termes 
boursoufles et emphatiques. L'etude des ecrivains 
: modeles est le moyen le plus sur de se former dans 
les divers genres ; en observant les ressources qu'ils 
ont exploitees pour traiter de sujets varies, on par- 



wo DEUWftME PARHE. 

viendra a se plier a foutes lea exiireiices d'une coiv 

Dii style T / , 

epistoiaire. rasponoaiice 6teiidae. 

Le ceremonial est le principal et peutp^tre rmit({ae 
point ou les Eltrangers et les Francis different dans 
Tart epistolaire. En beattcoup de pays on aime k don- 
ner et a recevoir en retour certains titres^ auxquels 
on tient asse^ ; en France, on est sans pretentions k 
cet egard. Le point exclamatif se dresse cd, et Ik dans 
la correspondance de beaucoup d^ftrangers, comme 
pour en faire les honneurs ; jamais il ne manque en 
tdte de Tepttre , apr^s le titre du personnage k qui 
Ton 6crit^ quelque minime que soit d'ailleurs le Tang 
qu'il oecupe dans la soci^te. Chez nous, dans ee cas, 
I'empldi d^une simple virgule est commands par Tu- 
sage et la logique, le point dit d'e&clamation n'aceom- 
pagnant jamais qu'un cri dejoie, de surprise/ d4ndi- 
gnation* En beaucoup de pays, chaque ^tat exige 
imperieusement la formule honorifique k laquelle Tu*^ 
sage lui donne droit ; et il y en a parfois tout un ar- 
senal. En France, le titre de Monsieur va a presque 
toutes les conditions. Sous ce rapport, nous avons au 
moins Tavantage de la simplicite. Ecrivonfr-nous a 
quelqu'un de haut place, la troisieme personne sin^ 
guliere est une marque de deference et de respect; 
mais il serait difficile de se tenir longtemps sur ee 
ton; nous reprenoas done, ausst naturellement que 
possible^ la seconde personne du pluriel. 

Tons les evenements de la vie peuvent mettre dans 
la necessite d'ecrire une lettre; ie genre epistolaire 
est, de la litterature, celui qui offre le plus de diversite 



CHAPITRE HUmi^Me. 331 

dans ses ramifications infinies. II y a ies lettres de 

, , . I>»i style 

narration^ celles de morale^ de bonne annee^ Aefeli-- epistoiaire;. 
4:iiaiion, ^ins^tationy de condoleunce ^ ^^ remercU 
juent^ d^mUeUy de recommafjtdatiofi y di' affaires ^ etc. 
Pour suivre la marche que nous avons adoptee, 
nous allons donner un modele de ces lettres ; les per- 
sonnes qui desireront de plus amples details^ p^uveat 
M*ecQurir aux ouvrages spedaux : elles a auront que 
I'embarras du choix. Nous croyons prevenir le v<Ba 
^e nos lecteursy en faisant preceder chacun des mo- 
^eles cites des preceptes qui le regissent. Nous ob-. 
^^rverons qu'en r^le generale la simplicite sied a 
fcoute correspohdance. Cette sentence d'un ar^cien : 
.A^erba volant y scripla nianent^ doit nous engager vir 
^%/coient i la discretion. 



1. 
LErrRt;s de narration. 

Ites ces lettres , tout doit couler de source. La g^ne ea sera ban- 

^^ie^ de mtoeque Fempfaase. La narradoB doit toe facile, piquante, 

^^apide, pleine de d^nvolture* Baimissons-eii lesambages, les rediles, 

^ «s inutilites. Plus on dira de ehoses en peu de mots, plus on approdiera 

w3e la perCectioii. ^La lettre ci*^essous, qui est cit6e dans tous les 

^-eeueils, est, dans le genre, le modele des modeless A cette oceasien, 

^ftous resomiBandons fortement la lecture de la correspoftdanoe de 

^auNLoul^ qui est, comme toutes ses ceuvres, empreince d'une a4- 

^nirable fabiit^. On trouvera ^galement plaisir et profit ^ lite le 

Voyage aM4aur de- mon Jardin du spirituel et incisif Alphonse 

Karr, 



S 



:i32 DEUXXEMK PAR'nR. 



le Module. 

nr. 



PAUL-LOUIS COURRIER A MADAME PIOALLK. 

HMna, pres de Portici, l*** septemlNne 1807. 

Vos lettres sont rares , 'chere cousine ; vous iailes bien, je my 
accoutumerais, et je ne poorrais plus m^en passer. Tout de bon je 
suis en colere : vos douceurs ne m'apaisent point. Comment, cousine, 
depuis trois ans voila deux fois que tous m'^riveae ! En r^rite, 
mamselle Sophie... Mais quoi ! si je vous quereUe vous ne m'6crirez 
plus du tout. Je vous pardonne done, crainte de pis. 

Qui sArement, je vous conterai raes aventures, bonnes et mau- 
vaises, tristes et gaies, car il m*arrive des unes et des autres. Lais^ 
sa-nous faire^ cousine, on vous en donnera de toutes ies farons. 
Cest un vers de la Fontaine, demandez u Voisard. Mon Dieu, 
m*allez-vous dire, on a lu la Fontaine : on sait ce que c*est que Ip 
Care et le Mort! Eh bien, pardon. Je disais done que mes aven- 
tures sont diverses, mais toutes curieuses, int^ressantes : il y a plaisir 
a les entendre, et plus encore, je m'imagine, a vous les center; 
c'est une experience que nous ferons au coin du feu quelque jour ; 
j'en ai pour tout un hiver. J'ai de quoi vous amuser, et par conse- 
quent vous plaire, sans vanite, tout ce temps-la ; de quoi vous atten- 
drir, vous £eiire rire, vous faire peur, vous faire dormir. Mais pour 
vous ecrire tout, ah ! vraimcut vous plaisantez ; madame Ratdiff n*y 
suffirait pas. dependant je sais que vous n^aimez pas h ^tre refusee, 
et comme je suis complaisant, quoi qu'on en disc, voici en attendant 
un 6chantiUon de mon histoire; mais e'est du noir, prenez-y garde. 
Ne iisez pasceia en vous couchant, vous en r^veriez, et pour rien au 
monfle jene voudrais vous avoir donn^ le cauchemar. 

Un jour je voyageais en Galabre ; c'est un pays de m^chantes geps 
qui, jecrois, n'aiment personne, et en veulent surtoutaux Francis; 
de vous dire pourquoi, cela serait trop long ; suftlt qu'ils nous hais- 
sent a mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe 
entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d*une 
figure... ma foi, comme ce uiousieur que nous vimes a Rincy ; vous 
en souvenez-vous? et mieux encore peut-dtre. Je ne dis pas cela 
pour vous interesser, mais parce que c*est la verite. Dans ces mon - 



CHAPITRE HUmtlME. 2S3 



tagnes led chemins sont des precipices; nos chevaux marchaient avec , 

beaucoup de peine ; mon camarade allait devant ; un sentier qui lui epistolMn 
panit phis praticable et plus court nous ^gara. C'^it ma faute; de- 
vais-je me fier a une t^te de vingt ans? INous cherchdmes tant qu'il 
fit journotre chemin h travers ces bois; mais plus nous cherchions, 
plus nous nous perdions, et ii ^it nuit obscure quand nous arri- 
vdmes dans une maison fort noire ; nous y entrdmes, nou sans soup- 
9on; mais comment faire? La nous trouvons toute une famille de 
chaiiionmers a table, oil du premier mot on nous invita ; mon jeune 
honme ne se fit pas prier : nous voil^ mangeant et buvant, hii du 
moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hdtes. Nos 
hdtes avaient bien la mine de charbonniers, mais la maison, votis 
Tcussiez prise pour un arsenal ; ce n*6taient que fusils, pistolets, 
sabres, oouteaux, coutelas. Tout me d^plut, et je Tis bien que je 
d^plaisais aussi ; mon camarade au contraire, il ^tait de la (iatmille, 
il riait, il causait avec eux ; et, par une imprudence que j*aurais dtH 
pr^voir (mais quoi, il est ecrit...)i il dit d'abord d'ou nous venions, 
bu nous allions, que nous ^tions Fran^ais ; imaginez un peu, chez nos 
plus mortels ennemis, seuls, egar^, si loin de tout secours humain! 
Et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit 
le riehe, promit a ces gens pour la d6pense, et pour nos guides le 
iendemain, tout ce qu'ils voulurent. Enfin il paria de sa valise, pildnt 
fort qu'on en edt grand soin, qu'on la mtt au cheret de son lit ; il ne 
Toulait point, disait-il^ d'autre traversin. Ah! jeunesse! jeunesse! 
que votre dge est k plaindre! Cousine, on crutque nous portions 
les diamants de la coiironne... Le souper fini, on nous laisse; nos 
hdtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute ou nous avions 
mang^. Unesoupente ^iev^e de sept a huit pieds, ou Ton montait 
par une 6chelle, c'^tait le coucher qui hous attendait, espece de nid 
dans lequel on slntroduisait en rampant sous des solives cfaargees de 
provisions pour toute Tann^e. Mon camarade y grimpa seul et se 
concha tout endormi, la t^te sur la precieuse valise ; moi, d^termitie 
a veiller, je fis bon feu et m'assis aupres. La nuit s'^tait d^ja pass^e 
presque enti^re assez tranquillement, et je commen<;ais k me rassu- 
rer quand sur Theure ou il me semblait que le jour ne devait pas dtre 
loin, j'entends au-dessous de moi notre hdte et sa femme parler et se 
disputer ; et pr^tant Toreille par la cheminee qui commuuiquait avec 
celle d'en bas, je distinguai ces prupres mots du mari : Eh bien ! 



\ 



214 DEUXifeME PARTI E. 

" enfin^ voyons, faut-il les ttier Ums deux f A quoi la femme r<&- 

*^|'^^® pondit oui; et je u'entendis plus rien. 

Que Yous dirai-je? Je restai respirant a peine, tout mem corps 
froid comme un marbre ; a me voir vous n'eussieK 6U si j'6tais mort 
ouvivant. Dieu! quandj'y pense encorel..» Noui» deux piesfue mxm 
acmes, contre eu\ douse ou quinze qui en ayai«at tantl el vuqux 
camarade mort de sommeil et de fatigue t Uappeler, faire da iwuity 
je n'osais; m'echapper tout seul, je ne poavais; la fen^tre n't^tait 
gu^ haute, mais en bas deux gros dogueshurlant comme dies loups» 
En quelle peine je me trouvaisl Imaginez-^le si vous pouvez« Au bout 
d'lm grand quart d'heure, qui fut long, j'entendis sur Tesoalier qud^ 
qu'un, et par la fente de la porte je vis le p^re, sa lampe dans unc! 
main, dans Fautre un de ses grands couteaux. II montait, sa fmune 
apres lui, moi derriere la porte; W ouvrit, maisavantd'entrer il posa 
sa lampe, que sa femme vint prendre, puis il entre pieds nua, el eUe 
dehors lui disait a voix basse, masquant avec ses doigts le trop de 
lumiere de la lampe, doucement^ va doueement. Quand il fut a 
r^helle, il monte, son couteau dans ks dents, et venu a la hauteur 
du lit, ce pauvre jeune homme et^du, offrant sa gocge d^oouvertie, 
d'une main 11 prend son couteau, et de Tautre^* Ah ! cousinel... il 
saisit un jambon qui pendaitau plancher, en coMpe une trwiche€t se 
retire conmie il etait venu. la porte se referme, la lampe u'esa va, eC 
je reste seul a mes reflexions. 

Des que le jour parut, toute la fa^iille a grand bruit vini notta ifeil* 
ler, comme nous Tavions recommand^. On apporte a manger, oa 
sert un dejeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons 
en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hotesse, emporter run 
et manger Tautre. En les voyant, je compris enfinle sens de ce&ter- 
ribles mots : Faut^l les tuer tous deux ? Et je vous crois, oousine, 
assez de penetration pour deviner a present ce que cela signifiaiU 

Cousine, obligez-moi; ne contea point cette histcnre* D'abord, 
comme vous voyez, je n'y joue pas un beau role, et puis vous me ia 
g^teriez. Tenez, je ne vous flatte point : c'est votre figure qui Bulrait 
a Teffet de ce recit. Moi, sans me vanter, j'ai la mine qu*il faut pour 
les contes a faire peur» Mais vous, voulez^vous oonter? prene^ des 
sujets qui aillept a votre air, Psyche, par exemple. 



CHAPITRE HUlTlfiME. ns 

W, . Du style 

epistolaire. 

LETTRES DE MORALE. 

Les lettres de morsde dotvent toujourg ^tre dittos par te bon b^ib 
et la Tai8(m. U faut 1«8 puiser dans son coeur, plut6t que dans son 
esprit. GardonS'^nous de d^ayer dans un maleneontreux verbiage ee 
qui gagne, m contraire, k dtre pr^sent^ arec une concision correcte. 
AjoQtoDs qu'il ne sied gtt^re de faire les moralistes h des gens qui 
auiaient enx-m^mes besoin de le^ns : c*est s'exposer k voir r^tor- 
quer ses argoments. On pent s'appuyer des moralistes, mais, en gi§- 
n^l, il faut ^tre sobre de citations. 



Module. 

StLViO PfitLlOO ▲ ON JSUNB HOMM£i 

Tti as des fr^res et des soeurs ; fais en sorte que l*amour que tsu 
dois a tes semblables commence h se r^aiiser en toi, dans toute ^ 
perfection, d'abord envcrs les auteurs de tes jours, puis envers ceux 
qui te sont unis par 4a plus etroite des fratemites, celle d'etre n^s 
des m^mes parents que toi. 

Pour bien pratiquer )a divine science de la charit^ envers tous les 
hommes, iF faut en faire Tapprentissage en famille* 

Quelle douceinr n\y a-t-il pas dans cette peusee : Nous sommes 
enfants de la m^me mere I Quelle douceur encore d'avoir troav6, a 
peine venus au monde, les memes objets a ven^rer avec predilec- 
tion I L'identite du sang et la ressemblance de beaucoup d'habitudes, 
entre freres et soeurs, font nattre tout naturellement une forte sym* 
pathie, qui ne pourrait ^tre detruite que par un horrible egoisme. 

Si tu veux Stre bon frere, garde»toi de ce vice; propose- toi chaque 
jour d'etre g^n^reux dans tes relations fratemelles ; que chacun de 
tes freres, que ehacuoe de tes soeurs voie que ses int^r^ts te sont 
aussi chersque les tiens. Si Tun d'eux fait une faute, sois indulgent 
pour lui, non-seulement comme tu le serais pour m autre, mais 



236 DElJXifeMK PARTIE. 

* plus encore. R6Jouis-toi de leurs vertus; imite-les, et excite-les par 

' t *la I ^^ exemple ; fais qu'ils benissent le sort de t'avoir pour frere. 

lis sout infinis les motifs de douce reconnaissance, de soins affec- 
tueux, de tendres craintes, qui c<mlribuent sans cesse a alimenter 
I'amour fratemel ; mais il faut n^anmoins y r^fl^chir , autrement ils 
passent souvent inaper^us. Commandons-nous de les sentir. Les sen- 
timents exquis ne s'acquierent qu avec une ferme volont^. De m^e 
que nul ne devient savant en poesie ou en peinture sans F^tude, nul 
aussi ne comprend Texcellence de Taraour fratemel, ou de quelque 
autre affection noble, sans une constante volont^ de la comprendre. 

Que rintimite domestique ne te fasse pas oublier d*4tre poll avec 
tes freres. 

Sois plus aimable encore avec tes sceurs. Leur sexe est doue d'une 
grdce puissante. Elles se servent ordinairement de ce don celeste 
pour ^gayer la maisou et en bannir la mauvaise humeur, pour adou- 
cir les reproches patemels ou matemels qu'elles entendent quel- 
quefois. Honore en elles la suavity des vertus de la femme ; r^jouis- 
toi de rinfluence qu'elles exercent sur ton ^e pour Tadoucir. Puis- 
que la nature les a faites plus faibles et plus senslfoles que toi, sois 
d'autant plus atteutif a les consoler si elleis ont de Tafflictiou, a ne 
pas les afQiger toi-mdme, a leur temoigner oonstamment reject 
et amour. 

Ceux qui contractent, entre freres et soeurs, des habitudes malveil- 
lantes et grossieres, restent malveillants et grossiers avec tout le 
monde. Que le commerce de famille soit tout a fait beau, tendre, 
saint; et quand Thomme sortira de sa maison, il portera dans ses 
relations avec le reste de la soci^t^ ce besoin d'estime^ d'affections 
nobles, cette foi dans la vertu, qui est le fruit d'un exercice jouma- 
lier de sentiments ^lev^s * . 



III. 
LETTRES DE BONNE ANNfiE. 
Ces lettres doiventdtre courtes. II n'y a que les personnes donees 

< Traduction d« madame Woillez. A Tours, rhez Mame et Gie, 1B51. 



CHAPrrRE HUITIEME. 2«7 

dun grand talent, qui puissent s'^tendre longuement sur une pa- 

reille matiere, sans tomber dans la banality , qui est Tecueil du , ^" V^'^ 

' ^ epistolaire. 

genre. On n'^crira point a un vieillard, comme on ^crirait a une 
personne dans toute la force de Tfige. 11 y a dans les lettres des con- 
venances diverses a observer. 11 est difGcile d'y r^ussir quand on 
n'ecrit que pour s'acquitter d'un devoir. En gen^ral,.sur quelque 
sujet que Ton derive, il faut en toe p^n^tr^, sans quoi on se bat en 
vain les flancs. Pour ^crire une veritable lettre de bonne ann^e, il 
faut tremper sa plume dans son coeur; demandez a M. de Lamar- 
tine si ce n'est point la une des principals regies du genre. 



ModUe. 



J. B. ROUSSEAU A M. BOULET. 

Toutes mes annees se ressemblent, mon cher Monsieur, et je n'en 
compte aucune qui ne soit marquee ou par quelque contre-temps de 
la fortime ou par quelque t^moignage de votre amiti^. Elle me tient 
lieu de tout; ainsi vous ne saurez douter de la sinc^rit^ des voeux 
que je forme pour votre sant^ et votre bonheur durant le cours de 
I'ann^e ou nous allons entrer. Mon inter^t cependant n'est pas le 
seul mobile de mes sentiments ; je sens que je sacrifierais a Taccom- 
plisssement des souhaits que je forme pour vous celui de tons les 
Yoeux que je forme depuis si longues annees inutilement pour moi. 
C'est la mam'^re de penser qui rend les hommes heureux, et je le 
serai, de la fa<^on dont je pense, tant que je pourrai compter sur votre 
fi^licit^. Permettez que mes amis trouvent ici les assurances de mon 
attachement et des voeux que je fais pour eux k Toccasion du jour 
prochain consacr^ aux t^moignages de Famiti^. La mienne, mon 
cher Monsieur, sera aussi vive et aussi durable que ma reconnais- 
sance pour vous, c'est-a-dire les sentiments avec lesquels je veux 
vivre et mourir, etc. 



2W DEUXI^ME PARTIE. 

Du style IV. 

epistolaire* 

LETTRES DE FfeLiaiATlON. 

La politesse ou le sentiment dictant ees lettres, c*est notre posi- 
tion vis-a-vis des pei*sonnes que nous felicitous, qui doit ^tre la regie 
de nos pens^es et de nos expressions. Quand nous ecrivons pour 
ob^ir k de simples convenances, il faut ^tre bref, mais sans s^he- 
resse ; avec nos parents, nos amis, nos bonnes connaissances, nous 
devons ^pancher nos sentiments, dans la mesure de la tendresse, de 
Tamiti^, de Fint^r^t, que nous portons aux uns et aux autres. 



ModHe, 



LA DUCHESSE DIT MAINE AU DUG DE VIVONIfE , SUB LA YTCTOIBE 
DS VILLA-ViaOfiA. 

S*il m*^tait aussi facile de vous faire une belle lettre qu'il vous est 
ais^ de r^tablir les rois, que d'heureuses pens^es je vous enverrais 
sur la grande nouvelle que nous appr^ons de Villa-Viciosa ! Mais il 
s'en faut bien que j'aie une f61icit6 si rare, et il vous est plus ais^ de 
gagner une bataille qu'a moi d'^crire un trait d'esprit. Je me sou- 
viens d'ailleurs fort a propos du proverbe d grand seigneur peu de 
paroles ! Les plus grands de tons les seigneurs^ selon moi, sent les 
yrais h^ros; ainsi je dois vous dire, plus laconiquement qu'lt per- 
Sonne, que vous ^tes I'homme de Tunivers le plus combl^ de gloire, 
le plus aimable, le plus aim6 de tons les honn^tes gens et de votre 
(iunille; que de tons ceux qui la composent je suis celle qui vous 
aime le plus, et qu*en vous pi^^f^rant k tons je ne crois £dre que 
mon devoir. 



V. 
LETTRES DINYTTATION. 
Ces lettres doivent, pour ainsi dire, donner un avant-goAt des 






CHAPITRR HUITIEME. 239 

plaisirs, distractions, jouitsanees, que Ton ^igag6 a venir partager. ^ 

Entre amis, une fraiiche gaiet^ ne les d^pare aucun^nent. Les let- ^"lof^J-g 
ires d'inTitation adress^ a des personnes d'une condition sop6* 
rieure^ respireront un sentiment exquis des convenances sociales. 



Module. 

A JOS^P^NE. 

Nous sommes prisonni^res depnis ce matin, mais nous aimerons 
notre prison, si vous ^tes assez bonne pour venir nous aider a passer 
gaieitient la soiree. Ne refusez pas ce plaisir a vos nouvelles amies. 

EULALIE fiT CiPHISK. 



VI. 

LETTRES DE CONDOU&ANCE. 

La meilleure maniere de calmer un peu la douleur des personnes 
qui ont. fait une perte cruelle, c^est de partager leur chagrin. Les 
lettres de condoleance demandent k £tre r^dig^es avec beaucoup de 
tact. Elles doivent g^n^ralement €tre courtes. II faut, en les 6cri- 
vant, se garder avec le m^me soin de la froideur et de Texag^ration. 
Depuis le temps qu'on en ^crit, tout ce qu'on pent dire en pareille 
circonstance, a ^t6 dit et r^pet^ mille fois. Souvent il n'y a qu'un 
nom et quelques mots a changer, pour que la m^me lettre puisse 
convenir dans des cas tout a fait differents. 



Modile. 



Madame, 

Le fils qu'une mort gkm'eute vient de vous ravir, aurait, s'il edt 
vecu^ attieint de gtam^ destinies. La patrie fbndait sur ce jeuat 
afiiner ks phis h«utt» e«pi6raBC«8. Un courage impetueux ne lui a 



240 DEUXiftME PARTIE. 

point permis de les r^aliser entierement. Ce qui cause Totre juste 

Du style douleur, remplit d'une noble flerte notre valeureuse nation. En 

epistolaire. 

mourant, votre fils a encore augment^ I'heritage de gloire de votrc 
illustre faimille. Je serais heureux, Madame, que c«tte pens^e versdt 
uu peu de baume dans votre coeur de mere, si cruellement ^prouv^. 

N. 



VII. 

LETTRES DE DEMANDE. 

Un ton humble, mais sans bassesse, et une noble modestie, doi- 
vent se faire remarquer.dans les lettres de demande. II y a bien des 
hommes dont on ne pent rien obtenir, si Ton ne flatte leur amour- 
propre ; cependaut , avant de se d^ider a toucher cette corde sensi- 
ble, il faut bien connattre la personne a qui I'on s'adresse , de crainte 
de la blesser. La m^me raison qui nous dit de caresser un peu la va- 
nite de celui dont nous r^clamons quelque service , ne nous permet 
de dire de nous-m^me que ce qu'il y a de stril;tement n^cessaire 
pour appuyer notre demande. Beaucoup de franchise ne pent qu'in- 
teresser en faveur d'une personne qui demande un service, une grdce. 



ModUe, 

Orleans. 
Monsieur et cher cousin, 

Cest II vous seul que je m'adresse ; c'est pres de vous que j'espere 
trouver des secours dans des malheurs trop accablaints pour une 
femme. Dieu m'a ravi ce que j'avais de pTUs cher sur la terre , mon 
digne ^poux. Vous savez comme il ^tait tout pour moi. II y a 
huit jours quMl me fit rappeler notre fils du college. Lorsque Maurice 
arriva pres de son lit, il lui tendit la main, et a peine lui eut-il donn^ 
sa benediction , quMl mourut. Avec lui soht passes les jours de mon 
repos et de mon bonheur. Me voilli plong^e dans T^tat le plus d^so- 
lant pour une femme et pour une m^. Encore si je soulXnis toute 



(*pi8toIaire. 



CUAPITKE HUlTlfeME. 241 

seule ! mais aupres de moi soupire mou pauvre lils. 11 ne sait pas en- 

core combien est malheureux un jeune orphelin ! 11 me brise le coeur, .'^jj^jairp 

lorsqu'il presse mes mains , qu'il prononce le nom de son pere , en 

versant des larmes et en me regardant. II n'y a qu'uue mere qui 

puisse se former une id^e de ces supplices. Je crois lire alors sur son 

visage ces tristes paroles : Maintenant, ma mere , c'est h toi seule de 

me nourrir. En quelque endroit que j'aille, il est aupr^ de moi; et il 

essuie ses yeux pleins de larmes k mes habits. Lorsque je veux cher^ 

dier il le consoler, ma tristesse m'en emp^he ; car c'est lui qui fait 

ma plus grande douleur. Comment le nourrirai-je? Mon pauvre mari 

ne m'a rien laiss^, et mes mains sont trop faibles pour le travail. 

Aupres de qui chercherai-je des secours, si ce n'est aupres de vous ? 

C'est sur vous que repose mon esperance. Dieu, sans doute, disposera 

votre coeur h secourir une pauvre et malheureuse veuve. Montrez 

que les noeuds du sang qui nous lient sont sacr^s. Je vous remets 

mon fils. Tout ce que vous ferez pour lui, vous le ferez pour moi, et 

pour la m^moire d'un homme qui vous aimait. Ce que Dieu m'a 

laiss^ de forces et de courage, je Temploierai a gagner ma vie par 

mon travail ; mais pour dever convenablement mon fils, je n'en suis 

pas en ^tat. Je vous I'abandonne entierement. II me sera cruel de le 

voir sortir de mes mains; mais je sais ob^ir a la n^cessit^: C^ipendant 

une pens^ me console * c'est que je le confie h la grdoe d'lin Dieu 

bienfaisant, et aux bontes d'un parent g6n6reux. Soyez pour tui ce 

qu'^tait son p^re, et mettez-le en ^tat d'adoucir un jour mon mal- 

heur. Je ne puis en dire davantage. Mes larmes, qui mbuillent cetfe 

feuille, vous t^moignent assez ce que mon coeur ressent. Vous tenez 

dans vos mains mon repos et le bonheur de mon fils. Dieu vous b^<- 

nira a jamais pour votre g6n6rosit^. II vous r^compensera, m^me eii 

ce monde, de ce que vous aurez fait en faveur de deux malheureux 

de votre sang. Je suis, avec la plus profonde douleur d'une m^e in* 

fortunee, etc. 

C^cile Laforet. 



U2 DEUXifeME PARTIE. 



Du style VUI. 

epUtoliiire. 

LETTRE D£ REMERCIMENT. 



Mewrer Fexpression de sa gratitude sur la grandenr da service 
que Ton a re^u, voil^ la proniere et principale regie des kttres de 
ranerdment. La seconde, e'est une grande simplicity. II iaut ^vi- 
ter eette profusion de promesses et de serments, qui ne dit rien pour 
vooloir trqi dire ; songeons qu'un simple Je vous reciercfe, Tcoant 
droit du coeur, vaut mieux qu'une abondance de paroles em[nreiDt8s 
d'une ridicule exag^ration. 



Module, 

Orient. 



Maddme, 



Oik trouver des paroles pour vous exprimer mes transports et ma 
reconnaissance ? Grand Dieu ! mes malheurs sont done h leur fin ! Je 
suis heureuse, men fils Test aussi, et c'est k vous que nous te devons. 
Comment s'dever, sans mourir, d'un abime de douleur au comble 
de la joie ! Je n'ai que les larmes pour exprimer ce que je sens. Je 
regrette de ne pouvoir les r^pandre toutes devant vous^ poinr vous 
payer de votre bienfaisance. Vous avez d^r^ d'toe mtee, vous 
pourrez peut-Stre vous former une id6e de mon bonheur. Je ne puis 
vous en dire davantage. Je vous en dirai peut-4tre encore moins au 
premier moment ou je verrai notre fils plac^ entre nous deux, et 
serr^ dans nos brad entrelac^s; mais vous entendrez mon silence, et 
mon attachement ft mes soins acheveront de vous Texpliquer 5 cha- 
que instant de ma vie. 

J'ai rhonneur d'etre , etc. 



(.HAPITRE HlTITlftME, 248 

1^ Dii style 

• ppistolaire. 

LETTRES D'ADIEIT. 

II y a, pour tous les genres de lettres, un pr6ce{ite §^rdA : c'est 
d'approprier I'expression a la ciroonstance; cela s appeUe cpnveiimee 
do style. Ainsi, pour les lettres d'adieu en particulier, on eomprend 
qu'il ne faut point ^rire sur le mkae ton k un^ personne ^trang^re, 
envers qui Ton remplit un devoir de civility, et k une perscHme a la- 
quelle on est nni par les liens d*une tendre amiti^. Le sentiment de 
la s^aration est plus ou moins douloureux ; le ton de nos lettres 
doit le refleter Melement. Tout cela se sent, plutdt qu'il nese dit. 



Modefe, 



VOLTAIRE All ROI DE PRIISSE. 

Sire, 

Je ressemble h present aux p^lerins de la MecqUe, qui toiiment 
leurs yeux vers cette ville apr^ I'avoir quitt^e : je toume les miens 
vers votre cour; mon coeur, p^n^tr^ des bontes de Votte Majesty, ne 
connatt que la douleur de ne pouvoir vivte aupr^ d'elle... Mon atta- 
chement est ^gal a mes regrets; et si d'autres devoirs tt\*entratnent, 
ils n'effaceront jamais de mon cceur les sentiments qiie je dois a ce 
prince qui pense et qui parle en homme, qui fuit cette fausse gravity 
sous laquelle se cacheut toujours la petitesse et Tignorance ; qui se 
communique avec liberty, parce qu'il ne craint point d'toe p^n6tr^ ; 
qui veut toujours sMnstruire, et qui pent instruire les plus ^clair^. 

Je serai toute ma vie, avec le phis profond respect et la plus 
vive reconnaissance, etc. 



Du style 
e|Mslokure. 



244 1>EUXIKM£ PARTIE. 

X. 

LETTRES DE RECOMMANDATICHV. 

On ne peut guere recommander avec succes qu'un sujet digue de 
recommandatioii; c'est done par un eloge vrai et inesiir6 de la per- 
somie h qui Ton Teut du bien, qu'on lui sera r^ellement utfle. L'exa- 
gtotion de ses litres k la bienveillanoe ou aux faveurs qu'on sollidte 
pour elle, lui serait plus nuisible que profitable, puisqu^on s'expose k 
voir la r^alit^ d^mentir bientdt nos louanges. II vaut mienx , au eon- 
traire, manager, k eelni k qui nous eerivons, Fagreable surprise de 
trouver notre proteg^ sup^rieur au tableau des qualites et m^rites 
qui, selon nous, le rendent digne d'interdt et d*appui. 



Module. 
d'alebcbert a voltaibe. 

Mon cher et illustre confrere, voila M. le comte de Valbelle, que 
vous connaissez deja par ses lettres, et que vous serez diarm^ de 
connaltre par sa personne. Une heure de conversation avec lui vous 
dira plus en sa faveur que je ne pourrais vous en ecrire. II a voulu 
absolument que je lui donnasse une iettre pour vous, quoique assu- 
rement il n'en ait pas besoin. 

Je vous embrasse de tout mon coeur, et j'envie bien a M. de Val- 
belle le plaisir qu'il aura de vous voir. 



XI. 
LETTRES D'AIFAIRES. 



Simpiicite, clarte, concision, voila les trois qualites fondamentaies 
des lettres d'affaires. II ne faut s'amuser ni a fleurir son style, ni a 
toumer des phrases. Ce qui serait peut-^tre ailleurs une qualite, se- 
rait ici un defaut. En affaires, on ne dit que ce qu'il faut dire ; mais on 



CHAPITRE HUITlfeME. 245 

ie dit de maniere a se faire comprendre, nettement et sans ambages. 

Les gens habitues a grouper les chiffres sont ordinairement ceux qui ^^^i^i^.^ 

r^ussissent Ie mieux daus ce genre de correspondance. 



epistolaire; 



Modele. 

SCHILLEB A COTTA. 

lena, Ie 4 juin IT 94. 

Avant d^entamer des demarches pour uotre Gazette, moneherami, 
attendez encore de moi une lettre, oii j'espere vous d^montrer, par 
des raisons concluantes, que cette entreprise , du moms sous ma di- 
rection, sera par trop difficile et perilleuse. Je crois pouvoir vcus 
promettre dautant plus pour Ie Journal, qui, sous tons les rapports, 
est preferable a cette entreprise de Gazette. .T'en ai parle, depuis 
votre depart , a plusieurs hommes tr^s-importants , qui s'accordent 
tous pour desapprouver compl^tement la Gazette politique, et pour 
approuver unanimement Ie JoumaL 

La poste part a Tinstant. Je m'en tiens done la pour aujourd'hui. 
Tout a vous. 

Schiller. 

[Traduit de Vallemand.] 



Les maitres de langue capables s'entendent fort 
souvent dire : Mais, Monsieur, pourquoi ne faites-vous 
« point ecrire de lettres a ma fille? Mademoiselle une 
« telle, son amie, n'etudie pas depuis aussi longtemps 
« qu'elle Ie francais, et 6crit deja de superbes lettres. » 
On ne peut pas toujours repondre categoriquement a 
ces tendres meres, parce qu'on se verrait oblige de 
leur dire des choses quelquefois peu flatteuses, a 
Tendroit de leur progeniture. A notre avis, un maitre 



i46 DE13XIEME PARTIE. 

'T ~ Qui met de la suite et de la methode dans son ensei- 

Uii sryle ^ 

rptoioiaire. gncmcnt, cst moins expose aux representations pater- 
nelles, et surtout maternelles. Cependant on aimerait 
tant voir sa fiUe cherie prendre place, d'un seul bond, 
et presque sans effort, a c&te des Sevigne, des Main- 
tenon, etc.! On est done bien un pen excusable, quand 
on vient dire a un maltre : « Mais, Monsieur, vous ne 
« savez pas votre metier, sans quoi ma fiUe ecrirait 
« deja des lettres! » et le maitre serait un bien mal 
appris, s'il ne recevait pas sto'iquement les recrimina- 
tions d'une soUicitude aussi eclairee. 

Quand un ^leve n'a pas encore d'idees dans la t^te, 
oil prendra-t-il done de quoi remplir le cadre d'une 
lettre? Attendez au moins qu'il ait vu et eprouve, alors 
il vous peindra ses impressions sans peine et d'une 
maniere natureile. Parce que vous lisez facilement, et 
sans contention d'esprit, une lettre d'un auteur distin- 
gue, ne croyez point pour cela que Ton puisse facile- 
ment enecrire une pareille. Cette lettre, quitoucheala 
perfection, vous ne savez pas combien on a eu de peine 
a I'ecrire telle que vous la lisez ; pour atteindre a 
cette diction simple, degagee, coulant pour ainsi dire 
de source, il a fallu quelquefois remettre, a plus d'une 
reprise, son oeuvre sur le metier. Et puis, ne croyez 
pas que ce soit en ecrivant force de lettres, que Ton 
parvient a se perfectionner dans Tart de la correspon- 
dance. Ce serait la une grave erreur. Pour reussir dans 
le style epistolaire, il faut une seule chose : posse* 
der la langue dans laquelle on veut ecrire. Le reste, 
croyez-nous-en, vient de soi-menie. Les Pret'e/ftes que 



CHAPITRE HUITIEME. 247 

nous avons indiques sommairement pour chaque genre " ^ 
de lettres , ne vous donneront jamais un vrai talent epUtoiMi-*. 
epistolaire; ce ne sont que des indications generates, 
ressortant des genres divers, bons a mettre sous leg 
yeux des commenQants, mais tout a fait superflus pour 
quiconque pense et salt ecrire. 

11 y a des eleves qui montrent de hautes dispositions 
dans tons les exercices dont nous nous sommes occupe 
jusqu'ici, et qui ne reussissent qu'imparfaitement 
dans la composition des lettres. Ceux-la sont le deses- 
poir des mamans, et Torgueil secret des bons maitres, 
dont ils justifient d'ordinaire toutes les esperances. 
f^aissez un peu leur esprit se murir, leur imagination 
se regler, leurs idees gagner en etendue et en profon- 
deur, et vous verrez que, sans avoir jamais ecrit la 
plus petite epitre sous une direction superieure, ils 
ne seront point embarrasses pour orner un jour leur 
correspondance de toutes les qualite^ qui distinguent 
les lettres bien dictees. Quand leurs affaires ou leur 
position sociale les mettront dans la necessite d'ecrire, 
non sur des sujets factices, pris en Fair, mais sur des 
sujets reels, qu'ils portent dans leur t&te, ne vous in- 
quietez point d'eux : ils se tireront parfaitement d'em- 
barras, sans secours etranger. 

11 y a done des eleves qui , en fait de lettres , sont 
absolument incapables de rien produire d'eux-mfemes. 
Au lieu de les tourmenter en pure perte, on peut leur 
venir en aide en suivant , pour les exercices episto- 
laires , la marche progressive que nous avons tracee 
pour les narrations ecrites. 



248 DEUXifcME PARTIE. 

'- Un Cahier special doit fetre destine a recevoir la 

Du style ^ 

epistoiaire. copie de toutcs les lettres composees par nos el^ves, 
au fur et a mesure que nous en operons la correc- 
tion. 



IX. 



Petits interin^degi. 



Rien de ce qui peut contribuer au developpement 
intellectuel de nos eleves, et faciliter leurs progr^s 
dans la langue que nous leur enseignons, ne doit nous 
Hre indifferent. Notre enseignement, il faut le recon- 
naitre, ne se compose pas d'une serie de parties de 
plaisir^ et les jeunes gens qui etudient avec passion, 
forment une faible minorite. Nous pensons done qu'il 
peut 6tre trfes -profitable d'employer certains petits 
moyensauxiliaires, pour stimuler etentretenir Tardeur 
de nos disciples. 

Dans beaucoup de families et d'institutions a T^- 
tranger, on a la louable habitude de faire apprendre 
aux enfants de petites pieces de theatre, eerites pour 
leur age , qu'ils jouent devant un cercle d'amis et de 
connaissances intimes. Get usage ne saurait 6tre trop 
recommande Les enfants s'habituent de cette mani^re 
a parler en public, et perdent ce qu*il peut rester de 
defeetueux dans leur prononciation ; leur organe de- 
vient plus sonore , et la timidite naturelle a leur age 
fait place a une modeste assurance. Sous une direc- 
tion intelligente , ces representations de famille ne 
peuvent avoir que d'excellents effets. 

Mais ces scenes enfantines demandent une reunion 



250 DEUXIEME PARTIE. 

p^^.^^ do jeunes capacites, quelquefois assez difficile a obte- 
intermedes. nir. A Tfitrangcr, on apprend le francais dans les lieux 
isoles, comme dans les grands centres de population. 
Le premier de ces cas est lout aussi frequent que le 
dernier. Alors il faut se borner a des dialogues choisis 
avec gout, et capables d'int6resser nos petits amis. Les 
livres ecrits pour la jeunesse offrent, presque en tout 
pays, un grand choix d'ouvrages en tout genre, oil nous 
pouvons trouver de quoi defrayer les longues soirees 
de rhiver, qui ne seront point perdues pour nos 616- 
ves. Par-ci, par-la une petite conversation a deux ou 
Irois personnages leur tiendra lieu d'une piece de 
theatre, les amusera suffisamment , et leur coiltera 
moins de peine que les pieces k nombreux personna- 
ges, qui n^cessitent des repetitions multipliees, et oc- 
casionnent de grandt s pertes de temps. 

Pour le premier ^e, la memoire et Timagination 
des institutrices, surtout , renouvellent sans cesse les 
recreations qui , en faisant un pen penser et beaucoup 
parler, instruisent sans fatigue ni degofit. Tons les jeux, 
m^me les plus insignifiants, qui font atteindre ce but, 
ont leur merite en fait de langues. Ainsi le primitif 
Pigeon vole I et Je vous vends mon cor billon ^ ce cor- 
billon oil Ton ne pent mettre une tarte a la cr6me, 
ont une valeur relative qui n'est point k dedaigner 
Du moment que la jeunesse prend plaisir a un amuse- 
ment, quel qu'il soit, et que cet amusement Toblige a 
parler une langue etrang^re , objet de ses etudes , il 
faut bien se garder de le mettre de cdte, sous pr6texte 
qu*il est par trop niais. 



CHAPITRE NEUVlfeME. 251 

Pour le second age , epoque ou les ideas commen* ; 

cent a Stre plus rassises , on choisit aussi des amuse* iiiteimedes. 
ments un peu plus s6rieux. Le Jeu de la maison^ par 
example y qui se trouva dans V Education maternelle 
de madame Amable Tastu, est dalicieux pour les jeu- 
nes fiUes etgarqons, de dix a quinze ans. Seulement 
on ne doit pas oublier que Ton a affaire a des Stran- 
gers, et que des enfants ne le comprendraient pas de 
prime abord. 

Un petit jeu bien simple, mais qui n'en a pas moins 
son merite, nous a souvent fait passer de tr^s-agreabies 
moments avec nos eleves. Voici en quoi il consiste : 
On ecrit chacune des lettres de Talphabet sur un petit 
carre de carton. Avec ces lettres, on forme un mot , 
dont on eparpille aussit6t les elements sur la table, et 
ce mot, notre partenaire doit le recomposer. Quand 
il y a reussi , c'est a son tour de mettre notre sagacite 
a I'epreuve. Ce petit jeu donne souvent fort a reflechir. 
Pour les enfants qui n y sont pas encore brises, on pent 
choisir , meme en les en avertissant d'avance , des 
mots qu'ils ont eus dans leur lecon du jour. 

II y a, en franqais, des expressions , mfeme fort 
usuelles, qui ne se retiennent neanmoins que tres- 
difficilement. A Tfitranger, il y a bien peu de gens , 
m6me des plus avances dans notre langue, qui sachent 
ce que c'est que la plante des pieds. Si vous le dites a 
votre el6ve, comme vous lui diriez toute autre chose , 
il est fort probable que, Toccasion d'employer cette ex- 
pression lui manquant, il ne tardera point a Toublier. 
Dites-lui, au contraire : « Quelle est la plante la plus 



262 DEUXlfelME PARTIE. 

p^^j^ « chere a I'homme ? » II se fatiguera inutilement a 
iutermedes. chercher ce precieux vegetal par monts et par vaux, 
et viendra enfin vous supplier de le lui faire connattre. 
Dites-lui alors que c'est la plante des pieds^ en lui ex- 
pliquant bien , de visu^ le sens de cette expression, et 
vous pouvez etre sfir qu'il ne roublrera de sa vie. 

Ces petites enigmes ne sont, pour les enfants de 
notre pays, que des distractions passag^res et sans au- 
cune portee. Pour les enfants etrangers, elles ont Ta- 
vantage de les faire reflechir sur la langue , et , par 
consequent, d'augmenter leur petite instruction. Ainsi, 
nous avons toujours pique vivement la curiosite de tons 
ceux a qui nous avons pose des questions du genre de 
celle-ci , qui est bien connue du reste : 

« Un homme a un petit bateau, dans Icquel il doit passer a Fautre 
« bord de la riviere trois choses : une chtvre , im loup , et un chou. 
« Quelle chose doit-il prendre en premier lieu, sachant que, s'il 
« prend le loup, la eh^vre mangera le chou, et que, sll prend le chou, 
« le loup mangera la chevre ? » 

Cette autre , toute lugubre qu'elle est, s'est trouvee 
6tre du golit de nombre de nos petits auditeurs : 

« Celui qui le fait ne le fait pas pour lui ; celui qui le fait faire, ne 
« le veut pas ; celui pour qui on le fait, ne le sait pas. » 

En voici une enfin qui a bien eu aussi son petit suc- 
ces de vogue, s'il nous est permis de parlor ici le Ian- 
gage des reclames de journaux : « 

« Quoique je sois dans Tonde, je ne suis jamais dans Veau; fai 
« quatre pieds dans un towneau, et me trouve au milieu du monde. » 



CHAPITRE NEUVIEME. 



253 



Pour clore la aerie de nos pelils jeux enfantins, ap- 
pliques a I'etude de la langue franqaise, les homonjmes 
nous offrent un vasle champ d'exploitation. Tout le 
monde sail comme cela se pratique. Voici les princi- 
paux de ceux que Ton peut proposer a des enfants 
etrangers : 



Pelits 
intennedes. 



Amande. — Amende. 

-Ancre. — jfi'ncre. 

^tttel. — //dtel. 

Boucher, s. m. — Boucher, v. — 

Bouch^e, s. f. 
C?^ne, 8. f. — 5a*ne, adj. f. — Sc^ne, 

s. f. — Seine, fleuve. 
C7erf. — Serf. 
^^o<ne. — CMnQ, 
CUhflir, s. f. — Chatre, s. f. — Cher, 

8. et adj. — Ch^e, 8. et adj. f. 
Cloiw. — Coin^. 
domte. — Compte. — CoTite. 
13essein. — Dessin. 
J^ho, — 6co?. 

l^aim, — Yin. 

Tafte, 8. m. — F^te, 8. f. 

TUn. — Flanc. 

Toi, s. f. — Foie, s. m. — Foi*, 8. f. 
— Foijj, nom de ville. 

Grame. — Grtee. 

Hawtesse. — Hdtesse. 

Lieu, s. m. — Lieue, s. f. 

LuiA, s. m. — LuUe, s. f. 

Ma£tre. — M^lre. — Me/tre, v. 

yiaure, nom de peuple. — Mor5, s. 
m. — Mor^, 8. f. 



Mur, adj. — Mur, s. m. — Mure, 

8. f. 
Vain. — Pin. — Pein/, part, passe. 
Peine, s. f. — P<^ne. s. ra. 
Pair, adj. — Pair, s. m. — Pdfire, 

8. f. — Pcre, s. m. 
Pflw, ville. — Pd, fleuve. — Vot, 8. 

m. — Peaw, s. f. 
Pali/, — Pd/e. 
Pinfon. — Pinion. 
Po^e, 8. m. — Po^, s. f. — Poi/, 

8. m. 
Poief5, 8. m. — pQis, s. m. — Poia?, 

s.f. 
Reine, s. f. — Rdne, s. f^ — Renne, 

8. m. 
Saign6ur. — Seigneur. 
Tain, s, m. — Tein^, s. m. — Teiw^, 

part. — Thym, 8. m. 
Xante. — Tente. 
Tribu, 8. f. — Tribuf, 8. m. 
Ver, 8. m. — Verre, s. m. — Ver*, 

s. ni. — Ver5, prep. ^— Ver^, adj. 
Vice, 8. m. — Vi.?, s. f. 
Voie, s. f. — Vois, verbe. — Voia:, 

s. f. 



Si Ton fait ecrire ces mots avec leur orthographe 
diverse, le profit sera double pour les eleves. Ceux 
dont la sagacite a ete eveillee et developpee par ces 
petits exercices recreatifs, sqnt parfaitement .prepares 



254 DEUXI£ME parti E. 

pour deviner des charades^ hgogtiphes et enignies. 

interaldeA. Qu OD DC CToie poiot quc ce soil \k un vain jeu , bon 
tout au plus- a tuer le temps. Au contraire, a force de 
se iivrer a ce travail, on y acquiert une facility, une 
promptitude d'esprit tres-remarquabies. Pour notre 
compte, dans la pratique de Tenseignement du fran- 
cais a Tfetranger, nous avons toujours observe que les 
bons eleves prenaient un plaisir extreme a chercher le 
mot de ces donnees enigmatiques, et y devenaient 
bient6t tres-adroits, tandis que les autres n'estimaient 
point cette investigation digne du moindre effort d'es- 
prit. Sans y attacher une importance exageree , nous 
sommes convaincu, par notre experience personnelle, 
que ce leger travail apporte une fort agreable diver- 
sion dans les etudes, et n'est point sans avantage sons 
le rapport de la langue. 

11 n'y a pas encore longtemps qu'en France les 
publications periodiques, voire m^me de grands jour- 
naux quotidiens , ne croyaient point compromettre 
leur dignite en proposant reguli^rement a leurs lec- 
teurs de ces petits problemes, revetus d'une forme 
poetique, plus ou moins heureuse. Maintenapt, un 
go6t pen justifiable a mis a la mode ces aff reux r^bus^ 
dont le sens est souvent indechiffrable, mfeme a Taide 
de Texplication qu'en donnent subsequemment leurs 
auteurs. Get engouement, il faut bien I'esperer, n'aura 
qu'un temps , et Ton en reviendra a Tancien usage , 
qui justifiera toujours la pr6f6rence dont il sera rej^e- 
venu Tobjet. En attendant cette restauration d'un genre 
tout particulier, nous conseillons fort de le prevenir k 



CHAPITRE NEUVIEME. 2^5 

tous ceux qui se vouent a I'enseignement de notre lan- 
gue a I'fetranger ; ce sera, a notre avis, faire preuve 
de goAt et de bon sens. 

Les compilations de charades, etc. , sont assez nom- 
breuses. Nous croyons cependant 6tre agreable a nos 
lecteurs en en donnant ici un petit choix. On pent, au 
besoin, trouver a la table des matieres les mots a de- 
viner. 



tlniQDie. 

line voyelle , une cousonne , 
ComposeDt toute ma personne ; 
Souvent, si petit que je sois, 
Je suis plus fort que tous les rois. 



Logogriphe. 

Sur trois pieds du cerf redou'te , 
Je suis sur cinq par lui port^; 
Sur six pieds, je deviens trompette, 
Sur huit, coiffure coquette. 

3. 

Charade. 

Men premier est le premier de son espece; mon second na point 
de second; et mon tout, je ne voudrais jamais vous le dire. 

4. 

tnigine. 

Recelant dans mon sein une ardente matiere, 



Petits 
intenuedes. 



^^ bEUXlEME PARTIE. 

~ Je parcours iin pays a Morphee engage, 

iQtermedes. ^^ ^" ™e suit m'est oblige * 

De I'avoir bien voulu parcourir la premiere. 



Loffogriphe, 

J'ai huit pieds, dans iesquels on trouve 

Un bien iuoffensif oiseau ; 

Un animal priv^, qui couve ; 

Ce qui reste au fond d'un tonneau ; 

Le nom des noces, dit la Bible, 

Ou jadis on vit le Seigneur 

Changer, chose incomprehensible ! 

En vin une fade lic[ueur ; 

Un legume rempli d'acide ; 

Un ^tre ent^t^ sous la bride ; 

Le nom d'un prophete cit^ ; 

Un cri de douleur ; une plante 

Qui produit le tissu que vante 

Chacun pour sa solidite ; 

Une ville de Normandie; 

Un rien, qui, chez brune jolie, 

Rend Toeil plus agaqant, plus fin ; 

Un mot de m^pris; la femelle 

D'un animal a dent cruelle ; 

Et le nom d'une femme enfiu. 
On trouve encor le fleuve aux bienfaisantes ondes 
Par qui I'fegypte voit ses plaines si f^condes ; 
La fiddle compagne h qui plus d'un chasseur 
Out ses gloires, sa vie, peut-€tre, et son bonheur ; 

Une riche voiite azuree ; 

Ce que donnent les douze niois; 



Ce qu'on rencontre en mer parfois ; 
Ce fratricide de la Bible; 



CHAPITRE JNEliVlfiME. 257 

Ce qui dit tm chez I'Allemaud; 

Pctits 
Un coursier du nord tres-flexibic, internwdes. 

Qui sur la glace vole au vent ; 

Un beau port de mer d'ltalie ; 

Ce que nous donne le mouton; 

Ce par quoi, des froids ennemie, 

L'hirondelle fuit ma maison. 



6. 

Charade, 

On se chausse de mon premier ; 
Mon dernier sort de mon entier. 

7. 
6nigwe. 



Je fus en tons les temps des mortels desire; 
Souvent de mes faveurs j'ai comble le jeune i 
Pour moi Tavare en vain a toujours soupir^, 
Et jamais du jaloux je ne fus le partage. 



Dans un coeur bienfaisant j'toblis mon empire, 
Et, chez le sage, enfin, j'habiterai toujours. 

8. 
Logogriphe. 

Lecteur, pour me trouver une heure est necessaire ; 

Si, pendant une heure entiere, 

Tu me cherches sans te lasser, 
Tu pourras dire aiors que je viens de passer. 

Quand, par Tune de tes fenetres, 
Tu prends le frais, alors tu go(!ites Tagr^ment 

De voir trois de mes cinq lettres, 

Si tu loges sur le devant. 

17 



258 DEUXifeME PARTIK. 

Petits 9. 

iiitermedes. 

Charade. 

Mon premier autrefois etait fort en usage 
Dans les courses, dans un toumoi ; 

En triomphe il porta plus d'un grand persomiage, 
Devant tout un peuple en ^moi. 

Toujours dans la musique on trouve mon deuxieme, 

Mineur, nature! ou majeur, 
Parfois di^ze ou b^mol ; mon dernier ou troisieme 

Sert au galetas du tanneur. 

Pour en finir, mon tout, sur les places publiques, 
Affiche un luxe ^bouriffant, 

£t bien souvent guerit ses cr^dules pratiques 
De maux qu'eiles n'ont miUement. 

to. 

Ana gramme. 

On trouve en mes cinq pieds un oiseau domestique, 
Ou bien un instrument d'optique. 

11. 

Logogriphe. 

Lecteur, vous trouvez mes six pieds 
Dans Tatelier des menuisiers ; 
Sur cinq, je suis un vase a boire ; 
Sur trois, je roule dans la Loire ; 
Sur quatre, Tenfant, en naissant, 
N'a que moi pour tout v^tement. 

12. 

Charade. 
Les souris craiguait mon premier. 



CHAPITRE NEUVlfeME. 269 

Et cependant lui-mtoe il craint fort mon dernier ; ' 

Petits 
Maintenant battez la campagae» iDtermedes. 

Faites, si vous voulez, mon entier en Espagne. 

13. 

LogogripAe, 

J'ai deui pattes avec huit pied$ ; 
L'on me trouve chez les fermiers. 
Deui pieds de moins, je suis mon frere; 
Trois pieds de moins, je suis ma m^e. 

14. 

AncLgramme, 

De cinq lettres je me compUqoe ; 
On fait, en les d^plac^ant;, 
Un amusement nautique, 
Un amusement d'enfant. 

15. 

Charade* 

A la tMevoyelle, .; . 

, £t :«pte ^ mon talon, 
Lecteur, mon tout n'est bon 
Qu'autant qu'il est fidele. 

16. # 

Logogriphe, 

Je fais, avec sept pieds, horreur a la nature; 
Sans mon coeur, je deviens une belle foumire. 

17. 

Anagramme, 

Toujours mes quatre pieds chez l^homme 



260 DEUXifeME PARTIE. 

S<Mttt mal re^us, r^pudies; 

. '*^*'f* A Tenvers, la Mie de sonune 

inlennedes. ^ . , 

Par moi s en va plus vite aux pres. 

18. 

Charade. 

R^pete, moil prt*inier ofifre uo gdteau friand; 
On trouve en mon dernier un instniment qni pique ; 
Pour men tout mal assis vous voyez la pratique 
Lancer h F^picier maint mauvais compliment. 

Ges quelques enigmes, logogriphes, anagrammes et 
charades, suffiront pour 6prouver le gout des eleves , 
et faire reconnaitre ceux auxquels il conTiendra d'en 
proposer un plus grand nombre, et d'une difficulte 
progressive. Nous reeommandons aux mattres de lan- 
gue francaise ces agreables et utiles complements de 
leurs lecons ; ils verront, avec le temps, se jouer pour 
ainsi dire de combinaisons assez compliquees des jeu- 
nes gens qui avaient debute, conunc! la plupart des 
enfants dureste, par declarer insoluble ^cette horripi- 
lante enigme : ' 

Je me nomme chapeau ; Ton me met sur la t^te ; 
Devine qui je suis, si tu peux, grosse bfite. 



Des repeiUloufli. 

Pour bien savoir une chose quelconque, objet d*un 
travail intellectuel, il ne suffit point de I'apprendre une 
fois ; il faut la reprendre en sous-oeuvre , pour ainsi 
dire, et la fixer d'une maniere imperturbable dans la 
memoire. Nous savons que ce n'est gu^re Tusage de 
beaucoup de maitres de faire revenir leurs eleves sur 
les lecons apprises anterieurement , et qu'en fait d'e- 
tude des langues le travail de chaque jour une fpis ac- 
compli est relegue dans les Umbes de Toubli. Aussi 
est-ce pour nous un motif de plus d'insister sur Tadop- 
tion generale d'une habitude eminemment utile; et, 
pour mieux en faire ressortir I'avantage, nous croyons 
devoir consacrer aux repetitions un article particulier. 

Si , a I'occasion de chaque exercice indique dans le 
cours de cette seconde partie de notre travail sur Te- 
tude et I'enseignement.du francais a TEtranger, si, 
disons-nous, a cette occasion , nous avons tant insiste 
sur la necessite des copies^ o'est que nous aviohs en 
vue les travaux retrospectifs dont nous allons nous 
occuper a present. Revenant done a notre point de 
depart, nous exposerons succinctement la maniere la 
plus profitable et la plus expeditive dontces repetitions 
doivont elre etablies. 



repetitious^ 



262 DEIIKIKME PARTIK. 



GRAMHtAIRE. 

Nous ne saurions trop dire et repeter quelle atten- 
tion scrupuleuse il faut apporter a Tetude de la gram- 
maire francaise a TEtranger. Cette etude, en soi-mfeme, 
est peiu attrayante, et n'a rien qui flatte rimagination. 
Aussi est^ce dans la jeunesse, lorsque la*memoire n'a 
encore rien perdu de sa fraicheur, cpi'il faut se h&ter 
d*y loger, d'une mcini^re definitive, tout ce qui est du 
ressort de cette preciense faculte. Les maitres habiles 
et consciencieux le savent bien ; et, dans le but de sa- 
tisfaire une vaine gloriole , ils n'ont garde de faire 
glisser leurs ^Ifeves sur les elements pour les lancer 
dans Tetude des regies de principes , dont la concep-^ 
tion demande une certaine maturity d'esprit. 

Un eleve qui connait a fond les accidents du subs^ 
tanlify de Vadjectif^ et surtout dn verbe (.verbum^ Toix, 
parole, languel) a toute chance de bien posseder un 
jour la langue francaise. 

Un eleve, au contraire, qui, dans Tetude des acci- 
dents de ces parties dn discours, s'en tient a des a-peu- 
pres, est d'avance irr^vocablement condamne a ne 
jamais posseder cette langue. 

Avis done atous ceux poor qui ces lignes sont ecri- 
tes , avis aux maitres et mattresses de langue francaise 
a rfitranger, aux precepteurs, aux gouvernantes, aux 
chefs d'institution ; avis surtout aux peres et meres de 
famille, a qui incombe le devoir de surveillance dans 



CHAPITRE DIXIEME. 263 

les etudes (Je leurs enf ants ! Sans la grammaire (et nous 

entendons par la la premiere partie de la grammaire), i^p^tituMis 
pas de langue apprise, perte de temps irreparable, ef- 
fet nuisible sur tous les autres objets d'etude 1 Pour 
qu'une education marchebien, et produise ler^sultat 
desir6 , il faiit que toutes les parties de oette Education 
soient Tobjet d'une attention speciale, ©t soteiit con- 
duites avec mesure et raison. 

11 y a deux mani^res de repeter la grammaire. 

1^ L'une consiste a repasser, an moyen du livre lui- 
mSme, les parties du disoours, dans Tordre ou elles 
8 y succedent. Les exercices qui ont et6 ecrits peuvent 
6tre egalement repasses et servir de nouveau a appli- 
quer les regies. 

2° La seconde maniere, que nous pratiquons fr6- 
quemment, parce qu'elle offre quelque chose d'im- 
promptu, qui deroute tout subterfuge de la part d^ 
eleves, consiste a leur adresser touies led questions qui 
ressortent des textes de leurs exercices divers : mor- 
ceaux appris par coeur, traductions, vers mis en prose, 
narrations ecrites et lettres. 

Les maitres entendus pratiquent simultanement Tun 
et Tautre mode de repetition de la grammaire. 



II. 

EXEBCICES DE MEMOIBE. 



C'est moins la quantite que la qualite qu'il faut 
avoir en vue dans les exercices de memoire. A force 



264 DEUXlfclVlE PARTIE. 

de faire apprendre morceau sur morceau a nos el^ves, 
repetitions, nous depassons le but, etilamve souventque de tous 
ces pompeux exlraits , a la fm il ne leur reste pas 
grand'chose dans la memoire et dans Tesprit. II vaut 
done mieux savoir se bomer et revenir de temps a au- 
tre sur ce qui a ete appris, au moyen de repetitions 
bien dirigees. 

Ces repetitions doivent avoir pour but I'exercice de 
la memoire et celui de Y esprit ; elles doivent porter sur 
le morceau appris par coeur, et convenablement recite, 
et le morceau dllment compris dans son ensemble et 
dans chacune de ses parties. 

A cette fin, Fel^ve r6citera le morceau appris pour 
la seconde fois par coeur, en s'efforcant de le dire avee 
aisance, naturel et intelligence. 

II le traduira ensuite de vive voix dans sa langue 
maternelle. 

Enfin , il I'ecrira correctement sous la dictee du 
maitre. 



III. 

TBADUCTIONS. 

La repetition des traductions s'opere au moyen du 
cahier de copie. L'eleve doit, a livre ouvert, traduire 
en francais, phrase par phrase, le texte original , et 
cette version orale n'obtiendra Tapprobation dumaitre 
que si elle concorde, mot pour mot, avec le cahier de 
copie. 



CHAPITRE DIXIEME. 265 

Chaque seance de repetition embrassera la matifere T 
de plusieurs lecons : ce qui aura ete traduit en trois repaiiions 
ou quatre fois se repetera en une seule. 

Si le mattre ne pent dieter le tout, il en dictera au 
moins une bonne partie , en choisissant les pbrases a 
son gre. Cela va sans dire que Veleve doit prouver que 
sa repetition a et6 consciencieuse en livrant une die- . 
tee tout a fait correcte. 



IV. 

ANALYSES. 



L'eleve , apres avoir repasse sur son cahier de copie 
les phrases analysees, en reproduira Tanalyse de vive 
voix, et sans broncher. 



V. 

VERS MIS EN PBOSE. 

Les vers d'une main , la prose de Tautre , Televe 
preparera sa repetition par une comparaison atten- 
tive du texte poetique avee la prose de son cahier de 
copie. 

A la lecon, n'ayant que les vers sous les yeux, il les 
mettra en prose d^ vive voix, sans s'ecarter de la lettre 
de son travail mis au net. 



repetitions. 



266 DEUXlEiME PARTI E. 



VI. 



NARRATIONS ECRITES Et LETTRES. 

Les narrations 6crites etles lettres se repetent comme 
leg vers mis en prose, au moyen des notes dict^es 
avant la redaction de ees ouvrages , et des cahiers de 
copie. 
* A la lecon , Tel^ve reproduira de vive voix les unes 
et les autres, en ne s'aidant que des notes que le mai- 
tre lui aura donnees. 

Ces notes doivent done fetre conservees soigneuse- 
ment. On fera tres-bien de les ecrire en tfete des copies; 
de cette mani^re, il sera toujours possible de recon- 
naitre quel parti T^lfeve a tir6 de ces indications som- 
maires. 

Les repetitions doivent avoir lieu trois ou quatre 
foisparan; elles seront gen^rales, c'est-a-dire qu'elles 
porteront sur tout ce qui a ete appris , ecrit, redige , 
dans le laps de temps ecoule depuis la derniere repeti- 
tion. Tant que les eleves sont occupes a r6peter, il est 
bon de ne pas leurdonner de devoirs nouveaux d'aucun 
genre. 



XI. 



ResnltoUi. 

La langue francaise est d'un usage universel ; elle 
marche du mfeme pas que la civilisation. Mais aTfi- 
tranger, comme en France mSme, il y a francs et 
francais. 

Les neuf dixi^mes des Etrangers qui etudient la belle 
langue de Racine, de Chateaubriand , de Victor Hugo 
et de Lamartine , en retiennent tout juste assez pour 
emailler, a tort et a travers, leur idiome national, qui 
n'en pent mais, de comment va?.., ma chere, . . a prxh- 
f>os . . . c'est charmant. . . mais comment done ! ' etc . , etc . ; 
et la se borne leur science. Parmi ces braves gens , il 
en est qui ont passe leur grammaire, et, pour notre 
compte, nousavons souvent du entendre lesjeremiades 
de mainte bonne m^re de famille, deplorantles faibles 
r^sultats de I'education d'une fille ch^rie, sous le rap- 
port de la langue francaise, et a qui nous aurions bien 
pu dire, si cela cut servi a quelque chose, ce qui fai- 
sail que sa fille elait muette. 

Tout le monde conviendra bien avec nous, qu'au lieu 



' En Russie, mats comment done est un passe-partout; il va a toiites les 
phrases possibles ; c'est comme notre dites done. 



268 DEUXIEMK PARTIE. 

de perdre son bon jeune temps a faire semblantd'appren- 
dre une langue, il vaudrait tout aiitant Temployer a 
faire des roads dans I'eau du haut d'un pont, ou a 
tricoter des bas. 

Nous ne sommes en aucune faqon trop severe en 
avancant que, sur dix Etrangers qui etudient la lan- 
gue fran^aise, il n'y en a qu'un , un seal et unique^ 
qui en retienne quelque chose et parvienne a la parler 
et a Tecrire. Encore devons-nous faire certaines re- 
serves pour un assez grand nombre d'^trangers qui, 
tout en parlant couramment notre langue^ et en Tecri- 
vant avec assez de facilite, y introduisent , selon leurs 
nationalites respectives , des idiotismes plus ou moins 
choquants. Chaque peuple different fait, en parlant 
francais, des fautes differentes. En outre de cela, notre 
langue a ses singularites , et tel mot , allemand , ita- 
lien, anglais, etc. , traduit par son correspondant, n'est 
souvent rien moins qu'honn^te. II ne suffit done pas, 
pour les Strangers , d'apprendre le francais a la ma- 
niere des Francais ; ils doivent aussi I'etudier dans ses 
rapports avec leur langue , et bien remarquer les cas 
fort nombreux ou la mSme idee reclame une expres- 
sion quelquefois bien differente , dans leur idiome et 
dans le notre. Et cela n'est point Taffaire d'un jour. 
Si un Francais , hors de son pays , doit veiller conti* 
uuellement sur son langage, pour ne point Talterer par 
des locutions empruntees a la langue de la contree qu'il 
habite, a plus forte raison uu Etranger doit-il se pre- 
munir contr^ un penchant que tout en lui favorise. 

11 n'y a quo los families fortunees qui puissent don- 



CHAPITRE ONZli^ME. S69 

ner a leurs enfants des precepteurs francais , et des ' 
gouvernantes francaises , possedant leur langue et la 
parlant avec purete. La plupart du temps on est oblig6 
de se borner a des lecons particulieres , et , le maitre 
parti , on parle en famille le francais her6ditaire de la 
famille, avec ses solecismes et ses barbarismes tradi- 
tionnels. La plupart du temps aussi, et voilk le mal- 
heur, on ne s'en apercoit pas; si Ton remarquait ee 
qu'a de defectueux le langage qu'on pratiqtfe avec tant 
de soin, on s'observerait davantage, et chercherait les 
moyens de le corriger. C'est dans ce cas que des ou- 
vrages speciaux sont d une grande utilite. Ces ou- 
vrages, s'ils sont eonvenablement r6diges, doivent, 
pour chaque nationalite en particulier, indiquer le plus 
grand nombre possible des cas ou, par suite de I'esprit 
tiif ferent des langues, les Etrangers sont portes a faire 
certaines f antes en francais. Nous ne sommes pas de 
ees gens qui aiment a dire au monde : « Prenez mon 
ours; » mais nous dironsfranchement que nous croyons 
n'avoir point fait une oeuvre tout a fait inutile en pu- 
bliant, lors d'un assez long sejour en AUemagne, que 
nous aimons a nous rappeler, un travail de ce genre ' ; 
la studieuse jeunesse allemande le consulterait peut- 
etre avec fruit. 

Le meme travail a, dit-on, et6 execute pour la Rus- 
sie, et pour la Suisse dife francaise, ou notre langue 
est, a pen pres partout, horriblement maltraitee. II 
est a desirer que dans les pays ou il n'existe point , 

• Germanismes corriges, etc. Stuttgart , Paul Neff. 



Resultats. 



Resultats. 



270 DKIlXIJteME PARTIE. 

des maitres de langue capables se hlitent de remplir 
cette lacune. 

Qui trap embrasse mal eU-einl. Ce proverbe, plein 
de sages conseils, s'applique avec une grande justesse 
aT^tude des Ungues. 11 vaut mieux savoir moins, et 
savoir Jbien. On rencontre, a I'Etranger, de& gens cpii 
parlent litterature francaise, et ontde la peine k ecrire 
en franqais deux phrases correctes. Evidemment, leur 
temps eut ete mieux employe a des etudes d'orthographe 
et de style. Chaque fois que nous sommes consulte 
sur Topportunite de faire franchir a des eleyes enc<Mre 
faibles sur la langue , les limites tracees par cette se- 
conde partie de notre travail, nous nous pronon^ons, 
sans hesiter, pour la negative. 11 n'y a guere que les 
eleves d'elite auxquels on puisse faire aborder rensei- 
gnement superieur. Les re'suUaU obtenus jusqu'ici ne 
sont point pour cela d'un ordre infime. Dans beaucoup 
de pays on ne va pas toujours aussi loin dans T^tude 
de la langue maternelle , qui devrait cependant , ne 
fiilrce que par patriotisme, prendre le pas sur un idiome 
etranger, objet, la plupart du temps, de pur agremait 
etdeccwivenances sociales. 

Les eleves qui auront pratique, avec zele et eons- 
tance, les exercices de vlo\x^ Knseignenientsecondah^^ 
doiTent, au bout de trois, quatre ou cinq ans de tra- 
vail : 

1° Connaitre a fond la grammaire francaise, lexi- 
cographic et syntaxe. 
2° Savoir par co3ur un assez grand nombre de 
morceaux choisis dans nos prosateurs et nos 



CHAPITRE ONZlfiME. 271 

pontes, et posseder ainsi, au moyen de ces 
exercices de memoire, une idee gen6rale de no 
tre litterature. 

3° Pouvoir traduire avec nettete et correction de 
leur langue en francais. 

4° Resoudre sans embarras, par Tanalyse gram- 
maticale, toutes les difficultes solubles de no- 
tre langue. 

5° Mettre en bonne prose le premier morceau 
venu de poesie francaise. 

6** Manier, avec une elegante facilite, le langage 
de la conversation franqaise, si toutefois la na- 
ture les a heureusement dou6s a cet egard. 

7** Executer toutes sortes de redactions fran- 
Qaises. 

8** Enfin, ecrire des lettres biendictees sur tous 
les sujets reels, et en rapport avecleurs etudes 
generales et le developpement de leurs facultes 
intellectuelles. 

Ces resultats peuvent 6tre le fruit de sept a huit 
annees d'etude, en comptant pour Tenseignement pri- 
maire a peu pres autant de temps que pour Tenseigne- 
ment secondaire. Que de maitres seraient heureux de 
pouvoir mener aussi loin leurs meilleurs eleves ! 



Resultats. 



TROISlfeME PARTIE. 



ETUDE ET ENSEIGNEMENT SUPERIEUM 



He I'analyse litt^ralre. 

Jusqu'ici Telfeve a encore peu fourni de son fond : il 
aapprisparcoeur, traduit, reeonnu, par I'analyse gl^m- 
maticale, la valeur intrinseque et relative des signes 
de sa nouvelle langue, mis des vers en prose ^ naire 
de vive voix et par ecrit, et r6dig6 differentes sortes 
de lettres. II lui reste encore quelques echelons a 
gravir pour atteindre aux sujets a trailer d'imagina,- 
tion ; Tanalyse litt^raire est un de ces degres. 

Resserrer en quelques lignes Tessence de plusieul^s 
periodes, reduire un sujet a son expression la plus de- 
charnee ; savoir retrouver le point de depart et la filia- 
tion d'idees suecessivereent developpees ; connaitre en- 
fin Tart de tirer d'un simple resume tout le profit 
possible : voila ce qu'on apprendra par la pratique de 
Tanalyse litteraire. Plus elle sera concise, sans rien 

18 



274 TROlSlfeME PARTIE. 

""; ; omettre d'essentiel, plus la pens6e fondamentale sera 

l)e I analyse ^ ... 

litieraiie. rcduitc a sa simplicite primitive, plus aussi I'analyse 
sera parfaite. 

La mani^re dout Tanalyse. littemre se pratique de 
preference consiste a extraire Tidee m^re de chaque 
paragraphe, de chaque alinea , et a former du r^sultat 
combing deces travaux partiels, untout compacte, non 
interrompu, oi Ton recomiadBse Tcao^re pjrilnitive, av^ 
tous ses caractferes distinctifs. 

Fidfele a notre habitude de joindre Texemple au pre- 
cepte, nous allons donner Tanalyse des deux premiers 
alinea de VOraison funebre de la reine d Angleterre^ 
dont nous reproduisons le texte ; les proportions que 
notre travail a d^& prises no nous pwmettent point 
d'operer sur tout le discours. 

PRIEIIIER ET SECOND ALINEA DK l'oBAISOII FUW^B&S DS LA BJUNE 

d'an&letebee. 

Celui qui r^gae dans les cieux, et dc qui reinvent tous les empires, 
a qui seul appartieat la gloire, la majesty et Tind^pendaDce, est auaii 
le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand 
il lui plait, de grandes et de terribles le<^ons. Soit qu'il ^Idve les tr6- 
nes, soft qu'il les abaisse; soit qtiMl eommunique sa puissance aux 
princes, soit qu'il la retire a lui-m^me et ne leur laisse ^e leur pro* 
pre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une mani^re souveraine 
et digne de lui ; car en leur donnant sa puissance il leur commande 
d'en user comme il fait lui-m^me pour le bien du monde, et leur fait 
voir en la retirant que toute leur majesty est emprunt^, et que pour 
^tre assis sur ie tr6ne lis n'en sont pas moins sous sa main el; sous son 
autorite supreme. Cest ainsi qu'il instruit le$ princes, npn-seulemeot 
par des discours et par des paroles, mais encore par des efTets et par 
des exemples. Et nunc^ reges^ intelligite; erudimini^ quijudica- 
tis terram. 



CHAPITRE PREMIER. 275 

Chr^tieii£, que la niei»oire d^une grande reine, ftWe, femme, in^te 

de rois si puissants, et souveraine de trois royaumes, appelle de tows ^ l*awalys« 

cot^s a cette triste ceremonie, ce discours vous fera parattre ub de 

ces exemples redoutables qui etalent aux yeux du monde sa vanite 

tout entiere. Vous verrez dans une seule vie toutes les extremites des 

cboses humaines ; la felicite sans homes, aussi bien que les miseres ; 

une longue et paisible jouissauce d'une des nobles cpuronnes de 

Tunivers : tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance 

et la grandeur accumul^es sur une t^e, qui ensuite est exposee a 

tons les outrages de la fortune ; la bonne cause d*abord suivie de bon^ 

sucoes, et depuis des retours soudains, des ehangepfients inou'is, 

la rebellion trop longtemps retenue, a la On tout a Mi maftresse, 

nul frein a la licence ; les lois abolies, la majeste violee par des at- 

teiktats jusqu'alors inconnus ; Tusurpation et la tyrannic sous le noni 

de liberty ; une reine fugitive qui ne trouve aucun^ retraite dans trois 

royaumes^ et a qui sa propre patrie n'est phisqu'un triste lieu d'exil; 

neuf voyages sur mer, entrepris par une prince^se malgr^ les temp^- 

tes, rOcean etonne de se voir traverse tant de fois en des appareils 

si £vers et pour des causes si differentes; un ti'^ne indigneinent 

renvers^ et miraculeusement v^tabli. Voil^ les ensefgnements <|ue 

Dieu donne aux rois : ainsi £ait-il .voir au monde le n^ant At. aes 

pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les 

expressions ne repondent a un sujet si vaste et si releve, les cboses 

parleront assez d^elles-memes ; le coeur d^une grande reine, autrefois 

eleve par une si longue suite de prosp^rit^s, et puis plough tout a coup 

dans un abtme d'amertumes, parlera assez haut ; et s'il n'est pas 

permis aux particuliers de faire des lec^ons aux princes sur des eve- 

nements si etranges, un roi me pr^te ses paroles pour leur dire : Ef 

nunc^ reges, intelligite, erudimini, qui judicatis ferrcrwi ; Enten- 

dez, 6 grands de la terre ! instmisez-vous, arbitres du monde ! 

Analyse. 

Dieu seul commande aux rois, et les frappe. Tons les effets de sa 
volont^ tendent a les instniire, a leur apprendre qu'ils sont nuls de- 
vant sa puissance. 

La m^moire de la reine d'Angleterre est un exemple de la vanite 
des cboses d'ici-bas. Tantdt beureuse au fatte de la puissance , tantdt 



276 TKOISIEME PARTIE. 

' - renvers^ de son tr6ne et fugitive, elle fiit constamment le jouet d'line 

D« I'analyse inconstante fortune, et sa vie rappelle aux princes ces paroles du roi- 
proph^te : Et nunc, etc., etc. 



On pourrait resumer en quelques pages le fond de 
pens^e qui forme le canevas de Toeuvre de Bossuet. 
L'analyse litteraire ainsi entendue et ex^cutee, est un 
travail de pensee et de logique. La il s'agit de saisir 
avee intelligence Tidee priricipale, sur laquelle sont 
entees toutes les pensees accessoires, que Ton neglige, 
attendu leur rang secondaire. On concoit la n^cessite 
de se briser sur ce travail avant de se lancer dans la 
composition, avant d'61aborer ses propresid^es. L'6l6ve 
dont la judiciaire, developpee et murie par I'exercice, 
demele avec nettete Tidee generatrice d'un discours, 
autorise a de justes esperances. 



II. 



De« parall^les. 

Les paralleles peuvent aiterner d'une maniere tres- 
profitable avec I'aaalyse litteraire. « Rien, dit M. de 
« Sepres, a qui nous empruntonB Texemple suivant, 
<c rien ne peut Stre plus instructif que de comparer 
« un auteur a lui-nieme, lorsqu'il traite deux sujets 
« analogues ; car, toujours dire la meme chose, et ne 
c< se repeter jamais, voila le probleme a resoudre pour 
« lout ecrivain. 

« On a propose de comparer la composition de deux 
« discours de Telemaque; Tun a Aceste dans le pre- 
« mier livre; Tautre a Sesostris, dans le deuxieme 
« livre ^ . L'el^ve a fait la composition suivante : 

« l"" Telemaque, errant pour chercher son pere, se 
« trouve en presence d'un roi. C'est le m6me sujet ; 

« 2^ La situation est la mfeme : il est au pouvoir 
« d'Aceste ; il est au pouvoir de Sesostris. 

« 3^ Mais Aceste lui parle durement et le menace; 

« Sesostris Taccueille avec bonte; 

«4*^ L'auteur n'a point fait le portrait d'Aceste; 

' Voir res Heux disronrs dans Fenelon. 



278 TROISIK.ME PARTIE. 



Des 
|)aralleles. « tris ; 



« mais il se complait a detailler les vertus de Sesos- 



« 5® 11 est done naturel que le jeune fils d'Ulysse 
if s'irrite centre Aceste , et parle a Sesostris avee une 
c< confiance respectueuse. 

a Telemaque dit a Sesostris ; f^oiis nignorez pas^ 6 
« grand roil 11 dit a Aceste : Sacliezj 6 roil que je suis 
« Telemaque y fils du sage Uljsse. II est impossible 
« de mieux peindre les sentiments du jeune homme. 
• De ces deux expressions , la premiere est mod^ree 
« et respectueuse; Tautre, au contraire, est fiere et 
« menacante; elle montre bien ce que doit 6prouver 
« Telemaque a la vue d'un ennemi que son pere a 
« vaincu. Sfjchez! ce mot est prononce dans le trans- 
« port de rindignation. Lorsque Telemaque dit : O 
« grand roil on sent que ce prince est saisi d'un pro- 
« fond respect a la vue de Sesostris. Fenelon fait dire 
a d'un c6te : Rendez-moi a won pere ; et de Tautre : 
cc Otez-rnoi la vie. Quelle difference! Dans le pre- 
tf mier passage, c'est une priere; dans Tautre, e'est 
« le mouvement d'un cceur offense. Rien ne depeint 
« mieux le caract^re hautain du jeune T616maque. » 

On fera bien de r^peter cet exercice sur un grand 
nombre de sujets; le Telemaque, par exemple, en 
fourriit en abondance. S'il est interessant de compa- 
rer un auteur a lui-m6me, il n'est pas moins instructif 
d'etablir un parallfele entre deux ecrivains diff^rents, 
et de voir le parti qu'ils ont tir^ des ressources qu'of- 
frait leur sujet. A mesure qu'on avance dans ces com- 
paraisons , les reflexions doivent se multiplier. La 



Des 



CHAPITRE DEUXifeME. 279 

pensee, le jugement, voila ce qu'ii ne faut jamais 
perdre de vue. Celui qui est inhabile a se rendre paraiieies. 
compte des impressions qu'il eprouve, et a les mettre 
en regard les unes des autres, sentira toujours une 
grande difficulte a rendre ses pensees a lui, et a les 
communiquer d'une manifere convenable. 



III. 



De0 iiiftitotloiis. 



Des parall^les on passera aux imitations. Decalquer 
avec art, sans jamais blesser le sentiment des conve- 
nances litteraires et morales, transporter d'un sujet a 
un autre les traits qui leur sont communs a tons deux, 
en conservant , autant qu'il est possible et dans leur 
ordre, la forme des phrases, les expressions et les 
mots, c'est faire une imitation. L'auteur cite dans le 
chapitre precedent va nous en fournir un excellent 
exemple 11 s'agit de raconter la douleur de Philoctete 
sur celle de Calypso. La ressemblance qui existe entre 
le sentiment de ces deux personnages est frappante ; 
le cadre phraseologique de Fenelon semblerait pres- 
que avoir ete dispose pour recevoir egalement les idees 
que chacun de ces sujets suggere. 



Douleur de Calypso. 

Calypso ne pouvait se con- 
soler dii depart d'Ulysse. 
Dans sa douleur, elle se 
trouvait malheureuse d'etre 
immortelle. Sa grotte ne re- 
sonnait plus de son chant ; 
les nymphes qui la ser- 
vaient n'osaient lui parler. 
Elle se promenait souvent 



Douleur de PhUoct^te, racontSe sur la 
douleur de Calypso. 

Philoctete ne pouvaitse consoler d'avoir 
devoile le secret de la mort du grand Al- 
cide, qu'il avait jure de ne jamais decou- 
vrir. Dans ^a douleur, il se trouvait plus 
malheureux par le ressouvenir de son par- 
jure, que de I'abandon si inbumain des 
Grecs, de la trahison d'Ulysse, et de I'hor- 
rible souffrance de sa plaie. Son autre re- 
lentissail nuit el jour de s^ gemissements. 



CHAPITRE TROISIEME. 



281 



seule sur les gazons fleuris 
doot un printemps eternel 
bordait son ile; mais ces 
beaux lieux , loin de mode- 
rer sa douleur, ne faisaient 
que lui rappeler le triste 
souvenir d'Ulysse, qu*elle y 
avail vu tant de fois aupres 
d'elle. Souvent elle demeu- 
rait immobile sur le rivage 
de la mer, qu'elle arrosait 
de ses larmes ; et elle etait 
sans cesse tournee vers le 
cote oil le vaisseau d'Ulysse, 
fendant les ondes, avail dis- 
paru a ses yeux. 



Dans le transport de sa douleur, ses hur- 
lements eloignaient loin de lui les betes 
farouches, qui avaient habite avant lui 
cette afifreuse caveme. Souvent, dans les 
assoupissements qui saivaient ses fre- 
quents acces de douleur, il voyait en songe 
Teclatant Olympe, ou tons les dieux etaient 
assembles; la, il voyait aussi le grand 
Alcide, entoure de rayons de gloire, assis 
pres du trone de Jupiter. Mais ces images 
de felicite, loin de moderer sa.douleur, ne 
faisaient que lui rappeler le triste souve- 
nir de son parjure. Souvent il demeurait 
eiendu sur le rivage de la mer, et ses re- 
gards etaient sans cesse tournes vers le 
cdte ou les vaisseaux des rois grecs, fen- 
dant les ondes, avaient disparu a ses yeux. 



Des 

imitations. 



L'eleve devra incontinent justifier son travail, tnon- 
trer que les faits , les sentiments qu'il a deposes dans 
un cadre tout prepare, ne sont pas des faits, des sen- 
timents de pure imagination, et decoulent evidem- 
ment de son sujet. Le maitre choisira de preference 
ceux qui sont a peine indiques, mais qui naissent 
facilement de la consideration des faits historiques 
ou autres. Tous les livres en fourmillent, et il ne faut 
qu'une attention eclairee pour les decouvrir. Get exer- 
cice demande sans doute un travail de recherches 
assez long pour reunir les circonstances qui se ratta- 
chent au sujet, mais Tavantage que Ton en retire com- 
pense bien des labeurs 



IV. 

Des mtipllllcatloiis. 

Amplifier, c'esl donner k une id6e toute TexMnsion 
de developpement qu'elle comporte; c'est en deduire 
naturellement des idees analogues, qui la font obser- 
ver sous toutes ses faces, c'est elever un edifice sur 
une donn6e fondamentale. On voit qu'ici grande lati- 
tude serait laissee aux fantaisies de Timagination, si 
le gout et le jugement n'etaient sur leurs gardes, pour 
venir en aide a la raison et au vraisemblable. Voila 
pourquoi nous avons tant insiste sur les exercices pre- 
paratoires, destines a imprimer une juste direction a 
ces importantes facultes. 

L^usage de bien des maitres est de donner a traiter 
a leurs eleves des sujets de pure imagination, dhs 
qu'ils out fait quelques progres dans une langue quel- 
conque. Get usage, nous le croyons essentiellement 
pernicieux. Car, comment pretendre que des jeunes 
gens dont la tfete est encore bien pauvre d'idees, tirent 
de leur propre fond les developpements de sujets qui 
demandent ou des connaissances etendues, qu'ils n'ont 
pu acquerir, ou une longue experience de choses qui 
leur sont absolument etrang^res? Comment, par 
exemple, decrire une tempfete sur mer, lorsqu'on n a 
jamais quitte les bords du ruisseau pres duquel on est 



CHAPITRE QUATBlfeME. 288 

ne? Une bataille, I'effet de rartillerie, quand on ne "~ 
connatt que les innocentes rixes de Tenfance, quand pUfications. 
onn a pasmdme vu la petite guerre, ni aucun des ap- 
pareils militaires? Le lever du soleil, quand, esclave de 
la moUesse, epris des charmes du duvet, on fait cha- 
que jour de son existence la grasse matinee? Qu'ar- 
rive-t-il alors? On se bat les flancs, on se monte la 
tfete, on fait du pathos, et 

La montagne en travail enfante une souris. 

II faut done apporter une extreme reserve dans le 
choix des sujets que nous donnons a traiter k nos oli- 
ves ; ne les faisons jamais sortir de la sphere des con- 
naissanees qu'ils ont acquises, ou bien commencons 
par les initier aux choses qu'ils doivent savoir, avant 
de se hasarder sur un terrain ou ils ne sont pas 
orientfe. 

Les eleves mal prepares, dont les etudes n'ont pas 
suivi une marche reguli^rement progresive, n'ont au- 
cune idee des convenances de style, Ils se figurent 
toujours que, s'ils ne rendent pas leur pensee avec 
pompe et fracas, ils ne font rien qui vaille. Le pre- 
mier soin des maitres capables et consciencieux , c'est 
de faire cesser cette illusion, Les exercices de me- 
moire, pratiques avec Constance, doivent, si le choix 
en a ete fait avec soin , justifier les remarques qu ils 
presenteront dans ce but a leurs eleves. Un grand 
maltre, en fait de style comme en fait d'art dramati- 
que, Moliere semble avoir voulu donner a tons les 
ecrivains, dans son Bourgeois gentilhomme . une leqon 



284 TROISIEMK PARTIE. 

"~ ~ dont nous devons aussi faire noire proiii. Nous avons 

Des am- * 

piificatioiis. souvent lu et commenle ce passage a des el^ves dont 
les idees sur la composition et le style n'ayaient rien 
d'arrete. Nous le recommandons a nos confreres^ et, 
les OBUvres de Moliere, bien que, fort repandues, ne se 
trouvant cependaut point partout, nous allons cepro* 
duire ici le plus essentiel de la conversation de 
M. Jourdain avec son mSiitre de philosopbie. 



M. JOUBDAIN. 

Quoi ! quand je dis : « Nicole , apportez-moi raes pantoufles , et 
me donnez mon bonnet de nuit, » c'est de la prose ? 

LE MAITBE DE PHILOSOPHIE. 

Oui, monsieur. , 

M JOUBDAIN. 

Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans 
que j'en susse rien; et je vous suis le plus oblige du monde de ra'a- 
voir appris cela. Je voudrais done lui mettre dans un billet, Belle 
marquise, t'os beaux yeux me font mourir d'arnour ; mais je vou- 
drais que cela ftUt mis d'une maniere galante, que cela fiit toume 
gentiment. 

LE MAITBE DE PHUiOSOPHlE. 

Mettre que le feu de ses yeux reduisent votre coeur en cendres ; 
que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un... 

M. JOUBDAIN. 

JSon, non, nou ; je ne veux point tout cela. Je ne veux que ce que 
je vous ai dit : Belle fnarqulse, vos beaiuv f/eux me font mourir 
d'-amour, „ 

LE MaItBE DE PHILOSOPHIE. 

II faut bien etendre un pen la chose. 

M. JOUBDAIN. 

Non , vous dis-je ; je ne veux que ces scules paroles-la dans le 
billet, mais tournees a la mode, bien arrangees comme il faut. Je 
vous prie de me dire un peu, pour voir, les rfiverses manieres dont on 
pent les mettre. 



CHAPITRE QUATRlfeME. 285 

LE maItbe de philosophie. 
On peut les mettre premierement comme vous avez dit : Belle ^^J^^^ 
marquise^ vos beaux yetuv me font mourir d' amour. Ou bien.: 
D'amour mourir m£ font, belle marquise, vos beaux yeux, Ou 
bien : Fos yeux beaux (T amour me font, belle marquise, mourir. 
Ou bien : Mourir vos beaux yetuv, belle marquise 9 d' amour me 
font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir , belle marquise ^ 
d'amour. 

M. JOUBDAIN. 

Mais de toutes ces faqons-la laquelle est la meilleure ? 

LE maItbe de philosophie. 
Celle que vous avez dite : Belle marquise, vos beaux yeux me 
font mourir d'amour, 

M. JOURDAIN. 

Cependant je n'ai point 6tudi^, et j'ai fait cela tout du premier 
coup. Je vous remercie de tout mon coeur, et je vous prie de venir 
demain de bonne heure. 

LE maItbe de philosophie. 

Je n'y manquerai pas ■ . 



Dans les deux premieres parties de ce livre, nous 
avons conduit le lecteur, pour ainsi dire, par la main. 
Lorsqu'il s'agit d'elements, on ne saurait entrer dans 
trop de details. Maintenant, il n'y a plus de procedes 
en quelque sorte mecaniques a signaler; un institu- 
teur, au debut de sa carriere, a besoin de conseils et 
d'indications sures pour pratiquer avec succes Tensei- 
gnement primaire et meme une partie de Tenseigne- 
ment secondaire; s'il est capable, il ne sera aiicune- 
inent embarrasse pour guider des eleves deja avances 

• Moliere, le Bourgeois gentilhomme , acte H, scene 6. 



286 TROISIEMK PAHTIE. 

"~ dans leurs exercices d'imagiaatton et de style. Ausst 

IMS sm** 

pU6cations. ne nous etendrons-nous pas davantage sur ce chapi- 
tre. lei, la reussite est certaine, a deux conditions 
seulement : 

r Un maitre lettre. 

2® Des ^Ifeves convenablement prepares , et labo- 
rieux. 



V. 



Etade de la lltt^rature. 

Le mot liiterature a une double acception. II in* 
dique : 

V La conrmissance des regies des dn^ers gent^s de 
compositions. 

2^ I] expose historic/ue et critique des ceui^res de 
I'esprit. 

Les regies qui dirigent les auteurs dans la compo- 
sition de leurs ouvrages, sont, dans toutes les langues 
cultiv6es, a peu pr^s les m^mes, sauf les nuances 
d' esprit particuliferes aux diff6rentes nationalites. Nos 
eleves etrangers peuvent done les apprendre dans leur 
langue maternelle. C'est une etude qui doit absolu- 
ment trouver sa place dans le plan dune Education 
bien entendue. S'ils ont appris en allemand, en an- 
glais, en espagnol, etc., etc., ce qui constitue Vode, 
\e poeme epique, XhistoirCj la tragddie^ la fable ^ etc., 
ils possMent les connaissances preliminaires indis-' 
pensables k Tetude des litteratures etrangferes, et de 
la litterature fran^aise en particulier. Nous savons 
qu'en bien des pays, on ne s'inquifete guere de cela. 
De la Grammaire, bien ou mal apprise, on bondit a la 
Litterature, c'est-i-dire i Thistoire des oeuvres litterai- 
res , sans se preoccuper le moins du nionde de faire 



288 TKOISIKME PAKTIE. 

~~~r~j etudier aux jeunes gens les prineipes, qu'ont respectes 
de la ou violes les auteurs qui vont passer sous leurs yeux. 

litterature. i r j 

C'est une profonde lacune a combler. 

La litterature francaise est si riche et si variee, 
qu'une vie d'homme ne suffirait pas a en connaitre 
les oeuvres remarquables, entassees depuis des slides 
par le genie des ecrivains. Pour des Etrangers , il ne 
peut done gu^re s'agir d'une etude complete de This- 
toire de notre litterature; ils doivent, de toute neces- 
site, se borner a etudier les principaux auteurs qui se 
sont di3tingues dans chaque genre. Ils y parviendront 
au moyen des norabreux Precis et Resumes ^ qu'on 
peutse procurer partout. Ces ouvrages presentent, en 
raccourci,le tableau de notre activite litteraire, depuis 
Tenfance de la litterature francaise jusqu'a nos jours. 
Parmi les publications de cette espece faites a Tfetran- 
ger, nous recommandons, en particulier a nos lecteurs 
allemands, celle qui a pour auteur M. Peschier, pro- 
fesseur a TUniversite deTubingue. La manifere de Tau- 
teur revde une plume habile, et une etude intelligente 
de nos tr^sors litteraires. 

A tous ces ouvrages, quel qu'en soit le merite, il 
faut un complement, la lecture des auteurs, au fur et 
a mesure que Ton fait leur connaissance. 11 serait plus 
dispendieux que difficile de se les procurer tous; la 
jeunesse studieuse , et, en r^gle generale, fort p6nu- 
rieuse, doit done savoir gre a M. Tissot de lui 6tre 
venu en aide par ses Ijecons de Utteraiurey qui, en sui- 
vant Tordre des temps, donnent des extraits de tous 
les auteurs francais remarquables, precedes, pour 



CHAPITRE CIiNQUlfeME. 289 

chacun , d'une notice biographique et litteraire. Ces j.^^^^^ 
extraits suffisent parfaitement pour donner une idee ,. de la 

^ '■ ^ ^ lilterature. 

de notre litterature jusqu'au sifecle de LouisXlV; mais, 
a partir de cette grande epoque , nous croyons qu'il 
faut, autant que possible, faire des lectures plus eten- 
dues et plus varices. M. Tissot a du necessairement 
s'imposer certaines boroe^. 

Les Etrangers qui, non contents d'un simple guide, 
veulent consulter les grands ouvrages que nous pos- 
86dons sur notre litterature,. n*ont que Tembarras du 
choix. La Harpe, Marmontel, Chenier, de Barante, 
Villemain, etc., etc., off rent une riche p&ture aux 
esprits curieux de saines doctrines litteraires. De tons 
ces auteurs , il n'y a que la Harpe qui ait pass6 en 
revue toute la litt6rature francaise; mais on salt qu'il 
est sujet a caution dans ses jugements sur ses contem- 
porains. Les autres n'ont trait6, chacun, que d'une 
epoque. A ces ouvrages fort remarquables, on joindra, 
avec grand avantage, XHistoire de la litterature fran- 
caise, par M. Desire Nisard. Le savant professeur de 
rficole normale, quittant les voies frayees par ses de- 
vanciers , s'attache a faire « reconnattre , dans le ma- 
« gnifique ensemble des chefs - d'oeuvre de Tesprit 
(^francais, I'image la plus complete et la plus pure 
« de I'esprit humain ' . » Get ouvrage est un veritable 
charme pour les esprits serieux, et un hommage 
rendu k I'intelligence que Dieu a mise en I'homme. 
Exegit monumentum ! 

• Preface. 



VI. 



De la vepslfleation. 



Notre eleve etudiera les regies de la versification 
francaise, non pour tourmenter un jour Pegase , mais 
afin d'etre a mSme de mieux gouter les oeuvres poe- 
tiques de notre langue. II apprendra done a connattre 
le nombre des syllabes qui doivent entrer dans chaque 
espfece de vers ; rhemistiche ou cesure, qui marque le 
repos; la rime et le melange des rimes; les mots dont 
on pent se servir, et les termes impropres ; les diver- 
ses mani^res dont les vers doivent fetre arranges entre 
eux dans les differents poemes; les licences poeti- 
ques, etc., etc. 

La place naturelle d'un Traite elementaire de ver- 
sification franqaise se trouve a la suite des Recueils de 
poesies. L'auteur d'un livre de ce genre % que nous 
avons sous les yeux, a eu Theureuse idee de le faire 
suivre de quelques mots sur la versification francaise. 
Cette petite dissertation ne remplit pas tout a fait 
notre programme sur la matiere ; mais au moins c'est 
un pas de fait. 



• Recueil de poesies fran^aises , redige par Frederic Caumont , 2* edit, 
1852. A B^le, chez J. Schweighauser. 



VII. 



Concliision. 



Nous voila au terme de notre tache; puissions- 
nous Tavoir executee d'une maniere profitable a ceux 
qui liront ce travail, et le consulteront dans leurs tra- 
vaux! Nous avons indique en detail la marche que 
Ton peut suivre dans Tenseignement et I'etude de 
notre langue ; il est cependant une foule de remarques 
journalieres que nous n'avons pas consignees dans ce 
livre : le maitre auquel il faudrait les apprendre, ne 
serait pas a la hauteur de sa modeste vocation. 

« C'est dans Pascal , Corneille, Racine, Despreaux, 
« Bossuet, Flechier, Fenelon, madame de Sevigne, etc. , 
« dit Levizac, qu'on doit etudier la langue francaise, 
« si Ton vent en connaitre a fond toutes les beautes. » 
La lecture de nos chefs-d'oeuvre classiques sera done 
Taccompagnement indispensable de Tetude de notre 
langue. Cette lecture ne consistera pas a feuilleter le- 
gerement les ouvrages de ces genies immortels : refle- 
chie, serieuse, elle sera d'une utilite immense. En 
resumant leurs belles conceptions, nous enrichirons 
notre esprit des grandes pensees qu'ils ont elaborees. 
Dans Tetude d'une langue etrangere , on doit aspirer 
autant au progres intellectuel et moral qu'a la faculte 



Conclusion • 



292 TROISIEME PARTIE. 

de s'enoncer dans un idiome autre que la langue ma- 
ternelle; d'ailleurs, il est prudent d'appuyer sa science 
8ur des bases solides, si I'on ne veut voir bient&t s'af- 
faisser ce fragile edifice. 

Lisez done et relisez nos classiques ; penetrez-vous 
de leur esprit et de leur maniere. La litterature de 
notre si^cle off re un melange de bon, de mediocre et 
de detestable. L'aborder sans etre premuni contre les 
d^fauts qui puUulent dans maintes productions, c'est 
g^ter son gout au lieu de Tepurer, c'est se fausser le 
jugement. Alors on admire comnie une beauts ce de- 
faut qui heurte toutes les regies de Tart de penser et 
d'ecrire ; on neglige ces traits de genie, cette pensee 
brillante et solide, qui caracterisent un auteur, et le 
font surgir de la foule. Une fois habitue aux lectures 
fri voles et aussi denuees de forme que de fond, Tes- 
prit s affadit et la vie intellectuelle est bien pres de 
s'^teindre. 

Les sujets de conversation, de discussion et d'etude 
embrassant toutes les connaissances humaines , tous 
les faits et evenements possibles , il serait trfes-avaii- 
tageux a Tfitranger qui veut s'exprimer convenable- 
ment dans notre langue, d'ebaucher en frangais les 
elements au moins de I'histoire, de la geographic, de 
la philosophic, de la mythologie, des sciences natu- 
relies et exactes, de la rhetorique, voire m^me des 
arts et metiers, etc., etc. Un peu de tout, quand il 
s*agit d'une langue ; quelques apercus en terminologie 
mettent en etat de se suffire a soi-mfeme dans mainte 
circonstance de la vie. Quand on reflechit que, mal- 



CHAPITRE SEPTIEME. 293 

ere un riche fond d'idees, souvent la penurie de mots *" ~ 

^ ^ . Conclusion. 

propres exclut un Etranger d'un entretien instructif, 
ou il pourrait faire ses preuves, d'une polemique dont 
il se tirerait avec honneur, on comprendra notre re- 
commandation. Heureux celui que la perseverance 
fera triompher de tous les obstacles ! 



TABLE DES MATlfeRES. 



CONSIDlfcRATlONS PR^LimNAlRBS. 

Pages. 



I. Du choix d*uii maitre. ... l 

II. De Televe 9 

HI. Regies generales de con- 



i'ageii. 

duite pour le maitre 12 

IV. De la prouonciation el de 
raccent 19 



PREMIERE PARTIE. 

ETUDE ET EIfSi<IGNEMENT PRIM AIRES. 



I. Premiers exercices 23 

II. Moyen attrayant pour en- 
seigner aux petits enfants le 
francais, ou toute autre Ian- 
gue 31 

III. La lecon de conversation. 35 

IV. De la lecture 44 



V. De Tecriture 49 

VI. Le livre du premier age. . 51 

VII. Exercices et grammaire.. 65 
VHI. De I'analyse grammati- 

cale au premier degre 81 

IX. Arithmetique 86 

X. Resultate 97 



DEUXIEME PARTIE. 



^TUDE ET ENSBIGNBBIENT SBCONDAIRBS. 



I. De la grammaire 99 

II. Exercices dememoire etde 
style 118 

III. De la traduction 125 

Morceaux d*allemand tra- 

duits en fran^is 132 

Morceau d'anglais traduit 
en fran^is 144 



Morceau d'italien traduit 
en frangais 173 

Morceau de russe traduit 
en francais 179 

IV. De I'analyse grammaticale 

au second degre 190 

V. Des vers mis en prose 202 

VI. Des narrations orales 211 



296 



TABLE DES MATIEKES. 



VII. Des narrations ecrites. . . 
Vni. Du style epistolaire. . . . 

IX. Petits intermedes 

Mots des ^nigmes, charcuies, 
etc., donnees au cbapitre 
IX: 

1. As 

2. Cor, come, comet, cor- 
nette 

3. Adieu 

4. Lanieme 

5. Alliance, ou Ton trouve 
caille, cane, lie, cana, 
ail, dne, ilie, ake, lin, 
Caen, cU, canaille, laie, 
Alice, Nil, lice^ del, an, 
. . . , tie, Cain, ein, ilan. 



Paget, 
214 
228 
249 



255 

lb 
lb. 
lb. 



t'age*. 

Nice, laine, aile 256 

6. Basson 257 

7. Bonheur lb, 

8. ffeure, rue lb. 

9. Charlatan 258 

to. Poule, loupe lb. 

11. Copeau, coupe, eau, 
peau i . . lb. 

12. Chdteau lb. 

13. Pouletle, poulet^ poule. 259 

14. Joute,jouet lb. 

15. Ami... lb. 

16. Mardtre, martre lb. 

17. To^t, trot Tb. 

18. Balance lb. 

X. Des repetitions 261 

XI. RcsulUts 267 



TROISlftME PARTIE. 

AtUDK RT RllSBIGNniBIlT SUP^RIBUKS. 



I. De I'analyse litteraire 273 

II. Desparalleles 277 

ni. Des imitations 280 

IV. Des amplifications 282 



V. £tudedela1itterature.. 


.. 287 


VI. De la versification 


.. 290 


VII. Conclusion 


.. 291 



Par in. — Typofraplilr dr f imin Didot Frcrw . Bli e\ C*. nir Jarob, &6.