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^r. A.
2
9
/
r
"~>
fiTUDE ET ENSEIGNEMENT
LA LANGUE FRANQAISE
A L'fiT RANGER.
PRINCIPAUX OUVRAGES DU MfiME AUTEUR,
PDBLlis EN DIVERS PATS.
ALLEMA6NE.
Conseds el prSceptes sur la maniorc d'cnseigner et d'etiidicr la langue
francaise en Allemagne. Stuttgart, Paul Neff.
(icrnianismes corrigSs, ou Remarques sur les faules ordinaires aux Al-
leniands qui parlent Ic franenis. Stuttgart, Paul Neff.
Nouvelle grammaire francaise complete, a Tusage des AUemands, redi-
gee d'apres un plan methodique, ralionnel, et en partie nouveau, et
enrichie d*un traite d*analyse grammaticale. Stuttgart, Louis ffaff-
l)erger,
Exercices de levicographU et de spntaxe ', ptrtie pratique de la Nou-
vellc Granimaire francaise a Tiisage des Allemands. Stuttgart, Louis
Hallberger.
Corrig4'Traduction des Exercices de la Nouvelle Grammaire francaise
a Tusage des Allemands. Stuttgart, Louis Hallberger,
Guide de la conversation francaise et allemande. Stuttgart, Louis Hall-
berger,
Nem /Yanz6$isch$ SpraehleMre, turn ersten Sehol-und Privat-Unterricht.
Stuttgart, bei Ludwig Hallberger.
P0L06NE
Guide de la conversation francaise, allemande, polonaise et nisse. Var-
sovie , J. Bernstein. Przewodnik rozmow potocznych w jezykach :
francuzkim, niemieckim, polskim i rossyjskim. Warszawa, Nakla-
dem J. Bernsteina,
RUSSIE.
( En voie de publication. )
Cours 4Umentaire de langue frangaise ', en 5 tomes.
Tome I. Le livre du premier kge. \ En regard du texte
Tome II. Exercices et Grammaire, T* partie. J fraucais, traduction russe.
Tome III. Exercices et Grammaire, ?• \iSiri\e.\ allemande, polonaise, an-
Tome IV. Premieres lectures. ( glaise, etc., etc., selon la
Tome V. Secondes lectures. ) langue de I'eleve.
L'auteur, chef d'institution a laroslaw (Russie), recevra avec empres-
scment et reconnaissance les propositions des personnes qui voudraient
c^ntribuer a la propagation de son Cours 4Umentaire de langtie/rangaise
dans les pays etrangers. Le texte francais reste le meme pour toutes les
nationalites, la traduction scule change.
' Ell langue allemande.
' Voir le present ouvrage. Premiere partie, cliapitres VI et VII.
ETUDE ET EiNSEIGNEMENT
Ilalie.
1)E LA _
G^-Bratagne. Poiogne.
LANGIJE FRANCAISE
A L'ETR ANGER.
PAH IS,
LIBRAIRIK DK KIRMIN DJDOT FRfcRES. KI1,S KT ('
IwmiMEl/RS PE L'l^STIll<T, M'K lArjOU, 06
1858.
I)ii»it dc lr.idnril<m «■! d« rcpnidiiclion i^«nv6
Portugal.
Hassle.
Turqule,
Grtce »o;<^o« Sukde.
CONSKILS — PRECEPTBS. — F.XBRCICF.S.
Oiivrage comprenant I't^tudc i-t rKiisei)nii<'mfiil primaires ,
secoiukUres et superieurs, et d(>Htin(^ aux Maitrest et Mattresses de lau^iic
fr.iiiCaisc, aux Precepteurs, txiwdourernantes, aux Chefs d' institution, aux Pert
f'f Meres dc famiUc, et (^n^ralement A toutes Ich |>ersonncs<|ui 6tudi<>nt on
eiiscignent la laugnv francaiso, on loute autre lanKue culiiv^i*.
PAR CHARLES BIGOT,
Autcur de nombreux ouvraKct pour runseittncDionl de la Unpui* TranvaUe
a TEtranffpr.
---- ^.v<-^-
z' y-,--'^--
La langue franqaise est d'lin usage unWersel; elle
e^t devenue le moyen de communication des penples
entre eux. 11 est done d'mi int^fit majeur pour ceux
qui rensdgnent et les Strangers qui I'etudient, d'avoir
quelques principes %tar% auxquels ils puissent se rat-
taeber. Le terrain que nous explorons est encore
vierge; il existe une masse de grammaires, mais nous
ne connaissons pas d'ouvrage qui traite de la ma-
niere d'enseigner et d'etudier notre langue h Tl^tran-
ger. Cast une lacune que nous desirous avoir conve-
nablement remplie ; le public en jugera.
On se tromperait bien si Ton allait prendre les pr6-
ceptes exposes ci-apr^s pour la methode absolue et
invariable qui doit regler le maitre et le disciple ; il
n'en existe pas dans ce sens. Tel sujet exige telle
marche appropriee a ses facultes intellectuelles , tel
sujet demande une autre regie de conduite. Poser une
serie de donnees que fera fructifier une intelligence
apte a saisir les principes , voila tout ce qui est en
notre pouvoir. Nous dirons, autant quil est en nous,
ce que doit etre le maitre, les qualites qu'il doit offrir
a son eleve , celles que I'eleve reunira pour que Ten-
seignement porte fruit, bref, la maniere dont Tun
pent seconder les efforts de T autre et les amener a
bonne fin.
Les ligiies qui precedent servaient d'Introduction a
uo petit essai que nous avons publie, il y a longtemps
deja^ sur la mfeme matiere * . Nous Tavons reproduit,
a peu pres intact, dans le travail que nous publions
aujourd'hui. Nps id^es sont restees les m&mes sur
Tobjet dont nous traitons, mais elles se sont elargies
et developpees dans les proportions de Texperience que
nous avons acquise dans une periode de quinze annees
d'enseignement. Nous reridre utile est, aujourd'hui
comme alora, Botre unique desir.
Paris, aout 1858.
' CoNSEILS Kt prIm^RPTES sur la maniere tTenseigner et (Tetudter la Ian-
gue francaise en Jllemagne, petite brochure de 5? pages. — Stuttgart, Paul
Neff, ^iteur, 1843.
ETUDE ET ENSEIGNEMENT
DE
LA LANGUE FRANCAISE
A L'fiTRANGER,
CONSIDERATIONS PRfiLlMlNAlRES.
I.
Jules Janin dit quelque part : « II n'y a guere que
a les mathematiques que Ton ne puisse pas ensei-
<€ gner sans les avoir apprises. » Ges paroles de Til-
lustre critique sont Texpr^ssion dune grande verite,
que confirme Tobservation de tons les jours. Mais il y
a enseignement et enseignement. L'un est serieux,
Tautre derisoire ; Tun a un but, dont il nous rapproche
incessamment , Tautre est un vaisseau en derive , qui
va se briser sur les ecueils. Helas ! de combien Ten-
2 CONSIDtKATIONS PKKLIMINAIRES.
~ seignement derisoire du franqais n'est-il pas plus fre-
d'uiiraaitre. quent, a Tetranger, que Tenseignement serieux !
Parcourez TEurope, visitez les plus modestes petites
villes du continent, partout vous trouVe[pez , en grande
majorite, les gens qui font semblant, les uns d'etu-
dier, les autres d'enseigner notre belle langue fran-
caise ; vous en trouverez qui Tetudient depuis des an-
nees s^ns en aavoir autant que sait de latin , chez nous,
un eleve de sixieme; vous trouverez (et maintenant
etonnez-vous encore de quel que chose ! ) des maitres
de langue francaisene parlarit point francais, et, fort
probablement , ne pensant pas davantage.
Un des pays de TEurope ou la langue francaise est
le plus maltraitee, c'est rAllemagne. Chaque annee
rAllemagne e^nyoie^eu France de nouv^Ues immigra-
tions, avides de connaitre ces belles cbntrees et de
posseder notre idiome. Negociants en herbe, artistes,
gens de lettres , publicistes , chacun veut passer au
moins quelques lunes dans Tatmosphere de la Mecque
occidentale , chactiri veut faire ce pelerinage, admirer
de ses propres yeux les merveilles de la capitale des
arts et des sciences , avoir ete a Paris ! Chaque
ann^e aussi, TAHemagne voit poindre de ces hommes,
nous dirions rares s'il n y en avait tant, qui, en un
laps de vingt a trente mois (absolument ce qu'un gar-
QOrt tailleur met a faire son tour de France), ont ab-
sorbe tons les tremors de la langue francaise, et vien-
nent en gratifier leur patrie recotinaissante.
En Russie , les choses ne se passent pas tout a fait
de mfeme. A part un assez grand nombre, il est vrai,
CONSIDftHATIONS PRELIM IN AIRES. 3
de gouvernantes indigenes pour tout faire, les institu- T"
teurs ruBses de naissance qui enseignent le francais a^unmaitre.
ferment comparativeinent un chiffre. as^z modeste.
Mais, en revanche, de quels elements* heterog^nes et
discordants ne se compose pas la cohorte des etrangers ,
Francais, Suisses, Beiges, Savoisiens, etc., etc., etc.,
qui professent la langue franqaise sup Tetendue de cet
immense empire ! On est venu en Russie pour faire
des chapeaux, apprfeter des soieries, dorer an feu,
decouper des gants ou des biftecks, et, la chapellerie
ayaxit chdme, la fabrique nous ayant congedie, le vif*
argent nous ayant fait renoncer a la dorure, la de-
bauche au metier de queux, voila nos chapeliers, ap-
pr^teurs, doreurs, gantiers et chefs, metamorphoses
en marchands de participes ^ eomme its s'intituleiit
ironiquement , sous Timpression du malaise que leur
fait eprouver cette profession improvisee.
La langUe francaise etant devenue, dans les pays
etrangers, une mode pour bien dumonde, chacunveut
enattraper unbrimborion. Mais, si toutes les bourses
peuvent avoir la mime capacite, toutes sont loin d*6tre
egalement bien garnies. Et cependant les inaitres,
quelles que soient leurs modestes pretentions, doivent
Stre paye». Que faire alors? 11 ne reste d'autre parti
que le bon marche. Cela fait que tout le monde se
place, et que tout le monde est peu satisfait. Et il ne
pent en 6tre autrement. Quand on a passe sa jeunesse
a 6tudier tout autre chose que Talignement des mots
et Tagencement des phrases , il est difficile de se met-
tre a regenter avec succes des marmots, et a enseigner
fX>^SII>KR\TIOi%S PRklJMIlS AIRES.
jj^^j^. one langue. Le francais que monirent^ de pareils ins-
J tin maitrfc titateors sied anssi bieD ^ dans la boaehe de leors eleves^
qoe les ehapeaox confeclioDiies d apres les joomaux
de modes pari»ennes sar la tete des ele^Dtes, dans
les petites yilles de Finteriear de la Russie. Ridicule
par^ci , ridicnle par-la.
Nous avons connu , quelque part a Telradger, un
chapelier qui , le matin, donriait des lecons de sa Ian-
gue, Tapres-midi repassait ses chapeaux , et, le soir,
preparait ses lecons du lendemain. Arrive dans le pays
pour omer les tStes a sa raaniere , le InraYe homme a
eu le bon sens de retourner a ses gaieties ^ et, dit-on,
il ne s'en trouve pas mal. Lorsque, a son etabli, il
perore sur les connaissances necessaires k un maitre
de langue francaise , il ne manque jamais de repeter
cette pbrase, qui est comme stereotypee sur ses levres :
a Au jour d^aujord'hui, il faut d'abord bien sayoir ses
« dix parties du discours. » Et , tout fier, il pose pour
un moment son carreau, et promene sur son auditoire
un regard plein d'une majestueuse assurance.
Nous avons egalement connu , dans la mSme ville^
un individu qui , se mdlant aussi du commerce de
participes, etait parvenu a se placer dans une fa*
mille trfes-distinguee. Un beau jour cependant, le d^-
' Un penoDiuige occupant une eminente position a VarsoTie avait Thabitude
de te faire presenter les etraiigers qui arrivaient en Pologne et de leur demander
ce qui les amenait dans le pays. « Je viens montrer ma langue, dit un jour un
nouveau venu. — Ah! lui fiit-il a Tinstant replique, vous venez nous montrer
votre langue ; eh bien , moi , je vous montre la langue russe. » Et une langue
d'un demi-pied , etalee aux yeux de ce quidara ebahi ^ prouva d*une maniere
irresistible qu'i! avait trouve son maitre.
CONSlDfiRAtIOI»^S PRELIMmAIRES. 5
gout da metier le prit si fort que , dans tine reunion 7"
J • •! » f • T» 1 I ■ ^ choix
de eompatnotes , 11 seeria : « Bah! je retourne & la d'nhmaitre.
« place Maubert , et, messieurs , si vous allez un jour
« gi Paris , venez me voir ; je vous veudrai une fa
« .meuse i^^ive^e philosophes I » Et ii tint parole, etla
place Maubert le Toit continuer le noble trafic qu'il
herita de ses peres.
8i les idueatioiu faites par de tels maitres n'a-
vaient d-auU*e inconvenient que de transmettre a k
j^unesse des^eonnaissanees incompletes, on pourrait,
ju&qu'a utt certain point, en prendre son parti. II y a
dea'degriSs^iians lacultare intellectuelle, et, sous ce
rapport, l^'ambitk)nss6nt d'ordinaire assez modestes \
mais^ k chl[^s^ inerite qu'on y regarde de plus pr^s.
L'homme que nous donnons pour gouverneur a notre
eofwit ex^ee une notable influence sur son el^ve. S'it
est a li hauteur de sa position, il doit imprimer aux
etuctes diverses une direction intelligente, et, pour at-
teindre ce but, il lui faut autre chose qu'une langue ,
m6mfe-p*8sablement parl«ee. On sait ce que devien-
nent deiax aveugl^s se condui^ant Tun I'autre.
On ent^d quelquefois dire : « Mais je ne veux pas
« qtie mon enfant devienne un savant; s'il parle
« francais^^ c'est tout ce qu*il me faut. » I^sperson-
nes qui font un pareil raisonnement out Tair de He
pas se douter qu'il y a francais et francais : le fran- ^
cais des gens cultiv^s et celui des ignorants ; le fran-
cais des gens bien eleves et celui des gens sans edu-
cation; le francais du salon et celui de la rue. Quand
on a mis totite sa* pauvre logique a deraisonner de lii
6 CONSIDERATIONS PRELIMINAIRES.
— sorte, on prend un maitre qui enseigne tout simple-
d^immaitre. meat 9. parlor le francais, et, cette belle education
terminee, yous avez un jeune homme dont le langage,
reproduction fidele de celui de son maitre, est d'ordi-
naire ridicule, trivial, voire m6me saugrenu.
Le Franqais qui enseigne a Tetranger doit a{^orter,
dans le choix de ses expressions une circonspection
toute particuliere. En parlant avec nos qompatriotes,
nous pouvons, sans que cela tire a consequence , em-
ployer un mot hasarde ; mais devant des.Etrangers, qui
vous prennent pour ainsi dire les parples sur la \m-
gue, notre elocution doit fetre toujoura ehatite, tou^-
jour^ de bon gout et do bop ton. Ppur. celui qui ^at
peu au fait d'uue languQ, un mot eu.yfiut m au^re; et
si, par exemple, qu^lqu'un ne s'etait poin^ oubUe en
presence de certaine jeune personne etrangere ,. bien
el^v^^ du reste, nous ne Taurions point en teudue dire
uu JQur a une de ses amies : « Tu blagues^ ma chere,
a tu blagues! ^
Nous ne croyous pas qu*il existe beaucoup d'hom-
mes meritaot le aom de polygloites. Ou pent parler en
perfection une langue, et <^'est toujours la langue ma-
ternelle ou celle qui s'y est substituee ; mais en parler
plusieurs en perfection nous semble impossible. Pour
bien s'e^pHmer dans un idiome 9 il y a tant de points
a observer, tant de nuances dMicates a saisir, tant
d'usages a connaitre, usages divers ou m^me con-
traires dans les langues diverses j que celui qui reus-
sirait egalement bien dans plusieurs devrait posseder
des dispositions surhumaines. Tel mol,.qui rend par-
CONSIDERATIONS PHELIMINAIRES. 7
faitement moa id^e a moi, Cait pouffer de rire tin ^7 ~"
AUemand ^ ou est peut-^tre empreint de sattise pour duainwtre.
un AilglaiB, ct vice versa. Pour s'exprimeF egalement
bien dains deux langues differentes, il faudrait en
qiielqtiie^orte^yoir des facult6s enpartie double, et
faire usage des tines et des autres, selon que Von au-
rait k r^pondre a telle ou telle exigence ^ Du choix
des expressioDd depend toujours I'exacte interpretation
de la pensee, et sou vent, avant toute intervention du
jugement ou du gout, nous n'avons d'autre moyen
de nous fixer que ce sens intime , ce demon de So-
crate y si nous pouvons hasarder cette comparaison ,
lequel a pris son gite en notre esprit des le principe,
et dont Texistence s'est developpee et affermie a
mesure que nous avons cr6 sur la terre paternelle ;
souvent, a Texelusion du jugement et du gout, ces
deux facultes fondamehtales , il nous faut puiser a
cette source interieure la solution qui nous tourmente.
Et la , nous le demandons , quelle ressource reste a
I'Etranger?
L'Etranger, avec son organe brise a des inflexions ,
a des emissions de voix toiites locales; avec son es-
prit, qui modfele la pensee et la fait jaillir sous I'im-
pression du climat et de sa race ; T^tranger, des qu'il
franchit les limites des langues, porte toujours un
cachet ineffacable, dont le temps lui-mfeme ne fait
que renforcer Tempreinte et charger les couleurs.
Les considerations qui precedent nous portent a
conclure que, pour enseigner le francais aux Stran-
gers, il faut Mre Francais, non de titre, mais d'ha-
8 CONSmtoATIONS PRELIMINAIRES.
"7 ~" bitudes, d'education , d'esprit, d'affection , et surtout
d'unnuiitre. de langage ; avoir balbutie sa langue au berceau,
Favoir trituree dans les ebats de Tenfance, dans la
vie agitee du jeune homme, dans la vie calme de
r^e mfir; en posseder les principes grammaticaux
et logiques ; enfin, vouer son existence enti^re au but
que Ton vent atteindre. Telles sont les conditions de
reussite dans notre branche d'enseigHement.
II.
Si le mattre a.de grands devoirs k remplir, Velev^,
lui aussi, doit, pair nne cooperation active et serieuse^;
mettre^ profit Tinstruction qu'on lui presente. L'etude
d'une langue est chose plus serieuse que le vulgaire
ne se Timagine; c'est une mine qui offre d'inepuisa-
bles filoni an travailleur ardent a la t^he; c'est un
monde oft Von decouvre, a chaque pasj des plages in -
connues.
Pour marcher feurertient de decouverte en decou-
verte dans ce travail; pour ajouter acquisition a ac-
quisition, il faut.k r^leve inexperiment6 une bousaole
qui ne Tinduise point en erreur; it lui fauty du moins
a partis de Tenseignement secondaire, commitre sa
langue maternelle^ non de routine, mais par 1- etude
etle raisonnemeht. Trop souvent le maitre est oblige
de faire marcher de front Tetude des deux langues,'
d^apprenirek son el^ve a ranger, dans Tune comme
dans I'autre, chaque mot dans une classe particu-
litee, de lui fair6 remarquer le r&le que chaque signe
joue dans le discours , sa valeur intrinseque et rela-
tive. C'est la un retard deplorable, et heureux leleve
que ses facultes mettent a mfeme de combler rapide-
ment cette lacune.
H^rar^e.
On renecmtre assez firequemiDait, a reCrangier, des
yenouDes qui Tcms disent : « Mes eofuits iie parient
« que le francais; ils com[«tDiieol a peine leor langne
« maternelle , el f (ml en la parlant |H^esqae antant de
c fiaoles que des etrangers. » Noos regaidons cela
e<Hnme on Teritable malheiur, et poor les parents,
et poor les enfants : poor les parents, parce que
cela indiqiie une bien foiUe dose de palrioliaBie, sans
eomplCT mainte antie conseqooioe defanirahfo; pour
lea oiCants, paroe que c'est, a notre avis^ chose fori
trisiB et hnnnliante de ne pas posaeder sa langpe ma*
t^rnelle, sortoni qiiand on est ne dans nne condition
dcmtrignoiaDce n'est point lapanagehabitueLEnsuite^
cette mamefe de trails la langne de son pays, dans
la propre personne de ses enfants, n'est guere pcfpre
a la leor faire aimer et cultiver dans un age plus
antnce. Un bomme qui dedaigne Tidiome national ne
sera jamais na grand ni meme un IiK^n citoyen; car,
qu'est-ce qui constitue la nationalite? Deux choses :
la retigian et la langue. En dehors meme de ces con^
siderations, doni la haute verite ne saurait ^tre mise
en ddnte, et sons le rapport exdusif de Tetude des
langues etrangeres, il y a tout avantage et profit k
posseder la langue de son pays. Bien apprise, elle
nous foumit un point de depart et une base oA nous
pomrons asseoir les acquisitions philologiques que
nous procure Tetude d'idiomes etrangers; elle nous
foumit Foccasion d'etablir des paralleles interessants
et instructifs, qui ne contribuent pas mediocrement a
developper notre sagacite et a murir notre jngement,
CONSIDERATIONS PR£LIMIN AIRES. 11
tout en nous faisant contracter, d^s la jeunesse , des
habitudes serieuses dont profite T^e m<ir. Et puis ,
est-il une seule branche (Joa connaissances liumaines
a laquelle la langue maternelle soit etrang^re? Dans
les sciences, les grands mattres ne sont-ils pa? tou-
jours de grands ^riyains? Ce que Boileau dit de la
langue a propos de Tart poetique, il I'eiit dit k I'oc-
casion de tons les autres arts. Sans la langue, c'est^a-
dire sans la langue bien comprise, bien 6tudi^e, tna-
ni^e de main de mattre, jamais on n'atteindra la bau*
teur d'aucun art«
Pour en rev^nir done a notre sujet, ce sera un
avantage immense, pour Tecolier, que de posseder sa
langue maternelle.
De Televc.
III.
R^^les irenerMles de condiilte |ioiir le iiiaitre.
Si Ton se reporte k ses premiers debuts : dans
Tetude d'une langue etrangere, on se rappellera avec
quelle dif ficulte on parvenait a saisir le langage parle,
a partager les phrases en mots, et les mots en sylla-
bes, a repeter le troncjon de phrase le plus exigu, a
distinguer les expressions les unes des autres dans
Facte de la parole. On se rappellera toutes les peines
que ces premiers pas ont coutees, toutes les larmes
dont on a trempe cette graramaire si rebelle. Eh bien !
e'est ici que commence la tache serieuse de Tinstitu-
teur : inspirer a ses disciples le goAt de Tetude, leur
offrir comme une recompense la decouverte de prin-
cipes nouveaux pour eux, leur alleger le travail, voila
son devoir, II stimulera Tamour-propre de Tun, cares-
sera la timidite de Tautre en lui tendant une main
secourable, fera honte a celui-la, qui, sottement enti-
che de sa naissance, se laisse depasser par le fils de
rhumble proletaire ; il emploiera, pour parvenir a ses
fins, tons les moyens qui agissent sur la nature hu-
maine : voila une partie importante de sa tache morale.
Ne parler a son eleve que la langue objet de Tensei-
gnement, doit etre une regie de conduite dont on ne
pent jamais s'ecarter. « Mais, » dira-t-on, « comment
CONSIDERATIONS PRELIMIN AIRES* 13
lui parler^dds le priocipe, ijin iangage qui lui e&tab*
solument inconnu ? » L'exp^rience de tous les jours g^^sOes
nous demontre que, cette objection n'a rien que de * J^r *
specieux. Parlez frangais a votre eleve, interpretez-lui *^ "^'*'*'
sur-le-champ votre phrase, membre par membre ; unQ
fois qu'il est entre dans le sens de vos paroles^ repe* -
tez-les-lui telles qu'elles ont ete prononcees d'abord,
lentement et en ayant soin d'attirer son attention sur
vos levres; Timitation en sera allegee d'autant. (iette
phrase, dont il a I'inteUigence , qu'il la redise enfin
iui-mfeme, jusqu'a ce que I'elocution et la prononcia-
tion soient aussi parfaites que possible a ce premier
debut. Mais, sur toutes choses, gardez-vous de lui
formuler votre pensee d'une maniere qui se rapproche
de sa langue , en s'ecartant de la votre; gardez-vbiis
de faire perdre a cette pensee sa physionomie fraii-
caise, pour lui donner une teinte etrangere, sous pre-
texte de la mettre plus a la portee de son intelligence;
ce serait lui rendre un deplorable service. Parlez-lui
comme a un de vos compatriotes, franchement et sans
circonlocutions officieuses.
Grand nombre d'instituteurs francais, en Kussie,
m^ritent utt repfoche, que nous regardons comme un
devoir de leur adresser ici. Loin de la France, dans un
pays qui absorbe et neutralise promptement les natio-
nalites etrangeres, ils ont besoin de faire des efforts
incessants pour conserver, dans toute leur puret6 na-
tive, accent, elocution, style, etc., etc. A tout prix,
pour continuer a purler francais^ ils devraient s'as-
treindre atoujours petiser en jroncau ; car la pensee
14 CONSIDERATIONS PRftLIMIN AIRES.
— ' formulee int^rieurement fen francais, am^ne n^cessai-
gteirties rfement une expression fraticaise. Cependarit on les
ie eonduite •* o • i • ° -i i
p«nr voit tarcir leur conversation de mots riissed?* de ma-
nifere k la rendre inintelligible k un compatriote frat-
chement d^barque , et faire des phrases dignes d'un
" Iroqiiois^ comme celle-ei, par exetnple :
Tretduction,
Douchineka, dites au tcMlowek Ma chkre amie (litteralement ,
d'apporter le ^amott^ar*. petite dme), dites au domestique
d*apporter la biniUloire.
C'est a faire fremir les m^nes de Voltaire et de
Lemare !
Mais que deviendraient les ombres de ces hommes,
qui respectaient tant la langue franqaise , si elles
etaient obligees de subir les conversations de certains
instituteurs ou institutrices avec leurs elfeves?
' La gvwvemante, Enfants, que faites-vous l^ pour * un tapage?
Yeneiikiplusvite^.
MademoUelk Nadine, C'est ma soeur qui se bat *,
La gouvernante. Ah ! Macha (diminutif de Marie) , c'est tres-mal.
Vous vous grondez * toujours avec votre soeur. II faudra, pour vous
cottiger, vous rendre^ h rinstitut.
Mademoiselle Macha, distiraite et regardant par la fenStre: Mon
Qncle ! mon onc)e ! II vient sur ses chevaux ^.
' Phrase franco-rnsse.
* Germanisme, Quel tapage faites-vous la?
3 Russicisme. Venez vite ici.
< Russieisme, C'est ma soeur qui me bat.
'' Russieisme, Vous vous chamaillez. . .
" Russieisme. Vous mettre en pension.
' Russieisme et polonisme, Dkm son propre Equipage.
COJISWERATiai^S ^RELIMINAIAES. 15
Miidefinaisdle iodine. Non, c'est sur les chevaux de ma tante
que mon oncle 'part * depuis qu'il s'est mari6 sur * ma tante. Mon f^^^
oDcle a done * rendu * ses chevaux pour les argents *... de eonduite
La gouterndnte, interrompant. En voil^ assez, travaiflez. . P®"^
Mademoiselle MMha. Ma plume in'icrit pas^...
Mademoiselle Nadine.,, Ma soeur se pousse ^...
etc. , etc. , etc.
C'est un veritable massacre des Innocents ^. On
donne les etrivi^es a moins^.
Quand un instituteur francais arrive dans un pays
etranger, il entend des expressions soi-disant frauQai-
ses, qui lui font Teffet d'une douche d'eau glacee. Au
bout d'un certain temps, cette impression desagr^able
s'affaiblit ; quelque temps encore, et il y est aussi ha-
bitue qudiux fans, j* avians et dont auquel des villa-
geois de sa province. De cette habitude a Timitation
il n'y a qu'un pas. Ce pas franchi , on n'a plus de
motif pour s'arrfeter. Non-seulement les fautes de
langage ne choquent plus, puisqu'on les commet soi-
* Rusticisme et polonisme des plus affreux en francais. Part, pour voyage .
partir, pour se promener en voiture , est une faute presque generate.
^ Russidstne. Sur pour mee,
^ Superfetation de langage germano-polono-russo-franf^is.
* Russicisme, En Russie, rendre se met a toutes les sauces; il signifie
mettre, dinner, vendre, etc.
^ En russe, argent s^emploie au pluriel. Du reste, expression pleonas-
tique.
* Germanisme et russicisme. Ma plume ne marque pas.
^ Russicisme, Ma sceur pousse , me pousse.
' De ce que cette scene se parle en Russie , on aurait grand tort de con-
dure que notre langue est plus maltrait^ dans Tempire des tsars que dans
d'autres pa^. G'est, au contraire, de notoriete universelle que les Russes
parlent notre langue presque sans accent et avec une purete'remarquable. Le
maitre de langue prend son bien ou il le trouve.
16 CONSIDERATIONS PR^LIMINAIRES.
mSme, mais on trouve mdme etranges les bienyeillan-
ge^es tes remarques de ceux qui attirent rattention sur ces
poor enormites. a C'est comme cela que Von dit ici ! »
* "^ * repond-on, et Ton croit avoir donne une reponse sans
replique.
Les instituteurs qui abandonnent ainsi les bonnes
traditions du langage correct, sont toujours ceux qui
n'ont fait qu'ebaucher un semblant d'etudes dans leur
patrie. Ceux, au contraire, qui out fait un cours d'e-
tudes classiques, dont est garant le dipl&me de bache-
lier ^s lettres, et qui, bien que possesseurs de ce par-
chemin si envie, n^en ont pas moins continue a s'ins-
truire , ceux-la resistent victorieusement a la conta-
gion de Texemple; ils restent Frangais, soit qu'ils
parlent, soit qu'ils ecrivent, De prime abord, ils se
reconnaissent avec joie les uns les autres, a leur par-
ler frappe au bon coin.
Les institutrices, dont les etudes n'embrassent guere
que des elements, sont bien plus exposees encore que
les instituteurs a parler allemand, anglais, russe, etc.,
en franqais. Celles qui sont originaires de grandes vil-
les, ou la langue jette de plus profondes racines dans
les individus, courent encore la chance de conserver,
au prix de violents efforts, leur langage a pen pres
' pur; les autres, helas!...
— « Madame, disait une de ces pauvres depaysees
« a une malade, vous fetes dangereuse.
— : « Mademoiselle, repliquaTagonisante, spirituelle
« jusqu'au dernier moment, vous /'fetes bien^lus que
« moi ! »
CONSIDERATIONS PRl^XI MI N AIRES. 17
« La reine Marie de Pologne, dit la marquise de — [
cr Crequy, avait appris le frariQais dans son enfance, generaks
« et Dieu salt comment, par une gouvernante bour-» ^ ^u^"* ^'
a geoise^ ou peut-6tre bien par une Suissesse! de sorte **"*"**^^
«r qu'elle en avait appris une foule de locutions vul-
« gaires a surprendre; et, par exemple, elle nous
a disait alors eduquer pour eles^er^ flattee pour satis-
afailej oj^pour hardi^ etc. Moncrif, son lecteur, en
« etait contrarie comme bon serviteur de la reine^
« desol6 comme academicien, et d^sespere comme
<x puriste. II en disait respectueusement son avis a Sa
a Majest6, qui prenait toujours la chose en trfes-
« bonne part, et qui travaillait assidClment pour s'en
« corriger.
(c A la fin d'un billet qu*elle avait fait ecrire a M* de
a Moncrif,' par un autre secretaire d% ses commande-
« ments, et pour une chose de son service, elle ajouta
« de sa.propre main : Des^inez.,.^ et Moncrif y repon-
« dit par le quatrain suivant :
Ce mot, trac^ par une main divine,
Ne m'a caus6 que trouble et embarras.
C'est ^tre osi si mon coeur le devine ;
G'est ^tre ingrat s'ii ne devine pas.
a Le roi blama cet emploi du mot osc. — « Mais c'est
a une epigramme . contre moi, repondit cette bonne
a princesse; et depuis ce temps-la je n'ai pas vu
« qu'elle ait mal applique cette meme expression. »
11 n'y a pas beaucoup d'eleves qui, devenues dames,
voire meme reines, aient assez d'abnegation et de cou-
18 CONSIDKRATIONS PRELIMIIN AIRES.
; rage pour reconnaitre les defauts de leur education
generaies premiere, et se mettent franchement a desapprendre
* ^r"' ^ pour r^apprendre. D'ordinaire on ne revient pas sur
e maitpp. j^ passe ; ce qu'on a appris on entendu dans Tenfance,
on le retient et emploie dans I'slge mur.
Avis done an lecteur avise !
IV.
De la pronoiielatlpn et de I'aecent.
L'accent du maitre doit 6tre Tobjet d'une attention
particuli^re. II ne sera, sous ce rapport du moins,
d'aucune partie de la France plut6t que d une autre.
Nous entendons par la que son accent doit ^tre celui
des gens cultiv6s, qui est a pen pres partout le mfeme.
11 faut n6cessairement que toute phrase soit accentu6e,
soumise a des inflexions en rapport avec les sentiments
deTUme, faute de quoi le discours, denue de couleur,
deviendrait insipide. « Se piquer de n'avoir pas d'ac-
« cent, dit Jean-Jacques , c'est se piquer d'&ter aux
« phrases leur grS,ce et leur energie. L'accent est I'^me
« du discours; il lui donne le sentiment et la verite.
cc L'accent ment moins que la parole ; c'est peut-^tre
cc pour cela que les gens bien eleves le craignent tant.
« C'est de Tusage de dire tout sur le m^me ton qu'est
(c venu celui de persiQer les gens sans qu'ils le sentent.
« A l'accent proscrit succ^dent des mani^res de pro-
a noncer ridicules, affectees et sujettes a la mode, tel-
<c les qu'on les remarque surtout dans les jeunes gens
<c de la cour. »
C'est dans I'enfance que Ton acquiert une bonne
prononciation ; aussi les parents doivent-ils choisir avec
soin la pcrsonne qu'ils mettent aupres de leurs enfants
20 CONSIDKRATIONS PRELIMINAIRES.
"~~ pour leur enseigner, par Tusage habituel d'une langue
iionciatioii etrangere , les premiers elements familiers de cette
lacceni. langue , et leur faire contracter une prononciation
pure, exempte de reproche. aQu'onse represente,» dit
« mademoiselle de Lajolais dans son Education des
femmes^j livre qui doit fetre le conseiller quotidien
des meres et des institutrices, « qu'on se represente le
« desappointement d'une famille anglaise ou allemande
« qui^ayant fait venir une bonne francaise^ d^couvri-
« rait un beau jour que ses enfants ont appris le fran-
« cais suivant les idiotismes de la Provence, de la
« Normandie, de la T^orraine, ou ceux qui sont usites
« dans les classes populaires de Paris , et Ton com-
« prendra la necessite de bien choisir une bonne etran-
« gere, Mieux vaut apprendre une langue par princi-
« pes a rSge de raison, en comlnencant dans les livres,
« que de se familiariser avec des locutions triviales et
« incorrectes, et prendre un mauvais accent dont il est
« ensuite fort difficile de se defaire. 11 est incontestable
(c que chaque rang a son idiome. La langue parlee de
« Tantichambre n'est pas admise dans le salon. Le
« progres effacera peut-Stre ces nuances ; mais, pour
« le moment , ces nuances sont encore tres-pronon-
« cees. »
Un enfant qui, a I'age de douze a quatorze ans, ne
' possede pas une bonne prononciation, court griand
danger de ne jamais bien prononcer. Les mauvaises
' Education des femmesy ouvrage couronne par rAcademie francaise. A Pa-
ris , chez Didier.
CONSIDfiRATlOJNS PRELIMUNAIRES. 21
habitudes, contractees avec des maitres prononcant ^
* De la prc>-
mal ou ayant un accent reprehensible , ne se perdent uonciatiou
guere passe cet age. raccent,
11 est rare qu'un enfant, quand on le prend de
bonne heure, ne jmrvienne point a obtenir une bonne
prononciation. Mais quelle peine ne faut-il pas se
donner pour lui faire acquerir, en outre de la pronon-
ciation, une intonation purement francaise! Qui ne
saitavec quelle facilite on reconnait, en toute langue,
la nationalite etr^ngere de gens qui parlent, quelque -
fois avec une etonnante facilite , un idiome autre que
leur langue maternelle? Chaque peuple apporte dans
le franigais un accent particulier : les Anglais ne le
prononcent pas compie les Russ^s , ni les Alleinands
comme les Italiens ou les Polonais. Une petite
nuance d'intonation etrangere ne messied pas plus,
dans le langage d'un etranger parent francais, qu'un
leger grasseyement ne depare la conversation d'une
jolie fenime. Mais ce certificat d'origine doit a peine
Hre sensible a Toreille.
La bonne prononciation est toujours accompagnee
d'une certaiue distinction d'esprit : de meme qu'une
corde d'instrument de musique ne rend un son pur
et m^lodieux, que lorsque les parties qui la compo-
sent sont sans melange grossier.
La bonne prononciation est une veritable musique,
et flatte aussi agreablement Toreille que les parfums
I'odorat, les saveurs le gout.
Donnez a vos enfants un beguc pour maitrc de
langues, Tinstituteur vous fera des cleves bcgues.
22 CONSmfiRA'nONS PIU&LIMINAIRES.
Quelques mattres se servent, dit-on, avec succ^s du
nonciation chant pour rectifier la mauvaise prononciation de
I'accent. Icurs eleves. Le moyen est peut-^tre recommandable ;
cependant le defaut a presque toujours sa racine, non
dans Torgane de la voix, mais dans Tome : beaucoup
d'el^ves ont des oreilles de rossignols d'Arcadie !
PREMIERE PARTIt.
ETUDE ET ENSEIGNEMENT PRIMAIRES.
I.
Premiers exerclces.
Dans le bon vieux temps , il n'y avait qu*une seule
et unique methode pour.enseigner les langues, mortes
ou vivantes, rhistoire, les mathematiques, etc. On
prenait un elfeve et un livre , et , en montrant le der-
nier au premier , on disait : a Vous apprendrez d'ici
jusque-la. » Ce grand acte de civisme accompli , on
laissait le marmot et le grimoire, et , a son retour, on
s'6tonnait, pestait, jurait, en voyant les cornes de
celui-ci et Tignorance de celui-la.
Dans le bon jeune temps ou nous vivons, on com-
mence a proceder d'une mani^re toute diff^rente. Une
maman vous prend sa fillette sur ses genoux. Arriere
les livres! Qu'ont-ils de commun avee cette deli-
cieuse petite creature de cinq ans, toute rose, toute
bouclee^ toute heureuse d'etre? L'institutrice-mere ap-
?4 PREMIERE PARTIE.
■ prend a son eleve bien-aimee , peut-etre bien satee,
Premiers '^ ? f D '
exercices, quelques vers a la portee de son intelligence naissante,
puis la renvoie a ses poupees, a ses papillons, a ses
larmes d'une minute, qui s'effacent daps un sourire,
a ses joies sans fin. Le lendemain, nos deux amies re-
petent la lecon apprise en commun. Au bout de trois
ou quatre seances, la petite eleve, une orange a la
main^ vous dit de sa ch^-rijiante et douce vqi^, tendre
comme la rosee :
De marnanje tiens cette orange.
Pour ma lefonje Ic^ repis;
Et quandjoyeuseje la mange,
Son goat me plait encore plus.
Franchement, dites-le-moi , cette gentille enfant
n*a-t-elle point appris la, tout en souriant a sa bonne
mire, plus que maint grand garcon avec un livre so-
popifique et un maitre sans m6thode? Mais ce n'est
pas tout encore ; ces quatre petits vers innocents vont
nous fpurnir toute une serie de lecons. Voyez un peu
Vintielligente tendresse de la m^re poursuivant son
cours pratique de langue, et venez encore nous parler
de vos dix parties du discours, avec des enfants qui ne
savent pas encore qu'ils ont dix doigts. Inutile d'ajouter
que la maman, en faisant apprendre cette premiere
lecon a sa jeune fiUe , lui a appris aussi le sens de
chaque mot et celui de toute la phrase , en s'assurant,
par de frequentes repetitions , que sa petite eleve a
bien loge phrase et mots dans sa fraiche memoire.
CHAPITRE PREMIER. 25
DIALOGUE. Pi^miers
exercices.
LA MAM AM, LA FILLETTE.
La maman (traduisant aussit6t et ses questions et les r^ponses
qu*elle souffle a Feiifdnt). Qui est ta maman?
, La fillett€p C'est vous,
La maman, Et qui est la 01|e de ta maman?
La fillette. C'est moi.
On peut fetre certain que notre jeune elfeve ne comr
mettra jamais la faute de francais que fit, a^Tentrevue
de Tilsitt, un officier superieur russe. L'empereur Na-
poleon ayant demands qui commandait la cavalerie
russe a la derniire affaire, un officier s'avauQa, et
dit : « /e, sire. » Un sourire imperceptible se dessina
sur les livres de plus d*un personnage de sa suite,
mais Napoleon le r6prima bien vite par ces mots :
« General, si vous ne maniez pas parfaitement la
« langue francaise, en revanche vous faites admira-
a blement bien manoeuvrer vos troupes. »
Mais continuous.
La mav^n. De qui tiens-tu cette orange ?
La fillette. De ma bonne maman.
La maman, Pourquoi Fas-tu re^ue ?
La fillette. Pour ma lei^on.
La maman, As-tu done bien su ta le<^on ?
La fUlette. Qui, maman, puisque vous m'avez embrass^.
La maman, II me semble que tu ^tais bien triste en la mangeant.
La fUlette, J'avais votre baiser, et une belle orange dor6e; je ne
pouvais pas 6tre triste.
La maman, Les oranges sont-elle« bonnes ?
La fUlette. Bien, bien bonnes, maman.
Premiers
exercioes.
26 PREMIERE PARTIE.
La maman. Et qu'est-ce qui est encore meilleur que les oranges ?
La fillette, line bonne maman.
Comptons un peu les mots et les constructions de
phrases que vient d'apprendre notre petite eleve , en
jouant pour ainsi dire avec sa m^re. C'est Tequivalent
de bien des lecons au cachet dans un flge plus avance,
obtenu sans fatigue, sans pleurs, sans degotit.
II y a, dans ce premier dialogue, la matiere de
seances plus ou moins nombreuses , selon le plus ou
moins de dispositions de Tenfant. L'instinct maternel
sentira bien oii il faudra s'arrfeter chaque fois. On
pourrait le prolonger, pour ainsi dire, a Tinfini ; mais
il faut se gard^r de lasser Tattention de I'enfance,
qui, dans Tetude comme dans ses amusements, aime
la diversite. « Dwersitey c'est ma devise, » disait
celui que madame de la Sabli^re nommait son fa-
blier, un grand enfant, la Fontaine.
A ces petits vers tout enfantins on pourra faire suc-
ceder un morceau plus etendu , demandant deja une
intelligence plus developpee , comme , par exemple ,
ces trois belles strophes de madame Amable Tastu,
oil se r6v^le tout Tamour de la femme po^te pour
Tenfance :
PETITE PRIEBE POUB LES PETITS ENFANTS.
Notre Pere des cieux , Pere de tout le monde ,
De vos petits enfants c'est vous qui prenez soin ;
Mais a tant de bonte vous voulez qu'on reponde »
Et qu'on demande aussi dans une fol profonde ,
1^8 choses dont on a besoin.
CHAPITRE PREMIER. 27
Vous m'ayez tout doim6 , la vie et la lumi^re ,
Le bl^ qui fait le pain, les fleurs qu'on aime k voir,
Et mon p^e et ma m^re, et ma famille entiere;
Moi, je n'ai rien pour vous, mon Dieu, que la pri^
• Que je vous dis matin et soir.
Notre Dieu des cieux, b^nissez ma jeunesse;
Pour mes parents, pour moi, je vous prie a genoux ;
Afin qu'ils soient heureux, donnez-moi la sagesse ,
Et puissent leurs enfants les contenter sans cesse ,
Pour fitre aim^s d'eux et de vous !
DIALOGUE.
LA MAMAN. LE PETIT GARgON.
La maman. Pour qui cette belle petite priere a-t-elle ete faite ?
Le petit garcon. Pour les petits enfants.
La maman. Ou est le bon Dieu ?
Le petit garcon. II est dans les cieux.
La maman, De qui est-il lej)ere?
Le petit garcon, De tout le monde.
La maman, De qui prend-il soin?
Le petit garcon, De ses petits enfants.
La maman. Que demande-t-il en retour?
Le petit gargon, 11 demande qu'on r^ponde a ses bont^s.
La maman. Et quoi encore, mon fils?
Ije petit garfon. Qu'on lui demande les choses dont on a besoin.
La maman. Qu'est-ce que Dieu t'a donn^ ?
Le petit garcon. Tout , la vie et la lumi^re du jour.
Jm maman, Est-ce bien la tout ?
Le petit gargon. Non, maman. II m'a encore donn^ le ble, qui
sert a faire le pain, et les fleurs, qui rejouissent la vue.
La maman. Et toi , que donneras-tu au bon Dieu ?
Le petit garcon. Rien, maman. II ne me demande que ma petite
priere du matin et du soir.
La maman. A quoi la benediction du bon Dieu est-elle n^cessaire?
Premiers
exercices.
PremienB
exercices.
28 PRE:\UERE PARTIE.
Le petit g argon. A ma jeimesse.
La maman. Pour qui le pries-tu a genoux ?
Le petit gargon. Pour papa, pour maman, ei pour moi-meme.
La maman, Pourquoi lui demandes-tu la sagesse ?
Le petit gargon. Pour faire le bouheur de mes parents^
La maman, Et si, ton papa et moi, nous sommes contents de ta
soeur et de toi ?
Le petit garcon. Alors nous aorons Tamour du bon Dien et celui
de nos parents.
Les deux exemples qui precedent donneront aux me-
res et aux institutrices inexperimentees une idee suffi-
sante de ce genre d'exercice, que nous recommandons
a toute leur attention. Nous avons maintes fois re-
marque que les petits enfants y prennent vite gout.
Seulement il faut bien se garder de fatiguer leur me-
moire, et de les rebuter par des t&ches trop longues,
ou par des leoons trop rapprochees. Pour ces premieres
lecons, nous donnons la preference aux vers sur la
prose. Les enfants les retiennent mieux; la rime vient
en aide a leur memoire , et le soin qu'il faut mettre a
observer la mesure en recitant , les habitue a donner
a tout ce qu'ils disent une intonation convenable. .
Dans beaucoup de families , les enfants ont Tocca-
sion d'apprendre par la pratique les langue^ etran-
geres. Nous ne nions point que cela soit un avantage
notable; mais il sera encore plus appreciable, si Ton
y joint Texercice que nous venous d'indiquer, en le
faisant suivre de tous ceux dont nous parlerons suc-
cessivement. La jeunesse est naturellement presomp-
tueuse et encline a elever , dans son imagination , ses
rudiments de science au niveau du veritable savoir.
CHAPITRE PREMIER. 29
Les instituteurs qui s'occupent de renseicnement des
, , , , Premiers
laDgues etrangeres, s accordent assez generalement a exemces.
reconnaitre que les families ou ces iangues sont pra-
tiquees fournissent a leurs classes plus de mauvais
eleves que de bons. Lances au milieu de condisciples
dont le plus grand nombre ne connaissent pas les 616-
ments de la langue qu'ils etudient, ces petits jeunes
gens qui gazouillent quelque peu cette langue se
croient presque tons des esprits superieurs. T^moins
dedaigneux des penibles efforts de leurs camarades
pour articuler des mots qu*eux-m6mes ils prononcent,
pour ainsi dire^ en se jouant, ils se laissent gagner par
une funeste presomption. lis se prelassent sur le pi6-
destal ou leur vanile les a hisses, n'ecoutent que pour
la forme les instructions des mattres, et ne suivent
point les progr^sde renseignelnent. Aussi qu'arrive-t-il
immanquablement? Ce qui advintau liet^re luttant de
Vitesse avec la torlue. Ils finissent par se voir depasses,
et m^me par oublier ce qu'ils ont pu apprendre dans
la maison paternelle. La jeunesse apprend trfts-vite les
langnes; mais, quand la pratique lui fait defaut, elle
les oublie avec la mfeme rapidite; elle oublie jusqu a
I'idiome maternel. Un vieux general, Finnois de nais-
sance, nous racontait un jour que , plac6 dans une ins-
titution militaire a Saint-Petersbourg, il requt, apres
deux ans d'absence, la visite de sa m6re, qui fondit
en larmes en entendant son fils repondre en russe,
langue qu'elle ne comprenait aucunement, aux ques-
tions qu'elle lui adressait dans leur langue commune,
Tallemand. Cel exemple, auquel on pourraiten ajou-
30 PREMIERE PARTIE.
; — ter bien d'autres, nous prouve quel soin il faut appor-
exercicM. ter, daus la jeunesse, a T^tude de toute langue, si Ton
veut qu'elle soit pour nous , dans Tage milr , un ins-
trument d'une utilite r^lle.
II.
IMoycn tkttrmjmnt pour enselgner au« petite en-
fant* le francs, on toute antre lanrue.
Dans le chapitre precedent, nous avons indiqu^ un
exercice dont les meres et les institutrices peuvent
tirer un grand profit pour Tenfance. Mais, en soi, cet
exercice n'a rien d'attrayant, et il faut le pratiquer
avec sobriete , sans toutefois le negliger. 11 a le pre-
cieux avantage de faire penser, dans la mesure de
leurs facultes naissantes, ces petites t&tes d'elfeves k
peine echappes au maillot , et , a ce titre , il reclame
toute notre attention. En voici un autre qui, de prime
abord, conquerra le suffrage des mamans et de leurs
enfants.
C'est chose connue que Tenfance n'accorde gu^re
d'attention qu'a ce qui frappe ses yeux. Le moyen en
question repose sur ce principe. On prend une de ces
gravures coloriees qui se fabriquent expr^s pour le
jeune age. On ecrit au-dessous un petit dialogue ou
une petite narration bien simple, qui se rapporte a la
scene representee, et on les lit a Tenfant fragment par
fragment, en y joignant la traduction, et surtout,
ce qui est une tache facile, en attirant son attention
sur Vimage. Nous choisissons, par exemple, une scene
champfetre representant une maison villageoise , en-
32
PREMIERE PARTIE.
Moyen
uttrayant
pour
eiiseigner
le fran^ais
aiix petits
enfants.
touree d'arbres dont le pied baigne dans un limpide et
frais ruisseau. Le toit est rouge, et Ics contrevents
sont peints en vert. Sur le seuil de la porte, la fer-
mi^re jette a ses poules du grain, qu'elle prend dans
son tablier. Une petite fiUe, assise aiipres d'un tas de
sable, en remplit un petit vase, dont elle repand le
contenu de I'autre c&t6 d'elle. Son frere , plus ^6
qu'elle de quelques annees, fouette une toupie. Des
oiseaux, aux vives couleurs, gazouillent sur les bran-
ches des arbl'es les plus rapproches, tandis qu'un gros
chat, couche au soleil sur le rebord exterieur d'une
fenfetre^ jouit de Texistence a sa manifere. Plus loin,
une grosse Margot, aux bras rouges, trait line vache^
qui, de son regard impassible, la regarde faire. En
voila plus qu'il n'en faut pour interesser un petit au-
ditoire. Voici une partie des petits entretiens que nous
ecririons au bas d*une pareille gravure :
Cette paysanne s'appelle N. — C'est elle qui nous apporte chaque
semaine du lait et des oeufs. — Elle a une robe gros bleu. — Son
bonnet blanc est bien propre. — Comme elle sourit eA donnant k man-
ger h ses poules. — J'aimerais a toe h sa place. — Les poules sont
bien gentilles, mais le coq me ferait un peu peur. — Sa cr^te est si
rouge, et il bat si fort des ailes.
II.
Voil^ un petit gan^on bien heureux. — II fouette sa toupie. — II a de
beaux cheveux boucles. — Sa blouse est verte, et sa ceinture est noire.
— II sort de I'ecole, et a bien appris sa lecon. — Quand im enfant est
sage, il a plus de plaisir a jouer. — Le petit garcon tient danssa main
une belle pomme rouge. — Sa maman la lui a donnee pour sa bonne
oonduite.
CHAPITRE DEUXifcME.
33
III.
Le toit de cette maison est rouge. — II y a sur le toit des pigeons
blancs. — Us regardent la paysanne qui donne du grain k ses ponies.
— Us voudraient bien en prendre leur part. — Mais ils craignent le
fouet du petit garcon. — D'autres oiseaux gazouillent sur les arbres.
— Celui-ci est un chardonneret ; eelui-la un serin. — Plus haut est
un pinson ; de I'autre c6t6, je vois un merle au bee jaune. — Gros
chat gris, tu ne les mangeras pas.
IV.
La gentille petite fiUe. — Comme ses joues roses sont frafches ! —
Cest un grand plaisir de jouer avec du sable. — La maman a donn6 a
sa petite fiUe une robe rouge. — Un grand chapeau de paille protege
Venfmt contre le soleil. — Voil^ le papa qui revient de la campagne.
-^ 11 embrassera bien fort le petit garcon et la petite fiUe. — U a un
panier a la main. — Dans ce panier, il y a de beaux fruits, des pom-
mes, des poires, des raisins blancs et noirs.
Get exercice precede la lecture; Tenfant ne lit
done point ce qui est ecrit au bas de I'image colo-
rize; 11 Tapprend par les oreilles, en rZpetant chaque
phrase prononc6e par le mattre, et par les yeux , en
fixant ses regards sur la partie de lagravure a laquelle
elle se rapporte. A la suite de chaque petite conver-
sation vient un questionnaire^ par lequel on s'assure
que I'enfant a bien saisi et reterni ce qui pr6c6de, et
qui ajoutelui-mSme de nouvelles connaissances k celles
qui resultent du dialogue lui-meme 11 doit 6tre egale-
mentaccompagnZ d'une traduction. Envoici le modele
pour la premiere partie des petits entretiens ci-dessus .
QUESTIONNAIRE.
Qu'est-ce que cette femme nous apporte chaque semaine? — De
Moyen
attrayant
pour
ensei^er
le francais
aux petits
enrants.
34 PREAllEHE PARTIE.
quelle couleur est sa robe ? — Et son bonnet ? — Que fiait-elle en
auravant d^^"*^'^* ^^ g'^^un a ses poules ? — Qu*aimerais-tu bien ? — Comment
pour trouves-ta les poules ? — Et le coq ? — Qu*a-t-il de rouge sur la t^e ?
^t^^ — I>c quoi bat-il si vivement ?
a«\petits
enfants. Qe petit moyeii, a laporiee de renfance, nous a ete
indiqu6 en Pologne. Nous en avons fait, le premier essai
avec un petit garcon de quatre ans. Deux mois apr^s
avoir commence le franqais, il le comprenait et par-
lait d'une manifere vraiment etonnante. Si les gravures
n'^taient pas colorizes, le procede perdrait beaucoup
db son prix; il faut m6me de fortes couleurs qui cap-
tivent I'attention des petits eleves. Leur curiosity est
tellement piquee , qu'il suffit de leur faire entrcToir
un coin des gravures qui suivtent celle qu'ils out sous
les yeux, pour qu'ils se hS,tent d'etudier celle-ci afin
de voir les autres plus t6t.
Une petite publication de ce genre serait fort utile
a I'enfance, pour la premiere etude des langues, mor-
tes ou vivantes. Les memes gravures pourraient servir
pour plusieurs; il n'y aurait que le texte etranger a
changer. Un magistrat polonais , habitant Varsovie ,
avait enseign^y par ce moyen , plus de latin au fils de
son portier que Ton n'en apprend, en trois fois plus de
temps, par Tancienne methode. La le^on se donnant
dans la loge , le p^re et la mere en avaient presque
autant appris que leur fils. Cela rappelle ce que ra-
conte Montaigne.
III.
I4i lef^on de conTeraatloii.
A Tetranger, on entend souvent des institutaurs ,
mattres de laogues dans des families pu dans des eta*
blissements publics , s'ecrier : « Ah ! quel ennui d'etre
« oblige de faire la conversation avec ces enfante ! II
« faut leur arracher les paroles de la bouche ; et, soi*
<c mfeme, on se decroche la m&choire, a force de
a boiler. » Quicoiique a enseigne en pays etrangers
ne sait que trop ce qu'il y a de douloureusement vrai
dans ces exclamations arrachees par I'ennui et le du-
gout. Quand un maitre remplitun devoir fastidieux et
a peu pr^s ingrat, sa t^che court grand risque d'etre
tant spit peu negligee. Mais souvent la faute en est a la
mani^e dcmt il s'eu acquitte. Si, au lieu de conversa-
tions banales et roulant presque uniformement sur des
sujets d'une extreme vulgarite, on a recours au ^loyen
que nous allons proposer, on obtient des r^sultats fort
satisfaisaote, sans ennui, sans colere, sans maledic-
tions a I'adjresae Am metier que I'oa a le ma}heur
d'exercer. Nos logons de con\^0rsalion pu de langage
^m^fie conviennent surtout aux classes, aux reunions
de famille ou de jeunes amis du mSme age. Les enfants
aiment les contes, les historiettes a la portee de leur
intelligence. Utilisons ce gotit de nos jeunes el^ves,
36 PREMIERE PARTIE.
""JJj ~ et nos chagrins d'instituteurs se changeront en jouis-
«*« sances. Avons-nous, par exemple, six, dix, vingt, voire
tion. m^ine trente enfants qui ne parlent point encore le
francais , nous les disposons les uns a c6t6 des autres,
sur un ou sur plusieurs bancs. Nous leur faisons met-
tre les bras derri^re le dos : cela d^gage la poitrine
et dispense de surveiller toutes ces petites mains. Ces
dispositions prises, nous commandons que I'on fasse
silence, et pronon^ons, a haute et intelligible voix,
sans nous presser, et en detachant bien les mots les
uns des autres, le titre de Thistoriette que nous allons
raconter ensemble. Ce sera, si Ton .veut , celle-ci :
fJermitage du petit Bernardin,
Mais r6p6ter trois ou quatre mots qui viennent d'etre
prononc^s dans une langue etrang^re, c'est plus que
ne peuvent faire des enfants qui entendent , presque
pour la premiere fois, cette langue. Au lieu done de
prononcer le titre ci-dessus d'une seule haleine, ie
mattre dit d'abord : Vermitage, . . , et toute I'enfantiae
assistance r6pfete avec ensemble : Verrnitage,..
Le mattre dit ensuite : . . . . du petit, . .
La classe r6pMe apres lui : . . du petit, . .
Enfin le maitre dit : Bemardin,
La classe r6pfete encore : . . . Bernardin.
€ela fait , le maitre traduit le tout dans la langue de
ses elfeves. Plus tard, quand ceux-ci auront fait quel-
CHAPITRE TROISlfeME. 3T
ques progrcB, les plus avances d'entre eux ferofit la ]^^
traduction a tour de r61e. Plus tard encok'e, ce sera le ^^
' con versa -
premier el^ve venu, designe par le maitre, ^ob.
Une fois le sens des mots prononces bien clair pour
tout le monde, on fait lever un eleve , qui repfete :
Vermitage du petit Bernardin, Un autre en fait autant,
puis un troisi^me, puis un quatri^me, etc., etc., jus-
qu'a ce que tons aient prononc6 ces mots. Le mattre
a soin de faire ajouter de temps a autre la traduction,
pour s'assurer que les eleves comprennent bien ce
qu'ils disent. Au fur et a mesure que Ton r6p6te la
phrase, il corrige les fautes ^intonation et de pronon-
ciation, Dans les commencements, il doit proc6der
avec lenteur et circonspection, exiger pen mais bien,
et tendre Toreille, afin qu'aucune nuance 6trangere ne
lui ^chappe. L'observation meticuleuse de ces recom-
mandations diverges est un gage de succfes pour Ta-
venir.
Les morceaux du style le plus simple, leplus en-
fantin m^me, ne peuvent servir a la Lecon de conver-
sation^ sans fetre retouches et appropri6s a cet exercice.
Les pensees abstraites doivent fetre supprim^es , les
trop longs details elagues, et les phrases raccourbies
autant que possible, de maniere a ce que le conte ou
rhistoriette soient reduits a une esp^ce de canevas,
d'argument. Voici, par exemple, a c6t6 du texte , la
reduction que nous ferions subir a Thistoire dont
nous avons donn6 ci-dessus le titre deja simplifie. Les
points indiquent les coupes et repos que reclame Tin-
experience de Tenfant, dont Toreille novice ne pent
88 PRBMI£R£ PARTIE.
saisir et retenir k la fois cpi'un nombre trta-restreint
La le^n
<)e de mots et de sons.
convena-
tion.
TtXTB PBIMITIF.
hermitage
de Bemardin de Saint-Pierre.
BernardiD de Saint-Pierre passa son en-
ftmee au Havre-de-Gr4ce, dans la maison
paternelle, eleve par une vieille bonne,
qui Tentretenait souventdes histoires mer-
veilleuses de la vie des saints. Un jonr
qu'il oheminait a I'ecole, son petit panier
a la main, il lui vin,t la pensee de se faire
etmite et d*imiter les saints anachoretes
dont on lai avait raconte la vie,
Pour executer ce beau projet, il change
de chemin, et tourne ses pas vers les por-
tes de la ville. Apres avoir marche quelque
temps, il trouve un joli bosquet, dont les
arbres reposaient la vue par une douce
verdure, et embaumaient lee airs par les
parfums les plus suaves ; ce lieu lui paralt
an d^rt convenable.
Instatle dans oette solitude, a une ou
deux portees de fusil des vanites humai-
ate, il commence la penitence par dejeu-
ner, «B 86 prameltaDt bien de jeikner U
lendemain. Apres avoir bien mange ,
66mme il refermait le t>etit patiier vide,
il aper^t sa balle, la prit, et la rogarda
d*an air pensif.
TBXtk BfoUIT.
L'ermitage... du petit...
Bemardin.
Le petit Bernardin... fut
eieve... par une vieille
bonne... SUe lui racontait...
souvent. . . la vie des saints^ . .
Un jour... il allait... k Te-
cole,... son petit panier... a
la main... II lui vint... la
pensee... de se faire... er-
mite.
Aussitdt... il change... de
chemin... II tontne... ses
paSt.. vers la porte... de la
ville... II trouve... bient6t...
un joli... bosquet... Ce
lieu... lui parait.. an de-
sert... convenable.
JBemardin.., s'installa...
dans cette... solitude.... //
oommeni^... sa penitence...
par dejeuner.... Apri$ a-
voir... bien mange,*., il re-
ferme... le petit... panier
vide... . iliorx. .. il aper^i. . .
sa balle.... II la prend... et
la regarde... d*un air... pen-
sif.
CHAPITRE TROISlfiME.
39
TBXTB PRIMITIF.
II i\Mi indigne d'un senritear de Dieu
de se livrer a un divertisaement aussi pro-
fane. Beraardin le lentait bien; aussi,
aprw aToir fait santer cette balle d'une
main dans Taaftre poor la dernlere fois, il
la jata aveo dedain, sans oapendant la per-
d^ de vua ; et, quand elle ae fut arretee,
par «n moaveoMat d'habitude dont il ne
fut pas le maitre, il ooumt la chercber.
eonfiis de sa faibleise , 11 resoli^t
de lure one bonne oeuvre avec cette mepoe
balle qui Ini avait fait commet).i:e une
ianie, et, voyaat passer un petit gar^n
qui a*etait pas encore d6tache des biens
de oe mande« 11 la lui donna, npn sans etre
tente de lui proposer une partie.
II rentra dans sa retraite, et se mit en
priere. Le petit bosquet qui lui servait d'a-
sile, n'etait separe d'un verger spacieux
que par une bale au-dessus de laquelle se
pendukit un abricotier cbarge de fruits ;
Beraardin s'en apenjut, et tout en faisant
sa priere, il tournalt de temps en temps
un regard Yers Tarbre fruitier, qui sem-
blait pla«}e dans cet endroit tout express
pour eprouver m vertu.
« Que de peines, se disait-il, que de »•
« orifices pour faire son salut ! » Comme il
acbevait ces mots, une brancbe de Tabri-
coiier, courbee par le vent, vint, comme
TEXTS aiouiT.
Vn ermite... ne doit pas...
jouer... a la balle.... JBer-
nartUn.., le sentit biea... II
fait sauter... cette biilk...
d'une main... dans Tautre...
pour la... derniere fois....
Alors,,. il la jette... avec de-
dain.... Quand elle... s'est
arretee,... il court... la cher-
cber.
Bfimardin,,, fut boQ-
teux... de sa faiblesse.... II
resolut... de faire... une
bonne oeuvre... avec cette
balle.... Un petit g^r^on...
Vint a passer.... II la lui
donna,... mais fut... sur le
point... de lui proposer...
une partie.
// rentra... dans sa re-
traite,... et se mit... en
priere.... Le petit bosquet...
touchait... k un verger...-
Un abricotier... cbarg6 de
fruits... se pencbait... au-
dessus... de la baie.... fier^
nardin... le regardait... en
faiu^nt... sa priere.
«( Qu'il est difficile,... se
^disait-il,... de faire... Bfm
« salut !... » Common i&cbe-
vait... ces mpts,....le vent...
La le^on
de
conversa-
tion.
40
PREMIERE PARTIE.
La le^oii
de
conversa-
tion.
TBXTB PRIMITIF.
d'elle-memey lui presenter deux fruits
d*une couleur et d'une beaute irresistibles.
L'enfant saisit la branche, puis la laissa
echapper ; mais les deux abricots etaient
restes dans sa main.
II n'eut pas plus tot cede a la tentation,
que sa conscience liii reproche sa faiblesse,
et il ne regarde plus qu'avec confusion les
fruits voles qui sont en son pouvoir. II
desirerait de tout son coeur pouvoir les
replacer sur Tarbre qui les portait ; mais
que doit-il faire, maintenant qu'ils sont
pour toujours s^pares de la branche? Les
Jeter? mais ils seront perdus sans que per-
Sonne en profite. Toute reflexion faite, au-
^nt vaut les manger. Cependant sa faute
restera-t-elle impunie? «Non, dit-il, et par
« penitenc^e, je veux les manger a genoux. »
A ces mots, il se prosterne, et mange les
abricots le plus religieusement du monde;
engllite il se leve avec serenite, satisfait
d*avoir aussi bien repare ses torts.
C'etait vers le milieu de la journee. Le
soleil brillait de tout son eclat; un vent
leger, qui venait de la mer, temperait la
chaleur du jour; la nature fraiche et riante
invitait a la promenade; Bernardin vonlut
jouir de ce plaisir. N'etait-il pas bien juste
qu'apres avoir eu Tesprit tendu toute la
matinee par de graves meditations, iJ se
permit enfin un innocent delassement?
TEXTB r6dUIT.
poussa vers lui... une bran-
che... de I'abricotier.... Sur
cette branche... il y avail...
deux beaux... abricots....
V enfant.., saisit la bran-
che,... puis l&laissa... echnp-
per.... Mais... les deux abri-
cots... etaient rest^... dans
sa main.
Notre ermite... se repro-
che... aussitot . . sa faibles-
se.... // regarde... avec hon-
te... les fruits voles.... II de-
sirerait... pouvoir... les re-
mettre... sur rarbre....
Mais... c'est impossible....
S*il lesjette,... ils seronU.
perdus..... Aprestout,...au-
tant vaut... les manger....
Mais,... par penitence,... il
veut... les manger... a ge-
noux.
II se prosteme,... et man-
ge... les abricots... avec re-
cueillement.... Pais... il se
releve,... satisfait... d*avoir
aussi bien... repare... sa
faute.... // etait midi.... Le
soleil... brillait.... Un vent
frais... soufflait... de la
mer.... Tout... invitait... a
la promenade.... Bernar-
din... voulut jouir... de ce
plaisir.... Apres... la medi-
tation,... un tour... de pro-
menade... n'est que justice.
CHAPITRE TROISlfiME.
4f
\
TBXTB PRIMITIF.
Le. voila done parti, tantot grave comme
iin philosophe, Un\6i gai comme uu en-
fant, Renc€i|itra^it-il una persoone de la
^ille , il raleutissait le pas, et se donaait
nun air leflechi ; voyait-il voler uo papil-
lon , adieu la cootrainte et la gravite I II
courait apres cette proie legere, qui faisait
l)riller a ses yeux les couleurs de Teme*
xaude et du saphir- Eofia il se reposa sur
le ga2on et s'endoripit.
Apres deux heures de sommeil,il ouvrit
lesyeux : la faim le saisit au reveil. Le
petit panier efait vide , mais Bernardin
D'etait point inquiet; il etait persuade que,
d-un moment a Tautre, un ange, comme
a filie, 9U un corbtou, comme a saint
Paul, viendrait lui apporter les secours
dont il avait besoin. Il etait dejanuit, et
le messager celeste n'etait ps^ encore ar-
rive.
Le solitaire n'etait pas dispose a s^ oou-
cher sans souper ; son esprit ne savait a
quel parti s^arreter, quand parut sa bonne,
pour le tirer d'embarras. « Comment!
"Monsieur, ■ lui dit-elle, t^chant de ca-
cber la' joie qu*elle eprouvait en le re-
voyant, « comment I vous d^rtez I'ecole
« pour co.urir les champs, sans vous met-
« ire en peine de Tinquietude que vous
»donnez a vos parents, et, tandis qu'on
• vous pleure la-bas, vous voila tranquille,
<« oonune si vous aviez fait merveille ! »
TEXTS R^DDIT.
le voila... done parti....
Notre ermite... etait... tan-
tot grave,. •• tantdt gai.... //
rencontra... plusieurs per-
sonnes... de la ville....
Alors,.. il se donna... un
air... reflechi....' Bientdt a-
pres... ii vit voler... un pa-
pillon.... Adieu... la gravi-
te.... // courut... apres... ce
bel insecte.... Enfin... ii se
reposa.... surlegazon,... et
s*endormit.
//dormit...deux heures,..,
puis s'eveilla.... Jl avait...
faim.... Le petit panier... du
matin... etait vide.... Mais
Bernardin... n'etait point...
inquiet.... //etait... persua-
de.,, que Dieu... ferait... un
miracle... pourlenourrir....
La nuit vint,... et pas de
miracle.
Le solitaire... n'etait pas...
dispose... a se coucher...
sans souper.... Mais... il e-
tait... un peu... indecis....
Tout CL coup... sa bonne...
parut. ... « Comment ! Mon -
« sieur,... lui dit-elle, vous
« n'etes pas... a I'ecole .^..,
<c y(m5 CO urez... les champs !.. .
ft Vos parents... sont in-
« quiets.... On vous pleure...
aa la maison.... Et vous
« voila... tranquille,... com-
« me si... vous aviez... fait
« merveille I »
La lecon
de
conversa-
tion.
42
PREMIERE PARTIE.
Lale^on
TEXTK FBIMITIF.
« N^ayons-aous pat la ensemble, re-
« pond Bernardin , dans ee groe livre oq
^c 0008 lifiooa tons leg soin, que leg vraia
« ebietieiM qnittaieat toat poor senrirDiea
« dans UD d^rtr Eh bien 1 j'ai feit eomme
» eax : je snis ennite. » — « Taises-Toiis,
« MonsiaDr..., venes vite avec moi rasso-
• rer votre pere, qui vous cherche, et vo-
«■ tre paavre mere, qui «e desole depuis
« deux heares. Oo va vous servir a sou-
» per, et, si vous recommencez a vous
« faire ermite, on vousdoonera le fouet. »
TEXTE RfiDUIT.
Bemardim repondit : ...
« Let yrais ehiitieiis... quit-
taient toot... poor servir
Dieo,... AiMif avonslo oela...
ensemble.... Bk Henl.,, j*ai
fait... eomme eox.... Je sois
ermite. » — «Tai8eB-yoa8,...
Monsieur... Venez vite...
avee moi.... Voire pere...
vous chercbe.... Votre pao-
vre mere... se d^le... de-
puis deux heures... On va...
vous servir.... a souper....
Si vous recommencez... a
vous faire ermite,... on vous
donnera... le fouet. »
Voila line petite histoire qui nou$ fournit la matiftre
de treize lemons ou Tattention de nos petits 6l6ves est
vivement piquee. La pratique de cet exercice nous a
constamment procure des r^sultats tr^s-satisfaisants :
aussi le recommandons-nous instamment aux person-
nes qui s'occupent de I'instruction de la jeunesse.
Une seule de ees petites lecons sera, a coup sftr, plus
profitable qu'une semaine de ce fastidieux enseigne-
ment qui s'op^re a grand renfort de grammaires in-
comprises. Au commencement de chaque lei^n, il
faut avoir soin d'avertir les 6l6ves qu'on s'assurera
de I'attention qu'ils y auront apport^e, en leur deman-
dant le sens des motscontenus dans les phrases appri-
ses. A cet effet, on ecrit sur le tableau noir, Je plus
pr6cieux et le plus indispensable meuble d'une classe
apres les tables, on ecrit, disons-nous, les mots de
CHAPITRE TROISIEME.
43
chaque exercice. Pour decevoir la nonchalance de cer-
tains paresseux, a qui le sens general des phrases indi-
querait a pen pres celui des mots composants, si ceux-
ci se trouvaient au tableau dans I'ordre ou chaque
phrase les presente , on en intervertit la place a des-
sein. Pour la premiere leqon ci-dessus, par exemple,
nous inscrirons les mots comme il suit :
Lalecon
de
convei'sa-
tion.
une vi^le/emme.
lapens4e.
a lui Vint
drScole.
U allait.
lepanier.
futHev^.
sefaire.
un jour.
HlMtC,
la vie des Mnts.
eUe lui racontait.
d la main.
La le^on terminee, on fait avancer au tableau tons
les 61feves , les uns apres les autres , en commen^ant
par les moins attentifs. Le maitre prononce alors cha-
que mot francais a ceux qui ne savent pas encore lire;
ils doivent dire sans hesitation le mot etranger cor-
respondant. Les eleves qui savent lire lisent eux-
mSmes les mots inscrits au tableau , et en donnent a
Finstant la traduction.
La lepon de conversation ou de langage pratique ^
qui commence dfes avant la lecture, doit se pratiquer,
a raison de deux ou trois seances par semaine , jus-
qu'a ce que les eleves soient assez avances dans la lan-
gue pour raconter eux-mSmes soit une anecdote, soit
un fait historique , qu'ils ont lus en francais ou dans
leur langue matemelle.
IV.
De Ia lecti
Deux manieres d'enseigner la lecture d'une langue
se presentent a Tinstituteur. I/une, assez frequem-
ment suivie, est de mettre entre les mains de Telfeve
le premier ouvrage venu, et de le faire debuter par la
lecture elle-mSme une fois qu'il connait les lettres de
Talphabet. Cette methode, nous ne saurions la desap-
prouver totalement, I'ayant pratiquee nous-m^me
avec quelque succes; mais nous croyons que, pour
porter tous ses fruits, elle demande d'excellents ele-
ves, dont la memoire retienne facilement toutes les
combinaisons de lettres qu'ils rencontrent ca et la dans
le cours de la lecture ; malgre cela, il leur en echappe
immanquablement un grand nombre, puisque leur
livre, quel qu'il soit, n'a point ete compose pour le
but auquel on le fait servir accidentellement.
La seconde maniere , a laquelle on donne g6nerale-
ment la preference, c'est de faire usage d'un ouvrage
special, qui presente graduellement les principales ar-
ticulations de la langue, en un mot, d'une Methode
de lecture,
« Les personnes, ditle Manuel des aspirantes aux
CHAPITRE QUATRlftME. 45
c< breifets de capacite * , les personnes qui savent lire
«c et qui out oubli^ les tribulations dont cette etude a la lecture.
« 6t6 entouree pour elles dans les premieres annees
« de leur enfance, peuvent r6p6ter que rien n'est plus
« facile que la lecture ; il n'en restera pas moins cer-
« tain, pour les institutrices, que Tart d'enseigner a
« lire est encore ce qu'il y a de plus difficile et de
« plus complique dans leur modeste mais utile profes*
a sion. Aussi doiton payer un juste tribut d'elogesme-
c( rites aux hommes habiles qui n'ont pas craint de
« consacrer leurs meditations a simplifier Tenseigne-
« ment de la lecture et a la mettre a la portee des
« plus faibles intelligences.
« Autrefois on enseignait aux enfants la valeur de
« cbaque lettre de Talphabet, puis on faisait combiner
« ces lettres pour en former les syliabes, ensuite on
« assemblait les syliabes, et plus tard on lisait cou-
« ramment. . .
« Telle est en pen de mots Vancienne methode (Te^
^pellalion^ methode abandonnee aujourd'hui par tons
(( les instituteurs eclaires...
a La methode sans epellation repose sur le principe
« que, dans la lecture, les veritables elements des
« mots sont les syliabes ; partant de ce principe , elle
« fait lire les syliabes sans chercher a les decompo-
« ser...
« La methode de lecture sans epellation consiste
' Manuel des aspirantes au brevet de capacUe pour V instruction primaire
ft aux dipldmes de mattresses de pension et d* institution , etc., etc., par phi-
sieurs membres de FUniversite. Paris, Hachette, 1836.
^6 FKEMIEBK PAKTIE.
« done a presenter d'abord les syllabes les pluA aim-
la lecture. « ples, a Bu former des mots, a offirir ensuite les syl-
« labes les plus compliqu^es, puis enfin les syllabes
« difficiles soil par le nombre des lettres qui s'y trou-
« vent, soit par le nombre des lettres qui ne se pro-
« nonoent pas, soit enfin par les alterations que INi-
« sage a fait subir a la prononciation de certaines
« lettres dans quelques syllabes.
a Cette methode, dont les heureux resultats ont ^te
« constates par une foule d'experiences faites dans
(c I'enseignement public et individuel , nous parsdt la
« plus simple et la plus logique... »
Notre opinion sur la veritable mani^re d'enseigner
la lecture etait depuis longtemps arr^tee d'une ma-
nidre bien definitive, lorsque nous avons eu connais-
sance du livre dont nous venous de donner un extrait:
nous avons ete heureux de la voir confirmee par un
ouvrage faisant autorite dans la mati^re. Parce qu'on
a appris une chose d'une mani^re defectueuse, ce n'est
pas une raison pour s'ent^ter a Tenseigner en depit
du progr^s des methodes. Le mieux en aucun genre
n'est a dedaigner, et nous sommes bien dispose a c^oire
que les gens qui s'obstinent a anonner et a faire inon-
ner en lecture ont, sur les autres parties de Tensei-
gnement des langues, des idees tout aussi arrierees.
Dans I'etude d'une langue etrang^re, tout doit ten-
dre aubut que Ton se propose, et la lecture elle-meme
offre le moyen de faire quelques acquisitions de ma-
teriel qui seront les bienvenues plus tard. Si, par
exemple, les mots qui , dans une methode de lecture ,
CHAPITRK QUATRlfeME. 47
servent d'^xercices, sont accompagnes des mots cor-
respondants dans la langue de I'eleve, et si les petites la te<iture.
lectures qui doivent suiyre et servir d'application sont
aussi aceompagnees d'une traduction , il est Evident
que le profit sera double pour notre disciple. La lec-
ture en ira mieux, puisqu'elle aura un sens pour ce
dernier, et celui-ci, apprenant chaque jour^ pour ainsi
dire k son insu , quelque chose de la langue qu'il se
prepare a etudier, verra ses efforts recompenses pdr
des succes obtenus sans aucune peine sensible.
La pratique de la lecture a haute voix est un com-
plement obligatoire de Tenseignement d'une langue a
tons les degres. Bien lire est un art difficile^ et qui
demande un travail continuel et intelligent. On n'y
parvient guftre qu'a un alge ou T^tude 6lementaire des
langues a cess6 depuis longtemps. Aussi ne nous oc-
ciq)on8-nou8 ici que de la lecture faite sous la surveil-
lance du mattre, et ne pr6senterons plus que deux
observations que nous a foumies notre assez longue
experience de Tenseignement.
Nous avons souvent remarqu6 qu'il n'est point pro-
fitable > pour Televe etragiger qui fait une lecture a
haute voix , que le maitre suive cette lecture sur le
livre. II lui echappe bien des inexactitudes de toute
sorte, qu'il remarquerait infailliblement s'il n'avait
point les yeux sur le texte qu'il ecoute lire. Dans ce
cas la vue fait tort a Touie, en completant les percep- .
tions inachevees de ce dernier sens.
Le principal ou du moins le persistant defaut de la
lecture des eleves etrangers, c'est la non -observation
48 PREMIERE PARTIE.
^^ des repos, indiques par les divers signes de la ponc-
la lecture. tuatioQ. Nous 611 avons mgme rencontre , et en assez
grand nombre, pour qui les observations les plus bien-
veillantes etaient completement inutiles. Aux petits
maux les petits rem^des. Nous avons imagine, pour
cette circonstance, un moyen dont nous nous sommes
assez bien trouve : c'est d'obliger I'elfeve recalcitrant a
nommer tous les signes de ponctuation qiiil rencontre
dans le cours de la lecture. Nous faisons, par exem-
ple, lire ainsi les lignes suivantes ;
LA SOUBIS BLANCHE [poiot].
— D*ou viens-tu [virgule], enfant [point d^interrogation ] ?
*- De I'Auvergne [virgule], monsieur [point].
— Que portes-tu dans cette bofte [virgule], que tu d^fendais tout
a rheure si bravement [point d'interrogation] ?
— H^las [point d'exclamation] ! monsieur [virgule], c'est ma
pauvre petite souris blanche [virgule], que ces m6chant8 petits gar^
coos voulaient me prendre [points suspensifs]
etc. etc. etc.
Vingt lignes d'une pareille lecture sont un calmant
plus efficace que vingt morceaux de pain sec , vingt
oreilles tirees, vingt maledictions energiques adressees
in petto on autrement a ce vilain metier.
Nous recommandons done, d*unemaniere toutespe-
ciale, notre petit moyen. Probatum est.
Une recommandation encore : c'est de faire prepa-
* rer leurs lectures aux eleves. On s'en trouvera bien.
lie r^cHtiire.
On a sottvent piv^tendu que le caractftre individuel se
reflate dans T^criture, et qu'il est possible de trouver
des indices moraux d'une eertaine probabilite dans la
mani^re dont nous tra^ons nos lettres , fines ou '^pais-
ses, espac^es ou serr^es, larges ou ^troites, forinant
avec la ligne un angle plus ou moins ouvert, etc., etc.
Nous aussi, nous croyons qu'il n'y a pas au monde
deux hommes qui fassent la mdme chose d'une ma-
ni^re absolument identique. Mais cette question n'est
point de notre ressort, et nous ne la mentionnons qak
cause de Tanalogie qu'elle presente avec Topinion que
nous allons 6mettre.
L'6criture de tout peuple qui posskle un type de
caract^re particulier, comme les AUemands et les
Russes, a quelque chose d'^minemment national. Ce
cachet distinctif , il est tr^s-difficile, sinon impossible,
aux etrangers de le saisir et de le reproduire sans al-
teration aucune.
La langue francaise se sert dans Tecriture du carac-
t^pe latin, qui lui est commun avec plusieurs autres
langues, I'anglais, Titalien, le hollandais, Tespagnol,
le portugais, le flamand, le polonais, etc., etc. Mais,
quoique ce caractfere latin ne soit pas aussi tourmente,
50 PRKMIKHE PARTIE.
~ aussi crochu, aussi anguleux, aussi cornu, multipede,
I'ecriture. que Ic caractcre gothique-allemand, et surtout que le
caractere slavo-greco-russe, nous inclinons fortement
a croire, sans toutefois pouvoir en fournir aucune
preuve concluante, que chacune des langues designees
ci-dessus, tout en employant les mfemes caracteres que
les autres, a dans I'ecriture quelque chose d'essen-
tiellement autochthone, si nous pouvons nous exprimer
de la sorte.
Nous croyons.done qu'un maitre de langue qui
s'occupe de Tecriture de ses eleves, et qui, pour le
franqais en particulier, ne leur permet point d*em-
ployer certaines formes heteroclites de lettrea, de
gnillemets, d'accents, de parentheses^ certains usages
que nou$ ne r^^onnaissons pas, celui , par exemple,
de supprimer un m dans les mots qui en ont deux de
duite, et d'indiquer cette suppression par un trait pra-
tique sur le A/i restant (con&tainent ); nous croyons
fermement que ce maitre a moins perdu de sa natio-
nalite, qu'il est reste plus Francais que tel autre, qui
passe sur c(&s soi-disant bagatelles. La perfection est
dans lesi. details. Un usage eti*anger, introduit dans la
langue ecrite, nous choque tout autant qu'une intona-
tion etrang^re dans la langue parlee.
Bien que dans un maitre de langue parfait il y ait
un pen de tout, voire mSme du maitre d'ecriture,
notre intention n'est pas le moins du monde de faire
intervenir celui- ci dans Tenseignement du premier :
les calli'graphes ne sont pas des ortho-graphes.
VI.
lie llwre da premier l^e.
Les progr^s uUerieurs des 61eve8 arrives au point
ou nous en Bommes, dependent en grtode partie du
choix des livres que Ton met entre leurs mains. C'est
surtout a leur memoire que Ton doit maintenant s'a-
dresser; mais que de precautions ne fautril pas em-
ployer pour ne point faire succeder un degoiit insur-
montable k la juvenile ardeur qui les animait peut-fetre,
au debut d'une ^tude assez pen attrayante en soi^
m6me!
AcquSrir d'abord une partie suffisante du materiel
dela laiigue que Ton veut poss^der, c'est-lnlire des
mots de toutes les classes grammaticales, telle est,
nous le croyons, la marche que prescrivent la nature
et le bon sens. La memoire des enfants , comme leur
estomac, est trfes-complaisante; cependant il ne faut
surcharger ni Tun ni Tautre. Une dizaine de mots,
substantifs, adjectifs, pronoms, verbes, adverbes,
prepositions , conjonctions et interjections , appris
chaquejour, ou mfeme seulement de deux jours Tun,
leur fourniront en pen de temps un petit butin philo-
logique, qui leur sera plus tard d'une grande utilite.
Cette etude des mots doit commencer aussitOt que les
enfants peuvent lire sans trop de peine. D'ailleurs, en
52 PREMIERE PARTIE.
preparant ces mots avec eux , on peut m6me se dis-
du premLr penscF d*attendre qu'ils aient mis de c&te leur abece-
^^^' daire. On aura soin de leur faire envisager cette tran-
sition comme une preuve de confiance particuli^re en
leur application; leur petit amour-propre sera agrea-
blement chatouille, et leur t^che allegee d'autant.
Des mots simples on passe aux phrases, simples
aussi et sans aucun appr^t. Mais, 6 instituteurs et ins-
titutrices , gardez-vous de mettre entre les mains de
vos el^ves ces volumineux et soporifiques dialogues ^
qui ne leur apprennent rien et les degoAtent d^s les
premiers essais qu'ils font d'une langue etrang^re. Ne
les affligez pas de la vue de ces compilations indi-
gestes, dont le bon marche est par trop souvent un
leurre qui rend dupes les personnes les mieux inten-
tionnees. Composez-leur plut&t vous-m6mes de petites
phrases a la portee de leur intelligence ; faites mieux :
feignez de les associer a ces petits travaux. S'agit-il de
leur apprendre les principaux temps des verbes, arri^re
les grammaires ! Prenez un cahier , et 6crivez-y ensemble
quelque chose debien enfantin, avec la traduction dans
leur langue maternelle, ces phrases-ci, par exemple :
J'ai une bonne mere.
Tuas un livre d'images.
// a un comet de bonbons.
7Vot*5 avons deux grandes poup^es.
CHAPITRE SIXifeME. 53
yous avez soin de vos cahiers.
JiC livre
du premier
lis ont conge aujourd'hui. age.
Voila le present de tindicatij du verbe avoir appris,
et, nous Tesperons, bien appris.
Demain , ou a la prochaine seance , nous appren-
drons, de la m^me manifere, Vimparfait,
Una autre fois, ce sera le tour du futury puis du
present du conditionnelj et enfin de Ximperatif,
Notons en passant que, pour le moment, nous ne
nousattaquons qu'aux principaux temps simples.
Quand on a conjugue ces quelques temps dV/ro//-
sous la forme affirmatii^e ^ on les reprend sous la
forme negawe ; puis on les fait entrer dans des
phrases interrogatwes . et on termine en combinant
V interrogation avee la negation :
Je n'ai point de petite soeur.
Tu n'as pas a craindre la verge.
etc, etc,
Ai'je aujourd'hui mes petites amies ?
AS'tu une aussi bonne mere que moi ?
etc, etc,
N'ai-je pas les meilleurs maitres?
N'as-tn pas toutes sortes de joujonx ?
etc, etc.
54 PREMIERE PARTIE.
u livre ^\H>ir cxpecUe de la sorte, on passe a ^tre
du premier
4ge.
Je mis heureux de savoir ma le<^n.
Tu es le meilleur ^leve de la classe.
Ma soeur est une charmante camarade.
Nous sommes en train de jouer.
Vou9 4tes la joie de votre famille,
Nos amies sent des modules de bonne ocMiduite.
Je ne suis pas jaloux de mes amis,
Tu n'es pas amateur de jeux bruyants.
etc» etc.
Vous suiS'je toujours n^cessaire?
Pourquoi es-^tu \h a ne rien faire ?
etc, etc.
Ne vous suiS'je pas d^voue ?
JS'es-tu pas de la famille ?
etc^ etc,
Les principaux temps simples du verbe ^tre etudies,
nous arrivons aux quatre conjugaisons.
Ce qu'il faut le plus soigneusement eviter dans Te-
tude du verbe, c'est la routine. L'experience nous a
prouve que savoir conjuguer^ en suivant Tordre gram-
CHAPITRE SIXI^ME. 55
matical des temps , et savoir Its verbesj dont deux '
choses absolument differentes. L*incorporation de ^ prtmier
chaque personne du verbe dans une phrase ^ comme
ci-dessuSy est le meilleur moyen pour echistpper a la
routine.
PREMIERE CONJUGAISON.
AIBIER.
faime mes parents de tout mon coeur.
Tu aitnes h secourir les malheureux.
Notre m^re aime ^galement tous ses enfants. .
Notts aimons a bieu employer notre temps.
f^ous aitnez les propos honnStes.
Ces jeunes demoiselles aiment une bonne soci^te.
Je n'aime pas les enfaEts menteurs.
Tu n'aimu p(u les livres futiles.
etc. etc.
Est-ce que faime h ne rien faire ?
Aimi'je k ne rien faire ?
Aimes'tu a faire du bien ?
Est-^gue tu aimes h faire du bien?
etc, etc.
56 PREMIERE PARTIE
""^ ; EU-ce qmje n*aime pas h in'occuper ?
du premier iV'aiwe;fe|>a* a m'occuper?
Eit^e que H n'ahnes pas la lecture ?
N'aimes'tu pas Ut lecture?
etc, etc.
DEUXI£ME CONJUGAISON.
FntiR.
Je finis a rinstant mon ouvrage.
Tu finis quaud on te rordonne.
Gelui qui commence bien finit bien.
Nous finissons toujours a temps.
f^ous finissez en mSme temps que moi,
Ceux qui commencent hien finissent bien.
Je ne finis pas trop tdt mon travail.
Tu ne finis pas ce que tu entrepreuds.
etc, etc,
Bst-ce queje finis mal ce que je fats ?
Finis-je mal ce que je fais ?
Finis 'tu toujours a la mSme heure ?
Est'Ce que tu finis toujours h la m^me heure ?
etc. etc.
GHilPITRE SIXI^ME. 57
, Bst-ce que je ne finis pas tout de suite ? , ,.
Ne finiS'Jepas tout de suite ? du premier
Est-^e que tu ne finis pas ton ouvrage ?
Ne flniS'tu pas ton ouvrage ?
etc, etc.
TROISI&ME CONJUGAISON.
REGEVOIR.
Je regois quelquefois des lettres.
Tu regois une r^ompense m^rit6e.
Ma m^re regoit du monde aujourd'hui.
Ge que nous recevons est k nous.
Quand vaus recevez im cadeau, remerciez.
Ilsregoivent ce qu'ils m^ritent.
Je ne regois pas de nouvelles de ma famille.
Tu ne d^penses pas Targent que tu regois.
^c, etc,
Bst'Ce queje regois plus que je ne m^rite ?
Hegois-Je plus que je ne m^rite ?
RegoiS'tu exactement tes menus plaisirs ?
Est-ceque tu regois exactement tes menus plaisirs ?
etc, etc.
58 PREMIERE PARTIE.
; Esi'ce qiJis Je ne regoU pas hcMmdteineiit tout le tnonde ?
lu mlMflSer ^^ regois-je pas honntftemttit tout le mond^ ?
Est-ce que iu ne regois pas ee qu'il te faut ?
Ne refois'tu pas ce fall te faut ?
etc, etc.
QUATRltME CONJUGAISON.
RENDRE.
Je rends a C^sar a^ qui appartient a C^r.
Ce qui ne f appartient pas, tu le reno^^toujours.
// rend justice a tout le monde.
Nous rendons h Dieu ce qui appartient a Dieu.
P^(yus rendez le livre qu'on vous a pr^t^.
Les Chretiens rendent le bien pour le mal.
Je ne rendspas ce que je n'ai pa8 re^u.
Tu ne rendspas les armes a tout le mdnde.
etc, etc,
Est<e que je vous rends un mauvais service ?
RendS'tu le salut de cettcr personne ?
Est<e<(uetn rends le imlutde cette personne ?
etc, etc.
CHAPITRE SlXlfeME. 59
Est'Ce queje ne lui rends pad tout son argent ?
Le livre
du premier
Est-ce qftetunete rends pas k I^lise f ^.
Ne te rends-tu pas h l*^1ise ?
etc, etc,
Chaque lecon doit Sire, seance tenante et aussit6t
apres la recitation, ecrite sous la dictee. Le maitre dit
chaque phrase dans la langue des elfeves; un de ceux-
ci la r^pfete telle qu'ils I'ont apprise en francais , et
tous la couchent par 6crit.
Une fois que nous saurons imperturbablement les
cinq principaux temps simples des verbes^ ce qui ne
se fera point en un tour de main, nous mettrons notre
petit savoir k T^preuve, au moyen de deux petits
exercices.
Le premier consistera a tirer des phrases appri^s
les elements de phrases nouvelles, que Tenfant, s'il a
bien appris et retenu ses petites lecons, devra com-
prendre k Tinstant, et rendre sans h6siter dans sa
langue maternelle :
Les malheureux aiment ceux qui rendent
Justioe a toot le monde.
Led livres futiles ne rendent pas les aifants
heureux.
Tous les enfants sont-ils amateurs de pou-
p^es?
Ma soeur, n'aimes - tu pas quelquefois a
ne rienfaire?
Dieu nous ordonne de faire du bien a
tout le monde.
UO PREMIERE PARTIE.
"""^ Nous sommes heureux d'avoir conge
.^^''^ auiourd'hui.
du premier awjwwunui.
Age. Les enfants menteurs ne sont pas des
modules de bonne conduite.
Remerciez Dieu , qui vous donne une
bonne m^re , la joie de sa fa-
mille.
Ne recevez - vous pas quelquefois le
bien pourle mal?
etc. etc. etc.
Le second de nos petits exercices consistera egale-
ment a prendre dans les phrases apprises des ele-
ments de phrases nouvelles, mais que le maitre redi-
" gera dans la langue des elfeves et leur donnera a
traduire en fran^is , d'abord de vive voix, puis par
ecrit. On pent faire executer les deux exercices simul-
tanement : une phrase fran^ise d'abord, puis une
phrase en langue etrangere, suivie d'une nouvelle
phrase. fran^aise, etc., etc.
Bien que nous n'ayons point de declinaisons pro-
prement dites, puisque nos substantifs et adjectifs
n'ont qu'une seule terminaison pour chaque nombre,
notre langue n'en rend pas moins les divers rapports
de ces mots dansle discours, ce qui constitue aussi des
declinaisons. II sera done egalement tr^s-utile de faire
quelques exercices de ce genre, au moyen de phrases
analogues a celles que nous avons faites pour les
verbes.
CHAPITRE SIXliilME. 61
DfiCLINAISONS. Le Uvre
du premier
Mots masculins.
A.
Le livre de mon frere est beau.
Les gravures du livrede ma soeur soot fines.
Je pense au livre que j^ veuxadieter.
Lisez le charmant livre que je vous ai prSt^.
•
Cette Ustoire est tiree du livre que vous c<»maissez.
Les livres sont utiles a tout le monde.
La lecture des bons livres eleve Tesprit.
Nous devons toute notre science aux livres,
Aimez les livres qui vous instruisent.
Toute notre instruction vient des livres.
B.
Venfant bien n^ cb^ric ses parents.
La tendresse de Venfant r^ouit la mere.
age.
62 PREimtRE PARTIE.
II faut a Venfant des soins continuels.
Le livre
du premier
%. Respectez Venfant et son innocence.
La bonne mere est toujours aim^ de V enfant.
Le$ enfants doivent Itre ^lev^ avec tendresse.
La bonne ^docation des enfants est un devoir.
Nous devons 1« bon exemple aux enfants.
Laissez v«nir ^ moi /^^petits enfants.
Le bonhenr des parents depend tf0^ enfants.
IL
Mots fahninins.
La mtre aime son enfant plus que tout an motod^.
Le coeur de la m^e est un tr^or d'amour.
C'est a la mire que I'enfant doit tout.
Plaignons la mtre qui pleure son enfant.
Quel enfant n'est aime de sa mere ?
Les bonnes meres sent Fomementdes families?
CHAPITRE SIXiftME. 63
Le devouemeut des nitres est sans bornes.
Le livre
dii premier
Tout importe aucc mires dans i'Mucation de leurs enfants. ^.
Les enfants bien ^lev^s louent le$ mires.
Cest des mires que provient notre bonheur a tous.
Notre aversion pour les dialogues p&teux, insipides,
ineorrects, comme ils sont assez gen^ralement , ne va
point cependant jusqu'a proscrire tout ce qui existe en
ce genre. Nous avons, au contraire, toujours accords
quelque place dans notre enseignement el6mentaire a
de petites conversations ecrites avec simplicite et bon
sens; mais nous n'avons jamais oublie que ces entre-
tiens familiers ne peuvent avoir d'autre but que d'i-
nitier nos jeunes el^ves a la facture generale du Ian-
gage. Nous croyons done qu'il faut user des dialogues
avec une extreme sobriete.
Nous voici a la derniere page de notre Iwre^ ou, si
Ton veut, de notre cahier du premier dge, 11 con-
tient, en elements, la base de tout ce que nos eleves
peuvent savoir un jour de francais. Nous croyons
mfeme, fort de notre experience de Tenseignement,
pouvoir avancer que tout el^ve qui passerait outre,
sans Tavoir consciencieusement etudie, ne serait ja-
mais qu'un francisant des plus mediocres.
Nous avons donne les declinaisons ci-dessus , et les
fragments de conjugaisons qui les precedent, sans
noms de temps ni de cas. Cette omission a, pour nous,
sa raison d'etre. Le premier age ne comprendrait rien
Le livre
du
64 PREMIERE PARTIE.
k ces denominations; il est done inutile d en surchar
premier ger sa memoire , puisque le temps n'est point encore
venu de les lui expliquer.
C'est sans la moindre intention que nous avons
place tout a I'heure les conjugaisons avant les decli-
naisons. La place des unes et des autres est sans im-
portance. En grammaire, il n y a aucune esp^ce de
priorite justifiable, bien qu'en disent les granmiai-
riens, sautant, les uns apr^ les autres, a travers les
^es, par-dessus un tas d'absurdites, veritables mou-
tons de Panurge.
VH.
Exerclces et fframmalre.
II y a longtemps d^ja que Ton^discute, en tous
pays, sur le merite .des diverses m^thodes appliquees
a renseignement des langues, vivantes ou mortes, et,
tant que durera cet enseignement, c'est-a-dire jusqu'a
la consommation de la civilisation actuelle, il y aura
sur ce sujet des discussions vives, llpres, acrimonieu-
ses, int^ressees. Celui-ci traite de sot quiconque ne le
croit pas sur parole, lorsqu'il se fait fort de montrer
en soixante lecons tous les idiomes imaginables. Ce-
lui-la, fiddle a Lliomond et consorts jusqu'a extinction
de chaleur naturelle, anathematise tout maitre qui
veut faire un pas en avant et sortir de Torni^re an-
tique. II est convaincu jusqu'au fanatisme, et soutient
morcUcus (c'est son expression favorite) qu'une langue
ne s'apprend bien qu'a grands coups de grammaire et
de dictionnaire. Foin de la pratique! On rencontre
m^me des gens qui vous prennent un livre , excellent
du reste, le Tdlemaque de Fenelon, et, frappant sur
ce livre, s'6crient : « Toute la langue fran^se est
« ici; honni soit qui la cherche ailleurs! » Nous
ne dirons rien de ceux qui vous deniontrent , par re
plus /a, que le chant est I'unique moyen d'apprendre
les langues, et font monter et descendre des gammes a
Exercices
grammaire.
«0 PRKMIKRE PAKTIE.
leurs eleves , que ceux-ci aient des oreilles d'ftne ou
et de rossignol. Nous en passons, et des plus drolatiques.
« Quel parti prendre d^s une si grande affaire? »
dirait le grammairien Lemare. — Celui du bon sens,
de la raison ; fuir les extremes , et tacher de trouver
une petite voie naturelle, commode, a 6gale distance
de celles que s*obstinent a suivre , bon gre mal gre,
ceux qui se prennent aux cheveux a propos de letirs
methodes incomprises : in medio tutissimus this. On
voudra bien nous passer cette reminiscence du temps
oil, rival de Virgile et Ovide, nous scandioiu les
flancs escarpes du Parnasse latin, notre prosodie
d'une main, de Tautre le Gradus ad Parnassum.
Et nous aussi qui tracons ces lignes, si nous con-
sultons notre conscience, nous dirons, le coeur contrit
et repentant :
« fed soui^etiance que, pendant de longues ann^,
a grammairien fanatique, nous couvrions de notre plus
« profond dedain tout livre qui etalait Tinsolente pr6-
« tention d'enseigner le francais autrement que nous
« avions appris le latin. »
Je n'en avais nul droits puisqu'il faut purler net,
Revenu a des idees plus saines , nous nous glori-
fions d'avoir pris rang dans la phalange, tous les
jours plus nombreuse et plus imposante, de ceux qui
battent en brftche les vieux prejuges en mati^re d'en-
seignement. Maintenant, Dieu merci, la lumiere com-
mence a se faire; on enseigne de nos jours d'une ma-
niere plus rationnelle , et , quoi qu'en disent les gens
/
CHAPITRE SEPTIEME. 67
attardes dans lea ancieanes voies, plus methodique ^
* * Exercices
gue par le passS. Ge n'est point que les precedes per- et
feetionnes soient une decouverte recente, Des esprits
superieurs, Dumarsais entre autres, avaient depuis
loix^mps indiqu^ la direction a suivre ; mais la rou-
tiz^^^ I'antipathie des innovations, la nonchalance,
etsuent venues se mettre en travers du progres et
av"Si.ient reussi, sinon a Tetouffer, du moins a Tempfe-
cli^^r de faire sentir sa bienfaisante influence.
« Mais, nous dira-tron, est-ce d'aujourd'hui que Ton
•* ^tudie et possede les langues? Pourquoi abandonner
« ^j&ne methode dont on s'est bien trouve pendant
* sai longtemps? »
TNotre r^ponse est facile. Nous ne rompons point
^"v*^ le passe, mais nous ne nous passionnons point
^c>in plus pour aucun procede exclusif ; nous conser-
"v^ons le passe, mais nous Tenrichissons des apports du
Px*^sent : en un mot, nous sommes, comme toujours,
PetiHisan de la grarnmaire, mais nous y ajoutons un
^oxnplement indispensable, la pratique.
INous enseignons la theorie^ mais nous n'en faisons
plvts le point de depart. Et, certes, c'est a pen pres en
** v^t enseignement que Ton procede de la sorte aujour-
" l>ui. S'agilril de musique vocale, ecoutons ce que
^^ent les maitres en cet art :
< On a longtemps augmente les difficultes de Te-
* %-ude de la musique vocale, en voulant d^s Tabord
^ Va rendre complete par Tenseignement prealable de
^ Va throne; de telle sorte que les enfants perdaient
* 1:out leur temps aux preliminaires et ne chantaient
grammaire.
\
68 PHEiMlfeRE PARTIK:
« que tr^&-tard. I^musique, si attrayante par elle-
et « meme, devenaitamsi pour eux penible, desagreable,
grjimmaire. ^ pebutaute 111^1116. Noiis suivousune hiarche oppose,
« et nous d6butons par la pratique du chant. Ce pro-
« cede est fonde en raison sur la nature et Texpe-
« rience : en effet, c'est en lui parlant que la m^re
(c apprend a son enfant a parler; c'est en travaillant
((SOUS ses yeux que Tartisan faconne son apprenti au
(( savoir-faire manuel , et c'est en chantant a ses
« oreilles qu'on enseigne sArement le chant a I'enfant.
<« Voici done le principe fondamental : la pratique
« du chant d'abord , Tetude de la theorie ensuite * . »
r/est en lui parlant que la mere apprend a son en-
fant a parler ; c'est en parlant a notre eleve^ ou en lui
faisant pratiquer des exercices qui Tobligeht a parier,
que nous lui apprendrons le franc ais , ou toute autre
langue cultivee : \k pratique de la langue d'abord , Te-
tude de la theorie ensuite.
Tons les moyens que nous avons indiques jusqu'ici
dans le cours de cet ouvrage, tendent a un m^me
but : Tacquisition du materiel de la langue par la/?/*a*
lique^ precedant la the'orie. Mais le moment est venu
ou des etudes plus fortes, a mesure que Tacquis de
Televe prend des proportions plus considerables, vont
reunir les deux moyens qui sont a notre disposition.
Avant de poursuivre , qu'on nous permette de con-
sacrer ici un hommage sincere a un homme qui a eu
^Recueil de morceaux de chant, a Tusage des ficoles normales et des ^oles
primaires, par MM. Delcasso et Gross. 2« edition, 1856. Preface.
Exei*cices
CHAPITRE SEPTIEME. 69
le courage d'elever la voix pour demontrer , par des
Aits concluants , \ impuissance de la methode appli- «
^uee generalement a V enseignemenl des langues an-
^iennes. filoigne de la France depuis pres d'un quart
^e sifecle, nous ignorons si le succ^s a couronne ses
-efforts ; mais nous n'hesitons point a proclamer que
IM. J,'E. Boulet^ auteur du Cours pratique de langue
Jatine^^ a bien merite de la France. Heureux les
jays oti des hommes d'elite consacrent toute une vie
laborieuse au triomphe d'une idee de progres !
Nous avons jadis accueilli avec dedain Toeuvre de
M. Boulet, sans nous donner la peine de Texaminer ;
-aujourd^hui que nous avons etudie et applique sa me-
thode avec succes, nous r^parons notre injustice en
la propageant avec une conviction ardente.
D'antagoniste de M. Boulet, nous sommes devenu
un de ses convertis.
C'est done le Cours pratique de langue latine qui,
a quelques legeres modifications pres , va maintenant
nous servir de modeje et de guide.
Nous avons redige, pour Tapplication de cette me-
thode a Tetude de la langue fran^aise a TEtranger,
deux series de lecons progressives, sous le titre
a Ex^rcices et Omm/naire,
Ghaque IcQon comprend :
1^ Quatre exercices differents;
2° Quelques paragraphes de grammaire.
' A Paris, chez Tauteur, rue Basse-du-Renipart , 14, et dans toutes les
^nnes librairies de ri5tranger. Deux tomes en un volume.
70
PREMIERE PARTIE.
Exercices
et
grammaire.
Nous prenoDs , au hasard , une des premiferes
cons , que nous reproduisons ici comme specimen
notre travail.
QUINZlfiME LEgON.
PBEMIEB EXEBCIGE.
Joseph,
II y avail
a Bordeaux un fou
qu'on nommait Joseph.
II ne sorlait
jamais sans avoir
cinq ou six perruques
entassees sur sa tSte,
et autant de manchons
passes dans chacun
de ses bras.
Quoique son esprit
fut derange,
il n'etait point mechant,
et il fall ait
le harceler longteinps
pour le mettre
en colere.
Lorsqu'il passait
dans les rues,
il sortait
de toutes les maisons
des pet its gan^ns
malicieux ,
qui le suivaient
en criant :
Joseph I Joseph !
combien veux-tu
vendre tes manchons
et tes perruques ?
11 y en avail
meme d'assez mcchants
pour lui Jeter
des pierres.
MOT A MOT
aUemand, anglais^ espagno
Ualien, russe, etc., etc.,
selon la langue de Televe.
CHAPFfRE SEPTlfiME.
71
Joseph supportait
ordiDairement
avec douceur
toutes oes insultes :
cependant il etait
qaelquefois si tourmente,
qu*il entrait en fureur,
prenait des cailloux
ou des poignees de boue,
et les jetait
aux polissoDs.
Ce combat
se livra un jour
<l«vaiit la maison
de M. Desprez.
L« bruit
I'attira
a. la fenetre.
" Vrit
«ivec douleur
C|ue son fils Henri
^tait engage
clans ia melee.
s'en fut-il apercii
c|u'il referma
la croisee,
«t passa
dans une autre piece
de son appartement.
^^t-ta^u'on se mil
Q table,
^. Desprez
^^ dit a son Bis :
*^*»«l etait
cet homme apres qui
tu courais
en poussant des cris?
^«>»^<. Vous
le connaissez bien,
mon papa ;
c'est ce fou
qu'on appelle Joseph.
^' i)esprez. Le pauvre
MOT A MOT
allemand, anglais, espagnol,
italien, rmse, etc., etc.,
selon la langue de I'eleve.
Exercices
et
grammaire
72
PREMIERE PARTIE.
, homme ! Qui peut
Exercices lui avoir cause
®* . cemalbeur?
S™™"""- Henrt. On at
que c'est un proces
pour un riche heritage.
Ilaeu
taut de chagrin
de le perdre,
qu'il en a perdu
aussi Tesprit.
M, Desprez. Si tu
Tavais connu
au moment
qu'il fut depouille
de cet heritage ,
et qu'il t'eiit dit ,
les larmes aux yeux :
<c Mon cher Henri,
je suis bien malheureux ;
on vient
de m'enlever
un heritage dont
je jouissais paisiblement.
« Tous mes biens
ont ete consumes
par les frais
de la procedure ;
je n'ai plus
ni maison de campagne,
ni maison a la ville ;
il ne me reste rien ; »
est-ce que tu
te serais moque de lui ?
Henri. Dieu
m*eo preserve !
qui peut etre
assez mechant
pour se moquer
d'un homme malheureux ?
J*aurais
bien plutot cherche
a le consoler.
M. Desprez, Est-il
MOT A HOT
allemand, anglaU, etpagno
italien, ruise, etc., etc.,
selon la langue de r^l^e.
CHAPITRE SEPTlfeME.
78
plus heureux aujourd'hui
qu'il a aussi perdu
Fesprit?
Henri, Au contraire,
ilest
bien plus a plaindre.
iV- Desprez. Et
cependant aujourd'hui
tu iDSultes
et tu jettes des pierres
a un malheureux
que tu aurais cherche
a consoler
lorsqu'il etait
beaucoup moins
a plaindre.
^^^nri. Mon cher papa ,
j'ai mal fait ;
pardonDez-1e-moi.
MOT A MOT
allemand, anglais, espagnol,
italien, russe, etc., etc.,
selon la langue de Televe.
Exercices
et
grammaire.
Vis-i-vis du texte francais, ainsi dispose, se trouve
1^ traduction, dans une disposition absolument iden-
'^ique; de maniftre que le premier, le deuxi^me, le troi-
^ieme mot de chaque ligne du texte francais, est tra-
^uit par le premier, le deuxieme, le troisi^me mot de
^^haque ligne de la version en langue etrang^re.
L'6Ieve apprend par coeur une partie du texte fran-
cais, proportionnee a ses capacites. Nous avons vu
^es jeunes gens d^vorer, en deux seances, tout le pre-
xnier exercice de cette quinzieme lecon. C'est fort
lean pour des enfants etrangers ; mais, on le sait, les
exceptions ne font que confirmer la rftgle.
En classe, I'^l^ve doit :
1" Reciter le texte fpancm\s^ sans que le matU^ taide
en lui lisojit la traduction juxtaposee ,
Cette abstention, de la ps^rt du maitre, est d'une
74 PRF^Ill* RE PARTIE.
~ ] necessite absolue. L'espoir de trouver quelque se-
ct cours dans la version pourrait engager I'eleve a etu-
grammaire. *j t^
dier sa lecon avec moins de soin.
2® Reproduire de vwe voix la traduction au fur el
a mesure que le mattre lui lit le texte original,
Cette reproduction de la version par I'eleve four-
nit au maitre la preuve que le francais est compris, et
qu'il n'a point devant lui un perroquet.
3" Repondre aux questions de grammaire fournies
au mattre par le texte de la le^on^ et dont la solution
se trouife dans les lecons de grammaire apprises pre^
cedemment.
La version en langue etrangere, dans la disposition
pour ainsi dire forcee ou elle se trouve , a pour seul
et unique but de donner a Televe une idee de la ma-
nifere dont on s'exprime en francais , et surtout de la
construction particuliere a notre langue. II se pourra
bien faire que I'eleve etranger, apres avoir lu certai-
nes parties de ce mot-a-mot, s'ecrie, comme dans la
fable :
. Je vois bien guelque chose;
Mais J e ne sais pour quelle cause
Je ne distingue pa^ tris'bien,
Aussi nous hS.tons-nous de parer a cet inconvenient en
donnant , comme complement et imm6diatement au-
dessousdu premier exercice, la traduction corfecte du
texte francais dans la langue 3e Telfeve.
CHAPITRE SEPTlfeME.
76
Pour terminer la premiere partie de sa lecon, Te-
leve doit :
4" j^crire, en man/ere de dictee^ le texte francais .
Le maltre lit, partie par partie, la traduction cor-
recte; I'elfeve dit, de memoire et i haute voix, le texte
franqais correspondant, et le couche immediatement
par eerit.
Exercices
et
grammaire.
DEUXlkME EXEBGIGE.
1. Quelle ville habitait Taliene
qu'on appelait Joseph? — 2. Qu'a-
vait-U toujours quand il sortait?
— 3. Son esprit ^tait-il sain? —
4. Se mettait-il faeilement en co-
lere? — 5. Que liii arrivait-il
quand il passait dans les rues ? —
6. Que vociferaieDt ces droles ? -
7. N*y en avait-il pas qui faisaient
plus que crier? — 8. Quelle 4tait
la conduite ordinaire de Joseph?
— 9. Mais quand on le poussait a
bout? — 10. Ou cela arriva-t-il un
jour ? — 11. Qui fut attire a la fe-
netre?— 12. Par quoi? — 13. M.
Desprez fut-il bien satisfait de voir
son tils au milieu d'un tas de vau-
riens?— 14. Resta-t-il a la fenetre?
— 16. Quand adressa-t-il la parole
a son morveux de Ills? - 16. Henri
gardait-il le silence en galopant
apres le pauvre Joseph ? — 17. Que
demande M. Desprez a son tils ? —
18. Quelle etait la cause de la folic
de Joseph?— 19. Quel fut Feffet
du violent chagrin qu'il eprouva?
— 20. Quand Henri aurait-il pu
connaitre Joseph ? — 2 1 . Qu'avait-
TRADUCTION
allemande, anglaise, espagnole,
italienne, russe, etc., etc.,
selon la langue de Televe.
76
PREMIERE PARTIE.
Exei'cices
et
grammaire.
on ravi a Joseph ? — 22. Par quoi tbadugtiovt
sa fortune a-t^jlle ete consumee ? ^^^.^^^^e^ ^^gi^ise, espagnole,
- 23. Ouelles privations eprouva ^^^^^^^^^ ^,^^ ^^ ^ ^^
t-il apresla pertedeson proces.»- ^^^^ j^ ^ deVeleve,
24. Henri se serait-il alors amuse
aux depens de Joseph? — 25. Celui
qui se moque des infortunes a-t-i1
un })ien bon coBur? — 26. Qu'est-ce
que Henri aurait prefere faire ? —
27. Le malheur de Joseph fou
est-i1 moindre que celui de Joseph
ruine? — 28. Quelle avait ete pe-
pendant la conduite de Henri en-
vers Joseph ? — 29 Qu'est-ce que
le petit Henri aurait du faire au
contraire? — 30. Quel aveu fait-il?
— 31. Que demande-t-il a son
papa?
Voila trente et one questions numerotees^ auxqueltes
Televe doit pouvoir repondre en ftaricaisy s'il a bien
appris et compris le texte du premier exercice. Ces
trente et une questions sont reproduites, en traduc-
tion, avec leurs numeros, dans la colonne laissee en
blanc, de maniere que Televe trouve sans peine celles
qui se correspondent dans les deux langues. Nous ne
voyons rien de plus beau qu'une pareille methode • .
Et quel profit pour Tel^ve ! Combien ne peut-il pas
^.jouter a ses connaissances au moyen de ce deuxieme
exercice ! Et cela, au prix d'un travail qui merite a
peine ce nom. La traduction l^ve toutes les difficultes,
et offre la facilite de faire les questions dans des ter-
mes autres que ceux du texte fran^ais du premier
pxercice. Encore autant d'acquis! Quand on pense
^ N. B. Nous n'en sommes pas Tinventeiir.
CHAPITHE SEPTlt:ME. f7
qu oa a eu Tineptie de trailer de charlatanisme une
methode aussi ingenieuse, aussi bienfaisante !
Exercices
et
grammaire
TBOISI^.MB EXEfiCICE.
Le perruquier ne sortait jamais sans avoir la figure blanchie, et le
iE:"£imoneur ne sortait pas sans Tavoir noircie. — Le malheureux Joseph
^^ait perdu tons ses biens , et les m^chants polissons se moquaient
de lui. -^ II ne faut insulter personne, encore moins un homme aussi
^ plaindre que celui qui a perdu Tesprit. — Que devons-nous penser
dc freres qui ne s'aiment pas les uns les autres, comme 6taient ie§
f ireres de Frederic ? — Les enfants qui insultent les hommes qui ont
1 « malheur d'etre fous , sont de m^chants polissons ; ils n*ont p£is
1 ^ amour de Dieu. — Si Joseph jetait des cailloux et de la boue , k'est
^u'on le tourmentait et le poussait a bout. — Cependant il n^aurait
I^as fait cela , sMl avait eu Tesprit sain. — Le pere de Josephine vit
Sivec douleur le mauvais coeur de deux de ses fils. — Joseph devint
CV>u pour avoir perdu , avec un grand heritage , sa maison de cam-
^>agne et sa maison de ville , dont il jouissait paisiblement. — Les
ITous n*ont ordinairement pas longtemps a vivTC. — La petite fille
sippelait le papillon, non pour lui arracher les ailes, ni le tourmenter,
^nais pour regarder les mille couleurs dont il ^tait bigarre.
Pour composer les phrases qui pr6cMent et for-
ment notre troisi^me exercice , nous avons puise dans
les quatotze lecons deja apprises , et oil Ton pent en
retrouver les elements epars. Un boa eleve les tra-
duirUy a premiere vue^ dans sa langue. Nous en avons
eu quelques-uns qui , par une curiosite que nous de-
clarons fort louable, indiquaient les endroits auxquels
nous avons fait des emprunts.
On voit que, dans la methode que nous avons adop-
tee, tout s'enchaine, tout engage T^l^ve a 6tre stu-
grammaire.
78 PKEMlfeRE PARTIE.
"I '. dieux. Mieux il apprend chacune de ses lecons en
Exercices * * *
et particulier, plus il eprouve de facilite a apprendre
toutes celles qui suivent. Nous aurions pu multiplier
ces phrases a rinfini, pour ainsi dire; mais il y a des
bornes a tout. D'ailleurs il est loisible au maitre , s'il
lejuge convenable, de charger les bons eleves de com-
poser, pour leur compte, de nouvelles phrases, qu'ils
soumettront a sa critique. G'est la une preuve de con-
fiance qui ne pent qu'fetre tres-encourageante pour les
enfants que distingue une application particuli^re.
QUATBIEMB EXEBGICE.
Continuer le dictionnaire.
L'el^ve doit avoir un cahier cartonne et assez fort,
ou il inscrily Jour* par jour, les mots de sa legon quHl
rencontre pour la premiere fois ^ a^ec leur traduction
dans sa langue maternelle : c'est la ce que nous ap-
pelons son Dictionnaire.
On Tastreindra a repasser souvent ces mots, et,
pour s'assurer de son exactitude a remplir ce devoir,
on rinterrogera de temps a autre, au moyen de son
propre cahier. .
Les bons eleves ont toujours leur Dictionnaire bien
garni; les eleves negligents et paresseux ne mettent
guere d'empressement a remplir les colonnes do leur,
qu'ils laissent en blanc, sous des pretextes a leur usage
particulier.
CHAPITRE SEPTIEMK.
7a
Partie grammaticale de la quinziime lecon.
Exercices
et
grammaire.
CHAPITRE V.
TRADUCTION
[Suite.]
allemande, anglaise, espagnoUy
TroisUme <X>r^ugaison,
italienne, russe, etc. etc.,
selon la langue de Televe.
INDICATIF.
Present.
Je rec oU.
Tu rec ois.
11 rec oit.
NoQg rec evons.
Vous rec evez.
lis req oivent.
etc. etc.
•
La le^on de grammaire de cette quinzieme le^on se
compose, comme on voit, du modele de la conjugai-
son en airy accompagne de la traduction. On remar-
quera que, d'un bout a Tautre de notre Cours elemen-
Uiire de langue frangaise a t usage des Etrangers^
dont la partie franco-russe est en voie de publication,
il ne se trouve pas un mot de francais dont nous ne
donnions la traduction juxtaposee.
Nous sommes arrive a la fin de la leqon, choisie
au hasard, que nous donnons comme specimen de
notre maniere d'appliquer la methode J.-E. Boulet
a I'etude elementaire de la langue francaise a TE-
tranger.
Nous n'avons plus que quelques mots a ajouter sur
ce sujet.
\a premiere serie de nos lecons progressives, inti-
tulee, comme nous Tavons deja dit, Exercices et
Jlxercices
80 PREMIERE P ARTIE.
Gtiumruiire^ epuise, en trente-deux lecons, la premiere
et partie de la grammaire.
grammaire.
La seconde serie donnera ce qu'il y a de plus ele-
mentaire et de plus indispensable dans la syntaxe de
la langue francaise.
Chacune de ces deux series de lecons forme un vo-
lume. EUes font suite au Lwre du premier dge^ pre-
miere partie de notre Cours dlhnentaire de langue
francaise a V usage des Et rangers.
Nous recevrons avee empressement et reconnais-
sance les propositions des amateurs de la langue fran-
caise qui, dans les contrees ou ce livre penetrera, vou-
draient bien travailler a la propagation de notre Cours
elemeniaire.
VIII.
Oe I'»iial7»e sramiiiaticale an premier de^r^.
On ne connait une langue que bien imparfaitement,
si Ton ne pent rapporter, d'une maniftre sure et ration-
nelle, a chaque partie du discours le mot qui lui ap-
partient. C'est TAnalyse grammaticale qui fait deeou-
vrir, et la classe de chaque terme, et les rapports des
mots entre eux, ceux qui regissent, et ceux qui sont
complements. Le nom est propre ou commun; Tadjec-
tif qualifie ou determine; le pronom est personnel, ou
relatif, ou possessif, etc. ; le verbe, regulier ou irre-
gulier, transitif ou intransitif * : toutes idees qu'il est
utile de s'inculquer de bonne heure; c'est un levier
qui aide a soulever bien des obstacles.
Connattre la nature des mots et leurs rapports dans
Texpression de la pensee, est done chose absolument
indispensable pour bien coraprendre, parler et ecrire
une langue : v6rite presque triviale a force d'evi-
dence. Aussi est-ce a la negligence que Ton apporte
assez generalement, sous ce rapport, dans Tetude de
^ Cette denomination distinctive des verbes est preferable a tielles d'actif et
de neutre, qui est absolument irrationnelle. Marcher est actif, tout aussi bien
que donner : tous les deux marquent une action, Mais , dans le premier. Tac-
tion ne passant point directement du sujet sui' un objet, nous le disnns intran-
sitif; r autre, pour la raison contraire, sera transitif.
82 PREMIKKK PAKTIE.
la laneu^ francaise a rEtrani^er, qu'il faut atliibuer e
giammaii- partic les faiDles resultats de cet enseignement.
ail premier Nous HC Hous occuperoDs ici quc dc TAnalysc gram
degre.
maticale au premier degre^ c'est-a-dire de celle qu
s'occupe des mots, ^onsideres seulement sous le rap
port de leur classification grammaticale, et de leur
accidents de genre, de.nombre, de mode, etc., etc
Quand nous traiterons de Tenseignement secondaire
nous donnerons des analyses completes, ou nous abor
derons et resoudrons des difficultes regardees jus
qu'ici comme insolubles, a en juger du moins par I
silence qu!observent a leur egard les auteurs de trai
tes di' Analyse grammaticale.
Modules.
I.
Soit a analyser uue phrase quelconque au premiei
degre^ nous Tecrivons d'abord dans toute la largeui
de la page ; ensuite nous en disposons tons les motfi
le long de la marge du papier, et nous les analysons
successivement, en suivant la ligne qu'indique la place
qu'ils occupent, comme il suit :
Je me cowperais plutdt la main que de Hen faire contre than-
neur de mon pays, Callot.
Je
me
couperais
Pronom de la premiere personne, masculin et singulier.
Pronom de la premiere personne, masculin et singulier.
Yerbe transitif (ou actif) et r^gulier de la premiere c<m-
jugaison, a la premiere personne singuli^re duPr^ent
du Conditionnel.
CUAPITKE HUITIKME.
83
plutSt
la
qtte
de
rien
fairc
V
hottrteur
de
mon
pays.
Adverbe de preference.
Article , f^minin et singulier.
Substantif commun , f^minin et singulier.
Conjonction.
Prepositibn.
Substantif commun, masculin et singulier.
Yerbe transitif et irregulier de la quatri^me conjugaison ,
au Present de Flnfinitif.
Proposition.
Article elidO, masculin et singulier.
Substantif commun, masculin et singulier.
Proposition.
Adjectif dOterminatif possessif, masculin et singulier.
Substantif commun , masculin et singulier.
De r analyse
grammati-
cale
au premier
degre.
II.
*^* tmit le monde arait des palnis , pemoline ne se trourerait
heut'^tix cTen avoir. Nicole.
Si
tout
le
arait
des
P^^onne
ne
se
^^^f>uzf€rait
heuTi
enx
Conjonction.
Adjectif indOfini , masculin et singulier.
Article , masculin et singulier.
Substantif commun , masculin et singulier.
Verbe transitif et irregulier de la troisiOme conjugaison * ,
a la troisiOme personne singuliere de Tlmparfait de
rindicatif.
Contraction de la preposition de et de Tarticle les, mas-
culin et pluriel.
Substantif commun, masculin et pluriel.
Nom conmiun , masculin et singulier.
Adverbe de negation.
Pronom de la troisieme personne , masculin et singulier.
Verbe transitif et regulier de la premiere conjugaison , a
la troisieme personne singuliOre du Present du Condi-
tionnel.
Adjectif qualificatif , masculin et singulier.
-^voir, ainsi qu'«/r«, n'est auxiliaire que lorsqu'il aide a coujuguer uu
''*^ ; en tout autre cas , ces deux signes doivent etre ranges dans la classe
^^*^Ie ou ils rentrent par leur terminaison.
84 PHEMlfcHK PAKTIE.
d'
D<^ Taiialyse ^^^
grammati-
eale
au pi*emier avoir.
Prepositiou el idee.
Pronom de la troisieme personne, uniforme aux deux
genres et aux deux nombres.
Verbe transitif et irr^gulier de la troisieme conjugaison,
au Pr^nt de FIufiDitif.
Ces deux modMes suffisetit pour indiquer la marche
a suivre dans Tanalyse grammaticale au premier de-
gr6. Les el^ves doivent pratiquer fr^quemment cat
exerciee , en rfegle generale, une fois la semaine. On
doit les faire analyser cuissitdtqu'ils ont appris lapre^
miere partie du idiscours, lis ont, a cet effet, un cahier
special, oil ils ecrivent chaque phrase a analyser des
deux manieres que nous avons indiquees en commen-
cant. Ils auront le soin de soidigner tons les mots de
la phrase, (]ui, ainsi presentee, se detache mieux de
Tanalyse proprement dite. En espacant convenable-
ment les mots disposes le long de la marge de leur ca-
hier. Us e\fiterontle desagrement de voir I' analyse d*uti
mot qui demande un certain dey^eloppement^ empiefer
sur la place resen>eeau mot qui vient immediatement
apres, Quand ils ont appris le substantif^ ils analysent
tons les noms, propres et communs , qu'ils rencon-
trent dans leurs phrases. V article appris, ils ont deja
deux mots a analyser. Us laissent en blanc la place
destinee a Tanalyse de mots appartenant a des parties
du discours qu'ils ne connaissent point encore, et les
analysent aussit&t que leurs progres le leur permet-
tent, compleUmt ainsij petit a petit, les analyses qui
se trouvent inachevees dans leur cahier. La t&che
augmente done au fur et a mesure qu'ils avancent
CHAPITRE HUITlfiME. 86
^^ns Texamen des parties du discours. Ce petit tra- "7~ "^
* * De r analyse
^8til qui n'offre pas de difficultes serieuses, mfeme aux grammati-
* . cale
commenQants, est leur premiere redaction en francais, au premier
et, a ce titre, flatte leur petit amour-propre : ils sont
toutheureux d'ecrire deja d'euvmemes quelque chose
dans une langue dont ils ne possMent encore que
quelques maigres elements.
Quand nos eleves sont assez avances pour analyser,
au premier degre, des phrases enti^res , ils doivent
avoir un cahier de copie^ oil ils mettent au net, de
leur plus gentille ecriture, toutes leurs analyses, d6s
qu*ils les ont corrigees avec le maitre.
Nous conseillons fort aux instituteurs de ne permet-
tre, dans les analyses, aucune abris^iation de mots^ ni
aucun ecart de la maniere suiine dans lea modeles.
L'exercice que ce ^travail donne a Tesprit de nos
jeunes eleves, surtout quand on Topere au second de-
gre ^, lui fait contracter des habitudes de precision et
d'exactitude, qui ne peuvent qu'exercer une salutaire
iiifluence sur leurs autres objets d'instruction.
* Voir Ertseignement secondaire, IV.
degre.
IX.
Arltlimctlque.
Ce titre surprend sans doute plus d'un lecteur, et
fait lever les epaules a plus d un maitre de langue
franqaise, qui, dans la pratique de leur enseignement,
n'ont jamais fait tracer un chiffre a leurs eleves. a Qu'a
c( de commun, se demandera-t-on, Yarithmetique^ qui
« est la science des nombres, avec Tetude d'une lan-
« gue, quelle qu'elle soit? Ne suffit-il pas d'apprendre
a Tart de combiner les nombres au moyen de la lan-
ce gue maternelle? Ne sait-on pa.s alors calculer dans
« toutes les langues possibles ? »
Non, cela ne suffit pas. Des personnes, du reste bri-
sees sur Tusage de notre langue, nous ont souvent paru
eprouver des difficultes a faire de vive voix en francais
le calcul le plus simple. Cette observation nous a fait
reflechir, et nous avons decouvert (decouverte fort
simple, si Ton veut) que cela provenait sans aucun
doute du defaut d'exercice. II est vrai qu'il ne nous
arrive pas frequemment d'etre obliges de faire un caj-
cul dans une langue etrangere, mais cela ne pent s'e-
viter de temps a autre. Nous croyons done qu'il vaut
mieux savoir se tirer d'affaire, lorsque le cas se pre-
sente, qu(^ d'etre oblige de reconnaitre son ignorance
des termes usites en pareil cas. Ce n'est qu'au bout
CHAPITRE NKUVlfeME. 87
d'u.n certain nombre d'annees consacrees a Tenseigne-
iw^nt de notre langue a TEtranger, que nous avons in- metique.
trc>cluit ce nouveau petit objet dans nos lecons. Toutes
1^^ personnes capables d'emettre un jugement en ma-
ti^x'e d'instruction ont declare notre innovation des
p^V]is heu reuses et r6pondant a uff besoin reel. Nous
^ a.Yons point la pretention de faire des arithmeticiens
?^ancais de nos petits eleves, AUemands, Anglais, Es-
pagnols, Italiens, Polonais, Russes, etc., etc.; on nous
croira bien sur parole. Nous voulons seulement que la
langue que nous leur enseignons puisse leur servir
dans des circonstances que les relations internationales,
gagnant chaque jour en etendue, rendent de plus en
plus frequentes. Qu'on se garde done bien d'eliminer
de Tenseignement elementaire nos petits travaux, sous
pretexte que ce sont des hors-d'oeuvre et une perte de
temps. Et puis, en fin de compte, c'est du francais, et
du francais souverainement pratique.
Tons les enfants a qui nous avons fait faire un pen
de notre arithmetique, y ont pris plaisir. Cela ne veut
pas dire qu'ils en prendraient moins a Peau-d'Ane,
s'il leur etait conte ; mais, en fait de langue enseignee,
qui dit plaisir y dit profit.
Nous arrivons enfin a notre sujet ; on verra qu'il
n'y a pas de quoi jeter les hauts cris.
88 PREMlfeRE P ARTIE.
Arith- PREMIER EXERaCE.
metique.
LA NUMERATION, PABL^E ET ECBITE.
Notre premier exercice coiisistera a faire nommer
depuis un jusqu'a fp^/?^, en y ajoutant les nombres
mille^ dix mille^ cent mille^ million^ etc., etc., chaque
nombre accompagne du mot qui le traduit dans la
langue de Telfeve.
Cette serie de nombres apprise en partant de un^
on la fera reciter en partant de.c^w/ pour revenir
a un.
^ L'eleve doit fetre astreint a compter lentement, en
faisant une legere pause apres chaque nombre,
Ne croyons pas que cela suffise a Tel^ve etranger,
pour savoir les noms des nombres d'une mani^re im-
perturbable. On s'^tssurera du contraire en prenant le
premier nombre venu, quarante'cinq^ trenie-deux^
vingt-quatrey quatre-vingtSj etc., et Ton verra que
Ton n'est pas au bout de sa t&.che. 11 faut done faire
reconnaitre a notre elfeve toutes sortes de nombres, en
les lui nommant tant&t dans sa langue^ tant&t en
francais. II devra les traduire sur-le-champ.
Nous avons en fran9ais certains noms de nombres
passablement absurdes ; pqurquoi ne pas le reconnai-
tre ? Quel usage irrationnel et inexplicable a pu rem-
placer les expressions :
septante '■ / soixante^dix
septante-un I I soiocante-ronze
nonante I ^ j quatre^vingt^div
nonante-un } \ quatre'Vingt^nze
CHAPITRE NEUVIEME. 89
denominations numerales si pen en rapport avec la ""^~^
maniere francaise, avec X esprit francais^ qui aimece metique.
qui va lestement et elairement au but, sans ambages,
ni circonlocutions superflues?
A notre sens, Tesprit de precision et de clarte qui
caracterise la langue franqaise, n'A point a se glorifier
d'avoir substitue a nonante-neufiAewji mots, onze let-
tres), quatre'vingt^dix-neuf {qnaXve mots, dix-huit
lettres) !
Esperons que Tusage des denominations anciennes,
conserve dans les departements a Tinstar d'une pro-
testation, fera reconnaitre et reparer, dans un avenir
plus ou moins prochain, le tort fait a la langue et a
I'esprit francais'.
Nous avons Thabitude de faire apprendre simultane-
ment aux elfeves etrangers les deux manieres dont on
pent nommer les nombres, depuis soixanfe-neu/jus-
qu'a cent. On rencontre assez souvent, hors de France,
des Francais employant les denominations rejetees
par Tusage dominant, et le moins qu'ils puissent de-
mander aux Etrangers qui parlent leur langue, c'est
d'etre compris.
Lqrsque nos eleves sauront bien la numeration par--
l^e^ nous passerons a la nummition ecrite,
lis ecriront au tableau, sous notre dictee, toutes
• Deg recherches sur repo(|ue de riutrusioii dans la langue des expres-
sions numerales que nous attaquons , et la maniere dont elles nnt etc substi-
tuees a eel les que le bon sens doit seul reconnaitre, offriraient, ce nous sem-
ble, un assez grand inter^t.
9() PREMIERE PARTIE.
~77 sortes de nombres, depuis les plus peiits jusqu'auiL
metiqiie. plus gTands.
Nous les exercerons egalement a partager les nom-
bres en tninches^ et a designer chaque tranche par le
nom qui lui est partieulier.
Exemple.
Tranche des billions ... inilliODS ... mille ... unit^.
27, 609, 087, 006.
II est inutile de faire observer que ce nest point en
francais que nos eleves etrangers doivent apprendre,
pour la premiere fois, ces elements d'arithmetique.
Ce que nous voulons, c'est qu'ils appliquent la langue
fran<;aise a leurs petites connaissances dans cette
science exacte.
Quoi qu'on en dise, c'est toujours du francais que
nous faisons avec eux, de tres-bon et tres-utile //v^a/-
cais.
DEUXiftME EXERCICE.
l' ADDITION.
Nous ne donnons point de definitions; nous n'en
avons que faire, et arrivons tout de suite a Topera-
tion.
au
; fr/fifj
nr.
,1)
7
9
4
8
^ 6
5
9
9
8
5
7
9
8
' 7
8
7
9
9
8
9
6
5
6
8
6
7
7
5
6
9
7
9
6
6
8
.3927288
CHAPITHK NEUVIKME.
91
!*•« coionne. Neuf et sept font seize, et six vingt-deux, et cinq vingt-
sept, et huit trente-cinq ; je pose cinq, et retiens trois.
2* coionne. Trois de retenue et cinq font huit, et huit seize, et neuf
vingt-cinq , et sept trente-deux , et six trente-huit ; je
pose huit, et retiens trois.
3* coionne, Trois de retenue et six font neuf, et neuf di\-huit, et
huit vingt-six, et sept trente-trois, et cinq trente-huit;
je pose huit, el retiens trois.
4® coionne, Trois de retenue et huit font onze, et sept dix-huit, et
neuf vingt-sept, et six trente-trois, et neuf quarante-
deux ; je pose deux , et retiens quatre.
5* coionne, Quatre de retenue et quatre font huit, et cinq treize,
et neuf vingt-deux, el huit trente, et sept trente-sept;
je pose sept, et retiens trois.
6« coionne, Trois de retenue et neuf font douze, et huit vingt, et
sept yfngt-sept, et six trente-trois, et six trente-neuf;
je pose neuf , et retiens quatre.
7« coionne, Quatre cfe retenue et sept font onze, et neuf vingt, et
huit vingt-huit, et cinq trente-trois, et six trente-
neuf; je pose neuf, et avance trois.
SoMME : Trente-neuf millions , deux cent soixante-douze mille ,
huit cent quatre- vingt-cinq.
Arith-
metiqiio.
TROISlfe.ME EXERCICE.
LA
SOUSTB ACTION.
Exemple.
4
3
•
5
7
3
8 9
8
3
9
1 1
4
9
1"" coionne. lluit de dix-sept, reste nenf.
2*" — Un de cinq , reste quatre.
3' — Neuf de dix , reste un.
4« — Neuf de dix, reste un.
^^ — Quatre de treize , reste neuf.
6« — I In de quatre, reste trois.
Rests, exces, ou mffebeiice : Trois cent quatre - >in^ - nnze
mille, cent quarante-neuf.
92
PREMIERE PARTIE.
Arith-
metique.
QUATRlfeME EXERCICE.
UL MULTIPUCATION.
Les Aleves commencent par apprendre le /iWet, que
void :
I>eux fois deux font quatre.
Deux fois iro'is font six.
Deux fois quatre /onf huit.
Deux fois cinq/on^ dix.
Deux fois six/onf douze.
Deux fois sept/on^ quatorze.
Deux fois huii/ont seize.
Deux fois neuf font dix- huit.
Deux fois dix font vingt.
Trois fois irois font ueuf.
Trois fois qusiire font douze.
Trpi9 fois cinq font quinze.
Trois fois six/on^ dix-huit.
Trois fois sept/on^ vingt-un.
Trois fois huii font vingt-quatre.
Trois fpis neuf font vingt-sept.
Trois fois dix font trente.
Quatre
Quatre
Quatre
Quatrp
Quatre
Quatre
Quatrp
fois quatre /on/ seize,
fpis cinq /on/ vingt.
fois six /on/ yingt-quatre.
fois sept /on/ vingt-huit.
fois huit /on/ trente-deux.
fois neuf /on/ trente-six.
fpis dix /on/ quarante.
Cinq fois cinq /on/ vingt-cinq.
Cinq fois six fbnt trente.
Cinq fois sept /on/ trente-cinq.
Cinq fois huit font quarante.
Cinq fois neuf /on/ quarante-cinq.
Cinq fois dix /on/ cinquante.
Six fois six /on/ trente-six.
Six fois sept font quarante-deux.
Six fois huit font quarante- huit.
Six fois neuf font cinquante-quatre.
Six fois dix /on/ soixante.
Sept fois sept /on/ quarante-neuf.
Sept fois huit font cinquante-six.
Sept fois neuf font soixante-trois.
Sept fois dix /on/ soixante-dix.
Huit fois huit /on/ soixant&-quatre.
Huit fois neuf /on/ soixante-^ouze.
Huit fois dix /on/ quatre-vingts.
Neuf fois neuf /on/ quatre^vingt-un.
Neuf fois dix /on/ quatre-vingt-dix.
Dix fois dix /on/ cent,
Exemple de multiplication.
8
l»'« colonne. Six fois nevX font cinquante-quatre ; je pose quatre, et
retiens cinq.
CHAPITRE NEUVlfeME.
93
2^ coloDne. Six fois sept font quurante-deux , et cinq de refenue
quarante-sept ; je pose sept^ et retiens quatre.
Six fois six font trente-six , et quatre de retenue qua-
rante ; je pose z^ro, et retiens quatre.
Six fois quatre font vingt-quatre > et quatre de retenue
vingt'-huit; je pose huit , et arance deux.
3«- —
4* —
Arith-
luetiqiie.
En fraD^aiS) le nombre multipliese nomme multipli-
cande ; celui qui le multiplie se nomme multipUcateui\
L'un et Tautre ont requ le nom commun de Jacteurs.
Le resultat de la multiplication s'appelle/^ro^o/V.
Prodoit de la nuUtiplication ci-dessus : Vingt-huit
inille, soixante-quatorze.
CINQUlfiME EXERCICE.
LA DIVISION.
A.
Premier modde.
5 2 5 6 6
4 8
4 5
4 2
8 7 6
8 6
Huit fois six font quarante-huit. Huit de douze, reste quatre;
cinq de cinq , quitte ou ne reste rien.
J'abaisse cinq.
Sept fois six font quarante-deux. Deux de cinq , reste trois ;
quatre de quatre, quitte.
»-* PKElVUfiKK PAKTIK.
— J'ahaiise six.
metique. "" ^" ^^'^ ^*^ /^' trente-six. Six de six , quitte; trois de Irois ,
quitte,
B.
Second modik.
5 3 5 6 6
4 5
3 6
8 7 6
— Huit fois six font quarante-huit. Quarante-huit de cinquante-
deux , reste quatre.
— J'abaisse cinq.
— Sept fois six font quarante-deux. Quarante-deux de quarante-
cinq, reste trois.
— Tabaisse six.
— Six fois six font trente-six. Trente-six de trente-six, quitte.
En francais, le noinbre divise se nomme (/ii^idencte ;
celui qui le divise se nomme diviseur.
Le resultat de la division s'appelle quotient.
Quotient de la division ci-dessus : Huit cent
soixante-seize.
Ces cinq exercices doivent etre repartis sur toute la
duree de V Enseignernent (Hementaire du francais. Le
premier termine, ne parlous plus de nombres a nos
eleves pendant quelque temps; laissons-leur un inter-
valle de repos, apres lequel nous repeterons ce qui a
ete appris. Apres une nouvelle pause, nous passerons
au deuxi^me exercice, et, en faisant altemer les temps
de repos et ceux d'etude, nous amenerons nos Aleves,
CHAPITRE NEUVIEME. 95
sans eniiui ni contrainte, a posseder, en avithrnctique TTT""
francaise^ de petites connaissances qui pourront leur metique.
etre de quelque utilite dans le commerce de la vie.
U est bon d'habituer les eleves a mettre la date du
jour au bas de leurs diff brents ouvrages, tant&t en
chiffres arahes ou lomains^ tantot en toutes lettres.
Bien des etrangers ne savent point comment pro-
noncer les adjectifs numeraux cinq^ six, sept, huity
neufy dix el vingtj ou, dans certains cas, la consonne
finale ne se fait point sentir. Nous croyons done fetre
agreable a quelques-uns de nos lecteurs, en reprodui-
sant la regie qui concerne la prononciation de ces noms
de nombres.
« A. La consoune finale des adjectifs uumeraux cinq, six, sept,
« huit, neuf, dix, sonne toujours, except^ quand ils sont imm^dia-
« tement suivis du mot nombr^ , et que ce mot commence par une
« consonne oil un h aspir^ :
Marcher cin^ a cin^ {q sensible).
Us sent neu/* (/'sensible) dans
celte chambre.
2* cas,
Ciug soldats {q nul).
Neu/* hameaux ( f nul ).
« L'interposition d'un mot entre I'adjectif et le substantif exerce ,
sur la prononciation du'nombre , la m^me influence que si c'^tait
le substantif nombr^ lui-m§me ;
Hui^ {t sonore) inMpides raa- 1 Sep^ {t nul) gros enfants.
rins.
« B. Nulle dans vingt , employ^ seul ou suivi d'un mot commen-
« ^ant par une consonne ou un A aspir^, la lettre t sonne devant une
« voyelle ou un h muet, et dans vingt-un, vingt-deux, et la s^rie de
« nombre ou il se trouve jusqu'a trente :
90 PHEMIERE PAKTIE.
l**^ cos,
Arith-
mcliquc. 1^8 sonl viug< (/ nul).
Ving/ livres {t nul).
Vingf heros (^ nul).
2* ctf*.
Ving^ (^ sensible) ares de terre.
Ving^ (t sensible) hommes.
lis etaient ving^ {t sensible)
trois.
« Le / de quatre-vingts ne se fait jamais sentir * . »
En fait de langues, les petits moyens ont souvent
d'excellents effets. Nous avons vu, par exemple, des
enfants qui ne pouvaient parvenir a enoncer les nom-
bres sans difficulte ni hesitation. lis les connaissaient
parfaitement tant qu'on les leur presentait dans Tordre
naturel ; mais du moment que cet ordre etait inter-
verti, ils ne savaient pour ainsi dire plus rien. Un
loto, un jeu d'oie, renouvele des Grees, grace aux
ehamailles qui ne manquent jamais entre les petits
joueurs, leuravaient bient&t rendu la numeration aussi
familiere en francais que dans leur langue maternelle.
* Nouvelle Grammaire francalse, a Tusage des AUemands.
X.
tUmuHmim.
Au poiat oil sent arrives nos eleves , iU doivent sa-^
voir :
1** Lire couramment;
2® Comprendre tout ce qvCils entenderU dire sur
les choses ordincdres de la vie : leurs dei^oirs,
leurs jeuXy leurs occupations journalieres ^
leurs petites relations sociales^ etc., etc.;
3^ Sautenir la conversation en assez ban fran--
cais.
£n Grammaire, ils doivent :
4® Connaitre la premiere partie tout entiere , et
ce quiljr a de plus indispensable a saiHur dans
la Sjrntaxe, Ils doivent surtout ^tre de pre-
miere force sur les Verbes^ la plus importante
partie du discours [Ferbumf parole ! ], et pou^
voir conjuguer^ sans broncher^ le plus grand
nombre des Verbes irreguliers.
Si nos eleves sont en etat de remplir ce petit Pro-
gramme, ils sont en bon chemin, et nous devons en-
visager I'avenir avec confiance.
S'ils en sont incapables, ne disons point encore :
Opera et impensa periitl mais remettons-les impi-
Resultats,
98 PREMIERE PARTIE.
toyablement aux Elements, dut se borner la tout ce
quails apprendront de francais dans le cours de leurs
etudes. Peut-etre en sauront-ils un jour plus que
maint grand garcon, plus que mainte grande demoi-
selle , dont le caquet incorrect et vulgaire donne una
pauvre idee de toute leur education.
Un maitre de langue ne doit jamais, en regie gene-
rale ^ trdnsig^ sur 6es principes^ k moiris cepeilijb,nt
que sa bourse, son estomac Dieudu ciel, il y a
tant de miseres ici-bas ! •
On reikiontfe en foud pays des mamand tpii vous
disent \ avec un air de complaisance : tc Monsieur,
rc^TQilk ma fille; ^\\e tk pass/* six, ^pt, buit fois sa
« gramrtiaire; ayei la hoi*l§ de hit <iomxrtetf'6<fer la lit-
<< terfetupe. a Vmid adredsefis ifaelques p^tit*^^^u6stions
k la jeune personne, et, effectivement, voui dfecouvrez
qu'en Grammaire elle a pass^ tout, absd^tifMnt tdkit.
Que fabe en pareille circonstance? fl^mettite k de-
moisetle dans la 'voie oiJi elle a pasi&e saos ^ laisser
trx<^e de ses pas l^gere, it moins eepetidaAt que la
figuf^e i^eoonteifte de la tendre mfere^ k mDitid surtout
€[UB la bourse, que Tedtoihac du maitre de langue ....
'Dieu tin ci^lv il y a tant et tant de mjAferes iei-bas !! !
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DEUXIEME PARTIE.
ETUDE ET ENSEIGNEMENT SECONDAIRBS.
De la gmmauilrr.
^ La labgue fran^aise est, plus que toute autre lan-^
gue , une mine inepuisable pour le philologue ; nous
prenoQs k t^moin ceux qui en out fait I'etude de ieur
vie entierSi Aucun dialecte ne presente une Syntaxe
aussi riche^ aussi rationnelle. Le moment ou Tel^e
redoublera de zdle, sera done le debut de son second
eonrs de Orammaire, quand un traite de cette science,
^rit dans la lan^e qu'il etudie, remplacera celui qu*il
a Ai^k pardouru dans sa langue matemelle. L'auteur
de ce nouvel ouvrage aura d6 y deposer, outre les
r^les ooiistitutives de Tidiome en lui-m^me, les lu*
mitres qui ressortent de Tetude comparative de cha-
que langue etrang^re avec le fran^ais. Ce sera la
soui^ee d'une foule d'apercus qui ont echappe et ont
Aik ^happer aux grammairiens qui ont ecrit en France,
100 DKUXIKMK PARTIE.
^^^ et pour des Fran^ais seulement. De ce travail naitra
grammaiie. pour notre disciple un double avantage, une nouvelle
cause d 'acquisition et de rapides progres, puisque, en
se servant de notre langue elle^-mSme pour en appro-
fondir i'etude, il joindra la pratique a la theorie.
Dans les pays etrangers, il r^gne une grande disette
de grammaires ecrites au point de vue de la langue des
el^ves. Ce n'est pas qu'en certaines contrees^ en AUe-
magne par exemple , ie commerce de la librairie ne
fourmille de traites de Grammaire francaise, ecrits
dans le pays mSme, et soi-disant adaptes a Tusage des
eleves particuliers qui doivent les etudier. Mais, grand
Dieu, quel fatras! Des regies, puis des regies, en-
core des regies ! Des regies fausses, des regies sur des
cas imaginaires, des regies a perte de vue sur des
emplois que Tusage seul pent enseigner. « L'usage,
f< disait le pr^ecesseur de tons ces grammairiens im-*
K provises, Meidinger, un grand fabricant de gram^
« maires des temps passes, I'usage est le meilleur
H maitre de langue. » Le brave homme, il ne s'en
inquietait guere de Tusage dans ses livres; mais il en
debitait tant et tant, qu'il avait, dit-on, etabli une
imprimerie pour se typographier lui-mfeme. Au milieU
de toutes ces richesses, un maitre capable et conscien-
cieux est vraiment bien embarrasse. Car, voici ce qui
arrive. Dans bien des pays etrangers, parmi lesquels
TAllemagne encore figure au premier rang, la langue
francaise est enseignee par des maitres qui, la plu-^
part , n'ont jamais foule le moindre petit tjoin du sol
de la France. Or, les appointements des professeutrs
CHAPITRK PREMIER. 101
€t Enattres sent partout, on le sait, passablemeiit 6tri-
qti^s. Cependant presque tous ont a entretenir une g»ainm«irr.
compagne, avec laquelle ils descendent cahin-caha
le fleuve de la vie; des enfants a elever, instruire, ha-
biller; de^ndes demoiselles, ce qui est le comble de
la desolation y a faire valoir, pour trouver acquereur
i letirs charmes. A quel expedient recourir en cette
deti-esse?... Oh! mon Dieu, on a bient6t avise. Dans
J'^tablissement auquel on est attaohe, on a de cin-
T^fitnte a cent elftves, qui veulent avoir des livres a
^^viclicr, a perdre, a d6chirer. Parmi ces livres, doit
&S^^r une Grammaire fran^aise. <c Eh bien , s'ecrie-
^ ti-on en se frappant le front, si je faisais quelque
^ ehose de mieux que ce que Ton a en fait de Gram-
* ttiaires fran^ises ! » On a bient6t calcule ce que
^o^iteront impression et papier, le nombre des exem^-
plaires dont le placement est assure, etc., etc. On
^^rait bien du guignon si par-ci par-la, hors du cer-
^le d'activite de Tauteur, il ne se rencontrait pas une
^^ deux bonnes iLmes pour acheter ou faire acheter
^uelques exemplaires du petit chet-d'oeuvre gramma*-
^^^h1. Voila done une nouvelle Grammaire francaise
*an.^^ ^ang \q monde de la librairie. C'est la centidm^,
*^ HiiUidme peut-^tre, mais qu'importe? Tant que Tatf-
^Ur aura des Aleves pour user leurs pantalons sur les
*^^tics de r^ole, et pour acheter, dechirer, perdre siBS
^^^eSf le succ^s de son ouvrage est assure.
<^'efit fort triste, sans doute; mais le mal est sans
*^^»»iede.
l*armi les Grammaires francaises publiees en France,
102 DEUXIEME PARTIE.
notis n en connaissons pas une que nous puisaiotiB
gnunmaire. recoiiunander aux Etrangers. Rentes an point de Yi^e
francais, pour des eleves dont la langue fran^aise est
la langue materaelle, elles negligent aombre deica^
que Toudra^nt y trouver traites un Allemaod^ un Aii^
glaisy un Russe, etc., ete., tous peuples parlant 'des
idiomes pariiculiers , assujettis a une syntaxe partii-
culi&re, et oi)eissant aux inspirations d*un esprit na>-
tionaU egalement partioulier. De tous ces liTves' )le
plus repandu esty sans contredit, la OrammAz^
Noel et Chapsal, et nous doutons que jamais reputa-
tion ait ete aussi injustement acquise. On y rencdoiriB
plus dune r^e appartenant au Cran^ais des auteurs,
mais compl6tement etrangeres au fran^ais que con-
naissent et parlent les gens cultives ea France^ Nous
croyons pouvoir affirmer, sans injustice envert les
auteurs, qu'aueun eleve, Francais ou Stranger^ : n'a
jamais appris, dans ce livre elementaire, la nioitteide
ce qu'on doit savoir de francais au sortir des elaBsesi
Nous avanc^rons m^nie, et tout le monde peat le Tev
rtfi^^ qu'il est impossible/ a quiconque n'a jamais
etttdie que Noel et Chapsal, de oonjugu^ oomnie il
feut ceux des verbes irr^guUers qui ne sont pas. dun
usage frequent dans fa. langue, parlee on ecritdy taat
ces verbes y sont presentes d'une maniere incompl^
et defectueuse. Le reproche que nous adres^ons id
a un ouvrage particulier s'applique aussi, plus ou
moins, a toutes les autres grammaires. Les vethes
irHguliers de la langue francaise sont assez nomr
breux : nous en avpns recueilli plus de fntis cenU\y\\\\\
CBAPITRE PRE:M1ER.
tos
ran^^Bt sous environ soixante-dix chefs de jamille.
Del»
^5b son;t done soixante-di^i. conjugaisons, plus ou moins grammaii^
if reguli^res , qu'il faut absolument connattre, si I'on
"v^eut pouvoir dire que Ton possede la langue fran-
«aise, le verbe etant, en toute langue, le mot essen-
:i:*:ieU ^ nw)t par excellence.
Qp poua «ftura peut-Stre gre d'indiquer iei le moy^n
qii^ nous employons pour presenter convenablement
^ nos 616 ves les verbes irreguliers francais. La pre-*
^cjodere chose a faire , c'est de ne tenir aucun ea9 des
.^i^leatix que donnent de ces verbes la plupart de§
^rpdoaia^rea coqnu^. Nous leur faisons ecrire ce)
rvej^beip datis mn cabier special, le chef en t6te dei^
^ffp^. derives, que suit enfin une liate, ausgi cqW.^
pl^te jqpi^; possible , des sujets ou Von remarque le9
^Kq(i|^ni^ irregularites que dans le chef de famille.
Exemple.
DIRE.
fc^-l^BflT WB L>n.
9km n^FiM.
-»««s.
Jed«9.
'^uiak. ■' "
'' imparf.duSubj
^14^. . :
QW>J^dM8e,elc
iMousflisoos.
"%7oakalteK
^I»4l8fnt.
,
Impiratif.
^tolt, et^
•
PHiSENT DE L*INF.
Dire.
Futur.
Prisent du Cond.
Je dirais, etc. '
PAKTIGIPK rit^s.
Dipant.
tmparf. de i'ind.
Je disfii^, Qtc,
Present du Sutij,
Que Je dise, etc. '
Participe pa8$i.
Dit.
Conjuguez de m&me contredire ^ dedire, interdire^rmdv^e^
^oridire, excepte a la seconde personne plurielle du present de IMn-
^iicafif, ohaes verbes font regutiereihent : rota contredisez^ vous
^Uedi$e%9 eie. ' - ' : ' * - • -.'
grammaire*
104 DEUXI^ME PARTIE.
Conjuguez ^galement de m$me mavdire , ^ l'exee|>tioii du partis
cipe pr^nt, maudissant , et de ses d^riv^s , qui prennent auaai
deux 8 : nous maudissons, Je maudissaiSy qu'il maudisse^ etc.
Que I'on cherche, dans quelle grammaire on vcm*
dra, un tableau aussi simple, aussi complet, de la
conjugaisoii du verbe irregulier dire et de sea d6-
riv6s.
On voudra bien remarquer que nous n'avons ici qW
quatre Temps primiufs. Tons les maitres de langae
francaise, un pen au-dessus du commun des martyrb^
savent qu'il n'y a pas de temps primitifs^ ni de temps
d4rMs y proprement dits. lis savent qu'on n'a adopts
ces denominations et les regies de la formation* des
temps que pour grouper ceux qui offrent des analo^
gies, et que le temps derive pourrait, en subissant ou
un retranchement ou un changement de terminaison,
selon le cas, former le temps primitif, au lieu d'en
fetre forme. Fort de ce principe, nous prenons done
la liberty grande de destituer le Participe pass6 de sfes
fonctions de temps primitif, qui, d^apres les regies
elles-mSmes de la formation des temps, sont une ve-
ritable sinecure. Et que de bois il reste encore a aibat-*
tre dans la forfet des prejuges grammaticaux ! G'est
sans doute pour cela que Ton debite tant de fagota^
sous pretexte de grammaire.
Dne opinion erronee, presque generalemerit r6pan-
due, c'est qu'une grammaire, pour ^tre reconnue
bonne et complete, doit presenter des regies sur tou-
Dela
CHAPITRE PREMIER. 106
l.«8 les difficultes que la langue offre aux Strangers.
INous a^ouons avec plaisir que e'est la, pour quel- grammain
copies grammairiens de circonstance, une occasion d'^-
^p^ler une erudition et une profondeur brill antes et peu
^[^oiiteuses ; mais voila tout.' Un grammairien doit 6tre
.^BftYare de regies de detail ; les principes generaux du
.S^angage doivent absorber toute son attention : le reste
^^i^ient de soi-mSme. Et en verite, n'est-il pas temps
^c3'avoir un peu pitie de ces malheureuses petites cer*
"^"welles d'ecoliers, et de leur faire gr&ce de toutes nos
^gpesantes et indigestes formules , qui ne sont propres
«iciu'a leur inspirer une insurmon table aversion pour
~^mme langue dont on leur rend les abords si ^pineux ?
^ue resulte-t-il de cette fureur de faire des regies?
On accumule erreur sur erreur, et, loin de h&ter les
prc^r^s de la science, on T^touffe.
Notre intention n'est point de remplir ici le r61e de
redresseur de torts gramma ticaux^ nous pensons nean-
moins que c'est rendre service aux maitres et institu-
teurs serienx que de leur signaler certaines doctrines
trfes-respectees , puisque personne n*y a touche jus-
qu'a present, mais qui n*en sont pas moins entachees
d'une evidente erreur.
- Les grammairiens se sont transmis , d'age en &ge ,
des articles de foi que nous avons Vaudace de ne point
t^specter. Nous serious heureux de faire partager
notre salutaire incredulity a tons nos lecteurs : ce se*
x*ait autant de gagne poi>r ceux qui ont charge d'6le-
^es, pour les eleves eux-mfemes. 11 n'y a rien de plus
clifficile a faire entrer dans une eervelle et a conserver
m DpyXlpME PARTIE.
dans une des cases de ia memoire qu'un^ rfegle fausse,
grammaire. qui ^ a aucuue raison d'etre, qui est en contradiction
flagrante avec le sen3 conunun, ayec Tesprit d'une
laqgue. Nous rangeons au nombre des plus incroya^
h]0^ traditions grammaticales la r^le que tous lea
gi^aiaunairiensy grands et petits, modestes ou foUemeat
eQti(;h^s de leur superioiite pretendue, so passent lea
41PA aux autres, avec grande v^ikeratioii pour sa pou^
disuse antiquite, qui se perd dans la nuit des temps^
Ji^, regie qui declare vague, indeterminey 1« pronom sot;
,ilie pronom soi un mot vague! Mais ou a-t-on de-^
^uvert cela? Qu'est-ce qui nous autorise a dire da «
vj'<^" ce que nous n oserions pas avancer de se, qui est
l^nai^memot? ... 'j
iJ^qiiand on pense que de Saint-Petersbourg a Md^^
drid, de Londres a Naples, en passant, proh pudorl
pjar Paris, on enseigne, on ressasse une absurdite
q^ .eherchera longtemps son egale dans toute autre
spi^noe, et cela depuis que Ton 6crit des grammak'es
Jfz^nQaisfes 1 Peut^on bien se figurer ce qu'une erreur,
ni^,fu>rrce meme qu*iine erreur grammaticale, prodiiit
de 4^sordres dans lea jeunes tetes ou on Imtroduit
avec toute Tinflexibilite du fanatisme? De quel profit
nest point, au contraire. pour de tendres e^prita la
peftite et modeste lumii^re dont on fait jaillir un» rayon
sur une doctrine erronee, qui se trouve, subitement et
presque miraculeusement, passer du £aux au vrai^ -de
rillogisme a la logique pure,^inattaquable ! ^ *
Voici la regie que nous avons pris la^ liberted^
sub^tituer a celle de tous les gramiiraiFiens sui* le»ptfo!«
CHAPITfUE PREMIER. 107
nomsoi. On verra que nouB prwiona le contre-pied de
nos honorables confreres, qui bnt jug^ a propps de
ren^^rs^r ta question^ et Tont rendue insoluble a force
de vodioir m^corihattre la veritable question de ce mot,
si inaltraite.
Deif
DU PRONOM 5a/.
(fktrait de la MouvtUe Orammaire a fustige des Aliemam4js,)
« Le pronom soi n'est point un mot vague de sa nature, comme
« on se Fimagine rufgairement ; |l a toujonrs au eontraire an s^ns
« tr^pr^cis, et, dans notre langue, comme en latin et en allemand,
« il sert ^ repr^senter un ou plu^eurs ^tres qui sont I'objet de leur
« propre action : c'est pour cela qu'on le nomme reflechi,
* Ce pronom se dit des personnes et des cboses; 11 est des deux
« genres et des deux nombres :
Avec^ un nom de personne :
.11 faut laisser Melinde parler de
soiy de ses vapeurs, de ses insom-
nies. La Bruti^re.
Idom^ee, Tevedant a soi, remer*
cia Res amis. F^hbloiv.
Ces g0QS n'aimeDt que soi.
Avec un nom de chose :
. L'aimaDt attire le fer a soL
Le chat ne parait sentir que pour
soi. BtFFOir.
La sagesse appes soi laisse un
long sooveoir. Aubert.
« Lorsque soi se dit des personnes , il est assez d*usage de le
« remplacer par un pronom de la m^me espece, lui, eux, elle, elles,
« si ia-Qiurfe du.rapport n'en souffre point, et, dans les exemples
« de la premiere serie , c«tte substitution , particuli^re a la langue
« frangoMse, n'auiait rien d'incorreet.
« Mais elle ne pent avoir lieu du moment qu'elle cause oil %n^
« amphibologies ou la destruction du rapport exprfm^ par le pro-
a nom soi, II faut done dire :
Quiconque rapporte tout a soi
n'a pas beaucoup d'amis. Acad.
A lui serai t equivoque. On ne
saurait s'il repr^^nte quiconque,
ou un autre sabslantif enonce |^re-
cedemment.
lOS
BKUXlfeME PARTIE.
Dela
grammaire.
Eu remplissant les volontes de
sqn pere, ce jeune bomme travaille
pour soi.
Psnonne ne meditde soi.
Pourhu.
lefils?
Pourqmt?.lepereoH
De M indiquerait uo rapport
tout different; la phrasesignifierait
alors: Personne ne m4dit decET
« Quand il s'agit de cboses, la substittUi&n pent egalement se
« faire^ mais plus raremenl, vu que les pronoms /tti, euXy etle,
« elles, sent moins propres que sot a representer des objets ina>
« nim^s :
Helas I voila dooc les maux que
la guerre entraine apres elle!
F£nblon.
En se servant du pronom soi,
rauteur de Telemaque serait egale-
ment reste dans I'usage, et le rap-
port eut ete encore mieux marque.
« Par cela m^me que remploi de lui; eiiocy elle, elles^ substitues
« au pronom soi^ est dans notre langue une singularity que nejus-
« tifie aucun principe de grammaire g&nerale , la question n'en
« est que plus difficile a r^soudre dans toutes les nuances qu'elle peut
« presenter. La contexture de la phrase, la presence de tel ou tei
« mot, d'autres circonstances encore, influent sou vent sur Tadop-
« tion de sol ou des pronoms qui peuvent le remplacer. Mais il est
« une chose capitale qu' il ne faut jamais perdre de vue : c*est la
« clart^ du rapport, clart^ qui doit toujours motiver notre ohoix.
Fonction particulUre de Soi.
Soi remplit encore d*autres rdles qui ne sont point r^fl^his :
Voudrait-on, 50t*meme, causer
saperte?
Dans cette phrase, soi sert a mar-
quer que Taction reste dans le sujet
de la phrase.
De so'i, le viee est odieux.
Dans cette phrase, sol veut dire
de sa nature, dans son essence.
« Mais cet emploi confirme toujours ce que nous avons avance ;
« que soi n'est rien moins que vague. Si parfois it semble indeter-
« mine, c'est qu'on lui pr^te mal a propos le caractere des pronoms
CHAPITRE PREMIEH. 109
n imkinis arec lesquels U se trouve souvent construit, caractere au-
« quel sa precision fait pour ainsi dire contre-poids. i>
DeU
grammaii'e.
C'est rendre service a la jeunesse, et faire acte de
respect envers Tesprit humain^ que de demontrer et
combattre Terreur en matiere d'enseignement. La ta-
che est peut-fetre ingrate; on s'attire peut-6tre maint
sarcasme de la part de ceux qui, se cramponnant a la
routine, trouvent si doux de se laisser aller les yeux
fermes; mais un esprit droit trouve une lai^e com-
pensation dans le sentiment du devoir et du bien ac-
complis.
Nous arrivons a une autre petite erreur des gram-
mairiens.
DE L'ARTICLE.
(Extrait d*un Traite (T Analyse grammaticale , inedit.)
Qoot capita , tot sententue.
« Voici , a noire avis, le double r6le de Tarticle dans le discours :
« Dans la presque totality des cas, sa fonctiou se borne h indiquer
cc que les mots qu'il pr^de, sont substantifs^ ou employ^ substan-
« tivement.
« Dans quelques cas seulement, il indique quele substantif est pris
<i dans un sens d^termin^ ; mais jamais il ne le determine d la ma-
a m^c des adjectifs dits DiTERMiNATiFS.
« La faculty determinante des mots /«, la^ lesy est absolument
« nuile , et si le substantif n'est point determine par une apposition
11G
nKlIXIfeME PAHTIK.
lie \n
ou par line cireotigtaiioe quel«oiique, ilt le laissNit teujoimdaiM'.sa
MtiMkiaire " P'^ grande extension, comme, par exempie, dans cette phraie :
Le cheval est utile a Vhamme.
« Retranchez les articles le et /', la phrase ne sera plusfinD^aise ,
« 11 est vrai ; mais Textension des mots cheval et kommt setrar .ttm*-
« jours la mdme qu'auparavant, c'est^a-dire , austi g^randBlpie pos-
« sible, et, de plus, le sens de la phrase ne perdra rien de sa nettete.
« Tout le monde , en effet , comprend ce que veut dire : c/ieral est
« utile a homme.
« S) done le, la, les, accompagnent quelquefois un snbstantif eom'^
« mun pris dons un sens d^rmin^ Textension de oe substantif es»t
« indiquee par des circonstances enonc^s ou sous-entendues. Quand
« je dis :
■» Lk roi^ LA reine et les 'princes etaient au spectacle,
« les substantifs roif reine, princes, spectacle, ne sont pris dans un
« sens determine que parce qu'on sait d'avance de quel roi, de quelle
« reine, de quels princes, de quel spectacle je veux parler. Les ar-
» tides le, la, les, doivent done id Tapparence de leurroled^termi-
«• nant aux circonstances qui me permettent de passer sous silence le
« nom de la race oil da pays de cette famille royale, ainsi que le nom
« du spectacle en question.
« JEt il faut bien qu'il en soit ainsi, car que deviendraient les Ian-
» gues sans article, comme le russe et le polonais, par exemple ?
« Nous terminerons cette courte digression, en appuyant notre
« maniere de voir d'exemples qui , nous osons Fesperer, acheveront
« de porter la conviction dans Tesprit de I'observateur impartial.
On dil nvec Varttcle :
filisa rentra dans ce moment, et
yiut raconter a son pere ce qui ve-
nait de se passer entre les deux
Savoyards. J. N. Bouillt.
Lks deux Savoyards, c'est
oomme s'il y avait : les deux Sa-
On dU sans arliqle:
Elisa rentra dans ce moment, et
vint raconter a son pere ce <(ui
venait de se passer entre rfctia: Sa-
voyards.
Dans cette phrase, safis article,
deux Sm)(*yards a nn sens tout «iu-
CHAPITRK PRKMlER.
fit
voffkrds eii qA^kiR, dont nous xe-
pdns de pAirler.
Une obooe, a remarquer , c'est
f|ue« dans cette phrase, le mot 5a«
voyards est doublement determine:
d^abdrd, par la circonstance que
rappelle l*article les, ensuite par
Tadjectif determinatif (fetu;.
tre que dans Pexemple de la pre-
idi^re oolonne. Cesont dtnx per-
stonagetqni apparaissent pcmMa
premiere fois sur la scene. La de-
termination est simple. $'il en etait
question plustard.il faadrait,com-
me ci-contre, employer Tarticle
pouf jndiquer que ce sont des per-
sodbages d6ja connus.
De hk
grammarre.
Papons k une autre question.
DE CEBTAHfS PBIOBITE.
Quelqiie ^mmairien s'est un beau jour avise de
dite :
« La premiere persoune a la priorite
« sur la seconds , et celle-ci sur la
« troisieme. »
61 toiit^ la podterit^ grammaticale de rep^ter, avee
V^lieWtemeTit :
« La premiere personne a la priorite
« sur la seconde, et celle-d sur !a
« troisieme. »»
Vbiia comment s'etablit le dogme grammatical.
« Quand nous disons :
toi , \
lui, I noaf.f voyagerons a pied,
et mat, }
toi
et
lui, ]
rou.s voyagerez a pied.
De U
grammaire.
112 DEUXI£i\IK PARTIE.
<i les mots nous et rou$ sont des mots recapitulants, choisis de ma*
« nieie a ce quits repr^sentent tous les sujets qu*ils r6capitiilent. Si^
« dans la premito phrase , od disait : Vans ropagerez^ la pei'sonne
« qui parle s'exclurait elle-m^me , tandis que nous resume les trois
•t sujets. L'emploi de rotis, dans la seconde phrase, se justifie abso-
» lument de mtoe, c*est-^-dire, par la necessite d*embrasser tous les
« sujets dans une seule expression.
« La formule des grammairiens est done assez etrange ; il n'y a
« point de priority, mais il y a un besoiu d'etre clair : cela suffil, je
« pense * . *»
Nous lie finirions pas de si tot, si nous voulions
relever toutes les erreurs epajrses dans les grammai-
res publiees jusqu'a ce jour. Mais nous ne perdons
point de vue que les quelques observations et redres-
sements que nous consignons dans ces lignes , n'ont
d'autre intention que de donner Teveil aux mattres
de langue qui pourraient enseigner de bonne foi des
enormites, comme cela nous est arrive pendant pris
de dix ans, sans nous en apercevoir. Nous sommes
persuade que beaucoup de nos lecteurs, qui font
profession d'enseigner serieusement la langue fran-
^aise, soumettront desormais les regies que contien-
nent leurs livres elementaires a un examen critique,
qui ne pent que profiter a tout le monde. C'est li,
pour notre part , le seul avantage que nous desirions
en tirer.
' Nouvelle Grammaire francaise, a Tiisage des Allemands.
CHAPITRE PREMIER. 113
Les rfegles et pr^ceptes contenus dans la Grammaire ~
sont la theorie de la langue; les exercices de lexico- grammaire,
^z*dphie et de syntaxe en sont la pratique.
Ici se pr^sentent au choix des mattres plusieurs
nncyenSy qui m^nent au m^me but, mais qui sont loin
<i'^tre egalement recommandables.
Nous rejetons tout k fait , comme souverainement
^^uxisibles, les exercices connus sous le nom de caco-
^ST^^^^phie ou cacotogie. Mettons-nous, s'il vous plait, a
^^ place de Televe. Nous voulons lui enseigner Vor-
^^-^gmphe : c'est une preuve qu'il ne la connatt pas.
^^-^dimment peut-il seuleroent nous venir a la pensee de
*^^^ttpe sous ses yeux des mots mal orthographies?
^^^us voulons lui enseigner a former sa phrase, en
^-^liservant les regies de concordance^ de dependancc
^^ de construction^ qui montrent I'emploi et Tarrange-
*^Xent des signes dont on se sert dans notre langue.
^^omment pouvons-nous alors avoir la malencontreuse
^^ee de lui laisser meme entrevoir des phrases ou un
^c^jectif masculin est accole a un substantif feminin, ♦
c^\i un verbe est au singulier avec un sujet pluriel , ou
^^n regime indirect est a la place d'un complement
direct , oil enfin la place respective que les mots doi -
"Vent occuper dans la proposition est ridiculement in-
texvertie? Est-ce ainsi que Ton procede dans les arts,
l^s sciences, les metiers eux-mfemes? Un peintre,
3'Pres avoir indique les regies de la peinture a son
^l^ve, ne s'avisera jamais de lui donner des jours mal
Pris a corriger, une perspective defectueuse a retablir
selon les r^.gles de Toptique. Un chimiste ne suivra
114 DEUXIEME PARTIE.
~~ point des precedes analogues. Un menuisier montrera
lie IB
grtmmaire. a soH appronti des meubles dont toutes les, parties sent
d'equerre , et se gardera bien de lui en faire voir d'a-
borddune construction manquee. Etnous aussi, sui-
yant les regies de la raison et dn boa sens le plai
vulgaire, nous ne soumettrons a notre ^l^ve que des
phrases bien orthographi^es. Et les moyens ne nous
font point defaut pour parvenir au but que nous avons
en vue. lis sont de deux sortes, pour renseignement
du fran^ais aux fitrangers.-Voulons-nous, par exem*-
pie, exercer notre el6ve sur la formation du pluriet
dans les substantifs, au lieu de lui donner k corriger
des phrases comme celles-ci , qui sont le comble de
Thorreur :
Les oiseavs sont les habitant de Tair.
II est plus facile a i'homme d'influer sur la nature
des animals que sur celle des regetals.
Ces enfant se livrent avec joie a leurs jeus,
•
nous leur donnons les nifemes phrases, mais presen-
tees ainsi :
Les (oiseau) sout les (habitant) de Tair.
n est plus facile a rhomme dlnfluer sur la nature des (ani-
mal) que sur celle des (v6g6tal).
Ces (enfant) se livrent avec joie h leurs (jeu) .
En isolant, au moyen de la parenthese, les mots a
orthographier en consequence des regies posees dans
la grammaire, nous 6vitons ce qu'offrent de hideux et
de nuisible les cacographies ; du reste, les mattres un
CHAPITRE PREMIER. 115
peu experiment's les ont, depuis longtemps dej^, re- ~
I'guees au nombre des moyens qui detournent du but, Krammaire.
au lieu d'y conduire.
Le second moyen qui se presente au mattre ensei-
gnant a I'Etranger, et que nous regardons comme in-
fij&imeat superieur k tout autre, c'est de donner k I'el^ve,
dans sa langue maternelle, des exercices a traduire en
fran^is. Ces exercices ne seront pas une vaikie com-
bitiaison de mots vides de sens , de phrases insigni*
fiantes et plates , prises au hasard , dans le seul but
d'amener la reconnaissance et Tapplication d un pr6-
cepte. Extraits de bons auteurs, d'une comprehension
facile, ils renfermeront toujours une pens'e profitable.
Une maxime de morale , un fait historique , une date
c6lfebre, un proverbe, un bon mot ingenieux , en fe-
ront ordinairement la matiere.
Les exercices, une fois corriges, dowent e'tre mis
au net dans un cahier special,
Une matiere a d'amples observations, mais que nous
ne pouvons presque qu'indiquer ici, cest la pone-
tualion. Dans plusieurs langues, elle est plus meca-
nique que raisonnee ; toutes les phrases se ponctuent
d'apres un unique etmeme syst^me. En francais, elle
doit avant tout Stre logique. « Les principes de cet
« art, dit Beauzee, sent n'cessairement lies a une m6-
c< tapfaysique tres-subtile que tout le monde n'est pas
« en etat de saisir et de bien expliquer. » L'importance
d'une simple virgule est telle, que son absence ou son
emploi op^re un changement de sens souvent tres-coii-
siderable. Si je dis :
Oela
l^rammaire.
U6 DEUXIEME PAKTIE.
Les AUemanda qui sont braves, honn^ieg, courageux ,
ou bien :
Les AUemandSy qui sont bra res, ftonnites^ courageux ,
ai-je emis une idee absolument identique? Non, Bd-
rement. Les trois adjectifs Ar^t'ej* , honn^tes ^ coura"
geux J ne qualifient, en premier lieu, que quelques
individus de la nation allemande; c'est comme 8*il y
avait : Ceux des Allemands qui sont, etc. En second
lieu, au contraire, Tusage de la virgule fait rapportw
a tout le peuple allemand les qualifications de ma
phrase incidente. « II y aurait, dit TEncyclopedie, au-
« tant d'inconvenient a supprimer ou a mai placer
« dans Tecriture les signes de la ponctuation , qu'^
« supprimer ou a mal placer dans la parole les repos
« de la voix. Les uns, comme les autres, servent a de-
« terminer le sens; et il y a telle suite de mots qui
« n'aurait, sans le secours des pauses ou des ca-
« racteres qui les indiquent, qu'une signification incer-
c( taine et equivoque , et qui pourrait mfeme presenter
if des sens contradictoires, selon la mani^re dont on y
« grouperait les mots.
« On rapporte que 4e general Fairfax, au lieu de
« signer simplement la sentence de mort du roi d'An-
« gleterre Charles I**", songea ase menager un moyen
a pour se disculper, dans le besoin, de ce qu'il y avait
c< d'odieux dans cette demarche, et qu'il prit un detour
« qui, bien apprecie, n'etait qu'un crime de plus. II
cc ecrivit sans ponctuation, au has de la sentence : Si
CHAPITRE PREMIER. J 1 7
« omnes consentiunt eso nan dissentio, se reservant ~
^ ' De la
« d'interpreter son dire, selon Toccurrence, en X^ponc- grammaire.
« tuant ainsi : AY omnes consentiunt^ ego non; dissen-
« tio , au lieu de ie ponctuer conformement au sens
*« naturel qui se presente d'abord, et que surement il
*< voulait faire entendre dans le moment : Si omnes
« consentiunt , ego non dissentio.
« Un syst^me de ponctuation construit sur de solides
<^ fondements n'est pas plus propre a la langue fran-
^ ^ise qu a toute autre langue. C'est une parlie de
^ i'objet de la grammaire generale, etcette partie es-
^ sentielle de Torthographe ne tiont de Tusage national
^ <|ue le nombre, la figure et la valour des signos
"^ qu'elle emploie. »
II.
Bmerelccs de itii^iiiolre, et dlci^e«.
Les exercices de memoire sont raccompagnement
oblige de l'6tude d'une langue, morte ou vivante. a Ces
<c Etudes , dit mademoiselle de Lajolais, que nous ci-
« tons toujours avee bonheur, ces etudes ont le m6rite
« dedevelopper et d'entretenir la memoire, d'agrandir
« le cercle des idees, et de penetrer Tesprit du m6ca-
cc nisme de la phrase ou du choix des expressions.
La plupart des maitres ont la louable habitude de
faire apprendre a leurs eleves des morceaux choisis
dans les bons auteurs en prose et en vers. Nous faisons
de mfeme; seulement nous croyons que, malgre les
incontestables et superieures beautes des grands 6cri-
vains du sifeclede Louis XIV, ce n'est point exclusive-
ment dans leurs chefs-d'oeuvre que nous devons pui-.
ser les extraits que nous faisons apprendre a nos eleves.
II ne nous faut pas oublier que nous enseignons una
langue qui doit surtout servir dans les relations so-
ciales, oii le langage va, s'il est permis de s'exprimer
ainsi, plus terre a terre, sans cesser pour cela d'etre
francais. Notre litlerature possede des ecrivains d'un
merite sans doute bien inferieur a eelui des Corneille,
des Racine, des Boileau, mais qui, par cela mfeme que
leur diction se rapproche davantage du langage de la
CHAPITRE DEUXlilME. 119
conversation, conviennent mieux aux Etudes de me-
1 »S , . Exercices
moire des Etrangers. h Athaiie de Rateme est, sans dememoire
contredit, un chef-d'oeuvre du premier ordre; mais
nous sommes intimement convaincu , pour en avoir
fait Texperience, qu'un eleve qui a appris et r6cit6 avec
toute la pompe qu'ils comportent ces beaux, ces ma-
gnifiques vers :
Qui, je viens dans soa temple adorer i'Eternel.
Je viens, selon I'usage antique et solennel ,
etc. etc.
en tire moins de profit que de eeux-ci, dont le merite
est des plus modestes :
On pent bien quelquefois se flatter dans la vie I
Tai , par exemple , hier mis a la loterie ,
Et mou billet enfin pourrait bien Itre bon.
Je conviens que cela n'est pas certain : oh ! non ^
Mais la chose est possible, et cela doit suffire.
Puis, en me la donnant, on s'est mis a sourire,
Et Ton m'a dit : « Prenez, car c'est la le meilleur. »
etc. etc.
Ce n'est pas que nous conseillions de se borner, dans
le choix des morceaux a apprendre par coeur, k ceux
qui se rapprochent de la langue parl6e. Notre opinion
k cet ^ard est que Ton doity mettre de la gradation
6t de la mesure : pr^f6rer, au d^but des etudes, les
extraits les plus simples , et r^server ceux de haute
litt^rature pour Tenseignement superieur.
L'usage de bien des maitres est de ne faire apprendre
que des vers a leiurs elfeves; iis n*ont pas lair de se
120 DEUXIEME PARTIE.
"T '. douter qu'un peu de bonne prose ne serait aucunement
dememoire, a dedaiffner. Nous osons ne point fetre de cet avis. Nos
et dictees. ^ '
eleves doivent un jour, comme le bon M. Jourdain,
s'exprimer en prose et non en vers. Notre habitude
est d'adopter en cette circonstance comme en mainte
autre un moyen terme, dont nous noustrouvons bien :
nous faisons alterner les morceaux de vers et de prose.
Les maitres de langue franqaise ont, du reste, souvent
Toccasion de remarquer que les fitrangers ne goutent
pas si fort notre poesie : ils la trouvent un peu trop
collet monte.
Les librairies sont encombrees de CAoix depoSsies,
de Chrestom/ithies, A'OrnemerUs de la memoirej etc.,
dont les auteurs, se reproduisant les uns les autres,
semblent s'6tre donne la parole de ne fournir d'extraits
que de nos chefs^l'Geuvre, en prose et en vers. Cette
tendance uniforme n'a point, en France , Tinconve-
nient qu'elle offre a Tfitranger. Nous en avons d6ja
donne la raison. Les maitres de langues doivent, mal-
gr6 cela, posseder ce qu'il y a de mieux en fait de
compilations de ce genre; mais ils ne doivent pas s'y
borner. II faut utiliser dans le m^me but nos lectures
courantes. Nous nous sommes souvent felicite d'avoir
fait apprendre des passages tires des feuilles p^rio-
diques ou quotidiennes. Les fcuilletons de Jules Janin,
par exemple, dans le Journal des D^bats^ le plus lit-
teraire des journaux de TEurope, contiennent sou-
vent, malgre les oh\ et les ah ! dont ils sont emailles,
des endroits delicieux, eminemment francais, et d'un
style des plus pratiques. Nous nous souvenoris d y
CHAPITRE DEUXifeME. 121
avoir lu, dans le courant de la presente annee (1857), ;
un article , que nous intitulerions Ui Sonneite, et qui dememoiri
ferait Tornement des Ornemenls de la memoire. Les
Fails (Hirers renfei\ment, de temps a autre, de petits
recits pleins d'animation, des anecdotes piquantes,
dont nous pouvons faire notre profit. Butinons done
partout, et gardons^nousde nous en tenir aux Recueils
et k leurs morceaux emphatiques. Ne negligeons pas
les Scenes de tribimaux ; quoi de plus saisissant, de
plus actuel, de plus vrai ! Seulement gardons-nous du
grotesque et du vulgaire.
Quand on ne met point entre les mains des eleves
une des nombreuses compilations qui se publient cba-
cjue jour, on a ses coudees Tranches pour leur dieter
les morceaux que Ton croit les plus convenables a
leur instruction. On leur compose de la sorte, dans le
cjours de leurs Etudes, un choix de vers et de prose
cjui a, pour eux, le merite de Timprevu et de la nou-
"veaute. Nous avons remarque qu'iU apprennent avec
;plus de plaisir les extraits qui leur arrivent ainsi de
t;ous les c&tes, que ceux qu'on leur dicte d*un livre,
t»ujours le mfeme, et dont la seule vue finit par leur
^tre desagreable. On les oblige a mettre ces dictees au
net dans des cahiers intitules Melanges en prose et en
vers, et portant cbacun leur date et un numero d'or-
dre. Ces petits choix sent toujours bons a conserver,
mais on salt que les enfants n'aiment a garder que
les cahiers qui leur ont coute beaucoup de peines et de
soins.
Les enfants qui ont une mauvaise memoire, se fati-
Exerrices
122 DEIIXIEME PARTIE.
guent beaucoup pour apprendre quelquefois fort peu.
tememoire, Nous Youlons rcndre a ces pauvres petits amis le 14-
ger service de leur indiquer un moyen d'all^ger leurs
Etudes de memoire. 11 ne nous a' point ete inconnu
dans notre jeunesse, mais nous Tavions completement
perdu de vue, lorsqu'il notts a 6t^ rappel6 par une per-
Sonne fort distingu^e sous le rapport de la naissance,
de Tesprit et du coeur, madame la comtesse Xaverine
Gr ka, bien connue dans le mondeparisien. Voici
en quoi il consiste.
Supposons que nous ayons a apprendre par coeur
quelque chose de particuli^rement difficile, dans le
genre des lignes suivantes, qui sent sorties de la plume
immortelle de Bossuet :
Qui a forme tant d*espices d'animauoc, et tant d*eipece& stthor-
donnies d ce genre ; toutes ces propri^tes^ tous ces mouvements^
toutes ces adresses , tous ces aliments^ toutes ces forces dh-erses^
toutes ces images de rertus , de penetration , de sagacite et de
violence f Qui a fait marcher, ramper, glisser les antmaux f etc.
Ce passage est, a coup sur, un des plus abstraite-
meat sees que Ton puisse vouloir faire entrer Abxxb la
t6te follette d un enfant. II n y a la rien qui parlc k sa
jeune imagination, rien qui Tattraye en aucune ma-
ni^re, rien qui rentre dans le cercle habituel de ses
id^es naissantes. Je doute m^me que Fenfant com-
prenne bi^n la portee de ces paroles du grand pr^lat.
Eh bien! qu'il detache de chacun des mots ci-<les8U8
la lettre initialey et qu*il ecrive toutes ces lettres k la
suite les unes des autres, comme il suit :
CHAPITRE DEUXifeME. 123
Q, a f. f. rf>. rfV-, e. t. d'e. s. a. c. g.; — t. c. p., t. r. Exercices
w., t, c, «r. , t, c. a., t. c. f. d., t. c. i. d. r., d, p,, d, s,
e. d. V,? — Q, a, f. w., r., g, I. a J
dememoin
et dict^.
Qu'il Use maintenant, phrase par phrase, cette en-
nuyeuse lecon; qu'il essaye ensiiite de la r^peter au
moyen des initiales detachers de chaque mot, Ces
initiales seront pourlui, avec Taide de la ponctuation
conservee^ des points de repere qui lui allegeront con-
siderablement sa tache. Si Ton se trouve bien du pre-
cede, nous le livrons avec plaisir.
Nous avons choisi a dessein ces lignes de Bossuet,
qui sont tirees d'un livre intitule : Exercices de me-
moire et de styles et faisant partie, nous n'en impo-
sons point, d'un Cours (Penseignement elementaire,
L'auteur croit devoir ajouter : mis a la portee des en-
fants; et nous sommes persuade que I'honnfete
homme est de bonne foi. Helas! il faut lui pardonner,
car il n'a pas plus failli que tons ses honorables con-
freres, auteurs de compilations analogues. Tons, sans
exception, en ecrivant pour de pretendus enfants, ont,
a leur insu, travaille pour eux-mSmes. lis ont oublie
que I'esprit d'un garcon ou d'une petite fille de douze
a treize ans n'est point I'esprit d'un homme qui a
blanchi dans la penible carrifere de I'instruction pu-
blique. Au lieu de redevenir momentanement enfants,
ils ont fait de leurs petits el eves des barbons a che-
veux gris et rares, portant lunettes, et ayant un air
124 DEUXIEME PARTIE.
grave et r^flechi , comme Bernardin de Saint-Pierre,
icnSmSre, cx-ermite, ecrivant ses Harmonies de la nature.
et dictees. ^ ^^^ gens-la, nous autres maitres de langue, nous
ne devons jamais ouvrir notre porte.
III.
De la traduetlon*
Un exercice d'une inconcevable utilite, quoique bieil
des maitres le negligent, c*est la traduction, lei,
comme ailleurs, on procedera par degres. Soumetti^
de prime abord un jeune Etranger a Tepreuve d'une
version, en Tabandonnant a ses propres forces , c'est
ie pousser sur un 6cueil ou il echouera. Rien de plus
penible, aussi rien de plus rare qu'une bonne traduc-
tion. Nous ne debuterons done point par obligernotre
el^ye a traduire en francais un morceau ecrit dans sa
langue matemelle, quelque fecile qu'il soit d'ailleurs.
Bien que passablement verse dans les elements de
retude qu'il poursuit, c'est tqujours un elfeve, un
Etranger, dont Tesprit est accoutum6 d6s I'enfance a
des tournures de phrases, a des locutions particuliferes,
a une construction de mots essentiellement nationale.
En lui donnant a traduire un passage en francais,
nous lui dicterons de courtes notes sur telle question
grammaticale non encore debattue, sur telle difficulte
qui va se presenter a lui pour la premiere fois. Alors
il est efficace d'entrer dans des details explicatifs sur
les differences observees. Nous tiendrons a ce qu'il
saisisse et retienne les nuances qui caracterisent les
expressions diverses et font preferer celle-ci a
126 DEUXlfeME PARTIE.
~r~ celle-la : parlons a son jugement , mettons en relief
traduction, le sens faux de ce mot francs, dont Tauteur que
nous traduisons ensemble a voulu faire redonder sa
periode ' ; prevenons-le constamment contre cette ri-
dicule vanite d'erudition. Son travail termini , pre-
nons cette version , phrase par phrase ; voyons s'il a
tire parti des elements qu'il possede ; qu!une critique
raisonnee porte la conviction dans 8on esprit. Un ku-
taur paraphrase n'est pas un auteur traduit : xendre
uae pensee par un deluge de circonlocutions » c'est
Taffaiblir puerilement. Pour que notre eleve fasse un
travail profitable j il s'appliquera a faire passer son
telte tout entier , pensees et esprit, dans une version
litt^rale et coneise, qui ne s'ecarte jamais des {»rin^
cipes de la langue fran<;aise. Son style sera ch&tiS : il
eliminera ce mot oisif , remplacera par un synonjme
plus juste cet autre au sens louche, fera disparattr^
cette consonnance dissonore, produite par un choc de
yoyelles , ou par une repetition trop rapprochie des
m^mes inflexions. 11 n'enchev^trera point les phrases
du texte Tune dans Tautre, pour les couper ensuite a
sa guise, a moins d'une absolue necessite. Qu'il s'ap-
plique k reproduire la pensee primitive en la jetant,
pour ainsi dire, dans le m^me moule, sauf les vari^tes
de nuances que la dissemblance des idiomes rend ine-
vitables.
* Les Allemands surtout , dans leur langue ecrite et parl^e , se distinguent
par la manie d'employer des mots franqais, soit en les detournaiit de leur teftk,
comme particulier pour rentier, soit en les fabriquant a neuf, comme bid-
mage, pouss€ige! apports gratuits dont la langue de Bossuet et de Voltaire ne
se montre pas extr^ement satisfaite.
CHAPITRE TR01SI£M£. 127
Tout cela, ce n'est point I'diffaire d'un jour.
La traduction est la pierre de touche du maitre de tradaction
langue.
Dans les pays ii langues difficiles, eomme la Russie
et la Pologne, les mattres de langue francaise se par^
tageiit en deux partis, qui, comme tons les partis, ne
vivent pas ensemble dans une pa^faite intelligence.
Les uns parlent la langue du pays avec assez de faci*-
lite, mot qui n'est point synonyme de purete , I'ecri*
vent m^e, et, gr&ce a cette ressource, se tirent plus
facilement d affaire avec les etrangers qu'ils frequen*^
tent. Les autres poss^dent a peine quelques mots de
cette langue, ne se hasardent point a Tecrire , fijt-ee
mSme sur le dos d'une lettre , ont pen de relaticms
ayec les etrangers, et leurs relations, en genial,
ne franchissent gu^re le cercle de leur p6nible etat.
Les premiers s'estiment infiniment superieurs aux
derniers. « lis ne savent pas la langue du pays, com-
<c ment pourraientrils y enseigner la leur? » Tel estle
propos que Ton entend tons les jours iancer a Tadresse
de ceux qui ne parlent ni polonais, ni russe, par ceux
qui pratiquent ces deux langues.
Au fond de tout cela git ce que les AUemands ap*
l^WenlBroflneidj mot que nous deciarons intraduisible
dans sa saisissante simplicite; et cette jalousie de
metier prouve une chose surtout : c'est qu'il y a bien
pen i ronger autour de Tos qu'on nomme metier de
maitre de langue.
Les pays du Nord-Est europeen , nous laissons a
d'autres le soin d'en rechercher la cause , absorbent
128 DEUXIEME PARTIK.
rapidemeni lea nationalit^s etrangeres : mcBurs , habi-
traduction. tud^, langue, accent, etc., etc., tout s'y impose aux
etrangers a leur insu, pour ainsi dire. II n'est pas
neeessaire que la sympathie s*en mMe. On y en ren-
contre fort peu qui soient restes eux-m^mes, au bout
d'un certain nombre d'annees de sejour. lis subissent
cette transformatiiui sans s'en aperccToir; s'ils ren-
trent un jour dans leur pays natal , ils s'y pr^sentent
comme des gens du dehors, et, pour recouvrer leur
nationalite perdue , ils doivent attendre I'effet du
temps et du contact journalier avec leurs anciens
compatriotes. U en est mfeme, et le cas se presente
assez fr6quemment, qui ne peuvent plus se rehabituer
aux lieux ou ils sont nes, se consument d'ennui au
milieu des splendeurs parisiennes, et s'estiment heu-
reux quand ils peuvent retourner vivre ot mourir dans
leur patrie d'adoption.
Cette influence des pays du Nord-Est europeen estj
on le conceit, souverainement dangereuse pour les
etrangers qui vont y enseigner leur langue mater-
nolle. Que de precautions ne leur faut-il pas employer
pour resister a un contact aussi deletere, au point de
vue de leur profession? Nous ne pouvons mieux les
comparer qu'a ce malheureux et inoffensif animal qui
a pour ennemis mortels quadrupfedes et bipfedes ,
chasse, pourchasse, de jour et de nuit, par les uns et
par les autres, toujours aux aguets, toujours effraye,
dormant les yeux ouverts ; . . . ♦
Le LiBVBE, puisqiiil faut I'oppeier par son nonty
CHAPITUE TKOISIEME. • 129
nous semble I'embldme le plqs frappant, le plus vrai, Deia~
du maitre de langue, disputant, bribe a bribe, aux po- ^'adiiction
pulations qui Tenceignent et le pressent comme I'eau
d'un bain, son pauvre idiome national, son gagne-
pain.
Un maitre de langue , au milieu de gens qui lui es-
tropient sa langue maternelle a qui mieux mieux,
oblige ^entendre des conversations qui lui font venir
la chair de poule, eprouve Timpitoyable necessity de
se revolter interieurement centre mille locutions in-
correctes , pour se soustraire a la contagion de \ habi-
tude ^ qui en a vaincu, terrasse, humili6 mfeme des
plus forts sur leur partie, des plus decides, dans le
prineipe, a conserver leur langage pur de tout melange
etranger.
Ce n'est done guere que dans des conditions d'iso-
lement toutes particuliferes, qu'on pent esperer pou-
voir conserver a sa langue sa puret6 native, et rester
etranger au milieu des Strangers auxquels on est ap-
pele a Tenseigner. Un maitre de langue franqaise,
dans les pays dont nous parlons, surtout lorsqu'il vit
loin des grands centres de population et de culture,
doit souvent se retirer dans son for interieur, songer
a la patrie absente, frequenter activement ses livres,
compatriotes qui Tont suivi dans son exil pour T^tre-
tenir de tout ce qu'il a laisse derri^re lui , et limiter,
autant que possible, les relations qui le detournent du
but qu'il a constamment devant les yeux.
De la table solitaire ou nous tracons ces lignes,
nous entendons les rires moqueurs de certains de nos
9
180 • d£uxi£:me partie.
confreres ; mais nous entendons aussi le cri d'assentir
traducHon. meut de ceux qui prennent au serieux leur modeste et
utile profession.
« Mais, nous objecteront ceux*ia, parmi les institu-
<c teurs fran^ais qui parlent la langue de ces pays,
« n*en est-il done point qui soient restes FranQais,
« sous le rapport de la langue? »
II en est, nous le reconnaissons ayec plaisir; mais
quelle imperceptible minorite forment ceux qui ont
^appe au naufrage !
Apparent rari nantes in gurgite vasio.
Pour en revenir done a notre sujet, ou nous Tavons
laisse, nous disons encore une fois : La traduction est
lit pierre de toucke du maitre de langue, Quand on
Iraduit, il n'y a pas moyen de s'esquiver; on se livre
tel que Ton est, fort on faible, instruit ou inculte; on
86 photographic soi-m6me, et on dit : cr Me voila ! »
11 n'est pas absolument indispensable qu'un mattre
de langue possdde a fond Tidiome de ses cloves etran^
gers, pour faire avec eux des exercices de traductioa,
fidties et corrects. Quand on a sous les yeux un texte
imprirn^, que Ton se trouve dans le pays m&me ou la
langue se parle, on dispose de plus de ressources pom*
obtenir une version satisfaisante, qu'un latiniste ou un
grteiste pour rendre le sens dun auteur ancien. Une
langue vivante tient toujours a nos ordres cent inter-
prates divers. Nous pouvons done, avec un pen de
travail sans doute, trouver le sens exact des expres-
CHAPITRE TROISIEME. IS!
sionsles plus embarrassantes; le sens general se livre
toujours de lui-mdme. 11 vaut mieux done, et c'est no- traduction
tre conclusion, ne pas Stre si fort sur la langue du
pays oil Ton enseigne, quand surtout celte langue •
offre les difficultes du polonais et du russe, et conti-
nuer a parler sonfrangais avec purete, avec un choix
d'expressions convenable, sans tomber dans ce parler
francs banal, sans physionomie, sans caractere, qui
ne se rencontre que trop fr^quemment en pays Stran-
gers.
Le titre mSme de cet ouvrage nous impose le devoir
de donner des specimens de tons les exercices que
nous recommandons. Les traductions qui suivent sont,
a Texception des morceaux traduits de I'allemand,
dont nous assumons la responsabilite , Toeuyre de dif-
ferents autetirs, auxquels reviennent, en toute justice,
i'eloge ou le blame que meritent leurs travaux d'in-
terprStation.
132
I)K11X1K»IE PARTIE.
be la
t raductiou.
LANGUE ALLEMANDE.
IDer }nbxot\\ti\t finig^
dine 3bp(U tton (&) r f n r r.
ein jifgewfupiger gaim lag im=
in titiex (Bi&)c in tiefrm ©d^Iaf
auSgefhrrrft, unt> \>it jungrn ^jr=
ten \af)t\\ il^n. 2Blr woUen, ft)ra*
d^m flf, \\)n ffjl an bm f&aum
bintrn, unb bann foU rr und fur
bif Sodlaffung ein i^ieb ftngen.
Itnb fie Banben i^n an ben ®tamm
ber (Bid^e feft, unb warfen mit ber
gefaQenen S^rud^t i^n voati). 9Bo
Wn i(^? fo frrad^ ber gaun , unb
gal^nte; unb be^ntr bie 3(^9^-
ffige meit auS : SBo ijl mein ,Jtrug?
51^ ! ba liegen bie ©cl^erfcen i)om
f^Bnfien jtrug! l£)a i(]^ gepern
im dia\x\(f) l^ier fan!; ba i^ab i^
H>n gerkod^en. — Qlitx mx i)at
mii) fefl geBunben? fo fvra(i^ er,
unb fa^ ringg um^er, unb i^Srte
baS gn?itfd)ernbe iattjen ber J&ir^
ten. ^inbet utid^ lod, i^r t$tna=
fcen ! rief er. SBir Binben bid^ nic^t
lod; f^rac^en fte, bu ftngefi un^
benn ein Sieb. ^ad foU i(^ eud^
nngen, i^r J&irten? ^pxa^ ber
J?aun. aSon bem jerkodgienen
Jtrug roiU id^ fingen ; ba fe|t eud^
in'S ®rad urn mid^ ^er.
Unb bie J&irten fe^ten jt(^ in'8
®rag urn i^n ^er ; unb er ^ut an ;
LA CRUCHE CASSfiE ,
IDTLLR PAB SBSMBK.
Un Faune, aux pieds de chevrc,
gisait sous un ch^ne dans pn pro- •
fond sommeil, et de jeunes pas-
teurs Tapercurent. — « Lions-le a
Farbre , se dirent-ils, et il faudra
quMl nous chante une cbanson
pour etre delivre. » Et Tayant at-
tache au tronc da chene, ils ]*e-
veillerent en lui jetant des glands
tombes de I'arbre. — « Ou &ui&-je? »
dit le Faune, b&illant et alloDgeant
tes bras et ses pieds de chevre; « ou
suis-je? ou est ma cruche? Aikl'
voila les debris de la plus belle des
cruches! Hier, en tombant ivre
ici, je Tai cassee... Mais, qui m*a
ainsi lie ? » 11 dit, regarda autour
de lui et entendit le rire bruyant
despasleurs.— « Deliez -moi, jeunes
gens ! » s'ecria-t-il. — « Nous ne te
delierons-pas, » dirent-ils, « quetu
ne nous chantes une chanson. » —
« Que vous chanterai-je done, ber-
gers, » dit le Faune. « Ah I je vais
chanter ma cruche cassee; asseyez-
vous aulour de moi sur Therbe. »
Les bergers s'assirenl autour de
tui Rur rherbe, et il comment :
CHAPITRE TROISliME.
133
^rit tie ®c^rr6ru um^rr.
@^6n warmdn Jitvmj, mfiner
JpS^lf f(^6nPf 3i<?rt>f ; unt) ging
fin SBalbgott toorubfr, bann vief
t<^ : itomm trmf, ttnt> jir^r ben
fc^onflen ^rug !
3eu« felbP ^t f»eibem fro^ejien
Refl nid^t einen fcj^ftnern jtvug.
(St ifl jerfcro^en , ad^ ! er ip
Settro^en, ber fd^ffinfte J^vug ! ^a
liegen bie (B(t)txhtn um^er..
fflenn bei mir bie S3riiber ^id}
fammtlttn, bann fafien ivir ringd
urn ben itnig. SBir tianfen, wnb
jrber, ber ixant, fang bie barauf
gegrat'ene ©eft^i^te, bie felnen
^iBip^en bie nad^^e roar. 3e|t trin-
fen mir nicl^t me^r, i^r ©riiber !
au3 bcm jtrug ; je§t TiHgen luir
iiidbt me^r bie ©efc^ld^te, bie jebeg
^i)>^en bie naddfle ift.
(gr ip gerbrod^en, ad^ ! er ip
§er6ro(^en, ber fd^^njle ^rug ! JDa
liegen bie ^(I^er6en uin^er.
Jtenn auf bem J^rug roar gegra^
Un, rote $an ooU @ntfe|en am
lifer fa^, roie bie fti^i^n^e 0?^nH)fe
m ben umfd^lingenben Qlrmen in
Ii4)elnbeh <B6fil\[\(f^ \)erroanbe(te.
Sr f^nitt ba gluten i^on <B(f^i\'^
ro^r »on ungleid^er Range, unb
flf^te lutt SSat^d Tie jufammen,
unb Uied bem Ufer ein trauriged
8ieb. JDie gd^o ^ord^te bie nene
Wufif, unb fang fie bem erfiaunten
^^in unb benti^tigetn.
5(6er er ifl jerbrod^en, ei* ift
^rbrod^en, ber fd;i)nfle jtrug. $£)a
Ut^tn bie ^^evben uin^er.
« Elle est cassecy elie est ca>*ee, ~
la plus belle dcs cruches! lii gi- ?* '•
•,,,... IraductKHi.
sent ses rfebris epars.
'( Elle etail lielle, ma cruclie, le
plus bel ornement de ma cavcine; '
quand uo Sylvain passait, je lui
criais : Viens boire, et \ois la plus
belle des cruches.
« Jupiter lui-meme, dans la plus
grande fete, n'en a pas une plus
bisllc.
« Elle est cassee, elle est cassee,
la plus belle dos cruches! La gi-
sent ses debris epars.
» Quand mes compagnons se
rassemblaif nt aupres de moi, nous
nous asseyions autour de ma cm-
che. Nous buvions, et chaque bu-
veur chantait I'aventure gravee le
plus pies de ses levres. Maiote-
nant^ freres, nous ne boirons plus
dans ma cruche; maintenant uous
ne chanterons plus TaveDture la
plus proche de nos levres.
« Elle est cassee , helas ! elle e»t
cassee, la plus belle d(s crudies!
La gisent ses debris epars.
« Sur cette cruche etait repre-
sente Tan, saisi d'cffroi eii voyant
se changer en roscau la plus belie
dis nymphes, qu'il eiilacait de ses
bras. 11 coUpa des roseaux de gran-
deur i negate, les unit avec de la
cire, et joua sur la rive de lugu-
bres airs. Echo -entendit cetic me-
lodic nouvelle, et la r^dit aux bos-
quets etonnes et aux collines.
« Mais elle est cassee. , elle est
cassee, la plus belle des cruches !
Lh pi»ent ses debris epars.
184
DEUXIKME PARTIE.
iSatin flunt aitf bem Stxn^, wit
Sluden bie *Jli^tiM)^' (guro^ auf
3BeUfn mtfu^tte
3ttbfj5
rang fir jammernb bie <&anbf u6ft
bfin 4^aiM}t, mit beffm lodtgtem
^ax bif gaufrlnbfti B^^itr \pieh
ten; unb ))or i^m ^ex xitttn W
9imoxi, la^f Inb auf bem rotlltgrn
Dfft)^in.
9ttft n ift getbrod^m, er ift
jerirod^m, ber f^6nfle Jtrug ! Da
lifgm bie ^d^rrbm um^cr.
%x(ff mar ber fd^&ne Sacd^ud
gegraBen. dx fa§ in etnem ianbe
90tt SteBen, unb eine 9l\)mpfft lag
i^m gur ®eite. 3^r linfer ^ilrrn
umfi^Iang feine ^uften, ben xtd^^
ten ^ielt fte enU)or, unb gog ben
93ed^er jururf , nad) bem feme ibpz
pen fi(ff fel^nten
. . . . , unb ttor i^m fplel^
ten feine geflWtten JTiger; fd^meis
i^elnb a^tn fte SirauBen and ber
IBlebedg&tter fleinen .^anben.
after er ift gerbrod^en, er ifl ger^
Brod^n, ber fd^&nfie Jtrug ! ^a
liegen bie ©d^erben um^er ! D !
Mag' e6, (Sd^o, bem J&ain ! Jtlag*
ed bem gfaun in ben ^'6t)Un ! Sr ifl
gertrod^en ! JDa liegen bie (Sd^er-
Ben um^er.
<So fang ber Saun ; unb bie iun^
gen <&irten Banben i^n lod, unb Be::
fa^en ivunbernb bie (Sd^erBen im
®rafe.
« On y voyait Jupiter, sous la
forme d'un taureau blanc, ravis-
sant sur son dos la nympbe Eu-
rope a travers les ondes. , . ,
fiploreey
elle se tordait les mains sur sa tete,
tandis que ks zephyrs voliigeants
jouaient avec les boucles de sa che-
velure, et que les Amours prece-
daient le dieu sur an docile dau-
phin.
« Mais elle est cassee , elle est
cassee, la plus belle des cruchet !
La gisent ses debris ^pars.
« Le beau Bacchus 8*y trouvait
aussi represente. II etait assis sous
une treille, et une nymphe oou-
chee a ses cotes. Elle enla^tde
son bras gauche le flanc da dieu,
ety elevant sa main droite, elle re-
tirait la coupe que ses levres sou-
riantes briklaient d'atteindre. . .
et devant lui jouaient ses tigra
mouchetes; caressants, iis man-
geaient des raisins dans let peiites
mains des Amours.
« Mais elle est caasde, elle est
cassee, la plus belle des cruehes!
La gisent ses debris epars. £cho, .
redis ma plainte au bosquet ! Re- -
dis-la au Faune dans lesgrottw! M
Elle est cassee ! La gisent ses debris^
epars. »
Ainsi chanta le Faune; les jeune!^^
bergers le delierent, et regaideren^ .m
avec admiration les debris epars su .^i
rherbe.
I
(Einem oltett frommrn I^Brautin
^^iwarb tvx Urrnfrl getorm. SSdII
fttbe iiift ben ©egrn, ber feinrm
iuff mibftfa^ren roat; fprad^
-r : 3(]^ will :^inaud gr^en, unb
em grogm Seift unb ^ater bet
lotur banfett, ber und grfegnrt
aXSi^t' et mtr ®elrgen^eit
6m, 3^n bucd^ irgmb fine gutr
^t }U))erfl^en! ®o f^raO^ er
inb ging.
3)if S(ut^ ber retnen Strube
;;^ S)anC6arfeit, unb i^re gruc^t
ol^lt^un.
3XU bem leBenbtgen @efu^( ber
fre^rung be« grogen roo^ilt^atir
len ©eified trat ber @retd in bad
jUbe unb in bie ®(j^atten ber
iume. Seber feiner ©ebanfen
■^war eitt ®e$et. 0loti^ funf elten bie
^^^ropfen einefi frifti^gefallenen (fte^
^^B^ on ^alnten, Slut^en unb
^=^lattern. S)ie Watur fd&ien i^m
^^wrjungt unb fti^oner ate je, 06-
"»Do^I er fdjfon neungigmal ben
^r&^Iing gefe^en l^atte. ®ie ift
"lDa« SBerf be«guten ®eipe«, fpraci^
^r. 2)em , ber %\fx »ere^ret unb
^it bem @e6ilbe ben Silbner er^
^annt^ beraltet fie nidjft !
5£)cv @reid fe^te feinen SBeg
foirt. IDa fanb er auf bem Betrete-
*»«^»t$fabe eine gi^el. @4»on^tte
^«^ Sie^en burO^ feine Befruti^f^
CH^PiTRK troisi£;me.
II.
L£ GUND,
13^
Ue
Iraduc
FABABOLB DK KBUMllAGBBm.
II veuail de oattre uo wricrt*
petit -tils a un vieux et pieux bnt-
miu. Ravi de la benedictioB aooor-
dee a sademeure, il dit : « Je vais
remercier le grand Esprit, pore de
la nature, qui nous a l)eDi8. Puisse-
tril me donnff Toccasioa de i'b^
norer par quelque bonne oDuvre ! »
Et il sortit.
La fleur de la joie pure est la
gratitude, et la bienfaisance en est
le fruit.
Anime d*un sentiment respec-
tueux en vers le grand et bienfoisant
Esprit , le vieillard se rendit aux
champs et sous Tombrage des ar-
bres. Chacune de ses pensees etait
une priere. Les ^outtes d'une pluie
recente etincelaient encore aux her-
bes, aux fleurs et sur les feuilles.
I^ nature lui semblait rajeunie et
plus belle que jamais, bien qu*il
eut dej/i vu quatre-vingt-dix foisle
prinlemps « Elle est Toeuvre du
boa Esprit, dit-il. Pour celui qui le
respecte et rec^lnnalt Tartiste dans
ToBuvre, elle ne vicillit pas. »
Le vieillard continua son che-
nun. 11 trouva sur le sentier battu
un gland. Deja la pluie, par sa
vertu fructifiante, en avait fait sor-
136
DEUXIKME PARTIE.
Oeln
tradiicliotY.
tenbe J^raft t>en Jteim ^eruorge'
loit ; t>ie ciu^eve ^^ale wax jer-
fpalten. Qlbet bcr Stem fonnte
niti^t imirjeln auf bent ^arten fa^r
len Q}fabe.
il)et ©reiS biirfte fl(^, na^m fie
aitf ttnb ft)rad& : @cl^i)n, ba|l mtci^
mdri ©eg ^ier^er fii^rte. Igcid^t
^dtte bicl^ ber gfug be0 2Banbercr«
^rtreten, cber bft ©onncnfha^l
»ertro«fnet. SBol^f mir, ^ier fann
i(& cm QuM SBftf tl^un^ iinb
mfine innere Smjjffnbung bur^
5!^at tooHcnben, Inbem i(S) bic
SnJfrfe beriDfifeh 0?atur brforbfie,
bie mit iebem 5(t^emjug unS einc
ffio^ilt^at etirelfet. ^xxti) bie flein-
jle JlJanreavfeit ift eine fu^e
Sin Siingling , ber ^intei* bem
(Sid^Baum panb, ^atte bie ®orte
beg S3raminen »eniommeti. Sr
trat fievoox unb Ici^elte f^bttif^.
— SBarum Ia(3^elfl bu? fogte il^m
ber ©reig. — ^er Simgling anU
wortete : Ue6er beinen flnbifti^en
Sinn, mein 2(Iter, ba^ bu bici^
freuen fannft, einer Sicl^el bag Se=
6en gerettet ju ^aben. — Sungling,
fagte ber Suramin, luic »ermagft
bumeinenSinngu erfennen, babu
mid; ^eute junt er jlenmal fie^ep ?
Unb roarum ft)ottefi bu beg fleinen
IDienjIeg, ben iS} ber 0latur ju
leiften gebenfe? 3l)r gilt bag ^ac
nunforn fo biel a(g ber Saum,
unb o^ne jeneg njfire biefer niti^t.
— 5Iu(^ bie Sugenb, mein ®o:^n,
beginnt mit bem Jtleinen, unb
fleigt von biefem gu bem ®r5geren
^Inauf, Wer jem'e^r fie ft^ bem
lir le germe ; i'enveloppe exterieure
etait fendue. Mais le germe ne pou-
vait prendre racine sar' la voce
dure et nue.
Le vieillard, se courbaot, le ra-
massa et dit : « Mom chemin m^a
conduit ici , tant mieux. Le pied
du voyageur t'aurait facilement e-*
erase, ou les rayons du soleil des<-
seche. Je suis heureux de pouvoir
faire ici une bonne ceuvre, et con-
sommer mou sentiment interieur
par Taction, en favorisant les vucs
de la sage nature, qui nous accorde
un bienfait chaque fois que noui»
respirons. Memc la plus faible re-
connaissance esl un doux devoir.
Uu jeune homme,qui se trouvait
derriere le cbene, avail recueilli
les paroles .du bracmane. II 8*avan-
ca avec un sour ire moqueur. —
« Pourquoi souris-tu? » liii de-
manda le vieillard. Uadolesoent re-
pondit : « Je souris de ton esprit
enfantin, vieillard, toi qui peux te
rejouir d*avoir sauve la vie a un
gland. « — « Jeune homme, dit le
bramin, comment peux-tu connai-
tre mon esprit, me voyant aujour-
d'hui pour la premiere fois? Kt
pourquoi te moquer du petit ser-
vice que je crois rendre a la na-
ture ? Pour elle la semence est au-
taut que Tarbre, et sans Tune Tau-
tre ne serait pas La vertu
aussi, mon tils, a un principe fai-
ble, et de la s eleve a un grand re*
sultat Mais, plus elle approche du
type et de la perfection , plus elle
CHAPltRK TROISIEME.
137
t^txt, urn bf jlontfl^r neiget fie fiti^
^itr (Sinfalt. Unt> banngiU if)x bad
^(fhtfle fo \)itl aU bad <i&oti^f!e.
<Sfnbet nic^t auti^ ®rama feinen
@tra^( unb 3!^au auf ben ©rad-
^alm unb ble $oIme ^einifber? —
@o fprod^ bcr ©reid mit freunb-
lid^mi ^rnft.
^fc Sungling entfetnte fiti^
fd^ipcigmb unb i)ol( (S^vfurti^t.
(§r ^atte ben eblen ©reid in feiner
'iffiurbe gefe^en. @r rounfc^te, ju
ffin line er. 2?enn felbflbec iJei(^t=
linn mu§ in feinem ^erjen bic Tu=
(jenb ijere^ren.
^er 93rainin fe^te feinen 2Beg
fort |U einem J&uget, ber vino|d=
uml^er mit JDovnen beiraii^fen war.
3[^nt iBegegnete ein «@anbe(dmann
unb fragte : ^ente\t bu nod) and
ber (gid^el bir einen 93aum ju er?
giefeen? 2)u wirfl luo^l fc^merliti^
bid^ feined @(3^attend erfreuen !
2)er ©reiS antroortete unb
f^rati^ : 39?u§ man Beim ^flanjen
nur an ben @(3^atten bed S3aumed
unb an \itf} feI6er benfen? ^adjt
edbennbieS^atur fo ? aJfein (So^n,
mer nid^t erfl geflevn imb ^or-
gefietn gepflanjt f}at, finbet inbem
^an;%ea fettfl feinen 93eruf unb
feinegreube.
(Sr !am an ben J&ugel. 5(uf bev
@^)i|e beffelSen, unter ben ^or::
nen, \jergru6 er bie^ic^et, unb
bebetfte fie forgfam mit ^rbe unb
'3Hood. — ffiie ! unter ^ornen
^jfian^eflbu? rief i^m ein^&irt ent.-
peoche vers Thumilit^ et la sim-
plicite. Et alor8 le petit est pour
elle comme le grand. Brama n*en-
voie-t-il pas ses rayons et la rosec
au brin d'herhe et au palmier? »
Ainsi parla le vieillard avec une
affable gravite.
Le jeune homme s'eloigna, silen-
cieux et plain de respect. II avait
vu le noble vieillard dans sa di-
gnite. 11 desira etre comme lui. Car
la legcrete elle-meme respecte la
vertu dans son cojur.
Lo bracmane continua son che-
min vers unecollineou croissaient
des ronces. 11 rencontra un mar-
chand, qui lui dit : « Penses-tu en-
core a faire sorllr un arbre d*un
gland ? H te sera bien difficile de
jouir de sou ombre ! >»
Le vieillard repondit en cesmots:
« Doit-on, eu plantant, ne penser
qu'a I'ombre de Parbre et a soi-
meme? La nature agil-elle ainsi?
Mon fils, celui qui ne plante ni.
d'hier ni d'avant-bier , trouve sa
vocation et sa joie a planter.
II arriva sur la coUlne. Au falte
du monl et au milieu des ronces,
il en terra le gland, et le couvrit
soigneusement de terre et de mous-
se. — «' Quoi ! planter dans les ron-
ces? » lui cria un berger; •« tu as
Dela
traduction.
138
DKUXIEME PARTIE.
De la
traduction.
gegcn^ Ut)orgettuM fur titintn
^p^gling. — greunfe , etiDJebertf
ber ^ramin, fo (angc bad $fian}-
i^ffu jart unb !Ifin i\k, werben bie
JDornen e« »or rauT^eii QBinbcn
unb iBerle^uitg ht\(i)lxmm, unb
nimmt f« gu, fo wirb eg fi^ ffl6p
^inburd^arSeitftt. ^tnn cS ift einc
@t(^e. Wein ®o^n, i<^ ^a6e bie::
fed ber S^atui* abgclauftifct. ^ie
gutc abutter bfbenft juglelfj^ ble
3art^eituubbie(gtarfc if)xcx ^^t^
gefinber.
0iad^bfm ber ©reid fein SBer!
)>on6ra^t f)atte, txat er fri)^It(^
ben d^iicfiDeg jitr «!&cimat]^ an, 3Ber
am SBege i>ant, ba^t' er, f^at Dtele
a)ieifler ! 2l6er ber erfa^reiie ge^t
feinen etgeneu @ang.
2(te er fid^i feiner J&utte na^rte,
(Vrawgen i^m bie (Snfel unb Uren-
fel entgegen, unb fragten : 3Bo
6i{i bu fo (ange geroefen? ^ca^er
vcrfammelte fie unt fid^ l^r unb
erj^a^^tte i^nen alle^, waS i^m wU
berfa^ren war. Unb bie Jtinblein
liebfofien bem ®reife, iva^renb er
rebcte, bie alteren a6er ^ingen an
feinenSi^^jenunb f)'6xUn i^mjiu —
€ ! fagte ber ®rei«, al8 er ijollem
bet l^attc, eg ifl bo^ nirgeub fti^or
ner, aU in bem (Sti^oofe ber ^a-
tux, wenn man finbUti^ t^ren
93ater tie6t, unb in bem ^reife ber
@einen, ivo man finblic^ ^eikht
wirb. 3fl/ tiebeooller ^rama ! rief
er, unb Uidte }um ^immel ent|7or
— im ftillen ,^reifc ber JJlatur unb
bed ^audliti^en iithen^ fie^et bein
i^eitiger ^^em^el!
bien soin de ton Jeune piaoi 1 » —
« Ami, » repartit le bramin , « tant
que ce jeune plant sera teadre et
petit, les ronces i^abriteront contre
la rigueur des vents et contre toute
atteinte, et, en croissant, il saora
bien se frayer un chemtn luiHine*.
me. Mon tils, j*ai surpris oe secret
a la nature. Cette bonne mere son-
ge en meme temps a la delicatesse
et a la force de ses nourrissons. »
Son 03uvre accomplie, le vieillard
retourna joyeusement vers son
foyer. « Celui qui batit pres du
chemin, se dit-il, a bien des mai-
tres. Mais rhomme experiniente a
son allure a lui. »
Lorsqu'il approcha de sa cabane,
ses petits-tils et arriere-petits^en-
fants coururent k sa rencontre ^ et
lui dirent : « Ou as-tu done ete si
longtemps? i» Alors 11 les rassembla
autoiir de lui, et leur raconta tout
ce qui lui etait arrive. Et les plus
jeunes caressaient le vieillard tan-
dis qu'il parlait, et les atnes, les
yeux fixes sur ses levres, Tecou-
talent. — « Oh ! dit le vieillard,
lorsqif il eut tini , rieu de si beau
que Ic sein de la nature, quand
nous aimons son pere d'un anounir
filial, et que le cercle des siens,
quand on y trouve Tamour filial.
Qui , gracieux Brama, s*ecria-t^il
en regardant le ciel, ton temple
sacie est dans le cercle paisible de
la nature et de la vie doms8tiqu« I »
CUAPITRE TROISIfiME.
189
iWf iiettypflanjtf (Bi(t)t wu0«
f>ah aui bem Sttim ^fr^ot, unb
«^o6 fi(]^ uBfr bif 3)otnm unb
iDarb hatt ein froufft f(3^attigft
^Baum. 3)a jiarb ber ®tei«, imb
ffine (S^tifhen fcegruben i^n auf
bfm <&U9ef. U«b wenn fif ben
iBoum f«l^fn uiib frin ®(iufefn
]|6rtfn, gfbo^tm fie be« iehtn^
imb bfr iw ifm ©^uti^e bed ©ra-
mitten bid ju betifpatefien 3eiteit,
tinb erga^lten Don i^m, fiid^ten ju
iverben wie et.
JDenn bad ffiort eitied roelfen
SRanned ifi «le ein ©amenfprn im
frud^rbaren !iB brtt.
Le cheue nouvelLement plante
sortit bientot du genne, et, s'ele-
Tant au-dessus des ronces, il devint
un arbre toiiffu. Le vieillard moa-
rut, et ses bien-aimes rensevellrent
sur la colline^ Et quand ils voyaieni
I'arbre et entendaient son fremis-
sement, ils songeaient a )a vie et
aux sages maximes du bramin ,
j usque dans T&ge le plus avance, et
t^chaient de )ui ressembler.
Car la parole d*un sage est com-
me la graine semee dans un sol fer-
tile.
Dela
traduction
III.
2lit$ dcr Ctitlcitung
But (Bti^idftt^i 5l6faU« fccr wtcinigten
92tcb(Ttanbe u. f. tv./
ooK $(l)Ulrr.
fflare ed Irgenb eriaubt, in
mm\ti)iitSft fringe eine ^o^ere
aSorflti^t ju fled^ten, fe n?are eS
Bei biefer ®ef(^i(^te^ fo roiberfpie::
<^nb erfd^rint jie bcr aSernunft
ttnb alien @tfal^rungen. $^ilip)}
bet Siwite, ber ma(^tlg(te (Sou-
wtan feiner Qtit, beffen 9efurd^=
tete Uebennad^t ganj @uro^ gu
oftfc^ltngen bro^t, beffen (Sd^a|c
bit veretnigten 9^etd^t^umer aUrv
S^tiflen^imigeuberfietgen, beffen
Shorten in alien 9i»eeren gebieten ;
EXTRAIT DE L^INTHODCCTION
A L'HISTOIRE DE LA REVOLUTION
DES PAYS-HAS,
Par Schiller.
S'il etait permis de faire inter-
veuir la divinite dans les choses
humaines, ce serai t dans cette his-
to're, taet elle parait contradic-
toire a la raison et a toute expe-
rience. Philippe deux, le plus puis-
sant souveraiii de son temps, dont
la redoutabie superiorite menace
d'engloutir toute I'Europe, dont les
tresors surpassent les richesses reu-
nies de tons le« rois Chretiens, dont
les flottes comma ndent sur toutes
les mers; un monarque dont les
140
DEUXIEME PAUTIE.
fin SWonorti^, beffen geffi^lic^en
tiadtlL. 5^«^^« 5«i?hei«e ^eete; biertfn,
iftrtfgf unb fine ronuf(3^e QKannSi
juc^t gf^artet, bur<^ timn tro^igrn
9?ationaIfloIj begflfiert, unt> tx-
^i|t burti^ bag Slnbenfen erfod^ite::
iier ^ie^e, m^ (S^re unb S3fute
biirjifn, unbfid^ untev bem toft*
Wfgfnfn ®cnif i^tfr gii^tfr aU
folgfamc ©Hfbft bfivfgfn—bifffr
gffiird^tftf a»cnf(3^, eiufm f^axtna-
(f igfii Sntrourff l^ingegft^fu, fin
Untfrnf^^mfn bif vaflbfe ^r6fit
ffinfd langfn S^fgentenlaufd, allf
bifff fmd)tf>axen ^lilfdniittfl auf
finen einjigen ^med gerici^tet, ben
ft am 2(6cnb feinev ^agc unerfullt
aufgeten mu^ — *4}^IU^^) ber
3n?fite, mit roentgen f(3^n)a(3^en
Oktionen im Jtamvfe, ben er nic!^t
enbigen fann.
Unb gegen wel^e 9iat(onen?
J&ift fin friebfertigeS gif^er= unb
J&irtentoolf, in einem toergeffenen
aSinfel (Suro^ja'e, ben e8 noti^
mfil^fam ber SWeereSPut^ aSge-
mann-, ble ®ee fein ©eroerbe, fein
3ieitl)(fj\m\ unb feine $Iage, fine
freie Slrmutl^ fein ^oc^fleS ®ut,
fein Stul^m, feine 3^ugenb. JDort
fjn gutavtigeg, gefitteteg J&anbelS^
»olf , fc^^welgenb toon ben iiiJ^igen
grud^ten eineS gefegneten gtfi§f«,
mac^^fam auf ©efe^e, bie feine
9&oi)lti^atex waxen. 3n ber gtiirf?
U6)m SHuge beg SBoi^Iflanbeg toer^
(a^t eg ber ^ebiirfniffe angfllic^en
Jtreig, unb lernt nac^ l^o^erer ^e-
friebigung burflen. 2)ie neue ffia^r-
i^it, beren erfreuenber 5Worgen
jf|t u6er (Suro^a ^^ertoorhi^t,
dangereux projets soot executes
par de nombreuaes annees, armM»
qui, endurcies par de longoes guer-
res sanglantes et une discipline ro-
maine , eprises d'une arrogante
fierte nationale, et euflammees du
souvenir d'anciennes victoires, ont
soif d'honoeur et de butin, et, sous
le genie audacieux de leur» diefs,
s'ebranlent ccnnme des membres
dociles ; cet homme redoute, pour-
suivant un opiniatre dessein ; une
entreprise, rincessante occupation
de son long regne : toutes ees ef-
frayantes ressources dirigees vers
un but unique, qu'il doit, au soir
de la vie, laisser inatteint; Phi-
lippe deux , aux prises avec quel-
ques faibles nations, dans une lutte
qu'il ne peut terminer!
Etavec quelles nations? lei, un
peuple paciflque de pecheurs et de
p^tres , dans un coin oublic de
rEuropc, qu'il a conquis avec peine
sur le flot de la mer; courir les
oudes, voila son metier, sa richesse
et ses peines ; une pauvrete libre
est son plus grand bien, sa gloire,
sa vertu. L<i, un peuple de mar-
cbands, d*un bon naturel et civi-
lise, jouissant en abondance des
doux fruits d^un heureux travail,
veillant aux lois, ses bienliaitrices.
Dans I'heureux loisir de la prospe-
rite, il abandonne le cerde penible
des besoins ordinaires, et aspire a
de plus bautes jouissances. La nou-
velle verite, dont la rejouissabte
aurore perce main tenant en Eu-
rope, jette un rayon fecondant sur
CHAPITRE TROISIEME.
141
wirft fineu befiuc^tenben ©ttal^l
in biffe giinfllge ^ont, wnb fvfu=
big f in^fangt be r frete l^titge t bad
Btcl^t, bent rt(]^ 9fbru(fte traurlge
^ftatoen toerfd^ne^ftt. (Sin fro^li=
c|ber S^utl^mille, ber gern ben
VJbtt^Vi^ unb ble 8frei^>eit begleitet,
vetjt edan; bad ^nfe^en ^txiaf^xUx
^Ketnungen ;u pxix^en unb eine
fd&im»)fli(^e ^ette ju hxe(f)tn. JDte
fd^roere Suti^ttut^e beg JDeSpotlg^
mud ^angt iiOer i^m, eine wiih
f u^rlic^e ©eroalt bro^t bie ®runb=
\>fMex felned ©liirfed einjurei§en,
ber ^evDa^xex feiner (Sjefe|e irirb
fein .T^vann. ^infad^ in feiner
<Staatdn?eid^eit, irle In felnen <BiU
ten, erful^nted fid^, einen ijeralte-
tenSSertrag anfjuiveifen, unb ben
»&errn beiber 3nbien an bad ^^a-
turred^t ju ma:^nen. (^in 5Kame
entfd^eibet ben ganjen 5(udgang
ber JCinge. Wan nannte Oletellion
in 9Wabrib, xt>a9 in 33ruffel nur
eine gefe^Uc^e <l^nblung l^ie^; bie
SSefc^werben S3ra6antd forberten
tinen jIaatdHugen WittUx; $^lr
lip^j ber jimtitt fonbte iijm einen
J&enfer, unb bie 2ofung bed StxU^
ged war gegeben. Sine ^^rannei
o^ne ©eift3iel greift I&e6en unb
Sigentl^um on. 2)er »erjweifelnbe
93urger, bem jiDifd^en einem imei^
fa(S)tn lobe bie SBal^I gclaffen
roltb, ernjfi^lt ben ebfern auf b>m
&^laifi^el\>t. Qin wo^I^abenbed
Ut)Viged SSolf lieBt ben grieben,
ater ed luirb friegerifd^, roenn ed
arm roirb. 3e^t ^xt ed ouf, fi5r ein
8e6en §u gittern, bem SHled man^
gein foH, warum ed roiiufd^end-
rourblg nnir. S)ie 3But^ bed 9(uf^
cetle zone propice, et le libre bour-
geois recoil avec transiiort la lu- ?® 'f
.. . , „ ,1,^ * traduction
miere a laqueile se ferme Idme af-
faissee des tristes cscU?es. Une joie
maligDe, accompagnemeiit ordi-
naire de Tabondance et de la U-
berte , le stimule a peser TautorUe
d*opinions surannees, et a brirtr
uoe chaine injurieuse. La rerge
pesante du despotisme est suspen-
due sur lui, un pouvoir arbitraire
menace de renverser les bases de
son bonheur, le gardien de ses lois
devient son tyran. Simple en sa
politique comme en ses mceurs, il
ose produire un ancien traits et
rappeler le maitre des deux Indes
au droit naturel. Un nom decide
de toute Tissue des choses. On ap-
peiait revoUe a Madrid ce qui, a
Bruxelles, n'etait qu'un acte legi-
time : les plaintes du Brabant de-
mandaient un mediateur eclaire;
Philippe deux lui envoya un bour-
reaii, et le signal de la guerre fut
donne. Une tyrannic sans exemple
attaque la vie et les biens. Place
entre deux morts inevitables, le
bourgeois desespere cboisit la plus
noble, celle du champ de bataille.
Un peuple riche et voluptueux aime
la paix; mais, en devenant pauvre,
11 devient guerrier. Maintenant il
cesse de trembler pour une vie qui
doit manquer de tout ce qui la fen-
dait desirable. La fureur de la re-
volte saisit les provinces les plus
eloignees ; le commerce et I'indus-
trietombent,lesb^timents disparais-
sent des ports, Fartiste de son ate-
lier, le laboureur des campagnes
desolees. Des milliers d'habitants
142
DEUXltME PARHE.
DeU
radiM^tion.
ru^rg ergwift bie tntfanUjktn
$ro))insett;.<banbeI unb SBanbd
lifgen barmeber; btf @(^tfe bee:
ftifmiitai «i» ben ^fnt, bcr
Jtiitiflfer aud feiner SBerf^atte,
bf r Sanbmann aud ben oermufle::
ten Selbern. ^aufenbe flie^en in
feme Sanbei*, taufenb Opftx fat
ten oaf bent ^(utgerii^e, unbneue
Sonfenbe btangen fvi) l^tnju ; benn
gjbttliti) mu^ eine ^tf)xt fein^fiir bie
fo freubig gefbrben iverben fonn.
9}oti^ fel^U bie le^te bollenbenbe
i&anb — bererleud^tete unterne^
menbe Oeifi, ber biefen qrofkn )po^
litifd^en ^ugenblid fyi'id^te, unb
bie @eburt bed 3uf aitt num ${ane
ber 9Beid]^eit erjoge.
s^enfuient dans des f»ays loinfains,
des milliers de victimes tombent
sur Techafaud de sang, et d^autres
»y prasseot: ear elle doit etre di-
▼ine, one doctnoe pcMur laquelle on
pent mourir avee tani de joie. Ge-
pendant il manque encore le tais
qui doit accomplir, i'esprit eclaire
et entreprenant qui s'empare de ce
grand moment politique, et qui
eleve au plan de la sagesse le pro-
duit du hasard.
Parmi les auteurs allemands qui se prfetent le mieux
aux premiers essais de traduction, se distinguent
Gessner etKrummacher. Les Itfy-iles deTun, injuste-
ment negligees de nos jours, et les Paraboles de Tau*
tre, sont d'une exquise simplicity, qui n'en exclut au-
cunement Telegance .
Les plus beaux passages de ces deux ecrivains tra*
duits, on trouve un riche butin dans les OEui^res
dii^erses de Guillaume Hauf f , mort trop t6t pour les
lettres, dans les Contes populaires des Allemands par
MussBUS, les Prosateurs de tAllemagne et les I J gen-
des de Gustave Schwab. On arrive ainsi, par de cer'»'
tains degr6s, a VHfstoire de la revolution des Pays^
Bos et a la Guerre de TreiUe ans de Schiller, puis a
CHAPITRE TROISrtMK. 143
ses oeuvres dramatiques et a celles de Goethe, etc. , etc. '"^T
Des extraits plus ou moins considerables de ces traduction.
divers auteurs, choisis avec discernement et traduits
avec soin, acheveront de familiariser Tecolier avec la
phrase francaise.
144
UEIIXIKME PAHTIE.
Dela
traduction.
LANGUE ANGLAISE.
UNCLE TOM'S CABIN,
by
HARniET BSeCHER STOWS <.
CHAPTBB XII.
Select incident of lawful trade.
Mr.Haley and Tom jogged onward
in their waggon, each, for a time,
absorbed in his own reflections.
Now, the reflections of two men
sitting side by side are a curious
thing — sealed on the same seat,
having the same eyes, ears, hands,
and organs, of all sorts, and having
pass before Iheir eyes the same
objects : it is wonderful what a
variety we shall find in these same
reflections !
As, for example, Mr. Haley : he
thought Grst of Tom's length, and
breadth, and height, and what he
would sell for, if he was kept fat
and in good case till he got him
into market. He thought of he
should make out his gang; he
thought of the respective market
value of certain suppositions men
and women and children who
were to composeit, and olher kin-
dred topics of the business ; then
be thought of himself, and how
humane he was, that whereas
other men chained their « niggers »
hand and foot both, he only put
fetters on the feet, and left Tom
LA CASE DU PERE TOM,
par
MADAME HENRIETTE BtfECHER S10WB >.
CHAPITRB XII.
Cvrieux details d*un commerce
legal,
M. Haley et Tom continuerent
leur route, en meditant chacun de
son cote. C'esl une chose curieuse
que les reflexions de deux hommes
assis sur le meme banc. Hs ont les
memes organes ; les memes objets
leur passent devant lesyeux; et
pourtant leurs reflexions different
essentiellement.
Pour en citer un exemple, Haley
s'occupait de la taille de son esr
clave, et du prix qu'on lui en don-
nerait s il parvenait a lentretenir
en hon etat jusqu*au marche. W se
demandait de combien de tetes il
composerait sa troupe; il evaluait
en imagination la valeur des hom-
mes, des femmes et des enfants qui
devaient la composer. H admirait
ensuite son humanite: tandis que
les autres marchands enchainaient
leurs negres aux pieds et aux mains,
il laissait a Tom Tusage de celles-
ci tant que Tesclave se comporte-
rait bien. II soupirait eu pensant a
ringratitude de la nature huraaine.
' London, George Rout ledge and Co., Farringdon Street, 1853.
' Traduction de la Bcdolliere.
CHAPITRE TROISIEME.
145
the use of his hands, as long as he
behaved well; and he sighed to
think how ungrateful human na-
ture was, so that there was even
room to doubt whether Tom appre-
ciated his mercies. He had been
taken in so by « niggers » whom
he had favoured ; but still he was
astonished to consider how good-
natured he yet remained !
As to Tom, he was thinking over
some words of an unfashionable
old book, which kept running
through his head, again and again,
as follows : n We have here no con-
tinuing city, but we seek one to
come; wherefore God himself is
uot ashamed to be called our God ;
for he hath prepared for us a city. »
These words of an anciens volume,
got up principally by « ignorant
and unlearned men, » have, through
all time, kept up, somehow, a strange
sort of power over the minds of poor,
simple fellows, like Tom. They stir
up the soul from its depths, and
rouse, as with trumpet call, cou-
rage, energy, and enthusiasm,
where before was only the black-
ness of despair.
Mr. Haley pulled out of his poc-
ket sundry newspapers, and began
looking over their advertisements,
with absorbed interest. He was uot
a remarkably fluent reader, and
was in the habit of reading in a sort
of recitative, half aloud, by way of
calling in his ears to verify the de-
ductions of his eyes. In this tone
he slowly recited the following
paragraph :
« Executor's sale. — Negroes I —
Agreably to order of court, will be
sold, on Tuesday, February, 20
ingratitude si profonde, que peut-
elre elle empechait Tom d'appre-
cier ses bontes. II avait ete trompe
de la meme maniere par bien des
negres qu'il avait traitesavec egard,
et il s'etonnait d'etre encore aussi
rempli de philanthropie.
Dela
traduction
Quanl a Tom, il ruminait ces
mots, qui s'offraient sans cesse a son
esprit : « Nous n'avons pas ici d'ha-
bitation fixe, mais nous en cher-
chons une a venir. Dieu lui-meme
n'a pas honte d'etre appele notre
Dieu, car il nous a prepare une
cite. •» Ces paroles d'un livre sacre,
que consultent principalement les
hommes sans instruction, ont eu
de tout temps une etrange influence
sur les gens pauvres et simples
comme Tom. Elles remuent Ykme,
Farrachent au desespoir et la rem-
plissent de courage et d'enthou-
siasme.
Haley tira de sa poche des jour-
naux et se mil a parcourir les an-
nonces avec un vif interet. Comme
il epelait assez peniblement, apres
avoir etudie les phrases, il les Hsait
lentement a demi-voix. Ce fut ainsi
qu'il recita I'avis ci-dessous :
Vente de n^res par autoriU de
jtistice. — Conformement a Tarret
de la Cour. seront vendus, le mcr-
14G
DEUXIEME PARTIE.
Dela
traJiiction.
before the Courthouse door, in the
town of Washington, Kentucky,
the following negroes : — Hagar,
aged 60; John, aged 30; Ben, aged
21 ; Saul, aged 25 ; Albert, aged 1 4.
Sold for the benefit of the credi-
tors and heirs of the estate of Jesse
Blutchford, Esq.
« Samuel MotRis,
« Thomas Flwt,
Executors*
H This yer I must look at, « said
he to Tom, for want of somebody
else to talk to. « Ye see, I am going
to get up a prime gang to take down
with ye, Tom; it'll make it sociable
and pleasant like — good company
will, ye know. We must drive right
to Washington drst and foremost,
and then Til clap you into jail while
I does the business. »
Tom received this agreeable intel-
ligence quite meekly; simply won-
dering, in his own heart, how many
of these doomed men had wives and
children, and whether the would
feel as he did about leaving them.
It is to be confessed, too, that the
naive, ofiF — hand information that
he was to be thrown into jail, by no
means produced an agreeable im-
pression on a poor fellow who had
always prided himself on a strictly
honest and upright course of life.
Yes, Tom, we must confess, was
rather proud of his honesty, poor
fellow— not having very much else
to be proud of; if he had belonged
to some of the higher walks of so-
ciety, he, perhaps, would never
have been reduced to such straits.
However, the day wore on, and
the evening saw Haley and Tom
credt, 20 fevrier, devant la porte
du Tribunal, dans la ville de Wa-
shington, les negres suivants : —
Agar, agee de 60 ans ; John, Age de
30 ans; Ben, dge de 21 ans; Saul,
&ge de 25 ans; Albert, &ge de 14
ans. lis seront vendus au bcoeliee
des creanciers et heritiers de Jesse
Bin tch ford , esquire.
Les exicuteurs testamentaires,
Sign^ : Samuel Momris,
Thomas Flint.
« n faudra voir ga , dit Haley,
s'adressant a Tom, fante d*un autre
interlocuteur. J'ai Tintention d'em-
mener avec vous un assortiment
de premier choix; vous serez en
bonne compagnie. Nous aliens done
d'abord nous rendre a Washington,
ou je vous ferai mettre en prison
jusqu'a ce que j*aie terming mes
affaires. »
Tom re^ut avec douceur cette
agreabie nouvelle. 11 se demanda
seulement si un grand nombre de
oes malheureux avaient femme el
enfants, et s'ils souffriraient autant
que lui en les quittant. II faut
avouer aussi qu'il n'apprit pas sans
peine qu'on se proposait de le jeter
en prison oomme un crimlnel. 11
s'etait toujours conduit honorable-
men t : il etait tier de sa probitc, ei
il se rendait ee temoignage a Ini-
meme, que, s*il avait appartena a
une classe elevee de la sooiete, li
n'aurait jamais merite une con-
damnation infamante. Quoi qu*il en
soit, vers la fin du jour, Haley et
Tom s*installerent a Washington,
run dans une taverne, rauire dans
un cachot.
CHAPITRE TROISIEMK.
147
comfortably accommodated in Wa-
shington — the one in a lavei'n,
the other in a jail.
About eleven o'clock the neat
day a mixed throng was gathered
around the court-house steps-smo-
king, chewing, spitting, swearing,
and conversing, according to their
respective tastes and turns, waiting
for the auction to commence. The
men and women to be sold sat in a
group apart, talking in a low tone
to each other. The woman who had
been advertised by the name of
Hagar was a regular African in
feature and figure She might have
been sixty, but was older than that
by hard work and disease, was
partially blind, and somewliat crip-
pled with rheumatism. By her side
stood her only remaining son,
Albert, a brightlooking little fel-
low of fourteen years. The boy was
the only survivor of a large family,
who had been successively sold
away from her to a southern mar-
ket. The mother held on to him
with both her shaking hands, and
eyed with intense trepidation every
one who walked up to examine him.
« Don't be fear'd, Aunt Hagar, »
said the oldest of the men, » I spoke
to Mas'r Thomas'bout it, and he
thought he might manage to sell
you in a lot both together. »
« Dey needn't call me worn-out
yet, >» said she, lifting her shaking
hands. « I can cook yet, and scrub,
and pcour-fm wuth a buying, if 1
do come cheap, tell em dat ar-you
tdVenif » she added, earnestly.
Haley here forced his way into
the group, walked up tbo the old
man, pulled his mouth open, and
De la
traduction
Le lendemain, vers onze heures,
une foule bigarree se reunit au bas
de Tescalier du tribunal. En atten-
dant rheure des encheres, les ama-
teurs fumaient, juraient ou conver-
saient, selon leurs goiits respectifs.
Les hommes et les femmes & vendre
formaient un groupe a part. La
femme designee dans les annonces
sous le nom d'Agar avait le type
africain. 11 etait possible qu'elle
n'eiit que soixante ans , mais clle
paraissait beaucoup plus Agee. Elle
etait presque aveugle, couverte de
rhumatismes , et prematurement
vieillie par le travail et les mala-
dies. Aupres d*elle se tenait Albert,
gar^n de quatorze ans, seul resle
d'ime famille nombreuse dont tous
les memhres avaient ete successive-
ment emmenes a la Nouvelle-Or-
leans. Sa vieille mere le tenait a
deux mains par le pan de sa veste,
et contemplait avec anxiete tous
ceux qui s'approchaient pour Texa-.
miner.
— Ne craignez rien, mere Agar,
dit le plus Age des noirs. J*ai parlo
a I'executeur testamentaire, et il
croit pouvoir s'arranger pour vons
vendre tous deux en un seul lot.
— Je ne suis pas encore a dedai-
gner, repondit Agar en levant ses
mains tremblantes ; je puis faire la
cuisine et iaver la vaisselle. Je vaux
la peine qu'on m'achete, d'autant
plus que ce sera bon marche.
En cet instant, Haley fendit la
presse et s'avan^ vers le vieillard.
II Ini ouvrit la bouche, lui examina
I4S
DKirXIKMK PARTIE.
looked in, fell of his teeth, made
?*" *? him stand and straighten himself,
n;aiiclioi). . j • . , , - .
oena his ivack, and perform various
evolutions, to show his muscles;
and then passed on to the next,
and put him through the same
trial.Walking up last to the boy,
he felt of his arms, straightened his
hands, and looked at his fingers,
and made him jump, to show his
agility.
«He an't gwine to be sold widout
me! » said the old woman, with
passionate eagerness; « he and I
goes in a lot together ; I's rail strong
yet, mas r, and can do heaps oVork-
heaps on it, mas*r. »
•< On plantation? » said Haley,
with a contemptuous glance. « Li-
kely story ! » And as ifsatisfied with
!i is examination, he walked out and
looked, and stood with his hands
in his pockets, his cigar in his
mouth, and his hat cocked on one
side, ready for action.
What tink of em ? >» said a man
who bad been following Haley's
examination, as if to make up bis
own mind from it.
« Wal, » said Haley, spitting,
« I shall put in, I think , for the
young-gerly ones and the boy. »
« They want to sell the boy and
the old woman together, » said the
man.
c( Find it a tight pull ; why, she's
an old rack o'bones-not worth her
salt. M
« You wouldn't, then ? said the
man.
« Anybody'd be a fooVl would.
She's half blind, crooked with rheu-
matis, and foolish (o boot. »
« Some buys up these yer old
les m&choires, et pour juger du jeu
de ses muscles, il lui ordonna tour
a tour de se tenir droit, de courber
le dos et d'executer diverses evolu-
tions. II passa a un autre esclave,
qu'il soumit aux memes epreuves.
11 regarda Albert en dernier lieu,
lui tata les bras et lui enjoignit de
sauter, afiu d'apprecier son agilite.
— II est trop jeune pour ^tre
vendn sans moi, dit la vieille mere
avec impetuosity. Lui et mot nous
ne faisons qu'un lot, monsieur; je
suis encore forte et capable de faire
bien de la beso^ne.
— Sur une plantation ? dit Haley;
comme cW probable ! Puis, satis-
fait de son examen, il se promena
dans la cour, les mains dans ses
poches, le cigare a la bouche, et le
chapeau sur Toreille.
— Comment les trouvez-vous ?
lui demanda un amateur qui I'avait
suivi pas a pas pour se former une
opinion d'apres la sienne.
— Ma foi , je miserai su r les jeunes
gens, et surtout sur ce petit garcon.
— II parait qu'on veut vendre
ensemble le fils et la mere?
— Elle? s'ecria Haley; c'est un
vieux squelette, qui ne vaudrait
pas sa nourriture.
— Vous n'en voulez done pas?
— II faudrait que je fusse fou . . .
Elle ne voit pas clair, et parait
idiote...
CHAPITKE TROISIEME.
NU
crittars, and ses there's a sight
more wear in'em than a body*d
think, » said the man, reflecti-
vely.
« No go, *t all, » said Haley .*
« Wouldn't take her for a present
fact; I've seen, now. »
« Wall, 'tis Kinder pity, now,
not to huy her with her son-her
heart seems so sot on him; s' pose
they fling her in cheap. »
« Them that's got money to spend
that ar way, it's all well enough. I
shall bid off on that ar boy for a
plantation-hand; wouldn't he bo-
thered with htr, no way-not if
they'd give her to me, « said Ha-
ley.
<« She'll take on desp't, » said the
man.
(c Nat'lly she will, » said the
trader, coolly.
The conversation was here inter-
rupted by a busy hum in the au
dience ; and the auctioneer, a short
bustling, important fellow, elbowed
his way into the crowd. The old
woman drew in her breath, and
caught instinctively at her son.
« Keep close to yer mammy,
Albert-close-dey'U put us up to-
gedder, » she said.
• Oh! mammy, I'm feai'd they
won't, » said the boy.
« Dey must, child; I can't live,
no ways, if they don't, » said the
old creature, vehemently.
The stentorian tones of the auc-
tioneer, calling out to clear the way,
now announced that the sale was
about to commence. A place was
cleared, and the bidding began.
The different men on the list wero
soon Knocked off at prices which
— II y a pourtant des gens qui
achctent ces vieilles commeres, et
qui en tirent un bon parti, dit i'a-
mateur d'un ton pensif.
— C'est possible, mais je n'en
voudrais pas pour rienl
— Ce serait pitie que de ne pas
emmener la mere avec I'enfant . . .
Elle semble lui etre attachee, et ne
sera pas vendue cher.
— Ce serait toujours de I'argent
perdu, dit Haley; j'acheterai lejeune
homme pour le revendre dans une
plantation . . . Que diable voudriez-
vous que je lisse de la mere ?
— Eile sera desesperee. . .
— Naturellement, repondit froi-
dement Haley.
La conversation fut interrompue
par un brouhaha, et le commissaire-
priseur, petit homme trapu a Tatr
important et affaire, se fraya un
passage a travers la fouie. La vieille
poussa un soupir, et appela instiuc-
tivement son fils.
— Albert, tenez-vous presdemoi,
on nous adjugera ensemble.
— Ah! maman, j'ai peur que
uon!
— lis le doivent, mon enfant ; je
ne saurais vivre s'ils n'y consentent
pas, dit la vieille avec vehemence.
Le commissairc-priseur annon^a
d'unc voix de slentor qu'on allait
proceder a la vente de plusieurs
negres, par lots ou separement, a
la volonte des acquereurs. Les en-
cheres commencerent. Les negres
compris dans la lisle furent adjuges
Dela
traduction.
150
DEUXIEME PARTIE.
Dela
traduction.
showed a pretty brisk demand in
the market ; two of them fell to
Haley.
« Come, now, young un, » said
the auctioneer, giving the boy a
touch with his hammer, • be up
and show your springs, now. »
u Put us two up togedder, toged-
derdo please, mas'r, » said the old
woman, holding fast to her boy.
« Be off, » said the man, gruffly,
pushing her hands sway; « you
come last. Now, darkey, spring; »
and, with the word, he pushed the
boy toward the block, while a deep,
heavy groan rose behind him. The
boy paused, and looked back; but
there was no time to stay, and
dashing the tears from his large,
bright eyes, he was up in a mo-
ment.
His fine figure, alert limbs, and
bright face, raised an instant com*
petition, and half a dozen bids si-
multaneously met the ear of the
auctioneer. Anxious, half- frigh-
tened, he looked from side to side,
as he heard the clatter of contending
bids-now here, now there-till the
hammer fell. Haley had got him.
He was pushed from the block to-
wards his new master, but stopped
one moment, and looked back, when
his poor old mother, trembling in
every limb, held out her shaking
hands toward him.
« Buy me, too, mas'r ; for de dear
Lord's sake! — buy me — I shall
die if you don't ! »
« You'll die if I do, that's the
kink of it, » said Haley. « No ! >»And
he turned on his heel.
The bidding for the poor old
a des prix eleves, qui prouvaient
que I'offre ne repondait pas encore
a la demande. Haley en eut deux
pour sa part.
— Allons, mon gars, dit le com-
missaire-priseur en frappant Albert
d'un leger coup de son marteaa,
debout! et montrezvotre souplesse.
— Mettez-nous ensemble, mon-
sieur, ensemble, s'U vous plait, dit
la vieille en s'accrochant a I'enfant.
— Au large ! repondit le commis-
saire-priseur; vous venez la der-
niere. Allons, enfant, sautez I U
poussa en arriere la vieille mere, et
en avant le tils, qui se relouma un
moment au bruit des sanglots ma-
ternels, et s'avanca ensuite au mi-
lieu du cercle.
Sa belle figure, ses proportions
exactes, ses membres agiles, excite-
rentaussitot la concurrence, et plu-
sifursencheres parvinrenten meme
temps aux oreiiles dq commissaire-
priseur. Presque effraye par toutes
les voix qui se croisaient, Albert
promenait autour de lui des regards
inquiets. II fut adjuge a Haley, que
la vieille, tremblante, se mit a im-
plorer a genoux.
— Achetez-moi aussi, monsieur,
au nom de notre cher bon Dieu !
Achetez-moi, sinon j'en mourrai !
— Vous auriez plus de chances
de mourir si je vous achetais. . . .
Non!...
On expedia sommairement les en-
CUAPITRE TKOISIEME.
]ol
creature was summary. The man
who had addressed Haley, and who
seemed not destitute of compassion,
bought her for a trifle, and the
spectators began to disperse.
The poor victims of the sale, who
liad been brought up in one place
together for yeai-s, gathered round
the despairing old mother, whose
agony was pitiful to see.
« CouldnH dey leave me one?
Mas'rallers said I should have one-
he did,» she repeated over and
ever, in heart-broken tones.
« Trust in the \jord. Aunt Hagar, »
said the oldest of the men, sorrow-
fuUy.
« What good will it do? »> said
she, sobbing passionately.
« Mother ! mother! Don't don't! »
said the boy. « They say you's got
a good master. >»
« I don't care — I don't care. O
Albert! my boy! you's my last
baby. Lord, how ken 1? >»
« Come, take her off, can't some
of ye? » said Haley, drily. « Don't
do no good for her to go on that ar
way?»
The old men of the company,
partly by persuasion, and partly
by force, loosed the poor creature's
last despairing hold, and as they
led her off to her new master's wag-
gon, strove to comfort her.
« Now! » said Haley, pushing his
three purchases together, and pro-
ducing a bundleof b^^ndcuffs, which
he proceeded to put on their wrists;
and fastening each handcuff to a
chain, he drove Ihera before him to
the gaol.
cheresde la pauvre vieille. Lliomme
qui avait couseille Haley, et qui ne
semblait pas depourvu de compas-
sion, I'acheta pour une bagatelle,
et les assistants se disperserent.
Les victimes de la vente, qui vi-
vaieut ensemble depuis plusieurs
annees, se reunirent autour de la
viei lie, don t le desespoir faisait peine
a voir.
— Ne pouvait-on m'en laisser un ?
On m'avait promis de m'en laisser
un, repetait-elle avec un son de voix
dechirant
— Ayez foi dans le Seigneur,
mere Agar, dit le plus age des uoirs.
— Quel bien cela me fera-t^il ?
— Consolez-vous, maman ; on dit
que vous avez un bon maitre.
— Je n'y tiens pas ; peu m'im-
porte. O Albert! vous etiez mon
dernier enfant. Comment vivre sans
vous?
— Est-ce qu'on ne peutemmener
cette femme? dit sechement Haley;
cela ne lui sert a rien de crier com-
me cela.
Quelques-uns des assistants, moi-
tiepar persuasion, moitie par force,
firent lacher prise a la vieille, qui
retenait toujours Albert, et cberche-
rent a la consoler, tout en la con-
duisant a la charrette de son nou-
veau maitre.
— Marchons! dit Haley; et reu-
nissantscs trois acquisitions, il mit
a chacunc dalles des menottes, qu'il
attacha a une tongue cliaine ; puis
ii chassa devant lui son betail bu-
main jusqu'ala prison.
De la
traductioi
152
DEUXIEMt: PARTIE.
A few days saw Haley, with bis
^^ [? po88t«8sioii8, safely deposited or one
of the Ohio boats. It was the com-
meDcement of his gang, to be aug-
mented, as the boat moved op, by
various other merchandise of the
same kind, wichhe, or his agent,
had stored for him in various points
along shore.
The la BeUe-Riri^re , as brave
and beautiful a boot as ever walked
the waters of her namesake river,
was floating gaily down the stream,
under a brilliant sky, the stripes
and stars of free America wawins;
.-ind fluttering overhead ; the guards
crowded with well -dressed ladies
and gentlemen , walking and en-
joying the delightful day. All was
full of life, buoyant and rejoicing;
all but Haley's gang, who were sto-
red with other freight, on the lower
deck, and, who, somehow, did not
seem to appreciate their various
privileges, as they sat in a knot,
talking to each other in low tones.
« Boys, » said Haley, coming up
briskly, « 1 hope you keep up good
heart and are cheerful. Now, no
sulks, ye see; keep stiff upper lip,
boys ; do well by me, and I'll do
well by you. »
The boys addressed responded the
invariable « Yes, mas'r, » for ages
the watchword of poor Africa; but
it is to be owned they did not look
particularly cheerful. They had
their various little prejudices in
favour of wiwes, mothers, sisters,
and children seen for the last time;
and though « they that wasted them
required of them mirth, » it was
not instantly forthcouiing.
" I've got a vife, » spoke out the
Au bout de quelques jours, Ha-
ley s'embarqua sur TOhio avec Jes
premieres recrues de sa troupe. II
devait, chemin faisant,en recueiUir
d'autres , dont il s'etait assure la
propriete par lui-meme ou par ses
agents, et qui I'attendaient a di ver-
ses escales.
La Belle -RivUre, un des plus
beaux bateaux qui eussent jamais
sillonne le^ eaux de TOhio, descen-
dait gaiement ce fleuvesous ud ciel
cclatant ; les rales et les etoiles du
drapeau americain flottaient a Fa-
vant; le pont etait convert de belles
dames, d'elegants cavaliers, qui
jouissaientd'unebellejournee. Tout
etait riant, anime, plein de vie;
mais dans la cale gemissait la troupe
d'Haley, arrimce avec les autres
marchandises; les membres qui la
composaient etaientgroupes ensem-
ble et se parlaient a voix basse.
— Enfants, leur cria Haley, j'es-
pere que vous vous maintenez en
bonne humeur ; point de maussade-
rie, s'il vous plait: relevez la tete ;
conduisez-vous bien avecmoi, etje
me conduirai bien avec vous.
Suivant la coutume invariable
des noirs, les esclaves repondireut :
'Qui, monsieur. Mais on etait oblige
de reconnaltre que leur belle hu-
meur n'avait rien de tres-evident.
lis avaient certains prejuges en fa-
veur de leurs femmes, de leurs me-
res, de leurs enfants, qu'ils avaient
vus pour la derniere fois, et la gaiete
qu'on exigeait d'eux se produisAit
assez difficilement.
L'article catalogue sous la rubri-
/
CHAWTRE TROISIEME.
1S3
article enameratdd as « John, aged
thirty, » and be laid his chained
/land on Tom's knee, « and she don't
k ooinr a word about this, poor girl ! »
«« "Where does she live? » said
Town.
« In a tavern a piece down here,»
js^ft-ld John; « i wish, non, I cotUd
f^^i^ lier once more in this world, »
t^^ «i,dded.
l^^oorJobn ! It was rather natural;
^- "^ cJ- the tears that fell, as he spoke,
<^^ «:»:i e as naturally as if he had been
^ "%i^^hile man. Tom drew a long
f^ **^^^th from a sore heart, and tried,
^ ** liM^is poor way, to comfort him.
-^^ mi overhead, in the cabin, sat
'"'^*^ *-l:^€r8 and mothers, husbands and
^^^^*"^^e8; and. merry, dancing cbil-
^^'^^n moved round among them,
^ W-^ so many little butterflies, and
^^^^^^•ythingwas going on quite easy
^ *"^ ^A comfortable.
^ ■** mamma, » said a boy, who
^^^^i just come up from below, « the-
»^ ^^ a negro trader on board , and
^^ ^ brought four of five slaves down
^^^^e.>
^» "^^ Poor creatures! » said the mo-
- ^^^ 1", in a tone between grief and
^iignation.
1 « What's that ? » said another
^^^ *' Some poor slaves below, • said
^^ Smother.
«<Aud they' ve got chains on, »
"^^^d the boy.
-«« What a shame to our country
*^^t such sights are to be seen ! »
^^ id another lady.
« Oh, there's a great deal to be
"^ id on both sides of the subject, »
que de « John, 4ge de trente ans, »
posa ses mains enchainees sur les
genoux de Tom, et lui dit : k J'avau
une femme, et elle ne salt rien de
mon sort, la pauvre creature !
— Ou demeure-t-elle.^ dit Tom.
— Dans une auberge a quelques
milles d'ici ; je voudrais bien la re-
voir encore en ce monde.»
Pauvre John ! ce vceu etait natu-
rel, et les larmes coulerentaussi ua-
turellement sur ses joues que si
c'eiit ete un blanc. Un long soupir
s'echappa de la poitrine oppressee
de Tom, qui essaya tant bien que
mal de consoler son compagnon.
Au-dessus de leurs tetes, dans la
cabine, etaientassis d'heureux cou*
pies, autour desquels gambadaient
des enfants joyeux comme des pa-
pillons.
— Maman, dit un enfant qui ve-
nait de faire une excursion dans la
cale, il y a a bord un marchand de
negres avec cinq ou six esclaves.
— Les malheureux ! dit la mere
d'un ton de douleur et d'indigna-
tion.
— De quoi s'agit-il.? demanda
une autre dame.
— D'esclaves qui sont en has.
— Et ils ont des chaines , ajouta
I'eufant.
— Quelle honte pour notre pays
qu'on y voie de pareils spectacles !
dit une troisicme dame.
— Oh! s'ecria une quatrieme,
qui cousait a la porte de sa cham-
Dela
traductioi
154
DEUXlExME PARTIE.
De la
traduction.
said a genteel womau, who sat at
her state-room door, sewing, while
her little girl and boy were playing
round her. « I' ve been south, and
I must say I think the negroes are
better (^than they would be to be
free. »
« In some respects, some of them
are well off, I grant, » said Uie lady
to whose remark she had answe-
red. « The most dreadful part of
slavery, to my mind, is its outra-
ges on the feelings and affections —
the separating of families, for exam-
ple. •
« That is a bad thing, certainly,»
said the other lady, holding up a
baby's dress she had just comple-
ted, and looking intently on its
trimmings; « but then , I fancy, it
don't occur often. •
« Oh, it does, » said the first lady,
eagerly ; « V ve lived many years
in Kentucky and Virginia both, and
r ve seen enough to make one's
heartsick. Suppose, ma'am, your
two children there should be taken
from you, and sold?»
« We can't reason from our fee-
lings to those of this class of per-
sons, » said the other lady, sorting
out some worsteds on her lap.
•Indeed, ma* am, you can know
nothing of them, if you say so, »
answered the first lady, warmly.
« I was born and brought up among
them. I know they do feel, just as
keenly- even more so, pertiaps-as
we do. »
The lady said <t Indeed I * yaw-
ned , and looked out of the cabin
window, and finally repeated, for
a finale, the remark with which she
hre entre ses deux «aiMii, I
du pour et da eoatre. i'ai in
dans le Midi, et je emt ftm
meat que ke negres sootphn
reux que s'iis etaient librea.
— Quelqnes-uns jooiseei
bien-^tre materiel, je ne le
teste pas, reprit la premiere d
ce qu'il y a de plus revoltanl
I'esclavage, c'est qu'il ootrai
plus saintes affections; c*e8l
separe les families.
— C'est f&cheux , sans doai
pondit la quatrieme dame en
minant I'effet d'une robe d'c
qu'elle venait de terminer;
cela n 'arrive passouvent. -
— Qa se voit tons les joun
cria la premiere dame. J*ai
plusieurs annees dans le Ken
et la Virginie , et j'ai ete tcmc
miseres qui font saigner le i
Supposez, madame, qu'on to*
leve vos deux enfants pour let
dre.
— Nous ne pouvons juger pj
propres sentiments de ceux de
de cette classe.
— Vous ne les connaiflsez
madame, repartit la premiere
avec cbaleur. J'ai 6te elevee i
lieu d'eux, et je sals qu'ils oi
sentiments aussi vifs, peni
meme plus vifs que les ndtrec
— Vraiment ! s'ecria la qiiat
dame; puiselle bailla, regarc
la fenetre de la cabine, et tei
comme elle avait commence,
/
CHAPITRE TROISIEME.
155
0nad begun -— «« After all , I think
-Cbey are better oflf than they wouH
936 to be free. »
X lt*8 undoubtedly the intentioQ
•^of Providence that the African race
^^hould be seirants-kept in a low
^ci^oodition , > said a grave-looking
^^^entiemen in black , a clergyman ,
ftted by the cabin-door. « Cursed
Canaan ; a servant of servants
> liall he be% the Scripture 8ays.»
«« I say, stranger, is that ar what
^t^-flft 1 text means ? » said a tali man,
^t.ckndingby.
«« Undoubtedly. It pleased Provi-
^^xiBce, for some inscrutable reason,
^oom Ihe race to bondage ages
); and wo must not set up our
^K^iniou against that. »
"•^ Well, then, we'll all go ahead
^ *^^ buy up niggers, » said the man ,
f that's the way of Providence -
2^Dn't we, squire .J> » said he, tur-
*J ^ mg to Haley, who had been stan-
^ ^ ■ig* with his hands in his pockets,
^^ the stove, and intently listening
^^ the conversation.
•« Yes,« continued the tall man;
"** we must all be resigned to the de-
^^ re<is of Providence. Niggers must
^^e sold , and trucked round, and
^^ept under, it's what they's made
^'^r. Pears like this yer view's quite
^^freshing; an't it, stranger ? » said
Vie to Haley.
n I never thought on't, » said Ha-
^ey. «1 couldnt have said as much,
myself; I han't no laming. I took
sant : — Apres tout, je crois que les — —
negres sont plus heureux que s'ils V® '?
,,. ^.•. traductn
ctaient libres.
Un brave ecclesiastique en habit
noir, qui etait assis pres de la porta
de la cabine, glissa on mot daiis la
conversation. — Indubitableiiumt,
dit-il, rintention de la Providence
est que la race africaine soit en ser-
vitude. <( QueChanaan soitmaudit!
quit soit a I'egard de ses freres Tee-
clave des esclaves. Que Dieu multi-
plie la posterite de Japhet, et qu'il
habite dans les tentes de Sem , et
que Chanaan soit son esclave ! »
— Stranger, dit un homme de
grande taille, interpretez-vous le
texte dans son veritable sens?
— Assurement. II a plu a la Pro-
vidence, pourquelques motifs im-
peuetrables, de condamner cette
race a la servitude, il y a des sie-
cles , et nous ne devons pas nous
op poser a ses decrets.
— En ce cas, reprit I'homme de
grande taille, j'irai de I'avant, et
j 'ache terai des negres, puisquee'est
la volonte du ciel , auquel il faut
obeir. » Ces mots s'adressaient k
Haley, qui, les mains dans les po-
ches, appuye centre le poele, pre-
tait une oreille attentive a I'entre-
tien.
— Oui , continua Thomme de
grande taille, il faut se soumettre
aux decrets de la Providence. Les
negres sont faits pour etre vendus,
troques, opprimes : voila une ma-
niere de voir rassuraute! N'est-ce
pas votre avis, etranger?
— Je n'y ai jamais reflechi , re-
pondit Haley ; je n'ai pasd'instruc-
tion ; j'ai embrasse la profession de
156
DEUXIEAJE PARTIE.
Dela
traduction.
up the trade just to make a living;
if 'taint right, 1 calculated to 'peut
OD't in time, ye know. »
« And now youll save yourself
the trouble, won't ye? » said the
tall man. « See what 'tis, now, to
know Scripture. If ye'd only studied
yer Bible, like this yer good man ,
ye might have koow'd it before,
and saved ye a heap o' trouble. Ye
could jist have said, Cussed be —
what's his name ? and 'twould all
have come right. » And the stran-
ger, who was no other than the ho-
nest d rower whom we introduced
to our readers in the Kentucky ta-
vern, sat down, and began smoking,
with a curious smile on his long,
dry face.
A tall, slender young man, with
a face expressive of great feeling
and intelligence, here broke in, and
repeated the words, « All things
whatsoever ye would that men
should do unto you, do ye even so
unto them. I suppose, » he added,
a that is scripture, much as Cursed
be Canaan ! »
« Wal, it seems quite as plain a
text, stranger, » said John the.drover,
« to poor fellows like us, now ; »
and John smoked on like a vol-
cano.
The young man paused, looked as
if he was going to say more, when
suddenly the boat stopped, and the
company made the usual steamboat
rush, to see where they were lan-
ding.
« Both them ars chaps parsons P »
marchand d'esclaves pour avoir des
moyens d 'existence. Si j'ai eu tort,
j'aurai soin de m'en repentir a pro-
po8.
— A quoi bon 1 reprit rhomme
de grande taille; n'avez-vous pas
entendu ce que dit l'£critureP Voyez
combien il est utile de la eonnaitre !
Si vous aviez etudie votre Bible,
comme ce brave ministre, vous ^e-
riez depuis longtemps debarrawe
de tout scrupule, et vous vous se-
riez epargne bien des inquietudes.
Vous n'auriez eu qu'a dire : Maudit
soit. . . le nom m'echappe ; et vous
auriez continue votre commerce
avec une tranquillite parfaite. » Ce-
lui qui s euoncait ainsi ctait John
le maquignon, que nousavons deja
presente a nos lecteurs dans Tau-
berge du Kentucky. Sa longue face
anguleuse rayonna d'un sourire iro-
nique, et il se mit a fumer.
Un jeune honune frele et maigre,
dont les traits exprimaient autant
de sensibilite que d'intelligenoe,
prit la parole et dit : — 11 y a dans
TEcriture un autre passage : « Ne
faites pas aux autres ce que vous ne
voudriez pas qu'on vous fit. » N'est-
ce pas aussi concluant que la ma-
lediction de Chanaan?
Cela nous semble tel, a nous au-
tres pauvres gens, dit John en fu>
mant comme un volcan.
Ce jeune homme le considera
et allait ajouter quelque chose,
quand le bateau s'arreta. Toute la
compagnie s'elanqa surlepontpour
savoir ou Ton arrivait.
/
CHAPn KK TROISJKMK.
157
said John to one of the men, as they
were going out.
The man nodded.
As the boat stopped, a black
^^^oman came running wildly up the
plank, darted into the crowd, flew
u p to where tbe slave gang sat, and
tti re-w ber arms round that unfortu-
na.te piece of merchandise before
eii umerated, « John, aged thirty, •
a,ft^d with sobs and tears bemoaned
^^i joa as her husband.
But what needs tell the story,
^-old. too oft-every day told-of hearts-
^'"ings rent and broken-the weak
l3i»olten and torn for the profit and
^oii v-enience of the strong ! It needs
riot to be told ; every day is telling
" * > too, in the ear of One who is not
*^^5^r, though he be long silent.
TVie young man who had spoken
*'*'^r' the cause of humanity and God
■^^'ore stood with folded arms, loo-
^'^^ "^ S on this scene. He turned, and
^ ^ * ^y was standing at his side. « My
**"iond, » he said, speaking with thick
^*^t trance, « how can you, how dare
^^^o, carry on a trade like this?
*-^^okat those poor creatures! Here
^rin, rejoicing in my heart that i
^*^ going home to my wife and
^'^ild; and the same bell which is
^^^ ^nal to carry me onward towards
*^^ni will part this poor man and
*^is ^ife for ever. Depend upon it,
^^^ will bring you into judgment
''^»- this. »
"^he trader turned avay in silence.
** I say, now, » said the drover,
" ^^^uching his elbow, there's diife-
"^^^ces in parsons, an*t there? 'Cur-
Dela
traduction.
Aussitot qu'on eut jete la plan-
che, une ncgresse traversa la foule,
descendit precipitamment a fond de
cale, et se jeta au cou de Fesclave
designe sous la rubrique de « John,
Age de treute ans. »
II y a tous les jours des exemples
de miseres semblables, de faibles
separes les uns des autres et re-
duits au desespoir pour le plus
grand avantage des forts. 11 n'est
necessaire de les redire ni pour les
hommes, ni pour Celui qui n'est
jamais sourd aux plain tes des mal-
heureux, quoiqu'il ne le manifesto
pas toujours.
Le jeune homme qui avait plaide
la cause de I'humanit^ contemplait
cette scene les bras croises. — Mod
ami, dit-il a Haley, comment pou-
vez-vous, comment osez-vous exercer
un pareil metier? Regardez ces deux
infortunes ! Je me rejouis en mon
coeur d'aller retrouver chez moi ma
femme et mon enfant ; et la meme
cloche dont le signal me rapprocbera
d'eux va sonner pour cette femme
et cet homme Tinstant d'une separa-
tion eternelle. Soyez-en convaincu,
Dieu vons jugera !
Le marchand d'esclaves s*eloigna
en silence.
Dites done! lui cria le maqui-
gnon, il parait qne tout le monde
n*est pasdu meme avis. Cet etranger
158
DEUXltMK PARTIE.
sed be Cana.iD*don't seom to go down
^ ** with this *un, does it? »
traductiou.
Haley gave an uneasy growl.
« And that ar an't the worst onH, »
said John ; « mabbe it won't go down
with the Lord, neither, when ye
come to settle with Him, one o' these
days, as all on us must, I reckon. »
Haley walked reflectively to the
other end of the boat.
« If I make pretty handsomely
on one or two next gangs, » he
thought, (« I reckon Fll stop off this
yer ; it's really getting dangerous. »
And he took out his pocket-book,
and began adding over his accounts,
a process which many gentlemen
besides Mr. Haley have found a spe-
cific for an uneasy conscience.
The boat swept proudly avay
from the shore, and all vent on
merrily as before. Men talked, and
loafed, and read, and smoked. Wo-
men sewed, and children played,
and the boat passed on her way.
One day, when she lay- to for a
while at a small town in Kentucky,
Haley went up into the place on a
little matter of business.
Tom, whose fetters did not pre-
vent his taking a moderate circuit,
had drawn near the side of the boat,
and stood listlessly gazing over the
railings. After a time, he ^w the
trader returning, with an alert stop,
in company with a couloured wo-
man, bearing in her arms a young
child. She was dressed quite respec-
tably, and a coloured man follo-
wed her, bringing along a small
trunk.The woman came cheerfully
onward, talking, as she came, with
ne me semble pas grand partisan de
la malediction de... le nom m'e-
chappe.
Haley fit entendre un grogne-
ment sourd.
— Et il n'en est pas moins esti-
mable, ajouta John le maquignon ;
puisse sa prediction ne pas se rea-
liser quand vous serez cite devant
le grand Tribunal !
Haley s'en alia en reflechissant a
I'autre bout du bateau.
— Si je me defais avantageuse-
ment de trois ou quatre troupes,
pensait-il, je quitterai le metier; il
a vraiment ses dangers. » Puis il
prit son portefeuille et se mi t a re-
passer ses comptes, procedes em-
ployes par bien d'autres pecheurs
que lui comme specifique contre le
remords.
Le bateau s*eloigna majestueuse-
ment du rivage; les hommes re-
commencerent a causer, a lire, a
fumer; les femmes a condre, les
enfants a jouer, et le steamer pour-
suivit sa route.
Un jour, il s*arreta devant une
petite ville du Kentucky, et Haley
debarqua pour affaires.
Tom, quoiqu'il eut les fers aux
pieds, avait la faculte de prendre de
temps en temps Tair sur le pont. H
s'approcha du bord du bateau, et
regarda sans but par-dessus le pa-
rapet. II vit le marchand revenir a
grands pas, en compagnie d*iiiie
femme de couleur qui portait an
jeune enfant dans ses bras. Elle
etait proprementvetue,et un horome
de couleur la suivait, une petite
malle a la main. La femme avait
I'air gaie; elle babillait avec son
/
CHAPITRE TROISlfeME.
159
Mhe man who bore her trunk, and
^^ f>asged up the plank into the
l)oat. The bell rang, the steamer
^whizzed, the engine groaned and
<»ughed, and avay swept the boat
^own the river.
The woman walked forward
^mong the boxes and bales of the
^ower deck, and, sitting down, bu-
ried herself with chirruping to her
Jbaby.
Haley made a turn or two about
*Aie boat, and then, coming up, sea-
tbecl himself near her, and began
si^aying something to her in a indif-
^«r"«nt undertone.
Tom soon noticed a heavy cloud
J>«a-^sing over the woman's brow,
^* "^ ^ that she answered rapidly, and
^^^^ i th great vehemence.
*« I don't believe it ; I won't believe
i t- I », He heard her say. « You're ist
^ ^^^olin' with me. »
^ If you won't believe it, look
"^■^^we! » said the man, drawing out
^ 'M^aper ; « this yers's the bill of sale,
^ ^^ ^ there's your master's name to
^^ ? and I paid down good solid
^^^^ for it, too, I can tell you — so,
^^c^w! »
« I don't believe mas'r would
^t^eat me so ; it can't be true ! » said
^^^ woman, with increasing agita-
^«n.
« You can ask any of these men
^^re (hat ean read writing. Here I »
^« «akl, to a man that was passing
^y« « jist read this yer, won't you !
l^hiB yer gal won't believe me, when
^ tell her what 'tis. »
« Why, it's a bill of sale, signed
by John Fosdick, » said the man,
«< making over to you the girl Luey
compagnon, et passa d'un pied leger
sur la planche. La cloche sonna, la ^ '?
.-« , 1 . .- * traductii
vapeur siffla, la machine mugit, et
le bateau descendit la riviere.
La femme s'installa a Vavant, an
milieu des bagages^ ei s*occupa de
badiner avec son 6l8.
Haley fit quelques tours sur le
pont, vint s'asseoir aupres d'elle, et
lui parla a voix basse.
Tom remarqua qu'un nuage
sombre passait sur les traits de la
femme, qui repondit avec emporte-
ment :
— Je ne le crois pas I je ne le
crois pas ! Vous vous jouez de moi I
— Si vous ne le croyez pas, re-
gardez ce papier, dit le marchand
d'esclaves ; c'est le contrat de votre
vente, signe du nom de votre mal-
tre; je vous ai payee en especes
bien sonnantes, je vous le garantis.
— Mon maitre ne m'aurait pas
trompee ainsi ; c'est impossible! re**
prit la femme avec une agitation
toujours croissante.
— Puisque vous doutez encore,
puisque vous ne vous en rapportes
pas a mon temoignage, vous pouvex
interroger le premier venu . • . Hola!
monsieur, ayez la complaisance de
me lire cet acte.
— C'est, dit le voyageur inters
pelle, un contrat de vente, dont
le signataire, John Fosdick, voas
\
160
DKUXIKWE PARTIE.
Dela
tduclion.
andherchild.It'sallstraighteDough,
forg aught I see. »
The woman*s passionate excla-
mations collected a crowd around
her, and the trader briefly explai-
ned to them the cause of the agita-
tion.
ft He told me that I was going
down to Louisville, to hire out as
cook to the same tavern where my
husband works : that's what mas'r
told me, his own self, and I can't
believe he*d lie to me ! « said the
woman.
« But he has sold you, my poor
woman, there's 'no doubt about
it, » said a good-naturel looking
man, who had been examining the
papers; « he has done it, and no
mistake. »
« Then it*s no account talking, »
said the woman, suddenly growing
quite calm ; and, clasping her child
tighter in her arms, she sat down
on her box, turned her back round,
and gazed listlessly into the river.
« Going to take it easy, after
all ! » said the trader. « GaVs got
grit, I see. «
The woman looked calm as the
boat went on; and a beautiful,
soft, summer breeze passed, like a
compassionate spirit, over her head
— the gentle breeze that never in-
quires whether the brow is dusky
or fair that it fans. And she saw
sunshine sparkling on the water,
in golden ripples, and heard gay
voices, full of ease and pleasure,
talking around her every-where;
but her heart lay as if a great stone
had fallen on it. Her baby raised
abandonne la liUe Lucie et son en-
fant. L'acte est en bonne forme, a
ce qu'il me semble.
Lcs exclamations de la femme
a'ttirerent -la foule autour d'elle, et
le marchand d*esclaves expliqua
brii'vement les motifs de son agita-
tion.
— II m'a dit quej'allais a Louis-
ville pour servir comme cuisinicre
dans I'auberge ou mon mari tra-
vail le.Voila ce que mon maitre m'a
dit lui-meme, et je ne puis me per-
suader qu'il a menti.
— ^Mais il vous a vendue, ma brave
femme ; il n'y a pas a en douter, dit
un homme a physionomie bienveil-
lante, apres avoir examine les pa-
piers.
— C'est inutile de parler, reprit
la femme s'apaisant tout a coup;
et, devenue calme en apparency,
elle tourna le dos aux curieux. Elle
s'assi t su r un coffre, son enfant entre
SOS bras, et fixa des regards mornes
sur la riviere.
— Elle se tranquillise , dit le
marchand d'esclaves, elle prend
son mat en patience.
La femme ne bougea pas; le
souffle bienfaisant de la brise vint
rafraichir sa t^te. Elle vit les der-
niers feux du soleil lancer des
si lions d'or sur les eaux ; elle en-
tendit des rires joyeux ; mais son
CGCur etait comme <k;rase sons une
pierre. Son enfant se dressa sur son
sein et lui caressa les joues; il
sautait, se renversait en arriere,
begayait des mots inintelligibles;
on aurait dit qu'il avait resola de la
consoler. II sepblait etonne de
^1
_tw
CHAPITRK TROISIEME.
161
himself up against her, and stroked
her cheeks with his little hands :
and, springing up and down, cro-
'fving and chatting, seemed deter-
mined to arouse her. She strained
liim suddenly and tightly in her
a.rinsy and slowly one tear after
a.iiother fell on his wondering, un-
oonscious face; and gradually she
s^semed, and little by little, to grow
c^almer, and busied herself with
^^nding and nursing him.
The child, o boy of ten mouths,
'^Dvas uncommonly large and strong
of his age, and very vigorous in his
M M mbs. Never for a moment strill,
l:m« kept his mother constantly busy
^ an holding him, and guarding his
^Ipringing activity.
« That a fine chap ! » said a man,
^ ^iddenly stopping opposite to him,
"^^iTith his hands in his pockets. -« How
^^Id is he? «
H Ten months and a half, » said
^fce mother.
The man whistled to the boy,
^^nd offered him part of a stick of
^^«indy, which he eagerly grabbed
<s^t, and very soon had it in a baby's
^^eneral depository, to wit bis
'v^outh.
• Rom fellow !» said the man,
<«^ knows what's what! » and he
"^vhistled and walked on. When he
^ad got to the other side of the
^MMit, he came across Haley, who
"Vras smoking on top of a pile of
The stranger produced a match,
^nd lighted a cigar, saying, as he
^id so —
H Decentish kind o' wench you'
X^e got round there, stranger. »
tt Why, I reckon she is tol'able
sentir des larmes tombor une a une
sur son visage. Son petit babil, ses
graces naives, finirent par derider
sa mere, qui oublia un moment ses
peines en lui prodiguant des soins.
Dela
traduction.
Get enfant n'avait pas once mois;
mais il etait, pour son &ge, d'une
force et d'une taille extraordinaires ;
il ne restait pas un seul instant en
repos; il fallait que sa mere s'oc-
cup4t sans cesse de le retenir et de
reprimer sa petulance.
— Voila un beau gar^n ! dit un
homme qui s*arr6ta brusquenient
devant lui les mains dans ses poches;
quel &ge a-t-il?
— Dix mois et demi, dit la mere.
L'homme appela le bambin , et
lui offrit un morceau de Sucre can-
di, dont celui-ci s'empara, et qu'il
eut bien vite mis dans le garde-
manger ordinaire des enfants, c'est-
a-dire dans sa bouche.
— Quel petit gaillard ! dit l'hom-
me, et il s'cloigna en sifilant.
Quand il fut a I'autre bout du ba-
teau, il passa devant Haley, qui
fumait perchesur une pile de colis.
— Stranger , vous avez fait la une
assez bonne acquisition, lui dit
r homme en tirant une meche de sa
poche pour allumer un cigare.
— Jem'en flatte, rcpondit Haley.
.11
162
DEUXifeME PARTIE.
Dela
traduction.
iair, » said Haley , blowing the
smoke out of his mouth.
« Taking her down south? » said
the man.
Haley nodded, and smoked on.
« Plantation hand? >» said the
man.
« Wal, » said Haley. « Fm filling
out an order for a plantation, and
I think I shall put her in. They
telled me she was a good oook ;
and they can use her for that, or
set her at the cotton- picking. She/s
got the right Qngers for that; I
looked at*em. Sell well, either way ;»
and Haley resumed his cigar.
4( They won't want the young un
pa a plantation,!* said the man.
« I shall sell him, fist chance 1
iind,» said Haley, lighting another
cigar.
« S' pose you'd be selling him
toFable cheap,>» said the stranger,
mounting the pile of boxes, and
sitting down comfortably.
« Don't know' bout that , » said
Haley; » he's a pretty smart
young'un — straiglit, fat, strong ;
flesh as hard as a brick. »
"Very true; but then there's
all the bother and expense of rai-
sin ! »
« Nonsense, » said Haley ; they
is raised as easy as any kind of
critter there is going ; they an't a
bit more trouble than pups. This
yer chap will be running all round
in a month. »
« r ve got a good place for rai-
sin', and I thought of takin' in a
— Vousremmeneza la NouveUe-
Orleans ?
Haley fit an signe affirmatif, et
suivit des yeux les ondul&Uons de
sa fumee.
— Elle est destinee a une plan-
tation?
— Oui, dlt Haley. Je suis charge
de Caire des emplettet pour une
plantation, et je pourrai I'y collo-
quer. On m'a assure qu'elle elalt
bonne cuisiniere; die pent senrir
en cette qualite, ou eplucber du
colon: ses doigts sont propres a
cette sorte de travail, je les ai exa-
mines. En tout easy je la vendrai
bien. » Et Haley reprit son dgare.
— On n'aura pas besoin de Ten-
fant dans une plantation, dit I'hoin-
me.
— Je le vendrai a la premiere
occasion, repondit Haley.
Et il alluma un second cigare.
— Vous le vendrez bon marofae,
dit I'homme en montant sur la pile
de caisses, ou il s'etablit conuno-
dement
— Je ne crois pas ; c'est un joli
sujet, droit comme un jonc , gras,
vigoureux, des chairs dures comme
de la brique.
—C'est vrai; mais que de traces
et de depenses pour I'elever !
— Bah! bah! reprit Haley; il
s'etevera aussi aisement qu'un p^U^
chieu« D'ici a un mois, onle^yerra
courir partout.
— J'ai une propriete a ia^ueUe
je donne quelque extension, et ou
CHAPITRE TROISIfeME.
163
little more stock ^ » said the man.
« One cook lost a young *un last
week-got drownded in the wash-
iub, while she was a h^ngin' out
clothes; and ! reckon it would be
well enough to sed her to raisin'
this yer. >»
' Haley and the stranger smoked
awhile in silence, neither seemed
willing to broach the test question
of the interwiew. At last the man
ratmiMd —
« Ton wooldn't think of wanting
more than ten dollars for that ar
chap, seeing you must get him off
yer hand, any how? »
Haley shook his head , and spit
impressively.
« That won't do, noways," he
said; and began his smoking again.
« Well, stranger, what will you
take? »
« Well, now, » said Haley. « I
cotfM raise that arehapmy8elf,orget
him raised ; he*s uncommon likely
and healthy, and he'd fetch a hun-
dred dollars six months hence; and
in a year or two he' d bring two
hundred ; if 1 had him in the
right spot ; so I shan't take a cent
less nor tlfty for him now.»
« 0, stranger, that's ridiculous
altogether, » said the man.
« Fact,» said Haley, with a deci-
sive nod of his head.
« I'll give thirty for him, » said
thestranger, «butnota cent more. »
« Now, I'll telle ye what Til do,*
said Haley, spitting againg, with
renewed decisi6n ; « I'll split the
difference, and say forty-five ; and
that's the most I will do. »
Well, agreed,» said the man, af-
ter an interval.
il trouverail sa place. Ma cuisiniere
a perdu un enfant la semaine der-
niere; il s'est noye dans le cuvier
pendant qu'elle ctendait du linge.
On ne ferait pas mal de lui donner
celui-ci k elever.
Haley el I'etranger fumcrent un
moment en silence. Aucun d'eux
ne semblait dispose a aborder fran-
chement la question. Enfin le der-
nier s'executa :
— Puisque votre intention est de
vons defaire de ce bambin, vous ne
comptez pas le vendre plus de dix
dollars ?
Haley secoua la tete et cracha
d'un air dcdaigneux.
Allons done! dit il ; etii se remit
a fumer.
— Ehbien! etranger, qu'en de-
mandez vous?
— Je pourrais Telever moi-m6me
ou le faire elever; il a bonne mine,
il est plein de sante, et j'en trouve-
rais cent dollars ; dans six mois an
plus tard, je le vendrais deux cents
sur tons les marches : ainsi, pre-
sentement, je n'en accepterai pas
moins de cinquante dollars.
— O etranger, s'ecria I'homme,
c'est completemenl ridicule!
— Je n'en rabattrai pas un cen-
time.
— Je vous en offre trente dollars,
mais pas un centime de plus.
— En Irons en arrangement, reprit
Haley : coupons le differend par la
moitie, et donnez-moi quarante-
cinq dollars; c'est tout ce que je
puis faire.
— Qa va ! dit I'homme apres un
moment de reflexion.
De la
traduction
1($4
UEUXIKWK PAHTIE.
Do la
traduclion.
« Doael » said Haley. « Where
do you land ? »
» At Louisville, » said the man.
« Louisville? » said Haley. «Very
fair; we get there about dusk.
Chap will be adeep-all fair-get him
off quietly , and no screaming —
happens beautiful — I like to do
everyting quietly — I hates all
kind of agitation and fluster. » And
so, after a transfer of certain bills
had passed from the man's pocket-
book to the trader's, he resumed his
cigar.
ft was a brigt, tranquil evening,
when the boat stopped at te wharf
at Louisville. The woman had been
sitting with her baby in her arms,
now wrapped in a heavy sleep.
When se heard the name of the
place called out, she hastily laid
the child down in a little cradle
formed by the hollow among the
boxes, first carefully spreading un-
der it her cloak; and then she
sprung to te side of the boat, in
hopes that, among the various ho-
tel-waiters that thronged the wharf,
she might see her husband. In this
hope she pressed forward to the
front rails, and stretching far over
them, strained her eyes intently on
the moving heads on the shore, and
the crowd pressed in between her
and the child.
«i Now's your time, » said Haley,
taking the sleeping child up, and
handing him to te stranger. • Don't
wake him up, and set him to
crying, now ; it would make a devil
of a fuss- with the gal. » The man
took the. bundle carefully, and was
soon lost in the crowd that went up
the warf.
— Tope I repartit Haley ; ou de-
barquez-vous?
— A Louisville.
— Port bien ; nous y arriveroDs
a la brune. Le petit dormira, c*e8t
a merveille. Emmenez-le tranquil-
lement, en prenant garde dele faire
crier. J'aime a prendre les gens par
la douceur ; je hais le bruit, le
scandale, les emotions fortes.
Quelques instants apres, des bil-
lets passaient de la poche de Tac*
quereur dans celie du marchand
d'esclaves, qui se remit a fumer.
La soiree etait belle etpaisible
quand le bateau s'arr^ta au quai de
Louisville. L'enfant dormait pro-
fondement dans les bras de sa mere.
Des qu'elle entendit nommer la
ville, elle le deposa entre deux cais-
ses comme dans un berceau, en
ayant soin de placer sous loi son
manteau. Elle courut ensuite se
placer pres du garde-feu, et cfaer-
cha des yeux son mari parmi les
nombreux garqons d'hdtel qui eu-
combraient le quai. Elle se pencha
en avant, et toute son attention fut
absorbee par la contemplation des
grotlpes qu'on distinguait sur le ri-
vage a la vague clarte du crepus-
cule.
— Voila le moment! dit Haley
prenant I'enfant endormi et le pre--
sentant a Tetranger: ne le reveillez
pasi ca ferait une affaire du dia-
ble.» L'homme emporta sa proie, et
se perdit dans la foule.
CHAPITRE TROlSltiMH.
105
Wheu the boat, creaking, and
groaDiDg, and puffing, had loosed
from the warf, and wa» l)eginning
slowly to strain herselt along, the
woman returned to her old seat.
The trader was sitting there-the
child was gone !
• Why, why- where ?>» she began ,
in bevildered surprise.
<t Lucy.v said the traider, « your
child's gone; you may as well
know it first as last. You see , 1
know'd you couldn't take him down
south; and I got a chance to sell
him4o a first-rate family, that '11
raise him better thnn you can.^
The trader had arrived at that
stage of christian and political
perfection which has l)een recom-
mended by some preachers and po-
liticiajis of the nord lately, in whi(h
be had completely overcome every
humane weakness and prejudice.
His heart was exactly where yours,
sir, and mine could be brought,
with proper effort and cultivation.
The wild look of anguish and utter
despair that the woman cast on him
might have disturbed one less prac-
tised; but he was used to it. He
had seen that same look hundreds
of times. You can get used to such
things, too, my friend ; and it is
the! great object of recent efforts to
make our whole northern commu-
nity used to them, for the glory of
the Union. So the trader only re-
garded the mortal anguish which
he saw working in those dark fea-
tures, those clenched hands, and
suffocated breatliings, as necessary
incidents of Ihe trade, and merely
Lorsque le bateau eut quitte la ri-
ve avec ses groudements accoutu-
mes, Lucie retourua a sa place.
Dela
traduction.
— Ou est-il? ou est-il?... secria-
t-elle avec egaremeut.
— Lucie, dit le marchand d*es-
claves, votre enfant est parti ; au-
tant que vous le sachiez tout de
suite. Je savais que vous ne pou-
viez Temmener dans le Sud^ et
j'ai saisi Toccasion de le vendre
a une riche famille, qui Tolevera
mieux que vous n'auriez pu le
faire.
Le marchand d'esclaves etait ar-
rive a cet etat de perfection chre-
tienne et politique que recomman-
dent certains predicateurs : il avait
triomphedetoutes les faiblesseshu-
maines. Le regard de desespoir que
Lucie jeta sur lui aurait trouble un
hommemoins experimente; mais il
avait le cceur revetu d'une triple
cuirasse. II avait vu centfoisrle md-
me regard. Les mortelles angoisses
qui bouleversaient le visage som-
bre de la malheureuse mere, sa
respiration haletante , ses mains
crispees, il les considerait comme
des incidents necessaires du com-
merce. II apprehendait seulement
qu'eile se mit a pousser des cris et
a provoquer une emeute a bord ;
mais Lucie resta muette, le coup
lui avait passe Irop droit a travci-s
le coBur pour qu'elle eut la force d<i
jeler un cri, de verscr uiie larme.
1G6
DEUXifeME PARTIR.
DeU
aductiou.
calculated wheter uhe was going to
scream, and get up a commotion
on the boat; for, like other sup-
porters of our peculiar institu-
tions, be decidedly disliked agita-
tion.
Bui the woman did not scream.
The shot had passed too straight
and direct trough the heart for cry
or tear.
' Dizzily she sat down. Her slack
hands fell lifeless by her side. Her
eyes looked straight forward, but
she saw nothing. All the noise
and ham of the boat, the groaning
of the machinery, mingled drea-
mily to her bewildered ear; and
the poor, dumb-stricken heart had
neither cry nor tear to show for its
utter misery. She was quite calm.
The trader, who, considering his
advantages, was almost as humane
as some of our politicians, seemed
to feel called on to administer such
consolation as the case admitted
of.
«( 1 know this yer comes kinder
hard , at first , Lucy , » said he ,
« but such a smart, sensible gal as
you are, won't give way to it. You
t>ee it's necessary, and c^n't be hel-
ped! »
ft Oh, douH, mas'r, don't! » said
the woman, with a voice like one
that is smothering.
« Yow're a smart wench, Lucy, »
he persisted, u I mean to do well
by ye, and get ye a nice place
down river; and youll soon get
another husbandsuch a likely gal
as you — »
Frappee de vertige, elle demea^*
rait immobile. Ses mains inanimees.
pendaient le long de son corps; ses
yeux etaient fixes, mais elle nft
voyait rien. Les gemissements da
la machine, le mouvement det.
voyageurs, le bruit de leurs con-
versations, arfivaient a ses oreilles
conmie des sons vagues cr^es par
un r^ve. Son emotion etait trop
profonde , trop reelle, pour se tra-^
duire par des signes exterieurs*
Elle etait calme. ^
Lemarchand d'esclaves se crut
oblige de remplir le role de ooiumh
lateur.
— Luoie, dit-il , je sait que oette
perte est cruelle pour vous; mais
vous avez du bon sens, et yous na
vous laisserez pas abattre. C*etait
necessaire, inevitable.
— Oh! monsieur, de gr&ce!...
repondit-elle d'une voix etouffee.
U persista.-— Vous avez des qua]i-<
tes, Lucie; je suis bien dispose en
votre faveur ; je vous placerai bien
en arrivant ; vous trouverez un au-
tre epoux, car une fille oomme
vous...
CHAPrrRE TROISlfeME.
167
« Oh , ma&'r, if you only won*t
talk to me now, » said the woman,
in a voice of such quick and living
anguish that the trader felt that
there was something at present in
the case beyond his style of opera-
tion. He got up, and the woman
turned away, and buried her bead
in her cloak.
The trader walked up and down
for a time, and occasionaly slop-
ped and looked at her.
« Takes it hard , rather, » he so-
liloquised , • but quiet, tho' : ler
her sweat a while; she'll come
right, by and by! »
Tom had watched the whole
transaction from first to last, and
had a perfect understanding of its
results. To him , it looked like so-
mething unutterably horrible and
cruel, because/ poor ignorant.
Mack soul ! he had not learned to
generalize, and to take enlarged
views. If he had only been instruc-
ted by certain ministers of Chris-
tianity, he might have thought
l)etter of it, and seen in il an eve-
ry-day incident of a lawfuld trade ;
a trade which is the vital support
of an institution which an Ameri-
can divine * tells us has « 710 evils
but such as are inseparable from
any other relations in social and
domestic life, » But Tom, as we
8ee , being a poor, ignorant fellow,
whose reading had been conGned
entirely to the New Testament,
could not comfort and solace him-
self with views like these. His very
soul bled within him for what
— Ah! monsieur, si aetilement
vons vouliez ne pas me parler, >» dit
Dela
Dr. Joel Parker, of Philadelphia.
Lucie, n y avait tant de douleur, ♦'•a*'"*^'^"
tant d*energie dans ces accents, que
le marchand d'esclaves comprit
que la maladie resisterait a ses
moyens curatifs. II s*eloigna; Lu-
cie iui tourna le dos et se cacha la
tete dans «oh manteau.
Haley se promena de long eii
large, s'arr^lant par intervalles pom-
la regarder.
— Elle a de la peine, se dit-il;
pourtant elle est tranquille. Quand
elle aura pleure un peu , elle re-
viendra a la raison.
Tom avait tout observi'*; il tron-
vait inf^me la conduite de Haley ;
car c'etait un pauvre noir ignorant
qui n'avait pas appris k generali-
ser, a etendre la sphere des idees, a
sacrifier tout a de grandes vues.
S'il eOt ecoute les instructions de
quelques ministres du culte, il
n'aurait point ^te choque de cet
episode d*un commerce qui, sui-
vant le docteur Joel Parker, de
Philadelphie , n*entraine que des
maux inseparables de toutes rela-
tions sociales. Mais Tom n'avait
point d'instrnction ; il n'avait ja-
mais lu que le Nouveau Testa-
ment, et rimpression qu'il ressen-
tait n'etait point neutral isee par
de hautes considerations. 11 deplo-
rait les tortures de cette pauvre
femme, qui courbait la t^te comme
une plante flclrie. II comprenait la
misere de cette creature humaine,
que les lois confondaicnt froide-
ment avec les paquets, le& caisses el
les ballots sur lesquels elle etail
assise.
168
DEUXIKME PARTIE.
De la
iraduction.
seemed to him the wrotigs of the
poor suffering thing that lay like a
crushed weed on the boxes; the
feeling, living, bleeding, yet im-
mortal thing f which American state
law coolly classes with the bun-
dles, and bales, and boxes , among
which ^e is lying.
Tom drew near, and tried to say
something; but she only groaned.
Honestly, and with tears running
down his own cheeks , he spoke of
a heart of love in the skies, of a
pitying Jesus, and an eternal home;
but the ear was deaf with anguish,
and the palsied heart could not
feel.
Night came on — night , calm ,
unmoved, and glorious, shining
down with her innumerable and
solemn angel eyes, twinkling,
beautifuld , but silent. There was
no speech nor language, no pitying
voice or helping hand , from that
distant sky. One after another, the
voices of business or pleasure died
away; all on the boat were slee-
ping, afid the ripples at the prow
were plainly heard. Tom stretched
himself out on a box, and there,
as he lay, he heard, ever and anon,
a smothered sob or cry from the
prostrate creature. — « Oh, what
shall 1 do? Lord 1 good Lord,
do help me! » and so, ever and
anon, until the murmur died avay
in silence.
At midnight Tom waked with a
sudden start. Something black pas-
sed quickly by him to tlie side of
the boat , and he heard a splash in
the water. No one else saw or beard
anything. He raised his head — the
woman's plac€ was vacant ! lie got
Tom se rapprocha et voulut lui
parler; elle ne repondlt que par
des gemissements. II I'eutretint des
cieux, dun Dieu misericordieux *
d'uu refuge etcrnel ; mais Taffligee
etait sourde; son ccBur paralyse
ballait a peine.
La nuit viot, pure, belle, etince-
lante d'innombrables etoiles qui
ressemblaient a des yeux d^auges
abaisses vers la terre; mais eUe
etait silencieuse, et de ce firma-
ment splendide ne descendait au-
cuue parole de consolation. Les
bruits s^teignirent graduellement
a bord de la BeHe-Rivi^. Tous
les voyageurs s*endormirent. Tom
s*etendit sur un coffre, et avant de
s'abandonner au sommeil il enten-
dit par intervalles les sanglots etouf-
fes de Lucie : « Oh ! que faire? di-
sait-elle; 6 mon Dieu, Seigneur,
assistez-moi ! »
Vers le milieu de la nuit, Tom
fut reveille en sursaut. Quelque
chose de uoir passa rapidement de-
vant lui, et il en tend! t un clapo-
tement dans I'eau. Il leva la t^te :
Lucie avail disparu ; il la chercha
vaiuement aulour de lui. Elle
CHAPITRE TROlSlfeME.
169
up, and sought about him in vain.
The poor bleeding heart was still ,
at last, and the river rippled and
dimpled just as brightly as if it
had not closed above it.
Patience! patience l ye whose
hearts swell indignant at wrongs
like thes^. Not one throb of an-
guish , not one tear of the oppres-
sed, is forgotten by the Man of
sorrows, the Lord of Glory. In his
patient, generous bosom he bears
the anguish of a world. Bear thou,
like him, in patience, and labour
in love; for, sure as he is God,
« the year of his redeemed shall
come. »
The trader waked up bright and
early, and came out to see to his live
stock. It was now his turn to look
about in perplexity.
<( Where alive is that gal P » he
said to Tom.
Tom, wo had learned the wis-
dom of keeping counsel , did not
feel called on to state his obser-
vations and suspicions, but said he
did not know.
« She surely couldn't have got
off in the night at any of the lan-
dings, for I was awake, and on
the look-out, whenever the boat
stopped. J never trust these yer
things to other folks. »
This speech was addressed to
Tom quite confidentially, as if it
was something that would be spe-
cially interesting to him. Tom
made no answer.
The trader searched the boat
from stem to stern, among boxes,
bales, and barrels , around the ma-
avait trouve le terme de ses mauz,
et la riviere qui I'avait engloutie
coulait avec autant de calme et de
limpidite qu'auparavant.
Patience, patience, vous que re-
voltent de pareilles scenes : pas uu
soupir , pas une larme des oppri-
mes ne sont oublies par le divin
Consolateur. II les recueille dans
son sein, et il en tient compte.
Supportez la douleur avec la re-
signation dont il vous a donno
Texemple ; car, aussi oertainement
qu'il est Dieu, Theure de la re-
demption viendra!
Haley se reveilla de bonne heure,
et vint donner le coup d'oeil du
maitre h sa marchandise vivante.
Ce fut a son tour d'avoir Tair in-
quiet et trouble.
— Ou est cette fille? » dil-il a
Tom.
Tom connaissait I'inutilite de la
discussion ; il ne crut pas devoir
faire part au marchand de ses ob-
servations, et repondit simplement :
— Jen'en sais rien.
— II est impossible qu*elle soit
descendue cette nuit a I'une des
escales. J'etais debout et sur le qui-
vive toutes les fois que le bateau
s'arretait. G'est une surveillance
dont je me charge toujours en per-
sonne.
Le ton de ce discours etait fait
pour provoquer la confianc« de
Tom ; mais il n'y repondit pas.
Le marchand d'esclaves fouilla le
bateau de Tavant a I'arriere, au
milieu des ballots, des coffres, des
Deia
traduction.
170
DEUXifeME PARllE.
De la
traduction.
chinery, by the chimneys, in vain.
« Now, 1 say, Tom , be fair about
this yer, » he said , when , after ^
fruitless search, he came where
Tom wasi standing. « You know
something about it, now. DonH
tell me-I know you do. J saw the
gal stretched out here about ten
o'clock, and ag' in at twelve, and
ag* in between one and two : and
then at four she was gone, and
you was a sleeping right there all
the time. Now, you know some-
thing-you can't help it. »
n Well, masY, « said Tom,
« towards morning something bru-
shed by me, and I kinder half
woke; and then I beam a great
splash , and then I ciare woke up,
and the gal was gone. That's all I
know on't. »
The trader was not shocked nor
amazed; because, as we said be-
fore , he was used to a great many
things that you are not used to.
Even the awful presence of Death
struck no solemn chill upon him.
He had seen Death many times-
met him in the way of trade, and
got acquainted with him-and he
only thought of him as a hard
customer, that embarrassed his
property-operations very unfairly ;
and so he only swore that the gal
was a baggage, and that he was
devilish unlucky, and that, if things
went on in this way, he should
not make a cent on the trip. In
short, he seemed to consider him-
self an ill-used man, decidedly;
but there was no help for it, as the
woman had escaped into a state
which never will give up a fugi-
tonneaux, autour de la machine,
pres des cheminees.
Apres une recherche infructueuse,
il vint relronver Tom. * Voyona.
lui dit-il , soyez franc : vous savet
quelque chose. Ne me soutene^ pas
le contraire ; vous pouvez me four-
nir des renseignements. J*ai vii Lu-
cie a dix heures; je Tai revue k
minuit, a une heure. A qoatre
heures ell e n*ctait plus a sa place ;
et, pendant ce temps , vous n'aves
pas quitle la votre. Vous savez
quelque chose, c'est incontestable.
— Eh bien! monsiear, vers le
matin une figure noire a passe prte
de moi; j'ai on vert a moiti^ les
yeux,et j*ai entendu le bruit d*un
corps qui tombait k Teau. Je me
suis reveille, et la fille n*y etait
plus. Voilii tout ce que je sais.
Le marchand d'esclaves ne fut
ni trouble ni etonne ; il etait fami-
liarise avec tant de catastrophes
dont nous avons a peine Tid^ ! La
presence de la mort elle-m^me ne
lui causait aucune Amotion solen-
nelle. Dans le cours de ses peregri-
nations commercialese il avait vu
maintes fois la mort ; il ne la re-
gardait que comme une visiteuse
exigeante, qui le genait sourent
mal a propos dans ses operations.
Ne voyant dans Lucie qu'un colia,
il se disait qu'il avait du guignon ,
et que, si ce train-^la continuait, il
ne tirerait pas un centime de sa
cargaison. C*etait un homme d^id^
ment malheureux, et d*autant plus
a plaindre que Lucie avait passe
dans un pa3r8 qui ne rend jamais
les fngitifSy quelles que soient les
reclamations. Le negociant deses-
CHAPITRE TROISlfeME. 171
Uvo-not 6veik at the demanded of
the whole glorious UoioD. The tra-
der, therefore, sat discontentedly
^own, with his little account-book,
^nd put down the missing body
^nd soul under the head of losses t
pere pritdonc son livro decomptes,
et inscrivit Tame et le c^rps ab- ^ 1?
sents a la colonne des pertes.
tradncftton.-
Tradutori^ traditoril Nous ne connaissons gu^re de
traductions qui justifient aussi largement le dicton
'tetlien que celle dont nous venous de donner un ex-
tf'adt. On dirait que son auteur a pris plaisir a mutiler
^^ texte original, a le maltraiter et deformer de toutes
i^^ manieres imaginables. Omissions, transpositions,
*l*.crations, changements arbitraires dans la coupe de
^ ^^^i^uvre si remarquable de madame Henriette Beecher
^*^Dwe, presque tons les defauts enfin qui caract^risent
*^^ versions defectueuses , se trouvent reunis dans le
^^"'^vail de r6crivain franqais.
« Pour juger si des vers sont mauvais, dit Voltaire^
^"^ :»iettez-les en prose. Si cette prose est incorrecte,
^ Xes vers le sont. » Nous croyons que le moyen ana-
*^^^ue pourrait fournir une juste idee du merite d'une
^^^^iduction, et que celle-la seule pourrait 6tre regardee
^^^^mme exacte et digne d'eloges qui ferait retrouver,
^ 1 aide d'une retro-traduction, le texte original a pen
F^X^fes pur de toute atteinte.
Substituer son travail a celui de Tauteur que Ton a
*^ pretention de faire connaitre par une version, ce n'est
r^Xus traduircj c'est trahir^ comme disent les Italiens.
172 DEUXIKME PARTIE.
~ Le premier devoir d'un traducteiir, c'est le respect
traduction, de 8on texte.
Nous ne donnons done point le fragment de traduc-
tion qui precede comme un modele a imiter, mais
comme un exemple des defauts que Ton doit eviter
dans Timportant exercice dont nous avons essaye de
poser les regies generales, dans la mesure de nos
moyens. En faisant observer a nos eleves les inexacti-
tudes, les licences par trop hardies, les manques de
respect d'un traducteur pour son texte, nous leur ap-
prendrons a mettre dans ce travail les qualites con-
traires, qui sont I'indice le plus siir d'un jugement
sain et d'un gout epure.
Nous sommes loin de vouloir meconnaitre la correc-
tion, Telegante simplicite, voire m^me parfois T^nergie
qui distinguent Toeuvre du traducteur que nous criti-
quonsici a regret; mais nous pensons qu'il eiit fourni
un travail plus remarquable s'il s'etait attache a inter-
preter avec une scrupuleuse fidelite cette Case du pere
Torn^ qui a produit une si vive sensation dans le monde
civilise.
CHAPITUE THOISIEMK.
173
LANGUE ITALIENNE.
Dela
traduction*
LE AflE PRIGIONI ,
Memorie
DI SILVIO PELUCO '.
CAPO LXVI.
Ad un' estremita di qtiel terra-
pieDO , erano le stanze del soprin-
tendente; all' altra estremita allog-
giava un caporale con moglie ed
UD tigliulino. Quand' io vedeva al-
cuno uscire di quelle abitazioni, io
in*a]zavay e m* avvicinava alia per-
sona, alle persone, che ivi com-
parivano, ed era colmato di dimos-
trazioni di cortesia e di pieta.
La moglie del soprintendente era
ammalata da lungo tempo, e de-
periva lentamente. Si facea talvolta
portare sopra un canape air aria
aperta. 1^ indicibile quanto si com-
movesse esprimendomi la compas-
sione che provava per tutti noi. II
suo sguardo era dolcissimo et timi-
do ; e quantunque timido, s' attac-
cava di quando in quando con in-
tensa interrogante fiducia alia
sguardo di chi le parleva.
Io le dissi una volta, ridendo :
— Sapete, signora, che somigliate
alquanto a persona che mi fu cara?
Arrossi , e rispose con seria e
MES PRISONS,
M^moires
DB SILVIO PELUCO *•
CHAPITBE LXVI.
A Tune des extremites de ce ter-
re-plein etait le logement du sur-
intendant ; a Tautre demeurait un
caporal avec sa femme et un petit
enfant. Quand je voyais sortir quel-
qu*un de ces habitations , je me le-
vais, et je m^approchais de la per-
sonne ou des personnes qui sor-
taient, et j'etais comble par elles de
marques de politesse et de compas-
sion.
La femme du surintendant etait
malade depuis longtemps, et de-
perissait lentement. Elle se faisait
quelquefois porter au grand air sur
un canape. Je ne saurais dire a
quel point elle s'attendrissait en
m'exprimant la pitie qu'elle res-
sentait pour nous tous. Son regard
etait tres-doux et timide, et , mal-
gre sa timidite, s'attachait parfois
avec une confiance excessive et cu-
rieuse sur le regard de celui qui lui
pariait.
Je lui dis un jour en souriant :
— Savez-vous, Madame, que vous
ressemblez a une personne qui me
fut chere?
Elle rougit, et repondit avec une
Parigi, Baudry, iibreria Europea, 1833.
Traduction de madame Woillez. Ad. Mame et C'^, Tours, 1851.
174
DEUXifeME PARTIE.
Dela
.traduction.
amabile simplicita : — Non vi di-
menticate danque <)i bm» quando
saro morta ; pregate per la povera
anima mia, e pel figluolini che
lascio sulla terra. —
Da quel gioruo in poi, non pote
piu ascire del letto; non la vidi
pill. Ladgui ancora alcuni mesi,
poi mori.
Ella avea tre figli, belli come
amorini, ed unoancor lattante. La
sventurata abbracciaveli spesso in
mia presenza, e diceva : — Chi sa
qual donna diventera lor madre
dopo di me! Chiunque sia dessa, il
Signore 1e dia viscere di madre ,
anche pe' figli non nati da lei ! —
E piangeva.
Mille Yolte mi son ricordato di
quel 8U0 prego el di quelle lagri-
me.
Quand' ella non era piu, io ab-
l)racciava talvolta que* fanciulli,
e m* Inteneriva, e ripeteva quel
prego materno. E pensava alia ma-
dre mia, ed agli ardenti voii che
11 suo amantissimo cuore alzava
senza dubbio per me, e con sin-
ghiozzi io sclamava : — Oh piu fe-
lice quella madre che, morendo,
abbandona figliuoli iuadulte , di
quella che dopo averli allevati con
inRnite cure, se li vede rapire ! —
Due buone vecchie solevano es-
sere con quel fanciulli : una era la
madre del soprintendente , I'allra
la zia. Vollero sapere tulta la mia
storia, ed io loro la raccontai in
compendio.
— Quanto siamo infelici, diceano
coir espressione del piu vero do-
lore, di non potervi giovare in nul-
simplicite aimable et serieuse : —
Ne m'oubliQl done pas quand je
serai morte ; priez pour ma pauvre
ame, et pour les petits enfants que
je laisserai sur la terre.
Depuis ce joQr» eHe nequilta pas
son lit ; je ne la revis plus. Etie
languit encore quelques mois, et
mourut.
Elle avait trois Ills, beaux com-
n>e des petits Amours, et dont un
etait encore a la mamelle. Souvent
rinfortunee les avait embrasses en
ma presence , en disant : — Qui
sait quelle femme deviendra leur
mere apres moi ! Quelle quelle
soil, que le Seigneur lui donne des
entrailles de mere, meme pour les
eufadts qui ne sont pas nes d*elle !
— Et elle pleurait.
Mille fois je me suis rappele sa
priere et ses larmes.
Quand elle ne fut plus, j*embras>
sais quelquefois ses enfants, et je
m'attendrissais en repclant cette
priere maternelle. Je pensais alors
a ma mere, aux voeux ardents que
son coeur si tend re formait sans
doute pour moi, et je m'ecriais en
sanglolant : « Oh! mille fois plus
heu reuse est encore cette mere qui
laisse en mourant ses enfants en
has age, que celle qui se les voit
ravir apres les avoir eleves ! »
Deux bonnes vieiiles avaient cou-
tume d'etre avec ces enfants : Tune
etait la mere du surintendant, Tau-
tre sa tante. Elles voulurent sa-
voir toute mon histoire, et je la
leur racontai en abrege.
— Que nous sommes malheu-
rcusefi, disaien tulles avec Tcxpres-
sion de la plus* sincere douleor, d«
CHAPITKE TKOLSlfeME.
175
la ! Ma ftiate certo che pregberemo
per Yoi e che ue un giorno viene la
vostra grazia, sara una festa per
tutta la nostra lamiglia.
La prima di esse, ch' era quella
ch* io vedeva piu sovente, posse-
deva una doke, straordinaria elo-
quenza nel dar consolazioni. Io le
ascoltava con filiate gratiludine, e
mi si fermavano nel cuore.
Oieea cose , ch' io sapea gia» e
mi colpivano come cose nuove : —
Che la sventura non degrada Tuo*
mo, ft' 'fit non e dappoco , ma anzi
Io sublima ; — - che, se poteasimo
entrare ne* giudizii di Dio, vedrem*
mo essere, molte volte, piu da
compiangersi i vincitori che i vin-
ti, ^ esultanti che i mesti, i do-
viziosi che gli spogliati di tutto ;
— che Tamicizia particolare mos-
trata dall' Uomo-Dio per gli sven-
tnrati e un gran fatto; che dobbia-
mo gloriarci della croce, dopo che
fu porta ta da omeri divini.
Ebbene, queste due buone vee-
r-hie, ch' io vedea tanto volentieri,
dovettero in breve, per ragioni di
famiglia, partire dailo Spielberg, i
figluoli cessaroQO ancbe di venire
sul terrapieno. Quanto queste per-
dite m'afilissero !
CAPO LXXVI.
Oroboni, dopo aver molto dolo-
rato neir inveroo et nella prima-
Dela
ne pouvoir vous etre utiles en rienS
Mais soyez sur que nous prierons j^^JIJ^^ibn.
pour vous, et que si un jour votre
gr^e arrive, ce sera pour toute no-
tre famille un jour de fete.
La premiere de ces dames, qui
etait celle que je voyais le plus
souvent, avait une douce et mer-*
veilleuse eloquence pour me con-
soler. Je Tecoutais avec une recour
naissance toute filiale, et ses paro-
les se gravaient dans mon coeur.
Elle me disait des choses que je
savais deja, et ces choses me frap*
paient comme si elles eussent ete
nouvelles : « que le malheur ne
degrade point I'homme, s'il n'est
vil, mais Televe ; que, si nous pou-
vions penetrer les vues de Dieu,
nous verrioDS que les vainqueurs
soDt souvent plus a plaindre que
les vaincus, les heureux que les af-
fliges, les riches que les pauvres
depouilles de tout; que Tamour
particulier lemoigne par rHomipe-
Dieu aux malheureux est un grand
enseignement ; que nous devons
nous glorifier de la croix, depuis
qu elle a ete portee par des epaules
divines. »
Eh bien ! ces deux vieilles, que
je voyais avec tant de plaisir, du-
rent bientot quitter le Spielberg,
pour raisons de famille ; les petits
enfants aussi cesserent de venir sur
le terre-plein. Combien ces pertes
m'affligerent l
CHAPITRS LXXVI.
Ofoboni, apres avoir beaucoup
souiSert pendant I'hiver ei le priaf
17(i
DKUXlftME PARTfE.
De la
tfadiictioii.
vera, si trovo assai peggio la state.
Sputo sangue, e ando in idropisia.
Lascio pensare qual fosse la nos-
tra afflizione, quaud' ei si stava es-
tinguendo si presso di noi, senza
cbe potessimo rompers quella cru-
dele parete che c* impediva di ve-
derlo e di prestargli i nostri ami-
chevoli senigi !
Schiller ci portava le sue nuove.
L'infelice giovane pati atrocemen-
te, ma Tanimo suo non si avvili
mai. Ebbe i soccorsi spirituali .dal
cappellano (il quale, per buona
sorle, sapeva il francese).
Mori nel suo di onomastico, il
13 giugno 1823. Qualche ora prima
di spirare, parlo delF ottogenario
suo padre, s*inteneri e pianse. Poi
si riprese , dicendo : — Ma perche
piango il piu fortunato de' miei ca-
ri, poich' egli e alia vigilia di rag-
giungermi air eterna pace?
Le sue ulttme parole furono : —
lo perdono di cuore a' miei nemici.
Gli cbiuse gli occhi D. Fortini,
suo amico dair infanzia, uomo tut-
to religione e carita.
Povero Oroboni ! qual gelo ci
corse per le vene, quando ci fu det-
to ch' ei non era piu I — Ed udim-
mo le voci ed i passi di chi venne
a prendere il cadavere ! — E ve-
demmo dalla finestra il carro in
cui veniva portato al cimitero ! Tra-
evano quel carro due condannati
comuni ; lo seguivano quattro guar-
die. Accompagnammo cogli occhi
il trifito convoglio Kno al cimitero.
temps, se trouva encore plus mal
Pete. II crachait le sang, et deye-
nait hydropique.
Je laisse a penser quelle fut no*
tre affliction quaud il s'eteignit si
pres de nous, sans que nous pus-
sions percer ce mur cruel qui nous
empechait de le voir et de lui don-
ner nos soins affectueux.
Schiller nous apportait de ses
nouvelles. Le malheureux jeune
homme souffrit d*une maniere a-
troce, mais son courage ne s*abat-
tit pas. n re^ut les secours spiri-
tuels du chapelain, qui heureuse-
ment savait le francais.
11 mourut le jour de sa f^te, le
13 juin 1823. Quelques heures a-
vant de mourir, il parla de son
pere octogenaire, s*attendrit et
pleura. Puis il se reprit, en disant :
— Mais pourquoi pleurer le plus
heureux de tons ceux qui me sont
chers, puisqu'il est a la veille de
me rejoindre dans la paix eter-
nelle?
Ses dernieres paroles furent eel-
les-ci : — Je pardonne de bon cceur
a mes ennemis.
D. Fortini lui ferma les yeux :
c'etait son ami d'enfance, un hom-
me tout religion et tout charity.
Pauvre Oroboni ! quel froid mor-
tel parcourut nos veines lorsqa*oa
nous dit qu'il n'etait plus,... et que
nous entendimes les voix et les pas
de ceux qui venaient prendre son
cadavrev et que nous vimes de la
fenetre le char qui le portait au
cimetiere ! Deux oondamnes ordi-
naires trainaient ce char; quatre
gardes le suivaient. Nons acoo|n-
pagnAroes des yeux le triste oonvoi
CHAPITRE TROISIKME.
in
Enl^o nella cinta. Si fermo in un
>|igoljCX.:.]a era la fossa.
Pochi islaati dopo, il carro, i
condaonati e le guardie toraarono
indietro. Uua di queste era Ku-
biizby. Mi disse (gentile peusiero,
sorp^^te in uomo rozzo) : — Ho
segnato con prebisione il luogo del-
la. sepolt^rtt, affinche, se qualcbe
parente od .amico potesse uq giorno
ottenerie ili prendere quelle 6ssa e
pqr^rle al suo paese, si sappia do*
ve giacciono.
tjuante volte Orobbni m'aVea
d^jto, guardando dalla tinestra il
pimitero : — Bisogna oh' io m' av-
vc^zi all' idea d* andare a marcire
la enjtro : oppur oonfesso che quest'
idea mi fa ribrezzo. Mi pare che
non si debba star cosi bene, sepolto
in questi paesi, come nella nostra
cara penisola.
Poi ridea e sciamava : — Fan-
ciuUagini! Quaudo un veslito c lo-
goro e bisogna deporlo,che importa
dovunque sia gettato?
Altre volte diceva : — Mi vado
preparando alia morte, ma mi sa-
rei rassegnato piu volentieri ad
Una condizione : rientrare appena
iciel tetto paterno, ubbriaccare le
^inocchia di mio padre, intendere
^na parola di benedizione, e mo-
••ire!
Sospirava e soggiungeva : — Se
^uesto calice non puo allontauai-si,
^^ mio Dio, sia fatta la tua volunta !
E r ultima mattina della sua
V-ita, disse ancora, baciando un
cirocefisso che Krai gli porgea :
— Tu ch' eri Divino, avevi pure
^:irrore della morte, e dicevi : Si
^ossibile est, (ranseat a me calix
jusqu'au cimetiere. 11 entra dans
i'enoeinte. II s*arreta dans un coin :
la etait la fosse.
Peu d'instants apres, le char, les
condamnes el les gardes revinrent
sur leurs pas. L'un de ces derniers
etait Kubitzky. II me dit (belle et
etonnante pensee chez un bomme
si commun) : — J-ai marque exac-
tement le lieu de la fiepttHufe, afin
que si quelque parent ou quelque
ami obtenait un jour de recueillir
ses 08 et de les porter dans son
pays, on put savoir ou ils reposent.
Combien de fois Oroboni m'avait
dit, en regardant le cimetiere de
sa fenetre : — 11 faul que je m'ha-
bitue a I'idee d'allor pourrir la-bas;
et cependant j'avoue que cette idee
me fait frissonner. 11 me' semble
qu'enterre dans ce pays, on ne doit
pas etre aussi bien que dans notre
chere peninsule.
Puis il riail et s'ecriait : — En-
fan tillage ! Quand un vetemcnt est
use et qu'il faut le quitter, qu'im-
porte ou il est jete P
D'autres fois il disait : — Je me
prepare a la mort, mais je m'y se-
rais resigne plus volontiers a une
condition : rentrer un instant sous
le toil paternel, embrnsser les ge-
noux de mon pere, entendre une
parole de benediction, et mourir!
II soupirait, et ajoutait : — Si ce
calice ne pent s'eloigner de moi, 6
mon Dieu, que ta volonte soit faite!
Et, la derniere matinee de sa vie,
il disait encore, en baisant un cxu-
cifix que Krai lui presentait :
— Toi qui etais Dieu , tu eus ce-
pendant horreur de la mort, ct tu
dis : Si possibile est, transeat a me
DeU
tradiit?iioh.
178 DEUXIKIIK PARTIR.
• iiiel Perdona, lo lo dieo anoh' io.
I>« If Ma ripetD ancfae la altre tue parole :
traductiou- verumtamen non sicut ego voio, ted
skm tul
ealisf- UM! PardoBne-moi si j^ la
dig auflsi. Blais je repeia ausri tes
autres paroles : Verumtamen non
sicut ego tolo, sed sieut tu f
La traduction des deux chapitres de Silvio iPellico
qui precedent ^ est Toeuvre d'une femme. Bien des
hommes qui se m^lent du metier de traducteurs,
pourraient aller a Tecole chez elle^ pour apprendre
Tart de respecter son texte sans tomber dans la ser-
vilite, d'etre exact sans roideur, et de ne faire diK
dans notre langue, a un auteur Stranger, que ce qu*il
a bien voulu dire dans la sienne, sans circonlocuttons
oiseustes ni outrecuidantes suppressions.
CHAPITKK TROfSlfiME.
179
LANftUE RUSSE.
De I«
traduction.
LA PESTE DE MOSCOU,
PAR ZAG08KINK.
Traduit en fran^ par les eleves de la pension de demoiselles nobles,
dirig^ par /nadame Louise Bigot, k laroslaw *.
L'aonee 1771 eif»t memorable pour
^^8 habitants de Moacou : elle fut
^^«ie des plus peaiUes pour notre
*^ ^nicieone capitale, et a present les
'^^ -K.eillards,enparlantdu passe, disent
^^ K30ore : « Gela est arrive deux ans
'*«' avant la peste de Moscou ; c'etait
«" I'annee meme de la peste. »En s'ez-
^^ vimant ainai, ils sont si]ir8 qu'ils
^9.^terminent avec une grande ezac-
'^i tude Tepoque de Tevenement. De
a:a OS jours encore les andens Mos-
<2ovite8 se rappelleut avec effroi cette
€S9in^e ealamiteuse, a laquelle, selon
^uXt on ne pent guere comparer que
Aa devastation exerc^e par les Fran-
cois en 1812.
Je suis presque de cet avis : en
iai2, en contemplant Timmense
place de cendres qui fut Moscou,
ces milliers de maisons detruites et
brulees, vous piltes sans peine croire
que, si leurs habitants les brulerent
de leurs propres mains et aneanti
rent ainsi une partiede leurs hiens,
ce sacrifice les sauva eux memes et
sauva peut-etre aussi la gloire, la
puissance et Pind^pendance de leur
patrie. Cette pensee coosolante,
cette pensee qui eleve Vkme, jette
un voile enchanteur sur les ruines
de Moscou, et fait contempler, non
avec trislesse, mais avec orgueil et
piete, ces saints amas de pierres,
ce vaste tombeaa des ennemis de la
Russie.
Demandez a celui qui a vu Moscou
apres la retraite des Frangais, si
cette pensee n'a pas ele pour lui un
ange consolateur, meme sur les
ruines de sa propre maison.
En 1771, Moscou ne fut pas in-
cendie, les debris des maisons ne fu-
merentpasdans les rues, les maisons
resterent sur leur ancien emplace-
ment ; mais ces portes donees, ces
fenetres fermees de planches, cette
enseigne demort, une croix rouge
sur la porte cochere des maisons in-
fectees, qui, comme deux rangees
d!immenses cercueils, s*etendaient
de chaque c^te des rues; n*etait-ce
' Des circoirttaiiccs imprerups nbligpfrt I'auteur Hp re Hrre a up dornier tjii^
la traduction de ce morreau.
180
DKUXIKME PARTIE.
tradiirtion.
pas cent fois plus effrayaDt qo*un
incPDdie?
Ajoutez a cela un desordre pres-
que complet, an silence de tom-
beaa dans les fanboargs, les cris
fdrienx du people revolte dans Tin-
terieur de la ville, cette foule in-
sensce qui, s*enivrant du sang de
ceox qui ue songeaieot qu'a la
sauTer, volait, detruisait les calta-
rets, et oouvrait de cadavres ein-
pestes les rues desertes de filoscou.
Representez-vous tout cela, et vous
conviendrez que la calamite de 177 1
fut plus affneuse pour les Moscovites
que le desastre de 1812, qui fut le
commenceinentet peut-etre la prin-
cipale cause de la delivrance de
toute TEurope.
La peste orientale, que le lias
peuple nomine si expressivement
la anUagion^ parut a Mosoou dcs
1770; elle regnait en Moldavie et
en Valachie, que nos troupes occu-
paient dans ce temps. Les commu-
nications frequentes des habitants
de Moscou avec I'armee d*operation
furent sans doute la cause de Tap-
parition de la peste, d'abord dans
la Petite-Russie, puis a Moscou. Les
mesures prises par Tautorite sem-
blerent I'avoir arrelee complete-
ment; mais, Tannee suiTante, c'est-
a-dire en 177 i, au mois de mars,
elle reparut avec une telle intensite,
qu^en septembre le nombre jour-
nalier des morts allait jusqu*a mille
personnes. Tons lej efforts tentes
pour arr^ter le mal furent sans
succes.
Le peuple slrritait contre Teta-
blissement des quarantaines , la
fermeture des bains, et surtout
contre la defense; d'enterrer les
morts aapres des egliseB de la ville.
Dans les temps de troubles, les
Irom pears et les fripons profitent
de la credulite des hommes. Un
ouTrier drapier se mit a raoonter
que le mal venait de oe que per-
Sonne, non- seolement n*avait pas
chante de Te Deum ', mais n^ayait
pas meme allume un cierge devant
rimage de la Mere de Dieu, a la
porte Sainte-Barbe.
Malgre Tabsuidite de ce oonte,
ou, pour mieux dire, paroe que
tout y contredisait la foi veritaUe
et le sens commiTn, le peuple in-
sense se predpita en foule sor la
porte Sainte-Barbe, se mit a y
chanter des Te Deum continads;
sains et malades, fous y acooaraient
de tons les bouts de Mosoou, s'in-
fectant les nns les autres, et, rap-
portant la mort dans leuis maisoDs,
faisaient perir des families entieres.
Dans ces temps malheurenx , le
15 septembre, de grand matin, un
char attele de trois chevaux snivait
au pas le grand chemin dlaroslaw;
il portait un marcband au cafetan
de Un drap bleu, sur leiiuel etait
jetee une pelisse en renard de hunt
prix.
Au premier regard jete sur sa
barbe blanche comme neige, et sur
son front eleire, convert de rides, ^
on Tent pris pour un vieillard pres-
que nonagenaire; mais^^la Vie qui
* Le mot Te Deum, bien que g^-
neralement nsite en Russie pour ren-
dre le mot Molebeme, nous aemble
rendre tout autre chose que le mot
russe; mais nous remplqyons, faute
d*aiitre.
CHAPITRK TROISIEME.
181
brillait dais ses yeux, de temps en
teinpB tristes et penaifs, sa taille
droite^ elanode, ses joues non encore
fletries, tout montrait que cc n'e
taient point les annees. mais les
chagrins, qui avaient creuse ces
profondes rides sur son visage et
couvert, avant I'heure, sa tSte de
cheveux blancs.
— Le soleil commence a darder,
dit le voyageur en laissant tomber
&a pelisse. Eh ! Tami, reprit-il en
B'adressant au cocher, voila dej^
cf uatre verstes que tu fais au pas.
^T'est-il pas temps d'aller plus
— Un instant, maitre, repondit
1« postilion : en montant la cdte
Kftous prendrons le trot. Mais pour-
c:iuoi etre si press6 ? Maintenant tout
Xe monde quitte Mosgou, et peu de
^i^ens s'y rendent.
— Y a-t-il longtemps que tu as
^te a Moscou? demanda le mar-
^^hand.
— II y a cinq jours, j'y ai conduit
^JD marchand de Rostoff.
— T Eh bien , eel a va-t-il mieux?
-^Comment mieux? La peste y
^3st plus forte que jamais. On y
:mieurt comme des mouches. On n*a
^•8 le temps de faire les cer-
«^.fieil8.
— Mon Dieu, mon Dieu, mur-
iftnura le marchand, ne me punis
pas de mes pech^!
— Nous avons irrite le Seigneur,
^M>ntinua le postilion. Mais as-tu
intend u dire, maitre, qu'une image
e la sainte Vierge est apparue sur
la porte Sainte BarheP
— Non, je ne Tai pas entendu
<lire.
— k mon dernier voyage, j'ai pte
moi-meme y allumer un cierge*
Dieu du ciel ! que de monde, que de ^^ ^^
monde! On s'ecrasait les uns les ^^''"^'ion.
autres. On dit que maintenant
il meurt plus de monde qu'aupara-
vant.
— Et ce n^est pas etonnant^ Tami !
Gettemaladie est oontagieuse. Maiii-
tenant la route descend, poorsiiivit
le marchand; va plus vite, mon
cher.
~ Attends, maitre. Quand nou^
aurons traverse ce village, nous
marcherons ; vois quelle boue sur le
chemin : c*est a ne pas le voir.
Les voyageurs arriverent au vil-
lage de I\)uchekine. Qa et l.i deb
cbiens maigres aboyaient, et des
veaux affaiblis par la faim se trai-
naient dans les rues. Mais nulle
part on n'entendait voix humaine,
pas une eheminee ne fumait : tout
etait tranquille, mort comme a
minuit.
— Qu'est-ce que cela, Tami ? de-
manda le marchand. Donnirait^n
encore dans les maisons? Le soleil
me parait Mre haut.
— Dormir ! repliqua le postilion
en branlant la tete. Tons les habi-
tants de Pouchekine sont morts.
— Serait-ce possible ! Tons, sans
exception ?
— Tons, p tits el grands; il n'est
pas reste Ame vivante dans tout le
village.
— Tons sans exception; repeta le
marchand a voix basse. Peut-dtre
qu'il y a trois jours, dans cettechau-
miere, un pere admirait encore sa
famille une mere soignait ses en-
fants....
. . . . Et a present, poursuivit le
postilion, il n*y a personne pour
tB2
D£UX1£:MR PAHTIE.
fermer la porte-oochere ; la demeu*
De la f^i jno„ compere Thadea, ricbc
traductiou.
paysau . . • et quelle famille il avail !
Six tils, Tun plus beau que Tautre.
n y a quinze jours que tous se por-
taient bien ; et la derniere fois que
je suis passe, j'ai vu le malheureux
vieillard aasis tout seul sur legaioo
qui borde sa cabane.
n voulut me dire quelque obose
eu me suivant ; mais tout a coup il
tomba, gemit et, devant moi, rendit
sou 4meaDieu.
En longeaut la iongue ligne des
maisons des paysans, les voyageurs
arriverent a la barriere du village.
A la fenfire de la derniere chaamiere
se pencbait une paysanne, coiffee
d!un mouchoir blanc.
— Grftoe a Dieu ! dit le voyageur;
enOnvoila un etre vivant.
Le postilion branla la tete.
— Est-ce quetu es aveugle? con-
tinua le marchand. Regarde a la
derniere chaumiere.
— Je vois, maitre, mais c'est deja
le cinquieme jour qu'elle est a sa
fenetre ; sans douteque la pauvrette,
avant de mourir, a voulu voir en-
core une fois le monde du bon Dieu.
Et dire qu'il n'y a personne pour
Tenlever de la I
Le marchand frissonna malgre
lui en approchant de la chaumiere,
a la fenetre de laquelle se tenait
cette affreuse hotesse. II mit les
mains sur ses yeux, pour ne pas
^voir ce visage detigure et couvert
de taches uoires, qui gardait Tex-
presfiion de douleurs insupporta-
hies, de souffrances infernales.
Lorsqu'ils furent sortis du village,
le postilion fouetta ses chevaux, el
marcha un peu plus vite.
— Mais avance douo I dit le nuur-
chand; en iiUant ainsi, nous reate-
rons toule la journee en route.
— Comment me faut-i I done aller P
murmura le postilion en agitant les
renes. A quoi bon se hlter« maitre ?
Ce n'est pas pour, ton plaiair que tu
voyages. . .
— Comment le sais-tn? demanda
vivement le marchand. Qu'y a-t-il
maintenant de si gai a Mesoou?
— J*y ai ma femme et meeoD-
fants.
— Ah ! ah ! attends^ un peu, poor-
suivit le postilion en se retoniteant
vers le voyageur; serais-tu peut-
etre Thadee Abramovitche^biria-
koff, marchand de Moscoa?
— C'est bien moi. •
— - Justement, il me semblait eon-
naitre ta voix. Ah ! Seigneur, men
Dieu , c'est a peine si je t*ai re-
connu.
— Mais comment me oonnais>tu ?
— Comment ne pas te connaitrel
L'automne passe, je t'ai conduit
avec toute ta famille a Rostoff. Ifais
tu as ta maison a toi rue Sainte-
Rarbe, dans la paroisse de Maximi-
lien-le-Penitent ! une belle maison
de pierre.
— Attends, attends! dit le umt-
chand : ne t'appelles-tu pas Andve?
— Andr^, mon pere. ' Je coneais
ta femme et tes enfants. Quelle
bonne dame tu as la ! IMeu veuille
qu'elle vive longtemps! Et les deux
filles, il n'y a rien a dire, eont
caressantes et jolies. . . Maia ton
fils...
— Je n'ai pas de fils.
— Et qui etait done aveo vous?
Un garcon roux et passablement
laid. On le nommait Terence.
Chapitre troisieme.
18S
— Q'est uum ftU adoptif.
— Pourquol ap-tu adopts ub flte,
puiaque t« «sde» fillag a toi?
— Je r,^i iidoptd quaad je n'avais
paf ^Boore de familie.
•r^Ahlah}...EIibien,nete ficbe
paa, ma|tre( |u m aMume une
gn^ad« rasponsabilite ! Ga mauvais
cujet de Tdrenee eat d'una ioaolence
et d'une mechancete sans pareilles.
Te rappellefr'tu qqe U9U8 nous som-
mes arretea a Grand-Mitiohakb , pour
Caire repoaer lea chevaux?
Vous etes allea prendre le the,
^l moi, je suis entre boire une
Soutte au cabaret.
Saia-ta ce que ce rouaaaud a (ait
^n moo absence ? li a debrid^ lea
^hevaux. Heureusement que je me
^liis dep^cbe, car il serait arrive un
^^Tnalheur. J*avais d'exoellents che*
^^i^aux, et ils auraient tout brise ! Je
Kque auis mis k le gronder ; alors le
^:^r61e m'a jet^ une pierre a ia fi-
^g^ung. et jn'a piesque creve un ceil.
— Qui, dit le marchand avec un
oupir; Dieu m'a puni de mes
— fib! maitre! Est-ce qu'il eat
^9on parent? Chasse-le.
— Non, man ami; si le bon Dieu
mke m'a pas encore abandonne, moi,
p^beur maudit, je ne puis pas
Jaisaer aans soins cet orphelin. Je
^kua supporter les cbagrins qu*il
me cause : que faire, mon cher !
que U voloDte de Dieu s'accom-
plisse; si seulement le Seigneur
avait piti6 de ma femme et de mes
enianta!
— Ne crains rien, maitre, inter-
rompit le postilion, peut-etre que
tout ira bien. Le Seigneur eat mise-
ricordieux. Maintenant le chimin
est comme un miroir ; fatut-il te (aire '
le plaisir dialler plus vite?
— Voyous, mon cher ! Si tu arrives
a Moscou pour la messe, je te don-
nerai un rouble de pourboire.
— lierci, maitre ! Ton equipage
esMl solidePreprit le postilion. Obe !
lea amia ! . . . . Tieaa-toi bien, Thad^
Abramovitcbe, poursutvit le postil-
ion eu tirant son fouet de sa oein-
ture. A lions, pareaseux, gare les
coups!
« He ! Serko, tu n'avances pas ! . . .
As-tu mal aux pieds? » Notre vif
postilion siffla, cria, et I'equipage
roula rnpidement sur le large cbe-
min. Plusieurs villages, entre au-
trea Alexievsky, avec sa maison im-
periale et ses etangs unis comme
glace, pasaerent rapidement devant
les voyageurs, et les cloches des
matines ne s'etaient pas encore fait
entendre, lorsque le postilion, rete-
nant avec peine son attelage, s'ar-
reta a la barriere de Troitsky. Un
vieil invalide s'approoha d'eux avec
indifference, et, apprenant que le
marchand arrival t de Theu reuse
ville d'laroslaw, ouvrit la barriere
sans autres questions. « Tu ea bien
heureux, maitre! » dit le cocher,
en fouettant ses chevaux. « A mon
dernier voyage, on m'a retenu ici
presque depuis midi jusqu'aux v^
pres, et que de questions ne m'a-
t-on pas fiiites! »
~ Voilaun transport qui vient
a nous, dit le marchand ; on ne Ta
pas du tout arr^te.
— Qui, oui, poursuivit le cocher,
quelle en est done la cause?
— II me semble, mon cher^ qu'il
n*y a personne pour garder noire
bon Moscou.
Dela
traduction.
1^
DKUXIKME PARTIE.
DeU
traductioa.
— Quedis-tu , maitre ! crois-ta
qu*il y ait peu de soldats ici ? II y a
une quantite prodigiease de gardes
de ville. Mais, vois^tu^c'est qaecela
va mieux a Moscoo.
— Dieu le veuille ! » fit Je mar-
chand avec un profond soupir.
Le transport qui se dirigeait vers
les voyageurs prit tout a coup et
Tivement sur le c6te,et on entendit
crier d'une voix rauqae : « Gare-
toi , voici un equipage ! » Une mi-
nute apres, tout le milieu de la
route etait vide, et le marchand
aper^ut devant soi un convoi si af-
freux, que son coeor se glaqa d'ef-
froi. Une longue file de chariots s'a-
vancaient vers la barriere, charge
de cercueils; qoelques-uns etaient
si mal clones, qu'ilssemblaient, a
chaque seoousse , prets a se dislo-
quer ; d'autres etaient sans aucune
espece de coovercle, et les cadavres
deiigures, k peine couverts de nat-
tes , regardaient les passants. Les
vivants qui entouraient ce cortege
funebre^ parurent au voyageur plus
affreux que les morts eux-memes ,
non parce qu'ils etaient vetus com-
me des epouvautails, en blouses et
en bonnets de coton, mais a cause
de lenrs visages ivres et defaits , de
leur air feroce, de leurs rires sans
raison a la vue des passants, qui se
depecbaient de se detourner; tout
cela leur donnait I'aspect de veri-
tables demons. Un peu plus loin,
des soldats de la garnison mar-
chaient le fusil au bras, aveo un
employe de police a cheval.
—0 mon Dieu ! dit le marchand;
quelles gens est-ce la! . .. lis n'ont
pas une figure bnmaine.
— Ne vois-tu pas, maitre, qu'ils
sont aux Un? interrompit le pos-
tilion. Ge sont deft brigaMs.
— Des brigands? r^peta le mar-
chand d'uoe voix enantive.
— Eh ! oui. D'abord des employ^
de police conduisaient les morts
hors de la ville; mais , oomme il
en mourait trop, ee sont mainte-
nant des detenus qui font ee ser-
vice.
— He ! maitre ! s'ecria un des bri-
gands; donne-nous quelqne chose!
Nous n'avons pas de quo! edlebrer
la memoire des morts.
— Ne fais pas Tavare! reprit un
autre , peut-etre que demain nous
Vemmenerons aussi. »
Le marchand leur jeta une poi-
gnee de petite monnaie; tons les
brigands, tels que des chiens affia-
mes, se precit>iterent pour ramasser
ce cuivre; un seul d'entre etix; qui
mesurait trois archines*,ne sui-
vit pas leur exemple. 11 resta im-
mobile a sa place, et regarda atten*-
tivement le marchand.
— Eh! flandrin! qu*as-tu a re-
garder ainsi? s*ecria un de ees ca-
marades. Veux^tu goiiter du fooet?
Marche !
— Passons plus vite, mofl cher,
murmura le marchand : on ne pent
regarder ces gens sans elfroi.
— Si tu passes deux jours ici, in
t'y habitneras, » murmura le postil-
ion en fouettant ses chevaux.
lis firent le chemin de la f]«ir-
riere a la tour dc Soukhareff, sans
rencontrer un passant. Un silence
de mort , interrompu de tempe en
' L*archine nisse eqiuvaiit a eavi-
vinm 7 1 rentimetrf s.
/
CHAPiniE TROlSlfeME.
186
I par des cris ^t<Ai(CB8't|tti kfr-
taient des maisoos; iiair' Id fmrvi^
desfg^ifl^des troupes demeodkints
geles, d^s poftes cloiMei; ides feo^
tres satis vittes^'et presqne hchaque
pas des eroix rouges sur les portes
coeheres. Au dela de la' tour de
Soakhareff, les voyageurs depass^
rent deS passants isol^ment, puis
des troofie^ d'hommes et de fern-
ixiesy et Idr^e prc^ de la porte
S^int-NicolasJls prirent a gauche,
1 13 long du mur de la ville, il lenr
Tollut s'arreter a chaque instant
¥>oar ne pas ecraser le monde.
— Regarde done, maitre, oomme
%^ouslies ortbodoxes courent prior la
^^^ute Mere de Dteu ! Regarde , re-
^larde! La-bas, pres de la porte de
:Sainte-Baii)e! ... Ah! mon Dieu!
«:][ue de moiide, comme cela four-
:Brnille!
— Qu'est-ce que e'est que cela?
«5Lit le marchand, entendant des sons
^BAoufiGre qui , semblables au roule-
:Kn6iit^bigne du tonnerre, sortaient
^^ ia foule innombrable du peu-
1>le; bela ne ressemble pas au bruit
^ue font d 'ordinaire les gens en
-parlaDt... Entends-tu comme on
€rie?
— J'entends, Thadee Abramovi-
tche. La derniere fois il n'y avait
pas morns de monde, et Ton ne fai-
sait pas tant debriiit. . . Ne sont-ce
pas des ouvtiersde fabrique?
-~Que Dieu nous en preserve!
— Mais attends , maitre , nous
verrohs mieux quand nous serous
plus pres.
Environ trois cents pas avant d*ar-
river a la porte Sainte-Barbe, les
voyageurs furent obliges de s'arre-
ter. ■ Tout Fpspaw compris entre le
mur de 4a villis * ei Teglise^ de la
Toussaint ^iait couverl de moMle.
•^Eh bieft^ il n'y af rien a faiw,
dit le murehpnd en deaoeodaot d«
chariot. Rebrousse ehemin, peuk
etre pourras*tu arrivtr a la pmie
SaintCTBarbe par eelle dr Saialt
fitie, et mot j'irai tant bien «(■€
mal a pied cbex moi. » i>
Le posUUon touma aea ebevajaai
et le marohand se mMa ku pe«|ile^
taHtdts'ayan^nt lentement, tantot
entrain^ par la foule rapide, il w
trouvaen quelques minutes pres de
la porte Sainte-Barbe.
Le premier objet quiifrappa ses
yeux fut un homme de moyenoe
taille, debout sur un baneeievi*
les cheveux en desordre , sale , . de-
chire; on eiit dit un prisonoifir
^happe de son cachet; il criait de
temps en temps d'une voix enrouee
et en trainant see paroles : « Don-
nez , ortbodoxes^ domez pour- mi
cierge alasainte.Vierge ! » Oa avait
place une echelle isous Timage^ de
la Mere de Dieu,tnerustee dans le
mur de la tour, k deux sagenes ^
du sol; le peuple y montait sans
cesse; les uns baisaient limage, les
au tres lui offraientdes bougies; oeux
qui etaient en bas s'aocrochaient a
ceux qui etaient en haut, lestiraient
a eux , et tons tcmibaien^ ; on les
foulait aux pieds, on les ecrasait;
les jurements, les cris, les plaintes
des femmes, les gemissements des
* La partie de Moseoi^ qui coasti-
tuait autrefois toute la vill«, la CiiS,
est encore de nos jours entour^ d*an
mur.
' Une sagkne mesure trois archines.
Dela
tradiiefioB*
186
DEUXIbME PAATUi.
Dela
tradocfiou.
moribofidsy faisaieut un bruit sein-
blable a oelni d'une mer eft oour*
roux. Le marchand preta Toreille
aux coaTeraationsde quelqiies per*
sonnes, eH entendit le nom de I'ar-
cheveqae Ambroise, et dea allusions
a tM danger qui mena^it ie yelie*
rable paateur. H Toulut savoir au
juste de quoi il etait question; il
interrogea pluaeurs pertoaaes; ies
reponaes etant obscures on na con-
tenant que des menaces generalesi
il cessa d'y faire attention. Lorsque
la foule comment a s'ecJaircir, le
marchand avan^a de nouveau. Ayaut
d^passe I'eglise deSaint-Georges4e-
Victorieux, il se trou^a sur une
place vide: derriere Ini bouillon-
nait la foule, devant lui la rue
6tait deserte ; seulement, de distance
en distance, des fern met de riches
mardiands, qui vivaient enfermees
sans oser sortir, regardaient en ca-
chette aux fenetres. Tout a coup le
marchand, qui allait a grands pas ,
B*arrAta; 11 avait vn de loin le toit
de sa maison; son oBur se serra,
une sueur froidc couvrit son p&le
visage. Jusqu'a ce moment il n'<^-
tait pas encore malheureux, il pou*
vait esperer, il pouvait se dire :
« J*ai une femme, j'ai des enfants. »
Mais maiatenant... encore quelques
pas, encore quelques secondes... et
peut-etre y a-t il longtempe qu'il
est seul au monde ; miserable or-
phelin aux cbeveux gris, peut-etre
cherchera t-il en vain une tombe
sur laquelle il pourrait pleurer.
Dieu de bonte, » murmura le pau-
vre vieillard, « je ne t'implore point
pour moi ; mais, pour racheter leur
vie, envoie-moi des maladies, des
souffrances, fais-moi descendre vi-
vant dans la tombe, et je ce)ebrerai
ta miscrkorde ! » .
An meme instant, un jeuna gar-
gon, Ies halnts dechiree ^t la figure
bouleversee, vint, %i oourant et en
regardant continuellement en ar-
rier^, se heurter contre le mar-
chand.
^ Terence ! lui eria celui^, en le
prenaat par la main, eat-ee U)i?
•*-Sans doute, c^eat moi) mur-
mura le garQon, essayaat de se de-
gager.
— Mais, attends ! Ou ooura-lu ?. .
Eh bien I parle ! tout le monde ae
porte-t'il bien ches nous? Q|k fait
ma femme P.. . Que font mea fiUes ?
— Qu*est-ce qui poarrait leur ar-
river? dit le gar^n en regardant
avec impatience devant Igi.
— Elles sont done cm vie?
— Et qui le saiA?
— Ne demeure&-tu done pas avec
elles?
— Pas du tout! Je auis fatigue
d'etre battu .... Laisse - moi done !
*- Est-ce possible I s*ecria le mar-
chand ; tu as quitte ma maiaon ?
Comment as-tu os^?
— Conmie cela! dit le gar^a en
degageant sa main, et en courant a
toutes jambes vers la porte Sainte-
Barbe.
— II vit ! murmura le marohaad,
en suivant des' yeux son- enfant
adoptif. Peut^tre est-ce un ange
qui a pris sa iigure; ma femme,
mes enfants...
Oh! marchons, marobons! con-
tinua-t-il en pressant le pas; ce
qui doit arriver, arrivera;jl Caut
en tinir.
11 arrive devant sa niaiaoo ; il
rogarde : Ies volets sont fernu^, Ies
CUAPITRE TR0IS1£M£.
1«7
pories qui doDoent sur U rue soat
condMQBieeH^ U >8«din|o& vera la
g«>irita.0QiA«r6.< Juite Diettl elleest
lli«ri4M^ d'unel «pQiix rouge U'..i
lifaifr qtt*«nUpdriL«. an chien ' a
aU>ye dans keout .•Donela maieoo
p*e»t point eutiereitteot ahasdoiv-
Ace. Lemarcband fftppe^ la petite
|iorte*«. pasde r^pOBse; seulement
le chieiiy eentaot aen maltre, abeie
«DCQre plus fort qu'eupafaraiil.
Qqekiues minutes se passent....
Meme silenoe de mort. Maid une
fenetrede la maison voisioe s'ov*
yr/B dooeementv et un homme a la
figure pile ei maUdive dit au marr
cb^nd:
. — ^^Ne frappe pas, mon cher; il
n*y a peiB^nae dans cette Buiisoa.
— PerfKMuie? repeta le pauvre
vifiillard d'une voix eotrecoupee» et
la maitrepfle de la maison ?
— EUe est morte avant-bier.
— Bt ^8 filles? •
-T* HiBr on a conduit la derniere
au ciiBetiere.
T^ Ijl derniere I. . murmura le
marcband^ 11 a'appuya au mur de
sa maison* Le malheureux ne se
aouyenait que trop. U seotait, il
.^mprenait qo'il n'avait plus ni
tf^Efime ni enfants. II y a un chagrin
qu^ y Diea sait pourquoi , nous
^pelons cbagrin : il n'a et ne pent
aypir ^ nom dans la langue des
boiumes- Ca sentiment ne dure
poipt autant que le dernier soopir
d'^^ qiourant 4 mais la moitie
d'une vie de maladies continuelles,
tout un siecle de $ouff raaofss oorpo-
relies, rif n n'cft comparable a cette
mort ^lomentanee de T&me. Le
vieillard abandonne gardait le si-
lence, il »'y avait pas unelarme
ses yeux, pas un soupirdans
sa; poitrine ; il rsgarda le old : le
tiek etatt serein, «lair , mais atissi
mnet, aiissi mome qtie son dme.
Ik lui semUa qu'ane voix miirmii^
rait a son ofeille : «Ne frappe point
noD plus k cette autre porte / viefiU
lard, car personne non plus netcrrei-
poudra.n Le regard eteint dn mar-
Gband s^r6ta svr Pentree de i%-
^iae, devant laquelle il ie ttouvait.
Tout a coup ses yeux jeterent-des
flammes. nQuoi! » s'ecria-t-ii' ea
gringant des dents, « ni mow re-
pentir, ni ma fenrente priere, ni
mes larmes sanglantes, rten n'a
done pa te fleohirl » En ce moment
qaelqu'ua sortit de Teglise : oA y
obaatait un Te Deum, et, par la
parte entr'ouverte , on entendait
de faibles voix cbanter au chceur :
• Roi des eieux, vrai eonsolatenr
d'une &me pure !»Les parolesda do-
sespoir s'^vanouirentsur ieslevres
dtt marchand ; une douoe mignar
tioa descend it dans sou amecemme
une pluie bienCaisante, des larmes
s'eebappereat de ses yeux, et il
s'humilia devant la puissance d'un
Dieu vengeur.
Une ardente priere soulagea le
oceur du malbeureux. II sentait
toute la grandeur de sa<perte;il
pouvait dire : « Mon toie est triste
jusqu'a la mort.» Mais il ne mur*
mnrait deja plus contre Celui qui
doane et qui reprend. « Que ta
sainte volonte soit iaite j.» dit-ii en
fixant les yeux sur Timage du Sau-
veuf , suspendue h I'entree de To-
glise. Ton jugement s est accompli
sur moi, tu vois mes souffrances,
Seigneur ! . . . Seigneu r ! su is-je en
paix avec toiP>'
De fa
traduction.
183
DEUXIEA1£ PARTIE.
Tout a coup une foule de monde
^ ^ deboucha de la porte Saiote-
raductioii. g^jje, el il eotendit de nouveau le
nom d'Ambroise. Le marcbaad
friflfionna; il conuueD^ a craindre
pour la ft^eurite du venerable ar-
Q^veque, qu*U connaissait pfirfai*
iement.
J^afflictioii dans le ocBur, nous
devons meutionner ici un ^vene-
* ment dont Thorreur ne nous per*
met pas de decouvrir tous les de-
Jtails.
Outre les calamites que Moecou
supporta dans ce temps, il lui ^tait
reserve d'ajouter aussi une page
lugubre a son bistoire. Un crime
affreux s*accomplttdans ses murs :
Tarchev^ue Ambroise tomba,
oomme on le sail, sous les cou-
teaux d'une troupe d*abominables
malfaiteurs. Jetous vite un voile
sur cet evenement sacrilege, que
les andens habitants de Moscou ne
peuvent se rappelcr sans frayeur,
et disons seulement quelle part y
prit notre marchand des boutiques
de mercerie, Thadee Abramovitche
Sibiriakoff.
S'etant assure de la r^lite du
projet de oes malfaiteurs, ce mal-
heureux resolut de delivrer Am-
broise. Le lendemain, 16 Hcptem-
bre, de grand matin, il galopa vers
le convent de Donskoe, ou demeu-
rait I'archevcque. II rencontra au-
pres de la porte cochere de Vhabi-
tation un jeune novice et le frere
servant d'Ambroise, et insista au-
pres d'eux pour qu*ils persuadas-
sent an digne pasteur de s'eloigner
sans retard de Moscou. L'archevd-
que n*avait pas encore eu le temps
de suivre ce conseil, que les assas-
sins etaieot deja a la porte du tou-
vent. II ehereha xm asile dans 1*^-
^ise. Les malfaiteurs enfonoerent
la porte du temple, et Tenfant
adoptif de Sibiriakoff, un fierpent
sous la forme hunmine, le deooa-
vrant a la tribune, le montra aux
fanatiques irrites. Les brigands
firent descendre I'arcliev^ue de la
tribune. L*un d'eux, dans leqtiei
Sibiriakoff reconnnt Touvrier de
fabrique qui quetait a la porte
Sainte-Barbe pour un cierge k la
Mere de Dieu, se mon trait plus
acbame eneore que tous les autres.
Apres avoir 4puise tous les mots
injurieux, il tenait deja son large
couteau sup la poitrinede la victi-
me. Sibiriakoff lui saisit le bras et
arreta le coup. « De quoi se mele-
t-il? » mugirent les brigands qui
rentouraient ; «tombez-lui des8us!»
— Ou'avez-vous, mes freres.?»
s'ecriale marchand, « nesuis-je pas
des vdtres? BsUce bien de prbfaner
ainsi le temple de Dieu? Condui
sons-le hors du convent, et la nous
le questionnerons, nous verr()lns...»
— « G'est vrai , c*est vrai ! h s'^-
crierent les brigands ! « II ne 8*en>
ftiira pas! » Sibiriakoff esperalt
avoir le temps de toucher la con-
science de ces monstres; mais tous
ses efforts fnrent in utiles. Ambroise
p^rit. Les malfaiteurs n*^happe-
rent point an ch&timent qu*ils
avaient merits. Pierre Dimitrievi-
tche firopkine, alors seule autorit^
de Moscou, avait eu le temps de
rassembler plusieurs compagnles
du regiment de Velikoloutsky, qui
etait can tonne a trente verstes de
la ville, et, avec le seeours de Cette
poignee de soldats , il dispersa le
CHAPITRE TROISIEME.
189
rassemblemeDt et arrSta les boute*-
feu. Le commandant en chef, comte
Pierre Simeonovitche Soltikoff, le
gouyerneur civil louchekoff, et le
grand maitre de police Bakhme-
tieff, arriverent bientot apres a
Moscoa. La tranquilltte fut promp-
tement retablie, et Ton crea une
commission particnliere pour pour-
suivre les assassins de Tarchev^ue
Ambroise.
De la
traduction.
IV.
De I'lmalyse nrraminaticale mu second def^^.
Quand on analyse un mot au second degre^ il faut,
apres en avoir fait connaitre la nature, indiquer son
rapport avec les autres mots de la phrase^ et preciser
le r&le qu'il y remplit , r&le qui varie avec les nuances
diverses, et quelquefois fugitives , de la pensee.
MODULES.
I.
La Esmeralda se mil a emietter du pain^ que Djali mangeait
gracieusement dans le creux de sa mail}.
La Esmeralda
se
mil
a
emietter
du
Nona propre de femine Stranger, sujet du verbc
mettre.
Pronom de la troisieme persoiine , repr^seDtant La
Esmeralda, et regime direct du verbe mettre.
Verbe transitif et irr^gulier de la conjugaison en re,
a la troisieme personne singuliere du Pass6 de-
fini.
Proposition pure, marquant un rapport entre les
verbes mettre et emietter,
Verbe transitif et rOgulier de la conjugaison en er,
au Present de llnfinitif , complement indirect du
verbe mettre.
Contraction de la proposition de et de Karticle sin-
gulier ot masculin /e, employee par suite d'un
pain, '' •
Djali
mangeait
grdekmeniimt
dans
ie
creux
de
sa
mam.
CHAPITRE QUATRlftlvrE. 191
■• iMge' pafrticulier i Va Iimgde fran<^ite * ;
fStiMtBfttff eomtnuiK, mmsnMt^ eikigulier, regime
•dit^duf edie ^ietter, •
Prdnow relatif:^ m^maitt ettinguHer, Tepr^sentank
le mot jwi<kt|, €ttif^&^r%cX &a verbe manger.
Nom propned'aniitiaU UttAwm et singulier, sujet du
verbe maHper.'' , . «
\ttbe ttatu^itif t^ r^gulier de Ut premiere conjugal*
son, a la tfoisi^mis peMonnd shiguH^re de Tlmpar-
fait de rindfieatif .
Adverbe de mani^e, modHiant le sens du verbe
manger.
Proposition pure, marquant un rapport entre le verbe
manger et le substantif erenuv.
Article, masculin et shiguUer, servant ii substantiver
le mot creux.
Adjectif substantive, masculin et singulier, comple-
ment indirect du verbe manger.
Proposition pure, marquant un rapport entre les
substantifs ereux et main.
Adjectif possessif, feminin et singulier, determinant
le substantif main par TidOe de possession qu'il
y ajoute.
Substantif oommun , feminin et singulier, comple-
ment indirect du substantif creux.
De rM)«ly/ie
gramsMtU-
UGfUe
ci6|prfl«
II.
J'ai remarque que les enfants out rarement peur du tonnerre,
a mof'ns que les eclats ne soie^it off re ax et ne blessent reellement
I'organe de I'quie. J. J. RoussEiiu.
at
Pronom elide de la premiere personne, masculin et sin-
gulier, sujet du verbe remarquer.
Verbe irregulier et auxiliaire avoir, a la premiere per-
sonne singuliere du Present de Tlndicatif.
' £ii gnunmaire gepienile, €e mot du est completement injustifiable ; il ne
se traduit iii eh latin, ni en allemand, ni en polonais, ni en russe, etc., etc. :
c'est done un gallicisme.
192
DEUXIBME PARTIE.
De Fanalyse
gramniafi-'
tkiftie
anseeoBd q»e
les
reMprqu4
mfants
ont
Hurement
pcnv
dn
tonnerre^
a
moins
que
les
eclats
ne
soient
affreicx
et
ne
Yerbe transilif el r^gulier de la coejugaison en er, au
Partkipe pass^, mascuHn et Aingolier, formant, avec
Tauxiliaire (woir^ \e Pass^ indtfni.
Conjonction, seffvttata unir lea memlNres de phrase eatre
lesquels eUeae trouve plae^.
Artiele, oiaficuliQ' et piuriel,. servant k indiquer que le
mot enfants est un substantif.
SubstmUif tommua, masculin et pluriel, sujet de la lo-
eutioia yeibale avoir peur.
Yerbe transitif et irr^gulier de la conjugaison en oir, a
la troisikne personne plurielle du Pr^nt de Tlndi-
catif.
Advert>e de qualite^ modifiant le sens de la locution
verbale avoir peur,
Substantif commun^ f6minin et singulier, regime direct
du verbe avoir, et formant avec ce verbe la locution
verbale avoir peur.
Contraction de la preposition de, qui marque un rapport
eutre la locution verbale avoir peur et le substantif
tonnerre, et de Tarticle /e, masculin et singulier, qui
d^signe la classe du substantif tonnerre.
Nom commun, masculin et singulier, complement indi-
rect de la locution verbale. crvoir peur.
Proposition. i Locution conjonctive annoncant
Adverbe de quantite. | Tid^ de restriction contenue
Conjonction. ) daos la suite de la phrase.
Article, masculin et pluriel, servant a indiquer que le
mot ecMs est un substantif.
Substantif commun, masculin et pluriel , sujet du verbe
4tre,
Adverbe de negation , faisant partie de la locution con-
jonctive analysee ci-dessus.
Verbe irregulier 4tre, h la troisieme personne plurielle
du Present du Subjonctif, regi a ce mode par la locu-
tion conjonctive a nwlns que.,, ne.
Adjectif qualificatif, masculin et singulier, indiquant une
qualite du substantif ecldts.
Conjonction servant a Her les membres de phrase entre
lesquets elle se trouve placOe.
Mot faisant partie de la locution conjonctive analysde ci-
dessusy et dont Tusage perroet d'ellipser les troiis pre-
miers mots, lorsqu'elle se repete dans la m^e phrase.
blessent
organe
de
ouie.
CHAPITRE QUATRlftME.
198
Verbe transitif et regulier de la premiere conjugaisoD, a
la troisi^me persoDue plurielle du Present du Subjouc- ^^ I'analyse
tif^ r^gi a ce mode par la locution conjonctive a moins ^^^^ *
que,., ne, au second
Article ^lid^ , masculin el singulier, presentant Ic mot **^*
organe comme substantif.
Nom commuD , masculin et singulier, regime direct du
verbe blesser.
Proposition pure , marquant un rapport entre les subs-
tantifs organe et ouie.
Article elide, fOininin et singulier, indiquant la classe du
substantif ouie.
Substantif commun , fOminin et singulier, complement
indirect du substantif organe.
in.
Jean-Jacques disait que rien ne rendait les mceur.s plus ai-
mables que Vitude de la nature, Bebnabdim db Saint-Piebbe.
Jean'Jacques
disait
que
rien
ne
rendait
Nom propre compost d'homme, masculin et singu-
lier, sujet du verbe dire.
Verbe transitif el irregulier de la conjugaison en re,
a la troisieme personne singuliere de llmparfait
de rindicatif.
Conjonction pure , servant a unir les membres de
phrase entre lesquels elle se trouve placee.
Nom commun , masculin et singulier, sujet du verbe
rendre-
Adverbe de negation, modifiant le sens du verbe
rendre.
Verbe regulier et transitif de la conjugaison enre^h
la troisieme personne singuliere de llmparfait de
llndicatif, temps employe pour le Present du m^me
mode y par suite d'un usage particulier a la langue
fran<^aise*.
* Les Fran^ais font assez indifferemmeut usage du Present ou de Vlmpar-
fah de rindicatif apres les verbes dire, entendre, mander, i/n'oir, roiri etc.,
employes au Passe.
194
UKUXIEMK PARTIK.
Dc I'aiialyse
grammati-
cale
au second
les
moeurs
pius
aimables
que
etude
de
la
nature.
Article, feminin ei pluriel, serTant a printer le
mot tnceurs comme substantif.
Substantif commun , feminin et pUiriel , regime di-
rect du verbe rendre,
Adverbe de comparaison , modifiant le sens de Tad-
jectif aimables,
Adjectif qualificatif, uniforme aux deux genres de
chaque nombre, qualifiant le substantif mceurs.
G)njonction pure, servant de liaison aux mots entre
lesquels elle se trouve plac^.
Article elid^,, feminin et singulier, marquant la classe
du mot etude.
Nom commun, feminin et singulier, sujet d'une pror
position en partie sous-entendue, et qui est retude
de la nature ne les rend aimables.
Proposition pure, marquant un rapport entre les sub-
stantifs etude et nature.
Article, feminin et singulier, indiquant que le mot
nature est un substantif.
Substantif commun, feminin et singulier, comple-
ment indirect du substantif etude.
IV.
Pendant que les Romains meprlsirent les richesses , its furent
sobres et vertueux. Bossitet.
Pendant
que
les
Locution conjonctive , liant les
propositions ils furent sobres
Preposition pure. } et vertueux et les Romains
Conjonction pure. J m^prisirent les richesses ,
placOes,par inversion, I'une a
la place de I'autre * .
Article, masculin et pluriel, indiquant que le mot
Romains est un substantif.
* La conatruction naturelle de cette phrase est la suivante : Les Romains
furent sohres et vertueux, pendant quits meprlserent les richesses.
CHAPITRE QUATRIEME.
195
nomains
mepruerent
les
richesses,
ils
furent
sohres
et
rertneux.
Nom propre de peuple , masculiD et pluriel , sujet du
. verbe rrUpriser,
Verbe r^guHer et trausitif de la conjugaison en er, a
la troisi^me personne plurielle du Pass^ d^fini.
Article, f^minin et pluriel, marquant la classe du
substantif richesses,
Substantif commun, f^minin et pluriel, regime direct
du verbe m^priser.
Prouom de la troisieme personne, masculin et pluriel,
repr^sentant le mot Romains, et sujet du verbe
ifre.
Verbe irr^gulier ^tre, a la troisieme personne plu-
rielle du Pass^ d^ni.
Adjectif qualiGeatif , masculin et pluriel , compl^tant
le sens du verbe itre , et marquant une quality du
mot Romains , repr^sent^ par le pronom ils,
Conjonction pure , servant a unir la proposition Us
furent sohres a la proposition ils furent rertueux,
dont les deux premiers mots sont ellipses.
Adjectif qnalificatif , masculin et pluriel , compl6tant
le sens du verbe ^tre , sous-entendu , et marquant
une quality du mot Romains, represent^ par ils,
sous-entendu.
De Tanalysf
grammati-
cale
au second
degr6.
La tue de ce vaste univers, dont les merveilles nous remplissent
d' admiration y nous fait connaitre qu'il doit armr un auteur.
La
rue
de
raste
Article , feminin et singulier, marquant la classe du
substantif vue.
Substantif commun , feminin et singulier, sujet du
verbe faire.
Preposition pure, marquant un rapport entre les
substautifs vue et univers.
Adjectif d^monstratif, masculin et singulier, determi-
nant le substantif nnivers par Tid^e dMndication
quMl y ajoute.
Adjectif qualificatif , masculin et singulier, qualifiant
le substantif univers.
I9G
UEUXlfcMK PAKTIE.
umvef's.
De ranal)rs«
grammati-
cale ^ont
au second
degre.
lex
werveilles
rempiissent
admiration^
nous
fait
eonnaitre
qu'
it
doit
avoir
Substantif comraun , masculin et siugulier, compl^^
ment indirect du substantif vv£,
Pronom relatif, masculin et singulier, \
mis pour univers, et complement I Phrase in-
indirect du substantif merveilles, cidente, ser-
qu'il pr^de par une inversion com- vant a expli-
mune a toutes les langues. quer ce qui
Article, feminin et pluriel , marquant precede , et
la classe du substantif inerveilles, placee entre
Substantif commun, feminin et plu- deux virgu-
riel, sujet du verbe remplir. les, au con-
Pronom de la premiere personne plu* traire des
rielle, regime direct du verbe retn- \ phrases inci-
plir. I dentes deter-
Verbe r^gulier et transitif de la con- minatives,
jugaison en ir, a la troisieme per- pour indi-
sonne plurielle du Present de lln- quer que sa
dicatif. suppression
Proposition pure elidee, marquant un n'empSche-
rapport entre les mots remplir et rait pas le
admiration. sens de la
Substantif commun, fOminin et singu- phrase d^^tre
tier, complement indirect du verbe complet.
remplir. j
Pronom de la premiere personne plurielle, regime
indirect des mots fait eonnaitre.
Verbe irregulier et transitif de la
conjugaison en re^h la troi-
sieme personne singuliere du
Present de Tlndicatif.
Verbe irregulier et transitif de la
conjugaison en re, au Present
de rinfinitif.
Conjonction eiidee , servant a unir les membres de
phrase entre lesquels elle se trouve placOe.
Pronom de la troisieme personne singuliere, rappe-
lant ridee du mot univers , et sujet du verbe de-
voir.
Verbe regulier et transitif de la troisieme conjugai-
son, a la troisieme personne singuliere du Present
de rindicatif.
Verbe irregulier et transitif de la conjugaison en oir.
Locution ver-
bale,dontlesens
est a peu pr^s
celui du verbe
annoneer.
CHAPITRE QUATRIEME.
197
aiUeur,
au Pr^nt de rinfinitif, compl^tant^ avec les mots
qui suivent, le sens du verbe devoir,
Adjectif uumerai cardiDal, masculin et singulier, em-
ploy^ par suite d'un usage particulier a la plupart
des laugues modemes.
Substantif commun, masculiu et singulier, regime di-
rect du verbe avoir.
De Taualyftc
grammati-
cale
ail second
degrr.
VI.
Vhomme ne voit que Vapparence ,
Maii Dieu voit jusqu'au fond du cceur.
L
* homtne
ne
VQlt
que
V
apparence,
Mais
Dieu
voit
jusqu
Article ^lid^ , masculin et singulier, indiquant que le
mot hontme est un substantif.
Nom commun, masculin et singulier, sujet du verbe
voir.
Adverbe de negation...
Verbe irregulier et transitif de la conjugaison en oir^
a la troisieme persoune singuliere du Present de
rindicatif.
Conjonction pure , fbrmant , avec I'adverbe de n^ga«
tion ne, qui precede, une locution adverbiale, dont
le sens est celui du mot seulement, et qui modifie
le verbe voir.
Article dide, £6minin et singulier, marquant la classe
di| mot apparence.
Substantif commuu, feminin et singulier, regime di-
rect du verbe t^oir,
Conjonction pure, servant a unir les membres de
phrase entre lesquels elle se trouve plac^ , et an-
non<^nt Fopposition qui se trouve dans le dernier.
Nom propre, masculin et singulier, sujet du vejrbe
voir.
Mot d^ja analyse.
Proposition Olidee.
Contraction de la preposition d, lormaut avecjusqtie
une locution prepositive , qui marque un rapport
entre les mots voit et fond, el de larticle ie, mas-
198
DEUXIEME PARllE.
De Fanalyse
srammati- . ,
cale fo'nd
au second
^^' du
culin et singuli^r, qui indique la classe du substan-
tif foTid.
Substantif commun , -masculin et singulier, comple-
ment indirect du verbe voir.
Contraction de la proposition de, qui marque un rap-
port entre les substantifs fond et cceur^ et de Far-
ticle, masculin et singulier, le, qui indique la classe •
du substantif cceur.
Nom commun, masculin et singulier, complement
indirect du substantif fond.
Bien saisir le rapport grammatical et logique des
mots entre eux, voila tout le secret de Tanalyse gram-
maticale raisonnee. On ne connait une langue, et Ton
ne s'en sert correctement, que quand on est a mfeme
de faire subir au discours un travail de decomposi-
tion, qui fixe avec precision le r61e de chaque mot,
les rapports qu'il subit, et ceux qu'il impose. Ce tra-
vail n'est pas toujours facile lorsquil s'agit d'une
langue derivee, comme le francais, ou se confondent
des elements divers, qui froissent souvent toutes les
donnees de la grammaire gen6rale.
La pratique des langues vivantes, et Tetude compa-
rative des formes qu'elles affectent dans Texpression
des mfemes id6es, nous ont fourni peu a pen la possi-
bilite d'analyser, d une maniere satisjaisante, nombre
de cas que les grammairiens n'ont point ose aborder.
En est-il un seul, par exemple, qui indique les cas oil
il faut substituer elre a aw/>, comme dans cette
phrase . IVous nous sommes tromp^s? Non. Pour
tourner la difficulte, on a invente une conjugaison,
CHAPITRE QUATRIEME. 199
celle des Verbes pronornirumx^ qui n'en est pas une,
puisque ces verbes suivent tous les modules de leups grammati-
terminaisons infinitives. Par suite de cette myopie ausecwMi
des grammairiens, des niilliers d'eleves, sur toute la
surface du monde civilise, s'en vont repetant et grif-
fonnant : Je me trompc^ tu te irompes^ il se trornpe,
comme si ce verbe se conjuguait autrement que se^
confreres de la mfeme terminaison ; et, grice a Thabi-
tude que les auteurs de grammaires ont contractee
de se copier les uns les autres, on repetera et griffon-
nera : /Vous notis trompons^ vans vous trornpezy Us
se trompenty jusqu*a la consommation de la langue
francaise ' .
On voit, par les modeles qui precedent, que notre
analyse aux deux degres est a la fois grammaticate
ot hgique. Si nous ecartons ce dernier qualificatif ,
c'est qu'il est completement superflu.
Nous ne disons mot de ce que certains grammai-
riens decorent du nom ^ Analyse logique ; c'est que
nous n'aimons point a mettre dans la t6te de nos el^ves
des donn^es qui n'ont aucune application reellemenl
utile. Elfeve ou maitre, jamais nous n'y avons rien
compris, jamais nous n'y avons rien reconnu qui puisse
faire progresser les el^ves, Fran^ais ou Strangers,
dans I'etude de notre langue. Nous d^clarons done,
sans aucun detour, que le temps employe k etudier
cette Boi-disant analyse logique est un temps d^pense
• Tout ce qui precede est extrait du Trait f ^Analyse grammaticale ( ine-
dit) deja cite.
defre.
200 DEUXIEME PARTIE.
^ j,^^^^i ^ en pure perie ; Taridite de ces exercices d6godte les
grammati- elcvcs de la grammairc, qa'ils aiment deja si peu, et
au second la leuF fait quclquefois prendre en haine. Nous conseil-
Ions done tres-serieusement aux maitres de supprimer
dans leur enseignement, comme superflue, nous di-
rons m&me comme nuisible , la pretendue analyse
lofrique^ telle que Tindique, entre autres, la grammaire
de MM. Noel et Chapsal.
On lit, dans Touvrage de mademoiselle Nathalie
de Lajolais, que nous citons pour la troisi^me fois,
mais, en cette occasion, avec regret , les lignes sui*
vantes, qui concernent \ Analyse grammaticale :
« L'analyse grammatical , ou la decomposition du
« discours pour en reconnaitre tons les elements, est
« un exercice indispensable dans I'apprentissage de la
« langue. Cette analyse doit se faire de vive voix,
« sur le devoir qui vient d'etre corrige, dans Tespace
« de quelques minutes, et jamais par ecrit. (L'analyse
« par ecrit n'est qu'une perte de temps )»
Si mademoiselle Nathalie de Lujolais entend par
analyse grammatical ce que nous appelons Analyse
grammaticale au premier dei>re\ nous sommes pres-
que de son avis, quoique nous pensions que ce petit
travail demande cependant une precision qui ne peut
gu^re fetre atteinte dans un exercice^ de vive voix. Si
Tauteur eminent de V Jj^ducation des femmes entend
par analyse grammaticale le travail que nous appelons
Analyse grammaticale au second degre^ nous ose-
rons combattre une opinion que nous regardons comme
d'autant plus dangereuse, qu'elle emane d'une per-
CHAPITRE QUATRIEME. 201
Sonne consommee enmatiere d'educalion. Nous serions ~ ;
De 1 analyse
heureux que Texamen des mod^es que nous avons grammau-
donnes ci-dessus , apport^t quelques modifications au second
dans la maniere dont mademoiselle Nathalie de Lajo-
lais envisage Tanalyse grammaticale, que nous regar-
dons comme un des plus utiles, des plus indispensa-
bles exepcices dans I'etude d'unelangue.
Toutes les Analyses doivent 6tre raises au net dans
des cahiers qu'il faut conserver avec soin. Les cahiers
cartonnes sont tr^s-utiles pour les copies.
degre.
Uem vers mUi en prose.
Met Ire des vers en prose est un exercice qui plait
fort aux bons eleves, et que les bons maitres prati-
quent avec succ^s.
Voici ce qu'il faut observer pour ce travail.
La pensee contenue dans les paroles mesurees doit
se retrouver, intacte et sans aucun melange, dans une
prose ch^tiee et digne, en quelque sorte, de figurer au-
pr6s du texte primitif. Que la mesure poetique soil
absolument brisee, la rime eliminee avec soin, Tex-
pression assortie a la nouvelle enveloppe de Tidee, ce
sont toutes conditions de reussite dans ce travail. Ici
Ton fera de frequentes excursions dans le champ des
synonymes,en posant d'une maniere claire et nette le
sens defini des termes du texte, sens a reproduire, si
c'est possible, dans la transformation a laquelle il est
soumis. Lapropriete de I'expression doit seule en mo-
tiver le choix : avant d'employer un signe, il faut s'as-
surer qu'il se rapporte exactement aux faits et aux
circonstances. Quelques exemples du genre de travail
que nous recommandons ici allegeront le d^veloppe-
mentde ces regies de conduite, tout en faisant, pour
ainsi dire, toucher du doigt les avantages multiples
qui en ressortent dans Tapplication.
CHAPITRK CINQUIEME. 203
I.
LK CHftNE ET LE ROSEAU,
fable de la. fontaine.
Le ch^ne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui, d'aventure,
Fait rider la face de Feau,
Vous oblige h baisser la t^te ;
Cependant que mon front , au Caucase pareil ,
Non content d'arr^ter les rayons du soleil ,
Brave I'effort de la temp^te ;
Tout vous est aquilon , tout me semble zephir.
Encor, si vous naissiez a Fabri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant a souffrir :
Je vous d^fendrais de Forage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords du royaume du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, hii repoudit Farbuste,
Part d'un bon naturel : mais quittez ce souci ,
Les vents me sont moins qu'a vous redoutables ,
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups epouvantables
R^sist^ sans courber le dos :
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots ,
Du bout de Fhorizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord etlit port^. j usque-la dansses flancs.
L'arbre tientbon , le roseau plie ;
I^ vent redouble ses efforts
Et fait si bien quMI deracine
Des vers
mis
en prose.
Des vers
mis
en prose.
204 DEUXIEME PARTIE.
Celui de qui la t^te au ciel etait voisine *,
Et dont les pieds touchaient k Fempire des morts.
LE CHfiNE ET LE ROSEAU,
fable de la fontaine mise en prose.
Le chSne dit unjour au roseau : « Vous avez bien rabon de vous
plaindre de la nature ; le plus petit oiseau vous accable de sou poids ;
un l^ger zephir, qui agite h peine la surface de Feau, vous force a
courber la t^te ; tandis que ma cime, aussi haute que le Caucasts in-
tercepte les rayons du soleil, et d^fie les ouragans eux-m^mes ; pour
vous tout vent est impetueux ; moi , je ne connais que de faibles souf-
fles. Si du moins vous preniez naissance sous mes vastes rameaux ,
vous auriez moins a soufTrir : je vous protegerais contre la temp^te ;
mais vous croissez d'ordinaire sur la limite du domaine des vents. La
nature vous traite en marStre. — Votre pitie, repartit Thumble ve-
getal , vient d'un bon coeur : mais soyez sans inquietude, je redout e
moins que vous la tempSte; elle me courbe et ne me brise point. II
est vrai que vous lui avez r^sist^ victorieusement jusqu'ici ; mais il
faut attendre la fin. » Le roseau parlait encore , lorsque accourut des
extr^mit^ du ciel la plus affreuse des temp^tes que le Nord edt ja-
mais engendr^. Le ch^ne se roidit, I'arbuste cede ; Forage mugit ,
plus furieux encore, et arrache enfin Farbre orgueilleux qui cachait
sa t^te dans les nues , et plongeait ses racines jusqu^au centre de la
terre.
IL
ADIEUX A LA VIE,
stances de gilbert.
J'ai r^v^ie mon coeur au Dieu de Finnocence ;
II a vu mes pleurs penitents ;
' j4u ciel etait voisine est une faute de fraiK^ais qu^aucune licence poetique
ne saurait excuser.
CHAPITRE CmQUlfeME. 205
II gu^rit mes remords , il m'arme de Constance :
Les malheureux sont ses enfants.
Mes ennemis, riant , ont dit dans leur colere :
Qu'il meure, et sa gloire avec lui !
Mais k mon coeur calme le Seigneur dit en p^re :
Leur haine sera ton appui !
Soyez b^ni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre
LMnnocence et son noble orgueil ;
Vous qui , pour prot^ger le repos de ma cendre ,
Veillerez pr^s de mon cercueil !
Au banquet de la vie, infortun^ convive,
J'apparus un jour, et je meurs ;
Je meurs, et sur la tombe ou ientement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure ,
Ct vous , riant exil des bois !
Ciel , pavilion de Thomme, admirable nature ,
Salut pour la demiere fois !
Ah ! puissent voir longtemps votre beaute sacr^e
Tant d'amis sourds a mes adieux !
Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurae,
Qu'un ami leur ferme les yeux!
Des vers
mis
en prose.
ADIEUX A LA VIE,
stances de gilbert mises en prose*
J'ai confess^ mrs fautes au Dieu de ta puret^ ; 11 a vu mon repentir
et mes larmes ; il calme les reproches de ma conscience ; ii fortifie
ma perseverance : il est le pere des infortunes.
Mes adversaires, triomphants, se sont ecries dans leur courroux :
Des vers
mis
206 DEUXifeME PARTIE.
Qu'il p^risse , lui et sa renommee ! Mais Dieu adrea» k moD ^me
tranquillis^e ces paroles patemelles : Leur aversion sera ton soutien.
en prose. Je vous b^nis. Seigneur, vous dont la bont6 me rend la puret^ et
sa fierte gen^reuse ; vous qui , pour defendre le sommeil de mes cen-
dres, prot^gerez mon tombeau !
Malheureux que je suis , conVie au festin de Texist^ce, je ne fis
que paraltre, et je succombe ; je succombe , et personne ne viendra
r^pandre une larme sur la fosse dont j'approche a pas lents.
Adieu, campagne que je ch^rissais, et toi , delicieuse verdure ^ et
toi, agr^ble solitude des for^ts ! Cieux , tente des humains , magni-
fique nature , recevez mes demiers adieux !
Ah ! que ceux dont Tamiti^ ne veut point recevoir mes demiers
saluts , jouissent longuement de vos charmes divins ! Que, mourant
dans une vieillesse avanc^e, ils fassent nattre des regrets, qu'une main
amie close leur paupi^re !
III.
LE CURE DE VILLAGE.
(Extra! t de I' Homme des Champs de DELrLLE.i
Voyez-vous ce modeste et pieux presbytere ?
La vit rhomrae de Dieu , dont le saint ministere
D'un peuple r6uni presente au ciel les vceux ,
Ouvre sur le hameau tons les tr^sors des cieux ,
Soulage le raalheur, consacre Thymen^e ,
B6nit et les moissons et les fruits de I'annee,
Enseigne la vertu, re<^(Jit rhomme au berceau ,
Le conduit dans la vie et le suit au tombeau.
Par ses sages conseils, sa bont6 , sa prudence ,
II est pour le village une autre Providence.
Quelle obscure indigence echappe a ses bienfaits ?
Dieu seul n'ignore pas les heureux qu'i4 a faits.
Souvent dans ces reduits ou le malheur assemble
Le besoin, la douleur et le tr^pas ensemble,
II paratt, et soudain le mal perd son horreur,
CHAPITRE CINQUIEME. [J 207
Le besoin sa detresse, et la mort sa terreur.
Qui previent le besoin pr6vient souveDt le crime.
Le pauvre le b^nit, et le riche Testime ; en prose.
Et souvent deux mortels , I'un de I'autre ennemis,
S'embrassent a sa table et retournent amis. .
Des vers
mis
LE CURE DE VILLAGE ,
vers de deulle mis en prose,
Apercevez-vous cette cure, bumble et recueillie ? La demeure un
prtoe , dont la mission sacr^ est d'offrir a Dieu les prieres d'une
population rassemblee, de r^pandre sur le village les bienfaits du
ciel , de secourir les malheureux , de benir les unions, de consacrer
les recoltes, de rendre Thomme vertueux, de presider a sa naissance
et a sa mort, apres lui avoir servi de guide pendant son existence.
Sage en ses avis , bon, prudent , il est Thomme providentiel du ha-
meau. Le plus humble des indigents eprouve les effets de sa bienfai-
sance. II n'y a que le ciel qui connaisse ceux dpnt il a fait le bonheur.
U entre frequemment dans ces galetas ou I'infortune r^unit la d^-
tresse, la souffranee et la mort, et tout a coup toutes ces calamity
He paraissent plus si afTreuses. Soulager les malheureux, c'est les em-
i>€cherde deveniT criminels. II a la benediction de Tindigent, et le
i*espect de Thomme heureux ; et maintes fois deux ennemis , devenus
ses convives , le quittent apres s'^tre donne le baiser de paix et d'a-
*iriitie.
IV.
LES TOMBEAUX AERIENS ,
par DEULLE.
Dirai-je des Natchez la tristesse touchante ?
Combien de leur douleur Theureux instinct m'euchante
La, d'un fils qui n'est plus, la tendre mere en deuil
Des vers
mis
208 DEUXifeME PARTIE.
A des rameaux voisins vient pendre le eeroueil.
Eh ! quel soin pouvait mieux consoler sajeune ombre !
en prose. Au lieu d'etre enferm^ daus la demeure sombre ,
SuspeDdu sur la terre et regardaDt les cieux,
Quoique mort, des viyants il attire les yeux.
lii, souvent sous le fits, vient reposer le pere ;
L^, ses soeurs en pleurant accompagnent leur m^re ,
L'oiseau vient y chanter, Farbre y verse des pleurs ,
Lui prSte son abri , Fembaume de ses fleurs :
Des premiers feux du jour sa tombe se colore;
Les doux zephyrs du soir, le doux vent de Faurore
Balancent mollement ce precieux fardeau ;
Et sa tombe riante est encore un berceau :
De Famour matemel illusion touchante.
LES TOMBEAUX a£RIENS,
vers de belille mis en prose.
' Parlerai-je de Fattendrissante douleur des r^atchez ? Que de charme
dans Finstinct de leur tristesse ! Un fils a-t-il cess^ d'etre , la m^re
^plor^ suspend ses restes aux branches d*un arbre voisin. D*autres
soins pourraient-ils mieux charmer la douleur de cette jeune dme
errante? La tombe obscure ne se refermera point sur sa d^pouille;
balance dans les airs, toume vers le ciel, il attire les regards de ceux
que le tr^pas respecte encore. Souvent un p^re vient prendre sa der-
niere demeure sous un enfant cheri ; les larmes de ses soeurs y suivent
une tendre mere ! Les chantres des bois lui adressent leurs hymnes ,
Farbre lui donne des larmes, le couvre de son feuillage , jonche sa
couche de fleurs odoriferantes. Le soleil ^claire ce tombeau d'un rayon
matinal ; de caressantes haleines, au jour naissant, au declin de la lu-
miere , bercent doucement ce d6p6t precieux, qui , trompant la dou-
leur d'une mere, lui sourit dans la mort, comme aux premiers jours
de son ei^istence.
CHAPITRE CINQTTIKMK. »)i»
V. Des vers
mis
EXISTENCE DE DIEU,
[ Extrait du poeme de la Religion, par louis bacine.]
Oui , c'est un Dieu cach6 que le Dieu qu'il faut croire ;
Mais, tout cach6 qu'il est, pour r^v^ler sa gloire,
Quels t^moins ^latants devant moi rassembl^s !
R^pondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez!
Quel bras put vous suspendre, innombrables ^toiles ?
Nuitbrillante, dis-nous qui t'a donn^ tes voiles !
O cieux , que de grandeur et quelle majesty, !
J'y reconnais un Maltre a qui rien n'a coilite ,
Et qui dans vos deserts a seme la lumiere ,
Ainsi que dans les champs 11 seme la poussiere.
Toi qu'annonce I'aig'ore, admirable flambeau ,
Astre toujours le mtoe, astre toujours nouveau ,
Par quel ordre ^ 6 soleil , viens-tu du sein de Tonde
Nous rendre les rayons de ta clart^ f^conde ?
Tons les jours je t'attends, tu reviens tons les jours
Est-ce moi qui f appelle et qui regie ton cours?
Et toi dont le co<irroux veut engloutir la terre ,
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre ?
Pour forcer ta prison tu fais de vains efforts :
La rage de tes flots expire sur tes bords.
en pros^.
EXISTENCE DE DIEU ,
x-ers de l. bagine mis en prose.
Oui , c'est un Dieu invisible que le Dieu impost a notre croyance ;
0iais, tout invisible qu'il est, quels t^moignages pompeux se r^unis-
sent a mes yeux pour sa glorieuse r^v^lation ! Ciel , oc^an , terre ,
r^ndez a ma voix. Quelle main vous tient suspendus , astres sans
uombre ? Nuit eclatante , nomme - moi Pauteur de tes tenebres !
Des vers
mis
210 DEUXiftME PARTIE.
O ciel , que tu es grand et majestueux ! Je vois uu Cr^teur qui a
tout fait sans peine , et qui dans tes solitudes a repandu le jour,
en prose, comme il repand le sable dans nos campagnes. Toi que pr^Me
Taurore, foyer magnifique de la lumiere, qui sans changer te renou-
velles sans c«sse, qui t'ordonne, 6 soleil, de sortir des mers pour
nous rendre ton eclat fecondant ? Ghaque jour tu remplis mon attente
quotidienne : est-ce moi qui te prescris de parattre et qui dirige ta
marche ? Et toi dont la fureur veut submerger le monde, Oc^an re-
doutable, quel bras te refoule dans tes abtmes ? Tu fefforces en vain
de rompre tes chatnes : tes vagues furibondes vont mourir sur le
rivage.
J-
Plus I'expression poetique est juste et piitoresque,
plus il est difficile de trouver un synonyme qui la
rende en prose, aver sa force ou son elegance. Sou-
vent mfemo il faut, de toute necessite, la reppoduire ^^-*e
sans aucune alteration, ou se resoudre a une circonlo- — ^zd-
cution trainante. Dans cette alternative, Tinstituteur -a:.«ur
fournira a I'ecolier des indications certainee et deci Jt^i-
sives, puisees a la source du bon godt et de la raison.. Mirn.
Les vers mis en prose doivent , comme les tradue — ^> ic-
tions et les analyses, fetre copies dans un cahier parti— -i^-ti-
culier, que nos eleves se garderont bien de perdre ^
Nous verrons bient&t quel parti on pent en tirer.
VI.
De« iiarmtlons oralrs.
Ck)mine il faut proceder en tout par degres, crainte
de compromettre son acquis faute d'une marche natu-
:i:eUe, on passera, des exercices que nous avons succes-
sivement, indiques a celui de la composition, par una
"voie qui en facilite Tacc^s. Les travaux executes jus-
<}u*ici ont sans doute fourni a nos eleves de vives lu*
mieres sur les rapports comparatifs du francais et des
langues etrang^res ; mais vouloir des maintenant les
:ffaire voler de leurs propres ailes, ce serait provoquer
%ne chute funeste : le d^godt que produisent les
«checs, annihile le progrfes. Partant du point de vue
^ue celui qui sait parler sur des faits aura bientdt
■.'habitude d'6crire ses reflexions, nous preparerons
notre disciple a la composition ecrite, en lui faisant
Faire des narrations orales.
Cet exercice fait immediatement suite aux Ijecons
ie conversation ou de langa^e pratique.
Suivant done une marche progressive qui mene Te-
We, sans transition brusque, au but que nous avons
a vue, nous debuterons par une simple anecdote,
IT une historiette a la port6e de son intelligence.
Dus la lui lirons, une, deux, trois fois, plus mftme
I le faut, lentement, en faisant bien sentir la coupe
orales.
2t2 OKUXIKMK PAHTIE.
des plirases, et eii appuyant avec intention sur les
iiai rations uiots Ics plus saillants. Pour nous assurer qu'il com-
prend bien ce qu'il entend , il traduira a rinstant
mfeme, et de vive voix , chaque phrase dans sa langue
maternelle. Alors il devra nous repeter ce petit recit,
a peu prfes dans les termes que nous avons employes.
Quand un el eve a suffisamment pratique la Lecon
(le com>ersation^ les Narrations orales vont, pour ainsi
dire , d'elles-mfemes : cela coule comme de source.
Mais il est rare qu'un m&me et unique mattre com-
mence et finisse un eleve : bien peu de jeunes gens
ont cette chance heureuse. La plupart, au contraire,
n'ont jamais pris part a une lecon de langage pratique^
ot ceux-la^ on le concoit^ ne sont gufere prepares a
narrer de vive voix, mfime ce qu'ils viennent d'en- -
tendre lire. Lorsque, dans le cours de notre enseighe-
ment, nous rencontrons de ces langues difficiles a de-
lier, langues qui se trouvent ordinairement au service ^
d'une mechante memoire^ nous adoptons une marche-
leote et compassee. Une ou deux phrases nous four-
nissent alors la matiere d'une lecon. Encore avons-
nous sou vent la precaution d'ecrire au tableau les^
principaux mots de chaque phrase, pour que la vue de
notre malheureux disciple vienne au secours de sa
langue et de sa retive memoire.
L'experience du maitre de langue est juge du mo- -
ment ou son eleve, faisant un pas de plus, lui racon-
tera des anecdotes , des historiettes, de petits traits
d'histoire, quilaura lus lui-m^me enfruncais. La me—
moire doit sans doute intervenir dans cet exercic^
/
CHAPITRR SIXIEME. 21^
pratique; mais nous ne pernieitroiis point qu'on -
^ienne nous reciter une lecon apprise par coeur, et re- ttarrations
* , orales.
garderons comme non avenue et a recommencer toute
narration de cette espece. Du moment que nous faisons
cette remarque, nous devons nous hater de rendre les
exercices de narration orale assez longs, pour 6ter aux
Jeunes gens Tenvie de faire une affaire de m^moire
complaisante d'un pur exercice de langage pratique.
Les exercices de narration orale, qui, nous le repe-
tons, font suite aux Ijecons de conversation^ doivent
^tre le complement de Tetude secondaire du francais,
^ tons ses degres. 11 arrive un moment ou nous sen-
tons qu'il faut chercher d'autres difficultes que celle
^e raconter une lecture faite en francais. Alors notre
^leve ue doit plus nous raconter que ce qu'// aura tu
^lans sa langue nfaternelte, C'est a lui a aviser aux
xnoyens qu'il mettra en oeuvre : notre tache se borne a
1 ecouter, a approuver ou a desapprouver. De meme
^ue, tout a Theure, nous lui avons interdit les his-
"l.oires apprises par cceur^ nous opposerons maintenant
^in veto formel auxhistoires evidemmentm/^/^//^j';et,
^ans le cas ou nos observations ne seraient point sui-
^vies de Teffet que nous avons le droit d'en attendre,
batons-nous d'augmenter la tache : cela lui otera
I'envie de transgresser nos lois.
Nous arrivons, par une marche toute naturelle, aux
^narrations orales non preparees * L'eleve qui s'en ac-
^uittera a notre satisfaction , nous prouvera qu'il a
lien mis nos lecons a profit. Qu'il nous raconte alors,
sans aucune preparation autre qu'une simple donnee.
2X4 DEUXrtME PARTIE.
un fait historique qui fournit a de nombreux d^velop-
narrations pemcnts, a dcs Considerations interessantes, ou un ev6-
orales.
nement du jour quilui offre une occasion toute nouvelle
d'employer et d'enrichir son materiel philologique. A
chaque faux pas, remis par son guide dans la bonne
voie, il acquerra peu a pen ce style de la narration
soutenue, qui diffftre si peu du langage ordinaire. C'est
le moment de lui reiterer les preceptes relatifs k la
coupe de la phrase, au choix des expressions, au ton a
donner au recit, selon les divers sentiments de T&me.
VII.
Des nnrratloiis ^crltes.
Nous suivrons, pour les narrations rcrites , la
jxn^me marche progressive que pour les narrations
^rales.
La litterature de I'enfance, si riche en ouvrages in-
'•^ressants et profitables, nous off re un choix vari6 'de
^Miorceaux que nous pouvons utiliser pour nos pre-
^VQiiers essais de ojarrations ecrites. II n'y a, pour ainsi
^^ire, (ju'a prendre au hasard. Nous avons, par exem-
^5)le, sous la main un ouvrage de mesdames Voiart et
-A. Tastu, les Enfant A de la vallee (tAndlau, Nous
Tl'ouvrons, et, a la premiere page, nous trouvons une
Tiistoire intitulee le BenecUcittL Nous lisons a notre
^Ifeve le premier alinea, autant de fois qu'il le desire
et que nous le jugeons n^cessaire. Nous lui dictons
ensuite des notes, dont il s'aidera pour son travail, et
nous terminons par une nouvelle et derniere lecture du
fragment qu'il doit reproduire de son mieux.
La fois suivante, c'est le tour du second alin6a, et
nous parvenons de la sorte au bout du recit, que notre
^i6ve se trouve avoir reconstitue au moyen des 61e-
^ents que lui ont fournis la lecture du texte original
^t nos propres notes.
Quelquefois on rencontre, mfeme dans les recits les
216 DEUXIEME PARTIE.
ecntes.
■~ plus simples, des passages abstrails, des reflexions
narrations uH peu loDgucs , dcs details pcu attrayants ; on fera
bien de les elaguer. Aimant a joindre Texemple au
precepte , nous allons reproduire , le^on par leQon , le
texte de notre petite histoire, en y joignant les notes
que nous dicterions, si nous la prenions pour exercer
un eleve a la narration ecrite.
LE BElNtolCITE.
I.
L'Alsace est upe des plus riches et des plus pittoresques contrees
de la France. La beaut^> de ses cultures, la diversity de ses industries,
ses for^ts , ses vieilles ruines f^odales couronnant les cimes de ses
inontagnes , les Vosges, le Khin, Strasbourg -^nfin, avec sa cafh^-
drale, tout rend ee pays aussi curieux k visiter qu'int^ressant k con-
nattre. £n descendant des Vosges, on rencontre la charmante vallee
d^Andlau , entour^e de hautes montagnes couvertes de sapins et tou-
tes surmont^es des restes d'anciens chdteaux forts.
NOTES.
Ge qu'est F Alsace. Cultures, industrie, for^s, ruines f^odales,
les Vosges, le Rhin, Strasbourg et son monument principal , pays
curieux et intere^sant. Ce qu'on rencontre en descendant des Vosges,
de quoi la vallee d'Andlau est entour^e , ce qui couvre et couronne
les montagnes,
II.
A Tendroit le plus resserre de cette vallee, 1^ ou la petite riviere qui
donne son nom a ces lieux enchantes roule et bondit toute blanche
d*6cume a travers les rochers, et forme une suite de fralches et bril-
lantes cascades, s'^leve la jolie petite ville d'Andlau, Tune des plus
CHAPITRE SEPTIEME. 217
industrieuses du departement. Un vieux manoir, avec ses deux tours
rondes, domine d'une maniere pittoresque la cime de la montagne,
Des
iiarratioiis
et plus bas les ruines de Tantique abbaye completent le tableau. ecrites.
WOTES.
Endroit oil s'eleve Andlau, d'oii vient ce nom, lieux enchantes, as-
pect de la petite riviere , suite de cascades, par quoi se distingue la
jolie ville d'Andlau. Ce qui domine la montagne, ruines que Ton voit
plus bas, ce qu'elles completent.
III.
C'est la que vivait, il y a peu d'annees, une famille honorable, dont
le nom 6tait Watter. Le pere, homme d'un grand savoir, d'une bont^
in^puisable, exer<^it la m^decine, et tous les moments que ne recla-
maient point les devoirs de sa noble et utile profession , il les consa-
crait a Tdducation de ses enfants. M . Walter ^tait bien second^ dans
ce soin important par sa digne epouse, qui, veritable mere de famille
chr^tienne, ne negligeait rien pour developper dans ces jeunes coeurs
les pr^ieuses semences de la vertu. Ces enfants, au nombre de huit,
quatre garqons et quatre fiUes, d'dges et de caracteres differents, re-
cevaient done de leurs parents, non-seulement la meilleure Education,
mais encore Texemple habituel de toutes les vertus qui font a la fois
le Chretien et I'honn^te homme.
NOTES.
Qui vivait dans cet endroit. Savoir, bonte , profes$>ion du pere , a
quoi il consacrait ses loisirs. Qui secondait M. Watter, quelle personne
^it son ef ouse , ce qu'elle s'effor^ait de developper dans leurs jeu-
nes coeurs. Nombre des enfants, leur difference d'dges et de carac-
teres, ce qu'ils recevaient de leurs parents, ce que font les vertus.
2(8 l>KllXII^:!Vli: PABTIK.
DCS IV.
larratious
Les domestiques de la maisou, bien traites par les mattres, regar-
d's par eux comme des membres de la famille, entraienl dans leurs
vues a cet 'gard ; aussi les plus jeunes des enfants, qui ne pouvaient
encore s'astreindre a manger proprement a la table des parents ,
etaient-ils confix, sans aucun inconvenient, pendant I'heure des re-
pas, k une gouvemante attentive et soigneuse, et ils ne rentraient dans
la salle a manger que lorsqu'on avait desservi.
La petite Marie, qui venait d'achever sa quatrieme annee, avait un
graod desir de s'asseoir a la grande table avec ses frercs et ses soeurs ;
et plus d'une fois , quand elle voyait porter le dtner dans la salle ,
elle 'chappait a la vigilance de sa gardieune , et cherchait a pen'trer
dans le lieu eucore interdit a son §ge et a la turbulence de ses ma-
ni^res enfantines.
NOTES.
Traitement 'prouv' par les domestiques, comme quoi on les re-
gardait, en quoi ils secondaient les parents. A qui on confiait cer-
tains enfants, pour quelle raison, a quel moment, quand ils rentraient
dans la salle a manger.
Age de la petite Marie, ce qu'elle desirait vivement ; a la vigilance
de qui elle 6cbappait souvent, dans quel endroitelle cherchait a pe-
n'trer, h quoi cet endroit 'tait interdit.
Un jour que la porte etait restee entr'ouverte, et que la famille se
trouvait dej^ r'unfe autourdela table, Marie s'approcha a petits pas
et se glissa sans bruit dans la salle. En ce moment, un de ses fibres
prononcait a haute voix une courte priere, pendant laquelle le Teste
des convives demeurait les mains jointes et dans une attitude respec-
tueuse. Marie imita machinalement cette action, dont elle ne com-
prenait pas le motif ; mais bientot rappelee par sa gouvemante , et
distraite par rexcellente soupe au lait sucre que lui servit cette der-
CHAPITRE SEPTlfeME. 219
niere, IVIarie oublia promptement cette drconstance. Opendant,
quelques heures apres , se trouvant seule aiipr^ dc sa m^rc, ct tan- narrations
dis que celle-ci etait occupee a travailler, le souvenir de ce qu'elle icritcs
avait vu revint a la memoire de la petite, qui demanda alors a sa
m^re pourquoi , avant de manger la soupe , tout le monde avait ainsi
joint les mains.
NOTES.
£tat de la porte un jour, autour de quoi la famille ^tait r^uuie,
comment Marie s'approdia et ou elle se gltssa. Paroles qu'un de ses
fr^res prononcait , comment se tenaient les autres convives. Ce que
Marie imita, ce qu'elle ne comprenait pas ; par qni elle fut rappel^ ,
distraction qui lui survint, ce qu'elle oublia. Aupr^ de qui elle se
trouva quelques heures apr^s^ ce que faisait sa mere, souvenir
qui revint a la memoire de Tenfant , question qu'elle adressa a sa
m^re.
VI.
— C'est un temoignage de respect que nous rendions a notre P^re
celeste, r^pondit roadame Watter.
— Comment, est-ce que nous avons un autre p^ que papa
Watter?
— Qui, ma fille, et ce Pere celeste, c'est le bon Dieu qui demeure
au ciel, la-haut au-dessus des nuages; il est le p^xe, non^seulement
de tons les hommes , mais encore de tout ce qui vit sur la terra. Nous
ne pouvons le voir, parce que nos faibles regards ne sauraient p^e-
trer jusqu'a lui ; mais il remplit tout I'univers de sa presence. Sans
ses soins et son amour pour nous , il ne croltrait ni fruits, ni fleurs ,
m U^ pour faire du pain, ni raisin pour faire du vin, ni troupeau
pour nous donnerdu lait, du beurre, de la viande, de la laine, ettout
oe qui sert k nous v^tir, k nous nourrir. Ton pere et moi , nous som-
mes de bcms parents, nousaimons tendrementnos enfants ; mais Dieu
est encore bieu meilleur que nous, et il vous aime infiniment plus
que nous ne saurions le faire ; ton pere salt heaucoup de f hoses, mais
le bon Dieu est hien autrement savant, car il sait tout, il voit tout.
Des
larratious
Rentes.
220 DEUXlfiME PARTIE.
il eutend tout , il connatt jusqu'a nos plus secretes pensees , et rien
n'est impossible a sa puissance.
NOT£S.
— Teuioignage que la famille reudait a Dieu.
— Question de Marie a propos de son pere ?
^ Madame Watter explique a Marie qui est ce Pere celeste, ou il
habite ; de qui il est le pere. Pourquoi nous ne pouvons le voir , de
quoi il remplit Tunivers. Ce qui ne croltrait point sans lui, fruits ,
fleurs, ble, raisin, troupeau. Ce qu'est le pere ainsi que la mere, qui
lis aimenttendrement, qui Dieu aime encore davantage; savoir etendu
dupere, savoir superieur de Dieu, ce qu'il sait,voit, entend, connatt^
son pouvoir sans bomes.
VII.
— Oh , que c'est drole, maman ! est-ce que, quand je parle au bon
Dieu qui est la-haut, il entend ce que je lui dis, comme toi et papa
vous m'entendez lorsque je vous parle ?
— Assur^ment, ma chere enfant, il voit egalement tout ce que tu
fais : par exemple, lorsque je te defends une chose que je juge ^tre
mauvaise, et que tu veux ^tre un enfant d^ob^issant, tu peux bien
faire en mon absence la chose d^fendue sans que je le sache ; mais Dieu
le salt, parce qu'il est present partout comme Fair qui nous envi-
ronne : ainsi quand tu es mechante, menteuse, gourmande, entetee
ou col^, le bon Dieu te voit, et il est m^content de toi.
NOTES.
— Exclamation de Marie ! elle demande si le bon Dieu Fentend
comme ses parents I'entendent ?
— Sa mere lui repond que Dieu voit aussi ses actions ; si elle en-
freint une d^ense de sa m^e, elle peut bien faire mal sans que celled
le sadie ; Dieu ne Tignore point, sa presence universelle; quand la pe-
tite fille s'abandonne aux d^fauts de son age , elle est vue de -Dieu ,
qu'elle meeontente.
CHAHTKE SEFriKME. 22 1
VIII. Des
narrations
— £st-ce qu'il peut aussi me punir comme tu me punis quelquefois
qaand je n^ai pas ^t^ sdge ?
— Qui , mats ce n*est pas de la mime maniere. Dieu te pimit par
le trouble d'une mauvaise conscience, c'est-a-dire que, lorsque tu as
fait quelque chose de mal, une horrible inquietude t^agite et te tour-
mente ; tu crains que tes parents ou d*autres ne d^couvrent la faute «
et quils ne te punissent ou ne te m^prisent a cause de cela ; quand tu
es prite a commettre une mauvaise actioo , il y a en toi quelque chose
qui te dit : Cela est mal! C'est ce qu'on appelle la conscience, c'est
la voix de Dieu qui f avertit ; toutes les fois que tu ob^iras ^ cette
voix secrete, et que tu t'abstiendras de mal faire, tu seras une bonne
et sage petite fille, que Dieu aimera et que tout le monde cherira;
mais si tu dedaignes cet avertissement salutaire, si tuneveuxsuivre
que ton mauvais penchant, tu d^sob^iras a Dieu , tu afHigeras tes
parents, et tu n'auras plus droit a Testime de personne.
NOTES.
^ Question de IVlarie concernant la punition divine.
— Explication donn^e par la mere. Trouble d*une mauvaise cons-
cience, inquietude qui suit le mal ; crainte des suites d^une d^cou-
verte; avertissement int^rieur, prec^dant une action reprehensible !
Cette voix a un nom^ de qui elie est Tavertissemeut ; obeir ^ cette
voix et se garder du mal, c'est bonte et sagesse , amour de Dieu et
affection generale ; mepris de cet avertissement , entetement a mal
faire, desobeissauce envers Dieu , affliction pour les parents, perte de
la bonne opinion du monde.
ecntes.
IX.
Cette reponse fit beaucoup reflechir la petite Marie. L'idee qull y
avait un etre plus grand , plus puissant et plus savant que son papa ;
qui voyait toutes ses actions et entei\dait toutes ses paroles , frappa
son jeune esprit: elle devint des lors une gentilleet sage petite fille ,
222 DEUXlfeME PARTIE.
~~ attentive a ^viter tout ce qui etait mal et tout ce qui pouvait deplaire
iiamtioiib ^ ^^^ ^^^^ si boil qu'on appelait le bon Dieu, et qui Taimait comme
cerite*. uji p^re.
Quand ses parents eurent remarqu^ ces heureux cbangements chez
Marie, ils Tadmirent au rang de ses freres et soeurs. Le jour ou son
pere, apres une courte absence, se retrouva au milieu de sa fanulle,
on pla^a pres de lui une haute chaise, ou la petite fille , toute fiore
et toute joyeuse, vint s'asseoir, et par sa raison, sa propret^ et sa
bonne tenue, se montra digne de Fhonneur qui venait de lui dtre ac-
cord^.
NOTES.
Effet de cette r^ponse sur Marie. Idee qui frappa son esprit; ce
qu'elle devint, a quoi elle fnt attentive.
Ce qtte firent ses parents, cet heureux changement remarque.
Quel meuble on pla<^ aupr^s de son p^re , reveuu d'un long voyage,
ou la petite fille prit place, qualit^s qui la rendirent digne de cette
distinction.
On a sans doute remarque que, dans les Notes ci-
dessus , nous avons conserve la ponctuation du texte
original. Cette precaution facilite le travail de T^l^ve :
il trouve en quelque sorte tout prepare le cadre de
chacune de ses phrases.
Lorsque le maitre, satisfait des premieres narrations
ecrites de ses eleves, les croit en etat de se passer de
ces notes detaillees, qui le maintiennent comme des
lisieres pour le preserver de chutes par trop lourdes,
on doit adopter une marche en rapport avec les pro-
grfes r6alis6s. II suffira alors de dieter un simple ar-
gument^ qui resume convenablement les parties les
plus saillantes des compositions a rediger. La maniere
CHAPITKE SEPTlfeME. 223
ecntes.
dont ces arguments sont presentes,'influe beaucoup
sur le plus ou moins de bonheur avec lequel nos eleves narratioas
executent leur travail. Nous pensons que, dans le
commencement, il est bon de trancher nettement les
diverses parties de ces r6sum6s ; on fera m6me trfes-
bien de les num^roter, comme dans Texemple suivant,
que nous empruntons a un ouvrage utile a consulter * .
L'fiGUSE DE VILLAGE.
ARGUMENT.
Le tableau a tracer se divisera en trois parties : l"" FefTet lointaia de
r^glise avec son clocher ; 2<' le cimetiere, a I'entr^e du temple , les
croix de bois, Fherbe qui pousse sur les tombes ; S"" I'interieur de
Teglise, la simplicite des omemeuts, la solitude de la nef et du cho&ur,
ou Ton n'apercoit qu'une vieille femme en priere.
Conclusion : la vue de ce temple rustique inspire des sentiments
plus religieux que les eglises les plus vastes et les plus riches.
DEVELOPPEMENT.
Voyez-vous ce temple rustique, baiti sur le sommet d'une colline ,
et entoure de vieux ormes, qui semblent ses contemporains ? La
fleche gothique s'^leve au-dessus des arbres , et se detache dans un
del pur, avec les grolles et les comeilles qui voltigent autour d'elle.
Approcbons : deja nous sommes dans Tencante funebre qui environne
I'eglise ; aucun monument ne frappe nos regards ; Therbe a reconvert
d'elle-m^me la tombe du laboureur qui ne fait plus la moisson, et
quelques croix de bois , qui ne r^sisteront pas au premier orage,
attestent seules les pertes les plus r^entes du hameau.
La porte de T^glise est ouverte, mais personne dans le temple : ce.
' Nouvelles narrations francaises , par M. A. Filon. A Paris, chez L. Ha-
ehette.
224 DEUXifiME PARTIE.
n'est point l*heure de la pri^re , et tous les villageois se Hvrent a leurs
narratfoiLs ^^^^aux accoutumes. Cependant une femme prostern^e prie seule,
ecrites. derri^re un pilier. Vieille et pauyre, elle a droit au respect comme
h la piti^ : dans la plus humble condition , sous le costume le plus
grossier, la vieillesse imprime au front de I'homme un caract^
sacr^. Que demande cette femme avec tant de ferveur ? Est-ce le salut
d'un mari mort jadis k Tarm^e , ou la vie d'un fils malade dans une
chatimi^re voisme ? Dieu le sait ; mais, quel que soit le motif de sa
pri^re, la pr^ence de cette pauvre femme semble ajouter quelque
chose k la saintet^ du lieu ; et ces murs noircis, que ne d^core aucun
chef-d'oeuvre des arts, cette image de la Vierge grossierement taill^,
ces autels de bois , qui n'ont d'autre omement qu'une croix entour^e
des fleurs de la saison, tous ces objets enfin, dans leur naive simpli-
city , inspirent une Amotion plus religieuse , un recueillement plus
profond , que les temples les plus om^s et les plus majestueuses
basiliques
Nous arrivons au troisifeme et dernier genre de nar-
rations ecrites. Maintenant que nos el^ves, soigneu-
sement exerc6s, sont quelque peu brisks sur la facture
de la phrase francaise, nous pouvons, sans trop d'in-
convenient, leur laisser plus de liberte dans leurs
compositions. A cet effet, renonqant aux notes et aux
arguments, nous nous contenterons de leur lire les
narrations qu'ils seront appeles a reproduire par ecrit.
N'oubliant point cependant que nous avons affaire k
des Strangers , pour qui maintes choses , famili^res a
Televe francais, apparaissent comme des revelations
et des d^couvertes, nous agirons avec sagesse si nous
leur signalons, soit une expression que nous desirous
voir figurer dans leur ouvrage, soit une pensee ou un
tour de phrase empreints de sentiment, de delicatessen
CHAPITRE SEPTlfiME. 225
d'originalit6. Nous n'entrerons pas dans plus de details ^
k ce sujet; nous en avons assez dit pour les maitres "anxious
capables, et c'est a ceux-la seuls que nous nous
adressons.
II y a de malheureux 61^ves pour qui la nature est
una si cruelle marSltre, qu'ils ne sont pas mSme capa-
bles de rediger ces petites narrations ; lectures et notes
n'y font rien. Et cependant nous pouvons d'autant
moins les abandonner a leur triste sort, qu'on voit
tons les jours des jeunes gens, dont on commencait i
desesperer, se developper comme par enchantement ,
et recompenser enfin la Constance de leurs mattres.
Voici la maniere dont nous procedons avec ces fetres
dignes de tout notre interSt. Nous leur lisons trois
on quatre phrases, quelquefois moins, jamais plus;
celles-ci, par exemple, qui sont tir6es du Premier soir
de la Pluralite des rnondes :
« Nous alldmes done im soir apres souper nous promener dans le
M pare. II faisait un frais d^licieux, qui nous r^compensait d'une
« journ^e fort chaude que nous avions essuyee. La lune ^tait lev^e il
« y avail peut-^tre une heure , et ses rayons , qui ne venaient a nous
« qu'entre les branches des arbres , faisaient un agr^able melange
« d'un blanc fort vif avec tout ce vert qui paraissait noir. »
Nous leur lisons done ces phrases, jusqu'a satiete,
s'il le faut. Ensuite nous leur dictons les mots ^ui-
vants :
Mler^ soir, souper ^ promener^ pare.
Faire frais delicieux ^ recompenser ^ joumie chaude^ essuyer,
Lune levee, heure^ rayons^ venir entre^ branches, arbres, faire
agreable mdange^ blanc fort vify vert^ paraiire noir, *
15
256 DEtJXlEME PARTIE.
rentes.
~^ ' Bien que ces signes isol^s ne soient tinis entre eiix
iiari-atious pap BXLcuu Hen perceptible , il y a ea^emble enXve
tontes ces idees^ et il ne faut qu'un leger travail pour
reconstruire les phrases d'ou ces mots sont tires.
Quand DOS pauvres d'esprit seroDt Assez forts pour
qu'oQ cesse de les mener aiasi par la main, on peut
jTaire. un p^ de plus^ et rendre progressivement leiur
tacbe plus difficile. On ne leur donnera plus alors^
gur les {^ases de Fontenelle citees tout a I'heure^ que
les notes que voici :
. Soup^Tj promenade, parc^ FraicheuVf Ugriabk campensaiion^
Clair de lune, vive hlancheur^ arbres, vert noir.
Dana ces notes, toute pensee, quelque niinime
qu'elle soit, so trouve representee parle mot genera*
teur lui-mfeme, et Televe, avec un tantinet de sagacite,
parviendra a retablir un texte, et a lui donner avec le
texte original 9 sinon une ressemblance frappante, du
moins un air de parent^ assez proche. Assortissant
les mots ci-dessus, il dira peut-§tre :
Apres le souper, on fait at«c plaisir une promena^ danfii nn pare.
La fralcheur de Tair a ce moment est une agr^able compensation des
cbaleurs de la joumee. Le clair de lune r^pand une Tive blancheor
sur la terre, et forme un doux contraste avec le Tert nohr du feoillage
des ari)res.
et il n'aura pas mal employ^ les Elements de compo-
sition qui lui out 6te confies.
La reconnnandation que nous avons faile pour, tous
CHAPITRE SEFnfiME. 227
les ouvrages deja passes en revue, nous la renouvelons T
pour les narrations ecrites : il ne faut point negliger, narrations
una fois qu'elles ont subi les corrections necessaires,
de les mettre au net dans un cahier a part , qui sera
peut-6tre un jour de quelque utilite.
vra.
M^u slyle epistolaire.
Un des emplois les plus importauts d'une langue
c'est, sans contredit, la correspondance : ecrire une
lettre est un besoin frequent, souvcnt une affaire
grave, d'ou dependent les plus serieux interfets. Que
de soins ne faut-il done pas apporter a s*instruire des
regies de Tart 6pistolaire? Dans le flux de la conver-
sation, une parole echappee se dissipe ordinairement
dans les airs, sans aucune suite bien facheuse; dans
une lettre, au eontraire, tout porte, parce que tout
est sens6 reflechi, pes6, ecrit avee intention. Le lec-
teur juge rigoureusement pens4es et expressions, style
et motifs ; un mot devoile une quality, trahit un vice,
donne la mesure de nos capacit6s^ met a nu le faible
de notre Education. Le bonheur, la carrifere d'un
homme n'a-t-elle pas souvent d^pendu de quelques
lignes de sa main ?
Nous n'appuierons pas davantage sur I'importance
de Tart epistolaire ; il est le m^me pour toutes les na-
tions, pour tons les idiomes. Notre tllche ici, c'est
d'initie^* le lecteur aux caractferes qui le distinguent
dans la langue franqaise.
Nous crayons pouvoir avancer, sans exag^ration ni
vanity , que Tart epistolaire a atteint en France , plus
CHAPITRE UUITIEMK. 329
' que partout ailleurs, le supreme degr6 de perfection
La lettre etait cultivee chez nous que la litt^rature de ^^toiaire.
plus dune nation etrang^re donnait a peine signe de
^ie. Qu'on cherche ou Ton voudra la raison de cette
suprematie, les monuments de notre langue dans cette
.l)ranche litteraire depassent ceux de tous les autres
peuples civilises. Serait-ce parce que notre langage est
par excellence celui de la conversation ? En trouvera-
troa la cause dans Tesprit facile, communicatif et
i^oulant des Francais, dans la simplicity de notre cons-
truction , dans notre syst^me verbal? Serait-ce dans
I'heureuse absence de ce fatigant ceremonial, si cher
^ certaines nationalites ? Ces avantages r^unis contri-
l>uent efficacement a nous assurer une preponderance
qu'on n a jamais ose contester a notre nation.
Tout le monde connatt Tinimitable correspondance.
<tes Sevigne, des Maintenon. Yoiture, malgre son af-
feterie, Racine, Boileau, Voltaire, les Rousseau, et
cent autres, nous ont laisse de nombreux sujets d*e-
tudeetd'admiration. Nous trouvons. dans leurs oeuvres
epistolaires des lecons pratiques de style, de conve-
nance surtout. Cette derniere qualite est la plus pre-
eieuse a acquerir; celui qui ne la possede pas, doit y
tendre de tous ses efforts. U serait en effet souverai-
nement ridicule d'6crire une lettre de condoleance sur
un ton leger, de narrer une partie de plaisir en termes
boursoufles et emphatiques. L'etude des ecrivains
: modeles est le moyen le plus sur de se former dans
les divers genres ; en observant les ressources qu'ils
ont exploitees pour traiter de sujets varies, on par-
wo DEUWftME PARHE.
viendra a se plier a foutes lea exiireiices d'une coiv
Dii style T / ,
epistoiaire. rasponoaiice 6teiidae.
Le ceremonial est le principal et peutp^tre rmit({ae
point ou les Eltrangers et les Francis different dans
Tart epistolaire. En beattcoup de pays on aime k don-
ner et a recevoir en retour certains titres^ auxquels
on tient asse^ ; en France, on est sans pretentions k
cet egard. Le point exclamatif se dresse cd, et Ik dans
la correspondance de beaucoup d^ftrangers, comme
pour en faire les honneurs ; jamais il ne manque en
tdte de Tepttre , apr^s le titre du personnage k qui
Ton 6crit^ quelque minime que soit d'ailleurs le Tang
qu'il oecupe dans la soci^te. Chez nous, dans ee cas,
I'empldi d^une simple virgule est commands par Tu-
sage et la logique, le point dit d'e&clamation n'aceom-
pagnant jamais qu'un cri dejoie, de surprise/ d4ndi-
gnation* En beaucoup de pays, chaque ^tat exige
imperieusement la formule honorifique k laquelle Tu*^
sage lui donne droit ; et il y en a parfois tout un ar-
senal. En France, le titre de Monsieur va a presque
toutes les conditions. Sous ce rapport, nous avons au
moins Tavantage de la simplicite. Ecrivonfr-nous a
quelqu'un de haut place, la troisieme personne sin^
guliere est une marque de deference et de respect;
mais il serait difficile de se tenir longtemps sur ee
ton; nous reprenoas done, ausst naturellement que
possible^ la seconde personne du pluriel.
Tons les evenements de la vie peuvent mettre dans
la necessite d'ecrire une lettre; ie genre epistolaire
est, de la litterature, celui qui offre le plus de diversite
CHAPITRE HUmi^Me. 331
dans ses ramifications infinies. II y a ies lettres de
, , . I>»i style
narration^ celles de morale^ de bonne annee^ Aefeli-- epistoiaire;.
4:iiaiion, ^ins^tationy de condoleunce ^ ^^ remercU
juent^ d^mUeUy de recommafjtdatiofi y di' affaires ^ etc.
Pour suivre la marche que nous avons adoptee,
nous allons donner un modele de ces lettres ; les per-
sonnes qui desireront de plus amples details^ p^uveat
M*ecQurir aux ouvrages spedaux : elles a auront que
I'embarras du choix. Nous croyons prevenir le v<Ba
^e nos lecteursy en faisant preceder chacun des mo-
^eles cites des preceptes qui le regissent. Nous ob-.
^^rverons qu'en r^le generale la simplicite sied a
fcoute correspohdance. Cette sentence d'un ar^cien :
.A^erba volant y scripla nianent^ doit nous engager vir
^%/coient i la discretion.
1.
LErrRt;s de narration.
Ites ces lettres , tout doit couler de source. La g^ne ea sera ban-
^^ie^ de mtoeque Fempfaase. La narradoB doit toe facile, piquante,
^^apide, pleine de d^nvolture* Baimissons-eii lesambages, les rediles,
^ «s inutilites. Plus on dira de ehoses en peu de mots, plus on approdiera
w3e la perCectioii. ^La lettre ci*^essous, qui est cit6e dans tous les
^-eeueils, est, dans le genre, le modele des modeless A cette oceasien,
^ftous resomiBandons fortement la lecture de la correspoftdanoe de
^auNLoul^ qui est, comme toutes ses ceuvres, empreince d'une a4-
^nirable fabiit^. On trouvera ^galement plaisir et profit ^ lite le
Voyage aM4aur de- mon Jardin du spirituel et incisif Alphonse
Karr,
S
:i32 DEUXXEMK PAR'nR.
le Module.
nr.
PAUL-LOUIS COURRIER A MADAME PIOALLK.
HMna, pres de Portici, l*** septemlNne 1807.
Vos lettres sont rares , 'chere cousine ; vous iailes bien, je my
accoutumerais, et je ne poorrais plus m^en passer. Tout de bon je
suis en colere : vos douceurs ne m'apaisent point. Comment, cousine,
depuis trois ans voila deux fois que tous m'^riveae ! En r^rite,
mamselle Sophie... Mais quoi ! si je vous quereUe vous ne m'6crirez
plus du tout. Je vous pardonne done, crainte de pis.
Qui sArement, je vous conterai raes aventures, bonnes et mau-
vaises, tristes et gaies, car il m*arrive des unes et des autres. Lais^
sa-nous faire^ cousine, on vous en donnera de toutes ies farons.
Cest un vers de la Fontaine, demandez u Voisard. Mon Dieu,
m*allez-vous dire, on a lu la Fontaine : on sait ce que c*est que Ip
Care et le Mort! Eh bien, pardon. Je disais done que mes aven-
tures sont diverses, mais toutes curieuses, int^ressantes : il y a plaisir
a les entendre, et plus encore, je m'imagine, a vous les center;
c'est une experience que nous ferons au coin du feu quelque jour ;
j'en ai pour tout un hiver. J'ai de quoi vous amuser, et par conse-
quent vous plaire, sans vanite, tout ce temps-la ; de quoi vous atten-
drir, vous £eiire rire, vous faire peur, vous faire dormir. Mais pour
vous ecrire tout, ah ! vraimcut vous plaisantez ; madame Ratdiff n*y
suffirait pas. dependant je sais que vous n^aimez pas h ^tre refusee,
et comme je suis complaisant, quoi qu'on en disc, voici en attendant
un 6chantiUon de mon histoire; mais e'est du noir, prenez-y garde.
Ne iisez pasceia en vous couchant, vous en r^veriez, et pour rien au
monfle jene voudrais vous avoir donn^ le cauchemar.
Un jour je voyageais en Galabre ; c'est un pays de m^chantes geps
qui, jecrois, n'aiment personne, et en veulent surtoutaux Francis;
de vous dire pourquoi, cela serait trop long ; suftlt qu'ils nous hais-
sent a mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe
entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d*une
figure... ma foi, comme ce uiousieur que nous vimes a Rincy ; vous
en souvenez-vous? et mieux encore peut-dtre. Je ne dis pas cela
pour vous interesser, mais parce que c*est la verite. Dans ces mon -
CHAPITRE HUmtlME. 2S3
tagnes led chemins sont des precipices; nos chevaux marchaient avec ,
beaucoup de peine ; mon camarade allait devant ; un sentier qui lui epistolMn
panit phis praticable et plus court nous ^gara. C'^it ma faute; de-
vais-je me fier a une t^te de vingt ans? INous cherchdmes tant qu'il
fit journotre chemin h travers ces bois; mais plus nous cherchions,
plus nous nous perdions, et ii ^it nuit obscure quand nous arri-
vdmes dans une maison fort noire ; nous y entrdmes, nou sans soup-
9on; mais comment faire? La nous trouvons toute une famille de
chaiiionmers a table, oil du premier mot on nous invita ; mon jeune
honme ne se fit pas prier : nous voil^ mangeant et buvant, hii du
moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hdtes. Nos
hdtes avaient bien la mine de charbonniers, mais la maison, votis
Tcussiez prise pour un arsenal ; ce n*6taient que fusils, pistolets,
sabres, oouteaux, coutelas. Tout me d^plut, et je Tis bien que je
d^plaisais aussi ; mon camarade au contraire, il ^tait de la (iatmille,
il riait, il causait avec eux ; et, par une imprudence que j*aurais dtH
pr^voir (mais quoi, il est ecrit...)i il dit d'abord d'ou nous venions,
bu nous allions, que nous ^tions Fran^ais ; imaginez un peu, chez nos
plus mortels ennemis, seuls, egar^, si loin de tout secours humain!
Et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit
le riehe, promit a ces gens pour la d6pense, et pour nos guides le
iendemain, tout ce qu'ils voulurent. Enfin il paria de sa valise, pildnt
fort qu'on en edt grand soin, qu'on la mtt au cheret de son lit ; il ne
Toulait point, disait-il^ d'autre traversin. Ah! jeunesse! jeunesse!
que votre dge est k plaindre! Cousine, on crutque nous portions
les diamants de la coiironne... Le souper fini, on nous laisse; nos
hdtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute ou nous avions
mang^. Unesoupente ^iev^e de sept a huit pieds, ou Ton montait
par une 6chelle, c'^tait le coucher qui hous attendait, espece de nid
dans lequel on slntroduisait en rampant sous des solives cfaargees de
provisions pour toute Tann^e. Mon camarade y grimpa seul et se
concha tout endormi, la t^te sur la precieuse valise ; moi, d^termitie
a veiller, je fis bon feu et m'assis aupres. La nuit s'^tait d^ja pass^e
presque enti^re assez tranquillement, et je commen<;ais k me rassu-
rer quand sur Theure ou il me semblait que le jour ne devait pas dtre
loin, j'entends au-dessous de moi notre hdte et sa femme parler et se
disputer ; et pr^tant Toreille par la cheminee qui commuuiquait avec
celle d'en bas, je distinguai ces prupres mots du mari : Eh bien !
\
214 DEUXifeME PARTI E.
" enfin^ voyons, faut-il les ttier Ums deux f A quoi la femme r<&-
*^|'^^® pondit oui; et je u'entendis plus rien.
Que Yous dirai-je? Je restai respirant a peine, tout mem corps
froid comme un marbre ; a me voir vous n'eussieK 6U si j'6tais mort
ouvivant. Dieu! quandj'y pense encorel..» Noui» deux piesfue mxm
acmes, contre eu\ douse ou quinze qui en ayai«at tantl el vuqux
camarade mort de sommeil et de fatigue t Uappeler, faire da iwuity
je n'osais; m'echapper tout seul, je ne poavais; la fen^tre n't^tait
gu^ haute, mais en bas deux gros dogueshurlant comme dies loups»
En quelle peine je me trouvaisl Imaginez-^le si vous pouvez« Au bout
d'lm grand quart d'heure, qui fut long, j'entendis sur Tesoalier qud^
qu'un, et par la fente de la porte je vis le p^re, sa lampe dans unc!
main, dans Fautre un de ses grands couteaux. II montait, sa fmune
apres lui, moi derriere la porte; W ouvrit, maisavantd'entrer il posa
sa lampe, que sa femme vint prendre, puis il entre pieds nua, el eUe
dehors lui disait a voix basse, masquant avec ses doigts le trop de
lumiere de la lampe, doucement^ va doueement. Quand il fut a
r^helle, il monte, son couteau dans ks dents, et venu a la hauteur
du lit, ce pauvre jeune homme et^du, offrant sa gocge d^oouvertie,
d'une main 11 prend son couteau, et de Tautre^* Ah ! cousinel... il
saisit un jambon qui pendaitau plancher, en coMpe une trwiche€t se
retire conmie il etait venu. la porte se referme, la lampe u'esa va, eC
je reste seul a mes reflexions.
Des que le jour parut, toute la fa^iille a grand bruit vini notta ifeil*
ler, comme nous Tavions recommand^. On apporte a manger, oa
sert un dejeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons
en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hotesse, emporter run
et manger Tautre. En les voyant, je compris enfinle sens de ce&ter-
ribles mots : Faut^l les tuer tous deux ? Et je vous crois, oousine,
assez de penetration pour deviner a present ce que cela signifiaiU
Cousine, obligez-moi; ne contea point cette histcnre* D'abord,
comme vous voyez, je n'y joue pas un beau role, et puis vous me ia
g^teriez. Tenez, je ne vous flatte point : c'est votre figure qui Bulrait
a Teffet de ce recit. Moi, sans me vanter, j'ai la mine qu*il faut pour
les contes a faire peur» Mais vous, voulez^vous oonter? prene^ des
sujets qui aillept a votre air, Psyche, par exemple.
CHAPITRE HUlTlfiME. ns
W, . Du style
epistolaire.
LETTRES DE MORALE.
Les lettres de morsde dotvent toujourg ^tre dittos par te bon b^ib
et la Tai8(m. U faut 1«8 puiser dans son coeur, plut6t que dans son
esprit. GardonS'^nous de d^ayer dans un maleneontreux verbiage ee
qui gagne, m contraire, k dtre pr^sent^ arec une concision correcte.
AjoQtoDs qu'il ne sied gtt^re de faire les moralistes h des gens qui
auiaient enx-m^mes besoin de le^ns : c*est s'exposer k voir r^tor-
quer ses argoments. On pent s'appuyer des moralistes, mais, en gi§-
n^l, il faut ^tre sobre de citations.
Module.
StLViO PfitLlOO ▲ ON JSUNB HOMM£i
Tti as des fr^res et des soeurs ; fais en sorte que l*amour que tsu
dois a tes semblables commence h se r^aiiser en toi, dans toute ^
perfection, d'abord envcrs les auteurs de tes jours, puis envers ceux
qui te sont unis par 4a plus etroite des fratemites, celle d'etre n^s
des m^mes parents que toi.
Pour bien pratiquer )a divine science de la charit^ envers tous les
hommes, iF faut en faire Tapprentissage en famille*
Quelle douceinr n\y a-t-il pas dans cette peusee : Nous sommes
enfants de la m^me mere I Quelle douceur encore d'avoir troav6, a
peine venus au monde, les memes objets a ven^rer avec predilec-
tion I L'identite du sang et la ressemblance de beaucoup d'habitudes,
entre freres et soeurs, font nattre tout naturellement une forte sym*
pathie, qui ne pourrait ^tre detruite que par un horrible egoisme.
Si tu veux Stre bon frere, garde»toi de ce vice; propose- toi chaque
jour d'etre g^n^reux dans tes relations fratemelles ; que chacun de
tes freres, que ehacuoe de tes soeurs voie que ses int^r^ts te sont
aussi chersque les tiens. Si Tun d'eux fait une faute, sois indulgent
pour lui, non-seulement comme tu le serais pour m autre, mais
236 DElJXifeMK PARTIE.
* plus encore. R6Jouis-toi de leurs vertus; imite-les, et excite-les par
' t *la I ^^ exemple ; fais qu'ils benissent le sort de t'avoir pour frere.
lis sout infinis les motifs de douce reconnaissance, de soins affec-
tueux, de tendres craintes, qui c<mlribuent sans cesse a alimenter
I'amour fratemel ; mais il faut n^anmoins y r^fl^chir , autrement ils
passent souvent inaper^us. Commandons-nous de les sentir. Les sen-
timents exquis ne s'acquierent qu avec une ferme volont^. De m^e
que nul ne devient savant en poesie ou en peinture sans F^tude, nul
aussi ne comprend Texcellence de Taraour fratemel, ou de quelque
autre affection noble, sans une constante volont^ de la comprendre.
Que rintimite domestique ne te fasse pas oublier d*4tre poll avec
tes freres.
Sois plus aimable encore avec tes sceurs. Leur sexe est doue d'une
grdce puissante. Elles se servent ordinairement de ce don celeste
pour ^gayer la maisou et en bannir la mauvaise humeur, pour adou-
cir les reproches patemels ou matemels qu'elles entendent quel-
quefois. Honore en elles la suavity des vertus de la femme ; r^jouis-
toi de rinfluence qu'elles exercent sur ton ^e pour Tadoucir. Puis-
que la nature les a faites plus faibles et plus senslfoles que toi, sois
d'autant plus atteutif a les consoler si elleis ont de Tafflictiou, a ne
pas les afQiger toi-mdme, a leur temoigner oonstamment reject
et amour.
Ceux qui contractent, entre freres et soeurs, des habitudes malveil-
lantes et grossieres, restent malveillants et grossiers avec tout le
monde. Que le commerce de famille soit tout a fait beau, tendre,
saint; et quand Thomme sortira de sa maison, il portera dans ses
relations avec le reste de la soci^t^ ce besoin d'estime^ d'affections
nobles, cette foi dans la vertu, qui est le fruit d'un exercice jouma-
lier de sentiments ^lev^s * .
III.
LETTRES DE BONNE ANNfiE.
Ces lettres doiventdtre courtes. II n'y a que les personnes donees
< Traduction d« madame Woillez. A Tours, rhez Mame et Gie, 1B51.
CHAPrrRE HUITIEME. 2«7
dun grand talent, qui puissent s'^tendre longuement sur une pa-
reille matiere, sans tomber dans la banality , qui est Tecueil du , ^" V^'^
' ^ epistolaire.
genre. On n'^crira point a un vieillard, comme on ^crirait a une
personne dans toute la force de Tfige. 11 y a dans les lettres des con-
venances diverses a observer. 11 est difGcile d'y r^ussir quand on
n'ecrit que pour s'acquitter d'un devoir. En gen^ral,.sur quelque
sujet que Ton derive, il faut en toe p^n^tr^, sans quoi on se bat en
vain les flancs. Pour ^crire une veritable lettre de bonne ann^e, il
faut tremper sa plume dans son coeur; demandez a M. de Lamar-
tine si ce n'est point la une des principals regies du genre.
ModUe.
J. B. ROUSSEAU A M. BOULET.
Toutes mes annees se ressemblent, mon cher Monsieur, et je n'en
compte aucune qui ne soit marquee ou par quelque contre-temps de
la fortime ou par quelque t^moignage de votre amiti^. Elle me tient
lieu de tout; ainsi vous ne saurez douter de la sinc^rit^ des voeux
que je forme pour votre sant^ et votre bonheur durant le cours de
I'ann^e ou nous allons entrer. Mon inter^t cependant n'est pas le
seul mobile de mes sentiments ; je sens que je sacrifierais a Taccom-
plisssement des souhaits que je forme pour vous celui de tons les
Yoeux que je forme depuis si longues annees inutilement pour moi.
C'est la mam'^re de penser qui rend les hommes heureux, et je le
serai, de la fa<^on dont je pense, tant que je pourrai compter sur votre
fi^licit^. Permettez que mes amis trouvent ici les assurances de mon
attachement et des voeux que je fais pour eux k Toccasion du jour
prochain consacr^ aux t^moignages de Famiti^. La mienne, mon
cher Monsieur, sera aussi vive et aussi durable que ma reconnais-
sance pour vous, c'est-a-dire les sentiments avec lesquels je veux
vivre et mourir, etc.
2W DEUXI^ME PARTIE.
Du style IV.
epistolaire*
LETTRES DE FfeLiaiATlON.
La politesse ou le sentiment dictant ees lettres, c*est notre posi-
tion vis-a-vis des pei*sonnes que nous felicitous, qui doit ^tre la regie
de nos pens^es et de nos expressions. Quand nous ecrivons pour
ob^ir k de simples convenances, il faut ^tre bref, mais sans s^he-
resse ; avec nos parents, nos amis, nos bonnes connaissances, nous
devons ^pancher nos sentiments, dans la mesure de la tendresse, de
Tamiti^, de Fint^r^t, que nous portons aux uns et aux autres.
ModHe,
LA DUCHESSE DIT MAINE AU DUG DE VIVONIfE , SUB LA YTCTOIBE
DS VILLA-ViaOfiA.
S*il m*^tait aussi facile de vous faire une belle lettre qu'il vous est
ais^ de r^tablir les rois, que d'heureuses pens^es je vous enverrais
sur la grande nouvelle que nous appr^ons de Villa-Viciosa ! Mais il
s'en faut bien que j'aie une f61icit6 si rare, et il vous est plus ais^ de
gagner une bataille qu'a moi d'^crire un trait d'esprit. Je me sou-
viens d'ailleurs fort a propos du proverbe d grand seigneur peu de
paroles ! Les plus grands de tons les seigneurs^ selon moi, sent les
yrais h^ros; ainsi je dois vous dire, plus laconiquement qu'lt per-
Sonne, que vous ^tes I'homme de Tunivers le plus combl^ de gloire,
le plus aimable, le plus aim6 de tons les honn^tes gens et de votre
(iunille; que de tons ceux qui la composent je suis celle qui vous
aime le plus, et qu*en vous pi^^f^rant k tons je ne crois £dre que
mon devoir.
V.
LETTRES DINYTTATION.
Ces lettres doivent, pour ainsi dire, donner un avant-goAt des
CHAPITRR HUITIEME. 239
plaisirs, distractions, jouitsanees, que Ton ^igag6 a venir partager. ^
Entre amis, une fraiiche gaiet^ ne les d^pare aucun^nent. Les let- ^"lof^J-g
ires d'inTitation adress^ a des personnes d'une condition sop6*
rieure^ respireront un sentiment exquis des convenances sociales.
Module.
A JOS^P^NE.
Nous sommes prisonni^res depnis ce matin, mais nous aimerons
notre prison, si vous ^tes assez bonne pour venir nous aider a passer
gaieitient la soiree. Ne refusez pas ce plaisir a vos nouvelles amies.
EULALIE fiT CiPHISK.
VI.
LETTRES DE CONDOU&ANCE.
La meilleure maniere de calmer un peu la douleur des personnes
qui ont. fait une perte cruelle, c^est de partager leur chagrin. Les
lettres de condoleance demandent k £tre r^dig^es avec beaucoup de
tact. Elles doivent g^n^ralement €tre courtes. II faut, en les 6cri-
vant, se garder avec le m^me soin de la froideur et de Texag^ration.
Depuis le temps qu'on en ^crit, tout ce qu'on pent dire en pareille
circonstance, a ^t6 dit et r^pet^ mille fois. Souvent il n'y a qu'un
nom et quelques mots a changer, pour que la m^me lettre puisse
convenir dans des cas tout a fait differents.
Modile.
Madame,
Le fils qu'une mort gkm'eute vient de vous ravir, aurait, s'il edt
vecu^ attieint de gtam^ destinies. La patrie fbndait sur ce jeuat
afiiner ks phis h«utt» e«pi6raBC«8. Un courage impetueux ne lui a
240 DEUXiftME PARTIE.
point permis de les r^aliser entierement. Ce qui cause Totre juste
Du style douleur, remplit d'une noble flerte notre valeureuse nation. En
epistolaire.
mourant, votre fils a encore augment^ I'heritage de gloire de votrc
illustre faimille. Je serais heureux, Madame, que c«tte pens^e versdt
uu peu de baume dans votre coeur de mere, si cruellement ^prouv^.
N.
VII.
LETTRES DE DEMANDE.
Un ton humble, mais sans bassesse, et une noble modestie, doi-
vent se faire remarquer.dans les lettres de demande. II y a bien des
hommes dont on ne pent rien obtenir, si Ton ne flatte leur amour-
propre ; cependaut , avant de se d^ider a toucher cette corde sensi-
ble, il faut bien connattre la personne a qui I'on s'adresse , de crainte
de la blesser. La m^me raison qui nous dit de caresser un peu la va-
nite de celui dont nous r^clamons quelque service , ne nous permet
de dire de nous-m^me que ce qu'il y a de stril;tement n^cessaire
pour appuyer notre demande. Beaucoup de franchise ne pent qu'in-
teresser en faveur d'une personne qui demande un service, une grdce.
ModUe,
Orleans.
Monsieur et cher cousin,
Cest II vous seul que je m'adresse ; c'est pres de vous que j'espere
trouver des secours dans des malheurs trop accablaints pour une
femme. Dieu m'a ravi ce que j'avais de pTUs cher sur la terre , mon
digne ^poux. Vous savez comme il ^tait tout pour moi. II y a
huit jours quMl me fit rappeler notre fils du college. Lorsque Maurice
arriva pres de son lit, il lui tendit la main, et a peine lui eut-il donn^
sa benediction , quMl mourut. Avec lui soht passes les jours de mon
repos et de mon bonheur. Me voilli plong^e dans T^tat le plus d^so-
lant pour une femme et pour une m^. Encore si je soulXnis toute
(*pi8toIaire.
CUAPITKE HUlTlfeME. 241
seule ! mais aupres de moi soupire mou pauvre lils. 11 ne sait pas en-
core combien est malheureux un jeune orphelin ! 11 me brise le coeur, .'^jj^jairp
lorsqu'il presse mes mains , qu'il prononce le nom de son pere , en
versant des larmes et en me regardant. II n'y a qu'uue mere qui
puisse se former une id^e de ces supplices. Je crois lire alors sur son
visage ces tristes paroles : Maintenant, ma mere , c'est h toi seule de
me nourrir. En quelque endroit que j'aille, il est aupr^ de moi; et il
essuie ses yeux pleins de larmes k mes habits. Lorsque je veux cher^
dier il le consoler, ma tristesse m'en emp^he ; car c'est lui qui fait
ma plus grande douleur. Comment le nourrirai-je? Mon pauvre mari
ne m'a rien laiss^, et mes mains sont trop faibles pour le travail.
Aupres de qui chercherai-je des secours, si ce n'est aupres de vous ?
C'est sur vous que repose mon esperance. Dieu, sans doute, disposera
votre coeur h secourir une pauvre et malheureuse veuve. Montrez
que les noeuds du sang qui nous lient sont sacr^s. Je vous remets
mon fils. Tout ce que vous ferez pour lui, vous le ferez pour moi, et
pour la m^moire d'un homme qui vous aimait. Ce que Dieu m'a
laiss^ de forces et de courage, je Temploierai a gagner ma vie par
mon travail ; mais pour dever convenablement mon fils, je n'en suis
pas en ^tat. Je vous I'abandonne entierement. II me sera cruel de le
voir sortir de mes mains; mais je sais ob^ir a la n^cessit^: C^ipendant
une pens^ me console * c'est que je le confie h la grdoe d'lin Dieu
bienfaisant, et aux bontes d'un parent g6n6reux. Soyez pour tui ce
qu'^tait son p^re, et mettez-le en ^tat d'adoucir un jour mon mal-
heur. Je ne puis en dire davantage. Mes larmes, qui mbuillent cetfe
feuille, vous t^moignent assez ce que mon coeur ressent. Vous tenez
dans vos mains mon repos et le bonheur de mon fils. Dieu vous b^<-
nira a jamais pour votre g6n6rosit^. II vous r^compensera, m^me eii
ce monde, de ce que vous aurez fait en faveur de deux malheureux
de votre sang. Je suis, avec la plus profonde douleur d'une m^e in*
fortunee, etc.
C^cile Laforet.
U2 DEUXifeME PARTIE.
Du style VUI.
epUtoliiire.
LETTRE D£ REMERCIMENT.
Mewrer Fexpression de sa gratitude sur la grandenr da service
que Ton a re^u, voil^ la proniere et principale regie des kttres de
ranerdment. La seconde, e'est une grande simplicity. II iaut ^vi-
ter eette profusion de promesses et de serments, qui ne dit rien pour
vooloir trqi dire ; songeons qu'un simple Je vous reciercfe, Tcoant
droit du coeur, vaut mieux qu'une abondance de paroles em[nreiDt8s
d'une ridicule exag^ration.
Module,
Orient.
Maddme,
Oik trouver des paroles pour vous exprimer mes transports et ma
reconnaissance ? Grand Dieu ! mes malheurs sont done h leur fin ! Je
suis heureuse, men fils Test aussi, et c'est k vous que nous te devons.
Comment s'dever, sans mourir, d'un abime de douleur au comble
de la joie ! Je n'ai que les larmes pour exprimer ce que je sens. Je
regrette de ne pouvoir les r^pandre toutes devant vous^ poinr vous
payer de votre bienfaisance. Vous avez d^r^ d'toe mtee, vous
pourrez peut-Stre vous former une id6e de mon bonheur. Je ne puis
vous en dire davantage. Je vous en dirai peut-4tre encore moins au
premier moment ou je verrai notre fils plac^ entre nous deux, et
serr^ dans nos brad entrelac^s; mais vous entendrez mon silence, et
mon attachement ft mes soins acheveront de vous Texpliquer 5 cha-
que instant de ma vie.
J'ai rhonneur d'etre , etc.
(.HAPITRE HlTITlftME, 248
1^ Dii style
• ppistolaire.
LETTRES D'ADIEIT.
II y a, pour tous les genres de lettres, un pr6ce{ite §^rdA : c'est
d'approprier I'expression a la ciroonstance; cela s appeUe cpnveiimee
do style. Ainsi, pour les lettres d'adieu en particulier, on eomprend
qu'il ne faut point ^rire sur le mkae ton k un^ personne ^trang^re,
envers qui Ton remplit un devoir de civility, et k une perscHme a la-
quelle on est nni par les liens d*une tendre amiti^. Le sentiment de
la s^aration est plus ou moins douloureux ; le ton de nos lettres
doit le refleter Melement. Tout cela se sent, plutdt qu'il nese dit.
Modefe,
VOLTAIRE All ROI DE PRIISSE.
Sire,
Je ressemble h present aux p^lerins de la MecqUe, qui toiiment
leurs yeux vers cette ville apr^ I'avoir quitt^e : je toume les miens
vers votre cour; mon coeur, p^n^tr^ des bontes de Votte Majesty, ne
connatt que la douleur de ne pouvoir vivte aupr^ d'elle... Mon atta-
chement est ^gal a mes regrets; et si d'autres devoirs tt\*entratnent,
ils n'effaceront jamais de mon cceur les sentiments qiie je dois a ce
prince qui pense et qui parle en homme, qui fuit cette fausse gravity
sous laquelle se cacheut toujours la petitesse et Tignorance ; qui se
communique avec liberty, parce qu'il ne craint point d'toe p^n6tr^ ;
qui veut toujours sMnstruire, et qui pent instruire les plus ^clair^.
Je serai toute ma vie, avec le phis profond respect et la plus
vive reconnaissance, etc.
Du style
e|Mslokure.
244 1>EUXIKM£ PARTIE.
X.
LETTRES DE RECOMMANDATICHV.
On ne peut guere recommander avec succes qu'un sujet digue de
recommandatioii; c'est done par un eloge vrai et inesiir6 de la per-
somie h qui Ton Teut du bien, qu'on lui sera r^ellement utfle. L'exa-
gtotion de ses litres k la bienveillanoe ou aux faveurs qu'on sollidte
pour elle, lui serait plus nuisible que profitable, puisqu^on s'expose k
voir la r^alit^ d^mentir bientdt nos louanges. II vaut mienx , au eon-
traire, manager, k eelni k qui nous eerivons, Fagreable surprise de
trouver notre proteg^ sup^rieur au tableau des qualites et m^rites
qui, selon nous, le rendent digne d'interdt et d*appui.
Module.
d'alebcbert a voltaibe.
Mon cher et illustre confrere, voila M. le comte de Valbelle, que
vous connaissez deja par ses lettres, et que vous serez diarm^ de
connaltre par sa personne. Une heure de conversation avec lui vous
dira plus en sa faveur que je ne pourrais vous en ecrire. II a voulu
absolument que je lui donnasse une iettre pour vous, quoique assu-
rement il n'en ait pas besoin.
Je vous embrasse de tout mon coeur, et j'envie bien a M. de Val-
belle le plaisir qu'il aura de vous voir.
XI.
LETTRES D'AIFAIRES.
Simpiicite, clarte, concision, voila les trois qualites fondamentaies
des lettres d'affaires. II ne faut s'amuser ni a fleurir son style, ni a
toumer des phrases. Ce qui serait peut-^tre ailleurs une qualite, se-
rait ici un defaut. En affaires, on ne dit que ce qu'il faut dire ; mais on
CHAPITRE HUITlfeME. 245
ie dit de maniere a se faire comprendre, nettement et sans ambages.
Les gens habitues a grouper les chiffres sont ordinairement ceux qui ^^^i^i^.^
r^ussissent Ie mieux daus ce genre de correspondance.
epistolaire;
Modele.
SCHILLEB A COTTA.
lena, Ie 4 juin IT 94.
Avant d^entamer des demarches pour uotre Gazette, moneherami,
attendez encore de moi une lettre, oii j'espere vous d^montrer, par
des raisons concluantes, que cette entreprise , du moms sous ma di-
rection, sera par trop difficile et perilleuse. Je crois pouvoir vcus
promettre dautant plus pour Ie Journal, qui, sous tons les rapports,
est preferable a cette entreprise de Gazette. .T'en ai parle, depuis
votre depart , a plusieurs hommes tr^s-importants , qui s'accordent
tous pour desapprouver compl^tement la Gazette politique, et pour
approuver unanimement Ie JoumaL
La poste part a Tinstant. Je m'en tiens done la pour aujourd'hui.
Tout a vous.
Schiller.
[Traduit de Vallemand.]
Les maitres de langue capables s'entendent fort
souvent dire : Mais, Monsieur, pourquoi ne faites-vous
« point ecrire de lettres a ma fille? Mademoiselle une
« telle, son amie, n'etudie pas depuis aussi longtemps
« qu'elle Ie francais, et 6crit deja de superbes lettres. »
On ne peut pas toujours repondre categoriquement a
ces tendres meres, parce qu'on se verrait oblige de
leur dire des choses quelquefois peu flatteuses, a
Tendroit de leur progeniture. A notre avis, un maitre
i46 DE13XIEME PARTIE.
'T ~ Qui met de la suite et de la methode dans son ensei-
Uii sryle ^
rptoioiaire. gncmcnt, cst moins expose aux representations pater-
nelles, et surtout maternelles. Cependant on aimerait
tant voir sa fiUe cherie prendre place, d'un seul bond,
et presque sans effort, a c&te des Sevigne, des Main-
tenon, etc.! On est done bien un pen excusable, quand
on vient dire a un maltre : « Mais, Monsieur, vous ne
« savez pas votre metier, sans quoi ma fiUe ecrirait
« deja des lettres! » et le maitre serait un bien mal
appris, s'il ne recevait pas sto'iquement les recrimina-
tions d'une soUicitude aussi eclairee.
Quand un ^leve n'a pas encore d'idees dans la t^te,
oil prendra-t-il done de quoi remplir le cadre d'une
lettre? Attendez au moins qu'il ait vu et eprouve, alors
il vous peindra ses impressions sans peine et d'une
maniere natureile. Parce que vous lisez facilement, et
sans contention d'esprit, une lettre d'un auteur distin-
gue, ne croyez point pour cela que Ton puisse facile-
ment enecrire une pareille. Cette lettre, quitoucheala
perfection, vous ne savez pas combien on a eu de peine
a I'ecrire telle que vous la lisez ; pour atteindre a
cette diction simple, degagee, coulant pour ainsi dire
de source, il a fallu quelquefois remettre, a plus d'une
reprise, son oeuvre sur le metier. Et puis, ne croyez
pas que ce soit en ecrivant force de lettres, que Ton
parvient a se perfectionner dans Tart de la correspon-
dance. Ce serait la une grave erreur. Pour reussir dans
le style epistolaire, il faut une seule chose : posse*
der la langue dans laquelle on veut ecrire. Le reste,
croyez-nous-en, vient de soi-menie. Les Pret'e/ftes que
CHAPITRE HUITIEME. 247
nous avons indiques sommairement pour chaque genre " ^
de lettres , ne vous donneront jamais un vrai talent epUtoiMi-*.
epistolaire; ce ne sont que des indications generates,
ressortant des genres divers, bons a mettre sous leg
yeux des commenQants, mais tout a fait superflus pour
quiconque pense et salt ecrire.
11 y a des eleves qui montrent de hautes dispositions
dans tons les exercices dont nous nous sommes occupe
jusqu'ici, et qui ne reussissent qu'imparfaitement
dans la composition des lettres. Ceux-la sont le deses-
poir des mamans, et Torgueil secret des bons maitres,
dont ils justifient d'ordinaire toutes les esperances.
f^aissez un peu leur esprit se murir, leur imagination
se regler, leurs idees gagner en etendue et en profon-
deur, et vous verrez que, sans avoir jamais ecrit la
plus petite epitre sous une direction superieure, ils
ne seront point embarrasses pour orner un jour leur
correspondance de toutes les qualite^ qui distinguent
les lettres bien dictees. Quand leurs affaires ou leur
position sociale les mettront dans la necessite d'ecrire,
non sur des sujets factices, pris en Fair, mais sur des
sujets reels, qu'ils portent dans leur t&te, ne vous in-
quietez point d'eux : ils se tireront parfaitement d'em-
barras, sans secours etranger.
11 y a done des eleves qui , en fait de lettres , sont
absolument incapables de rien produire d'eux-mfemes.
Au lieu de les tourmenter en pure perte, on peut leur
venir en aide en suivant , pour les exercices episto-
laires , la marche progressive que nous avons tracee
pour les narrations ecrites.
248 DEUXifcME PARTIE.
'- Un Cahier special doit fetre destine a recevoir la
Du style ^
epistoiaire. copie de toutcs les lettres composees par nos el^ves,
au fur et a mesure que nous en operons la correc-
tion.
IX.
Petits interin^degi.
Rien de ce qui peut contribuer au developpement
intellectuel de nos eleves, et faciliter leurs progr^s
dans la langue que nous leur enseignons, ne doit nous
Hre indifferent. Notre enseignement, il faut le recon-
naitre, ne se compose pas d'une serie de parties de
plaisir^ et les jeunes gens qui etudient avec passion,
forment une faible minorite. Nous pensons done qu'il
peut 6tre trfes -profitable d'employer certains petits
moyensauxiliaires, pour stimuler etentretenir Tardeur
de nos disciples.
Dans beaucoup de families et d'institutions a T^-
tranger, on a la louable habitude de faire apprendre
aux enfants de petites pieces de theatre, eerites pour
leur age , qu'ils jouent devant un cercle d'amis et de
connaissances intimes. Get usage ne saurait 6tre trop
recommande Les enfants s'habituent de cette mani^re
a parler en public, et perdent ce qu*il peut rester de
defeetueux dans leur prononciation ; leur organe de-
vient plus sonore , et la timidite naturelle a leur age
fait place a une modeste assurance. Sous une direc-
tion intelligente , ces representations de famille ne
peuvent avoir que d'excellents effets.
Mais ces scenes enfantines demandent une reunion
250 DEUXIEME PARTIE.
p^^.^^ do jeunes capacites, quelquefois assez difficile a obte-
intermedes. nir. A Tfitrangcr, on apprend le francais dans les lieux
isoles, comme dans les grands centres de population.
Le premier de ces cas est lout aussi frequent que le
dernier. Alors il faut se borner a des dialogues choisis
avec gout, et capables d'int6resser nos petits amis. Les
livres ecrits pour la jeunesse offrent, presque en tout
pays, un grand choix d'ouvrages en tout genre, oil nous
pouvons trouver de quoi defrayer les longues soirees
de rhiver, qui ne seront point perdues pour nos 616-
ves. Par-ci, par-la une petite conversation a deux ou
Irois personnages leur tiendra lieu d'une piece de
theatre, les amusera suffisamment , et leur coiltera
moins de peine que les pieces k nombreux personna-
ges, qui n^cessitent des repetitions multipliees, et oc-
casionnent de grandt s pertes de temps.
Pour le premier ^e, la memoire et Timagination
des institutrices, surtout , renouvellent sans cesse les
recreations qui , en faisant un pen penser et beaucoup
parler, instruisent sans fatigue ni degofit. Tons les jeux,
m^me les plus insignifiants, qui font atteindre ce but,
ont leur merite en fait de langues. Ainsi le primitif
Pigeon vole I et Je vous vends mon cor billon ^ ce cor-
billon oil Ton ne pent mettre une tarte a la cr6me,
ont une valeur relative qui n'est point k dedaigner
Du moment que la jeunesse prend plaisir a un amuse-
ment, quel qu'il soit, et que cet amusement Toblige a
parler une langue etrang^re , objet de ses etudes , il
faut bien se garder de le mettre de cdte, sous pr6texte
qu*il est par trop niais.
CHAPITRE NEUVlfeME. 251
Pour le second age , epoque ou les ideas commen* ;
cent a Stre plus rassises , on choisit aussi des amuse* iiiteimedes.
ments un peu plus s6rieux. Le Jeu de la maison^ par
example y qui se trouva dans V Education maternelle
de madame Amable Tastu, est dalicieux pour les jeu-
nes fiUes etgarqons, de dix a quinze ans. Seulement
on ne doit pas oublier que Ton a affaire a des Stran-
gers, et que des enfants ne le comprendraient pas de
prime abord.
Un petit jeu bien simple, mais qui n'en a pas moins
son merite, nous a souvent fait passer de tr^s-agreabies
moments avec nos eleves. Voici en quoi il consiste :
On ecrit chacune des lettres de Talphabet sur un petit
carre de carton. Avec ces lettres, on forme un mot ,
dont on eparpille aussit6t les elements sur la table, et
ce mot, notre partenaire doit le recomposer. Quand
il y a reussi , c'est a son tour de mettre notre sagacite
a I'epreuve. Ce petit jeu donne souvent fort a reflechir.
Pour les enfants qui n y sont pas encore brises, on pent
choisir , meme en les en avertissant d'avance , des
mots qu'ils ont eus dans leur lecon du jour.
II y a, en franqais, des expressions , mfeme fort
usuelles, qui ne se retiennent neanmoins que tres-
difficilement. A Tfitranger, il y a bien peu de gens ,
m6me des plus avances dans notre langue, qui sachent
ce que c'est que la plante des pieds. Si vous le dites a
votre el6ve, comme vous lui diriez toute autre chose ,
il est fort probable que, Toccasion d'employer cette ex-
pression lui manquant, il ne tardera point a Toublier.
Dites-lui, au contraire : « Quelle est la plante la plus
262 DEUXlfelME PARTIE.
p^^j^ « chere a I'homme ? » II se fatiguera inutilement a
iutermedes. chercher ce precieux vegetal par monts et par vaux,
et viendra enfin vous supplier de le lui faire connattre.
Dites-lui alors que c'est la plante des pieds^ en lui ex-
pliquant bien , de visu^ le sens de cette expression, et
vous pouvez etre sfir qu'il ne roublrera de sa vie.
Ces petites enigmes ne sont, pour les enfants de
notre pays, que des distractions passag^res et sans au-
cune portee. Pour les enfants etrangers, elles ont Ta-
vantage de les faire reflechir sur la langue , et , par
consequent, d'augmenter leur petite instruction. Ainsi,
nous avons toujours pique vivement la curiosite de tons
ceux a qui nous avons pose des questions du genre de
celle-ci , qui est bien connue du reste :
« Un homme a un petit bateau, dans Icquel il doit passer a Fautre
« bord de la riviere trois choses : une chtvre , im loup , et un chou.
« Quelle chose doit-il prendre en premier lieu, sachant que, s'il
« prend le loup, la eh^vre mangera le chou, et que, sll prend le chou,
« le loup mangera la chevre ? »
Cette autre , toute lugubre qu'elle est, s'est trouvee
6tre du golit de nombre de nos petits auditeurs :
« Celui qui le fait ne le fait pas pour lui ; celui qui le fait faire, ne
« le veut pas ; celui pour qui on le fait, ne le sait pas. »
En voici une enfin qui a bien eu aussi son petit suc-
ces de vogue, s'il nous est permis de parlor ici le Ian-
gage des reclames de journaux : «
« Quoique je sois dans Tonde, je ne suis jamais dans Veau; fai
« quatre pieds dans un towneau, et me trouve au milieu du monde. »
CHAPITRE NEUVIEME.
253
Pour clore la aerie de nos pelils jeux enfantins, ap-
pliques a I'etude de la langue franqaise, les homonjmes
nous offrent un vasle champ d'exploitation. Tout le
monde sail comme cela se pratique. Voici les princi-
paux de ceux que Ton peut proposer a des enfants
etrangers :
Pelits
intennedes.
Amande. — Amende.
-Ancre. — jfi'ncre.
^tttel. — //dtel.
Boucher, s. m. — Boucher, v. —
Bouch^e, s. f.
C?^ne, 8. f. — 5a*ne, adj. f. — Sc^ne,
s. f. — Seine, fleuve.
C7erf. — Serf.
^^o<ne. — CMnQ,
CUhflir, s. f. — Chatre, s. f. — Cher,
8. et adj. — Ch^e, 8. et adj. f.
Cloiw. — Coin^.
domte. — Compte. — CoTite.
13essein. — Dessin.
J^ho, — 6co?.
l^aim, — Yin.
Tafte, 8. m. — F^te, 8. f.
TUn. — Flanc.
Toi, s. f. — Foie, s. m. — Foi*, 8. f.
— Foijj, nom de ville.
Grame. — Grtee.
Hawtesse. — Hdtesse.
Lieu, s. m. — Lieue, s. f.
LuiA, s. m. — LuUe, s. f.
Ma£tre. — M^lre. — Me/tre, v.
yiaure, nom de peuple. — Mor5, s.
m. — Mor^, 8. f.
Mur, adj. — Mur, s. m. — Mure,
8. f.
Vain. — Pin. — Pein/, part, passe.
Peine, s. f. — P<^ne. s. ra.
Pair, adj. — Pair, s. m. — Pdfire,
8. f. — Pcre, s. m.
Pflw, ville. — Pd, fleuve. — Vot, 8.
m. — Peaw, s. f.
Pali/, — Pd/e.
Pinfon. — Pinion.
Po^e, 8. m. — Po^, s. f. — Poi/,
8. m.
Poief5, 8. m. — pQis, s. m. — Poia?,
s.f.
Reine, s. f. — Rdne, s. f^ — Renne,
8. m.
Saign6ur. — Seigneur.
Tain, s, m. — Tein^, s. m. — Teiw^,
part. — Thym, 8. m.
Xante. — Tente.
Tribu, 8. f. — Tribuf, 8. m.
Ver, 8. m. — Verre, s. m. — Ver*,
s. ni. — Ver5, prep. ^— Ver^, adj.
Vice, 8. m. — Vi.?, s. f.
Voie, s. f. — Vois, verbe. — Voia:,
s. f.
Si Ton fait ecrire ces mots avec leur orthographe
diverse, le profit sera double pour les eleves. Ceux
dont la sagacite a ete eveillee et developpee par ces
petits exercices recreatifs, sqnt parfaitement .prepares
254 DEUXI£ME parti E.
pour deviner des charades^ hgogtiphes et enignies.
interaldeA. Qu OD DC CToie poiot quc ce soil \k un vain jeu , bon
tout au plus- a tuer le temps. Au contraire, a force de
se iivrer a ce travail, on y acquiert une facility, une
promptitude d'esprit tres-remarquabies. Pour notre
compte, dans la pratique de Tenseignement du fran-
cais a Tfetranger, nous avons toujours observe que les
bons eleves prenaient un plaisir extreme a chercher le
mot de ces donnees enigmatiques, et y devenaient
bient6t tres-adroits, tandis que les autres n'estimaient
point cette investigation digne du moindre effort d'es-
prit. Sans y attacher une importance exageree , nous
sommes convaincu, par notre experience personnelle,
que ce leger travail apporte une fort agreable diver-
sion dans les etudes, et n'est point sans avantage sons
le rapport de la langue.
11 n'y a pas encore longtemps qu'en France les
publications periodiques, voire m^me de grands jour-
naux quotidiens , ne croyaient point compromettre
leur dignite en proposant reguli^rement a leurs lec-
teurs de ces petits problemes, revetus d'une forme
poetique, plus ou moins heureuse. Maintenapt, un
go6t pen justifiable a mis a la mode ces aff reux r^bus^
dont le sens est souvent indechiffrable, mfeme a Taide
de Texplication qu'en donnent subsequemment leurs
auteurs. Get engouement, il faut bien I'esperer, n'aura
qu'un temps , et Ton en reviendra a Tancien usage ,
qui justifiera toujours la pr6f6rence dont il sera rej^e-
venu Tobjet. En attendant cette restauration d'un genre
tout particulier, nous conseillons fort de le prevenir k
CHAPITRE NEUVIEME. 2^5
tous ceux qui se vouent a I'enseignement de notre lan-
gue a I'fetranger ; ce sera, a notre avis, faire preuve
de goAt et de bon sens.
Les compilations de charades, etc. , sont assez nom-
breuses. Nous croyons cependant 6tre agreable a nos
lecteurs en en donnant ici un petit choix. On pent, au
besoin, trouver a la table des matieres les mots a de-
viner.
tlniQDie.
line voyelle , une cousonne ,
ComposeDt toute ma personne ;
Souvent, si petit que je sois,
Je suis plus fort que tous les rois.
Logogriphe.
Sur trois pieds du cerf redou'te ,
Je suis sur cinq par lui port^;
Sur six pieds, je deviens trompette,
Sur huit, coiffure coquette.
3.
Charade.
Men premier est le premier de son espece; mon second na point
de second; et mon tout, je ne voudrais jamais vous le dire.
4.
tnigine.
Recelant dans mon sein une ardente matiere,
Petits
intenuedes.
^^ bEUXlEME PARTIE.
~ Je parcours iin pays a Morphee engage,
iQtermedes. ^^ ^" ™e suit m'est oblige *
De I'avoir bien voulu parcourir la premiere.
Loffogriphe,
J'ai huit pieds, dans iesquels on trouve
Un bien iuoffensif oiseau ;
Un animal priv^, qui couve ;
Ce qui reste au fond d'un tonneau ;
Le nom des noces, dit la Bible,
Ou jadis on vit le Seigneur
Changer, chose incomprehensible !
En vin une fade lic[ueur ;
Un legume rempli d'acide ;
Un ^tre ent^t^ sous la bride ;
Le nom d'un prophete cit^ ;
Un cri de douleur ; une plante
Qui produit le tissu que vante
Chacun pour sa solidite ;
Une ville de Normandie;
Un rien, qui, chez brune jolie,
Rend Toeil plus agaqant, plus fin ;
Un mot de m^pris; la femelle
D'un animal a dent cruelle ;
Et le nom d'une femme enfiu.
On trouve encor le fleuve aux bienfaisantes ondes
Par qui I'fegypte voit ses plaines si f^condes ;
La fiddle compagne h qui plus d'un chasseur
Out ses gloires, sa vie, peut-€tre, et son bonheur ;
Une riche voiite azuree ;
Ce que donnent les douze niois;
Ce qu'on rencontre en mer parfois ;
Ce fratricide de la Bible;
CHAPITRE JNEliVlfiME. 257
Ce qui dit tm chez I'Allemaud;
Pctits
Un coursier du nord tres-flexibic, internwdes.
Qui sur la glace vole au vent ;
Un beau port de mer d'ltalie ;
Ce que nous donne le mouton;
Ce par quoi, des froids ennemie,
L'hirondelle fuit ma maison.
6.
Charade,
On se chausse de mon premier ;
Mon dernier sort de mon entier.
7.
6nigwe.
Je fus en tons les temps des mortels desire;
Souvent de mes faveurs j'ai comble le jeune i
Pour moi Tavare en vain a toujours soupir^,
Et jamais du jaloux je ne fus le partage.
Dans un coeur bienfaisant j'toblis mon empire,
Et, chez le sage, enfin, j'habiterai toujours.
8.
Logogriphe.
Lecteur, pour me trouver une heure est necessaire ;
Si, pendant une heure entiere,
Tu me cherches sans te lasser,
Tu pourras dire aiors que je viens de passer.
Quand, par Tune de tes fenetres,
Tu prends le frais, alors tu go(!ites Tagr^ment
De voir trois de mes cinq lettres,
Si tu loges sur le devant.
17
258 DEUXifeME PARTIK.
Petits 9.
iiitermedes.
Charade.
Mon premier autrefois etait fort en usage
Dans les courses, dans un toumoi ;
En triomphe il porta plus d'un grand persomiage,
Devant tout un peuple en ^moi.
Toujours dans la musique on trouve mon deuxieme,
Mineur, nature! ou majeur,
Parfois di^ze ou b^mol ; mon dernier ou troisieme
Sert au galetas du tanneur.
Pour en finir, mon tout, sur les places publiques,
Affiche un luxe ^bouriffant,
£t bien souvent guerit ses cr^dules pratiques
De maux qu'eiles n'ont miUement.
to.
Ana gramme.
On trouve en mes cinq pieds un oiseau domestique,
Ou bien un instrument d'optique.
11.
Logogriphe.
Lecteur, vous trouvez mes six pieds
Dans Tatelier des menuisiers ;
Sur cinq, je suis un vase a boire ;
Sur trois, je roule dans la Loire ;
Sur quatre, Tenfant, en naissant,
N'a que moi pour tout v^tement.
12.
Charade.
Les souris craiguait mon premier.
CHAPITRE NEUVlfeME. 269
Et cependant lui-mtoe il craint fort mon dernier ; '
Petits
Maintenant battez la campagae» iDtermedes.
Faites, si vous voulez, mon entier en Espagne.
13.
LogogripAe,
J'ai deui pattes avec huit pied$ ;
L'on me trouve chez les fermiers.
Deui pieds de moins, je suis mon frere;
Trois pieds de moins, je suis ma m^e.
14.
AncLgramme,
De cinq lettres je me compUqoe ;
On fait, en les d^plac^ant;,
Un amusement nautique,
Un amusement d'enfant.
15.
Charade*
A la tMevoyelle, .; .
, £t :«pte ^ mon talon,
Lecteur, mon tout n'est bon
Qu'autant qu'il est fidele.
16. #
Logogriphe,
Je fais, avec sept pieds, horreur a la nature;
Sans mon coeur, je deviens une belle foumire.
17.
Anagramme,
Toujours mes quatre pieds chez l^homme
260 DEUXifeME PARTIE.
S<Mttt mal re^us, r^pudies;
. '*^*'f* A Tenvers, la Mie de sonune
inlennedes. ^ . ,
Par moi s en va plus vite aux pres.
18.
Charade.
R^pete, moil prt*inier ofifre uo gdteau friand;
On trouve en mon dernier un instniment qni pique ;
Pour men tout mal assis vous voyez la pratique
Lancer h F^picier maint mauvais compliment.
Ges quelques enigmes, logogriphes, anagrammes et
charades, suffiront pour 6prouver le gout des eleves ,
et faire reconnaitre ceux auxquels il conTiendra d'en
proposer un plus grand nombre, et d'une difficulte
progressive. Nous reeommandons aux mattres de lan-
gue francaise ces agreables et utiles complements de
leurs lecons ; ils verront, avec le temps, se jouer pour
ainsi dire de combinaisons assez compliquees des jeu-
nes gens qui avaient debute, conunc! la plupart des
enfants dureste, par declarer insoluble ^cette horripi-
lante enigme : '
Je me nomme chapeau ; Ton me met sur la t^te ;
Devine qui je suis, si tu peux, grosse bfite.
Des repeiUloufli.
Pour bien savoir une chose quelconque, objet d*un
travail intellectuel, il ne suffit point de I'apprendre une
fois ; il faut la reprendre en sous-oeuvre , pour ainsi
dire, et la fixer d'une maniere imperturbable dans la
memoire. Nous savons que ce n'est gu^re Tusage de
beaucoup de maitres de faire revenir leurs eleves sur
les lecons apprises anterieurement , et qu'en fait d'e-
tude des langues le travail de chaque jour une fpis ac-
compli est relegue dans les Umbes de Toubli. Aussi
est-ce pour nous un motif de plus d'insister sur Tadop-
tion generale d'une habitude eminemment utile; et,
pour mieux en faire ressortir I'avantage, nous croyons
devoir consacrer aux repetitions un article particulier.
Si , a I'occasion de chaque exercice indique dans le
cours de cette seconde partie de notre travail sur Te-
tude et I'enseignement.du francais a TEtranger, si,
disons-nous, a cette occasion , nous avons tant insiste
sur la necessite des copies^ o'est que nous aviohs en
vue les travaux retrospectifs dont nous allons nous
occuper a present. Revenant done a notre point de
depart, nous exposerons succinctement la maniere la
plus profitable et la plus expeditive dontces repetitions
doivont elre etablies.
repetitious^
262 DEIIKIKME PARTIK.
GRAMHtAIRE.
Nous ne saurions trop dire et repeter quelle atten-
tion scrupuleuse il faut apporter a Tetude de la gram-
maire francaise a TEtranger. Cette etude, en soi-mfeme,
est peiu attrayante, et n'a rien qui flatte rimagination.
Aussi est^ce dans la jeunesse, lorsque la*memoire n'a
encore rien perdu de sa fraicheur, cpi'il faut se h&ter
d*y loger, d'une mcini^re definitive, tout ce qui est du
ressort de cette preciense faculte. Les maitres habiles
et consciencieux le savent bien ; et, dans le but de sa-
tisfaire une vaine gloriole , ils n'ont garde de faire
glisser leurs ^Ifeves sur les elements pour les lancer
dans Tetude des regies de principes , dont la concep-^
tion demande une certaine maturity d'esprit.
Un eleve qui connait a fond les accidents du subs^
tanlify de Vadjectif^ et surtout dn verbe (.verbum^ Toix,
parole, languel) a toute chance de bien posseder un
jour la langue francaise.
Un eleve, au contraire, qui, dans Tetude des acci-
dents de ces parties dn discours, s'en tient a des a-peu-
pres, est d'avance irr^vocablement condamne a ne
jamais posseder cette langue.
Avis done atous ceux poor qui ces lignes sont ecri-
tes , avis aux maitres et mattresses de langue francaise
a rfitranger, aux precepteurs, aux gouvernantes, aux
chefs d'institution ; avis surtout aux peres et meres de
famille, a qui incombe le devoir de surveillance dans
CHAPITRE DIXIEME. 263
les etudes (Je leurs enf ants ! Sans la grammaire (et nous
entendons par la la premiere partie de la grammaire), i^p^tituMis
pas de langue apprise, perte de temps irreparable, ef-
fet nuisible sur tous les autres objets d'etude 1 Pour
qu'une education marchebien, et produise ler^sultat
desir6 , il faiit que toutes les parties de oette Education
soient Tobjet d'une attention speciale, ©t soteiit con-
duites avec mesure et raison.
11 y a deux mani^res de repeter la grammaire.
1^ L'une consiste a repasser, an moyen du livre lui-
mSme, les parties du disoours, dans Tordre ou elles
8 y succedent. Les exercices qui ont et6 ecrits peuvent
6tre egalement repasses et servir de nouveau a appli-
quer les regies.
2° La seconde maniere, que nous pratiquons fr6-
quemment, parce qu'elle offre quelque chose d'im-
promptu, qui deroute tout subterfuge de la part d^
eleves, consiste a leur adresser touies led questions qui
ressortent des textes de leurs exercices divers : mor-
ceaux appris par coeur, traductions, vers mis en prose,
narrations ecrites et lettres.
Les maitres entendus pratiquent simultanement Tun
et Tautre mode de repetition de la grammaire.
II.
EXEBCICES DE MEMOIBE.
C'est moins la quantite que la qualite qu'il faut
avoir en vue dans les exercices de memoire. A force
264 DEUXlfclVlE PARTIE.
de faire apprendre morceau sur morceau a nos el^ves,
repetitions, nous depassons le but, etilamve souventque de tous
ces pompeux exlraits , a la fm il ne leur reste pas
grand'chose dans la memoire et dans Tesprit. II vaut
done mieux savoir se bomer et revenir de temps a au-
tre sur ce qui a ete appris, au moyen de repetitions
bien dirigees.
Ces repetitions doivent avoir pour but I'exercice de
la memoire et celui de Y esprit ; elles doivent porter sur
le morceau appris par coeur, et convenablement recite,
et le morceau dllment compris dans son ensemble et
dans chacune de ses parties.
A cette fin, Fel^ve r6citera le morceau appris pour
la seconde fois par coeur, en s'efforcant de le dire avee
aisance, naturel et intelligence.
II le traduira ensuite de vive voix dans sa langue
maternelle.
Enfin , il I'ecrira correctement sous la dictee du
maitre.
III.
TBADUCTIONS.
La repetition des traductions s'opere au moyen du
cahier de copie. L'eleve doit, a livre ouvert, traduire
en francais, phrase par phrase, le texte original , et
cette version orale n'obtiendra Tapprobation dumaitre
que si elle concorde, mot pour mot, avec le cahier de
copie.
CHAPITRE DIXIEME. 265
Chaque seance de repetition embrassera la matifere T
de plusieurs lecons : ce qui aura ete traduit en trois repaiiions
ou quatre fois se repetera en une seule.
Si le mattre ne pent dieter le tout, il en dictera au
moins une bonne partie , en choisissant les pbrases a
son gre. Cela va sans dire que Veleve doit prouver que
sa repetition a et6 consciencieuse en livrant une die- .
tee tout a fait correcte.
IV.
ANALYSES.
L'eleve , apres avoir repasse sur son cahier de copie
les phrases analysees, en reproduira Tanalyse de vive
voix, et sans broncher.
V.
VERS MIS EN PBOSE.
Les vers d'une main , la prose de Tautre , Televe
preparera sa repetition par une comparaison atten-
tive du texte poetique avee la prose de son cahier de
copie.
A la lecon, n'ayant que les vers sous les yeux, il les
mettra en prose d^ vive voix, sans s'ecarter de la lettre
de son travail mis au net.
repetitions.
266 DEUXlEiME PARTI E.
VI.
NARRATIONS ECRITES Et LETTRES.
Les narrations 6crites etles lettres se repetent comme
leg vers mis en prose, au moyen des notes dict^es
avant la redaction de ees ouvrages , et des cahiers de
copie.
* A la lecon , Tel^ve reproduira de vive voix les unes
et les autres, en ne s'aidant que des notes que le mai-
tre lui aura donnees.
Ces notes doivent done fetre conservees soigneuse-
ment. On fera tres-bien de les ecrire en tfete des copies;
de cette mani^re, il sera toujours possible de recon-
naitre quel parti T^lfeve a tir6 de ces indications som-
maires.
Les repetitions doivent avoir lieu trois ou quatre
foisparan; elles seront gen^rales, c'est-a-dire qu'elles
porteront sur tout ce qui a ete appris , ecrit, redige ,
dans le laps de temps ecoule depuis la derniere repeti-
tion. Tant que les eleves sont occupes a r6peter, il est
bon de ne pas leurdonner de devoirs nouveaux d'aucun
genre.
XI.
ResnltoUi.
La langue francaise est d'un usage universel ; elle
marche du mfeme pas que la civilisation. Mais aTfi-
tranger, comme en France mSme, il y a francs et
francais.
Les neuf dixi^mes des Etrangers qui etudient la belle
langue de Racine, de Chateaubriand , de Victor Hugo
et de Lamartine , en retiennent tout juste assez pour
emailler, a tort et a travers, leur idiome national, qui
n'en pent mais, de comment va?.., ma chere, . . a prxh-
f>os . . . c'est charmant. . . mais comment done ! ' etc . , etc . ;
et la se borne leur science. Parmi ces braves gens , il
en est qui ont passe leur grammaire, et, pour notre
compte, nousavons souvent du entendre lesjeremiades
de mainte bonne m^re de famille, deplorantles faibles
r^sultats de I'education d'une fille ch^rie, sous le rap-
port de la langue francaise, et a qui nous aurions bien
pu dire, si cela cut servi a quelque chose, ce qui fai-
sail que sa fille elait muette.
Tout le monde conviendra bien avec nous, qu'au lieu
' En Russie, mats comment done est un passe-partout; il va a toiites les
phrases possibles ; c'est comme notre dites done.
268 DEUXIEMK PARTIE.
de perdre son bon jeune temps a faire semblantd'appren-
dre une langue, il vaudrait tout aiitant Temployer a
faire des roads dans I'eau du haut d'un pont, ou a
tricoter des bas.
Nous ne sommes en aucune faqon trop severe en
avancant que, sur dix Etrangers qui etudient la lan-
gue fran^aise, il n'y en a qu'un , un seal et unique^
qui en retienne quelque chose et parvienne a la parler
et a Tecrire. Encore devons-nous faire certaines re-
serves pour un assez grand nombre d'^trangers qui,
tout en parlant couramment notre langue^ et en Tecri-
vant avec assez de facilite, y introduisent , selon leurs
nationalites respectives , des idiotismes plus ou moins
choquants. Chaque peuple different fait, en parlant
francais, des fautes differentes. En outre de cela, notre
langue a ses singularites , et tel mot , allemand , ita-
lien, anglais, etc. , traduit par son correspondant, n'est
souvent rien moins qu'honn^te. II ne suffit done pas,
pour les Strangers , d'apprendre le francais a la ma-
niere des Francais ; ils doivent aussi I'etudier dans ses
rapports avec leur langue , et bien remarquer les cas
fort nombreux ou la mSme idee reclame une expres-
sion quelquefois bien differente , dans leur idiome et
dans le notre. Et cela n'est point Taffaire d'un jour.
Si un Francais , hors de son pays , doit veiller conti*
uuellement sur son langage, pour ne point Talterer par
des locutions empruntees a la langue de la contree qu'il
habite, a plus forte raison uu Etranger doit-il se pre-
munir contr^ un penchant que tout en lui favorise.
11 n'y a quo los families fortunees qui puissent don-
CHAPITRE ONZli^ME. S69
ner a leurs enfants des precepteurs francais , et des '
gouvernantes francaises , possedant leur langue et la
parlant avec purete. La plupart du temps on est oblig6
de se borner a des lecons particulieres , et , le maitre
parti , on parle en famille le francais her6ditaire de la
famille, avec ses solecismes et ses barbarismes tradi-
tionnels. La plupart du temps aussi, et voilk le mal-
heur, on ne s'en apercoit pas; si Ton remarquait ee
qu'a de defectueux le langage qu'on pratiqtfe avec tant
de soin, on s'observerait davantage, et chercherait les
moyens de le corriger. C'est dans ce cas que des ou-
vrages speciaux sont d une grande utilite. Ces ou-
vrages, s'ils sont eonvenablement r6diges, doivent,
pour chaque nationalite en particulier, indiquer le plus
grand nombre possible des cas ou, par suite de I'esprit
tiif ferent des langues, les Etrangers sont portes a faire
certaines f antes en francais. Nous ne sommes pas de
ees gens qui aiment a dire au monde : « Prenez mon
ours; » mais nous dironsfranchement que nous croyons
n'avoir point fait une oeuvre tout a fait inutile en pu-
bliant, lors d'un assez long sejour en AUemagne, que
nous aimons a nous rappeler, un travail de ce genre ' ;
la studieuse jeunesse allemande le consulterait peut-
etre avec fruit.
Le meme travail a, dit-on, et6 execute pour la Rus-
sie, et pour la Suisse dife francaise, ou notre langue
est, a pen pres partout, horriblement maltraitee. II
est a desirer que dans les pays ou il n'existe point ,
• Germanismes corriges, etc. Stuttgart , Paul Neff.
Resultats.
Resultats.
270 DKIlXIJteME PARTIE.
des maitres de langue capables se hlitent de remplir
cette lacune.
Qui trap embrasse mal eU-einl. Ce proverbe, plein
de sages conseils, s'applique avec une grande justesse
aT^tude des Ungues. 11 vaut mieux savoir moins, et
savoir Jbien. On rencontre, a I'Etranger, de& gens cpii
parlent litterature francaise, et ontde la peine k ecrire
en franqais deux phrases correctes. Evidemment, leur
temps eut ete mieux employe a des etudes d'orthographe
et de style. Chaque fois que nous sommes consulte
sur Topportunite de faire franchir a des eleyes enc<Mre
faibles sur la langue , les limites tracees par cette se-
conde partie de notre travail, nous nous pronon^ons,
sans hesiter, pour la negative. 11 n'y a guere que les
eleves d'elite auxquels on puisse faire aborder rensei-
gnement superieur. Les re'suUaU obtenus jusqu'ici ne
sont point pour cela d'un ordre infime. Dans beaucoup
de pays on ne va pas toujours aussi loin dans T^tude
de la langue maternelle , qui devrait cependant , ne
fiilrce que par patriotisme, prendre le pas sur un idiome
etranger, objet, la plupart du temps, de pur agremait
etdeccwivenances sociales.
Les eleves qui auront pratique, avec zele et eons-
tance, les exercices de vlo\x^ Knseignenientsecondah^^
doiTent, au bout de trois, quatre ou cinq ans de tra-
vail :
1° Connaitre a fond la grammaire francaise, lexi-
cographic et syntaxe.
2° Savoir par co3ur un assez grand nombre de
morceaux choisis dans nos prosateurs et nos
CHAPITRE ONZlfiME. 271
pontes, et posseder ainsi, au moyen de ces
exercices de memoire, une idee gen6rale de no
tre litterature.
3° Pouvoir traduire avec nettete et correction de
leur langue en francais.
4° Resoudre sans embarras, par Tanalyse gram-
maticale, toutes les difficultes solubles de no-
tre langue.
5° Mettre en bonne prose le premier morceau
venu de poesie francaise.
6** Manier, avec une elegante facilite, le langage
de la conversation franqaise, si toutefois la na-
ture les a heureusement dou6s a cet egard.
7** Executer toutes sortes de redactions fran-
Qaises.
8** Enfin, ecrire des lettres biendictees sur tous
les sujets reels, et en rapport avecleurs etudes
generales et le developpement de leurs facultes
intellectuelles.
Ces resultats peuvent 6tre le fruit de sept a huit
annees d'etude, en comptant pour Tenseignement pri-
maire a peu pres autant de temps que pour Tenseigne-
ment secondaire. Que de maitres seraient heureux de
pouvoir mener aussi loin leurs meilleurs eleves !
Resultats.
TROISlfeME PARTIE.
ETUDE ET ENSEIGNEMENT SUPERIEUM
He I'analyse litt^ralre.
Jusqu'ici Telfeve a encore peu fourni de son fond : il
aapprisparcoeur, traduit, reeonnu, par I'analyse gl^m-
maticale, la valeur intrinseque et relative des signes
de sa nouvelle langue, mis des vers en prose ^ naire
de vive voix et par ecrit, et r6dig6 differentes sortes
de lettres. II lui reste encore quelques echelons a
gravir pour atteindre aux sujets a trailer d'imagina,-
tion ; Tanalyse litt^raire est un de ces degres.
Resserrer en quelques lignes Tessence de plusieul^s
periodes, reduire un sujet a son expression la plus de-
charnee ; savoir retrouver le point de depart et la filia-
tion d'idees suecessivereent developpees ; connaitre en-
fin Tart de tirer d'un simple resume tout le profit
possible : voila ce qu'on apprendra par la pratique de
Tanalyse litteraire. Plus elle sera concise, sans rien
18
274 TROlSlfeME PARTIE.
""; ; omettre d'essentiel, plus la pens6e fondamentale sera
l)e I analyse ^ ...
litieraiie. rcduitc a sa simplicite primitive, plus aussi I'analyse
sera parfaite.
La mani^re dout Tanalyse. littemre se pratique de
preference consiste a extraire Tidee m^re de chaque
paragraphe, de chaque alinea , et a former du r^sultat
combing deces travaux partiels, untout compacte, non
interrompu, oi Ton recomiadBse Tcao^re pjrilnitive, av^
tous ses caractferes distinctifs.
Fidfele a notre habitude de joindre Texemple au pre-
cepte, nous allons donner Tanalyse des deux premiers
alinea de VOraison funebre de la reine d Angleterre^
dont nous reproduisons le texte ; les proportions que
notre travail a d^& prises no nous pwmettent point
d'operer sur tout le discours.
PRIEIIIER ET SECOND ALINEA DK l'oBAISOII FUW^B&S DS LA BJUNE
d'an&letebee.
Celui qui r^gae dans les cieux, et dc qui reinvent tous les empires,
a qui seul appartieat la gloire, la majesty et Tind^pendaDce, est auaii
le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand
il lui plait, de grandes et de terribles le<^ons. Soit qu'il ^Idve les tr6-
nes, soft qu'il les abaisse; soit qtiMl eommunique sa puissance aux
princes, soit qu'il la retire a lui-m^me et ne leur laisse ^e leur pro*
pre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une mani^re souveraine
et digne de lui ; car en leur donnant sa puissance il leur commande
d'en user comme il fait lui-m^me pour le bien du monde, et leur fait
voir en la retirant que toute leur majesty est emprunt^, et que pour
^tre assis sur ie tr6ne lis n'en sont pas moins sous sa main el; sous son
autorite supreme. Cest ainsi qu'il instruit le$ princes, npn-seulemeot
par des discours et par des paroles, mais encore par des efTets et par
des exemples. Et nunc^ reges^ intelligite; erudimini^ quijudica-
tis terram.
CHAPITRE PREMIER. 275
Chr^tieii£, que la niei»oire d^une grande reine, ftWe, femme, in^te
de rois si puissants, et souveraine de trois royaumes, appelle de tows ^ l*awalys«
cot^s a cette triste ceremonie, ce discours vous fera parattre ub de
ces exemples redoutables qui etalent aux yeux du monde sa vanite
tout entiere. Vous verrez dans une seule vie toutes les extremites des
cboses humaines ; la felicite sans homes, aussi bien que les miseres ;
une longue et paisible jouissauce d'une des nobles cpuronnes de
Tunivers : tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance
et la grandeur accumul^es sur une t^e, qui ensuite est exposee a
tons les outrages de la fortune ; la bonne cause d*abord suivie de bon^
sucoes, et depuis des retours soudains, des ehangepfients inou'is,
la rebellion trop longtemps retenue, a la On tout a Mi maftresse,
nul frein a la licence ; les lois abolies, la majeste violee par des at-
teiktats jusqu'alors inconnus ; Tusurpation et la tyrannic sous le noni
de liberty ; une reine fugitive qui ne trouve aucun^ retraite dans trois
royaumes^ et a qui sa propre patrie n'est phisqu'un triste lieu d'exil;
neuf voyages sur mer, entrepris par une prince^se malgr^ les temp^-
tes, rOcean etonne de se voir traverse tant de fois en des appareils
si £vers et pour des causes si differentes; un ti'^ne indigneinent
renvers^ et miraculeusement v^tabli. Voil^ les ensefgnements <|ue
Dieu donne aux rois : ainsi £ait-il .voir au monde le n^ant At. aes
pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les
expressions ne repondent a un sujet si vaste et si releve, les cboses
parleront assez d^elles-memes ; le coeur d^une grande reine, autrefois
eleve par une si longue suite de prosp^rit^s, et puis plough tout a coup
dans un abtme d'amertumes, parlera assez haut ; et s'il n'est pas
permis aux particuliers de faire des lec^ons aux princes sur des eve-
nements si etranges, un roi me pr^te ses paroles pour leur dire : Ef
nunc^ reges, intelligite, erudimini, qui judicatis ferrcrwi ; Enten-
dez, 6 grands de la terre ! instmisez-vous, arbitres du monde !
Analyse.
Dieu seul commande aux rois, et les frappe. Tons les effets de sa
volont^ tendent a les instniire, a leur apprendre qu'ils sont nuls de-
vant sa puissance.
La m^moire de la reine d'Angleterre est un exemple de la vanite
des cboses d'ici-bas. Tantdt beureuse au fatte de la puissance , tantdt
276 TKOISIEME PARTIE.
' - renvers^ de son tr6ne et fugitive, elle fiit constamment le jouet d'line
D« I'analyse inconstante fortune, et sa vie rappelle aux princes ces paroles du roi-
proph^te : Et nunc, etc., etc.
On pourrait resumer en quelques pages le fond de
pens^e qui forme le canevas de Toeuvre de Bossuet.
L'analyse litteraire ainsi entendue et ex^cutee, est un
travail de pensee et de logique. La il s'agit de saisir
avee intelligence Tidee priricipale, sur laquelle sont
entees toutes les pensees accessoires, que Ton neglige,
attendu leur rang secondaire. On concoit la n^cessite
de se briser sur ce travail avant de se lancer dans la
composition, avant d'61aborer ses propresid^es. L'6l6ve
dont la judiciaire, developpee et murie par I'exercice,
demele avec nettete Tidee generatrice d'un discours,
autorise a de justes esperances.
II.
De« parall^les.
Les paralleles peuvent aiterner d'une maniere tres-
profitable avec I'aaalyse litteraire. « Rien, dit M. de
« Sepres, a qui nous empruntonB Texemple suivant,
<c rien ne peut Stre plus instructif que de comparer
« un auteur a lui-nieme, lorsqu'il traite deux sujets
« analogues ; car, toujours dire la meme chose, et ne
c< se repeter jamais, voila le probleme a resoudre pour
« lout ecrivain.
« On a propose de comparer la composition de deux
« discours de Telemaque; Tun a Aceste dans le pre-
« mier livre; Tautre a Sesostris, dans le deuxieme
« livre ^ . L'el^ve a fait la composition suivante :
« l"" Telemaque, errant pour chercher son pere, se
« trouve en presence d'un roi. C'est le m6me sujet ;
« 2^ La situation est la mfeme : il est au pouvoir
« d'Aceste ; il est au pouvoir de Sesostris.
« 3^ Mais Aceste lui parle durement et le menace;
« Sesostris Taccueille avec bonte;
«4*^ L'auteur n'a point fait le portrait d'Aceste;
' Voir res Heux disronrs dans Fenelon.
278 TROISIK.ME PARTIE.
Des
|)aralleles. « tris ;
« mais il se complait a detailler les vertus de Sesos-
« 5® 11 est done naturel que le jeune fils d'Ulysse
if s'irrite centre Aceste , et parle a Sesostris avee une
c< confiance respectueuse.
a Telemaque dit a Sesostris ; f^oiis nignorez pas^ 6
« grand roil 11 dit a Aceste : Sacliezj 6 roil que je suis
« Telemaque y fils du sage Uljsse. II est impossible
« de mieux peindre les sentiments du jeune homme.
• De ces deux expressions , la premiere est mod^ree
« et respectueuse; Tautre, au contraire, est fiere et
« menacante; elle montre bien ce que doit 6prouver
« Telemaque a la vue d'un ennemi que son pere a
« vaincu. Sfjchez! ce mot est prononce dans le trans-
« port de rindignation. Lorsque Telemaque dit : O
« grand roil on sent que ce prince est saisi d'un pro-
« fond respect a la vue de Sesostris. Fenelon fait dire
a d'un c6te : Rendez-moi a won pere ; et de Tautre :
cc Otez-rnoi la vie. Quelle difference! Dans le pre-
tf mier passage, c'est une priere; dans Tautre, e'est
« le mouvement d'un cceur offense. Rien ne depeint
« mieux le caract^re hautain du jeune T616maque. »
On fera bien de r^peter cet exercice sur un grand
nombre de sujets; le Telemaque, par exemple, en
fourriit en abondance. S'il est interessant de compa-
rer un auteur a lui-m6me, il n'est pas moins instructif
d'etablir un parallfele entre deux ecrivains diff^rents,
et de voir le parti qu'ils ont tir^ des ressources qu'of-
frait leur sujet. A mesure qu'on avance dans ces com-
paraisons , les reflexions doivent se multiplier. La
Des
CHAPITRE DEUXifeME. 279
pensee, le jugement, voila ce qu'ii ne faut jamais
perdre de vue. Celui qui est inhabile a se rendre paraiieies.
compte des impressions qu'il eprouve, et a les mettre
en regard les unes des autres, sentira toujours une
grande difficulte a rendre ses pensees a lui, et a les
communiquer d'une manifere convenable.
III.
De0 iiiftitotloiis.
Des parall^les on passera aux imitations. Decalquer
avec art, sans jamais blesser le sentiment des conve-
nances litteraires et morales, transporter d'un sujet a
un autre les traits qui leur sont communs a tons deux,
en conservant , autant qu'il est possible et dans leur
ordre, la forme des phrases, les expressions et les
mots, c'est faire une imitation. L'auteur cite dans le
chapitre precedent va nous en fournir un excellent
exemple 11 s'agit de raconter la douleur de Philoctete
sur celle de Calypso. La ressemblance qui existe entre
le sentiment de ces deux personnages est frappante ;
le cadre phraseologique de Fenelon semblerait pres-
que avoir ete dispose pour recevoir egalement les idees
que chacun de ces sujets suggere.
Douleur de Calypso.
Calypso ne pouvait se con-
soler dii depart d'Ulysse.
Dans sa douleur, elle se
trouvait malheureuse d'etre
immortelle. Sa grotte ne re-
sonnait plus de son chant ;
les nymphes qui la ser-
vaient n'osaient lui parler.
Elle se promenait souvent
Douleur de PhUoct^te, racontSe sur la
douleur de Calypso.
Philoctete ne pouvaitse consoler d'avoir
devoile le secret de la mort du grand Al-
cide, qu'il avait jure de ne jamais decou-
vrir. Dans ^a douleur, il se trouvait plus
malheureux par le ressouvenir de son par-
jure, que de I'abandon si inbumain des
Grecs, de la trahison d'Ulysse, et de I'hor-
rible souffrance de sa plaie. Son autre re-
lentissail nuit el jour de s^ gemissements.
CHAPITRE TROISIEME.
281
seule sur les gazons fleuris
doot un printemps eternel
bordait son ile; mais ces
beaux lieux , loin de mode-
rer sa douleur, ne faisaient
que lui rappeler le triste
souvenir d'Ulysse, qu*elle y
avail vu tant de fois aupres
d'elle. Souvent elle demeu-
rait immobile sur le rivage
de la mer, qu'elle arrosait
de ses larmes ; et elle etait
sans cesse tournee vers le
cote oil le vaisseau d'Ulysse,
fendant les ondes, avail dis-
paru a ses yeux.
Dans le transport de sa douleur, ses hur-
lements eloignaient loin de lui les betes
farouches, qui avaient habite avant lui
cette afifreuse caveme. Souvent, dans les
assoupissements qui saivaient ses fre-
quents acces de douleur, il voyait en songe
Teclatant Olympe, ou tons les dieux etaient
assembles; la, il voyait aussi le grand
Alcide, entoure de rayons de gloire, assis
pres du trone de Jupiter. Mais ces images
de felicite, loin de moderer sa.douleur, ne
faisaient que lui rappeler le triste souve-
nir de son parjure. Souvent il demeurait
eiendu sur le rivage de la mer, et ses re-
gards etaient sans cesse tournes vers le
cdte ou les vaisseaux des rois grecs, fen-
dant les ondes, avaient disparu a ses yeux.
Des
imitations.
L'eleve devra incontinent justifier son travail, tnon-
trer que les faits , les sentiments qu'il a deposes dans
un cadre tout prepare, ne sont pas des faits, des sen-
timents de pure imagination, et decoulent evidem-
ment de son sujet. Le maitre choisira de preference
ceux qui sont a peine indiques, mais qui naissent
facilement de la consideration des faits historiques
ou autres. Tous les livres en fourmillent, et il ne faut
qu'une attention eclairee pour les decouvrir. Get exer-
cice demande sans doute un travail de recherches
assez long pour reunir les circonstances qui se ratta-
chent au sujet, mais Tavantage que Ton en retire com-
pense bien des labeurs
IV.
Des mtipllllcatloiis.
Amplifier, c'esl donner k une id6e toute TexMnsion
de developpement qu'elle comporte; c'est en deduire
naturellement des idees analogues, qui la font obser-
ver sous toutes ses faces, c'est elever un edifice sur
une donn6e fondamentale. On voit qu'ici grande lati-
tude serait laissee aux fantaisies de Timagination, si
le gout et le jugement n'etaient sur leurs gardes, pour
venir en aide a la raison et au vraisemblable. Voila
pourquoi nous avons tant insiste sur les exercices pre-
paratoires, destines a imprimer une juste direction a
ces importantes facultes.
L^usage de bien des maitres est de donner a traiter
a leurs eleves des sujets de pure imagination, dhs
qu'ils out fait quelques progres dans une langue quel-
conque. Get usage, nous le croyons essentiellement
pernicieux. Car, comment pretendre que des jeunes
gens dont la tfete est encore bien pauvre d'idees, tirent
de leur propre fond les developpements de sujets qui
demandent ou des connaissances etendues, qu'ils n'ont
pu acquerir, ou une longue experience de choses qui
leur sont absolument etrang^res? Comment, par
exemple, decrire une tempfete sur mer, lorsqu'on n a
jamais quitte les bords du ruisseau pres duquel on est
CHAPITRE QUATBlfeME. 288
ne? Une bataille, I'effet de rartillerie, quand on ne "~
connatt que les innocentes rixes de Tenfance, quand pUfications.
onn a pasmdme vu la petite guerre, ni aucun des ap-
pareils militaires? Le lever du soleil, quand, esclave de
la moUesse, epris des charmes du duvet, on fait cha-
que jour de son existence la grasse matinee? Qu'ar-
rive-t-il alors? On se bat les flancs, on se monte la
tfete, on fait du pathos, et
La montagne en travail enfante une souris.
II faut done apporter une extreme reserve dans le
choix des sujets que nous donnons a traiter k nos oli-
ves ; ne les faisons jamais sortir de la sphere des con-
naissanees qu'ils ont acquises, ou bien commencons
par les initier aux choses qu'ils doivent savoir, avant
de se hasarder sur un terrain ou ils ne sont pas
orientfe.
Les eleves mal prepares, dont les etudes n'ont pas
suivi une marche reguli^rement progresive, n'ont au-
cune idee des convenances de style, Ils se figurent
toujours que, s'ils ne rendent pas leur pensee avec
pompe et fracas, ils ne font rien qui vaille. Le pre-
mier soin des maitres capables et consciencieux , c'est
de faire cesser cette illusion, Les exercices de me-
moire, pratiques avec Constance, doivent, si le choix
en a ete fait avec soin , justifier les remarques qu ils
presenteront dans ce but a leurs eleves. Un grand
maltre, en fait de style comme en fait d'art dramati-
que, Moliere semble avoir voulu donner a tons les
ecrivains, dans son Bourgeois gentilhomme . une leqon
284 TROISIEMK PARTIE.
"~ ~ dont nous devons aussi faire noire proiii. Nous avons
Des am- *
piificatioiis. souvent lu et commenle ce passage a des el^ves dont
les idees sur la composition et le style n'ayaient rien
d'arrete. Nous le recommandons a nos confreres^ et,
les OBUvres de Moliere, bien que, fort repandues, ne se
trouvant cependaut point partout, nous allons cepro*
duire ici le plus essentiel de la conversation de
M. Jourdain avec son mSiitre de philosopbie.
M. JOUBDAIN.
Quoi ! quand je dis : « Nicole , apportez-moi raes pantoufles , et
me donnez mon bonnet de nuit, » c'est de la prose ?
LE MAITBE DE PHILOSOPHIE.
Oui, monsieur. ,
M JOUBDAIN.
Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans
que j'en susse rien; et je vous suis le plus oblige du monde de ra'a-
voir appris cela. Je voudrais done lui mettre dans un billet, Belle
marquise, t'os beaux yeux me font mourir d'arnour ; mais je vou-
drais que cela ftUt mis d'une maniere galante, que cela fiit toume
gentiment.
LE MAITBE DE PHUiOSOPHlE.
Mettre que le feu de ses yeux reduisent votre coeur en cendres ;
que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un...
M. JOUBDAIN.
JSon, non, nou ; je ne veux point tout cela. Je ne veux que ce que
je vous ai dit : Belle fnarqulse, vos beaiuv f/eux me font mourir
d'-amour, „
LE MaItBE DE PHILOSOPHIE.
II faut bien etendre un pen la chose.
M. JOUBDAIN.
Non , vous dis-je ; je ne veux que ces scules paroles-la dans le
billet, mais tournees a la mode, bien arrangees comme il faut. Je
vous prie de me dire un peu, pour voir, les rfiverses manieres dont on
pent les mettre.
CHAPITRE QUATRlfeME. 285
LE maItbe de philosophie.
On peut les mettre premierement comme vous avez dit : Belle ^^J^^^
marquise^ vos beaux yetuv me font mourir d' amour. Ou bien.:
D'amour mourir m£ font, belle marquise, vos beaux yeux, Ou
bien : Fos yeux beaux (T amour me font, belle marquise, mourir.
Ou bien : Mourir vos beaux yetuv, belle marquise 9 d' amour me
font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir , belle marquise ^
d'amour.
M. JOUBDAIN.
Mais de toutes ces faqons-la laquelle est la meilleure ?
LE maItbe de philosophie.
Celle que vous avez dite : Belle marquise, vos beaux yeux me
font mourir d'amour,
M. JOURDAIN.
Cependant je n'ai point 6tudi^, et j'ai fait cela tout du premier
coup. Je vous remercie de tout mon coeur, et je vous prie de venir
demain de bonne heure.
LE maItbe de philosophie.
Je n'y manquerai pas ■ .
Dans les deux premieres parties de ce livre, nous
avons conduit le lecteur, pour ainsi dire, par la main.
Lorsqu'il s'agit d'elements, on ne saurait entrer dans
trop de details. Maintenant, il n'y a plus de procedes
en quelque sorte mecaniques a signaler; un institu-
teur, au debut de sa carriere, a besoin de conseils et
d'indications sures pour pratiquer avec succes Tensei-
gnement primaire et meme une partie de Tenseigne-
ment secondaire; s'il est capable, il ne sera aiicune-
inent embarrasse pour guider des eleves deja avances
• Moliere, le Bourgeois gentilhomme , acte H, scene 6.
286 TROISIEMK PAHTIE.
"~ dans leurs exercices d'imagiaatton et de style. Ausst
IMS sm**
pU6cations. ne nous etendrons-nous pas davantage sur ce chapi-
tre. lei, la reussite est certaine, a deux conditions
seulement :
r Un maitre lettre.
2® Des ^Ifeves convenablement prepares , et labo-
rieux.
V.
Etade de la lltt^rature.
Le mot liiterature a une double acception. II in*
dique :
V La conrmissance des regies des dn^ers gent^s de
compositions.
2^ I] expose historic/ue et critique des ceui^res de
I'esprit.
Les regies qui dirigent les auteurs dans la compo-
sition de leurs ouvrages, sont, dans toutes les langues
cultiv6es, a peu pr^s les m^mes, sauf les nuances
d' esprit particuliferes aux diff6rentes nationalites. Nos
eleves etrangers peuvent done les apprendre dans leur
langue maternelle. C'est une etude qui doit absolu-
ment trouver sa place dans le plan dune Education
bien entendue. S'ils ont appris en allemand, en an-
glais, en espagnol, etc., etc., ce qui constitue Vode,
\e poeme epique, XhistoirCj la tragddie^ la fable ^ etc.,
ils possMent les connaissances preliminaires indis-'
pensables k Tetude des litteratures etrangferes, et de
la litterature fran^aise en particulier. Nous savons
qu'en bien des pays, on ne s'inquifete guere de cela.
De la Grammaire, bien ou mal apprise, on bondit a la
Litterature, c'est-i-dire i Thistoire des oeuvres litterai-
res , sans se preoccuper le moins du nionde de faire
288 TKOISIKME PAKTIE.
~~~r~j etudier aux jeunes gens les prineipes, qu'ont respectes
de la ou violes les auteurs qui vont passer sous leurs yeux.
litterature. i r j
C'est une profonde lacune a combler.
La litterature francaise est si riche et si variee,
qu'une vie d'homme ne suffirait pas a en connaitre
les oeuvres remarquables, entassees depuis des slides
par le genie des ecrivains. Pour des Etrangers , il ne
peut done gu^re s'agir d'une etude complete de This-
toire de notre litterature; ils doivent, de toute neces-
site, se borner a etudier les principaux auteurs qui se
sont di3tingues dans chaque genre. Ils y parviendront
au moyen des norabreux Precis et Resumes ^ qu'on
peutse procurer partout. Ces ouvrages presentent, en
raccourci,le tableau de notre activite litteraire, depuis
Tenfance de la litterature francaise jusqu'a nos jours.
Parmi les publications de cette espece faites a Tfetran-
ger, nous recommandons, en particulier a nos lecteurs
allemands, celle qui a pour auteur M. Peschier, pro-
fesseur a TUniversite deTubingue. La manifere de Tau-
teur revde une plume habile, et une etude intelligente
de nos tr^sors litteraires.
A tous ces ouvrages, quel qu'en soit le merite, il
faut un complement, la lecture des auteurs, au fur et
a mesure que Ton fait leur connaissance. 11 serait plus
dispendieux que difficile de se les procurer tous; la
jeunesse studieuse , et, en r^gle generale, fort p6nu-
rieuse, doit done savoir gre a M. Tissot de lui 6tre
venu en aide par ses Ijecons de Utteraiurey qui, en sui-
vant Tordre des temps, donnent des extraits de tous
les auteurs francais remarquables, precedes, pour
CHAPITRE CIiNQUlfeME. 289
chacun , d'une notice biographique et litteraire. Ces j.^^^^^
extraits suffisent parfaitement pour donner une idee ,. de la
^ '■ ^ ^ lilterature.
de notre litterature jusqu'au sifecle de LouisXlV; mais,
a partir de cette grande epoque , nous croyons qu'il
faut, autant que possible, faire des lectures plus eten-
dues et plus varices. M. Tissot a du necessairement
s'imposer certaines boroe^.
Les Etrangers qui, non contents d'un simple guide,
veulent consulter les grands ouvrages que nous pos-
86dons sur notre litterature,. n*ont que Tembarras du
choix. La Harpe, Marmontel, Chenier, de Barante,
Villemain, etc., etc., off rent une riche p&ture aux
esprits curieux de saines doctrines litteraires. De tons
ces auteurs , il n'y a que la Harpe qui ait pass6 en
revue toute la litt6rature francaise; mais on salt qu'il
est sujet a caution dans ses jugements sur ses contem-
porains. Les autres n'ont trait6, chacun, que d'une
epoque. A ces ouvrages fort remarquables, on joindra,
avec grand avantage, XHistoire de la litterature fran-
caise, par M. Desire Nisard. Le savant professeur de
rficole normale, quittant les voies frayees par ses de-
vanciers , s'attache a faire « reconnattre , dans le ma-
« gnifique ensemble des chefs - d'oeuvre de Tesprit
(^francais, I'image la plus complete et la plus pure
« de I'esprit humain ' . » Get ouvrage est un veritable
charme pour les esprits serieux, et un hommage
rendu k I'intelligence que Dieu a mise en I'homme.
Exegit monumentum !
• Preface.
VI.
De la vepslfleation.
Notre eleve etudiera les regies de la versification
francaise, non pour tourmenter un jour Pegase , mais
afin d'etre a mSme de mieux gouter les oeuvres poe-
tiques de notre langue. II apprendra done a connattre
le nombre des syllabes qui doivent entrer dans chaque
espfece de vers ; rhemistiche ou cesure, qui marque le
repos; la rime et le melange des rimes; les mots dont
on pent se servir, et les termes impropres ; les diver-
ses mani^res dont les vers doivent fetre arranges entre
eux dans les differents poemes; les licences poeti-
ques, etc., etc.
La place naturelle d'un Traite elementaire de ver-
sification franqaise se trouve a la suite des Recueils de
poesies. L'auteur d'un livre de ce genre % que nous
avons sous les yeux, a eu Theureuse idee de le faire
suivre de quelques mots sur la versification francaise.
Cette petite dissertation ne remplit pas tout a fait
notre programme sur la matiere ; mais au moins c'est
un pas de fait.
• Recueil de poesies fran^aises , redige par Frederic Caumont , 2* edit,
1852. A B^le, chez J. Schweighauser.
VII.
Concliision.
Nous voila au terme de notre tache; puissions-
nous Tavoir executee d'une maniere profitable a ceux
qui liront ce travail, et le consulteront dans leurs tra-
vaux! Nous avons indique en detail la marche que
Ton peut suivre dans Tenseignement et I'etude de
notre langue ; il est cependant une foule de remarques
journalieres que nous n'avons pas consignees dans ce
livre : le maitre auquel il faudrait les apprendre, ne
serait pas a la hauteur de sa modeste vocation.
« C'est dans Pascal , Corneille, Racine, Despreaux,
« Bossuet, Flechier, Fenelon, madame de Sevigne, etc. ,
« dit Levizac, qu'on doit etudier la langue francaise,
« si Ton vent en connaitre a fond toutes les beautes. »
La lecture de nos chefs-d'oeuvre classiques sera done
Taccompagnement indispensable de Tetude de notre
langue. Cette lecture ne consistera pas a feuilleter le-
gerement les ouvrages de ces genies immortels : refle-
chie, serieuse, elle sera d'une utilite immense. En
resumant leurs belles conceptions, nous enrichirons
notre esprit des grandes pensees qu'ils ont elaborees.
Dans Tetude d'une langue etrangere , on doit aspirer
autant au progres intellectuel et moral qu'a la faculte
Conclusion •
292 TROISIEME PARTIE.
de s'enoncer dans un idiome autre que la langue ma-
ternelle; d'ailleurs, il est prudent d'appuyer sa science
8ur des bases solides, si I'on ne veut voir bient&t s'af-
faisser ce fragile edifice.
Lisez done et relisez nos classiques ; penetrez-vous
de leur esprit et de leur maniere. La litterature de
notre si^cle off re un melange de bon, de mediocre et
de detestable. L'aborder sans etre premuni contre les
d^fauts qui puUulent dans maintes productions, c'est
g^ter son gout au lieu de Tepurer, c'est se fausser le
jugement. Alors on admire comnie une beauts ce de-
faut qui heurte toutes les regies de Tart de penser et
d'ecrire ; on neglige ces traits de genie, cette pensee
brillante et solide, qui caracterisent un auteur, et le
font surgir de la foule. Une fois habitue aux lectures
fri voles et aussi denuees de forme que de fond, Tes-
prit s affadit et la vie intellectuelle est bien pres de
s'^teindre.
Les sujets de conversation, de discussion et d'etude
embrassant toutes les connaissances humaines , tous
les faits et evenements possibles , il serait trfes-avaii-
tageux a Tfitranger qui veut s'exprimer convenable-
ment dans notre langue, d'ebaucher en frangais les
elements au moins de I'histoire, de la geographic, de
la philosophic, de la mythologie, des sciences natu-
relies et exactes, de la rhetorique, voire m^me des
arts et metiers, etc., etc. Un peu de tout, quand il
s*agit d'une langue ; quelques apercus en terminologie
mettent en etat de se suffire a soi-mfeme dans mainte
circonstance de la vie. Quand on reflechit que, mal-
CHAPITRE SEPTIEME. 293
ere un riche fond d'idees, souvent la penurie de mots *" ~
^ ^ . Conclusion.
propres exclut un Etranger d'un entretien instructif,
ou il pourrait faire ses preuves, d'une polemique dont
il se tirerait avec honneur, on comprendra notre re-
commandation. Heureux celui que la perseverance
fera triompher de tous les obstacles !
TABLE DES MATlfeRES.
CONSIDlfcRATlONS PR^LimNAlRBS.
Pages.
I. Du choix d*uii maitre. ... l
II. De Televe 9
HI. Regies generales de con-
i'ageii.
duite pour le maitre 12
IV. De la prouonciation el de
raccent 19
PREMIERE PARTIE.
ETUDE ET EIfSi<IGNEMENT PRIM AIRES.
I. Premiers exercices 23
II. Moyen attrayant pour en-
seigner aux petits enfants le
francais, ou toute autre Ian-
gue 31
III. La lecon de conversation. 35
IV. De la lecture 44
V. De Tecriture 49
VI. Le livre du premier age. . 51
VII. Exercices et grammaire.. 65
VHI. De I'analyse grammati-
cale au premier degre 81
IX. Arithmetique 86
X. Resultate 97
DEUXIEME PARTIE.
^TUDE ET ENSBIGNBBIENT SBCONDAIRBS.
I. De la grammaire 99
II. Exercices dememoire etde
style 118
III. De la traduction 125
Morceaux d*allemand tra-
duits en fran^is 132
Morceau d'anglais traduit
en fran^is 144
Morceau d'italien traduit
en frangais 173
Morceau de russe traduit
en francais 179
IV. De I'analyse grammaticale
au second degre 190
V. Des vers mis en prose 202
VI. Des narrations orales 211
296
TABLE DES MATIEKES.
VII. Des narrations ecrites. . .
Vni. Du style epistolaire. . . .
IX. Petits intermedes
Mots des ^nigmes, charcuies,
etc., donnees au cbapitre
IX:
1. As
2. Cor, come, comet, cor-
nette
3. Adieu
4. Lanieme
5. Alliance, ou Ton trouve
caille, cane, lie, cana,
ail, dne, ilie, ake, lin,
Caen, cU, canaille, laie,
Alice, Nil, lice^ del, an,
. . . , tie, Cain, ein, ilan.
Paget,
214
228
249
255
lb
lb.
lb.
t'age*.
Nice, laine, aile 256
6. Basson 257
7. Bonheur lb,
8. ffeure, rue lb.
9. Charlatan 258
to. Poule, loupe lb.
11. Copeau, coupe, eau,
peau i . . lb.
12. Chdteau lb.
13. Pouletle, poulet^ poule. 259
14. Joute,jouet lb.
15. Ami... lb.
16. Mardtre, martre lb.
17. To^t, trot Tb.
18. Balance lb.
X. Des repetitions 261
XI. RcsulUts 267
TROISlftME PARTIE.
AtUDK RT RllSBIGNniBIlT SUP^RIBUKS.
I. De I'analyse litteraire 273
II. Desparalleles 277
ni. Des imitations 280
IV. Des amplifications 282
V. £tudedela1itterature..
.. 287
VI. De la versification
.. 290
VII. Conclusion
.. 291
Par in. — Typofraplilr dr f imin Didot Frcrw . Bli e\ C*. nir Jarob, &6.