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Full text of "Études d'histoire militaire, Volume 2"

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ÉTUDES 

D'HISTOIRE MILITAIRE 



F. LECOMTE 

^ COLONEL FÉDÉRAL SUISSE, 

membre honoraire de l'Académie royale des Sciences militaires de Suède. 



TEMPS MODERNES 

(jusqu'à la fin du règne de Louis XIV.) 



SECONDE ÉDITION. 



— ^''^'^^-^tra 



LAUSANNE 

Librairie classique J. Chantrens 

$2, Place de la Palud, Si 

1870 



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HARVARD 

lUNIVERSITY] 

LIBRARY 

SEP 18 1942 



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ËIUDES 

D'HISTOIRE MILITAIRE 



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II 

pesant sur l'issue de la campagne, un changement immense 
et qui en amènera infailliblement bien d'autres dans les 
rapports des puissances entr'elles, dans les conditions de 
l'équilibre européen et maritime, dans plusieurs frontières 
et dans maintes institutions politiques. Une certaine supré- 
matie que le gouvernement des Tuileries avait réussi, en 
apparence au moins, à s'attribuer dans les affaires euro- 
péennes, va transférer son siège sur les bords de la Spree, 
où l'on paraît disposé , par tradition comme par tempéra- 
ment, à recueillir orgueilleusement cet épineux et véreux 
héritage : vaste révolution internationale propre à faire 
éclore toutes celles couvant à divers degrés sous la cendre. 

Déjà la monarchie a disparu du sol français, et la Répu- 
blique, forme de gouvernement qui, sans contredit, peut le 
mieux rallier tous les défenseurs de la cause nationale, s'oc- 
cupe de gagner noblement ses éperons. 

Déjà l'Italie, libérée d'une onéreuse et courtoise patience 
envers un exigeant allié , a pris possession de sa capitale 
naturelle sans avoir l'air de se douter qu'elle tranchait du 
coup, contre la papauté et les conciles, un des plus grands 
problèmes des temps modernes. Déjà la terrible question 
d'Orient pointe à l'horizon avec tout son cortège de compli- 
cations insondables. Déjà aussi les idées, toujours promptes, 
hélas, à changer le poids des habitudes rompues contre un 
autre joug, tendent partout à se mettre en complaisante 
harmonie avec les faits accomplis. Des publicistes érudits, 
des savants de haute valeur, des théologiens même, qui s'é- 
taient prudemment tenus à l'écart jusqu'à ce moment, en- 
trent en lice par légions pour démontrer l'inévitable fata- 
lité de tout ce qui vient d'arriver et de tout ce qui va suivre. 

Au milieu de cet ébranlement général , s'augmentant de 
toutes les défaillances de la présomption désillusionnée, il 
est consolant de constater que quelques principes, qui nous 



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in 

sont particulièrement chers, restent debout, d'autant plus 
fermes et lumineux que le cahos s'accroît dans leurs alen- 
tours. Ce sont les principes de l'art de la guerre tels qu'ils 
ont été posés par Napoléon et formulés par notre regretté 
maître et compatriote le général Jomini Q) ; de cet art dont on 
peut dire aujourd'hui mieux que jamais qu'il fonde et détruit 
les empires; qui, négligé par les hommes d'état et par les 
états-majors, les mène inévitablement aux catastrophes, 
et qui, systématiquement dédaigné par d'ingénieux pen- 
seurs s'acharnant à creuser les énigmes de leur seule igno- 
rance, laisse l'opinion publique en proie aux erreurs les plus 
grossières sur les causes réelles de ces catastrophes ainsi 
que sur leurs conséquences morales et matérielles. 

Sans nul doute les causes d'un événement tel que la chute 
d'un puissant empire ne peuvent manquer d'être nombreu- 
ses et complexes. Rechercher toutes celles susceptibles d'y 
avoir contribué directement ou indirectement est un travail 
rétrospectif qui doit plaire aux esprits sérieux et scruta- 
teurs. Mais cette recherche ne perdrait rien de son mérite 
à constater tout d'abord les causes immédiates , palpables, 
positives, pour ne passer qu'ensuite à celles de tournure 
plus philosophique. Or c'est ce qu'on ne fait pas. Et cepen- 
dant on est bien obligé de reconnaître que quelles que soient 
les fautes, les illusions ou les préoccupations qui ont amené 
le gouvernement de l'empereur Napoléon III à sa fatale dé- 
termination du mois de juillet dernier, il a décuplé leur ac- 
tion malfaisante par quatre à cinq erreurs capitales d'art mi- 
litaire qui auraient pu facilement être évitées : 

Il provoqua une guerre formidable sans y être prêt ni 
diplomatiquement, ni militairement, et quoique ayant eu 



(1) Voir Précis de l'art de la guerre. Voir aussi le Cours de tactique et le Mé- 
morial pour les travaux de guerre du général Dufour. 



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IV 

l'avertissement des « angoisses patriotiques » de 1866, qui 
avaient certes été fort légitimes. Il osa déclarer qu'il les 
avait remplacées par l'approbation d'un « cœur léger, » 
quand la plus vulgaire prudence aurait dû le rendre au con- 
traire anxieux d'être sûr, avant de se démasquer, du dernier 
homme et du dernier canon que le maximum de ses res- 
sources mettait à sa disposition. 

Même en étant prêt autant qu'il croyait et qu'il pouvait 
l'être dans les conditions de son organisation, il n'aurait 
pu disposer, par ignorance ou par fatuité, que d'un effectif 
montant à peine à la moitié de celui de ses adversaires, 
lesquels cependant, après 1866 surtout, ne devaient être 
pris pour de simples et tenaces Mexicains ou d'audacieux 
Garibaldiens, dépourvus d'organisatioa régulière et de co- 
hésion. 

Il ne sût compenser cette blâmable infériorité ni en mobi- 
lisant assez rapidement, ni en concentrant suffisamment ses 
premières troupes d'opérations ('). Bien plus; encore épar- 

11) Citons sous ce rapport les lignes suivantes d'un remarquable article du Sa- 
lut public de Lyon, du 3 octobre, sur les causes des défaites françaises : 

« En France, les réserves rappelées traversaient le pays en tout sens, du nord 
au midi, de l'est à l'ouest et réciproquement, pour rejoindre les dépôts, et de là 
retourner à grands frais au point d'où elles étaient parties tout d'abord. Certes, il 
était naturel de renvoyer les anciens soldats à leurs régiments, mais pourquoi ne 
pas verser dans le dépôt le plus voisin tous les hommes de la deuxième portion 
du contingent, afin d'éviter la perte de temps et l'encombrement des voies 
ferrées ? 

« Notre centralisation, si vantée, augmentait la confusion, retardait les opéra- 
tions par d'inutiles formalités, allongeait les trajets à parcourir, annulait le zèle 
de chacun par l'obligation d'attendre constamment les ordres d'en haut. Ces or- 
dres, bientôt se firent attendre, puis n'arrivèrent plus et les difTérents services 
furent arrêtés. 

< La formation de l'armée du Rhin se fit avec peu de réflexion et comme si on 
eût voulu combattre avec les cadres et les exposer à une ruine totale, avant l'ar- 
rivée des soldats ; ce qui s'est réalisé, pour le plus grand malheur de la France. 

« Le matériel fut réparti d'une manière imprudente. "ï^e rêvant que triomphe le 
ministre Le Bœuf l'avait accumulé aux frontières, à Strasbourg et à Metz, dans 
l'unique prévision d'une guerre ofTensive. Il était à considérer cependant qu'un 
premier succès de l'ennemi pouvait amener l'investissement de ces places, la perte 



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pillé, après 15 jours de campagne, sur le front de Colmar à 
Thionville par Strasbourg et Metz et sur une profondeur 
plus grande , soit sur un carré d'au moins 40 lieues de côté, 
et dans une multitude d'inutiles et nuisibles places de . 
guerre (*), il se laissa surprendre par des armées plus vite 
prêtes grâce à leur organisation territoriale, supérieures 
d'effectifs et de formation, mieux concentrées, si bien qu'elles 
purent le condamner à tous les inconvénients de Toffensive 
politique avec tous ceux de la défensive stratégique, et 
constamment garder en outre le profit des lignes intérieures. 

Enfin il ne sut réparer ses premiers revers de Wœrth, de 
Forbach et de la Moselle qu'au prix d'une souveraine extra- 
vagance, en jetant tète baissée sa dernière ressource dans 
la nasse de Sedan , opération excellente pour une ou deux 
divisions, mais incroyable de la part d'une masse lourde et 
hétérogène de 140 mille hommes en présence de forces 
hostiles aussi prépondérantes et aussi rapprochées. 

Par tout cela le gouvernement français a totalement mé- 
connu les principes de l'art militaire à la fois les plus élé- 
mentaires et les plus essentiels. Et cependant ces principes 
étaient soigneusement enseignés et instamment recomman- 
dés dans ses propres écoles. C'est donc par légèreté et par 
étourderie surtout que pécha sa gigantesque entreprise. Or 
il faut convenir, autre perfide oreiller de sécurité, que parmi 



de ce matériel, et nous priver de ces amas de fusils qui nous manquent si cruel- 
lement en ce moment. 

c II est positif que nos forces étaient trop éparpillées en face d'un ennemi im- 
pénétrable, et qui, en 1866, avait montré beaucoup de décision et d'audace. Il est 
certain que nos corps d'armée étaient mal reliés entre eux et qu'une main débile 
tenait les rênes destinées à les diriger. Un plan de campagne avait-il été arrêté ? 
L'histoire plus tard le dira. •» 

(i) A ce point de vue les événements militaires de 1870 donnent un nouvel et 
puissant intérêt à la remarquable Etude snir la défense dee Etats par le moyen 
des forteresses publiée il y a déjà une dizaine d'années par le major belge Van- 
dewelde. 



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VI 

les défauts qu^on lui reprochait , ces deux-là n'étaient pas 
précisément au premier rang. On lui supposait plutôt des 
défauts tout opposés, une tendance aux calculs ténébreux 
et à une politique de conspirations. Mais non. Ce qui ca- 
ractérisa bien réellement les apprêts et les débuts de la 
campagne, ce fiit une chaleureuse et vaniteuse impré- 
voyance. 

Nous admettons que ce vice si cruellement châtié dut tenir 
à d'autres plus profonds, à la nature même des traditions 
napoléoniennes et des illusions qu'elles peuvent aisément 
provoquer. Il n'en est pas moins vrai que c'est lui qui en- 
gendra immédiatement les désastres, par des fautes qui pou- 
vaient être évitées sans qu'il fût besoin du génie d'un grand 
capitaine, ni même des talents d'un général de second ordre. 

Si M. le ministre de la guerre, moins accessible à de vai- 
nes criailleries, avait simplement continué, en l'améliorant, 
l'œuvre utile de son prédécesseur, quant à la formation de 
la garde mobile et à l'armement général du pays indépen- 
damment de son absurde réseau de places fortes; si les mi- 
nistres, et particulièrement MM. de Gramont et Olivier, 
avaient modéré quelque peu d'intempestives colères sur la 
question espagnole, retardé leurs bruyantes déclarations 
et avancé leur mobilisation d'une quinzaine de jours seule- 
ment ; si l'empereur avait organisé son entrée en campagne 
au moins la moitié aussi bien que son foudroyant coup 
d'Etat du 2 décembre; si enfin le brave et infortuné Mac 
Mahon avait pensé à utiliser avec sa nouvelle armée les 
admirables ressources du camp retranché de Paris plutôt 
qu'à délivrer chevaleresquement son collègue Bazaine; ou 
bien s'il eût entrepris cette délivrance par la droite, où il 
avait de l'espace à choix, et non par la gauche, où le moin- 
dre contretemps devait forcément l'acculer à une impasse, 
toutes hypothèses plausibles et môme essayées en partie. 



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VII 

l'état des opérations pouvait devenir aisément tout différent, 
aboutir à l'inverse même de ce qu'il est à ce jour. 11 ne fal- 
lait en somme que quelques ordinaires précautions et un 
peu de vigueur, comme cent fois la France en montra, pour 
rendre possible un tel résultat. 

On verrait peut-être aujourd'hui la Prusse, isolée de ses 
chers alliés allemands, se débattre sur sa troisième Hgne de 
défense, après avoir changé le ministère de M. de Bismark 
contre deux ou trois autres. On verrait MM. Simon et Jacoby 
au pouvoir et M. le chanceher fédéral écrire, dans quelque 
bourgade italienne, un livre sur les bienfaits méconnus de 
la politique de fer et de sang. 

On aurait vu en même temps la nouvelle diplomatie 
prussienne solliciter des secours à toutes les portes, où 
elle eût trouvé cette réponse presque invariable : « Vous 
avez toujours cherché querelle à la France depuis 1792 et 
1806; Waterloo n'a pas même sufii à vous apaiser des dé- 
faites que vous aviez provoquées. Encore en 1859, à propos 
de l'Italie, vous avez menacé la France d'invasion; vous 
avez repris vos tracasseries en 1867 à propos du Luxem- 
bourg, puis en 1870 avec vos intrigues dynastiques espa- 
gnoles, sans parler de quelques chicanes secondaires. 
D'ailleurs vous êtes dévorés de la soif d'agrandissement de 
Frédéric II, qui n'est plus de notre temps; vous avez pour 
cela fait une guerre inique au Danemark en 1864, une plus 
inique à vos alliés et compatriotes en 1866, contre lesquels 
vous ouvrîtes les hostilités en même temps que vous les 
leur déclariez ; vous vous apprêtiez à bien d'autres exploits 
de ce genre, dans le seul but de vous arrondir sur terre 
et sur mer, sans souci des moyens ni des prétextes et en 
exploitant adroitement la noble idée de l'unité nationale 
allemande; il n'est pas mauvais que vous soyez une fois 
arrêtés dans vos convoitises et vos agressions qui menaçaient 



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VIII 

les libertés de tous vos voisins, et que vous ayez enfin trouvé 
votre maître, auquel nous recommanderons d'ailleurs la 
modération et la charité chrétienne à votre égard. » 

Très probablement on aurait vu aussi ces réponses offi- 
cielles secondées de nombreux renforts officieux. D'éminents 
et profonds penseurs, allemands et autres, auraient usé de 
vingt recueils et brochures pour prêcher le remords à la 
Prusse haletante, comme aujourd'hui la sérénissime Revue 
des Deux-Mondes croit devoir sermonner ses compatriotes 
épuisés, après les avoir inondés si longtemps de ses lumières. 
Celle-ci offrirait probablement de son côté, au lieu de la 
maussade et docte rhétorique de ces derniers jours, quelque 
nouvelle édition de ses dithyrambes belliqueux de 1855 et 
1859, ou ferait des plans de remaniements territoriaux de 
l'Allemagne dans le goût de ceux que MM. Mommsen, Sybel 
et autres savants allemands s'occupent de forger pour la 
France. 

En vérité l'humanité pensante n'est-elle pas curieuse à 
contempler sous le coup d'une grande victoire, la plus 
persuasive de toutes les harangues? Singulière dupe surtout 
que cette haute dialectique si fière de son anti-militarisme 
et qui n'obéit plus qu'à la voix du canon ; mais dupe réussis- 
sant, par la facile contagion d'une logique fort conscien- 
cieuse de développement sinon de base, à en faire malheu- 
reusement beaucoup d'autres parmi les nombreuses gens 
avides de vues éthérées sur les affaires du jour. 

Et naturellement ces philosophes, qui ont eu le tort de se 
fourvoyer dans un domaine étranger, ont trop de talent pour 
douter de leur infaillibilité en des choses qu'ils croient si 
terre à terre ; ils ne voudront jamais convenir qu'un simple 
à-droite au heu d'un à-gauche commandé à Ghâlons par le 
duc de Magenta, ou une meilleure potion donnée à temps 
au regretté maréchal Niel eût pu changer du tout au tout 



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IX 

la note des considérations transcendantes et souvent sédui- 
santes dont ils délectent la curiosité publique. 

Mais quoi qu'ils en disent il doit, en ces temps-ci, sauter 
aux yeux que si la France souffre d'un abaissement sans 
exemple dans l'histoire, ce n'est pas, comme on le lui re- 
proche, pour avoir dédaigné les arts bienfaisants de la paix, 
mais bien au contraire pour avoir trop délaissé l'art de la 
guerrô, qui l'avait élevée sur le pavois ; pour avoir trop con- 
fondu cet art suprême avec le simple métier des armes, avec 
la vaillance individuelle et artificielle, avec la technologie 
spéciale, facteurs importants sans doute dans la formule 
générale de l'art, mais qui ne sont pas plus l'art lui-même 
que les mains et les pieds ne sont le cerveau dont ils tra- 
duisent les volontés. 

La conclusion de ces grands événements est donc à notre 
avis tout opposée à celle que d'honorables publicistes trop 
exclusivement civils se sont empressés d'en tirer contre ce 
qu'ils appellent le militarisme, le régime du sabre, les ar- 
mées permanentes, la lèpre de la soldatesque, les horreurs 
de la guerre, etc., etc. 

Nous accorderons que l'exagération de la force militaire 
dans le gouvernement des nations peut devenir un mal réel 
pour tout le monde, pour la nation qui en suppute les béné- 
fices comme pour celles destinées à en être victimes.' 

Mais où le mal est grand et doit devenir désastreux, c'est 
quand un gouvernement s'appuie sur une force militaire 
qu'il n'est pas à même de conduire au moment critique ; 
c'est quand il y a disparate, en deux mots, entre les troupes 
et leurs chefs supérieurs. A une bonne et nombreuse armée 
il faut un état-major à l'avenant, sans cesse enflammé du feu 
sacré de sa haute mission. Sans cela il vaudra mieux, pour 
la plupart des cas, n'avoir pas d'armée proprement dite, 



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instrument à deux tranchants difficile et dangereux à manier, 
mais seulement de nombreuses milices, avec lesquelles, 
par suite de leur imperfection même, les grandes folies seront 
matériellement impossibles. Les armées de milices sont au 
moins un préservatifcontre les mauvais conquérants, contre 
les Césars de contrefaçon, suivant la pittoresque expression 
de Ste-Beuve, comme les parlements et nos républiques 
démocratiques le sont contre les mauvais gouvernants. Et à 
qui ne sait se servir d'armes délicates, une fine lame de To- 
lède ou un Golt de haute précision vaudra moins qu'un gour- 
din de bois vert. 

Puis on ne saurait nier que si les événements de 1870 
semblent plaider contre le militarisme français, ils glorifient 
d'autant son confrère prussien, qui l'a vaincu et qui ne lui 
cède en rien quant aux griefs des civilistes. Non-seulement 
il lui ressemble sous presque tous les rapports spéciaux, 
mais en outre il a l'obligation générale du service au lieu 
de la conscription et du remplacement, beaucoup plus de 
gardes mobiles sous le nom de landwehrs, davantage de ca- 
nons et portant mieux, des consignes plus sévères en temps 
de guerre, et par dessus le marché, dit-on, une grande piété! 
Ses premiers hommes d'état même lui font la cour jusqu'à 
l'escorter en campagne, comme M. de Bismark, sous la 
tenue d'officier de cuirassiers, perfectionnement caracté- 
ristique du genre auquel les autres gouvernements euro- 
péens n'ont pas encore atteint. 

Petit à petit seulement la France marchait vers le système 
dé l'organisation prussienne , du maxinmm des hommes 
valides qu'un pays peut mettre sur pied ; elle y est arrivée 
brusquement et forcément par la guerre ; elle y restera sans 
doute à la paix, et tous les autres pays feront de même. 
Si cela contente Messieurs les philosophes civils, il faut 
avouer qu'ils ne sont pas difficiles sur les choses pourvu que 



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XI 

les. mots leur donnent raison. On n'aura plus exclusivement 
d'armées permanentes peut-être , mais des peuples arrûés 
en permanence, et nous doutons que ce soit au profit d& 
l'humanité et de la civilisation en général soit en temps de 
guerre soit en temps de paix. Les guerres seront moins 
fréquentes peut-être , mais d'autant plus longues et plus 
cruelles. 

II en sera ce qu'on voudra. Qu'à Favenir on ait des forcer 
militaires soit de milices, soit de ligne, soit d'un système 
mixte, l'instruction aussi développée que possible dfes états- 
majors et des chefs d'administrations n'en reste pas moins- 
une exigence de première nécessité, et les grands événe- 
ments dont nous sommes les témoins le prouvent de nou- 
veau d'une manière irréfragable. 

De même ils établissent à nos yeux que le but recherché 
par nos Etudes d'histoire militaire est à l'ordre du jour 
maintenant plus encore qu'auparavant, car ce but , la dé- 
monstration des principes fondamentaux de Tart militaire' 
parle moyen de l'histoire (•), s'est affermi d'une nouvelle 
expérience aussi grandiose que convaincante, et venant haïQh 
tement sanctionner ses devancières. 

Une fois déjà la France moderne subit l'affaissement qui 
la frappe aujourd'hui. Le honteux règne de Louis XV dut 
céder à la jeune et vigoureuse Prusse de Frédéric-le-Grand 
un prestige militaire péniblement conqiuis par Richelieu et 
par Louis XIV, et à l'Angleterre et à l'Espagne ses colonies 
américaines. La République et Napoléon i^^ relevèrent bril- 
lamment la partie continentale. léna surtout vengea Rosbach 
d'une façon éclatante. Aujourd'hui léna est plus que vengé 
par Sedan. Les Prussiens semblent avoir ravi à leurs adver- 

(1) Voir Etudes çi'HiBtçire miUtaire^AjatXq^Xé et moyen-ftye. (1" Yol.)InAroduo> 

UPUt 



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XII 

saires ce feu du ciel monopolisé par le grand Empereur, 
pour ne leur laisser que les vices de leurs qualités : une 
héroïque et généreuse présomption, une aveugle et admira- 
ble bravoure, trop promptement suivies d*un abattement 
extrême. 

Que d'enseignements comportent ces trois seules batail- 
les de Rosbach, de léna, de Sedan, où, dans des circonstan- 
ces si diverses, on vit l'application des mêmes principes 
aboutir à des résultats presque analogues en changeant cha- 
que fois de drapeaux 1 

Quant aux nouveautés contemporaines, dont maints tech- 
niciens enthousiastes avaient fait d'avance tant de bruit, il 
ne paraît pas, pour autant que nous pouvons être bien ren- 
seignés à cette heure, qu'elles aient exercé aucune influence 
prédominante sur l'ensemble des opérations, sauf de les avoir 
rendues parfois fort meurtrières. Les mitrailleuses, les fusils 
Chassepot ou Werder, la grosse artillerie de précision, les 
télégraphes, les torpilles, les ballons même ont fait leur 
honorable part sans doute ; mais ce sont encore les masses 
d'infanterie qui ont donné les coups décisifs en campagne, 
ni plus ni moins qu'aux temps de César et de Napoléon l^r. 

La plus importante nouveauté produite est bien, jus- 
qu'ici, le vaste emploi des beaux réseaux ferrés allemands 
et français pour la mobilisation rapide et en bon ordre de 
masses considérables, du côté des Allemands surtout. Il y 
aura là sans nul doute, pour les états-majors et pour les 
hautes administrations pubUques, de profitables sujets d'é- 
tudes détaillées et approfondies; mais cela est une exten- 
sion de ce qui s'était déjà pratiqué antérieurement, non une 
innovation proprement dite. Un officier d'état-major de l'ar- 
mée des Etats-Unis, par exemple, loin de trouver quoi que 
• ce soit de nouveau dans cette lutte, pourrait encore, par sa 



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• XIII 

seule expérience de la guerre de la Sécession, y apporter, 
dans l'un ou l'autre camp, plus d'une innovation utile (*). 

En résumé la campagne de 1870 ne détruit aucun des 
principes fondamentaux de l'art de la guerre posés précé- 
demment ; elle vient au contraire les confirmer. Elle n'en 
crée pas non plus d'inconnus, et l'on ne saurait dire juste- 
ment, comme le font déjà d'intrépides adorateurs du suc- 
cès (2), qu'elle ouvre une ère nouvelle. Les Prussiens avaient 
eu des négligences périlleuses en 1866; ils s'en sont corrigés 
en 1870, ils ont joué un jeu ordinairement plus serré et plus 
étudié sans être moins énergique, et ils en ont été récom- 
pensés par d'immenses avantages avec des risques moins 
grands, quoique leur récente position sous Paris, sans une 
seule place forte hors des mains de l'ennemi sur une aussi 
longue ligne de communication, ne fût certes pas sans dan- 
ger (3). 

A côté de cet enseignement comparatif la campagne en 
comprend beaucoup d'autres encore; mais tous tendent à 
montrer que l'étude de l'histoire militaire reste la meil- 
leure des écoles pour les géaéraux et pour les hommes d'état 
et le meilleur des préservatifs, pour l'opinion publique, 
contre les surprises et les déceptions en germe dans toute 
grande opération de guerre. 

(1) On a dit que la présence du général américain Sheridan au quartior-général 
du roi Guillaume n'avait pas été sans influence sur la remarquable activité dé- 
ployée par la cavalerie légère allemande dans cette campagne. Nous le croirions 
sans peine. Nous sonames même persuadés, nous qui avons eu l'honneur de voir 
à l'œuvre l'honorable général dans les brillants mouvements de la prise de Rich- 
mond, que si cette belle, cavalerie eût été sous ses ordres elle eût fait parler 
d'elle beaucoup plus encore. 

(2) Voir entr'autres le Journal de Genève des 6 et 7 octobre, qui croit devoir 
fedre hommage au beau génie de M. de Moltke d'une ère nouvelle en fait de stra- 
tégie. Il est vrai que ce serait l'ère de la marche coordonnée en opposition à la 
simple marche en colonne, et que ne la comprendra pas qui voudra. 

(3) Depuis que les Prussiens se sont enfin rendus maîtres de Strasbourg et de 
Toiil ils parlent d'entreprendre aussitôt les sièges de Belfort, de Besançon, de 
Lyon même I 



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XIV 

Par ces raisons nous avons le plaisir de pouvoir offrir 
cette seconde édition de nos Etudes sans autre adjonction 
à la première édition que le présent avant-propos , quoique 
à la vérité plusieurs chapitres eussent pu être avantageuse- 
ment complétés par maints détails venus plus tard à notre 
connaissance, mais pour la coordination desquels les loisirs 
nécessaires nous ont manqué pendant le tragique été qui 
vient de s'écouler. 



Genève, octobre 1870. 



F. Lecomte, 

colonel fédéral suisse. 



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ÉTUDES 

D'Histoire Militaire 



Guerres d'Italie (1494-1559). 

L'histoire moderne débute bien pour nous: les Guerres 
d'Italie nous y introduisent d'une manière aussi brillante 
qu'instructive. 

Nous allons retrouver des champs de bataille connus et que 
nous reverrons souvent encore, les mêmes localités où s'il- 
lustrèrent ces fameuses légions romaines et ces aventureuses 
bandes d'Annibal qui ont dû tant nous attacher dans nos 
Etudes antérieures (^) ; un sol et des peuples qui, dès la fin 
du 15« siècle jusqu'à nos jours et après avoir donné au monde 
IdL Renaissance j vont être les constants témoins en même temps 
que les fréquentes victimes de toutes les grandes luttes euro- 

(1) Voir notre voluiï\e Etudes d'histoire militaire. Antiquité et moyen-âye , paru 
' an dernier. 

J 



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— 2 — 

péennes venant les fouler tour à tour; nous rencontrons en 
un mot notre terrain le plus classique et Fun des plus impor- 
tants qu'offrent les annales militaires de tous les temps. 

En outre^ ces guerres d'Italie nous offrent l'agréable occa- 
sion de parler avec quelque avantage de nos compatriotes 
suisses, qui jouèrent alors en Europe un rôle actif et prépon- 
dérant, trop tôt effacé ou réduit à une simple action d'auxi- 
liaire et de mercenaire. 

Déjà en terminant notre volume sur l'histoire ancienne nous 
avons, pour esquisser la composition primitive des armées 
modernes, dit quelques mots de l'ouverture des guerres d'I- 
talie et notamment de l'entrée triomphale à Rome du roi Char- 
les VIII, en marche sur Naples, où il allait, appelé par de 
nombreux mécontents, revendiquer les droits de la maison 
d'Anjou contre la despotiquedominationdelafamilled' Aragon. 

Nous avons alors, et quoique en quelques lignes incidentes 
seulement, dit tout l'essentiel, au point de vue militaire, sur 
ce foudroyant début des armes françaises en Italie. 

D'une part cette campagne ne fut guère qu'une joyeuse 
promenade; elle n'eut d'autre action qu'une petite escar- 
mouche à Rapallo aboutissant à une facile révolution , à Na- 
ples, au profit du roi de France, menée par le chef même des 
troupes napolitaines, Trivulzio, émigré milanais qui va jouer 
un grand rôle dans toutes les affaires de la Péninsule. D'autre 
part les armées n'offrent , dans lenr composition , rien de ca- 
ractéristique de leur époque que nous ne retrouvions un peu 
plus tard , sous François I^^ entr'autres , à un plus haut point 
de perfection. 

Ce qui resta de la campagne de Charles VIII fut moins 
encore , sauf une direction donnée pour longtemps à la poli- 
tique extérieure de la France et un chemin tout tracé à ses 
armées. 

A peine installés au fond de la Péninsule, les Français s'y 



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— 3 — 

livrèrent sans retenue aux légèretés dont leur jeune roi leur 
donnait l*exemple, et mécontentèrent bientôt tout le monde. 
En même temps leurs alliés de la Haute-Italie, le duc de 
Milan à leur tête, irrités aussi de leurs allures et inquiets de 
leurs projets, ourdissaient une menaçante coalition pouf leur 
fermer le retour sur les Alpes. Outre Venise, l'empire d'Au- 
triche prenait déjà dans cette ligue cette position d'ennemi 
et de rival de la France, qui ferait le pivot de sa politique 
pendant des siècles. 

Devant ces dangers, Charles VIII, pressé d'ailleurs par ses 
goûts frivoles de rentrer en France, dut faire une retraite fort 
précipitée. Elle lui eût, malgré sa diligence, été fatale sans la 
vigueur et l'inébranlable fermeté de ses troupes suisses qui, 
non-seulement s'employèrent péniblement à traîner à bras 
la belle artillerie à travers l'Apennin, mais procurèrent, àFor- 
noue, une victoire complète sur la gendarmerie italienne (6 
juillet 1495). 

Cette heureuse journée sauva les forces de Charles VIII 
d'un désastre ; elle n'amena pas d'autre profit. La retraite se 
continua jusque sur les Alpes, tandis que les garnisons fran- 
çaises de Naples étaient laissées à elles-mêmes sous les ordres 
du vice-roi, comte de Montpensier, et du sire d'Aubigny. 
Bientôt assaillis par les Espagnols de l'habile vainqueur de 
Grenade, G<>nzalve de Cordoue, secondés à leur tour des po- 
pulations et des fièvres, ces garnisons furent réduites à merci. 
Environ 500 hommes seulement réussirent à regagner les 
côtes de Provence, sur la fin de l'année 1496, et la couronne 
de Naples retourna à la famille d'Aragon, dans la personne 
du jeune Ferdinand II, qui l'avait du reste bien gagnée par 
sa vaillance. 

Telle fut l'expédition de Charles VIII, justement comparée 
par plusieurs historiens à un ouragan qui ne fit que passer 
sur l'Italie, mais qui la laissa bouleversée et désormais ou- 
verte au choc fatal des grandes rivalités européennes. 



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_ 4 — 

Le successeur de Charles VIII, soa cousin Louis XII, qui 
avait fait cette campagne comme duc d'Orléans à la tête d'un 
corps d'armée, ne tarda pas à la reprendre pour son propre 
compte. Il y apporta une variante qui devait la rendre à la 
fois plus profitable et plus facile. C'est sur le Milanais, bien 
mieux à la portée de la France, qu'il jeta son dévolu, au nom 
des droits de sa mère, Valentine de Visconti, qu'il avait déjà 
essayé de faire valoir pendant les succès de son devancier et 
qu'il avait hautement proclamés dès son avènement, en ajou- 
tant à son titre de roi de France ceux de roi des Deux-Siciles 
et de duc de Milan. 

Politique adroit, Louis XII ne négligea pas de se procurer 
l'appui de bonnes alliances. Les Suisses, qu'il venait de sou- 
tenir dans leur guerre dite de Souabe contre l'Empire, con- 
clurent avec lui un traité et lui fournirent des hommes en 
abondance. Le pape Alexandre VI et les Vénitiens s'engagè- 
rent aussi avec lui contre le duc de Milan, dont ils espéraient 
quelques dépouilles. 

Encore cette fois, l'armée française n'eut qu'à se montrer 
pour vaincre. Rassemblée à Lyon en août 1499, sous les or- 
dres supérieurs de Trivulzio, de d'A'ubigny et du comte de 
Ligny, elle tenait tout le Milanais un mois après. Le duc 
Louis-le-More dut s'enfuir et se réfugier auprès de l'empereur 
qui lui promettait et lui rassemblait péniblement quelques 
secours tardifs. Le 6 octobre Louis XII, suivant son armée, 
fit son entrée triomphale dans ses nouveaux domaines, aux- 
quels Gênes même ne tarda pas de se joindre. 

Ces succès durèrent peu. L'arrogance des vainqueurs et sur- 
tout de Trivulzio, enivré de mesquines vengeances, provo- 
qua bientôt une réaction, qui, secondée d'émissaires de 
Louis-le-More, puis de l'approche de celui-ci avec des ban- 
des levées en Suisse et en Allemagne, se changea en une 
insurrection formidable. Déjà en février 1500 les Français 
furent chassés de Milan ; le duc prit à son tour l'offensive. 



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et quelques semaines plus tard les deux armées se trouvèrent 
en présence devant Novare. Tout cela ne se passa pas sans 
quelque lenteur. Les Français eurent le temps de recevoir des 
renforts de France et de Suisse sous le sire de la Trémouille et 
d'obtenir de la Diète suisse une décision interdisant à ses na- 
tionaux de combattre les uns contre les autres, ce qui était con- 
damner à Tinaction ceux du duc de Milan recrutés individuel- 
lement et illicitement. Cette manœuvre, la plus habile des 
Français pendant cette campagne , eut une pleine réussite. 
L*hésitation, puis la mutinerie se répandit parmi les Suisses de 
Louis-le-More ; des pourparlers entre eux et leurs compa- 
triotes du camp opposé s'ouvrirent, qui forcèrent, de leur 
côté, les chefs à négocier plus ou moins sincèrement. Il en 
résulta que les Suisses de Louis-le-More se mirent en retraite 
vers leurs montagnes sous le couvert d'un armistice ; ils cher- 
chèrent bien à sauver le duc déguisé au milieu d'eux, mais il 
fut trahi par un soldat d'Uri(*) et capturé par les Français qui 
le retinrent prisonnier jusqu'à sa mort. De nouveau ceux-ci 
furent les maîtres du Milanais au printemps de l'an 1500. 

Ce premier pas effectué Louis XII s'occupa aussitôt du 
second, de la reprise de Naples. Ici encore la diplomatie joua 
le principal rôle. Sous prétexte d'alliance contre les Turcs, 
le roi de France s'entendit avec le roi d'Espagne Ferdinand V 
pour se partager le royaume convoité. Par le traité de Gre- 
nade (1500) le roi de Naples Frédéric fut simplement dépouillé 
de ses Etats ai^ profit de ces deux souverains, Louis XII pre- 
nant le nord, Ferdinand V le midi. Indigné de la perfidie de 
son parent d'Aragon,, dont le lieutenant Gonzalve lui avait 
escamoté toutes ses places fortes sous le masque d'un auxi- 
liaire, Frédéric préféra se livrer aux Français, qui le dédom- 
magèrent par une belle terre sur les bords de la Loire. 

Cette profitable entente entre les deux spoliateurs n'était 

(1) Un nommé Thurmânn, qui plus tard fut décapité pour cette infamie. Sa fa- 
mille fût bonnie et changea son nom. 



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— 6 — 

qu'un préliminaire. Chacun d'eux espérait se débarrasser 
promptement de son voisin. Des contestations s'élevèrent 
bientôt entr'eux et les hostilités formelles s'ouvrirent dans 
Tété de 1502. A cette occasion Louis XII envoya une nouvelle 
armée en Italie sous les ordres du duc de Nemours ; lui- 
même s'établit dans sa ville d'Asti pour diriger la campagne. 

Les opérations, d'abord peu décisives, donnèrent un ascen- 
dant marqué à Gonzalve, qui déploya autant d'habileté que 
d'activité. Après de nombreuses escarmouches et des ren- 
contres plus meurtrières à Seminara, à Cerignola, au Gari- 
gliano entr'autres, les Français furent rejetés dans Gaëte, où 
ils capitulèrent au commencement de 1504. Louis XII se crut 
heureux de conclure une paix à Blois qui lui sauvait son 
duché de Milan, mais en compromettant gravement l'avenir 
par un projet de mariage de sa fille Claude, dotée de la Bre- 
tagne, avec l'archiduc Charles, le futur Charles-Quint. 

Heureusement que Louis XII se laissa forcer la main par 
ses notables et se dégagea bientôt de cette clause du traité 
de Blois pour fiancer sa fille à son neveu et héritier François 
d'Angoulême. 

Cette rupture faillit amener la reprise de la guerre entre 
la France d'un côté et l'Espagne et l'Empire de l'autre. Mais 
l'archiduc offensé étant mort, la guerre en resta aux prépa- 
ratifs et se borna à une nouvelle et rapide descente de 
Louis XII en Italie pour ramener sous son autorité la ville de 
Gênes qui s'était insurgée (avril 1507), expédition dans 
laquelle un corps de huit mille Suisses joua le principal rôle^ 
surtout dans l'assaut des fortifications. 

Ces événements relevèrent l'ascendant de la France en 
Europe, mais en excitant ayssi l'orgueil de Louis XII. Pour 
affermir et arrondir sa possession du Milanais il crut néces- 
saire d'amoindrir Venise, dont la prospérité croissante lui 
portait ombrage ainsi qu'à tous les voisins de la puissante 
répubhque. Il ne recula pas même devant les dangers d'in- 



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— 7 — 

trocluire les Espagnols et les Impériaux dans la Haute-Italie, 
et conclut avec eux et avec le pape Jules II la ligue de Cam- 
brai, dont ce dernier fut Tâme. De toutes parts on s'abattit 
préalablement sur la Suisse pour y lever des. troupes; les 
Vénitiens offrirent leur alliance bien naturelle de république 
à république ; mais l'or et les traditions aimées du service 
de France furent les plus forts: les gros bataillons, et avec 
eux le succès, se portèrent vers Louis XII. 

Les Vénitiens, serrés de toutes parts, ne purent livrer 
qu'une bataille, à Agnadel (14 mai 1509), mais meurtrière et 
décisive. Divisés en deux armées principales qui ne purent 
pas s'entendre, ils furent complètement battus et se virent 
enlever en 15 jours toutes les villes conquises sur le Mila- 
nais. Chacun prit sa part et Venise fut resserrée dans ses 
lagunes. Mais le sénat tint ferme; il réussit entr'autres à 
défendre avec succès la ville de Padoue contre l'armée for- 
midable des Impériaux et une nombreuse artillerie. 

Les Vénitiens gagnèrent à leur tenace défensive de voir 
tourner en leur faveur les combinaisons de la politique. Le 
pape Jules II, visant moins à les détruire qu'à les abaisser, 
pouvait être satisfait ; il s'abandonnait maintenant à son sen- 
timent favori de chasser de l'Itahe les barbares^ c'est-à-dire 
tous les étrangers et en premier lieu les Français qui ne 
réussirent jamais à se maintenir longtemps la faveur des 
populations italiennes. Il n'eut pas de peine à amener à lui 
le roi Ferdinand V dont la politique particulière pouvait s'ac- 
commoder de ce projet, au moins pour le début. Il fit peu à 
peu sa paix avec les Vénitiens, se créa de solides accoin- 
tances en Suisse par le moyen de l'évêque de Sion, le célèbre 
Mathias Schinner, et rallia enfin à ses vues l'empereur Maxi- 
milien et même le roi d'Angleterre Henri VIII (1511). Cette 
coalition, décorée du nom de Sainte-Ligue, devait attaquer 
la France de tous les côtés , notamment dans la Guyenne et 
en Italie ; sur ce dernier théâtre la tâche principale était dé- 



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— 8 — 

volue aux Suisses, qui avaient déjà montré plusieurs fois des 
velléités d'intervenir dans les affaires d'Italie pour leur propre 
compte et s'y étaient lancés par petites bandes aventureuses 
prétendant s'emparer de tous les débouchés des Alpes, de la 
Léventine, et de la Valteline entr'autres. 

Plusieurs actes mesquins et déloyaux de l'avare Louis XII 
et les prédications furibondes de Mathias Schinner avaient 
réussi à opérer en Suisse toute une révolution contre la 
France dont le Saint-Siège et l'indépendance de l'Italie 
allaient faire leur profit. 

Quoique à forte partie, Louis XII devant tous ces prépara- 
tifs d'hostilité fit bonne contenance. Il n'attendit pas que ses 
divers ennemis aient pu se réunir à leur aise, et il fut admi- 
rablement servi dans son initiative par un jeune général, 
Gaston de Foix, duc de Nemours, qui du milieu de la Haute- 
Italie sut porter de droite et de gauche les coups redoublés 
que lui permettait sa position centrale contre des adversaires 
éparpillés sur une longue circonférence. 

Manœuvrant habilement en premier lieu contre les Suisses, 
trop tôt descendus de leurs montagnes (*) au nombre de 16 
mille hommes , mais sans artillerie , sauf deux petites pièces 
amenées par les Fribourgeois, sans ponts ni vivres, il les 
harcèle et les arrête court aux portes de Milan. D'ailleurs 
les Suisses sont mécontents de leurs alliés qui les laissent 
sans nouvelles et sans aucune trace du concours promis, 
ils se décident à la retraite et l'etTectuent par Monza , en 
mettant à contribution et à sac tout le pays et en ne laissant 
qu'une faible garnison au sud de la Léventine. 

Après cet important succès, Gaston se retourne contre les 
Vénitiens et préserve Ferrare de leurs coups ; de là il va 
délivrer Bologne que les Espagnols du vice-roi et de l'habile 

(1) Un incident secondaire, l'arrestation de trois officiers suisses à Lugano, 
comme espions, et l'exécution de deux d'entre eux par les autorités françaises, 
avait précipité cttte levée de boucliers. 



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— 9 — 

ingénieur Pierre Navarre, l'inventeur de la guerre des mines, 
voulaient faire rentrer sous la domination pontificale ; puis 
il court de rechef aux Vénitiens en train de s'emparer dû 
Brescian et du Bergamaâque et les refoule en leur infligeant 
de rudes pertes. Tout cela dans les sept premières semaines 
de l'année 1512. Il se porta ensuite contre Ravenne, une des 
places importantes de la Ligue et couvrant l'accès de Rome. 

Une grande bataillé se livra sous les murs de Ravenne le 
il avril 1512. Elle fut fort disputée ; mais les divers chefs 
coalisés sous le vice-roi Gardona s'entendirent peu entre 
eux. L'infanterie espagnole de Pierre Navarre, fort bien ins- 
truite par ce tacticien distingué et ingénieux, s'y couvrit de 
gloire en soutenant le principal effort de la lutte contre les 
meilleures troupes de Gaston. Se couchant à plat ventre 
devant les feux de l'artillerie, elle n'en était pas moins solide 
quand elle se redressait subitement pour affronter les char- 
ges des gendarmes. Elle était escortée de 30 chariots de 
guerre du genre des chars à faux des anciens, portant cha- 
cun une pièce de campagne et un épieu en fer pour les chocs, 
qui rendirent de bons services. Cependant l'impétuosité de 
la gendarmerie française, bien secondée de vigoureuses 
canonnades, triompha de tous les autres coalisés, et les trou- 
pes de Pierre Navarre durent finalement céder aussi le ter- 
rain, ce qu'elles firent dans le meilleur ordre. La victoire 
resta ainsi aux Français, mais chèremept payée par la mort 
de Gaston, tué en cherchant vainement à entamer la retraite 
imposante de l'infanterie espagnole. 

La glorieuse fin de ce héros de 23 ans, dont on put juste- 
ment dire qu'il se montra grand capitaine presque avant 
d'avoir été soldat, fit brusquement tourner la roue de la 
fortune. Remplacé par le sire de la Palisse, qui lui ressem- 
blait par la vaillance, mais non pour le reste, la bataille de 
Ravenne, quoique ayant terrifié tous les ennemis de la France, 
fut complètement stérile pour les vainqueurs, et jamais l'on 



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— 10 — 

ne vit mieux combien les plus grands événements de l'his- 
toire, que tant d'éloquents moralistes veulent rattacKer à de 
hautes déductions philosophiques, peuvent dépendre du seul 
choix d'un bon général ou des hasards qui donnent à une 
armée tel chef plutôt que tel autre. 

Un élément important avait manqué à la bataille de Ravenne : 
les Suisses. Ils arrivaient à leur tour, un peu lentement, 
mais plus menaçants que jamais. Cette fois ils marchaient 
pour leur propre compte et non plus comme de simples mer- 
cenaires. Ils y mettaient même une certaine passion contre 
Louis XII qui leur faisait le retentissant affront de prétendre 
se passer d'eux pour ses grandes guerres et les remplacer par 
des lansquenets allemands levés à prix réduit ou par des recrues 
de contrebande. Ils sauraient prouver à l'ingrat monarque 
que nul ne devait songer à guerroyer en Italie sans compter 
avec les Suisses. A une première troupe de 6 mille hommes 
demandée par le pape contre Ferrare, se joignirent le double 
et le triple de volontaires qu'il fallut aussi emmener. Tous 
se réunirent d'abord dans les Grisons, à Coire, d'où ils pas- 
sèrent à Trente pour se joindre par l'Àdige à leurs alliés 
vénitiens qui, avec le pape, devaient fournir la solde cou- 
rante et le secours des accessoires. Finissant de se rallier à 
Vérone, ils en sortirent, le 30 mai 1512, au nombre de 20 
mille hommes sous le commandement supérieur d'Ulrich 
Hohensax, assisté de Jaques Stapfer de Zurich et de Jean 
Lanther dit Heid, de Fribourg. Après s'être joints aux Véni- 
tiens, 10 mille hommes sous Paul Baglione, ils franchirent 
le Mincio à Valeggio pour s'avancer sur Milan. 

La Palisse, qui avait laissé l'offensive contre Rome pour 
venir recevoir les Suisses, les attendait sur l'Oglio et du côté 
des Alpes. Ne pouvant tenir devant des forces aussi supé- 
rieures, il jeta des garnisons dans quelques places et se 
replia sur le Tessin et le Pô en escarmouchant. En trois 
semaines les Suisses furent maîtres de tout le pays, après 



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— 11 — 

quelques légers combats et une action plus vive à Pavie où 
près de deux mille lansquenets allemands furent tués (18 
juin 1512). Beaucoup d'autres lansquenets s'étaient retirés 
des rangs français par suite d'une sommation de rappel éma- 
nant de l'Empereur. 

Sforza fut réinstallé dans le gouvernement du duché aux 
acclamations du peuple et au nom des Suisses ses libéra- 
teurs. Le cardinal de Sion et le landammann Schwarzmourer 
de Zoug lui en firent la remise solennelle en présence des 
délégués de l'Empereur et du Pape. Dans le courant de l'été 
la domination des Français avait disparu de l'Italie où il ne leur 
restait que quelques places, entr'autres les châteaux de Gré- 
mone et de Milan, postes trop disséminés pour influer sur 
les destinées du pays, mais où des garnisons valeureuses 
pouvaient encore, quoique bloquées, chicaner avantageuse- 
ment leurs alentours. 

Le pape Jules II eut tout le prestige politique de ces évé- 
nements. Non-seulement il put braver les foudres du concile 
de Pise réuni contre lui par la France, mais il reprit toutes 
les places insurgées de la Romagne, y compris Bologne, et 
même Parme, Plaisance et Reggio. En outre le duc de Milan, 
restauré par ses soins, pouvait être considéré comme un de 
ses vassaux. Sous son égide puissante la sécurité de l'Italie 
paraissait s'affermir, et les Suisses, décorés du nom flatteur 
de protecteurs du Saint-Siège^ rentrèrent dans leurs foyers 
comblés de présents et après avoir solennellement promis 
leur protection au nouvel état de choses, qui était leur œuvre 
et qu'ils laissèrent sous une garde ducale de 300 hommes. 
En retour de cette promesse les seigneuries de Lugano , de 
Locarno et de Domo, débouchés des Alpes, devaient être 
cédées aux Suisses, avec exemption de péages jusqu'aux 
portes de Milan, et une somme de 200 mille ducats, plus une 
rente annuelle de 40 mille ducats ; en outre le duc de Milan 



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— 12 — 

devait fournir aux Confédérés, sur leur réquisition, un con- 
tingent de 500 cavaliers. 

L'heureux Jules II ne jouit pas longtemps de son triomphe. 
Sa mort suivit de près, et ce fougueux adversaire de la 
France fut remplacé par Jean de Médicis, le souple et magni- 
fique Léon X. 

Cet événement contribua à relâcher les liens déjà passa- 
blement détendus de la Sainte-Ligue. La divisipn se mit peu 
à peu parmi ses membres, dont les intérêts étaient très- 
divers, et Louis XII ne manqua pas d'en profiter pour cher- 
cher à rétablir ses affaires. Il réussit aisément à neutraliser 
le roi d'Aragon par une trêve favorable, ce qui lui permettait 
l'usage des troupes employées en Navarre, et à s'allier aux 
Vénitiens toujours désireux de s'enrichir, sinon de Crémone 
et de la Ghiradadda, au moins de Brescia et de Bergame. 

Au mois de mai 4513, une armée française franchit les 
Alpes et se porta sur le Milanais, déjà fatigué de son nouveau 
gouvernement et surtout des lourds impôts qui s'y percevaient 
à l'instigation du cardinal de Sion pour subvenir aux frais 
des grandes combinaisons politiques du St-Siége. L'armée, 
commandée par La Tréihouille, avec Trivulzio pour second, 
comptait une vingtaine de mille hommes, soit 1400 lances, 
1000 chevau-légers , 14 mille fantassins, moitié d'allemands 
moite de gascons, 1500 artilleurs avec une centaine de piè- 
ces et une grande forteresse portative en bois qui devait do- 
miner les plaines de la Lombardie. 

Facilités par la retraite des troupes espagnoles du vice-roi, 
jouant un double jeu vis-à-vis de tous les belHgérants, les 
Français se rendirent facilement maîtres d'Asti et d'Alexan- 
drie, en même temps que leurs alliés vénitiens, environ 
12 mille hommes sous Aviano, s'emparaient de Crémone et 
s'apprêtaient à franchir le Pô à Gava. Cela suffit pour soule- 
ver la population de Milan, qui tourna aux Français ainsi que 
les troupes faisant toujours le siège du château. 



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— 13 — 

Sforza, trop ému de ces démonstrations, quitta sa capitale 
avec quelques centaines de Suisses et de Lombards et un 
millier d'Espagnols pour se réfugier dans Novare, où il atten- 
drait le secours des Espagnols et des Suisses , qui seuls pou- 
vaient le protéger efficacement en ces circonstances extrêmes. 

Mais les troupes espagnoles , depuis la trêve de leur roi 
avec Louis XII, n'étaient rien moins que sûres, et les Suisses 
avaient un long chemin à faire, sans compter que le roi de 
France redoublait d'efforts pour les ramener à sa cause. 

Néanmoins les angoisses de Sforza reçurent un premier cal- 
mant par l'arrivée d'une troupe de 4000 Suisses, descendus 
en hâte des montagnes, et qui suffit à assurer la possession 
de Novare et de ses communications avec les Alpes par Côme. 
D'autres renforts arrivèrent à la débandade, en attendant une 
grosse colonne qui s'ébranlait avec plus de lenteur. 

La Trémouille rallia d'abord Gênes à sa cause, puis il s'a- 
vança contre Novare après avoir laissé des garnisons sur ses 
derrières, surtout à Alexandrie. Le siège de Novare fut aus- 
sitôt entrepris et une première canonnade contre la place 
s'ouvrit le 4 juin 4513 avec 25 pièces. Les perspectives s'of- 
fraient souriantes aux Français. La Trémouille pouvait assez 
raisonnablement espérer de terminer là sa campagne, et il 
transmit même son espérance à Louis XII, l'avisant qu'il allait 
bientôt lui envoyer le fils prisonnier comme précédemment 
il avait envoyé le père. Il ne négligea pas non plus de recou- 
rir aux mêmes moyens que treize ans auparavant et d'essayer 
les négociations. 

L'analogie des situations était en effet frappante. Elle s'aug- 
mentait, pour Sforza, du fait que parmi ses défenseurs se 
trouvaient bon nombre des mêmes honlmes qui avaient laissé 
capturer le malheureux Louis-le-More. Mais les sentiments 
étaient à l'opposé. Les Suisses se sentaient heureux, cette 
fois, de combattre l'ingrat roi de France et de pouvoir le faire 
sur le même terrain où jadis ils ne l'avaient que trop bien 



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— 44 — 

servi, même au prix de leur réputation militaire si glorieuse 
jusqu'alors. Aussi fermes devant les essais de parlementage (') 
que devant la canonnade, ils brûlaient du désir d'en venir 
aux mains, et ils provoquèrent f assaillant en tenant constam- 
ment ouvertes les portes de la ville. Ils crièrent même aux 
lansquenets d'épargner leur poudre et qu'ils élargiraient les 
brèches pour leur faciliter l'assaut. Dès le premier soir ils fi- 
rent une sortie et enlevèrent un canon. Le lendemain matin, 
il y eut reprise de la canonnade et une nouvelle mêlée sous 
les murs de la place ; mais l'après-midi, le feu cessa. Les 
Français étaient obligés de faire face à de nouvelles exi- 
gences et ils se repliaient sur une meilleure position, à une 
demi-heure de distance de la ville. 

C'était l'approche des renforts suisses qui nécessitait cette 
modification du siège. 

Le gros des Suisses, débouchant à la fois par les trois pas- 
sages du Simplon, du St-Gothard et du Bernardin, avait subi 
les retards ordinaires des passages des Alpes au printemps. 
Les deux colonnes du Simplon et du St-Gothard se rencon- 
trèrent le 2 juin à Sesto-Calende, le rendez-vous général, où 
elles attendirent trois jours la colonne du Bernardin aux ordres 
de Hohensax, qui devait avoir le commandement en chef. 
Mais des nouvelles de la fâcheuse situation de leurs compa- 
triotes, déjà aux prises avec l'ennemi, leur étant parvenues, 
un conseil de guerre tenu à Sesto-Calende décida de marcher 
sans plus tarder au secours de Novare. Le camp, fort d'envi- 
ron 5000 hommes, se mit en route le 5 juin, et c'est son ap- 
proche qui avait amené la suspension de la canonnade men- 
tionnée ci-dessus. Vu la nouvelle position prise par l'armée de 
La Trémouille, les arrivants purent faire aisément leur jonc- 
tion avec les assiégés dans la soirée du 5 juin. Après les dé- 
monstrations de joie un conseil de guerre fut aussitôt réuni ; 

(1) Qu'on nous pardonne ce barbarisme pour définir une espèce d'opération mi- 
litaire et diplomatique qui se rencontrera fort souvent dans le cours de nos récits. 



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- 45 — 

sur les instances de Jaques Mutti, d'Uri, l'avis prévalut 
d'attaquer sur-le-champ les Français sans attendre l'arrivée 
de la colonne de Hohensax, délai qui pouvait permettre aussi 
aux Français de recevoir des renforts attendus. La décision 
prise fut ordonnée sur-le-champ et exécutée dans la nuit 
même. 

Le 6 juin, vers une heure du matin, la prière eut lieu dans 
tout le camp, où une garnison de 500 hommes fut laissée. Le 
reste, soit environ 9000 Suisses accompagnés de huit canons, 
,6n sortit sans bruit et en bon ordre pour l'attaque proje- 
tée. Trois corps furent formés: un pour tourner les lansque- 
nets à la dérobée et les assaillir en flanc, un second pour 
marcher droit devant lui et s'emparer de l'artillerie; le troi- 
sième devait rester en réserve et opposer ses piques aux 
charges de la cavalerie. 

Toutes ces dispositions et la première attaque elle-même 
purent s'effectuer sans que les Français s'en soient doutés. 
La Trémouille et Trivulzio, aussi surpris que leurs soldats, 
rangèrent à la hâte les troupes en bataille ; l'artillerie vomit 
ses foudres, la cavalerie montra ses belles lignes. Une mêlée 
acharnée et générale s'engagea, mais rien ne put arracher 
aux Suisses l'avantage de leur vigoureux début. Après de san- 
glants efforts, surtout le long du fossé protégeant l'artillerie 
et défendu intrépidement par les lansquenets, les canons fu- 
rent enlevés et retournés contre les Français, la fameuse for- 
teresse en bois n'avait pu être montée, et l'engagement était 
si serré que la belle gendarmerie française fut condamnée à 
l'inaction par la crainte d'écraser les siens aussi bien que les 
adversaires^ Enfin les Suisses du mouvement tournant, arri- 
vant à propos, déterminèrent la déroute des Français qui 
évacuèrent le champ de bataille en y laissant environ 40,000 
des leurs, tout leur matériel et leur bagage. La poursuite 
s'efiTectua pendant quelques heures, mais les confédérés ne 
purent, vu leur manque de cavalerie, la mener bien loin ; ils 



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— 16 — 

revinrent sur le champ de bataille rendre à Dieu leurs ac- 
tions de grâce et recueillir le riche butin qui s'y étalait. De 
leur côté, ils avaient perdu environ 1800 hommes, surtout 
par le feu de l'artillerie, parmi lesquels le brave Jaques 
Mutti. 

Le lendemain de la bataille de Novare, la plus grande dé- 
faite qu'eussent subie les Français en Italie jusqu'à ce jour, 
arriva la dernière colonne suisse, fort triste de n'avoir pu par- 
ticiper à cette importante journée, mais à point pour en pré- 
cipiter les conséquences; les Français furent chassés de la 
Péninsule et forcés de se mettre à leur tour sur la défensive, 
tandis que les Espagnols, qui s'étaient tenus en prudents ob- 
servateurs sur la Trebbia pendant la bataille, se mirent aux 
trousses des Vénitiens et leur infligèrent plusieurs échecs. 

Dans le courant de juillet déjà, tous les Suisses, après avoir 
levé de fortes contributions de guerre, reprirent le chemin 
de leurs foyers, enseignes déployées, laissant quelques mille 
hommes en arrière pour la sûreté du duché. 

Ils ne tardèrent pas à rentrer en lice sur un autre théâtre, 
autant pour continuer, dans les termes les plus agPéables à 
leur allié l'empereur Maximilien, la campagne commencée en 
Italie, que pour faire diversion à leurs dissensions intestines. 

Suivant les plans de la coalition dont l'empereur était de- 
venu le grand moteur, la France serait attaquée en même 
temps sur ses frontières du nord e de l'orient. Au nord, 
30,000 Anglais, débarqués à Calais, gagnèrent bientôt la ba- 
taille de Guinegate (16 août 1513), plus connue sous le nom 
de Journée des Eperons par suite de la panique effrénée dont 
fut prise l'armée française. A l'Orient, les Suisses et des 
troupes de l'Empire devaient reprendre la Bourgogne à la 
France. 

En effet, environ 20,000 Suisses, renforcés d'un corps de 
cavalerie allemande et franc-comtoise et d'une belle artillerie 
ainsi que de lansquenets, donnant un total d'environ 30,000 



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- 17 — 

hommes, avec une soixantaine de bouches à feu, se réunirent à 
Besançon, en Franche-Comté, dans le mois d'août 1513. La 
Diète de Zurich fixa quelques points du plan de campagne et 
s'en référa, pour le reste, à un grand conseil de guerre qui 
devait être tenu à Besançon. Elle donna aussi aux chefs et 
bannerets des cantons la direction des troupes et des pleins- 
pouvoirs pour conclure une paix honorable. Comme signe de 
guerre pour tous les contingents des cantons on adopta, outre 
la croix blanche, que les Français portaient aussi, une clef 
blanche. L'avoyer bernois Jaques de Wattenwyll fonctionna 
comme commandant en chef. La cavalerie allemande était 
sous les ordres du comte Ulrich de Wiirtemberg, et l'Empe- 
reur était représenté au quartier-général par deux délégués. 

Le conseil de guerre tenu à Besançon décida de s'emparer 
de Dijon, la place la plus importante de la France orientale, 
la seule couvrant Paris, et où La Trémouille, gouverneur de 
la Bourgogne, avait rassemblé les débris de Novare, au nom- 
bre d'environ 8000 hommes. Les armées de Berne, Fribourg 
et Soleure n'avaient pas voulu attendre les délibérations du 
conseil de guerre pour marcher sur Dijon ; elles formèrent 
l'avant-garde, que suivirent immédiatement les contingents 
de Bâle, Bienne et Rothweil. L'artillerie impériale vint en- 
suite, puis le reste des troupes. La marche se fit sans coup 
férir, stimulée encore par les bonnes nouvelles reçues des 
opérations sur les frontières du nord; elle laissa partout, sur 
le pays ennemi, de cruelles traces de son passage ; le pillage 
et l'incendie lui firent une lugubre escorte. Le 8 septembre, 
la \âlle de Dijon fut investie, des batteries furent construites 
et le lendemain la canonnade commença contre ses murs, qui 
présentèrent au bout de 48 heures une brèclie assez large 
pour l'assaut. 

La Trémouille, fort inférieur en forces, crut prudent de ne 
pas laisser aller les choses jusqu'à ces extrémités. Esprit 
souple et fertile, vétéran expérimenté et connaissant les Suis- 

TOME II. 2 



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— 18 ~ 

ses de longue date comme ami et comme ennemi, il savait 
plus d'un bon tour à leur opposer, comme on l'avait déjà vu à 
Novare. Il recourut encore au parlementagequi lui réussit plei- 
nement grâce à la générosité fallacieuse de ses promesses et 
à d'opportuns cadeaux à quelques chefs peu dignes de leur 
mandat. La paix fut ainsi conclue en vingt-quatre heures (43 
septembre) malgré les protestations des conseillers impériaux 
et du duc de Wurtemberg ; quoique les deux contractants, La 
Trémouille d'une part et Jaques de Wattenwyll de l'autre, fus- 
sent sans pouvoirs réguliers, cette paix n'eut pas moins la 
prétention de régler les intérêts de tous les belligérants : le 
roi de France déclara renoncer au concile de Pise et à ses 
droits sur les Etats de l'Italie, en abandonnant aux confédé- 
rés (pour le duc Sforza) le duché de Milan, Crémone et Asti ; 
il promettait en outre 400 mille couronnes aux confédérés et 
40 mille à leurs alhés impériaux, et de ne plus enrôler de 
mercenaires suisses sans le consentement des autorités. Au 
moment de la signature le traité faillit échouer par l'impossi- 
bilité de La Trémouille de fournir sur-le-champ les sommes 
promises. Il donna enfin un à-compte de 20 mille couronnes 
et des otages pour le reste ; sur quoi les Suisses firent leur 
retraite vers le Jura. Le désir de revoir leurs pénates était si 
grand que la retraite fut presque une fuite et que Tartillerie 
impériale resta seule gravement exposée aux coups des 
Français. 

Quant à La Trémouille, heureux d'avoir tiré son pays de 
ce mauvais pas, il alla sans crainte affronter les colères de 
Louis XII pour le traité qu'il avait conclu en son nom et à 
son insu. D'abord fort irrité de cette humiliation, le roi finit 
par se radoucir. Il reprit les négociations pour une paix 
générale, espérant retirer le plus possible des concessions 
de Dijon; en attendant, il calma les justes impatiences des 
Suisses par d'autres belles promesses et par un second à- 
compte de 50 mille couronnes. 



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— 49 -- 

Ces négociations se poursuivaient assez favorablement, 
mais au milieu de préparatife d'une nouvelle expédition fran- 
çaise sur le Milanais, quand Louis XII mourut, le l®»" janvier 
4515, laissant la réputation d'un excellent administrateur, d'un 
adroit politique, plutôt que d'un général, et le nom de Père 
du peuple. Il fut remplacé par son cousin et gendre Fran- 
çois I®»*, jeune et brillant chevalier, dont le premier sentiment 
fut d'obtenir une revanche de la journée de Novare et de re- 
prendre les préparatifs de son prédécesseur sur l'Italie; à 
son couronnement déjà il se donna le titre de duc de Milan. 

Un de ses premiers soins fut de chercher à reconquérir l'al- 
liance des Suisses, dont environ 2 mille étaient rentrés indi- 
viduellement l'année précédente au service du feu roi. Il en- 
voya des délégués à la Diète de Zurich dans ce but, mais il 
ne put rien obtenir en dehors de cette réponse : exécutez d'a- 
bord le traité de Dijon. Il se tourna du côté de l'Italie, où il 
eut plus de succès ; non-seulement il put s'y raccoler çà et 
là des partisans, mais il conclut un traité formel avec Venise 
et rendit le Pape Léon X hésitant dans sa ligne de conduite. 

Néanmoins celui-ci, qui venait de renouveler son alliance 
avec les cantons suisses pour cinq autres années, redoutait 
beaucoup au fond la prépondérance française et s'efforçait 
de lui susciter des obstacles. Il obtint de la Diète suisse un 
premier contingent de 4 mille hommes destiné à combattre 
les mouvements révolutionnaires provoqués par la France 
dans la Haute-Italie, particulièrement à Gènes. Cette avant- 
garde, renforcée d'à peu près autant de volontaires, se ras- 
sembla vers la fin de mai 4545 à Novare. Elle ne fit que pré- 
cipiter les événements qu'elle devait conjurer : une révolu- 
tion éclata à Gênes et cette place passa aux mains de la France, 
qui de nouveau eut un pied sur territoire italien. 

Les adversaires des prétentions de François I®»* redoublèrent 
d'efforts pour recevoir le choc qui s'annonçait. La Diète suisse 
ordonna une seconde mise sur pied de 44,000 hommes qui^ 



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— so- 
dés le mois de juin, descendit en Italie avec la mission d'oc- 
cuper tous les passages des Alpes par où les Français pou- 
vaient entrer en Italie, de tenir aussi les citadelles de Milan, 
Crémone et Novare et de faire promptement rapport sur tous 
les incidents qui surviendraient. 

La Sainte-Ligue fut renouée et signée le 17 juillet entre le 
Pape, l'Empereur, TEspagne, le duc de Milan, Florence et les 
Suisses. Le plan de campagne fut aussi élaboré d'une manière 
générale et les rôles distribués. L'Empereur se chargeait d'in- 
quiéter la France sur sa frontière orientale et de tenir tête 
aux Vénitiens. Les Suisses devaient former le gros des forces 
contre l'armée française et être secondés directement parles 
autres alliés, qui fourniraient entr'autres la cavalerie, l'artil- 
lerie et la solde. 

La première colonne de l'armée suisse, sous l'avoyer ber- 
nois Albert de Stein, s'établit, dès la fin de juin, dans la ré- 
gion de Suze et de Saluce pour garder les débouchés du 
Mont-Genis et du Genèvre, routes ordinaires des expéditions 
à travers les Alpes. Sur leur gauche, les volontaires lom- 
bards de Prosper Colonna veillaient aux difficiles défilés de 
Coni et de l'Argentière. 

La seconde colonne suisse, après avoir franchi la frontière, 
ne voulut pas joindre la première et préféra marcher sur 
Milan , pour y recevoir d'abord la solde promise. Après de 
pénibles pourparlers la jonction eut enfin lieu, le 24 juillet, 
à Moncalieri. Mais à peine est-elle effectuée que la discorde 
éclate entre les chefs, et spécialement entre les Bernois, d'un 
côté, et les Schwytzois de l'autre. Stein faillit être tué dans 
une émeute , et des mutineries déplorables s'ensuivent dans 
les rangs des troupes, dont une portion, les derniers arrivés, 
n'avaient point reçu de solde ni plus rien trouvé à butiner, 
tandis que les premiers avaient eu de bonnes aubaines. Les 
seconds reprochaient aussi aux partisans de Stein d'être 
moins hostiles à la France que ne devait le comporter la 



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- 21 - 

situation présente ; des velléités d'arrangement s'étaient en 
effet manifestées, à plusieurs reprises, parmi les conseillers 
et les chefs de Berne, tandis que les cantons forestiers se 
montraient toujours très passionnés contre tout arrangement. 

Dans ces entrefaites, l'armée de François I^r s'approchait. 
C'était la plus belle qu'eût encore créée la France. Elle ne 
comptait pas moins d'une soixantaine de mille hommes, avec 
87 bouches à feu, soit trois mille lances, 4500 chevau-légers, 
20 mille lansquenets allemands, 20 mille autres fantassins 
français et basques sous Pierre Navarre, passé depuis peu 
au service de France. Outre cet habile tacticien, le roi Fran- 
çois I« était accompagné des célèbres vétérans Trivulce et 
La Trémouille, de Lautrec, puis du duc de Gueldre et du 
comte de la Marck, commandant les lansquenets et leurs 
fameuses bandes noires; La Palisse, le duc de Bourbon, le 
chevalier Bayard y figuraient aussi. 

Le passage des Alpes fut remarquable au point de vue des 
difficultés techniques vaincues et même de la stratégie. A 
Grenoble et à Briançon François I«' réunit des conseils de 
guerre qui pesèrent minutieusement les projets divers d'opé- 
rations en perspective. Des reconnaissances ayant appris que 
les deux grandes voies ordinaires étaient trop bien gardées 
pour y déboucher aisément, Trivulce entreprit de faire passer 
le gros de l'armée plus au sud, par le col escarpé de l'Argen- 
tière. Tandis que des démonstrations furent faites par de fai- 
bles corps sur tous les autres passages et par la mer, du Mont- 
Genis à Gênes, le gros des troupes déboucha sur Coni, par 
les vallées de la Durance, de la Maira et de laStura. D'innom- 
brables obstacles durent être surmontés, et ils le furent si 
heureusement que l'avant-garde surprit complètement, à 
Villefranche , les cavaliers lombards et captura leur chef 
Prosper Colonna, après une courte escarmouche (12 août 
1515). Les Suisses du voisinage accoururent à l'aide, mais 
trop tard; ils vengèrent cruellement cet échec sur les habi- 



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— 22 — 

tants de la ville, complices de la surprise, mais ne purent 
empêcher l'armée française de déboucher tranquillement 
dans le Piémont. 

Ce débouché fut encore facilité par le parlementage habi- 
tuel, jeu presque toujours plus fatal aux Suisses que celui des 
armes. Gomme ils étaient encore indécis sur le point réel de 
passage des masses françaises, arriva à leur quartier-général 
un délégué du duc de Savoie, porteur de lettres de François I*^"^ 
et de son maître , proposant une conférence à Vercelli pour 
traiter de la paix sur des bases pécuniaires assez avantageu- 
ses. Le roi offrait non-seulement de payer la somme stipulée 
à Dijon, mais de se charger des obligations du duc de Milan 
et de prendre à sa solde 4 mille hommes. 

Ces ouvertures renouvelèrent les dissentiments des confé- 
dérés entr'eux. Tandis que Wattenwyll et les chefs bernois 
penchaient pour Tacceptation , le cardinal Schinner, arrivé 
depuis quelques jours au camp, s'y opposa très vivement. Les 
premiers firent ressortir le fâcheux état de l'armée, ayant 
maintenant perdu sa cavalerie et laissée sans solde ni secours 
par ses alliés , malgré les promesses faites ; on ne pouvait 
exiger que les Suisses se sacrifiassent toujours pour d'autres, 
et ici pour des ingrats. — Ces étroits sentiments, la cupidité et 
la discorde aidant, eurent le dessus ; il fut résolu de se replier 
sur Vercelli où aurait lieu la conférence proposée. 

Après que toute l'armée eut été réunie à Rivoli, près Turin, 
la marche se fit en deux colonnes sur Vercelli, constamment 
escortées de cavahers ennemis caracoUant autour d'elles et 
sabrant les nombreux traînards et maraudeurs. Cela n'em- 
pêcha pas que les petites villes de Septima et de Chivasso ne 
fussent pillées et incendiées en représailles de mauvais trai- 
tements contre des Suisses isolés. Ivrée fut moins malmené 
malgré une halte de trois jours. Mais le dissentiment avait 
grandi en route. A Vercelli il imposa une séparation et pro- 
voqua même la débandade d'une partie des troupes. Berne, 



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- 23 — 

Fribourg et Soleure marchèrent sur Arona pour rentrer en 
Suisse ; les autres se dirigèrent sur Milan. L'indifférence et le 
relâchement étaient arrivés à un tel degré, dit notre historien 
national, d'après les meilleures sources (*), qu'ils abandon- 
nèrent à Novare les beaux et lourds canons transportés jus- 
qu'alors avec tant de peine, et qu'il eût été facile de conduire 
jusqu'à Bellinzone. 

Quant à la conférence de Vercelli elle ne rappela que trop 
les perfidies du traité de Dijon. Les délégués français y par- 
lèrent pompeusement de l'amitié de leur roi pour les Confé- 
dérés et de son sincère désir de conclure avec eux une paix 
perpétuelle ; mais leurs propositions étaient déjà tout autres 
que celles de l'ambassade de Savoie. Ils voulaient bien payer 
la somme convenue à Dijon, mais sans rien entendre aux 
obligations concernant le duché de Milan. Les négociations 
se prolongèrent, tandis que le reste de l'armée française 
s'installait à son aise en Italie. Enfin par les soins actifs du 
duc de Savoie, agissant au nom du roi de France son neveu, 
un arrangement fat signé à Galerata, le 8 septembre, par 
lequel les Suisses rétrocédaient au roi le duché de Milan et 
ses dépendances, à l'exception du seul comté de Bellinzone ; 
en compensation ils recevaient une somme de un million de 
couronnes y compris la somme du traité de Dijon , plus trois 
cent mille couronnes pour les provinces détachées de Milan 
(Lugano, etc.) et pour frais de guerre. Le duc Maximilien 
Sforza était dédommagé par le duché de Nemours avec une 
pension annuelle de 42 mille francs et la main d'une princesse 
de la famille royale. Quelques autres avantages de détail 
étaient stipulés pour les Suisses qui réservaient aussi les 
droits de tous leurs alliés, l'Espagne exceptée. 

Pendant que s'élaborait ce traité, les autorités de la Suisse, 
en proie aux mêmes tiraillements que l'armée , discutaient 

(1) Jean de Mûller, continué par Gloutz. Histoire deê Suisseê. Traâuction de 
Vulliemin et Monnard ; vol. 9, chap. 4, 



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— 24 - 

violemment la question de la continuation de la guerre ou de 
la conclusion de la paix, et s'arrêtaient à de dangereux moyens- 
termes. Une nouvelle mise sur pied fut ordonnée le 20 août 
pour renforcer les troupes aux prises avec Tennemi, mais, 
sans fixer de contingents et en laissant à chaque canton le 
soin de fournir des forces suivant son pouvoir et son honneur. 
Le vague de cette décision ainsi que le choix de l'itinéraire 
des troupes fit perdre du temps sans rétablir l'union dési- 
rable. Désireux de butiner en Savoie les Bernois voulaient 
passer à toute force par Ghambéry ; à la fin la plupart fran- 
chirent le St-Gothard, mais les Bernois, les Fribourgeois et les 
Soleurois s'acheminèrent par le Simplon. A Domo ceux-ci 
furent ralliés par les dissidents de Vercelli , tandis que les 
autres colonnes se groupaient à Varese et à Monza. On hésitait 
toujours, en Italie et en Suisse, sur la valeur des négociations 
en cours et des arrangements à moitié conclus. 

Le groupe des Bernois, de plus en plus mécontent, mit fin 
à ses hésitations en déclarant accepter le traité de Galerata ; 
sur quoi il se retira définitivement du théâtre de la guerre , 
par le Simplon, avec les Fribourgeois, les Soleurois et les 
Valaisans. Le reste, à la voix énergique de Schinner, secon- 
dée de ducats espagnols et renforcée de celle du Zuricois 
Marc Roist, rompit avec les négociateurs français, se concen- 
tra aux environs de Monza et alla occuper Milan. 

Déjà cette capitale était envahie par les coureurs de Trivulce ; 
déjà, pendant ce temps, François P»" avait pris possession 
d'Asti, de Tortone, d'Alexandrie, de Novare et de l'artillerie 
suisse, de Vigevano, de Pavie même et de beaucoup d'autres 
points importants des bassins du Pô et du Tessin. Le gros de 
ses forces, après s'être massé à Pavie, s'avança sur Milan 
par Marignan. 

Ce mouvement de l'armée française était fort bien entendu. 
Maître de cette dernière région , François I®*" pouvait donner 



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~ 25 — 

la main à ses alliés de Venise tout en séparant les Suisses de 
leurs alliés italiens et espagnols. 

Ces derniers, sous le vice-roi Cardona, avaient attendu 
vainement à Vérone les troupes auxiliaires promises par l'em- 
pereur ; se bornant à observer les Vénitiens, ils s'étaient enfin 
portés, au nombre de 8 mille hommes, sur les bords du Pô, 
aux environs de Plaisance. L'armée papale, 6 mille hommes 
sous Laurent de Médicis, restée longtemps inactive à Parme, 
s'avança aussi vers Plaisance, mais lentement, car quoique 
Léon X pressât les confédérés d'agir, lui-même, se défiant de 
la fortune, cherchait secrètement à s'assurer des chances de 
faveur auprès de François l«^ Les Espagnols ayant intercepté 
un de ses messages au roi, découvrirent cette dupUcité; 
bientôt la discorde éclata entre ces deux armées. 

Néanmoins les Suisses s'étant portés dans leur direction, 
elles parurent se mettre d'accord pour agir de leur côté et se 
réunir à eux en refoulant les Vénitiens. Ceux-ci, environ 15 
mille hommes sous Alviano , s'étaient avancés jusqu'à Cré- 
mone, et il était temps de leur opposer de la résistance, car 
des opérations promises par l'empereur contre cet adversaire, 
on n'avait encore vu aucune trace. 

Le viçe-roi et Laurent de Médicis décidèrent donc de fran- 
chir le Pô et de s'emparer de Lodi, d'où ils se rallieraient aux 
Suisses vers Milan. Le passage du Pô était à peine commencé 
qu'on apprit que cent lances françaises venaient de les pré- 
venir à Lodi ; sur cela ces deux chefs, sans aucune confiance 
l'un dans l'autre et doutant de l'issue des événements, saisi- 
rent l'occasion de se mettre à l'écart et de se replier derrière 
le fleuve , dans leurs précédents quartiers. Dès le lendemain 
Alviano occupa Lodi, d'où il put donner la main aux Français 
qui se portèrent de Marignan à St-Donato et St-Brigitte. Les 
Suisses étant encore à Milan, séparés de leurs alliés, un pre- 
mier et important succès était ainsi obtenu par François P»*. 

Pour réparer cet échec il eût fallu aux Suisses quelques 



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— 26 — 

marches rapides et bien combinées. Malheureusement ce 
n'était pas là leur fort , et en ce moment moins que jamais. 
Le désaccord régnait toujours parmi eux et, par suite, un 
immobilisme aggravant de plus en plus leur situation, dont 
jusque-là, il est vrai, la principale faute remontait à leurs 
alliés. Tout en escarmouchant journellement avec les coureurs 
ennemis, aux environs de Milan, les délibérations et les con- 
seils de guerre se multipliaient sans résultat ; le cardinal de 
Sion et les chefs des Waldstaetten poussaient vainement à 
roflFensive, tandis que les autres penchaient pour la paix. Le 
13 septembre la majorité se prononça pour le traité de Gale- 
rata, après d'orageux débats ; aussitôt une partie des troupes 
se prépara au départ et sortit de la ville. 

A ce moment survint une des escarmouches habituelles ; 
Schinner, appréciant promptement le précieux secours de 
cet incident, fit sonner le tocsin et entretenir le combat en- 
gagé. Tout le monde prit les armes et suivit le bouillant car- 
dinal qui, revêtu de sa pourpre, s'était jeté à la poursuite de 
l'ennemi à la tête de quelques centaines de cavaliers. Bientôt 
toute l'armée suisse, moins une garnison de 1500 hommes 
laissée à Milan , se trouva en présence des Français. Elle 
comptait 24 mille hommes, tous fantassins, avec huit pièces 
de campagne. 

Forte de plus du double, avec une belle cavalerie et une 
nombreuse artillerie, l'armée française était en outre établie 
sur une position très favorable, la droite au petit cours d'eau 
du Lambro, la gauche s'étendant dans la prairie couverte par 
de nombreux fossés et des cassines entourées de vergers. 
L'avant-garde, sous le duc de Bourbon, occupait quelques 
maisons et postes avantageux sur la grande route, avec une 
dizaine de mille hommes et du canon; plus en arrière, les 
abords du camp étaient défendus par 64 canons derrière des 
parapets et des abatis entourés de fossés. Sur quelques points, 
des boucliers fixés en terre et liés par des cordes et des 



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— 27 — 

pieux, formaient d'autres remparts pour les archers. Les 
masses d'infanterie se tenaient derrière un grand fossé, avec 
les archers et de l'artillerie sur les deux ailes, et plus en 
arrière, aussi sur les deux ailes, la cavalerie. 

Quoique instruits par des prisonniers et par des reconnais- 
sances de la supériorité de l'armée française , les confédérés, 
. après une courte délibération , se décidèrent à l'attaque im- 
médiate , car le soleil était déjà vers son déclin. Ils s'avan- 
cèrent dans la plaine en trois corps massifs, leur artillerie au 
centre, sur la grande route. 

Les bannières d'Uri, sous les landammans Itnhof et Pun- 
tiner; de Schwytz, sous Kîstzi et Fleckle; d'Unterwalden , 
sousFluenz; de Zug, sous Schwarzmourer; de Glaris, sous 
Tschudi ; des Grisons, sous les deux Salis, formèrent la co- 
lonne du centre ou le corps de bataille ; Zurich, sous le bourg- 
mestre Roist; Schaffhouse, sous Ziegler, formèrent l'aile 
droite; Lucerne, sous l'avoyer Hertenstein; Bâle, sous les 
conseillers Oflfenburg et Meltinger, l'aile gauche. Des bandes 
de volontaires, sous Werner-Stein, de Zug, formèrent l'avant- 
garde. 

Marchant en échelons réguliers sur un front peu étendu, 
ces masses refoulèrent tout devant elles. Ni les trouées faites 
dans leurs rangs par une formidable canonnade, ni les traits 
des archers, ni quelques charges de cavalerie ne purent les 
arrêter ; il est vrai que les chefs français étaient pris au dé- 
pourvu et que le roi allait se mettre à table avec ses généraux 
lorsqu'on lui annonça l'attaque. Tous coururent aux armes, 
et grâce au secours de la puissante artillerie et de leur solide 
avant-garde , ainsi que de l'activité des chefs, de Pierre de 
Navarre surtout, les troupes furent bientôt à leur poste. 
Alors se portent de part et d'autre des coups furieux; une 
mêlée acharnée s'engage sur toute la ligne. Les confédérés 
sont rudement assaillis à leur tour par une sortie des lans- 
quenets; ils redoublent d^efforts contre ces rivaux méprisés, 



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- 28 — 

les refoulent dans le fossé qu'ils avaient imprudemment fran- 
chi et pénètrent sur leurs cadavres au milieu des batteries. 
Dix canons et plusieurs drapeaux enlevés furent la récom- 
pense de cette courageuse offensive; beaucoup de gentils- 
hommes français mordirent la poussière, Trivulce fut blessé, 
le valeureux Bayard mis en fuite, le roi lui-même frappé de 
nombreux coups de lances et de dagues, mais qui glissèrent 
sur sa forte cuirasse. La nuit mit fin à cet horrible combat, 
où de part et d'autre les pertes étaient à peu près égales sans 
résultat positif pour aucune des parties. Les Suisses n'avaient 
pas été repoussés, ils tenaient le terrain de leurs adversaires 
sans les en avoir chassés. Amis et ennemis gisaient pêle-mêle 
dans l'obscurité , harassés de fatigue , obligés d'attendre la 
clarté du jour pour se reconnaître et pour reprendre une 
lutte qui devait trancher le sort de la campagne et de grandes 
destinées. 

En de tels moments la supériorité de la discipline et de 
l'autorité du commandement pèse d'un grand poids dans la 
balance des armes ; cet avantage était tout entier du côté des 
Français commandés par un roi aussi vaillant qu'aimé et 
respecté de son entourage. A la fois il donnait le bon exem- 
ple et provoquait le dévouement. Après quelques instants 
d'alarme et de confusion ses trompettes réunies sonnèrent 
un puissant rappel; les troupes furent ralliées, restaurées 
et resserrées dans de meilleures positions autour de l'artil- 
lerie. Sur cela seulement François l^^ prit un peu de repos 
en se couchant sur un canon d'avant-garde. 

Les Suisses passèrent une nuit plus pénible. Venus, dans 
la journée, de 4 à ,6 lieues de distance, les vivres leur man- 
quaient; ils souffrirent de la faim, et de la soif sans parler 
du froid et de la fatigue; le soin des blessés dut aussi en 
occuper un grand nombre, et, assaillants, le désordre avait 
dû être plus grand de leur côté, le ralliement fiit difficile ; 
enfin la déception venait comme toujours raviver les haines 



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— 29 — 

assoupies. Un grand conseil de guerre, rassemblé par le car- 
dinal de Sion autour d'un feu de bivouac, donna essor à 
maintes récriminations. Cette fois l'homme d'église avait 
assez de l'offensive ; il opina pour se replier sur Milan où l'on 
attendrait des renforts. C'était bien ce qu'il y avait de mieux 
à faire ; mais cette sagesse tardive rencontrait ses difficultés 
ordinaires ; à leur tour les antagonistes de Schinner, surex- 
cités par la résistance, ne voulurent point entendre parler 
d'une retraite qui leur paraissait 'honteuse et ils rangèrent la 
majorité à leur avis passionné et téméraire. Des mesures 
furent prises pour recommencer l'attaque et pour faire venir 
des vivres de Milan. 

Dès le lever du soleil le son du cor et le bruit des armes 
retentirent de tous côtés. Formés de nouveau sur les trois 
colonnes usuelles, avec l'artillerie au centre et les bannières 
d'Uri et de Zurich en tète, les confédérés marchèrent droit 
sur le centre de l'armée française. C'était prendre le taureau 
par les cornes ; ils le voulaient ainsi, comptant surtout suf 
leur vaillance et sur leur cohésion. L'artillerie laboura leurs 
bataillons sans arrêter leur marche; semant leur route de 
cadavres foulés au pied, ils arrivèrent sur les lignes des lans- 
quenets, qu'ils rompirent; les charges de la cavalerie sur 
leurs flancs ne réussirent pas davantage à les ébranler ; mais 
les projectiles, y compris les flèches des archers, leur fai- 
saient subir de graves pertes. La mêlée, promptement gêné-, 
raie, se poursuivit avec rage pendant plusieurs heures. Partout 
au premier rang François pr combatt it comme un vaillant 
soldat, disputant le terrain pouce, à pouce ^et faisant tenir 
héroïquement son corps de bataille contre les assauts redou- 
blés des hallebardiers suisses. En revanche ses deux ailes 
avaient dû céder et se pelotonnaient derrière lui de manière 
à ne former plus qu'une seule et redoutable masse, d*oti sor- 
taient de vigoureuses charges de cavalerie au milieu de la 
fumée meurtrière de l'artillerie. 



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— 30 — 

L'action se poursuivait ainsi sanglante et anxieuse quand, 
vers midi, les Vénitiens apparurent sur les derrières et le 
flanc des Suisses. Alviano, qui était au camp de François I'^'* 
la veille, au moment du premier coup de canon, avait été 
chercher ses troupes et il apportait à point le coup décisif. 
Les bannières de Lucerne et de Bàle furent détachées contre 
les nouveaux venus. Ce fut en vain ; ce secours subit, les cris 
joyeux de Saint-Mars:, Saint-Marc! avaient ravivé le moral 
des Français et ébranlé celui de leurs adversaires. 

Quelques chefe suisses ordonnèrent la retraite qui, dans 
de telles conditions, fut des plus critiques. Ils purent néan- 
moins l'effectuer dignement, avec tous les blessés portés 
sur les épaules, avec les canons et les drapeaux conquis. 
Leur attitude ferme et menaçante imposa aux vainqueurs, et 
François I®' lui-même, respectant leur bravoure, fit cesser la 
poursuite. Ils se replièrent sur Milan, non sans peine et en 
devant abandonner beaucoup de leurs combattants et blessés 
aux nombreux fpssés qui coupaient leur route. Le même soir 
le principal corps d'armée, « marchant en bon ordre, dit Guic- 
ciardini, avec autant de fierté sur le visage et de feu dans 
les yeux qu'en allant au combat» (*), mais défiguré par les 
blessures, par la fatigue et par des souffrances de tous gen- 
res, portant des drapeaux déchirés et couverts de sang et 
de poussière, fit une lugubre entrée à Milan, où la brave 
et généreuse population de cette capitale lui fit le plus tou- 
chant accueil. 

Les Suisses avaient perdu environ 8 mille hommes à cette 
fatale journée de Marignan, appelée par le vieux Trivulce une 
bataille de géants. Ils y avaient laissé leurs canons, leurs 
trophées et même le célèbre taureau d*Uri dont les mugis- 
sements les avaient si souvent conduits à la victoire (*). Ils 
y perdirent plus encore, c'est-à-dire tout l'ascendant que la 

(1) n, 12. 

(2) Un lansquenet de Lindau parvint à se procurer ce brillant trophée. 



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- 31 — 

précédente campagne leur avait justement procuré en Italie, 
et qui les avait mis un instant en voie de devenir une des 
grandes puissances européennes. Leur réputation militaire 
ne déchut sans doute pas aux yeux des connaisseurs, bien 
au contraire; mais elle ne devait plus servir qu'à leur pro- 
curer des avantages personnels comme auxiliaires et merce- 
naires, à la place des succès pour la nation qu'ils eussent été 
en droit d'espérer. 

François I®»* ne crut pas pouvoir s'octroyer une plus grande 
récompense de sa victoire qu'en se faisant créer chevalier 
sur le champ de bataille par le célèbre Bayard, le chevalier 
sans peur et sans reproche. Comme le dauphin après Saint- 
Jacques, il était personnellement renseigné sur la valeur de 
tels adversaires, et il redoubla d'efforts pour les ramener à 
son alliance. 

Cela ne lui fut pas difficile. Aucun motif sérieux ne com- 
mandait aux Suisses de s'acharner à une cause qui était 
plutôt celle d'alliés peu sûrs que la leur propre. On les avait, 
dans cette campagne, laissés seuls à la tâche, car il était 
évident que si l'empereur ou les Espagnols avaient seulement 
pu paralyser les Vénitiens, part bien minime, les choses 
auraient pris une tout autre tournure. 

Aussi, dès le 15 septembre, ils se réunirent sur la place 
du château de Milan, demandèrent impérieusement la solde, 
et ne la recevant pas ils prirent la route de la Léventine, en 
maudissant le cardinal de Sion, l'auteur de leurs misères ; 
celui-ci avait prudemment esquivé ces malédictions en allait 
solliciter des secours auprès de l'empereur. 

Le même mécontentement régnait au sein de la Confédé- 
ration helvétique où d'ailleurs un fort parti, Berne en tête, 
n'avait pas voulu participer à la guerre. Les négociations 
furent reprises ; elles se poursuivirent péniblement et avec 
maintes péripéties, dont une nouvelle expédition dans le 
Milanais par l'Empereur, avec l'aide de 15 mille Suisses sous 



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— 32 — 

Jaques Stapfer, de Zurich, tandis que 40 raille Suisses sous 
Stein se rendirent dans le camp firaîhçais. Les Suisses n'ayant 
pas voulu se battre les uns contre les autres, roflFensive de 
l'Empereur échoua devant Milan, après avoir sérieusement 
menacé cette ville. Cet échec hâta le succès des négociations 
entreprises par François l'^ ; bientôt elles aboutirent au traité 
de Fribourg du 29 novembre 4546, qui proclama la paix 
perpétuelle et qui fut en eflFet, jusqu'à nos jours, la base de 
toutes les conventions entre la Suisse et la France. Par cet 
acte François I«' payait aux Suisses 500 mille couronnes pour 
les frais des expéditions de Dijon et d'Italie, outre les sommes 
déjà versées, promettait une contribution annuelle dé deux 
mille francs à chacun des 43 cantons et au Valais et une de 
deux mille francs aux autres alliés ensemble. Bellinzone fut 
restitué aux Waldstaetten et aux autres cantons ensemble 
Locarno, Lugano, Mendrisio, Valmaggia, la Valteline et Chia- 
venne, ou à leur choix une somme de 300 mille couronnes. 
Donio, qui avait été rendu prématurément aux Français par 
Louis de Diesbach, leur resta. Les franchises de relations 
furent maintenues ; le roi de France eut la promesse de 
pouvoir recruter en Suisse chaque fois qu'il le demanderait 
et moyennant certaines réserves de quelques cantons. 

D'autre part, Pierre Navarre s'était emparé du château de 
Milan après un siège peu disputé, et le c triomphateur des 
Helvétiens » comme on appelait pompeusement François !««•, 
régna sans conteste sur le Milanais. Maximilien Sforza reçut 
une terre et une pension en France avec la flatteuse pers- 
pective d'un chapeau de cardinal. 

Dans cette même année 4546 des traités furent aussi con- 
clus par François 1^^ avec l'Empereur, avec le nouveau roi 
d'Espagne Charles d'Autriche et avec le Pape Léon X, ce qui 
rétablit la paix générale en Europe^ sous le haut arbitre de 
la France. 

Ce n'était pas pour longtemps: des luttes plus grandioses 



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- 33 — 

allaient éclater entre deux célèbres rivaux, entre François P"*, 
le brillant vainqueur d'Italie, et le jeune Charles d'Autriche, 
son protégé d'abord, mais devenu peu à peu le trop puis- 
sant Charles-Quint, régnant sur les Etats autrichiens y 
compris les Pays-Bas et la Franche-Comté, sur l'Espagne, 
les Deux-Siciles et élu en 1519 empereur d'Allemagne, 
c'est-à-dire régnant sur presque tout le centre de l'Europe. 

Cette formidable fortune de Charles-Quint, due à d'avan- 
tageuses combinaisons d'alliances matrimoniales et de suc- 
cessions testamentaires — tu felix Austria nuhe! — ne 
pouvait manquer d'éveiller de légitimes défiances parmi les 
autres souverains du continent. François I«** s'en fit le cham- 
pion, rôle naturel à un prince qui devait surtout à sa vail- 
lante épée son grand et juste renom. 

Il n'avait pas attendu que son rival ftlt à l'apogée de la 
puissance pour chercher à le contrecarrer; il s'était mis 
sur les rangs contre lui pour la couronne impériale, élec- 
tive, on le sait; mais il avait échoué devant les séductions 
du prince autrichien et les sentiments ultra-teutoniques de 
quelques électeurs. 

La brouille, puis les préparatifs de guerre suivirent de 
près l'élection. En 1521 éclatèrent les hostilités. 

François I®»* n'avait avec lui que les Vénitiens et les Suis- 
ses. Environ 20 mille Suisses s'étaient mis à sa solde en 
suite d'un traité conclu en mai 1521 avec tous les cantons 
sauf Zurich qui, au contraire, fournit 5 à 6 mille hommes 
au Pape alors allié de la France, mais devenu maintenant 
un de ses adversaires. 

L'Empereur Charles-Quint rattachait à sa cause le roi 
d'Angleterre Henri VIII et le Pape avec ses adhérents, c'est- 
à-dire Florence, une très-faible portion des Suisses et les 
mécontents du Milanais qu'on excitait à la révolte. 



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— 34 — 

La disproportion entre les deux belligérants paraissait 
grande ; elle était pourtant plus apparente que réelle. Outre 
que les forces de François I«r étaient aussi concentrées que 
celles de son adversaire Tétaient peu, les circonstances lui 
fournissaient deux précieux auxiliaires qu'il n'eut garde de 
repousser. L'Allemagne était déjà violemment agitée parles 
débats de la Réforme, ce qui diminuait notablement l'auto- 
rité de l'EmperQur dans ce pays. Puis, à la frontière oppo- 
sée de son empire, les Turcs, sous de grands généraux et 
sous le fameux Soliman le Magnifique, apparaissaient plus 
terribles que jamais. Ils envahirent la Hongrie et menacè- 
rent sérieusement la capitale de l'Autriche. Nous verrons 
bientôt leurs flottes arriver jusqu'en Provence et y donner 
la main à celles de François !«*'. 

La lutte s'engagea d'abord sur la frontière des Pays-Bas, 
où les Français allèrent soutenir les prétentions du duc de 
Bouillon et où Bayard fit des prodiges de valeur dans la 
défense de Mézières. Cette première campagne, mollement 
menée de part et d'autre, valut Tournay aux Impériaux et 
Hesdin aux Français. Une autre action s'alluma en Navarre 
où les Français sous Lesparre eurent d'abord quelques suc- 
cès, mais furent ensuite battus et repoussés avec perte, ce 
qui fit tomber toutes les résistances que Charles V avait 
rencontrées jusqu'alors en Espagne. Ce n'étaient là que des 
préludes et des hors-d'œuvre. En Italie devaient se porter 
les coups décisifs. 

Le gouverneur français Lautrec, frère de la maîtresse du 
roi, avait été substitué au vieux et sage Trivulce, tombé en 
disgrâce au point de devoir demander aux Suisses leur cora- 
bourgeoisie et leur protection et bientôt mort de chagrin. 
Des exactions de toute espèce et une administration bru- 
tale avaient fait détester le régime français. Malgré cela 
l'armée du Milanais, victime des intrigues qui divisaient 



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— 35 — 

la cour de Paris, était fort négligée ; tout lui manquait , les 
renforts promis , les fonds nécessaires , les magasins. 
Quand les forces ennemies, composées des Espagnols sous 
Pescaire, des Pontificaux sous Prosper Colonne, avec un 
corps de cinq mille Suisses et Grisons et des Florentins sous 
l'historien Guicciardini, environ 20 mille hommes en tout, 
dont 1500 cavaliers, se mirent en campagne dès les envi- 
rons de Reggio contre Parme et contre le Milanais , elles 
furent secondées de Faction sympathique des populations 
et renforcées de nombreux exilés milanais sous Morone. 

Lautrec partit de Milan avec une armée forte aussi de 
20 mille hommes dont 800 lances et quelque infanterie fran- 
çaise, 8 mille Suisses et à peu près autant de Vénitiens, 
pour marcher au secours de Parme. Il passa le Pô près de 
Crémone et s'avança sur le Tare, ce qui força Prosper 
Colonne à se replier sur Reggio. Il y eut alors de part et 
d'autre une série de marches et de contremarches qui eurent 
pour principal résultat d'ennuyer beaucoup les Suisses de 
Lautrec, ne comprenant rien à ce genre d'opérations. Deux 
mille Bernois se disant offensés de mauvais procédés à leur 
égard, quittèrent l'armée enseignes déployées pour rentrer 
dans leurs foyers. La débandade se mit bientôt parmi leurs 
compatriotes. 

A ce même moment l'armée des alliés se renforçait d'un 
nouveau contingent de Florentins et d'un corps de huit 
mille Zuricois et recrues suisses iUicites sous le Zuricois 
Georges Berguer. Ces derniers, escortés du cardinal de Sion 
et de l'évêque Véroli qui venaient d'agiter la Suisse contre 
la cause française et d'une délégation de la Diète suisse 
protestant vainement contre leur entreprise, rallièrent les 
coalisés à Ostiano. Dès lors ceux-ci, pleins de confiance, 
se préparèrent à l'offensive, tandis que Lautrec se repliait 
derrière l'Adda en mettant des garnisons à Crémone et à 



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- 36 — 

Pizzighettone. Pendant cette retraite il fut encore abandonné 
par un certain nombre de Suisses. Des députés des canton» 
venaient de sommer tous leurs concitoyens de rentrer dans- 
leurs foyers pour prévenir une lutte fratricide et résoudre 
ainsi les difficultés des traités contradictoires qui plaçaient 
des Suisses sous les drapeaux de la France d'un côté et du 
Pape de l'autre; mais cette sommation, grâce aux soin& 
adroits du cardinal de Sion, ne parvint pas aux Suisses de 
l'armée alliée. 

Dans ces conditions les alliés franchirent aisément l'Adda 
après quelques escarmouches à Rlvolta et à Vaprio et s'em- 
parèrent bientôt de Milan presque sans coup férir. Lautrec 
n'y ayant laissé qu'une garnison dans la citadelle dut se 
replier sur Come, presque entraîné par les Suisses qui lui 
restaient encore, environ 4 mille hommes, et qui l'aban- 
donnèrent dans cette ville. 

La Lombardie était de nouveau perdue pour la France ; 
Lautrec n'y pouvait plus tenir la campagne ; il dut se bor- 
ner, en attendant de meilleures circonstances et des ren- 
forts, à n'y faire qu'une guerre de partisans et de défense 
de quelques places ; à cet effet il se porta sur Crémone qui 
devint son centre et son refuge. C'était une nouvelle entre- 
prise malheureuse par l'effet des circonstances politiques 
et des intrigues qui faisaient mener des guerres importantes 
au moyen trop commode d'auxiliaires étrangers. Lautrec, 
meilleur général qu'homme d'Etat, avait oubhé en ces condi- 
tions de suivre une tactique conforme à l'esprit de ses trou- 
pes et à leurs exigences; il aurait dû moins manœuvrer et 
plus combattre ; il est vrai qu'ayant en face de lui un adver- 
saire expérimenté comme le cardinal de Sion, tout le désa- 
vantage de tels auxiliaires tomba de son côté. Il est juste 
d'ajouter aussi que les Suisses de (reorges Berguer, dési- 
reux de respecter la lettre des traités et les ordres de la 



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— 37 — 

Diète, ne combattirent pas directement contre les Français 
ni contre les Vénitiens ; ils se bornèrent à passer de force 
sur leur territoire pour gagner le sol pontifical et leur action 
se borna à faire rentrer, seulement après la chute de Milan, 
Parme et Plaisance sous l'autorité du Pape. Ils restèrent 
dans ces places jusqu'aux premiers jours de l'an 1522, 
époque à laquelle ils regagnèrent leurs foyers sous la pro- 
messe d'une somme de cinquante mille ducats pour frais 
de guerre, solennellement hypothéquée sur les villes mêmes 
de Parme et Plaisance. De cette somme il ne fut payé qu'un 
à-compte de 4 mille florins du Rhin par le Pape Adrien VI, 
successeur de Léon X, et nous avouons ignorer si jamais on 
chercha à faire valoir la singulière hypothèque qui la garan- 
tissait. Au reste les Zuricois, à l'excitation de Zwingh, furent 
dès lors un des cantons qui s'élevèrent le plus vivement, de 
la voix et de l'exemple, contre le trafic du sang suisse aux 
souverains étrangers, trafic dont cette épineuse campagne 
-avait particulièrement montré les déplorables conséquences. 
Des 20 mille Suisses qui y avaient pris part, il ne resta en 
Italie que 1500 hommes au service du Pape et 1000 à la 
solde de Florence. 

Mais tout n'était pas dit, cela se comprend, par cette expé- 
dition où l'on ne s'était presque pas battu. La France avait 
encore assez de ressources pour se remettre de cet échec, 
-et d'ailleurs un incident était survenu en sa faveur par la 
mort du Pape Léon X (l«r septembre 1521), remplacé par 
Adrien VI, beaucoup moins ardent aux luttes politiques. 
Lautrec reçut immédiatement du renfort. Des ambassadeurs 
français se rendirent aussi en Suisse pour parer aux influences 
du cardinal de Sion et avoir de nouvelles troupes plus sûres 
que les précédentes. La Diète de Lucerne leur accorda 16 
^ mille hommes et proscrivit sévèrement tout enrôlement 
contre la France. Au mois de janvier 1522 ces levées se 



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— 38 — 

mirent en marche par le Splûgen, le Saint-Gothard et le 
Simplon ; elles se rallièrent dans les baillages italiens ; elles 
s'y munirent d'artillerie et le l*' mars elles firent leur jonc- 
tion à Monza avec Lautrec venu de Crémone au devant 
d'elles avec 6 mille fantassins et 1500 chevaux. De là, et 
pour menacer à la fois Pavie et Milan, il alla s'établir dans 
les positions de Catina et de Biasco où il reçut le renfort de 
trois mille hommes sous Médicis, qui devaient être suivis 
d'autres renforts annoncés par Gênes sous le chevalier 
Bayard. 

Dans ces positions, Lautrec perdit, semble-t-il, un temps 
précieux et qui eût été mieux employé à reconquérir Milan, 
où les défenseurs de la citadelle comptaient impatiemment 
sur son secours ; car dans les entrefaites l'empereur faisait 
lever des lansquenets en Allemagne et une première colonne 
de douze bannières sous le célèbre tyrolien Frondsberg de- 
vança les Français à Milan, où venait déjà d'entrer Colonne 
avec 15 mille hommes, talidis qu'il avait jeté de fortes gar- 
nisons à Pavie, à Novarre et à Alexandrie. Bientôt une 
seconde troupe de six mille lansquenets fit aussi son entrée 
dans la capitale du duché avec son nouveau prince, le 
jeune François Sforce, qui y fut chaleureusement proclamé. 

Ce ne fut qu'alors et après six semaines d'inaction pen- 
dant lesquelles cependant une pointe heureuse sur Novarre 
et sur Pavie avait rallié le corps amené par Bayard, que 
Lautrec se décida à sortir de ses retranchements et à tenter 
un coup d'éclat. Il marcha droit sur Pavie et en commença 
le siège. La brèche faite, les Suisses, à qui ce genre de 
guerre ne convenait pas, demandèrent unanimement qu'on 
les envoyât à l'assaut. Lautrec s'y refusa, préférant sagement 
attendre l'effet des mines de Pierre Navarre. Mais l'établis- 
sement de celles-ci subit quelques lenteurs , et pendant 
ce temps deux mille Espagnols réussirent à se jeter dans la 



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— 39 - 

place. De son côté Colonne était sorti de Milan avec son 
armée et vint menacer les derrières de Lautrec en s'éta- 
blissant à la Grande-Chartreuse. 

Le général français n'en continua pas moins le siège, en- 
couragp par ses forces très-supérieures ; mais il calculait 
sans les pluies abondantes qui vinrent l'inonder et le bloquer 
dans une contrée insalubre, et sans le tempérament de son 
corps le plus nombreux, les Suisses, fort antipathiques à ce 
genre de guerre. Le découragement se mit parmi eux et 
dans le reste de l'armée. Tous demandaient, à défaut de vi- 
vres qui commençaient à manquer, la paie, qui était fort en 
retard et moins disponible encore. Les Vénitiens insistaient 
aussi pour qu'une meilleure position fût prise. Lautrec fit 
lever le siège et revint à Monza par Landriano et Marignan 
après une marche difficile mais que l'ennemi n'osa pas con- 
trarier. 

En passant devant les tombeaux de Marignan d'amers 
souvenirs avaient redoublé le mécontentement des Suisses. 
La différence était grande, il est vrai, entre la présent^ cam- 
pagne et celles dont toute la Suisse gardait la tradition. Pré- 
cédemment les expéditions étaient menées tout-à-fait démo- 
cratiquement; les décisions des chefs, longuement élaborées 
en conseil de guerre, étaient soumises aux assemblées des 
soldats dans la plupart des circonstances importantes, cha- 
cun pouvant hbrement donner son avis, quitte à obéir fidè- 
lement à la majorité. Maintenant ce n'était plus cela; Lau- 
trec commandait tout en personne ; à peine les principaux 
capitaines suisses étaient-ils consultés, et encore sans 
être écoutés. Et ce changement humiliant s'était accompli 
au profit d'anciens adversaires qui, tout en se servant d'eux, 
leur montraient trop souvent une insolence hautaine et ne 
les payaient qu'en belles promesses ! ! Telles étaient les ré- 
criminations qui couraient les rangs des Suisses et qui , à 



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— 40 — 

Monza, dégénérèrent en manifestations de vraie mutinerie. 
Ils réclamèrent vivement leur solde en retard de plus de 
trois mois , sans compter maints arrérages de plus d'une 
année, ou leur licenciement régulier; même Albert Stein, 
fort dévoué à la France, qui Ten récompensait largement 
du reste, dut déclarer au général qu'il était temps d'écouter 
les justes réclamations de sa troupe. 

On a poétiquement raconté, d'après un historien souvent 
fidèle, ^ue les Suisses avaient posé l'ultimatum: « argent, 
congé ou bataille, » et cette phrase expressive a fait fortune. 
Elle n'est cependant point parfaitement exacte ; au moins 
est-elle incomplète. Un des acteurs de cette campagne, l'im- 
partial et véridique Guicciardini, raconte un peu autrement 
cetiincident, et nous croyons utile de mettre textuellement 
son récit sous les yeux de nos lecteurs : « Ce retardement (le 
retour à Monza), dit Guicciardini, fut très-funeste à la France; 
car les Suisses, excités par leur impatience ordinaire, députè- 
rent leurs officiers vers Lautrec pour se plaindre de l'injustice 
qu'il y avait à ne pas payer les troupes d'une nation toujours 
prête à se sacrifier pour la gloire du nom français. Ils ajoutè- 
rent qu'indignés de voir l'univers instruit par ces traits d'ava- 
rice et d'ingratitude que la France estimât si peu le courage 
et la fidélité de tant de braves gens, ils étaient résolus de 
ne plus attendre et de ne pas compter à l'avenir sur les pro- 
messes si souvent réitérées et toujours sans exécution. Qu'ils 
lui déclaraient donc que leurs soldats allaient reprendre le 
chemin de la Suisse; mais que pour montrer à la terre en- 
tière que ce n'était ni la crainte de l'ennemi ni les périls de 
la guerre, toujours affrontés par les Suisses, comme le passé 
le prouvait assez, qui les obligeaient à la retraite, on n'avait 
qu'à les mener le jour suivant contre les alliés, afin qu'ils 
pussent se retirer le surlendemain ; qu'ils lui conseillaient 
de profiter de ces heureuses dispositions et de mettre les 



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— 41 — 

Suisses à la tête de Tarmée ; qu'ils espéraient qu'après avoir 
forcé le camp des Français près de Novare, ils n'auraient 
pas de peine à pénétrer avec de plus grandes forces dans les 
retranchements des Espagnols, plus rusés, à la vérité, que 
cette nation, mais jamais plus braves dans les combats. 

« Lautrec, effrayé du péril qu'il y avait d'aller choquer 
de front un ennemi bien retranché (^), n'oublia rien pour 
apaiser les Suisses. Il leur représenta qu'ils ne devaient pas 
accuser le roi des délais qu'ils avaient essuyés; que le péril 
de transporter de l'argent à travers un pays infesté d'enne- 
mis en était la seule cause, et qu'au reste ils n'attendraient 
pas longtemps. Mais sourds à ses prières comme à ses pro- 
messes, ils écoutèrent encore moins tout ce qu'il put leur 
alléguer pour vaincre leur résolution. Dans cette extrémité, 
Lautrec prit enfin le parti de risquer une action décisive, 
quoique avec beaucoup de désavantage, considérant qu'il 
valait encore mieux s'exposer à ce péril, auquel â/ailleurH 
les Suisses seraient les premiers exposés^ que de laisser le 
champ libre à l'ennemi, ce qu'il serait forcé de faire s'il ba- 
lançait jusqu'au lendemain (2). » 

C'est ainsi que Lautrec dut mener ses troupes contre le gros 
de l'ennemi, qui, sous Prosper Colonne, s'était établi à la villa 
de La Bicoque à environ 3 milles en avant de Milan. Là, Co- 
lonne s'était en effet arrangé une position formidable. Les ter- 
rasses et les murs du jardin, entourés de profonds fossés, et 
un grand nombre de canaux d'irrigation, couvraient tous ses 
abiords et fournissaient à son artillerie et à ses mousquetai- 
res de grands avantages pour leurs feux ; des pièces de fort 
calibre, élevées sur des plateformes, battaient toutes les ave- 
nues et particulièrement la grande route sur la droite, un 

(1) Allusion au ^os des ennemis, alors en position à La Bicoque. Voir plus 
loin. 

(2) Guicciardini. Guerres d'Italie, II. 14, p. 593 de la traduction de 1738. 



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— 42 — 

petit chemin creux débouchant sur le front et un autre che- 
min sur la gauche aboutissant à un pont de pierre vers l'en- 
trée du parc. Mais tout cela n'effraya point Stein. Envoyé en 
reconnaissance par Lautrec avec l'espoir qu'il jugerait la 
place inattaquable, il revint en disant au contraire qu'il la 
croyait bonne à battre, et l'attaque fut préparée pour le len- 
demain. 

Le soir même, 26* avril, Colonne fut instruit de la résolu- 
tion de ses adversaires, et il fit ses préparatifs en consé- 
quence. Le tocsin, sonné à Milan, Jui amena un renfort de 
six mille hommes, qui furent placés à la garde du pont de 
pierre à l'entrée du parc ; les Espagnols de Pescaire et les 
Allemands de Frondsberg tinrent le front, en arrière d'un 
grand fossé et au pied de terrasses portant l'artillerie. Plus 
en avant dans les blés s'embusquèrent de nombreux tirail- 
leurs; sur les ailes et en arrière, la cavalerie, disséminée en 
légers escadrons. Il disposait en tout d'environ 15 mille 
hommes avec une quarantaine de bouches à feu. 

Les. dispositions de Lautrec furent moins habiles. Soit 
qu'il ne pût user d'une autorité suffisante, soit qu'il ne con- 
sidérât l'action qui allait s'engager que comme l'affaire des 
Suisses et que d'avance il se consolât de voir leur fougue 
châtiée, il ne prit aucune des mesures qui pouvaient assu- 
rer le succès, il chargea, non l'artillerie, de commencer l'ac- 
tion, comme c'eût été naturel, mais la cavalerie légère de 
Jean de Médicis, qui serait suivie des pionniers de Pierre 
Navare, précédant eux-mêmes les Suisses. Avec ceux-ci 
marcheraient les canons, escortés de l'élite de la gendar- 
merie française ; puis en réserve viendraient les Vénitiens 
avec Lautrec et le reste de la gendarmerie. Sur la gauche, 
il lança son frère Foix avec trois cents lances et quatre mille 
fantassins pour tourner la position par le pont de pierre. 
Un autre mouvement tournant fut confié à quelques cents 



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-. 43 — 

cavaliers déguisés en impériaux, c'est-à-dire avec la croix 
rouge au lieu de la blanche. 

C'est dans cet ordre, convenable peut-être pour une ba- 
taille en rase campagne, mais non pour l'attaque d'une forte 
position, que la bataille du 27 avril s'engagea dès le point 
du jour. 

La cavalerie légère porta les premiers coups, sans grand 
résultat vu les nombreux fossés qui gênaient sa marche. Les 
Suisses, derrière elle, s'avancèrent avec impétuosité en deux 
grosses masses d'infanterie sous leurs deux chefs principaux 
les feld-oberst Albert de Stein et Arnold de Winkelried, su- 
bordonnés à leur capitaine-général Anne de Montmorency. 
Leur marche, souvent entravée, fut lente et difficile ; quel- 
ques canons seulement purent les suivre. En revanche, le 
canon ennemi porta le carnage dans leurs masses trop lour- 
des. Malgré cette meurtrière canonnade et la fusillade des 
tirailleurs, ils arrivèrent au bord du fossé; mais là, de fou- 
droyantes décharges refoulèrent ce premier corps, qui dut 
laisser plus d'un millier des siens sur le terrain évacué. Le 
second corps, qui avançait toujours, recueille le premier et 
tous ensemble se reportent en avant. Ils arrivent au fossé, 
y descendent tumultueusement et cherchent à escalader la 
contrescarpe. Vain effort! les parapets sont couronnés d'une 
haie de piques et d'arquebusiers qui déciment les assaillants. 
Le fossé est trop profond ; les pionniers si fameux de Na- 
varre n'ont ^u ni le combler ni amener les engins d'esca- 
lade voulus. Des compagnies suisses entières, leurs chefs en 
tète, trouvent la mort dans cette fatale impasse, et la re- 
traite doit bientôt s'effectuer au milieu des cadavres amon- 
celés et sous les meurtriers saluts de l'artillerie des terras- 
ses. Beaucoup de Français, l'élite de leurs gentilshommes, 
avaient glorieusement combattus aux premiers rangs des 
Suisses. Mais les Vénitiens, qui auraient dû les seconder et 



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_ 44 — 

qui l'auraient pu aisément en se portant sur leur flanc au 
lieu de les suivre, étaient restés spectateurs inactife de l'ac- 
tion. Quant aux mouvements tournants, celui de Foix, con- 
trarié par les obstacles du terrain et par la forte garde du 
pont, n'aboutit pas ou trop tard; l'autre, sous déguisement, 
fut dépisté à temps. « Ainsi, dit Guicciardini, tout le poids 
de l'action tomba sur les Suisses (*). » 

Colonne, sachant qu'il n'avait eu affaire qu'aux seuls 
Suisses, n'osa pas faire de poursuite sérieuse. Sa cavalerie 
seulement essaya de talonner les vaincus, mais elle fut con- 
tenue à son tour par les escadrons français. 

Le soir, Lautrec pensait à renouveler l'attaque et cela lui 
eût été possible, même avec quelque chance de succès en 
l'ordonnant avec plus de soins. Mais les Suisses s'en tinrent 
à leur parole et à leur départ, fixé au lendemain, déjà avant 
la bataille. Ils étaient d'ailleurs fort découragés par cet 
échec, où ils avaient montré plus de bravoure que jamais 
et perdu trois mille des leurs, dont leurs deux chefs, le 
brave Stein et Arnold de Winkelried, un descendant du 
héros de Sempach. Aigris contre leurs auxiliaires, particu- 
lièrement contre les Vénitiens qui avaient déjà pris la route 
de Brescia, ils marchèrent, le cœur plein d'une sombre co- 
lère, sur Monza, traînant après eux leur artillerie et laissant 
aux cavaliers français le soin de protéger la retraite. 

Si Lautrec avait pu désirer qu'une correction tût donnée 
à ses indociles soldats suisses, il fut servi plus qu'à souhait. 
Les vaincus reconnurent, il est vrai, que leur folle témérité 
et leur indiscipline avaient causé leur défaite (2); mais cette 
défaite amenait un désastre; la campagne était perdue pour 
les Français et avec elle l'Italie. Lautrec dut repasser l'Adda; 
il fut accompagné par les Suisses jusqu'à Trezzo; là il les 

(1) Ouvrage cité, H, 14. 

(2; Stettler, Missive dans les archives bernoises. — Note de M. Vulliemin, X, 67. 



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— 45 — 

congédia ; ceux-ci reprirent, aigris et sans solde ni butin, 
le chemin de leur pays par le Bergamasque, tandis que Lau- 
trec rentrait à Crémone. De là, le général français se rendit 
en France pour faire entendre au roi ses vives et directes 
plaintes sur le manque d'argent où on l'avait laissé et qui 
avait été la cause de tous les revers ; il se trouva que 400 
mille écus qui lui avaient été expédiés à un moment où ce 
secours eût été fort utile avaient été détournés par une in- 
trigue de la reine-mère. Pendant ce temps, le frère de Lau- 
trec signait avec les impériaux un traité de totale évacuation 
de la Haute-Italie (mai 1522). 

Quant aux Suisses, leur ardeur guerrière fut calmée pour 
quelque temps ; ils comprirent aussi par les tristes leçons 
de Marignan et de La Bicoque, où ils ne s'étaient certes pas 
montrés moins braves que partout ailleurs, que leur vieille 
tactique de l'offensive en gros et solides corps n'était plus 
à la hauteur des progrès de l'art de la guerre. Ils avaient en 
effet ressuscité brillamment contre les chevaliers bardés 
les masses d'infanterie, les phalanges et les légions de l'an- 
tiquité ; mais l'artillerie et la mousqueterie arrivaient à leur 
toiir et ne tarderaient pas à exiger la première place, si l'in- 
fanterie ne savait se transformer. Elle le sut, comme nous 
le verrons bientôt. 

François l^^ ne pouvait se tenir pour battu par les vicis- 
situdes de son armée d'Italie. Il se prépara ^romptement 
à la revanche, quoique abandonné des Vénitiens et défié 
directement par le roi d'Angleterre. Recourant à toutes sor- 
tes d'expédients pour remplir le trésor vide, il put former 
une nouvelle et belle armée, dans laquelle les Suisses, vive- 
ment sollicités, promirent d'entrer pour deux contingents 
de 6 mille hommes chacun. 

A la tête de cette armée, François P*" s'apprêtait à des- 



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— 46 — 

cendre en Italie, et il était déjà en route à cet effet quand il 
fut retenu par un grave incident. Un de ses plus grands di- 
gnitaires, le puissant et habile connétable de Bourbon, indi- 
gnement maltraité par le roi et surtout par la mère du roi, 
s'était secrètement entendu avec l'empereur et le roi d'An- 
gleterre pour une levée de boucliers et pour un démembre- 
ment du royaume. Heureusement la conjuration fut décou- 
verte à temps; François pr resta en France pour parer aux 
événements et le connétable ne put joindre ses hauts com- 
plices qu'en fuyard isolé. 

Le plan de la coalition ne s'en exécuta pas moins ; mais 
son premier contretemps lui fut fatal ; aucune de ses atta- 
ques ne réussit. Vingt-cinq mille Espagnols qui entre- 
prirent le siège de Bayonne furent énergiquement contenus 
par Lautrec. Une armée de lansquenets qui envahit la 
Champagne fut rejetée dans les Vosges par le duc de Guise; 
une armée anglaise, sous le duc de Suifolk, débarquée à 
Calais, parut d'abord avoir plus de succès; elle s'avança sur 
la Somme et sur l'Oise et répandit même la terreur dans 
Paris, jusqu'à ce que d'habiles manœuvres du vieux La Tré- 
mouille la forçassent de se replier en arrière. 

Cette défense n'empêcha même pas le roi de France de 
poursuivre ses projets sur l'Italie. L'exécution de leur réali- 
sation fut confiée à l'amiral Bonnivet, un des favoris de 
François P»" et de sa mère, trop décrié peut-être par les his- 
toriens sous 'l'épithète souvent impropre de général de cour. 
Au mois d'octobre 4523, il franchit le Mont-Cenis avec une 
armée d'environ 25 mille hommes, et rallia en Piémont un 
corps de 40 mille Suisses, dont 4 mille Valaisans et Grisons, 
descendus par le St-Bernard. 

Le vieux Prosper Colonne, qui commandait les troupes de 
la Ligue, fut complètement pris au dépourvu par cette offen- 
sive inattendue dans les circonstances générales de l'Eu- 



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— 47 — 

rope, et il ne put empêcher les Français d'arriver triompha- 
lement jusque sur le Tessin et aux portes de Milan. Il dut 
se borner à s'enfermer dans cette ville, après avoir jeté des 
garnisons dans Crémone et dans Pavie. 

Bonnivet ayant tardé d'attaquer la capitale du Milanais, 
Colonne put s'y mettre en bonne défense, grâceauconcouis 
unanime de la population et à l'arrivée de quelques ren- 
forts de l'Italie et du Tyrol. Il résista efficacement à plusieurs 
attaques et brava tous les essais de blocus. Bonnivet ne 
réussit qu'à obtenir un campement d'hiver entre Milan et le 
Tessin, où il continua à se consumer en pointes stériles de 
droite et de gauche. Les Vénitiens s'étant aussi mis en cam- 
pagne ainsi que le connétable de Bourbon avec un corps 
de six mille lansquenets, et des mouvements de l'ennemi 
donnant lieu à Bonnivet de craindre pour ses communica- 
tions, il se retira sur Biagrassa, où il prit ime nouvelle posi- 
tion. Le vieux et prudent Colonne mourut dans son triomphe 
même. Lannoy, qui lui succéda, excité par Pescaire, son 
meilleur lieutenant, crut devoir à son tour prendre l'ofifen- 
sive ; il rejeta les Français sur Novare, puis au-delà de la 
Sesia, après plusieurs sanglants combats où les Suisses eu- 
rent l'occasion de se distinguer comme arrière-garde. Sur 
la Sesia, l'armée française fut heureusement [renforcée d'un 
nouveau corps de huit mille Suisses, arrivés au secours de 
leurs compatriotes dans le péril, et qui, sans vouloir agir en 
offensive, couvrit efficacement la retraite. Néanmoins de 
graves pertes furent subies au passage de la Sesia, entre 
Romagnano et Gattinara, sous les coups habiles des arque- 
busiers de Pescaire. C'est là, en particulier, que le vaillant 
Bayard, remplaçant le commandant en chef blessé, fut 
frappé à mort au milieu d'un groupe de Suisses aux ordres 
de Jean de Diesbach. 

Depuis lors la retraite se continua paisiblement sur Ivrée, 



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— 48 — 

où Suisses et Français se séparèrent en bonne intelli- 
gence, mais les cœurs contrits, pour rentrer dans leurs 
foyers respectifs, les uns par la vallée d'Aoste, les autres 
par Suze. 

Sur ce succès la Ligue put reprendre^ son grand plan d'at- 
taque de la France et cela sur une frontière de plus. L'ar- 
dent connétable de Bourbon, dont le corps de lansquenets 
s'était renforcé, fut lancé, avec le non moins ardent Pes- 
caire et ses vaillants Espagnols, sur la Provence. Cette belle 
contrée fut parcourue aisément de Nice à Aix et Marseille pen- 
dant tout le mois d'août 1524. Bourbon eût voulu continuer sa 
marche triomphale jusqu'au cœur de la France et se diriger 
tout d'abord sur Lyon ; mais les Espagnols, jaloux déjà de 
ses lauriers, l'arrêtèrent au siège de Marseille, dont la cap- 
ture leur eût été d'ailleurs très-profitable comme point de 
jonction entre l'Espagne et l'Italie. 

Les lenteurs de ce siège firent tourner les chances de la 
fortune. Intrépidement défendue par ses habitants renfor- 
cés d'un corps d'Italiens de Renzo Ceri, et sur mer par la 
flotte génoise d'André Doria, la cité phocéenne brava tous 
les efforts des assiégeants. De son côté, le roi François !«'' 
alla la secourir avec une armée formée à la hâte, mais ren- 
forcée à chaque instant de nouveaux arrivants. Quand il fut 
en vue de Marseille, force fut bien au duc de Bourbon de se 
retirer. Il commença sa retraite le 28 septembre, talonné 
par un corps aux ordres de La Palisse. 

Quant au roi, prompt à la riposte, il reprit aussitôt son 
projet d'expédition sur le Milanais et chercha à y devancer 
l'armée impériale en^marchant par Gap, Briançon et Turin. 
Mais malgré sa diligence et quoique n'ayant eu d'autres obs- 
tacles que ceux du terrain, il n'arriva sur le Tessin qu'en 
même temps que Bourbon et Pescaire, ceux-ci à Pavie, lui 
devant Milan. Il fît investir le château de Milan le 28 octo- 



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bre en refusant, par un sentiment d'honneur, d'entrer en roi 
dans cette ville avant que la citadelle n'en fût prise. 

Au lieu de suivre, l'épée dans les reins, l'armée de Lan- 
noy et de Pescaire, qui se repliait sur l'Adige, François ï««", 
non content du siège de la citadelle de Milan, alla entre- 
prendre encore celui de Pavie, où s'était renfermé l'éner- 
gique Antoine de Leyva avec cinq mille Espagnols. 

Trois mois sans grands progrès se passèrent à ces oiseu- 
ses opérations ainsi qu'à divers détachements non moins 
intempestifs, un, entr'autres, sur Gênes et un autre jusqu'à 
Naples. Pendant que l'armée française s'affaiblissait ainsi à 
plaisir, l'armée impériale avait pu se renforcer à son aise et 
accourir à son tour au secours de Pavie, comme le roi 
venait de le faire pour Marseille. Le 2 février 4525 elle arriva 
sur les avant-postes français à Lardirago et les refoula. Elle 
était forte d'environ 20 mille fantassins espagnols et alle- 
mands, de 4600 lances et d'autant de chevau-légers. 

Plutôt heureux de la perspective qui s'offrait de combat- 
tre, le roi ne fit rien pour gêner son approche. Il résolut^ 
au contraire, d'accepter la bataille sous Pavie même et re- 
fusa d'aller prendre position à la Chartreuse ou à Binasco, 
comme le conseillaient La Trémouille et La Palisse ; il donna 
ses ordres en conséquence. Ses positions de siège et de 
blocus furent resserrées, et il forma son camp au sud- 
ouest de la place, sur la rive gauche du fleuve, l'aile droite 
au Tessin, la*gauche couverte par les murailles du parc et 
se prolongeant vers le chemin de Milan ; sur les derrières 
du camp, des fortifications et une garde spéciale furent des- 
tinées à veiller à la garnison de Leyva ; sur le front, des re- 
tranchements le couvrirent contre les alliés, ainsi que les 
rives sinueuses et profondes de la Vernacula, ruisseau cou- 
lant du parc dans le Tessin. 

Depuis les détachements l'armée ne comptait plus qu'en- 

TOME II. 4 



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— 50 - 

viron 1300 lances et 28 mille fantassins, dont 16 mille Suis- 
ses (y compris leurs alliés valaisans et grisons) et le reste 
d'Italiens et de lansquenets. Elle fut encore réduite, pendant 
le mois de février, de deux mille Valaisans qui se laissèrent 
surprendre et tailler en pièces à St-Sauveur par une sortie 
de la garnison de Pavie , et de cinq mille Grisons rappelés 
chez eux pour résister aux brigandages du sire de Musso 
(Jaques de Médicis). Chevaleresque en tout, le roi congédia 
même ces derniers dans les meilleurs termes et en leur fai- 
sant donner la gratification usuelle de trois mois de solde. 

L'armée dans le camp, gendarmerie, Italiens, Suisses, 
lansquenets, formait plusieurs lignes accidentées et fort 
étendues sous les ordres directs du roi , ou plutôt de son 
bras droit Bonnivet; le duc d'Alençon, avec 500 cavaliers, 
occupait le parc sur la gauche et communiquait avec le 
camp par trois larges brèches faites à la muraille; les baga- 
ges étaient aussi dans ce lieu , particulièrement autour de 
la villa Mirabelle où logeait une partie du quartier-général ; 
plus à gauche encore, la position de Lanfranc était tenue 
par trois mille hommes, sous Jean de Médicis, vaillant offi- 
cier passé depuis peu dy service de l'empereur à celui du 
roi de France. 

En résumé, la position du roi était trop vaste pour son 
minime effectif; mais son plus grand vice était d'être ados- 
sée à un fleuve et à une place aux mains de l'ennemi , d'où 
l'on ne pouvait sortir en arrière que par deui ponts sur la 
gauche. 

C'est ce que reconnurent bientôt les généraux alliés et 
surtout l'intelligent et actif Pescaire. Du reste ils se donnè- 
rent du temps pour leurs reconnaissances et leurs prépara- 
' tifs, puisqu'ils ne décidèrent l'attaque que pour le 24 février, 
jour anniversaire de l'empereur. Ces trois semaines furent 
utilement employées par eux. Un grand nombre d'escar- 



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— 51 — 

mouches leur permirent de tâter suffisamment l'ennemi et 
d'asseoir un solide camp, dès les hauteurs de St-Lazzaro 
jusqu'au Pô, vers Belgioioso , qu'ils retranchèrent sur tous 
les points et dont ils poussèrent les avant-postes jusqu'à 
40 pas de ceux des Français. 

Aussi ce fut avec une parfaite connaissance du terrain et 
de leurs adversaires qu'ils élaborèrent leur plan d'attaque. 
D'après ce plan, dû surtout à Pescaire et accepté par Bour- 
bon et Lannoy avec empressement, une retraite simulée sur 
Lodi serait exécutée le 23 février; puis le même soir de 
Élusses attaques seraient opérées contre la droite des Fran- 
çais, vers le Tessin et le Pô, tandis qu'une vraie attaque 
serait dirigée contre leur gauche, en faisant une brèche au 
mur du parc et en allant donner la main à la garnison vers 
Mirabello, d'où l'on tiendrait le pont principal sur le Tessin 
et les routes de retraite des Français sur Milan et sur le 
Piémont. Le plan était, on le voit, fort bien conçu dans 
l'ensemble;. les mesures d'exécution n'en furent pas moins 
bien ordonnées. Un émissaire put même en informer la 
garnison qui, par un signal convenu, assura sa coopération. 

Tout se passa à peu près comme Pescaire l'avait arrangé, 
à part les lenteurs et les désordres ordinaires des entreprises 
nocturnes. Le soir du 23 février, par un temps sombre et 
orageux, des feux d'artillerie réveillèrent les Français et 
attirèrent toute leur attention vers le sud-ouest de leur 
camp, où s'engagèrent bientôt de bruyantes et confuses 
escarmouches. Pendant ce fracas, l'armée alliée s'achemina 
silencieusement vers le parc, où elle pénétra à travers une 
brèche péniblement pratiquée par des maçons requis à cet 
effet. 

Pescaire et son neveu Gouast sont en tète ; chacun a un 
corps de fantassins, dont bon nombre d'adroits arquebusiers 
espagnols; derrière eux viennent deux autres corps, sous 



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— 52 - 

Lannoy et Bourbon, comprenant des Italiens, des lansque- 
nets avec la cavalerie; puis les lansquenets de Frondsberg^ 
et de Sittich; enfin Tartillerie, escortée de dix bannière» 
espagnoles et italiennes. Les soldats, pour se reconnaître 
dans l'obscurité, ont mis leurs chemises sur leurs habits. 
Mirabelle fut enlevé sans coup férir, et aux premiers rayons 
du jour François l^^ put voir l'ennemi en train de se former 
sur sa gauche et de le menacer de flanc et à revers. ^ 

Il donna aussitôt les ordres nécessaires pour changer de 
front et pour s'avancer contre les alliésj dont le mouvement 
non encore achevé offrait beaucoup de désordre. Leur artil- 
lerie ent'autres avait grand peine à suivre et s'embarrassait 
dans les obstacles du terrain. Montmorency fut chargé de 
rester à la défense du camp avec mille Français et deux 
mille Suisses ; l'infanterie italienne fut opposée aux efforts- 
de la garnison de Pavie et le reste de l'armée se porta vers 
le parc, en bon ordre. A la droite marchaient les Suisses,, 
à la gauche les lansquenets, au centre le roi avec sa belle 
gendarmerie ; en avant du front l'artillerie de Gaillot couvrait 
la marche. Ce fut celle-ci qui entama l'action en abîmant 
d'abord l'arrière-garde ennemie, puis en battant efficacement 
les alentours de Mirabelle; en même temps que l'ennemi 
paraissait ébranlé par cette canonnade, les escadrons légers, 
se précipitèrent sur ses flancs et sur l'arrière-garde et enle- 
vèrent une portion de l'artillerie encore empêtrée dans des- 
fossés. Les canons de Gaillot, continuant leur tir meurtrieCy 
forcèrent les alliés à se replier et à chercher un abri derrière 
la Vernacula. De leur côté, les premiers rangs des Suisses 
avaient joint les Espagnols et repoussaient fantassins et 
cavaliers. Ainsi les choses se présentaient bien pour le roi ; 
il avait parfaitement paré à la surprise des alliés dont le 
mouvement risquait d'échouer, surtout par le défaut de leur 
artillerie ne pouvant suffisamment le protéger. Mais à ce 



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— 53 — 

moment le bouillant François I®»", croyant déjà la victoire 
assurée, ne sut contenir plus longtemps son ardeur; il 
voulut prendre aussi sa part des trophées et des dangei*s de 
la journée , et il se précipita sur le centre ennemi à la tète 
-de sa gendarmerie. Fatale inspiration! la plus fatale qui 
puisse saisir un commandant en chef dans de telles circons- 
tances! C'était de plusieurs heures trop tôt. Les gendarmes 
français firent des prouesses, le roi tiïa de sa main plusieurs 
lieutenants de Lannoy ; mais sa propre infanterie fut cul- 
butée aussi par ces charges, et son artillerie , si méritante 
jusqu'alors, complètement paralysée. 

De son côté Pescaire , attentif à ces incidents , opposa 
quelcpies bandes d'arquebusiers d'élite et de lansquenets 
il cette attaque, tandis qu'il put masser le reste de ses forces 
sur sa droite, pour accabler les lansquenets français. Sur ce 
point la mêlée s'engagea furieuse entre les hommes de 
Frondsberg et les bandes noires françaises, et celles-ci, 
après une héroïque résistance, furent écrasées ou jetées au 
Tessin; Montmorency, accouru à leur aide, subit le même 
sort et fut fait prisonnier. 

A la droite de l'armée française le corps suisse restait 
ainsi en l'air ; il était d'autant plus menacé que n'ayant pas 
rencontré jusqu'alors de sérieuse résistance il s'était laissé 
attirer, en s'avançant, jusque dans un fourré d'arbres et de 
broussailles qui était fort défavorable à ses lourdes masses. 
Là il se trouva bientôt enveloppé et décimé par les tirail- 
leurs espagnols éparpillés dans les taillis. Les cavaliers 
français essaient vainement de le dégager ; le terrain leur 
est moins propice encore. Malgré leurs cuirasses maints 
d'entr'eux tombent sous les balles espagnoles, entr'autres 
La Trémouille et La Palisse, et se voient réduits à l'impuis- 
sance ou à d'inégales luttes. Quelques-uns, leducd'Alençon 
■en tête, lâchent pied et commencent une débandade qui se 



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- 54 — 

propage rapidement. A ce moment une furieuse phalange 
de lansquenets se précipite sur les Suisses, déjà à moitié 
rompus, et les refoule. Leurs rangs se débandent, la panique 
les gagne, et sourds à la voix de leurs chefs, se croyant sa- 
crifiés à la haine de leurs rivaux allemands , ils fuient en 
désordre vers le camp et vers les ponts. Le vaillant Jean de 
Diesbach trouve la mort en voulant les arrêter, ainsi que 
beaucoup d'autres chefs suisses. 

Le roi lui-même dut céder un moment au flot des fuyards, 
mais ce ne fut pas longtemps. Se dégageant du tourbillon 
effaré et ralliant autour de lui quelques gendarmes et se& 
plus fidèles serviteurs, y compris cent Suisses lui servant 
d'escorte, il soutint énergiquement la lutte. Tout le poids 
de la bataille porta bientôt sur ce groupe héroïque , seul 
debout au milieu des cadavres. Enfin le roi, blessé et ren- 
versé sous son cheval, fut fiait prisonnier. Avec lui furent 
pris, entr'autres, Henri, roi de Navarre; Fleuranges, le chef 
aimé des confédérés; le duc de Nevers et trois capitaines 
suisses, Jaques de Rovéréaz et deux Tschudi. Bonnivet, le 
bâtard de Savoie, et bien d'autres avaient été tués. Les 
Suisses y avaient laissé la moitié de leur monde, les bandes 
noires autant. En un mot, le désastre fut complet pour la 
France, tandis que les vainqueurs ne perdirent qu'un millier 
des leurs. 

Soit que la bonne fortune ouvrît leurs cœurs à la com- 
passion , soit que le roi de France fût à lui seul une assez^ 
bonne prise, les alliés relâchèrent tous les soldats prison- 
niers, mais sans solde ni vivres, de sorte que bon nombre 
périrent de misère dans cette retraite en débandade. Environ 
cinq mille Suisses seulement, et réduits à l'état le plus chétif,. 
atteignirent leurs foyers ; et sous cette issue fatale et humi- 
liante d'une campagne qui avait offert de si riants débuts, 
le goût desservices étrangers s'affaiblit pour quelque temps 



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— 55 — 

plus que par l'effet des harangues de Zwingli et d'autres 
orateurs des Diètes suisses qui, sans trop savoir comment 
employer chez eux la vigoureuse et vaillante jeunesse qu'ils 
y formaient, auraient voulu lui interdire toute participation 
aux guerres du voisinage, la grande officine du droit public 
de l'époque. 

Nous croyons maintenant avoir suffisamment parlé des 
guerres d'Italie pour en dégager ce qu'elles renferment de 
caractéristique, à notre point de vue, de cette époque. On 
a vu qu'il n'est question ici que d'armées relativement 
restreintes, en général peu disciplinées, mal exercées, sans 
hojnogénéité ni grands capitaines, et où l'infanterie est sinon 
toujours l'arme principale, au moins l'arme la plus nombreuse 
et souvent la plus décisive. Ce sont essentiellement des mer- 
cenaires, des fantassins suisses , allemands, espagnols qui 
portent les meilleurs coups, ^avec l'aide et sous la direction 
d'une noblesse nationale formant la gendarmerie ou la grosse 
cavalerie. Nous voyons aussi le tir de l'artillerie et de l'infan- 
terie apparaître avec une certaine puissance contre les armes 
de choc, et déceler^ en plusieurs circonstances, le brillant 
avenir qui lui était réservé. C'est enfin la fortication qui, du 
même coup, fait des progrès sensibles et recommence à jouer 
un rôle important dans les batailles. 

Il nous reste, pour compléter ces données sur ces nou- 
velles formes des armées et sur leur emploi, à dire quelques 
mots plus spéciaux de la tactique et de l'organisation des 
troupes dont nous venons d'esquisser quelques-uns des 
hauts faits. 

Commençons par les Suisses, les créateurs de cette infan- 
terie moderne devenue peu à peu, à leur exemple, la base 
de toutes les armées. 

Nous avons déjà dit, dans notre volume sur l'Antiquité et 



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— so- 
ie Moyen-âge (*), quelles furent les premières institutions 
militaires des Suisses sorties de la Convention de Sempach^ 
en 4390. Cette convention, confirmée par la Diète de Luceme, i 
en 1474, puis par la fameuse Diète de Stanz après les guerres 
de Bourgogne, en 1481, réglait principalement la discipline, 
consistant surtout à ne jamais fuir, même blessé , le mode 
du pillage, le partage du butin et des conquêtes. Les levées 
se composaient de tous les hommes valides dans les grandes 
circonstances, ou, pour telle campagne déterminée à Tinté- 
rieur ou à Textérieur, de volontaires dont on trouvait tou- 
jours un grand nombre moyennant solde ou perspectives 
convenables. La solde à l'intérieur était fort minime en 
argent et consistait surtout dans la répartition du butin ou 
des réquisitions. A Textérieur la base ordinaire de toutes les 
soldes était, dit Jean de MùUer (2), de 4 Vj florins du Rhin 
par mois aux fantassins et de 10 florins aux cavaliers. Il 
y avait souvent des primes exceptionnelles pour le départ, 
pour un assaut ou une bataille ; les ofliciers avaient une 
solde double, triple, décuple même, suivant leur rang. 

Les armes principales furent d'abord la hallebarde et Tare, 
ou Tarbalète, avec la grosse épée et la petiie dagufe ou poi- 
gnard, et seulement quelques piques. Vers le milieu du 
XV* siècle, l'arquebuse s'y introduisit et s'y propagea de 
plus en plus, en même temps que l'usage de la pique s'y 
régularisa. Pendant les premières guerres d'Italie, le gros 
de l'armée portait la pique, les autres armes y étaient en 
minorité variable; les arquebusiers, dans l'origine, y faisaient 
ordinairement le service de tirailleurs. 

Chaque piquier avait le corps protégé par une cuirasse, 
la tête par un casque ; les hallebardiers portaient aussi des 
armes défensives, mais plus légères, et un fort chapeau de 

(1) Etudes d'histoire militaire. Antiquité et moyen-âge; chapitre V, page 236. 

(2) Volume 9*, par Gloutz, traduction Monnard et VuUiemin, page 526, 



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— 57 — 

feutre orné d'une plume. Une croix blanche , à laquelle on 
joignit plus tard une clef blanche, servait de signe de rallie- 
ment ; on la fixait sur le dos ou la poitrine, sur les épaules, 
les manches ou les cuisses , ordinairement à plusieurs en- 
droits à la fois. 

Dès Tan 1413, les Suisses employèrent de Tartillerie, mais 
en faible proportion ; la cavalerie, composée de gentilshom- 
mes et de cavaliers iburnis par les riches corporations, était 
moins nombreuse encore. 

Les troupes de chaque canton , quelque petit que fût leur 
nombre, marchaient sous un chef ou capitaine à part, nommé 
par le gouvernement de ce canton, ainsi que son lieutenant 
et le banneret. Les autres chefe. en sous-ordre, soit chefe 
de pelotons , étaient nommés par la troupe. Après le capi- 
taine, le lieutenant et le banneret, qui étaient les plus hauts 
dignitaires , venaient les délégués des conseils et des bour- 
geois ; ils suivaient constamment l'armée et formaient avec 
les premiers le conseil permanent de la guerre. Les affaires 
importantes étaient soumises par lui à la troupe assemblée, 
appelée la Commune; elle prononçait sur la guerre et la 
paix et considérait, dit Jean de Mûller, sa propre autorité 
comme égale à celle des conseils et des communes du pays. 
Au moment d'entrer en campagne , la Commune prêtait le 
serment de fidélité au règlement militaire. 

Si plusieurs bannières des cantons marchaient ensemble, 
on élisait en commun un commandant en chef et des chefs 
pour chaque arme. Le plus souvent aussi les troupes des 
divers cantons formaient tour à tour l'avant-garde ou telle 
autre fraction de l'armée, et dans chacune d'elles on déférait 
le commandement au plus considéré par l'âge et les services. 
Quand le nombre des troupes n'était pas très élevé , on ne 
portait que les bannières des grands cantons , ou bien l'on 
honorait tel confédéré illustre en ne déployant que la ban- 



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— 58 — 

nière de son canton. Le général avait une escorte spéciale 
de gardes-du-corps, et avec lui marchaient 'aussi un grand 
nombre de fonctionnaires accessoires, tels que directeurs 
d'artillerie et des arbalétriers, chirurgiens, chapelains, secré- 
taires^ interprètes, courriers, inspecteurs des vivres, etc. 

L'offensive, aussi énergique que possible, était de tradition 
dans les armées suisses, qui avaient le sentiment de ne 
pouvoir soutenir des campagnes de patience et de longues 
manœuvres. La prière devait toujours précéder le combat^ 
à genoux et les bras étendus ; la charge se £aire à rangs 
serrés, en bon ordre et avec de grands cris. Longtemps il 
fut de règle de ne point faire de prisonniers vivants; un 
blessé ne devait pas quitter son poste; un fuyard devait être 
égorgé par qui le pouvait. 

Les départs et les retours des troupes, ainsi que leur 
passage dans des villes amies, étaient l'occasion de joyeux 
festins où les liens de l'amitié se resserraient dans l'abandon. 

L'ordonnance et la tactique des Suisses dépendirent natu- 
rellement de l'armement, qui subit lui-môme de nombreuses 
variations pendant la période dont nous nous occupons. 

Dans la première moitié du XV^ siècle , alors que l'arme- 
ment consistait eh piques, secondées de hallebardes, d'arba- 
lètes et d'arquebuses, les troupes se rangeaient ordinaire- 
ment en un carré de 20 hommes de côté, formant un 
fœhnlein ou enseigne , ou bataillon de 400 hommes ; ces 
carrés s'ajoutaient à volonté les uns à côté des autres et 
derrière les autres, de manière à former soit un gros carré 
(haufenj de 100 hommes de côté, soit des rectangles plus 
ou moins allongés ou plus ou moins profonds. 

C'était, on le voit, une sorte de phalange. Gomme cette 
formation s'illustra sur les champs de bataille au moment 
où l'antiquité venait d'être remise en grand honneur, les 
écrivains de la Renaissance, Machiavel en tète, puis leurs 



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nombreux imitateurs, ne manquèrent pas d'attribuer aux 
fils de THelvétie le goût exquis d'avoir puisé leur instruction 
militaire à la meilleure source, à la fashionable école de la 
Grèce antique. Si flattés que nous soyons de cette bonne 
opinion sur nos aïeux, nous devons confesser que nous dou- 
tons qu'ils en sussent si long. Ils n'en avaient d'ailleurs pas 
besoin. La pique n'était jamais sortie des armées. Elle s'était, 
sous le nom de lance, mise à cheval avec les Barbares et avec 
les chevaliers de la féodalité , puis remise à pied quand les 
accidents ou des circonstances spéciales amenaient ceux-ci 
à combattre démontés. 

D'autre part la phalange grecque, très classique et régu- 
lière, était restée dans les armées de l'empire d'Orient ; elle 
se trouve prescrite et réglementée tout au long dans les 
Instituts de l'empereur Léon (*). On peut bien admettre que 
l'Europe en sut quelque chose, surtout par les croisades ^ 
car de tout temps les armées en contact ont eu l'habitude 
de s'imiter et souvent même de se copier trop servilement. 

Puis le système de la phalange s'offre tout naturellement, 
est même le seul possible à des fantassins armés de ces longs 
engins. Les chevaliers furent forcés de l'employer chaque fois 
que les exigences du terrain ou d'opérations spéciales les 
forcèrent de mettre pied à terre pour le combat. Nous l'avons 
constaté rapidement à Sempach, à Poitiers, à Grécy (') ; on 
le constaterait dans cent autres rencontres. 

Les premiers piquiers suisses, braves paysans, bourgeois 
de petites villes ou pauvres nobles campagnards, n'eurent 
qu'à suivre cet exemple. C'est ce qu'ils firent. Ils se créèrent 
chevaliers à pied, portèrent presque tout l'armement du 
chevalier, mais allégé et débarrassé du cheval, inutile et 

(1) Institutions militaires de l'empereur Léon (trad. Joly-Maizeroi, collection 
liskenne et Sauvan, III vol.) Institut. IV. 

(2) Voir nos Etudes d'hiêtoire militaire. Antiquité et Moyen-âge, pages 234-6. 



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— 60 ~ 

trop coûteux pour eux, et ils arrangèrent leur formation de 
combat en consécpience. Ils eurent leur lance fournie parti' 
culière, avec les montures de moins et l'égalité de plus. Ils 
raccourcirent d'abord la lance jusqu'à 10 pieds pour en 
faciliter le maniement individuel ; bientôt ils l'allongèrent 
et la portèrent même jusqu'à 48 pieds pour augmenter son 
efficacité dans l'action collective. 

Or une telle arme, et contre la cavalerie bardée de l'épo- 
que, ne pouvait s'employer en masses que sous la forme de 
la phalange. Les plus forts et les plus vaillants se plaçaient, 
comme chez les anciens Grecs, comme dans la lance fournie, 
comme partout, au premier rang ; les autres derrière ces 
chefs de file. On a tout lieu de croire que, dans l'origine, 
la profondeur de la file fut très-variable et seulement de 5 à 
40 hommes. La juxtaposition de ces files forma le front, 
comptant autant de files qu'il y avait de chefs. Plus tard 
seulement la profondeur se régularisa et porta jusqu'à 20 
rangs dans la règle. Avec de l'exercice, six à huit rangs 
arrivaient à croiser leurs piques sur le front , les aulres 
rangs en arrière formaient comme une réserve empêchant 
les premiers rangs de rompre ou prête à agir sur leurs cada- 
vres ou à faire face en arrière. Parfois aussi ils sortaient de 
la masse par un à droite ou un à gauche et prolongeaient le 
front des combattants, diminuant d'autant une inutile pro- 
fondeur. Par un mouvement analogue on diminuait le front 
jusqu'à quatre files, ou trois, ou une, pour passer des défi- 
lés d'après les mêmes principes que nous avons vus dans 
la phalange grecque. On pouvait aussi former le coin, le 
carré vide ou plein, le carré fianqué ou la croix et diverses 
autres figures qui sont dans la nature même de tout arran- 
gement tactique de ce genre. 

A cet effet il y avait une grande et une petite distance 
entre les rangs et entre les files, soit de 3 pieds et de 4 y^ 



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— 61 — 

pied, sans compter l'ordre compacte où tous les hommes 
des rangs agissants se pressaient vers le centre du premier 
ou vers la trouée. 

Nous ne nous arrêterons pas aux nombreuses dénomina- 
tions souvent assez minutieuses de ees diverses unités de 
troupes ni à celles de leurs chefs. Outre qu'elles variaient sui- 
vant les cantons, il ne paraît pas, d'après les documents con- 
temporains, qu'elles eurent jamais rien de bien régulier. Le 
Hauferij le Banner^ le Fàhrileiriy noms habituels des corps^ 
sont souvent pris l'un pour l'autre, et les écrivains italiens, 
nos meilleures sources pour cette époque, appellent tout 
cela des batailles, ce que les auteurs français ont traduit 
par hatailloriy amenant ainsi de la confusion avec une déno- 
mination postérieure. 

Notons seulement d'une manière générale que les grandes 
uhités étaient le Haufen ou carrée qui était fort souvent un 
rectangle, et la subdivision le banner^ bannière, et le fàhn- 
lein ou enseigne ou guidon^ qui souvent aussi étaient pris 
indistinctement l'un pour l'autre, quoique le banner dût 
s'appliquer plus spécialement aux troupes de tout un can- 
ton et fàhnlein à une subdivision. 

Ce qui est plus important à noter c'est qu'une armée se 
divisait tactiquement en trois grands corps, trois Haufen 
— réminiscence peut-être des prescriptions de l'Empereur 
Léon répartissant les armées en trois turmes {}) — qui for- 
maient une avant-garde, un corps de bataille ou une bataille 
et une arrière-garde. C'est de cette façon que les armées 
des Anglais et des Français étaient réparties pendant la 



(1) Tactique de l'Empereur Léon. Chapitre 4. (Collection Liskenne et Sauvan^ 
▼ol. m, page 455). Le turme se divisait en plusieurs drungons, le drungon en plu- 
sieurs bandons, le bandon en plusieurs centuries. La dénomination de bandon 
est restée dans le mot bande ou bandière ou bannière^ et on l'a traduite souvent 
en allemand par le diminutif FcE/inlein qui devrait plutôt s'appliquer à une frac- 
tion du bandon. 



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— 62 — 

guerre de Cent-ans, et ces trois corps pouvaient former ou 
trois lignes ou deux ailes et un centre sur le même front. 

En adoptant cette répartition traditionnelle, les Suisses y 
apportèrent une modification qui prouve la justesse de leurs 
idées tactiques. Tout en se gardant la liberté de disposer à 
volonté leurs trois corps, ils les employèrent habituelle- 
ment en échelon^ à bonne portée d'arquebuse les uns des 
autres, ce qui était certainement la meilleure manière d'en 
tirer parti. 

Ordre de bataille deê Suisses. 



Corps de bataille. 



Légers. 




Légers. 



Avant-garde. 



Arrière-garde. 



Légers. 



Légers. 



Des enfants perdus ou aventuriers, correspondant aux 
anciens légers et à nos tirailleurs, étaient fournis par des 
volontaires choisis sur toute la troupe; ils remplissaient 
souvent les intervalles des échelons vers l'ennemi ou occu- 
paient les points importants et périlleux de l'emplacement 
des troupes. Les accidents du terrain devaient être soigneu- 
sement utilisés pour se préserver des feux de l'artillerie 



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— 63 — 

ennemie, et quand celle-ci tirait avant Faction des masses, 
les troupes devaient se baisser ou se coucher à terre ; exer- 
cées à ce défilement que facilitait la grande distance de 
trois pieds entre les rangs, elles l'effectuaient sans désordre. 

L'arrangement des diverses armes dans chacpie unité dut 
varier, on le comprend, avec la proportion de ces armes, 
proportion qui varia beaucoup dans les 15* et 46® siècles. 

Vers le milieu du 15» siècle les troupes suisses comp- 
taient en moyenne sept à huit seizièmes de hallebardiers, 
trois à quatre seizièmes de piquiers, deux à trois seizièmes 
d'arbalétriers, le reste d'arquebusiers. (>) 

Les six mille Suisses de l'armée de Charles VIII, lors de 
leur entrée à RomiB en 1495, ainsi que ceux dont parle Ma- 
chiavel, comptaient un rang de hallebardiers derrière trois 
rangs de piquiers, et 100 arquebusiers sur mille hommes. 
Quelques années plus tard la proportion des hallebardiers 
descendit jusqu'à un huitième de l'ensemble. Leur rôle, 
plus spécialement offensif, était d'attendre, derrière- les 
piquiers, que la mêlée fût commencée ; alors ils entraient 
en actioii et pouvaient rendre de meilleurs services en 
frappant d'estoc et de taille que les longues piques. Au 
début les arquebusiers furent mêlés simplement aux légers, 
archers et arbalétriers, pour tirailler de leur mieux sans 
règle fixe. Mais ils devinrent promptement plus nombreux, 
du quart des autres troupes, par exemple, dans les 10 mille 
Suisses à la solde du Pape en 1511, et de la moitié trente 
ans plus tard. Alors on les mit dans la masse au second 
rang pour lâcher des salves par-dessus l'épaule du premier 



(1) Voir entr'autres dans un excellent ouvrage de M. le colonel Rustow , Ge- 
schichte der Infanterie, vol. I , Livre 2, la mention d'un document des archives 
zuricoises portant que la ville de Zurich avait en 1444 un contingent de 699 hom- 
mes sur lesquels on comptait 45 arquebusiers, 127 arbalétriers, 103 piquiers et 364 
hallebardiers; la campagne de Zurich sur 2131 hommes comptait 16 arquebusiers, 
331 arbalétriers, 546 piquiers et 1938 hallebardiers. 



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— 64 — 

rang, toujours armé de piques. On les employa aussi à pro- 
longer le front, c'est-à-dire à former des ailes à droite et à 
gauche de la phalange sans compter les tirailleurs, de sorte 
que deux unités, deux Haufen^ venant à s'accoUer, oflfrirent 
un front total entièrement garni de feux et ayant, au pre- 
mier rang, des piques et des arquebuses alternant par sec- 
tions. 

Ck)mme la phalange grecque, la formation suisse avait 
de nombreux inconvénients en compensation de sa grande 
solidité ; lourde et peu maniable, elle ne se prêtait pas aux 
chicanes de petits postes et de localités qui. tiennent tant 
de place dans toute guerre; en outre, complètement impro- 
pre aux affaires de siège et de retranchements, elle ne pou- 
vait se suffire à elle-même dans le cours d'une campagne 
et devait ou n'être employée qu'en terrain ouvert et uni ou 
être sans cesse escortée de nombreux auxiliaires. Mais 
comme infanterie de ligne et secondée de la gendarmerie 
et de l'artillerie françaises, des chevau-légers allemands, des 
tirailleurs espagnols ou gascons, comme cela se rencontra 
quelquefois dans le cours de ses campagnes, elle formait 
une base des plus solides. D'ailleurs les cavaliers bardés 
contre lesquels elle était essentiellement destinée se distin- 
guaient par les mêmes vices et à un plus haut degré encore ; 
aussi put-elle remporter sur eux d'éclatants succès et deve- 
nir, par le renom qui lui en resta, le type sur lequel se mode- 
lèrent bientôt toutes les infanteries de l'Europe. Les lans- 
quenets allemands furent les premiers à l'imiter et fort près 
de l'égaler, ainsi que les Espagnols. Les Français, surtout 
les Gascons, les Italiens, les Hollandais et les peuples du 
nord suivirent aussi son exemple avec plus ou moins de 
variantes qui n'offriraient pas grand intérêt à être étudiées 
en détail. 

Ce fut là toute sa gloire et tout son profit. « Quand les 



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— 65 — 

Suisses, dit Guicciardini, ont accordé des soldate par un 
décret, les cantons eux-mêmes leur choisissent un capi- 
taine-général, auquel on donne une commission et des dra- 
peaux au nom de la République. 

« Ce peuple sauvage et grossier s'est rendu redoutable 
par une grande union de tous ses membres et par la gloire 
des armes. Un courage indomptable joint à une admirable 
discipline a non-seulement garanti leur pays de l'invasion 
des Princes, mais leur a encore acquis beaucoup de répu- 
tation au dehors dans l'art militaire. Cette intrépidité aurait 
fait plus d'honneur à ces peuples s'ils l'avaient employée 
à s'agrandir au lieu de la vendre à l'ambition des Princes, 
et s'ils s'étaient proposé un objet plus noble que l'argent ; 
mais ils se sont tellement laissé corrompre par la cupidité 
qu'ils ont manqué l'occasion de se rendre formidables à 
toute l'Italie ; et ne sortant de leur pays que pour trafiquer 
de leur sang, leur Répubhque n'a jamais retiré aucun fruit 
de leurs victoires. 

« L'avidité du gain les a habitués à rançonner tyranni- 
quement ceux qu'ils servent et à se rendre insupportables 
par leurs demandes excessives et par des mutineries conti- 
nuelles, lorsqu'ils ne sont pas contents. Ce désordre règne 
également dans la Suisse où les principaux de la nation 
mettent les Princes à contribution pour les favoriser dans 
les Diètes » (*). 

Ajoutons qu'un autre Italien célèbre, Machiavel, dans plu- 
sieurs de ses écrits, confirme ce jugement trop rude mais 
élevé de Guicciardini sur les belles destinées politiques qui 
s'offrirent un moment à nos aïeux et qu'ils laissèrent s'échap- 
per de leurs mains. 

Depuis lors la plupart des pays de leur voisinage surent 

(i) Guicciardini. Guerre^ d'Italie, Tome H, Livre X. 

TOME n. 5 



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— 66 — 

.s'arrondir au point de devenir de grandes puissances; seule 
la Suisse, quoique ayant pu fournir de puissantes armées, 
végéta dans d'étroites frontières ; le défaut d'une politique 
nationale soutenue, trop commifn, hélas ! aux gouvernements 
républicains et fédératifs, la fit rester, au cœur même de l'Eu- 
rope, le plus petit des Etats qui avaient si souvent pâti ou 
joui de ses vaillantes armes. 

Après ces indications sommaires (*) par lesquelles nous 
prendrons congé pour longtemps des Suisses comme belli- 
gérants principaux, revenons aux guerres d'Italie, où nous 
avons au moins à enregistrer la longue série d'expériences 
actives que fit encore Fart militaire moderne avant d'arriver 
à la forme bien déterminée qu'il acquit par la guerre de 
Trente-ans en Allemagne et surtout par les soins du grand 
roi suédois Gustave- Adolphe. 

La captivité de François I®"" se prolongea environ deux 
ans, c'est-à-dire jusqu'à la paix de Madrid, le 14 janvier 
1525. Par cet acte le roi de France renonçait à ses droits 
sur la Flandre, l'Artois, la Franche-Comté, restituait même 
à l'Empereur la Bourgogne et au connétable de Bourbon 
tous ses bie ns et ses anciennes dignités ; en compensation 
il épousait la sœur de Charles V, Eléonore d'Autriche, veuve 
du roi de Portugal, avec divers avantages éventuels en pers- 
pective. 

(1) Pour des données plus complètes et plus spéciales sur ce sujet, voir entre 
autres, outre les ouvrages déjà cités, ceux de Rodt, Geschichte des bemischen 
Kriegswesen, Berne, 1831. 3 vol. Zurlauben, Histoire militaire des Suisses au 
service de France. Paris, 1751. 8 vol. Wieland, J. Kriegsbegebenheiten. May 
de Romainmôtier. Histoire militaire de . la Suisse. 8 vol. Haller von Kœnigs- 
felden Darstellung der merkwiirdigsten Schweizerschlachten von 1298-1499. 
Rudolf geschichtlicher Ueberblik deâ Kriegswesens der Eidgenossenschafl in 
den Freiheits- und Burgunderkriegen ; de Gingina. Guerres de Bourgogne ; dé- 
pêches des ambassadeurs milanais ; enfin les collections précieuses des NeiÂJahrs- 
blœtterj de VAnzeiger et du Geschichtsforacher de Zurich, et du Taschenbitch àe 
Berne. 



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^ 67 — 

Mais ni l'un ni l'autre des deux contractants n'avaient 
compté sur l'exécution du traité. A peine rentré en France 
le roi dégagea sa parole en ce qui concernait la Bourgogne, 
et la guerre ne tarda pas à se rouvrir. 

Dans le courant de cette même année une nouvelle coa- 
lition, la Sainte^Ligue^ s'était nouée pour tenter de mettre 
une fin à la puissance exorbitante de Charles V et surtout 
pour en affranchir l'Italie. Avec le Pape Clément VII qui 
en était l'âme, le Sénat de Venise, les républiques de Flo- 
rence et le duc de Milan François Sforza, y figuraient au 
premier rang. François I®' et le roi d'Angleterre y adhérè- 
rent, ce qpii promettait un efficace contrepoids à l'excessive 
prépondérance de Charles V. 

Malheureusement cette coalition ne sut pas agir à temps. 
Pendant qu'elle s'efforçait de s'entendre et que François P', 
peu amendé par sa captivité, s'oubliait dans les plaisirs fri- 
voles de sa cour, leurs adversaires prirent les devants. Le 
féroce Antoine de Leyva, avec quelques milliers d'Espa- 
gnols, tint en échec les troupes italiennes de la Ligue, tan- 
dis que l'actif connétable de Bourbon, avec des bandes de 
lansquenets allemands sous Frondsberg, marcha sur Rome 
môme et s'en empara en mai 1527. Il paya de sa vie cette 
foudroyante conquête, mais la capitale de la chrétienté et 
de la Sainte-Ligue n'en fut pas moins prise et saccagée 
comme au temps des Vandales. 

Le roi de France, sortant alors de sa torpeur, envoya 
une armée en Italie sous Lautrec ; celui-ci remit d'abord 
Alexandrie et Pavie à Sforza (octobre 4527), puis il s'avança 
à la délivrance de Rome et refoula les bandes impériales 
jusqu'à Naples où il les assiégea. Là se terminèrent ses suc- 
cès. Naples tint bon ; l'amiral André Doria, qui coopérait 
au siège du côté de la mer, fit défection par suite d'indignes 
traitements de la cour de France contre lui et contre sa 



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ville natale, Gènes. La peste s'en mêla et enleva Lautrec en 
août 1528; bientôt ses débris, réfugiés dans Aversa, y durent 
capituler. Les troupes françaises restées en'Lombardie et 
augmentées de quelques renforts sous le comte de Saint- 
Paul furent à leur tour battues par Antoine de Leyva dans 
plusieurs rencontres et entr'autres à Landriano, le 15 juin 
1529, ce qui mit fin à cette campagne. 

De nouveau la France avait un grave mécompte à enre- 
gistrer; il fût devenu un désastre sans d'autres complica- 
tions pour l'Empereur. D'une part la réforme religieuse 
venait de lui mettre sérieusement à dos les Allemands pro- 
testant contre l'édit de la Diète de Spire, et d'autre part 
les Turcs de Soliman le Magnifique, après avoir gagné une 
grande bataille à Mohacz (1526) sur les Hongrois, s'étaient 
avancés jusque sous les murs de Vienne. Ces événements 
facilitèrent un arrangement entre François I®»" et Charles V. 
La paix dite des dames fut conclue à Cambrai, le 5 août 1529 ; 
paix fort dure pour la France qui dut se soumettre au traité 
de Madrid, sauf que la cession de la Bourgogne fut rempla- 
cée par l'énorme indemnité de deux millions d'écus d'or. 
Tous les alliés du roi, en Italie, en Flandre, sur le Rhin, 
furent abandonnés et sacrifiés; de son propre consentement 
la France n'eut plus rien à voir dans la Péninsule. 

La guerre se continua d'autant plus vive entre les Impé- 
riaux et les Turcs. Deux cent mille de ces derniers reparu- 
rent en Autriche en 1532, et Charles V ne put aller à leur 
rencontre qu'avec 100 mille hommes. Mais l'amiral André 
Doria, passé à son service, opéra une diversion si efficace 
sur Constantinople que Soliman rentra dans ses Etats pour 
les défendre, et que dès lors il tourna ses armées surtout 
contre les .Persans. 

A son tour Charles V prit l'offensive et dirigea la flotte de 
Doria contre les alliés de Soliman, les pachas de Tunis et 



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d'Alger. Une première expédition eut un plein succès. 
Vingt-deux mille chrétiens captifs à Tunis furent délivrés 
(1535), mais d'autres furent moins heureuses, ce qui n'em- 
pêcha pas Charles V d'en augmenter notablement son renom 
et sa puissance dans toute la chrétienté. 

Son ambition sans borne força bientôt François I«r à ren- 
trer en lice comme défenseur des libertés de l'Europe non 
encore soumise au despotisme impérial. Après avoir noué 
des relations avec les protestants et les Turcs, devenus ses 
alliés naturels, il rompit la glace en réclamant, à la mort du 
dernier des Sforza, en 4536, le duché de Milan et en reven- 
diquant en même temps, au nom des droits de sa mère, le 
duché de Savoie. Ce territoire, estimait-il sagement, lui 
ferait une excellente base pour opérer en Italie et l'assure- 
rait contre l'hostilité du duc Charles III qui méditait de 
s'agrandir vers le sud en cédant à l'empereur la Bresse et 
la Haute-Savoie contre des provinces italiennes. 

Au printemps de l'an 1536, l'armée française franchit 
les Alpes sous le commandement d'Anne de Montmorency, 
et nous avons à mentionner ici une intéressante innovation 
dans le domaine de l'organisation des armées. De nouveaux 
corps apparaissaient sous les drapeaux, les Légions de 
François P'. C'étaient les anciennes milices communales 
et les francs-archers du roi, mais sous un autre nom et 
utilisés pour les campagnes lointaines. Dans le but de se 
créer une inCanterie plus nationale et moins coûteuse que 
les mercenaires étrangers, François I®' avait fait dresser 
une liste de six mille gens de pied dans ses sept provin- 
ces; chacune de ces listes provinciales forma une légion 
d'imitation romaine, divisée en six bandes contenant par 
égale portion des piquiers, des hallebardiers et des arque- 
busiers. 

Pour commander chaque bande il y avait un capitaine, 



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— 70 — 

deux lieutenants, deux enseignes et dix centeniers, avec qua- 
tre tambours et deux fifres. La légion était commandée par 
l'un des six capitaines, ordinairement le plu s ancien, et il por- 
tait dès lors le titre de colonel, qui apparaît pour la pre- 
mière fois dans les armées françaises. Il y eut ainsi une 
quarantaine de mille hommes dans les nouveaux corps. Au 
dire des experts 4u temps, notamment Bellay et Vieilleyille, 
ces légionnaires n'étaient pas très-réputés comme hommes 
de guerre ; quittant leur labourage pour servir quatre à cinq 
mois et s'affranchir ainsi de certaines tailles, ils ressem- 
blaient davantage, a-t-on justement remarqué (*), aux gar- 
des nationaux modernes qu'aux soldats de César. 

Quoiqu'il en soit les légions débutèrent fort bien en Italie. 
Elles occupèrent rapidement la Savoie, franchirent la Doire 
sous le feu des Impériaux et à la fin d'avril déjà le Piémont 
était conquis ; Nice seule restait au duc de Savoie. Mais 
Charles V accourt avec une armée de 50 mille hommes ; il 
reprend la plus grande partie du Piémont, sauf les places 
où se renferment les Français et, annonçant pompeuse- 
ment qu'il ne s'arrêterait qu'à Paris, il pénètre en France 
par Nice en juillet 1536. 

Montmorency se replie devant l'invasion en faisant lui- 
même le désert dans les belles campagnes de la Provence, 
tandis que François l^^ rassemble une nouvelle armée à 
Avignon. Cette sauvage défense a un plein succès ; l'armée 
impériale dépérit par la disette, la soif, les grandes cha- 
leurs, et elle est finalement arrêtée devant Marseille et 
devant Arles. Diminué de près de la moitié de son monde, 
l'Empereur, à la fin de septembre, se vit forcé d'effectuer 
une retraite assez honteuse après ses bruyantes menaces. 



(1) Voir entr'autres un intéressant résumé de l'Histoire de Varmée en France 
par M. Courrent, lieutenant-trésorier au 17« bateillon de chasseurs. Paris. 
Dumaine, 1864, 1 vol. in-8*. 



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— 71 — 

Bientôt les côtes de l'Italie sont terrorisées par les flottes 
de Barberousse, et Soliman bat Ferdinand d'Autriche en 
Hongrie. Devant ces dangers pour la chrétienté le Pape 
Paul III s'efforce de réconcilier les deux souverains rivaux, 
et une trêve de dix ans se conclut à Nice en 1538, chacun 
gardant ce qu'il possédait. 

Malgré de bons rapports personnels entre l'Empereur et 
le roi de France, dont pâtirent les pauvres Gantois, la paix 
ne dura pas plus de trois ans. Charles V venait d'éprouver 
un terrible désastre devant Alger par le fait des tempêtes, 
et les motifs de rupture s'étant accumulés, la guerre^éclata 
en 1541 sur une échelle plus vaste que jamais. François P^ 
avait ouvertement fait alliance avec les Turcs et avec l'E- 
cosse; grâce à des efforts surhumains il put mettre cinq 
armées sur pied, dette fois il avait remplacé ses légionnai- 
res par un impôt qui lui avait permis de recruter de nom- 
breux mercenaires en Allemagne, en Suisse et même en 
Danemark ('). 

Restant d'abord sur la défensive en Piémont, il porta ses 
armes au nord contre le Luxembourg et au sud contre le 
Roussillon ; mais les hostilités s'engagèrent bientôt sur 
tous les points. Les Hottes turque et française bombardè- 
rent Nice en commun, Soliman rentra en Hongrie et une 
nouvelle armée française sous le duc d'Enghien descendit 
en Italie. Elle y remporta la brillante victoire de Cérisole 
en avril 1544, où plus de douze mille Espagnols du marquis 
de Guasto furent pris ou tués. 

En revanche, les Français n'éprouvaient que des revers 



(1) «Voyant que le service de telles gens (les légionnaires) était du tout inutile, 
on commua cela en argent, et appelle-t-on cette taille la solde des 50 mille hom- 
mes de pied/ à laquelle tous les roturiers universellement du royaume sont con- 
tribuables et subjects, et de cette façon on forma de braves hommes et vaillants 
capitaines. > Mémoires du maréchal de Vieilleville, rédigés par son secrétaire Vin- 
cent Carloix. Liv. VU, ch. 3. 



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— 72 — 

sur les autres points. Henri VIII avait battu Jaques d'Ecosse 
et s'était emparé de Boulogne ; Charles V avait envahi la 
Champagne et poussé ses avant-postes jusqu'à Meaux, je- 
tant une vive alarme dans Paris. La petite ville de St-Dizier 
l'ayant arrêté trop tongtemps, François P»" put rassembler 
de nouvelles levées, armer les bourgeois de Paris et forcer 
les impériaux à la retraite sur les Pays-Bas. 

Pendant ce temps des négociations s'étaient ouvertes, et 
Charles V, pressé de se retourner contre les Turcs et contre 
les protestants allemands, conclutlapaixàCrépy en septem- 
bre 1544. Les conquêtes étaient restituées de part et^d'autre ; 
la question du Milanais arrangée par des fiançailles du duc 
d'Orléans avec une nièce de Charles V ou avec sa fille dotée des 
Pays-Bas et de la Franche-Comté ; en attendant le mariage, 
la Savoie et le Piémont restaient à la France, qui renonçait 
à tout droit sur Naples, sur la Flandre et l'Artois. Ces arran- 
gements furent traversés par la mort du duc d'Orléans l'an- 
née suivante et par celle de François I«r deux ans plus tard. 
La paix n'en dura pas moins sur ces bases entre les deux 
grandes puissances rivales, et en 1559, après quelques hos- 
tilités en Italie et en Flandre, elle fut confirmée entre 
Henri II et Philippe II, à Cateau-Cambrésy. Par cette paix, 
la France garda les trois évêchés (Metz, Toul et Verdun) et 
la ville de Calais, dont elle s'était emparée quelque temps 
auparavant; le duc de Savoie recouvra ses états, sauf le 
Piémont, et diverses modifications apportées aux Etats de 
l'Italie constituèrent la péninsule à peu près telle qu'elle 
resta jusqu'à la Révolution française, c'est-à-dire qu'elle 
comprit le royaume des Deux-Siciles et le duché de Milan, 
appartenant à l'Espagne, les républiques de Venise et de 
Gênes, le duché de Toscane donné aux Médicis, le duché 
de Ferrare aux d'Esté, les duchés de Parme et Plaisance 
aux Farnèse, les duchés de Mantoue et Montferrat aux Gon- 
2agues, le duché de Savoie. 



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- 73 — 

En somme, les projets français sur l'Italie avaient échoué, 
tandis que la maison d'Autriche y était devenue prépondé- 
rante; elle s'était divisée, il est vrai, en branche espagnole 
ou aînée, et en branche allemande ou cadette; mais Tune 
comme l'autre, et surtout la première, conservait une 
puissance bien plus considérable que celle de la France, 
qui ne s'était arrondie que de faibles morceaux de terri- 
toire. 

Cette première période de la rivalité entre la France et 
l'Autriche eût pu se continuer longtemps encore, car des deux 
oôtés les ressources ne faisaient pas défaut; mais chacune 
d'elles avait aussi ses soucis particuliers ; la guerre civile 
les déchirait et allait grandir au point d'amener d'importants 
événements politiques et militaires 

Parallèlement aux luttes entre François l^^ et Charles V, 
que nous avons rapportées, une autre lutte plus profonde 
quoique moins bruyante, avait eu lieu sur toute la surface 
de l'Europe : la Réforme était née et s'était rapidement dé- 
veloppée en Allemagne et dans les pays Scandinaves, où 
elle donna lieu à la grande guerre de Trente-ans , qui nous 
occupera tout à l'heure. 

En France la Réforme, quoique moins active au début, 
produisit aussi des guerres meurtrières et prolongées, dont 
BOUS dirons quelques mots. 

Il y eut huit de ces guerres de religion^ de 1562 à 1508 ; 
il s'y livra, outre une multitude de petits combats, quelques 
batailles plus ou moins rangées: ainsi celles de Dreux, 
'St-Denis, Jarnac, Moncontour, Coutras, Arques, Ivry, le 
Siège de Paris, où l'on trouve, malgré la passion politique 
qui dominait, des soins constituant l'art militaire ; quelques 
généraux s'y produisirent, notamment Henri IV, Farnèse, 
Guise, Coligny, Biron, Montluc, Lanoue, ces deux derniers 



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— 74 — 

écrivains de mérite ('), mais en somme ces guerres sont peu 
intéressantes au point de vue spécialement militaire. Elles 
ne fournissent presque rien qu'on n'ait vu sur une plus 
grande échelle dans les luttes antérieures ou qu'on ne ren- 
contre mieux accentué dans les guerres postérieures, par- 
ticulièrement dans celle de Trente-Ans. 

Nous pourrions donc à rigueur les passer sous silence, 
sauf la dernière, beaucoup plus marquante que les sept au- 
tres ; nous les mentionnerons cependant rapidement pour y 
noter un ou deux faits saillants. 

La première guerre de religion éclata en 1562 sous le roi 
Charles IX, âgé de 13 ans, et gouverné par sa mère, l'adroite 
Catherine de Médicis. Les catholiques sont dirigés par les 
superbes ducs de Guise et le féroce Montluc ; à la tête des 
protestants sont les princes de Bourbon, l'amiral Coligny, 
le sombre sire des Adrets. Sur tous les points de la France 
on se massacre réciproquement. L'étranger, appelé des deux 
côtés, s'en mêle aussi. Les Huguenots livrent le Havre aux 
soldats anglais d'EUsabeth ; Philippe H, roi d'Espagne, d'I- 
talie et des Pays-Bas, après l'abdication de son père Char- 
les V, envoie des renforts aux catholiques; de part et d'au- 
tre on en tire de la Suisse et de l'Allemagne. Après divers 
combats et sièges sans résultat marquants une bataille est 
livrée à Dreux le 19 décembre 1562, où Condé et 13 mille 
huguenots, dont 5 mille cavaliers, sont battus par Montmo- 
rency avec 15 mille catholiques, dont 2 mille cavaliers. Une 
particularité de cette rencontre, c'est que les deux chefs y 
furent feits prisonniers, ce qui tendrait à indiquer que l'ac- 
tion y fut chaude et passablement désordonnée. La paix 



(1) Montluc, commentaires. Lanoue, Discours militaires et politiques. On pour- 
rait peut-être citer encore Rohan et Maurice de Nassau, s'ils ne se rattachaient 
plutôt à l'époque suivante. 



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— 75 — 

d'Amboise, le 12 mars 1563, mit fin à cette première lutte 
en accordant la liberté religieuse à la noblesse et une ville 
seulement par baillage au peuple. 

Une seconde guerre de religion s'ouvrit en 1567 par suite 
de violations vraies ou prétendues de Tédit d'Amboise. Les 
huguenots prirent l'offensive par une sorte de coup d'Etat. 
Gondé, à la tête de nombreux conjurés et insurgés, faillit 
s'emparer du jeune roi àMeaux. Mais Charles IX leur échappa 
grâce à six mille Suisses qui venaient d'arriver en toute 
hâte ; ils le mirent au milieu de leur carré hérissé de piques 
et flanqué d'arquebuses, et ils firent ainsi une héroïque re- 
traite sur Paris. Sans pouvoir les entamer l'armée protes- 
tante les suivit, et une bataille eut lieu à St-Denis le 18 oc- 
tobre 1567. Elle fut indécise, mais le connétable Montmo- 
rency y perdit la vie. Les protestants ayant été renforcés 
par le comte palatin, la reine, conseillée par le chancelier 
l'Hospital, chef du parti politique et modéré, signa la paix 
de Lonjumeau (23 mars 1568) confirmant celle d'Amboise. 

Par ces concessions la cour n'avait fait, paraît-il, qu'agir 
de ruse et de patience. Trouvant le parti des huguenots trop 
puissant, elle recommença elle-même la troisième guerre 
de religion. Un coup de main qu'elle dirigea contre Condé et 
Coligny au château de Noyers en Bourgogne ne réussit 
pas mieux que celui de Meaux. De part et d'autre on cou- 
rut aux armes, et Condé, forcé par le fanatisme de ses trou- 
pes de livrer bataille, fut défait à Jarnac en mai 1569, et à 
Moncontour cinq mois plus tard. Néanmoins les protes- 
tants, tenaces et comme renaissant de leurs cendres, ob- 
tinrent une paix assez favorable par le traité de St-Germain 
en Laye du 15 août 1570; quatre villes de sûreté leur furent 
accordées: La Rochelle, Montauban, Cognac, La Charité. La 
cour avait voulu les ramener par la douceur et faire contre- 
poids à l'influence déjà oppressive des Guise ; mais elle avait 



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— 76 — 

trop cédé ; la réaction se fit et conduisit à Thorrible nuit de 
la St-rBarthélemy (24 août 1572). Cette fois le coup de main 
n'eut que trop de succès : des milliers de huguenots, y com- 
pris le vénérable Coligny, furent massacrés. 

Il en sortit la quatrième guerre, dont le signal fut donné 
par la ville de Montauban. Il n'y a plus d'armée en campa- 
gne; les protestants sont désorganisés et disséminés, mais 
non découragés; les populations se lèvent et l'on se bat avec 
acharnement, surtout dans les Gévennes et le Dauphiné. 
Une cinquantaine de villes et bourgades dans le Midi ferment 
leurs portes aux autorités. La Rochelle, Montauban, Nimes,* 
Sancerre, Sommières deviennent des asiles où l'on soutient 
des sièges en règle. La Rochelle brave tous les efforts, et sa 
vigoureuse défense fait conclure la paix de 1573, proclamant 
la liberté de conscience avec de nombreuses restrictions. 
Encore ici la cour, lidèle à son jeu de bascule, avait voulu 
donner des gages au parti modéré contre l'ardent parti des 
Guise. 

Peu de temps après, Charles IX mourut. Son frère et suc- 
cesseur, Henri III, roi de Pologne, fervent catholique, mais 
léger et livré à de jeunes favoris débauchés, connus sous le 
nom de Mignons, fut bientôt sans influence dans ce conflit 
de ferouches passions. La guerre s'était rallumée, et il ne 
put que signer une paix, dite de Monsieur, en mai 1576, si 
favorable à l'opposition qu'elle préludait presque à un mor- 
cellement du royaume. Non-seulement les Huguenots eu- 
rent la liberté des cultes, sauf à Paris, avec huit places de 
sûreté, mais leurs principaux chefs et ceux du parti modéré 
reçurent de grands gouvernements avec une quasi-indépen- 
dance. Monsieur, duc d'Alençon, à la tête des mécontents 
politiques, eut l'Anjou, la Touraine et le Berry ; C!ondé et 
Henri de Navarre, évadés des prisons de la St-Barthélemy, 
reçurent, l'un la Picardie, l'autre la Guyenne. , 



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— 77 — 

C'est alors que les fougueux catholiques, furieux de ces^ 
concessions, organisèrent la Ligue^ sous Henri de Guise, dit 
le Balafré, protégée officiellement par le Pape, puis par 
Philippe d'Espagne et obéissant, à Paris, au comité des 
Seize. Les protestants serrèrent aussi leurs rangs, et Ton 
eut deux puissantes fédérations, deux Etats dans l'Etat. A 
peine d'être annihilé, Henri HI dut se faire le chef de la Ligua, 
non sans lui garder rancune de la violence qu'elle exerçait 
sur son gouvernement qui eût mieux trouvé son compte à 
la continuation du jeu de bascule, pratiqué depuis si long- 
temps par la reine-mère. 

Sous l'influence de la Ligue les Etats généraux du royaume, 
convoqués à Blois, cassèrent le traité de Monsieur, ce qui 
provoqua une nouvelle levée de boucliers, soit la sixième 
guerre civile en 1577. Après la prise de. quelques villes du 
Poitou et de la Charité, Henri HI saisit l'occasion favorable 
d'accorder la paix de Bergerac, cette même année, à peu 
près semblable à la précédente. 

En 1579 les hostilités recommencèrent, surtout aux en- 
virons de la ville de Cahors, qu'Henri de Navarre enleva en 
déployant une grande bravoure personnelle ; elles abouti- 
rent au traité de Fleix en 1580 , encore favorable aux pro- 
testants par la modération du duc d'Alençon devenu duc 
d'Anjou. 

Les esprits paraissaient s'apaiser, quoique toujours dé- 
fiants et vigilants, lorsque le duc d'Anjou mourut en 1584. 
La sensation fut grande, car la couronne allait revenir de 
droit à Henri de Navarre, au chef des hérétiques. La ques- 
tion religieuse se compliquait directement d'une question 
dynastique. Henri de Guise, déjà plus populaire et plus roi 
que le roi lui-même, voyait grandir ses chances d'arriver 
au trône ; il redoubla d'ardeur ainsi que tous les catholi- 
ques de France et du dehors, et dès l'année suivante 



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— 78 — 

une nouvelle guerre, la huitième, s*en suivit, qui ne dura 
pas moins de 13 ans. 

Les débuts ne furent pas favorable3 aux protestants, qui 
s'étaient fâcheusement disséminés en quatre armées. Condé 
fut battu près d'Angers, tandis qu'une quarantaine de mille 
Allemands et Suisses, venus au secours des Huguenots, fu- 
rent défaits par le duc de Guise à Vimory et, à Armeau et 
rejetés sur l'Allemagne. En revanche, Lesdiguières main- 
tint vaillamment le Dauphiné à la cause protestante, et 
Henri de Navarre remporta sur le duc Joyeuse, un des prin- 
cipaux mignons, la bataille de Centras (1587) dans la Gi- 
ronde. 

Ces événements rendirent le duc Henri de Guise plus popu- 
laire que jamais ; bon nombre de ligueurs parlaient hautement 
de rélever au trône à la place du vacillant Henri HT, en tout 
cas aussitôt après sa mort. Redoutant la présence à Paris 
d'un tel heutenant, le roi veut le maintenir à l'armée du 
nord ; Guise se plait à braver cette mesure en venant se pré- 
senter au Louvre même, avec une escorte de 400 gentils- 
hommes. La garde suisse est appelée par la cour; mais lo 
peuple s'insurge, dresse des barricades, assiège le Louvre, 
désarme les Suisses qu'un ordre royal empêche de se dé- 
fendre et qui auraient été massacrés sans l'intervention du 
duc de Guise (1588). Henri HI s'enfuit à Chartres, d'où il 
négocie et convoque les Etats généraux pour décider de la 
situation ; en attendant il remet le pouvoir de fait à Henri 
de Guise, nommé générahssime du royaume. 

Aux Etats généraux, réunis à Blois, le parti du roi, en mi, 
norité, fut ouvertement bafoué par les ligueurs, ce qui porta 
Henri HI exaspéré à se débarrasser du duc de Guise par 
l'assassinat. 

Cette triste fin du chef de la ligue souleva de nouveau 
Paris dirigé par les seize , et Henri HI n'eut plus d'autre 



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— 79 — 

alternative que de se réfugier auprès du roi de Navarre avec 
un petit nombre de fidèles. Les deux années réunies allè- 
rent ensuite assiéger la capitale. Là, Henri III fut à son tour 
assassiné par un jeune moine fanatique, ce qui rendit la 
situation plus critique encore. Tandis que les ligueurs vou- 
laient porter au trône le cardinal de Bourbon, au moins en 
attendant mieux, Henri de Navarre, désigné par le feu roi 
comme son successeur, prit aussitôt le titre de Henri IV ; il 
n'en fut pas moins abandonné par la plus grande partie des 
catholiques de l'armée unie, et cela au moment où les li- 
gueurs recevaient d'importants renforts de l'Espagne et con- 
centraient leurs troupes sous le commandement de Mayenne, 
frère du duc de Guise assassiné. 

Henri IV dut lever le siège de Paris et se replier sur la 
Normandie, vers la mer, pour y attendre des secours de la 
reine Elisabeth. Mayenne le suivit, et les deux adversaires 
en vinrent aux mains à Arques, près de Dieppe, où Henri IV 
avait pris une forte position. Quoique n'ayant que sept à 
huit mille hommes et huit pièces d'artillerie, il battit com- 
plètement Mayenne, qui avait 18 mille hommes en ligne, 
mais seulement quatre canons; il le refoula jusqu'aux fau- 
bourgs de Paris (1589), après quoi il retourna prendre pos- 
session de la Normandie. 

L'année suivante, Mayenne se remit en campagne avec 
une nouvelle armée de ligueurs et d'Espagnols. Pour déli- 
vrer Dreux, assiégé par les Huguenots, il passa la Seine à 
Mantes et marcha sur Ivry. A cette nouvelle, Henri IV leva 
lui-même le siège de Dreux et alla prévenir son adversaire 
à Ivry, en excellente position sur l'Eure. Là se hvra une 
nouvelle bataille, où Henri IV, quoique fort inférieur en in- 
fanterie, environ 10 mille hommes, lança si bien son pana- 
che blanc sur le chemin de l'honneur et de la victoire et fit 
si bien jouer les six canons qui composaient son artillerie 



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— 80 — 

que les ligueurs, au nombre d'environ 16 mille hommes et 
quatre canons, furent de nouveau défaits. Profitant aussi- 
tôt de cette grande victoire, il alla attaquer Paris, mais il fiit 
repoussé ; il reprit le siège et le blocus, dans lequel il mon- 
tra beaucoup d'humanité et fit même passer des vivres aux 
Parisiens, ne voulant pas, dit-il, régner sur les morts. Cette 
condescendance permit au duc de Parme, Alexandre Far- 
nèse, qui gouvernait les Pays-Bas et qui s'y était illustré 
comme capitaine, de venir au secours de Paris. Henri IV dut 
se replier en Normandie, où la campagne traîna en longueur 
et se réduisit à des marches et êontremarches à la suite des- 
quelles Famèse regagna triomphalement les Pays-Bas en 
novembre 1590. 

Dans ces entrefaites la dissension s'était développée parmi 
les catholiques, dont bon nombre, y compris Mayenne, se 
sentaient froissés du rôle orgueilleux que jouait l'étran- 
ger, l'Espagne surtout, dans les affaires de France. Le car- 
dinal de Bourbon, le roi des Ligueurs, étant mort, les tirail- 
lements augmentèrent, car aux Etats généraux, rassemblés 
pour décider de la succession au trône, un parti ardent pen- 
sait sérieusement à placer la couronne de France sur la tête 
de la fille de Philippe IL Devant cette perspective, le parti 
politique et modéré préféra se rapprocher de Henri de Na- 
varre; celui-ci, de son côté, vivement sollicité de mettre 
fin à cette triste situation en abjurant son hérésie, et pen- 
sant que « Paris vaut bien une messe, d se décida enfin à 
« faire le saut périlleux » et à devenir roi catholique de 
France (juillet 1593). 

Tout ne fut pas terminé du coup; ligueurs et protestants 
restèrent défiants et menaçants. En 1598 seulement, Henri IV 
fit sa paix avec ses anciens frères d'armes par le célèbre 
édit de Nantes, qui leur accordait toutes les libertés récla- 
mées ; la même année il conclut aussi un traité avec les 



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- 84 — 

catholiques et Philippe II à Vervins, qui ratifiait celui de 
Cateau-Gambrésis. La possession des Trois-Evôchés et de 
Calais fut reconnue à la France ; deux ans plus tard elle acquit 
encore le Bugey, la Bresse et le Pays de Gex, troqués au 
duc de Savoie contre le marquisat de Saluées, acquisitions 
minimes comme provinces, mais fort importantes pour com- 
pléter les frontières militaires du royaume. D'autre part la 
paix et le bon ordre furent si bien rétablis à l'intérieur, sous 
le gouvernement intelligent et paternel de Henri IV, que la 
France paraissait devoir sous peu reprendre avantageuse- 
ment un grand rôle en Europe contre la maison d'Autriche. 
Henri IV en faisait même les préparatifs, au nom d'un vaste 
projet de paix universelle et de désarmement général, lors- 
qu'un nouveau et fatal coup de poignard vint faire avorter 
ou ajourner les importants événement militaires qui étaient 
en perspective. 

Arrêtons ici notre esquisse de ces guerres du 16« siècle. 
Nous en avons dit assez pour montrer ce qu'elles eurent de 
caractéristique au point de vue de l'art militaire. 

Depuis les belles levées de François l^^ en 1541 (page 
71), on ne voit pas de grand progrès en France; les armées 
y ont sensiblement diminué de nombre et de qualité. Elles 
montent en moyenne à une dizaine de mille hommes dans 
les principales batailles des guerres de religion avec une di- 
zaine de canons au plus, troupes peu disciplinées, souvent 
passionnées et fanatiques. Elles ont, en revanche, surtout 
du côté des Huguenots, un caractère plus grave et plus de 
ténacité. Les opinions y ont plus d'action ; quoique les mer- 
cenaires suisses, allemands, espagnols, italiens, s'y retrou- 
vent encore en assez grand nombre, l'élément national et 
les levées spontanées de combattants y figurent pour une 
forte part; souvent aussi c'est le peuple qui combat, et 

TOME II. 6 



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— 82 — 

pour sa cause à lui, telle qu'il la comprend. Il y a des cava- 
liers, de gros et de légers ; mais ce ne sont plus les six ou 
sept suivants des lances féodales de Louis XII et de Fran- 
çois P' ; chacun y est pour son compte, les groupes se for- 
ment autour des plus vaillants et des plus puissants de la 
même espèce d'armes. Cette séparation ne tarda pas à se 
régulariser. 

A l'imitation des cavaleries allemandes, qui avaient alors 
des reiters célèbres, et de ce qu'avait déjà fixé Charles-Quint, 
les cavaliers légers furent rangés à part des cavaliers bardés 
et l'on eut bientôt trois cavaleries distinctes : les anciens 
gendarmes avec forte cuirasse, dont la France possédait les 
meilleurs ; les chevau-légers^ à peu près de même armement, 
mais beaucoup moins lourd et dont les stradiots albanais 
(batteurs d'estrade) des Vénitiens fournirent le premier et 
meilleur type ; enfin les arquebusiers à cheval , ou cara- 
bins, ou escopettiers, pouvant combattre à pied et à cheval 
et d'où sortirent plus tard les dragons. 

L'infanterie, toujours la plus nombreuse des armes, resta 
de même divisée en trois classes principales : les piquiers, 
surtout résistants, représentant l'ancienne phalange; les 
hallebardiers, plus offensifs et rappelant les légionnaires 
romains; les arquebusiers, fournissant un rang de la masse, 
des ailes ou des tirailleurs et tendant de plus en plus à un 
rôle important. 

Les feux, en effet, soit d'artillerie, soit d'infanterie, avaient 
continué à se développer techniquement et tactiquement , 
surtout par le fait des Huguenots, portés à compenser leur 
infériorité par les ressources de l'art; ils furent empressés 
à employer, dès l'an 1570 , l'arquebuse avec platine à rouet 
au lieu de mèche , ce qui donna les mousquets , dont on 
augmenta aussi le calibre jusqu'à 8 à 10 balles à la livre. Ce 
perfectionnement fit disparaître définitivement les arcs et 



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— 83 — 

arbalètes qui jusqu'alors s'étaient maintenus avantageuse- 
ment soit par le fait de la routine, soit à cause de leur supé- 
riorité sur maintes arquebuses à mèche par les temps de 
pluie. Les gros mousquets furent accompagnés d'une four- 
chette en fer sur laquelle on les ajustait; on donna ordinai- 
rement, dans l'origine, quelques mousquets seulement par 
compagnie d'arquebuses et on les choisit surtout pour former 
le rang de feux dans la masse. Vers la fin du XVI® siècle, on 
régularisa la proportion des armes à moitié de piquiers et 
hallebardiers , moitié d'arquebusiers et de mousquetiers, 
mais en devant pour cela faire violence aux goûts des hom- 
mes qui auraient presque tous voulu être munis d'armes à 
feu. Montluc s'efforça, au contraire, d'en faire diminuer le 
nombre, prétendant qu'avec tous ces tireurs les masses ne 
savaient plus s'aborder et se porter des coups décisifs. 

L'artillerie fut particulièrement soignée par François P*", 
qui créa un bon cadre de canonniers sous la direction d'un 
grand-maître de l'artillerie, ordinairement un seigneur de 
haute distinction. Elle était le plus souvent, en campagne, 
confiée à la garde des Suisses; elle déchut pendant les 
guerres de religion, faute d'argent et de prévoyance. Cepen- 
dant Henri IV, qui l'appréciait et en tira souvent bon parti, 
la releva dès qu'il le put; aussitôt qu'il fut sur le trône 
son ministre Sully s'efforça d'organiser une puissante artil- 
lerie, dans les proportions de celle de François P', améliorée 
et allégée. 

La mode des fçux devint même si dominante qu'on munit 
toute la cavalerie de pistolets ou de mousquets, en sup- 
primant la lance. Cétait, pour cette époque, dépasser de 
beaucoup la mesure, car les feux, si perfectionnés qu'ils 
fussent relativement, étaient encore fort médiocres et infé- 
rieurs à ce que pouvait fournir le choc de cavaliers vaillants 
et exercés.' 



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— 84 — 

Du même coup les armures s'épaissirent jusqu'à devenir 
des enclumes, disait Lanoue, et cela prpvoqua la réaction 
qui les fit disparaître plus tard. 

Une autre création militaire des guerres de religion fut 
l'organisation des troupes en régiments. Les corps appelés 
précédemment bandes^ puis légions^ fournirent pendant 
la troisième guerre civile trois régiments provinciaux qui 
prirent, quelques années plus tard, les noms connus de 
régiments de Picardie , de Champagne , de Piémont. En 
y ajoutant les gardes suisses et les gardes françaises, corps 
d'élite recrutés spécialement, puis le régiment protestant de 
Navarre, après l'avènement de Henri IV, on a les six vieiuc 
corps de la monarchie française (*). Ils varièrent beaucoup 
d'effectifs, suivant les temps, depuis quelques cents hommes 
à sept ou huit mille hommes, et furent commandés par des 
officiers appelés indifféremment et successivement capi- 
taines-généraux, mestres-de-camp, colonels généraux. 

Nous devons maintenant porter nos regards plus spécia- 
lement vers l'Allemagne et le nord de l'Europe, où un grand 
homme de guerre va fixer définitivement l'art militaire dans 
ses formes modernes. 

(1) Ou les cinq vieux corps, coimne disent la plupart des écrivains français, en 
laissant de côté les gardes suisses. 



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— 85 



II 



Guerre de Trente-Aos. — Gustaye-Adolphe. 



Berceau de la Réformation, rAllemagne fut plus agitée 
encore que la France par le grand mouvement du XVI® siècle. 
La multitude de petits Etats dont se composait le corps ger- 
manique, le rôle important qu'y jouaient plusieurs riches 
princes de l'Eglise, enfin les antagonismes intérieurs et 
extérieurs provoqués par la prépondérance croissante de la 
double et heureuse maison d'Autriche, soit au loin où elle 
bénéficiait de ses nombreuses ramifications de famille, soit 
en Allemagne où la couronne impériale était devenue comme 
sa propriété , formaient autant d'éléments particulièrement 
propres à nourrir les dissensions soulevées par les diver- 
gences de doctrines. 

L'empereur Charles-Quint et quelques-uns de ses succes- 
seurs à Vienne ayant pris ouvertement en main la cause du 
catholicisme, la Réforme revêtit bientôt, pour la plupart des 
princes allemands d'opinion opposée , un caractère d'indé- 
pendance politique autant que de régénération religieuse, 
sans compter que la question de la disposition des biens 
ecclésiastiques mêla promptement aux intérêts spirituels 
des confliti^d'un ordre moins relevé, mais plus influent sur 
le déchaînement des passions. 



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— 86 — 

Les protestants, formés en ligue de Smalkade (1530) 
contre l'édit de la Diète de Spire interdisant la propagation 
ultérieure de la Réformation , furent battus à Mùhlberg sur 
l'Elbe, en 1547, mais non soumis. Ils obtinrent de Charles V, 
en 1555, c'est-à-dire un an avant son abdication, la paix 
d'Augsbourg, qui accordait la liberté religieuse aux Etats 
luthériens avec la possession des biens sécularisés, mais 
à l'exclusion des calvinistes et des zwingliens, et moyennant 
une réserve ecclésiastique en vertu de laquelle tout prélat 
passant à la Réforme était censé abandonner à l'Eglise son 
bénéfice et ses revenus. 

C'est de cette restriction toute temporelle que sortit la 
guerre dite de Trente-Ans ; elle s'ouvrit en 1618 et se ter- 
mina en 1648 par le célèbre traité de Westphalie. 

Sous les deux successeurs immédiats de Charles V, les 
empereurs Ferdinand P»" et Maximilien II, princes pacifiques 
et bienveillants, l'Allemagne fut relativement tranquille. La 
Réforme y progressa sans secousse ; elle se répandit même 
dans les Etats autrichiens par le seul fait de la propagande 
publique et de la tolérance de Maximilien II qui fut accusé, 
à ce propos, de partager secrètement la nouvelle doctrine. 
Mais avec son flls Rodolphe II, docile élève de la société 
des Jésuites qui venait de se fonder, la réaction se fit 
contre cette modération ; des mesures oppressives poursui- 
virent la Réforme, ses progrès, ses partisans et leurs asso- 
ciations. 

Sous ce patronage, une puissante ligue catholique s'or- 
ganisa en Allemagne. A sa tète se distinguaient surtout 
Ferdinand d'Autriche, duc de Styrie, et Maximilien, duc de 
Bpière. Elle comptait encore l'électeur- archevêque de 
^iayence , tous les princes ecclésiastiques et en général les 
régions de l'Allemagne méridionale. 
Les catholiques ne faisaient en cela que suivre l'exemple 



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— 87 - 

des protestants qui, depuis quelques années, étaient déjà 
organisés en une Union évangélique^ ayant à sa tête l'Elec- 
teur palatin, souverain des pays formant aujourd'hui^ en 
partie, les provinces du Rhin et le grand-duché de Bade. 

Elle comprenait encore les électeurs de Brandebourg, de 
Saxe, le comte palatin de Neubourg, les ducs de Poméra- 
nie, du Mecklerabourg, les six villes de la Hanse et bon 
nombre de grandes cités. En résumé les pays les plus déve- 
loppés et les plus riches de l'Allemagne lui appartenaient. 

Malgré cela cette seule esquisse statistique des deux 
camps montre que l'union évangélique ne pouvait faire 
contrepoids aux forces réunies du parti catholique et de 
l'Empire. Dans plusieurs conflits locaux, avant-coureurs de 
la lutte générale : à Donauwerth, ville impériale fortement 
tiraillée par les confessions hostiles; à Cologne, dont l'arche- 
vêque voulait passer à la réforme en portant ses prébendes 
en dot à la belle chanoinesse de Mansfeld dont il s'était 
épris ; à Juliers, dont la succession ouverte était vivement 
convoitée par les chefs des deux ligues, les protestants 
avaient subi des échecs. Si, en agrandissant leur champ 
d'action jusqu'à l'étranger, ils pouvaient compter sur l'appui 
plus ou moins direct, à un moment donné, de quelques 
Etats voisins et coreligionnaires : des Pays-Bas, qui après 
de longues et vaillantes luttes venaient de secouer le joug 
espagnol et de s'organiser en république fédérative des 
Provinces-Unies; du Danemark, de la Suède, de l'Angle- 
terre, zélés partisans du protestantisme; même aussi de la 
France et de Venise par esprit de rivalité contre la mai- 
son d'Autriche, d'autre part l'Espagne, qui tenait encore 
une portion des Pays-Bas, la Franche-Comté, le Milanais 
et presque toute l'Italie, sufQsait bien à neutraliser cet 
appui. En outre le Danemark et la Suède semblaient alors 
absorbés soit par des luttes l'un contre l'autre, soit par des 



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— 88 — 

guerres contre la Pologne et la Russie à propos des provin- 
ces de la^Baltique. 

En revanche Tidée protestante, pénétrant les esprits à 
travers les violences contraires, minait les Etats mêmes de 
la Ligue, surtout la Bohême, la Hongrie et la Transylvanie. 
La Bohême, qui n'appartenait à l'Autriche que depuis peu, 
presque en entier gagnée aux doctrines nouvelles, s'in- 
surgea en l'an 1618 et menaça Vienne. De concert avec 
la Silèsie et la Moravie, elle se déclara indépendante et 
offrit sa couronne à l'électeur palatin Frédéric V, gendre 
du roi d'Angleterre, qui ne tarda pas à en prendre posses- 
sion. 

La guerre ne pouvait manquer de sortir d'un tel incident, 
d'autant plus qu'à Rodolphe et à Mathias, empereurs faibles 
de caractère, venait de succéder le fougueux duc de Styrie, 
Ferdinand II, qui visait à être le Philippe II de l'Allemagne 
et qui n'y réussit que trop bien. Les hostilités éclatèrent à 
la fois en Bohême, dans le Palatinat, en Hongrie et sur plu- 
sieurs autres points secondaires. Elles ne furent pas de 
longue durée. La cause protestante ne trouva de vigoureux 
défenseurs que dans la personne de deux ou trois vaillants 
petits princes : Ernest de Mansfeld et Christian de Bruns- 
wick en Allemagne, Betlem Gabor en Hongrie et Transyl- 
vanie, qui ne purent créer la coordination nécessaire entre 
leurs corps de troupes. Frédéric V, abandonné de ses alliés 
naturels que la promptitude et la gravité des événements 
avaient déroutés, était d'ailleurs peu à la hauteur d'une 
telle tâche. Il se laissa surprendre et battre complètement 
sous les murs de Prague par une armée d'Impériaux aux 
ordres d'un chef qui allait acquérir un grand renom, le 
comte bavarois Tilly. Pendant que le terrible vainqueur 
saccageait la Bohême, une armée espagnole sous Spinola 
pénétrait des Pays-Bas dans le Palatinat et le parcourait en 



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tyrannique dominateur. Les deux foyers du mouvement 
ainsi occupés, les catholiques dictèrent facilement la loi à 
tout le reste. La Ligue triompha durement et avec elle 
s'éleva d'autant le pouvoir de l'Autriche et de l'Empire. 

Tilly alla poursuivre ses succès en Westphalie à travers 
l'Allemagne centrale, étouffant partout avec une sangui- 
naire brutalité les germes de la Réforme et ordonnant la 
réintégration des biens d'Eglise à leurs anciens propriétaires. 
•Quant à l'infortuné et imprévoyant Frédéric V, il ne sut que 
s'échapper à temps dans le nord de l'Allemagne, d'où il se 
réfugia en Hollande. Il racheta pourtant son incroyable 
légèreté par une noble et fière résignation. « Je viens d'ap- 
-« prendre, dit-il, et je sais maintenant qu'il est des vertus 
-« que le malheur seul peut enseigner aux princes. Oui, le 
4: malheur seul peut dompter notre orgueil et nous con- 
€ traindre à ne nous estimer que pour ce que nous sommes 
€ en effet. » Belles paroles, bonaes à méditer en tout temps 
par les puissants de ce monde ! (') 

Les dépouilles du vaincu et sa voix d'électeur passèrent à 
son heureux beau-frère, le duc de Bavière, et tous les prin- 
cipaux personnages protestants de la Bohême furent impi- 
toyablement persécutés ou exécutés. 

Contre ces odieuses rigueurs, menaçantes à tous, les prin- 
ces protestants de la Basse-Saxe cherchèrent des secours 
autour d'eux ; ils en trouvèrent en Danemark, dont le roi 
Christian IV, doué d'un esprit belliqueux et entreprenant, 
était stimulé encore aux grandes entreprises par les lauriers 
qu'un de ses rivaux des régions septentrionales, le jeune 
roi de Suède Gustave-Adolphe, venait de recueillir en Polo- 
gne et sur les rives de la Baltique. 

Quoique plus puissant qu'aujourd'hui de la possession du 

<1 ) Schiller. Guerre de Trente-Ans. Chap. I. 



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— 90 — 

Schlcswig, du Holstein et de la Norvège, le Danemark ne 
possédait guère les moyens de contrebalancer directement 
les forces du parti de la Ligue. Il pouvait toutefois mettre 
sur piûd une armée de terre d'une soixantaine de mille 
hommes, y compris les mercenaires habituels, et ce noyau, 
renforcé des contingents protestants de l'Allemagne, ne 
laissait pas d'offrir un sérieux danger à l'Empire s'il parve- 
nait à se lancer au milieu de populations déjà disposées à 
l'insurrection. 

L'Empereur se résolut à une lutte à outrance, tant par suite 
de son tempérament naturel et de son étroit fanatisme que 
pour ne pas se laisser devancer par son émule dans la 
Ligue, le fougueux duc Ma\imilien de Bavière. Des prédica- 
tions furibondes furent dirigées contre les protestants, dont 
le crime affreux d'hérésie et de rébellion s'augmentait, 
disail-on, d'appels à l'étranger, au redouté Danois, ce qui 
constituait une trahison eovers la patrie germanique. 

Mais ces imprécations ne suffisaient pas à mener une 
guerre s'annonçant comme sérieuse ; d'autre part le trésor 
impérial était à sec, comme il lui arrivait souvent. Ferdi- 
nand II se fit créer une armée par un riche et puissant 
comte de Bohême, Wallenstein ou Waldstein, qui s'était 
déjà distingué dans la précédente campagne et en avait été 
récompensé par d'immenses possessions territoriales. 

Ce fantastique entrepreneur de guerres autoritaires, 
d'ailleurs moins illustré comme capitaine par ses exploits 
que par le génie poétique de Schiller, (') mérite toute- 
fois une marquante place dans l'histoire comme le roi des 
condottiers, comme le chef magnifique de la plus vaste 
force créée par ce mode de recrutement dont nous connais- 
sons déjà la naissance et le développement. (2) Il trouva 

(1) Schiller. Guerre de Trente-Ans et WaUensiem, 

(2) Voir chap. précédent, et vol. antiquité et moyen-âge, dernier chapitre. 



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- M — 

moyen de lever promptement à ses frais une armée de cin- 
quante mille hommes, qu'il put organiser à son gré et dont 
il devint à peu près le maître absolu, tant par une rigide et 
particulière discipline que par l'appât du butin et des plai- 
sirs ordinaires de la guerre largement offerts à ses aven- 
tureux compagnons d'armes. Il la réunit sur l'Elbe, tandis 
que Tilly qui disposait toujours d'une armée égale se con- 
centrait sur le Weser. 

Le roi de Danemark campa d'abord près de Brème ; il y 
fut rejoint, non sans peine, par les corps d'armée de Mans- 
feld et du duc de Brunswick, ce qui porta ses forces à envi- 
ron 60 mille hommes dont près d'un quart de cavalerie. 

Sur la proposition de Mansfeld les confédérés protestants 
adoptèrent iin plan de campagne qui n'était guère propre à 
leur assurer de brillants succès. Le duc de Saxe-Weimar 
fut détaché à la gauche du Weser pour agir en Westphalie; 
le roi, avec le gros des troupes s'avançant entre le Weser 
et l'Elbe, marcha de Ferden par le duché de Brunswick sur 
l'évêché de Hildesheim ; Mansfeld avec un corps de douze 
mille hommes dut se porter de Lubeck par la gauche de 
l'Elbe et le Brandebourg sur la Silésie et sur les Etats héré- 
ditaires de l'empereur, où il chercherait à se joindre aux 
Hongrois de Betlem Gabor. Soit par suite de cette excessive 
et fâcheuse dissémination, soit par divers incidents défavo- 
rables, ainsi que par l'infériorité relative du roi de Dane- 
mark devant deux généraux comme Tilly et Wallenstein, 
cette nouvelle phase de la guerre ne tarda pas à se décider 
encore en faveur des Impériaux. Les chefs protestants 
furent successivement battus dans plusieurs rencontres, et 
en août 1626 le roi Christian subit un si grave échec à la 
bataille de Lutter qu'il ne put s'en relever. Malgré de tena- 
ces efforts il fut acculé dans la presqu'île du Jutland par 
les troupes réunies de ses adversaires et dépouillé de ses 



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'— 92 — 

Etats continentaux. En même temps les forces catholiques 
occupèrent toute la Basse-Saxe, le Mecklembourg, la Pomé- 
ranie, à l'exception de Stettin et de Stralsund, en un mot 
toutes les côtes. L'empereur Ferdinand rêvait de s'y cons- 
tituer sous peu en puissance maritime ; Wallenstein nommé 
duc de Friedland joignit à son titre de généralissime impé- 
rial celui de grand amiral de la flotte future avec l'inves- 
titure du duché de Mecklembourg. Sans souci de la neu- 
tralité du port de Stralsund, une des six villes anséatiques, 
il tenta même de s'en emparer pour agir de là contre le 
Danemark. 

Réduit à ces extrémités et pour sauver le reste de ses 
Etats, ses îles déjà menacées d'invasion, le roi Christian 
dut entrer en composition et subir la dure paix de Lubeck 
(mai 1629), qui le forçait de renoncer à l'alliance de ses 
coreligionnaires allemands et à toute prétention sur des 
bénéfices ecclésiastiques quelconques et le faisait descen- 
dre au rang de vassal de l'Empire. 

A mesure ^de ces triomphes Ferdinand II avait élevé les 
prétentions de sa politique. Généralisant les procédés dic- 
tatoriaux de ses lieutenants, il voulut remonter à près d'un 
siècle en arrière, au texte littéral de la convention de Passau 
de 4552, et il força les protestants, par un célèbre et funeste 
édit de restitution^ de rendre les biens ecclésiastiques sécu- 
larisés depuis cette époque; en outre il exclut formellement 
les calvinistes de l'ombre de tolérance laissée aux protes- 
tants indépendants. Cette farouche et inique politique s'ap- 
pliqua sans délai, par la force et souvent avec une révol- 
tante cruauté. La réprobation générale qu'elle réveilla en 
Allemagne et au dehors, jointe aux tentatives de Wallen- 
stein pour transformer la mer Baltique en un lac alle- 
mand, disait-il, amena dans l'arène un nouvel acteur qui 
devait grandement changer la face des choses. C'était la 
Suède gouvernée alors par un jeune héros, Gustave-Adolphe. 



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— 93 — 

Depuis quelques années ce pays, affranchi par Gustave 
Wasa de la double oppression des Danois et du clergé 
romain, avait rapidement prospéré. En même temps il était 
devenu comme une école de guerre théorique et pratique 
par suite de ses rapports avec d'habiles officiers de divers 
pays et des luttes continuelles dans lesquelles il était lui- 
. même engagé. Ses relations avecies protestants des Pays- 
Bas surtout lui furent particulièrement utiles. Ces derniers 
et leur habile chef Maurice de Nassau, sortis victorieux de 
leurs guerres contre les troupes espagnoles de Farnèse et 
du duc d'Albe, avaient fait faire de réels progrès à l'art 
militaire. Entr'autres ils avaient, dans leur pays très-coupé 
de canaux et de places fortes, parachevé la réhabilitation de 
l'infanterie, la supériorité des feux, l'art des sièges et des 
ponts. Dans le cours de sa belle carrière Maurice n'avait pas 
pris moins de 38 villes fortes et 45 châteaux ; il avait en 
outre fait lever 42 sièges et gagné deux batailles rangées à 
Ostende et à Newport (1600). Il s'acquit ainsi une grande 
et juste réputation dans toutes les branches de l'art de la 
guerre, particulièrement dans les branches techniques* 
Depuis l'an 1600 il s'appliqua à perfectionner ses troupes 
et il devint un tacticien fort à la mode en Europe qu'on 
alla visiter de toutes parts. 

En 1609 bon nombre de ses officiers nationaux et étran- 
gers, licenciés par la trêve de 12 ans conclue alors, passè- 
rent au senice de la Suède qui en avait bon emploi à ce 
moment, car elle commençait à jouer un rôle capital dans 
le Nord. Ces officiers, en y portant les principes et les tra- 
ditions militaires de Maurice de Nassau, les déposèrent 
dans un terrain favorable. 

Parmi leurs auditeurs les plus assidus, à la cour de Suède, " 
se trouvait un prince encore enfant qui les accablait de 
questions dénotant un vif désir d'instruction et un esprit 



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— 94 — 

aussi ardent que judicieux. On devine le jeune Gustave- 
Adolphe. Né en 1594, il avait été élevé avec beaucoup de 
soins par son père, Charles IX, qui pressentait son génie et 
fondait sur lui de grandes espérances. Ille faciet^ disait-il 
habituellement en Je montrant, à ceux qui l'entretenaient 
des grandes choses que la Suède pouvait espérer de réaliser 
dans l'avenir. 

A l'âge de 17 ans Gustave monta sur le trône et débuta 
par se munir d'un bon premier ministre dans la personne 
du chancelier Oxenstiern, qui devint son confident et son 
ami. Il dut aussitôt aviser à la situation difficile du royaume, 
alors accablé du poids de trois guerres : contre le Danemark, 
la Russie et la Pologne. 

Se bornant à la défensive contre les Danois^ il les arrêta 
et parvint, sous la médiation de l'Angleterre et de la Hol- 
lande, à conclure avec eux la paix de Knaeryd (1613) pas 
trop onéreuse. 

Contre la Russie il poursuivit avec plus de succès la lutte 
jusqu'en 1617, époque où il conclut la paix de Stolbova, 
cédant la contrée entre Nowgorod et la Baltique et ses pré- 
tentions sur la Livonie et l'Esthonie. 

Après cela Gustave voua toute son attention à la Pologne. 
Son roi Sigismond, excité et aidé par le parti catholique 
allemand, prétendait au trône de Suède en vertu de droits 
discutables. Les Polonais secondaient activement leur roi ; 
s'ils luttent aujourd'hui héroïquement et infructueusement 
pour le maintien de leur race, ils luttaient alors pour la 
suprématie dans le nord de l'Europe, et leur soif de con- 
quête était sans borne. Gustave dut se préparer contre eux 
à une guerre à outrance. Il rassembla des vaisseaux, fit 
recruter des soldats partout où il put, réunit les fonds indis- 
pensables. A ces préliminaires doit s'ajouter son mariage 
avec la sœur de l'électeur de Brandebourg, Marie-Eléqnore, 



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— 95 — 

qui lui créa d'utiles relations en Allemagne, ainsi qu'avec 
les Hongrois et même avec les Turcs. 

Les hostilités commencèrent en 1621. Ce fut Gustave qui 
les ouvrit. Au moment où les Polonais se préoccupaient 
des Turcs, il débarqua en Livonie avec une armée d'envi- 
ron 20 mille hommes et s'empara de Riga, malgré une très- 
belle défense de cette ville. La guerre se poursuivit plus 
ou moins vigoureusement et avec de nombreuses péripé- 
ties, les Polonais étant souvent secondés par des Impériaux 
détachés de l'armée de Wallenstein. Enfin, en 1629, il vit 
la nécessité de sortir de ces embarras pour se tourner du 
côté de l'Allemagne, et il conclut, par la médiation de la 
Prance et de l'Angleterre, la trêve d'Altenmarkt qui lui 
laissait pendant six ans les coudées franches et toutes les 
places occupées en Livonie et en Prusse. 

Au moment où il allait intervenir dans la guerre de 
Trente-Ans, Gustave, quoique âgé seulement de 35 ans, 
pouvait donc être considéré déjà comme un vétéran. Non- 
seulement il avait étudié avec soin et à la meilleure école 
la théorie de la guerre, mais il en avait longuement suivi 
la pratique, souvent avec succès, jamais avec vanité ni 
esprit de routine. 

Le cosmopolitisme militaire en vogue alors par la pré- 
sence de nombreux mercenaires étrangers dans toutes les 
armées et par la répartition des belligérants européens en 
groupes religieux ordinairement indépendants des frontières 
politiques, facilitait encore à un observateur attentif l'étude 
de tout ce qu'il y avait de bon et de particulier dans les 
diverses armées de l'Europe. Gustave sut profiter de cet 
avantage ; la guerre de Pologne, où il lutta entr'autres contre 
une excellente cavalerie, fut pour lui une bonne école et 
l'occasion opportune d'opérer de notables améliorations 
dans son état militaire. Ses armées devinrent, après quel- 



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— 96 - 

ques autres perfectionnements et par la sanction de la vie- 
toire, le modèle sur lequel ne tardèrent pas à se former 
toutes celles de l'Europe. 

Disons donc quelques mots plus spéciaux de l'organisation 
et de la tactique usuelle des troupes suédoises de cette 
époque. 

En 1625 Gustave créa une force régulière de 80 mille 
hommes de premier ban, avec un second ban de même 
effectif, mais à n'appeler sous les armes qu'en cas de départ 
du premier ban. 

L'armement de toutes ces troupes fut considérablement 
allégé. Les réformes, sous ce rapport, rappellent celles des 
Grecs au temps d'iphicrate et de Xénophon, des Romains, 
au temps de Marius et de César. 

Il débarrassa l'arquebuse de sa fourchette et diminua le 
poids de l'arme; celle-ci, devenue le vrai mousquet, aug- 
menta de nombre. Il y eut deux tiers de mousquetaires pour 
un tiers de piquiers; ces derniers avec une pique raccourcie 
à 11 pieds. Toute l'infanterie eut encore une forte épée, 
un casque léger ou pot-en-tôte pour seule arme défensive, 

La cavalerie, aussi allégée, n'eut plus qu'une demi-cui- 
rasse, mais à l'épreuve de la balle. Comme armes offensives 
elle reçut une carabine, deux pistolets, une épée longue et 
forte servant à la fois de lance et de hallebarde. Ces restes 
de la chevalerie et de la gendarmerie s'appelèrent désor- 
mais cuirassiers. 

Une autre cavalerie, plus légère, comprenait des dragons 
ou chevau-légers pouvant combattre à pied et munis d'un 
mousquet, d'un sabre recourbé et d'une hache. 

L'artillerie était aussi de deux espèces : une grosse artil- 
lerie, de pièces de fonte de divers calibres, et une artillerie 
légère, marchant avec les régiments et comprenant en- 



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— 97 — 

tr'autres des canons dits de cuir bouilli, invention curieuse 
d'un officier autrichien, le baron Melchior de Wurmbrand, 
passé au service de Suède. 

Ces pièces, qui avaient surtout l'avantage d'être si léjgères 
qu'elles étaient traînées et manœuvrées par deux hommes 
ou par un cheval, étaient formées d'un cylindre de cuivre 
battu, très-mince; la chambre, de même métal, était ren- 
forcée de quatre bandes de fer; des cordes s'enroulaient 
sur la pièce dans sa longueur et un cuir bouilli et coloré en- 
veloppait le tout. Cette artillerie s'échauffait difficilement, de 
sorte qu'on en tirait un grand nombre de coups sans être 
obligé de la rafraîchir (*). 

En matière d'organisation des corps et de tactique les pro- 
grès de Gustave consistèrent surtout en ce qu'il réduisit l'ef- 
fectif des unités ordinaires et la profondeur des troupes ; il 
amincit l'ordonnance, accéléra les mouvements, régularisa 
les débandés ou tirailleurs et consacra le système des dou- 
bles lignes à intervalles et des réserves. 

Sa compagnie ou enseigne d'infanterie (fœhnlein^ d'après 
les auteurs allemands), comptait 120 à 140 hommes^ placés 
sur six rangs; huit compagnies formaient un régiment, mais 
on combattait le plus souvent par compagnie ou groupes de 
deux ou trois compagnies. Plus tard, pour les campagnes 
d'Allemagpe, il porta le régiment à 12 compagnies, se subdi- 
visant tactiquement en trois quatemes. 

La compagnie de cavalerie eut la même force, mais les 
hommes ne se plaçaient que sur quatre rangs. Chaque com- 
pagnie se divisait en deux escadrons, l'escadron en deux 
cornettes; quelques compagnies, de trois à six ordinaire- 
ment, formaient le régiment de cavalerie. 

On réunissait aussi quelques régiments, de deux à quatre, 

(1) MauviUon H, p. 23. 

TOME II. 7 



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— 98 - 

en unité supérieure appelée brigade, et où se trouvaient 
souvent des troupes de toutes armes. 

Pour le combat, les forces se rangèrent sur deux lignes à 
intervalles, avec une réserve pour chaque ligne. C'est par là 
surtout que Gustave fut novateur comme capitaine. On trou- 
vait déjà des ordres de bataille à peu près semblables chez 
les Espagnols, dont la brigade ou le bataillon se formait en 
trois ou quatre échelons sur trois lignes, à l'imitation des 
Suisses, avec une légère adjonction, comme suit. 



Brigade espagnole. 



Maurice de Nassau, lui aussi, avait ordinapirement divisé 
sa bataille et ses ailes en deux ou trois lignes chacune, sans 
compter que la bataille et les ailes, autrement appelées cen- 
tre, avant-garde et arrière-garde, pouvaient être elles-mê- 
mes échelonnées, ce qui conduisait à la possibilité d'une 
profondeur de neuf lignes ou échelons. 

De même Henri IV employa quelquefois dans les guerres 
de religion des lignes- successives et des réserves. 

Gustave-Adolphe régularisa ce système et eut toujours au 
moins deux lignes générales, se subdivisant encore, dans le 
sens de la profondeur, en d'autres lignes que nous indique- 
rons plus loin. 

Dans le sens du front, chaque ligne comprenait les trois 
fractions ordinaires : la bataille ou le centre, les ailes ou l'a- 
vant-garde et l'arrière-garde. Suivant la manière dont s'en- 
gageait l'action, toute la seconde ligne était parfois aussi 
appelée arrière-garde. 

Le centre de ces lignes était surtout composé d'infanterie. 



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— 99 — 

groupée en brigades à intervalles dont nous parlerons tout 
à l'heure. Chacune de ces brigades était soutenue, plus en 
arrière, par de petites réserves de cavalerie; dans les inter- 
valles des brigades de première ligne prenaient place les 
canons légers. 

Les ailes étaient surtout composées de cavalerie, par esca- 
drons à intervalles; dans ces intervalles se plaçaient des 
pelotons de mousquetaires, et derrière les ailes de la pre- 
mière ligne se trouvaient aussi des réserves de quelques 
escadrons. Les lignes devaient être à 3Ô0 pas de distance, 
les corps dans la ligne à au moins vingt pas d'intervalle et 
permettre le passage des lignes. 

Quant aux brigades d'infanterie, elles étaient non-seule- 
ment séparées entr'elles par des intervalles, mais disposées 
en plusieurs lignes ou échelons. 

Ordinairement, le régiment complet de 12 compagnies 
formait la brigade normale. Avec des régiments plus faibles 
on réunissait plusieurs régiments en tout ou en partie. La 
brigade se fractionnait en trois quaternes de 4 compagnies 
chacune. Chaque quaterne formait un groupe à part ayant 
au centre ses piquiers et sur les deux ailes ses mousquetai- 
res; et les trois quaternes se disposaient normalement sur 
deux lignes comme suit : 



Brigade suédoise. 



, 192 piquiers. 
144 mousquetaires. 



192 p. 192 p. 



72 m. 72 m. 72 m. 72 m. 

le premier quaterne en avant au centre, avec ses mousque- 
taires en avant, ou sur les ailes, ou en arrière ; les deux 



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autres quaternes en arrière à droite et à gauche avec leurs 
mousquetaires habituellement aux ailes. 

La brigade normale d'infanterie, ou plutôt le régiment de- 
vant le former (*), était de 1224 combattants, sans les états- 
majors, dont 576 piquiers et 648 mousquetaires, soit par 
quaterne 492 piquiers et 216 mousquetaires, ou par compa- 
gnie 48 piquiers et 54 mousquetaires. Mais sur le nombre 
de 648 mousquetaires de la brigade, 216 étaient détachés en 
groupes de tirailleurs entre les escadrons de cavalerie ou à 
d'autres postes spéciaux. Ce qui restait à la brigade, soit 
576 piquiers et 432 mousquetaires^ était divisé en trois corps 
de 192 piquiers chacun et en 6 corps de 72 mousquetaires- 
chacun encadrant, par paire, les précédents. 

Ces trois échelons et les deux armes qui les composaient 
se soutenaient et se flanquaient mutuellement. Quand les 
mousquetaires avaient lâché leurs feux, ils se repliaient 
pourVecharger, derrière les piquiers, qui les protégeaient 
contre la cavalerie. Tous étaient sur six rangs, mais les rangs- 
pouvaient se*dédoubler, et les mousquetaires étaient exer- 
cés à tirer sur trois rangs, le premier se mettant à genoux. 
Les trois groupes pouvaient se réunir sur une même ligne 
continue, offrant un front coupé de piquiers et de mousque- 
taires alternativement ; ou bien tous les mousquetaires pou- 

(1) Les termes techniques de ces unités et de leurs subdivisions offrent beau* 
coup de vague, augmenté encore par les traductions. Le régiment se divisait en 
compagnies ou enseignes. 

Un régiment, soit d'infeinterie, soit de cavalerie, comptait comme officiers supé- 
rieurs 1 colonel, un lieutenant-colonel, un sergent-major ; puis un quartier-maitre, 
un prévôt avec ses archers, 4 chirurgiens, 1 aumônier, 8 vivandiers, 1 tambour- 
maître. 

Une compagnie avait 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 enseigne, 2 bas-offîciers, 2 
tambours. 

Quant aux expressions de brigade^ de bataillon, de manche, à'escadron, qui se 
rencontrent aussi dans les écrivains du temps, elles n'ont pas toujours une défi- 
nition précise et analogue, ce qui s'explique par la nature même de la matière. Le 
régiment était ordinairement une dénomination administrative, tandis que les 
bataillons, les brigades, les escadrons étaient des unités de combat très-variables 
suivant les circonstances et les effectifs disponibles; voir page 61. 



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— 401 — 

raient se grouper en une seule ligne devant ou derrière les 
piquiers ; tout comme les trois quaternes pouvaient se met- 
tre en colonne les unes derrière les autres sur front plus ou 
moins réduit, ou avoir deux quaternes en première ligne et 
un en réserve. 

On voit par là que le système de Gustave-Adolphe cons- 
tituait un ordre essentiellement ouvert , mince , rappe- 
lant un peu la légion très-maniable de César, et se prêtant 
à un grand nombre de combinaisons tactiques, dont nos 
présents règlements d'infanterie peuvent facilement donner 
une idée. 

En face des gros et lourds bataillons allemands, espagnols 
et hongrois, qui existaient encore d'après la tradition de 
la phalange suisse, on peut dire que l'innovation suédoise 
réalisait un progrès incontestable. Et si ce progrès ne 
manquait ni de racines, ni même d'exemples dans le 
passé, y compris la phalange garnie d'Alexandre, il faut 
au moins reconnaître que Gustave sut le ressusciter et 
l'appHquer à propos, et qu'il fut le premier à lui donner 
l'autorité suffisante pour l'acclimater dans les armées mo- 
dernes. 

D'ailleurs sa sollicitude éclairée s'était portée sur bien 
d'autres branches des choses militaires. 

Non-seulement l'organisation et l'armement, qui se lient 
de près à la tactique, avaient été perfectionnés comme nous 
l'avons dit ci-dessus, mais l'équipement avait été l'objet de 
ses soins attentifs. Les anciens étuis cylindriques de fer- 
blanc ou de bois, portés en bandouillère et contenant les 
charges pour l'infanterie et les diverses poires à poudre, fu- 
rent changés contre le porte-cartouches ou la giberne en 
cuir, aussi en bandouillère, et portant des cartouches prêtes 
à chaîner. 

11 introduisit, ou plutôt il régularisa l'introduction des 



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— 102 — 

uniformes par régiment (*). Dès lors, on désigna souvent ses 
régiments par la couleur de leur tenue, qui était aussi celle 
de leur drapeau, en ajoutant, pour les couleurs à double, 
l'épithète de jeunes ou de vieux, comme le jeune bleu, le 
vieux blanc. Les régiments avaient aussi des noms de pro- 
vince ou de personnages qu'on voulait honorer, comme dans 
l'Empire. 

Chaque soldat était pourvu d'une casaque à la couleur du 
régiment ; pour l'hiver, cette casaque ou capote était dou- 
blée d'une peau de mouton, ce qui en faisait une sorte de 
cuirasse. 

Le roi portait lui-même une casaque de drap aux couleurs 
mélangées,, et par-dessus une demi-armure en métal léger 
ou en peau de buffle. Sa coiffure était un simple chapeau 
gris avec un panache vert. 

S'efforçant constamment de soigner le moral de ses trou- 
pes, il y faisait régner une sévère discipline, qui trouvait ses 
compensations dans un généreux système de faveurs accor- 
dées aux plus méritants. Le châtiment et la récompense 
marchaient ainsi de front, cherchant sans cesse à exciter 
aux sentiments du devoir et de l'honneur. Les bonnes habi- 
tudes religieuses du temps y aidaient considérablement. La 
piété y était en grande vénération , et Gustave-Adolphe le 
premier en donnait l'exemple. Le culte public était un devoir 
d'office. La prière avait lieu deux fois par jour avec chants 
de psaumes. Chaque dimanche toute la troupe se rendait 
solennellement à l'Eglise ou à un service divin au camp. Le 
blasphème, l'ivrognerie, le pillage, le vol étaient sévèrement 
punis ; le duel interdit ; en revanche un conseil d'honneur 
tranchait les différends des officiers entr'eux. Dans chaque 

(1) Le< uniformes existaient déjà depuis longtemps en Allemagne et n'ont point 
été inventés par Gustave- Adolphe, encore moins par Louis XIV, comme quelques 
écrivains français l'ont dit et le répètent encore. Mais ils existaient par petits 
£orps, par compagnies surtout, non par régiments ou par armes. 



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— 403 — 

régiment un aumônier possédait des attributions disciplinai- 
res pour le maintien des bonnes mœurs. La subordination 
s'observait rigoureusement d'un grade à l'autre ; l'inférieur 
devait obéir sans hésiter ni raisonner. Le supérieur qui lais- 
sait impunie une faute à lui connue en devenait personnel- 
lement responsable. Seul le porte-drapeau ne punissait pas. 
11 avait même, le droit de grâce pour quelques peines et le 
droit d'intercession pour d'autres. Bel usage, qui donnait 
quelque chose de plus sacré encore à l'emblème de la 
patrie ! 

En campagne les troupes logeaient presque toujours sous 
la tente. Les camps étaient retranchés et fortifiés à l'imita- 
tion de ceux des anciens Romains ; ils présentaient souvent 
l'image d'une ville bien policée ; la plus grande propreté y 
régnait, ainsi qu'une activité incessante. Tous les jours les 
hommes faisaient l'exercice; souvent les chefs les passaient 
en revue. 

Le roi Gustave prenait la peine d'instruire lui-même ses 
officiers ; il les connaissait presque tous par leurs noms, les 
avançait ordinairement à l'ancienneté, parfois au choix, 
mais exceptionnellement. Nul ne pouvait obtenir un grade 
avant d'avoir été simple soldat. On voulait qu'ils sussent obéir 
avant de commander. 

En résumé, nous retrouvons dans les prescriptions de 
^Gustave- Adolphe des principes passés depuis lui dans tous 
les règlements et encore en pleine vigueur de nos jours. 

Sous tous ces rapports, à la fois habile imitateur des an- 
ciens et sage novateur, il fut le véritable créateur de l'art 
mihtaire moderne, qui, depuis lui, resta longtemps sur le 
même type^ Il ne faudra plus qu'une minime invention mé- 
canique, la bayonnette, pour donner à l'ordonnance sué- 
doise, avec un peu d'amincissement déplus, la forme qu'elle 
prit à la fin du siècle dernier et qui est encore, à peu de 



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— 404 — 

chose près, celle en vigueur dans toutes les armées civili- 
sées. 

Quant aux qualités plus relevées de Gustave comme homme 
de guerre, déployées en campagne et du domaine de la stra- 
tégie et de la grande tactique, ce que nous avons déjà dit et 
ce qui nous reste à dire de la guerre de Trente-Ans, suffit à 
en indiquer le mérite. 

Après la guerre de Pologne, possesseur d'une partie de la 
Finlande, de la Livonie, de la Prusse, la Suède pouvait bien 
espérer de mettre sur pied 80 à 90 mille hommes. C'était 
peu contre les adversaires qu'elle allait braver. Mais le grand 
nombre des ennemis n'effrayait point Gustave; il répondait 
à ceux qui s'en préoccupaient que les coups à porter seraient 
d'autant plus sûrs, car il connaissait toute la supériorité que 
peuvent donner la mobilité et la discipline d'une petite armée 
bien commandée sur des masses lourdes, incohérentes et 
mal utilisées. La pompeuse réputation de ses deux princi- 
paux adversaires, Wallenstein et Tilly, ne l'éblouissaient pas 
davantage. Ayant suivi leurs exploits, il faisait peu de cas 
du premier comme chef d'une armée d'opérations, et il dési- 
gnait habituellement le second par l'épithète de « vieux capo- 
ral, » jugement que l'histoire impartiale ne peut que ratifier, 
tout en reconnaissant en ces deux hommes de guerre une 
virile activité, une forte trempe de caractère et maintes au- 
tres qualités qui complètent et grandissent un capitaine, 
mais ne sauraient le créer. 

C'est avec cette confiance dans ses forces et avec l'espoir 
que de premiers succès lui amèneraient des auxiliaires, qu'il 
résolut de reprendre sans plus tarder le rôle qu'avait dû 
abandonner le malheureux roi de Danemark. Une consulte 
qu'il tint à cette occasion montre que ce n'est pas à la légère 
qu'il se lança dans sa gigantesque entreprise. Tout fut pesé 



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— 105 — 

et soigneusement discuté entre lui et ses sénateurs, débats 
-vraiment remarquables, établissant que non-seulement une 
franche et parfaite liberté régnait dans la haute administra- 
tion du pays, mais que celle-ci, s'inspirant des vues de son 
chef, possédait les notions les plus justes et les plus élevées 
en matière de politique militaire et de stratégie. Les diver- 
ses hypothèses de la guerre qui allait s'ouvrir furent sondées 
avec autant de discernement que de prévoyance, et la réso- 
lution finale en faveur d'une vigoureuse offensive déduite en 
toute connaissance de cause. Aujourd'hui encore maint 
homme d'état trouverait là un modèle de discussion straté- 
gique (*). 

Fort de l'appui de tout son peuple, dont il était l'idole, 
de l'appel des protestants allemands, des promesses de la 
France et de l'Angleterre, Gustave activa ses préparatifs. En 
attendant leur issue il ne négligea pas de veiller d'aussi 
près que possible à ce qui se passait sur le théâtre de la fu- 
ture guerre. 

Déjà lors des premières négociations du traité de Lubeck 
il s'était interposé en faveur des vaincus ; il s'interposa tout 
particulièrement encore en faveur de Stralsund, assiégée par 
l'amiral Wallenstein, mais du côté de terre seulement. Ses re- 
commandations ayant été fort mal reçues et bafouées, il fit 
un pas de plus; il soutint ouvertement Stralsund par une 
garnison qui aida aux bourgeois de la ville à se maintenir et 
même à infliger de graves pertes aux Impériaux. 



(1) Voir à cet égard Mauvillon, Histoire de Gustave- Adolphe, vol. 2, p. 280, et 
•Grimoard, Histoire des conquêtes de Gustave- Adolphe en Allemagne, 3 vol. in 8. 
Veuchfttel 1789. Vol. i, p. 410, deux consciencieux ouvi*ages qui forment nos prin- 
cipales sources suédoises pour cette période. Voir aussi l'Histoire de la guerre de 
Trente- Ans, par Schiller; Geyer, Histoire de la Suède; Chemnitz, Kœniglich 
Schwedischer in Teutschland gefôhrter Krieg.... Stettin, 1658. 2 volumes in-fol.; 
€ualdo, Historia délie guerre di Ferdinando H e Ferdinando UI imperatori e del 
re Filippe TV di Spagna contre Gustavo-Adolfo re di Suetia et Luigi XHl re di 
Francia, 1630-1640. Venise 1640. 



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— 406 — 

Toutefois, avant de rompre sans retour avec l'Empire, il 
nantit Vienne, au printemps de 4630, par l'intermédiaire de& 
Danois se posant en médiateurs, de ses dernières conditions- 
d'accommodement. 

Ces conditions renfermaient les sept points principaux 
suivants bons à noter comme résumant la situation politi- 
que des parties belligérantes. 

« 4° Que les troupes impériales évacueraient entièrement 
» les cercles de Haute et de Basse-Saxe ; 2« que" les forts 
y> construits par le duc de Valstein sur les côtes de la 
» Baltique, seraient rasés ; 3» que les ports situés sur cette 
» mer et le commerce jouiraient comme auparavant de la 
:» plus grande liberté ; 4° que la cour de Vienne licencierait 
D ses matelots et renoncerait à tout établissement maritime; 
» 5* que le duc de Poméranie et les autres princes ou états 
» protestants de l'Allemagne, opprimés par la maison d'Au- 
:d triche, seraient rétablis dans leurs droits et privilèges ; 
» 6® qu'on remettrait incessamment en possession de leur 
:» principauté les ducs de Meckelbourg ; et que s'ils étaient 
» jugés coupables par le collège électoral et par la diète de 
» l'Empii'e, on les condamnerait seulement à une amende 
y> pécuniaire pour laquelle Gustave les cautionnerait ; 7» que 
j> l'empereur cesserait d'attenter à la liberté de la ville de 
» Stralsund; qu'il la dédommagerait des pertes qu'elle avait 
» souffertes, et qu'alors la garnison suédoise sortirait de la 
» plac^ ; 8» enfin que les cours de Vienne et de Stockholm 
» ne fourniraient aucun secours à leurs ennemis mutuels (*). » 

Comme on pouvait s'y attendre, la cour de Vienne op- 
posa un refus 'péremptoire à des négociations sur de telles 
bases. Elle ne craignit pas d'y joindre force moqueries con- 
tre les prétentions de ce « roi de neige qui voulait se venir 

(i) Grimoard, 1, 431. 



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- 407 — 

fondre au soleil allemand, » Wallenstein promit de même 
de le reconduire à coups de verges. 

Il résulta de ces dispositions réciproques que les hostilités 
éclatèrent avant Tété de cette même année. 

Le 20 mai, Gustave fit de solennels et touchants adieux à 
la réunion des députés du royaume, puis il ordonna de met- 
tre à la voile. 

La flotte, réunie à ElÉsnaben, près de Stockholm, comp- 
tait 30 vaisseaux de guerre et 200 transports avec six mille 
matelots et une nombreuse artillerie. Elle portait environ 
quinze mille hommes de terre avec cinq mille chevaux. Ces 
forces étaient réparties en 92 compagnies d'infanterie et 46 
de cavalerie, suivant le mode dont nous avons parlé plus 
haut. Elles abordèrent à l'île de Ruden sur la fin de juin 
4630. Débarqué le premier, Gustave se prosterna en vue 
des troupes, priant le Dieu des armées de favoriser son 
entreprise. Aussitôt il s'occupa de se relier aux troupes sué- 
doises déjà sur le continent, à savoir six mille hommes à Stral- 
sund et à peu près autant en Prusse, et à s'assurer les meil- 
leures positions de la côte. Il s'établit entr'autres aux îles 
de WoUin, de Rugen et aux embouchures de l'Oder. La ville 
de Stettin, sur ce dernier point, qu'il se fit remettre" par le 
duc de Poméranie, et celle de Stralsund, qui lui était dévouée, 
lui fournirent ses deux bases principales. 

En juillet déjà, et au prix de quelques escarmouches 
seulement, il était solidement installé dans ces deux places 
où il fit élever des retranchements, des chantiers, des arse- 
naux, des magasins et réunir de grands approvisionnements. 
De là il se proposait de remonter le cours de l'Oder qui lui 
fournirait, grâce à sa supériorité maritime, une avantageuse 
ligne d'opérations et de ravitaillement. 

Mais tout ce pays était hérissé de places fortes, dans les- 
quelles, suivant la vicieuse habitude du temps, s'éparpil- 



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— 408 — 

laient de nombreuses garnisons. Derrière cette protection 
trompeuse, le gouvernement impérial ne s'était pas pressé 
d'agir à Tenôontre de la marche des Suédois. Endormi dans 
une fausse et dédaigneuse confiance, il avait même sacrifié 
Wallenstein aux rancunes de ses envieux. Ce général avait 
été disgracié, puis formellement mis à la retraite, et une 
portion de son armée licenciée, entr'autres plusieurs mille 
cavaliers qui avaient été aussitôt enrégimentés sous les dra- 
peaux suédois. 

Si le réseau de places fortes couvrant les régions côtières 
était impuissant à avoir raison de Gustave-Adolphe, il lui 
imposait néanmoins de la prudence et de la méthode pour 
maintenir ses communications. Avant de se lancer au cœur 
de l'Allemagne, il voulut être sûr de ses derrières, et pour 
cela s'installer solidement dans la Poméranie, dans le Meck- 
lembourg et le Brandebourg. A cet effet il dut entreprendre 
de nombreux sièges et blocus qui l'occupèrent plusieurs 
mois. 

Les Impériaux, dont Tilly était devenu le généralissime, 
n'avaient guère sous les armes qu'environ 80 mille hommes. 
Ils formaient deux armées principales à peu près égales : 
celle enlevée à Wallenstein vers la Baltique aux ordres de 
Torquato di Conti, et celle sous Tilly lui-même, i^épandue 
dans l'Allemagne centrale. 

Directement opposé aux Suédois ^ Torquato, outre de 
nombreuses garnisons détachées, s'était concentré autour 
des places de Garz et de Greiffenhagen, pour barrer la ligne 
de l'Oder. Mais il fut rejeté dans ces places et bloqué ; bon 
nombre d'autres villes eurent le même sort, notamment 
€olberg, Damm, Stargart, Cammin, Rostock. Gustave com- 
manda bientôt tout ce pays, soit par ses troupes, dont la 
forte discipline et la bonne conduite contrastaient avec les 
déprédations des soldats impériaux, §oit par sa politique 



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- 409 — 

conciliante auprès des princes et des autorités. Au bout de 
cinq mois, trois seules villes, Greiffswald, Damin et Golberg, 
lui résistaient encore, et, chose singulière, ces premiers et 
importants succès n'avaient été entravés par aucune tenta- 
tive sérieuse de ses adversaires. 

Sortant enfin de sa torpeur le gouvernement impérial 
envoya quelques renforts sous Schaumburg, remplaçant 
Torquato disgracié, et les Impériaux se concentrèrent à 
Francfort-sur-l'Oder ; ceux qui s'y replièrent de la Poméra- 
nie ne manquèrent pas de tout ravager sous leurs pas. Ils 
occupèrent aussi Landsberg sur la Wartha et quelques 
autres places, de sorte qu^avec ces détachements il ne leur 
restait guère à ce moment, pour livrer bataille, qu'une 
quinzaine de mille hommes, dont 4 à 5 mille cavaliers. Ce 
n'est donc pas tout à la guerre de disposer de vastes Etats ; 
il faut en tirer à temps les ressources militaires qu'ils offrent. 
Cela l'empereur, soit par orgueilleux dédain, soit par vice ad- 
ministratif, n'avait pas encore su le faire. Dans cet état d'in- 
fériorité momentanée, il fit proposer sans trop de honte à 
Gustave- Adolphe de conclure un armistice pendant l'hiver. 
Mais celui-ci ne pouvait être dupe de cette proposition ; il 
répondit que les Suédois ne connaissaient pas d'hiver. En 
effet ils étaient robustes, aguerris, habitués aux intempé- 
ries, et l'hiver de l'Allemagne pouvait leur sembler doux. 
D'ailleurs leur bonne casaque en peau de mouton leur per- 
mettait de tenir la campagne en tout temps. Ils continuè- 
rent leurs progrès sans rencontrer grande résistance. 

A ce moment d'utiles diversions se produisaient aussi en 
leur faveur. 

Le cabinet de Paris venait de signer avec eux le traité 
d'alliance et de subsides de Berwald (13 janvier 1631) ; sa 
diplomatie redoubla d'activité pour seconder l'effet de ce 
traité. Elle eut une bonne part dans diverses complications 



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— 110 — 

politiques produites par les empiétements incessants du 
pouvoir impérial. 

Tandis que de graves dissensions continuaient à ronger 
le parti de la Ligue, même après la retraite imposée de 
Wallenstein, au point que Maximilien de Bavière dut se ména- 
ger quelques garanties de liberté dans des relations plus 
intimes avec la France, les princes protestants réussirent à 
s'entendre pour une action commune et plus ou moins liée 
à celle des Suédois. Réunis à Leipsig, ils y décidèrent, en 
février 1631, de soutenir plus ouvertement leurs droits, de 
demander collectivement à Ferdinand II de révoquer Tédit 
de restitution, de retirer de leurs Etats et de leurs forteres- 
ses les troupes impériales, d'annuler les arrêts prononcés 
contre les membres protestants de la diète germanique et 
de réformer tous les abus contraires à la constitution de 
l'Empire ; enfin ils décidèrent aussi d'appuyer leur demande 
par une levée de 40 mille hommes. Ce mouvement pouvait 
être très-favorable aux Suédois ; par malheur ses deux prin- 
cipaux chefs, les électeurs de Saxe et de Brandebourg, hési- 
taient encore, soit par crainte, soit par fierté, à entrer dans 
leur alliance et visaient à jouer le rôle plus flatteur d'ar- 
bitres nationaux entre l'Empire et l'étanger, jeu qui pouvait 
être dangereux. 

Plus décidés et plus francs, les ducs de Mecklembourg, 
qui avaient aussi plus souffert des brutales rapines de leur 
spoliateur Wallenstein, levèrent des troupes pour seconder 
de leur mieux celles de Gustave. Cette petite armée, aux or- 
dres du duc de Saxe-Lauenbourg, se comporta vaillamment 
dans la Basse-Saxe et se chargea aussi de la place de Ros- 
tock. 

Enfin une ville importante et des plus riches de l'Allema- 
gne, la place de Magdebourg sur l'Elbe, s'insurgea en faveur 
du parti protestant. Son administrateur en titre, Ghristian- 



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— 114 ^ 

Ouillaume de Brandebourg, zélé pour la Réforme, en avait 
été dépossédé par les Impériaux au profit d'un frère de 
l'Empereur, l'archiduc Léopold. Mais après avoir noué des 
relations avec la Suède, dont il s'assura la protection, Chri- 
stian-Guillaume rentra déguisé à Magdebourg. Les habitants 
soulevés chassèrent la garnison impériale et proclamèrent 
leur alliance avec les Suédois. Malheureusement ceux-ci 
étaient loin encore. Gustave ne put être que peu satisfait de 
ces prouesses prématurées ; il envoya néanmoins aux Magde- 
iourgeois un ofificier expérimenté, Thierry de Falkenberg, 
pour les commander et la promesse de les secourir aussitôt 
qu'il le pourrait. 

En attendant Tilly arriva devant Magdebourg, battit sa 
petite armée, mais ne put s'emparer de la ville, qui repoussa 
avec une égale énergie ses attaques et ses sommations 
{janvier 1631). 

D'autant plus libre par cet incident Gustave-Adolphe put 
continuer ses cheminements dans le Nord. Il avança ses 
> sièges, particulièrement ceux de Demin qu'il dirigeait lui- 
même avec 16 mille hommes, et de Landsberg conduit par 
son lieutenant Horn avec 9 mille hommes. Mais ces places 
étaient solides et bien gardées'; les progrès des assiégeants 
ne se firent qu'avec lenteur et du secours allait leur arriver. 

Tilly, bravé par les Magdebourgeois, les fit assiéger régu- 
lièrement par un de ses lieutenants, Pappenheim, et il se 
porta enfin à la rencontre de Gustave-Adolphe. Au com- 
mencement de février 1631 il atteignit Francfort-sur-l'Oder ; 
il y organisa une bonne garnison de cinq mille hommes et 
d'artillerie, et avec le reste de ses forces, soit environ 25 
mille hommes et 25 canons, il se dirigea vers le nord par 
Ruppin, au secours de Demin. 

Voyant approcher cet orage Gustave brusqua l'attaque de 
Demin qui capitula le 15 février après trois jours de bom- 



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— H2 — 

bardement. Malchin suivit de près, ce qui lui ouvrait l'en- 
trée du Mecklembourg. Il fit aussitôt mine d'y marcher 
pour tromper Tilly qui pendant ce temps s'était arrêté à 
reprendre de petites places, entr'autres Neu-Brandebourg 
dont la garnison suédoise fut massacrée sans pitié. 

Donnant dans le piège, Tilly se porta en Mecklembourg- 
où Gustave l'entretint par de légers détachements, tandis 
qu'il retournait à Stettin pour reprendre son projet contre 
Francfort-sur-l'Oder. Gomme il l'organisait il obtint un nou- 
vel avantage par la reddition de Colberg, le 2 mars, que ses 
lieutenants assiégeaient depuis huit mois. 

Joué en Mecklembourg Tilly en sortit pour revenir aux 
masses suédoises et surveiller leurs projets qu'il ne pouvait 
encore pénétrer. A cet effet il s'établit à Ruppin, position 
centrale favorable à son but et d'où il pouvait se porter 
également bien sur le Mecklembourg ou dans les Marches 
et peser sur la conduite de l'électeur. 

Mais Gustave était trop habile et trop délié pour laisser 
longtemps cet avantage à son adversaire. J.ui aussi il prit 
une position centrale vers Schwedt et Friedland, tout en se 
créant sans bruit des ponts sur l'Oder. 

De là il continua ses diversions par plusieurs pointes de 
droite et de gauche, surtout vers le Mecklembourg. Tout 
à coup il se déroba et s'élança sur Francfort par les deux 
rives de l'Oder. Il arriva le 27 mars devant cette place, où 
se trouvaient huit mille hommes sous les ordres de Schaum- 
burg, mais en disgrâce et allant être remplacé par le géné- 
ral Tiefenbach. Après une vigoureuse canonnade qui fit une 
brèche praticable, la ville^ fut enlevée d'assaut le 3 avril. 
Quatre mille hommes y furent passés au til de l'épée en 
représailles du massacre de Neu-Brandebourg. Le reste 
s'enfuit sur Glossau en perdant encore de nombreux pri- 
sonniers en route. Toutes les villes importantes de la con- 



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— «3 — 

trée partagèrent le sort de Francfort ; la place de Lands- 
berg entr'autres, vainement bloquée depuis plusieurs mois, 
devint un précieux trophée pour les vainqueurs. 

Tilly n'ayant pu prévenir ces brillants succès de son 
adversaire avait voulu au moins les compenser par des suc- 
cès correspondants. Aussitôt qu'il vit Gustave s'éloigner 
vers Francfort, il retourna aux Magdebourgeois pour en 
finir avec leur opiniâtre résistance. Arrivé sous leurs murs 
il en fit recommencer l'attaque dès les premiers jours d'avril. 
Les forts extérieurs furent facilement enlevés et la ville blo- 
quée sur les deux côtés de l'Elbe par Tilly et Pappenheim. 
Mais, confiants dans les secours prochains de Gustave, la 
garnison et les bourgeois rivalisèrent d'héroïsme pour pro- 
longer la défense. Ils allèrent ainsi jusqu'à la fatale nuit du 
9 au dO mai pendant laquelle, endormis par un adroit par- 
lementaire, ils furent victimes d'une cruelle surprise. Cinq 
jours durant la ville fut si bien saccagée, brûlée, ensan- 
glantée que Tilly put dire l'exacte vérité en mandant à 
l'empereur que « l'on n'avaitjamaisrien vude pareil depuis 
la destruction de Jérusalem et de Troie. » 

Ces horribles scènes causèrent une joie féroce au parti 
catholique et glacèrent les protestants. Gomme toujours 
ceux-ci éclatèrent en récriminations les uns contre les 
autres. Ils ne s'entendaient que pour se plaindre plus forte- 
ment de Gustave-Adolphe; les uns l'accusaient même de 
lenteurs perfidement calculées, tandis que d'autres se pri- 
rent à douter de ses aptitudes comme homme de guerre. (*) 



(1) Nous retrouvons môme un écho de ces doutes dans une récente brochure 
française, fort intéressante du reste, signée un garde national mobile^ intitu- 
lée Introduction à la science de la guerre et publiée par le Spectateur militaire. 
— L'auteur (voir page 27) parait croire qu'en cette circonstance Gustave man- 
qua de décision en ne forçant pas le passage de l'Elbe près de Wittemberg. Or on 
sait qu'il ne fut retenu que par d'honnôtes, mais excessifs ménagements enver 
ses alliés de la Saxe et du Brandebourg qui, eux, calculaient plus qu'ils ne Tau-s 
raient dû les chances de la politique. 

TOHB n. 8 



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- 114 — 

Il fut obligé de justifier sa conduite publiquement pour ne 
pas perdre la confiance de ses coreligionnaires, apologie 
dans laquelle il put facilement prouver que de puissants obs- 
tacles l'avaient seuls empêché de secourir ses alliés de 
Magdebourg. Le grand écrivain allemand qui a présenté un 
tableau à la fois si impartial et si dramatique de cette guerre, 
admet pleinement la justification de Gustave (*). 

Le vainqueur annonça lui-même sa victoire aux princes 
protestants avec son arrogance habituelle et il y joignit 
promptement toutes les mesures propres à utiliser la ter- 
reur de cette catastrophe. Le pacte de Leipsig fut solen- 
nellement annulé. Brème, Nuremberg, Erfurt, Francken- 
hausen, Ulm, le Wurtemberg, la Hesse-Gassel, l'électorat 
de Saxe furent directement menacés et frappés, si bien que 
le désespoir finit par rendre le courage aux timides et que 
du sein des ruines de Magdebourg, ajoute Schiller, les liber- 
tés germaniques se relevèrent triomphantes. 

Le landgrave de Hesse-Cassel vainement sommé par Tilly 
de se soumettre fut le premier envahi par les bourreaux de 
Magdebourg, mais il se défendit vigoureusement et battit 
en Thuringe deux corps successivement lancés contre lui. 
Tilly crut devoir alors se rendre personnellement dans la 
Thuringe avec des renforts et en laissant à Pappenheim la 
garde de la place conquise et de sa région. Le landgra- 
viat de Hesse-Cassel allait payer cher sa conduite énergique, 
lorsque de nouveaux mouvements des troupes suédoises 
effrayèrent Pappenheim qui demanda du renfort à Tilly, ce 
qui fit rétrograder celui-ci vers Magdebourg. 

Gustave venait en effet de se résoudre à en finir avec le 
double jeu et avec les hésitations de ses alliés. Jusqu'à ce 
moment la politique douteuse des princes de Brandebourg 

(1) Voir Schiller. Gtlerre de Trente-Âns, traduction de Madame la baronne de 
Garlowitz, pages 193-4* 



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^ 115 — 

et de Saxe, tout en gênant les mouvements en avant 
• qu'il aurait projetés, ne lui avait pas été très-préjudiciable. 
N'ayant pas assez de forces pour se lancer au cœur de l'Al- 
lemagne sans s'assurer des places laissées sur ses derrières, 
les sièges qu'il avait dû £aire lui avaient aussi permis de 
veiller de près à son entourage. Mais le moment d'avancer 
arrivait; des renforts étaient partis de la Suède et de l'An- 
gleterre pour le rejoindre et la dernière place de la Pomé- 
ranie aux mains des Impériaux, Greifswald, allait effectuer 
sa reddition. ^ 

Il signifia donc à l'électeur de Brandebourg, qui réclamait 
avec insistance sa forteresse de Spandau, qu'il allait le trai- 
ter en ennemi et il parut devant Berlin avec son armée 
rangée en bataille. L'électeur Georges-Guillaume, qui peut- 
être ne demandait pas mieux que d'avoir la main publique- 
ment forcée pour se mettre mieux à couvert des reproches 
de l'empereur, s'empressa de céder; il s'engagea à payer 
au roi de Suède une contribution de cinquante mille écus 
par mois et à lui fournir toutes les places et les ressources 
militaires de ses Etats dont il pourrait avoir besoin. 

A ce même moment la place de Greifswald capitulait et 

les renforts annoncés commençaient à arriver en Poméra- 

^ nie. C'étaient huit mille hommes envoyés par le sénat de 

Suède et conduits par la reine et 6 mille Anglais sous lord 

Hamilton. 

Gustave-Adolphe pouvait être désormais tranquille sur 
ses derrières. Pour plus de sûreté il y laissa encore Banner, 
un de ses meilleurs lieutenants, avec un corps mobile. Quant 
à lui il décida de s'établir sur la ligne de l'Elbe, où, à proxi- 
mité des masses ennemies, il trouverait l'occasion de leur 
livrer une bataille avantageuse. Il réalisa son dessein, sinon 
d'une manière complète, au moins en déployant en plusieurs 
circonstances un génie de capitaine aussi fécond qu'entre- 



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— 446 — 

prenant. Arrivé par Jéricho en face de Tangermûnde, il s'y 
trouva devant le corps de Pappenheim détaché de Magde- 
bourg et gardant avec vigilance les rives du fleuve. Gustave 
fit mine alors de se diriger sur Magdebourg. Pappenheim 
s'y porta en toute hâte. Gustave l'y laissant courir, se déroba^ 
revint rapidement sur ses pas, franchit le fleuve près de 
Tangermûnde et enleva cette ville. (*) Les nombreux bateaux 
et le matériel qu'il y recueillit lui permirent de jeter plu- 
sieurs ponts sur lesquels il fit passer le gros de son armée. 
Après avoir reconnu la contrée il se fixa à Werben, au con- 
fluent de l'Elbe et du Havel, dans une forte position qu'il 
munit des retranchements et des ponts nécessaires. Il se 
trouva ainsi et sans avoir éprouvé de pertes fort bien posté, 
à cheval sur l'Elbe, de Werben à Tangermiinde. 

Pendant ce temps Tilly était accouru des environs d'Erfurt 
en aide à son lieutenant ; c'était trop tard, comme nous l'avons 
déjà dit. Il se borna à prendre aussi un camp fortifié à Wol- 
mirstaedt. De là il tenta plusieurs attaques contre le camp 
de Werben, qui furent repoussées par la seule canonnade 
et par quelques escarmouches, entr'autres vers Burgstatt 
et vers Angen , où les Impériaux subirent de notables 
pertes; bon nombre d'entr'eux désertèrent et passèrent 
aux Suédois. Malgré maintes pointes et manœuvres de diver- 
sion , désespérant d'obtenir des succès contre le camp de 
Werben , qui était journellement renforcé d'une partie des 
troupes nouvellement débarquées , Tilly se choisit un autre 
objectif. L'électorat de Saxe subirait ses coups et ceux d'un 
corps d'armée impérial de 20 mille hommes rentrant d'Italie 
sous les ordres de Furstensberger. Il se mit donc en marche 
le*24 août sur Leipsig, précédé d'une sommation hautaine 
à l'électeur Jean-Georges de le recevoir en ami docile. 

(1) Le chef de l'avant-garde qui efTectua si bien ce coup de main était ce colo- 
nel R^ntzau, devenu plus tard, ainfei qu'un de ses collègues au service de Suède, 
Gassion, marécWde France. 



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— 147 — 

Tilly choisissait mal son temps pour tenir un langage 
aussi orgueilleux. La conduite et les prétentions des Impé- 
riaux avaient enfin ouvert les yeux des princes protestants 
sur leur véritable situation. Jean-Georges, éclairé autant 
qu'exaspéré par l'invasion de ses Etats, vit qu'il n'avait 
d'autre ressource que de se jeter, sans arrière-pensée, dans 
les bras de Gustave- Adolphe , qui était à portée de le sou- 
tenir. 

Le roi avait décampé de Werben le 26 août, en y lais- 
sant une petite garnison, et il s'était établi vers Brande- 
bourg, sur la droite du Havel. C'est là qu'il reçut la demande 
d'assistance de l'électeur de Saxe par l'intermédiaire du 
feld-maréchal saxon d'Arnheim, qui Jusqu'alors avait plutôt 
agi en faveur de l'Autriche. Quoique charmé de ce résultat, 
Oustave affecta de se faire prier et de recevoir l'envoyé avec 
froideur. Il lui fit savoir qu'il n'avait pas grande confiance 
dans la fermeté et dans la franchise du gouvernement 
saxon , et ce ne fut qu'après plusieurs entrevues et après 
s'être rapproché jusqu'à Coswick, à trois lieues de Wittem- 
berg, qu'il signa le traité d'aUiance et d'amitié semblable 
h celui conclu avec le Brandebourg. La réconciliation se 
scella en cette occasion de la manière la plus complète, et 
Gustave- Adolphe, en même temps qu'il se fit livrer Wittem- 
berg et un mois de solde pour ses troupes, promit amicale- 
ment à l'électeur de le dédommager de ces sacrifices. 

Après cela il passa l'Elbe, le 14 septembre, à Wittemberg, 
et il rallia le lendemain, à Duben, l'armée saxonne arri- 
vant de Torgau. Cette importante jonction ne fut nullement 
<;ontrariée par Tilly qui courait, au contraire, sur Leipsig; 
il se crut aussi habile qu'heureux de pouvoir s'emparer de 
cette ville après trois jours de siège (15 septembre). 

Pendant ce stérile exploit du général impérial , qui ; du 
reste , traita sa conquête avec une modération inattendue , 



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— 118 — 

le roi de Suède tenait un grave conseil de guerre, à TorgaUy 
avec les électeurs de Saxe et de Brandeboui^. Plein du sen- 
timent de sa haute responsabilité , il fit entendre le pour et 
le contre, et après avoir énuméré quelques-uns de ses 
projets pour amener l'affranchissement de l'Allemagne, et 
parlé entr'autres d'une guerre de patience et d'escarmou- 
ches , il engagea encore ses aHiés à méditer calmement la 
grandeur et le péril de leur tâche. « Songez bien, leur dit-il,, 
que nous jetons dans la balance une couronne de roi et deux 
d'électeurs. La fortune est inconstante, et le ciel, dans ses 
mystérieux desseins, peut, pour nous punir de nos péchés, 
accorder la victoire à nos adversaires. Mon armée et moi 
pouvons succomber sans que la Suède , au loin derrière sa 
belle flotte , en soit mortellement frappée , et plus tard elle 
pourrait nous venger. Mais qu'adviendrait-il devons, avec 
l'ennemi à vos portes? » 

Ses interlocuteurs, excités et touchés par cette haute 
sagesse plutôt que refroidis, déclarèrent qu'ils étaient ferme- 
ment décidés à marcher la tête haute et coûte que coûte 
(îontre les Impériaux, pour en délivrer Leipsig et la Saxe au 
plus tôt. Cette résolution détermina le roi à rechercher sans 
délai la bataille. Il pouvait avoir du bénéfice de se presser, 
car l'Empire, secouant décidément. la lenteur habituelle de 
ses débuts, augmentait de jour en jour ses effectifs et de 
nouveaux renforts allaient arriver à Tilly, sous les généraux 
Tiefenbach et Altringer. 

Dans ce but l'armée suédoise-saxonne franchit la Mulda 
à Duben et, marchant par Welhaune, Lindenhayn, Hohen- 
Leyna, elle arriva le 7 septembre en face de l'armée impé- 
riale vers Leipsig. 

Tilly avait décidé très sagement, puisqu'il n'avait su em- 
pêcher la jonction de ses adversaires , d'attendre, pour les 
attaquer, l'arrivée des contingents qui lui était annoncée. 



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— 119 — 

A cet effet il s'était retranché dans une position avantageues 
non loin de Leipsig, sur les collines entre les villages de 
Wahren et de Lindenthal, dominant la vaste plaine de Brei- 
tenfeld. Son armée pouvait se déployer favorablement au 
pied des collines, secondée de Tartillerie sur les sommets. 
En avant dans la plaine, sur les bords du Lobes, deux mille 
cuirassiers, sous Pappenheim, formaient Tavant-garde avec 
Tordre d'éviter toute hostilité qui pourrait entraîner une 
bataille générale. Au mépris de cet ordre, Pappenheim se 
laissa engager et serrer de si près sur Podelwitz et sur le 
gros de l'armée, que la bataille devint inévitable pour le 
7 septembre. 

Ce jour-là les forces protestantes arrivaient des environs 
de Wolkau, en deux colonnes; à droite les Saxons par Zcshol- 
kau et Gœbschelwitz, à gauche les Suédois par Podelwitz. 

Aussitôt qu'éclata le combat dans cette dernière localité, 
elles prirent leur ordre de bataille comme suit : 

Les Suédois eurent en première ligne les quatre brigades 
d'infanterie Oxénstiern, Teuffel, Hall, Winkel, formant le 
centre ou la bataille , et ayant à droite huit et à gauche six 
escadrons de cavalerie. Dans les intervalles de ces esca- 
drons se placèrent huit pelotons de 150 à 180 mousquetaires 
chacun. 

Gomme réserve de cette première hgne , cinq escadrons 
de cavalerie et un millier de mousquetaires se placèrent un 
peu plus en arrière, en trois corps. 

En seconde ligne les trois brigades d'infanterie Thurn, 
Hebron et Vitzthum, au centre ; en aile droite 4 escadrons 
de cavalerie ; en aile gauche 3 escadrons. En réserve deux 
escadrons au centre , avec une portion de l'artillerie et ses 
soutiens. Le reste de l'artillerie se plaça sur les flancs du 
centre, avec quelques pièces légères en première ligne 
dans les intervalles des brigades. 



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— 420 — 

Le roi se réserva le commandement de Taile droite, avec 
Banner pour second ; le centre fut aux ordres de Teuflfel, la 
gauche sous Horn. Le tout se montait à environ 20 mille 
hommes, dont 9000 fantassins aux brigades, 3 mille mous- 
quetaires détachés, 7 mille cavahers et mille canonniers. 

L'armée saxonne se forma sur la gauche de Tarmée sué- 
doise comme suit : 

Au centre cinq régiments d'infanterie, chacun de 10 
enseignes et formés en un triangle de 10 */2 régiments 
échelonnés sur quatre lignes avec un I/2 régiment d'élite 
en pointe ou en avant-garde. A droite et à gauche trois 
régiments de cavalerie à 8 cornettes chacun et 4 cornettes 
de gardes du corps en deux triangles d'échelons de six 
escadrons chacun sur trois lignes. L'artillerie, 42 pièces, 
en réserve et dans les intervalles. Le tout s'élevait à environ 
15 mille hommes, sous le& ordres mêmes de l'électeur qui 
commandait plus spécialement le centre, tandis que le maré- 
chal Arnheim commandait la droite et Bintauf la gauche. 

En outre de cette disposition en coin, la formation des 
Saxons différait de celle des Suédois et se rapprochait plutôt 
de l'ordonnance impériale ou espagnole, qui était encore à 
peu près celle des Suisses, à savoir des carrés ou de gros 
rectangles de fantassins , piquiers , bordés ou prolongés de 
tirailleurs. 

Tilly rangea son armée comme suit : 

Au centre quatorze régiments ou bataillons d'infanterie, 
en cinq groupes, séparés par quatre régiments de cavalerie; 
sur chaque aile six régiments de cavalerie. 

Les intervalles entre ces divers corps divisaient cette 
force, comme d^habitude, en trois masses: un centre ou 
bataille de 7 bataillons d'infanterie et 4 régiments de cava- 
lerie, sous le commandement direct de Tilly ; une aile droite 
ou avant-garde de 3 bataillons et 6 régiments de cavalerie, 



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— 421 - 

sous Fûrstenberger ; une aile gauche ou arrière-garde de 
i bataillons et 6 régiments de cavalerie, sous Pappenheim. 
En outre Tartillerie sur les ailes et sur le front. 

Les bataillons de Tilly étaient de fortes masses , carrées 
ou rectangulaires, de 1500 à 1800 hommes en moyenne; 
elles se réunissaient par trois ou quatre en brigade dite 
espagnole , d'après le système suisse à nous connu et four- 
nissant ou une seule ligne massive, comme l'ancienne pha- 
lange, ou trois ou quatre échelons, comme nous l'avons 
indiqué ci-dessus. Une partie de l'infanterie de Tilly prit 
cette formation d'échelons successife , tandis qu'une autre 
était ou combattit plus tard en ligne ;nassive; de là les 
variantes qui se sont produites dans les récits de divers écri- 
vains. Les uns, Ghemnitz entr'autres, qui paraissent s'être 
plus préoccupés de l'ensemble, disent que Tilly était formé 
sur une seule ligne; d'autres, Gualdo notamment, plus 
attachés au détail, mentionnent trois lignes dans son ordre 
de bataille. Tout pesé, ces deux assertions ne s'excluent 
pas l'une l'autre, les lignes dont il est ici question n'étant 
point des lignes mathématiques, mais possédant une épais- 
seur plus ou moins fractionnée et sur laquelle il faudrait 
s'entendre. 

Les forces de Tilly montaient aussi à environ 35 mille 
hommes, et pour la première fois il allait combattre sans 
jouir de la supériorité manifeste du nombre. 

Toute la matinée du 17 fut employée, de part et d'autre, 
à prendre les ordres de bataille ci-dessus, au milieu de 
vives escarmouches entre les Saxons, un peu en avance sur 
les Suédois , et les troupes de Pappenheim, puis celles de 
Fûrstemberger, aux environs de Podelwitz, de Zscholkau et 
de Gœbschelwitz. Ce fut tout en combattant que les armées 
se déployèrent ; elles se trouvèrent bien en face l'une de 
l'autre, vers midi, dans les positions suivantes : 



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— 422 — 

L'armée suédoise étendue en avant de Podelwitz, sa droite 
à la route de Delitzsch à Leipsig, sa gauche en avant de 
Zscholkau, vers la route de Dùben à Leipsig; son artillerie 
sur les hauteurs battant la plaine; à sa gauche, au-delà de 
la route de Dûben et d'un fossé la longeant, l'armée saxonne, 
vers Gœbschelwitz , battant de son artillerie les collines de 
.Seehausen sur son front. 

L'armée de Tilly avait sa droite, Fûrstenberger, à Seehau- 
sen , appuyée à gauche à la route de Dùben , à droite à une 
colline, le Galgenhiigel, garnie de 8 canons ; le centre der- 
rière le bois de Linkel , avec 20 canons , sur une érainence 
à l'ouest de la route de Dûben ; sa gauche , Pappenheim, à 
la route de Delitzsch vers Breitenfeld, aussi avec 8 canons, 
sur un terrain dominant. Cette gauche débordait un peu la 
droite suédoise ; à part cela le front tenu par chacune dés 
armées ne différait pas sensiblement. Il était d'environ une 
demi-lieue de développement, ce qui, avec de tels effectifs, 
formait un front convenable et pouvant posséder sur plu- 
sieurs points une bonne profondeur. 

L'action générale commença par une vaste canonnade 
mêlée à des escarmouches de mousquetaires et de cavalerie 
légère aux abords du Lobes y Tilly se bornant à tenir son 
terrain et Gustave essayant de l'en déloger. 

Celui-ci, reconnaissant que la position ennemie n'était 
pas aisément abordable de front, ordonna un mouvement à 
droite de toute son aile droite, pour gagner les hauteurs par 
la route de Delitzsch et Breitenfeld. Les historiens du temps 
ajoutent que c'était pour gagner le vent qui soufflait forte- 
ment de l'ouest. Quoiqu'il en soit de cette assertion, Gustave 
se trouva bientôt, avec ses meilleures troupes, sur le flanc 
gauche de Tilly. Mais Pappenheim obliqua plus encore à 
l'ouest, à sa gauche, et déborda à son tour le flanc droit de 
Gustave. Le roi laissa à sa seconde ligne, sous Banner, le 



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— 423 — 

soin de contenir cet ennemi excentrique, et avec le reste il 
se rabattit à gauche pour maintenir sa communication avec 
ses autres troupes. Les deux centres restèrent ainsi en pré- 
sence, se surveillant réciproquement plutôt que s'engageant 
l'un contre l'autre. 

C'était de leurs ailes que les commandants en chef avaient 
à se préoccuper. Outre l'action de Banner contre Pappen- 
heim , une autre très vive s'était ouverte à l'aile opposée. 
Les Impériaux de Fûrstenberger s'étaient bravement portés 
en avant contre les Saxons; et ceux-ci, surpris par la vigueur 
et par la promptitude de l'attaque, séparés des Suédois par 
le fossé de la route de Diiben , avaient été mis en désordre 
après quelques moments d'une sanglante mêlée. Seulement 
leur aile droite, sous Arnheim, put tenir bon; tout le reste 
s'était enfui sur Eilenbourg, laissant l'artillerie saxonne aux 
mains d'un parti d'Impériaux qui la tourna contre la gauche 
suédoise et contre Arnheim qui s'y était rallié. 

Après une poursuite peut-être trop prolongée, les troupes 
victorieuses conversèrent également à gauche, et le flanc 
gauche de l'armée suédoise fut gravement menacé. 

Informé de cette situation Gustave s'occupa aussitôt d'y 
remédier. Laissant à sa droite Banner aux prises avec 
Pappenheim, il donna ordre à Horn de mettre en potence, 
à gauche , sa cavalerie des deux lignes contre l'aile droite 
impériale, et faisant soutenir cette potence de deux brigades 
de Teuffel de seconde ligne , il jeta le tout sur la gauche de 
Fûrstenberger de manière à le séparer de Tilly, qu'il entre- 
tenait pendant ce temps sur le front au centre. Teuffel mena 
bravement cette attaque; au prix de sa vie il changea la 
victoire de Tilly sur ce point en une complète défaite. Cette 
aile droite impériale subit le sort qu'elle venait d'infliger 
aux Saxons. 

Banner, qui tenait toujours avantageusement son terrain 



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- 124 — 

contre les Impériaux de gauche , grâce à Tactivité de ses 
mousquetaires et de ses cavaliers mélangés , fut alors ren- 
forcé de quatre escadrons de cavalerie de la réserve , avec 
six canons légers. Il reprit sa supériorité et put continue^ 
le combat sans la perdre. 

Les centres restaient encore à peu près intacts. Tilly 
ébranla le premier le sien ; ses masses d'infanterie, lancées 
en avant et secondées de cavalerie , cherchèrent à faire 
brèche dans la ligne de Gustave-Adolphe. Le roi leur opposa 
sa réserve d'artillerie , appelée de Podelwitz ; il s'y trouvait 
quelques canons de cuir, qui, passant les lignes, se mirent 
en batterie à 300 pas des phalanges de Tilly et firent sur 
elles un feu si efficace qu'elles les arrêtèrent. En même 
temps Horn et Teuffel,. qui venaient de disperser les troupes 
de Fiirstenberger, se jetèrent sur le flanc droit de Tilly, qui 
se désorganisa et battit en retraite sous la protection de 
quatre gros bataillons de troupes d'élite formées en carrés 
inébranlables. 

Les mousquetaires suédois, tout en cherchant à harceler 
et à tourner ces troupes, s'emparèrent de la grande batterie 
ennemie du centre, qui, masquée par la marche en avant 
de Tilly, lui était devenue inutile et était dégarnie de sou- 
tiens. Ils la pointèrent sur le dos des troupes impériales qui 
se mirent à tourbillonner et à fuir de tous côtés. Seuls les 
quatre gros bataillons sus-nommés , et composés des vieux 
régiments Chiesa, Bulderon, Dietrichstein, Gœtze, Blankart, 
tinrent encore quelque temps, laissant ouvrir dans leurs 
rangs épais de larges trouées par l'artillerie et n'en repous- 
sant pas moins de leurs piques serrées les charges de cava- 
lerie qui tentaient de les disloquer. Ils sauvèrent l'honneur 
des drapeaux impériaux et succombèrent pièce à pièce, en 
faisant héroïquement front à la mort qui les entourait. ~ 

Le reste s'enfuit en désordre sur Halle et Halberstadt, 



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— 425 — 

entraînant dans le torrent Tilly blessé , ainsi que Pappen- 
heim, avec quelques cents hommes seulement. 

La victoire des Suédois était complète. Le premier mou- 
vement du roi en la constatant fut d'en rendre grâce à Dieu 
par une fervente prière prononcée à haute voix, entouré 
des siens et agenouillé au milieu des morts et des blessés. 

La cavalerie suédoise se mit promptement à la poursuite 
des fuyards et en augmenta le désastre. Le tocsin sonnant 
de village en village appela aussi les population^ à com- 
pléter la défaite de leurs oppresseurs. Les paysans se levè- 
rent en masse et massacrèrent tout ce qu'ils atteignirent. 
Les Impériaux avaient laissé sur le champ de bataille envi- 
ron sept mille morts et cinq mille blessés et prisonniers, 
avec toute leur artillerie, leurs bagages et une centaine de 
drapeaux. Ils perdirent plus de monde encore dans leur 
fuite. Tilly et Pappenheim ne purent réunir à Halle et Hal- 
berstadt que deux à trois mille hommes. Avec ces frêles dé-* 
bris de Torgueilleuse et invincible armée qui faisait naguère 
trembler toute l'Allemagne , ils se retirèrent sur le Weser 
pour se joindre aux garnisons impériales de la Basse-Saxe. 

Les vainqueurs ne payèrent tant de gloire que d'environ 
trois mille hommes, dont 'deux mille Saxons qui pâtirent 
ainsi de leur inexpérience et de la faute de s'être tenus trop 
à l'écart de l'armée alliée. Leur prince, dès qu'il connut les 
événements, se rendit vers Gustave pour le féliciter et pour 
excuser la molle conduite de ses troupes. Mais le roi ne lui 
en laissa pas le temps ; il le remercia vivement au contraire 
de la fermeté avec laquelle il avait demandé cette bataille 
au conseil de guerre de Duben. Charmé de cet accueil 
auquel il était loin de s'attendre, l'électeur Jean-Georges 
renouvela ses protestations de dévouement et s'engagea, 
dit-on, à le prouver au roi en faisant tous ses efforts pour 
amener sur sa tète la couronne impériale. 



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— 126 — 

En attendant, toutes les villes du voisinage, Leipsig, Mer- 
sebourg, Halle , furent reprises par les protestants ; dans 
cette dernière ville ils tinrent de nouveaux conseils de 
guerre vers le milieu de septembre pour aviser aux opéra- 
tions ultérieures. 

Gustave avait désormais les coudées franches ; il ne lui 
restait qu'à examiner de quel côté ses coups seraient les 
plus efficaces. Irait-il frapper l'Empire à Vienne, ou la Ligue 
en Bavière, ou Tilly qui se reformait une armée à Brunswick 
avec des détachements réunis de droite et de gauche et des 
renforts lorrains? 

Il décida de marcher, lui contre la Ligue, c'est-à-dire 
d'abord en Franconie, en Souabe, vers le Rhin, où sans 
doute il rencontrerait en même temps Tilly, tandis que les 
Saxons menaceraient les Autrichiens en Bohème et sur la 
direction de leur capitale. 

On a beaucoup discuté sur ce plan de campagne. Oxenstiern 
et d'autres, postérieurement, ont prétendu que Gustave, en 
ne marchant pas du coup sur Vienne, avait augmenté ses 
points de ressemblance avec Annibal sachant mieux vain- 
cre que profiter de la victoire. Ce reproche nous semble 
un peu hasardé. Pour en bien juger il aurait fallu connaître 
exactement les projets intimes et les ressources réelles du 
roi de Suède, préliminaires indispensables soudainement 
détruits par les balles de Lutzen. Si Gustave pensait, comme 
on le croit généralement, à renforcer sa cause du prestige 
delà couronne impériale, c'était bien au cœur de l'Allema- 
gne, sur les Etats des électeurs qu'il devait chercher cette 
haute dignité et non dans les parages excentriques des pos- 
sessions autrichiennes, où la personne de Ferdinand pouvait 
indéfiniment lui échapper et la prise -de sa capitale même 
ne rien décider sur cette grave question. Au reste c'est un 
problème qui s'est longtemps posé aux adversaires de l'Au- 



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— 427 — 

triche et de l' Allemagne réunies, de savoir exactement où, 
dans cette formidable alliance ou fédération, se trouve le 
siège réel de la force. Même après les événements de 1866 
on peut dire que le problème reste à résoudre; c'est encore 
une des propriétés et des gloires de l'Allemagne, diminuant 
peut-être chaque jour, d'avoir, comme l'hydre aux cent 
têtes, son centre partout et nulle part : partout où se ma- 
nifestent l'action et la vie, non point seulement autour de 
. quelques grandioses palais. 

Quoiqu'il en soit Gustave-Adolphe n'eut pas à regretter 
sa détermination. De l'Elbe au Rhin ce ne fut pour lui 
qu'une marche triomphale presque continue. Se dirigeant 
par Erfurt, Gotha, Amstadt, Illmenau, Kœnigshofen, 
Schweinfurt, il descendit la vallée du Mein en prenant pos- 
session des évéchés de Bamberg et de Wiirzbourg, centres 
cathoUques de haute importance. Le 17 novembre 1631, il 
occupa Francfort-sur-le-Mein dont la bourgeoisie, dévouée 
à l'empereur d'Autriche, qui venait encore d'y tenir une 
grande diète de princes allemands, se laissa faire violence 
sans trop de façon en ne protestant qu'en faveur de son 
commerce et de ses riches foires. 

L'entrée du roi dans cette grande ville fut très-solennelle, 
et Mauvillon donne à ce propos quelques détails intéres- 
sants à enregistrer : 

€ A peine les députés de la ville étaient partis, que le roi 
les suivit immédiatement avec toute son armée ; et, étant 
arrivé au Fauxbourg de Saxenhausen, il demanda qu'on lui 
ouvrît incessamment les portes, qu'il n'avait plus besoin de 
charpentier; mais qu'il lui fallait la ville-et cela sur le champ 
parce qu'il en avait besoin pour une entreprise qui deman- 
dait de la célérité. Le magistrat n'eut pas le temps de déli- 
bérer et ne fut pas même fâché du parti que le roi avait 
pris, afin qu'il parût qu'on n'avait cédé qu'à la force, et 



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— 128 — 

qu'on avait été contraint de recevoir les Suédois. Les portes, 
ayant été ouvertes, le roi fit son entrée dans Francfort le 17 
novembre 1631. Cinquante-six pièces de campagne ouvraient 
la marche ; la grosse artillerie avait été embarquée sur le 
Mein. Ce train était suivi de plusieurs bataillons et escadrons. 
Ensuite venait le roi précédé de ses trompettes, et vêtu 
d'une cote d'armes sur un fond d'écarlate brodé d'or. Il 
montait un très-beau genêt d'Espagne et tenait son cha- 
peau à la main, saluant même d'une inclination de tête les 
personnes de distinction qui se mettaient en foule aux fenê- 
tres pour le voir passer. Le peuple accourait aussi de tous 
côtés et admirait ce mélange de fierté et de bonté répandu 
dans toute la personne du héros. Le roi avait en effet un air 
de satisfaction qui augmentait encore le . gracieux de sa 
physionomie. Il était entouré de ses hallebardiers précédés 
de presque tous les comtes, qui composent à la diète de 
l'Empire le banc de Wetieravie, ceux de Nassau, de Solms, 
d'Isembourg, de Wittgistein, de Stolberg, d'Erpach. Les 
estafiers et autres domestiques marchaient derrière le roi ; 
ensuite paraissait le duc Bernard de Saxe-Weymar, seul et 
superbement monté ; il était suivi du régiment des gardes, 
après lequel paraissait le carrosse du roi, très-richement 
orné et attelé de huit beaux chevaux. Enfin, la marche était 
fermée par deux régiments suédois, deux anglais, deux 
écossais et quatre régiments allemands, suivis de plusieurs 
pièces d'artillerie, dont une était si pesante qu'elle était 
tirée par vingt-quatre chevaux. Tout cela était suivi de 
beaucoup d'équipages, de sorte que cette entrée ressemblait 
en quelque sorte à celle d'Alexandre à Babylone. Celle de 
Gustave dans Francfort dura depuis huit heures du matin 
jusques à quatre heures du soir; et conune on a dit que 
Alexandre semblait aller tenir dans Babylone les Etats de toute 
l'Asie, on peut dire que Gustave parut tenir ceux de toute 



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- 129 — 

l'Europe à Francfort. En effet, il s'y trouva des ambassa- 
deurs des principaux potentats de cette partie du monde ; 
beaucoup de comtes et de princes de l'Empire en personne, 
et des ministres de tous les Etats protestants d'Allemagne. 
Le lendemain de l'entrée du roi dans Francfort, l'armée 
hessoise, commandée par le landgrave en personne, arriva 
dans le voisinage de cette ville, au nombre de douze mille 
hommes et la jonction s'étant faite peu après, le roi se 
trouva à la tête de trente-quatre à trente-cinq mille hommes 
des meilleures troupes du monde, soutenues et précédées 
de la terreur de son nom. 

« Les Francfortois se flattaient que le roi de Suède ne met- 
trait point garnison dans leur ville, mais ils se trompèrent, 
et ce prince ordonna au colonel Vicedom ou Vitzhum, 
de rester avec six cents hommes dans Saxenhausen, qui est 
une espèce de Fauxbourg séparé de la ville par le Mein, sur * 
lequel il y a un beau pont pour la communication de ces 
deux parties. 

« Le magistrat de Francfort avait fait préparer fe dix-sept 
un superbe dîner dans le palais de Braunsfeld, où les empe- 
reurs ont accoutumé de loger. 

« Le roi n'accepta que le dîner ; mais pour l'appartement 
qu'on lui avait préparé, il le refusa, disant « qu'il couchait 
« volontiers en plein champ sans autres barrières que les 
« chevaux-de-frise de son camp; qu'un corps ne valait 
« rien sans chef--et qu'il était obligé de participer à la for- 
« tune de ses soldats. » Aussi se rendit-il dès le soir même 
à Hœchst, où il y avait une garnison de quatre cents hom- 
mes qu'il ût sommer et qui se rendit sans difficulté et prit 
parti dans ses troupes. 

« Pendant le séjour que le roi fit à Francfort, il ne s'occupa 
que de traités, de nouvelles alliances avec les princes et les 
villes impériales d'Allemagne; à régler les sommes que 

TOME II. 9 



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— 430 - 

ces Etats lui fourniraient chacun par mois ; à ouvrir de nou- 
velles branches au commerce de ses sujets, dont il ne per- 
dait point de vue le bonheur et Taisance. Il donna des 
ordres sévères pour Tobsenrance de la discipline, et 
l'amour qu'il montra pour la justice en deux occurrences 
qui n'ont rien de fort commun, acheva de lui gagner le 
cœur du peuple de Francfort qui fut outré de fureur lors- 
qu'il apprit que l'on avait découvert une dangereuse cons- 
piration contre ce bon prince (*). » 

Le soir même de son arrivée à Francfort Gustave pénétra 
sur le territoire de Mayence et s'y empara de la ville de 
Hœchst, d'où il allait pousser plus loin encore ses succès. 

Pendant ce temps ses lieutenants et ses alliés d'Allema- 
gne n'étaient pas moins heureux. Partout leur cause triom- 
phait. Le duc de Mecklembourg, assisté de Tott, venait de 
reprendre les villes de Rostock, de Wismar, de Demnitz. 
Banner, après avoir enlevé Magdebourg aux Impériaux, 
repoussait toutes leurs tentatives pour lui faire abandonner 
sa conquête. La Basse-Saxe avait mis sur pied une armée, 
en tète de laquelle figuraient les contingents de Brème et 
du prince de Lunebourg et de Hambourg, qui pourchassait 
activement les garnisons impériales. Le landgrave Guillaume 
de Hesse-Gassel, après de brillants succès contre les lieu- 
tenants de Tilly, Fugger et Altringer, avait occupé rapide- 
ment Bach, Meuden, Hœxter, Fulda, Paderbom et toutes 
les possessions ecclésiastiques limitrophes de la Hesse, sur 
quoi il amena ses troupes victorieuses, environ 40 mille 
hommes, à Francfort. 

Le court séjour du roi de Suède dans cette ville fut signalé 
par de nombreuses visites d'ambassadeurs et de princes lui 
apportant leurs hommages. Parmi eux le landgrave Geor- 

(1) Mauv., IV, pag. 4-9. 



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- 131 — 

ges de Hesse-Darmstadt fit aussi sa soumission quoique à 
contre-cœur. Les comtes de Westerwald et de la Watterau 
joignirent à leurs félicitations quelques précieux, renforts. 
L'infortuné comte palatin Frédéric V, ce roi de Bohème 
d'un jour, accourut du fond de la Hollande pour remercier 
publiquement le vengeur de ses droits et réclamer sa pro- 
tection. Gustave l'accueillit en frère et en roi, mais ajourna 
la grave question de la restitution de ses Etats à un moment 
plus opportun. 

Il s'agissait en effet de mener la guerre à bonne fin et non 
encore de s'en partager des dépouilles rendues fragiles par 
la force des ennemis qui restaient à combattre. En arrivant 
au Rhin le roi de Suède trouvait de nouveaux et sérieux 
adversaires, les places fortes du puissant archevêques-élec- 
teur de Mayence secondé de ses voisins les Espagnols et 
les Lorrains, peut-être même de la France qui paraissait 
ne pas voir de bon œil les conquêtes suédoises poussées si 
près de ses frontières. Eiï même temps Gustave, toujours 
plus éloigné de ses ressources primitives, avait derrière lui 
tout l'Empire et le centre de la Ligue, avec Tiliy en train de 
se reformer une armée. 

Allant au plus pressé il établit son camp près de Cassel, 
en face de Mayence, pour enlever d'abord cette place, tan- 
dis que divers détachements entretenaient les Espagnols 
dans le Rheingau et dans les bourgs catholiques du Wes- 
terwald. 

Déjà le vaillant duc Bernard de Saxe-Weimar, avec un 
corps de Suédois et d'Allemands, s'était emparé de plusieurs 
bonnes positions sur la rive gauche du Rhin, du château 
d'Ehrenfels entr'autres ; déjà Gustave s'apprêtait à passer 
aussi le fleuve pour investir complètement Mayence quand 
il fut avisé que la Franconie et particulièrement Nuremberg 
était gravement menacée par Tiliy. Craignant que Nurem* 



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— 132 - 

berg, qu'il appelait une de ses trois bonnes villes -^ Uim et 
Strasbourg étant les deux autres, — ne subit le triste sort 
de Magdebourg, Gustave se dirigea aussitôt à marches for- 
cées sur la Franconie. Mais il apprit en route que les bour- 
geois de Nuremberg avaient réussi à repousser Tilly et à se 
débarrasser de lui et il reprit ses projets contre Mayence. 
Après une vaine tentative pour passer le Rhin de vive force 
à Gassel et quelques autres diversions, surtout dans la 
direction de Heidelberg, il se déroba par le chemin de la 
montagne et reparut sur le Rhin vers Stockstadt, entre 
Grensheim et Oppenheim. Là il réussit à franchir le fleuve 
après de sanglantes escaonouches où succombèrent un 
millier d'Espagnols. Il alla mettre le siège devant Oppen- 
heim qui, au bout de quelques jours, fut prise d'assaut, le 
8 décembre 1631 ; la garnison composée de cinq cents espa- 
gnols y fut cruellement passée au fil de Tépée en punition 
de sa vigoureuse résistance. Cinq jours plus tard il fit capi- 
tuler Mayence, ce qui lui amena bientôt la reddition de 
Worms, deKreuznach, et la possession de presque toute 
la contrée. La seule place de Frankenthal resta aux Espa- 
gnols qui s'y blottirent comme dans une prison. 

Quelques semaines de quartiers d'hiver furent alors pas- 
sées à Mayence, qui devint le lieu de réunion d'une nom- 
breuse cour et le centre d'activés négociations avec la plu- 
part des pays de l'Europe. Voulant mettre à profit pour la 
politique ce temps de repos Gustave s'adressa à tous ses 
alliés pour en avoir du renfort et à tous les états protestants 
de l'Europe. 

La France, toujours plus inquiète de ce glorieux voisi- 
nage, l'engagea vivement à diriger ses coups sur l'Autriche ; 
elle maintint, à cette condition, ses subsides et occupa l'é- 
lectorat de Trêves. L'Angleterre, qui, après force promesses 
de secours, s'était bornée à l'envoi de 7 à 8 mille hommes 



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— 133 — 

restés sur les derrières, fut moins arrangeante, car elle ré- 
clamait préalablement le Palatinat pour Frédéric V, ce qui 
mit plutôt de la froideur dans les relations ; Venise et la 
Suisse ne voulurent pas se mêler des affaires de l'Allema- 
gne ; les Hollandais continuèrent leur appui sympathique ; 
les Transy vains se déclarèrent prêts à agir contre TAu- 
triche. 

A côté de ces arrangements à grande dislance, ses recru- 
teurs lui avaient été plus immédiatement utiles. Des renforts 
lui étaient arrivés, d'autres devaient le rejoindre, de sorte 
qu'il allait disposer d'une armée d'environ 50 mille hommes 
pour reprendre la campagne au printemps de 1632. Tilly 
aussi s'était reformé une belle armée, avec laquelle il avait 
battu Horn et repris la ville de Bamberg, d'où il menaçait 
de nouveau Nuremberg. 

Laissant Oxenstiem sur le Rhin avec une douzaine de 
mille hommes, Gustave se porta en Franconie, où il fut re- 
joint par Horn, Banner, Bernard de Weimar. A la tête d'une 
force d'environ 45 mille hommes il s'avança contre Tilly, 
qui ne l'attendait pas et se replia, par ordre du duc Maximi- 
lien, derrière le Lech, pour protéger la Bavière. 

Le roi, reçu avec enthousiasme à Nuremberg, y enflamma 
d'un nouveau courage le cœur de ses vaillants amis; puis il 
se dirigea sur Donauwerth, qu'il prit d'assaut. Il y franchit 
le Danube, et à la fin de mars il arriva devant les positions 
de Tilly. 

Ces positions, non loin de la petite ville de Rain, sur la 
gauche du Lech, étaient très-fortes; le duc Maximilien y 
avait rejoint Tilly dans un camp hérissé de retranchements 
et de batteries. Le Lech roulait des eaux furieuses, comme 
il arrive souvent à cette saison, et ne semblait guéable en 
aucun point. 

Un conseil de guerre, réuni par le roi de Suède pour avi- 



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— 134 — 

ser aux opérations à entreprendre, opina unanimement con- 
tre un passage de vive force sur ce point ; Horn lui-môme, 
un des plus intrépides lieutenants du roi, appuya chaude- 
ment cet avis. Gustave fut à peu près seul à ne le pas par- 
tager. « Quoi! s'écna-t-ii, après avoir traversé la Baltique 
et tous les plus grands fleuves de TAllemagne, nous nous 
arrêterions devant ce ruisseau ! » 

Son opinion se basait du reste sur autre chose que sur 
son bouillant courage. Comme d'habitude il avait reconnu 
lui-môme, et au péril de sa vie, tout le terrain de la position. 
Un excellent point de passage avait bientôt frappé ses re- 
gards ; le cours d'eau y dessinait une courbe concave, avec 
bon commandement de la rive gauche sur la rive droite, 
conditions trèsjfovorables à l'établissement de batteries. On 
pouvait d'ailleurs espérer que les eaux du Lech, momenta- 
nément grossies par la fonte des neiges, ne tarderaient pas 
à baisser. 

Dans ces idées, il fit établir trois batteries de 62 pièces le 
long de la rive gauche, en môme' temps que préparer un 
pont à couvert. Le 5 avril ces préparatifs étant terminés, il 
ordonna le passage. Ses batteries, supérieures en nombre 
et en position à celles de Tilly, commandèrent bientôt tout 
le terrain ; les pionniers, masqués dans un épais nuage de 
fumée produite par des amas de bois vert, parvinrent à ter- 
miner leur œuvre; et enfin une portion de la cavalerie 
trouva un gué en amont où elle franchit le Lech et menaça 
les Bavarois sur le flanc et à revers ; Tilly lutta toute la jour- 
née contre ces habiles dispositions, se montrant partout le 
premier pour faire face aux dangers. Mais ses efforts furent 
vains. Gravement blessé, ainsi que son lieutenant Altringer, 
au moment où son énergie eût été le plus nécessaire, il ne 
put que conseiller au duc Maximilien l'évacuation de la po- 
sition. La retraite des Bavarois eut donc heu dans la soirée, 



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- 135 — 

et quand, le lendemain, Gustave fit passer la rivière au reste 
de ses troupes, il trouva le camp désert. Les défenseurs s'é- 
taient retirés sur Ingolstadt, où Tilly mourut au bout de 
quelques heures de dures souffrances. Altringer, en revan- 
che, se rétablit. 

Gustave alla mettre le siège devant Ingolstadt; mais cette 
solide place bravant ses efforts, il la laissa pour s'emparer 
de Munich et du cœur de la Bavière. Le 10 mai il fit son 
entrée solennelle dans la capitale du chef de la Ligue, 
ayant à ses côtés le comte palatin Frédéric V, qui put au 
moins savourer cette agréable consolation en attendant celle 
plus profitable mais plus problématique de recouvrer ses 
Etats. 

De grands magasins de vivres, d'équipements et d'habil- 
lements militaires furent trouvés à Munich, ainsi que 140 
canons cachés dans l'arsenal, l'un d'eux recelant un trésor 
de 30 mille ducats. Ces trouvailles lui servirent à refaire son 
armée, qui allait avoir de nouveaux et plus graves dangers 
à affronter. 

L'empereur Ferdinand II, devant tant d'échecs, s'était vu 
réduit à supplier Wallenstein de reprendre son commande- 
ment. Après s'être fait beaucoup prier, l'orgueilleux duc 
avait enfin cédé, mais à des conditions qui le rendaient le 
maître absolu de son armée et de ses opérations. Moyennant 
cela il réussit en trois mois à disposer d'une force d'environ 
50 mille hommes avec laquelle il ne lui fut pas difficile de 
reprendre la Bohême aux Saxons et de faire trembler la 
Saxe à son tour. La mort de Tilly le rendit de nouveau 
l'homme important du parti de la Ligue. Sur maintes priè- 
res de Maximilien et de l'Empereur, longtemps éludées, 
Wallenstein consentit enfin à abandonner ses projets sur la 
Saxe et à se joindre aux troupes bavaroises pour libérer la 
Bavière; il se réserva toutefois qu'après cette jonction il 



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— 136 — 

n'en garderait pas moins le pas sur le prince électeur, chef 
de la Ligue. 

Celui-ci, qui tenait toujours Ingolstadt et Ratisbonne, alla 
au-devant de Wallenstein, malgré la haine qu'il lui portait, 
et la jonction eut lieu à Egra. De là ils marchèrent ensemble 
par la Bohême vers le Haut-Palatinat et sur Nuremberg, 
menacée cette fois d'une manière sérieuse. 

A cette nouvelle Gustave dut précipitamment partir de 
Munich pour protéger sa bonne ville, et il entra le 27 juin à 
Nuremberg avec 25 mille hommes. Ce minime efîectif était 
tout ce qu'il avait sous la main, vu le grand nombre de ses 
détachements et les renforts qu'il venait d'envoyer en Saxe 
pour y résister à Wallenstein. Avec si peu de monde il ne 
pouvait pas tenter une bataille contre ses adversaires, forts 
d'environ 60 mille hommes. Il s'occupa donc à tenir so- 
lidement la place en s'y entourant de retranchements. Sol- 
dats et bourgeois se mirent aux travaux de terre ; un fossé 
de huit pieds fut creusé tout autour de la ville avec des re- 
doutes et bastions; et en sept jours un vaste camp retran- 
ché s'éleva, pouvant braver une première attaque de vive 
force. Sept autres jours suffirent à le compléter et à garnir 
les remparts de trois cents canons. En outre les habitants, 
pleins de zèle, furent organisés en douze régiments de mille 
à 1500 hommes chacun. D'autre part Gustave avait ordonné 
à plusieurs de ses lieutenants de venir le rejoindre, si bien 
que Nuremberg allait être le théâtre d'une formidable con- 
centration de troupes. 

Wallenstein ne fut pas en mesure de gêner les premières 
dispositions des Suédois ; il ne put amener ses forces de- 
vant Nuremberg que quelques jours après eux. — Il se 
contenta d'abord d'occuper les hauteurs environnantes, 
cherchant à bloquer la place. Mais Gustave, rachetant son 
infériorité numérique par un redoublement d'activité, s'em- 



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— 137 — 

para aussi de plusieurs collines d'où il maintint ses libres 
communications avec la campagne. 

Le voisinage des deux armées donna lieu à d'incessantes 
escarmouches, mais non à une affaire générale. Wallenstein 
estimant € qu'on avait livré jusqu'ici assez de batailles et 
qu'il était temps d'essayer une autre méthode, > se fortifia 
aussi, et l'on eut deux immenses camps retranchés en face 
l'un de l'autre et des opérations rappelant celles des fameu- 
ses lignes de Dyrrachium entre César et Pompée. 

Ce genre de guerre se prolongea plusieurs semaines sans 
incident marquant ni résultat décisif. Non-seulement plu- 
sieurs assauts des Impériaux furent repoussés avantageuse- 
ment, mais Gustave réussit à capturer un immense convoi 
de vivres (fin juillet) et à se nourrir aux dépens de ses adver- 
saires. Nous voyons qu'à l'occasion de cet exploit le roi de 
Suède fit une généreuse distribution de récompenses, con- 
sistant en médailles d'or aux officiers et en écus sonnants 
aux soldats. La prise d'un étendard valait à son possesseur 
un cadeau de cent écus. 

Au commencement d'août, Gustave fut enfin rejoint par 
tous les renforts qu'il attendait. Banner, Bernard de Wei- 
mar, Oxenstiern s'étaient réunis, arrivant des régions du 
Rhin, de la Souabe, de la Bavière, et ils lui amenèrent 
une armée d'environ 50 mille hommes avec 60 canons et 
quatre mille chariots de munitions et de vivres, ce qui porta 
ses forces totales à près de 75 mille hommes, sans compter 
les bourgeois armés de Nuremberg. De cette façon, il était 
devenu supérieur à Wallenstein. 

Celui-ci ne sut rien faire pour empêcher cette écrasante 
jonction. Persistant dans son système de patience, il préféra 
mettre toute son activité à augmenter sa force défensive et à 
poursuivre l'établissement de ses lignes fortifiées, qui s'éten- 
dirent bientôt sur un développement de plusieurs lieues. 



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- 138 — 

On ne tarda pas à éprouver les inconvénients d'un emploi 
aussi peu rationnel de pareilles masses. Les deux camps, à la 
fois assiégeants et assiégés, manquèrent de vivres et souf- 
frirent cruellement de la famine et de ses fâcheuses consé- 
quences sur la santé et 3ur le moral d'une armée. L'étroit 
espace de quelques lieues était surchargé de plus de 120 
mille soldats, de 50 mille chevaux, de toute la population de 
Nuremberg, soit 80 mille âmes et de l'immense suite de fri- 
coteurs^ comme on les appela plus tard, qui encombraient 
les troupes, dont 15 mille charretiers et autant de femmes 
dans le seul camp de Wallenstein. Les Suédois avaient avec 
eux plus de femmes encore ; mais Schiller assure qu'elles 
étaient toutes mariées et vivaient en famille dans la plus 
grande sévérité de mœurs. Leurs enfants, élevés dans des 
écoles militaires, fournissaient d'excellentes recrues à l'ar- 
mée et peuvent être considérés comme les aïeux des en- 
fants de troupe actuels. 

Dans une telle situation, restait à savoir lequel des deux 
adversaires serait le premier sur les dents ou à bout d'opi- 
niâtreté. Ce fut Gustave. Plus concentré et par conséquent 
plus gêné, il dut aviser à se tirer, coûte que coûte, de son 
impasse, et il en fit la tentative le 21 août, c'est-à-dire 
après 55 jours de cette difficile défense. Ce jour-là, il 
sortit de ses retranchements çt alla se ranger en bataille en 
face du camp ennemi, pendant que trois fortes batteries le 
canonnaient depuis les berges élevées de la Rednitz. Le duc 
de Friedland n'accueillit cette provocation que par des feux 
d'artillerie et de mousqueterie à bonne distance. Ni les priè- 
res de Maximilien, ni l'impatience et la misère de ses trou- 
pes, ni les railleries des Suédois ne purent le faire sortir de 
son système méthodique de blocus et de défensive absolue. 
Il voulait se laisser attaquer ; sa persistance lui réussit. 

Trois jours plus tard, Gustave résolut de tenter l'assaut 



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— 139 — 

des lignes impériales. Le 24 août^ laissant son camp à la 
garde de la milice bourgeoise et d'une faible garnison de ses 
propres troupes, il emmena le reste au-delà de la Rednitz^ 
près de Furth, pour tourner le front de la position. Les 
avant-postes impériaux, facilement refoulés, se replièrent 
sur le centre de l'armée qui s'était retiré sur les hauteurs 
entre le Biber et la Rednitz. Les collines de Veste et d'Alten- 
berg, garnies de puissantes batteries, protégeaient le camp 
et dominaient au loin la plaine; tous les abords étaient cou- 
pés de retranchements, de fossés, d'abatis, de palissades 
ferrées derrière lesquels de nombreux canonniers et mous- 
quetaires étaient à leurs postes. 

L'avant-garde de Gustave, formée en petits pelotons, 
chercha en vain à se gUsser près des lignes, puis à les assail- 
lir courageusement. Un feu violent la repoussa en désordre 
et une sortie de cavalerie ennemie sema la mort dans ses 
débris. Un second corps, cette fois de Finlandais d'élite, fut 
lancé au secours du précédent tout Allemand, mais il eut le 
même sort ; tous les régiments donnèrent à leur tour sans 
pouvoir franchir le passage périlleux. La défense persiste à 
montrer autant de vigueur que l'attaque. 

A la gauche de l'armée suédoise, vers les fourrés de la 
Rednitz, d'autres engagements eurent une issue semblable. 
Les chefs même se lancèrent dans la mêlée et furent expo- 
sés aux plus graves dangers. Wallenstein eut un cheval tué 
sous lui, et Gustave la semelle d'une de ses bottes enlevée par 
un boulet. Bernard de Weimar eut aussi un cheval tué sous 
lui ; il n'en réussit pas moins à faire des progrès et à enle- 
ver une colline dominant les batteries dé Veste. Malheureu- 
sement les canons ne purent pas l'y suivre et cet exploit 
resta infructueux. La retraite des assaillants au-delà de la 
Rednitz dut s'opérer pendant la nuit et le lendemain. Ils 
l'effectuèrent sans être vivement inquiétés, mais en laissant 



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— 140 — 

sur le champ de bataille environ deux mille morts, tandis 
que Wallenstein n'avait perdu que quelques hommes et 
aucune de ses positions. 

Toutefois ces pertes n'étaient rien à côté de celles engen- 
drées par les privations et les maladies qui attristaient les 
camps. Quelques changements d'emplacement ne furent 
que de faibles palliatifs. Aux ravages de la famine et des 
miasmes pestilentiels se joignirent ceux de l'indiscipline et 
de la maraude. Schiller dit que c'étaient surtout les troupes 
allemandes qui se signalaient par leur pillage; aussi le roi 
le reprocha à leurs officiers en ces termes sévères: 

c C'est vous, Allemands, s'écrie-t-il, c'est vous-mêmes qui 
pillez votre patrie, et qui- déchaînez vos fureurs contre vos 
propres coreligionnaires. Dieu me soit témoin que je vous 
abhorre; vous m'inspirez un profond dégoût, et mon cœur 
se remplit d'amertume quand je vous regarde. Vous violez 
mes ordres; vous êtes cause que le monde me maudit, que 
les larmes de l'innocente pauvreté me poursuivent, qu'il 
me faut entendre dire ouvertement : <sr Le roi, notre ami, nous 
fait plus de mal que nos plus cruels ennemis. » Pour vous, 
j'ai dépouillé ma couronne de ses trésors et dépensé plus de 
quarante tonnes d'or, et je n'ai pas reçu de votre empire 
d'Allemagne de quoi me faire un méchant habit. Je vous ai 
donné tout ce que Dieu m'a dispensé, et, si vous eussiez 
observé mes lois, je vous aurais distribué avec joie tout 
ce qu'il pourra me donner encore. Votre défaut de disci- 
pline me persuade que vous avez de mauvaises intentions, 
quelques raisons que je puisse avoir de louer votre cou- 
rage (*). ». 

La position des Suédois devenait intenable. Ils avaient 
déjà perdu une vingtaine de mille hommes et la ville de 

(i) Schiller. Guerre de Trente- Ans, pag. 300. 



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— 141 — 

Nuremberg une dizaine de mille habitants. Les campagnes 
environnantes, non moins épuisées, ressemblaient à des 
landes arides ; maints villages en ruines avaient été aban- 
donnés par leurs habitants mourant de faim et de désespoir 
sur les grandes routes et autour des camps, sans y trouver 
ni pain ni asile. 

Ces affreuses misères et l'opiniâtreté de Wallenstein à 
rester dans ses retranchements décidèrent enfin Gustave 
à rompre le premier avec cette situation douloureuse, à se 
mettre au large en môme temps qu'il tendrait un nouveau 
piège aux Impériaux. Le 8 septembre 1632, il leva son camp 
et quitta Nuremberg après y avoir laissé une garnison de 
huit mille hommes. Rangé en bataille, il défila lentement 
devant les lignes de Wallenstein sans les émouvoir, et il se 
dirigea vers Neustadt, sur l'Aisch, et vers Windsheim. Là il 
s'arrêta soit pour refaire ses troupes, soit pour veiller à ce 
qui allait se passer sous les murs de Nuremberg. Il espérait 
que les Impériaux tenteraient enfin une attaque générale 
de la place, et il comptait que celle-ci tiendrait assez pour 
qu'il pût les prendre sur le fait et les assaillir à revers. 

Mais Wallenstein, soit qu'il sentît le piège, soit qu'il fût 
content de profiter de sa liberté pour se mettre aussi plus 
à l'aise, n'entreprit rien contre la place. Au contraire, iJ 
prit congé d'elle en brûlant son camp et ce qui restait des 
villages environnants, et il mena toute son armée, réduite 
à une trentaine de mille hommes, vers Forchheim, en face 
de la position des Suédois, sur la droite de la Rednitz. 

Pendant quatre à cinq jours, les deux belligérants s'obser- 
vèrent sans autre action; puis le roi, pour mieux faire vivre 
ses gens, se dissémina plus encore. Il envoya une partie des 
troupes en Franconie, et conduisit lui-même le reste en Ba- 
vière pour achever la conquête de ce pays, entr'autres d'In- 
golstadt. C'était pousser l'éparpillement bien loin , mais il 



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— 142 — 

pouvait tout se permettre en ce genre devant un adversaire 
aussi peu délié que Wallenstein. 

Celui-ci, tenace dans sa ligne de conduite, ne fit rien pour 
rechercher une bataille. Laissant volontiers courir le duc 
Maximilien à la défense de ses Etats, il reprit son projet de 
peser sur la Saxe pour forcer le prince électeur de changer 
de parti politique. Il marcha donc en Saxe par Bamberg, la 
forêt deThuringe, Bayreuth, Cobourg, en ravageant tout sur 
son passage. Le 2 novembre il occupa Leipsig et s'avança 
vers Weissenfels et Torgau pour battre l'armée saxonne et 
occuper Dresde. Arrivé à Weissenfels, il apprit que Gustave- 
Adolphe, qu'il croyait très occupé en Bavière, se dirigeait 
de son côté et était déjà arrivé à Erfiirt, ce qui suffit à lui 
faire suspendre son offensive. 

En effet Gustave, aussitôt qu'il avait vu accomplie la sépa- 
ration des Bavarois et des Impériaux, s'était secrètement et 
rapidement concentré vers Bamberg et Schweinfurt, pour 
suivre Wallenstein en Saxe et s'y réunir à l'armée saxonne 
concentrée vers Torgau. Il se porta ensuite à Erfurt où il 
prit congé de la reine et s'avança par Buttelstadt sur Leipsig. 
Faisant force de marche vers les défilés de Naumbourg, il 
réussit, le 9 novembre 1632, à y prévenir un corps d'Impé- 
riaux qui s'en approchait de son côté; mais Weissenfels 
ayant été occupé par Collorédo, il ne put joindre l'armée 
saxonne. Il s'arrêta donc à Naumbourg où, maître de débou- 
cher dans la plaine de Lutzen , il se retrancha solidement 
en attendant des renforts qui devaient lui arriver; entr'au- 
tres le duc de Lunebourg devait venir le rejoindre avec un 
corps d'armée. 

Dans les entrefaites , Wallenstein était revenu en arrière 
jusqu'à Mersebourg, oùPappenheim l'avait rallié. Se propo- 
sant surtout de barrer aux Suédois la route de Leipsig et de 
l'armée saxonne, il hésita sur ce qu'il devait faire et ne sut 



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— 143 — 

décider lui-môme entre les deux alternatives principales 
qui s'offraient : ou passer les défilés de la Saale et attaquer 
les Suédois à Naumbourg, qui n'y étaient encore qu'au 
nombre d'une vingtaine de mille hommes , ou prendre les 
quartiers d'hiver en se tenant bien en garde contre les 
entreprises qui pourraient survenir de Naumbourg. 

En proie à ces indécisions, Wallenstein avisa, pour s'en 
débarrasser, au plus £lcheux des moyens. Il convoqua un 
conseil de guerre, qui estima que Gustave-Adolphe était en 
train de s'établir un nouveau Nuremberg à Naumbourg, 
que par conséquent les Impériaux pouvaient en toute sécu- 
rité prendre aussi leurs quartiers d'hiver dans cette région 
et porter, pendant ce temps, la guerre en Westphalie et sur 
les bords du Rhin, où un corps suédois, renforcé d'un con- 
tingent hollandais, menaçait Cologne. C'était, comme l'astro- 
logue de la fable, suivre le cours des astres sans voir le 
précipice sous ses pas. 

Dans ces errements, Pappenheim fut détaché sur Cologne, 
avec mission de s'emparer, chemin faisant, des places de 
Montzbourg et de Halle. Le reste des troupes impériales se 
répartit en quartiers d'hiver dans toutes les villes voisines; 
le corps de Collorédo occupa la citadelle de Weissenfels; 
Wallenstein s'établit non loin de Mersebourg, entre le canal 
et la Saale , prêt à s'avancer au-delà de Leipsig pour empê- 
cher la jonction entre les Saxons et les Suédois. 

A peine Gustave fut-il informé du départ de Pappenheim, 
qu'il prit son parti de profiter immédiatement de cette faute 
de ses adversaires pour les attaquer. Il leva son camp le 
14 novembre et s'avança à marches forcées sur Weissen- 
fels. Ce mouvement répandit une vive émotion dans l'armée 
impériale, réduite, par les trop nombreux détachements, 
à une quinzaine de mille hommes, tandis que celle des 
Suédois en comptait près de 20 mille. Malgré cette infério- 



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— 444 — 

rite numérique, Wallenstein, dont la réputation avait soufifert 
de ses temporisations de Nuremberg, se crut obligé d'affron- 
ter la bataille, espérant d'ailleurs pouvoir la soutenir jusqu'au 
retour de Pappenheim, qui n'était encore qu'à deux marches 
de distance, et de quelques autres corps du voisinage qu'il 
rappela en toute hâte. 

Le généralissime impérial déboucha donc dans la plaine 
pour prendre position sur un terrain connu , entre le canal 
de Flœssgraben et la petite ville de Lutzen. En attendant il 
était couvert par les corps de CoUorédo et d'Isolani , en 
avant-garde à Weissenfels et dans les collines environnantes^ 

Au signal convenu de trois coups de canon , tirés du fort 
de Weissenfels , poujr annoncer l'approche de l'ennemi , et 
répétés par le fort de Lutzen, toutes les troupes marchèrent 
vers leur place de rassemblement ; les éclaireurs d'Isolani 
se replièrent , avec CoUorédo, sur la Rippach, vers Posern 
à une lieue de Lutzen. Mais dans l'après-midi du 15 les 
Suédois y arrivèrent et un vif combat d'avant-garde s'y 
engagea. La résistance fut à peu près égale à l'attaque; on 
se battit jusqu'à la nuit. — Pendant ce temps les mas- 
ses suédoises s'approchaient et elles tournèrent la posi- 
tion de Posern par la droite, par Pœrstern et Hilperitz, de 
sorte qu'elles purent franchir la rivière et se mettre en 
bataille sur la Rippach , en face des Impériaux. — Les 
deux grands capitaines de la guerre de Trente-Ans allaient 
enfin se mesurer dans une affaire qui s'annonçait comme 
décisive. Encore cette fois Gustave sut s'éclairer des avis 
d'un conseil de guerre sans s'enchaîner à ses décisions. Ses 
généraux, qu'il avait réunis dans sa voiture lui servant 
parfois de logement pour la nuit, déconseillèrent la bataille 
avant la jonction avec l'armée saxonne. Néanmoins Gustave 
l'ordonna pour le lendemain, heureux de saisir une occasion 
que la méthode de Wallenstein contre lui rendait si rare. 



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— 145 — 

Si l'opinion du conseil de guerre était fort sage en elle-même, 
elle oubliait un peu trop que la guerre n'est pas toute de 
calculs, et qu'il y faut souvent aussi laisser leur part à la 
fortune des combats et à la vaillance des troupes. Or le cas 
particulier rentrait dans cet ordre d'événements. Les Suédois 
avaient la perspective de combattre sans les Saxons, il est 
vrai, mais sans Pappenheim , ce qui se compensait. Autant 
valait donc risquer la partie à Lutzen, puisqu'elle s'y pré- 
sentait, que de l'ajourner à un temps indéfini. 

Toutefois une circonstance pouvait peser contre les Sué- 
dois. La position* de Wallenstein , étudiée à l'avance, était 
forte par elle-même et par les retranchements qui y avaient 
été élevés. Il avait établi son front le long de la grande route 
de Lutzen à Leipsig, ayant commodément derrière lui la 
route de Halle, par où Pàppanheim devait le rejoindre. Ce 
front était couvert par le fossé de la grande route qui avait 
été creusé et garni de parapets derrière lesquels s'embus- 
quèrent de nombreux tirailleurs ; un peu plus en avant , ce 
front était encore couvert par deux ruisseaux et par leur 
confluent, le canal du Flœssgraben , venant de la gauche 
des Impériaux et lui servant d'appui, et le Mtihlgraben 
venant de la droite, de Lutzen, et où s'appuyait leur droite. 
Quelques abatis et fossés de tirailleurs garnissaient aussi 
les points convenables de ces cours d'eau, ainsi que le bois 
de Schkœlsiger, poste avancé sur la gauche. En arrière du 
front s'étageaient les hauteurs du Galgenberg et à sa droite 
celles des moulins à vent de Lutzen, très propres à rece- 
voir de l'artillerie et à fournir un ferme appui à l'armée 
impériale dans la direction même d'où elle attendait ses 
renforts. La route sur Leipsig restait bien un peu livrée à 
l'ennemi, mais il n'y avait pas de danger que celui-ci osât 
s'y aventurer en devant y défiler tout le long des lignes de 
Wallenstein. 

TOME II. 10 



^ I 



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— 146 — 

Celui-ci, décidé à la défensive, au moins jusqu'à ce que 
Pappenheim Teût rejoint, fit prendre à son armée l'ordre de 
bataille suivant : 

A l'aile droite 4 escadrons de chevau-légers hongrois et 
croates, ayant à leur gauche un bataillon d'infanterie de 16 
compagnies, puis 6 escadrons de dragons-, deux compagnies 
de mousquetaires et 6 escadrons de cuirassiers. Derrière 
cette aile se placèrent en réserve 4 escadrons de chevau- 
légers croates. 

Le centre fut formé par une brigade à l'espagnole de 
quatre forts bataillons échelonnés sur trois lignes, le batail- 
lon de tète comptant 25 compagnies, celui de queue 22 et 
chacun des deux autres 16. j 

La gauche comprit 8 escadrons de cuirassiers , ayant à 
leur gauche huit escadrons de chevau-légers croates et 
polonais et en réserve 10 escadrons de dragons. 

Des groupes de mousquetaires se postèrent en avant et 
sur le flanc' Une batterie de sept pièces de gros calibre fut 
établie derrière le front du centre, une autre de 14 pièces 
de campagne sur les hauteurs des moulins à vent, et une 
dizaine de pièces sur les pentes du Galgenberg. Les caissons 
avec les bagages formèrent une dernière ligne. 

L'effectif total montait à environ 20 mille hommes, dont 
6 mille cavaliers, i\ mille fantassins, 2 mille mousquetaires 
et quelques centaines d'artilleurs avec 40 canons, la plupart 
de fort calibre. En outre un millier de charretiers et de 
valets furent mis à cheval et étendus sur la gauche et en 
réserve pour y simuler le corps de Pappenheim dont l'arri- 
vée fut annoncée prématurément pour mieux imposer aux 
Suédois. GoUorédo eut le commandement de la droite, Holk 
celui de la gauche, Isolani celui des avant- postes; Wallens- 
tein garda plus spécialement celui du centre d'où il pouvait 
diriger aisément le tout. 



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— 147 — 

Quant à Tarmée suédoise elle prit son ordre habituel 
comme suit : 

A l'aile droite en première ligne six escadrons de cava- 
lerie et autant en seconde ligne, avec des pelotons de mous- 
quetaires d'une centaine d'hommes dans les intervalles. 

Au centre quatre brigades d'infanterie en première et 
autant en seconde ligne; derrière la seconde ligne deux 
escadrons de cavalerie. 

A l'aile gauche six escadrons de cavalerie >à chaque ligne, 
avec pelotons de mousquetaires dans les intervalles. 

Avec chaque brigade de première ligne cinq pièces de 
fort calibre et sur chaque aile de cavalerie 20 pièces légères. 
L'effectif total montait aussi à environ 20 mille hommes, 
de sorte que les forces des deux armées étaient à peu près 
égales, mais avec un peu plus de cavalerie et surtout d'artil- 
lerie de campagne du côté des Suédois. Le centre de la 
première ligne de ceux-ci fut aux ordres du comte de Brahe, 
celui de la deuxième ligne sous Kniphausen, la gauche sous 
Bernard de Weimar, et le roi garda la droite comme toujours, 
avec Hom pour second. 

De bon matin, le 16 novembre, Gustave mit son armée en 
mouvement et la fit former en bon ordre en avant de Hilpe- 
ritz. Là le service divin eut lieu avec un surcroît de solen- 
nité et de recueillement. Le roi prononça la prière à haute 
voix, après quoi lui et les troupes se prosternèrent à terre; 
en se relevant, ils entonnèrent un formidable chœur reli- 
gieux (') accompagné de toutes les musiques, de l'effet le plus 
imposant. Quelques paroles simples et énergiques pronon- 
cées par le roi aux divers corps, en parcourant les rangs, 
achevèrent d'électriser et d'illuminer les âmes. Malheureu- 
sement le ciel ne se montra pas à l'unisson; un épais brouil- 

(1) Le psaume de Luther : Eine feste Burg têt unser Gott. 



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— 148 — 

lard vint couvrir toute la contrée et ne permit pas d'utiliser 
sur-le-champ la sainte ardeur des soldats. Il fallut attendre 
d'y voir clair et jusque-là ne marcher que lentement et à 
tâtons. 

Vers onze heures , une éclaircie s'étant produite, l'armée 
suédoise se porta plus vivement en avant; elle refoula les 
tirailleurs impériaux embusqués vers les ruisseaux, et fran- 
chit ces obstacles surtout par le pont de Chursitz. Sa droite 
s'établit vers le bois de Schkœlsiger, sa gauche aux abords 
de la ville de Lutzen, que CoUorédo, en se repliant, incendia 
pour se couvrir de ce côté. A ce moment les Suédois arri- 
vèrent sous le feu de l'artillerie de la colline des moulins 
à vent et du fossé de la grande route, et ils durent s'arrêter 
pour laisser à leur artillerie le temps de se mettre aussi en 
position. Plusieurs batteries furent installées sur des terrains 
favorables, une entr'autres au bois de Schkœlsiger, qui ren- 
dit les meilleurs services à toute la droite' suédoise. 

Au bruit d'une vive canonnade Gustave fit avancer sa 
première ligne en échelons par la droite. Sa première bri- 
gade, toute de vétérans suédois, prit sa direction sur les 
canons impériaux du centre, et, malgré les tirailleurs du 
fossé, elle réussit à s'emparer de la batterie, qui fut aussitôt 
tournée contre ses propres troupes. La seconde brigade 
suédoise, formée par la garde ou les jaunes, s'avança sur 
lès traces de la première contre l'infanterie de Wallenstein 
qui, de son côté, se portait aussi en avant. Un vif engage- 
ment eut alors lieu, auquel vint participer de part et d'autre 
le reste de l'infanterie de la première ligne du centre. La 
cavalerie de Piccolomini ayant efficacement chargé la troi- 
sième brigade suédoise, Winkel, puis la deuxième, les 
assaillants durent céder le terrain ; ils perdirent la batterie 
conquise et furent rejetés au-delà du fossé et de la grande 
route, où ils se rallièrent sous la protection de leur artillerie 



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- 149 — 

qui, à son tour, arrêta et refoula les masses impériales. Sur 
ce point la bataille ne se continua, pour quelque temps, que 
par une reprise active de la canonnade et des feux de tirail- 
leurs. 

A leur droite les Suédois avaient été plus heureux. Les 
cuirassiers smalandais, le roi à leur tète, franchirent hardi- 
ment la route, suivis par le reste de la cavalerie de première 
ligne ; ils culbutèrent les Croates d'Isolani et quelques esca- 
drons de dragons et de cuirassiers, et entamèrent, avec la 
réserve de Haraucourt, une action fort disputée. Tandis 
qu'ils répandaient le désordre et la mort sur leur front, une 
portion des chevau-légers croates les tourna; mais ils allè- 
rent trop loin , jusqu'aux bagages , qu'ils se mirent à piller 
jusqu'à ce qu'ils en fussent chassés par la cavalerie suédoise 
de seconde ligne et de la réserve , ce qui ne laissa pas de 
semer aussi quelque trouble dans cette partie de l'ordre de 
bataille. 

A la gauche, les Suédois, suivant le système tactique du 
roi et pour éviter les feux des batteries des moulins à vent, 
avaient été moins actifs. La cavalerie n'avait fait que des 
démonstrations, à l'aide desquelles la brigade d'infanterie de 
gauche de la l"^ ligne, sous le colonel Wildenstein, put se 
mettre en possession du fossé de la grande route ; allant 
plus loin, elle s'empara même de quelques maisons des 
moulins de Lutzen ; mais là elle fut arrêtée par les 14 pièces 
de la colline et dut, plus tard, suivre le mouvement de re- 
traite des autres brigades sur sa droite. 

C'est à ce moment qu'arriva l'événement capital et le plus 
douloureux de la journée ainsi que de toute cette guerre. Le 
roi Gustave-Adolphe avait quitté sa cavalerie victorieuse à 
la droite pour accourir, en tête du régiment Steinbeck, à 
l'aidé de son centre refoulé. Dans les entrefaites le colonel 
Steinbeck ayant été blessé le roi prit effectivement le com- 



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— 150 — 

mandement du régiment et il se précipita au fort de la mê- 
lée. Le premier au-delà des fossés, il s'efforçait de ramener 
son monde au feu quand son vaillant coursier le sépara quel- 
ques instants de sa cavalerie; ajusté alors par un mousque- 
taire impérial, il reçut une balle qui lui fracassa le bras 
gauche. En vain l'intrépide guerrier surmonte la douleur 
et assure les gens qui l'entourent que la blessure, malgré 
les flots de sang qui s'en échappent, est légère ; à peine 
a-t-il lancé en avant le régiment qui l'a enfin rejoint que 
ses forces l'abandonnent et qu'il demande en français au 
duc de Lauenbourg de le conduire sans bruit hors de la 
mêlée. Le duc obéit; tous deux se dirigent vers la droite; 
mais pendant le trajet une seconde balle traverse le dos du 
roi qui tombe de cheval ; bientôt criblé de nouvelles bles- 
sures, il expire au milieu des ennemis qui ne le reconnais- 
sent pas. Son seul aide-de-camp^ le duc de Lauenbourg, 
avait pris la fuite sur l'invitation même du mourant. 

Le cheval du roi, bien connu de toute l'armée, galopant 
effaré et ensanglanté vers sa place habituelle de la droite, 
répandit partout la triste nouvelle. Mais elle fit sur ces vail- 
lants soldats, quoique en situation critique, l'effet contraire 
à celui qu'elle aurait eu sur mainte autre troupe; elle doubla 
leur courage et leur fureur. Tous jurent de venger dans le 
sang ennemi la mort de leur chef bien-aimé. Bernard de 
Weimar, qui, dq consentement des généraux, spontanément 
réunis autour de lui, prend le commandement en chef, est 
dans les mêmes ardentes dispositions. 

L'attaque recommence vers deux heures après-midi. Elle 
se fait comme la précédente, mais la seconde ligne en avant 
et suivie de près par la première ligne, qui n'entend pas 
rester en réserve quand il s'agit de reprendre aux ennemis 
le cadavre de son roi. 

Cette nouvelle action, promptement générale et vigoureu- 



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— 451 - 

sèment conduite, donna bientôt l'avantage aux assaillants. 
Tandis que Wallenstein se vit fortement pressé sur son front 
par l'infanterie, ses deux ailes furent débordées par la cava- 
lerie, son artillerie enlevée fut tournée contre lui. En même 
temps, soit par l'effet du hasard, soit par celui d'une bombe, 
une provision de munitions, tenue au Galgenberg, fit explo- 
sion et répandit, avec l'incendie dans les parcs, la terreur 
sur les derrières des combattants ébranlés. Déjà ils commen- 
çaient une retraite désordonnée quand un nouvel incident 
de cette journée si riche en péripéties vint un moment chan- 
ger la face des choses. 

Pappenheira entrait en ligne. Nanti à Halle des ordres de 
Wallenstein, il était venu en toute hâte avec ce qu'il avait 
sous la main et se faisant suivre par le reste. Pour l'heure, 
il débouchait à la gauche des Impériaux avec environ 4 mille 
cavahers. Malgré la haletante course qu'ils venaient de four- 
nir, ils chargèrent avec vigueur la droite suédoise, qui fut 
forcée de plier. Heureusement le reste de la ligne n'en fut 
pas ébranlé. Le duc de Weimar venait même, du haut des 
collines des moulins, d'ordonner une nouvelle attaque contre 
le Galgenberg, où Wallenstein s'était replié et s'efforçait de 
se remettre en ordre de combat. Le général protestant put 
voir à temps le danger de sa droite et il ajourna son mou- 
vement contre le Galgenberg, Se bornant sur ce point à 
faire harceler les Impériaux, il se porta, avec ses escadrons 
de la gauche, contre le corps de Pappenheim, le chargea 
rudement et le refoula. Les cavaliers impériaux, épuisés de 
fatigue, venaient de perdre leur chef, frappé mortellement 
au plus fort d'une mêlée où il avait espéré trouver le roi 
lui-même. Assaillis sans relâche par le duc Bernard, ils se 
débandèrent et lâchèrent le terrain, vivement poursuivis 
sur la route de Leipsig. 

Le reste de l'armée de W^allenstein y gagna néanmoins 



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— 152 ~ 

d'être suffisamment dégagé pour pouvoir effectuer, à la nuit, 
sa retraite sur Leipsig en Caiisant bonne contenance. 

Le champ de bataille resta aux Suédois avec presque toute 
Tartillerie impériale, succès chèrement payé par la perte de 
leur roi. Environ 10 mille morts jonchaient le terrain, dont 
près de la moitié du côté des Suédois; les blessés montaient 
à peu près au double, ce qui ferait de cette bataille la plus 
meurtrière des temps modernes. 

Le corps du roi ne fut retrouvé que le lendemain, si défi- 
guré par les blessures et les meurtrissures des pieds des 
chevaux qu'on eut grand'peine à le reconnaître. Embaumé 
à Weissenfels, il fut transporté à Stockholm et solennellement 
inhumé dans un mausolée qu'entoure encore aujourd'hui 
la patriotique dévotion des peuples suédois (^). 

La perte était immense pour son armée et pour sa cause. 
Aussi des deux côtés, malgré la défaite matérielle des Impé- 
riaux, on se félicita des résultats de la journée. Si un deuil 
profond y répondit en Suède et dans les pays protestants à 
cause de la mort de Gustave, des salves de réjouissance 
furent tirées à Vienne, à Madrid et à Bruxelles. 

Quoiqu'il en soit la Saxe, objectif de la bataille de Lut- 
zen, fut évacuée par Wallenstein, qui se replia en Bohême, 
et perdue pour les Impériaux. Bernard de Weimar ne tarda 
pas à l'occuper avec toutes ses places fortes. 

Ces événements décisifs ne terminèrent pas la guerre, qui 
dura une quinzaine d'années encore. Mais sa continuation, ^ 
dirigée par quelques-uns des meilleurs élèves de Gustave, 
nous intéresse moins et nous ne nous y arrêterons que 



(1) Nous ne croyons pas devoir nous arrêter à Vhypolhèse , fort répandue en 
son temps, de Tassassinat de Gustave par le duc de Lauenbourg, hypothèse que 
les meilleurs juges modernes (entr'autres Geyer, traduction de Lundblad p. 368) 
estiment t dénuée de toute vraisemblance. » 



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— 153 ~ 

comme introduction à la période qui suivit, à laquelle elle 
se lie directement. 

Sur la guerre de Trente-ans elle-même, nous en savons 
assez pour notre but. Nous y avons pu suivre la renais- 
sance de Tart militaire moderne dans ses diverses branches 
par les soins de Gustave -Adolphe , qui la résume tout 
entière. A la fois homme d'état et homme de guerre, stra- 
tège et tacticien, organisateur et inventeur, général à hautes 
vues et soigneux des détails, artilleur et ingénieur aussi 
bien que brillant chevalier, penseur et philosophe non 
moins que courageux et infatigable troupier ^ homme d'é- 
tudes et homme d'action, grand capitaine dans toute la force 
du terme, Gustave- Adolphe reste une des plus belles figures 
de l'histoire et l'une des gloires de l'humanité, malgré sa fin 
prématurée à l'âge de 37 ans seulement. 

Les écrivains français n'ont ordinairement pas assez rendu 
justice au rôle capital de la Suède et à son héros pendant 
cette féconde période. 

Tandis que les historiens généraux, éblouis par la bril- 
lante part que prit la France à la fin de cette guerre et au 
traité de Westphalie, comme nous le verrons tout à l'heure, 
ont fait de Gustave-Adolphe un simple agent de la grandeur 
politique de Richeheu, les écrivains militaires ont été plus 
loin encore : ils lui contestent son mérite éminent de créa- 
teur de l'art militaire moderne. La belle collection Liskenne 
et Sauvan, dans les précieux documents de ses neufs gros 
volumes sur l'art et l'histoire militaires, depuis Hérodote 
et Xénophon jusqu'à Napoléon et Jomini, n'a pas un mot 
sur la Suède de la guerre de Trente-ans. L'estimable Roc- 
quancourt même essaie d'établir (*) que les véritables fon- 
dateurs de l'art militaire moderne sont, non pas Gustave- 
Ci) Cours d'art et d'histoire militaire, vol. 1. 70. Leçon, p. 254-287. 



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— 454 — 

Adolphe et son émule Maurice de Nassau, mais les capitai- 
nes français Montluc, Coligny, Lanoue, Biron, Henri IV et 
Rohan tous ensemble. C'est là une exagération manifeste 
sortie d'un subtil paradoxe. Sans nul doute Gustave-Adol- 
phe profita des leçons de ses devanciers, comme tous les 
grands capitaines du monde; sa tactique rappelle même 
frappamment celle d'Alexandre; mais ce fut bien le héros 
suédois qui donna incontestablement le sceau aux expérien- 
ces de ses prédécesseurs et qui fixa, pour autant que la 
chose pouvait l'être au milieu d'un mouvement progresssif 
constant et complexe, les diverses méthodes d*organisation 
et de guerre alors en vigueur. 

Quant à son rôle politique, il a été remis à sa vraie place 
par quelques mots justes et caustiques d'un Français que son 
pays ne reniera pas, de Voltaire, quand il dit du vainqueur de 
Leipsig et de Lutzen : « Il ébranla le trône de Ferdinand II ; il 
protégea les luthériens en Allemagne, secondé par les intri- 
gues de Rome même, qui craignait encore plus la puissance 
de l'Empereur que celle de l'hérésie. Ce fut lui qui, par ses vic- 
toires, contribua alors en effet à l'abaissement de la maison 
d'Autriche, entreprise dont on attribue toute la gloire au car- 
dinal de Richelieu, qui savait l'art de se faire une réputation, 
tandis que Gustave se bornait à faire de grandes choses (2). » 

Retournons maintenant, par la fin de la guerre de Trente- 
ans, vers la France. Cette nation, obligée de participer aussi 
à la grande lutte allemande devenue européenne et de 
reprendre l'œuvre interrompue de François I«r contre l'Em- 
pire, fut lancée dans des guerres où, par les mérites de 
quelques-uns de ses généraux et par les progrès qui s'y réa- 
lisèrent, elle regagna le premier rang parmi les puissances- 
ayant marqué dans le développement de l'art militaire. 

(2) Voltaire. Histoire de Charles XTI, Livre I, p. 6. 



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— 155 — 



III 



Les WeimarioDS. '— Débuts de Turenne et de Condé. — 
Fin de la guerre de Trente-ans. 

La mort de Gustave- Adolphe, sans autre successeur qu'une 
fille de six ans, était un événement immense et particulière- 
ment douloureux pour les protestants, dont la cause repo- 
sait toute sur sa tête. Mais c'est un privilège des grands 
caractères de donner à leurs alentours une impulsion qui 
leur survit. L'armée sans chef avait continué la bataille de 
Lutzen et finalement remporté la victoire; de même le sé- 
nat de Stockholm décida de poursuivre la lutte entamée, et 
ses efforts furent aussi couronnés de succès. 

Un des premiers soins des chefs protestants laissés à eux- 
mêmes fut de se réunir en assemblée générale pour s'enten- 
dre sur l'avenir. Cette réunion, qui eut lieu à Erfurt, comp- 
tait des délégués non-seulement de Suède et d'Allemagne, 
mais de France, d'Angleterre, de Hollande. Elle résolut de 
continuer la guerre sous la haute direction du chanceher 
Oxenstiern et sous le commandement militaire de Bernard 
de Weimar, secondé de Horn et de Banner. 

A cet eflFet, une ligue nouvelle fut conclue à Heilbronn le 
9 avril 1633. La France fournirait, outre des subsides, un 
secours actif contre les alliés de l'Empire de son voisinage. 



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— 156 — 

c'est-à-dire surtout contre l'Espagne, la Lorraine et les prin- 
ces ecclésiastiques des contrées rhénanes. D'autre part, les 
électeurs de Brandebourg et de Saxe, vu cette intervention 
française, refusèrent d'adhérer à la Ugue. 

Dans le courant de l'été 1633, les hostilités reprirent avec 
vigueur et sur une vaste échelle. 

Les Impériaux, renforcés d'une quinzaine de mille hom- 
mes venus d'Itahe par la Valteline et le Tyrol, sous les 
ordres du duc de Féria, firent d'abord bonne contenance. 
Leurs avantages furent de courte durée. Une armée fran- 
çaise, sous le maréchal La Force, et le corps suédois de Horn 
soumirent successivement l'Alsace, la Lorraine, les électo- 
rats de Trêves et de Cologne, le comté de Montbéhard sans 
grande opposition, tandis que Féria et le corps d'Altringer, 
détachés de l'armée de Wallenstein, étaient battus en Souabe 
et autour de Brissach sur le Haut-Rhin, par les Suédois. 

Ces derniers se ruèrent ensuite sur la Bavière et Bernard 
de Weimar reprit le plan de Gustave de marcher sur Vienne 
par le Danube. Il réussit bien à s'emparer de Ratisbonne 
et de la ligne, de l'Isar, en refoulant devant lui les Bavarois, 
sous Jean de Werth, mais il ne put franchir l'Inn et dut se 
replier sur Ratisbonne pour y prendre ses quartiers d'hiver. 

Néanmoins, avec les avantages remportés sur le Rhin et 
dans la Basse-Saxe, la cause protestante avait tous les pro- 
fits de la campagne. Elle les devait en bonne partie à l'é- 
trange inaction de Wallenstein en Bohême. Le superbe con- 
dottier, mécontent de l'empereur et du duc Maximilien, 
avait refusé de marcher au secours de la Bavière; il médi- 
tait même, pour maintenir son omnipotence menacée, de 
s'entendre avec les Suédois et de s'approprier la couronne 
de Bohême. Poussé à bout, l'empereur le déclara secrète- 
ment hors la loi et le fit assassiner par quelques-uns de ses 
officiers (février 1634). 



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— 157 — 

Wallenstein fut remplacé par le jeune roi de Hongrie, avec 
Gallas et Piccolomini pour mentors, et le duc Charles de Lor- 
raine et Jean de Werth pour lieutenants. Il reprit Ratisbonne, 
Donauwerth et se joignit, en Souabe, à un corps d'Espagnols 
et d'Italiens amenés par l'infant d'Espagne et le général 
Lleganès. Ces forces, montant à une quarantaine de mille 
hommes, allèrent mettre le siège devant Nordlingen. 

Bernard, même réuni à Horn, n'avait que 25 mille hom- 
mes à leur opposer. Malgré cette infériorité, il ne voulut 
pas attendre les renforts qui pouvaient aisément lui arriver 
et il marcha au secours de la ville menacée. Il attaqua bra- 
vement les positions impériales, mais ses efforts persistants 
et sa vaillance échouèrent contre le nombre. Les Suédois 
subirent là une défaite sanglante (6 septembre 1635). Horn 
y fat fait prisonnier, tous les canons furent perdus et Ber- 
nard ne put se réfugier à Francfort qu'avec 5 ou 6 mille 
hommes débandés. 

Cette défaite devint un vrai désastre pour les protestants 
allemands. Les Impériaux s'avancèrent triomphalement jus- 
qu'au Rhin, ils y battirent encore le Rhingrave Othon (28 
septembre 1635) devant Strassbourg, et toute l'Allemagne 
méridionale fut reconquise aux catholiques, qui y répandi- 
rent la terreur. Au nord, la Saxe et le Brandebourg s'em- 
pressèrent d'échapper au naufrage en concluant, à Prague, 
leur paix particulière avec l'Empire. 

Dans cet état de choses, la France, d'ailleurs provoquée 
par un coup de main des Espagnols de Luxembourg contre 
Trêves, ne pouvait plus se dispenser d'entrer ouvertement 
en lice. Elle le fit en effet et de manière à donner acte de sa 
présence. Près de 150 mille hommes furent mis en mouve- 
ment en quatre armées: deux sur le Rhin, une en Belgique, 
une en Italie. 



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— 158 — 

Toutefois cette première campagne, en 1635, n'oflFrit rien 
de marquant ni de décisif sauf quelques belles opérations 
du duc de Rohan en Alsace, puis dans la Valteline. 

En Belgique les Français, précédés d'une déclaration de 
guerre très-solennelle et accompagnés d'un manifeste de 
Richelieu appelant les peuples à la liberté, n'obtinrent que 
de trompeurs succès. Ne s'entendant pas avec les Hollan- 
dais auxquels ils s'étaient ralliés, ils furent arrêtés sous les 
r murs de Bruxelles et de Namur et durent céder du terrain 
devant Jes généraux Piccolomini et Thomas de Savoie. 

En Lombardie, autour de Valenza, l'armée du maréchal 
Créqui, quoique assez bien secondée par le duc de Parme, 
mais fort mal par le duc de Savoie, ne sut à peu près rien 
faire. 

Sur le Rhin le terrain fut plus disputé. Les Français du 
maréchal La Force et du cardinal La Valette (un collègue 
et ami de Richelieu dont le grand ministre voulait faire un 
homme de guerre) avaient d'abord pris Heidelberg, puis, 
ralliés au duc Bernard, tout le cours du fleuve. Mais après 
la défaite du duc de Rohan ils durent rétrograder peu à peu 
presque sous le canon de Metz devant Gallas et le duc de 
Lorraine Charles IV. Celui-ci reprit même St-Michiel-sur- 
Meuse, ce qu'on considéra en France comme si fatal, que 
le roi alla en personne reconquérir cette place à l'aide de 
12 mille Suisses appelés en toute hâte de leurs montagnes 
et de milices champenoises. Ces troupes recouvrèrent 
encore quelques places de la Lorraine et de l'Alsace, mais 
Gallas hiverna en Alsace et Charles IV en Franche-Comté. 

Ces déceptions engagèrent le gouvernement français à se 
rattacher plus étroitement Bernard de Weimar, toujours 
habile et intrépide, mais vacillant et en quête d'une cou- 
ronne. Par traité dûment conclu à Paris, en novembre 1635 
on lui assura une pension annuelle de 1 Va million de francs 



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— 159 -- 

pour lui, de 4 millions pour son armée d'une vingtaine de 
mille hommes, puis l'Alsace comme fief français, s'il pou- 
vait la prendre. De part et d'autre il n'y avait guère de sin- 
cérité dans cette dernière condition, mais comme elle n'é- 
tait qu'éventuelle le bon accord ne s'en établit pas moins. 
Au printemps 1636, avant de rouvrir la campagne, un autre 
traité régularisa les relations entre la France et la Suède. 
Celle-ci guerroierait en Bohême et en Silésie, celle-là sur 
ses frontières; la France fournirait en outre un subside 
d'un million de francs par an. 

La Franche-Comté, dont la fausse neutralité avait été fort 
gênante aux Français pendant l'année précédente, reçut 
les premiers coups de la campagne de 1636. Une armée 
aux ordres du prince de Condé envahit cette province en 
appelant les populations à l'indépendance et à la nation 
française. Cet appel eut peu d'écho, et la ville de Dole 
opposa une si ferme résistance qu'il fallut l'assiéger régu- 
lièrement. Au bout de deux mois le siège n'avait fait aucun 
progrès. 

Vers le Rhin, mais toyjours en deçà, le cardinal La 
Valette et Bernard de Weimar, opérant ensemble, ravitail- 
lèrent quelques places alsaciennes et Vecouvrèrent la Haute- 
Sarre et Saverne, contre l'empereur qui était venu com- 
mander en personne les troupes de Gallas et du duc de 
Lorraine. Les succès s'arrêtèrent là. 

Ces lenteurs en Franche-Comté et en Alsace nuisirent 
aux opérations françaises en Belgique, où Richelieu avait 
espéré faire rabattre une portion des autres armées. Là les 
Impériaux avaient plus de 35 mille hommes, moitié infan- 
terie, moitié cavalerie, avec un gros parc d'artillerie, réunis 
autour de Liège sous les ordres de Thomas de Savoie, Pic- 
colomini et Jean de Werth. Après s'être emparés de Liège 
ils pénétrèrent en Picardie, accompagnés aussi d'un mani- 



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— 160 -- 

feste révolutionnaire, lequel, entrant dans des intrigues de 
cour, prenait en main la cause de la reine-mère et des adver- 
saires exilés du cardinal. Ils s'emparèrent presque sans 
coup férir des petites places de la Capelle et du Catelet et 
s'avancèrent sur la Somme. 

L'alarme fut grande en France, surtout dans les régions 
envahies. Par suite de la négligence de quelques hauts 
fonctionnaires on y manquait à la fois de troupes et d'ar- 
gent pour en lever. Une force d'une trentaine de mille 
hommes fut réunie avec peine à Saint-Quentin sous les 
ordres du comte de Soissons et des maréchaux de Chaunes 
et de Brézé. Ces généraux s'entendirent si bien à éparpiller 
leurs troupes qu'il ne leur resta qu'une douzaine de mille 
hommes pour disputer le passage de la Somme aux Impé- 
riaux. Ceux-ci franchirent la rivière à Gerisi (entre Brai et 
Gorbie), le 2 août 1636, prirent ensuite Roie et s'avancèrent 
sur l'Oise, tandis que les Français se repliaient sur Noyon 
et Gompiègne. 

La terreur régnait déjà au sein de Paris avec une grande 
colère contre Richelieu, honni comme l'auteur de ces 
misères. Néanmoins on s'y prépara énergiquement à la 
défense. Les bourgeois se mirent sur pied et se rangèrent 
autour du vieux maréchal La Force ; des fortifications furent 
élevées, Gondé rappelé de Dole et les Hollandais implorés 
d'agir sur les derrières des Impériaux. 

On ne sait ce qui fût arrivé si ceux-ci avaient poursuivi 
leur offensive avec l'entrain qu'ils y avaient mis au début. 
Malheureusement ils s'arrêtèrent au siège de Gorbie, et 
quoiqu'ils finirent par enlever cette place, ils perdirent 
dans cette opération secondaire un temps précieux. Les 
Français purent réunir déjà en septembre une force d'une 
quarantaine de miUe hommes à Gompiègne, ce qui mettait 
Paris à l'abri d'un coup de main. Monsieur (Gaston, jfrère 



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— 464 — 

du roi) qui commandait cette armée, prit à son tour Tofifen- 
sive et marcha de Gompiègne sur Roie, où il fit aussi son 
siège, qui dura trois jours. 

Ces incidents forcèrent Jean de Werth à changer de rôle. 
Il effectua sa retraite après avoir mis garnison dans Gorbie. 
Cette ville fiit reprise au bout de deux semaines de siège; dès 
lors une situation qui n'avait plus rien de critique se réta- 
blit sur cette frontière. Il en coûtait aux Français la con- 
quête de la Franche-Gomté, complètement manquée pour 
cette fois, malgré une heureuse diversion qu'y tenta Ber- 
nard de Weimar. 

Tout ne fut pourtant pas mécompte dans cette laborieuse 
campagne. Les échecs relatifs des Français avaient été favo- 
rables à leurs alliés suédois, d'autant plus dégagés des mas- 
ses ennemies. Le landgrave de Hesse-Gassel s'était valeu- 
reusement maintenu en Westphalie contre des forces supé- 
rieures. Dans le Brandebourg, Banner avait remporté une 
grande victoire, à Wittstock (23 septembre 4636), sur l'élec- 
teur de Saxe et les Autrichiens du comte de Hatzfeld. Ge 
succès lui avait livré du coup tout le Brandebourg, la Thu- 
ringe, la Hesse, qui furent débarrassés d'Impériaux, puis 
la Saxe sur laquelle le vainqueur fit peser de dures mais 
méritées représailles, tout en y donnant de bons quartiers 
d'hiver à ses troupes. 

Au printemps 4637 cette situation se modifia. Gallas rap- 
pelé en Allemagne, et les électeurs de Brandebourg et de 
Saxe réunis, forcèrent Banner à se replier vers la Baltique 
et à défendre pied à pied la Poméranie dont le duc venait 
de mourir et dont l'héritage était réclamé à la fois par le 
Brandebourg et par la Suède. 

Dans la Valteline, Rohan, quoique délaissé par son gou- 
vernement, se maintint longtemps contre les Autrichiens 
secondés de l'insurrection du pays et bientôt de troupes 

TOME II. 44 



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— 162 — 

espagnoles. Après une défense qui peut encore servir de 
modèle pour la guerre de montagne, Rohan dut enfin céder 
au nombre et se retirer. Aigri contre le cardinal de Riche- 
lieu il s'exila à Genève et disparut pour le moment de la 
scène. 

Sur le Rhin la forteresse d'Ehrenbreitstein, qui tenait 
depuis deux ans, fut enfin prise par Jean de Werth, ainsi que 
Hanau. Coblenz quelque temps auparavant avait été aussi 
perdue par les Français, de sorte que ceux-ci ne possédè- 
rent plus de places dans l'électorat de Trêves. 

Au midi leurs armes furent plus heureuses. Les Espa- 
gnols sortis du Roussillon furent battus à Leucate (29 sep- 
tembre 1637) par le duc d'Halluin qui y gagna son bâton 
de maréchal; les îles de Lerins leur furent aussi reprises. 

En même temps la Franche-Comté fut le théâtre d'une 
nouvelle campagne. Cette province espagnole, si fort au 
goût de la France, fut envahie par Longueville du côté du 
sud et par Bernard de Weimar du côté du nord. Ils la par- 
coururent en tous sens, repoussèrent dans plusieurs com- 
bats le duc de Lorraine et les miUces franc-comtoises, mais 
durent borner leurs trophées à la prise de quelques petites 
places. Le cardinal La Valette, adjoint à Bernard de Weimar, 
fut appelé en Belgique et Bernard sur le Rhin contre Jean 
de Werth. Seul à la tête de l'armée mixte franco-allemande, 
Bernard la réorganisa à peu près au système de son maître 
Gustave-Adolphe ; mais le gouvernement français, prenant 
ombrage de ces mesures, le laissa manquer des renforts et 
des approvisionnements nécessaires, ce qui le força de se 
repher sur l'Alsace aux environs de Bâle. Il n'avait fait en 
somme que des courses infructueuses du Rhin en Franche- 
Comté et vice-versa. 

Comme diversions, ces courses ne furent guère plus 
Utiles par suite de la mauvaise direction des opérations sur 



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— 163 — 

le théâtre principal de la guerre, en Belgique. Un vaste 
plan avait été combiné pour cette zone, entre Richelieu et 
le prince d'Orange. On devait agir par terre et par mer con- 
tre Dunkerque. Le cardinal La Valette devait encore marcher 
par Liège pour se rallier cette grande ville, et le maréchal 
Chatillon opérer en Luxembourg. Ces projets trop compli- 
qués se contrecarrèrent les uns les autres; on s'entendit 
mal, il y eut des lenteurs, du temps perdu à une foule de 
sièges insignifiants, et cette campagne, pour laquelle de si 
grands moyens avaient été réunis, n'aboutit qu'à brouiller 
les Français et les Hollandais et à déconsidérer La Valette 
dans l'esprit même de son compère Richelieu. On vit en 
revanche à la défense de Maubeuge se distinguer un officier 
qui va devenir un attrayant sujet de nos études, Turenne 
alors colonel, neveu et élève de Maurice de Nassau. 

En 1638 la guerre fut reprise avec plus de vigueur et plus 
d'efficacité. Bernard de Weimar en eut tous les honneurs. 
En février il se porte du Jura bernois par la Suisse sur le 
Rhin, s'empare des villes forestières impériales de Lauffen- 
bourg, Waldshut, Seckingen et va mettre le siège devant 
Rheinfeld. Les Impériaux, un moment déconcertés par ce 
mouvement tournant leur gauche, accourent néanmoins en 
plusieurs corps séparés. Jean de Werth les réunit, fait lever 
le siège de Rheinfeld et repousse Bernard sur Lauffenbourg 
après plusieurs sanglantes affaires, où Rohan, venu com- 
battre avec cette petite armée, fut blessé mortellement (28 
février). Comme les vainqueurs fêtaient leurs succès Ber- 
nard, qui s'était replié en très-bon ordre, les attaque à son 
tour à Rheinfeld, le 3 mars, les surprend et les bat si com- 
plètement qu'il leur capture toute leur artillerie et quatre 
généraux. Parmi ceux-ci se trouve Jean de Werth, qu'il 
envoyé en trophée à Paris, où deux ans auparavant il avait 
jeté tant d'épouvante. Après cet exploit Bernard prend 



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— 464 — 

Fribourg et tout le Brisgau, puis renforcé par un corps 
français sous le maréchal Guébriant et où se trouve le colo- 
nel Turenne à la tête d'un régiment de Liégeois, il va blo- 
quer la place de Brissach, importante tête de pont sur la 
droite du Haut-Rhin, clef à la fois de l'Alsace et de la Forêt- 
Noire. Douze mille Impériaux sous Savelli et Gœtz avec un 
immense convoi s'avancent pour secourir et ravitailler 
Brissach. Bernard se porte à leur rencontre, les bat et les 
disperse totalement à Wittweyer en Souabe (9 août). Gœtz 
réussit à rallier 5 à 6 mille hommes et à se faire rejoindre 
par le corps du général vallon Lamboi. Avec ces forces il 
reprend son projet et donne rendez-vous sous les murs de 
Brissach au corps du duc de Lorraine appelé de l'Alsace. 

Ce n'était pas devant un adversaire comme le duc de 
Weimar qu'un projet aussi vicieux pouvait rester impuni. 
Profitant habilement de sa position centrale Bernard court 
d'abord à Charles IV et le défait à Thann le 15 octobre, il 
revient aussitôt à son camp déjà menacé par Gœtz et bat 
encore ce général dans une chaude bataille le 23 octobre 
où de nouveau Turenne se distingue par sa bravoure et 
par son coup d'œil. Brissach se défendit encore vaillam- 
ment pendant quelques semaines et capitula enfin le 18 
décembre. 

Ces victoires répandirent l'allégresse en France Le car- 
dinal de Richelieu surtout ne se sentait pas de joie et daigna 
trouver que Bernard gagnait bien sa pension* 

Sur les autres théâtres les résultats de la lutte s'étaient 
mieux balancés. La flotte française avait, il est vrai, battu 
la flotte espagnole dans deux rencontres, devant Gênes et 
à Gueretaria sur les côtes du Portugal. Mais en Italie Créqui 
avait été défait et tué devant le fort de Bremo (mars "1638) 
qui se rendit au gouverneur de Milan Lleganez. Celui-ci 
s'empara ensuite de Vercelli, malgré les eiforts du cardinal 



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^ 165 — 

La Valette envoyé avec des troupes pour remplacer Créqui. 
Les Français ne purent se maintenir qu'avec peine à Gasale. 

En Belgique les maréchaux La Force, Chatillon, Brézé, 
assez peu secondés par les Hollandais, se trouvèrent à forte 
partie, malgré leur effectif de 40 mille hommes, contre Pic- 
colomini et Thomas de Savoie sous l'habile direction supé- 
rieure de l'infant d'Espagne. De part et d'autre on se con- 
suma en longs sièges. Ayant échoué devant St-Omer les 
Français durent se consoler par la prise des petites places 
de Reuti et du Catelet. 

En Franche-Comté le duc de Longueville avait aussi con- 
tinué à prendre quelques petites places, Lons-le-Saulnier, 
Poligny ; il se maintint dans le pays en escarmouchant con- 
tre le duc de Lorraine. 

En Espagne la lutte se poursuivit sur terre et sur mer. 
Le prince de Condé éprouva de graves échecs devant Fon- 
tarabie, par suite de la jalousie de ses deux lieutenants, les 
ducs de La Valette et d'Epernon. Aussi malgré la victoire 
navale de Gueretaria, mentionnée plus haut, les Français 
durent évacuer l'Espagne et faire une retraite qui se chan- 
gea bientôt en déroute. 

L'année suivante (1639) une flotte espagnole sous l'ami- 
ral Oquendo fut encore battue dans la Manche par les for- 
ces hollandaises et françaises de l'amiral Martin Trump. 

Sur terre la guerre de sièges recommença en Belgique ; 
elle n'y fut pas favorable aux Français qui subirent un revers 
considérable devant Thionville. Piccolomini put y donner 
brillamment la chasse aux troupes de Feuquières dont la 
cavalerie avait été prise d'une étrange panique. 

Pendant ce temps les Weimariens et les Suédois s'apprê- 
taient à des coups plus décisifs. Ils voulaient reprendre 
l'ancien projet d'une double marche sur Vienne, Weimar 
par la Bavière, Banner par la Bohème. 



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- 166 — 

Depuis la prise de Brissach Bernard de Weimar était 
sans contredit la personnalité la plus marquante des armées 
de l'Europe. Le roman de ses espérances commençait à 
devenir une réalité ; il comptait régner en Alsace et certes 
ce n'était point trop prétentieux de sa part. Affectant déjà 
des allures indépendantes il avait refusé d'aller triompher à 
Paris où une nièce de Richelieu lui était offerte en mariage. 
Il est vrai qu'une autre opération matrimoniale lui tenait 
plus à cœur. La veuve du landgrave de Hesse-Gassel, l'héroï- 
que Amélie, femme d'esprit et de courage, vers laquelle d'ail- 
leurs ses sentiments le portaient, pouvait lui apporter avec 
sa main un commencement d'armée et de royaume qui 
n'était point à dédaigner. 

Le cardinal de Richelieu, qui avait pénétré tous ces pro- 
jets, fut fort inquiet, comme on pense, du nouvel empire 
rhénan qui menaçait de se fonder à ses portes. S'occupant 
aussitôt de contreminer les plans de son trop glorieux 
pensionnaire, il commença à se créer à prix d'or des atta- 
ches dans sa place de Brissach. Le destin le servit mieux 
encore. En juillet 4639 la brillante carrière de Bernard se 
termina subitement à Neubourg sur le Rhin. Gomme il 
était très-robuste et encore jeune, 36 ans, on attribua au 
poison cette mort inopinée qui venait si bien calmer les 
appréhensions de la politique française. Mais il paraît qu'il 
ne fut victime que de la contagion pestilentielle qui avait 
éclaté dans son camp. 

Sa vaillante armée, la meilleure portion de son héritage, 
fut fort convoitée ; elle passa ou plutôt elle testa à la France 
qui fut d'ailleurs le compétiteur le plus offrant. Richelieu 
sut y aider par toutes les ressources de sa vigoureuse poli- 
tique. Il entra en composition avec le prince Guillaume, 
frère et héritier de Bernard, ainsi qu'avec plusieurs de ses 
lieutenants; il fit emprisonner un autre concurrent, Félec- 



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— 167 — 

teur palatin qui se trouvait en France, et il acheta la place 
de Brissach à son gouverneur d'Erlach, de Berne. Longue- 
ville fut placé à la tête des Wèimariens avec Guébriant pour 
second. Ces excellents soldats apportèrent sous les drapeaux 
français une bonne partie des institutions et des usages de 
Gustave-Adolphe, perfectionnés encore par Bernard ; c'est 
ainsi que se maintint sans interruption la chaîne des pro- 
grès de Tart militaire dès le héros suédois aux grands géné- 
raux du siècle de Louis XIV et qu'on peut dire que ceux-ci 
furent les disciples et les continuateurs de ceux-là. 

De son côté Banner n'était pas resté fort au-dessous de 
son collègue Weimar. Il avait fait des prodiges de valeur 
et de hardiesse sur l'Elbe et sur l'Oder. Deux fois il avait tra- 
versé cette dernière rivière à la nage ou avec de l'eau jus- 
qu'au cou et échappé à des ennemis qui croyaient l'avoir 
complètement cerné. Après avoir reçu en Poméranie des 
renforts de la Suède, il battit successivement le général 
impérial de Salis et les Saxons, pénétra en Saxe, en Bohême 
et jusqu'en Moravie en ravageant tout sous ses pas. En 
4640, trop chargé de butin, il fut moins heureux et dut 
revenir sur le Weser pour y prendre des quartiers d'hiver 
et se joindre à l'armée weimarienne et à celle de la land- 
grave de Hesse-Cassel passée aussi à la solde de la France. 
Mais les deux généraux Banner et Guébriant s'entendirent 
ma^ entre eux, et Piccolomini, qui leur était opposé, les 
condamna pour quelque temps à l'inaction, les Suédois sur 
le Weser, Guébriant dans la Hesse. 

Encore au fort de l'hiver Banner reprit la campagne par 
un coup de-main sur Ratisbonne où la diète catholique était 
assemblée sous la présidence de l'Empereur. Les vents lui 
furent contraires. Au moment où il espérait franchir le Da- 
nube sur la glace, le dégel survint ; il ne put que terroriser 
la ville par son artillerie. 



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— 168 — 

Toujours en désaccord avec Guébriant qui au lieu de le 
suivre en Bavière et en Moravie retourna sur le Rhin, Ban- 
ner isolé fut bientôt menacé sérieusement par les Impériaux 
de Piccolomini. Il put cependant les éviter, gagner la Saxe 
et rallier Guébriant à Zwickau. Ils se replièrent ensemble 
derrière la Saale et sur Halberstadt. Là Banner trouvais 
terme de ses exploits^ en mai 1641, par suite des débauches 
qui lui étaient familières. 

Sur les autres théâtres Tannée 1640 portait plutôt ses 
faveurs aux Français. En Italie Harcourt avait brillamment 
refoulé Lleganez sous Casale, puis enlevé Turin après 4 V2 mois 
de siège pendant lesquels Turenne, alors lieutenant-général, 
déploya des qualités qui le mirent encore plus en évidence. 

En Belgique les mêmes généraux français et deux corps 
hollandais s'emparèrent de la place d'Arras. 

En Espagne Brézé remporta une victoire navale à Cadix 
sur l'amiral Castignosa, tandis que le Portugal et la Catalo- 
gne s'insurgeaient contre le roi d'Espagne et s'alliaient avec 
la France. 

En 1641 la campagne de Belgique se compliqua d'inci- 
dents particuliers. Le duc xie Lorraine s'était rendu à Paris 
pour y faire sa paix ; rentré dans une partie de ses biens et 
mécontent de cette restriction il se déclara de nouveau pour 
les Espagnols. En même temps le puissant comte de Sois- 
sons avait commencé la guerre civile en France et s'était 
joint aux Impériaux. Cela ne donna rien de marquant. La 
Meilleraie poursuivit la conquête de l'Artois et presque toute 
la Lorraine fut recouvrée. Mais Chatillon s'y laissa battre 
à la Marfée (5 juillet) par Lamboi et les conjurés, auxquels 
il n'échappa que par miracle en se sauvant à Rethel. Heu- 
reusement pour Richelieu le comte de Soissons fut tué dans 
une rencontre à la tète d'une brillante charge de cavalerie, 
ce qui ajourna la guerre civile. 



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— 169 — 

En Italie, malgré l'hostilité des princes de Savoie, Har- 
court remporta quelques succès ; il prit entr'autres Coni et 
chassa les Espagnols de Monaco dont le prince se mit sous 
la protection de la France. 

En Catalogne la lutte se concentra surtout à Tarragone 
assiégée du côté de terre par La Motte et bloquée par l'ami- 
ral Sourdis. Quelques combats navals eurent lieu, à la suite 
desquels les Français durent lever le siège. Chose curieuse ! 
les deux amiraux furent disgraciés en même temps par 
leurs gouvernements pour ces opérations. Barcelone de 
plus en plus menacée par les Castillans déclara formelle- 
ment se donner à la France. 

En Allemagne la mortdeBanner fit chômer les hostilités. 
Guébriant y gagna néanmoins le combat de Wolfenbûttel 
(29 juin) près Brunswick, après quoi il resta en défensive 
sur l'Œker attendant la jonction des Suédois de Torstenson 
qui devait remplacer Banner. Le reste de l'année se passa 
en négociations diplomatiques. Elles amenèrent, le 25 sep- 
tembre, un traité pour l'ouverture de conférences diploma- 
tiques à Miînster et à Osnabriick en vue de la paix qu'au 
fond les deux principaux belligérants, France et Empire, 
désiraient assez peu. 

Pour l'année 1642 Richelieu avait résolu de porter ses 
coups en Catalogne et de rester en défensive sur les autres 
zones. Il était obligé d'alléger les charges et les taxes mili- 
taires pour apaiser les mécontentements intérieurs ; d'ail- 
leurs au point de vue stratégique la dissémination des forces 
sur un si grand nombre de théâtres principaux d'opérations 
était fondamentalement vicieuse. 

Guébriant se replia sur la gauche du Rhin pour entrete- 
nir l'ennemi entre Rhin et Meuse et protéger au besoin 
l'Alsace. Dans l'électorat de Cologne, menacé d'être enserré 
par deux adversaires, les Impériaux de Lamboi et les Bava- 



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— 170 — 

rois de Hatzfeld, il sut prévenir leur jonction par la manœu' 
vre ordinaire des lignes centrales. Il alla battre Lamboi à 
Kempen (17 janvier 1642) en Prusse Rhénane au sud de 
Clèves ; il lui tua 8 à 9 mille hommes et le fit prisonnier 
avec bon nombre de ses officiers. Le vainqueur de Marfée 
fut envoyé à Paris comme précédemment Jean de Werth. 
Après cette victoire Guébriant se retourna contre Hatzfeld, 
qui ne l'attendit pas et se replia au plus tôt, laissant au géné- 
ral français la libre possession de la majeure partie de Félec- 
torat de Cologne et des duchés de Juliers. 

En Italie il y eut aussi une pause. Harcourt en fut rap- 
pelé et envoyé avec le maréchal de Guiche (plus tard duc 
de Grammont) en Belgique. Les deux corps d'armée mon- 
taient à une trentaine de mille hommes et l'on augurait bien 
pour eux de la mort ^ récente du cardinal infant. Mais son 
successeur Mello débuta avec une assurance et une acti- 
vité prouvant que le commandement supérieur n'avait pas 
déchu. Prévenant les Français il enleva Lens (19 avril) puis 
la Bassée. Il réussit ensuite à faire séparer les deux géné- 
raux ennemis et à rejeter Guiche vers St-Quentin en lui 
tuant 3 à 4 mille hommes, tandis que Harcourt renforçait 
les garnisons de^ Calais et de Boulogne. La lutte se poursui- 
vit en escarmouches sur la Somme et dans le Calaisis. 

Dans les Pyrénées la campagne allait à souhait pour la 
France. Les généraux La Motte et La Meilleraie, secondés 
d'une flotte, soutinrent efficacement la Catalogne contre les 
entreprises de Lleganez, prirent CoUioure, Perpignan, tout 
le Roussillon. Deux hommes appelés à un grand renom s'y 
manifestèrent avantageusement, le duc d'Enghien, fils du 
prince de Condé, à la tête d'un beau régiment de volontai- 
res de la noblesse, et le capitaine d'une héroïque galère, 
Abraham Duquesne, jeune huguenot de Dieppe. C'est aussi 
à ce moment que se produisit la conjuration de Cinq-Mars 



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— 171 ~ 

contre Richelieu, qui eut surtout ceci d'intéressant qu'un 
des conjurés, le duc de Bouillon, céda la place de Sedan à la 
France pour prix de sa grâce. 

En Italie les choses n'avaient pas mal marché pour Riche- 
lieu. Les princes de Savoie, revenus à la France, aidèrent 
puissamment à la prise de Tortone et à toute la portion du 
Milanais au sud du Pô. Aussi cette conquête fut remise au 
vaillant Thomas de Savoie à titre de fief français. 

Enfin en Allemagne le célèbre général suédois Torstenson, 
quoique perclus de douleurs et porté en litière, venait d'ou- 
vrir une brillante campagne. Il s'avança jusqu'en Moravie, 
d'où, se rabattant sur la Saxe, il alla assiéger Leipsig en 
attendant Guébriant, qui devait le rejoindre. Mais l'archi- 
duc Léopold et Piccolomini accoururent au secours de la 
Saxe ; une autre grande bataille se livra dans la plaine de 
Breitenfeld le 2 novembre 1642, oii les Suédois remportè- 
rent une victoire aussi complète que sous Gustave. Gué- 
briant qui les rejoignit un peu après en compléta les béné- 
fices et presque toute l'Allemagne centrale subit la loi des 
Franco-Suédois. 

La France avait ainsi atteint un haut degré de puissance, 
lorsque l'âme de son gouvernement lui fit défaut. Riche- 
lieu mourut le 13 décembre 1642, et quelques mois plus 
tard le roi Louis XIII tomba malade pour ne plus se rele- 
ver. Heureusement l'impulsion donnée à la politique par 
le célèbre cardinal durait encore; d'ailleurs il léguait au 
roi son secrétaire Mazarin, qui continua son œuvre sinon 
aussi vigoureusement au moins avec la même ténacité et 
avec plus de souplesse. Au mois de mai 1643 le roi Louis XIII 
suivit son grand ministre dans la tombe et la reine Anne 
d'Autriche, proclamée régente pendant la minorité du jeune 
Louis XIV, âgé de 5 ans, prit en mains le gouvernement ou 
plutôt le remit à Mazarin, qui jouissait de toute sa confiance. 



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— 472 — 

En même temps la guerre avait repris une nouvelle 
vigueur par les favorables perspectives que ces changements 
à Fintérieur de la France semblaient ouvrir à ses adversaires. 

En Italie le gouverneur de Milan rentra dans Tortone (27 
mai 1643) et lit rétrograder Thomas de Savoie et le comte 
Plessis-Praslin. Mais des renforts français étant arrivés sous 
Turenne, les Espagnols furent chassés d'Asti, de Trino et 
de Ponte-di-Stura, après de chauds combats. Ces brillants 
succès valurent à Turenne le bâton de maréchal, et nous 
allons bientôt le voir au premier rang de la scène militaire. 

Sur les rives de l'Ebre La Motte resserra les places de 
Tarragone et de Rosas et continua ses progrès en Aragon. 
Plus tard son adversaire Ueganez ayant été destitu é etrem- 
placé par Piccolomini, les Français furent chassés de TAra- 
gon et durent évacuer la place de Monçon. 

Sur mer le pavillon français maintint sa supériorité dans 
la Méditerranée par une autre victoire sur les Espagnols, à 
Carthagène, le 3 septembre 1643. 

Mais ces événements pâlissaient devant ceux de la fron- 
tière du Nord. Dès les premiers jours de février Mello avait 
pris Toffensive avec des forces très-supérieures. Une armée 
française fut aussitôt réunie sur la Somme et le commande- 
ment, autant par suite de combinaisons politiques pour for- 
tifier Mazarin à l'intérieur que par d'heureux pressentiments 
militaires, en fut remis au duc d'Enghien. Cet imberbe vé- 
téran s'était distingué aux sièges d'Arras et de Perpignan, 
avait beaucoup vécu dans les camps avec son père et se 
trouvait marié depuis deux ans à une nièce du cardinal. 
Par défiance de ses 20 ans, âge qui n'est pas souvent pro- 
pice au commandement en chef, on lui donna un mentor 
dans la personne du vieux maréchal l'Hospital et bon nom- 
bre de lieutenants de mérite, entr'autres Gassion et Sirot, 
anciens officiers de Gustave.- 



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— 173 — 

Au commencement de mai, le général espagnol feignit, 
dès les environs de Mons, de menacer Arras, puis il con- 
versa et. fila rapidement par le Hainaut vers la Champagne ; 
le 12 mai il investit la place de Rocroy, à l'entrée des Ar- 
dennes. 

Le duc d'Enghien fit aussitôt marcher à l'ennemi, malgré 
les avis contraires de l'Hospital, en se faisant précéder par 
Gassion avec 1500 chevau-légers. Celui-ci réussit à jeter 
quelque renfort dans la place et surtout à remonter le cou- 
rage des défenseurs en leur annonçant l'arrivée prochaine 
de toute l'armée. En effet, le 17 mai, Enghien arriva à Bossu, 
à 4 lieues de Rocroy, où il rallia son avant-garde. Dans la 
même journée, il avait été avisé de la mort de Louis XIÏI et s'é- 
tait décidé à livrer bataille avant que ce fâcheux événement 
ne fût rendu public. Il garda donc pour lui cette importante 
nouvelle et fit reprendre la marche vers l'ennemi dès le 
lendemain matin. Pour tranquilliser l'Hospital, il fit mar- 
cher prudemment et annonça qu'il se bornerait à glisser un 
renfort dans la place. 

Arrivé à une lieue du camp ennemi dans la même mati- 
née, le jeune général réunit un conseil de guerre et annonça 
son intention d'attaquer immédiatement et de secourir Ro- 
croy à tout prix. L'Hospital et d'autres généraux se récriè- 
rent, mais il leur fit comprendre en peu de mots que le 
conseil était convoqué pour fournir des renseignements et 
entendre des instructions, non pour émettre des opinions 
sur l'opportunité de la bataille ; que, du reste, il se chargeait 
de l'événement. En cette circonstance, il avait doublement 
raison, puisque son intention offensive se justifiait par une 
situation politique dont il avait seul le secret, sans compter 
qu'il y était encouragé par le vaillant et habile Gassion, fai- 
sant volontiers la contrepartie de l'Hospital. L'armée fran- 
çaise marcha donc en avant. 



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— 174 — 

De son côté, Mello, que ses forces supérieures engageaient 
aussi à livrer bataille, ne fit rien pour empêcher les Français 
de déboucher dans la plaine dominée parles murs de Rocroy, 
ce qui lui eût été cependant facile. Il leva le siège pour les at- 
tendre en avant de la place etdisposa ses troupes pour l'action. 

Lui-même se plaça à la droite de son front avec quatre 
mille chevaux et autant de fantassins, sur deux lignes. Son 
centre fut composé de Tinfanterie vallonné, italienne, alle- 
mande en première ligne et de l'espagnole en seconde ligne, 
soit 8 mille hommes en tout, sousFuentès, vieillard perclus 
et porté en litière. A la gauche, le duc d'Albuquerque eut 4 
mille fantassins et 3 mille cavaliers, aussi sur deux lignes. 
En réserve derrière le centre, un millier de chevaux et 
autant de fantassins. En outre, un corps de 4 à 5 mille hom- 
mes, sous le général vallon Beck, qui était à quelques heues 
de là, devait, le 49 au matin, renforcer la réserve. 

En avant des lignes, une portion de l'artillerie et des mous- 
quetaires occupa des positions favorables, entr'autres un 
petit bois sur la gauche, qui flanquait et couvrait Albuquer- 
que. L'armée devait compter ainsi, avec Beck, une trentaine 
de mille hommes, dont le tiers environ de cavalerie. 

Le 48 au soir, il y eut de vives escarmouches. Les batte- 
ries espagnoles canonnèrent un corps français, sous La- 
Ferté-Senneterre, qui, tout en reconnaissant la position, 
cherchait à jeter du renfort dans la place. La-Ferté dut se 
replier avec une perte d'environ deux mille hommes, ayant 
chèrement appris que la droite ennemie était très-forte en 
positions d'artillerie. 

Pendant la nuit, d'Enghien, avisé que Mello attendait 
pour le lendemain l'arrivée de Beck, hâta ses dispositions 
afin d'attaquer dès l'aube. Il avait environ 22 mille hommes, 
dont 6 mille chevaux et une belle artillerie, qu'il répartit 
comme suit : 



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— 475 — 

Au centre, le gros de l'infanterie et de l'artillerie, sous 
d'Espenan; à droite, la cavalerie de Gassion avec un corps 
de mousquetaires ; à gauche, l'Hospital avec un corps mixte 
d'infanterie et de cavalerie. De l'artillerie de campagne fiit 
répartie sur tout le front ; et sur les ailes, des pelotons de 
mousquetaires furent mêlés aux escadrons, d'après le sys- 
tème de Gustave, qu'on ne saurait cependant donner pour 
modèle de bonne tactique en toutes circonstances et surtout 
si les chevaux doivent fournir de vigoureuses charges. Tou- 
tes ces troupes furent placées sur deux lignes; une troi- 
sième ligne ou réserve fut formée par Sirot avec un corps 
mixte de trois mille hommes. Enghien se réserva de diriger 
immédiatement l'action de la droite avec Gassion. 

Un léger vallon séparait les deux adversaires. De bon 
matin, le 19, il retentit du bruit de la canonnade et de la 
mousqueterie, précédant de peu l'offensive des Français. 
Leurs ailes prennent les devants sur le centre et s'engagent 
vivement. La gauche espagnole, à forte partie contre les 
mousquetaires déployés, se laisse enlever le petit bois; puis 
Enghien assaillit Albuquerque de fronts tandis que Gassion 
* le charge sur son flanc gauche et à revers. Cette aile espa- 
gnole ne tarde pas à être rompue et à se replier en désor- 
dre, poursuivie par Gassion. Enghien, conversant à gauche, 
se jette sur le centre ennemi, l'enfonce et le refoule sur sa 
réserve. Avec l'appui de cette dernière, la ligne en retraite 
se reforme et soutient le combat contre d'Espenan, qui s'est 
aussi porté en avant, quoique avec lenteur. 

A la gauche française, les choses ont une tournure analo- 
gue, mais en sens inverse. L'Hospital, foudroyé, puis cul- 
buté par Mello, se voyait entraîné en arrière par sa cavalerie 
débandée ; il était blessé, son lieutenant La Ferté, blessé 
aussi , avait été capturé ; l'aile gauche française était en 
pleine déroute. Mello, après l'avoir poussée un moment, se 



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— 176 — 

rabat à droite et assaillit la gauche de d'Espenan ; il s'em- 
pare de plusieurs batteries, mais est arrêté par la réserve de 
Sirot, qui s'avance très-opportunémeixt> reprend le canon 
perdu et finit par combattre en première ligne. La réserve 
de l'ennemi en ayant fait autant, on en était déjà ad triarios, 
auraient dit les Romains; un parfiaiit chassez-croisez s'était 
produit entre les deux armées. 

De sa droite victorieuse, Enghien avait pu suivre ces péri- 
péties ; elles ne lui inspirèrent que la prompte résolution de 
courir au danger aussi rapidement que possible. Laissant 
les centres engagés, il se porta au secours de sa gauche par 
le chemin le plus court, c'est-à-dire par derrière la ligne 
espagnole restée sans réserves. De cette façon, il assaillit à 
revers les troupes de Mello, que Sirot contenait de front. Ce 
mouvement fut décisif; les fortes batteries de la droite espa- 
gnole furent tournées et enlevées ; Mello, enserré, se dé- 
banda, et le gros des fuyards eut la mauvaise chance de 
rencontrer Gassion,-qui le tailla en pièces. Ce brave général 
venait de donner une chasse fructueuse aux débris d'Albu- 
querque et il avait aussi réussi à refouler avec eux les trou- 
pes de Beck, arrivant à la bataille avec un excès de pru- 
dence que ne comportait guère la situation et le caractère 
des adversaires aux prises. 

Ce fut encore Gassion qui donna le dernier coup. Les 
deux centres étaient toujours engagés. D'Espenan et Sirot 
continuaient leurs attaques contre les vieilles bandes de 
Fuentès, qui les soutenaient vaillamment. Les débandés des 
deux camps s'étaient ralliés à ces intrépides noyaux, deve- 
nus des centres d'acharnées mêlées. Trois fois Enghien 
chargea les Espagnols, réunis en un gros carré hérissé de 
piques avec 18 canons aux angles; trois fois il fut repoussé 
avec de sanglantes pertes. Une quatrième, à laquelle Gassion 
joignit sa cavalerie, fut plus heureuse; les vétérans espa- 



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- 177 — 

gnols furent enfoncés et presque tous, refusant de se rendre, 
moururent les armes à la main. En vain le duc d'Enghien 
voulut-il épargner la vie d'aussi braves ennemis, un horri- 
ble massacre en fut fait par les troupes surexcitées. 

Sur le champ de bataille, Enghien fit rendre grâce à Dieu 
de cette éclatante victoire. C'était justice : quoique tous les 
détails eussent été conduits avec autant de sagesse que de 
résolution, la Providence y avait bien eu sa large part en 
faisant tourner au profit des Français les principaux inci- 
dents de la journée (*). 

De Rocroy, Enghien menaça le Hainaut, puis il se rabattit 
rapidement à l'Est pour surprendre Thionville, la meilleure 
place de la Moselle après Metz. Mais il y fut prévenu par 
Beck. Après trois tentatives d'assaut sévèrement repoussées, 
il dut remplacer les coups de vigueur par de lents et métho- 
diques cheminements. Un siège régulier de sept semaines 
lui procura enfin la capitulation de la place le 10 août 1643. 
Il prit encore Sierk, à quelques lieues de là vers Trêves, 
puis il se rendit à Paris, en passant par l'Alsace et en y lais- 
sant à Guébriant 6000 hommes de renfort sous Rantzau. 

Guébriant venait d'opérer en Souabe et de se replier der- 
rière le Rhin devant le duc de Lorraine et les Bavarois, tan- 
dis que son allié Torstenson était occupé, fort loin de là, à 
maintenir Olmùtz et à assiéger Freiberg en Saxe. Accru 
jusqu'à une vingtaine de mille hommes, Guébriant rentra en 
Souabe à la fin d'octobre et alla mettre le siège devant Roth- 
weil sur le Haut-Necker. Il s'empara de cette place, mais 
au prix d'une mortelle blessure. Pendant son agonie même, 
le 24 novembre, son armée, un peu démoralisée et com- 

(1) Voir à ce sujet les errata historiques militaires de M. le capitaine Yung dans 
la Hevue militaire française de janvier 1870. Ce fort intéressant travail renferme 
maints détails nouveaux et importants qui nous font regretter de ne l'avoir connu 
que trop tard pour en tenir compte autrement que par cette note complémentaire, 
ajoutée à nos dernières épreuves. 

TOME II. 42 



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- 478 — 

mandée par Rantzau, fut surprise dans de trop confiants 
quartiers entre le Necker et le Danube par les forces réunies 
du duc de Lorraine, de Mercy et de Jean de Werth, et son 
gros subit une grave défaite à Dûttlingen sur le Danube. La 
panique y fut telle que la cavalerie s'enfuit à toutes jambes 
jusqu'à Brissach, et que la plupart des généraux, y compris 
Rantzau et Sirot, furent capturés ainsi que toute l'artillerie. 
Rothweil fut ensuite reprise par les Impériaux, qui parcou- 
rurent en maîtres toute la contrée. L'Allemagne retentit de 
chants de triomphe et de moqueries sur cette foudroyante 
débâcle des Français. 

Ceux-ci ne tardèrent pas à prendre une éclatante revan- 
che. Une nouvelle armée fut reformée en Alsace avec les 
débris des Weimariens et divers renforts de Français et de 
mercenaires, et le commandement en fut donné à Turenne, 
rappelé d'Italie. Il arriva en décembre à Golmar, et l'Alsace 
étant fort épuisée, il prit ses quartiers d'hiver en Lorraine, 
protégé par les Vosges sur son front et par les petites places 
de Vesoul et de Luxeuil, dont il s'empara. 

Au printemps de 1644, il prit l'offensive avec une petite 
armée de 10 mille hommes, bien organisée et comptant 
environ la moitié de cavalerie et 20 canons. Il passe le Rhin 
à Brissach, occupe Fribourg par une garnison de 600 hom- 
mes, s'engage dans les montagnes et va tomber brusquement 
sur les avant-postes des Bavarois établis dans la région du 
Haut-Danube. Quoiqu'il leur eût tué environ 400 hommes, 
ce coup de main ne servit à rien. L'éveil fut donné à Mercy, 
qui, disposant d'une force supérieure, environ 15 mille Bava- 
rois, s'avança contre Turenne et le refoula jusqu'au-delà du 
Rhin. Après cela, l'armée bavaroise assiégea Fribourg, dont 
la garnison française fit bonne défense. 

Turenne ne resta pas longtemps sous le poids de cet échec. 
Il débouche de nouveau de Brissach et se porte sur Fribourg 



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— 479 — 

pour en faire lever le siège. A cet effet, il veuts'eraparerdu 
sommet de Schneeberg, bonne position avancée au sud- 
ouest de la place. Une brigade qu'il envoie contre ce poste 
y échoue et se replie en grand désordre. Mercy redouble 
d'activité pour bloquer la ville, qui capitule le 28 juillet au 
nez de Turenne, campé à environ deux lieues de là et qui 
se replie sur Brissach. Ce pitoyable début du nouveau com- 
mandant en chef français était loin de répondre aux espé- 
rances fondées sur ses antécédants et de faire prévoir ce 
qu'il sut accomplir plus tard ; nouvelle preuve qu'il ne faut 
pas trop se hâter déjuger définitivement un hommo'de guerre. 

Des renforts se mirent promptement en marche pour le 
rejoindre, mais avec eux un commandant en chef dans la 
personne du vainqueur de Rocroy et de Thionville. Le 2 
août, Enghien arriva à Brissach avec une dizaine de mille 
hommes de son ancienne armée de Flandre, sous le com- 
mandement spécial du maréchal de Guiche. Il y tint aussi- 
tôt avec Turenne et ses lieutenants un conseil de guerre, 
qui se ressentit de la révolution opérée dans le haut état- 
major. 

Le vicomte de Turenne avait alors 32 ans, soit dix ans et 
beaucoup de service de plus que le duc d'Enghien ; il avait 
deux ans de commandement en chef, cinq ans de grade de 
lieutenant-général et trois ans de maréchal de camp. Quoi- 
qu'il ne fût pas de sang royal, il était de maison souveraine 
et très-plein de sa naissance. Il fut donc vivement contra- 
rié de passer sous les ordres d'un général aussi jeune, ce 
qui était assez mesquin après les éclatants services d'En- 
ghien à Rocroy et Thionville, bien supérieurs à tout ce que 
Turenne avait fait jusqu'alors. 

Néanmoins Turenne se soumit de bonne grâce en appa- 
rence; mais en penchant, dans les plans proposés, pour 
ceux qui laissaient le plus d'indépendance à son armée. Il fît 



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— 180 — 

repousser un avis très-sage du général bernois d'Erlach de 
manœuvrer sur les derrières de Fribourg par les montagne» 
de St-Pierre et adopter un projet qui, en lui permettant 
d'agir séparément, offrait au vaillant Enghien la séduction 
de prendre le taureau par les cornes. On en jugera aisément 
en se représentant la nature de la position tenue par 
Mercy. 

La Dreisaiti, qui descend de la Forêt-Noire de l'est à 
l'ouest, arrivée au pied des montagnes, tourne subitement 
au nord et coule presque parallèlement au Rhin pour se 
jeter dans l'Eltz. C'est dans l'intérieur de ce courbe qu'est 
située Fribourg. Le cours de la rivière s'y ralentissant fornle 
à cet endroit des marais entremêlés de taillis et de prairies 
qui entourent la ville du nord -est au sud -ouest sur un 
assez vaste espace appelé le Mooswald (forêt du marais). A 
l'ouest du Mooswald s'étage une suite de collines, dont quel- 
ques-unes assez escarpées allant jusqu'au Rhin vers Bris- 
sach. Au sud-ouest se trouvent les hauteurs du Schneeberg 
et du Schœnberg, improprement appelées par les Français 
Montagne-Noire, probablement par confusion avec les mon- 
tagnes de la Forêt-Noire en arrière de Fribourg. Du pic du 
Schneeberg descendent vers le Mooswald des arêtes boisées 
vers le haut, couvertes de vignes au bas et présentant de 
forts escarpements. Au sud et à l'est, le Schneeberg est en- 
veloppé par un vallon profond et praticable. La route de 
Brissach à Fribourg passe au pied des arêtes, entre les pen- 
tes rapides de la montagne et les marais du Mooswald, au 
nord-ouest du Schneeberg. , 

Mercy occupait la principale des arêtes qui descendent 
du Schneeberg vers le Mooswald, faisant face au Rhin, cou- 
vert sur son front par des redoutes et des abatis. A sa 
droite , un gros ouvrage barrait la route de Brissach. Un 
abatis avait paru suffisant pour fermer le vallon qui enve- 



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— 181 -- 

loppe le Schneeberg au sud et à Test. Le camp s'étendait 
dans une petite plaine au sud de Fribourg. 

Cette position, quoique étendue, pouvait être tournée par 
Test. Mais Mercy se confiait dans la force des obstacles 
naturels et de ses ouvrages et dans la vigueur de ses 
troupes; ou bien, ne s'attendant pas à être attaqué sitôt 
et si vivement , il n'avait pas voulu abandonner les gras 
pâturages qu'il enveloppait dans ses lignes. 

Les deux armées françaises s'ébranlèrent le 4 août. Celle 
de Turenne avait l'avant-garde ; elle prit à droite et s'éleva 
dans la montagne pour tourner le Schneeberg. Celle de 
Flandre ou d'Enghien continua par la chaussée de Brissach 
pour attaquer la position de front. 

Enghien, qui avait6 bataillons, les déploya sur deux lignes, 
les faisant soutenir, suivant l'usage du temps, par un régi- 
ment de cavalerie en petits escadrons mêlés à l'infanterie. 
Le gros de sa cavalerie était massé sur la gauche pour 
empêcher celle des ennemis de déboucher par la plaine. 

La première ligne, après avoir bravement traversé, sous 
un feu très vif, des vignes disposées en terrasses, est arrêtée 
par les abatis. Elle se désunit : les hommes inclinent à droite 
pour gagner les hauteurs, rompent leurs rangs pour se glisser 
dans les bois; ils vont être chargés et repoussés. Enghien 
le voit ; il se jette à bas de son cheval, met l'épée à la main, 
enlève la seconde ligne, et, suivi de son état-major, franchit 
le premier l'abatis. Après un combat très vif, les mousque- 
taires ennemis sont délogés de la crête et des redoutes qui 
restent au pouvoir des assaillants. Mais que devient l'armée 
de Turenne? 

Ralenti par les difficultés du terrain dans une marche 
assez longue par elle-même, le vicomte avait achevé son 
mouvement tournant assez tard. Il avait rencontré d'abord 
des bois remplis de mousquetaires qu'il avait poussés devant 



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— 182 — 

lui, puis un gros abatis, gardé par un bon corps d'infanterie. 
Il l'attaqua et l'emporta. Il se trouva alors en face d'un ter- 
rain découvert, où il vit beaucoup d'infanterie et de cavalerie 
en bataille , et derrière lequel on distinguait le clocher de 
Fribourg. Le bruit du combat livré par le duc d'Enghien 
paraissait fort éloigné; le jour baissait; la cavalerie du 
maréchal était en arrière et ne pouvait déboucher au milieu 
de l'encombrement formé par la queue de^son infanterie. 
Turenne s'arrêta à la lisière du bois, à l'abatis qu'il avait 
enlevé, et se borna à entretenir un feu de mousqueterie 
assez vif. En vain le duc d'Enghien fit-il faire un grand bruit 
par toutes les trompettes et cymbales de son armée pour 
prévenir son lieutenant de l'avantage qu'il avait remporté. 
Turenne ne l'entendit pas ou ne put pousser plus avant. 

Ainsi le 4 au soir, les Bavai-ois restaient maîtres du fort 
qui couvrait leur droite sur la chaussée de Brissach, de tout 
le terrain découvert au sud de Fribourg et des hauteurs les 
plus voisines de la place. Les Français s'étaient emparés des 
crêtes qui descendent du Schneeberg vers le Mooswald et 
avaient tourné le Schneeberg par l'est , mai^ sans pouvoir 
achever ce dernier mouvement, ni mettre leur^deux armées 
en communication. 

On continua de tirailler fort avant dans la nuit ; puis le 
temps devint très mauvais; le feu cessa. Au lever du jour, 
par une matinée pluvieuse, les Français virent devant eux 
un espace vide et plus loin les Bavarois établis sur une 
seconde ligne de hauteurs. 

La nouvelle position choisie par Mercy était plus resserrée 
et de toutes façons meilleure que la première. C'était un 
mamelon qui, se rattachant directement à la chaîne delà 
Forêt-Noire, ne pouvait être tourné vers l'est. 

La Dreisam, coulant au nord et au pied même de cette 
colline, la séparait de Fribourg ; mais cet étroit défilé était 



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— 483 — 

flanqué par le canon de la place. Lorsqu'aujourd'hui on 
gravit ce mamelon en venant de Fribourg et en se dirigeant 
vers le sud, c'est-à-dire en suivant de la droite à la gauche 
le nouveau front de Mercy, on rencontre d'abord la petite 
chapelle de San-Loretto, bâtie 7 ans plus tard (1651), en 
souvenir du terrible combat qui allait s'y livrer. Les abords 
de cette chapelle sont encore légèrement boisés; mais alors 
cet enîplacement était couvert d'arbres et un abatis s'éten- 
dait de ce point jusqu'aux retranchements qui, construits 
dans la plaine, se reliaient avec les défenses de la place. 
Plus haut, un espace plat et découvert pouvait recevoir de 
3 à 4 mille hommes en bataille (ordre profond) ; là le front 
était défendu par des vignes et des terrasses courant sur le 
flanc de la montagne et s'étendant jusqu'aux forêts impéné- 
trables qui couvraient la gauche des Bavarois. 

La pluie ne cessa de tomber pendant la journée du 5. 
Turenne et Gondé réunirent et reposèrent leurs troupes. 
Les Bavarois employèrent ce temps à fortifier leur seconde 
position. 

Le 6, l'attaque recommença. Mille mousquetaires déployés 
et commandés par Leschelle descendent delà hauteur occu- 
pée par les Français, traversent la petite plaine qui les sépare 
des Bavarois, et repoussent les dragons ennemis postés au 
bas des pentes. Turenne les suit avec son infanterie en ordre 
de bataille et tout son canon. Il oblique à droite pour atta- 
quer la gauche des Bavarois établie entre les vignes et les 
bois qui descendent de la haute chaîne, et fait place à l'in- 
fanterie de M. le duc. Celle-ci se forme à la gauche de 
Turenne; elle est conduite par Espenan, et doit enlever 
Tabatis vers San-Loretto. A l'extrême gauche , en plaine, 
le maréchal de Guiche réunit la cavalerie venue de Flandre, 
pour contenir la cavalerie bavaroise si elle cherchait à débou- 
cher. Rosen, livonien^ doit soutenir les attaques avec la 



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— 184 — 

cavalerie de Turenne ; ce sont les vieux soldats de Bernard 
de Weimar. 

Un de ces officiers weimariens étant parvenu à se glisser 
à l'extrême droite, sur une hauteur d'où il découvrait le 
revers de la colline de San-Loretto, informe ses chefs qu'il 
voit un grand mouvement dans le camp ennemi et que tout 
semble indiquer un commencement de retraite. Le duc 
d'Enghien veut apprécier le fait de ses propres yeux. H 
appelle Turenne et court avec lui rejoindre cet officier. 
Tous deux donnent partout et répètent la défense de bouger 
avant un nouvel ordre. Mais bientôt le bruit d'une fusillade 
générale les arrête; ils retournent au galop. Il trouvent 
Leschelle tué, ses mousquetaires en fuite, toute l'armée 
engagée, hésitante et fort en désordre. 

Espenan, entrant en ligne, avait vu devant lui, sur les 
dernières pentes de la colline , une redoute qu'il avait cru 
pouvoir emporter facilement. On s'acharna à la défendre; 
il s'acharna à l'enlever. Le bruit de cette escarmouche, pris 
pour un signal , mit en mouvement tous les corps qui se 
portèrent en avant sans direction, sans méthode, et partout 
ils furent repoussés. 

Le duc d'Enghien, prompt à réparer le mal de son mieux, 
ralhe dans la plaine tout ce qu'il peut de son infanterie. Il 
est déjà assez tard ; mais les journées d'été sont longues. 
Il ne renonce pas à la victoire : il change son plan. Négli- 
geant entièrement la gauche de l'ennemi, il concentre ses 
forces pour une seule attaque dirigée de front et de flanc 
sur l'abatis vers San-Loretto. 

Le combat se ranime ; de part et d'autre on déploie une 
extrême valeur. Les cavaliers bavarois mettent pied à terre, 
et le frère de Mercy (qui fut tué) les conduit au secours de 
l'infanterie. Les gendarmes français gravissent les pentes 
à cheval et font le coup de pistolet avec les défenseurs de 



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— 485 — 

i'abatis. Enghien est au milieu d'eux, au premier rang: 
une balle brise son épée dans sa main ; une autre emporte* 
le pommeau de sa selle. Mais ses efforts sont inutiles ; on ne 
peut franchir le formidable abatis. Les soldats se couchent 
contre les troncs d'arbres et tirent sans avancer ni reculer. 
Ils se bornent à tenir leur terrain , avec cet air froidement 
obstiné que prennent les hommes quand ils ne veulent pas 
fuir et qu'ils sont las d'avancer. 

La nuit met fin à cette tuerie; les Français rentrent dans 
leur camp. Le duc d'Enghien se décide à manœuvrer et à 
revenir à l'avis du général d'Erlach. Tout en couvrant sa 
ligne d'opérations par Brissach, il veut se porter sur celle de 
l'ennemi, qui traverse la Forêt-Noire par les étroites vallées 
de l'Eschbach et de l'Ibenthal. On parvient à trouver des 
sentiers dans le Mooswald ; car on ne peut passer sous le 
canon de Fribourg. Dans la nuit du 8 au 9, Rosen part avec 
mille chevaux, traverse le Mooswald, entre dans la montagne 
à Langendenzlingen et remonte le Glotterthal. Turenne le 
suit avec toute son armée ; puis vient la cavalerie de Flan- 
dre. Enghien, avec son infanterie déployée devant Fribourg, 
le dos tourné au Rhin , couvre le mouvement, et s'ébranle 
le dernier sans être inquiété. 

Mais Mercy l'a prévenu ; il n'a laissé qu'une garnison dans 
Fribourg et un rideau d'hommes dans ses lignes. Rosen le 
trouve posté à St-Peter, et eût subi un grave échec s'il n'eût 
été promptement soutenu par Turenne. Mercy continue sa 
retraite sur le Wurtemberg sans être entamé, n'ayant perdu 
qu'un peu de bagages. 

Les relations françaises admettent que la manœuvre, très 
judicieuse d'ailleurs et bien combinée, de leur armée, avait 
décidé cette retraite. L'ensemble des circonstances fait 
croire que la marche rétrogade des Bavarois était com- 
mencée bien avant; leurs bagages étaient en mouvement 



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— 486 — 

dès le 6, et c'est ce qui avait attiré l'attention de Tofûcier 
weimarien. 

Des deux parts les pertes étaient considérables, environ 
8 mille hommes dans chaque camp; celles des Bavarois^ 
beaucoup plus fortes que celles des Français dans la journée 
du 4, l'avaient été moins dans celle du 6. Mais les Français 
restaient maîtres de la vallée du Rhin et libres de leurs 
mouvements ultérieurs. 

Mercy se replia en Wurtemberg, où des Impériaux devaient 
le rejoindre. En attendant il fut paralysé pour l'année. 

Condé, quoique bien affaibli aussi, mais toujours plein 
d'entrain, profita de cette pause pour se créer un second 
Brissach sur le Rhin moyen contre la Franconie, en allant 
assiéger Philippsbourg sans s'occuper davantage de Fribourg 
que la garnison bavaroise tenait encore. Il passa par Stras- 
bourg, recueillit un parc de siège descendu de Brissach par 
le Rhin , jeta un pont sur le fleuve et enceignit Philipps- 
bourg, qui capitula le 9 septembre après quinze jours de 
tranchée ; pendant ce temps il prit aussi les forteresses de 
Germersheim et de Spire. Mercy, muni d'une nouvelle ar- 
mée, arriva trop tard pour secourir ces places. Enghien re- 
passa le Rhin, s'empara de Landau, de Worms, de Mayence, 
d'Oppenheim, et, laissant à Turenne le soin d'occuper le 
pays entre Rhin et Moselle, il rentra en France avec le gros 
de l'armée de Grammont, 

Instruits de cette séparation, les Impériaux reprennent 
l'oifensive. Mercy enlève Mannheim et cherche à franchir 
le Rhin ; le duc de Lorraine passe la Moselle et entre dans 
le Hundsruck, cherchant à se réunir aux Bavarois. Mais 
Turenne, de sa position centrale, manœuvre pour empê- 
cher cette jonction ; il y réussit ; il se met en possession de 
Kreuznach, et les diverses armées prennent leurs quartiers 
d'hiver. 



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— 187 — 

Dans les entre&ites, le duc d'Orléans, à la tête de l'armée 
de Belgique, avait pris quelques places, Gravelines entr'au- 
très. Torstenson avait fait une rapide et brillante campagne 
contre les Danois sortis mal à propos de leur neutralité , et 
s'était retourné avec non moins de succès contre Gallas qu'il 
refoula jusqu'en Bohême. On avait continué à guerroyer en 
Italie sans résultat marquant, et en Catalogne avec des 
revers pour la France. La Franche-Comté était retournée 
à la neutralité par la médiation des Suisses , et les prélimi- 
naires de paix se négociaient toujours à Munster. 

Au printemps 1645, Turenne rouvrit la campagne, seul 
d'abord comme l'année précédente. Il s'avança de Spire sur 
Stuttgart, puis au-(Jelà du Necker, puis sur la Tauber, en 
s'emparant de Rothenbourg et de Mergentheim ou Mariendal 
sur cette rivière. Là il dut s'arrêter devant les troupes bava- 
roises campées à Leuchtwang. Ayant trop étendu ses can- 
tonnements, à la demande de quelques-uns de ses lieute- 
nants weimariens, il apprit, le 2 mai, que Mercy venait sur 
lui avec des forces supérieures. Il porta promptement une 
avant-garde à sa rencontre, sous le général suédois Rosen, 
avec ordre de rassembler le plus de troupes possible à 
Erbshausen, à deux lieues en avant de Mariendal. Ce projet 
de concentration en avant des lignes de l'armée surprise, 
était plus brave que prudent. Elle ne put s'effectuer. Trois 
mille hommes seulement se réunirent à temps à Erbshausen^ 
où ils furent écrasés. La déroute se mit dans le reste des 
troupes et les chefe n'échappèrent qu'à grand'peine aux 
coureurs ennemis. Tandis que son infanterie éparpillée se 
sauvait sur Philippsbourg en abandonnant toute l'artillerie^ 
Turenne, dont le talent grandissait dans les revers, fit avec 
sa cavalerie une habile retraite au nord sur la Hesse, où il 
pouvait rallier des renforts allemands et menacer les com- 
munications de ses adversaires. 



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— 488 — 

La landgrave de Hesse mit en effet à sa disposition toutes 
ses troupes, et, avec le renfort d'un corps d'armée suédois, 
sous le comte de Kœningsmark, il se trouva, huit jours après 
sa défaite de Mariendal, à la tête d'une nouvelle force d'une 
quinzaine de mille hommes. Il allait rentrer en campagne, 
lorsqu'il reçut l'ordre de la cour d'attendre un renfort de 
8 mille hommes qui lui était envoyé, encore avec le jeune 
prince de Condé comme commandant en chef. 

Turenne repassa le Rhin et se joignit au prince le 9 juillet, 
à Spire. Toute l'armée s'avança de nouveau sur la Tauber, 
avec l'intention de marcher sur Vienne par Munich, et elle 
se trouva en présence de l'ennemi à Nordlingen. Mercy, 
renforcé de la division autrichienne de Klein, s'y était 
établi dans une forte position en arrière de la ville , sur la 
route de Donauwerth. Sa droite, sous Klein, occupait la 
colline du Weinberg et s'appuyait à la Warnitz ; .son centre 
était à 200 pas en arrière du village d'Allerheiro, aussi occupé 
et bien mis en état de défense; le cimetière, le clocher, 
leurs abords, avaient été transformés en petite citadelle ; la 
gauche, sous Jean de Werth, tenait le château d'AUerheim 
sur une colline s'appuyant au ruisseau de l'Eiger. L'effectif 
se montait à une quinzaine de mille hommes, avec 20 canons. 

Condé avait deux ou trois mille hommes de plus ; il se 
sentait assez fort, quoique le corps suédois l'eût quitté, pour 
tenter l'attaque. Gomme,à Fribourget à Thionville, il prenait 
le parti le plus brave, pas le plus sûr. Il appuya sa droite, 
40 escadrons et 4 bataillons sous Grammont, à l'Eiger ; au 
centre Marsin, avec le gros de l'infianterie, fit face à Aller- 
heim ; à gaucho Turenne, avec 46 escadrons et 6 bataillons 
weimariens, s'appuya à la Warnitz ; 6 escadrons et 4 batail- 
lons, sous Chabot, restèrent en réserve ou troisième ligne. 

A trois heures après midi Condé fit attaquer par le centre. 
Marsin s'élança sur le village d'AUerheim où il fut reçu tout 



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- 489 — 

aussi vivement par Tinfanterie et Tartillerie bavaroises. 
Condé persista et se mit lui-même à la tête de ses fantassins ; 
leur donnant l'exemple d'une intrépidité sans pareille, il eut 
ses habits criblés de balles , fut légèrement blessé et perdit 
tous ses aides-de-camp. Bravbure inutile ! Le corps français 
fut abîmé et refoulé; son chef Marsin grièvement blessé. Le 
seul avantage des assaillants sur ce point fut un heureux 
coup de mousquet qui tua l'habile Mercy. 

A la droite française, Grammont n'avait pas mieux réussi ; 
sa cavalerie lâcha pied devant les escadrons bavarois et lui- 
même fut capturé. Chabot, qui voulut soutenir la première 
ligne , fut aussi culbuté et plusieurs escadrons de Jean de 
Werth pénétrèrent jusqu'aux bagages, oii ils augmentèrent 
la panique. A la droite de ces escadrons, Jean de Werth se 
jette sur les talons des fuyards. Cet incident, joint à la mort 
de Mercy, change le cours des choses jusqu'alors entière- 
ment en faveur des Bavarois. 

L'aile de Turenne tenait ferme ; elle devient pour Condé 
un nouveau corps de bataille au moyen duquel il jouera 
quitte ou double. Avec tout ce qu'il peut rallier il va rejoin- 
dre Turenne, qui reprend l'attaque sur son front et s'empare 
du Weinberg. La cavalerie de Klein, refoulée sur la deuxième 
ligne , s'y reforme et reprend quelque avantage. A son tour 
Turenne est renforcé par les réserves qu'amène Condé; il 
assaillit de nouveau Klein et le disperse ; le général autri- 
chien est fait prisonnier. Après cet important succès Turenne 
se rabat à droite sur Allerheim, où l'infanterie bavaroise, 
privée de son chef et battue par sa propre artillerie du 
Weinberg, est fort démoralisée et ne se défend que molle- 
ment. Jean de Werth, revenu de sa poursuite, cherche enfin 
à la secourir ; il le fait avec trop de lenteur en retournant 
à sa première position de la gauche. Le temps qu'il perd à 
ce détour devient fatal à son drapeau. L'infanterie bavaroise, 



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— 190 — 

se voyant isolée et cernée par Turenne, met bas les armes 
et donne ainsi la victoire aux Français. 

L'empereur Napoléon, dans ses immortelles dictées de 
St-Hélène, a laissé d'admirables pages sur les campagnes de 
Turenne, pages que nous suivons souvent pour notre récit; 
nous y voyons qu'it s'élève vivement contre ôette scanda- 
leuse capitulation en rase campagne^ à la suite de laquelle 
on aurait dû, dit-il, décimer l'infanterie bavaroise; il estime 
qu'il y a un grand" danger à admettre que des troupes en 
bataille rangée puissent s'assimiler à une garnison de cita- 
delle et négocier des redditions. 

Jean de Werth, le seul général restant parmi les vaincus, 
se replia sur Donauwerth, où il passa le Danube. Turenne 
le talonna jusqu'à ce fleuve en recueillant sous ses pas pres- 
que toute l'artillerie bavaroise. 

Les résultats de la victoire de Nordlingen furent plus 
brillants que solides. A la vérité la place capitula et reçut 
garnison, mais l'armée franco- weim arienne avait beaucoup 
souffert. Gomme elle ne reçut pas de renforts immédiats, 
elle dut penser à la retraite. Elle se replia d'abord sur Halle, 
puis derrière le Necker, enfin sous Philippsbourg. D'autre 
part Jean de Werth, rallié par des renforts autrichiens, puis 
rejoint par l'archiduc Léopold accouru de la Hongrie avec 8 
mille dragons, reprit Nordlingen. Les Impériaux suivirent 
la piste des Français en recouvrant toutes les places per- 
dues. En automne l'archiduc étant retourné en Bohême, 
Turenne passa tranquillement sur la gauche du Rhin, 
s'empara de Trêves, s'y fortifia et s'y étabht en quartiers 
d'hiver. 

Sur les autres théâtres la guerre avait été active pendant 
cette même année 1645. Torstenson avait apparu aux portes 
de Vienne ; la Catalogne avait été reprise par les Français ; 
bon nombre d'escarmouches s'étaient produites en Italie, 



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— 191 — 

^ et ^plusieurs places avaient encore été prises par le duc 
d'Orléans en Belgique. 

Ce fut sur ce dernier pays que les principaux coups furent 
dirigés en 1646 pour arriver à un traité de partage convenu 
avec les Hollandais. Le duc d'Orléans y fut renvoyé avec 
Coudé et une armée de 30 mille hommes. Arrivant secrète- 
ment de la Champagne et de la Picardie, ces forces tombè- 
rent inopinément sur l'ennemi et lui enlevèrent Courtray. 
Piccolomini et le duc de Lorraine, surpris, n'osèrent rien 
faire pour s'y opposer. 

De grandes combinaisons avaient été projetées entre les 
Français et les Hollandais pour agir sur terre et sur mer. 
Une armée franco - batave devait débuter par s'emparer 
d'Anvers. Mais au moment de l'iBxécution un fatal incident 
dérangea tout. Le prince d'Orange fut atteint de folie et 
l'entreprise abandonnée. Elle eut cependant l'utilité d'une 
bonne diversion, car les Impériaux se portèrent sur Anvers, 
pour protéger cette ville, et découvrirent la Flandre occi- 
dentale. Condé, débarrassé alors de son chef, s'y jeta aussi- 
tôt et enleva Mardyk, puis Dunkerque, après trois semaines 
de siège, avec le concours de la flotte hollandaise de Martin 
Tnimp. La prise de cette dernière place, considérée comme 
une grande copquête pour la France, mit le sceau à la répu- 
tation de Condé. 

Son rival de gloire ne restait pas inactif sur le Rhin. 
Diverses complications lui ayant fait manquer une jonction 
directe projetée avec les Suédois dans la Hesse, il reprit la 
campagne de 1646 en effectuant cette jonction par un long 
et prudent détour. Il descendit le Rhin, de Mayence à Wesel, 
s'avança ensuite par la Westphalie et la Hesse vers Giessen 
sur la Lahn, où il rallia les Suédois le 10 août. Ceux-ci 
étaient alors commandés par Wrangel, successeur de Tors- 
tenson forcé à la retraite par ses infirmités. L'armée franco- 



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— 192 — 

suédoise se montait à environ 18 mille homiiies, dont 10 
mille cavaliers et 60 canons. L'armée ennemie, sous Farchi- 
duc Léopold, était plus forte ; elle comptait 25 mille hommes, 
dont 14 mille cavaliers, avec 50 canons, concentrés autour 
de Friedberg, entre Giessen et Hanau. Alors commença une 
série de marches et contremarches , si habilement dirigées 
par Tu renne, qu'elles amenèrent les deux armées au cœur 
de la Bavière, où le duc fit sa paix séparée le 14 mars 1647, 
s'obligeant à rester neutre jusqu'à la conclusion de la paix 
générale. Son frère et satellite, l'électeur de Cologne, fit de 
même. Cet avantageux résultat montra que des opérations 
serrées ^t sans bruit pouvaient être aussi fructueuses que 
des coups d'éclat. 

.Puisque nous en sommes à Turenne, disons tout de suite 
quelle fut sa part aux deux dernières campagnes de cette 
guerre. 

Après la paix avec la Bavière et l'occupation des places 
d'Ulm , de Nordlingen , etc. , sur le Danube et 1q Necker, 
Turenne et ses troupes furent appelés en Flandre. C'était 
contre ses avis positife ; alors chaque année était habituée 
à tenir sa région particulière et il y avait toujours beaucoup 
d'inconvénients à les en faire changer. L'inconvénient était 
plus grand encore avec l'armée weimarienne, composée en 
bonne partie de mercenaires allemands, et à qui il était dû 
plus de 6 mois de solde. A Saverne , avant de franchir la 
frontière, elle voulut être payée; Turenne ne pouvant lui 
fournir qu'un mois de solde, elle décampa et retourna au- 
delà du Rhin, sous la conduite du général Rosen. «Turenne 
la suivit, et par un mélange judicieux de douceur et de 
rigueur, de ruse et de confiance, il parvint à la faire rentrer 
dans le devoir et à l'amener dans le Luxembourg. Il n'y 
arriva qu'en septembre et n'y trouva rien à faire. 

Ce qui fut plus grave, c'est que son départ de l'Allemagne 



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~ 193 ^ 

redonna assez d'influence à l'Empire pour attirer de nouveau 
la Bavière à lui. Les troupes bavaroises rallièrent déloyale- 
ment les Impériaux pour tomber sur les Suédois. Wrangel 
fiit forcé d'évacuer )a Bohème; il fut même rejeté au-delà 
du Weser et les Impériaux allèrent assiéger Worms. 

A ces nouvelles Turenne accourt, fiait lever le siège de 
Worms , en décembre 1647 , et à la fin du mois de février 
suivant passe le Rhin à Oppenheim pour demander compte 
à la Bavière de sa défection. Il se joint aux Suédois le 23 
mars, près de Hanau, et les deux armées s'avancent sur 
Augsbourg par Lawingen. Les Impériaux se replient devant 
Turenne; celui-ci les atteint à Zumarshausen, et les rejette 
au-delà du Lech en leur infligeant de fortes pertes, y compris 
celle de leur commandant en chef Mélander; la défense 
opiniâtre de leur arrière-garde, sous Montecuculi, empêche 
leur défaite complète. Ensuite Turenne manœuvre sur le 
Bas-Lech , le franchit sans la halte de l'an précédent au 
siège de Rain, surprend le pont de l'Isar à Freysigen, et 
tandis qu'un détachement va effrayer Munich et en chasser 
la cour, le gros est poussé jusque sur l'Inn. Là il est arrêté 
autant par les hautes eaux et le manque de bateaux que par 
la présence de Piccolomini à Passau où se rassemble une 
armée. Turenne rétrograde en octobre 164S par Landsberg 
et Donauwerthj pour prendre des quartiers d'hiver plus près 
de sa base du Rhin. Chemin faisant il châtie trop cruelle- 
ment la Bavière de sa conduite vacillante. 

En même temps le général suédois Kœningsmark triom- 
phait en Bohême et reprenait Prague. 

Les Impériaux, las de la guerre, étaient devenus plus 
accommodants à Miinster et à Osnabrûck, où l'on négociait 
toujours la paix générale ; ce qui s'était passé sur les au- 
tres théâtres de la lutte pouvait aussi en faire prévoir la fin 
prochaine. 

TOME II. 13 



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— 194 — 

En Catalogne, les Français, sous d'Harcourt et même sous 
Condé, pendant l'été de 1647, avaient échoué devant les for- 
tes murailles de Lerida ; mais en 1648 Schomberg compensa 
ces échecs par la prise de Tortone, sur le Bas-Ebre. 

En Italie, la lutte s'était étendue et compliquée sans autre 
résultat. L'amiral Brezé avait payé de sa vie une nouvelle 
victoire remportée à Orbi telle et le peuple deNaples, soulevé, 
avait remplacé le gouvernement de l'Espagne par celui du 
pêcheur Masaniello. 

Enfin en Belgique, après deux ans de sièges réciproques, 
une bataille s'était livrée à Lens , le 20 août 1648 , entre 
Condé et l'archiduc Léopold, dans laquelle ce dernier subit 
une défaite totale. Il laissa aux mains du vainqueur, outre 
trois mille morts, cinq mille prisonniers, parmi lesquels le 
général Beck, 38 canons , beaucoup de bagages et de dra- 
peaux. 

Cette grande victoire de Condé, jointe aux succès de 
Turenne et de Kœningsmark , amena décidément la paix 
dite de Westphalie , qui fut signée à Munster le 24 octobre 
1648. 

Ce traité, qui resta longtemps la base du droit public 
européen, affranchit définitivement l'Allentiagne de l'oppres- 
sive domination autrichienne et lui donna une organisation 
des plus libérales au double point de vue politique et reli- 
gieux. Les deux principaux Etats protestants, la Saxe et le 
Brandebourg, furent arrondis au détriment dé leurs voisins, 
et 16 fils de l'électeur palatin recouvra une portion de ses 
Etats. La Finance fut payée de ges peines par les Trois-Evê- 
chés et l'Alsace presque entière, et la Suède par une bonne 
portion de la Poméranie avec la dignité électorale, ce qui 
en fit l'Etat prépondérant du nord de l'Europe. L'indépen- 
dance de la Suisse et de la Hollande fut aussi reconnue. 



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— 195 — 

Au point de vue militaire, il reste peu à dire sur cette 
période transitoire de la fin de la guerre de Trente-Ans. 
Les armées se maintinrent en général dans le système de 
celles de Gustave-Adolphe. Le grand nombre de guerres 
simultanées fit diminuer les effectifs et donner plus de 
régularité à leurs mouvements. Les places fortes prirent, 
par suite de la valeur reconnue aux feux, une importance 
souvent exagérée, ce qui contribua aussi à diminuer les 
effectifs des armées de campagne et à y faire dominer une 
trop forte proportion de cavalerie, qui d'ailleurs combattait 
souvent à pied. Nous allons voir cet état de choses vicieux 
s'améliorer sensiblement pendant les guerres de Louis XIV 
et donner les bons fruits dont il renfermait le germe. 



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— 196 



IV 



Guerres de Louis XIT. — Condé, Turenne, Tauban, Lou- 
vois. — Marlborough. 



Le traité de Westphalie ne donna pas la paix à la France. 
Elle dut'continuer contre l'Espagne une lutte compliquée à 
l'intérieur de grands troubles, puis de la guerre dite de la 
Fronde, à laquelle les Espagnols et les Anglais finirent par 
prendre part. Il semble que l'étude détaillée de cette période 
historique devrait offrir quelque profit militaire par les ex- 
ploits de Turenne et de Condé, d'abord sous les mêmes dra- 
peaux , avec les Espagnols contre Mazarin , puis l'un contre 
l'autre, Turenne soutenant le gouvernement, Condé et les 
Espagnols l'attaquant. Mais les éléments civils, intrigues de 
cour, émeutes populaires, conjurations diverses, jouent un 
trop grand rôle dans cette guerre pour que le mérite des deux 
grands jouteurs ait pu s'y déployer à l'aise. On n'y trouve 
que peu d'opérations ou d'affaires de quelque intérêt. L'an- 
née 1652 toutefois fut assez chaude. Condé, avec une dou- 
zaine de mille hommes, battit l'armée royale sous le général 
Hocquincourt à Blenau, le 7 avril ; le lendemain Turenne 
arrive au secours d'Hocquincourt, le combat recommence 
et reste indécis. Condé payant d'audace marche sur Paris 



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— 197 — 

où il avait des partisans. Turenne le suit et le bat à Etara- 
pes le 4 mai. Un autre sanglant et dramatique combat eut 
lieu le 2 juillet dans le faubourg St- Antoine. Gondé attaqué 
par Turenne et la cour s'y était barricadé. Mais derrière 
lui la porte fut fermée et il se voit acculé et cerné. Il se 
défendait en lion désespéré et allait succomber héroïque- 
ment, lorsque la porte de la ville se rouvre pour donner 
passage à une colonne de bourgeois parisiens venant à son 
secours, secondés du canon de la Bastille. Une jeune et 
belle personne les dirigeait, M"« de Montpensier, amie 
secrète et enthousiaste de Gondé, qu'elle r«nd triomphant 
de prisonnier qu'il allait être. 

Des opérations moins féeriques furent celles de l'année 
4658. Il s'y livra entr'autres la bataille des Dunes (14 juin), 
où les généraux espagnols don Juan et Garacena, sourds 
aux avis de Gondé , furent complètement défaits par Turenne, 
ce qui amena la prise de Dunkerqué, pour les Anglais, et de 
Gravelines, où un jeune officier de Gondé, pris et gracié, 
Vauban, montra des qualités remarquables. 

Cette guerre se termina enfin par la paix des Pyrénées, 
signée le 7 novembre 1659 en même temps que le contrat 
de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, et qui procura à 
la France la possession ou la reconnaissance de l'Artois, de 
l'Alsace, du Roussillon, de Pau. Gondé, rentré en France, y 
fut réintégré dans ses biens et dans sa haute position à la 
cour. 

Peu de temps après, le cardinal Mazarin mourut (mars 
4661) et Louis XIV, alors âgé de 21 ans, prit en mains les 
rênes de l'Etat, déclarant qu'il voulait être son premier 
ministre. Il montra promptement qu'il était homme à tenir 
parole. 

Deux aides qu'il se donna prirent dès ce moment une 
large part à ses travaux. Louvois au ministère de la guerre 



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— 198 — 

et Colbert aux finances et à la marine, tous deux élevés dans 
les bureaux et familiarisés dès leur enlEance avec les affaires 
de la haute administration, mirent autant de zèle que d'in- 
telligence à seconder le jeune roi dans sa tâche. Par leurs 
soins réunis d'importants progrès furent réalisés dans tous 
les services publics et particulièrement dans les choses 
militaires. 

Comme ces progrès ne s'effectuèrent que peu à peu nous 
en parlerons au fur et à mesure, puis à la suite des événe- 
ments historiques. 

Bornons-nous à dire, pour le moment, que l'esprit de 
progrès et d'ordre pénétrant tout le gouvernement l'armée 
fut la première à en profiter. Les perfectionnements mili- 
taires s'harmonisèrent avec le reste. Le gouvernement ten- 
dait constamment à s'agrandir et à s'affermir ; de même l'ar- 
mée fut considérablement augmentée, de personnel et de 
matériel, et la hiérarchie resserrée au profit du commande- 
ment supérieur. 

En 1659 l'effectif total se montait à 72 mille hommes seu- 
lement; la paix étant assurée et un peu plus d'économie 
dans les finances étant une urgente nécessité, un des pre- 
miers soins de Louis XTV fut d'alléger les charges en faisant 
licencier la moitié des compagnies. 11 garda néanmoins 
presque tous les ofiBciers et créa les troupes de la maison 
du roi, corps d'élite qui monta peu à peu à une dizaine de 
mille hommes de toutes armçs dont un régiment suisse et 
la garde des Gents-Suisses. 

Pendant les premières années de son règne Louis XTV se 
borna à des préludes de guerre. Il soutint le Portugal, com- 
mença ses empiétements sur la Lorraine; acheta Dunkerque 
aux Anglais au prix de 5 millions de francs et prit à cœur 
de manifester son sentiment à l'endroit des Musulmans en 
guerroyant contre le dey d'Alger et en envoyant en Hongrie 



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— 499 — 

un corps de six mille volontaires sous Coligny qui s'y dis- 
tinguèrent. Ils participèrent entr'autres à une grande vic- 
toire que Montecuculi remporta sur le vizir Kieupreuli à 
St-Gothard en juillet 4664. Il seconda aussi, en 4666, les 
Hollandais dans leur guerre maritime contre l'Angleterre 
qui fit la gloire de leur célèbre amiral Ruyter. 

Après la mort de son beau-père Philippe IV (4665), 
Louis- XIV réclama au nom des droits de la reine sa part de 
l'héritage, vu que l'indemnité de renonciation aux posses- 
sions espagnoles ne lui avait pas été payée. Cette réclama- 
tion portant spécialement sur la Belgique et la Franche- 
Comté fit ouvrir une nouvelle guerre en 4667. Cinquante 
mille Français sous le roi, avec Turenne et Vauban, envahi- 
rent la Belgique. Répartis en trois corps ils prirent promp- 
tement Charleroi, Tournay, Douay, Courtray, Oudenarde, 
Lille et d'autres places moins importantes. L'hiver suivant 
le roi, à la tête d'une armée de 20 mille hommes et accom- 
pagné de Condé, s'empara plus rapidement encore de la 
Franche-Comté. L'Espagne chargée d'embarras signa, le 2 
mai 4668, la paix d'Aix-la-Chapelle, en vertu de laquelle 
la France rendait la Franche-Comté, mais gardait presque 
toutes les places conquises sur la Belgique. Louis XIV se 
hâta de les faire fortifier par Vauban de crainte qu'on ne les 
lui reprît ; quant à la Franche-Comté, à peu près ouverte, 
il comptait bien ne pas la rendre pour longtemps. 

La môme année encore il envoya des volontaires sous la 
Feuillade, en Candie, au secours des Vénitiens contre les 
Turcs ; il faillit aussi se lancer dans une grande expédition 
contre l'Egypte^ qui lui était vivement conseillée par Leib- 
nitz et qui aurait eu pour double but de refoulei>les Infidè- 
les et de menacer les riches colonies hollandaises des Indes. 

Mais Louis XIV préféra donner à sa haine jalouse contre 
les Hollandais un cours plus direct. En 4672, après de longs 



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— 200 — 

préparatifs politiques et diplomatiques, il déclara la guerre 
à la Hollande sous un prétexte futile, mais par le motif que 
cette puissance, fondée en cela sur ses vrais intérêts, s'oppo- 
sait à ce que la France s'appropriât les dépouilles de l'Es- 
pagne dans son voisinage. Le gouvernement français, fort 
de l'alliance habilement ménagée de l'Angleterre et de quel- 
ques princes secondaires de l'Allemagne, les évêques de 
Munster et de Cologne entr'autres, se montra fort hautain 
et put paraître terrible à la République des Provinces-Unies 
qui n'avait pour allié que l'électeur de Brandebourg et qui 
était déchirée par des dissensions intestines, 

Dès le mois d'avril le roi entra en campagne. Cent et dix 
mille hommes réunis sur la Sambre le rejoignirent le 5 mai 
à Charleroy, tandis qu'une flotte de 30 vaisseaux, devant en 
rallier autant d'Anglais, s'approcherait de la côte. 

Pendant que les Etats généraux de Hollande disputaient 
aigrement sur les mesures à prendre et répartissaient le 
pouvoir militaire et naval au prince d'Orange et à ses par- 
tisans et le pouvoir politique au parti opposé de Jean de 
Witt, Louis XIV agissait. Divisant ses forces en quatre corps 
il détacha le duc de Luxembourg à droite pour se réunir 
aux Allemands et agir dans la Frise orientale. Le lieutenant 
général Chamilly fut dirigé avec un autre corps sur Liège. 
Condé avec 30 mille hommes marcha sur Viset entre 
Liège et Maëstricht par les Ardennes et la droite de la 
Meuse, tandis que le roi avec le gros et Turenne marcha 
directement sur le même point par le comté espagnol de 
Namur. Le 48 mai cette concentration à Viset était effec- 
tuée en même temps que la petite place de Maseik sur la 
Meuse, en aval de Maëstricht, enlevée par Turenne. 

Dans un conseil de guerre tenu à Viset Condé et Turenne 
se trouvèrent de nouveau en désaccord. Le premier aurait 
voulu qu'on fit le siège de Maëstricht pour s'en emparer et 



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— 204 — 

s'y baser avant d'aller plus loin ; Turenne demanda qu'on 
passât outre. Ce fut ce dernier avis qui, avec raison, l'em- 
I)orta par l'assentiment du roi. De Viset l'armée s'avança 
vers le Rhin, laissant Chamilly vers Maseik pour couper les 
communications de Maëstricht avec la Hollande. Dans les 
premiers jours de juin le Rhin fut atteint et quatre places 
allemandes enlevées aux Hollandais, à savoir Wesel, Burick, 
Orsoy et Rheinberg. L'émotion fut grande en Allemagne 
ainsi qu'en Hollande à la nouvellle de ces brillants succès 
des Français. Jean de Witt fut vivement attaqué par les 
orangistes, qui auraient désiré une défense plus énergique 
et surtout plus concentrée. 

Le 9 juin, le gros de l'armée du roi traversa le Rhin à 
Wesel et s'empara des places d'Emmerick et Rees. Ici les 
difficultés commencent. Les assaillants se trouvent en pré- 
sence des nombreux cours d'eau du Rhin-Inférieur, le Leck, 
l'Yssel et leurs canaux ; en outre l'armée du prince d'Orange 
a pris position à la jonction de ces deux bras autour d'Arn- 
heim et couvert d'ouvragestout l'Yssel, d'Arnheim àZutphen. 

Turenne menace l'Yssel et Dœrsburg, tandis que Condé 
passe bravement le Leck, moitié à gué, moitié à la nage 
près du fort ToU-Huys, passage trop célébré, car la défense 
y fut presque nulle et il fallut toute la témérité habituelle 
de Condé pour s'y faire blesser à la main. Ensuite un pont 
fut jeté et toute l'armée franchit le fleuve. 

Turenne, qui prit le commandement à la place de Condé, 
repoussa les forces envoyées d'Arnheim. Le prince d'Orange 
dut même évacuer son camp et la ligne de l'Yssel et se 
replier sur Utrecht. En môme temps Luxembourg, plus au 
nord, pénétrait dans la province de Groningue. 

La campagne se montrait si favorable aux Français que 
déjà les Etats généraux abattus parlent de soumission et 
envoient au roi des députés porteurs de conditions de paix. 



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— 202 — 

Mais âu quartier-général français on est devenu exigeant 
et Ton hésite à Tacceptation. Malgré l'autorité du roi on 
s'y consume aussi en dissentiments et en indécisions pen- 
dant que l'armée emploie le mois de juin à prendre encore 
quelques petites places. 

' Condé et Turenne sont d'avis de pousser la marche en 
avant. Le premier voudrait entr'autres lancer six mille che- 
vaux sur Amsterdam. Turenne s'oppose à cette pointe, 
trop forte ou trop faible. Peut-être eut- il tort ; la pointe eût 
réussi au moins jusqu'à Muyden, comme le prouvèrent 
quelques éclaireurs perdus, et c'eût été décisif, Muyden 
étant la clef des écluses. Louvois, qui apportait aussi ses 
doctes avis, fit pencher la balance en faveur d'une marche 
lente vers Amsterdam en conquiérant toutes les places sur 
le chemin et autour de soi. Louis XIV paya cher cette con- 
descendance envers son ministre et ses ingénieurs. Tout en 
faisant suivre à leur plan, il répondit aux ouvertures des 
Etats généraux par des contre-propositions humiUantes qui 
furent repoussées avec une noble indignation. La surexci- 
tation du sentiment national amena une révolution contre 
le parti modéré. Jean de Witt et quelques-uns des siens 
furent massacrés et le prince d'Orange appelé au stathou- 
dérat en même temps qu'au commandement de toutes les 
forces du pays, c'est-à-dire que sa dictature fut proclamée. 
C'était assurément déplorable que pour sauver la républi- 
que on commençât par la détruire ; néanmoins, grâce au 
mérite personnel du prince, le moyen, si détestable qu'il fût 
en soi, trouva l'absolution dans l'issue des événements. 

Au commencement de juillet les Français entrèrent dans 
Utrecht, mais en s'occupant de faire les sièges de Grave, 
de Nimègue, etc., au lieu de se porter rapidement sur Ams- 
terdam. Bientôt cette ville s'entoura d'inondations, toutes 
les écluses furent ouvertes, les digues saignées et les Fran- 



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— 203 — 

çais ne purent faire que des progrès très-lents. Ennuyé de 
cette guerre, qui commençait à n'être plus très-glorieuse, 
le roi remit à Turenne le soin de la continuer et il retourna 
à Paris. Turenne prit encore de nombreuses petites places, 
qu'il eut tort de ne pas faire raser, car elles lui dévorèrent 
peu à peu son armée par des garnisons détachées. 

La situation politique s'était aussi changée. Les succès et 
la hauteur de Louis XIV avaient ému l'Empereur et il 
envoyait une armée se joindre à celle de l'électeur deBraur 
debourg. 

Pour parer à ce nouveau danger il fallut aviser à de nou- 
veaux plans. Condé se porte sur le Haut-Rhin avec une 
vingtaine de mille hommes ; le duc de Duras sur la Meuse 
avec six mille hommes. Turenne laissant des garnisons en 
Hollande, remonte le Rhin, le passe à Wesel, traverse le 
duché de Berg, rejoint ses alliés de Miinster et de Cologne 
et va prendre position sur la Lahn vers Nassau. Les enne- 
mis, après avoir fait leur jonction le 14 septembre à Halber- 
stadt, s'étaient portés sur le Mein et s'avançaient contre 
Turenne. Celui-ci ne se sentant pas en forces contre eux 
repasse le Rhin à Andemach et met à contribution Télec- 
torat de Trêves, secret allié de l'empereur. Les Impériaux 
commandés par le Grand-Electeur de Brandebourg (Monte- 
cuculi, malade, ayant dû retourner à Vienne), tentent 
vainement de franchir le Rhin à Coblenz et à Mayence. Ils 
se rabattent vers Strassbourg espérant y être plus heureux; 
mais Condé avisé par Turenne les y prévient et fait sauter le 
pont malgré l'hostilité des bourgeois. Le Grand-Electeur ne 
se rebute pas, et après quelques feintes et contre-feintes, il 
réussit à jeter un pont au-dessous de Mayence et à péné- 
trer par là en Luxembourg. Au lieu de l'attaquer directe- 
ment, Turenne menace ses communications, ce qui force 
les Impériaux de repasser le Rhin. 



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— 204 — 

Quoiqu'on fût déjà en hiver la campagne n'en continua 
pas moins, fait à noter comme exceptionnel. Le Grand-Elec- 
teur marche sur la Westphalie et, tout en s'occupant du 
siège de quelques places, il fait le dégât dans les Etats de l'é- 
vêque de Munster. 

Turenne accourt à l'aide de son allié, passe le Rhin à 
Wesel, rejoint les troupes allemandes du marquis de Ren- 
nel, atteint les Impériaux devant Sœst, leur en fait lever le 
siège et les repousse avec perte au-delà du Weser. Lui- 
même passe ensuite le Weser à Hœxter et amène le Bran- 
debourg à signer une paix séparée le 10 avril 1673. 

Débarrassé de cet adversaire, Turenne se porte contre 
l'autre; il va l'observer sur la Lahn, autour de Wetzlar, 
peijdant qu'un détachement de ses troupes aide le roi et 
Va'uban à prendre plusieurs autres places hollandaises, no- 
tamment Maëstricht. 

Gondé, aussi en Hollande, y était presque inactif. Il devait 
se borner, au milieu des inondations, à maintenir pénible- 
ment les conquêtes de l'année précédente, rôle qui s'accor- 
dait du reste assez, pour le moment, avec de cruelles atta- 
ques de goutte qui le clouaient sur son fauteuil. Mais du 
côté de l'Allemagne s^amassait un orage. Montecuculi avait 
reformé en Bohême une armée impériale d'une quarantaine 
de mille hommes avec laquelle il s'avançait sur le Rhin. 

Turenne, rallié par des renforts du roi venu en Alsace et 
en Lorraine, marche au-devant de Montecuculi par le Mein 
et laTauber et l'arrête devant Rotembourg sur la Tauber. Le 
général impérial s'esquive par la droite et va s'établir forte- 
ment près de Wûrzburg. Intimidant ou gagnant l'èvêque, 
celui-ci, quoique déclaré neutre, -livre son pont aux Impé- 
riaux, qui passent sur la rive droite du Mein. De là, Monte- 
cuculi marche en sécurité sur Mayence ; feignant de mena- 
cer l'Alsace, il donne le changé à Turenne et parvient à 



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— 205 — 

s'embarquer pour Bonn et Cologne et à rallier sur ce der- 
nier point le duc d'Orange qui s'était avancé de la Hollande. 
Cette belle manœuvre, que Turenne, plusieurs fois joué*, ne 
put empêcher, illustra Montecuculi et termina la campagne 
de 1673. Les Impériaux et les Hollandais prirent leurs quar- 
tiers d'hiver le long du Rhin; Turenne se retira sur la 
Sarre. 

Sur mer, les Hollandais Ruyter et Tromp avaient eu des 
avantages sur la flotte coalisée dans trois rencontres suc- 
qpssives. De son côté, l'Espagne venait de se déclarer con- 
tre la France, de sorte que la campagne de l'année 1674 dut 
se rouvrir avec quatre armées françaises, sans compter les 
flottes. 

Dès le mois d'avril, Louis XIV commença lui-même les 
hostilités par une rapide conquête de la Franche-Comté, 
avec l'aide de Vauban, qui s'empara de toutes les places 
principales. Des ambassadeurs forent envoyés en même 
temps à la Suisse pour l'apaiser et justifier cette attaque qui 
violait sa médiation antérieure. 

Sur les Pyrénées, Schomberg eut quelques avantages 
sans grande importance. 

En Allemagne, Turenne mena des opérations très-labo- 
rieuses et non moins vantées par la plupart des historiens 
français. Il empêcha d'abord le duc de Lorraine et trois 
mille cavaliers de secourir la Franche-Comté, soit par la 
France soit par la Suisse. Ils durent se replier sur le Necker 
où se formait l'armée de la coalition. Près de Saverne, Tu- 
renne apprend que des renforts impériaux arrivent de la 
Bohême sur le Necker; il marche à leur rencontre pour em- 
pêcher leur jonction, en débouchant de Philippsbourg, et il 
les atteint près de Sintzheim, sur l'Eltz, à mi-chemin de 

(1) Napoléon, dans sa dictée siir les campagnes de Turenne, estime que ce capi- 
taine commit ici la plus grande faute de sa carrière et fit une tache à sa gloire. 



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— 206 — 

Philippsbourg auNecker. C'étaient neuf mille hommes sous 
le général Caprera, dont sept mille cavaliers et point d'ar- 
tiUerie. Turenne avait à peu près le même effectif, mais de 
toutes armes, dont quatre mille d'infanterie et six canons. 
Il obtint facilement la victoire, quoique un plateau favorable 
aux charges de la cavalerie impériale eût été vivement dis- 
puté. Caprera laissa sur le champ de bataille environ 3 mille 
hommes, dont 500 prisonniers. 

Turenne se replia aussi, malgré ce succès, jusque der- 
rière le Rhin, à Neustadt, non loin de Spire et de Philippe- 
bourg, pour y rallier des renforts de la Belgique et de la 
Franche-Comté. Le 3 juillet, il reprit l'offensive avec une 
vingtaine de mille hommes et se porta de nouveau sur le 
Necker, tandis que les Allemands se réunissaient sur le Mein. 
Par ordre de la cour, il ravagea odieusement le Palatinat. 
Du château de Heidelberg, l'électeur palatin pouvait suivre 
la marche de l'incendie ; mais il ne sut y parer qu'en propo- 
sant un cartel au général français ('). 

Les forces allemandes, avancées vers Mannheim, se repliè- 
rent devant Turenne jusqu'à Mayence, où elles reçurent des 
renforts. Turenne, à son tour, repassa le Rhin et s'établit à 
Landau, d'où il continua ses terribles représailles contre le 
pays. 

Les Allemands, accrus au nombre de 35 mille hommes, 
se remettent en mouvement à la fin d'août. Bumonville, qui 
les commande, fait mine de vouloir assiéger Philippsboui^, 
puis il marche rapidement sur Strassbourg en remontant la 
rive droite du Rhin. Turenne, qui s'était d'abord apprêté à 
agir à Philippsbourg, remonte aussi en toute hâte sur Strass- 
bourg par la rive gauche. Les deux armées font steeple- 
chase, séparées par le Rhin. Bumonville a deux marches 

(1) Il ne faut pas oublier que ce genre barbare de guerre était encore en plein 
usage partout à cette époque ; il s'appelait faire le dégât. 



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— 207 — 

d'avance. Turenne n'en regagne qu'une. Burnonville s'em- 
pare le 21 septembre de la ville de Strassbourg, qui ne de- 
mandait pas mieux que d'être prise par les Allemands. Il 
s'établit sous le canon de la place, front au nord. Turenne 
vint camper en face, à Wantznau. Il avait SÎ5 mille hommes, 
les Allemands 35 mille. Ceux-ci en attendaient encore 25 
mille, entr'autres les Prussiens ou Brandebourgeois, sous 
l'électeur, qui s'était aussi redéclaré contre la France, mais 
qui arrivait péniblement comme toujours. 

Quelques manœuvres de campement eurent lieu autour de 
Strassbourg , Turenne cherchant à couvrir Saverne et à 
s'assurer un bon point d'attaque. Enfin il se décida à offrir 
la bataille avant la jonction des Prussiens. Le 4 octobre, les 
deux armées se trouvèrent en présence à Entzheim, miais 
les Allemands, que Turenne avait un peu espéré surpren- 
dre , étaient en bonne disposition de le recevoir. De part 
et d'autre on n'en fut pas moins résolu à tenter la fortune 
des armes, et cela amena la bataille d'Entzheim (5 octobre 
4674). 

Les Impériaux avaient leur centre à ce village, bien posté 
derrière des haies et des murailles de jardin et secondé du 
gros de l'artillerie ; leur cavalerie était aux ailes, à droite 
sous le général Dûnewald, à gauche sous Caprera, toutes 
deux prolongées et flanquées de détachements de dragons 
et de Croates; en avant de ces ailes deux bois, un petit à la 
droite, un plus grand à la gauche, devaient être aussi occu- 
pés par des troupes légères, d'infanterie surtout. 

Turenne, fort d'environ 25 mille hommes, dont 10 mille 
dragons, se forma comme d'habitude en deux lignes et une 
réserve. 

En première ligne, il mit 34 encadrons et 10 bataillons^ 
mélangés par groupes de un à deux bataillons et de un à 
quatre escadrons; plus deux régiments de dragons réunis à 



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— 208 — 

l'aile droite. Les intervalles entre les groupes d'escadrons 
étaient remplis par des pelotons de mousquetaires. 

La seconde ligne fut formée de 8 bataillons et 28 esca- 
drons, aussi mélangés comme à la première ligne, mais 
sans pelotons de mousquetaires entre les escadrons. 

Qnq escadrons derrière le centre de la première ligne en 
formèrent la réserve. Deux bataillons et six escadrons for- 
mèrent une troisième ligne ou la réserve générale. 

Après avoir franchi la Beusch , Turenne déploya son 
front; pour cela il s'étendit à sa droite et fit attaquer le bois 
couvrant l'aile gauche des Impériaux. Les dragons y réussi- 
rent aisément, car l'ennemi n'avait pas encore eu le temps 
d'occuper en forces cette position; seulement quand ils arri- 
vèrent à la lisière extérieure du bois ils découvrirent toute 
l'aile gauche de Bumonville, c'est-à-dire la cavalerie de 
Caprera, formant un crochet en avant de son infanterie diri- 
gée perpendiculairement vers la droite française. 

Pour continuer son mouvement, Turenne fit déboucher 
du bois contre Entzheim ; l'artillerie impériale ouvrit alors 
un feu très-vif, qui, secondé de feux de mousquetaires, re- 
poussa les assaillants. Turenne fit avancer son centre direc- 
tement sur Entzheim ; mais il fut contenu de front en même 
temps que chargé de flanc par la cavalerie de Caprera. La 
seconde ligne française dut s'avancer au centre en aide à la 
première ; elle n'eut pas plus de succès. Le combat se pro- 
longea sur ce point avec ténacité ; pendant ce temps Turenne 
rassembla toute sa cavalerie de la droite et la lança, par les 
intervalles des bataillons engagés, contre celle de Caprera 
en se prolongeant à droite. Ce mouvement, quoique efficace, 
laissa un vide vers son centre, dont les Impériaux profitè- 
rent aussitôt pour lancer à leur tour une vingtaine d'esca- 
drons au milieu des lignes françaises. Es pénétrèrent jus- 
qu'aux réserves et engagèrent une mêlée générale qui força 



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^ 209 — 

les bataillons français du général Faucoult à former les car- 
rés et à rester sur la défensive. Tout cela se passa néan- 
moins en bon ordre, et la cavalerie de la gauche française 
eut le temps d'arriver et de repousser l'attaque de la cavalerie 
impériale. Celle-ci, épuisée et non soutenue de l'infanterie, 
se retira sur ses lignes en laissant beaucoup de morts et 
blessés sur le terrain de ses brillants exploits. 

Le soir, les deux armées se quittèrent pour se replier, les 
Allemands sous le canon de Strassbourg, Turenne derrière 
la Breusch vers Achenheim, à une lieue du champ de bataille. 
En cela il fut peut-être un peu trop prudent ; en tenant sa 
position jusqu'au matin il se fût acquis le prestige de la vic- 
toire. Il eut au moins l'avantage relatif d'emmener comme 
trophées 10 canons et quelques étendards, et, quoique infé- 
rieur en forces, de n'avoir que deux mille hommes hors de 
combat, tandis que les Allemands en perdirent environ le 
double. Toutefois, la bataille d'Entzheim doit être considérée 
comme indécise et elle resta sans résultat. 

Le grand-électeur ayant rallié les Allemands, le 14 octo- 
bre, ceux-ci, forts alors d'une cinquantaine de mille hom- 
mes, reprirent leur camp d'Entzheim, et Turenne, qui s'était 
déjà replié sur la Massig, dut reculer derrière la Zorn autour 
de Dettweiler. Pendant cette retraite, il fut attaqué et fit des 
pertes. Mais des renforts lui arrivèrent de toutes parts, et 
l'ennemi, à son tour, se replia sous les murs de la place, au 
camp de St-Blaise. 

Turenne n'essaya pas de le poursuivre directement, ce 
qui eût peut-être amené l'évacuation immédiate de Stras- 
bourg, les Prussiens n'ayant rien à gagner dans ces para- 
ges où ils ne faisaient que les affaires de l'Autriche. Il pré- 
féra recourir à une opération qui parait plus compliquée 
que de nécessité. 

Evacuant complètement l'Alsace il repasse en Lorraine 

TOME II. 14 



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— 210 — 

le 29 novembre par le défilé de la Petite-Pierre, porte son 
quartier-général à Loquin, marche au sud le long des Vos- 
ges par Bramont, Bécarat, Domptail, Padoux, Eloges, Lon- 
guet, Remiremont, Belfort, tout en recueillant quelques 
troupes auxiliaires. Seulement à son arrivée à Belfort, le 
27 décembre, cette marche fut connue de Tennemi, qui 
prit aussitôt ses dispositions pour faire face de ce côté. 
Turenne aurait dû redoubler de rapidité; au contraire il 
marcha dès lors plus prudemment et trop lentement sur 
Grûn, puis sur Mulhouse. Près de cette ville il rencontra 
déjà une division de Burnonville se repliant sur Clolmar 
et qu'il rejeta sur Bâle. Ce ne fut que le 5 janvier qu'il 
arriva devant Ck)lmar, où le grand-électeur avait pu rallier 
toute son armée et était prêt à le recevoir avec 50 mille 
hommes bien postés, la droite à Turckheim, la gauche à 
Colmar, sur le front un petit ruisseau. Turenne, qui avait 
40 mille hommes, attaqua néanmoins, le 5 janvier au soir. 
Lançant Lorges à droite contre Colmar, il assaillit Turck- 
heim avec le gros de ses troupes et enleva la position. La 
nuit ne permit pas d'action soutenue. Turenne comptait la 
reprendre le lendemain ; mais le 6 au matin il trouva les 
lignes ennemies évacuées. Le grand-électeur avait fait sa 
retraite pendant la nuit sur Schlestadt, ne laissant aux vain- 
queurs que des malades et des traînards au nombre d'envi- 
ron trois mille. Turenne se mit à ses trousses sur Schles- 
tadt, que l'ennemi évacua, le 9, vers le Rhin; le 11, il 
repassa ce fleuve au pont de Benfelden, en amont de Strass- 
bourg, et rentra en Allemagne, moins par nécessité mili- 
taire que par raison politique ^ar suite du peu d'intérêt que 
les Allemands du nord avaient dans des opérations en Alsace. 
Si cette campagne de Turenne fut ainsi terminée au profit 
de la France, ce que nous avons retracé de ses opérations 
suffit à montrer qu'elle ne comporte pourtant pas tous les 



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— 211 — 

éloges qu'on en a faits (*). Le grand mouvement autour des 
Vosges n'eut point en réalité le mérite dont il revêt les appa- 
rences au premier coup-d'œil. C'était, qu'on nous pardonne 
l'expression, chercher midi à quatorze heures; il aurait dû, 
pour être efficace, aboutir au milieu des cantonnements des 
Allemands et non sur leur extrémité, ou une fois démasqué 
à Belfort être mené plus rapidement qu'il ne le fut. Dans 
une observation frappée au coin du génie Napoléon a tout 
dit à cet égard en ces quelques lignes : 

« C'est le 27 décembre que Turenne est arrivé à Belfort, 
et c'est le 5 janvier qu'il a livré le combat de Tùrckheim, ce 
qui fait neuf jours; c'est six trop tard. Il y a de Belfort à 
Colmar quatorze lieues; les cantonnements une fois réunis 
à Belfort, la manœuvre était démasquée, il n'y avait plus 
une heure à perdre : si Turenne eût marché avec plus de 
rapidité, il eût obtenu de grands résultats ; tous les quartiers 
de l'ennemi avaient eu le temps de se rallier, de sorte qu'au 
champ de Colmar il a trouvé toute l'armée réunie ; il eût dû 
prévenir leur réunion. Tout le génie de cette opération con- 
sistait à arriver sur le pont de Strasbourg avant que l'armée 
fût ralliée ; Turenne la manqua : une pareille manœuvre au- 
rait été féconde en grands résultats et d'un succès certain. 
Si au lieu de déboucher par Belfort, c'est-à-dire par l'extré- 
mité des Vosges , Turenne eût débouché par le milieu des 
Vosges, droit sur Colmar et Strasbourg, il fût arrivé avant 
que les cantonnement se fussent ralliés. Il a dans cette oc- 
casion montré plus de talent pour la conception de ce beau 
plan, que dans son exécution (2). » 

(1) M. Henri Martin entr'autres, au tome XIII, p. 455 de son Histoire deFrancet 
si distinguée du reste. 

(2) Chacun fera aisément la part de la courtoisie dans cette dernière phrase, qui, 
sans cela, renfermerait une anomalie étrange. Le plan de Turenne n'ayant été 
connu que par son exécution, et celle-ci étant fondamentalement vicieuse, ce plan 
lui-même ne peut pas être si beau, ou son mérite reste dans le domaine des sim- 
ples hypothèses. La beauté dont parle Napoléon ne s'applique évidemment qu'au 



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— 212 — 

Pendant ce temps, Condé avait opéré plus vigoureusement 
en Belgique. De Maestricht, où il consolida la position des 
Français, il se rabattit sur le Hainaut devant des forces su- 
périeures et il attendit autour de Gharleroi l'arrivée de ren- 
forts annoncés, dans un bon camp d'observation entre la 
Sambre et le ruisseau du Piéton. Ainsi, il menaçait Mons, il 
couvrait le Hainaut français à gauche et la Champagne à 
droite. En juillet, il avait sous ses ordres environ 35 mille 
hommes et l'ennemi 50 mille sous Guillaume d'Orange et des 
Souches, remplaçant de Montecuculi. Ces derniers, après 
avoir détaché une dizaine de mille hommes contre la place 
de Graves sur la ^use, allèrent offrir la bataille à Condé. Ne 
réussissant pas à faire sortir le général français de ses lignes 
et n'ayant rien pu entreprendre de sérieux contre Charleroi, 
ils filèrent par leur droite vers Mons et le Hainaut français. 

A peine avaient-ils commencé leur trop confiante marche 
de flanc que Condé la découvre et se met en mesure de la 
châtier. Lestement prêt, il passe le Piéton, tombe sur un 
corps de flanqueurs ennemis tenant le village de Sénef, et, 
à la tête de la garde du roi, il le refoule sur le gros de l'ar- 
mée en marche (il août). Celle-ci se forme à la hâte près 
du prieuré de St-Nicolas. Condé ne lui donne pas le temps 
de s'organiser ; il l'attaque avec ce qu'il a sous la main et la 
déloge de positions en positions pendant près d'une lieue de 
chemin jusqu'au village de Fay. Tout le bagage, beaucoup 
de prisonniers, une centaine de drapeaux et 4 canons tom- 
bèrent entre ses mains. A Fay, la tête de l'armée alliée s'é- 
tait arrêtée dans une bonne position, où Guillaume rallie 
les fuyards et se met plus solidement en défense. 

Comme à Fribourg et à Nordlingen, Condé ne pense pas 



plan tel qu'il le corrige dans sa critique. Alors ce n'est plus du tout le même plan, 
quoiqu'il réponde toujours, et mieux encore^ à l'intention probable qui avait ins- 
piré l'autre. 



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— 213 — 

à ralentir son élan. Il attaque de nouveau, mais celte fois 
sans succès. Une action acharnée se poursuit jusque dans 
la nuit sans autre résultat que de fortes pertes des deux 
côtés et surtout du côté des Français. Le lendemain, les 
alliés purent filer sur Mons, et Condé rentra dans son camp. 
De part et d'autre, cette affaire coûtait environ 8 mille hom- 
mes hors de combat, dont 3000 prisonniers restés aux 
mains des Français avec les trophées de Sénef. 

Les alliés entreprirent ensuite le siège d'Oudenarde qu'ils 
investirent le 15 septembre. Condé se porta vers la place et 
parvint à communiquer avec elle dès le 20 septembre. La 
mésintelligence entre les alliés aidant, ce secours força ceux- 
ci à lever le siège et à se replier sur Gand. Ils se consolèrent 
en s'emparant de Graves, après quoi ils se séparèrent. 

Sur ce théâtre, comme sur le Rhin, les Français n'avaient 
pas fait grand progrès en 1674: ; mais leurs adversaires, si 
menaçants au début, n'en avaient pas fait davantage. 

La campagne était à refaire. Elle se rouvrit en 1675 dans 
des conditions un peu différentes. La France était secondée 
cette fois d'utiles diversions de la Suède contre le Brande- 
bourg, mais contrariée par des discordes intestines à propos 
des impôts de plus en plus lourds. 

Au nord, les Français se concentrèrent sur la Moyenne- 
Meuse, obtinrent Liège et rasèrent Maysek. Le roi et Condé 
prirent Limbourg, pendant que Créqui s'emparait de Huy 
et de Dinant, puis menacèrent Namur et Charlemont, les 
seules places restant aux coalisés sur la Moyenne -Meuse, 
pendant que des coups plus décisifs se porteraient ailleurs. 
Le roi retourna à Paris le 17 juillet pour y veiller aux trou- 
bles de l'intérieur, ne laissant à Condé qu'un petit corps 
pour contenir le prince d'Orange et un autre corps à Créqui 
contre le duc de Lorraine entre Moselle et Sarre. Le reste fut 
envoyé à Turenne pour agir vigoureusement en Allemagne. 



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— 214 — 

Turenne avait passé Thiver à Paris au milieu de grandes 
ovations. Il en avait profité pour se plaindre de Louvois qui 
le contrariait trop souvent et il avait reçu carte blanche 
pour ses opérations futures. Il partit pour son armée le H 
mai ; le 22 mai il était devant Strassbourg avec 20 mille 
hommes et imposait la neutralité à cette ville, qui eût dû 
être occupée depuis longtemps. Au-delà du Rhin, vers Offen- 
bourg^ se rassemblait l'armée ennemie, comptant 25 mille 
hommes, tous d'Impériaux cette fois, sous Montecuculi. 

Voulant reprendre TAlsace, le général autrichien s'y fit 
précéder d'une sonore proclamation promettant mieux que 
la campagne précédente; mais il ne put obtenir passage des 
Strassbourgeois. 11 lui fallut manœuvrer. Il descendit le 
Rhin, fit mine d'assiéger Philippsbourg et fi*anchit le fleuve 
à Spire. Turenne l'attendit à Achenheim avec une avant- 
garde à Haguenau ; mais les Impériaux n'avançant pas, il 
résolut de menacer leurs derrières et de se porter pour 
cela en Souabe. A cet effet, il jette un pont à Ottenheim, à 4 
lieues en amont de Strassbourg etijy passe le Rhin. Monte- 
cuculi s'empresse aussi de repasser le Rhin, et les deux 
armées se rencontrent sur la Kintzig, ou plutôt s'observent 
car elles ne s'aborderont pas de sitôt. Turenne, bien campé à 
Willstet, barre la route.de Strassbourg. Montecuculi, plus 
en amont sur la Kintzig, se poste vers Offenburg. De là, ce 
dernier se prolonge par sa gauche pour menacer le pont 
français d'Ottenheim ou pour forcer Turenne à découvrir 
Strassbourg. Turenne se borne à détacher une division sur 
sa droite vers Altenheim pour garder son pont. Ici Monte- 
cuculi manqua l'occasion de porter un coup décisif, et Napo- 
léon, remarque qu'à sa place Condé ne l'eût pas. laissé 
échapper. Il aurait dû changer sa diversion en attaque sé- 
rieuse ou percer le centre du front si étendu des Français; 
au lieu de cela il se borna à des manœuvres insignifiantes. 



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- 215 — 

Turenne eut le temps de reconnaître sa faute d'avoir un 
pont si loin de Strassbourg ; il le leva et le rapprocha jus- 
qu'à Altenheim, ce qui, suivant Napoléon, était encore une 
lieue trop loin de la place. 

Désespérant néanmoins de rien pouvoir tenter d'avan- 
tageux sur ce point, Montecuculi retourne à son camp d'Of- 
fenbourg. De là, après une nouvelle diversion vers Alten- 
heim , il se porte rapidement par sa droite sur Bodes- 
weyer pour saisir, du côté d'aval, un passage sur Strass- 
bourg, où il a des partisans qui l'attendent avec impatience. 
Turenne, pénétrant à temps son projet, le prévient à Bodes- 
weyer et l'arrête. MontecucuH doit renoncer à surprendre 
des ponts si bien gardés. Il redescend le Rhin à la recher- 
che d'un autre passage en se faisant envoyer des bateaux 
commandés à Strassbourg et il campe à Scherzheim pour 
les attendre. Turenne le suit et campe en face de lui, à Frei- 
stett, la gauche au Rhin , ayant sur son front le Renchen^ 
faible cours d'eau qui sépare les deux adversaires. 

Turenne fait établir des estacades et des batteries sur le 
fleuve pour arrêter les convois de Strassbourg. Mais le ter- 
rain marécageux de son camp le fait souffrir du manque de 
vivres et de maladies, tandis que l'ennemi, beaucoup mieux 
placé, communiquait avec Offenbourg et en tirait des appro- 
visionnements. Il en attendait aussi le renfort de son arrière- 
garde sous Gaprera. Turenne l'apprend et se décide à l'at- 
taque immédiate. Dans la nuit du 23 au 24 juillet il franchit 
le Renchen à un gué mal gardé sur la gauche de l'ennemi, 
et, continuant son mouvement par sa seconde ligne sous le 
couvert de la première servant de rideau, il s'empare, le 25, 
de Gamhorst, petit village commandant le vallon de Lichte- 
nau, en arrière des Impériaux. Il avait ainsi coupé leurs com- 
munications et allait les acculer au Rhin. Mais Montecuculi 
était souple et son minime effectif lui permettait des mouve- 



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— 216 - 

ments que des armées de 50 à 60 mille hommes n'auraient pu 
effectuer. Dans la nuit du 25 au 26, il s'esquive par la mon- 
tagne et s'établit à son tour sur la droite des Français, dans le 
vallon de Susbach. Turenne se concentre le 26 à Gamhorst, 
remonte le Lichtenau le 27 et se trouve en face de la posi- 
tion ennemie. Il va aussitôt la reconnaître; elle lui paraît 
forte de front, mais acculée à la montagne et pouvant être 
avantageusement tournée. Il venait d'exprimer laconique- 
ment sa grande satisfaction par les mots: « Enfin, je le 
tiens, » lorsqu'un boulet de canon le tua raide en enlevant 
un bras à son général d'artillerie St-Hilaire (*). 

Le projet d'attaque s'envola avec la vie du grand capi- 
taine. Les lieutenants Lorge et Vaubrun ne surent s'enten- 
dre que pour se replier sur Willstet, puis sur Alterheim, 
vivement talonnés par Montecuculi, qui faillit même les pré- 
venir sur le Rhin. Une action très-chaude s'engagea devant 
Alterheim, où Vaubrun se fit bravement tuer avec environ 
trois mille hommes. Les Impériaux en perdirent cinq mille, 
mais eurent la gloire de reconduire les Français aurdelà du 
fleuve dans la nuit du 4 au 5 août. Ceux-ci se replièrent sur 
Schlestadt, tandis que Montecuculi, passant aussi le Rhin, s€ 
mit en possession de Strassbourg et alla assiéger Haguenau. 

En même temps, c'est-à-dire le 11 août 1675, Gréqui 
avait été battu à Gonsaarbrûcke, puis bloqué dans Trêves, 
où il avait dû se rendre aux Brunswickois. 

Gondé fut envoyé en toute hâte à l'armée d'Allemagne 
pour remplacer Turenne. Il la rallia à Chatenoy, vers Schles- 
tadt et fit lever le siège de Haguenau. Mais n'étant pas assez 
en force, il évita la bataille que le circonspect Montecuculi 
recherchait au contraire. Pendant le reste de la saison, Gondé 
se maintint dans son bon camp de Ghatenoy sans permettre 

(1) Un fort intéressant résumé de cette belle campagne se trouve dans un récen 
petit volume, recommandable à tous égards, Souvenirs d'un voyage; une visite 
à quelques cJiamps de bataille de l'armée du Rhin, (par M. le duc de Chartres.) 



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— 217 — 

aux Impériaux de s'avancer en Alsace. Ils se retournèrent 
vers le Bas-Rhin et établirent un pont et des ouvrages à Lau- 
terbourg en vue du siège de Philippsbourg; Montecuculi prit 
ses quartiers d'hiver dans les environs. 

Mais ce fut sa dernière campagne, de même que Condé. 
Tous deux, très-souffrants de la goutte, ne purent reprendre 
leur commandement au printemps. Ainsi l'année 1675 vit 
la retraite des trois plus grands capitaines de l'époque (*). 

En France, les maréchaux Luxembourg, Gréqui, Schom- 
berg, puis Vauban ne les remplacèrent pas trop mal. S'ils" 
n'empêchèrent pas la perte de Philippsbourg, tombée aux 
mains des Impériaux, le 2 août 1676, ils la compensèrent par 
la prise de beaucoup d'autres places: Fribourg, Condé, Bou- 
chain. Aire, Valenciennes , Gand, Ypres, enfin Cambrai et 
St-Omer. En 1678, la paix se conclut à Nimègue, paix qui 
valut à la France les colonies hollandaises du Sénégal et d€^ 
la Guyane et enfin la Franche-Comté tant désirée. 

Le traité de Nimègue marqua l'apogée de la puissance de 
Louis XIV. Alors s'ouvre, dit Trognon, la période des gran- 
des fautes, en attendant celle des désastres (2). Cette impor- 
tante date se rencontre aussi avec un brillant essor de tous les 
arts de la paix. Epoque grandiose, en vérité, malgré les noi- 
res ombres qu'y tracent les avides Chambres de Réunion, le 
barbare bombardement de Gênes, l'inique et impolitique ré- 
vocation de l'édit de Nantes, suivie des cruelles dragonnades, 
actes de brutal despotisme suffisants à attacher une éternelle 
malédiction à la mémoire du plus grand des rois. 

(1) La belle Histoire des princes de Condé pendant les i6' et il* siècles de M. le 
duc d'Àumale, dont les deux premiers volumes ont paru dernièrement, donnera 
sans nul doute dans les volumes suivants, qui, dit-on, ne tarderont pas à paraître, 
de nouveaux et précieux renseignements sur le grand Condé et sur ses campagnes. 
C'est à d'obligeantes notes d ■ l'illustre auteur que nous devons déjà les principaux 
matériaux de notre récit de la bataille de Fribourg. 

(2) Histoire de France. Tome V, cb. 24. 



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— 248 — 

Pour nous, cette phase de Thistoire n'est point la plus 
intéressante. Les capitaines de premier ordre y manquent. 
La majesté de Louis XIV y prend plus d'ampleur, mais non 
ses talents de général. S'il se perfectionne dans l'art des 
sièges et de l'administration, qui convient à ses goûts d'ac- 
tivité et de précision, son suprême orgueil n'ose uflfronter 
les chances des batailles décisives ('). Ses meilleurs lieute- 
nants, Luxembourg et Gatinat, ne rappellent que de loin 
Gondé ht Turenne. Leur adversaire n'est plus Montecuculi, 
n'est pas encore le brillant Eugène de Savoie ou le grand 
Marlborough. Louvois devient une étoile de première gran- 
deur. Son génie créateur inépuisable fait sortir de terre les 
armées, et c'est leur plus belle opération. On ne manœuvre 
qu'à coups de 50 mille hommes et plus, mais encombrés 
dHmpedimenta^ dont la fastueuse cour et ses dames sont un 
des plus incommodes. Les gros effectifs, la puissance du roi, 
remplacent les beaux mouvements. Les campagnes se prolon- 
gent et deviennent à la fois plus meurtrières et moins décisi- 
ves. La rapidité des allures leur fait défaut et ne leur revien- 
dra qu'après une longue école dans le maniement des masses. 

De leur côté les ingénieurs, si relevés par Vauban, régnent 
en maîtres dans leur importante spécialité, dont ils rompent 
trop souvent les limites. Ils mettent autant de zèle à pren- 
dre des places en temps de guerre qu'à en créer en temps 
de paix (2). Bientôt les frontières du nord et de l'est sont cou- 
vertes d'un formidable et désordonné réseau de forteresses, 
qui imposera longtemps de vicieuses opérations de cordon 
aux forces en campagne et qui un jour épuisera la France, 

U) Voir dans les mémoires de l'Académie des sciences morsdes et politiques, 
!•' vol. de 4867, de lumineuses et savantes Réflexions sur les talents militaires 
de Louis XIV du commandant de la Barre-Duparcq. 

(2) On doit cependant reconnaître que Vauban résista souvent à la tendance 
d'abuser de l'art qu'il avait tant illustré, et qu'il disputa vivement sur ce thème 
contre Louvois. C'est le fastueux ministre qui doit plutôt être considéré comme 
le vrai fauteur de ces excès. 



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— 219 -- 

tout en la laissant découverte au cœur. Il faudra plus d'un 
siècle d'expériences et de désastreuses leçons avant qu'on 
songe à réparer les erreurs de ce système et à faire pas- 
ser le principal avant l'accessoire, c'est-à-dire assurer tout 
d'abord la capitale, base de la force d'une nation, pour orga- 
niser ensuite sur elle les dispositifs des frontières (*). Quant 
aux flottes, qui jouèrent souvent le rôle le plus important 
sous Tourville et Duguay-Trouin, leurs exploits ne sont pas 
de notre ressort. 

Aussi nous ne ferons que marquer la place chronologique 
des guerres de cette période, pour y noter quelques faits 
nouveaux de l'art militaire. 

Les prétentions d'omnipotence de Louis XIV, manifestées 
par ses Chambres de Réunion, amenèrent contre lui une 
coalition de presque toute l'Europe par la Ligue d'Augs- 
bourg, conclue dans cette ville en 1686. L'Angleterre seule 
y manquait par suite de ses agitations intestines ; mais après 
la révolution qui porta sur le trône le prince d'Orange, l'ad- 
versaire le plus acharné de Louis XIV, elle se trouva, avec 
la Hollande et l'Empire, à la tête de la coalition. 

La guerre éclata en 1688 et ne tarda pas à s'étendre sur 
cinq théâtres principaux, en Allemagne, en Belgique, en Es- 
pagne, en Italie, en Angleterre et sur mer, sans parler des in- 

(1) Voir sur ce point l'excellente^étude du lieutenant-colonel van de Welde 
Défense des Etats et le chapitre Ul, art. 26 du Précis de l'art de la guerre du général 
Jomini. Déjà Machiavel, en 1521, avait dit dans son Discours sur Tite-Live. H, 24 • 
« Pour contenir son propre pays, les forteresses sont dangereuses ; pour conser- 
» ver le pays conquis, elles sont inutiles. Ce qu'il faut surtout mettre en état de 

> défense, de force et de vie, c'est le cœur d'un empire et non pas ses extrémités \ 
3 on peut avoir perdu celles-ci sans cesser d'exister, mais la vie tient à l'exis- 

> tence de celui-là. Malheur aux Etats qui arment les pieds et les mains et lais- 

> sent le cœur sans défense I > Plus tard, le duc de Rohan, dans son Parfait 
capitaine, et le maréchal Puységur, dans son Art de la guerre^ soutinrent cha- 
leureusement les mêmes bons principes, mais sans réussir davantage à les feilre 
triompher avant l'expérience qui résulta des guerres de notre siècle. La France ne 
revint décidément, mais imparfaitement encore, de ce système vicieux que sous 
le roi Louis-Philippe et grâce aux efforts de M. Thiers, par le réseau des fortifi- 
cations de Paris. 



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vasions des Turcs en Hongrie? Les bords du Rhin et le Palati- 
nat subirent de nouveau le dégât des armées françaises, ce 
qui excita l'Allemagne à de nombreuses levées de troupes. 

Néanmoins la France fit face à ses nombreux adversaires, 
mais au prix des plus grands sacrifices -et en portant ses 
effectifs jusqu'à 450 mille hommes et 160 vaisseaux. Sur mer 
les forces de l'amiral Tourville, secondées des corsaires Jean 
Bart et Dugaay-Trouin, portèrent la terreur dans les flottes 
et les colonies de l'Espagne et de la Hollande, jusqu'à ce 
qu'enfin, battues à La Hogue (29 mai 1692), elles durent 
restreindre considérablement leur action. 

En Belgique, Luxembourg, à la tête d'armées de plus de 
50 mille hommes, remporta successivement de grandes 
victoires à Fleurus {i^^ juillet 1690), à Steinkerque (3 août 
1692), à Neerwinden (29 juillet 1693), où il recueillit tant 
de drapeaux qu'ils lui valurent le glorieux surnom de tapis- 
sier de Notre-Dame. En*même temps Vauban et le roi s'oc- 
cupèrent d'un grand nombre de sièges, dont celui de Mons, 
puis celui de Namur, habilement défendue, perdue et reprise 
par Gœhorn, furent les plus brillants. 

En Italie Gatinat remporta, entr'autres, sur les troupes du 
duc de Savoie, le principal belligérant, deux victoires, à la 
Sta^arde (17 août 1690) et à la Marsaille (3 octobre 1693), 
sans grands résultats et sans pouvoir empêcher la guerre de 
se porter en Dauphiné. 

En Allemagne les Français , après avoir repris Philipps- 
bourg, ne purent que se tenir péniblement sur la défensive. 
Deux tentatives qu'ils firent sur Tlrlande et l'Angleterre, en 
faveur du roi détrôné, échouèrent totalement. En Espagne, 
.d'insignifiants succès se balancèrent de part et d'autre. Après 
10 ans de guerre, la France, quoique épuisée, luttait encore 
contre l'Europe, et trois avantages inespérés qu'elle obtint, 
en 1657, soit la prise d'Ath par Vauban et Gatinat, qui décou- 



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— 221 — 

vrait Bruxelles, la prise de Barcelone par Vendôme, et un my- 
stérieux traité d'alliance avec le duc de Savoie, amenèrent en- 
fin la paix de Ryswick, en 1698. La France fut obligée de ren- 
dre presque toutes ses conquêtes et de reconnaître le nouveau 
roi d'Angleterre ; en revanche, elle put garder Strassbourg 
qui complétait très convenablement sa frontière d(r l'Alsace. 
Ce qui caractérisa cette campagne, au point de vue mili- 
taire, ce fut, outre la grandeur des effectifs aux prises, et 
qui contrastaient avec ceux de Turenne et de Gondé, qu'on 
y munit l'infanterie d'un fusil hollandais à pierre, au lieu de 
la platine à mèche ; on donna aussi à quelques régiments un 
long couteau ou bout de pique destiné à s'enfoncer dans le 
canon du fusil, pour les assauts, et à servir de baïonnette, 
arme qui fonctionna fort bien, comme pique, dans plusieurs 
mêlées. Il faut mentionner encore que c'est pendant ces 
dernières guerres que s'étabht définitivement la règle hié- 
rarchique de la supériorité de l'ancienneté entre officiers de 
même grade et qu'ordinairement les avancements se firent 
entr'eux à l'ancienneté. 

Ce qui avait facilité la conclusion de la paix de Ryswick, 
ainsi que celle de Garlowitz, entre l'Empire et les Turcs, en 
1699, c'est que de part et d'autre les principaux belligérants 
voyaient poindre à l'horizon une prochaine guerre qui me- 
naçait d'être sérieuse par l'importance de ses enjeux. La 
descendance de Charles-Quint en Espagne allait s'éteindre, 
et une copieuse succession s'offrait à plusieurs prétendants, 
au premier rang desquels figuraient de nouveau le roi de 
France et l'empereur. 

L'incident survint en effet en 1700, jet amena la guerre 
dite de Succession , dont nous devons nous occuper un peu 
plus en détail. 

Le jeune Philippe d'Aiyou, petit-fils de Louis XIV, appelé 



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— 222 — 

au trône sous le nom de Philippe V, par testament de Char- 
les II, fit son entrée à Madrid en 1701. Quoique accueilli 
avec enthousiasme par les Castillans et par la grande majo- 
rité des Espagnols, la guerre européenne ne tarda pas à 
sortir de cet événement qui semblait comme une revanche 
contre Tempire de Charles V. D'un côté se trouvent la France 
et l'Espagne, rattachant à eux la Savoie pour peu de temps, 
les électeurs de Cologne et de Bavière; de l'autre sont l'Em- 
pire, la Hollande, l'Angleterre, le Danemark, la Prusse, le 
Hanovre, bientôt le Portugal et la Savoie. On a la lutte des 
Deux-Couronnes contre la Grande-Alliance. 

Les hostilités s'ouvrirent en Italie. Une armée combinée 
de Français et de Piémontais , aux ordres du duc de Savoie 
et de Catinat, se porta sur l'Adige, vers Rivoli, pour barrer 
le passage à des forces impériales voulant atteindre le Pô. 
Celles-ci étaient commandées par le célèbre prince Eugène, 
qui venait de s'illustrer dans plusieurs campagnes contre 
les Turcs (*). Au lieu d'affronter les Français dans leurs 

(1) Le prince Eugène de Savoie-Carignan était né à Paris en 1663. Cadet de 
quatre frères, il fut destiné à l'Eglise et reçut, déjà à l'âge de sept ans, deux 
abbayes près de Turin. Mais ses goûts le portaient vers la carrière des armes, 
et dès qu'il eut atteint l'âge de majorité il pria le roi de lui changer ses dignités 
ecclésiastiques contre un régiment. Louis XIV, à l'instigation de Louvois, ayant 
opposé un refus peu obligeant à ce petit abbé, délicat et fluet, et dont la mère, 
superbe intrigante, était alors en disgrâce et en exil , Eugène , aigri mais non 
rebuté, n'en persista pas moins dans sa résolution, en jurant, dit-on, de se venger 
de l'affront qu'on lui faisait. En 1683, avec d'autres éminents volontaires français, 
il se rendit en Autriche pour la guerre qui venait d'éclater contre les Turcs. Il y 
rejoignit un de ses frères qui commandait un régiment sous les ordres du duc de 
Lorraine, et il eut promptement l'occasion de faire remarquer son courage et son 
coup d'œil dans plusieurs rencontres, ce qui lui valut, à la fin de la première cam- 
pagne, un régiment de dragons et le grade de maréchal de camp. Il se distingua 
encore au siège de Bude et dans divers combats en Hongrie, et fut élevé, en 1688, 
au grade de lieutenant-général. L'année suivante il fut envoyé à Turin pour 
détacher la ciour de Savoie de l'alliance française, et il y réussit aisément. Devan- 
çant les troupes impériales qu'il devait joindre à celles du duc , il prit part, 
quoiqu'ayant déconseillé cette rupture prématurée, aux batailles de la StafTarde 
et de la Marsaglia, à la tète d'une aile de cavalerie qui rendit les meilleurs 
services. Au début de la guerre de Succession , il arrivait donc sur un terrain 
(^mailler. — Voir l'Histoire du prince Eugène de Savoie. Paris, 1770, 5 vol. in-8«, 
avec planches (par Mauvillon). 



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— 223 — 

avantageuses positions, il se rejeta à gauche et descendit, 
par les montagnes du val Fredda et Sette-Communi , vers 
leVicentin et le Bas-Adige, où, favorisé des Vénitiens, il 
put s'approvisionner et se renforcer à son aise. Prenant 
l'offensive, il passa l'Adige à Castel-Baldo, à la faveur d'un 
heureux combat à Garpi, puis le Mincio, sous Peschiera, et 
arriva sur l'Oglio à Palazzolo , avant que Catinat ait rien pu 
tenter de sérieux pour arrêter cette rapide et habile marche. 

L'armée française, il est vrai, était mal entretenue et dé- 
moralisée, et ses alliés de Savoie devetiaient de plus en plus 
douteux. Son chef n'avait pas encore pu se relever de ce triste 
début quand il fut durement remplacé dans son commande- 
ment parVilleroi. Celui-ci attaqua Eugène dans son camp à 
Chiari {i^^ septembre), mais fut repoussé avec perte. Après 
quelques semaines d'inaction militaire, mais d'actifs pourpar- 
lers diplomatiques, le duc de Savoie se retira de la lice et se 
déclara neutre , tandis qu'Eugène alla s'établir sur le Pô , à 
Borgoforte et Mirandole, pour bloquer Mantoue et prendre 
en même temps ses quartiers d'hiver. 

En 1702, la lutte s'anima et s'élargit. Elle s'ouvrit par un 
coup de foudre en Italie ; le prince Eugène , surprenant 
Villeroi à Crémone (l^r février), s'empara à la fois de la ville 
et du général français ; mais un heureux détachement, sous 
le colonel d'Entragues, reprit la ville, ce qui donna lieu à 
un caustique couplet chanté par les soldats français (*). 

Vendôme, qui yint remplacer Villeroi, débloqua Mantoue, 
poursuivit les Impériaux au-delà du Pô, où il faillit être 
surpris par une dangereuse et curieuse embuscade à Luzzara 
(16 août), qui ne donna qu'une bataille indécise. Il s'empara 

(1) Par grande faveur de Bellone, 
Et par un bonheur sans égal 
Nous avons recouvré Crémone 
Et perdu notre général. 



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— 224 — 

ensuite de la ville ainsi que de Borgoforte, et rejeta finale- 
ment l'ennemi au-delà du Mincio. 

Dans le nord ce furent les alliés qui agirent en offensive, 
sous la haute direction du Grand-pensionnaire hollandais 
Heinsius (*) et du général anglais Marlborough (2). Une 
armée mixte d'Anglais, de Hollandais et d'Allemands envahit 
Télectorat de Cologne, captura Kaiserswerth et prit ses aises 
entre le Rhin et la mer. Le duc de Bourgogne et Boufilers 



(1) Né en 1641, Heinsius fut d'abord l'ami et l'agent le plus intime du prince 
Guillaume d'Orange. Républicain austère et protestant zélé autant qu'habile 
orateur et homme d'Etat, il dirigea les affaires de la Hollande, par réélections 
quinquennales, depuis 1689 jusqu'à sa mort, en 1720. Sous un extérieur toujours 
froid et poli , il se montra constamment animé d'une haine ardente contre le 
gouvernement de Ix>uis XIV, et il prit la plus grande part aux combinaisons 
d'alliances européennes hostiles à la France. C'était, a dit Voltaire, un Spartiate 
abaissant un roi de Perse. Il est vrai que , ambassadeur extraordinaire à Paris 
après la paix de Nimègue, Louvois osa le menacer de la Bastille, imprudent oubli 
de l'orgueil triomphant et gratuite humiliation dont le Grand-pensionnaire ne se 
vengea que trop dans la suite. Il formait, avec Malborough et le prince Eugène, ce 
triumvirat de la Grande-Alliance qui voulait poursuivre à outrance la guerre de 
la Succession. 

(2) Marlborough, né en 1650 et appelé d'abord Jean Churchill, débuta comme 
brillant capitaine de grenadiers dans le contingent des six mille Anglais qui 
firent la campagne de 1672, sous Louis XIV, Turenne et Condé. Colonel d'infan- 
terie en 1674, de dragons en 1680, puis des gardes en 1682, il devint général dans 
la campagne de 1685 contre les insurgés de Monmouth. Quoique pair du royaume 
et comblé de la bienveillance du roi Jaques II , il passa au prince Guillaume 
d'Orange, qui l'éleva aux premières dignités. Un esprit vif et pénétrant, un 
jugement sain, rachetant les vices d'une première éducation fort négligée, 
le firent atteindre à un haut degré d'éloquence et de savoir-faire, ainsi que 
d'habileté en affaires politiques et militaires. On peut presque dire qu'il fUt 
un type de général de cour; il sut profiter de tous les incidents et de toutes 
les intrigues de la politique pour s'insinuer dans la faveur du souverain et 
du public , de même qu'il tira bon parti de l'influence de sa sœur, maltresse 
de Jaques II, puis de celle de sa femme , favorite de la reine Anne. 11 faut bien 
dire aussi que ces avantages lui servirent, non point d'unique mérite comme 
à tant d'autres, mais de degrés pour arriver plus vite à la place que lui assignaient 
ses talents. Malgré cela il était d'un âge mûr, au-delà de la cinquantaine, quand 
il joua son grand rôle de capitaine, rôle dont sa naissance obscure l'eût proba- 
blement éloigné sans la persévérante adresse avec laquelle il édifia sa fortune.— 
Pour d'ultérieurs détails sur ce grand général, voir, outre beaucoup d'écrits 
de ses compatriotes, VHistoire de Jean Churchill, duc de Malhorough (anonyme, 
par Madgett et Dutems), publiée à Paris en 1808 par ordre de Napoléon, trois 
forts volumes avec planches. Cette publication, consciencieusement élaborée, mais 
fort défectueuse par trop d'insignifiants détails à côté de graves lacunes, indique 
en outre toutes les sources primitives. 



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— 225 — 

la suivirent sur le Demer. Là ils trouvèrent les alliés aux 
ordres de Marlborough, en train de s'emparer de toutes les 
places de la Basse et Moyenne-Meuse , même de Liège. Les 
Français ne purent que se replier sur Huy, où ils s'établi- 
rent dans un fort camp retranché. 

Dans les parages du Rhin une autre armée française, com- 
mandée par Tallard, obtint un succès. S'étant rabattue du 
Rhin vers la Moselle, elle réussit à prendre quelques places 
sur le cours inférieur de cette rivière, y compris Trêves. 

L'Alsace redevint aussi un théâtre d'opérations. Mais 
Catinat , encore victime des courtisans de Louis XÏV, y fut 
laissé avec une armée dénuée de tout , et ne put empêcher 
l'invasion de cette province par le prince de Bade, qui s'em- 
para de Landau.iEn revanche,' la Bavière se mit en posses- 
sion d'Ulm. Catinat, habituellement sacrifié, fut envoyé à la 
garde de Strassbourg, tandis que l'armée française, renforcée 
et mise aux ordres de Villars, dut chercher à se joindre aux 
troupes de l'électeur. A cet effet Villars passa le Rhin à 
Huningue et Nèubourg, atteignit le prince de Bade se re- 
pliant de son camp de Friedlingen, et lui fit subir un grave 
échec (14 octobre). Toutefois ce dernier effectua une bonne 
retraite par les montagnes, d'où il empêcha la jonction pro- 
jetée de ses adversaires. Villars dut revenir en Alsace, où 
il prit le commandement en chef à la place de Catinat, com- 
plètement en disgrâce. En somme les deux belligérants s'é- 
taient sensiblement équilibrés sur ces divers théâtres. 

Mais sur mer la France avait subi un désastre dans la baie 
de Vigo, en Galice (22 octobre 1702). L'amiral Château- 
Renard, avec 15 vaisseaux escortant 17 galions revenant 
d'Amérique chargés d'or, y fut attaqué par la flotte de 
l'amiral Rooke et perdit tous ses bâtiments. Neuf galions, 
avec environ 6 millions de piastres, furent capturés, le reste 
coulé avec ses trésors. 

TOME II. 15 



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— 226 — 

Un autre mécompte se produisit parla reprise de la guerre 
civile en France. Les protestants des Gévennes, les Gami- 
sards, s'y soulevèrent ; conduits par deux vaillants chefs, 
Roland et Cavalier, ils tinrent en échec des forces considé- 
rables qui manquèrent sur les frontières. 

En 1703, la guerre redoubla encore d'intensité. Louis XIV 
voulut frapper ses grands coups en Allemagne, et pour cela 
rester ailleurs en défensive. 

Déjà en février Villars débouche de Huningue et Neubourg, 
menace la Forêt-Noire, mais va prendre Kehl à revers. De 
là il se porte sur le Danube, à Dûttlingen, le descend, et, à 
Ehingen, rallie l'électeur, qui, lui aussi, avait eu quelques 
succès. Villars veut marcher alors sur Vienne , entreprise 
favorisée par une insurrection en Hongrie tt par les opéra- 
tions de Vendôme en Italie. Mais les chefs ne réussissent pas 
à se mettre d'accord. L'électeur se rabat sur le Tyrol, où il 
a du butin plus sûr en perspective, et où il espère se relier 
à Vendôme. 

D'aussi grandioses opérations demandaient une coordina- 
tion qui fit malheureusement défaut. L'électeur, qui tenait 
déjà Inspruck et le Brenner, dut se replier devant les Impé- 
riaux accourant en forces. De nouveau réunis, Villars et 
l'électeur manœuvrèrent à plus courte distance et rencon- 
trèrent l'ennemi à Hœchstett, en Bavière, le 20 septembre. 
Celui-ci, aux ordres de Styrum, fut tourné et défait avec une 
perte de 10 mille hommes et 33 canons ; ses débris se sau- 
vèrent sur Nordlingen. Pendant ce temps Vauban prenait 
Brissach et Tallard prenait Landau, après quelques rudes 
combats. 

Villars voulant de rechef marcher sur Vienne , menacée 
par les Hongrois, la discorde éclate encore entre lui et 
l'électeur. Le maréchal français, aigri, quitte personnelle- 
ment la partie ; il est remplacé par Marsin. Le plan de Villars 



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— 227 — 

est repris , sur l'excitation des progrès hongrois, mais il ne 
mène l'armée que jusqu'à Passau, où la campagne se termine 
pour cette année. 

Plus au nord la perte de Télectorat de Cologne par les 
Français avait été complétée, et Marlborough s'était encore 
emparé de quelques places belges, de Huy et Limbourg 
entr'autres. 

En Italie, Vendôme avait dû abandonner TAdige pour se 
retourner contre les troupes de Savoie passées à la coalition. 
Il dut se borner à les observer aux environs de Turin en y 
prenant ses quartiers d'hiver. 

L'année 1704 vit de nouveaux efiForts de part et d'autre. 
Louis XIV leva 30 mille recrues, forma de nouveaux régi- 
ments, et nous devons noter que pour celte campagne tous 
les fusils de l'infanterie furent munis de la baïonnette à 
douille, ce qui était une grande simplification, puisqu'on 
n'avait plus à s'occuper du mélange souvent si difficile des 
piquiers et des fusiliers. Chaque fantassin réunissait main- 
tenant les deux armes. 

Marlborough ouvrit les hostihtés en agrandissant le champ 
de son action. Ayant, comme d'habitude, passé l'hiver en 
Angleterre, où il jouissait d'une haute influence politique, 
et à la Haye auprès des états généraux, il avait réussi, quoi- 
qu'après maints tiraillements, à faire prendre des arrange- 
ments pour de grandes opérations offensives en Allemagne 
au printemps suivant, de concert avec le prince Eugène, et 
en laissant la Hollande à la seule protection de l'armée 
hollandaise. Il partit, le 19 avril, de l'Angleterre, rallia son 
armée à Maastricht et la mit en mouvement, le 19 mai, par 
le duché de Juliers, où il reçut des contingents de Prussiens, 
de Hessois et de Hollandais. 

Apprenant que les Français, sous Tallard, venaient de 
passer le Rhin à Brissach, il fit diligence, arriva le 25 mai 



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— 228 — 

à Goblentz, passa le Mein le 31, le Necker le 3 juin, et le 7 
campa à Erpingen pour rallier ses coVps encore en arrière. 
Le 10 il fit sa jonction avec le prince Eugène, à Mondels- 
heim, et tous deux s'établirent à Gross-Hippach, pour quel- 
ques jours, afin de compléter leur concentration et d'atten- 
dre le margrave de Baden, qui les y joignit le 13 juin. 

Cette importante opération ne rencontra pas de sérieux 
obstacles. Les généraux français, déroutés par la rapidité 
du commandant anglais , ne reconnurent que trop tard ses 
intentions. Villeroi se borna à le suivre parallèlement et à 
longue distance par la Meuse, et Tallard descendit la Lauter 
afin de se joindre à Villeroi et de protéger l'Alsace , après 
avoir envoyé 10 mille hommes renforcer l'armée bavaroise 
près de Stockach. 

Les alliés, pour déterminer leurs mouvements ultérieurs, 
tinrent un conseil de guerre à Hippach qui faillit leur être 
fatal. Le prince de Bade, comme le plus ancien et le plus 
élevé en rang, réclamait la direction suprême sur Eugène et 
Marlborough ; il fut enfin convenu entre les trois généraux 
que les armées unies seraient alternativement sous le com- 
mandement de chacun d'eux, et que pour lamoment Eugène 
commanderait un corps détaché sur le Rhin. A. cet effet, 
celui-ci se dirigea sur Philippsbourg , tandis que le reste 
des forces alliées se porta sur Ebersbach, puis sur Geisslin- 
gen, Westerstetten , Urspring et enfin Elchingen sur le 
Danube, qu'il occupa le 24 juin. L'électeur de Bavière, qui 
avait un poste avancé dans cette dernière ville, le replia sur 
Ulm et se concentra dans un camp retranché vers Dillingen. 
Le 25 juin, Marlborough établit son quartier-général à ^an- 
genau et prit position sur la Breutz, la droite au Danube, la 
gauche vers Gingen. Là il concentra toute son armée, forte 
alors de 96 bataillons, 202 escadrons et 48 pièces d'artil- 
lerie. 



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— 229 — 

Bientôt il apprit que l'électeur de Bavière, tout en renfor- 
çant son camp sur la gauche du Danube, entre Dilligen et 
Lawingen, en établissait un autre au Schellenberg sur les 
hauteurs dominant la ville de Donauwœrth , et qu'il y avait 
détaché à cet effet une douzaine de mille hommes sous le 
général d'Arco. Marlborough proposa d'écraser ce détache- 
ment avant qu'il eût achevé ses ouvrages et reçu du renfort. 
Son collègue, le margrave de Bade, hésitant à se ranger à 
cet avis, le général anglais, comme autrefois Miltiade, atten- 
dit son tour de commandement, qui tombait au l«r juillet, 
et ce jour-là même il marcha par Balmerschoffen contre le 
Schellenberg. 

Le 2 juillet il fit procéder à l'attaque, quoique les Impé- 
riaux du prince de Bade fussent encore en arrière. L'action 
fut très vive; les Franco-Bavarois compensaient leur infério- 
rité numérique par la force de la position ; ils y déployèrent 
d'ailleurs beaucoup de bravoure et firent, entr'autres, des 
charges à la baïonnette qui furent très remarquées. A la fin 
de la journée le prince de Bade entra aussi en ligne et décida 
de la victoire. Les Franco-Bavarois, délogés des ouvrages, 
furent refoulés en désordre au-delà du Danube , non sans 
laisser dans ses flots bon nombre d'entr'eux. Ils perdirent 
ainsi environ 8 mille hommes, dont la moitié de prisonniers, 
46 pièces d'artillerie et tous leurs bagages. Le reste rejoignit 
l'électeur dans les retranchements de Dillingen. Les alliés 
n'eurent que 3 à 4 mille hommes hors de combat. 

Après cela l'électeur se concentra à Augsbourg, tandis 
que Marlborough , passant le Danube et le Lech , s'empara 
de la place de Rain, ce qui lui ouvrait la Bavière. Il en coupa 
ensuite l'électeur en s'établissant à une lieue de lui, vers 
Friedberg, et en mettant à contribution ses Etats. En revan- 
che, celui-ci n'était pas coupé de ses alliés français. Tallard 
s'avança en effet à son aide, dès le 40 juillet, par Kehl et les 



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— 230 - 

défilés de la Forét-Noire, tandis que Villeroi restait sur le 
Rhin en face du prince Eugène. 

Mais ce dernier, dès qu'il apprit le mouvement de Tallard, 
quitta aussi ses lignes de Stollhofen pour suivre son adver- 
saire et se rapprocher de Marlborough. Il emmena avec lui 
18 mille hommes, dont moitié de cavalerie, laissant le reste 
au comte de Nassau pour observer Villeroi, et dans les pre- 
miers jours du mois d'août il effectua sa jonction avec la 
grande armée' alliée, vers Schrobenhausen, sur la Paar, à 
peu près en môme temps que Tallard ralliait l'électeur de 
Bavière vers Biberach. 

* De nouveau les trois généraux alliés ne réussirent pas à 
s'entendre sur le commandement en chef, et ils adoptèrent 
l'expédient de détacher le susceptible prince de Bade sur la 
Bavière, notamment contre la place d'Ingolstadt, avec un 
corps de 23 bataillons et 31*escadrons. Le reste , comptant 
65 bataillons, 160 escadrons et 52 pièces d'artillerie, c'est- 
à-dire environ 55 mille hommes, était assez fort, pensaient- 
ils, pour s'opposer aux Franco-Bavarois. Mais ceux-ci avaient 
aussi une cinquantaine de mille hommes, de sorte que le 
grand détachement excentrique du prince de Bade ne se 
justifiait par aucun motif militaire sérieux. 

Le 11 et le 12 août les armées de Marlborough et d'Eugène 
se concentrèrent vers Donauwœrth et lancèrent des recon- 
naissances dans la direction de Schweningen. Du clocher 
de Tapfheim, les deux chefs alliés découvrirent l'ennemi en 
train de s'établir aux villages de Blenheim et Lûtzingen, 
dans un camp bien connu, près de Hœchstaedt et du champ 
de bataille de l'année précédente ; ils décidèrent de l'atta- 
quer immédiatement, avant qu'il eût élevé les retranche- 
ments habituels. Les préparatife en furent aussitôt ordon- 
nés. 

Le 13 août^ avant l'aurore, Marlborough était debout. Il 



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— 231 - 

fit ses dévotions, reçut la communion de son chapelain et 
donna le signal du départ du camp. 

Le terrain tenu par les Franco-Bavarois leur offrait de 
notables avantages. Leur gros, posté sur une colline près 
de Hœchstaedt, dominait avantageusement la petite plaine 
formée ici par une déviation des montagnes qui longent la 
rive gauche du Danube, au fond de laquelle coule le ruisseau 
le Kessel ; leur aile droite s'appuyait au Danube et au village 
de Blenheim (ou Blindheim) ; leur gauche au village de 
Lûtzingen ; leur front couvert par le ruisseau le Nebel (') 
aux berges encaissées et aux abords marécageux. Malheu- 
reusement pour eux, ils n'étaient pas encore bien installés 
dans cette forte position naturelle. Non-seulement aucune 
avant-garde ne les protégeait au loin, mais, trop confiants 
dans la distance à laquelle ils supposaient l'ennemi , ils 
avaient envoyé leur cavalerie au fourrage, comme d'habi- 
tudç. 

Les troupes, quoique en bon ordre, n'étaient pas disposées 
pour une affaire générale ; chacun des trois grands corps 
qui composaient l'armée campait pour son propre compte : 
son infanterie au centre, sa cavalerie aux ailes ; du reste on 
ne savait pas exactement à qui revenait le commandement 
suprême. Tallard, qui semblait le posséder, avait son quar- 
tier-général à Blenheim, Marsin à Oberklau, l'électeur à 
Lûtzingen. 

L'approche de Pavant-garde ennemie, avec laquelle mar- 
chait l'état-major pour compléter ses reconnaissances , ne 
réussit pas même à les tirer de leur erreur et de leur insou- 
ciance. Ils prirent cette troupe pour un détachement de 
simples flanqueurs couvrant la marche de l'armée impériale 
vers ses grands magasins de Nordlingen. 

(i) Le Nebelbach est aussi appelé, dans plusieurs bonnes cartes, le Hazelbrœck. 



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— 232 — 

En résumé, la grande bataille qui se livra le 13 août fut 
une complète surprise pour les Franco-Bavarois (*). Toute 
leur prévoyance n'eût cependant pas été de trop contre les 
habiles mesures de leurs adversaires. 

Ceux-ci laissant à leur camp fortifié de Donauwœrth leurs 
impedimenta, en sortirent sur neuf colonnes principales , 
franchirent le Kessel , d'Apperschoven à Erlinghoven , et 
arrivèrent aisément en face des lignes ennemies. Un léger 
brouillard avait favorisé leur marche, guidée d'ailleurs par 
des Prussiens qui, s' étant trouvés à la bataille de Tannée 
dernière, connaissaient parfaitement le terrain. Après avoir 
constaté le vicieux arrangement des trois armées qu'ils 
voyaient devant eux, les deux généraux alliés convinrent 
des dispositions suivantes : 

Le prince Eugène se porterait à la droite pour attaquer et 
tourner le flanc gauche de Marsin et de l'électeur par 
Schweinenbach et Lùtzingen. 

Mariborough avec le centre et la gauche s'avancerait à 
travers le Nebel, ferait effort sur les villages de Blenheim et 
d'Oberklau, tâchant ou d'accabler la droite ou de percer le 
centre des forces ennemies. 

L'attaque commencerait quand le prince Eugène serait en 
mesure de s'engager, et pour cela il en donnerait avis à 
Mariborough. 

En attendant , celui-ci fit établir cinq ponts sur le Nebel 
et réparer un pont de pierre endommagé sur la chaussée. 
Deux colonnes sous le général Churchill s'avancèrent vers 
Weilheim prêtes à passer la rivière ; les brigades britanni- 
ques de Rowe et de Ferguson, une de Hanovriens, une de 
Hessois et la cavalerie de Ross et de Woods filèrent par la 

(1) Les Franco-Bavarois sont souvent appelés par les auteurs contemporains 
le$ troupes des Deux-Couronnes, quoique ce fût plus particulièrement le nom des 
forces de France et d'Espagne ; nous nous servirons parfois aussi de cette déno- 
mination pour réserver celle d'aUiés ou de coalisés à leurs adversaires. 



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— 233 — 

gauche sous le commandement supérieur du général Cutts 
pour assaillir la position de Blenheim. 

Mais ces apprêts furent longs. Les forces des Deux-Cou- 
ronnes eurent le temps de se remettre de leur surprise et 
de réparer leur négligence par un surcroît d'énergie et d'ac- 
tivité. Les piquets et les fourrageurs furent rappelés, et 
Tordre de bataille établi comme suit : 

Le lieutenant-général Clérembault avec 27 bataillons et 
12 escadrons fut chargé de. la défense de Blenheim, et il s'y 
mit promptement à, couvert derrière des barricades, des 
palissades , des abatis, des parapets et autres ouvrages vo- 
lants. Sa gauche fut appuyée par la cavalerie du général 
Zurlauben (de Berne) avec mission de fondre sur l'ennemi 
aussitôt qu'il voudrait déboucher du Nebel. 

Plus à gauche, Marsin et Télecteur occupèrent Oberklau et 
Lùtzingen avec de fortes masses d'infanterie et de cavalerie 
sur deux lignes et une réserve, également couvertes par 
quelques retranchements. L'artillerie , sous le marquis de 
la Fressellière , fut distribuée le long du front : une batterie 
à Blenheim ; une sur la route d'Unterklau ; une autre entre 
Unterklau et Oberklau ; le reste entre les brigades. 

Sous le couvert des batteries avancées, ces dispositions 
effectuées avec grande précipitation purent être amenées 
à bonne fin avant le commencement de l'action générale. 
Le prince Eugène avait été fort retardé dans sa marche 
vers la droite, soit par la canonnade ennemie, soit par le 
terrain accidenté et montueux qu'il devait forcément traver- 
ser. Marlborough , déjà prêt, attendait avec impatience de 
ses nouvelles, et dans son anxiété, il avait dû répondre aux 
batteries françaises. Par plusieurs aides-de-camp qu'il en- 
voya à la droite pour hâter les mouvements d'Eugène, il 
apprit enfin, vers midi, que le prince était en position, et 
l'ordre pour l'attaque générale fut donné. 



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— 234 — 

Vers une heure, lord Cutts avec toute l'aide gauche se 
porta vivement sur Blenheim. Les troupes descendirent vers 
le Nebel sous une grêle de mitraille et s'avancèrent résolu- 
ment contre les palissades. Le général Rowe, qui comman- 
dait la brigade en tête, tenta l'assaut, mais fut repoussé et 
tué avec un tiers de ses hommes. Une sortie de trois esca- 
drons de gendarmes français poursuivit le reste et jeta le 
désordre dans les colonnes anglaises jusqu'à ce que quel- 
ques-uns de leurs escadrons pussent arriver de la réserve 
pour rétablir l'équilibre. Les autres brigades s'avancèrent à 
leur tour, les Hessois en face du village, les brigades Fer- 
guson et Healson plus à gauche. Tous leurs efforts furent 
vains ; Marlborough ordonna de changer ces attaques en 
simples diversions, tandis qu'il frapperait ailleurs. 

Il était près de 4 heures quand lui et Churchill au centre 
eurent passé le Nebel. L'artillerie laboura leurs colonnes et 
bientôt la cavalerie de Zurlauben les chargea vigoureuse- 
ment et les contint. Mais l'infanterie anglaise put se déployer 
et fournir des feux qui forcèrent les cavaliers de Zurlauben à 
la retraite. Le maréchal Tallard, arrivant à ce moment de 
sa gauche , porta en avant sa seconde ligne de cavalerie et 
deux bataillons de la garde royale ; ces troupes débouchè- 
rent à gauche du village d'Unterklau et ouvrirent des feux 
très vifs contre les alliés. Néanmoins, ceux-ci gagnèrent du 
terrain et établirent tous leurs corps au-delà du Nebel, 
sous la protection des vaillants escadrons du général Lum- 
ley. Tandis que la cavalerie hollandaise du général Hom- 
pesch formait une ligne de réserve, le duc de Wurtemberg 
avec les Hanovriens et les Danois se porta contre Oberklau. 
En chemin , il fut attaqué par l'aile droite de Marsin et re- 
poussé au-delà du Nebel. Renforcé par 11 bataillons du 
prince de Holstein , il retourna à la charge. Cette tentative 
ne fut pas plus heureuse. La brigade irlandaise au. service 



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~ 235 — 

de France, commandée par le marquis de Blainville, attaqua 
vivement le prince de Holstein, qui fut refoulé en désordre. 
Deux de ses bataillons furent taillés en pièces, et lui-même, 
mortellement blessé, fait prisonnier. 

Plus à la droite, deux colonnes de Danois et de Prussiens 
sous le prince d'Anhalt enlevèrent courageusement une 
batterie et dispersèrent l'infanterie venant à son aide. Mais 
la cavalerie bavaroise accourut et repoussa sévèrement cette 
attaque. Le prince Eugène reconduisit les assaillants en 
avant en les appuyant d'une portion de la cavalerie de ré- 
serve. Une mêlée sanglante et tenace s'engagea sur ce point, 
dans laquelle le prince Eugène d'un côté et l'électeur de 
Bavière de l'autre se distinguaient au premier rang par leur 
activité et leur bravoure. A 5 heures du soir la bataille en 
était encore au même point d'indécision. Ni le prince Eu- 
gène ni lord Gutts à sa gauche ne pouvaient se flatter de 
sensibles progrès. Il était temps pour Marlborough de faire 
un dernier effort. Il porta en avant tout son centre, en larges 
intervalles permettant à la cavalerie d'agir à l'aise; il arriva 
entin au sommet des gradins tenus par le centre de Tallard 
qui n'y avait plus que neuf bataillons et quelques cavaliers. 
Ici encore l'action fut très chaude. A la tête d'un escadron 
de gendarmes Tallard lui-même chargea vigoureusement 
les colonnes anglaises ; il vit son fils tomber mort à ses 
côtés et bientôt après il fut à son tour gravement blessé et 
fait prisonnier. Cet incident fut fatal aux Français. Non-seu- 
lement les neuf bataillons aux prises avec le gros de Marl- 
borough restèrent sans direction, mais 27 bataillons, qui se 
trouvaient à Blenheim et qui auraient pu à ce moment 
fournir de précieux renforts au centre, demeurèrent simples 
spectateurs de cette crise suprême. Marlborough profita 
sans relâche de son avantage, et tailla en pièces ou mit en 
déroute les troupes qu'il avait devant lui. Zurlauben, après 



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— 236 — 

s'être brillamment distingué toute la journée , en soutint 
encore le dernier poids et trouva sur ce point la mort du 
héros. Les deux ailes des Franco-Bavarois étaient définiti- 
vement séparées. Une portion des troupes battues s'enfuit 
sur Hœchstsedt, une autre dans la direction de Sondersheim 
et du Danube. Hompesch fut lancé à la poursuite des pre- 
miers, tandis que Marlborough lui-même suivit les autres 
et en accula un grand nombre au fleuve. 

A son aile, Eugène s'aperçut bientôt de ce succès, et il 
reprit l'attaque vers 7 heures du soir. Marsin ne l'attendit 
pas. Après avoir mis le feu aux villages de Liitzingen et 
d*Oberklau il se replia sur Morsehngen. Un incident comme 
il s'en produit souvent à la guerre, surtout la nuit (*), le sauva 
de la ruine. Gomme il était très-vivement poursuivi sur | 

ses talons et sur le flanc gauche par les troupes d'Eugène, | 

Marlborough prit celles-ci pour les Bavarois et rappela en 
hâte Hompesch pour les faire assaillir par lui. De meurtriers 
coups de feu s'étaient déjà échangés entre les deux corps 
quand on s'aperçut de cette fatale erreur. Marsin en eut le | 

bénéfice; il put continuer sa route sans être trop entamé. 

L'autre aile française n'eut pas la même bonne fortune. 
Le général Glérembault à Blenheim avait vainement fait 
demander des ordres à Tallard dans l'après-midi. Etant allé 
en chercher lui-même , il fut enveloppé dans le torrent des 
fuyards du centre et entraîné au Danube, où il se noya avec 
beaucoup d'autres officiers. Les troupes de Blenheim, res- 
tées sans chef, se battirent encore avec vaillance, mais sans 
but ni direction. Cernées dans les maisons par les forces 

(1) Tous les combats et les batailles sont soumis à Taccident ; mais de nuit Tac- 
cident rèjme souvent en maître. Un officier d'état-major ft*ançais, M. le capitaine 
Bourelly, a réuni un grand nombre de Càitsf curieux et instructifs de ce genre dans 
une excellente conférence sur les opérations de nuit en campagne que vient de 
publier la Revue militaire française, dirigée par M. Noblet. (Voir la livraison 
d'Avril 1870.) Voir aussi un travail analogue, Ein Nachtgefecht, dans VŒsterrei- 
chische MilUasrische Zeitschrift de M. le général v. Strefneur, livraison de Février- 
Mars 1870. 



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— 237 — 

réunies de lord Cutts, de lord Orkney, de Lumley et de 
Ross, elles finirent par capituler au nombre de 24 bataillons 
et 12 escadrons ne formant plus , il est vrai , qu'un effectif 
d'une dizaine de mille.hommes. 

En somme, c'était une grande journée pour les coalisés. 
Le même soir Marlborough l'annonça en Angleterre en 
quelques lignes au crayon envoyées à sa femme, billet pré- 
cieusement conservé dans les archives de la Camille, ajoute 
l'éminent et consciencieux auteur anglais auquel nous em- 
pruntons plusieurs détails sur les exploits de l'illustre 
capitaine ' anglais, (») et qui est de la teneur suivante : 

• Août 13, 1704. — Je n'ai pas le temps de vous dire autre chose 
que de vous prier de présenter mes devoirs à la Reine et de lui faire 
savoir que son armée vient d'obtenir une glorieuse victoire. Monsieur 
Taliard et deux autres généraux sont entre mes mains, et je poursuis 
le reste. Le porteur, mon aide-de-camp, Je colonel Parke, vous don- 
nera un récit de ce qui s'est passé. J'en adresserai un autre plus étendu 
dans un ou deux jours. 

(Signé) Marlborough. » 

La perte des coalisés fut donnée par eux à cinq mille tués 
et huit mille blessés. Celle des Franco-Bavarois ne put pas 
être aussi facilement appréciée. Le fait est que de leur armée 
d'une cinquantaine de mille hommes, une vingtaine de mille 
seulement put^se rassembler en fuyant vers le Rhin. 

Le 28 août Marlborough s'étant fait rejoindre par Bade, 
s'ébranla de nouveau à la suite des vaincus. Le 2 septembre 
il passa le Necker à Laufen , le 7 septembre le Rhin , le 9 
septembre la Gueich , en chassant devant lui les débris des 
Franco-Bavarois, commandés alors par Villeroi, et qui allaient 
chercher un abri derrière la Lauter. Landau, investie le 12 
septembre, capitula le 23 novembre ; Ulm se rendit aussi, 
et les alliés possédèrent non-seulement toute l'Allemagne, 
mais les meilleurs débouchés contre la France même. 

(1) Lieutenant-general Cutts. Annals of the wars of the 18* cenlui-y. I. 41. 



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— 238 - 

En novembre les diverses années prirent leurs quartiers 
d'hiver, et Marlborough alla jouir en Prusse, en Hollande et 
surtout à Londres des grands honneurs que sa belle cam- 
pagne lui avaient justement valus, tout en nouant des arran- 
gements pour faire mieux encore au printemps suivant. 

En Espagne Tévénement militaire le plus marquant de 
l'année 1704 fut que les Anglais s'emparèrent , au nom du 
prétendant autrichien Charles III, de la formidable position 
de Gibraltar, qu'ils trouvèrent bonne à garder ensuite pour 
leur propre compte. La France essaya de s'en venger sur 
mer; elle s'attribua, entr'autres, la victoire navale de Ma- 
laga, le 24 août, où la flotte anglo-batave perdit quelques 
bâtiments sans qu'il en coûtât un seul à la flotte française. 
Mais les Anglais contestent, non sans quelque raison, cette 
victoire, dont on fit en tout cas trop de bruit ; ils continuè- 
rent à tenir la mer et à repousser toute tentative contre 
leur nouvelle possession de Gibraltar. 

En Italie les affaires de la France avaient pris meilleure 
tournure. Vendôme dominait le nord du Piémont , entre la 
Grande-Doire, les Alpes et la Sésia, se reliant ainsi avec le 
Milanais. Un corps , sous La Feuillade , tenait Nice et Ton 
attendait le moment favorable d'attaquer sérieusement la 
place de Turin. Les Camisards des Gévennes donnaient tou- 
jours de grandes inquiétudes. 

Pour l'année 1705 les coalisés purent encore augmenter 
leurs forces ; ils mirent" en action 250 mille hommes et une 
immense flotte. Les principaux coups furent dirigés sur le 
nord de la France, avec 150 mille hommes répartis en trois 
corps devant agir entre le Rhin et la mer; en outre 40 mille 
hommes, sous le prince Eugène, eurent charge de l'Italie, 
et 15 mille hommes avec la flotte durent opérer en Espagne. 
Une trentaine de mille hommes furent aussi envoyés en 



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— 239 — 

Hongrie, quoique la Turquie restât neutre. Louis XTV répon- 
dit à ces menaces par un redoublement d'activité, qui fut 
secondé de la. mauvaise entente entre les coalisés. 

Marlborough, qui avait fixé tout le plan d'opérations, 
s'avança par la Moselle avec 80 mille hommes , que devait 
encore renforcer le prince de Bade. Mais celui-ci, jaloux de 
la prépondérance anglaise, manqua la jonction. A son tour, 
quand il voulut s'avancer, il fut délaissé par Marlborough, 
qui, trouvant Villars bien posté vers Sierk, se retira devant 
lui jusque sur la Meuse. Au lieu de suivre son advereaire 
Villars se porta sur l'Alsace, rejoignit Marsin, et tous deux 
ensemble allèrent reprendre Weissembourg. En revanche, 
ils ne purent rien effectuer de sérieux contre le camp alle- 
mand de Lauterbourg, ni contre Landau. Dans les Pays-Bas 
Marlborough tint en échec les Français de Villeroi et les 
rejeta derrière la Dyle, tout en reprenant la place de Huy. 
Sans cesse entravé par lés Etats généraux, il dut borner là 
ses succès pour cette campagne. 

En Italie les forces françaises eurent quelques avantages. 
Tandis qu'une de leurs armées , commandée par Vendôme, 
assiégeait Chivasso, où le duc de Savoie couvrait Turin, une 
autre armée, sous le frère de Vendôme, attendait le prince 
Eugène sur la ligne de l'Adige. Le général impérial arrivait, 
en effet, en descendant cette vallée ; mais manœuvrant par 
la montagne, il déboucha sur la Chiese, ce qui força les 
Français à s'y replier précipitamment. Sans s'arrêter, Eu- 
gène continua son mouvement par la droite et le pied des 
montagnes, et devança encore les Français sur TOglio, puis 
sur l'Adda. Vendôme, qui avait rejoint l'armée de son 
frère, concentra ses forces vers Gassano sur l'Adda, par 
les deux rives. Une bataille vivement disputée s'y livra le 
46 août, de laquelle Vendôme finit par sortir vainqueur. 
Les Impériaux se replièrent sur Treviglio, à une lieue seu- 



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— 240 — 

lement du champ de bataille, où ils prirent une forte posi- 
tion. 

Vendôme aurait voulu livrer une nouvelle affaire sur ce 
point; il en fut empêché par des ordres de Paris, qui le 
tinrent environ deux mois les bras liés. Une compensation 
qu'il espérait par la prise de Turin lui échappa aussi en suite, 
du mauvais vouloir de son collègue La Feuillade. Enfin il 
reçut Tordre d'agir offensivement contre Eugène, tandis 
qu'on bloquerait Turin. Vendôme se porta donc résolument 
en avant; mais cette fois les Impériaux ne l'attendirent plus; 
ils se replièrent dans le Trentin, en faisant bonne contenance 
et sans se laisser entamer ni devancer. 

Pendant ce temps Nice et Montmélian avaient été enlevées 
aux coalisés et démantelées; mais La Feuillade s'était fait 
battre à Asti par Stahremberg. 

En Espagne le prétendant autrichien débarqua en Cata- 
logne, s'empara de Barcelone, où il s'établit solidement, et 
toute la province rivale des Castillans lui fut bientôt acquise. 
Même TAragon se mit en partie de son côté. 

L'hiver de 1705 à 1706 fut des plus actifs. Louis XIV fit 
agir quatre corps d'armée en Espagne, sur divers points, 
tandis que le maréchal Berwick, avec une dizaine de mille 
hommes, dut défendre la frontière du Portugal. La Catalogne 
fut attaquée par trois côtés avec une quarantaine de mille 
hommes. Philippe V se chargea du siège de Barcelone, aidé 
de la flotte du comte de Toulouse. Son rival, Charles III, lui 
opposa une belle défense avec une quinzaine de mille hom- 
mes. Il y eût pourtant succombé sans l'arrivée de la flotte 
anglo-batave, qui força les Français de se replier vers les 
Pyrénées et d'abandonner tout l' Aragon à leurs adversaires. 
D'autre part, les Portugais et les Anglais réunis marchèrent 
subitement par Salamanque sur Madrid, et chassant Berwick 
devant eux ils s'emparèrent de la capitale. Philippe V, qui 



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— 241 — 

venait d'y rentrer par la Navarre , n'eut que le temps de se 
réfugier à la petite armée de Berwick, pour faire place à 
Charles III. 

En Belgique les choses n'allèr,ent pas mieux pour les 
Français. Ils y étaient commandés par l'inepte Villeroi et 
par l'électeiir, tandis que les coahsés y avaient Marlborough 
à leur tête ; la partie n'était pas égale. Ce dernier, revenu 
à la lin d'avril sur le continent, reprit la campagne le 9 mai, 
après avoir passé quelques jours à la Haye, Son premier but 
était surtout de surprendre la place de Namur. Par là il tour- 
nerait la droite de l'ennemi qu'il laisserait dans son beau 
camp retranché de la Dyle, près de Louvain, ou l'obhgerait 
à sortir désavantageusement de ses fortes lignes. Dans ces 
vues il s'avança vers Tirlemont et concentra ses forces, les 
48 et 49 mai, à Bilsen. 

De son côté Villeroi , impatient de livrer bataille et crai- 
gnant d'en partager la gloire avec son collègue Marsin, en 
route pour le rejoindre , résolut de marcher à la rencontre 
de Marlborough et de le prévenir à Tirlemont. Il passa la 
Dyle et, après quelques marches indécises , il s'établit, le 
22 mai, à Mont-St-André , entre les rivières de Crandeet 
Petite-Geete et la Méhaigne; là il se trouva, dès le lende- 
main , en face de l'armée de Marlborough , qui venait de 
s'avancer de Bilsen sur la plaine de Jandrinœuil. Le village 
de Ramillies, situé entre les deux armées, donna son nom 
à la grande bataille qui se livra sur ce terrain le 23 mai 4706. 

Les Français avaient pris position à la droite de la Méhai- 
gne, sur le petit plateau de la Tombe d'Hottomond (d'où la 
vue s'étend sur tout le champ de bataille) et, plus en avant, 
au village de Tavier; le centre en arrière et un peu à 
gauche du village de Ramillies ; la gauche aux villages d'An- 
derkirk et d'Offuz, au milieu d'un marais formé par deux 
branches de la Petite-Geete qui coulait sur presque tout le 

TOME II. 16 



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— 242 — 

front. Les villages de Ramillies et de Tavier formaient comme 
des avant-postes de Tarmée. A Ramillies se trouvaient 24 
canons avec 20 bataillons , sous le lieutenant-général Sous- 
ternon ; à Tavier, 6 bataillons et 20 escadrons, sous le comte 
de la Mothe. 

A droite commandait le lieutenant-général Guiscard ; au 
centre le lieutenant-général Sousternon ; à gauche le lieu- 
tenant-général Gassion. Le tout sur deux lignes et une ré- 
serve. 

Le total des troupes de Villeroi et de l'électeur montait 
à environ 62 mille hommes, dont 100 escadrons de cavalerie 
massés pour la plupart à la droite, sur deux lignes, entre la 
Tombe d'Hottomond et Tavier. En somme, cette position 
avait le désavantage de n'être pas assez couverte par les 
villages sur son front, qui pouvaient au contraire servir de 
postes avantageux aux ennemis, une fois qu'ils les auraient 
en mains; et d'avoir sa gauche immobilisée dans un terrain 
tout à. fait impropre à l'offensive et où, par conséquent, 
n'aurait dû se trouver qu'un faible effectif. Du reste Villeroi 
ne s'attendait pas encore à une prochaine grande bataille; 
il avait laissé tous ses bagages entre ses deux lignes, et 
l'électeur de Bavière se trouvait à Tirlemont pour ses dévo- 
tions ; c'était le dimanche de Pentecôte. 

Lorsqu'on vit l'armée ennemie en présence , diverses 
représentations furent faites à Villeroi sur ses dispositions 
par ses lieutenants, entr'autres par Gassion qui signala 
énergiquement l'absurde situation de son aile gauche dans 
le marais. Mais le commandant en chef, avec l'entête- 
ment commun à l'ineptie, ne voulut rien changer à son 
ordre de bataille, et lorsque l'électeur, de retour dès les 
premiers coups de canon, voulut y parer, c'était trop tard. 

Marlborough, en effet, n'avait pas tardé à reconnaître 
l'avantage qu'il pouvait tirer des vicieux arrangements de 



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— 243 — 

ses adversaires; il fit changer son ordre de bataille pour 
effectuer de vives démonstrations sur sa droite, tandis qu'il 
accablerait à la fois l'aile opposée et le centre de l'ennemi 
par les villages de Ramillies et de Tavier. Il lui fallait bien 
cet art pour oser prendre roflfensive, car il était inférieur en 
forces d'environ deux mille hommes, mais avec plus d'in- 
fanterie proportionnellement, ayant en tout 74 bataillons et 
122 escadrons. 

Il fit d'abord agir sa droite. Deux lignes de cavalerie et 
d'infanterie anglaises, hollandaises et allemandes, descen- 
dirent ostensiblement des hauteurs de Fouly contre les 
villages d'Offuz et d'Anderkirk. Pendant la marche elles se 
réduisirent successivement à un mince et bruyant cordon 
sur le front, tandis que tout le reste, plus en arrière, fila 
par la gauche sur Ramillies. Là 12 bataillons et 24 pièces, 
sous le général Schulz, formèrent deux colonnes d'attaque 
contre ce village, tandis qu'une autre colonne spéciale, la 
garde hollandaise sous le général bernois Werdtmûller, at- 
taqua le village de Taviér. Le général hollandais Overkerke 
formait une puissante réserve de cavalerie et d'infanterie 
derrière ces deux points. 

Parfaitement dupé par la diversion, Villeroi porta beau- 
coup trop de troupes vers sa gauche , au délriment de son 
centre. Aussi l'attaque des villages eut un plein succès 
quoiqu'elle y rencontrât une vive résistance de localités, 
surtout de la part des dragons français et de la maison du 
roi. Villeroi, dès qu'il reconnut son erreur, y envoya de 
^jiombreux renforts; c'était trop tard; quatorze escadrons 
de dragons seulement, qui s'y portèrent au galop, arrivèrent 
à temps pour tirailler contre les assaillants de Tavier ; ces 
dragons, bientôt soutenus par deux régiments d'infanterie 
suisse, purent prendre position et arrêter l'ennertii sur ce 
point. Celui-ci n'en avait pas moins enlevé et occupé le 



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— 244 — 

village, en taillant en pièces ou jetant à la Méhaigne sa trop 
faible garnison. 

Au centre la garde royale , puis les cuirassiers bavarois^ 
furent portés au secours des défenseurs de Ramillies ; et ils 
purent aussi contenir les progrès de Tennemi. Ce ne fut pas 
pour longtemps. Des masses de plus en plus fortes étaient 
dirigées sur ce point par le duc de Marlborough, qui s'y 
porta ensuite lui-même à la tête d'une vingtaine d'escadrons. 
Le village et tous ses alentours furent enlevés et Marlborough 
déboucha aussitôt au-delà. Ses troupes disposées sur quatre 
lignes s'avancèrent et manœuvrèrent en ordre si parfait 
qu'elles repoussèrent sans s'arrêter les charges répétées de 
la cavalerie de réserve de Villeroi, consistant en 24 esca- 
drons arrivant en hâte de la droite. Laissant Faction sur le 
front, au soin de ses deuxième et quatrième lignes, Marlbo- 
rough porta ses deux autres lignes sur les deux flancs de 
l'ennemi et le dispersa. Les débris de cette cavalerie fran- 
çaise, refoulés sur les bagages, s'y embarrassèrent et ne 
purent se reformer. 

Le général anglais, après ce succès décisif, fit avancer tou- 
tes ses forces et dirigea l'infanterie de Ramillies, sur la droite 
contre les troupes de Gassion. Ces troupes, serrées de front 
et de flanc, ne purent que se retirer en grand désordre pour 
échapper à la capture qui les menaçait. 

Le duc de Marlborough et Overkerke continuèrent la pour- 
suite par Jordoigne jusqu'à Meldert, à cinq lieues du champ 
de bataille, recueillant un grand nombre de prisonniers ; le 
reste des vaincus s'échappa, le gros sur Louvain, la droite 
sur Namur. 

Leur perte fut d'environ 20 mille hommes, dont 40 mille 
tués, une centaine de canons, beaucoup de drapeaux et 
tous les bagages. Celle des vainqueurs ne se monta qu'à 
environ trois mille hommes tués et blessés. 



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— 245 — 

Le maréchal Villeroi et Télecteur tinrent un conseil de 
guerre à Louvain, où ils décidèrent d'abandonner toute la 
contrée et de se replier derrière le canal de Bruxelles; le 
maréchal Marsin, qui les rejoignit le surlendemain de la 
bataille, en leur amenant 22 bataillons de Tarmée de Villars 
ne put empêcher l'évacuation de se poursuivre jusque der- 
rière l'Escaut. Seulement sous les murs de Gand les troupes 
purent être réorganisées. Tout le Brabant et les deux tiers 
de la Flandre espagnole passèrent à Marlborough, qui, après 
avoir recueilli les places fortes à sa convenance, fit prendre 
à ses troupes les quartiers d'hiver, au commencement de 
novembre, à Gand, Bruges, Menin et autres villes de la con- 
trée. Laissant ensuite le commandement à Overkerke, il se 
rendit à la Haye pour conférer avec Heinsius et avec les 
Etats généraux de la situation, puis en Angleterre, recueil- 
lant partout les plus grands honneurs. Vendôme, envoyé 
par Louis XIV à l'armée de Flandre en remplacement de 
Yilleroi, avec l'ordre de ne rien risquer de décisif, n'avait 
pu que redonner un peu de contenance aux troupes et cou- 
vrir la Flandre française en avant de Lille. 

En Italie, de grands combats s'étaient aussi livrés avec 
des résultats analogues pour la France. La place de Turin, 
fort importante à tous égards, était devenue le centre de vi- 
goureuses opérations. En maî 1706 La Feuillade, gendre du 
ministre de la guerre Chamillard, avec une cinquantaine de 
mille hommes, en ouvrit décidément le siège, à la Gœhorn, 
dit-il, pour donner aussi son coup de pied à Vauban, alors 
en complète disgrâce. Comme d'habitude, une autre armée 
française couvrait en môme temps le Milanais sur l'Adige 
contre les Impériaux. Quoique commandée par Vendôme, 
elle ne put pas^mieux que précédemment empêcher le prince 
Eugène de déboucher en forces sur le Mincio. Il est vrai 



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— 246 — 

qa'k ce moment Vendôme fut appelé en Belgique et remit 
le commandement au jeune duc d'Orléans, neveu du roi, et 
à Marsin. Ceux-ci laissèrent un corps d'armée aux ordres 
de Medavi sur TOglio et avec le reste rejoignirent La Feuil- 
lade devant Turin. Là les trois chefs français s'entendirent 
mal entr'eux ; il fallut en référer à Paris, d'où ne leur vint 
pas grand soulagement. Bref! ce fameux siège à la Gœhorn 
fut aussi mal mené que possible et l'armée couvrante ne 
put faire mieux. Aussi le prince Eugène réussit sans trop 
de peine à rallier le duc de Savoie entre Garmagnola et 
Moncalieri. Les deux ensemble passent ensuite avec 25 
mille hommes sur la gauche du Pô, à Carignano, en amont 
de Turin et tournent tout autour de la place assiégée pour 
chercher uh point d'attaque favorable. Le brave duc d'Or- 
léans aurait voulu les attaquer pendant ce vaste et dange- 
reux mouvement, et il avait une trentaine de mille hommes 
pour donner suite à cette sage résolution ; malheureuse- 
ment ses mentors s'y opposent, et les coahsés peuvent se 
porter à leur aide sur la Doire et sur la Stura, où il n'y a 
pas de fortifications pour les arrêter. Le 7 septembre 1706, 
ils attaquent de ce côté les lignes françaises qui éprouvent 
immédiatement l'inconvénient de leur trop grande étendue. 
Seulement 17 bataillons et en revanche 65 escadrons fort 
mal à l'aise sur un tel terrain, purent être opposés à cette 
attaque. Ils firent une vaillante défense, mais sans succès. 
L'armée française dut évacuer précipitamment ses lignes et 
filer sur la rive droite du fleuve pour se mettre à couvert, 
en abandonnant à l'ennemi tout le matériel et une grande 
quantité de chevaux, même de cavalerie, et après avoir 
perdu environ 4 mille hommes tant tués que blessés. 

De là le duc d'Orléans dirigea habilement la retraite par 
la rive droite du Pô sur Alexandrie et le Milanais où il se 
renforça du corps de Médavi resté presque oisif et inutile 



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— 247 — 

pendant cet échec. Il penchait pour tenir le Milanais et y 
tenter de nouveau la chance des armes ; mais ses mentors 
jugeant l'opération trop dangereuse, firent porter le gros de 
l'armée vers Pinerolo pour reprendre les communications 
avec la France. Tandis que le défaut de vivres les forçait à 
s'y éparpiller en larges quartiers, Eugène marcha à son tour 
sur le Milanais, y cerna le gouverneur Vandepiont et le 
corps de Médavi, €[ui n'obtinrent merci qu'en souscrivant à 
l'évacuation de toute la Haute-Itahe, sauf le débouché de 
Suze. 

Le duc de Savoie reçut la Lomelline et l'Alexandrin, prix 
convenu avec la cour d'Autriche de son énergique partici- 
pation à cette campagne et qu'il avait aussi bien gagné que 
chèrement payé. Ainsi s'arrondirent peu à peu, par les uns 
et par les autres, les possessions de cette vaillante petite 
maison de Savoie qui devait un jour prendre rang parmi 
les chefs des grandes puissances européennes. 

Pendant ce temps, Villars, avec l'armée d'Allemagne avait 
fait une bonne défensive sur la gauche du Rhin, mais rien 
de plus. En somme l'année 1706 comptait parmi les plus 
désastreuses pour les armées françaises. 

Pour la campagne suivante les coalisés se proposaient 
de poursuivre leurs avantages jusqu'en France môme, par 
la frontière de l'Est, tandis qu'on finirait d'arracher l'Espa- 
gne à Philippe V. A leur tour les coalisés eurent quelques 
déceptions. 

En Espagne, où les meilleures armées ont dû de tout 
temps compter avec la bravoure des populations, les Cas- 
tillans secondèrent si bien Berwick qu'il put recouvrer Ma- 
drid et toute la province. Après quelques marches-ma- 
nœuvres sur les confins du royaume de Valence et de la Nou- 
velle-Gastille, il réussit à battre complètement les coalisés 
à Almanza, le 25 avril, assez mal commandés par le géné- 



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— 248 — 

rai Galloway. Ils y perdirent cinq mille tués, 10 mille pri- 
sonniers, 24 canons, 120 drapeaux, et par suite les places 
de Valence et de Lérida, ce dont ils se consolèrent en disant 
qu'il n'y avait pas grande honte à ce que, commandés par 
un Français, ils eussent été battus par un Anglais (*). 

L'Italie leur fournit une revanche ; le vice-roi de Naples 
dut promptement céder le pays devant un corps autrichien 
sous le maréchal Daun, car comme toujours le sort du midi 
dç la Péninsule suivait de près celui de la Haute-Italie. Le 
chef espagnol tint quelque temps dans la place forte de 
Gaëte, mais dut se rendre, en septembre, après un siège 
de courte durée. 

Dans les entrefaites le gros des Austro-Piémontais sous 
Eugène avait, comme autrefois Charles V, envahi la Pro- 
vence ; il alla mettre le siège devant Toulon, espérant de 
là réveiller l'insurrection protestante en France et commu- 
niquer avec l'Espagne. Mais la place de Toulon tint bon, 
quoique enserrée de toutes les hauteurs environnantes. 
Après un mois de vains efforts les coalisés durent se replier 
derrière le Var, retraite qu'ils utilisèrent avantageusement 
en reprenant le défilé de Suze. 

En Allemagne et en Alsace, Villars quoique fort affaibli 
par les renforts qu'il dut envoyer à l'armée de Flandre mit 
efficacement à profit la latitude plus grande qui lui fut lais- 
sée. Il enleva les fameuses lignes de Stollhofen, action à la 
fois si curieuse et si bien conduite que nous allons la lui 
laisser raconter lui-même. « Avant que de quitter la fron- 
tière, dit-il dans ses Mémoires biographiques (^\ j'ordonnai 

(1) En effet cette rencontre offrit la particularité que Berwick, fils naturel de 
Jaques II et neveu de Marlborough, n'était Français que depuis la révolution d'An* 
gleterre, tandis que Galloway, précédemment marquis de Ruvigny, n'était natu- 
ralisé anglais que par le fait de la révolution de Tédit de Nantes. 

(2) Vie du maréchal duc de Villars, de l'académie française, écrite par lui- 
même et donnée au public par M. Anquetil. Paris 1784, 4 vol. in-12, avec plans de 
bataille. Voir Tome I, pag. 414-421. 



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au comte de Broglio que je laissai commandant de la Basse- 
Alsace, d'examiner ce qui pourrait être tenté avec succès 
pour attaquer les lignes de Stollhoffen, dont la prise m'ou- 
vrait nécessairement le chemin de l'Empire. Ces lignes, 
regardées comme imprenables, s'étendaient depuis Philis- 
bourg jusqu'à Stollhoffen et retournaient en équerre, depuis 
Stollhoffen jusqu'aux montagnes. Elles étaient formées le 
long du Rhin de doubles retranchements élevés en amphi- 
théâtre, soutenus de temps. en temps par de bonnes redou- 
tes, avec un pont bien fortifié, qui joignait aux hgnes l'île 
d'Alunde, d'où les ennemis pouvaient, facilement jeter un 
autre pont pour pénétrer en Alsace. Depuis que je m'étais 
emparé de l'île du «marquisat, ils avaient considérablement 
renforcé leurs retranchements de Stollhoffen. De ce dernier 
endroit à Bihel, on mettait en peu d'heures tout le pays sous 
l'eau par le moyen d'écluses et de digues revêtues partie en 
maçonnerie, partie en gazon, défendues par des fortins cor- 
respondants l'un à l'autre; l'espace depuis Bihel jusqu'à la 
montagne n'étant plus propre aux inondations^ parce qu'il 
s'élevait insensiblement, était retranché avec le plus grand 
soin et on n'avait même pas négligé l'escarpement de la 
montagne. Tout cela était garni d'une nombreuse artillerie, 
et renfermait une armée de plus de quarante mille hommes, 
commandée par le prince de Bareith, qui succédait au prince 
de Bade, mort pendant l'hiver. 

« Le comte de Broglio avait fait, pour l'attaque des lignes 
un projet qui me parut très-solide. Il me l'expliqua quand 
je le vis à Saverne, où il me joignit à la fin d'avril avec le 
marquis de Vivans et le marquis de Pery, les trois seuls 
auxquels je me |fusse ouvert de mon dessein. Je renvoyai 
le premier k Lauterbourg, pour' étudier encore mieux les 
mesures qu'il convenait de prendre, et cela avec le plus 
grand secret. Les ennemis étaient campés derrière leurs 



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— 250 — 

lignes, dès le premier mai. Je fis passer, le 16, par Stras- 
bourg cinquante escadrons au-delà du Rhin, sous prétexte 
de besoin de fourrage ; mais en effet, parce que cette dis- 
position convenait à mon projet. Le même jour j'allai 
rejoindre le comte de Broglio à Lauterbourg, et visiter les 
bords du Rhin avec lui et d'autres officiers généraux qui 
devaient être employés en cette occasion. 

Il avait reconnu entre Lauterbourg etHagenbach la petite 
île de Neubourg, que les ennemis avaient négligée et qui 
pouvait servir à leur cacher les bateaux qu'on mettrait dans 
le fleuve. Au-delà de File se trouvait un bras facile à tra- 
verser et ensuite une belle plage assez étendue, sans être 
couverte de bois, de manière que la descente était aisée. Le 
plus difficile était d'en cacher le dessein aux ennemis éten- 
dus sur tous les bords du Rhin, de leur côté, et ayant un 
pont à l'île d'Alunde, de manière qu'aucun bateau ne pou- 
vait passer de Strasbourg au Fort-Louis sans être découvert. 
Le comte de Broglio, prévoyant cet inconvénient, en avait 
fait construire à Strasbourg, qu'on devait faire arriver par 
terre, et afin qu'ils pussent approcher sans être aperçus, je 
fis couvrir par des broussailles certains endroits que les 
ennemis pouvaient voir, et j'y fis camper quelques troupes, 
qui paraissaient se mettre à couvert par des fouillées. Les 
charretiers aiirent ordre, en certains endroits, de ne pas 
même donner un coup de fouet et de ne pas dire un seul 
mot. L'on fit défense d'allumer les pipes et l'on nomma des 
officiers sages et attentif pour faire observer ces ordres 
avec la dernière exactitude. Toute la journée qui précéda 
cette marche, il y eut des ordres le long de la ligne de la 
Lauter, de laisser entrer dans les barrières tout ce qui vien- 
drait du pays ennemi ; mais de ne laisser sortir personne. 
On observa de même, le long du Rhin, qu'aucun petit bateau 
ni vedelin n'allât aux ennemis. 



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— 2M — 

(( Pendant que ceci se passait, je donnai, le 19 et le 20 mai, 
grand i)al, festin et comédie aux dames de Strasbourg. J'y 
invitai les officiers généraux et beaucoup d'autres, qui ne 
paraissaient, comme moi, occupés que des fêtes : mais je 
les prenais en particulier les uns après les autres, et je leur 
donnai ainsi, sans qu'on s'en doutât, les ordres qu'ils devaient 
exécuter. M. de Lée et le marquis de Vieux-Pont furent 
chargés d'agir du côté de l'île d'Alunde avec quatre batail- 
lons seulement et dix pièces de canon, mais sans pontons, 
parce qu'ils ne devaient faire qu'une fausse attaque. Celle 
de l'Ile du marquisat, qui n'était pas encore la véritable, 
mais qui pouvait le devenir selon les circonstances, fut con- 
fiée à M. de Pery et au comte de Chamillard. Je leur fis 
prendre neuf bataillons, quatorze pièces de canon, quelques 
mortiers et douze pontons de cuir, avec lesquels ils devaient 
tenter de passer le bras du Rhin qui séparait l'Ile des enne- 
mis, ne fût-ce que pour les inquiéter. Enfin le comte de 
Broglio et le marquis de Vivans eurent la principale atta- 
que par l'île de Neubourg, derrière laquelle on plaça les 
bateaux, avec vingt bataillons^ quarante-cinq escadrons et 
trente-quatre pièces de canons, dont quatre de vingt-qua- 
tre. Pour moi, le 21 juin, à cinq heures du matin, en sor- 
tant du bal, je passai le Rhin sur le pont de Kehl, avec tout 
l'état-major de l'armée et je m'avançai du côté de Bihel, 
pour favoriser, par une diversion, l'attaque qui devait se 
faire le 22 à cinq heures du soir. J'affectai de me montrer 
et de parler même à des gens qui pouvaient le rapporter 
aux ennemis, dans l'opinion que ma présence leur persua- 
derait que la principale attaque se ferait de mon côté, et 
qu'ils y jetteraient le sort de leurs troupes. 

« A l'heure dite, dix-huit cents hommes choisis, conduits 
par les comtes de Broglio et de Vivans , s'embarquèrent 
derrière l'île de Neubourg, sur soixante bateaux et abordè- 



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— 252 — 

rent de front de l'autre côté du Rhin, la baïonnette au bout 
du fusil. Cent hommes qui gardaient ce bord, s'enfuirent en 
faisant leur décharge, qui avertit les généraux ennemis. 
Ils envoyèrent deux mille hommes ; mais nos gens, après 
leur descente, s'étaient retranchés si diligemment, qu'ils 
ne crurent pas pouvoir les emporter, et se retirèrent. Des 
bateaux qui étaient arrivés les premiers, on forma un pont. 
Les troupes passèrent partie sur ce pont, partie à la nage. 
On établit des batteries, tant dans Tîle que sur les bords du 
Rhin, et en peu d'heures ce poste fut assuré. Pendant ce 
temps, Messieurs de Lée et de Vieux-Pont faisaient grand 
feu sur l'île d'Alunde, et montraient quelques mauvais 
bateaux pleins de troupes, du côté de Drusenheim, pour 
attirer l'attention. Les comtes de Pery et de Chamillard, 
de l'île du Marquisat où ils étaient, battaient vivement le 
village de Selinghen, en délogèrent les ennemis et passè- 
rent sur leurs pontons. 

« De Bihel où j'étais, j'entendais ces attaques, mais je ne 
pouvais en savoir le succès, parce qu'il fallait venir par le 
pont de Strasbourg et faire vingt lieues pour m'apporter des 
nouvelles. Mais quoiqu'un grand brouillard me cachât, le 
23 au matin, les mouvements des ennemis dans leurs lignes, 
au ralentissement de leur feu je jugeai qu'ils étaient embar- 
rassés et lorsque je m'apprêtais à les attaquer, j'appris qu'ils 
se retiraient. Les troupes qui m'étaient opposées sous les 
ordres du prince de Dourlac, gagnèrent les montagnes ; les 
autres se replièrent sur Mulberg, où était le marquis de 
Bareith. Nous nous rejoignîmes de nos différentes attaques 
dans le centre des lignes, où le camp était tendu presque par- 
tout. Nous y trouvâmes une quantité prodigieuse d'artille- 
rie, quarante milliers de poudre, des boulets et grenades à 
proportion ; des habillements complets pour plusieurs régi- 
ments, un pont portatif avec tous ses baquets, des magasins 



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- 253 - 

immenses de farine et d'avoine, et ce qu'il y eut de plus 
heureux, c'est que ce grand et prodigieux succès ne coûta 
pas un seul homme. » 

Dans les Pays-Bas il n'y eut aucun engagement sérieux 
entre Marlborough et Vendôme, tous deux enchaînés par 
leurs gouvernements. Diverses marches et contremarches 
amenèrent Vendôme à finir la campagne sur l'Escaut, dans 
un fort camp retranché, et Marlborough aux environs de 
Gavre et d'Assche dans ses quartiers de l'hiver précédent. 

Cette même année fut marquée par une perte sensible 
pour l'armée française. Vauban, toujours disgracié malgré 
tant de services, termina sa carrière le 30 mars 1707. On 
s'était grandement aperçu de son absence au siège de 
Turin ; on s'en aperçut bien plus encore dans les campa- 
gnes qui suivirent. 

En 4708 la guerre resta sur les mêmes théâtres. 

En Espagne le duc d'Orléans se maintint sans incident 
marquant, tandis que les Anglais butinaient à leur aise sur 
les côtes. Ils prirent Port-Mahon dans les îles Baléares pour 
compléter Gibraltar. 

En Italie les coalisés dépostèrent les Français des hautes 
vallées du Piémont et descendirent en Savoie, arrêtés seu- 
lement devant Ghambéry par Villars. 

Une tentative de diversion en Ecosse, organisée par le 
gouvernement français, échoua par divers contretemps, y 
compris une forte tempête. 

Ce fut la Belgique qui fournit le théâtre principal. Là se 
trouvèrent en présence, d'une part l'habile et cynique Ven- 
dôme comme second du jeune duc de Bourgogne, le pieux 
élève de Fénélon, petit-fils du roi et héritier présomptif, 
et d'autre part Marlborough et Eugène ; les deux premiers 
fort peu d'accord tandis que la meilleure entente régnait 
entre les deux chefs coalisés. 



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— 254 — 

Les Français avaient toutefois bien débuté. Ils s'étaient 
emparés de Gand et de Bruges et préparé un fort camp 
retranché à Lessines sur la Dender, tout en faisant le siège 
d'Oudenarde. 

Au commencement de juillet Marlborough vint les trou- 
bler. Menaçant de passer la rivière sur la droite des Fran- 
çais, ceux-ci renoncèrent à leur projet pour se replier sur 
Gavre et Gand. A Gavre ils jetèrent trois ponts sur l'Escaut, 
qu'ils se préparèrent à franchir le 40 juillet. 

Prévenu de l'opération difficile qu'allaient tenter ses 
adversaires, le général anglais décida de les prendre sur le 
fait. Cette sage résolution, à laquelle il donna immédiate- 
ment la meilleure suite, aipena une autre grande bataille, 
celle d'Oudenarde le 44 juillet 4708. 

Le 40 au soir un détachement d'alliés composé de 16 
bataillons, 8 escadrons et 32 pièces sous les généraux Cado- 
gan et Rantzau, fut lancé en avant-garde vers l'Escaut, pour 
jeter trois ponts près d'Oudenarde et de l'abbaye d'Eaneme. 
Le 44 au matin, le gros de l'armée suivit son avant-garde. 
Celle-ci avait terminé ses ponts le 44 vers 2 heures après 
midi et passé la rivière. En même temps l'armée française 
commençait à la franchir à Gavre, deux lieues plus bas, 
sans se douter encore de son dangereux voisinage. Son 
avant-garde, sous le marquis de Biron, se mit même à four- 
rager sur la rive gauche aussitôt après son passage. Elle y 
fut bientôt aux prises avec les troupes de Cadogan et de 
Rantzau et l'alarme fut donnée par Biron au duc de Ven- 
dôme à Gavre. Celui-ci ne voulait d'abord pas croire à cette 
nouvelle, qui le surprenait désagréablement à table. Des 
rapports redoublés l'en convainquirent et il prit sur le 
champ ses mesures pour attaquer à son tour les alliés avant 
qu'ils eussent terminé leur passage. C'est dans ces curieu- 
ses conditions que s'engagea la bataille. 



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— 255 — 

Vendôme renforça aussitôt Biron par le général Pfiflfer, 
chargé de tenir le village de Heurne qui couvrait les abords 
de Gavre, et par un corps de cavalerie lancé plus loin vers 
les moulins à vent de Eyne. De son côté Tavant-garde alliée 
fut renforcée par la cavalerie prussienne et de chaudes 
actions eurent lieu aux environs de Eyne entre ces premiè- 
res troupes. Les Français n'y furent pas heureux ; avant 
d'avoir pu atteindre un terrain convenable ils se virent 
attaqués et refoulés jusque sur le gros de l'armée qui se 
formait aussi rapidement que possible derrière le ruisseau 
le Norken. Quoiqu'il fût déjà près de quatre heures après 
midi, de part et d'autre on se disposait à continuer l'action 
engagée par les avant-gardes. 

L'armée française se rangea comme d'habitude sur deux 
lignes et une réserve ; sont front était couvert par le Nor- 
ken et par le village de MuUem, bien occupé et mis en 
défense, les flancs également appuyés à des obstacles de 
terrain. La position était bonne et le duc de Bourgogne 
comptait y rester en défensive. Vendôme au contraire vou- 
lait en sortir pour attaquer les alliés avant la fin de leur 
passage des ponts, quitte à y rentrer si les circonstances de 
l'action l'exigeaient. Il avait déjà ordonné à cet effet un 
mouvement en avant de l'aile gauche , mais le prince le 
contremanda pour faire avancer un peu la droite et le cen- 
tre sur le ruisseau près de Grœnvelde. 
* Ces tiraillements tirent perdre un temps précieux dans 
toutes les hypothèses et laissèrent à Marlborough la faculté 
de prendre à son aise ses dispositions. Il porta deux batail- 
lons sur Grœnvelde, qui s'y dispersèrent le long des haies 
et des taillis, et massa le gros de l'infanterie britannique sur 
les hauteurs du village de Bevere pour contenir le centre 
des Français. Quand celui-ci, fort d'une trentaine de batail- 
lons, s'avança enfin à l'attaque, il fut reçu par un feu si 



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— 256 — 

meurtrier d'infanterie et d'artillerie, qu'il perdit en quel- 
ques instants beaucoup de monde et en fut ébranlé. Il tint 
néanmoins son terrain avec bravoure et retourna à la charge. 
Cette fois il fut plus heureux ; les troupes britanniques, trop 
éparpillées, furent refoulées et ne purent se reformer que 
sur les collines du Bosen-Gouter entre Barwaen et Schaerken 
et autour du château de Bevere. 

Une seconde colonne d'infanterie anglaise, sous le comte 
Lottum, qui venait de terminer son passage, renforça la 
première, et les deux ensemble reprirent l'offensive vers 
6 heures du soir. Elles reconquirent le terrain perdu et 
repoussèrent les Français au-delà du ruisseau. A mesure 
que les troupes arrivaient des ponts, elles furent placées à 
la droite de Lottum, et bientôt le prince Eugène put pren- 
dre soin de ce flanc qui s'étendait jusque vers le village de 
Heurne, à l'extrême droite, et revenait en jarrière, vers la 
gauche, le long du ruisseau de Grœnvelde.^ Il n'y réunit pas 
moins de 60 bataillons. 

Pendant ce temps Gadogan, après une vive résistance, 
avait été délogé de Herlehem et rejeté vers la grande route 
de Mullem. Eugène, le secourut et arrêta l'ennemi. La grosse 
cavalerie prussienne du général Natzmer fut jetée sur lui et 
s'avança à travers ses lignes jusqu'au moulin de Royegem. 
Cette pointe téméraire fut sévèrement châtiée; la garde 
royale française, infanterie et cavalerie, tua aux Prussiens 
la moitié de leur monde; leur général même faillit être 
capturé et ne se tira de cette impasse qu'avec les plus vail- 
lants et les plus coûteux efforts. Néanmoins l'incident avait 
jeté quelque alarme et du trouble dans les lignes françaises. 

Elles n'étaient pas au bout de leurs surprises. L'œil vigi- 
lant de Marlborough venait de remarquer que les Français 
avaient négligé d'occuper le terrain dominant de Bosen- 
Coûter, et il décida de tourner par là leur aile droite. Il 



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— 257 - 

y lança le maréchal Overkerke avec 20 bataillons hollandais 
et danois qui venaient de déboucher et toute la cavalerie de 
la gauche. 

Le vétéran hollandais s'acquitta de cette mission avec 
autant de vigueur que d'habileté ; des collines du moulin 
d'Oycke, il tomba sur le flanc et les revers de l'aile fran- 
çaise, formée par les grenadiers, et la mit en déroute. Le 
duc de Marlborough avait suivi ce mouvement avec son aile 
gauche, qu'il établit entre Barwaen et Banlancy, à la droite 
d'Overkerke. Par les hauteurs des sources du ruisseau, il 
continua le mouvement et occupa le hameau de Diepenbeck 
et le moulin de Royegem, se dirigeant vers MuUem. Tout ' 
cela s'effectua presque sans coup férir, par une laborieuse 
marche. Le résultat récompensa tant de fatigues. L'aile 
droite française fut rompue et culbutée vers son centre. En 
vain Vendôme chercha-t-il à contenir ces assaillants en 
lançant contre eux toute sa cavalerie disponible et en la 
faisant ensuite combattre à pied avec l'infanterie. De tous 
côtés il aurait fallu des efforts aussi vigoureux, car au même 
moment Eugène aussi le serrait de près en avant de Heurne, 
et l'avant-garde d'Overkerke, sous le jeune prince d'Orange 
et le général Oxenstiern, apparaissait déjà sur ses derrières. 

En revanche la nuit était arrivée et pouvait mettre un 
terme au concert offensif des alliés. Vendôme voulait rallier 
les troupes pour recommencer l'action le lendemain ; le duc 
de Bourgogne fit pencher la majorité des généraux pour la 
retraite , qui s'effectua aussitôt et en pleine panique dans la 
direction de Gavre et de Gand. Avec grand'peine Vendôme 
put réunir une arrière-garde d'une vingtaine de bataillons 
et escadrons, avec laquelle il couvrit vaillamment la retraite 
sur la grande chaussée. Arrivé à Gand pendant la nuit, un 
conseil de guerre essaya de s'y réunir. Mais il dégénéra 
bientôt en amères récriminations et vives querelles, à la 

TOME II. 17 



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— 258 — 

suite desquelles l'excentrique Vendôme, profondément aigri, 
quitta la partie et ne trouva rien de mieux que de se mettre 
au lit, où il resta trente heures. 

La bataille (*) avait continué toute la nuit, moins achar- 
née que désordonnée et avec les incidents ordinaires des 
bagarres nocturnes. Ainsi l'aile droite et l'aile gauche des 
alliés arrivèrent à se rencontrer sur les talons des Français, 
et, se prenant pour des adversaires, se lâchèrent plusieurs 
cruelles salves. Beaucoup de Français , pour se mieux sau- 
ver, se glissèrent et marchèrent silencieusement dans les 
. rangs ennemis. Bon nombre d'autres furent cependant cap- 
turés par un ingénieux moyen. Marlborough fit battre le 
ralliement français par ses tambours et crier par quelques 
réfugiés ou prisonniers français: « A moi Piémont, à moi 
Picardie, à moi Champagne, etc. » Ainsi il recueillit environ 
sept mille hommes, qui furent dûment capturés. 

La perte totale des vaincus fut d'une vingtaine de mille 
hommes, dont les trois quarts de prisonniers, tandis que les 
alliés n'en perdirent que 2 à 3 mille. Mais beaucoup de sol- 
dats français fugitifs se retrouvèrent plus tard, et le maré- 
chal Berwick ayant rejoint le duc de Bourgogne avec un 
renfort de 34 bataillons et 55 escadrons, les Français purent 
encore disposer d'une force d'environ 400 mille hommes, 
dont le gros se retrancha vers Gand pour commander les 
bassins de l'Escaut et de la Lyss. • 

Ils ne purent empêcher les coalisés de suivre à leurs 
succès et d'en1;amer la frontière de France. Eugène investit 
Lille le 12 août avec 35 mille hommes, couvert par Marlbo- 
rough avec 60 mille hommes à cheval sur l'Escaut vers 
Helchin. 

(1) Les historiens français, même les militaires, comme Feuquiëres et Pelet, 
affectent d'appeler la journée d'Oudenarde un combat. C'est là une expression 
impropre. Par les intentions et les dispositions tactiques, comme par les effectif 
et par les résultats, ce fut une bataille des mieux accentuée. 



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Le vieux maréchal Boufflers défendit vaillamment Lille 
à la tète d'une dizaine de mille hommes; mais mal secouru 
du dehors il dut évacuer la ville le 25 octobre et la citadelle 
le 10 décembre, avec la consolation des honneurs de la 
guerre. Gand et Bruges tombèrent aussi aux mains des 
coalisés, qui disposèrent ainsi de toute la Flandre espagnole 
et d'une notable portion de la Flandre française. 

Louis XIV n'avait pas attendu ces revers pour rechercher 
la paix. Dès la fin de 1706 il l'offrait sérieusement ; le trium- 
virat, par l'organe de Heinsius, lui fit, après Oudenarde, des 
conditions si dures qu'il les repoussa, ne se confiant plus 
qu'en l'énergie du désespoir. 

C'est dans ces sentiments que commença la campagne de 
1709, encore au nord comme théâtre principal. Villars y fut 
envoyé pour tenir tête à Marlborough et Eugène, mais avec 
une armée dénuée de tout et démoralisée. Il la remonta de 
son mieux et couvrit l'Artois entre Béthune et Douay. Sa 
position était bien choisie ; l'ennemi l'y laissa pour prendre 
Tournai et se diriger ensuite contre Mons qu'il investit le 
5 septembre. Villars marcha au secours de cette place, par 
Valenciennes et Quiévrain, et les deux armées se rencon- 
trèrent dans la plaine de Mons le 9 septembre. 

Le 9 et le 10 se passèrent en reconnaissances et en escar- 
mouches. Le prince Eugène aurait voulu attaquer immé- 
diatement les Français, mais les troupes de Marlborough 
étaient encore en arrière du côté de Tournai. Il fallut les 
attendre, et pendant ce temps Villars put prendre une forte 
position près du village deMalplaquet, où une grande bataille 
se livra le 11 . 

Les Français, à cheval sur la route de Bavay à Mons, 
appuyaient leur droite au bois de Lasnières, leur gauche au 
bois de Sars; leur front, dans le défilé entre ces deux bois, 
appelé trouée d'Aulnois, n'avait qu'environ 4000 pas d'éten- 



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— 260 — 

due ; il était couvert par les villages de Blaregnie et d'Aul- 
noiSy un peu sur la droite, et par une triple ligne de retranche- 
ments et d'abatis sur tout le font et aux deux ailes. En avant 
de la position couraient la route de Mons par Sars, perpen- 
diculairement, et celle de Nivelles par Quévy-le-Grand, obli- 
quement à droite, routes se joignant dans le front même; 
derrière, la route se continuait sur Bavay par les villages de 
Maipiaquet et de Taisnières, ce dernier au passage du ruis- 
seau de Hogneau. Notons encore, pour compléter l'esquisse 
du champ de bataille, que la gauche française tenait les 
hameaux de Louvière, de La Chaussée et de la Folie à la 
lisière du bois de Sars , et qu'en arrière de son centre , à 
droite (à Test) du village de Maipiaquet, se trouvait une 
prolongation du bois de Lasnières, appelée bois de Jansart, 
qui servit de couvert aux réserves. Le terrain était ondulé 
sans grands déchirements; seulement aux environs de Tais- 
nières et de là au bois de Sars se trouvaient quelques ravins 
et des escarpements pouvant gêner des mouvements de 
masses. 

L'armée française^ forte de 120 bataillons, 260 escadrons 
et 80 pièces , soit environ 85 mille hommes , dont 30 mille 
cavaliers, fut répartie dans cette position comme suit : 

L'avant-garde, sous le chevalier de Luxembourg, aux 
villages d' Aulnois et Blaregnie et à la même hauteur vers le 
bois de Sars. 

Le centre de l'infanterie à Maipiaquet et entre ce village 
et le carrefour des routes de Mons et de Nivelles, sur deux 
lignes d'une quarantaine de bataillons chacune , s'étendant 
d'un bois à l'autre et occupant fortement les maisons de 
Maipiaquet. 

Les ailes d'infanterie en crochets offensifs à la lisière des 
bois, avec une seconde ligne plus en arrière. Tous les gre- 
nadiers des bataillons réunis aux ailes ; l'artillerie répandue 



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- 261 -* 

sur tout le front, notamment au carrefour et aux deux lisières 
des bois. 

Toutes ces troupes derrière une double et triple ligne 
inachevée de retranchements de campagne et d'abatis. 

La cavalerie, sur trois lignes, en arrière du centre et du 
village de Malplaquet. 



i ^ lions 



Eugène 

tl 



Bois 
de 
Sars 



Bois 

de 

Lasnières 




# Nivelles 



4 Bavay 



La première idée de Villars avait été de se créer là une 
position d'où il déboucherait offensivement et sur laquelle 
il se replierait en cas d'échec. Mais du retard dans ses mou- 
vements préparatoires et la présence rapprochée de l'ennemi 
le condamnèrent à la défensive. Sous ce rapport sa position, 
à supposer les bois des ailes infranchissables, était réelle- 



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— 262 — 

ment forte quoique un peu étroite pour son effectif et surtout 
pour sa nombreuse cavalerie qui n'avait aucune facilité 
d'action. Si l'ennemi s'avançait par la trouée, il pouvait être 
écrasé de formidables feux convergents. Le vieux maréchal 
Boufïlers , envoyé par le roi comme commandant en chef 
éventuel au cas d'un accident à Villars, s'était volontaire- 
ment mis sous les ordres de celui-ci, son cadet. Il fut chargé 
du commandement de toute la droite; Albergotti eut la 
gauche, et sur ce point se tint aussi de préférence le maré- 
chal Villars. Parmi ses généraux on en comptait deux, Puy- 
ségur et Folard, qui devinrent célèbres par leurs écrits, 
comme deux autres, Guébriant et d'Artagnan, par leurs 
prouesses. 

Les généraux alliés avaient aussi dans leurs rangs beau- 
coup d'officiers volontaires et des princes de distinction. Ils 
reconnurent bien les avantages de la position française, mais 
comj^tant sur la force de leur artillerie et sur la bravoure de 
leurs troupes, ils résolurent néanmoins de l'attaquer dès le 
il au matin, avant que de nouveaux ouvrages aient pu 
s'élever. 

Leur plan d'offensive fut aussi simple que juste. L'aile 
droite française, qui semblait la plus forte, serait entretenue 
en diversion par les Hollandais du comte de Tilly et du prince 
de Nassau ; l'aile gauche des Français, qui était la plus cri- 
tique puisque c'était celle qui menait sur leurs communi- 
cations de Quiévrain, subirait la vraie attaque de la part de 
toute l'armée du prince Eugène ; Marlborough, avec le corps 
britannique ^ei les autres alliés, se tiendrait en réserve soit 
pour seconder l'attaque principale, soit pour faire une trouée 
au centre. La grosse artillerie, répartie en quatre fortes 
batteries, ouvrirait le combat en entamant les retranche- 
ments ennemis, tandis que les colonnes d'assaut seraient 
accompagnées par les piècos les plus légères. La cavalerie 



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— 263 - 

suivrait l'infanterie, et une fois dans les lignes elle prendrait 
son essor. 

Les forces furent réparties en conséquence, c'est-à-dire 
en trois armées, chacune sur deux lignes, sauf au centre où 
la cavalerie, par manque de place, dut former deux lignes 
derrière celles de l'infanterie. L'effectif total se montait à 
142 bataillons , 280 escadrons et 410 pièces , soit 95 mille 
hommes, sans compter une vingtaine de bataillons, dix 
escadrons et 20 pièces laissés sous les murs de Mons. 

L'action commença vers 7 % heures du matin. D'abord 
un peu gênée par le brouillard la canonnade devint de plus 
en plus vive à mesure que le ciel s'éclaircit. A 9 heures près 
de 150 pièces tonnaient les unes contre les autres, celles des 
alliés battant surtout la pointe du bois de Sars, que de fortes 
colonnes du prince Eugène se préparaient aussi à assaillir. 

Pour mettre autant de clarté que possible dans les péri- 
péties enchevêtrées de cette sanglante bataille, commen- 
çons par la zone de la droite française. 

BouSlers avait judicieusement disposé son infanterie sur 
trois lignes dont la dernière était fortement combinée d'ar- 
tillerie et de cavalerie. L'armée du prince de Nassau l'atta- 
qua sur cinq colonnes d'infanterie comptant 30 bataillons 
et une de 20 escadrons de cavalerie sous le prince de Hesse, 
toutes sur deux ou trois lignes. 

Dès 9 heures du matin, sur toute la lisière septentrionale 
du bois de Lasnières et par les abords de la route de Ni- 
velles, les Hollandais s'avancèrent avec une grande bra- 
voure. Quoique couverts d'une grêle de balles, ils enlevè- 
rent la première ligne des retranchements français. Ne 
s'arrêtant là que quelques minutes pour se rallier et com* 
bler leurs nombreux vides, ils marchèrent non moins réso- 
lument contre la seconde ligne d'ouvrages qu'ils enlevèrent 
aussi brillamment. Excités par le succès ils se jetèrent sur 



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- 264 -^ 

la troisième ligne. Là leurs rangs, déjà largement mutilés^ se 
trouvèrent à trop forte tâche contre les brigades réunies de 
Picardie, de Navarre et Piémont conduites par les généraux 
d' Artagnan et de Hautefort. Des feux serrés d'infanterie et d'ar- 
tillerie labourèrent les assaillants et les forcèrent à la retraite ; 
la cavalerie française s'élança sur leurs talons et sur leurs 
flânes et changea leurs succès du début en pleine déroute. 

Le prince de Nassau pouvait se consoler par la pensée 
qu*ii n'avait été chargé que d'une fausse attaque. Mais même 
à ce point de vue son opération avait trop peu duré pour 
avoir quelque valeur. Un double malheur l'avait traversée. 
La cavalerie du prince de Hesse, embarrassée dans les fos- 
sés et les abatis, n'avait pu ni suivre les colonnes assail- 
lantes, ni pénétrer plus à gauche, dans les épais taillis du 
bois de Lasnières, garnis de tirailleurs. D'autre part une 
réserve de 49 bataillons aux ordres du général Vitters, sur 
laquelle il avait compté, avait été détournée de sa destina- 
tion par les incidents survenus à l'autre aile, comme nous 
allons le dire. 

Tandis qu'au centre l'action s'était bornée à l'observa- 
tion réciproque entretenue par quelques feux, la zone de la 
gauche française avait été le théâtre de vifs combats. 

Quarante bataillons aux ordres du général Schulemburg 
s'avancèrent sur trois lignes contre le bois de Sars. Arrivés 
à 200 pas des abatis, ils subirent un feu si meurtrier qu'ils 
durent s'arrêter ; bientôt la première ligne fit volte-face et 
se retira derrière la seconde. Celle-ci s'avança à son tour 
et quoique renforcée par la troisième elle n'eut pas plus de 
succès. Le général Schulembourg dut ordonner la retraite 
pour rallier ses troupes hors de la portée des feux. 

A ce moment, vers 10 heures du matin, arrivait de Tour- 
nay à Framèries la colonne du général Vitters se dirigeant 
contre le bois de Lasnières. Vu l'importance de l'attaque 



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— 265 — 

sur la gauche française, qu'il voulait faire reprendre confor- 
mément aux directions de Marlborough, le prince Eugène 
arrêta le général Vitters et le dirigea de Frameries à la 
droite de Schulembourg contre le flanc gauche des Fran- 
çais par les bois de Sars. 

Vitters pénétra sans grands efforts dans le bois par sa 
lisière occidentale, l'occupa avec quatre bataillons et lança 
le reste de ses troupes par le hameau La Folie sur les revers 
des retranchements français de l'extrême gauche. Là une 
mêlée acharnée s'engagea. Le maréchal Guébriant qui y 
commandait redoubla d'activité et d'énergie. Villars s'y 
porta aussi et, se faisant soutenir de plusieurs corps appelés 
du centre, entr'autres des brigades irlandaise et Bretagne, 
il repoussa les attaques de Vitters aussi bien que celle» 
renouvelées de Schulembourg. Obligée à faire front des 
deux côtés, l'action, en se prolongeant, devint fort désor- 
donnée dans les lignes françaises. Le désordre augmenta 
encore quand Villars et Albergotti, toujours au plus fort du 
combat comme de simples soldats, y furent blessés et durent 
être tous deux emportés aux ambulances, puis à Quesnoy. 
Le bois de Sars tomba en entier aux mains des alliés et le 
combat se continua autour des maisons de Louvières, les 
Français se repliant, tout en combattant, vers la grande 
route, les alliés les suivant lentement et se reformant en 
bon ordre à la lisière du bois de Sars vers Louvières, Vitters 
à droite, Schulembourg à gauche et 22 bataillons encore 
intacts avancés en réserve vers le bois de Sars sous le géné- 
ral Lottum par ordre de Marlborough. 

Ainsi le prince Eugène, après cette première phase de 
la journée, disposait de 8i bataillons et d'une dizaine d'es- 
cadrons sur l'extrême gauche des Français qui, de leur 
côté, triomphaient à leur droite, mais sans y être sortis de 
leurs retranchements. 



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Dans cette situation avantageuse les alliés s'apprêtèrent 
à reprendre l'attaque sur toute la ligne. Elle dut se conti- 
nuer sur le même programme que le matin, avec cette 
adjonction que l'effort se ferait non-seulement par la droite, 
par Eugène, mais encore par le centre, par Marlborough. 
A cet effet toute la cavalerie du prince Eugène, inutile sur 
le terrain où elle se trouvait, fut massée au centre, derrière 
une colonne d'assaut de 20 bataillons aux ordres des géné- 
raux Orkney et Rantzau, escortée de 30 escadrons du prince 
d'Auvergne. Pour compenser les pertes considérables des 
Hollandais, qui avaient à répéter leur dure diversion, un 
renfort de 42 bataillons prussiens leur fut envoyé. 

Ces dispositions achevées, l'attaque recommença aux envi- 
sons de midi. 

Les alliés furent favorisés au centre par les dernières 
mesures de Yillars, qui s'y était dégarni pour renforcer sa 
gauche. Les troupes de première ligne, seulement quatre 
bataillons d'Alsaciens et deux de Laonnais commandés par 
Steckemberg, eurent encore la mauvaise chance de voir tuer 
leur général dès le commencement de l'action. Elles ne 
tardèrent pas à plier devant la vigoureuse attaque des alliés. 
Orkney et Auvergne, appuyés par une batterie de 40 canons, 
continuèrent à s'avancer résolument jusqu'aux retranche- 
ments ; l'infanterie les enleva, s'y établit et laissa débou- 
cher devant elle les escadrons d'Auvergne. Ceux-ci ne purent 
aller bien loin ; décimés par les tirailleurs embusqués, puis 
chargés par les escadrons français, ils furent refoulés en 
désordre derrière leur infanterie ; deux autres charges du 
prince d'Auvergne aboutirent au même résultat; de son 
côté la cavalerie française ne put déloger l'infanterie alliée 
des postes conquis et le premier résultat ne fut pas modifié. 

En revanche les ailes portèrent des coups plus décisif. 
Le prince Eugène ne fit que des progrès très-lents, tant 



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— 267 — 

qu'il fut réduit à sa seule infanterie. L'artillerie ayant pu le 
seconder activement, vers deux heures après-midi il pressa 
plus vivement le flanc gauche des Français et se mettant 
lui-même à la tête d'une colonne allemande il les empêcha 
de jeter leurs masses sur le prince d'Auvergne et sur Ork- 
ney, comme BoufQers en avait eu quelques sages velléités. 

A l'aile opposée le prince de Nassau avait renouvelé son 
attaque du matin. — Quoique agissant avec plus de prudence 
il n'obtint pas d'abord de plus grands succès. Après avoir 
occupé les premières lignes de retranchements il s'en vit 
chassé, puis refoulé avec de fortes pertes par de belles char- 
ges des grenadiers à cheval. 

L'infatigable Boufflers voulut faire mieux encore. Voyant 
les chaudes actions qui se passaient à sa gauche où l'ennemi 
était en progrès, il y envoya une portion de sa cavalerie et 
s'y lança lui-même avec quelques escadrons de la garde du 
roi. Le vide laissé par ces troupes fut remarqué du prince 
de Hesse, qui eut la bonne inspiration d'y jeter 21 escadrons 
de cavalerie qui cherchaient de. l'emploi et une issue. Cette 
colonne, pénétrant hardiment jusqu'à Malplaquet et au bois 
de Jansart, prit à revers la droite française souffrant déjà 
de la mort de deux de ses généraux, Palavicini et Cheme- 
rault, et du transfert de Boufflers vers le centre. Le change- 
ment de front nécessité par la nouvelle attaque augmenta 
le désordre et ne permit plus de contenir l'infanterie du 
prince de Nassau, qui reprit l'offensive et fit de rapides pro- 
grès. 

Sur ces incidents fâcheux Boufflers ordonna partout la 
retraite, qui s'effectua confusément et chèrement vu l'exi- 
guïté du terrain, mais lenUîment et toujours en combattant. 
La gauche, échue au général de Légal, séparée du reste de 
l'armée, se replia sur Valenciennes avec toute la cavalerie 
de cette aile et une cinquantaine de bataillons. Le gros s'ar- 



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rêta d'abord derrière le ruisseau d'Hogneau et le ravin de 
Taisnières, se rallia et fit si bonne contenance, sous une 
arrière-garde de cavalerie dirigée par Boufïlers en personne, 
que les alliés, épuisés d'ailleurs par cette action si prolon- 
gée et ne pouvant agir sur les flancs, n'essayèrent pas d'une 
nouvelle affaire de front. Ils avaient gagné les trois quarts 
du cl^amp de bataille, capturé une douzaine de canons et 
autant de drapeaux; ils pouvaient s'attribuer la victoire, 
mais très-stricte et sans les trophées que les soldats de 
Marlborough avaient l'habitude de recueillir. Puis la dis- 
proportion des pertes leur faisait payer trop cher le peu de 
terrain conquis pour qu'ils osassent s'en enorgueillir. Les 
alliés, attaquant des troupes retranchées, eurent beaucoup 
plus à souffrir que ces dernières. Ils ne comptèrent pas 
moins de 23 mille hommes hors de combat, dont 45 mille 
dans la seule aile du prince de Nassau, tandis que les Fran- 
çais ne perdirent que 12 mille homme tant tués que blessés 
et quelques centaines de prisonniers. 

A la suite de la bataille de Malplaquet les coalisés prirent 
Mons le 21 octobre, puis au printemps suivant (1710) toutes 
les places de la Scarpe et de la Lys, ne s'arrêtant que devant 
Arras couverte par Villars. 

En même temps l'Espagne était vivement disputée. Phi- 
lippe V, battu à Sarragosse, le 20 août 1710, fut rejeté vers 
la Navarre, et son rival put faire une seconde entrée triom- 
phale à Madrid. Il n'y tint cependant pas plus que la pre- 
mière fois. L'hostilité déclarée des populations et l'arrivée 
de Vendôme avec des renforts le forcèrent à évacuer la 
capitale. A son tour Vendôme serra de près les coalisés de 
Stahremberg etStanhope, en retraite suri' Aragon, les battit 
en plusieurs rencontres, notamment à Brihuega et à Villa- 
Viciosa, et les refoula sur la Catalogne. 

Ce succès soutint la grande âme de Louis XIV, à dure 



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épreuve à ce moment. Des négociations de paix, entreprises 
à Gertruydenberg , venaient d'aboutir, sous Tinfluence de 
Heinsius, à des conditions plus humiliantes encore pour la 
France. Malgré sa situation de plus en plus critique, le roi 
les repoussa fièrement et préféra reprendre la lutte. L'année 
1711 ne lui apporta pas de consolations; en revanche rien 
de plus décisif ne s*y produisit. Les coalisés prirent bien 
encore l'importante place de Bouchain ; mais ils ne purent 
aller au-delà, et de part et d'autre les généraux en chef, pa- 
ralysés par les pourparlers diplomatiques qui se continuaient, 
évitèrent la bataille. 

D'ailleurs la politique offrait des chances de revirement 
qui pouvaient devenir fécondes. L'Angleterre ne voyait pas 
sans une anxieuse jalousie la prépondérance toujours crois- 
sante de l'Autriche, qui venait de dompter la Hongrie et de 
mettre à ses pieds toute l'Itahe. Puis l'empereur Joseph I'^"* 
était mort, âgé de 32 ans seulement, en avril 1711 , et son 
successeur était son frère, le prétendant espagnol Charles IIL 
La perspective de cette quasi-résurrection du formidable 
empire de Charles-Quint pouvait réveiller en Europe et 
particuUèrement en Angleterre, dont la puissance maritime 
prenait un très grand essor, de légitimes appréhensions. 
Par suite de cet état de choses et du jeu incessant des partis 
politiques à Londres, le pouvoir était passé des whigs à 
leurs adversaires ; Marlborough, un des chefs du parti whig 
et de la guerre implacable, précédemment omni potent, fut 
réduit au rôle strict et de plus en plus limité de comman- 
dant de l'armée en campagne dans les Pays-Bas. 

Les autres théâtres de guerre subirent plus fortement 
encore les mêmes causes d'inaction. Rien de marquant ne 
s'y passa. 

En 1712, le roi Louis XIV fit un suprême effort. Quoique 
accablé par l'âge et par des deuils répétés creusant une 



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— 270 — 

morne solitude autour de lui, son caractère ne faiblit pas. 
Avec de nobles paroles il envoya à Tarmée Villars, chargé de 
son dernier espoir; il s'agissait littéralement de vaincre ou 
de mourir. La fortune lui garda un reste de faveur. Le maré- 
chal vainquit et sauva la France de l'invasion, quoiqu'on en 
ait voulu dire pour rabattre sa gloire (*). 

Le 24 juillet, à Denain, Villars battit Eugène, qui visait 
à s'emparer de Landrecies, mais qui n'avait plus Marlbo- 
rough avec lui, car les Anglais venaient de faire trêve. Met- 
tant rapidement à profit ses avantages, le vainqueur livra 
une suite de combats, du 24 au 30 juillet, qui coûtèrent aux 
alliés une quinzaine de mille hommes et tous leurs appro- 
visionnements, sans qu'il perdit plus d'un millier de soldats. 
Il reprit ensuite toutes les places frontières, entr'autres 
Marchiennes et Quesnoy avec un matériel considérable. 

Sur le Rhin la guerre avait été nulle, et en Italie le duc 
de Savoie, détaché des alliés, avait aussi fait chômer les 
hostilités. D'autre part les négociations entre Londres et 
Paris s'avancèrent, et le 44 avril 4743 la paix fut conclue 
à Utrecht entre la France, l'Espagne, l'Angleterre, la Hol- 
lande, la Prusse, le Portugal et la Savoie. 

La guerre se poursuivit encore en 4743 entre la France 
et l'Autriche. Villars eut quelques succès en Allemagne, qui 
amenèrent enfin la paix générale signée à Rastadt le 7 mai 
4744, l'Autriche adhérant à la paix d'Utrecht. 

Par ces traités le prétendant français Philippe V fut reconnu 
roi d'Espagne et des colonies, avec la réserve que les deux 
couronnes d'Espagne et de France ne seraient jamais réu- 
nies. L'Autriche obtint les Pays-Bas espagnols (Belgique), 



(1 ) Voir dans les Causeries (Tome XIII, 2« édition) et dans les Nouveaux i 
(T. VI et XI), chapitres Villars et Maurice de Saxe, d'éloquentes considérations de 
Sainte-Beuve sur l'importance de la journée de Denain pour la France, qui nous 
paraissent réfuter pleinement l'opinion de quelques éminents historiens sur la 
prétendue inutilité de cette victoire française. 



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— 271 — 

appelés dès lors Pays-Bas autrichiens, et en outre le royaume 
de Naples, le Milanais et la Sardaigne ; la Hollande une bonne 
frontière ou barrière militaire avec droit de garnison dans 
les principales places des Pays-Bas autrichiens ; l'Angleterre 
de vastes possessions dans T Amérique du nord, Terre-Neuve, 
la baie d'Hudson, TAcadie, et dans la Méditerranée Gibraltar 
et Minorque, ce qui lui donnait le sceptre des mers, qu'elle 
ne lâcha plus; le duc de Savoie, outre les acquisitions 
mentionnées précédemment, reçut la Sicile avec le titre de 
roi. La dignité royale fut aussi reconnue à l'électeur de 
Brandebourg, portant déjà de son propre fait le titre de roi 
de Prusse, avec la principauté de Neuchâtel qu'il avait re- 
çue des Etats neuchâtelois en 4707. 

Peu de temps après la conclusion de la paix, c'est-à-dire 
en 1715, Louis XIV mourut, laissant le trône de France à 
son arrière petit-fils, âgé de cinq ans. 

La mort de ce grand roi et l'ère de paix qu'elle ouvrit 
pendant bon nombre d'années terminent naturellement la 
période militaire que nous avons cru pouvoir placer sous 
son nom , et illustrée surtout par Turenne, Condé, Vauban, 
Montecuculi, le prince Eugène et Marlborough. 

Pour être complet et parfaitement équitable, il convien- 
drait aussi de rattacher à cette période les guerres qui se 
produisirent simultanément dans le nord de l'Europe, et où 
deux hommes de génie, deux éminents et vaillants souve- 
rains, Pierre-le-Grand de Russie et Charles XII de Suède, 
se trouvèrent aux prises. Il faudrait raconter les grandioses 
aventures de ce dernier capitaine en Suède, en Danemark, 
en Russie, en Turquie, notamment sa défaite à Pultawa, 
en 1709. Mais ces récits nous entraîneraient trop loin, sans 
nous faire découvrir de nouveaux éléments, dans le dévelop- 
pement de l'art militaire, autres que ceux propres aux pays 



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^ 272 — 

et aux peuples engagés dans la lutte. On aurait à y men- 
tionner surtout d'importantes et vastes opérations de cava- 
lerie régulière et irrégulière ; mais pour le reste, rien, dans 
l'action des masses, qui diffère sensiblement de ce que nous 
avons déjà pu remarquer sur les théâtres de guerre de 
l'Europe centrale et occidentale. D'ailleurs nous aurons plus 
tard une meilleure occasion de revenir sur l'état militaire 
des puissances du nord, quand elles seront mêlées directe- 
ment aux grandes guerres européennes de la fin du XVIII« 
et du commencement du XIX® siècle. 

Il nous reste, pour remplir notre programme, à compléter 
nos indications historiques sur les temps de Louis XIV par 
un exposé plus spécial des institutions militaires et des 
progrès d'art militaire qui caractérisèrent cette période, 
exposé que nous avons cru devoir réserver pour un chapitre 
séparé et final , afin de ne pas trop compliquer l'esquisse 
des faits, déjà fort complexe par elle-même. 



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— 273 — 



Des institutions militaires et des progrès de Tart mili- 
taire pendant les guerres du siècle de Louis XIV. 



Cette période est assurément la plus riche en progrès 
militaires qu'offre l'histoire du monde. Elle comprend, en- 
tr'autres, trois faits de premier ordre, à savoir : 

La création de grandes armées régulières et permanentes, 
avec une juste proportion des trois armes et avec des subdivi- 
sions de corps et de hiérarchie encore en usage maintenant ; 

La substitution successive et complète, dans ces armées, 
des armes à feu à celles antérieures à l'invention de la pou- 
dre à canon; 

Enfin, à la suite des nouvelles bouches à feu, un perfec- 
tionnement de la fortification et de Fart de l'attaque et de 
la défense des places, qui n'a pas encore été surpassé en ses 
parties essentielles. 

Sous ces divers rapports , le siècle de Louis XIV a pu 
laisser de la marge à des améliorations ultérieures; il a pu 
aussi tomber dans des excès et des abus qui faussèrent les. 
innovations produites et diminuèrent leur bénéfice; mais 
en chacun de ces domaines toute une révolution féconde se 
réalisa et posa des bases sur lesquelles l'art actuel, quoique 
fort supérieur en maints détails, repose encore avec solidité. 

TOME II. 18 



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— 274 - 

Afin de nous rendre bien compte de l'état militaire de 
cette période, examinons-le d'un peu près à deux moments 
caractéristiques, aux débuts de Louis XIV, vers l'an 4660, 
et à sa dernièie guerre, au temps des exploits de Villars et 
de Marlborough, vers Tan 4712. De leur simple confrontation 
découlera la mesure des periectionnements de cette labo- 
rieuse époque. 

Les chefs d'armée de cette période n'eurent en général 
que des forces relativement minimes, 15 mille hommes en 
moyenne, 40 mille hommes au plus. Lorsque Turenne mena 
sa laborieuse campagne de l'Alsace et du Palatinat, en 1674, 
il n'avait que 25 mille hommes. Ses collègues d'autres zones 
lui étaient inférieurs, sauf Condé en Belgique, et leur en- 
semble atteignait au plus le chiffre de 160 mille hommes. 

Quelques années auparavant les effectifs étaient moindres 
encore. A la paix de Westphalie , en 1648, la France avait 
sur pied 150 mille hommes; en 1660 seulement 125 mille. 
Pour l'invasion des Provinces-Unies, en 1672, les forces 
furent portées à 180 mille hommes, et cela parut une sorte 
de prodige. Aussi ce chiffre fut abaissé, après les traités de 
Nimègue, en 1678 et 1679, à 140 mille hommes. 

Les sources d'où provenaient ces forces étaient diverses; 
elles peuvent se réduire à trois principales : 1« le recrute- 
ment volontaire des individus à l'intérieur par le soin des 
capitaines de compagnies ou des colonels de régiments. Ces 
offkners employaient pour cela des recruteurs ou raccoUeurs, 
qui recevaient une commission sur les primes d'engagement; 
2*» les contingents de l'étranger, levés en Suisse, en Italie, en 
Allemagne, etc., par suite de traités avec les gouvernements 
de ces Etats ou de simples autorisations de recrutement; 
3^ enfin les levées nationales de milices, bourgeois ou 
paysans plus ou moins enrégimentés par localités, restes 



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— 275 — 

des anciens bans féodaux et des légions de François I*', qui 
fournissaient, à l'occasion, des corps de troupes de seconde 
ligne et surtout des garnisons complémentaires des places. 
Ces divers moyens d'alimenter les armées étaient fort 
élastiques en eux-mêmes ; leurs résultats devaient dépendre 
en résumé de la richesse et de la puissance de l'Etat. Un 
gouvernement obéi, riche, en obtenait aisément le double 
ou le triple de ce qu'en pouvait espérer un gouvernement 
vacillant et obéré. 

Si, avec de l'argent, on trouvait des recruteurs et des 
recrues partout, avec de l'autorité on remuait les populations 
et on levait aisément des milices. 

Ce dernier mode était grandement tombé en désuétude 
depuis François P»* ; les mihces n'existaient plus que sur le 
papier, et encore. C'est en leur adressant de nouveaux 
appels sous diverses formes, puis en employant souvent ces 
levées comme d'autres corps, que Louis XIV, pénétrant 
d'ailleurs toute l'administration de son omnipotence et pro- 
diguant les ressources du pays aux recruteurs, put tenir ses 
effectifs au niveau de ceux de la coalition. 

La formation et la tactique des troupes différaient peu, au 
commencement de la seconde moitié du 47® siècle, de celles 
que nous connaissons déjà par Gustave-Adolphe et par la 
guerre de Trente-Ans. La proportion des anciennes armes 
de choc, piques et hallebardes, iavec les arquebuses et les 
mousquets, et la manière de les entremêler pour le combat, 
constituaient toujours le grand problème des armées, notam- 
ment de l'infanterie. On essayait de tous les systèmes, ou 
plutôt, pendant cette période de transition, il n'y eut pas de 
système normal rigoureux. Les uns voyaient avec défiance 
l'innovation des armes à feu et craignaient de se reposer 
exclusivement sur elles; d'autres voulaient au contraire 
envoyer piques et hallebardes rejoindre le plus prompte- 



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— 276 — 

ment possible les arcs et arbalètes déjà au rebut, pour ne se 
confier plus que dans les feux. Montecuculi, un des grands 
capitaines fournis par l'Italie à l'Empire, soutint les ancien- 
nes traditions dans un ouvrage fort estimé et très-remar- 
quable pour son temps, (*) tandis que quelques années plus 
tard les généraux français Puységur et Feuquières, tous 
deux officiers et écrivains de la plus haute distinction, (^) 
propagèrent plutôt les idées nouvelles. Turenne, avec son 
suprême bon sens et sa pénétration studieuse, tint le milieu 
entre les deux tendances, déjà fort accentuées pendant ses 
dernières guerres ; il prit ce qu'il y avait de bon de droite 
et de gauche. Sans dédaigner la pique, précieuse en plus 

(1) Mémoires militaires. Milan 1702. 1 vol. in-4*. Ces mémoires, écrits en italien, 
ont été traduits et trop oommentés en firançaîs par le lieutenant-général comte 
Turpin de Crissé, 3 vol. in-4*. Paris 1769. — Voir plus loin pag. 282. 

Au moment où nous révisons ces lignes nous apprenons par Vltalia mili- 
tare qu'une société d'oCBciers italiens vient d'avoir la louable idée de provoquer 
une souscription pour l'érection d'un monument à Montecuculi, dans sa ville 
natale de Modëne. 

(2) Outre le cahos des ordonnances officielles françaises on a cinq sources 
importantes sur cette époque, à savoir : L'Histoire de la milice française par le 
père jésuite Daniel, deux volumes in-4*, avec gravures, publiés à Amsterdam en 
1724, recueil aussi riche qu'indigeste d'une foule de détails consciencieusement 
recherchés dans les archives -, V Art de la guerre du maréchal Puységur, deux 
volumes in-4* avec planches, publiés par le fils de l'auteur éÙParis en 1748, ouvrage 
traitant avec autorité de toutes les branches militaires ; les Mémoires du Ueute- 
nanl^géniral A . de Feuquières, 1 vol. in-4*, Paris 1741 , donnant une analyse raison- 
née des principales opérations des armées de Louis XIV avec force critiques sou- 
vent plus améres que justes, Quincy. Histoire militaire de Louis XIV ^ 8 vol. in-4* 
avec planches, Paris, 1726, publication laborieuse, mais peu complète en quelques 
points importants et souvent partiale ; enfin un ouvrage récent, Histoire de Lou- 
voiSf 4 vol. in- 12*, Paris, 1802, par M. Camille Rousset, qui, dans un cadre mal- 
heureusement trop restreint, a utilisé avec autant de patience que de discerne- 
ment les précieuses ressources du dépôt de la guerre. 

On pourrait encore joindre à ces sources les Commentaires du chevalier Fo- 
lard si ses chauds plaidoyers en faveur de la colonne ne le rattachaient pas plutôt 
à l'époque subséquente. Ramsay, Grimoard, Beaurain, Dumont sont encore à 
citer à côté de Quincy pour la partie historique ; nuis tous ces ouvrages sont si 
défectueux sous ce dernier rapport qu'on peut bieâ dire encore aujourd'hui avec 
Jomini (Observations sur l'Histoire militaire depuis Louis XIV à nos jours, 1 
broch in-8*. Bruxelles 18&2, page 10) que c l'Histoire militaire d'un siècle qu'on 
a voulu présenter comme classique est un vrai galimatias et que cette histoire est 
véritablement encore à fkire. » L'esquisse que nous en avons donnée n'a certes 
pas la prétention de combler la lacime signalée; elle ne fait plutôt que la confir- 
mer. Cette grande époque n'a encore ni son Thiers, ni son Jomini. 



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— 277 — 

d'un cas, il ne la tint pas, comme Montecuciili, pour la reine 
des armes; au contraire il augmenta sans cesse ses feux 
à mesure de leurs perfectionnements, mais il n'alla pas, 
comme d'autres le demandaient, jusqu'à en munir tout son 
monde, y compris même les officiers. (*) Le boulet qui l'en- 
leva si subitement et prématurément fut fatal à la tactique. 
Personne après lui n'eut l'autorité suffisante pour en fixer 
les règles nouvelles et pour diriger vers de concluantes 
expérimentations le conflit engagé entre les routines du 
passé et les exagérations de maints novateurs. 

C'est donc en vain qu'on chercherait dans les documents 
ou dans les pratiques de l'époque un mode précis de for- 
mation et de manœuvre des corps de troupes. Chaque géné- 
ral avait ses habitudes, auxquelles il devait souvent déro- 
ger suivant le nombre de piques et de mousquets, de fan- 
tassins et de cavahers, de bouches à feu mis à sa disposi- 
tion dans telle circonstance donnée, toutes choses variant à 
l'infini. 

En France l'unité tactique de l'infanterie était le hataiUon 
comptant de 200 hommes jusqu'à 1200 hommes et beaucoup 
plus, car il se formait soit par le régiment, la grande unité 
administrative, soit par plusieurs régiments, soit par une 
ou plusieurs fractions de régiments. Même les militaires 
érudits du milieu du 17® siècle appliquent indistinctement 
la qualification de bataillon à des corps de 4 à 5 mille 
hommes et à d'autres de 2 à 300 hommes. (2) Le bataillon 
d'alors n'a donc pas de rapport avec ce que nous appelons 
aujourd'hui de ce nom. C'était une dénomination générale 

(1) Ces vœux furent recueillis entr'autres par Puysôgur. Voir Art de la guerre I . 

(2) Voir, par exemple, dans le Maréchal de bataille du maréchal Lostelnau (I 
beau volume in-folio avec planches. Paris 1647) les batailUmê des pages 396 et 
384, comptant l'un 2000 piquiers et i600 mousquetaires, l'autre 1600 piquiers et 
2532 mousquetaires, tandis qu'aux pages 314 et 318 sont indiqués d'autres batail- 
Umê de lOSipiquiers et 148 mousquetaires seulement. 



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— 278 — 

s'appliquant à tout corps d'un certain nombre de piquiers 
et de mousquetaires formé pour le combat. Les gros batail- 
lons s'appelaient souvent et plus tard s'appelèrent exclusi- 
vement brigades depuis Turenne; les petits se confondaient 
aisément avec les compagnies. 

Cela réservé, on peut estimer la force moyenne du batail- 
lon à environ 600 hommes. Tel quel il se répartissait tacti- 
quement en quatre divisions égales, deux de piquiers et 
deux de mousquetaires, adminisirativement^ quand il était 
le régiment, en 46 compagnies. Celles-ci fonnaient la petite 
unité administrative et comptaient une cinquantaine d'hom- 
mes chacune, plus trois officiers. Souvent le bataillon n'at- 
teignait pas au chiffre de 16 compagnies, mais seulement à 
celui de 10 à 12 en moyenne, plus des enfants perdus en 
nombre indéterminé. Les Suisses gardèrent leurs anciens 
bataillons de 4 compagnies à 200 hommes chacune. 

Le régiment était commandé par un colonel qui, dans 
l'origine, n'était que le plus ancien des capitaines ; il était 
assisté d'un lieutenant-colonel, d'un major et d'autant d'ai- 
des-majors qu'il y avait de bataillons. Tous portaient la 
demi-pique ou esponton et les sous-officiers la hallebarde. 
Les soldats avaient leurs charges ou gargouches suspen- 
dues à un baudrier ; tous avaient encore une épée, et les 
piquiers une demi-cuirasse. 

Les hommes, piquiers ou mousquetaires, se plaçaient sur 
une profondeur de 6 à 10 rangs, mais la profondeur de 8 
rangs finit par devenir la plus usuelle. Les piquiers tenaient 
le centre du front, les mousquetaires les deux ailes, 8 com- 
pagnies en aile ou manche droite, 8 à la gauche; chaque 
aile se divisait en deux pelotons, de sorte que le |:*ont était 
partagé en quatre quarts. La profondeur se partageait de 
même en quatre quarts de deux rangs chacun. Le premier 
rang s'appelait chef de file, le dernier serre-file, le qua- 



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— 279 - 

trième serre-demi-file, le cinquième demi-file. Les désigna- 
tions générales de tête, queue, milieu, outre celles de droite 
et de gauche, servaient aussi à distinguer les diverses frac- 
tions de la profondeur ou du front. 

La distance normale était entre chaque rang de trois pas, 
entre chaque file d'un pas, pouvant ou se doubler ou se 
réduire à l'ordre compacte. 

La manœuvre consistait surtout à doubler ou dédoubler 
les rangs ou les files, à peu près comme dans la phalange 
grecque, par rang, demi-rang, quart de rang ou par file, 
demi-file, quart de file. Le commandement ci-dessous peut 
en donner une idée, ainsi que du reste : Pour ramener les 
huit rangs à quatre, les piquiers au centre, on commandait : 
Quarts de file de la tête et de la queue, doublez vos rarigs 
dans le milieu des quarts de pie du milieu ! Les deux pre- 
miers rangs faisaient demi-tour et se fondaient dans les 
troisième et quatrième rangs, les septième et huitième s'a- 
vançaient dans les cinquième et sixième. 

On pouvait aussi dédoubler la profondeur et augmenter 
d'autant le front par des mouvements de flanc analogue^ à 
nos déploiements, et cela soit par bataillon, soit par man- 
che, soit par rang ou fraction de rang. En combinant ces 
formations les unes avec les autres, par arme ou* par 
mélange d'armes, on arrivait à un grand nombre de figtrtiô^, 
d'espèces diverses de bataillons disait-on, ayant, sinotï iitie 
utilité directe pour le combat, au moins l'avantage de four- 
nir des exercices très-variés qui rompaient la troupe aux 
évolutions et au maniement des armes. 

De l'ordre normal, piquiers encadrés de mousquétiairès 
sur 8 rangs, on passait entr'autres à quatre formations cbhi- 
munes: * 

Les piquiers de chaque division (ou compagnie tactique) 
au centre de leur division, de sorte que le bataillon fofttïaît 



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-. 280 - 
deux manches symétriques, ayant chacune ses piquiers au 
centre et pouvant manœuvrer séparément. 

Dans la manche ou dans le bataillon, la moitié des mous- 
quetaires en avant des piquiers, de sorte que les piquiers 
formaient les rangs intérieurs sur tout le front. 

Deux rangs de piquiers en tête sur tout le front, avec 
deux rangs de mousquetaires derrière, et ainsi de suite. 

Front mélangé d'un piquier et d'un mousquetaire sur 
tout le premier rang ou sur deux ou sur tous les rangs. Dans 
ce cas les mousquetaires sortaient en avant pour les feux. 

Chacune de ces formations pouvait encore en donner plu- 
sieurs nuances d'autres, ainsi que des combinaisons entre 
elles à l'infini. Contre la cavalerie il y avait le carré plein 
et vide, l'octogone double et simple, une dizaine d'espèces 
de croix, etc. 

Pour l'action, les hommes, piquiers et mousquetaires, 
étaient exercés à manier leurs armes à genou ; les premiers 
rangs s'effaçaient pour permettre aux autres d'agir; les der- 
niers rangs des mousquetaires s'avançaient pour faire feu, à 
la place des premiers rangs qui allaient recharger leur^ ar- 
mes en arrière. Les piquiers, pour recevoir les charges de 
cavalerie, appuyaient la pique en terre contre le pied droit. 

Une des premières innovations du gouvernement de 
Louis XIV fut, en 1672, de réunir les grenadiers, précédem- 
ment au nombre de 4 hommes par compagnie pour lancer 
des grenades à la main, en compagnies spéciales armées de 
fusils à baïonnette à manche. On en forma une compagnie 
par régiment, puis une par bataillon qui subsistèrent jus- 
qu'en 1867. Elles se rangeaient à la droite de leur corps et 
fournissaient surtout des détachements. 

En même temps les piquiers diminuèrent sensiblement. 
Turenne, pour ses dernières campagnes, les eut dans la pro- 
portion d'un tiers sur deux tiers de mousquetaires. Il forma 



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alors ses bataillons en trois divisions au lieu de quatre. De 
même il réduisit la profondeur normale de 8 rangs à 6 ; le 
front et la profondeur furent partagés^ non plus en quarts, 
mais en tiers. Cela rappelait le système espagnol des tercios 
et en maintint la tradition, (^) sans cependant changer grand 
chose aux manœuvres du bataillon indiquées ci-dessus. En- 
fin, entre l'an 1680 et 1690, les bataillons furent fixés tous à 
douze compagnies, plus une de grenadiers hors rang, ce qui 
donnait quatre compagnies par division, soit un corps fort ré- 
gulier dans son ensemble comme dans son fractionnement. 

A la tète de toute Tinfanterie se trouvait, dans les pre- 
miers temps seulement du règne, un colonel-général de 
Tarme, un des grands dignitaires.du royaume. 

La cavalerie avait subi de plus grandes moditications. 
Pour s'alléger elle s'était débarrassée presque complète- 
ment des anciennes armures. Il y savait toujours de la grosse 
cavalerie, dix anciennes compagnies d'ordonnance et de^ 
régiments dits de cuirassiers, mais ayant au lieu de cuirasse 
et de lance, la grosse épée et les pistolets. La cavalerie 
légère s'était accrue et s'accroissait encore, tout en se 
munissant d'armes à feu^ mousquets, mousquetons, fusils, 
carabines, escopettes. Combattant à pied et à cheval elle 
tendait à se transformer, sous divers noms, en dragons qui 
devenaient l'arme la plus commode, pouvant faire face à 
tous les premiers besoins. Les régiments de cavs^lerie comp- 
taient de 4 à 600 chevaux formant de 6 à 12 compagnies et 
la moitié moins d'escadrons. Ils se rangeaient sur trois 
rangs de profondeur ; les rangs à 4 pas de distance, sauf 
dans les cas de charge en masse serrée. Dans l'ordre de 

(1) Célèbres au temps de Gbarles-Quint, les tercios étaient une formation mas- 
sive de piquiers avec une bordure de mousquetaires se rapprochant des Haufen 
suisses, et dont il y avait ordinairement trois au bataillon, à la brtflriwle, ou à l'ar- 
mée. Cette dénomination devint ensuite synonyme de bataillon et de régiment, 
ainsi que de la circonscription territoriale qui le fburnissait quelquefois. 



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bataille les escadrons laissaient entr'eux un intervalle égal 
au quart ou à la moitié de leur front. 

Chaque compagnie avait 3 officiers et 3 sous-officiers, le 
régiment un mestre de camp ou colonel ou parfois briga- 
dier, un lieutenant-colonel et un major. A la tête de toute 
la cavalerie se trouvait aussi un colonel-général, qui était 
un des plus grands personnages du royaume. 

L'artillerie ne fît guère que des progrès en quantité sous 
Louis Xrv et jusque sous Louis XV. Toutefois le personnel 
en fut fort amélioré, comme nous le dirons tout à l'heure. 
Nous ajournons également à la fin du règne la mention des 
immenses progrès réalisés par la fortification. 

Les ordres de bataille étaient à peu près ceux de la guerre 
de Trente-Ans, à savoir deux lignes à intervalles, la première 
ayant l'infanterie au centre et la cavalerie aux ailes, avec des 
renforts de corps mixtes, la seconde un mélange de corps d'in- 
fanterie et de cavalerie opposés aux vides de la première 
hgne. Avec des forces plus nombreuses on avait une troi- 
sième et même une quatrième ligne formant la réserve ; les 
mousquetaires étaient toujours étroitement mélangés aux 
escadrons ; Tartillerie se tenait ordinairement à la première 
ligne ou en avant du front. 

A cette époque déjà, l'organisation militaire était à peu 
près la même dans les principales armées de l'Europe. Les 
Impériaux, au temps de Montecuculi, se rangeaient et 
manœuvraient à peu près comme leurs adversaires. Leurs 
régiments d'infanterie étaient de 10 compagnies comptant 
chacune 3 officiers, 3 sous-officiers, 48 piquiers et 96 mous^ 
quetaires, ce qui donnait pour le régiment un total d'envi- 
ron 1500 hommes. Dans ses très-instructifs Mémoires mili- 
iairesy Montecuculi résume toute la répartition des troupes 
en quelques parfaites sentences, comme suit (art. 1®') : 

« Les hommes doivent être levés, rangés, armés, exercés. 



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disciplinés. — On ne doit pas enrôler des hommes de la lie 
du peuple ni au hasard ; il faut les choisir entre les meil- 
leurs. 

« Les soldats enrôlés passent en revue et prêtent serment 
d'obéissance, de fidélité et de valeur. — On les range sui- 
vant leurs qualités et leur métier. — Ils se divisent en com- 
battants et non combattants. — Les premiers se divisent : 

« En décuries qui sont 8 à 10 hommes sous un chef appelé 
décurion; en escouades qui sont plusieurs décuries; en 
compagnies qui sont plusieurs escouades ; en régiments qui 
sont plusieurs compagnies. — Les régiments d'infanterie se 
forment en bataillons^ qui sont des corps arrangés en plu- 
sieurs lignes -de front et de hauteur ; dans la cavalerie ces 
corps s'appellent des escadrons. — De plusieurs bataillons 
ou escadrons se forment les corps ou grands membres de 
l'armée appelés brigades. — Des, brigades on fait : 

<:< L'avant-garde; le corps de bataille; l'arrière-garde ; l'aile 
droite ; le centre ; l'aile gauche. La première ligne ou le front ; 
la deuxième ligne; la troisième ligne ou réserve. » 

Le généralissime impérial, après ses nombreuses expé- 
riences, aurait voulu non-seulement maintenir toutes les 
piques, mais diminuer chaque compagnie de 8 mousque-, 
taires pour les remplacer par autant de rondachiers, c'est- 
à-dire d'hommes munis de la rondache ou boucher rond, 
qui se seraient placés au premier rang pour protéger les 
autres. Mais sa proposition succomba sous la faveur de plus 
en plus grande des armes à feu. Depuis l'an 1695 tous les 
régiments impériaux furent portés à 12 compagnies formant 
ordinairement deux, bataillons, bientôt tous de fusiliers. La 
cavalerie légère et armée de feux prit aussi une extension 
considérable au détriment des cuirassiers; ceux-ci reçurent 
même le mousqueton pour leur premier rang ; tous tendi- 
rent à être employés d'une manière plus indépendante et 



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- 284 — 

dans des formations à intervalles, tandis que Montecuculi 
et les officiers de son école, exagérant les règles de Gustave- 
Adolphe, auraient voulu mêler toujours plus la cavalerie à 
l'infanterie et foire, au moyen de combinaisons de ces deux 
armes, des ordres de bataille aussi compactes que possible. 

Si en matière de tactique Montecuculi semble avoir cher- 
ché le progrès dans un retour aux meilleures traditions du 
passé, il se montra zélé novateur quant à l'organisation des 
armées. 11 fut un des premiers à démontrer l'utilité de trou- 
pes permanentes et non plus recrutées et formées à la hâte 
pour telle ou telle guerre, puis licenciées à la paix. La 
quasi-permanence de la guerre à cette époque et les nom- 
breux avantages spéciaux que les souverains pouvaient 
trouver à disposer constamment d'une force armée respec- 
table, rangèrent bientôt tout le monde à son avis. Les divers 
monarques des grands Etats européens, en attendant de 
rendre stables et permanentes toutes les troupes à leurs 
ordres, maintinrent les principaux cadres et se créèrent 
des corps d'élite, des gardes royales ou impériales, des 
maisons du roi de plus en plus fortes et qui devaient 
aussi servir de réserves de choix sur le champ de bataille. 

Tels se manifestaient en résumé l'état et la tendance des 
choses militaires au commencement de la seconde moitié du 
17* siècle. Voyons maintenant ce qui en était une soixantaine 
d'années plus tard, c'est-à-dire à la fin du règne de Louis XIY, 
et parlons surtout de la France^ qui peut bien être conaidé- 
rée comme fournissant le type général de toutes les armées 
européennes de cette période. 

Les effectife s'étaient considérablement augmentés. Per- 
sonnel, matériel, marine, établissements militaires divers 
avaient doublé et triplé de nombre. Il y avait 264 régiments 
d'infanterie, une centaine de cavalerie ; le reste à l'avenant. 
S'ils eussent atteint leur force normale, cela eût donné un 



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— 285 — 

chiffre total de plus de 500 mille hommes. Mais tous ces 
corps étaient dans un état de grand délabrement. Les passe- 
volants^ ou hommes de paille, enrégimentés les jours de re- 
vue pour couvrir des fraudes communes, étaient encore en 
trop grand nombre malgré les pénalités contre ce scandaleux 
abus. Il avait fallu prodiguer le superflu pour obtenir le né- 
cessaire, créer beaucoup de cadres pour les faire quelque 
peu remplir; la proportion des officiers et dignitaires de 
tous rangs, en regard de la troupe, dépassait toute limite. 
Il faut dire aussi que les grades de régiments et de compa-^ 
gnies se vendaient, ce qui allégeait momentanément les 
charges de l'Etat, quitte à les décupler plus tard. Mais à ce 
prix seulement, avec les malheurs répétés des armes fran- 
çaises , on avait pu porter l'armée à l'effectif réel d'environ 
400 mille hommes. 

Pour arriver là on avait non-seulement augmenté le nom- 
bre des recruteurs et des corps , comme nous venons de le 
dire, mais recouru aux levées nationales sous le nom de 
milices provinciales. La première organisation de ce genre 
de troupes se fit pour résister à la coalition d'Augsbourg, 
Une ordonnance royale du 29 novembre 1688 requit de 
chaque village un contingent d'hommes équipés et armés 
pour servir deux ans, contingent fixé à raison d'un milicien 
par deux mille livres de taille que payait la localité. Cette 
première levée ne produisit que 25 mille hommes; on en 
forma 30 bataillons ou régiments dont les places d'officiers 
furent données aux gentilshommes des provinces. 

Quoique ces bataillons ne fussent destinés, dans l'origine, 
qu'à la défense des côtes et des places fortes, quelques-uns 
d'entr'eux furent appelés aux armées actives et s'y compor- 
tèrent bravement. Aussi, à la paix de Rysswik, on se garda 
bien de Ucencier ces nouveaux soldats et on les incorpora 
dans les troupes permanentes pour en combler les vides. 



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— 286 — 

Lors des levées subséquentes, les localités désignèrent leurs 
hommes de contingent par un tirage au sort, duquel ils pou- 
vafent se racheter moyennant une indemnité de 75 francs. 
Ces préludes à la célèbre loi de conscription qui s'établit un 
siècle plus tard ne rencontrèrent pas partout le meilleur 
accueil ; souvent on ne put les appliquer que par des ordres 
tyranniques ; souvent aussi ils n'amenèrent sous les drapeaux 
que des gens s'empressant de les déserter à la première 
occasion favorable. Néanmoins ils fournirent encore plu- 
sieurs levées d'une trentaine de mille hommes, et dans les 
dernières années de la guerre de Succession les effectifs s'ac- 
crurent de quatre à cinq de ces levées accumulées. 

C'est ainsi, et avec les secours du recrutement ordinaire 
poussé à l'extrême et d'un contingent de 25 mille Irlandais 
réfugiés en France avec Jaques II après la révolution d'An- 
gleterre, que Louis XIV put porter ses effectifs jusqu'à plus 
de 400 mille hommes. A l'avènement de son successeur les 
régiments d'infanterie furent réduits au chiffre de 124, à 
savoir : la brigade des gardes suisses et des gardes françaises, 
95 régiments français, 9 suisses, 5 allemands, 5 irlandais, 
2 wallons, 1 italien, 1 piémontais, 1 catalan. Sur ce nombre 
les Suisses comptaient pour environ 22 mille hommes. 

Les bataillons furent formés à 15 compagnies , dont une 
de grenadiers, fortes seulement d'une cinquantaine d'hom- 
mes y compris les officiers ; le nombre des bataillons par 
régiment resta indéterminé; dans les corps français le 
bataillon formait ordinairement le régiment. Sur ce pied 
les forces permanentes de l'infanterie se montaient à une 
centaine de mille hommes. 

A côté de cela les milices furent réparties en 93 bataillons, 
plus* six corps'de fusiliers des frontières, destinés à seconder 
les régiments de première ligne et toujours composés par le 
tirage au sort sur tous les hommes valides de 16 à 40 ans. 



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— 287 — 

Toutes ces troupes, dès les années 1704 et suivantes, 
furent munies du fusil à silex avec baïonnette à douille, 
cartouches et giberne. On ne vit plus de piques que dans 
quelques bataillons de milices ou de garnison sédentaire. 
La profondeur fut réduite à quatre rangs, qui pouvaient soit 
se réduire encore à trois ou à deux par un doublement des 
files, soit s'additionner en colonnes de masses. Pour le reste 
les anciennes évolutions et formations des piquiers et mous- 
quetaires mélangés furent conservées pendant bon nombre 
d'années encore, anomalie fâcheuse qui marquait un vrai 
recul de la tactique au milieu de tant de progrès. 

La cavalerie s'était aussi fort accrue, surtout en troupes 
légères. Aux 16 anciennes compagnies d'ordonnance, for- 
mant 8 escadrons de gendarmerie, s'ajoutèrent 24 régiments 
de grosse cavalerie et une soixantaine de cavalerie légère, 
dont 45 de dragons, A l'exemple des Hongrois on avait 
réuni deux régiments de hussards; il fut encore créé un 
régiment spécial de carabiniers ^ appelé aussi brigade, à 
l'effectif considérable de cent compagnies ou cinq brigades 
de quatre escadrons, ce qui équivalait à cinq régiments ordi- 
naires. Dans l'origine les carabiniers, armés de carabines 
rayées et choisis parmi les plus habiles tireurs de chaque 
régiment, ne constituaient point un corps séparé; ils for- 
maient, à peu près comme les anciens grenadiers dans l'in- 
fanterie, une tête de colonne dans chaque régiment. Mais 
depuis la bataille de Fleurus , où ils avaient rendu de très 
bons services en corps, on en avait formé le régiment sus- 
indiqué. 

La grosse cavalerie avait repris la demi-cuirasse, et Feu- 
quières demandait plus encore pour elle; il désirait une 
cuirasse entière, à l'épreuve de la balle. 

La force des régiments variait de 6 à 12 compagnies, cha- 



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— 288 — 

cune de 90 à 40 hommes seulement ; les escadrons se com- 
posaient de trois à quatre compagnies, ce qui ne donnait 
que deux à trois escadrons pour le régiment. Cet effectif si 
faible en proportion des cadres provoquait de nombreuses 
et justes plaintes, dont Feuquières et Puységur notamment 
se firent les éloquents organes. Ils nous apprennent, à cette 
occasion, que les grandes armées de la guerre de Succession 
comptaient bien environ 200 colonels de cavalerie et autant 
d'infanterie sans troupe, restant aux ordres du grand état- 
major pour les services occasionnels. 

Toute la cavalerie était armée de feux, soit de mousquets, 
fusils ou carabines, soit de pistolets, et elle en faisait grand 
usage. Elle tirait à toutes les allures, même au galop, ce qui 
laisse juger du degré d'efficacité réelle que pouvaient avoir 
ces tirailleries. 

Les cavaliers se plaçaient sur 3 rangs, qu'on réduisait 
parfois à 2 ; les rangs à 4 pas de distance ; les escadrons à 
intervalles du quart à la totalité du front. Les évolutions 
étaient généralement peu développées et peu régulières; 
les conversions se faisaient ou par escadron et compagnie, 
ou en doublant les rangs. En résumé cette arme , un peu 
retombée dans l'enfance, avait de grands progrès à réaliser 
pour reprendre son niveau. En attendant, la matière pre- 
mière était là, excellente, abondante et ne demandant qu'à 
être travaillée avec un peu d'habileté et de jugement pour 
aboutir aux meilleurs résultats. 

En fait de cavalerie et d'infanterie, il faut encore mention- 
ner la maison militaire du Roi , se composant alors comme 
suit: 

l» Quatre compagnies de gardes du corps à cheval, fortes 
de chacune 300 chevaux se répartissant en six brigades. La 
compagnie était commandée par un capitaine, un lieutenant 
et trois enseignes. 



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— 289 — 

2^' Une compagnie de chevau-légers et une de gendarmes, 
une de grenadiers et deux de mousquetaires à cheval , de 
200 hommes chacune , plus un grand nombre d'officiers et 
de sous-officiers. 

Ces compagnies d'élite, réunies aux huit escadrons de 
l'ancienne gendarmerie , formaient une réserve spéciale de 
grosse cavalerie. 

L'infanterie se composait de la garde des Gent-Suisses, 
d'un régiment suisse et d'un régiment français. Les Gent- 
Suisses formaient une compagnie de 2 à 300 hommes avec 
cinq officiers. 

Le régiment des gardes suisses comptait 12 compagnies 
de 200 hommes chacune, formant 4 bataillons; celui des 
gardes françaises 32 compagnies de 110 à 130 hommes, 
formant 4 à 6 bataillons. 

Ge qui faisait un total d'environ 10 mille hommes , avec 
3 mille chevaux, y compris la gendarmerie, pour la maison 
du Roi. 

L'artillerie avait, comme nous l'avons déjà dit, pris une 
grande extension ; ce fut à peu près tout. Jusqu'à Gribeau- 
val , sous le roi Louis XV, on se servit d'un matériel infé- 
rieur, le même pour le siège et pour la campagne, à savoir 
des pièces longues aux calibres de 36, 24, 16, 12, 8 et 4 
livres , réparties très confusément parmi les troupes, sans 
avoir encore l'unité tactique de la batterie. Les bouches à feu 
fabriquées pendant le règne de Louis XIV atteignent à un 
chiffre colossal, nécessité par le grand nombre de places for- 
tes et de lignes retranchées qui entraient dans les opérations 
habituelles. Il serait difficile d'établir ce chiffre exactement, 
vu les fortes quantités de pièces perdues, reprises et reper- 
dues ; mais les armées de campagne en avaient en moyenne 
de 1 à 2 pour mille hommes d'infanterie et de cavalerie, 

TOME II. 19 



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— 290 — 

X 

tirant convenablement à environ 300 pas, leur portée ordi- 
naire de combat. 

Si le matériel ne fit pas de grands progrès sous Louis XIV, 
il en fut différemment du personnel ; on doit à son gouver- 
nement les premières troupes permanentes d*artillerie ins- 
tituées en France. 

Auparavant les pièces étaient desservies par des hommes 
de corvée de l'infanterie et par des ouvriers spéciaux sous 
la direction de maîtres canonniers et de commissaires, assez 
mal vus des troupes. Dès Tan 1670 cela changea du tout au 
tout. Douze compagnies de canonniers, six bataillons de 
fusiliers d'artillerie, 12 compagnies de bombardiers furent 
successivement créés, puis fusionnés en un régiment de 
royal-artillerie et de royal-bombardiers, qui furent eux- 
mêmes réunis, en 1720, en un seul régiment royal-artillerie, 
de sept bataillons à 13 compagnies chacun. 

A la tête de toute l'artillerie était un grand-maître, qui 
remplaça le grand-maître des arbalétriers, assisté de soixante 
lieutenants et de quelques centaines de commissaires, d'offi- 
ciers pointeurs, etc., charges qui devinrent bientôt aussi 
recherchées, même par la noblesse, qu'elles étaient mépri- 
sées précédemment. Cinq garnisons et écoles d'artillerie 
urent établies à Metz, Strassbourg, Grenoble, Perpignan et 
La Fère , qui ne tarderaient pas à donner de bons fruits et 
à faire progresser le matériel autant que le personnel. 

Le génie et la fortification se développèrent dans une 
mesure bien plus grande encore. Les sièges et les retran- 
chements de campagne eurent dans toutes les guerres une 
part importante. Souvent elle fut même excessive et désas- 
treuse au point de vue des opérations générales ; mais la 
partie technique n'en fît pas moins de grands progrès. Ils 
furent en partie dus à Tingénieur-chef Pagan, puis et sur- 
tout à son successeur Vauban, dont nous dirons quelques 



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— 291 — 

mots de plus, basés sur Tautorité si compétente de M. le 
lieutenant-colonel du génie de la Barre-Duparcq : 

c Sébastien Le Prestre de Vauban naquit à St-Léger de 
Fourcheut en 1633. Entré au service à dix-sept ans, il devint 
par son seul mérite lieutenant-général (août 1688), et com- 
missaire général des fortifications, emploi supprimé à sa 
mort. Il bâtit 33 places, en répara près de 300, et fit « 53 
sièges en chef, dont une vingtaine en présence du roi 
(Louis XIV), qui crut se faire maréchal de France lui-même 
et honorer ses propres lauriers » en lui donnant le bâton 
(1703), et en le nommant chevalier de l'Ordre (1705).... 

L'Académie des sciences s'associa Vauban en 1699. Ce 
grand ingénieur a laissé de bons mémoires sur l'attaque et la 
défense des places, composés pour l'instruction du duc de 
Bourgogne, élève de Fénélon; on les trouve dans ses Oisi- 
vetés, recueil de douze gros volumes manuscrits où il donne 
ses idées sur la discipline militaire, les manœuvres, les 
constructions 

Toujours attaquant, jamais défenseur, Vauban a donné 
à l'attaque une grande supériorité sur la défense. En 1673, 
au siège de Maestricht, auquel assistait Louis XFV, il inventa 
les parallèles, grandes places d'armes, parallèles aux ouvra- 
ges de la place, qui relient tous les zig-zags ou cheminements 
sur les capitales. Au siège de Luxembourg (1683), il fit cons- 
truire des cavaliers de tranchée, retranchements du moment 
assez élevés pour avoir des feux plongeants sur le terre-plein 
du chemin couvert. En juin 1697, au siège d'Ath, il fit pour 
la seconde fois {*) tirer l'artillerie à ricochet: ce nouveau tir 
donna d'excellents résultats : malgré la présence de Coëhorn 
qui défendait la place, les Français ne perdirent que cin- 
quante hommes. 

(1) Le premier essai a eu lieu au siège de Philippsbourg, qui se rendit le 30 
octobre 1688. 



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— t»2 — 

Il semble que Vauban c aurait dû trahir les secrets de son 
art par la grande quantité d'ouvrages sortis de ses mains (*) ; » 
mais il n'a rien écrit sur le tracé des fortifications: sa 
méthode ne se trouve que dans les travaux qu'il a fait 
exécuter^ et se divise en trois tracés. Le second et le troi- 
sième sont supérieurs au premier « par la grandeur des 
contre-gardes, la saillie des demi-lunes, mais la dépense est 
presque le double. Cette raison, jointe à ce que le premier 
a reçu des améliorations importantes de Gormontaingne, a 
fait préférer jusqu'à présent le premier. » 

Premier tracé. — Vauban a fortifié la majeure partie de 
nos places par ce tracé, modifié dans l'application suivant 
les terrains. Nous citerons comme exemples : 

Enceinte carrée : — Le fort Louis du Rhin. 

Enceinte pentagonale : — Huningue, construite pour tenir 
Bâle en respect, le fort de Scarpe à Douai, et le fort Saint- 
François à Aire. 

Enceinte hexagonale : — Phalsbourg, qui ferme les défilés 
des Vosges ; Saarlouis, qui couvre l'intervalle entre les Vosges 
et la Moselle. 

Enceinte heptagonale : Maubeuge. 

Enceinte octogonale: Schelestadt, bâtie en 4675; Menin, 
démolie en 1744, et Fribourg en Brisgau, démohe en 1745, 
une des plus fortes places construites par Vauban. 

Enceinte ennéagonale : Toul, bâtie en 1700. 

Dans ce tracé Vauban écarte, comme Pagan et Goëhorn, 
son flanc de la perpendiculaire, et le dirige de façon que tous 
les coups partis de ce flanc puissent atteindre le saillant du 
bastion. Il donne 180 toises (351 mètres) à son côté extérieur, 
et prend la perpendiculaire de son front égale à un huitième 
du côté extérieur pour le carré, un septième pour le penta- 
gone, et un sixième pour les polygones d'un plus grand 

(1) Fontenelle. 



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— 293 — 

nombre de côtés. Ses flancs sont concaves et garnis d'oril- 
lons. Devant la courtine il met une demi-lune avec flancs. 

Les flancs concaves et à orillons entraînent plus d'incon- 
vénients qu'on ne peut en tirer d'utilité: Vauban le reconnut 
lui-même. Ils étranglent et diminuent la capacité du bastion. 
L'orillon cache bien une pièce, mais cet avantage est minime, 
car on peut la démonter par la bombe. Un orillon est fort 
cher à construire, et la dépense d'un flanc droit à un flanc 
concave est comme 6 est à il. Suivant Cormontaingne, il 
y a une économie de 45,000 fr. à préférer un flanc droit à un 
flanc concave. Vauban a fai* les flancs rectilignes aux cita- 
delles de Lille, d'Arras, aux villes d'Ath, de Charleroi. Il les 
a faits à orillons à Menin, Saarlouis, Huningue, Longwy, 
Maubeuge, Phalsbourg, à la citadelle de Strasbourg. 

Deuxième tracé. — Ce tracé, appliqué à Landau, construit 
en 1683, « pour rendre Philipsbourg inutile et défendre 
l'entrée de l'Alsace par le nord, » se distingue en ce que les 
bastions y sont très petits ; on leur donne le nom de tours 
bastionnées. Ils ont l'avantage d'échapper par leur petitesse 
au ricochet et aux bombes, et sont cachés à l'ennemi par 
des contre-gardes. La demi-lune a plus de saillie et défend 
mieux les saillants des bastions. 

Troisième tracé. — Le troisième tracé ne diffère du pré- 
cédent qu'en ce que la courtine, qui joint les tours bastion- 
nées, est elle-même brisée suivant la forme bastionnée. 

Ce ne fut que vers 1700 que Vauban traça, d'après ce der- 
nier modèle, les fronts de Neuf-Brisach , c'est-à-dire après 
qu'il fut parvenu à son plus haut degré de science. Il y fit 
des demi-lunes dans lesquelles il plaça de bons réduits avec 
des flancs qui jouissent de grandes propriétés. « Il aimait 
tant les réduits de demi-lune qu'il en fit tout autant qu'il en 
a trouvé l'occasion, dit Thomassin, ingénieur contemporain 
de Vauban. » , 



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— 294 — 

Gormontaingne entra vers 4716 dans le corps du génie, 
y servit avec réputation, et mourut en 1752, directeur des 
fortifications de la Moselle et maréchal-de-camp. Bien moins 
célèbre que Vauban, dont il fut le successeur, il donna pour- 
tant une extension remarquable à Tart de la fortification. 
Son nom est une autorité dans toute question relative non- 
sjeulement à la fortification , mais encore à l'attaque et à la 
défense des places. Il fit plusieurs sièges, de 1713 à 1745, 
et perfectionna, tout en la régénérant, l'arme du génie, 
dont Vauban, qui proposa en 1669 la création des sapeurs, 
peut être considéré comme le fondateur. 

Gormontaingne osa le premier rectifier Vauban : malgré 
la jalousie de ses contemporains, ses idées furent générale- 
ment admises. Il fit prévaloir le tracé à grandes demi-lunes 
que « le grand preneur de places de Louis XIV » avait adopté 
à la fin de sa carrière; il construisit à Metz, en 1728, la 
double couronne de Moselle^ et en 1733 celle de Belle-Croix : 
à Thionville le couronné d'Yutz, et au château de Bitche des 
ouvrages importants qui en ont fait une place digne de 
devenir la citadelle d'une place de premier ordre, dont il 
avait formé le projet. Dans la double couronne de Belle- 
Croix, il approcha le plus de ce qu'il appelle le hon modèle^ 
c'est-à-dire le tracé type qu'il donna peu de temps avant sa 
mort. Il a laissé de nombreux mémoires qui ont transpiré 
par extraits, soit de son vivant, soit après lui, sous différentes 
formes : on les a réunis en corps d'ouvrage : nous n'en cite- 
rons qu'un seul, où ses principes pour la construction des 
places sont résumés succinctement. Il est intitulé : Mémorial 
pour la fortification permanente et passagère, Paris, 1809 (*). 

Le corps du génie, dont il est question dans les lignes, 
ci-dessus, autre création du gouvernement de Louis XIV, 

(1) De la Barre-Duparcq. De la fortification à l'usage des gens du inonde; 
Paris 1844. Broch. in-8», pages 45-51. 



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- 295 — 

comptait à la fin du règne, quatre compagnies de mineurs, 
autant de sapeurs et environ 300 ingénieurs {*) divisés en 
trois catégories, les directeurs de fortifications, les ingé- 
nieurs-chefs, les ingénieurs, sans compter les candidats et 
les trésoriers» Un directeur général des fortifications de terre 
et de mer, ne relevant que du roi, était à la tête du corps 
et en temps çle guerre il disposait encore d*un grand nombre 
d'ingénieurs volontaires militaires ou civils, qu'on créait 
inspecteurs des travaux. Quoiqu'illustré par Vauban, puis par 
Cormontaingne, par Thomassin, par Lepara et par d'autres 
encore, ce corps, qui demandait à la fois tant de conriais- 
sances, d'activité et de froide bravoure, fut longtemps comme 
l'artillerie dédaigné par l'armée et surtout par la noblesse, 
qui y voyaient trop d'ouvriers et d'artisans et pas assez de 
combattants proprement dits. Nouvelle et singulière ano- 
malie dans un temps où l'on poussa jusqu'à l'abus l'emploi 
des fortifications, places régulières et remuements de terre 
improvisés ; dans un temps qui nous montre si souvent les 
armées se blottissant dans des camps retranchés et derrière 
des lignes péniblement élevés, d'où elles ne pouvaient sor- 
tir que par d'autres pénibles travaux des sapeurs pour leur 
tracer des chemins ! 

Quoiqu'il en soit le génie compta désormais comme un 
corps, presque comme une arme, quoique plus tard on ait 
tenté de l'englober, pendant quelques années, dans l'artille- 
rie devenue promptement un corps d'élite fort recherché et 
non moins absorbant. — En même temps que les forteresses, 
d'autres grandes et utiles constructions furent entreprises, 
notamment le bel hôtel des Invahdes. 

(1) Cormontaingne, dans son Mémorial sur la fortification, dit qu'il y avait 600 
ingénieurs à la fin du règne de Louis XIV ; mais le colonel Augoyat, qui a récem- 
ment publié dans le Spectateur militaire une série d'articles sur le génie et les 
ingénieurs, remarquables de science et d'exactitude, conteste le chiffre de Cor- 
montaingne et donne celui que nous indiquons ci-dessus. Voir Spectateur mili^ 
taire de 1857 et 1858. 



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— 296 — 

En d'autres branches encore, d'un caractère moins spécial, 
le règne de Louis XIV réalisa de notables améliorations qui 
servirent de germes à bon nombre d'auftres. 

Le service en général, instruction, tenue, discipline, fut 
l'objet de soins constants pendant la paix. Si la tactique 
même se perfectionna peu, on 'pratiqua au moins celle en 
vigueur avec une parfaite aisance. Des exercices, des revues 
en grand nombre tenaient les forces militaires en haleine 
et toujours disponibles. Un vaste camp de manœuvre d'une 
soixantaine de mille hommes fut aussi réuni à Gompiègne, 
en 1698, sous le commandement du maréchal Boufflers, et 
si à la vérité le luxe et l'étiquette monarchique y firent une 
nuisible invasion avec le roi et toute sa cour, sans oublier 
M"»e de MainLenon, (•) les troupes n'en furent pas moins 
rompues à la manœuvre, aux évolutions, aux soins de détail, 
à tout le service, et un premier exemple fort utile fut ainsi 
donné, qui porta plus tard d'excellents fruits dans divers 
pays de l'Europe, en Prusse surtout, ainsi qu'en France 
même. 

La tenue ne pouvait manquer d'être également perfec- 
tionnée sous un tel régime et elle le fut en effet, mais avec 
plus d'apparat et de coquetterie que d'esprit pratique. L'ha- 
billement, qui était précédemment l'afiaire des compagnies 
et des capitaines, devint celle des régiments et de l'Etat ; 
il fut réglementé pour la forme, la couleur, l'ornementa- 
tion dans tous les corps. C'est en ce sens qu'on a pu dire 
avec quelque exagération que Louis XIV fut le créateur de 
la tenue uniforme. 

La hiérarchie reçut de nombreux compléments et fut 
assise sur des bases aussi solides que simples. La grande 
charge du colonel général de l'infanterie fut Supprimée ; le 

(1) Voir le piquant chapitre 14 des Mémoires de St-Slmon sur ce sujet. II, 20O. 



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— 297 — 

roi et son ministre de la guerre se mirent à sa place et se 
passèrent fort bien de cet intermédiaire. 

Au haut de l'échelle se trouvaient les maréchaux de 
France^ qui étaient au nombre d'une vingtaine à la fm du 
règne, et qui commandaient ordinairement une armée ; puis 
les lieutenants-généraux, commandants d'aile ; les maré- 
chaux de camp, commandants de fractions d'ailes corres- 
pondant à peu près à nos divisions d'armée actuelles ; les 
brigadiers, commandant les brigades ou réunion de plu- 
sieurs bataillons ou escadrons, existant régulièrement depuis 
Turenne; enfin les colonels, lieutenants-colonels, majors 
et les officiers subalternes commandant la troupe. Les fonc- 
tions d'état-major étaient remplies par des officiers supé- 
rieurs du titre de maréchal-général des logis, maréchal des 
logis, maréchal de bataille, sergent de bataille, major géné- 
ral d'infanterie, de cavalerie, de dragons, d'artillerie, de 
brigade, échelle de grades qui existe encore à peu près 
entière, sous quelques titres différents, dans la plupart des 
armées européennes. 

Un des meilleurs principes de la hiérarchie fut introduit 
par le gouvernement de Louis XIV comme règle fondamen- 
tale du service et de l'avancement, à savoir le principe de 
l'ancienneté, Vordre du tableau. Fait curieux et non moins 
instructif, que cette sauvegarde des droits des officiers au 
détriment de ceux de l'autorité venant du monarque le 
plus absolu et le plus puissant de l'Europe moderne ! C'est 
qu'il dut constater qu'elle est aussi la meilleure sauve- 
garde contre des erreurs et des abus de l'autorité qui 
peuvent devenir une source amère de désordres et de dan- 
gers, et Louis XIV sut en cela sacrifier l'accessoire au prin* 
cipal, son prestige et ses goûts de commandement à la 
bonne harmonie dans ses cadres. Quand deux officiers du 
même grade se trouvaient en contact, au lieu d'étabhr l'un 



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- 298 — 

au-dessus de l'autre par le fait d'un décret, il laissa le décret 
aux chances suprêmes, c'est-à-dire à l'ancienneté d'âge, qui 
est bien quelque chose, il faut le reconnaître, parmi des 
hommes ayant souvent vu la mort en face et moissonnant 
leurs alentours. Des cheveux blancs qui ont traversé les 
périls des champs de bataille ou seulement les épines ordi- 
naires de la vie, constituent au moins une marque de bon-, 
heur, à défaut d'autre recommandation, qui impose plus 
aisément la subordination et le respect qu'un acte gouver- 
nemental venu de fort loin peut-être et souvent influencé 
par des vues particulières ou par de simples caprices per- 
sonnels. Il est d'ailleurs assez naturel qu'en fait de favori- 
tisme et d'arbitraire le cœur humain accepte mieux ceux de 
la Providence que ceux des gouvernements. 

Cette bienfaisante et judicieuse règle de l'ancienneté se 
consolida si promptement et fut si bien respectée de tous 
qu'on admira généralement comme un acte digne de l'anti- 
que Rome, le fait du maréchal Boufflers, envoyé à l'armée 
de Flandres en 1709 comme remplaçant éventuel du maré- 
chal Villars, son cadet, et s'y mettant cependant sous les 
ordres de celui-ci pour la bataille de Malplaquet. La règle 
prit aussi une haute influence sur les avancements, et rare- 
ment on s'en départit dans les promotions ordinaires d'offi- 
ciers également signalés pour leur mérite. A tel point que 
même un étranger, un brillant étranger, il est vrai, Mau- 
rice de Saxe, osait se plaindre amèrement, sous le règne 
suivant, de l'avancement donné au prince de Gonti, mem- 
bre cependant de la famille royale. (*) Aujourd'hui ce pri- 

(1) « Je sais le respect dû aux princes de la maison de France, disait Mauiice de 
Saxe au duc deLuynes en 1746, et je ne m'en écarterai jamais ; que le roi les déclare 
tous généralissimes de ses armées au berceau, je n'ai rien à dire; mais que 
M. le prince de Gonti ait acquis ce titre comme une récompense de ses services, 
je crois avoir le droit de me plaindre, v Sainte-Beuve, nouveaux lundis, tome XI, 
page 78. Maurice de Saxe, d'après les lettres et documents inédits des archives 
de Dresde publiés pai* M. le comte Vitzthum d'Eckstaedt. 



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~ 299 - 

vilége de l'ancienneté est devenu de droit commun dans 
toutes les armées civilisées. A grade égal, l'ancienneté a 
partout et toujours le commandement dans le service, de 
même qu'elle a, dans les avancements, une part déterminée 
et assurée par des lois. {*) 

Au point de vue de la grande tactique, de la stratégie, de 
l'art de la guerre en général, nous avons déjà montré, dans 
nos esquisses historiques et particulièrement dans celle de 
la guerre de la Succession, quels étaient les titres de cette 
période ; ils se trouvent d'ailleurs résumés dans les écrits 
des trois praticiens et critiques distingués dont nous avons 
souvent parlé, Feuquières, Puységur, Folard. Avec leurs 
qualités et leurs défauts, les ouvrages de ces généraux sont 
bien l'expression de l'état de l'art militaire sous Louis XIV, 
et si l'on y constate maints progrès sur leurs devanciers il 
faut reconnaître qu'ils sont encore loin de répondre à l'idéal 
que des officiers de notre temps peuvent se faire de leur 
art. (2) 

Les progrès effectués n'en étaient pas moins réels et 
divers. Les ordres de bataille s'étaient perfectionnés, avaient 
acquis plus de liberté tout en se basant sur le principe nor- 
mal de deux lignes à intervalles et d'une réserve. {^) 

Maints généraux de tous pays avaient montré à l'envi le 
parti qu'on peut tirer de la bonne direction des marches et 
de la manœuvre dans les batailles. Grâce à eux on n'en 
était plus aux simples et vastes affaires de front, aux tumul- 

(1) La Suisse, qui a, il est vrai, une organisation de milices, est le seul pays à 
notre connaissance qui, depuis quelques années, ail essayé de faire exception à 
cette règle. Nous souhaitons qu'elle ne s'en repente pas quand viendra le moment 
de se s rvir sérieusement d'une armée où s'introduisent ainsi tant de ferments 
de désordre et de désunion. 

(2) Voir dans notre volume Jomini, sa vie et ses écrits, le chapitre : Des écriu 
antérieurs à Jomini et notamment les articles concernant les auteurs précitéa 
pages 284-293. 

(3) Voir sur ce point le chapitre 14, Ordres de bataille, de Puységur, I, pag. 306. 



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— 300 — 

tueuses et rétives conflagrations de masses comme dans 
tant de batailles antérieures ; si Ton avait trop longtemps, 
a-t-on dit, combattu sans manœuvrer et manœuvré sans 
combattre, maints généraux avaient su faire Tinverse. Parmi 
ces derniers maîtres, formant comme une resplendissante 
auréole autour de la grande figure de Louis XIV, (*) quatre 
à cinq, Turenne, Condé, Montecuculi, Eugène et surtout 
Marlborough, dépassent les autres de la tête. En particu- 
lier les campagnes du général anglais, à plus forts effectifs 
et à plus larges combinaisons que celles de Turenne, par 
suite de l'extension même des questions politiques et du 
théâtre de la lutte, sont autant de leçons d'excellente straté- 
gie, de même que ses victoires de Hœchstedt, de Ramillies, 
d'Oudenarde et de Malplaquet, batailles vraiment esthéti- 
ques, sont autant d'admirables cours de grande tactique, 
encore bons à méditer. (2) 

Restait à l'art de la guerre, tel qu'il sortait des mains 
de ces capitaines, à se perfectionner dans la tactique élé- 
mentaire, qui est mieux l'œuvre de la paix et des camps 



(l)On ferait, il nous semble, un frappant résumé d'art et d'histoire en grou- 
pant ces diverses figures dans deux tableaux en pendants, dont l'un représente- 
rait Louis XIV entouré de Turenne, Condé, Louvois, Vauban, Colbert, Tounille. 
au premier rang, avec Catinat, Luxembourg, Villars, BoufUers, Duguay-Trouin, 
Berwick, Vendonne, Créqui, Schomberg, Jean-Bartau second rang, et dont l'autre 
comprendrait Guillaume d'Orange et Marlborough, entourés de Montecuculi, du 
prince Eugène, de Heinsius, de Tromp, de Ruyter, de Mercy, de Cœhorn, d'Over. 
kerque, du duc de Lorraine. ^ 

(2) Pour suivre le détail des campagnes et des batailles de Marlborough, voir 
surtout, à côté des écrits militaires de Feuquières et Puységur, le bel Atlas des 
guerres de la Succession par le général Pelet, directeur du dépôt de la guerre de 
Paris en 1838-18tô, 6 volumes in-folio de planches et de légendes, accompagnant 
les 9 volumes de Mémoires militaires relatifs à la succession d'Espagne sous 
Louis XIV, feisant partie de la grande Collection des documents inédits sur 
l'histoire de France. 1835-1862. Pour les opérations générales on peut se con- 
tenter de YHistoire de Marlborough dont nous parlons page 224. Quoique élabo- 
rée par ordre de Napoléon, cette histoire est fort défectueuse, nous le répétons, 
au point de vue militaire ; maints renseignements essentiels y font défaut ou sont 
ensevelis sous d'oiseux détails. Néanmoins la partie panégyrique n'est pas trop 
mal rendue ; l'on pourrait presque la considérer comme une réparation anticipée 



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- 301 - 

d'instruction que de la guerre elle-même. Il devait encore 
s'émanciper davantage des embarrassants magasins, des 
places fortes innombrables, de l'abus des lignes retranchées 
et de la « guerre des taupes », des stéréotypes positions 
d'observation, des camps trop fastueux, des interminables 
bagages, des inévitables quartiers d'hiver et d'autres routi- 
nes et impedimenta énervant et alourdissant les armées. 
Mais pour atteindre à ce haut degré de perfection, dont cha- 
que sous-lieutenant de l'an 1870 peut fort bien avoir une 
juste idée, il fallait rompre avec beaucoup d'habitudes très- 
impérieuses alors, avec beaucoup de traditions fort respec- 
tables, et les vieilles monarchies militaires de l'Europe, molle- 
ment couchées sur leurs lauriers, se trouvaient peu en état 
d'entreprendre cette rupture qui était toute une révolution. Il 
fallait que déjeunes Etats s'en mêlassent et que leurs expé- 
riences plus libres de préjugés, jointes à la nécessité bien 
démontrée, imposassent à d'autres le progrès avec l'aide 
persuasive des revers. 

Ainsi ce ne fut ni à la France, ni à l'Autriche, ni à l'Espagne, 
ni à l'Angleterre, ni à la Suède, ni à Tltalie, ni à la Suisse, ces 
patries de tant de brillants soldats des siècles antérieurs, 
qu'échut le premier rang dans les affaires militaires du XVIIή 
siècle. Ce glorieux héritage fut recueilli, pour le moment, par 
un petit et modeste royaume, le cadet entre tous, n'ayant 
encore eu que des rôles d'auxiliaire ou de subordonné, 

de la regretuble lacune des Dictées de Sainte- Hélène^ où sont analysées les prin- 
cipales campagnes des capitaines de tous les temps, en laissant de côté Marlbo- 
rough. Si cet oubli provint des sentiments amers que rinfortuné prisonnier des 
Anglais était bien en droit de nourrir contre ses durs geôliers, on peut dire que sa 
petite vengeance eut un plein succès. Aujourd'hui encore le généralissime de la 
Grande- Alliance est plus connu en France et dans quelques autres pays par la 
célèbre complainte de sa femme que par le mérite de ses opérations. L'injuste 
habitude s'est prise d'ignorer ses lauriers ou de les reporter sur d'autres, notam- 
ment sur le prince Eugène, et l'on doit reconnaître que l'ingratitude des Anglais 
eux-mêmes envers leur grand compatriote, par suite de mesquines dissensions 
politiques, n'a pas peu contribué à ce résultat. 



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— 302 — 

mais qui s'était sans cesse perfectionné et renforcé dans son 
état militaire ; qui avait suivi attentivement ce qui se passait 
autour de lui, s'arrondissant patiemment des ruines et des 
miettes de ses divers voisins, s'instruisant à toutes les écoles 
et qui sut en particulier admirer et imiter l'habile Marlbo- 
rough tandis qu'ailleurs on ne s'appliquait qu'à le chan- 
sonner. 

Nous voulons parler de la Prusse et de son grand roi. Ils 
vont maintenant fixer notre attention, en attendant que nous 
passions à l'Amérique de Washington pour revenir enfin 
à la France de la Révolution et de Napoléon. 

Nous avions tout d'abord espéré faire entrer les esquisses 
de la guerre de Sept- Ans et de l'Indépendance américaine 
dans le présent volume; mais nous avons dû, après plus 
ample examen, reconnaître l'impossibilité de condenser à ce 
point cette importante matière sans nuire à sa clarté. Nous 
nous sommes donc décidés à réserver ces deux chapitres et 
celui des guerres de Napoléon, pour un volume à part, qui 
se terminera par un appendice sur les principales guerres 
contemporaines. 



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TABLE DES MATIÈRES. 



Avant -propos clo la 2« édition. 

^CHAPITRE I. 
Goerres dltalie (1^94-1S59). 

Conquête passagère de Naples par les Français de Charles VIII. 
Expéditions de Louis XII, avec Taide des Suisses ; conquête et perte 
rapide du Milanais. Siège de Novare. Louis-le-More livré par un de 
ses soldats suisses aux Français qui reprennent le Milanais. Partage 
perflde du royaume de Naples entre les rois de France et d'Espagne^ 
se terminant par l'expulsion des Français de l'Italie méridionale. Ligue 
de Cambrai contre les Vénitiens battus à Agnadel. Sainte-Ligue contre 
la France contenue par la victoire de Gaston, duc de Nemours, à Ra- 
venne. Les Suisses mécontents de Louis XII rétablissent le duché de 
Milan et deviennent les protecteurs du St-Siége. Les Français sous la 
Trémouille et Trivulzio reprennent le Milanais. Ils sont battus à No- 
vare par les Suisses, qui vont ensuite assiéger Dijon. Traité de Dijon 
par lequel La Trémouille se débarrasse adroitement des Suisses. — 
François I reconquiert le Milanais. Renouvellement de la Ste-Ligule, 
dont tout le poids tombe sur les Suisses, qui sont battus à Marignan. 
Grandes luttes de François I et de Charles-Quint. Les Suisses, retour- 
nés à la France, lui font perdre la bataille de la Bicoque par d'ino* 
portuns assauts, et par suite toute la Lombardie. La France est enta-- 
mée à son tour. François I repousse l'invasion et rentre en Italie se- 
condé de 10 mille Suisses. Il est battu et fait prisonnier à Pavie. la- 



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306 TABLE DES HATIERES. I 

stitutions militaires des Suisses. Leur tactique et leur ordre de ba- 
taille. Leurs fameux piquiers étaient en quelque sorte des chevaliers 
à pied plutôt que des imitateurs des phalangistes grecs. Opinion des 
hommes d'état italiens sur les grandes destinées que les Suisses man- 
quèrent à cette époque. — Traité de Madrid. Reprise de la guerre en- 
tre la France etTEmpire. Les légions de François L Charles-Quint en 
Provence ; les Ottomans alliés des Français. Paix finale de Cateau- 
Gambrésy. — Les huit guerres de religion en France. Bataille d'Ivry. 
Henri IV et Famése. Résumé des progrès de l'art militaire pendant 
le 16e siècle 'Pages 1-84. 

CHAPITRE IL 

Gaerre de Treote-Aos. — Gustaye-idolpke. 

Origine et préliminaires de la guerre de Trente-Ans. Les protestants 
allemands contre l'Empire. La Bohême insurgée est écrasée par les Im- 
périaux de Tilly. L'électeur palatin Frédéric V dépouillé de ses propres 
états. Les protestants abattus et terrorisés invoquent Tappui de leur co- 
religionnaires. Le roi de Danemark Christian IV arrive à leur secours. 
Ils sont battus à Lutter par les forces impériales de Tilly et de Wallen- 
stein; l'armée danoise acculée dans le Jutland. Paix de Lûbeck dure 
au Danemark. La mer Baltique en voie de se transformer en lac alle- 
mand sous le généralissime Wallenstein, devenu grand amiral, duc de 
Friedland et de Mecklembourg. La Suède entre en ligne pour secou- 
rir les protestants. Gustave-Adolphe. Institutions militaires des Sué- 
dois, leur tactique, leurs ordres de bataille. Leur établissemant à Stet- 
tin et Stralsund favorisé par la disgrâce de Wallenstein. Traité franco- 
suédois de Berwald. Sièges divers et guerre de positions. Prise de 
Francfort sur l'Oder par Gustave. Sac de Magdebourg par Tilly. Le 
Brandebourg et la Saxe forcés d'entrer plus nettement dans Talliance 
suédoise. Victoire de Gustave sur Tilly à Breitenfeld. Il marche sur 
la Ligue et le Rhin, occupe Francfort et Mayence, délivre Nuremberg^ 
bat de nouveau Tilly sur le Lech, occupe Munich, prend position à 
Nuremberg, où une formidable lutte s'engage entre lui et Wallenstein 
prétendant l'assiéger. Abandon des lignes de Nuremberg pour opérer 
en Saxe. Bataille de Lutzen, où W^allenstein est défait mais Gustave 
tué Pages 85-154. 



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TABLE DES MATIÈRES. 307 

CHAPITRE III. 

Le8 VeimarieDS. — Débats de Torenne et de Condé. — 
Fin de la guerre de Trente-lDs. 

Ligue des protestants à Heilbronn pour la continuation de la guerre 
sous Bernard de Weimar et Oxenstiem. Ils sont battus à Nordlingen, ce 
qui force la France à prendre directement leur cause en main. Péripé- 
ties nombreuses. Belles opérations des élèves et successeurs suédois de 
Gustave, entr'autres de Bernard de Weimar, de Banner, de Torstenson ; 
guerre simultanée en Italie, en Belgique, en Espagne. Turenne suc- 
cède à Guébriant qui avait remplacé Bernard de Weimar. Victoire du 
jeune prince de Gondé à Rocroy ; bataille de Fribourg de Condé et 
Turenne contre Mercy ; de Nordlingen ; prise de Dunkerque et vic- 
toire de Lens par Condé. Habiles opérations de Turenne l'amenant au 
cœur de la Bavière. Traité de Westphalie terminant la guerre de Trente- 
Ans. Période transitoire au point de vue militaire . Pages 155-195. 

CHAPITRE IV. 

Guerres de Louis UV. — Condé, Turenne, Vanban, louvois. — larlborough. 

Troubles de la Fronde et bataille des Dunes. Invasion de la Belgi- 
que et de la Franche-Comté par les Français. Traité d'Aix-la-Chapelle. 
Guerre de Hollande; invasion de ce pays par les Français; magnifique 
année 1672 pour Louis XI V^ suivie d'autres beaucoup moins brillantes. 
VaiJante énergie des Hollandais. Guerre sur le Rhin. Belles manœu- 
vres de Montecuculi contre Turenne et vice-versa. Batailles de Sintz- 
heim, d'Entzheim, de Tûrckheim, manœuvres d'Ottenheim et de la 
Renchen; mort de Turenne; nombreux sièges en Belgique; victoire 
de Condé à Seneff. Traité de Nimègue marquant l'apogée de la puis- 
sance de Louis XIV. Augmentations des effectifs et de toutes les res- 
sources dé guerre. Grande coalition d'Augsbourg contre la France. 
Guerre en Allemagne^ en Belgique, en Espagne, en Italie^ en Angle- 
terre où viennent de triompher Guillaume d'Orange et la révolution. 
Victoires des généraux Luxembourg et CatinatàNeerwinden, Fleuras, 
Steinkerque, puis à la Staffarde, à la Marsaglia. Paix de Rysy^ick et 
de Carlowitz. — Guerre générale de la succession d'Espagne. Vastes 
opérations. Vendôme, Villars, Berwick contre le triumvirat de U 



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âOâ tABLE DÈà MÂTIÈREâ. 

Grande-Alliance, Mariborough, le prince Eugène, Heinsius. Défaites 
répétées des Français à Hœchstedt, Ramilies, Oudenarde, Malplaquet. 
Leur compensation à Denain. Traités de Bastadt et d'Utrecht. 

Pages 196-272. 
CHAPITRE V. 

Des institations militaires et des progrès de Kart militaire pendant les guerres 
du siècle de Louis XIX. 

Trois faits capitaux : création de grandes armées régulières et per- 
manentes , introduction complète des armes à feu , perfectionnement 
considérable de la fortification et des sièges. — Etat militaire au com- 
mencement du règne de ^ouis XIV. Effectifs d'abord restreints s'aug- 
mentant par le recrutement à Tintérieur et à l'extérieur et par les 
milices provinciales. Formation et tactique des troupes, profondeur 
de 6 à 10 rangs. Ecole Montecuculi^ piquiers et rondachiers ; école 
Puységur et Feuquières, davantage de feux, Turenne tenant des deux. 
Absence de système rigoureux au milieu du 17^ siècle. Dénomination 
vague de bataillon. Mélanges variés de piquiers et de mousquetaires. 
Création des grenadiers en compagnies avec baïonnette à mancbe. 
Les dragons ; les ordres de bataille. — Etat militaire à la fin du règne 
de Louis XIV. Effectifs beaucoup plus forts, dont une centaine de ba- 
taillons de milices. Fusils à silex et à baïonnette à douille ayec car- 
touches pour toutes les troupes d'infanterie^ profondeur réduite à i 
rangs. Cavalerie légère et dragons fort accrus. Toute la cavalerie ar- 
mée de feux ; demi- cuirasses reprises par la grosse cavalerie. La mai- 
son du Roi. Création d'un personnel d'artillerie. Grand déyelop- 
pement de la fortification et du génie. Note sur Vau'ban et sur Cor- 
montaingne. Amélioration de tout le service en général, tenue, disci- 
pline, instruction. Le camp de Cdmpiègne ; la hiérarchie, Tordre du 
tableau et la règle d'ancienneté. Grande tactique et stratégie bien ren- 
dues par les écrits de Feuquières, Puységur et Folard ; portées à un 
haut degré par les belles campagnes de Marlborough. Ordres de ba- 
taille basés sur le principe de deux lignes à intervalles et d'une ré- 
serve, avec grande liberté de variantes. Progrès restant à accomplir 
par Tart militaire de cette époque pour rendre les armées plus mo- 
biles et leur action plus régulière. Cette mission va échoir, pour le 
moment, à un Etat nouveau et secondaire, à la Prusse. Pages 273-302. 



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EN VENTE 

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Relation historique et eritiqiie de la eanipagne 
d*Itnlie , en 1^59, par F Leco.mte, major à Fétat-major 
f.'drral snis>o. "2<i (ulition. Paris ISGO. ïanera éditeur. — 2 vol. in-8» 

avec cailL* <^ôn»''ralo. l'rix: . . . •. 8 fr. 

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ticjiies, pav F. Lixomte , major fédéral suisse. Paris 1861. Tanera 
éditeur. — 1 vol. grand in-8", avec cartes. Prix : . . . 10 fr. 

lia guerjre des Etats-Unis d'Aniérîifue. Happort au 
Déparlenient militaire suisse, par F. Lecomte, lieut.-colonel fédéral. 
Lausanne, 18G:2. — 1 vol. grand in-8o, avec cartes. Prix : . 5 fr. 

Campagnes de Virginie et de Ilffaryiand en t^Bie. 
Documents officiels traduits de l'anglais avec annotations, par Ferdi- 
nand Ld.omtk, lieutenant-colonel fédéral. Paris, Tanera; 1864. — 
1 vol. in-S», avec cartes. Prix: 5 fr. 

Guerre du Vaneniarfe en i9G#^. Esquisse politique et mi- 
litaire par F. Leco.mte, lieutenant-colonel fédéral. Paris, Tanera; 
Lausanne, Delafontaine et Houge; 186i. 1 vol. grand in-8o avec 4 
planches. Prix: 10 fr. 

Guerre de la ^éeession. Esqi3isse des événements militaires 
et politiipios des Etats-Unis, de 18o0 à 1865, par F. Lecomte, 
colonel IV'déral suisse. Paris, Tanera; Lausanne, Chantrens; 1866- 
1S(>7. 3 vol. grand in-8'» avec caries. Prix: . . . . . 15 fr. 

Guerre de U\ Pruf>ise et de l'Italie eontre FAutrielie 
et la Confédération germanique en tSGG. Relation 
liislw'ique et critique par F. Lecomte, colonel fédéral suisse. Paris, 
Tan(>ra ; Lausanne, Clianlrens; 18G7. 2 vol. grand in-8» avec cartes 
et plans. Prix: 20 fr. 

lie cjénéml «focBiîtii, sa wie et ses écrits. Esquisse bio- 

graphiijue et slralégKjue , par F. Lecomte , colonel fédéral suisse. 

^'it-' édition.; Paris, Tanera éditeur; Lausanne, Corbaz et Compc; 

18<)'.). — 1 vol. in-8'>, avec atlas in-folio. Prix: . , . . 12 fr. 

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I]liid^'t4 si'iii^tosre militaire. Antiquité et Moyen-âge. Paris, 
Tanera; Lausanne, Chantrens; 1800. 1 vol. iu-8o. Prix . . 5 fr. 

— ^>co 

RF.V1TE miIilTAIRE SUISSK 

dirigée par F. Lecomte, colonel fédéral; Ruchonnet, major fédéral 
d'artillerie ; Jules Dlmuii^ capitaine fédéral du génie. 

La Uevue militaire suisse paraît deux fois par mois à Lausanne. 
Elle publie en supplément, une fois par mois, une Revue des armes 
sjn'cialrs. — Prix : Pour la Suisse, 7 fr. 50 c. par an. Pour la France, 
rAllemagne, la Beijvjqno et Fltalie, lOfr. par an. Pour les autres Etats, 
15 fr. par an. — l^oiir tout ce qui concerne l'Administration et la Ré- 
daction, s'adresser au Comité de Direction de la Reime militaire suisse j 
à Lausanne. — Pour les abonnements de l'étranger s'adresser à M. Tanera 
éditeur, rue de Savoie, 6, à Paris. 



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