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Full text of "Études médicales sur les serpents de la Vendée et de la Loire-Inférieure"

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ÉTUDES MÉDICALES 


SUR 


LES SERPENTS 


DE LA VENDÉE ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE 


AA DANIEL  TN Eà 


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ÉTUDES MÉDICALES 


SUR 


LES SERPENTS 


DE LA VENDÉE 


ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE/ 


‘ 


PAR 


LE Dr A. VIAUD-GRAND-MARAIS 
NON 
Professeur de Pathologie interne à l'École de Médecine de Nantes 
Membre de la Société Botanique de France, de la Société d'Émulation de la Vendée 
de la Société Académique de la Loire-Inférieure 
de la Société Centrale de Médecine du Nord, de la Société Linnéenne de Normandie 
de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d’Indre-et-Loire 
et de la Société d'Acclimatation et d'Histoire naturelle de l'ile de la Réunion, etc. 


DEUXIÈME ÉDITION 


Morsus virus habent et fatum dente minantur. 
PoculaimortelcATen te ET Er 
LUCANI Phars. IX, vers. 6-14. 

Nam venenum Serpentis..…. non gustu sed in vul- 
nere nocet..… Ergo quisquis id vulnus exsuxerit et 
ipse tutus erit et tutum hominem præstabit. 

CoRN. CELSI De re medica, lib. v, 
cap. 2, sect. 12, 


SE TROUVE A NANTES, CHEZ TOUS LES LIBRAIRES 


SAINT-GERMAIN 
DE L’IMPRIMERIE L. TOINON ET Ce 


1867-1369 


ÉTUDES MÉDICALES 


SUR 


LES SERPENTS 


DE LA VENDÉE ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE 


La Vendée, le Bocage surtout, avec ses grands genêts, ses 
broussailles, ses champs entourés de haies vives et ses cours 
d’eau souvent encaissés entre des roches escarpées et buisson- 
neuses, offre des conditions très-favorables aux serpents. 

L'extension des cultures et l'établissement des grandes routes 
en ont cependant diminué le nombre ; mais ils sont encore assez 
communs" pour que les chasseurs ne parcourent jamais ce gi- 
boyeux pays, sans craindre pour eux et pour leurs chiens. 

La Loire-Inférieure, par ses mouvements de terrain et la ma- 
mère dont on y cultive le sol, ressemble beaucoup à la Vendée, et 
les reptiles s’y montrent aussi en abondance. 

Les serpents que lon rencontre dans ces départements appar- 
tiennent à huit espèces, en y comprenant l’orvet qui n’a du ser- 
pent que la forme ; deux seulement sont venimeux. 

Il est donc fort. intéressant de les distinguer, puisque les uns 
sont inoffensifs et même utiles à l’agriculture, et que les autres 


6 ORVET 


donnent lieu presque chaque année à des cas de mort chez 
l’homme et chez les animaux domestiques. 

Les serpents à venin une fois connus, il importe de savoir 
quels sont les accidents qu'ils provoquent et quels sont les 
moyens rationnels de détruire les effets de leur poison. 

Ces études seront divisées en quatre parties : 

I. Considérations sur les serpents non venimeux de la Vendée 
et de la Loire-Inférieure et sur leurs morsures. 

IL. Histoire naturelle des serpents venimeux indigènes. 

IT. Considérations sur les blessures causées par les vipères 
dans l’ouest de la France. 

IV. Des ennemis de la vipère et des moyens de la détruire. 

Puis viendront les deux appendices suivants : 

1° Une note sur l'emploi de la vipère et de son venin comme 
moyens thérapeutiques. . 

2 Le tableau synoptique des serpents de la Vendée et de la 
Loire-[nférieure. 


Les espèces inoffensives de serpents de l’ouest de la France 
sont l’orvet et les couleuvres. 

SI. — OnvEer. — L'orvet, Anguis fragilis L. 
(fig. 4), appelé, suivant les localités, anvin, an- 


Fig. 1. vau, anvoie, anvais, anvronais, borgne et nielle (4), 


: (4) M. Littré, dans son dictionnaire, écrit envoye et donne pour syno- 
nyme le mot aveugle; mais les noms anvin, anvais, elc., employés pour 
orvet, dérivent du latin anguis, avec changement du gu en », transforma- 
tion de lettres beaucoup plus rare du latin en français que la transforma- 


| ORVET 7 


a presque partout la plus mauvaise renommée. Un vieux pro- 
Q Us . 
verbe fort accrédité dit : ; 


Si bœuf voulait, 

Si anvin voyait, 

Et si sourd entendait, 
Personne ne vivrait. 


L'orvet n’est pas plus aveugle que la salamandre terrestre 
n’est sourde. Il doit cette réputation de cécité à son appareil 
palpébral qui, de même que celui des lézards, se compose de 
deux paupières et d’une membrane elignotante. Cette disposition 
fait paraitre l'œil de ce reptile très-petit et comme voilé, tandis 


que le regard des vrais serpents, sans paupières mobiles, est d’une 
fixité effrayante. 

C’est un reptile homoderme, c’est-à-dire à écailles du dos et du 
ventre semblables; elles sont lisses et luisantes, et offrent des 
reflets métalliques. Sa robe, d’un jaune argenté en dessus, est 
noirâtre en dessous. Sur son dos se remarquent trois lignes noi- 
res longitudinales, se transformant avec l’âge en séries de points 
et finissant par disparaître. Sa tête est revêtue de cinq plaques 
entourées d’autres plus petites. Ses màchoires ne sont pas dila- 
tables. La longueur totale de l’animal adulte est de vingt-cinq 
à trente-cinq centimètres, dont la queue forme plus de la 
moitié. 

Il mue en refoulant en arrière son vieil épiderme qui se 
fronce en plis serrés, mais ne se renverse point en doigt de 


1! 


gant. 


tion inverse. Cependant un exemple de la même métamorphose se pré- 
sente pour un autre dérivé d’anguis, anguille, qui, en picard, se dit anwile 
et en wallon anveïe. Orvet dérive du latin orbatus, sous-entendu lumine, 
d'où orbat, orvat, orvet. Borgne n’a pas besoin d'explication. Nielle vient 
de nigellus, nojrâtre. 


o) ; ORVET 


Il est vivipare et met bas, en juillet, de six à douze petits longs 
de quatre centimètres à quatre centimètres et demi, et à livrée 
différente de celle de Padulte. Ils sont blancs en dessus avec une 
ligne dorsale brune bifurquée sur la nuque ; en dessous, leur co- 
loration est d’un brun ardoisé. 

L’orvet est un animal fort commun ; on le rencontre sous la 

mousse des bois, dans l’herbe des prairies, parmi les décom- 
bres, partout, en un mot, où il croit se dérober aux regards de 
ses nombreux ennemis. Au moment de la fenaison on le trouve 
quelquefois se chauffant au soleil sur des tas de foin, quand il 
s’y croit en sécurité; mais c’est surtout le soir, à la tombée de 
la nuit, qu'il prend plus librement ses ébats : on l’aperçoit alors 
rampant dans l'ombre. S'il craint quelque agression , ou si le 
temps est mauvais, il se retire sous terre dans un trou, de plus 
d’un mètre de profondeur et à plusieurs ouvertures, qu’il s’est 
creusé avec son museau, 

Il fuit timidement lorsqu'on l'attaque. Toutefois , quand il est 
fortement irrité, il se redresse et se donne-un air de serpent 
dangereux, mais il cherche peu à se servir de ses dents; elles 
sont trop faibles, et sa bouche est trop petite pour qu'il puisse 
blesser douloureusement. Un de nos amis fut cependant mordu 
au doigt par un orvet qu'il pressait dans sa main. Il n’éprouva 
qu'une faible sensation de pincement et les dents du reptile ne 
laissèrent point d'empreintes. Daudin parvint à faire mordre par 
cet animal la cuisse écorchée d’un oiseau; la plaie, quoique im- 
bibée de salive, ne présenta point les caractères d’une morsure 
envenimée. 

L’anvin saisi a un singulier moyen de défense qui lui vaut le 
surnom de serpent de verre. Ses muscles se roidissent au point 
qu'il se brise, abandonnant une partie de lui-même pour se sau- 
ver. La queue brisée se reproduit en quelques mois, mais se dis- 


- 


COULEUVRES | 9 


tingue longtemps de la queue primitive par une moindre lon- 
“gueur et une difformité au niveau de la cassure. 

L'orvet n’est pas un ophidien ; ses caractères anatomiques en 
font un véritable saurien de la famille des scincoïdiens. C’est un 
seps privé de pattes ou du moins n'ayant que des rudiments de 
membres cachés sous la peau. 

Animal fort doux, il ne cause aueun tort aux prés et aux mois- 
sons ; se nourrissant de proies vivantes, il détruit, au contraire, 
une quantité de lombrics et d'insectes nuisibles, tels que les han- 
netons et leurs larves, les sauterelles, les chenilles, etc. 

Au lieu de le tuer sans pitié, les agriculteurs intelligents de- 
vraient donc le protéger. 


S IL. — CouLeuvres. — Classification et description des espèces. 
— Les couleuvres ont comme caractères communs, d’être hétéro- 
dermes, c’est-à-dire d’avoir les écailles dissemblables. Le dessus 
de leur corps est couvert de petites écailles imbriquées, lisses 
ou carénées, suivant les espèges, landis que leur ventre est revêtu 
de larges plaques transversales (gastrostéges) et que le dessous 
de leur queue offre des lames analogues (urostéges), mais dispo- 
sées sur deux rangs. La tête de ces serpents est ovale et ornée 
de neuf grandes plaques en écusson. Ils ont la pupille ronde et 
la queue plus ou moins effilée. Leurs maxillaires supérieures of- 
frent des dents ordinaires et jamais de crochets ni canaliculés ni 
cannelés. j ‘ 

Presque toutes les couleuvres sont ovipares ; cependant, d’a- 
près d'ingénieuses expériences dues à Geoffroy Saint-Hilaire, 
F. Prévost et Grübe, on peut les rendre vivipares en les privant 
d'eau. 

Elles appartiennent, dans la classification de MM. Duméril et 
Bibron, au sous-ordre des aglyphodontes ou colubriformes, serpents 


10 COULEUVRE D'ESCULAPE 


sans crochets venimeux, offrant, à chaque mâchoire, des dents’ 
coniques, pleines et arrondies. Les savants auteurs de l’Erpétolo» 
gie générale ont divisé les couleuvres, non-seulement en plusieurs 
genres, mais aussi en plusieurs familles différenciées par leur 
système dentaire. | 

Voici, famille par famille, l’énumération des couleuvres ven- 
déennes et bretonnes qui sont au nombre de cinq. 

L 

1° Dans la famille des isodontiens, ou couleuvres 
à dents toutes semblables en longueur- et en in- 
tervalles, et dans le genre Elaphis Aldr., se trouve 
la couLEuvre D'EscuLaPpe, Elaphis Esculapii Dum. 
(Gg. 2). Ce grand serpent, de quatre-vingt-cinq cen- 
timètres à un mètre cinquante, a la têle petite, 
comprimée latéralement, et offre une tache noire 
post-oculaire. Un trait noir vertical placé sous l'œil 
lui traverse les deux mâchoires. Brun, olivâtre, ou: 
roussâtre en dessus, l'élaphe présente sur le côté du dos plu- 
sieurs séries de points. Son ventre est jaune paille, et cette 
teinte s’avance, à l’union de la tête et du corps, sur les côtés 
du cou en devenant plus foncée, mais sans donner lieu à un 
collier complet. La queue forme le cinquième de l'individu. Les 
écailles de cette couleuvre sont décrites comme lisses; cepen- 
dant quelques-unes de celles du dos possèdent un tubereule, 
rudiment de carène, 

La couleuvre d’Esculape porte, dans la campagne, les noms de 
sangle, de serpe, d’enfilandre, d’esterlange et de rouabe. Elle hante 


les haies et les buissons, aime le voisinage des bois et grimpe fa- 

cilement dans les arbres pour donner la chasse aux oiseaux. 
Après la moisson, cet agile serpent rôde dans les chaumes, à 

la grande terreur des paysans qui lui attribuent la faculté de sil- 


COULEUVRE D’ESCULAPE 41 


lonner et de se lancer ainsi à la poursuite de l’homme. Il nage fort 
bien et s'empare des grenouilles sur les eaux; ce n’est pas ce- 
pendant un animal à mœurs aquatiques. Il a la singuière habi- 
tude, comme le dit M. Millet (Faune de Maine-et-Loire, page 635), 
de se coucher à travers les sentiers pour barrer le chemin aux 
mulots, aux lézards et aux autres petits animaux qu'il veut sur- 
prendre. Il est souvent alors victime de sa sécurité et tué par les 
passants. . 

Les œufs du serpent d’'Esculape sont gros et cylindriques ; il 
les dépose d'ordinaire dans le fumier, où même dans l’intérieur 
des étables. 

Cette couleuvre est assez commune dans notre contrée, mais 
seulement par endroits : ainsi, aux environs de Challans, dans le 
bassin du lac de Grandlieu, aux environs de Carquefou, de la 
Chapelle-sur-Erdre, du Temple, ete. Elle abonde dans certains 
bois : M. Arthur de l'Isle l’a prise dans ceux de Meilleraie et dans 
les forêts d’Ancenis, de Saint-Mars et de Juigné. 

C'est un animal assez farouche, mais il ne se jette pas sur 
l’homme, à moins que l’on ne tente de le saisir. Dans ce cas il 
mord avec force; quoique sa blessure soit sans gravité, elle est 
un peu douloureuse et les dents entament la peau jusqu’au sang. 
M. À. de l'Isle, dans une excursion qu'il fit au Temple, en juin 
1867, fut mordu par un élaphe qui l’atteignit au doigt avec les 
dents de sa mâchoire supérieure. Le blessé nous montra neuf 
éraillures disposées sur deux rangs, cinq d’un côté et quatre de 
l’autre. La sensation qu'il éprouva fut celle d'une déchirure par 
une ronce. Les petites plaies guérirent,' sans traitement, en très- 
peu de jours. Un des frères de M. de l'Isle fut, sans plus d’acci- 
dents, blessé à la main et au mollet par une autre couleuvre 
d’Esculape. 

On dit l’élaphe susceptible de s’apprivoiser. 


49 2 COULEUVRE LISSE 


M. de PIsle a trouvé sur nos confins, dans la forêt de Chanvaux 
(Maine-et-Loire), une curieuse variété à quatre raies de l'Elaphis 
Esculapii. C’est, sans doute, l’animal appelé par M. Millet (loc. cit. 
p. 628), Coluber quadrilineatus et décrit par lui, d'après un seul 
individu de deux mètres de long, que M. Treton du Mousseau 
avait pris dans le parc de la Verrie, près Saumur. 1 

2 Dans la famille des syncrantériens, ou couleuvres à dents 
lisses, mais dont les postérieures sus-maxillaires, plus longues, 
ne sont point séparées des précédentes par un intervalle libre, 
deux genres offrent des espèces indigènes. 


Au genre Coronella Laur. appar- 

tient la COULEUVRE zisse, Coronella 

> levis Dum. (fig. 3) C. austriaca Laur. 

qui doit son nom à ses écailles com- 
plétement lisses. 


Cette couleuvre, courte et tronquée, a soixante centimètres de 
long et sa queue représente, seulement, le cinquième de sa lon- 
gueur totale. 

Sa tête est couverte d’une tache brunàtre, échancrée en forme 
de cœur ou d'U. Son œil est placé dans une bande de même eou- 
leur. Le dessus de son corps est gris ou rougeâtre avec quatre 
rangs de petites taches, et son ventre est noirâtre où vio- 
lacé. 

Elle est vivipare et fréquente les lieux secs et pierreux. Ses 
habitudes et les variétés de teintes de sa robe la font facilement 
confondre avec les vipères, dont elle diffère complétement par la 
forme et la disposition de ses taches, ainsi que par ses écailles 
qui, loin d’être carénées, sont larges et lisses (4). 


27e : ; Ê ; N 
(1) MM. Duméril et Bibron signalent sur nos confins une autre espèce 
de coronelle, la couleuvre bordelaise, Coronella girundica Dum. Voisine de 


COULEUVRE A COLLIER 13 


Moins commune que la couleuvre à collier, elle se rencontre 
“cependant un peu partout dans les conditions que nous ve- 
nons de signaler. Elle est plus agile que ses formes trapues 
ne sembleraient l'indiquer ; aussi, quoiqu’elle ne vive pas dans 
les arbres, elle peut y grimper facilement. M. Arthur de PIsle a pu 
le constater dans une expérience faite sur un chêne de dix mètres 
de haut, sans branches inférieures et n'ayant pour aspérités que 
quelques lichens. 

La couleuvre lisse fait sa nourriture principale d'insectes. Elle 
est de mœurs douces, cherche peu à mordre, et ses dents n’érail- 
lent que très-superficiellement la peau. 

Le genre Tropidonotus Kulh. diffère des coronelles par la 
carène, ou saillie longitudinale de ses écailles. Deux espèces in- 
digènes s’y rattachent : la couleuvre à collier et la vipérine, toutes 
les deux sont fort amies des ruisseaux. 


LA COULEUVRE A COLLIER, Tropi- 
donotus Natrix Kubhl. (fig. 4), vui- 
gairement serpent nageur, couleuvre 


d'eau, anguilles de haies, etc., est la 
plus commune des couleuvres de nos contrées. Elle se trouve 
partout et l’on en rencontre cinq ou six contre un autre ser- 
pent. Elle a sur la nuque un collier blanc, jaune pâle ou citrin, 
plus rarement orangé, et derrière lequel se montre, de chaque 
côté, une large tache noire. Sa tête est uniformément grise ; son 
dos, plus ou moins cendré, porte trois ou quatre rangées de 
points noirs; son ventre noiràtre est tacheté de blanc, surtout 


la lisse, dont elle a les mœurs, elle s’en distingue par ses plaques sus- 
labiales au nombre de huit et non de sept, par la série unique des taches 
noires de son dos, et par la couleur de ses plaques ventrales et caudales à 
moitié noires. C’est un animal à rechercher en Vendée. 


44 COULEUVRE A COLLIER 


vers les flancs. Sa longueur varie de cinquante centimètres à un 
mètre ; mais les serpents croissant avec l’âge d’une manière 
presque indéfinie, cette couleuvre atteint parfois de grandes di- 
mensions, principalement en grosseur. Presque toujours alors Île 
collier disparaît; c'est ce que nous avons constaté sur un individu 
très-gros et mesurant un mètre vingt-cinq centimètres de long, 
que nous avait envoyé M. Lecrac, pharmacien à Challans. La peur 
aidant à exagérer les objets, ces vieilles couleuvres deviennent, 
dans les récits des paysans, des monstres affreux de la grosseur 
du bras ou de la cuisse et dontils ne parlent qu’en frissonnant. 

La couleuvre à collier fréquente les buissons, les bois ombra- 
gés, les prés humides et surtout le bord des ruisseaux. Elle nage 
avec la plus grande facilité et paraît se complaire dans Peau. Elle 
vit de petits mammifères, d'oiseaux et de batraciens. Elle pond de 
vingt à quarante œufs de la grosseur de ceux d’une pie et les 
tiache les uns à la suite des autres, sous forme de chapelet, à 
l’aide d’une matière gluante. Elle dépose le tout en terre, dans 
de vieilles barges de foin ou dans des tas de fumier. Les petits 
éclosent au milieu de lété; ils ont acquis avant l'hiver quinze 
centimètres de loggueur et sont en élat de passer sans manger la 
mauvaise saison. 

Le tropidonote natrix est de mœurs fort douces. Il se laisse im 
punément caresser et, ne mord que lorsqu'il est agacé ; sa bles- 
sure est aussi peu douloureuse que ceile de la coronelle lisse. La 
couleuvre à collier est mangée sans répugnance par quelques 
paysans du Bocage. M. Nivoche, receveur d'enregistrement, était 
à Pouzauges et venait de sauter un échallier, avec un paysan qui 
lui servait de guide, quand ce dernier aperçut un serpent de cou- 
leur cendrée, qu'il appela une anguille de haie, et qu’il tua immé- 
diatement avec une pierre. Le paysan ouvrit alors sa chemise et y 
cacha sa Capture, se promettant un bon diner. 


CGOULEUVRE VIPÉRINE 15 


LA COULEUVRE VIPÉRINE, Tropidonotus vipe- 
rinus, Schlegel (ig. 5), vulgairement serpent 
ou aspic d'eau, offre de nombreuses variétés 
de couleur et de taches. 
| Elle n’a pas de coliier, mais présente sur 

Fig. 8. la nuque deux lignes noirâtres imitant par 
leur jonction un V ouvert en arrière; une tache de même cou- 
leur se montre derrière l’œil. Le dos est grisätre ou roussâtre, 
avec une ligne en zigzag noire et longitudinale. Sur les flancs 
se voit une série de taches noires entremêlées de macules jaunes. 
Le ventre est marqueté en damier ardoisé et grisàtre, ou ardoisé 
et jaunàtre. 

La ligne zigzag du dos et les taches de la tête font con- 
fondre cette couleuvre avec les vipères, et de là lui vient son 
nom. 

La vipérine a de cinquante à soixante-cinq centimètres de long. 
Elle est ovipare et dépose en terre, proche des eaux, dix ou 
quinze œufs non soudés en chapelet. 

Elle est commune en Vendée, surtout dans les fossés du Marais 
septentrional. On la trouve même dans l'ile de SAONE aux 
viviers de la Blanche. 

Elle n’est pas moins commune dans la Loire-Inférieure, dans 
les boires de la Loire ou de l’Erdre, et dans les étangs et les 
ruisseaux, à Vertou, à Oudon, à Rüaillé. Plus aquatique encore 
que la couleuvre à collier, elle poursuit jusqu’au fond de l’eau les 
batraciens et les poissons, et se laisse parfois prendre à la ligne. 
Elle cherche peu à mordre et ses blessures sont complétement 
inoffensives. 

Wagler a décrit, comme distinct du tropidonote vipérin, un ser- 
pent qui n’en diffère que par les deux raies longitudinales d’un 
jaune pâle qu’il porte sur le dos. Un reptile appartenant au musée 


16 COULEUVRE VERTE ET JAUNE 


du petit séminaire de Nantes et capturé à Mauves (L.-Inf.) par 
l’abbé Delalande, répond complétement à la description du Tro- 
pidonotus chersoïdes Wagler, donnée par MM. Duméril dans 
l’Erpétologie générale. La couleuvre chersoide n'est pour nous 
_ qu’une variété méridionale de la vipérine. 

3° Dans la famille des diacrantériens, se rangent toutes les 
couleuvres à dents lisses, mais dont les postérieures sus-maxil- 
laires plus longues sont séparées par un intervalle libre. Aux 
diacrantériens se rattache le genre Zamenis Wagler, qui offre 
une espèce indigène. 


La COULEUVRE VERTE ET 
JAUNE, Zamenis viridiflavus 
Wagl. (fig. 6), partage avec 
la couleuvre d’Esculape le nom 
vulgaire de sangle. Elle a le dessus du corps noirâtre ou vert 
foncé, varié de lignes d’un beau jaune; sur sa tête ces ligness 
se transforment en mouchetures. 


Elle est complétement jaune en dessous. Toutes ses écailles 
sont lisses. C’est le plus grand des reptiles du pays; il mesure 
un mètre quarante à deux mètres, et sa queue forme au moins le 
tiers de la longueur totale. 

Cette belle couleuvre, si abondante dans certaines parties de la 
France qu'elle porte le nom de couleuvre commune, n’a pas été 
prise dans la Loire-Inférieure. Elle ne commence à se montrer 
qu'en Vendée et surtout dans la Plaine et dans le Marais méri- 
dional. 

La couleuvre glaucoïde de MM. Millet, Mauduyt et Delalande est 
la verte et jaune dans sa livrée de jeune âge ; en observant les 
-zaménis depuis leur sortie de l’œuf, et en les comparant avec 
les couleuvres glaucoïdes de Delalande, MM. Duméril sont arrivés 
à le démontrer. 


MŒURS DES COULEUVRES 17 


Ces jeunes serpents ont le corps sans taches, cendré-bleuà- 
tre en dessus, avec écailles ombrées, et sont blanchàtres en 
dessous. Leur tête est bleuâtre en arrière, plus pâle en avant, et 
marquée de lignes irrégulières et de taches blanches entourées 
de noir foncé. 

La verte et jaune est un apimal farouche et très-grand chas- 
seur. Le crépuscule n’arrête pas ses courses et toute proie lui est 
bonne ; elle dévore mème les autres serpents. 

Elle se défend avec courage et mord de manière à faire lâcher 
prise à qui veut la saisir. On cite cependant des cas curieux 
d’apprivoisement de ce sauvage reptile, qui montre alors le plus 
grand attachement pour son maitre. M. Mauduyt (Erpétologie 
de la Vienne, page 27), dit avoir vu une couleuvre verte et jaune 
qui reconnaissait la voix de son maître, le suivait partout et se 
montrait sensible à ses caresses. 

Mœurs des couleuvres. — Les couleuvres, comme tous les ser- 
pents, ne se nourrissent que de proies vivantes qu'elles font 
passer dans leur estomac sans les diviser. Elles peuvent, tant 
leurs mâchoires sont dilatables, ingurgiter ainsi des animaux 
plus gros qu’elles. Elles sont alors embarrassées dans leur mar- 
che et ont peine à rejoindre leur repaire pour y digérer en paix. 
A la vue d’un danger, elles rejettent leur proie pour s’alléger, et 
si l'animal avalé est une grenouille ou un crapaud, on le voit 
s'enfuir, tout meurtri, pendant que l’on poursuit la couleuvre. 
Les batraciens anoures offrent, en effet, une persistance in- 
croyable de la vie dans un milieu confiné. Voici deux exemples 
choisis entre beaucoup d’autres, et qui prouvent qu’on peut ex- 
traire ces animaux encore vivants de l’estomac d’une couleuvre. 

Le 4 avril 1861, MM. Henri et Émile Talvande rencontrèrent 
à la Madeleine, en Carquefou, dans un champ ensemencé, une 
couleuvre à collier, qui, gênée dans ses mouvements par le vo- 


+) 


18 MŒURS DES COULEUVRES 


lume de son ventre, faisait devains efforts pour se défendre de 
leur chien. Deux coups de pistolet à bout portant lui ayant dé- 
chiré les flancs, il en sortit un crapaud commun assez volumi- 
neux, qui resta d’abord immobile, puis tout à coup remua une 
patte, coassa légèrement et se sauva. 

Dans les landes de Cambon, en 1841, M. Baranger avait été 
témoin d’une pareille résurrection. Une grande couleuvre enrou- 
lée dans un buisson et paraissant endormie, se laissa prendre 
sans résistance par les élèves de la Ducherais. Jetée dans une 
mare pour être noyée, elle s’en retira quoique nageant avec dif- 
ficulté à cause du volume de son ventre. Les enfants, cet âge 
est sans pitié, voulant en finir avec elle, la suspendirent à un 
arbre et la tuèrent à coups de pierres. Ils trouvèrent dans 
son ventre, au lieu d'œufs, une masse informe enveloppée 
d’un liquide gluant qui la rendait méconnaissable. Cette masse, 
sous l’impression de l'air, se mit à s’agiter, allongea une patte, 
puis une autre, et bientôt, au milieu de l’étonnement général, 
un pauvre crapaud s'enfuit en clochant. Il serait curieux de sa- 
voir combien de temps, après leur introduction dans l'estomac 
d’un serpent, les grenouilles et les crapauds conservent la faculté 
de revenir à la vie, et jusqu'à quel point ils se ressentent, plus 
tard, de ce commencement de digestion. y 

M. A. Duméril (4) a vu au Muséum, une couleuvre verte et jaune 
avaler gloutonnement une couleuvre lisse. La lisse, à force de 
remuer dans l'estomac de son ennemi, lui occasionna une indi- 
gestion mortelle et fut régurgitée vivante. 


(1) Nous sommes heureux d'offrir ici à notre excellent maitre, M. le 
professeur Auguste Duméril, l'hommage de notre gratitude. Il nous a 
dans ce travail aidé de ses conseils et a mis spontanément à notre dispo- 
sition de rares ouvrages d'erpétologie qu'il nous eût été impossible de 
nous procurer en province, 


MŒURS DES COULEUVRES 19 


Les couleuvres en captivité se plongent avidement dans les 
vases d’eau ou de lait placés dans leur cage. Elles paraissent 
s’y baigner avec délices. Mais les auteurs sont loin d’être d’ac- 
cord sur la manière dont elles introduisent des liquides dans 
leur estomac. 

Ayant mis un jeune tropidonote à collier, qui venait de chan- 
ger d'épiderme, dans un flacon contenant environ vingt grammes 
d’eau, nous vimes l'animal, altéré par suite de la mue, plonger 
brusquement la tête dans le liquide. Il le fit disparaître ea quel- 
ques secondes par des mouvements rapides d’allongement et de 
raccourcissement des lèvres. Jamais nous n'avons vu de ser- 
pents boire à la régalade, ni laper légèrement un liquide avec 
leur langue à deux pointes. Cette langue bifide, malgré les com- 
paraisons auxquelles elle a donné lieu, n’est point un double 
dard servant d’arme aux serpents et ne peut blesser. 

Les ophidiens passent pour très-avides de lait ; nous n'avons 
pas remarqué qu'ils le préférassent à l’eau. Rien n’est plus ab- 
surde, en tout cas, que la fable qui a couru le monde et qui veut 
que les couleuvres aillent dans les étables téter les vaches et les 
chèvres. Le lait alors se tarirait et aurait une teinte bleue tant 
que la bête qui le fournit servirait de nourrice au serpent. 

Le lait bleu doit sa coloration à des myriades de Vibrio cyano- 
genus Fusch. On ignore encore la cause du développement de ces 
infusoires, mais certainement les serpents n’y sont pour rien. 
L'absence de langue charnue, de voile du palais et d’épiglotte 
leur rendent la succion impossible : la vache, du reste, ne sup- 
porterait pas la pression de leurs dents recourbées. 

On ferait un livre avec les croyances étranges et les supersti- 
tions qui sont en honneur dans la campagne au sujet du lait et du 
beurre fournis par les animaux domestiques. 

Toutes les couleuvres, lorsqu'on les force à se défendre, reli- 


20 MŒURS DES COULEUVRES 


rent leur tête en arrière, sifflent et finissent par blesser. Les pe- 
tites plaies que font ces reptiles présentent l'impression des 
dents des deux mâchoires quand ils ont mordu, de la mâchoire 
supérieure seulement quand ils ont frappé, comme le fait un 
serpent venimeux. Dans le premier cas, l’ensemble des petites 
éraillures forme deux courbes opposées par leur concavité, et 
le blessé ressent à la fois un pincement et une déchirure ; dans 
le second, la sensation de déchirure existe seule et une seule 
ligne courbe est marquée sur la peau. 

La morsure de ces reptiles est toujours une plaie simple. 
Un chien, cependant, s'étant jeté sur un amas de couleuvres, en 
fut horriblement mordu à la tête et au cou. Ses plaies parurent 
s'envenimer et il resta longtemps malade. La multiplicité des 
blessures suffit ici pour expliquer la lenteur de la guérison. 

Les couleuvres, quand elles ont peur, répandent un liquide doué 
d’une odeur alliacée et particulièrement désagréable chez quel- 
ques espèces. Il est sécrété par des glandes spéciales situées près 
de l’anus. 

Ce liquide ne peut être assimilé au venin cutané des crapauds 
et des salamandres. Il produit cependant un peu d’irritation sur 
les parties dépouillées de leur épiderme. 

La sécrétion glaireuse qui accompagne la ponte des couleuvres 
occasionne elle-même de légers accidents. 

Des enfants ayant ramassé des œufs de serpents, et les ayant 
écrasés, eurent une inflammation assez vive des mains, mais le 
gonflement érésipélateux ne dépassa pas les avant-bras et n’eut 
pas de suite. 

Les serpents du pays changent de peau au printemps, quand 
ils sortent de leur hivernage. Vere exeunte, exuunt exuvias, dit 
Linnæus. Ils muent au moins une seconde fois dans le cours de 
l'été et avant de rentrer dans leur engourdissement. Aussi les 


MŒURS DES COULEUVRES 21 


poëtes ont-ils fait du serpent l'emblème de l’éternelle jeunesse. 

La mue est un moment de crise; le serpent devient malade 
et engourdi ; une sécrétion séreuse suinte sous le vieil épiderme 
qu’elle soulève et le reptile se frotte alors la tête contre les corps 
-durs qu'il trouve à sa portée. Dès qu'il a pratiqué un trou dans 
son enveloppe, il en sort en entier pendant que le fourreau épi- 
dermique se retourne en arrière comme un doigt de gant. 

À Ja fin de l'été, les couleuvres vertes et jaunes font entendre 
des sifflements, et s’agitent beaucoup sans que l’on connaisse 
jusqu'ici la cause de ces manœuvres. 

On ignore aussi la raison qui souvent réunit des serpents de 
diverses espèces, en quantité énorme sur le même point. C'est 
d'habitude vers le mois de septembre, et lorsqu'ils se préparent 
à se retirer dans des cavités communes qu'ils se rencontrent 
ainsi agglomérés sur le talus d’un terrier ou dans tout autre 
endroit bien exposé au soleil. Ils sont alors tellement mêlés et 
entrelacés, que l’on ne distingue plus que des têtes et des 
queues. 

Le 17 septembre 1859, M. Louis Viau était à la chasse près du 
Hallay, commune de la Haie-Fouassière, lorsqu'il vit, sur l'épau- 
lement d’un fossé, un amas considérable de serpents de couleur 
et d'aspect différents. Il l’évalue à un volume de trente décimètres 
cubes. La plupart de ces animaux lui parurent des couleuvres ; 
mais quelques-uns, par leur livrée et la forme de leur tête, lui 
semblèrent être des vipères. Il empêcha son chien de se jeter sur 
le tas de reptiles, et considéra pendant sept à huit minutes cette 
masse horrible et grouillante, qui ne se dissipa qu’en partie et len- 
tement dans toutes les directions. Il dut se retirer à cause de son 
chien qu’il ne pouvait plus retenir. Il fit signe à deux autres 
chasseurs, qui furent pareillement forcés de veiller sur leurs 
chiens et virent les derniers serpents se disperser. Un paysan dit 


22 MŒURS DES COULEUVRES 


à M. Viau: « qu’il connaissait parfaitement ce paquet de mau- 
vaises bêtes, et que, le voyant grossir chaque jour, 1l le surveil- 
lait, avec quelques voisins, espérant tuer toute cette vermine en 
une seule fois. » 

On rencontre aussi parfois des serpents en grand nombre vers 
le mois de mai lorsqu'ils se recherchent pour s’accoupler. Ils se 
livrent même de véritables combats quand ils sont à la poursuite 
d’une même femelle. À Château-Thébaud, nous éerit M. F. Re- 
nou, deux femmes, dont l’une, la veuve Bouillé, vit encore, des- 
cendaient vers la Moine aux premiers jours de mar. Elles suivaient 
un chemin creux et ombragé, bordé de chaque côté de prés en 
pente et venant du pont de Bel-Abord. Elles se trouvèrent là tout 
à coup entourées d’une légion de serpents arrivant de tous 
côtés pour se réunir à un groupe principal qui, en colonne serrée, 
précipitait sa course vers la rivière. Ces animaux paraissaient tous 
mus par un même sentiment instincüf, et ne firent pas attention 
aux deux femmes; celles-ci, effrayées, crurent prudent de re- 
venir sur leurs pas. 

Les couleuvres passent la saison froide dans des cavités sèches 
où elles se tiennent d'ordinaire plusieurs ensemble afin de con- 
server leur peu de chaleur. On les rencontre l'hiver dans des 
trous creusés en terre, sous des pierres, des racines d'arbre, ou 
sous la mousse. Elles en sortent aux premiers rayons du soleil 
printanier. 

Loin de fuir l'habitation de l’homme pour hiverner ou déposer 
leurs œufs, ces bêtes frileuses recherchent les fumiers des pou- 
laillers et des étables, à cause de la chaleur qu'y développe la 
fermentation putride et des insectes qu'on y rencontre. On les a 
même trouvées dans des fermes, nichées sous la pierre du 
foyer, et elles envahissent les abords de certaines propriétés ru- 
rales au point d’être un véritable fléau, Nous extrayons, comme 


MŒURS DES COULEUVRES 


ra] 
O2 


exemple, les lignes qui suivent d’un rapport.adressé, en 1860, 
par M. Duret, maire de Boussay, à M. le préfet de la Loire- 
Inférieure; les faits nous ont aussi été rapportés par M. l’abbé 
Briand, vicaire de cette commune : 

« En août 1859, à la Clémencière, métairie récemment cons- 
truite dans la partie marécageuse de Boussay, on trouva dans la 
maison un nombre prodigieux de serpents, rôdant partout, sif- 
flant dans les murailles, se suspendant au-dessus des portes. 
Une femme put en tuer huit dans un jour. À force d’attention, 
on s’aperçut qu'ils sortaient de dessous la pierre du foyer. Des 
fouilles y firent découvrir une quantité si prodigieuse d'œufs, 
qu'un double décalitre n'eût pas suffi à les contenir, et quinze 
cents serpents de toute grandeur. Ces animaux, du reste, 
n'avaient donné lieu à aucun accident. » 

Une lettre de M. Merel, curé de Boussay, nous apprend que 
les serpents ont reparu à la Cléméncière, presque aussi nom- 
breux qu'autrefois, mais toujours inoffensifs. Cette ferme est 
isolée, au milieu d’une lande à peine défrichée, et avoisine un 
étang qui, par défaut d'entretien, est devenu un marais boueux 
et plein de grandes herbes. 

Un fait presque identique nous a été rapporté de Torfou : 
les couleuvres avaient élu domicile et déposé leurs œufs dans 
une chambre servant de poulailler. 1 serait facile de multiplier 
ces citations, mais voici un déluge de serpents qui pouvait avoir 
des conséquences autrement graves, puisque des vipères se 
trouvaient parmi les envahisseurs. 

Au milieu des ruines du château de Vioreau, dans la forêt de 
ce nom, commune de Joué-sur-Erdre, se trouve une ferme bâtie 
sur l'emplacement de l'ancienne chapelle du château. Le reste 
des ruines ne consiste plus qu'en un amas informe de pierres, 
recouvertes de ronces, et touchant à un étang. Ces décombres et 


mm, 


2% COCATRIS OU ŒUFS DE COQ 


ces broussailles, voisines de l’eau, offraient des conditions si fa- 
vorables aux serpents que couleuvres et vipères s’y multiplièrent 
d'une étrange façon. On trouvait partout des serpents dans la 
maison du fermier. Ils se glissaient dans les lits, dans les pots de 
lait et au fond des ustensiles de cuisine, si bien que, quoique 
personne n’eût été blessé, la situation était devenue intolérable. 
Il fallut, pour détruire de pareils parasites, couper les brous- 
sailles, déblayer le terrain de fond en comble et le transformer 
en champ ensemencé (M. l'abbé Lahue). | 

Aux environs de Luçon existait naguère, nous dit le docteur 
Lepeltier, une maison appelée «la maison des serpents ». Là, 
l’homme avait dû céder à l’envahissement de la gent rampante, 
et, pendant trente ans, cette maisonnette est restée inhabitée. 
Elle vient enfin de trouver un acquéreur qui Pa abattue et 
qui a mis le terrain en culture, faute de meilleur moyen de se dé- 
barrasser des reptiles. 

On ne peut parler des couleuvres sans dire un mot des 
cocatris, où œufs de cog, et de la fable populaire qui les con- 
cerne. Cette fable se rattache à celle du basilic ou regulus, et 
est un reflet des croyances de l'Orient répaudues dans toute 
l'Europe par les Zingari ou bohémiens errants, passés maitres 
en sciences occultes. 

Les singuliers corps appelés cocatris, sont regardés par les 
paysans comme le résultat de l’accouplement d'un serpent et 
d'une poule, où d’un vieux coq et d’une couleuvre. Ils renferment, 
dit le peuple, un petit serpent fascinateur dont le regard seul cause 
la mort et qui est tué par son propre charme, quand on peut le 
forcer à se voir dans une glace polie. Chacun connaît à ce sujet la 
sracieuse légende à laquelle Montmirail doit son nom. Le cultiva- 
teur du Bocage, qui trouve un cocatris dans sa basse-cour, se si- 
one ct Fécrase du pied, de peur qu'il ne soit couvé par un chat: 


COCATRIS OU ŒUFS DE COQ 25 


condition nécessaire pour qu'un basilic vienne au monde. Quand 
une poule a pondu un de ces œufs hardés, son instinct semble lui 
dire qu'elle n’a pas donné le jour à un être capable de vivre. Son 
chant, et ici ce n’est plus de la légende mais de l’histoire, prend 
un caractère tout particulier et se rapproche de celui du coq. 
On dit qu’elle est jalée et qu’elle chante le jau. (Le mot jau, en 
patois poitevin, est synonyme de coq.) Cette poule maudite est 
sacrifiée. 

Un cocatris, qui nous fut remis par M. J. Vandier, se brisa dans 
nos mains, mais sans laisser sortir ni serpent ni vitellus de 
poulet. Long de huit centimètres, il était cylindrique et renflé aux 
deux bouts. Sous une première coque calcaire, il présentait une 
enveloppe membraneuse et de l’albumine, puis venaient une se- 
conde enveloppe calcaire, une seconde membrane et un contenu 
albumineux. Un corps albumineux, probablement un faux germe 
descendant dans l’oviducte de la pouie, s'était enveloppé d’albu- 
mine, d’abord liquide, puis condensée.en membrane, et même 
d'une couche calcaire. Cet œuf, sans jaune, et réduit à ses par- 
lies accessoires, trop petit pour nécessiter une expulsion rapide, 
avait, en descendant lentement dans le conduit, acquis de nou- 
velles couches semblables aux premières. La physiologie rend 
done parfaitement compte de cette anomalie, sans qu'il soit be- 
soin de recourir au merveilleux. Toute la fable repose sur deux 
faits : 1° la présence assez fréquente d'œufs véritables de couleu- 
vres dans les poulaillers et leur ressemblance avec les œufs 
avortés des poules ; 2° la forme grossière d’un petit serpent, que 
présente le ligament dû à lunion des deux chalazes dans les 
œufs de poules sans germe. 

Il résulte de ce travail que les couleuvres ne sont point dange- 
reuses pour l’homme et comptent au nombre des animaux utiles 
à l’agriculture, à cause de la grande quantité d'insectes, de 


26 UTILITÉ DES COULEUVRES 


larves, de lombrics, de limaces, de rongeurs et de passereaux 
qu’elles détruisent. Il est donc absurde de les tuer impitoyable- 
ment comme on le fait. Sice n'étaient même la manière dont 
elles se multiplient et la peur que leur vue occasionne aux femmes 
et aux enfants, elles devraient être protégées par des règlements 
administratifs. 


En résumé, les serpents non venimeux qui se rencontrent dans 
les deux départements de la Loire-Inférieure et de la Vendée sont 
au nombre de six : 

1° L'orvet où anvin Anguis fragilis L. ; 

2° La couleuvre d’Esculape, Ælaphis Esculapii Dum.; 

3° La couleuvre lisse, Coronella levis Dum. ; 

4° La couleuvre à collier, Tropidonotus Natrix Kuhl.; 

5° La couleuvre vipérine, Tropidonotus viperinus Schegel; 

Et 6° la couleuvre verte et jaune Zamenis viridiflavus Wagler. 

Il reste maintenant à étudier les deux espèces venimeuses, 
c'est-à-dire la vipère commune ou aspie, Vipera Aspis Merrem, 
et la vipère à trois plaques ou péliade, Vipera Berus Daudin, 
complétant le nombre des huit serpents indigènes. 


CLASSIFICATION DES VIPÈRES 21 


Il 


$ L. — Des VIPÈRES ET DE LEURS CARACTÈRES ZOOLOGIQUES. — 
Classification des espèces de vipères. — Les vipères sont les seuls 
serpents dangereux de nos contrées. Elles appartiennent au 
sous-ordre des solénoglyphes, c’est-à-dire aux ophidiens à cro- 
chets antérieurs, canaliculés et fixés sur des os sus-maxillaires 
mobiles (1). Elles sont courtes, trapues, et leur queue est brus- 


(1) C'est aux auteurs de l'Érpétologie générale, à GC. Duméril surtout, 
que l’on doit la méthode naturelle de classification des ophidiens. Elle a 
pour point de départ les différences offertes par leur système dentaire. 

Les serpents venimeux s'y trouvent rangés en trois sous-ordres : les 
solénoglyphes, les protéroglyphes et les opistoglyphes. 

Dans les deux derniers, les crochets, au lieu d’un canal interne, ne pré- 
sentent qu’une rainure superficielle; ils ne sont point isolés comme chez 
les solénoglyphes, mais bien suivis d’autres dents; l'os sus-maxillaire qui 
les porte est soudé avec les autres os de la face. 

Chez les protéroglyphes, les dents venimeuses sont les plus antérieures. 
Exemple : le serpent à lunette ou capelle, Naja tripudians, si redouté des 
Indous. 

Chez les opistoglyphes, les crochets sont les dernières et les plus longues 
dents de la mâchoire supérieure. Exemple : le Cœlopeltis insignitus, des 
environs de Montpellier. Ces ophidiens, facilement pris pour des cou- 
leuvres, ne blessent à venin que lorsqu'ils saisissent à pleines mâchoires, 
et sont peu dangereux pour l’homme. Ils forment la transition entre les 


28 CLASSIFICATION DES VIPÈRES 


quement rétrécie. Hétérodermes, elles ont, comme les tropido- 
notes, le dos et les flancs revêtus de petites écailles imbriquées 
et carénées, tandis que leur ventre est protégé par de larges 
lames, et leur queue, par deux rangs d’urostéges. 

Leur tête est triangulaire et aplatie, forme due au peu de 
développement des os sus-maxillaires, et à la saillie postérieure 
des glandes à venin. Leur pupille est en fente verticale. 

Deux vipères existent dans l’ouest de la France : la vipère 
commune ou aspic, et la vipère à trois plaques ou péliade. 

Elles diffèrent l’une de l’autre non-seulement par la forme 
de leur museau, mais encore par l’écaillure de leur tête. En effet, 
tandis que l’aspic, comme tontes les autres espèces du genre 
Vipera, a la tête entièrement recouverte de petites écailles, le 
péliade porte entre les yeux trois larges plaques dites écussons, 
analogues à celles qui ornent la tête des couleuvres. 

Les erpétologistes s'accordent, en général, pour placer dans 
des genres différents les ophidiens, suivant que leur tête est ou 
non revêtue de plaques. Aussi Merrem, dans son Tentamen syste- 
malis amphibiorum, sépare-t-il la vipère à trois plaques des autres, 
sous le nom générique de Pelias. M. Mauduyt, dans son Erpéto- 
logie de la Vienne, S'appuyant sur le même principe, a créé pour 
cette même vipère le genre Echidnoïdes. 


groupes précédents et le sous-ordre des aglyphodontes, dont toutes les dents 
sont lisses. 

Les solénoglyphes se subdivisent en deux familles : les vipériens, à na- 
rines simples (vipères, échidnées, cérastes, échis et acanthophides), et les 
crotaliens, à narines doubles, c’est-à-dire offrant entre la narine et l’œil 
une petite ouverture, dite fausse narine ou fossette lacrymale à usages 
inconnus. Les crotaliens sont les plus redoutables de tous les serpents. 
Exemples : les crotales ou serpents à sonnettes, les bothrops ou fer-de- 
lance, le lachésis ou surucucu, etc. 


CLASSIFICATION DES VIPÈRES 29 


Le prince Charles Bonaparte (Zconografia della Faunu italica) 
a adopté le genre Pelias de Merrem. Les auteurs de l'Erpétologie 
générale ont aussi suivi cet exemple, mais non sans hésitation 
(Voir Erp. gén., t. VIE, pp. 1393 et 1414). 

Schlegel, au contraire, ne trouve pas les caractères qui dis- 
tinguent les vipères indigènes assez fixes ni assez constants pour 
permettre de les séparer, et il les réunit dans une seule espèce 
sous le nom de Vipera Berus. 

Cet auteur est allé trop loin; le péliade et l’aspic sont deux 
espèces distinctes ; mais nous croyons qu'ils appartiennent au 
même genre. Leur squelette n'offre point de différences notables 
et la présence des plaques n’a pas l’importance capitale que lui 
attribue Merrem. 

M. Léon Soubeiran, dans sa thèse inaugurale (de la Vipère, de 
son venin et de sa morsure. Paris, 1855), et dans son Rapport sur 
les vipères de France, Iu à la Société d'acclimatation le 17 juillet 
1863 (1), a aussi réuni toutes les vipères françaises en un seul 
genre. 

M. Jan, si bon guide en erpétologie, ne conserve, dans sa 
grande Zconographie des Ophidiens, le mot Pelias, que pour repré- 
senter un groupe du genre Vipera. 

Voici donc quels sont les caractères du genre Vipera, tel que 
nous le comprenons : 

Solénoglyphes à téte déprimeée, élargie en arrière, entièrement 
revétue de petites écailles, plus rarement offrant au milieu de ces 
écailles trois plaques syncipitales. Narines à orifices latéraux sim- 
ples, larges et concaves. Urostéges sur deux rangs. 


(1) Parmi les naturalistes qui envoyèrent, à cette époque, des documents 
sur les vipères à la Société d’acclimatation, M. Soubeiran cite M. Brierre, 
receveur des douanes à Saint-Hilaire de Riez (Vendée), M. Main, avocat 
au Tablier (Vendée), et M. Alc. Thomas, naturaliste à Nantes. 


30 VIPÈRE-ASPIC 


Le tableau suivant résume les principaux caractères des trois 
vipères européennes. 


“ 


prolongé en pointe molle YIPÈRE AMMODYTE, 


entièrement de | V. Ammodytes, Dum. 


petites écailles ) 
(Vipera Merrem). | 


Museau tronqué et bordé, VIPÈRE COMMUNE, 


Vipères à tête V. Aspis Merr, 


recouverte 


cussons ( Pehas 
Métro) CE. PLAQUES, V. Berus Daud. 


d’écailles et de trois | mousse et non bordé, VIPÈRE A TROIS 
L’ammodyte n'existe ni en Bretagne, ni en Vendée. C'est même 
à tort, suivant nous, que ce reptile du midi de l'Europe est si- 
gnalé par les auteurs dans le sud-est de la France. 


La VIPÈRE COMMUNE ou ASsPic, Vi- 
pera Aspis Merrem, V. communis Mil- 


let, Mauduyt, V. Berus Delalande non 
aliorum (fig. 7 et 10), a la tête trian- Fig. 7. 

gulaire et un peu en cœur en arrière. Son museau, terminé 
par une plaque trapézoïdale, est fortement retroussé. Le 
rebord saillant qu'il présente se prolonge jusqu'aux yeux et 
rend un peu concave le dessus de la tête, qui est couvert 
de petites écailles. Celles-ci sont allongées, carénées et imbri- 
quées sur la partie postérieure du crâne, tandis qu’à la partie 
antérieure de la tête elles sont arrondies et ressemblent à des 
granulations. 

Deux ou plusieurs rangées de petites écailles se trouvent entré 
l'œil et les plaques qui forment la lèvre supérieure. Un cou étroit 
sépare la tête du corps, qui est légèrement renflé à sa partie 
moyenne. 

La vipère commune n’atteint jamais une grande longueur et 


VIPÈRE-ASPIC 31 


ne dépasse pas 70 centimètres. Un fort individu mesure ordinai- 
rement 62 centimètres, dont 8 de queue. 

Les aspics offrent une grande diversité dans la couleur géné- 
rale de leur robe et dans la manière dont ils sont tachetés. 

La coloration de leurs parties supérieures varie du verdâtre, 
du noirâtre et du gris cendré au jaunètre, au fauve et au rouge 
brique, teintes sur lesquelles les taches tranchent par leurs tons 
plus foncés ; celles-ci sont noires où brunes et si diversement 
disposées, qu'il n’y a pas deux aspics tout à fait semblables. 

Sur la tête, ces taches imitent des lettres, et sont dites hiéro- 
glyphiques. 11 est impossible de décrire toutes leurs variétés de 
configuration, d'autant plus que, vers l'extrémité du museau, il 
en existe souvent de supplémentaires. Les principales sont for- 
mées par deux croissants opposés par leur convexité; lorsqu'ils 
se touchent, ils donnent lieu à un X; quand, au contraire, ils 
sont un peu écartés, ils ressemblent à deux C ou à deux J, l’une 
des lettres étant renversée. Le plus souvent les branches anté- 
rieures de l’X font défaut, et les vipères portent sur la tête la pre- 
mière lettre de leur nom, ua V ouvert en arrière. Dans certains 
cas, on ne voit que deux ou quatre petits traits convergents, 
l’angle antérieur du V ou le milieu de VX ayant disparu. Enfin, 
la tête peut être dépourvue de taches. 

Après le V commence sur la nuque, au niveau du rétrécissement 
qui unit la tête à l’échine, la ligne brisée dite le zigzag dorsal; elle 
se prolonge jusqu’à l'extrémité de la queue et se compose d’une 
suite continue de losanges. Cette ligne est cependant quelquefois 
interrompue; chaque losange s’arrondit alors sur ses angles. 

Le tatouage des parties latérales dérive derrière l'œil d'une 
tache linéaire et horizontale, la bande post-oculaire, qui est con- 
tinue chez l’aspic et interrompue chez le péliade. Toutelois, 
ce caractère différentiel n’est pas assez constant pour distinguer, 


0 


VIPÈRE-ASPIC 


à lui seul, ces deux animaux; car la disposition inverse s’observe 
et nous avons trouvé aussi, chez le même individu, la tache 
post-oculaire continue d’un côté et interrompue de l'autre. Der- 
rière la bande de l’œil commence fa série des taches latérales dont 
chacune correspond à un angle rentrant de la ligne brisée du dos. 
Les lèvres des aspics sont blanches, grises ou roses: quand 
elles présentent des macules, celles-ci sont noïrâtres et angu- 
laires. 

Les teintes du ventre varient presque autant que celles des 
parties supérieures ; les plus communes sont le gris d’acier et le 
noir. Elles vont en se dégradant vers les extrémités, surtout 
sous la gorge, qui est blanchâtre ou rosée. Les gastrostéges 
offrent aussi sur leurs bords, et à leur jonction avec les écailles, 
une coloration plus faible; telle est l’origine de la série de petites 
taches d’un ton gris, rose ou paille, qui se remarquent souvent sur 
les côtés du ventre. 

Les teintes roses des parties inférieures se voient surtout chez 
le mâle pendant la saison des amours. 

La vipère commune a des races locales; ainsi une vipère des 
Alpes ou des Pyrénées, est, à première vue, distinete d’une vipère 
de la Vendée ou des Deux-Sèvres. Cependant, quand on étudie les 
variétés que l’on à essayé d'établir, on voit que ni la coloration, 
ni la disposition des écailles ne fournissent de caractères cons- 
tants, et qu'entre les formes qui servent de types il y a une 
série d'intermédiaires. Nos paysans et nos chasseurs se bornent à 
diviser les vipères en rouges, en grises, et en noires, réservant 
pour les premières le nom d’aspie, et appelant les grises du nom 
de vipère (au masculin ). Les rouges sont, à tort ou à raison, 
réputées plus dangereuses que les grises. Elles sont les plus nom- 
breuses à Frossay, à Vue, et dans les communes voisines, tandis 
qu'elles sont rares à Challans. Ailleurs on les trouve vivant de 


VARIÉTÉS DE L’ASPIC 93 


compagnie, et presque aussi nombreuses les unes que les autres. 

Les noires passent pour avoir une malignité de venin encore 
plus grande, mais rien n’est moins prouvé. Elles sont, du reste, 
extrêmement rares ; la plupart des serpents venimeux, à couleur 
très-foncée, que nos paysans disent aimer les lieux frais et hu- 
mides, sont des péliades. 

Les erpétologistes ont, d’après la coloration et la disposition 
des taches, subdivisé les vipères communes en cinq groupes. 
La variété a, type du V. Aspic, porte, sur une robe rougeûtre, 
orangée ou d’un brun foncé, un zigzag à losanges séparés. La 
variété b, V. Chersea (A), a la même teinte générale, mais sa ligne 
dorsale est continue. Les variétés c et d sont grises : la première 
V. Redi, présente un zigzag continu ; la seconde, des losanges 
séparés : celle-ci se nomme V. ocellata, lorsque ses taches ar- 
rondies sont plus noires à leur circonférence qu’à leur centre. 
La variété e, V. Præster, est noire ou de couleur tellement 
foncée que ses taches ne se distinguent plus. Il existe une 
sixième variété f, non décrite dans les auteurs et que nous 
appellerons V. Delalandei. Elle est l'opposé du V. Præster qui 
est le mélanisme du serpent, car elle en est l’albinisme ou la 
décoloration. Nous ne l’avons observée que chez des animaux 
de grandes dimensions, à crochets formidables et à tête offrant 
un rebord nasal et des granulations syncipitales très-pronon- 
cés, c’est-à-dire chez de vieux individus, et nous la décrivons 
d'après un serpent pris aux environs de Nantes, par labbé 
Delalande. La robe de cette vipère est gris cendré clair et 


(1) La synonymie des deux espèces de vipères, dans les auteurs, est 
impossible à débrouiller. Le prince G. Bonaparte a dépensé à ce travail 
beaucoup d’érudition, sans être arrivé à un résultat satisfaisant. Les mots 
Chersea et Præster sont aussi souvent attribués à des péliades qu’à des 
aspices. 


co 


dk VARIÉTÉS DE L’ASPIC 


sa tête ne porte point de taches ; le zigzag dorsal est remplacé 
par deux séries de points noirs correspondant par leur position 
aux extrémités des losanges qui devraient théoriquement exister ; 
le trait post-oculaire est presque effacé et ne dépasse pas la saillie 
de la tête; les taches latérales n'existent point; le ventre blan- 
châtre est marbré de gris clair. 

Les aspics qui vivent au nord de la Loire ont entre les 
yeux une écaille plus développée que les autres simulant un 
petit écusson. Cette disposition est représentée dans la planche 
79 bis, fig. 3 de l’Erpétologie générale donnée comme type de la 
vipère commune. Delalande, frappé de ce caractère qu’il avait ob- 
servé sur des aspics, au bois de la Groulais, considérait les vipères 
à plaque inter-oculaire comme formant une espèce nouvelle qu'il 
désignait d’après Latreille, sous le nom de Vipera Chersea (A). 
Le docteur Le Ray, de Blain, dans le rapport qu'il a adressé 
en 1860 à la préfecture de la Loire-Inférieure (2), appelle Ja 


(1) Procès-verbaux de la section des sciences naturelles de la Société acadi- 
mique de la Loire-lnférieure, 19 mai 1851. Ces procès-verbaux contien- 
nent aussi diverses communications erpétologiques, faites par MM. Dela- 
lande, Alc. Thomas, Pradal, A. de l'Isle, Rautou et autres membres de la 
même Société. 

(2) Nous devons à l'extrême obligeance de M. le baron de Girardot, 
secrétaire général de la préfecture de la Loire-Inférieure, la communica- 
tion de ce rapport et de tous ceux qui lui furent envoyés à la suite de 
l'enquête ouverte par lui sur les vipères, au mois de juin 1860. 

Voici les questions principales qu'il avait posées aux médecins, vété- 
rinaires et naturalistes du département : | 

4° Existe-t-il un grand nombre de vipères dans votre commune ? 

2 Quelles espèces et quelles variétés y rencontre-t-on ? 

3° Y trouve-t-on le péliade où vipère à trois plaques? 

&o Avez-vous observé des morsures de vipères sur l’homme et sur les 
animaux domesliques ? 


VIPÈRE-ASPIC 30 


même variété d’aspic V. Blaniensis. La chersée de Delalande ne 
peut être séparée, comme espèce, de la vipère commune dont 
elle a les caractères. Son prétendu écusson n’est jamais considé- 
rable et présente tous les intermédiaires entre la plaque et Ja 
simple granulation. 

L’aspic est un des reptiles les plus communs de nos contrées. 
Jl manque cependant aux iles d'Yeu et de Noirmoutier (4), et la 
difficulté avec laquelle il traverse des bras d’eau un peu considé- 
rables, l'empêche de s'établir dans les îles de la Loire. Il est rare 
dans la Plaine, où peu de terrains restent sans culture, plus rare 
encore dans le Marais, entrecoupé de nombreux canaux. Les 
parties boisées de la Vendée, de la Loire-Inférieure et des Deux- 
Sèvres sont au contraire infestées de vipères. Habitué à régner 
en maître dans les hallièrs du Bocage, l’aspic y devient moins 
ümide et plus dangereux que partout ailleurs. 

Au nord de la Loire, il est Ja seule vipère que l’on rencontre 
dans les cantons de Nantes, de fa Chapelle-sur-Erdre, de Car- 
quefou, de Ligné, d'Ancenis, et en particulier dans les bois de 
Meilleraie et dans la forêt du Cellier. On le trouve avec le péliade 
dans les cantons de Blain, de Moisdon, de Savenay, etc. Plus au 


5° Quel est le traitement qui parait avoir le mieux réussi? Les blessés 
s'adressent-ils aux hommes de l’art ou à des empiriques ? 

6° Quels sont les destructeurs naturels des vipères ? 

79 Les accidents sont-ils assez nombreux et assez graves pour nécessi- 
ter des mesures administratives ? 

Suivait un tableau à remplir avec les observations des cas de piqûres. 

Que M. le baron de Girardot veuille agréer nos remerciments respec- 
tueux pour la bienveillance dont il nous a honoré, et pour les nombreux 
encouragements qu'il nous a donnés dans le cours de ce travail. 

(1) La rage est, coïncidence singulière, inconnue à l'ile d'Yeu et à Noir- 
moulier 


96 ._ VIPÉÈRE-ASPIC 


nord, à Rougé, par exemple, l'autre vipère le remplace complé- 
tement. 

Les paysans de la rive droite du fleuve disent que les vipères 
fuient la mer. Cela est vrai au nord de la Loire, à cause des 
marais salants qui bordent la côte. Sur la rive gauche, au con- 
traire, les aspics, à la chasse des rats et des mulots, se hasardent 
sur les falaises et même parmi les galets laissés à sec par la 
mer. 

On peut juger par les chiffres suivants combien sont encore 
nombreuses de nos jours ces bonnes vipères du Poitou dont la re- 
nommée s’étendait jusqu'à Venise, où elles s’exportaient comme 
médicaments. 3 

MM. Barreau et Lecrac, pharmaciens à Challans, ont expédié 
à Paris, pour un fabricant de remèdes secrets, plusieurs milliers 
de vipères-aspics; depuis cette époque, les vipères sont moins 
communes aux environs de cette ville. 

M. de Néri du Rozet, conseiller de préfecture de la Loire-Infé- 
rieure, et M. Guérin, instituteur, nous ont donné des détails cu- 
rieux sur une chasseuse de vipères, demeurant à Faye-l'Abbesse 
(Deux-Sèvres), et appelée la femme Moreau. M. Guérin est en 
rapports journaliers avec elle, car c'est à lui que doivent être 
apportées les têtes de vipères pour lesquelles la prime de 50 c. 
est réclamée. 

Depuis le 13 mars 1863, la femme Moreau, année moyenne, a 
présenté 2,062 têtes de vipères, et touché 515 fr. 50 de prime. 
La rencontre d’une bête pleine est pour elle une bonne aubaine; 
les têtes de vipereaux comptent, en effet, comme les autres. Un 
bâton pour arrêter le reptile, une petite pelle pour le décapiter, 
etun pot pour recevoir la tête, tels sont les engins de chasse de 
cette femme, qui, grâce à cette industrie, est sortie dela misère. 
Elle se plaint maintenant que les vipères deviennent rares et qu'il 


VIPÈRE-ASPIC 37 


faut aller les chercher au loin, ce qui rend son métier moins 
lucratif. | 

La Côte-d'Or ne le cède en rien, au point de vue de l'abondance 
des serpents venimeux, à la Vendée et au reste du Poitou : les 
chiffres qui suivent en font foi. 

Dans sa séance du 26 août 1865, le Conseil général de Dijon 
a constaté que le crédit de 7,900 francs qu’il avait alloué pour 
la destruction des animaux nuisibles a été insuffisant en 1864 ; 
les primes pour 26,161 vipères (à 30 centimes par tête) se sont 
élevées à 7,848 fr. 50 c. et celles pour la’ destruction de 70 loups 
à 963 fr.; total, 8,811 fr. 50 c. 


La VIPÈRE A TROIS PLAQUES OU PÉLIADE, Vipera Berus 
Daudin, Cuvier, etc., Pelias Berus Merrem, Vipera 
trilamina Millet, Delalande, Echidnoïdes  trilamina 
Mauduyt, petite vipère, vipère commune du Nord 
(fig. 8), a la tête cordiforme, quoique moins trian- 


gulaire que celle de Paspic. Son museau, terminé 
par une large plaque trapézoïdale, n’est ni retroussé 
ni bordé. 


Au milieu des petites écailles dont sa tête est revêtue, se voit 
entre les yeux un groupe de trois plaques polygonales, lisses 
et rapproéhées en triangle; l'antérieure ou impaire est la plus 
large. 

Cette écaillure offre quelques légères différences suivant les 
individus. C. Bonaparte attribuait beaucoup d'importance à la 
disposition symétrique ou irrégulière des granulations qui sont 
au-devant des plaques et avait divisé le genre Pelias, d’après 
cette considération, en deux espèces, le P. Berus et le P. Chersea ; 
ces caractères n’ont pas plus de valeur que la présence ou l'ab- 
sence d’un écusson central, chez la vipère-aspic. l 


38 VIPÈRE PÉLIADE 


Une rangée d’écailles granuliformes isole les écussons de chaque 
plaque sourcilière; mais elle peut manquer; le sommet de la tête 
paraît alors revêtu de cinq plaques. Nous avons représenté cette 
disposition dans un précédent travail sur les serpents indi- 
gènes (1). D’autres fois, les écussons sont tellement réduits qu'ils 
se distinguent à peine des écailles, et que pour reconnaître un 
péliade, il faut recourir à d’autres caractères. + 

Certaines dispositions de l’écaillure sont de véritables anoma- 
lies ; ainsi nous avons vu une fissure antéro-postérieure diviser 
inégalement en deux l'écusson central. Une des vipères prises 
par Delalande, à Saint-Gildas-des-Bois, a ses plaques posté- 
rieures dédoublées transversalement ; chez une autre, une petite 
granulation sert de point d'union entre les trois plaques syncipi- 
tales. | E 

Une seule série de petites écailles arrondies sépare l’œil des 
péhades de leurs plaques labiales. MM. Jan et À. Duméril insistent 
sur la valeur de ce caractère pour distinguer, dans les cas diffi- 
ciles, nos deux serpents dangereux. 

Les vipères à trois plaques atteignent rarement les dimensions 
de la vipère commune, mais leur queue est relativement un peu 
plus longue; ainsi un fort péliade de 58 centimètres de long a 
8 centimètres de queue. 

Leur livrée a les plus grands rapports avec celle de Paspic. 
Leur robe est grise, verdâtre, noire ou rouillée en dessus avec 
des taches brunes ou noires dans lesquelles on retrouve les’‘hiéro- 
glyphes, le zigzag, la bande post-oculaire et les taches arrondies 
des flancs. 

La partie antérieure de l’hiéroglyphe se présente ordinaire- 


= 


(1) Études médicales sur les serpents de la Vendée et de la Loire-Inférieure. 
. Nantes, imprimerie Mellinet, 1860. PI. II, £. 4. 


L 
VARIÉTÉS DU PÉLIADE 39 


ment sous forme de larges taches irrégulières, parfois réunies 
en une seule qui s'étend sur les écussons. Par derrière, le V est 
incomplet, ou bien s’unit à la tache antérieure de façon à 
former un Y, ou à rappeler la tache cordiforme de la coronelle 
lisse. | 

Le zigzag naît par une extrémité conique dans l’échancrure de 
 lhiéroglyphe. Il est continu, et, dans les variétés grises, bordé 
d’une sorte de pénombre rougeàtre. 2 

La bande post-oculaire est interrompue; les taches latérales 
correspondent aux angles rentrants de la ligne du dos. 

Les lèvres tachetées de noir sont blanches ou rousses; la gorge 
et le dessous de la queue sont habituellement blanchâtres avec 
des macules noires ou brunes. 

La couleur du ventre est différente suivant les variétés. Dans 
le type à dos gris ou verdâtre, V. Berus, var. cinerea, il est noir, 
mais parfois offre de petites taches blanches à l'extrémité des 
gastrostéges; chez les individus entièrement noirs et à taches 
non distinctes, V. Berus, var. fartarea (V. Præster de quelques 
auteurs), il est d’un noir presque bleu; dans les variétés rouges 
ou rouillées, V. Berus, var. rubiginosa, le dessous du corps est roux 
et taché de brun. 

Ces trois variétés de vipères se rencontrent, dans nos départe- 
ments. ; 

Au nord de la Loire le péliade nous a été signalé à Saint-Gildas- 
des-Bois! (1) (Delalande), dans la forêt du Gävre ! (Delalande), à 
Blain ! (Delalande et Thomas), à Guéméné et à Missillac ! (Tho- 
mas), à Assérac (Sagot), à Bouvron ! (Maillard), aux environs de 
Saveray (Oheix), à Rougé (Gicquiau), dans la forêt d’Ancenis, 
commune du Grand-Auverné! (A. de l'Isle), à Moisdon! (Mail- 


(1) Le signe ! indique que nous avons vu des péliades tués dans la loca- 
lité dont il suit le nom. 


té 


20 VIPÈRE PÉLIADE 


lard), à Zssé! (Dauffy), à la ferme école de Grand-Jouan, com- 
mune de Nozay (Decorce). s 

Le musée des Eudistes de Redon renferme des péliades prove- 
nant des environs de cette ville et M. A. de l'Isle en a pris dans 
la forêt de Teilley. M. Millet indique aussi cette vipère comme 
abondante dans la partie nord du Maine-et-Loire. 

Au sud du fleuve, le docteur Bourgeois nous écrit qu'il a ren- 
contré la vipère à trois plaques à la Verrie, département de la 
Vendée, et le docteur Delhoumeau, dans son rapport, dit l'avoir 
vue à Clisson. La faune de Maine-et-Loire constate sa pré- 
sence sur plusieurs points de l'arrondissement de Chollet. 
Elle existe aussi dans les Deux-Sèvres et dans la Vienne. 

Les deux vipères du pays se ressemblent au point qu'il est 
facile de les confondre. 

Elles se distinguent, toutefois, par leur museau, par la pré- 
sence ou l'absence des plaques syncipitales et par quelques autres 
caractères de moindre importance, mais qui, dans les cas diffi- 
ciles, viennent en aide pour déterminer l'espèce du reptile; tels 
sont la forme de la tête, le rétrécissement plus ou moins marqué 
du cou, la disposition de la bande post-oculaire et le nombre des 
rangées d’écailles séparant l'œil de la lèvre supérieure (1). 

Il n'y a pas grand inconvénient, au point de vue pratique, à 


(1) Deux vipères de Faye-l’Abbesse nous ont présenté un museau re- 
troussé avec trois pelites plaques syncipitales; et deux autres de la même 
localité offraient un museau mousse et portaient des écailles imbriquées, 
assez larges, sur toute la tête. Elles avaient, toutes les quatre, plusieurs 
rangées d’écailles sous l'œil et une bande post-oculaire non interrompue. 

Doit-on les considérer comme des ano:nalies de la vipère commune, ou 
comme des métis ? Quoiqu'elles se rapprochent beaucoup plus de l’aspie 
que du péliade, certains autres faits nous font pencher vers la seconde 
opinion. Ce ne serait pas le premier exemple de métis produits par des 
animaux à l’élat sauvage. 


sd” 


CARACTÉÈRES DIFFÉRENTIELS MA 


confondre le péliade avec l’aspic, car ils ne valent guère mieux 
lun que l’autre. Il est, au contraire, très-important de distinguer 
une vipère d’un serpent sans venin. s 

L’orvet ne peut donner lieu à la méprise; il est trop petit, trop 
différent de forme et d’écaillure; sa queue est trop longue par 
rapport au reste de son corps, et il a trois paupières mobiles. 

Les couleuvres sont fréquemment prises pour des vipères, et 
l’erreur inverse n’est pas moins commune. 

Nous avons reçu des coronelles lisses sous le nom de Vipera 
Berus, et nous avons tué le tropinodote vipérin, le prenant, à 
première vue, pour un reptile dangereux. 

Il existe, dans les belles collections de l'École de Médecine 
de Nantes, un tropinodote vipérin fort curieux ; il est d’une cou- 
leur noire uniforme, sauf sous le ventre, où il présente quelques 
taches blanches. Tué à Orvault (Loire-Inférieure) par notre 
bien-aimé maître M. le professeur Delamarre, il fut, avant l’exa- 
men des plaques de sa tête, considéré comme un Vipera Preæster. 

Le péliade a plusieurs fois donné le change à des naturalistes 
éminents. C’est ainsi que C. Duméril, le premier erpétologiste 
de notre époque, fut blessé, dans la forêt de Sénart, par une 
vipère à trois plaques, en croyant saisir une Couleuvre vipérine 
(Erp. gén., t. vu, p. 1399). La science profita de l'accident du 
savant professeur, et nous ne connaissons pas d'observation plus 
intéressante de piqûre envenimée. 

L'abbé Delalande faillit, à Saint-Gildas des Bois, être victime 
d’une pareille mésaventure, à une époque où le péliade n’était 
pas encore connu des naturalistes bretons. Notre regretté maitre 
allait se jeter à pleines mains sur ce reptile nouveau pour lui, 
quand il fut garanti de sa morsure par le dévouement et la Saga - 
cité de son chien. (Proc.-verb. cit., 19 mai 1854.) 

Le tableau suivant résume les principales différences qui per- 
mettent de reconnaitre les vipères des couleuvres. 


42 


CARACTÈRES DIFFÉRENTIELS 


CARACTÈRES 
DIFFÉRENTIELS, 


lo Forme de la tête. 


2% Écaillure, 


3° Pupille. 


4 Dents. 


6° Pelage. 


VIPÈRES. 


arrière, séparée du tronc par 
| un cou rétréci, 
l’aspic. 


| Triangulaire, plus large en 


surtout chez 


Tête couverte, soit entière- 
ment de petites écailles (as- 

{ pic), soit de petites écailles 
et de trois plaques en écus- 
son (péliade). 


| En fente verticale. 


Une seule entièrement déve- 

loppée, longue, courbe et 
mobile, de chaque côté de 
la mâchoire supérieure. 


Brusquement terminée, for- 
 mant à peine le sixième de 
| la longueur totale. 


Signes hiéroglyphiques, zig- 
zag dorsal, etc. 


COULEUVRES. 


Ovale, sans rétrécissement 


distinet la séparant du corps. 


| Tête couverte de neuf gran- 
| des plaques. 


| Ronde. 


Dents de la mâchoire supé- 
ricure nombreuses et ana- 
logues à celles de lautre 
mâchoire. 


Queue plus longue et moins 
| brusquement terminée. 


Le zigzag et les signes hic- 
roglyphiques n’existent que 
chez la couleuvre vipérine. 


De tous ces caractères, ceux tirés des dents ont le plus d'im- : 


portance, mais ils ne peuvent servir que lorsque l'animal n’est 


déjà plus à craindre. 
Les plus fugaces pris isolément sont donc ceux qui sont les 


plus utiles dans la pratique ; 


nous voulons parler de la brièveté 


du corps des vipères et de celle de leur queue, de la forme de leur 
tête, de leur tatouage, ete. 


La pupille et l’écaillure de la tête sont des signes certains 
pour distinouer les serpents venimeux du pays de ceux qui sont 


inoffensifs, mais il ne faudrait pas généraliser cette proposition 
et l'appliquer aux serpents étrangers. 
Les grandes couleuvres telles que lélaphe, ou le zamenis, 


MŒURS DES VIPÈRES 43 


_ grâce à leur coloration, à leurs dimensions et à leur forme svelte 
ne peuvent être prises pour des vipères. 

La confusion n’est guère permise, non plus, pour le gracieux 
tropidonote natrix, à cause du collier blane ou jaune, bordé de 
noir en arrière, qu'il porte sur le cou. 

La coronelle lisse fréquente, comme l’aspic, les lieux secs et 
pierreux, et a les teintes des vipères; elle s’en distingue par ses 
écailles lisses et par l'absence de zigzag sur le dos. 

Le tropidonote vipérin a, comme les vipères, une bande 
post-oculaire, des écailles carénées, des signes hiéroglyphiques, 
des taches latérales et un zigzag dorsal, mais il présente des 
macules jaunes sur les flancs, porte neuf plaques sur la tête, a 
la pupille ronde et sa queue est plus allongée (1) ; c’est un ser- 
pent des lieux frais et humides. 

La variété chersoïde s’éloigne plus encore des vipères par ses 
bandes dorsales de couleur jaune. 


Mœurs. — Le péliade et l’aspic passent la saison froide dans 
des excavations naturelles, sous des souches, dans des fagots, 
dans des troncs d'arbres cariés ou sous la mousse, Ils hivernent 
souvent plusieurs ensemble dans la même cavité. 

Des ouvriers employés, à Frossay, à détruire de vieux terriers, 
sur la propriété de M. Alfred Pineau, ont tué, en un seul hiver, 
10% aspies de toutes tailles appartenant à la variété rouge. Au 
dire de M. Pineau, ces reptiles, nombreux sous la même souche, 
étaient toujours enroulés séparément. Après ce massacre, les 


(4) Voici des mesures que nous avons prises nous-même sur trois ser- 
pents : 


* Aspic de forte taille : longueur totale, 60 cent. Queue 8 cent. 
Péliade, — 58 — — 8 — 
Vipérine, — 52 — — 9 — 


44 MŒURS DES VIPÈRES 


\ 


vipères ont presque disparu aux environs de cette propriété, 
pendant cinq ou six ans. Elles y reviennent de nouveau, quoique 
en moins grand nombre, depuis que plusieurs hectares ont été 
plantés en châtaigniers. 

Les vipères commencent à sortir de leur torpeur au mois de 
mars ; quelques-unes se montrent dès le 15 février. Leur vie 
d'activité se prolonge jusqu’à la fin d'octobre, dans nos dépar- 
tements, où l’automne est doux et pluvieux. 

M. G. Grignon du Moulin rapporta, en 1862, de Baréges, un 
aspic à livrée assez curieuse et dont il put, pendant trois ans, étu- 
dier les mœurs dans une cage recouverte d’une glace oblique. 

La chambre qu’habitait, à Nantes, M. Grignon du Moulin 
recevant le soleil à tous les moments de la journée, était tou- 
jours chaude. Dans ces conditions exceptionnelles, la vipère 
n’hiverna point complétement ; elle sortait chaque jour de Pamas 
d'herbe sèche qui lui servait d’abri; et ne resta tout à fait ren- 
fermée que par les journées de pluie ou de froid excessif. Elle 
prévoyait le temps de douze à dix-huit heures à l’avance, car ses 
sorties se prolongeaient d'autant plus que la température allait 
être plus élevée. 

Après leur hivernage, les vipères changent de peau comme 
les autres serpents du pays. Elles font une nouvelle mue à la fin de 
septembre quand elles vont rentrer dans leur retraite. Il en ré- 
sulte des différences de ton pour le même individu, et le nouvel 
épiderme dans les variétés grises offre une teinte argentée sur 
laquelle les taches noires sont encore plus dictinctes. 

Dans leurs premières sorties, les vipères s’éloignent peu de 
leur abri, afin d'y trouver un refuge à la moindre alerte. Chaque 
jour elles s’en écartent davantage, explorant les alentours de leur 
demeure. Pendant l’été, elles sont moins craintives et la cha- 
leur les rend plus alertes ; poussées alors par la faim et le besoin 


MŒURS DES VIPÈRES 45 


de reproduction, elles se hasardent au loin, mais en ayant soin 
de s’assurer une retraite en cas de danger. Elles sont par là même 
difficiles à surprendre, quand elles ne sont pas alourdies par 
une proie avalée ou par l’état de prégnation. 

L'orage les surexcite, et, dès que le soleil reparaît après la 
pluie, on les voit sortir de leur repaire et ramper avec ra- 
pidité. 

Elles se tiennent surtout dans les endroits peu fréquentés, 
dans les buissons, les friches, les vignes, les champs de genêts, 
et les taillis. On les rencontre sur la lisière des bois, dans les 
clairières qu'ils présentent, et le long des routes ou des sentiers 
qui les traversent. L’aspie recherche les lieux secs, rocailleux, 
bien exposés au soleil et abrités du vent; le péliade, les endroits 
boisés et les forêts. 

Des coteaux rocailleux, inclinés vers le midi et couverts de 
ronces ou de jeunes châtaigneraies, sont des lieux redoutés avec 
raison par les chasseurs, surtout s'ils sont inclinés vers un ruis- 
seau ou une rivière, car les vipères y foisonnent. 

Au moment de la moisson, ces reptiles viennent dans les 
champs chasser les cailles et autres oiseaux qui déposent leur ni- 
chée par terre ; l’on trouve souvent à cette époque des vipères 
cachées dans les gerbes et sous les javelles de blé. 

Peu matineuses, elles ne se montrent, au printemps et à l’au- 
Lomne, qu'après la disparition de la rosée, c’est-à-dire rarement 
avant sept heures et demie à huit heures. La femme Moreau en 
a tué au contraire dès cinq heures du matin aux mois de juillet et 
d'août. L'été on les rencontre, en effet, toute la journée : le ma- 
tin, elles se chauffent au soleil sur les talus; vers le milieu du 
jour, elles se tiennent dans les broussailles. Lorsque la chaleur 
devient extrême, elles se réfugient dans les fourrés et descen- 
dent même dans les prés bas et sur le bord de l’eau. 


A6 MŒURS DES VIPÈRES 


Vers les trois ou quatre heures, elles reprennent leurs courses 
jusqu’au crépuscule; plusieurs personnes en ont aperçu après 
le coucher du soleil. 

A la Bouvardière, près des coteaux de la Chésine, une jeune 
fille faillit à la nuit être mordue par un aspic en croyant ramasser 
un ruban. | 

Le docteur Rouxeau a tué un aspic en septembre, à sept heures 
du soir, à Saint-Lumine-de-Coutais. En avril 1861, M. l’abhé 
Gicquiau prit également, à Rougé, à sept heures du soir, un 
péliade qui paraissait très-vif, malgré l'obscurité, et s’enfuyait en 
sifflant dans un buisson. 

Un homme de Sautron, cité par M. Thomas, fut blessé à la 
main par une vipère, à neuf heures et demie du soir. M. L. Sou- 
beiran signale dans son rapport le cas d’un pêcheur ayant eu, 
au milieu de la nuit, une pareille mésaventure. 

Par une soirée chaude et orageuse du mois d'août 18067, . 
M. L. Viau se trouvait dans la forêt de La Guerche (Ille-et-Vilaine); 
il suivait, de huit heures et demie à dix heures, la route qui du 
Château de ce nom conduit à Martigné-Ferchaud, quand il re- 
marqua sur la poussière de nombreuses traces transversales 
indiquant le passage de reptiles de diverses dimensions. Comme 
il savait la forêt pleine de vipères, il se tint sur ses gardes et 
put, à la lueur des éclairs, reconnaître deux serpents qui traver- 
saient la route. C'étaient deux vipères rouges de forte taille et 
qui Se mouvaient avec une extrême rapidité. 

Au contraire, dans leurs chasses aux papillons dites à la miel- 
lée, MM. de l'Isle et Bureau n'ont jamais rencontré, la nuit, 
d’aspics ni péliades, tandis qu’ils ont souvent pris des orvets 
rampant dans l'obscurité. 

Les observations de M. Grignon du Moulin tranchent la 
question des habitudes diurnes ou nocturnes de ces serpents, 


MŒURS DES VIPÈRES 17 
Chaque soir, sa prisonnière se retirait dans ses herbes sèches. 
Elle ne passa hors de son repaire que les nuits les plus chaudes 
de l’année. 

Les vipères ne sortent donc, la nuit, que l'été, et dans toute 
autre saison, elles sont des animaux diurnes. Si Drev leur a donné 
une pupille rétrécie leur permettant de voir dans l'obscurité, il 
les a créées frileuses, et labaissement de la température les tient 
prisonnières au gite. 

Les formes lourdes de l’aspic en font un mauvais nageur. Il ne 
se tient point dans les endroits humides et se voit rarement dans 
l’eau ; néanmoins, quand la chaleur est excessive, il descend au 
bord des ruisseaux. [1 va même, parait-il, par les temps d'orage, 
se nicher dans les touffes de carex ou se vautrer dans les mares. 
Sous les yeux de M. Thomas, une vipère-aspic entra dans l’étang 
de Carcouet, près Nantes, et en sortit tenant dans sa gueule un 
triton palmipède. Pendant qu'elle l'emportait sur la rive, notre 
ami lui brisa la colonne vertébrale d’un coup de pierre, et le tri- 
ton s’échappa plein de vie. Pour nous, dans nos courses, nous 
n'avons jamais trouvé de vipères dans l’eau ; mais, nous avons 
vu des aspics en cage se plonger dans des bols d’eau ou de lait ; 
ils paraissaient même, après le bain, plus irascibles et plus 
farouches. 

Le péliade nage mieux et fuit moins les endroits humides ; 
toutefois ses habitudes ne sont pas comparables aux mœurs 


aquatiques de la couleuvre vipérine. Aspic d’eau n'est pas dange- 


reux, dit un proverbe vendéen. 

Les vipères ne grimpent jamais dans les arbres : elles se fau- 
filent cependant dans les haies touffues, jusqu'aux nids dont 
elles dévorent les couvées et où elles guettent le retour des 
oiseaux. 

Elles ne pénètrent guère spontanément dans les fermes et les 


48 MŒURS DES VIPÉRESs 


étables, mais elles y sont introduites avec des fagots ou des 
gerbes. Elles peuvent ainsi être transportées jusque dans les 
villes et y occasionner des accidents. 

Au mois d'août dernier, M. Brisset, boulanger à Angers, 
rue Toussaint, rentrait des bourrées pour son four. Par malheur, 
un des fagots renfermait une vipère-aspic, de la variété rouge. 
Elle blessa un des fils de M. Brisset au moment où il aidait à 
ramasser le bois. Ce jeune homme, d’une dizaine d'années, piqué 
à la main, succomba après vingt-quatre heures de souffrance, 
et malgré les soins qui lui furent prodigués. 

Les vipères ne se nourrissent que de proies vivantes. Leur 
alimentation est assez variée. Elles avalent des animaux beau- 
coup plus gros qu’elles, et l’on trouve dans leur estomac des 
souris, des rats, des mulots, des campagnols, des musaraignes et 
même, dit-on, des taupes. Elles vivent aussi d’orvets, de lézards, 
ét de batraciens. L’aspic et le péliade détruisent un nombre 
considérable d'oiseaux, surtout de cailles, d’alouettes et de pas- 
sereaux, et sont friands de jeunes couvées ; ils s’attaquent surtout 
à celles dont le nid est près du sol. Faute de mieux, les vipères 
se rejettent sur les insectes, et leur tube digestif contient sou- 
vent des débris de coléoptères. 

Rien n’égale leur prudence extrême ; aussi la Bible appelle- 
t-elle le serpent Callidior cunctis animantibus terræ(Gen., chap. HE, 
v. 1). Quoique les vipères perdent en captivité une partie de 
leurs facultés instinctives, elles sont des hôtes dangereux, et 
plus d’un expérimentateur a appris à ses dépens la confiance 
qu'on doit avoir dans la lenteur de leurs mouvements, et dans 
leur mine trompeuse. 

En liberté elles sont toujours sur leurs gardes et suppléent par 
la ruse à leur défaut d'agilité. Elles ne poursuivent pas d’ordi- 
naire leur proie, mais la gueltent en vrais brigands. 


MŒURS DES VIPÈRES 19 


Rien de curieux comme leur affût. Le serpent est lové sur lui- 
même dans la position la plus commode pour l'élan, et sa tête, 
placée au sommet des cercles concentriques, veille immobile. 
On le dirait endormi si son œil ne lançait un éclair sinistre, au 
moindre bruit dans les herbes. Un animal puissant vient-1l trou- 
bler l’affût, la vipère montre de l'inquiétude, cependant elle ne 
quitte son poste que lorsqu'elle se voit sur le point d’être 
attaquée. Elle déroule alors ses anneaux et fuit lentement. Le 
danger passé, elle retourne à son embuscade. Ses sens lui ont-ils 
signalé l'approche d’un être faible, pas un mouvement ne trahit 
sa joie; elle attend avec patience que sa victime soit à portée, 
puis fond sur elle comme un trait (1). Si la proie est un animal 
à sang froid, le serpent se met immédiatement à la dévorer; mais 
s'il s’agit d’un oiseau ou d’un petit mammifère, la vipère le blesse 
d'un premier jet, puis se replie sur elle-même pour ne revenir 
qu'au moment où, sous l'influence du venin, les dernières con- 
vulsions ont cessé. Elle engouffre alors l'animal tout d’une 
pièce, l’inonde de bave et le digère lentement. Le fond de l’es- 
tomac paraît seul sécréter le fluide gastrique, car la partie de la 
proie la première ingurgitée est réduite en chyme, tandis que le 
reste de l'animal dévoré est encore reconnaissable. 

_ Tous les ophidiens restent dans une espèce de torpeur pen- 
dant leur travail digestif et sont alors faciles à tuer. 


Voici un curieux cas de survie d’un batracien avalé par une 
vipère 3 

M. F. Talvande ayant un jour écrasé d’un coup de botte une 
femelle d’aspic qu'il croyait pleine, en vit sortir une grenouille 


(4) Les vipères, qu'elles soient lovées ou non, portent la tête en ar- 
rière avant de s’élancer pour blesser. Elles ne quittent jamais complète 
ment le sol, même quand elles se débandent comme un ressort. 


n 


Î 


90 MŒURS DES VIPÈRES 


d’abord un peu étourdie, mais quise ravisa, coassa sourdement 
et prit la fuite. 

C’est un étrange spectacle que de surprendre une vipère ava- 
lant un crapaud. Saisi par le train postérieur, le batracien se 
laisse engouffrer dans la gueule horriblement distendue du rep- 
tile, sans faire le moindre effort pour se dégager, el, pour ainsi 
dire, avec un air de stupide satisfaction. 

La scène est toute autre quand un crapaud aperçoit un ser- 
pent qui le guette. Dominé par cette vue, le malheureux animal 
se dresse sur ses pattes, qui se raidissent, pousse un coas- 
sement déchirant, et, malgré lui, va se livrer à son ennemi. 

Les vipères paraissent, en effet, exercer par leur regard sur 
les petits animaux un pouvoir magnétique, que le vulgaire exa- 
gère encore et auquel il donne le nom de charme ou de fascina- 
tion. C’est un phénomène de peur extrême faisant tomber dans 
le péril que l’on veut éviter. Ainsi l’on voit un enfant effrayé se 
précipiter sous: les roues d’une voiture, ou de malheureuses 
femmes se jeter, par la peur du feu, dans les flammes d’un in- 
cendie. 

Les oiseaux, glacés de terreur par la vue de ces yeux fixes, 
sans paupières mobiles, et par ce sifflement (1) sinistre, vol- 
tigent en poussant des cris plaintifs, et finissent par tomber dans 
la gueule de l'animal maudit. 


(1) Le mot sifflement, malgré l'opinion de notre excellent maitre, M. A. 
Duméril, nous parait être le seul à l’aide duquel on puisse exprimer le 
bruit que font les serpents en chassant l'air par leurs narines. Ce siffle- 
ment ne se rapproche point de celui que l'homme produit avec sa bouche 
et qu'imitent certains oiseaux, quoique les poëtes semblent les comparer 
et les expriment tous deux par harmonie imilative en mulipliant les $. 
C'est un bruit de souffle beaucoup moins fort et beaucoup moins aigu. 
Le sifflement des vipères a moins d’acuité que celui des couleuvres, quoi- 
qu'il soit de même nature. 


MŒURS DES VIPÈRES D1 


Les crapauds, les grenouilles et les petits mammifères su- 
bissent le charme, et la couleuvre vipérine l’exerce sur les gou- 
jons et autres poissons de même taille. 

A la Gaubretière (Vendée), Félix Panchot, enfant de treize 
ans, vit un jour, sur l'herbe, un oiseau qui ne lui semblait pas 
disposé à s'enfuir ; en voulant le saisir, il fut mordu au doigt par 
un aspic, dont la vue fascinait l'oiseau. Le blessé ressentit au 
point entamé par le crochet de l'animal une douleur qu'il compara 
à une piqüre d’aiguille ; la-main et l’avant-bras enflèrent promp- 
tement. Un de ses amis lui mit de suite une ligature, et un empi- 
rique de Chambretaud, en renom parmi les paysans, fut appelé 
pour continuer le traitement. Panchot soigné, intis et extra, avec 
une solution apportée par le conjureur, guérit en une dizaine de 
Jours. 

La terreur causée par la vue du reptile peut aller jusqu’à pro- 
duire seule la mort. MM. Duméril et Bibron voulant essayer sur 
un chardonneret l’action du venin de la vipère, le pauvre oiseau, 
tenu avec la plus grande précaution, mourut de peur, à la vue 
de l’animal et sans avoir été mordu. 

Chose curieuse, la fascination du serpent n’existe plus sur ses 
victimes ordinaires, quand elles le voient avant d’en être aper- 
çues, et que, renfermées dans un espace étroit, elles n’ont plus 
de salut que dans l'attaque. C’est alors le reptile qui est démonté, 
parce qu'il n’a pu combiner son plan stratégique. 

En avril 1864, une souris fut placée par M. l'abbé Sagot, dans 
une cloche en verre où se trouvait déjà un aspic. La courageuse 
petite bête se jeta intrépidement, dix à quinze fois, sur le reptile, 
et le mordit de toutes ses forces. La vipère déconcertée ne cher- 
chait qu’à fuir. Pour la forcer à mordre, on la ‘saisit avec une 
pince, et on la mit en face de son agresseur, qui fut blessé à la 
poitrine. La souris poussa un eri aigu, s’échappa par l’ouver- 


DA MŒURS DES VIPÈRES 


ture de la cloche, et alla succomber, sept minutes après, à une 
quinzaine de mètres du champ de bataille. Avant de mourir, elle 
eut quelques mouvements spasmodiques dans une patte et offrit 
une tuméfaction considérable du thorax. 

M. Arthur de l’Isle renferma, en 1860, une souris dans une 
cage grillée contenant une vipère. Le lendemain, il fut fort 
étonné de trouver la vipère à moitié dévorée, et la souris morte 
auprès d'elle. Un drame semblable au précédent s'était produit 
là, sans témoins. 

MM. Maillard et Dauffy ayant placé dans un bocal étroit un 
aspic et un gros lézard vert, le lézard se jeta à la tête de la vipère, 
la mordant avec fureur. Il fallut une lame de couteau pour lui 
faire desserrer les dents et l'empêcher d’étrangler son. ennemi. 
Le lézard saisit alors, avec l'énergie du désespoir, la lèvre infé- 
rieure du serpent, mais celui-ci, d’un coup de crochet, lui fit 
lâcher prise. Quelques heures après, le lézard ne présentait au- 
cun phénomène d’intoxication, et regagnait les champs. 

Les serpents n’ont besoin de nourriture qu'à de longs inter- 
valles. Au Jardin des Plantes de Paris, 1ls font de sept à neufrepas 
par année. Les crotales et les vipères sont remarquables entre 
tous pour la longueur des jeûnes qu'ils peuvent supporter. 

Jamais M. G. Grignon du Moulin n’a vu sa captive manger ni 
boire, quoiqu'il l'ait gardée trois ans et ne l'ait tuée que pour s’en 
débarrasser. De grosses mouches à viande introduites dans sa 
cage ont, il est vrai, disparu ; mais on a plus tard retrouvé, sous 
la cachette de foin, celles qui ne s’étaiert pas échappées quand 
on ouvrait la cage. Des grillons, placés avec l'aspic, se prome- 
naient sans crainte sur ses anneaux et leur musique semblait lui 
faire plaisir ; ils ont été retrouvés, pareiïllement desséchés, sous 
le foin, ainsi qu'une petite vipère qu’on lui avait donnée pour 
compagne. 


MŒURS DES VIPÈRES 53 
Les ophidiens, en cas de diète prolongée, ne muent pas, en 
général, à l’époque où ils ont coutume de le faire. L’aspic de 
M. Grignon ne changea point de peau pendant toute sa captivité. 
Le nom des vipères leur vient de leur mode de reproduction 
(vivipara, par contraction vipera). Elles mettent au monde des 
petits tout formés qui entrainent, dans leur sortie, les débris des 
œufs dans lesquels ils étaient renfermés. 

Elles s’accouplent dès le mois de mars ; on en voit toute- 
fois se rechercher jusqu’à la fin de lété (1). La délivrance a 
lieu du mois d'août à la mi-octobre. D’après M. Thomas, les pe- 
tits péliades sont moins longs à leur naissance que les petits 
aspies. 

Leurs portées sont de cinq à douze vipereaux mesurant chacun 
quinze à dix-sept centimètres, ce qui explique la grosseur et la 
gêne des mouvements des femelles pleines. 

Les vipères mettent, dit-on, sept ans à acquérir toute leur 
taille, et grâce à leur fécondité, peuplent abondamment les lieux 
où l’homme les laisse en paix. 

Les accolements de germes ne sont pas très-rares chez ces ani- 
maux et plusieurs musées possèdent des serpents à deux têtes ou 
à deux queues. Ces monstruosités ont donné lieu à la fable des 
hydres. 

Au mois de septembre, les vipères se réunissent parfois en 
amas, comme le font les couleuvres. Deux chasseurs vendéens, 
nous écrit le D' Guitter, en tuèrent dix-sept de quatre coups de 
feu, tirés dans un de ces blocs d’aspics. 

Les anciens attribuaient aux serpents venimeux des mœurs de 


(1) Une erreur, qui date des Grecs et des Romains, a encore cours dans 
le marais septentrional de la Vendée. Lorsque l'été l’anguille s’envase par 
suite du desséchement des canaux, le maraichin croit qu’elle mène la vie 
des serpents el s’accouple avec eux. 


famille dignes des Atrides (1). Entre autres griefs ils reprochaient 
aux vipères de dévorer leurs petits. La Providence, en donnant 
à ces animaux cet instinct pervers, empêcherait ainsi leur trop 
grande .multiplication. Des vipereaux ont, en effet, été trouvés 
dans le tube digestif de leur mère; mais il y a eu erreur dans 
l'observation de ce fait singulier. Les femelles d’aspie et de pé- 
liade veillent sur leurs petits, jusqu’à ce que leurs crochets soient 
soudés aux os qui les supportent. Elles les défendent avec cou- 
rage et exposent leur propre vie pour les sauver; à la moindre 
alerte elles les reçoivent dans leur gueule et fuient avec eux. 

M. Péligry, naturaliste à Nantes, étant à la chasse, entendit 
un frôlement sur le bord d’un terrier, puis de légers sifflements. 
S'étant approché de l'endroit d’où partait le bruit, 1l aperçu une 
vipère dans. la gueule de laquelle se réfugiaient ses petits. El la 
tua et l’ouvrit de la tête à la queue ; les vipereaux très-aetifs cir- 
eulaient dans l’intérieur du corps de leur mère. et s’enfuyaient 
devant le couteau vers l'extrémité du tube digestif. 

Aux environs de Thouars, le commandant Toussaints herbo- 
risait au lieu dit la Cascade, quand il fut témoin d'un singulier 
spectacle. Au bas des rochers, près d’une flaque d’eau limpide, 
un serpent se chauffait au soleil et autour de lui jouaient cinq ou 
six petits êtres vermiformes qui passaient et repassaient sur son 
dos. M. Toussaints s'élança avec sa houlette d’herborisateur pour 
détruire cette horrible nichée ; mais, au bruit qu'il fit, la mère 
se mit à siffler, et les petits disparurent sans qu’il pût se rendre 
compte de ce qu'ils étaient devenus. Arrivé près du reptile, il 


(1) Loin de là, les serpents venimeux paraissent pleins d’attachement 
les uns pour les autres. 

La police indigène, chargée à Pondichéry de détruire les capelles qui 
s’introduisent dans la ville, sait fort bien, quand une femelle vient de suc- 
comber sous les coups, que le male ne tardera pas à venir pour la dé- 
fendre ou la venger. 


MŒURS DES VIPÈRES D5 


reconnut une vipère commune dont le ventre était très-gonflé. 
Il la coupa en deux et vit sortir de son abdomen six vipereaux 
qui cherchaient à s'enfuir, et qu'il parvint à tuer (1). 

Les vipères se dressent avec une extrême difficulté pour mordre 
la main qui les tient suspendues par la queue et habituellement ne 
peuvent latteindre ; cela est dù à la longueur de leurs apophyses 
épineuses; pareil jeu avec un animal aussi dangereux n’est qu’une 
fantaronnade stupide. 

Les vipères n'attaquent point l’homme, mais elles se défendent 
de lui, surtout si elles sont blessées. Fortement irritées, elles 
poursuivent même l’agresseur. 

« Vers la fin de septembre 1846, un enfant de sept à huit ans, le 
jeune Foucher, de Machecoul, gardait des vaches dans un champ 
dont le chaume venait d’être arraché. L'enfant marchait pieds 
nus, suivant la coutume des petits villageois. Il rencontra une 
vipère endormie dans un sillon, et se mit à l’agacer avec un 
bâton. L'animal irrité s’élança plusieurs fois sur lui et le pour- 
suivit. Foucher cruellement blessé, enfla de tout le corps, et suc- 
comba au bout de six jours » (M. B. PATRON.) 


(4) 11 n’est pas plus vrai de dire, des serpents à sonnettes, qu'ils dévo- 
rent leurs petits. Comme les vipères, ils les reçoivent dans leur gueule 
pour les sauver. « Ayant aperçu, dit Palissot de Beauvois, un boïquira dans 
un sentier, je m'approchai le plus près possible; mais quelle fut ma sur- 
prise, quand, au moment où je levais mon bras pour le frapper, je le vis 
s’agiter en faisant résonner ses grelots, puis ouvrir une large bouche et y 
recevoir cinq pelits serpents de la grosseur d’un luyau de plume, Surpris 
de ce spectacle inattendu, je me retirai de quelques pas et je me cachai 
derrière un arbre. Au bout de quelques instants, l'animal, se croyant, 
ainsi que sa progéniture, à l'abri de tout danger, ouvrit de nouveau sa 
bouche et en laissa sorlir les petits qui s’y trouvaient cachés. Je me mon- 
trai de nouveau : les petits rentrèrent dans leur retraite, et la mère, em- 
portant son précieux trésor, s'enfuit à travers les herbes, dans lesquelles 
elle se cacha. » (Transact, Phil. Americ. Society, t. IV, p. 360.) 


r 2 a _ D 


06 MŒURS DES VIPÈRES 


Des cas analogues ne sont pas rares sur la rive vendéenne de 
la Loire. 

MM. Moriceau et Doré ont vu pareillement des vipères leur 
tenir tête et se précipiter sur eux, au lieu de les fuir. Dans l’ob- 
servation du D: Moriceau, le serpent avait des petits cachés sous 
lui et telle était la cause de son courage. M. Thomas a fait connai- 
tre des faits du même genre à la Société d’acclimatation. 

L'aspic de M. Grignon, toujours au guet, appliquait sa tête 
contre les parois de verre de sa prison dès qu'un bruit insolite 
avait lieu dans l’appartement. Il suivait, d’un œil inquiet, les moin- 
dres mouvements du garçon mettant de l’ordre dans la chambre. 

Souvent il se tenait à l'affût derrière des herbes, si bien caché 
qu'on craignait qu'il ne fût hors de la cage. Il parvint même plu- 
sieurs fois à s'échapper et ne s’apprivoisa jamais. À l'approche 
des gens de la maison, il se lovait, et sifflait d’un air menaçant. 
Sa tête heurtait alors contre la glace, et retombait avec tous les 
signes du découragement. 

Quoique sans oreille apparente, les vipères sont sensibles au 
bruit. Quand un son inconnu les frappe, après le premier senti- 
ment de crainte, elles viennent souvent s'assurer de la cause 
qui le produit. Les notes harmonieuses de la flûte et le sifflement 
de l’homme les intéressent. On a vu des concerts en plein air 
troublés par l'arrivée d'un de ces reptiles. La conversation ou 
la lecture à haute voix paraissent aussi les attirer. 

Le 16 octobre 1866, M. G. Grignon du Moulin était assis sur 
un coteau, à la Praudière, près Nantes, et lisait à haute voix, 
quand il entendit un léger bruit dans l'herbe. Une énorme vi- 
père rouge venait à lui et passa sous sa jambe. Il frémit de 
peur que l’aspic ne se faufilàt dans ses vêtements et eut la pré- 
sence d'esprit de ne pas bouger. La vipère qui ne paraissait point 
irritée frôla la cuisse de M. Grignon et continua sa route. Celui- 


MŒURS DES VIPÈRES 57 


ci, se levant alors, l’étourdit d'un coup de canne et la prit vi- 
vante. 

Les vipères supportent mal la captivité. L’inanition et le 
spleen les tuent (1). 

Elles se laissent parfois caresser impunément. À la Fénetière, 
commune du Loroux-Bottereau, une mère effrayée trouva un 
aspic couché en rond dans le tablier de son enfant, âgée de 
quatre ans; cette femme eut la présence d'esprit d'aller douce- 

ment derrière l’enfant, de secouer le tablier et de projeter ainsi 
_au loin la vipère. 

Une jeune idiote de Challans saisit un jour, près d’un lavoir, un 
aspic et se mit à le caresser, en l’appelant un bel oiseau. Le 
reptile paraissait se complaire à ce jeu, et ne blessa la pauvre 
fille qu’au moment où, effrayée par les cris des autres laveuses, 
elle le prit rudement pour le rejeter au loin. 

« Auguste X.. domestique de M. F. Buron, aux Hautes-Places, 
en Saint-Mars-la-Jaille, se rendait un soir, à la fin de juillet 1854, 
au bourg avec son maître. Chemin faisant, il aperçut une vipère 
étendue sur la route. Auguste s’était vanté, quelques jours aupa- 
ravant, de conjurer tellement bien les reptiles, qu'il pouvait 
les prendre sans aucune espèce de danger. A la vue de celui-ci, 
M. Buron voulut mettre le talent de son domestique à l’épreuve. 
Auguste fit trois signes de croix sur le reptile, en prononçant à 
chacun de ces signes l’une des trois paroles suivantes : « 021, 
oza, 0204. » La Vipère se laissa prendre. Auguste la garda quel- 


(1) Au Muséum de Paris, on a dû mettre les serpents à sonnettes dans 
l'endroit le plus retiré de la ménagerie des reptiles, et même voiler leur 
grillage avec une couverture. Connaissant leur force et voyant leur im- 
puissance, ils se mettaient dans un état d’exaltation extrême, et mou- 
raient de rage de ne pouvoir mordre, au moindre attouchement d’une ba- 
guette introduite à travers les mailles serrées de leur prison. (A. Duinéril, 
Notice historique sur la ménagerie des reptiles du Jardin des Plantes.) 


08 MŒURS DES VIPÈRES 
ques instants dans ses mains, la faisant glisser de l’une dans 
l’autre, puis la lança avec violence contre la terre. La vipère prit 
sans colère le chemin du buisson voisin. M. Buron, enchanté 
de l'expérience qu’il venait de faire du talent de son domestique, 
voulut pousser plus loin l'épreuve. Auguste étendit de nouveau 
la main vers la vipère, en renouvelant ses manœuvres cabalis- 
tiques, et l’arrêta sur-le-champ, puis il la plaça dans sa main gau- 
che comme la première fois. Mais ici la scène changea; l'animal 
s’élança sur la main qui le tenait, et la mordit à la naissance des 
doigts. M. Jallot, médecin à Saint-Mars-la-Jaille, donna immé- 
diatement des soins au blessé et employa l'ammoniaque ; néan- 
moins Auguste crut devoir recourir à une espèce d’empirique, 
qui, après force signes de croix, fit avaler une nouvelle dose 
d’aleali. Pendant ce temps, la main, l’avant-bras, puis le bras 
tout entier enflèrent. L’œdème douloureux-livide gagna la poi- 
trine et s’étendit au-dessous du sein pendant la nuit. Le len- 
demain matin, le malade était froid, d’une grande pàleur, et 
offrait un pouls d’une petitesse extrême ; il fut confessé et admi- 
nistré. Le même jour, les accidents généraux disparurent ; mais 
l’œdème persistant, le blessé s’adressa à deux nouveaux empi- 
riques : l’un demeurant à Riaillé et ayant la réputation de guérir, 
le Vendredi-Saint, les humeurs froides, l’autre, à Ancenis. Mal- 
gré tout ce qu'on put lui dire, il préféra leurs soins à ceux d’un 
homme de l’art, et leur attribua sa guérison, qui ‘survint quel- 
ques jours après. » (Communication de M. DE TRÉMÉAC.) 

Rien de plus simple que de mettre une vipère hors d'état de 
nuire. Un coup de canne ou de badine lui casse les reins; elle de- 
vient alors facile à achever. 

Comme tous les animaux à sang froid, les aspics et péliades 
ont cependant la vie très-résistante. Un facteur rural, M. Chéné, 
a fait don au Muséum de Nantes, d’un aspie mâle, qu'il avait 


MŒURS DES VIPÈRES 59 
trouvé, le 15 janvier 1862, pendu à un arbre de Petit-Port. Pris 
sous une souche voisine, trois jours auparavant, ce serpent était 
encore plein de vie. Il est vrai que du 12 au 15 janvier 1862 le 
thermomètre ne descendit pas au-dessous de + 15 à + 16 de- 
grés centigrades. 

Une vipère, que l’on croyait morte et qui fut placée dans du 
plâtre, s’'échappa lestement à louverture du moule. Enfin plus 
d'un naturaliste a trouvé vivant dans sa poche ou dans sa boite 
d’herborisalion un dé ces animaux qu’il avait cru mort et'qui 
n'était qu'étourdi. 

La vie persiste quelque temps chez ces reptiles dans les par- 
lies séparées du reste du corps. Coupées en tronçons, les vipères 
donnent encore des signes de vie pendant dix ou douze minutes. 
Leur cœur mis sur une table continue à battre, et leur tête ne te- 
nant plus au tronc à souvent donné lieu à de graves blessures. 

« Le 2 juillet 1860, Joséphine M... du Landreau, âgée de vingt- 
huit ans, d’une constitution débile et chlorotique, voulant aider 
* son frère qui fauchait du trèfle, fut mordue à la première phalange 
du pouce droit, en ramassant l'herbe coupée. La faux avait di- 
visé en deux un aspic, dont la tête se trouvait dans lé paquet de 
trèfle saisi par la jeune fille. Joséphine M... éprouva immédiate- 
. ment une douleur assez vive, puis un gonflement de la main, et 
bientôt survinrent des coliques, des selles, des nausées et des 
syncopes répétées. L’exaltation nerveuse était portée au plus 
haut point, phénomène dù à la peur et aussi au vin employé en 
grande quantité comme remède. Une ligature immédiate, une 
cautérisation au fer rouge et l'emploi de l’alcali amenèrent une 
prompte guérison. » (M. B. Brian.) 

M. Thomas a fait connaître à la Société académique de la 
Loire-Inférieure un cas analogue et qui fut plus malheureux 
encore. Il y a quelques années, en fauchant, un homme de Rouans 


60 APPAREIL VENIMEUX 


sépara en deux une vipère; blessé par la tête de l'animal, 1l 
succomba cinq ou six heures après cet accident. . 


$ IT. DE L'APPAREIL VENIMEUX. — L'appareil venimeux atteint 
chez les solénoglyphes sa plus grande perfection: il offre un 
type unique dans tout ce groupe d'ophidiens, et les organes à 
l’aide desquels les vipères sécrètent et inoculent leur venin sont, 
aux dimensions près, ceux du crotale durisse ou du lachésis 
muet. 

Le poison se forme dans un or- 
gane spongieux, de couleurjaune, 
dit GLANDE A vEnIN (fig. 9 G). EU : 
Cette glande est située de chaque 6 se 
côté de la tête, en arrière de l’œil 
et au-dessus du maxillaire supé-* 
rieur. Placée au fond de la fosse 
temporale, elle représente la pa- 
rotide des autres serpents; elle s’en distingue toutefois par des 
modifications de structure en rapport avec ses fonctions spéciales. 

Les muscles qui l'entourent la compriment en se contractant, 
el elle est embrassée par la base dilatée du ptérygoïdien externe 
dont l’aponévrose lui sert de gaine fibreuse. 


(4) Fig. 9. Appareil venimeux d’une vipère considérablement grossi. 

6. Glande en grappe sécrétant le venin. 

c. Canal à venin. 

R. Dilatation de ce conduit, dite réservoir à venin. 

p. Crochet en exercice, ankylosé avec l’os maxillaire M et mobile avec 
lui. 

o. Orifice externe du conduit de la dent. 

p. £. Muscle ptérygoïdien externe faisant basculer en avant la base du 
maxillaire et saillir le crochet. 

P. 1. Muscle ptérygoïdien interne attirant en haut et en arrière la base 
du maxillaire et faisant rentrer le crochet dans sa gaine. 


GLANDE A VENIN 61 


Sa structure est celle d’une glande en grappe ; le microscope 
la montre formée de granulations creuses ou acini qui se grou- 
pent avec régularité sur 6 à 8 canalicules, dans lesquels elles 
déversent le produit de leur sécrétion. La glande se trouve ainsi 
divisée en lobes ou grappes secondaires, en nombre égal aux ca- 
nalicules, et qui se disposent de la même façon autour du conduit 
principal dit canal à venin. 

Le canal à venin (fig. 9°C), résultant de la réunion des cana- 
licules, suit d’abord une direction horizontale, à la manière du 
conduit de Sténon; mais, au lieu de s’ouvrir à la face interne de 
la joue, il va s’aboucher avec la cavité du erochet correspondant. 
Il est étroit et cylindrique et du calibre d’ur poil de barbe de 
chat. Il présente à sa partie moyenne, au-dessous du bord infé- 
rieur de l'orbite, un renflement ovoide, analogue aux dilatations 
ampullaires des conduits galactophores ; c’est le réservoir à venin 
(Hg. 9 R). M. Léon Soubeiran, qui a si bien décrit tout cet appa- 
reil (De la vipère, p. 43 et suivantes), a découvert dans les parois 
du réservoir des follicules simples et tubuleux (follicules de Sou- 
beiran) dont la sécrélion n’est pas sans influence sur le venin 
lorsqu'il séjourne dans cette cavité. 

Le liquide délétère se forme dans l’intérieur des acini; la 
membrane propre de ces culs-de-sac et la couche épithéliale 
qui les tapisse l’extraient du sang en laissant passer par endos- 
mose certains éléments du sérum et en agissant par catalyse sur 
les substances protéiques qu'il contient. 

Cette sécrétion est lente et nullement comparable, quant à 
sa rapidité, à celle de ja salive. D’après M. CI. Bernard, un mor- 
ceau de glande salivaire lavé et essuyé avec soin donne par 
macération ou légère décoction un liquide capable de trans- 
former en glycose les matières amylacées. Rien de semblable n’a 
lieu pour la glande à venin. En traitant de la même manière la 


62 SÉCRÉTION VENIMEUSE 


glande d’un serpent à sonnettes, le D' Weir Mitchell (Researches 
upon the venom of the rattlesnake — Smithsonian Institution. — 
Washington, 1860) n’a point obtenu une dose de poison suffi- 
sante pour tuer un colibri. 

En dehors des causes d’excitation, le produit des acini vient 
s’accumuler dans le réservoir. C’est ce premier liquide parfaite- 
ment élaboré qui est injecté par le reptile dans la première bles- 
sure qu'il fait, elle est par là même la plus dangereuse. Lors- 
qu’au contraire un serpent mord plusieurs fois de suite, 1] épuise 
son venin et la neuvième piqûre d’une vipère ne cause plus la 
mort d’un pigeon. Il est important de se souvenir de ces faits, 
lorsqu'on recherche la valeur d’un antidote à opposer aux mor- 
sures des serpents, sans quoi l’on s'expose à considérer comme 
tels des substances qui n’ont aucune action sur le venin. 

La faim et la colère sont les principaux excitants de la sécré- 
tion ; l'élévation de la température et une forte tension électrique 
de l'atmosphère rendant l'animal plus actif, agissent aussi sur 
la rapidité avec laquelle se reproduit dans ses glandes la subs- 
tance toxique. 

Les serpents inoculent leur poison à l’aide de dents erochues 
et distinctes des autres par la longueur, dites GROCHETS À VENIN 
ou CANINES (fig. 9 D). Chez les solénoglyphes, elles sont seules sur 
les os maxillaires et présentent un canal interne, portion dentaire 
du canal excréteur de la glande. 

La base du crochet s’unit à l’os peu de jours après la nais- 
sance; avant que cette soudure ait lieu, les serpents les plus 
dangereux sont incapables de blesser. L’extrémité libre se ter- 
mine en pointe fine. La face antérieure ou convexe présente les 
deux orifices du canal interne que joint un léger sillon (d’où le 
nom de solénoglyphe de Zwknv canal et Fhvyn rainure). L’orifice su- 
périeur qui reçoit le conduit de la glande est situé près de l’al- 


———_———_—_—————…——…—…—……—.——. — —.…——_—."—.— __—_————————————…"——û#ÿ ———————————<<<<<«<—————————— 


CROCHETS A VENIN 63 


véole; l’inférieur (fig. 9 O) est une fente étroite placée près de la 
pointe. La dent semble s’être repliée sur elle-même pour donner 
lieu à ce canal, et derrière elle offre un autre conduit terminé 
inférieurement par un cul-de-sac et contenant ses vaisseaux el 
nerfs nourriciers. Le erochet est composé de quatre lames de 
substance éburnée qu’une pression un peu forte sépare les unes 
des autres. 


Une gaine gingivale analogue 


en 
au repli cutané de l’ongle des Ro 
chats, entoure le crochet en exer- a 
cice et les crochets de rechange Fig. 40 (A). 


qui le suivent (Fig. 10). Elle se continue en arrière sous forme 
de sillon destiné à recevoir la dent à l’état de repos. Le crochet 
en exercice est le seul qui soit soudé à l’alvéole et qui commu- 
nique avec le reste de l’appareil venimeux. 

On trouve souvent derrière lui une dent de rechange plus dé- 
veloppée que les autres et déjà, en partie, redressée et ankylosée ; 
elle porte le nom de crochet d’attente; les suivantes, rudimen- 
taires, molles et entièrement couchées au fond de l’alvéole, sont 
dites crochets de réserve. 

Lorsqu'il existe des crochets d'attente, la vipère paraît armée 
de trois ou quatre canines. Dans ce cas, on ne trouve, en général, 
sur la partie mordue, que l'empreinte de deux piqûres; les cro- 
chets supplémentaires sont trop mobiles et ne se redressent pas 
assez pour pénétrer dans les chairs. Cette règle souffre cependant 
exception. Sur un lapin mordu, une seule fois, par une des vipères 
de M. Gicquiau, nous constatèmes trois traces de crochets. Voici 
une observation du même genre, recueillie par M. A. de l'Isle : 


(1) Tête de Vipera Aspis vue de profil pour montrer le crochet et sa 
gaine. 


De RU EE CRE PE — 


(En CROCHETS A VENIN 


Heurtin, cultivateur au village de la Caillerie, près la Haye- 
Fouassière, était à neuf heures du matin à couper du blé, quand 
il se sentit mordu à la cheville par un aspic. Le reptile ne pressa 
qu'une seule fois de ses dents la partie atteinte, mais avec 
tant de rage, qu'il y resta fixé par ses crochets. Le blessé ne 
put s’en débarrasser qu’en tirant fortement dessus. La dou- 
leur primitive fut violente, et il y eut un écoulement assez con- 
sidérable de sang. Un empirique conseilla de tremper la jambe 
malade dans du lait caillé, et appliqua au-dessous du genou une 
ligature tardive. Malgré l'emploi de ces moyens, l’œdème gagna 
le pied et la jambe. Heurtin se décida alors à consulter le méde- 
ein, et ne pouvant plus mettre son sabot, il fit, pieds nus, un 
kilomètre pour se rendre à la Haye-Fouassière. Il était midi, 
l’œdème douloureux dépassait la hanche, et, sur la cheville se 
voyaient trois empreintes de crochets entourées d’une ecchymose. 
Une goutte d’ammoniaque fut introduite dans chaque piqûre; 
cette substance fut aussi administrée à l’intérieur dans du 
tilleul. Les nausées, cependant, se montrèrent de plus en plus 
fréquentes, 1l survint de laccablement et du malaise. Le blessé 
ayant voulu travailler, l’œdème augmenta encore. Une fièvre 
violente se déclara le lendemain, avec des tranchées et des 
vomissements. La tuméfaction ne commença à décroître qu’au 
bout de quinze jours, et Heurtin, qui n’avait gardé ni repos ni 
précautions, souffrit de la cheville pendant plus d’un an, surtout 
quand il s’exposait à la rosée. Il eut longtemps de l’agacement 
nerveux, et son pied changea de peau. 

Les solénoglyphes perdent parfois leurs erochets lorsqu'ils 
blessent ; on en trouve aussi dans leurs excréments (1). Ces ca- 

(1) La présence des crochets dans les excréments des serpents veni- 
meux oblige, au Muséum de Paris, les gardiens de la Ménagerie des rep- 


tiles à nettoyer les cages des solénoglyphes avec les plus grandes pré- 
cautions, et les mains armées de gants (A. Duméril, Loc. cit.). 


LL 


JEU DES CROCHETS 69 


nines tombent d’ailleurs d’elles-mêmes, dès que celles qui doivent 
les remplacer sont suffisamment développées. 

En arrachant les crocs d’un serpent, on le rend inoffensif jus- 
qu'à ce que des dents de rechange se soient soudées avec 
l’alvéole. C’est un secret connu des jongleurs de tous les pays et 
de tous les temps : on le trouve même indiqué dans la version de 
la Bible dite des Septante. 

Quand, au contraire, à l’aide de ciseaux fins on enlève les 
deux maxillaires supérieurs du reptile, il devient pour jamais 
incapable de nuire, et meurt de chagrin. 

L’os sus-maxillaire des solénoglyphes, aussi réduit que possible 
dans ses dimensions, jouit d’une grande mobilité, par rapport aux 
autres os de la face. Le muscle ptérygoïdien externe (fig. 9, P. E.) 
lui fait éprouver un mouvement de bascule qui porte en avant et 
en dehors sa face palatine et par là même redresse le crochet en 
l’éloignant de son congénère. Les empreintes laissées sur la peau 
par les canines d’une vipère, sont à cause de cela toujours plus 
distantes l’une de l’autre, que ne semblerait l'indiquer la gros- 
seur de la tête de l'animal. Le ptérygoidien interne (fig. 9, P. I.) 
communique au maxillaire un mouvement en sens inverse qui 
ramène le crochet dans sa gaine. 

Il est curieux de rapprocher de l'appareil venimeux que nous 
venons de décrire, celui des araignées. Chez ces animaux, la 
glande à venin est une glande salivaire et son conduit renflé en 
réservoir traverse une mandibule en forme de crochet. 

Lorsqu'une vipère s’élance pour blesser, elle le fait avec tant 
de force que sa màchoire sapérieure frappe comme un marteau 
l'objet atteint. La gueule du reptile largement ouverte laisse 
saillir les crochets qui pénètrent au loin dans les tissus, tandis 
que le venin est poussé dans la blessure par les muscles qui com- 
priment la glande et le réservoir. Cette injection a lieu avec d’au- 

J 


$ 


L 
# 


66 BLESSURE DES VIPÈRES 


tant plus d'énergie que l'animal est plus vigoureux et plus irrité. 

La blessure faite par la vipère est donc, en général, une dou- 
ble piqûre; elle mérite cependant parfois le nom de morsure. 
Quand par exemple le reptile est fixé sur le sol par le pied d'un 
passant, où saisi à pleine main, ou bien encore, comme dans nos 
expériences, tenu près du cou avec des pinces, il supplée à 
son défaut d’élan, en prenant un point d'appui à l’aide de sa mà- 
choire inférieure ; sa tête alors s’aplatit, s’élargit, et les muscles 
se dessinant sous la peau de la face, donnent à l'animal, qui mord 
avec rage, la plus hideuse physionomie. 

Tenue près de la nuque d’une manière inégale, une vipère peut 
encore blesser d’un seul de ses crochets, tant est grande la mo- 
bilité des os de sa face. 

M. Rautou, commissaire de police à Nantes, et àgé de trente- 
six ans, était d’une bonne santé et d’une forte constitution. Il 
rapporta, le 28 mai 1860, de la Fournillière, un aspic rouge, de 
taille moyenne. Le lendemain matin, vers neuf heures, il se mit 
en devoir de lui arracher ses crochets, et déposa la vipère, alors 
très-vigoureuse, sur le plancher, pour la saisir plus facilement à 
la naissance de latète, et ouvrir sa gueule de force. I] lui prit le 
cou entre le pouce et l'index gauche, mais Inégalement, ce qui 
permit à l’aspie de faire basculer son os maxillaire gauche et 
d’enfoncer son erochet dans lindex de l'opérateur. La douleur 
fut peu vive, et une simple gouttelette rosée apparut sur la 
peau. 

M. Rautou garda son sang-froid, lia le doigt au-dessus de la 
blessure, agrandit celle-ci, la fit saigner et y introduisit, de l’am- 
moniaque. La pete plaie devint rouge et ecchymosée; le blessé 
ne put laisser la ligature que fort peu de temps, à cause de la tu- 
méfaclion du doigt; il l’enleva done au bout d’une demi-heure, 
et avala dix gouttes d'ammoniaque dans un verre d’eau sucrée. 


BLESSURE DES VIPÈRES 67 


Pensant par ces soins immédiats avoir neutralisé le venin, il dé- 
jeuna comme de coutume; mais il eut bientôt quelques nausées 
qui n’allèrent pas toutefois jusqu’au vomissement. L’œædème s’ac- 
crut encore, sans pourtant dépasser le coude; l’avant-bras offrit 
des trainées lymphatiques verdâtres, puis des taches livides qui 
se montrèrent aussi sur le bras. Nous constatämes même un peu 
de tuméfaction du ganglion épitrochléen. Le soir, légère fièvre 
qui reparut le lendemain avec coliques et nausées. Les envies 
de vomir et la céphalalgie persistèrent pendant huit jours. Des 
infusions chaudes de camomille et de polygala de Virginie, puis 
un purgatif fintrent par triompher de ces symptômes. Un bain 
avec la vapeur s’échappant d’une décoetion de lierre contribua 
à dissiper l’œdème, dont il n’y eut plus de traces à Ja fin de la 
semaine. La douleur du membre ne disparut qu'au bout de 
quarante jours et les taches livides laissèrent encore pendant 
deux mois des marques sur la peau. 

L'empreinte des dents d’une vipère consiste en deux petites 
piqûres à peine perceptibles, par suite de la rétraction du derme. 
mais qu’une gouttelette de sang aide à reconnaître. Autour 
d'elles se forme un cercle ecchymotique, et elles servent de point 
de départ à l’œdème qui envahit la partie blessée. 

Les auteurs admettent, en cas de morsure, que’les dents de 
la mâchoire mférieure laissent sur la peau une série d’éraillures 
en ligne courbe opposée par sa concavité aux deux petites plaies 
produites par les crochets. Dans nos expériences, nous n’avons 
jamais trouvé que les empreintes de deux canines, malgré notre 
précaution de dénuder les parties sur lesquelles nous faisions 
mordre la vipère. Nous avons vainement aussi cherché les traces 
des dents palatines qui, en théorie, devraient exister sur la peau, 
quand la vipère mord à pleine gueule. 

l'est facile de se procurer du venin, en recuerllant les goutte- 


63 VENIN DES VIPÈRES 


lettes laissées par un serpent qu’on fait mordre sur une tige de 
fer ou tout autre corps peu spongieux ; mais le moyen d'obtenir 
une grande quantité de ce liquide, consiste à saisir la vipère près 
de la nuque et à presser d’arrière en avant ses glandes à venin. 
Le poison est alors reçu dans une petite cuillère placée sous les 
crochets. Cette opération exige de la présence d'esprit et de la 
dextérité, et pour récolter celui des serpents à sonnettes, le 
docteur Burnett commençait par anesthésier, à l’aide du chloro- 
forme, ces redoulables animaux. 

Fontana examinant plus de 3,000 vipères en a trouvé deux 
dépourvues de venin, sans qu'il y eût la moindre lésion maté— 
rielle de l'appareil de sécrétion. Il y avait là un de ces troubles 
fonctionnels analogues à ceux que présente la muqueuse gastri- 
que dans les dyspepsies par défaut de pepsine. Chez cinq autres 
vipères, Fontana a constaté que le réservoir et la cavité des cro- 
chets étaient remplis par une matière blanche, visqueuse et con- 
crète : cette substance sébacée, dont la découverte des follicules 
de Soubeiran explique la présence, jouait le rôle de la cire que 
les prétendus charmeurs de serpents introduisent dans les cani- 
nes de ces animaux avant de s’exposer à leurs morsures. 

Une autre observation due à M. Weir Mitchell donne la raison 
de l’insuccès de diverses inoculations praliquées avec la tête d’un 
reptile privé de vie : quand le serpent a suecomhé après une 
lutte violente, il arrive parfois que le mouvement fluxionnel qui a 
lieu vers les parotides venimeuses se transforme en suffusion 
sanguine. La sécrétion est alors altérée, et le sang épanché vient 
par sa coagulation obstruer le canal à venin et la cavité des cro- 
chets. 


S HE. Du venin. — Le venin des trois vipères européennes peut 
être considéré comme identique. Presque incolore ou légèrement 


SES CARACTÈRES PHYSIQUES 69 


jaunâtre, il ressemble, lorsqu'il est frais, à de l'huile d'amandes 
douces et n’a ni odeur ni saveur, à moins d’être altéré. Troja 
affirme, toutefois, que son contact prolongé laisse sur la langue 
un sentiment de stupeur et d’astriction. 

Les poisons des autres serpents offrent les mêmes caractères 
physiques; leur couleur varie cependant un peu. Le venin que 
crachent les najas, lorsqu'ils sont en colère, est grisâtre ; celui du 
fer-de-lance est transparent, et celui des crotales émeraude pâle 
ou jaune clair. Ce dernier, si consciencieusement étudié par 
M. Weir Mitchell, fournit un excellent terme de comparaison au 
venin de la vipère dont il a l’apparence extérieure, mais dont il 
diffère par l'abondance de sa sécrétion et par son activité plus 
grande. 

D'après Fontana, la quantité de liquide sécrétée par les deux 
glandes d’une vipère serait de dix centigrammes. Ce chiffre 
n’est pas assez élevé, et l’auteur des Éléments de Zoologie médicale, 
notre regretté maître Moquin-Tandon, a obtenu, de la tête d’un 
fort aspic, quatorze centigrammes de venin, soit sept centigrammes 
par crochet; il a tenu compte, il est vrai, non-seulement de la 
liqueur contenue dans les canines, le canal excréteur et le réser- 
voir, mais encore de celle que l’on retire des glandes par une 
pression modérée. Il évalue à deux centigrammes le venin que 
les vipères versent dans chacune de leurs piqûres. k 

Un crotale de grande taille a, au contraire, suivant le calcul 
de M. Weir Mitchell, soixante-quinze centigrammes de poison 
par crochet et en perd trois ou quatre gouttes par dent toutes fes 
fois qu’il s’élance pour blesser. 

Au microscope, le venin se montre sous forme d’un liquide ho- 
mogène, où nagent quelques rares cellules détachées de l’épi- 
thélium qui tapisse les euls-de sac sécréteurs et leurs conduits. 
Quand les solutions de ce poison s’altèrent, on y voit apparaître 


70 CONSERVATION DES VENINS 


des bactéries et autres proto-organismes doués de mouvements. 

Desséché sur une lame de verre, le venin a l'aspect d’une 
gomme ; il s’écaille alors comme un vernis et présente des fis- 
sures irrégulières que Mead a eu le tort de considérer comme 
des cristaux. 

Il est encore actif après plusieurs mots de séjour dans des tubes 
capillaires ; la dessiccation, du reste, ne lui fait pas perdre ses 
propriétés malfaisantes. F. Redi raconte (Æpistola de quibusdam 
objectionibus contra suas de viperis observationes) qu'ayant re- 
cueilli dans un vase le liquide vénéneux de deux cent einquante 
vipères, il le vit en quelques jours se prendre en une masse glu- 
tineuse de couleur ambrée. Au bout d’un mois, cette substance 
devenue friable et complétement sèche put être réduite en pou- 
dre. Tous les animaux sous la peau desquels ce venin pulvérisé 
fut introduit périrent en peu d’instants. 

La conservation du poison des ophidiens à l’état see a permis 
de l'utiliser comme moyen de rendre les armes plus dangereuses. 

Les Peaux-Rouges du Rio-Grande et du Texas emploient pour 
cet usage, dit le docteur Johnston, de Saint-Louis, le liquide 
fourni par les glandes des serpents à sonnettes. 

Les Indiens des bords de l’'Orénoque se servent dans le même 
but du venin cutané des crapauds. Voier, d’après M. Roulin, cité 
par le professeur CI. Bernard (Leçons sur les ejfets des substances 
toxiques, page 255), comment ils s’y prennent. « Ils vont à la 
chasse des crapauds, armés de longues brochettes, à l’aide des- 
quelles ils transpereent ces animaux à mesure qu'ils les rencon- 
trent. Ils les exposent ensuite autour d’un feu qui ne doit pas les 
rôtir, mais déterminer une excitation sous l'influence de la- 
quelle leur peau sécrète une humeur qu'on ramasse avec des 
couteaux de bois et qui se conserve dans de petits pots. Les dards 
que l’on veut empoisonrer sont trempés dans ce jus de crapaud 


__ sie ; 


ARMES ENVENIMÉES 71 


et séchés au soleil. Les Indiens s’en servent pour tuer des singes 
dont ils sont très-friands et qu’ils mangent ensuite: » 

Le D' Daniel Brainard (Essay on à new Method of treating serpent 
bite. Chicago, 1854) prétend que le curare lui-même n’est que 
du venin conservé à l’aide d’un extrait gommeux de lianes. Il 
explique ainsi la quasi impunité avec laquelle il peut être avalé, 
tandis que ses effets sont foudroyants quand on l’introduit dans 
une blessure (1). 

Nos pères les Gaulois connaissaient l’art d’empoisonner leurs 
- flèches avec des venins. « Venatoria venena, dit Celse, quibus 
Galli prœcipue utuntur non qustu, sed in vulnere, nocent. » Les Scy- 
thes, au dire de Pline, avaient une semblable recette. « Sceythæ 
sagittas tingunt viperind sanie et humano sanguine : irremediabile 
id scelus, mortem illico levi tactu affert.» 

La légende des armes d'Hercule trempées dans Le sang de l’'Hy- 
dre de Lerne, montre combien est vieille cette méthode d'utiliser 


(1) Le curare des Ticuñas et des Arecuñas, renommé entre tous, est un 
extrait aqueux de l'écorce de diverses plantes, en particulier des Strychnos 
toxifera, S. cogens et S. Castelnœæana et du Rouhamon Curare. (Noir la thèse 
du Dr E. Bureau, De la famille des Loganiacées et des plantes qu'elle four - 
nit à la médecine. Paris, 1856.) On ajouterait au mélange, rapportent les 
voyageurs, des têtes et des crochets de serpents. Sa fabrication est en- 
tourée de mystère, et les vieilles femmes qui en sont chargées se retirent 
au fond des bois pour s’y livrer, loin des regards profanes, à des pra- 
tiques de sorcellerie. On dit même qu’elles meurent à la fin de leur euisine 
infernale. 

La curarine, alcaloïde auquel le poison américain doit ses propriétés, 
préexiste-t-elle dans les lianes à leur mélange avec les glandes des ser- 
pents, ou bien au contraire résulte-t-elle de l’action des principes des 
strychnos sur le venin? C’est un point non encore élucidé. Quoi qu’il en 
soit, et malgré de grandes ressemblances, les effets du curare et ceux des 
venins sont loin d'être identiques. Ainsi, le premier poison ne donne pas 
d’'inflammation locale, symptôme qui se montre toujours dans les plaies en- 
venitnées. 


=? 
(ae) 


VENIN DES VIPÈRES 


pour :a guerre et pour la chasse le terrible poison des ophidiens. 
Philoctète, héritier de l’are et des flèches du grand Alcide, se 
blessa au pied avec l’une d'elles pendant qu'il découvrait aux 
Grecs l'endroit où il les avait cachées. Redi fait judicieusement 
remarquer que les symptômes éprouvés par Philoctète, tels que 
les décrivent les auteurs, sont ceux d’une plaie contaminée par 
le poison de la vipère. | 

Qu'on nous pardonne cette digression; mais elle a bien son 
importance, car dans quelques localités de la Vendée et de la 
Loire-Inférieure, en particulier à Héric, on trempe encore de 
nos jours les faux dans une macération de têtes de serpents, de 
crapauds et d’autres animaux immondes, sous prétexte de ren- 
dre leur fil plus délié; elles deviennent des armes dangereuses et 
peuvent donner lieu à des blessures empoisonnées. 

Les crochets conservent pendant des années le venin avec sa 
couleur, sa transparence et ses propriétés toxiques. On ne saurait 
donc les manier avec trop de précautions, surtout s'ils provien- 
nent d’un bothrops ou d’un crotale; mais, d'ordinaire, les dents 
venimeuses de ces animaux ne sont expédiées en Europe qu’a- 
près avoir subi plusieurs lavages. 

La blessure occasionnée par un crochet détaché de l'alvéole 
n’est jamais, du reste, aussi grave que celle faite par le serpent 
lui-même. Dans le premier cas, il y a un simple dépôt au milieu 
du tissu cellulaire d’une petite quantité de venin ; dans le second, 
ce liquide est injecté avec force et abondance. 

La chaleur fait boursoufler le venin, qui ne prend feu que 
lorsqu'il est carbonisé. 

Privé d’air dans un tube fermé aux deux bouts, il supporte 
sans s’altérer des températures extrêmes. Le D' Weir Mitchell a 
tué des pigeons avec des solutions de venin de crotale portées 
successivement à 3° Fahr. (— 129 C.) et à 2190 Fahr. (100° C.). 


+: 
_sbile : 


SES CARACTÈRES CHIMIQUES 73 


Mis dans l’eau froide, le venin de la vipère tombe au fond du 
vase, puis se mêle au liquide en lui donnant une feinte opaline ; 
il finit à la longue par s’y altérer. Il se dissout au contraire com- 
plétement dans l’eau bouillante. 

Il est en partie soluble dans l'alcool étendu, tandis que l'alcool 
absolu ne le dissout point. Ceci explique des expériences au pre- 
mier abord contradictoires. Delalande (Procès-verb. de la Soc. 
Acad. de la L.-Inf. — Juin 1851) ayant enfoncé sous laile de 
deux mésanges nonnettes une canine de péliade qui avait macéré 
plusieurs années dans de l’alcool très-fort, ces petits oiseaux suc- 
combèrent en dix minutes. Un geai traité de la même manière en 
fut quitte pour un thrombus. D’autres expérimentateurs n’ont ob- 
tenu aucun résultat pour s'être servis de crochets plongés depuis 
trop longtemps dans de lalcool affaibli. | 

Les alcalis et les huiles n’opèrent point la dissolution du venin. 
Les acides puissants, ne font, quand il est à l’état see, que le di- 
viser et le transforment en pâte liquide. L’acide azotique le colore 
en jaune, à cause des substances protéiques qu'il contient. Les 
acides azotique, chlorhydrique et sulfurique, le précipitent de sa 
solution aqueuse, mais il est redissous par un excès de réactif. 
Ce précipité est blane ; il prend toutefois une faible teinte brune 
quand on opère avec l'acide sulfurique, ce qui indique un com- 
mencement d'altération. L’acide tannique précipite abondamment 
le venin en blanc ; mais le dépôt se redissout dans l’ammoniaque. 
La plupart des acides végétaux sont sans action sur le poison des 
serpents; 1ls ne le précipitent ni ne le dissolvent. La liqueur iodo- 
iodurée le précipite pour le redissoudre dès qu'elle est en excès. 

Il résiste à un commencement de putréfaction; M. Weir Mit- 
chell a démontré que la présence de moisissures et même de vi- 
brioniens n’enlève pas à une solution venimeuse ses propriétés 
délétères. 


La 
* 


LA de 


74 COMPOSITION DES VENINS 


Sous l'influence de l’air humide, les principes actifs des ve- 
nins finissent néanmoins par s’altérer et subissent la décomposi- 
tion ammoniacale, quoique moins promptement que les virus. 

Tandis que la salive et le curare sont alcalins et le liquide cu- 
tané des erapauds et des salamandres acide, le venin de la vi- 
père, telle qu’elle l’injecte dans ses blessures, est neutre. Dans 
la glande 1l teint, il est vrai, en rouge le papier bleu de tourne- 
sol, mais, à sa sortie du crochet, il est neutralisé par les sécré- 
tions du réservoir et de la muqueuse buccale. 

Chez les crotaliens, suivant la remarque de M. Rousseau, la 
quantité du liquide sécrété par la glande est trop considérable 
pour que les fluides du conduit excréteur et de la bouche lui fas- 
sent perdre ses réactions. Cette acidité est due simplement, ainsi 
que celle de l'urine, à des phosphates en solution. 

Le prince Lucien Bonaparte a le premier (Gazetta toscana 
delle scienze medico-fisice, 1843, page 169) analysé d’une ma- 
nière sérieuse le poison de la vipère et en a découvert le prin- 
cipe actif, qu’il appelle vipérine ou échidnine. Nous avons ailleurs 
(Gazette des Hôpitaux, août 1867, n°5 92 et 93) montré l’avan- 
tage qu’il y à à ne pas considérer cès deux mots comme syno- 
nymes. Par échidnine nous entendrons non-seulement la vipé- 
rine ou poison de la vipère, mais encore les principes analogues 
fournis par les autres serpents venimeux. 

Voici, d’après Lucien Bonaparte, la composition du venin des 
vipères : 

Ce liquide contient en solution aqueuse : 

1° Une substance quaternaire voisine de la ptyaline de la salive 
normale : la vipérine; 

2 De l’albumine et du mucus ; 

3° Une substance soluble dans l'alcool ; 

4° Une matière colorante jaune ; 


MERE 2: == = _ — — 2 
COMPOSITION DES VENINS 75 


5° Une matière grasse ; 

6° Des sels analogues à ceux de la salive (phosphates et chlo- 
rures). 

M. CL. Bernard (Traité des liquides de l'organisme, p. 242), dit que 
certains auteurs ont considéré le sulfocyanure de potassium comme 
la cause des effets mystérieux du venin de la vipère. Ce sel si vé- 
néneux existe, chose étrange, dans la salive normale de plusieurs 
animaux et même de l’homme, mais nous n'en avons pas trouvé de 
traces dans le venin : le sulfate de sesquioxyde de fer n’y produit 
point le précipité rouge caractéristique da sulfocyanure, mais 
bien un précipité blanc. 

On obtient la vipérine en coagulant le venin par une grande 
quantité d'alcool; le dépôt resté sur le filtre, après plusieurs la- 
vages alcooliques, est repris par l’eau distillée qui dissout la vipé- 
rine. L'évaporation laisse celle-ci comme résidu ; l’éther lui en- 
lève la matière grasse et les substances colorantes; enfin l’eau 
froide fortement acidulée et l'alcool la débarrassent des sels 
qu’elle contient encore. 

Il est intéressant d’opposer au travail de L. Bonaparte l'analyse 
du venin des crotales faite par le D',Weir Mitchell (loc. cit, p. 37). 

Le savant américain traite d'abord ce liquide par l’eau bouil- 
lante, Il obtient ainsi un premier précipité blanc non venimeux, 
composé d'albumine et de mucus, et un liquide opalin toxique. 
La solution aqueuse décantée est reprise par l'alcool qui donne 
lieu à un nouveau précipité blanc très-venimeux, tandis que le 
liquide ne l’est plus. Ce dépôt est lavé trois ou quatre fois par 
de l'alcool reetifié : il est jaune pâle, parfaitement neutre et con- 
tient de l'azote. Les divers lavages l'ont débarrassé de la petite 
quantité de sel qu’il renfermait; l’éther lui enlève un peu de ma— 
tière grasse et des substances colorantes jaunes et vertes. Cette 
échidnine à l’état de pureté ressemble presque en tous points à 
la vipérine : M. Weir Mitchell l'appelle crotaline. 


76 ÉCHIDNINES ET VIPÉRINE 


En résumé le venin des crotales se compose : 

1° D'une substance albuminoïde non coagulable à 212° Fahr. 
(400° C.) : la crotaline; 

2° De substances albuminoïdes coagulables à la température 
de l’eau bouillante; 

3° De matières colorantes vertes et jaunes ; 

4° De traces de matières grasses; 

5° De sels : chlorures et phosphates (en particulier de phos- 
phate ammoniaco-magnésien) ; 

6o Enfin d’eau servant de véhicule. 

La vipérine a l’aspect d’un vernis gommeux et se présente 
sous forme d’écailles semblables à celles de l'acide tannique. 

Composée d'oxygène, d'hydrogène et d'azote, elle est neutre, 
et rentre dans le même groupe que l’albumine. Son défaut d’ac- 
tion sur les réactifs colorés la distingue des alcaloïdes végétaux, 
près desquels certains auteurs ont le tort de la classer. 

Les échidnines se putréfient facilement, et cependant, elles sont 
cemarquables par la manière dont elles résistent aux agents chi- 
miques et conservent leurs propriétés après avoir été mélangées 
avec eux. Elles sont néanmoins plus dangereuses dans leur véhi- 
cule naturel que dans tout autre. 

La vipérine mêlée à l'alcool, à l’ammoniaque ou à une solu- 
tion iodée, est à peu près aussi active que si elle était pure. 

La crotaline est encore plus remarquable par sa résistance aux 
agents chimiques; elle conserve sa force, non-seulement lors- 
qu'elle est mélangée aux liquides dont nous venons de parler, 
mais encore lorsqu'elle est mise en contact avec les acides sulfu- 
rique, nitrique et chlorhydrique, l’eau chlorée, la soude, la po- 
tasse caustique, le nitrate d'argent, etc. 

M. Weir Mitchell avait soin de neutraliser le mélange avant 
de l’inoculer, de peur que la cautérisation des tissus, par le réactif 


LEURS PROPRIÉTÉS CHIMIQUES NAN: 


employé, n'empêchät l'absorption ou que celui-ci, vénéneux lui- 
même, ne donnât la mort. Sous l'influence du tannin ou de 
liode, les symptômes locaux observés étaient presque nuls, 
tandis que les accidents généraux suivaient leurs cours. 

La vipérine est soluble dans l’eau froide ou chaude, colore, à 
la manière des autres substances protéiques, Le bioxyde de cuivre 
en violet, et n’est pas précipitée de sa solution aqueuse par l’acé- 
tate de plomb. 

Ses réactions chimiques ne la distinguent point de la ptyaline 
et de la pepsine avec lesquelles elle parait isomère. Elle agit 
comme elles, à la manière d’un ferment, mais son mode de ca- 
talyse est bien différent. En contact à une douce température 
avec des substances amylacées ou protéiques, elle ne transforme 
pas les premières en glycose et les secondes en chyme. 

Elle ne produit, du reste, aucune modification sur les tissus 
morts et son action est presque nulle sur les membres ré- 
cemment amputés. Dans ces deux cas, 1l survient à la longue 
des phénomènes de diffluence et de décomposition ammonia- 
cale; ceux-ci sont un peu plus prompts que si la vipérine n’avait 
pas été employée, sans doute à cause de sa grande putresci- 
bilité. 

Le venin agit sur les êtres vivants avec d'autant plus d'énergie 
que la vie se manifeste chez eux par une chaleur naturelle plus 
considérable. 

Le poison de la vipère n’a pas d'action sur les végétaux, mais 
Gilman a raconté d’étranges choses relativement aux effets pro- 
duits sur les plantes, par l'inoculation du venin des serpents à 
sonnettes. D’après le docteur Salisbury, plus modéré dans ses 
aflirmations, des lilas et de jeunes marronniers, blessés par les 
rattlesnakes où erotales, seraient morts empoisonnés. M. Weir 
Mitchell a repris ces expériences, sans résultats positifs ; il a 


78 ACTION DES VENINS 


toutefois constaté que, dans les solutions de crotaline, les graines 
pourrissent au lieu de germer. Malgré les contes débités par les 
panseurs de la Martinique, le docteur Guyon, puis le docteur Rufz 
ont démontré que les arbrisseaux mordus par le fer-de-lance, 
loin de dépérir, continuent à donner des feuilles et des fleurs. 

De tous les animaux, les oiseaux sont les plus sensibles aux 
venins, ce qui tient à l’activité de leur respiration, qui-développe 
chez eux ung grande chaleur naturelle. Les colibris et les oiseaux- 
mouches sont les meilleurs de tous les réactifs pour reconnaître 
des doses infinitésimales de ces substances. 

Les êtres à sang froid, à moins que l’on n’élève artificiellement 
leur température, sont, au contraire, peu ou point impressionnés 
par les échidnines. Le poison de la vipère est sans effet sur les 
sangsues, les mollusques, l’anguille, l’orvet et les couleuvres. Il 
agit faiblement et avec lenteur sur les lézards et les grenouilles. 
Ces dernières sont même d'excellents sujets d'expérience pour 
l'intoxication chronique par le venin des crotales, mais pour 
arriver à les empoisonner, 1! faut employer la substance toxique 
à doses considérables (4). 

Fontana (Traité de la Vipère, 2 parte, eh. V) à démontré que 
le poison de la vipère n'en est pas un pour son espèce. Nos expé- 
riences nous ont toujours donné le même résultat. Au mois d'avril 
dernier, M. l'abbé Gicquiau et moi, nous avons fait mordre, 
entre autres, une vipère-aspic grise de moyenne grosseur d’abord 
par elle-même, puis deux fois par un très-fort aspie rouge à 
venin éprouvé; elle n’a présenté aucun signe d'intoxication et 


(1) Les platycerques (hydrophides, hydres, etc.), serpents du groupe 
des protéroglyphes, qui passent leur vie dans la mer et se nourrissent 
de poissons et de crustacés, ont par exception un venin très-puissant sur 
les animaux à sang froid, fait démontré par le Dr Cantor, médecin de 
l'armée des [ndes. 


ACTION DES VENINS 79 


n’est morte que trois mois après, d’inanition et de spleen. Dans 
les derniers temps, son venin moins actif ne tuait un moineau 
qu’au bout de quinze minutes. 

Le D' Guyon (Comptes-rendus de l'Institut, tome LHE, juil- 
let 1864) a essayé d’inoculer à un eerlain nombre de serpents 
(bothrops lancéolé, céraste d'Égypte, échidnée mauritanique, 
échidnée à queue noire, trigonocéphale piseivore, ete.) leur pro- 
pre poison et toujours sans succès. Ses expériences ont été éga- 
lement négatives lorsqu'il a fait mordre un de ces reptiles par un 
serpent d'une autre espèce ; 1l étend done à tous les ophidiens 
la loi de Fontana sur l’innocuité du venin pour l'animal qui le 
produit. Sans cela la moindre éraillure de la muqueuse buccale 
d'un serpent venimeux le mettrait en danger de mort. On peut, 
au contraire, blesser la gueule d’un de ces reptiles en le forçant 
à serrer les mâchoires sur du verre brisé, sans qu'il lui arrive 
d'accidents graves. 

Le D' Weir Mitchell est venu compliquer le problème en 
disant que les crotales peuvent être empoisonnés par leur venin 
employé à dose considérable; ce poison, toutefois, n'aurait pas 
d'action, appliqué sur des plaies de leur muqueuse buccale. 

MM. Mangili et CL. Bernard croient à l'auto-inoculation des 
venins et ont vu des serpents mourir par suite de leurs propres 
morsures ou de l’inoculation artificielle de leur poison. Ils accu- 
sent les adversaires de leur doctrine d’avoir méconnu l’empoi- 
sonnement, parce qu'il est lent à se produire sur ces animaux. 
Mais les reptiles qui ont servi aux expériences de MM. A. 
Duméril, Guyon et aux nôtres ont élé conservés vivants pendant 
plusieurs mois. Il est done probable que les partisans de lauto- 
inoculation ont pris eux-mêmes des effets de simple traumatisme 
pour des symptômes d'intoxication. | 

M. A. Duméril (loc. cit., p. 273) a élé frappé de linnocuité des 


80 ACTION DES VENINS 


blessures que se font les ophidiens venimeux, quand ils se battent 
entre eux ou se mordent. Un jour cependant, à la suite d’une 
lutte entre deux échidnées heurtantes, l’un des combattants fut 
trouvé mort dans sa cage ; l’autopsie démontra qu'il avait eu la 
pulpe cérébrale traversée par un des crocs de l’autre échidnée; 
le vainqueur, quoique couvert de blessures, ne présenta aucun 
signe d’empoisonnement. 

Les venins n’agissent guère que par inoculation; non qustu sed 
in vulnere nocent. Appliqués sur la peau ou les muqueuses (celle 
des bronches exceptée), ils sont sans effet. Introduits dans 
l'estomac, ils ne donnent lieu à aucun accident. Les victimes de 
nos expériences ont servi de régal à diverses personnes, et le 
poison de la vipère et celui du serpent à sonnettes ont été avales 
purs avec la plus grande impunité par Fontana, Weir Mitchell 
ei autres courageux expérimentateurs. 

Injectés dans une grosse veine, les venins causent une mort 
rapide, au milieu de convulsions et de symptômes inflammatoires 
vers le poumon et le tube digestif. 

Dans le réseau capillaire, ils manifestent avec plus de lenteur 
leur action catalytique qui s'étend de proche en proche. Le sang 
altéré laisse transsuder son sérum et produit de l’œædème ou même 
s’extravase sous forme de taches livides. 

C’est à la fibrine que s’attaque surtout le poison des ophidiens ; 
soit qu'il la détruise par dédoublement, soit qu'il la transforme 
en une substance isomère, il lui enlève ses propriétés plastiques. 

L'action dissolvante du veain n’est point immédiate. Mélé au 
sang, dans une éprouvette, il le coagule d’abord, comme le ferait 
du mucus ou du pus; le caillot sans consistance, se dissout au 
bout de vingt-quatre heures, et sa fibrine n'es plus susceptible 
de se coaguler. 

Les globules, autre principe vivant du sang, seraient aussi, 


ACTION DES VENINS 81 


modifiées par les solutions venimeuses, Ils cesseraient de se réu- 
nir en piles sous le champ du microscope et deviendraient den- 
telés sur leurs bords; mais l'isolement de ces corps cellulaires, 
quand ils se déposent, n’est point un signe d’altération. C'est un 
phénomène physique ; le venin, par sa consistance gommeuse, 
joue dans le mélange sanguin le rôle de l’eau sucrée dont se ser- 
vent les micrographes pour l’étude des globules. 

La dentelure des bords de ces corps flottants n’a pas plus de 
valeur. Cette déformation ne se produit que si le contact du 
poison a été prolongé, et se rencontre rarement à l’autopsie, 
même dans les cas de morsure de serpents à sonnettes ; enfin, on 
trouve des globules ainsi altérés, toutes les fois que le sang se 
décompose. 

Le sang des animaux venimés est noir et chargé d'acide car- 
bonique, par suite de l’asphyxie qui précède la mort. L'intoxica- 
tion elle-même n’enlève point aux globules la faculté de s’oxy- 
géner ; le liquide tiré d’une veine et mélangé de venin devient 
rutilant par son exposition à l'air. 

L’autopsie des animaux victimes de morsures de vipères dé- 
montre que le venin agit dans les vaisseaux, de la même manière 
que sur le sang tiré des veines. Quand la mort a été lente à venir 
(empoisonnements subaigqu et chronique), le cœur et les vaisseaux 
recèlent un liquide difluent, ou contiennent des caillots molasses 
et semblables à de la gelée; quand au contraire elle a été presque 
instantanée (empoisonnement suraigu), le sang ne présente aucune 
modification notable (1). 


(4) Les grandes affections miasmatiques, et la fièvre jaune entre autres, 
qui ont tant de rapport pour la symptomatologie avec les empoisonne- 
ments par le venin des serpents à sonnettes, présentent à l'autopsie les 
mêmes différences dans l’état du sang, suivant que la mort a été plus ou 
mions rapide. 


82 ACTION DES VENINS 


Le venin n’est donc point exclusivement un poison du sang ; 
dans les cas les plus graves, il agit en poison des nerfs. Les petits 
animaux qu'il atteint tombent comme foudroyés, et, en dehors de 
ces faits de sidération, il donne lieu à des symptômes d’adynamie 
et même d’ataxie. 

La manière dont s'exerce sur le système nerveux l’action des 
échidnines n’est pas connue. Faut-il voir là un phénomène pure- 
ment dynamique, ou le poison produit-il, dansle liquide que con- 
tiennent les éléments nerveux, des altérations matérielles ? 

Après la mort, la raideur cadavérique se manifeste prompte- 
ment, mais dure peu; les muscles, du reste, perdent vite la 
faculté de se contracter sous l'influence du galvanisme. Le cœur 
est l’ultimum moriens et la respiration artificielle prolonge ses 
battements; la putréfaction est rapide. Au point traversé 
par les crochets, la peau offre une rougeur inflammatoire de 
mauvais aspect, analogue à celle qui entoure une blessure ana- 
tomique ou toute autre inoculation putride. L’épiderme est sou- 
vent soulevé sous forme de phiyetènes et le derme parfois se spha- 
cèle au niveau des petites plaies; phénomène rare dans les 
morsures de vipères, mais fréquent dans celles du céraste et des 
crotaliens. Les muscles blessés sont ramollis et imprégnés de 
sang, et leurs fibres désagrégées se trouvent réduites à un état 
granuleux, sorte de décomposition moléculaire. Enfin des trai- 
nées de lymphangite indiquent la voie par laquelle s’opère en 
partie l’absorption. 

Les effets des venins de l’aspic, du péliade et de l’'ammodyte, 
ne présentent pas de différences sensibles. Les poisons des autres 
solénoglyphes ont une action identique, à l'intensité près. Toute- 
fois cette intensité est non-seulement en rapport avec la quantité 
de liquide toxique sécrétée par l’animal, mais elle varie encore 
suivant l’espèce du serpent. Ce que nous savons des protéro- 


ACTION DES VENINS 83 


glyphes conocerques et en particulier des najas nous porte aussi 
à rapprocher leur venin de celui des vipères (1). 


(1) Au moment où nous revoyons une dernière fois ces épreuves, nous 
lisons, dans le compte rendu de la séance de l’Institut du 8 juin 1868, 
l'analyse suivante, faite par M. le Secrétaire perpétuel, d'un mémoire de 
M. G.-B. Hallord, extrait du dernier volume des Transactions de la Société 
royale de Victoria, et ayant pour titre : De l’état du sang après la mort occa- 
sionnée par la morsure du serpent : 

« Quand une personne est mordue par le Naja tripudians, des germes de 
matières vivantes sont introduits dans son sang ; ils y développent des cel- 
lules et s’y multiplient avec une promptitude telle, que des millions s’y pro- 
duisent en quelques heures, aux dépens sans doute de l’oxygène absorbé 
dans le sang pendant l'inspiration; de là viennent la décroissance gra- 
duelle et l'extinction de la combustion, les changements qui se manifestent 
dans touies les parties du corps et qui sont suivis du refroidissement, de 
l’assoupissement, de l’insensibilité, du ralentissement de la respiration et 
de la mort. 

» Les cellules, qui rendent en si peu de temps le sang incapable de 
maintenir la vie, sont circulaires avec un diamètre d'environ 4/1700e de 
pouce ; elles contiennent un nucléus presque rond de 1/2800e de pouce de 
largeur; ce nucleus regardé avec un fort grossissement se montre rempli 
de sphérules de germes de matières vivantes encore plus petites. En 
outre, l'application du magenta révèle un petit point coloré sur quelques 
parties de la circonférence de la cellule, C’est ce qui, outre sa dimension, 
la fait distinguer du pus blanc ou des corpuscules de la lymphe. 

» En sorte qu'il paraitrait que, tandis que les cellules végétales exigent 
pour se développer une nourriture inorganique et le dégagement de l’oxy- 
gène, les cellules animales demandent une nourriture organique et l’ab- 
sorption de l'oxygène. Celle nourrilure se rencontre dans le sang, et l’oxy- 
gène leur est offert par les globules. Ainsi tout le sang se désorganise, 
et après la mort on le retrouve sombre et fluide : sa fluidité indique le 
manque de fibrine et sa couleur rouge sombre l’absence d'oxygène : le 
liquide absorbe immédiatement de l'oxygène quand on l’expose à l’air 
après la mort » 

Quelque séduisante que soit la théorie de M. Halford qui expliquerait 
tous les faits de l’envenimation, elle a besoin, pour prendre rang dans la 
science. d’être contrôlée par d’autres expérimentateurs. Nous n’avons jus- 
qu'ici rien observé de pareil. 


84 MORSURES DE VIPÈRES 


IT 


Fontana termine son Traité du venin de la vipère par ces ad- 
mirables paroles (1): « J'ai fait plus de 6,000 expériences ; 
j'ai fait mordre plus de 4,000 animaux, j'ai employé plus de 
3,000 vipères, et Je puis m'être trompé; quelque circons- 
tance essentielle peut m'avoir échappé : je puis en avoir négligé 
quelque autre, ne la croyant pas nécessaire; mes conséquences 
peuvent être trop générales, et les expériences en trop pelit 
nombre. En un mot, il se peut très-bien que je me sois trompé, 
et il serait même impossible que je ne me fusse jamais trompé 
dans une matière si difficile, si obscure et encore si neuve. ]l me 
suffit de pouvoir certifier que je n'ai écrit que ce que j'ai vu ou 
du moins cru voir. » 

Depuis Fontana, beaucoup de médecins et de naturalistes, en- 
tre autres Mangili, MM. Duméril et CI. Bernard, ont contrôlé ou 
discuté ses travaux avec des expériences nouvelles; mais il 
reste encore beaucoup à faire dans cette voie, surtout en em- 
ployant les procédés suivis par les physiologistes modernes pour 
le curare. 

On peut, du reste, se tromper grossièrement dans l'étude des 
venins, en concluant d’une façon trop absolue de faits provoqués 
chez les animaux à ce qui doit se présenter chez l’homme. Les 
déductions de la méthode expérimentale. n’ont de valeur réelle 
que lorsqu'elles sont confirmées par l'observation directe, vérita- 
ble pierre de touche au point de vue pratique. 

Appuyé sur les travaux de Fontana et de ses imitateurs, nous 


(4) Tome I, p. 63. Édition française. Florence, 1781. 


MORSURES DE VIPÈRES 89 


avons cherché à les compléter à l’aide de données fournies par la 
clinique. 

Déjà, pour un précédent travail (Études médicales sur les ser- 
pents de la Vendée et de la Loire-Inférieure, 1" édit., p. 37), nous 
avions réuni 203 cas de morsures d’aspic et de péliade, tous 
inédits et ayant eu lieu dans nos deux départements. Depuis cette 
époque (1860-1861), 118 cas nouveaux nous ont été communi- 
qués, ce qui donne un total de 321 personnes mordues. 

Les observations que nous avons recueillies nous proviennent 
de diverses sources; les plus nombreuses nous ont été fournies 
par des médecins exerçant dans des communes rurales, par des 
curés et des instituteurs de campagne ; enfin, par des natura- 
listes, et en particulier, par MM. A. de l'Isle et Alc. Thomas. Ce 
dernier met entre nos mains, au moment où nous imprimons la 
troisième partie de notre travail (juin 1868), toutes ses notes, ct, 
entre autres, celles qui ont servi au rapport qu’il adressa, en 
1860, à la Société d’acclimatation (1). 


(1) Nous regrettons de n’avoir pas eu plus tôt communication des notes 
de M. Thomas, car elles contiennent des détails curieux et souvent nou- 
veaux sur les mœurs des serpents et en particulier sur celles du péliade. 
Ainsi, nous croyons qu'il est le premier à avoir remarqué que le péliade 
peut, pendant le repos, s’aplatir et s’élargir considérablement. « Au mois de 
mai 1861, je surpris, dit-il, dans un taillis près de Blain, une de ces vipères 
ainsi aplatie; je la crus morte, mais, saisie par le cou avec mes pinces 
et suspendue en l'air, elle s’agita et reprit sa forme cylindrique. » 

Le 18 mai 186%, M. A. de l'Isle n’ayant point connaissance du fait 
observé par M. Thomas, fut témoin de quelque chose de plus curieux en 
core : « J'étais, nous écrit-il, en course erpétologique, avec un de me: 
frères, à Juigné-les-Moutiers; ayant quitté la route de Châteaubriant, 
nous nous enfoncions dans les ttrrains boisés qui s'étendent entre Saint- 
Hubert et la Blisière, et déjà nous avions aperçu un premier péliade, 
lorsque nous en rencontrâmes, près d’une clairière schisteuse, un second, 
à robe pâle et à zigzag très-foncé, qui nous présenta un singulier phé- 
nomène. Un crapaud, que l’on menace, gonfle rapidement ses poches 


86 MORSURES DE VIPÈRES 


Le dépouillement des documents envoyés à la préfecture de 
la Loire-Inférieure nous a donné à lui seul 67 cas d’empoisonne- 
ment venimeux. Enfin, nous avons observé nous-même trois 
faits de ce genre : celui de M. Rautou, cité plus haut, page 66, et 
les deux qui suivent : 

Le 24 mai 1860, par un temps chaud et un peu orageux, à 
trois heures du soir, M. l’abbé H..., professeur à la pension Saint- 
Stanislas, âgé de trente-neuf ans, et d’une assez bonne santé, se 
promenait, deux heures environ après son repas, à la Desnerie, sur 
les rochers qui bordent la rivière de l’Erdre. Au sortir d’un taillis 
en partie défriché, il fut mordu au-devant du coude-pied gau- 
che par une grosse vipère-aspic grise, qui disparut dans le 
fourré. | 

Désireux de se mettre au plus vite entre les mains d’un homme 


sous-cutanées et devient presque invulnérable ; cette vipère, privée de la 
précieuse faculté d'isoler sa peau et ses muscles, s’effaça, quand je levai le 
bâton sur elle, et s’aplatit soudain eontre terre comme pour atténuer le 
coup. Je fus obligé d'appeler mon frère à mon aide pour m'en rendre 
maître. Cette ruse de guerre sert sans doute aussi au péliade pour se déro- 
ber à la vue de ses ennemis et des animaux dont il fait sa proie. » 

M. l'abbé Chabirand, vicaire de Champagné, ignorant la découverlie 
de MM. Thomas et de l'Isle, a fait une observation analogue sur la cou- 
leuvre vipérine. 

Nous trouvons dans les notes de M. Thomas un exemple d’un mode de 
progression de l’aspic assez anormal : « Par une chaude soirée de juillet, 
je me promenais, avec un botaniste étranger, dans la belle vallée qu’arrose 
la Chésine. En passant par une prairie située entre le ruisseau et le taiilis 
de Carcouet, nous aperçûmes une grosse vipère rousse qui traversait cette 
prairie avec une vitesse incroyable pour un serpent de son espèce et se 
dirigeait vers la Chésine. Il n’y avait absolument que son ventre qui touchät 
la terre. Sa tête et sa queue étaient fortement relevées. J’eus un peu de 
peine à l’atteindre ; je réussis cependant à l’arrêter avec mon bâton, sur 
lequel elle donna quelques coups de crochet, en laissant échapper trois ou 
quatre gouttelettes de venin. » 


MORSURES DE VIPÈRES 87 


de l’art, le blessé descendit vers la rivière pour se faire transpor- 
ter en canot jusqu’à Nantes. Il n’appliqua point sur sa jambe de 
lien constricteur, et son bas imbibé de venin fut laissé en contact 
avec la plaie. Durant la traversée, aucun accident général ne se 
manifesta; le pied ne se tuméfiant que très-modérément, 
M. l’abbé H. ne songea point à le laisser pendre dans l’eau. 

Arrivé à Nantes, 1l reçut les premiers soins de M. Besnier, 
pharmacien au Port-Communeau, qui lui donna une potion con- 
tenant vingt gouttes d'ammoniaque, lotionna les piqûres avec 
cette substance, et conseilla au malade de rentrer chez lui et 
d'appeler son médecin. 

Appuyé sur le bras d’un ami, M. H.. rejoignit son domicile, où 
il était temps qu'il arrivât, car sa jambe, se tuméfiant progressi- 
vement, allait lui refuser service. Il commençait, du reste, à 
éprouver des nausées et se sentait défaillir. 

Dès les premières cuillerées de potion, les vomissements sur- 
vinrent fréquents et douloureux, d'abord composés de substances 
alimentaires, puis de bile et de glaires sanguinolentes. Quelque 
vive que fût la soif, aucun liquide n’était supporté. Le malade ac- 
eusait une douleur épigastrique atroce et de violentes tranchées ; 
il se refroidissait et avait de la tendance à l’évanouissement. 

Depuis la marche, la tuméfaction de la jambe, lente jusque-là, 
avait augmenté avec rapidité ; elle dépassait le genou et la peau 
tendue était lisse et violacée. 

A cinq heures, le D Thibeaud, professeur à l’École de méde- 
cine, arriva près du blessé. Il reconnut avec un peu de peine 
deux empreintes de crocheis déjà effacées par la rétraction du 
derme, et assez distantes l’une de l’autre; il les agrandit, en tira 
quelques gouttes de sang et y introduisit de l’ammoniaque. Il 
appliqua ensuite sur la cuisse une ligature tardive qui ne pu 
être supportée plus d’une heure. 


83 MORSURES DE VIPÈRES 


Les symptômes devenaient effrayants et étaient encore exagé- 
rés par l'inquiétude bien légitime du malade. L’effort des vomisse- 
ments avait amené des soubresauts tendineux; le pouls était for- 
micant et à peine sensible; le corps se couvrait de sueurs 
visqueuses et glaciales; la facelivide prenait une teinte subictéri- 
que, et l’état syncopal se prononçait de plus en plus. M. le pro- 
fesseur Letenneur fut appelé en consultation par M. Thibeaud. Ils 
décidèrent qu'un mélange d’eau-de-vie, d’eau et de sucre rem- 
placerait la potion ammoniacale. 

En même temps, des sinapismes furent posés sur l’épigastre 
et promenés sur les cuisses. Grâce à l'emploi de ces nouveaux 
moyens, les contractions de l’estomac se calmèrent, et un peu de 
réaction commença à se montrer. Cet ensemble de phénomènes 
alarmants avait duré une heure. 

Une légère fièvre parut dans la soirée, et le malade eut de l’a- 
gitation pendant la nuit. En dehors de ce mouvement fébrile, il 
ne présenta ni trouble intellectuel, ni altération de la sensibilité, 
ni même de céphalalgie. 

Le lendemain, la tuméfaction, tout en conservant ses caractè- 
res, était descendue au-dessous du genou ; des trainées lymphati- 
ques se montraient à la face interne de la cuisse ; le pouls était 
relevé, mais encore dépressible, et il y eut de nouveau de la fiè- 
vre vers le soir. 

Le vin de Malaga fut administré à la place de l’eau-de-vie. 

Le 26, la teinte subictérique avait en partie disparu; mais, à 
cette époque, on vit se dessiner sur le membre malade des taches 
livides, violacées et comme ecchymotiques. 

La tuméfaction augmenta toute la semaine, atteignit les côtés 
du ventre et gagna le thorax ; après quoi elle décrut et devint in- 
dolente. 

Le dix-huitième jour, M. l'abbé H..., ayant cessé de maintenir 


MORSURES DE VIPÈRES 89 


sa jambe étendue, fut pris d’érésipèle au voisinage des piqûres, 
avec fièvre assez intense. Des compresses imbibées d’eau de su- 
reau et la position élevée du pied firent disparaitre ces accidents; 
l’état général continua à s’améliorer, tandis que le mal local sui- 
vait une marche décroissante. 

La convalescence n’allant point assez vite au gré du blessé, 1l 
recourut aux empiriques. Le premier appelé lui fit boire, en qua- 
rante-huit heures, cinqlitres d’un vin médicamenteux obtenu par 
la macération dans du vin blanc ordinaire d’une quantité consi- 
dérable de Galium verum, plante servant de base au plus grand 
nombre des recettes employées dans l'Ouest contre les venins. Le 
remède provoqua des vomissements et de l’excitation; mais, dès 
le lendemain, le gonflement avait diminué, et il n’existait plus 
qu’autour des petites plaies. 

Charmé du résultat, M. H..., ayant essayé, quelques jours 
après, de reprendre ses travaux, la tuméfaction reparut et gagna 
de nouveau la cuisse. Alors intervint un autre guérisseur, maré- 
chal ferrant à Château-Thébaud. Il couvrit les parties tuméfiées 
de feuilles fraiches de molène (Verbascum Thapsus L.); une 
sueur abondante se manifesta sous ces feuilles, effet que le coton 
et le taffetas gommé n'avaient pas obtenu. L’empirique ordonna, 
en outre, de prendre par verres, dans la journée, une macéra- 
tion dans un litre de vin blane des plantes suivantes formant un 
volume énorme (deux ou trois fois celui du vin) : Galium verum L. 
(vulg. miélite), G. Aparine L. (gratteron), G. Mollugo L. 
(croisette verte), G.-cruciatum Scop. (croisette jaune) et Rubia 
peregrina L. (prend-main). Le remède contenait, de plus, un mor- 
ceau de tige de frêne broyée, un brin de genêt à balais, une ra- 
cine de panais sauvage, une feuille de bardane et quelques feuilles 
d’aigremoine. Le liquide jaunâtre avait le goût amer et l’odeur de 
miel des deux plantes principales, les Galium verum et cruciatum, 


90 MORSURES DE VIPÈRES 


Malgré l'emploi de ce vin et les nouvelles scarifications prati- 
quées par l'empirique, l’œdème ne se dissipa qu'avec une ex- 
trême lenteur. 

Le 8 août, M. H... put enfin sortir, en se servant d’un bas 
lacé, et vaquer à ses affaires. Il ne cessa l'usage du bas lacé que 
le 12 novembre; à cette époque (six mois après la morsure), 
le pied présentait encore un léger engorgement à la suite de 
l’exercice forcé. 

Lorsque, en 1861, nous publiâmes cette observation, tout le 
monde considérait le blessé comme guéri, mais sa santé ne s’est 
jamais complétement remise. Chaque année, aux premières cha- 
leurs, il éprouve un peu d’œædème douloureux du coude-pied, 
des pesanteurs d’estomac et des envies de vomir. Ses digestions 
sont restées pénibles et le portent à la somnolence ; ses gencives 
sont fongueuses, et sa peau prend souvent une teinte subictérique. 
Il résiste mal au froid et supporte difficilement les fatigues 
physiques et intellectuelles. Grèce à une hygiène sévère et à peu 
de travail, il semble cependant depuis quelques mois marcher 
vers une amélioration notable. 

Le 30 avril 1868, à dix heures du matin, au même lieu delaDes- 
nerie, Julie Renaudin, àgée de vingt-neuf ans, fut mordue au mé- 
dius droit par un aspic, pendant qu’elle sarelait dans un jardin. La 
vipère, petite et de couleur grise, avait été saisie à pleine main 
dans une poignée d’herbe. Les premiers soins consistèrent dans 
l'emploi d’une bonne ligature qui ne fut gardée que quelques 
heures, dans une application d’une compresse imbibée d’aleal, et 
dans l’administration de quelques gouttes de cette substance avec 
de l’eau. Le surlendemain, cette fille nous fut envoyée par M. le 
comte O. de Sesmaisons. Elle avait éprouvé, la veille, de légers 
malaises. Sa main était enflée, et le gonflement remontait jusqu'au 
milieu del’avant-bras, mais la peau n'offrait ni marbrures n1 taches 


MORSURES DE VIPÈRES JL 


livides, et le ganglion épitrochléen était à peine tuméfié. Les 
deux petites piqûres siégeaient à la partie externe et postérieure 
de la deuxième phalange, distantes, l’une de l’autre, de six milli- 
mètres. Nous prescrivimes des frictions sèches et aromatiques, 
l’enveloppement de la main et de l’avant-bras par du coton à poil 
et du taffetas gommé, l'emploi d’un vin chaud à la cannelle, puis 
d’un autre vin médicamenteux préparé avec du vin. d'Espagne 
et l’Aristolochia odoratissima L. (1). Sous l'influence de ce 
traitement qui produisit une sueur abondante, l’œdème disparut 
au bout de quelques jours, et cet accident n’eut aucune suite. 

Au lieu de donner d’une manière succincte et sans grand profit 
pour le lecteur le récit de nos autres observations de morsures de 
vipères, nous nous bornerons à ne citer que les plus curieuses, et 
à indiquer les principales considérations qui ressortent de l’examen 
comparatif des cas observés. Il deviendra alors facile de décrire 
cliniquement l'affection venimeuse, et d’instituer le meilleur 
traitement à lui opposer. 


SI. EXAMEN COMPARATIF DES CAS OBSERVÉS. — Quelques faits 
de notre statistique remontent à une trentaine d’années; la plu- 
part sont de date assez récente. Nos correspondants s’accordent 
à constater que le chiffre annuel des morsures de vipères devient, 
dans chaque commune, de moins en moins élevé. 

L'année 1860 est celle qui nous en a fourni le plus grand nom- 
bre. Son printemps et son automne ont été particulièrement favo- 


(1) Cette aristoloche se trouve depuis quelque temps dans les pharmacies 
sous le nom inexact de Guaco. Elle porte en Guyane celui de Liane contre- 
poison, et comme le véritable Guaco (Mikania Guaco H. et B }), elle est em- 
ployée dans la médecine créole contre les morsures des serpents. C’est un 
sudorifique énergique. Le principe aromatique qu’elle contient a de plus 
une action remarquable sur le système nerveux, et nous en avons obtenu 
de bons résultats contre les affections convulsives. 


92 MORSURES DE VIPÈRES 


rables aux reptiles et elle correspond à l’enquête préfectorale. 
Les deux dernières années 1866 et 1867, fort pluvieuses, ne nous 
ont, au contraire, donné que peu de morsures. 


Voici comment se rangent les cas recueillis d’après les divisions 
territoriales. 


Arrondissement de Fontenay-le-Comle.............. Le 
Arrondissement'de Napoléon: VU 39 
Arrondissement des Sables-d'Olonne. .............. 22 
Total pour la Vendée............ 106 106 
Arrondissement de Paimbœuf................... RALENT 
rive gauche.... 66 
Arrondissement de Nantes NE. 91 
rive droite. .... 25 | 
Arrondissement de Saint-Nazaire (Savenay})......... 40 
Arrondissement:d Ancenis. ct eee eme 22 
Arrondissement de Châteaubriant.................. 20 
Total pour la Loire-Inférieure....... 215 245 
Total general Eee 321 


Soit 214 au sud de la Loire et 107 au nord du fleuve (1). 


Ce tableau ne représente pas la fréquence relative exacte des 
accidents produits par les vipères dans les diverses divisions ter- 
ritoriales, et d’après le nombre et la léthalité des blessures, on 
devrait ranger ainsi les arrondissements : 4° Napoléon, Fonte- 
nay et Nantes, 2° Paimbœuf et les Sables-d'Olonne, 3° Saint- 
Nazaire, 4° Ancenis et Châteaubriant. 

La rive gauche de la Loire est, avec juste raison, plus redoutée 
des chasseurs que la droite, et le Bocage vendéen, où règne l’as- 
pic, fournit la plus grande quantité de morsures et les plus gra- 


(4) Dans cette statistique ne sont pas comprises un certain nombre de 
morsures recueillies dans les départements limitrophes. 


MORSURES DE VIPÈRES 93 


ves, tandis que l'arrondissement boisé de Châteaubriant, hanté par 
le péliade, en offre très-peu, et surtout très-peu de sérieuses. 

La contradiction entre ces conclusions et le tableau qui les 
précède n’est qu'apparente. Il nous a été plus facile de nous mettre 
en rapport avec les campagnes voisines de Nantes, où nous habi- 
tons, qu'avec les parties éloignées de la Vendée, et il ne faut pas 
oublier que les faits fournis par M. le baron de Girardot et 
M. Thomas ont tous eu lieu dans la Loire-Inférieure. 

Il est difficile d'établir une moyenne annuelle de morsures de 
vipère dans l’un et l’autre département, tant le nombre de ces 
blessures varie suivant les localités. A droite du fleuve, on n’en 
compte guère qu'une par commune dans l’espace de deux à trois 
ans (1). Sur larive gauche, la proportion est plus forte et s’élève 
de un à trois par an. Certaines communes privilégiées n’en ont 
pas présenté depuis près d’un quart de siècle. 

La moyenne à Saint-Père-en-Retz est, d’après le D' Boucheron, 
d'une piqûre par année; il en est ainsi dans beaucoup d’autres 
communes. À Saint-Aignan et dans les localités que baigne le lac 
de Grand-Lieu, on compte deux empoisonnements venimeux par 
an, suivant le Dr Drouet père ; le même chiffre est indiqué pour les 
environs d’Arthon, par le rapport du D' Touaille de la Rabrie (2). 
Dans les communes du Bocage, le nombre annuel des accidents 
causés par les vipères s'élève à deux, trois, quatre et même cinq, 
mais les deux derniers chiffres ne représentent guère que les 
résultats d’une année exceptionnelle et ne peuvent servir de 
moyenne. 


(1) M. Thomas admet pour la Loire-Inférieure environ soixante mor- 
sures par an, calcul approximatif peu inférieur au nôtre. 

(2) Le Dr Touaille de la Rabrie, qui déclarait, en 1860, avoir soigné 
trente morsures de vipère dans l'espace de treize ans, nous écrit n'avoir 
pas vu de nouveaux accidents de ce genre depuis cette époque. 


94 CAS DE MORT 


Il ne se passe guère d'année que les vipères n'occasionnent 
la mort de plusieurs personnes dans nos départements. 


Trois faits douloureux de ce genre nous ont été communiqués 
de l’arrondissement de Fontenay-le-Comte. 


1% Cas. — Au mois d'avril 1832, un enfant de Luçon, âgé de 
onze ans, nommé Ronflet, fut mordu à la main par une vipère, 
pendant qu’il soulevait un fagot de sarments et le jetait d'une 
charrette ; il enfla de tout le corps, eut des nausées, des lipothy- 
mies et un refroidissement général, et succomba le troisième jour. 
(Le D' Lepelletier, de Luçon.) 

2° Cas. — À Saint-Laurent-la-Salle, un homme de soixante- 
sept ans fut, en 1859, blessé au pied par un aspic. Malgré l’em- 
ploi de l’ammoniaque intus et extra, il mourut en sept ou huit 
jours. Son fils, âgé de douze ans, mordu par le même reptile, 
guérit au contraire sans avoir présenté d'accidents sérieux. 
(M. David, curé d’Angles, ancien professeur d'histoire naturelle 
au séminaire des Sables-d'Olonne.) 

3° Cas. — À Saint-Michel-Mont-Mercure, un enfant succomba 
à une morsure de vipère, quoiqu'il eût été traité par l’alcali. 
(M. l'abbé David.) 


Quatre autres viennent de l’arrondissement de Napoléon. 


4° Cas. — À Chavagnes-en-Paillé, en 1848, le D' Papin-Cler- 
gerie reçut la visite d’une paysanne qui, en coupant du blé, ve- 
nait d’être atteinte au poignet par une vipère. Cette femme, dont 
le bras était déjà gonflé, se plaignait d’élancements dans la partie 
blessée, de défaillances et d’envies de vomir. Il lui fit avaler quel- 
ques gouttes d’alcali dans un verre d’eau sucrée et cautérisa la 
blessure avec du beurre d’antimoine; il prescrivit, de plus, la 


CAS DE MORT. 95 


continuation de l’empioi de l’ammoniaque de deux heures en deux 
heures, à la même dose et dans la même quantité d’eau. Ceci se pas- 
sait dans l'après-midi d’une des journées les plus chaudes de l'été. 
Le lendemain, M. Papin apprit avec étonnement la mort de cette 
femme. (Le D' Papin-Clergerie, médeein des hôpitaux de Nantes.) 

5° Cas. — En août 1857, Marianne Brochard, âgée de douze 
ans, habitant à la Gaubretière, fut mordue par un aspic; ses 
parents demandèrent de suite un empirique de Chambretaud, 
renommé dans tout le Bocage pour son habileté à constater par la 
simple vue, si une plaie doit sa spécificité au venin du crapaud, 
du lézard vert, de la rinsoireou salamandre, du quatre-épées, au 
venin d'eau ou à un venin composé de plusieurs des éléments 
précédents. Le guérisseur rangea en cercle la famille de la ma- 
lade et entonna une hymne d'église que l'assistance répéta en 
chœur avec la plus grande gravité. Le lendemain, même céré- 
monie ; mais cette fois la pauvre fille n’attendit pas la fin de cette 
misérable jonglerie ; elle mourut à la deuxième strophe. (Le 
D' Bourgeois de la Verrie.) 

G° Cas. — À Rocheservière, le 5 mars 1864, Marie Boubhier, 
àagée de six ans, enfant d’une forte constitution, était vers les deux 
heures du soir à cueillir des hozannes (1) (Primula acaulis L.) 
le long d’une haie, lorsqu'elle se sentit blessée par un serpent qui 
lui fit trois piqûres à la face dorsale de la main droite. La dou- 
leur ne fut pas très-vive. De peur d’être grondée, l’enfant se borna 
à laver avec de l’eau fraîche les plaies d'où coulait un peu de 
sang. Le gonflement, qui envahit la main et l’avant-bras, la dé- 
cida, au bout d’une demi-heure, à rentrer chez elle et à tout 


(1) Les hozannes ou jozannes (de hozanna) doivent leur nom à ce qu'elles 
fleurissent aux Rameaux, comme la péquerette tire le sien du jour de 
Pâques ; divers orchis, pour une raison, semblable, sont appelées pentecôles 
par nos paysans. 


96 CAS DE MORT 


raconter à son père. Celui-ci courut au lieu indiqué, où il tua une 
vipère commune assez grosse de 55 centimètres de long. Un em- 
pirique, appelé près de l’enfant, pratiqua sur la main malade un 
certain nombre de scarifications et rapporta, d’un endroit voisin, 
une herbe qu'il appliqua sur la blessure après l'avoir pilée et mélan- 
gée de sel; il conseilla, comme boisson, du vin chaud et froid. 
On ne mit point de ligature et l’aleali ne fut pas administré. Vers 
le soir, des taches livides apparurent, tandis que la tuméfaction 
‘ gagnait dans la nuit la partie droite du thorax. Les remèdes du 
premier empirique restèrent sans effet, et Marie Boubhier fut con- 
fiée le lendemain à un second guérisseur. Celui-ci apporta, dans 
une bouteille, une macération de plantes de couleur brunâtre et 
d’odeur aromatique, devant être employée à l’extérieur et en 
boisson. L’enfant mourut trente-six heures après la morsure, 
ayant éprouvé un refroidissement général, des nausées, des vo- 
missements, de la somnolence et une grande gêne respiratoire. 
Le D' Clochard ne fut appelé près d’elle qu'aux derniers mo- 
ments. (Lettres des D'° Clochard et Guitter, de Rocheservière.) 

7° Cas. — Le 8 septembre 1865, Jean Aubert, âgé de 
soixante ans, du village de la Grimaudière, en Saint-Philbert-de- 
Bouaine, vendangeait dans une vigne. Au moment où il déta- 
chait une grappe de raisin, une vipère enroulée autour du cep 
se jeta sur sa main gauche et le blessa à la face interne du 
pouce. L’aspic allait aussi piquer la fille Aubert, lorsqu'il fut 
tué sur un autre cep, à quelques pas plus loin. Quoique la 
chaleur fût étouffante, le malheureux vigneron se rendit à 
pied consulter une guérisseuse qui demeurait à plus de deux 
kilomètres ; elle lui prescrivit l'emploi d'une macération vineuse 
de diverses plantes. Au bout de trente-six heures, se sentant 
plus mal, le blessé consentit à appeler le D' Drouet, de 
Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. L’enflure avait tellement aug- 


CAS DE MORT 97 


menté, qu’il fallut fendre la chemise pour voir les taches livides 
dont la peau de l’avant-bras et du bras était couverte. Le refroi- 
dissement était général; le pouls se sentait à peine; il y avait de 
la dyspnée et de fréquentes nausées, mais celles-ci ne donnaient 
pas lieu à des vomissements. 

Le traitement ammoniacal prescrit par le médecin ne put sau- 
ver Aubert, qui succomba le septième jour. (M. Brouard, curé de 
Saint-Philbert-de-Bouaine, et M. le D' Drouet.) | 


Trois accidents mortels nous ont été signalés dans l’arrondis- 
sement des Sables-d'Olonne. 


8 cas. — En 1845, la petite-fille d’un métayer des Mou- 
tiers-les-Mauxfaits fut mordue par un aspic, et succomba le 
lendemain. (M. Brethomeau, médecin à Aizenay, au service du- 
quel était le père de l’enfant.) 

9 cas. — À la fin du mois de mai 1862, Hermance Bo- 
quir, âgée de six ans, fille d’un pauvre journalier, demeurant 
au village du Petit-Beaulieu (commune de Moutiers-les-Maux- 
faits), se promenait, avec un autre enfant, dans une prairie, 
lorsqu'elle fut mordue au coude-pied par une vipère. Les soins 
médicaux qu'elle reçut furent à peu près nuls ; une vieille femme 
lui admunistra toutefois un spécifique dans lequel entrait beau 
coup de napperon ou de bardane. Les symptômes les plus graves 
ne tardèrent pas à se montrer. Il survint des taches noirâtres, 
un gonflement qui s’étendit jusqu’au ventre, des vomissements et 
des syncopes. La malade lutta ainsi jusqu’au septième jour et finit 
par succomber. (M. Duchaine, maire des Moutiers-les-Mauxfaits.) 

10° cas, — Au mois d'août 1856, la femme Biron, habi- 
{ant le Coteau, commune de Commequiers, fut piquée au doigt 
par un aspic pendant qu’elle relevait une javelle de blé. La tu- 


méfaction, déterminée par le venin, gagna tout le corps, s’ac- 
£. 


98 CAS DE MORT 


compagna de taches ecchymotiques et d’un abaissement de la 
température analogue à celui qu’on remarque dans le choléra. 
Les vomissements se répétèrent au point qu’il ne fut pas pos- 
sible d’administrer des remèdes internes, et la blessée succomba 
le surlendemain. (M. Léopold Fruchard.) 

119 cas. — En juin 1858, le jeune Merseron, de Challans, 
âgé de dix ans, ayant aperçu un nid dans un buisson, y porta la 
main et fut au même instant piqué par une vipère qui s'était 
logée dans ce nid. On adressa l'enfant à un guérisseur dont les 
remèdes ne produisirent aucun effet. L’œdème gagna tout le 
corps; il survint des taches violettes, des vomissements à la fin 
sanguinolents, des faiblesses, puis de la fièvre et l'enfant suc- 
comba le septième jour. (Renseignements recueillis par nous- 
même, à Challans, de divers témoins oculaires.) 


Onze des cas de mort de notre statistique ont eu lieu dans 
l’arrondissement de Paimbœuf. 


12 cas. — Au mois de juin 1827, le jeune Vilain, âgé de 
six ans, du village de la Gouyère, en Sainte-Pazanne, fut mordu, 
à onze heures du matin, par une vipère de couleur rougeâtre ; 
quelques heures après il offrait un œdème général. Son père 
avait envoyé à Chémeré prendre conseil d’un homme redouté 
pour ses sortiléges, portant le nom de guerre d'Henry du Grand- 
Houx. Le sorcier se rendit dans un champ, fit des invocations ct 
consulla son oracle, bœuf noir désigné par les paysans sous le 
nom de Grand-Diable. Le bœuf levait la patte droite ou la gauche 
suivant que sa réponse était aflirmative ou négative. Henry du 
Grand-Houx promit la guérison du blessé qui, pendant toutes ces 
manœuvres, n'avait reçu aucun soin. Au retour du messager 
l’enfant était dans un coma profond. Il succomba le jour même, 
malgré le cataplasme de lait caillé prescrit par le conjureur et 


CAS DE MORT 99 


sans avoir pu prendre les drogues qu’il avait ordonnées. {Le 
D' Bourdin de Säinte-Pazanne.) 

13° cas. — Au mois d'août 1827, Opportune Mauriceau, 
âgée de vingt ans, habitant le village du Poirier, en Saint-Père- 
en-Retz, fut mordue par un aspic à une veine du talon, pendant 
qu’elle cueillait des noisettes dans un taillis. Elle mourut vers le 
huitième jour. (Le D' G. Boucheron de Saint-Père-en-Retz.) 

14° cas. — Le 14 août 1849, vers midi, Virginie Soreau, 
enfant de sept ans et demi, demeurant à Basse -Paragère, 
commune de Saint-Père-en-Retz, récoltait du prend-main 
dans une haie, quand elle fut mordue à la main gauche par une 
vipère rouge. On fit demander le Dr Boucheron, qui ne püt 
arriver que deux heures après. Il trouva la malade sans connais- 
sance, refroidie et à pouls presque insensible; les vomissements 
avaient été continuels depuis l'accident. Il ne découvrit qu'une 
pelite plaie à la racine du doigt médius, l’agrandit et y introdui- 
sit de l’ammoniaque. La forme de la partie ne permit pas l’appli- 
calion d’une ventouse. Des frictions furent pratiquées sur le 
membre avec de l'huile d'olive tiède. Les vomissements s’oppo- 
sèrent à l'emploi de remèdes internes. La respiration devint de 
plus en plus difficile, et l'enfant mourut vers huit heures du 
soir. (Le D' Boucheron) (1). 

15° cas. — Le 13 août 1838, à Saint-Viaud, près de Fros- 
say, Jean Simon, homme d’une excellente constitution, fut 
mordu au pied par une vipère, en coupant du blé dans une pièce 
joignant le jardin du Plessis. La jambe enfla immédiatement et 
d’une façon considérable; elle se couvrit de taches livides. Ces 
phénomènes locaux s’accompagnèrent des symptômes généraux 


(1) Depuis vingt-sept ans qu'il exerce à Saint-Père-en-Relz, notre con- 
frère a soigné une vinglaine de morsures de vipères, el n’a eu connais- 
sance que de ces deux cas de mort, 


[2 


RE ————"— —"—— 


100 CAS DE MORT 

I ET NN 0 à SN RP ne e e 
les plus graves, et, malgré les soins qui lui furent prodigués, le 
blessé succomba le 4 septembre, c’est-à-dire trois semaines après 
la morsure. 

16° cas. — Quelques années auparavant et presque au même 
endroit, à Frossay, sur la limite de cette commune et de celle 
de Saint-Viaud, Morin, cultivateur au village de la Valliais, fui 
piqué au doigt par un aspic en allant à son, champ arroser du 
lin. S'étant baissé pour tuer l’animal avec une pierre, il tomba 
évanoui, enfla de suite, et mourut en quelques heures. 

17e cas. — Au mois de mai 1850, le jeune Gautier, de Îa 
Catelerais, en Frossay, âgé de dix à douze ans, fut mordu 
au petit doigt en cueillant des fraises. Le lendemain il n’existail 
plus. 

Ces trois faits, par leur gravité, ont laissé dans la population 
des environs de Frossay une vive terreur des serpents, et en par- 
ticulier de la vipère-aspic rouge, qui s’y trouve commune. Ils 
nous ont été rapportés, le premier par M. Boucard, supérieur 
du collége des Couets, les deux autres par notre regretté 
ami le D' Moriceau, qui nous a pareillement confirmé les 
circonstances de la mort de Jean Simon, fermier de sa fa- 
mille. 

18e cas. — Un laboureur de Rouans, blessé à la jambe par la 
tête d’une vipère coupée en deux, mourut le jour même. (Voir 
plus haut, page 59.) 

19° cas. — En juin 1841, Rose Grellier, âgée de onze ans. 
demeurant à la Rédunière, commune de Chauvé, traversait 
une des prairies de cette ferme, quand elle fut mordue au pied 
par une vipère. La douleur fut vive; l’enfant s’étendit sur l’herbe 
et s’y endormit. Ses parents la trouvèrent dans cet état quelques 
heures après et la portèrent dans leur maison. Là ils lui firent 
avaler quatre ou cinq gouttes d’alcali, sans toutefois cautériser 


CAS DE MORT 101 


la plaie avec cette substance. Aucun médecin ne fut appelé, et le 
lendemain Rose Grellier, toujours dans le coma, s’éteignit vers le 
soir. 

20° cas. — Au mois d'août 4849, Louis. Baconnais, âgé 
de neuf ans, demeurant au village de la Hâterie, commune de 
Saint-Michel-Chef-Chef, se sentit mordu au talon pendant qu'il 
aidait à couper le blé dans un champ; il poussa un cri et appela 
son père qui fut obligé de l'emporter dans ses bras. Les autres 
moissonneurs aperçurent la vipère qui s’enfuyait; c'était un 
aspic de couleur rouge. Les petites plaies furent touchées avec 
de l’alcali et l’enfant avala quelques gouttes de ce liquide. Malgré 
ces soins, la douleur persista, la jambe s’œdématia de plus en 
plus; bientôt survinrent des nausées et de la somnolence. L’en- 
fant mourut vingt-quatre heures après la morsure; aucun homme 
de l’art n’était intervenu. 

21° cas. — « En 1850, ajoute le D' Trochon, en nous 
communiquant les deux observations précédentes, un accident 
presque identique advint dans une famille voisine des Bacon- 
nais. Il s'agissait aussi d’un jeune garçon mordu par une vi- 
père. Je fus appelé près de lui, mais seulement le lendemain. 
La plaie avait été faiblement cautérisée et les symptômes qui se 
manifestèrent furent en tous points ceux du jeune Baconnais. Je 
conseillai des excitants, du thé, du rhum, du café, mais l’enfant 
n’en succomba pas moins le jour de ma visite. » 

22e cas. — En juin 1855, au village de la Corniliais, com- 
mune de Sainte-Marie, près Pornic, deux enfants avaient été 
laissés seuls à la maison; l’ainé, Clair Sédineau, était âgé de 
vingt-deux mois, l’autre de cinq. Une vipère se glissa dans leur 
berceau, et, épargnant le plus jeune, mordit son frère à la 
main. Ceci se passait à midi; à neuf heures, l'enfant était 
mort. Les piqûres avaient été cautérisées avec de lalcali, et un 


102 CAS DE MORT 


médecin fut appelé, mais trop tard. Les symptômes éprouvés 
par le jeune Sédineau s'étaient présentés dans l’ordre suivant : 
douleur au niveau des piqüres, gonflement de la main, qui bientôt 
gagna le bras, algidité générale, pâleur du visage, somnolence, 
coma et mort sans convulsion. (Lé D' Trochon de Pornic.) 


L’arrondissement de Nantes nous a fourni 21 cas de mort par 
la vipère : 19 sur la rive gauche, et 2 sur la droite. 


23° cas. — Vers 1818, une femme mordue au pied par un aspic. 
dans la commune de Rézé, succomba le lendemain, ayant offert 
un gonflement énorme de la langue. (M. Thomas.) 

24° cas. — Le jeune Foucher de Machecoul, mort en six jours. 
(Voir plus haut, p. 55.) 

25° cas.— Vers le milieu du mois de septembre 1836, un homme 
de Vertou labourait un champ près des Sorinières et suivait nu- 
pieds sa charrue. Le soc heurta un aspic rouge de forte taille, qui 
se rua sur le malheureux cultivateur et lui enfonça profondément 
ses deux crocs au-devant du coude-pied gauche. Le blessé, vigou- 
reux et dans la force de l’âge, ne put continuer son travail. 1] 
plaça au-dessus de son genou une ligature qui n’empêcha pas la 
tuméfaction d’envahir en moins d’une demi-heure le membre en- 
tier. Transporté chez un propriétaire voisin, il fut traité intus et 
extra avec de l’alcali, et, de là, conduit à son propre domicile. 
Six semaines après, il boitait encore ; les ecchymoses n'avaient 
point complétement disparu, et les piqûres, transformées en 
ulcères, laissaient suinter un liquide sanieux ; les troubles diges- 
tifs et même les nausées revenaient de temps en temps. Le blessé 
avait vieilli ; 11 manquait de force pour les travaux des champs, 
et mourut dix-huit mois après, sans avoir pu se remettre de cet 
élat valétudinaire. (M. Thomas.) 


CAS DE MORT 103 


26° cas. — En 1849, Céleste Ariail, femme Babonneau, âgée 
de quarante-sept ans, domiciliée en la métairie de Coinsaule, en 
Boussay, fut blessée par un aspic. Prétendue guérie par un 
conjureur, eile resta souffrante depuis lors. Chaque année elle 
éprouvait, à l’époque anniversaire de sa morsure, des troubles 
digestifs, à la suite desquels elle devint de plus en plus débilitée. 
Sa santé alla ainsi en déclinant jusqu’au 1° février 1853, jour où 
elle fut trouvée morte dans son lit. (M. Merel, curé de Boussay.) 

27° cas. — En 1853. à la fin de juin, une jeune fille de qua- 
torze ou quinze ans, demeurant à un village voisin de Saint- 
Étienne-de-Mer-Morte, ramassait du foin dans un pré, lors- 
qu'elle fut piquée par une vipère; il était sept à huit heures du 
matin. La pauvre enfant n’osa pas se plaindre, et à midi elle était 
morte. Son maître vint à Paulx prier M. Palvadeau, alors malade, 
de constater le décès. (M"° Gobert, veuve de M. Palvadeau.) 

28° cas. — Au mois de juillet 1854, le jeune Hérie, àgé de huit 
ans, du village de l’Etier, commune de Bouaye, jouait sur les bords 
du lac de Grand-Lieu tandis que son père travaillait dans un champ 
voisin. Le petit garçon aperçut, au fond d’un fossé en partie 
desséché, des animaux qu'il crut être des anguilles; il appela son 
père pour l'aider à prendre ces prétendus marqains et fut mordu 
à la jambe par une des vipères qu'il cherchait à saisir. On eut re- 
cours aux soins d’un empirique, et trois heures après, l'enfant 
n'était plus. (M. Thomas et M. Olive, médecin à Saint-Aignan.) 

29° cas. — En 1856, une jeune fille de la Chevrolière, âgée de 
vingt ans, d’une forte constitution, fut piquée au pied gauche par 
une vipère. Ses parents coururent aussitôt trouver un guérisseur 
qui lui fit faire des lotions aromatiques, mais elles n’empêchèrent 
pas l’œdème de devenir énorme. Il survint des nausées, des 
vomissements et des syncopes. Le D' Drouet père fut appelé 
vers le quinzième jour pour être témoin de la mort de la malade 


10% CAS DE MORT 


et mettre à l'abri la responsabilité de l’empirique. (Le D' Drouet 
de Saint-Philbert de Grand-Lieu.) 


30° cas. — En 1857 une petite fille, âgée de dix ans, de la com- 
mune de Saint-Jean-de-Corcoué, blessée à la jambe par une vi- 
père, succomba en quatre jours. (M. Thomas.) 


31° cas. — Félix Nerrière, âgé de cinqans, et demeurant à Bous- 
say, avait suivi, le 4 juillet 41862, son père qui allait couper le blé. 
En jouant avec ses frères, il fut renversé dans un sillon au milieu 
du chaume et tomba sur une vipère qui le blessa au visage et 
probablement à la langue. Le D’ Coiffard, qui se trouvait dans 
un village voisin, arriva au bout d’une demi-heure, mais l’æœdème 
douloureux avait déjà gagné tout le corps de l’enfant; sa langue 
était tellement enflée qu’elle remplissait la bouche et rendait la 
respiration presque impossible. Le blessé entièrement cyanosé 
expirait une heure après. (M. le curé de Boussay.) 


32e cas. — Le 28 juin 1865, vers sept heures du matin, la veuve 
Bretagne, âgée de soixante-un ans, du village de la Renouerie, com- 
mune de Saint-Mars-de-Coutais, gardait ses vaches le long d’une 
haie ; elle était pieds nus dans ses sabots et marchait en filant sa 
quenouille. Tout à coup elle ressentit une vive douleur au bas de la 
jambe gauche et recula effrayée : une vipère rouge, sur laquelle 
elle avait monté, s’enfuyait dans le buisson voisin. La femme 
Bretagne regagna avec peine son domicile, situé à un kilo- 
mètre de là. De retour chez elle, elle lava à l’eau salée l'endroit 
mordu et enleva ainsi une petite quantité de sang répandue au 
voisinage des piqûres. La tuméfaction, d'abord limitée autour du 
point atteint par les crochets, s'étendit avec rapidité ; à neuf heu- 
_res on appliqua au-dessus du genou un mouchoir plié en cravate. 
Cette constriction assez lâche n’empêcha pas l’œdème de gagner 
la cuisse. Le mal progressant toujours, on envoya chercher M. Pa- 


CAS DE MORT 105 


try, médecin à Port-Saint-Père, et ancien interne des hôpitaux de 
Nantes, auquel nous devons cette observation. 

Notre confrère n’arriva près de la malade qu’à midi, c’est-à- 
dire cinq heures après l’accident, et voici les symptômes qu'il 
constata : 

La veuve Bretagne offrait beaucoup d’agitation et d’anxiété. 
Elle avait de la difficulté à respirer, des lipothymies et des nausées 
suivies de vomissements bilieux. Elle était entièrement refroidie 
et couverte d’une sueur glacée; ses yeux hagards donnaient à sa 
physionomie une étrange expression de terreur ; son pouls était fré- 
quent et petit. La malade répétait sans cesse qu’elle allait mourir. 

L'examen de la jambe fit reconnaître, à trois centimètres en- 
viron au-dessus de la malléole interne, deux piqûres profondes, 
distantes de quelques millimètres et entourées d’un cercle inflam- 
matoire. Une douleur aiguë s’étendait de ce point à tout le mem- 
bre et était exagérée par la pression ; la tuméfaction gagnait la 
hanche ; il y avait gêne très-prononcée des mouvements ; la peau 
de la jambe offrait une teinte jaune verdâtre, plus marquée à la 
cuisse, où la lividité prenait l'aspect de marbrures. 

A sa première visite, M. Patry administra vingt gouttes d'al- 
cali dans une infusion de tilleul, conseilla une potion à l’acétate 
d’ammoniaque, des infusions aromatiques alcoolisées et du vin 
chaud. II fit une incision cruciale sur la blessure, et, par la suc- 
cion directe pratiquée à plusieurs reprises, en retira une certaine 
quantité de sang, Il la cautérisa ensuite avec de l’ammoniaque et 
prescrivit des frictions aromatiques chaudes et fréquemment re- 
nouvelées sur tout le corps. Une compresse imbibée d’eau ammo- 
niacale fut maintenue sur la malléole. 

Le 29 juin, mêmes symptômes généraux que la veille, mais exa- 
gérés. L'anxiété est extrême et le refroidissement complet. La 
veuve Bretagne, dans un état d’anéantissement profond, a un 


106 CAS DE MORT 


pouls misérable ; l’œdème s’est généralisé; le membre gauche 
devenu énorme est couvert de phlyctènes. 

M. Patry fait envelopper la partie malade dans des feuilles de 
lierre chauffées au four et continuer les boissons excitantes au- 
tant que le permet l’état de l’estomac. 

Le 30 juin, l’œdème a pris une telle extension que la blessée 
ne peut plus soulever ses paupières. Elle répond à peine aux 
questions qu’on lui adresse, tant est grande sa torpeur ; son intel- 
ligence, du reste, est affaiblie. Son pouls est filiforme et inter- 
mittent ; les syncopes se rapprochent ; il y a une prostration géné- 
rale des forces. La malade refuse de prendre le moindre liquide 
et accuse une violente douleur dans le côté gauche du thorax. Ce 
triste état va en s’exagérant et se termine à quatre heures du soir 
par la mort, précédée de deux heures de pénible agonie. 

33° cas. — François Peltier, âgé de dix-neuf ans, demeurant à 
la Gautrie, village de la commune de Saint-Étienne-de-Corcoué, 
était occupé, au mois de juillet 4865, à réunir du blé en gerbes, 
lorsqu'il se sentit piqué par une vipère à la jambe gauche, un peu 
au-dessus de la malléole externe. 11 poussa un grand eri et tomba 
évanoui. On le transporta chez lui dans une chaise; trois gouttes 
d'alcali lui furent données avec un peu d’eau, et il fut frictionné au 
point mordu avec de l'ammoniaque. 

Un messager, envoyé au bourg, ramena en moins d’une heure 
le prêtre et le médecin. Le blessé n’avait pas encore repris 
connaissance ; les remèdes prescrits ne furent point administrés. 

La jambe enfla beaucoup le lendemain et la tuméfaction dou- 
loureuse envahit le membre jusqu'à laine. Un guérisseur fit 
prendre au malade, dans du vin blane, un jus d'herbes pilées et en 
appliqua le marc sur la morsure. 11 n’employa aucun des autres 
moyens à la mode dans le peuple, pas même les piqûres à l’aide 
du groseillier, et n'usa point de pratiques superstitieuses. Le breu- 


CAS DE MORT ; 107 


vage parut redoubler les vomissements et colora la langue en 
noir. Aucune amélioration ne se manifestant, les parents eurent 
recours à une femme de la Gerbaudière, en Bouaine, renommée 
surtout au loin, comme parfaite quérisseuse de venins. Elle exposa 
le membre blessé à la vapeur s’échappant de feuilles de lierre 
passées au four et le couvrit de ces feuilles. Un mélange de vin 
blanc et de suc d'herbes fut aussi donné en boisson. A la suite de 
ce traitement, la jambe désenfla, et, le quatrième jour, l'œdème 
avait presque disparu ; des points noirs se remarquaient loute- 
fois au lieu traversé par les canines. Le malade put se lever et 
commença à manger. On le croyait en convalescence, quand, le 
septième jour, il fut pris, à la suite d’une soupe trop copieuse, 
de gêne extrême et de suffocation, symptômes qui allèrent en 
empirant. Un troisième guérisseur appelé in extremis pratiqua, 
au point mordu, cinq à six scarifications, à l’aide d’un canif. Le 
lendemain matin, vers les six heures, le malade expirait. (Le 
D: Clochard, de Rocheservière.) 

34° cas. — Le 13 septembre 1866, à sept heures du matin, par 
un temps pluvieux, Modeste Gatoil, veuve Garnier, de Boussay, 
âgée de cinquante-quatre ans, fut mordue à l’index droit par une 
vipère-aspic, pendant qu’elle saisissait une poignée d'herbes. Les 
parents de la malade appliquèrent de suite de l’alcali sur son 
doigt, et la conduisirent, dans la soirée, à deux kilomètres de 
chez elle, consulter un conjureur, qui prescrivit, comme breu- 
vage, une macération vineuse de diverses plantes et ordonna de 
répéter les lotions ammoniacales. Le lendemain, l’œdème s’éten- 
dait jusqu’à l’épaule. M. le curé de Boussay, appelé près de cette 
femme, la trouva calme et presque sans prostration ; elle n’avait 
encore éprouvé ni nausées n1 vomissements. Il insista pour qu'on 
fit venir un médecin, et le D' Delhoumeau, de Clisson, fut 
demandé. Les remèdes qu'il conseilla, trente-six heures après 


108 F CAS DE MORT 


l'événement, ne furent point administrés. Peut-être craignait-on, 
en les employant, de détruire le charme de ceux du conjureur. Les 
vomissements se déclarèrent vers le soir, et, à sa seconde visite, 
M. Delhoumeau obtint de cautériser les deux piqûres. Ce traite- 
ment tardif ne sauva point la blessée, qui succomba le quatrième 
jour, avec des symptômes d’adynamie. (M. l’abbé Pestre.) 

35° cas. — Le 2 juin 1868, Joseph Mercier, âgé de douze ans, 
domicilié au Breil, commune de la Marne, fut mordu à la main par 
une vipère, pendant qu'il écartait de grandes herbes entourant 
un arbre, auquel il voulait grimper. La mère dit avoir sucé sa 
plaie et avoir employé l’ammoniaque. La fièvre et l'enflure du 
bras étant survenues, on conduisit le blessé sur une charrette à 
bœufs, à plus de seize kilomètres, vers un conjureur de Pont- 
James. Ramené beaucoup plus mal de chez l’empirique, il dut 
subir les divers traitements proposés par les commères du vil- 
lage, et aucun médecin ne fut appelé près de lui. Huit jours 
après, l'œdème ayant gagné le cou et la figure, l'enfant trépas- 
sait. (M. Meynier, vicaire de la Marne.) 

36°, 37°, 38°, 39°, 40°, Ale el 42° cas. — Sept autres cas de mort 
par la vipère, ayant eu lieu dans le sud de l’arrondissement de 
Nantes, se trouvent indiqués sans beaucoup de détails dans les 
notes de M. Thomas. 

43° cas. — Il y a trente ans, M. l'abbé Perrin, curé de Thouaré, 
[ut appelé pour administrer une femme, mordue par un aspic, 
et apprit le lendemain sa mort. 

&4° cas. — En 1858, Jeanne Pinelle, âgée de dix ans et demi, 
habitant à la Grande-Cheminée, près de Nantes, suivait au mois 
de mai un chemin qui, du Pont-du-Cens, remonte vers la route 
d'Orvault, quand elle fut atteinte à la cheville par une vipère. 
La petite fille poussa un cri aigu et s’évanouit. Elle fut trouvée 
par des passants qui la firent revenir à elle. Le gonflement dou- 


CAS DE MORT 409 


loureux de sa jambe l'empêchant de marcher, ils la transportèrent 
dans une maison voisine et lui placèrent une ligature. Un médecin 
appelé ensuite cautérisa l’endroit blessé avec la pierre infernale 
et ordonna une potion contenant quelques gouttes d’ammoniaque ; 
mais la pauvre enfant ne put être tirée de l’état de syncope et de 
torpeur dans lequel elle se trouvait et succomba le matin du 
quatrième jour. (Une amie de la blessée, témoin des faits.) 


Deux cas de mort seulement nous ont été signalés dans l’arron- 
dissement de Saint-Nazaire. 


45° cas. — En 1855, un enfant de cinq ans, du village de Beau- 
fremais, à Saint-Gildas-des-Bois, accompagnant son père sur la 
lisière de la forêt, fut mordu au pied par un péliade qui se trou- 
vait caché sous les feuilles mortes. Il enfla de tout le corps, fut 
pris de nausées et de prostration et, n'ayant reçu au début 
aucun soin rationnel, mourut le troisième jour. (M. Delpuech, 
ancien curé de Saint-Gildas.) 

46e cas. — Le 17 mai 1860, dans la commune de Plessé, canton 
de Saint-Nicolas-de-Redon, l'enfant Tessier, àgé de onze ans, fut 
mordu à la jambe par une vipère à trois plaques, cachée dans un 
buisson. Il survint une tuméfaction énorme, avec couleur livide 
de la peau, des nausées, des vomissements, de la céphalalgie, 
une anxiété précordiale très-grande, de la prostration, des sueurs 
froides et des syncopes. Le blessé fut d’abord traité par un em- 
pirique, puis par M. Ménager, qui ne le vit que quatre jours après 
l’accident. À l’arrivée du médecin, l’haleine était fétide, et les 
accidents si graves, que la mort eut lieu le septième jour. (M. Mé- 
nager, médecin à Plessé.) 


Les arrondissements de Châteaubriant et d’'Ancenis ne nous 


110 CAS DE MORT 


ont point fourni de cas authentiques de mort par blessure de vi- 
père. Il nous paraît peu probable, cependant, qu'aucun fait de ce 
genre ne se soit présenté dans ces deux circonscriptions, depuis 
vingt ans. 


Nous avons parlé déjà, page 48, du malheur arrivé en 1867, à 
un enfant, dans une rue d'Angers; ce n’est pas le seul cas de mort 
par plaie envenimée, que nous ayons recueilli en Maine-et-Loire ; 
en voici deux autres. 


47° cas. — Le 19 jum 1866, à neuf heures du matin, Françoise 
Audouin, de La Chapelle-Saint-Florent, était occupée à faner dans 
une prairie, sur les bords de l’'Eve, quand elle se sentit piquée à 
la cheville par une vipère. Les premiers soins qui lui furent 
donnés, vingt minutes après, consistèrent en une ligature au- 
dessus du genou et dans l'application de compresses d’alcali. Le 
lien constricteur ne fut probablement pas assez serré, car l’æœdème 
envahit la cuisse, et, dans la soirée, les vomissements se mon- 
trèrent, accompagnés d’une soif ardente. Bientôt la blessée se 
plaignit d’élouffements et d'angoisse, symptômes qui ne la quit- 
tèrent plus ; elle devint froide et se couvrit d'une sueur glacée. 
Un conjureur, appelé le lendemain, ineisa la jambe en deux points, 
puis introduisit de l’alcali dans les scarifications, accompagnant 
le tout de signes de croix et de mots cabalistiques. La malade 
succomba, à la suite d’étouffements, au bout de trente-six heures 
de souffrances. (M. Léonce Arnous-Rivière.) 

48° cas. — À la Boissière-Saint-Florent, commune voisine de 
celle dans laquelle fut mordue la fille Audouin, et presque à la 
même date (premiers jours de juin 1866), Florence Ériau, âgée 
de quinze ans, traversait une prairie artificielle pour porter une 
faucille à des travailleurs, lorsqu'elle fut piquée par une vipère, 


CAS DE MORT 111 


un peu au-dessus des malléoles. Elle retourna de suite chez ses 
parents, où elle reçut presque immédiatement les soins d’un mé- 
decin; mais tout fut inutile, et elle succomba le lendemain soir, 
environ trente-six heures après avoir été piquée. (M. Ernest 
Arnous-Rivière.) 


Les faits de mort par blessures de vipère sont communs dans 
les Deux-Sèvres. 


49 cas. — À Saint-Amand, sur la Sèvre Nantaise, il y a une 
quarantaine d'années, un petit garçon de dix ans, mordu par une 
vipère, succomba en une ou deux heures. (Le D' Sallé, des Her- 
biers.) 


Nous croyons être dans le vrai en fixant à 2 pour la Vendée 
et à À ou 2 pour la Loire-Inférieure, le chiffre annuel des 
décès causés par les serpents. Cette conelusion est aussi éloignée 
des opinions préconçues des théoriciens que de celles de nos 
campagnards. Les premiers, en effet, écrivent, d’après Fon- 
tana (1), que la morsure d’une seule vipère n’a jamais de termi- 
naison fatale, et les seconds considèrent cette blessure comme 
habituellement mortelle. 


Les cas de mort que nous avons recueillis sont au nombre de 


(4) Voici sur quel raisonnement Fontana (loc. cit., IV part. Ch. 11) ap- 
puyait son assertion. D’après ses expériences, un cinquantième de grain 
(0,01) de venin tue un passereau, un dixième de grain (0,05) fait périr 
un pigeon; la dose nécessaire pour tuer un animal augmentant en raison 
de son poids, il faudrait, à ce compte, trois grains ou quinze centi- 
grammes pour faire moyrir un homme, quantité de poison que ne pos- 
sède ni le péliade, ni l’aspic, qui n'en perdent du reste que deux centi- 
grammes par coup de crochet. D’après ce calcul, un homme pourrait done 
survivre à la morsure de plusieurs vipères et ne serail jamais tué par une 
seule. 


112 LÉTHALITÉ DES MORSURES 


49; soit 34 ayant eu lieu dans la Loire-Inférieure, 11 en Vendée, 
3 en Maine-et-Loire et 41 dans les Deux-Sèvres. 

Dix fois la mort a eu lieu dans les vingt-quatre heures, vingt 
et deux fois du second au sixième jour, et douze fois du septième 
au vingt et unième. Trois blessés ont suecombé à la cachexie, 
au bout de plusieurs mois. La durée de la maladie, chez deux 
des victimes, n’a pas été suffisamment indiquée; mais jamais la 
mort n’est survenue d’une manière instantanée, et l'intervalle 
entre la blessure et le décès a toujours été au mojns d’une heure. 

Deux des blessures avaient été faites par le péliade; toutes les 
autres doivent être attribuées à l’aspic. 

La cautérisation immédiate au fer rouge n’a point été prati- 
quée; une fois, la plaie a été traitée de bonne heure par le chlo- 
rure d'antimoine ; presque toujours, au contraire, on a employé 
l’ammoniaque, du moins à l'extérieur. En général, les premiers 
soins ont été nuls ou dirigés par des empiriques. 

Sur les victimes, 27 appartenaient au sexe masculin et 22 au 
sexe féminin; soit 15 petits garçons au-dessous de quinze ans, 
11 petites filles, 2 jeunes gens de quinze à vingt ans, 3 jeunes 
filles, 8 hommes de vingt à cinquante ans, 6 femmes du même 
äge, 2 hommes de cinquante ans et plus, et 2 femmes pareille- 
ment du même âge. 

Les enfants offrent donc à eux seuls plus de la moitié des cas 
de mort ; néanmoins, la blessure de la vipère ne produit pas né- 
cessairement chez eux une terminaison funeste. 

En juin 1860, un enfant de dix mois, de la commune de Haute- 
Goulaine, fut piqué à l’annulaire de la main droite par une très- 
petite vipère. La tuméfaction envahit le bras et la poitrine, qui 
se couvrirent de taches violacées, et l’enfant vomit beaucoup dans 
la nuit. Il fut immédiatement traité par l’ammoniaque intus et 
extra; puis, dès qu'il fut mieux, on lui fit prendre linfusion vi- 


CAS GRAVE DE MORSURE 113 


neuse de Galium. Il guérit en quelques jours. (M. Baconnais, curé 
de Haute-Goulaine.) 

Sur les 321 blessés, 132 présentèrent des symptômes géné- 
raux inquiétants, chez les autres tout se borna à de la prostra- 
tion et à quelques nausées. 

L'observation suivante, recueillie par le D'° Bourgeois de 
La Verrie, rappelle, par la gravité des accidents, les blessures 
des crotaliens et en particulier du bothrops lancéolé. La double 
pneumonie est en effet un symptôme fréquent de la morsure du 
fer-de-lance. 

« En 1855, écrit M. Bourgeois, l'enfant Jamain, de Saint-Aubin- 
des-Ormeaux, fut piqué par une vipère au pouce du pied droit. 
Les deux premiers jours, il fut soigné par l’empirique de 
Chambretaud; mais, comme le mal faisait des progrès, on m'en 
voya chercher sur la recommandation du guérisseur; j'étais 
destiné à lui servir de paratonnerre et à délivrer le certi- 
ficat de décès. Je trouvai le pied tuméfié et d’une couleur 
livide; la blessure était le siége d’une plaque gangréneuse 
assez étendue; mais, chose extraordinaire, et que je n'avais 
encore jamais vue dans les cas de morsures de vipère, il existait 
une pneumonie double (4). Je fis administrer au blessé du vin 
de quinquina, du café, du vin de Bordeaux; en outre, des inci- 
sions multiples furent pratiquées sur le pied et la plaie fut cauté- 
risée. La guérison fut complète au bout de trois semaines de 
traitement. » 

La piqûre de la vipère est souvent, au contraire, une lésion 
presque insignifiante. 

(1) La pneumonie indiquée dans les cas de morsures de serpent n’est 
pas une véritable inflammation des cellules pulmonaires, mais bien une de 
ces congestions graves analogues à celles que l’on rencontre dans les 


autres empoisonnements septiques et désignées dans les auteurs sous le 
nom de peripneumonia notha. 


114 CAS LÉGERS DE BLESSURE 


Au mois de juin 1867, Pierre Guillon, de Saint-Legé, travail- 
lant dans une vigne, fut blessé à la jambe gauche par une vi- 
père grise. Malgré sa terreur extrême, il n'éprouva qu’un peu 
d’anxiété, quelques nausées et de l’œdème douloureux à la jambe. 
Les crochets, au lieu de pénétrer dans les chairs, avaient éraillé 
la peau sur une surface d’un demi-centimètre. M. Patry appli- 
qua extérieurement de l’ammoniaque et ordonna des boissons 
aromatiques; le malade fut mis dans un bain de vapeur, en- 
veloppé de couvertures de laine, puis placé dans son lit. Une 
sueur abondante survint, et, le lendemain, Guillon était beau- 
coup mieux. Une bouteille d'eau de Sedhtz le débarrassa des 
symptômes d’embarras gastrique, ce qui lui permit deux jours 
après de reprendre ses travaux, ne conservant qu'un peu 
d’engourdissement de la jambe et le souvenir de sa frayeur. 
(M. Patry, médecin à Port-Saint-Père.) 

Au mois de septembre 1866, Félix Baubrit, domestique à 
Boussay, fut mordu à la main par une vipère cachée dans une 
brassée d'herbe qu'il distribuait à ses bestiaux. Sans perdre de 
temps, il incisa lui-même la plaie, la fit saigner et lava sa main 
à grande eau. Il renouvela plusieurs fois cette opération et n’é- 
prouva aucun symptôme d’empoisonnement venimeux. Baubrit 
prétend avoir été plusieurs fois mordu par des vipères et n'avoir 
jamais usé d’autres remèdes. (M. le curé de Boussay.) 

Un garçon du canton de Pouzauges, piqué par une vipère pen- 
dant qu'il se rendait à un préveil, ou assemblée, lia fortement sa 
jambe avec une réorthe, sorte de lien de bois qui sert à former 
les fagots; puis il cueillit, dans le pré où il se trouvait, une 
herbe dont il frotta sa blessure jusqu’au sang. Il rejoignit ensuite 
ses camarades et dansa tout le jour sans se préoccuper davan- 
tage de ce qui lui était arrivé. (M. Baudry, curé du Bernard.) 

Nous pourrions multiplier les exemples, mais ceux que nous 


SIÈGE DE LA BLESSURE ‘ 115 


venons de citer suffisent pour démontrer que souvent la piqûre 
de la vipère est sans gravité. 

Les morsures des membres inférieurs, au nombre de cent 
soixante-douze, siégeaient presque toujours au voisinage des mal- 
léoles ou sur le dos du pied et à gauche. Dans cent huit cas, la 
blessure a été faite à l'un des membres supérieurs et d'ordinaire 
à droite et à la main. Dix-neuf fois la lésion a porté sur le tronc 
(cou, poitrine, abdomen, etc.). Les piqûres au visage sont au 
nombre de deux : l’une, dont nous avons parlé, s’est terminée 
par la mort; l’autre, que voici, a guéri en peu de jours : 

En 1856, la femme Brianceau, du village de la Fauconnière, 
commune de Landeronde, effrayée à la vue d’un serpent, prit 
un morceau de bois pour le tuer; mais son chien voulant la dé- 
fendre se rua d’un bond sur le reptile, le saisit entre ses dents 
et le secoua avec violence. La vipère, pendant cette lutte, fut 
projetée à la figure de la femme Brianceau qu'elle mordit à la 
joue. Cette blessure, traitée immédiatement, n'eut pas de suite. 
(M. Viaud, curé de Landeronde.) 

Dans 20 cas, le siége de la blessure n’était pas désigné. 

108 des accidents ont eu lieu aux mois de mars, d'avril ou de 
mai; 162 pendant les chaleurs de l'été ; 45 à l'automne, et 6 en 
plein hiver; deux de ces derniers furent la suite d’une imprudence 
bien connue, qui consiste à réchauffer une vipère engourdie. 

Les blessures automnales ont été, en général, moins graves 
que celles du printemps et de l'été. 

Il est rare d’être piqué par une vipère avant la disparition 
de la rosée, et les paysannes mettent à profit cette particula- 
rité pour faire, dès l'aube, l’herbe de leurs bestiaux. M. Logeais, 
ancien interne des hôpitaux de Nantes, nous a toutefois commu- 
niqué le fait qui suit : 

Au mois d'août 1860, à six heures du matin, un homme de 


 — 


116 CONDITIONS ÉTIOLOGIQUES 


Moutier-les-Mauxfaits se promenait, à la rosée, cherchant des 
limaçons, lorsqu'il fut mordu à la main par un aspic. Il se lia 
fortement le poignet avec une chandelle de résine, et, s'étant 
soigné de suite, guérit en dix jours. 

Trois fois, l'obscurité du crépuscule empêcha d'éviter le rep- 
tile; une fois il faisait complétement nuit. 

Parmi nos blessés, 108 étaient occupés à la moisson ou à la 
coupe des foins; 8 aux travaux de la vigne; 64 longeaient une 
haie ou un buisson, y cherchant des fleurs ou des nids, et, en 
particulier, des nids de merle; 10 soulevaient des fagots de 
bourrée ou de sarments; 5 distribuaient du fourrage vert aux 
bestiaux; 27 dormaient ou étaient assis dans la campagne; 
26 parcouraient des bois, des taillis, des champs de genêts ou 
d’ajonc, nombre relativement faible, mais qui s'explique par les 
précautions dont on s’entoure pour pénétrer au milieu de ces 
repaires de serpents; 6 imprudents par forfanterie ou par amour 
de la science avaient saisi le reptile entre leurs doigts; sept fois 
la vipère incriminée avait élu domicile dans un jardin; une fois 
elle s'était glissée sous les draps d’un enfant endormi. Dans un 
cas le serpent se chauffait au soleil sur le bord de la mer. 

La femme Gusteau, de la Chaume, âgée de cinquante-quatre 
ans, se rendait à la côte au mois de mai 1858; elle était pieds 
nus, suivant la coutume du pays, et marchait parmi les galets de 
la plage, lorsqu'elle se sentit mordue au pied par une vipère. La 
douleur primitive fut très-vive; dès le soir, le gonflement attei- 
onit la base de la poitrine. Il survint des nausées violentes, mais 
sans vomissements; une prostration extrême, des syncopes, et, 
plus tard, de la fièvre. Le docteur Michelot ne vit la malade que 
deux heures après; il cautérisa néanmoins les piqûres, fit des 
scarifications sur la partie tuméfiée, et conseilla une potion am- 
moniacale. Ce traitement n’empêcha pas de recourir à des re- 


CONDITIONS ÉTIOLOGIQUES 117 


mèdes secrets qui furent administrés par un capitaine de navire. 
La tuméfaction du membre persista jusqu’à la fin de juillet, et la 
femme Gusteau resta valétudinaire durant plus de six mois. 
(M. Jaulin, ancien interne des hôpitaux de Nantes.) 

Les blessures causées par des têtes encore vivantes, quoique 
séparées du tronc, sont au nombre de cinq; celles dues à des 
crochets de vipères mortes, au nombre de deux. 

Parfois le reptile n’a frappé que d’une seule canine, ou s’est 
. borné à érailler la peau. Sept fois il a multiplié ses morsures, et 
trois fois, dans ce cas, la mort s’en est suivie. 

Notre statistique ne contient aucune observation de blessure 
par plusieurs vipères, quelque.grande que soit l’imprudence de 
certains chasseurs de serpents. 

« L'un de ces industriels, raconte M. Grignon du Moulin (Union 
bretonne, 31 décembre 1867), se rendait à la foire de Beaufort, 
portant un sac plein de vipères vivantes. Entré dans un cabaret, 
il le déposa dans une chambre du premier étage et sortit. Des 
buveurs attablés voyant grouiller le sac l’ouvrirent, curieux de 
savoir ce qu’il contenait. À l’aspect des serpents qui s'élançaient 
de toutes parts, il y eut un sauve qui peut général, et les buveurs 
descendirent l'escalier en se culbutant; les plus effrayés sau- 
tèrent même par une fenêtre. Si l’un d’eux ne se fût pas blessé 
grièvement dans sa chute, l’histoire eût été fort comique; car le 
chasseur, instruit de ce tapage, vint reprendre ses bêtes une à 
une, et, les remettant dans son sac, partit les vendre chez un 
pharmacien. » 

Aux temps barbares des invasions scandinaves, la mort par 
l'exposition aux vipères était un supplice en usage. Ainsi périt le 
farouche pirate Ragnar Lodbrog, dont le chant de mort servit 
d'hymne de combat aux bandes danoises et normandes qui, au 
ix° siècle, envahirent l'Angleterre et la France. 


118 BLESSURES DUES AU PÉLIADE 


pente 


Avec des observations plus détaillées que ne le sont la plupart 
de celles qui nous ont été transmises, on aurait pu tirer d’autres 
considérations intéressantes sur la durée de la maladie dans les 
cas heureux. La chose nous est complétement impossible : cer- 
tains de nos correspondants, en effet, terminent leur récit à la 
disparition des symptômes généraux, tels autres, au moment où 
cesse l’œdème; très-peu ont suivi le blessé jusqu'au retour com- 
plet de la santé. Quand Îles accidents graves sont passés, le mé- 
decin de campagne n’est plus rappelé près du malade et le perd ; 
de vue. 

L'espèce du reptile, dans le plus grand nombre des cas, n’est 
pas suffisamment désignée, pour qu'il soit possible d'indiquer 
d’une manière certaine les piqûres qui sont à la charge de l’aspie, 
et celles qui doivent être portées au dossier du péliade (1). 

Le venin de ces deux vipères donnant lieu aux mêmes phé- 
nomènes, nous étudierons, sous un seul titre, la symptomatologie 
de leurs morsures. 


S IL. DESCRIPTION DE L'AFFECTION VENIMEUSE. — Les phéno- 
mènes auxquels donne lieu l'introduction à travers la peau du 


(4) « Sur vingt-trois morsures de Pelias Berus, que j'ai recueillies, nous 
écrit M. Alcide Thomas, dix m'ont élé communiquées par des médecins et 
treize par les parents des malades. Sur ce nombre, une seule a été suivie 
de mort; les autres ont occasionné des accidents plus ou moins sérieux, 
et, trois surtout, des symplômes alarmants. Un jeune homme, entre au- 
tres, a été malade plus d’une année. Les blessés, dont le docteur Fid. Cor- 
nudet m'a donné l'observation, étaient àgés de quinze à trente ans; ils ont 
tous présenté des vomissements, des lipothymies et de la tuméfaction du 
membre mordu, accompagnée de douleur brûlante et de marbrures. Aucun 
d'eux n’est mort, mais une jeune fille d’une vingtaine d’années a enflé 
d'une façon si extraordinaire qu’elle donna de vives inquiétudes. La 
durée de l'affection a été en moyenne de quinze à vingt et un jours. J'ai 
consigné tous ces faits dans le travail que j'ai adressé à la Société d'ac- 
climatalion. » 


"SYMPTOMES PRIMITIFS 119 


poison versé par les crochets, se subdivisent, suivant le moment 
de leur apparition, en symptômes immédiats ou primitifs et en 
symptômes secondaires ; certains blessés présentent en outre des 
accidents plus éloignés que nous appelons symptômes tertiaires. 


Symptômes primitifs ou de blessure. — À cette première caté- 
gorie appartiennent : la douleur causée par la morsure, l'empreinte 
des dents venimeuses et l'écoulement sanguin. 

La douleur primitive est modérée ; le blessé la compare à une 
déchirure de ronce ou à une piqûre d’aiguille. Quelquefois ce- 
pendant elle est vive, aiguë, et laisse après elle une sensation 
de brûlure qui se répand dans tout le membre. Elle est due moins 
à l’écartement des téguments par une pointe acérée qu’à Ja pé- 
nétration du venin dans les vaisseaux. Mead a piqué des chiens 
avec des aiguilles fines et recourbées, sans qu’ils manifestassent 
l'agitation et les signes douloureux qu’ils offraient lorsqu'il les 
faisait mordre par des vipères. Les résultats de nos expériences 
sont en complet accord avec ceux du savant anglais. Les lapins 
blessés par un crochet sans venin ou par une vipère épuisée ne 
donnent aucune marque de douleur, tandis qu’atteints par les 
canines d’un reptile dont le poison a toute sa force, ils poussent 
en général un cri aigu du plus sinistre augure. 

L'aspect de la plaie a été décrit ; nous ne reviendrons point 
sur ces deux petites piqüres assez rapprochées l’une de l’autre, 
et souvenx difficiles à reconnaître à cause de la rétraction des 
tissus. Chez neuf blessés, un des crocs abandonné par le ser- 
. pent faisait corps étranger dans les chairs ; chez cinq autres, les 
traces de la morsure n’offraient, au contraire, rien de caracté- 
ristique ; les canines, au Jieu d’écarter les fibres du derme, 
n’avaient fait qu'érailler la peau. 

L’écoulement sanguin est d'ordinaire insignifiant ; à peine une 


120 SYMPTOMES SECGONDAIRES LOCAUX 


gouttelette indique-t-elle les points traversés par les crochets. 
Le liquide qui sort en dernier lieu des blessures agrandies a 
l'aspect sanieux. 

Aucun accident général n’accompagne ces phénomènes ini- 
tiaux, à moins qu’une veine n’ait été lésée ; la peur extrême peut 
toutefois donner lieu, au moment de la blessure, à une syncope 
ou à de l’exaltation nerveuse. 


Symptômes secondaires. — Ils se subdivisent en accidents locaux 
consécutifs où d'inflammation spécifique, et en accidents généraux 
ou d'intoxication, suivant qu'ils résultent de l’action du venin au 
point où il a été inoculé, ou qu'ils se manifestent au loin sous son 
influence. 

Dans le premier groupe se rangent : la fuméfaction inflamma- 
toire, la douleur secondaire, l'engourdissement.et le refroidissement 
de la partie blessée, les taches livides et diverses autres lésions ayant 
leur siége au voisinage des piqures. 

La tuméfaction de la partie blessée est un phénomène cons- 
tant ; elle ne fait défaut que dans les cas où une médication éner- 
gique et immédiate, la succion ou l’incision, par exemple, a enlevé 
le venin avant qu'il ait eu le temps d'agir. 

Elle ne mérite point au début le nom d’œdème que lui ont 
donné les auteurs, car elle s'accompagne de rougeur et de cha- 
leur. Elle commence par une auréole violacée, ayant pour centre 
les piqûres, puis s'étend de proche en proche, tantôt se bornant 
aux parties voisines, tantôt envahissant une portion considérable 
du corps. Elle ne dépasse guère la ligne médiane ; elle peut ce- 
pendant devenir générale, gagner le tissu cellulaire sous-muqueux, 
et produire la mort en atteignant les replis qui forment lorifice 
supérieur du larynx. 

_ C’est une grande erreur de confondre, comme le font nos mé- 


SYMPTOMES SECONDAIRES LOCAUX 121 


dicastres campagnards, la diffusion réelle du venin avec la marche 
en étendue de l’infiltration séreuse ; tandis qu’une partie du poi- 
son s’épuise ainsi localement, le reste de la substance toxique, 
entrainé par le torrent de la circulation, exerce au loin ses rava- 
ges sur le système nerveux et sur les globules. 

La tuméfaction est parfois instantanée, rarement elle tarde plus 
d’une heure à se produire ; elle rend les parties dures, tendues, 
rénitentes et d'un volume double ou triple de leur volume 
normal. Elle disparaît au bout de quatre à huit jours, ou bien per- 
siste pendant plusieurs septenaires, perdant alors ses caractères 
propres pour prendre ceux d’un véritable œdème. 

La douleur consécutive est une douleur d’inflammation ; elle 
est accompagnée d’un sentiment de tension, et disparaît en gé- 
néral plus vite que le gonflement. Chez quelques sujets, toute- 
fois, elle conserve, plusieurs semaines, un certain degré d’acuité; 
elle est exagérée par le jeu des muscles. 

L’engourdissement est en rapport avec la distension du mem- 
bre ; ilest produit par la compression que fait éprouver aux cor- 
dons nerveux le tissu cellulaire infiltré. 

L'abaissement de la température qu’accuse le blessé se cons- 
tate facilement par l’application de la main ou du thermomètre ; 
ce dernier instrument, placé sur la partie malade, marque de 
31 à 30 degrés centigrades. Le refroidissement est dû à une 
action particulière du venin sur le sang, par laquelle les combus- 
tions organiques se trouvent diminuées : 1l remplace rapidement 
la chaleur qui accompagnait le gonflement inflammatoire, et, 
d’abord limité au voisinage de la blessure, il finit par se généra- 
liser. 

Les taches livides, moins constantes et plus tardives que la 
tuméfaction, sont cependant un des symptômes les plus caracté- 
ristiques de l’empoisonnement venimeux. Rouges, violacées, noi- 


122 SYMPTOMES SECONDAIRES LOCAUX 


râtres ou bleuâtres, elles sont très-rarement uniformes de teinte 
et varient d'intensité, de dimension et de nombre. Elles commen- 
cent à se montrer le soir ou le lendemain de l’accident, près des 
piqûres, puis sur le membre et la partie correspondante du tronc. 
Avant de disparaître, elles passent au verdâtre et au jaune sale ; 
elles laissent souvent des traces pendant une quinzaine de jours. 
Elles sont dites ecchymotiques, mais le sang altéré qui les forme 
les rapproche bien plus des pétéchies propres aux affections 
pestilentielles, que des épanchements sous-cutanés produits par 
la contusion. 

Elles affectent parfois l’aspect de marbrures, d'autrefois celui 
d’une gangrène commençante. Souvent elles semblent suivre le 
trajet des vaisseaux lymphatiques et veineux. L'abbé H, nous 
offrit même un léger degré de lymphite, et chez M. Rautou nous 
constatàmes une tuméfaction du ganglion épitrochléen. Un ma- 
lade dont le D’ Saillard nous a fait connaître l’histoire, piqué deux 
fois à la main, dans une chasse au furet, présenta une série d’ab- 
cès de l’avant-bras. L’angioleucite est donc loin d’être une com- 
plication bien rare des morsures de vipères. 

Sept blessés offraient des collections purulentes au siége même 
des piqüres ; la formation du pus reconnaît alors pour cause la 
plus ordinaire la présence dans les tissus d’un débris de crochet. 

Les phlyctènes constituent un phénomène fréquent ; elles doi- 
vent presque toujours être attribuées aux applications ammonia- 
cales employées comme moyen thérapeutique. 

Un point gangréneux se montre quelquefois sur l'empreinte 
laissée par les canines, mais des escharres plus considérables 
peuvent survenir sous l'influence combinée du venin et d’une liga- 
ture trop serrée et trop longtemps maintenue. 

Nous connaissons quatre faits de ce genre. Les deux que nous 
citons ici, sont extraits des notes de M. Thomas et ont été re- 


SYMPTOMES SECONDAIRES GÉNÉRAUX 123 


cueillis par M. le professeur Delamarre de 1825 à 1826, pendant 
qu'’ilétait interne des hôpitaux de Nantes. 

Un jeune homme de Brains, âgé de dix-huit ans, fut mordu à 
l'index droit, en mettant du blé en gerbes. On lui appliqua de 
suite une ligature au-dessus du coude, à l’aide d’un lien de tablier 
serré sans modération, et, vingt-quatre heures après, on se dé- 
cida à le conduire chez un médecin qui, trouvant le bras violacé, 
noirâtre et tuméfié d’une façon étrange, se hàta d’enlever le lien 
constricteur ; mais il était trop tard, déjà la gangrène commen- 
çait à se manifester. Le malade se fit alors transporter à l'Hôtel- 
Dieu, dans le service de Cochard ; sa main paraissait entièrement 
sphacélée et de larges escharres se montraient sur son avant- 
bras. Il refusa énergiquement l'amputation qui lui fut proposée, 
eut une suppuration effrayante et de vastes décollements, perdit 
plusieurs phalanges, et dut rester cinq mois à l'hôpital. A sa sor- 
tie, il n'avait plus qu’un moignon informe à l'extrémité d’un avant- 
bras atrophié. Ceci ne l'empêche point, avec la main qui lui reste. 
de se livrer à un petit commerce de colportage. 

Le second sujet était un homme d’une trentaine d'années, 
habitant aussi les environs de Nantes et qui avait été piqué par 
une vipère en déchargeant du bois. Une ligature trop serrée el 
trop prolongée lui détermina des escharres à la main et à l’avant- 
bras. Conduit à l’'Hôtel-Dieu, il fut amputé au-dessus du coude et 
guérit en peu de jours sans autres accidents. 

Les phénomènes généraux de l’empoisonnement échidnique 
peuvent manquer, mais il est rare qu’ils fassent complétement 
défaut. Dans les cas graves, ils se subdivisent : 4° en troubles 
fonctionnels des voies digestives ; 2 en symptômes typhoïdes (adyna- 
miques et ataxiques) ; et 3° en symptômes de réaction. 

Peu après la morsure (d’une heure à deux), surviennent, à la 
suite de grandes angoisses, des nausées fréquentes, souvent atroces. 


124 SYMPTOMES SECONDAIRES GÉNÉRAUX 


Une douleur épigastrique ou ombilicale, tantôt réduite à un sen- 
timent d’anxiété, tantôt violente, les accompagne, Les nausées 
amènent d'ordinaire des vomissements si répétés, dans certains 
cas, que le malade, malgré la soif ardente qui le dévore, ne peut 
supporter l’ingestion d’aucun liquide. Les matières dont se dé- 
barrasse l'estomac sont formées d’aliments en partie digérés, de 
bile, puis de glaires sanguinolentes ; quelques blessés ont aussi 
des tranchées et même des selles diarrhéiques. 

À ces symptômes se joint souvent un peu d’ictère ; mais il est 
loin d’avoir la valeur que Linné et Barthez lui attribuaient. Malgré 
l’aphorisme des Amænitates academicæ (1), ce signe ne peut ser- 
vir à distinguer les morsures de vipères de celle des autres ser- 
pents. Il est même beaucoup plus marqué à la suite des blessures 
faites par les crotaliens, et on le retrouve chez des enragés et 
autres malades atteints d’affections virulentes. 

La teinte de la peau est cachectique et jaunâtre, plutôt que 
véritablement bilieuse ; quelquefois cependant il y a une jaunisse 
locale ou générale beaucoup plus nettement caractérisée et que 
M. Gubler (Mémoires de la Société de biologie, t. V, p. 263) attri- 
bue à un spasme des voies biliaires occasionné par la frayeur. 

Quelque ingénieuse que soit cette théorie, nous croyons qu’elle 
est loin de rendre compte de tous les faits, et elle ne nous est 
point suffisamment démontrée. Les teintes subictériques ou ca- 
chectiques nous paraissent dues à une altération du sang, soit 
qu'au contact du venin la substance colorante propre de ce li- 


(1) Morsus aspidis inducit somnum, cerastis tetanum, viperæ icterum, sepis 
gangrænam, dipsadis polydipsiam, præsteris tumorem (Amænitates academieæ, 
tome 11). Ici le grand naturaliste écrivant, non plus d’après ses observa- 
tions, mais bien d’après le récit d'autrui, s’est complétement trompé. Les 
signes qu'il donne pour distinguer les morsures des divers serpents sont 
illusoires. J 


SYMPTOMES SECONDAIRES GÉNÉRAUX 125 


quide éprouve une modification spéciale, soit que les pigments 
biliaires, que l’absorption intestinale ramène dans les vaisseaux, 
n’y soient plus qu’incomplétement détruits. Quant aux teintes 
franchement bilieuses, elles sont le résultat d’une perversion des 
fonctions excrétoires du foie, suite des troubles de l'estomac et du 
duodénum. 3 

L'action élective des échidnines sur le tube digestif est un fait 
remarquable, et il est d'autant plus important que les symptômes 
éloignés de tout empoisonnement se montrent d’une manière pré- 
dominante vers l'appareil destiné à débarrasser l'économie des 
substances nuisibles introduites. Depuis les belles et nombreuses 
expériences de-M. CI. Bernard, nulle loi de toxicologie n’est mieux 
démontrée. L’estomac (chez l’homme et les carnassiers du moins) 
nous semble donc être la principale voie d'élimination des venins 
et de leurs produits, comme il est la porte de sortie de l’urée en 
excès dans l’urémie ; mais les échidnines ont des réactions chi- 
miques si insignifiantes et sont tellement rapprochées de la pep- 
sine, que la démonstration de leur présence à la surface de la 
muqueuse ou parmi les matières vomies nous parait impossible. 

Pendant qu’une certaine quantité de poison tend ainsi à dispa- 
raître, celle qui reste unie au sang modifie la composition chi- 
mique et les propriétés vitales de ce liquide et agit en même 
temps sur les nerfs. On voit alors survenir des lipothymies et des 
syncopes ; le refroidissement, d'abord limité au membre blessé, se 
généralise ; la peau se couvre de sueurs froides et visqueuses. Le 
pouls se déprime; il est petit, misérable, irrégulier, et souvent 
même imperceptible. La respiration s'embarrasse ; les poumons 
s’engouent passivement ; les yeux sont caves ; le faciès prend les ca- 
ractères hippocratiques, et la prostration devient extréme. Habituel- 
lement alors les urines sont complétement supprimées. 

Le retour et l'abondance de la sécrétion des reins constituent 


126 SYMPTOMES SECONDAIRES GÉNÉRAUX 


au contraire une crise heureuse ; tel parait même être le mode 
d'élimination du poison chez les rongeurs et autres animaux qui 
ne vomissent point (1). Malheureusement il est aussi difficile de 
reconnaître une échidnine dans la vessie que dans l'estomac. 

L'étude chimique de l'urine des venimés est du reste toute à 
faire. La seule substance qu’on y ait recherchée est la glycose, 
que MM. CI. Bernard et Alv. Reynoso avaient signalée dans cette 
excrétion à la suite de l’empoisonnement par le curare. Il est 
curieux de rappeler ici que les Grecs attribuaient le diabète à la 
morsure d’une espèce de vipère à laquelle ils donnaient le nom 
de dypsade. 

On arrive dans la recherche de la glycosurie, suite de morsure 
de serpents, à des résultats contradictoires, suivant les conditions 
dans lesquelles on opère. 

Si l’on recueille après la mort, surtout quand la dernière lutte 
a été longue et pénible, le liquide peu abondant que renferme la 
vessie, ce liquide mis en contact dans une éprouvette avec le 
réactif de Barreswil réduit le sel de cuivre et en précipite l’oxyde, 
preuve qu'il renferme une substance sucrée dont les phénomènes 
asphyxiques de l’agonie expliquent parfaitement la présence. 

En dehors de tout embarras respiratoire, l'urine, et surtout 
celle qui est rendue en grande quantité, ne contient pas de sucre, 
ce qu’il nous a été facile de vérifier. Pendant l’année 1868, nous 
avons réussi à sauver un certain nombre de lapins blessés par la 


(1) Le docteur Guyon (Comptes-rendus de l'Institut, t. LX, p. 19) con- 
sidère aussi la supersécrélion urinaire comme un symptôme de bon au- 
gure et une véritable crise chez les herbivores mordus par des scorpions. 
Le docteur Touchard (Rivière du Gabon et ses maladies. Montpellier, 1864) 
raconte que, dans l’empoisonnement juridique si en usage parmi les 
tribus africaines, il arrive parlois qu'une diurèse considérable sauve le 
prévenu et devient, dans celte sorte de jugement de Dieu, un signe cer- 
tain d’innocence. 


SYMPTOMES SECONDAIRES GÉNÉRAUX 127 


vipère-aspic, en leur inoculant aussitôt la morsure une solution 
très-concentrée d'acide phénique. Leur urine recueillie lors de 
son émission a été traitée en présence de nos aides ordinaires (4) 
par le réactif cupro-alcalin de Fehling. Le mélange maintenu près 
d'une minute à la température de l’eau bouillante ne s’est point 
coloré en violet et n’a pas donné de précipité d'oxyde de cuivre ; 
il ne contenait par là même ni albumine nt glycose. Ajoutons que 
la potasse caustique chauffée à 100 degrés avec ces urines n’y a 
point développé la couleur brune et l'odeur spéciale de l'acide 
caramélique. 

Aux signes d’adynamie viennent s'unir dans les cas graves des 
phénomènes d’ataxie, tels que des crampes, des soubresauts de 
tendons, quelques mouvements convulsifs surtout dans les membres 
inférieurs, de la révasserie, du délire, ete. Si la terminaison doit 
être funeste, la langue devient fuligineuse et l’haleine fétide. L’in- 
toxication par le venin de la vipère a donc, au point de vue 
symptomatique, les plus grands rapports avec le choléra et l’em- 
poisonnement arsenical, où se remarque aussi une grande dé- 
pression du système nerveux. 

Telle est la description de la maladie dans sa forme la plus 
sérieuse ; mais elle présente tous les degrés, depuis le simple 
trouble de l’estomacet la lipothymie jusqu’à cet ensemble effrayant 
de symptômes. 

Un pareil état ne saurait se prolonger; si les forces de la vie 


(1) MM. Gicquiau et Dauffy, professeurs à la pension Saint-Stanislas, et 
MM. Dupont et Cado, internes des hôpitaux de Nantes. Que ces messieurs 
veuillent bien recevoir ici nos remerciments, ainsi que M. Sagot, profes- 
seur au collége des Eudistes de Redon; M. Luneau, prosecteur à l’École 
de Médecine, et M. B. Lamy, étudiant en médecine, qui, eux aussi, ont pris 
part à plusieurs de nos dangereuses expériences, et nous ont été d’un 
très-grand secours par leur adresse etleur sang-froid. 


128 SYMPTOMES TERTIAIRES 


n’ont pas été complétement éteintes par le venin, on voit en peu 
d'heures survenir un mouvement de réaction. Un sentiment de cha- 
leur se répand dans tout le corps ; le pouls se relève, devient fort et 
plein ; la peau présente de la tendance à la moiteur, puis elle 
donne passage à des sueurs qui n’ont plus le caractère visqueux 
de la période adynamique. Ce mouvement fébrile, presque tou- 
jours léger, apparaît le lendemain de la blessure et se renouvelle 
le surlendemain. Dans une observation que nous devons à notre 
confrère le docteur Bourdin de Sainte-Pazanne, la fièvre persista 
pendant quelques jours sous forme d'accès réguliers, et nécessita 
l’emploi d’antipériodiques. 

Le 28 mai 1860, le jeune Julien Epervrier, de Sainte-Pazanne, 
âgé de neuf ans, fut piqué à un des doigts de la main droite en 
essayant de prendre un nid au milieu d’une haie touffue. Il n’eut 
pas le temps de reconnaitre le reptile, mais c'était bien une vipère, 
car le membre blessé se tuméfia presque aussitôt jusqu’au delà 
du coude et se couvrit de taches livides ; puis survint de la car- 
dialgie, des nausées et un refroidissement facile à constater au 
toucher, surtout sur la main mordue. Tous ces symptômes furent 
combattus par M. Bourdin à l’aide de l’ammoniaque, de boissons 
excitantes et de frictions aromatiques. Le malade eut une fièvre 
de réaction assez forte qui offrit, les jours suivants, les caractères 
intermittents et dont il guérit au moyen du quinquina administré 
sous forme de bols. 3 

Notre statistique ne contient aucun autre fait dans lequel le 
mouvement de réaction se soit ainsi transformé. 


Symptômes tertiaires. — Ils se divisent en symptômes périodiques 
ou à répétition et en symptômes cachectiques. 

Un grand nombre de blessés éprouvent, plusieurs années de 
suite et presque à jour fixe, le retour de troubles morbides ana- 


SYMPTOMES TERTIAIRES. 129 


logues à ceux que produit l’inoculation venimeuse : du gonflement 
et de la douleur dans le membre autrefois piqué par la vipère, un 
état saburral des premières voies, de l'inappétence et même des 
nausées ; leur peau prend une teinte subictérique. 

Une jeune fille, soignée à l’Hospice-Général de Nantes par le 
docteur Deluen, alors interne, présentait tous les ans à l’époque 
de sa morsure une éruption de taches livides sur le membre 
blessé. 

« Jean Coulonnier, de Boussay, nous écrit M. le curé Mérel, fut 
mordu par une vipère en 1831; il avait alors dix-huit ans. Il se 
mit entre les mains d’un conjureur, aux remèdes duquel il attri- 
bua sa guérison, et depuis lors il jouit d’une bonne santé ; mais 
chaque année, au jour anniversaire de sa blessure, il ressent 
un malaise général, sa jambe enfle et il s’y forme parfois des 
plaies. » | 

Le docteur Demeurat de Tournan (Gazette hebdomadaire, 6 no- 
vembre 1863, t. X) a publié une observation d’accidents pério- 
diques, suites de morsure de vipère, qui se reproduisaient depuis 
trente-neuf ans avec une régularité parfaite. La malade, piquée 
le 28 mai 1824, éprouvait chaque année, à pareille époque, de 
l’anxiété, des nausées, de la céphalalgie, puis, au bout de six à 
huit jours, voyait apparaître des bulles de pemphigus au lieu 
de la blessure. Avant sa rencontre avec le serpent, elle n’avait 
rien ressenti de semblable. 

Nous pourrions, en dépouillant les rapports médicaux envoyés 
à la Préfecture de la Loire-Inférieure, multiplier les exemples de 
ces faits sur lesquels aucune explication n’a encore été donnée, 
mais qui n’ont rien de plus extraordinaire que la régularité des 
accès de la fièvre paludéenne et la périodicité de certains actes 
physiologiques. 

Les symptômes de cachexie, heureusement beaucoup plus 

, 9 


130 SYMPTOMES TERTIAIRES 


rares, peuvent se présenter dans trois conditions différentes. 

Ainsi, on rencontre des blessés qui ne se relèvent jamais d’une 
morsure de serpent. Les accidents aigus passés, ils déclinent, 
restent valétudinaires, et finissent par succomber au bout de 
quelques mois. D’autres semblent d’abord guéris-et reprennent 
leurs habitudes ; mais, après un temps plus ou moins long, on 
voit survenir chez eux un amoindrissement successif de toutes les 
forces vitales : la calorification est diminuée, et ils résistent mal 
au froid ; leur peau prend une couleur jaune-paille ; ils ont de la 
tendance à la somnolence, de la torpeur intellectuelle, et un en- 
gourdissement de la sensibilité ; ils digèrent avec lenteur, et leurs 
gencives sont saignantes comme celles des scorbutiques. Les 
hommes faits vieillissent d’une façon prématurée, et les jeunes 
sujets sont arrêtés dans leur développement. Qui ne reconnaîtrait 
là une modification des fonctions hématopoïétiques sous l'influence 
du venin? La fibrine est altérée, et les globules sont moins pro- 
pres à l’échange gazeux qui constitue leur principal rôle dans 
l’économie. Le liquide recueilli par nous à la suite d’une épistaxis 
abondante avait l'aspect du sang des veines sus-hépatiques, et ne 
se coagulait qu'imparfaitement. 

Il existe un dernier groupe de blessés, peu nombreux, il est 
vrai, chez lesquels le drame morbide offre encore une marche 
différente. Aux symptômes d’empoisonnement aigu succède un 
long entr’acte qu’ils prennent pour de la guérison ; puis, au bout 
de dix-huit mois à deux ans, ils tombent comme frappés d’apo- 
plexie. La mort, dans ce mode de terminaison, a-t-elie lieu par 
congestion ou hémorrhagie cérébrale, ou par une sorte d’encé- 
phalopathie particulière ? C’est ce qu'aucune autopsie n’est venue 
encore élucider. 

Outre ces faits de cachexie que nous appellerons générale, ou 
par viciation de l’économie {out entière, 1l y a des cas de cachexie 


MARCHE, DURÉE, TERMINAISONS 131 


locale, tonsistant dans une altération permanente des parties 
mordues. Ainsi, lorsque la piqûre siége aux membres inférieurs, 
il s'établit parfois, au point où les crochets ont traversé la peau, 
des ulcères de longue durée. Un jeune homme, vu par le docteur 
Guitter, a conservé à la jambe une tuméfaction telle qu'il a été, 
au conseil de révision, jugé impropre au service. 

La cachexie par le venin a été observée non-seulement dans 
les piqûres des vipères indigènes, mais aussi dans celles de 
divers autres serpents : les crotales, le fer-de-lance, le cé- 
raste ou vipère cornue de nos oasis algériennes, l’échidnée 
mauritanique, ete. D’après F. Azara (Voyage dans l'Amérique 
. méridionale), la plupart des personnes qui, atteintes par les ser- 
pents du Paraguay, ne meurent pas de leurs morsures, restent à 
moitié imbéciles. 

Marche, durée, terminaisons. — Au point de vue de sa marche, 
l’empoisonnement échidnique est suraigu et se juge en peu 
d'heures, aigu ou d’une durée de quelques jours, ou bien encore 
plus ou moins chronique; cette dernière forme, chez l'homme 
et chez les autres animaux à sang chaud, est toujours secon- 
daire. ; 

La maladie, quels qu’aient été les symptômes généraux, se 
termine d'ordinaire par la guérison ; les phénomènes alarmants 
disparaissent alors du second au quatrième jour, mais la douleur 
locale et l’œdème sont de plus longue durée. 

Quand le retour à la santé est franc et complet, l’économie ne 
garde aucune trace de la secousse qu’elle a éprouvée ; mais la 
guérison peut être imparfaite et laisser le malade exposé à des 
symptômes éloignés. 

Chez plusieurs blessés, la maladie du venin est remplacée, 
après les accidents aigus du début, par une sorte d'état valétudi- 
naire qui persiste toute leur vie. 


132 PRONOSTIC 


Plus rarement elle finit par la mort, tantôt dès les premières 
heures, et ordinairement alors par pénétration directe du venin 
dans une veine, tantôt du second au cinquième jour par 
obstruction des voies respiratoires ou gêne de l’hématose; d’autres 
fois, dans le cours de la seconde ou de la troisième semaine, par 
symptômes typhoïdes ; d’autres fois, enfin, après plusieurs mois, 
par accidents cérébraux ou autres phénomènes liés à l’altération 
du sang. 


Pronostic. — Parmi les causes qui modifient la gravité de l’af- 
fection venimeuse, les unes tiennent au reptile et les autres au 
sujel. 

Les conditions du côté du reptile sont la dose du venin qu'il a 
versé dans la plaie et la force de ce liquide. 

La quantité de poison inoculée varie : 1° d’après le nombre des 
blessures, et 2° d’après la profondeur à laquelle ont pénétré les 
crochets et le degré de la pression exercée sur les glandes. 
N'oublions pas qu'il y a des vipères sans venin et d’autres à 
crochets brisés ou obturés. 

Des blessures répétées par un serpent sur une même personne 
sont toujours plus graves qu’une simple morsure; elles le de- 
viennent encore davantage quand elles sont l’œuvre de plusieurs 
vipères. Cette dernière circonstance ne doit pas faire compléte- 
ment désespérer du malade; Fontana a connu un chercheur de 
vipères qui jadis avait été mordu à la main par deux de ces rep- 
tiles, au moment où ils essayaient de s'échapper de la boîte dans 
laquelle il les avait renfermés. La piqûre d’un seul crochet offre 
une gravité moitié moindre que celle des deux. La simple érail- 
lure des couches superficielles de l’épiderme est une lésion à peu 
près inoffensive. 

Jamais la blessure d'une dent détachée, sèche ou fraîche, n’est 


PRONOSTIC 153 


comparable à la morsure même de l'animal; dans le premier cas, 
il y a simple insinuation sous la peau du poison de la canine, 
tandis que dans le second il y a de plus injection du venin de la 
vésicule. 

Plus le serpent est gros, plus d'ordinaire il a de poison ; aussi 
les localités redoutées pour leurs vipères sont-elles principale- 
ment celles où ces animaux trouvent de sûres retraites et peuvent 
se développer en paix (4). 

Le degré d’excitation du reptile doit être pris en considération. 
Une vipère irritée s’acharne sur sa victime et lui déverse une 
plus grande quantité de venin. Les blessures qui ont lieu par les 
temps chauds et orageux sont pires que les autres. 

Si un serpent se jette sur divers individus, le péril pour cha- 
eun d'eux sera d'autant moindre qu'il y aura eu déjà plus de 
piqûres ; nous savons en effet que le venin s’épuise vite et qu'il 
se forme avec lenteur. 

L'espèce de la vipère change peu la nature et la force 
du poison ; le péliade est presque aussi malfaisant que l’as- 
pic et nous a donné des cas de mort. Rappelons, sans y 
attacher d'importance, qu'aux yeux des paysans les variétés 
rouges de la vipère commune passent pour plus dangereuses 
que les grises. 

Le pronostic du côté du blessé varie en raison de diverses cir- 
constances qui se rangent sous quatre chefs principaux : 4° /a 
facilité qu'éprouve le venin à pénétrer dans la sphère d'action des 
vaisseaux lymphatiques et veineux ; 2° l’activité plus ou moins grande 
de l'absorption ; 3° la résistance aux agents-délétères opposée par l'é- 


(4) Parmi les lieux dont les vipères ont le plus mauvais renom, on doit 
citer les coteaux de la Sèvre, ceux de l’Erdre, surtout au voisinage du 
rocher de Barbe-Bleue, le bois de la Groullais, ceux de Saint-Aignan et 
le Bocage vendéen. 


154 PRONOSTIC 


conomie ; 4° la plus ou moins grande facilité avec laquelle s'opère 
l'élimination des produits toxiques. 

Si la partie sur laquelle portent les crochets est nue, ces or- 
ganes inoculateurs ne rencontrent d'autre obstacle que la résis- 
tance de la peau; si au contraire elle est protégée par un vê- 
tement, celui-ci par son tissu et son épaisseur s'oppose à la 
pénétration des canines qui souvent alors ne font qu’effleurer 
l’épiderme. La plaie produite, le vêtement devient au contraire 
plutôt nuisible qu’utile; ainsi le bas imbibé du venin et laissé 
en contact avec une morsure de la jambe, favorise l'absorption 
d’une nouvelle quantité d’échidnine. 

Les piqûres siégeant à la tête ou au tronc sont en général moins 
graves que celles des extrémités; le reptile saisit à pleine gueule 
les parties de petit volume; puis les doigts et les orteils sont 
riches en veinules et en lymphatiques, et, d’autre part, le coude- 
pied, les malléoles et le poignet possèdent des veines superficielles 
assez grosses, dans lesquelles le venin peut pénétrer directe- 
ment. Les morsures des oreilles et du museau chez les chiens, les 
chats et les lapins, offrent une innocuité remarquable dont il 
faut tenir compte quand on expérimente avec les vipères. Pres- 
que toujours les blessures de la langue sont mortelles par la glos- 
site œdémateuse qu’elles déterminent. 

Le poids du blessé n’est pas sans influence sur la gravité ou la 
bénignité de l’envenimation ; il constitue un des éléments de ré- 
sistance de l’économie, mais il n’est pas le seul, ni le plus im- 
portant. Fontana est arrivé à des résultats erronés en calculant à 
priori, d'après la masse de l’animal mordu, la quantité de venin 
nécessaires pour le faire passer de vie à trépas. 

L'âge a une tout autre importance. Les échidnines impres- 
sionnent plus vivement les jeunes sujets; l’absorption chez 
eux est rapide, tandis que leur résistance aux poisons ani- 


PRONOSTIC 135 


maux est très-faible (1). Le vieillard résiste moins bien que 
l'adulte, mais chez lui l'absorption est moins prompte que chez 
l'enfant. 

Le sexe n’a pas la valeur que nous lui avions attribuée, avec 
les auteurs classiquès, dans notre première édition, et le venin 
des serpents n’est pas plus dangereux pour la femme, mal- 
gré la faiblesse de sa constitution et son moindre volume. Les 
chiffres de 27 victimes du sexe masculin contre 22 du sexe 
féminin sembleraient même indiquer le contraire, s’ils n'étaient 
rectifiés par ceux de notre statistique générale, qui montrent que 
les deux tiers environ du nombre des morsures ont lieu chez 
l’homme. La léthalité des blessures de vipère reste donc, en 
réalité, un peu plus élevée chez la femme. 

Les conditions physiologiques dans lesquelles la femme se 
trouve, quand elle est mordue, sont loin d’être sans influence sur 
la gravité de cet accident. La grossesse, toutefois, n’est point une 
complication qui autorise à considérer la malade comme perdue. 

Au mois de juin 1859, la femme Nosset, des Hautes-Landes, à 
Aigrefeuille, âgée de vingt-sept à vingt-huit ans et enceinte de 
six mois, fut piquée au pied gauche par un aspie pendant qu’elle 
aidait à faire le foin. On exprima aussitôt sur sa blessure le jus de 
plusieurs feuilles de molène (2), et l’on donna à boire à la malade 


(1) A poids égal, un vieux lapin de petite taille soutient mieux l'épreuve 
d'une morsure de vipère qu’un lapereau de forte race. Tout animal à sang 
chaud trop jeune est voué d'avance à la mort quand on expérimente sur 
lui avec le venin. | 

(2) Par le mot molène, les paysans d’Aigrefeuille et des cantons voisins 
désignent aussi fréquemment le Lappa minor D. C. ou bardane que le 
Verbascum Thapsus Schrader, ou molène proprement dite. Pour eux, le sue 
des larges feuilles des Lappa constitue la véritable panacée du venin. Une 
belette luttant contre une vipère, aurait été vue se frottant après chaque 
coup de croc sur un pied de molène. Sans crainte sur l'effet du venin, elle 


136 PRONOSTIC. 


une grande quantité de vin chaud et sucré, Deux hommes vi- 
goureux, la saisissant alors par les bras, la firent courir jusqu'à ce 
qu’elle tombât épuisée de fatigue et de vin ; elle fut ensuite mise 
au lit sous plusieurs couvertures. Un sommeil de quinze à vingt 
heures s’empara d’elle, tandis qu’une sueur profuse perlant à la 
surface de sa peau traversait couette et matelas. À son réveil, 
la blessée n’avait qu'un souvenir confus de ce qui s'était passé, 
et ne conservait qu’un peu d’engourdissement et d’œdème de la 
jambe malade. L'enfant vint au monde-à son terme et en parfait 
état de viabilité. (M. Lihoreau, médecin à Aïgrefeuille.) 

Il faut avoir l’audace de l'ignorance pour obtenir un pareil 
succès. Les moyens sudorifiques ont évidemment sauvé la ma- 
lade, mais ils avaient toute chance d’occasionner un avortement 
mortel. 

Une constitution robuste et une susceptibilité nerveuse modé- 
rée sont d'excellentes conditions de lutte ; les maladies, qui débi- 
litent l'organisme, ou diminuent la plasticité du sang, consti- 
tuent, au contraire, de déplorables prédispositions. 

Ilest de croyance populaire, que les morsures sont plus dan- 
sereuses pour le blessé, quand son estomac est plein que lors- 
qu'il est vide, fait qui a besoin d’être confirmé par des observa- 
tions et des expériences, mais à priori parfaitement d'accord avec 
ce qui a été dit de l'élimination probable des produits échidni- 
ques par les voies digestives. 


revenait alors à la charge avec un nouveau courage. Un spectateur ayant 
arraché la précieuse plante, la belette mordue en aurait vainement cher- 
ché un autre pied dans le voisinage, et, faute d’en trouver, serait tombée 
morte. (M. Lihoreau.) 

Cette légende populaire rappelle ce que raconte Pline, au livre VIII, 
ch. xur-27, de son Histoire naturelle : Testudo cunilæ, quam bubulam vocant, 
pastu, vires contra serpentes refovet; mustela rutæ, in murium venatu, cum 
is dimicalione conserta. 


PRONOSTIC 437 


D'après M. Millet (loc. cit., p. 641), on aurait aussi remarqué 
que le laitage avalé peu de temps avant ou après la morsure 
aggraverait l’action du venin. Il serait bon de soumettre à l’ex- 
périmentation cette opinion en vogue parmi nos paysans, pour 
juger de sa valeur. 

L'imagination joue un grand rôle dans les suites des blessures 
par les serpents, comme du reste dans la plupart des maladies 
infectueuses (choléra, typhus, peste, vomito-negro, etc.); les 
symptômes de l’intoxication sont augmentés par la peur qui, dé- 
primant le système nerveux, favorise l’action des échidnines. Le 
docteur Rufz, dans son Enquéte sur le serpent de la Martinique, rap- 
porte des faits bien remarquables de l'influence de la terreur sur 
la gravité et la rapidité des accidents causés par le fer-de-lance. 

Quoique Fontana, le maître et le guide de tous ceux qui écri- 
vent sur la vipère, ait démontré que la morsure de ce reptile 
guérit plus souvent qu’on ne le croit par les seules forces de la 
nature, il n’est pas indifférent, pour établir le pronostic, de sa- 
voir si le malade a été ou nontraité de suite avec énergie et 
d’une manière rationnelle. Nous verrons, en effet, combien les 
soins intelligents diminuent les chances de mort et d'accidents 
graves, et combien, au contraire, une médication maladroite rend 
plus critique la position du blessé. 

Envisagé d’une manière absolue, le pronostic de l’empoisonne- 
ment par la vipère est toujours sérieux, puisqu'il peut occasionner 
la mort et amener ce résultat non-seulement chez des enfants et 
des femmes, mais encore chez des vieillards et des adultes vigou- 
reux. 

Le chiffre de quarante-neuf pour trois cent vingt et un blessés 
(soit environ un septième) nous semble forcé, quoique donné par 
notre statistique. Il ne faut pas oublier que les cas graves serecueil- 
lent plus facilement que les autres qui souvent passent inaperçus. 


138 PRONOSTIC 


La proportion vraie, dans nos départements du moins, doit 
être d’un décès pour vingt-cinq ou trente personnes mordues (4). 
Les symptômes généraux les plus graves, l’adynamie même, ne 
doivent pas toujours faire condamner le blessé. Tel a été consi- 


(1) Nous aurions été heureux de faire connaître d’une manière succincte 
la mortalité relative due aux morsures des autres serpents, et aussi de don- 
ner un aperçu de la fréquence des accidents qu’ils occasionnent, mais les 
renseignements nous manquent, et nous sommes forcé de rous borner 
aux indications suivantes. 

Dans l'Inde anglaise, les documents officiels de 1854 ont fourni au doc- 
teur Imlach (Trans. of the med. and phys. Soc. of Bombay) soixante-qua- 
torze cas de morsures de serpents (naja, kuppur, etc.) pour la seule pro- 
vince du Sind, en une seule saison, et dix-sept en une semaine. Sur trois 
cent huit cas, réunis par M. Imlach, il y a eu soixante-trois décès. La 
statistique effrayante du receveur de Jerruch porte vingt décès pour qua- 
rante-huit morsures. Du dernier rapport sur la mortalité des possessions 
anglaises de l'Inde, il résulte de plus qu’en 1868 1,127 personnes sont 
mortes par la morsure de serpents dans le royaume d’Oude, et 1,874 dans 
les provinces centrales, de 1866 à 1868 inclusivement. 

Ala Martinique, d’après M. Rufz, le fer-de-lance fait cinquante victimes 
par an, sur une population de 150,000 habitants. 

Au Brésil, dans la province du Para, nous écrit le docteur Lemos, le 
jararaca (Bothrops Jararaca Dum.), les divers serpents à sonnettes, l’élaps 
corail, les trigonocéphales et autres ophidiens venimeux, causent fréquem- 
ment la mort des hommes, surtout des nègres qui marchent pieds nus et 
se livrent aux travaux de la campagne. Dans l’intérieur du pays et sur cer- 
taines habitations composées de cent à deux cents personnes, il meurt 
presque chaque année un nègre, de piqüre de serpent. Le jararaca déter- 
mine la mort en vingt-quatre heures; le boïquira (Crotalus horridus, L.), 
en trois quarts d'heure. Le bruit des grelots des crotales, analogue au frois- 
sement des feuilles sèches, permet d'éviter ces dangereux animaux. 

Dans une oasis du Sahara, le R. P. Henri de Regnon a vu un homme se 
pencher pour boire sur la margelle d’un puits et ne plus pouvoir se rele- 
ver. Ce malheureux, mordu au poignet par une échidnée, poussa un eri, 
eut des convulsions dans un orteil, puis de la contracture; ses yeux de- 
vinrent hagards, et sept minutes après il expirait, présentant des mar- 
brures violettes sur tout le membre blessé. 


DIAGNOSTIC 139 


déré comme perdu, chez lequel ces phénomènes alarmants se 
sont dissipés en quelques heures. 

En voici un curieux exemple, qui nous est fourni par M. Le- 
bossé, professeur à l'institution Richelieu, près Luçon. 

« Le soir d’une chaude journée de juillet 1866, nous écrit ce 
savant distingué, le sieur Gautrot, âgé de quarante ans, était oc- 
cupé à ramasser du froment dans les champs de Beugné, à deux 
kilomètres de Luçon. Il réunissait le blé en gerbes, quand il fut 
piqué à l’origine du petit doigt de la main gauche. Le reptile 
s’attacha si fortement à la partie blessée, qu’il y resta quelques 
instants suspendu, malgré les secousses imprimées à la main. La 
douleur fut très-vive. Après un moment de repos, le laboureur 
reprit toutefois son travail, mais il fut forcé de l’interrompre, et, 
sur les instances de sa femme, il se dirigea vers la ville pour 
consulter un médecin. Il eut beaucoup de peine à faire les trois 
quarts de la route et s’affaissa en face de notre collége. C’est là 
que nous le trouvèàmes tout gonflé, engourdi, froid et ne parais- 
sant pas avoir plus d’une demi-heure à vivre. Nous lui adminis- 
tràmes de l’ammoniaque à forte dose dans un verre d’eau sucrée 
et la main fut frottée avec la même substance. Voyant que le 
malade prenait difficilement la solution alcaline, nous la rem- 
plaçàmes par un mélange d’eau sucrée et d'esprit de Mendéré- 
rus. Le docteur Merland approuva ce que nous avions fait et 
prescrivit de continuer l’alcali, mais à doses plus modérées. En 
peu de temps, Gautrot se trouva mieux ; vers la nuit nous le re- 
conduisimes en voiture à son domicile. Il garda le lit quinze 


-jours, sans autres remèdes que ceux que nous lui avions donnés, 


et au mois d'octobre il revint nous remercier de lui avoir sauvé 

la vie. Depuis cette époque il jouit d’une bonne santé. 
Diagnostic. — Le diagnostic d’une morsure de vipère est en 

général facile, mais il n’en est pas toujours ainsi, par suite de 


110 DIAGNOSTIC 


l'absence de l’une ou de plusieurs des principales données du 
problème. Ce problème peut se présenter, en effet, sous quatre 
conditions différentes : 1° Le reptile auteur de la morsure est 
montré ou est bien décrit; 2 le reptile n'a pas été vu ou est mal décrit, 
mais il à imprimé, comme un cachet, la marque de ses dents sur la 
peau; 3° la rétraction du derme rend méconnaissable l'empreinte 
des canines; 4° l’inoculation venimeuse a été faite avec tout autre 
instrument que la dent du reptile. 

Dans le premier cas, la question est singulièrement simplifiée. 
Les caractères zoologiques de l'animal (configuration de la. tôte, 
disposition des écailles ou des plaques syncipitales, forme des pu- 
pilles, dents, dessins de la robe, etc.) permettent de reconnaitre 
une vipère d’une couleuvre, et un aspic d’une péliade. Sans eux 
il est impossible de distinguer d’après les symptômes les mor- 
sures des deux vipères indigènes. 

L’empreinte des dents du reptile suffit lorsqu'elle est bien mar- 
quée pour différencier une blessure de vipère d’une morsure de 
couleuvre. 

Dans le premier cas, on observe deux piqüres profondes dont 
les bords se tuméfient et s’ecchymosent rapidement ; si, ce qui 
est rare, les dents de la mâchoire inférieure ont aussi laissé des 
traces, on trouve de plus une série d’éraillures en ligne courbe 
opposée par sa concavité aux deux piqüres. 

Les couleuvres donnent, au contraire, lieu à deux rangées 
d'éraillures superficielles sous forme de courbes se regardant par 
leur concavité, plus rarement à une seule rangée quand elles ne 
blessent qu’avec la mâchoire supérieure. Leurs morsures s’accom- 
pagnent d’une sensation de déchirement, quelquefois même de 
pincement mais jamais de piqûre profonde. 

Si la rétraction de la peau a effacé l'empreinte de l’un ou des 
deux crochets, le diagnostic se fait encore sûrement à l’aide des 


DIAGNOSTIC mn 


conditions étiologiques et des symptômes. La tuméfaction, les 
taches livides, le refroidissement et les phénomènes gastriques et 
adynamiques, sont là pour faire reconnaitre une morsure de 
vipère d’une piqüre d’épine ou d’insecte (1). 

Quand l’empoisonnement n’a plus pour cause une morsure, 
mais bien une inoculation due à un instrument abandonné par un 
expérimentateur ou dirigé par une main criminelle, le problème, 
quoique plus compliqué, n’est point insoluble. Là encore l’auréole 
point de départ de la tuméfaction, les taches livides, le refroidis- 


(1) Voir, comme difficulté de diagnostic, dans le Journal de la Section de 
Médecine de la Socièté académique de la Loire-Inférieure, année 1849, 
t. XVIII, p. 238, l’article intitulé : Observations de plaies par morsures d’ani- 
maux venimeux, par le docteur Baré, médecin des prisons de Nantes. 

Quatre détenus, jeunes, bien portants, renfermés dans la geôle de Mon- 
taigu, ont élé, aux premiers jours de juillet 1842, successivement pi- 
qués durant leur sommeil, dans une chambre basse, humide, entourée de 
lambris de planche. Ils ont présenté six plaies qui toutes ont donné lieu à 
du pus et dont quatre ont troublé plus ou moins la circulation lymphatique. 
Chez trois d’entre eux, les symptômes n'ont pas dépassé le membre blessé, 
et la guérison, quoique tardive pour de si petites plaies, s’est effectuée du 
dixième au vingtième jour. Chez le quatrième, au contraire, atteint à la 
partie interne de la cuisse, les accidents finirent par occasionner la mort 
avec adénite, collection purulente dans la fosse iliaque et hépatisation du 
poumon droit. L'animal, cause de ces désordres, n’a pas été vu, mais les 
détenus affirment avoir été piqués. M. Baré crut donc devoir attribuer 
les accidents à l’araignée des caves, vu le lieu où la scène s'était passée, la 
nature de la blessure et les principaux symptômes; des cas analogues, 
du reste, avaient été publiés peu de temps auparavant dans le journal de 
M. Lucas-Championnière. Un rapport sur ce sujet fut demandé par M. le 
Ministre de la Guerre à l'Académie de Médecine, La commission, par l’or- 
gane de Duméril, émit un avis différent et vit là une inoculation de ma- 
tières putrides. Nous n'avons point à intervenir dans le débat; mais, en 
écrivant ces observations qui sont certainement au nombre des plus inté- 
ressantes du journal, M. Baré a parfaitement fait d'éliminer les questions 
des morsures de vipères ; les phénomènes décrits ne sont point ceux d’un 
empoisonnement échidnique. 


4142 DIAGNOSTIC 


sement et les symptômes généraux pourront mettre sur la trace 
de l'affection venimeuse et la faire diagnostiquer. 

Les autres plaies compliquées de l’introduction d’une substance 
toxique ont chacune, du reste, leurs signes spéciaux. 

Le curare donne lieu à un empoisonnement qui offre quelque 
ressemblance avec l’envenimation, mais des différences beau- 
coup plus grandes. Ses symptômes locaux sont presque nuls. Le 
blessé n’accuse aucune autre douleur que celle due au trauma- 
tisme; la rougeur est légère et s'accompagne de la saillie des 
papilles de la peau; l’empätement est insignifiant; la tempéra- 
ture s'élève d’un degré. En moins d’un quart d'heure, la dé- 
marche devient chancelante, et les symptômes paralytiques com- 
mencent par les membres abdominaux pour envahir ensuite tout 
le corps. Les sphincters relächés laissent échapper le contenu des 
organes creux; la pupille se dilate et la respiration diminue de 
fréquence et d'amplitude. Au milieu de cet ensemble de phéno- 
mènes, l'intelligence et la sensibilité générale paraissent conser- 
vées, quoique leurs manifestations soient de plus en plus difficiles. 
Enfin le cœur se paralyse à son tour et la vie s’éteint. Elle peut 
toutefois se ranimer encore si l’on pratique immédiatement la 
respiration artificielle, qui rappelle les battements du cœur et 
permet au poison de s’éliminer par les urines (1). 

Le sung-sig, dont les Malais se servent pour leurs lances et 
leurs kriss, n’a pas non plus d’effet local très-manifeste, il occa- 


(4) Consulter pour le curare les ouvrages suivants : Mémoire sur le 
poison américain appelé ticunas par Fontana. — Expériences pour servir à 
l'histoire de l’empoisonnement par le curare par Alv. Reynoso (Comptes- 
rendus de l'Ac. des sc.). — Cl. Bernard, Œuvres diverses. — Martin-Ma- 
gron et Buisson, Action comparée de la noix vomique et du curare (Journal 
de Brown-Sequard, 4859 et 1860). — (Curare, Nouveau Dictionnaire de 
méd. et de chir. pratiques, t. X), par MM. P. Bert et Voisin; etc. 


DIAGNOSTIC 143 


sionne, peu de minutes après son introduction sous la peau, des 
accidents tétaniques dus à l’upas-tieuté qui entre dans sa compo- 
sition (1). 

Les plaies contaminées par une substance putride, telles que 
les piqüres anatomiques, sont surtout caractérisées par la lymphan- 
gite. Des traînées d’un rouge vif se montrent autour de la bles- 
sure, accompagnées de douleur. Elles suivent la direction des 
lymphatiques, et les ganglions auxquels se rendent les vaisseaux 
enflammés s’engorgent à leur tour. De la fièvre, de l’insomnie et 
souvent du délire accompagnent ces symptômes locaux, mais on 
ne voit point survenir l’abaissement de température auquel don- 
nent lieu les venins. Ce qui domine, c’est la tendance à la suppu- 
ration, soit dans les ganglions, soit au milieu du tissu cellulaire 
et sur le trajet des lymphatiques. 

Il est donc assez facile, avec un peu de méthode, de diagnosti- 
quer une plaie envenimée de toute autre blessure empoisonnée ; 
mais reconnaître l'espèce de venin auquel elle doit ses caractères 
est souvent d’une grande difficulté. 

Nous n’avons aucune donnée un peu sûre permettant de distin- 
guer d’après leurs effets les poisons des divers serpents. Ils 
sont de même nature et ne diffèrent guère que par leur énergie. 

Le liquide qu’inoculent les arachnides (scorpions, grosses arai- 
gnées, etc.) et les myriapodes (ex. les scolopendres) produit une 
douleur extrêmement vive, au lieu même de la piqûre. 

Le contenu des glandes cutanées des crapauds donne lieu à des 
symptômes épileptiformes et à de l’ivresse, l'humeur des tritons 
(en particulier du triton crêté, Triton cristatus Laur.) à des con- 


(4) Pour le sung-sig etsa préparation, voir la note placée à la fin de ce 
travail, et qui est extraite des Lettres curieuses sur la Cochinchine par 
M. Raoul de G., commandant du navire anglais le Vampire, publiées en 
1859 par le journal l'Ilustration. 


Ai 


44% ANATOMIE PATHOLOGIQUE 


vulsions terribles et celle de la salamandre terrestre (Salaman- 
dra maculata Laur.) à de la somnolence et à des convulsions (1). 

Anatomie pathologique. — Il resterait, pour compléter la des- 
cription de l'affection venimeuse chez l’homme, à décrire ses 
lésions cadavériques. Tout ce que l’on connaît sur ce point a été 
exposé plus haut, en particulier aux pages 80 et suivantes, à 
propos de l’action des échidnines sur le sang et les tissus. 

Il s’en faut bien, du reste, que la chimie et le microscope aient 
dit leur dernier mot sur ce sujet ; l’état des cellules et des tubes 
. nerveux n’a pas été étudié, la nature de la transformation subie 


(1) Les crapauds, les tritons (vulg. remoires, sourds, crus) et les sala- 
mandres, animaux à aspect repoussant et considérés dans le peuple comme 
venimeux, secrètent par leurs glandules cutanées une humeur acide, plus 
ou moins lactescente et variable suivant les espèces. Les expériences de 
MM. Gratiolet, Cloez et Vulpian, ont démontré que ce liquide est toxique et 
qu'il tue un verdier en cinq minutes et un chien en deux heures, Comme 
le poison des serpents, il n’agit pas sur la peau dont l’épiderme est intact; 
aussi les naturalistes qui ont étudié les batraciens pustuleux, les ont-ils 
longtemps maniés sans crainte, et avaient fini par croire que leur venin 
n’était qu’une erreur populaire. 

Nous avons observé nous-même un cas de contamination d’une plaie 
par le liquide toxique du crapaud. Une vachère des environs de Nantes 
voulant cueillir avec une faucille une poignée d'herbe, trancha du même 
coup un gros crapaud commun (Bufo vulgaris Lac.), et se blessa à 
la main gauche. La plaie s’envenima, il survint de la fièvre, et au lieu 
même de la blessure apparut un ecthyma dont les pustules se renouve- 
lèrent pendant plus d’une année. 

Quoi qu’il en soit, ces animaux ne cherchent point à nuire à l’homme et 
ne peuvent se servir de leur venin puisqu'ils manquent d’appareil d’ino- 
culation. 

Leur principale nourriture se compose de vers, d'insectes et de limaces. 
Pourquoi donc les massacrer avec des raffinements de barbarie, simple- 
ment parce qu'ils font horreur? Les agriculteurs anglais, plus pratiques 
que nous, protégent les crapauds et en font même venir de France à prix 
d'argent pour les mettre dans leurs parcs. 


E 
ACCIDENTS SÛR LES ANIMAUX 145 


par la fibrine n’est pas connue et aucune recherche chimique un 
peu sérieuse n’a été faite sur la plupart des excrétions. 

Pathologie comparée. — Nous ne reviendrons pas sur les effets 
du venin de la vipère dans les différentes classes du règne ani- 
mal. Il est funeste, mais à des degrés différents, pour tous les 
vertébrés à sang chaud. Le professeur Lenz, de Schnepfenthal, 
affirme toutefois, (Schlangenkunde), que le hérisson est impu- 
nément mordu au museau, aux lèvres et à la langue, ce que 
nous n'avons pas été à même de vérifier. 

Rien de plus variable que les résultats obtenus par la morsure 
même du serpent. Pour avoir des faits que l’on puisse metire en 
regard les uns des autres, il vaut mieux procéder, comme Fon- 
tana, en blessant à l’aide d’un appareil venimeux détaché du 
reptile et en injectant le venin par pression sur la glande. On 
opère d'une façon plus sûre encore avec la seringue de Pravaz, 
qui permet de calculer la dose de poison employée. 

Les moineaux, les verdiers et les chardonnerets, traités ainsi, 
chancellent et tombent morts; les ciseaux plus volumineux ré- 
sistent quelques instants. Les pigeons ne s’affaissent qu’au bout 
de dix minutes; les poules survivent une demi-journée. 

On peut établir une échelle analogue de mortalité chez.les 
mammifères, mais, comme nous l'avons déjà dit, tout en recon- 
naissant l’importance de la masse de l'animal mordu, il ne faut 
pas se l’exagérer. La résistance au venin, dans les différentes 
espèces, est un problème beaucoup plus complexe et dont 
nous ne possédons pas toutes les” données. Tantôt elle tient à 
des obstacles s'opposant à la pénétration du poison, tantôt à 
la manière plus ou moins active dont s’opèrent les fonctions 
sécrétoires, ailleurs à une ténacité particulière de la vie; ainsi 
tel animal est vivement impressionné par le venin, qui cepen- 
dant guérit presque toujours. En général, les mammifères qui 

10 


446 ACCIDENTS SUR LES ANIMAUX 


rejettent avec facilité le contenu de leur estomac supportent 
mieux la morsure que les autres (1). 

Choisissons nos exemples parmi les serviteurs de l’homme. 

Les oiseaux de nos basses-cours, protégés par leurs plumes, 
craignent peu la vipère et la pourchassent avec courage quand 
elle s'attaque à leur couvée; ils sont cependant parfois blessés 
par elle. 

Dans la cour de M. le comte de Fonmartin, à la Dixmerie, 
commune du Loroux-Bottereau, se trouvait un amas de pierres 
et de mauvaises herbes; les jeunes canards qui s'en approchaient 
revenaient blessés, enflaient et succombaient rapidement. Une 
douzaine périrent ainsi. On fouilla les décombres et l’on y tua 
une vipère de couleur rougeàtre. 

Les chats jouent avec tous les reptiles dont ils se rendent 
maîtres, mais, grâce à leur agilité, ils sont rarement mordus; 
d'autre part nul animal domestique n’a la vie plus dure. Mälgré 
leurs griffes et leur caractère peu facile, Fontana s’en est servi 
comme sujets d'expérience. Ils ont presque tous guér:, même 
ceux qui avaient été piqués par six vipères. 

Blessés, ils deviennent doux et faciles, cessent de se servir de 
leur patte malade et se couchent sur le ventre. Ils offrent les 
symplômes locaux et généraux de la maladie, vomissent d’ordi- 
naire plusieurs fois et ne recommencent à manger et à boire 
qu’au bout de deux ou trois jours; à partir de ce moment, on 
doit les regarder comme sauvés. 

M. Gicquiau a observé les mêmes faits sur un chat blessé par 


(4) Sur ce point, nos observations sont en accord complet avec celles de 
Fontana qui, ayant remarqué (Traité sur le venin de la vipére, t. II, p. 8) 
que les chiens et les chats étaient d'autant moins malades qu'ils vomis- 
saient davantage, essayÿa sur eux, non sans quelque succès, l'émétique 
pour combattre les effets du venin. 


ACCIDENTS SUR LES CHIENS 447 


un aspic vigoureux. La bête fut au plus mal pendant trois 
jours, mais elle se tira d’affaire. 

En battant les broussailles et les bois, les chiens sont très- 
exposés aux morsures de la vipère; celle-ci, du reste, irritée 
par leurs aboïements, souvent leur tient tête et même les pour- 
suit. Il est, en Vendée, peu de chiens de chasse qui n’aient été 
blessés au moins une fois. 

Sitôt piqué, l'animal pousse un eri, cesse de chasser, et revient 
vers son maître, triste, la bave à la bouche et la queue basse. Il 
s'étend par terre sur le côté sain et reste sans mouvement. Les 
symptômes locaux sont les mêmes que chez l’homme; les nau- 
sées n’amènent pas toujours des vomissements ou ne les provo- 
quent qu’au bout de quelques heures; la prostration et la tristesse 
sont extrêmes. 

L’affection venimeuse suit, chez le chien, une marche rapide ; 
quelques-uns succombent en peu d’heures; d’autres survivent 
deux ou trois jours; le plus grand nombre, après avoir donné de 
vives inquiétudes, offrent une amélioration presque subite dès le 
lendemain ou le surlendemain et guérissent sans convalescence. 
Il n’est pas rare qu’ils soient en état de chasser au bout d’une 
semaine. Cependant la blessure peut laisser des suites; certains 
d’entre eux offrent des infirmités précoces (troubles de la vue, de 
l’odorat, de l’ouie, etc.), et meurent jeunes. Une chienne du doc- 
teur Bourgeois est devenue sourde et affectée d’une carie du 
maxillaire supérieur, à la suite de morsures répétées. M. Georges 
Villers, cité par M. L. Soubeiran,a vu des chiens présenter, 
chaque année, des phénomènes à répétition du genre de ceux que 
nous avons décrits. 

Une envenimation antérieure ne préserve pas ces animaux d’un 
nouvel empoisonnement. À chaque piqüre, la tuméfaclion repa- 
rait, accompagnée des autres phénomènes de la maladie. 


148 ACCIDENTS SUR LES CHIENS 


Ce ————— = a — — — — a 


Citons quelques exemples choisis parmi les nombreuses 
observations qui nous ont été communiquées. 

Le premier est dû à M. B. Lamy, étudiant en médecine. 

« Nous chassions, mon frère et moi, dans un bois taillis 
de notre campagne de Rezé, ayant avec nous deux épa- 
gneuls et un petit king-charles âgé de trois ans. Tout à coup, 
nous vimes ce dernier, qui furetait dans les broussailles, faire 
un bond en arrière en poussant un cri comme s’il était blessé. 
Apercevant un aspic qui s’enfuyait, nous lui brisämes la colonne 
vertébrale. J'emportai de suite à la maison le petit chien, dont 
la tête commençait à enfler. Il avait été mordu au côté droit du 
museau, au-dessus de la lèvre supérieure. Mon premier soin fut 
de raser les poils, afin de mettre la plaie à découvert; puis, avec 
une lame de canif bien aiguisée, je lui fis une incision cruciale 
assez profonde. Cette searification, jointe à la pression que j’exer- 
çais sur les parties environnantes, donna lieu à beaucoup de 
sang, ce qui, je crois, a fait le plus de bien à l’animal. A l’aide 
d’une plume, j'imbibai ensuite la plaie d’alcali volatil, mais 
celui que nous avions était tellement vieux et évaporé qu'on le 
respirait sans qu'il produisit le moindre larmoiement. La tête 
continua à enfler, doubla de volume : on ne distinguait plus les 
yeux, ni les narines; la lèvre surtout était énorme. Le chien souf- 
flait péniblement et paraissait en proie à une fièvre intense; il 
frissonnait, avait des spasmes de l’œsophage qui se traduisaient 
par des envies de vomir el présentait un tremblement convulsif 
des extrémités inférieures. Me rappelant leffet prophylacti- 
que de l'ivresse sur les gens mordus, je fis boire au chien 
du vin rouge sucré et assez fortement alcoolisé. Je dois dire 
qu’il en a avalé une bonne dose. Il est resté deux jours en proie 
à la fièvre et sans faire de mouvements, ne vivant que d’un 
peu de lait et du vin qu'on lui faisait avaler à grand'peine. Le 


ACCIDENTS SUR LES CHIENS 149 
troisième jour, l’enflure de la tête commença à diminuer et l’a- 
nimal prit de la nourriture. A partir de ce moment, il eut un 
mieux progressif et la convalescence fut rapide; mais, deux mois 
après, on remarquait encore une déformation du museau. Ce 
king-charles n’a jamais joui depuis d’une parfaite santé; il parait 
moins intelligent et moins alerte. » | 

L'abbé Delalande, herborisant, au mois de septembre 1839, 
dans la commune de Saint-Gildas-des-Bois, aperçut son chien en 
lutte avec un reptile. Malgré une morsure à la tête, Médor ne 
làcha prise qu'après avoir tué son adversaire. Delalande ramas- 
sait le vaincu qu’il prenait, à cause de ses écussons, pour un 
tropidonote, quand il vit son chien enfler, se trainer au ruisseau 
le plus proche et s’y plonger jusqu’au museau ; ouvrant alors la 
gueule de la prétendue couleuvre, il y découvrit deux crocs 
acérés. Le bon abbé venait de rencontrer le péliade ou vipère 
à trois plaques qui n'était pas une espèce nouvelle pour la 
science, mais dont la présence dans la Loire-Inférieure était 
signalée pour la première fois. 

Médor, malgré l’appel de son maître, s’obstina à rester dans 
l’eau et ne reparut à la maison que trois jours après, guéri, mais 
très-amaigri. Depuis cette aventure, l'intelligent animal empêcha 
plusieurs fois Delalande de saisir sans précaution des péliades 
aux formes trompeuses. Il se jetait sur les couleuvres de toute 
espèce et les rapportait ; mais, à la vue d’une vipère, il se tenait 
à distance, en aboyant, et semblait par ses gestes avertir de 
s'en défier. 

Plus tard, mordu par un chien enragé, il fut abattu en l’ab- 
sence de son maître. « Cela eut lieu à mon grand regret, ajoute 
Delalande, car j’y étais attaché. J'aurais désiré qu'on l’eùt en- 
fermé et mis à l’observation, pour vérifier s’il est vrai, comme le 
prétend M. B. Gauchy (Bibliothèque des propriétaires ruraux, n°30): 


150 ACCIDENTS SUR LES CHIENS 


que les animaux mordus par une vipère ne soient plus suscep- 
tibles d’enrager » (1). 

Nous reviendrons sur ce prétendu antagonisme entre l’enve- 
nimation et la rage. 

Une chienne braque d’un an, appartenant à M. H. de l'Isle, fut 
mordue au mois d'août 1860 par un aspic, dans un taillis de 
la Haye-Fouassière; les crochets avaient pénétré entre les 
doigts de la patte antérieure gauche. Leste, c’était son nom, ne 
pouvant plus marcher, dut être portée jusqu’à la demeure de 
son maître, où lui furent faites les premières applications d’al- 
cali, tandis que dix gouttes de la même substance lui étaient 
administrées dans un verre d’eau. Vers le soir, prostration com- 
plète ; l'animal couché sur la paille respire avec peine; il a l'œil 
abattu, la patte roide et enflée jusqu’à l’épaule. Les piqûres 
sont agrandies; on en chasse un peu de sang par la pression, et 
l’on donne à la chienne une infusion vineuse de galium. Le len- 
demain l’adynamie est moins grande, mais l’œdème a gagné le 
cou et les mamelles. Il persiste le surlendemain quoique l'infusion 
de galium ait été continuée. Vers la fin de cette troisième 
journée, l’animal accepte la nourriture qui lui est offerte et se 
soulève sur ses pattes. Le quatrième jour il a repris son entrain, 
et à partir de là l’enflure diminue avec rapidité. 

« Par une matinée humide et chaude de septembre 1867, 
M. Auguste Gaudineau chassait aux environs de Mareuil, quand 


(4) Extrait de la dernière communication faite par ce regretté natura- 
liste, à la Société académique de la Loire-Inférieure, le 49 mai 1851, et 
intitulée : Leçon d'erpétologie donnée par un chien. Dans ce travail, Dela- 
lande dit avoir aussi capturé des vipères à trois plaques à la forêt de 
Groullais (Blain), au bois de Reslin (Sévérac) et en ceux de Lézay 
(Morbihan). 


ACCIDENTS SUR LES CHIENS 151 


il entendit son chien pousser des cris plaintifs et le vit se- 
couer son cou. Il courut à lui et tua une vipère, qui s’enfuyait 
après avoir mordu l’animal à la gorge où se montraient deux 
gouttelettes de sang. Les piqûres élargies furent soignées par 
l’ammoniaque; puis blessé et chasseur revinrent en voiture à 
Luçon. Là, un vétérinaire fit de nouvelles scarifications, en ex- 
prima un peu de liquide sanieux et y introduisit de l’'ammo- 
niaque. Cette substance fut aussi administrée dans un excipient 
aqueux. À partir de ce moment la tuméfaction diminua par de- 
grés, le chien se ranima, et le cinquième jour il était guéri. » 
(M. Ch. Gaudineau, élève en pharmacie.) 

« Le 8 octobre 1867, nous écrit M. Patry, le chien de chasse 
d’un de mes parents fut piqué, aux environs de Port-Saint-Père, 
par une vipère rouge, à une des pattes antérieures. Tout son 
corps enfla aussitôt, et il fallut ramener la pauvre bête dans une 
-brouette. Quelques gouttes d’alcali furent aussitôt appliquées 
sur la plaie, ce qui n’empêcha pas l’animal de tomber, dès le soir, 
dans un grand accablement, d’avoir des syncopes et d'offrir une 
respiration très-anxieuse. Je conseillai l’ammoniaque à l’intérieur, 
et dès lors son état s’améliora. Le troisième jour, le chien était 
gai et paraissait guéri. Sa patte, toutefois, resta plus grosse que 
l’autre et douloureuse pendant une quinzaine. » 

Le docteur C. Merland a eu souvent des chiens mordus. Ils se 
sont presque tous tirés d’affaire, même ceux qui avaient présenté 
les symptômes d’adynamie la plus grave. 

Un d’eux, animal de petite taille, tomba comme foudroyé; 
on dut l’apporter sur les bras, quoique la maison ne füt dis- 
tante que de 300 mètres. À peine arrivé, il vomit plusieurs 
fois, et semblait n'avoir que quelques heures de vie. Cependant 
le quatrième jour il recommencait à manger, et dès lors était 
sauvé. i 


* 
< 


152 ACCIDENTS SUR LES CHIENS 


Le dernier chien perdu par notre confrère avait été piqué une 
première fois, et avait présenté des symptômes très-inquiétants 
qui se terminèrent par la guérison. Mordu de nouveau, il offrait 
une maladie, si légère en apparence, qu’on ne s’en occupa pas, et 
le lendemain il était mort. La vipère l'avait atteint à l'une des 
pattes de devant, et l’enflure s'était étendue de là jusqu’à la 
gorge, de telle façon que le cou était devenu presque aussi gros 
que la tête. 

Le docteur Guitter, qui connaît si bien les mœurs des aspics et 
leurs méfaits, a eu pareillement un certain nombre de chiens 
blessés. Chez les uns, il a employé la prétendue cautérisation par 
l’alcali, et chez d’autres il a négligé ce moyen, sans observer 
de différences dans les suites de la piqûre. 

M. Gobert soignait autrefois ses chiens par des scarifications, 
des pressions exercées au voisinage pour en faire écouler du sang 
et des applications d’ammoniaque; il leur administrait concur-. 
remment dix gouttes de ce dernier remède dans un verre d’eau. 
Depuis la publication de notre premier travail sur les serpents, il 
a substitué à l'usage externe de l’alcali celui du perchlorure de 
fer. 

C’est ainsi qu'à la Chataigneraie il traita une jeune chienne 
mordue le 27 mai 4862. Le lendemain elle courait, sans faire cas 
de ce qui lui était arrivé; mais elle devait avoir mauvaise fin. 
Dans les premiers jours de septembre, un voisin de notre ami 
amena, sans lui demander permission, cette chienne sur un 
coteau exposé au sud, vrai repaire de lapins et de serpents, 
par une température de 28 à 30 degrés. L'animal, gai et 
alerte, cessa tout à coup de battre le terrain et s’étendit sur le 
ventre. Remis deux fois sur ses pattes, il se laissa retomber, 
haletant et la gueule pleine d’écume; cependant son museau 
enflait à vue d’œil. Le pauvre chasseur, ne sachant que faire, 


+ 
L 


8 È SE Ru ph 7.1 nn 
ACCIDENTS SUR LES MOUTONS 153 


saigna la chienne sous la queue (1), et quelques secondes après 
elle expirait. 

Un autre voisin de M. Gobert, M. Bailly du Pont, perdit une 
fois deux chiens dans une seule chasse. Le lièvre venait de tra- 
verser une #usse (2); trois chiens lancés à sa poursuite furent 
successivement mordus par une vipère à leur passage dans le 
buisson. Le premier dut s’arrêter au bout de trois cents pas, 
et une demi-heure après il était mort. Le second essaya d’abord 
de chasser, mais bientôt il s’étendit et expirait à son tour 
en deux heures. Le troisième ne put suivre la chasse ; il fallut 
le ramener à la maison, où il guérit en quatre jours. 

Nous connaissons plusieurs faits du même genre ayant eu lieu 
en Vendée et dans les Deux-Sèvres, où les chasseurs voient trop 
souvent leurs meutes décimées. à 

Le lièvre poursuivi peut être parfois lui-même blessé par la 
vipère, et tomber mort avant d’être rejoint par les chiens. 

La mortalité d’un quart que nous avons établie pour la race 
canine, d’après un confrère du Bocage, nous semble trop élevée 
depuis nos nouvelles recherches. La proportion d’un dixième est 
plus vraie, même au sud de la Loire. 

Les moutons que l’on mène paitre dans les prés hauts et sur 
les coteaux pierreux sont assez souvent piqués, surtout au nez et 
aux lèvres. D’après M. Abadie, ils relèvent alors brusquement la 
tête, et essaient de se remettre à manger; mais bientôt la partie 


(4) Cette saignée à la queue consiste en une incision transversale faite 
à la face inférieure de cet organe. Elle est surtout employée sur les pores 
atteints de congestion, pour s'être trouvés ‘trop mal à l’aise dans les mues 
qui servent à les porter au marché. 

(2) On appelle musse, dans l'Ouest, les trous par où passent, à travers 
les buissons, les lièvres et les lapins, d’où le verbe se musser pour se 
blottir dans une haie, mots dérivés du latin mus, souris. 


PE. RSS ARRET ES = 
454 ACCIDENTS SUR LE CHEVAÏ ET LE BŒUF 


mordue se tuméfie ; il survient des convulsions et des selles bilieu- 
ses ; la bouche se remplit d’écume et l'animal se laisse choir par 
terre. Le mouton, comparativement à sa masse, résiste mal au 
venin. En 1849, dans le département de lAveyron, raconte 
M. Roche-Lubin, sur un troupeau de soixante-dix têtes, quatorze 
brebis moururent de piqûres de vipères. 

Le porc est très-rebelle à l’envenimation ; sa peau, désignée 
sous le nom de couenne, doublée d’une épaisse couche de tissu 
graisseux, ne permet que très-difficilement aux crochets d’at- 
teindre les capillaires. Nous n’avons pu recueillir aucune obser- 
vation de maladie venimeuse chez cet animal, malgré l’avidité 
avec laquelle il se jette sur toute sorte de serpents. 

Les chevaux et les bœufs se tiennent principalement dans les 
prés bas après la fenaison; ils offrent, à cause de cela, peu de 
plaiesenvenimées. 

Nous avons cependant recueilli quelques cas de piqüres sur le 
cheval ; aucune ne causa la mort. 

M. Abadie fut appelé, au mois de juillet 4860, par M. Laurent, 
maître de poste à Aigrefeuille, pour un de ses chevaux mordu 
à la fesse, pendant qu’il paissait dans un verger. L’animal 
présentait une tuméfaclion qui, d’abord circonscrite, envahit 
bientôt tout le membre et même la partie déclive de l'abdomen, 
le poitrail et la base de l’encolure. Il resta quatre jours dans un 
état de faiblesse et de stupeur profonde; ayant été soumis à un 
traitement ammoniacal interne et externe, il fut à peu près 
rétabli au bout d’une semaine. 

Chez le bœufet la vache, ces plaies envenimées guérissent 
aussi toujours, mais quelquefois présentent des accidents assez 
sérieux. Plusieurs observations de piqûre sur ces animaux nous 
ont été rapportées par M. Milcent, curé de Froisfond. 

En 1861, une de ses vaches étant au pacage, près du Bois- 


TRAITEMENT 155 


Moreau, fut mordue par un aspic. Sa tête et son cou devinrent 
énormes, et elle resta pendant deux jours dans un abattement 
tel, que le vétérinaire l’abandonna comme perdue. Elle se remit 
néanmoins peu à peu; mais, durant plus de six mois, elle con- 
serva la tête pesante et des mouvements embarrassés. 

Une autre vache, dont nous devons l’histoire au docteur Guitter, 
ayant été piquée à la mamelle, la sécrétion lactée s’altéra et 
devint sanguinolente, mais seulement au trayon atteint par les 
crochets. Le lait conserva ce caractère pendant cinq ou six jours, 
puis redevint normal, et la vache guérit sans autre accident. 


$ LIL. TRAITEMENT. — Le traitement des morsures de vipères, 
comme celui de toute affection qui débute d’une manière brus- 
que, tombe trop souvent entre les mains des empiriques (quéris- 
seurs de venin, conjureurs (1), sorciers). L'homme, déjà enclin à la 
recherche du merveilleux, y semble encore plus porté quand il a 
été mordu par la bête maudite, tant est grande l'horreur qu’elle 
inspire. C'est alors surtout que l’on voit employer des formules 
étranges que la médecine a délaissées depuis des siècles, des 
recettes de commères et des pratiques superstitieuses de toutes 
sortes. Les signes de croix mullipliés, les invocations aux esprits, 
les aspersions d’eau bénite, les chants sacrés, les cercles divina- 
toires, les mots cabalistiques, les oracles d’un bœuf noir, etc., 
font encore partie de mystérieuses et sombres pratiques que les 
condamnations de la religion et les efforts de la science n’ont pu 
bannir de nos campagnes. Elles s’unissent à des médications 
pareillement dignes des temps barbares ; par exemple, à l’em- 


(1) On trouvera aux notes finales des détails sur les guérisseurs de 
venin et les conjureurs de la Vendée, et aussi sur les charmeurs de ser- 
pents en général. 


La 


« 


156 EXAMEN DES DIVERS REMÉDES 


—— er mecer —_— — ———————————— 


ploi de poulets éventrés laissés sur la plaie jusqu’à putréfaclion, 
dans le but, disent les guérisseurs, de soutirer le venin, ou bien à 
l'usage des plantes administrées d’après la doctrine des signa- 
tures (4). 

Laissant de côté tous ces moyens, dont la longue énumération 
serait aussi triste qu’infructueuse, nous nous bornerons à exami- 
ner la valeur des diverses médications, en particulier de celles 
qui sont en honneur dans nos campagnes, puis à formuler le 
traitement qui nous semble le plus rationnel. 

Examen des divers remèdes employés contre les morsures. — Les 
moyens thérapeutiques dirigés contre les venins se rangent en 
quatre groupes, suivant les indications qu'ils soût appelés à 
remplir : | 

1° Les uns sont administrés comme de véritables contre-poisons 
(l'iode, le perchlorure de fer, etc.), c’est-à-dire dans le but de 
neutraliser chimiquement l’échidnine et de la transformer en sub- 
stance inerte. On comprend qu’ils puissent agir ainsi lorsqu'ils 
sont instillés dans les piqûres ; mais il est difficile d'admettre, 
qu'introduits par une autre voie, ils aillent chercher le venin au 
milieu des diverses substances protéiques contenues dans le sang. 
2° D’autres sont de simples antidotes; sans action spéciale sur la 
substance toxique, ils s'opposent à ses manifestations, tantôt en 
provoquant des mouvements de la vie en sens inverse, tantôt en 


(1) La doctrine des signatures, fort célèbre au moyen âge, consistait à 
croire que le Créateur avait voulu indiquer les propriétés thérapeutiques 
‘de certaines plantes, en leur donnant une forme ou des taches ressemblant 
à une partie du corps, ou à des lésions d'organes. C’est pour cela 
que l'Arum Dracunculus et diverses espèces d’Echium étaient appelés 
vipérines et considérés comme propres à combattre Le venin des serpents; 
leur tige, en effet, rappelle grossièrement la robe de la vipère et les taches 
livides des personnes mordues. 


EMPLOI DE LA VIPÈRE ELLE-MÊME 157 


—__—————— 


accélérant l'élimination, ou bien encore en rendant nos humeurs 
des milieux moins propres aux catalyses (ex. les alcooliques). 
3° D’autres font disparaître le poison avant sa diffusion, par le 
sacrifice de la partie blessée. Ils agissent, soit physiquement (le 
cautère actuel, l’excision, etc.), soit en vertu d’affinités chimi- 
ques (les caustiques potentiels); ces derniers, tout en mortifiant 
les tissus, peuvent altérer le venin lui-même, sans pour cela 
devoir être confondus avec les contre-poisons proprement dits, 
dont l’action sur l’économie est nulle. 4° D’autres enfin se bor- 
nent à faire sortir de la plaie une partie du liquide toxique (suc- 
cion, scarifications, etc.), ou à le maintenir en quarantaine sur un 
point limité du corps (la ligature). 

Quelque naturelle que soit cette classification, nous suivrons un 
ordre plus arbitraire, et nous grouperons les agents thérapeuti- 
ques plutôt d'après leur origine et leur nature que d'après la 
manière dont ils agissent. Le véritable mode d’action de plusieurs 
d’entre eux n’est pas, du reste, suffisamment connu, et quelques- 
uns répondent à plusieurs indications à la fois. | 

I. — La nature, dit-on, place toujours le remède à côté du mal. 
Une singulière interprétation de ce proverbe a fait employer con- 
tre le venin diverses parties de la vipère. C’est ainsi que l’on a suc- 
cessivement vanté le sang, la chair, les cendres et surtout le foie 
du reptile sur la plaie, ou en préparations pour l'usage interne. 
De nos jours, les homæopathes ont proposé l'emploi du venin à 
doses infiniment petites. Ces prétendus remèdes, moins toutefois 
la formule homœæopathique, conservent encore un certain crédit 
parmi nos paysans. 

Un laboureur des environs d’Ancenis, dont on n’a pu nous don- 
ner le nom, ayant été piqué par une vipère, excisa immédiatement 
la partie blessée et appliqua sur la plaie l’aspic fendu longitudi- 


RÉRRRT REC EN MER LITRES NE CRUEL BL HAN nee 
158 THÉRIAQUE 


nalement. Il n’eut aucun symptôme d’envenimation, et sa bles- 
sure suivit la marche des plaies simples. 

Cette observation et d’autres semblables, sur lesquelles s’ap- 
puient nos campagnards pour recommander l'emploi de la chair 
de vipère dans le traitement de ses morsures, n’ont aucune va- 
leur. L'application de la chair de reptile n’a été pour rien dans 
cette prompte guérison ; l’excision suffit pour l'expliquer. 

Une recette plus absurde encore conseille d’écraser la téte de la 
vipère sur sa blessure. Elle expose à un second coup de crochets 
et met en contact avec la plaie le venin contenu dans les glandes 
réduites en pulpe. Ainsi, loin d’être utile, cette méthode de trai- 
tement peut avoir des suites déplorables. 

La thériaque, malgré sa réputation séculaire, se range près du 
bouillon d'aspics, et du cœur du reptile avalé palpitant. Monstrueux 
mélange de toutes les drogues des anciennes pharmacopées, elle 
ne doit qu'aux têtes de serpents, qui entrent dans sa composition, 
son renom contre leurs morsures. Elle jouit de propriétés sudori- 
fiques douteuses, qui seules pourraient la faire admettre comme 
adjuvant dans la médication et qu’elle doit à l’opium, 4 grammes 
de cet électuaire représentant 25 milligrammes d’extrait thé- 
‘baïque. Le nouveau Codex n’a conservé dans la thériaque les 
têtes de vipères, que pour encourager la destruction de ces 
repliles. 

Le devoir du médecin ne se borne pas à indiquer les vrais re- 
mèdes ; il doit aussi prévenir contre ceux qui, nuisibles ou ineffi- 
caces, font perdre un temps précieux. Sans celte considération, 
nous ne nous serions pas arrêté sur les moyens précédents, 
ineptes recettes en usage du temps de Matthiole, et abandonnées 
de nos jours aux empiriques et aux sorciers. Nous faisons la 
même réflexion pour les formules homæopathiques dont il reste 
à parler. 


RECETTE HOMŒOPATHIQUE 159 


Les disciples d'Hahnemann administrent le venin des serpents 
contre diverses maladies, et en particulier contre celle que produit 
le venin lui-même. Ils le donnent en potion, à doses infinitésimales, 
quand on sait qu’introduit par l'estomac il est rapidement détruit 
par les sécrétions gastriques! Ils ne donnent donc en réalité 
aucun remède. 

M. L. Soubeiran a découvert, dans le Journal de la Société yalli- 
cane de médecine homæopathique, t. V, p. 369, un article du doc- 
teur Demeure qui mérite d’être cité. Le blessé, ayant sucé avec 
courage son doigt atteint par les crochets d’une vipère, guérit 
heureusement. Il n’y a là rien de bien vermeilleux, ajoute avec 
raison M. Soubeiran, si ce n’est l'explication donnée par le mé- 
decin homæopathe. « Le malade, dit celui-ci, a été sauvé par la 
succion, non pour avoir fait ainsi sortir le venin de la plaie, mais 
pour l’avoir avalé, dilué par le sang et les liquides contenus dans 
le doigt! » Puis l’auteur ajoute : « Serait-ce trop avancer, que de 
dire qu’en s’ingérant le venin du serpent on se rendit insensible 
à sa piqûre ? » 

Des propositions du genre de celles de M. Demeure ne méritent 
pas d’être réfutées. La succion a les mêmes résultats quand elle 
est pratiquée par une autre personne que celle qui a été mordue. 

Il ne faut pas confondre cette prétendue action curative du 
venin sur le venin avec une question d’un ordre différent et 
dont il sera parlé plus loin, limmunité que donneraient des pi- 
qûres antérieures. | 

II. — Les spécifiques végétaux recommandés contre les morsures 
forment de longues listes en tous pays. 

Ceux qui jouissent dans l'Ouest de la plus grande vogue sont 
les suivants : 

1° Divers galiets (par corruption caille-lait), en particulier, la 
maélite (Galium verum L.), la croisette jaune (G. cruciatum Scop.), 


460 SPÉCIFIQUES VÉGÉTAUX INDIGÈNES 


la croisette verte (G. Mollugo L.), et le gratteron (G. Aparine L.); 
2° une garance, dite prend-main ou roube, (Rubia peregrina L.); 
3° les parties vertes du fréne (Fraxinus excelsior L.); 4° la 
bardane où narpron (Lappa minor D. C. et L. major. Gærtn.); 
5° les gousses d'ail (Allium sativum L.); 6° les feuilles de molène 
(Verbascum Thapsus L. et V. Schraderi Mey.); 7° l’aigremoine 
(Agrimonia Eupatoria L. et sa var. odorata) ; 8° les sommités du 
genêt à balais (Sarothamnus scoparius Koch), et 9° la racine de 
panais sauvage (Pastinaca sylvestris Mil.) 

Les galiets et le prend-main, réputés antispasmodiques et 
diurétiques, ne renferment aucun alcaloïde comparable à ceux 
de certains végétaux exotiques de la même famille, mais sim- 
plement une substance amère, colorant, dans plusieurs espèces, 
les urines en rouge, et de plus, pour les Galium verum et crucia- 
tum, un principe à odeur de miel. 

Le frêne, tant vanté par Dioscoride, ne fait pas fuir les ser- 
pents, quoi qu'en ait dit cet auteur. Ses feuilles, ses jeunes pous- 
ses et sa seconde écorce sont les parties dont on se sert. Leur 
infusion, couleur de vin paillet, est amère, astringente et jusqu'à 
un certain point fébrifuge. Elle doit ses propriétés à la fraxinine 
et est légèrement laxative. La ressemblance de la fraxinine 
avec la grenadine, principe extrait de la racine de grenadier, 
explique l’action vermifuge des feuilles de frêne, mais ne rend 
point compte de la prétendue spécificité du frêne contre les venins. 

Beauregard, de la Rochelle, donnait 8 onces de suc de feuilles 
aux personnes mordues, et appliquait le mare sur les piqûres. 
Malgré les cas de guérison qu'il a cités dans l’ancien Journal de 
médecine, t. VI, p. 233, celte médication incertaine a été aban- 
donnée. 

La bardane, que Mérat regardait comme un dépuratif compa- 
rable à la salsepareille, offre dans sa racine de l’inuline, des sels 


SPÉCIFIQUES VÉGÉTAUX INDIGÈNES 161 


à base de potasse, une malière extractive et de l’amidon; ses 
tiges et ses feuilles contiennent du nitrate et du sous-carbonate 
de potasse en quantité considérable. Tout cela n’explique point 
les vertus alexipharmaques qu’on lui attribue sans raison. 

La molène est émolliente; le panais, aromatique; les feuilles 
et les sommités fleuries d’aigremoine renferment un principe 
astringent. à 

A. Paré appliquait des bulbes d'ail pilés sur les morsures; 
ainsi réduits en pulpe, ils produisent de Ja rubéfaction à la peau, 
propriété qu'ils doivent à leur huile essentielle, sulfure d’allyle 
(CSHŸS), voisine de lessence de moutarde (CFH°,C?AzS?), sulfo- 
cyanure du même radical. Employés à l’intérieur et à l’état cru, 
les aulx et les oignons sont diurétiques. 

La scoparine des fleurs de genêt modifie aussi la sécrétion du 
rein, et de la façon la plus heureuse en cas d’albuminurie; mais, 
pas plus que les substances précédentes, elle ne peut passer pour 
un contre-poison, ni même pour un antidote un peu énergique 
des échidnines. 

L'observation de M. H., pages 86 et suivantes, a fait connaitre 
deux recettes populaires où les Galium jouent un grand rôle ; les 
exemples suivants sufliront pour juger de ces formules. 


Anstolpéhe ronde. ME re 
Racine deygentiane:né. #44 same cu os 
Baieside menievre 3.212... 4.6 


Goutlede myrrhe.:. 7: (AHASIRES 

Baies de aNieR SMS Ent mes 

Raelures diIVOINE: 12242. 42 mime es 

RRÉFIEQUE DE AL MR CAIN 71 1 gros. 
Faites bouillir dans 

Vin han rene se EME, 5 1 litre. 
Passez et ajoutez 

MER. sn anNe ne die Se ne 04 10 gouttes. 


LE 


162 


SPÉCIFIQUES VÉGÉTAUX INDIGÈNES 


Le tout constitue un vin tonique, aromatique et très-amer. 


Jeunes pousses de frêne............... 

Rabines:de Dardtanes, 220 MRC 

Feuilles de molène ...... A OR 2 Te 

CTDISBLIE PRE EE che les ac celui AREA 
Pilez et exprimez dans 

Nan blanc ARNO ER Elise e 3 verres. 


+ 


| ä 1 poignée. 


Dans cette recette, en vogue au pays de Retz, le frêne et la 
croisette nous paraissent seuls, avec le vin, avoir quelque acti- 


vité. 


Racines de narpron ou bardane......... ) tr Ne 

Seconde écorce de frêne............... \ + PORN 

Gonsse dal 20e Perte LeL ee No1 

THÉTIAQUES. een eebrerece CL Â once. 
Pilez avec , 

Vin Diane sa MP NEUTRE MIE 1 chopine. 
Passez. 


En usage dans la partie méridionale et le Bocage de la Vendée. 


Quatre à cinq racines de bouillon blanc. 

Trois racines de bardane ou glouteron. 

Trois gousses d'ail. 

Une bonne poignée de croisette. 

Une once de thériaque, ou la moitié du corps d’une vipère sèche. 


Pilez et faites bouillir dans 


Une chopine et demie de vin. 


Réduisez à une chopine ou un demi-litre et passez. 


À prendre par verre de demi-heure en demi-heure. Pour un 
enfant, la dose sera moitié inoindre; on la donnera double 


pour un bœuf ou un cheval, et on y ajoutera, dans ce cas, un 
coup de poudre à tirer. 
Toute vipère n’est pas propre à entrer dans ce médicament ; 


SPÉCIFIQUES VÉGÉTAUX INDIGÈNES 163 


si elle s'était mordue elle-méme au moment de sa capture, elle serait 
dangereuse au lieu d'être salutaire ! On peut, du reste, la rem— 
placer par une poignée d’aigremoine. 

Pendant l’administration du breuvage, le marc doit être ap- 
pliqué sur la partie mordue, préalablement fustigée avec des 
branches de groseillier épineux. 

Cette formule, en honneur dans le Haut Poitou, porte le nom de 
remède du père Gallet. 

Gallet, cordonnier à Béruges (Vienne), avait 80 ans quand, en 
4850, il confia son secret à M. le curé de Vouneuil-sur-Briard. 
Nous le devons au frère Florent de la congrégation de Saint- 
Gabriel (1). 

Toutes ces recettes ont entre elles de grands rapports. On 
y trouve toujours des substances amères et aromatiques unies 
à du vin. Le liquide est donné par verres dans la journée, en 
quantité parfois assez considérable pour produire un commence- 
ment d'ivresse, et le résidu est placé sur la morsure. Elles agis- 
sent comme toniques, en soutenant l’économie contre l’action 
déprimante de la vipérine, et favorisent l'élimination du poison, 
en portant à la sueur et à la diurèse. 

Ces œnolés, composés en dehors de toute règle thérapeutique 
rationnelle, ne sont-ils jamais dangereux? Nous n’oserions en 
répondre. Lorsqu'ils ne sont point trop chargés de sucs de 
plantes, et que les galiets y dominent, ils nous paraissent préfé- 
rables à l’alcali. Leur effet heureux est surtout dû au vin ; notons 


(4) M. le supérieur général des frères de Saint-Gabriel a eu l’obli- 
geance de réclamer des divers membres de sa communauté les recettes 
populaires ayant rapport à l’objet de nos études, qu’ils pourraient se pro- 
curer dans la campagne. Nous avons obtenu ainsi des notes précieuses 
que nous avons reçues avec reconnaissance. 


164 k SÉNÉKA, CÉDRON 


toutefois qu’à doses élevées ils provoquent des nausées et des vo- 
missements. 

Point de rapprochement curieux! les spécifiques étrangers tirés 
du règne végétal sont tous stimulants amers et diaphorétiques, 
et en même temps plus ou moins nauséeux. Nous ne parlerons 
parmi ces derniers que du sénéka, du cédron et du guaco, car ils 
sont au nombre dé plus de cent. 

La racine parfumée du polygala de Virginie (Polygala Seneka 
L.), employée par les Peaux Rouges contre la morsure des cro- 
tales, doit ses principales propriétés à deux acides odorants : 
l'acide virginéique et l'acide polygalique. Tonique et excitant diu- 
rétique à faibles doses, le sénéka augmente le mouvement vers la 
peau et le poumon; à doses fortes, il purge et fait vomir. Son 
emploi est donc parfaitement indiqué dans l’empoisonnement 
par les ophidiens. L'ipécacuanha (Cæphelis Ipecacuanha Rich.) 
dont le polygala n’est qu’un succédané, mériterait d’être essayé 
comme lui contre les venins. C’est un vomitif franc et en même 
temps un diaphorélique qui, loin de prostrer comme le tartre 
stibié, soutient plutôt les forces. 

Le cédron est la graine, ou plus exactement les cotylédons 
d’un arbre de la famille des Simaroubées, le Sümaba Cedron Planch. 
Il a été apporté en France par M. Herran, chargé d’affaires de la 
république de Costa-Rica (1). 

En 1828, quelques sauvages, munis de ces graines, s’expo- 
sèrent, à Carthagène, aux piqûres de divers serpents et en par- 
ticulier du corail. La promptitude avec laquelle le poison fut 
neutralisé jeta un tel engouement dans la foule qu’on paya chaque 
graine jusqu'à quatre-vingt-trois francs. M. Herran, témoin de ces 


(1) Graine de cédron employté dans l'Amérique tropicale comme remède 
contre la morsure des serpents. (Journ. de pharm., 1850, p. 296.) 


MIKANIA, GUACO 165 


faits, se procura le précieux antidote et l’'employa huit fois heu- 
reusement. Le cédron, râpé et délayé dans un peu d’eau-de-vie, 
s’'administre par la bouche à la dose de 25 à 30 centigrammes. 
On en saupoudre de plus un linge imbibé d’eau-de-vie, que 
lon pose sur la plaie. Donné sans mesure, il devient vé- 
néneux. MM. Lewis et Dumas en ont isolé la cédrine, sub- 
stance neutre, cristallisable, et l’une des plus amères connues. 

Le docteur G. Dumont a entrepris avec ce remède une série 
d'essais dont M. Aug. Duméril a publié le résumé dans la Notice 
sur la ménagerie des Reptiles, p.276. Administré à des lapins plu- 
sieurs heures avant la morsure, il les rend inaptes à subir l'in- 
fluence du venin; pris au contraire après l’accident, il n’arrête 
point les effets du poison. Les échidnines agissant avec beaucoup 
plus de lenteur sur l'homme, M. Dumont en conclut que l’antidote, 
employé aussitôt la morsure faite, pourrait encore chez lui pré- 
venir l’envenimation. Ses expériences n’infirment point les faits 
avancés par M. Herran. 

Depuis le travail que nous venons de citer, nous n'avons plus 
entendu parler du cédron. N’aurait-il pas tenu ce qu’il semblait 
promettre ? ou son prix toujours élevé aurait-il empêché sa vul- 
garisation ? 

Le guaco (Mikania Guaco H. et B.) est une composée voisine 
des eupatoires. Il a pour principe actif une résine amère appelée 
la quacine. Le docteur Andrieux (Journal des conn. méd. et pharm., 
1849, p. 181) dit l'avoir essayé avec succès sur des chiens mor- 
dus par nos vipères de France; mais les expériences de M. Rufz, 
entreprises à la Martinique dans des cas de morsures du fer 
de lance, n’ont pas été favorables à son emploi. D’après quel- 
ques-uns de ses prôneurs, il suffirait d'en porter des feuilles, 
selon d’autres, de s’en inoeuler le suc frais pour braver la calère 
des solénoglyphes les plus puissants. 


166 ARISTOLOCHE ODORANTE 


Le professeur Delamarre, auquel le. musée d'histoire naturelle 
de Nantes doit un grand nombre de reptiles de la Guyane, a reçu 
ces animaux d’un cordonnier ayant à Cayenne la réputation de 
les saisir impunément à pleines mains. La piqûre des ophidiens 
venimeux ne lui causait qu’une légère inflammation locale sans 
phénomènes généraux. Il avait soin de prendre, avant de se 
livrer à ses chasses périlleuses, trois doses d’une infusion de 
plantes dont il a gardé le secret. Le capitaine qui donna ces dé- 
tails à M. Delamarre essaya le remède, et fut tellement malade 
des deux premières doses qu’il n’osa continuer. 

MM. Bar, naturalistes nantais, établis en Guyane, ont eu 
aussi une fièvre violente et des accidents sérieux pour avoir 
voulu se soumettre à un mode analogue d’expérimentation. 

Une seconde plante, qui n’a aucun rapport avec celle dont 
nous venons de parler, nous arrive aussi de l'Amérique du Sud 
sous le nom de guaco, la Liane contre-poison des Cayennais (Aristo- 
lochia odoratissima L.). Ses tiges volubiles, à couches subéreuses 
très-prononcées, ont une odeur et un goût fortement aromatiques. 
Son principe actif est soluble dans l’eau bouillante et dans les 
excipients alcooliques, en particulier le tafia. Elle jouit d’un grand 
renom contre les venins à la Guyane, ainsi qu'au Brésil, où elle 
est connue, d’après M. Enrique Onffroy (Amérique méridionale), 
sous le nom de bejuco de guaco. Le même auteur indique, dans 
les pays arrosés par l’Amazone, un autre préservatif de la mor- 
sure des serpents, doué de propriétés merveilleuses, le bejuco ou 
bejuquillo de vivora dont nous ignorons le nom scientilique. 

Nous avons employé avec avantage, dans les accidents consé- 
cutifs dus à la vipère, la liane contre-poison que nous avait pro- 
curée M. Dom. Houget, et il nous a été facile d'arriver à sa 
détermination botanique sur des échantillons d’herbier provenant 
de M. Leprieur, pharmacien à Cayenne. 


TABAC, AMMONIACAUX 167 


HI. «— Le tabac, d’un tout autre groupe que les remèdes pré- 
cédents, a été aussi préconisé contre les venins. 

Une des recettes, recueillies dans le Poitou par le frère Florent, 
conseille de màcher une forte pincée de cette substance, d’en 
avaler le jus et d'en mettre le résidu sur les piqûres agrandies. 

M. Vauvert de Méant, dans une lettre adressée à la revue Land 
and water de M. Franck Buckland, en date du 21 juin 4867, ra- 
conte qu'à Cawerpoor, un vieux musulman, son pourvoyeur de 
reptiles, plusieurs fois blessé par des najas, appliquait sur leurs 
morsures la cendre imbibée de nicotine du fond de sa pipe et ne 
s'en préoccupait pas davantage. Le même observateur ajoute 
qu’en Afrique un homme ayant été mordu par un preff-adder 
(Echidne arietans Merr.), un sorcier cafre lui pratiqua sur les pi- 
qûres, avec un morceau de verre, une incision dans laquelle il 
introduisit le culot d’une vieille pipe. Ce traitement, aidé d’une 
forte rasade d’eau-de-vie mélangée de poudre, sauva le malade. 

Nous ne connaissons aucune expérience régulière permettant 
de juger de la valeur alexipharmaque de ce moyen. 

IV. — Les ammoniacaux ont longtemps joui d’une réputation 
sans conteste. Ils ont été considérés comme les véritables contre- 
poisons des venins et transportés à ce titre dans les cinq parties 
du monde. 

Il y a une dizaine d'années, tout chasseur avait son flacon 
d’alcali renfermé dans un étui spécial, acheté chez l’armurier; 
tout voyageur partant pour les pays intertropicaux faisait pro- 
vision de ce liquide. Dans la Vendée et les départements voisins, 
médecins et guérisseurs s’accordaient pour en prôner l'usage. 

Les préparations ammoniacales les plus employées sont : l'al- 
cali, l’eau de Luce et l'acétate d'ammoniaque. 

L’alcah ou ammoniaque liquide est une solution aqueuse de gaz 
ammoniac au cinquième, devant marquer 22° à l’aréomètre. 


168 AMMONIACAUX 


. 


A l’intérieur, on le donne de deux heures en deux heures, à la 
dose de 6 à 8 gouttes (30 à 40 centig.) dans une infusion de thé, 
de fleur de sureau, de camomille ou de feuilles d'oranger. 

A l'extérieur, on en use de diverses manières : le plus souvent 
on l'introduit dans la piqûre agrandie; d’autres fois on le fait pé- 
nétrer dans les scarifications pratiquées au voisinage de la bles- 
sure. Enfin, quoiqu'il soit démontré que l’ammoniaque n’agit pas 
comme réactif à travers la peau, même sur des sels de cuivre 
placés sous cette membrane, certaines gens se contentent d'en 
frotter la partie blessée. 

L’eau de Luce est un liquide d'aspect émulsif, à odeur forte et 
à saveur caustique, dont voici la formule : 


Ammoniaque médieinale ........, 70 grammes. 
Mélez avec la teinture suivante : 
ACDOl A 860 nn EE ALES ZEN : ÿ grammes. 
Huile de sucein. .... Se DÉNTER ET à 
Savon/Dlanc hr. RER ER ETAINEN . a 40 centigrammes. , 
Baume de La Mecque........., Le 


Mêmes doses que l’alcali, mais beaucoup moins usitée. 

Si l’on voulait employer une solution d’alcali pour l'usage in- 
terne, nous prélérerions à toute autre la formule désignée dans 
les vieux formulaires sous les noms d’esprit de sel ammoniacal 
dulcifié ou d’alcoo! ammoniacal, soit : 


Ammoniaque médicinales 53. er. A partie. 
AICODI ASGALTAMRRENET EEE CO) SAS AA LL BALL IN à 2 parties. 


L’acétate d’ammoniaque médicinal ou esprit de Mindererus (1) 


(1) L'esprit de Mendererus, ou mieux de Mindererus, tel qu'il était fa- 
briqué par R. Minderer, médecin d'Augsbourg au xvre siècle, différait 
un peu de l’acétate d'ammoniaque actuel. Oblenu par l’action du vinaigre 
rectifié sur le carbonate d’ammoniaque retiré de la distillation de la corne 
de cerf, 1 contenait des produits empyreumatiques, 


AMMONIACAUX 169 


x 


est une solution aqueuse d’acétate cristallisé, marquant 5° à 
l’aréomètre. Au point de vue physiologique, il doit être séparé 
des solutions précédentes. 

La réputation de l’alcali repose sur une erreur de Mead et sur 
une observation de Bernard de Jussieu, dont ce grand naturaliste 
a Liré le premier des conclusions fausses. 

Mead considérait le venin comme acide, et, partant de là, lui 
opposait une substance à réactions contraires. Or il est démontré | 
que ce liquide ne doit pas ses propriétés à un acide, et le savant 
anglais l’a reconnu lui-même plus tard. 

Dans une herborisation sur la butte Montmartre, le 23 juil- 
let 4747, un étudiant en médecine fut mordu par une vipère. 
Jussieu, qui portait sur lui un flacon d’eau de Luce, lui en fit 
prendre et en frotta la plaie. Le blessé guérit, mais après avoir 
été horriblement malade. L’ammoniaque n’avait donc pas neutra- 
lisé le poison, et le fait, apprécié à sa juste valeur, loin d’être 
une démonstration de l'efficacité du remède, est une preuve de 
son inutilité. 

L’alcali, employé extérieurement, n'est qu'un faux caustique 
ou, pour être plus exact, un caustique superficiel, se bornant à 
soulever l’épiderme et n’empêchant pas l'absorption des venins 
et des virus. 

Mêlé’à la salive parotidienne de la vipère, il ne décompose point 
l’échidnine. Fontana a fait mourir de petits animaux en leur ino- 
culant le poison délayé dans de l’ammoniaque, presque aussi ra- 
pidement que s’il eût employé du venin pur. 

Ces arguments sont sans réplique. Aussi MM. Trousseau et 
Pidoux (Traité de thérapeutique, 8° édition, t. I, p. 462) con- 
damnent-ils l’ammoniaque, quel que soit son mode d'administra- 
lion, dans l’empoisonnement venimeux, et la considèrent-ils 
comme plus nuisible qu'utile. 


170 AMMONIACAUX 


Moins sévère, nous n’osons en proscrire d’une façon absolue 
l’usage interne. Elle relève rapidement le pouls et excite les fonc- 
tions de la peau, des poumons et des reins. Elle peut donc être 
un bon adjuvant de la médication générale, surtout si elle est 
unie à l’alcool, mais il faut se garder de voir en elle un spéci- 
fique. | 

Voici un exemple de son association avec l’alcool dans une 
potion stimulante : 


Ammoniaque médicinale.............. À gramme. 
AICOOIS LTÉE MAT. Lei PT AE ich > 2 grammes. 
ESSENCE d'ANISRE CRE PEL LEE 2 gouttes. 

HYdrolat dé Mmenthérs. UN ES 16 grammes. 
patdisullée NEIL One Her HE 120 grammes. 
Sirupide, SUCRE Meme Rte AR MAR. 30 grammes. 


À prendre par cuillerée d'heure en heure. 

Malheureusement, si l’aicali soutient les forces et agit sur les 
sécrétions, il rend le sang diffluent, et M. Pasteur a démontré 
qu'étendu il favorise les fermentations plutôt qu'il ne les en- 
trave. Malheureusement aussi, à doses exagérées, il cautérise la 
muqueuse gastrique et provoque des vomissements, parfois 
presque incoércibles. Entre des mains inexpérimentées, il peut 
même devenir vénéneux, tant par son action sur l'estomac que 
par l'introduction dans le sang de mollécules véritablement 
toxiques. 

L'acétate étant neutre, n’a pas les propriétés caustiques de la 
base et passe pour un excellent diffusible. Il est prescrit avec 
avantage contre les accidents ataxiques et contre la tuméfaction 
persistante. 

Néanmoins on doit en user avec modération, car lui aussi dimi- 
nue la plasticité du sang. 


ALCOOLIQUES 471 


V. — Les alcooliques sont de puissants cordiaux parfaitement 
indiqués contre les venins. 

En 1761,ils étaient déjà préconisés par Williams Paterson, 
qui assurait avoir guéri des Cafres avec un mélange d’eau-de-vie 
et de vin de Madère. 

L’eau-de-vie est le remède par excellence des borders de 
PAmérique du Nord, et Dieu sait à quelles doses en usent ces 
riverains du désert dans l’empoisonnement par la crotaline : 
ils administrent à des enfants jusqu’à un quart de brandy. 

M. War, du Tennessee, sauva par le whisky (eau-de-vie de 
grain) un homme mordu d'un serpent à sonnettes. Il est vrai 
qu'il perdit un autre malade soigné de la même façon. 

M. Weir Mitchell (1) considère les alcooliques comme un des 
meilleurs antidotes du venin des crotales. 

En 1861, notre regretté compatriote M. de la Gironnière, 
établi aux Philippines, communiquait à l’Académie des Sciences 
le fait suivant (2) : 

Un homme, qui travaillait au milieu des forêts de Cabaocing, 
fut mordu au doigt par un serpent très-redouté, à peau jaune, à 
tête triangulaire et plate, et à crochets d’un centimètre et demi 
de longueur. M. de la Gironnière cautérisa la blessure avec des . 
charbons ardents, mais inutilement. La tuméfaction s’étendit 
de la main mordue jusqu’au-dessus du coude; le malade pous- 
sait des cris ef, accusait des douleurs dans les muscles pectoraux. 
Ne sachant comment le soulager, M. de la Gironnière imagina 


(4) On the treatment of rattlesnake bites, with experimental criticisme, upon 
the various remedies now in use, par le docteur Weir Mitchell. — Phila- 
delphie, 186%. 

(2) Heureux effets de l'action des alcooliques portés jusqu'à l'ivresse dans le 
cas de la morsure de certains serpents, par le docteur de la Gironnière. 
(Comptes rendus de l'Académie des Sciences, t. LIL, p, 740.) 


472 ALCOOLIQUES 


de lui donner à boire une bouteille de vin de coco (alcool à 14° 
ou 46°). L'ivresse fut instantanée ; la douleur et la tuméfaction 
diminuèrent peu à peu, mais les accidents reparurent, dès 
que le malade revint à la raison. Fort de son premier résultat, 
M. de la Gironnière lui fit avaler deux nouvelies bouteilles, 
à quelques heures de distance, et bientôt il ne resta pour tout 
symptôme que les traces de la morsure et de la cautérisation. 

M. Fumouse, pharmacien à Paris, et le docteur Déïder 
(Journ. des Conn. med. et ph., t. XXVIIL, p. 32%) ont soigné, dans 
l'Amérique du Sud, avec succès, à l’aide d’alcooliques, plusieurs 
individus blessés par des serpents, tels que les crotales, les tri- 
gonocéphales, le jararaca, etc. Le docteur Déïder donnait le co- 
gnac ou le rhum à la dose de 50 à 100 grammes dans une infusion 
aromatique et appliquait sur la morsure des compresses alcoo- 
lisées. 

a Le fond des remèdes employés par les panseurs des Antilles, 
dit le docteur Encognère (Des accidents causes par la piqûre du 
serpent de la Martinique et de leur traitement, p. 57), est le même 
partout, c’est-à-dire le tafia mêlé au sue de certaines plantes. 
Nous croyons que toute l’action revient au tafia, tant la quantité 
est comparativement considérable. » 

À Sidney, le champagne, le bordeaux et le sherry font 
partie de la médication conseillée par M. W. Blaud (On the bite 
of the venenous serpents of Australia. — Austr. med. journ., 
janv. 1861) contre les morsures des serpents de la Nouvelle- 
Hollande. 

La plupart des‘recettes de nos campagnards contiennent du 
vin dans de fortes proportions. Le vin pur, du reste, est souvent 
administré jusqu’à l'ivresse par les guérisseurs, et avec avantage. 

Nous n’en voulons pour preuves que les obsérvalions citées 
aux pages 59, 435 et autres de ce travail. 


v 


ALCOOLIQUES 173 


Les préparations dont on doit espérer le plus grand profit sont 
les vins généreux (porto, madère), le vin chaud, les infusions 
vineuses aromatiques, les grogs (mélanges d’eau, d’eau-de-vie et 
de sucre), et les sangris au madère (mélanges d’eau, de madère 
sucré et de ràpure de noix muscade), etc. 


Le vin composé suivant nouS a paru aussi d'un usage heu- 
reux : 


POPIURAlCOONSE PAT ANR ARR RTE, 800 grammes 
Liane contre-poison (aristolochia odoratissima). 30 grammes 
Quinquina calysaya......... LI EAUX RAID EE 20 grammes 


Faites selon l’art un vin médicamenteux. 

A prendre par verre à liqueur de deux heures en deux heures 
jusqu’à stimulation ; en continuer l'usage pendant quelques jours 
à dose de 15 à 20 grammes matin et soir. 

On associe quelquefois l’ammoniaque au vin blane du pays 
dont on connait les vertus diurétiques. L’ammoniaque, au con- 
tact des acides libres du vin, passe à l’état de sel et perd ses 
propriétés irritantes. Le docteur Sortais, de Blain, a obtenu de 
bons résultats de ce mélange. 

Lorsque le malade ne peut pas avaler, on lui administre l’al- 
coo! en inhalations. 

« Chacun, dit M. Maurice Perrin (Dict. enc. des sc. méd., art. 
Alcool), connaît le réveil merveilleux des forces qui suit de près 
l'emploi approprié des alcooliques, la stimulation qu'ils exercent, 
le sentiment de bien-être qu'ils procurent. » Hs élèvent la tem- 
pérature du corps que le venin tend à abaisser, surexcitent le 
système nerveux qui se déprime, et luttent contre la tendance 
à l’adyuamie. Arrivés dans les vaisseaux, où on les retrouve en 
nature, ils s'opposent aux catalyses. Enfin, en s’éliminant par 


A AU En PO rm à 


A7 CAFÉ, HUILE D'OLIVE 


les transpirations cutanée et pulmonaire et par les urines, ils 
favorisent la sortie des produits échidniques. | 

Quelque grande que soit la tolérance des venimés, on ne doit 
point abuser des spiritueux, et il n’est pas nécessaire de les 
pousser jusqu’à la perte de la raison ; la prudence défend même 
de dépasser le premier degré de l'ivresse. Au delà ils de- 
viendraient dangereux et faciliteraient les congestions qui 
n'ont que trop de tendance à se produire. Une ébriation pro- 
fonde abat et n’excite plus ; elle agit d’ailleurs dans le sens de 
l'empoisonnement au lieu de le combattre. L’excitation alcoo- 
lique d'autre part peut être portée au point d’augmentér la 
fièvre de réaction et offrir ainsi un péril d’un autre genre. 

VI. — Le café doit à ses huiles essentielles des propriétés 
stimulantes qui le font associer avec avantage aux alcooliques. 
Son action varie suivant la manière dont il est préparé. D’après 
M. Offret (1), une décoction prolongée enlève au marc de nou- 
veaux produits à effets narcotiques. On les évite en obtenant 
le café par infusion ou par décoction de quelques minutes. 

VIL — L'huile d'olive était placée par Linné parmi les anti- 
dotes des venins au même rang que l’alcali (2). Elle s’administre 
aussi à l’intérieur et à l'extérieur. , 

On la donne par cuillerées, jusqu’à ce que l’estomac ne puisse 
plus la supporter ; on l’emploie en même temps en lavements et 
en frictions. : 

Prônée par un marchand de vipères anglais, elle a eu une 


(1) Observations sur l'action physiologique du café selon ses diverses torre- 
factions. — Nantes, 1862. + 

(2) Voici la phrase aphoristique de Linné sur les ennemis des serpenis 
et les antidotes à opposer à leur venin, dans les différentes parties du 
monde : {mperans beneficus homini dedit, Indis ichneumonem cum ophirrhiza, 
Americanis suem cum senega, Europæis ciconiam cum oleo et aleal, 


; ARSENIC 175 


grande vogue de l’autre côté de la Manche, où Mortimer et 
Burton s’en servirent dans des cas heureux. En 1737, l’Aca- 
démie des sciences de Paris voulut s'assurer de sa valeur et 
nomma, pour faire des expériences, Hunaud et Geoffroy. Ils 
conclurent que l'huile ne peut préserver de la mort les petits 
animaux, et qu’elle ne produit aucun mieux sensible chez les 
grands. 

La question semblait jugée, lorsqu'en 1849, le docteur Du- 
sourd, de Saintes, publia, dans le Bulletin général de thérapeu- 
tique, quatre observations terminées par la mort en cinquante- 
six heures, malgré la cautérisation au fer rouge, la thériaque, 
le quinquina, les ammoniacaux, etc., et sept autres où la gué- 
rison lui parut le résultat de l'huile d'olive. 

Malgré le travail remarquable de M. Dusourd, l’huile n’a 
jamais acquis dans l'Ouest la popularité de l’aleali ; c’est un anti- 
dote douteux, qui ne prévient point l'apparition des phénomènes 
généraux. 

NI. — L'arsenic ou plutôt l'acide arsénieux entre dans la 
composition des fameuses pilules de Tanjore, dont se servent les 
gounis ou charmeurs de serpents indous. Il s’y trouve uni au 
mercure, au poivre, à diverses euphorbiacées et asclépiadées, 
et au suc de coton sauvage. 

Chaque pilule contient 3/4 de grain ou 38 milligrammes d'acide 
arsénieux. Elles sont données, au nombre de deux, à une heure 
de distance l’une de l’autre. C’est donc une dose formidable d'ar- 
senic qui est ainsi ingurgitée. 

Malgré les faits Cités par Travers, W. Paterson, Sommerat et 
Ireland , l'emploi des arséniaux ne peut être vuigarisé ; ils 
exposent à remplacer un empoisonnement par un autre non 

. moins grave. Russel, qui a si bien étudié la question dans l’In. 
doustan, les condamne d’une, façon absolue, et personne, à 


YF n 
+ 
L2 


476 CHLORE, IODE, BROME 


notre connaissance, n’a eu l’idée de les essayer contre la piqûre 
de la vipère. | 

IX. — Le chlore, l'iode et le brome sont les contre-poisons les 
plus sûrs des bases organiques ; ils les neutralisent en se subs- 
tituant à-une partie de leur hydrogène. On pouvait donc espérer 
qu'ils seraient utiles contre les venins, quoique les poisons ani- 
maux ne soient point des alcaloïdes et offrent un autre groupe- 
ment moléculaire. 

Les lotions d’eau chlorée, que Brugnatelli, Schœnberg et 
Semmola considéraient comme un spécifique de la rage, sont de 
nulle valeur, et maintenant délaissées. Le brome, violent caus- 
tique, altère profondément les tissus, et il n’est pas facile d'en 
limiter l’action. Restent les solutions iodo-iodurées, la teinture 
diode et les solutions bromo-bremurées. Introduites dans une 
plaie contenant du curare, elles détruisent le poison sans causer 
‘de désordres au voisinage de la blessure, 

Le docteur Withmire, de l'Illinois, les a le premier pro- 
posées contre la morsure des serpents à sonnettes. Son exemple 
a été suivi par ses compatriotes MM. Brainard et Green qui, 
en 1853, communiquèrent leurs recherches à l’Académie des 
sciences (Compt. rend., t. LVIL, p. 811). L'année suivante, 
M. Brainard les réunit en corps de doctrine sous le titre d’Essay 
on new method of treating serpent bite, and other poisoned wouds, 
publié à Chicago. 

Le mode d’expérimentation du docteur Brainard était assez 


compliqué. Une ligature étant placée entre le cœur etle point : 


où devait mordre le reptile, linoculation avait lieu et était 
immédiatement suivie d’une injection de quelques gouttes de 
la liqueur médicamenteuse faite à l’aide d'un petit trocart et 
de la seringue d’Anel; puis l’on posait une ventouse sur la 
blessure pendant cinq à dix minutes, pour entraver l'absorp- 


» MÉDICATION IODO-IODURÉE 177 


tion et laisser au remède le temps d’agir; après quoi ventouse 
et Hgature disparaissaient et le blessé n’avait plus rien à craindre 
de l’envenimation. 

En Vendée, le docteur Bourgeois, d’après les mêmes vues 
théoriques, a eu pareillement recours à l’iode dans un cas de 
morsure envenimée, mais il s’en est servi d’une manière assez 
différente de celle des médecins américains. Voici son observa- 
tion, telle qu'il a bien voulu nous la transmettre. 

« Le 21 juillet 1860, je fus appelé en toute hàte dans une 
maison du bourg de la Verrie pour donner des soins au nommé 
Coudrin, àgé de quarante-sept ans à peu près. Cet homme, 
occupé le matin à labourer un champ, sentit une piqûre assez 
vive à la partie externe du pied droit, et, ayant fait un pas en 
arrière, il aperçut une vipère pendue à sa peau. Il saisit le rep- 
tile des deux mains, l’arrache avec violence et le déchire. Il fut 
vivement blämé devant moi de n’avoir pas eu la présence d’esprit 
de dévorer aussitôt le cœur de la vipère ; il n’aurait plus rien eu 
à redouter du venin !.... Mais le pauvre homme n'ayant pas eu 
ce courage, le poison fit son effet ! Peu d’instants après la piqûre, 
le pied devint le siége d’une tuméfaction considérable, et le blessé 
se hâta de se mettre en route pour Chambretaud, où le sieur 
Gaufretaud, grand hippocrate du pays, rendait ses oracles. 

» Par malheur, ou plutôt par bonheur pour Coudrin, la 
route était longue, et arrivé au bourg de la Verrie, ses forces 
lui firent défaut et l'obligèrent à s'arrêter chez ses parents. 

» Bientôt survinrent des faiblesses et des vomissements; le 
pauvre malade, incapable désormais d'aller jusqu'à Chambre- 
taud, se décida à appeler le médecin ; mais cette fois encore ce 
ne fut pas moi. On consulta un médecin de bêtes, vétérinaire 
non breveté, qui plaça au-dessous du genou une écorce de genêt, 
en forme de jarretière, d’une façon très-läche et incapable d’ar- 


12 


178 MÉDICATION IODO-IODURÉE A 


rêter le venin. Je crois que l'artiste pensait agir d’une manière 
spécifique et que ses idées en physiologie n’allaient pas jusqu’à 
lui expliquer l’action de la compression. Le venin absorbé con- 
tinua donc son action toxique ; les faiblesses et les vomissements 
persistèrent, augmentèrent même, et l’on dut enfin me prier 
de voir le malade. J'arrivai promptement près de lui et le 
trouvai dans un état très-grave. La face pâle, hippocratique, pré- 
sentait en quelques points des teintes bleuâtres ; les yeux étaient 
enfoncés dans l'orbite ; le pouls petit, irrégulier et lent ; la peau 
froide. Le pied et la jambe offraient déjà une tuméfaction énorme; 
une coloration noirâtre, nuancée de bleu et de stries rougeâtres, 
se montrait sur tout le membre blessé. La douleur ressentie au 
moment de la morsure persistait et s’étendait des piqûres à 
l'ame; des crampes se produisant par intervalle arrachaient 
des cris au malade ; le moral était affecté d’une façon fâcheuse, 
car il ne faut pas oublier que ce pauvre Coudrin n’avait pas 
grande confiance en moi au point de vue du venin, et ne m'avait 
appelé qu’à défaut de mon voisin le guérisseur. Ajoutez à ces 
inquiétudes les allées et venues des empiriques en jupons alar- 
mant le malade et déclarant que si le venin n’était pas comjuré 
tout serait inutile. 

» Je commençai par rassurer Coudrin et je réussis assez bien 
à le tranquilliser; puis j’examinai la blessure. Deux petits trous 
très-distincts indiquaient l’endroit où les crochets avaient pé- 
nétré. L’épiderme autour de la plaie était soulevé et la peau 
comme frappée de mort. Jugeant à propos de débrider, j’en- 
fonçai ma lancette profondément, et je réunis les deux pi- 
qûres. Dans cette opération je reconnus et je parvins à extraire 
un des crochets du reptile. Je montrai cette dent au public et 
de suite je vis la confiance me revenir. Des gouttes d'un li- 
quide séro-sanguinolent semblable à du sirop de groseille altéré 


MÉDICATION 10DO-IODURÉE * 472 


s’écoulèrent de l’incision. J’appliquai une ventouse, et le li- 
quide commençant à monter en moussant, l'admiration ne con- 
nut plus de bornes. N'ayant aucune foi dans l’alcali, il me vint 
à l’idée que l’iode, cet antiseptique par excellence, ce contre- 
poison sans pareil des bases organiques , pourrait avec avan. 
tage être employé contre les venins; j’administrai donc à mon 
malade, par cuillerées données d'heure en heure, la potion qui 
sui : 


Iodure de potassium........ L grammes. 
Jade denses 30 centigrammes. 
Essence de menthe.......... L gouttes. 

Sirop de gommé............ 30 grammes. 
DRASS) PS DTA 195 grammes. 


» Un liniment composé d’iodure de potassium et de vin blanc 
fut employé sur le pied et la jambe que je fis recouvrir aussi de 
morceaux de flanelle très-chauds. Je prescrivis en outre du vin, 
du café, et du bouillon de bœuf. 

» Pendant les deux premiers jours, les accidents généraux de- 
meurèrent stationnaires, excepté toutefois les vomissements qui 
ne revinrent plus. Peu à peu la gravité des symptômes diminua ; 
la douleur ne s’en alla que très-lentement ; l’œdème et les trai- 
nées violacées cédèrent la place à des ecchymoses jaunâtres 
qui ne disparurent qu'après un mois de soins et de repos. L'état 
général, sous l’influence d’un purgatif et d’un régime tonique. 
et dépuratif (iodure de potassium continué pendant une quin- 
zaine de jours à doses décroissantes), s’améliora d’une manière 
sensible, et deux mois après Coudrin avait recouvré son état de 
santé ordinaire, » 

Les résultats obtenus par les médecins américains contre la 
morsure de reptiles autrement redoutables que les vipères 
européennes étaient faits pour séduire. Aussi, dans notre pre- 


480 * MÉDICATION IODO-IODURÉE 


mière édition, page 93, après avoir parlé de l’inutilité de l’am- 
moniaque comme contre-poison des venins, écrivions-nous ces 
lignes : 

« Les succès de MM. Brainard et Green doivent lui faire pré- 
férer la solution aqueuse d’iodure de potassium et d'iode. Cette 
substance mérite d’être vulgarisée d'autant mieux qu'elle peut 
rendre de grands services dans les empoisonnements par la 
ciguë, les fausses abrenotes (0Enanthe crocata L.), la jusquiame, 
la pomme épineuse et autres plantes vénéneuses de nos con- 
trées. » | 

La solution dont nous indiquions la formule n’était autre que 
celle de M. Brainard. 


AU CS Annee ...  Dd0 grammes. 
Iodure de potassium ... k grammes. 
LOTERIE PRE PE 4 gr. 25 cent. 


Nous proposions dès lors pour contenir les liqueurs anti-veni- 
meuses et les introduire dans les piqûres, un appareil’ assez 
simple et qui s’est vulgarisé depuis cette époque. 


Il se compose d’un petit 
flacon (fig. 11, C) entouré 
d’un étui en cuir (A et B),_ 
fermant à l’émeri et dont 
le bouchon (D) long et co- 
nique plonge dans le liquide. 
Ce bouchon, légèrement 
renflé près de la pointe, 
sert de porte-goutte, et 
permet de déposer le con- 
tre-poison jusqu’au fond 
des piqûres. 


MÉDICATION IODO-IODURÉE 181 


Quand, äu mois d'août 1861, la Société botanique de France 
vint herboriser dans l'Ouest, la plupart des botanistes qui prirent 
part à ses travaux étaient munis du petit flacon et de la liqueur 
de Brainard. 

Depuis lors, rious avons expérimenté, plusieurs années de suite, 
la solution iodo-iodurée et une solution analogue de brome et de 
bromure potassique sur des lapins et des pigeons. Un de nos 
aides entourait d’un lien constricteur le membre où devaient 
porter les crochets, le dépouillait de ses poils ou de ses plumes, 
et le présentait à la vipère. La morsure faite et agrandie, nous 
y introduisions quelques gouttes du liquide à essayer. Aucune 
ventouse n'était mise sur la blessure, et l’enlèvement de la liga- 
ture suivait l’instillation du remède. 

Presque tous nos animaux ont succombé ! et ceux qui se sont 
échappés n'ont dû leur salut qu'à un écoulement sanguin ayant 
entrainé le venin au dehors (1). 

Des chiens mordus à la chasse ont été soignés par la solution 
iodée ; ils ont guéri en trois ou quatre jours après avoir offert 
des accidents d'intoxication, c'est-à-dire comme ils eussent pro- 
bablement guéri avec l’ammoniaque ou sans aucun remède. 

M. Weir Mitchell a perdu tous les animaux blessés par des 
serpents à sonnettes, qu'il a traités à l’aide de la teinture d’iode 
ou de la solution de Brainard. D'après ses observations, l’iode 
n’empêcherait point l’empoisonnement général de se produire, 
mais, ainsi que le tannin, il diminuerait l'intensité des phéno- 
mènes locaux. 


(1) Voir aux notes finales le résumé de nos expériences. 

La solution iodo-iodurée reste le meilleur contre-poison à opposer 
aux plantes vénéneuses indigènes, quand elles sont encore dans l’esto- 
mac. Elle s’administre à la dose de 10 à 15 gouttes dans un verre d’eau 
sucrée. 


182 ANTIDOTE BIBRON 


Ce n’est donc point un contre-poison des venins, et M. Brai- 
nard doit ses succès, non à son spécifique, mais au maintien 
prolongé de la ligature et à l'application de la ventouse. 

Le brome, abandonné comme remède externe, nous est revenu 
d'Amérique sous forme d’antidote dans la recette suivante attri- 
buée à Bibron. 


IGdUre pofassique PEU & grains. 
Deutochlorure de mereure..... 2 grains 
Drome. its LT INIST 0 gro 


x 


Dix gouttes à prendre, en une seule fois, mélangées à deux 
cuillerées d’eau-de-vie ou de vin généreux et le plus près pos- 
sible de l'instant de la morsure. 

C'est une singulière histoire que celle de ce prétendu antidote 
Bibron. 

Le docteur Xanthus (M. de Vesey), qui l’a préconisé le pre- 
mier aux États-Unis, le tenait, disait-il, du prince P. de Wur- 
temberg. Le prince, excellent naturaliste, aurait eu connaissance 
d'expériences entreprises à l’Académie des sciences de Paris par 
Bibron, qui, après avoir avalé son spécifique, se serait fait mor- 
dre par des crotales! 

Personne au Muséum ni à l’Institut n'a entendu parler de 
semblable chose (1). 

* Quoi qu’il en soit, Xanthus cite à l'appui de l'efficacité de cette 


(4) « L’antidote Bibron porte, je nesais pourquoi, ce nom, et tenez pour 
absurde que M. Bibron se soil exposé à des piqüres de serpents pour en 
essayer l'effet. J'ai cru un moment que j'arriverais à savoir quelque 
chose de précis à ce sujet en écrivant, en 1862, au duc Paul-Guillaume 
de Wurtemberg de qui M. de Vesey, cité par S. Weir Mitchell, disait tenir 
ses indications ; mais le due venait de mourir quand parvint en Wurtem- 
berg ma lettre, qui me fut retournée sans avoir été ouverte. » (M. le pro- 
fesseur Aug. Duméril. — Lettre du 7 mai 1869.) 


Em rm mp mm 


PERCHLORURE DE FER 133 


dangereuse formule un certain nombre d'expériences qui prou- 
veraient, qu'administrée avant la morsure, elle garantiraitde l’en- 
venimation. Le docteur Hammond s’en est servi deux fois avec 
bonheur et une troisième sans succès, et M. Coolidge lui attribue 
la guérison d’un de ses malades. 

M. Weir Mitchell, à qui nous empruntons ces détails, l’a 
employée avec des chances diverses ; il la regarde comme un 
antidote douteux et en tout cas bien inférieur aux alcooliques, 

X. — Le perchlorure de fer, que ses propriétés hémostatiques 
rendent déjà un précieux médicament, serait, d’après le docteur 
Rodet, un excellent destructeur des virus et des venins. Son 
action s’explique en partie par le précipité insoluble qu'il forme 
avec les substances protéiques, en partie aussi par le chlore qu’il 
contient. 

Voici sous quelle forme on l’administre contre les poisons ani- 
maux : 


/ 
Perchlorure de fer....... 


AGIdECIITIQUES 2.8. -.r ä 8 grammes. 
Acide chlorhydrique ..... 
Eau... ÉRÈTEME s....  Dd0 grammes. 


On introduit une ou deux gouttes de cette solution dans la 
plaie, et on administre une potion contenant aussi du perchlo- 
rure. 

L'emploi externe de ce médicament paraît logique. Quel- 
ques observations recueillies sur des chiens et les expériences 
qu'a bien voulu faire pour nous M. Gicquiau (1; semblent en 
confirmer la valeur. | 

Quant à son administration par la bouche, elle est mauvaise, 


(4) Voir aux notes finales. 


184 ÉLECTRICITÉ 


car il s’agit ici, non pas d’un antidote destiné à combattre les 
effets de l’échidnine, mais d’un contre-poison devant opérer 
chimiquement sur le venin lui-même. Conseillé comme remède 
interne à l’abbé H...., il dérangea ses fonctions digestives et n’eut 
aucun résultat thérapeutique heureux. 

M. Rodet a proposé, pour faire pénétrer sa solution dans les 
plaies, un petit entonnoir à pavillon évasé et à tube capillaire 
pouvant s’introduire profondément. 

XI. — Pravaz (Acad. de méd., sept. 4828) a tenté de combattre 
le venin par l'électricité, dont on connait les propriétés décom- 
posantes. Après avoir fait mordre des pigeons par des vipères, 
il mettait en contact avec leurs blessures les réophores d’une 
pile à trente éléments. Il parvenait ainsi à détruire la substance 
toxique quand la galvanisation était immédiate et suffisamment 
prolongée. Ce moyen lui a paru préférable à la cautérisation par 
le fer rouge ou les escharotiques, parce qu’on peut s’en servir 
avec sécurité même dans les régions où se trouvent des vais- 
seaux et des nerfs qu’il importe de ménager. Au reste, il avance 
de bonne foi que ses expériences ne sont ni assez nombreuses, ni 
assez concluantes. 

La galvanisation restera toujours une méthode de cabinet ; 
car, au moment de la morsure, il est rare qu’on ait à sa dispo- 
sition une pile de Volta ou de Bunzen (1). 


(1) M. Delahaye, dessinant dans une des salles de la Sorbonne une tête 
de crotale d’après nalure, le ressort qui tenait ouvertes les màchoires du 
replile empaillé se relerma tout à coup sur ses doigts, et il fut cruelle- 
ment piqué à l’index gauche par l’un des crochets, 

Le sang jaillit aussitôt en abondance. M. Delahaye s’empressa de sucer 
la blessure et de faire une ligature à son doigt afin d’arrêter la circulation 
du sang ; puis il courut demander du secours au laboratoire de M. Jamin. 

L’ammoniaque lui fut administré intus et extra, et l'on introduisit dans 


‘EAU FROIDE, INCISION, LIGATURE 185 


XIL — Les applications froides ont été aussi vantées contre les 
morsures. Boccone avait grande confiance dans les ablutions. 
A. Moiseau, de Challans (Dissertation sur les animaux venimeux 
de la Vendee), conseillait de tremper la partie mordue dans la 
source la plus voisine. C’est un moyen que l'instinct indique aux 
animaux. 

L’eau agit de deux façons : comme liquide elle entraine le venin 
hors de la plaie, et comme corps froid elle contracte les capillai- 
res et retarde l'absorption. 

Les cataplasmes de lait caillé, en grande vogue aux environs 
de Savenay, agissent aussi par leur température et n’ont pas 
d’autres vertus. 

XIII. — Les incisions, les scarifications, les piqüres par les 
branches de groseilliers sont des moyens douloureux et d’une valeur 
tout à fait secondaire. Ils sont parfois utiles en dégorgeant la 
partie par la sortie des liquides altérés, et en permettant l'in- 
troduction des contre-poisons. 

On doit cependant en être assez sobre, Fontana ayant remar- 
qué qu'ils favorisent la gangrène au voisinage de la bles- 
sure. 

XIV. — La compression circulaire entre la plaie et le cœur, 
nommée aussi ligature, retarde l’absorption du venin en arrêtant 
la circulation des veines sous-cutanées et du réseau lympha- 
. tique superficiel. Le poison se trouve ainsi mis en quarantaine. 


la piqûre une aiguille de platine que l’on fit rougir instantanément à l’aide 
des piles électriques qui ne cessent jamais de fonctionner dans ce sanc- 
tuaire de la science. Une heure après, tout danger ayant disparu, M. Dela- 
haye regagnait son domicile, sans autre mal qu’une émotion bien justifiée 
du reste, car, après son départ, un malheureux lapin, sur lequel on essaya 
la dent de crotale qui avait produit la blessure, succomba en peu d’ins- 
tants. (Extrait du journal le Pays, 7 août 1868.) 


a ——————————— 


186 LIGATURE, SUCCION 


On la fait à l’aide d’un lien un peu large et modérément serré. 
Trop serré et laissé trop longtemps en place, il étranglerait les 
parties qui s ’œdématient et causerait la gangrène ; nous en avons 

cité des exemples. 

Il y a deux manières de s’en servir. Dans la plus usitée, que. 
nous appellerons ligature temporaire , le lien constricteur est 
appliqué provisoirement comme obstacle à la diffusion du venin, 
et pour donner le temps de recourir à d’autres remèdes. Il ne 
doit être maintenu qu’une demi-heure, trois quarts d'heure, 
ou une heure au plus. 

Dans le second mode, ligature intermittente du professeur 
Holbrook et du docteur Ogier de Charleston, le lien est d’abord 
établi le plus près possible de la blessure, puis de temps à autre 
détaché et replacé plus loin pour éviter l’étranglement et ne 
laisser le venin envahir la circulation que par petites doses à la 
fois, ce qui permet à l’économie de lutter avec avantage et de 
l'éliminer plus facilement. 

Les Peaux-Rouges , auxquels les médecins américains ont 
emprunté la ligature intermittente , administrent au blessé , 
chaque fois qu’ils relächent le lien, une forte dose de polygala, 
pour combattre les effets de la petite quantité de poison qui 
passe dans le sang ; on peut avec avantage remplacer le sénéka 
par de l’eau-de-vie. 

XV.— La succion faisait tout le mérite des fameux guéris- 
seurs de l'antiquité, des ophiogènes de l’Hellespont qui disaient 
devoir leurs vertus à leur origine, des psylles de la grande Syrte, 
dont la salive passait pour un contre-poison des venins (1), et des 


(1) D’après Pline, la nature aurait doué les psylles d'humeurs funestes 
aux serpents. En Vendée, on attribue, sans plus de raison, la même pro- 
priété aux personnes à cheveux rouges; quand elles sont mordues par 
un serpent, c’est, dit-on, le reptile qui crève et non le blessé. 


SUGCION 187 
marses de l'Italie méridionale, se prétendant issus de Circé et, 
depuis le christianisme, parents de saint Paul. 

C’est une des plus sûres méthodes, à condition qu’on la mette 
en usage immédiatement après la piqûre. « Venenum serpentüm, 
écrit Celse (De re medica, LV, ch. n), non gustu, sed in vulnere 
nocet. Ergo quisquis, exemplum psylli secutus, id vulnus exsuxerit 
et ipse tutus erit el tulum hominem præstabit. » « Qu’on suce sur 
ma foi et je réponds de tout, » disait Marc-Aurèle Séverin. 
Beaucoup d'animaux lèchent l'endroit où ils ont été mordus quand 
ils peuvent l’atteindre. 

La succion fait, par aspiration, sortir le venin avant qu’il 
ait eu le temps d’envahir la masse du sang. L'opérateur doit, 
par prudence, cracher chaque fois qu'il applique ses lèvres sur 
la plaie. Il est rare que quelques ulcérations de bouche empêchent 
de recourir à ce moyen. 

En 1858, Civel, âgé de trente-quatre ans, et demeurant aux 
environs de Blain, fut mordu par une vipère commune de cou- 
leur rouge, pendant qu'il saisissait dans ses mains une gerbe de 
blé. Arrivé au momeni même, le docteur Sortais plaça une liga- 
turé et suça la plaie qui siégeait au pouce droit, puis il conseilla 
l’alcali en applications locales et en boisson. La piqûre suivit la 
marche des plaies simples et le lendemain le malade était com- 
plétement guéri. 

« À la fin du mois de juillet 1855, M"° G... étant à sa cam- 
pägne des Granges de Villeneuve (commune du Bignon), enten- 
dit, vers une heure de l'après-midi, des cris déchirants poussés 
par son neveu et sa nièce qu'elle savait occupés à jouer dans le 
jardin. Elle trouva les deux enfants tellement effrayés qu'elle ne 
put tout d’abord se rendre compte de la cause de tout ce bruit. 
Enfin, elle finit par comprendre que le petit garçon, âgé de 
sept ans, avait voulu prendre de la main gauche une vipere, et 


188 SUCCION 


que le reptile l’avait mordu à l'extrémité du pouce, où se voyaient 
deux piqüres saignant à peine. 

» Me G... m'avait souvent entendu dire que si l’on pouvait, 
dans les premiers moments de la morsure des serpents, exercer 
sur la partie mordue une énergique succion ou appliquer une 
ventouse, on éviterait les dangers bien connus de ces blessures. 
Elle n’hésita pas un seul instant, et suça de toute sa force le 
pouce du petit blessé pendant environ un quart d'heure, puis 
elle crut bien faire, en appliquant une ligature sur le milieu de la 
première phalange de ce doigt. Pendant ce temps, la jeune fille, 
âgée de neuf ans, n'avait cessé de pleurer, et même de crier. 
M°° G... apprit seulement alors qu'après l'accident de son 
frère, elle avait voulu saisir à son tour la vipère, et avait été 
mordue au niveau de la partie moyenne du premier métacarpien 
gauche, où iln’existait qu’une piqûre. M"° G... pensant que le venin 
était déjà absorbé, plaça une ligature fortement serrée à la partie 
moyenne du bras et m’amena les deux enfants mordus depuis 
environ quatre heures. Le garçon ne présentait pas le moindre 
accident local ou général. J'enlevai le lien et je n’eus plus à m’en 
occuper. Quant à la jeune fille, son avant-bras et sa main avaient 
presque doublé de volume ; cet œdème était rénitent, élastique. 
De larges taches bleuâtres couvraient tout le membre jusqu’à la 
ligature que je détachai. Je prescrivis à la malade d’abondantes 
boissons chaudes aromatiques, et du vin en aussi grande quan- 
tité qu’elle pourrait le supporter. Pendant la nuit, fièvre forte, 
nausées, transpiration. Le lendemain, l’état général devint meil- 
leur, le gonflement s’étendit jusqu’à l’aisselle, ainsi que les pété- 
chies qui prirent une teinte plus foncée. A partir de ce moment, 
la fièvre, les nausées, la faiblesse disparurent peu à peu, mais le 
gonflement persista toute la semaine, et quinze jours après on 
voyait encore des taches livides ayant fini par prendre toutes les 


SUCCION 189 


teintes de l’ecchymose. » (Le docteur Chenantais, professeur de 
pathologie externe à l'École de médecine de Nantes.) 

Ce double fait est d'autant plus remarquable que la jeune per- 
sonne offrait deux conditions devant rendre le venin moins actif 
pour elle que pour son frère : elle était plus âgée et fut mordue 
la seconde, c’est-à-dire quand la vipère était déjà privée d’une 
partie de $on poison. Chez le petit garçon comme chez Civel, la 
succion immédiate a enlevé à la plaie ses caractères spécifiques 
et empêché l’envenimation de se produire. 

Dans les deux cas suivants, communiqués par M. l'abbé Mey- 
nier, vicaire à la Marne, l'aspiration du venin, quoique plus 
tardive, n'a pas été sans effets heureux. 

« Le 29 mai 1866, à six heures du soir, François Rousseau, 
du village de la Touche, âgé de neuf ans, traversait avec son 
père un champ de trèfle, quand il fut mordu au bas de la jambe 
droite par un repüle. Le père transporta aussitôt son fils chez lui 
et courut au presbytère emprunter une voiture pour aller chez 
un sorcier. M. le curé se refusa à coopérer à l'exécution de ce 
caprice déraisonnable, offrit de conduire le malade à Machecoul 
consulter un médecin, et me pria de l’accompagner auprès de 
l'enfant. ER 

» Une demi-heure à peine s'était écoulée entre l'accident et 
notre arrivée. La jambe, siége de la piqûre, était enflée jusqu’à 
laine, et les empreintes des crochets se distinguaient difficile- 
ment. Les maux de cœur et les syncopes ne s’élaient pas encore 
manifestés. La mère poussait des cris lamentables. Je l’assurai 
qu’elle pouvait, sans danger pour elle, sauver son fils en suçant 
sa blessure, et qu’une compresse d’alcali achèverait la guérison. 
Elle me refusa net. 

» Indigné de la froideur avec laquelle avait été accueillie ma 
proposition, j'appliquai mes lèvres sur la plaie et je la suçai avec 


490 SUCCION 


énergie sans reconnaitre le goût du venin, ni me préoccuper de 
celui de la crasse. Je plaçai ensuite une compresse d’ammoniaque 
sur la piqûre et je mis quelques gouttes de ce liquide dans un 
verre d’eau, que je fis boire à l'enfant. Le blessé fut alors conduit 
dans la voiture de M. le curé chez le docteur Martin qui approuva 
le traitement provisoire, et engagea Rousseau à lui ramener son 
fils le lendemain. 

» Le lendemain, je me rendis près du petit malade pour savoir 
ce qu’en pensait le médecin. On avait négligé de retourner chez 
lui, les parents ayant préféré recourir au rebouteur. Je vis que 
ma présence gênait et je me retirai. L'enfant eut un léger mou- 
vement de fièvre et l’enflure gagna les cuisses, puis elle dis- 
parut, et les piqûres se fermèrent après avoir offert un peu de 
suintement. Au bout de huit jours, le petit Rousseau retournait 
à l’école. 

» Par une coïncidence singulière de date, le 29 mai 1867, 
pareillement à six heures du soir, Mélanie Michaud, âgée de 
neuf ans, du village de Brandais, marchant pieds nus sur le 
milieu de la grande route, fut mordue par une petite vipère. Son 
frère consentit à sucer le pied blessé (vingt minutes après l’ac- 
cident). J'agrandis ensuite les piqûres avec mon canif et je plaçai 
dessus une compresse d’alcali. Puis, après avoir donné à l'enfant 
quelques gouttes d’ammoniaque dans un verre d’eau, je la con- 
duisis à Machecoul près du docteur Fortineau, qui débrida la 
plaie plus largement et prescrivit un liniment ammoniacal. Je 
recommandai au père de ne pas employer d’autres remèdes que 
ceux du médecin, et je l’engageai à venir me donner des nou- 
velles. Il n’en fit rien. J'ai su depuis qu’il était allé à Bouaye chez 
un guérisseur et que, ledit guérisseur étant mort, sa veuve avait 
ordonné certaines herbes en lotions et en fumigations. La jambe 
enfla jusqu'à l’aine ; la fièvre fut nulle ou à peu près ; il n’y eut 


SUCCION : 191 


ni maux de cœur, ni syncope, et le huitième jour, Mélanie Mi- 
chaud revenait en classe. » 

Ainsi, vingt minutes après la morsure, la succion n’arrête 
point la tuméfaction, mais elle peut encore empêcher le venin 
d’infecter l’économie. 

Nous ne connaissions aucun accident produit par la succion, 
quand tomba sous nos yeux l'article publié, dans l’Union bre- 
tonne, par M. Grignon-Dumoulin, le 31 décembre 1867, et où se 
trouvaient relatées les lignes suivantes : 


« Vers la fin de juin 1867, étant à me promener à Oudon, 
J'appris qu’un boulanger d'Ancenis, déchargeant une charretée de 
bois, soudain se vit la jambe enveloppée par une vipère. Prompt, 
il la saisit pour la rejeter au loin, mais elle le mordit au doigt, 
qu’il porta aussitôt à sa bouche pour le sucer. C'était bien, mais 
par malheur il avait une écorchure à la langue qui lui enfla telle- 
ment qu'il étouffa le lendemain. » 


Ce fait nous intéressant à plus d’un titre, nous priâmes M. le 
docteur Puibaraud de prendre à son sujet toutes les informations 
qu'il lui serait possible de réunir et de nous les transmettre. Nous 
reçümes de lui cette réponse : 


« Les renseignements sur lesquels s’est appuyé M. Grignon- 
Dumoulin sont heureusement inexacts. Ce n’est pas un boulanger 
d’Ancenis, mais bien un cordonnier du nom de Janneau, qui, le 
7 mai dernier, a été mordu par une vipère. 

» Il passait dans une rue où se trouvait déchargée une char- 
retée de fagots ; deux vipères en étaient sorties et se réchauf- 
faient au soleil; ne les voyant pas, il marcha sur l’une d'elles 
qui se redressa pour s’enrouler autour de sa jambe. | 

» C’est alors qu'un mouvement instinctif lui fit saisir le reptile 
de la main gauche, pour s’en débarrasser, Mais déjà il avait été 


492 SUCCION 


mordu au doigt qu'il se mit à sucer; puis il l’exposa à la lumière 
d’une petite lampe et le Jia au-dessus de la plaie. 

>» Ces premières précautions prises, il courut chez trois méde- 
cins sans en rencontrer un seul, et ce ne fut qu’au bout d’en- 
viron vingt minutes que rentra notre confrère Hautreux, qui le 
trouva vomissant en abondance. 

» J'arrivai trois heures après. Le membre mordu, le cou, la tête, 
la langue et l’arrière-gorge offraient une tuméfaction des plus 
inquiétantes. Déjà des lotions d’alcali avaient été faites, et un litre 
de quinquina, prescrit par mon confrère, était absorbé, les 
amis qui entouraient le malade jugeant qu’on n’en pouvait jamais 
trop donner. 

» L’engorgement augmentait toujours, tout le côté gauche se 
prenait, Janneau était dans une anxiété et une agitation indi- 
cibles. Le malade était d'autant plus déraisonnable qu’il était 
complétement ivre. J'obtins néanmoins qu'on diminuât la quan- 
tité de vin, et je me bornai à des fomentations émollientes sur 
les parties engorgées et à des dérivatifs intestinaux. 

» Je fis délier le doigt qui menaçait de se sphacéler et je fus 
assez heureux pour voir les accidents du côté de la bouche 
céder et être suivis de la diminution graduelle des autres. Puis il 
ne s’est plus rien passé qui ne se passe habituellement dans les 
empoisonnements de cette nature, et le malade a parfaitement 
guéri. 

> Janneau m’a affirmé ne pas avoir d’écorchure à la langue. » 

Le docteur Thoinnet de la Turmelière nous a donné sur ce 
malade des renseignements identiques à ceux de M. Puibaraud. 
Ces deux messieurs n’ont jamais eu connaissance de cas de mort 
par la vipère, dans la commune d’Ancenis, depuis qu’ils y exer- 
cent la médecine. 

Le venin, momentanément déposé sur une muqueuse à épithé- 


SUCCION 193 


lium intact, n’est pas absorbé. Janneau aura donc eu quelque 
aphthe de la bouche ou quelque fongosité des gencives dont il 
ignorait l’existence, à moins que la tuméfaction, malgré la liga- 
ture, ne se soit propagée de la main à l’épaule, au cou et à la 
tête, ce qui est moins probable. 

En tout cas, l’histoire de ce cordonnier est extrêmement 
curieuse, et nous sommes heureux que M. Grignon-Dumoulin 
nous ait mis Sur sa voie. 

On doit en rapprocher l’observation suivante du docteur 
À Bourdin, quoique les accidénts vers la bouche ne reconnaissent 
_ point ici pour cause l’aspiration du venin. 

« Le 21 avril 1862, journée très-chaude, Rousseau (François), 
àgé de dix-huit ans, domicilié au village de la Sostière, commune 
de Sainte-Pazanne, est mordu au pied droit par une vipère rouge. 
Très-effrayé de cet accident, il se hâte de venir me consulter ; 
mais il est obligé de s'arrêter en chemin, éprouvant des nausées, 
de la suffocation, et près de tomber en syncope. Il est conduit 
par la personne qui l’accompagnait dans la ferme la plus voi- 
sine, où je lui fis ma première visite. Ce qui me frappa tout 
d’abord, ce fut l'enflure de la face, surtout de la lèvre supérieure 
et de la langue. L’extrémité antérieure de celle-ci faisait saillie 
hors de la bouche. Rousseau conservait sa pleine connaissance, 
et, ne pouvant parler, répondait par signes. La déglutition était 
difficile ; 1} existait aussi de la dyspnée. 

» À première vue, je crus que la morsure avait eu lieu à la lèvre 
supérieure, et, lorsque j'eus constaté son siége véritable, la 
cause de l’enflure de la face, de la lèvre supérieure et de la 
langue me parut difficile à saisir. D’après ce que m'a dit plus 
tard le blessé, je pense toutefois l’avoir découverte. Il est pro- 
bable que peu de temps après avoir été mordu par le reptile, 
dans son trouble et par inadvertance, ce jeune homme a touché 

13 


194 SUCCION 


avec le bout du doigt sa plaie encore fraiche, et mis ce doigt en 
contact avec sa lèvre supérieure qui était, comme Je m'en suis 
assuré, accidentellement dépouillée de son épithélium dans une 
certaine étendue de sa surface muqueuse et qu’une nouvelle 
inoculation s’est produite en ce point. 

» Sans attacher d'importance à mon explication, il m’a semblé 
qu'il était à propos d'insister sur cette particularité remarquable, 
savoir : le gonflement de la face, de la lèvre supérieure et de la 
langue, survenu chez une personne blessée au pied par une 
vipère. 

» En résumé, l’état de Rousseau était, au moment de ma pre- 
mière visite, fort alarmant, et le gonflement de la langue m'ins- 
pirait des appréhensions très-fondées. Cependant tout se passa 
mieux que je ne l'avais espéré. A la période de dépression et de 
prostration succéda une réaction favorable et des sueurs copieuses 
qui soulagèrent beaucoup le blessé. L’œdème seul du membre 
inférieur droit persista assez longtemps; il ne céda qu’au bout 
de six semaines à des applications résolutives, aidées par des 
boissons diurétiques et sudorifiques. 

» Aujourd'hui (21 mars 1868) Rousseau semble bien portant 
el assez vigoureux, quoiqu'il se plaigne d'être moins fort depuis 
sa morsure. » 

Nous avons pratiqué la succion sur un pigeon, alors que nos 
gencives étaient saignantes par suite d'un peu de scorbut. L’oi- 
seau eut un léger trombus à la cuisse blessée, mais ne présenta 
point de symptômes d'empoisonnement; pour nous, nous n'éprou- 
vämes rien de particulier. 

Cette petite opération est donc un des meilleurs remèdes de la 
morsure des serpents venimeux, et l’on ne saurait trop la vul- 
gariser. Elle est facile et souvent peut être exécutée par le 


malade lui-même. 


- VENTOUSE 195 


Une ventouse remplace assez bien les lèvres dans l'aspiration 
du venin, surtout par la ventouse à pompe; mais cet ins- 
trument ne se trouve pas toujours sous la main, et les parties du 
corps le plus souvent atteintes (les doigts, les orteils et les 
malléoles) n’en permettent pas l'emploi. 

À défaut d’instrument spécial pour application de la ventouse, 
on peut employer une petite bouteille à parois minces et à long 
col, que l’on échauffe et dont on applique le goulot sur la mor- 
sure. L'air intérieur en se refroidissant produit un vide et par 
suite une aspiration. Les panseurs de la Martinique se servent 
dans le même but de petites calebasses. 

L'appel fait au dehors par ces divers moyens a donné des résul- 
tats heureux dans un grand nombre d'observations. 

Que dire des fameuses pierres à serpents, qui passaient pour 
extraites de la tête du Cobra di capello? 1 fut un temps où 
les chasseurs n’osaient se hasarder dans certains cantons gi- 
boyeux, sans porter au cou une de ces amulettes enchàs- 
sée dans un métal précieux, et qu’ils avaient payée à prix 
d'or. 

Redi (Experimenta circa res diversas naturaies, p.16) a démontré 
que ces disques, d'ordinaire d’une couleur vert noirâtre, n'étaient 
que des lentilles d'argile. Appliqués sur la plaie, ils attirent 
les liquides par leur porosité, mais cette aspiration est trop faible 
pour être véritablement utile. 

XVI. — La médication antiphlogistique ou broussaisienne ne doit 
être citée que pour mémoire. Les sangsues en grand nombre, 
placées sur le point tuméfié, loin d'apporter du soulagement, 
sont en général nuisibles. Nous n’en eussions point parlé sans une 
observation assez étrange par ses détails, publiée, en 1828, par 
un journal scientifique de nos départements, et dans laquelle la 
guérison leur est attribuée. 


1:6 CAUTÉRISATION 


XVII. — La cautérisation est une méthode cruelle, mais qui, 
en désorganisant les tissus, détruit le venin qu’ils contiennent 
et produit au voisinage un mouvement violent de la vie, modi- 
fiant les conditions locales de l'absorption et de l’élimination. 

Son effet est certain, pourvu qu’elle soit appliquée immédiate- 
ment, et qu’elle attaque toute la partie imbibée par le poison. 

Le fer rouge est le meilleur caustique connu ; il agit rapidement 
et a de plus l'immense avantage d’être facile à trouver, et de se 
prêter à une prompte application. 

On avait proposé de se servir des cautères à distance, pensant 
que par ce moyen la chaleur détruirait le venin, sans mortifier 
la partie blessée. L'expérience n’a pas justifié ces données théo- 
riques. 

La poudre entre les mains des chasseurs remplace au besoin 
le fer rouge, mais sa déflagration est irrégulière et la cautérisa- 
tion qu’elle produit superficielle. 

Les charbons incandescents et la lumière d'une lampe brûlent 
aussi irrégulièrement. | 

Les substances escharotiques en vertu de leurs affinités ont 
été souvent une précieuse ressource , entre autres, la potasse, 
dont Fontana avait constaté les bons effets par de nombreuses 
expériences, le deuto-chlorure où beurre d'antimoine, conseillé 
par Fouré, et les acides minéraux, en particulier l'acide chlorhy- 
drique.. Tous ces corps sont de violents poisons, dangereux à 
employer, el ne pouvant pas par là même être abandonnés à des 
mains étrangères à la médecine. 

Le docteur Merlet d’Apremont laissait à demeure, dans une 
incision faite sur les piqûres, un morceau de crayon de nitrate 
d'argent, moyen dans lequel nous aurions moins de confiance. 

Au nombre des caustiques chimiques, se range l'alcool phe- 
nylique où phénol, plus connu sous le nom d'acide phénique, et qui 


ACIDE PHÉNIQUE 197 


jouit de propriétés remarquables. Appliqué sur la peau, il la 
blanchit en amenant une contraction vive des capillaires, puis 
il s’unit aux substances protéiques et les mortifie, produisant 
une eschare décolorée. Il tue les organismes inférieurs tant végé- 
taux qu'animaux, et arrête la plupart des fermentations. 

Il semble donc en théorie offrir toutes les conditions d’un bon 
remède contre le venin; mais en thérapeutique, on ne doit 
admettre pour certain que ce qui est démontré d’une manière 
expérimentale. 

M. J. Lemaire (1) a essayé, avec M. Gratiolet, l’acide phé- 
nique sur des piqûres d'hyménoptères et sur des plaies contami- 
nées par le venin du crapaud. La neutralisation lui a ‘toujours 
paru avoir eu lieu, mais le médicament en excès a occasionné 
parfois des accidents toxiques d’un autre genre. 

Pendant le printemps et l'été de l’année 1868, nous nous 
sommes livrés à une série d'expériences sur ce contre-poison. 
L’acide employé était impur et de couleur rougeàtre, et prove- 
nait de la maison Thiboumery et Dubosc, qui en fournit l’École 
de médecine de Nantes pour la préparation de certaines pièces 
anatomiques. 

Le procédé opératoire a été celui que nous avons déjà décrit 
en parlant des solutions 1odo-iodurées. 

Quoique nous n’ayons pris pour sujets que des animaux de 
petite taille, tels que des pigeons et des lapins, ils ont presque 
tous guéri, ainsi que l’on s’en assurera en lisant les notes placées 
à la fin de ce travail. Les rares cas de mort sont explicables par 


(1) De l'acide phénique, de son action sur les végétaux, les animaux, les 
ferments, les virus et les miasmes, par le docteur Jules Lemaire. Paris, 
1865, 


198 ACIDE PHÉNIQUE 


toute autre cause que la non-neutralisation du venin, et quelque- 
fois par l'effet local ou général du phénol lui-même. 

Le remède a été appliqué avant la diffusion de la substance 
toxique, condition qui, il est vrai, est rare en dehors des expé- 
riences, mais il faut se rappeler que l’on opérait sur de petits 
animaux, et que chez eux l’absorption est rapide. Chez l’homme, 
la cautérisation phénique a encore chance de réussir quinze mi- 
nutes après l’accident, et l’acide n'offre pas les mêmes dangers. 

Le phénol se liquéfie dès qu'il fait chaud ; on peut donc l’in- 
troduire sans mélange dans les piqûres ; mais, sous cette forme, 
il n’est pas très-maniable et brûle souvent plus loin qu'on ne le 
voudrait. 

L’eau phéniquée au vingtième, obtenue à l’aide d’une décoction 
de Quillaya saponaria ou bois de Panama, nous parait trop faible. 
Nous préférons un mélange à parties égales d'acide phénique et 
d'alcool, mélange dont deux ou trois gouttes suffisent pour ob- 
tenir l’effet désiré (1). 


(4) Le docteur Quesneville (Moniteur scientifique, Ler juin 1868), a pro- 
posé contre les piqûres venimeuses une solution très-concentrée de 
phénol pur cristallisé, qu’il désigne sous le nom d'acide phénique médi- 
cinal liquéfié. Elle est incolore, moins infecte que celle dont nous nous 
sommes servi et paraît avoir les mêmes propriétés. Il la renferme dans 
de petits flacons à bouchon plongeur, semblables aux nôtres et contenus 
dans des étuis en buis. 

Le phénol a été aussi administré à l’intérieur comme antidote des ve- 
niné. On lit dans les Mondes, t. XVIII, p. 196, 8 octobre 1868 : 

« Nous empruntons les quelques détails qui suivent à une dlettre écrite 
de Melbourne (Australie) à M. le professeur Calvert, de Manchester : 
» Un jeune garçon ayant été mordu par un serpent-tigre, le plus veni- 
» meux de nos colonies; six heures après l’accident, le docteur Boyd lu! 
» donna dix gouttes d'acide phénique pur dans de l’eau-de-vie coupée 
» d’eau. À quelques minutes d'intervalle, l'effet fut magique : une grande 


TRAITEMENT RATIONNEL 199 


XVII. — Nous terminons cette longue liste des alexiphar- 
maques préconisés contre les blessures envenimées par l’indica- 
tion d’une méthode cruelle, barbare, et qui n’est mise en usage 
par la science que pour les blessures des serpents étrangers les 
plus dangereux, nous voulons parler de l’ablation de la partie 
mordue, soit par l’amputation du membre, soit par l’ercision. 

Expérimentée par Fontana sur les animaux, avant que le venin 
ait envahi les veines, elle a toujours empêché l'apparition des 
symptômes d'intoxication. 

Plusieurs fois, des paysans vendéens, s’exagérant la gravité 
d'une morsure de vipère, ont eu le courage d'amputer immédia- 
tement le doigt ou l’orteil atteints par les crochets, et se sont 
préservés ainsi de tout phénomène d’échidnisme. Nous regret- 
tons de ne pouvoir donner de détails sur quelques-uns de ces cas 
intéressants. 


Traitement rationnel des morsures de vipères. — Les plaies enve- 
-nimées exigent des soins immédiats, car il importe de neutra- 
liser le poison avant qu’il ait pénétré dans le torrent circulatoire. 
Trois indications se présentent donc tout d'abord : 4° interrompre 
la communication de la partie blessée avec la circulation générale ; 
20 enlever le venin de la plaie : 3° le détruire sur place. 

1° La première chose à faire, lorsqu'on à été mordu par un 
serpent venimeux, est de placer une ligature entre le cœur et la 
blessure à cinq ou dix centimètres de celle-ci. On se sert d'une 
cravate, d’un mouchoir, de la garelette, à l’aide de laquelle les 
femmes de la Vendée maintiennent leurs cheveux, d’une jarre- 


> pâleur, un pouls lent, une apparence à demi comateuse firent plaçe à 
» une expression animée, à des couleurs vives et à un pouls accéléré, 
» symptômes qui furent le prélude du retour de la santé. » 


200 TRAITEMENT RATIONNEL 


tière ou de toute autre bande un peu large, de préférence à un 
lien étroit. La ligature doit être assez serrée pour faire gonfler 
les veines, mais jamais de façon à produire un sillon dans les 
chairs, car elle augmenterait l’engorgement et exposerait à la 
gangrène. Ce moyen n’est que temporaire et 1l ne faut pas le pro- 
longer au delà de trois quarts d'heure à une heure. Le lien 
constricteur sera même reläché ou porté plus haut sur le membre, 
s’il paraît aggraver les accidents locaux. 

Quand la partie atteinte par les crochets (par exemple la tête, 
le cou ou le tronc) ne permet pas la ligature, on exerce provisoi- 
rement avec les deux mains une compression autour de la plaie. 

20 L’écoulement sanguin et la sortie de la substance toxique 
seront favorisés par une incision élargissant les piqûres, et par 
des pressions sur les parties voisines. Si un des crochets du ser- 
pent s’était brisé dans la plaie, il faudrait se hâter de l’extraire. 
La partie blessée sera plongée dans l’eau froide, dont la tempé- 
rature diminuera la rapidité de l'absorption, et qui entraînera 
une partie du venin, puis à l’aide de la succion prolongée ou d’une 
ventouse, on attirera au dehors le reste du poison. 

3° Pour remplir la troisième indication, on introduit dans les 
piqûres un agent chimique capable de décomposer l’échidnine. 
L’ammoniaque, nous le répétons encore, n’est qu’un moyen illu- 
soire; le liquide 1odo-oduré n’est pas plus actif (voir p. 181); il 
est préférable de se servir de la solution de perchlorure de fer, : 
ou mieux d’un mélange à parties égales d'acide phénique et 
d'alcool, quiagiten même temps comme caustique et pénètre plus 
loin. Ces derniers remèdes doivent être maniés avec prudence. 

Si ces caustiques ont été employés assez à temps et assez 
rapidement, la morsure de vipère n’est plus qu’une plaie simple ; 
elle se borne à de légers accidents locaux, et ne laisse aucune 
trace le lendemain. 


TRAITEMENT RATIONNEL ; 201 


Le traitement que nous venons de formuler pour l’homme devra 
être pareillement appliqué aux animaux. On ne s’exposera pas 
pour eux aux chances de la succion, mais on sera moins sobre du 
fer rouge. 

Trop souvent les premiers soins ont été nuls ou dérisoires, et 
la tuméfaction douloureuse a envahi la partie blessée. Tout es- 
poir d'empêcher l’empoisonnement général n’est point encore 
perdu, si l’on a recours à une bgature plus éloignée de la plaie, 
à l’incision pratiquée sur les piqûres et à la succion ou à une 
ventouse. Des scarifications peu nombreuses seront faites au 
voisinage et lavées avec de l’eau contenant quelques gouttes d’a- 
cide phénique. Le membre qui se refroidit sera entouré de fla- 
nelle chaude, et des embrocations huileuses et stimulantes réveil- 
leront sa vitalité. 

Si le blessé est un enfant ou un être débile, ou si la morsure 
a son siége sur un point qui en augmente le danger et que per- 
sonne n’ait le courage de sucer la plaie, 1l faudra recourir à 
la cautérisation par le fer rouge et d’une manière énergique. On ne 
saurait trop recommander ce moyen contre la morsure des ser- 
pents étrangers de la puissance du naja ou des crotales, et c’est 
le seul remède certain de la rage (1). Le cautère à blanc désor- 
ganise avec rapidité, mais à une profondeur insuffisante ; 1l vaut 
mieux qu'il soit chauffé au rouge cerise. Un couteau, un gros 
clou, un fer à gaufrer, sont des instruments que l’on trouve par- 
tout et qui sont excellents pour pratiquer cette opération. Trop 
tardive, elle devient inutile. 

Il est pareillement facile de se procurer du vin, de l’eau-de- 


(4) Dans la rage, la succion serait dangereuse, et aucune substance em- 


ployée topiquement n’a de valeur certaine; on ne saurait donc hésiter à 
user du fer rouge. 


202 TRAITEMENT RATIONNEL 


vie, du café, du bouillon gras et des infusions aromatiques. Pour 
favoriser l'effet de ces stimulants et de ces toniques, qui seront 
donnés à fortes doses, le blessé sera mis au lit, enveloppé de 
couvertures chaudes, et entouré de bouteilles d’eau bouillante. 
Quelques gouttes d’alcali dans une infusion sudorifique ne nous 
paraissent pas contre-indiquées et favoriseront la sueur. 

Ces moyens généraux sont presque les seuls à employer lors- 
qu'on est appelé pendant la période des vomissements et de 
l’adynamie. 

La douleur de l’épigastre sera calmée par l'application d’un 
sinapisme loco dolenti, et les complications seront traitées par des 
remèdes appropriés : ainsi, l'excès d'inflammation par les émol- 
lients, la gangrène par les préparations de quinquina, la surexei- 
tation nerveuse par les antispasmodiques, etc. 

La médication la plus difficile est celle de la convalescence, 
lorsque les premiers soins ont été négligés. Les forces seront 
soutenues par des aliments réparateurs, du vin de Bordeaux et 
des toniques. On donnera avec avantage, deux fois par jour, dans 
une tasse de café de glands doux, une cuillerée de la solution 
suivante : 


Extrait de mou de quinquina...: L grammes. 
Hausse fete LEUR MENT er 100 grammes. 


Nous recommandons aussi le vin à l’aristoloche odorante dont 
nous avons donné la formule (page 173). 

L'iodure de potassium est un dépuratif et un fondant bien indi- 
qué contre l’œdème consécutif, se prolongeant parfois pendant 
des semaines entières. 

Les sudorifiques sont aussi d’une utilité incontestable contre 
cette tuméfaction persistante; ainsi, l’administration à linté- 
rieur du polygala de Virginie, de l’esprit de Mindérérus, et 


TRAITEMENT RATIONNEL 203 


l'emploi local de coton cardé (4) et de taffetas gommé, donnenË 
d'excellents résultats. Les liquides dits résolutifs : eau-de-vie 
camphrée, eau blanche, liniment à l'huile de térébenthine, vin 
scillitique, etc., favorisent aussi le dégorgement de la partie 
malade, qui sera tenue dans une position élevée, et autant que pos- 
sible dans l’immobilité. 

Quant aux moyens de combattre la cachexie échidnique, ils 
consistent surtout en foniques amers (quinquina, colombo, ete.) 
et en ferrugineux. Parmi ces derniers nous citerons l’eau d’Orezza 
comme produisant d’heureux effets. 

Ur de nos malades, dont le sang était profondément altéré, 
éprouva une amélioration très-grande d’une saison à Royat, et 
il est regrettable qu'il n’y soit pas retourné une seconde fois. 


(4) Les feuilles fraiches de bouillon blanc, à la campagne, peuvent au 
besoin remplacer le coton (v. page 89). 


204 ENNEMIS DE LA VIPÈRE 


IV 


Les méfaits des vipères sont si nombreux et si graves, et d'autre 
part si peu compensés par des services rendus à l’agriculture, 
qu’elles passent à juste titre pour les animaux les plus malfaïsants 
de notre contrée. 

Leurs ennemis sont donc intéressants à connaître puisqu'ils 
sont nos alliés naturels ; ils appartiennent à diverses classes. 

Certains poissons, le brochet et l’anguille entre autres, avalent 
sans pitié les ophidiens qu’ils parviennent à saisir, mais 1ls 
doivent détruire plus de couleuvres que d’aspics et de péliades, 
ceux-ci étant de mœurs peu aquatiques. « Il n’est pas de pê- 
cheur digne de ce nom, nous écrit de Champagné-les-Marais 
M. l’abbé Chabirand, qui n’ait vu un serpent dans la gueule ou 
l'estomac d’un brochet. » MM. de La Biliais ayant pris, à l’aide 
d’une nasse, une anguille de taille moyenne, dont le ventre 
était énorme, l’ouvrirent et y trouvèrent une volumineuse cou- 
leuvre. 

Les ornithologistes signalent un grand nombre de rapaces 
diurnes, comme se nourrissant de reptiles, mais par ce mot rep- 
üles il faut presque toujours entendre les sauriens et les batra- 
ciens. Les espèces à serres puissantes recherchent seules les 
ophidiens. 

Parmi les aigles, citons l’aigle botté, Aquila pennata Brehm., 
et surtout le Jean-le-Blanc, Circaetus gallicus Vieillot. Ce dernier, 


OISEAUX 209 


qui niche dans nos grands bois, fait la chasse aux serpents et 
aux lézards, principalement à l'époque de sa couvée. 

Un jour, sur les coteaux de Mauves, M. J. Blandin, auteur du 
Catalogue sur les Oiseaux de la Loire-Inférieure, aperçut planer à 
une grande élévation un oiseau de large envergure qu’il reconnut 
être un Jean-le-Blanc. Il le vit bientôt s’abattre sur la terre et 
remonter avec un serpent qu'il avala sans pour cela se donner la 
peine de redescendre. 

M. A. de l'Isle a rencontré dans Maire d'un circaète une cou- 
leuvre ayant les reins brisés, mais encore vivante. 

Le 26 mai 1869, MM. G. et P. de l'Isle ont tué à la forêt d’An- 
cenis deux de ces oiseaux, dont l’un renfermait dans son estomac 
une vipère-aspic, née l’année précédente et encore très-recon- 
naissable. 

Toutes les buses (la buse commune, Buteo vulgaris Ray., la 
buse pattue, B. lagopus Vieillot, et la bondrée, Pernis apivorus 
G. Cuv.) font la guerre aux serpents. 

M. Alf. Pineau aperçut, à Frossay, une cossarde ou buse 
commune entrainant dans les airs un long cordon. Il l'abattit 
d’un coup de feu, et, en tombant, elle laissa échapper de ses 
serres une Couleuvre à collier. 

Un des fermiers de l’Ecorce, commune d’Aigrefeuille, voulant 
dénicher sur un arbre un nid de cossarde, y plongea la main et, 
au lieu d'œufs, en retira, plein d’effroi, des quartiers de vipères 
et de couleuvres, parmi lesquels plusieurs têtes remuaient encore 
(M. Ch. Lemaignan de l’Ecorce). 

Les busards (le busard des marais, Circus rufus Briss., l’oiseau 
de Saint-Martin, C. cyaneus Lath., et le busard montagu, C. cine- 
racens Keys. et Blas.), les milans, et surtout le milan royal, 
Milvus regalis Briss., doivent aussi ide rangés parmi les ennemis 
de la vipère. 


206 OISEAUX 


Quant aux crécerelles, Falco Tinnunculus L., si communes 
dans les bois, les tours en ruines et les rochers, malgré leur 
audace, elles ne peuvent guère, à cause de la faiblesse de leurs 
armes, attaquer que les jeunes ophidiens, et se rejettent sur les 
lézards et les grenouilles. 

On dit avoir trouvé des débris de vipères et de couleuvres dans 
les ossuaires de certains rapaces nocturnes et en particulier du 
grand-duc, Ægolius Bubo Degl., qui se rencontre parfois dans 
les vieux châteaux de la Vendée : le fait est possible, mais il ne 
nous à été affirmé par aucun naturaliste en ayant été témoin, et 
l’on a très-bien pu prendre des morceaux de squelette d'orvet 
pour des débris de vrais serpents. 

Les cigognes, Ciconia alba Briss. et C. nigra Beehst. sont rares 
dans nos départements où elles ne paraissent qu’au printemps et 
à l’automne ; le rôle providentiel que leur attribue Linné, y est 
donc à peu près nul. 

Les corbeaux, d’après MM. Blandin et L. Soubeiran, et en par- 
ticulier le corbeau noir, Corous Corax L., nous rendent sous ce 
rapport de meilleurs services. | 

On doit en dire autant des volailles de basse-cour. 

« J'ai été souvent appelé, nous écrit M. de Laleu, par le lan- 
gage particulier de mes poules, lorsqu'elles rencontraient un ser- 
pent, à observer ce qui allait se passer. Quand le reptile était 
adulte et redoutable, elles se bornaient à l’entourer avec précau- 
tion, toujours parlant, comme pour avertir leurs compagnes qui 
se réunissaient à elles, mais sans oser l’attaquer ; si, au contraire, 
il était jeune, elles se jetaient dessus, sans donner l'éveil, le 
frappaient du bec et finissaient par l’avaler. 

» Elles ont ainsi effrayé les serpents et arrêté leur reproduc- 
tion au voisinage de ma demeure, et bientôt elles en ont amené 
la disparition presque complète dans tout le rayon de leur par- 


HÉRISSON 207 


cours, aidées par des canards du Labrador et des pintades que 
je laissais vivre en liberté. » 

Les couleuvres, moins sauvages et plus agiles que les vipères, 
craignent beaucoup moins le voisinage des volailles, et nous les 
avons vues déposer leurs-œufs dans le fumier même de certains 
poulaillers mal tenus (4). 

Le hérisson doit-il être rangé parmi les ennemis des vipères, 
et est-ce pour cela qu'il a été muni de si remarquables moyens 
de défense ? 

« Lorsqu’en 1859, dit M. de Laleu, j’achetai, avec l'intention 
d'y construire, les ruines du château de Sucé, les fossés d’en- 
ceinte taillés dans le roc étaient encombrés de pierres, de ronces 
et de broussailles, où abondaicnt à la fois hérissons et serpents. » 

Cette cohabitation que nous trouvons plusieurs fois signalée 
dans nos notes, surtout pour les halliers du Bocage, ne prouve 
pas grand’chose. Si le hérisson fréquente les lieux où fourmillent 
les vipères dans le but de se nourrir de celles-ci, il ne semble 
pas leur faire une guerre d’extermination, puisqu'elles continuent 
à vivre en grand nombre-à ses côtés. 


(4) Il existe en Afrique un oiseau pour lequel on a créé la famille des 
serpentaridées, et dont la nourriture se compose presque exclusivement 
de serpents venimeux; c'est le secrétaire ou messager (Serpentarius rep- 
tilivorus Daud.). Il semble avoir reçu de Dieu la mission de maintenir 
l'équilibre entre les reptiles dangereux et les animaux inoffensifs des 
régions intertropicales. Ses pieds à ongles émoussés sont disposés pour 
une marche rapide, et c'est en courant qu'il va chercher sa proie. Il se 
sert, pour la frapper et l’élourdir, de ses ailes munies de proéminences 
osseuses, et l’achève à coups de bec, en lui perçant le cràne. 

On a vainement cherché jusqu'ici à acclimater cet animal à la Marti- 
nique en l'y transportant du Cap, dans le but de faire disparaitre le 
. bothrops lancéolé. 


HÉRISSON 


205 


D’après M. Béraud (1) cependant, un pépiniériste de Lyon, 
ayant mis quelques hérissons dans un terrain infesté de serpents, 
parvint à se débarrasser ainsi de ces hôtes immondes. 

Les premières expériences sur l’antagonisme de ces animaux 
datent déjà d’une trentaine d'années. 

« Le 24 août, écrivait, en 1832, le professeur Lenz, je plaçai un 
hérisson dans une grande cage : deux jours après, il mit bas six 
petits couverts de piquants, et leur prodigua tous ses soins. Il 
mangeait avec plaisir les insectes, les vers, les petits rongeurs et 
même les orvets et les couleuvres. 

» Le 30, pendant qu'il allaitait sa progéniture, je jetai près de 
lui une grande vipère; elle était assurément venimeuse, car deux 
jours auparavant, elle avait tué une souris. Il s’approcha d'elle 
et la flaira sans se préoccuper de ses morsures, puis 1! la saisit à 
la tête qu'il broya entre ses dents et avala. Il revint ensuite se 
coucher auprès de ses petits et leur donner à téter. Le soir il 
mangea une autre vipère et ce qui restait de la première. Le len- 
demain deux vipereaux furent pareillement dévorés. Les blessures 
produites par les crochets n'étaient même pas tuméfiées, et le 
hérisson ne parut point souffrir d’un pareil régime. Ces combats 
se renouvelèrent pendant plusieurs semaines. Toujours il com- 
mençait par broyer la tête du reptile, ce qu’il ne faisait pas quand 
il s'agissait d’une couleuvre. » 

M. Cherblanc, maire de Lentilly, a publié, dans le Salut public 
de Lyon, des faits presque semblables. « Qu'on se procure, 

écrit-il, un hérisson et une vipère, et qu’on les renferme ensemble; 
bientôt on verra le combat commencer et la vipère ne tardera pas 


(4) Voir le Rapport sur les Vipères de France de M. Léon Soubeiran, auquel 
nous faisons ici de nombreux emprunts. Bulletin de la Socièlè impériale 
d’acclimatation, t. X, p. 418. 


HÉRISSON 209 


* 


à avoir le dessous. Le hérisson rabat son casque épineux, se jette 
sur le reptile avec ses dents acérées, lui casse la colonne verté 
brale et lui brise la tête. » ” 

Désireux de renouveler ces expériences, M. Gicquiau renferma 
les deux prétendus ennemis sous une cloche en verre. Effrayés 
sans doute par la vue des spectateurs, ils ne parurent point dis- 
posés à commencer la lutte ; mis en rase campagne, ils ne cher- 
chèrent qu’à s'échapper. 

M. de Laleu, dans le même but, plaça dans une volière un 
hérisson, un aspic et un tropidonote. Le lendemain la vipère 
n'avait plus de tête ; le second jour la couleuvre était morte et 
avait la queue rongée. 

M. Pradal (1), ayant exposé un hérisson dans une cage où il 
avait déjà mis deux vipères communes, trouva le jour suivant l’a- 
nimal épineux plein de vie, et ses adversaires divisés en tronçons 
et en partie dévorés. 

Il serait téméraire de tirer une conclusion de ces luttes, dont 
le théâtre est une prison étroite, surtout après les histoires de 
souris et de lézard que nous avons racontées plus haut (pages 51 
et 52). 

Mais voici une observation prise sur des animaux en liberté. 

Un de nos amis revenait, avec un autre botaniste, d’herboriser 
aux bois de Verrières (Seine-et Oise). Il était environ six heures du 
soir et ils rejoignaient la gare de Sceaux, quand, au moment de 
quitter la forêt, ils aperçurent le long d'un terrier un hérisson qui 
se jeta sur une vipère et la coupa sous leurs yeux en deux mor- 
ceaux. Craignant de manquer le train, ils ne purent malheureu- 
sement s’arrêler pour voir ce qui advint ensuite. 


(4) Procès-verbaux de la section des sciences naturelles de la Société acade- 
mique de la Loire-Inférieure. — Séance de juillet 1860. 


14 


210 BELETTE, BLAIREAU, CHIEN 


Le hérisson attaque donc parfois les vipères, et il est très- 
rationnel de chercher à le multiplier là où les reptiles abondent ; 
mais il ne faut pas s'illusionner sur l'étendue de ses services 
comme destructeur de serpents (1). Les philanthropes qui ont 
proposé de l’acclimater à la Martinique pour l’opposer au fer-de- 
lance, pourraient bien en être pour leurs frais. 

La belette, quelque peu parente de l’ichneumon ou rat de 
Pharaon (2), fait aussi bonne guerre aux reptiles venimeux. Cela 
nous à été affirmé par plusieurs témoins de ses luttes. Tantôt 
l’adroite et courageuse bête attaque le serpent en pleine cam- 
pagne et le saisit au cou avant qu'il ait le temps de se défendre, 
tantôt elle se jette sur lui quand il rentre dans son trou et qu'il 
ne peut se retourner pour mordre. ; 

Le blaireau, animal omnivore, déchire aussi à belles dents les 
vipères qu'il trouve à sa portée. Son pelage grossier, sa. peau 
épaisse et la couche graisseuse qu’elle recouvre, le protégent contre 
leurs crochets. 

Les chiens indiquent assez bien l’aspic et le péliade et les 
arrêtent par leurs aboiements, mais ils sont de mauvais destruc- 
teurs. Quelques-uns d’entre eux saisissent toutefois ces reptiles 
à pleine gueule et finissent par les étourdir et les tuer en les 
secouant avec violence. 


(1) Nos campagnards ont la stupidité de tuer le hérisson partout où ils 
le rencontrent, quoiqu'il ne vive que d'animaux nuisibies. Ils le con- 
sidèrent comme un maudit, et leurs empiriques lui attribuent une ridicule 
influence sur la délivrance des vaches. Les zingari ou bohémiens errants, 
plus esprits forts, le détruisent aussi, mais pour le manger. 

(2) La mangouste mungo, du même genre que l’ichneumon, est dans 
l'Inde, nous écrit de Calcutta un de nos frères, d’une très-grande utilité 
par le nombre de serpents venimeux et de scorpions qu’elle détruit. Malheu- 
reusement, comme les fouines et les putois, elle est d’un mauvais voisi- 
nage pour les basses-cours. 


CHATS 211 


Dans l'Inde, on dresse des chiens à combattre les najas, et ils 
deviennent alors des gardiens précieux pour les habitations. 

Nous avons déjà dit un mot de l'adresse que déploient les chats 
pour s'emparer des serpents. Surpris par le reptile, ils mani- 
festent une grande crainte, mais s'ils ont pu combiner à l’avance 
leur plan d'attaque, ils sont vraiment beaux à voir. 

Au Brésil, les plus agiles couleuvres et le dangereux jararaca 
lui-même deviennent leur proie. 

En Vendée, tout chat trop maigre passe pour s'être nourri de 
vipères. 1! a mangé du vrin, disent nos paysans. 

Les chats, quand ils se sont emparés d’une bête vivante, lap- 
portent à leur maître et jouent avec elle devant lui. Quelques- 
uns d’entre eux deviennent intolérables par l'habitude qu'ils ont 
d'introduire ainsi des serpents dans les maisons, et l’on est obligé 
de s’en débarrasser. 

Voici un combat mémorable dans lequel la victoire faillit ne 
pas rester à l’agile quadrupède. 

La scène s’est passée à Chantonnay et en présence de M. de 
Béjarry qui nous l’a racontée. 

Un éhat avait pris une longue couleuvre. A l’aide d’une patte, 
il lui maintenait la tête sur le sol et jouait avec le reste de son 
corps, se complaisant dans les convulsions de sa victime. Le 
reptile se tordait et essayait en vain de s'échapper ; à un mo- 
ment donné, il s’enroula autour du cou de son bourreau. Le chat 
effrayé appliqua sa griffe plus fortement sur la tête de la couleuvre, 
mais plus il pressait plus le nœud vivant se resserrait. Raton hur- 
lait d’une façon étrange qui attira autour des deux lutteurs un 
cercle de curieux. Après une dizaine de minutes, un jardinier 
eut pitié de lui, et d’un coup de pelle le délivra du serpent. 

Le cochon et son frère sauvage méritent ici une mention spé- 
ciale. 


212 COCHON, SANGLIER 


Aux États-Unis et sur divers points de l’Amérique, on élève 
des porcs aux voisinages des cases pour en écarter les crotales. 

A la vue d’un serpent, ils font entendre un grognement de: 
satisfaction, qui paralyse de terreur leur adversaire. Ils le croquent 
alors avec une véritable volupté et sans paraître se préoccuper 
de ses morsures. 

Le cultivateur vendéen évite de laisser manger des vipères à 
ses cochons, sous prétexte qu’un pareil régal les fait maigrir. Les 
bergers de l’Estramadure, au contraire, attribuent aux vipères 
avalées par les pores de leurs sierras le goût exquis de leurs 
jambons. 

Dans les bois où se mulliplie le sanglier, les vipères cessent 
d’être nombreuses. 

« Le pare de Château-Vilain (Haute-Marne), agreste, sauvage 
et de plus de 200 hectares, fourmillait de vipères lorsqu'on 
mêla des sangliers aux cerfs, aux daims et aux chevreuils, 
qui en sont les habitants actuels. À peine y furent-ils, que 
les reptiles, sans disparaitre tout à fait, diminuèrent dans une 
telle proportion, que la promenade pouvait se faire sans 
inquiétude. Toutefois, comme l'endroit contenait de bonnes 
truffières, les sangliers ravagèrent tout pour y trouver et man- 
ger les truffes, ce qui força à tuer, en 1857, le dernier de-ces 
animaux. Depuis la destruction de leurs ennemis, les vipères 
reparaissent en tel nombre, que l'on a résolu de remettre 
des sangliers au pare pour pouvoir ÿ maintenir un équilibre tolé- 
rable. — M"° A. Passy, 1859. » (Extrait du rapport de M. Léon 
Soubeiran.) 

Les sangliers sont rares en Vendée, et l'on ne laisse guère 
errer le porc en liberté, car avec son groin il bouleverse les 
cultures. 

Mais le plus grand destructeur des vipères, c'est l’homme. Dès 


MESURES A PRENDRE 215 


les premiers jours, une inimitié profonde a été mise entre lui et 
le serpent. Il le tue par instinct partout où il le rencontre, et le 
fait disparaître du voisinage de son habitation par les habi- 
tudes mêmes de sa vie. 

Plus la culture devient générale et régulière dans un pays, plus 
on y voit diminuer le nombre des serpents. 

C’est ce qui se produit pour nos contrées de l'Ouest, par rap- 
port à l’aspic et au péliade. La destruction des halliers, l'ouver- 
ture de larges voies de communication, la disparition des jachères, 
ne permettent plus aux vipères d’y vivre en paix, et les laissent 
exposées aux attaques des buses et de leurs autres ennemis. 

Est-ce à dire qu’il faille attendre l’extinction spontanée de cette 
race rampante et qu'aucune mesure administrative ne soit 
nécessaire ? Hélas non! et chaque année des accidents cruels 
viennent nous le rappeler. 

Aussi en terminant, en 1861, la première édition de ces Étu- 
des, proposions-nous à M. le préfet de la Loire-Inférieure, en 
réponse à la dernière question de son enquête : 

4° La publication, par le Conseil d'hygiène et de salubrité, 
d’un opuscule du genre de celui que le docteur Fouré rédigea en 
1809, à la demande de M. de Celles. (Znstructions sur la mor- 
sure des animaux enrages et sur la morsure des vipères, par Fouré, 
membre du Jury de médecine et médecin des épidémies. 1869. 
Imprimerie Malassis.) Il serait mis au niveau de la science et 
répandu dans les campagnes afin d'éclairer les populations. 

2 La création d’une prime par tête de vipère. 

Le rapport sur les vipères de la Société d’acclimatation, qui 
parut peu de temps après (1863) avec des conclusions presque 
identiques, décida M. le préfet de la Vendée à prendre l'arrêté 
suivant : 


RA4 MESURES A PRENDRE 


« Le préfet de la Vendée, officier de l’ordre impérial de la Lé- 
gion d’honneur ; 

Vu la délibération du Conseil général du département en 
date du 29 août 1863 ; 

Vu les lois des 22 décembre 1789 et 28 pluviôse an VII; 

Arrête : : 

Art. 4er, — Une prime de vingt-cinq centimes sera accordée 
pour la destruction de toute vipère ayant au moins trente 
centimètres de longueur. 

Art. 2. — Les primes seront payées soit, sur la présentalion 
à la préfecture, première division, du corps de la vipère tuée, 
soit sur le certificat d’un médecin ou d’un pharmacien constatant 
que les reptiles qui leür sont présentés sont bien des vipères. 

Le certificat attestera en outre que la tête et la queue des 
vipères ont été écrasées en présence du médecin ou du phar- 
macien signataire du certificat. 


Napoléon-Vendée, le 8 janvier 1864. 


Le préfet de la Vendée, 
G. DE VILLESAISON. » 


Cet arrêté, par suite de quelques difficultés d'exécution, n’a pas 
donné tous les résultats qu'on en devait attendre. 

Dans la Loire-[nférieure, où le mal du reste est moins grand, 
on a hésité jusqu’à ce jour à établir la prime demandée, mais 
M. le préfet, I. Chevreau, a répondu à notre seconde proposition 
en faisant distribuer aux frais de l'administration départemen- 
tale cent exemplaires de notre travail, aux divers médecins can- 
tonaux. 

Vers la même époque, la tête de la vipère était mise à prix 
dans les Deux-Sèvres, et, d'après Maître Jacques, journal popu- 


MESURES A PRENDRE 25 


laire d'agriculture très-répandu dans le Poitou, la dépense à la- 
quelle cette proscription a donné lieu s’est élevée de 1864 à 1868 
à 13,865 fr. 50 alloués en primes de 25 centimes, Ce qui re- 
présente 55,462 vipères détruites en cinq années dans ce dépar- 
tement. 

Ce chiffre est tellement élevé qu'il est impossible que quel- 
ques malheureusés couleuvres ne soient pas venues le grossir. 

Nos conelusions restent les mêmes. 

L'Instruction sur les vipères devrait être courte, en langage 
vulgaire, et d'un prix minime. Elle serait distribuée gratis aux 
médecins des pauvres, aux instituteurs et aux autres personnes 
appelées à en profiter pour l'avantage de tous et à la propager. 
Elle comprendrait une brève description de l’aspie et du péliade, 
quelques détails sur leurs mœurs, un tableau synoptique orné 
de planches permettant de distinguer les uns des autres les 
serpents du pays, les caractères de nos vipères, leurs morsures 
et les premiers soins à y opposer. 

Quant à la prime, le chiffre de 25 cent. est suffisamment ré- 
munérateur pour le chercheur de vipères et ne changera pas trop 
le budget, s’il n’est attribué qu'aux têtes d’aspics et de péliades. 
Mais il faut se rappeler que, | 

Petit serpent deviendra grand 
Pourvu que Dieu lui prête vie. 

Une prime supplémentaire de 40 à 15 centimes devrait donc 
être établie pour les vipères moindres de 30 centimètres de 
longueur, taille minimum indiquée par l'arrêté de M. de Ville- 
saison. Sans cela, ainsi que le fait remarquer M. Passy (1), les per- 
sonnes dont le métier est de prendreles vipères auront bien soin 

(4) Bulletin de la Société d'acclimatation, t. VI, p.233.— Séance du 5 mars 


1869. | 
A la même séance : M. Duchesne-Thoureau fait connaitre le moyen de 


216 MESURES A PRENDRE 


de respecter les vipéreaux et les femelles pleines, et n’iront pas 
détruire leur gagne-pain de l’année suivante. 

Les médecins et les pharmaciens sont parfaitement aptes par 
leurs connaissances spéciales et leur honorabilité à fournir aux 
chercheurs de vipères le certificat exigé pour la prime. 

Mais il est un mécanisme plus simple. Si un grand nombre de 
communes n’ont point de médecin, toutes possèdent un maitre 
d'école, fonctionnaire instruit, dévoué, et qui, à l’aide de l’opus- 
cule dont il a été question, arrivera, s’il ne le sait déjà, à dis- 
tinguer avec facilité les vipères des couleuvres. Il est presque 
toujours en même temps secrétaire de la mairie. Ne pourrait-on 
pas, moyennant une faible augmentation d’appointements, le 
charger de délivrer le certificat du nombre des vipères tuées par 
chaque chasseur, certificat ayant la valeur d’un bon payable chez 
le percepteur du canton ? 

Les têtes recueillies dans un flacon plein d’eau additionnée de 
quelques gouttes d'acide phénique serviraient de moyen de vé- 
rification. 

Si les mêmes mesures étaient prises à la fois dans la Vendée, 
la Loire-Inférieure, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres, peu 
d'années suffiraient pour faire disparaitre la vipère de cette par- 
tie de la France. 
prendre les vipères vivantes à l’aide d’un bâton et d’une bouteille, moyen 
qui est du reste celui dont use depuis longtemps notre collaborateur, 
M. Gicquiau. M. Passy raconte que depuis deux ans, on emploie au do- 
maine d’Are, une femme de Champlitte, près Langres, qui force les vipères 
de sortir de leur trou en y insufflant une liqueur dont la composition est 
son secret, ce qui lui a permis d'en prendre en trois mois plus de huit 
cents. M. Millet rapporte que l’insufflation du tabac dans les trous de 
vipères les force rapidement à en sortir et qu’à l’aide d’une baguette ter- 


minée par une éponge ou de l'étoupe imprégnée de benzine on arrive plus 
sûrement encore à ce résultat. 


APPENDICES 


Î. — EMPLOI DE LA VIPÈRE ET DU VENIN DES SERPENTS 
COMME MOYENS THÉRAPEUTIQUES. 


« La chair des viperes eft chaude & defccatiue eftant aceou- 
tree comme les anguilles auec eau, huile, fel, anet, pourreau, 
chacun mis felon fa proportion. Elle purge le corps vniuerfelle- 
ment par les pores de la peau, ce que ay moymefme eftant 
encore leune experimenté en noftre Afie. L’hiftoire eft telle, Vn 
de noftre compaignie eftant ladre, hanta & conuerfa tant auec 
nous qu'aucuns en furent entachés, il estoit dela puant & tout 
gafté : parquoy on luy baftit vne petite maisonnette à part, pres 
d'vn village, en vne colline où efloit une fontaine : on luy portoit 
tous les iours à boire & à manger tant qu'il luy eftoit de besoin, 
Auint qu'enuiron les iours caniculiers on apporta aux moiffon- 
neurs qui moissonnoient près de là, de fort bon vin, lequel fut 
laisé là fur le champ. Quand le temps de boire fut venu, l’vn ver- 
fant du vin dans vne tasse (pour le tremper d’eau) auec le vin 
- fortit une vipère morte, de quoy les moissonneurs estônés & crai- 
gnans que mal leur auinst fils en beuoyent, aimerent mieux 
boire de l’eau. Se retirans & paffans par deuant la loge du ladre, 
esmeus de pitié luy donnerent ce vin, penfans qu’il luy valoit 
mieux mourir tost, que long temps languir en cette misere. Le- 


218 LA VIPÈRE MÉDICAMENT 


quel ayant beu ce vin, par vn grand miracle fut gueri : car toute 
cette craffe & efpaiffeur de cuir luy tomba ne plus ne moins que 
la coque des caneres & langouftes quand ils muent, la peau de 
delfous eftoit molle comme celle des animaux fufdits, leurs 
coques tombées. Pareil cas auint en la Mysie d’Afie pres de la 
ville d'où ie fuis. Vn homme ladre f’en ala baigner aux bains 
naturels & chauds en penfant recouurer quelque fanté. Il avoit 
pour chambriere une jeune femme belle, à laquelle plusieurs fai- 
soient la court. La maison où il logeoit cependant qu'il vsait de 
ces bains, eftoit pres d’vn lieu ord & sale, & plein de vipères, 
l’vne defquelles par fortune se getta dans vn baril plein de vin 
qui eftoitdemouré debouché. Ce que voiant la fille pensant auoir 
moyen de se defpescher de son ladre, luy baïlla à boire de ce 
vin, & l’aiant beu il deuint fain comme le ladre de la loge. Voilà 
ce que Galenus en dit, lequel allegue autres expériences des 
ladres guéris par le moyen des vipères, lefquelles nous ne recite- 
rons pas icy pour eftre plus briefs. » (Commentaires de P. A. Mat- 
thiole sur les six livres de Dioscoride, mis en français sur la dernière 
édition latine de l'auteur, par Jean des Moulins.— Lyon, MDLXXIX. 
page 244.) | 

Depuis Galien et sur son autorité, la vipère a été longtemps 
prescrite comme sudorifique et réputée le meilleur spécifique 
contre les maladies de la peau. 

« Pline, au liv. 30, chap. 13, récite qu'Antoine Musa, mé- 
decin de Cefar Augufte, ordonnoit des viperes à manger à tous 
ceux qui auoient des vlceres autrement incurables & les guérif- 
foient par ce moyen fort foudainement. Pource 1e mefbahi fi 
Cardanus a tant eftimé la chair des viperes, comme très fingu- 
lière pour guerir les ‘tabides & ceux qui ont les poulmons ulce- 
rés. Il en efcrit ainsi en un conseil enuoyé à Iean archevefque de 
S. André en Efcoffe : « le vous dirai un trefgrand fecret guerif- 


LA VIPÈRE MÉDICAMENT 219 


fant entierement les tabides, les ladres, &, qui contre toute efpe- 
rance les engraiffe et guerit ceux qui font de tout abandonnés. 
Prenez donc cette vipere qui eft rouge, groffe et courte & que 
les Italiens appellent Milort, couppez lui la tefte & la queue, 
efcorchez la aufli, gettez les entrailles & gardez la graiffe à part; 
partiffez la vipere en tronçons comm’un anguille, faites la cuire 
en eau auec du benjoin & du fel, en y aioutant peu après des 
feuilles de persil. Quand elle sera bien cuitte, coulez le ius par 
un linge, faites cuire dans iceluy vn ieune poulet, baillez à 
manger au malade du pain trempé dedans ce bouillon, & la chair 
du poulet. De la graiffe gardée à part, oignez en l’efpine du dos, 
les autres iointures, les arteres qui battent es pieds & mains, la 
poitrine aussi. Ce pendant le malade doit demeurer en vne 
eftuue & ce continuer pendant: fept iours. Pour ce remede les 
viceres des poulmons sont chaffés jufques au cuir extérieur par 
des tubercules qui y furuiennent, les interieurs viceres sont gue- 
ris & les malades retournent à convalescence. » (Matthiole, loco 
ci, p.216). 


Dans le Cours de chimie de N. Lemery (2° éd., p. 815, Paris, 
1756) et dans la Pharmacopée universelle Au même auteur (5° éd., 
t. IE, p. 435, Paris, 1764), nous trouvons indiquées diverses pré- 
parations médicinales de vipères : 

1° La poudre, obtenue comme il suit : 

« On aura des vipères bien nourries et des plus vigoureuses ; 
on en coupera la tête; on les écorchera ; on en séparera les en- 
trailles et l’on fera sécher les troncs, les foies et les cœurs, en 
les attachant séparément à des ficelles et en les pendant au 
plancher. On coupera ensuite les troncs en petits morceaux que 
l’on réduira en poudre subtile. » 


220 LA VIPÈRE MÉDICAMENT 


La poudre, préparée avec le foie et le cœur du serpent, por- 
tait le nom de bézoard animal et passait pour la plus active. 

2° Les trochisques, un des nombreux éléments de la thériaque. 
La poudre fraiche de tronc, de cœur et de foie de vipères 
était transformée en pâte dure dans un mortier de marbre, à 
l’aide d’un mucilage de gomme adragante au vin d'Espagne, puis 
disposée en trochisques que l’on faisait sécher à l’ombre et sur 
lesquels on répandait quelques gouttes de baume du Pérou. 

Lemery ajoute : « Ils sont propres contre toutes les maladies 
où il y a malignité; ils chassent par la transpiration les mauvaises 
humeurs, ils résistent à la pourriture, ils purifient le sang et ré- 
tablissent les forces. La dose en est depuis demi-scrupule jus- 
qu’à une drachme. » 

Il avait plusieurs autres formules de ce médicament, et en 
particulier des trochisques au pain. Les Anciens apportaient un 
soin infini à sa préparation. Ainsi, de peyr que les vipères ne 
conservassent quelque malignité, ils les flagellaient dans une 
bassine chaude « pour les irriter et exciter leur venin à couler 
vers la tête et la queue! » puis ils coupaient ces extrémités 
avant de se servir du corps de l'animal. 

3° Le fiel frais. Il se donnait à la dose d’une à deux gouttes 
dans de l’eau de chardon bénit. Sudorifique et antiputride très- 
prôné, surtout contre la petite vérole. 

4° La graisse. Claire, semblable à de l'huile, elle s’administrait 
à l’intérieur pour remplir les mêmes indications et servait à com- 
poser plusieurs emplâtres ou onguents résolutifs, en particulier 
l’'emplâtre dit de Vigo (Emplastrum de ranis, vulgo de Vigo cum 
mercurio) ; elle s’y trouvait unie, entre autres substances, à des 
grenouilles et à des vers de terre, cuits vivants. 

5° Le bouillon déjà décrit : « Excellent sudorifique, à condition 
que le patient se soumette à un séjour plus ou moins prolongé 


LA VIPÈRE MÉDICAMENT 221 


à l’étuve. » Grâce à de semblables précautions, le bouillon de 
poulet, ou celui d’escargots aurait les mêmes vertus. 

On obtenait par distillation un produit désigné sous le nom de 
sel volatil de vipère, et à la préparation duquel l’ancienne phar- 
macie employait des soins minutieux. Une fois cristallisé, 1l 
n’était autre que du carbonate d’ammoniaque impur, renfermant 
quelques traces de produits empyreumatiques. Véritable pana- 
cée, il se donnait dans les fièvres malignes, les affections viru- 
lentes, l’apoplexie, l'épilepsie, etc. 

I! devait être fait avec des vipères vivantes, et Techmeyer ra- 
conte gravement qu'un chimiste vit passer un tronçon de vipère 
vivant dans le réfrigérant de sa cornue. La plaisanterie est forte, 
même quand ils’agit d'animaux à vie aussi dure. 

Il y avait encore un vin, une gelée, et une huile essentielle de 
vipère (1). 

Tout ceci est rapporté par Nicolas Lemery, docteur en méde- 
cine et membre de l’Académie royale des Sciences, dans ses 
livres, très-savants pour l’époque et dédiés à Messire Guy Cres- 
cent Fagon, conseiller d’État ordinaire et premier médecin du 
Roi. 

Depuis que la science ne repose plus sur l’autorité du Maitre 
mais sur l'observation, la vipère a cessé d’être un médicament el 
les recettes que nous venons d’énumérer ne sont plus prescrites 
que par les empiriques et les prôneurs de remèdes secrets. 

Il en reste cependant des traces dans nos campagnes. 

A Aigrefeuille, quand vient mars, saison des amours des ser- 
pents, on irrite les vipères et on les tue. Elles sont ensuite dé- 


(1) L'huile de spic, que nos paysans appellent huile d'aspic et qu'ils 
emploient contre les douleurs rhumatismales, n’est point fournie par un 
serpent, mais par une lavande, le Lavandula Spica L. 


222 EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 


pouillées de leur peau, mises deux jours à macérer dans du 
vinaigre très-fort, puis elles sont suspendues à une poutre à 
l’aide d’une ficelle, séchées et pulvérisées. Les paysans mangent 
cette poudre avec du pain et du beurre comme sudorifique et 
l’administrent à leurs bestiaux. Une vipère ainsi préparée se 
vend un franc ou un franc cinquante. 

On a cherché aussi à utiliser le venin en thérapeutique et 
d’abord comme préservatif de l’envenimation elle-même. 

D’après M. Bouchut (Nouveaux éléments de pathologie générale, 
p. #1), les marchands de vipères, habitués à se faire mordre 
par les reptiles qu'ils attrapent, ne subissent plus l'influence 
de leur poison. Malgré l'opinion de ce savant professeur, les 
vraies causes de cette immunité nous paraissent être la liga- 
ture et la succion, auxquelles ils ont immédiatement recours. 

Il n’est pas rare, au contraire, de voir des chiens succomber à 
une troisième ou quatrième rencontre avec le serpent. 

Que penser alors des curados de culebras, de la côte orientale 
du Mexique, dont M. Jacolot (Arch. de méd. nav., 1867, t. VIX, 
p. 390) raconte l’histoire ? 

Ils passent pour être complétement à l'abri des venins par 
suite des inoculations auxquelles ils se sont soumis. 

L'un des plus célèbres, Martino Bocaneira, aurait été mordu 
par des corails (1), au su de tout Tuxpan, sans qu’il lui soit rien 
arrivé de fàcheux. | 

D'après ce même Bocaneira, voici comment procèdent les 
curados pour obtenir leur merveilleux privilége. 


(1) Pourquoi ce choix du corail, comme serpent devant fournir le venin 
fait par tous les prôneurs de remèdes secrets de l'Amérique? Ne serait-ce 
pas parce qu'il est facile de lui substituer un reptile inoffensif ayant la 
même livrée? 


EMPLOI MÉDICAL DU VENIN RRI 


Le matin du jour de l’inoculation, qui est nécessairement un 
vendredi, le patient avale une quantité assez considérable d’eau- 
de-vie, et de cinq à quinze tubereules d’un Dorstenia, connu sous 
le nom vulgaire de mano de sapo où main de crapaud (1). Les 
racines ont été récoltées un vendredi, et, s’il se peut, le premier 
vendredi de mars ; elles sont données par nombre impair et en 
aussi grande quantité que le permet la tolérance du malade. 
Elles abaissent la température, ralentissent la circulation, et pro- 
voquent des nausées. 

L'opération est pratiquée à laide du crochet d’un crotale 
(cuatro narices) tué un vendredi. Le même crochet sert plusieurs 
années à cet usage. 

Les piqûres se font sur le dos du pied, au poignet, à la cuisse, 
au bras, au sternum et enfin à la langue. On ne doit pas cracher 
tout le jour, de peur de rejeter le venin ! Des cataplasmes de mano 
de sapo ou de guaco sont appliqués sur les petites plaies. 

Sept inoculations au minimum sont nécessaires, si l’on veut se 
mettre complétement à l’abri du maléfice, mais quelques indivi- 
dus en subissent jusqu’à quinze ; ils restent alors comme hébétés. 

Soumis à cette pratique, surtout si la lune est dans son plein, 
l'inoculé offre de l’exaltation, du besoin de mordre et une saliva- 
tion extrême ; il déchire avec ses dents les arbres et les animaux, 
et ses morsures les font mourir. 

Les curados, toujours, au dire de Bocaneira, pourraient seuls 
sucer sans crainte les morsures de crotales et les guérir. 

Il est difficile de découvrir s’il y a quelque chose dont la 
science puisse tirer profit au milieu de ces pratiques supersti- 

(4) Le mano de sapo ne serait-il point la même plante que le contrayerva 
(Dorstenia Contrayerva L.), morée cultivée au Mexique et au Pérou, à 


cause de sa racine aromatique et stimulante administrée contre les mor- 
sures des serpents ? 


224 EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 


tieuses. Les curados nous semblent avant tout d’habiles exploi- 
teurs de la crédulité publique. 

Le venin a-t-il la puissance de prévenir la-rage, comme on le 
croit généralement en Vendée? Rien n’est moins démontré, et 
M. Milcent, curé de Froidfond, nous a communiqué l’histoire d’un 
chien qu'il fallut abattre parce que, très-peu de jours après une 
piqüre de vipère, il présenta les premiers symptômes de l’hydro- 
phobie. 

Les essais de ce poison contre la maladie confirmée ont été 
tous infructueux. « J'ai vu, dit Mérat (Dict. des sc. méd., t. LVIIE, 
p. 168, art. Vipère), employer à hôpital de la Charité la morsure 
de la vipère contre la rage mais sans succès. M. Cayol avoue le 
même résultat. MM. Poletta et Sornani n’ont pas été plus heu- 
reux, ils ont vu les deux maladies suivre leur cours sans se mo- 
difier l’une l’autre. 

D’après le docteur Oheix, de Savenay, la tuméfaction inflam- 
matoire produite par le venin aurait, dans le cas ci-après, été 
cause de la disparition d’un œdème chronique. 

« Maillard, âgé de soixante ans et d’une forte constitution, était 
atteint de rélrécissement mitral avec induration des vaisseaux 
et offrait un œdème des membres inférieurs, lorsqu’en 1864, il 
fut, aux environs de Savenay, blessé par une vipère. Je le vis 
environ vingt-cinq minutes après. Il présentait une prostration 
profonde, des défaillances et des vomissements, son pouls se 
sentait à peine; l’œdème était généralisé, mais surtout prononcé 


au cou et à la figure, et la-respiration, anxieuse, comme crou- . 


pale, faisait craindre une asphyxie prochaine. 

» Les symptômes alarmants ne durèrent que deux heures. Des 
ventouses scarifiées appliquées sur la blessure et de l’ammo- 
niaque administrée à l’intérieur et à l'extérieur, amenèrent le 
soulagement du malade. 


. 


EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 22 


» Chose étrange, l'infltration des extrémités inférieures, qui 
s'était développée sous l'influence de la maladie cardiaque bien 
avant la morsure, se dissipa les jours qui suivirent, et la gêne 
de la circulation disparut presque complétement, sans doute 
sous l'influence de la dissolution du sang par le venin. Cette 
amélioration continuait encore deux ans plus tard, quand Mail- 
lard succomba à une apoplexie. » 


Un médecin espagnol, cité par le Heraldo medico, a proposé 
linoculation du venin de l’ammodyte (4) contre le choléra. 

M. Tel. Desmartis de Bordeaux, esprit extrêmement-original, 
dans un mémoire ayant pour titre de l'Emploi médical des venins, 
mémoire dont nous sommes loin d'adopter toutes les conclusions, 
dit avoir guéri par la piqûre de deux scorpions un cholérique 
qu’il considérait comme perdu. La prostration aurait fait place à 
une légère agitation, le pouls se serait relevé, et une réaction 
franche aurait sauvé le malade. 


La piqûre très-douloureuse de larachnide aura sans doute agi 
à la manière des révulsifs. 


M. Desmartis emploie, dans sa pratique, le venin de divers 


(4) Vipera ammodytes Dum., espèce qui n’est guère différenciée de 
l'aspic que par la pointe molle et écailleuse qu’elle porte sur le museau. 
Dans notre première édition, nous avions indiqué, d'après tous les auteurs 
(MM. Duméril et Bibron, Moquin-Tandon, L. Soubeiran, etc.), ce reptile 
comme un animal du sud-est de la France. Conservant des doutes sur son 
indigénat, nous sommes allé à sa recherche aux lieux qu’on lui donne 
pour patrie sans pouvoirle rencontrer. M. W.Gerdy, médecin-inspecteur des 
eaux d'Uriage, et M. Bouteille, directeur du musée d'histoire naturelle de 
Grenoble, nous ont affirmé qu'il n'existe pas dans le Dauphiné. D'autre 
part, M. L. Soubeiran nous écrit que le docteur Ebrard lui a certifié qu’on 
ne rencontre jamais cette vipère dans le département de l’Ain. L’ammo- 
dyte est un serpent de l'Espagne, de l'Italie et de la partie méridionale 
de l'empire d'Autriche, mais il faut rayer son nom de la faune française, 

15 


RR6 EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 


hyménoptères et prescrit aux rhumatisants dix à douze guêpes, 
là où d’autres ordonneraient des sangsues. 

Le poison des crotales a été conseillé au Brésil contre la lèpre. 
Sigaud rapporte l'histoire d’un malade qui, s'étant obstiné à 
recourir à ce mode de traitement, périt victime de son impru- 
dence. 

Mais le point le plus curieux de la thérapeutique par les venins 
est leur inoculation proposée comme moyeu prophylactique de 
la fièvre jaune. 

En 1847, M. G. de Humboldt, qu’il ne faut pas confondre avec 
l’auteur du Cosmos, dont ses partisans le disaient neveu, obtint 
du gouvernement mexicain de soigner les condamnés aux pré- 
sides de la Vera-Cruz et de Saint-Jean d’Ulloa et suivit ces pri- 
sonniers d’Orizaba à leur destination. 

Il dit avoir remarqué dans ce trajet que l’apparition du 
vomito coïncidait avec la piqûre d’une petite vipère et avoir con- 
firmé son observation par des expériences sur des chiens. 

Il voulut dès lors utiliser ce qu’il appelait sa découverte et, 
pour mitiger le poison devant servir à sa vaccination preser- 
vative, il fit mordre six fois par six vipères un morceau de la 
glande hépatique d'un mouton. Puis il tenta trois ou quatre 
inoculations de ce putrilage sur des chiens qui en furent quittes 
pour quelques jours de fièvre. Des chiens il passa aux con- 
damnés, et leur fit quatre piqüres à chaque bras avec des 
résultats identiques. 

Dès lors l'engouement ne connut plus de bornes, et de 4850 à 
1852, 1438 personnes se firent inoculer. Sept d’entre elles, 
raconte-t-il, eurent seules ensuite la fièvre jaune et d’une façon 
très-légère. 

En 1854 on le retrouve à la Nouvelle-Orléans, d’où il adresse 
un mémoire à l’Académie des Sciences de la Havane, puis à 


EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 881 


Cuba, où le gouverneur l’autorise à établir une maison d’inocu- 
lation, quatre médecins militaires et deux cents personnes de 
l’île s'étant déjà soumis à la vaccination préservative. 

Mais la mystification devait avoir un terme et M. G. de Hum- 
boldt allait trouver des juges. 

En vain le docteur Manzi, avec une conviction profonde, 
publiait-il à Paris, en 1858, son Histoire de l’inoculation préser- 
vatrice de la fièvre jaune, dans laquelle il considérait la fièvre 
d'inoculation comme étant un vomito en miniature et offrant 
avec la fièvre jaune les mêmes relations que la vaceine avec la 
variole , le rapport du gouverneur général de Cuba fut écrasant 
et celui publié le 10 mai 1865 par la commission mexicaine, 
plus défavorable encore. 

Cette commission, composée de MM. Reyes, Iglesias, Angel et 
Jordanet, réfute un à un tous les faits avancés par M. G. de Hum- 
boldt, qu’elle traite d'erreurs grossières propagées par la bonne 
ou la mauvaise foi d’un seul. 

Sans s'attacher à combattre sa pathogénie fantastique de la 
fièvre jaune, ni vérifier si la prétendue vipère était bien veni- 
meuse, ce qui était nié par les détracteurs du procédé, elle 
expose que ledit médecin a emprunté son prétendu venin au 
foie d’un seul mouton mordu par un serpent et qu'il s’est servi 
pendant deux années de ce détritus pour toutes ses vaccinations. 
Il a donc inoculé simplement une matière putride donnant lieu 
à quelques phénomènes réactionnels sans rapport avec la fièvre 
jaune et qui étaient combattus par de hautes doses de guaco, de 
sulfate de quinine et d’iodure de potassium. Les inoculés ajoutent, 
les deux rapports, n’ont pas été plus exempts que les autres de la 
fièvre jaune et plusieurs en sont morts. 

La fièvre jaune, le choléra, et autres affections infectieuses, et 
d'autre part les maladies du cœur offrant quelques symptômes 


“ 


om À ho PE sm 2 


228 EMPLOI MÉDICAL DU VENIN 
communs avec l'envenimation, les homϾopathes leur opposent 
le venin de la vipère et celui de divers crotaliens, en particulier 
du Lachesis mutus. Is administrent ces substances par la bouche 
et à doses diluées, c’est-à-dire dans des conditions où elles ne 
peuvent avoir d'activité. 

Quelle peut être, par exemple, l’action d’une goutte de poison 
du lachésis à la dix-millionième dilution ? Pareille formule cepen- 
dant a été remise avec un certain sérieux à une dame de nos 
amies, se plaignant de troubles circulatoires. 

Cet article peut donc se résumer ainsi : Les parties qui consti- 
tuent le corps de la vipère n’ont pas plus de valeur thérapeutique 
que les parties similaires de l’anguille ou de la lamproie, et le 
venin des serpents, malgré sa grande puissance, n'a pas été 
jusqu'ici utilisé avec fruit par l’art de guérir. 


TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS 229 


II. — TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS DE LA VENDÉE 


ET DE LA LOIRE-INFÉRIEURE 


Vermiforme, à reflets métalliques jaune argenté en 
dessus et noirâtre en dessous; écailles du dos et du 
ventre semblables ; tête conique; œil petit à trois pau- 
pières mobiles ; queue plus longue que le reste de 
l'animal. 

I. — ORVET FRAGILE, Anguis fragilis L., vulg. Anvin, 

| Anvais, Nielle (A). 


C. C. partout : dans les bois, les prés, les lieux pierreux. 


Dos couvert d’écailles imbriquées; dessous du corps 

- revêtu de larges plaques transversales, simples sous le 
ventre et sur deux rangs sous la queue; œil entouré 
d’un cercle d’écailles immobiles; queue beaucoup plus 
courte que le corps. + - . RP EMA TL RATE F. 


Tête ovale, ornée de neuf grandes plaques en écus- 
son; pupille ronde; dents toutes fixes, lisses et non 
perforées; écailles du dos et des flancs avec ou sans 
saillies longitudinales ou carène . . Couleuvres 3 


Tête élargie en arrière, aplatie, couverte soit entiè- 

2 rement de petites écailles, soit d’écailles et de trois 
plaques en écusson; pupille en fente verticale; mà- 
choire supérieure portant de chaque côté une longue 

dent mobile et perforée par un canal interne (crochet à 
venin); écailles du dos et des flancs carénées; queue 

TES COUR | -i0 te htiebi) VAPETES 7 


(4) La queue n'offre pas toujours les dimensions relatives signalées ici : car elle 
se brise facilement, et après la cassure elle se reproduit avec une moindre longueur. 
Les petits orvets diffèrent des adultes par la couleur. ils sont blancs en dessus avec 
une ligne brune se bifurquant sur la nuque et oni le ventre brun ardoisé, 


230 TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS 


Écailles du dos et des flancs carénées. . . . 6 


Écailles du dos et des flancs lisses. . . . . 4 


Tête petite, comprimée latéralement, sans taches en 
dessus; trait noir vertical sous l'œil traversant les deux 
mâchoires ; dos brun, olivâtre ou rousseâtre; plusieurs 
séries de points blancs sur les côtés du corps; ventre 
jaune paille; à l’union de la tête et du corps la teinte 
jaune du ventre s’avance sur les côtés du cou, en de- 
venant plus foncée, mais sans former de collier com- 
plet; dents toutes semblables en dimension et en inter- 
valle; longueur totale de l'adulte, 95 cent. 

| à 1 mètre; queue formant à peine le cin- 


quième de lindividu. 


II. — CoucEuvre D'EscuLAPE, Elaphis Esculapii 
Dum., vulg. Sangle, Rouabe, Enfilandre, Es- 
terlange (4). 


Buissons et bois. À. C. mais pas partout. 


Taches noirâtres diverses sur le dessus de la tête; 
dents 1N62A16S 4 CANIN EN RENNES ÿ 


(4) Les écailles de l’élaphe peuvent passer pour lisses, quelques-unes, à la région 
dorsale, présentent cependant un petit tubercule, rudiment de carène, d'autant plus 
marqué que l’animal est plus vieux. 

Les élaphes naissants offrent une teinte générale blanchâtre, qui devient grise en 
dessus. Sur ce fond de robe se dessinent au dos et aux flancs plusieurs séries de 
taches arrondies, ardoisées ou d’un gris bleuâtre. 

M. Tréton du Mousseau, cité par M. Millet (Faune de Maine-et-Loire), a trouvé 
à Saumur, et M. A. de l'Isle à l’étang de Chanvaux, pareïllement en Maine-et-Loire, 
la curieuse variété à quatre raies de cette couleuvre (E. Esculapü var. quadrili- 
neaius). 


TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS 281 


Sur la tête, une large tache brunâtre échancrée en 
arrière sous forme de cœur ou d’'U; œil placé dans une 
bande de même couleur ; queue formant à peine le cin- 
quième de la longueur totale, qui est de 60 centimètres : 
dessus du corps gris ou rougeàtre; ventre noirâtre ou 
rougeâtre ; quatre rangs de 
petites taches sur le corps; 
dents inégales en longueur, 
mais non en intervalle. 


III. — CouLEUvVRE LISsE, Coronella levis Laur. (1). 
A. G. Lieux secs et pierreux. 


D'un vert noirâtre varié de lignes d’un beau jaune 
en dessus; jaune clair en dessous; partie supérieure 
de la tête mouchetée de jaune ; queue formant plus du 
tiers de la longueur de l’animal; dimensions de l’adulte 
1,40 à 1",80; dernières dents sus-maxillaires plus 
longues que les autres 
dont elles sont sépa- < 
rées par un intervalle 
libre. 


IV. — COULEUVRE VERTE ET JAUNE, Zamenis viridiflavus 
Wagl. (2). 


C. Dans le sud de la Vendée, principalement dans les îlots calcaires 
de la Plaine et du Marais méridional, 


(4) Cet animal inoffensif se rapproche des vipères par ses teintes générales, mais 
en diffère par ses taches et par ses écailles. 

Peut-être trouvera-t-on dans le sud de la Vendée une couleuvre voisine de celle- 
ci et, comme elle, à écailles larges et lisses, le Coronella girundica Dum. Elle a huit 
plaques sus-labiales au lieu de sept, une seule série de taches noires sur le dos et des 
plaques ventrales et caudales à moitié noires. 

(2) Les jeunes Zamenis ont donné le change à MM. Mauduyt, Millet et Delalande, 
qui les ont décrits sous le nom de couleuvre glaucoide. Ces jeunes serpents ont le 
corps sans taches, cendré bleuâtre en dessus avec des écailles ombrées, et sont d’un 
bianc sale en dessous. Leur tête bleuâtre à sa partie postérieure est plus pâle en 
avant et marquée de lignes irrégulières et de taches blanches, entourées de noir foncé. 


232 TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS 


Sur la nuque, collier blanc, jaune pâle ou citrin, 
plus rarement orangé, suivi d’une large tache noire de 
chaque côté du cou; tête grise, sans tache en dessus; 
dos plus ou moins cendré, avec trois ou quatre rangées 
de petites taches noires; ventre noirâtre, tacheté de 
blanc, surtout vers les flancs; longueur 60 centimètres 
à un mètre; dents postérieures plus longues, mais 
non séparées des précé- 
dentes par un intervalle 
libre. 

V. — COULEUVRE A COLLIER, Tropidonotus Natrix Kull., vulg. 
Couleuvre d’eau, Anguille de haies, etc. 


C. C. partout. 


Point de collier, mais deux taches noirâtres sur la 
nuque, imitant souvent par leur jonction la forme d’un V 
ouvert en arrière, autre tache noire derrière lPæil ; dos 
grisâtre ou roussàtre, avec un zigzag noir s’éterdant de 
la nuque à l'extrémité de la queue ; sur les flancs, série 
de taches noires entremêlées ordinairement de macules 
jaunes; ventre à taches ardoisées et 
grisâtres, ou ardoisées et jaunâtres, 
en damier; longueur 50 à 65 centi- 
mètres ; dents disposées comme celles 
de l'espèce précédente. 


VI. — COULEUVRE VIPÉRINE, Tropidonotus viperinus Schlegel, 
vulg. Aspic d'eau. 


A. C. dans les ruisseaux, les étangs et les lieux frais (1). 


(4) La couleuvre vipérine, par ses taches, et en particulier par la ligne en zigzag 
de son dos, ressemble aux vipères, mais elle en différé par la teinte de sa robe, et 
surtout par les taches jaunes qu’elle présente. 

Une variété fort distincte de ce reptile a été rencontrée, à Mauves, par l’abbé Dela- 
lande; elle porte sur le dos ‘leux ïignes jaunes longitud nales. Cette forme du midi de 
la France a été décrite par Wagler, sous le nom de Tropidonotus chersoides. 

M. Delamare à donné à l’École de médecine de Nantes une vipérine complétement 
noire, prise par lui à Orvault. 


EEE RC 


TABLEAU SYNOPTIQUE DES SERPENTS 233 


\ 


(A et 2) Voir les notes à la page suivante. 


Tête ovale-triangulaire recouverte d’écailles granu- 
liformes, au centre desquelles se trouvent, entre les 
yeux, trois plaques polygonales rapprochées en triangle; 
souvent une seule série d’écailles sépare l’œil des pla- 
ques labiales ; museau droit, non bordé ; taches hiéro- 
glyphiques ou en forme de lettres sur la tête; zigzag 
noirâtre le long du dos; bande de même couleur derrière 
l'œil, ordinairement interrompue au niveau du cou; série 
de taches de même couleur sur les flancs ; 
longueur 58 à 60 centimètres. 


VIL. — VIPÈRE PÉLIADE OU A TROIS PLAQUES, Vipera 
Berus Daudin, Pelias Berus Merrem, vulg. Petite 
Vipère (1). 

Bois et endroits ombreux du nord de la Loire-Infé- 
rieure; dans les cantons de Rougé, Derval, Moisdon, 


Nozay, Guémené, Saint-Nicolas de Redon, Saint-Gildas, 
Blain, Herbignac, etc. 


Tête triangulaire-cordiforme, entièrement recouverte 
de petites écailles, et nettement séparée du corps par 
un cou rétréci; museau retroussé en rebord saillant qui 
se prolonge jusqu'aux yeux ; plusieurs rangées d’écailles 
séparent l'œil des plaques labiales; taches hiérogly- 
phiques sur la tête, zigzag du dos et taches latérales 
comme chez le péliade; bande post-oculaire ordinaire- 
ment non interrompue au niveau du cou; longueur de 
l'animal 60 à 70 centimètres. 


VIII. — VIPÈRE COMMUNE Vi- 
pera Aspis Merrem, vulg. 
Vipère Aspic (2). 


Trop commune dans les lieux secs et pierreux et dans les bois, elle 
manque cependant dans certaines localités, et au nord de la Loire- 
Inférieure est remplacée par le péliade, 


' 


234 NOTES 


(1) Les péliades ont les écailles qui recouvrent la partie supérieure de leur museau 
tantôt symétriquement, tantôt irrégulièrement disposées. Le prince de Canino, exa- 
gérant l'importance de ce fait, a séparé à tort cette espèce en deux sous les noms de 
Pelias Berus et de P. Chersea. 

Cette vipère présente trois variétés de pelage : la cinerea, grise ou verdâtre en 
dessus avec taches noires où brunes et ventre noir; la fartarea, dont les taches 
sont fondues dans la couleur noire uniforme de la robe, et la rubiginosa, brune en 
dessus et en dessous et avec tatouage du dos et des flancs d’un brun plus foncé ou 
noirâtre. 

(2) La vipère commune porte parfois entre les yeux une écaille développée au 
point de simuler une plaque. Ce caractère n’a rien de spécifique; le V. Chersea de 
Delalande (V. Blaniensis Leray), qui ne repose que sur lui, n’est point adopté par 
les erpétologistes comme une espèce distincte de l’aspic. 

D'après sa coloration la vipère commune offre six variétés principales, mais elles 
ne méritent guère ce nom, car on trouve entre elles toutes les formes intermédiaires, 
Le type Aspis est plus ou moins rougeâtre en dessus avec zigzag à losanges séparés; 
la variété Chersea de la plupart des auteurs a le même fond de robe avec un zigzag 
continu; la variété Redii est grise à losanges continus, l’ocellata grise à zigzag inter- 
rompu; chaque tache chez cette dernière s’arrondit et devient plus foncée à sa cir- 
conférence. Dans le V. Delalandei, dont la robe varie du gris au rougeâtre, les taches 
pälissent et s’effacent et le zigzag lui-même disparaît; le V. Præster est au contraire 
presque entièrement noir, les taches ayant envahi le fond de la robe. Cette dernière 
variété, très-rare dans l'Ouest, est assez commune dans le sud-est de la France, 
comme on peut s’en assurer d’après les échantillons déposés au musée de Grenoble 
par M. Bouteille. 


PRÉPARATION DU SUNG-SIG 239 


Notes n'ayant pas trouvé place, à cause de leur longueur . 


à la fin des pages. 


Note 1, page 143, De la préparation du sung-sig, ou poison des Malais. 


En 1859, l’Illustration a publié des extraits de lettres sur la Cochin- 
chine, écrites en 1845 par un officier français, M. Raoul de G., comman- 
dant le Vampire et chargé par la Compagnie des Indes de donner la 
chasse aux badjak ou écumeurs de mer, dans les détroits de la Sonde et 
de Malacca. | 

Ils contiennent, page 406, les détails suivants sur la fabrication du 
sung-sig. 

« Un soir, écrit M. Raoul de G., on nous amena vingt pirates condam- 
nés d'avance à être pendus. Parmi eux se trouvaient des hommes de 
Bornéo et de Java, officines où se fabriquent les plus violents venins dont 
on puisse empoisonner une flèche ou un kriss. | 

» Je promis la vie sauve à qui en livrerait le secret. Ils refusèrent, et on 
les pendit un à un; au quinzième, quatre (d’entre eux se décidèrent 
enfin à parler. 

» Je choisis celui qui me paraissait le plus intelligent; c'était un pan- 
glina ou chef de tribu, originaire de Tolo, côte orientale des Célèbes. 

» Il me demanda une lame de couteau, un petit vase de terre et un 
morceau de drap rouge, et, surveillé par deux hommes armés, se 
mit à la chasse aux serpents. Dix de ces reptiles (naja, shoutur-sun, ular- 
limp, etc.) lui tombèrent bientôt entre les mains. 

» Dès qu’il rencontrait un de ces animaux, il l’excitait avec son mor- 
ceau de drap rouge. Le serpent se jettait sur l’éloffe et y enfonçait ses 
canines. Le pirate, soulevant la main rapidement, renversait en arrière 
la tête de l'animal pour bien la prendre avec ses crochets dans l’étoffe. 
De la main gauche, il saisissait alors près du col le reptile, qu'il lais- 


236 SUNG-SIG 


sait s’enrouler autour de son bras; puis il lui passait, de la main droite, 
une lame de couteau dans la gueule. Le serpent y mordait avec rage, 
laissant chaque fois des gouttes de venin. Celles-ci se coagulaient sur le 
fer, en prenant la consistance d'une boule de gomme de la grosseur d’un 
petit pois. Faute d'armes, pour se débarrasser du reptile, il lui écrasait 
ensuite la tête en la serrant entre ses dents. 

» Quand il jugea avoir assez de venin pour tuer deux cents personnes, 
il recueillit le suc d’une euphorbe grasse et épineuse et celui du fameux 
upas ou antiaris de Java, puis la racine d’une liane à feuilles rondes et a 
fleurs blanches très-odorantes de la famille des strychnos. 

» Les racines coupées et fendues en petits morceaux, il en mit une 
poignée dans le vase en terre et la fit bouillir dans la valeur de deux 
verres d’eau jusqu’à réduction de moilié. Puis il pila les racines et les 
comprima dans un linge pour en exprimer le jus, etle mélangea avec le 
venin et les sucs de l’euphorbe et de l’upas. 

» Il prit ensuite une terre argileuse très-grasse, qu’il pétritavec le suc 
de l’euphorbe et dont il forma un petit vase qui dut sécher deux jours au 
soleil. Le vase cuit à point, il y mit une poignée de racines fraîches d'upas 
et de liane et la fit bouillir avec de l’eau jusqu’à réduction complète du 
liquide. Cette opération était faite en vue d’imprégner le vase des prin- 
cipes toxiques de ces plantes, ou, pour se servir d’un terme de fumeur, de 
le culotter. Le vase refroidi, le poison y fut versé et mis au soleil, qui lui 
fit subir une légère fermentation. 

» Un whang fut trempé dans ce mélange sirupeux et enfoncé sous la 
peau de la cuisse d’une vache. L'animal n'offrit aucun phénomène pen- 
dant onze minutes; à la douzième, il fut pris de frisson et se coucha. 
L'agitation augmenta rapidement et le tremblement devint effrayant. 1] 
essaya en vain de se relever, la respiration se ralentit, et, à la quator- 
zième minute, il expirait dans des convulsions atroces. 

» Plus le vase est vieux et culotté, plus le sung-sig ou poison a de puis- 
sance. » 

Des deux plantes citées dans cette lettre, l’une est l’Antiaris toxicaria 
Lesch, de la famille des Artocarpées, dont le suc visqueux, connu sous le 
nom d’upas-antiar où d’ipo, contient un principe extrêmement vénéneux, 
l’antiarine. La liane est sans doute le Strychnos Tieuté Lesch., dont l’ex- 
trait mou, très-riche en sérychnine, porte à Java le nom d’upas-tieuté ou 


23 


de tjettek et est plus redoutable encore que l’upas-antiar (Succus, venenum 
” atrocissimum, De Candolle). 

Les symptômes observés sur la vache sont ceux de ces poisons végé- 
taux et non ceux auxquels donnent lieu les venins. 

Il en est de même des phénomènes qui suivent l'inoculation des véri- 
tables curares (poisons des Ticuñas, Macusis, Yaguas, etc.). Ils sont 
dus à la curarine et très-distincts des accidents échidniques. 


Note 2. page 155, Guérisseurs de venin et charmeurs de serpents. 
) , P 


Les guérisseurs de venins dans les départements de l'Ouest appartien- 
nent à deux classes distinctes. 

Les uns se bornent à prescrire une de ces recettes vineuses au galium 
ou au frêne dont nous avons parlé; ce sont les simples empiriques; ils agis- 
sent le plus souvent avec une entière bonne foi. 

On ne peut en dire autant des conjureurs : ceux-ci joignent à leurs re- 
mèdes secrets de misérables jongleries. Ils ont certains mots à l’aide des- 
quels ils rejettent le maléfice sur la vipère que l’on trouve morte non loin 
du théâtre de son crime. 

Matthiole (loc. cit., p. 837) signale la formule suivante comme ayant de 
son temps un grand renom : « Caro caruze, sanum reduce, reputa sanum, 
Emmanuel Paracletus ; » nous ignorons si elle jouit encore d’une certaine 
vogue; mais le cercle magique dans lequel le biessé doit placer nu le pied” 
droit, tant que durent les invocations, est toujours en usage parmi ces 
charlatans. 

Plusieurs, du reste, sont de véritables sorciers sachant la composition 
des philtres et possédant le don du mauvais œil. Ils passent pour avoir le 
pouvoir de jeter et de détourner les sorts, de nouer et de dénouer l'aiguil- 
lette, de faire pondre les poules, etc. Ils ne sont pas sans avoir eu, dans le 
cours de leur pratique, des démélés avec la justice, et ils ont, en général, 
contre eux leur curé qui ne leur permet pas, pour le fait même de leur 
métier, de s’approcher des sacrements. 

Tous racontent invariablement que, poursuivis par la Faculté jalouse, 
ils se sont fait mordre sous ses yeux par des vipères, et que, grâce à leur 


238 CHARMEURS DE SERPENTS 


antidote, ils sort sortis sains et saufs de cette épreuve, à la confusion des 
médecins qui ont tout intérêt à nier la chose! 

Ces histoires et autres du même genre, colportées par des amis de ca- 
baret, leur donnent, au loin surtout, un grand prestige. 

Comme charmeurs de reptiles, ils offrent peu d'intérêt; des couleuvres 
brandies à pleines mains devant le public étonné, des vipères saisies par 
la queue quand elles rentrent dans leurs trous el tenues ainsi à bout de 
bras sans qu’elles puissent se redresser pour mordre, des serpents chassés 
de leur tanière par des insufflations de tabac, voila leurs principaux 
tours. 

Tous prétendent attirer les aspics en mettant à bouillir du lait au mi- 
lieu des champs, et, si cela ne suffit pas, en plongeant dans le liquide 
une vipère dont les sifflements servent d’appeau pour ses compagnes. 

Certains d’entre eux disent avoir un autre moyen de faire venir les rep- 
tiles; c’est un sifflement modulé et rhythmique, accompagné d’un claque- 
ment de langue; qu’ils appelent cri du serpent et qui ressemble au coasse- 
ment des grenouilles quand elles se recherchent. Un homme digne de foi 
nous a dit avoir vu tenter l'expérience par un artiste de ses amis, mais 
qui n’avait rien de commun avec les conjureurs; l'air sifflé était tiré du 
répertoire de Robert-le-Diable. Les reptiles, les couleuvres surtout com- 
mencèrent à arriver, et l’enchanteur, tout en continuait à siffler, en sou- 
levait quelques-uns sur son bâlon sans qu'ils parussent s’en effrayer. 
Le spectateur, mal à l'aise en pareille compagnie, demanda la fin de l’ex- 
périence. £ 

Plusieurs versets de la Bible font allusion à des charmeurs de serpents 
bien plus remarquables, les enchanteuwrs (incantatores), dont l’industrie 
s’est conservée de nos jours sur les bords du Gange et de l’Indus et sur 
ceux du Nil. Ç 

Dans l'Inde ces hommes portent le nom de gouni; ils jonglent avec le 
capelle ou serpent à lunettes (Naja tripudians, Merr.), et M. Léon Bureau 
nôus a donné une note intéressante sur leurs exercices. 

Loin des grandes villes, et par là même de l'œil de la police, ils se ser- 
vent de capelles parfaitement munis de crochets (quibus non evellerint, di- 
raient les Septante). Avant de s’exposer à jouer avec eux, ils leur font 
cracher leur venin pour prouver qu'ils sont intacts et les rendre moins à 
craindre. 


GOUNI, POSLLES, AÏSSAOUA 939 


Puis le gouni tire de son sac deux petites divinités en chiffon, Moutou- 
Mary et Ramsamy. Il les balance au-dessus des paniers à serpents, 
teur adresse des invocations et les place l’une à sa droite, l’autre à sa 
gauche, en leur administrant à chacune une chiquenaude. Les dieux y 
répendent par un cri aigu bien connu des capelles, poussé par le jongleur 
lui-même, mais qui par un effet de ventriloquie paraît sortir des pou- 
pées. 

Ces précautions prises, W’Indou, presque nu, embouche sa musette, fait 
d'un tour de main sauter les couvercles des paniers, n’en gardant [qu’un 
seul dont il se sert comme d’un bouclier et se met à moduler des sons qui 
ressemblent à ceux du bignou. Les najas irritées se dressent à moitié de 
leur longueur, enflent les membranes qu’elles ont au-dessous de la tête et 
s’élancent sur le bateleur dont le talent est d’autant plus apprécié qu’il 
met plus d'adresse à parer leurs coups. Pendant toute la durée de cet exer- 
cice le gouni fixe continuellement les serpents des yeux et ne cesse de jouer 
de la musette. Il fait en sorte qu'ils ne s’écartent pas de lui, ce qu’il ob- 
tient à l’aide du regard, des mouvements de son corps et des sons de son 
instrument. Le spectacle dure de cinq à dix minutes, après quoi le jongleur 
recouvre l’une après l’autre ses najas avec une dextérité étonnante et: les 
replace dans leurs paniers. 

Ces jeux ne sont pas sans péril pour les spectateurs. Pendant le séjour 
de M. L. Bureau à Pondichéry, une naja récalcitrante s’échappa dans 
la foule et mordit à la gorge une jeune fille, qui mourut deux heures 
après. 

Les psylles modernes ont conservé quelques-uns des secrets des magi- 
ciens de Pharaon. Ils transforment l’aspic de Cléopâtre (Naja Haje Dum.) 
en baguette inflexible, en lui pressant avec force le cou entre les doigts. 
Le reptile tombe en catalepsie et devient insensible et roide. En lui pinçant 
la queue, on lui rend la sensibilité et le mouvement. E. Geoffroy Saint- 
Hilaire (Reptiles d'Egypte) raconte qu'ayant surpris la manière dont ces 
hommes s’y prenaient, il a pu rendre, comme eux, l'haje calaleptique. 
Ces psylles paraissaient stupéfiés de son audace, car ils croyaient ou fei- 
gnaient de croire que cette action sur les serpents était un privilège de 
leur race. Ils jonglent aussi avec d’inoffensifs éryx sur les têtes desquels 
ils ont enté des ergots de cogs et qu'ils font passer pour des cérastes. 

En Algérie, les membres d’une secte de fanatiques, appelés Aïssaoua, 


R40 EXPÉRIENCES 


s’exposentimpunément, parait-il, aux morsures les plus venimeuses, quand, 
à l’aide de certaines drogues et du haschich en particulier, ils se sont mis 
dans une exaltation cérébrale suffisante. 


Note 3, pages 181, 183, 194 et 197, Essai de diverses méthodes de traitement 
contre la morsure de la vipère. 


Depuisla publication de la première édition de ces Études, nous nous 
sommes livré à une série d'expériences sur les divers remèdes à employer 
pour détruire le venin sur place. Voici en abrégé celles qui nous ont offert 
les particularités les plus intéressantes. 

Are Exp. — 1861, 20 avril, 4 h. 45 du soir. Aides : M. C. Sagot, A. Tho- 
mas et Em. Letard. Une ligature est placée sur l’aine gauche d’un lapin de 
forte race, âgé de trois mois, et la cuisse de l'animal non dépouillée de ses 
poils est mise sous le museau d’une vipère-aspic de couleur rousse, prise 
l’'avant-veille; la vipère appuie ses mâchoires sur la partie qui lui est pré- 
-sentée, près d’une demi-minute. Pas de cri, pas d'écoulement sanguin, on 
cherche en vain les traces de la morsure, ce qui fait croire que les poils 
ont empêché la pénétration des crochets. La cuisse est en partie rasée et 
mordue de nouveau par le reptile. Cri aigu, agitation, les deux petites 
plaies, presque imperceptibles et distantes l'une de l’autre de quatre milli- 
mètres, sont réunies par une incision profonde qui donne peu de sang et 
dans laquelle nous injectons dix gouttes de la solution iodo-ioduréede Brai- 
nard. Sept minutes plus tard, soit un quart d'heure après la première mor- 
sure, le lien inguinal est enlevé. L'animal court en se servant de sa patte; 
il recherche les endroits obscurs; sa respiration s'accélère et l’on compte 
cent mouvements inspiratoires par minute. À 2 h. 25, nouvel examen : 
on découvre parmi les poils, à quatre millimètres l'une de l’autre, deux 
petites taches violacées, tuméfiées, et dont le centre offre un point meurtri. 
Elles sont évidemment les traces du premier coup de crochets ; une inci- 
sion les réunit et nous y injectons quelques gouttes de la solution; le même 
liquide est déposé dans des scarifications faites au voisinage. L'animal 
haletant refuse de manger et se refroidit. Il reste étendu dans un Coin, puis 
semble se réveiller etessaie de courir, mais ne s'appuie pas sur sa patte qui 


————— 


EXPÉRIENCES 241 


se tuméfie et devient de plus en plus froide. A 3h. des ecchymoses se re- 
marquent sur le membre blessé et le ventre. Pas de vomissements, légère 
déjection alvine, contracture du côté malade. Mort à & h., soit deux heu- 
res el quart après le début de l'expérience. Dans la soirée, un portier nous 
demande le lapin, qui est déjà rigide, et s'en régale avec sa famille. 

La solution iodo-iodurée introduite dans les piqûres trois quarts d'heure 
après la pénétration des crochets (laps de temps écoulé entre la première 
morsure et son trailement) n’entrave donc chez le lapin aucun des ac- 
cidents de l’envenimation, puisque tout s’est passé ici comme si le mal 
avait été abandonné aux seules forces de la nature. 

Re Exp. — Même jour, 3 h. 1/2 du soir. Un pigeon de taille assez forte 
est plumé à la cuisse droite et une ligature est placée au-dessus de l’aine. 
Un coup de ciseaux prive de sa mâchoire inférieure la tête d’une vipère 
grise, morte la veille, et les crochets saillants du reptile sont enfoncés 
profondément dans les chairs , tandis qu’à l'aide d’uh bec de corbin, 
M. A. Thomas presse sur les parotides. Une des canines se luxe dans celte 
opération, tant est grande la force employée. Le débridement des piqûres 
donne un peu de sang; lavage à grande eau, injection de dix gouttes du 
liquide de Brainard, puis, deux minutes après la blessure, enlèvement du 
lien constricteur. 

Le pigeon n'offre aucun symptôme local ni général d’empoisonnement. 
Au bout de cinq jours, il est atteint de la pépie pour avoir manqué d’eau. 
L’enlèvement de la muqueuse desséchée de la langue le guérit de cette 
affection, et le huitième jour il s'envole et rejoint son pigeonnier. 

Le succès a été complet; mais il arrive parfois que chez les serpents, au 
moment de la mort, du sang s'épanche dans le conduit excréteur de la 
glande toxigène, et se coagulant vient faire bouchon dans la cavité de la 
canine qui ne laisse plus passer le venin. 

3e Exp. — 1866, mai. Aides : MM. Gicquiau et Curet, professeurs au 
collége Saint-Stanislas. La cuisse droite d’un fort pigeon est plumée et 
une ligature placée sur l’aine. On fait mordre la partie dénudée par un 
aspic de couleur grise. Les empreintes des crochets sont élargies et nous 
y introduisons quelques gouttes d'une solution bromo-bromurée. L'animal 
devient triste, comme accablé, il se refroidit, mais les phénomènes locaux 
sont presque nuls. On lui ingurgite des boulettes de pain imbibées d’eau- 
de-vie élendue. Nous pensions le sauver, quand il succomba au bout de 

16 


242 EXPÉRIENCES 


trente-six heures sans nouveaux symptômes. Rigidité cadavérique ra- 
pide. 

Ainsi, mort tardive pour un pigeon et presque sans symptômes lo- 
caux. Ceci rappelle les faits observés par M. Weir Mitchell à la suite de 
l'emploi des solutions iodées et bromées contre la morsure des crotales. 

Divers autres essais entrepris par nous en 1866 avec ces solutions ont 
toujours eu des résullats malheureux. ! 

ke Exp. — 1867, 18 mai, 8 h. 20 du soir. Aides : MM. Gicquiau, Goglel 
et Dauffy et Dupont, ce dernier interne à l'Hôtel-Dieu. (Dans cette expé- 
rience, et toutes celles faites cette année et la suivante, une ligature pro- 
visoire a élé placée avant la morsure et enlevée aussitôt après l'application 
du remède ; les dents de l’aspic ont porté sur une partie préalablement 
dépouillée de ses poils ou de ses plumes , et la substance médicamenteuse 
a été introduite à l’aide du flacon à bouchon-plongeur.) 

Lapin mordu une fois par une forte vipère. Cri très-aigu; on ne peut 
découvrir que lempreinte d’un seul crochet. Incision, instillation 1odo- 
iodurée. Un quart d'heure après, refus de nourriture, embarras et accé- 
lération des mouvements respiratoires ; le lapin n’urine pas pendant l’ex- 
périence; il recherche les lieux obscurs : maladie locale peu marquée. 
Il meurt vingt minutes après ; rigidité cadavérique presque immédiate. 

5° Exp. — 20 mai, 4 h. 1/2 du soir. Un jeune pigeon, mangeant à peine 
seul, est mordu avec rage par un aspic rouge à la partie antérieure de la 
cuisse. Incision ; nous suçons la plaie sans remarquer de goût au venin. 
Trombus et gonflement du membre mordu accompagnés d’un léger refroi- 
dissement. L'animal ne peut s'appuyer sur sa patte. Malaise; la tempéra- 
ture générale semble un peu abaissée. L'oiseau est tenu le plus chaude- 
ment possible. On lui ingurgite du millet dans la soirée, et il boit seul. Le 
lendemain il roucoule ; on le fait encore manger. Il court à cloche-pied ; 
sa jambe est toujours d’un noir ecchymotique ; léger suintement de la bles- 
sure. Le jour suivant il mange seul, s'appuie sur le membre blessé, et, 
à part un peu de gonflement très-localisé, doit être considéré comme 
guéri. 1l s'est noyé l’année suivante en voulant boire sur le bord d'un bas- 
sin. L'opérateur, quoique ayant les gencives saignantes, n’a éprouvé au- 
cun accident de la succion. 

L’aspiration a ici empêché l’envenimation générale. Le trombus peut 
être attribué tout aussi bien à la succion qu’à l'effet du poison. 


EXPÉRIENCES 243 


6e Exp. — 95 mai, 3 h. du soir. M. Gicquiau fait mordre un lapin à la 
cuisse par une vipère grise de moyenne grosseur. Incision amenant une 
perte de sang assez considérable; emploi de la solution Brainard. Agita- 
tion, accélération de la respiration qui devient un peu anxieuse. La tumé- 
faction et les phénomènes locaux sont nuls. Une demi-heure après, le lapin 
mange gaiement, et le lendemain on ne se douterait pas, à le voir, de ce 
qui lui est arrivé. 

L'écoulement sanguin assez notable en entrainant le venin, suffit, en 
dehors du remède, pour expliquer celte prompte guérison. La vipère était 
bien venimeuse; la veille elle avait tué un moineau et depuis elle a fait pé- 
rir d’autres lapins. 


7° Exp. — Aer juin, midi 1/2. Même lapin mordu par une très-grosse 
vipère rouge n'ayant pas encore servi. Le reptile fait coup sur coup deux 
morsures. Cri déchirant. L'une des morsures n’est reconnue qu’un peu 
tard. Incision. Solution iodo-iodurée. Tuiméfaction rapide de la jambe, qui 
devient noire et froide en moins d’un quart d'heure. Respiration anxieuse; 
le train postérieur se paralyse; la température générale du corps s’abaisse. 
Quelques gouttes d’alcali sont administrées à l’intérieur dans un peu d’eau. 
Eu moins d’une heure et demie l’animsl succombe et devient presque aus- 
sitôt rigide. 

8° Exp. — Vieux pigeon mordu le même jour par la même vipère. [nci- 
sion, instillation de la solution Brainard. Mort en une demi-heure avec peu 
de symptômes locaux et en particulier une tuméfaction très-modérée. Ri- 
gidité cadavérique quelques heures après. 

9e Exp. — 4 juin, 2 h. — Petit lapin de deux mois mordu par la même 
vipère. [ncision sur les piqûres; écoulement sanguin, traitement 1odé. Pas 
de cris, selles involontaires, accélération du pouls et des mouvements 
thoraciques, refroidissement. Le lapin lèche sa plaie; tuméfaction et livi- 
dité de la cuisse peu marquées ; mort le soir ; rigidité cadavérique presque 
immédiate. 


100 Exp. — Même jour. — Jeune pigeon mordu par la même vipère; 
même traitement. Nausées, régurgilations, refroidissement, prostralion. 
Mort un quart d'heure après, toujours sans grands phénomènes à la cuisse 
blessée. Prompte rigidité. 

Les victimes de ces quatre dernières expériences on été mangées par 


PAT EXPÉRIENCES 


M. Dupont et divers sous-officiers à la cantine du régiment. Ils ne leur 
ont trouvé aucun goût désagréable. 

Nos autres expériences de 1867 ne sont que la répétition de celles-ci, 
et se sont terminées par la mort, malgré l'emploi de la solution Brainard. 

11° Exp. — 1868, 6 mars, 5 h. 1/2. Aides : M. Gicquiau, et MM. Lamy 
et Cado, étudiants en médecine. Jeune lapin mordu deux fois à la jambe 
par une vipère rouge, le membre ayant été préalablement lié et rasé. 
Instillation de quelques gouttes d’acide phénique dans les deux morsures 
incisées. Pas de cris, pas de tuméfaction, mais refroidissement de Ja 
jambe. L'animal se mel à manger cinq minutes après la morsure; il 
urine en abondance, et ses urines traitées par la liqueur de Felhing ne 
donnent pas de traces d’albumine ni de glucose. A 7 h. 1/2 aucun phé- 
nomène d'intoxication ne s’est encore manifesté; le lapin broute avec 
plaisir des choux et des feuilles de fraisiers. 

Le lendemain il offre un abeès de la cuisse et est présenté au cours de 
Pathologie interne. Oublié à l'École de Médecine, il mange la tête d’un 
pigeon renfermé avec lui. Il résiste toutelois à ce surcroit d'épreuves, 
maigrit considérablement et a des abcès profonds. Sa jambe devient in- 
sensible et desséchée, la substance caustique ayant été employée sans 
mélange et en trop grande quantité. Il reste pendant quelques jours dans 
une sorle d'état d’abattement, mais au boul d’une quinzaine, il reprend 
ses habitudes avec l’insouciance propre à sa race. Sa jambe redevient à 
son volume primitif et les poils repoussent au lieu même de la morsure. 

Cas extrêmement curieux. Rien dans les accidents cités ne ressemble 
aux phénomènes de l'échidnisme ; le lapin n’a éprouvé que des symptômes 
dus à l’acide phénique et à la privation d’aliments. 

19% Exp. — Même jour. — Pigeon mordu par une vipère et traité par 
l'acide phénique, mais avec plus de prudence. Léger écoulement sanguin 
pendant que l’on débride les piqûres. Pas la moindre tuméfaction le jour 
même, pas d'empoisonnement général. Le lendemain le pigeon a la cuisse 
noire et un peu œdématiée. 1l est présenté au cours avec le lapin, est ou- 
blié comme lui dans un panier et a la têle dévorée par son compagnon 
d’infortune. 

13e Exp. — 9 juin, 10 h. 35 du matin. — Une ligature est placée sur le 
haut de la cuisse rasée d’un jeune lapin mâle qui est ensuite mordu avec 
orce par une vipère-aspic rouge n'ayant pas eu l’occasion de dépenser 


EXPÉRIENCES 245 


son venin depuis deux jours, mais s’élant donné à elle-même un coup de 
crochet au moment de l'expérience. Aucun cri. On débride la plaie qui 
laisse suinter quelques gouttes de sang; l'empreinte du crochet gauche a 
été assez difficile à découvrir. Dans chaque piqûre nous déposons une 
goutte d'acide phénique étendu d'un quart d'alcool et la ligature est enlevée. 
L'animal paraît un peu abattu; il mange cependant des feuilles de chou. 
A 10h. 50, accélération de la respiration (128 m. r.), anxiété; il se 
couche sur le ventre et lèche ses plaies. Il traîne sa patte avec peine, 
elle n’est du reste ni refroidie ni tuméfiée, Dans la soirée rien de bien 
nouveau, il est moins triste et moins abattu. 

10 juin. — Le lapin ne présente aucun accident. 

A1 juin et jours suivants. — Il mange, court, et parait gai; des eschares 
assez larges se montrent aux points où a touché l'acide; elles se détachent 
bientôt en donnant lieu à un peu de suppuration, mais sans altérer la 
santé du blessé, qui a servi à d’autres expériences. 

44e Exp. — 43 juin, 4 h. 50. — La cuisse d’une jeune femelle de lapin 
est rasée, serrée à sa partie supérieure par une ligature et présentée à 
un aspic de couleur grise. La vipère, qui paraissait peu disposée à mordre, 
y enfonce deux fois de suite ses crochets. Son peu d’entrain ayant fait 
croire à l’un de nous qu’elle n’était pas venimeuse, les piqüres ne sont 
point agrandies et l’on se borne à déposer sur chacune d'elles une très- 
petite gouttelette d'acide phénique étendu d'alcool. 

L'animal au premier abord ne parait pas malade, mais bientôt la respi- 
ration s’accélère et marque 144; elle devient saccadée. Pas de congestion 
des oreilles; pas de gonflement du membre blessé. Chaleur normale, pas 
d'urine, stupeur. 

Dans la soirée il y a quelques alternatives, mais la respiration reste 
toujours embarrassée. Le lapin refuse la nourriture qui lui est offerte. 

44 juin. — L'état s’est amélioré et l’animal semble tétabli. 

45 juin. — Il mange, boit, paraît gai et s’'accouple avec un autre lapin, 
ayant servi à une expérience analogue, 

48 juin. — Il est trouvé mort sans avoir eprouvé d’autre accident. 

L'autopsie malheureusement n’a pu être faite; des carriers bretons 
ayant demandé le sujet et l'ayant mangé en gibelotte, 

15e Exp. — 13 juin, 4 h. 55. — La vipère est un gros aspic rouge 
n'ayant pas mordu depuis le 9 juin; le sujet, une vieille femelle de lapin 


Î 


216 EXPÉRIENCES 


de forte race; les préparatifs ont été faits comme de coutume. L’aspic 
saisi au cou avec des pinces mord avec rage la cuisse privée de ses poils. 
Pas de cri, mais agitation ; les plaies agrandies aignent peu. Une goutte- 
lette d’un mélange à parties égales d'acide phénique et d'alcool y est 
introduite à l’aide du bouchon-plongeur, puis la ligature est enlevée. 

Un quart d'heure après, le lapin parait assez souffrant; le pouls est 
petit, concentré; la respiration, saccadée et si précipitée qu’on ne peut la 
compter. Angoisse; l’animal se couche sur le cûté sain et change conti- 
nuellement de place. Pas d'urine ni de garde-robe, congestion des 
oreilles. Pas de tuméfaction ni de refroidissement du membre blessé. 

5 h. 45. État général meilleur, quoique les mouvements respiratoires 
dépassent encore le chiffre 100. Cuisse rouge, gonflée, très-sensible ; 
le blessé tremble dès qu’on l'approche. Il refuse de manger. 

14 juin et jours suivants. — Les accidents généraux disparaissent, la 
cuisse guérit peu à peu sans eschares et le 30 juin le rétablissement est 
complet. 

16e Exp. — Mordue de nouveau au mois de juillet et traitée avec des 
gouttes plus grosses d'acide phénique simplement coupé d'alcool au quart, 
la même femelle de lapin guérit sans présenter le moindre symptôme 
d'empoisonnement, s’acconple peu de temps après et devient pleine. 

17 et 18e Exp. — Deux petits lapins sont mordus à la cuisse, l’un trois 
fois, l’autre deux fois, au mois de juillet de la même année. Nous les 
croyons perdus à cause de leur âge et du nombre de leurs morsures, 
aussi l'acide phénique est-il employé largement. Les symptômes locaux 
sont ceux d’une forte cautérisation et non d’un empoisonnement veni- 
meux. Les deux lapins urinent en abondance et broutent des feuilles de 
laiteron qu’ils trouvent à leur portée, ce qui nous rend un peu d'espoir. 
Au bout d’une demi-heure, leur respiration s'accélère et s’embarrasse et 
ils meurent l’un et l'autre dans la nuit. 

Cet insuccès doit-il être attribué à l’action éloignée du venin ou à celle 
de l'acide phénique ? 

19°, 20e et 21e Exp. — Juillet. Trois lapins mordus chacun une fois 
par une vipère et traités par un mélange de trois parties d'acide phénique 
contre une d'alcool guérissent, ayant offert pour tout symptôme pendant 
quelques heures un peu d’accablement et quelques troubles respiratoires. 

29e Exp. — Juillet. M. Gicquiau, en face de ces résultats si différents de 


EXPÉRIENCES 247 


ceux que nous avaient donnés l’iode et le brome, conçoit des doutes sur 
la force du venin de nos vipères et les croit épuisées. Il fait mordre par 
l’une d'elles, à l'oreille, un de ces lapins. Les crochets traversent le lobe 
et laissent une gouttelette de venin en contact avec chaque plaie. 

Le blessé offre une maladie assez légère de l'oreille, mais pas d’acci- 
dents généraux, quoiqu'aucun traitement ne lui ait été fait. 

D'où venait cette innocuité? Avait-elle pour cause l’envenimation anté- 
rieure et devait-elle être rapprochée des cas d'immunité par suite de mor- 
sures précédentes que semble admeltre M. le professeur Bouchut? 


23° Exp. — Pour nous en assurer nous faisons mordre, deux jours après, 
un de ces trois lapins par la même vipère, mais à la cuisse, et nous le 
laissons sans aucun soin. Il meurt en quelques heures avec tous les 
symptômes de l’échidnisme, et la rigidité cadavérique est presque immé- 
diate. 

Le résultat de l'expérience précédente tient donc uniquement au siége 
de la morsure, les blessures envenimées à l'oreille, sans qu'on sache pour- 
quoi, étant au nombre des moins graves; particularité que Fontana a bien 
démontrée. 

Qh° Exp. — 1869, 9 mai, 5 h. 3/4 du soir. (Communiquée ainsi que les 
suivantes par M. Gicquiau, qui les a faites sans nous, mais d’après nos 
avis et en négligeant la ligature antérieure.) 

Jeune lapin mordu par un aspic à la cuisse. Des gouttes nombreuses de 
la solution de perchlorure de fer de Rodet sont versées dans les piqüres 
agrandies. Urines abondantes, deux selles solides. 

6 h. La respiration marque 90; l’animal lèche ses plaies, il est abattu 
et triste. Lavage à grande eau pour enlever le perchlorure en excès. 

7 h. Le lapin broute une feuille de chou, et parait mieux ; il ne pré- 
sente aucun phénomène local d’envenimation et le lendemain a repris so 
vie ordinaire. Malheureusement le caustique donne lieu à une suppura- 
tion abondante et à de tels décollements que quinze jours après la morsure 
l'opérateur par pitié abat l’animal. 

25e Exp. — 10 mai, 2h. 1/2. Jeune lapin. Impossible de retrouver à la 
cuisse dénudée la marque des deux crochets ; des incisions sont pratiquées 
sur leur siége probableet l’on y instille du perchlorure de fer. L'animal 
laisse tomber sa tête comme s’il se mourait; puis reprend un peu de vie, 


248 EXPÉRIENCES 


fait quelques pas et se couche en se roulant par terre. 115 mouvements 
respiratoires par minute, congestion et chaleur des oreilles. 

3 h.1/4. 80 respirations par minute, il commence à lécher sa plaie à 
plusieurs reprises. En lavant la cuisse, on retrouve les véritables traces de 
la morsure que l’on incise et dans lesquelles quelques gouttes de perchlo- 
rure de fer sont instillées. 

& h. 10. Les pulsations sont si petites et si irrégulières qu’il est impos- 
sible de les compter. La respiration offre les mêmes désordres; aucune 
tuméfaction inflammatoire. 

& h,35. Abattement, refroidissement. 

5 h. 10. Ces symptômes augmentent d'intensité, et la mort a lieu vers 
la nuit. Rigidité cadavérique dès le lendemain. 

Le perchlorure, qui est un contre-poison et non un antidote, n’a pu suf- 
fisamment agir, n'ayant pas été déposé tout d’abord dans la plaie elle- 
même; il semble cependant avoir modifié les symptômes locaux. 

26e Exp. — 15 mai 1869, 5 h. 10. Lapin mordu et soigné par quelques 
gouttes seulement de perchlorure. Il est d'abord triste et abattu et refuse 
de manger. Sa respiration est très-accélérée. Peu d’inflammation locale 
et elle paraît surtout due à la cautérisation. A 6 h., le mieux commence à 
se faire sentir; à 7 h., le lapin broute quelques herbes; le lendemain 
matin, il est guéri, mais la cautérisation a donné lieu à une eschare 
qu'une inflammation suppurative détache au bout de quelques jours et qui 
guérit sans amener d'accident. 

27e Exp. — 15 mai 4869, 5 h. 15. Jeune lapin mordu par un seul cro- 
chet, par une vipère-aspic et traité par une simple goutte de la solution de 
Rodet instillée dans la piqûre agrandie. Dix minutes après il se remet à 
manger. Pas d'accidents généraux, sice n’est une respiration très-prompte. 
Le lendemain il a repris ses habitudes. Une très-petite plaque gangré- 
neuse, due au perchlorure de fer, donne lieu pendant quelques jours à de 
la suppuration; ce qui n’a pas de suites fâächeuses. 

Ces deux derniers lapins vivent encore au moment où nous terminons ce 
travail (Ler juillet 4869) et sont aussi vigoureux et alertes que les autres 
lapins de la même portée. 


PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS () 


ADpy. Alcoholic stimuli in snake bite. Medical time and Ga- 
zette, 1850. 

ANDRIEUX. Coup d'œil sur les accidents causés par la morsure des 
serpents venimeux ; énumération des divers moyens employés pour les 
combattre. Journ. des Con. méd. et pharm. 1849. 

Essai du guaco contre la morsure de la vipère. 

AUBINAIS. De la morsure de la vipère et de son traitement. Cour- 
rier de Nantes, 28 août 1845. 

L'auteur, à l’occasion de trois piqûres d’aspic ayant causé la mort chez 
des laboureurs de l’arrondissement de Paimbœuf, fait connaitre les ca- 
ractères zoologiques de cette vipère, dit quelques mots sur ses mœurs et 
formule le traitement à opposer à ses morsures. 

BEAUREGARD. Observations. Anc. journ. de méd., t. VI, 1757. 


Conseille l'emploi du jus de frêne. 


BERNARD (CL.). Action physiologique des venins. Mém. de la Soc. 
de Biologie, juin 1849. 

Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. 
1857, p. 389. 


BLancxe. Note sur le Pelias Berus. Soc. des Amis des Sc. nat. 


de Rouen, t. I, p. 109. 1865. 


Indique le péliade comme plus commun que l’aspic dans la Seine-[nfé- 


1. Pour plus grands détails bibliographiques, voir Erpétologie générale de 
MM. Duméril et Bibron, t. VI, p. 215, et thèse inaugurale de M. Léon Soubeiran : De 
la Vipère, de son venin et de sa morsure, ch. vu, Bibliographie, p. 129. 


250 BIBLIOGRAPHIE 


rieure, et signale une anomalie dans la disposition des plaques synei- 
pitales (la présence d’une petite écaille centrale). 


BLaAuD (W.). On the bite of the venenous serpents of Australia. 
Australian medical journal, 1861. 


Conseille l'emploi de vins généreux. 


BonaPpaRTE (CH.) Iconografia della fauna italica. 1832-41, t. IT. 
Anfibi. 

Étudie les vipères en zoologiste; des planches accompagnent ses des- 
criptions. 


Bonaparte (Luc.). Gazetta toscana delle scienze medicofisice, 
1843, p. 169. 


Analyse du venin et découverte de la vipérine. 


BoucaurT. Nouveaux éléments de pathologie générale, 1857. Note 
page 41, puis pages 199 et suivantes et page 424. | 


Action des venins sur l’économie, immunité acquise par envenimation 
antérieure, analyse du mémoire de G. Humboldt sur la vaccinalion pro- 
phylactique de la fièvre jaune, etc. 


BRAINARD (DANIEL). Essay on a new method of treating serpent 
bite, and oter poisoned wounds. Chicago, 1854. 


Les venins et le curare, qui n’est pour lui qu'un venin conservé à 
l'aide d'extraits de diverses plantes, altèrent les globules du sang et les 
déforment. Les solutions iodo-iodurées décomposent ces poisons et sont 
les meilleurs remèdes à leur opposer. 


BurnerT (J.-W.). The poison of the rattlesnake. Boston, Soc. nat. 
hist., 1854. 


Le poison des crotales rend le sang diffluent ; chloroformisation du ser- 
pent pour s'emparer de son venin. 


CavoL. Rage communiquée par la morsure d'un chien; essais de 
traitement par l'arsenic, l'hydrogène sulfuré et par le venin de la 


BIBLIOGRAPHIE 251 


vipère; mort 70 heures après l'invasion des premiers symptômes. 
Revue médicale, 18311. IIT, p. 387. 
CeLse. De re medica; de medicamentis, |. V, ch. n1, sect. 42. 


Indique la succion comme le meilleur remède contre les morsures des 
serpents et les plaies empoisonnées par les flèches des Gaulois. 


Caras (Moïse). Nouvelles expériences sur la vipère. Paris, 1669, 
et Suite des nouvelles expériences sur la vipère. 1772. 


Étaient en France avant le traité de Fontana les ouvrages classiques sur 
la vipère. 


Corgior (J.-B.). Revue sur le système d’inoculations curatives du 
D" Télèphe Desmartis. Bordeaux, 1862. 

DauniN (F.-M.). Histoire naturelle générale et particulière des 
reptiles, an X. 

Davasse. Les Aïssaoua ou charmeurs de serpents. 2e édit. Paris, 
1862. 

D£LALANDE (J.-B.). Une première excursion dans la Charente- 
Inférieure. Nantes, 1848. 


Donne (page 18) les caractères d’une couleuvre prise par lui près de 
Rochelort et qu’il appelle avec MM. Mauduyt et Millet couleuvre glaucoïde. 


DEMEURAT (L.). Observation d'accidents développés à la suite 
d'une morsure de vipère, se reproduisant depuis trente-neuf ans 
d'une manière parfaitement périodique. Gaz. hebd. 6 nov. 1863. 

DESMARTIS (THÉLÈPHE). Action modificatrice que les venins peu- 
vent exercer dans certains cas morbides. Rev. thér. du Midi, 1855, 
t..IX, p. 269. 

Nouvelle vaccination préservatrice de la fièvre jaune et du choléra. 
Montpellier, 1855. 

De la tolérance au point de vue médical. Montpellier, 1857. 


Parle de la tolérance du venin des serpents que posséderaient ceux qui 
ont été anciennement inoculés, et soutient les opinions de M. G. de Hum- 


252 BIBLIOGRAPHIE 


boldt quant à la prophylaxie de la fièvre jaune ; signale les venins comme 
moyen curatifs dans certaines maladies. 


DuGës (ALFRED). Sur les Vipères Aspis et Pelias. Mém. de la 
Soc. de Biol., 1850, t. IF, p. 115. 

DumÉRiIL (Consr.) et BiBron (E.). Erpétologie générale, t. VI 
et VII. 


Ouvrage capital pour qui veut étudier les serpents. La classification des 
ophidiens, telle qu’elle a été remaniée par MM. Duméril à la mort de Bi- 
bron, se trouve exposée sous forme de tableau, t. VII, p. 14. L'obser- 
vation de la morsure de M. Duméril père par un péliade est donnée in 
estenso, même tome, p. 1399. 


DumÉriL (AuGuste). Notice historique sur la Ménagerie des 
reptiles du Muséum. Paris, 1854. 


Curieuses observations, toutes nouvelles sur les serpents. 


DusourD. Effets remarquables de l'huile d'olive employée à l’inte- 
rieur et à l'extérieur dans les cas de morsure de vipère. Bull, de thér., 
t. XX VII, p. 489, 1849. { 

ENCOGNÈRE (JACQUES). Des accidents causés par la piqüre des ser- 
pents de la Martinique et de leur traitement. Montpelher, 1865. 


A grande foi dans les alcooliques à fortes doses. 


FaBas (P.-X.). Notice sur le choléra asiatique et sur l'identité des 
symptômes qui le caractérisent, comparés à ceux produits par la mor- 
sure de la vipère et son traitement abortif et curatif. Tarbes, 1857. 

Propose l’ammoniaque contre le choléra parce qu’elle réussit, dit-il, 
contre l’envenimation. 

FonTANA (FéLix). Traité du venin de la vipère. Florence, 1781. 


Admirable ouvrage contenant plus de 6,000 expériencesiet faisant en- 
core loi de nos jours. 


FoNTENELLE DE VAUDORÉ (DE). Sfatistique ou description du de- 


BIBLIOGRAPHIE RD3 


partement de la Vendée par J.-A. Cavoleau. 2% édit. revue par 
M. de Fontenelle de Vaudoré, 1844. 


Donne (page 464) un catalogue très-incomplet des serpents de la 
Vendée. 

Fouré. Instruction sur le traitement à employer contre les mor- 
sures des vipères. Nantes, 1809. 

GAGE (L.). Du venin des crapauds et des serpents. Répertoire de 
pharmacie, 1867, t. XXIV, p. 180. 

Une note publiée dans un des numéros suivants du Répertoire de 
Pharmacie (même tome, p. 235), dit que cet article est en partie une ana- 
lyse du travail que nous avions publié nous-même dans la Gazette des 
Hôpitaux, au mois d'août 1867, no: 92 et 93, sous le titre de Venin de la 
Vipère. 

GIRONNIÈRE (DE LA). Heureux effets de l'action des alcooliques por- 
tés jusqu’à l'ivresse dans les cas de morsure par certains serpents. 
Compt. rend. de l’Ac. des sc., t. LI, p. 740. 

Georrroy et HunauLn. Mémoire dans lequel on examine si l'huile 
d'olive est un spécifique contre les morsures des vipères. Mémoires de 
l’Ac. des sc., 1737, p. 183. 


Les rapporteurs concluent par la négalive. 


GRiGNon-DumouLiN (GusrAvE). Lettre sur les mœurs des vipères. 
Union Bretonne, 31 déc. 1867. 

Détails intéressants sur les mœurs de ces animaux, en liberté et en 
captivité. 

GRUuèRE. Des venins et des animaux venimeux. Paris, 1854. 


Est un des meilleurs travaux à consulter sur les venins. 


Guyon (J.). Des accidents produits dans les trois premières classes 
de vertébrés et plus particulièrement chez l’homme par le venin de la 
vipère fer de lance. Montpellier, 1833. 

Le venin des serpents exerce-t-il sur eux-mêmes l'action qu'il 


204 BIBLIOGRAPHIE 


exerce sur les autres animaux. Compt. rend. de l’Acad. des se., 
1861,'t. LIT: 
M. Guyon a aussi publié en 1865 dans les Comptes rendus de l’Académie 


des sciences de très-bonnes recherches sur les accidents occasionnés par 
la piqûre des scorpions. 


HANNEMANN. Dissertatio de viperæ morsu. Miscell. nat. cur. 1689. 

Herr. Graine du cédron employée dans l'Amérique tropicale 
comme remède contre les morsures des serpents. Journ. de pharm., 
1850, t. XVIIE, p. 296. 

JacoLor. Note sur les curados de colubras recueillie à Tuxpan | 
(golfe du Mexique). Arch. de méd. nav., 1867, t. VIE, p. 390. 

Jussieu (BERN.). Sur l'effet de l’eau de Luce contre les morsures 
de vipères. Mém. de l’Acad. roy. des sc., 1749, p. 54. 


Conclut à l’affirmative d’après une seule observation, terminée, il est 
vrai, par la guérison, mais ayant offert des accidents graves. 


LarRey (le baron Hipp.). Compte rendu d'un rapport de la section 
médicale de Mexico sur la prétendue prophylaxie de la fièvre jaune 
par la morsure des serpents, 1865. 


Rejette avec M. Jordanet, rapporteur de la commission mexicaine, 
cette prétendue prophylaxie comme une mystification. 


LEMAIRE (JuLES). De l’acide phénique, de son action sur les végé- 
taux, les animaux, les ferments, les venins et les virus. 27° édit., 
1865. 


Le préconise contre les venins. 


LemerY (Nicoras). Traité de Chymie, 2° édit., Paris, 1766, et 
Pharmacopée universelle, 5e édit., Paris, 1764. 
Quelques détails sur la vipère, ses morsures et leur traitement. Dif- 


férents produits médicamenteux qu'elle fournit. 


MANGiLi (G1AG.). Sul veneno della vipera. Paris, 1809. 


BIBLIOGRAPHIE RDA 


Manzi. Histoire de l’inoculation préservative de la fièvre jaune. 
Paris, 1858. . 


Croit à la valeur du procédé de G. de Humboldt et raconte ce qu’il a 
vu à la Havane sur l’inoculation et ses résullals. 


MATTHIOLE (PIERRE-ANDRÉ). Commentaires sur les six livres de 
Ped. Dioscoride, Anazarbeen de la matière médicale, mis en fran- 
çais sur la dernière édition latine par Jean des Moulins, docteur 
en médecine. Lyon, 1579. 


Page 214 : De la vipère et de ses préparations pharmaceutiques. 
Page 833 et suivantes : Traitement des morsures envenimées. 


Mauouyr. Herpétologie de la Vienne. Poitiers, 1844. 


Décrit avec de curieuses observations les serpents de ce département 
et y signale la vipère à trois plaques sous le nom d’Echidnoïdes trilamina ; 
considère le jeune Zamenis viridiflavus comme une espèce nouvelle qu'il 
appelle couleuvre glaucoide. 


Mean (Ricuarp). Observationes de veneno viperæ. 1750. Lugduni 
Batavorum. 

MErREM (BLasius). Tentamen systematis amphibiorum. 1820. 

Mizcer. Faune de Maine-et-Loire. Angers, 1828. 


Cette faune contient, p. 614 et suivantes, une excellente étude sur les 
serpents de l’Anjou. La synonymie de l’auteur pour les vipères n'a pas 
prévalu. On trouve dans cet ouvrage l'indication de deux cas de mortpar 
morsure envenimée. 


MoisEAU (A.). Dissertations sur les animaux venimeux de la Ven- 
dée et sur le traitement à employer contre leurs morsures et piqüres. 
Paris, an XL. 


Travail consciencieux, mais dans lequel l’auteur se borne à constater 
des faits déjà admis, à les débarrasser des fables populaires et à prouver 
l'efficacité de l’'ammoniaque. 


Moquin-TANDON. Eléments de Zoologie médicale. Paris, 1860. 


296 BIBLIOGRAPHIE 


LA 
Des planches intercalées dans le texte représentent d’une manière très- 


fidèle les trois vipères européennes et l'appareil venimeux du péliade. 

Eléments de Botanique médicale. Paris, 1861. 

Détails intéressants sur les plantes employées comme antidote des ve- 
nins. 

PATERSON (WiLLrAMS). Quatre voyages au pays des Hottentots. 
170 

Prône les pilules de Tanjore et à leur défaut les alcooliques contre l'en- 
venimation. 

Pier (François). Recherches topographiques, statistiques et histo- 
riques sur l’ile de Noirmoutier. 2%° édit. annotée par son fils. 
Nantes, 1863. 


Constate l’absence dans cette île de toute espèce de vipère; y signale 
pour tout serpent l’orvet et deux couleuvres. 


PrAvaz. Moyens mécaniques propres à prévenir l'absorption des 
virus. Acad. de Méd. sept. 1828. 


Propose l'électricité. 


Priou. Observation sur une morsure grave de vipère, suivie de 
réflexions sur divers moyens employés jusqu'à ce jour contre cet acci- 
dent. Journ. de la sect. de méd. de la Soc. acad. de la Loire-Infé- 
rieure, 1828, t. IV, p. 201. 

Rent (FRANCG.). Experimenta naturalia. Amsterdam, 1675. 


La première partie, intitulée Experimenta circa varias res naturales, spe- 
ciatim illas qui ex Indis afferuntur, contient des expériences négatives sur 
les pierres à serpents. 

La seconde, sous le nom d’Observationes de viperis, est entièrement con- 
sacrée aux vipères. 

La troisième, Epistola de quibusdam objectionibus contra suas de viperis 
observationes, est une réponse à Charas. 


RoussEAU (Emm.). Signes extérieurs pouvant servir à distinguer 


BIBLIOGRAPHIE j 2:7 


les serpents venimeux de nos pays des serpents dont la morsure est in- 
nocente. Compt. rend. de l’Acad. des Se., t. III, p. 385. 
Rurz. Enquête sur le serpent de la Martinique. Paris, 1859. 


Bonne monographie du bothrops lancéolé et de ses morsures. 


SEVERINO (Manc.-Aur.). Vipera Pythia, seu de vipera natura ve- 
neno, etc. 1651. 


Monographie de la vipère et de ses morsures. 


SoRNANI. Expériences faites sur l’hydrophobie avec le venin de la 
vipère. Bull. de thérap:, 1837, t. XII, p. 294. 


L’envenimation n’a pas entravé la marche de la rage. 


SOUBEIRAN (LEON). De la vipère, de son venin et de sa morsure. 
Paris, 1855. 

Contient une bonne description des diverses espèces de vipères, de 
curieux détails sur leurs glandes à venin et un grand nombre de faits 


nouveaux et peu connus, ayant rapport aux morsures de ces serpents et à 
leur traitement. 


Rapport sur les vipères. de France. Bull. de la Soc. d’accl., 1863, 
t. X, p. 386. 


Excellent résumé des travaux envoyés à la Société d’acclimatation 
à la suite de son enquête sur les vipères. Il doit être lu par quiconque 
veut étüdier les vipères, soit au point de vue médical, soit au point 
de vue des mesures administratives à prendre à leur sujet. 


VAUVERT DE MÉAN. Remède contre la morsure des serpents. Land 
and water, 1867. 


Préconise la cendre de pipe en application sur la blessure. 


War (A. V.). The New-Orléans méd. and. surgic. Mars, 1861. 


Emploi des alcooliques contre la morsure des crotales. 


Weir MircneLL. Researches upon the venom of the rattlesnakes. 
Washington, Smithsonian Institution, 1860 et 1861. 
17 


258 » ERRATA 


M. Weir Mitchell a refait pour les crotales le travail de Fontana sur la 
vipère en utilisant pour cela toutes les ressources de la science mo- 
derne. On trouve dans cette remarquable étude une analyse du venin 
de ces animaux. 


On the treatment of rattlesnake bites, with experimental criticism 
upon the various remedies now in use. Philadelphie, 1864. 


Ouvrage complémentaire du précédent et comme lui marqué au 
sceau du jugement le plus sûr et de la plus grande honnêteté scientifique. 


Qu'il nous soit permis, en terminant, de témoigner notre gra- 
titude à notre ami le docteur E. Le Sourd, pour avoir bien voulu 
publier une partie de ces Études dans la Revue de Paris, dont il 
était alors directeur, et dans la Gazette des Hôpitaux. 

Ne pouvant, à notre grand regret, citer toutes les personnes 
qui nous ont envoyé d'utiles observations, nous les prions 
d’agréer ici nos remerciments. Nous en offrons de tout particu- 
liers à MM. J.-H. Midolle et L. Viau, auxquels nous devons les 
dessins intercalés dans le texte, et à M. A. Guitton, pour nous 
avoir aidé à mettre en ordre les notes qui ont servi à ce travail. 


ERRATA et ADDENDA 


Page 36, ligne 23, au lieu de La prime de 50 cent., lire la prime de 25 cent. 

Page 46, ligne 17, au lieu de 1867, 1857. 

Page 111. M. Sevète, curé de Paulx, nous communique au moment où 
nous revoyons ces épreuves, l'observation d'un cinquantième cas de 
mort par la vipère, celui de Joseph Longépée. Cet enfant de 10 ans, atteint 
trois fois au pied par un aspic, le 29 juin 1869, et traité intus et extra à 
l’aide du vin de thériaque, a succombé 36 h. après cette blessure. 

Page 201, ligne 21, au lieu de du naja, de la naja. 

Page 239, ligne de titre, au lieu de Poslles, Psylles. 


/ 
TABLE DES MATIERES 
Re so dons rep ce rage 
4re PARTIE. — Considéralions sur les serpents non venimeux de la 

Vendée et de la Loire-Inférieure et sur leurs morsures......... 
nue Qu den ee M à ae e Des 
DM ACOUEMUReES 1e uso à e ES D da un ie LE 
1o%0lasification et description des espèces... .................,. 
Re cause oran dues 
2e PARTIE. — Histoire naturelle des serpents venimeux indigènes. . 
$ I. Des vipères et de leur caractères zoologiques................... 
1° Classification et description des espèces................. 
lo tit an a dl alais et No ie dlaie ei 
En RE EDP MEUT NS NN Ne eine ne dure sante are 
ttes ls italie tee e mana ae eo 00 à 
3e PARTIE, — Considérations médico-chirurgicales sur les morsures 

de vipères dans la Vendée et la Loire-Inférieure............... 

$ [. Examen comparatif des cas observés. :............:........... 
SIT. Description de l'affection venimeuse..... AD FOR RUISS ACAERE: 
10/Symptômes primitifs ou de blessure... ............4. 1428 
2EMMDIOMES secondaires: . 224.7, 24020 PUTUL ON RUN 29e HEe 
30 Symptômes lertiaires......... PR OPEN EEE RIRE CR 
Tube, durée, terminaison. : Het co se cou osesoee e « 
RO IC 0 Mr aa Ronnie ni he ani td 
DR PTIC Hate Ah PUIS doper ect UE 
MAnalomielpatholoniques eue: ehephndenedesnsei he 
PP Ie CODpare del... ss ue tietemn serons 
SR ATEN Sn a eee ferleua DS ST LS 
10 Examen des divers remèdes prônés contre les morsures de 
TETE ee ee da de Mit a aurons sean 
1. Emploi de la vipère elle-même............. A TNT 

2. Spécifiques végétaux, & indigènes....................... 


1 LT SRE PNR RE 


260 TABLE 


LIPADACS ES EPA ERNE ER PE ses NE à SRE OS 


Huile rd'oNMer ee RE 0 Sion e 
MARSONIC SN de Re ae Le IS a le he 1 ET UE 
Chlore, iode, bromeé-.#.1.......420..8:0. NNPRRRE. 
A0/-Perchlorureïde fer... Pme RE 

M Électricité: 20e dus ch NB VAE SNS 

12 Applications iroides- F0 -Ere Pme LEE CEE” "Tee 

13% IncCIsi0nsS et /SCATIICAIIODS Le er tee TUE ht 

ÂL, Disatures 2e rer PAR d'a ucta ee te Re CRE 

AS SCOR A PRET AE en ANR UN ET RES 
16-Sanpaues- "FE Mrree Creer ER RER PO 0» 

172 CAUIÉrISA ONE ee Re ROULE EN AL AS NAN ERER 

18. Acide phénique............... ae en PE OU ue add 

AO MA DIATION M PSE ARR Re Bt tt ain et 

20 Traitement rationnel des morsures de vipères..... AU PATRON 
&e PARTIE. — Des ennemis de la vipère et des moyens de la détruire. 


APPENDICES 
I. De l'emploi de la vipère et du venin des serpents comme moyen the- 
MADEULIQUE See ecee can Le -eer PRE TEE ect 
II. Tableau synoptique des serpents de la Vendée et de la Loire-Infé- 
MO UN Be RAT eue a 2 Une jouera teen ie en DU D DER 


NOTES 

1° De la préparation du sung-sig, ou poison des Malais 

20 Guérisseurs de venin et charmeurs de serpents.......,....... 

30 Essai de diverses méthodes de traitement contre la morsure de 
la VIDRRE A RE ES tt ARE ARS ER 


CAC TIC CNRC 


PRINCIPAUX OUVRAGES (CONSULTÉS 2. cer re Ce DUR NE 
ERRATA TEL ADDENDAS Se see cree RRRRSTRERRT, RATE IEC BARRE 
TABLE LS RSR RNA ri ee, SRE RES NA METRE A dei SO 


IMPRIMENIE DE L. TOINON ET C®, A SAINT-GERMAIN 


QL 

666 

O 6V62 
Rept. 


Viaud-Grand-Marais, 
Ambroise. 

tudes médicales sur 
les serpents de la 
vendéè et de la Loire- 
Inférieure. 


N 


SMITHSONIA 
LU 
3 088 


LUN 

0035707E 9 
ds 0L666.06V62 

‘Etudes m:edicales sur les serpents de |