ÂRYADEVA ET SON CATUHSATAKA
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ÉTUDES
SUR
ÂRYADEVA
ET SON
CATUHSATAKA
CHAPITRES VIII -XVI
P.LVAIDYA
B. A. (Bom); M. A. (Cal)
Docteur de l'Université de Paris
Professeur de sanscrit et de pâli à Willingdon Collège, Sangli (Bombay)
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER
13, RUE JACOB (VI')
1923
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PRÉFACE
Le problème de l'origine et du développement de la doc-
trine de Mâyâ dont la paternité est exclusivement attribuée
à Sankara par la tradition indienne, occupait mon esprit
depuis l'achèvement de mes études sur le système du Vedânta.
Il me semblait donc qu'il y avait beaucoup de points com-
muns, et aussi beaucoup de points distincts, entre Sankara
et ses prédécesseurs Bouddhistes. Ràmânuja et les autres
commentateurs des Brahmasùtras me semblaient avoir rai-
son quand ils appelaient Sankara un Bouddhiste déguisé.
Il fallait alors chercher les points communs à ces deux sys-
tèmes. Bien que certains aspects de la doctrine remontent
à l'époque upanisadique, par exemple la réalité de la cause
et la non-réalité des effets, la doctrine, dans son ensemble,
prit l'aspect d'un illusionisme, comme chez Sankara, au
cours de son passage par le développement philosophique du
Bouddhisme. La parenté entre les Mâdhyamikas et les Yogâ-
càras d'une part, et Sankara d'autre part, est très frappante.
Au moins est-il utile de rechercher pour quelles raisons Ràmâ-
nuja, Madhva et Vijnânabhiksu croyaient à cette parenté.
Parmi les auteurs de langue européenne, MM. Jacobi (JAOS,
XXXIII, part 1, pp. 51 et suiv.). Poussin (JRAS, 1910,
pp. 128 et suiv.), Walleser (Der Aeltere Vedânta, Heidelberg
1910) et Sukhtankar (WZKM, vol. 22, pp. 136 et suiv.) se
sont déjà prononcés pour cette parenté. MM. Deussen
(Vedânta) et Prabhudatta Shâstrï (The Doctrine of Mâyâ,
London, 1911), au contraire, soutiennent que la paternité
de la doctrine de Mâyâ n'appartient qu'à Sankara.
L'histoire de la doctrine de Mâyâ dans la pensée indienne
se divise en trois époques, l'époque upanisadique, l'époque
— 8 —
bouddhique et l'époque post-bouddhique. M. Oldenberg
dans son ouvrage : Die Lehre der Upanisaden und die Anfange
des Buddhismus, Gottingen, 1915, a déjà démontré (pp. 282-
340) la parenté entre la pensée upanisadique et la pensée
bouddhique. Il ne nous reste qu'à démontrer celle des pensées
bouddhique et post-bouddhique. Mais malheureusement les
ouvrages originaux du côté bouddhique ne nous sont conser-
vés que dans les traductions tibétaines et chinoises, que seul
un spéciahste peut consulter. En outre le savant orthodoxe
indien ne pense guère dans une langue étrangère ; du moins
est-ce en sanscrit qu'il pense le mieux.
C'est avec ce double but de présenter les traductions dans
une langue européenne, d'une part, et de reconstruire les
textes en sanscrit d'autre part, que je commence mon tra-
vail, dont je ne présente ici qu'un fragment, pour l'histoire
de la doctrine de Mâyâ. J'espère présenter le système philo-
sophique de l'école Mâdhyamika aussitôt que mes matériaux
seront complets.
Je dois remercier très cordialement M. P. Masson-Oursel
qui m'a apporté une aide des plus précieuses et ne m'a jamais
refusé ses bons conseils. A M. J. Przyluski mes remerciements
sont également dûs ; c'est grâce à son concours qu'il m'a été
possible de contrôler mes interprétations du texte tibétain
par la version chinoise. M^^^ Liwschitz me fut d'un grand
secours pour la rédaction.
Mais avant tout, ma reconnaissance est due à M. Louis
de la Vallée Poussin, de l'Université de Gand : c'est grâce à
sa direction que j'ai commencé mes études bouddhiques et
particulièrement les études tibétaines. Il est inutile de dire,
— après plusieurs références que j'ai faites à ses ouvrages,
et il y en a d'autres que je n'avais pas l'occasion de citer ici, —
quelle source d'information sur le Bouddhisme on peut trou-
ver chez lui. J'emporte des souvenirs inoubhables des heures
que j'ai eu le plaisir de passer dans la compagnie du Kalyâna-
mitra qu'il fut pour moi.
1
ABRÉVIATIONS ET BIBLIOGRAPHIE
AKV : Abhidharmakosavyâkhyâ (Manuscrit).
BC : Bodhicaryâvatara (Bibliotheca Indica, Calcutta).
BCP : Bodhicaryâvatârapanjikâ (Bibliotheca Indica, Calcutta).
BEFEO : Bulletin de l'école française d'Extrême-Orient.
BTS : Buddhist Text Society.
Burnouf : Introduction à l'histoire du Bouddhisme indien, 1" édition,
Paris.
Cordier : Catalogue du Fonds tibétain, 3« partie, Paris, 1915.
Fujishima : Le Bouddhisme japonais, Paris, 1899.
Griinwedel : Mythologie du Bouddhisme au Tibet et en Mongolie,
Leipzig, 1900.
HPS : Haraprasâda Shâstrï, Memoirs of the Asiatic Society of Bengal,
III, pp. 449-514, Calcutta, 1914.
JAOS : Journal of the American Oriental Society.
JASB : Journal of the Asiatic Society of Bengal.
JRAS : Journal of the Royal Asiatic Society, London.
Mdo : Mdo-l.igrel de Tanjur (Catalogue de Cordier).
Minayeff : Recherches sur le Bouddhisme, traduit du russe, par
R. H. A. de Pompignan, Paris, 1894.
MK : Madhyamakakârikâ (Bibliotheca Buddhica).
MV : Madhyamakavptti, par Candrakirti (Bibliotheca Buddhica).
MVagga : Mahâvagga, par Oldenberg, London, 1879.
MVastu : Mahâvastu, par E. Senart, Paris, 1882-1897.
MVyutpatti : Mahâvyutpatti, par Minayeff (Bibliotheca Buddhica,
XIII, 1910-11).
Pan : Pânini.
SBE : Sacred Bpoks of the East.
Schiefner : Târânâtha's Geschichte des Buddhismus in Indien, Saint-
Petersburg, 1869.
SDS : Sarvadarsanasaipgraha de Mâdhava, Poona.
Takakusu : I-Tsing, Records of the Buddhist reUgion, Oxford, 1896.
Târânâtha : Texte tibétain de Geschichte des Buddhismus, publié par
Schiefner, Saint-Petersburg. 1868.
Walleser : Prajnâparamiti, Die Vollkommenheit der Erkenntnis nach
indischen,tibetischenund chinesischen Quellen, G'ttingen, 1914.
Wassiljew : Der Buddhismus, Saint-Petersburg, 1860.
Winternitz : Geschichte der indischen Litteratur, II, Leipzig, 1920.
WZKM : Wiener Zeitschrift fUr die Kunde des MoTgenlandes.
Yamakami : Systems of Buddhistic Thought, Calcutta, 1912.
ZMDG : Zeitschrift der Deutschen Morgenlandischen Gesellschaft.
SYSTÈME DE TRANSCRIPTION
SANSCRIT
aâiïuûrrleaioau m(anusvâra) h ;
k kh g gh n, c ch j jh n, t th d dh n, t th d dh n,
p ph b bh m, y r 1 V s s s h.
TIBETAIN
a 1 u e o ;
k kh g n, c ch j n, t th d n, p ph b m,
te tch ds V sh z h y r I s s h.
INTRODUCTION
1. — ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE l'ÉCOLE MADHYAMIKA
La communauté religieuse fondée par le Bouddha montrait
déjà des signes de dissension durant la vie même de son fon-
dateur : Devadatta, son cousin, fut son adversaire constant,
mais un adversaire sans succès, et le pravrâjaka Subhadra'
qui fut admis au Sarngha par le Bouddha lui-même quelques
jours avant son nirvana, manifesta immédiatement après la
mort du Maître une sorte de rébellion contre la foi qu'il avait
récemment embrassée. D'après ce qui est relaté dans les der-
niers chapitres du Cullavagga, cet esprit de dissension, qui
commença à se manifester de si bonne heure, se calma momen-
tanément puisqu'un concile de cinq cents moines se réunit
à Râjagrha et fixa provisoirement au moins l'enseignement
du Maître. On doute toutefois de l'authenticité de ce premier
concile, car les documents les plus anciens, le Mahâparinir-
vânasùtra par exemple, ne le confirment pas. Les diver-
gences de vue des Bouddhistes se dessinèrent nettement de
plus en plus durant le siècle qui suivit et, vers la fin de ce
dernier, une scission devint inévitable.
Un grand nombre de moines de VaisâlP s'écartèrent des
règlements très stricts de l'Ordre (sarngha) sur dix points
(dasa vastûni) lesquels, quoique futiles en eux-mêmes, eurent
de très grandes conséquences. Un concile des moines les plus
âgés siégea alors à Vaisâlï afin de décider si oui ou non un
moine doit se conformer à ces dix points. Le concile conclut
1. Comparer Oldenberg, Introduction to MVagga, p. xxv et suiy.
2. Introduction to M Yagga, p. xxix et suiy.
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pour la négative ; l'opposition, qui comprenait un très grand
nombre de moines, fut exclue de l'Ordre et, pour éviter que
les paroles du Maître fussent mal interprétées à l'avenir, les
membres du concile récitèrent le Dharma et le Vinaya tels
qu'ils avaient été enseignés par le Bouddha, et codifièrent, en
quelque sorte, ses paroles. Cet événement est connu sous le
nom de concile de Vaisâlî ou la Vinayasamgîti.
On donne le nom de Sthaviras (pâli : Theras, vieux, ortho-
doxes) aux moines qui adhérèrent aux décisions du concile
ci-dessus, et de Mahâsâmghikas (la majorité) aux dissidents.
Ces premiers groupes ^ continuèrent à se diviser, puis à se
subdiviser. Par exemple, les Sthaviras étaient encore subdi-
visés en Mahïsàsakas et Vrjiputras. Chacune de ces branches
semble être spéciahsée dans une certaine partie des Écritures
Saintes, alors incomplètes, et y ajoutèrent de nouveaux
textes, surtout la littérature d'Abhidharma qui ne faisait pas
partie du canon à cette époque.
Nous constatons que la secte des Mahïsàsakas se redivisa
encore eii un certain nombre de branches. Celle qui nous inté-
resse particulièrement est celle des Sûtravâdins, c'est-à-dire
celle qui considère les Sûtras comme ayant plus d'autorité
que les autres parties des Écritures Saintes. De même, nous
trouvons parmi les subdivisions des Vrjiputras une secte
s'appelant le Dharmottarika. Il semble que cette secte ait,
par excellence, donné naissance à la littérature d'Abhidharma
qui se développa pendant les 125 ans environ qui suivirent
le concile de Vaisâlî, et qui atteignit une telle importance
que son admission aux Écritures Saintes fut reconnue comme
nécessité absolue par le concile réuni à Pâtaliputra.
L'esprit de dissension dans l'Ordre, dont l'origine remonte
à l'époque du concile de Vaisâlî, alla en s'amplifiant, divi-
1. Sur les écoles bouddhiques comparer : 1° Wijesimha, Mabâvamsa,
part. I, V, 15 ; 2° Rhys Dayids, Schools of Buddhisl Belief, JRAS,
1892. pp. 1-32 ; 3» Wassiljew, pp. 244-284 ; 4» Târanâtha, chap. xlii ;
50 Kern, Histoire du Bouddhisme dans l'Inde, II; 6° Yidyâbhûsana,
Mediaeval Logic, p. 57 et suiv.
— i3 —
sant également les deux branches des Sthaviras et des Mahâ-
sâmghikas à un autre point de vue. Ici, la séparation est
quelquefois motivée par l'interprétation et l'autorité du
Canon : parfois par un âcârya célèbre désireux d'attirer des
disciples; parfois par l'éloignement dans l'espace, ou même
encore par la différence d'habillement. Ainsi, si nous exami-
nons les noms des premières sectes, nous constatons que les
Sûtravâdins (pâli : Suttabhânakâ) et les Dharmottaras
(pâli : Dhammabhânakâ ou Dhammakathikâ) doivent leur
nom à l'interprétation et à l'autorité des Sùtras et de l'Abhi-
dharma respectivement; les Kâsyapïyas, Siddhàrthakas et
Dharmaguptïyas à leurs célèbres àcâryas; les Vrjiputras à
leur clan; les Haimavatas, Râjagirïyas, Pûrvasailïyâs, Apara-
sailïyas et GokuHkas à leur habitat et les Tâmrasàtîyas à
leur habillement. Mais les noms de Sarvâstivâdin, Prajnapti-
vàdin, Lokottaravâdin et Samkràntika semblent suggérer
qu'ils tirent leur origine de quelque point de vue philosophique
particulier, au moins dans une forme insuffisamment déve-
loppée. C'est cette dernière classe qui, ainsi que les anciens
Suttabhânakas et Dhammakathikas continua à se dévelop-
per dans les écoles métaphysiques, des Sautrântikas et des
Vaibhâsikas.
Un nouveau résultat de cette rupture dans l'unité du
Sarngha bouddhique fut la nécessité de reviser une seconde
fois le Buddhavacana. Les Livres Saints et les règlements
relatifs à l'admission au Sarngha étaient tellement élastiques
que le premier venu, même s'il n'était pas d'accord avec les
vues du Bouddha, pouvait aisément faire partie du Sarngha,
prêcher ensuite à sa guise, et même ajouter des textes aux
Écritures Saintes. Ce chaos' et le massacre d'un grand nombre
de moines sur l'ordre d'Asoka, — ordre mal compris par le
ministre de ce dernier, — amenèrent la convocation d'un
concile de moines sous la présidence de Moggaliputta. L'Abhi-
dharma fut, cette fois, admis au Canon et le Tripitaka formé ;
1. Introduction to MVagga, p. xxxi et suiv. ; Dïpavamsa, Mahâvamsa
et Samantapâsâdikâ sur le troisième concile.
— l/, —
et, ce qui est d'une importance primordiale pour ce concile,
c'est que son président, Moggaliputta, décrivit dans un traité
connu sous le nom de Kathàvatthu, et constituant mainte-
nant le dernier livre du Tripitaka, les idées dogmatiques
avancées par ses disciples et lui, et les proclama en plein
concile.
Cet événement : la composition du Kathàvatthu et son
introduction dans le saint Tripitaka, fut un très grand sti-
mulant pour le génie métaphysique des Bouddhistes dont la
compétence s'était déjà affirmée par la production d'une lit-
térature d'Abhidharma très étendue. Les premières écoles
de Suttabhànaka, Dhammakathika, Hetuvàda et Pannatti-
vâda étaient alors en pleine activité, non pas pour la produc-
tion de nouveaux livres sur la littérature sacrée, production
qui avait déjà été limitée deux ou trois fois à cette époque,
mais dans le but de systématiser les textes contenus dans
le Canon. Maintenant, les divergences d'opinion quant à
l'interprétation allaient, naturellement, être plus accentuées
que jadis ; et, en nous basant sur l'analogie que présente l'his-
toire des autres sytèmes de la philosophie indienne, nous trou-
vons que c'est justement la raison pour laquelle deux systèmes
difîérents allaient jaillir d'une même source, quoique tous
deux eussent pour origine la même littérature sacrée.
Quelques-unes des écoles ecclésiastiques fondées tout au
début disparurent par la suite, et furent remplacées par de
nouvelles. Il est assez curieux de constater que le nombre
sacré de dix-huit fut respecté. Pour leur métaphysique, les
historiens classent ces dix-huit écoles, plutôt arbitrairement,
en quatre groupes^ : les Sarvâstivâdins, les Sammitïyas, les
Mahâsàrnghikas et les Sthaviras ; parmi ceux-ci, on dit que
les deux premiers appartenaient à l'école Vaibhâsika, et les
deux derniers à l'école Sautrântika. Il faut toutefois remar-
quer que ces écoles métaphysiques rejoignirent l'une ou l'autre
des sectes dont il est question plus haut pour l'accomplis-
1. Tarânâtha-Schiefner, chap. xlii ; Vidyâbhûsana, p. 58 et suiv. ;
Takakusu, I-Tsing, p. xxni et suiv.
— i5 —
sèment des fonctions religieuses et des autres règlements de
l'Ordre des Bouddhistes en général. Une preuve éclatante
à l'appui de ce fait est donnée par Burnouf, et se tire de l'Abhi-
dharmakosavyâkhyâ de Yasodhara montrant que les Vâtsï-
putrîyas partagaient les vues des Mâdhyamikas (Burnouf,
page 570 ; Abhidharmakosavyâkhyâ, folio 477 a : ya ekesàm
pudgalagrâha iti, Vâtsïputrïyânâmekesâm sarvanàstigrâha iti ;
madhyamakacittânàm ity abhiprâyah).
Mais qu'il me soit permis d'ouvrir ici une courte parenthèse.
En écrivant l'histoire de l'école Mâdhyamika, je dois donner
les dates approximatives des événements enregistrés ; mais
notre connaissance de cette période est tellement imparfaite,
que toute précision semble impossible à observer. C'est pour-
quoi je donne ces dates sous toutes réserves; je sais que bien
des savants pourront ne pas être d'accord avec moi à ce sujet
et je puis seulement dire que les dates doivent être prises
comme hypothétiques, non définitives et susceptibles d'être
corrigées, soit par une argumentation meilleure, soit par des
recherches plus approfondies. Ma seule autorité . pour cette
période a été « l'Histoire du Bouddhisme » par Tàrânâtha,
écrite en 1608. Comme il le dit, il a tiré les matériaux néces-
saires à la composition de son hvre d'écrivains plus anciens,
et il semble qu'en les maniant, il ait montré un certain esprit
critique. Il n'hésite jamais à exposer les faits qui se contre-
disent et leurs solutions telles que les pandits pouvaient les
lui donner, ainsi qu'à reconnaître son manque d'information
sur certains auteurs. Son œuvre cependant souffre du fait
qu'il y a ajouté un certain nombre de mythes et d'improba-
bilités, et plusieurs des faits mentionnés, tels que les dates de
Pànini et Vararuci, sont absolument faux, comme tout le
monde peut aisément s'en rendre compte. Nous n'avons pas
de preuves, à part ses propres assertions, de l'existence de
divers rois dont il parle, pas plus que de leurs règnes, et il
s'ensuit que les données qu'il a enregistrées ont une base peu
sûre. Il faut toutefois reconnaître que l'ordre chronologique
des écrivains après Nâgârjuna est exact et que l'on peut s'y
fier, puisque la concordance des différents auteurs de cette
— i6 —
époque en est une preuve manifeste. C'est cette évidence qui
m'a permis d'interpréter les dates approximatives fournies
par les ouvrages des divers écrivains; j'ai accepté les siennes
chaque fois que je les ai trouvées confirmées, soit par d'autres
preuves, soit par des recherches récentes. Je suis forcé de
reconnaître que je n'ai pas de nouvelles données historiques
à présenter.
Voici ce qui expHquera quelque peu ma position : je place
la date du nirvana du Bouddha entre 480 et 470 av. J.-C. ;
celle du couronnement d'Asoka en 265 av. J.-C, et de Kaniska
vers 78 après J.-C. Je trouve assez difficile d'admettre, comme
le fait Târânâtha, que Kaniska régna quatre cents ans après
la mort du Bouddha, et, parmi la quantité de théories (il n'y
en a pas moins de onze) sur l'âge de Kaniska, j'ai pensé que
l'an 78 était la date la plus plausible'. Après Kaniska, Târâ-
nâtha mentionne un roi du nom de Candanapâla qui, selon lui,
régna cent vingt ans et vécut 150 ans. Cette assertion est
inadmissible. Mais comme ses pandits lui dirent un jour de
considérer une année comme étant de six mois", je suppose
que la durée du règne de Candanapâla ne fut que de soixante
ans, soit jusqu'en 138 après J.-C. quand apparaît Ràhula-
bhadra. Après Candanapâla vinrent Haricandra et Aksa-
candra et, comme Târânâtha ne parle pas des années durant
lesquelles ils restèrent sur le trône, je prends la durée de cha-
cun de leurs règnes comme étant de 25 ans. Leur successeur,
Nemacandra régna donc entre 188 et 200 après J.-C, époque
à laquelle Târânâtha place la carrière littéraire de Nâgàrjuna ;
j'accepte cette date comme étant presque correcte. Le suc-
cesseur de Nemacandra est Sâlacandra, 200-225 après J.-C
lorsque vint Âryadeva. La période séparant Âryadeva
d'Asahga est occupée par six règnes successifs, dont ceux de
Bindusâra et de Karmacandra^ furent de 35 à 40 ans respec-
1. D' F. W. Thjmas, Date of Kaniska, JRAS, 1913, p. 626 et suiv. ;
Prof. Rapson, History of India, p. 883.
2. Târânâtha, xv et xxii ; Schiefner, p. 73 et 126.
3. Târânâtha, xvni et xxii.
— 17 —
tivement; celui de Dharmacandra fut très court. Je place
donc Asatiga et Vasubandhu entre 350 et 400 après J.-C,
ce qui concorde avec les dires de Tàrânâtha, les faisant vivre
environ 900 ans après la mort du Bouddha (543+350=893).
Ceci concorde également avec la date fixée par N. Péri pour
Vasubandhu (BEFEO, 1911, n^s 3-4, « A propos de la date de
Vasubandhu » ). J'ai placé Buddhapâlita dans la première
moitié du cinquième siècle, Dignâga et Sthiramati dans la
seconde moitié du même siècle ; Ravigupta et Gunamati éga-
lement dans la seconde; Candrakïrti et Candragomin entre
575 et 625 ; Dharmapâla, 625-650 ; Devasarman et Jayadeva,
650-675; Sântideva et Dharmakirti, 675-700; Avalokita-
vrata-, Buddhajnânapâla et Sântiraksita, 750-800, et Kamala-
sïla, 800-825.
Toutes ces dates et leur ordre de succession sont confirmés
par le témoignage évident des assertions de Tàrânâtha. Cer-
taines de ces dates sont également confirmées par d'autres
preuves indépendantes. Je dois dire une fois de plus que cette
façon de calculer les dates ne donne pas une précision absolue,
mais je pense que s'il y a une légère erreur, celle-ci n'est
guère de plus de 25 ans dans un sens ou dans l'autre, ce qui, je
crois, vu nos connaissances actuelles de cette période, est plu-
tôt tolérable. Je ferme ma parenthèse et retourne à mon sujet.
Les deux conciles qui eurent lieu successivement sous Asoka
et sous Kaniska sont séparés par une période de deux à trois
cents ans, époque très importante au point de vue de l'évo-
lution des systèmes philosophiques des Bouddhistes. Malheu-
reusement, cette période est excessivement obscure du fait
que sa littérature n'a pas été conservée dans sa langue ori-
ginale, mais dans des traductions fort incomplètes, et nous
devons nous en tenir aux informations de hasard données par
des étrangers ou par des commentateurs indigènes. En con-
sultant l'Abhidharmakosavyâkhyâ et d'autres commentaires,
nous apprenons que chacune des dix-huit sectes, les Tâmra-
parnïyasS par exemple, avait son Canon particuher. Wassil-
1. Minayeff, p. 227.
jew^ et Burnouf nous disent que les Mùlasarvâstivâdins
avaient leur littérature en sanscrit, les Mahâsainghikas en
pràcrit, les Sammitïyas en apabhrarnsa, et les Sthaviras en
paisâci (pâli ?). Quand et comment ces canons furent formés,
nous ne le savons guère, et je n'aborde pas ici la question si
fréquemment discutée de la priorité soit de la version sans-
crite, soit de la version pâlie du Tripitaka. C'est également
durant cette période que certains des Sûtras sanscrits, — que
s'est appropriés maintenant le Mahâyàna, — apparurent sous
leur forme la plus ancienne, la forme actuelle des Vaipulya-
sûtras étant décidément plus moderne. Les écoles métaphy-
siques prédominantes étaient celles des Sautràntikas et des
Vaibhàsikas, et de nouveau, parmi ces dernières, les Sam-
mitïyas.
Au début de l'ère chrétienne, la partie Nord-Ouest de l'Inde
fut envahie par les Turuskas, ou Scythes. Kaniska, qui était
leur chef, conquit Pahlava, Kâsmïra, et Delhi et est- supposé
avoir fondé l'ère saka en 78 après J.-C. Il accepta la foi boud-
dhique et est également supposé avoir popularisé la nouvelle
forme du Bouddhisme connue maintenant sous le nom de
Mahâyàna. Un concile de Bouddhistes fut réuni sous son patro-
nage à Jâlandhara^ sous la présidence commune de Pârsva
et de Vasumitra. Les trois cents moines assemblés à cette
occasion composèrent en sancrit trois ouvrages explicatifs
de l'ancien Tripitaka, c'est-à-dire : Sûtropadesa, Vinaya-
vibhâsâ et Abhidharmavibhàsâ.
Après le concile de Jàlandhara, deux tendances devinrent
évidentes : l'une, qui concernait l'idéal de la vie religieuse, se
développa en le Mahâyàna, que. nous connaissons. Le Mahâ-
yàna, — le Grand Véhicule, — divisant sa course en trois
sections, simplifia la vie religieuse et rendit la religion plus
populaire par l'addition d'une section du Bodhisattva au
deux autres des Hïnayànistes, facile à saisir et à pratiquer par
l'introduction de la théorie de six pàramitàs, dont les cinq
1. Wassiljew, p. 294 ; Burnouf, p. 445 et suiv.
2. Takakusu, p. xxv et suiv.
, — 19 —
premiers entrèrent dans la catégorie des sciences morales, et
le sixième dans la Métaphysique ou science transcendante.
Sous cette influence, la métaphysique se développa en un
système didactique, système pouvant convaincre et convertir
tout intelligent chercheur de la vérité. La plus grande partie
de la Httérature de Prajnàpâramitâ, résultant d'un dévelop-
pement des Sûtras, — forme des Sûtras développés ainsi que
quelques autres éléments nouveaux, — appartient proba-
blement à cette période. L'école Satyasiddhi du Hïnayâna,
dont seules les sources chinoises ^ nous ont révélé l'existence,
est une sorte de compromis entre le Hïnayâna et le Mahâyâna ;
elle prit naissance à peu près à cette époque, quoique Hari-
varman, le fondateur ou plutôt ordonnateur du système de
l'école, et auteur des Satyasiddhisâstra, soit supposé avoir
vécu vers le commencement du troisième siècle. Cette école
Satyasiddhi, qui appartient à l'Inde centrale et est ainsi appa-
rentée à l'école Màdhyamika, — également au point de vue
localité, — fut la première à introduire d'une manière marquée
dans la métaphysique bouddhique, la doctrine des deux véri-
tés : le vyavahârasatya et le paramàrthasatya. Ces deux
aspects de la vérité correspondent à une double classification
du Buddhavacana en neyàrtha et nïtârtha, c'est-à-dire le
sens conventionnel ou relatif et le sens transcendant ou
absolu, ce qui forme le principal sujet de discussion traité dans
l'Aksayamatinirdesasûtra.
Environ soixante ans après le concile de Jâlandhara, cette
littérature du Mahâyâna s'était considérablement accrue et il
devenait nécessaire de la classer en système. Comme nous
l'avons dit plus haut, un roi du nom de Cadanapâla vint après
Kaniska et gouverna environ soixante ans. Sous son règne, vécut
l'âcârya brâhmana Ràhulabhadra^, encore appelé Sri Saraha,
le fondateur réputé de l'école Màdhyamika. Selon Târânâtha,
Ghanasa et six autres mahâbhadantas, tous de grands Maîtres,
sont de la même époque. Nous ne connaissons rien des ouvrages
1. Fujishima, chap. n ; Yamakami, chap. iv.
2. Târânâtha, xiv.
20
de Râhulabhadra, sauf les six stances conservées dans le Subhâ-
sitasamgraha^ stances qui, d'après le compilateur, doivent être
attribuées à Sri Saraha. Târânâtha ne nous donne aucune
information sur les autres mahâbhadantas et leurs œuvres.
Toujours d'après Târânâtha 2, Nàgârjuna vécut sous le
règne de Nemacandra, que deux générations séparent de
Candanapâla. Il semble donc avoir vécu vers 170-200. Des
documents légendaires, — souvent pleins de faits contradic-
toires et d'improbabilités, — se sont amassés autour de ce
personnage, le faisant vivre six cents ans et apparaître dans
tous les coins de l'Inde. Par un examen minutieux de ces
légendes, il nous est permis de conclure que Nàgârjuna naquit
à Vidarbha, dans le Sud (les documents de source chinoise ^
Je font naître à Mahâkosala), d'une famille de brahmanes.
Il fut élève de Râhulabhadra. Il systématisa les principes de
l'école Mâdhyamika et écrivit abondamment sur le système
de l'école, comme ses œuvres en font foi ; nous citerons, entre
autres : le Mùlamadhyamakasâstra, la Vigrahavyâvartanî,
la Yuktisastikâ, la Sûyatâsaptati, et de nombreux stotras.
La thèse principale de son Madhyamakasàstra est la doc-
trine du Pratïtyasamutpâda S la division des Sûtrântas en
neyârtha et nïtâ^tha^ — en sens conventionnel et sens
absolu, — ainsi que la réfutation des doctrines du pudgala ^
de l'école Sammitîya, et de la psychologie des écoles Sau-
trântika et Vaibhâsika. Le tout a l'apparence d'une polé-
mique plutôt que d'un système de métaphysique construc-
tive, et tout le Sâstra doit être expliqué' en tenant compte
du mode de discussion de l'auteur, tel qu'il est exposé dans
sa Vigrahavyâvartanî et dans sa Yuktisastikâ. On peut dire
1. Muséon, 1903, p. 375 et suiv.
2. Târânâtha, xv.
3. Watter, Ywan Chwang, II, p. 201 et suiv.
4. MK, I, 1-2.
5. MK, XXIV, 8; MV, p. 41, ata evedam Madhyamakasâstram
pranïtam âcâryena neyanïtârthasùtrântavibhâgopapradarsanârtham.
. 6. MK, IX, 1 et suiv. ; II, 1-2 et suiv.
7. MV, p. 16 et 24.
21
avec raison que les expressions jalpa et vitandâ prirent place
dans le Nyàyasâstra d'après la méthode Mâdhyamika de dis-
cussion. Vers la fin de sa vie S Nâgârjuna se rendit au fameux
vihàra de Nâlandâ, qui avait été fondé peu de temps avant
lui par les deux frères Mudgaragomin et Sankara, au lieu de
naissance de Sâriputta et à peu de distance du Bodhimanda où
le Bouddha atteignit la perfection. Nâgârjuna retourna ensuite
au Srïparvata, dans le Sud, où il mourut.
Les adeptes du Hinayâna^ disent que Nâgârjuna est l'au-
teur de la Satasâhasrikâ Prajnâpâramità et de bien d'autres
Mahâyânasùtras. Wassiljew^ a peut-être raison de suggérer
que Nâgârjuna était tellement illustre que chaque ville le
revendiquait comme sien, et qu'il a prêté son nom à tous ceux
qui contribuèrent à la composition de l'enseignement Mahâ-
yàniste. Sa longue existence de six cents ans semble confirmer
cette supposition, de même que les parallèles établis avec Vyâsa
du côté de la littérature brahmanique. Si nous examinons
ses ouvrages, et tout particulièrement le Madhyamakaéâstra,
indépendamment des commeïitaires *, nous trouvons confir-
mation du fait que l'auteur du Sàstra ne pouvait pas être
celui des Mahâyânasùtras à l'autorité desquels il se réfère
constamment. On peut retrouver les traces des œuvres sur
lesquelles il s'appuie dans le Tripitaka pâli 5, mais il y en a
d'autres qui se rapportent clairement aux Mahâyânasùtras «
et que l'on cite dans les commentaires.
Le heu d'origine^ du Mahâyâna, et, par conséquent, de
l'école Mâdhyamika, est supposé être dans le Nord. Ceci
peut être exact pour le Mahâyâna ; mais l'école Mâdhyamika
semble bien avoir pris naissance dans le Sud. D'ailleurs, tous
1. Wassiljew, p. 220.
2. Schiefner, p. 71 ; Winternitz, II, p. 250.
3. Wassiljew, p. 220.
4. Comparer MK, VIII, 1, etc. ; IX, 1, etc.
5. MK, XV, 7, renvoie au SamyuttaN, II, p. 17.
6. MK, XXIV, 8, renvoie à rAksayamatinirdesasùtra ; XIII, 8, au
Ratnakûta,
7. Wassiljew, p. 221.
22
les anciens àcâryas de l'école jusqu'à Buddhapâlita appar-
tiennent au Sud où ils vécurent, et Buddhapâlita qui vint
après Asanga ne semble pas du tout avoir subi l'influence de
la logique ou de la métaphysique de l'école Yogâcàra, comme
nous pouvons en juger d'après son commentaire sur le Madhya-
makasâstra. On peut trouver une autre preuve à l'appui de
ce qui précède dans le lieu d'origine de l'école Satyasiddhi, qui,
comme nous l'avons dit un peu plus haut, fut fondée dans le
Sud et présentait des affinités frappantes avec l'école Mâdhya-
mika. Il est vrai que nous retrouvons des écoles Hïna-
yânistes également à Nâlandâ, mais ceci n'a rien d'étonnant.
Le vihâra avait pour but reconnu l'étude du Bouddhisme
dans toute son étendue, et non pas celle d'une seule branche,
quoique plus tard le vihâra fût accaparé par les savants du
Mahâyâna.
Très peu de temps après Nâgârjuna, on voit apparaître
ses deux élèves S Âryadeva et Nâgâhvaya ou Tathâgata-
bhadra sous le règne du roi Sàlacandra (vers 200-225 après
J.-C). Tous deux sont originaires du Sud, mais les légendes
amenèrent Âryadeva à Nâlanda pour une courte période.
Aucune des œuvres de Nâgâhvaya ne semble avoir été pré-
servée. Il nous reste des ouvrages composés par Aryadeva :
le Catuhsataka et encore quelques autres. Nous trouvons
très peu de polémique dans le Catuhsataka, mais un exposé
consistant des doctrines métaphysiques et éthiques en quatre
cents vers écrits dans un style vigoureux et piquant. Quant
à ses autres ouvrages, ils sont de moindre importance et très
courts.
Ici se termine l'époque des anciens Mâdhyamikas, époque
durant laquelle la philosophie des Mahàyânasûtras fut érigée
en système par Nâgârjuna et Âryadeva. Durant les 150 ans
qui suivirent, c'est-à-dire durant l'intervalle séparant Ârya-
deva d' Asanga et de Vasubandhu, les Bouddhistes du Nord et
du Nord-Ouest d'une part, travaillèrent sur le même fonds des
Sûtras que Nâgârjuna et Âryadeva avaient traité, et de
1. Târânâtha, xvii ; Wassiljew, p. 221.
— :^3 —
l'autre écrivirent de nouveaux livres sur l'idéalisme qui por-
taient le nom générique de « Livres de Maitreya». Târânâtha^
cependant assigne le commencement de cette école idéa-
liste Yogâcâra au temps de Râhulabhadra, c'est-à-dire envi-
ron 150 ans après J.-C, en disant que les cinq cents âcâryas
du Yogâcâra appartinrent à cette époque. Ceci est assez pro-
bable, car il y a des affinités tellement frappantes entre ces
deux écoles, qu'en beaucoup d'occasions elles apparaissent
absolument semblables. Leur littérature du début est essen-
tiellement la même 2, et beaucoup de dogmes du Mâdhyamika,
tels que la théorie du changement et des causes 3, la vérité
à double aspect, la théorie de l'illusion (mâyâ) et la doctrine
des huit négations sont également acceptées par l'école Yogâ-
càa. C'est pourquoi il serait plus correct de dire que les deux
écoles n'en faisaient qu'une à l'origine, mais que plus tard
elles se développèrent dans deux directions différentes, l'une
au Sud, l'autre au Nord, et, si nous appelons l'école Yogâcâra
« idéaliste », nous devons qualifier l'école Mâdhyamika « d'ex-
trême-idéaliste », car l'une admet le cittamàtra ou vijnâna,
tandis que l'autre* le met dans la catégorie de samvrti.
Le fondateur du système Yogâcâra est Asanga, qui, d'après
toutes les légendes, est le frère aîné de Vasubandhu ; il est
donc incontestable qu'il fut contemporain de Vasubandhu.
Vasubandhu vécut dans la seconde moitié du quatrième
siècle, c'est-à-dire entre 350 et 400 après J.-C. Si l'on s'en
1. Târânâtha, XIV ; Schiefner, p. 69.
2. On croit généralement que la littérature Prajnâpâramitâ est une
propriété exclusive de l'école Mâdhyamika, ce qui n'est pas tout à fait
correct ; il y a des commentaires sur les Prajnâpâramitâs écrits par les
maîtres de l'école yogâcâra ; la littérature Abhisamayâlamkâra qui se
développe des Prajnâpâramitâs, et qui est essentiellement idéalistique,
démontre que sa source n'était pas la propriété exclusive de l'école
Mâdhyamika. Comparer Stcherbatskoi, La littérature yogâcâra d'après
Bouston, Muséon, 1905, p. 146 et suiv.
3. Mahâyânasûtrâlamkâra, XI, 13-31.
4. BCP, p. 484, tad api câtmadrstyabhinivistânâm anyatrâtma-
grâhaparikalpavicchedârtham neyârthatayâ samvrttyâ cittam âtmeti
prakâsitam na tu paramârthatah.
•y h
rapporte aux légendes ^ Asanga vint tout d'abord à Pîlu-
vana, en Magadha ; il y construisit un temple appelé Dharma-
guhâ et écrivit les livres dits « de Maitreya »; il composa
lui-même divers ouvrages sur le système Yogâcâra. Il intro-
duisit ensuite la doctrine du Mahàyâna dans l'Ouest et dans
le royaume yavana de Sagara. Il partit à Nâlandâ vers la
fin de sa vie, y resta douze ans, et mourut à Râjagrha.
Vasubandhu affermit l'école par ses écrits ; ses disciples,
Dignâga et Sthiramati en particulier, par des traités de lo-
gique, comme le Pramànasamuccaya, et par leurs discus-
sions avec les tirthikas, donnèrent une telle splendeur à
l'école Yogâcâra que, pendant quelque temps, l'école Mâdhya-
mika sembla complètement éclipsée. Elle reconquit toutefois
la prédominance quand se développèrent ses branches Pra-
sanga et Svatantra.
Le fondateur de l'école Prâsangika est Buddhapâlita^ qui
vécut dans le Sud durant la première moitié du cinquième
siècle ; Candrakîrti et Sàntideva sont les représentants les plus
caractéristiques. Le commentaire de Buddhapâlita sur le
Madhyamakasâstra est bref, et ne semble avoir été influencé
ni par les vues de l'école Yogâcâra, ni par la logique de
Dignâga, les deux représentant les traits caractéristiques de
la pensée bouddhique du siècle. Cependant, l'école atteignit
l'apogée de sa splendeur sous Candrakîrti qui composa des com-
mentaires sur le Madhyamakasâstra et le Catuhsataka, ainsi
qu'un ouvrage indépendant, le Madhyamakâvatàra. C'est
grâce à ses écrits que cette école devint populaire dans le
Tibet et qu'elle y existe encore aujourdhui.
Le commentaire de Buddhapâlita est critiqué par Bhavya
(un Svâtantrika) dans son Prajnâpradïpa, et Candrakîrti a
réfuté les observations que Bhavya fit sur le commentaire
du Buddhapâhta dans son Madhyamakâvatàra et Prasanna-
padâ. Devasarman, un élève de Dharmapâla, a critiqué
les vues de Candrakîrti dans son Sîtabhyudaya, un commen-
1. Târânâtha, xxii ; Wassiljew, p. 225.
2. Târânâtha, xxni ; Schiefner, p. 135 ; Wassiljew, p.
226.
— 25 —
taire sur le Madhyamakasâstra. Mais, en dehors de commen-
taires, cette école a produit au moins deux ouvrages très
importants : le Madhyamakâvatâra de Candrakïrti et le
Bodhicaryâvatâra de Sântideva. Les Tibétains ^ mentionnent
après Sântideva les opinions de Sàkyamitra, Nâgabodhi et
Nyâyakokila, mais les œuvres de ces derniers nous sont
inconnues ; d'ailleurs, étant postérieures à Sankara, elles
ne nous intéressent pas pour le moment.
Le nom de l'école Pràsangika dérive de prasanga ou
prasatigavâkya, une méthode de dialectique « reductio ad
absurdum » et ses opinions sont de la sorte diamétralement
opposées à celles de l'école Svàtantrika qui maintint la thèse
Mâdhyamika sur la force du raisonnement indépendant.
Cette école Pràsangika a d'autres traits distinctifs, mais ce
sont de simples corollaires de ce qui précède, de même que
leurs onze ou huit^ syllogismes mentionnés par des écrivains
tibétains plus récents. Les Prâsahgikas déclarent ne pas pou-
voir admettre le raisonnement indépendant (svatantrànu-
mâna)^ parce qu'il conduit à l'acceptation de quelque chose
de réel, ce qui est un extrême, dont la négation est l'essence
même de la doctrine Mâdhyamika.
Le mot « prasanga » est défini comme « parasya anistâ-
pâdanam » réduisant l'adversaire à des conclusions absurdes.
Selon la logique brahmanique, comme il est exphqué dans
la Nyâyakandalï*, on devait l'amener à cette démonstration
de son absurdité en se basant sur la force de faits évidents en
eux-mêmes ou véridiques. Ici, il n'y a pas lieu de convaincre
mais bien de montrer aux autres leurs erreurs. Le prasanga
ne prouve rien^ et son emploi a certaines limites. Quand un
contradicteur adversaire se sert d'une telle arme avec le seul
1. Wassiljew, p. 358.
2. Wassiljew, p. 361-366 ; Schlagintweit, Bouddhisme au Tibet,
chap. IV ; JBTS, 1895, pt. IL
3. MV, p. 16.
4. Page 198.
5. « Prasango hi na sàdhanam, hetor abhâvât », Nyâyavàrt. Tikâ
de Vacaspati, p. 407.
— 26 —
but de réfuter les arguments d'autrui, il devient vaitandika
(querelleur)^ s'il n'a rien à soutenir, et, comme il n'a pas de
paksa (proposition, thèse) il cesse de donner lieu aune discussion
correcte. L'attitude du Mâdhyamika^ vis-à-vis du prasanga
est la suivante : à ses yeux, il n'y a pas de pramâna pouvant
résister à ce mode de discussion, et si les preuves de son adver-
saire tombent elles-mêmes lorsqu'elles sont examinées d'après
sa propre manière de faire, le Màdhyamika les déclare immé-
diatement défectueuses. Le Màdhyamika n'a ni paksa^ ni
hetu, ni drstànta, c'est-à-dire qu'il rejette les trois proposi-
tions de tout syllogisme valide. Le raisonnement syllogis-
tique n'est pas une preuve pour lui. Si l'adversaire accepte
un point de vue particulier en se basant sur la force d'un pro-
cédé de raisonnement, il doit l'expliquer aux autres afin de
les gagner à sa cause. En d'autres termes, l'adversaire peut
avoir recours au raisonnement syllogis tique, mais s'il ne
trouve pas les drstànta corrects et le hetu, il lui est impos-
sible de prouver l'exactitude de sa thèse, et, partant de là,
de convaincre les autres. Son incapacité de maintenir sa posi-
tion démontre clairement la faiblesse de son point de vue.
Nâgârjuna et Âryadeva étaient tous deux* d'accord sur
la valeur du raisonnement syllogistique, et, comme Candra-
kïrti le fait remarquer, Nâgârjuna avait toujours recours à
cette méthode de prasanga (prasahgamukhena).
Le système Prâsangika est, aux yeux des Tibétains ^ le
système qui interprète correctement l'enseignement du Boud-
dha, autrement dit, l'école Prâsangika prétendait donner le
véritable enseignement du Bouddha, tel que ce dernier le
répandit durant les quarante dernières années de sa vie, et
tel qu'il fut codifié sous la présidence d'Ânanda. Pour les
1. Ibid., p. 248.
2. Ibid., p. 248 et suiv. ; MV, p. 24, parapratijnânisedhaphalatvàd
asmadanumânânâm.
3. MV, p. 18-19.
4. Vigrahavyâvartanï, citée MV, p. 16 ; Catuhsataka, 400 ; MK,
IV, 2 ; V, 1 ; XXV, 4.
5. Wassiljew, p. 349 ; Schlagintweit, chap. iv.
— 27 —
partisans de cette école, la doctrine du Pratïtyasamutpâda
est l'alpha et l'oméga de la philosophie ; elle est irréfutable
et se démontre d'elle-même et tout ce qui entre en conflit^
avec elle est une hérésie. Son principal but en défendant son
point de vue est de démontrer que les opinions de l'adversaire
se contredisent elles-mêmes et sont, par conséquent, absurdes.
Cette méthode est très efficace en cas de discussion, et tous
les disputants y ont recours comme dernière ressource. Telle
est l'unique méthode employée par l'école Prâsahgika pour
interpréter l'enseignement du Bouddha et de Nàgârjuna.
Les Pràsangikas et les Svâtantrikas basent l'un et l'autre
leur métaphysique sur la double signification des sûtras •
le sens conventionnel ou relatif (neyârtha) et le sens absolu
(nïtârtha). Les Pràsangikas divisent encore le sens convention-
nel en deux catégories, tout à fait contraires à la vérité et
métaphoriques, correspondant approximativement ^ au pari-
kalpita et paratantra de l'école Yogâcâra. Le Mâdhyamika
donne aux trois sortes de perception une subjectivité gra-
duée. Il l'exphque au moyen d'une comparaison : — Voici
une corde devant nous ; nous la prenons pour un serpent,
mais le serpent n'est pas dans la corde. Ainsi, paratantra,
corde, sert de base au parikalpita, également au parinis-
panna. Le Prâsahgika dit que tout ce qui existe ressemble
beaucoup à la corde qui, dans l'obscurité, fut prise pour un
serpent. L'élément terrestre^ n'est qu'un agrégat, et il s'ensuit
que son existence est conditionnée ; or, la condition n'est
« ni homme, ni femme »*, ni existence, pas plus que non-exis-
tence. Tout ceci au sujet de l'école Prâsahgika.
1. Comparer « dharmatâtn ca na vilomayati » où dharmatâ veut dire
pratïtyasamutpâda. Comparer Mahâparinirvânasùtra, 4, 8 ; Mahâyâna-
sûtrâlamkâra, I, 10 ; BCP, p. 431.
2. Pour la définition et la classification de la perception selon
l'école Mâdhyamika voir Madhyamakâvatâra, VI, 23 et suiv ; selon
l'école Yogâcâra voir Mahâyânasûtrâlamkâra, XI, 38-41 ; Wassiljew,
p. 361.
3. MK, XVIII, 10.
4. Wassiljew, p. 361.
— 28 —
Bhavya ou Bhâvaviveka est le fondateur de l'école Svàtan-
trika. L'origine et les différences de vues des deux écoles ci-
dessus doivent être cherchées, premièrement, dans la méthode
d'interprétation, et secondement dans les prénotions des
fondateurs de la philosophie contemporaine. Ainsi il m'appa-
raît que, tandis que les Prâsangikas restaient de vrais, purs
et simples Mâdhyamikas, les Svâtantrikas exposaient à
l'époque du fondateur Bhavya, les postulats des Sautrân-
tikas, ou plutôt des Yogâcâras primitifs, et à l'époque
de Sântiraksita, ceux des Yogâcâras ultérieurs. L'école Svà-
tantrika^ est ainsi divisée en Svâtantrika-Sautrântikas, et
Svàtantrika-Yogâcâras, Bhavya étant le fondateur du pre-
mier groupe, et Sântiraksita celui du second.
Le mot svatantra signifie, d'après les auteurs tibétains,
propre à soi, original ou indépendant, et le nom de Svâtantrika
est donné aux Mâdhyamikas qui n'acceptent l'existence indé-
pendante que pour réfuter les vues de leurs adversaires par
la déduction, svatantrânumâna, déduction indépendante.
Selon les Prâsangikas, le Mâdhyamika ne peut pas se servir
de la déduction indépendante, et, en répondant aux attaques
de Bhavya sur BuddhapâUta, Candrakïrti dit que Bhavya
manifeste seulement de la sorte son attachement à la déduc-
tion (priyânumânatâ)^ Il ne faudrait toutefois pas supposer
que les Svâtantrikas admettent la matérialité des objets :
ils la rejettent, tout comme le font les Prâsangikas. On doit
donc considérer svatantra et prasahga comme deux diffé-
rentes hypothèses dialectiques dont s'arme chaque école dans
le seul but de réfuter les arguments de l'adversaire tout en
n'acceptant rien ; ce sont simplement deux points de vue
différents. Wassiljew suggère ^ que svatantra a peut-être
été formé par opposition à l'expression yogâcâra paratantra.
Les Mâdhyamika-Svâtantrikas * se distinguent essentiel-
1. Wassiljew, pp. 351-352.
2. MV, p. 16.
3. Wassiljew, p. 352.
4. Wassiljew, p. 352 et suiv.
— 29 —
lement des Sautrântikas qui, plus tard, devinrent Yogà-
câras ; ils travaillaient sur d'anciennes idées et expressions, en
leur donnant une interprétation en harmonie avec leurs pro-
pres vues. Les Sautrântikas ne réfutaient pas le point de vue
des Yogâcâras, jusqu'alors ignoré des Hînayànistes, — décla-
rant que toute chose dépendait de trois caractéristiques :
parikalpita, paratantra et parinispanna ; mais ils n'accep-
taient pas non plus la doctrine Yogâcâra établissant que tout
émane de l'idée (vijnâna). Car les Sautrântikas disent que
ceci ne correspond ni aux mots du Bouddha, ni à la concep-
tion universellement acceptée ; que le graha (notion) et le
guhya (objet) de notre perception d'une chose, et la chose en
elle-même, ne peuvent pas être vides l'un et l'autre et que
paratantra et parikalpita sont très différents. Les Yogâcâras
affirment que tout ce que nous savons sur le graha et le guhya
au-delà de nous-mêmes est parikalpita, parce que ce n'est
rien qu'un mot et une notion, rien qu'un vikalpa, un produit
de notre raison qui n'a ni signe essentiel, ni trait caractéris-
tique lui appartenant, ni existence indépendante ; et la chose
en elle-même est toute différente du paratantra, c'est-à-dire
que notre pensée n'y arrive pas à l'aide du parikalpita. Mais
les Svàtantrika-Sautràntikas disent que graha et guhya sont
aussi réels que parikalpita et parinispanna et qu'ils ont une
existence indépendante ; il est vrai cependant que les trois
caractéristiques ne sont toutes qu'une seule et même négation
de l'existence ; qu'elles portent simplement des épithètes dif-
férentes. Paratantra est la non-substantialité de la nais-
sance ; cela veut dire que si quelque chose arrive à la vie, ce
n'est qu'une combinaison momentanée des parties qui la
constituent qui, dts lors, ne pourraient plus avoir, individuel-
lement, d'existence indépendante. Comme sa formation ré-
sulte de la coïncidence de parties étrangères, on lui donne le
nom de paratantra ; son origine ne repose pas sur l'idée de
définition et jugement. Parikalpita est la non-substantia-
lité des attributs ; autrement dit, ce que nous comprenons
comme substance réelle dans un objet particuher n'exprime
pas sa vraie nature, ou n'existe pas dans l'objet en question.
— 3o —
Parinispanna signifie que rien n'existe réellement au-delà
du phénomène ou du besoin d'une véritable existence des
choses. Ceci est l'essence même (positivement : non-exis-
tence) puisqu'il ne subsiste pas comme nous l'exprimons :
c'est l'objet de la notion correcte de la chose exprimée dans
laquelle sa substance apparaît parfaitement décomposée dans
ses parties constituantes à travers lesquelles il perd sa per-
sonnalité.
De même, les Svâtantrika-Sautràntikas se distinguent des
Yogâcâras dans leur façon de diviser l'enseignement du Boud-
dha en trois stages. Les Yogâcâras, tout en acceptant que les
Srâvakas et Pratyekabuddhas appartiennent à l'ordre des
Tathâgatas et qu'ils possèdent indiscutablement la faculté
d'assumer l'office du Bouddha, voient dans les deux ou trois
yânas une sorte d'ordre progressif, quoiqu'ils les placent au
même rang. Les Svâtantrika-Sautràntikas, d'autre part,
nient cette unité ainsi que l'assertion que les Srâvakas et les
Pratyekabuddhas sont Tathâgatas \ Ils citent à l'appui les
Sûtras dans lesquels il est dit que l'un est au-dessus de l'autre ;
qu'il y a un enseignement supérieur inaccessible ; que dans
l'enseignement des Srâvakas et des Pratyekabuddhas on ne
parle que du vulgaire pudgalanairâtmya, (c'est-à-dire dhar-
mi-nairâtmya) mais qu'on ne souffle mot du dharma-nair-
âtmya qui seul a la faculté de détruire l'obscurité spirituelle ;
et ainsi ils soutiennent que les arhats détruisent seulement
l'obscurité de la vanité ou néant, mais dénient qu'ils attei-
gnent le nirupadhisesa nirvana.
Les Svâtantrika-Sautràntikas affîment que les citations
que renferment les Sûtras tels que le Lankâvatâra, le Dasa-
bhûmika et le Sarndhinirmocana dans lesquelles le mot citta-
matra apparaît, indiquent la conception du Bouddha qui
l'admet simplement pour réfuter l'enseignement des Tïr-
thikas^ ; et que, par conséquent, ce cittamatra n'a pas d'exis-
tence réelle, mais est entièrement basé sur une convention.
1. MV, p. 351,âcâryaBhâvavivekas tu, etc.
2. BCP, p. 484 ; Wassiljew, p. 354.
— 3i —
Si l'on dénie rûpa, sur quoi peut-on en fonder la notion ?
Il est vrai que la notion des deux lunes n'est qu'une illusion ;
en réalité, il n'existe pas deux lunes, ce qui n'empêche pas que
cette illusion ne soit basée sur une lune tout au moins. Il
est également vrai que tout le monde extérieur équivaut à
un rêve, mais le rêve lui-même, que l'on doit admettre comme
un fait, est fondé partiellement sur des notions réelles,
et partiellement sur des notions illusoires ; il s'ensuit que la
raison d'être des notions (graha et guhya) réside en dehors
de nous-mêmes, et n'est pas simplement fondée sur la Sva-
sarnvedanà (qu'ils dénient) et, par conséquent, ^ ce sont des
atomes de substance.
Nous reparlerons plus tard, en temps opportun, de la ma-
nière dont cette école envisage les deux vérités (vyavahâra et
paramârtha). Ici, nous relèverons seulement un trait distinc-
tif de l'école : tout en acceptant ^ dans le samvrti la réalité
des choses et de leurs attributs, l'école dénie dansle paramâ-
rtha jusqu'à la notion de l'existence vraie, naturelle et abso-
lue : le paramârtha est donc en pleine contradiction avec la
sarnvrti.
Malheureusement, aucun ouvrage de l'école ne semble avoir
été conservé dans son original sanscrit et il n'en reste que
quelques œuvres qui nous sont parvenues dans des traductions
tibétaines. Bhavya a écrit un commentaire du nom dePrajiiâ-
pradïpa sur le Madhyamakasâstra de Nâgârjuna; le Madhya-
makahrdaya qui fit époque, et la Tarkajjvâlâ, son com-
mentaire, et quelques autres. Gunamati (Yogâcâra), un élève
de Sthiramati, critiqua Bhavya du point de vue Yogâcâra,
tandis que Ravigupta^ ou Sùryagupta, qui apparaît vers le
milieu du vi« siècle, essaie de démontrer qu'il n'y a pas essen-
tiellement de différence entre les enseignements de Nâgâr-
juna et d'Asahga. Candrakïrti critiqua Bhavya du point de
vue prasanga et est, à son tour, critiqué par Devasarmaus
1. Wassiljew, p. 355.
1. wassiljew, p. ooo.
2. Târânâtha, xxiv ; Schiefner, p. 147.
3. Târânâtha, xxvi ; Schiefner, p. 174.
— 32 —
(Yogâcâra), un élève de Dharmapâla. Il existe un vaste com-
mentaire sur le Prajnâpradïpa par Avalokitavrata. Cette
école fut bientôt éclipsée par Sântiraksita et ses disciples.
Les Svâtantrika-Yogàcâras ^ sont les disciples de Sânti-
raksita et se distinguent eux-mêmes des Svâtantrika-Sau-
trantrikas au point de vue de l'existence de la conscience
évoluée (pravrttivijnàna) comme distincte de la conscience
originelle (âlayavijnâna) et sont d'accord à ce sujet avec les
Yogâcâras ; cette école est de nouveau divisée en deux bran-
ches caractéristiques de l'école Yogâcâra, l'une accepte la
réalité des notions basées sur la connaissance si cette base
réside en nous, et non à l'extérieur ; l'autre ne l'admet pas.
Sântiraksita et ses élèves appartiennent à la première branche.
Il dit que les notions de bleu-foncé, jaune, etc. existent et
sont des réalités relatives et non purement nominales. Dans
cette assertion, il trouve des disciples, Kamalasila et Ârya-
mukta (hphags grol). Le fondateur de la seconde branche est
Haribhadra (son ge bshan po) qui est d'accord avec Sânti-
raksita pour les choses principales. Il dit que, si, en réalité,
il n'y avait pas de production de graha en dehors de nous, il
ne pourrait y avoir, par conséquent, de guhya, et il s'ensuit
que l'on doit également nier qu'il existe même une notion
imaginaire. Le seul élément existant réellement est l'état de
conscience originelle (âlayavijnâna). La conscience évoluée
n'est rien d'autre qu'une illusion magique. D'après les écri-
vains tibétains^, Haribhandra semble admettre l'obscur-
cissement de l'âme, quoique cette idée n'ait atteint son plein
développement que plus tard. De même que, parmi les Yogâ-
câras, il y en a qui, tout en niant la réalité des notions, accep-
tent l'obscurcissement de l'âme, il se trouve des Mâdhyamikas
avancés qui partagent cette manière de voir. Voici toutefois
le véritable enseignement : l'âme, quoique pure par nature,
est souillée par les impuretés de sainvrti, c'est-à-dire des
notions phénoménales, tout comme l'eau est troublée par les
1. Wassiljew, p. 355 et suiv.
2. Wassiljew, p. 356.
— 33 —
impuretés. L'enseignement de Kambala^ (vers 725 de J.-C),
l'auteur du Svasamvedanasâstra, un ouvrage perdu, est
exactement l'opposé : il déclare que l'âme, en tant qu'âme,
ne prend pas part à l'obscurcissement, mais qu'il faut attri-
buer ce dernier à ce qu'elle est cachée dans les skandhas ;
cette notion, vikalpa, est semblable au verre au travers duquel
l'âme voit le rûpa, et dans ce cas, graha et guhya sont diffé-
rents, autrement dit, le graha auquel on arrive par erreur est
lui-même une apparence et non un attribut de l'âme.
Cette école est d'accord avec les Sautrântikas au sujet de
l'enseignement du Bouddha. Elle exige la division de l'ensei-
gnement en trois stages, le premier étant la vérité absolue.
Elle dit que quoique dans ce stage la samvrti et le paramârtha
soient supprimés, la non-existence n'est cependant pas un
point de vue, mais seulement un moyen d'expulser juqu'à
l'idéalisme ; car, lorsque ceci est fait, il est facile d'atteindre
le parajîiârtha.
On peut voir de ce qui précède que l'école Svâtantrika
débuta avec les idées des Sautrântikas, et passa à travers les
différents stages de développement de l'école Yogâcàra. Les
changements dans les principes primitifs de l'école sont dûs
en partie aux critiques hostiles des Prâsangikas et des Yogâ-
câras, et en partie à l'influence du développement indépendant
du Yogâcàra. Ainsi, Bhavya est critiqué par Candrakïrti et
Gunamati, et l'école Svasamvedana par Sântideva et les
disciples de Bhavya. Beaucoup des ouvrages de l'école sem-
blent être perdus, à peine quelques-uns sont-ils parvenus
dans des traductions tibétaines. Les livres les plus frappants
de l'époque de l'école Svâtantrika- Yogâcàra sont : le Madhya-
makâlarnkâra de Sàntiraksita et son commentaire, et le
Madhyamakâloka de Kamalasïla. Après cette période, l'école
Mâdhyamika disparut complètement de Nâlandâ, cédant la
place à l'école Yogâcàra pure et simple. La branche Prasanga
cependant existe encore au Tibet.
1. Târânâtha, xxv; Schiefner, p. 191 et suiv.
— 34
2. LE MADHYAMIKA ET LA MADHYAMA PRATIPAD.
Le terme Màdhyamika^ désigne un étudiant ou adhérent
du Madhyamaka, Madhyamakasâstra ou de la madhyamâ
nïtiS et le terme Madhyamaka à son tour désigne un système
fondé sur Madhyamâ S c'est-à-dire : Madhyamâ pratipad,
le chemin du miheu. Ce chemin du miheu constitue le principe
fondamental* duBouddhisme,les premières paroles du Bouddha
et le point de départ de l'éthique et de la métaphysique boud-
dhiques. On pourrait donc concevoir que tous les Bouddhistes
qui acceptent la doctrine du chemin du milieu dussent être
appelés Mâdhyamikas ; mais, par suite d'une convention
adoptée dans l'histoire de la pensée indienne, le terme Mâdhya-
mika ne désigne que les adhérents de Nâgàrjuna, l'auteur du
Madhyamakasâstra et le fondateur du système métaphy-
sique du chemin du milieu. Avant d'aborder l'exposition du
sens moderne du terme, il faut en chercher, historiquement,
le sens original et les changements graduels dans l'histoire du
Bouddhisme.
Il y a deux aspects de la Madhyamâ pratipad, chemin du
miheu : l'aspect éthique et l'aspect métaphysique. La vie du
Bouddha et les événements principaux de sa vie sont trop
connus pour en permettre une répétition ici. Comme prince,
il avait pratiqué une indulgence extrême à l'égard des plaisirs
de la vie mondaine (kâmasukhallikà) ; et, dans son apprentis-
sage de l'état de Bouddha, il avait pratiqué également un
ascétisme extrême afin de dompter son âme (âtmaklamatha) ;
il était pourtant loin de son but ; et, quand par le chemin du
milieu entre l'indulgence extrême des plaisirs et l'ascétisme,
1. Pân, IV, II, 59; voir aussi les explications fantastiques de SDS
sur Bauddhas.
2. BCP, p. 605, madhyamânïtibhâjâm.
3. Pân. IV, III, 87.
4. Comparer MVagga, I, 6, 17-22; LVistara, p. 416; MVastu, III,
p. 331.
— 35 —
il devint Bouddha, il en parla dans son premier discours.
« L'extrême indulgence à l'égard des plaisirs, — dit-il, — est
vulgaire, ordinaire, néfaste ; elle ne conduit pas au but, à la
vie sainte, au dégoût du monde, à l'impassibilité, à la destruc-
tion du samsara, à l'ascétisine, aux lumières du nirvana.
Dompter le corps est un autre extrême, douloureux, mauvais,
plein de dangers. Le bhiksu doit donc éviter les deux extrêmes
et suivre la madhyamâ pratipad, le chemin du milieu, énoncé
dans le Dharma et le Vinaya du Tathâgata, le chemin qui
conduit à la vie sainte, etc.. Il consiste en huit règles saintes,
à savoir : la vue correcte, la pensée correcte, l'effort correct,
l'acte correct, la vie correcte, la parole correcte, le souvenir
correct, la méditation correcte. »
C'était l'énoncé le plus primitif de la conception du che-
min du milieu. Il n'y a guère là d'implication métaphy-
sique, sauf, peut-être, dans le premier terme, samyagdrsti, ce
qui est tout à fait raisonnable, car le Bouddha était un révo-
lutionnaire contre les pensées abstraites de métaphysique
aussi bien que contre le ritualisme usuel à cette époque, si
difficiles à comprendre pour les gens ordinaires. En outre, il
venait d'éprouver les extrêmes du plaisir et de l'ascétisme.
En énonçant son nouveau chemin, il démontra l'importance
des aspects éthiques et métaphysiques des problèmes de la vie.
Il répéta cette formule de son chemin du milieu en toute occa-
sion possible, même à la fin de ses discours métaphysiques.
Bien que les problèmes métaphysiques n'aient pas trouvé
place dans le Bouddhisme primitif, ils y arrivèrent plus tard.
L'époque était tellement surchargée de nombre de problèmes
métaphysiques que personne ne se serait satisfait d'un chemin
de salut qui n'eût été qu'un milieu entre l'indulgence extrême
à l'égard des plaisirs et la mortification du corps : d'ailleurs,
il y avait un si grand nombre de maîtres ^ professant des vues
divergentes sur ces problèmes, que le Bouddha, malgré lui,
fut obligé de les traiter afin de répondre aux questions de ses
1. Digha N, 2, 19-34.
— 36 —
adeptes. Il avait toutefois eu conscience^ dès le début, du fait
qu'outre l'aspect éthique, il faudrait aussi un aspect métaphy-
sique à la religion qu'il venait de fonder. On trouve des
traces de cet état de conscience dans le Kaccâyanàvavàda,
Samyutta II, p. 17, qui se trouve d'après Candrakïrti^ dans les
Nikàyas (Livres Saints) de toutes les écoles. Il mentionne là
les deux extrêmes d'existence absolue et de non-existence
absolue, et dit que le Tathâgata, sans avoir recours à l'un ni
à l'autre, proclame dans son Dharma la nature vraie des
choses par le milieu (majjhena) ; il explique de plus, comment,
par la considération exacte de la création et de la destruction
du monde, on peut abandonner la conception de la non-exis-
tence et de l'existence absolues.
La discussion du problème de l'existence et de la non-
existence est, en fait, le commencement de la pensée philo-
sophique en général et de la pensée bouddhique en parti-
culier. Le Bouddha discute dans le Brahmajâla et autres
siitras, les vues extrêmes des Tirthikas (hérétiques) sous leurs
formes diverses ; certaines d'entre elles portent ce nom col-
lectif : « les quatorze problèmes non expliqués » (Caturdasâ
avyâkrtâni vastûni)^ aussi bien que quelques autres. On peut
les disposer dans un ordre progressif : asti-nàsti ; satasat ;
bhava-vibhava ; bhâva-abhâva ; sâsvata-uccheda ; anta-
ananta ; eka-aneka ; âtman-anâtman ; suddhi-asuddhi ; sam-
sâra-nirvâna ; sasvabhâva-nihsvabhâva ; sûnya-asûnya ; samâ-
ropa-apavâda. Sur tous ces extrêmes, l'attitude du Bouddha
était d'une indifférence (madhyastha) si parfaite, qu'il
n'affirma ni ne nia les vues extrêmes, disant en même temps
qu'il connaissait les réponses aux problèmes envisagés, et,
de plus, que la vérité est en dehors de la notion pure (vikalpa)
et reste non-souillée par elle (notion). Il était aussi affîrmatif
en niant l'existence du moi (àtman) ; car, comme il nous le
1. SamyuttaN, II, p. 17 ; MVastu, III, p. 448, majjhena dham
mam deseti.
2. MV, p. 269, idatn sûtram sarvanikâyesu pathyate ; Minayeff, 227,
3. MV, p. 446 ; DighaN, i, 28 et suiv. ; MVyutpatti, 206.
- 37 -
dit, si l'on admet l'existence du moi (satkàyadrsti) et, par con-
séquent, l'existence de la nature propre, il s'ensuit qu'il faut
admettre le sâsvata et l'uccheda (permanence et imperma-
nence) et tant qu'on les admet, la série de transmigration
(sarnsâra) reste pleinement réelle. De là, il conclut qu'une
opinion extrême quelconque (antagrâhadrsti, antaggâhikâ
ditthi) est un danger sérieux.
Voilà, en résumé, l'aperçu du développement de la Madhya-
mâ pratipad, depuis son aspect purement éthique jusqu'à
son aspect de haute métaphysique. Le livre le plus ancien
de l'école Mâdhyamika, le Madhyamakasâstra, ne traite pas
en détail les extrêmes anciens de kâmasukhallikâ et àtma-
klamatha, mais seulement les extrêmes métaphysiques men-
tionnés plus haut, et dont l'examen rapide nous fournirait
un résumé du système Mâdhyamika.
Abordons donc, avant tout, les quatorze problèmes non
expliqués. Yasodhara, l'auteur de l'Abhidharmakosavyâ-
khyâ, explique un avyàkrtavastu ou avyâkrtaprasna comme
étant un problème que le Bouddha n'a pas énoncé comme
digne d'être formulée Les quatre premiers de ces problèmes
concernent la question de l'éternité (sâsvata) et de la non-
éternité (asâsvata) du monde ; les quatre suivants discutent
de la fin et non-fin du monde; les quatre suivants encore,
de l'existence et la non-existence du Tathâgata après la mort ;
et les deux derniers de l'identité et non-identité de l'âme
et du corps (jïva et sarïra). Le Mâdhyamika les rejette tous
comme improbables (asambhavin) et, comme il dit, c'est pour
cette raison que le Bouddha refusait de les traiter. Le Mâdhya-
mika ajoute en outre : « A quoi bon affirmer les attributs d'un
objet qui n'existe pas en soi ? » Son chemin du milieu consiste
non pas à rejeter un extrême, ce qui implique l'acceptation
de son contradictoire, — mais à garder le silence à son sujet;
il discuterait les autres extrêmes de la même manière et, à
dire vrai, il n'existe pas d'autre méthode chez lui.
1. Yah sthâpanïyatvena na vyâkrtah, na kathitah, so'vyâkrta
prasnah, AKV.
— 38 —
Le Bouddha dans le Kaccàyanâvavâda classe^ la pensée
philosophique en deux divisions exclusives : « Tout le monde,
en général, affirme ou l'existence ou la non-existence des
choses, mais en examinant correctement le sujet, l'idée de
non-existence des choses disparaît quand on envisage la créa-
tion actuelle du monde. De même, l'idée de l'existence dis-
paraît quand on voit la destruction du monde. Accepter
l'existence équivaut à l'acceptation de la sâsvatadrsti, et,
accepter la destruction équivaut à l'acceptation de l'uccheda-
drsti. C'est la discussion vaine, ce qui ne conduit pas à la
cessation de la misère, pas plus qu'à la science correcte. » Il
ne faut pas toutefois supposer que le rejet d'un terme contra-
dictoire vaille, aux yeux du Mâdhyamika, l'acceptation d'un
autre. Car Candrakïrti^ dit : « Nous n'afïïrmons pas d'exis-
tence, nous nions seulement l'existence que nos adversaires
affirment. De même nous n'affirmons pas la non-existence,
mais nous nions seulement la non-existence telle que nos adver-
saires l'affirment, notre but étant d'établir le chemin du milieu
et d'éviter les extrêmes. »
Le Bouddhiste rejette l'existence du moi aussi bien que sa
non-existence. Il les rejette toutes deux^ parce qu'il dit que
personne au monde ne les réalise ni l'une, ni l'autre. Le Boud-
dha, par conséquent, n'énonce ni la vérité, ni la non-vérité
de la vision réelle ou du ouï-dire quant à son existence ou sa
non-existence, car, comme il le dit, ce raisonnement conduirait
au paksa (thèse) et au pratipaksa (contre- thèse) alors que tous
deux, en eux-mêmes, sont non-réels. Le Ratnakûta* s'exprime
ainsi : « Le moi, ô Kâsyapa, est un extrême ; le non-moi en
est un autre ; le miheu de ces deux extrêmes est en dehors de
toute description, en dehors de toute illustration, sans fon-
dement, sans illumination, insaisissable. C'est, ô Kâsyapa,
ce qu'on appelle le chemin du milieu, la vision réelle de la na-
1. MVastu, III, p. 448 ; SatnyuttaN, II, p. 17.
2. MV, p. 393.
3. MV, p. 359.
4. Cité MV, p. 358.
- 39 -
ture propre des choses. » Il discute de la même façon à propos
de suddhi et d'asuddhiS du mérite et du démérite, de la
pureté et de l'impureté du moi.
Pour le Mâdhyamika, la série de la transmigration (sani-
sâra) n'a ni commencement, ni fin, et le nirvana est une chose
qu'on ne peut pas créer. Il prend, par conséquent, le sarnsâra
et le nirvana comme synonymes S sans aucune distinction.
Alors ils deviennent pour lui des extrêmes qu'il devait éviter.
Le Mâdhyamika divise notre notion pure (vikalpa) des choses
en dravyasat ou vastusat (réalité de substance), prajfiapti-
sat (réahté des agrégats par convention), adravyasat (non-
substantialité) et na-sat-nâsat-na-sadasat (ni existence, ni
non-existence, ni les deux). Pour lui, tout est non-subs-
tantiahté dans le sens absolu. Il suffît ici de mentionner qu'il
rejette la notion d'un objet avec attributs et sans attributsS
c'est-à-dire l'objet en soi ; cela veut dire qu'il rejette le dharma
aussi bien que le dharmin, parce qu'ils ne sont ni identiques,
ni non-identiques. Bien souvent, il les compare à l'illusion, au
reflet, au mirage, à l'écho, au fils d'une femme stérile, etc., et
de là, déduit que les attributs d'un objet qui en soi est non-réel,
ne sont ni réels, ni non-réels.
Chez les non-Bouddhistes, le Mâdhyamika est connu plu-
tôt comme un partisan de la doctrine du vide qu'autrement.
La conception du terme sûnya de l'école Mâdhyamika est
pourtant bien mal interprétée. Chez le Mâdhyamika, sûnyatâ,
pratïtyasamutpâda, madhyamà pratipad et upâdaya pra-
jnapti sont tous synonymes*. Pour ses adversaires, sûnya n'est
rien d'autre que le vide, en bref : nihilisme. Si l'on admet la
causation dépendante et conditionnelle d'une chose (pra-
tïtyasamutpâda) — or le Bouddhiste est obligé de l'admettre
et les non-Bouddhistes ne peuvent pas, comme le Mâdhyamika
le démontre, maintenir leurs doctrines, — le résultat est que
1. Samâdhirâja, p. 30 (BTS).
2. MK, XXV, 20 ; MV, p. 535.
3. MV, 405.
4. MK, XXIV, 18, et MV, p. 503 et sulv.
— ko —
l'existence et la non-existence, l'identité et la non-identité,
l'unité et la pluralité deviennent toutes conditionnelles, non-
substantielles, non-réelles, illusoires, et nos fonctions journa-
lières purement conventionnelles. De plus, le Mâdhyamika
honore la doctrine du vide, comme la science sainte et sacrée^
dont l'acquisition procure le bonheur du nirvana sans résidu
(nirupadhisesa), écartant toute la misère de la naissance et
de la mort.
Cette définition même du sûnya et son contradictoire,
asùnya, deviennent, aux yeux du vrai Mâdhyamika, un anta^
un extrême; par conséquent il les rejette par son chemin du
milieu ; ce dernier aussi, à son tour, il va le rejeter. Car, comme
dit Nâgârjuna^ : « Les savants énoncent que la doctrine du
vide écarte toutes les autres doctrines (fausses), mais on dit
que ceux à qui la doctrine du vide elle-même devient une
drsti, restent sans remède (asâdhya). » De plus, le Ratnakûta
ajoute* : « Ce n'est pas la doctrine du vide qui rend les choses
vides, mais elles sont vides en soi ; ce n'est pas par suite de la
non-perception des attributs (animitta) qu'on fait les choses
sans attributs, mais les choses elles-mêmes sont dépourvues
d'attributs; ce n'est pas par préjugé (apranihita) qu'on pré-
juge les choses, mais les choses elles-mêmes sont préjugées.
Une telle critique est le chemin du milieu, la véritable cri-
tique de la nature propre des choses. Ceux qui, en maintenant
la doctrine du vide, la suivent comme une drsti, je les déclare
perdus, complètement perdus. Mieux vaut, ô Kâsyapa,
recourir à la doctrine du moi (pudgaladrsti), aussi grande
que le mont Sumeru, plutôt que de recourir à la doctrine
du vide fondée sur la non-existence. Et pourquoi ? La doc-
trine du vide écarte toutes les autres doctrines ; celui à qui la
doctrine du vide elle-même devient une drsti, je le proclame
incurable. » Nàgârjuna^ ajoute encore : « La doctrine du vide
mal envisagée tue le sot, comme un serpent mal attrappé
1. MV, p. 503, sûnyatâ mahatî vidyâ, etc.
2. Madhyântavibhanga cité MV, p. 445.
.3. MK, XIII, 8 et suiv.
4. Cité MV, p. 248.
5. MK, XXIV, 11.
— 4i —
ou une science (vidyâ) mal acquise (dusprasâdhitâ). »
Après cette exposition, si courte qu'elle soit, on ne s'éton-
nera pas que le Mâdhyamika dresse une liste de dix-huit
sûnyatâsS y compris la sùnyatàsûnyatâ, c'est-à-dire la
vacuité du vide. Les auteurs chinois ^ sont bien avisés lors-
qu'ils placent le sûnya aussi bien que son contradictoire dans
la catégorie de sanivrti, quatre fois successivement, afin
d'exclure jusqu'à la notion d'une doctrine quelconque. Ils
désireraient peut-être même écarter la notion du samâropa
et de l'apavâda, préjugé et négation, sur lesquels le Bouddha
a maintenu le silence ^
C'est peut-être à cause de ce négativisme extrême que le
Mâdhyamika est marqué du sceau de l'athée (nâstika). Le
Mâdhyamika, comme le Nâstika, nie le mérite, le démérite,
l'agent, l'action et le fruit de l'action, et toute autre moda-
lité (vyàpâra) du monde*. Mais Nâgârjuna et, d'après Candra-
kïrti, les maîtres anciens (pûrvâcâryas) réfutent cette allé-
gation d'une manière remarquable. Le Mâdhyamika sou-
tient la doctrine du Pratïtyasamutpâda, et énonce que ce
monde-ci et le prochain sont vides de réalité ou de nature
propre, car tous deux sont une création dépendante de causes
et de conditions ; l'athée, d'autre part, nie que l'autre monde
soit comparable à celui-ci parce qu'il ne voit pas actuelle-
ment les êtres venant ou passant de l'un à l'autre monde. Le
Mâdhyamika, au contraire, aflfirme l'existence conditionnelle
de toute chose en samvrti (vérité relative) et ne nie son exis-
tence que dans le paramârtha (vérité absolue), par consé-
quent il se distingue essentiellement de l'autre. Sous l'aspect
de la samvrti, il pratique tout ce qui est avantageux pour lui
et pour autrui, pour progresser dans la vie sainte. Son sys-
tème métaphysique se fonde sur le double aspect de la science
et de la vérité, à savoir : la vérité conventionnelle ou relative,
et la vérité absolue^ Accepter en samvrti et nier en para-
1. MVyutpatti, 37.
2. Yamakami, p. 199.
3. BCP, p. 346, samaropàpavâdàntadvayamaunàt munih.
4. MV, p. 369 ; 273 et suiv.
5. MK, XXIV, 8 ; MV, p. 41.
— 42 —
mârtha l'existence de toute chose est le Chemin du Milieu
qu'il proclame.
3. LA LITTÉRATURE
La littérature de l'école Mâdhyamika se divise en deux
groupes principaux : la littérature canonique et la littérature
non-canonique. Le premier de ces groupes comprend une série
de livres connus sous le nom de Prajîlâpâramitâs\ ainsi
qu'un grand nombre de Mahâyânasûtras^ dont le Dasa-
bhûmaka ou Dasabhùmïsvara fait également partie. D'ail-
leurs, il y a encore une littérature non-canonique assez vaste
surlesPrajnâpâramitâs, entre autres, leurs commentaires résu-
més, ainsi qu'un groupe important auquel, pour plus de faci-
lité, je donne le nom de littérature d'Abhisamayâl a rnkâra'.
Ce dernier groupe est en partie commun* aux deux écoles
des Mâdhyamikas et des Yogâcâras, quoique l'on croie géné-
ralement que la littérature Abhisamayâlamkàra soit la po-
priété exclusive de l'école Yogâcâra. Le second groupe de la
littérature non-canonique se compose d'ouvrages d'un carac-
tère systématique sur la philosophie de l'école Mâdhyamika.
Dans l'étude que je fais ici de cette littérature, je ne veux me
référer qu'à quelques grandes lignes du premier groupe, en
renvoyant le lecteur aux ouvrages spéciaux, et m'efîorcer de
traiter en détail le second groupe d'ouvrages systématiques
et scolastiques.
Selon les documents des Bouddhistes du NépaP, on assigne
le titre de Prajhâpâramitâ à un ouvrage très élaboré, comp-
tant plus de cent vingt cinq mille stances, et à quatre de ses
précis. Les traductions des Prajnâpâramitâs faites par Hiuen
1. Walleser, Prajnâpâramitâ ; Wassiljew, pp. 157-161 ; Winternitz,
II, 247-250.
2. Wassiljew, p. 161-193 ; Winternitz, II, p. 230 et suiv ; Ràj Mitra,
Sanskrit Buddhist Literature of Népal.
3. Tanjur, Mdo-hgrel, Vol. I et suiv. ; Cordier, III, p. 275 et suiv.
4. Stcherbatskol, La Littérature yogâcâra, Muséon, 1905, p. 146
et suiv.
5. Ràj Mitra, Introduction lo Astasàhasrikâ, iv.
— 43 —
Tsang* se divisent en douze à seize fascicules, alors que Wassil-
jew mentionne'' dix-sept livres des Prajîïâpâramitâs comme
formant la littérature canonique de l'école Màdhyamika. Le
grand ouvrage de cent vingt cinq mille stances ne semble
avoir été conservé ni dans l'original, ni dans les traductions.
On peut cependant reconstituer une liste probable de ces
dix-sept livres des Prajnâpâramitàs, comme suit :
1» La Satasâhasrikâ : Le texte a été conservé dans son
sanscrit original, et est publié dans la Bibliotheca Indica,
Calcutta, 1902 et suivants. Il a été traduit en chinois et en
tibétain, et cette dernière version est publiée dans la Biblio-
theca Indica, Calcutta, 1888-1900. Pour le contenu de l'ou-
vrage, consulter Râjendralâl Mitra, Introduction to Asta-
sâhasrikâ, vi-xiii.
2° La Pancavirnsatisâhasrikâ : Le texte est conservé dans
son sanscrit original ainsi que dans des traductions chinoises
et tibétaines ; la Bibhotheca Buddhica se propose de publier
cet ouvrage ; on peut s'en procurer les manuscrits à Calcutta,
Londres, Cambridge et Paris.
3° L'Astâdasasâhasrikâ : Le sanscrit original semble avoir
été perdu, mais l'ouvrage est conservé dans ses traductions
chinoises et tibétaines.
4° La Dasasâhasrikâ : Le sanscrit original semble perdu,
mais le livre est conservé dans ses traductions chinoises et
tibétaines : il a été traduit cinq fois^ en chinois, la première
traduction remontant à l'an 179 après J.-C.
5° L'Astasâhasrikâ : Ce livre est conservé dans le sanscrit
original et publié en une bonne édition de Râjendralâl Mitra
dans la Bibhotheca Indica, 1888. Il a également été traduit
en chinois et en tibétain plusieurs fois, la version chinoise
la plus ancienne datant de l'an 179 après J.-C. C'est l'ouvrage
le plus ancien et le plus authentique de toute la catégorie ;
il jouit d'une très haute autorité et on s'y réfère fréquemment
sous le nom de Bhagavatï.
1. Walleser, p. 17 ; Wassilejw, p. 159.
2. Wassiljew, p. 358.
3. Walleser, p. 18.
— kk —
60 La Suvikrântavikramipariprcchà : Une Prajnàpàra-
mitâ à laquelle Bhàvaviveka^ se réfère souvent. Il n'a été
conservé ni dans son sanscrit original ni dans des traductions
tibétaines.
70 La Saptasatikà : Ce livre a été conservé^dans son sanscrit
original (Bendall Mss. Cambridge) ainsi que dans ses traduc-
tions chinoises et tibétaines. Il n'a pas encore été publié.
8° La Pancasatikâ : Elle n'est conservée que dans sa tra-
duction tibétaine, et, selon Walleser^, c'est une œuvre beau-
coup plus récente.
90 La Trisatikâ : Ce livre, introuvable soit dans l'original,
soit dans une traduction tibétaine ou chinoise, est ignoré de
Walleser. Pourtant, les manuscrits de Cambridge du Nâma-
samgïti citent : « dharmato Buddhâ drastavyâ » comme tirés
de la Trisatikâ^
10<^ L'Adhyardhasatikâ, Satapancâsikâ ou Ardhasatikâ * :
Ce livre n'est conservé que dans des traductions chinoises et
tibétaines. Cependant, on en a récemment découvert quelques
fragments dans le Turkestan oriental. (Voir E. Leumann,
ZDMG, 1908, p. 85 et suiv.)
11° La Saptaslokikâ : Walleser n'en parle pas du tout,
mais je trouve ce livre mentionné dans le Tanjur, Mdo, XVI.
Ce livre est manifestement un abrégé, composé à une date
beaucoup plus récente.
12° La Vajracchedikâ : Ce livre existe, en son sanscrit
original, dans l'édition critique de Max Millier (Anecdota
Oxoniensia, I, 1881) et a été traduit par ce dernier dans SBE,
XLIX. Il a été traduit six fois en chinois. I. J. Schmidt a
édité la version tibétaine, — accompagnée de sa traduction
allemande, — en 1887, Saint-Pétersbourg. Il a été aussi tra-
duit en français.
130 La Kausikaprajnâpâramitâ : Elle n'a été conservée
1. Walleser, p. 18.
2. Walleser, p. 18.
3. Comparer aussi MVyutpatti, 65, 49.
4. Ce livre est nommé « Dvy ardhasatikâ » par Candrakïrti ; MV,
p. 504 ; comparer aussi, MV, pp. 238, 444, 500.
— kb —
que dans sa traduction chinoise (Nanjio, n^ 865), faite entre
980-1000 ap. J.-C.
14» La Svabhâvasuddhaprajnâpâramitâ : Ce livre n'est
pas mentionné dans le catalogue de Nanjio, mais est compris
dans l'appendice II, n» 163.
15», 16^, 17°. Les deux Prajnâpâramitâsùtras ainsi qu'un
Prajnâpâramitâhrdayasûtra : Ils ne sont conservés que dans
leurs traductions chinoises. (Nanjio, n^s 17, 991 et 20.)
Je ne pense pas que cette liste des Prajnâpâramitâs soit
complète; si l'on y ajoute la Prajnâpâramità en cent vingt-
cinq mille stances, on arriverait au nombre de dix-huit, nombre
sacré aussi bien dans le Bouddhisme que dans le Brahma-
nisme. Il faut également remarquer que, de ces livres, quel-
ques-uns seulement sont accessibles dans leur langue origi-
nale, le sanscrit, ce qui rend très difficile une étude d'ensemble
de cette classe de littérature pour déterminer son développe-
ment ainsi que le rapport existant entre les ouvrages en ques-
tion. L'Astasâhasrikâ pourtant semble être un texte authen-
tique et ancien, et les éditions très développées, ou au con-
traire, abrégées, basées sur l'original, contribuèrent à la for-
mation de cette vaste littérature.
La littérature des Sûtras ou Sûtrântas, dont l'étendue est
tout simplement gigantesque, est beaucoup plus dispersée
que celle des autres classes. La tradition bouddhique^ nous
apprend qu'une large partie en fut détruite par un incendie
à Nàlandâ. Exception faite de quelques Sûtras qui existent
encore 2 dans leur langue originale et de ceux qui ont été
reconstitués^ d'après certains fragments, ou bien d'après les
versions tibétaines ou chinoises, cette littérature semble
s'être perdue ; toutefois on en retrouve encore des vestiges
dans les traductions tibétaines ou chinoises. Nous avons les
neuf livres sacrés du Népal, conservés en sanscrit; ils com-
prennent les Vaipulyasûtras. Bien que l'école Mâdhyamika
1. Wassiljew, p. 223.
2. Râstrapâlapariprcchâ, Biblioteca Buddhica, IL
3. ââlistambasûtra est reconstruit par Poussin, Voir Théorie des
douze causes. Appendice I, Gand, 1913.
— /,6 —
ne reconnaisse pas leur autorité dans un sens absolu, elle les
cite souvent. Le texte de quelques sûtras remonte aux sources
pâlies qui nous sont accessibles, mais il faut admettre que leur
composition occupe une époque très longue et qu'il y a des
sûtras très anciens et d'autres très modernes. Vu l'état actuel
de nos connaissances sur cette époque, il est très difficile d'éta-
blir un critérium afin de distinguer les morceaux antiques des
modernes, c'est-à-dire ceux écrits avant et après Nâgârjuna.
Une bonne encyclopédie de la doctrine des sûtras nous est
conservée dans le Siksâsamuccaya de Sântideva et l'on peut
affirmer, sans crainte d'être contredit, que l'auteur a fait une
sélection parmi les sûtras considérés à cette époque-là comme
authentiques et déjà anciens. Je pense qu'il est inutile de
reproduire ici les index du Siksâsamuccaya et autres ouvrages
et j'aborde la littérature non-canonique.
Comme je l'ai dit dans la première section, nous ne possé-
dons guère de documents littéraires des âcâryas les plus
anciens, sauf quelques stances isolées de Sri Saraha ou Ràhula-
bhadra. Il est raisonnable de considérer les œuvres de Nâgâ-
rjuna comme les plus anciens ouvrages de cette école. Je n'ai
rien à dire sur "ses œuvres qui présentent le caractère de
Stotras (louanges) et de Tantras, sauf le Catuhstava, très fré-
quemment cité dans les commentaires.
NAGARJUNA (cuviron 170-200 après J.-C.)
Nâgârjuna a systématisé, sinon fondé l'école Mâdhyamika.
Ses adhérents lui reconnaissent une autorité incontestable,
et le mentionnent comme âcârya ou:âcâryapâda, mon-
trant par là que lui seul était le maître de l'école. Il écrivit
le Madhyamakasàstra et plusieurs autres ouvrages (pra-
karanas) sur le système. Les plus importants pour le système
philosophique sont les suivants :
1''. — Le Madhyamakasàstra de Nâgârjuna est diversement
intitulé comme P r a j n â, Mûlamadhyamakakârikâ, Madhya-
makamûla, Madhyamakakârikâ ou Madhyamakasûtra. Les
- 4.7 -
commentaires citent très souvent cet ouvrage sous le titre
de Sàstra, mais le titre réel me semble être P r a j iï â qui veut
dire : la science transcendante ou métaphysique, et, par con-
séquent, suggère un rapport intime^ avec la littérature de
prajnâpâramitâ. Burnouf a démontré que l'école Mâdhyamika
est postérieure à la composition des PrajîlâpâramitâsS bien
que ces dernières ne soient jamais mentionnées dans le Madhya-
makasâstra. Bhâvaviveka a nommé son commentaire Pra-
jnàpradïpa (la grande Lampe de Prajnâ), ce qui confirme
notre suggestion que le titre réel de cet ouvrage de Nâgàrjuna
est Prajnâ. Comme c'est l'œuvre la plus importante du sys-
tème, les commentaires se sont amassés en foule autour d'elle^
y compris un commentaire par l'auteur lui-même. Il est inté-
ressant de remarquer que même le commentaire de l'auteur
n'a pu conjurer une divergente interprétation ultérieure. Il
est le premier des auto-commentateurs. Voici les commentaires
du Madhyamakasâstra dans leur ordre chronologique :
a) L'Akutobhayâ de l'auteur. L'original en sanscrit semble
être perdu, mais cet ouvrage nous est conservé dans ses tra-
ductions chinoise et tibétaine. M. Max Walleser nous a donné
la traduction allemande des deux versions (Die Mittlere Lehre
des Nâgàrjuna nach der tibetischen Version Ubertragen,
Heidelberg, 1911; dieselbe, nach der chinesischen Version,
Heidelberg, 1912).
b) La Buddhapâhtâ nâma Mûlamadhyamakavrtti par
Buddhapâhta. L'original en sanscrit semble s'être perdu,
mais cet ouvrage nous est conservé dans la version tibétaine
que M. Max Walleser est en train de pubUer dans la Biblio-
theca Buddhica, XVI ; première partie, 1913 ; deuxième, 1918.
cj Le Prajfiàpradipa par Bhavya ou Bhâvaviveka. L'ori-
ginal en sancrit semble s'être perdu, mais la version tibétaine
en est conservée dans le Tanjur^; cette version a été éditée
1. Walleser, p. 3.
2. Burnouf p. 453.
3. Mdo, XVIII, 8; Cordier, III, p. 300-301; Nanjio N', 1185.
est une traduction de cet ouvrage, incorrectement atttribué à Arya-
deva.
— 48 —
par Max Walleser et publiée dans la Bibliotheca Indica, Cal-
cutta, première partie, 1914. Il existe également un vaste
commentaire^ sur lePrajnâpradipa, sous le nom de Prajnâ-
pradïpatïkâ d'Avalokitavrata conservé seulement dans la
version tibétaine et comprenant trois volumes du Tanjur.
• d) Un commentaire sans titre par Gunamati^ adepte,
selon Târànâtha, de l'école Abhidharma. Gunamati a écrit
également un commentaire sur l'Abhidharmakosa de Vasu-
bandhu. Dans le Mûlamadhyamaka il suivit Sthiramati
(Yogâcâra) et écrivit un commentaire réfutant les vues de
Bhavya. Ce livre n'est conservé ni dans l'original, ni dans des
traductions.
e) La Prasannapadâ^ de Candrakïrti. On peut se procu-
rer cet ouvrage en son original sanscrit, dans l'édition excel-
lente et très soignée du Professeur Louis de la Vallée Poussin,
Bibliotheca Buddhica, IV, 1913. Il en existe une édition plus
ancienne publiée par la Buddhist Text Society, Calcutta,
1896, mais elle est remplie de fautes d'impression et manque
d'appareil critique, elle est inintelligible et, par conséquent,
sans valeur.
f) Le Sîtâbhyudaya de Devasarman*. Ce commentaire
n'est conservé ni dans sa langue originale, le sanscrit, ni dans
sa version tibétaine. Târànâtha dit que Devasarman fut un
élève de Dharmapâla (Yogâcâra) et qu'il écrivit le commen-
taire ci-dessus afin de réfuter les vues de Candrakïrti.
2. — La Yuktisastikâ^ de Nâgârjuna est un petit traité de
soixante stances en anustubh, comprenant les yuktis de l'au-
teur, c'est-à-dire les arguments démontrant la thèse Mâdhya-
mika. L'original en sancrit semble être perdu, mais l'opuscule
est conservé dans sa version tibétaine. Quelques stances de
1. Mdo, XX, XXI, XXII; Cordier, III, p. 300-301.
2. Târànâtha, xxv ; Schiefner, p. 160.
3. Le chapitre xxiv de ce commentaire est traduit en français
par Poussin, Mélanges Charles de Harlez, Leyde, 1896, p. 313
et suiv. ; M. Rj^adder, de Leyde, est en train de le traduire en anglais.
4. Târànâtha, xxvi ; Schiefner, p. 174.
5. Mdo, XVII, 2 ; Cordier, III, p. 291.
-49-
cet ouvrage sont citées^ dans les commentaires de Candrakïrti
et de Prajnâkaramati.
Il y a deux commentaires'' sur l'ouvrage ci-dessus : l'un
par l'auteur lui-même, l'autre par Gandrakïrti. Tous deux ne
sont conservés que dans les versions tibétaines.
3. — La Sùnyatàsaptati ' de Nâgârjuna est un petit traité
en soixante-dix stances anustubh démontrant la doctrine de la
sûnyatâ. L'original en sanscrit semble s'être perdu, mais le
livre est conservé dans sa traduction tibétaine. Cette Sûnyatâ-
saptati paraît avoir servi de modèle à la Paramàrthasaptati
de Vasubandhu et à la Sâmkhyasaptati ou Sàmkhyakârikâ
d'îsvarakrsna. Il existe trois commentaires* sur cet ouvrage :
le premier, par Nâgârjuna lui-même, la svavrtti, le second par
Candrakïrti, du nom de vrtti, et le troisième par Parahita
(775-800 après J.-C.) du nom de vivrti. Ces trois commentaires
ne nous sont conservés que dans leurs traductions tibétaines.
4. — La Vigrahavyâvartanï ^ en mètres âryâ renfermant un
exposé des méthodes de discussion de Nâgârjuna. De l'origi-
nal, on n'a retrouvé, jusqu'à présent, que quelques stances^
citées dans les commentaires. L'ouvrage complet nous est
toutefois conservé dans sa version tibétaine. Il en existe un
commentaire par Nâgârjuna lui-même' et il est à remarquer
que la paternité de ce commentaire a bien été attribuée par
Candrakïrti 8 à Nâgârjuna.
5. — Le Pratïtyasamutpâdahrdaya» est un petit traité en
sept âryàs par Nâgârjuna. La deuxième stance en est citée par
1. MV, p. 9 et Subhàjitasamgraha, 28, citent 20" ; Comparer BCP,
p. 376 et 500.
2. Mdo, XVII, 7, XXIV, 1 ; Cordier, III, p. 292 et 303.
3. Mdo, XVII, 4 ; Cordier, III, p. 291 ; MV cite une stance de cet
ouvrage, p. 89.
4. Mdo, XVII, 9. ; XXIV, 4-5 ; Cordier, III, p. 293, 304-5.
5. Mdo, XVII, 5 ; Cordier, III, p. 291.
6. MV, pp. 16 et 30 citent stances 29 et 30 du livre.
7. Mdo, XVII, 10 ; Cordier, III, p. 293.
8. MV, p. 25.
9. Mdo, XVIII, 14-15 ; Cordier, III, p. 294.
4
— 5o —
Candrakïrti S tandis que l'ouvrage complet avec le commen-
taire est conservé en tibétain. La version tibétaine du texte,
accompagnée de sa traduction française, est publiée par le
Professeur Louis de la Vallée Poussin, dans l'Appendice IV
de sa « Théorie des douze Causes », Gand, 1913.
6. — Le Catuhstava^ de Nâgârjuna est un ensemble de quatre
Stotras : Nirupama, Lokâtïta, Cittavajra, et Paramârtha, en
anustubh. L'original sanscrit semble s'être perdu, mais quel-
ques stances sont conservées dans les commentaires. La version
tibétaine, accompagnée de sa traduction française par le Pro-
fesseur Poussin, parut dans le Muséon (1914), mais tous les
exemplaires furent brûlés.
Il existe un grand nombre de petits traités tels que le Vai-
dalyasûtra^ et son commentaire, Matiâyânavinisaka, Aksara-
sataka et sa Vrtti, Abudhabodhaka, Bhavasamkrânti et
son commentaire, Svabhâvatrayapravesasiddhi, et Sûtra-
samuccaya*, une anthologie des Mâhayànasûtras, assignée
dans le Tanjur à Nâgârjuna ; mais ces divers ouvrages ne
semblent pas importants.
On trouvera dans la section suivante des renseignements
sur Àryadeva.
BUDDHAPALiTA (vcrs 400-450 après J.-C).
Le fondateur de l'école Prâsangika, âcârya BuddhapâlitaS
naquit dans le Sud, à Hamsakrîdâ, dans la province de Tam-
bala, où il fut initié à l'Ordre, étudia les œuvres de Nâgârjuna
par Samgharaksita, élève de Nâgamitra. Au vihâra de Danta-
purî, il enseigna la doctrine Mâdhyamika à de nombreux
élèves, et écrivit des commentaires sur beaucoup d'ouvrages
1. MV, p. 428 et 551.
2. Tanjur Bstod, TT^-Sl" ; Cordier, II, 5.
3. Mdo, XVII ; Cordier, III, p. 291-295.
4. Mdo, XXX, 29 ; Cordier, III, p. 323 ; mais comparer Târânâtha,
XXV ; Schiefner, p. 165.
5. Târânâtha, xxiii ; Scheifner, p. 135.
— Bi-
de Nâgàrjuna et d'Aryadeva ainsi que sur le Tantra. A part
son commentaire sur le Madhyamaksâstra (voir notre sec-
tion Nâgàrjuna I, b) ses œuvres ne semblent pas avoir été
conservées S pas plus dans la langue originale que dans des
traductions.
RHAVAViVEKA (vcrs 500-550 après J.-C.)
Bhâvaviveka, Bhavya ou Nirâloka^ est le fondateur de
l'école Svâtantrika, et naquit dans le Sud^ d'une famille de
ksatriyas. Il étudia la philosophie Mâdhyamika selon Nâgà-
rjuna sous Sanigharaksita, et lorsqu'il prit connaissance des
œuvres de Buddhapâlita, il écrivit un commentaire sur le
Madhyamakasàstra, réfutant les vues de son prédécesseur.
Tàrânâtha dit qu'ils étaient tous deux élèves de Nâgàrjuna
ainsi que de Sarngharakçita, et que l'école fondée par Bhavya
avait été plus populaire que l'autre. J'ai donné, d'autre part,
les raisons pour lesquelles je suis d'une opinion différente.
Toutefois, je suis d'accord avec Tàrânâtha lorsqu'il dit que
la différence entre l'enseignement de Nâgàrjuna et celui
d'Asaiiga devint marquée à partir de cette époque ; ce fait
explique également l'œuvre de Ravigupta qui essaya de dé-
montrer que ces deux écoles avaient des vues philosophiques
essentiellement identiques. De ces œuvres, le Prajfiàpradîpa,
commentaire sur le Madhyamakasàstra, est mentionné plus
haut (Nâgàrjuna, 1, c). Dans cet ouvrage, Bhavya essaie de
maintenir la thèse Mâdhyamika, non pas par la méthode
reductio ad absiirdum de Buddhapâlita, mais par un rai-
sonnement indépendant, tentative certes audacieuse qui
contribua largement au développement de la pensée philo-
sophique.
Le Madhyamakaratnapradîpa* de Bhavya est' une œuvre
1. HPS, p. 480, pourtant, cite une stance attribuée à cet auteur.
2. Voir Cordier, III, p. 299, sous MRatnapradïpa.
3. Tàrânâtha, xxiii ; Schiefner, p. 136 et suiv.
4. Mdo, XVIII, 9 ; Cordier, III, p. 299.
— 52 —
indépendante sur le système Mâdhyamika, écrite d'après
l'enseignement de Nâgârjuna, comme nous le dit l'auteur,
c'est-à-dire comme ce dernier l'interpréta. L'original, en sans-
crit, semble s'être perdu, et le livre n'est conservé que dans sa
traduction tibétaine.
La Madhyamakahrdayakârikâ de Bhavya est une œuvre
indépendante et fit époque dans l'histoire de l'école. Dans ce
livre, l'auteur codifie les principes essentiels de son école du
point de vue Svâtantrika ; il les explique ensuite dans son
propre commentaire sur l'ouvrage ci-dessus, la Tarkajjvâlâ,
le flambeau du raisonnement. Candrakïrti fait souvent allu-
sion au grand penchant que Bhavya avait pour l'anumânaS et
et mentionne de sa part une citation erronée deBuddhapâlita^.
Mais il va sans dire que Bhavya a une grande valeur comme
logicien. Il est déplorable que le texte et le commentaire
aient été tous deux perdus dans la langue originale ; il sont
toutefois conservés dans leurs versions tibétaines^ et leur
étude contribue largement à notre connaissance de l'école.
Les Madhyamakapratïtyasamutpâda* et Madhyamakàrtha-
samgraha par Bhavya sont deux prakaranas, d'importance
moindre, écrits pour imiter des œuvres du même genre com-
posées par Nâgârjuna.
CANDRAKÏRTI (vcrs 600-650 après J.-C.)
Selon les récits tibétains^ Buddhapâlita naquit à nouveau
sous le nom de Candrakïrti afin de réfuter les attaques que
Bhavya dirigea contre lui. Selon Tàrànàtha*, Candrakïrti
naquit dans le Sud à Samanta. Il fit preuve d'une grande
1. MV, p. 16 (priyânumânatâm) ; MV, p. 25 (tarkamâtrâtikausalam
àviscikïrsyâ).
2. MV, p. 8 (anuvâdakauéalam).
3. Mdo, XIX, 1-2; Cordier, III, p. 299-300.
4. Mdo, XIX, 3-4; Cordier, III, p. 300.
5. Târânàtha, xxiii ; Schiefner, p. 137.
6. Târânàtha, xxiv; Schiefner, p. 147 et suiv.
— 53 —
intelligence dès sa plus tendre enfance, entra dans les Saints
Ordres, étudia les Pilakas en entier, et, par Kamalabuddhi,
élève de Buddhapâlita et de Bhavya, fit une étude des œuvres
de Nâgârjuna. Après l'achèvement de ses études, il devint
pandita à Nâlandâ et écrivit de nombreux ouvrages sur la
philosophie Màdhyamika. Il fut un rival de Candragomin
(Yogâcâra), ce que Târânàtha ^ exphque avec faits à l'appui.
Il est dit que ce dernier dépassa Candrakïrti et devint le chef
de Nâlandâ. Ainsi la comtemporanéité des deux est hors de
doute et il semble que Candrakïrti était un peu plus âgé que
Candragomin. Le Professeur Poussin place la carrière de Can-
dragomin^ dans les trois premiers quarts du septième siècle.
Les commentaires de Candrakïrti sur le Madhyamaka-
sâstra, Yuktiçastikâ et Sùnyatâsaptati, ont été mentionnés plus
haut (section Nâgârjuna, 1,2,3); celui du Catuhsataka sera
mentionné dans notre section sur Àryadeva. Ses Prasannapadâ
et Catuhsatakatîkâ montrent clairement sa maîtrise du sujet
et du style, et, à cet égard, le Prasannapadâ est l'un des plus
grands commentaires de la littérature sanscrite.
Mais le plus important de ses ouvrages est le Madhyama-
kâvatâra ainsi que le Bhâsya qu'il écrivit lui-même sur ce
livre. Il le composa avant sa Prasannapadâ, où il déclare »
constamment avoir traité le sujet en détail dans son Madhya-
makâvatâra. Quelques stances de l'original sont citées dans
les commentaires, mais l'ouvrage complet ne semble avoir
été conservé que dans sa version tibétaine, éditée par le Pro-
fesseur Poussin dans la Bibhotheca Buddhica IX, 1912.
On peut en trouver une traduction française (incomplète)
dans le Muséon, 1907, 1910-11. Il existe un vaste commen-
taire* sur le Madhyamakâvatâra, la Tïkâ, par Jayânanda
de Kâsmïra, l'auteur d'un petit prakarana du nom de Tarka-
mudgarakârikâ^. Târânàtha ne mentionne pas du tout
1. Târânàtha, xxiv ; Scheifner, p. 149 et suiv.
2. La date de Candragomin, Muséon, 1903.
3. MV, pp. 2, 41, 54, etc.
4. Mdo, XXV, 1 ; Cordier, III, p. 305.
5. Mdo, XXIV, 6; Cordier, III, p. 305.
— 54 —
Jayànanda, et le fait que lui-même avec l'aide des Lamas,
a traduit cette œuvre en tibétain semble bien démontrer que
c'est un écrivain relativement récent, probablement du
dixième siècle après J.-C. Le sanscrit original de ce com-
mentaire semble avoir été perdu et l'œuvre n'existe plus
que dans sa traduction tibétaine.
Le Madhyamakaprajnâvatârai et le Pancaskandha sont
deux prakarai.ias de Candrakïrti, moins importants, conservés
seulement, l'un et l'autre, dans leurs versions tibétaines.
SANTiDEVA (vcrs 675-700 après J.-C.)
D'après TârânâthaS Sântideva, fils de roi, naquît à Sau-
râstra. Dans son enfance, Manjusrï lui apparut en rêve et le
plaça sur son propre trône, à ses côtés. L'enfant, n'aimant
guère le trône de son père, s'enfuit dans la forêt et entra dans
les Saints Ordres. Târânâtha dit également que Sântideva
fut élève de Jayadeva^ le successeur du fameux Dharma-
pâla à Nâlandâ. Bendall* déclare que Sântideva représente
un stage avancé du Bouddhisme, mais avec de très légères
allusions au tantrisme. Târânâtha cite le Siksâsamuccaya et
le Sûtrasamuccaya comme œuvres de Sântideva, mais,
comme nous l'avons exposé plus haut, la paternité de ce der-
nier ouvrage est attribuée à Nâgârjuna dans le Tanjur. Il
est cependant probable que, par Siksâsamuccaya Târânâtha
veut dire le Texte des Kârikâs, et par Sûtrasamuc-
caya, le commentaire, ou ce que nous connaissons sous le nom
de Siksâsamuccaya ; car, en vérité, ce dernier n'est pas autre
chose qu'un assemblage d'extraits des Sûtras avec quelques
mots de l'auteur, à titre d'introduction.
L La Siksâsamuccayakârikâ de Sântideva est un petit
traité en vingt-sept stances en anusmbh, donnant les points
1. Mdo, XXIII, 5 ; XXIV, 3 ; Cordier, III, p. 304.
2. Târânâtha, xxiv ; Scheifner, p. 163 et suiv.
3. Scheifner, p. 162.
4. Introduction to Siksâs, V-VI.
— 55 —
principaux de l'enseignement du Bouddha en éthique et en
métaphysique. Le texte original, composé en sanscrit, accom-
pagné de ses versions tibétaine et anglaise, est publié par
C. Bendall, dans son Introduction au Siksâsamuccaya,
pp. XXXIX-XLVII.
2. Le Siksâsamuccaya est un commentaire de l'auteur sur
les Kârikâs ci-dessus, avec de nombreux extraits des Mahâ-
yânasûtras ; on peut s'en procurer l'original dans une excel-
lente édition de C. Bendall (Bibliotheca Buddhica, I, 1902).
Cette œuvre a été traduite en anglais par l'éditeur et W. H.
D. Rouse (Sântideva, Siksâsamuccaya, a Compendium of
Buddhist Doctrine, Chiefly from the early Mahàyànasûtras,
Indian Textes séries, London, 1922).
Il existe deux traités^ composés à une date beaucoup plus
récente, donnant les points principaux de l'ouvrage ci-dessus :
le premier, par Suvarnadvïparâja Dharmapâla, appelé l'Abhi-
samaya ; le second, la Siksâkusumamanjari de Vairocana-
raksita de Vikramasilà. Tous deux ne sont conservés que
dans leurs versions tibétaines.
3. Le Bodhicaryâvatàra de Sântideva est l'œuvre la plus
originale. C'est un livre indépendant, dans lequel l'auteur
traite habilement du Bouddhisme sous deux aspects : éthique
et métaphysique. Le Madhyamakâvatâra et le Bodhicaryâva-
tàra nous donnent une idée vraiment correcte des conceptions
de l'école Prâsaiigika. On peut se procurer ce livre dans le
sanscrit original : 1° pubhé par I. P. Minayeff* dans Zapiski,
IV, 1889 ; 2° par Haraprasâda Shâstrï dans le Journal of the
Buddhist Text Society, Calcutta, I, 1894 ; 3° le neuvième cha-
pitre avec la Panjikà en caractères romains par le Profes-
seur Poussin dans son « Bouddhisme » Études et Matériaux :
Bruxelles, Académie, 1898 ; 4^ l'ouvrage complet avec la
Panjikâ de Prajnâkaramati par le même auteur, dans la
Bibliotheca Indica, Calcutta, 1902etsuiv. Le professeur Pous-
1. Mdo, XXXI, 4-5; Cordier, III, p. 325-326.
2. Dans l'édition de Minayeff et de BTS, il y a dix chapitres ; mais
l'authenticité du dixième est douteuse.
— 56 —
sin a également traduit ce livre en français : Bodhicaryâvatâra,
Introduction à la pratique des futurs Bouddhas, Poème de
Sântideva, Paris, 1907 ; une nouvelle traduction française,
intitulée : La Marche à la Lumière, par L. Finot, est parue en
1920 (Bossard, Paris), et D^" Barnett en a donné un résumé en
anglais : « The Path of Light » (Wisdom of the East, London
1909). La version tibétaine se trouve dans le Tanjur; ce livre
semble également avoir été traduit en chinois, car Nanjio
1354 est, selon le compilateur, la traduction d'une des plus
belles productions du Bouddhisme en décadence (?) (Voir
Poussin, « Une version chinoise ^ du BG »).
Tout autour de ce livre qui fit époque, se sont amassés une
foule de commentaires et d'extraits dont voici la liste :
1. La Panjikà de Prajnâkaramati, qui existe dans le sans-
crit original et est pubhée dans la Bibhotheca Indica. Voir
plus haut.
2. La Tâtparyapanjikà ^ Visesadyotanï, par Vibhùti-
candra. Quelques fragments de cet ouvrage sont conservés
dans le sanscrit original, et Poussin y fait allusion sous le
nom de Tippanï ; on les trouvera dans Bendall Col. Cambridge.
La version tibétaine figure dans le Tanjur.
3. La Vivrtipanjikâ, d'un auteur anonyme, est conservé
seulement dans sa version tibétaine.
4. Le Samskâra par Subhadeva ; conservé en tibétain seu-
lement.
5. Le Duravabodhapadanirnaya par Krsnapâda, ou Kâla-
pâda ; conservé en tibétain seulement.
6. La Panjikà de Vairocanaraksita de Vikramasïlâ conser-
vée seulement dans sa version tibétaine.
7. La Prajnâpariccheda Panjikà, commentaire du neuvième
chapitre seulement, par un auteur inconnu, probablement
Dànasïla ; elle n'est conservée qu'en tibétain.
8. La Vivrti sur les neuvième et dixième chapitres seule-
ment, par un auteur inconnu ; n'est conservée qu'en tibétain.
1. Muséon, 1903.
2. Voir Mdo, XXVI-XXVII ; Cordier, III, p. 306-310.
— 07 —
9. Le Sattrimsatpindârtha, résumé en trente-six stances
par Dharmapâla, composé par lui à la requête de ses élèves
Kamalaraksita et Dipamkara ; n'est conservée qu'en tibétain.
10. Le Pindârtha de l'auteur ci-dessus ; en tibétain seule-
ment.
n. Le Sûtrïkrtàvavâda par Dîpamkarajnâna, conservé seu-
lement en tibétain.
On peut remarquer en passant, que, de cette abondance de
commentaires, la Pafijikâ de Prajnâkaramati est le seul qui
existe en entier et qui soit de réelle valeur. L'auteur renforce
ses explications de l'original en puisant fréquemment dans les
extraits rassemblés dans le Siksâsamuccaya, et il semble
bien avoir suivi avec une parfaite fidélité les intentions de
l'auteur.
Après Sàntideva, il paraît y avoir eu un arrêt d'une cinquan-
taine d'années dans l'activité littéraire des Mâdhyamikas.
Car je ne trouve aucun auteur dont les œuvres aient été con-
servées dans le Tanjur. Jfiânagarbha^ qui semble avoir vécu
vers la première moitié du huitième siècle, naquit, selon
Târânâtha, à 0 divisa ; il fut un élève de Srïgupta et devint
un grand pandita. Il fut le disciple de Bhavya. Le Tanjur
ne renferme que les titres de ses deux ouvages, le Satyadvaya-
vibhanga et son commentaire, intitulé le Satyadvayaviniscaya.
Il existe toutefois un autre commentaire sur l'œuvre ci-dessus
du nom de Pafijikâ, par Sântiraksita^, fait qui permet de
déterminer sa date.
SANTiRAKçiTA (vcrs 750-800 après J.-C.)
Durant la seconde moitié du huitième siècle apparaît un
groupe 3 de savants Mâdhyamikas, qui étaient Svâtantrikas
et disciples de Bhavya. Nous avons parlé plus haut d'Ava-
1. Târânâtha, xxvn ; Schiefner, p. 198.
2. Târânâtha, xxix ; Schiefner, p. 213; Mdo, XXVIII, 1-3; Cor-
dier, III, p. 310.
3. Târânâtha, xxviii ; Schiefner, p. 204.
— 58 —
lokitavrata et de son commentaire sur le Prajnâpradîpa ;
quant à Buddhajnànapàla, nous n'avons aucun document
littéraire en faisant mention. Sàntiraskita fut un grand sa-
vant^ appartenant à ce groupe, un pandita aux vues indépen-
dantes. Il est le fondateur de l'école Svâtantrika-Yogâcâra
et écrivit un livre qui fit alors époque, la Madhyamakâlain-
kârakârikà, et son commentaire^. La Madhyamakàlamkâra-
kârikâ est un très petit texte de quatre-vingt-dix-sept stances
anuslubh, concernant exclusivement la métaphysique de
l'école Svâtantrika-Yogâcâra. Il importe de remarquer que
l'auteur n'aborde pas du tout les problèmes des sciences
éthiques et les stages préparatoires à la prajnâ, comme le
firent ses prédécesseurs : Bhâvaviveka et Candrakirti, dans
le Madhyamakahrdaya et le Madhyamakâvatâra. La première
stance de l'ouvrage est citée par Prajhâkaramati dans BCP,
page 358. Il existe deux commentaires ^ sur cette œuvre :
l'un, la Paiijikâ, par son élève Kamalasïla, et l'autre, la Vrtti,
par Ratnâkarasânti (vers 850 après J.-C.) qui fut également
un contemporain de Prajnâkaramati, l'auteur de la Bodhi-
caryâvatârapanjikà. Kamalasïla (vers 800-825 après J.-C.)
composa trois traités sur l'école: le Madhyamakâloka, le Tattvâ-
loka et la Sarvadharmâbhâvasiddhi*. Tous ces ouvrages, à
part la Pahjikâ, semblent perdus dans l'original sanscrit, et
conservés seulement dans leurs versions tibétaines. Les recher-
ches que le Gouvernement de Baroda a faites afin de retrouver
des manuscrits en Gujarat ont donné des résultats inattendus
en ce qui concerne nos auteurs. Le Tattvasamgraha ^ de Sânti-
raksita et son commentaire intitulé : Panjikâ, par son élève
Kamalasïla, nous donnent une autre œuvre de ces auteurs,
nullement mentionnée dans les catalogues tibétains. L'ouvrage
est actuellement sous presse et paraîtra dans la Gaekwar
Oriental séries.
1. Târânâtha, xxix ; Scheifner, p. 212.
2. Mdo, XXVIII, 4-5; Cordier, III, p. 311.
3. Mdo, XXVIII, 6; XXXI, 3; Cordier, III, pp. 311, 389.
4. Mdo, XXVIII, 7-9; Cordier, III, p. 389.
5. BCP cite plusieurs stances de cet ouvrage, p. 453 et suiv.
. La période qui suivit n'est pas caractérisée par la produc-
tion d'ouvrages d'une certaine valeur ou vraiment intéres-
sants. Vidyàkaraprabha et Dipainkarajôâna^ ont composé
quelques œuvres, mais ces dernières ne contribuèrent à aucun
nouveau développement de la philosophie ; d'ailleurs, comme
ce sont des ouvrages très récents ils ne nous intéressent pas
ici. '^
Pour conclure, je voudrais faire remarquer au lecteur que,
tandis que nous possédons un grand nombre d'ouvrages dans
la langue originale sur le système Prâsangika, nous n'en avons
pas un seul, sauf le Tattvasamgraha et son commentaire,
sur l'autre branche des Mâdhyamikas, et, jusqu'à présent,
aucun savant ne s'est encore consacré à l'étude de l'école
Svâtantrika, qui, selon moi, a contribué plus que l'autre au
développement de la pensée bouddhique. Pour comprendre à
fond les principes d'une école, nous devrions étudier non pas
les commentaires sur les textes anciens, — ou du moins, nous
ne devrions pas nous appesantir sur cette étude, — mais seu-
lement les ouvrages que les constructeurs de systèmes ont
écrits en toute indépendance et, c'est en partant de ce point
de vue que je me propose de consacrer plus tard mes études au
Madhyamakahrdaya de Bhavya et au Madhyamakâlamkâra
de Sântiraksita.
SES ŒUVRES.
Âryadeva n'est connu par son nom propre que chez les
auteurs sanscrits et chez les Tibétains, Les Chinois l'appellent
Bodhisattva Deva (T'i-p'o) ou bien Kânadeva, Deva le borgne
(Kia-na-t'i-p'o) et ce dernier nom est confirmé par Kùmâra-
jîva. Le traducteur du « Sùtra sur la cause de la transmission du
Dharmapitaka » (Nanjo n» 1340) n'emploie que le nom Kâna-
deva. Il est surnommé, d'après Griinwedel, Nïlanetra, aux yeux
1. Mdo, XXIX, 4, 9, etc. ; Cordier, III, p. 313.
— 6o —
noirs, à cause de deux taches foncées sur les joues^. Karna-
ripa (Kariiarùpa ?)2 est mentionné comme son nom secret
que l'on dit avoir été employé par les adeptes de l'école mys-
tique.
Les documents originaux sur la vie d'Aryadeva ne sont
pas nombreux, et ceux qui ont la prétention d'être biogra-
phiques ne nous donnent que très peu de renseignements.
Il y a une histoire d'Aryadeva traduite en chinois par Ku-
mârajïva (Nanjio n^ 1462) en 405 après J.-C, bien qu'il ait quitté
l'Inde en 383 après J.-C.^. Il en a une autre, également tra-
duite en chinois par Ki-kia-ye, en 472 après J.-C. et renfermée
dans les vies des patriarches, c'est-à-dire, dans le Sûtra sur
la cause de la transmission du Dharmapitaka (Nanjio, n^ 1340).
Candrakïrti mentionne l'origine royale d'Aryadeva à la fin
de son commentaire du Catuhsataka (Tanjur, Mdo-hgrel
XXIV, 2736 de l'édition rouge). Hiuen Tsang et I-Tsing
nous ont fourni quelques contes sur Aryadeva. Târânàtha,
dans son ouvrage sur l'histoire du Bouddhisme, a consacré
un demi-chapitre (xvii) à ce sujet; et Wassiljew, Takakusu
et Griinwedel ont fondé leurs notes sur les documents men-
tionnés plus haut.
Toutes les données sont d'accord pour affirmer qu'Arya-
deva était originaire du Sud. Candrakïrti et les Tibétains affir-
ment pourtant qu'il était originaire du Simhaladvïpa, c'est-à-
dire, Ceylon. Il était issu de source brahmanique, nous disent
les autorités chinoises; Candrakïrti, au contraire, dit qu'il
était le fils du roi de Simhaladvïpa, nommé Paficasrnga,
d'après Târânàtha. Selon les autres Tibétains, d'après Târâ-
nàtha, il naquit d'une manière surnaturelle d'un lotus dans le
parc du roi de Simhaladvïpa, qui l'adopta comme son fils.
Le prince Aryadeva montrait de la bonté aux religieux boud-
dhiques.
D'après les documents tibétains, Aryadeva fut admis au
1. Griinwedel, p. 37.
2. Griinwedel, p. 37 ; Târânàtha, xvii ; Schiefner, p. 83, et note.
3. Takakusu, p. lix.
— 6i —
Samgha par le pandita Hemadeva. Il apprit par cœur les
trois Pitakas et entreprenant son pèlerinage vers le Jambu-
dvïpa (Inde), visita les temples et les caityas. C'est au cours
de ce pèlerinage qu'il rencontra Nâgârjuna, devint son disciple
et obtint les siddhis. Les traducteurs tibétains du Catuh-
sataka, Sûksmajana et ni ma grags (Sûryakïrti) l'appellent
fils spirituel de Nâgârjuna. D'après Kumârajïva et Ki-Kia-
ye, il se retira dans un bois où il écrivit le Satasâstra, en vingt
chapitres, et les quatre centaines (Catuhsataka). D'après Griin-
wedel, il composa son œuvre principale à Prayàga. Le roi-
magicien Sûravajra fut un de ses maîtres, le célèbre Dharma-
tràta ou Dharmâtala de Gandhâra, que l'on compte parfois
parmi les sthaviras, fut son disciple principaP. D'après Ki-
Kia-ye, la loi bouddhique fut transmise à Râhulabhadra au
temps de la mort d'Âryadeva. Les Bouddhistes de Nâlandâ,
ne pouvant vaincre les hérétiques, appelèrent Âryadeva à
leur secours. Il resta quelque temps à Nâlandâ, mais retourna
dans le Sud où il rencontra, chez Nâgârjuna, Nâgâhvaya,
autrement dit : Tathâgatabhadra.
Selon le système chronologique que j'ai adopté comme base
provisoire de mon travail, Âryadeva me semble avoir vécu
environ entre 200 et 225 après J.-C. Sa vie a été traduite en
chinois par Kumârajïva en 405 après J.-C, mais ce dernier avait
quitté l'Inde en 383 après J.-C. En tenant compte du fait
qu'Âryadeva était devenu saint (Bodhisattva) pour son bio-
graphe sanscrit quelques années déjà avant 383, et qu'il était le
prédécesseur de Vasubandhu etd'Asanga,son époque remonte à
la première moitié du troisième siècle. Pourtant, si nous accep-
tons le Cittavisuddhiprakarana comme un ouvrage authen-
tique d'Âryadeva (ce dont je doute), il faudrait le situer dans
la deuxième moitié du même siècle, l'année 200 après J.-C.
ne servant que de terminus ad quo. Cet ouvrage en effet
mentionne les vâras (noms de jours) et les râsis (les signes de
zodiaque) qui, étant originaires de Grèce dans la seconde
moitié du deuxième siècle, ne peuvent avoir été connus des
1. Griinwedel, p. 37.
— 62 —
Hindous que très tard ; par conséquent, les ouvrages qui les
mentionnent ne peuvent remonter à une époque antérieure
à 250 après J.-C.\ En tout cas, l'époque d'Âryadeva doit être
placée au troisième siècle au plus tard, et non au quatrième
comme le fait S. C. Vidyâbhùsana (Proceedings & Transac-
tions ofthe First Oriental Conférence, Poona, 1922, vol. II,
p. 126.)
Le seul ouvrage dont la paternité peut être attribuée avec
certitude à Àryadeva, est le Catuhsataka, ou plutôtBodhisattva-
yogâcâracatuhsataka, un ouvrage en quatre cents stances
anustubh. Le titre de l'ouvrage aussi bien que sa paternité
et le nombre de stances sont attestés par les références fré-
quentes dans la Prasannapadâ de Candrakïrti, dans la vie
d'Âryadeva traduite par Kumârajîva, et dans l'histoire du
Bouddhisme par Târânâtha. Malheureusement, l'ouvrage
entier n'existe pas dans l'original sanscrit, mais seulement
dans la version tibétaine. M. de la Vallée Poussin a recueilli
toutes les citations connues à cette époque, tirées de cet
ouvrage par Candrakïrti (Muséon, 1900, p. 236-240). Grâce
aux découvertes de M. Haraprasâda Shâstrï, nous avons main-
tenant quelques nouveaux fragments du texte avec le com-
mentaire de Candrakïrti (Memoirs of the Asiatic Society
of Bengal, III, pp. 449-514, Calcutta, 1914). Les huit derniers
chapitres et, par conséquent, les deux cents dernières stances
nous sont aussi conservés dans la version chinoise du Hiuen
Tsang (Nanjio n^ 1189). M. Nanjio a désigné cet ouvrage du
nom de Satasâstravaipulya (Mahasatasâstra ?) et ce titre
malencontreux est responsable de l'erreur commise par M. R.
Kimura lorsqu'il avisa M. Haraprasâda Shâstrï que la version
chinoise du Satasâstravaipulya n'avait aucun rapport avec les
fragments du Catuhsataka ^ M. Przyluski a lu cet ouvrage
avec moi mot à mot, et nous avons trouvé la correspondance
aussi complète que possible. Nanjio n» 1198 nous conserve
1. ZDMG, XXX, p. 304 et suiv. ; c'est M. Jacobi qui a attiré mon
attention à ces références, et, à qui mes remerciements sont dûs.
2. Voir HPS, p. 450.
— 63 —
un commentaire de Dharmapâla également sur les huit cha-
pitres de cet ouvrage, traduit par Hiuen Tsang. Ce commen-
taire me semble complet en soi ; il commence avec les Maiigala-
slokas, ce qui nous indique que Dharmapâla n'a commenté
que ces huit derniers chapitres. C'est, je pense, à cause de ce
fait, et sous l'influence de Dharmapâla, que Hiuen Tsang n'a
pas traduit les huit premiers. Il est intéressant de noter à ce
propos que, de même que le Madhyamakasâstra a été com-
menté par les Yogâcâras aussi bien que par les Mâdhyamikas,
de même le Catuhsataka a été commenté par Dharmapâla
(Yogâcâra) et par Candrakïrti (Mâdhyamika).
C'est également Haraprasâda Shàstrï qui a découvert un
autre ouvrage attribué par le colophon àÂryadeva^ et nommé
par le scribe Cittavisuddhi ; il fut publié dans le JASB, 1898,
pp. 175-184. Le titre est aussi confirmé par la mention qu'en
fait le Subhâsitasamgraha (Muséon, 1904, II, pp. 13-16).
Ce traité sur la purification complète de l'esprit en 130 stances
anustubh décrit les moyens de la purification. Le Bouddha
énonce que l'on obtient le nirvana en admettant la non-exis-
tence en soi de la substance et de ses attributs (dharmanai-
râtmya et pudgalanairâtmya), admission qui est l'œuvre de
l'esprit. Prajnâ (la science) est un des moyens de la purifica-
tion, mais la pratique que l'auteur prêche occupe le domaine
du tantrisme dégénéré. (Comparer les stances 29, 38, 100,
101, 112, 116, 121, etc.) Sa métaphysique se résume en ce qui
suit : « (65) On dit que l'attachement, l'aversion, l'ignorance,
la jalousie et le désir ardent (trsna) sont la source du péché ;
le bain (des rivières sacrées) ne peut pas les écarter (puri-
fier). (66) Leur origine (dans la pensée) des êtres est l'attache-
ment fixe du moi et du mien (âtmâtmîyagraha) ; celui-ci a pour
cause l'ignorance (avidyâ) ; l'ignorance désigne la connaissance
fausse. (67) De même que la connaissance (fausse) de l'argent
sur la nacre est écartée si l'on observe (la nature vraie) de la
nacre) ; de même, elle aussi (l'ignorance) disparaît complète-
ment si l'on observe la non-substantialité. (68-69) De même que
1. Poussin, Muséon, 1900, p. 240.
— 6A —
la connaissance (fausse) du serpent à propos d'une corde est
écartée si l'on observe (la nature vraie de) la corde ; et qu'on ne
commettra jamais plus cette erreur dans cette vie ; de même la
connaissance de la réalité du monde est écartée quand on
obtient la science adamantine (vajrajnâna) et elle ne naîtra
plus jamais, ainsi que la pousse dont la semence est brûlée. »
M. de la Vallée Poussin croit que ce traité ne peut pas être
attribué à Âryadeva, l'auteur du Catuhsataka ; car celui-ci
atteste une phase du tantrisme très dégénérée que nous ne
trouvons pas dans les autres ouvrages de l'auteur. Je suis
d'accord avec lui et pense que c'est un autre Âryadeva qui
mentionne deux fois les vâras et ràsis (stances 72'', 75^).
Jusqu'à présent, nous n'avons pas trouvé de citations tirées
de cet ouvrage chez les auteurs postérieurs sauf chez celui du
Subhâsitasarngraha. Encore faut-il admettre que l'identité
de l'auteur de ces deux ouvrages reste douteuse.
Dr F. W. Thomas a publié dans JRAS, 1918, pp. 267-310
une des deux versions tibétaines du Hastavâlaprakarana,
les versions chinoises de Paramârtha et d'I-Tsing avec une
traduction anglaise d'après la version tibétaine et une recons-
truction conjecturale du texte en sancrit. Les traducteurs tibé-
tains et chinois ne s'accordent pas sur la paternité de cet
ouvrage ; les Tibétains l'attribuent à Âryadeva et les Chinois,
parfois à Âryadeva, parfois à Dignâga. Il est probable que
le texte peut être attribué à Âryadeva et le commentaire
à Dignâga, comme le dit le D'" Thomas, bien que les Tibétains
les attribuent l'un et l'autre à Âryadeva. Je crois avoir trouvé
les traducteurs tibétains beaucoup plus près de la vérité que
les traducteurs chinois dans plusieurs cas en ce qui concerne
la paternité. Le texte ne consiste qu'en six stances anustubh
(selon la seconde version tibétaine, Mdo, XVIII, 1, sept.).
Il traite les problèmes usuels de l'école : « De même que la
connaissance (conception) du serpent dans une corde est sans
réalité quand on observe la corde, de même la conception de
la corde serait sans réalité quand celle-ci se dissout en ses
parties. Tous les objets, ainsi examinés, deviennent pareille-
ment dépendants, et, par conséquent, tombent dans le do-
— 65 —
maine de la samvrti, mais n'existent pas dans le paramârtha.
Même le tout petit, anu, est hors de conception, est égal à
non-entité, est une illusion. Ce qui est une illusion, n'a pas
de réalité, et toutes choses étant dépendantes et illusoires,
si on les examine correctement, le savant ne doit pas avoir
peur du serpent : l'attachement, etc. On peut employer
les moyens du monde pour examiner les objets du monde,
mais si l'on désire se détacher de toutes les misères, on
doit chercher la vérité absolue. »
De plus, il y a dans le Tanjur trois ^ autres ouvrages attri-
bués à Àryadeva, à savoir : Skhahtapramathanayukti Hetu-
siddhi, Madhyamakabhramaghàta et Jfiânasârasamuccaya et
son commentaire par Bodhibhadra, conservés dans les ver-
sions tibétaines. Aucun d'eux ne me semble important.
M. Nanjio dans son catalogue du Tripitaka chinois dit qu'il
y a neuf ouvrages attribués à Aryadeva, à savoir :
1» Prânamùlasâstratïkâ (no 1179) traduit en 409 après J.-G.
2° Prajhâpradipasâstratïkà (commentaire) (n» 1185) tra-
duit en 630-632 après J.-C.
3° Satasâstra (en vingt chapitres), (n» 1188) traduit en
404 après J.-C.
4» Satasâstravaipulya (n^ 1189) traduit en 650 après J.-C.
50 Satasâstravaipulya (commentaire de Dharmapâla)
{d9 1198) traduit en 650 après J.-C.
60 Mahàpurusasàstra (n» 1242) traduit entre 397-439
après J.-C.
70 Satâksarasàstra (n^ 1254) traduit entre 508-535 après J.-C.
80 Sâstra on the réfutation of the principles of four principal
heretical schools mentioned in Lankâvatâra (no 1259) traduit
entre 508-535 après J.-C.
90 Sâstra on the explanation of the nirvana of twenty here-
tical Hînayàna teachers mentioned in Lankâvatâra (n» 1260)
traduit entre 508-535 après J.-C.
De ces ouvrages, les n^s 4 et 5 sont déjà envisagés plus haut ;
la paternité du n^ 3 est attribuée à Àryadeva par Kumârajïva
1. Mdo, XVIII, 2, 5, 6 : Cordier, p. 297-298.
— 66 —
et par Ki-Kia-ye ; le n° 2 est une traduction du commentaire
bien connu de Bhâvaviveka, et, par conséquent, sa paternité
est incorrectement attribuée à Âryadeva ; le n» 7 est l'Aksara-
sataka attribué dans le Tanjur à Nâgârjuna^ et, par consé-
quent, incorrectement attribué à Âryadeva par les traducteurs
chinois. Je n'ai rien à dire sur les n^s 1, 6, 8 et 9.
5. RECONSTRUCTION DU TEXTE.
Je présente ci-joint les neuf derniers chapitres du Catuh-
sataka en sanscrit avec la version tibétaine. De ces 225 stances,
j'en ai reconstitué 117 (imprimées en italique) d'après la ver-
sion tibétaine. Il faut remarquer, — car je ne présente que les
neuf derniers chapitres — que ce n'est pas sous l'influence du
traducteur chinois, mais que j'ai seulement trouvé quelque pro-
fit à le connaître au commencement de mon travail. Il m'était
possible de contrôler mon interprétation de la version tibé-
taine par rapport avec la version chinoise dans le cas des cha-
pitres IX-XVI, et j'ai pensé que cette partie purement
métaphysique devait être précédée par un chapitre qui cons-
titue un lien entre l'éthique et la métaphysique bouddhiques.
Le colophon du huitième chapitre se nomme le Pârikarmika,
les accessoires, ce qui démontre que ce chapitre est indispen-
sable à la compréhension de la métaphysique. Je compte
toutefois pubher les sept premiers chapitres très prochaine-
ment. Si mon entreprise est approuvée, j'aurai le courage delà
poursuivre avec confiance et j'espère m'y perfectionner, ce
qui importera lorsqu'il n'y aura aucune possibilité de contrôler
mon interprétation de la version tibétaine. Même dans cette
partie de mon travail, il y a des stances reconstruites que je
donne sous toutes réserves.
Avant de commencer le travail de reconstruction, j'avais
soigneusement préparé un vocabulaire des mots tibétains-
sanscrits des stances accessibles dans l'original sanscrit. Prenant
1. Mdo, XVII, 12 et 13 ; Cordier, p. 293-294.
-67-
ce vocabulaire comme base, j'ai commencé la reconstruction
du reste, conservant les mêmes mots et les mêmes phrases, à
moins que le mètre ne m'obligeât à chercher des synonymes.
J'ai aussi essayé de reconstituer le style de l'original. Je ne
peux pas maintenir la thèse du D^" Thomas qui soutient que la
versification d'Âryadeva est grossière ou imparfaite; nous
avons dans ces neuf chapitres 108 stances accessibles sous
leur forme originale, en sanscrit, et j'ose dire que pas une
seule d'entre elles n'est grossière au point de vue du style,
qui est beaucoup plus fin, vigoureux et plein de verve que celui
de Nàgârjuna. On jugera si ma tentative est réussie à cet
égard.
La version tibétaine que je présente se base sur quatre
xylographes, deux du texte dans les éditions rouge et noire
et deux du commentaire dans les mêmes éditions. Parfois,
j'ai dû corriger légèrement la version, par exemple, thob en
thos dans 199, ni en iji dans 366, d'après la version sanscrite.
Le texte aussi bien que le commentaire de Candrakïrti ont
été traduits en tibétain par le pandit Sûksmajana et Lama
Sûryakïrti (ni ma grags).
M. Haraprasâda Shâstrï dans son introduction à la Catuh-
satikâ, c'est-à-dire, Catuhsataka, dit : « Une comparaison avec
la version tibétaine démontre le fait que la Catuhsatikâ ori-
ginale ne contenait que 375 stances anustubh, qui avec les
seize longs colophons compteraient 400 pour le copiste. C'est
pourquoi elle s'appelle Catuhsatikâ. Ces 375 stances se divisent
en seize chapitres ;la plupart d'entre eux contiennent 25 stances
chacun. C'est dans quelques chapitres seulement que les stances
sont moins de 25. » Mais, à ma grande surprise, je trouve, dans
les deux éditions (noire et rouge), que le nombre de stances
est 400, et que chaque chapitre contient 25 stances. (Comparer
Poussin, JRAS, 1917, p. 129 et suiv.) Je donne ci-dessous
un tableau de comparaison entre les stances connues de
Haraprasâda Shâstrï, dans les citations ou dans les fragments
du commentaire, et celles que j'ai reconstruites :
68 —
TalDleaia
Chapitre
Nombre de
stances selon
H. P. S.
Nombre de
stances dans les
fragments selon
H. P. S.
Nombre de
stances que j'ai
reconstruites
Nombre de
stances trouvées
dans les cita-
tions (Commen-
taire, etc.)
VIII
24
18
5
2
IX
25
8
17
0
X
25
10
12 1/2
21/2
XI
14
7
18
0
XII
14
8
12 1/2
^ 1/2
XIII
25
13
10
2
XIV
25
21
4
0
XV
25
8
151/2
11/2
XVI
25
2
22 1/2
1/2
95
117
13
225
La traduction que je présente n'a aucune prétention à être
soit strictement philologique, soit strictement philosophique,
mon seul but étant de donner une interprétation aussi exacte
que possible, et, avant tout, compréhensible. Les commen-
taires servent pour mieux comprendre la traduction et la pen-
sée philosophique. Le vocabulaire contient tous les mots, sauf
les pronoms et les formes diverses du verbe « être », etc.
BODHiSATTVAYOGACARA
GATUHSATAKASÂSTRAKlRIKÂ
(Tox-t© "titoé-bain-sanscrit,)
VIII
176
ji Itar mi mthun mi rnams la |
mdsah ba yun rin mi gnas pa 1 1
de bshin kun la skyon ses la |
hdod chags yun rin mi gnas so ||
naresv ananurûpesu cirarn râgo na tisthati \
evam sarvatra dosajfie ciram râgo na tisthati \\1\\
176. Reconstruit d'après la version tibétaine ; mais le fragment
du commentaire qui suit m'a beaucoup aidé : sneho vlgatah ; evam
dosa/ne sarvatra râgo na tislhatîti na kevalam sarvadosadarsitvâc
ciram nâsti râgah. (HPS, p. 473).
177
la la de nid la chags te |
la la de nid la sdan shin ||
la la de nid la rmons pa |
de phyir hdod pa don med paho i|
tatraiva rajyate kascit kascit tatraiva dusyati | "
kascit muhyati tatraiva tasmâd râgo nirarthakah \\2\\':
177. HPS donne kàyah au lieu de râgah ; mais le commentaire,' la
version tibétaine et le contexte confirment notre lecture.
70
178
rtog pa med par hdod chags la [
sogs la yod nid yod min na ||
yan dag don de rtog pa shes |
blo dan Idan pa su shig hdsin ||
vinâ kalpanayâstitvain râgâdïnâm na vidyate |
bhûtârthàh kalpanâ ceti ko grahïsyati buddhimân || 3 ||
179
hgah lahn gan dan Ihan cig du |
bcins pa shes bya yod min te ||
gshan dan Ihan cig bcins pa la |
bral bar rigs pa ma yin no |1
kasyacit kenacit sârdham bandho nâma na yujyate |
parena saha baddhasya viprayogo na yujyate || 4 ||
180
bsod nams chun du chos hdi la |
the tchom za bar yaii mi bgyur ||
the tchom za ba team shig gis |
srid pa hrul bor byas par hgyur ||
asmin dharme'lpapunyasya samdeho'pi na jâyate |
bhavah samdehamâtrena jâyate jarjarîkrtah || 5 ||
181
chos gan shig la thub pa yis |
thar bahi bar du hphel pa nid ||
gsuns der gan la gus med pa |
de ni gsal bar blo Idan min ||
â moksâd yasya dharmasya vrddhim evoktavân munih |
tatra bhaktir na yasyàsti suvyaktam buddhimân na sah ||
181. HPS donne âtmâ hy àdyasya etc., qui est incompréhensible ;
notre lecture est confirmée par la version tibétaine et le contexte.
— 71
182
bdag ni mya nan hdah hgyur shes |
ston min ston Itar mthon min te |]
log Itas mya nan mi hdah bar |
de bshin gsegs pa rnams gsun no H
nâsûnyam sùnyavad drstam nirvânam me bhavatv iti |
mithyâdrster na nirvânam varnayanti tathâgatàh. |1 7 ||
182. Cité MA, p. 119, avec la lecture ston min. La version tibé-
taine du texte porte ston nid, qui me semble être une faute du copiste.
Je corrige notre texte tibétain d'après le sanscrit, la version tibétaine
du commentaire, et aussi la version du MA. Le sens de notre version
sanscrite est très clair; avec deux négations nous aurons une affir-
mation forte : sûnyam eva sùnyavad drstam.
183
gan las hjig rten bstan byun ba |
de las hjug pa gsuns pa ste |I
gan las don dam bsnad hbyun ba |
de las Idog pa gsuns paho ||
laukikï desanâ yatra pravrttis tatra varnyate |
paramârthakathâ yatra nirvrttis tatra varnyate
184
kun yod ma yin ci bya shes |
khyod la hjigs pa skye hgyur gran ||
gai te bya ba yod na ni |
chos hdi zlog byed mi hgyur ro H
kim kari§yàmy asat sarvam iti te jâyate bhayam |
vidyate yadi kartavyam nâyam dharmo nivartakah (| 9
72
185
khyod la ran phyogs chags yod cin |
gshan gyi phyogs la mi dkah na ||
■ mya nan hdas par mi hgro ste |
gnis spyod shi bar yoâs mi hgyur ||
svapakse vidyate râgah parpaksas tu te'priyah |
n^ gamisyasi nirvânam na sivam dvandvacârinah |l IQ
186
byed med mya nan hdah hgyur shin |
byed pas yan srid hgyur te des ||
bsam bral med pas mya nan las* |
hdas pa thob sla cig sos min ||
akurvânasya nirvânam kurvânasya punar bhavah \
niscintena sukharn prâptum nirvânam tena netarah || 11
187
gan la hdir skye yod min pa |
de la shi gus ga la yod ||
ran khyim las bshin srid pa ni |
hdi nas hbyuh bahn bya bar dkah 1|
udvego yasya nâstïha bhaktis tasya kutah sive |
nirgamas ca bhavâd asmât svagrhâd iva duskarah || 12
188
la la sdug bsnal zil mnan cin |
hchi bar hdod pa dag snan ste i|
de tche de dag gti mug phyir |
go hphan dam par mi hgror zan ||
duhkhâbhibhûtâ drsyante kecin maranakânksinah |
te tadà kevalam mohân na gacchanti param padam 1| 13
— 73 --
189
spyin pa dman pa la gsuns sin |
hbrih la tchul khrims gsuiis pa ste [[
mchog la shi ba gsuns gyur ba [
des na rtag tu mchog tu byos |I
hînasya dânam nirdistam sîlam madhyasya caivahi \
sivam agryasya kathitam tasmàd agryam sadâ srutam |j 14 |(
189. Le fragment du commentaire sur le vers précédent indique le
sujet de ce vers : — atrâha : — yady evam sarvaparitj'^âgena nirvâ-
nam evârthanîyam, tatprâptaye bhâvanâkathaivâstu, tat kimartham
bhagavatâ dânasïlakathe api vihite iti ; ucyate — trividho hi sattva-
dhâtuh, hïnamadhyottamabhedât, tadbhedârtham bhagàvato desanâ-
vaicitryam.
190
bsod nams min pa dan por zlog |
bar du bdag ni zlog pa dan |j
phyi nas Ita ni kun bzlog pa j
gan gis ses de mkhas pa yin ||
vâranam pràg apunyasya madhye vâranam âtmanah |
sarvasya vâranam pascâd yo jânîte sa buddhimân || 15 \\
190. Cité MV, p. 359.
191
dnos po gcig gi Ita bo yan |
de ni kun gyi Ita bor bsad ||
gcig gi ston nid gan yin pa |
de nid kun gyi ston nid do H
bhâvasyaikasya yâ drstih saiva sarvasya kathyate |
ekasya sûnyatâ yâsti saiva sarvasya sûnyatâ || 16 || ;
192
chos chags de bshin gsegs rnams kyi |
mtho ris hdod pa rnams la gsuns ||
thar ba hdod rnams la de nid |
slad gyur gshan du smros cin gos ||
uktas Tathàgatair dharmânurâgah svargakânksinâm \
mumuksûnâm tathânyatra tattvam evopadisyate || 17 ||
-74-
193
bsod nams hdod pas ston pa nid |
kun tche brjod par bya min te ||
gnas ma yin par spyar bahi sman |
dug tu hgyur ba ma yin nam ||
sarvadâ naiva vaktavyâ punyakâmena sdnyatd \
ayogayuktam bhaisajyam garalam jdyate na kim 11 18 |I
194
ji Itar kla klo skad gshan gyis |
bzun bar mi nus de bshin du ||
hjig rten pa yi ma gtogs par |
hjig rten bzuh bar nus ma yin ||
nânyayà bhàsayâ mlecchas sakyo grâhayitum yathâ |
na laukikam rte lokah sakyo grâhayitum tathâ |i 19 jj
194. La version tibétaine citée MA, p. 120 ; la version sanscrite MV,
p. 370. Le fragment du commentaire contient la suite : bâladâraka-
vat ; yathâ bâladârako nânyayâ bhâsayà sakyate bodhayitum, tathâ
prthagjano lokah, ata eva lokâvatâropâyatvàt...
195
yod dan med dan yod med dan |
gnis ka min shes kyan bstan te ij
nad kyi dban gis thams cad kyan |
sman shes bya bar hgyur min nam |I
sad asat sadasac ceti nobhayam ceti kathyate |
nanu vyàdhivasât pathyam ausadham nâma jàyate II 20 ||
195. La version sanscrite citée MV, p. 372. Poussin ajoute :
« Mss, vasât pathyam et le corrige en sarvam. Toutes les versions tibé-
taines portent thams cad, c'est-à-dire, sarvam. J'accepte pourtant
pathyam comme la lecture correcte et originale, malgré les versions
tibétaines. Car, les deux manuscrits sanscrits indépendants la confir-
ment, et pathyam donne le sens le meilleur et le plus précis. Peut-
être le traducteur tibétain voulut-il éviter la répétition du mot sman,
qui veut dire ausadham aussi bien que pathyam, et mit thams cad.
^75-
196
yan dag mthon na gnas mchog la |
cun zad mthon na bzad hgro ste ||
de phyir nafi bdag bsam pa la |
mkhas pa rtag tu blo gros bskyed ||
samyag drste param sthànam kincid drste subhâ gatih |
tasmàd adhyâtmacintàyâm kâryâ nityam matir budhaih 1121 |I
197
de nid ses pas gai te hdir |
mya nan hdas pa ma thob kyan |1
skye ba phyi mar hbad med par |
nés par thob hgyur las bshin no |1
iha yady api tattvajno nirvana m nâdhigacchati |
prâpnoty ayatnato'vasyam punarjanmani karmavat || 22 H
197. La version tibétaine citée MA, p. 2, avec la lecture gshan
du, au lieu de phyi mar de notre texte. La version sanscrite citée
MV, p. 378.
198
bsam bshin pa ni bya ba na |
kun la grub pa sin tu dkon I]
hdi nahh mya nan hdas med min |
spyor dan grol rnams rned par dkah ||
sarvakàryesu nispattis cintyamânâ sudurlabhâ |
na ca nàstïha nirvânam yuktâ muktâs ca durlabhâh |I 23 |I
199
lus la yon tan med thos nas |
hdod chags yun rin mi gnas te ||
lam de nid kyis thams cad kyan |
zad par hgyur ba ma yin nam |1
èrutvà sarîranairgunyam ciram ràgo na tisthati |
prâptas tenaiva mârgena sarvasyâpi nanu ksayah || 24 ||
199. HPS donne ksanam au lieu de ciram. Je restitue ciram d'après
le commentaire qui porte : yatheha ciràkâlam, et aussi d'après la ver-
sion tibétaine. Je ne dis pas qu'il s'accorde mieux avec le sens. •
- 76 -"
200
ji Itar sa bon mthar mthon shih |
de la thog ma yod min Itar |1
de bshin rgyu ni ma tchad phyir |
skye bahn hbyun bar mi hgyur ro ||
fnal hbyor spyod pa bshi brgya pa las slob ma, spyon
pa ste rab tu byed pa brgyad paho ||
yathâ bïjasya drsto'nto na câdis tasya vidyate |
tathâ kâranavaikalyâj janmano'pi na sambhavah || 25 tj
200. La version sanscrite citée MV, p. 220.
yogâcàre catuhsatake pàrikarmikam nâma
prakaranam astamam 1| 8 ||
IX
201
thams cad hbras bulii don skye ba |
des na rtag yod min delii phyir ||
thub pa ma gtogs ji Itahi dnos |
de bshin gsegs pa yod ma yin ||
sarvam kâryàrtham utpannam tena nityam na vidyate
tasmân munim rte nâsti yathàbhâvas Tathâgatah || 1
202
gan shig gan na nam du yan |
ma brten par ni yod nid med |i
des na nam yah gaii shig du |
rtag pa hgah yah yod ma yin I|
apratïtyâstitâ nâsti kadâcit kasyacit kvacit |
na kadâcit kvacit kascit vidyate tena sâsvatah 1| 2 ||
2 02. La version sanscrite citée MV, p. 397 et 505.
— 11 —
203
rgyu med par ni dnos po med |
rgyu Idan rtag pa yod min pa ||
des na rgyu med las grub ni j
de nid mkhyen pas grub min gsuns 1|
na vinâ hetunà bhâvo hetumân nâsti sâsvatah |
tenâkâranatah siddhih siddhir netyâha tattvavit || 3 II
203. HPS donne pour la première quatrine la lecture hiyate
nityuivam yasmât, tout à tort. J'ai trouvé celle-ci dans le commentaire
p. 482, et la lecture est confirmée par la version tibétaine : — • katham
krtvâ ? yasmât na vinâ hetunà bhâvah ; bhâvati svabhâvah àtmeti
paryâyâh ; sa vinâ hetunà na sarabhavati.
204
mi rtag byas par mthoii gyur nas |
ma byas gai te rtag na ni |1
byas la yod pa nid mthon nas |
rtag pa yod nid min par hgyur ||
anityam krtakam drstvâ sâsvato'krtako yadi |
krtakasyâstitâm drstvâ nâsti taivâstu sâsvatah H 4 ||
204. HPS donne pour la quatrième quatrine la lecture nâsti tendstu,
qui est incompréhensible. Je restitue d'après la version tibétaine, et
le contexte la confirme.
205
mkhah la sogs rnams rtag go ces |
80 sohi skye bo dag gis rtogs 1|
mkhas pa rnams kyis de dag la \
hjig rten pas kyaii don mi mthon ||
âkâsàdïni kalpyante nityânïti prthagjanaih |
laukikenâpi tesv arthân na pasyanti vicak;^anàh || 5 11
205. La version sanscrite citée MV, p. 505.
- 78-
206
phyogs shes bya ba phyogs can ni |
kun la gnas pa ma yin te H
dehi phyir phyogs can la phyogs ni |
gshan yan sin tu gsal bar yod ||
pradesini na sarvasmin pradeso nâma vartate |
tasmât suvyaktam anyo'pi pradeso'sti pradesini 11 6 K
207
gah shig yod na dnos po la |
hjug dan Idog pahh dmigs par hgyur ||
de ni gshan gyi dban gyur te |
des na hbras bur yan hgyur ro ||
yasmin bhâve pravrttis ca nivrttis copalabhyate |
anyâgattas ca so'py asti kâryam tenaiva vidyate || 7 1|
208
hbras bu med par rgyu la ni |
rgyu nid yod pa ma yin te ||
de yi phyir na rgyu rnams kun |
hbras bu nid du thaï bar hgyur H
na kâryena vinâ hetor hetutvam yena vidyate \
hetûnâm eva sarvesâm kâryatâ tat prasajyate \\ 8 y
208. Cité MA, p. 150.
209
rgyu ni rnam par hgyur ba na |
gshan gyi rgyu ru hgyur ba ste [|
gan la rnam par hgyur yod pa |
de ni rtag ces byar yod min |f
hetus ced vikrto' nyasya kàranam jâyaie nanu \
vikâro yasya bhavati sâsvatah sa na yujyate H ||
— 79 —
\
210
rtag pa gan gi rgyu yin pahi |
dnos med ma byun ba las skye H
ran nid hbyun bar gyur de la |
rgyu ni Idog par hgyur ba ste H
sâsvatam kâranarn yasyâbhâvo'bhâvâd bhavisyati \
svata evodbhavas tasya heius caivam nirarthakah || 10
211
dnos po rtag pa las skyes pa |
ci Ita bur na mi rtag hgyur ||
nam yan rgyu dan hbras bu gnis |
mtchan nid mi mthun mthon ma yin i|
bhâvah sâsuatato jâtah so'nityo jâyate katham |
vailaksanyam dvayor hetuphalayor naiva drsyate || 11
212
gan gi phyogs hgah rgyu yin shin |
phyogs hgah rgyu ma yin des na ||
de ni sna tchogs hgyur na go |
sna tchogs rtag par ga la rigs ||
pradeso yasya hetuh syâd ahetur api kascan \
bhinnaivâd bhinnadesatvam nityatâ yujyate katham \\ 12
213
rgyu ni zlum po gan yin pa |
de ni hbras bu la yod min ||
des na bdag nid kun spyor ba |
rdul phran rnams la mi hthad do H
vrtio yo vidyate hetuh sa phalâya na kalpate \
anûnâTn tena samyogah svasmin naivopapadyate fl 13
8o —
214
rdul phran gcig gi gnas gan yin |
de ni gshan gyi yan mi hdod H
de phyir rgyu dan hbras bu gnis 1
bod tchod mnam par hdod ma yin ||
anor ekasya yat sthânam tad evânyasya nesyate \
ubhayor hetuphalayor yaugapadyam na cesyate \\ 14
215
gan la sar gyi phyogs yod pa |
de la sar gyi cha yan yod ||
gan gi rdul la phyogs yod pa |
des na rdul rdul phran min bsnad II
pûrvo yasya pradesah syât pûrvâmsas tasya vidyate \
anor yena pradesah syât tenânur ananur bhavet || 15 ||
216
mdun gyis len cid rgyab kyis ni |
gtoh bar gyur na de dag gnis ||
gan la yod pa ma yin pa |
de ni hgro bor yan mi hgyur ||
pûrvagrâhe' paro dûram gacched yadi, tayor dvayoh \
sattà kvâpi na vidyeta janmano^pi na samhhavah \\ 16
217
gan la dan po yod min shin |
gaii shig la dkyil yod min la ||
gan la tha ma yod min pa |
mnon med de ni gan gis mthon ||
yasyâdir naiva hhavati madhyaTn yasya na vidyate \
antaê ca yasya na bhavet kenâvyaktah sa drsyate 11 17 |
— 8i —
218
hbras bu yi ni rgyu bsig pa |
des na rgyu ni rtag ma yin |1
yan na gari na rgyu yod pa |
de na hbras bu yod ma yin ||
hetor vinâsah kâryena tena hetur na sâsvatah \
atha hetur hhavati yah sa kâryarn naiva jâyate \\ 18 1|
219
thogs Idan dnos po rtag pa ni |
gan duhn snan pa ma yin te i|
des na nam yan sans rgyas rnams |
rdul phran rtag pa nid mi gsuiis H
samyogî sâsuato bhdvo yena drsto na vidyate j
èâèvatatuam anos tena jâtu buddhair na kathyate il 19 ||
220
hchin dan bcins dan thabs las gslian |
thar ba gai te yod na ni ||
de la ci hn mi skye ste j
des na de thar shes mi brjod H
baddhasya bandhanopâyâd nirvânam yadi bhidyate \
ajâtam tad atas tena nirvânarn iti nocyate || 20 ||
220. Ma version sanscrite ne m'a pas donné satisfaction com-
plète. La version chinoise est aussi obscure.
221
mya nan hdas la phun po rnams |
yod min gan zag srid ma yin i|
gan du mya nan hdas gyur ba |
ma mthon der myan hdas gan shig 1|
skandhâ na santi nirvâne pudgalasya bhavo na ca \
yena drstam na nirvânam nirvânam tena kim bhavet || 21 ||
221. Le sens est déterminé d'après la version chinoise.
6
— 82 —
222
srid dan bral la thar bahi tche |
ses yod yon tan ci shig yod ||
ses med pa yi yod pa yan |
gsal bar yod pa min de mtchuiis ||
nirvânam yad bhavâbhâve tadâ jfiânena ko gunah \
ajnânasya hi yo hhâvah sa vyaktam nâstitâsamah || 22 ||
223
thar ba bdag cig yod na ni |
' ses yons po na srid pa yod I|
de med na ni srid pa la (
bsam pa hn yod pa ma yin ||
âtmaiva yadi nirvânam jnânam pûrnam bhavo bhavet |
tadabhâve hi samsâre bhâvanâpi na vidyate || 23 ||
224
sdug bsnal las thar mi rnams la |
gshan ni yod pa min par nés ||
de phyir rnam pa kun tuhn bdag |
zad pa legs shes bya bar brjod 1|
naresu duhkhamuktesu paro nâma na vidyate \
sarvathâtmâksayas tena sreyân ity abhidhïyate || 24 H
225
hjig rten pa hdi nid bla yi |
don dam rnam kun ma yin te ||
hjig rten pa la curi zad yod |
dam pahi don la yod ma yin ||
mal bbyor spyod pa bshi brgya pa las dnos po rtag pa
dgag pa bsgom pa bstan pa ste rab tu byed pa dgu paho ||
varam laukikam evedam paramârtho na sarvathâ |
laukike vidyate kificit paramârthe na vidyate || 25 ||
yogâcàre catuhsatake nityârthapratisedho nâma
navamam prakaranam || 9 H
— 83 —
X
226
gan tche nan bdag bud med min |
skyes min ma nin ma yin pa ||
de tche mi ses hbah shig las |
khyod bdag pho ho snam du sems || .
antarâtmâ yadâ na strî na pumân na napumsakam
tadâ kevalam ajnànâd bhâvas te'ham pumân iti || 1
227
gan tche hbyun ba thams cad la |
pho mo ma nin yod min pa ||
de tche ci ste de dag nid |
brten nas pho mo ma nin yin ||
yadâ sarveçu bhûtesu nâsti strïpumnapumsakam |
tadâ kim nâma tâny eva prâpya strïpumnapumsakam
228
khyod kyi bdag gan nahi bdag min |
des de bdag min ma nés phyir ||
dnos po mi rtag pa rnams la |
rtog pa skye bar hgyur min nam ||
yas tavâtmâ mamânâtmâ tenâtmâ niyamân na sah
nanv anityesu bhâvesu kalpanâ nâma jâyate H 3 l|
228. La version sanscrite citée MV, p. 199.
— 84 —
229
skye dan skye bar skyes bu ni |
lus bshin rnam par hgyur bar hgyur ||
khyod kyi de la lus las gshan |
nid dan rtag nid mi rigs so ||
dehavad vikrtim yâti pumân janmani janmani |
dehântenânyatâ tasya nityatà ca na yujyate || 4 [1
230
reg dan mi Idan dnos po la |
bsgul ba shes bya mi skye ste ||
de phyir lus kyi gyo ba la |
srog ni byed pa por mi hgyur ||
asparsavatsu bhâvesu cestà nàma na jâyate \
tasmâc charîracestâyâ ilvah kartà na jâgate \\ 5 H
231
mi htche ba dan bdag rtag pa |
hdi la rgyu ni ci yod snam ||
rnam pa kun tu sin srin las |
rdo rje bsrun byar mi hgyur ro |i
sâsvatasyâmarasyâsyâtmano hetur hi ko matah \
sarvathâ kltakàd vajrabhaksanam naiva jâyate || 6 ||
232
skye ba dran pa yod pahi phyir |
gai te khyod kyi bdag rtag na ||
snon byas pa yi rma mthon nas |
khyod kyi bdag go ces mi rtag ||
smrtisamtânasiddhyartham àtmà nityo matas tava \
djrstuâ bhâgyaksayam tasya so'nityah kim na te matah || 7
— 85 —
233
sems pa can dan Idan bdag kyan |
gai te ses po nid yin na |i
de yis sems pa can sems pa |
min shes skyes bu rtag mi hgyur H
âtmans cec caittavato jnâtrtvam jâyate tadâ \
nâsti cittam ca caittain ca pumân nityo na jâyate || 8 ||
234
bde ba la sogs dan Idan srog |
bde sogs bshin du sna tchogs mthon |[
de phyir bde la sogs bshin te |
rtag pa nid du h n mi rufi no I|
jlvah sukhâdimàn drsto vibhinnah sa sukhâdivat \
tasmât sukhâdivat tasya nityatâpi na yujyate || 9 ||
235
gai te ses pa yod rtag na | •
byed pa log par hgyur ba ste ||
gai te me ni rtag bgyur na |
bud sin gis don yod mi hgyur |1
karanain Jâyate mithyâ caitanyam sâsvatam yadi |
nityo yadi bhaved agnir indhanam nisprayojanam II 10 H
235. La première partie citée dans le commentaire. Voir HPS,
p. 488.
236
rdsas ni bya ba ji bshin du |
hjig pahi bar du gyo ba med ||
des na skyes bu yod ses pa |
yod pa med ces byar mi rigs ||
à vinàsâc calam nâma dravyam nâsti kriyâ yathâ |
puniso'sti na caitanyam iti tena na yujyate II 11 ||
— 86
237
gshan du ses pa yod pahi khams |
mthon shin gshan du ses yod de ||
Icags kyi shu nid bshin dehi phyir |
skyes bu rnam par hgyur bar hgyur ||
cetanâdhàtur anyatra drsyate'nyatra cetanâ |
dravatvam iva lohasya vikrtim yâty atah pumân || 12 1|
238
ses yod yid team shig la ste | ,
skyes bu nam mkhah bshin du che ||
de phyir de yi no bo na |
ses pa yod nid min Itar mthon H
caitanyam ca manomâtre mahâns câkâsavat pumân j
acaitanyani tatas tasya svarûpam iva drsyate || 13 |i
239
gai te kun la bdag yod na |
gshan gyis de ces nar mi rtog H
de nid kyis na de nid la |
sgrib ces bya bar mi hthad do ||
paras tasyeti kim nâham aham sarvagato yadi |
tenaivâvaranam nâma na tasyaivopapadyate || 14 ||
239. HPS donne la lecture tava au lieu de tasya de notre texte. Je
l'ai restituée d'après la version tibétaine et le commentaire qui porte :
kim iti tasya tasmin mama iva ahamkâro notpadyeta. HPS, p. 489.
240
gan gi yon tan byed po dan |
rnam kun ses yod ma yin pa ||
de dag dan ni smyon pa la |
khyad par ci yan yod ma yin ||
yesàm gunânâm kartrtvam acaitanyam ca sarvasah |
tesâm unmattakânâm ca na kincid vidyate'ntaram || 15 ||
- 87 -
241
yon tan rnams kyi rnam kun tu |
khyim la sogs dag byed ses kyi I|
za ba rnam par mi ses pa |
hdi las mi rigs gshan ci yod H
kartum nâma vijânanti grhâdïn sarvathâ gunâh |
bhoktum ca na vijânanti kim ayuktam atah param H 16 ||
242
bya ba dan Idan rtag pa med |
kun tu son la bya ba med ||
bya ba med pa med dan mtchuns |
bdag med la khyod cis mi dkah H
kriyâvàn sâsvato nâsti nâsti sarvagate kriyâ |
niskriyo nâstitâtulyo nairàtmyam kim na te priyam II 17 ||
242. La version sanscrite citée MV, p. 116.
243
la lar kun tu son bar mthon |
la lar skyes bu lus team shig |1
la lar mthoii ste rdul team shig |
ses rab can gyis med par mthon ||
sarvagah kenacid drsto dehamâtras tu kenacit \
drsto' numâtrah kenâpi prâjfienâsan sa drsgate || 18 ||
243. La version tibétaine du texte (noire et rouge) porte dans le
troisième vers du quatrain skyes bu au lieu de mthon ste de notre texte.
Je l'ai restituée d'après la version tibétaine du commentaire.
244
rtag la gnod pa ga la shig |
gnod med thar ba ga la yod ||
des na gan gi bdag rtag pa |
de yi thar ba mi rigs so ||
nitgasya kasyacid duhkham aduhkhasyâsti nirvrtih |
nityo yasya bhaved âtmâ tasya mokso na yujyate II 19 H
88
245
gai te bdag ces bya yod na |
bdag med snam pa mi rigs sin |1
de nid rigs pa des pa las |
mya nan hdas gyur shes byahn brdsun I|
nûnam âtmâ yadi bhaven nairâtmyam naiva bhâvyate |
suyuktito'pi nirvânam vitatham tasya jâyate \\ 20 ||
246
gai te grol ba med nid na |
de ni snar yan med pa îïid H
mi Idan pa la gan mthoh pa |
\ de ni ran bshin shes bar bsad ||
yadi nâsty eva nirvânam tatpràg api na vidyate \
àrsiarn yan mânuse nâma sattvam tasyaiva bhâsyate || 21 ||
247
gai te mi rtag chad na ni |
da dun rtchba sogs ci ste yod ||
hdi ni gai te bden hgyur na |
su lahri gti mug kyan mi bgyur |1
ucchedo yady anityasya trnâdeh sambhavah katham \
sad idam cet tadâ kasyâpy avidyaiva na jâyate || 22 ||
248
bdag ni yod par gyur nahn gzugs |
gshan las hbyun bar snan gyur la H
gshan las gnas par snan gyur shin |
gshan las rnam par hjig par snan ||
sattâyâm âtmano rûpam anyodbhùtam hi drsyate \
drsivaiva sthitim anyasya vinâso'nyasya drsyate \\ 23 ||
248. La version tibétaine du texte porte hjigs pa snan gyur snan au
lieu de rnam par hjig par snan. Je l'ai restituée d'après la version du
mmentaire.
-89-
249
ji Itar sa bon byas pa las |
myu gu byas pa skye hgyur ba II
de bshin mi rtag thams cad ni |
mi rtag dag las hbyun bar hgyur ||
yathaiva krtakâd bïjâd ankurah krtako bhavet |
anityebhyas tathâ sarvam anityam kila iâyate \\ 24 i|
250
gan phyir dnos po hjug hgyur ba |
des na chad par mi hgyur shin ||
gan phyir dnos po Idog hgyur ba |
des na rtag par mi hgyur ro ||
rnal hbyor spyod pa bshi brgya pa las bdag dag pa
bsgom pa bstan pa ste, rab tu byed pa bcu paho || 10 ||
yasmât pravartate bhâvas tenocchedo na jâyate |
yasmân nivartate bhâvas tena nityo na jâyate H 25 ||
250. La version sanscrite citée MV, p. 376.
yogâcâre catuhsatake âtmasudhyupâyasamdarsanam nâma
dasamam prakaranam || 10 1|
XI
251
ma bons bum pa da Itar bahi |
bum yod ma yin hdas pa med ||
gan phyir de gnis ma lions pa |
de phyir ma bons yod ma yin ||
nânâgato vartamâno ghato'tîto na vidyate |
anâgatam dvyam yena tena na syâd anâgatah || 1
90
252
gai te shig pa ma bons pahi |
no bor ma bons la yod na ij
ma bons bdag nid du yod gan |
de ni ji Itar hdas par hgyur ||
anâgatasya nastasya svabhâuas ced anâgate \
anâgatah svato yah syât so'tîto iâyate katham \\ 2
253
gan gi phyir na ma bons dnos |
• ma bons bdag du gnas hgyur ba ||
de yi phyir na da Itar bar |
hgyur te ma bons nid mi srid ||
anâgato yato bhâvah svatas tisthaty anâgatah
anâgatatvam na tato vartamânasya jâyate || 3 j
254
ma hoiis pa yod hdas pa yod |
da Itar ba yod ci shig med jj
gan gi dus kun yod nid pa |
de yi mi rtag iiid ga las ||
anâgato'sty atWsti vartamâno'sti, nâsti kah \
anityatâ kutas tasya yasya sattaiva saruadâ \\ 4
255
hdas pa las ni hdas gyur ba |
ci yi phyir na hdas par hgyur |1
hdas pa las ni ma hdas pa |
ci yi phyir na hdas par hgyur ||
atîtàj jâyate'titah so'tîto jâyate katham |
anatltaà ced alitât so'tîto jâyate katham \\ 5 ||
— gi —
256
gai te ma bons skyes yod na [
ci Itar de Itar bar mi hgyur ||
ci ste de la skyes raed na |
ma hons rtag par hgyur ram ci ||
anâgatas ced utpanno vartamânah katham na sah \
athânutpâda evâsya nityam kim vâsty anâgatah \\ 6
257
skye ba med kyan hjig pa las |
gai te ma bons mi rtag na |I
hdas pa hjig pa yod min te |
de ni rtag par cis mi rtog ||
vinâpi janmanâ bhangâd anityo yady anâgatah |
atïtasya na bhango'sti sa nityah kim na kalpyate || 7
258
hdas pa dan ni da Itar ba |
hdi ni mi rtag hgyur min la ||
de dag las gshan rnam pa ni |
gsum pahn de la yod ma y in ||
anityo vartamâno'yam atïtas'ca na jâyate |
tâbhyâm anyà trtïyâpi gatis tasya na vidyate H 8 jl
259
diios po gan shig phyis skye ba |
de ni gai te snar yod na ||
de yi phyir na phya smra ba |
rnams kyis phyogs ni log mi hgyur |1
yah pascâj jâyate bhàvah sa pûrvam vidyate yadi
na mithyâ jâyate paksas tesàm niyativâdinâm || 9 |
9?-
260
gan shig hbyun bar byed pa de |
snar yod ces byar mi rigs te H
gai te yod pa skye hgyur na |
skyes zin pa yan hbyun bar hgyur H
sambhavah kriyate yasya prâk so'stïti na yujyate |
sato yadi bhavej janma jâtasyâpi bhaved bhavah || 10 H
261
ma hons pa yi dnos mthon na |
dnos po med pa cis mi mthon ||
gan la ma hons yod gyur ba j
de la riii ba yod ma yin ||
drsyate'nâgato bhâvah kenâbhàvo na drsyate |
vidyate'nàgatam yasya dûram tasya na vidyate H 11 ||
261. HPS n'a pas remarqué la première partie qui se trouve dans
le commentaire, p. 492.
262
gai te byas pa med kyan chos |
yod na iies sdom don med hgyur 1|
ci ste cun zad byed na yan |
h bras bu yod pa oii srid do 1|
dharmo yady akrto'py asti niyamo jâyate vrt |
atha svalpo'pi kartavyah satkâryasya na sambhavah I| 12 ||
263
mi rtag yin na ci Itar bur |
hbras bu yod ces bya bar hgyur ||
gan la thbg ma mthah yod pa |
de ni hjig rten mi rtag brjod ||
anitye sati satkâryam katham nâmâsya jâyate |
âdyantau yasya lokasya so'nitya iti bhâsyate \\ 13 I|
-93-
264
bsgrim pa med p^r thar hgyur te |
grol la ma lions yod ma yin H
de Itar yin na chags med par | .
hdod chags kyan ni hbyun bar hgyur H
ayatnatas cen nirvânarn tasya na syâd anâgatam \
vinâpi râgam rakto'pi nanv evarn sati jâyate || 14 ||
265
hbras bu yod nid gan hdod dan |
hbras bu med nid gan hdod la ||
khyim gi don du ka ba la |
sogs pahi rgyan ni don med hgyur ||
stambhàdïnâm alamkâro grhasyârthe nirarthakah |
satkâryam eva yasyeslam yasyâsatkàryam eva ca H 15 ||
265. La version sanscrite citée MV, p. 393 ; et aussi HPS, p. 511.
266
dnos rnams yons su hgyur ba yan |
yid kyis kyan ni hdsin mi hgyur 1|
de Ita na yan da Itar ba |
yod par mi mkhas rnams kyis rtog H
manasâpi na grhyante bhâvâ hi parinâminah \
vartamânasya tat sattâm kalpayanty avicaksanâh \\ 16
267
gnas med dnos po ga la shig |
mi rtag pas gnas ga la yod 1|
gai te dan po gnas gyur na |
tha mar snin por mi hgyur ro H
asthirah kasyacid bhâvo'nityatvât kasyacit sthirah \
âdau yadi sthiro bhâvas tasyânyatvam na jâyate \\ 17 y
94
268
ji Itar rnam ses gcig gis ni |
don gnis rnam par mi èes pa |t
de bshin rnam ses gnis kyis ni |
don gcig rnam par mi ses so |1
uijânâti yathâ naikam vijfiânaTn vastuyugmalam
vijânâti tathâ naikam vastu vijnànayugmalam || 18
269
gai te dus la gnas yod na |
gnas pa dus su mi bgyur ro 11
ci ste gnas med na gnas pa |
med par mthah yan yod ma yin H
sthiratâ yadi kalasya sthirah kâlo na jâyate \
asthiras cet katham tisthed asann ante na vidyate H 19
270
gai te mi rtag dnos gshan na |
dnos po mi rtag par mi hgyur ||
gcig na mi rtag nid gan yin |
de nid diios te ga la gnas ||
bhâvântaram anityam ced hhâvd'nityo na vidyate \
ekasyânityatâ yasya katham bhâvah sa tisthati \\ 20 ||
271
mi rtag nid gar stobs chun des |
gnas pa stobs chun ma yin na ||
phyi nas de dag nés par go |
bzlog par ci yis mthon bar hgyur ||
anityam durhalam yena durbalam san na jâyate \
jatsthitir niyataniy pascàn nivrttih kena drsyate \\ 21
- 95 -
272
gai te mi rtag stobs chun yin |
dnos po kun la yod na ni |j
kun la gnas pa med pa dan |
yan na thams cad mi rtag yin ||
anityam durbalam yena sarvabhâvesu vidyate \
sadasattvam ca sarvasminn atha sarvam asâsvatam \\ 22 ||
272. Toutes les versions tibétaines portent min dans le premier
et le dernier vers du quatrain au lieu de yin de notre texte. Mais le
vers reste incompréhensible avec la négation. C'est pourquoi j'ai pris
une liberté avec notre texte. La version chinoise toutefois confirme
notre lecture.
273
gai te rtag tu mi rtag nid |
yod na rtag tu gnas yod min H
yaii na rtag par gyur zin nas |
phyi nas mi rtag par hgyur ro H
nitye'nityam yadi bhaven nityarn sattâ na jâyate \
nitye ksîne'tha tat pascâd anityam kila jâyate || 23 ||
274
gai te gnas pa mi rtag dan |
ihan cig dnos po la yod na U
mi rtag log par hgyur pa hm |
yan na gnas pa brdsun par hgyur \\
anityena yadâ sârdham sattâ bhâvesu vidyate |
anityarn jâyate mithyâ mithyâ sattâpi jâyate i\ 24 ||
275
mthoh zin dnos po mi snan shin |
slar yan sems kyi min des na ||
dran pa shes bya log pa yis |
don la log pa kho na hbyun {|
mal hbyor spyod pa bshi brgya pa las dus dgag pa bsgom
pa bstan pa ste rab tu byed pa bcu gcig paho ||
-96-
yo bhàvas cetasâ drstah so'drsto na punar bhavet |
smrtir nâma bhaven mithyà mithyâ bhâvo'pi jâyate H 25 H
yogâcâre catuhsatake kâlavipratisedhabhàvanopadeso nàma
ekâdasam prakaranam 11 11 H
XII
276
gzur gnas blo Idan don gner bahi |
nan po snod ces bya bar bsad ||
smra por yon tan rnams gshan du |
mi hgyur nan po la yan min ||
sâksî dhîmân arthapatih srotâ drasieti bhàsyate \
vaktur gunâ na cànyasya nâpi srotur bhavanti te 11 1 II
277
srid dan srid thabs shi ba yi |
thabs dan de bshin shi gsuns te !|
hjig rten yons su mi ses gan |
de na thub pahi Ita bur mnon ||
ukto bhavo bhavopyah sivopâyas tathâ sivam \
yal lokenâpariihâtam drstam tan munisamnibham \\ 2 ||
278
thams cad btan bas mya nan las |
hdah bar ya mtchan can kun hdod ||
kun sun hbyin la de dag ni |
mi dkah hgyur ba rgyu ci shig ||
saruatyâgena nirvânam sarvapâsandinâm matam j
na tesqm dûsanaih sarvaih kihcid vaimukhyakâranam 11 3 II
278. La stance est reconstruite d'après le fragment du commen-
taire suivant : yâda caivam sarvatyâgena sarvapâsandinâm nirvânam
ahYA-matam, tadâ na kincin maya atra apûrvam upacaritam, yad
vaimukhyakâranam bhavet... HPS, p. 494.
279
gan shig gton thabs mi ses de |
ci shig gton bar byed par hgyur ||
des na iies par thub pa yis |
gshan du shi ba med ces gsuns ||
kim kariysati sa tyâgam tyâgopâyam na vetti yah |
sivam anyatra nâstïti nûnam tenoktavân munih |I 4
280
sans rgyas kyis gsuns Ikog gyur la |
gan shig the tchom skye hgyur ba ||
de yi ston pa nid bsten te |
hdi nid kho nar yid ches bya ||
Buddokteçu paroksesu jâyate yasya samsayah |
ihaiva pratyayas tena kartavyah sûnyatâm prati H 5
281
gan gis hjig rten hdi mthon dkah |
de ni gshan ma blun ba nid I|
gan dag de rjes hgro de dag |
sin tu yun rins bslus par hgyur ||
loko'yam yena durdrsto mûdha eva paratra sah |
vancitâs te bhavisyanti suciram ye'nuyânti tam \\ 6 ||
282
mya nan das h par ran hgro gan |
de ni sin tu bya dkah byed ||
hdren pahi slad bshin dam pa ni |
ma yin yid hgro spro ma yin ||
svayani ye yânti nirvânani te kurvanti suduskaram |
gantuin notsahate netuh prsthato'py asato manah || 7
-98
283
ma mthon skrag pa mi rtcom ste |
mthon na rnam kun de Idog hgyur ||
des na nés par cun zad cig |
ses la skrag pa bsgrub par bya ||
trâso nârabhyate'drste drste'paiti sa sarvasah |
niyamenaiva kincijne tena trâso vidhïyate || 8 H
284
byis rnams nés pa kho nar ni |
hjug byed chos la goms pa ste ||
de dag goms pa med pa yis |
Idog byed chos la hjigs par hgyur ||
ekântenaiva bâlânârn dharme'bhyâsah pravartake |
dharmân nivartakât tesâm anabhyâsatayâ bhayam || 9 |f;
285
gan shig gti mug hgal.i shig gis |
bsgribs sin de nid gegs byed pa ||
de la dge logs hgro ba yan |
med na thar ba smos cid gos ii
vighnam tattvasya yah kuryâd vrto mohena kenacit |
kalyânâdhigatis tasya nâsti mokse tu kâ kathâ |1 10 ||
285. HPS ne remarque pas cette stance et les trois suivantes qui se-
trouvent dans le commentaire.
286
tchul khrims las ni iïams bla yi j
Ita las cis kyan ma yin te ||
tchul khrims kyis ni mtho ris hgro |
Ita bas go hphaii mchog du hgyur ||
sïlâd api varain srainso na tu drsteh kathamcan |
sïlena gamyate svargo drstyâ yâti parani padam || 11 H
99
287
dam pa min la bdag hdsin mchog |
bdag med ston pa ma yin te ||
gcig ni nan hgro nid hgro ba |
tha mal ma yin shi nid dulio 11
ahamkâro'satah sreyân na tu nairàtmyadarsanam j
apâyam eva yâty ekah sivam eva tu netarah |1 12 ||
«
288
shi sgo gnis pa med pa dan |
Ita ba nan rnams hjigs byed cih I|
sans rgyas kun gyi yul hgyur ba |
bdag med ces ni bya bar brjod 1|
advitïyani sivadvâram kudrstïnâm bhayainkaram |
visayah sarvabuddhânâm iti nairâtmyam ucyate || 13 ||
289
chos hdi yi ni min las kyan |
dam pa min pa hjigs pa skye H
gshan la hjigs pa mi bskyed paM |
stobs Idan shes bya gan shig mthon H
asya dharmasya nâmno'pi bhayam utpadyate'satah |
balavân nâma ko drstab parasya na bhayamkarah || 14 ||
290
chos hdi de bshin gsegs rnams kyi |
rtcod pahi ched du ma gsuns te ||
de Itahn hdi ni gshan smra rnams |
gsregs te me yi bud sin bshin ||
vivâdasya krte dharmo nâyam uktas Tathâgataih |
tathâyam anyasabdânârn dâhako'gnir yathendhanam || 15 ||
290. HPS donne la lecture vâdasya krta^o qui est incompréhensible.
lOO
291
chos lidi gan gis ses gyur ba |
de ni gshan la mi dkal.i ste l|
des na bdag la chos lidi ni |
hjig pahi sgo dan lidra bar snan 1|
dharmo'yam yena vijftâto bhavet so'nyasya na priyah
vinâsadvâravat tena drsto dharmo'yam âtmanah \\ 16 ||
292
de nid du bdag med snam du |
de Itar gan la dgons gnas pa ||
de ni yod pas gan la dkah |
med pas hjigs par ga la hgyur ||
anâtmacintâ tattvena tasmâd yasya mata bhavet \
satâ kasya bhavet prltir asatâ ca bhayam katham \\ 17
293
don min sa bon gyur ba yi |
mu stegs can man mthon nas ni |I
chos lidod pa yi skye bo la |
su shig shih brtce skye mi hgyur ||
anarlhabljabhûtâms tâms tân drstvâ tîrthikân bahûn \
dhatmakâme jane kasya krpâ nâma na jâyate \\ 18 ||
294
èâ kya gos med bram ze ste |
gsum rnams kyi yah chos yid dan ||
mig dan rna ba yis hdsin pa |
de phyir thub pahi gshuh lugs smra ||
êâkyena cetasâ dharmo nagnakena tu caksusà \
êrutyâ grhîto viprena muniproktas tatah sivah \\ 19 ||
lOI
295
ji Itar bram ze rnams la chos |
phal cher phyi bchos brjod pa Itar H
de bshin gcer bu rnams la chos |
phal cher blun pa brjod pa yin ||
brâhmanânâm yathâ dharmah kriyâprâyah prakîrtitah |
nirgranthânârn tathâ dharmo jadaprâyah prakîrtitah || 20 |i
296
ji Itar rig pa blans pa las |
bram ze gus pa skye ba Itar H
de bshin non mons blans pa las |
gcer bu pa la brtce bar hgyur ||
yathaiva vedagrahane bhaktir viprasya jâyate \
nirgranthasya tathâ klesagrahane jâyate matih || 21 II
297
sdug bsnal las kyi rnam smin phyir |
ji Itar chos su mi hgyur ba ||
de bshin skye ba las kyi ni |
rnam smin yin phyir chos ma yin ||
klesakarmavipàkena yathâ dharmo na jâyate \
janmakarmavipâkena tathâ dharmo na jâyate || 22 ||
298
chos ni mdor na mi litchi bar |
de bshin gsegs pa rnams kyis gsuns ||
stoh fiid mya nan hdas par ste |
hdir na de gnis hbah shig go ||
dharmam samâsato'himsâm varnayanti Tathàgatâh. |
èùnyatâm eva nirvânam kevalam tad ihobhayam || 23 ||
298. La version sanscrite citée MV, p. 351.
I02
299
ran phyogs hjig rten thams cad la |
skyes sa bshin du sdug hgyur na ||
de yi Idog par byed palii rgyu |
khyod la gan gis sdug bsnal hgyur 1|
svapaksah sarvalokasya priijah syâj janmabhûmivat \
nivrttihetus te tasya yena duhkhâya jâyate \\ 24 H
300
rigs pahi don ni gshan las kyan |
blo Idan legs pas hdod pas blan H
ni mas sten mig Idan pa la j
kun gyi spyi thun ma yin nam ||
mal hbyor spyod pa bshi brgya pa las Ita ba dgag pa
bsgom pa bstan pa ste rab tu byed pa bcu gnis paho 1|
parasmâd api yuktârtham dhîmân abhisamlpsate \
arkabimbarn hi sàmânyam sarvasyâksimato na kim || 25 H
yogrtcâre catuhsatake drstivipratisedhabhâvanâsamdarsanam
nâma dvâdasani prakaranam |i 12 |I
XIII
301
gzugs mthon tche na bum pa ni |
thams cad kho na mthon mi hgyur ||
bum pa mnon sum shes bya bahn |
de nid rig pa su shig smra ||
sarva eva ghato'drsto rûpe drste hi jâyate |
brùyât kas tattvavin nâma ghatah pratyaksa ity api || 1
301. La version sanscrite citée MV, p. 71.
— io3 —
302
rnam par dbyad pa l.idi nid kyis |
blo mchog Idan pas dri shim dan 1|
mnar dan hjam pa thams cad dag |
so sor dgag par bya ba yin |]
^tenaiva vicàrena sugandhi madhuram mrdu |
pratisedhayitavyâni sarvâny uttamabuddhinâ H 2
302. La version sanscrite citée MV, p. 71.
303
gai te gzugs mthon ba yis de |
thams cad mthon bar hgyur na ni I|
ma mthon ba yi gzugs mthon ba |
mthon ba min par cis mi hgyur |I
Tûpe drsie yatah sarvam etad drstam bhavisyati \
Tûpe'drste kuto drstam adrstam naiva jâyate 1| 3 ||
304
gzugs ni hgah shig kho na la |
mnon sum nid ni yod ma yin |I
gan phjdr de la pha roi gyi |
cha dan tchu roi dbus yod phyir |1
Tûpasya kevalasyaiva pratyaksatvam na jâyate \
kutas tasya bahirbhâgah kuto madhyam kuto'ntaram || 4
305
rdul la cha sas yod med ces |
dbyad pa der yan hjug par hgyur H
de phyir bsgrug par bya ba yis |
bsgrub bya hgrub par mi hthad do [1
€inor amso'sti nâsiîti vicâras tatra vartate \
iasmât sâdhyena sâdhyasya siddhir naivopapadyate \\ 5
— loa —
306
kun kyan yan lag tu gyur nas |
slar yan yan lag can du hgyur jj
de phyir yi ge brjod pa yan |
hdi ni yod pa ma yin no H
saruebhyo'vayavebhyo hi jâyate'vayavî punah \
uktânâm api varnânâm satteyam tan na vidyate \\ 6 ||
307
gai te mdog las dbyibs gshan na |
ji Ita bur na dbyibs hdsin hgyur \\
hon te gshan min na lus kyis |
mdog kyan ci ste mi lidsin hgyur ||
samsthânam varnato bhinnam tad varnagrahanam katham
athâbhinnam, sarîrena varnasyâgrahanam katham \\ 7 ||
308
gzugs ni blta shig ma gtogs par |
gzugs kyi rgyu ni mi snan no ||
gai te de Itar hgyur na ni |
gni ga yan ni mig nid kyis |
hdsin par ci yi phyir mi hgyur ||
dfsfo na hetû rûpasya rûpadarsanavarjitah \
saty evam ubhayam caksur eva grhnâti no katham || 8 ||
308. Remarquer la stance en cinq vers.
309
sa ni bstan shes bya bar mthon |
de yan lus kyis hdsin par hgyur ||
des na reg pa hbah shig ni |
sa ho shes ni bya bar brjod ||
bhûmir itg âgamo drstah sa sarîrena grhyate |
mrtpindasya tatah ko'pi sparso bhûmir itîritah \\ 9 !i
lOD
310
blta bya skyes pas bum pa ni |
hdi la yon tan ligah mi hgyur ||
des na blta bya nid skye Itar |
yod pahi no bohn yod ma yin H
fâiamâtre ghate drste gunah kascin na bhâsate \
evarn jâtasga drstasya satsvariipam na vidyate \\ 10 |1
311
mig ni hbyun hgyur rna de bshin |
mig gis mthon gis gshan gyis min ||
des na nés par las rnam smin |
thub pas bsam mi khyab par gsuns 11
caksur darsanaio' bhinnam câksusaiji srâvanam talhâ \
acintyatn karmano nûnam vipakam proktavân munih II 11 II
311. Dans le premier vers les versions (rouge et noire) du texte
portent sna au lieu de rna de notre texte. Je restitue rna d'après la
version du commentaire.
312
rgyen ma tchad phyir ses pa ni |
blta bahi sna roi yod ma yin H
bon te phyis na ses don med j
gsum pa byed pa don med hgyur ||
amitapratyayajhânam drstapûrvam na vidyate \
athânte inânavaiyarthyarn darsanam ca nirarthakam || 12 ||
312. La lecture gsum pa byed pa me semble incompréhensible. Je
l'interprète comme darsanam d'après la version chinoise. Est-elle
bsam pa ?
313
mig de ligros dan Idan hgyur na |
thag rin yun rin gis mthon hgyur ||
ha can ne dan ches rin du j
gzugs de gsal bar ci ste min ||
pasyec caksus cirâd dure gatimad yadi tad bhavet I
atyabhyàse ca dure ca rùpani vyaktarn na tac ca kim || 13 |[
-— io6 —
314
gai te gzugs mthoii mig ligro na |
son pas yon tan hgah yan med H
yan na blta byar hdod pa ni |
lies shes bya ba brjod par hgyur ||
gatejia na gunah kascid rûpam drslvâksi yâti cet |
draslavyam niyamenestam iti va jâyate vrthâ || 14
315
mig ma son bar lidsin na ni |
ligro ba hdi kun mthoii hgyur te ||
gaii la hgro ba yod min pa |
de la hdi med bsgrib pahn med 1|
grhnîyàd agatam caksuh pasyet sarvam idam jagat
yàsya nâsti gatis tasya nâsti dûram na câvrtam |! 15
316
dnos po kun gyi ran bshin ni |
daii por bdag la snan hgyur na ||
mig ni mig nid kyis hdsin par |
ci yi phyir na hgyur ma yin |I
svabhâvah sarvabhâvânârn pûrvam âtm^ni drsyate
grahanam caksusah kena caksusaiva na jâyate || 16
317
mig la rnam ses yod min shin |
rnam ses la yah blta med la l|
gnis gzugs la yod min na |
de dag gis gzugs ci Itar mthoii ||
caksuso'sti na vijnânam vijfiânasya na darâanam |
nbhayam nâsti rûpasya tai rûparn drsyate katham || 17
— I07 —
318
gai te smra shin sgra hgro na |
gaii gis smra ba por mi hgyur ||
hon te mi smra bar l.igro nahn j
gan gis de la ses pa bskyed ||
na vaktâ jâyate kena sabdo yâti bru van yadi j
atha yâty abruvams tasmin pratyayo jâyate katham H 18
319
gai te phrad de sgra hdsin na |
sgra yi dan po gan gis hdsin ||
sgra ni rgyad par mi hoii na |
reii bu ji Itar hdsin par hgyur ||
prâptas ced grhyate sabdas tasyâdih kena grhyate |
na caiti kevalah sabdo grhyate kevalah katham H 19 il
320
ji srid sgra thos ma gyur ba |
de yi bar du sgrar mi hgyur ||
sgra med pa yan mthar sgra nid |
hgyur na de ni mi rigs so ||
yâvan na srùyate sabdas tàvac chabdo na jâyate |
asabdasyâpi sabdatvam ante tac ca na yujyate Ij 20 ||
321
dban po rnams kyaù bral sems kyi |
son stelm ci shig byed par hgyur H
de Ita yin daii srog hdi ni |
rtag tu yid med ci ste min H
viyuktam indriyais cittam kim gatvâpi karisyati |
evam satîha jïvo'yam amanaskah sadâ na kim H 21
— io8 —
322
snar mthon ba yi don gan shig |
yid kyis smig rgyu Itar hdsin pa ||
de ni chos kun rnam gshag la j
h du ses phun po shes byaho ||
manasâ grhyate yo'rthah pûrvadrsto marïcivat |
sarvadharmavyavasthâsu sasamjnâskandhasamjnakah 1122
323
mig dan gzugs la brten nas yid |
sgyu ma bshin du skye bar l.igyur ||
gaii la yod pa nid yod de |
sgyu ma shes byar mi rigs so ||
caksuh pratïtya rûpam ca mâyâvaj jâyate manah |
vidyate yasya sadbhâvali sa màyeti na yujyate !| 23 ||
324
gan tche mkhas la sa steii na |
iio mtchar can min caii med pa ||
de tche dban rtogs de bdra la |
ya mtchan shes bya ci shig yod ||
yadâ na kincid âscaryam vidusâm vidyate bhuvi |
indriyânam gatâv evam tadâ ko nâma vismayah || 24 ||
325
mgal mehi hkhor lo sprul ba dan (
rmi lam sgyu ma chu zla dan ||
khug sna nan gi grug ca dan |
smig rgyu sprin dan srid pa mtchuns ||
rnal bbyor spyod pa bshi brgya pa las dban po dan don
dgag pa bsgom pa bstan pa ste
rab tu byed pa bcu gsum paho !|
alâtacakranirmânasvapnamâyâmbucandrakai h j
dhûmikântahpratisrutkàmarïcyabhraih samo bhavah || 25 ||
325. La version sanscrite citée MV, p. 173 et 552.
yogâcâre catubsatake indriyàrthapratisedho nâma
trayodasam prakaranam || 13 ||
log —
XIV
326
drios po gan shig gshan hgah lalin |
rag lus par ni mi hgyur na ||
de yi bdag nid hgrub bgyur na |
de ni gan nahn yod ma yin ||
âyattam yasya bhàvasya bhaven nânyasya kasyacit |
sidhyet tasyâstitâ nâma kvacit sa ca na vidyate || 1 ||
327
, gzugs nid bum shes gcig ma yin |
gzugs Idan bum gshan yod min na |I
bum pa la gzugs yod min shin |
gzugs la bum pa yod ma yin ||
rûpam eva ghato naikyam ghato nânyo'sti rûpavân |
na vidyate ghate rûpam na rùpe vidyate ghatah || 2 ||
328
gnis mtchan mi mthun mthon nas ni |
gai te dnos las bum gshan na ||
ma yin de Itar duos po yaù |
bum pa las gshan cis mi l.igyur |1
vailaksanyam dvayor drslvà bhàvâd anyo ghàto yadi
ghatâd anyo na bhâvo'pi kim evani na bhavisyati || 3 |
329
gai te gcig bum mi lidod na |
bum pahii gcig tu mi ligyur ro ||
Idan hdi mtchuns pahn ma yin pa ]
des kyan gcig tu mi hgyur ro ||
eko yadi ghato nesto ghato'py eko na jâyate
na câyani samayor yogas tenàpy eko na jâyate 1| 4 ||
lie
330
gan tche rdsas ci team gzugs na |
de tche gzugs chen ci ste min 1|
gai te phyir rgol gshan min na |
gshun lugs bsnad par bya bar hgyur ||
yâvaddravyam yadâ rûpam tadâ rûpam mahan na kim l
samayo jâyate vâcyah prativàdy aparo yadi || 5 H
331
mtchan nid kyis kyaii mtchan gshi ni |
gan du grub pa yod min pa H
der ni grans sogs tha dad par |
diios po yod pa ma yin no H
laksanenâpi laksyasya yatra siddhir na vidyate |
samkhyàdivyatirekena tatra bhâvo na vidyate || 6 Ij
332
mtchan îiid rnams dan so so ni j
min phyir bum pa gcig ma yin |1
re rebi bum pa med na ni |
mai» îïid hthad par mi l.igyur ro ||
ghatasya na bhavaty aikyam aprthaktvàd hi laksanaih f
ekaikasmin ghatâbhàve bahutvam nopapadyate. || 7 ||
333
reg Idan reg dan mi Idan dati |
Ihan cig spyor ba shes bya med ||
de phyir gzugs rnams spyor ba ni j
rnam pa kun tu rigs ma yin 1|
na hy asparsavato nâma yogah sparsavatâ saha |
rûpâdïnâm ato yogah sarvathâpi na yujyate |1 8 |l
m
334
gzugs ni bum pahi yan lag ste |
des na re shig de bum min ||
gan phyir yan lag can med pa |
des na yan lag kyaii y on min ||
ghatasyâvayavo rûpam tena tàvan na tad ghalah i
yasmâd avayavï nâsti tena nàvayavo'pi tat || 9 ||
335
gzugs rnams kun la gzugs nid ni |
mtchan nid mi mthun ma yin na i|
gcig la bum pa yod ligyur shiii |
gshan dag la min rgyu ci shig ||
sarvesâm api rûpânâm rûpatvam avilaksanam j
ekasya ghatasadbhâvo nânyesâm kim na kâranam || 10 If
336
ro sogs dag las gzugs gshan shiri |
bum las min shes khyod hdod na ||
de rnams ma gtogs ran med gan |
de gzugs las gshan ci Itar min ||
rûpam. anyad rasâdibhyo na ghatâd iti te matam |
svayam yas tair vinâ nâsti so'nanyo rûpatah katham 1| 11 ||:
337
bum pa la ni rgyu yod min j
rail nid libras bur mi ligyur te ||
de phyir gzugs sogs las gshan du |
bum pa hgah yan yod ma yin ||
ghatasya kâranam nâsti svayam kâryaip na jâyate ]
rûpâdibhyah prthak kascid ghatas tasmân na vidyate || 12 11;
1 1:».
338
bum pa rgyu las l.igrub ligyur shiii |
rgyu ni gshan las grub gyur na ||
gan la ran las grub med pa |
de yis gshan po ji Itar bskyed ||
ghatah kâranatah siddhah siddham kâranam anyatali |
siddhir yasya svato nâsti tad anyaj janayet katham || 13
339
liphrod pa l.idus par gyur kyan gzugs |
dri nid du ni mi hthad do ]|
des na bum pa bshin tchogs pa |
gcig nid du ni mi rigs so ||
samavâye'pi rûpasya gandhatvam nopapadyate |
samûhasyaikatâ tena ghaîasyeva na yujyate || 14 ||
340
ji Itar gzugs sogs ma gtogs par |
bum pa yod pa ma yin pa ||
de bshin rluù la sogs pa ni ]
ma gtogs gzugs kyan yod ma yin ||
rùpâdivyatirekena yathà kumbho na vidyate |
vâyvâdivyatirekena tathà rùparn na vidyate || 15 ||
340. La version sanscrite citée MV, p. 71.
341
tcha ba me nid du hgyur te |
tcha ba min pa ji Itar bsgreg ||
des na bud shiii shes bya ba j
yod min de med me yod min H
agnir eva bhavaty usnam anusnam dahyate katham |
nâsti tenendhanarn nâma tadrte'gnir na vidyate || 16 ||
— ii3 — . ' '
342
gai te zil mnan tcha ba yan |
de yan ci ste mer mi hgyur H
hon te mi tcha na dnos gshan |
me la yod ces byar mi run ||
abhibhûto'pi yady usnah so'py agnih kim na jâyate |
athànusnah paro'py agnau bhavo'stïti na yujyate I| 17
343
gai te rdul la sin med na |
des na sin med me yod de |1
gai te de lahii sin yod na |
gcig gi bdag can rdul yod min ||
indhanam yady anor nàsti tenàsty agnir anindhanah
anur ekàtmako nâsti syât tasyâpïndhanam yadi || 18 ||
344
dnos po gan gan yons brtag pa |
de dan de la gcig nid med ||
gan gis gcig kyaii yod min pa |
des na du ma dag kyan med ||
tasya tasyaikatà nâsti yo'yo bhàvah parïksyate
na santi tenâneke'pi yenaiko'pi na vidyate |1 19
345
gai te gsum dnos de gshan rnams |
med der gcig hdod ces hdod na ||
gan gis kun la gsum îiid yod |
des na gcig nid yod ma yin ||
bhâvâs trayo na santy anye tatraiko'stïti cen matam |
tritvam yenâsti sarvatra tenaikatvam na vidyate |I 20
8
— ii4
346
yod dan med dan yod nied dan |
yod med min shes bya bahi tchul ||
hdi ni mkhas pas gcig nid sogs |
dag la rtag tu spyan bar bya ||
sad asat sadasac ceti sadasan neti ca kramah |
esa prayojyo vidvadbhir ekatvâdisu nityasah || 21 !|
347
ji Itar rgyu la Ita fies na |
rtag pa yod ces byar hgyur na 11
de bshin tchogs la Ita fies na |
dnos po yod ces bya bar hgyur !!
yathâ kudrstito hetor nityatâ nâma jâyate \
kudrstitas tathâ skandhe hhâvatvain nâma jâyate \\ 22
348
gan la brten nas hbyun yod pa |
de na ran dban mi hgyur ro ||
hdi kun ran dban med pa ste |
des na bdag ni yod ma yin ||
pratltya sambhavo yasya sa suatantro na jâyate \
asvatantram idam sarvam tenâtmâ naivà vidyate \\ 23
349
hbras bu med par dnos po ni |
kun la hdu ba yod ma yin I|
hbras buhi don du hdu ba gaii |
de ni hphags la ma hdus paho !|
vinà kâryena bhâvesu samavâyo na vidyate \
kâryârthah samavâyo yah sa âryasyâsamanvitah II 24
— ii5
350
srid pahi sa bon rnam ses te |
yul rnams de yi spyod yul lo H
yul la bdag med mthon nas ni |
srid pahi sa bon hgag par hgyur 1|
mal hbyor spyod pa bshi brgya pa las mthar hdsin pa
dgag pa bsgom pa bstan pa ste
rab tu byed pa bcu bshi paho 1|
bhauabîjarn hi vijnânam uisayâs tasya gocarâh \
drstvà visayanairâtmyam hhavahïiam nirudhyaie \\ 25 |t
yogàcàre catuhsatake antagrâhavipratisedhayogo nâma
caturdasam prakaranam H 14 |I
XV
351
tha mar med pa skye bar hgyur |
des na med pa ga la skye ||
yod pa hdod nas skyes hgyur ba | 'i,
des.na yod pa ga la skye I|
abhâvâc ced bhaved anyas tadâbhàvah kuto bhavet \
isiam ced bhâvato janma tadâ bhâuah kuto bhavet || 1 ||
352
hbras bu yis ni rgyu bsig pa |
des na med pa skye mi hgyur ||
grub pa las grub yod ma yin |
de phyir yod pahn mi skyeho ||
hetor vinàsah kâryena tenâbhavo na jâyate \
nispannân naiva nispattir bhâvo'py evam na jâyate || 2
— ii6 —
353
de tche skye ba yod min shin |
gshan tche skye ba yod ma yin ||
de tche gshan tche mi skye na |
nam shig skye ba yod par hgyur H
iato bhâvo na hhavati nânyato'pi sa jâyate \
tato'nyato na cej j'anma tadâ janma kuto bhavet
354
de la de yi dnos po ru |
ji Itar skye ba yod min Itar II
de bshin gshan gyi diios por yan |
de la skye ba yod ma yin ||
yathâ tasyaiva bhâvasya tasmâj janma na vidyate \
bhâvasyâpi tathânyasya tasmâj janma na vidyate \\ 4
355
thog ma bar dan tha ma rnams |
skye bahi sna roi srid ma yin ||
gnis gnis dag ni med pa ru |
ci Itar re re rtcom par hgyur H
âdir madhyarn tathântas ca janmanah prân na vartate
dvayoT abhâve prârabdham ekaikam jâyate katham || 5
356
gshan gyi dnos po med par ni |
bdag gi dnos po hbyun ba med ||
de yi phyir na bdag gshan ni |
gîiis ka las hbyun yod ma yin ||
yena bhâvâd vinânyasmât svayam bhâvo na jâyate \
tena svaê ca paras ceti dvayor nûnam na sambhavah || 6
II
357
sdon dan phyis dan ci car shes |
brjod pa nid du mi nus pa ||
de phyir skye dan bum pa la |
cig car libyun ba yod ma yin ||
pùrvarn pararn ca yugapad vaktum eva na sakyate \
ghatasya janmanas càto yugapan naiva sambhavah || 7
358
sriar skyes pa yi phyir na ni |
sriar skyes rned par mi bgyur shin ||
phyi nas kun tu skyes pa yan |
phyi nas skyes par mi hgyur ro ||
pûrvasya pûrvajâtatvàl làhhah ko'pi na vidyate
pascât samjâyamâno'pi pascâjjàto na vidyate || 8 |
359
da Itar ba yi dnos po ni |
de nid las hbyun ma yin shin |I
ma lions las hbyun yod min la |
hdas pa las kyan yod ma yin [j
anâgatân na bhavati nâtltàd api jâyate |
vartamânasya hhàvasya tasmâd eva na sambhavah || 9
360
skyes pa la ni h oh pa dan |
de bshin hgag la hgro ba med |I
de Ita yin na ci Ita bur |
srid pa sgyu ma hdra ma yin I|
utpannasyâgatir nâsti niruddhasya tathâ gatih \
bhavo mâyâpratîkâsah katham evam na jâyate \\ 1
— ii8 —
361
skye dan gnas dan lijig pa rnams |
cig char hbyun ba yod min shin II
rim kyis hbyun bahn yod min na |
nam shig hbyun ba yod par hgyur H
utpâdasthitibhangànâm ugapan nâsti sambhavah |
kramasah sarnbhavo nâsti sambhavo vidyate kâda II 1 1 ||
361. Ce vers est cité dans le commentaire, HPS, p. 482, avec la pré-
face vaksyati hi.
362
skye ba la sogs thams cad la |
slar y an thams cad hbyun ba ste |i
de phyir hjig pa skye hdra shin |
gnas pa hjig dan hdra bar snan ||
utpâdâdim sarvesu punah sarvasya sambhavah \
tasmâd utpâdavad bhango drsyate hhangavat sthitih \\ 12 [[
363
mtchan dan mtchan gshi gshan she na |
mtchan gshi mi rtag nid ga las ||
yan na bshi gahn yod pa yi |
no bor gsal bar yod ma yin ||
bhinnam cel laksanâl laksyarn laksyasyântiyatâ kutah |
caturnâm api tad vyaktam satsvabhâvo na vidyate |[ 13
364
dnos po dnos las mi skye ste |
dnos po dnos med las mi skye ||
dnos med dnos med mi skye ste |
dnos med dnos las mi skyeho ||
bhâvo na jâyate bhâvâd bhâvo'bhâvàn na jâyate \
nâbhâvo jâyate' bhâvâd abhâvo bhâvato na ca \\ 14 ||
— iig —
365
dnos po dnos por mi hgyur te |
dnos med dnos por mi hgyur ro ||
dnos med dno3 med mi hgyur te |
dnos po dnos med mi hgyur ro ||
l)hàvo na jâyate bhâvo'bhâvo bhàvo na jâyate \
nâbhâvo jâyate' bhàvo bhàvo' bhàvo na jâyate H 15 ||
366
skye bshin pa yi phyed skyes phyir |
skye bshin pa ni skye mi hgyur ||
yan na thams cad skye bshin pa |
nid ni yin par thaï bar hgyur |I
jâyamànârdhajàtatvâj jâyamâno na jâyate |
atha va jâyamânatvam sarvasyaiva prasajyate || 16 H
366. La version sanscrite citée MV,p.80. Poussin remarque J
•« stance non identifiée ».
367
skye bshin pa yi bdag nid du |
bya ba skye bshin par mi hgyur H
skye bshin pa yi bdag nid du |
mi byahn skye bshin par mi hgyur ||
jâyamànasvarûpena jàyamàno na jâyate \
jàyamànàsvarûpena jàyamàno na jâyate || 17 Ij
368
gan gi gnis po bar med par [
srid pa yod pa ma yin pa H
de la skye bshin pa med de |
gan phyir de lahn bar yod phyir II
antarena vinà yasya dvayasyàsti na sambhavah |
jâyamâno na tasyâsti syât tasyâpy antaram yatah |1 18 ||
368. Le fragment du vers reconstruit d'après le commentaire :
^asya xMino' ntarem vinà madhyam vinà atïtânâgatasya dvayasya
ndsti sambhavah... HPS, p. 512.
I20
369
gan gi phyir na skye bshin pa |
hgags pa skyes pa skye hgyur ba |j
de yi phyir na skye bshin pa |
gshan yah yod pahi ho bor snah ||
jâyamânanirodhena jâta utpadyate yatah |
tato'nyasyâpi sadbhâvo jâyamânasya drèyate H 19
370
gan tche skyes pa de yi tche |
skye bshin pa la srid pa med ||
gan tche skyes pa skye bshin na |
de tche ci phyir skye bar hgyur ||
jâto yadâ tadâ nâsti jâyamânasya sambhavah |
jâta utpadyate kasmâj jâyamâno yadâ tadâ |I 20
371
skye bshin pa ni ma skyes pa |
kho na skyeho shes par grags ||
khyad par med phyir de yi tche |
bum pa med par cis^mi rtog H
ajâto jâta ity eva jâyamânah kutah kila |
bhedâbhâvâd ghato'bhâvas tadâ kim na vikalpyate [[ 21
372
skye bshin pa ni ma rdsogs kyah |
ma skyes pa las phyi roi gyur |I
de Itahh gan phyir skyes pa las |
phyi roi gyur phyir ma skyes skye H
anispanno'py ajâtât tu jâyamâno bahiskrtah |
tathàpi jâyate'jâto yato jàtâd bahiskrtah || 22
121
373
skye bshin pa snar ma byun yan |
phyi nas yod pa nin par grag ||
des kyan ma skyes pa skye ste |
ma byun shes bya skye ma yin |l
nâsït prâg jâyamâno'pi pascâc ca kila vidyate
tenâpi jâyate'jâto nâbhûto nâma jâyate || 23 I|
374
rdsogs pa yod ces byar hgyur la |
ma byas pa ni med ces brjod ||
gan gi tche na skye bshin pa |
med pa de tche gan der brjod H
jàyate'stïti nispanno nâstïty akrta ucyate |
jâyamâno yadà bhâvas tadâ ko nâma sa smrtah || 24
375
gan tche rgyu ni ma gtogs par |
hbras bu yod pa ma yin pa ||
de yi tche na hjug pa dan |
Idog pa hthad pa nid mi hgyur ||
rnal hbyor spyod pa bshi brgya pa las hdus byas don dam du
dgag pa bsgom pa bstan pa ste
rab tu byed pa bcu In a paho H
kâranavyatirekena yadà kâryarn na vidyate |
pravrttis ca nivrttis ca tadâ naivopapadyate || 25 \\
yogâcâre catuhsatake samskrtârthapratisedho nâma
pancadasam prakaranam || 15 ||
122
XVI
376
rgyu hgah shig gis ston pa yan |
ston pa min pa Ita bur snan H
rab tu byed pa thams cad kyi |
de ni so sor hgog par byed ||
kenacid hetunà sûnyam asùnyam iva drsyate |
tasya prakaranaih sarvaih pratisedho vidbïyate 11 1 ||
377
gan tche smra po brjod bya nahn \
ston pa shes byar mi run ho !|
gan gis brten nas kun hbyun ba |
de ni gsum lahn uod ma yin ||
yadâ vaktâsti vâcyam ca na sûnyam nâma yujyate \
yah pratîtyasamutpâdah sa trisv api na vidyate \\ 2 H
378
gai te ston pahi fies pa yis |
ston pa ma yin hgrub hgyur na ||
mi ston fies pas ston pa nid |
ci ste hgfub par hgyur ma yin I|
éùnyasya dosena yadàsïmyam siddham bhavisyati \
ûsûnyadosena kutah èûnyatvam naiva setsyati || 3 ||
379
gshan gyi phyogs ni bzlog pa dan |
ran gi phyogs ni bsgrub pa ste I|
gai te Sun hbyin byed phyogs cig |
gaii na sgrub byed la ois min ||
dnyapaksanisedhena svapaksah siddhimân yadi \
duste paksesvapakso'yam siddhim kim nâma nâpnuyât \\ 4
123 —
380
gai te yons su brtags pa na 1
med gan de phyogs mi hgyur na !!
des na gcig nid la sogs gsum |
kun kyan phyogs ma yin par hgyur 1|
nigrahe'sati yenâyâm pakso nâma na jâyate \
£katvâditrayam sarvam tena pakso na jâyate \\ 5 II
381
gan du mnon sum kyis bum der |
ston pahi gtan tchigs don med bgyur |1
hdi na gshan lug las byun bahi |
gtan tchigs yod min gshan du yod H
^haiah pratyaksato drstah sûnyahetur nirarthakah
...'.' ". " II61I
382
mi stoh med par ston pa ni |
gan las byuii ba nid du hgyur H
ji Ita bur na cig sos ni |
med par gner bo hbyun bar hgyur ||
aêûnyena vinâ sûnyasambhavo jâyate katham \
itarena vinâ tasya sahâyo jâyate katham || 7
383
gai te phyogs nid du hgyur na |
phyogs med phyogs kjâ iio bor hgyur
de Itar phyogs med nid med ijia |
gan shig mi mthum phyogs su hgyur H
pakse saty eva paksasyâpakso rùpaiji bhavisyati \
asaty apakse ko nâma tadvipakso bhavisyati \\ 8
124
384
gai te dnos po yod min na j
me ni tcha bar ji Itar ligyur H
tcha ba me yan yod min shes |
gan nid du ni bzlog par byas ||
bhâva eva yadâ nàsti vahnir usnah katham bhavet |
usno'gnir api nâstîti kasya nâma viparyayah \\ 9 ||
385
dnos po mthon nas dnos po ni |
med pa shes bya bzlog ligyur na ||
de Itar phyogs ni bshi char la |
fies pa spans pa gan shig mthon I|
drsfvaiva bhâvam bhâuasyâbhâvo nâma viparyayah \
duste paksatiirïyâmse prahânam yasya drsyaie \\ 10 ||
386
rdul phran la yan yod pahi dnos |
gan du med der ji Itar hbyun !|
sans rgyas rnams la med nid kyan |
de nid phyir nam hbrel paho ||
y ad anor api sadbhâvas tato'bhâvah kathaip. bhavet \
buddhânàm jâtv abhâvo'pi tasmâd eva prasajyate\\ 11 ||
387
gai te kun la gnis min na |
gshan gan shig la yod dnos yod ||
gai te khyod lahh de rigs na |
brgyal pa gshan po ci ste byed 1|
sarvasya cen na dvitîyah kasyânyah san bhavisyati \
matam ced bhavato'py etad vijito'nyo bhavet katham || 12
125
388
dnos po kun gyi dhos med la |
rnam par dbye ba mi rigs te ||
rdsas rnams kun la gan mthon ba |
de ni rnam dbyer mi hgyur ro ||
abhâve sarvabhâvânâm vibhâgo naiva yujyate |
bhâve'pi sarvabhâvânâm sa vibhâgo na jâyate \\ 13
389
med phyir gshan gyi phyogs la lan |
brjod pa min par grags na ni ||
gtaïi tchigs kyis bzlog ran phyogs kyan |
ci yi phyir na sgrub mi hgyur ||
abhâvâd anyapaksasya prativâcyo na cet kila \
mânahlnah svapakso'pi kasmât siddho na jâyate \\ 14
390
Sun hbyin byed pal.ii gtan tchigs rned |
shes hjig rten brjod na yah ||
gshan gyi phyogs la skyon brjod pa |
îlid du ci yi phyir mi nus ||
y ad dusto'dhigato hetur iti bhâsâpi lankikl \
yena doso' nyapaksasya vaktum eva na sakyate II 15 ||
391
yod ces bya ba team shig gis |
gai te de nid dhos yod na ||
med ces bya ba team shig gis |
med par yah ni cis mi hgyur 11
sannâmamâtrena yadâ bhâvah kascid bhavisyati \
abhâvah kim na bhavati so'py asannâmamâtratah \\ 16
120
392
gan phyir yod bdog ces mi gtags |
de phyir med par mi hgyur na |i
gan phyir yod ces mi byas pa |
de phyir yod par mi hgyur ro H
sadartho yan na grathitas tenâbhâvo na jâyate \
astîti yasmân na krtam tena hhâvo na jâyate \\ 17 ||
393
gai te thams cad hjig rten pas |
brjod pas hjig rten pa yod na ||
dnos gan de nid du yod pa |
de ni hjig rten par cis hgyur H
uktatvât sarvalokena loko yadi bhavisyati \
tasmâd eva hi yo bhâvah sa loko jâyate katham || 18
394
gai te dnos kun med pahi phyir j
med pa nid du gyur na ni ||
de Ita yin dan phyogs rnams kun |
dnos po med par mi rigs so ||
asattvât sarvahhâvânâm ahhâvo yadi vidyate \
tathâ ca sarvapaksesu bhâvo'san naiva yujyate || 19
395
dnos po med phyir dnos med la |
srid pa yod par mi hgyur ro ||
dnos po med par dnos po ni |
med par gan las hgrub par hgyur |1
abhâvatvâd abhâvasya bhavo'stîti na vidyate |
abhâvatvâd asan bhâva iti siddhir bhavet katham || 20
127
396
ston pa gtan tchigs las hgyur ba |
de phyir ston par mi l.igyur na ||
dam bcah gtan tchigs las gshan ni |
ma yin des na gtan tchigs med ||
éûnyam pramânato jâtam atah sûnyam na vidyate \
praiij//ânyâ na pramânàt pramânâm tan na vidyate \\ 21
397
gan phyir ston pabi dpe yod pa |
des na ston par mi hgyur na il
bya rog ji Ita de bshin du |
bdag kyan nag ces brjod nus sam I|
yasmâc chfmyasya drstântas tena éHnyarn na iâyate \
kâko yathâ tathâtmâpi krsno vaktum na sakyate || 22 \l
398
gai te ran bshin gyis dnos yod |
stoii mthon yon tan ci shig yod ||
rtogs pas mthon ba hchin ba ste |
de ni hdi ru dgag par bya ||
svabhâvatas ced bhâvo'sti sûnyadrstyâ M ko gunah
dfsio vibandho jMnena tad evâtra nirudhyate \\ 23 jl
399
gcig yod gcig med ces bya ba |
de nid min hjig rten pahn min ||
des na hdi yod hdi med ces |
brjod pa nid du nus ma yin ||
sad ekam ekarn nâmâsat tattvarn loko'pi naiva yat \
tenedarn sad asad veti vaktum eva na sakyte \\ 24 ||
iï>8 —
400
yod dan med dan yod med ces |
gan la phyogs ni yod min pa ||
de la yun ni rin po nalm |
klan ka brjod par nus ma yin |I
rnal hbyor spyod pa bshi brgya pa las slob dpon slob ma
rnam par gtan la dbab pa bstan pa ste
rab tu byed pa bcu drug paho ||
sad asat sadasac ceti yasya pakso na vidyate |
upâlambhas cirenâpi tasya vaktum na sakyate H 25 1|
400. La version sanscrite citée MV p. 16.
yogâcâre catuhsatake gurusisyavyavasthopadeso nâma
sodasam prakaranam || 16 ||
TRADUCTION
CHAPITRE VIII
LES ACCESSOIRES
176. L'amitié ne dure pas longtemps entre personnes de
nature dissemblable ; de même, l'attachement à tout ne sub-
siste pas longtemps chez une personne qui sait les défauts
de toute (chose).
177. Pour une (chose) l'un a de l'attachement ; un autre, de
l'aversion ; un autre, encore, l'ignore ; c'est pourquoi l'atta-
chement est sans valeur.
[Je traduis le mot dusyati dans le sens bouddhique;
c'est-à-dire, dvisyati. Comparer la triade de râga, dvesa et
moha en sanscrit et râga, dosa et moha en pâli. Le commen-
tateur cite sous 178 « samkalpaprabhavo râgo dveso mohas
ca kathyate ». Noter surtout l'analogie entre les Sàmkhyas
et les Bouddhistes].
178. L'attachement, etc. (aversion et ignorance) n'existent
que dans la notion (kalpanà) (pure) ; qui donc, doué d'intel-
ligence, prendra la réalité (bhùtârtha, l'essence réelle des
choses) et la notion (pure) (pour identiques) ?
179. Il n'est pas raisonnable qu'un être quelconque soit
enchaîné à un autre ; il n'est pas raisonnable non plus qu'il
y ait hbération pour un être enchaîné à un autre.
[Comme on l'a déjà expliqué dans le vers qui précède, les
causes de l'esclavage n'existent que dans la notion pure, et
non pas en réaUté; les causes étant non-réelles, leurs effets,
par conséquent, deviennent aussi non-réels. Mais, si l'on main-
tient, quand même, qu'il existe un esclavage, qui devient alors
réel, le résultat sera l'absence de salut ou d'émancipation.]
9
— i3o —
180. Dans l'esprit d'un homme de quelque mérite il ne se
produit pas le moindre doute sur l'efficacité de la doctrine de
la sûnyatâ ; mais il suffit d'un simple doute pour que l'exis-
tence du monde s'évanouisse.
[On croit, par nature, à la réalité du monde, y étant habitué
dès le début de son existence. On regarde la doctrine du vide
comme danger suprême. On ne se demande même pas s'il
y a du bon dans la doctrine ; mais quand un doute, même dans
l'intérêt de la recherche, s'est produit dans l'esprit, ce qui
présuppose une inchnation pour la doctrine, le résultat est
la destruction de l'âvarana des misères (klesa), le premier
des deux.]
181. Le sage a simplement affirmé l'accroissement (de la
foi) à l'égard de cette doctrine du vide jusqu'à l'obtention
du salut ; celui qui n'a pas foi dans (cette doctrine), n'est assu-
rément pas un homme sage.
[Si l'on a de l'inclination pour cette doctrine, celle-ci ne
suspendra pas son efficacité, tant qu'on n'aura pas atteint
le nirvana.]
182. Le vide n'est pas considéré comme vide afm qu'on
obtienne le nirvana, (mais c'est bien, en réalité, du vide) ;
parce que les Tathâgatas, en prêchant le nirvana, ne s'adres-
sent pas à celui qui est dans une doctrine erronée.
183. Quand on énonce l'existence du monde, il y a pravrtti
ou affirmation ; mais quand on énonce la vérité absolue, il
y a le sens transcendant, la négation (du monde).
[Ce vers nous fournit la classification dans deux rubriques
des paroles du maître. Selon le commentateur, la prédication
qui comporte l'individu et la généralité (svalaksana et sâmâ-
nyalaksana) se classe sous pravrtti ; mais la prédication inter-
prétant le pratîtyasamutpâda comme vide, se classe sous
nivrtti négation, ou paramârtha, la vérité absolue.]
184. On a peur quand on pense : « que ferais-je ? tout
est non-existence, non-réel », (mais) s'il y a quelque chose
à faire, cela ne vous conduit pas à la négation (nivrtti).
[La pensée de la non-réalité du monde ne doit pas faire
peur. Au contraire, s'il reste toujours quelque chose à faire,
— i3i ■■ —
ou non-açcompli, il n'y aura pas de fin. Le résultat sera le
désir de l'accomplir, désir qui conduira à la ruine.]
185. Vous éprouvez de l'attachement pour votre opinion
personnelle, vous détestez celle des autres ; vous n'obtiendrez;
pas le nirvana, parce qu'il n'y a pas de paix pour quelqu'un
qui se meut dans les oppositions.
[Les oppositions usuelles sont : existence, non-existence,
etc].
186. Il y a nirvana pour qui cesse d'agir ; il y a renaissance
pour celui qui agit ; c'est pourquoi le nirvana est facile pour
qui est sans pensée, mais non pour un autre.
187. Comment pourrait-on croire au vide, si l'on n'avait
pas le dégoût du monde? alors, quitter la transmigration serait
aussi difficile que quitter' sa propre maison.
188. Quelques-uns, opprimés par la misère, semblent cher-
cher la mort ; en ce cas, c'est par simple ignorance qu'il n'ob-
tiennent pas le séjour suprême, le nirvana.
[Il se trouve souvent que les hommes souffrent beaucoup,
et sont, par conséquent, conscients de la misère du monde.
Si les hommes dans cet état ont réellement le dégoût du
monde, et comme résultat, inclination pour la doctrine du
vide, ils pourront obtenir le nirvana ; sinon, non.]
189. On prêche la hbéralité aux humbles ; les vœux aux
esprits moyens ; le vide aux meilleurs ; c'est pourquoi il est
si souvent question du mieux (agrya = sùnya).
[La prédication du Bouddha diffère selon ses auditeurs,
qui se composent des gens ordinaires, des esprits moyens et
des meilleurs ; d'où trois sortes de doctrines. Les deux pre-
mières classes ne comprendront pas les doctrines subtiles du
sùnya. Pour eux la libéralité et les vœux préparent à l'état
supérieur. Celui qui veut fonder la science doit acquérir le mérite
qui se compose de la libéralité et des vœux. Sans ces deux con-
ditions il n'y aura pas de science et sans science pas de nir-
vana.]
190. Celui qui sait rejeter en premier lieu le péché (apunya),.
ensuite le moi et finalement toutes choses, celui-là est le sage.
[Le premier degré sur la route du nirvana consiste à éviter
l32 —
le péché ; le deuxième est la négation du moi ; et le dernier
la négation du tout. Comparer MV, pages 359-360.]
191. L'opinion fausse sur un seul objet est l'opinion fausse
sur tous ; le vide d'un seul objet est le vide de tous.
192. Les Tathâgatas ont prêché l'attachement à la loi pour
les hommes qui désirent le ciel; ailleurs ils ont prêché la réa-
lité et la réahté toute simple à ceux qui désirent le salut.
193. Un homme qui désire acquérir le mérite ne doit pas
parler de vacuité (sûnyatâ) en toute occasion ; les médica-
ments eux-mêmes, indûment mélangés, deviennent une espèce
de poison [garala], n'est-il pas vrai ?
194. Comme on ne peut faire qu'un étranger comprenne
autrement que par sa langue propre, de même on ne peut
faire que les hommes ordinaires coniprennent autrement que
par les moyens ordinaires.
[C'est seulement par les moyens ordinaires de compréhension
que les choses transcendantes peuvent être comprises. C'est
pourquoi leur emploi est permis, bien que ces moyens ordi-
naires n'existent pas au sens absolu. A ce propos, comparez
Sankara sur BS II, i, 14 ; Hastavàla 6, JRAS 1918, page 287.]
195. Existence, non-existence, existence et non-existence,
et ni existence ni non-existence, voilà ce que prêchent les
Tathâgatas. Un médicament même n'est salutaire que selon
la maladie, n'est-il pas vrai ?
[Les paroles du Bouddha contiennent des déclarations sur
les quatre alternatives possibles de l'existence et de la non-
existence, parce qu'elles ont été énoncées en diverses occa-
sions selon la capacité de ses auditeurs (vineyavasàt). Un médi-
cament, par exemple, ne peut pas être employé pour une
maladie quelconque, mais seulement pour celle à l'occasion
de laquelle les médecins le prescrivent.]
196. Si (par la science supérieure) on voit bien (la non-
réalité du monde), on obtient le séjour suprême (le nirvana);
si l'on voit la vérité partiellement, on obtient le bonheur dans
la vie future; c'est pourquoi les savants doivent fixer leur
pensée sur la méditation intérieure.
[Quand on obtient la vue juste des choses, on s'achemine
— i33 —
soit au salut, soit au ciel, etc. La science de la vérité n'est
jamais sans valeur, comme on l'explique dans le vers qui suit.]
197. Bien qu'un homme qui cherche la vérité n'obtienne
pas le salut dans cette vie, il l'obtient sans effort dans la vie
future, comme (fruit de) son acte.
[Le commentateur explique proprement les mots, tattva-
jnah et karma vat, comme tattvajnâbhiyuktah et karma-
phalavat. Comparer BG VII, 19 ; MK, XVIII, 12.]
198. L'accomplissement dans toutes les affaires est diffi-
cile par la pensée seule ; ce n'est pas à dire que le salut n'existe
pas ; mais (cela veut dire que) les hommes engagés dans la
poursuite du nirvana et ceux qui l'ont atteint sont bien rares.
[Comparer BG, VII, 3.]
199. L'attachement (du corps, etc.) ne dure pas longtemps
quand on apprend que le corps est dénué de qualités ; de même
façon détruit-on tout le reste (l'aversion, l'ignorance, etc.)
200. De même que l'on voit finir la semence, quoiqu'elle
n'ait pas de commencement, de même il n'y aura pas de nais-
sance quand les causes seront détruites.
[La semence a son passé, le commencement; mais elle
peut se détruire si, par exemple, elle est brûlée. La cause
(semence) de la naissance est le vijnâna, mais quand cette
semence est brûlée par le feu du vijnâna, il n'y aura pas de
naissance. Comparer Catuhsataka, 350 et aussi BG, IV, 37.]
CHAPITRE IX
NÉGATION DE LA PERMANENCE
201. Tout est né en vue d'un but défini ; alors, (ce qui est
né en vue d'un but) n'est pas permanent. C'est pourquoi il
n'existe pas de (vrai) Tathâgata sauf le sage, qui, seul, a
énoncé la vraie nature des choses.
[Toutes les choses appelées samskrtas ont pour but une
fonction définie ; les samskrtas sont les combinaisons pures et
simples et sont relatives aux composants comme des effets à
— 134 —
des causes. Mais, comme pour leur existence elles dépendent
des autres, elles n'ont pas une existence indépendante, et,
par conséquent, ne peuvent pas être permanentes, parce que
la permanence et l'essence réelle des choses sont des termes
toujours identiques. Le seul personnage qui énonce l'imper-
manence et la vacuité des choses est le Bouddha, et aucun
autre soi-disant prêcheur de la vérité. C'est pourquoi il n'existe
pas un vrai Tathâgata sauf le Bouddha. Le commentateur
explique la première partie en un autre sens aussi : « Tout ce
qui est né a pour but la destruction (kârya) ; c'est pourquoi
il n'est pas permanent. »]
202. Il n'y a pas d'existence, en aucun temps et en aucun
lieu, qui ne soit dépendante des conditions de sa production.
Par conséquent, il n'y a rien, en aucun temps et en aucun lieu,
qui s'appelle permanent.
203. 11 n'y a pas d'objet qui n'ait une cause ; tout ce qui a
une cause, n'est pas permanent; c'est pourquoi le sage qui
sait la vérité dit que la production (siddhi) sans cause n'est
pas une production.
[L'argument est dirigé contre la théorie des Naiyâyikas
et des Vaisesikas qui définissent la permanence (nitya) ce
qui existe (sat) et est aussi sans cause (sad akâranavan nityam.
VS, IV, I, L] Le point de vue des Bouddhistes démontre que
ce qui existe a une cause ; ce qui a une cause n'est pas perma-
nent ; et il n'y a pas d'existence sans causes et sans conditions.]
204. Si en voyant que les choses produites (krtaka) sont
impermanentes on dit que ce qui n'est pas produit est per-
manent, alors, en voyant l'existence de ce qui est produit,
admettons donc la non-existence (nâstitâ) (seule) du perma-
nent.
[Le Nyâya-Vaiseçika ne peut pas admettre cette conclusion,
parce qu'elle est dirigée contre sa propre définition du nitya,
c'est-à-dire sat et akâranavat.]
205. Les gens ordinaires imaginent que l'espace, etc., sont
permanents ; les savants, au contraire, même en tant qu'ils
participent de la connaissance mondaine (laukika), ne voient
là aucun objet réel.
— i35 —
[Ce vers combat les vues de l'école Vaibhàsika qui soutient
que l'âkâsa est permanent et le définit par l'absence de rûpa
(forme, couleur, etc.) et par l'omni-pénétration. Mais, si l'âkâsa
n'a pas de rûpa, il équivaut à la non-existence, étant en soi
une chose qui est adravyasat (non-substantialité en soi),
et, par conséquent, non-réelle (avastu). Le vers suivant com-
i)ât la vue des Yaibhâsikas, que l'âkâsa possède l'omni-péné-
tration.]
206. Ce qu'on appelle partie (pradesa) ne pénètre pas entiè-
rement le tout (pradesin) ; il s'ensuit très clairement qu'il y
a d'autres parties aussi dans le tout.
[L'âkâsa est le pradesin et ses parties sont les pradesas.
Le pradesa ne peut pas pénétrer le pradesin tout entier,
parce que, en ce cas, le pradesin et le pradeàa seraient iden-
tiques. D'ailleurs, si le pradesa ne pénètre pas le pradesin
tout entier, il ne peut pas être vibhu, omni-pénétrant, ainsi
qu'un vase ne l'est pas. On ne peut pas dire que l'âkâsa est
sans parties, et, par conséquent, permanent, car, dans ce cas,
surgit la question de savoir si l'âkâsa vient en contact avec le
vase ou non, et, dans l'affirmative, complètement ou par-
tiellement. Il ne peut être complet, car, dans ce cas, un vase
serait aussi omni-pénétrant. On conclut donc, que l'âkâsa
n'est pas éternel.]
207. La chose (bhâva), au sujet de laquelle on énonce une
affirmation ou négation, est dépendante d'une autre. C'est
pourquoi il y a un résultat (kârya).
[Selon les fragments du commentaire il semble que cette
stance combat l'existence du temps (kâla). On définit une
chose comme utilisable à l'obtention d'un but (arthakriyâ-
samartha), ou susceptible d'affirmation et de négation (pra-
vrttinivrttiyogyâ). Elle existe comme elïet, mais, étant un
effet, elle est dépendante de ses causes et conditions.
208. Sans production d'un effet, la cause ne peut pas être
appelée une cause; c'est pourquoi toutes les causes devien-
nent (identiques aux) effets.
209. Si une cause devient cause d'autre chose quand elle
comporte un changement, comment pourrait-il être raison-
— i36 —
nable qu'une chose qui comporte un changement fût perma-
nente ?
210. Si, pour quelqu'un, la cause est permanente, la non-
existence pourrait être produite de la non-existence ; cela
veut dire qu'une chose est produite d'elle-même ; pour celui-
là la cause devient sans utilité.
211. La chose naît de ce qui est permanent ; comment pour-
rait-elle être impermanente ? En effet, on ne voit jamais que
la cause et l'effet diffèrent de caractères.
212. Si une partie (d'une chose) devient cause alors que
l'autre ne le devient pas, alors les deux parties étant diffé-
rentes elles resteront à deux places différentes ; comment la
permanence pourrait-elle être raisonnable ?
[Le vers 211 réfute la similarité des caractères entre la cause
et l'effet (sâdharmya) que le Sâmkhya énonce, alors que 212
réfute leur identité (tàdâtmya). Le passage de la cause à
l'effet requiert un changement soit d'une partie, soit de la
totalité de la cause. Si c'est une partie seulement qui subit le
changement, il y aura deux parties : une qui change, et
l'autre qui ne change pas. En ce cas, les parties resteraient à des
places différentes et ne pourraient pas être permanentes. Si
la cause toute entière subit le changement, l'effet sera iden-
tique avec la cause. Comparer Sankara sur BS, II, i, 18.]
213. Une cause qui existerait en des corpuscules sphériques
ne saurait produire aucun résultat ; c'est pourquoi il n'est pas
raisonnable d'admettre que les atomes viennent en contact
les uns avec les autres.
[Selon le système du Nyayâ-Vaisesika, les causes sont
les atomes, en forme de corpuscules sphériques et très fins ;
mais l'auteur nous démontre que la formation d'un groupe
d'atomes serait impossible, parce que les atomes, étant sphé-
riques, n'ont pas de faces, et, sans les faces, pas de con-
tact. Comparer : Satkenaugapadyogâtparamànoh sadamsatà,
etc., Vasubandhu, Vimsakârikâ, 12; Prasastapàda sur VS,
page 43 ; Nyâyavârtika, IV, ii, 24; Tâtpar^atïkâ, page 458;
BC et BCP sur IX, 87 ; Sankara sur BS, II, ii, 11-17 ; Sarva-
darsanas. ; Vijnânabhiksu : Sâmkhya PB, p. 238, etc.]
- i37 -
214. La place occupée par un atome, un autre ne peut pas
désirer l'occuper, parce que la cause et l'effet ne peuvent
exister à la même place.
215. Ce qui a une face orientale, a une partie orientale,
mais si l'atome a une face, il cesse d'être un atome.
216. Si, en prenant une partie antérieure, la partie exté-
rieure est repoussée, les deux parties n'existeront pas ensemble,
et, par conséquent, il n'y aura pas de production.
217. Ce qui n'a ni commencement (âdi), ni centre, ni
fin, comment, puisqu'il n'est pas manifeste, pourrait-il être
visible ?
218. Par la production d'un effet, la cause est détruite;
la cause, par conséquent, n'est pas permanente. Mais si (on
insiste, disant qu') elle doit être appelée une cause, elle ne peut
pas donner un effet.
219. De ce qu'il n'est pas constaté comme une chose per-
manente, et, en même temps, venant en contact (samyogin)
avec une autre, les Bouddhas ne prêchent pas la permanence
de l'atome.
220. Si le nirvana diffère des moyens de délivrance d'un
homme à l'état d'esclavage, il n'est pas du tout produit;
il ne peut donc pas être appelé nirvana.
221. Dans l'état de nirvana, il n'existe pas de skandhas
(groupes) ; 11 n*y a pas naissance d'un pudgala (moi) ; le nir-
vana étant invisible, que peut bien être le nirvana ?
222. Si le nirvana consiste dans l'absence du samsara, à
quoi bon la connaissance? car l'existence de l'ignorance est
vraiment équivalente à la non-existence.
223. Si l'âme équivaut au nirvana, la science parfaite sera
le samsara ; car, en l'absence de la science, il ne pourra pas
y avoir dans le monde de culture extrême (bhâvanâ).
[Manifestement, les quatre vers précédents, obscurs en
eux-mêmes, ont été écrits pour traiter de la nature du nirvana.
Après avoir traité de la nature et de la relation de cause à effet,
il faudrait traiter de la nature du nirvana, parce que, selon
les Bouddhistes, il n'y a rien qui ne soit soumis à la
théorie de la causalité, pas même le nirvana. Comparer
— i38 —
âankara sur BS 1, i, 4, où il aborde la question de la nature
du moksa.]
224. Quand on est libre de la misère, rien ne nous est plus
hostile ou étranger (para) : c'est pourquoi la prédication
enseigne qu'il est mieux de détruire la (pensée du) moi par
tous les moyens possibles.
[Cp. BC et BCP IX, 78.]
225. Il est mieux d'avoir la science mondaine (laukika)
que d'avoir la science absolue (paramârtha) ; car il y a
(au moins) quelque chose (sur quoi fixer notre pensée) dans
la science mondaine, tandis qu'il n'y a rien de tel dans
la science absolue.
CHAPITRE X.
NÉGATION DU MOI
226. Lorsque le moi intérieur n'est ni masculin, ni fémi-
nin, ni neutre, ce n'est que par l'ignorance que vous pensez :
« Je suis un homme ».
[Les dix-huit premiers vers réfutent la théorie du moi du
système Sâmkhya et aussi quelque autres doctrines. Notre
texte étant antérieur à celui d'fsvarakrsna, je n'ai pas donné
les références fréquentes de ce texte.]
227. Lorsque tous les éléments ne sont ni féminins, ni mas-
culins, ni neutres, alors de quoi sera dépendante (la nais-
sance) du féminin, du masculin et du neutre ?
[Le vers 226 impute les caractères des sexes au moi inté-
rieur. Celui-ci les impute au moi grossier (bahirâtman ou bien
bhûtâtman) qui est le produit des cinq éléments. Les cinq
éléments n'ont pas les caractères des sexes, et, par conséquent,
leur produit (bhûtâtman) ne les aura pas.]
228. Ce qui est le moi pour vous, est non-moi pour moi ;
il n'est donc pas certain que ceci est (vraiment) un moi. On
a des notions (incertaines) des choses qui sont imperma-
nentes, n'est-il pas vrai ?
— i39 —
[Si, sur une question les deux parties diffèrent, la question
reste sans solution, et, par conséquent, affaire de convention.
Les notions d'ailleurs se basent sur les choses impermanentes,
parce que ce qui est permanent est hors de notion,' et le résultat
est que le moi, étant la base des notions, devient impermanent.]
229. A chaque (occasion de) naissance, le moi change,
comme aussi le corps. Par suite de la destruction du corps
(antérieur) le moi devient (tout à fait) un autre, et, par consé-
quent, ne peut pas être appelé permanent.
230. Il n'y aura pas de mouvement dans les choses qui n'ont
pas la tangibilité. C'est pourquoi l'âme (jïva) ne peut pas être
l'agent (kartà) du mouvement du corps.
231. Quelle est la cause du moi qui est permanent et sans
mort ? Il ne se peut jamais qu'un diamant soit mordu (mangé)
par un ver.
[Ce qui est permanent et indestructible n'a pas de cause ;
parce que tout ce qui a une cause ne peut être ni permanent
ni indestructible. Ici, on compare le moi à un diamant, et
la cause à un ver.]
232. Si vous admettez le moi comme une chose permanente
afm de prouver la continuité des souvenirs (smrtisarntàna),
pourquoi ne l'acceptez-vous pas comme une chose imperma-
nente en voyant prendre fm sa destinée (bhâgyaksaya)?
233. (Dira-t-on) le moi devient conscient (jfiâtâ) seule-
ment quand il possède les facultés de l'esprit (caitta), (nous
réphquerons) que l'esprit et les facultés de l'esprit n'existent
pas, et, par conséquent, que le moi ne reste pas permanent.
[Je fais toutes réserves sur cette interprétation qui ne me
satisfait pas. La version chinoise ne m'a donné aucune aide.]
234. On voit le moi posséder du plaisir, etc. (peine, igno-
rance) ; il est, par conséquent, différent (en chaque état de
plaisir, etc.) comme le plaisir, etc., eux-mêmes. Alors il n'est
pas raisonnable d'admettre qu'il soit permanent, puisque le
plaisir, etc., ne le sont pas.
235. Si la conscience (caitanya) est permanente, son ins-
trument (production, karana) est sans utilité. Si le feu est per-
manent, il n'y a pas besoin de bois.
— i4o —
236. La substance ne change pas jusqu'à (l'époque de sa)
destruction comme change l'action (kriyâ) ; alors, il n'est pas
raisonnable de dire que l'esprit (purusa) existe, mais pas la
conscience (caitanya).
[Le commentateur explique le vers de la façon suivante :
selon le pûrvapaksin (adversaire) l'esprit (purusa) a pour
constituant la faculté de conscience (caitanyasaktirûpah) ;
il goûte toutes les fonctions de conscience (caitanyavrty-
abhivyakter upabhoktâ). Son office consiste à jouir des objets
(visaya), ce qui est la fonction du caitanya. Il lui serait impos-
sible de jouer ce rôle s'il n'avait pas les organes (indriyas)
que l'on appelle vikâras dans le système du Sàmkhya. Mainte-
nant notre auteur demande : si la conscience est une action
(kriyâ), elle doit avoir tous les traits d'une action (kriyâ),
c'est-à-dire elle doit avoir le mouvement (calatva) et résider
dans une substance (dravyàsrayatva). Mais une substance
n'a pas le mouvement constant ; nous pouvons trouver un
arbre avec ou sans mouvement. Le moi (purusa), au contraire,
étant conscience pure et rien d'autre, est toujours dans l'état
actif. Il n'est pas possible d'admettre deux entités distinctes
comme purusa et caitanya parce que nous ne les trouvons
pas l'un à part de l'autre. Le vers suivant réfute la possibi-
lité d'une double nature du purusa, la subconscience (cai-
tanyasakti) et la conscience dans sa manifestation (caitanya-
vyakti). (Voir Commentaire HPS, p. 488.)
237. Si l'on admet la subconscience (cetanâdhàtu) diffé-
rente (anyatra =^ prthaktvena, com.) de la conscience, il
s'ensuit que, comme le fer quand on le fond, le moi (purusa)
change.
[Le résultat serait Timpermanence du moi.]
238. Si (l'on dit que) la conscience ne réside que dans l'es-
prit (manas), lorsque le moi est grand (mahân) (omni-péné-
trant) comme l'espace (âkàsa), on arrivera à cette conclusion
(inacceptable) que la non-conscience est le caractère du moi.
[Selon le pûrvapaksin, le purusa est,comme l'espace, tout
pénétrant, lorsque la conscience est l'attribut de l'esprit
(manas) qui est atomique.]
— i4i —
239. Si le moi est omni-présent, comment, pour lui, l'autre
ne devient-il pas lui-même ? Il n'est pas raisonnable qu'une
chose soit obscurcie par elle-même.
[L'auteur discute ici la question de l'omni-présence du moi.
Si l'âme de tout individu était omni-présente, il ne pourrait pas
faire une distinction entre ce qui est à lui et ce qui est aux
autres, occupant lui-même tout l'espace. On dira peut-être
qu'une âme est obscurcie par une autre, et, par conséquent,
il y aura la distinction entre le sien et le mien, mais ceci non
plus n'est pas soutenable, parce que les deux âmes étant omni-
présentes ne peuvent pas s'obscurcir l'une l'autre.]
240. Il n'y aura aucune différence entre les fous (d'un
côté) et ceux (de l'autre) qui soutiennent que les humeurs
(gunas : sattva, rajas et tamas)sont les agents, mais (en même
temps) sont inconscientes.
[Il est surprenant de remarquer que, dans la réfutation du
système Sârnkhya, on ne mentionne pas le mot prakrti.
Mais, comme le commentateur l'a déjà remarqué, la prakrti
du Sârnkhya n'est rien d'autre que la combinaison dans l'état
d'équilibre des trois humeurs, qui sont les agents de la création,
et, en même temps, inconscientes.]
241. Les humeurs (gunas) savent, de toutes les façons
possibles, bâtir les maisons, etc., mais ne savent pas en jouir.
Quoi de plus déraisonnable que ceci ?
[La prakrti du Sârnkhya n'est qu'agent (kartrï) ; c'est le
purusa qui est le bhoktà.j
242. Ce qui possède l'action (kriyàvân) n'est pas perma-
nent ; l'action n'existe pas dans ce qui est omni-présent ; (un
objet) sans action est égal à non-existence ; pourquoi alors
n'avez-vous pas d'inclination pour (la doctrine de) la négation
du moi ?
243. Les uns voient le moi omni-présent ; d'autres le consi*
dèrentde la grandeur du corps ; d'autres encore le considèrent
de grandeur atomique ; mais le savant le voit non-existant.
(Ici, on mentionne la grandeur du moi selon les systèmes
des Sâmkhyas, des Jainas, des Vedântistes (anciens ?) et des
Bouddhistes.]
lll2
244: Ce qui est permanent a de la douleur ; ce qui est libre
de la douleur a le salut; alors il n'est pas raisonnable que le
moi, qui est permanent, ait le salut.
245. S'il y a, en réalité, un moi, il n'est pas raisonnable de
cultiver la pensée du non-moi ; et, par conséquent, en vertu
de tous les arguments valides, le nirvana, pour lui, est sans
utilité.
[Ce vers réfute les vues de ceux des Bouddhistes qui sou-
tiennent une espèce de moi, mais, en même temps, admet-
tent qu'on cultive là pensée du non-moi. |
246. Si le nirvana n'existe pas en réalité, ce qui le précède
(samsara) n'existe pas non plus, car la seule existence que l'on
affirme, c'est celle qui peut être vue dans le (monde) humain.
[Si le nirvana est non-existence, le sarnsâra aussi sera non-
existence ; on affirme l'existence ou la non-existence d'une
chose qu'on peut voir dans le monde. On ne peut pas carac-
tériser le fils d'une femme stérile, comme existence ou non-
existence.]
247. Si l'impermanence est détruite, comment les herbes,
etc., pourront-elles être nées ? Si celle-ci (anitya) est existence
(sat), l'ignorance (avidyà) même ne peut pas être née.
[I.e vers est obscur : mais mon interprétation s'accorde avec
la traduction chinoise.]
248. Quand le moi existe, la forme, etc., sont reconnues
produites d'autre chose ; c'est en voyant l'existence d'une
chose, que l'on voit la destruction d'une autre.
[C'est pourquoi les Bouddhistes insistent sur la négation
du moi. Comparer BC, IX, 78 et le Commentaire, BCP.]
249. De même que la pousse artificielle est produite d'une
semence artificielle, de même toute impermanence est pro-
duite des choses impermanentes.
250. Il n'y a pas de destruction parce que l'on affirme (l'exis-
tence) d'une chose. Il ne peut pas y avoir de permanence parce
que l'on nie (cette existence).
— 143 —
CHAPITRE XI
NÉGATION DU TEMPS
251. Le vase à venir ne peut pas être celui du présent, celui
du passé n'existe pas ; et, comme tous deux sont non-venus,
celui qui est à venir n'existe pas.
[On examine ici la nature du temps : le présent, le passé,
l'avenir. La méthode employée pour la réfutation du temps
est celle de Nâgârjuna. Comparer MK, XIX.]
252. S'il y a, dans l'avenir, la nature propre (svabhâva)
de l'a venir qui n'existe pas encore, comment l'a venir qui
n'existe pas en soi, pourrait-il être passé ?
253. Autant qu'une chose à venir reste non-venue en soi,
la chose présente ne peut pas devenir l'a venir.
254. L'a venir existe, le passé existe, le présent existe;
qu'est-ce alors qui n'existe pas ? Ce qui a l'existence pour
toujours, comment pourrait-il être impermanent ?
255. Le passé est né du passé; comment pourrait-il être
passé ? Si, au contraire, le non-passé (anatîta, présent ou
avenir) est né du passé, comment pourrait-il être passé ?
256. Si l'a venir est né, pourquoi n'est-il pas présent ?
Si, au contraire, il (l'a venir) n'est jamais né, est-ce qu'il est
toujours non-venu ?
257. Si l'a venir, même sans naissance, est impermanent,
à cause de sa destruction (en devenant présent), alors il n'y
a pas de destruction du passé ; pourquoi ne le prend-on pas
comme permanent ?
258. Ce présent-ci (qui existe actuellement) ne peut pas être
impermanent; de même, le passé (qui n'existe pas actuel-
lement) ; il n'y a pas toutefois une alternative pour ceci autre
que les deux (envisagées).
[La chose qu'on appelle présente ne peut pas être imper-
manente parce qu'elle existe actuellement dans sa propre na-
ture. Ce qui est impermanent ne peut pas être présent, parce
— ikk —
que l'existence et la non-existence ne se trouvent pas ensemble.
Le passé non plus ne peut pas être impermanent, parce qu'il
est déjà détruit une fois. Il n'est pas raisonnable de détruire
une chose qui est déjà détruite. Quand les choses nées et dé-
truites ne sont pas impermanentes, il n'est pas raisonnable
non plus que le futur, qui est non-venu, et, par conséquent,
sans naissance, soit impermanent. Commentaire, HPS
p. 491.]
259. Si une chose, qui est née après, existait déjà, l'opinion
de ceux qui soutiennent la fatalité (niyati) ne sera pas fausse.
[Les Niyativàdins sont peut-être les Lokâyatikas ou Câr-
vâkas qui soutiennent que l'univers est sans cause, sans agent
actif (purusakâra) et a sa nature fixe. Le commentateur nous
dit que ceci est en pleine contradiction avec le pratïtyasa-
mutpâda, et, par conséquent, pas acceptable. Si l'on insiste
affirmant que l'a venir existe, on doit alors admettre les vues
des Niyativàdins comme correctes elles aussi.]
260. Il n'est pas raisonnable d'admettre qu'une chose, que
Ton va produire, existait déjà. S'il y a naissance de ce qui
existe, il y aura naissance de ce qui est déjà produit.
[Comparer MV, p. 13 ; MA, VI, 8.]
261. Si l'on voit une chose à venir, pourquoi ne voit-on pas
la non-existence ? A qui l'a venir existe, rien ne saurait être
loin.
[Selon les adversaires d'Âryadeva, les yogins voient les
choses à venir, mais, si les yogins voient des choses qui n'exis-
tent pas, ils pourront aussi voir des choses telles que le fils
d'une femme stérile ou bien les cornes du lièvre. Voir com-
mentaire HPS, p. 492.]
262. Si le mérite (dharma) existe déjà indépendamment
des actions humaines, la pratique d'abstinence (niyama) est
inutile. Si (l'on dit qu') on doit pourtant la pratiquer à quelque
degré, la théorie de l'existence d'un effet ne peut être vraie.
[Si l'a venir existe, le mérite de l'a venir existe aussi. On
n'a pas alors besoin de pratiquer les cinq ou dix absti-
nences. On dira que l'on doit les pratiquer à quelque degré
quand même. Alors, la théorie du Satkârya tombe.]
— i/|5 —
263. Gomment, pour l'adversaire, la production aurait-elle
existence (sat) quand elle-même (étant une production) est
impermanente ? On veut dire que l'univers (loka) qui a com-
mencement et fin est impermanent.]
[Tout le monde accepte que ce qui est la production est
impermanent ; la production a commencement et fin, et, pour
ce motif, elle est impermanente. La juxtaposition de Sat et
Kârya est, pour cette raison, en pleine contradiction.]
264. Si l'on peut obtenir le nirvana sans efforts, celui-ci
(nirvana) ne saurait être à venir; ceci admis, il y aura un
attaché (rakta) même quand il n'y a pas d'attachement (râga).
265. Pour qui soutient l'existence (perpétuelle) des pro-
duits (dans leurs causes) (satkàrya) et pour qui soutient la
non-existence des produits (dans leurs causes), décorer des
colonnes, etc., dans sa maison, est sans utilité.
[Pour le Satkâryavâdin (Sàmkhya), la décoration doit être
déjà existante, et pour l'asatkàryavâdin (Naiyâyika) elle ne
serait jamais faite.]
266. On ne peut pas comprendre, même dans l'esprit,
(la nature) des choses qui changent (à chaque moment) ;
c'est pourquoi les gens ordinaires (avicaksanàh : les gens qui
n'ont pas d'esprit critique, — ou ne sont pas savants) ima-
ginent que le présent existe.
Il est difficile de comprendre la vraie nature des choses,
parce qu'elles changent à chaque minute. On attribue la per-
manence à ce qu'on voit actuellement.]
267. Selon les uns, une chose est non-stable à cause de son
impermanence; selon les autres, elle est stable, mais si la
chose est avant tout stable, elle ne peut pas être une autre
(non-stable).
268. De même qu'une seule perception (vijnâna) ne peut
pas comprendre une paire d'objets, de même un seul objet
ne peut pas comprendre une paire de perceptions.
[On ne peut pas percevoir deux choses en même temps ; de
même on ne peut pas comprendre deux attributs (bhàva-
abhàva, sthira-asthira, nitya-anitya, etc.) d'un seul objet.]
269. Si l'on dit que le temps est stable (sthira) on réplique
10
— i46 —
que ce qui est stable ne peut pas s'interpréter comme temps ;
s'il est non-stable, comment durerait-il ? Enfin, étant non-
existant, il n'est pas réel.
270. Si (l'on objecte qu') il y a des choses impermanentes,
(nous répliquerons que) ce qui est une chose (bhâva) ne peut
pas être impermanent. Si une chose est impermanente, com-
ment pourrait-elle rester une chose ?
[Il n'est pas possible de postuler qu'il y a des choses per-
manentes et aussi impermanentes, parce que les termes bhâva
et abhàvâ sont contradictoires, et, par conséquent, ne peuvent
pas coïncider.]
271. Si (l'on objecte que) dans une chose l'impermanence
est faible (lorsque la permanence est forte), (nous répHque-
rons que) ce qui est faible ne peut pas être sat. La faiblesse
restera certainement; pour quelle raison pense-t-on qu'elle
partira après ?
272. Quand il y a impermanence, même faible, dans toutes
les choses, il y reste existence et aussi non-existence ; alors
tout devient impermanence.
273. S'il existe impermanence dans la permanence, la per-
manence ne peut pas être existence (sattâ) et quand (la por-
tion) de permanence est épuisée; il ne reste que l'imperma-
nence.
274. Quand il reste dans les choses l'existence avec l'im-
permanence, l'impermanence devient fausse, l'existence aussi
devient fausse.
275. Si une chose, vue dans l'esprit, ne disparaît pas ensuite,
le souvenir devient faux, et la chose aussi devient fausse.
CHAPITRE XII
NÉGATION DES DOCTRINES DIVERSES
276. Le Spectateur, l'intelligent, le maître des objets des
sens, l'auditeur et l'observateur, voilà comment on l'appelle ;
ce sont les attributs de celui qui parle, mais ni d'un auditeur,
ni d'un autre.
•- 1/17 -
[Les attributs, sâksi, etc., sont les attributs du moi qui
parle. On ne nie pas l'existence des attributs et de celui qui
les possède. Selon le Bouddhiste, pourtant, ils existent seu-
lement au sens relatif, mais non au sens absolu.]
277. On énonce le samsara (la transmigration), les causes
du samsara aussi bien que le nirvana (le salut, siva) et les
moyens d'obtenir le nirvana. On trouve chez le sage (Boud-
dha) tout ce que le monde ne connaît pas parfaitement.
[Les autres prêcheurs sont inférieurs au Bouddha, qui,
seul, connaît la vérité du samsara et du nirvana. ]
278. Tous les hérétiques admettent que l'on obtient le nir-
vana par le complet détachement ; alors il n'y a aucune cause,
pour eux, de mécontentement (vaimukhya), si l'on expose
tous leurs défauts.
[Selon chaque doctrine philosophique, on obtient le salut
en s'abstenant de tout jugement (sarvakalpanâ), ce que notre
auteur a pour but en exposant les défauts des autres systèmes
philosophiques ; il faut alors combattre les vues adverses sans
les haïr. Comparer Sankara sur BS, II, 1.]
279. Comment pourrait-il pratiquer le détachement s'il
ne savait pas les moyens du détachement ? C'est pourquoi
le sage a énoncé qu'il n'y a assurément rien de bon (sivam)
dans les autres doctrines.
[Les autres philosophes n'admettent que le principe de
détachement pour obtenir le nirvana ; mais ils n'ont pas indi-
qué les moyens. C'est le défaut principal des autres systèm.es.
Les moyens que notre auteur énonce, sont la pensée du vide
dans les caractères des objets (sarvadharmasvabhâva-
sûnyatâ) ; anyatra veut dire : anyavâdesu.]
280. Celui qui doute des paroles du Bouddha non directe-
ment perceptibles, doit croire à cette doctrine du vide.
[Il y a des choses qui sont perceptibles par les sens ; d'autres,
perceptibles par l'argumentation ; d'autres encore en dehors
de ces deux catégories, par exemple, les paroles d'une per-
sonne véridique. Pour la doctrine du vide, les trois moyens
sont également possibles.' Or, si l'on ne croit pas aux paroles
du Bouddha, on peut mettre son recours soit dans le raison-
nement, soit dans la perception directe ; mais, comme la per>-
— i48 —
ception directe est impossible dans le cas du vide, on emploie
les deux autres moyens.]
281. Celui qui voit mal (durdrsta) (en quoi consiste) cet
univers, voit mal aussi l'autre chose (la doctrine subtile du
vide, etc.) ; ses sectateurs seront pour longtemps déçus.
[Les autres systèmes philosophiques, selon notre auteur,
ne comprennent pas en quoi consiste véritablement ce monde ;
ils ne sauraient comprendre les problèmes métaphysiques,
beaucoup plus subtils que les problèmes de ce monde. Il
ne faut donc pas suivre leurs doctrines qui sont fausses, et,
par conséquent, dangereuses.]
282. Ceux qui obtiennent le nirvana par eux-mêmes (c'est-à-
dire sans aide d'autrui, sans guru), pratiquent un chemin
très difficile ; or, l'esprit vulgaire (l'esprit d'un homme qui
subsiste dans le moi et le mien — ahanikàramamakâravyava-
sthita) n'ose pas suivre un pareil guide.
[Pour obtenir le nirvana, les conseils d'un ami bienfaisant
(kalyànamitra) servent beaucoup. Le véritable ami est le
Bouddha, et non les autres soi-disant prêcheurs. C'est pour-
quoi il faut suivre ses conseils.]
283. La peur ne fait pas un pas (littéralement : ne commence
point) (dans un esprit) tant que la doctrine du vide n'est
point vue ; elle disparaît complètement aussitôt que (la doc-
trine est) vue ; de là, assurément, la peur (dans l'esprit) qui
ne sait qu'un peu (de la doctrine du vide).
284. Les gens du commun (bàla) ont l'habitude de la doc-
trine d'affirmation (pravartaka dharma) et de rien autre.
Faute d'habitude, ils ont peur de la doctrine de négation
(nivartaka).
285. Celui qui, étant plongé dans quelque égarement (moha)
ferait obstacle à (la réalisation de) la vérité (tattva) n'obtien-
drait rien de bon (kalyâna) ; alors, il ne serait pas question
de salut.
286. Mieux vaut manquer à ses vœux (sïla) assurément,
qu'à la doctrine (drsti) ; on obtient, par les vœux, le ciel,
mais par la doctrine, le séjour suprêîtie.
[Le commentateur cite les paroles des sûtras « varam sîla-
vipanno na tu drstivipannah) et explique que la différence est
— i49 —
très grande entre manquer aux vœux et manquer à la doc-
trine. Si, par exemple, on ne pratique pas les abstinences, on
ne peut pas obtenir le ciel, et l'on risque de naître dans une
condition inférieure. D'autre part, si l'on manque à la doc-
trine, on n'obtiendra pas le nirvana. Ce qu'on désire à tout
prix, c'est le nirvana et on doit surmonter tout obstacle au
nirvana.
287. Pour un homme non-cultivé (asan) la doctrine du moi
(ahamkâra) vaut mieux que la doctrine de non-substantialité
du moi (nairâtmya), car dans un cas, (pour qui suit la doctrine
du moi) on va seulement loin de son but, et dans l'autre
(pour qui accepte la doctrine du vide) on obtient le nirvana
(siva).
[Stance interprétée d'après le commentaire et la version
tibétaine. Le mot asan veut dire un homme qui admet de
fausses doctrines du moi et qui est loin de la doctrine, niant
la substantialité du moi ; netara veut dire utrstka, c'est-à-
dire supérieur. Quoique cette interprétation soit loin d'être
naturelle, une autre serait injustifiable.]
288. Sans seconde, porte du siva, (nirvana) terreur des doc-
trines fausses, domaine (sujet) de tous les Bouddhas ; voilà
comment qualifier la doctrine de non-substantialité du moi
(nairâtmya).
[Comme le commentateur l'explique, il y a deux espèces
de nairâtmya : le dharmanairâtmya et le pudgalanair-
àtmya. Le pudgala résulte de la réunion de cinq agrégats ; et
le dharma, ce sont les choses dans leurs éléments (dhâtu).
Tous les deux étant dépendants de leurs causes et conditions,
et n'existant que dans la notion de réunion, ils n'ont pas une
existence indépendante, et, par conséquent, n'ont pas de
nature propre. Cette notion de l'absence de nature propre est
le nairâtmya. Sarvahuddhânâm désigne les trois espèces des
Bouddhas : les srâvakas, les pratyekabuddhas et les anuttara-
samyaksambuddhas. Commentaire, HPS, p. 497-8.]
289. Le nom même de cette doctrine (du nairâtmya) ferait
peur à un homme non cultivé (asan = avidvân). Ce qui est
puissant ne fait-il pas peur, dès qu'ils le voient, — aux
êtres faibles ?
- — i5o —
290. Les Tathâgatas n'ont pas énoncé cette doctrine pour
combattre les autres (doctrines). Celle-ci, pourtant, brûle les
autres comme le feu brûle le bois.
291. Celui qui a bien compris cette doctrine, ne serait pas
agréable à son adversaire ; car celui-ci (l'adversaire) voit dans
cette doctrine comme la porte de sa chute.
292. Or, quand on admet, en principe (en réalité), la pensée
de la non-substantialité du moi, qui aura de la joie (en pen-
sant) à l'existence ? et qui aura peur par la notion de la non-
existence ?
293. En voyant les hérétiques divers et en grand nombre,
semence du danger, qui n'aura pas de compassion pour la
foule désireuse de la (bonne) loi ?
294. Le Sâkya a appris la loi par l'esprit ; le Nu (Mahâvïra)
l'a apprise par l'œil ; le Brahmane l'a apprise par l'oreille
(sruti, ou par les Vedas) ; c'est pourquoi (la loi) énoncée par le
sage (Bouddha) est la bonne (siva).
295. De même que la loi des Brahmanes, (dit-on) a beau-
coup de ritualisme (kriyaprâya), de même, la loi des Jainas
(nirgrantha) (dit-on) a beaucoup de stupidité (jaçlaprâj^a).
296. De même que le Brahmane place sa dévotion (bhakti)
à apprendre par cœur le Vedas), de même le Jaina (nirgrantha)
fait consister la sienne à accepter les misères (klesa),
297. De même qu'il ne se produit aucun mérite (dharma)
par la maturation parfaite des actions et des misères [Jainas]
de même il ne se produit aucun mérite par la maturation par-
faite des actions et des renaissances successives [Brahmanes].
298. Les Tathâgatas décrivent en bref leur loi comme ne
consistant qu'en non-destruction (ahimsâ) et leur nirvana
comme n'étant que vacuité. Ici (dans le Bouddhisme), il n'y
a que ces deux (règles).
299. A tout le monde plaît sa propre thèse comme la terre
natale, d'où la peine que vous cause sa négation.
300. Un homme de pensée (sincère) cherche et accepte les
opinions bien fondées, même d'un ennemi. Le disque du soleil
appartient en commun à tout homme doué de la vue, n'est-il
pas vrai ?
— i5i
CHAPITRE XIII
NEGATION DU DOMAINE DES ORGANES
301. Quand on voit la couleur (rùpa) tout vase devient
non-vu (invisible) ; qui donc alors, connaissant la vérité,
pourrait dire que le vase est perceptible directement (pra-
tyaksa) ?
[Dans l'opération de nos yeux, nous ne voyons que la cou-
leur du vase ; si l'on ne voit pas la couleur, on ne peut pas voir
le vase. Alors, il n'est pas correct de dire que l'on voit le vase ;
c'est la couleur qui est l'objet du pratyaksa.]
302. Par le même raisonnement, le savant d'intelligence
suprême doit rejeter toutes les substances, par exemple :
odorantes (sugandhi), douces (madhura), molles (mrdu).
[Voir MV, p. 70-71 ; Catuhsataka, 340.]
303. Puisque tout ceci serait vu quand la couleur est vue,
pourquoi alors ce qui est vu ne devient-il pas non-vu, quand
la couleur n'est pas vue?
304. La couleur toute seule ne devient pas perceptible
(par les yeux) ; comment pourrait-elle avoir une partie exté-
rieure, une partie centrale et une partie intérieure ?
[De même que le vase en lui-même ne peut pas être objet
de pratyaksa, de même la couleur toute seule ne le serait pas ;
c'est-à-dire : l'un dépend de l'autre pour être visible. Alors
la couleur, n'ayant pas une existence indépendante du vase,
ne pourrait pas avoir de parties.]
305. On discute encore si l'atome a des parties ou non. Alors
il n'est pas du tout raisonnable d'arriver à la preuve d'une
chose à prouver au moyen de ce qui est à prouver (cercle vi-
cieux).
[Toutes les stances précédentes et aussi les suivantes com-
battent les doctrines des Vaisesikas sur les catégories des
dravya, guna, etc.. Les Vaisesikas admettent dravya, guna, etc
l52 —
comme catégories différentes et indépendantes. Comme il
est dit plus haut, il est impossible d'admettre leur existence
indépendante, et, par conséquent, leur existence elle-même en
réalité; car, comme dit Nâgârjuna (MK, II, 21), il n'est pas
possible d'admettre l'existence des choses que l'on n'a pas
prouvé être identiques (ekïbhâva) ou non-identiques, séparées
(nânâbhâva). Selon le Vaisesika, l'atome est sans parties,
c'est-à-dire ce que le Bouddhiste n'admet pas. Ce fait, alors,
n'étant pas encore prouvé à la satisfaction de l'adversaire, est
inutile à citer comme preuve.]
306. Comme un composé (avayavin) est constitué par toutes
ses parties (avayavas), la thèse que les mots (varna) prononcés
existent, n'est pas admissible.
[Une phrase se compose de plusieurs sons et de plusieurs
mots, selon les Vaisesikas. Comme les sons sont impermanents,
le premier son n'existe pas au temps du dernier. Alors, le résul-
tat est que l'existence d'une phrase toute entière n'est pas
admissible.]
307. Si le corps (samsthàna=âkrti) était différent de sa cou-
leur (varna), comment pourrait-on comprendre la couleur ?
Si, au contraire, la couleur est non-différente (identique)
pourquoi, par (la compréhension du) corps (sarïra), ne com-
prend-t-on pas la couleur ?
308. On n'a jamais vu la cause de la couleur (rûpa) à part
de la vision de la couleur. Cela étant ainsi, pourquoi l'œil tout
seul ne les saisit-il pas tous les deux (la couleur et le vase) ?
309. Les livrés (âgama) expliquent le terme « terre »; le
corps le comprend par le toucher. Alors le toucher quelconque
d'une boule de terre est appelé « terre ».
[L'auteur exphque, par exemple, comment il ne faut pas
distinguer les attributs des substances. On emploie très sou-
vent les substances et les attributs comme termes syno-
nymes.]
310. On ne perçoit aucun attribut dans le vase vu aussitôt
que né (produit) ; de même, il n'existe aucun caractère, propre
et réel, dans une chose vue et née.
[Selon les Vaibhâsikas, toute production reste sans attribut
— i53 — .
pour un moment (utpannam dravyam ksanam agunam
tisthati). Par l'extension du même raisonnement, notre auteur
conclut qu'il n'y a aucun caractère réel dans les choses, que les
choses sont non-substantielles.]
311. La connaissance visuelle (càksusa) ne diffère pas de
l'œil et de la vision. De même pour la connaissance auditive ;
c'est pourquoi le sage a énoncé que la maturation parfaite des
actions est vraiment inimaginable (acintya).
[La cause et l'effet sont tout à fait différents dans chaque
cas ; mais ici, la connaissance visuelle n'est pas différente de
ses constituants ; c'est pourquoi le résultat est considéré
comme inimaginable.]
312. On n'a jamais obtenu la connaissance des conditions
(pratyaya) en nombre indéfini; il s'ensuit donc que la con-
naissance est inutile, et aussi la science.
[Interprétation et reconstitution en sanscrit conjectu-
rales.]
313. Si l'œil se meut (gatimat) il peut, moyennant un cer-
tain temps (cirât), voir un objet lointain ; il peut aussi voir un
objet très proche et l'objet lointain, la forme (rûpa) des deux
étant claire, n'est-il pas vrai ?
[L'auteur aborde ici la question du fonctionnement de l'œil.
Selon le Vaisesika, l'œil voit quand il saisit un objet (prâpya-
kâri caksuh) ; mais, pour cela, l'œil doit être doué de mou-
vement (gati). Un organe doué de mouvement prend quelque
temps pour atteindre son but ; il ne serait pas possible de voir
la lune et les étoiles lointaines dès que l'œil s'ouvre ; d'autre
part, l'œil ne voit pas un objet, tel qu'un collyre (anjana-
salâkâ) qui est très près. La théorie que l'œil voit un objet
en allant à lui est alors fausse. La stance suivante examine
si l'œil va à l'objet après l'avoir vu ou sans cela.]
314. Il n'y a aucun avantage à se mouvoir si l'œil va à
l'objet après l'avoir vu (car alors il est inutile d'y aller) ; si,
au contraire, l'œil y va sans avoir vu l'objet, il est inutile
(il n'est pas raisonnable) d'admettre que l'œil voit nettement
l'objet à voir. (Ainsi, un aveugle ne peut pas espérer voir.)
315. Si (l'on dit que) l'œil aperçoit l'objet sans y aller, il
— i54 —
peut voir tout cet univers, car pour celui qui n'est pas doué
de mouvement, rien n'est lointain, rien n'est caché (âvrta).
[Comparer MK, III on le pûrvapaksin est de l'école Abhi-
dharma.]
316. La première chose que l'on voit, c'est la nature propre
de toutes les choses en elles-mêmes ; pourquoi donc l'œil lui-
même n'aperçoit-il pas l'œil ?
317. L'œil n'a pas de conscience ; la conscience n'a pas de
vision; la forme (rûpa) n'a ni l'une ni l'autre; comment ces
trois facteurs (l'œil, la conscience et la vision) peuvent-ils
voir la forme ?
318. Si le son (sabda) va (à l'oreille) en parlant, pourquoi ne
serait-il pas l'orateur lui-même ? Si, d'autre part, il va sans
parler, pourquoi y a-t-il la persuasion (pratyaya) que le son
du vent, par exemple, marche ?
319. Si (l'on dit que) l'on comprend le son quand il est
arrivé à l'oreille, (on demande) qui comprend son commence-
ment (âdi) ? vSi le son tout seul (sans les parties précédentes et
les parties suivantes) ne marche pas, comment pourrait-on
comprendre le son tout seul ?
320. Tant que le son n'est pas entendu, il ne peut pas être
appelé le son (sabda) ; car, (si, malgré cela, on l'appelle son)
le non-son lui-même (en dernière analyse) deviendrait le son,
ce qui n'est pas raisonnable.
321. L'esprit (citta) sans organes, que ferait-il, même s'il
saisissait (l'objet)? Admis (sans organes), le vivant (jïva)
serait toujours sans pensée (manas) ; n'est-il pas vrai ?
[Après avoir nié le fonctionnement des yeux, etc., l'auteur
nous montre que l'esprit aussi est incapable de saisir l'objet,
et par conséquent, n'existe pas. Si c'est l'esprit qui comprend
les objets, la question se pose de savoir si c'est l'esprit avec ou
sans organes. Il n'est pas possible de maintenir que l'esprit avec
les organes va saisir les objets, car, dans ce cas, le corps, qui
est le siège des organes, resterait sans organes. Si c'est l'esprit
tout seul, il faut qu'il comprenne la couleur, l'odeur, etc., ce
qui est impossible. Un aveugle, par exemple, possède l'esprit,
■et pourtant, il est mcapable de comprendre la couleur.]
— i55 —
322. Dans l'ordre de compréhension de toutes choses, un
objet (comparable à un objet) vu dans le passé, est saisi par
l'esprit comme (la notion de l'eau dans) le mirage ; c'est cette
(compréhension) qui reçoit le nom de perception complexe
(samjnâskandha.)
323. Dépendant de l'œil et de la forme (où de la couleur :
rûpa), la pensée (manas) se produit comme une illusion. Ce
qui existe réellement, ne peut pas proprement être dit une
illusion (mâyâ).
324. Quand pour les savants (qui connaissent la non-substan-
tialité du monde) il n'y a rien d'étonnant sur terre, quel éton-
nement donc auront-ils quant à la nature propre des organes ?
325. La création (bhava= samsara) est comparable à la rota-
tion du brandon (alàtacakra), la magie (nirmâna), le rêve,
l'illusion, le reflet de la lune dans l'eau (ambu-candraka), le
brouillard (dhûmikâ) l'écho dans l'intérieur (des montagnes),
le mirage, le nuage.
[Comparer MK. VII, 34.]
CHAPITRE XIV
NÉGATION DES EXTREMES
326. On peut prouver l'existence d'une chose quelconque
si cette chose ne dépend pas d'une autre quelconque ; mais
celle-ci (c'est-à-dire une chose indépendante) n'existe nulle
part.
[Selon le Bouddhiste, toutes les choses sont pratïtya-
samutpanna, c'est-à-dire leur existence dépend des autres;
elles sont donc conditionnelles, et leur existence n'est que
relative. N'ayant pas une existence indépendante, elles n'ont
pas de nature propre, et, par conséquent, il ne serait pas rai-
sonnable d'admettre leur existence (astitâ).
327. Si (l'on dit que) le vase n'est que la couleur, (on réplique
que) l'unité (du vase et de la couleur) n'est pas admissible.
Le vase qui possède la couleur n'est pas différent de la couleur.
— i56 —
La couleur n'existe pas dans le vase. Le vase n'existe pas dans
la couleur.
[S'il existe un objet dit vase, perceptible par les yeux, on
peut demander si le vase et sa couleur sont identiques ou non.
Ils ne peuvent pas être identiques, car dans le cas de leur iden-
tité, on doit trouver le vase dans toute couleur, même d'un
autre objet. D'autre part, le vase ne peut pas être différent,
car il ne se trouve nulle part sans couleur. Comme il est impos-
sible d'admettre leur identité, et aussi leur non-identité, il
faut rejeter même la notion du contenant et du contenu
(àdhârâdhayabhâva) en ce qui concerne vase et couleur.]
328. En trouvant la dissimilarité (vailaksanya) des deux
(la chose en général : bhâva, et le vase en général : ghata),
on dit que le vase est différent de la chose (bhâva) ; pourquoi
donc ne pas admettre que la chose même (bhâva) soit diffé-
rente du vase ?
[Le bhâva désigne l'existence en général (sattâ) lorsque le
ghata désigne une existence particulière. Le bhâva étant la
généralité, renferme aussi la particularité. Mais, si l'on dit
que la particularité (ghata) est différente de la généralité
(bhâva) les deux catégories resteront différentes l'une de l'autre],
329. Si l'on ne désire pas que le vase soit un, il ne le sera
jamais, et, vu qu'il n'est pas une addition de quantités simi-
laires, pour cette raison aussi ii ne sera pas un.
[Selon les Vaisesikas, le ghata est le dravya (substance)
lorsque la samkhyâ (nombre) est l'attribut ; le dravya est
la résidence des attributs, mais, comme ils disent, la subs-
tance et l'attribut ne sont pas identiques. Alors, notre auteur
démontre que le vase, tant qu'il possède l'attribut unité (eka-
tva) ne sera pas un, la substance et l'attribut étant deux caté-
gories différentes. D'autre part, si l'on dit qu'il y a. une espèce
d'addition d'attribut au dravya, cpd non plus n'est pas pos-
sible, parce que l'on ne peut pas faire addition de catégories
différentes. Une pomme et une poire ne seront jamais deux.]
330. Si la couleur occupe une substance (ghata, par exemple)
toute entière, ne faudrait-il pas admettre que la couleur ait
la grandeur (mahattva) ? On peut (le Vaisesika) citer la con-
— i57 —
vention (samaya), si son interlocuteur (qui est ici le Boud-
dhiste) n'appartient pas à un autre système.
[Les Vaisesikas divisent les attributs (gunas) en deux caté-
gories : les attributs généraux (sâmànyagunâh) et les attri-
buts particuliers (visesagunâh) ; la couleur appartenant à
la première, et la grandeur à la deuxième, par exemple. Ils
n'admettent pas cependant qu'un attribut réside dans un
autre (gune gunânangikârah). Mais comme notre auteur le
démontre, si la couleur occupait la substance toute entière,
elle serait aussi grande que la substance ; cela veut dire que la
couleur possède l'attribut grandeur. La convention de non-
implication d'un attribut dans un autre n'est valable que pour
les partisans des Vaisesikas.]
331. Dans le cas (dans la doctrine de l'adversaire) où il n'y
a pas de preuve (de l'existence) du caractérisé (laksya) même
par les caractères (laksana), il n'y a pas de chose à part du
nombre, etc.
[Le commentateur interprète la stance de deux façons.
Dans la première, il explique laksana par vyâvrtti, non-diffé-
rence. On délinit un objet, cheval, par exemple, comme diffé-
rent de non-cheval. Mais ainsi que notre auteur le dit, il est
impossible d'arriver à la défmition propre de cette façon. Dans
la deuxième, il explique laksana par les attributs, nombre, etc.
Il n'est pas possible d'admettre l'existence d'un objet diffé-
rente de ses attributs, et par conséquent, l'objet n'existe
pas.]
332. Le vase n'est pas identique (eka) à ses caractères à
cause de sa non-différence ; et quand dans l'unité iî y a non-
existence du vase, la pluralité n'est pas raisonnable.
333. Il n'existe pas de co-existence (yoga) d'un objet non-
tangible (la couleur, etc.) avec un objet tangible (le vase, etc.).
Alors, il n'est pas raisonnable d'admettre, en aucun cas, la
co-existence de la couleur, etc., (avec le vase, etc.).
334. La couleur est une partie intégrante du vase; alors
elle n'est pas (identique au) vase ; et quand l'entier (avayavin,
le vase) n'existe pas, la partie (la couleur) n'existe pas non
plus.
— i58 —
335. Dans toutes les couleurs, la couleur (la généralité de
couleur — rûpatva) est une chose commune (avilaksana) ;
pour quelle raison donc l'une serait-elle le vase, mais pas les
autres (le drap, etc.) ?
336. Vous admettez que la couleur est différente du goût, etc.
mais pas du vase ; comment celui-ci, qui, en soi, n'existe pas
à part d'eux (couleur, goût, etc.), pourrait-il être identique
(non-différent) à la couleur ?
337. Le vase n'a pas de cause ; la production ne naît pas
d'elle-même ; par conséquent, il n'existe pas de vase quel-
conque à part de la couleur, etc.
[Le vase n'a pas de cause, parce que la couleur, etc., ne le
seront pas. On réfute au vers suivant la théorie suivant laquelle
les parties (kapâlas) ne seraient pas non plus la cause du vase.]
338. Le vase existe par sa dépendance à l'égard de ses
causes (kapâlas : les deux parties symétriques du moule) ;
la cause (kapâla) existe par dépendance à l'égard d'autres
(ses causes à leur tour) ; celui qui n'existe pas en soi, comment
pourrait-il produire un autre ?
339. Même quand la couleur fait partie d'un groupe, elle
ne sera pas l'odeur; et, par conséquent, le groupe n'aura
jamais d'unité, de même que le vase n'en aura pas.
[Si l'on dit que le vase n'est qu'un agrégat de couleur, etc.,
et, par conséquent, qu'il n'y a pas plusieurs vases, on réplique
que l'agrégat ne sera jamais considéré comme un, car les cons-
tituants en sont distincts.]
340. De même que le vase n'existe pas à part de la cou-
leur, etc., de même la couleur n'existe pas non plus à part
(des éléments) le vent, etc.
[Il ne faut pas supposer pourtant que l'auteur admette
l'existence des éléments. Voir la suite.]
341. C'est le feu qui est chaud; comment ce qui n'est pas
chaud pourrait-il brûler ? C'est pourquoi le bois (indhana)
n'existe pas, et en absence du bois le feu n'existe pas non
plus.
[Parmi les quatre éléments, ce qui brûle est le feu, et les
autres (la terre, l'eau et le vent) sont brûlés par le feu. Mais
— i59 —
ce qui est chaud, c'est le feu ; ce qui n'est pas chaud ne peut pas
être brûlé; et, par conséquent, l'objet à brûler n'étant pas
existence, le l'eu n'existera pas non plus. Voir MK, X.]
342. Si (l'on dit que le bois) étant dompté (par le feu)
devient chaud, (on réphque) pourquoi ne serait-il pas lui-
même le feu ? 11 n'est pas raisonnable non plus qu'il y ait, dans
le feu, une autre chose (nature) qui n'est pas chaude,
[Dans le premier cas, il y aurait la non-existence du bois»
et, dans le deuxième, il n'y aurait que le feu, et, par consé-
quent, l'absence des autres éléments.]
343. S'il n'y a pas de bois dans l'atome (du feu), il s'ensuit
que le feu est sans bois ; si , d'autre part, il y avait du bois
dans l'atome (du feu) il n'aurait pas d'unité naturelle.
344. Chaque objet quelconque, que l'on examine, n'a pas
d'unité ; il s'ensuit, quand l'unité (dans un objet) n'existe
pas, que la pluralité n'existe pas non plus.
345. Ces trois catégories (dravya, guna, karman) qui ne
sont pas différentes, ne font qu'une ; c'est ce que vous admet-
tez ; mais, par suite du fait qu'il y a triade dans l'assemblage,
l'unité ne subsisterait pas.
346. Existence, non-existence, existence et non-existence,
et ni existence ni non-existence, voilà la série (krama) que
les savants doivent employer dans les cas d'unité, etc.
347. De même que (la notion de) la permanence de la cause
se produit par suite d'une doctrine fausse, de môme (la notion
d') un objet (bhâvatva) d'un groupe (skandha) se produit par
suite d'une doctrine fausse.
348. (Tout) ce qui a son origine conditionnée (dépendante
d'un autre objet : pratïtya) ne peut pas être indépendant
(svatantra) ; tout ceci n'est pas indépendant ; par conséquent,
le moi n'existe assurément pas.
349. Sans production (kârya) il n'y a pas d'inhérence (sama-
vâya) dans les objets; l'inhérence (admise) en vue (d'établir)
la production, n'est pas, selon les sages (ârya), une inhérence
(proprement dite).
[Selon les Vaisesikas, la relation permanente existant entre
la cause et l'effet est l'inhérence. Selon le Bouddhiste, l'effet
— i6o —
n'existant pas en réalité, l'inhérence n'existe pas non plus.
Si, d'autre part, le Vaisesika maintient l'inhérence en tant
qu'elle conduit à l'admission d'un effet, notre auteur démontre
que cette hypothèse gratuite ne justifie pas l'inhérence. La
version chinoise nous donne une traduction très libre : « La
cause et l'effet ne peuvent pas exister séparément. »
350. La conscience (vijfiâna) est la semence du samsara;
les objets (des sens) font son domaine (gocara) ; pour qui voit
la non-substantialité des objets (visayanairâtmya), la semence
du samsara est détruite.
CHAPITRE XV
NÉGATION DE LA pRODUciioN [Samskrta]
351. — Si l'existence (bhàva : une chose existante) est née
de la non-existence (on peut demander) de quoi donc, la
non-existence est née. Si l'on admet qu'une existence naisse
d'une autre existence, (on peut demander) de quoi donc l'exis-
tence elle-même est née.
[Dans ce chapitre, l'auteur examine les quatre grandes
théories des causes, à savoir : existence de la non-existence,
existence d'une existence, non-existence de l'existence et non-
existence de la non-existence, et établit enfin, qu'il n'y a
qu'une existence conditionnelle (pratîtyasamutpâda)].
352. — Commue par suite d'une production (kârya) la cause
est détruite, la non-existence n'est pas née (de la non-existence) ;
il n'existe pas de production d'une chose déjà produite, et,
par conséquent, l'existence (bhâva) n'est pas née de l'exis-
tence.
353. — Une chose n'est pas née de la même (chose) ; elle
ne peut pas être produite d'une autre ; et, quand il n'y a pas
de production (janma) ni de ceci, ni de cela, de quoi donc la
production vient-elle ?
[Une chose n'est pas née de la même chose, car, dans ce
cas, la cause et l'effet seraient identiques. La chose ne peut
^ i6i —
pas être produite d'une autre chose, car, dans cq cas, tout peut
être produit de tout, par exemple, le sable peut produire
l'huile.]
354. — De même que la chose n'est pas née de la même
chose, de même une autre chose n'est pas née de la môme
chose.
355. — Avant la naissance (d'un objet) le commencement,
le milieu et la fm n'existent pas ; les deux étant non-existants,
conimeiit chacun d'eux existe-t-il ?
356. — ComniC sans existence d'une autre chose, la chose
en soi (svayam) n'existe pas, (il faut donc admettre qu') il
n'y a certainement pas de naissance des deux, à savoir :
soi-même et l'autre (sva et para).
357. — IJ n'est pas possible de maintenir (littéralement :
4^ dire) l'existence de l'antérieur et du postérieur. C'est pour
cette raison que l'existence simultanée d'un vase (postérieur)
et sa naissance (antérieur) n'est pas admissible.
358. — Pour un antérieur (pûrva) il n'y a aucun avantage
(à renaître de nouveau) étant déjà né antérieurement, et celui
qui est en cours de naissance (samjâyamâna) plus tard n'existe
pas comme un objet né plus tard.
359. — La chose ne vient pas de l'a venir; elle n'est pas
née même du passé ; la chose du présent n'est pas née d'elle-
même.
3()0. — Rien n'est arrivé (âgati) à ce qui est déjà né ; rien
Tie sort non plus de ce qui est déjà détruit ; ceci admis, pour
quelle raison la création (samsara = bhava) ne serait-elle pas
comparable à une illusion (mâyâ) ?
361. — L'existence simultanée de la naissance (utpàda),
de In durée (sthiti) et de la destruction (bhaiiga) n'est pas
admissible ; l'existence successive (kramena) non plus ;
quand alors y a-t-il existence ?
363. — Par suite du fait que chacune, naissance, etc.,
existe en toute chose, la destruction semble être comme la
naissance; la durée (sthiti) semble être comme la destruc-
tion.
363. — Ce qui est caractérisé (laksya) est différent des çarac-
11
102
tères, comment le caractérisé est-il impermanent ? Alors,
il est clair qne tous les quatre (laksya, laksana, bhâva et
abhâva) n'ont pas la nature d'existence (satsvabhâva).
[Comparer MK. V, 7.]
364. — L'existence n'est pas née de l'existence ; l'exis-
tence n'est pas née de la non-existence ; la non-existence n'est
pas née de la non-existence ; la non-existence n'est pas née
non plus de l'existence.
365. — L'existence ne devient pas l'existence ; la non-exis-
tence ne devient pas l'existence ; la non-existence ne devient
pas la non-existence ; l'existence ne devient pas la non-exis-
tence.
366. — La chose en cours de naître (jâyamâna) n'existe
pas encore, n'étant que partiellement (ardha) née de ce qui
est en cours de naître ; (si l'on n'admet pas ceci) tout ce qui est
déjà né (jâta), ce ce qui est en cours de naître (jâyamâna)
et ce qui va naître (ajâta ou janisyamâna) deviendrait une
chose en cours de naître.
367. — (La chose) en cours de naître n'existe pas dans la
forme (svarûpa) en cours de naître. (La chose) en cours de
naître n'existe pas non plus sous une forme différente de celle
en cours de naître.
368. — Pour celui à qui le couple (du passé et de l'a venir)
n'existe pas sans un (état de) milieu (c'est-à-dire, un objet
en coiirs de naître), (l'objet) en cours de naître (jâyamâna)
n'existerait pas non plus, car il y aurait un milieu en lui aussi.
[Si, pour la production, les trois stages de ajâta, jâyamâna
et jâta sont absolument nécessaires, les mêmes se retrouve-
ront pour la production du jâyamâna.]
369. — Comme (un objet) né (jâta) est né de la destruction
(nirodha) de celui qui était en cours de naître, pour ce dernier
aussi il y a eu existence d'un autre (objet) en cours de naître.
370. — Quand le né (jâta) existe, (l'objet) en cours de naître
n'existe pas; si, d'autre part, le né est (identique à l'objet)
en cours de naître, de quoi (l'objet) en cours de naître vient-il ?-
371. — Comment (pourrait-on supposer que l'objet) en cours
de naître, quoique pas encore ne (ajâta éva) soii considéré
— i63 —
Comme né ? S'il n'existe aucune différence (entre ce qui est
né et ce qui n'est pas encore né) pourquoi donc ne suppose-t-on
pas que le vase est (identique à) la non-existence ?
372. — Si (l'objet) en cours de naître est considéré comme
différent (littéralement : en dehors) du non-né (c'est-à-dire :
l'a venir) il devient, quand même, non-né (ajàta) étant en
dehors du né.
373. — (L'objet) en cours de naître n'existait pas dans
le passé, mais il a une véritable existence postérieure;
pour cette raison aussi il devient non-né ; car, ce qui n'exis-
tait pas (antérieurement) n'est jamais produit.
374. — On désigne par le terme accompli (nispanna, per-
fectionné) ce qui est, ce qui existe ; et par le terme non-pro-
duit (akrta) ce qui n'est pas, ce qui n'existait pas : qu'est-ce
donc que (comment l'appelle-t-on) l'objet qui est en cours de
naître ?
375. — Quand la production (kârya) n'existe pas -à part
de ses causes, l'affirmation et la négation (de l'existence) ne
sont aucunement admissibles.
CHAPITRE XVI
Convention entre le maître et le disciple
376. — Pour des raisons diverses (l'ignorance, etc.,) le vide
apparaît comme non-vide. On a réfuté ceci (cette connais-
sance fausse) par tous les (quinze) chapitres (précédents),
[L'état naturel de l'univers est le vide; mais, à cause de
l'ignorance des êtres, l'univers semble être réel. L'auteur,
en commençant cet ouvrage, a eu pour but la réfutation de
cette notion fausse de la nature propre de l'univers qui n'est,
rien d'autre que le vide.]
377. — (Peut-être dira-t-on :) Puisque l'orateur (vaktâ)
et sa parole (vâcya) existent, il n'est pas raisonnable (d'ad-^
mettre) qu'il n'y a que du vide; car la doctrine de la création
— l6à ^
dépendante (pratïtyasamutpâda) ne peut se maintenir dans
(le cas des) trois (l'orateur, sa parole et le vide).
378. — (Nous répliquerons : Si, par l'imperfection (de la
doctrine) du vide, le non-vide (c'est-à-dire, la réalité du monde)
devient établi, pourquoi donc, par l'imperfection du non-vide,
la doctrine du vide ne devient-elle pas établie ?
[Dans la stance 377 le pùrvapaksin démontre que la thèse
du vide ne se maintient pas tant que l'orateur et la parole
(vâcya) existent ; la doctrine du pratïtyasamutpâda ne prouve
rien dans ce cas, tant que la doctrine du vide n'est pas éta-
blie ; sinon, il y aurait cercle vicieux. Notre auteur réplique :
Si l'imperfection de la doctrine du vide établit la réalité du
monde, l'imperfection du non-vide établirait aussi le vide.
Il a déjà démontré les fautes des systèmes adverses dans les
chapitres précédents. Ici, l'auteur témoigne clairement de
son adhésion à l'école Prâsangika.]
379. — Si, par suite de la réfutation de la thèse d'autrui,
(c'est-à-dire du Bouddhiste), sa propre thèse (c'est-à-dire
la thèse non-Bouddhiste) devient établie, pourquoi donc,
quand la thèse d'autrui (c'est-à-dire du non-Bouddhiste)
est réfutée, sa propre thèse (c'est-à-dire, la thèse Bouddhiste)
ne devient-elle pas établie ?
380. — Dans l'absence du contrôle (nigraha, nigrahasthâna)
il n'existe pas de thèse (paksa), c'est pourquoi la triade
de l'unité etc., ne devient pas thèse.
[Reconstruction sanscrite et interprétation conjecturales].
381. — On voit le vase par la perception (visuelle) directe ;
sa vacuité, quoique établie par les raisonnements n'y change
rien. Le reste de la thèse ,étant le raisonnement du pratyaksa
(la perception visuelle), n'est pas admissible,
[Je donne mon interprétation, d'après la version chinoise,
sous toutes réserves ; je n'ai pu reconstruire et comprendre
la version tibétaine.]
382. — Dans l'absence du non-vide, comment l'existence du
vide pourrait-elle être (établie) ? Dans l'absence d'autrui,
comment son com.pagnon existerait-il ?
383.^— C'est seulement quand la thèse existe que la non-
— i65 —
thèse serait un aspect (rûpa) de la thèse. Mais, quand la non-
thèse n'existe pas, qu'est-ce donc qui serait sa contradictoire
(non-non-thèse, c'est-à-dire la thèse) ?
384. — Quand la chose elle-même n'existe pas, comment le
feu (la chose) aurait-il sa chaleur (son attribut) ? et aussi
de quelle (proposition ?) serait-elle contradictoire (viparyaj^a)
(l'affirmation que) le feu n'est pas chaud ?
[Quand la substance n'existe pas, son attribut n'existe pas
non plus ; et quand tous deux, qui forment une proposition,
n'existent pas, la proposition contradictoire n'existe, pas
davantage. Ici, l'auteur nie la substance; dans la stance pro-
chaine, il nie sa contradictoire (abhâva).]
385. — C'est seulement si l'on admet (l'existence d') une
chose qu'il y a sa contradictoire, dite non-chose (abhâva) ;
mais il faut l'abandonner quand une sur quatre des thèses
est réfutée.
[Les quatre thèses sont celles mentionnées dans les stances
346 et 400.]
386. — Si (l'on admet) l'existence précisément d'atomes,
comment pourra-t-on admettre la non-existence ? Pour la
même raison, on peut admettre la non-existence des Bouddhas.
[Ici, le pûrvapaksin admet l'existence d'atomes, mais la
non-existence des autres choses.]
387. — Si tout est sans second, pour qui l'autre (anya)
serait-il une existence ? Si vous admettez ceci (comme rai-
sonnable) comment l'adversaire serait-il vaincu ?
[Quand tout est sans second, la différence entre deux termes
n'existe pas non plus, et, par conséquent, lé vainqueur et le
vaincu n'existeront pas non plus.]
388. — (Si l'on nous oÉjecte :) Dans le cas de la non-existence
de toutes choses, la distinction (vibhâga) ne sera pas raison-
nable (nous répliquerons :) même dans le cas de l'existence
de toutes choses la distinction n'existera pas non plus.
389. — Si l'on dit qu'à cause de la non-existence de la thèse
d'autrui, elle ne demande aucune réplique, pourquoi donc sa
propre thèse, même sans le raisonnement (pramnâa), ne dt^
vient-elle pas établie ?
— i66 —
390. — Même dire qu'il existe un raisonnement faux
(dusta) c'est parler comme le vulgaire ; aussi ne peut-on même
pas dire les fautes de la thèse d'autrui.
391. — Si une chose quelconque devient une existence
(véritable) pour la seule raison qu'on l'appelle réelle (sat),
pourquoi donc la môme chose ne devient-elle pas non-exis-
tence (véritable) pour la seule raison qu'on l'appelle non-
réelle (asat) ?
392. — (Tout) ne devient pas non-existence, car (le Bouddha)
n'a pas énoncé la réalité du monde ; (tout) ne devient pas non
plus existence, car (le Bouddha) n'a pas énoncé la réalité
(asti) du monde.
[Comparer MK XV, 7 et suiv. ; MV, p. 269-273; Samyutta
Nil p. 17.]
393. — Si le monde existe parce que tout le monde en parle,
(on demande) comment une chose qui ne vient que d'elle-même
serait-elle le monde ?
394. — Si l'on dit qu'à cause de la non-réalité de toutes
choses la non-existence est existante, (on répliquera :) dans
chacune des (quatre) thèses, il n'est i)as raisonnable (d'ad-
jîiettre) que la chose et la non-réalité coexistent.
395. — A cause de sa non-existence, il n'est pas (raisonnable
d'admettre) que la non-existence ait la naissance. Comment
peut-on établir : « une chose réelle est la non-existence, à
«ause de sa non-existence »?
396. — Le vide est né (établi) du raisonnement correct
(pramâna) ; alors, il ne peut pas être vide ; quand la proposi-
;tion (pratijnâ) ne diffère pas de sa raison (pramâna, hetu)
il ne peut y avoir d'argumentation (connaissance correcte,
pramâna).
. [Quand la proposition (pratijnâ) et sa raison (hetu) sont
identiques, l'argumentation est vicieuse.]
397. — (Si l'on dit que la thèse du) vide n'est pas (établie)
parce qu(on donne un exemple (drstânta) du vide, (nous
répliquerons) : il n'est pas possible de dire : « L'âme est noir^
comme un corbeau. »
[Pour le non-Bouddhiste, l'argumentation correcte corn»-
— 167
porte un exemple valide ; alors, si l'on cite un exemple valide
pour prouver la thèse du vide, le vide devient une chose
aussi réelle que l'exemple cité. Notre auteur pourtant n'admet
pas de drstânta, car pour lui aucun drstanta n'est valide.]
398. — Si la chose (vraiment) existe dans sa nature propre,
quel avantage y a-t-il d'admettre la doctrine du vide ?
(Nous répliquerons :) la connaissance (de la réalité du monde)
conduit à l'esclavage (vibandha) ; mais ici (par la doctrine du
vide) elle-même (la connaissance) est détruite.
399. — L'un est réel, l'autre non-réel; la réalité n'existe
pas, le monde n'existe pas non plus ; c'est pourquoi il n'est
pas possible de dire si ceci (le monde) est réel ou non-réel.
400. — Pour celui à qui aucune des thèses : existence,
non-existence, existence et non-existence, et ni existence
ni non-existence n'est (admissible), aucune censure ne saurait
être appliquée (littéralement : parlé) jamais (cirena).
VOCABULAIRE
(Trit>étaii:i-©6irisci*it)
a) Ordre des Radicales :
k kh g n c eh j n t th d n p ph b m
te tch ds V sh z h y r 1 s s h.
b) Ordre des Préfixes :
g d b m 1^ r 1 s.
ka ha : stambha.
skrag pa : trâsa.
kun spyor ha : satpyogia.
kun tu son : sarvaga, sarvâgata.
khams : dhâtu.
kon : durlabha.
khug sna : dhûmikâ.
kla klo : mleccha.
kho na : eva.
klan fta ; upàlambhâ»
khyad par : antara ; — med pa :
dkah : duskara.
bhedâbhàva.
dkon : durlabha.
khyim : grha.
tlkyil : m&dhya.
mkhah : àkâsa.
Ikog gyur : paroksa.
mkhas pa : buddhimân, budha,
skad : bhâsâ.
vicaksana.
skye : tidvèga.
skye ha : jana, janma, utpanna.
gan zag : pudgala.
utpâda; — dan skye bar :
gus pa : bhakti.
janmani janmani; — ha dran
gegs : vighna.
pa yod pahi phyir : smrtisamtâ-
go : desa ; — hphan : pada.
nasiddhyartham ; — bshin pa :
goms pa : abbyâsa ; — med : an-
jâyamàna.
abhyàsa.
skyes : pumân ; — med : anut-
gos med : nagnaka.
pâda ; — zin pa : utpanna, jàta.
grans : samkhyâ.
skyon : dosa ; — .ses ; dojajna.
grug ca : pratisrutkâ.
170 —
grub : siddhi, nispatti, nispanna,
krta.
grol ba : mukta, nirvana.
dgah : priya.
dge : subha ; — logs : kalyàna.
dgons : mata.
mgal mehi hkhor lo : alâtacakra.
hgag pa : nirudh.
hgags pa : nirodha.
hgah : kascit, kascan ; — shig :
kevala.
hqrub : siddhi.
hgro ba : jagat, gati, janma.
/jgros dan Idan : gatimat.
rgyad par : kevala.
rgyan : alamkâra.
rgyab : apara.
rgyu : kârana, hetu ; — Idan :
hetumân ; — med : akàrana.
rgyen : pratyayà.
brgyal pa : vijetâ.
s go : dvâra.
bsgul : cestâ:
. sgyu ma : mâyâ.
sgra : sabda.
sgrib : âvarana ; bsgrib pa : âvpta ;
bsgribs : vrta.
bsgrim pa med pa : ayatna.
' bsgrub pa : vidhïyate ; — par bya
ba : sâdhya.
nan hgro : apâya.
nés par : avasyatn, ekânta, nanu,
niyata, niyama, nûnam ; —
sdom : niyama.
no bo : rûpa, svarûpa.
no mtchan can : âscarya.
dnos po : bhâva ; — med':- abhâvà ; "
— gshan : bbâvântara.
mnan pa : madhura.
mnon pa: drsta ; — med: avyakta ;
— sum : pratyaksa.
sàa roi : prâg.
snar : pûrvam, prâg.
snor byas : bhâgya.
ci team : yâvat.
cig car : yugapad.
''■ig SOS : itara.
cun zad : kincit, isvalpa; — cig
ées : kincijjna.
gcer bu ; nirgrantha.
bcins : bandha.
Icags : loba.
«fta .• amsa ; — sas : amsa.
chags : rajyate, râga.
chad pa : uccheda.
chu zla : ambucandra.
chuiï : alpa.
che : mahat.
ched du : krte.
chen : mahat.
ches riii : dure. •
chos : dharma ; — /jdod : dharma-
kâma.
mchuns : tulya, sama.
mchog : agrya,. uttama» para,
sreyas.
hchi : marana.
hchiii : baddha, vibandha.
7*1 srid : yâvat.
fifam pa .•' mrdu.
hjig pa : nâsa, bhanga; — rten :
loka, laukika, laukikï ; — pahi
bar du : â vinâsât.
hfigs ■: bhaya ; — skye : bhayam-
kâra ; — pu bskyed: bhâyam-
■ kara. ' '
.— ..I7I- —
hfug pa : pravrtti ; — byed ; pra-
vartaka.
rjes hgro : anu-yâ.
brjod : bhâs, bhâsâ, kath, etc. ;
— bya : vâcya.
non po : srotâ.
■nams : sramsa.
ni ma : arka.
fies pa : dusta, dosa.
non moiïs : klesa.
■gni ga : ubhaya.
gnis : dvi, dvaya, ubhaya, yug-
mala ; — ka min : nobhaya ; —
gnis : dvaya ; — pq med pa :
advitïya ; — spyod : dvandva-
cârin.
gner bo : sahâya.
rned par dkalj : durlabha.'
sfiam : cintâ; mata ; — sems pa :
bhâva, bhâvanà.
sain po : anyatva ; — brtce : krpâ.
bsilad pa : kathâ, vâcya.
gtags : grathita.
gtan tchigs : mâna, pramâna, hetu.
gti mug : avidyâ, moha,
giotï ba : dûrara gam, tyâga.
btan : tyâga.
rtag pa : nitya, sâsvatà.
brten par : pratîtya ; — nas : pra-
tïtya ; — kun hbywï ba : pra-
. . lïtyasamutpâda.
Hog pa : kalpanâ ; riogs : kalp,
vikalp ; briog pa : kalpanâ.
lia ba : drsii ; — nan : kudrsti ; —
nés : kudrsti.
blta : darsana ; — bahi sua roU:
. , drstapûrva ; — bya : drastavya.
sien : bimba.
ston ba : sûnya, darsana.
stobs chun : durbala ; stobs Idan :
balavân.
bstan : âgama, desanâ.
bsten nas : prâpya.
tha dad : vyatireka.
tha ma : anta; — mar : anya ;
— mal ma yin : netara.
thag rin : dure.
thabs : upâya.
thar ba : nirvana, moksa, mukta ;
hdod : mumuksu.
thaï ba : prasajyate.
thub pa : muni.
the tchom za ba : samdeha, sarn-
saya.
thog ma : âdi.
thogs Idan : samyogï.
thob pa : adhigam, prâp.
thos : sru.
■mthah .' anta ; -^ mthar : anta.
mthun : anurûpa ; mi mthun : an-
anurûpa.
mtho ris :' svarga ; — hdod : svarga-
kânksin.
mthon : drs ; — dkàh : dufdrsta.
hthad : upapadyate.
da Itar ba : vartamâna.
daiï po : âdi, pûrvam, prâg.
dam : para ; — pa min : asat.
dam bcah : pratijnâ.
du ma : aneka.
dug : garala.
de nid : tattva ; — xnkhyen pa:
. — xig pa: tattvavid ; — ses pa:
tattvajria.
de bshin gsegs pa : tathâgata.
de yi bar du ; tâvat.
don : artha, vastu ; — on^^^. ba :
— 172 —
arthapati ; — min : anartha ;
^- dam pu : paramârtha ;
— med : nirarthaka, vrthS.
dran pa : smrtl.
dri : gandha ; — âid : gandhatva ;
— shim : sugandhi,
bdag : aham, âtmâ ; — gir :
âtmïya ; — nid : astitâ ; — fiid
du : svatah ; — nid du bya ha :
svarûpa ; — min : anâtmâ ; —
med : nairàtmya ; — hdsin :
ahamkâra.
bde ba : sukha.
mdun : pûrva.
mdog : varna.
mdor : samàsatah.
hdas : atïta,
hdi : ayam, idam ; — med : dûram.
hdu ba : saitiavâya ; — ses :
samjnâ.
hdod : is, râga ; — chags : rakta,
râga.
hdren pa : netâ.
rdul : anu ; — phran : arm ;
— min : ananu.
rdo rje : vajra.
Idan : yoga.
Idog pa : nivi tti, nivartate, apaiti ;
— byed : nivartaka, nirarthaka.
sdatï : dusyati.
sdug : pFiya ; — bsnal : duhkha,
klesa.
sdon : pûrva.
nag : krsna.
nan bdag : âdhyStman, antar-
âtmâ.
nad ; vyâdhi.
nam du yan : nam yan : kadâcîd,
nus : sakya.
gnas pa : bhû, tiçth, sthÔna, sthiti,
sthira ; — ma y in par spyar ôrt ;
ayogayukta ; — med : asthira ;
med pa dan : sadasattva.
gnod : duhka ; — med : aduhkha.
ma ba : sruti.
rnam pa ; gati ; — par hgyur ba :
vikâra, vikpta, vikfti ; — - par
hjig pa : vinâsa ; — dbyan. :
vicâra ; — dbye ba : vibhâga :
— ses : vijôàna; — smin :
vipâka; — gshag : vyavasthâ>
sna tchogs : bhinna, vibhihna.
snoii : drs.
snod : drastâ.
dpe : drstânta.
s pans : prahâna.
spyi thun : sâmânya.
spyin pa : dâna.
spyod yul : gocara.
spyor : yukta; — ba : yoga.
sprin pa : abhra.
sprul ba : nirmànâ.
spro : utsahate,
pha roi gyi cha : bahirbhâga.
phal cher : prâya.
phwï po : skandha.
pho : pumân ; — mo ma nin :
stïpumnapumsaka.
phya smra ba : niyativâdin.
phyi nas : pascât ; — ma : punar;
— roi : bahiskrta.
phyi hchos : kriyâ.
phyis : pascât, param.
phyir rgol : prativâdin.
phyed : ardha.
phyogs : paksa, pradesa; — can :
pradesin.
- 173-
phrad : prâpta.
hphel : vrddhi.
hphrod pa : samavâya.
sbyar bar bya : prayojya.
bar : antara, madhya, madhye
— du : â.
bud med : strî.
bud sit) : indhana.
bum pa : ghaia, kumbha.
bod tchod mnam pa : yaugapadya.
bya ha : kartavya, kriyâ ; — med :
niskriya.
bya rog : kâka.
byas : krtaka.
byis pa : bâla.
byun ba : vartainâna.
byed pa : karana ; — po : kartà,
kurvâi.ia ; — med : akurvâna.
byos : sruta.
dbus : madhya.
bram je : vipra, brâhmana.
bral ba : abhàva. viprayoga,
viyukta.
bla : varam.
blans : grahana.
blun: jada, mûdha.
Mo : mati , — gros : mati ; — dan
Idan : dhîmân, buddhimân ; —
mchog Idan pa : uttamabuddhi.
dbarï : âyatta, vasa; — po :
indriya.
dbyaà : vicâra.
dbyibs : samsthâna.
hbad med par : ayatnatah,
hbah : mrtpinda.
hbywï ba : nirgama, sambhava,
bhûta, udbhava.
hbras bu : kârya; -^ jfod pa :
^atkârya.
hbrin : madhya.
ma gtogs: rte, varjita, vinâ, vyati-
reka.
ma nin : napurpsaka.
ma hdus : asamanvita.
ma hons : anâgata.
ma tchad : amita, vaikalya.
ma son : agata.
man : bahu ; — po : bahu ; —
nid : bahutva.
mi : nara : — Idan pa : mânusa.
mi mthun phyogs : vipaksa.
mi dkar hgyur ba : vaimukhya.
mig : caksus ; — Idan : aksimân ;
— hbywï : câksusa.
min : nâman.
mu stegs can : tïrthika.
me : agni, vahni.
med : asat, vie ; — par : vinâ.
ma : strî.
mya nan }?das : nirvana.
myu gu : ankura.
dman pa : hîna.
dmiys pa : labha, upalabha.
rma : ksaya.
rmi lam : svapna.
rmons pa : muhyati.
sman : ausadha. bh^jsajya, hita.
smig rgyu : marîci.
smos pa : kathâ.
smyon pa : unmattaka.
smra : âabda ; — ba : vaktà,
bruvan.
team : mâtra.
rtcod pa : vivâda.
rtcom pa : ârabh, prârabh.
rtcba : trna,
tcha ba : usna ;
anusna.
min pa
17^ —
fChu roi : antara.
tchul : krama ; — khrims : sïla,
tchogs pa : samûha, skandha.
mtchan : laksana ; — nid mi
mthun : vailaksanya ; — mi
mihun : vailaksanya ; — gshi :
laksya.
mtchw'is : sama.
hiche : amara, himsâ ; mi htche :
ahimsâ.
mdsah ba : sneha.
hdsin pa : grah, grâha, grahana.
rdsas : dravya, bhâva.
rdsogs : nispanna.
drdsun : mithyâ, vitatha.
shi ba : siva.
shig pa : nasta.
shu ba nid : dravatva
gshan : anya, para, prthag,
bhinna ; — ■ min : abhinna.
gshun lugs : samaya.
bshi : catur ; — char : turîyâmsa.
za ba : bhoktum.
zad pa : ksaya.
zin : ksïna.
zil mnan : abhibhava.
zlum po : vitta.
zlog : nivartaka, nisedha, vârana.
gzugs : rûpa ; — Idan : rûpavân.
gzur gnas : sâksï.
bzwi pa : grah, grâhayitum,
bzlog pa : viparyaya.
bon : eti ; — pa : âgati.
bons pa : prâpta ; ma bons pa :
anâgata.
bon te : atha va.
ya mtchan : pâsandin.
ya mtchar : vismaya.
yan : api, punar; — dag :
samyag.
yan dag don pa : bhûtârtha.
yan lag : avayava; — can :
avayavin.
yi ge : varna,
yid : cetas, manas, mânasa;
— ches : pratyaya ; — med :
amanaska.
yun riiï : ciram, cirât.
yul : visaya.
yoiis po : pûrna.
yoiïs : sadà ; — brtag pa :
parîksyate, nigraha ; — su bgyur
ba : parinâmin ; — mi ses pa :
aparij flâna.
yod : sat ; — pa : sattâ ; — fiid :
sattâ, astitva, astitâ ; — pahi
no bo : satsvarûpa, satsva-
bhâva ; — med : sadasat.
y on tan : guna ; — med :
nairgunya.
gyo ba : cala, cestâ.
rag lus pa : âyatta.
ran : sva, svayam; — dbati ;
svatantra ; — dban med : asva-
tantra ; — bshin : svabhâva.
rab tu byed pa : prakarana.
rig pa : veda.
rigs pa : yujyate; — pabi don :
yuktârtha ; — des pa : suyukti.
rin pa : dura.
rim pa : krama.
rwï : yujyate.
re Te : ekaika.
re shig : tâvat.
reg : sparsa ; — dan mi Idan :
asparsavat.
175 —
ren bu : kevala.
ro : rasa.
rlun : vâyu.
la la : kascit.
lan brjod pa : prativâcya.
lam : mârga.
las : karman.
lus : sarïra.
legs . sreyân ; — pas hdod pas
blan : abhisamïpsate.
len : grâha.
log pa : mithyâ ; — lia : mi-
thyâdrsti.
logs pa : adhigati, nivrtta.
sar : pûrva.
sin : indhana ; — med : anin-
dhana. " •
sin srin ; kîtaka.
sin tu ; su; — dkon : sudur-
labha ; — bya dkah : sudus-
kara.
ses pa : jnâ, jnâna, caitanya ; —
gyur ; vijnâna ; — med : ajiââna ;
— yod pa : cetanà, caitanya,
pratyaya ; — rab can : pràjna.
bsad : kath, bhâs.
bsig pa : vinâsa.
sa : bhûmi ; — bon : bïja.
sans rgyas : Buddha.
sun hbyin : dûsana.
sems pa : citta, cetas ; — can :
caitta ; — dan Idan : caittavân.
son : gâta.
sa sohi skye bo : prthagjana ; —
ni min phyir : aprthaktvât ; —
sor dgag : pratisedh ; — dgag
par bya ba : pratisedhayi-
tavya ; — hgog : pratisedha.
srid : jan, bhava, sambhava,
samsara.
srog : jïva.
sla : sukha.
slad : prstha.
slar yan : punar.
gsal bar : suvyaktam.
gsw'is : vac, varnay.
gsum pa : tri, trtïya ; — nid :
tritva.
bsam : cintâ, darsana, bhâvanâ ;
— bral : niscinta ; — mi khyab
par : acintya ; — bshin : cin-
tyamâna,
bsod nams : punya ; — - chun :
^Ipapunnya.
bsrig pa : dah ; bsrigs : dâhaka ;
bsrigs te .• dagdhvâ.
bsruii ba : bhaksana.
bslus pa : vaiicita.
ha can fie : atyabhyâsa.
hrui boT byas par : jarjarïkrta.
Ihan cig : saha, sârdham.
TABLE DES MATIÈRES
Pagw.
Préface " 7
Abréviations et Bibliographie. 9
Système de transcription 10
Introduction 11-68
1 . — Origine et Développement de l'écule
Màdhyamika 11
2. — Le Màdhyamika et la Madhyamâ pratipad 34
3 . — La Littérature 42
4. — La Vie d'Âryadeva et ses Œuvres 59
5. — La Méthode de Reconstruction 66
Texte du Catuhsataka : Tibétain-Sanscrit 69
Traduction franç.aise , 129
Vocabulaire Tibétain-Sanscrit 169
Société Française d'Imprimerie et de Publicité. — Angers, i, rue Garnier.
Paris, 2, rue MoifCE.
o
EL Vaidya, Para sur ama Lak§mana
1416 Études sur Aryadeva et son
A7842V3 Gatu]?sataka
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