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Full text of "Études sur la cour de France"

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PIERRE 




DE NOLH 



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LOUIS XV 



lARIE LECZINSKA 



D APRKS DE NOUVEAUX DOCUMENTS 






PARIS 
CAl.MANN-Ï.ÊVY, ÉDITEURS 

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ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE 



LOUIS XV 



ET 



MARIE LEGZINSKA 



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DU MÊME AUTEUR 



ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE : 

— LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA 1 Yol. 

— LOUIS XV ET MADAME DE POM p A DO u R fenprëporatûmj 

— MARIE-ANTOINETTE DAUPHINE 1 YOl. 

— LA REINE MARIE-ANTOINETTE 

LA CRÉATION DE VERSAILLES , 

LE CHATEAU DE VERSAILLES SOUS LOUIS XV . 
TABLEAUX DE PARIS PENDANT LA RÉVOLUTION 

PÉTRARQUE ET l'HUMANISME 

ÉRASME EN ITALIE 

LES CORRESPONDANTS D'ALDE MANUCE 

LA BIBLIOTHÈQUE DE FULVIO ORSINI 

LETTRES DE JOACHIM DU BELLAY 

PAYSAGES DE FRANCE ET d'ITALIE (épUisé 



Droits de Iraduclion et de reproduction réservés pour tous les pays, 
y compris la Suède, la Norvège et la Hollande. 



IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS, — 82346-11*01. — OUCR Urllleu). 



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ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE, 



LOUIS XV 



ET 



MARIE LEGZINSKA 



D APRES PB NOUVEADX DOCUMENTS 



PAR 



PIERRE DE NOLHAG 




PARIS 
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 

3, RUE AURER, 3 
1902 



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LOUIS XV ET. MARIE LEGZINS 

1725-1744 



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CHAPITRE PREMIER 



LE MARIAGE 



En 1725 vivait sur terre française, à Wis- 
sembourg en Basse- Alsace, la famille d^un 
roi détrôné, dont le nom, plus d'une fois 
mêlé à rhistoire guerrière du commencement 
du siècle, semblait voué désormais au complet 
oubli. 

Stanislas Leczinski (Leszczynski), simple 
palatin de Posnanie, élu roi de Pologne en 
1704, grâce à l'amitié du grand Charles XII, 
avait partagé la fortune du héros de la Suède. 
Les revers de Charles avaient mis fin à ce 
règne, la Pologne ayant dû accepter à nou- 
veau la royauté d'Auguste, électeur de Saxe, 
appuyé par les armées du czar Pierre. Le 



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» tÛtJIB XV ET MARIE tEGZlHSKA. 

vainqueur de Pultawa, fidèle à la fraternité 
des armes, ne laissait point sacrifier entière- 
ment l'allié qui avait conduit au service 
de sa gloire la vaillance polonaise. Il lui 
donnait à gouverner la petite principauté de 
Deux-Ponts, sur l'a rive droite du Rhin, 
rattachée momentanément à la couronne 
de Suède ; il lui permettait ainsi d'attendre 
l'heure oii ils rentreraient ensemble dans 
Varsovie et reprendraient à l'usurpateur le 
sceptre des Jagellons. 

La mort de son protecteur ruinait bientôt 
les espérances de l'exilé et celles du parti qui 
le soutenait encore en Pologne. Une prompte 
détresse suivait ce malheur; Leczinski devait 
abandonner Deux-Ponts, réclamé par l'héri- 
tier légitime, et la sœur de Charles XII, 
devenue reine de Suède, cessait de lui servir 
sa pension. Il vivait quelque temps de secours 
plus ou moins déguisés et d'emprunts aux 
banques de Francfort. Mais son existence 
même n'était pas en sûreté : les agents du roi 
Auguste, qui avaient tenté à plusieurs reprises 
de l'enlever ou de le tuer, recommençaient 
leurs complots avec des facilités nouvelles. 
Il fallait trouver à tout prix un asile. La place 
française de Landau le recevait en fugitif, avec 

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LB HARIAOB. 



les siens. Bientôt après, sa demande de séjour 
était accueillie par le Régent, au nom du petit 
roi Louis XV, et on lui laissait choisir la ville 
de l'intendance d'Alsace où il lui plairait de 
résider, sous la sauvegarde bienveillante de 
la France. C'est ainsi qu'au début de 17 19 
il s'était installé à Wissembourg. Il y gardait 
le reste de petite cour que conservent aux 
rois sans royaume le dévouement exalté par 
l'infortune et aussi l'indéracinable vanité des 
titres sonores. 

Rien ne faisait prévoir que la vie déjà si 
agitée de Leczinzki dût avoir des revirements 
encore plus étranges que ceux qu'elle avait 
subis. De simple gentilhomme vivant sur ses 
terres, il était devenu roi et chef d'armée ; 
banni maintenant et réduit à mendier sa vie, 
l'avenir lui ménageait des retours extraor- 
dinaires, une royauté encore, puis, de nou- 
veau, la chute, les émotions d'un proscrit, 
enfin, pour mettre à leur comble ces aven* 
tures, une espèce de trône honoraire et 
les studieux loisirs d'un philosophe cou- 
ronné. Les circonstances et les hasards seuls 
avaient fait et devaient continuer cette éton- 
nante carrière ; elle ne sortit point, comme 
on Fa cru longtemps, des mérites d'un homme 



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4 LOCIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

capable de s'élever aux destinées les plus 
hautes et digne d'attirer sur sa tête les coups 
les plus violents de la fortune. 

La légende faite autour du nom du roi 
Stanislas a été entretenue par les flatteries 
dues à une reine de France et soigneusement 
préparée par lui-même pendant la dernière 
partie de sa vie. Il ne fut, dans la réalité, ni 
le héros désintéressé, ni le pur philanthrope 
que ses biographes ont toujours dépeint. 
L'étude nouvelle des documents le montre 
atteint d'ambitions inguérissables, et médio- 
crement doué pour en soutenir les préten- 
tions. Roi à vingt-sept ans par la volonté 
d'un grand capitaine, il s'est cru des titres 
personnels à le rester, et cette conviction 
orgueilleuse, qu'il s'imaginait tempérer suffi- 
samment par l'humilité chrétienne, a pesé 
sur toutes les décisions de sa vie. Les chimères 
de son imagination le jetaient des enivre- 
ments de la vanité satisfaite aux défaillances 
du découragement. Honnête homme toute- 
fois, dans tous les sens du mot, d'un esprit 
vif et lettré, plein de qualités privées fort res- 
pectables, ajffectueux et bon, capable de sentir 
très vivement l'amitié et de l'inspirer, dévoué 

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LE MARIAGE. 



et chevaleresque à la polonaise et bien pourvu 
dé bravoure, Stanislas n'est accablé que par 
le rôle où il a voulu se hausser devant l'his- 
toire. Il était né pour mener avec dignité la 
noble existence seigneuriale de son pays et 
pour les tendres devoirs du père de famille, 
plus que pour l'autorité et la responsabilité 
d'un grand royaume. Jamais, du reste, il ne 
mérita mieux la sympathie que pendant son 
exil à Wissembourg ; l'excès de son malheur 
anéantissait alors ses rêveries ambitieuses, et 
il supportait avec résignation et courage une 
disgrâce cette fois imméritée. 

Stanislas et sa famille habitaient une mo- 
deste maison particulière, l'hôtel de Weber. 
La misère qui les accablait n'avait point pour 
décor la pittoresque commanderie en ruine, 
dans laquelle les historiens ont aimé à la 
décrire, mais elle n'en est pas moins lamen- 
table. Aucun secours n'arrivait de Pologne, 
où les biens du roi déchu étaient confisqués 
et où ses parents même l'abandonnaient; les 
pierreries de la reine étaient en gage chez un 
prêteur; quant à la pension du roi de France, 
elle ne venait pas avec exactitude, et il fallait 
souvent la réclamer des ministres par des 
lettres suppliantes et douloureuses. 



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6 LOUIS XV ET MAAIE LECZINSKA. 

Celte détresse d'argent était d'autant plus 
pénible à Stanislas qu'elle l'empêchait dç 
remplir ses devoirs envers des serviteurs 
demeurés fidèles et qui entretenaient autour 
de lui l'apparence d'une vie royale. Tout 
espoir de restauration prochaine ayant dis- 
paru, ses compagnons de bannissement 
s'étaient peu à peu dispersés ; il ne restait 
plus auprès de lui que cinq ou six gentils- 
hommes, dont le vieux baron de Meszeck, 
qui conservait, dans cette maison étrangère, 
le titre de grand maréchal du palais, et deux 
prêtres polonais, confesseurs delà reine et de 
la jeune princesse Marie. Un seul parent, le 
comte Tarlo, habitait avec Stanislas, ainsi 
que la mère du roi, que son grand âge et ses 
infirmités isolaient un peu de la famille. On 
vivait à l'écart du monde et presque ignoré 
de lui, recevant seulement quelques visites 
de la noblesse de la province. Le roi de Po- 
logne avait noué cependant des relations 
d'amitié avec le cardinal de Rohan, évêque 
de Strasbourg, et le maréchal du Bourg, 
commandant de la même viUe. Le prélat et 
le maréchal venaient assez souvent à Wis- 
sembourg, attirés par une infortune aussi 
intéressante, et proclamaient leur admiration 

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I.E MARIAGE. 



affectueuse pour les vertus qu'ils y rencon^ 
traient. 

Dans cet intérieur d'exilés, où la reîne 
montrait plus de force de caractère que dç 
douceur, et qu'attristait encore la morose 
vieillesse de la mère du roi, tout le sourire 
et toute la grâce venaient des vingt ans de la 
princesse Marie. A mesure que l'espoir de 
retourner en Pologne s'effaçait, les préoccu-r 
pations de Stanislas se concentraient sur 
l'avenir de cette enfant, devenue fille unique 
par la mort récente d'une sœur aînée. Elle 
tenait de lui, non les traits de son visage, mais 
son humeur enjouée, son cœur passionné 
et son goût des occupations de l'esprit. 

Il l'avait élevée lui-même, pendant les der- 
nières années, dans les longs loisirs de Wis- 
sembourg, et lui avait donné une instruction 
forte, l'habitude des lectures solides, une 
religion sans bigoterie, non sans dévotion, et 
fort appuyée sur les pratiques. Destinée, 
comme il le semblait, à mener une vie mo- 
deste, elle avait reçu l'éducation qui se prête 
le mieux à en faire supporter la médiocrité 
et à en augmenter le charme. Elle dansait, 
chantait, jouait du clavecin, tout cela avec 
un coût naturel Qt sans avoir e\i de maître 



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8 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

de premier ordre pour l'y perfectionner. Il 
manquait à sa personne le don suprême de 
la beauté; mais elle était agréable, bien faite, 
avec des yeux expressifs, un grand front, 
une jolie bouche et la jeunesse d'un teint 
dont l'eau fraîche faisait tout le fard. Une 
telle fille était de celles dont un cœur pater- 
nel s'enorgueillît et qu'il croit promises , 
par un droit spécial, à toutes les formes du 
l5onheur. 

Les seuls plaisirs que Marie eût goûtés jus- 
qu'alors se réduisaient à l'intîmîté de son 
père, aux visites des rares amis et aux œuvres 
de charité, qui remplissaient ses journées et 
celles de sa mère et lui valaient l'aJËTection des 
pauvres gens du voisinage. Le malheur per- 
sistant qui avait frappé autour d'elle avait 
développé ses sentiments de pitié et mûri par 
la souffrance son jeune esprit. Elle se rappelait 
le temps des guerres désastreuses, l'attente 
anxieuse des nouvelles, les inquiétudes con- 
tinuelles sur une vie chère, les départs préci- 
pités, ces voyages qui ressemblaient à des 
fuites, enfin toutes ces années tragiques ou 
incertaines vécues par la famille en Pos— 
nanie, en Suède, en Poméranie, jusqu'à l'asile 
misérable qui l'abritait maintenant. Un jour, 

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LE MARIAGE. 



au château de Posen, lorsque Marie était tout 
enfant encore, les Russes étaient arrivés pen- 
dant une absence du père et avaient enfoncé 
les portes ; on l'avait fait fuir par une fenêtre 
sur les jardins ; au village où Ton s'était ré- 
fugié, un paysan l'avait cachée dans son four, 
et elle y avait attendu, sans bouger, de lon- 
gues heures, que les ennemis redoutés fussent 
partis. De tels souvenirs n'étaient pas rares 
dans la mémoire de Marie et lui faisaient 
remercier Dieu et le roi de France de cette 
tranquillité présente qui ne suffisait point à 
son père. 

L'exilé, qui signait encore « Stanislas roi », 
comme il le fit toute sa vie, subordonnait pour 
le moment ses ambitions politiques à ses de- 
voirs de paternité. Cette enfant uniquement 
aimée et si digne d'être heureuse^ mais sans 
fortune et sans patrie, ne pouvait plus atten- 
dre l'union qu'il avait autrefois rêvée pour 
elle. Isolé comme il l'était de son pays, c'était 
dans la noblesse de France ou des bords du 
Rhin qu'il devait trouver un protecteur pour 
cette chère destinée. 11 n'oubliait pas, en ce 
temps où l'honneur du nom était compté dans 
le patrimoine des familles, que la gloire éphé- 
mère de sa royauté donnait à sa fille le droit 



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lO LOUIS XV ET MABTE LECZINSKA. 

d'être recherchée par de grands personnages; 
maïs ce même souvenir obligeait aussi le père 
à se montrer difficile sur les prétendants et 
restreignait singulièrement son choix. 

Marie avait été demandée par le marquis de 
Courtenvaux, petit-fils du ministre Louvois, 
qui avait tenu garnison à Wksembourg et était, 
à Versailles, colonel des Cent-Suisses. Le jeune 
officier avait gardé un souvenir assez vif, 
comme on le voit, des charmes de la prin- 
cesse ; mais il n'avait pu obtenir le duché- 
pairie que Stanislas eût souhaité pour son 
gendre, et le projet n'avait pas eu de suite. 
Le' roi de Pologne avait songé, de son côté, 
au fils de la margrave de Bade, sa voisine ; 
mais celle-ci, après les premiers pourparlers, 
s'était dérobée, non sans laisser sentir qu'elle 
appréciait peu les avantages d'une alliance avec 
un roi sans couronne. Stanislas était encore 
sous l'humiliation de ce refus, quand une pro- 
position inattendue vint jeter dans la famille 
l'idée et l'ambition d'un mariage avec un 
prince de la maison de Bourbon. Ce prince 
était celui qu'on appelait M. le Duc et qui 
touchait d'assez près au trône, puisqu'il était le 
chef de la maison de Condé, la première 
après celle d'Orléans. 



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LE MARIAGE. II 



Ce qu'on savait de la cour de Versailles 
au modeste foyer de Wissembourg se rédui- 
sait à peu de chose. Bien rarement un étran* 
ger de distinction, traversant T Alsace et visi- 
tant Stanislas, y avait apporté l'écho direct 
des fêtes et des intrigues de la Régence. 

Le roi avait jadis, dans ses voyages de 
jeunesse, entrevu le rayonnement de gloire 
de Louis XIV ; mais le monde nouveau qui 
l'avait remplacé lui était entièrement inconnu. 
Il était cependant trop avisé pour tirer seule- 
ment des gazettes et des conversations de gens 
de province ses informations sur les choses de 
France et sur les hommes qui les gouver- 
naient. Un ami très sûr, le chevalier de 
Vauchoux, le renseignait. Ce Vauchoux, qui 
avait servi sous ses ordres, au temps de Char- 
les XII, et qui venait quelquefois le voir en 
Alsace, lui servait d'agent d'ajffaires à Paris ; 
et, comme la grande affaire de Stanislas se 
trouvait être l'établissement de sa fille, c'était 
le petit gentilhomme qui avait mené à lui 
seul les négociations que nous allons dire et 
que rien n'avait ébruitées au moment de la 
mort du Régent. 

Ce ne fut pas isans émotion que Stanislas 
.apprit l'élévation au premier ministère du 



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13 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

prince qu'il rêvait pour gendre. Il vit aussi- 
tôt, si le projet se réalisait, l'avenir de sa fille 
assuré de la façon la plus brillante, personne 
à ce moment ne pouvant prévoir les destins 
plus glorieux encore qui l'attendaient. . 

Qu'était alors cette Cour de France où la 
princesse Marie semblait appelée à vivre, 
et quelles circonstances singulières lui eii 
avaient ouvert le chemin? Gomment les évé- 
nements allaient-ils marcher assez vite pour 
remplacer l'alliance déjà inespérée du sang 
royal par celle du Roi lui-même? 

Il y a à Versailles un roi de quinze ans, 
dont tous les goûts sont pour la chasse et qui 
est fiancé par politique, depuis 1721, à une 
gracieuse petite Infante, vivant a la Cour et 
attendant l'heure du mariage. Elle doit pren- 
dre patience longtemps encore, puisqu'elle n'a 
pas même sept ans, mais son union est assurée 
par les plus solennels engagements et par sa 
présence au Louvre, au milieu d'honneurs 
presque royaux. Si la princesse espagnole et 
le jeune Louis XV sont un couple charmant, 
on le voit rarement réuni, et il ne saurait être 
bien intéressant. Ce sont deux enfants, autour 
de qui se fait la politique et qui n'en font pas. 



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LE MARIAGE. * l3 



Il y a, au contraire, près du trône, deux 
hommes, d'inégale importance, exerçant tous 
les deux une part du pouvoir : l'un, M. de 
Fleury, ancien évêque de Fréjus, se con- 
tente pour le moment de conduire l'esprit du 
Roi, dont il a été le précepteur et dont il 
reste le seul . conseiller ; l'autre, Louis de 
Condé, duc de Bourbon, gouverne l'Etat et 
prend la parole devant l'Europe au nom de 
son maître. 

Aucun choc n'a heurté l'une à l'autre ces 
deux puissances. C'est M. de Fréjus qui a 
fait donner le ministère à M. le Duc, au 
lendemain de la mort du Régent, parce que 
personne ne pouvait lui porter moins d'om- 
brage. Ce prince de trente ans, d'intelligence 
ordinaire, remplace par une infatuation assez 
discrète l'expérience des affaires, qu'il est 
incapable d'acquérir. Quant au vieux prêtre, 
doucereux et poli, son ambition est sans 
mesure, non sans prudence ; il sait très sûre- 
ment qu'il recevra le pouvoir des mains de 
son élève, lorsque l'heure sera venue ; mais 
il n'est point pressé : il a soixante-dix ans et 
peut attendre encore, ayant attendu si long- 
temps. 

Une idée principale domine la politique de 



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l4 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIISKA. 

M. le Duc et y donne, comme il arrive, une 
direction fort opposée à celle que suivait le 
précédent régime. La Régence, sans nuire aux 
intérêts de la France, a servi à grandir la 
maison d'Orléans. On rêve aujourd'hui de 
l'abaisser. Le mariage réalisé d'une fille du 
Régent, Mademoiselle de Montpensîer, avec le 
prince héritier d'Espagne, en échange de la 
promesse de mariage entre Louis XV et l'In- 
fante, a consacré l'étroite union des deux 
pays, chère aux Grand Roi ; mais elle a été, 
pour la branche cadette de la maison de 
France, un triomphe d'ambition, suivi bien- 
tôt d'un autre succès, le projet d'union entre 
une seconde princesse. Mademoiselle de Beau- 
jolais, et cet Infant don Carlos, dont on 
compte faire un duc de Parme. En même 
temps que ces couronnes sont promises à des 
princesses d'Orléans, le très jeune âge de la 
petite Infante-Reine maintient, pour de longues 
années encore, les chances de succession au 
trône de France en faveur du duc d'Orléans, 
premier prince du sang. 

Le titre est porté, à cette heure, par un 
jeune homme de vingt ans, dont le rôle 
demeure assez effacé et qui, occupé de charités 
et d'affaires religieuses, promet d'être en 



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LE MARIAGE. l5 



contraste absolu avec son père. S'il semble 
peu fait pour inspirer une grande haine, il 
est du moins assez jaloux de ses prérogatives 
et assez fidèle aux traditions de sa famille 
pour n'en rien abandonner aux prétentions 
rivales de la maison de Gondé, la plus rap- 
prochée du trône après la sienne. Le hasard 
peut avoir mis le pouvoir suprême dans 
les mains d'un Condé, sans qu'il ait cessé de 
le regarder comme son inférieur par la nais- 
sance. La lutte de deux mères orgiieiUeuses, 
la duchesse d'Orléans et la duchesse de Bour- 
bon, ajoute à l'hostilité entre les deux princes, 
La première a refusé avec hauteur la main 
de la sœur du ministre pour son fils et vient 
de lui faire épouser une princesse de Bade; 
ce mariage a fait l'occasion d'un redouble- 
ment de froideur et d'impertinences, et tout 
un parti de Cour assez nombreux s'est em- 
pressé de rappeler que le jeune duc d'Or- 
léans, tant que Louis XV n'est pas marié, doit 
être regardé comme l'héritier présomptif de 
la couronne. 

Le Régent a eu le mérite, au milieu de ses 
pires débauches, de ne jamais abandonner 
aux mains des femmes la politique du 
royaume. Il n'en va pas de même avec M. le 



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l6 LOUIS XV ET HAUIE legzinska. 

Duc, qui continue seulement par ses pitoyables 
mœurs les traditions de Philippe d'Orléans. 
Il accorde à sa maîtresse, madame de Prie, 
une autorité si grande sur son esprit, qu'elle 
est devenue en peu de temps plus puissante 
dans l'État que le premier ministre lui-même ; 
et c'est une singulière figure que celle de celle 
femme, d'une ambition si âpre et d'une des- 
tinée si courte, qui ouvre, dès l'adolescence 
de Louis XV, la série des maîtresses poli- 
tiques du xviii® siècle, 

Fille d'un riche enlrepreneur de vivres, 
Berthelot de Pléneuf, elle a été mariée de 
bonne heure, pour sa jolie taille et ses écus, 
au marquis de Prie, de fort bonne et même 
grande maison, proche parent de la duchesse 
de Ventadour, gouvernanle du Roi. Elle a jeté 
son premier éclat à la Cour de Turin, oii 
son mari a soutenu, avec l'argent du mariage, 
une brillante ambassade. Mais la ruine est 
arrivée, Berthelot ayant été « recherché » , 
pour l'origine de sa fortune et ayant dû don- 
ner ses biens pour sauver sa tête. La mar- 
quise de Prie, sous les grâces de sa jeunesse 
et la vivacité de ses yeux chinois, cache l'âme 
d'un roué de la Régence; l'impiété cynique 
s'y mêle à une avididé sans mesure et à celte 



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LE MARIAGE. I7 



galanterie qui se passe de sentiment. Elle a 
tenté, en plus d'une expérience, à retenir un 
coeur qui pourrait lui rendre la fortune. Celui 
du duc de Bourbon s'y est laissé prendre, 
ce qui est déjà pour elle une belle aventure ; 
puis la chance échue à son amant de deve- 
nir premier ministre lui a donné à elle-même 
le goût de diriger l'État. M. le Duc étant laid, 
borgne et borné, il semble juste à madame de 
Prie que les répugnances qu'il lui cause soient 
payées par la pleine satisfaction de sa cupi- 
dité et de son orgueil. Le prince n'a rien à 
refuser à une maîtresse déclarée, dont l'intel- 
ligence, lucide et ferme, le domine. Voilà 
comment, en ce moment du règne où le Roi, 
quoique légalement majeur, ne gouverne pas, 
c'est madame de Prie qui tient la France. 

Jamais peut-être les alTaîres nationales 
n'ont été confiées avec moins de contrôle à des 
mains plus indignes de les manier. La preuve 
n^est point faite que madame de Prie reçoive, 
pour servir l'Angleterre, la pension payée, 
dit-on, à Dubois, ni qu'elle ait mérité du 
cabinet de Londres d'aussi flatteuses marques 
de confiance. Mais si les erreurs diploma- 
tiques du moment peuvent s'expliquer par 
d'autres causes, les fautes intérieures qui ont 



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l8 LOUIS XV £X MAaiE I^EGZINSKA. 

rendu très vite impopulaire le gouvernement 
de M. le Duc sont justement imputables à 
sa conseillère. Elles portent surtout sur les 
mesures destinées à se procurer de l'argent. 
Un de ces trois frères Paris qui ont été les 
collaborateurs financiers du Régent, Pâris- 
Duverney, a mis son activité hardie au ser- 
vice du nouveau régime et s'est tout dévoué 
à la favorite. Quand on a, sur l'avis de 
Duverney, diminué la valeur légale des mon- 
naies et l'intérêt de l'argent, imposé du cin- 
quantième tous les revenus, rétabli la vieille 
taxe féodale de joyeux avènement, le mécon- 
tentement public a pu voir avec raison, en 
toutes ces fâcheuses mesures, la main de 
madame de Prie. 

D'une liaison aussi avantageuse, la mar- 
quise compterait profiter longtemps encore, 
si elle n'était menacée par un vieux projet 
de la duchesse de Bourbon. Dès avant le mi- 
nistère, celle-ci s'était mis en tête d'obliger 
son fils à se marier. Il était naturel que le 
petit-fils du vainqueur de Rocroy, qui n^avait 
pas eu d'enfant d'une première union, assu- 
rât par lui-même la transmission du nom des 
Condé. C'était le moyen le plus sûr de balan- 

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LE SJARIAGE. IQ 



cer l'augmentation d'influence que devait pro- 
curer son mariage au fils du Régent; c'était 
aussi, aux yeux de la mère, une occasion de 
délier le sien des liens peu honorables qui 
le retenaient. Madame de Prie ne l'enten- 
dait point de cette façon et, quand elle vit 
cette idée trop raisonnable entrer dans l'es- 
prit de M. le Duc, elle s'avisa du moins de 
mener les recherches elle-même et de trouver 
une épouse suivant ses convenances. Pour 
que la marquise gardât, le mariage fait, sa 
situation et les avantages qui en découlaient, 
il fallait que la nouvelle duchesse n'eût point 
de qualités trop séduisantes ; il importait 
aussi qu'elle fût d'origine assez modeste pour 
ne se jamais soustraire à ses obligations de 
reconnaissance. 

Ce fut dans ces dispositions d'esprit qu'une 
conversation de salon fit savoir à madame 
de Prie l'existence de la fille de Stanislas. 
Le chevalier de Vauchoux était en rela- 
tions avec la veuve d'un ancien caissier de 
Berthelot de Pléneuf, une dame Texier, qui 
avait ses entrées chez madame de Prie et 
qui l'y présenta un jour, dans l'hiver de 
1722. Vauchoux saisit l'occasion de parler de 
la petite cour polonaise qu'il fréquentait et du 



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20 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

désir qu'avait Stanislas de fixer l'avenir de sa 
fille. Ce qu^apprit la marquise de l'éducation 
simple et des qualités de la princesse Marie 
retint aussitôt son attention : elle entrevit que 
cette alliance, fort acceptable pour son amant, 
pourrait le lui laisser tout entier. Elle aperçut 
aussi des avantages plus immédiats et que 
son avidité explique. L'afiaire fut aussitôt 
engagée et madame de Prie promit, moyen- 
nant une somme importante, de faire épouser 
M. le Duc. 

Les conditions de la promesse étaient trop 
ordinaires à cette époque pour pouvoir éton- 
ner Stanislas, mais il est un peu surprenant 
qu'il ait entièrement ignoré le rôle de la sin- 
gulière protectrice qu'il agréait pour sa fille. 
Dans son empressement à accepter cette 
aubaine inespérée, ses lettres, destinées, il est 
vrai, à être montrées, débordent de recon- 
naissance pour la marquise : c( La réputation 
de cette dame, jointe au portrait que vous 
m'en faites, me fait considérer infiniment son 
amitié. Je suis très persuadé que son désir de 
voir l'union de ma fille avec M. le Duc est 
un suffrage puissant pour accomplir nos inten- 
tions communes...)) «Je voudrais que nous 
soyons déjà là à traiter sur cet article ; je ne 

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LE MARIAGE. 31 



crois pas que nous nous y arrêterions long- 
temps. Cela sera, je vous assure, bientôt 
débattu, quand madame la marquise de Prie 
aura frayé les chemins et levé les autres diffi- 
cullés. Rien n'est plus avantageux à ma fille 
que ridée favorable que cetle damé en a 
conçue. Si je ne craignais de blesser la mo- 
destie, je pourrais dire qu'elle ne se trompe 
pas, aussi bien que sur l'amitié de la reine et 
sur l'ardent désir que nous avons de la con- 
vaincre par toutes les occasions qui se pour- 
ront présenter. Au reste, mon cher Vauchoux, 
répondez en tout de moi ; vous n'en aurez 
jamais le démenti. » 

Les choses furent loin de marcher aussi 
vite quç l'espérait l'impatient Stanislas. Dix 
mois plus tard, elles n'avaient pas fait un 
pas, et il apprenait avec appréhension qu'un 
parti de cour voulait marier M. le Duc à 
Mademoiselle de Modène. Madame de Prie 
n'avait donc réussi à rien auprès du prince. 
Les lettres de Stanislas à Vauchoux montrent 
qu'on l'avait fort inquiété lui-même au sujet 
de cette bonne amie : ce Je suis averti d'une 
main très sûre qu'on se donne tous les mou- 
vements pour nous contrecarrer en faveur de 
la duchesse de Modène, et, ce qu'il y a de 



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22 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA. 

pire, qu'on s'est attaché à madame de Prie 
pour renverser nos projets, à ce qu'on m'as- 
sure qu'on l'a fort ébranlée. Ainsi, mon cher 
Vauchoux, je recours à votre pénétration pour 
en être éclairci, sans faire paraître la moindre 
défiance encore de mon côté, et suivant que 
vous approfondirez l'affaire, il faut tâcher de 
remettre madame de Prie, s'il est possible, 
dans les premiers sentiments; car, si c'est 
Topiniâtreté de mon sort qui les fait chan- 
ger, il serait à souhaiter qu'on fixe un temps 
auquel, si on ne voit pas plus clair dans mes 
intérêts, qu'on prenne alors d'autres résolu- 
tions : si aussi l'intérêt ébranle notre bonne 
amie, je laisse à votre délicatesse de faire 
comprendre qu'on trouvera le même avec 
moi, si on persévère constamment à ce qu'on 
a commencé. » Une autre lettre, plus intime 
sans doute^ appuyait sur la question d'argent : 
« Ils marchandent l'affaire avec de l'argent 
comptant, pendant que je demande du crédit 
pour un peu de temps, et, quoique je le veux 
avoir à un plus haut prix que ceux qui me 
le disputent , j'ai besoin de bons répon- 
dants... » 

La mort du Régent, à la fin de 1728, et la 

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lE MAUtAGB. 33 



remise du pouvoîr au prince si disputé sus- 
pendit les négociations. M. le Duc eut des 
soucis d'autre genre, et la marquise des pro- 
fits plus sérieux à espérer. Stanislas, fidèle à 
ses engagements, ne chercha point de nou- 
veau parti pour sa fille. Il se fit un mérite 
de n'avoir point attiré le duc d'Orléans, à 
Tépoque où celui-ci trouvait des difficultés à 
conclure son mariage à Bade et où le comte 
d'Argenson, allant essayer de les régler, s'ar- 
rêtait à Wissembourg et se montrait fort 
enthousiasmé de Marie Leczinska. Au reste, 
le chevalier de Vauchoux ne se décourageait 
pas et préparait le moment propice, qui parut 
venir au début de 1725. 

L'affaire durait depuis deux ans et demi, 
quand M. le Duc, convaincu par sa mère de la 
nécessité de se marier, se décida pour la prin- 
cesse de Pologne. Il adopta même le projet 
avec une certaine ardeur, pensant, à ce qu'on 
peut croire, que le roi Stanislas n'avait pas 
perdu toutes ses chances de restauration et 
que son gendre pourrait être appelé, le cas 
échéant, à recueillir ses titres à la couronne* 
On fit faire à Wissembourg quelques ouver- 
tures par le maréchal du Bourg en personne» 
Stanislas fut naturellement prié de n'en point 



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34 LOUIS XY ET MARIE LEGZirfSKA. 



parler ; mais sa joie, dès lors, lui sembla 
certaine et T avenir de sa fille assuré. 

Madame de Prie ne tarda pas à se mettre 
avec lui en correspondance directe. Il recom- 
mençait à la considérer comme sa plus sin- 
cère amie, quand elle mit le comble k ses 
bontés en envoyant un peintre faire, pour 
elle, le portrait de la princesse. Ce Pierre 
Gobert était un artiste de l'Académie royale, 
portraitiste en renom, qui venait à Wissem- 
bourg fort mystérieusement ; on avait raconté 
à Paris, pour donner le change, qu'il allait 
exécuter, au château de Saverne, des travaux 
commandés par le cardinal de Rohan. Il ar- 
riva le 24 février ; l'impatient Stanislas, qui 
croyait voir la toile finie en une semaine, s'as- 
surait que le maréchal du Bourg la ferait partir 
par une voie prompte et discrète. Mais Gobert 
tenait à bien faire et ne se pressait point. 
Vingt jours lui furent nécessaires, et le roi 
annonça l'envoi par un billet qui révèle bien 
tout l'espoir qu'il y mettait : c< Voici, mon 
cher Vauchoux, le portrait que j'ai voulu 
adresser a M. le cardinal de Rohan ; mais j'ai 
songé depuis que, si vous le rendez, cela fera 
moins d'éclat. Je vous prie donc de le 
remettre en mains propres à madame de 



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LE MARIAOB. 35 



Prie. Je suis persuadé par avance du bon 
usage qu'elle en fera. Je laisse le soin du 
reste à la sainte Providence. Vous avouerez 
que j'ai raison d'être charmé de l'ouvrage du 
portrait, car vous jugerez vous-même en le 
voyant qu'il est parlant et qu'on n'en saurait 
faire de plus ressemblant. Je voudrais encore 
qpi'on puisse tirer son intérieur et son carac- 
tère, comme vous les connaissez ; c'est votre 
ouvrage, et le mien d'être de tout mon cœur 
votre très affectionné... » 

Quand le précieux paquet, confié à la poste 
d'Alsace, parvint à destination, ce fut au mi- 
lieu de circonstances fort imprévues. La Cour 
de Versailles était en émoi : madame de Prie 
avait complètement oublié son peintre, sa 
princesse et son ami le roi de Pologne, et 
M. le Duc s'était mis sur les bras une trop 
grave et trop fâcheuse affaire pour avoir le 
temps de songer à se marier. 

Un autre mariage, plus important que celui 
du duc de Bourbon, préoccupait les esprits. 
Il s'agissait de la personne même du Roi, et 
le changement qui se produisait, dans des 
projets considérés jusque-là comme certains, 
entraînait d'étranges conséquences. 



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2G LOUIS XV ET MARIE LEGZINS&A* 

Ce fut un intérêt égoïste, la crainte de 
perdre trop tôt leur pouvoir, qui poussa 
madame de Prie et M. le Duc à renverser le 
mariage avec l'Infante. Il y avait une parole 
solennellement donnée ; la présence de la 
princesse en France depuis trois ans était un 
gage tellement éclatant, que son renvoi en 
Espagne devait être l'insulte la plus grave que 
pût recevoir la cour de Madrid ; la rupture des 
alliances, la guerre même pouvaient s'ensui- 
vre. Rien de tout cela ne pesa longtemps sur 
l'esprit du ministre, le jour où il trembla de 
voir le duc d'Orléans arriver au trône. L'âge 
de rinfante-Reine exigeait de longues années 
avant que le mariage pût s'accomplir. Jusque- 
là, la vie de Louis XV était à la merci d'un 
accident de chasse ou d'une de ces crises de 
santé que le jeune homme, bien que beau- 
coup fortifié depuis son enfance, subissait en- 
core de temps en temps, aux grandes alarmes 
de son entourage. On accusait la duchesse 
d'Orléans d'y songer avec trop de complai- 
sance et de ménager à son fils, par l'alliance 
qu'elle lui avait procurée, le soutien de l'An- 
gleterre et de l'Allemagne, en cas que le 
Roi vînt à manquer. M. le Duc vivait donc 
dans une peur coÉitihufelliè de devenir le sujet 



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LE MARIAGE. 3^ 



d'un rival qu'il détestait tous les jours 
davantage. 

Le setd remède à de tels soucis était le 
prompt mariage de Louis XV avec une prin- 
cesse en état de mettre au monde un dauphin. 
Il eût rassuré en même temps des conseillers 
plus sincères de la couronne, qui n'envisa- 
geaient pas sans inquiétude la pensée du céli- 
bat prolongé du jeune roi. On pouvait déjà 
prévoir, par le peu d'intérêt qu'il prenait aux 
gentillesses enfantines de sa cousine, que ce 
mariage imposé ne serait pas heureux; en 
attendant qu'il se réalisât, de nombreux écueils 
se présenteraient. Les hommes autorisés que 
M. le Duc convoqua à ce sujet en réunion 
secrète furent d'un avis unanime sur les périls 
qu'il y avait à courir. M. de Fréjus reconnut 
que le salut de l'âme de son élève était engagé 
en cette affaire, et le maréchal de Villars, avec 
la franchise d'un soldat et l'expérience d'un 
vieillard, résuma tous les avis dans le sien : 
c( Dieu, pour la consolation des Français, nous 
a donné un roi si fort qu'il y a plus d'un an 
que nous en pourrions espérer un dauphin. 
Il doit donc, pour la tranquillité de ses peu- 
ples et pour la sienne particulière, se marier 
plutôt aujourd'hui que demain. ï> 



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28 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

M. le Duc hésite cependant devant la gra- 
vité des conséquences, lorsqu'un événement 
le vient décider. Le Roi tombe malade à Ver- 
sailles ; sa fièvre est violente et il est un ins- 
tant près du danger. Le ministre entre le voir 
vingt fois le jour, couché dans la grande cham- 
bre où est mort Louis XIV, et il montre à 
tous les regards un visage qui révèle des 
anxiétés. Une nuit, l'imagination plus surex- 
citée que d'habitude, ne pouvant dormir, il 
se relève en robe de chambre, monte chez le 
Roi par son petit escalier, une bougie à la 
main, et trouve dans l'OEil-de-Bœuf un valet 
qui veille. Cet homme voit son trouble, lui 
parle, essaie de le rassurer; mais lui, absorbé, 
répond entre haut et bas à son bonnet de nuit : 
(( Que deviendrai-je ?... Je n'y serai pas 
repris... S'il en réchappe, il faut le marier! » 
Et le valet de chambre, témoin de cette scène 
instructive qu'il racontera à Saint-Simon, a 
beaucoup de peine à envoyer le pauvre prince 
se remettre au lit. 

Après d'aussi vives émotions, le sort est 
jeté: M. le Duc va signifier à Philippe V 
qu'on se trouve dans l'obligation, au nom de 
l'intérêt du Roi, son neveu, de lui renvoyer 
sa fille. 11 y met sans doute tous les mena— 



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LE MARIAGE. 2^' 



gements possibles ; il arrose de larmes le 
papier diplomatique et prodigue au petit-fils 
de Louis XIV les excuses les plus humiliées. 
Il essaie de lui faire accepter comme raison- 
nable et religieux un acte oii il ne peut voir 
qu'une déloyauté outrageante. Mais rien n'a 
fait soupçonner à l'avance un coup si violent, 
et la colère qui l'accueille est sans exemple à 
la cour d'Espagne. Le roi et la reine refusent 
de recevoir des mains de l'ambassadeur les 
lettres officielles qui les instruisent. On chasse 
de Madrid ce pauvre abbé de Livry, qui venait 
d'être nommé pour les apporter. On renvoie 
en France, avec sa sœur, veuve du roi Louis P', 
celle Mademoiselle de Beaujolais, qui devait 
épouser don Carlos. Ces dernières représailles 
tombent sur la famille d'Orléans, ce qui tou- 
che peu M. le Duc; mais il va se trouver aux 
prises avec des soucis plus directs. Les minisires 
d'Espagne en France sont rappelés; tous les 
consuls français ont l'ordre de quitter les ports 
espagnols dans les vingt-quatre heures. C'est 
la rupture complète entre deux pays qui avaient 
cru supprimer les Pyrénées, et bientôt l'al- 
liance incroyable de Philippe V avec la Maison 
d'Autriche porte dans la politique générale de 
l'Europe les résultats de sa rancune. 



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3o LOUIS XV ET MARIE LEGZIIVSKA. 

Qu*a fait cependant le premier ministre pour 
préparer le mariage de son roi? Une excuse 
à sa conduite précipitée, et aux dangers aux- 
quels elle expose la France, pourrait être 
dans l'heureux choix qui remplacera la petite 
Infante. Mais il cherche et négocie de tous 
côlés sans aucun succès. Il a fait demander la 
main de la fille aînée du prince de Galles ; la 
différence de religion a été le prétexte du 
refus, et l'affaire n'a pas été assez secrètement 
menée pour n'être pas jugée dans les chan- 
celleries comme un échec. Des propositions 
antérieures étaient venues de la czarine Cathe- 
rine, qui aurait été heureuse d'unir sa fille 
Elisabeth au roi de France, au prix même 
d'une abjuration de l'orthodoxie; madame de 
Prie a trouvé que le sang violent de Pierre le 
Grand ne lui promettait pas une reine assez 
dépendante, et le ministre, après des tergi- 
versations prolongées, a fini par refuser, au 
risque de détruire de cordiales dispositions de 
la Russie pour l'alliance française. Il a écarté 
de principe la charmante fille du duc de Lor- 
raine, catholique, d'âge excellent, parce que 
la mère est Orléans, sœur du Régent, et que 
les Condé ne peuvent supporter l'idée de four- 
nir au parti rival Tappui de la reine future. 



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LE MAKIAGB. 3l 



Les meilleurs choix étant rejetés, M. le Duc 
a beau faire dresser une liste de toutes les 
princesses de l'Europe , qui ont de treize à 
vingt-deux ans, et y réunir les détails précis 
sur leur religion, leur famille, leurs qualités 
physiques i aucun nom ne s'y rencontre qui 
puisse concorder à la fois avec Tâge du Roi, 
la dignité de IsP couronne et les convenances 
personnelles du ministre. Marie Leczinska 
figure dans cette liste, avec la remarque qu'elle 
a des parents peu riches et que son père et sa 
mère voudraient sans doute s'établir en France, 
ce qui serait un inconvénient : (( On ne sait 
rien^ d'ailleurs, ajoute le mémoire, qui soit 
désavantageux à cette famille ». Parmi les per- 
sonnes consultées par le ministre et invitées à 
lui faire tenir leur avis par écrit, nul ne s'avi- 
sera de songer à une princesse de naissance 
aussi modeste. 

On acceptera, au contraire, par égard pour 
M. le Duc, le sentiment vers lequel il penche 
lui-même et qui favorise une de ses propres 
sœurs. Mademoiselle de Vermandois. Quoique 
plus âgée de huit ans que le Roi, elle réunit 
toutes les conditions de beauté, d'esprit et de 
vertu qui peuvent justifier l'honneur qu'on 
lui fait ; elle est, de plus, d'une santé excel- 



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33 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

lente. Maïs madame de Prie, qui se sait détestée 
par la jeune fille, aide M. le Duc à réfléchir 
que l'opinion en France et en Europe s'indi- 
gnerait d'un choix où Ton verrait le poids 
de sa volonté égoïste sur son jeune maître. 
L'Espagne, d'autre part, n'attribuerait-elle pas 
l'humiliation qu'elle a reçue à l'intérêt de la 
maison de Condé et les conséquences du ren- 
voi de l'Infante ne retomberaient-elles point 
plus durement sur M. le Duc ? Le prince 
prévoit de tels soucis, pour une satisfaction de 
vanité, qu'il retire, après quelques jours, sa 
proposition. 

Cependant le temps s'écoule. On ne peut 
exposer plus longtemps le Roi au ridicule de 
chercher femme, et tout exige qu'une solution 
soit apportée aux difficultés où la France a 
été engagée par une imprudente impatience. 
Après les éliminations prononcées autour de 
la table du Conseil ou dans le cabinet de 
madame de Prie, après l'échec de la demande 
anglaise et l'abandon des prétentions des 
Condé, la liste des princesses est épuisée. On 
aboutit à cette constatation extraordinaire, 
qui condamne la légèreté de M. le Duc et 
n'est point pour relever son prestige : il n'y 



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LE MA&IAGB. 33 



a pas en Europe de princesse qui puisse 
épouser le roi de France. 
' Au milieu de ces embarras aigus, madame 
de Prie reçoit à Versailles le portrait de la 
jeune Polonaise que M. le Duc s'est promis 
d'épouser. Les grâces de son âge s'y trouvent 
agréablement marquées : on voit que la prin- 
cesse Maiie n'est point déplaisante et que, s'il 
lui manque le charme de la beauté, elle 
semble, du moins, avoir tous les autres. Une 
idée inattendue naît de cette coïncidence. L'ai- 
mable modèle du peintre ne pourrait-il faire 
une reine de France très suffisante? La ques- 
tion se pose aussitôt dans l'esprit de la favo- 
rite. Aucun obstacle dans la négociation n'est 
à prévoir; la demande, restée tout à fait igno- 
rée, qui a été faite par le duc de Bourbon, 
permettrait de substituer celle du Roi le plus 
aisément du monde. 

Madame de Prie voit d'un coup d'œil le 
parti qu'elle pourra tirer de cet heureux arran- 
gement. C'est elle qui aura fait la nouvelle 
reine ; quoi qu'il arrive, son avenir est garanti 
par la gratitude qui lui sera due. Elle pousse 
M. le Duc à se décider et rien ne se trouve 
moins difficile. Le prince s'accommode d'une 
combinaison qui lui apporte, en échange d un 



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84 LOLIS XV ET MARIE LEGZIUSKA. 

insignifiant sacrifice, la fin de tant d'affaires 
embrouillées. 

Si les objecliotts sont assez nombreuses, 
aucune ne paraît irréfutable, ce La Polonaise », 
comme on dit, a six ans et demi de plus que 
le Roi; mais Mademoiselle de Vermandois est 
plus âgée encore, ce qui n'a point arrêté, 
quand il s'est agi de la sœur du ministre, se- 
lon la propre déclaration faite à ce propos par 
le Conseil secret : a Les mœurs d'une personne 
de cet âge promettent bien davantage que ceux 
d'une personne plus jeune, et cet âge la rend 
plus propre à donner des héritiers bien consti- 
tués. )) On dira aussi que la situation de Stanis- 
las est fort modeste dans la hiérarchie des mo- 
narques et que, jadis roi électif, il est tombé 
au rang de simple pensionnaire de la France ; 
il a régné du moins sur un grand pays et porté 
une illustre couronne. Si Ton peut craindre, 
d'autre part, qu'il veuille la revendiquer un 
jour par les armes et entraîner la France dans 
ses projets, il semble facile de lui faire com- 
prendre qu'en devenant le beau-père du Roi 
Très-Chrélien, son devoir est de sacrifier ses 
ambitions aux intérêts du pays qui sera désor- 
mais celui de sa fille. D'ailleurs cetle pensée 
ne peut être que lointaine et M. le Duc n'est 

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tfe MÀRtAGS. âS 



pas d'humeur à s'inquiéter de demain, s'il a 
le moyen de sortir des difficultés d'aujour- 
d'hui. Il embrasse le projet avec ardeur et, de 
ce jour, le sort de Marie Leczinska est décidé. 

C'est peut-êlre la première fois en France 
que, dans le choix si important d'une épouse 
royale, des convenances égoïsles ont passé 
avant l'avantage de la nation. Aucun des mi- 
nistres du passé n'avait eu la pensée de slnspirer 
d'un autre intérêt que de celui de la couronne 
et n'avait subordonné la raison d'État à ses 
raisons particulières. Les motifs qui font le 
mariage de Louis XV montrent l'abaissement 
des caractères et l'oubli des devoirs du gou- 
vernement. Malgré cela, les circonstances 
sont devenues si pressantes que M. le Duc n'a 
pas d'opposition à redouter dans le Conseil* 
Pendant la séance tenue à Marly, le 3i mars, 
il remet sous les yeux du jeune Roi l'état 
détaillé des princesses d'Europe qu'on a déjà 
examiné en vain, et il prouve que, seule, la 
fille -du roi de Pologne peut être proposée 
sans inconvénient, 

La discussion qui suit ne produit point 
d'objection sérieuse ; M. de Fréjus lui-même, 
sans o{)lner fevorablement, se garde d'en for- 



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36 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

muler aucune, afTectant de laisser à d'autres 
une responsabilité aussi grave, et le Roi est 
enfin appelé à se prononcer. Le portrait de 
la princesse Marie lui a été présenté. Bien que 
les charmes de la future reine soient un objet 
fort secondaire en cette décision toute politique, 
Louis XV se sent porté à écouter les personnes 
qui disposent de son cœur ; il déclare au 
Conseil qu'il consent à épouser la princesse 
de Pologne. Le soir même, les ordres sont 
donnés pour le départ de l'Infante et le cour- 
rier d'Alsace emporte la lettre de M. le Duc 
pour le roi Stanislas. 



La reine Marie Lecziaska racontait elle- 
même comment elle avait appris l'événement 
extraordinaire de sa vie. Elle était dans une 
chambre de Wissembourg, occupée avec 
sa mère à leurs ouvrages de charité ; elles 
causaient des nouvelles de Pologne, qui 
semblaient plus décourageantes que jamais, 
puisque le roi Auguste venait de refuser 
définitivement à Stanislas toute restitution de 
ses biens patrimoniaux. Dans la chambre où 
se tenaient les deux femmes, le roi entra, le 
visage rayonnant d'une joie singulière et 



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LE MARIAGE. i'J 



tenant une lettre à la main : c< Ah I ma fille, 
s'écria— t-il , tombons à genoux et remercions 
Dieu! — Quoîl mon père, seriez-vous rap- 
pelé au trône ? — Le ciel nous accorde mieux 
encore , dit Stanislas : vous êtes reine de 
France I » 

Le père, la mère et la fille s'embrassèrent 
en pleurant et s'agenouillèrent, pour rece- 
voir par une prière reconnaissante la nou- 
velle qui mettait fin à tant de douloureuses 
incertitudes. 

Pas un instant la princesse Marie n'hésita 
à accepter la grâce qui lui était envoyée et 
qui apportait la consolation à ceux qu'elle 
aimait. Son jeune cœur s'attachait déjà de 
toute sa force au bel adolescent royal, dont 
les estampes lui avaient fait connaître les 
traits et pour le bonheur de qui elle avait 
souvent prié, en retour de l'hospitalité reçue 
par les siens. Les sentiments de ses parents 
étaient sans mélange ; « on étouffait de joie», 
écrit Stanislas. Ce projet, qu'il fallait tenir 
secret pendant quelque temps , resserré au 
cercle le plus étroit de la famille, y dédom- 
mageait de bien des misères. C'était le rêve 
auquel rien n'a préparé et qu'on savoure avec 
la seule crainle de le voir s'évanouir. 

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38 LOUIS XY BT MARIB LEGZINSKA. 



Stanislas adresse au duc de Bourbon une 
réponse, où se peignent rémotion ressentie et 
cette gratitude sur laquelle sont en droit <le 
compter les auteurs du mariage : a Monsieur 
mon frère, que puis-je dire à Votre Altess§ 
Sérénissime pour répondre à une lettre qui, 
me saisissant le cœur et m'ôtant la parole, 
me mettrait dans toute Tinsuffisanoe de lui 
exposer mes sentiments, s'ils étaient nou- 
veaux et inconnus à Votre Altesse Sérénis- 
sime?... Puisque la sainte Providence l'a 
tellement décidé et que votre incomparable 
sagesse le juge ainsi, Votre Altesse Sérénissime^ 
sait que je suis voué à Elle avec toute ma 
famille ; qu'Ëlle dispose d'un bien dont je 
Favdis rendue entièrement maître. Je vous 
cède mon droit de père sur ma 611e, en rem- 
plaçant celui d'époux qui vous était destiné. 
Que le Roi, qui la demande, la reçoive de 
vos mains... Plaise au Seigneur Tout-Puis- 
sant qu'il en tire sa gloire, le Roi son conten- 
tement, ses sujets toute la douceur et Votre 
Altesse Sérénissime la satisfaction de son 
propre ouvrage I » En attendant la glorieuse 
réalisation de cet ouvrage, le roi de Pologne 
avait h trouver en quelques jours treize mille 
livres, pour achever de retirer ses pierreries 



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LE MABIAOE. 3g 



chez 1q juif de Francfort où elles étdent enga- 
gées. Il était forcé d'avoir reçt:)ur3 à Familié 
du gouverneur de Strasbourg, qui lui en obte- 
nait digcrèlement le prêt 3ur la recette de la 
ville. Il échapppiit ainsi aux graves chicanes 
qu'il ftvôit un momeut redoutées, et qui 
auraient mis le comble aux âpres tourments 
d'argeut qui l'accablaient. 

Des soucis d'un autre genre allaient suivre, 
pendant de longues semaines , la joie de 
l'heureuse nouvelle. Le chevalier de Vau- 
chouY avait très promptement apporté à 
Wissembourg les remerciements du duc de 
Bourbon q\ traité confidentiellement avec 
Stanislas les questions politiques et person- 
nelles sur lesquelles il était nécessaire de s'en- 
tendre. Il avait trouvé chez le roi de Pologne, 
racontait-il, les sentiments d'un «bon Fran- 
çais » Qt le parfait désir de se soumettre aux 
volontés de son futur gendre. Le secret toute- 
fois rendait encore incertain le grand projet, 
Ghficun avait compris qu'une haute convenance 
exigeait, avant d'en parler, que l'Infante eût été 
remise aux envoyés de Philippe V chargés de la 
recevoir à la froptière ; mais celte remise avait 
eu lieu depuis longtemps, et rien n'arrivait 
à Wissembourg tranquilliser les esprits. 



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4o LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

Sans doute, à Versailles, dès la fin d'avril, 
les douze dames du palais étaient nommées, 
ainsi qu'une partie de la maison de la Reine, 
«semblable, écrit Marais dans son journal, à 
ce temple qu'on avait élevé à Rome avec cette 
inscription Deo incognito, au dieu inconnu». 
Le cardinal de Rohan, le maréchal du Bourg, 
venus en amis passer quelques jours chez le 
roi Stanislas, se considéraient déjà comme 
les sujets de leur chère princesse Marie. 
Celle-ci était presque traitée en reine, et l'on 
remarquait que ses parents lui laissaient la 
droite. Cependant la déclaration publique du 
mariage n'était pas faite, et il ne pouvait être 
regardé comme assuré, tant que cette for- 
malité ne serait pas venue engager la parole 
royale. 

L'événement qui se préparait avait fini par 
transpirer dans les pays rhénans. Tant d'al- 
lées et venues inusitées avaient excité les 
soupçons, et le bonheur deviné de Stanislas 
déchaînait la haine. Des agents saxons rô- 
daient dans les environs et venaient encore 
d'essayer de lui faire acheter du tabac empoi- 
sonné. Ils se mirent à l'œuvre pour empê- 
cher, par tous les moyens, un changement 
de situation qui devait si puissamment servir 

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LE MARIAGE. 4l 



sa cause en Pologne. A Paris même, où le 
projet s'ébruitait, beaucoup de gens étaient 
mécontents. De divers côtés, des dénoncia- 
tions parvinrent au duc de Bourbon, l'inquié- 
tant sur la santé de Marie Leczinska. ce Le 
bruit est grand, dit Marais, d'une lettre écrite 
par le roi de Sardaîgne, comme grand-père 
du Roi, qui s'oppose au mariage avec la 
Polonaise, par la mésalliance et parce qu'on 
dit qu'elle a des défauts corporels. Il y a 
aussi des lettres anonymes qui ont grossi ces 
défauts. On dit qu'elle a deux doigts qui se 
tiennent et des humeurs froides ; mais cela 
vient de la faction d'Orléans, à qui ce ma- 
riage et tout mariage du Roi déplaît. » 

Un avis plus grave prétendit que la prin- 
cesse était épileptique et désigna même une 
religieuse de Trêves, que la reine Catherine 
aurait été consulter plusieurs fois sur cette 
maladie. Rien ne pouvait causer à M. le Duc 
plus de souci pour sa conscience et pour ses 
intérêts. Il dut faire chercher une personne 
de confiance en relation avec le couvent de 
Trêves ; on put établir qu'en effet la reine de 
Pologne y était allée plusieurs fois voir la 
religieuse désignée, mais que c'était à propos 
d'une demoiselle de trente ans qu'elle aimait 



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4â LOUIS XY ET liARIfi tËGZINSKA.. 

beaucoup et qui était attachée k son service. 
Pour sûreté meilleure, le ministre chargea le 
cardinal de Rohan et le chevalier de Vau- 
choux d'informer Stanislas des bruits répan- 
dus et de lui faire accepter la visite de deux 
médecins envoyés de Paris. Le roi ne s'étonna 
point des calomnies acharnées contre le 
bonheur de sa fille et se prêta à ce qu'on 
voulait de lui. Les médecins constatèrent que 
la princesse avait une santé particulièrement 
vigoureuse et firent justice de tous les men- 
songes. Les inquiétudes de la famille tou- 
chaient à leur terme ; les lettres arrivaient 
enfin, apportant la nouvelle de la déclaration, 
et un détachement du régiment de Berry pre- 
nait la garde de la maison de Wissembourg. 

Le dimanche, 27 mai, à son petit lêVer, 
en présence des grands officiera de la Cou- 
ronne et des entrées, Louis XV déclara son 
mariage, suivant l'usage, en donnant à ses 
sujets tous les renseignements qu'ils étaient 
en droit de connaître : c< J'épouse, dilr-il, la 
princesse de Pologne. Cette princesse, qui est 
née le 28 juin 1708, est fille unique de Sta- 
nislas Leczinski, comte de Lesno, ci-devant 
staroste d'Adelnau, puis palatin de Posnanie, 



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LB lIAlilAGË. 43 



et ensuite élu roi de Pologne, au mois de 
juillet 1704» et de Catherine Opalinska, fille 
du castellan de Posnanie, qui viennent Tun 
et l'autre faire leur résidence au château de 
Saîni^Gerinain-en-Laye avec la mère du roi 
Stanislas , Anne Jablanoruska , qui avait 
épousé en secondes noces le comte de Lesno, 
•grand général de la Grande-Pologne. » Quand 
le Roi eut fini, le petit duc de Gesvres, Pre- 
mier gentilhomme de la Chambre en exer- 
cice, passa dans l'Œil-de-Bœuf plein de 
monde et prononça les mêmes formules, 
livrant la grande et décisive nouvelle aux 
commérages de la Cour et aux discussions 
des partis. 

« La Cour a été triste, écrit un nouvelhste, 
comme si on était venu dire que le Roi 
était tombé en apoplexie, x) Les compliments 
d'étiquette qu'il reçut manquèrent de sincé- 
rité. Personne ne montra d'enthousiasme 
pour une alliance où rien ne flattait l'amour- 
propre national. « Leczinski I Voilà un ter- 
rible nom pour une reine de France. r> Cela 
était indifférent au Roi, fort enchanté de se 
marier et, en attendant, malgré la pluie et le 
temps affreux, on le voyait chaque jour aller 
à la chasse et prendre plaisir à ce que tout le 

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44 LOUIS XV ET MARIE LEGZIN8KA. 

monde fût mouillé. Il ignorait entièrement 
que les cours d'Europe et les chancelleries 
parlaient couramment de sa mésalliance. La 
duchesse de Lorraine, par exemple, qui avait, 
il est vrai, quelque dépit de mère dédaignée 
dans son enfant, écrivait son humiliation de 
fille de France: <c Comme bonne Française et 
étant de la famille royale, je ne puis voir cette 
mésalliance pour le Roi sans en ressentir, je 
vous Tavoue, une peine mortelle, et je ne 
puis comprendre comment toute la France ne 
s'y oppose pas, à commencer par les prin- 
cesses de la maison royale. Il me paraît que 
les mésalliances sont bien à la mode en 
France, puisqu'elles vont à présent jusqu'à 
la personne sacrée du Roi. Il sera, à ce que 
je crois, le premier de nos rois qui aura 
épousé une simple demoiselle I D 

Le mariage n'était point un succès pour 
M. le Duc et sa conseillère. Ils en furent assez 
chansonnés pour que personne n'ignorât les 
motifs intéressés qui leur avaient fait faire un 
choix aussi imprévu. Le public, déjà mécon- 
tenté par les édits financiers, se montra désap- 
pointé et inquiet de Tavenir : « Nous verrons, 
disait- on, les suites de ce mariage avec un 
roi qui n'est plus roi, qui Ta été par une 



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LE MARIAGE. 45 



élection faite en conquête, qui cesse de Têtre 
par la même conquête et qui est d'une nation 
tout à fait étrangère à la nôtre. Les Polonais 
sont les Gascons du Nord et très républicains. 
Quel intérêt pouvons-nous avoir avec eux? 
Le roi Auguste, électeur de Saxe, qui est du 
corps de l'Empire et vrai roi de Pologne, va 
être fâché contre nous de ce que nous pre- 
nons pour reine la fille de son compétiteur 
et pourra nous faire des affaires avec l'Empe- 
reur et l'Empire. Le roi d'Espagne s'y join- 
dra, et voilà peut-être une guerre affreuse 
dans toute l'Europe contre nous I » Parle- 
mentaires et jansénistes ajoutaient un autre 
grief ; ce La famille du roi Stanislas est gou- 
vernée par les Jésuites; il va en venir avec 
eux, comme si nous n'en avions pas assez I » 
Une telle crainte, douze ans après la bulle 
Unigenitus et à la veille des « miracles » jan- 
sénistes du diacre Paris, comptait plus aux 
yeux de bien des gens que les avantages poli- 
tiques perdus par la France au renvoi de 
l'Infante. 

Des questions secondaires se soulevaient 
qui n'allaient point toutes sans difficultés. 
Pour décider des avantages matrimoniaux 
attribués à la fille de Stanislas, on n'eut qu'a 

3. 



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46 LOUIS XV ET MARIE LÎSGZIIYSKA. 

prendre ceux que le roi d'Espagne avait 
stipulés en faveur de la sienne : cinquante 
mille écus pour ses bagues et bijoux, qui 
devaient lui être remis après la signature des 
articles préliminaires; deux cent cinquante 
mille livres, à son arrivée près du Roi, et un 
douaire annuel de vingt mille écus d'or en 
cas de veuvage, avec cent mille écus de 
pierreries qui lui demeuraient. La formation 
de la maison de la Reine n'était pas aussi 
aisée. Si l'on eût écouté le maréchal de 
Villars, on eût retardé pour la faire jusqu'au 
rétablissement des finances; mais l'avidité 
de la Cour ne l'entendait pas ainsi, et l'on se 
disputa âprement tant de places lucratives 
qu'il fallut bien distribuer. 

La plus élevée, la surintendance de là 
çaaison, revenait presque de droit à Made- 
moiselle de Clermont, sœur aînée de M. le 
Duc; mais les importantes fonctions de dame 
d'honneur, qui rapprochaient à chaque ins- 
tant de la Reine, étaient réclamées par 
madame de Prie, en raison de la part qu'elle 
avait prise aux négociations et de ses relations 
antériexires avec le roi de Pologne. M. le Duc, 
sentant lui-même le beau scandale que soulè- 
verait cette nomination, s'abrita derrière l'avis 



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tfl MAHIAOB. ^^ 

de M. de Yillars. Le maréchal raconte, dans 
ses Mémoires, qu'il ce le détermina à jeter les 
yeux, préférablement à toutes, sur une dame 
dont la conduite fût respectable, et les deux 
qui pouvaient le plus mériter cette place 
étaient la maréchale de Gramont et la maré- 
chale de Boufflers; la première ne put l'ac- 
cepter» à cause de l'état languissant de son 
mari, et la maréchale de Boufflers fut 
déclarée. » On dédommagea madame de Prie 
par une des places de dame du palais, et 
par celle de secrétaire des commandements» 
donnée à son fidèle Pâris-Duverney, assuré 
dès lors comme elle d'avoir les moyens 
d'agir à toute heure sur l'esprit de la jeune 
Reine. 

Le marquis de Nangîs, celui-là même que 
madame la duchesse de Bourgogne avait* 
honoré de son amitié, fut nommé chevalier 
d'honneur; le comte de Tessé, fils du maré- 
chal, fut fait premier écuyer, et le chevalier de 
Vauchoux eut la récompense de ses services 
par une des places d'écuyer de quartier. On 
choisit potir premier aumônier l'évêque de 
Ghâlons, un Saulx-^Tavannes ; M. de Fréjus 
hésita à accepter la charge de grand aumônier 
et finit par s'y déterminer. La dame d'atours 



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/18 LOUIS*Xy ET MARIE LEGZINSRA. 

fut la comtesse de Maîlly, mère de nom- 
breuses filles destinées à jouer un rôle dans 
la vie de la Reine. Quant aux douze dames du 
palais, il y en eut six titrées et six non titrées : 
la maréchale de Villars, les duchesses de 
Béthune, de Tallard, d'Epernon, la comtesse 
d'Egmont, la princesse de Ghalais, les mar- 
quises de Nesle, de Prie, de Gontaut, de 
Matignon, de Rupelmonde et de Mérode. On 
murmura contre des choix dont la moitié au 
moins laissait prise à la médisance; ils sem- 
blaient peu convenable pour l'entourage d'une 
jeune souveraine, madame de Prie s'étant 
arrangée de façon à n'y pas être seule de son 
espèce. 

Le lieu où devait se faire la cérémonie du 
mariage par procuration donna motif à des 
incertitudes. Gomme les parents de la fiancée 
n'étaient point dans leurs Etats, on convint 
de choisir la capitale de la province oii ils 
recevaient l'hospitalité ; Strasbourg était, de 
plus, la ville épiscopale du cardinal de Rohan, 
chargé, comme grand aumônier de France, 
de célébrer le mariage royal. Un grand 
personnage devait être nommé pour aller 
épouser; M. le Duc, bien qu'il lui en coûtât 
de proposer au Roi le duc d'Orléans, ne put 



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LE MARIAGE» 49 



faire autrement que de s'y résigner, afin 
d'ajouter tout l'éclat possible à la cérémonie 
par la présence du premier prince du sang, 
Il dut même promettre cent mille écus pour 
la dépense du voyage. 

Les préparatifs se pressaient de part et 
d'autre. Le jour même où le comte Tarlo, 
parent de Stanislas, arrivait à Versailles pour 
signer les articles préliminaires et le contrat 
de mariage, le duc d'Antin et le marquis 
de Beauvau partaient, comme ambassadeurs 
extraordinaires chargés de faire la demande. 
Le maréchal du Bourg réglait avec eux et le 
roi Stanislas les détails de la solennité et le 
jour, qui fut, par piété, fixé au i5 août*: 
c( La princesse et sa famille, écrivait le duc 
d'Antin, désirent passionnément qu'eUe soit 
mariée le jour de la Vierge, pour laquelle on a 
une dévotion particulière. » 

Depuis le 4 juillet, Stanislas et les siens 
étaient à Strasbourg. La princesse Marie avait 
fait ses adieux à cette triste maison qui, cinq 
ans plus tôt, la recevait en fille d'exUés et 
d'oii elle partait, escortée de plusieurs bri- 
gades de carabiniers royaux, pour être la 
femme d'un des plus grands rois du monde. 



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50 LOUIS XY ET HARIti IHCZINSKA. 

A l'entrée de la ville, les magistrats étaient 
venus offrir leurs hommages, et les troupes 
faisaient la haie jusqu'au palais du Gouver- 
nement, où le cardinal, le clergé et les autres 
corps s'étaient rendus pour la complimenter. 
C'était la première fois que le canon reten- 
tissait en l'honneur de Marie Leczinska et 
que les hommages officiels l'entouraient ; ainsi 
commençait la réalisation de son rêve. 

Elle goûta aussi, pendant ces six semaines, 
comme elle n'avait pu le faire encore, les 
plaisirs d'une société brillante et choisie. 
Échappant aux importunités de la représen- 
tation^ le Roi et sa famille avaient accepté de 
loger a l'hôtel d'Andlau. Cette demeure d'une 
grande famille alsacienne était hors de la 
ville, et une femme d'un charme rare et 
supérieur en faisait les honneurs. La comtesse 
d'Andlau avait d'ailleurs rendu souvent visite 
aux exilés de Wissembourg, et leur présence 
dans sa maison ne faisait que resserrer les 
liens d'une intimité déjà étroite. La reine 
Catherine l'appelait c( ma chère petite d'An- 
dlette y> ; Stanislas professait pour elle ce 
culte enthousiaste que les Polonais portent 
dans l'amitié. Marie Leczinska, de son côté, 
ne devait jamais oublier l'hospitaUté de la 



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LB MAaiAGE. 5l 



comtesse non plus que TempreBsement de 
Texcellent maréchal du Bourg, dévoué depuis 
plusieurs années oomme un véritable ami et 
à qui Stanislas écrivait plus tard : a Je sou- 
pire toujours après l'Alsace, que vous m*avez 
rendue si agréable à me la faire regretter 
toute ma vie. » 

Au milieu de oes jours sans trouble, où 
tout était espérance et repos, personne ne 
songeait aux difficultés et aux intrigues que 
la princesse était appelée a trouver à Ver- 
sailles « A la Cour, au contraire, on pensait 
déjà à l'y mêler et à prendre possession de 
la jeime influence qu'elle y allait apporter. 
M. de Fréjus n'avait pas manqué, dès que le 
mariage avait été décidé, de lui écrire ses 
félicitations et ses hommages, et elle avait 
répondu au précepteur du Roi, de qui elle 
n'ignorait pas l'importance. Mais voici qu^une 
ambassade féminine lui était directement en- 
voyée à Strasbourg ; c'était l'amie de M. le 
Duc qui la remplissait elle-même, et la lettre 
qu'elle avait pour Stanislas ne laissait aucun 
doute sur ses intentions : a Je profite du 
départ de madame de Prie, écrivait le prince, 
pour faire remettre cette lettre à Votre Majesté, 
et j'envie bien le bonheur qu'elle va avoir de 



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52 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA. 

l'assurer elle-même de son attachement et de 
son respect... J'ai pris la liberté d'instruire 
Votre Majesté de beaucoup de choses sur tout 
ce qui se passe dans ce pays ; mais, comme 
la prudence défend de les écrire et que je suis 
sûr du secret de madame de Prie, je l'ai 
chargée d'en rendre compte a Votre Majesté 
et de ne lui rien cacher, croyant qu'il y a des 
choses que notre reine future serait peut-être 
bien aise de savoir. Ce sera à Votre Majesté à 
en juger, et toute la grâce que je lui demande 
est de les garder pour elle seule et pour la 
princesse sa fdle. » 

Il importait, en effet, au ministre et à sa 
favorite que leur future maîtresse reçût, sur 
les hommes et les choses de la Cour, les im- 
pressions qui leur convenaient et qu'elle prît 
en eux, dès l'abord, une confiance absolue. 
Madame de Prie la mit surtout en garde 
contre les menées sournoises de M. deFréjus. 
Elle profita en même temps de la Kberté qui 
lui fut laissée pendant plusieurs jours pour 
s'insinuer au meilleur de son affection. Comme 
elle jouait à merveille tous les rôles qui la 
pouvaient servir, ce fut celui de l'ingénuité 
qu'elle s'imposa. Il sauvait, aux yeux de Sta- 
nislas, ce qu'avait d'assez équivoque l'in- 



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LE MARIAGE. 53 



fluence dont il bénéficiait. Marie se laissait aller 
tout entière aux sentiments d'une reconnais- 
sance que madame de Prie cultivait jusque 
dans les plus petits détails et par les présents 
les plus intimes : en attendant l'arrivée du 
trousseau complet de la princesse, la mar- 
quise montrait qu'elle n'ignorait pas Thumî- 
Kant dénuement de sa garde- robe, et le 
premier cadeau qu'elle faisait à sa souveraine 
était celui d'un lot de chemises. 

Le 25 juillet 1725, Mademoiselle de Cler- 
mont, ayant pris congé de Sa Majesté, qui 
chassait à force à Chantilly avec M. le Duc, 
quitta Paris pour aller chercher la jeune 
Reine. Elle emmenait avec elle un grand 
nombre d'officiers des deux maisons. Les 
dames étaient mesdames de Boufflers et de 
Mailly, sept dames du palais de la Reine et 
deux dames ^d'honneur de la princesse. C'était 
toute une partie de la Cour qui se déplaçait, 
et celle qui demeurait vint à l'hôtel de Condé 
souhaiter le bon voyage et assister au curieux 
spectacle du départ. 

Le cortège comptait dix carrosses du Roi, 
attelés de huit chevaux, et une douzaine de 
carrosses particuliers à six chevaux, chacune 



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54 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA. 



àeê dames ayant le sien ainsi qu*un fourgon 
à quatre chevaux pour son lit et ses bagages* 
Les équipages du Grand-Commun, qui par-- 
tirent en même temps des écuries du Louvre, 
faisaient encore une cinquantaine de carrosses, 
berlines, corbillards, fourgons et chariots. 
On emportait la vaisselle d'argent royale et 
tout ce qui devait être nécessaire pour là 
bouche et le service de la Reine. Les cochers, 
postillons, palefreniers et charretiers avaient 
été habillés à neuf. Ce défilé fut un amuse- 
ment extraordinaire pour le peuple de Paris, 
comme pour les diverses provinces qu'il tra- 
versa. La sœur de M. le Duc fit, d'ailleurs, 
un voyage triomphal, accueillie et fêtée par 
les autorités locsJes et par les commandants 
militaires, et à peine moins haranguée que 
ne devait Têtre la Reine au retour. 

En arrivant à Saverne, au palais du car- 
dinal de Rohàn, fastueasement aménagé pour 
ces réceptions, la princesse trouva madame 
de Prie, qui la mit au courant de ce qui se 
passait à Strasbourg, et le roi Stanislas vint 
lui-même la visiter. Il avait abandonné Thôtel 
d'Andlau et habitait, pendant les derniers 
jours, celui du Gouvernement, ou sa petite 
cour polonaise s'était renforcée, pour une 



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Lfi MARIAGE. 55 



semaine, des dames ^ gentilshommes et pages 
devenus nécessaires aux circonstances. C'est 
au Gouvernement qu'il avait reçu, avec la 
reine» dans le plus majestueux cérémonial et 
toute la pompe de la royauté, les lettres de 
créance du duc d'Antin, puis la demande 
solennelle de la main de sa fille, présentée 
par les ambassadeurs du roi de France. U 
avait eu aussi la visite du duc d'Orléans, qui 
était Venu rendre ses premiers hommages à 
sa souveraine ; le prince n'avait fait que tra- 
verser Strasbourg et était allé attendre le 
jour du mariage à Rastadt, chez la princesse 
douairière de Bade, sa belle-mère. 

Il y avait un grand mouvement en Alsace 
et dans le pays rhénan pour les fêtes annon- 
cées. Beaucoup de princes et seigneurs alle- 
mands, et parmi eux le duc et le prince héré^ 
ditaire de Wurtemberg, arrivaient pour la 
cérémonie ; toute la noblesse alsacienne, 
mieux disposée en faveur du mariage que celle 
de Paris et de la Cour, avait retenu ses loge- 
ments. Mademoiselle de Clermont devait habi- 
ter hors de la ville, chez l'amie des Leczinski et 
du maréchal du Bourg, la comtesse d'Andlau. 
Elle y fut reçue le soir du i4 août, à l'heure 
même où la cérémonie des fiançailles était 



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56 LOUIS XV ET HAUIE LEGZIMSKA. 

célébrée au Gouvernement par le cardinal- 
évêque. Toute la ville était en fête, et ce n'était 
que bals, festins, illuminations, salves d'artil- 
lerie et fontaines de vin coulant sur les places. 

Les Strasbourgeois se souvinrent long- 
temps de ce i5 août lyâB, où les rues pavoi- 
sées et enguirlandées virent le brillant mouve- 
ment des troupes autour des carrosses royaux, 
et personne n'oublia J'aimable jeune Reine 
pour qui se déployèrent toutes ces joies, La 
majestueuse cathédrale fut remplie, dès avant 
onze heures, par la Cour, les princes alle- 
mands et leur suite, la noblesse et les familles 
notables de la ville ; entre les tribunes dressées 
de chaque côté de la nef, les gardes du corps 
et les Gent-Suisses formaient la haie, comme 
à Versailles. A midi, le cardinal de Rohan, 
les chanoines-comtes de Strasbourg, et tout 
le clergé sécuher et régulier de la ville, 
reçurent la Reine sous le porche et la condui- 
sirent au chœur, toutes cloches sonnantes, au 
bruit des tambours, timbales et trompettes 
des gardes du corps. Précédée du grand- 
maître des cérémonies du Roi, des ambassa- 
deurs extraordinaires et de monseigneur le 
duc d'Orléans, tenant la place de Louis XV, 



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LE MARIAGE. By 



Marie traversa Téglise, donnant la main au 
roi son père. Stanislas avait le cordon et la 
croix du Saint-Esprit, qu'il venait de recevoir 
du roi de France. Marie était vêtue d'une étoffe 
de brocart d'argent garnie de dentelles d'ar- 
gent et semée de roses et de fleurs artifi- 
cielles. La marquise de Linage portait la 
queue de sa robe, et la marquise de Rose 
celle de la reine de Pologne. L'estrade où la 
princesse s'agenouilla d'abord entre ses parents 
était couverte de velours cramoisi semé de 
fleurs de lis d'or, et au-dessus pendait un 
grand dais de semblable velours descendant 
des voûtes. 

Le roi et la reine de Pologne menèrent 
leur fille à l'autel ; le duc d'Orléans se mit 
auprès d'elle et le cardinal prononça, avant 
de bénir le mariage, un discours qui justi- 
fiait, en cette grande journée, les vues inat- 
tendues de la Providence : c< Vous êtes, 
madame, d'une maison illustre par son an- 
cienneté, par ses alliances et par les emplois 
éclatants que les grands hommes qu'elle a 
donnés à la Pologne ont successivement rem- 
plis avec tant de gloire. Vous êtes fille d'un 
prince qui, dans les différents événements 
d'une vie agitée, a toujours réuni en lui 



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68 LOUIS XV ET MARTE LEGZINSRA. 

rhonnête homme, le héros et le chrétien... 
On voit en votre personne, madame, tout ce 
qu'une naissance heureuse et une éducation 
admirable, soutenue par des exemples égale- 
ment fort» et touchants, ont pu former de 
plus accompli... Ornée de toutes ces vertus, 
à quelle couronne n'auriez-vous pas eu le 
droit d'aspirer, sans l'usage qui assujettit, en 
quelque façon, les rois à ne prendre qu'au- 
tour du trône les princesses qu'ils veulent 
faire régner avec eux? Celui qui donne les 
empires mit le sceptre de la Pologne entre 
les mains du prince de qui vous tenez la via 
et, par là, en décorant le père, il conduit 
insensiblement la fille aux hautes destinées 
qu'il lui prépare. Mais, ô mon Dieu! que 
vos desseins sont impénétrables et que les 
voies dont vous vous servez pour faire réussir 
les conseils de votre sagesse sont au-dessus 
de la prudence humaine I A peine ce prince 
est-il sur le trône où le choix des grands et 
l'amour des peuples l'avaient placé, qu'il se 
voit forcé de le quitter. 11 est abandonné, 
trahi, persécuté ; un coup fiatal lui enlève un 
héros, son ami et le principal fondement de 
ses espérances. Il cède au temps et aux ciivi 
constances, sans que son courage soit ébranlé; 



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LE MARIAOB, 5g 



il cherche un asile dans la patrie commune 
des rois infortunés. Il vient en France; vous 
Ty suivez, madame. Tout ee qui vous y voit, 
sensible à vos malheurs, admire votre vertu ; 
l'odeur s'en répand jusqu'au trône d'un jeune 
monarque qui, par l'éclat de sa couronne, 
par l'étendue de sa puissance et plus encore 
par les charmes de sa personne, pouvait 
choisir entre toutes les princesses du monde. 
Guidé par de sages conseils, il fixe son choix 
sur vous, et c'est ici que le doigt de Dieu se 
manifeste 2 il se sert du malheur même, qui 
sépare le roi votre père de ses sujets et qui- 
vous enlève à la Pologne, pour vous donner 
à la France et pour nous donner en voua une 
reine qui sera la gloire d'un père et d'une 
mèrd dont elle fait la consolation et les 
délices I )> 

Celte éloquence ecclésiastique, où se mon-^ 
trait l'affection de l'évêque de Strasbourg 
pour ses amis, n'était pas uniquement tissée 
de banales formules. Elle pouvait prêter à 
sourire aux gens de cour venus de Versailles, 
mais elle répondait aux pensées de toute la 
partie de l'assemblée , qui connaissait les 
malheurs et la grandeur d'âme de Stanislas 
çt qui avait admiré de près la dignité coura^ 



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6o LOUIS XY ET MARIE LECZIRSKA. 



geuse de sa vie. Quant à la famille royale de 
Pologne, elle voyait réellement de son dé- 
sastre sortir son bonheur de ce jour, et elle 
remerciait Dieu avec des larmes, tandis que 
les cérémonies de la messe de mariage se 
déroulaient et que les symphonies, alternant 
avec les chants liturgiques , élevaient les 
cœurs vers le Maître suprême, qui savait, 
dès ce monde, récompenser la vertu. 

La nouvelle reine de France fut ramenée 
au Gouvernement, escortée des gardes du 
corps et des Gent-Suisses, qui lui devaient 
maintenant leur service. Mademoiselle de 
Glermont l'attendait dans son appartement et 
lui présenta ses dames, M. de Nangis, son 
chevalier d'honneur, M. de Tessé, son pre- 
mier écuyer, et toute la partie de sa maison 
qui était du voyage. Elle reçut les visites des 
princes allemands et du chapitre, et dîna au 
grand couvert avec ses parents, tandis que les 
canons de la ville et de la citadelle tiraient 
sans interruption ; enfin elle put aller se repo- 
ser, pendant qu'on servait à dîner à Made- 
moiselle de Glermont et aux dames demeurées 
dans leur grand habit. 

L'après-midi, la Reine ayant désiré en- 
tendre, en ce jour de fête de l'Eglise, les 



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LE MARIAGE» 6l 



vêpres de la Sainte-Vierge, ce fut Foccasion, 
pour les officiers de sa maison, de commencer 
à exercer les fonctions de leur charge. Sa 
Majesté alla à la cathédrale avec Mademoiselle 
de Glermont et ses quatre premières dames 
dans son carrosse, suivie de toute son escorte. 
MM. de Nangis et de Tessé l'accompagnèrent 
au chœur ; derrière son fauteuil se tint le duc 
de Noailles, comme capitaine des gardes ; les 
dames du palais entourèrent le prie-Dieu, 
aux côtés duquel se rangèrent les officiers 
des gardes et les gardes de la Manche, qui, 
ainsi que leur nom l'indiquait, ne devaient 
point quitter la personne royale. Toute l'éti- 
quette de Versailles prenait déjà possession 
de la princesse polonaise et lui marquait sa 
place hors du reste de l'humanité. Quand la 
Reine suivit la procession, entre M. de Nan- 
gis et M. de Tessé, son manteau soutenu par 
le duc de Noailles, le roi Stanislas marchait 
derrière elle, donnant la main à mademoiselle 
de Glermont, et contemplait à distance les 
honneurs dont on revêtait sa fille, naguère 
encore assise avec tant de simplicité au foyer 
familial. Pour elle, au milieu de ces pompes 
nouvelles si peu désirées, elle se réfugiait 
visiblement dans l'humilité intérieure ; elle 



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63 LOUIS XT ST MAKIS LBCZIHSKA. 

s*absorbait dans une prière si fervente qu'on dut 
ravertlr plusieors fois, an cours, des yêpres, de 
ne point demeurer tout le temps agenouillée. 
Les harangues occupèrent une heure ou 
deux de la soirée. Puis on passa sur la ter- 
rasse du GouTemement, pour voir le feu 
d'artifice tiré sur TIll, où apparurent unies les 
armes de France et de Pologne. Le coup 
d'œil le plus beau fut celui de la flèche illu- 
minée de la cathédrale ; elle montait dans le 
ciel comme une pyramide de feu et on y tira 
une partie des fusées. Les chiffires lumineux 
des époux étaient suspendus dans les rues, 
parmi les arcs de feuillage ; on dansait aux 
cris de Vivent le Roi et la Reine ! et l'on fai- 
sait des feux de joie devant toutes les portes. 
Les mêmes réjouissances continuèrent le len^ 
demain. Mademoiselle de Glermont et quel- 
ques dames eurent l'idée de monter sur la 
plate-forme du clocher et admirèrent l'im- 
mense panorama de la plaine du Rhin. Quant 
à Marie, elle donna à ses parents et à leurs 
amis préférés toutes les heures de cette der* 
nière journée. 

La séparation eut lieu le 17 août, à dix 
heures du matin. La jeune Reine fit ses adieux 



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LB MAEIA6B. 63 



sur le marchepied de son carrosse, et tout le 
monde y fut en larmes. Mais, quatre lieues 
plus loin, au village où Ton dîna, Stanislas 
vint rejoindre sa fille et, le soir, partagea avec 
elle, au palais épiscopal de Saverne, Thospi- 
talité somptueuse du cardinal de Rohan. Ils 
passèrent ensemble encore la matinée du len- 
demain, retardant le plus possible le moment 
de se quitter et de finir pour jamais leur vie 
commune. La Cour et les curieux respectèrent 
cette intimité, même pendant leur dîner, et 
se portèrent aux tables plus joyeuses de ma- 
demoiselle de Clermont ou du duc d'Orléans. 
Après le dîner, la Reine se remit en carrosse 
avec ses dames ; le cortège se reforma, salué 
par l'artillerie à la sortie de la ville, et se mit 
à gravir la montagne de Saverne. Au point le 
plus élevé de la route, Stanislas parut à 
cheval avec ses gentilshommes et chevaucha 
quelque temps à la portière royale. La Reine 
comptait qu'il l'accompagnerait jusqu'à Sar- 
rebourg, où l'on devait coucher; mais elle 
apprit bientôt que le Roi avait tourné bride 
sans rien dire, afin d'éviter les dernières 
émotions, et qu'il était déjà trop loin sur la 
route de Strasbourg pour qu'elle pût songer 
à le rappeler. 



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64 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

n fallut, pour distraire son chagrin, toute la 
variété des spectacles que les premiers jours 
du voyage lui présentèrent. Elle vit l'entrée 
dans les places fortes, au bruit du canon, 
avec les grosses clefs des portes oflTertes sur des 
plats fleuris, les rues des petites villes trans- 
formées en portiques de verdure, les bons 
bourgeois sous les armes saluant au passage, 
la parade des régiments des garnisons, à la 
tête desquels le duc d'Orléans allait se mettre 
pour saluer Sa Majesté de Tépée, les exer- 
cices militaires qu'exécutaient dans les champs 
les housards de M. de Berchiny ; ce furent 
enfin, chaque journée, les naïves imaginations 
des paysans d'Alsace et de Lorraine, qui 
plantaient des branches vertes le long de la 
route pendant des lieues ou qui venaient, par 
paroisse, bannière en tête et chantant des 
cantiques, réciter des prières pour la Reine et 
s'agenouiller devant elle. 

Le spectacle de son propre cortège pouvait 
être un amusement pour la jeune femme, aux 
tournants des routes montagneuses. Une sorte 
d'avant-garde était formée parles carrosses et 
les fourgons du duc d'Orléans, qui allait en 
tête avec le duc d'Antîn, afin de recevoir Sa 
Majesté partout où elle devait s'arrêter. En 



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LE MARIAGE. 65 



avant du carrosse royal roulaient ceux de la 
Faculté et du duc deNoailles, suivis des pages 
du Roi à cheval. Aux portières de la Reine 
étaient les quatre exempts des gardes et, der- 
rière, la chevauchée brillante des uniformes 
bleus galonnés d'argent. Venaient ensuite les 
carrosses de la Cour et du service, et l'inter- 
minable file des chariots et des équipages. 
L'énorme cortège occupait plus d'une lieue 
de route. La marche en était retardée par sa 
longueur même et aussi par le mauvais temps, 
qui durait sans interruption depuis près de trois 
mois et avait défoncé tous les chemins. Le 
désastre des récoltes et la misère qui en résul- 
tait pour le paysan assombrissaient le voyage 
de Marie, car elle n'était point assez légère 
pour n'y pas arrêter sa pensée ; mais les braves 
gens qui l'allaient voir passer et qui partout 
recevaient d'elle de larges aumônes, la saluaient 
comme une fée bienfaisante et ne doutaient 
pas que la venue de la reine de France ne 
marquât la fin de leurs maux. 

L'arrivée à Metz, qui devait avoir lieu de 
jour, ne put se faire qu'aux flambeaux, mais 
elle ne manqua pas de beauté. Il y avait plus 
de dix mille étrangers. La Reine fit une entrée 

4. 



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66 LOUIS XY ET MARIE LBGZINSKA. 

solennelle à huit heures du soir, escortée du 
heau régiment d'Orléans-Gavalerie, dont le 
duc d'Orléans était colonel. La pluie avait 
cessé pour quelques heures ; les rues étaient 
illuminées et tendues de tapisseries, et les 
troupes rangées présentaient les armes, la 
baïonnette au fusil. Le son des cloches et les 
fanfares des trompettes se mêlaient aux déchar- 
ges de Tartillerie. Une foule immense et 
joyeuse acclama la Reine, qui se rendit tout 
d'abord à la cathédrale, entendre un Te 
Deum, et vint souper et dormir à l'hôtel du 
Gouvernement. 

Elle passa à Metz deux journées pleines ; on 
n'avait pu accorder moins à une cité aussi 
importante, aussi attachée à la couronne de 
France et qui avait fait tant de préparatifs 
pour se réjouir. Marie prit plaisir au feu d'ar- 
tifice tiré sur la place d'Armes, devant la cita- 
delle illuminée, et à l'éclairage du clocher , 
qui lui rappela celui de Strasbourg. L'évêque 
de Metz lui offrit une brillante collation de 
fruits dans les beaux jardins de Frascati. Il 
lui fallut réserver une part de son temps à 
donner des audiences et à ouïr des harangues, 
Elle reçut d'abord le Parlement de Metz, puis 
chacune des juridictions de la ville ; enfin les 



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LB MABIAGB. 6^ 



chanoinesses de l'illustre chapitre de Remi- 
remont firent passer devant elle leurs révé- 
rences en manteaux d'hermine. 

La riche communauté juive eut le môme 
honneur que les chanoinesses, et le discours 
du rahbin fut particulièrement intéressant: on 
y comparait le voyage de Sa Majesté à celui 
de la reine de Saba, et on louait en elle les 
grâces d'Esther et la magnanimité de Judith. 
Les juifs offrirent ensuite trois coupes d'or 
gravées de sujets de l'Ancien Testament, cjue 
la Reine envoya aussitôt à l'évoque pour en 
distribuer le prix aux pauvres. Puis ils deman-* 
dërent la faveur de passer en cavalcade sous 
ses fenêtres, et ce fut un des plus curieux 
spectacles que ce défilé de cent cinquante 
cavaliers vêtus de velours noir, aux vestes 
glacées d'or et d'argent, dont les deux premiers 
avaient été habillés en femme, pour faire voir à 
la Reine les anciennes coiffures de leur nation. 
Une de leurs bannières portait les tables de la 
Loi écrites en hébreu, une autre des prières 
pour le Roi et la Reine en vers français, et sur 
un char étaient des musiciens qui firent de 
bonne musique. Les mêmes juifs eurent encore 
le privilège de divertir la Reine au dîner qui 
précéda son départ, par un concert d'instru- 



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68 LOUIS XY ET MARIE LEGZITÏSKA. 

mentîstes venus d'Allemagne. Tout le monde 
trouva leur concert intéressant et de fort bon 
goût; mademoiselle de Clermont, qui avait 
eu la curiosité d'aller voir la célébration d'un 
mariage à leur synagogue, les félicita au nom 
de sa maîtresse et les fit récompenser. 

L'enthousiasme continua durant le reste de 
la route, montrant à l'auguste voyageuse la 
loyale affection du peuple pour le Roi et l'ardeur 
des vœux universels pour son bonheur. Les 
étapes, au départ, furent àMalatour, Verdun, 
Clermont, Sainte-Menehould. A celle de Châ- 
lons, où clercs et laïques rivalisèrent de can- 
tates, odes, églogues et devises, les députés 
de la ville de Reims surent aussi se faire remar- 
quer en apportant d'énormes corbeilles rem- 
plies de vins de Champagne et des boites de 
satin brodées et peintes contenant des confi- 
tures sèches du pays. Ce que Marie reçut 
avec le plus de plaisir fut le portrait du Roi 
enrichi de diamants que lui remit le duc de 
Mortemart, Premier gentilhomme de la Cham- 
bre, venu au-devant d'elle en grand équipage, 
pour la complimenter au nom de son époux» 
Le soir du départ de Châlons,un orage d'une 
violence extraordinaire, qui éclata à l'arrivée 
à Vertus, rendit fort malaisée la recherche des 



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LE MARIAGE. 6g 



logements et empêcha les habitants de voir 
la Reine. La pluie, le tonnerre et les éclairs 
durèrent toute la nuit. Le lendemain, elle fut 
coucher à grand'peine à Sézanne, puis à Vil- 
lenauxe, où elle fit au marquis de Saint-Cha- 
mant, lieutenant des gardes, l'honneur de 
descendre chez lui, ensuite à Provins, où elle 
logea au couvent des religieuses bénédictines 
et s'amusa à émerveiller les nonnes en leur 
montrant le portrait du Roi. 

A mesure qu'on avançait, l'état des che- 
mins rendait le trajet plus difficile. Assez 
souvent un fourgon s'enlisait ou se renver- 
sait et retardait tout le passage. On était 
obligé de passer par les champs, où les acci- 
dents recommençaient de plus belle. Un jour, 
le carrosse de la Faculté y brisa un essieu et 
y demeura jusqu'au soir ; une autre fois, 
celui du duc d'Antin creusa son ornière 
dans une prairie et, le duc et sa compagnie 
ayant voulu descendre, chacun s'enfonça 
dans la boue jusqu'au genou. Au soir de 
l'avant dernière journée du voyage qui était 
la dix-septième, la pluie devint torrentielle, 
tous les carrosses s'embourbèrent à la fois, 
sans qu'on pût songer à les retirer avant le 
lendemain. On alla prévenir M. le Duc, qui 



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70 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

se trouvait à Montereau et qui envoya aussitôt 
des chaises de poste, des flambeaux et des 
lanternes, avec des vivres en cas de besoin. 
La Reine fut portée dans la berline de made- 
moiselle de Glermont, qui était plus légère 
que les carrosses, et elle put parvenir à Mon- 
tereau à onze heures du soir. Malgré le dé- 
sordre de cette arrivée, M. le Duc, les 
secrétaires d'État et les seigneurs qui atten- 
daient la Reine lui furent présentés séance 
tenante. Toute la nuit, par ce temps affreux, 
on vit arriver, les unes après les autres, les 
dames crottées et mouillées, qui avaient usé 
des ressources les plus burlesques : des du- 
chesses avaient fait décharger le fourgon de 
la vaisselle d'argent et y étaient montées avec 
leur habit de cour, ayant pour coussins des 
bottes de paille. L'aventure était piquante ; 
la Reine dit avec gaieté qu'elle en comman- 
derait le tableau à quelque peintre , et ce fut 
Lancret qu'on lui fit choisir. 

Le matin du 4 septembre, qui allait être 
le jour de l'entrevue de Leurs Majestés, la 
Reine s'étant levée à dix heures, une présen- 
tation unique eut lieu, celle de M. l'ancien 
évêque de Fréjus. On avait tant parlé à Marie 
de l'influence que ce personnage avait sur le 



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LB MARIAOB. 7I 



Roi qu'elle dut Faccueillir avec une curiosité 
un peu inquiète. Les récits nous disent qu elle 
traita c< d'une manière digne de son mérite 
ce sage et vertueux .prélat», et qu'il se rendit 
aussitôt à l'église collégiale pour y recevoir 
Sa Majesté et y exercer pour la première fois 
la fonction de sa charge de grand aumônier. 
Marie écouta cette messe avec une dévotion 
particulière en pensant que le jour même ses 
plus chers désirs seraient comblés et qu'elle 
verrait l'époux glorieux que Dieu lui avait 
destiné. 

La rencontre devait avoir lieu vers quatre 
heures.Marieavaitquitté Montereau aprèsdlner, 
dans son habit de noces de Strasbourg. Une 
demi-lieue après ce départ, un cavalier vint 
avertir que le carrosse du Roi attendait sur la 
hauteur de Froidefontaine : les équipages de 
la Cour l'accompagnaient avec des détache- 
ments de sa Maison, et tout le populaire du 
pays, à quinze lieues à la ronde, était massé 
sur les bords de la route. Le temps était 
maintenant doux et tiède ; la pluie avait cessé 
et un arc«en--ciel d'un excellent présage 
venait de paraître sur l'horizon. Des bandes 
de violons jouaient de toutes parts des airs 



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7^ LOUIS XT ET MARIE LEGZINS&A. 

d'allégresse, et le peuple, de plus en plus 
nombreux à mesure que montait le carrosse 
de la Reine, l'applaudissait et mêlait son 
nom à celui de Louis XV, 

Quand on s'arrête, Marie se hâte de des- 
cendre et, suivant le cérémonial, va se mettre 
aux genoux du beau prince, qui vient à elle 
entouré de dames en grand habit. Mais il lui 
laisse à peine le temps de toucher le tapis 
qu'on a jeté devant elle ; il la relève* et l'em- 
brasse à plusieurs reprises. Tous les yeux la 
regardent en ce moment : elle paraît agréable 
de sa personne et point si laide que quelques- 
uns l'ont dit. Cependant les timbales et 
les trompettes ont couvert les acclamations 
de la foule « Le Roi présente, l'une après 
l'autre, les princesses du sang, que la Reine 
embrasse, et il lui parle quelques instants de 
la joie qu'il éprouve à voir terminé enfin ce 
long voyage. Cette joie n'est nullement feinte, 
et chacun remarque qu'il n'a jamais montré 
autant de vivacité qu'en ce moment. Sur ce 
visage juvénile, aux traits réguliers et si 
rarement émus, c'est un sentiment nouveau 
qui semble se peindre. Et tandis que Marie 
admire la prestance et la grâce de son jeune 
époux, tout le monde applaudit, en ces mi- 



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LE MARIAGE. 78 



nutes d'un spectacle unique, Theureuse pro- 
messe de cette émotion. 

Le Roi aide la Reine à remonter dans son 
carrosse et s'y place auprès d'elle avec la jeune 
duchesse d'Orléans, la duchesse douairière de 
Bourbon, mère de M. le Duc, la princesse de 
Conti et Mademoiselle de Charolais. Tous les 
autres carrosses se remplissent et s'ébranlent ; 
les mousquetaires et chevau-légers ouvrent la 
marche, les gardes du corps et gendarmes la 
ferment. Le long du trajet, la compagnie du 
Vol du Cabinet donne à Leurs Majestés le 
plaisir de regarder la chasse au vol, spectacle 
commode pour fournir un sujet de conversa- 
tion. Au reste, le Roi est fort aimable et d'une 
gaieté qu'on ne lui a jamais vue. On arrive 
sur les sept heures à Moret, dont le château, 
qui est aux Rohan, abritera pour la nuit la 
Reine et sa maison. Les princes et tout ce 
qu'il y a d'hommes de la Cour y sont pré- 
sentés par le Roi. 11 reste lui-même une 
heure encore avant de repartir pour Fontaine- 
bleau avec les princes. Aussitôt, Mademoi- 
selle de Clermont présente les dames du 
palais qui n'ont pas été du voyage ; puis M. le 
Duc a son audience particulière, et la Reine 
soupe à son grand couvert, au son des haut- 



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^4 LOUIS XV ET MAnlE LECZIMSKA. 

bois, avant la courte nuit qui la sépare dô son 
bonheur. 

Elle arrive à neuf heures et demie, le matin 
du 5 septembre, dans l'appartement royal de 
Fontainebleau, où l'empressement du Roi lui 
rend visite avant sa toilette de mariage. A 
partir de ce moment, la reine Marie sent bien 
qu'elle ne s'appartient plus; entourée de 
ligures nouvelles, transportée dans un palais 
plus somptueux qu'aucun de ceux qu'elle a 
pu voir, elle est devenue un personnage de 
représentation et un objet d'hommages. On 
est trois heures à l'accommoder* A sa toilette 
assistent, suivant leur rang d'étiquette, les 
princes, les princesses, les dames titrées. 
M. le Duc y vient, suivi du garde du Trésor 
royal, qui met sur la toilette deux bourses de 
pièces d'or, puis le duc de Mortemart avec 
l'intendant de l'argenterie et des Menus-Plai- 
sirs offrent, de la part du Roi, la couronne de 
diamants fermée par une double fleur de lis, 
qui doit surmonter l'édifice de ses cheveux. 
Après la coiffure, Marie revêt sa jupe de 
velours violet, bordée d'hermine et semée de 
fleurs de lis d'or, le devant couvert de pierre- 
ries ainsi que le corps de jupe, dont les 
manches sont agrafées de diamants. Après 



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LE MARIAGE. 75 



que le màûteau royal est placé sur ses épaules, 
du tnéme velours violet fleurdelisé d'or, bordé 
et doublé d'hermine, elle se rend au cabinet 
du Roi, où l'attend le cortège de l'époux. Il est 
lui-même en habit de brocart d'or, en man- 
teau de point d'Espagne d'or, et un énorme 
diamant relève un côté de son chapeau à plumes 
blanches. 

On se met en marche pour la chapelle par 
la galerie de François I«S à travers la double 
haie des gardes du corps. La musique de la 
Chaâibre va devant, avec ses trompettes, 
fifres et tambours, puis défilent les hallebardes 
des Cent-Suisses, enfin le cortège royal, pré- 
cédé des hérauts d'armes et des grand-maître 
et maîti'e des cérémonies. Les chevaliers du 
Saitit-Esprit suivent deux à deux, les grands 
officiers de l'ordre en tête, et, à la suite, le 
comte de Gharolais, le comte de Clermont et 
le prince de Gonti, en habit de l'ordre et 
marchant seuls. Les masses des deux huis- 
siers de la Chambre et Tépée du marquis de 
Gourtenvaux , capitaine des Gent*- Suisses , 
annoueent le Roi. Il a, pour lui donner la 
main, le prince Gharles de Lorraine, grand 
écuyer, et le commandeur de Beringhen, pre- 
mîéî* écuyer; derrière Sa Majesté est le duc 



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76 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIfSKA. 

de Villeroy, capitaine des gardes, ayant à sa 
droite le premier gentilhomme, duc de Morte- 
mart, et le grand-maître de la garde-robe, 
duc de La Rochefoucauld. Aux côtés du Roi 
se tiennent les officiers des gardes et les six 
gardes écossais, avec la cotte d'armes brodée 
et la pertuisane, 

La Reine est menée par le duc d'Orléans 
et le duc de Bourbon, ayant auprès d'elle le 
marquis de Nangis, son chevalier d'honneur, 
et le comte de Tsssé, son premier écuyer; 
le duc de Noailles, capitaine de la première 
compagnie des gardes du corps^ soutient la 
queue du manteau , qui est porté par trois 
princesses du sang, Madame la duchesse de 
Bourbon, la princesse de Gonti et Mademoi- 
selle de Charolais. Chacune a deux seigneurs 
pour l'accompagner, l'un lui donnant la main , 
l'autre portant sa mante. La duchesse d'Or- 
léans suit la Reine, puis viennent Mademoi- 
selle de Clermont, qui est Condé, et Made- 
moiselle de la Roche-sur- Yon, qui est Gonti, 
chaque princesse étant accompagnée pour la 
main et pour la mante, enfin toutes les dames 
de la Reine et les dames d'honneur des prin- 
cesses du sang. 

La chapelle de Fontainebleau a été amé- 



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LE MARIAGE. 77 



Bagée pour recevoir beaucoup de monde, et 
la richesse de la décoration parait plus somp- 
tueuse dans ce cadré un peu étroit. Toutes les 
portes hautes sont tendues de velours bleu brodé 
d'or aux armes de France ; en bas, les bancs et 
les estrades sont recouverts de velours violet 
à fleurs de lis, et le chœur entier de très 
beaux tapis de Perse. Un amphithéâtre pour 
la musique remplit la tribune royale; les pre- 
miers rangs y sont occupés par les dames les 
plus brillantes, ainsi que les balcons cons- 
truits tout autour de la chapelle jusqu'à l'autel 
et d'où la vue plonge sur les espaces réservés 
aux secrétaires d'Etat et aux princes étran- 
gers, qui s^y trouvent déjà placés, aux cheva- 
liers du Saint-Esprit et à la Cour* 

Le cortège approche, musique en tête, et 
pénètre dans la chapelle. Les hérauts d'armes 
s'avancent pour rester debout au bas des 
marches de l'autel ; les chevaliers de l'ordre 
entrent dans leurs bancs, et Leurs Majestés 
vont s'agenouiller sur la haute estrade, au- 
dessous du dais suspendu, tandis que les 
princes et princesses sont menés à leurs sièges 
pliants et à leurs carreaux. MM. de Villeroy, 
de Mortemart et de La Rochefoucauld prennent 
place derrière le fauteuil du Roi ; MM* de 



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^8 LOUIS XV PT MAi^lB LEGZIlfSKA. 

Noailleg, de Nangis et de Teisé derrière celui 
de la Reine. Les aumôniers sont rangés de 
chaque côté entre le prie^-Dieu roynl et l'au- 
tel. Alors sort de la sacristie le cardinal de 
Rohan, pontificalement vêtu, avec les évêques 
de Soissons et de Viviers, qui lui serviront 
de diacre et de sous-diacre. Le salut du mar^ 
quis de Dreux avertit Leurs Majestés de e'ap^ 
procher de l'autel. Tous les princes descendent 
avec eux de l'estrade, et le cardinal prononce 
son discours. 

La reine Marie remplit pour la seconda 
fois ce cérémonial du mariage, mais c'est 
aujourd'hui avec toute l'épaotion de la réelle 
présence de celui qu'elle aime déjà. Les pa- 
roles qu'ellç entend ont un ton bien diOerent 
de celles de Strasbourg. Le grand aumônier 
de France passe sous silence les souvenirs de 
Stanislas ; il évoque surtout la grandeur du 
trône de Louis XIV et les devoirs qui y sont 
attachés, appelant la paix sur le nouveau 
règne, après tant de triomphes militaires. Il 
donne au couple royal les louanges d'usage, 
annonçant à la jeune Reine le bonheur que 
lui promet un tel assemblage de grâces et de 
gloire chez son auguste époux, et disant 
au Roi qu'il doit trouver le sien dans un 



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LE MARIAOB. 79 



attûchemeBt inviolable et tendre à l'épouse 
formée selon le cœur de Dieu et faite pour 
réunir et fixer ses inclinations. Ce sont les 
ordinaires espérances de l'Eglise, que la vie 
ne se charge pas toujours de confirmer ; mais 
qui songerait k d'autres pensées en un tel 
jour ? Voiqi tout un spectacle : après la céré- 
monie de la bénédiction nuptiale, celles de 
la bague, des treize pièces d'or des épou- 
saîlles, de l'eau bénite offerte, plus tard le 
livre des Evangiles apporté à baiser, enfin le 
cierge à poignée de satin blanc fleurdelisé, que 
chargent vingt louis d'or et que tient le roi 
d'armes à genoux auprès de l'autel ; le mar- 
quis de Dreux offre le cierge au duc d'Orléans, 
qui le présente au Roi, le Roi Tofire au car- 
dinal après avoir baisé sa bague, et le même 
rite est observé pour un cierge semblable que 
la duchesse d'Orléans présente à la Reine. 
C'est une image sans doute de la soumission 
des époux à l'Église, et le grand poêle de 
brocart d'argent qu'étendent au-dessus de leur 
tête Tévêque de Metz et l'ancien évêque de 
Fréjus, pendant les oraisons d'usage, est un 
symbole d'un autre genre, celui de l'union 
à jamais fidèle sous la bénédiction du mémo 
toit. 



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8o LOUIS XY ET HARIE LECZINSKA. 

La longue cérémonie a fatigué la Reine, qui 
s'est évanouie un petit instant ; elle est ter- 
minée ; il ne reste plus maintenant qu'à 
signer le registre paroissial, apporté par le 
curé de Fontainebleau, et, pendant que les 
hérauts d'armes distribuent aux assistants les 
médailles frappées pour le mariage, le Te 
Deum^ entonné par le grand aumônier, est 
chanté par la chapelle de musique ; on récite 
l'oraison pour le Roi, puis le cortège, dans 
le même ordre que pour l'arrivée, retourne 
aux appartements royaux. 

Lorsqu'elle a déposé le manteau royal et ce 
lourd habit de cérémonie, la Reine dîne au 
grand couvert avec le Roi et toutes les prin- 
cesses du sang assises à sa table. Elle ouvre 
ensuite le coffre de velours cramoisi brodé 
d'or, qui contient les présents d'usage dont 
elle peut disposer, toutes les bagatelles magni- 
fiques qu'on appelle sa corbeille. Elle fait une 
première distribution sur-le-champ aux prin- 
cesses et aux dames du palais. C'est pour elle 
un plaisir tout nouveau que de donner ainsi, 
et celui qu'elle doit sentir le plus vivement, 
ce Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie 
que j'ai pu faire des présents ». Et le lende- 
main elle sera plus contente encore, puis- 



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LE MARIAGE. 8l 



qu'elle fera part à tous ses serviteurs, même 
aux plus modestes, de tout ce trésor de bijoux 
et de ciselures d'or qui iront conserver dans 
les familles le souvenir du mariage et de la 
grâce affectueuse de la Reine. 

Cette fatigante journée se termine par un 
spectacle oii les comédiens français jouent du 
Molière, un souper avec les princesses et un 
feu d'artifice médiocrement tiré au bout du 
parterre du Tibre. L'illumination de ce par- 
terre, qui aurait dû être fort belle, se trouve 
manquée, un fort vent éteignant les lampions 
à mesure qu'on les allume. L'impatience du 
jeune Roi, qu'il dissimule à peine, appelle 
une intimité dont le sépare encore une assez 
longue étiquette. Il doit aller se mettre un 
moment dans son lit, pour le cérémonial 
obligatoire du coucher, puis être mené dans 
celui de la Reine par M. le Duc, M. de Morte- 
mart, M. de La Rochefoucauld et le maréchal 
de Villars, qui a les mêmes entrées que le 
premier gentilhomme et le grand-maître de la 
garde-robe. Ces personnages reviennent à dix 
heures, le lendemain, présenter leur compli- 
ment a la Reine encore couchée. « Les com- 
pliments ont été modestes, raconte Villars ; 
ils montraient l'un et l'autre une vraie satis- 

5. 



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3a Lpuis XY ET M^nis |.¥:gzinsk.a, 

faction de nouveaux niariés. » Et M» 1q Duc, 
écrivant à Stanislas quelques heures plus tard, 
assure que le Roi lui a exprimé, a en s'éten- 
dant infiniment, la satisfaction qu'il ftvait eue 
de la Reine » ; le ministre donn^ môme de^ 
détails circonstanciés et surabondante, dostînés 
à rassurer pleinement le roi de Pologne gur 
la destinée conjugale de pa fille. 

Tous les jours suivants, Fontaineblew est 
en fête. A l'animation ordinaire qu'y mettent 
lep séjours de la Cpur s'ajoutent lesi dléêfi et 
venues des étrangers invités au3^ cérémonies 
ou attirés par le dé^ir de vpir la Bein^, Le 
jeune Voltaire, qui loge che? sa gran4^ pro- 
tectrice, madame d§ Prie, et qui est à la 
meilleure loge pour bien voir, écrit à une 
autre de ses amies; c< C'est ici un bruit, un 
fracas, une presse, un tumulte épouvantables. 
Je me garderai bien, danai ces premiers jours 
de confusion, de me faire présenter à la 
Reine; j'attendrai que la foule soit écoulée et 
que Sa Majesté soit revenue de l'étourdisse^ 
ment que tout ce sabbat doit lui causer. » 

Voltaire trouve que les choses se papgent 
assez bien ; il ne blâme guère que le pro- 
gramme de la comédie donnée le ppir 4u 



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LE MARIAGE. 83 



mariage, Amphitryon et le Médecin malgré lui, 
« ce qui, dit-il, ne parut pas très conve- 
nable » ; il est vrai que M. de Mortemart a 
refusé de faire jouer, ce soir-là même, un 
petit divertissement que Voltaire avait pré- 
paré. Le Premier gentilhomme, chargé d'or- 
ganiser les spectacles, a craint sans doute de 
faire des jaloux parmi les rimeurs qui se sont 
mis à célébrer la Reine. « Je crois, écrit le 
nôtre, que tous les poètes du monde se sont 
donné rendez-vous à Fontainebleau... La 
Reine est tous les jours assassinée d'odes 
pindariques, de sonnets, d'épîires et d'épi- 
thalames. Je m'imagine qu'elle a pris les 
poètes pour les fous de la Cour. » Mais, peu 
de jours après. Voltaire est content : on a 
joué ses pièces ; il a été présenté par madame 
de Prie ; Sa Majesté, qui a décidément du 
goût, lui a parlé de la Henriade, comme si 
ce poème en manuscrit l'intéressait fort. 11 
écrit sa joie à tous ses amis : « J'ai été très 
bien reçu par la Reine. Elle a pleuré à Ma- 
riamne, elle a ri à V Indiscret ; elle me parle 
souvent; elle m'appelle mon pauvre Voltaire Iy> 
Il se voit déjà poète royal et gratifié comme 
tel ; sa verve s'enflamme ; il a beau avoir de 
l'esprit, il n'aperçoit point que c'est Adrienne 



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84 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSILA. 

Lecouvreur, et non Mariamne, qui a fait 
pleurer la Reine. Il lui dédie sa tragédie, en 
attendant mieux, par une épître en vers hé- 
roïques, mieux coulants en somme que le flot 
monotone épanché six mois durant, dans le 
Mercure^ par les faméliques du Parnasse et les 
rhéloriciens des Jésuites : 

... La Fortune souvent fait les maîtres du monde, 
Mais dans votre maison la Vertu fait les rois. 
Du trône redouté que vous rendez aimable, 
Jetez sur cet écrit un coup d'œil favorable ; 
Daignez m'encourager d'un seul de vos regards, 
Kt songez que Pallas, cette auguste déesse 
Dont vous avez le port, la bonté, la sagesse. 
Est la divinité qui préside aux Beaux-Arts. 

Le poète est trop avisé pour aller, comme 
tant d'autres, jusqu'à la flagornerie de la 
beauté : Pallas le dispense de Vénus. En 
revanche, il exalte ainsi qu'il convient la 
gloire du roi Stanislas, oubliant que, la veille 
encore, il se moquait avec les autres de <( la 
demoiselle Leczinska )>. Les dispositions de 
Topinion ont, du reste, assez promptement 
changé ; la bonne grâce de Marie a désarmé 
les préventions de Cour ; la consommation 
du mariage et l'empressement si apparent du 
Roi viennent d'entourer sa jeune tête d'un 



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LE MARIAGE. 85 



prestige de fidélité et de respect. Quant au 
peuple, qui n'entend rien à la politique, il 
voit seulement qu'on a amené une bonne 
femme à son cher petit roi. 

Aux fêtes qui se font dans la France entière, 
les sujets de Louis XV sont franchement 
joyeux. Dans la capitale, il y a eu des Te 
Deum à toutes les églises, et le feu d'artifice 
d'usage sur la place de Grève. Les réjouis- 
sances populaires durent trois jours. Les Pari- 
siens de tous les quartiers allument des feux 
de joie devant leur porte et, comptant qu'il 
n'y aura plus ni guerre, ni méchants impôts, 
ni mauvaises récoltes, dansent et chantent 
des nuits entières, le long des rues illumi- 
nées, en l'honneur de la reine Marie ; 

Notre malheur, 
Par cette heureuse hjménée (sic). 

Notre malheur 
Changera bientôt de couleur ; 
Et même aussi dès cette année 
Il s'en ira comme fumée. 

Ainsi parlent, sur les airs connus, les naïves 
chansons qui accompagnent les estampes du 
moment, celles que les balles des colporteurs 
répandent, pour quelques sols, dans tout le 
royaume. Ce sont elles qui montrent le mieux 



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86 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA. 

les disposîiîons du peuple et disent quelles espé- 
rances rapides se sont éveillées dans içs cœurs. 

Ce séjour de Fontainebleau initie la prin- 
cesse polonaise aux splendeurs dQ la Cour de 
France. Dès le lendemain du mariage a lieu 
une cavalcade à laquelle on a voulu donner 
l'éclat d*un somptueux spectacle. Le Roi est 
allé d*abord le long du canal, suivi de tous 
les hommes de la Cour, dans le plus pom- 
peux équipage ; ni les habits des cavaliers, ni 
les harnais des chevaux n'ont paru les jours 
précédents. Il en est de même de$ toilettes 
des dames, qui remplissent les carrosses de la 
Cour. Dès qu'arrive la calèche de la Reine, 
le Roi met son chapeau sous le bras et l'ac- 
compagne à la portière pendant toute la pro- 
menade. Des bateaux dorés, chargés de 
musique, suivent Leurs Majestés à force de 
rames, les airs d'opéras alternant avec les 
fanfares. Après deux tours de canal, qui ont 
permis le brillant déploiement de la caval- 
cade, on va regarder, autour d'un des bassins 
du parc, la pêche aux cormorans ; le diver- 
tissement est de voir ces oiseaux pêcher le 
poisson à coups de bec et le jeter d'un mou- 
vement brusque hors ^e l'eau. 



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Lfi IfARIAGB. 87 



On montre à la jeune Reine les grandes chas^ 
ses dans la forât, qui sont le plaisir favori de 
son époux. Elle voit dans le même jour forcer 
trois cerfs par trois équipages différents : celui 
du Roi, celui de Chantilly, qui est à M. le 
Duc, et celui du prince de Conti ; et les échos 
de Franchart retentissent de la « Fanfare de 
la Reine )), composée en son honneur par 
M. de Dampierre, gentilhomme des chasses. 
Presque tous les soirs, il y a spectacle 
français ou italien, et très souvent souper au 
grand couvert chez la Reine, avec concert 
d'instruments et de voix. Au milieu de ces 
récits, le Mercure note une grande nouvelle : 
le Roi fait couper ses cheveux et prend la 
perruque. 

D'autres journées sont consacrées aux au- 
diences de féUcitations. Les députations pa- 
raissent le matin chez le Roi, dînent dans une 
salle du Château et vont l'après-midi compli- 
menter la Reine. Les députés de 1* Assemblée 
générale du Clergé sont reçus d'abord, sui- 
vant l'usage, puis ceux du Parlement, dont 
plus de cinquante membres arrivent en grand 
costume, ayant couché la veille à Melun, 
pour la commodité du voyage ; ce sont ensuite 
la Chambre dps comptes, la Cour dçs aides, 



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88 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA. 

le Grand Conseil ayant à sa tête le garde 
des sceaux, la Cour des monnaies, l'Uni- 
versité, enfin T Académie française, qui a pris 
rhabitude de complimenter le Roi dans les 
circonstances solennelles, au même titre que 
les grands corps de l'Etat. Le jour de l'au- 
dience du prévôt des marchands et des éche- 
vins de Paris, les dames de la Halle, qui 
sont la vraie dépulation de la Ville, viennent 
aussi saluer joyeusement la Reine et se faire 
régaler aux dépens du Roi. 

De toute la pompeuse éloquence qui défile 
devant elle, Marie ne saurait être bien pro- 
fondément touchée ; les harangues écoutées 
le long du voyage lui ont prodigué le même 
encens que celui des Cours souveraines, des 
ambassadeurs, des Etats de Languedoc ou 
d'Artois. Ce qui l'émeut le plus, ce sont les 
allusions faites à l'honneur de sa famille et à 
la gloire de son père. L'Académie a rendu un 
hommage tout particulier à l'éducation qu'elle 
a reçue de lui : <( L'Académie, a dit l'évêque 
de Blois, instruite de l'étendue des connais- 
sances de Votre Majesté, ne cherche point à 
pe définir. Si elle vous présente ici ce que 
rÉghse, l'Etat, les armes et la politique ont 
de plus grand, elle sait assez que son objets 



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LE MARIAGE. 89 



son travail, son utilité n'ont pu échapper à 
une éducation telle que la vôtre. » 

Au milieu de tant d'adulations, la fille de 
Stanislas n'oublie pas un instant la recon- 
naissance et la tendresse qui l'unissent à son 
père éloigné. « On me dit les choses les plus 
belles du monde, lui écrit-elle, mais personne 
ne me dit que vous soyez près de moi... Je 
subis à chaque instant des métamorphoses 
plus brillantes les unes que les autres ; tantôt 
je suis plus belle que les Grâces, tantôt je suis 
de la famille des neuf Sœurs ; hier j'étais la 
merveille du monde ; aujourd'hui je suis l'astre 
aux bénignes influences. Chacun fait de son 
mieux pour me diviniser, et sans doute que 
demain je serai placée au-dessus des Immortels. 
Pour faire cesser ce prestige, je me mets la 
main sur la tête, et aussitôt je retrouve celle 
que vous aimez et qui vous aime bien tendre- 
ment. )) Dans un autre billet de la petite 
«Maruchna», se révèle l'amour qui enivre son 
cœur : « Mon âme est en paix, je trouve ici 
un contentement dont je n'osais me flatter, 
même sur votre parole. Je n'ai de peine que 
celle de ne pas vous voir^ mon chérissime 
papa, et s'il plaît à Dieu, elle ne durera pas 



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QO LOUIS XY 8T MAftlB LEGZIlfSKA. 

longtemps. On a déjà décidé, dans le Conseil, 
le cérémonial de votre réception. Sur quel- 
ques difficultés que Ton faisait à ce sujet, le 
Roi a dit : « Ce que je ne lui dois pas comme 
roi, je le lui dois comme gendre. » Jugez, 
cher papa, combien ce propos m'a fait de 
plaisir; et ce n'est pas le Roi qui me Ta rendu. 
On ne respire ici que pour mon bonheur. » 

Cette réception de Stanislas est la grande 
joie de Marie dans les premières semaines de 
son mariage. Prié d'abord de se rendre direc- 
tement de Strasbourg dans la résidence qui 
lui est assignée en France , et qui n'est autre 
que le noble domaine de Chambord, une 
attention délicate de M. le Duc change au 
dernier moment son itinéraire. Le Roi Tin- 
vile à s'arrêter au château de Bourron, à 
deux lieues seulement de Fontainebleau. Es- 
corté sur toute sa route par la cavalerie fran- 
çaise, traité partout en souverain, il arrive le 
i4 octobre à Bourron avec la reine Cathe- 
rine. Le lendemain, Marie est dans leurs 
bras. Quand Stanislas vient accueillir sa fille 
au pied de l'escalier du château, il la voit 
dans sa gloire nouvelle, entourée de la plus 
brillante cour, et c'est elle-même qui lui pré- 
sente les princes de la maison de Bourbon. 



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LE MARIAGE. 9I 



Pendant trois journées, c'est un continuel 
va-et-vient de la Cour entre Fontainebleau et 
Bourron ; tout le monde veut voir le roi et 
la reine de Pologne, « car, écrit Voltaire, nous 
ne connaissons plus ici le roi Auguste». Sta- 
nislas est enchanté de se retrouver dans son 
rôle. Il témoigne son affection à Louis XV, 
sa confiance à M. le Duc, et recommence 
avec sa fille les longues causeries qui faisaient 
le charme de leur vie de jadis. Il a vu de ses 
yeux la place qu'elle a prise auprès de son 
mari et combien de garanties entourent son 
bonheur. « Le grand Dieu soit loué I écrit-il 
au maréchal du Bourg; l'amitié du Roi pour 
la Reine augmente notablement, et se réduit 
à une grande confiance qu'il a pour elle. On 
est toujours. Dieu merci, content de sa con- 
duite. Il n'y a rien à désirer que le dau- 
phin I )) 

Le dauphin devait venir et l'estime demeu- 
rer. Mais cette tendresse du très jeune époux, 
si vivement manifestée en ces premiers temps, 
était peut-être autre chose que de l'amour. 



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CHAPITRE II 



LES ANNEES HEUREUSES 



Le Roi revint à Versailles, le i®^ décembre, 
avec la Reine. Il était nuit quand les lourds 
carrosses dorés s'arrêtèrent dans la cour royale. 
On monta aux appartements par l'escalier des 
Ambassadeurs, illuminé comme aux plus beaux 
jours de Louis XIV, dans tout l'éclat de ses 
marbres, de ses bronzes, de ses portes dorées, 
animé par ses nappes d'eaux jaillissantes, sous 
les fresques pompeuses de Le Brun enguir- 
landées de fleurs. C'était, aux yeux de la prin- 
cesse qui franchissait le seuil de l'illustre 
palais, une première apothéose de cette mo- 
narchie qu'elle aspirait à perpétuer. L'apo- 
théose se prolongeait dans l'enfilade étince- 
lante et interminable des appartements et de 



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LES ANNÉES HEUREUSES. qS 

la Galerie des Glaces. Partout la gloire du 
grand siècle français» Timage sculptée ou 
peinte du Grand Roi. 

A travers ce décor de féerie, cent fois plus 
somptueux qu'elle ne l'avait rêvé, Marie Lec- 
zinska fut conduite à la vaste chambre, tendue 
de gobelîns magnifiques, où devait s'écouler 
sa vie de reine, d'épouse et de mère. La du- 
chesse de Bourgogne y avait mis au monde 
Louis XV. Presque rien n'avait changé depuis 
cette époque, et la jeune femme trouvait in- 
tact ce cadre noble et sévère de la royauté, 
qu'aucune élégance nouvelle n'égayait encore. 

Dès le lendemain, la vie ordinaire de Ver- 
sailles recommença, complétée par la pré- 
sence féminine qui depuis longtemps y man- 
quait. La religion eut d'abord sa place. 
C'était le premier dimanche de l'A vent, et la 
musique du Roi chanta une messe solennelle; 
à l'entrée de la nef, les missionnaires de la 
congrégation des Lazaristes complimentèrent 
la Reine. Le 3 décembre, il y eut Grand 
Appartement, concert dans le salon de Vénus, 
où l'on servit les fruits, confitures et glaces 
d'usage, et jeu dans la salle du Trône, où 
Leurs Majestés prirent couleur à la partie de 



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9^ LOUIS XV ET MAniE LECZIRSKA. 

lansquenet. Après le jeu, le Roi reconduisit la 
Reine dans son appartement, où ils soupèrent 
ensemble, à leur grand couvert, c'est-à-dire 
en public et toutes portes ouvertes. Le 4 > la 
Reine visita avec les princesses la Ménagerie, 
le petit château de la duchesse de Bourgogne, 
avec ses cours rempUes d'animaux rares et ses 
volières d'oiseaux des Iles ; et, à sept heures, 
le Roi étant rentré de chasser au Uèvre k Marly, 
on représenta sur le théâtre de la Cour la 
comédie du Misanthrope. Le 5, le Roi chassa 
au sanglier à Saint-Germain, tint le conseil 
des finances, et vint au Grand Appartement . 
Le 6, il courut le cerf dans les bois de Fausse- 
Repose ; au retour, il y eut conseil de cons- 
cience et, le soir, comédie italienne. Le 7, le 
Roi courut le daim au bois de Boulogne. Le 8, 
la Reine fut à Saint-Cyr, visita la maison 
royale de Saint-Louis et assista à tous les 
offices. Le 9 , il y eut jeu dans son cabinet et 
souper au grand couvert. Le 10, le Roi cou- 
rut le cerf et soupa à son petit couvert chez 
la reine, servi par les dames et les femmes de 
chambre. La Reine n'était point sortie, ayant 
pris médecine. Le lendemain, elle assista au 
Te Deum et au salut donné à la paroisse de 
Versailles à l'occasion du mariage ; le soir» les 



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LES ANNÉES HEUREUSES. QÔ 

comédiens français lui présentèrent à la fois 
Molière et Racine, dans le Mariage forcé et 
Britannicus. 

Les jours suivants, elle fut se promener à 
Trianon et à Meudon. Mademoiselle de Gler-> 
mont, dans son appartement de surinten-^ 
dante, fit jouer pour elle le Misanthrope et là 
comédie du Florentin, par une troupe de sei- 
gneurs et de dames de la Cour, dont elle put 
comparer le jeu à celui des comédiens du Roi. 
La veille de Noël, la Reine vit son époux, 
portant le collier de Tordre dii Saint-Esprit, 
se rendre à la chapelle) y communier des 
mains du grand aumônier et, revêtu de la 
pureté chrétienne et de la prérogative royale, 
toucher les malades qui lui présentaient leurs 
écrouelles. Elle entendit avec lui, dans leur 
tribune, les trois messes de minuit; à la 
grand'messe, le Roi étant au chœur et la Reine 
en haut, l'office fut célébré pontificalement 
par l'évoque de La Rochelle. Aux vêpres, la 
musique se surpassa pour la Reine et lui fit 
apprécier Ses voix habiles et réputées dans 
toute l'Europe. 

Elle passa la journée du 3i décembre tout 
entière à Saintr-Cyr en exercices de piété, et 
elle y communia des mains de M. de Préjus. 



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g6 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 



Le I®' janvier, Leurs Majestés furent compli- 
mentées, suivant Tusage, par les princes et 
princesses du sang. A dix heures eut lieu, dans 
le cabinet du Roi, le chapitre du Saint-Esprit, 
où les preuves furent admises pour un che- 
valier très cher à la Reine, le comte Tarlo. Le 
somptueux cortège traditionnel , en longs 
manteaux brodés de flammes, précédant le Roi, 
grand maître de l'ordre, se rendit à la cha- 
pelle. La Reine et les dames étaient dans la 
tribune. On chanta le Veni Creator à l'entrée 
du Roi, qui, après la messe solennelle, donna 
le collier au cousin de la reine de Pologne. 

Marly était, sous le feu Roi, un séjour où l'on 
se rendait chaque année pendant quelques 
semaines. Louis XV veut faire revivre cette 
tradition. Dès le lendemain du Jour de l'an, 
il va s'établir à Marly, avec cent vingt per- 
sonnes seulement. Malgré le froid de la saison, 
les cheminées qui fument, les appartements où 
l'on gèle, la Reine peut admirer cette char- 
mante maison royale, qui n'a encore rien 
perdu de sa beauté. Presque tous les jours il 
y a des chasses au cerf ou au sanglier, ou des 
battues de lapins. On se promène, on joue au 
mail, on va sur la neige en traîneau, ce qui 
est un divertissement tout nouveau en France. 



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LES ANNÉES HEUREUSES. 97 

L'année prochaîne, on offrira à Marie Lec- 
zinska, dans Tintimité de Marly, le plaisir des 
comédies jouées par les seigneurs et les dames 
et pour lesquelles les billets , aux armes de 
Mademoiselle de Clermont, seront envoyés 
au nom de la Reine. Cette année, il n'y a 
guère que le jeu comme divertissement du 
soir. Chaque jour, à sept heures, la Cour s'as- 
semble dans le grand salon pour la partie de 
lansquenet; à neuf heures, le Roi va souper 
avec la Reine à son grand couvert; à onze 
heures, le jeu recommence jusqu^ à son cou- 
cher. C'est encore une tradition de Marly que 
le jeu soit toujours fort gros: en deux mois 
de séjour, le Roi et la Reine perdent deux cent 
mille livres, folies de jeunes époux que la sa- 
gesse de la Reine ne laissera pas se renouveler. 
Dans ce fameux salon de jeu, ont été jouées 
les plus grosses parties de la duchesse de Bour- 
gogne sous les yeux mécontents de madame 
de Maintenon. On y donne, cet hiver même, 
six concerts excellents, où la musique du Roi, 
renforcée de chanteurs et de symphonistes de 
Paris, exécute en perfection divers fragments 
des opéras de Lulli. C'est ainsi que, partout, 
les souvenirs du règne illustre enveloppent la 
reine Marie de leur enivrante majesté. 

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g8 LOUIS XY BT MARIE LECZIHSKA. 

Bientôt, dans les objets familiers qui Ten- 
tourent, va se montrer toute la grâce de l'art 
nouveau. Les orfèvres, ciseleurs, émailleurs 
préparent en ce moment pour elle leurs plus 
délicats ouvrages, selon cette forme des orne- 
ments (( contrastés y>t qui règne alors sans 
partage. Depuis longtemps, en prévision du 
mariage, les dessinateurs s'ingénient à inven- 
ter de riches modèles, et c'est le grand Ger- 
main qui les exécute, pour le merveilleux 
ensemble de la toilette de la Reine. Ce chef- 
d'œuvre de l'orfèvrerie du temps est exposé 
quelques jours à la vue des curieux de Paris, 
dans les galeries du Louvre, avant d'être porté 
à Versailles. Il y a cinquante et une pièces d'ar- 
gent doré : jattes en forme de nacelle, dont 
la proue et la poupe portent un dauphin en- 
guirlandé par des amours, pot-à-l'eau aux 
armes de France et de Pologne, aiguière ornée 
de bas-reliefs marins, boites à mouches où 
voltigent des moucherons boîtes à poudre, 
couteau pour ôter la poudra, corbeille à gants, 
flacons, bougeoirs, flambeau^ et, comme pièce 
principale, ce haut miroir couronné du double 
écusson, avec des amours jetant des fleurs, et 
soutenu d'un grand bas-relief représentant 
Vénus à sa toilette, servie par les Grades. 



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LES AHVÉES HEUREUSES. QQ 

La vie intime des reines est si diFficile à 
connaître, et la jeune souveraine qui arrivait à 
Versailles paraissait à tous les regards si heu- 
reuse et si comblée, que nul ne s'apercevait des 
larmes qu'elle versait déjà en secret au milieu 
de cette triomphante existence et de ces plai- 
sirs multipliés. Les épreuves douloureuses 
avaient commencé peu de mois après le 
mariage, et ce cœur trop sensible et élevé dans 
la tendresse s'était heurté, peut-être dès la 
première heure, à l'égoïsme de l'époux. Vingt 
ans plus tard, elle avouait à des amis fidèles, le 
duc et la duchesse de Luynes, le souvenir de 
ces anciennes tristesses. 

Ces confidences , précisées par les Mémoires 
de Villars, contredisent les affirmations hasar- 
dées et font comprendre des situations que 
les chroniqueurs et les nouvellistes défigu- 
rent. . Le roi Stanislas, dans les instructions 
écrites données à sa fille, l'avait mise en 
garde contre les hommes, même les plus 
vertueux, qui voudraient accaparer sa con- 
fiance : a Vous ne la devez tout entière, 
disait-il, qu'au Roi votre époux. Il doit être 
le seul dépositaire de vos sentiments, de vos 



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lOO LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

désirs, de vos projets, de toutes vos pensées ; 
l'imprudence laisse échapper ses secrets, 
l'amitié les confie, l'amour, le véritable 
amour, les livre et ne s'en aperçoit pas. N'es- 
sayez jamais, néanmoins, de percer les voiles 
qui couvrent les secrets de l'État ; l'autorité ne 
veut point de compagne... Répondez aux 
espérances du Roi par toutes les attentions 
possibles. Vous ne devez plus penser que 
d'après lui et comme lui, ne plus ressentir de 
joies et de chagrins que ceux qui l'affectent, 
ne connaître d'autre ambition que celle de lui 
plaire, d'autre plaisir que de lui obéir, d'autre 
intérêt que de mériter sa tendresse. Vous devez, 
en un mot, ne plus avoir ni humeur, ni pen- 
chant ; votre âme tout entière doit se perdre 
dans la sienne. )> 

Pénétrée de ces conseils paternels pleine- 
ment d'accord avec son propre instinct, Marie 
avait voulu tenir de son mari toute la direc- 
tion de sa vie. Quoiqu'il l'intimidât extrême- 
ment, elle l'avait interrogé sur ce qu'elle 
devait j)enser de leur entourage. Un de ses 
premiers soins avait été de savoir de lui quels 
étaient les hommes en qui il avait mis sa 
confiance, pour leur donner aussi la sienne. 
Elle lui demandait un jour comment il aimait 



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LES ANNÉES HEUREUSES. lOI 

M. de Fleury : c< Beaucoup », disait le Roi. 
Et à la même question pour M. le Duc : 
« Assez )), répondait-il. Le taciturne adoles- 
cent, jusque dans l'intimité conjugale, décou- 
rageait toute causerie, et Marie n'avait point 
osé s'informer davantage. Mais elle en savait 
suffisamment pour deviner certains dangers 
vagues qui la menaçaient. 

Amenée en France par M. ]e Duc, lui 
devant tout, sa couronne et le bonheur de ses 
parents, elle se jugeait liée par une reconnais- 
sance profonde. Madame de Prie, qui ne la 
quittait pas, au grand mécontentement de 
l'opinion, la chapitrait quotidiennement sur 
ce sujet; et M, le Duc, qui ne se piquait point 
de délicatesse i lui faisait comprendre, au 
milieu de ses hommages, qu'il était en droit 
de compter sur elle. Depuis que la Reine 
avait senti le peu d'affection du Roi pour son 
premier ministre, l'attitude de celui-ci la cho- 
quait davantage ; il lui arrivait souvent d'en 
être froissée au point d'en pleurer. Il exigea 
même qu'elle se mêlât d une combinaison qui 
risquait de la compromettre. Il n'avait jamais 
pu déterminer Louis XV à travailler seul 
avec lui ; M. de Fleury assistait toujours au 
travail ministériel, et gardait ensuite son 

6. 

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lOa LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

élève, sous prétexte d'études, pendant des 
heures. Madame de Prie voulait absolument 
qu'on trouvât un moyen d'éloigner l'ancien 
précepteur et de parler librement et en parti- 
culier au jeune Roi. L'habitude une fois 
rompue, celui-ci n'éprouverait plus le besoin 
de la compagnie continuelle du prélat, qui 
glisserait peu à peu de sa place (( sans être 
trop rudement poussé», et ce serait la mar- 
quise, appuyée des bontés de la Reine, qui 
ne tarderait pas k s'introduire avec elle dans 
le travail secret de l'État. 

La jeune femme se prêta avec répugnance 
à ce qu'on voulait d'elle, sans qu'eUe sût 
pourtant les desseins secrets. Un jour enfin, 
elle se décida à mander au Roi par M. de 
Nangis qu'elle le priait de passer dans ses 
cabinets. Le Roi vint et trouva M. le Duc. 
c< La Reine voulut sortir aussitôt. M. le Duc 
lui dit qu'il croyait que le Roi trouverait bon 
qu'elle restât. Le Roi prit la parole aussitôt 
et dit à la Reine de rester. La Reine, qui était 
déjà à la porte, rentra toute tremblante et se 
tint le plus éloignée qu'elle put de la conver- 
sation, sans y prendre aucune part. M. le Duc 
remit au Roi une lettre de M. le cardinal de 
Polignao remplie de toutes sortes d'accusa- 



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LES ANNÉES HEUREUSES. Io3 

lions contre M. de Fleury. Le Roi, après 
l'avoir entièrement lue, la rendit à M. le Duc 
sans dire un seul mot. M. le Duc, étonné de 
ce silence, demanda atu Roi ce qu'il disait de 
celte lettre : « Rien », répondit le Roi, d'un air 
fort sérieux, M. le Duc demanda au Roi si Sa 
Majesté ne donnait aucun ordre et quelle était 
sa volonté. La seconde réponse du Roi ne fut 
ni moins sérieuse, ni moins sèche : « Que les 
choses demeurent comme elles sont », dit-il. 
M. le Duc, plus trouhlé que jamais, dit au 
Roi : «J'ai donc eu, Sire, le malheur de vous 
déplaire? — Oui », répondit le Roi. Aussitôt 
M. le Duc se jette aux genoux du Roi, et avec 
les plus grandes protestations de fidélité et 
d'attachement demande humblement pardon 
au Roi. Le Roi lui dit assez sérieusement : 
(( Je vous pardonne», et sortit aussitôt. » 

La Reine est dans une anxiété plus grande 
encore, quand elle sait ce qui se passe. M. de 
Fleury, qui s'attend depuis longtemps à la 
ruse du ministre, n'a pas manqué de se 
présenter chez la Reine dès qu'il l'y a vu 
entrer. Il n'est venu que pour se faire refuser 
la porte. Aussitôt son carrosse est préparé en 
hâte ; il quitte Versailles, laissant au Roi un 
billet respectueux et tendre, où il déclare 



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I04 LOUIS XT ET MARIE LBGZINS&A. 

que, ses services paraissant désormais inu- 
tiles, il le supplie de lui laisser finir ses jours 
dans la retraite et préparer son salut auprès 
des Sulpiciens dlssy, où il se retire. 

Le Roi s'enferme chez lui, se met à pleu- 
rer et ne veut recevoir personne. Irrésolu et 
timide, habitué à tout décider par autrui, il 
ne sait se résoudre à rien. Le Premier gentil- 
homme de service est alors le duc de Morte- 
mari, homme d'esprit et à propos, point 
fâché de jouer un rôle: «Ehl quoi. Sire, 
n'êtes- vous pas le maître? Faites dire à M. le 
Duc d'envoyer chercher à l'instant M. de 
Fréjus, et vous allez le revoir, » Le Roi ne 
demandait que cette parole. L'ordre est donné 
à M. le Duc, qui, tout désagréable qu'il le 
trouve, doit l'exécuter. Le lendemain M. de 
Fréjus reparaît à la Cour. Il triomphe avec 
modestie, selon son ordinaire, heureux seule- 
ment, dit-il, de TafTection marquée par son 
élève. Mais son rôle est bien défini désormais; 
les mécontents, si nombreux, se groupent 
autour de lui ; il est félicité par les princes, 
qui détestent le ministre. Celui-ci n'a plus 
pour lui que les créatures de sa maîtresse fet 
le maréchal de Villars, qui est loin de l'ap- 
prouver en toutes choses, mais dont l'indé- 



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LES ANNEES HEUREUSES. Io5 

pendance redoute le règne du vieux prêtre, 
désormais inévitable. 

Personne ne se dissimule la gravité de cet 
épisode, dont peu de circonstances restent 
secrètes, et Ton parle fort diversement de la 
réserve de la Reine. Comme elle n'aimait 
point ses conseillers, elle n'y a eu aucun mé- 
rite; mais elle gagne à son excellent main- 
tien une réputation de prudence. Stanislas 
écrit de Chambord au maréchal de Bourg, le 
I®' janvier 1726, avec l'abandon de Tamitié : 
(( Sur ce que vous me dites de ce qui s'est 
passé à la Cour entre le 18 et le 20 du mois 
passé, je sympathise assez avec vous dans le 
désir de la tranquillité pour n'avoir pas vu 
avec bien de douleur l'agitation de la Cour 
et les troubles que cela va engendrer. Que 
je souhaiterais de vous entretenir un moment 
sur cet événement 1 Où est notre Neybourg, 
cher endroit de nos rendez-vous ? Et quoique 
ce n'est pas une matière à écrire, je ne sau- 
rais m'empêcher de vous dire ce que je sens 
avec une vive douleur, que M. de Fréjus, en 
sortant de sa sphère, fait tort au caractère 
respectable qu'il a soutenu avec tant de di- 
gnité et qui est tout opposé à l'ambition et à 
l'animosité qui a paru avec tant d'éclat. La 



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I06 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

Reine a joué dans tout ceci un rôle digne de 
son rang et de ses sentiments. Il n'y a pas 
un honnête homme qui approuve que M. de 
Fréjus veuille terrasser l'honneur de M. le 
Duc et Tautorité du Roi dans sa personne. Je 
croîs que tout se remet au calme ; Dieu le 
donne durable. Le Roi continue et augmente 
son amour pour la Reine ; voilà ce qui est de 
sûr et de consolant. » 

Rien n'était moins sûr, à vrai dire, que ces 
dispositions du Roi, et c'était la première fois 
que, pour ne point inquiéter ses parents, 
Marie leur cachait le fond de son cœur. Un 
grand changement , en effet , paraissait dans 
l'esprit du jeune époux , depuis qu'il avait vu 
sa femme servir d'instrument aux ennemis de 
M. de Fréjus . La froideur toute nouvelle qui 
en résultait, il la portait jusque dans la cham- 
bre conjugale, en des heures où son empres- 
sement , d'ordinaire , se marquait avec toute 
l'ardeur de son âge. La jeune femme se déso- 
lait de cette rancune. Avec un caractère dissi- 
mulé comme celui du Roi, il ne fallait pas 
songer à s'en expliquer avec franchise , et la 
timidité de la Reine ne s'y fût point hasardée. 
Le confident de ses peines était son discret 
confesseur polonais, l'abbé Labiszewski, de- 



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LES ANNÉES HEUREUSES. I07 

meure attaché à sa personne et qui n*avait h 
lui offrir que les consolations résignées de la 
piété . Elle recourait aussi au maréchal de 
Villars , pour qui elle avait éprouvé très vite 
de la confiance . Un jour , pendant le séjour 
de Marly, elle l'emmena dans son cabinet pour 
le faire juge des changements qu'elle voyait 
dans Tamilié du Roi. Ses larmes coulaient 
en demandant le conseil de Texpérience. ^ Le 
maréchal lui dit (c'est lui-même qui le ra- 
conte) que le cœur du Roi était très éloigné 
de ce qu'on appelle l'amour ; qu'elle n'était 
pas de même pour lui ; qu'il la conjurait de 
cacher sa passion ; qu'il était plus heuteux 
pour elle que le Roi ne fût pas porté à la ten- 
dresse et à la vivacité , puisqu'en cas de pas- 
sion la froideur naturelle est moins cruelle 
que l'infidélité j qui était fort à craindre dans 
un roi de dix-sëpt ans , beau comme le jour 
et qui serait lorgné de tous les besiux yeux de 
la Cour, s'ils s'étaient aperçus qu'il eût encore 
arrêté ses regards sur quelqu'une. » 

Le bon. maréchal offrait à la Reine « tout ce 
qu'il croyait le plus propre à la calmer/). Se» 
alarmes l^ans doute n'en furent qu'augmentées^ 
car il faisait envisager à son itiexpérietice uil 
avenir auquel elle ne pensait sûrement point < 



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I08 LOUIS XV ET MAKIE LEGZINSKA. 

En tout cas, le conseil qu'il lui donna de 
s'expliquer avec M. de Fréjus était excellent. 
La prudence, quoique tardive, de la Reine . 
n'était pas sans inquiéter un peu le prélat. 
Marie put le voir huit jours après. Il fut 
onctueux , respectueux » paternel . Il comprit 
les raisons qu'elle avait d'aimer et de sou- 
tenir M. le Duc, dont il fit l'éloge; il ne 
haïssait même point ses conseillers, madame 
de Prie et Pâris-Duverney, bien qu'il lui in- 
sinuât de les éloigner comme étant des per- 
sonnes fort dangereuses pour elle et lui causant 
le plus grand tort, ce Mais, dit la Reine, com- 
ment éloigner des personnes qui sont à moi , 
dont l'un , qui est le secrétaire de mes com- 
mandements, demande dès juges sur ce qu'on 
lui reproche , et l'autre , que l'on approfon— 
disse les torts que l'on lui donne? Pour moi, 
les disgrâces de ces gens-là, dont je suis con- 
tente, me feraient de la peine. » Fleury laissa 
entendre qu'il en faudrait venir là . Quant au 
refroidissement dans l'afiTeclion du Roi, dont 
la Reine lui dit ensuite quelques mots et qui 
le comblait de joie secrète , il protesta qu'il 
ne pouvait être de sa faute. M. de Villars sut 
de la Reine cet entretien , D l'avertît avant 
toutes choses , de ménager un homme aussi 



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LES ANNÉES HEUREUSES. lOQ 

habile , si elle voulait conserver le cœur du 
Roi , et de paraître toujours satisfaite de ce 
qu'il ferait, quoi qu'il fît. 

Dès lors commença entre la Reine et le 
futur cardinal ce commerce d'intimité extraor- 
dinaire, que nous révèlent les lettres de la 
Reine , et où l'humilité respectueuse de l'un 
et l'affectueuse docilité de l'autre sont égale- 
ment diplomatiques. La jeune femme ayant 
reconnu, dans une circonstance grave, la force 
occulte du prélat, croit pouvoir le séduire 
en lui témoignant sans réserve sa confiance. 
Elle se laisse prendre elle-même à ce jeu, car 
l'homme est aimable et capable d'une cer- 
taine forme de bonté ; mais il le serait moins 
qu'elle agirait sans doute de même, car elle 
est prête , désormais , à tous les sacrifices pour 
ne le point tourner contre les intérêts de son 
cœur. 

La toute-puissance de M« de Fréjus éclata, 
quelques mois plus tard, par un coup de sur- 
prise qui servit à faire juger le caractère du 
Roi . Tout semblait apaisé. La Reine s'était 
risquée à parler à son mari des affaires de 
la Cour, et Stanislas, l'ayant appris d'elle, 
voyait l'avenir sous les meilleures couleurs: 

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IIO LOUI8 XV BT HARIB LEGZINSKA. 



« La Reine, écrivait-il, a acquis des lumières 
pour marcher en toute sûreté et sans blesser, 
parmi tant d'épines, son devoir, son honneur 
et sa justice . Une explication ({u'elle a eue 
avec le Roi sur tout cela a établi une amitié 
et confiance entre eux qui va , grâce au Sei- 
gneur, en croissant . Le Roi connaît son bon 
cœur et le désir passionné qu'elle a à suivre 
Hes volontés aveuglément. La Reine aime le 
Roi à la fureur, et n'a d'autres inquiétudes 
que celles qu'engendre un véritable amour , 
auquel ce prince répond selon toute l'expé*» 
rience qu'il peut avoir de cette passion ; et il 
est bon qu'il ne cherche pas à en acquérir 
une plus grande*.. M. de Fréjus est, je l'es-- 
père^ désabusé de la fausse prévention que la 
Reine faisait partie avec ses ennemis; il recon^ 
naît qu'il avait grand tort de s'en défier. i^ 
Malgré cet optimisme, Stanislas n'ignorait 
pas que «le feu couvait encore », et les enne- 
mis de M. lé Dua à Versailles se montraient 
chaque jour plus hardis et d une cabale plus 
affichée. Madame de Prie, sentant le danger 
et croyant le conjurer, consentait à s'éloigner 
de la Cour ; elle allait habiter Paris, ne reve- 
nant plus que pour faire sa semaine de serviod 
comme dame du Palais. Mais elle attendait 



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LES ANNEES HEUREUSES. III 

des jours plus favorables, qui lui permet- 
traient de reprendre auprès de la Reine ce 
rôle dont elle se croyait assurée, le vieux 
Fleury n'étant point éternel. 

Le II juin, le Roi partit pour Rambouillet 
sur les trois heures et dit à M. le Duc, qui 
devait venir l'y rejoindre après avoir reçu les 
ambassadeurs : « Monsieur, je vous attendrai 
pour jouer et ne commencerai pas sans 
vous. » A sept heures, comme le prince allait 
monter en carrosse, le duc de Charost, capi- 
taine des gardes, dont les ordres étaient signés 
de la veille, demanda à lui parler et lui remit 
un billet du Roi : « Je vous ordonne, sous 
peine de désobéissance, de vous rendre à 
Chantilly et d'y demeurer jusqu'à nouvel 
ordre. » 

Tout était dur dans ce billet, et rien n'y 
manquait pour blesser. M. le Duc répondit 
qu'accoutumé à faire obéir le Roi, il ne lui 
en coûtait pas de donner l'exemple, bien 
qu'il ne s'attendit point à cette dureté. Il 
demanda à parler à la Reine, à mettre en 
ordre ses papiers ; tout fut refusé, et le jeune 
secrétaire d'État Maurepas entra sur-le-champ 
pour poser les scellés. M. le Duc passa les 
grilles, comme s'il fût parti pour Rambouillet, 



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lia LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

et, quand on se trouva hors de la vue, dit à 
ses gens de le mener à Chantilly. 

Vers la même heure, M. de Fréjus entrait 
chez la Reine. Ce qui s'y passa, nul ne le sut 
tout d'abord, car elle dîna à son ordinaire. 
Mais elle avait besoin de se confier ; elle pria 
le maréchal de Villars de passer dans son 
cabinet et lui apprit le départ de M. le Duc. 
Elle fondait en larmes, en lui montrant la 
lettre que le cardinal était venu lui remettre 
de la part du Roi : ce Je vous prie, madame, 
et, s'il le faut, je vous l'ordonne, d'ajouter foi 
à tout ce que l'ancien évêque de Fréjus vous 
dira de ma part, comme si c'était moi-même. 
— Louis». Elle lisait ces lignes froides et 
cruelles, <( avec des sanglots, ajoute Villars, 
qui marquaient bien sa passion pour le Roi ». 
On avait pensé à tort qu'il pouvait y avoir 
une protestation de la part de cette créature 
de soumission et de tendresse. 

Le lendemain, l'exécution fut complète. 
Tous les Paris furent exilés, et les sceUés mis 
chez eux. Duverney fut envoyé à cinquante 
lieues de Paris, en attendant la Bastille, qui 
ne devait point tarder. Madame de Prie eut 
l'ordre de gagner son château de Courbépine 



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LES ANNÉES HEUREUSES. IIO 

en Normandie et de n'en plus sortir. Le contrô- 
leur général des finances, le secrétaire d'Etat 
de la guerre furent remplacés. Le Roi, au 
premier Conseil, déclara qu'il était bien aise 
de remettre les choses dans Tétat oi!i elles 
étaient sous Louis XIV, c'est-à-dire qu'il 
n'aurait plus de premier ministre ; qu'on 
s'adresserait dorénavant à lui-même pour les 
grâces, et qu'il donnerait des heures particu- 
lières à tous ses ministres pour travailler avec 
lui, en présence de l'ancien évêque de Fréjus, 
qui assisterait à tout. 

Fleury n'avait pas le titre de premier 
ministre, désormais supprimé ; il avait, du 
moins, toutes les prérogatives de la fonction 
et allait être, jusqu'à sa mort, le maître 
incontesté des affaires de la France. Le Roi, 
trop complètement élevé à ne rien faire par 
lui-même, allait se livrer en paix à la non- 
chalance et à l'amusement, heureux de laisser 
son vieux maître gouverner pour lui. Quelques 
mois plus tard, celui-ci verra venir de Rome 
le chapeau, un des « chapeaux des Cou- 
ronnes », que le Pape réserve aux propo- 
sitions des souverains catholiques. La jeune 
Reine et toute la Cour feront leurs compli- 
jnents au nouveau cardinal qui prendra 



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Il4 LOUIS XV BT MARIE LEGZIN8K.A. 

le pas sur les ducs dans le Conseil. L'exilé 
de Chantilly n'aura plus qu'à se marier, 
et ce sera l'occasion d'obtenir sa grâce et 
de reparaître à Versailles. U faudra cepen-^ 
dant, pour que cette grâce soit facilitée, que 
madame de Prie ait disparu. 

Celle-ci se ronge au fond de sa province, 
cherchant vainement à obtenir son rappel à 
la Cour par l'entourage de son mari, et assis- 
tant de loin, avec une rage impuissante, aux 
événements qui détruisent pour jamais son 
rêve. Bientôt la colère, les déceptions, les 
irritantes consolations du vice hâtent sa fin. 
Elle meurt, en octobre 1737, à l'heure qu'elle 
a prédite et sans doute choisie, d'un mal 
mystérieux et terrible, à vingt-neuf ans. 

Qu'est devenue, dans cet orage, la reine 
Marie ? « Vous avouerez, écrit Stanislas, qu'elle 
a été dans un bon noviciat, la première année 
de son mariage. Je n'en suis pas fâché ; cela 
lui a servi de bonne leçon. )) Le roi de Pologne 
continue à n'avoir aucun souci pour sa fille. 
Sa propre contrariété a clé courte. Il a reçu 
de son gendre et de Fleury des lettres l'in- 
formant des raisons qu'a eues Sa Majesté de 
renvoyer M. le Duc. On le comble de bonnes 



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LES ANNÉES HEUREUSES. Il6 



paroles ; cela lui suffît, comme à rordinaire» 
et il est à la fois trop ami de ses intérêts et 
trop fidèle sujet du roi de France, pour ne 
pas se tourner, sans réserve, vers le pouvoir 
nouveau. 

Sur ces entrefaites» au moment où Ton va 
partir pour Fontainebleau, le Roi tombe ma- 
lade. Il a souvent des indigestions la nuit et 
se trouve mal à la messe, parce qu'il « ne 
fait que courir à la chasse, manger des vile* 
nies à souper », et avec excès. Cette fois, le 
cas semble plus grave : trois saignées, toute- 
fois, le tirent d'affaire, et on a eu juste assez 
d'alarmes pour que le duc de Gesvres fasse 
tirer un fea d'artifice et le Parlement de Paris 
chanter un Te Deam. Mais la Reine a ressenti 
une telle émotion, qu'elle a été elle-même 
atteinte de la fièvre la plus violente. Pendant 
trois jours, il y a eu plus à craindre qu'à 
espérer. Elle a envoyé à Sainte-Geneviève de 
Nanterre faire une neuvaine, porter du linge 
pour toucher aux reliques et promettre un 
pèlerinage, qu'elle accomplira aussitôt guérie» 
Elle s'est confessée deux fois et a reçu les 
sacrements. Il semble bien qu'elle ait attendu 
la mort. 

Toutes ces inquiétudes sont arrivées un peu 



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Il6 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

adoucies à Ghambord, mais avec des détails 
assez piquants, tels que Stanislas les raconte : 
a Vous avez appris les incommodités du Roi 
et de la Reine. Dieu merci qu'elles sont pas- 
sées et qu'on se peut fâcher présentement à 
son aise contre tous les deux. Leur sympathie 
va jusqu'à ce qui leur cause des maladies, qui 
est de trop manger, puisque c'est une indi- 
gestion violente qu'ils ont eue, la Reine 
surtout, après avoir mangé cent quatre-vingts 
huîtres et bu quatre verres de bière là-dessus. 
Je ne peux pas encore revenir de frayeur, 
aussi bien que de colère, ayant cru qu'elle 
aurait plus de pouvoir de se posséder. Ce- 
pendant, je crois que cela lui fera du bien 
par la suite, car on se loue présentement de 
son régime. Ce qu'il y eut de charmant, et à 
quoi vous serez bien sensible, c'est l'assistance 
mutuelle qu'ils se sont donnée pendant leurs 
incommodités. Vous ne le serez pas moins, 
quand je vous dirai que leur confiance et leur 
tendresse se fortifient tous les jours, tellement 
que je n'ai rien à désirer au delà que le fruit 
de cette belle union, que la miséricorde de 
Dieu accordera à tant de vœux. Je ne saurais 
encore vous rien dire là-dessus. » 

Les observateurs attentifs de la Cour n'ont 



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LES ANNEES HEUREUSES^ II7 

pas compris ainsi cet épisode de la maladie des 
deux époux. Si la passion de la Reine a éclaté 
dans toute sa ce fureur », suivant une expres- 
sion de son père, Tindifierence du mari n'a 
pas été moins frappante. Quand elle a été ma- 
lade, le Roi est venu chez elle, ce ayant laissé 
passer les quatre premiers jours par crainte 
de la petite vérole ; il y alla ensuite tous les 
jours^ mais les visites n'étaient que de quel- 
ques minutes, et la tendresse ne paraissait pas 
grande de sa part ». Lorsque la malade est réta- 
blie, il fait une visite de trois quarts d'heure, 
avec l'inévitable Fleury. « C'est moins éloi- 
gnement pour la Reine que timidité de la part 
du Roi », observe Villars, et l'on pourrait ajou- 
ter égoïsme, ce qui est le trait dominant 
du caractère. Mais les courtisans remarquent 
tout ; ils notent que Louis XV part pour Fon- 
tainebleau, sans se soucier de revenir voir la 
Reine en convalescence à Versailles, et que, 
le jour oii elle arrive après un mois de sépa- 
ration, il s'est mis à courre le cerf au lieu 
d'aller au-devant d'elle. Il se montrera plein 
d'égards pour le roi et la reine de Pologne, 
qui passeront dans le voisinage quelques se- 
maines au château de Ravanne, et Stanislas 
se réjouit d'une longue conférence avec le 

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Il8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSRA. 

cardinal de Fleury» ce où ils se sont bien 
expliqués sur le passé et ont pris de bonnes 
et sûres mesures pour l'avenir ». Malgré cela, 
tout le inonde sent qu'il y a quelque chose de 
changé aux dispositions des premiers jours du 
mariage. Les plus intéressés seuls ne s'aper- 
çoivent point de ce que le public déclare fort 
ouvertement: le Roi se détache de la Reine, 
ou plutôt laisse voir qu'il ne lui a jamais été 
attaché. 

Marie n'ignorait point, et son père lui répé- 
tait volontiers, que ce que la France attendait 
d'elle et ce qui devait à jamais la rendre sacrée 
au peuple, c'était la naissance d'un dauphin. 
Sa plus glorieuse fonction de reine était d'as- 
surer la succession au trône. Diverses causes 
y avaient mis retard et de faux symptômes 
avaient deux fois trompé l'espérance de la 
jeune femme. Enfin, il n'y eut plus de doutes : 
« Elle a été la dernière à y croire, écrivit 
Stanislas à Du Bourg, se défiant jusqu'à pré- 
sent d'un bonheur qu'elle a raison de sou- 
haiter avec tant d'ardeur. » Ce bon père y 
mit une ardeur égale, et ses lettres se rem- 
plirent du petit dauphin et de « ses petites 
cabrioles »* 



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LlSS ANNEES HfiURËUSES. Iig 

Le i4 août 1727, la déceptron fut grande, 
car la Reine mit au monde deux princesses 
jumelles. Par bonheur, le Roi se montra ému 
et enchanté. Il avait passé chez la Heine, en 
robe de chambre, dès Tannonce des premières 
douleurs, et, pour ne la point quitter, s'était 
fait habiller dans Tantichambre. U assista aux 
cérémonies de Tondoiement, eut un mot 
gaillard sur la double naissance qui certifiait 
son aptitude à la paternité, et approuva le 
choix des deux nourrices, qui furent madame 
Varanchan, de Marseille, et madame Raymond, 
dlssoire en Auvergne. Le jour même, il en- 
voyait un de ses gentilshommes à Chambord 
et mandait au cardinal de Noailles, archevêque 
de Paris : a Mon cousin, il a plu à Dieu de 
commencer à bénir mon mariage par la nais- 
sance de deux filles, dont la Reine, ma très chère 
épouse et compagne, a été heureusement déli- 
vrée aujourd'hui. J'espère de ses bontés l'entier 
accomplissement de mes vœux et de ceux de 
mon peuple, par la naissance d'un dauphin. 
C'est pour le lui demander et le remercier des 
grâces qu'il m'a déjà faites, que je vous fais 
cette lettre, pour dire que mon intention est que 
vous fassiez chanter le Te Deum dans l'église 
métropoUtaine de ma bonne ville de Paris. y> 



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120 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

Ce Te.Deum fut chanté, en présence du 
Parlement et de tous les corps, invités de la 
part du Roi. Le peuple eut les feux de joie, 
les illuminations et les fontaines de vin, et 
les Comédiens français inaugurèrent à cette 
occasion un usage destiné à durer. Voulant 
célébrer à leur façon l'heureux accouchement 
de la Reine, ils donnèrent gratis la comédie 
du Festin de Pierre, ce à une très grande foule 
de spectateurs qui, à l'incommodité près d'être 
très pressés, furent très contents». Les Comé- 
diens italiens et l'Académie royale de musique 
suivirent l'exemple ; enfin, l'Opéra-Comique, 
sur son théâtre de la Foire Saint-Laurent, 
donna gratis le spectacle à «une multitude 
de peuple, que cette nouveauté n'avait pas 
manqué d'attirer, tant du faubourg que de la 
ville», braves gens qui furent aisément conso- 
lés de n'avoir pas un dauphin. Quelques jours 
plus tard on apprit que Leurs Majestés Catho- 
liques saisissaient cette occasion pour se 
réconcilier avec la France, et que le Roi, en 
recevant les lettres d'Espagne, s'était em- 
pressé de les apporter chez la Reine et de lui 
en dire sa satisfaction. 

Les bons sentiments du Roi, la belle santé 
reconnue chez la Reine, l'espoir largement 



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LES ANNEES HEUREUSES. 121 

ouvert pour Tavenir rassurèrent pleinement 
le roi de Pologne, qui écrivit à son ami, le 
21 août : «Quoique je sois persuadé que vous 
savez que la Reine, avec ses deux poupées, se 
porte en merveille et que le Roi témoigne une 
grande tendresse à la Reine aussi bien qu'à Mes- 
dames ses filles, que toute la France, contente 
de la fécondité de la Reine, espère plus que 
jamais bientôt un dauphin, cependant il m'est 
doux de vous mander tous les sujets de ma 
joie, ne pouvant mieux les reposer qu'au fond 
de votre bon cœur. » Il fut lui-même à Ver- 
sailles pour voir ses petites-filles et (( se refaire 
du bon sang)). Le voyage fini, il racontait: 
«Le contentement que j'ai eu de mon séjour 
à Versailles va en augmentant depuis mon 
retour* Je reçois des nouvelles de Fontaine- 
bleau, qui font le comble de mon bonheur, 
comme quoi le Roi, depuis l'arrivée de la 
Reine, redouble à tous moments de tendresses 
pour elle. Malheureusement que l'interdit de 
la Faculté arrête les transports de ces illustres 
amants, sans quoi, par la grâce du Seigneur, 
le dauphin serait déjà en campagne. » 

Ce fut encore une fille qui vint. Au mois 
de juillet 1728 naquit Madame Troisième. 
« On était d'un très grand chagrin à Ver- 



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132 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

Bailles, dit Barbier; cependant le Roi a très 
bien pris la chose et a dit à la Reine qu'il 
fallait prendre parole avec Pérard, son accou- 
cheur, pour Tannée prochaine, pour un gar- 
çon. » U n'y eut , cette fois, ni Te Deam, 
ni feu, ni réjouissances, et les préparatifs 
extraordinaires de fêtes qu'on avait faits à 
l'Hôtel de Ville restèrent pour compte . Stanislas 
86 résigne à cette nouvelle déception : « Dieu 
rende nos espérances manquées assurées pour 
l'avenir; adorons sa sainte volonté I j> U se 
console, en voyant les dispositions « d'un bon 
mari qui ne perd pas courage )> • La jeune 
Reine y met une émotion plus inquiète : « Si 
Dieu me fait la grâce , écrit-elle au maréchal 
Du Bourg, d'être bientôt dans l'état où je 
souhaite toujours d'être, je serai la première 
à vous le mander. J'espère que Dieu exau- 
cera les vœux de nos bons sujets pour moi ; 
je mourrai contente , si je leur laisse cette 
consolation. » Le sentiment qui l'emporte chez 
elle est le désir de satisfaire le Roi : « On n'a 
jamais aimé comme je l'aime » , écrit -elle 
avec sa ferveur naïve de jeune femme. 

Cet amour prend quelque chose de pas- 
sionné, de fébrile, qui n'est pas sans émou- 
voir, quand on songe aux prochaines épreuves 

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LES ANIMÉES HEUREUSES. 12% 

de répôuse. A cô moment, il est vrai, le Roi, 
« enfant des pieds à la tête et qui porte son 
enfance partout» , ne donne point à craindre 
pour sa fidélité . Les dames du palais de la 
Reine se préparent inutilement à remplir le 
rôle tenu par d'autres pendant la jeunesse du 
feu Roi Louis XIV et que les mœurs accli- 
matées sous la Régence rendraient plus na-« 
turel encore. En son château de Madrid, Ma* 
demoiselle de Charolais organise des soupers 
pour son royal cousin , l'emmène au bal de 
l'Opéra et se propose publiquement de l'ini- 
tier à l'adultère . Ce sont de vaines espéran- 
ces. Louis XV n'en est plus sans doute à dire 
comme aux premiers jours, à propos de belles 
femmes delà Cour qu'on lui vantait l'une après 
l'autre : (( La Reine est encore plus belle » ; 
mais il est évident que celle-ci lui suffit 
et les principes religieux inculqués par Fleury 
dominent entièrement son imagination. Quant 
aux plaisirs , ceux qu'il préfère à tous les 
autres, sont la chasse et le voyage. 
. Dès cette époque, il n'y a pas de souverain 
en Europe qui se déplace plus souvent que 
lui . Toutes les maisons royales sont prêtes 
pour le recevoir ; et c'est toujours à l'impro- 
viste qu'il apparaît k Rambouillet ou à la 



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124 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIfSKA. 

Muette, comme plus tard à Choîsy ou à Saint- 
Hubert, soit pour chasser dans le voisinage 
et y coucher une seule nuit, soit pour y 
séjourner deux ou trois jours avec quelque 
compagnie . Il y a surtout les grands voyages 
traditionnels de Fontainebleau et de Com— 
piègne, où la Cour entière le suit chaque 
année à la belle saison . La Reine ne l'y ac- 
compagne pas toujours. En ses années de jeu- 
nesse , dont chacune est marquée par une 
naissance (il y en aura neuf en neuf ans), 
les déplacements de la Reine dépendent de la 
Faculté. Ses chirurgiens et médecins, Pérard 
ou le bon Helvétius, ordonnent seuls à ce su- 
jet , et sa santé , si précieuse pour la nation , 
exige des ménagements avant et après ses cou- 
ches, qui la retiennent à Versailles plus qu'elle 
ne le voudrait. Comme c'est presque toujours 
en été que naissent ses enfants , elle est pri- 
vée le plus fréquemment des « grands voya- 
ges )) ; des courriers quotidiens lui appor- 
tent les nouvelles de la Cour et emportent 
pour le Roi les siennes et celles de ses enfants. 
Telle est i'occasion des lettres de Marie Lec- 
zinska au Cardinal , oii se devine une secrète 
envie portée au ministre qui a le bonheur 
d'être toujours auprès de celui qu'elle aime. 



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LES ANNÉES HEUREUSES. 125 

Fleury, malgré son grand âge, s'est imposé 
de ne jamais quitter Louis XV, qui d'ailleurs 
ne peut se passer de lui et le traîne partout à 
sa suite . Aussi les lettres de Marie sont-elles 
pleines de protestations tendres et touchantes, 
qu'elle supplie son correspondant.de trans- 
mettre au Roi , soit qu'elle ait peur d'impor- 
tuner en les répétant trop souvent dans ses 
lettres d'épouse, soit qu'elle pense plaire davan- 
tage en les faisant dire par la voix la mieux 
écoutée. 

Le Cardinal remplit-il toujours avec exac- 
titude les afiectueuses commissions dont on 
le charge? Marie seule n^en saurait douter. 
C'est du reste une joie pour elle de multiplier 
en ses lettres le nom du Roi : « Je suis bien 
aise d'apprendre que la première chasse du 
Roi ait réussi. Je souhaite qu'elles soient tou- 
tes de même. Je vous prie, mon cher Cardinal, 
de le bien remercier de ses marques d'amitié. 
Pour ce qui est de m'écrire, vous pouvez 
bien vous imaginer la joie que cela me fera ; 
mais, si cela l'importune ou le gêne un mo- 
ment, je le supplie de s'en dispenser, pourvu 
que, dans ses moments perdus, il songe un 
peu à une femme qui l'aime tendrement. » 
— c< , . . Je suis bien touchée des questions 



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ia6 LOUIS XV ET MABIE LEGZIN8KA. 



que le Roi vous a faites au sujet de mon 
voyage. Voug pouvez Tassurer de rimpatienoe 
où je suis de l'aller trouver et que j'y vou* 
drais déjà être. Je vous prie de le faire res-- 
souvenir quelquefois d'une femme qui l'aime 
tendrement. » •— ec Mon obéissance pour lui, 
s'il est possible, est encore plus aveugle par 
tendresse que par devoir, et je rends grâces 
à Dieu, tous les jours, d'accorder si bien l'un 
et l'autre ensemble. ]) -*- ce Je vous prie de 
dire au Roi que je me porte, grâce à Dieu, 
à merveille et que bientôt j'espère avoir le 
plaisir de l'embrasser tendrement. En atten^ 
dant, faites-moi le plaisir de le faire souvenir 
d'une femme qui l'aime plus que sa vie, 
n'ayant d'autre satisfaction que celle de la 
passer avec lui. » 

Quelquefois elle laisse percer une pointe 
de bonne humeur : <( Je ne suis pas trop 
fâchée que le Roi ne soit pas fort content de 
ses chasses, et encore moins de ce que Ton 
m'a dit qu'il s'ennuie à Gompiègne. » Mais 
les paroles qui lui remplissent le cœur revien- 
nent, toujours les mêmes, sous sa plume : 
ce Je remercie le Roi très humblement des 
tendres compliments dont il vous charge pour 
moi. Si je devais mettre ce mot dans ma 



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LES ANNÉES HEUnELSES. IQ7 



lettre aussi souvent que je le pense pour lui» 
elle en serait remplie... Vous auriez bien dû 
m'envoyer par la poste un petit morceau du 
i^anglier qu'il a tué, et c'est bien mal à vous 
de ne l*"avoir point fait, d L'épouse s'alarme 
des dangers que le Roi court en ces chasses 
violentes, commencées avant le jour et furieu* 
sèment poussées jusqu'à la nuit : c<Je me suis 
fort fâchée de ce qu'il se lève si matin pour 
aller au bois. J'espère du moins qu'il ne ré- 
pétera pas cette promenade souvent, car elle 
pourrait le fatiguer. » -— <( On dit qu'il va à 
la chasse dans le gros chaud, ce qui me fait 
trembler, je vous l'avoue. Je vous prie de lui 
faire mes tendres compliments et lui baiser 
la main de ma part. J'aimerais mieux 
faire cette commission-là moi-même. » Et 
un autre jour, répondant à une nouvelle 
venue d'Allemagne : « L'accident de l'Empe- 
reur est affreux. Je n'avais pas besoin de cela 
pour trembler pour les chasses du Roi, sur- 
tout celles du sanglier. » 

Telles sont alors les inquiétudes les plus 
vives de la Reine, car elle ne doute point de 
l'affection de son mari ; quoi que lui ait 
annoncé Villars, elle se croit aimée de lui, 
et s'en assure aux moindres témoignages 



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128 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSK.A. 

qu'elle reçoit, même aux plus incertains que 
prodigue l'ardeur de jeunesse. 

Le Cardinal lui est attaché, pense-t-elle, 
et, dans son grand isolement de la Cour, oii 
son besoin de tendresse ne trouve pas à se 
satisfaire, la familiarité paternelle et les con- 
seils avisés du bonhomme ont attiré quelque 
chose de son cœur. Maïs ce sont des senti- 
ments très complexes, que ceux qu'inspire à 
une jeune femme un vieillard à la fois ombra- 
geux et dévoué, tyrannique et bienveillant, et 
de qui elle dépend pour les moindres choses. 
Sur ses relations avec cet être puissant et ter- 
rible, pèse toujours le souvenir de M. le Duc 
et de madame de Prie, qui ont pu un instant 
se servir d'elle contre lui. Celui-ci, qui a dans 
le ministère des rivaux à craindre et, avec le 
temps, des ennemis, redoute que la Reine, 
mieux avertie qu'autrefois, soit amenée à 
prendre une influence et à l'employer en leur 
faVeur. On devine, à travers les lettres de 
sa douce correspondante, l'inquisition qu'il 
exerce, la domination qu'il impose pour se 
préserver, et la soufi*rance que ces soupçons 
et la mémoire d'une première faute causent 
à la pauvre Marie. 

Elle essaie de désarmer ces préventions 



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LES ANNÉES HEUREUSES. IQQ 

tenaces par des marques de confiance et des 
flatteries innocentes, continuellement répétées. 
C'est le conseil de M. de Yillars qu'elle suit, 
et aussi celui du roi son père. Elle multiplie 
les expressions d'aOection tout enfantine ; 
« mon cher Cardinal » devient « mon très 
cher ami » ou, à la façon polonaise, « mon 
chérîssime ami ». Elle signe «la meilleure de 
vos amies » ; elle se plaint de le voir trop 
peu ; elle met une câline insistance à le con- 
seiller sur sa santé : « Vous ne me mandez 
pas si vous avez pris médecine. Je vous prie 
de la prendre. On ne refuse point de rendre 
service à ses amîs. Celui que je vous demande 
est d'avoir soin de votre santé ». Ce sont là 
propos d'un esprit naturellement aimable. Le 
Cardinal pourrait lui savoir plus de gré d^une 
soumission d'âme qui paraît sans bornes. 
(( Le Roi est le maître », dit-elle souvent, 
prête à ses moindres volontés. Elle ne l'est 
pas moins à celles du Cardinal, qui en ufie 
parfois assez durement. 11 échappe à Marie 
quelques impatiences qui en disent long, celle- 
ci, par exemple, sur les influences occultes sup- 
posées par Fleury : « A l'égard des conseils, si 
j'en voulais prendre, ce serait des vôtres que je 
demanderais» et je n'en chercherais jamais 



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l3o LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

d'autres, d'autant plus que, ne voyant que 
les quatre murailles ou le public, je ne vois 
personne à portée de m'en donner, o 

Si elle le prend un seul jour d'un ton un 
peu plus haut , c'est que son amour même a 
été mis en jeu et qu'on a paru douter de sa 
soumission entière aux ordres du Roi : « A 
l'égard de votre lettre, écrit-elle, c'est le style 
uniquement qui m'en a fait de la peine, et je 
la garde pour vous la relire , et je me flatte 
qu'en la voyant vous me rendrez plus de jus- 
tice. Je ne crois pas, mon cher Cardinal, que 
qui que ce soit au monde fût assez imperti- 
nent de m'aigrir dans mon attachement pour 
le Roi . Je puis bien vous protester qu'il ne 
m'en parlerait pas deux fois , étant surtout 
beaucoup plus fort que celui que le simple 
devoir fait naître . C'est de quoi je vous prie 
de l'assurer • Rendez aussi plus de justice à 
mon amitié pour vous . Ayez-y plus de con- 
fiance, et vous serez content de sa sincérité. » 

Il fallait le caractère soupçonneux et dé- 
voré du vieux prélat pour faire souflrir ainsi 
cette âme déjeune reine, pleine de candeur et 
de bonté. Tout autre eût été touché et vaincu 
par une confiance vraiment filiale , qui sui- 



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L£8 ANlfBES HEURBUSE8. l3l 

vaît aveuglément les conseils reçus et n'osait 
rien décider ni rien entreprendre sans une ap- 
probation toujours affectueusement sollicitée . 
On ne pourrait croire à une direction. auBsi 
étroite , s'il n'y en avait des preuves multi-» 
pliées dans les lettres de la Reine . G'esl , par 
exemple , un cas personnel qu'elle soumet au 
Roi , c'est*à-dire au Cardinal , à l'occasion 
d'une grossesse avancée et d'un départ pour 
Fontainebleau qui lui tiçnt à cœur : « Je ne 
suis pas assez maîtresse de moi-même pour 
prendre le parti entre l'empressement que j'ai 
de voir le Roi et la crainte des suites que Pérard 
fait envisager ; et il n'y a que le Roi qui 
puisse me tranquilliser dans l'inquiélude où 
je suis. Je vous prie de me faire savoir sa vo- 
lonté. Vous savez que je n'en ai point d'autre 
que la sienne et que celle que je réglerai tou- 
jours sur vos avis salutaires , que j ' attends 
avec impatience ». Elle projette un jour d'al- 
ler de Versailles se promener au Cours * la- 
Reine; deux billets nous montrent ce qu'il en 
advient : «J'ai envie de faire une petite pro- 
menade au Cours. Mandez -moi, mon cher 
Cardinal , s'il n'y a point d'inconvénient , et 
de là descendre aux Tuileries. Le tout sauf 
votre bon plaisir )». (C J'ai reçu, mon cher Car- 



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l3a LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

dinal, deux de vos lettres en même temps, 
sur ma promenade du Cours et des Tuileries. 
Je trouve si juste et si raisonnable ce que vous 
dites, que non seulement aux Tuileries, mais 
je n'irai même pas au Cours. J'ai trop de 
confiance en vous , mon cher Cardinal , que 
je ne ferai jamais rien sans votre conseil , 
étant sûre de cette façon de ne faire jamais 
de sottises. » 

Une des premières lettres de la Reine , qui 
est de 1728, montre bien, à propos d'un 
incident de cour, le tour de son esprit. Il y 
est question de M. de Mortemàrt, Premier 
gentilhomme de la Chambre , personnage 
spirituel, charmant et un peu brouillon, qui 
avait été l'un des agents les plus actifs de la 
disgrâce de M. le Duc et, à cette occasion 
sans doute, avait cessé de paraître chez la 
Reine. Elle lui tient quelque rigueur, par 
dignité , mais la bonté l'emporte et le pardon 
du gentilhomme est assuré : <( Je n'ai reçu que 
hier au soir, mon cher Cardinal, votre lettre, 
qui me pénètre de reconnaissance. Votre 
voyage de Soissons me peine d'autant plus 
que je ne songe pas , sans trembler , aux fati- 
gues que vous aurez à essuyer. Au nom de 
Dieu, mon cher Cardinal, ménagez une santé 



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LES ANNÉES HEUREUSES. l33 

SI chère. Comme je ne veux rien faire sans 
vous le dire, par ma confiance en vous, il 
s'agit de M. de Morlemarl. Sa mère m'a 
fait parler hier par madame de Bissy, pour 
savoir s'il ne pouvait point venir ici me pré- 
senter son fils. Je lui ai répondu qu'il me 
paraissait étrange que, après avoir été deux 
ans sans mettre le pied chez moi, il voulût 
y revenir comme les autres, comptant vous le 
mander auparavant pour savoir votre avis sur 
cela, lorsque madame de Chalais arriva, qui 
me dit qu'il était à La Chaussée avec son fils. 
Je dis à madame de Chalais que^ quand il 
m'aurait demandé la permission de venir me 
demander pardon, qu'après cela il viendrait 
m'amener son fils. La pauvre femme fut déses-r 
pérée de ma réponse. Elle me dit que son fils 
n'était qu'un prétexte pour venir lui-même. 
Je lui répliquai qu'il en avait un bon, qui 
était celui de réparer sa sottise, sans en cher- 
cher d'autre, mais que, par égard pour elle, 
je pourrais m'adoucir, mais qu'elle écrivît à 
son frère, comme d'elle-même, de demander 
permission de venir réparer sa faute et que la 
présentation se ferait après, que pour l'amour 
d'elle je ferais la chose sans éclat. Elle a été 
très aise de ma réponse. Je le serai beaucoup 

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l34 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 



plus, mon cher Cardinal, si vous approuvéa 
en cela ma conduite, et si ce fou est assea 
sage pour en user comme cela, je voua avoue 
que, pour moi, je serai très portée à mépriser 
de pareilles folies; mais vous savez que notre 
eour est portée à suivre de mauvais exemples 
et que le peu de respect que Ton a pour le 
Roi et pour moi est assez grand pour n' avoir 
pas besoin d'être réprimé. Répondez-moi au 
plus tôt à cela, mon cher Cardinal, car je 
serai ravie de savoir votre sentiment. Adieu, 
mon chérissime ami, comptez toujours sur 
mon amitié. — Mabie ». 

En cette cour si réglée, où les affaires d'éti- 
quette tournent si souvent aux affaires d'État, 
l'inexpérience de Marie ne trouve pas de suf- 
fisants conseils chez sa dame d'honneur ou 
3a dame d'atours. C'est encore au Cardinal 
qu'elle s'adresse, pour que toutes les diffi- 
culté9 de cet ordre soient réglées par lui. Elle 
lui soumet, par exemple, séance tenante, le 
différend asse? vif survenu entre son premier 
écuyer, M. de Tessé, et un officier de la com- 
pagnie Villeroy, M. de Mon tesson : « Je n'ai 
pas voulu, dit-elle, donner de décision sans 
celle du Roi. Voici la dispute : depuis quatre 
^na que je suis en France, njegsieurs les offi- 



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LES ANNÉES HEUREUSES. l35 

ciers dés Gardes, cjuatid je suis eh chaise à 
poneui^â, lé lieutenant allait détrière et 
l'eiLëttipt detant. Aujourd'hui i M. de Montes- 
son ft dit qiie c'était à lui d'aller auprès de là 
chdBéî à côté. Vous examinerez, ttloil cher 
Cardinal, qu'une possession depuis quatre ans 
est unô détiisiôtt, n'étant pas naturel qu'ils 
reusséllt soufferte dans les commencements, 
si la iôhdée n'aurait pas dû être. Ils disent 
qu'ils l'ont faite par politesse, mais il me 
Bémble que dans les droits de charge il n'y 
en doit pas avoir ; et ce qui prouvé que c'est 
une défaite, c'est qu'ils l'ont cédé de même 
aux écuyérs de quartier et même aUx ihaîtres 
d'hôtel, quand ceui-ci n'y étaient point. 
Voilà, mon cher Cardinal, ce que j'ai vu de- 
puis que je suis ici et que jfe vous prié d'expo- 
ser au Roi, en lui faisant mtQé compliments. 
M. de Téfesé Vous doit envoyer un mémoire ; 
pour tnoi, je vous expose le fait tel qu'il à 
toujours été; j) 

Le journal du duc dé Luynes se remplira, uti 
jour, de questions de ce genre, où la Reine 
montrera toutefois uti peu plus d'initiative 
dans les décisions. Pendatit toutes ces pre- 
mières années, elle semble redouter beaucoup 
d'être en fi^ùte contre l'étiquette. Voici à 



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l36 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

quelles explications, k quelles excuses elle a 
recours pour se justifier d'avoir accordé une 
faveur à une dame qu'elle aime : « Les vapeurs 
me quitteront quand je serai à Fontainebleau, 
la solitude de Versailles étant très capable 
d'en donner. Je vais aujourd'hui à la Ména- 
gerie, et à peine puis-je ramasser des dames 
pour me suivre... J'espère, mon cher Car- 
dinal, que vous ne désapprouverez pas que 
madame de Ghâteaurenaud me suit aujour- 
d'hui dans mes carrosses, étant restée presque 
seule pour me faire sa cour. Il est vrai que 
mon intention était de ne la plus mener, ce 
que je ferais, s'il y en avait d'autres. » 

A la même époque, le cardinal de Fleury, 
encore sollicité par la Reine, doit s'occuper 
d'une question qui renseigne d'une façon 
assez plaisante sur les costumes du temps et 
les excès d'une mode qui durera une bonne 
partie du siècle: « On ne croirait pas, raconte 
Barbier, que le Cardinal a été embarrassé par 
rapport aux paniers que les femmes portent 
sous leurs jupes pour les rendre larges et 
évasées. Ils sont si amples qu'en s'asseyant 
cela pousse les baleines et fait un écart éton- 
nant, en sorte qu'on a été obligé de faire des 
fauteuils exprès. 11 ne tient plus que trois 



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LES ANNEES HEUREUSES. iSy 

femmes dans les loges des spectacles pour 
qu'elles soient un peu à leur aise. Cela est 
devenu extravagant comme tout ce qui est 
extrême, de manière que, les princesses étant 
assises à côté de la Reine, leurs jupes, qui 
remontaient, cachaient la jupe de la Reine. 
Gela a paru impertinent, mais le remède était 
difficile ; et, à force de rêver, le Cardinal a 
trouvé qu'il y aurait toujours un fauteuil vide 
des deux côlés de la Reine, ce qui l'empêche- 
rait d'être incommodée, et le prétexte a été 
que ce seraient deux fauteuils pour Mesdames 
de France, ses filles. » 

Le public de Paris peut faire des gorges 
chaudes, et n'y manque point, sur cette grave 
décision de cour, qui a occupé les veilles 
d'un prince de l'Eglise. Mais, cette histoire 
de paniers a une suite. Les princesses du 
sang, étant séparées de la Reine, veulent au 
moins être distinguées des duchesses, et on 
leur accorde l'espace d'un tabouret vide. Les 
ducs, fort piqués, se font défendre de mau- 
vaise façon: quelques jours après, on saisit à 
Versailles un écrit injurieux des plus vifs, 
qui court sous le manteau contre les princes 
du sang. Le Parlement s'en mêle; on fait un 
arrêt, et le pamphlet est brûlé sur le grand 

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l36 LOUIS XV ET <5 

quelles exp^ 
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èuse origine que 



àice ti'en fihissent 
mours-propres tou- 
iinés qui viennent de 
flatnes, dont six dù- 
tiiK>^^ .sont pas ; de là, satls 

cesse, des mm^,, et des aigreurs. A la 

cérémonie de la Gène, un jeudi saint, elles 
s'aggravent. C'est un ilsage foH touchant et 
fort aimé de la Reine, qui rapproche uh ins- 
tant les extrêmes de l'humanité et met une. 
leçon d'humilité chrétienne dans l'orgueil- 
leuse vie monarchique. Le tloi et là Reine 
célèbrent ainsi l'anniversaire liturgique de la 
Gène du Sauveur ; pour là Reine, cela se passe 
dans la grande salle des gardes du Château, 
transformée pour uh jour en chapelle. DôUze 
petites filles pauvres (ce sont douze vieillards 
chez le Roi) sont assises sUr Une grande table 
au bout de la pièce. Après un sermon et une 
bénédiction, la Reine quitte son fauteuil et 
s'approche d'elles ; on lui présente une ai- 
guière pleine d'eau; elle en verse sur lés 



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LÈS AUffÉES HEUREUSES. iSq 

pieds de ces enfants, les lave, les essuie et les 
baîse, éh souvenir de l'acte fraternel de Notre- 
Seigneur. Puis, avant de les congédier avec 
une bourse d'argent, elle leur sert de ses 
mains un repas à treize services, dont les 
plats sont successivement présentés par ses 
datiies. C'est en ce point qu'éclate la disputé. 
La duchesse de Gonlaut-Biron, très jeune 
femme et fort brillante, veut passer avec affec- 
tation devant madame de Rupelmonde. Celle- 
ci proteste et l'arrête par le bras. Des paroles 
vives s'échangent; on en vient aux gros mots, 
dont les pires, paraît-il, ne sont point in- 
connus à la Cour. 

La présence de la Reine n'a pu arrêter le 
choc de ces vanités exaspérées. Dès le lende- 
main, les ducs et pairs, M. de la Trémoille 
en tête, portent leurs plaintes au Roi. De son 
côté, le maréchal d'Alègte, père de madame 
de Rupelmonde, fait uii mémoii-e établissant 
que les duchesses n'ont d'autres prérogatives 
que le tabotu'et cliei la Reine, repoussant 
leurs autres prétentions au nom du reste de 
la noblesse. Cette fois, l'affaire devient im- 
portante. Lô cardinal de Fleury, appelé k 
résoudre le cas, le décide en faveur des 
duchesses» mais seulement à la Cène et aux 



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l4o LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

processions. L'usage reste que, lorsque les 
dames vont avec la Reine dans son carrosse 
et qu'il n'y a pas de princesse du sang, elles 
montent comme elles se trouvent, et celle 
qui suit la Reine se met à côté d'elle, dans 
le fond, même si elle n'est pas duchesse. On 
prévoit que la décision donnée ne satisfera 
point toute l'ambition des dames titrées, et 
qu'elles s'en serviront pour prendre un pied 
en d'autres occasions. 

Rîen ne fait plus souffrir Marie Leczinska 
que ces rivalités, pour des préséances dont 
elle comprend sans doute l'intérêt et la raison, 
mais qui mettent autour d^elle une conti— 
nuelle excitation de haine et d'orgueil. 

Si l'étiquette ne se relâche point, le res- 
pect, dont elle est l'expression, semble quel- 
que peu diminué autour du trône. Le poids 
du long règne de Louis XIV, devenu si lourd 
vers la fin, a préparé une réaction, et la Ré- 
gence a déjà donné les habitudes d'une exces- 
sive liberlé. L'extrême jeunesse des deux 
souverains, « l'enfance » persistante de l'un, 
la modestie et l'effacement de l'autre, aident 
à cette nouveauté, qui s'aggravera avec le 
temps et pour des raisons toujours plus in- 
quiétantes. Marie s'en rend compte mieux 



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LES AlfnÉES HEUREUSES. l^I 

que le Roî, absorbé par ses amusements et 
ses chasses. Bien loin de s'abandonner à 
son amour de solitude et de vie intime, elle 
va au-devant de toutes ses obligations d'appa- 
rat, n'en témoigne jamais aucun ennui et 
s'en fait instruire avec minutie pour les rem- 
plir avec fidélité. Elle ne permet point que 
personne autour d'elle se dérobe au moindre 
des usages de l'ancienne Cour. Elle les con- 
serve, autant qu'elle le peut, dans leur inté- 
grité, et, lorsque Louis XV s'absente, chasse 
ou voyage, elle suffit à maintenir à Versailles 
la représentation royale. Si l'on ne sait pas 
toujours oii est le Roi, on est sûr toujours de 
trouver la Reine. Elle a tous les goûts auxquels 
une autre souveraine se livrera un jour, en 
pleine liberté, à Trianon ; mais elle met ses 
soins et son esprit de sacrifice à ne les satis- 
faire qu'autant que ses devoirs d'état sont 
accomplis. 

Celte exactitude, dictée à Marie Leczinska 
par sa conscience, vient peut-être en même 
temps d'une défense instinctive. La noblesse 
de cour prend volontiers le ton chez les 
princes et les princesses, qui sont sensibles 
assurément à la bonté candide de la Reine, 
mais toujours prêts à une critique malveillante 



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l42 LOUIS XV ET MABIE LECZINSKA. 

et jalouse, toujours animés de l'esprit fron- 
deur» Aucun prince du sang^ pas même Vetr- 
cellent duc d'Orléans, le premier pei^soiiilage 
de l'État, tout aux dévotions et aui charités, 
tie se sent l'âme dépendante d'un sujet en- 
tièrement soumis ; nul d'entre eux ne peut 
avoir un respect parfaitement sincèriB pour* la 
personne d'un Roi de vingt atts, mené pdr un 
vieillard; et l'infatuation du sang des Bour- 
bons leur donne à tous un certaih dédain 
envers Ifii petite Poloûaise, amenée à Ver- 
sailles pour une politique douteuse, par un 
pouvoir déjà tombé* 

Le bon peuple est loin de partager de tels 
sentiments. Quelques mesures financières du 
cardinal de Fleury et la fin de k disette des 
grains ont suffi pour ramener un peu de bien- 
ôlre et pour faire bénir le nouveau régime. 
Les querelles religieuses ne compromettëtit 
point encore l'autorité royale. 11 semble que la 
fécondité bien attestée de la Reine Contribue 
à donner la confiance en des jouts ineilletirs. 

C'est sous de favorables auspices que Marie 
Lecrinska se décide à venir pour la pfetriièrè 
fois à Paris, faire ses prièfes aux grandes 
églises et demander un Dauphin; Un moil^ 



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LBS ANNEES HEUREUSES. 1^3 

auparavant, le 4 septembre 1728, à peine 
relevée des couches de Madame Troisième, 
elle écrivait au cardinal, la Cour élani en 
deuil par. la mort de la reine de Sardaigne, 
grand' mère maternelle de Louis XV: «J'ai 
espéré jusqu'à présent pouvoir aller le i3 îi 
Paris ; mais je vois la chose impossible par la 
faiblesse dont je suis encore, et j'ai résolu de 
prolonger mon voyage de quelques jours, jus- 
qu'au 18. MaTidez-moi, mon cher Cardinal, 
s'il serait impossible de prolonger le deuil au 
19. Comme c'est la première fqis que j'y vais, 
l'entrée des carrosses noirs pourrait frapper le 
peuple. Si c^la ne se peut, je passerai par- 
dessus tout pour suivre voire avis, comme je 
ferai toujours en tout. Une autre chose encore, 
si elle se pouvait, me ferait grand plaisir : si 
le Roi ordonnait, du jour que j'irai à Noire- 
Dame, les prières des Quarante-Heures pour 
que Dieu nous accorde un Dauphin. 1» 

La faiblesse de la Reinei se prolongeant, 
Ventrée à Paris doit être relardée jusqu'au 
4 octobre. Mais Lotiis XV a donné satisfaction 
a la Ileine en demandant les prières publiques. 
Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, 
a publié, pour en régler l'ordre et la durée, 
un mandement au clergé et aux fidèles de son 



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l4Â LOUIS XY ET &IARIE LECZINSKA. 

diocèse, où les causes du retard de la nais* 
sance du Dauphin sont expliquées par un texte 
de saint Augustin, lequel, observe un railleur, 
«n'a guère songé aux Dauphins ]0. On doit 
prier chaque jour et successivement, dans toutes 
les églises de la Ville, jusqu'au 27 novembre, 
veille de l'Avent. Les autres puissances ecclé- 
siastiques de Paris, le cardinal de Bissy, abbé 
commendataire de Saint-Germain-des-Prés, et 
l'abbé de Sainte-Geneviève, règlent également 
dans leurs églises les prières des Quarante- 
Heures, où le peuple en foule se presse. 

La Reine a déclaré qu'elle ne veut pas avoir 
l'entrée solennelle, qui est d'usage pour une 
première visite dans la capitale ; elle vient 
surtout, dit-elle, par devoir de piété et c'est 
un pèlerinage qu'elle accomplit. Il n'y a 
donc, le jour venu, que son train ordinaire > 
quatre carrosses à huit chevaux, vingt 
gardes à cheval, quelques pages, dix ou 
douze valets de pied. Dans les rues, point 
de soldats, sauf sur le Parvis-Notre-Dame > 
où sont rangées les Gardes françaises et 
suisses ; sur le parcours, seulement du guet, 
de la robe courte et d'autres archers de la 
ville. Les boutiques ne sont même point fer- 
mées par ordre; mais la curiosité des Pari- 



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LES ANNÉES HEUREUSES. 1^5 

siens est telle que personne ne reste chez soi. 
Le Cours est envahi ainsi que la terrassé des 
Tuileries, le quai du Louvre et toutes les rues 
de la Cité où doit passer la Reine. Tout le 
monde est avide de la voir et de racclamer. 
Le Mercure parle des tapisseries qui tendent 
les maisons et des échafauds et gradins où 
Ton s'entasse : « On y voyait une tapisserie 
bien plus animée et d'un autre prix, par la 
prodigieuse quantité de peuple et du plus 
beau monde de Paris qui s'y était placé, ainsi 
qu'aux fenêtres et aux balcons. » 

La Reine est haranguée, à la porte de la 
Conférence, par le gouverneur de Paris et le 
prévôt des marchands, saluée par le canon de 
la Bastille et de la Grève et les cloches de 
toutes les églises, complimentée sur le seuil 
de Notre-Dame par le cardinal de Noailles, 
avec la crosse et la mitre, entouré de tout 
son clergé, menée au chœur entre des bar- 
rières contenant la foule et gardées par les 
gardes du corps, la carabine au poing. Ce 
n'est pas sans émotion qu'elle entre pour la 
première fois dans cette église vénérable, où 
vivent tant de souvenirs de la Monarchie, et 
qu'elle marche au milieu de son peuple. 
Donnant la main au marquis de Nangis et au 

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l46 LOUIS XY ET IfARIK LEGZINSKA. 

comte de Tesgé, redressant de son mieux sa 
taille petite, elle s'avance en robe de cour cou-^ 
leur de chair, découpée en festons sans or ni 
argent, mais chargée de toutes les pierreries 
qu'on y a pu mettre, 

Les dames sont comme elle en corps do 
robe, extrêmement parées, et les principaux 
officiers de la suite en habit de drap d'or et 
d'argent. Ce riche spectacle réjouit les yeux 
du bon public, qui n'en a pas vu de sem- 
blable depuis fort longtemps, et l'on remarque 
le Sancy, le diamant fameux qui vaut dix- 
huit cent mille livres, placé dans la chevelure 
de la Reine. Elle va s'agenouiller dans le 
chœur, sous le dais royal ; le cardinal monte 
à son trône, entonne le Te Deum, qu'accom- 
pagne une grande musique symphonlquci et 
donne la bénédiction. Il conduit ensuite la 
Reine» avant de se retirer, devant la chapelle 
de la Vierge» où simplement, sans apparat, 
entourée seulement du cercle de ses dames et 
de ses officiers, elle entend une messe basse, 
dite à son intention par son chapelain. « Elle 
ne l'a pas entendue dans le chœur, parce 
que les chanoines ne soufi&ent pas que d'autres 
qu'eux y officient. )) Marie ne saurait s'en 
plaindre ; elle n'est ici qu'une épouse chré- 



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tfiS AK3(éËfl HKURËUSES. ^^^ 

tienne^ s unissant par la prière à la Reine du 
ciel et la suppliant d'exaucer la ferveur de sa 
demande. 

Après la messe, la Reine revient dans Je 
chœur pour voir les « embellissements » 
exécutés sur les ordres de Louis XIV ; à la 
sacristie, on sert k ses dames du chocolat et 
du café, et elle-même prend un peu de vin 
d'Alicante. Puis le cardinal la ramène à ses 
carrosses, avec les mêmes honneurs qu'à 
l'arrivée. A l'église Sainte-Geneviève, le céré- 
monial est légèrement différent. A l'entrée, 
la Reine se met à genoux pour baiser la Vraie 
Croix, que Fabbé lui présente ; elle va suc- 
cessivement prier au chœur, où la châsse de 
la patronne de Paris est découverte, à la cha- 
pelle de sainte Glotilde, oh elle témoigne le 
désir de baiser les reliques royales et enfin au 
tombeau de Clovis, premier roi de France 
chrétien, qu'elle baise avec le même respect. 
Au départ, elle s'arrête rue Saint-Jacques, 
devant la porte du collège Louis-le-Grand, où 
le Père recteur et le Père principal lui pré- 
sentent leurs jeunes pensionnaires, ce qui est 
une occasion de vivats, de vers latins et de 
congés « Elle traverse les rues étroites du vieux 
Paris, partout acclamée par le peuple, qui 



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l48 LOUIS XY ET MABIE LBGZINSKA. 

ramasse l'argent menu jeté à la portière de 
son carrosse ; elle entre dans la rue Saînt- 
Nîcaise, pour voir une partie des galeries du 
Louvre et la façade des Tuileries du côté de 
la place du Carrousel, fait le tour de la place 
Louîs-le-Grand (Vendôme) et sort par la porte 
Saintr-Honoré, pour aller dîner au château de 
la Muette, où elle arrive vers les trois heures 
de l'après-midi. 

Elle rentre à Versailles, harassée et ravie, 
et le lendemain écrit à Fleury : « Je reviens 
contente, au delà d'expression, des acclama- 
tions du peuple et de leur joie, que je ne puis 
vous dépeindre, tant elle était grande ; mais 
je vous avoue que, depuis que je suis au 
monde, je n'ai jamais été si fatiguée. » L'avo- 
cat Barbier notait en même temps : ce Sa 
Majesté avait l'air bien content. Elle a fait un 
assez grand tour dans Paris et elle a vu une 
afOiuence de monde étonnante; cela est bien 
différent de Wissembourg... Pour sa personne, 
elle est petite, plus maigre que grasse, point 
jolie sans être désagréable, l'air bon et doux« 
ce qui ne donne pas la majesté requise à une 
reine. » Les avis, au reste, sont fort différents 
sur ce dernier point ; et le sculpteur Guillaume 
Coustou s'est inspiré .d'une tout autre pensée, 



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LES ANNÉES HEUREUSES. 1^9 

puisqu'il fait en ce temps même la statue de 
la jeune femme en Junon olympienne, pour 
la mettre dans les jardins de Versailles. 

Il y avait cinquante ans qu'on n'avait vu à 
Paris de reine de France. Ce fut un grand 
événement dont on parla pendant deux se- 
maines. On en aurait parlé bien plus long- 
temps si, le â3 octobre, aux portes des églises, 
n'avait été affiché un nouveau mandement de 
l'archevêque, moins inoffensif que le premier; 
le cardinsd de Noailles acceptait la bulle Uni- 
genitus et la Constitution, c'est-à-dire la con- 
damnation des cent une propositions tirées du 
Père Quesnel, révoquait ses décisions anté- 
rieures et faisait sa pleine soumission au Saint- 
Siège. Cela causa une rumeur énorme, « car 
le gros de Paris, dit ironiquement Barbier, 
hommes, femmes, petits enfants, est janséniste, 
c'est-à-dire en gros, sans savoir la matière, 
contre la cour de Rome et les Jésuites». Les 
affiches, lacérées et couvertes de boue, la ré- 
bellion des curés parisiens, les sermons et les 
placards à profusion, vont préluder à l'agita- 
tion parlementaire, contre laquelle Fleury ne 
trouvera d'autre remède que les lits-de-justice 
et les lettres de cachet. Ce sera, pendant 



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l50 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

quarante ans, toute la politique intérieure du 
royaume. 

La Reine en souffrira comme chrétienne 
et, à son heure, discrètement, croira de 
son devoir de s'y mêler; mais elle ne sera 
jamais compromise dans la lutte, et sa popu* 
larité n'en sera nullement atteinte. Pour qu'on 
lui pardonne cette affection bien témoignée 
envers les Jésuites, dont ceux-ci ne manquent 
point de se parer, il faut que la Reine ait 
laissé au peuple de Paris , dans la journée de 
sa visite , un souvenir inoubliable de bonté et 
de bonne grâce. Son nom est le seul de l'État 
qui échappe aux pamphlets et soit mis , d'un 
accord tacite, hors des querelles; c'est le seul 
que respectent les chansons du temps qui 
cependant n'épargnent personne. 

L'héritier de la couronne était plus que 
jamais désiré. Sa naissance pouvait seule ras- 
surer le pays, si le Roi devait mourir jeune, 
contre les dange]t:s de la guerre civile et de la 
guerre étrangère; par elle, serait évitée cette 
redoutable réclamation de Philippe V, dont les 
esprits restaient préoccupés, car la renoncia- 
tion du roi d'Espagne au trône de France, 
imposée par des circonstances passées, ne 



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LES AlfNÂES HEUREUSES. l5l 

pouvait supprimer les droits naturels de la 
descendance directe de Louis XIV. L'atten- 
tion et l'espoir de tout un peuple se concen- 
traient sur la reine Marie, et lui faisaient tenir 
dans les gazettes plus de place qu'au Roi lui- 
même. On connaissait ses robes et ses concerts, 
ses promenades et ses dévotions. Deux jours 
après sa visite à Paris, elle partait pour Fon- 
tainebleau, faisant collation à Choisy, qui 
était encore à la princesse de Conti, et cou- 
chant à Petit-Bourg, chez le duc d'Antin ; 
c'était l'étape ordinaire du voyage, très orgueil- 
leusement fêtée par le surintendant des Bâti- 
ments. Le Roi vint à la rencontre de la Reine 
jusqu'au delà de la forêt. Ils reçurent les ré- 
vérences , le lendemain , à l'occasion de la 
mort de la reine de Sardaigne ; le nonce du 
Pape, les ambassadeurs et envoyés, en grand 
manteau de deuU, puis, les princes et prin- 
cesses du sang, les seigneurs et les dames 
allèrent défiler chez Leurs Majestés. 

Le Roi continuait ses chasses quotidiennes, 
qu'allait peindre, pour les Gobelins, le bon 
Oudry. La rude chasse aux loups était à la 
mode cette annéeJk: on en avait pris déjà 
vingt-sept depuis qu'on était à Fontainebleau. 
La Reine ne suivit que la chasse au cerf. Elle 



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l52 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA. 

avait dans sa calèche la jeune duchesse de 
Bourhon, en amazone, Mademoiselle de Cler- 
mont et le marquise de Mailly. Deux bêtes 
furent forcées en deux heures de temps et 
mises aux abois sous les yeux des dames. Une 
autre fois, la Reine fut àVillars, en ses quatre 
carrosses à huit chevaux ; il y avait quatre 
princesses du sang et dix-huit dames. Comme 
l'arrivée fut un peu à l'impromptu, le vieux 
maréchal ne les traita pas aussi bien qu'il eût 
voulu; mais il fît tirer, en l'honneur de sa 
souveraine, les canons pris à Denain, que le 
feu Roi lui avait laissés, et cette salve victo- 
rieuse ne manqua point d'intéresser Sa Ma- 
jesté. 

Quelques jours plus tard, se posa la ques- 
tion toujours si grave de la santé du Roi. 
Louis XV se trouva mal en chassant, puis 
pendant la messe ; des boutons se montraient 
au visage ; on l'empêcha avec peine de se 
remettre en chasse, et la Reine obtint qu'il se 
couchât. Les médecins, ceux de la Cour 
comme ceux de Paris, appelés en hâte, décla- 
rèrent la plus redoutée des maladies d'alors < 
la petite vérole. « Elle sortit les jours suivants, 
raconte un témoin, sans fièvre, sans aucun 
mal, et plus heureusement que Ton n'aurait 



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LES ANNÉES HEUREUSES. l53 

jamais pu l'espérer. Enfin, la maladie qui 
paraissait le plus à craindre pour le Roi, dont 
la vie est si importante à son royaume et à 
toute l'Europe, arriva et finit sans qu'il y eût 
lieu d'avoir aucune sorte d'inquiétude. » Per- 
sonne ne supposa que le mal du Roi, guéri 
du reste sans aucun remède, n'était point, en 
efiet, la petite vérole, qui devait le saisir un 
jour et l'emporter; et Louis XV, ayant tou- 
jours cru qu'il ne pouvait en être frappé deux 
fois, dut à cette illusion la sécurité qu'il garda 
longtemps pendant sa dernière maladie. 

L'anxiété de la Reine avait été grande. 
L'action de grâces qu'elle fit dans le secret 
de son cœur eut plus de ferveur encore que 
toutes celles qui remplirent les églises du 
royaume, à la nouvelle que le Roi était sauvé. 
A Ghambord, Stanislas avouait à ses amis sa 
« terrible frayeur ». <( On ne saurait assez louer 
le Seigneur, écrivait-il, et de l'espèce de cette 
petite vérole et de ce qu'elle ne nous tiendra 
plus en alarme comme avant qu'elle soit 
venue... Votre bonne maîtresse a fait, dans 
cette maladie, ce que doit faire une bonne 
femnie, et en a été bien récompensée, car le 
Roi était inquiet quand elle le quittait pour 
un moment. Elle n'est pas grosse, et j'en 

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l54 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

suis bien aise, car il faut espérer qu'après la 
petite vérole la besogne en sera plus solide. S) 
La Reine fut déclarée grosse en février 
1729. L'espérance des époux était vive: ils 
avaient communié ensemble dans une même 
intention. La Reine ménageait ses forces, 
plus que jamais précieuses. Elle ne prit au- 
cune part à ces courses de traîneaux qui fu- 
rent, celte année-lk, la grande fureur de la 
Cour et de la Ville. Le Roi les avait mises à la 
mode en emmenant sur la neige, autour du 
Canal de Versailles, de longues files de traî- 
neaux remplis de seigneurs en bonnets et 
redingotes de fourrure, et de dames velues ce de 
casaquîns fourrés à la Polonaise ». En mars, 
Louis XV vint, pour la première fois, à 
rOpéra et y fut chaleureusement applaudi. 
On lui sut gré de ce retour à Paris. Il n'y 
élait pas revenu, en effet, depuis que le gou- 
vernement avait été rétabli à Versailles, sui- 
vant l'idée de Louis XIV, qui pensait donner 
à la royauté plus de prestige et de sécurité 
en la tenant loin de la turbulente capitale. 

Le Dauphin naquit à Versailles, le 4 sep- 
tembre 1729, à trois heures quarante du ma- 
tin. Toute la Cour veillait dans l'appartement 

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LES ANNÉES HEUREUSES. l55 

de la Reine. Autour du lit étaient les princes 
et les princesses du sang, le cardinal de Fleury 
et le chancelier de France, avertis dès le 
commencement des douleurs. Le Roi n'avait 
point quitté le chevet de la Reine. L*enfant, 
mis dans un lange, fut porté près du feu et 
ondoyé par le cardinal de Rohan, en présence 
du curé de la paroisse. On devait alors lui pas- 
ser au cou le grand cordon du Saint-Esprit, 
mais le Roi ne voidut pas que la Reine eût 
une aussi prompte joie, de peur d'une émo- 
tion trop, vive, et la cérémonie fut différée 
d'un moment. La duchesse de Ventadour prit 
le prince nouveau-né et le porta, suivie des 
trois sous-gouvernanles, dans l'appartement 
préparé pour lui. Le Roi dit à M. de Villeroy, 
capitaine des Gardes du corps : « Duc de Vil- 
leroy, conduisez le Dauphin ; c'est le seul cas 
où mon capitaine des Gardes peut me quitter.)) 
On remarqua le ton dont furent prononcées 
ces paroles ; il semblait que le visage, d'ordi- 
naire impénétrable, du jeune Roi rayonnât 
d'un sentiment attendri. 

Marie sut son bonheur quelques instants 
après. Le Roi la quitta pour rentrer dans son 
appartement à quatre heures et demie et, 
avant de se mettre au lit, dépêcha un de ses 

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l56 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

gentilshommes au roi et k la reine de Pologne. 
Tout était préparé, chez le garde des sceaux, 
pour envoyer faire part de la naissance de 
Monseigneur le Dauphin aux ambassadeurs 
et ministres étrangers et à ceux du Roi dans 
les cours étrangères ; dès cinq heures et demie, 
tous les courriers avaient quitté Versailles. 

Le Roi dormit quelques heures; à son réveil, 
les acclamations éclatèrent sous ses fenêtres, 
où la population de la ville s'était portée. On 
dressait déjà, sur la place d'Armes, les châssis 
du feu d'artifice, qui devait être tiré le soir 
même. La Cour emplissait l'Œil-de-Bœuf et 
se pressait sur le passage du Roi, quand à 
midi il se rendit à la messe, où Ton chanta 
le Te Deum d'action de grâces. Plusieurs fois 
dans la journée, il fut chez la Reine et chez 
le Dauphin. C'était un va-et-vient continuel 
dans le Château et la joie était sur tous les 
visages. L'après-midi, le Roi fut complimenté 
par les princesses, les dames et les ambassa- 
deurs. 

A Paris, à la première heure, le tocsin du 
Palais et celui de l'Hôtel de Ville, annonçant 
la grande nouvelle, commençaient une son- 
nerie de trois journées ; on affichait l'ordon- 
nance des échevins enjoignant de fermer les 



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LES AltnéES HEUREUSES. 167 

boutiques, d'allumer des feux de joie et d'illu- 
miner lés maisons pendant ces trois jours. 
Les rues se remplissaient des cris de : « Vive 
le Roi 1 Vive la Reine 1 Vive Monseigneur le 
Dauphin I » Le duc de Gesvres, gouverneur 
de Paris, allait en grande pompe à la Ville, 
avec une suite de carrosses, et jetait de l'ar- 
gent. Le prévôt des marchands en jeta aussi, 
pendant le grand feu de fagots sur la place de 
Grève, et les distributions de pain, de viande, 
de cervelas, les fontaines de vin coulant sous 
des berceaux de feuillage firent participer le 
peuple à la joie du souverain. 

Gomme depuis soixante-huit ans il n'était 
pas né de dauphin, il fallut rechercher les 
anciens usages, tant pour le Te Deum de 
cent musiciens que fit chanter le Parlement 
dans la grande salle du Palais, que pour celui 
qui se célébra à Notre-Dame, oii le Roi vint 
accompagné de toute sa maison, y compris les 
fauconniers, leur oiseau sur le poing. Il y 
eut le Parlement, la Chambre des Comptes, 
la Cour des Aides, la Cour des Monnaies, 
la Ville, l'Université et le Grand Conseil. Le 
Roi assista, avec les princes, au feu d'artifice 
de l'Hôtel de Ville et au grand dîner qui sui- 
vit, où il permit au duc de Noailles de porter 



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l58 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

la santé de Monseigneur le Dauphin. On le 
reconduisit à ses carrosses vers onze heures et 
demie. 

La foule se pressait en place de Grève, 
admirant une quantité de transparents allé- 
goriques, qui complétaient Tillumination des 
façades, et déchiffrant les inscriptions latines 
qui les couvraient. On y abusait un peu des 
dauphins ; la Reine y était symbolisée par 
l'étoile du Nord, guidant le vaisseau des 
armes de la Ville, avec ces mots : Nec vola 
fefellit (Elle n'a point trompé nos vœux). 
Jamais Paris ne brûla autant de chandelle 
qu'il ne fit cette nuit-là. Les carrosses mar- 
chaient au pas, pour que le Roi vît mieux et 
fût mieux vu. Le plus beau morceau était la 
place Louis-le-Grand, où toutes les lignes 
d'architecture se profilaient en feu. Le long 
de la Seine, en s'en retournant à Versailles, le 
Roi aperçut l'illumination splendide du Palais 
de Bourbon, bâti depuis peu par la ducheàse 
douairière, celle des jardins du duc du Maine, 
où était préparé un feu d'artifice, celle de 
l'Hôtel royal des Invalides, qui tira son artil- 
lerie, et plus loin, tous les villages des deux 
rives, de Vaugirard à Meudon et de Ghaillot 
à Suresnes, qui rivalisaient de lumières. 



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LES aunées heureuses. 169 

Pour la seconde fois, il y eut des spectacles 
gratuits. Les Comédiens français y ajoutèrent 
l'illumination de leur hôtel, et mirent sur leur 
balcon deux muids de vin qui coulèrent tout 
un soir pour le peuple. L'Opéra donna un 
concert de chœurs et de symphonies sur la 
terrasse des Tuileries. La religion devait tenir 
aussi, en de tels jours, une grande place : après 
une procession générale à Notre-Dame, il y eut 
chaque jour des processions particulières des 
paroisses et de toutes les communautés, tant 
régulières que séculières. On entendait par- 
tout chanter des cantiques dans les rues. Jan- 
sénistes et molinistes faisaient trêve un ins- 
tant à leurs querelles ; et les bonnes femmes 
des Halles, les dévotes mercières de la rue 
Saint-Honoré les plus acharnées contre la 
BuUe, oubliaient les persécutions infligées à 
leurs curés et à leurs vicaires, en voyant 
tirer, sur la place des Victoires, le feu d'artifice 
extraordinaire que payait Samuel Bernard, 
« fameux banquier et riche de plus de vingt 
millions r>. 

Pendant toutes ces réjouissances, qui rem- 
plissaient le royaume et dont eUe se faisait 
lire les relations, Marie Leczinska ne ressen-- 
tait que la joie d'avoir donné un fils à son 

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l6o LOUJS XY ET MARIE LEGZIIISK.A. 

mari et un héritier à la Couronne. Elle avait 
rempli le but de son mariage et Tardent désir 
de la nation. Un aimable tableau de Belle la 
représente quelques mois après « assise en 
grand habit à côté du trône royal, avec l'en- 
fant sur ses genoux ; il a ses petits pieds nus 
reposant sur le manteau fleurdelisé, la tête 
encadrée d'un bonnet ruche, et le cordon du 
Saint-Esprit au cou. La Reine est à demi 
souriante et le chaste orgueil d'une mère s'épa- 
nouit dans son regard. 

Elle s'était rapidement rétablie* Dès qu'elle 
fut relevée de couches, ses parents accouru- 
rent auprès d'elle. On les logea au château 
de Trianon, qui n'avait pas eu d'hôtes depuis 
la visite de Pierre le Grand et que Louis XV 
devait donner bientôt en toute propriété à la 
Reine* Le contentement de Stanislas était 
sans mélange. Les petites princesses le ravis- 
saient par leurs gentillesses, et son Dauphin, 
aux mains de la bonne «maman Ventadour», 
qui avait élevé le père, promettait une santé 
vigoureuse. « Je me dérobe un moment de 
temps, mandait-il à Du Bourg, pour vous 
écrire deux mots et vous faire part, mon cher 
comte, de toute la satisfaction que me donnent 
ici Monsieur le Dauphin, par la meilleure 

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LES ANNÉES HEUREUSES. l6l 

constitution qu'un enfant peut avoir, la Reine 
par le bon état de sa santé, et enfin tout le 
reste qui peut mettre du baume dans le sang». 
Bientôt, un seul petit-fils ne lui suffit plus. 
Ses lettres appellent un second prince, « un 
duc d'Anjou » ; et, comme Louis XV semble 
décidé à se bien munir d'héritiers, la Reine 
donne promptement de nouvelles espérances. 

Le duc d'Anjou se fait moins attendre que 
son aîné. Le 3o août 1780, Versailles et 
Paris sont encore en liesse pour la naissance 
d'un prince. Les réjouissances se renou- 
vellent, à peine moindres que pour le Dau- 
phin, a A la vérité, observe Barbier en les 
racontant, un second fils est une grande assu- 
rance pour la tranquillité du royaume. » 

C'est le moment le plus heureux de la vie 
de la reine Marie* Tout semble sourire à sa 
destinée. Elle se croit sûre de l'affection du 
Roi, et sa brillante maternité l'a revêtue, aux 
yeux de tous, d'une majesté nouvelle. Ce 
n'est pas sans une juste fierté qu'elle peut 
présenter trois princesses et deux princes à la 
France rassurée et reconnaissante. 



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CHAPITRE III 



L ABANDON 



Lorsque, plus tard, assise dans son cabinet 
parmi ses ouvrages de tapisserie et de cou- 
lure pour les pauvres, entourée de son petit 
cercle familier, la reine Marie rappelait les 
souvenirs de sa vie, elle ne rencontrait pas 
d'année plus remplie d'émotions que l'année 
1733. Elle avait perdu deux enfants en moins 
de deux mois ; elle avait vu son père bien- 
aîmé partir pour la Pologne, reconquérir son 
trône et subir presque aussitôt son dernier 
désastre. Enfin, elle avait pressenti un événe- 
ment qui lui réservait de longues amertumes : 
l'adultère, encore secret pour tous, avait péné- 
tré dans la vie de son époux. 

Ses deuils maternels lui portèrent les pre- 



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L'ABANDON. l63 



mîers grands coups de la douleur. Madame 
Troisième fut enterrée en février, et en avril 
mourut, à deux ans et sept mois, le jeune 
frère du Dauphin, ce charmant duc d'Anjou, 
qui déjà donnait à espérer et dont la mère et 
le grand-père rêvaient, à eux deux, de faire 
plus tard un roi de Pologne. L'enfant était 
malade depuis quelque temps et, plusieurs 
fois le jour, la Reine descendait le voir, dans 
l'appartement des Enfants de France, situé 
au-dessous du sien. Son inquiétude allait aug- 
mentant sans qu'elle en fût k craindre un 
dénouement si prompt. Elle l'apprit de la 
façon la plus cruelle, ainsi que le Roi le conta 
le jour même à Villars : « Étant couchée avec 
le Roi, son impatience l'a fait sortir de son 
lit pour faire ouvrir une fenêtre, qui donnait 
sur celles de la chambre de M. le duc 
d'Anjou, à portée de laquelle était un cro- 
cheteur. La Reine lui cria : « Comment se 
porte le duc d'Anjou?» Le crocheteur répon- 
dit : (( D est mort». La Reine fit un grand 
cri; heureusement une femme de chambre la 
soutint, et le Roi sortit du lit pour venir la 
consoler. » 

Désormais les soucis ne quittent plus le 
cœur de la mère. Elle tremble pour ces vies 



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l64 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

fragiles, qui se multiplient autour d'elle, dont 
elle souhaite, sans lassitude, d'augmenter le 
nombre, et parmi lesquelles elle voudrait sur- 
tout retrouver un duc d'Anjou. Elle se résigne 
déjà à se séparer de ses enfants. Dans l'été de 
1733, sur l'avis des médecins, ils vont s'éta- 
blir au château de Meudon, où l'air passe 
pour être meilleur qu'à Versailles. La Reine 
n'a pu les y conduire, à cause de la nais- 
sance de Madame Victoire; mais elle va les 
voir ensuite le plus souvent qu'elle le peut, 
et les meilleurs moments de sa vie sont ceux 
qu'elle dérobe pour eux à la représentation 
royale : « Je suis encore retournée hier à 
Meudon, écrit-elle, où je me suis beaucoup 
promenée et m'en trouve très bien. Il est vrai 
que M. le Dauphin devient fort joli, et il y 
a sûrement de quoi en faire quelque chose 
de bon; mais il faut un peu rompre ses vo- 
lontés, car il m'y paraît très décidé. Il n'aime 
effectivement pas trop à s'appliquer. Il n'en 
est point de même de ses sœurs, car elles 
apprennent très bien; j'ai été très contente 
d'elles. » 

Le petit Dauphin, élevé avec intelligence 
et fermeté, sous l'inspiration de sa mère, va 
devenir studieux et bon ; mais que de crainte 



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L'ABANDON. l65 



pour sa santé, quelle frayeur pour une rou- 
geole I La Reine, retenue à Versailles loin de 
l'enfant, en écrit au Cardinal : « Vous avez su 
depuis ma lettre d'hier, par M. Ghicoyneau, 
que mon fils a la rougeole en forme. Ce qui a 
fait que je ne vous ai parlé que de mon inquié- 
tude, c'est que je n'ai pas douté que madame 
de Ventadour ne vous l'ait mandé. Joint à cela 
je ne sais même pas ce que je vous ai écrit, 
car j'en avais la tête tournée. J'y voulais aller 
absolument ; mais Helvétius m'en a empê- 
chée, et j'ai trouvé qu'il avait raison à cause 
du Roi et de ce que je porte, car s'il n'était 
question que de moi, je n'en bougerais. On 
m'assure qu'il est bien, mais, jusqu'à ce qu'il 
en soit quitte, je ne serai pas tranquille... On 
revient de chez lui, et Ton me mande qu'il 
à dormi une heure, vient de se réveiller très 
gai et va se rendormir. y> 

Le jeune père, toujours à la chasse, parais- 
sait fort peu parmi ses enfants ; mais le roi 
et la reine de Pologne les visitaient souvent 
et voyaient en eux les garanties du bonheur et 
de l'avenir de leur fille. Les lettres de la 
grand'mère à la comtesse d'Andlau expriment 
à merveille des sentiments simples et tou- 
chants, qui rappellent la vie familiale de Wis- 



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l66 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

sembourg. C'est une joie de voir mettre M^ le 
Dauphin « en culotte et en justaucorps» ; on le 
déclare joli «à manger » ; et Ton n'en finit point 
de tracer le portrait de ses perfections : <( Notre 
aimable Dauphin est inexprimable en tout ; je 
Taime de la dernière folie. Il promet non seule- 
ment de vivre, mais d'être avec gloire. 11 s'in- 
forme de tout, veut Savoir tout, rien ne lui 
échappe. Il n'y a qu'une chose qui me déplaît 
en lui, qui est que, quand il voit un joli visage, 
il n'a plus de repos. Il aime la parure : l'on m'a 
mandé hier, qu'il se plaignait à tout le monde 
qu'il allait ressembler à un charbonnier, à 
cause du deuil du roi Viclor (de Sardaigne). 
Il aime, avec cela, tout ce qui est miUtaire, 
à vouloir faire des armes à tout propos. Quand 
il voit, par la fenêtre, aller le Roi son père à 
la chasse, il se démène d'avoir un cheval pour 
l'accompagner. Il a une grande amitié pour sa 
mèrci et a toujours des secrets à lui dire à 
l'oreille. » 

Le roi Stanislas, qui se déclarait rajeuni 
chaque fois qu'il revoyait ses petits-enfants, ne 
tardait pas cependant à se laisser entraîner 
par d'autres rêves. Il y eut des larmes chez la 
Reine r au moment de son départ pour la Po- 



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L'ABANDON. 167 



logne, lorsqu'il vint prendre les instructions 
du Cabinet de Versailles pour cette grande 
aventure. Quelques jours plus tard, il était 
sui^ les chemins d'Allemagne, déguisé en com- 
mis de marchand, et arrivait à Varsovie, à 
l'étonnement de l'Europe, se faire acclamer 
roi par la Diète polonaise ; succès éphémère, 
il est vrai, mal préparé, obtenu du sentiment 
national par surprise, et que la Pologne et 
lui-même allaient promptement expier. 

Les souvenirs de Versailles et les lettres 
de sa fille soutiennent ce roi d'un jour dans 
le désenchantement qui accable bientôt son 
âme enthousiaste. Au début du siège de Dan- 
zig, alors que son rival, Auguste III, s'est 
déjà fait couronner à Cracovie et que les 
armées russes vont l'emprisonner dans un 
cercle toujours resserré, Stanislas écrit à ses 
petits-enfants : « Je vous félicite, mes chers 
cœurSi d'être ensemble, comme vous me le 
mandez, et sur ce que vous avez dîné chez 
maman. Peut-être aurais-je consenti à jeûner 
une année entière au pain et à Teau pour 
être de cette partie.*. J'embrasse de tout mon 
cœur les chers petits enfants et je les mets 
sous la protection de la Sainte Vierge. )) Plus 
tard, quand l'aiTaire est désespérée, quand 



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l68 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

le roi, à peu près abandonné par la France 
et sorti de Danzîg au péril de sa vie, a trouvé 
un asile dans les Etats du roi de Prusse, c'est 
encore une lettre de son petit^fils qui lui 
apporte sa consolation ; il s'en délecte, il baise 
le papier où s'est posée « la petite menotte » ; 
il l'arrose de ses larmes. Elle lui fait oublier 
un instant la tristesse de son nouvel exil, 
comment l'ont berné les ministres de son 
gendre et la grande trahison du cardinal de 
Fleury. 

L'échec de Stanislas fut pour Marie Lee- 
zinska une cruelle déconvenue. Sans être am- 
bitieuse pour son père, elle identifiait sa cause 
à celle de sa chère Pologne et croyait sincère, 
dans la République, une popularité que créait 
seulement l'or bien distribué de l'ambassa- 
deur de France. La Reine ne pouvait être 
indifiërente pour elle-même à cette reprise de 
couronne. N'avait-elle pas, malgré les adula- 
tions officielles, souffert quelque humiliation 
de n'avoir apporté en dot à son mari, ni terri- 
toire, ni alliance, ni prestige? N'était-ce point 
par fiction qu'on la considérait comme fille de 
roi ? Cette campagne de la Succession de Po- 
logne, qui bientôt embrasait l'Europe, n'avait- 
elle pas pour raison secrète que l'épouse du 



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L'ABANDON. l6g 



roi de France cessât d'être considérée par les 
malveillants comme une «simple demoiselle»? 
Elle n'avait ni demandé ni souhaité qu'on prit 
les armes; on le faisait cependant, à cause 
d'elle et de son mariage : «Je suis bien fâchée, 
écrit-elle à Fleury en 1783, de ces vilains 
bruits de guerre; elle m'aurait toujours fait 
de la, peine, mais je vous avoue, mon cher 
Cardinal, que celle-ci m'en faii encore davan- 
tage, quand j'imagine que j'en suis cause, 
quoique, à la vérité, innocente. » Le mal dé- 
chaîné, elle aurait voulu qu'il servît les inté- 
rêts de son père, qui en avaient été le prétexte, 
et non pas les combinaisons compliquées du 
ministre de Louis XV. 

Les quatre-vingt-dix lettres écrites par Sta- 
nislas à cette époque, et que la reine Marie 
conserva dans ses papiers, montrent que le 
roi de Pologne comptait pleinement sur elle 
et la considérait un peu comme son chargé 
d'affaires à Versailles. Le chiffre assez naïf et 
les noms supposés dont ils se servaient pour 
correspondre donnaient au père et à la fille 
l'illusion que leurs lettres échappaient à la 
police du Cardinal. Bientôt celui-ci s'en mon- 
tra informé, et la Reine cessa d'y mettre 
mystère. Elle n'avait, d'ailleurs, besoin d'au- 

10 



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170 LOUIS XV ET BfARIE LEGZINSKA. 



cun avis pour s'instruire de ce qu'elle avait 
à faire. Son rôle tout tracé, et dont personne 
ne pouvait lui faire un reproche, était de rap- 
peler aux minisires des engagements pris au 
nom du Roi et où son honneur était engagé 
devant la Pologne et devant l'Europe. Elle 
savait ménager les ombrages du Cardinal et 
ses manies d'économie, qui semblèrent long- 
temps la seule raison de son inaction ; mais 
elle le stimulait à envoyer les subsides né- 
cessaires, les secours tant de fois promis ; elle 
s'entretenait en particulier avec le garde des 
sceaux Chauvelin, le seul véritable homme 
d'État du ministère, d'abord mieux disposé 
que son chef et capable de s'intéresser aux 
grandes choses. 

Une mauvaise volonté cachée, et qu'elle ne 
s'expliquait point, paralysait tous ses efforts. 
Les appels de Stanislas à « la chère France », 
les supplications du marquis de Monti, en- 
fermé avec lui à Danzig, et ses avertisse- 
ments répétés, se heurtaient de plus en 
plus à l'indifférence. Le dévoué ambassadeur 
n'avait guère d'autre appui à la Cour que 
celui de la Reine elle-même. On essayait de 
tromper celle-ci, comme on trompait les 
assiégés de là-bas, par mille raisons insoute- 



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L'ABANDON. I7I 



nables ; le Cardinal affectait, par exemple, de 
trembler devant la menace imaginaire des 
représailles anglaises et s^'entendait avec Wal- 
pole pour faire bloquer, par quelques vieux 
bateaux, devant la rade de Brest, l'escadre 
de Duguay-Trouin, toute prête, disait-il, à 
partir pour la mer Baltique. Il annonçait, du 
reste, de temps en temps, l'envoi des fameux 
secours, et c'était six cents bommes sans mu- 
nitions qui finissaient par arriver, alors qu'il 
en aurait fallu dix mille. 

Même avertie par les lettres continuelles 
de son père, Marie n'était pas en état de dé- 
brouiller les fils de cet inextricable tissu de 
mensonge et de mauvais vouloir, qui consti- 
tuait toute la politique polonaise du car- 
dinal de Fleury . Si parfois elle en soupçonnait 
la duplicité, elle n'eût pas osé le laisser voir; 
mais elle affichait avec bravoure son admira- 
tion pour les quelques Français d'audace et 
de cœur, qui ne s'embarrassaient point de la 
diplomatie du ministre et ne se souciaient 
point de l'embarrasser. Ces vaillants, réduits 
à des ressources misérables, isolés, aban- 
donnés à l'autre bout de l'Europe, s'obsti- 
naient à servir le rêve de leur reine et à 
tenir la parole de leur roi. 



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172 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

Marie avait commenté passionnément les 
messages de M. de Mont! ; elle avait envoyé 
ses encouragements au comte de Plélo, l'am- 
bassadeur à Copenhague, qm avait charge de 
transmettre les secours à Stanislas et qui, le 
sentant perdu, n'hésitait pas à lui porter sa 
propre épée. On lisait avec enthousiasme chez 
la Reine l'audacieuse lettre de ce gentil- 
homme, écrite à Louis XV au moment de 
s'embarquer pour Danzig avec une petite 
troupe : (( Nous allons, Sire, secourir votre 
beau-père ou mourir à la peine. Mais, si vous 
voulez le sauver, il vous faut plus de troupes 
et une plus forte escadre ; je suis un trop 
fidèle sujet pour le dissimuler. » 

Plus soldat que diplomate, M. de Plélo 
avait commis par générosité une faute grave, 
en quittant son poste sans ordre royal. Il lui 
fallait réussir ou mourir, car il n'y avait pas 
moyen de revenir. Le vieux Cardinal réprou- 
vait cet excès de zèle et disait sèchement, de- 
vant la Reine, que M. de Plélo hasardait sa 
vie et sa fortune : ce Pour ce qui est de sa for- 
tune, répondait-elle, je m'en charge, quoi 
qu'il advienne. » Presque aussitôt arrivait la 
nouvelle que Plélo, disparu au premier enga- 
gement, avait été retrouvé deux jours plus 



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L'ABANDON. l-yS 



tard, parmi les cadavres français, le visage 
sabré, quinze coups de baïonnette dans le 
corps, et la Reine pleurait comme un ami ce 
Breton chevaleresque qui était allé à la mort 
pour une idée, avec xm héroïsme à la polo- 
naise. 

Maintenant tout espoir était perdu de recou- 
vrer ce trône tant disputé. Après d'anxieuses 
semaines d'incertitude, Marie apprenait la 
délivrance de son père, s'échappant de Danzîg 
en fugitif et traversant les lignes ennemies 
sous un accoutrement de paysan. Cette vie 
chère était sauve ; mais l'insuccès de cette 
longue campagne, à laquelle Stanislas s'obs- 
tinait vainement, le chassait à jamais de son 
royaume. Sept années de diplomatie occupées 
à préparer son retour avaient été inutiles^. 
L'influence de la France en Pologne était 
morte pour longtemps ; l'Europe se moquait 
du gendre autant que du beau-père, et se 
vengeait par là des succès des armes françaises 
en Italie et sur le Rhin. Seul, à Versailles, le 
vieux Fleury était content. Ce dénouement 
était son œuvre particulière. Son véritable des- 
sein se réalisait ; il avait rendu définitivement 
impossible toute influence de la Reine ; il 
avait mis Stanislas à sa merci ; il se sentait, 

lO. 



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174 LOUIS XV ET MARIE lEGZINSKA. 

k cette heure, complèlement vengé de M. le 
Duc. 

Le beau-père du roi de France fut prié de 
laisser aux seuls diplomates, et à ceux-là même 
qui l'avaient trahi, le soin de tirer parti de 
Téchec humiliant qu'il devait à leur abandon. 
Ils s'en occupèrent au mieux des intérêts de 
leur maître, et décidèrent de la destinée de 
Stanislas. Le troisième traité de Vienne sti- 
pida, comme on le sait, sous certaines condi- 
tions bientôt remplies, que le duché de Lor- 
raine serait cédé à Leczinski et ferait retour, 
à sa mort, à la couronne de France, ce prince 
n'ayant pas d'autre héritier que sa fille. Sta- 
nislas fiit mis hors d'état de se plaindre. A 
défaut d'un royaume deux fois perdu, il allait 
avoir le gouvernement d'un magnifique pays, 
l'agrément de tenir une cour et de s'y faire 
aimer, le plaisir de visiter ses petits-enfants à 
Versailles et de recevoir Voltaire à LunéviUe, 
le loisir enfin de devenir un grand moraliste, 
suivant la mode du siècle, et un « philosophe 
couronné)). 

Si Stanislas s'estimait dédommagé, la reine 
Marie n'était pas moins satisfaite. Au soula- 
gement de voir terminée cette longue crise 
se joignaient la joie de garder ses parents 



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l'abandon. 175 



auprès d'elle, l'espoir de les faire venir chaque 
année à Versailles, et l'orgueil de penser que 
Louis XV tiendrait un jour de son « chérissime 
papa )) la pacifique possession d'une province 
depuis tant de siècles désirée et disputée par la 
France. Après les déceptions de la guerre de 
Pologne, elle n'eût pas osé espérer un résultat 
aussi glorieux pour elle. Venue au trône les 
mains vides, elle n'aurait pas été inutile à 
la couronne des lis : sa dot tardive égalerait 
celle qu'avait apportée Anne de Bretagne, et 
son fils hériterait, grâce à elle, d'un royaume 
agrandi sans luttes nouvelles, où l'on béni- 
rait le nom de Stanislas. Cette pensée allait 
être d'un grand réconfort pour Marie, dans 
les épreuves plus intimes et les désastres moins 
réparables qui approchaient. 

Au cours de ces années de guerre, où la 
Reine a vécu dans les émotions et les inquié- 
tudes, le Roi n'a pas paru un seul jour par- 
tager ses sentiments. Il n'a jamais pesé d'une 
parole sur les résolutions de ses ministres ; 
il a pris sans doute aisément son parti de 
l'abaissement de son beau-père, puisque le 
succès de ses armes dans le reste de l'Europe 
a suffi à la sauvegarde des intérêts de la 



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176 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

France. Il n'a pas prononcé un mot qu'on 
pût interpréter comme désavouant, au fond 
de son âme, la tortueuse politique de Fleury. 
Il semble de plus en plus indolent, loin des 
affaires, occupé de riens, tout à ses cuisines, 
à ses confitures, à son tour, aux soupers qui 
se font dans ses petits cabinets en revenant de 
la chasse. Avec les joyeux c< marmousets » 
dont il s'entoure, les Gesvres et les Épernon , 
ce ne sont que mangeailles et « crevailles » . 
Le gouvernement n'a pas autant d'attraits 
pour lui que les propos de médisance univer- 
selle par lesquels, chaque matin, son valet 
de chambre Bachelier lui conte les alcôves et 
les coxdisses. Du reste, pour ce qui est des 
affaires, le Cardinal lui demande, selon une 
habitude prise dès longtemps, des décisions, 
mais point d'avis. Par une rare souplesse de 
caractère, habile à écarter les difficultés sans 
les résoudre et toujours attentif à ménager la 
paresse du souverain, le vieux ministre con- 
serve sur lui son influence encore intacte. Ce 
n'est que par une femme qu'elle pourrait un 
jour être ruinée ; les jeunes ambitieux de la 
Cour lé savent bien et attendent le moment 
qui doit, par cette voie, leur livrer leur 
maître. 



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L'ABANDON. I77 



Voîci justement que les femmes commen- 
cent à occuper son esprit et qu'il se plaît 
davantage en leur compagnie. Il les rencontre 
peu dans le cercle de la Reine, où il ne pa- 
raît presque jamais, mais il en trouve chez la 
comtesse de Toulouse, dont l'appartement 
de Versailles, au rez-de-chaussée, commu- 
nique avec le sien par un escalier intérieur, 
et où il prend l'usage d'aller chaque jour. La 
comtesse, épouse d'un prince légitimé et quel- 
que chose comme grand'tante du Roi, est xme 
beauté déjà mûre et d'expérience, qui aime 
s'escorter de beautés plus jeunes. Chez elle 
comme partout Louis XV reste taciturne et 
timide; mais on sent déjà en lui, au soin qu'il 
niet à ne pas déplaire, l'éveil d'un goût pour 
les plaisirs de la société. Ces habitudes nou- 
velles, sans prédisposer nécessairement aux 
galanteries, en ouvrent du moins la route. 
Aux facilités qui l'entourent, aux encoura- 
gements qu'il reçoit, il est à penser que le 
Roi, s'il avait moins grand'peur de l'enfer, 
aurait imité depuis longtemps ses jeunes 
compagnons et choisi une maîtresse. 

Songe-t-elle à lui en donner une, la bonne 
comtesse de Toulouse, la plus honnête femme 
du monde en son privé et qui va de plus en 



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178 LOUIS XV ET MARIB LEGZINSKA. 



plus incKner vers la piété ? On assure de taxxs 
côtés qu'une telle recherche est son plus pres- 
sant souci ; mais les langues méchantes n'ont 
jamais été pires qu'à cette époque, et il n'ap- 
paraît nullement que ce vilain métier soit de 
son goût. Si le Roi délaisse la Reine, cette 
lassitude naturelle ne saurait être imputée à. 
d'autres. Il n'est pas étonnant que madame 
de Toulouse s'émeuve de son ennui : elle 
s'estime fière de parvenir à l'en distraire, de 
l'attacher par l'agrément de son salon, par 
son esprit des plus vifs et toujours de bonne 
grâce, par sa beauté aussi, qui garde des 
restes assez majestueux, et par ses yeux un 
peu durs de brune, qui savent cependant 
caresser. Elle est Noailles et fut, en premières 
noces, simple marquise. L'amour l'a faite 
princesse : elle a été épousée, après une lon- 
gue cour et n'étant plus toute jeune, par un 
fils de Louis XIV et de madame de Montespan. 
Il n'y a pas en France de foyer plus uni, plus 
édifiant, plus dévoué à l'éducation d'un fils 
unique, le duc de Penthièvre. Mais le trait 
particulier de la comtesse de Toulouse, c'est 
qu'elle aime gouverner les affaires et les hom- 
mes, mener chacun où il lui plaît, soutenir 
des ambitions et se faire des créatures • Le 



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L'ABANDON. 



179 



i\oi errait, âme en peine, ennuyé d'une trop 
parfaite épouse, un peu effarouché cependant 
par les plaisirs vulgaires et excessifs que lui 
proposaient les débauchés de son entou- 
rage ; la comtesse de Toulouse s'est trouvée 
à point pour lui offrir l'aimable cercle qui 
lui manquait ; elle compte simplement s'en 
récompenser , outre l'honneur qu'elle en 
éprouve, par quelques menus avantages de 
faveur. 

C'est à Rambouillet surtout que l'intimité est 
étroite. Louis XV vient souvent passer deux 
ou trois jours dans cette résidence, si voisine 
de Versailles, et dont le comte de Toulouse 
a mis la somptuosité renouvelée d'accord avec 
sa grande fortune. Ce n'est pas seulement la 
chasse qui attire le Roi, bien que l'immense 
parc soit abondamment pourvu de bêtes fauves; 
Rambouillet est aussi le seul endroit où il se 
sente tout à fart à l'aise. Il ne vient pas chez 
des sujets, mais chez de tendxes amis, qui 
s'efforcent uniquement à lui rendre plaisants 
ses petits séjours. 11 y rencontre des courti- 
sans choisis, dont quelques-uns sont âgés et 
ont la politesse de l'ancienne Cour, et des 
dames toujours très peu nombreuses. Les 
hommes qui veident aller à Rambouillet se 



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l80 LOUIS XV ET MARIE LBGZINSKA. 

font inscrire chez le Premier gentilhomme ; 
pour les femmes, c'est madame de Toulouse 
qui les nomme, choisissant celles qui sont 
agréables au Roi. Les repas sont de la meil- 
leure chère, le jeu animé, les propos discrets 
et souriants. La conversation enjouée de la 
comtesse charme extrêmement le Roi. 11 y 
apprend mainte anecdote historique, qu'il 
aimera répéter plus tard, et cette généalogie 
des grandes familles du royaume qu'il fixera 
dans son imperturbable mémoire. 

Après le souper se tient ce que la Cour 
appelle «le petit conseil secret du Roi». Ce 
sont des causeries à trois ou bien à quatre, si 
Mademoiselle de Charolais est au château, où 
il est beaucoup plus question d'intérêts parti- 
culiers que d'affaires publiques, mais qui 
n'en ont pas moins leur importance. Le car- 
dinal deFleury ne prend aucun ombrage de ce 
« petit conseil » et ne se fatigue même point 
à faire le voyage de Rambouillet ; il est tout 
a fait sûr de la maison oii il laisse son élève 
aller sans lui, car rien ne s'y décide ou ne s'y 
prépare sans qu'il en soit loyalement averti. 
Le comte de Toulouse est son ami, et la com- 
tesse a trop besoin de le ménager, au sujet 
de tant d'affaires qui l'intéressent, pour ne 



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L'ABANDON. l8l 



pas se mettre d'accord avec lui sur toutes 
choses. Cet accord même augmente en un 
pareil milieu la confiance du Roi, et l'engage 
à se livrer plus qu'ailleurs. La châtelaine de 
Rambouillet pourrait aisément abuser de ces 
privilèges ; mais elle a assez de prudence pour 
se contenter d'être, à cette date, après le mi- 
nistre, la première personne dans l'État. 

Une autre femme, plus remuante, d'une 
ambition plus inquiète et moins mesurée, 
partage avec la comtesse de Toulouse la fami- 
liarité du Roi. C'est une des sœurs de M. le 
Duc, cette Mademoiselle de Charolais, qui 
vient d'obtenir de Sa Majesté, par acte offi- 
ciel, ce titre éminent et unique de « Made- 
moiselle )) réservé jusqu'à présent à la fille 
aînée du frère du Roi. Chacun connaît son 
portrait en cordelier, qui lui vaut le plus joli 
madrigal de Voltaire et qu'elle offre volon- 
tiers en don sur des tabatières. L'esprit aven- 
tureux de Mademoiselle et sa beauté hardie 
lui donnent sur Louis XV un ascendant tout 
autre que celui de la bonne comtesse, d'ail- 
leurs plus âgée qu'elle de sept ans. Elle étonne 
le Roi et le domine par ses façons cavalières 
et sans respect, et son mépris absolu des con- 
venances, en même temps qu'elle l'amuse par 



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l83 LOUIS XT ET MARtE LEGZINS&A. 

une verve souvent railleuse et de la plus vive 
tradition française. 

La comtesse de Toulouse, alors son intime 
amie, ferme ses charitables yeux sur les écarts 
d'une jeunesse, qui s'est débridée au pire 
moment de la Régence et dure encore à la 
quarantaine. L'intérêt des deux femmes est 
de suffire ensemble au Roi par les distractions 
diverses qu'elles lui donnent, et d'accaparer 
tout le crédit en se le partageant à l'amiable. 
C'est un jeu aisé à mener, jusqu'à l'inévitable 
brouille, et pour lequel elles s'entendront assez 
longtemps. Mais Mademoiselle de Charolais 
dispose de ressources bien plus variées que la 
mère du duc de Penthièvre, car elle manque 
de scrupule sur le choix de ses moyens. Quel- 
qu'un qui suit ses manèges la peint en trois 
paroles : ce Mademoiselle eût été receleuse, vo- 
leuse ou bouquetière, si elle était née parmi 
le peuple- » En telle compagnie et avec de tels 
exemples, n'est-ce pas merveille que le Roi 
Boit resté si longtemps époux fidèle.^ 

Mademoiselle est de ces femmes qui ne vi- 
vent que pour l'intrigue amoureuse, la leur 
ou celle de leurs amis. Elle corromprait le 
Roi pour le plaisir de le faire, n'en servît- 
elle point son ambition^ toujours éveillée, de 



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L'ABANDON. l83 



jouer un rôle. Celui qui lui est d'abord réservé 
u'a rijen de fort honorable, même en ce siècle 
indulgent, et les contemporains usent de mots 
vigoureux pour le désigner ; mais cette fonc- 
tion de conseillère, personne à la Cour n'est 
mieu^ qualifié qu'elle pour la remplir. Bache- 
lier lui-même, qui fait le philosophe et vou- 
drait élever son office de chambre à la haute 
politique, au bénéfice de son ami Chauvelin, 
l'inx^omparable Bachelier, que Lebel ne sur- 
passera point, est obligé de subordonner ses 
vues à l'expérience de la princesse. Nul n'est 
expert comme elle à composer une partie fine, 
à jeter dans un souper la libre chronique du 
temps et cette sorte de propos où excelle 
Voltaire en ses contes et qui insinue le plaisir 
avec une pointe d'irréligion. 

Ces* une grande commodité pour les pro- 
jets de Mademoiselle que son château de 
Madrid voisine, à travers le bois de Boulogne, 
avec la maison royale de la Meutte ( la Muette), 
où le Boi va coucher au moins une fois par 
semaine. £!es soupers du bois finissent par 
exiciter les soupçons de Fleury, qui n'entend 
pas que le Roi se compromette dans une inti- 
mité suspecte, ni qu'il y dépense avec excès 
l'argent de l'État. Un billet assez piquant de 



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l84 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

la princesse au Cardinal semble répondre à 
cette double inquiétude : « Je vais à Madrid, 
écriir-elle, d'où nous avons l'honneur de sou- 
per dans le voisinage. En vérité jamais partie 
fine n'a été plus nombreuse et plus modeste. 
Nous serons une trentaine à table ; ensuite les 
hommes couchent à la Meutte et les femmes 
à Madrid. )> 

Sontrils aussi inofiensifs que Mademoiselle 
veut bien l'assurer, ces soupers de la Meutte, 
où Ton boit toujours plus que de raison, où 
Cornus et Bacchus, comme on dit alors, ren- 
dent favorable la déesse de Cythère, où le Roi 
lui-même, dans l'excitation du vin de Cham- 
pagne, laisse échapper des paroles singulières P 
Un soir (on prétend que c'est en 1782), il y 
a deux tables servies, chacune de douze con- 
vives, et comme l'on cause assez librement 
des femmes de la Cour, de leur réputation et 
de leurs charmes, le Roi lève son verre et 
porte une santé mystérieuse : A ^inconnue! 
dit-il. La santé bue à sa table, il envoie dire 
à l'autre table de la boire aussi. Cette insis- 
tance permet aux assistants de rechercher en 
sa présence à quelle dame il a songé.' 
On met aux voix celles qui semblent le plus 
désignées. Trois noms se répartissent les 



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L'ABANDON. l85 



joyeux suffrages : madame la Duchesse la jeune, 
mademoiselle de Beaujolais et madame de 
Lauraguais, parue tout nouvellement à la 
Cour. Le Roi se refuse à trancher le débat ; 
mais le propos qu'il a tenu et la liberté qui 
l'a suivi donnent beaucoup à penser et font 
connaître à tout le monde que sa vertu est à 
la merci d'ime occasion. 

L'occasion se produit, ou plutôt on la fait 
naître, au cours de lySS, Tannée même du 
départ du roi Stanislas. On le sait par le duc 
de Luynes, qui dit l'avoir apprise de manière 
à n'en pouvoir douter » ; les autres journaux 
de l'époque ne font pas commencer la liaison 
de Louis XV avant l'hiver de 1786. C'est que 
le secret royal est bien gardé et ignoré entiè- 
rement de la Cour pendant des années. Rîen 
ne paraît changé dans les rapports du Roi 
avec la Reine, que semblent occuper et satis- 
faire de régulières maternités ; c'est cependant 
la Reine elle-même qui va nous fournir, par 
un témoignage inattendu, la confirmation du 
renseignement de M. de Luynes et la preuve 
qu'il n'a point été trompé. 

Parmi les lettres inédites de Stanislas à 
Marie, où Louis XV n'est presque jamais 



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l86 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

nommé, il en est une, du 3 janvier I734> où 
se trouve une mention bien certaine des pre- 
mières infidélités. Dans cette «écriture conti- 
nuelle D qu'elle adresse à son père et (pi'il la 
supplie de ne pas ajouter aux fatigues d'une 
grossesse, Marie a laissé échapper une fois 
Taveu de son chagrin le plus intime, et le 
père répond à cette confidence, qui est du 
mois de décembre 1783, par la phrase sui- 
vante, partie en polonais, partie en chiffres, 
une des plus mystérieuses de toute leur cor- 
respondance : « Ce que vous me mandez 
de la constance du Roi, sans espérance de 
changement, me désole. Cependant, je crois 
que les circonstances présentes, si le bon Dieu 
les donne heureuses, pourront le ramener. » 
Stanislas se plaît à espérer que la joie de la 
naissance d'un prince (ce fut Madame Sophie) 
rétablira le bonheur conjugal de sa fille*; 
mais il faut bien constater déjà Tinconstance 
du Roi et aussi la tristesse de la pauvre Marie, 
d'autant plus profonde qu'elle est plus cachée. 
Son amour toujours anxieux lui a ouvert les 
yeux la première et, tandis que la Cour en 
est encore aux soupçons, elle seule, à des 
indices qui ne trompent point, a deviné les 
premières fautes du Roi et compris qu'il 

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L'ABANDON. 187 



n'y a plus d'espoir qu'il lui revienne sans 
partage. 

Ni l'épouse, ni aucune personne, en dehors 
des initiés nécessaires, ne se doutent que la 
complice du Roi est aussi voisine que posH- 
sible de la Reine et qu'elle appartient même 
a son service. Entre tant de femmes qui ont 
paru retenir l'attention du Roi ou qui Font 
même sollicitée, on n'a point remarqué la 
jeune comtesse de Mailly, fille aînée du mar*- 
quis de Nesle. Mariée en 1726, à seize ans, à 
un oncle à la mode de Bretagne, lieutenant des 
gendarmes écossais, elle est devenue dame du 
palais de la Reine, eu 1729, à la mort de sa 
mère, la marquis^e de Mailly-Nesle ; sa nais*- 
sance et sa place à la Cour lui ont dès lors 
donné accès auprès du Roi et droit à tous les 
voyages. Plus tard seulement, on rapprochera 
les uns des autres de petits faits, demeurés 
inaperçus, et l'on se rappellera combien fré-^ 
quemment madame de Mailly a été des par« 
ties de Mademoiselle, 

On disait alors que sa conversation spiri- 
tuelle était particulièrement agréable à Sa 
Majesté; mais ses charmes ne semblaient 
point destinés à une aussi glorieuse conquête. 
La réserve du Roi et la tenue modeste de 



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l88 LOUIS XV ET MARIE LEGZINS&A. 

la dame distinguée par lui ont trompé les 
yeux les plus exercés par métier, ceux des 
courtisans en quête d'intrigue. Louis XY 
aime madame de Mailly et en est aimé ; leur 
inclination sincère, quoique préparée par des 
soins corrupteurs, a eu besoin, pour se déve- 
lopper, d'un mystère qui en assaisonnât les 
plaisirs. Les habiles gens qui s'en sont mêlés 
n'ont point manqué d'épaissir cette ombre et 
de la rendre à peu près impossible à pé- 
nétrer. 

Les hésitations du Roi leur en ayant laissé 
le temps. Mademoiselle, Bachelier et la maré- 
chale d'Estrées, qui prêta son concours, ont 
fait le choix le plus avisé. Leur dessein a été 
soigneusement établi et non moins calculé que 
celui qui amena jadis le mariage de la Reine. 
Ils savaient qu'une jeune femme, belle et am- 
bitieuse, s'emparant pour la première fois du 
cœur et des sens du Roi, aurait pu rompre 
leurs calculs et garder pour elle l'influence 
dont ils comptaient se servir. Avec madame 
de Mailly, âme afiectueuse et de caractère 
désintéressé, ils n'ont rien à craindre de sem- 
blable. On lui a fait promettre, paraît-il, c< de 
s'en tenir aux seuls honneurs du mouchoir » 
et de ne rien tenter sans l'avis a des personnes 

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L'ABANDON. 189 



qu'elle sait avoir la confiance et l'estime du 
Roi )) . Singulier engagement, que nulle autre des 
femmes de la Cour qui aspirent à être élues 
ne serait capable de tenir avec bonne foi. 

Madame de Mailly met dans son amour 
plus de sentiment que de vanité, sans aucune 
vue d'avidité personnelle. Son esprit, qui est 
aimable, son humeur, qui est égale, sa dou- 
ceur caressante suffisent à retenir le Roi; 
mais elle n'a ni assez de beauté, ni assez d'in- 
trigue pour être sûre d'un absolu pouvoir. 
«Elle a, dit un contemporain, le visage long, 
le nez de même, le front grand et élevé, les 
joues un peu plates, la bouche grande, le 
teint plus brun que blanc, deux grands yeux 
assez beaux, fort vifs, mais dont le regard 
est un peu dur. Le son de sa voîx est rude, 
sa gorge et ses bras laids. Elle passe pour 
avoir la jambe fine, beauté que peut-être elle 
doit à sa maigreur. Elle est grande, marche 
d'un air assez délibéré; mais elle n'a ni grâce, 
ni noblesse, quoiqu'elle se mette d'un très 
grand goût et avec un art infini, talent qui lui 
est particulier, et que les femmes de la Cour 
ont tâché en vain d'imiter. » S'il est vrai que 
la Sainte Madeleine de Nattier soit le portrait 
de madame de Mailly, on y retrouve tous ces 



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IQO LOUIS XY ET MARIB LEGZINSK.A. 

traits physiques, que notre chroniqueur u'ii 
point flattés. 

Élevé dans la réserve religieuse et dans la 
peur de la femme, Louis XV devait être de 
ceux que l'extrême heauté n'est point sand 
troubler, mais attire moins qu'elle n'intimide. 
Une personne comme madame de Mailly pou- 
vait mieux qu'une autre lui faciliter le pre- 
mier pas. Le choix qu'on fit pour lui indique 
chez ses « conseillers d une connaissance fort 
juste des hommes. Pour le rendre définitif et 
prévenir les oppositions, Mademoiselle songea 
à s'assurer l'aveu, au moins tacite, du Cardi- 
nal. Il ne fut pas aussi facile qu'on le prétend 
d'y résoudre le vieillard, car il s'agissait, en 
somme, de ruiner l'éducation stricte qu'il 
avait donnée à son élève. Une brouille du 
ministre avec le Roi, qui date précisément du 
mois de septembre 1788 et que marque une 
retraite de dix jours à Issy, semble indiquer 
le moment où la chose fâcheuse lui fût tévélée. 
Il dut protester, peut-être pour la forme, et il 
est sûr qu'il crut de son devoir d'apporter 
des consolations à la Reine, tout comme il 
eût présenté des condoléances. Mais ses scru- 
pules ne tinrent pas longtetnps devant les 



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L'ABANDON. 



191 



raisons soumises à son discernement de vieux 
casuiste. 

L'ouvrage fait par d'autres et la faute accom- 
plie sans qu'il en fût responsable, il ne pou- 
vait qu'être entièrement favorable à la per- 
sonne qui en avait profité selon la morale du 
siècle. Aucune ne devait lui porter moins 
d'ombrage, en tant que ministre, ni causer 
autour du Roi moins de scandale. Puisque 
aussi bien le mal était inévitable, il fallait 
se féliciter qu'il fût ainsi limité. Plus tard, 
lorsqu'on voudra donner au Roi une autre 
maîtresse, infiniment plus dangereuse, celle 
qui sera madame de Châteauroux, l'ancien 
précepteur fera des confidences sur le passé 
à la duchesse de Brancas: « Ahl si vous 
saviez combien il était nécessaire que madame 
de Mailly eût le cœur du Roi, combien il 
serait funeste de le lui enlever, combien il 
faut le lui conserver, combien la maréchale 
(d'Estrées) eut raison, tout coupable que cela 
soit aux yeux de Dieu, de préparer cet enga- 
gement et le former I Je tiens sans doute un 
étrange langage pour un prêtre ; mais la cour 
de Louis XIV, celle de Louis XV ressemblent 
ttop peu à celle de saint Louis. Le Roi com- 
mençait à craindre la Reine; elle avait été 



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iga LOUIS XY et marie legzinska. 

livrée aux intrigues de M. le Duc et de madame 
de Prie. Le Roi pouvait se perdre par un 
mauvais choix ; il n'y en avait qu'un bon qui 
pût le sauver. Si vous saviez combien j'ai 
gémi aux pieds de cette croix... combien j'ai 
maudit mon pouvoir, sans puissance sur le 
cœur du Roil Le Roi a du moins les vertus 
de madame de Mailly, laissons-les-lui. Je n'ai 
plus qu'un moment à vivre; mais voir le Roi, 
que Louis XIV m'a confié, trahir ses dernières 
espérances I Je ne le verrai point sans punir 
les corrupteurs de sa jeunesse I » Madame de 
Brancas, qui rapporte ces propos, non sans 
malice, assure qu'elle sortit de chez Fleury, 
ayant vu Tartufe cardinal et premier ministre. 
La conscience compliquée du personnage 
admettait peut-être une grande pari de sincé- 
rité. Il est seulement fâcheux pour sa mémoire 
qu'on ne lui trouve de colère contre les cor- 
rupteurs du Roi qu'à l'heure où ils alarment 
sa tranquillité. 

Il est certain que le cardinal de Fleury, 
s'il n'approuva pas la liaison du Roi, en 
approuva du moins le choix, que plus tard il 
ne s'opposa point à ce qu'elle fût déclarée, et 
qu'il entretint, par l'entremise de Mademoi- 
selle de Charolais, un commerce de bonne 



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L'ABANDON. ig3 



entente avec la maltresse. S'il en fallait une 
preuve, un petit document, postérieur il est 
vrai à la déclaration, la fournirait. C'est encore 
un billet griffonné par Mademoiselle au Car- 
dinal pour le remercier des faveurs accordées 
à une sœur de madame de Mailly, qui va 
épouser M. de Vintimille, petit-neveu de 
l'archevêque de Paris. Ces faveurs, arrachées 
à la lésinerie du ministre, sont considérables : 
le Roi donne à la nouvelle mariée deux cent 
mille livres d'argent comptant, un apparte- 
ment à Versailles et six mille livres de pen- 
sion, en al tendant une place de dame dans 
la maison qu'on fera un jour à la Dauphine. 
Mademoiselle, qui a mené tout cela, écrit à 
Fleury : ce Ce lundi au soir. — Je n'ai jamais 
vu une si grande joie et tant de reconnais- 
sance. Madame de Mailly m'a priée de vous 
faire ses remerciements et de vous dire que 
c'était à vous quelle devait la fortune de sa 
sœur. Elle n'ose pas aller chez Votre Émi- 
nence. Je lui ai dit qu'elle ferait mal d'y aller 
et que vous ne vouliez rien savoir. Elle gar- 
dera le secret et je me conformerai en tout k 
ce que vous m'avez dit. Je vous remercie 
encore de cette affaire. Tout ce qui marque 
votre amitié me touche au delà de ce que je 



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194 LOUI8 XV ET MARIB LEGZINSK.A. 

puis dire. Je m'acquitte d'une commission et 
ne veux point de l'éponse. x> 

L'ardeur qu'a mise madame de Mailly à 
fixer sa sœur à Versailles peut paraître naïve, 
quand on sait que madame de Vintimille va 
devenir, à son tour et sans tarder, la maî- 
tresse du Roi ; quant à ce billet de princesse 
à ministre, il dit en peu de mots, sur ces 
choses de cour, plus qu'il ne semble. 

Les débuts de Louis XV dans l'adultère ont 
gardé un caractère qui frappe l'observateur . 
un peu attentif. Pendant plusieurs années, sa 
liaison ne fut ni définitive, ni sans remords. 
Elle subit des scrupules et des ruptures, 
comme en eut quelque temps la tendresse du 
grand Louis pour cette La Vallière, à qui l'on 
est tenté de comparer madame de Mailly. La 
loi religieuse arrête, à des dates déterminées, 
avec son inflexible rigueur, l'essor des passions 
coupables. On ne peut oublier que le Roi 
communie au moins à Pâques et remplit 
ses devoirs de catholique dans leur intégrités 
Minutieux ainsi qu'il le sera toujours dans 
l'accomplissement des pratiques, des jeûnes ^ 
des abstinences, il n'est point de ceux qui 
ignorent les conditions du repentir ou qui se 



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L'ABANDON, igS 



permettent de les enfreindre, an risque de 
leur salut éternel. Il faut donc qu'il fasse 
un effort loyal vers le changement, de sa yie 
et (ju'il s'essaie de bonne foi à rompre les 
liens qui renchainent. Au nom de pouvoirs 
supérieurs aux rois, le moins que puisse exi- 
ger le confesseur pour l'absoudre, c'est qu'il 
reprenne avec la Reine la vie conjugale. On 
le voit, en effet, rentrer dans le droit chemin 
aux approches des saintes semaines et il cher- 
che alors à se corriger avec une sincérité que 
rien n'autorise à mettre en doute. 

Avant Noël 1787, par exemple, après avoir 
délaissé la Reine pendant huit mois, c'est-à- 
dire presque depuis Pâques, il vient passer 
auprès d'elle les nuits du 22 et du 28 décem- 
bre ; c'est qu'il doit faire ses dévotions à la 
grande fête et qu'il n'y serait point admis 
sans cette preuve de son repentir. Au reste, 
toute lutte est courte en une âme aussi molle, 
et ce réveil religieux de Noël sera le dernier. 
Tombé malade avant de communier, le Roi 
a renoncé à le faire ensuite. Sa rechute dans 
le péché n'a point tardé. Le l4 janvier, dès 
son rétablissement, il va pour la première 
fois souper publiquement chez madame de 
Mailly, dans son appartement de l'aile neuve. 



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ig6 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

La maîtresse a plaidé, une fois de plus et trop 
éloquemment, la cause de sa passion. Son 
amant, du moins, n'ira pas jusqu'à l'hypo- 
crisie : à Pâques suivant, au grand scandale 
des dévots de la Cour et de la plupart de ses 
sujets, le Roi Très-Chrélien, le fils aîné de 
l'Eglise, renonce pour la première fois à la 
communion pascale. N'étant point en état de 
grâce, il ne saurait guérir les écrouelles, et 
les malades, réunis à Versailles, le samedi 
saint, doivent s'en retourner chez eux sans 
avoir été touchés. On donne pour prétexte 
une incommodité du Roi ; mais la situation 
est claire : il n'a point voulu se confesser, ou 
le confesseur lui a refusé l'absolution. 

Sur la foi d'anecdotes de basse antichambre 
et de récits malveillants toujours répétés, on 
a rendu Marie Leczinska responsable du chan- 
gement de conduite de Louis XV, par des 
maladresses féminines et des répugnances 
au devoir conjugal. L'explication, vraie pour 
tant d'autres, n'est pas suffisante en ce 
cas illustre. Certes, la reine Marie, tou- 
jours intimidée auprès de son maître, n'a- 
vait rien pour se défendre contre les dangers 
de sa situation. Il lui eût été difficile d'éloi- 



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L'ABANDON. I97 



gner toujours de l'époux les trop vives séduc- 
tions du plaisir illicite ; mais l'acte même du 
détachement n'est point du fait de la Reine et 
il y aurait injustice à lui en imputer les con- 
séquences. EUe souffrait sans doute, quand le 
Roi lui apportait, de ses soupers, l'odeur et le 
trouble du Champagne ; elle considérait alors 
que la sainteté du mariage était mal comprise 
par le compagnon de sa vie ; mais elle ne se 
fût jamais permis de le lui reprocher. Elle 
a, pu, d'autre part, imposer quelques trêves 
aux impatiences du Roi, sur l'ordre d'une 
Faculté trop méticuleuse ; mais jusqu'à la fin, 
et sans relâche, elle demeura désireuse de 
maternité. Les commérages du temps, sans 
excepter ceux de d'Argenson, interprètent fort 
mal les sentiments de la Reine sur ce point, 
et lui prêtent des mots ou même des jeux de 
mots que démentent ses lettres ses paroles 
et toute sa vie. Pour l'histoire, cherchant à 
se renseigner à des sources plus sérieuses, les 
témoignages, qui manquent souvent en ma- 
tière aussi délicate, se trouvent en nombre 
dans le Journal du duc de Luynes. 

La séparation vint d'une exigence de la 
Faculté de la Reine, dont les démêlés avec la 
Faculté du Roi avaient plus d'une fois, paraît- 



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198 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSS.A. 

il, aggravé les choses. En 1738, la première 
eut définitivement gain de cause, en des cir- 
constances dont il est possible de reconstituer 
la suite. Le Roi «sait alors d'une nouveUe 
chambre à coucher, celle qui existe encore à 
Versailles, qu'il avait fait faire à rintérieul* 
de son appartement privé; elle était de di- 
mensions plus commodes que la vaste chambre 
de Louis XIV, dont Louis XV avait dû jus^ 
que-là se contenter, en y grelottant et s'y 
enrhumant pendant les froids, et qui ne ser- 
vait plus qu'aux leverSy aux couchers et aux 
autres usages d'étiquette. La petite chambre 
était plus facile à chauffer l'hiver, plus facile 
aussi à quitter, sans être vu* en toute saison^ 
Le 30 mai, lendemain de la Pentecôte, le Roi 
traversa l'Œil-de-Bœuf après son coucher et 
vint chez la Reine, ce qu'il n'avait point 
encore fait de l'année et ce qui ne devait plus 
se renouveler. 

Quelques semaines après, il partait pour 
Gompiègne, laissant, comme d^ordinaire, la 
Reine à Versailles : « Elle croyait être grosse, 
raconte M. de Luynes, et avait mandé au 
Roi l'état où elle se trouvait. Elle alla souper 
chez madame de Mazarin, à uûe petite maison 
au haut de la montagne de Saint-Cloud, que 



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L'ABANDON. I99 



l'on appelle Montretout. Elle n'en revint qu'à 
la pointe du jour, ^ . . n'étant {)oint accoutumée 
de ae coucher si tard. La nuit même, il lui 
arriva un accident qm prouvait qu'elle n'était 
plus grosse et qu'elle s'était blessée ; elle n'osa 
pas en parler ni le mander au Roi, de peur 
que son voyage de Montretout ne fût désap- 
prouvé ; elle lui manda seulement que les 
soupçons de grossesse avaient disparu. Elle 
se leva et alla comme à l'ordinaire ; cette con- 
duite fut suivie d'abord d'une perte de sang 
et ensuite d'un dérangement qui dura quelque 
temps. Dans cet état, Perrat lui déclara que, 
si elle redevenait grosse dans ce moment, elle 
ne porterait jamais son enfant à bien. Ce fut 
là l'occasion des difficultés qui furent faites 
au Roi à son retour de Compiègne ; on voit 
qu'elles étaient fondées. » 

Quant aux sentiments intimes de la Reine, 
un autre récit, recueilli l'année précédente par 
le même auteur, est tout à fait significatif. 
Il s'agit de la naissance de Madame Louise. 
D'après la légende, Louis XV, espérant un 
garçon et de fort méchante humeur, aurait 
nommé brusquement Marfa/ne Dernière celle qui 
le fut en efiet. La réalité fut tout autre. C'était 
le a6 juillet 1787 : le Roi, resté auprès de 



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200 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA. 

la Reine pendant ses douleurs, avait embrassé 
a main qu'elle lui tendait ; immédiatement 
après être accouchée, ayant su que c'était une 
fille, elle le pria d'approcher et lui dit : ce Je 
voudrais souffrir encore autant et vous don- 
ner un duc d'Anjou. » Le Roi l'exhorta à se 
tranquilliser. Ce tendre appel de l'épouse, si 
touchant et si sincère, a été entendu par la 
duchesse de Luynes, dame d'honneur, qui n'a 
point quitté son chevet. Pourquoi semble- 
i-on ignorer son témoignage, éloquent à sa 
date, qui, dans une de ces heures où se livre 
le plus profond de l'être humain, révèle l'en- 
tière pensée de la Reine ? Le désir de rem- 
placer le fils qu'elle a perdu n'a pas un ins- 
tant quitté son cœur et, jusqu'à l'abandon 
définitif, elle a appelé de toute son âme un 
autre duc d'Anjou. Il n'est donc pas soute- 
nable qu'elle se soit dérobée de façon quel- 
conque à son devoir, ni se soit jamais 
montrée lasse de l'œuvre de maternité. 

C'est en 1788 que la faveur de madame de 
Mailly commence à devenir évidente. Peuiron 
penser que le Roi, ne devant plus revenir à 
la Reine, se considère comme délié des égards 
qu'il a scrupuleusement gardés jusqu'alors? 



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L'ABANDON, 20I 



On aime mieux croire que c'est à son insu 
que le secret est devenu un scandale et qu'il 
•y a du vrai dans une anecdote bien connue ; 
un soir que la maîtresse se glisse, voilée selon 
l'ordinaire, dans les petits appartements. Ba- 
chelier, voulant brusqueries choses, entr'ouvre 
comme par mégarde son capuchon et la laisse 
reconnaître à deux dames. Quoi qu'il en soit, 
au mois de juillet, le duc de Luynes se décide 
à mettre en son Journal, non point la brutale 
assurance de la liaison du Roi, mais des phrases 
enveloppées et prudentes qui la supposent 
vraisemblable. L'avocat Barbier dit que 
c( la chose est publique » ; d'Argenson sait 
depuis longtemps que Chauvelin a fourni « la 
petite Mailly » d'appointements sur des fonds 
secrets, tandis que Luynes en est encore à 
remarquer des soupers dans les cabinets ou 
chez Mademoiselle. Il note seulement que ces 
soupers se font plus ostensiblement et durent 
jusqu'au matin ; le Roi quitte alors ses cabi- 
nets intérieurs, oii nul indiscret ne pénètre, 
et se couche quelquefois après six heures, 
non sans avoir entendu la messe. 

Au souper du 3 juillet, chez Mademoiselle, 
il y eut le prince de Dombes, MM. du Bor- 
dage, de Soubise, deChalais, le petit Goigny, 



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209 LOUIS XV ET IIARtB LEGZITfSKA. 

amî de la princesse, ainsi que mesdames de 
Beuvron, de Maîlly et d'Antin. Madame de 
Mailly était de semaine comme dame du palais : 
(( Elle resta au souper avec la Reine, raconte 
M. de Luynes, quoique la Reine, par bonté, 
eût voulu bien des fois la renvoyer, pour ne 
la pas faire rester si longtemps debout. Ma- 
dame de Mailly n'arriva au souper que trois 
quarts d'beure après qu'on se fut mis à table. . . 
Ces soupers ont donné occasion de renouveler 
les discours qui se tiennent depuis si long- 
temps. On a peine à concilier ces idées avec 
ce que nous voyons de piété, régularité et 
attentions édifiantes. Il faut un peu plus de 
temps pour juger si ces discours ont quelque 
fondement. Quelques gens ont remarqué que 
Ton ne pouvait pas nommer le nom de la 
personne de qui il est question, devant le Roi, 
sans qu'il rougit, et l'on dit qu'aujourd'hui 
le Roi la nomme lui-même sans embarras. » 
A ce moment, Louis XV, allant à Com- 
piègne, a projeté de s'arrêter quelques jours 
à Chantilly. « 11 y a une dame, dit encore 
M. de Luynes, qui a fait ce qu'elle a pu pour 
y aller, et elle a été refusée par M. le Duc. » 
En rayant le nom de cette dame « qui n'est 
nullement liée avec lui », le seigneur de Chan- 



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L'ABAIVDOIf. 2o3 



tîUy a fait une chose toute naturelle, « M, le 
Duc ne devant point ajouter foi aux discours 
du public, ni, quand il y ajouterait foi, les 
regarder comme une raison pour prier de 
venir chez lui une personne qu'il connaît 
peu. y^ N'est-ce point là, en même temps, une 
petite revanche, irréprochable dans les formes, 
que prend sur. son maître, à son tour en 
pos^ion fausse, l'amant disgracié jadis de 
madame de Prie ? 

C'est peut-être son échec pour Chantilly 
qui donne à madame de Mailly le désir d'être 
avouée comme maîtresse et d'obtenir cette 
déclaration publique qui, par un renversement 
assez curieux des idées morales du temps, lui 
épargnera désormais les humiliations. U est 
facile de forcer la main au Roi, et les séjours 
de Compiègne et de Fontainebleau sont excel- 
lents pour ce dessein, par la liberté qu'ils au- 
torisent. « On continue à Compiègne, écrit 
M.* de Luynes, les mêmes propos que l'on a 
tenus ici sur la même personne » ; et le duc 
consigne avec soin tous les indices qui lui 
sont rapportés pendant les voyages, la fami- 
liarité parfois choquante de cette dame quand 
elle joue avec le Roi, l'abandon d'un appar- 
tement à Fontainebleau que lui fait la ma- 



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2o4 LOUIS XY ET MAKIE LEGZINSKA. 

réchale d'Estrées, sa présence à une chasse 
royale, seule dame dans la calèche de Made- 
moiselle, enfin ses paroles à l'oreille de la 
comtesse de Toulouse, qui est décidément 
dans la confidence. Il semble que Fhonnête 
courtisan, très attaché à Marie Leczinska, se 
refuse à admettre l'outrage public fait à sa 
souveraine et qu'il ait besoin, pour être con- 
vaincu, de vingt fois plus de preuves qu*il 
n'en faut à l'opinion. 

Cependant madame de Mailly s'irrite de 
l'attitude des autres dames de la Reine, sur- 
tout pendant les semaines où eUe fait son 
service. Elle a tout le monde contre elle, les 
vertueuses et les jalouses, celles-ci surtout, 
qui ne sauraient lui pardonner d'avoir été 
choisie. Madame de Mailly répond aigrement 
et le prend avec toutes sur le ton hautain. 
A mesure qu'elle devient moins respectable, 
elle veut, comme il est naturel, être davantage 
respectée. Peu lui importe qu'on sache sa 
pauvreté, que ses chemises s'éliment et se 
trouent, que sa femme de chambre soit mal 
vêtue, qu'elle-même, au jeu, ne trouve pas 
cinq écus dans sa poche pour payer quand 
elle perd; ce qu'elle demande, ce qu'elle 
exige, c'est qu'on la reconnaisse pour la maî- 



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L'ABANDON. !2o5 



tresse déclarée et qu'on lui accorde les homma- 
ges dus à ce rang. « Elle est désintéressée au 
possible, écrit d'Argenson ; elle rend volontiers 
service à ses amis ; elle n'entend rien aux 
affaires d'argent et ne veut seulement pas 
écouter les propositions. Elle est franche, elle 
est vraie ; mais elle est haute comme les nues 
et se souvient longtemps des offenses. » 

En mai 1789, le duc de Luynes est stupé- 
fait d'une de ses incartades. Elle a refusé 
d'être à un souper de Marly avec la duchesse 
de Mazarin : <( Je vous prie d'ôter l'une ou 
l'autre de votre liste, dit-elle au duc d'Au- 
mont; car nous ne soupons point ensemble.» 
La liste est déjà montrée, madame de Mazarin 
avertie, et c'est un grand embarras pour le 
Premier gentilhomme que de lui annoncer 
qu'il y a eu malentendu et qu'elle ne sera 
pas du souper. La favorite déteste la duchesse, 
qui est pourtant sa cousine, étant Mailly 
comme elle, parce qu'elle lui attribue la plu- 
part des propos qui se tiennent contre elle 
chez la Reine. Mais madame de Mazarin est 
dame d'atours fort aimée de Marie Leczinska 
et l'offense atteint sa mal tresse autant qu'elle. 
Un autre chroniqueur remarque vers ce mo- 
ment : « Madame de Mailly commence à tirer 



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2o6 LOUtS XV KT MAKlfe LEGZtifS&À. 

sur la Reine et manque de ménagements con- 
venables, ce qui peut lui attirer malheur. » 
Le malheur de madame de Mailly ne doit 
point lui venir de la Reine ; mais on a tort 
de croire que celle-ci n'a pas essayé de se 
défendre. 

Elle est restée longtemps dans l'incertitude 
sur la liaison du Roi. Elle Ta soupçonnée la 
première, puisqu'elle en a écrit à son père, 
mais il lui aurait été douloureux d'inter- 
roger, et rien ne peut être plus difficile pour 
elle que d'apprendre le nom de sa rivale. 
Madame de Mazarin probablement se charge 
de lever le voile. Ce n'est point en chrétienne 
résignée que Marie accueille cette révélation, 
car l'offense la plus cruelle à son amour-pro- 
pre vient s'ajouter à la blessure de son amour. 
Elle a du sang guerrier dans les veines, qui 
se réveille devant l'outrage, devant le men- 
songe aussi effronté et aussi voisin. Ces sen- 
timents ne sont pas racontés par les contem- 
porains, et comment pourraient-ils l'être? Mais 
çà et là des indications éparses les font de-* 
viner. 

La Reine s'adresse à l'homme qu'elle a 
toujours vu maître de l'esprit du Roi. S'il 
est vrai que le Cardinal se relire à Issy, en 



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L'ABANDON. 207 



septembre 1788, pour protester contre la 
liaison dévoilée, on s'explique la visite que va 
lui faire la Reine et qui donne lieu à tant 
de oommentaires. Elle pleure auprès de lui, 
s'indigne, demande conseil, et, le vieillard, 
désarmé comme elle, et, malgré tout, secrè- 
tement content de la voir humiliée, n'a que les 
paroles les plus banales à lui offrir en conso- 
lation. Elle croit alors de son devoir d'engager 
une de ces luttes où l'on est vaincu d'avance : 
elle veut réclamer sa place et ses droits, abat- 
tre l'insolence de « cette femme » ; tout au 
moins ne lui abandonne-t-elle plus le champ 
libre aux voyages de Compîègne. Elle exige 
de Fleury qu'on l'y laisse désormais suivre le 
Roi: «La Reine, note un indiscret, veut venir 
partout. C'est le Cardinal qui a engagé le Roi 
à mener la Reine à Compiègne, et la chose a 
déplu à Sa Majesté, quoique cela lui ait pro- 
curé plus d'assiduité de madame de Mailly 
qui n'a point eu de semaines de distraction. 
Mais la Reine veut chassier en amazone ; tout 
est perdu. » 

C'est une maladroite conduite, au reste, et 
faite pour exaspérer le Roi. Son embarras en 
augmente; il perd l'habitude de parler à la 
Reine, il s'éloigne de plus en plus, il en vient 



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ao8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

à un sans-gâne étrange que le duc de Luynes 
est obligé de signaler : a On a remarqué, 
lorsque le Roi arrive dans le salon, que non 
seulement il ne s'approche point de la table 
de cavagnole où la Reine joue; mais même, 
il y a quelques jours, la Reine se tint debout 
assez longtemps sans que le Roi lui dit de 
s'asseoir; et pendant ce temps il parlait à 
madame de Mailly I » 

Il n'est pas étonnant qu'en ces premières 
années Marie Leczinska laisse paraître quel- 
que chose de l'amertume qui remplit son âme. 
De toutes les maîtresses de son mari, c'est 
madame de Mailly seule qu'elle a détestée, 
car c'est elle qu'elle accuse de lui avoir ravi 
le cœur du Roi. Elle ne pourrait lui dire que 
par des regards son mépris et sa colère, et sa 
dignité même l'en empêche. On lui attribue 
une réponse au double sens insultant, un jour 
que sa dame du palais aurait sollicité de s'ab- 
senter pour suivre im des voyages de la Cour: 
c( Faites, madame, aurait dit la Reine, vous 
êtes la maîtresse. » Cette parole n'est guère 
vraisemblable à la date où elle est donnée; 
mais il est sûr que la Reine est aux aguets 
pour savoir quels sont les amis de la dame 
et, comme elle a la langue prompte et l'esprit 

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L'ABANDON. 209 



malicieux, elle ne peut se tenir de leur jeter 
au visage quelque mot piquant. Ils s'en ven- 
gent, à leur tour, par des racontars malveil- 
lants que les nouvellistes recueillent. Les 
sous-ordres du service ne se gênent point 
pour prêter des ridicules à celle dont le crédit, 
qui fut toujours peu de chose, semble ne 
devoir jamais renaître. On lui reproche sa 
mauvaise humeur, son dépit, ses « chiffon- 
nages », jusqu'à l'ostentation qu'elle met à 
faire tourner son lit dans sa chambre de Fon- 
tainebleau, de façon à n'y laisser qu'une seule 
ruelle. Les semaines oii madame de Mailly la 
sert et où elle est forcée d'endurer tout le 
long du jour cette offensante présence, ses 
domestiques s'en ressentent, paralt-il, à ses 
impatiences répétées. Ne faut-il pas que le 
supplice soit bien douloureux pour altérer, ne 
fût-ce qu'en passant, cette âme égale et bien- 
veillante P 

La crise violente qu'on entrevoit dans la 
vie de la Reine, qui n'est contée nulle part, 
mais qui n'en est pas moins certaine, dure 
peu d'années. Son respect pour le Roi, l'a- 
mour qui survit à la désillusion, le souci de 
sa propre dignité refoulent au fond de son 

13. 



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9AO LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

cœur les plaintes de sa souffrance. La foi de 
sa pieuse jeunesse, que rien n'a diminuée, 
lui apporte les adoucissements les plus sûrs, 
en contraignant son chagrin à prendre la 
forme épurée du sacrifice. 

Ce n'est pas à l'épouse seulement que la 
vie royale impose d'exceptionnelles épreuves; 
celles de la mère ne sont pas moindres. Elle 
se trouve éloignée, par les usages de la mo- 
narchie, de l'éducation de ses enfants, confiés 
à des personnages ayant charge de cour et 
responsables devant le Roi seul. BUe ne vit 
point au milieu de ces êtres chers, de qui 
les journées, comme les siennes, sont réglées 
sans qu'aucune place soit laissée aux libres 
effusions du cœur. Les habitudes familiales 
de l'ancienne France, qui tiennent les enfants 
à distance des parents, s'aggravent à Versailles 
de toutes les exigences de l'étiquette royale . 
Quand Mesdames aînées sont en âge d'en 
remplir les devoirs, elles vont une fois par 
jour ce faire leur cour » au Roi et à la Reine, 
et leur gouvernante, madame la duchesse de 
Tallard, les y amène en cérémonie. La Reine 
peut les recevoir aussi à certaines heures dans 
ses cabinets particuliers ; rarement elle va les 
visiter chez elles, dans leur appartement éloi- 



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L'ABANDON. 211 



gné de l'agitation d6 la Cour, à l'extrémité 
de l'immense château. 

Le Dauphin, qui habite au-dessous d'elle, 
prend une plus grande part de sa vie, et elle 
intervient elle-même, par de judicieux conseils, 
dans l'œuvre de ses éducateurs. Le jeune Louis 
a eu une première enfance difficile, par l'exu- 
bérance d'une volonté violente et incapable 
de se plier. Il battait sa nourrice, il soufflette 
un jour son précepteur. Grâce aux efforts de 
l'honnête duc de Châtillon, le gouverneur, et 
du maître à lire, l'abbé Alary, ce terrible éco- 
lier est devenu le plus appliqué, le plus docile 
et le plus loyal des adolescents. Le portrait 
qu'a fait alors Tocqué de l'héritier du trône 
montre son charmant visage dans le milieu 
d'étude et de travail qu'il s'est mis à aimer 
passionnément. 

On compare celte sérieuse éducation à celle 
qu'a reçue le Roi, toute de complaisance et 
d'adulation. En rappelant Tœuvre manquée 
du cardinal de Fleury, on établit aisément 
que les dauphins, dont les pères sont jeunes 
et ont chance de régner longtemps, se trouvent 
toujours mieux élevés que les autres et moins 
gâtés par leur entourage. Les gouverneurs, 
en effet, les précepteurs, les valets de chambre 



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213 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA. 

n'ont à répondre de leur fonction que devant 
le Roi et n'attendent de récompense que de la 
satisfaction paternelle. Leur intérêt se met ici 
d'accord avec leur conscience, ce qui est, 
dans les choses de cour, la plus sûre façon 
de n'être point exposé à sacrifier celle-ci. La 
Reine, au reste, y a veillé ; elle a toujours 
exigé que le jeune prince fût réprimandé et 
puni, quand cela a été nécessaire pour domp- 
ter son emportement. Elle a soutenu l'abbé 
Alary contre les cabales et les préventions. 
Elle s'est réservé une part dans l'instruction 
morale de son fils, lui a transmis une foi 
chrétienne très assurée, un vif sentiment de 
la pitié et de la justice. En ouvrant le cœur 
de l'enfant à toutes les générosités, en le for- 
mant à tous les devoirs, elle a préparé, 
comme elle aime à le dire, « un prince selon 
le cœur de Dieu». 

Dès ces premières années, apparaît une 
étroite union entre la mère et le fils, qui trou- 
veront l'un près de l'autre, au milieu de 
l'égoïsme de Versailles, la confiance et la con- 
solation. L'intimité ne sera jamais semblable 
avec les princesses, qui devraient, semble-t-il, 
appartenir davantage à la Reine. Au reste, les 
plus jeunes lui sont prises, précisément à Fâge 



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L'ABANDON. 2x3 



OÙ les cœurs s'ouvrent et se mêlent, et toute 
influence maternelle est définitivement écartée. 

C'est une étrange destinée que celle de Mes- 
dames de France, élevées de façon si artifi- 
cielle, si loin de ces préceptes de la nature que 
Rousseau, par réaction contre les usages du 
temps, va prêcher avec violence. Ces petits 
êtres paraissent tellement en dehors de la vie 
commune qu'on n'a même point jugé utile de 
leur donner un nom dès leur naissance. Des 
nombres ordinaux les désignent, jusqu'à l'an- 
née toujours très tardive de la cérémonie de 
leur baptême. Mesdames Quatrième, Cin- 
quième, Sixième et Septième ne seront bapti- 
sées qu'au couvent, la plus âgée ayant déjà 
douze ans. 

La séparation complète d'avec ses filles est 
pour la Reine une soufirânce nouvelle, que 
cette triste année 1788 lui apporte. Elle la 
doit encore à Fleury, qui cherche partout des 
occasions d'économiser : « Le Cardinal, écrit 
Barbier, a imaginé un moyen de ménager, au 
sujet de toutes nos Filles de France, actuelle- 
ment au nombre de sept, qui embarrassent le 
Château de Versailles et causent de la dépense. 
C'a été d'en envoyer cinq à l'abbaye de Fon- 
tevrault, dont l'abbesse... sera surintendante 



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2l4 LOUIS XT ET MARIB LBGZINSKA. 

de réducation des princesses. La suite sera 
simple, et cela renvoie un grand nombre de 
femmes et de domestiques. » Au dernier mo- 
ment, on s'avise de faire grâce à Madame 
Troisième, la petite Adélaïde, qui a sept ans; 
elle passe pour être la plus aimable et pour 
obtenir quelque préférence de la Reine, à qui 
son départ cause un chagrin particulier. Il 
semble que rien ne serait plus facile que de la 
garder et qu'une prière de Marie y devrait 
suffire : mais elle en est venue au point de ne 
plus oser parler au Roi, même comme mère, 
surtout quand le Cardinal a décidé. Recou- 
rant à un autre moyen, madame de Tallard 
dicte sa leçon à l'enfant : «Tous les jours, les 
deux Dames aînées vont faire leur cour au 
Roi, au retour de la messe. Un de ces jours, 
la Troisième se présenta devant le Roi, lui baisa 
la main, se jeta tout de suite à ses pieds et se 
mit à pleurer. Le Roi fut touché de cette 
scène; il larmoya un peu, et toute la Cour 
en fit autant, en sorte qu'il lui promit qu'elle 
ne partirait pas. » 

Les préparatifs étant terminés, Mesdames 
cadettes furent mises toutes les quatre dans 
un carrosse, avec la marquise de La Lande, 
sous-gouvernante, et conduites à Fontevrault, 



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i'ABATfDON. 2l5 



OÙ on les laissa, pour le physique, aux soins 
d'un écuyer de la Bouche, et pour le moral 
sous la direction de Madame de Fontevrault, 
c'est-à-dire de Très haute et puissante Dame 
Claire-Louise de Montmorin de Saint-Herem, 
générale de l'ordre de Fontevrault, qui ajouta 
à la suite de ses titres celui de gouvernante 
de Mesdames de France. La célèbre abbaye 
était à treize jours de Versailles et les prin- 
cesses n'en devaient plus revenir que leur édu- 
cation terminée. Ce départ, qui séparait la Reine 
de ses fiUes, lui ôtait donc tout espoir de les 
revoir avant de longues années. Une des 
petites exilées. Madame Sixième, mourut au 
couvent sans avoir reparu. Madame Victoire 
fut ramenée en 1.748, Mesdames Sophie et 
Louise, deux ans plus tardt après douze an- 
nées d'absence. 

Ces enfants avaient grandi, embelli, s'étaient 
formées loin des yeux de leur mère. Ce fut 
une attention du Roi pour elle de les envoyer 
peindre par Nattier, qui avait déjà fait à la 
Cour, avec un éclatant succès, ses premiers 
portraits d'Henriette et d'Adélaïde. La Reine 
n'avait rien su du voyage de l'artiste, et sa 
surprise devant les trois tableaux fut délicieuse : 
« Les deux aînées sont belles réellement, écri^» 



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12l6 LOUIS XV ET MAKtE lECZINSKA. 

vaît-elle à. la duchesse de Luynes ; maïs je 
n'ai jamais rien vu de si agréable que la 
petite. Elle a la physionomie attendrissante 
et très éloignée de la tristesse ; je n'en ai pas 
vu une si singulière : elle est touchante, douce 
et spirituelle. » On a replacé à Versailles les 
portraits peints à Fontevrault, qui sont parmi 
les plus exquis de «l'élève des Grâces», et 
l'on comprend mieux les sentiments de la 
Reine devant la petite Louise, en grand pa- 
nier rose, les mains pleines de fleurs des 
jardins de son couvent, souriant à la vie qui 
commence pour elle au cloître de Fontevrault 
pour s'achever au Garmel de Saint-Denis. 

L'hiver qui suivit le départ des « petites 
dames », la Cour fut plus brillante que jamais. 
Le grand bal rangé du mois de janvier 1789, 
donné au Salon d'Hercule, fut un des plus 
beaux qu'enregistra la chronique du temps. 
L'admirable salle, dont Lemoine venait d'ache- 
ver le plafond, devenait le « grand salon » de 
Versailles, et Louis XV voulait l'inaugurer 
par une fête digne du règne de son aïeul. 
Des gradins montant dans les fenêtres entou- 
raient la pièce, et dessinaient le carré des 
bals de cour dont le Roi et la Reine occu- 



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L'ABANDON. 217 



paient un côté. Les musiciens étaient devant 
la cheminée, sur une estrade, faisant face aux 
fauteuils de Leurs Majestés. L'éclairage parut 
insuffisant, tant la nef était vaste, et pourtant 
l'espace manqua, par suite du trop grand 
nombre d'invitations. Le duc de La Trémoille, 
Premier gentilhomme de la Chambre, avait 
apparemment mal compté les billets envoyés 
en son nom. Dès quatre heures, le salon était 
plein : tout Paris était accouru, et Versailles 
n'avait plus de place. 

Les dames du palais attendaient aux portes, 
en grand habit, sans pouvoir entrer. Le Roi, 
revenu de la chasse de bonne heure, deman- 
dait à tout moment des nouvelles du salon ; 
on venait lui dire qu'il j avait trop de 
presse, qu'il ne serait pas possible de danser, 
qu'il faudrait peut-être transporter le bal dans 
la Galerie des Glaces. M. de La Trémoille, 
débordé, essayait vainement de faire sortir 
tout le monde, demandait douze gardes du 
corps qui entraient avec leurs bandoulières et 
leurs armes. Personne ne voulait céder la 
place. Il fallut que le Roi en personne vînt 
mettre l'ordre : il arriva dans le Salon d'Her- 
cule sans chapeau, déjà revêtu de son habit 
de velours bleu ciselé, doublé de satin blanc 

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2l8 LOUIS XV Et MAKÎE l^ECZINSKA. 

et garni de boutons de diamants. ((Le Roi, 
ayant vu le gradin entièrement rempli de 
personnes peu connues, leur ordonna lui- 
même de sortir; M. de La Trémoille, M, de 
NoaiUes et M. de Villeroy furent chargés de 
les faire sortir. Lorsque ce gradin fut vide, 
on y fit monter toutes les dames qui étaient 
en grand habit. Ce déplacement avait fort 
affligé celles qui furent obligées de sortir ; il 
y en eut même une qui parlementa en pré- 
sence du Roi. Le Roi fit ranger encore du 
côté du jardin, et ordonna ensuite que toutes 
les danseuses formeraient carré. » Tout cet 
arrangement fait sous ses yeux, Sa Majesté 
fut avertir la Reine, qui attendait depuis près 
d'une heure dans sa chambre, avec Mesdames 
les deux aînées, les princesses et les dan- 
seuses. 

La Reine parut en grand habit d'étoffe à 
fond blanc, brodé de colonnes torses de fil 
d'or et semé de fleurs nuées de soie, le corps 
de robe entièrement garni de pierreries, le 
Sancy suspendu en poire au coUier de gros 
diamants, et le Régent dao9 la coiflure. La 
fête commeuça dès que Leurs Majestés furent 
assises, M. le Dauphin et sa soeur aînée, 
Madame, ouvrirent le bal; ensuite M. le Dau- 



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L'ABANDON. Qig 



pbîn alla prendre Madame Henriette pour la 
seconde figure du menuet; celle-ci prit M. de 
Penthiàvre; il prit Madame; Madame, M. le 
Dauphin; lui, Madame Henriette, qui prit 
M. ddFitz-James. C'étaient tous des enfants qui 
dansaient les premiers, allant prendre à cha^ 
que fois Tordre du Roi; le petit prince de 
ïurenne, présenté à Toccasion du bal et qui 
avait moins de douze ans, manqua sa figure« 
Le Roi commanda les contredanses, puis il 
dit à M. de la Trémoille de danser la mariée 
avec madame de Luxembourg. M. de Cler- 
mont d'Amboise et la princesse de Rohan 
dansèrent une danse nouvelle, composée d'un 
menuet et d'un tambourinj le Dauphin dansa 
la mariée avec Madame, puis on apporta la 
collation de M. le Dauphin et de Mesdames, 
et le Roi alla souper dans ses cabinets. La 
Reine resta au bal, où Ton se remit à danser 
devant elle jusqu'à neuf heures et demie. 

Dès onze heures, les premiers masques se 
montrèrent, et le bal reprit, ou plutôt ce fut 
un autre bal, qui s'étendit et occupa tout le 
grand appartement. Le nombre des masques 
fut prodigieux. Il y avait trois salons pour 
la danse, trois pour les rafraîchissements, et 
dans la Galerie magnifiquement illuminée 



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220 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 



circulait le va-et-vient de la mascarade. La 
Reine sortit de chez elle à minuit ; elle était 
masquée, ainsi que toute sa suite, et ne fut 
pas reconnue. A deux heures, Louis XV vint 
à son tour, masqué en chauve-souris, et 
s'amusa à demander un peu partout où était 
le Roi. Les Enfants de France, naturellement, 
ne parurent point au bal masqué. On dansait 
encore plusieurs heures après le lever du 
soleil; mais, vers quatre heures, quelques do- 
minos discrètement rentraient chez la Reine. 
Celle-ci changeait d'habit et allait à la cha- 
pelle entendre la messe. Elle avait payé assez 
largement, ce jour-là, le tribut réclamé par 
ses devoirs d'état ; à ces plaisirs qui n'en 
étaient point pour elle, elle faisait succéder les 
seules joies profondes de sa vie, celles de 
l'humilité et de la prière. 

A ce bal se répandit la nouvelle que le 
mariage de Madame avec l'Infant Don Phi- 
lippe était décidé. L'Infant était le troisième 
fils vivant de Philippe V et l' arrière-petit-fils 
de Louis XIV. La négociation qui aboutissait 
à ce mariage mettait un terme aux défiances 
qu'avait créées, entre la France et l'Espagne, 
le mariage de Marie Leczinska. L'événement 



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L'ABANDON. 221 



politique était de grande importance et renouait 
définitivement l'alliance interrompue; mais il 
annonçait à la Reine une séparation nouvelle 
et, lorsque le cardinal de Fleury lui en vint 
donner connaissance, elle ne put l'accueillir 
qu'avec des larmes. La jeune Madame montra 
plus de peine que de joie ; quitter ses sœurs 
surtout lui semblait cruel, car il régnait entre 
elles une grande union. Le jour où les prin- 
cesses l'apprirent, quand la Reine descendit 
dans leur appartement, la petite Adélaïde s'é- 
lança vers elle avec ces mots : c< Maman, je 
suis bien fâchée du mariage de ma sœur ! » 
On attendit six mois pour que l'enfant eût 
douze ans sonnés, et la fin d'août amena les 
fêtes du mariage. 

Pour les noces de l'aînée et de la préférée 
de ses -filles, Louis XV voulut un éclat extra- 
ordinaire. Aucune dépense ne fut épargnée 
pour en laisser un somptueux souvenir, et le 
ménager Fleury dut céder pour une fois au 
désir royal. Versailles revit les grandes suites de 
fêtes du passé. Le duc d'Orléans, le même qui 
était allé à Strasbourg épouser pour Louis XV, 
fut chargé de tenir la place de l'Infant aux 
cérémonies. Les fiançailles solennelles se 
firent dans l'Œil-de-Bœuf, transformé pour 



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322 LOUIS XY BT MARIE LECZINSKA. 

la circonstance en « cabinet du Roi 7^ et où 
une partie de la Cour pouvait trouver place* 
Il n'y eut pas moins de cent quinze dames 
en grand habit réunies chez la Reine. Madame 
Infante, comme on disait déjà, y fut conduite 
par son jeune frère; elle portait un habit or et 
noir, selon l'usage des fisinçaiLles, et une mante 
de réseau d'or de sept aunes de long, que sou* 
tenait Madame Henriette ; à son bras était le 
portrait de Don Philippe entouré de diamants. 
« Un peu avant huit heures, la Reine se mit 
en marche, suivie immédiatement de Madame, 
de Madame Henriette et de Madame Adélaïde ; 
ensuite Madame la Duchesse, les princesses 
du sang, mesdames de Luynes et de Mazarin^ 
les dames du palais, les dames d'honneur 
des princesses ; toutes les autres dames sui- 
vaient. La Reine entra par la porte de glaces 
dans le cabinet de l'Œil-de-Bœuf. Toute la 
Galerie était éclairée par des girandoles ; l'Œil- 
de-Bœuf était fort bien éclairé. Dans le fond, 
auprès de la cheminée^ était une grande table, 
au bout de laquelle le Roi se mit à droite, et 
la Reine à gauche ; ensuite M. le Dauphin et 
Mesdames et tous les princes et princesses, 
suivant leur rang, les hommes du côté du 
Roi, les femmes du côté de la Reine. Les 



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l'abawdoic. 223 



ambasisadrices de Vienne et de Madrid étaient 
immédiatement après les princesses ; les cour- 
tisans sans distinction, le long des murailles 
des deux côtés. . . Il y avait beaucoup de place, 
et le Roi eut lui-même grande attention à 
faire reculer les hommes pour faire place aux 
dames... Le Roi était entré par sa chambre. 
Les quatre secrétaires d'État étaient auprès 
de la table, et M. le cardinal de Fleury au- 
près du Roi. » 

Le contrat ayant été lu, ainsi que la procu- 
ration du roi d'Espagne, les signatures furent 
données par la Famille royale et tous les 
princes et princesses et légitimés, suivant 
leur rang; M. de la Mina, ambassadeur du 
roi Philippe, signa pour son maître. Puis la 
porte de la chambre du Roi s'ouvrit ; le car- 
dinal de Rohan apparut en surplis, avec quel- 
ques prêtres, et célébra les fiançailles. Le Roi 
rentra dans son appartement, suivi des prin- 
ces du sang, et le Dauphin, donnant la main 
à Madame Infante, la ramena d'abord chez 
la Reine, puis chez elle, avec le long cortège 
des dames parées. Quelques années plus tard, 
ce devait être son tour d'être époux ; les 
mêmes cérémonies devaient se renouveler pour 
son mariage avec une sœur de l'Infant, comme 



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234 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

aussi les mêmes fêtes de la Cour. Tontes se 
ressemblent jusqu'en leurs détails, et les figu- 
rants n'ont pas changé, sauf que de nouvelles 
beautés ont paru à la Cour et que celles de 
l'autre bal ont, le plus souvent, pris de la 
dévotion et quitté le rouge. 

Tel on vit le mariage de Madame Infante, 
tel on devait voir, en 1745, celui de l'Infante 
Marie-Thérèse, en 1747, celui de la princesse 
Marie-Josèphe de Saxe et, tout à la fin du 
règne, le brillant accueil fait par la cour de 
Louis XV à l'archiduchesse Marie-Antoinette. 
La chapelle de Mansart, lumineuse et triom- 
phale par les jours d'été, se prêtait aux pom- 
pes religieuses les plus éclatantes et, pour les 
fêtes de nuit, la Grande Galerie de Louis XIV 
ofirait son cadre incomparable. La nouveauté 
au mariage de Madame Infante fut la décora- 
tion élevée de l'autre côté du Parterre d'eau 
et qui faisait, en face du Château, comme 
une construction de féerie. On l'admira de 
jour et, le soir, le feu d'artifice y fut tiré* 

Quelques notes du duc de Luynes font sui- 
vre tout le mouvement intérieur du Palais : 
les compliments qui durent deux heures chez 
Madame Infante, la réunion des princesses et 
des dames en grande parure chez la Reine, 



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L'ABANDON. 225 



Tarrivée de la mariée et de Mesdames, enfin 
celle dii Roi, qui vient chercher la Reine dans 
son appartement : « Ils entrèrent dans la Ga- 
lerie. Le Roi commença aussitôt le lansquenet, 
qui fut assez beau ; il y avait quinze coupeurs. 
M. le Dauphin et Mesdames jouaient à cava- 
gnole ; la Reine jouait au lansquenet avec le 
Roi, et, outre cela, grand nombre de tables 
de quadrilles et de brelan. A huit heures, on 
alluma. Le coup d'œil de la Galerie était 
admirable à voir. Au dehors, on avait com- 
mencé dès sept heures à allumer la décora- 
tion ; les deux côtés étaient éclairés, ainsi que 
les parterres à droite et à gauche de la 
terrasse; A neuf heures, le lansquenet fini, 
le Roi et la Reine se mirent à un balcon de 
la Galerie ; le Roi ayant donné lui-même le 
signal avec une lance à feu, on commença à 
tirer le feu ». Une immense foule, massée au 
pied du Château, acclamait ses souverains. 
Ceux qui avaient tenu à se trouver bien placés 
avaient dû passer cinq heures au grand soleil, 
sur la terrasse brûlante ; ce n'était point 
acheter trop cher un quart d'heure et demi 
d'artifices bien servis ; et, tandis que les 
princesses du sang s'asseyaient au souper 
royal, dirigé dans l'antichambre de la Reine 

i3. 



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!ia6 LOUIS XV Et MARI£ lECZINSKÂ. 

par messieurs les gentilshommes ordiûairest 
les bonnes gens de Paris envahissaient les 
cabarets de Versailles, cherchant joyeusement 
à manger et à boire, avant de s'entasser dans 
les coches, les pots-de-chambre, les gondoles 
et tous les lourds véhicules du retour. 

Le lendemain, M. Turgot, prévôt des mar- 
chands, et les échevins en robe, apportèrent à 
Madame Infante le présent ordinaire de la 
Ville, douze douzaines de flambeaux de poing 
parfumés et douze douzaines de boîtes de dra^^ 
gées dans des espèces de mannes peintes, gar- 
nies de toilettes de mousseline en dehors et 
en dedans, le tout renoué d'une infinité de 
rubans bleus. Le soir. Mesdames furent me- 
nées par leur gouvernante à la. fête donnée 
par l'ambassadeur d'Espagne; elles virent tirer 
un beau feu d'artifice, qui représentait le che- 
min des Pyrénées : ce Avant leur départ, M. de 
la Mina leur présenta quelques corbeilles de 
fruits à genoux et madame de la Mina donna 
la serviette à Madame Infante, aussi à genoux. 
M. de la Mina voulait aussi présenter à genoux 
à Madame Henriette, mais madame de Tallard 
lui dit que ce n'était point l'usage en France.!» 
La petite Henriette n'accepta pas que l'am- 



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L'ABANl>0!f. 237 



bassadrioe lui baisât la ,main , bien que le 
Cardinal eût agréé ce cérémonial ; il fallut 
même, pour y décider Madame, que la gou- 
vernante prit sur elle de lui dire en badinant 
qu'elle arrivait sur terre espagnole et que, 
pont se conformer aux coutumes, elle devait 
donner sa main k baiser. 

Le feu de la Ville fut lire la veille du départ 
de la princesse. Leurs Majestés y assistèrent 
au Louvre, d'un balcon dominant la Seine et 
construit devant ce qu'on appelait le « cabi- 
net de l'Infante», en souvenir de la fiancée 
de Louis XV. Les deux fauteuils royaux 
étaient côte à côte, suivant l'usage, avec des 
pliants pour M. le Dauphin et ses sœurs. La 
Reine avait mené dans ses carrosses ses dames 
du palais, qui se mirent sans distinction de 
titres, k droite et à gauche du balcon. 

Paris n'avait point encore vu la maltresse du 
Roi. Un spectacle, qui valait bien celui qu'avait 
ordonné M. Turgot, était d'apercevoir madame 
de Mailly la première de toutes les dames et 
le plus près du Roi, son pliant touchant à 
celui du Dauphin. Ce fut une souffrance pour 
la Reine qu'un tel voisinage, que le son de 
cette voix et cette réunion des coupables sous 
ses yeux, qui lui était d'ordinaire épargnée. Son 



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228 LOUIS XY ET MARIE LEGZIMSKA. 

supplice dura des heures, parmi les divertisse- 
ments de la fête. Les joutes sur la rivière, les 
illuminations des ponts et des quais, le grand 
transparent dressé sur l'eau en face du Louvre, 
au milieu d'une flottille de petits bateaux, le 
feu enfin, tiré sur le terre-plein du Pont-Neuf, 
rien ne l'arracha à cette mélancolie qu'on 
remarquait et dont* la tristesse maternelle 
n'était point la seule cause. 

Le Roi ni la Reine n'allèrent à Paris, pour 
le bal masqué de l'Hôtel de Ville, qui fut 
donné le surlendemain et qui compta parmi 
les plus beaux du siècle. Un appartement 
royal avait été meublé magnifiquement auprès 
de la grande cour, transformée et convertie 
en salle de danse. Madame de Mailly, appre- 
nant que le Roi ne quitterait pas Versailles, 
lui avait fait demander pour elle-même la clef 
de cet appartement; elle était déjà masquée, 
prête à partir, son relais commandé à Sèvres, 
quand le Roi refusa la clef, après onze heures, 
ce qui obligea la comtesse à renvoyer sa chaise 
et à renoncer à rejoindre Mademoiselle au bal 
de la Ville. Sa prétention avait paru déplacée, 
et ce n'était vraiment pas un jour bien choisi 
pour ce petit scandale. La Famille royale était 
toute à l'émotion du départ, qui devait avoir 



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L'ABANDON. 22g 



lieu dans quelques heures, ce Ce matin, écrit 
M. de Luynes, Madame Infante a été chez le 
Roi et chez la Reine. La Reine a été une denxi- 
heure enfermée avec elle, et il s'est répandu 
bien des larmes de part et d'autre. Le Roi est 
devenu pâle, quand Madame Infante est entrée 
dans son cabinet; il y a eu beaucoup de pleurs. 
Les deux sœurs se sont embrassées en fon- 
dant en larmes et ne se pouvant quitter; elles 
disaient : « C'est pour jamais». M. le Dauphin 
a pleuré beaucoup, et surtout lorsqu'il l'a 
embrassée dans le moment qu'elle a monté 
en carrosse. Le Roi a descendu avec elle, le 
visage fort triste et a monté dans le carrosse. » 
Les dames qui accompagnaient étaient mes- 
dames de Tallard, d'Antin, de Tessé et de 
Muy. 

Le long du chemin, le Roi renouvela ses 
instructions paternelles. Il recommanda à sa 
fille de chercher avant tout à plaire au roi 
d'Espagne, qu'elle devait regarder comme son 
oncle et comme son père, de ne lui demander 
jamais aucune grâce, quelque petite qu'elle 
fût, avant d'avoir vingt-cinq ans, enfin de se 
bien rappeler de tout ce qu'elle avait vu à Ver- 
sailles, car Philippe V, qui en était parti qua- 
rante ans auparavant, lui ferait sûrement 



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930 LOUIS XT ET MARIE LEGZIÏfSKA. 

beaucoup de questions. Chacune de ces pa- 
roles marquait la longue et peut-être défini- 
tive séparation, et tout ce qui était dans le 
carrosse fondait en larmes. 

Au Plessis-Piquet, après les dernières effu- 
sions, le Roi descendit » laissant consoler 
rinfante par les dames, et rentra à Versailles 
dans ses calèches. Avant de repartir pour 
Rambouillet, il voulut embrasser Madame 
Henriette. « Son dessein était d'aller chez elle. 
On Jui dit qu'elle était chez la Reine; il ne 
voulut point y aller, craignant apparemment 
que cette entrevue ne renouvelât la douleur 
de l'une ou de l'autre et qu'il ne s'attendrît 
lui-même. Il attendit quelque temps, et enfin 
il manda à Madame Henriette de le venir 
trouver dans son cabinet; il l'embrassa et 
partit à cinq heures dans sa gondole avec 
Mademoiselle , mademoiselle de Glermont , 
madame de Mailly, madame de Ségur et des 
hommes». Une sœur de madame de Mailly 
rejoignit peu après la compagnie. C'était 
mademoiselle de Nesle, de qui l'on murmu- 
rait le très prochain mariage avec M. de Vin- 
timillé et qui se trouvait être à présent de tous 
les voyages. 

Pendant que le Roi se distrayait de sa peine 



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L'ABANDON. a3l 



chez la comtesse de Toulouse, en la société 
éijuivoque des deux sœurs, la Reine faisait 
souper avec elle celle de ses filles qui prenait 
le titre de ce Madame » , la fière Henriette, 
jumelle de l'Infante. A la même table avaient 
l'honneur de s'asseoir les trois dames du pa- 
lais de semaine, les deux dames de la prin- 
cesse et une nouvelle mariée, autre sœur de 
la favorite, lajeune marquise de la Tournelle, 
présentée cette année même et de qui l'on ne 
parlait encore que pour louer sa réserve et sa 
beauté. Ainsi revenaient les habitudes de Ver- 
sailles, un instant troublées par le départ de 
l'aînée de Mesdames de France. 

Madame Infante, la seule des filles de 
Louis XV qui trouva mari, ne fut point tout 
à fait perdue pour la cour de son père. Elle 
devait y reparaître plus tard, à diverses re- 
prises, pour servir les intérêts d'un époux 
qu'elle aima avec dévouement et pour qui elle 
obtint, faute de mieux, le duché de Parme. 
C'était une intelligence solide et déliée, digne 
de l'amitié fidèle que lui voua l'abbé de 
Bernis . Ses traits un peu masculins , et qui 
vdrs la fin s'épaissirent, reproduisaient en les 
alourdissant ceux de son père. Louis XV avait 
pour elle une afiection très vive ; il la reporta 



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232 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

sur sa fille, l'infante Isabelle, qui lui fut ame- 
nde à l'âge de huit ans et qu'il fit peindre par 
Nattier, droite et sérieuse dans sa robe à 
paniers, comme une princesse de Velasquez. 
Cette petite-fille espagnole de Louis XV fut la 
première femme d'un archiduc d'Autriche, 
qui devint plus tard l'empereur Joseph IL 
Madame Infante, duchesse de Parme, Plai- 
sance et Guastalla, avait espéré tout autre 
chose que l'étroite principauté de quelques 
milliers de sujets échue à son mari par le 
traité d'Aix-la-Chapelle. Elle rêva successi- 
vement Milan, la Pologne, les Pays-Bas, les 
Deux-Siciles, jusqu'au trône d'Espagne. Son 
extraordinaire ténacité dans l'intrigue poli- 
tique se heurta à l'apathie croissante de son 
père et finit par se briser contre l'hostilité de 
M. de Choiseul. La petite vérole, qui semait 
si souvent la mort, et une mort si terrible, à la 
cour de France, enleva la princesse au milieu 
de ses dernières déceptions, a Versailles 
même. Le seul résultat de ses longs efibrts 
fut de lui donner pour sépulture Saint-Denis 
au lieu de l'Escurial. La fiUe de Louis XV 
méritait une meilleure destinée; elle était plus 
que ses sœurs du sang de Henri IV; elle 
avait, dans une âme de femme, un peu des 



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L'ABANDON. 233 



qualités qui font les grands princes : l'ambi- 
tion, l'énergie et le courage. 

Dans ce coin du palais non pas retiré, 
mais séparé, où vit la Reine, que sait-elle des 
amours du Roi, de cette existence secrète que 
la malignité, l'intérêt, la politique des partis 
percent de tant de regards indiscrets? L'é- 
pouse est bien moins renseignée que nous ne 
le sommes, assez cependant pour que la plaie 
de son cœur s'avive sans cesse de blessures 
nouvelles ; mais elle ne trouve pas seulement 
des motifs de larmes dans ce qui lui parvient 
de cette chronique scandaleuse, à travers le 
murmure malicieux et voilé de son cercle ou 
les confidences indignées de ses amis. Elle 
apprend le châtiment successif de ses rivales, 
le voit sortir de leur faute même, et rien ne 
l'empêcherait d'y reconnaître et d'y savourer 
sa vengeance, si la haute morale de sa foi ne 
lui enseignait de mieux en mieux la sérénité 
du pardon. 

C'est à madame de Mailly de soufirir, et 
chaque jour maintenant est un pas vers la 
déchéance. La sœur qu'elle a introduite à la 
Cour, cette Vintimîlle pour laquelle elle a 
mendié les bonnes grâces de Fleury, qu'elle 



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fl34 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

a menée partout avec elle, est devenue k son 
tour la maltresse du Roi. Elle semblait de- 
voir ne porter aucun ombrage à son aînée : 
« Figure de grenadier, col de grue, odeur 
de singe )^, aînsi la décrira une autre sœur, 
madame de Flavacourt, qui seule ou presque 
seule de la famille s'est dérobée aux assiduités 
du Roi. Madame de Yintimille les a attirées, 
au contraire, et retenues à force d'intelli- 
gence et d'audace. On dit que, dès le couvent, 
elle a souhaité de remplacer la sœur dont 
l'étrange fortune troublait son imagination 
de jeune fille. Fixée à la Cour avant son 
mariage, elle n'a pas perdu de temps pour sa 
conquête. Le roi faible qu'eUe a séduit, pres- 
que sans qu'il y pens&t, est maintenant sous 
le joug de cet esprit fier et hardi, qui a le 
charme de celui d'une Gharolais, sans en 
garder les bassesses. 

Cette maîtresse aventureuse, qui rêve de 
Montespan comme sa sœur rêva de La Val- 
lière, a pour la première fois parlé à Louis XV 
de sa gloire. Audacieuse comme la reine 
Marie n'aurait jamais pu l'être, elle a rappelé 
au timide élève de Fleury les devoirs mili- 
taires de sa fonction royale; elle a voulu l'en' 
voyer commander ses armées, prendre sa part 



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L'ABANDON. a35 



dès victoires que lui gagne le maréchal de 
Belle^sle. D'abord étonné de ce langage, le 
Roi s'est pris à l'écouter et en a aimé davan- 
tage celle qui osait le lui tenir. Madame de 
MaiUy, inquiète, jalouse, à petites vues fémi- 
nines, n'ayant à offrir que son éternelle ten- 
dresse, serait abandonnée bien vite, si elle 
ne se résignait au partage. Elle a su qu'elle 
n'était plus seule à régner sur le Roi, quand 
il a été trop tard pour se défendre, et doit 
s'estimer heureuse d'être tolérée malgré la 
violence de l'amour nouveau. 

Cette liaison du Roi est courte et doulou- 
reuse. Jamais Louis XV n'aimera comme il 
ftime madame de Vintimille ; l'égoïsme, qui 
l'envahira plus tard, n'est pas encore maître 
de tout son cœur. Mais la force même de son 
sentiment lui vaut les plus cuisantes peines 
qu'il ait éprouvées. Dans cette vie de Ver- 
sailles, qui n'est qu'étiquette, convention, ar- 
tifice, la mort de cette femme est un épisode 
de réalité brutale, qui met brusquement à nu 
ce qu'il y a d'humain dans un roi. 

Il faut lire le journal du duc de Luynes 
du mois de septembre 1741. Si les couleurs 
de la narration sont un peu atténuées, comme 
il sied d'un courtisan, les détails marqués 



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a36 LOUIS XV et marie legzinska. 

heure par heure donnent aux faits une préci- 
sion extrême, et ce sont justement ceux qui 
sont connus de la Reine et l'agitent d'émo- 
tions singulières. C'est d'abord l'accouche- 
ment de madame de Yintimille, épuisée déjà 
par une maladie de langueur, puis le goût 
surprenant du Roi pour l'enfant qui vient de 
naître, les journées entières qu'il passe au 
chevet de la malade avec madame de Mailly^ 
qu'on y trouve en jupon blanc et sans ajus- 
tement, puis le rapide redoublement de la 
fièvre, les inquiétudes de l'entourage, les con- 
sultations, les saignées en présence du Roi, 
les convulsions qui saisissent la pauvre femme 
et retournent ses traits, l'agonie enfin ^ au 
milieu de la nuit, entre les bras du confesseur 
arrivé trop tard pour les sacrements. 

a On est entré chez le Roi ce matin à dix 
heures. La Peyronie'est venu le premier; le 
Roi lui a demandé des nouvelles. La Pey- 
ronie ne lui a répondu autre chose, sinon 
qu'elles étaient mauvaises. Le Roi s'est re-^ 
tourné de l'autre côté et est demeuré entre ses 
quatre rideaux. Il a donné ordre que l'on 
dise la messe dans sa chambre. La Reine a 
été ce matin pour le voir, comme elle va tous 
les jours ; elle y a même été deux fois, et elle 



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L'ABANDON. 287 



xi'a pas pu entrer». Il demeure toute la jour- 
née dans sa chambre, couché, les rideaux 
fermés, ne voulant voir personne ni aucun 
courrier ; les portes de TOEil-de-Bœuf, qui ne 
s'ouvrent qu'à son lever, restent fermées jus- 
qu'à cinq heures après midi. Madame de 
M ailly s'est réfugiée pour pleurer chez la com- 
tesse de Toulouse; seuls MM. d'Ayen, de 
Noailles, de Meuse et le duc de Villeroy y 
ont été admis. A cinq heures, le Roi y des- 
cend à son tour par le petit escalier, et résout 
de se retirer le soir même à Saint-Léger. 

La Reine a demandé au Cardinal ce qu'elle 
avait à faire et a quitté le Château pour une 
promenade, afin d'éviter au Roi l'embarras 
où il aurait pu être de ne pas aller chez elle 
avant de partir. Celui-ci, en vérité, n'y songe 
guère. Il fuit, sans fixer de jour pour le retour; 
il veut seulement cacher son désespoir et les 
larmes qu'il sait encore verser. Il n'a mené 
avec lui, à Saint-Léger, que la comtesse de 
Toulouse, toujours indulgente et maternelle, 
la sœur et les amis de la morte ; il ne chasse 
pas, ne joue même point, ne parle que d'elle 
et de sa triste fin. De retour à Versailles, 
pendant des semaines et des mois, il reste 
sombre, absorbé; il jette sans cesse dans la 



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a38 LOUIS XV et maris legzinska. 

conversation les sujets les plus lugubres et des 
mots de pénitence et d'expiation, visiblement 
dévoré du remords religieux et de la pensée 
qu'il a aidé à la damnation de celle qu'il 
aimait. De longtemps, il délaisse Choisy, Bà 
nouvelle maison préférée, qui fut achetée, 
agrandie, meublée pour recevoir madame de 
Vinlimille; il n'ose plus y retourner, parce 
qu'il l'y trouve trop présente. 

Cette douleur est assez sincère pour mettre 
quelque temps à s'user. Mademoiselle, à tout 
hasard, tient en réserve des consolations : c'est 
mademoiselle de Noailles, qui servirait, si elle 
était agréée, les intérêts innombrables et divers 
de sa famille; c'est la petite marquise d'Ântin, 
dont l'état de veuvage diminuerait peut-être, 
avec le degré du péché, les scrupules de 
Louis XV. Celui-ci reste insensible aux plus 
pressantes avances; il se rattache de plus en 
plus à la bonne créature que Richelieu appelle 
c( Sainte Mailly x» ; il lui fait faire un petit 
appartement, au second étage de ses cabinets 
tout à côté de chez lui, et les soupers qui s'y 
donnent gardent longtemps un ton dç décence 
et de mélancolie. 

Est-ce le souvenir de madame de Vinti-^ 



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L'ABANDON. qSq 



mille qui attire le Roi vers la plus jeune de ses 
scBurs, celte madame de la Tournelle, qu'il 
doit faire un jour duchesse de Ghâteauroux ? 
Est-ce, comme s'en vante Richelieu, le simple 
choix de ce roué de marque, habitué à appa*- 
reiller les caractères P II faut sans doute cette 
double influence pour accorder la timidité de 
l'un aux altières prétentions de l'autre. La 
beauté hautaine de madame de la Tournelle 
est faite pour en imposer au Roi. d'est, de 
toutes les sœurs, celle qui a les traits les 
plus réguliers et qui montre le mieux, en 
toute sa force, ce sang de Nesle, pour lequel 
le Roi garde un goût si étrange. Celle-ci se 
donne à lui sans l'aimer et plus par orgueil 
que par ambition. Plus avisée que sa sœur 
Vintimille, aucun partage ne saurait lui con- 
venir et c'est la place tout entière de madame 
de Mailly qu'elle demande. Elle songe qu'une 
Montespan n'eût pas accepté l'esclavage secret 
d'un cœur sans l'honneur de le gouverner 
aux yeux de tous. Aussi, quand Richelieu 
s'aperçoit que le Roi est lassé de l'ancien 
amour, la négociation qu'il ouvre avec ma- 
dame de la Tournelle se traite comme une 
affaire diplomatique. 

Les conditions de la chute sont débattues 



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aÂO LOUIS XY ET MARIE LEGZIIfSILA. 

avec d'autant plus d'âpreté du côté de la dame 
qu'il y a, paralt-il, à sacrifier un attachement 
pour le jeune comte d'Agénois, celui qui sera 
un jour le duc d'AiguiUon, ministre de la 
dernière maîtresse. Après la signature des 
préliminaires, les faveurs que réclame une 
impatience savamment excitée, le plus froid 
calcul les marchande et les retarde. La pre- 
mière exigence, en attendant la déclaration 
publique, est que madame de MaiUy sera 
renvoyée de la Cour. Le Roi ne tient plus à 
elle que par un reste d'habitude et par la 
difficulté de se détacher d'une affection si 
humble, si tenace et qui se satisfait de si peu. . 
La rupture est cependant signifiée, et avec 
une dureté impitoyable, qu'irritent malhabi- 
lement les supplications et les sanglots. Le 
petit appartement doit être fermé : « Vous 
pouvez emporter vos meubles, madame », 
ajoute le maître. C'est encore Richelieu, l'ami 
indispensable en de telles occurrences, qui se 
charge de conduire la délaissée à Paris, chez 
les NoaiUes, et qui est témoin des premières 
folies de sa douleur. Madame de Mailly trou- 
vera au confessionnal du Père Renaud des 
conseils meilleurs. Elle refusera toujours- de 
revenir à la Cour ; l'on n'y saura plus tard 



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L'ABANDON. 2^1 



que par ouï-dire sa pauvreté, son repentir, 
sa conversion sans aucun éclat, à la fin de sa 
courte vie, et la chrétienne humilité qui la 
console de Thumiliation. 

La Reine avait pardonné déjà à madame 
de Mailly, avant de savoir qu'un même aban- 
don leur ferait une destinée commune. Un 
instant cependant on avait pu croire qu'elle 
s'était préparé la plus raffinée des vengeances. 
Ce fut lorsque madame de la Tournelle 
demanda et obtint une place de dame du 
palais, peu après l'autre sœur, madame de 
Fiavacourt, à qui madame de Mailly, par 
imprudente générosité, avait cédé la sienne. 
«La Reine, raconte la duchesse de Brancas, 
au lieu de ne marquer que de l'obligeance 
lorsque le Roi la fit prévenir sur la nomina- 
tion de madame de la Tournelle, en parut 
contente et le fit assurer qu'il lui serait 
agréable. Pour s'expliquer cela, on disait que 
la Reine, ne pouvant plus compter sur le 
cœur du Roi, n'était pas fâchée de préparer 
une rivale à madame de Mailly, qui le lui 
avait enlevé lorsqu'elle pouvait se flatter de 
le conserver plus longtemps ; et qu'elle espé- 
rait ainsi forcer le Cardinal à quitter la Cour 



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2/i2 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

de dépit et le voir mourir encore plutôt de 
chagrin que de yieillesse. » Il est difficile de 
croire à de tels sentiments chez Marie Lee- 
zinska. Sa résignation est maintenant sans 
reserve. Toute sa pensée envers les sœurs de 
Nesle, dont le Roi s'obstine à l'entourer, est 
dans les mots qu'elle écrit à Fleury à propos 
de l'une d'elles : <( J'ai appris que madame de 
MaiUy cède sa place à madame de Flavacourt. 
Si le Roi le trouve bon, je le trouve très bien 
aussi... D'ailleurs le Roi est le maître. » 

Quant au vieux Cardinal, qui a eu pour 
elle tant d'onctueuses paroles et de méchants 
actes, elle a renoncé à souhaiter son départ. 
Elle sait qu'il faudra la mort pour l'arracher 
du pouvoir, auquel se cramponnent ses 
quatre-vingt-dix ans. Parmi tant de gens qui 
escomptent depuis des années cet événement, 
elle est la seule à ne pas le désirer, car elle 
n'a plus aucune réparation à en attendre. Voici 
le dernier billet que le vieillard reçoit d'elle 
et qui, en vérité, ne révèle pas des desseins 
bien noirs : ce Je n'ai point envoyé hier, mon 
cher Cardinal, savoir de vos nouvelles, en 
ayant appris d'ailleurs, et l'on m'a assurée 
que vous étiez mieux. Je le souhaite assuré- 
ment de tout mon cœur. Votre lettre d'avant-* 



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L'ABANDON. 2^3 



hier m'a fait bien de la peine. Elle me fait 
voir combien vous vous chagrinez. Tâchez, s'il 
8e peut, d'éloigner tout sujet de peine de vos 
idées. Il est vrai que la chose n'est pas aisée 
dans le temps où nous sommes, et je sens 
rinutilité de ce conseil... Il est sûr que votre 
santé a besoin de repos. Je ne puis qu'être 
très fâchée d'être si longtemps sans vous voir. 
Je me flatte pourtant que ce ne sera pas long ; 
je le désire beaucoup et votre retour me fera 
un sensible plaisir. » A ces bons procédés, 
invariablement gracieux, le Cardinal répond 
assez m^. La dernière action de sa vie est 
encore une vexation pour la Reine. Elle sou- 
haite d'avoir pour chancelier le mari d'une 
femme qui a sa confiance; Fleury, sans lui 
en rien dire, se fait accorder par le Roi la 
faveur de vendre lui-même cette charge, pour 
en employer le prix à doter une de ses 
petites-nièces. S'il n'était mort à point, Marie 
n'aurait pu faire nommer dans sa maison 
le chancelier de son choix, M. de Saint - 
Florentin. 

Il arrive enfin, ce dénouement d'une comé- 
die languissante. Au mois de janvier 1748, 
après beaucoup de vaines alertes, c'est le fris 



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244 LOUIS XV ET MAniE LEGZINSKA. 



son de la bonne fièvre qu'annoncent les nou- 
vellistes. Le Roi interrompt un séjour à Choisy 
avec madame de la Toumelle, pour aller trois 
fois de suite visiter, dans sa maison dlssy, le 
vieux ministre qui s'éteint. La Reine s'y rend 
de Versailles, accompagnée de la maréchale 
de Villars ; le Dauphin lui-même, conduit 
par M. de GhâtiUon, va contempler les belles 
mains amaigries de l'Eminence et recevoir de 
cette bouche toujours éloquente le plus édi- 
fiant discours sur la vanité des grandeurs 
humaines. Le Cardinal, aux approches de sa 
fin, ne perd rien de la tranquiUité de son 
âme. On sait qu'il meurt sans être devenu 
riche, après avoir gouverné près de dix-huit 
ans, et s'il a trop longtemps rempH la scène 
du monde, il la quitte du moins assez noble- 
ment. 

Pendant les semaines qui précèdent la déli- 
vrance définitive, la Cour, traversée d'in- 
trigues diverses, se demande qui héritera de 
ses places, qui sera grand aumônier de la 
Reine, qui aura la surintendance des postes 
et la Feuille des bénéfices, qui surtout prendra 
l'oreille du Roi. C'est une lutte furieuse entre 
les partisans de l'exilé de Bourges, Chauvelin, 
ceux du maréchal de Belle-Isle, ceux du car- 



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L*ABA:;fDON. 3^5 



dinal de Tencin ; M. de Richelieu lui-même 
compte les siens. 

Quand la mort a été annoncée au Roi : 
« Messieurs, aurait-il dit, me voilà donc pre- 
mier ministre I ]!> Et ce mot court dans le 
public, qui s'écrie, parodiant une vieille for- 
mule : « Le Cardinal est mort : vive le Roi 1 » 
En réalité, Louis XV est plus embarrassé que 
ravi des responsabilités qui lui incombent. Il 
n'avait point senti le joug d'un homme qui 
possédait son estime avec son affection. Quel- 
ques jours plus tard, le maréchal de Noailles 
lui remet une longue lettre de Louis XIV, 
confiée par celui-ci à madame de Maintenon 
aux derniers temps de sa vie et destinée à 
être lue par son jeune successeur, au moment 
où il la pourrait entendre. C'est une sorte de 
testament politique, reconnaissant des fautes 
et des erreurs, indiquant une méthode de 
gouvernement et recommandant, pour le bien 
de l'État, d'éviter toujours de prendre un 
premier ministre. S'il en doutait encore, 
Louis XV saurait, par la remise de cette lettre, 
que l'heure est venue où l'on pense qu'il va 
régner par lui-même. Il remercie le maré- 
chal en le faisant entrer au Conseil, mais ne 
change rien dans ison ministère : il garde les 

i4. 



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346 LOUIS XV ET MARIB LBGZIIfSKA. 

hommes de Fleury et, selon les apparences, 
au lieu d'un seul plusieurs le mènent. 

Après quelques jours d'efforts, de paquets 
ouverts, d'affaires discutées devant lui, sa 
paresse invincible le ressaisit. Cette paresse, 
à laquelle les plaisirs ajoutent une prédispo- 
sition physique, lui fait du moins rechercher 
les honnêtes gens, «parce que les gens faux 
vous tournent et que c'est un travail d'être 
en garde». S'il y a des uns et des autres 
parmi les secrétaires d'Etat, qui siègent autour 
du tapis vert du Conseil, ils savent être d'ac- 
cord pour le moment, ayant à résoudre des 
questions difficiles et à préparer le royaume 
à la guerre qui se rallume. Chacun d'eux se 
flatte de durer et prend ses mesures ; cepen- 
dant les plus avisés n'ignorent point qu'ils 
sont à la merci d'une pensée secrète de leur 
maître, d'une impression que rien ne révèle 
et dont l'effet, longtemps après, éclatera. 

Tout trompe dans le caractère de Louis XV. 
La reine Marie s'est montrée d'âme trop 
simple pour le pénétrer ; de plus habiles qu'elle 
y seront pris sans cesse. Ni les ministres, ni 
les maîtresses ne pourront se vanter de con- 
naître le Roi, encore moins de le diriger. Ses 



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L'ABANDON. 24? 



volontés rares et subites étonnent et décon- 
certent. Loin d'être flottant, comme on le 
croit, il est au contraire très résolu, mais 
caché. Ses beaux yeux, caressants et doux, l'ai- 
dent à maintenir cette dissimulation de toutes 
les heures devenue son arme et sa défense. 
S'il est d'aspect patient et écouteur, s'il parle 
peu et ne formule presque jamais ses ordres, 
le fond reste dominateur et violent. Louis XV 
est plus absolu encore que Louis XIV. Plus 
que lui, il est ce impénétrable et indéfinissable» 
et l'on peut s'effrayer de la force dont il dis- 
pose pour le mal. Investi d'un pouvoir sans 
contrepoids et sans contrôle, maître de la vie 
et de l'honneur de ses sujets, gâté par des 
conseils complaisants ou vils et livré à la sen- 
sualité envahissante, qu'advîendrait-il du Roi, 
s'il n'y avait en lui, oubliée sans doute mais 
inefFacée, la règle chrétienne du devoir? Elle 
seule peut-être empêche la corruption complète 
et le triomphe impénitent de l'égoïsme. Sans 
elle, le chemin qui mène des passions au vice 
serait parcouru d'un pas plus rapide ; sans elle, 
plus tard, ce vicieux deviendrait un monstre. 



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CHAPITRE IV 



LA BONNE REINE 



C'est une tradition de l'art français de mul- 
tiplier l'image royale, et les artistes de cha- 
que époque, sculpteurs et peintres, s'y essaient 
à l'envi, les meilleurs tenant à honneur d'en 
tirer un chef-d'œuvre. Louis XV a été peint 
par les maîtres principaux de ce xvnie siècle, 
dont son règne emplit plus de la moitié : Ri- 
gaud, Parrocel, les Van Loo, Nattier, La Tour, 
jusqu'à Drouais aux dernières années, ont 
transmis à la postérité, suivant leurs forces 
et leurs talents, ces traits réguliers et délicats, 
derrière lesquels l'âme se dissimule. Aucun 
de ses portraits ne révèle entièrement le carac- 
tère du Roi, si dificile à démêler à son entou- 
rage même. Ceux de Marie Leczinska, au 



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LA BONNE REINE. 2^Q 

contraire, qu'ils soient officiels ou familiers, 
flatteurs ou sincères, disent tous et presque 
également bien ce qu'il nous importe de con- 
naître d'elle ; dans ses yeux limpides et francs 
transparaissent toujours sa simplicité, sa ré* 
serve, sa bonté, et il n'est pas un de ses 
peintres qui n'ait cherché à les exprimer. 

A Tocqué, cependant, elle n'a montré que 
l'extérieur de sa vie royale, la représentation 
et le grand habit. C'est une simple commande 
oiBBcielle, faite en 17^0 par la Direction des 
Bâtiments, la grande toile destinée à être re- 
produite par les copistes du Cabinet du Roi 
pour être offerte aux cours étrangères ou en- 
voyée aux ambassadeurs avec celui du souve- 
rain. Malgré l'artifice du décor et le déploiement 
fastueux du velours bleu doublé d'hermine, 
le peintre s'est complu à la physionomie de 
son modèle. Il n'oublie point ce qui reste de 
charme à la femme de trente-sept ans, qui 
n'a jamais été jolie, s'est trouvée mère neuf 
fois et vient de renoncer à être heureuse. Mais 
toute la virtuosité du bon costumier se donne 
carrière dans la richesse des branchages, des 
fleurs et des rinceaux brodés de la robe 
royale. C'est une de ces merveilleuses étoffes 
pour lesquelles Marie Leczînska avait un goût 



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250 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIHSKA. 

si vîf et que lui reprochaient quelquefois sa 
piété et son esprit d'ordre. Il convenait au Roi 
que les plus belles fussent réservées à la garde- 
robe de la Reine, et l'on sait que les tisseurs 
de Lyon et de Tours exécutaient d'abord pour 
elle les plus somptueux de leurs dessins. 

La toile de Tocqué est du temps de ma- 
dame de Mailly; celle de Carie Van Loo, sept 
ans plus tard, date du triomphe de madame 
de Pompadour. Le nouvel artisle a évité, par 
sa composition vraie et brillante, les conven- 
tions de l'œuvre officielle. Le manteau fleur- 
delisé s'y dissimule et la robe blanche étale, 
sans en rien laisser perdre aux yeux, la déli- 
cieuse fantaisie des ramages d'or et des nœuds 
d'argent. La main gauche tient l'éventail, la 
droite une branche de jasmin prise au vase 
de cristal posé sur la table. A côté de l'inévi- 
table couronne, un buste assez fier présente 
le profil de Louis XV, et le petit chien de la 
Reine, un ruban roseau cou, achève de donner 
à son portrait un aspect aimable et presque 
intime. Elle est encore dans son intérieur et 
le sourire nous dit qu'elle s^y trouve mieux 
que partout ailleurs. Dans un instant, on la 
verra tout autre, infiniment plus imposante 
et plus grave ; elle réalisera ce que dit d'elle, 



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LA BOiNNE REINE. 25l 

parmi sea louanges, le président Hénault: 
ce Cette même princesse, si bonne, si simple, 
si douce, si affable, représente avec une di- 
gnité qui imprime le respect et qui embarra- 
serait, si elle ne daignait pas vous rassurer. 
D'une chambre à l'autre, elle redevient la 
Reine et conserve dans la Cour cette idée de 
grandeur, telle qu'on nous représente celle 
de Louis XIV)). N'est-il point curieux que ce 
soit la petite Polonaise qui évoque le mieux à 
Versailles la majesté du grand règne? 

Les vrais peintres de Marie Leczinska sont 
La Tour et Nattîer. Seuls ils l'ont vue dans 
son intimité, l'ont regardée vivre et lui ont 
inspiré assez de confiance pour qu'elle leur 
accordât de bonne grâce les vraies séances de 
pose familière et sincère. Là Tour, avec son 
génie indépendant, son esprit et ses boutades, 
a dû amuser la Reine et lui plaire. Elle s'est 
placée devant ses pastels tout à loisir, en 
simple fanchon de dentelle, ayant jeté sur ses 
épaules un mantelet de chambre ruche et 
fanfreluche. C'est la toilette des femmes du 
temps qui ont quitté le rouge et ne cherchent 
plus à séduire que par leur esprit. 

Le bon La Tour a subi quelque honnête 
enchantement, car aucun de ses modèles, nî 



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25^2 LOUIS XV ET MARIE LËGZINSKA. 

la grande marquise , ni la belle Camargo , 
ni même mademoiselle Fel, ne paraît l'avoir 
mis en meilleure humeur. U a marqué, d*un 
crayon respectueux mais fidèle, les yeux irré- 
guliers, les paupières plissées légèrement, et 
ce petit nez au spirituel retroussis, qui n'a 
rien, à vrai dire, de l'idéal du grand siècle. 
Qu'on ne s'étonne pas de trouver cette image 
de la reine Marie exactement transportée dans 
le tableau de Carie Van Loo ; le livret du 
Salon, où celui-ci expose au public sa toile 
somptueuse, nous apprend que ce la tête est 
prise d'après celle qui a été peinte au pastel 
par M. de la Tour ». La Reine a jugé inutile 
qu'on refît ce qui avait été si bien réussi; 
elle a pensé qu'il suffisait de recopier l'œuvre 
d'un artiste aussi parfait et qu'aucun désor- 
mais ne rendrait mieux les traits essentiels de 
son visage, les yeux de malice et les lèvres 
de bonté. 

Elle n'a fait qu'une exception, et très heu- 
reuse, en faveur du peintre de ses filles, Jean- 
Marc Nattier. Mesdames se montraient toutes 
enchantées d'un maître pour qui aucune 
femme, suivant son mot, n'était dépourvue 
de charmes. La Reine, tenant compte à Nattier 
de lui avoir fait connaître celles de ses enfants 



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LA BONNE REINE. 253 

qu'on élevait loin d'elle, consentît à poser 
pour lui une fois encore. Ce devait être la 
dernière, sa coquetterie n'ayant pas voulu 
vieillir pour la postérité au delà de Tan 1748. 
Elle imposa au peintre d'abandonner pour elle 
le travestissement mythologique où il excellait 
et qu'on mettait alors partout. Elle avait elle- 
même suffisamment sacrifié au goût de l'épo- 
que : Guillaume Coustou l'avait, dans sa jeu- 
nesse , sculptée en Junon et Ton voyait cette 
statue dans le parc de Versailles, en face d'un 
Louis XV en Jupiter assez galant. Le peintre 
Galloche l'avait représentée en (( Aurore sor- 
tant du sein de Thétis», fade allégorie placée 
quelque temps dans son cabinet, puis envoyée 
aux greniers de la Surintendance. 

Nattier n'eût pas mieux demandé que d'ins- 
taller à son tour la reine Marie dans un coin 
de son Olympe, sous la forme de déesse qu'elle 
eût choisie, et sans doute se plaignit-il qu'on 
l'empêchât de perpétrer un chef-d'œuvre. Il 
doit pourtant à l'exigence de son modèle 
d'avoir atteint, pour une fois au moins, les 
sommets du grand art. La fille de Nattier 
raconte, en ses Mémoires, que son père « ne 
put sortir de la simplicité dans l'exécution de 
ce tableau, parce qu'il avait reçu l'ordre ex- 

i5 

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3^4 LOUIS Xy ET MARIE LECZIKSK.A. 

près de la Reine de ne la peindre qu'çn habit 
de ville)), {jes séances ont été données 4an9 
la grande chambre k coucher de Versailles , 
oîi Fcauvre est placée aujourd'hui. L'habit de 
ville p3t pi»e robe rouge bordée de fourrures, 
par&itement simple et 4^ pli» exquis ; une 
(( marmotte » de dentelle noire e^t posée sur 
un bonnet dont la dentelle blanche se répète 
aux manches et au corsage. En cet ajustement 
familier» la Reine feuillette sur une console le 
livre ouvert des Évapgiles. On oublie ce qui 
peut rester de convenu dans la composition, 
tant la pose du personnage a de naturel et 
d'expression, tant la femme» qui achève sa 
lecture pieuse pour écouter Mouprif ou Très- 
San, se révèle attachante fst bonne, de cette 
bonté qui connaît la vie ^t qui uaU de h souf- 
france. 

Lps arts devaient bien traiter ftlarie Lec- 
zinska, car elle les aimait d'un siupère amour. 
Celui qu'elle leur témoigna et la forme 
d'hommage qu'elle leur rendit la mettent à 
part parmi nos reines. Marie-^^toineite, sur 
ce point comme sur tant d'autres, lui demeure 
fort inférieure et n'eut ni s^l compétence 
ni son goût. La fille de St^nisla$ mérite même 



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|.A BOUNE REINE. 255 

une plfi^ce par^^i }es artistes amateurs, car 
elle a su Jef^ir le pf^ypn qJ Ip piupeau. Ayant 
que la pt^afquise de Pompadq>ir s'en avisât, 
elle a qpntriljué ppiff sq. .p£^r^ ^ relever la 
conflit ion des artistes, en participant en quel- 
que |:fiamèf'e ^ leijrs travaux. EUc chojsissait 
cev^x qui d(§pQr^ijB}^f sps appartepiepts ; elle 
imagiuaU pour çu^ 4^s compositions, leur 
in4iqi4ait poi^ avis aycc justesse, l'impogait au 
besoin avec une autorité point trop indiscrète. 
C'q^I ppe éviflemmenj; qui a donné à Charles 
Gqypel |ps motifs des tablesmx de ÇAnge gar- 
dien qui enlèpç fiu Çiç\ M(^dame Tr^o^sième et 
rApQthéçse de Monseigneur le ç(^c fTA^yQH» 
Elle le faisait travailler sans cqçse \ ces siypt^ 
religieux qui l'ii^téressaient plus qup le? fii^tres 
et 4pi?t elle remplissait ses cat)ipets ii^térieurs: 
La Saliitatior} angéliqu,e. Sainte Genevfènç en 
bergère^y Saii}te Thaïs dans $<i ceffule^ Sainte 
Eusépchiç li^ç^nt qiç pied d'{in arbre à l'entrée 
de sQ/j ff^nçistèce. Aprl? 1^ wp^t de l^adame 
Ilenrle^te, elle lui comfl^cmdera, pour l'ora^ 
toire qu'elle a çlfi^z leg» Carmélite^ de Gpn>- 
piègpp, le ppr trait 4'wÇî pénitepte du désert, 
qui reprpduifa les tr^i|s de §a filje. A Yer- 
8§iiUps, NatpiyQ décope Jes b^in§ de la Jleine 
de jjp^pps pl}4? profanes tirées (Ips poésies pas- 



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25G LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

torales de M. de Fonlenelle; mais Vien peint 
pour elle, sur des instructions tout à fait pré- 
cises, Saint Thomas apôtre prêchant les Indiens 
et Saint François-Xavier débarquant en Chine. 
On sent ici l'affection qu'elle porte aux œuvres 
des Missions étrangères, dont elle lit passion- 
nément les relations ; on voit en même temps, 
à sa façon de juger et de discuter les esquisses 
de tous ces peintres, qu'elle est familière avec 
leur art. 

Le maître qu'elle voulut pour ses leçons 
de peinture fut Oudry. La faveur qu'il avait 
eue d'exposer ses ouvrages à Versailles, dix- 
huit mois après le mariage royal, lui avait 
valu l'admiration de la jeune souveraine. Le 
Mercure racontait ainsi cette exposition : <( Le 
dimanche lo mars (1727), le sieur Oudry 
fit porter à Versailles vingt-six tableaux de sa 
composition, parmi lesquels il y en avait un 
de quinze pieds de long, deux de onze, etc., 
qu'il plaça le matin dans trois pièces du grand 
appartement du Château. Le Roi et la Reine 
virent ces peintures avec beaucoup de salis- 
faction et s'y amusèrent longtemps : le Roi 
voulut même les revoir l'après-midi.. Avec 
l'applaudissement de Leurs Majestés, le sieur 
Oudry eut encore la satisfaction de recevoir 



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LA BONNE REINE. 20'] 

ceux de toute la Cour, qui était extrêmement 
nombreuse ce jour-là. On lui a ordonné cinq 
tableaux pour le cabinet de la Reine. » L'ar- 
tiste avait alors quarante ans, l'âge où un 
peintre, suivant les habitudes de l'époque, 
pouvait commencer à se faire connaître et 
sortir du rang. Louis XV lui fit peindre ses 
chiens et ses chasses, et Marie Leczinska ne 
cessa guère de l'employer. Lorsqu'il eut la 
commande des dessus de porte de l'apparte- 
meiit du Dauphin, qu'il tira de ses composi- 
tions sur les Fables de La Fontaine, le prince 
lui demanda pour son cabinet un tableau 
champêtre dont U ce dicta » le sujet et fit faire 
l'esquisse devant lui. L'aimable toile de la 
Ferme, peut-être à cause de celte collaboration 
de son fils, plut assez à la Reine pour qu'elle 
la voulût copier elle-même. Sa copie, fort 
retouchée par une habile main, a été fièrement 
signée: Marie Reine de France Jecit 1753. Un 
cadre somptueux et singulier, surchargé de 
sculptures, feuillages, oiseaux, serpents, et 
qui ne coûta pas moins de soixante louis, fut 
exécuté par les soins du président Hénault, 
Marie ayant désiré offrir l'œuvre au Roi. 

Son travail le plus considérable fut la déco- 
ration d'un de ses petits cabinets de Ver- 

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258 LOUIS XT ET UAKIE LEGZINSKA. 

saîUes, le ce Cabinet dès Chlnbiâ », qil'br- 
naicnl liilë quaiililé Ae porcelaîties de Chine 
et du Japon, et de très besLûx mellblèà de 
laque. Les panneaux, oft elle feignit dès Jé- 
suites el des Chinois, furent légués pat son 
testament îi la comtesse de NdaiUes, âa dètnière 
damé d'honfaeur, plus tard ducheëàe de Mbu- 
ch]^, et sont aujourd'hui au château de 
Mouchy. Les Noailles regrèttèreiit (Jtielcjuëpëu 
Tadmiraiioii qu'ils avaietit {)rbdlguée de èôn 
vivant âti talent dé leilr Reinfe, car ilà évèdtiè- 
rent à dix milJe lîvrèâ là dépëtise du pavillon 
qu'ils devaient ajouter à leur hôtel de t^arîs, 
pour placer digriemëfat des pëititutes ddbt le 
seul tnéritë, disaient-ils, était l'brigillë: M. de 
Marigny leur fit donner eil dédottiitlagettient 
les boiseries, les glaces et les meubles qui 
gâmissaîeiit la pièëë, et là dattie d'hotiiieill* 
put rétablir chezeUe, daiisi l'état dû elle l'avait 
vu à Versailles , le « Gabihei dëS Chinois » . 
Elle eut soin, paraît-il, de mentionner daiis 
rinscriJ)tion , avec la ddtiatioti de la Relue , 
<!t l'innocent îhëtisorige de cette bonne J)rîtt- 
cesse )). 

On {ieut croire, en effet; ^ùè Marie Lefc- 
zihska se faisait aider polir ses tfetittës d'art, 
plus encore que Stdtllâlas JJôiir se§ ti*aitéd de 

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LÀ BONNE REINE. sSq 

motalë. Il y avait uii jieintre de prdffesâion 
âttAbhé au pinceau royal et qui rie Ife laissait 
pbîîit s'égarer. Il faisait le Jlayâage àéê pietix 
stijëts que la Reitle destinait à ses attiià, trâ- 
çÉdt au cfayoïi léh persbhnages et peignait 
même leà figureà et les chairs ; elle se réàër- 
Tsit les draperieâ et lés petits accesèdireà. Cha- 
q[uê matin, elle trataillait dans son « labora- 
toire ï), sottà les yeul du maître qui préparait 
Bà palette, garhiàsait sbtl pinceau, lui indiquait 
pbiiit -par pbiilt où iî fallait pôset là cbùlétit. 
Elle âVbuait, d*ailleut§; dé la meilleure grâce 
du îtionde, lë tôle dé celui qil'elle lidmîtiàit 
ellfe-riiênië àbtl C( teitituriél- », tdiite flSté de 
pbiivdii' dire quelquefois qu'il tl'avait pas tout 
fait. Elle âlitidtltait ëil ceë termes uh tableau 
de saihtfeié à âbii pi-éàidènt : « Geneviève ëàt 
vëtiiië dùjotird'htii et part demain pour vbiis 
aller trduvër. Ayez attention de lire ce qiii 
est écrit sûr l'arbre. Je suis biéii aise de votis 
dire que nibn teinturier n'y a que très peu 
de jjàrt et que tout est presque de ma main, 
la figute surtbiil, ciel, loihtaiii et Totale. » 
Elle se faisait sans doute illusion, même pbur 
sa Sainte Geriëtièvë, niëis n'avait pas tdrl de 
penser que lé vrai itiéritë de ces dtitragës était 
que l'amitié y eût travaillé, 

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260 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

L'amitié tient une grande place dans la vie 
de Marie Leczinska et la repose des charges 
de la représentation royale, qu'elle supporte 
si fidèlement. La femme mérite d'être accom- 
pagnée dans son intérieur. Dans ses a petits 
cabinets» décorés de sculptures par Verberckt, 
de vernis par Martin, et si difiTérents par leur 
usage de ceux de son mari, elle s'entoure de 
ces objets d'art délicat dont la mode du siècle 
multiplie la charmante inutilité ; elle réunit 
autour d'elle ses souvenirs préférés, ceux de 
Stanislas et de la Pologne ; elle y colorie des 
estampes religieuses, y imprime de petites 
images à distribuer ou des pensées édifiantes. 
Ses guéridons de palissandre sont toujours 
chargés de broderies pour les églises et de 
vêtements pour les pauvres gens. Mais c'est 
surtout l'asile de l'intimité et le sanctuaire de 
la causerie. Le plus doux plaisir de la Reine, 
celui dont elle ne se prive que par mortifica- 
tion héroïque, c'est la libre conversation, dans 
un cercle aimable et spirituel, où l'éliquelte 
disparaît devant une familiarité du meilleur 
ton. 

Son petit salon réunit parfois une élite de 
gens d'esprit qui en célèbrent le bon accueil. 
On y voit le président Hénault, voué à l'étude 



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LA BONT9E REINE. 2C1 

par ses fonctions et à la société par ses goûts, 
qui porte sur son visage large et souriant les 
qualités pour lesquelles la Cour et la Ville le 
recherchent. Les soupers qu'il donne sont 
fameux et l'on soupe chez la marquise du 
Deffand pour l'y rencontrer. On apprécie la 
solidité de son commerce et les grâces de sa 
conversation. Sérieux juriste et historien, il 
est aussi ce l'homme du monde qui sait le 
plus dans tous les genres, au moins dans 
les genres agréables et utiles à la société » ; 
il a (( le talent de paraître s'occuper avec 
plaisir, et même avec passion, de ce qu'il 
sait plaire à ses amis », et se fait pardonner 
son érudition par sa galanterie, ses petits vers 
et son zèle a rendre service. Impétueux dans 
ses disputes toujours courtoises et dans ses 
admirations vite calmées, « on voudrait, écrit 
une de ses amies, que son empressement pour 
plaire fût moins général et plus soumis à son 
discernement ». 

M. de Maurepas cherche moins à plaire 
qu'il n'y réussit. Parlant beaucoup, décidé 
sur tout, il traité légèrement les grands objets 
et sérieusement les bagatelles. Rien ne sert 
mieux un gentilhomme auprès des femmes et 
des princes. Maigre et noble dans sa haute 

i5. 

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2r>a LOUIS XV KT HARIfi LEGZIIfSKA. 

tAille, avec soii teint pèle et Sdn tnèHtoti 
pointu, il à Ift Verve gaie, qtioi({1iè rarement 
bienveillante. Il ose apporter chez la Heine 
rénorme ttiédisabce dtL temps, car il excelle à 
ce jeu de fttiré oublier que rhoihme qu'on 
déchire est (tle prochain t>. Il eât le courtisan 
le mieux informé dès nouvelles et le plus 
habile à y broder, avec toutes les délicatesses 
de la latigue, le détail piquant qui les embellit 
et les défigure. Il a tout vu, tout lu, tdilt isu et 
de tout s'est moqué. C'eât un esprit fort sans 
consistance, de ceux qui devientieut dévots 
avec le temps, aussi rdué que ddU grand eh- 
nemi Richelieu, mais frivole jusque dans son 
libertinage secret et seâ parties de débauche. 
Rompu aux choses de la politique, qu'il a 
abordée tout jeuiie et comme par drdit de 
naissahcé, itistallé dans lé ministère à Vihgt 
ans, doyen du Coilseil à trëtitfe-ciiiq, il eiSl 
Capable et presque incomparable dahâ tdUtbâ 
les petites choses du gouvernemètit. Il ignore 
Ce qu'est un échec d'ambition ; il est ërrivé à 
se faire craindre et ihême à se faire âiiner, et 
Ton admire en lui Un optimisthe que rien 
n'ébraule et ijue l'dhioui-, murmurè-t-dh; ne 
dérange point. 

Olîicier de bellfe prestance, écrivait! cdqiièl, 



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LA BONNE RÈINE. 263 

aussi goûté dés cabinets de Versailles que de 
la febur de Lilfaéville, dont il sera un jdur 
rorncment, le cbtnte de Tressan a été intro- 
duit auprès dé Id Reilie par «là saiilte du- 
chesse», madame de Villars. Elles s'amusent 
l'une et l'autre à lui faire rîmèr des cantiques 
et des traductions de psaumes, en expiatidii 
de profanes poésies, que leur détotion ne les 
empêché paS de savourer. La haute piété ne 
sied guère au beau lieutenant des gardes du 
corps ; il écdute avec respect les sermons 
qu'on lui fait chez la Reiiie, mais n'en va, 
dit-il, que (( son petit train ». Comme les 
sociétés du temps ont la manie des surnoms, 
celui de «Petit Traiii» lui est resté. Ses har- 
diesses de lahgage n'offensent jamais le bon 
ton et; s'il tient un propos risqué, l'état mili- 
taire vaut au coupable des trésors d'indul- 
gence. Ainsi ce favori des belles comme des 
moins belles partage son aimable vib entré la 
Coui* et l'armée ; il y brille également J)ar des 
qualités différentes et ses lettres, ingénieuse- 
ment tournées et lancées à bonne adresse, 
tnontrent qu'il possède, entre tous ses talents, 
celui de ne se laisser jamais oublier. 

Un simple écrivain a été accueilli pai: Marie 
Leczinska dans une intimité égale et, pour le 



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264 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

rapprocher d'elle, elle l'a fait nommer son 
ce lecteur)). C'est que le sieur Paradis de Monr 
crif, qu'accompagne sa petite gloire un peu 
ridicule d'historien des Chats, d'(( historio- 
grifle)), suivant un mot du temps, est aussi 
et surtout le théoricien du Moyen de plaire. 
Personne n'a plus d'autorité que lui pour 
mettre en leçons cet art particulier, où la 
nature l'a préparé à passer maître. Fils d'un 
secrétaire du Roi, qui a «manqué», comme 
on dit, et laissé ses enfants dans la misère, 
Moncrif a fait oublier ces fâcheuses origines, 
s'est élevé du grimoire à la bourgeoisie, puis 
aux gens de condition et aux princes. Partout 
il s'est rendu indispensable, et chez la Reine, 
où son coin de salon est marqué, on l'appelle 
(de Fauteuil)). Très soigné de sa fine per- 
sonne, ayant toujours la perruque la mieux 
arrangée et la mieux poudrée, il fait métier 
d'écrire dans la matinée et voit du monde le 
reste du jour. C'est un philosophe parfaite- 
ment agréable à fréquenter et à nourrir, de 
ceux à qui l'on paierait pension pour les avoir 
de compagnie, à la ville ou à la campagne, et 
sans lesquels un cercle du temps, même à 
Versailles, serait incomplet. Au reste, cir- 
conspect et doux, toujours de votre avis, y 



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LA BONNE REINE. 265 

ajoutant même, « vous ne lui feriez pas dire 
du mal de la lune, de peur de s'attirer des 
affaires » et de compromellre sa délicieuse 
carrière d'académicien complaisant et choyé. 

Maurepas, Hénault, Tressan, Moncrif font 
tous profession d'esprit et sont jugés supé- 
rieurs en ce siècle où l'art de la conversation 
est le premier. Les autres familiers de la Reine 
ont moins d'éclat, mais ne lui sont pas moins 
attachés. En octobre 1742, elle perd le fidèle 
Nangis, son chevalier d'honneur, qui l'entou- 
rait d'un culte passionné et des fadeurs d'un 
sentiment auquel, tout vieux qu'il fût, elle ne 
se montrait point insensible. C'étaient les 
façons de l'ancienne Cour, celles qui avaient 
valu au maréchal, au temps jadis, les bonnes 
grâces de la duchesse de Bourgogne. La Reine 
sentait, sous les galanteries un peu surannées, 
une affection profonde et sûre, et sa mort a 
été pour elle le plus grand deuil d'amitié 
qu'ait porté son cœur. Pendant des mois, elle 
n'a pu parler de lui sans pleurer, et elle a 
cessé d'habiter certaines pièces de son inté- 
rieur, parce qu'on voyait de là « les fenêtres 
du pauvre Nangis». Elle s'est attachée aux 
Broglie, en souvenir du défunt qui les aimait; 



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266 LOUIS Xy ET MARIE LEGZINSKA. 

et, comme l'abbé de Broglie est venu à la 
Cour pour soutenir leh intérêts de son frère 
le maréchal; c*eAt lui qu'on voit longtemps, 
chaque soir sur les dix heures, donner la 
main à la Reine pour la conduire chez ma- 
dame de ViUars et, vers minuit, pour Id ra- 
mener. 

Plus tard, c'est chez la duchesse de Luynes 
que Sa Majesté passe le plus souvent ses 
soirées. Son intimité est ici singulièrement 
étroite: elle y soupe, en uil an, cent cjuatre- 
vingt-dix-huit fois ; elle y joue ses éternelles 
parties de cavagnble, où l'excellent bailli de 
Saint-Simon se dévoue pout lui tenir tête; 
elle y causé surtout, à ccèut ouvert, avec ceux 
qu'elle appelle « ses hdnnêles gens )J, le duc 
de Luyneâ, le cardinal et cette fidèle daine 
d'honneur, qui n'avait point été nommée de 
son choix et qui est devenue pour se maî- 
tresse, d'abord en défiance, l'amie indispen- 
sable. La duchesse de Luynes est sensible à 
l'amitié, généreuse, discrète; de jugéinènl 
droit: elle ne bonnaît aùcuhe jiassion trop 
vive, mais toutes les passions dotices, (Juifont 
le chartne d'une iie et le bonheur d'un en- 
tourage. Si elle s'avoue très attachée par goût 
à la Cour, à la représentation et aux hon- 



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LA BONNE REINE. 267 

neùrs de la grande charge qu'elle remplit, 
elle est incapable d y rieil sacrifier de sa di- 
gnité et de sa noble franchise. Là Reine et la 
première dame de sa maison sont donc tiées 
pour s'entendre en beaucoup de choses, et 
cette affection simple et cordiale, que moh- 
trent les lettres de l'une et de l'autre, vient 
de l'accord de leurs caractères. Madame de 
Luynes toutefois est étrangète à là médi- 
sance, qui la blesse, et à l'ironie, qu'elle ne 
comprend point, tandis que la Reine, d'esprit 
{)lus alerte et plus malicieux, est asse2 capable 
de pratiquer ces défauts pour en goûter 
ensuite lé repeiitir. 

La grande politique serait apportée chez la 
Reine, si elle ne s'en défendait prudemment, 
par un hoitime en qui elle a pleine confiance. 
Le comte d'Argensdn; doht son frère aîné, le 
marquis, envie si longtemps Theurenâe car- 
rière, dirige ce grand département de la 
Guerre, qui dispose de l'élévation ou de la 
ruihe de la noblesse. Esprit froid et résolu, 
attaché à son métier de ministre et le faisant 
bien, M. d'Argénson pasàe pour un habile 
hohime; qtii n'oblige qu'à bon escient et 
pourvoit à sa sûreté propre en s'occupant du 



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268 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA. 

bien de rÉtat. On le voit pourtant fort désin- 
téressé dans son dévouement pour la Reine, 
qui ne peut servir à rien, ni à personne. 
Celle-ci l'attire chez elle, le retient pendant 
des heures, l'appelle ce Cadet » : ce Vous êtes 
charmant, charmant, charmant, lui écrit-elle 
un jour. Si l'on mettait les saints dans le 
calendrier de leur vivant, je serais ravie d^y 
voir saint Cadet. » Cette afiTection vient de 
loin : on n'a jamais oublié que M. d'Argenson 
a parlé à la Cour , le premier , de l'humble 
jeune fille de Wissembourg, qu'il avait vue à 
son retour d'une mission conjugale remplie à 
Bade pour le compte de la maison d'Orléans. 
Les souvenirs de ce temps -là sont les plus 
chers à la femme qui vieillit et ceux auxquels 
elle revient le plus volontiers. 

En même temps que le comte d'Argenson, 
Fleury, dont ce fut un des derniers actes, a 
fait entrer au Conseil le cardinal de Tencin ; 
c'est aussi un fidèle du salon de Marie Lec- 
zinska, chez qui son habit et son brillant 
esprit lui assurent des égards particuliers et un 
bon auditoire. Sans doute elle ignore, ou 
veut ignorer, les bruits fâcheux qui courent 
sur ce prélat, dont une sœiir plus qu'intri- 
gante a fait la carrière et qui, même en un 



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LA BONNE REINE. 269 



temps où Ton n'est pas exigeant sur ce cha- 
pitre, montre vraiment peu de piété pour un 
hoïnme d'église. La Reine n'aime point qu'on 
parle légèrement de ces soutanes légères ; 
mais elle se sent plus à l'aise avec les bons 
évêques des provinces, qui ont l'habitude de 
la résidence et qui ne viennent à la Cour que 
pour les vrais intérêts de leur diocèse. Ce 
sont ceux vers lesquels se tournent sa con- 
fiance et son cœur, parmi ce clergé de France, 
si mal gouverné, qui compte encore cepen- 
dant un certain nombre de pasteurs selon 
l'Évangile. 

Il en est un surtout qu'elle met tous ses 
soins à retenir à Compiègne pendant les 
voyages, c'est Tévêque d'Amiens, vieillard 
tout de charité et de dévouement, un peu 
lassé par l'âge, fort gauche dans l'habit court 
qui est d'étiquette auprès du Roi, mais sa- 
chant dire sans embarras les vérités fortes. 
La Reine aime cette franchise apostolique et 
l'encourage. 11 ose censurer devant la famille 
royale ce qu'il y a de choquant autour d'elle 
dans certains usages de religion et dans les 
habitudes du clergé courtisan: « Je crois, 
mon vénérable, lui dit un jour la Reine, que 
vous devez voir dans notre Cour bien des abus 



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370 LOUIS Xt ST MAtilB LÈGZINSKA. 

qui échappent \ lioâ ycnt profailes.^^^ Gèltii 
qui me frappe Ife plus, l-épond le ptélAi, c'fest 
de m'y voit moî-môrtife goûtant îa consol«[tion 
auprès de Votre Majëâté, au liëll d'être oeclipé 
à la répandre parmi ihes pautres diocésains. 
— Et l'habil court? reptend M: lé Dauphin. 
Croyez-vous que M. d'Amiens ne Tait pas sur 
le cœur? — ^11 est vrai, Mdnâeîgrieur, dit 
celui-ci, que j'ai siir le cœur et qtie je trdtlve 
bien indigeste qilô î'oti ndtis fasëè dé{j5aer, 
de par le Roi, l'habit qtle nbtlà pdrtbîis de 
par Dieu. » L'eâtimèi qtife Ldùià XV a pour 
ce saint homme va jusqu'au respect. Quand 
celiii-ci prend botigé, le Rbi se recoiutnànde 
à ses priètes : tt Sire, lui dit Utl jotlt l'évêque, 
je prie toui lès jdurs pour Vottë Majesté ; et 
c'est du fond de mon cœur, qtlè je démdiide 
à Dieu pour Elle une grâbe qtle je voudrais 
obtenir au prix de tout tnoil âaiig. -^ Gdiîti- 
liûéz de la demander », répond le Roi, qtli 
comprend sanâ peine de quelle grâee 11 est 
question. 

S'il y a utie vie secrète du Rdi, il y a atisSi 
une vie secrète de la Reine. Peu de persdnties 
la coiinaiésetit; et cètix (Qu'elle chbisit pdur mi- 
nistres de ses châritéâ igiioreiii sdtitettt lô àdurce 



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lA bohhe rbîtc*!. 271 

dtt bien qu'ils ont mission de transmettre. 
Les faits très liombrëttx qu'ensevelit dans Tom- 
brè rhumilité de la Reitie seront plus tard ré- 
vélés par des i^écîts édifiants. Il n'est pas possible 
de les passer sous silence, car toute la se- 
conde partie de sa vie eti est etpliquéè . A me- 
sure que le mariage à pour elle moins de 
joièâ et la màteinité moins de charges, Marie 
Leczinska â'adonne davantage k la piétés et 
cette piété âbtltietit en elle une vertu qui lui 
fdtifnit désbrmais ses occupations principales. 
Attachée bôiiime elle Test à Ift dévdtibn au 
Sacré-Cœur de Jéâtis, tjui «ait k peine et 
qû'èlic contribué à propager, elle semble pui- 
ser, dans cette forme surnaturelle de Famour, 
de§ forcés nouvelles de dévouement envers ces 
membres souffrants de Jésus que sont les 
pativres. C'est peu pour elle de les secourir ; 
elle le§ aitiiè, et d'une tendresse frafernelle. 
Quelle que soit l'origine de cette inclination 
dé i^on âme, on peut dire qu'il n'est guère de 
princesses qui se soient rapprochées autant 
qii'felle de la souffrance dés humbleë geris et 
autant Uiêlées à la vie de leUrà sujets malheu- 
reUi. 

Là Reine coniribue à toutes les fondations 
charitables de l'époque. Elle aide le curé dé 



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37^ LOUIS XV ET MARIE LBGZINSKA. 

Saint-Sulpice, M. Languet, à créer la maison 
de l'Enfant-Jésus, où sont élevées les jeunes 
filles pauvres et où des milliers de femmes 
trouvent, dans le travail qu'on leur procure, 
une ressource toujours assurée contre la mi- 
sère. Elle soutient les œuvres des filles de 
Saint Vincent de Paul, et c'est par celles-ci le 
plus souvent que se répandent dans les qxiar- 
tiers misérables de Paris elles affreux hôpitaux 
du temps les aumônes recueillies au milieu 
des splendeurs de Versailles. La Reine donne 
pour les maisons de charité, pour les hospices, 
pour les officiers et les nobles indigents ; elle 
délivre les prisonniers pour dettes, qui sont 
presque toujours des innocents ; eUe envoie 
des provisions aux couvents dénués et aux 
familles chargées d'enfanls, dont elle fait re- 
chercher les besoins secrets. Gomme elle a le 
goût du détail, il y a, dans son propre appar- 
tement, un dépôt de nippes, comprenant tout 
ce qui est nécessaire au pauvre, depuis les 
langes du berceau jusqu'au linceul de la sé- 
pulture ; elle en surveille elle-même la distri- 
bution et lé renouvelle en partie de ses mains, 
suivant l'habitude de sa jeunesse accoutumée 
aux ouvrages utiles et rudes aussi bien qu'aux 
délicatesses de la broderie. 



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LA BONNE REINE. 278 

Elle use de son autorité et de son exemple 
pour rappeler à la Cour les devoirs qu'il est 
le plus facile d'y oublier. Elle tient chez elle 
de véritables assemblées de charité, oii les 
curés et les vicaires prennent la parole pour 
leurs œuvres, où les quêtes faites par elle ne 
peuvent manquer d'être fructueuses. Elle s'as- 
sujettit à voir elle-même, autant qu'elle le 
peut, les malheureux <ju'elle veut soulager, à 
les écouter, à leur répondre. On l'entend se 
plaindre de l'importunité des quémandeurs 
courtisans, jamais de ceUe des pauvres. Dans 
ses visites aux églises ou aux communautés, 
dans ses promenades même, les gardes qui 
font faire place ont ordre de les laisser appro- 
cher toujours. Les loques et les béquilles se 
pressent autour du carrosse doré, et M. de 
Nangis les nomme, en plaisantant, « le régi- 
ment de la Reine ». 

Ses ressources sont cependant plus limitées 
que la bonté de son cœur. Tout ce qu'elle 
donne est pris sur ses revenus personnels, 
qu'elle ne demande jamais d'augmenter; deux 
fois seulement, le Roi ayant appris que ses 
dettes atteignent un chiffre élevé, les paye 
sur sa cassette. 11 arrive cependant à Marie, 
pour répondre à de pressantes nécessités, de 



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syd LOUIS XV ET mahie leczinska. 

mettre à coalributipa isop fiis et §;es filles, et 
de les réduire « à l^iir dernier 3QU )i>. 

Le Dauphin est placé ainsi, dès ^nm^^nçe, 
eu face dey réalités criieUep qu'on cs^che 4.'or- 
dina^re aux princ($§ et qui achèvent d'ennoblir 
son caractère. L'admiration qu'il a pour ^a 
mère ne saurait être p^rt^gée par lei^r entoi^- 
rage, qui devine peu de chose 4e la bienfai- 
sance exercée par eux. Les courtistiiis , qui 
voudraient arracher à }a Rei^e des profusions 
à leur profit, 3e plaignent de la voir fort 
réservée sur ce point. Son grand courage peut 
être e^t d'accepter autour d'elle de^ visages 
mécontent^ et la réputation de n'être pst^ géné- 
reuse. 

Chaque aumône lui coûte une priy^tipn, et 
ses aumônes sont infinies. Elle calcule le prix 
d'une robe qui lui plaît et y renonce, en 
disant ; <( C'est trop cher ; j'ai ^ssez de robep, 
quand no» pauvres manquent de chemises. » 
Quoiqu'elle aime avec passion les bijoux, feg 
porcelaines, les raretés, elle 3e priye d'en 
acheter, et il lui arrive de vendre cellep aux- 
quelles elle tient le plus. Elle se met ep garde 
contre l'achat immédiat de l'objet déliré. J^eg 
marchand^ qui tiennent leurs étrifges daiis 
le9 galeries et le» espaliers de Verê^^iUes payent 



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LA BONNE REINE. 27B 



SQS gQufô ^ h moyen de la fi^ire s arrêter au 
passagQ ; mai3 elle s'est 4onné pour loi de 
renvoyer au lendemain racquisition qui Ta 
tentée, et le lendemain l'amour des pauvres 
l'a emporté sur celui des bijoux. Un jour 
qu'on lui en proposait un tout à fait à sa 
convenance, mais d'assez grand prix : (c II me 
plftirait asse?, dit-elle , mais , pour en bien 
juger, il faudrait mes yeux de demain. » EUe 
n'y peuse plus, quand le bijoutief se présente 
u sa porte, demandant à parler à Sa Majesté : 
ce Oh I à coup sûr, répond la Reine, ce n'est 
paiut à ma majesté qu'il en veut, ce n'est qu'à 
ni9 fai^taisie; vous lui direz qu'elle^ est partie. » 
De tels propos et de tels actes sont natu- 
rels chez Marie Leczinska; ils viennent de l'idée 
qu'elle se forme de ses obligations et de la 
fer|3ie volonté qu'elle a de ne manquer à au- 
cune. Cette vie charitable de reine n'a point, 
saus doute , le piquant des aventures d'une 
fi^vorite ; mais ^Ue profile mieux à la nation 
et lait pliis d'honneur à la royauté. 

Si la eharité offrait à la reine Marie des 
devoirs inépuisables et de véritables consola- 
iioa3, le mariage n'avait plus pour elle que 
des tristesses. Il lui était permis de penser 



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276 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSXA. 

qu'elle avait goûté un plus long bonheur 
conjugal que la plupart des femmes, mais 
l'espoir lui semblait interdit de le voir revivre. 
L'expérience nouvelle que le Roi faisait de 
l'adultère paraissait définitive. Cette madame 
de la Tournelle, devenue duchesse de Châ- 
teauroux, était tout autrement établie à la 
Cour que ne l'avaient été ses sœurs. Dame 
du palais de la Reine, duchesse à brevet, 
comblée de pensions et riche d'amis, sa situa- 
tion se trouvait inattaquable. Aussi jamais 
pouvoir ne fut plus affiché; jamais favorite 
royale ne montra, après plus de volonté dans 
la conquête, plus de sécurité dans la posses- 
sion. Découragée d'une lutte impuissante, 
qui lui avait si mal réussi , la Reine s'efiaçait 
et afiectait de se désintéresser de ces amours. 
Elle ne voulait rien connaître des colères que 
suscitaient, dans l'opinion, le choix fait par 
le Roi, le ton hautain de la maîtresse et la 
croyance générale que l'intrigue et la faveur 
par les femmes allaient dominer le gouverne- 
ment. 

Les chansons irritées et les noëls impi- 
toyables n'apportaient dans les cabinets de la 
Reine que leurs couplets les moins insolents : 
elle eût rougi d'en entendre d'autres. Elle 



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lA BONNE REÎNE. 277" 

restait à la place où le Roi la reléguait, rem- 
plissant ainsi la seule obligation conjugale 
qu'il lui laissât, celle de la parfaite obéis- 
sance. Une seule fois un autre devoir l'ap- 
pela, et Tépouse aussitôt, dans Témoi de cir- 
constances imprévues, et graves, réclama son 
rôle et le prit. 

Au printemps de 1744, la guerre recom- 
mençant avec l'Empereur, le bruit se répan- 
dît que Louis XV songeait à reprendre les 
traditions de sa race et à se mettre à la tête 
de ses soldats. Trois armées entraient en cam- 
pagne, et une quatrième se formait, sous les 
ordres du comte Maurice de Saxe, qui venait 
d'être fait maréchal de France. Elle devait 
couvrir celle du maréchal de Noailles, des- 
tinée à opérer en Flandre et où le Roi était 
attendu. D'oii venait sa décision? Suivait-elle 
une belle résolution de madame de Château- 
roux, qui souhaitait un amant digne d'elle et 
souffrait avec peine qu'on l'accusât d'amollir 
le Roi ? Louis XV obéissait-U à la fois au 
vaiUant caprice de la favorite et aux secrets 
reproches de sa conscience? 11 s'était, en tout 
cas, trop avancé pour renoncer à un projet 
qu'acclamaient déjà l'armée et la France en- 

16 

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!278 LOtlS XV ET MARIE LECZINSKA. 

tîère. Tout le monde autour de lui l'y pous- 
sait, depuis le vieux NoaiUes, qui voulait , 
avant de mourir, avoir combattu sous les 
yeux de son maître, jusqu'à Maurepas, qui se 
flattait de garder seul, en campagne, l'oreille 
du Roi. d'éloigner de lui madame de Ghâ- 
teauroux et de la faire oublier. 

La Reine aussi le désirait, et plus passion- 
nément que personne, autant pour l'honneur 
du Roi que pour les secrètes espérances que 
M. de Maurepas , son conseiller d'alors , lui 
laissait entrevoir; mais, seule peut-être, elle 
n'osait en parler à Louis XV ni même y faire 
allusion. Depuis longtemps elle ne savait plus 
prononcer devant lui que les paroles les plus 
banales et, si elle avait à lui demander la 
moindre grâce, elle le faisait par lettre, ja- 
mais de vive voix. Cet état singulier des 
rapports du Roi et de la Reine n'est marqué 
nulle part mieux que dans ce récit de Luynes : 
« La Reine vint après souper et, se trouvant 
entre madame de Luynes et moi, la conver- 
sation tomba sur le départ du Roi, qui occupe 
tout le monde. Je pris la liberté de lui 
demander si elle ne désirerait pas d'aller sur la 
frontière ; elle me dit qu'elle le souhaitait ex- 
trêmement. J'ajoutai : ce Gela étant, madame, 



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LA BONNE K£iN£« 2^9 

» pourquoi Votre Majesté ne le dit-elle pas au 
))Roi? » Elle me parut embarrassée d'avoir à 
parler au Roi, et croire en même temps que 
le Roi, de son côté, serait embarrassé de l'é- 
couter et encore plus de lui répondre. Enfin 
elle ne trouva point d'autre expédient que de 
le lui écrire. C'était pendant le voyage de 
Ghoisy. Nous crûmes, madame de Luynes et 
moi, qu'elle prendrait ce temps pour envoyer 
sa lettre; mais elle nous répondit toujours 
que cela ferait une nouvelle de voir arriver 
une lettre d'elle à Ghoisy, qu'elle aimait 
mieux écrire quand le Roi serait ici ; qu'elle 
était dans cet usage; que, quoiqu'elle vît le 
Roi presque tous les matins à son petit lever, 
il y avait toujours tant de monde qu'elle ne 
pouvait lui parler en particulier. Jeudi matin 
efifectivement, après avoir été quelque temps 
chez le Roi et étant au moment de s'en aller, 
elle lui remit elle-même sa lettre, mais avec 
beaucoup d'embarras, et s'en alla immédia- 
tement après. Je n'ai point vu celte lettre, 
mais j'ai ouï dire qu'elle lui offrait de le sui- 
vre sur la frontière, de quelle manière il 
voudrait, et qu'elle ne lui demandait point de 
réponse. Vraisemblablement ce dernier article 
sera le seul qui lui sera accordé I » 



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280 LOUIS XY ET MARIE LECZI29SK.A. 

Plusieurs jours se passent en préparatifs, 
sans que le départ soit déclaré publiquement. 
Les gentilshommes qui souhaitent de suivre 
le Roi lui demandent une permission, qu'il 
accorde ou qu'il refuse; le détachement de la 
Bouche qui doit marcher est désigné, ainsi 
que les officiers des Gardes du corps qui res- 
teront à Versailles. Les compagnies de la 
Maison du Roi, gendarmes, chevau-légers et 
mousquetaires, commencent à partir les uns 
après les autres ; le guet du Roi et les Cent— 
Suisses s'y préparent. Le i^^ mai, le Roi 
soupe au grand couvert avec une affluence 
exceptionnelle ; il n'est question du voyage ni 
avant ni après. Il entre chez la Reine au sor- 
tir de table, comme à l'ordinaire, y fait un 
petit quart d'heure de conversation indiffé- 
rente et sort sans avoir parlé de rien, recon- 
duit par la duchesse de Luynes, qui se 
hasarde à lui dire qu'elle fait des vœux pour 
sa santé et pour sa gloire. Il rentre chez lui, 
donne l'ordre pour son coucher à une heure 
et demie, et envoie quérir le Dauphin/Il l'en- 
tretient d'un ton ému, que le jeune homme 
ne lui connaît point, et le congédie pour 
écrire. Au coucher,, il ne fait que changer 
d'habit et rentre dans son cabinet, où l'attend 



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LA BOIfNB REINE. sSl 

son premier aumônier, qui le mène prier 
quelques instants à la chapelle. A trois heu- 
res, il monte en carrosse, avec les torches, 
aux degrés de la cour de Marbre. Le matin 
venu, la Cour apprend qu'il est parti. 

Des lettres de sa main sont portées à la 
Reine, à Madame et à madame de Ventadour. 
La première répond à la prière déjà ancienne 
qu'il a reçue ; mais quelle réponse brève et 
glacée 1 U est bien fâché, dit-il, que les cir- 
constances ne lui permettent pas de faire 
avancer la Reine sur la frontière, à cause de 
la trop grande dépense; il compte qu'elle de- 
meurera à Versailles et qu'elle fera de Trianon 
tel usage qu'elle jugera à propos. Dans la 
lettre à Madame, il y a plus de tendresse et la 
promesse d'écrire alternativement à chacun 
de ses enfants. Mais c'est la bonne « Maman 
Ventadour » qui montre le billet le plus joli : 
« Ma chère maman, j'ai remis à moi» départ, 
pour vous l'adoucir de mon mieux, à vous 
apprendre que c'est avec grand plaisir que je 
vous accorde ce que vous me demandez pour 
votre petite-fiUe, la duchesse de Mazarin ( il 
s'agit d*une pension de deux mUle écus). 
Priez Dieu, maman, pour la prospérité de 
mes armes et pour ma gloire personnelle. 

i6. 



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98a LOUIS XY ET MARIE LEGZINSK.A. 

J*emporte à Tarmée toute la volonté possible 
que* le Dieu des armées m'éclaire, me sou- 
tienne et bénisse mes bonnes intentions. Adieu, 
maman ; j'espère vous retrouver en aussi 
bonne santé que je vous laisse, et je vous 
embrasse du fond du cœur)). Marie donne- 
rait volontiers son château de Trianon et 
sans doute même sa couronne, pour recevoir 
une lettre sur ce ton d'affection, au début 
d'un voyage aussi lointain, aussi dangereux, 
et où elle a vainement rêvé d'être admise. 

D'autres iront, qu'elle n'a pas prévues et 
dont le départ sera pour elle la plus cruelle 
blessure. Les premiers jours, en attendant les 
prières des Quarante- Heures ordonnées par 
le Roi, elle se prive de musique et de concerts ; 
elle fait chanter à sa messe le Domine salvum 
fac Regem qu'elle récite toujours de toute son 
âme; elle écrit au Roi, voulant être dirigée 
par lui dans cette situation inattendue, et se 
sentant plus à Taise avec lui parce qu'il est 
loin. Madame de Châteauroux et sa sœur, la 
duchesse de Lauraguaîs, sont retirées à Plai- 
sance, chez Pâris-Duverney, et ne semblent 
ni affligées ni inquiètes. Mais le bon peuple 
est convaincu que le Roi reviendra îi la Reine 



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LA BONME REINE. 383 

et que le viril métier qu'il va faire le guérira 
de sa passion. Puisqu'il a pu quitter sa maî- 
tresse, pourquoi ne se confesserait-il pas à la 
Pentecôte? Dès à présent, son caractère semble 
transformé et sa popularité s'accroît des nou- 
velles envoyées de Lille : « Le Roi, écrit le 
marquis d'Argenson, fait merveille à l'armée; 
il s'applique, il se donne de grands mouve- 
ments pour savoir et pour connaître ; il parle 
à tout le monde. La joie est grande parmi les 
troupes et les peuples en Flandre. Aurions- 
nous un Roi? )) L'illusion sera de durée courte. 
Trois jours après le départ, les mieux informés 
des courtisans savent qu'à Lille M. deBoufflers 
a fait, à tout hasard, accommoder des mai- 
sons qui percent dans l'hôtel du Gouverne- 
ment, oii demeure le Roi, et qu'on y compte 
voir bientôt certaines dames. 

C'est M. de Richelieu qui les veut et a be- 
soin d'elles. Le Roi subit déjà des influences 
qu'il redoute. Le duc est à même de les obser- 
ver, grâce à la place de Premier gentilhomme 
de la Chambre, qu'il vient d'obtenir et qui le 
rapproche plus que jamais du Roi. Il voit le 
maréchal de Noailles s'emparer peu à peu de 
lui, à propos des affaires militaires. Les princes 
venus à Tçirmée, les grands officiçrs d© UCou-r 



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284 LOUIS XT ET MARIE LBGZI1I8K.A. 

ronne, les prélats surtout, qui sont du parti 
de Maurepas et de la Reine, font au souverain 
sorti de ses habitudes une compagnie qui 
peut finir par lui plaire. La prise de Menin, 
première opération de guerre à laquelle il 
assiste, a paru l'intéresser. La gloire qu'on 
lui promet, avec TalTection de ses peuples, ne 
pourrait-elle le détacher de Tamour? Le nom 
de la Reine, partout prononcé respectueuse- 
ment ou acclamé avec le sien, ne lui donnerait-il 
pas la pensée d'un rapprochement qu'il voit 
désiré de tous ses sujets? 

Richelieu n'ignore point que le Roi a quitté 
Versailles avec l'intention sincère de ne pas 
appeler sa maîtresse. Mais il sait aussi mieux 
que personne combien les tentations le trouvent 
faible, quand elles sont directes et connues, et 
comme il penche à certaines rechutes. Le Pre- 
mier gentilhomme invente d'abord de faire 
venir à Lille la duchesse de Chartres, sous le 
prétexte que son jeune mari est tombé de 
cheval; c'est la princesse de Conti, sa belle- 
mère, acquise par intérêt à madame de Châ- 
teauroux, qui l'a obligée à cette démarche un 
peu singulière et s'est offerte à l'accompagner. 
Chaque princesse a amené sa dame d'hon- 
neur, que d'autres vont suivre. Un mois s'est 



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LA BONNE A£INS« aS5 

à peine écoulé qu'une cour féminine est com- 
mencée à l'armée. Les apparences sont désor- 
mais sauves. Madame de Châteauroux, qui 
finissait par s'inquiéter et dont l'impatience 
était à bout, peut narguer les quolibets des 
régiments et les refrains gouailleurs du popu- 
laire ; rien ne l'empêche plus d'accourir avec 
sa sœur auprès du Roi, qui ne lui en tiendra 
pas rigueur. 

Lies deux duchesses n'ont pas voulu partir 
sans avoir paru une fois à Versailles pour faire 
leur cour à la Reine. Arrivées pendant le jeu, 
elles se sont assises assez loin de Sa Majesté ; 
mais celle-ci, les ayant vues, les a invitées à 
souper avec elle, et leur a parlé pendant le 
repas avec un aussi parfait naturel qu'aux 
autres dames. Toutes savent le prochain 
départ, que la Reine feint d'ignorer et dont 
les voyageuses ne disent mot. La grosse Lau- 
raguais ne se trouble de rien ; mais madame 
de Ghâteauroux a un air visiblement embar- 
rassé qui contraste avec l'aisance de la Reine. 
Une fois de plus, Marie Leczinska s'est tirée à 
son honneur d'une situation délicate et a tra- 
versé avec dignité une heure difficile. Le 
lendemain, sa patience est à bout, et, lorsque 
madame de Modène fait demander à son tour 



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&86 LOUIS XT ET MARIE LEGZIN SS.A . 

à prendre congé pour aller en Flandre : <( Cela 
ne me fait rien, dit la Reine bra8<pienient. 
Qu'elle fasse son sot voyage comme il lui 
plairai y> 

Cependant on apprend de Lille que les 
dames y sont d'abord assez discrètement reçues. 
Ce n'est point le triomphe de madame de 
Montespan, aux mêmes lieux, lorsqu'elle 
accompagnait Louis XIV victorieux à travers 
les Flandres conquises. Madame de Château- 
roux, qui en a souhaité un semblable, doit, 
pour satisfaire son orgueil, se contenter des 
soupers des cabinets, qui ont recommencé 
comme à Versailles. Mais cette vie efféminée, 
au milieu de troupes en campagne, fait perdre 
à Louis XV le mérite de sa présence. L'offi- 
cier rit et le soldat chansonne. On lui sait peu 
de gré d'aller lui-même faire le siège d'Ypres 
et prendre la place en neuf jours. Les dames 
se sont avancées jusqu'à Poperinghe pour 
suivre les brillantes opérations, et la maltresse 
écrit à Richelieu, toujours hantée par son 
rêve : ce Savez-vous bien qu'il n'y a rien de si 
glorieux, ni de si flatteur pour le Roi, et que 
son bisaïeul, tout grand qu'il était, n'en a 
jamais fait autant I » Presque aussitôt, Sa 
Majesté et l'armée de Noailles, laissant en 



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Flandre le maréchal Maurice, se dirigent vers 
l'Alsace où les Impériaux arrivés en nombre 
mettent en danger le duc d'Harcourt et le 
maréchal de Coigny. 

Metz est choisi comme lieu de séjour, le 
Roi y devant attendre l'heure d'attaquer Frî- 
bourg, dont il veut conduire le siège en per- 
sonne. Il s'installe à l'hôtel du Gouvernement; 
mais naadame de Châteauroux exige la com- 
munication de cet hôtel avec la maison du 
Premier président, où elle loge, et une galerie 
en planches, bâtie sur la rue, étale aux yeux de 
la cité lorraine, avec la prétention de le dissi- 
muler, le scandale croissant des amours royales* 

La Reine sait les nouvelles de la guerre 
par les courriers réguliers que lui adresse le 
comte d'Argenson. Le Roi lui écrit parfois 
lui-même, ainsi qu'à ses enfants. Aux grands 
jours de prises de ville, il envoie un page 
qui se présente à elle Fépée au côté et reçoit, 
en échange du noble message, une boîte ou 
une montre d'or. Elle est ainsi tenue au cou- 
rant des faits d'armes, des blessés et des morts 
de distinction, des promotions miUtaires, ce 
qui fournit à ses damesi des sujets de conver-^ 
sation plus relevés qu'à l'ordinaire. 



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288 LOUIS XV ET MARIS LEC2l2«SKA. 

Plusieurs de ses journées se passent k son 
Trianon, où elle dîne avec sa suite, entend 
de la musique et se fait rouler en chaise par 
des Suisses dans les bosquets de Le Nôtre. 
Elle accueille à Meudon la reine sa mère , qui 
vient y chercher refuge, le passage du Rhin 
par le prince Charles de Lorraine ayant in- 
quiété pour la sécurité de la cour de Luné- 
ville. L'étiquette, le devoir et TaOection mul- 
tiplient les distractions autour de la reine 
Marie. Les dames tiennent à honneur d'y être 
nombreuses ; Mademoiselle vient exprès de 
Madrid pour lui faire sa cour, et la comtesse 
de Toulouse, qui n'entre pour rien dans l'in- 
trigue Châteauroux, la prie à souper en son 
pavillon de Louveciennes . Elle soupe plus 
modestement à Sèvres, avec son amie très 
intime, la princesse d'Armagnac, collabora- 
trice habituelle de ses bonnes œuvres ignorées. 
Sa plus agréable journée est à Dampierre, 
chez les Luynes, qui ont fait accommoder un 
appartement pour elle et savent la recevoir 
suivant ses goûts. Comme le Dauphin, pour 
la première fois, est du voyage, on lui fait 
visiter le château et le parc, on le mène en 
gondole voir l'île et jouer au cavagnole dans 
le pavillon ; enfin, après le souper, il entend, 



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LA BONNE REINE. 289 

dans l'orangerie arrangée pour la circons- 
tance, une innocente comédie à laquelle assis- 
tent le curé et les religieuses du viUage. Le 
jeune homme, dans ce milieu affectueux et 
simple, se plaît mieux qu'au solennel Te 
Deum chanté à Paris pour la prise d'Ypres, 
oii il a tenu la place du Roi. Ce qu'il 
souhaiterait le plus, serait d'être à l'armée 
avec son père ; son gouverneur, l'austère et 
religieux duc de Ghâtillon, l'entretient dans 
ces idées . Il ne peut s'empêcher de laisser 
voir son regret à la Reine : « Maman, lui 
dit-il un jour, ne soyez point fâchée que je 
sois affligé de rester avec vous. Je ne sais 
pourquoi le Roi m'a laissé ; le petit de Mon- 
tauban, qui est petit et faible, y est bien allé, 
et moi, qui suis grand et fort, j'aurais bien 
pu y aller. » L'année prochaine permettra au 
prince de montrer, à Fontenoy, sa jeune 
vaillance ; celle-ci ne ménage au fils qu'une 
suite de déceptions. 

Le 9 août au soir, arrivent des lettres de 
Metz, racontant que le Roi est malade et s'est 
alité la veille, avec la fièvre et le mal de tête. 
Chaque jour, désormais, la Reine reçoit un 
billet de d'Argenson et un bulletin de La Pey- 

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dQO LOUIS XV Et MAKIE LEGZINSKA. 



ronie, qui devient bientôt assez inquiétant. 
La fièvre maligne résiste aux saignées et aux 
remèdes. Les médecins ne se prononcent point, 
et Técuyer ordinaire que la Reine envoie à 
Metz rapporte k madame de Luynes quelques 
lignes de M. de Bouillon, grand chambellan, 
qui ne paraissent pas propres à rassurer. 
D'après des nouvelles particulières, le malade 
s'affaiblit tellement en peu de jours, que Ton 
parle sérieusement de le faire confesser et que 
Févêque de Soissons, Fitz-James, qui célèbre 
la messe dans sa chambre, n'a pas craint de 
lui en dire un mot. Le Roi, jusqu'à présent, 
s'y refuse. Madame de Châteauroux et M. de 
Richelieu sont les seules personnes qui en- 
trent auprès de lui, avec les domestiques 
intérieurs ; ils lui persuadent que son état est 
sans gravité. 

On a essayé, pour rester mieux en posses- 
sion de son esprit, d'exclure de la chambre 
les princes et les grands officiers, et il a fallu 
que le comte de Clermont forçât la porte pour 
obtenir qu'ils puissent apercevoir Sa Majesté 
et lui adresser quelques paroles. Le Roi n'a 
point paru, d'ailleurs, être mécontent de cette 
affectueuse hardiesse, et l'ordre accoutumé a 
été rétabli. L'antichambre est maintenant le 



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LA BONNE UEINE. 201 

théâtre de scènes assez vives, où les partis se 
comptent et se défient. Les aides de camp du 
Roi, et parmi eux le duc d'Aumont, tiennent 
pour M. de Richelieu. Les « dévots » ont à 
leur tête le duc de La Rochefoucauld, grand- 
maître de la garde-robe, et sont soutenus par 
l'opinion de la ville, qu'irrite la présence de 
la maîtresse. On escompte déjà l'entrée du 
confesseur, qui exigera son renvoi immédiat. 
Ce confesseur, le Père Pérusseau, jésuite, a 
eu avec madame de Châteauroux, dans un 
cabinet à deux pas du lit, un entretien d'où 
elle est sortie désespérée. Il prétend n'avoir 
pas été trop dur; il ignorQ du reste, en fait, 
la nature des fautes du Roi et, par consé- 
quent, ce qu'il aura à lui imposer après ses 
aveux ; quant aux lois de l'Église, a-t-il dit, 
elles sont formelles sur le point des mœurs, 
et le viatique ne sera apporté au malade que 
lorsque sa concubine, s'il en a une, aura été 
éloignée de la ville. Ce départ, dont l'idée 
indigne la duchesse, n'aura lieu, sans nul 
doute, que sur l'ordre formel du Roi ; mais 
elle le connaît trop bien pour ne pas savoir 
qu'il n'hésitera point à le donner. 

Pendant ces fiévreuses journées de Metz, 
dont les courtisans ne perdront jamais le sou- 



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2Q2 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

venir, la reine Marie vit dans une prière 
constante, émue d'une inquiétude qu'aug- 
mente le souci de Tâme du Roi. C'est à ce 
moment que se révèlent, dans son cœur mis 
à nu par l'émotion, les sentiments d'amour 
qu'elle lui garde : <( On peut croire, dit 
quelqu'un de son entourage , qu'elle ne 
l'aime plus autant ; cependant, il n'est, pas 
bien décidé qu'elle ne l'aime plus qu'elle 
ne le croit elle-même. y> Sa première pensée 
a été d'obtenir de se rendre auprès de lui. 
Ses billets très intimes au comte d'Argenson 
reviennent sans cesse sur ce grand désir : 
(( Quoique vous soyez très exact à me donner 
des nouvelles du Roi, l'inquiétude où je suis 
me fait encore envoyer le courrier qui vous 
remettra cette lettre. Vous présenterez celle 
qui y est jointe et assurerez le Roi de la 
peine où je suis d'être éloignée de lui et de 
l'envie que j'ai de l'aller trouver • J'attendrai 
ses ordres avec soumission et impatience. 
Continuez à me mander comment il est. Ma 
pauvre tête s'en va. » 

EUe dépêche à Metz son écuyer ordinaire, qui 
revient le i4 à midi, rapportant des détails 
plus rassurants, et elle écrit aussitôt h d'Ar- 
genson : « Saint-Cloud vient d'arriver , qui a 



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LA BORNE REINE. 298 

mis un grand calme dans mon âme. Mais je 
vous avoue qu'il ne sera parfait que quand 
j'aurai des nouvelles de la nuit. Je les attends 
avec impatience, peur, espérance ; enfin, tous 
les sentiments que mon tendre attachement 
pour lui m'impose. Je renvoie encore un 
courrier. J'en voudrais avoir à toutes minutes 
et j'insiste à demander, malgré le mieux dont 
Dieu soit loué à jamais, à y aller. Ne crai- 
gnez pas de demander cette grâce pour moi. 
Tôt ou tard on rend justice aux honnêtes 
gens. Pour moi, Dieu m'est témoin que je ne 
conçois qu'un seul désir; c'est toute ma con- 
solation ; c'est le plus beau et le plus vrai . 
Mandez -moi la volonté du Roi. Je lui 
demande en grâce de m'accorder celle de 
l'aller voir. » 

Le même soir, à neuf heures, des nouvelles 
graves furent apportées par un courrier de 
M. de Bouillon : « 11 prit un tremblement à 
la Reine à l'ouverture de celte lettre ; les lar- 
mes lui vinrent aux yeux et elle entra dans 
son cabinet. Madame de Luynes l'y suivit un 
moment après. M. le Dauphin et M. de Châ- 
tillon y arrivèrent. Personne ne savait le 
contenu de cette lettre et tout le monde était 
consterné. Au bout d'une demi-heure, la 



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^QÂ LOUIS XV ET MARtE LECZINSKA. 



Reine sortit de son cabinet et s'en alla à la 
chapelle avec le Dauphin ; elle y resta environ 
un quart d'heure ; elle ne se mit point dans 
sa niche, elle demeura sur la balustrade de la 
grande tribune, sans tapis. Comme la Reine 
sortait de la chapelle, Mesdames y arrivèrent ; 
elles fondaient en larmes. La Reine revint 
chez elle dans le trouble et l'agitation ; on 
n'ouvrait point sa porte qu'elle ne crût que 
c'était un courrier. Elle nous lut la lettre de 
M. de Bouillon, qui, en effet, était effrayante: 
il marquait à la Reine que son respect et son 
attachement pour elle et le devoir de sa charge 
ne lui permettaient pas de lui laisser ignorer 
l'état où se trouvait le Roi ; que la nuit avait 
été fâcheuse, la matinée peu consolante 
(c'étaient les termes de sa lettre), que le Roi 
avait eu des agitations si violentes pendant 
la messe qu'il avait demandé aussitôt le Père 
Pérusseau, qu'il s'était confessé avec beaucoup 
d'édification et qu'il devait recevoir le viatique 
le soir. » Aucune mention n'était faite de ma- 
dame de Châteauroux ; mais la Reine pouvait 
conclure sûrement que la favorite et sa sœur 
étaient dès a présent renvoyées de Metz. Sa 
place était maintenant auprès du Roi, qui 
sans doute allait lui-même l'appeler. 



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LA BOKHÊ HEINE. 2g5 

La nuit se passe à attendre. La Reine est 
dans son petit oratoire, à genoux devant le 
crucifix. Tout ce qui est à Versailles se rend 
dans l'appartement. Sur les onze heures, on 
annonce le courrier de M. d'Argenson. A ce 
mot, la Reine se précipite dans son cabinet, 
prend le paquet et le décacheté de ses mains. 
Elle apprend que le Roi a été saigné au pied 
et qu'il trouve bon qu'elle s'avance jusqu'à 
Lunéville, M. le Dauphin et Mesdames jus- 
qu'à Châlons. La Reine veut partir aussitôt. On 
a peine à lui faire comprendre que quelques 
heures sont nécessaires pour les préparatifs. 
Il faut plus de soixante chevaux au départ, et 
l'écuyer cavalcadour est déjà sur la route pour 
commander les relais , qui seront de quatre- 
vingts chevaux par poste. La Reine décide 
quelles dames l'accompagneront. Sauf deux 
qui sont grosses, toutes les dames de semaine 
le demandent, et madame de Flavacourt elle- 
même, qui est de service, accourt de Paris à 
cinq heures du matin pour se mettre à la 
disposition de sa maîtresse. La situation est 
assez fausse en ce moment pour la sœur de 
la favorite ; la Reine, qui l'aime beaucoup et 
veut lui éviter les rencontres désobligeantes, 
lui dit que toutes les berUnes sont remplies 



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296 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSXA. 

et qu'elle devra venir la rejoindre un peu plus 
tard. 

Les femmes de chambre, cependant, choi- 
sissent les habits et garnissent les cofires. La 
Reine, à cinq heures, entend la messe et, à 
sept, monte en voiture, emmenant les derniers 
gardes du corps restés à Versailles. Quelques 
heures plus tard, on s'occupe du départ de 
Mesdames. La douleur de ces enfants est 
émouvante : la petite Adélaïde en a la fièvre ; 
sa sœur aînée, qui aime passionnément le Roi, 
se roule par terre en poussant des cris affreux. 
Madame de Tallard les conduit à Verdun, 
d'où elles seront aisément à portée d'accourir, 
si les nouvelles deviennent plus mauvaises. 
Pour le Dauphin, M. de Châlillon ne craint 
pas d'outrepasser les ordres du Roi ; sans 
prendre le loisir de préparer le voyage, em- 
porté par un zèle qui lui coûtera cher, c'est à 
Metz tout droit, et sans nul arrêt, qu'il amène 
son élève. 11 juge que le jeune homme, dût-on 
cacher sa présence, ne saurait être, en de tels 
moments, trop près de son père, et il ne songe 
qu'à arriver à tout prix avant la mort. 

Marie refait, en sens inverse et en brûlant 
les étapes, son voyage d'autrefois. Elle couche 



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LA BONNE REINE. 



297 



à Soissons le premier jour; le lendemain, les 
nouvelles qu'elle reçoit en chemin sont si 
mauvaises qu'elle ne s'arrête nulle part, ni à 
Reims, ni à Châlons. Elle comptait donner 
quelques instants à madame d'Ëgmont, en 
son château de Braine: elle l'a vue seulement 
sur la route, sans descendre de voiture. Un 
peu avant Vitry, où elle doit coucher, Stanislas 
est venu au-devant d'elle; les détails qu'il sait 
et qu'il lui cache disent qu'il n'y a plus de res- 
sources dans l'état du malade. On lui apporte 
presque en même temps sur la route une 
lettre de M. d'Argenson, lui mandant que le 
Roi trouve bon qu'elle vienne à Metz et désire 
même l'y voir arriver promplement. Mais ce 
qu'elle veut, c'est être admise sans relard 
auprès de lui. Sa fièvre d'attente est toute 
dans ce billet, écrit en deux fois à d'Argen- 
son, les premières lignes avant d'avoir reçu 
§a lettre : « Je suis à six lieues de Châlons, 
Je profite du temps que je change de chevaux 
pour vous écrire. Au nom de Dieu, obtenez- 
moi la consolation de le voir, et envoyez-moi 
vite la réponse. Vous pouvez juger de mon 
état. Mais Dieu, en qui je mets ma confiance, 
me soutiendra. — A deux heures. Je viens 
de rencontrer votre courrier. Je suis dans la 



17- 



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298 LOUIS XV ET MARIB LEGZIRSKA. 

joie ; mais que Dieu soit loué à jamais I Cela 
me fait encore plus désirer de le voir. Je vous 
conjure d'insister. » 

Pleine de courage toujours et soutenue par 
un espoir nouveau, la Reine part de Vitry à 
la première heure par la route de Toul. Par- 
tout, sur son passage, les mêmes populations 
qui l'ont acclamée autrefois l'entourent d'un 
respectueux silence et d'une émotion atten- 
drie. EUe se sent accompagnée par l'affection 
de la France entière. Ce rapide voyage, qui 
conduit a la bonne Reine » vers le Roi, symbo- 
lise pour leurs sujets la réconciliation désirée, 
où ils voient une fois de plus la fin de leurs 
misères. 

Aux mêmes heures, sur les mêmes routes 
de Lorraine, fuit la favorite chassée, que le 
Roi à renvoyée à Paris avec sa sœur. Un peu 
avant l'entrée des berlines royales à Bar-le- 
Duc, un carrosse aux armes de M. de BeUe- 
Isle, gouverneur de Metz, s'y est arrêté pour 
changer de chevaux; c'étaient mesdames de 
Châleaufoux et de Lauraguais, se dirigeant 
vers Sainte-Menehould. Reconnues par les 
habitants, elles ont été entourées au départ 
par une curiosité hostile et poursuivies par 
des huées qu'elles vont retrouver sur tout le 



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LA BONNE REINE. 29g 

chemin. En d'autres villes, k la Ferlé-sous- 
Jouarre, par exemple, elles risqueront d'être 
assommées. C'est que l'excitation est grande 
dans le pays qu'elles traversent. Déjà, dans 
les églises, aux offices célébrés pour le Roi, 
les prêtres lisent en chaire, par manière d'édi- 
fication, la formule d'amende honorable qu'il 
a prononcée avec l'aveu public qu'il a fait de 
ses fautes ; et les malédictions populaires, qui 
ont toujours épargné le monarque, se déchaî- 
nent hbrement contre sa complice. 

La Reine arrive à Metz à onze heures et 
demie du soir et monte tout droit à la chambre. 
La nuit précédente a été encore plus effrayante 
que les autres, et tout l'entourage a cru que 
c'était la dernière. La fièvre est tombée dans 
la journée, et le malade, veillé par toute une 
Faculté anxieuse, repose depuis peu de temps. 
Dès qu'il ouvre les yeux, on lui dit la pré- 
sence de la Reine. Il n'hésite plus, il veut la 
voir seule et l'embrasse. Sa première parole 
est une prière : « Je vous ai donné, Madame, 
bien des chagrins que vous ne méritez pas ; 
je vous conjure de me les pardonner. — Ehl 
ne savez-vous pas, Monsieur, que vous n'avez 
jamais eu besoin de pardon de ma part? Dieu 



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300 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA. 

seul a été offensé ; ne vous occupez, je vous 
prie, que de Dieu. » 

La Reine n'a pu dire ces mots sans fondre 
en larmes. Mais les remords ne quittent point 
le Roi ; il veut être sûr qu'il est absous par 
l'épouse, après l'avoir été par l'Eglise. Cette 
nuit même, il fait réveiller madame de Villars 
pour savoir d'elle si la Reine lui a vraiment 
pardonné. Quelques heures après, il s'adresse 
à madame de Luynes, qu'il aperçoit dans la 
chambre, et s'excuse encore du scandale et 
des peines qu'elle a pu avoir à cause de lui. 
Il n'a plus à la bouche que la résignation, la 
piété, l'humilité la plus édifiante. Il est déta- 
ché de la vie, ne demandant pas que Dieu lui 
rende la santé, souhaitant plutôt, si c'est sa 
volonté, qu'il le retire de ce monde pour que 
ses peuples soient mieux gouvernés. 

Ces marques d'un repentir aussi sincère 
n'ont rien à changer aux dispositions de 
Marie II y a longtemps qu'elle a pardonné, du 
fond du cœur, à l'époux égaré par de mauvais 
conseils. Mais cette conversion si complète 
ajoute à son bonheur de voir, dès le lende- 
main, se produire une amélioration inespérée. 
Les médecins, qui n'ont pas su grand'chose 
de la marche de la maladie, peuvent du 



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LA BONNE REINE« 3oi 

moins aflRrmer que le Roi est hors de danger. 
Que de joie, que d'espérances aussi dans ce 
billet de la Reine à Maurepas : « Je n'ai rien 
de plus pressé que de vous dire que je suis la 
plus heureuse des créatures. Le Roi se porte 
mieux. Dumoulin assure qu'il est presque 
hors d'affaire; il dit même plus, et je n'ose 
encore m'en flatter. Il a de la bonté pour moi, 
je l'aime à la folie. Dieu veuille avoir pitié de 
nous et nous le conserver I Je vous conseille 
de demander la permission de venir. Adieu, 
ne doutez pas de mon amitié ; j'embrasse 
madame de Maurepas. » 

Pourquoi maintenant Marie s'inquiéterait- 
elle de l'avenir? Chacune de ces journées 
passées par elle auprès du malade, à qui elle 
tâche d'inspirer le goût de sa présence, hâte 
une convalescence qui semble miraculeuse. 
Bientôt les forces reviennent; le Roi, qui boit 
encore du pavot pour dormir, prend du quin- 
quina trois fois par jour et mange avec appétit 
deux blancs de poularde. Il joue des parties 
de quadrille et commence à faire quelques 
pas dans sa chambre. Il ne s'est pas informé 
de madame de Ghâteauroux et paraît ne plus 
penser à elle. La maison qu'elle habitait est 
occupée à présent parle Dauphin, que le Roi 



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303 LOUIS XY ST MARIE lECZINSKA. 

reçoit tous les jours ainsi que Mesdames, 
prenant plaisir à s'entourer de ses enfants. La 
première lettre cpi'il a pu écrire a été pour 
Madame Infante. D en a adressé une fort tou- 
chante à l'évêque de Metx, pour demander un 
Te Deum solennel en sa cathédrale. La Reine 
et ses dames ne manquent pas d'y assister. 

Ces heureuses nouvelles ont couru rapide- 
ment le royaume . Dans chaque ville , de la 
capitale à la plus humble, les actions de grâces 
publiques ont éclaté. On a vu paraître, en des 
réjouissances extraordinaires, tout ce que peut 
inventer la joie spontanée des citoyens ; et 
partout la pensée de la Reine y est associée 
comme celle de l'ange gardien de Louis XV, 
Un beau titre, sorti des lèvres du peuple, est 
décerné au successeur de Louis le Grand, On 
va le graver sur les médailles, l'inscrire aux 
dédicaces des livres et aux piédestaux des 
statues : le convalescent de Metz, le converti 
de l'évêque de Soissons, le héros de la cam- 
pagne de Flandre est maintenant pour la 
France entière, autant que pour la reine Marie, 
Louis le Bien-Aimé! 

On a compté sans M. de Richelieu, qui a 
laissé passer l'orage, la fureur de dévotion et 



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LA BONNE REINE. 3o3 

de repentir, mais qui sait comment reprendre 
son maître et détourner le cours de ses idées. 
Le jour où le Roi a été administré, alors qu'il 
ne comprenait plus guère ce qu'il ordonnait, 
on lui a fait exiler le Premier gentilhomme 
dans son gouvernement de Languedoc ; celui- 
ci n'est point parti sur-le-champ; le Roi, 
revenu à lui, lui a su gré d'être encore là et, 
en lui rendant sa confiance, lui a laissé le 
moyen d'en abuser. La partie liée par Riche- 
lieu avec madame de Châteauroux, quoique 
perdue en apparence, n'est aucunement com- 
promise à leurs yeux. Toute la rouerie du 
courtisan tend à rappeler la favorite k Tesprit 
du Roi, à effacer les impressions que la ma- 
ladie et les gens lui ont données contre elle 
et à préparer, comme elle dit, « le châtiment 
des méchants ». 

Des lettres suppliantes ou impérieuses, mais 
toujours confiantes, lui arrivent de sa belle 
nièce: « On dit ici, écrit-elle de Paris, qu'il 
a promis de se réconcilier avec la Reine. 
Tout le monde le désire ; vous savez si cela 
peut être I II n'aura jamais pour elle que des 
égards ; mais il portera toujours son cœur à 
ime autre. » Et, quelques jours après : « Tran- 
quillisez-vous, cher oncle ; il se prépare de 



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Soi LOUIS XY ET MARIE LEGZIlfSKA. 

beaux coups pour nous. Nous avons eu de 
rudes moments à passer, mais ils le sont. Je 
ne connais pas le Roi dévot ; mais je le con- 
nais honnête et capable d'amitié. Quelques 
réflexions qu'il fasse, sans me flatter, je croîs 
qu'elles ne seront qu'à mon avantage. Il est bien 
sûr de moi et bien persuadé que je l'aime 
pour lui, et il a bien raison, car j'ai senti que 
je l'aimais à la folie ; mais c'est un grand point 
qu'il le sache, et j'espère que sa maladie ne 
lui a point ôté la mémoire. Jusqu'ici personne 
n'a connu son cœur que moi, et je vous 
réponds qu'il l'a bon, et très bon, et très 
capable de sentiments. . . Tout ce que les Faqui- 
nets ont fait pendant sa maladie ne fera que 
rendre mon sort plus heureux et plus stable... 
( Mais ) il ne faut marquer avoir aucune espé- 
rance de retour ; c'est inutile, et cela aug- 
menterait la rage de ces monstres. » Richelieu 
n'a garde de compromettre la galante cause ; 
il ne précipite rien et attend les occasions que 
ne peut manquer de lui fournir la maladresse 
de l'entourage de la Reine. 

Depuis que la convalescence est commencée, 
les dames ne cachent plus leur confiance dans 
une réconciliation complète. Elles la montrent 
jusqu'en leur toilette, qui n'a jamais été plus 



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LA BONNE REINE. 3o5 

spirituelle. Les « vieilles dames », comme on 
les appelle, remettent du rouge, oient le «bec 
noir )) de leurs cheveux, et annoncent leur 
espérance par des rubans verts. La Reine est 
gagnée par toute cette excitation féminine ; 
elle retrouve, à quarante ans passés, ses inno- 
centes coquetteries de jeunesse; elle ne se 
montre plus que mise à merveille et porte des 
robes couleur de rose. On espère que le Roi 
va oublier madame de Châteauroux, et Ton 
croit habile de retarder le moment oii madame 
de Flavacourt, qui vient d'arriver, se présen- 
tera devant lui, de peur de réveiller le sou- 
venir de sa sœur. 

M. de Richelieu se plaît à faire deviner au 
Roi ces petits manèges. Il rapporte et invente 
au besoin cent histoires, fort plaisantes, sur les 
conciliabules des «mères des églises». Il en 
appelle au témoignage du valet de chambre 
Lebel, qui a succédé à Rachelier et n'est pas 
moins dévoué que son prédécesseur aux pro- 
fitables amours. Lebel ou Richelieu annonce 
un jour que la duchesse de Luynes, prévoyant 
((un glorieux événement», a fait mettre deux 
oreillers sur le traversin de la Reine. Rien 
n'irrite plus le Roi que ce qui semble peser 
sur sa décision ou en escompter les suites. 11 



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3o6 LOUIS XV ET MARIfi LSGZINSRA. 

se montre vite refroidi et mécontent. Marie 
s'aperçoit que quelque chose est changé dans 
ses dispositions. Il ne lui dit point ses des- 
seins et ne parle aucunement d'aller k Stras- 
bourg' avec elle, ce qui serait sa grande joie 
pour mainte raison de souvenir. 

Pendant ce temps, madame de Châteauroux 
sait, à distance, beaucoup mieux qu'elle, les 
sentiments changeants de Louis XV et, préci- 
sément sur ce voyage de Strasbourg, elle écrit 
hardiment à Richelieu : « Moi, je crois que, 
s'il y allait tout seul, cela vaudrait mieux pour 
le débarrasser de la Reine, et puis pour 
qu'à son retour il prît son train de vie ordi- 
naire. Je suis persuadée même que c'est là sa 
façon de penser et qu'actuellement il rumine 
à tous ces arrangements-là. » 

Madame de Châteauroux ne se vante point 
et connaît, en effet, très bien le Roi. La dévo- 
tion du malade, qui n'a point de racines au 
fond solide de sa conscience, chancelle dès le 
premier retour de ses forces. Son entourage 
travaille, du reste, très ardemment à la dé- 
truire. On l'assure qu'il n'a point été en aussi 
grand danger que les prêtres le lui ont per- 
suadé ; on lui suggère qu'ils l'ont entretenu 
prématurément de son lâalut éternel dans 



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LA BONNE REINE. 3o7 



Tunique but de servir des intérêts fort ter- 
restres ; on regrette enfin le coupable abus 
qu'ils ont fait de sa confiance de fidèle et de 
son affaiblissement momentané. Aucune insi- 
nuation ne convient mieux à un caractère 
comme celui du Roi pour le retourner entiè- 
rement. 

Dès la fin de septembre, le duc de Luynes, 
qui, sans être attaché à un parti, est hon- 
nête homme et religieux, tire de certains faits 
extérieurs des observations clairvoyantes : 
(( A l'égard des sentiments de religion dont 
on a vu des preuves éclatantes dans cette 
maladie-ci, ce que l'on voit à présent ne pour- 
rait pas faire juger que ces sentiments n'aient 
souffert quelque diminution. Depuis le com- 
mencement de cette campagne, le Roi avait 
pris l'habitude de ne plus faire aucune prière 
à genoux, ni le soir, ni le matin, usage 
contraire à ce qu'il a fait toute sa vie. Il faut 
supposer qu'il faisait ses prières dans son lit, 
mais le public n'en était plus témoin. On 
aurait pu juger que dans la circonstance pré- 
sente il aurait pu recommencer à prier Dieu 
à genoux ; cependant les choses subsistent 
comme elles étaient depuis le commencement 
de la campagne ; il faut espérer que c'est la 



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3o8 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA. 



faiblesse qui l'empêche de se mettre à genoux. 
Dans les commencements qu'il a été hors de 
danger de cette maladie-ci, il avait des temps 
de conversation et de prière aveclePèrePérus- 
seau ; cet usage a duré fort peu, et depuis on 
a vu son temps partagé entre les heures qu il 
donne au public, soit pour son lever ou son 
coucher, soit pour manger, ses deux parties de 
quadrille qu'il a faites presque tous les jours, 
ses conseils et les temps de travail avec ses 
ministres, sans qu'il y ait eu un moment où 
il ait pu placer des prières. » 

Que la Reine l'ait voulu ou non, les dévots, 
contre lesquels Louis XV est désormais pré- 
venu pour toujours, ont soutenu sa cause et 
l'ont mise dans leur parti. Elle est trop leur 
amie pour ne pas devenir suspecte elle-même 
aux yeux du soupçonneux convalescent; elle 
s'en plaint aux personnes qui l'entourent et 
qui peuvent, d'ailleurs, comme fait le duc de 
Luynes, constater la chose de leurs yeux : 
(( Dans les commencements que la Reine est 
arrivée ici, il y avait assez lieu d'espérer que 
l'indifférence du Roi, trop connue pour elle, 
pourrait peut-être changer. Non seulement il 
lui avait demandé pardon, comme je l'ai mar- 
qué, mais il avait paru lui faire amitié. De- 



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LA BONNE REINE. SoQ 

puis le séjour de Metz, les choses paraissent 
bien changées, et le froid est aussi grand que 
jamais ; soit que les conversations trop vives 
et trop fréquentes de la Reine avec le Dauphin, 
en sa présence, lui aient déplu ; soit que ce 
soît l'effet des sentiments qu'il avait pour elle 
depuis longtemps et que Ton avait cherché à 
entretenir et à augmenter ; soit enfin que la 
mauvaise humeur du Roi en soit la seule 
cause; peut-être toutes ces raîsons ensemble 
y contribuent-elles. » Quoi qu'il en soit, c'en 
est fait des illusions les plus obstinées. La toi- 
lette des dames devient plus modeste : on met 
moins de rouge, les coiffures s'abaissent et le 
bec noir reparaît. 

Marie ne parvient à rien savoir des projets 
du Roi, qui demeure impénétrable. Il a dit, 
à son dîner, qu'il ne serait à Versailles qu'a- 
près la Toussaint; mais on ignore s'il doit 
passer son temps en Lorraine ou s'il ira déci- 
dément, dans la capitale de l'Alsace, suivre de 
plus près les opérations du siège de Fribourg 
qui commence et dont le résultat fort incer- 
tain décidera du sort de la campagne. En 
attendant, les Enfants de France viennent de 
partir, faisant détour par Lunéville pour voir 



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3lO LOUIS XV ET MARIE LECZINSRA. 

le roi et la reine de Pologne. Le Roi a con- 
gédié assez froidement le Dauphin, de qui lui 
ont été rapportés des propos désobligeants sur 
madame de Châteauroux. Quant au duc de 
Ghâtillon, on peut sentir l'orage sur sa tête. 
Il a eu beau avouer la faute qu'il a commise 
et demander qu'on l'oublie, le Roi n'a répondu 
aux prières que par le silence. 11 garde sur le 
cœur l'arrivée de son fils à Metz contre ses 
ordres, la comédie qui s'en est suivie pour la 
dissimuler les premiers jours^ et surtout la 
départ inconvenant et précipité de Versailles, 
avec un valet de chambre et un seul garde du 
corps, où Ton a vu l'héritier de la couronne 
de France l'aller recueillir en hâte, « comme 
un gentilhomme gascon serait venu dans son 
village pour y enterrer son père et prendre 
possession de sa maison ». De toutes les fautes 
contre sa personne, dont Louis XV croit avoir 
à se plaindre, celle-ci est la plus manifeste et 
celle qu'il peut le moins tolérer. 

La disgrâce prochaine du duo de Ghâtillon 
sera la première revanche de Richelieu et la 
premier gage offert à la maîtresse. Le Roi main- 
tenant ne songe plus qu'à se faire pardonner 
d'elle l'éclat et l'humiliation de son renvoi. 
Richelieu, jouant son rôle jusqu'au bout, pré- 



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LA. BOI^IHli; RSIIHK. 3ll 



sente la chose comme difficile et met en jeu 
les sentiments chevaleresques de Tamant : il 
doit faire d'abord une action d'éclat, dont la 
réconciliation pourra sembler le prix. Gomme 
le Roi avoue son impatience au Premier gen- 
tilhomme et le prie de le précéder pour avertir 
la duchesse qu'il revient: « Je ne m'en avi- 
serais pas, Sire, répond Richelieu. Je vous 
servirais trop mal ; elle ne nous pardonnerait 
jamais. — Que faut-il donc faire? dit le Roi, 
— Aller à Fribourg, Sire. Elle voulait y suivre 
Votre Majesté. Vous devez lui annoncer qu'en 
remplissant ses projets, vous espérez qu'elle ne 
détruira pas les vôtres. Voilà ce que Henri IV 
eût mandé à la Relie Gabrielle ; voilà la 
seule explication que vous devez à madame 
de Châteauroux; c'est la seule aussi qu'elle 
puisse accepter. » Le soir même, sans avoir 
prévenu aucun ministre, le Roi annonce le 
voyage de Strasbourg, son retour à la tête des 
troupes, et, séance tenante, distribue des 
cocardes aux courtisans. 

Ainsi la Reine voyait s'éteindre l'une après 

l'autre ses espérances. Elle ne connaissait que 

* par le public les bruits de départ et ignorait 

même la décision prise sur son propre sort. 

Comme il fallait pourtant qu'elle s'y pût pré-^ 



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3l3 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA. 

parer, elle s*enhardit à en parler au Roi : « Elle 
lui dît qu'ayant appris qu'il allait à Saveme 
et Strasbourg, elle espérait qu'il lui permet- 
trait de l'y suivre. Le Roi lui répondit assez 
froidement : (( Ce n'est pas la peine. » et, sans 
paraître vouloir entendre un plus long dis- 
cours, il alla faire la conversation avec les 
gens qui étaient dans la chambre; ensuite, 
il commença sa partie de quadrille. » La 
Reine n'en peut obtenir davantage et doit se 
disposer à quitter Metz. Moins heureuse que 
la princesse de Conti et la duchesse de Char- 
tres, déjà arrivées à Strasbourg, et que Made- 
moiselle et la duchesse de Modène, autorisées 
l'une et l'autre à y aller, elle n'a plus qu'à 
choisir les dames qui la ramèneront à Ver- 
sailles. Madame de Flavacourt est avertie par 
la Reine, assez sèchement, qu'elle devra partir 
avant les autres et qu'on ne la conduit pas à 
Lunéville. 

Le Roi et la Reine sont attendus chez le 
duc de Lorraine, qui ménage à sa fille la con- 
solation de l'accueil paternel et les distractions 
d'une aimable cour. Louis XV n'a pu se dis- 
penser d'y paraître. Il arrive, vingt-quatre 
heures après Marie, reçu comme elle « aux 
acclamations des peuples » , accompagné de 



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LA BONNE REINE. 3l3 

M. de la Galaîsîère, son chancelier et son 
intendant en Lorraine, et d'une élégante escorte 
de femmes de la ville, en amazones, qui ont 
été passées en revue par la Reine. H consacre 
troîs journées à sa visite. Stanislas lui fait 
voir les curiosités d'une résidence embellie 
par ses soins et mise hardiment au goût du 
jour, grâce à de beaux revenus largement 
dépensés. L'ancien exilé de Wissembourg a 
oublié son temps de misère . A côté des fon- 
dations charitables par lesquelles il veut 
gagner le surnom de « Bienfaisant » , il se 
plaît à multiplier les créations de Tart. Celles 
qu'il a déjà faites sont préférées par ses flatteurs 
aux grandeurs démodées de Versailles : le 
rocher mouvant, les cascades, le canal creusé 
à la place d'anciens marais, le kiosque à la 
polonaise qui sert pour la musique et où les 
eaux font mouvoir de petites figures d'exé- 
cutants, le brillant salon de Ghanheux, dans 
le genre de celui de Marly, mais plus chargé 
de dorures, la ménagerie de Jolivet, enfin, à 
deux lieues de Lunéville, le château d'Ain ville, 
avec l'admirable point de vue de sa galerie. 
Entre les promenades , le jeu , la comédie , 
Louis XV baise les chanoinesses d'Epinal et 
celles de Remiremont et se fait présenter les 

i8 

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3l4 LOUIS XV ET MAEfC LEGZINSKA. 

femmes de grande condition, sans prendre 
toutefois la peine d'adresser la parole à aucune ; 
il ne semble occupé que de la guerre, s'entre- 
tient avec les maréchaux de Nouilles , 4^ 
Belle-Isle et de Maillebois, et travaille conti- 
nuellement avec M. d'Argenson. 

Le roi et la reine de Pologne ont cédé à 
leurs enfanls leurs appartements, voisins Fun 
de Tautre. Espéraient-ils de ce séjour le rap- 
prochement manqué à Metz? Marie y recueille 
seulement d'autres duretés : « La Heine a fait 
encore une nouvelle tentative pour avoir la 
permission d'aller à ^trtiqbourg. Le Roi lui a 
répondu avec la même sécheresse : « Ce n'est 
pas la peine, je n'y serai presque pas. » Elle 
lui a demandé ensuite si au moins elle ^e 
pouvait pas rester ici i il lui a répondu sur le 
même ton : « Il faut partir trois ou quatre jours 
après moi. » La Reine est, comme l'on peut 
juger, fort affligée d'un traitemeut aussi dur. » 
Le matin du jour où Louis quitte Lwéyille, 
la reine de Pologne est malade et ne port 
point de son lit; il part s^s demander à 
l'aller voir, ce qui choque tout le monde, et 
surtout les dames lorraines, qui ne lui par- 
donnent pas les apparences dédaigneuses de 
son silence et 1^ sans-gêue dô s^ tipiidité. 



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LA BONNE REINE. 3l5 

A Strasbourg d'admirables fêtes l'attendent, 
où le peuple alsacien marque une fois de plus 
sa fidélité à la France et renouvelle les magni- 
ficences déployées , il y a dix-neuf ans , pour 
Marie Leczinska. Avec les premiers écbos de 
ces réjouissances, qui rappellent à la Reine 
des souvenirs si doux jadis, à présent si dou- 
loureux, arrive à Lunéville une triste nouvelle: 
Madame Sixième vient de mourir à Fonte- 
vrault. Elle avait sept ans et demi, et c'était 
celle des princesses qu'on disait ressembler au 
roi Stanislas . La Reine suspend son jeu et, 
pendatit deux jours, son dîner en public; elle 
le repreniJ, pour convier à sa table quelques- 
unes des sujettes de son père. Au château de 
la Malgrange, dont Stanislas lui fait les hon- 
îieurs, elle reçoit les dames de Nancy, qui ont 
eu la permission de venir lui faire leur cour 
« en robe de chambre ». A ce moment, elle 
est déjà dans le voyage de son retour; C'est 
une semaine pénible à passer, oii la solitude 
et l'accablement l'étreignent. 

Elle se confie à un ami, à d'Argenson, en ce 
billet écrit le 7 octobre, jour de son départ de 
Lunéville : ce Je suis bien persuadée du désir 
que voiis aviez que l'on satisfît le mien. Mais 
lés plaisirs^ même les plus innocents ^ ne sont 



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3l6 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 



pas faits pour moi ; aussi n'en veux-je plus 
chercher dans le monde. Je fonds en vous 
écrivant, je ne sais pas un mot de ce que je 
vous dis. Je sais seulement que mon cœur 
parle et qu'il est dans la douleur. Je laisse 
ma pauvre mère dans un état pitoyable. Vous 
connaissez mon tendre attachement pour elle; 
jugez ce que la séparation me coule. Adieu, 
donnez-moi souvent de vos nouvelles; ôtez 
(( majesté » , « sujet » et « serviteur » . Brûlez 
ma lettre et comptez sur moi pour toute ma 
vie. » 

Par une ironie du sort, fréquente dans la 
vie des grands, la Reine est partout* accueillie 
par des sentiments que chacun croit d'accord 
avec les siens et qui en sont justement le con- 
traire. Dans toutes les villes où elle doit subir 
les présentations et les harangues d'usage, 
elle trouve la joie et la confiance renaissantes. 
Rien n'altère encore aux yeux de la nation 
les heureux événements de Metz, et c'est elle 
qu'on se plaît à en remercier. C'est à sa 
venue, à son intervention, à ses prières, qu'on 
veut attribuer le bonheur de la France. La 
belle légende dont elle est digne met une 
auréole au front pur de la bonne Reine. Ses 
vertus visibles ou devinées, sa charité, son 



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LA BONNE REINE. Siy 

esprit de justice, son amour des pauvres et 
des souffrants, tout contribue à jeter à ses 
pieds, partout où elle passe, la reconnaissance 
et l'amour. Rien ne lui pourrait être plus 
délicieux, si elle ne portait au fond d'elle- 
même la secrète blessure de ses désillusions 
dernières. 

A Versailles, on lui fait fête, on la félicite, 
on l'entoure. La Cour n'a jamais été aussi 
brillante, et jamais les dames aussi nom- 
breuses. Le jour de l'arrivée de la Reine, on 
en a compté jusqu'à soixante-quatorze dans 
sa chambre. Au premier sermon de la cha- 
pelle, le Père Beauvais, jésuite, lui a adressé 
un compliment, dans lequel les allusions 
consolantes n'ont point manqué. La guerre, 
où le Roi paye si vaillamment de sa personne, 
préoccupe et enthousiasme les esprits. Les 
nouvelles de l'armée deviennent de plus en 
plus intéressantes. Sous les yeux du souve- 
rain, les troupes font des prodiges. Le siège 
de Fribourg est meurtrier ; la place est forte- 
ment défendue par sa position ; on a perdu, 
en deux fois, quatorze cents hommes pour se 
rendre maître du chemin couvert des assiégés ; 
MM. de Soubise et de Lowendal sont blessés. 

i8. 

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3l8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

Enfin, la reddition a lieu, sans que î^assàiit 
soit donné, et le Roi, ramenant sa maison, 
revient à màrcheâ forcées vei'S Paris, où 
l'attend le prix de seâ victoires. 

Il artivé le soir du t3 novembre, et va 
tout droit aux Tuileries en traversant la Ville 
joyeuse et illuminée. Une foule énôrine en- 
combre les abords du palais et le palais 
même. Toute la Cour est là : « La Reine 
s'avança, avec M. le Dauphin et Mesdames, 
jusqu'à la porté dé la salle dil Trône, le Rdi 
l'embrassa et Itiî remit une lettre de Madame 
Infante ; il embrassa ensuite ses enfants et 
entra aussitôt dans la galerie. Il fut d'un bout 
à l'autre pôilr voir tout ce qui y était, et parla 
à plusieurs personnes, entre autres au prévôt 
des Marchands. Il passa ensuite dans son 
appartement ; M . le Dauphin et Mesdames 
l'y suivirent, et il travailla énStiité peti dé 
temps avec M. de MàUrépâs. La Reine vint 
se niettre au jeu, ce qui duta jusqu'à tiéuf 
heures. Elle le quitta un péU avant que le 
Roi eût fini son travail. A neuf heUteS et un 
quart, le Roi, la Reine, M. le DaUphin et 
Mesdames se mirent à tàblè au grand cou- 
vert, dans l'antichambre entre là Sâllë des 
Gardes et la sàllé du Trôné. On iié péUt 



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LA BONNE KEINE. 3ïg 

se représenter la foule excessive qiiî était dans 
la galerie et dans la salle où le Roi mange... 
Les vingt-quatre violons jouèretit pendant une 
demi-heure. Après le souper, le Roi resta 
dans la galerie avec la Reine, M. le Dauphin 
et Mesdames, et y fut une demi-heure à faire 
la conversation. Il n'y eut point de jeu. Le 
Roi et la Reine se retirèrent chacun dans leur 
appartement. » On avait trouvé le Roi amai- 
gri et \ih peu changé. 

Cette nuit-là, un incident se produisit chez 
la Reine, qui fut jugé assez sérieux pour être 
rapporté le matin au duc de Luynes : « J'ai 
su, dit-il, qu'on était venu trois fois gratter 
à la porte de communication de la chambre 
du Roi k la chambre de la Reine. Les femmes 
de la Reine Téh avertirent, mais elle leur dit 
qu'elles se trompaient et que le bruit qu'elles 
entendaient était causé par le vent. Ce bruit 
ayant recommencé une troisième fois^ la Reine, 
après quelque temps d'incertitude, dit qu'on 
ouvrît, et l'on ne trouva personne. On n'a su 
ce détail que par les femmes de chambre de 
la Reine qui peuvent s'être trompées. » Elles 
s'étaient trompées, sans doute, et l'on démêle 
aisément le double sentiment de la scène : la 
ctédule imaginaliôil des femmes, qui recon- 



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320 LOUIS XY ET MARIE LEGZI!fSKA. 

naissent Tappel attendu par elles avec certi- 
tude, et la tranquillité désabusée de la Reine 
qui sait beaucoup mieux à quoi s'en tenir. 

Louis XV et Marie Leczinzka couchèrent 
cinq nuits aux Tuileries et passèrent à Paris 
quatre journées pleines. Depuis le retour de 
la Cour à Versailles, jamais la capitale n'avait 
possédé aussi longtemps ses souverains. Ja- 
mais non plus les circonstances n'avaient été 
aussi heureuses. Ce ne furent que fêtes pu- 
bliques , cérémonies religieuses , audiences 
solennelles, harangues et concerts. Les illu- 
minations seules étaient un peu contrariées 
par le mauvais temps de novembre. Chaque 
jour les rues étaient parcourues par les deux 
grands carrosses à huit chevaux, suivis de 
tous ceux de la Cour et escortés par la caval- 
cade interminable de la Maison du Roi. La 
pluie n'empêchait pas le bon peuple de se por- 
ter sur tous les points où passait et repassait la 
famille royale. Celle-ci fut en perpétuelle repré- 
sentation, sauf un après-midi où la Reine fut 
visiter un couvent de carmélites, tandis que 
le Roi courait le daim au bois de Boulogne 
avec Mesdames, qu'il avait voulu voir monter 
à cheval. 

Tous les soirs, sans exception, les bour- 



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LA BONNE REINE. 321 

geoîs et les bourgeoises se pressèrent aux Tui- 
leries, au souper public de Leurs Majestés et 
au concert de la Reine, où chacun pouvait 
pénétrer pourvu qu'il fût vêtu de noir, à cause 
du deuil pour Madame Sixième. A la grand'- 
messe à Notre-Dame, toute la Cour était en 
noir, hors le Roi habillé de velours brun 
ciselé, la Reine en robe brodée d*or et chargée 
de réseaux d'or, et Mesdames, que paraient 
de nombreux diamants et un blanc de petit 
deuil. Un même dais était préparé pour Leurs 
Majestés au milieu du chœur. Le vieil arche- 
vêque de Paris, malgré ses quatre-vingt-cinq 
ans, vint faire au Roi le compliment de l'entrée ; 
la Reine, arrivée un demi-quart d'heure après, 
avec la duchesse de Chartres, Mademoiselle et 
mademoiselle de la Roche-sur-Yon, n'eut que 
le jeu des orgues comme pour l'entrée du Roi. 
Dès qu'elle fut placée sous le dais, à côté du 
Roi, l'abbé d'Harcourt, doyen du chapitre, 
commença la messe, accompagnée de sym- 
phonie et des chants de la musique de Notre- 
Dame. Il n'y avait que six ducs devant le 
Roi. On remarqua la présence des trois Pre- 
miers gentilshommes de la Chambre et l'ab- 
sence du quatrième, M. de Richelieu, qui 
n'avait point suivi le Roi à Paris et était allé, 



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322 LOUIS XV £T MAlilË tEGZINSKA. 

comme gouverneur du Languedoc, tenir les 
Étals de cette province. Rien n'était plus 
agréable aux Parisiens ; ils faisaient parlager 
à Richelieu l'impopularité de madame de 
Châteauroux et voyaient dans cet éloigne- 
ment, qui avait été pour Ife courtisan un moyen 
d'esquiver un retour difficile, la preuve d'un 
commencement de défaveur. 

Le dîner du Roi à l'Hôtel de Villej qui eut 
lieu le i5, commença dès trois heures et dura 
jusqu'à .cinq heures et demie. La table avait 
trente couverts ; le Prévôt des marchands, en 
robe rouge, était derrière le fauteuil dé Sa 
Majesté et la servait; les premiers échevins 
servaient le Dauphin et le duc de Chartres. 
Deux cents personnes seulement, surtout des 
dames, occupaient les banquettes autour de 
la salle. La musique du Roi joua pendant le 
dîner ; Rebel, directeur de l'Opéra, la diri- 
geait. Le duc de Gesvres présenta au Roi et 
au Dauphin, sous une reliure de maroquin 
bleu, le poème des Augustales, composé sur 
la convalescence royale, « par le sieur Roy, 
poète fameux», et qui fut chanté au cours du 
repas, ainsi que divers airs d'opéra. Le Roi à 
table avait grand air de santé et mangea de 
tout. Le diner fini, les portes furent ouvertes, 



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tA BONNE REINE. 323 

selon Tusage, et le peuple pilla le fruît. Sur 
les six heures» le Roi remonta dans ses car- 
rossas, et, toujours escorté par sa Maison, qui 
avilit attepdu sur la place de Grève, fut au 
salut chez les Grands Jésuites, ceux de la rue 
Saint-Antoine, où .étaient déjà la Reine et 
Mesdames. Les Pères le complimentèrent sur 
le perron de l'église, par une pluie battante, 
et Sa Majesté se divertit de les voir mouillés. 
Après le salut et le Te J)eum qui suivit, le 
cortège du Roi et celui de la Reine traver- 
sèrent tout Paris, rempli d'illuminations aux- 
quelles le temps se prêtait mal, et ne rentrèrent 
aux Tuileries qu'à huit heures et demie. 

Perdue au milieu de cette foule qui accla- 
mait Louis XV, le jour de THôtel de Ville, 
une femme le voyait passer avec une émotion 
particulière, Depuis l'arrivée, le Roi, privé de 
son intermédiaire ordinaire, n'avait rien fait 
savoir à madame de Châteauroux, et celle-ci, 
inquiète de cette indifférence, écrivait à Riche- 
lieu, au sortir de l'admirable spectacle de la 
rue, une lettre où s€î peint une situation d'es- 
prit tQul autre que celle qu'on suppose : ç< Il 
est venu à Paris, cher oncle, et je ne puis 
voun rendre rivyesse des bons Parisiens. Tout 



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3^4 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSRA. 

injustes qu'ils sont pour moi, je ne puis m'em- 
pêcher de les aimer, à cause de leur amour 
pour le Roi. Us lui ont donné le nom de Bien- 
Aimé, et ce tilre efface tous leurs torts envers 
moi. Vous ne savez pas ce qu'il m'en a coûté 
de le savoir si près, et de. ne pas recevoir la 
moindre marque de ressouvenir . . . Loin de 
vouloir mettre des conditions à mon retour 
par l'exil des uns et des autres, je me sens 
assez de faiblesse pour me rendre à une simple 
demande du maître. Mais dites-moi donc: 
croyez-vous qu'il m'aime encore?... Il croit 
peut-être avoir trop de torts à effacer, et c'est 
ce qui l'empêche de revenir. Ah I il ne sait 
pas qu'ils sont tous oubliés. Je n'ai pu résis- 
ter au plaisir de le voir. J'étais condamnée a 
la retraite et à la douleur, pendant que tout 
le monde se livrait à la joie. J'ai voulu en 
voir au moins le spectacle ; je me suis mise 
de manière à n'être pas reconnue et, avec 
mademoiselle Hébert, j'ai été sur son passage; 
je l'ai vu, il avait l'air joyeux et attendri ; il 
est donc capable d'un sentiment tendre I Je 
l'ai fixé longtemps, et, voyez ce que c'est que 
l'imagination, j'ai cru qu'il avait jeté les yeux 
sur moi et qu'il cherchait à me reconnaître. 
Sa voiture allait si lentement que j'eus le temps 



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LA BONNE REINE. 325 

de Texaminer longtemps. Je ne puis vous 
exprimer ce qui se passa en moi; je me trou- 
vai dans la foule très pressée, et je me repro- 
chais quelquefois cette démarche pour un 
homme pour qui j'avais été traitée si inhu- 
mainement. Mais, entraînée par les éloges 
qu'on faisait de lui, par les cris que l'ivresse 
arrachait à tous les spectateurs, je n'avais 
plus la force de m'occuper de moi. Une seule 
voix, sortie près de moi, me rappela à mes 
malheurs en me nommant d'une manière bien 
injurieuse. » Cette lettre, où éclatent la passion 
de la femme et toute sa sincérité, s'achève sur 
des inquiétudes : ce Je crois que tôt ou tard il 
m' arrivera quelque malheur. J'ai des pressen- 
timents que je ne puis éloigner. . . Je ne con- 
çois rien à ce qui vous arrive : il sera donc 
étonnant dans toutl J'ai bien besoin de votre 
présence ; vos États sont donc éternels ? » 

Madame de Ghâteauroux ne souffrirait pas 
d'une telle incertitude, si son oncle Richelieu 
était là. Les courtisans qui voient le Roi toute 
la journée devinent aisément que son parti est 
pris de la rappeler. Il l'a prouvé par des 
coups significatifs. Cinq jours avant qu'il 
revînt, le duc de Châtillon a reçu une lettre 
d'exil, en même temps que la place de dame 

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326 LOUIS XY BT MARIB LBCZINSKA. 

d'honneur de la future Dauphine était retirée 
à la duchesse ; les vieux époux ont dû quitter 
Versailles immédiatement» sur l'ordre exprès 
du Roi» sans pouvoir prendre congé de la 
Reine» ni du Dauphin. M. de Balleroy, ci>- 
devant gouverneur du duc de Chartres* a eu 
sa lettre de cachet portant ordre de se rendre 
dans ses terres ; son seul crime est d'avoir» à 
Mets, paru conseiller Févèque de Soissons. 
On a trouvé, dans ces premières exécutions » 
qui donnent à craindre pour lui*même à M« de 
Maurepas, la preuve d'une réconciliation déjà 
faite. 

Dès le premier jour de l'arrivée du Roi à 
Paris» le bruit court» mal fondé oonune on 
le voit, qu'une entrevue secrète a eu lieu entre 
les deux amants. Si le Roi est allé voir ma* 
dame de Ghâteauroux en sa maison de la 
rue du Bac, près les Jacobins de la rue Saint- 
Dominique, cette visite ne peut se placer 
qu'à la dernière nuit ou peut-être l'avant- 
dernière du séjour. Personne, au reste» ne 
peut dire ce qui s'y est passé» Lebel n'ayant 
pas écrit ses Mémoires; aucun témoin sé- 
rieux ne nous renseigne ; le plus précis relate 
un évanouissement de la duchesse et ses 
premières paroles : « Gomme ils nous ont 



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LA BOHNE REINE. 827 

traités I »; mais cas détails viendraient de 
Richelieu, qu'on dit présent à la scène, alors 
que nous le savons en Languedoc. 

Madame de Châteauroux se rend sans doute 
à Versailles le surlendemain, voir le Roi dans 
l'incognito des petits appartements* Elle ao^ 
corde toutes ces premières heures à son amour, 
avant la rentrée triomphale qui donnera les 
autres à son orgueil. En tout cas, il ne 
dépend que d'elle de choisir son moment. 
Maurepas lui apporte lui-même, le 26 novem- 
bre, un billet du Roi dont tout Paris va lire 
des copies et qui la supplie de revenir à la 
Cour. La duchesse est au lit, incommodée 
d'un peu de fièvre; le ministre, introduit près 
d'elle et assez embarrassé , remet le pli , la 
laisse en savourer les termes et tente ensuite 
de plaider sa propre cause. Une main dédai- 
gneuse, donnée à baiser à « Faquinet y> , lui 
montre que l'humiliation qu'il subit en cet 
instant est jugée châtiment suffisant pour un 
ennemi d'aussi mesquine importance. Le choix 
de ce messager est sa première revanche de 
Metz. D'autres sont promises: l'exil du duc 
de Bouillon, celui du duc de La Rochefoucauld, 
qui est allé h. la Roche-Guyon et que le Roi 
priera, par lettre de cachet, d'y demeurer. 



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SaS LOUIS XY ET MARIE L^GZINSKA. 

enfin la place de dame d'honneur de la 
Dauphine pour la duchesse de Brancas, qui 
est la belle-mère de madame de Lauragaais 
et Tamie de tous les temps de Richelieu. Les 
beaux jours de la favorite recommencent, 
mieux assurés qu'autrefois, et désormais 
grâces et disgrâces lui appartiendront. 

Versailles a su, le soir même, que mesda- 
mes de Châteauroux et de Lauraguais revien- 
nent à la Cour et que le Roi leur rend leurs 
charges. C'est une consternation silencieuse 
autour de la Reine et une joie assez bruyante 
de l'autre côté : « J'appris dès mercredi soir, 
écrit Luynes, la nouvelle du retour de ces 
dames. Madame la duchesse de Modène et 
madame de Boufflers jouaient chez moi. On 
vint apporter à madame de Modène une lettre 
qu'on lui dit être venue par un courrier ; ce 
courrier était un laquais de madame de Châ- 
teauroux. Madame de Modène lut la lettre 
avec empressement ; elle se leva aussitôt, et 
donna son jeu à tenir ; elle passa dans un 
cabinet où. elle écrivit un mot, elle alla ensuite 
dans l'antichambre parler au courrier, à qui 
elle donna huit louis. Le courrier montra cet 
argent à ceux de sa connaissance, en disant 



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LA BONNE REINE. 32g 

qu'il fallait qu'il eût apporté une bonne nou- 
velle puisqu'il était si bien payé. Il apporta 
aussi en même temps une lettre à madame la 
ducbesse de Boufïlers ; madame de Boufflers lut 
en particulier la lettre à quelques personnes de 
celles qui étaient dans la chambre; elle contenait 
ces termes : « Je compte trop sur votre amitié 
)) pour que vous ne soyez pas instruite dans le 
)) moment de ce qui me regarde. Le Roi vient 
)) de me mander par M. de Maurepas qu'il 
)) était bien fâché de tout ce qui s'était passé à 
)) Metz et de l'indécence avec laquelle j'avais 
)) été traitée, qu'il me priait de l'oublier, et 
)) que pour lui en donner une preuve il espé- 
)) rait que nous voudrions bien revenir prendre 
)) nos appartements à Versailles, qu'il nous 
)) donnerait en toutes occasions des preuves de 
)) sa protection, de son estime et de son ami- 
» tié, et qu'il nous rendrait nos charges. » On 
ne peut douter que madame de Châteauroux 
ne soit bientôt à VersàiQes, parmi d'aussi 
fidèles amies et sur son champ de bataille et 
de victoire. 

Cependant, à peine ses lettres parties, la 
petite fièvre qu'elle avait en recevant Maurepas 
augmente et, le lendemain, augmente encore. 
Les émotions trop diverses, qui ont secoué 



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33o LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA. 

en quelques jours cette âme ardente, ont 
coïncidé avec un moment physique difficile. 
En très peu de temps, le danger se déclare 
et les médecins du Roi laissent appeler le 
confesseur. Ni le Père Sigaud, ni le curé de 
Saint-Sulpice qui apportèrent le viatique à la 
duchesse, n'ont à demander le sacrifice public 
de sa passion, mais l'on sent que Dieu va 
l'exiger bientôt tout entier. 

Cette maladie, si vite désespérée, oii la 
tête se prend avec violence et cause des 
convulsions, semble un châtiment du ciel. 
On observe le sérieux et l'abattement du 
Roi, qui ne paraît plus qu'à la messe et 
au Conseil, supprime le grand couvert et ne 
sort pas de ses cabinets intérieurs. Il veut à 
chaque instant des nouvelles ; d'Ayen, Luxem- 
bourg, le marquis de Gontaut, se relayent 
pour en donner deux fois par jour, tandis 
que Lebel reçoit de son côté quatre courriers 
de M. de MontmarteLquî renseignent le Roi 
à tout moment. On peut lire les bulletins sur 
son visage y qui s'éclaircit ou se- rembrunit 
selon qu'ils apportent ou retirent de l'espé- 
rance. Jamais malade, du reste, n'a été en- 
tourée d'une sollicitude aussi anxieuse. La 
duchesse de Modène, oubliant le rang et 



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LA bonhb reine. 33i 

Tétiquette, ne la quitte pas et la sert nuit 
et jour elle-^méme. La sincérité de tant 
d^amis, eq un tel moment, prouve mieux 
qu'aucun témoignage les qualités de fidélité 
et de noblesse qu*il y a dans la femme qui 
va mourir. 

La Reine elle-même est émue profondé- 
ment. Elle adore et redoute, dans ses orai- 
sons, les coups de cette Providence si prompte 
à frapper. Ses amis, remarquant sa tristesse, 
cherchent inutilement à l'en distraire ; elle ne 
veut point accepter à souper hors de chez elle 
et la raison en est délicate : « Elle respecte 
trop, dit-elle, la douleur et l'inquiétude du 
Roi pour vouloir faire quelque chose de difiTé- 
rent de ce qu'elle fait tous les jours et qui 
puisse avoir l'air d'une partie de plaisir. » Il 
est sûr que la Reine prie et fait prier pour 
madame de Ghâteauroux, de même que le 
Roi demande, sans aucun secret, à la chapelle 
et à la paroisse de Versailles, des messes pour 
sa guérison. Mais le mal suit son cours, la tête 
ne se dégage point, et il est sûr que la saignée 
au pied qu'osera tenter Vernage n'aura pas 
plus d'effet que les huit saignées déjà faites 
au bras. Hors les moments d'excitation où 
elle se croit empoisonnée, le courage de la 



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332 LOUIS XV ET MARIE LEGZITISKA. 

malade, sa résignation et sa douceur font 
l'admiration de tous. Madame de Flavacourt 
est introduite près de son b't par madame de 
Modène et lui demande pardon de sa froideur : 
« Ma sœur, dit la mourante, vous vous étiez 
retirée; pour moi, j'ai conservé les mêmes 
sentiments. )) Madame de Flavacourt lui baise 
les mains et fond en larmes. Une autre récon- 
ciliation aurait pu être plus touchante encore; 
mais, lorsque madame de Mailly se présente, 
le délire est devenu violent et continu. Elle 
erre à la porte de ses sœurs, essayant d'entrer, 
sans que personne veuille se charger de le 
demander pour elle. Le passé, qu'elle a déjà 
tant expié, lui arrache même celte consola- 
tion suprême, et c'est seulement auprès d'un 
cadavre que madame de MaiUy obtient de 
s'agenouiller, le mardi 8 décembre 1744,' à 
huit heures du matin. 

Dès la veille, le duc d'Ayen a fait dire que 
la mort était prochaine et qu'il fallait prendre 
des mesures pour que le Roi ne l'apprît point 
à Versailles. Louis XV est donc parti brus- 
quement pour la Muette, à sept heures du 
soir, n'ayant avec lui que M. le Premier et 
M. d'Harcourt, capitaine des gardes, sans 



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j LA BONNE REINE. 333 

^- aucune escorte, deux palefreniers seulement 

^e portant des flambeaux. Il a ordonné à M. d'Ar- 

j'^ genson de donner audience aux ambassa- 

0_ deurs et ministres, comme d'habitude, et de 

ne venir lui rendre compte à la Muette que 

: dans le cas d'afiaires très pressées. C'est là 

qu'il reçoit la nouvelle, attendue d'heure en 

heure. Il s'enferme plusieurs journées avec 

quatre ou cinq personnes, amis particuliers 

de madame de Ghâteauroux et qui ont leur 

part de sa douleur. 

Le bruit vient-il jusqu'à lui d'un empoi- 
sonnement, auquel a cru madame de Château- 
roux elle-même et que les ennemis de M. de 
M aurepas se complairont à attribuer au jeune 
ministre? Ce sont les suppositions ordinaires 
de la haine, devant toute maladie que la méde- 
j cîne du temps ne définit point; elles ont cela 
de terrible que toute réfutation en demeure 
impossible. Déjà, par elle-même, cette mort 
tragique, survenue en plein triomphe, frappe 
vivement les esprits. On laisse sans doute 
ignorer au Roi que l'inhumation, faite le 
I jeudi, 'sous la chapelle Saint-Michel à Saint- 
Sulpice, a eu lieu une heure avant l'usage et 
I le guet sous les armes, parce qu'on craignait 
I lé déchaînement du peuple de Paris ; ce sont 

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334 LOUIS XY BT MARIE LEGZINSKA. 

des choses qui ne parviennent jamais aux 
oreilles qu'il serait le plus utile d'en instruire. 
Il devient bientôt convenable de se rapprocher 
de Versailles. Dès l'annonce du dénouement, 
Trianon a été préparé en hâte et mis en état 
d'être habité l'hiver. Le Roi y passe plus 
d'une semaine avec mesdames de Modène, de 
Boufflers et de BeUefonds ; il y tient le Conseil ; 
les charges et les entrées ont permission d'aller 
faire leur cour. Le Dauphin même s'y rend 
une fois. Seule la Reine est priée de n'y point 
paraître et le Roi lui envoie « une réponse 
fort polie et écrite avec amitié », marquant 
qu'il ne la verra qu'à Versailles. 

A ce retour, la vie royale se remplit d'in- 
cidents nouveaux, qui servent à chasser les 
chagrins. Voici, pendant ces premiers jours, 
les révérences pour la mort de madame de 
Ventadour, que la vieillesse a emportée à 
quatre-vingt-douze ans, l'arrivée de Flandre 
du maréchal de Saxe, la présentation de 
madame de Lowendal, le grand mariage, 
célébré à Versailles, du duc de Penthièvre 
avec mademoiselle de Modène, enfin les céré- 
monies de Noël et du jour de l'An et les 
préparatifs du mariage du Dauphin. Ce sont 
des circonstances excellentes pour occuper le 



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LA BONNE REINE. 335 

Roi et le distraire. Au reste, le 24 décembre 
au soir, M. de Richelieu revenant de Lan- 
guedoc s*est présenté au Roi avant son cou- 
cher et celui-ci s'est enfermé dans ses cabinets 
pour le recevoir. M. de Richelieu est un sage 
incapable de s'appesantir sur les choses tristes; 
on est sûr que, dans sa longue audience, il 
n'a pas inutilement parlé de la morte. Ses 
conseils sont de ceux qu'écoute un roi de 
trente-cinq ans, -qui n'a point de borne à son 
pouvoir et qu'aucun scruptde désormais n'ar- 
rête plus. Personne ne doute que Louis XV 
ne sache bientôt se consoler : il n'a point fait 
ses dévotions à Noël. 



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SOURCES 



Ge livre raconte la jeunesse de Louis XV et de la reine 
Marie Leczinska, et en conduit le. récit jusqu'au moment où 
les incidents du voyage de Metz amènent la définitive sépa- 
ration du ménage royal. Il n'était peut-être pas sans nou- 
veauté d'essayer de présenter le tableau de la Cour de France 
à cette époque, en mettant au centre la figure un peu efiacée 
de la femme de Louis XY et en recherchant, à la lumière 
de documents inédits, les véritables traits de son caractère.. 
Elle n'eut, à ce qu'il semble, ni la perfection un peu conve- 
nue dont la parent ses panégyristes, ni les insuffisances et 
les ridicules que lui prêtèrent, dès le .siècle dernier, des 
philosophes peu capables de comprendre les vertus d'une Âme 
religieuse et même tout simplement les délicatesses d'une 
honnête femme. Quant à son rôle, il n'est point dépourvu < 
de tout intérêt, si modeste que l'aient rendu ses dispositions 
naturelles et les circonstances de sa vie. 

Une centaine de lettres autographes de Marie Leczinska 
au cardinal de Fleury, deux, cent vingt-huit lettres du roi 
Stanislas à sa fille, presque toutes de sa main, telles ont été 
les principales pièces qui m'ont rëhseigné directement sur Iqi 



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338 SOURCES. 



Reine et m*oat aidé à me faire uae idée de sa personne 
morale. Les lettres de Stanislas se trouvent aux Archives 
nationales(K. i4i ), où je les ai transcrites en 1897, aidé 
de M. Ck>nstantin G6rski pour la lecture des parties en lan- 
gue polonaise. Depuis la première édition de cet ouvrage, 
cent trente de ces documents ont été mis au jour avec une 
copieuse annotation, par M. Pierre Boyé : Lettres médites du 
roi Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, à Marie Leszczynska, 
Paris et Nancy, 1901. Cette publication comprend les lettres 
du duc de Lorraine de 1754 à 1766; les plus anciennes, qui 
vont du 3 octobre 1733 au 17 février 1786, ont été utilisées 
par l'auteur pour l'ouvrage d'histoire militaire et diploma- 
tique cité plus loin. 

Les lettres de Marie Leciinska à Fleurj, que m'a fait con- 
naître M. Frédéric Masson et que j'ai citées d'après une 
excellente copie prise de sa main, appartiennent à la collec- 
tion Morrison ; elles sont particulièrement intéressantes en ce 
qu'elles se rapportent à la jeunesse de la Reine» c'est-à-^re 
à l'époque de sa vie sur laquelle les renseignements font le 
plus défaut. Elles ajoutent beaucoup, par conséquent, aux 
sériât de lettres déjà connues, qui sont dispersées dans un 
certain nombre de publications. Rappelons notamment qu'on 
rencontre une partie de la correspondance adressée par la 
Reine au duo et à la duchesse de Lujnes, dans l'édition des 
Mémoires du duo de Luynes (extraits reproduits à la suite de 
la brève biographie de Marie Leciinska, publiée par madame 
la comtesse d'Armaillé); d'importantes lettres, trop peu con- 
nues, au comte d'Argenson sont au tome IV de l'édition 
partielle des Mémoires du marquisd'Argenson, fidte par le mar- 
quis René d'Argenson et remplacée aujourd'hui dans l'usage 
par l'édition Ratherj ; une lettre au cardinal de Fleury, dedate 
antérieure aux nôtres, est publiée par les Gonoourt, en note 
de leur livre sur la duchesse de Ghâteauroux ; une autre a été 
donnée, en i8g5, à Vlntermédiaire des Chêreheurs et des Ctuieax 
par mademoiselle G. d'Arjuson; plusieurs billets au même 
personnage se trouvent dans l'ouvrage de la marquise des 
Réaulx, intitulé t Le Bot Stanislas et Marie Leezinskû, Pirii, 



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SOURCES. 339 



1 895; U lettre citée de It Reine à Maurepas, icrite de Mets, 
a été publiée par le duc de Broglie, dans son livre sur Frè~ 
déric II et LouU XV; M. le vicomte de Gormenin a inséré 
quelques billets de la Reine dans les Lettre» des Lecztn$kt à 
ia eomteiéê d'Andlau et aa maréchal Da Bourg, éditées en igot 
dans la Revue rétrospective et intéressantes surtout pour Cathe- 
rine Opalinska; enfin, une correspondance familière, mais 
tout entière postérieure à Tépoque que nous étudions ici, 
forme la première partie du recueil publié par M. Victor 
des Dlguères : Lettres inédites de la reine Maria Leczinska et 
de la duchesse de Laines au président Hénault, Paris, 1886, 
Aux Mémoires du président Hénault, qu'on cite d'ordinaire 
stit* l'intimité de Marie Leczinska, doivent être joints aujour- 
d'hui les Souvenirs du comte de Tressan, publiés d'après ses 
papiers par M. le marquis de Tressan, Versailles, 1897. 

Quelques correspondances inédites du temps ont fourni 
des détails à notre récit; telles sont les lettres du roi Stanislas 
au maréchal Du Bourg, conservées à la Bibliothèque de 
l'Arsenal; les lettres du cardinal de Fleury et de mademoi- 
selle de Gharolais, entrées dans la collection Morrison ; enfin 
les correspondances du service des Bâtiments du Roi, que 
j'ai dépouillées pour écrire un livre d'érudition locale 
intitulé : Le Château de Versailles aa temps de Louis XV, 
Versailles, 1898, et qui sont pleines de renseignements sur 
ks intérieurs royaux. Des documents de même source ont 
été mis en œuvre dans mon étude sur Nattier peintre de 
Mesdames, dans la Gazette des Beaux-Arts de juin et juillet 
1895, à laquelle j'ai fait ici quelques emprunts. Je me suis 
servi, au chapitre troisième, du manuscrit de la Bibliothèque 
nationale contenant les Anecdotes de Toussaint sur la Cour 
de France, des premiers cahiers encore inédits des Mémoires 
du duc de Groy, retrouvés par M. le vicomte de Grouchy 
à la Bibliothèque de Tlnstitut, et de l'inventaire des objets 
trouvés dans les cabinets de la Reine, après sa mort, docu* 
ment dressé par M. de Saint-Florentin, le a 5 juin 1768, et 
conservé aux Archives nationales ( K. i47 )• 



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34o SOURCES. 



Pour le chapitre relatif au mariage de Louis XV, j'ai uti- 
lisé, outre les papiers Du Bourg, à la Bibliothè<{ue de l'Ar- 
•enal, le carton spécial des ArchiTes natiooales, qui ee rap- 
porte à cet événement ( K. iSq B ), et le registre tenu par 
les Premiers gentilshommes de la Chambre ( O^ 8ss )• Les 
documents des Archives des Affaires étrangères avaient été 
fort bien mis en ouvre par M. Paul de Rajnal, dans : Le 
Mariage d^un Roi, Paris, 1887; des papiers du chevalier de 
Vauchoux, récemment retrouvés, ont permis à M. Henrj 
Gauthier- Villars de reprendre le sujet dans Le Mariage de 
Loau XV, Paris, 1901, et j'ai pu me servir très utilement 
des renseignements nouveaux que fournit l'auteur sur cet 
épisode. (La polémique qui s'est élevée récemment entre méde- 
cins à propos du prétendu haut-mal de Marie Leczinska, me 
parait bien résumée et conclue par l'article du docteur Cabanes, 
dans la Gazette de$ Hôpitaux du 4 avril 1901). Les Mémoires 
si autorisés du marécluil de Villars, ceux de Marais, Barbier, 
Duclos, Saint-Simon, la correspondance de Voltaire, per- 
mettent d'ajouter l'attrait de l'anecdote authentique aux 
narrations officielles de la Gazette et du Mercure de France, 
Il faut j joindre l'ouvrage peu connu du chevalier Daudet, 
Journal historique du Voyage de S. A. S, Mademoiselle de 
Clermont depuis Paris jusqu'à Strasbourg et du Voyage de la 
Reine depuis Strasbourg jusqu'à Fontainebleau, Châlons, 1725. 
Rappelons enfin, par un devoir de reconnaissance, le premier 
volume de l'Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, 
par le comte d'Haussonville, le livre du comte Albert Yan- 
dal sur Louis XV et Elisabeth de Russie, Paris, i88a, et 
surtout l'importante thèse de M. Pierre Bojé, Stamslas 
Leszczynski et le Troisième Traité de Vienne, Nancy, 1898, qui 
renouvelle entièrement, et avec beaucoup de critique, la 
documentation sur le roi Stanislas. 

J'ai tiré grand parti de la biographie écrite par l'abbé 
Projart, et dont la première édition a paru en 1794, dédiée 
« à Mesdames de France, filles de la Reine ». Mainte pièce 
originale, mainte tradition provenant directement de la famille 
royale s'y trouve rapportée dans un but d'édification. Les 



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SOURCES. 34l 



autres éloges contemporains sont sans valeur. Le plus impor- 
tant, celui de l'avocat Aublel de Maubuj, qui est de 1778 et 
forme le tome VII dçs Viei des Femmes illustres et célèbres de 
France, porte sur l'ensemble de la vie de Marie Leczinska le 
jugement que voici : « Sous quelque aspect qu'on l'envisage^ 
ou comme fille ou comme reine, soit comme épouse, soit 
comme mère, on verra que rien ne manqua à sa félicité. » ■ 

Ces niaiseries n'offrent aucun danger pour la vérité histo- 
rique. Il n'en est pas de même d'une série de Mémoires, qui 
sont les plus lus du xvill® siècle, et que j'ai consultés, pour 
ma part, avec une grande prudence, tout en les tenant sans 
cesse sous les yeux. Tels sont le journal du marquis d'Ar- 
genson et les charmants souvenirs de la duchesse de Bran- 
cas, qui ont fourni tant de racontars connus contre la Reine. 
C'est pour des documents de ce genre qu'un rigoureux con- 
trôle est nécessaire, car il n'est pas rare de les trouver en 
défaut, même pour l'exactitude matérielle des faits. D'Ar- 
genson surtout est d'une information peu sûre ; il connaît 
très mal les choses de la Cour, même au temps où il y vit, 
à plus forte raison quand il n'a pour se renseigner que des 
ouï-dire légers et suspects. « On veut croire tout ce qui est 
mal », écrit-il lui-même, le jour où il nie la liaison du Roi 
avec madame de Yintimille ; mais il tombe sans cesse dans ce 
travers de l'époque. Il accepte les fables les plus étranges, 
par exemple la succession des empoisonnements dans la 
famille de Louis XIY, à la fin de son règne. A chaque instant, 
l'imagination l'emporte et le trompe : il annonce tous les 
huit jours, pendant des années, la disgrâce de Fleurj et le 
retour de Ghauvelin. Plus d'une tradition malveillante sur 
Marie Leczinska n'a pour garant que le seul d'Argenson. On 
croit trop volontiers sur parole les gens d'esprit. 

Les Mémoires du duc de Luynes méritent une tout autre 
confiance. S'ils pèchent parfois par bienveillance, où le mar- 
quis pèche par aigreur, ils n'en apportent pas moins la plus 
fidèle image et la plus sincère de la Cour de France et de 
l'entourage de la Reine, à partir de 1735. Même pour la 



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34^ SOURCES. 



période antérieare, ils ont souvent reéuelUi des souvenirs 
précis, dont la confirmation se trouve ailleurs. La monotonie 
et le stjfle desséché de ce journal lui enlèvent, il est vrai, 
beaucoup d'intérêt littéraire; c'est exactement, suivant le 
mot de M. Frédéric Masson, « l'herbier de Ut Cour de 
Louis XV ». Mais, pour qui sait y bien chercher, tout s'y 
retrouve. Luynes demande à être lu entre les lignes. Per^ 
sonne n'est plus discret, plus prudent, mais personne aussi 
ne sait mieux noter au passage, de façon voilée, le rensei- 
gnement qu'il peut y avoir intérêt à conserver. Ses Mémoires 
se substituent à ceux du maréchal de Yillars, à peu. près au 
moment où ces derniers cessent de servir de guide. L'autorité 
de tels témoins est indiscutable, pour les matières traitées 
dans ce livre ; l'un et l'autre sont des gens de cour qui ne 
disent pas toujours la >érité tout entière, m&ia qui n'enre- 
gistrent jamais que des renseignements sérieux. 



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TABLE 



CHAPITRE PREMIER 



LE MARIAGE 



Les Leczinski à Wissembourg. — Éducation de Marie 
Leczinska. — La Cour de Versailles sous le minis- 
tère de M. le Duc. -^ La marquise de Prie. — 
Projets de mariage de M. le Duc avec la fille de 
Stanislas. — Renvoi en Espagne de l'Infante-Reine, 
— Difficultés pour marier Louis XV. — Marie Lec- 
zinska choisie pour le Roi. — Préparatifs du ma- 
riage. — Voyage de Mademoiselle de Glermont. — 
Cérémonies et fêtes à Strasbourg. — Voyage de la 
Reine. — Seconde cérémonie à Fontainebleau. — 
Séjour à Fontainebleau 



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344 TABLE. 



CHAPITRE II 

LB8 AHHiBS HEUREUSES 

Arrivée du Roi et de la Reine à Versailles. — Séjour 
à Marly. — Premières tristesses de la Reine. — 
Disgrâce de M. le Duc et de madame de Prie. — 
Autorité croissante de l'évèque de Fréjus (Fleury). 

— Premières couches de la Reine. — Fleury mi- 
nistre et cardinal. — Sa correspondance avec Marie 
Leczinska. — L*amour conjugal de la Reine. — 
Questions de cour et d'étiquette. — Entrée solen- 
nelle de la Reine à Paris. — Marie Leczinska aimée 

de la nation. — Naissance du Dauphin ga 

CHAPITRE III 

l'abandoh 

Les souvenirs de Tannée 1783. — Deuils maternels. — 
Mort du duc d* Anjou. — Départ de Stanislas pour 
la Pologne. — Siège de Danzig. — Résultats de la 
guerre de la succession de Pologne. — Changement 
dans les habitudes de Louis XV. — La comtesse de 
Toulouse et Mademoiselle de Charolais. — Origine 
et secret de la liaison du Roi avec madame de 
Mailly. — La Reine et madame de Maillj. — Édu- 
cation de Mesdames et du Dauphin. — Mariage de . 
Madame Infante. — Madame de Maillj abandonnée. 

— Madame de Vintimille. — Madame de la Tour- 
nelle (Châteauroux). — Mort du cardinal de Fleury. 

— Caractère de Louis XV i6a 



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TABLE. 345 



CHAPITRE IV 



LA BOHHE REINE 

Les portraits de Marie Leczinska : Tocqué, Van Loo, 
La Tour, Nattier. — La Reine artiste. — Ses ami- 
tiés : Hénault, Maurepas, Tressan, Moncrif, les 
Luynes, le comte d*Argcnson. — Les secrets de la 
Heine. — Piété et charité. — Départ du Roi pour 
Farmée de Flandre. — Voyage de mesdames de 
Ghâteauroux et de Lauraguais. — Maladie de 
Louis XV à Metz. — La Reine et le Dauphin auprès 
du Roi. — Visite au roi Stanislas. — Dernières dé- 
sillusions de la Reine. — Siège de Fribourg. — 
Retour du Roi à Paris. — Mort de madame de 
Ghâteauroux a48 

SOURCES 337 



lUP. CHAIZ, RUE BERGÈRE, 20, PARIS. — a234dH 1-0-1. ~ dncre Lolillail) 



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