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PIERRE
DE NOLH
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LOUIS XV
lARIE LECZINSKA
D APRKS DE NOUVEAUX DOCUMENTS
PARIS
CAl.MANN-Ï.ÊVY, ÉDITEURS
3. RUK AIIBRR, î*
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ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE
LOUIS XV
ET
MARIE LEGZINSKA
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DU MÊME AUTEUR
ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE :
— LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA 1 Yol.
— LOUIS XV ET MADAME DE POM p A DO u R fenprëporatûmj
— MARIE-ANTOINETTE DAUPHINE 1 YOl.
— LA REINE MARIE-ANTOINETTE
LA CRÉATION DE VERSAILLES ,
LE CHATEAU DE VERSAILLES SOUS LOUIS XV .
TABLEAUX DE PARIS PENDANT LA RÉVOLUTION
PÉTRARQUE ET l'HUMANISME
ÉRASME EN ITALIE
LES CORRESPONDANTS D'ALDE MANUCE
LA BIBLIOTHÈQUE DE FULVIO ORSINI
LETTRES DE JOACHIM DU BELLAY
PAYSAGES DE FRANCE ET d'ITALIE (épUisé
Droits de Iraduclion et de reproduction réservés pour tous les pays,
y compris la Suède, la Norvège et la Hollande.
IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS, — 82346-11*01. — OUCR Urllleu).
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ÉTUDES SUR LA COUR DE FRANCE,
LOUIS XV
ET
MARIE LEGZINSKA
D APRES PB NOUVEADX DOCUMENTS
PAR
PIERRE DE NOLHAG
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AURER, 3
1902
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LOUIS XV ET. MARIE LEGZINS
1725-1744
A
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CHAPITRE PREMIER
LE MARIAGE
En 1725 vivait sur terre française, à Wis-
sembourg en Basse- Alsace, la famille d^un
roi détrôné, dont le nom, plus d'une fois
mêlé à rhistoire guerrière du commencement
du siècle, semblait voué désormais au complet
oubli.
Stanislas Leczinski (Leszczynski), simple
palatin de Posnanie, élu roi de Pologne en
1704, grâce à l'amitié du grand Charles XII,
avait partagé la fortune du héros de la Suède.
Les revers de Charles avaient mis fin à ce
règne, la Pologne ayant dû accepter à nou-
veau la royauté d'Auguste, électeur de Saxe,
appuyé par les armées du czar Pierre. Le
At
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ivi591360
» tÛtJIB XV ET MARIE tEGZlHSKA.
vainqueur de Pultawa, fidèle à la fraternité
des armes, ne laissait point sacrifier entière-
ment l'allié qui avait conduit au service
de sa gloire la vaillance polonaise. Il lui
donnait à gouverner la petite principauté de
Deux-Ponts, sur l'a rive droite du Rhin,
rattachée momentanément à la couronne
de Suède ; il lui permettait ainsi d'attendre
l'heure oii ils rentreraient ensemble dans
Varsovie et reprendraient à l'usurpateur le
sceptre des Jagellons.
La mort de son protecteur ruinait bientôt
les espérances de l'exilé et celles du parti qui
le soutenait encore en Pologne. Une prompte
détresse suivait ce malheur; Leczinski devait
abandonner Deux-Ponts, réclamé par l'héri-
tier légitime, et la sœur de Charles XII,
devenue reine de Suède, cessait de lui servir
sa pension. Il vivait quelque temps de secours
plus ou moins déguisés et d'emprunts aux
banques de Francfort. Mais son existence
même n'était pas en sûreté : les agents du roi
Auguste, qui avaient tenté à plusieurs reprises
de l'enlever ou de le tuer, recommençaient
leurs complots avec des facilités nouvelles.
Il fallait trouver à tout prix un asile. La place
française de Landau le recevait en fugitif, avec
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LB HARIAOB.
les siens. Bientôt après, sa demande de séjour
était accueillie par le Régent, au nom du petit
roi Louis XV, et on lui laissait choisir la ville
de l'intendance d'Alsace où il lui plairait de
résider, sous la sauvegarde bienveillante de
la France. C'est ainsi qu'au début de 17 19
il s'était installé à Wissembourg. Il y gardait
le reste de petite cour que conservent aux
rois sans royaume le dévouement exalté par
l'infortune et aussi l'indéracinable vanité des
titres sonores.
Rien ne faisait prévoir que la vie déjà si
agitée de Leczinzki dût avoir des revirements
encore plus étranges que ceux qu'elle avait
subis. De simple gentilhomme vivant sur ses
terres, il était devenu roi et chef d'armée ;
banni maintenant et réduit à mendier sa vie,
l'avenir lui ménageait des retours extraor-
dinaires, une royauté encore, puis, de nou-
veau, la chute, les émotions d'un proscrit,
enfin, pour mettre à leur comble ces aven*
tures, une espèce de trône honoraire et
les studieux loisirs d'un philosophe cou-
ronné. Les circonstances et les hasards seuls
avaient fait et devaient continuer cette éton-
nante carrière ; elle ne sortit point, comme
on Fa cru longtemps, des mérites d'un homme
yGoogk
4 LOCIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
capable de s'élever aux destinées les plus
hautes et digne d'attirer sur sa tête les coups
les plus violents de la fortune.
La légende faite autour du nom du roi
Stanislas a été entretenue par les flatteries
dues à une reine de France et soigneusement
préparée par lui-même pendant la dernière
partie de sa vie. Il ne fut, dans la réalité, ni
le héros désintéressé, ni le pur philanthrope
que ses biographes ont toujours dépeint.
L'étude nouvelle des documents le montre
atteint d'ambitions inguérissables, et médio-
crement doué pour en soutenir les préten-
tions. Roi à vingt-sept ans par la volonté
d'un grand capitaine, il s'est cru des titres
personnels à le rester, et cette conviction
orgueilleuse, qu'il s'imaginait tempérer suffi-
samment par l'humilité chrétienne, a pesé
sur toutes les décisions de sa vie. Les chimères
de son imagination le jetaient des enivre-
ments de la vanité satisfaite aux défaillances
du découragement. Honnête homme toute-
fois, dans tous les sens du mot, d'un esprit
vif et lettré, plein de qualités privées fort res-
pectables, ajffectueux et bon, capable de sentir
très vivement l'amitié et de l'inspirer, dévoué
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LE MARIAGE.
et chevaleresque à la polonaise et bien pourvu
dé bravoure, Stanislas n'est accablé que par
le rôle où il a voulu se hausser devant l'his-
toire. Il était né pour mener avec dignité la
noble existence seigneuriale de son pays et
pour les tendres devoirs du père de famille,
plus que pour l'autorité et la responsabilité
d'un grand royaume. Jamais, du reste, il ne
mérita mieux la sympathie que pendant son
exil à Wissembourg ; l'excès de son malheur
anéantissait alors ses rêveries ambitieuses, et
il supportait avec résignation et courage une
disgrâce cette fois imméritée.
Stanislas et sa famille habitaient une mo-
deste maison particulière, l'hôtel de Weber.
La misère qui les accablait n'avait point pour
décor la pittoresque commanderie en ruine,
dans laquelle les historiens ont aimé à la
décrire, mais elle n'en est pas moins lamen-
table. Aucun secours n'arrivait de Pologne,
où les biens du roi déchu étaient confisqués
et où ses parents même l'abandonnaient; les
pierreries de la reine étaient en gage chez un
prêteur; quant à la pension du roi de France,
elle ne venait pas avec exactitude, et il fallait
souvent la réclamer des ministres par des
lettres suppliantes et douloureuses.
yGoogk
6 LOUIS XV ET MAAIE LECZINSKA.
Celte détresse d'argent était d'autant plus
pénible à Stanislas qu'elle l'empêchait dç
remplir ses devoirs envers des serviteurs
demeurés fidèles et qui entretenaient autour
de lui l'apparence d'une vie royale. Tout
espoir de restauration prochaine ayant dis-
paru, ses compagnons de bannissement
s'étaient peu à peu dispersés ; il ne restait
plus auprès de lui que cinq ou six gentils-
hommes, dont le vieux baron de Meszeck,
qui conservait, dans cette maison étrangère,
le titre de grand maréchal du palais, et deux
prêtres polonais, confesseurs delà reine et de
la jeune princesse Marie. Un seul parent, le
comte Tarlo, habitait avec Stanislas, ainsi
que la mère du roi, que son grand âge et ses
infirmités isolaient un peu de la famille. On
vivait à l'écart du monde et presque ignoré
de lui, recevant seulement quelques visites
de la noblesse de la province. Le roi de Po-
logne avait noué cependant des relations
d'amitié avec le cardinal de Rohan, évêque
de Strasbourg, et le maréchal du Bourg,
commandant de la même viUe. Le prélat et
le maréchal venaient assez souvent à Wis-
sembourg, attirés par une infortune aussi
intéressante, et proclamaient leur admiration
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I.E MARIAGE.
affectueuse pour les vertus qu'ils y rencon^
traient.
Dans cet intérieur d'exilés, où la reîne
montrait plus de force de caractère que dç
douceur, et qu'attristait encore la morose
vieillesse de la mère du roi, tout le sourire
et toute la grâce venaient des vingt ans de la
princesse Marie. A mesure que l'espoir de
retourner en Pologne s'effaçait, les préoccu-r
pations de Stanislas se concentraient sur
l'avenir de cette enfant, devenue fille unique
par la mort récente d'une sœur aînée. Elle
tenait de lui, non les traits de son visage, mais
son humeur enjouée, son cœur passionné
et son goût des occupations de l'esprit.
Il l'avait élevée lui-même, pendant les der-
nières années, dans les longs loisirs de Wis-
sembourg, et lui avait donné une instruction
forte, l'habitude des lectures solides, une
religion sans bigoterie, non sans dévotion, et
fort appuyée sur les pratiques. Destinée,
comme il le semblait, à mener une vie mo-
deste, elle avait reçu l'éducation qui se prête
le mieux à en faire supporter la médiocrité
et à en augmenter le charme. Elle dansait,
chantait, jouait du clavecin, tout cela avec
un coût naturel Qt sans avoir e\i de maître
yGoogk
8 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
de premier ordre pour l'y perfectionner. Il
manquait à sa personne le don suprême de
la beauté; mais elle était agréable, bien faite,
avec des yeux expressifs, un grand front,
une jolie bouche et la jeunesse d'un teint
dont l'eau fraîche faisait tout le fard. Une
telle fille était de celles dont un cœur pater-
nel s'enorgueillît et qu'il croit promises ,
par un droit spécial, à toutes les formes du
l5onheur.
Les seuls plaisirs que Marie eût goûtés jus-
qu'alors se réduisaient à l'intîmîté de son
père, aux visites des rares amis et aux œuvres
de charité, qui remplissaient ses journées et
celles de sa mère et lui valaient l'aJËTection des
pauvres gens du voisinage. Le malheur per-
sistant qui avait frappé autour d'elle avait
développé ses sentiments de pitié et mûri par
la souffrance son jeune esprit. Elle se rappelait
le temps des guerres désastreuses, l'attente
anxieuse des nouvelles, les inquiétudes con-
tinuelles sur une vie chère, les départs préci-
pités, ces voyages qui ressemblaient à des
fuites, enfin toutes ces années tragiques ou
incertaines vécues par la famille en Pos—
nanie, en Suède, en Poméranie, jusqu'à l'asile
misérable qui l'abritait maintenant. Un jour,
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LE MARIAGE.
au château de Posen, lorsque Marie était tout
enfant encore, les Russes étaient arrivés pen-
dant une absence du père et avaient enfoncé
les portes ; on l'avait fait fuir par une fenêtre
sur les jardins ; au village où Ton s'était ré-
fugié, un paysan l'avait cachée dans son four,
et elle y avait attendu, sans bouger, de lon-
gues heures, que les ennemis redoutés fussent
partis. De tels souvenirs n'étaient pas rares
dans la mémoire de Marie et lui faisaient
remercier Dieu et le roi de France de cette
tranquillité présente qui ne suffisait point à
son père.
L'exilé, qui signait encore « Stanislas roi »,
comme il le fit toute sa vie, subordonnait pour
le moment ses ambitions politiques à ses de-
voirs de paternité. Cette enfant uniquement
aimée et si digne d'être heureuse^ mais sans
fortune et sans patrie, ne pouvait plus atten-
dre l'union qu'il avait autrefois rêvée pour
elle. Isolé comme il l'était de son pays, c'était
dans la noblesse de France ou des bords du
Rhin qu'il devait trouver un protecteur pour
cette chère destinée. 11 n'oubliait pas, en ce
temps où l'honneur du nom était compté dans
le patrimoine des familles, que la gloire éphé-
mère de sa royauté donnait à sa fille le droit
yGoogk
lO LOUIS XV ET MABTE LECZINSKA.
d'être recherchée par de grands personnages;
maïs ce même souvenir obligeait aussi le père
à se montrer difficile sur les prétendants et
restreignait singulièrement son choix.
Marie avait été demandée par le marquis de
Courtenvaux, petit-fils du ministre Louvois,
qui avait tenu garnison à Wksembourg et était,
à Versailles, colonel des Cent-Suisses. Le jeune
officier avait gardé un souvenir assez vif,
comme on le voit, des charmes de la prin-
cesse ; mais il n'avait pu obtenir le duché-
pairie que Stanislas eût souhaité pour son
gendre, et le projet n'avait pas eu de suite.
Le' roi de Pologne avait songé, de son côté,
au fils de la margrave de Bade, sa voisine ;
mais celle-ci, après les premiers pourparlers,
s'était dérobée, non sans laisser sentir qu'elle
appréciait peu les avantages d'une alliance avec
un roi sans couronne. Stanislas était encore
sous l'humiliation de ce refus, quand une pro-
position inattendue vint jeter dans la famille
l'idée et l'ambition d'un mariage avec un
prince de la maison de Bourbon. Ce prince
était celui qu'on appelait M. le Duc et qui
touchait d'assez près au trône, puisqu'il était le
chef de la maison de Condé, la première
après celle d'Orléans.
yGoogk
LE MARIAGE. II
Ce qu'on savait de la cour de Versailles
au modeste foyer de Wissembourg se rédui-
sait à peu de chose. Bien rarement un étran*
ger de distinction, traversant T Alsace et visi-
tant Stanislas, y avait apporté l'écho direct
des fêtes et des intrigues de la Régence.
Le roi avait jadis, dans ses voyages de
jeunesse, entrevu le rayonnement de gloire
de Louis XIV ; mais le monde nouveau qui
l'avait remplacé lui était entièrement inconnu.
Il était cependant trop avisé pour tirer seule-
ment des gazettes et des conversations de gens
de province ses informations sur les choses de
France et sur les hommes qui les gouver-
naient. Un ami très sûr, le chevalier de
Vauchoux, le renseignait. Ce Vauchoux, qui
avait servi sous ses ordres, au temps de Char-
les XII, et qui venait quelquefois le voir en
Alsace, lui servait d'agent d'ajffaires à Paris ;
et, comme la grande affaire de Stanislas se
trouvait être l'établissement de sa fille, c'était
le petit gentilhomme qui avait mené à lui
seul les négociations que nous allons dire et
que rien n'avait ébruitées au moment de la
mort du Régent.
Ce ne fut pas isans émotion que Stanislas
.apprit l'élévation au premier ministère du
yGoogk
13 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
prince qu'il rêvait pour gendre. Il vit aussi-
tôt, si le projet se réalisait, l'avenir de sa fille
assuré de la façon la plus brillante, personne
à ce moment ne pouvant prévoir les destins
plus glorieux encore qui l'attendaient. .
Qu'était alors cette Cour de France où la
princesse Marie semblait appelée à vivre,
et quelles circonstances singulières lui eii
avaient ouvert le chemin? Gomment les évé-
nements allaient-ils marcher assez vite pour
remplacer l'alliance déjà inespérée du sang
royal par celle du Roi lui-même?
Il y a à Versailles un roi de quinze ans,
dont tous les goûts sont pour la chasse et qui
est fiancé par politique, depuis 1721, à une
gracieuse petite Infante, vivant a la Cour et
attendant l'heure du mariage. Elle doit pren-
dre patience longtemps encore, puisqu'elle n'a
pas même sept ans, mais son union est assurée
par les plus solennels engagements et par sa
présence au Louvre, au milieu d'honneurs
presque royaux. Si la princesse espagnole et
le jeune Louis XV sont un couple charmant,
on le voit rarement réuni, et il ne saurait être
bien intéressant. Ce sont deux enfants, autour
de qui se fait la politique et qui n'en font pas.
yGoogk
LE MARIAGE. * l3
Il y a, au contraire, près du trône, deux
hommes, d'inégale importance, exerçant tous
les deux une part du pouvoir : l'un, M. de
Fleury, ancien évêque de Fréjus, se con-
tente pour le moment de conduire l'esprit du
Roi, dont il a été le précepteur et dont il
reste le seul . conseiller ; l'autre, Louis de
Condé, duc de Bourbon, gouverne l'Etat et
prend la parole devant l'Europe au nom de
son maître.
Aucun choc n'a heurté l'une à l'autre ces
deux puissances. C'est M. de Fréjus qui a
fait donner le ministère à M. le Duc, au
lendemain de la mort du Régent, parce que
personne ne pouvait lui porter moins d'om-
brage. Ce prince de trente ans, d'intelligence
ordinaire, remplace par une infatuation assez
discrète l'expérience des affaires, qu'il est
incapable d'acquérir. Quant au vieux prêtre,
doucereux et poli, son ambition est sans
mesure, non sans prudence ; il sait très sûre-
ment qu'il recevra le pouvoir des mains de
son élève, lorsque l'heure sera venue ; mais
il n'est point pressé : il a soixante-dix ans et
peut attendre encore, ayant attendu si long-
temps.
Une idée principale domine la politique de
yGoogk
l4 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIISKA.
M. le Duc et y donne, comme il arrive, une
direction fort opposée à celle que suivait le
précédent régime. La Régence, sans nuire aux
intérêts de la France, a servi à grandir la
maison d'Orléans. On rêve aujourd'hui de
l'abaisser. Le mariage réalisé d'une fille du
Régent, Mademoiselle de Montpensîer, avec le
prince héritier d'Espagne, en échange de la
promesse de mariage entre Louis XV et l'In-
fante, a consacré l'étroite union des deux
pays, chère aux Grand Roi ; mais elle a été,
pour la branche cadette de la maison de
France, un triomphe d'ambition, suivi bien-
tôt d'un autre succès, le projet d'union entre
une seconde princesse. Mademoiselle de Beau-
jolais, et cet Infant don Carlos, dont on
compte faire un duc de Parme. En même
temps que ces couronnes sont promises à des
princesses d'Orléans, le très jeune âge de la
petite Infante-Reine maintient, pour de longues
années encore, les chances de succession au
trône de France en faveur du duc d'Orléans,
premier prince du sang.
Le titre est porté, à cette heure, par un
jeune homme de vingt ans, dont le rôle
demeure assez effacé et qui, occupé de charités
et d'affaires religieuses, promet d'être en
yGoogk
LE MARIAGE. l5
contraste absolu avec son père. S'il semble
peu fait pour inspirer une grande haine, il
est du moins assez jaloux de ses prérogatives
et assez fidèle aux traditions de sa famille
pour n'en rien abandonner aux prétentions
rivales de la maison de Gondé, la plus rap-
prochée du trône après la sienne. Le hasard
peut avoir mis le pouvoir suprême dans
les mains d'un Condé, sans qu'il ait cessé de
le regarder comme son inférieur par la nais-
sance. La lutte de deux mères orgiieiUeuses,
la duchesse d'Orléans et la duchesse de Bour-
bon, ajoute à l'hostilité entre les deux princes,
La première a refusé avec hauteur la main
de la sœur du ministre pour son fils et vient
de lui faire épouser une princesse de Bade;
ce mariage a fait l'occasion d'un redouble-
ment de froideur et d'impertinences, et tout
un parti de Cour assez nombreux s'est em-
pressé de rappeler que le jeune duc d'Or-
léans, tant que Louis XV n'est pas marié, doit
être regardé comme l'héritier présomptif de
la couronne.
Le Régent a eu le mérite, au milieu de ses
pires débauches, de ne jamais abandonner
aux mains des femmes la politique du
royaume. Il n'en va pas de même avec M. le
yGoogk
l6 LOUIS XV ET HAUIE legzinska.
Duc, qui continue seulement par ses pitoyables
mœurs les traditions de Philippe d'Orléans.
Il accorde à sa maîtresse, madame de Prie,
une autorité si grande sur son esprit, qu'elle
est devenue en peu de temps plus puissante
dans l'État que le premier ministre lui-même ;
et c'est une singulière figure que celle de celle
femme, d'une ambition si âpre et d'une des-
tinée si courte, qui ouvre, dès l'adolescence
de Louis XV, la série des maîtresses poli-
tiques du xviii® siècle,
Fille d'un riche enlrepreneur de vivres,
Berthelot de Pléneuf, elle a été mariée de
bonne heure, pour sa jolie taille et ses écus,
au marquis de Prie, de fort bonne et même
grande maison, proche parent de la duchesse
de Ventadour, gouvernanle du Roi. Elle a jeté
son premier éclat à la Cour de Turin, oii
son mari a soutenu, avec l'argent du mariage,
une brillante ambassade. Mais la ruine est
arrivée, Berthelot ayant été « recherché » ,
pour l'origine de sa fortune et ayant dû don-
ner ses biens pour sauver sa tête. La mar-
quise de Prie, sous les grâces de sa jeunesse
et la vivacité de ses yeux chinois, cache l'âme
d'un roué de la Régence; l'impiété cynique
s'y mêle à une avididé sans mesure et à celte
yGoogk
LE MARIAGE. I7
galanterie qui se passe de sentiment. Elle a
tenté, en plus d'une expérience, à retenir un
coeur qui pourrait lui rendre la fortune. Celui
du duc de Bourbon s'y est laissé prendre,
ce qui est déjà pour elle une belle aventure ;
puis la chance échue à son amant de deve-
nir premier ministre lui a donné à elle-même
le goût de diriger l'État. M. le Duc étant laid,
borgne et borné, il semble juste à madame de
Prie que les répugnances qu'il lui cause soient
payées par la pleine satisfaction de sa cupi-
dité et de son orgueil. Le prince n'a rien à
refuser à une maîtresse déclarée, dont l'intel-
ligence, lucide et ferme, le domine. Voilà
comment, en ce moment du règne où le Roi,
quoique légalement majeur, ne gouverne pas,
c'est madame de Prie qui tient la France.
Jamais peut-être les alTaîres nationales
n'ont été confiées avec moins de contrôle à des
mains plus indignes de les manier. La preuve
n^est point faite que madame de Prie reçoive,
pour servir l'Angleterre, la pension payée,
dit-on, à Dubois, ni qu'elle ait mérité du
cabinet de Londres d'aussi flatteuses marques
de confiance. Mais si les erreurs diploma-
tiques du moment peuvent s'expliquer par
d'autres causes, les fautes intérieures qui ont
yGoogk
l8 LOUIS XV £X MAaiE I^EGZINSKA.
rendu très vite impopulaire le gouvernement
de M. le Duc sont justement imputables à
sa conseillère. Elles portent surtout sur les
mesures destinées à se procurer de l'argent.
Un de ces trois frères Paris qui ont été les
collaborateurs financiers du Régent, Pâris-
Duverney, a mis son activité hardie au ser-
vice du nouveau régime et s'est tout dévoué
à la favorite. Quand on a, sur l'avis de
Duverney, diminué la valeur légale des mon-
naies et l'intérêt de l'argent, imposé du cin-
quantième tous les revenus, rétabli la vieille
taxe féodale de joyeux avènement, le mécon-
tentement public a pu voir avec raison, en
toutes ces fâcheuses mesures, la main de
madame de Prie.
D'une liaison aussi avantageuse, la mar-
quise compterait profiter longtemps encore,
si elle n'était menacée par un vieux projet
de la duchesse de Bourbon. Dès avant le mi-
nistère, celle-ci s'était mis en tête d'obliger
son fils à se marier. Il était naturel que le
petit-fils du vainqueur de Rocroy, qui n^avait
pas eu d'enfant d'une première union, assu-
rât par lui-même la transmission du nom des
Condé. C'était le moyen le plus sûr de balan-
Digitized by VjOOQIC
LE SJARIAGE. IQ
cer l'augmentation d'influence que devait pro-
curer son mariage au fils du Régent; c'était
aussi, aux yeux de la mère, une occasion de
délier le sien des liens peu honorables qui
le retenaient. Madame de Prie ne l'enten-
dait point de cette façon et, quand elle vit
cette idée trop raisonnable entrer dans l'es-
prit de M. le Duc, elle s'avisa du moins de
mener les recherches elle-même et de trouver
une épouse suivant ses convenances. Pour
que la marquise gardât, le mariage fait, sa
situation et les avantages qui en découlaient,
il fallait que la nouvelle duchesse n'eût point
de qualités trop séduisantes ; il importait
aussi qu'elle fût d'origine assez modeste pour
ne se jamais soustraire à ses obligations de
reconnaissance.
Ce fut dans ces dispositions d'esprit qu'une
conversation de salon fit savoir à madame
de Prie l'existence de la fille de Stanislas.
Le chevalier de Vauchoux était en rela-
tions avec la veuve d'un ancien caissier de
Berthelot de Pléneuf, une dame Texier, qui
avait ses entrées chez madame de Prie et
qui l'y présenta un jour, dans l'hiver de
1722. Vauchoux saisit l'occasion de parler de
la petite cour polonaise qu'il fréquentait et du
yGoogk
20 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
désir qu'avait Stanislas de fixer l'avenir de sa
fille. Ce qu^apprit la marquise de l'éducation
simple et des qualités de la princesse Marie
retint aussitôt son attention : elle entrevit que
cette alliance, fort acceptable pour son amant,
pourrait le lui laisser tout entier. Elle aperçut
aussi des avantages plus immédiats et que
son avidité explique. L'afiaire fut aussitôt
engagée et madame de Prie promit, moyen-
nant une somme importante, de faire épouser
M. le Duc.
Les conditions de la promesse étaient trop
ordinaires à cette époque pour pouvoir éton-
ner Stanislas, mais il est un peu surprenant
qu'il ait entièrement ignoré le rôle de la sin-
gulière protectrice qu'il agréait pour sa fille.
Dans son empressement à accepter cette
aubaine inespérée, ses lettres, destinées, il est
vrai, à être montrées, débordent de recon-
naissance pour la marquise : c( La réputation
de cette dame, jointe au portrait que vous
m'en faites, me fait considérer infiniment son
amitié. Je suis très persuadé que son désir de
voir l'union de ma fille avec M. le Duc est
un suffrage puissant pour accomplir nos inten-
tions communes...)) «Je voudrais que nous
soyons déjà là à traiter sur cet article ; je ne
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LE MARIAGE. 31
crois pas que nous nous y arrêterions long-
temps. Cela sera, je vous assure, bientôt
débattu, quand madame la marquise de Prie
aura frayé les chemins et levé les autres diffi-
cullés. Rien n'est plus avantageux à ma fille
que ridée favorable que cetle damé en a
conçue. Si je ne craignais de blesser la mo-
destie, je pourrais dire qu'elle ne se trompe
pas, aussi bien que sur l'amitié de la reine et
sur l'ardent désir que nous avons de la con-
vaincre par toutes les occasions qui se pour-
ront présenter. Au reste, mon cher Vauchoux,
répondez en tout de moi ; vous n'en aurez
jamais le démenti. »
Les choses furent loin de marcher aussi
vite quç l'espérait l'impatient Stanislas. Dix
mois plus tard, elles n'avaient pas fait un
pas, et il apprenait avec appréhension qu'un
parti de cour voulait marier M. le Duc à
Mademoiselle de Modène. Madame de Prie
n'avait donc réussi à rien auprès du prince.
Les lettres de Stanislas à Vauchoux montrent
qu'on l'avait fort inquiété lui-même au sujet
de cette bonne amie : ce Je suis averti d'une
main très sûre qu'on se donne tous les mou-
vements pour nous contrecarrer en faveur de
la duchesse de Modène, et, ce qu'il y a de
yGoogk
22 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA.
pire, qu'on s'est attaché à madame de Prie
pour renverser nos projets, à ce qu'on m'as-
sure qu'on l'a fort ébranlée. Ainsi, mon cher
Vauchoux, je recours à votre pénétration pour
en être éclairci, sans faire paraître la moindre
défiance encore de mon côté, et suivant que
vous approfondirez l'affaire, il faut tâcher de
remettre madame de Prie, s'il est possible,
dans les premiers sentiments; car, si c'est
Topiniâtreté de mon sort qui les fait chan-
ger, il serait à souhaiter qu'on fixe un temps
auquel, si on ne voit pas plus clair dans mes
intérêts, qu'on prenne alors d'autres résolu-
tions : si aussi l'intérêt ébranle notre bonne
amie, je laisse à votre délicatesse de faire
comprendre qu'on trouvera le même avec
moi, si on persévère constamment à ce qu'on
a commencé. » Une autre lettre, plus intime
sans doute^ appuyait sur la question d'argent :
« Ils marchandent l'affaire avec de l'argent
comptant, pendant que je demande du crédit
pour un peu de temps, et, quoique je le veux
avoir à un plus haut prix que ceux qui me
le disputent , j'ai besoin de bons répon-
dants... »
La mort du Régent, à la fin de 1728, et la
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lE MAUtAGB. 33
remise du pouvoîr au prince si disputé sus-
pendit les négociations. M. le Duc eut des
soucis d'autre genre, et la marquise des pro-
fits plus sérieux à espérer. Stanislas, fidèle à
ses engagements, ne chercha point de nou-
veau parti pour sa fille. Il se fit un mérite
de n'avoir point attiré le duc d'Orléans, à
Tépoque où celui-ci trouvait des difficultés à
conclure son mariage à Bade et où le comte
d'Argenson, allant essayer de les régler, s'ar-
rêtait à Wissembourg et se montrait fort
enthousiasmé de Marie Leczinska. Au reste,
le chevalier de Vauchoux ne se décourageait
pas et préparait le moment propice, qui parut
venir au début de 1725.
L'affaire durait depuis deux ans et demi,
quand M. le Duc, convaincu par sa mère de la
nécessité de se marier, se décida pour la prin-
cesse de Pologne. Il adopta même le projet
avec une certaine ardeur, pensant, à ce qu'on
peut croire, que le roi Stanislas n'avait pas
perdu toutes ses chances de restauration et
que son gendre pourrait être appelé, le cas
échéant, à recueillir ses titres à la couronne*
On fit faire à Wissembourg quelques ouver-
tures par le maréchal du Bourg en personne»
Stanislas fut naturellement prié de n'en point
yGoogk
34 LOUIS XY ET MARIE LEGZirfSKA.
parler ; mais sa joie, dès lors, lui sembla
certaine et T avenir de sa fille assuré.
Madame de Prie ne tarda pas à se mettre
avec lui en correspondance directe. Il recom-
mençait à la considérer comme sa plus sin-
cère amie, quand elle mit le comble k ses
bontés en envoyant un peintre faire, pour
elle, le portrait de la princesse. Ce Pierre
Gobert était un artiste de l'Académie royale,
portraitiste en renom, qui venait à Wissem-
bourg fort mystérieusement ; on avait raconté
à Paris, pour donner le change, qu'il allait
exécuter, au château de Saverne, des travaux
commandés par le cardinal de Rohan. Il ar-
riva le 24 février ; l'impatient Stanislas, qui
croyait voir la toile finie en une semaine, s'as-
surait que le maréchal du Bourg la ferait partir
par une voie prompte et discrète. Mais Gobert
tenait à bien faire et ne se pressait point.
Vingt jours lui furent nécessaires, et le roi
annonça l'envoi par un billet qui révèle bien
tout l'espoir qu'il y mettait : c< Voici, mon
cher Vauchoux, le portrait que j'ai voulu
adresser a M. le cardinal de Rohan ; mais j'ai
songé depuis que, si vous le rendez, cela fera
moins d'éclat. Je vous prie donc de le
remettre en mains propres à madame de
yGoogk
LE MARIAOB. 35
Prie. Je suis persuadé par avance du bon
usage qu'elle en fera. Je laisse le soin du
reste à la sainte Providence. Vous avouerez
que j'ai raison d'être charmé de l'ouvrage du
portrait, car vous jugerez vous-même en le
voyant qu'il est parlant et qu'on n'en saurait
faire de plus ressemblant. Je voudrais encore
qpi'on puisse tirer son intérieur et son carac-
tère, comme vous les connaissez ; c'est votre
ouvrage, et le mien d'être de tout mon cœur
votre très affectionné... »
Quand le précieux paquet, confié à la poste
d'Alsace, parvint à destination, ce fut au mi-
lieu de circonstances fort imprévues. La Cour
de Versailles était en émoi : madame de Prie
avait complètement oublié son peintre, sa
princesse et son ami le roi de Pologne, et
M. le Duc s'était mis sur les bras une trop
grave et trop fâcheuse affaire pour avoir le
temps de songer à se marier.
Un autre mariage, plus important que celui
du duc de Bourbon, préoccupait les esprits.
Il s'agissait de la personne même du Roi, et
le changement qui se produisait, dans des
projets considérés jusque-là comme certains,
entraînait d'étranges conséquences.
yGoogk
2G LOUIS XV ET MARIE LEGZINS&A*
Ce fut un intérêt égoïste, la crainte de
perdre trop tôt leur pouvoir, qui poussa
madame de Prie et M. le Duc à renverser le
mariage avec l'Infante. Il y avait une parole
solennellement donnée ; la présence de la
princesse en France depuis trois ans était un
gage tellement éclatant, que son renvoi en
Espagne devait être l'insulte la plus grave que
pût recevoir la cour de Madrid ; la rupture des
alliances, la guerre même pouvaient s'ensui-
vre. Rien de tout cela ne pesa longtemps sur
l'esprit du ministre, le jour où il trembla de
voir le duc d'Orléans arriver au trône. L'âge
de rinfante-Reine exigeait de longues années
avant que le mariage pût s'accomplir. Jusque-
là, la vie de Louis XV était à la merci d'un
accident de chasse ou d'une de ces crises de
santé que le jeune homme, bien que beau-
coup fortifié depuis son enfance, subissait en-
core de temps en temps, aux grandes alarmes
de son entourage. On accusait la duchesse
d'Orléans d'y songer avec trop de complai-
sance et de ménager à son fils, par l'alliance
qu'elle lui avait procurée, le soutien de l'An-
gleterre et de l'Allemagne, en cas que le
Roi vînt à manquer. M. le Duc vivait donc
dans une peur coÉitihufelliè de devenir le sujet
yGoogk
LE MARIAGE. 3^
d'un rival qu'il détestait tous les jours
davantage.
Le setd remède à de tels soucis était le
prompt mariage de Louis XV avec une prin-
cesse en état de mettre au monde un dauphin.
Il eût rassuré en même temps des conseillers
plus sincères de la couronne, qui n'envisa-
geaient pas sans inquiétude la pensée du céli-
bat prolongé du jeune roi. On pouvait déjà
prévoir, par le peu d'intérêt qu'il prenait aux
gentillesses enfantines de sa cousine, que ce
mariage imposé ne serait pas heureux; en
attendant qu'il se réalisât, de nombreux écueils
se présenteraient. Les hommes autorisés que
M. le Duc convoqua à ce sujet en réunion
secrète furent d'un avis unanime sur les périls
qu'il y avait à courir. M. de Fréjus reconnut
que le salut de l'âme de son élève était engagé
en cette affaire, et le maréchal de Villars, avec
la franchise d'un soldat et l'expérience d'un
vieillard, résuma tous les avis dans le sien :
c( Dieu, pour la consolation des Français, nous
a donné un roi si fort qu'il y a plus d'un an
que nous en pourrions espérer un dauphin.
Il doit donc, pour la tranquillité de ses peu-
ples et pour la sienne particulière, se marier
plutôt aujourd'hui que demain. ï>
yGoogk
28 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
M. le Duc hésite cependant devant la gra-
vité des conséquences, lorsqu'un événement
le vient décider. Le Roi tombe malade à Ver-
sailles ; sa fièvre est violente et il est un ins-
tant près du danger. Le ministre entre le voir
vingt fois le jour, couché dans la grande cham-
bre où est mort Louis XIV, et il montre à
tous les regards un visage qui révèle des
anxiétés. Une nuit, l'imagination plus surex-
citée que d'habitude, ne pouvant dormir, il
se relève en robe de chambre, monte chez le
Roi par son petit escalier, une bougie à la
main, et trouve dans l'OEil-de-Bœuf un valet
qui veille. Cet homme voit son trouble, lui
parle, essaie de le rassurer; mais lui, absorbé,
répond entre haut et bas à son bonnet de nuit :
(( Que deviendrai-je ?... Je n'y serai pas
repris... S'il en réchappe, il faut le marier! »
Et le valet de chambre, témoin de cette scène
instructive qu'il racontera à Saint-Simon, a
beaucoup de peine à envoyer le pauvre prince
se remettre au lit.
Après d'aussi vives émotions, le sort est
jeté: M. le Duc va signifier à Philippe V
qu'on se trouve dans l'obligation, au nom de
l'intérêt du Roi, son neveu, de lui renvoyer
sa fille. 11 y met sans doute tous les mena—
yGoogk
LE MARIAGE. 2^'
gements possibles ; il arrose de larmes le
papier diplomatique et prodigue au petit-fils
de Louis XIV les excuses les plus humiliées.
Il essaie de lui faire accepter comme raison-
nable et religieux un acte oii il ne peut voir
qu'une déloyauté outrageante. Mais rien n'a
fait soupçonner à l'avance un coup si violent,
et la colère qui l'accueille est sans exemple à
la cour d'Espagne. Le roi et la reine refusent
de recevoir des mains de l'ambassadeur les
lettres officielles qui les instruisent. On chasse
de Madrid ce pauvre abbé de Livry, qui venait
d'être nommé pour les apporter. On renvoie
en France, avec sa sœur, veuve du roi Louis P',
celle Mademoiselle de Beaujolais, qui devait
épouser don Carlos. Ces dernières représailles
tombent sur la famille d'Orléans, ce qui tou-
che peu M. le Duc; mais il va se trouver aux
prises avec des soucis plus directs. Les minisires
d'Espagne en France sont rappelés; tous les
consuls français ont l'ordre de quitter les ports
espagnols dans les vingt-quatre heures. C'est
la rupture complète entre deux pays qui avaient
cru supprimer les Pyrénées, et bientôt l'al-
liance incroyable de Philippe V avec la Maison
d'Autriche porte dans la politique générale de
l'Europe les résultats de sa rancune.
yGoogk
3o LOUIS XV ET MARIE LEGZIIVSKA.
Qu*a fait cependant le premier ministre pour
préparer le mariage de son roi? Une excuse
à sa conduite précipitée, et aux dangers aux-
quels elle expose la France, pourrait être
dans l'heureux choix qui remplacera la petite
Infante. Mais il cherche et négocie de tous
côlés sans aucun succès. Il a fait demander la
main de la fille aînée du prince de Galles ; la
différence de religion a été le prétexte du
refus, et l'affaire n'a pas été assez secrètement
menée pour n'être pas jugée dans les chan-
celleries comme un échec. Des propositions
antérieures étaient venues de la czarine Cathe-
rine, qui aurait été heureuse d'unir sa fille
Elisabeth au roi de France, au prix même
d'une abjuration de l'orthodoxie; madame de
Prie a trouvé que le sang violent de Pierre le
Grand ne lui promettait pas une reine assez
dépendante, et le ministre, après des tergi-
versations prolongées, a fini par refuser, au
risque de détruire de cordiales dispositions de
la Russie pour l'alliance française. Il a écarté
de principe la charmante fille du duc de Lor-
raine, catholique, d'âge excellent, parce que
la mère est Orléans, sœur du Régent, et que
les Condé ne peuvent supporter l'idée de four-
nir au parti rival Tappui de la reine future.
yGoogk
LE MAKIAGB. 3l
Les meilleurs choix étant rejetés, M. le Duc
a beau faire dresser une liste de toutes les
princesses de l'Europe , qui ont de treize à
vingt-deux ans, et y réunir les détails précis
sur leur religion, leur famille, leurs qualités
physiques i aucun nom ne s'y rencontre qui
puisse concorder à la fois avec Tâge du Roi,
la dignité de IsP couronne et les convenances
personnelles du ministre. Marie Leczinska
figure dans cette liste, avec la remarque qu'elle
a des parents peu riches et que son père et sa
mère voudraient sans doute s'établir en France,
ce qui serait un inconvénient : (( On ne sait
rien^ d'ailleurs, ajoute le mémoire, qui soit
désavantageux à cette famille ». Parmi les per-
sonnes consultées par le ministre et invitées à
lui faire tenir leur avis par écrit, nul ne s'avi-
sera de songer à une princesse de naissance
aussi modeste.
On acceptera, au contraire, par égard pour
M. le Duc, le sentiment vers lequel il penche
lui-même et qui favorise une de ses propres
sœurs. Mademoiselle de Vermandois. Quoique
plus âgée de huit ans que le Roi, elle réunit
toutes les conditions de beauté, d'esprit et de
vertu qui peuvent justifier l'honneur qu'on
lui fait ; elle est, de plus, d'une santé excel-
yGoogk
33 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
lente. Maïs madame de Prie, qui se sait détestée
par la jeune fille, aide M. le Duc à réfléchir
que l'opinion en France et en Europe s'indi-
gnerait d'un choix où Ton verrait le poids
de sa volonté égoïste sur son jeune maître.
L'Espagne, d'autre part, n'attribuerait-elle pas
l'humiliation qu'elle a reçue à l'intérêt de la
maison de Condé et les conséquences du ren-
voi de l'Infante ne retomberaient-elles point
plus durement sur M. le Duc ? Le prince
prévoit de tels soucis, pour une satisfaction de
vanité, qu'il retire, après quelques jours, sa
proposition.
Cependant le temps s'écoule. On ne peut
exposer plus longtemps le Roi au ridicule de
chercher femme, et tout exige qu'une solution
soit apportée aux difficultés où la France a
été engagée par une imprudente impatience.
Après les éliminations prononcées autour de
la table du Conseil ou dans le cabinet de
madame de Prie, après l'échec de la demande
anglaise et l'abandon des prétentions des
Condé, la liste des princesses est épuisée. On
aboutit à cette constatation extraordinaire,
qui condamne la légèreté de M. le Duc et
n'est point pour relever son prestige : il n'y
yGoogk
LE MA&IAGB. 33
a pas en Europe de princesse qui puisse
épouser le roi de France.
' Au milieu de ces embarras aigus, madame
de Prie reçoit à Versailles le portrait de la
jeune Polonaise que M. le Duc s'est promis
d'épouser. Les grâces de son âge s'y trouvent
agréablement marquées : on voit que la prin-
cesse Maiie n'est point déplaisante et que, s'il
lui manque le charme de la beauté, elle
semble, du moins, avoir tous les autres. Une
idée inattendue naît de cette coïncidence. L'ai-
mable modèle du peintre ne pourrait-il faire
une reine de France très suffisante? La ques-
tion se pose aussitôt dans l'esprit de la favo-
rite. Aucun obstacle dans la négociation n'est
à prévoir; la demande, restée tout à fait igno-
rée, qui a été faite par le duc de Bourbon,
permettrait de substituer celle du Roi le plus
aisément du monde.
Madame de Prie voit d'un coup d'œil le
parti qu'elle pourra tirer de cet heureux arran-
gement. C'est elle qui aura fait la nouvelle
reine ; quoi qu'il arrive, son avenir est garanti
par la gratitude qui lui sera due. Elle pousse
M. le Duc à se décider et rien ne se trouve
moins difficile. Le prince s'accommode d'une
combinaison qui lui apporte, en échange d un
yGoogk
84 LOLIS XV ET MARIE LEGZIUSKA.
insignifiant sacrifice, la fin de tant d'affaires
embrouillées.
Si les objecliotts sont assez nombreuses,
aucune ne paraît irréfutable, ce La Polonaise »,
comme on dit, a six ans et demi de plus que
le Roi; mais Mademoiselle de Vermandois est
plus âgée encore, ce qui n'a point arrêté,
quand il s'est agi de la sœur du ministre, se-
lon la propre déclaration faite à ce propos par
le Conseil secret : a Les mœurs d'une personne
de cet âge promettent bien davantage que ceux
d'une personne plus jeune, et cet âge la rend
plus propre à donner des héritiers bien consti-
tués. )) On dira aussi que la situation de Stanis-
las est fort modeste dans la hiérarchie des mo-
narques et que, jadis roi électif, il est tombé
au rang de simple pensionnaire de la France ;
il a régné du moins sur un grand pays et porté
une illustre couronne. Si Ton peut craindre,
d'autre part, qu'il veuille la revendiquer un
jour par les armes et entraîner la France dans
ses projets, il semble facile de lui faire com-
prendre qu'en devenant le beau-père du Roi
Très-Chrélien, son devoir est de sacrifier ses
ambitions aux intérêts du pays qui sera désor-
mais celui de sa fille. D'ailleurs cetle pensée
ne peut être que lointaine et M. le Duc n'est
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tfe MÀRtAGS. âS
pas d'humeur à s'inquiéter de demain, s'il a
le moyen de sortir des difficultés d'aujour-
d'hui. Il embrasse le projet avec ardeur et, de
ce jour, le sort de Marie Leczinska est décidé.
C'est peut-êlre la première fois en France
que, dans le choix si important d'une épouse
royale, des convenances égoïsles ont passé
avant l'avantage de la nation. Aucun des mi-
nistres du passé n'avait eu la pensée de slnspirer
d'un autre intérêt que de celui de la couronne
et n'avait subordonné la raison d'État à ses
raisons particulières. Les motifs qui font le
mariage de Louis XV montrent l'abaissement
des caractères et l'oubli des devoirs du gou-
vernement. Malgré cela, les circonstances
sont devenues si pressantes que M. le Duc n'a
pas d'opposition à redouter dans le Conseil*
Pendant la séance tenue à Marly, le 3i mars,
il remet sous les yeux du jeune Roi l'état
détaillé des princesses d'Europe qu'on a déjà
examiné en vain, et il prouve que, seule, la
fille -du roi de Pologne peut être proposée
sans inconvénient,
La discussion qui suit ne produit point
d'objection sérieuse ; M. de Fréjus lui-même,
sans o{)lner fevorablement, se garde d'en for-
yGoogk
36 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
muler aucune, afTectant de laisser à d'autres
une responsabilité aussi grave, et le Roi est
enfin appelé à se prononcer. Le portrait de
la princesse Marie lui a été présenté. Bien que
les charmes de la future reine soient un objet
fort secondaire en cette décision toute politique,
Louis XV se sent porté à écouter les personnes
qui disposent de son cœur ; il déclare au
Conseil qu'il consent à épouser la princesse
de Pologne. Le soir même, les ordres sont
donnés pour le départ de l'Infante et le cour-
rier d'Alsace emporte la lettre de M. le Duc
pour le roi Stanislas.
La reine Marie Lecziaska racontait elle-
même comment elle avait appris l'événement
extraordinaire de sa vie. Elle était dans une
chambre de Wissembourg, occupée avec
sa mère à leurs ouvrages de charité ; elles
causaient des nouvelles de Pologne, qui
semblaient plus décourageantes que jamais,
puisque le roi Auguste venait de refuser
définitivement à Stanislas toute restitution de
ses biens patrimoniaux. Dans la chambre où
se tenaient les deux femmes, le roi entra, le
visage rayonnant d'une joie singulière et
yGoogk
LE MARIAGE. i'J
tenant une lettre à la main : c< Ah I ma fille,
s'écria— t-il , tombons à genoux et remercions
Dieu! — Quoîl mon père, seriez-vous rap-
pelé au trône ? — Le ciel nous accorde mieux
encore , dit Stanislas : vous êtes reine de
France I »
Le père, la mère et la fille s'embrassèrent
en pleurant et s'agenouillèrent, pour rece-
voir par une prière reconnaissante la nou-
velle qui mettait fin à tant de douloureuses
incertitudes.
Pas un instant la princesse Marie n'hésita
à accepter la grâce qui lui était envoyée et
qui apportait la consolation à ceux qu'elle
aimait. Son jeune cœur s'attachait déjà de
toute sa force au bel adolescent royal, dont
les estampes lui avaient fait connaître les
traits et pour le bonheur de qui elle avait
souvent prié, en retour de l'hospitalité reçue
par les siens. Les sentiments de ses parents
étaient sans mélange ; « on étouffait de joie»,
écrit Stanislas. Ce projet, qu'il fallait tenir
secret pendant quelque temps , resserré au
cercle le plus étroit de la famille, y dédom-
mageait de bien des misères. C'était le rêve
auquel rien n'a préparé et qu'on savoure avec
la seule crainle de le voir s'évanouir.
3
yGoogk
38 LOUIS XY BT MARIB LEGZINSKA.
Stanislas adresse au duc de Bourbon une
réponse, où se peignent rémotion ressentie et
cette gratitude sur laquelle sont en droit <le
compter les auteurs du mariage : a Monsieur
mon frère, que puis-je dire à Votre Altess§
Sérénissime pour répondre à une lettre qui,
me saisissant le cœur et m'ôtant la parole,
me mettrait dans toute Tinsuffisanoe de lui
exposer mes sentiments, s'ils étaient nou-
veaux et inconnus à Votre Altesse Sérénis-
sime?... Puisque la sainte Providence l'a
tellement décidé et que votre incomparable
sagesse le juge ainsi, Votre Altesse Sérénissime^
sait que je suis voué à Elle avec toute ma
famille ; qu'Ëlle dispose d'un bien dont je
Favdis rendue entièrement maître. Je vous
cède mon droit de père sur ma 611e, en rem-
plaçant celui d'époux qui vous était destiné.
Que le Roi, qui la demande, la reçoive de
vos mains... Plaise au Seigneur Tout-Puis-
sant qu'il en tire sa gloire, le Roi son conten-
tement, ses sujets toute la douceur et Votre
Altesse Sérénissime la satisfaction de son
propre ouvrage I » En attendant la glorieuse
réalisation de cet ouvrage, le roi de Pologne
avait h trouver en quelques jours treize mille
livres, pour achever de retirer ses pierreries
yGoogk
LE MABIAOE. 3g
chez 1q juif de Francfort où elles étdent enga-
gées. Il était forcé d'avoir reçt:)ur3 à Familié
du gouverneur de Strasbourg, qui lui en obte-
nait digcrèlement le prêt 3ur la recette de la
ville. Il échapppiit ainsi aux graves chicanes
qu'il ftvôit un momeut redoutées, et qui
auraient mis le comble aux âpres tourments
d'argeut qui l'accablaient.
Des soucis d'un autre genre allaient suivre,
pendant de longues semaines , la joie de
l'heureuse nouvelle. Le chevalier de Vau-
chouY avait très promptement apporté à
Wissembourg les remerciements du duc de
Bourbon q\ traité confidentiellement avec
Stanislas les questions politiques et person-
nelles sur lesquelles il était nécessaire de s'en-
tendre. Il avait trouvé chez le roi de Pologne,
racontait-il, les sentiments d'un «bon Fran-
çais » Qt le parfait désir de se soumettre aux
volontés de son futur gendre. Le secret toute-
fois rendait encore incertain le grand projet,
Ghficun avait compris qu'une haute convenance
exigeait, avant d'en parler, que l'Infante eût été
remise aux envoyés de Philippe V chargés de la
recevoir à la froptière ; mais celte remise avait
eu lieu depuis longtemps, et rien n'arrivait
à Wissembourg tranquilliser les esprits.
yGoogk
4o LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
Sans doute, à Versailles, dès la fin d'avril,
les douze dames du palais étaient nommées,
ainsi qu'une partie de la maison de la Reine,
«semblable, écrit Marais dans son journal, à
ce temple qu'on avait élevé à Rome avec cette
inscription Deo incognito, au dieu inconnu».
Le cardinal de Rohan, le maréchal du Bourg,
venus en amis passer quelques jours chez le
roi Stanislas, se considéraient déjà comme
les sujets de leur chère princesse Marie.
Celle-ci était presque traitée en reine, et l'on
remarquait que ses parents lui laissaient la
droite. Cependant la déclaration publique du
mariage n'était pas faite, et il ne pouvait être
regardé comme assuré, tant que cette for-
malité ne serait pas venue engager la parole
royale.
L'événement qui se préparait avait fini par
transpirer dans les pays rhénans. Tant d'al-
lées et venues inusitées avaient excité les
soupçons, et le bonheur deviné de Stanislas
déchaînait la haine. Des agents saxons rô-
daient dans les environs et venaient encore
d'essayer de lui faire acheter du tabac empoi-
sonné. Ils se mirent à l'œuvre pour empê-
cher, par tous les moyens, un changement
de situation qui devait si puissamment servir
Digitized by VjOOQIC
LE MARIAGE. 4l
sa cause en Pologne. A Paris même, où le
projet s'ébruitait, beaucoup de gens étaient
mécontents. De divers côtés, des dénoncia-
tions parvinrent au duc de Bourbon, l'inquié-
tant sur la santé de Marie Leczinska. ce Le
bruit est grand, dit Marais, d'une lettre écrite
par le roi de Sardaîgne, comme grand-père
du Roi, qui s'oppose au mariage avec la
Polonaise, par la mésalliance et parce qu'on
dit qu'elle a des défauts corporels. Il y a
aussi des lettres anonymes qui ont grossi ces
défauts. On dit qu'elle a deux doigts qui se
tiennent et des humeurs froides ; mais cela
vient de la faction d'Orléans, à qui ce ma-
riage et tout mariage du Roi déplaît. »
Un avis plus grave prétendit que la prin-
cesse était épileptique et désigna même une
religieuse de Trêves, que la reine Catherine
aurait été consulter plusieurs fois sur cette
maladie. Rien ne pouvait causer à M. le Duc
plus de souci pour sa conscience et pour ses
intérêts. Il dut faire chercher une personne
de confiance en relation avec le couvent de
Trêves ; on put établir qu'en effet la reine de
Pologne y était allée plusieurs fois voir la
religieuse désignée, mais que c'était à propos
d'une demoiselle de trente ans qu'elle aimait
yGoogk
4â LOUIS XY ET liARIfi tËGZINSKA..
beaucoup et qui était attachée k son service.
Pour sûreté meilleure, le ministre chargea le
cardinal de Rohan et le chevalier de Vau-
choux d'informer Stanislas des bruits répan-
dus et de lui faire accepter la visite de deux
médecins envoyés de Paris. Le roi ne s'étonna
point des calomnies acharnées contre le
bonheur de sa fille et se prêta à ce qu'on
voulait de lui. Les médecins constatèrent que
la princesse avait une santé particulièrement
vigoureuse et firent justice de tous les men-
songes. Les inquiétudes de la famille tou-
chaient à leur terme ; les lettres arrivaient
enfin, apportant la nouvelle de la déclaration,
et un détachement du régiment de Berry pre-
nait la garde de la maison de Wissembourg.
Le dimanche, 27 mai, à son petit lêVer,
en présence des grands officiera de la Cou-
ronne et des entrées, Louis XV déclara son
mariage, suivant l'usage, en donnant à ses
sujets tous les renseignements qu'ils étaient
en droit de connaître : c< J'épouse, dilr-il, la
princesse de Pologne. Cette princesse, qui est
née le 28 juin 1708, est fille unique de Sta-
nislas Leczinski, comte de Lesno, ci-devant
staroste d'Adelnau, puis palatin de Posnanie,
yGoogk
LB lIAlilAGË. 43
et ensuite élu roi de Pologne, au mois de
juillet 1704» et de Catherine Opalinska, fille
du castellan de Posnanie, qui viennent Tun
et l'autre faire leur résidence au château de
Saîni^Gerinain-en-Laye avec la mère du roi
Stanislas , Anne Jablanoruska , qui avait
épousé en secondes noces le comte de Lesno,
•grand général de la Grande-Pologne. » Quand
le Roi eut fini, le petit duc de Gesvres, Pre-
mier gentilhomme de la Chambre en exer-
cice, passa dans l'Œil-de-Bœuf plein de
monde et prononça les mêmes formules,
livrant la grande et décisive nouvelle aux
commérages de la Cour et aux discussions
des partis.
« La Cour a été triste, écrit un nouvelhste,
comme si on était venu dire que le Roi
était tombé en apoplexie, x) Les compliments
d'étiquette qu'il reçut manquèrent de sincé-
rité. Personne ne montra d'enthousiasme
pour une alliance où rien ne flattait l'amour-
propre national. « Leczinski I Voilà un ter-
rible nom pour une reine de France. r> Cela
était indifférent au Roi, fort enchanté de se
marier et, en attendant, malgré la pluie et le
temps affreux, on le voyait chaque jour aller
à la chasse et prendre plaisir à ce que tout le
Digitized by VjOOQIC
44 LOUIS XV ET MARIE LEGZIN8KA.
monde fût mouillé. Il ignorait entièrement
que les cours d'Europe et les chancelleries
parlaient couramment de sa mésalliance. La
duchesse de Lorraine, par exemple, qui avait,
il est vrai, quelque dépit de mère dédaignée
dans son enfant, écrivait son humiliation de
fille de France: <c Comme bonne Française et
étant de la famille royale, je ne puis voir cette
mésalliance pour le Roi sans en ressentir, je
vous Tavoue, une peine mortelle, et je ne
puis comprendre comment toute la France ne
s'y oppose pas, à commencer par les prin-
cesses de la maison royale. Il me paraît que
les mésalliances sont bien à la mode en
France, puisqu'elles vont à présent jusqu'à
la personne sacrée du Roi. Il sera, à ce que
je crois, le premier de nos rois qui aura
épousé une simple demoiselle I D
Le mariage n'était point un succès pour
M. le Duc et sa conseillère. Ils en furent assez
chansonnés pour que personne n'ignorât les
motifs intéressés qui leur avaient fait faire un
choix aussi imprévu. Le public, déjà mécon-
tenté par les édits financiers, se montra désap-
pointé et inquiet de Tavenir : « Nous verrons,
disait- on, les suites de ce mariage avec un
roi qui n'est plus roi, qui Ta été par une
yGoogk
LE MARIAGE. 45
élection faite en conquête, qui cesse de Têtre
par la même conquête et qui est d'une nation
tout à fait étrangère à la nôtre. Les Polonais
sont les Gascons du Nord et très républicains.
Quel intérêt pouvons-nous avoir avec eux?
Le roi Auguste, électeur de Saxe, qui est du
corps de l'Empire et vrai roi de Pologne, va
être fâché contre nous de ce que nous pre-
nons pour reine la fille de son compétiteur
et pourra nous faire des affaires avec l'Empe-
reur et l'Empire. Le roi d'Espagne s'y join-
dra, et voilà peut-être une guerre affreuse
dans toute l'Europe contre nous I » Parle-
mentaires et jansénistes ajoutaient un autre
grief ; ce La famille du roi Stanislas est gou-
vernée par les Jésuites; il va en venir avec
eux, comme si nous n'en avions pas assez I »
Une telle crainte, douze ans après la bulle
Unigenitus et à la veille des « miracles » jan-
sénistes du diacre Paris, comptait plus aux
yeux de bien des gens que les avantages poli-
tiques perdus par la France au renvoi de
l'Infante.
Des questions secondaires se soulevaient
qui n'allaient point toutes sans difficultés.
Pour décider des avantages matrimoniaux
attribués à la fille de Stanislas, on n'eut qu'a
3.
yGoogk
46 LOUIS XV ET MARIE LÎSGZIIYSKA.
prendre ceux que le roi d'Espagne avait
stipulés en faveur de la sienne : cinquante
mille écus pour ses bagues et bijoux, qui
devaient lui être remis après la signature des
articles préliminaires; deux cent cinquante
mille livres, à son arrivée près du Roi, et un
douaire annuel de vingt mille écus d'or en
cas de veuvage, avec cent mille écus de
pierreries qui lui demeuraient. La formation
de la maison de la Reine n'était pas aussi
aisée. Si l'on eût écouté le maréchal de
Villars, on eût retardé pour la faire jusqu'au
rétablissement des finances; mais l'avidité
de la Cour ne l'entendait pas ainsi, et l'on se
disputa âprement tant de places lucratives
qu'il fallut bien distribuer.
La plus élevée, la surintendance de là
çaaison, revenait presque de droit à Made-
moiselle de Clermont, sœur aînée de M. le
Duc; mais les importantes fonctions de dame
d'honneur, qui rapprochaient à chaque ins-
tant de la Reine, étaient réclamées par
madame de Prie, en raison de la part qu'elle
avait prise aux négociations et de ses relations
antériexires avec le roi de Pologne. M. le Duc,
sentant lui-même le beau scandale que soulè-
verait cette nomination, s'abrita derrière l'avis
yGoogk
tfl MAHIAOB. ^^
de M. de Yillars. Le maréchal raconte, dans
ses Mémoires, qu'il ce le détermina à jeter les
yeux, préférablement à toutes, sur une dame
dont la conduite fût respectable, et les deux
qui pouvaient le plus mériter cette place
étaient la maréchale de Gramont et la maré-
chale de Boufflers; la première ne put l'ac-
cepter» à cause de l'état languissant de son
mari, et la maréchale de Boufflers fut
déclarée. » On dédommagea madame de Prie
par une des places de dame du palais, et
par celle de secrétaire des commandements»
donnée à son fidèle Pâris-Duverney, assuré
dès lors comme elle d'avoir les moyens
d'agir à toute heure sur l'esprit de la jeune
Reine.
Le marquis de Nangîs, celui-là même que
madame la duchesse de Bourgogne avait*
honoré de son amitié, fut nommé chevalier
d'honneur; le comte de Tessé, fils du maré-
chal, fut fait premier écuyer, et le chevalier de
Vauchoux eut la récompense de ses services
par une des places d'écuyer de quartier. On
choisit potir premier aumônier l'évêque de
Ghâlons, un Saulx-^Tavannes ; M. de Fréjus
hésita à accepter la charge de grand aumônier
et finit par s'y déterminer. La dame d'atours
yGoogk
/18 LOUIS*Xy ET MARIE LEGZINSRA.
fut la comtesse de Maîlly, mère de nom-
breuses filles destinées à jouer un rôle dans
la vie de la Reine. Quant aux douze dames du
palais, il y en eut six titrées et six non titrées :
la maréchale de Villars, les duchesses de
Béthune, de Tallard, d'Epernon, la comtesse
d'Egmont, la princesse de Ghalais, les mar-
quises de Nesle, de Prie, de Gontaut, de
Matignon, de Rupelmonde et de Mérode. On
murmura contre des choix dont la moitié au
moins laissait prise à la médisance; ils sem-
blaient peu convenable pour l'entourage d'une
jeune souveraine, madame de Prie s'étant
arrangée de façon à n'y pas être seule de son
espèce.
Le lieu où devait se faire la cérémonie du
mariage par procuration donna motif à des
incertitudes. Gomme les parents de la fiancée
n'étaient point dans leurs Etats, on convint
de choisir la capitale de la province oii ils
recevaient l'hospitalité ; Strasbourg était, de
plus, la ville épiscopale du cardinal de Rohan,
chargé, comme grand aumônier de France,
de célébrer le mariage royal. Un grand
personnage devait être nommé pour aller
épouser; M. le Duc, bien qu'il lui en coûtât
de proposer au Roi le duc d'Orléans, ne put
yGoogk
LE MARIAGE» 49
faire autrement que de s'y résigner, afin
d'ajouter tout l'éclat possible à la cérémonie
par la présence du premier prince du sang,
Il dut même promettre cent mille écus pour
la dépense du voyage.
Les préparatifs se pressaient de part et
d'autre. Le jour même où le comte Tarlo,
parent de Stanislas, arrivait à Versailles pour
signer les articles préliminaires et le contrat
de mariage, le duc d'Antin et le marquis
de Beauvau partaient, comme ambassadeurs
extraordinaires chargés de faire la demande.
Le maréchal du Bourg réglait avec eux et le
roi Stanislas les détails de la solennité et le
jour, qui fut, par piété, fixé au i5 août*:
c( La princesse et sa famille, écrivait le duc
d'Antin, désirent passionnément qu'eUe soit
mariée le jour de la Vierge, pour laquelle on a
une dévotion particulière. »
Depuis le 4 juillet, Stanislas et les siens
étaient à Strasbourg. La princesse Marie avait
fait ses adieux à cette triste maison qui, cinq
ans plus tôt, la recevait en fille d'exUés et
d'oii elle partait, escortée de plusieurs bri-
gades de carabiniers royaux, pour être la
femme d'un des plus grands rois du monde.
yGoogk
50 LOUIS XY ET HARIti IHCZINSKA.
A l'entrée de la ville, les magistrats étaient
venus offrir leurs hommages, et les troupes
faisaient la haie jusqu'au palais du Gouver-
nement, où le cardinal, le clergé et les autres
corps s'étaient rendus pour la complimenter.
C'était la première fois que le canon reten-
tissait en l'honneur de Marie Leczinska et
que les hommages officiels l'entouraient ; ainsi
commençait la réalisation de son rêve.
Elle goûta aussi, pendant ces six semaines,
comme elle n'avait pu le faire encore, les
plaisirs d'une société brillante et choisie.
Échappant aux importunités de la représen-
tation^ le Roi et sa famille avaient accepté de
loger a l'hôtel d'Andlau. Cette demeure d'une
grande famille alsacienne était hors de la
ville, et une femme d'un charme rare et
supérieur en faisait les honneurs. La comtesse
d'Andlau avait d'ailleurs rendu souvent visite
aux exilés de Wissembourg, et leur présence
dans sa maison ne faisait que resserrer les
liens d'une intimité déjà étroite. La reine
Catherine l'appelait c( ma chère petite d'An-
dlette y> ; Stanislas professait pour elle ce
culte enthousiaste que les Polonais portent
dans l'amitié. Marie Leczinska, de son côté,
ne devait jamais oublier l'hospitaUté de la
yGoogk
LB MAaiAGE. 5l
comtesse non plus que TempreBsement de
Texcellent maréchal du Bourg, dévoué depuis
plusieurs années oomme un véritable ami et
à qui Stanislas écrivait plus tard : a Je sou-
pire toujours après l'Alsace, que vous m*avez
rendue si agréable à me la faire regretter
toute ma vie. »
Au milieu de oes jours sans trouble, où
tout était espérance et repos, personne ne
songeait aux difficultés et aux intrigues que
la princesse était appelée a trouver à Ver-
sailles « A la Cour, au contraire, on pensait
déjà à l'y mêler et à prendre possession de
la jeime influence qu'elle y allait apporter.
M. de Fréjus n'avait pas manqué, dès que le
mariage avait été décidé, de lui écrire ses
félicitations et ses hommages, et elle avait
répondu au précepteur du Roi, de qui elle
n'ignorait pas l'importance. Mais voici qu^une
ambassade féminine lui était directement en-
voyée à Strasbourg ; c'était l'amie de M. le
Duc qui la remplissait elle-même, et la lettre
qu'elle avait pour Stanislas ne laissait aucun
doute sur ses intentions : a Je profite du
départ de madame de Prie, écrivait le prince,
pour faire remettre cette lettre à Votre Majesté,
et j'envie bien le bonheur qu'elle va avoir de
yGoogk
52 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA.
l'assurer elle-même de son attachement et de
son respect... J'ai pris la liberté d'instruire
Votre Majesté de beaucoup de choses sur tout
ce qui se passe dans ce pays ; mais, comme
la prudence défend de les écrire et que je suis
sûr du secret de madame de Prie, je l'ai
chargée d'en rendre compte a Votre Majesté
et de ne lui rien cacher, croyant qu'il y a des
choses que notre reine future serait peut-être
bien aise de savoir. Ce sera à Votre Majesté à
en juger, et toute la grâce que je lui demande
est de les garder pour elle seule et pour la
princesse sa fdle. »
Il importait, en effet, au ministre et à sa
favorite que leur future maîtresse reçût, sur
les hommes et les choses de la Cour, les im-
pressions qui leur convenaient et qu'elle prît
en eux, dès l'abord, une confiance absolue.
Madame de Prie la mit surtout en garde
contre les menées sournoises de M. deFréjus.
Elle profita en même temps de la Kberté qui
lui fut laissée pendant plusieurs jours pour
s'insinuer au meilleur de son affection. Comme
elle jouait à merveille tous les rôles qui la
pouvaient servir, ce fut celui de l'ingénuité
qu'elle s'imposa. Il sauvait, aux yeux de Sta-
nislas, ce qu'avait d'assez équivoque l'in-
yGoogk
LE MARIAGE. 53
fluence dont il bénéficiait. Marie se laissait aller
tout entière aux sentiments d'une reconnais-
sance que madame de Prie cultivait jusque
dans les plus petits détails et par les présents
les plus intimes : en attendant l'arrivée du
trousseau complet de la princesse, la mar-
quise montrait qu'elle n'ignorait pas Thumî-
Kant dénuement de sa garde- robe, et le
premier cadeau qu'elle faisait à sa souveraine
était celui d'un lot de chemises.
Le 25 juillet 1725, Mademoiselle de Cler-
mont, ayant pris congé de Sa Majesté, qui
chassait à force à Chantilly avec M. le Duc,
quitta Paris pour aller chercher la jeune
Reine. Elle emmenait avec elle un grand
nombre d'officiers des deux maisons. Les
dames étaient mesdames de Boufflers et de
Mailly, sept dames du palais de la Reine et
deux dames ^d'honneur de la princesse. C'était
toute une partie de la Cour qui se déplaçait,
et celle qui demeurait vint à l'hôtel de Condé
souhaiter le bon voyage et assister au curieux
spectacle du départ.
Le cortège comptait dix carrosses du Roi,
attelés de huit chevaux, et une douzaine de
carrosses particuliers à six chevaux, chacune
yGoogk
54 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA.
àeê dames ayant le sien ainsi qu*un fourgon
à quatre chevaux pour son lit et ses bagages*
Les équipages du Grand-Commun, qui par--
tirent en même temps des écuries du Louvre,
faisaient encore une cinquantaine de carrosses,
berlines, corbillards, fourgons et chariots.
On emportait la vaisselle d'argent royale et
tout ce qui devait être nécessaire pour là
bouche et le service de la Reine. Les cochers,
postillons, palefreniers et charretiers avaient
été habillés à neuf. Ce défilé fut un amuse-
ment extraordinaire pour le peuple de Paris,
comme pour les diverses provinces qu'il tra-
versa. La sœur de M. le Duc fit, d'ailleurs,
un voyage triomphal, accueillie et fêtée par
les autorités locsJes et par les commandants
militaires, et à peine moins haranguée que
ne devait Têtre la Reine au retour.
En arrivant à Saverne, au palais du car-
dinal de Rohàn, fastueasement aménagé pour
ces réceptions, la princesse trouva madame
de Prie, qui la mit au courant de ce qui se
passait à Strasbourg, et le roi Stanislas vint
lui-même la visiter. Il avait abandonné Thôtel
d'Andlau et habitait, pendant les derniers
jours, celui du Gouvernement, ou sa petite
cour polonaise s'était renforcée, pour une
yGoogk
Lfi MARIAGE. 55
semaine, des dames ^ gentilshommes et pages
devenus nécessaires aux circonstances. C'est
au Gouvernement qu'il avait reçu, avec la
reine» dans le plus majestueux cérémonial et
toute la pompe de la royauté, les lettres de
créance du duc d'Antin, puis la demande
solennelle de la main de sa fille, présentée
par les ambassadeurs du roi de France. U
avait eu aussi la visite du duc d'Orléans, qui
était Venu rendre ses premiers hommages à
sa souveraine ; le prince n'avait fait que tra-
verser Strasbourg et était allé attendre le
jour du mariage à Rastadt, chez la princesse
douairière de Bade, sa belle-mère.
Il y avait un grand mouvement en Alsace
et dans le pays rhénan pour les fêtes annon-
cées. Beaucoup de princes et seigneurs alle-
mands, et parmi eux le duc et le prince héré^
ditaire de Wurtemberg, arrivaient pour la
cérémonie ; toute la noblesse alsacienne,
mieux disposée en faveur du mariage que celle
de Paris et de la Cour, avait retenu ses loge-
ments. Mademoiselle de Clermont devait habi-
ter hors de la ville, chez l'amie des Leczinski et
du maréchal du Bourg, la comtesse d'Andlau.
Elle y fut reçue le soir du i4 août, à l'heure
même où la cérémonie des fiançailles était
yGoogk
56 LOUIS XV ET HAUIE LEGZIMSKA.
célébrée au Gouvernement par le cardinal-
évêque. Toute la ville était en fête, et ce n'était
que bals, festins, illuminations, salves d'artil-
lerie et fontaines de vin coulant sur les places.
Les Strasbourgeois se souvinrent long-
temps de ce i5 août lyâB, où les rues pavoi-
sées et enguirlandées virent le brillant mouve-
ment des troupes autour des carrosses royaux,
et personne n'oublia J'aimable jeune Reine
pour qui se déployèrent toutes ces joies, La
majestueuse cathédrale fut remplie, dès avant
onze heures, par la Cour, les princes alle-
mands et leur suite, la noblesse et les familles
notables de la ville ; entre les tribunes dressées
de chaque côté de la nef, les gardes du corps
et les Gent-Suisses formaient la haie, comme
à Versailles. A midi, le cardinal de Rohan,
les chanoines-comtes de Strasbourg, et tout
le clergé sécuher et régulier de la ville,
reçurent la Reine sous le porche et la condui-
sirent au chœur, toutes cloches sonnantes, au
bruit des tambours, timbales et trompettes
des gardes du corps. Précédée du grand-
maître des cérémonies du Roi, des ambassa-
deurs extraordinaires et de monseigneur le
duc d'Orléans, tenant la place de Louis XV,
yGoogk
LE MARIAGE. By
Marie traversa Téglise, donnant la main au
roi son père. Stanislas avait le cordon et la
croix du Saint-Esprit, qu'il venait de recevoir
du roi de France. Marie était vêtue d'une étoffe
de brocart d'argent garnie de dentelles d'ar-
gent et semée de roses et de fleurs artifi-
cielles. La marquise de Linage portait la
queue de sa robe, et la marquise de Rose
celle de la reine de Pologne. L'estrade où la
princesse s'agenouilla d'abord entre ses parents
était couverte de velours cramoisi semé de
fleurs de lis d'or, et au-dessus pendait un
grand dais de semblable velours descendant
des voûtes.
Le roi et la reine de Pologne menèrent
leur fille à l'autel ; le duc d'Orléans se mit
auprès d'elle et le cardinal prononça, avant
de bénir le mariage, un discours qui justi-
fiait, en cette grande journée, les vues inat-
tendues de la Providence : c< Vous êtes,
madame, d'une maison illustre par son an-
cienneté, par ses alliances et par les emplois
éclatants que les grands hommes qu'elle a
donnés à la Pologne ont successivement rem-
plis avec tant de gloire. Vous êtes fille d'un
prince qui, dans les différents événements
d'une vie agitée, a toujours réuni en lui
yGoogk
68 LOUIS XV ET MARTE LEGZINSRA.
rhonnête homme, le héros et le chrétien...
On voit en votre personne, madame, tout ce
qu'une naissance heureuse et une éducation
admirable, soutenue par des exemples égale-
ment fort» et touchants, ont pu former de
plus accompli... Ornée de toutes ces vertus,
à quelle couronne n'auriez-vous pas eu le
droit d'aspirer, sans l'usage qui assujettit, en
quelque façon, les rois à ne prendre qu'au-
tour du trône les princesses qu'ils veulent
faire régner avec eux? Celui qui donne les
empires mit le sceptre de la Pologne entre
les mains du prince de qui vous tenez la via
et, par là, en décorant le père, il conduit
insensiblement la fille aux hautes destinées
qu'il lui prépare. Mais, ô mon Dieu! que
vos desseins sont impénétrables et que les
voies dont vous vous servez pour faire réussir
les conseils de votre sagesse sont au-dessus
de la prudence humaine I A peine ce prince
est-il sur le trône où le choix des grands et
l'amour des peuples l'avaient placé, qu'il se
voit forcé de le quitter. 11 est abandonné,
trahi, persécuté ; un coup fiatal lui enlève un
héros, son ami et le principal fondement de
ses espérances. Il cède au temps et aux ciivi
constances, sans que son courage soit ébranlé;
yGoogk
LE MARIAOB, 5g
il cherche un asile dans la patrie commune
des rois infortunés. Il vient en France; vous
Ty suivez, madame. Tout ee qui vous y voit,
sensible à vos malheurs, admire votre vertu ;
l'odeur s'en répand jusqu'au trône d'un jeune
monarque qui, par l'éclat de sa couronne,
par l'étendue de sa puissance et plus encore
par les charmes de sa personne, pouvait
choisir entre toutes les princesses du monde.
Guidé par de sages conseils, il fixe son choix
sur vous, et c'est ici que le doigt de Dieu se
manifeste 2 il se sert du malheur même, qui
sépare le roi votre père de ses sujets et qui-
vous enlève à la Pologne, pour vous donner
à la France et pour nous donner en voua une
reine qui sera la gloire d'un père et d'une
mèrd dont elle fait la consolation et les
délices I )>
Celte éloquence ecclésiastique, où se mon-^
trait l'affection de l'évêque de Strasbourg
pour ses amis, n'était pas uniquement tissée
de banales formules. Elle pouvait prêter à
sourire aux gens de cour venus de Versailles,
mais elle répondait aux pensées de toute la
partie de l'assemblée , qui connaissait les
malheurs et la grandeur d'âme de Stanislas
çt qui avait admiré de près la dignité coura^
yGoogk
6o LOUIS XY ET MARIE LECZIRSKA.
geuse de sa vie. Quant à la famille royale de
Pologne, elle voyait réellement de son dé-
sastre sortir son bonheur de ce jour, et elle
remerciait Dieu avec des larmes, tandis que
les cérémonies de la messe de mariage se
déroulaient et que les symphonies, alternant
avec les chants liturgiques , élevaient les
cœurs vers le Maître suprême, qui savait,
dès ce monde, récompenser la vertu.
La nouvelle reine de France fut ramenée
au Gouvernement, escortée des gardes du
corps et des Gent-Suisses, qui lui devaient
maintenant leur service. Mademoiselle de
Glermont l'attendait dans son appartement et
lui présenta ses dames, M. de Nangis, son
chevalier d'honneur, M. de Tessé, son pre-
mier écuyer, et toute la partie de sa maison
qui était du voyage. Elle reçut les visites des
princes allemands et du chapitre, et dîna au
grand couvert avec ses parents, tandis que les
canons de la ville et de la citadelle tiraient
sans interruption ; enfin elle put aller se repo-
ser, pendant qu'on servait à dîner à Made-
moiselle de Glermont et aux dames demeurées
dans leur grand habit.
L'après-midi, la Reine ayant désiré en-
tendre, en ce jour de fête de l'Eglise, les
yGoogk
LE MARIAGE» 6l
vêpres de la Sainte-Vierge, ce fut Foccasion,
pour les officiers de sa maison, de commencer
à exercer les fonctions de leur charge. Sa
Majesté alla à la cathédrale avec Mademoiselle
de Glermont et ses quatre premières dames
dans son carrosse, suivie de toute son escorte.
MM. de Nangis et de Tessé l'accompagnèrent
au chœur ; derrière son fauteuil se tint le duc
de Noailles, comme capitaine des gardes ; les
dames du palais entourèrent le prie-Dieu,
aux côtés duquel se rangèrent les officiers
des gardes et les gardes de la Manche, qui,
ainsi que leur nom l'indiquait, ne devaient
point quitter la personne royale. Toute l'éti-
quette de Versailles prenait déjà possession
de la princesse polonaise et lui marquait sa
place hors du reste de l'humanité. Quand la
Reine suivit la procession, entre M. de Nan-
gis et M. de Tessé, son manteau soutenu par
le duc de Noailles, le roi Stanislas marchait
derrière elle, donnant la main à mademoiselle
de Glermont, et contemplait à distance les
honneurs dont on revêtait sa fille, naguère
encore assise avec tant de simplicité au foyer
familial. Pour elle, au milieu de ces pompes
nouvelles si peu désirées, elle se réfugiait
visiblement dans l'humilité intérieure ; elle
yGoogk
63 LOUIS XT ST MAKIS LBCZIHSKA.
s*absorbait dans une prière si fervente qu'on dut
ravertlr plusieors fois, an cours, des yêpres, de
ne point demeurer tout le temps agenouillée.
Les harangues occupèrent une heure ou
deux de la soirée. Puis on passa sur la ter-
rasse du GouTemement, pour voir le feu
d'artifice tiré sur TIll, où apparurent unies les
armes de France et de Pologne. Le coup
d'œil le plus beau fut celui de la flèche illu-
minée de la cathédrale ; elle montait dans le
ciel comme une pyramide de feu et on y tira
une partie des fusées. Les chiffires lumineux
des époux étaient suspendus dans les rues,
parmi les arcs de feuillage ; on dansait aux
cris de Vivent le Roi et la Reine ! et l'on fai-
sait des feux de joie devant toutes les portes.
Les mêmes réjouissances continuèrent le len^
demain. Mademoiselle de Glermont et quel-
ques dames eurent l'idée de monter sur la
plate-forme du clocher et admirèrent l'im-
mense panorama de la plaine du Rhin. Quant
à Marie, elle donna à ses parents et à leurs
amis préférés toutes les heures de cette der*
nière journée.
La séparation eut lieu le 17 août, à dix
heures du matin. La jeune Reine fit ses adieux
yGoogk
LB MAEIA6B. 63
sur le marchepied de son carrosse, et tout le
monde y fut en larmes. Mais, quatre lieues
plus loin, au village où Ton dîna, Stanislas
vint rejoindre sa fille et, le soir, partagea avec
elle, au palais épiscopal de Saverne, Thospi-
talité somptueuse du cardinal de Rohan. Ils
passèrent ensemble encore la matinée du len-
demain, retardant le plus possible le moment
de se quitter et de finir pour jamais leur vie
commune. La Cour et les curieux respectèrent
cette intimité, même pendant leur dîner, et
se portèrent aux tables plus joyeuses de ma-
demoiselle de Clermont ou du duc d'Orléans.
Après le dîner, la Reine se remit en carrosse
avec ses dames ; le cortège se reforma, salué
par l'artillerie à la sortie de la ville, et se mit
à gravir la montagne de Saverne. Au point le
plus élevé de la route, Stanislas parut à
cheval avec ses gentilshommes et chevaucha
quelque temps à la portière royale. La Reine
comptait qu'il l'accompagnerait jusqu'à Sar-
rebourg, où l'on devait coucher; mais elle
apprit bientôt que le Roi avait tourné bride
sans rien dire, afin d'éviter les dernières
émotions, et qu'il était déjà trop loin sur la
route de Strasbourg pour qu'elle pût songer
à le rappeler.
yGoogk
64 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
n fallut, pour distraire son chagrin, toute la
variété des spectacles que les premiers jours
du voyage lui présentèrent. Elle vit l'entrée
dans les places fortes, au bruit du canon,
avec les grosses clefs des portes oflTertes sur des
plats fleuris, les rues des petites villes trans-
formées en portiques de verdure, les bons
bourgeois sous les armes saluant au passage,
la parade des régiments des garnisons, à la
tête desquels le duc d'Orléans allait se mettre
pour saluer Sa Majesté de Tépée, les exer-
cices militaires qu'exécutaient dans les champs
les housards de M. de Berchiny ; ce furent
enfin, chaque journée, les naïves imaginations
des paysans d'Alsace et de Lorraine, qui
plantaient des branches vertes le long de la
route pendant des lieues ou qui venaient, par
paroisse, bannière en tête et chantant des
cantiques, réciter des prières pour la Reine et
s'agenouiller devant elle.
Le spectacle de son propre cortège pouvait
être un amusement pour la jeune femme, aux
tournants des routes montagneuses. Une sorte
d'avant-garde était formée parles carrosses et
les fourgons du duc d'Orléans, qui allait en
tête avec le duc d'Antîn, afin de recevoir Sa
Majesté partout où elle devait s'arrêter. En
yGoogk
LE MARIAGE. 65
avant du carrosse royal roulaient ceux de la
Faculté et du duc deNoailles, suivis des pages
du Roi à cheval. Aux portières de la Reine
étaient les quatre exempts des gardes et, der-
rière, la chevauchée brillante des uniformes
bleus galonnés d'argent. Venaient ensuite les
carrosses de la Cour et du service, et l'inter-
minable file des chariots et des équipages.
L'énorme cortège occupait plus d'une lieue
de route. La marche en était retardée par sa
longueur même et aussi par le mauvais temps,
qui durait sans interruption depuis près de trois
mois et avait défoncé tous les chemins. Le
désastre des récoltes et la misère qui en résul-
tait pour le paysan assombrissaient le voyage
de Marie, car elle n'était point assez légère
pour n'y pas arrêter sa pensée ; mais les braves
gens qui l'allaient voir passer et qui partout
recevaient d'elle de larges aumônes, la saluaient
comme une fée bienfaisante et ne doutaient
pas que la venue de la reine de France ne
marquât la fin de leurs maux.
L'arrivée à Metz, qui devait avoir lieu de
jour, ne put se faire qu'aux flambeaux, mais
elle ne manqua pas de beauté. Il y avait plus
de dix mille étrangers. La Reine fit une entrée
4.
yGoogk
66 LOUIS XY ET MARIE LBGZINSKA.
solennelle à huit heures du soir, escortée du
heau régiment d'Orléans-Gavalerie, dont le
duc d'Orléans était colonel. La pluie avait
cessé pour quelques heures ; les rues étaient
illuminées et tendues de tapisseries, et les
troupes rangées présentaient les armes, la
baïonnette au fusil. Le son des cloches et les
fanfares des trompettes se mêlaient aux déchar-
ges de Tartillerie. Une foule immense et
joyeuse acclama la Reine, qui se rendit tout
d'abord à la cathédrale, entendre un Te
Deum, et vint souper et dormir à l'hôtel du
Gouvernement.
Elle passa à Metz deux journées pleines ; on
n'avait pu accorder moins à une cité aussi
importante, aussi attachée à la couronne de
France et qui avait fait tant de préparatifs
pour se réjouir. Marie prit plaisir au feu d'ar-
tifice tiré sur la place d'Armes, devant la cita-
delle illuminée, et à l'éclairage du clocher ,
qui lui rappela celui de Strasbourg. L'évêque
de Metz lui offrit une brillante collation de
fruits dans les beaux jardins de Frascati. Il
lui fallut réserver une part de son temps à
donner des audiences et à ouïr des harangues,
Elle reçut d'abord le Parlement de Metz, puis
chacune des juridictions de la ville ; enfin les
yGoogk
LB MABIAGB. 6^
chanoinesses de l'illustre chapitre de Remi-
remont firent passer devant elle leurs révé-
rences en manteaux d'hermine.
La riche communauté juive eut le môme
honneur que les chanoinesses, et le discours
du rahbin fut particulièrement intéressant: on
y comparait le voyage de Sa Majesté à celui
de la reine de Saba, et on louait en elle les
grâces d'Esther et la magnanimité de Judith.
Les juifs offrirent ensuite trois coupes d'or
gravées de sujets de l'Ancien Testament, cjue
la Reine envoya aussitôt à l'évoque pour en
distribuer le prix aux pauvres. Puis ils deman-*
dërent la faveur de passer en cavalcade sous
ses fenêtres, et ce fut un des plus curieux
spectacles que ce défilé de cent cinquante
cavaliers vêtus de velours noir, aux vestes
glacées d'or et d'argent, dont les deux premiers
avaient été habillés en femme, pour faire voir à
la Reine les anciennes coiffures de leur nation.
Une de leurs bannières portait les tables de la
Loi écrites en hébreu, une autre des prières
pour le Roi et la Reine en vers français, et sur
un char étaient des musiciens qui firent de
bonne musique. Les mêmes juifs eurent encore
le privilège de divertir la Reine au dîner qui
précéda son départ, par un concert d'instru-
yGoogk
68 LOUIS XY ET MARIE LEGZITÏSKA.
mentîstes venus d'Allemagne. Tout le monde
trouva leur concert intéressant et de fort bon
goût; mademoiselle de Clermont, qui avait
eu la curiosité d'aller voir la célébration d'un
mariage à leur synagogue, les félicita au nom
de sa maîtresse et les fit récompenser.
L'enthousiasme continua durant le reste de
la route, montrant à l'auguste voyageuse la
loyale affection du peuple pour le Roi et l'ardeur
des vœux universels pour son bonheur. Les
étapes, au départ, furent àMalatour, Verdun,
Clermont, Sainte-Menehould. A celle de Châ-
lons, où clercs et laïques rivalisèrent de can-
tates, odes, églogues et devises, les députés
de la ville de Reims surent aussi se faire remar-
quer en apportant d'énormes corbeilles rem-
plies de vins de Champagne et des boites de
satin brodées et peintes contenant des confi-
tures sèches du pays. Ce que Marie reçut
avec le plus de plaisir fut le portrait du Roi
enrichi de diamants que lui remit le duc de
Mortemart, Premier gentilhomme de la Cham-
bre, venu au-devant d'elle en grand équipage,
pour la complimenter au nom de son époux»
Le soir du départ de Châlons,un orage d'une
violence extraordinaire, qui éclata à l'arrivée
à Vertus, rendit fort malaisée la recherche des
yGoogk
LE MARIAGE. 6g
logements et empêcha les habitants de voir
la Reine. La pluie, le tonnerre et les éclairs
durèrent toute la nuit. Le lendemain, elle fut
coucher à grand'peine à Sézanne, puis à Vil-
lenauxe, où elle fit au marquis de Saint-Cha-
mant, lieutenant des gardes, l'honneur de
descendre chez lui, ensuite à Provins, où elle
logea au couvent des religieuses bénédictines
et s'amusa à émerveiller les nonnes en leur
montrant le portrait du Roi.
A mesure qu'on avançait, l'état des che-
mins rendait le trajet plus difficile. Assez
souvent un fourgon s'enlisait ou se renver-
sait et retardait tout le passage. On était
obligé de passer par les champs, où les acci-
dents recommençaient de plus belle. Un jour,
le carrosse de la Faculté y brisa un essieu et
y demeura jusqu'au soir ; une autre fois,
celui du duc d'Antin creusa son ornière
dans une prairie et, le duc et sa compagnie
ayant voulu descendre, chacun s'enfonça
dans la boue jusqu'au genou. Au soir de
l'avant dernière journée du voyage qui était
la dix-septième, la pluie devint torrentielle,
tous les carrosses s'embourbèrent à la fois,
sans qu'on pût songer à les retirer avant le
lendemain. On alla prévenir M. le Duc, qui
yGoogk
70 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
se trouvait à Montereau et qui envoya aussitôt
des chaises de poste, des flambeaux et des
lanternes, avec des vivres en cas de besoin.
La Reine fut portée dans la berline de made-
moiselle de Glermont, qui était plus légère
que les carrosses, et elle put parvenir à Mon-
tereau à onze heures du soir. Malgré le dé-
sordre de cette arrivée, M. le Duc, les
secrétaires d'État et les seigneurs qui atten-
daient la Reine lui furent présentés séance
tenante. Toute la nuit, par ce temps affreux,
on vit arriver, les unes après les autres, les
dames crottées et mouillées, qui avaient usé
des ressources les plus burlesques : des du-
chesses avaient fait décharger le fourgon de
la vaisselle d'argent et y étaient montées avec
leur habit de cour, ayant pour coussins des
bottes de paille. L'aventure était piquante ;
la Reine dit avec gaieté qu'elle en comman-
derait le tableau à quelque peintre , et ce fut
Lancret qu'on lui fit choisir.
Le matin du 4 septembre, qui allait être
le jour de l'entrevue de Leurs Majestés, la
Reine s'étant levée à dix heures, une présen-
tation unique eut lieu, celle de M. l'ancien
évêque de Fréjus. On avait tant parlé à Marie
de l'influence que ce personnage avait sur le
yGoogk
LB MARIAOB. 7I
Roi qu'elle dut Faccueillir avec une curiosité
un peu inquiète. Les récits nous disent qu elle
traita c< d'une manière digne de son mérite
ce sage et vertueux .prélat», et qu'il se rendit
aussitôt à l'église collégiale pour y recevoir
Sa Majesté et y exercer pour la première fois
la fonction de sa charge de grand aumônier.
Marie écouta cette messe avec une dévotion
particulière en pensant que le jour même ses
plus chers désirs seraient comblés et qu'elle
verrait l'époux glorieux que Dieu lui avait
destiné.
La rencontre devait avoir lieu vers quatre
heures.Marieavaitquitté Montereau aprèsdlner,
dans son habit de noces de Strasbourg. Une
demi-lieue après ce départ, un cavalier vint
avertir que le carrosse du Roi attendait sur la
hauteur de Froidefontaine : les équipages de
la Cour l'accompagnaient avec des détache-
ments de sa Maison, et tout le populaire du
pays, à quinze lieues à la ronde, était massé
sur les bords de la route. Le temps était
maintenant doux et tiède ; la pluie avait cessé
et un arc«en--ciel d'un excellent présage
venait de paraître sur l'horizon. Des bandes
de violons jouaient de toutes parts des airs
yGoogk
7^ LOUIS XT ET MARIE LEGZINS&A.
d'allégresse, et le peuple, de plus en plus
nombreux à mesure que montait le carrosse
de la Reine, l'applaudissait et mêlait son
nom à celui de Louis XV,
Quand on s'arrête, Marie se hâte de des-
cendre et, suivant le cérémonial, va se mettre
aux genoux du beau prince, qui vient à elle
entouré de dames en grand habit. Mais il lui
laisse à peine le temps de toucher le tapis
qu'on a jeté devant elle ; il la relève* et l'em-
brasse à plusieurs reprises. Tous les yeux la
regardent en ce moment : elle paraît agréable
de sa personne et point si laide que quelques-
uns l'ont dit. Cependant les timbales et
les trompettes ont couvert les acclamations
de la foule « Le Roi présente, l'une après
l'autre, les princesses du sang, que la Reine
embrasse, et il lui parle quelques instants de
la joie qu'il éprouve à voir terminé enfin ce
long voyage. Cette joie n'est nullement feinte,
et chacun remarque qu'il n'a jamais montré
autant de vivacité qu'en ce moment. Sur ce
visage juvénile, aux traits réguliers et si
rarement émus, c'est un sentiment nouveau
qui semble se peindre. Et tandis que Marie
admire la prestance et la grâce de son jeune
époux, tout le monde applaudit, en ces mi-
yGoogk
LE MARIAGE. 78
nutes d'un spectacle unique, Theureuse pro-
messe de cette émotion.
Le Roi aide la Reine à remonter dans son
carrosse et s'y place auprès d'elle avec la jeune
duchesse d'Orléans, la duchesse douairière de
Bourbon, mère de M. le Duc, la princesse de
Conti et Mademoiselle de Charolais. Tous les
autres carrosses se remplissent et s'ébranlent ;
les mousquetaires et chevau-légers ouvrent la
marche, les gardes du corps et gendarmes la
ferment. Le long du trajet, la compagnie du
Vol du Cabinet donne à Leurs Majestés le
plaisir de regarder la chasse au vol, spectacle
commode pour fournir un sujet de conversa-
tion. Au reste, le Roi est fort aimable et d'une
gaieté qu'on ne lui a jamais vue. On arrive
sur les sept heures à Moret, dont le château,
qui est aux Rohan, abritera pour la nuit la
Reine et sa maison. Les princes et tout ce
qu'il y a d'hommes de la Cour y sont pré-
sentés par le Roi. 11 reste lui-même une
heure encore avant de repartir pour Fontaine-
bleau avec les princes. Aussitôt, Mademoi-
selle de Clermont présente les dames du
palais qui n'ont pas été du voyage ; puis M. le
Duc a son audience particulière, et la Reine
soupe à son grand couvert, au son des haut-
yGoogk
^4 LOUIS XV ET MAnlE LECZIMSKA.
bois, avant la courte nuit qui la sépare dô son
bonheur.
Elle arrive à neuf heures et demie, le matin
du 5 septembre, dans l'appartement royal de
Fontainebleau, où l'empressement du Roi lui
rend visite avant sa toilette de mariage. A
partir de ce moment, la reine Marie sent bien
qu'elle ne s'appartient plus; entourée de
ligures nouvelles, transportée dans un palais
plus somptueux qu'aucun de ceux qu'elle a
pu voir, elle est devenue un personnage de
représentation et un objet d'hommages. On
est trois heures à l'accommoder* A sa toilette
assistent, suivant leur rang d'étiquette, les
princes, les princesses, les dames titrées.
M. le Duc y vient, suivi du garde du Trésor
royal, qui met sur la toilette deux bourses de
pièces d'or, puis le duc de Mortemart avec
l'intendant de l'argenterie et des Menus-Plai-
sirs offrent, de la part du Roi, la couronne de
diamants fermée par une double fleur de lis,
qui doit surmonter l'édifice de ses cheveux.
Après la coiffure, Marie revêt sa jupe de
velours violet, bordée d'hermine et semée de
fleurs de lis d'or, le devant couvert de pierre-
ries ainsi que le corps de jupe, dont les
manches sont agrafées de diamants. Après
y Google
LE MARIAGE. 75
que le màûteau royal est placé sur ses épaules,
du tnéme velours violet fleurdelisé d'or, bordé
et doublé d'hermine, elle se rend au cabinet
du Roi, où l'attend le cortège de l'époux. Il est
lui-même en habit de brocart d'or, en man-
teau de point d'Espagne d'or, et un énorme
diamant relève un côté de son chapeau à plumes
blanches.
On se met en marche pour la chapelle par
la galerie de François I«S à travers la double
haie des gardes du corps. La musique de la
Chaâibre va devant, avec ses trompettes,
fifres et tambours, puis défilent les hallebardes
des Cent-Suisses, enfin le cortège royal, pré-
cédé des hérauts d'armes et des grand-maître
et maîti'e des cérémonies. Les chevaliers du
Saitit-Esprit suivent deux à deux, les grands
officiers de l'ordre en tête, et, à la suite, le
comte de Gharolais, le comte de Clermont et
le prince de Gonti, en habit de l'ordre et
marchant seuls. Les masses des deux huis-
siers de la Chambre et Tépée du marquis de
Gourtenvaux , capitaine des Gent*- Suisses ,
annoueent le Roi. Il a, pour lui donner la
main, le prince Gharles de Lorraine, grand
écuyer, et le commandeur de Beringhen, pre-
mîéî* écuyer; derrière Sa Majesté est le duc
yGoogk
76 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIfSKA.
de Villeroy, capitaine des gardes, ayant à sa
droite le premier gentilhomme, duc de Morte-
mart, et le grand-maître de la garde-robe,
duc de La Rochefoucauld. Aux côtés du Roi
se tiennent les officiers des gardes et les six
gardes écossais, avec la cotte d'armes brodée
et la pertuisane,
La Reine est menée par le duc d'Orléans
et le duc de Bourbon, ayant auprès d'elle le
marquis de Nangis, son chevalier d'honneur,
et le comte de Tsssé, son premier écuyer;
le duc de Noailles, capitaine de la première
compagnie des gardes du corps^ soutient la
queue du manteau , qui est porté par trois
princesses du sang, Madame la duchesse de
Bourbon, la princesse de Gonti et Mademoi-
selle de Charolais. Chacune a deux seigneurs
pour l'accompagner, l'un lui donnant la main ,
l'autre portant sa mante. La duchesse d'Or-
léans suit la Reine, puis viennent Mademoi-
selle de Clermont, qui est Condé, et Made-
moiselle de la Roche-sur- Yon, qui est Gonti,
chaque princesse étant accompagnée pour la
main et pour la mante, enfin toutes les dames
de la Reine et les dames d'honneur des prin-
cesses du sang.
La chapelle de Fontainebleau a été amé-
yGoogk
LE MARIAGE. 77
Bagée pour recevoir beaucoup de monde, et
la richesse de la décoration parait plus somp-
tueuse dans ce cadré un peu étroit. Toutes les
portes hautes sont tendues de velours bleu brodé
d'or aux armes de France ; en bas, les bancs et
les estrades sont recouverts de velours violet
à fleurs de lis, et le chœur entier de très
beaux tapis de Perse. Un amphithéâtre pour
la musique remplit la tribune royale; les pre-
miers rangs y sont occupés par les dames les
plus brillantes, ainsi que les balcons cons-
truits tout autour de la chapelle jusqu'à l'autel
et d'où la vue plonge sur les espaces réservés
aux secrétaires d'Etat et aux princes étran-
gers, qui s^y trouvent déjà placés, aux cheva-
liers du Saint-Esprit et à la Cour*
Le cortège approche, musique en tête, et
pénètre dans la chapelle. Les hérauts d'armes
s'avancent pour rester debout au bas des
marches de l'autel ; les chevaliers de l'ordre
entrent dans leurs bancs, et Leurs Majestés
vont s'agenouiller sur la haute estrade, au-
dessous du dais suspendu, tandis que les
princes et princesses sont menés à leurs sièges
pliants et à leurs carreaux. MM. de Villeroy,
de Mortemart et de La Rochefoucauld prennent
place derrière le fauteuil du Roi ; MM* de
yGoogk
^8 LOUIS XV PT MAi^lB LEGZIlfSKA.
Noailleg, de Nangis et de Teisé derrière celui
de la Reine. Les aumôniers sont rangés de
chaque côté entre le prie^-Dieu roynl et l'au-
tel. Alors sort de la sacristie le cardinal de
Rohan, pontificalement vêtu, avec les évêques
de Soissons et de Viviers, qui lui serviront
de diacre et de sous-diacre. Le salut du mar^
quis de Dreux avertit Leurs Majestés de e'ap^
procher de l'autel. Tous les princes descendent
avec eux de l'estrade, et le cardinal prononce
son discours.
La reine Marie remplit pour la seconda
fois ce cérémonial du mariage, mais c'est
aujourd'hui avec toute l'épaotion de la réelle
présence de celui qu'elle aime déjà. Les pa-
roles qu'ellç entend ont un ton bien diOerent
de celles de Strasbourg. Le grand aumônier
de France passe sous silence les souvenirs de
Stanislas ; il évoque surtout la grandeur du
trône de Louis XIV et les devoirs qui y sont
attachés, appelant la paix sur le nouveau
règne, après tant de triomphes militaires. Il
donne au couple royal les louanges d'usage,
annonçant à la jeune Reine le bonheur que
lui promet un tel assemblage de grâces et de
gloire chez son auguste époux, et disant
au Roi qu'il doit trouver le sien dans un
yGoogk
LE MARIAOB. 79
attûchemeBt inviolable et tendre à l'épouse
formée selon le cœur de Dieu et faite pour
réunir et fixer ses inclinations. Ce sont les
ordinaires espérances de l'Eglise, que la vie
ne se charge pas toujours de confirmer ; mais
qui songerait k d'autres pensées en un tel
jour ? Voiqi tout un spectacle : après la céré-
monie de la bénédiction nuptiale, celles de
la bague, des treize pièces d'or des épou-
saîlles, de l'eau bénite offerte, plus tard le
livre des Evangiles apporté à baiser, enfin le
cierge à poignée de satin blanc fleurdelisé, que
chargent vingt louis d'or et que tient le roi
d'armes à genoux auprès de l'autel ; le mar-
quis de Dreux offre le cierge au duc d'Orléans,
qui le présente au Roi, le Roi Tofire au car-
dinal après avoir baisé sa bague, et le même
rite est observé pour un cierge semblable que
la duchesse d'Orléans présente à la Reine.
C'est une image sans doute de la soumission
des époux à l'Église, et le grand poêle de
brocart d'argent qu'étendent au-dessus de leur
tête Tévêque de Metz et l'ancien évêque de
Fréjus, pendant les oraisons d'usage, est un
symbole d'un autre genre, celui de l'union
à jamais fidèle sous la bénédiction du mémo
toit.
yGoogk
8o LOUIS XY ET HARIE LECZINSKA.
La longue cérémonie a fatigué la Reine, qui
s'est évanouie un petit instant ; elle est ter-
minée ; il ne reste plus maintenant qu'à
signer le registre paroissial, apporté par le
curé de Fontainebleau, et, pendant que les
hérauts d'armes distribuent aux assistants les
médailles frappées pour le mariage, le Te
Deum^ entonné par le grand aumônier, est
chanté par la chapelle de musique ; on récite
l'oraison pour le Roi, puis le cortège, dans
le même ordre que pour l'arrivée, retourne
aux appartements royaux.
Lorsqu'elle a déposé le manteau royal et ce
lourd habit de cérémonie, la Reine dîne au
grand couvert avec le Roi et toutes les prin-
cesses du sang assises à sa table. Elle ouvre
ensuite le coffre de velours cramoisi brodé
d'or, qui contient les présents d'usage dont
elle peut disposer, toutes les bagatelles magni-
fiques qu'on appelle sa corbeille. Elle fait une
première distribution sur-le-champ aux prin-
cesses et aux dames du palais. C'est pour elle
un plaisir tout nouveau que de donner ainsi,
et celui qu'elle doit sentir le plus vivement,
ce Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie
que j'ai pu faire des présents ». Et le lende-
main elle sera plus contente encore, puis-
yGoogk
LE MARIAGE. 8l
qu'elle fera part à tous ses serviteurs, même
aux plus modestes, de tout ce trésor de bijoux
et de ciselures d'or qui iront conserver dans
les familles le souvenir du mariage et de la
grâce affectueuse de la Reine.
Cette fatigante journée se termine par un
spectacle oii les comédiens français jouent du
Molière, un souper avec les princesses et un
feu d'artifice médiocrement tiré au bout du
parterre du Tibre. L'illumination de ce par-
terre, qui aurait dû être fort belle, se trouve
manquée, un fort vent éteignant les lampions
à mesure qu'on les allume. L'impatience du
jeune Roi, qu'il dissimule à peine, appelle
une intimité dont le sépare encore une assez
longue étiquette. Il doit aller se mettre un
moment dans son lit, pour le cérémonial
obligatoire du coucher, puis être mené dans
celui de la Reine par M. le Duc, M. de Morte-
mart, M. de La Rochefoucauld et le maréchal
de Villars, qui a les mêmes entrées que le
premier gentilhomme et le grand-maître de la
garde-robe. Ces personnages reviennent à dix
heures, le lendemain, présenter leur compli-
ment a la Reine encore couchée. « Les com-
pliments ont été modestes, raconte Villars ;
ils montraient l'un et l'autre une vraie satis-
5.
yGoogk
3a Lpuis XY ET M^nis |.¥:gzinsk.a,
faction de nouveaux niariés. » Et M» 1q Duc,
écrivant à Stanislas quelques heures plus tard,
assure que le Roi lui a exprimé, a en s'éten-
dant infiniment, la satisfaction qu'il ftvait eue
de la Reine » ; le ministre donn^ môme de^
détails circonstanciés et surabondante, dostînés
à rassurer pleinement le roi de Pologne gur
la destinée conjugale de pa fille.
Tous les jours suivants, Fontaineblew est
en fête. A l'animation ordinaire qu'y mettent
lep séjours de la Cpur s'ajoutent lesi dléêfi et
venues des étrangers invités au3^ cérémonies
ou attirés par le dé^ir de vpir la Bein^, Le
jeune Voltaire, qui loge che? sa gran4^ pro-
tectrice, madame d§ Prie, et qui est à la
meilleure loge pour bien voir, écrit à une
autre de ses amies; c< C'est ici un bruit, un
fracas, une presse, un tumulte épouvantables.
Je me garderai bien, danai ces premiers jours
de confusion, de me faire présenter à la
Reine; j'attendrai que la foule soit écoulée et
que Sa Majesté soit revenue de l'étourdisse^
ment que tout ce sabbat doit lui causer. »
Voltaire trouve que les choses se papgent
assez bien ; il ne blâme guère que le pro-
gramme de la comédie donnée le ppir 4u
yGoogk
LE MARIAGE. 83
mariage, Amphitryon et le Médecin malgré lui,
« ce qui, dit-il, ne parut pas très conve-
nable » ; il est vrai que M. de Mortemart a
refusé de faire jouer, ce soir-là même, un
petit divertissement que Voltaire avait pré-
paré. Le Premier gentilhomme, chargé d'or-
ganiser les spectacles, a craint sans doute de
faire des jaloux parmi les rimeurs qui se sont
mis à célébrer la Reine. « Je crois, écrit le
nôtre, que tous les poètes du monde se sont
donné rendez-vous à Fontainebleau... La
Reine est tous les jours assassinée d'odes
pindariques, de sonnets, d'épîires et d'épi-
thalames. Je m'imagine qu'elle a pris les
poètes pour les fous de la Cour. » Mais, peu
de jours après. Voltaire est content : on a
joué ses pièces ; il a été présenté par madame
de Prie ; Sa Majesté, qui a décidément du
goût, lui a parlé de la Henriade, comme si
ce poème en manuscrit l'intéressait fort. 11
écrit sa joie à tous ses amis : « J'ai été très
bien reçu par la Reine. Elle a pleuré à Ma-
riamne, elle a ri à V Indiscret ; elle me parle
souvent; elle m'appelle mon pauvre Voltaire Iy>
Il se voit déjà poète royal et gratifié comme
tel ; sa verve s'enflamme ; il a beau avoir de
l'esprit, il n'aperçoit point que c'est Adrienne
yGoogk
84 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSILA.
Lecouvreur, et non Mariamne, qui a fait
pleurer la Reine. Il lui dédie sa tragédie, en
attendant mieux, par une épître en vers hé-
roïques, mieux coulants en somme que le flot
monotone épanché six mois durant, dans le
Mercure^ par les faméliques du Parnasse et les
rhéloriciens des Jésuites :
... La Fortune souvent fait les maîtres du monde,
Mais dans votre maison la Vertu fait les rois.
Du trône redouté que vous rendez aimable,
Jetez sur cet écrit un coup d'œil favorable ;
Daignez m'encourager d'un seul de vos regards,
Kt songez que Pallas, cette auguste déesse
Dont vous avez le port, la bonté, la sagesse.
Est la divinité qui préside aux Beaux-Arts.
Le poète est trop avisé pour aller, comme
tant d'autres, jusqu'à la flagornerie de la
beauté : Pallas le dispense de Vénus. En
revanche, il exalte ainsi qu'il convient la
gloire du roi Stanislas, oubliant que, la veille
encore, il se moquait avec les autres de <( la
demoiselle Leczinska )>. Les dispositions de
Topinion ont, du reste, assez promptement
changé ; la bonne grâce de Marie a désarmé
les préventions de Cour ; la consommation
du mariage et l'empressement si apparent du
Roi viennent d'entourer sa jeune tête d'un
yGoogk
LE MARIAGE. 85
prestige de fidélité et de respect. Quant au
peuple, qui n'entend rien à la politique, il
voit seulement qu'on a amené une bonne
femme à son cher petit roi.
Aux fêtes qui se font dans la France entière,
les sujets de Louis XV sont franchement
joyeux. Dans la capitale, il y a eu des Te
Deum à toutes les églises, et le feu d'artifice
d'usage sur la place de Grève. Les réjouis-
sances populaires durent trois jours. Les Pari-
siens de tous les quartiers allument des feux
de joie devant leur porte et, comptant qu'il
n'y aura plus ni guerre, ni méchants impôts,
ni mauvaises récoltes, dansent et chantent
des nuits entières, le long des rues illumi-
nées, en l'honneur de la reine Marie ;
Notre malheur,
Par cette heureuse hjménée (sic).
Notre malheur
Changera bientôt de couleur ;
Et même aussi dès cette année
Il s'en ira comme fumée.
Ainsi parlent, sur les airs connus, les naïves
chansons qui accompagnent les estampes du
moment, celles que les balles des colporteurs
répandent, pour quelques sols, dans tout le
royaume. Ce sont elles qui montrent le mieux
yGoogk
86 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSKA.
les disposîiîons du peuple et disent quelles espé-
rances rapides se sont éveillées dans içs cœurs.
Ce séjour de Fontainebleau initie la prin-
cesse polonaise aux splendeurs dQ la Cour de
France. Dès le lendemain du mariage a lieu
une cavalcade à laquelle on a voulu donner
l'éclat d*un somptueux spectacle. Le Roi est
allé d*abord le long du canal, suivi de tous
les hommes de la Cour, dans le plus pom-
peux équipage ; ni les habits des cavaliers, ni
les harnais des chevaux n'ont paru les jours
précédents. Il en est de même de$ toilettes
des dames, qui remplissent les carrosses de la
Cour. Dès qu'arrive la calèche de la Reine,
le Roi met son chapeau sous le bras et l'ac-
compagne à la portière pendant toute la pro-
menade. Des bateaux dorés, chargés de
musique, suivent Leurs Majestés à force de
rames, les airs d'opéras alternant avec les
fanfares. Après deux tours de canal, qui ont
permis le brillant déploiement de la caval-
cade, on va regarder, autour d'un des bassins
du parc, la pêche aux cormorans ; le diver-
tissement est de voir ces oiseaux pêcher le
poisson à coups de bec et le jeter d'un mou-
vement brusque hors ^e l'eau.
yGoogk
Lfi IfARIAGB. 87
On montre à la jeune Reine les grandes chas^
ses dans la forât, qui sont le plaisir favori de
son époux. Elle voit dans le même jour forcer
trois cerfs par trois équipages différents : celui
du Roi, celui de Chantilly, qui est à M. le
Duc, et celui du prince de Conti ; et les échos
de Franchart retentissent de la « Fanfare de
la Reine )), composée en son honneur par
M. de Dampierre, gentilhomme des chasses.
Presque tous les soirs, il y a spectacle
français ou italien, et très souvent souper au
grand couvert chez la Reine, avec concert
d'instruments et de voix. Au milieu de ces
récits, le Mercure note une grande nouvelle :
le Roi fait couper ses cheveux et prend la
perruque.
D'autres journées sont consacrées aux au-
diences de féUcitations. Les députations pa-
raissent le matin chez le Roi, dînent dans une
salle du Château et vont l'après-midi compli-
menter la Reine. Les députés de 1* Assemblée
générale du Clergé sont reçus d'abord, sui-
vant l'usage, puis ceux du Parlement, dont
plus de cinquante membres arrivent en grand
costume, ayant couché la veille à Melun,
pour la commodité du voyage ; ce sont ensuite
la Chambre dps comptes, la Cour dçs aides,
yGoogk
88 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA.
le Grand Conseil ayant à sa tête le garde
des sceaux, la Cour des monnaies, l'Uni-
versité, enfin T Académie française, qui a pris
rhabitude de complimenter le Roi dans les
circonstances solennelles, au même titre que
les grands corps de l'Etat. Le jour de l'au-
dience du prévôt des marchands et des éche-
vins de Paris, les dames de la Halle, qui
sont la vraie dépulation de la Ville, viennent
aussi saluer joyeusement la Reine et se faire
régaler aux dépens du Roi.
De toute la pompeuse éloquence qui défile
devant elle, Marie ne saurait être bien pro-
fondément touchée ; les harangues écoutées
le long du voyage lui ont prodigué le même
encens que celui des Cours souveraines, des
ambassadeurs, des Etats de Languedoc ou
d'Artois. Ce qui l'émeut le plus, ce sont les
allusions faites à l'honneur de sa famille et à
la gloire de son père. L'Académie a rendu un
hommage tout particulier à l'éducation qu'elle
a reçue de lui : <( L'Académie, a dit l'évêque
de Blois, instruite de l'étendue des connais-
sances de Votre Majesté, ne cherche point à
pe définir. Si elle vous présente ici ce que
rÉghse, l'Etat, les armes et la politique ont
de plus grand, elle sait assez que son objets
yGoogk
LE MARIAGE. 89
son travail, son utilité n'ont pu échapper à
une éducation telle que la vôtre. »
Au milieu de tant d'adulations, la fille de
Stanislas n'oublie pas un instant la recon-
naissance et la tendresse qui l'unissent à son
père éloigné. « On me dit les choses les plus
belles du monde, lui écrit-elle, mais personne
ne me dit que vous soyez près de moi... Je
subis à chaque instant des métamorphoses
plus brillantes les unes que les autres ; tantôt
je suis plus belle que les Grâces, tantôt je suis
de la famille des neuf Sœurs ; hier j'étais la
merveille du monde ; aujourd'hui je suis l'astre
aux bénignes influences. Chacun fait de son
mieux pour me diviniser, et sans doute que
demain je serai placée au-dessus des Immortels.
Pour faire cesser ce prestige, je me mets la
main sur la tête, et aussitôt je retrouve celle
que vous aimez et qui vous aime bien tendre-
ment. )) Dans un autre billet de la petite
«Maruchna», se révèle l'amour qui enivre son
cœur : « Mon âme est en paix, je trouve ici
un contentement dont je n'osais me flatter,
même sur votre parole. Je n'ai de peine que
celle de ne pas vous voir^ mon chérissime
papa, et s'il plaît à Dieu, elle ne durera pas
yGoogk
QO LOUIS XY 8T MAftlB LEGZIlfSKA.
longtemps. On a déjà décidé, dans le Conseil,
le cérémonial de votre réception. Sur quel-
ques difficultés que Ton faisait à ce sujet, le
Roi a dit : « Ce que je ne lui dois pas comme
roi, je le lui dois comme gendre. » Jugez,
cher papa, combien ce propos m'a fait de
plaisir; et ce n'est pas le Roi qui me Ta rendu.
On ne respire ici que pour mon bonheur. »
Cette réception de Stanislas est la grande
joie de Marie dans les premières semaines de
son mariage. Prié d'abord de se rendre direc-
tement de Strasbourg dans la résidence qui
lui est assignée en France , et qui n'est autre
que le noble domaine de Chambord, une
attention délicate de M. le Duc change au
dernier moment son itinéraire. Le Roi Tin-
vile à s'arrêter au château de Bourron, à
deux lieues seulement de Fontainebleau. Es-
corté sur toute sa route par la cavalerie fran-
çaise, traité partout en souverain, il arrive le
i4 octobre à Bourron avec la reine Cathe-
rine. Le lendemain, Marie est dans leurs
bras. Quand Stanislas vient accueillir sa fille
au pied de l'escalier du château, il la voit
dans sa gloire nouvelle, entourée de la plus
brillante cour, et c'est elle-même qui lui pré-
sente les princes de la maison de Bourbon.
yGoogk
LE MARIAGE. 9I
Pendant trois journées, c'est un continuel
va-et-vient de la Cour entre Fontainebleau et
Bourron ; tout le monde veut voir le roi et
la reine de Pologne, « car, écrit Voltaire, nous
ne connaissons plus ici le roi Auguste». Sta-
nislas est enchanté de se retrouver dans son
rôle. Il témoigne son affection à Louis XV,
sa confiance à M. le Duc, et recommence
avec sa fille les longues causeries qui faisaient
le charme de leur vie de jadis. Il a vu de ses
yeux la place qu'elle a prise auprès de son
mari et combien de garanties entourent son
bonheur. « Le grand Dieu soit loué I écrit-il
au maréchal du Bourg; l'amitié du Roi pour
la Reine augmente notablement, et se réduit
à une grande confiance qu'il a pour elle. On
est toujours. Dieu merci, content de sa con-
duite. Il n'y a rien à désirer que le dau-
phin I ))
Le dauphin devait venir et l'estime demeu-
rer. Mais cette tendresse du très jeune époux,
si vivement manifestée en ces premiers temps,
était peut-être autre chose que de l'amour.
yGoogk
CHAPITRE II
LES ANNEES HEUREUSES
Le Roi revint à Versailles, le i®^ décembre,
avec la Reine. Il était nuit quand les lourds
carrosses dorés s'arrêtèrent dans la cour royale.
On monta aux appartements par l'escalier des
Ambassadeurs, illuminé comme aux plus beaux
jours de Louis XIV, dans tout l'éclat de ses
marbres, de ses bronzes, de ses portes dorées,
animé par ses nappes d'eaux jaillissantes, sous
les fresques pompeuses de Le Brun enguir-
landées de fleurs. C'était, aux yeux de la prin-
cesse qui franchissait le seuil de l'illustre
palais, une première apothéose de cette mo-
narchie qu'elle aspirait à perpétuer. L'apo-
théose se prolongeait dans l'enfilade étince-
lante et interminable des appartements et de
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. qS
la Galerie des Glaces. Partout la gloire du
grand siècle français» Timage sculptée ou
peinte du Grand Roi.
A travers ce décor de féerie, cent fois plus
somptueux qu'elle ne l'avait rêvé, Marie Lec-
zinska fut conduite à la vaste chambre, tendue
de gobelîns magnifiques, où devait s'écouler
sa vie de reine, d'épouse et de mère. La du-
chesse de Bourgogne y avait mis au monde
Louis XV. Presque rien n'avait changé depuis
cette époque, et la jeune femme trouvait in-
tact ce cadre noble et sévère de la royauté,
qu'aucune élégance nouvelle n'égayait encore.
Dès le lendemain, la vie ordinaire de Ver-
sailles recommença, complétée par la pré-
sence féminine qui depuis longtemps y man-
quait. La religion eut d'abord sa place.
C'était le premier dimanche de l'A vent, et la
musique du Roi chanta une messe solennelle;
à l'entrée de la nef, les missionnaires de la
congrégation des Lazaristes complimentèrent
la Reine. Le 3 décembre, il y eut Grand
Appartement, concert dans le salon de Vénus,
où l'on servit les fruits, confitures et glaces
d'usage, et jeu dans la salle du Trône, où
Leurs Majestés prirent couleur à la partie de
yGoogk
9^ LOUIS XV ET MAniE LECZIRSKA.
lansquenet. Après le jeu, le Roi reconduisit la
Reine dans son appartement, où ils soupèrent
ensemble, à leur grand couvert, c'est-à-dire
en public et toutes portes ouvertes. Le 4 > la
Reine visita avec les princesses la Ménagerie,
le petit château de la duchesse de Bourgogne,
avec ses cours rempUes d'animaux rares et ses
volières d'oiseaux des Iles ; et, à sept heures,
le Roi étant rentré de chasser au Uèvre k Marly,
on représenta sur le théâtre de la Cour la
comédie du Misanthrope. Le 5, le Roi chassa
au sanglier à Saint-Germain, tint le conseil
des finances, et vint au Grand Appartement .
Le 6, il courut le cerf dans les bois de Fausse-
Repose ; au retour, il y eut conseil de cons-
cience et, le soir, comédie italienne. Le 7, le
Roi courut le daim au bois de Boulogne. Le 8,
la Reine fut à Saint-Cyr, visita la maison
royale de Saint-Louis et assista à tous les
offices. Le 9 , il y eut jeu dans son cabinet et
souper au grand couvert. Le 10, le Roi cou-
rut le cerf et soupa à son petit couvert chez
la reine, servi par les dames et les femmes de
chambre. La Reine n'était point sortie, ayant
pris médecine. Le lendemain, elle assista au
Te Deum et au salut donné à la paroisse de
Versailles à l'occasion du mariage ; le soir» les
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. QÔ
comédiens français lui présentèrent à la fois
Molière et Racine, dans le Mariage forcé et
Britannicus.
Les jours suivants, elle fut se promener à
Trianon et à Meudon. Mademoiselle de Gler->
mont, dans son appartement de surinten-^
dante, fit jouer pour elle le Misanthrope et là
comédie du Florentin, par une troupe de sei-
gneurs et de dames de la Cour, dont elle put
comparer le jeu à celui des comédiens du Roi.
La veille de Noël, la Reine vit son époux,
portant le collier de Tordre dii Saint-Esprit,
se rendre à la chapelle) y communier des
mains du grand aumônier et, revêtu de la
pureté chrétienne et de la prérogative royale,
toucher les malades qui lui présentaient leurs
écrouelles. Elle entendit avec lui, dans leur
tribune, les trois messes de minuit; à la
grand'messe, le Roi étant au chœur et la Reine
en haut, l'office fut célébré pontificalement
par l'évoque de La Rochelle. Aux vêpres, la
musique se surpassa pour la Reine et lui fit
apprécier Ses voix habiles et réputées dans
toute l'Europe.
Elle passa la journée du 3i décembre tout
entière à Saintr-Cyr en exercices de piété, et
elle y communia des mains de M. de Préjus.
yGoogk
g6 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
Le I®' janvier, Leurs Majestés furent compli-
mentées, suivant Tusage, par les princes et
princesses du sang. A dix heures eut lieu, dans
le cabinet du Roi, le chapitre du Saint-Esprit,
où les preuves furent admises pour un che-
valier très cher à la Reine, le comte Tarlo. Le
somptueux cortège traditionnel , en longs
manteaux brodés de flammes, précédant le Roi,
grand maître de l'ordre, se rendit à la cha-
pelle. La Reine et les dames étaient dans la
tribune. On chanta le Veni Creator à l'entrée
du Roi, qui, après la messe solennelle, donna
le collier au cousin de la reine de Pologne.
Marly était, sous le feu Roi, un séjour où l'on
se rendait chaque année pendant quelques
semaines. Louis XV veut faire revivre cette
tradition. Dès le lendemain du Jour de l'an,
il va s'établir à Marly, avec cent vingt per-
sonnes seulement. Malgré le froid de la saison,
les cheminées qui fument, les appartements où
l'on gèle, la Reine peut admirer cette char-
mante maison royale, qui n'a encore rien
perdu de sa beauté. Presque tous les jours il
y a des chasses au cerf ou au sanglier, ou des
battues de lapins. On se promène, on joue au
mail, on va sur la neige en traîneau, ce qui
est un divertissement tout nouveau en France.
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. 97
L'année prochaîne, on offrira à Marie Lec-
zinska, dans Tintimité de Marly, le plaisir des
comédies jouées par les seigneurs et les dames
et pour lesquelles les billets , aux armes de
Mademoiselle de Clermont, seront envoyés
au nom de la Reine. Cette année, il n'y a
guère que le jeu comme divertissement du
soir. Chaque jour, à sept heures, la Cour s'as-
semble dans le grand salon pour la partie de
lansquenet; à neuf heures, le Roi va souper
avec la Reine à son grand couvert; à onze
heures, le jeu recommence jusqu^ à son cou-
cher. C'est encore une tradition de Marly que
le jeu soit toujours fort gros: en deux mois
de séjour, le Roi et la Reine perdent deux cent
mille livres, folies de jeunes époux que la sa-
gesse de la Reine ne laissera pas se renouveler.
Dans ce fameux salon de jeu, ont été jouées
les plus grosses parties de la duchesse de Bour-
gogne sous les yeux mécontents de madame
de Maintenon. On y donne, cet hiver même,
six concerts excellents, où la musique du Roi,
renforcée de chanteurs et de symphonistes de
Paris, exécute en perfection divers fragments
des opéras de Lulli. C'est ainsi que, partout,
les souvenirs du règne illustre enveloppent la
reine Marie de leur enivrante majesté.
6
yGoogk
g8 LOUIS XY BT MARIE LECZIHSKA.
Bientôt, dans les objets familiers qui Ten-
tourent, va se montrer toute la grâce de l'art
nouveau. Les orfèvres, ciseleurs, émailleurs
préparent en ce moment pour elle leurs plus
délicats ouvrages, selon cette forme des orne-
ments (( contrastés y>t qui règne alors sans
partage. Depuis longtemps, en prévision du
mariage, les dessinateurs s'ingénient à inven-
ter de riches modèles, et c'est le grand Ger-
main qui les exécute, pour le merveilleux
ensemble de la toilette de la Reine. Ce chef-
d'œuvre de l'orfèvrerie du temps est exposé
quelques jours à la vue des curieux de Paris,
dans les galeries du Louvre, avant d'être porté
à Versailles. Il y a cinquante et une pièces d'ar-
gent doré : jattes en forme de nacelle, dont
la proue et la poupe portent un dauphin en-
guirlandé par des amours, pot-à-l'eau aux
armes de France et de Pologne, aiguière ornée
de bas-reliefs marins, boites à mouches où
voltigent des moucherons boîtes à poudre,
couteau pour ôter la poudra, corbeille à gants,
flacons, bougeoirs, flambeau^ et, comme pièce
principale, ce haut miroir couronné du double
écusson, avec des amours jetant des fleurs, et
soutenu d'un grand bas-relief représentant
Vénus à sa toilette, servie par les Grades.
yGoogk
LES AHVÉES HEUREUSES. QQ
La vie intime des reines est si diFficile à
connaître, et la jeune souveraine qui arrivait à
Versailles paraissait à tous les regards si heu-
reuse et si comblée, que nul ne s'apercevait des
larmes qu'elle versait déjà en secret au milieu
de cette triomphante existence et de ces plai-
sirs multipliés. Les épreuves douloureuses
avaient commencé peu de mois après le
mariage, et ce cœur trop sensible et élevé dans
la tendresse s'était heurté, peut-être dès la
première heure, à l'égoïsme de l'époux. Vingt
ans plus tard, elle avouait à des amis fidèles, le
duc et la duchesse de Luynes, le souvenir de
ces anciennes tristesses.
Ces confidences , précisées par les Mémoires
de Villars, contredisent les affirmations hasar-
dées et font comprendre des situations que
les chroniqueurs et les nouvellistes défigu-
rent. . Le roi Stanislas, dans les instructions
écrites données à sa fille, l'avait mise en
garde contre les hommes, même les plus
vertueux, qui voudraient accaparer sa con-
fiance : a Vous ne la devez tout entière,
disait-il, qu'au Roi votre époux. Il doit être
le seul dépositaire de vos sentiments, de vos
yGoogk
lOO LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
désirs, de vos projets, de toutes vos pensées ;
l'imprudence laisse échapper ses secrets,
l'amitié les confie, l'amour, le véritable
amour, les livre et ne s'en aperçoit pas. N'es-
sayez jamais, néanmoins, de percer les voiles
qui couvrent les secrets de l'État ; l'autorité ne
veut point de compagne... Répondez aux
espérances du Roi par toutes les attentions
possibles. Vous ne devez plus penser que
d'après lui et comme lui, ne plus ressentir de
joies et de chagrins que ceux qui l'affectent,
ne connaître d'autre ambition que celle de lui
plaire, d'autre plaisir que de lui obéir, d'autre
intérêt que de mériter sa tendresse. Vous devez,
en un mot, ne plus avoir ni humeur, ni pen-
chant ; votre âme tout entière doit se perdre
dans la sienne. )>
Pénétrée de ces conseils paternels pleine-
ment d'accord avec son propre instinct, Marie
avait voulu tenir de son mari toute la direc-
tion de sa vie. Quoiqu'il l'intimidât extrême-
ment, elle l'avait interrogé sur ce qu'elle
devait j)enser de leur entourage. Un de ses
premiers soins avait été de savoir de lui quels
étaient les hommes en qui il avait mis sa
confiance, pour leur donner aussi la sienne.
Elle lui demandait un jour comment il aimait
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. lOI
M. de Fleury : c< Beaucoup », disait le Roi.
Et à la même question pour M. le Duc :
« Assez )), répondait-il. Le taciturne adoles-
cent, jusque dans l'intimité conjugale, décou-
rageait toute causerie, et Marie n'avait point
osé s'informer davantage. Mais elle en savait
suffisamment pour deviner certains dangers
vagues qui la menaçaient.
Amenée en France par M. ]e Duc, lui
devant tout, sa couronne et le bonheur de ses
parents, elle se jugeait liée par une reconnais-
sance profonde. Madame de Prie, qui ne la
quittait pas, au grand mécontentement de
l'opinion, la chapitrait quotidiennement sur
ce sujet; et M, le Duc, qui ne se piquait point
de délicatesse i lui faisait comprendre, au
milieu de ses hommages, qu'il était en droit
de compter sur elle. Depuis que la Reine
avait senti le peu d'affection du Roi pour son
premier ministre, l'attitude de celui-ci la cho-
quait davantage ; il lui arrivait souvent d'en
être froissée au point d'en pleurer. Il exigea
même qu'elle se mêlât d une combinaison qui
risquait de la compromettre. Il n'avait jamais
pu déterminer Louis XV à travailler seul
avec lui ; M. de Fleury assistait toujours au
travail ministériel, et gardait ensuite son
6.
Digitized by VjOOQIC
lOa LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
élève, sous prétexte d'études, pendant des
heures. Madame de Prie voulait absolument
qu'on trouvât un moyen d'éloigner l'ancien
précepteur et de parler librement et en parti-
culier au jeune Roi. L'habitude une fois
rompue, celui-ci n'éprouverait plus le besoin
de la compagnie continuelle du prélat, qui
glisserait peu à peu de sa place (( sans être
trop rudement poussé», et ce serait la mar-
quise, appuyée des bontés de la Reine, qui
ne tarderait pas k s'introduire avec elle dans
le travail secret de l'État.
La jeune femme se prêta avec répugnance
à ce qu'on voulait d'elle, sans qu'eUe sût
pourtant les desseins secrets. Un jour enfin,
elle se décida à mander au Roi par M. de
Nangis qu'elle le priait de passer dans ses
cabinets. Le Roi vint et trouva M. le Duc.
c< La Reine voulut sortir aussitôt. M. le Duc
lui dit qu'il croyait que le Roi trouverait bon
qu'elle restât. Le Roi prit la parole aussitôt
et dit à la Reine de rester. La Reine, qui était
déjà à la porte, rentra toute tremblante et se
tint le plus éloignée qu'elle put de la conver-
sation, sans y prendre aucune part. M. le Duc
remit au Roi une lettre de M. le cardinal de
Polignao remplie de toutes sortes d'accusa-
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. Io3
lions contre M. de Fleury. Le Roi, après
l'avoir entièrement lue, la rendit à M. le Duc
sans dire un seul mot. M. le Duc, étonné de
ce silence, demanda atu Roi ce qu'il disait de
celte lettre : « Rien », répondit le Roi, d'un air
fort sérieux, M. le Duc demanda au Roi si Sa
Majesté ne donnait aucun ordre et quelle était
sa volonté. La seconde réponse du Roi ne fut
ni moins sérieuse, ni moins sèche : « Que les
choses demeurent comme elles sont », dit-il.
M. le Duc, plus trouhlé que jamais, dit au
Roi : «J'ai donc eu, Sire, le malheur de vous
déplaire? — Oui », répondit le Roi. Aussitôt
M. le Duc se jette aux genoux du Roi, et avec
les plus grandes protestations de fidélité et
d'attachement demande humblement pardon
au Roi. Le Roi lui dit assez sérieusement :
(( Je vous pardonne», et sortit aussitôt. »
La Reine est dans une anxiété plus grande
encore, quand elle sait ce qui se passe. M. de
Fleury, qui s'attend depuis longtemps à la
ruse du ministre, n'a pas manqué de se
présenter chez la Reine dès qu'il l'y a vu
entrer. Il n'est venu que pour se faire refuser
la porte. Aussitôt son carrosse est préparé en
hâte ; il quitte Versailles, laissant au Roi un
billet respectueux et tendre, où il déclare
yGoogk
I04 LOUIS XT ET MARIE LBGZINS&A.
que, ses services paraissant désormais inu-
tiles, il le supplie de lui laisser finir ses jours
dans la retraite et préparer son salut auprès
des Sulpiciens dlssy, où il se retire.
Le Roi s'enferme chez lui, se met à pleu-
rer et ne veut recevoir personne. Irrésolu et
timide, habitué à tout décider par autrui, il
ne sait se résoudre à rien. Le Premier gentil-
homme de service est alors le duc de Morte-
mari, homme d'esprit et à propos, point
fâché de jouer un rôle: «Ehl quoi. Sire,
n'êtes- vous pas le maître? Faites dire à M. le
Duc d'envoyer chercher à l'instant M. de
Fréjus, et vous allez le revoir, » Le Roi ne
demandait que cette parole. L'ordre est donné
à M. le Duc, qui, tout désagréable qu'il le
trouve, doit l'exécuter. Le lendemain M. de
Fréjus reparaît à la Cour. Il triomphe avec
modestie, selon son ordinaire, heureux seule-
ment, dit-il, de TafTection marquée par son
élève. Mais son rôle est bien défini désormais;
les mécontents, si nombreux, se groupent
autour de lui ; il est félicité par les princes,
qui détestent le ministre. Celui-ci n'a plus
pour lui que les créatures de sa maîtresse fet
le maréchal de Villars, qui est loin de l'ap-
prouver en toutes choses, mais dont l'indé-
yGoogk
LES ANNEES HEUREUSES. Io5
pendance redoute le règne du vieux prêtre,
désormais inévitable.
Personne ne se dissimule la gravité de cet
épisode, dont peu de circonstances restent
secrètes, et Ton parle fort diversement de la
réserve de la Reine. Comme elle n'aimait
point ses conseillers, elle n'y a eu aucun mé-
rite; mais elle gagne à son excellent main-
tien une réputation de prudence. Stanislas
écrit de Chambord au maréchal de Bourg, le
I®' janvier 1726, avec l'abandon de Tamitié :
(( Sur ce que vous me dites de ce qui s'est
passé à la Cour entre le 18 et le 20 du mois
passé, je sympathise assez avec vous dans le
désir de la tranquillité pour n'avoir pas vu
avec bien de douleur l'agitation de la Cour
et les troubles que cela va engendrer. Que
je souhaiterais de vous entretenir un moment
sur cet événement 1 Où est notre Neybourg,
cher endroit de nos rendez-vous ? Et quoique
ce n'est pas une matière à écrire, je ne sau-
rais m'empêcher de vous dire ce que je sens
avec une vive douleur, que M. de Fréjus, en
sortant de sa sphère, fait tort au caractère
respectable qu'il a soutenu avec tant de di-
gnité et qui est tout opposé à l'ambition et à
l'animosité qui a paru avec tant d'éclat. La
yGoogk
I06 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
Reine a joué dans tout ceci un rôle digne de
son rang et de ses sentiments. Il n'y a pas
un honnête homme qui approuve que M. de
Fréjus veuille terrasser l'honneur de M. le
Duc et Tautorité du Roi dans sa personne. Je
croîs que tout se remet au calme ; Dieu le
donne durable. Le Roi continue et augmente
son amour pour la Reine ; voilà ce qui est de
sûr et de consolant. »
Rien n'était moins sûr, à vrai dire, que ces
dispositions du Roi, et c'était la première fois
que, pour ne point inquiéter ses parents,
Marie leur cachait le fond de son cœur. Un
grand changement , en effet , paraissait dans
l'esprit du jeune époux , depuis qu'il avait vu
sa femme servir d'instrument aux ennemis de
M. de Fréjus . La froideur toute nouvelle qui
en résultait, il la portait jusque dans la cham-
bre conjugale, en des heures où son empres-
sement , d'ordinaire , se marquait avec toute
l'ardeur de son âge. La jeune femme se déso-
lait de cette rancune. Avec un caractère dissi-
mulé comme celui du Roi, il ne fallait pas
songer à s'en expliquer avec franchise , et la
timidité de la Reine ne s'y fût point hasardée.
Le confident de ses peines était son discret
confesseur polonais, l'abbé Labiszewski, de-
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. I07
meure attaché à sa personne et qui n*avait h
lui offrir que les consolations résignées de la
piété . Elle recourait aussi au maréchal de
Villars , pour qui elle avait éprouvé très vite
de la confiance . Un jour , pendant le séjour
de Marly, elle l'emmena dans son cabinet pour
le faire juge des changements qu'elle voyait
dans Tamilié du Roi. Ses larmes coulaient
en demandant le conseil de Texpérience. ^ Le
maréchal lui dit (c'est lui-même qui le ra-
conte) que le cœur du Roi était très éloigné
de ce qu'on appelle l'amour ; qu'elle n'était
pas de même pour lui ; qu'il la conjurait de
cacher sa passion ; qu'il était plus heuteux
pour elle que le Roi ne fût pas porté à la ten-
dresse et à la vivacité , puisqu'en cas de pas-
sion la froideur naturelle est moins cruelle
que l'infidélité j qui était fort à craindre dans
un roi de dix-sëpt ans , beau comme le jour
et qui serait lorgné de tous les besiux yeux de
la Cour, s'ils s'étaient aperçus qu'il eût encore
arrêté ses regards sur quelqu'une. »
Le bon. maréchal offrait à la Reine « tout ce
qu'il croyait le plus propre à la calmer/). Se»
alarmes l^ans doute n'en furent qu'augmentées^
car il faisait envisager à son itiexpérietice uil
avenir auquel elle ne pensait sûrement point <
yGoogk
I08 LOUIS XV ET MAKIE LEGZINSKA.
En tout cas, le conseil qu'il lui donna de
s'expliquer avec M. de Fréjus était excellent.
La prudence, quoique tardive, de la Reine .
n'était pas sans inquiéter un peu le prélat.
Marie put le voir huit jours après. Il fut
onctueux , respectueux » paternel . Il comprit
les raisons qu'elle avait d'aimer et de sou-
tenir M. le Duc, dont il fit l'éloge; il ne
haïssait même point ses conseillers, madame
de Prie et Pâris-Duverney, bien qu'il lui in-
sinuât de les éloigner comme étant des per-
sonnes fort dangereuses pour elle et lui causant
le plus grand tort, ce Mais, dit la Reine, com-
ment éloigner des personnes qui sont à moi ,
dont l'un , qui est le secrétaire de mes com-
mandements, demande dès juges sur ce qu'on
lui reproche , et l'autre , que l'on approfon—
disse les torts que l'on lui donne? Pour moi,
les disgrâces de ces gens-là, dont je suis con-
tente, me feraient de la peine. » Fleury laissa
entendre qu'il en faudrait venir là . Quant au
refroidissement dans l'afiTeclion du Roi, dont
la Reine lui dit ensuite quelques mots et qui
le comblait de joie secrète , il protesta qu'il
ne pouvait être de sa faute. M. de Villars sut
de la Reine cet entretien , D l'avertît avant
toutes choses , de ménager un homme aussi
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. lOQ
habile , si elle voulait conserver le cœur du
Roi , et de paraître toujours satisfaite de ce
qu'il ferait, quoi qu'il fît.
Dès lors commença entre la Reine et le
futur cardinal ce commerce d'intimité extraor-
dinaire, que nous révèlent les lettres de la
Reine , et où l'humilité respectueuse de l'un
et l'affectueuse docilité de l'autre sont égale-
ment diplomatiques. La jeune femme ayant
reconnu, dans une circonstance grave, la force
occulte du prélat, croit pouvoir le séduire
en lui témoignant sans réserve sa confiance.
Elle se laisse prendre elle-même à ce jeu, car
l'homme est aimable et capable d'une cer-
taine forme de bonté ; mais il le serait moins
qu'elle agirait sans doute de même, car elle
est prête , désormais , à tous les sacrifices pour
ne le point tourner contre les intérêts de son
cœur.
La toute-puissance de M« de Fréjus éclata,
quelques mois plus tard, par un coup de sur-
prise qui servit à faire juger le caractère du
Roi . Tout semblait apaisé. La Reine s'était
risquée à parler à son mari des affaires de
la Cour, et Stanislas, l'ayant appris d'elle,
voyait l'avenir sous les meilleures couleurs:
7
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IIO LOUI8 XV BT HARIB LEGZINSKA.
« La Reine, écrivait-il, a acquis des lumières
pour marcher en toute sûreté et sans blesser,
parmi tant d'épines, son devoir, son honneur
et sa justice . Une explication ({u'elle a eue
avec le Roi sur tout cela a établi une amitié
et confiance entre eux qui va , grâce au Sei-
gneur, en croissant . Le Roi connaît son bon
cœur et le désir passionné qu'elle a à suivre
Hes volontés aveuglément. La Reine aime le
Roi à la fureur, et n'a d'autres inquiétudes
que celles qu'engendre un véritable amour ,
auquel ce prince répond selon toute l'expé*»
rience qu'il peut avoir de cette passion ; et il
est bon qu'il ne cherche pas à en acquérir
une plus grande*.. M. de Fréjus est, je l'es--
père^ désabusé de la fausse prévention que la
Reine faisait partie avec ses ennemis; il recon^
naît qu'il avait grand tort de s'en défier. i^
Malgré cet optimisme, Stanislas n'ignorait
pas que «le feu couvait encore », et les enne-
mis de M. lé Dua à Versailles se montraient
chaque jour plus hardis et d une cabale plus
affichée. Madame de Prie, sentant le danger
et croyant le conjurer, consentait à s'éloigner
de la Cour ; elle allait habiter Paris, ne reve-
nant plus que pour faire sa semaine de serviod
comme dame du Palais. Mais elle attendait
yGoogk
LES ANNEES HEUREUSES. III
des jours plus favorables, qui lui permet-
traient de reprendre auprès de la Reine ce
rôle dont elle se croyait assurée, le vieux
Fleury n'étant point éternel.
Le II juin, le Roi partit pour Rambouillet
sur les trois heures et dit à M. le Duc, qui
devait venir l'y rejoindre après avoir reçu les
ambassadeurs : « Monsieur, je vous attendrai
pour jouer et ne commencerai pas sans
vous. » A sept heures, comme le prince allait
monter en carrosse, le duc de Charost, capi-
taine des gardes, dont les ordres étaient signés
de la veille, demanda à lui parler et lui remit
un billet du Roi : « Je vous ordonne, sous
peine de désobéissance, de vous rendre à
Chantilly et d'y demeurer jusqu'à nouvel
ordre. »
Tout était dur dans ce billet, et rien n'y
manquait pour blesser. M. le Duc répondit
qu'accoutumé à faire obéir le Roi, il ne lui
en coûtait pas de donner l'exemple, bien
qu'il ne s'attendit point à cette dureté. Il
demanda à parler à la Reine, à mettre en
ordre ses papiers ; tout fut refusé, et le jeune
secrétaire d'État Maurepas entra sur-le-champ
pour poser les scellés. M. le Duc passa les
grilles, comme s'il fût parti pour Rambouillet,
yGoogk
lia LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
et, quand on se trouva hors de la vue, dit à
ses gens de le mener à Chantilly.
Vers la même heure, M. de Fréjus entrait
chez la Reine. Ce qui s'y passa, nul ne le sut
tout d'abord, car elle dîna à son ordinaire.
Mais elle avait besoin de se confier ; elle pria
le maréchal de Villars de passer dans son
cabinet et lui apprit le départ de M. le Duc.
Elle fondait en larmes, en lui montrant la
lettre que le cardinal était venu lui remettre
de la part du Roi : ce Je vous prie, madame,
et, s'il le faut, je vous l'ordonne, d'ajouter foi
à tout ce que l'ancien évêque de Fréjus vous
dira de ma part, comme si c'était moi-même.
— Louis». Elle lisait ces lignes froides et
cruelles, <( avec des sanglots, ajoute Villars,
qui marquaient bien sa passion pour le Roi ».
On avait pensé à tort qu'il pouvait y avoir
une protestation de la part de cette créature
de soumission et de tendresse.
Le lendemain, l'exécution fut complète.
Tous les Paris furent exilés, et les sceUés mis
chez eux. Duverney fut envoyé à cinquante
lieues de Paris, en attendant la Bastille, qui
ne devait point tarder. Madame de Prie eut
l'ordre de gagner son château de Courbépine
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. IIO
en Normandie et de n'en plus sortir. Le contrô-
leur général des finances, le secrétaire d'Etat
de la guerre furent remplacés. Le Roi, au
premier Conseil, déclara qu'il était bien aise
de remettre les choses dans Tétat oi!i elles
étaient sous Louis XIV, c'est-à-dire qu'il
n'aurait plus de premier ministre ; qu'on
s'adresserait dorénavant à lui-même pour les
grâces, et qu'il donnerait des heures particu-
lières à tous ses ministres pour travailler avec
lui, en présence de l'ancien évêque de Fréjus,
qui assisterait à tout.
Fleury n'avait pas le titre de premier
ministre, désormais supprimé ; il avait, du
moins, toutes les prérogatives de la fonction
et allait être, jusqu'à sa mort, le maître
incontesté des affaires de la France. Le Roi,
trop complètement élevé à ne rien faire par
lui-même, allait se livrer en paix à la non-
chalance et à l'amusement, heureux de laisser
son vieux maître gouverner pour lui. Quelques
mois plus tard, celui-ci verra venir de Rome
le chapeau, un des « chapeaux des Cou-
ronnes », que le Pape réserve aux propo-
sitions des souverains catholiques. La jeune
Reine et toute la Cour feront leurs compli-
jnents au nouveau cardinal qui prendra
yGoogk
Il4 LOUIS XV BT MARIE LEGZIN8K.A.
le pas sur les ducs dans le Conseil. L'exilé
de Chantilly n'aura plus qu'à se marier,
et ce sera l'occasion d'obtenir sa grâce et
de reparaître à Versailles. U faudra cepen-^
dant, pour que cette grâce soit facilitée, que
madame de Prie ait disparu.
Celle-ci se ronge au fond de sa province,
cherchant vainement à obtenir son rappel à
la Cour par l'entourage de son mari, et assis-
tant de loin, avec une rage impuissante, aux
événements qui détruisent pour jamais son
rêve. Bientôt la colère, les déceptions, les
irritantes consolations du vice hâtent sa fin.
Elle meurt, en octobre 1737, à l'heure qu'elle
a prédite et sans doute choisie, d'un mal
mystérieux et terrible, à vingt-neuf ans.
Qu'est devenue, dans cet orage, la reine
Marie ? « Vous avouerez, écrit Stanislas, qu'elle
a été dans un bon noviciat, la première année
de son mariage. Je n'en suis pas fâché ; cela
lui a servi de bonne leçon. )) Le roi de Pologne
continue à n'avoir aucun souci pour sa fille.
Sa propre contrariété a clé courte. Il a reçu
de son gendre et de Fleury des lettres l'in-
formant des raisons qu'a eues Sa Majesté de
renvoyer M. le Duc. On le comble de bonnes
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. Il6
paroles ; cela lui suffît, comme à rordinaire»
et il est à la fois trop ami de ses intérêts et
trop fidèle sujet du roi de France, pour ne
pas se tourner, sans réserve, vers le pouvoir
nouveau.
Sur ces entrefaites» au moment où Ton va
partir pour Fontainebleau, le Roi tombe ma-
lade. Il a souvent des indigestions la nuit et
se trouve mal à la messe, parce qu'il « ne
fait que courir à la chasse, manger des vile*
nies à souper », et avec excès. Cette fois, le
cas semble plus grave : trois saignées, toute-
fois, le tirent d'affaire, et on a eu juste assez
d'alarmes pour que le duc de Gesvres fasse
tirer un fea d'artifice et le Parlement de Paris
chanter un Te Deam. Mais la Reine a ressenti
une telle émotion, qu'elle a été elle-même
atteinte de la fièvre la plus violente. Pendant
trois jours, il y a eu plus à craindre qu'à
espérer. Elle a envoyé à Sainte-Geneviève de
Nanterre faire une neuvaine, porter du linge
pour toucher aux reliques et promettre un
pèlerinage, qu'elle accomplira aussitôt guérie»
Elle s'est confessée deux fois et a reçu les
sacrements. Il semble bien qu'elle ait attendu
la mort.
Toutes ces inquiétudes sont arrivées un peu
yGoogk
Il6 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
adoucies à Ghambord, mais avec des détails
assez piquants, tels que Stanislas les raconte :
a Vous avez appris les incommodités du Roi
et de la Reine. Dieu merci qu'elles sont pas-
sées et qu'on se peut fâcher présentement à
son aise contre tous les deux. Leur sympathie
va jusqu'à ce qui leur cause des maladies, qui
est de trop manger, puisque c'est une indi-
gestion violente qu'ils ont eue, la Reine
surtout, après avoir mangé cent quatre-vingts
huîtres et bu quatre verres de bière là-dessus.
Je ne peux pas encore revenir de frayeur,
aussi bien que de colère, ayant cru qu'elle
aurait plus de pouvoir de se posséder. Ce-
pendant, je crois que cela lui fera du bien
par la suite, car on se loue présentement de
son régime. Ce qu'il y eut de charmant, et à
quoi vous serez bien sensible, c'est l'assistance
mutuelle qu'ils se sont donnée pendant leurs
incommodités. Vous ne le serez pas moins,
quand je vous dirai que leur confiance et leur
tendresse se fortifient tous les jours, tellement
que je n'ai rien à désirer au delà que le fruit
de cette belle union, que la miséricorde de
Dieu accordera à tant de vœux. Je ne saurais
encore vous rien dire là-dessus. »
Les observateurs attentifs de la Cour n'ont
yGoogk
LES ANNEES HEUREUSES^ II7
pas compris ainsi cet épisode de la maladie des
deux époux. Si la passion de la Reine a éclaté
dans toute sa ce fureur », suivant une expres-
sion de son père, Tindifierence du mari n'a
pas été moins frappante. Quand elle a été ma-
lade, le Roi est venu chez elle, ce ayant laissé
passer les quatre premiers jours par crainte
de la petite vérole ; il y alla ensuite tous les
jours^ mais les visites n'étaient que de quel-
ques minutes, et la tendresse ne paraissait pas
grande de sa part ». Lorsque la malade est réta-
blie, il fait une visite de trois quarts d'heure,
avec l'inévitable Fleury. « C'est moins éloi-
gnement pour la Reine que timidité de la part
du Roi », observe Villars, et l'on pourrait ajou-
ter égoïsme, ce qui est le trait dominant
du caractère. Mais les courtisans remarquent
tout ; ils notent que Louis XV part pour Fon-
tainebleau, sans se soucier de revenir voir la
Reine en convalescence à Versailles, et que,
le jour oii elle arrive après un mois de sépa-
ration, il s'est mis à courre le cerf au lieu
d'aller au-devant d'elle. Il se montrera plein
d'égards pour le roi et la reine de Pologne,
qui passeront dans le voisinage quelques se-
maines au château de Ravanne, et Stanislas
se réjouit d'une longue conférence avec le
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Il8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSRA.
cardinal de Fleury» ce où ils se sont bien
expliqués sur le passé et ont pris de bonnes
et sûres mesures pour l'avenir ». Malgré cela,
tout le inonde sent qu'il y a quelque chose de
changé aux dispositions des premiers jours du
mariage. Les plus intéressés seuls ne s'aper-
çoivent point de ce que le public déclare fort
ouvertement: le Roi se détache de la Reine,
ou plutôt laisse voir qu'il ne lui a jamais été
attaché.
Marie n'ignorait point, et son père lui répé-
tait volontiers, que ce que la France attendait
d'elle et ce qui devait à jamais la rendre sacrée
au peuple, c'était la naissance d'un dauphin.
Sa plus glorieuse fonction de reine était d'as-
surer la succession au trône. Diverses causes
y avaient mis retard et de faux symptômes
avaient deux fois trompé l'espérance de la
jeune femme. Enfin, il n'y eut plus de doutes :
« Elle a été la dernière à y croire, écrivit
Stanislas à Du Bourg, se défiant jusqu'à pré-
sent d'un bonheur qu'elle a raison de sou-
haiter avec tant d'ardeur. » Ce bon père y
mit une ardeur égale, et ses lettres se rem-
plirent du petit dauphin et de « ses petites
cabrioles »*
yGoogk
LlSS ANNEES HfiURËUSES. Iig
Le i4 août 1727, la déceptron fut grande,
car la Reine mit au monde deux princesses
jumelles. Par bonheur, le Roi se montra ému
et enchanté. Il avait passé chez la Heine, en
robe de chambre, dès Tannonce des premières
douleurs, et, pour ne la point quitter, s'était
fait habiller dans Tantichambre. U assista aux
cérémonies de Tondoiement, eut un mot
gaillard sur la double naissance qui certifiait
son aptitude à la paternité, et approuva le
choix des deux nourrices, qui furent madame
Varanchan, de Marseille, et madame Raymond,
dlssoire en Auvergne. Le jour même, il en-
voyait un de ses gentilshommes à Chambord
et mandait au cardinal de Noailles, archevêque
de Paris : a Mon cousin, il a plu à Dieu de
commencer à bénir mon mariage par la nais-
sance de deux filles, dont la Reine, ma très chère
épouse et compagne, a été heureusement déli-
vrée aujourd'hui. J'espère de ses bontés l'entier
accomplissement de mes vœux et de ceux de
mon peuple, par la naissance d'un dauphin.
C'est pour le lui demander et le remercier des
grâces qu'il m'a déjà faites, que je vous fais
cette lettre, pour dire que mon intention est que
vous fassiez chanter le Te Deum dans l'église
métropoUtaine de ma bonne ville de Paris. y>
yGoogk
120 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
Ce Te.Deum fut chanté, en présence du
Parlement et de tous les corps, invités de la
part du Roi. Le peuple eut les feux de joie,
les illuminations et les fontaines de vin, et
les Comédiens français inaugurèrent à cette
occasion un usage destiné à durer. Voulant
célébrer à leur façon l'heureux accouchement
de la Reine, ils donnèrent gratis la comédie
du Festin de Pierre, ce à une très grande foule
de spectateurs qui, à l'incommodité près d'être
très pressés, furent très contents». Les Comé-
diens italiens et l'Académie royale de musique
suivirent l'exemple ; enfin, l'Opéra-Comique,
sur son théâtre de la Foire Saint-Laurent,
donna gratis le spectacle à «une multitude
de peuple, que cette nouveauté n'avait pas
manqué d'attirer, tant du faubourg que de la
ville», braves gens qui furent aisément conso-
lés de n'avoir pas un dauphin. Quelques jours
plus tard on apprit que Leurs Majestés Catho-
liques saisissaient cette occasion pour se
réconcilier avec la France, et que le Roi, en
recevant les lettres d'Espagne, s'était em-
pressé de les apporter chez la Reine et de lui
en dire sa satisfaction.
Les bons sentiments du Roi, la belle santé
reconnue chez la Reine, l'espoir largement
yGoogk
LES ANNEES HEUREUSES. 121
ouvert pour Tavenir rassurèrent pleinement
le roi de Pologne, qui écrivit à son ami, le
21 août : «Quoique je sois persuadé que vous
savez que la Reine, avec ses deux poupées, se
porte en merveille et que le Roi témoigne une
grande tendresse à la Reine aussi bien qu'à Mes-
dames ses filles, que toute la France, contente
de la fécondité de la Reine, espère plus que
jamais bientôt un dauphin, cependant il m'est
doux de vous mander tous les sujets de ma
joie, ne pouvant mieux les reposer qu'au fond
de votre bon cœur. » Il fut lui-même à Ver-
sailles pour voir ses petites-filles et (( se refaire
du bon sang)). Le voyage fini, il racontait:
«Le contentement que j'ai eu de mon séjour
à Versailles va en augmentant depuis mon
retour* Je reçois des nouvelles de Fontaine-
bleau, qui font le comble de mon bonheur,
comme quoi le Roi, depuis l'arrivée de la
Reine, redouble à tous moments de tendresses
pour elle. Malheureusement que l'interdit de
la Faculté arrête les transports de ces illustres
amants, sans quoi, par la grâce du Seigneur,
le dauphin serait déjà en campagne. »
Ce fut encore une fille qui vint. Au mois
de juillet 1728 naquit Madame Troisième.
« On était d'un très grand chagrin à Ver-
yGoogk
132 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
Bailles, dit Barbier; cependant le Roi a très
bien pris la chose et a dit à la Reine qu'il
fallait prendre parole avec Pérard, son accou-
cheur, pour Tannée prochaine, pour un gar-
çon. » U n'y eut , cette fois, ni Te Deam,
ni feu, ni réjouissances, et les préparatifs
extraordinaires de fêtes qu'on avait faits à
l'Hôtel de Ville restèrent pour compte . Stanislas
86 résigne à cette nouvelle déception : « Dieu
rende nos espérances manquées assurées pour
l'avenir; adorons sa sainte volonté I j> U se
console, en voyant les dispositions « d'un bon
mari qui ne perd pas courage )> • La jeune
Reine y met une émotion plus inquiète : « Si
Dieu me fait la grâce , écrit-elle au maréchal
Du Bourg, d'être bientôt dans l'état où je
souhaite toujours d'être, je serai la première
à vous le mander. J'espère que Dieu exau-
cera les vœux de nos bons sujets pour moi ;
je mourrai contente , si je leur laisse cette
consolation. » Le sentiment qui l'emporte chez
elle est le désir de satisfaire le Roi : « On n'a
jamais aimé comme je l'aime » , écrit -elle
avec sa ferveur naïve de jeune femme.
Cet amour prend quelque chose de pas-
sionné, de fébrile, qui n'est pas sans émou-
voir, quand on songe aux prochaines épreuves
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LES ANIMÉES HEUREUSES. 12%
de répôuse. A cô moment, il est vrai, le Roi,
« enfant des pieds à la tête et qui porte son
enfance partout» , ne donne point à craindre
pour sa fidélité . Les dames du palais de la
Reine se préparent inutilement à remplir le
rôle tenu par d'autres pendant la jeunesse du
feu Roi Louis XIV et que les mœurs accli-
matées sous la Régence rendraient plus na-«
turel encore. En son château de Madrid, Ma*
demoiselle de Charolais organise des soupers
pour son royal cousin , l'emmène au bal de
l'Opéra et se propose publiquement de l'ini-
tier à l'adultère . Ce sont de vaines espéran-
ces. Louis XV n'en est plus sans doute à dire
comme aux premiers jours, à propos de belles
femmes delà Cour qu'on lui vantait l'une après
l'autre : (( La Reine est encore plus belle » ;
mais il est évident que celle-ci lui suffit
et les principes religieux inculqués par Fleury
dominent entièrement son imagination. Quant
aux plaisirs , ceux qu'il préfère à tous les
autres, sont la chasse et le voyage.
. Dès cette époque, il n'y a pas de souverain
en Europe qui se déplace plus souvent que
lui . Toutes les maisons royales sont prêtes
pour le recevoir ; et c'est toujours à l'impro-
viste qu'il apparaît k Rambouillet ou à la
yGoogk
124 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIfSKA.
Muette, comme plus tard à Choîsy ou à Saint-
Hubert, soit pour chasser dans le voisinage
et y coucher une seule nuit, soit pour y
séjourner deux ou trois jours avec quelque
compagnie . Il y a surtout les grands voyages
traditionnels de Fontainebleau et de Com—
piègne, où la Cour entière le suit chaque
année à la belle saison . La Reine ne l'y ac-
compagne pas toujours. En ses années de jeu-
nesse , dont chacune est marquée par une
naissance (il y en aura neuf en neuf ans),
les déplacements de la Reine dépendent de la
Faculté. Ses chirurgiens et médecins, Pérard
ou le bon Helvétius, ordonnent seuls à ce su-
jet , et sa santé , si précieuse pour la nation ,
exige des ménagements avant et après ses cou-
ches, qui la retiennent à Versailles plus qu'elle
ne le voudrait. Comme c'est presque toujours
en été que naissent ses enfants , elle est pri-
vée le plus fréquemment des « grands voya-
ges )) ; des courriers quotidiens lui appor-
tent les nouvelles de la Cour et emportent
pour le Roi les siennes et celles de ses enfants.
Telle est i'occasion des lettres de Marie Lec-
zinska au Cardinal , oii se devine une secrète
envie portée au ministre qui a le bonheur
d'être toujours auprès de celui qu'elle aime.
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. 125
Fleury, malgré son grand âge, s'est imposé
de ne jamais quitter Louis XV, qui d'ailleurs
ne peut se passer de lui et le traîne partout à
sa suite . Aussi les lettres de Marie sont-elles
pleines de protestations tendres et touchantes,
qu'elle supplie son correspondant.de trans-
mettre au Roi , soit qu'elle ait peur d'impor-
tuner en les répétant trop souvent dans ses
lettres d'épouse, soit qu'elle pense plaire davan-
tage en les faisant dire par la voix la mieux
écoutée.
Le Cardinal remplit-il toujours avec exac-
titude les afiectueuses commissions dont on
le charge? Marie seule n^en saurait douter.
C'est du reste une joie pour elle de multiplier
en ses lettres le nom du Roi : « Je suis bien
aise d'apprendre que la première chasse du
Roi ait réussi. Je souhaite qu'elles soient tou-
tes de même. Je vous prie, mon cher Cardinal,
de le bien remercier de ses marques d'amitié.
Pour ce qui est de m'écrire, vous pouvez
bien vous imaginer la joie que cela me fera ;
mais, si cela l'importune ou le gêne un mo-
ment, je le supplie de s'en dispenser, pourvu
que, dans ses moments perdus, il songe un
peu à une femme qui l'aime tendrement. »
— c< , . . Je suis bien touchée des questions
yGoogk
ia6 LOUIS XV ET MABIE LEGZIN8KA.
que le Roi vous a faites au sujet de mon
voyage. Voug pouvez Tassurer de rimpatienoe
où je suis de l'aller trouver et que j'y vou*
drais déjà être. Je vous prie de le faire res--
souvenir quelquefois d'une femme qui l'aime
tendrement. » •— ec Mon obéissance pour lui,
s'il est possible, est encore plus aveugle par
tendresse que par devoir, et je rends grâces
à Dieu, tous les jours, d'accorder si bien l'un
et l'autre ensemble. ]) -*- ce Je vous prie de
dire au Roi que je me porte, grâce à Dieu,
à merveille et que bientôt j'espère avoir le
plaisir de l'embrasser tendrement. En atten^
dant, faites-moi le plaisir de le faire souvenir
d'une femme qui l'aime plus que sa vie,
n'ayant d'autre satisfaction que celle de la
passer avec lui. »
Quelquefois elle laisse percer une pointe
de bonne humeur : <( Je ne suis pas trop
fâchée que le Roi ne soit pas fort content de
ses chasses, et encore moins de ce que Ton
m'a dit qu'il s'ennuie à Gompiègne. » Mais
les paroles qui lui remplissent le cœur revien-
nent, toujours les mêmes, sous sa plume :
ce Je remercie le Roi très humblement des
tendres compliments dont il vous charge pour
moi. Si je devais mettre ce mot dans ma
yGoogk
LES ANNÉES HEUnELSES. IQ7
lettre aussi souvent que je le pense pour lui»
elle en serait remplie... Vous auriez bien dû
m'envoyer par la poste un petit morceau du
i^anglier qu'il a tué, et c'est bien mal à vous
de ne l*"avoir point fait, d L'épouse s'alarme
des dangers que le Roi court en ces chasses
violentes, commencées avant le jour et furieu*
sèment poussées jusqu'à la nuit : c<Je me suis
fort fâchée de ce qu'il se lève si matin pour
aller au bois. J'espère du moins qu'il ne ré-
pétera pas cette promenade souvent, car elle
pourrait le fatiguer. » -— <( On dit qu'il va à
la chasse dans le gros chaud, ce qui me fait
trembler, je vous l'avoue. Je vous prie de lui
faire mes tendres compliments et lui baiser
la main de ma part. J'aimerais mieux
faire cette commission-là moi-même. » Et
un autre jour, répondant à une nouvelle
venue d'Allemagne : « L'accident de l'Empe-
reur est affreux. Je n'avais pas besoin de cela
pour trembler pour les chasses du Roi, sur-
tout celles du sanglier. »
Telles sont alors les inquiétudes les plus
vives de la Reine, car elle ne doute point de
l'affection de son mari ; quoi que lui ait
annoncé Villars, elle se croit aimée de lui,
et s'en assure aux moindres témoignages
yGoogk
128 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSK.A.
qu'elle reçoit, même aux plus incertains que
prodigue l'ardeur de jeunesse.
Le Cardinal lui est attaché, pense-t-elle,
et, dans son grand isolement de la Cour, oii
son besoin de tendresse ne trouve pas à se
satisfaire, la familiarité paternelle et les con-
seils avisés du bonhomme ont attiré quelque
chose de son cœur. Maïs ce sont des senti-
ments très complexes, que ceux qu'inspire à
une jeune femme un vieillard à la fois ombra-
geux et dévoué, tyrannique et bienveillant, et
de qui elle dépend pour les moindres choses.
Sur ses relations avec cet être puissant et ter-
rible, pèse toujours le souvenir de M. le Duc
et de madame de Prie, qui ont pu un instant
se servir d'elle contre lui. Celui-ci, qui a dans
le ministère des rivaux à craindre et, avec le
temps, des ennemis, redoute que la Reine,
mieux avertie qu'autrefois, soit amenée à
prendre une influence et à l'employer en leur
faVeur. On devine, à travers les lettres de
sa douce correspondante, l'inquisition qu'il
exerce, la domination qu'il impose pour se
préserver, et la soufi*rance que ces soupçons
et la mémoire d'une première faute causent
à la pauvre Marie.
Elle essaie de désarmer ces préventions
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. IQQ
tenaces par des marques de confiance et des
flatteries innocentes, continuellement répétées.
C'est le conseil de M. de Yillars qu'elle suit,
et aussi celui du roi son père. Elle multiplie
les expressions d'aOection tout enfantine ;
« mon cher Cardinal » devient « mon très
cher ami » ou, à la façon polonaise, « mon
chérîssime ami ». Elle signe «la meilleure de
vos amies » ; elle se plaint de le voir trop
peu ; elle met une câline insistance à le con-
seiller sur sa santé : « Vous ne me mandez
pas si vous avez pris médecine. Je vous prie
de la prendre. On ne refuse point de rendre
service à ses amîs. Celui que je vous demande
est d'avoir soin de votre santé ». Ce sont là
propos d'un esprit naturellement aimable. Le
Cardinal pourrait lui savoir plus de gré d^une
soumission d'âme qui paraît sans bornes.
(( Le Roi est le maître », dit-elle souvent,
prête à ses moindres volontés. Elle ne l'est
pas moins à celles du Cardinal, qui en ufie
parfois assez durement. 11 échappe à Marie
quelques impatiences qui en disent long, celle-
ci, par exemple, sur les influences occultes sup-
posées par Fleury : « A l'égard des conseils, si
j'en voulais prendre, ce serait des vôtres que je
demanderais» et je n'en chercherais jamais
yGoogk
l3o LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
d'autres, d'autant plus que, ne voyant que
les quatre murailles ou le public, je ne vois
personne à portée de m'en donner, o
Si elle le prend un seul jour d'un ton un
peu plus haut , c'est que son amour même a
été mis en jeu et qu'on a paru douter de sa
soumission entière aux ordres du Roi : « A
l'égard de votre lettre, écrit-elle, c'est le style
uniquement qui m'en a fait de la peine, et je
la garde pour vous la relire , et je me flatte
qu'en la voyant vous me rendrez plus de jus-
tice. Je ne crois pas, mon cher Cardinal, que
qui que ce soit au monde fût assez imperti-
nent de m'aigrir dans mon attachement pour
le Roi . Je puis bien vous protester qu'il ne
m'en parlerait pas deux fois , étant surtout
beaucoup plus fort que celui que le simple
devoir fait naître . C'est de quoi je vous prie
de l'assurer • Rendez aussi plus de justice à
mon amitié pour vous . Ayez-y plus de con-
fiance, et vous serez content de sa sincérité. »
Il fallait le caractère soupçonneux et dé-
voré du vieux prélat pour faire souflrir ainsi
cette âme déjeune reine, pleine de candeur et
de bonté. Tout autre eût été touché et vaincu
par une confiance vraiment filiale , qui sui-
yGoogk
L£8 ANlfBES HEURBUSE8. l3l
vaît aveuglément les conseils reçus et n'osait
rien décider ni rien entreprendre sans une ap-
probation toujours affectueusement sollicitée .
On ne pourrait croire à une direction. auBsi
étroite , s'il n'y en avait des preuves multi-»
pliées dans les lettres de la Reine . G'esl , par
exemple , un cas personnel qu'elle soumet au
Roi , c'est*à-dire au Cardinal , à l'occasion
d'une grossesse avancée et d'un départ pour
Fontainebleau qui lui tiçnt à cœur : « Je ne
suis pas assez maîtresse de moi-même pour
prendre le parti entre l'empressement que j'ai
de voir le Roi et la crainte des suites que Pérard
fait envisager ; et il n'y a que le Roi qui
puisse me tranquilliser dans l'inquiélude où
je suis. Je vous prie de me faire savoir sa vo-
lonté. Vous savez que je n'en ai point d'autre
que la sienne et que celle que je réglerai tou-
jours sur vos avis salutaires , que j ' attends
avec impatience ». Elle projette un jour d'al-
ler de Versailles se promener au Cours * la-
Reine; deux billets nous montrent ce qu'il en
advient : «J'ai envie de faire une petite pro-
menade au Cours. Mandez -moi, mon cher
Cardinal , s'il n'y a point d'inconvénient , et
de là descendre aux Tuileries. Le tout sauf
votre bon plaisir )». (C J'ai reçu, mon cher Car-
yGoogk
l3a LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
dinal, deux de vos lettres en même temps,
sur ma promenade du Cours et des Tuileries.
Je trouve si juste et si raisonnable ce que vous
dites, que non seulement aux Tuileries, mais
je n'irai même pas au Cours. J'ai trop de
confiance en vous , mon cher Cardinal , que
je ne ferai jamais rien sans votre conseil ,
étant sûre de cette façon de ne faire jamais
de sottises. »
Une des premières lettres de la Reine , qui
est de 1728, montre bien, à propos d'un
incident de cour, le tour de son esprit. Il y
est question de M. de Mortemàrt, Premier
gentilhomme de la Chambre , personnage
spirituel, charmant et un peu brouillon, qui
avait été l'un des agents les plus actifs de la
disgrâce de M. le Duc et, à cette occasion
sans doute, avait cessé de paraître chez la
Reine. Elle lui tient quelque rigueur, par
dignité , mais la bonté l'emporte et le pardon
du gentilhomme est assuré : <( Je n'ai reçu que
hier au soir, mon cher Cardinal, votre lettre,
qui me pénètre de reconnaissance. Votre
voyage de Soissons me peine d'autant plus
que je ne songe pas , sans trembler , aux fati-
gues que vous aurez à essuyer. Au nom de
Dieu, mon cher Cardinal, ménagez une santé
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. l33
SI chère. Comme je ne veux rien faire sans
vous le dire, par ma confiance en vous, il
s'agit de M. de Morlemarl. Sa mère m'a
fait parler hier par madame de Bissy, pour
savoir s'il ne pouvait point venir ici me pré-
senter son fils. Je lui ai répondu qu'il me
paraissait étrange que, après avoir été deux
ans sans mettre le pied chez moi, il voulût
y revenir comme les autres, comptant vous le
mander auparavant pour savoir votre avis sur
cela, lorsque madame de Chalais arriva, qui
me dit qu'il était à La Chaussée avec son fils.
Je dis à madame de Chalais que^ quand il
m'aurait demandé la permission de venir me
demander pardon, qu'après cela il viendrait
m'amener son fils. La pauvre femme fut déses-r
pérée de ma réponse. Elle me dit que son fils
n'était qu'un prétexte pour venir lui-même.
Je lui répliquai qu'il en avait un bon, qui
était celui de réparer sa sottise, sans en cher-
cher d'autre, mais que, par égard pour elle,
je pourrais m'adoucir, mais qu'elle écrivît à
son frère, comme d'elle-même, de demander
permission de venir réparer sa faute et que la
présentation se ferait après, que pour l'amour
d'elle je ferais la chose sans éclat. Elle a été
très aise de ma réponse. Je le serai beaucoup
8
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l34 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
plus, mon cher Cardinal, si vous approuvéa
en cela ma conduite, et si ce fou est assea
sage pour en user comme cela, je voua avoue
que, pour moi, je serai très portée à mépriser
de pareilles folies; mais vous savez que notre
eour est portée à suivre de mauvais exemples
et que le peu de respect que Ton a pour le
Roi et pour moi est assez grand pour n' avoir
pas besoin d'être réprimé. Répondez-moi au
plus tôt à cela, mon cher Cardinal, car je
serai ravie de savoir votre sentiment. Adieu,
mon chérissime ami, comptez toujours sur
mon amitié. — Mabie ».
En cette cour si réglée, où les affaires d'éti-
quette tournent si souvent aux affaires d'État,
l'inexpérience de Marie ne trouve pas de suf-
fisants conseils chez sa dame d'honneur ou
3a dame d'atours. C'est encore au Cardinal
qu'elle s'adresse, pour que toutes les diffi-
culté9 de cet ordre soient réglées par lui. Elle
lui soumet, par exemple, séance tenante, le
différend asse? vif survenu entre son premier
écuyer, M. de Tessé, et un officier de la com-
pagnie Villeroy, M. de Mon tesson : « Je n'ai
pas voulu, dit-elle, donner de décision sans
celle du Roi. Voici la dispute : depuis quatre
^na que je suis en France, njegsieurs les offi-
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. l35
ciers dés Gardes, cjuatid je suis eh chaise à
poneui^â, lé lieutenant allait détrière et
l'eiLëttipt detant. Aujourd'hui i M. de Montes-
son ft dit qiie c'était à lui d'aller auprès de là
chdBéî à côté. Vous examinerez, ttloil cher
Cardinal, qu'une possession depuis quatre ans
est unô détiisiôtt, n'étant pas naturel qu'ils
reusséllt soufferte dans les commencements,
si la iôhdée n'aurait pas dû être. Ils disent
qu'ils l'ont faite par politesse, mais il me
Bémble que dans les droits de charge il n'y
en doit pas avoir ; et ce qui prouvé que c'est
une défaite, c'est qu'ils l'ont cédé de même
aux écuyérs de quartier et même aUx ihaîtres
d'hôtel, quand ceui-ci n'y étaient point.
Voilà, mon cher Cardinal, ce que j'ai vu de-
puis que je suis ici et que jfe vous prié d'expo-
ser au Roi, en lui faisant mtQé compliments.
M. de Téfesé Vous doit envoyer un mémoire ;
pour tnoi, je vous expose le fait tel qu'il à
toujours été; j)
Le journal du duc dé Luynes se remplira, uti
jour, de questions de ce genre, où la Reine
montrera toutefois uti peu plus d'initiative
dans les décisions. Pendatit toutes ces pre-
mières années, elle semble redouter beaucoup
d'être en fi^ùte contre l'étiquette. Voici à
yGoogk
l36 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
quelles explications, k quelles excuses elle a
recours pour se justifier d'avoir accordé une
faveur à une dame qu'elle aime : « Les vapeurs
me quitteront quand je serai à Fontainebleau,
la solitude de Versailles étant très capable
d'en donner. Je vais aujourd'hui à la Ména-
gerie, et à peine puis-je ramasser des dames
pour me suivre... J'espère, mon cher Car-
dinal, que vous ne désapprouverez pas que
madame de Ghâteaurenaud me suit aujour-
d'hui dans mes carrosses, étant restée presque
seule pour me faire sa cour. Il est vrai que
mon intention était de ne la plus mener, ce
que je ferais, s'il y en avait d'autres. »
A la même époque, le cardinal de Fleury,
encore sollicité par la Reine, doit s'occuper
d'une question qui renseigne d'une façon
assez plaisante sur les costumes du temps et
les excès d'une mode qui durera une bonne
partie du siècle: « On ne croirait pas, raconte
Barbier, que le Cardinal a été embarrassé par
rapport aux paniers que les femmes portent
sous leurs jupes pour les rendre larges et
évasées. Ils sont si amples qu'en s'asseyant
cela pousse les baleines et fait un écart éton-
nant, en sorte qu'on a été obligé de faire des
fauteuils exprès. 11 ne tient plus que trois
yGoogk
LES ANNEES HEUREUSES. iSy
femmes dans les loges des spectacles pour
qu'elles soient un peu à leur aise. Cela est
devenu extravagant comme tout ce qui est
extrême, de manière que, les princesses étant
assises à côté de la Reine, leurs jupes, qui
remontaient, cachaient la jupe de la Reine.
Gela a paru impertinent, mais le remède était
difficile ; et, à force de rêver, le Cardinal a
trouvé qu'il y aurait toujours un fauteuil vide
des deux côlés de la Reine, ce qui l'empêche-
rait d'être incommodée, et le prétexte a été
que ce seraient deux fauteuils pour Mesdames
de France, ses filles. »
Le public de Paris peut faire des gorges
chaudes, et n'y manque point, sur cette grave
décision de cour, qui a occupé les veilles
d'un prince de l'Eglise. Mais, cette histoire
de paniers a une suite. Les princesses du
sang, étant séparées de la Reine, veulent au
moins être distinguées des duchesses, et on
leur accorde l'espace d'un tabouret vide. Les
ducs, fort piqués, se font défendre de mau-
vaise façon: quelques jours après, on saisit à
Versailles un écrit injurieux des plus vifs,
qui court sous le manteau contre les princes
du sang. Le Parlement s'en mêle; on fait un
arrêt, et le pamphlet est brûlé sur le grand
8.
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l36 LOUIS XV ET <5
quelles exp^
recours ?^ S,
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èuse origine que
àice ti'en fihissent
mours-propres tou-
iinés qui viennent de
flatnes, dont six dù-
tiiK>^^ .sont pas ; de là, satls
cesse, des mm^,, et des aigreurs. A la
cérémonie de la Gène, un jeudi saint, elles
s'aggravent. C'est un ilsage foH touchant et
fort aimé de la Reine, qui rapproche uh ins-
tant les extrêmes de l'humanité et met une.
leçon d'humilité chrétienne dans l'orgueil-
leuse vie monarchique. Le tloi et là Reine
célèbrent ainsi l'anniversaire liturgique de la
Gène du Sauveur ; pour là Reine, cela se passe
dans la grande salle des gardes du Château,
transformée pour uh jour en chapelle. DôUze
petites filles pauvres (ce sont douze vieillards
chez le Roi) sont assises sUr Une grande table
au bout de la pièce. Après un sermon et une
bénédiction, la Reine quitte son fauteuil et
s'approche d'elles ; on lui présente une ai-
guière pleine d'eau; elle en verse sur lés
yGoogk
LÈS AUffÉES HEUREUSES. iSq
pieds de ces enfants, les lave, les essuie et les
baîse, éh souvenir de l'acte fraternel de Notre-
Seigneur. Puis, avant de les congédier avec
une bourse d'argent, elle leur sert de ses
mains un repas à treize services, dont les
plats sont successivement présentés par ses
datiies. C'est en ce point qu'éclate la disputé.
La duchesse de Gonlaut-Biron, très jeune
femme et fort brillante, veut passer avec affec-
tation devant madame de Rupelmonde. Celle-
ci proteste et l'arrête par le bras. Des paroles
vives s'échangent; on en vient aux gros mots,
dont les pires, paraît-il, ne sont point in-
connus à la Cour.
La présence de la Reine n'a pu arrêter le
choc de ces vanités exaspérées. Dès le lende-
main, les ducs et pairs, M. de la Trémoille
en tête, portent leurs plaintes au Roi. De son
côté, le maréchal d'Alègte, père de madame
de Rupelmonde, fait uii mémoii-e établissant
que les duchesses n'ont d'autres prérogatives
que le tabotu'et cliei la Reine, repoussant
leurs autres prétentions au nom du reste de
la noblesse. Cette fois, l'affaire devient im-
portante. Lô cardinal de Fleury, appelé k
résoudre le cas, le décide en faveur des
duchesses» mais seulement à la Cène et aux
yGoogk
l4o LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
processions. L'usage reste que, lorsque les
dames vont avec la Reine dans son carrosse
et qu'il n'y a pas de princesse du sang, elles
montent comme elles se trouvent, et celle
qui suit la Reine se met à côté d'elle, dans
le fond, même si elle n'est pas duchesse. On
prévoit que la décision donnée ne satisfera
point toute l'ambition des dames titrées, et
qu'elles s'en serviront pour prendre un pied
en d'autres occasions.
Rîen ne fait plus souffrir Marie Leczinska
que ces rivalités, pour des préséances dont
elle comprend sans doute l'intérêt et la raison,
mais qui mettent autour d^elle une conti—
nuelle excitation de haine et d'orgueil.
Si l'étiquette ne se relâche point, le res-
pect, dont elle est l'expression, semble quel-
que peu diminué autour du trône. Le poids
du long règne de Louis XIV, devenu si lourd
vers la fin, a préparé une réaction, et la Ré-
gence a déjà donné les habitudes d'une exces-
sive liberlé. L'extrême jeunesse des deux
souverains, « l'enfance » persistante de l'un,
la modestie et l'effacement de l'autre, aident
à cette nouveauté, qui s'aggravera avec le
temps et pour des raisons toujours plus in-
quiétantes. Marie s'en rend compte mieux
yGoogk
LES AlfnÉES HEUREUSES. l^I
que le Roî, absorbé par ses amusements et
ses chasses. Bien loin de s'abandonner à
son amour de solitude et de vie intime, elle
va au-devant de toutes ses obligations d'appa-
rat, n'en témoigne jamais aucun ennui et
s'en fait instruire avec minutie pour les rem-
plir avec fidélité. Elle ne permet point que
personne autour d'elle se dérobe au moindre
des usages de l'ancienne Cour. Elle les con-
serve, autant qu'elle le peut, dans leur inté-
grité, et, lorsque Louis XV s'absente, chasse
ou voyage, elle suffit à maintenir à Versailles
la représentation royale. Si l'on ne sait pas
toujours oii est le Roi, on est sûr toujours de
trouver la Reine. Elle a tous les goûts auxquels
une autre souveraine se livrera un jour, en
pleine liberté, à Trianon ; mais elle met ses
soins et son esprit de sacrifice à ne les satis-
faire qu'autant que ses devoirs d'état sont
accomplis.
Celte exactitude, dictée à Marie Leczinska
par sa conscience, vient peut-être en même
temps d'une défense instinctive. La noblesse
de cour prend volontiers le ton chez les
princes et les princesses, qui sont sensibles
assurément à la bonté candide de la Reine,
mais toujours prêts à une critique malveillante
yGoogk
l42 LOUIS XV ET MABIE LECZINSKA.
et jalouse, toujours animés de l'esprit fron-
deur» Aucun prince du sang^ pas même Vetr-
cellent duc d'Orléans, le premier pei^soiiilage
de l'État, tout aux dévotions et aui charités,
tie se sent l'âme dépendante d'un sujet en-
tièrement soumis ; nul d'entre eux ne peut
avoir un respect parfaitement sincèriB pour* la
personne d'un Roi de vingt atts, mené pdr un
vieillard; et l'infatuation du sang des Bour-
bons leur donne à tous un certaih dédain
envers Ifii petite Poloûaise, amenée à Ver-
sailles pour une politique douteuse, par un
pouvoir déjà tombé*
Le bon peuple est loin de partager de tels
sentiments. Quelques mesures financières du
cardinal de Fleury et la fin de k disette des
grains ont suffi pour ramener un peu de bien-
ôlre et pour faire bénir le nouveau régime.
Les querelles religieuses ne compromettëtit
point encore l'autorité royale. 11 semble que la
fécondité bien attestée de la Reine Contribue
à donner la confiance en des jouts ineilletirs.
C'est sous de favorables auspices que Marie
Lecrinska se décide à venir pour la pfetriièrè
fois à Paris, faire ses prièfes aux grandes
églises et demander un Dauphin; Un moil^
yGoogk
LBS ANNEES HEUREUSES. 1^3
auparavant, le 4 septembre 1728, à peine
relevée des couches de Madame Troisième,
elle écrivait au cardinal, la Cour élani en
deuil par. la mort de la reine de Sardaigne,
grand' mère maternelle de Louis XV: «J'ai
espéré jusqu'à présent pouvoir aller le i3 îi
Paris ; mais je vois la chose impossible par la
faiblesse dont je suis encore, et j'ai résolu de
prolonger mon voyage de quelques jours, jus-
qu'au 18. MaTidez-moi, mon cher Cardinal,
s'il serait impossible de prolonger le deuil au
19. Comme c'est la première fqis que j'y vais,
l'entrée des carrosses noirs pourrait frapper le
peuple. Si c^la ne se peut, je passerai par-
dessus tout pour suivre voire avis, comme je
ferai toujours en tout. Une autre chose encore,
si elle se pouvait, me ferait grand plaisir : si
le Roi ordonnait, du jour que j'irai à Noire-
Dame, les prières des Quarante-Heures pour
que Dieu nous accorde un Dauphin. 1»
La faiblesse de la Reinei se prolongeant,
Ventrée à Paris doit être relardée jusqu'au
4 octobre. Mais Lotiis XV a donné satisfaction
a la Ileine en demandant les prières publiques.
Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris,
a publié, pour en régler l'ordre et la durée,
un mandement au clergé et aux fidèles de son
yGoogk
l4Â LOUIS XY ET &IARIE LECZINSKA.
diocèse, où les causes du retard de la nais*
sance du Dauphin sont expliquées par un texte
de saint Augustin, lequel, observe un railleur,
«n'a guère songé aux Dauphins ]0. On doit
prier chaque jour et successivement, dans toutes
les églises de la Ville, jusqu'au 27 novembre,
veille de l'Avent. Les autres puissances ecclé-
siastiques de Paris, le cardinal de Bissy, abbé
commendataire de Saint-Germain-des-Prés, et
l'abbé de Sainte-Geneviève, règlent également
dans leurs églises les prières des Quarante-
Heures, où le peuple en foule se presse.
La Reine a déclaré qu'elle ne veut pas avoir
l'entrée solennelle, qui est d'usage pour une
première visite dans la capitale ; elle vient
surtout, dit-elle, par devoir de piété et c'est
un pèlerinage qu'elle accomplit. Il n'y a
donc, le jour venu, que son train ordinaire >
quatre carrosses à huit chevaux, vingt
gardes à cheval, quelques pages, dix ou
douze valets de pied. Dans les rues, point
de soldats, sauf sur le Parvis-Notre-Dame >
où sont rangées les Gardes françaises et
suisses ; sur le parcours, seulement du guet,
de la robe courte et d'autres archers de la
ville. Les boutiques ne sont même point fer-
mées par ordre; mais la curiosité des Pari-
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. 1^5
siens est telle que personne ne reste chez soi.
Le Cours est envahi ainsi que la terrassé des
Tuileries, le quai du Louvre et toutes les rues
de la Cité où doit passer la Reine. Tout le
monde est avide de la voir et de racclamer.
Le Mercure parle des tapisseries qui tendent
les maisons et des échafauds et gradins où
Ton s'entasse : « On y voyait une tapisserie
bien plus animée et d'un autre prix, par la
prodigieuse quantité de peuple et du plus
beau monde de Paris qui s'y était placé, ainsi
qu'aux fenêtres et aux balcons. »
La Reine est haranguée, à la porte de la
Conférence, par le gouverneur de Paris et le
prévôt des marchands, saluée par le canon de
la Bastille et de la Grève et les cloches de
toutes les églises, complimentée sur le seuil
de Notre-Dame par le cardinal de Noailles,
avec la crosse et la mitre, entouré de tout
son clergé, menée au chœur entre des bar-
rières contenant la foule et gardées par les
gardes du corps, la carabine au poing. Ce
n'est pas sans émotion qu'elle entre pour la
première fois dans cette église vénérable, où
vivent tant de souvenirs de la Monarchie, et
qu'elle marche au milieu de son peuple.
Donnant la main au marquis de Nangis et au
9
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l46 LOUIS XY ET IfARIK LEGZINSKA.
comte de Tesgé, redressant de son mieux sa
taille petite, elle s'avance en robe de cour cou-^
leur de chair, découpée en festons sans or ni
argent, mais chargée de toutes les pierreries
qu'on y a pu mettre,
Les dames sont comme elle en corps do
robe, extrêmement parées, et les principaux
officiers de la suite en habit de drap d'or et
d'argent. Ce riche spectacle réjouit les yeux
du bon public, qui n'en a pas vu de sem-
blable depuis fort longtemps, et l'on remarque
le Sancy, le diamant fameux qui vaut dix-
huit cent mille livres, placé dans la chevelure
de la Reine. Elle va s'agenouiller dans le
chœur, sous le dais royal ; le cardinal monte
à son trône, entonne le Te Deum, qu'accom-
pagne une grande musique symphonlquci et
donne la bénédiction. Il conduit ensuite la
Reine» avant de se retirer, devant la chapelle
de la Vierge» où simplement, sans apparat,
entourée seulement du cercle de ses dames et
de ses officiers, elle entend une messe basse,
dite à son intention par son chapelain. « Elle
ne l'a pas entendue dans le chœur, parce
que les chanoines ne soufi&ent pas que d'autres
qu'eux y officient. )) Marie ne saurait s'en
plaindre ; elle n'est ici qu'une épouse chré-
yGoogk
tfiS AK3(éËfl HKURËUSES. ^^^
tienne^ s unissant par la prière à la Reine du
ciel et la suppliant d'exaucer la ferveur de sa
demande.
Après la messe, la Reine revient dans Je
chœur pour voir les « embellissements »
exécutés sur les ordres de Louis XIV ; à la
sacristie, on sert k ses dames du chocolat et
du café, et elle-même prend un peu de vin
d'Alicante. Puis le cardinal la ramène à ses
carrosses, avec les mêmes honneurs qu'à
l'arrivée. A l'église Sainte-Geneviève, le céré-
monial est légèrement différent. A l'entrée,
la Reine se met à genoux pour baiser la Vraie
Croix, que Fabbé lui présente ; elle va suc-
cessivement prier au chœur, où la châsse de
la patronne de Paris est découverte, à la cha-
pelle de sainte Glotilde, oh elle témoigne le
désir de baiser les reliques royales et enfin au
tombeau de Clovis, premier roi de France
chrétien, qu'elle baise avec le même respect.
Au départ, elle s'arrête rue Saint-Jacques,
devant la porte du collège Louis-le-Grand, où
le Père recteur et le Père principal lui pré-
sentent leurs jeunes pensionnaires, ce qui est
une occasion de vivats, de vers latins et de
congés « Elle traverse les rues étroites du vieux
Paris, partout acclamée par le peuple, qui
yGoogk
l48 LOUIS XY ET MABIE LBGZINSKA.
ramasse l'argent menu jeté à la portière de
son carrosse ; elle entre dans la rue Saînt-
Nîcaise, pour voir une partie des galeries du
Louvre et la façade des Tuileries du côté de
la place du Carrousel, fait le tour de la place
Louîs-le-Grand (Vendôme) et sort par la porte
Saintr-Honoré, pour aller dîner au château de
la Muette, où elle arrive vers les trois heures
de l'après-midi.
Elle rentre à Versailles, harassée et ravie,
et le lendemain écrit à Fleury : « Je reviens
contente, au delà d'expression, des acclama-
tions du peuple et de leur joie, que je ne puis
vous dépeindre, tant elle était grande ; mais
je vous avoue que, depuis que je suis au
monde, je n'ai jamais été si fatiguée. » L'avo-
cat Barbier notait en même temps : ce Sa
Majesté avait l'air bien content. Elle a fait un
assez grand tour dans Paris et elle a vu une
afOiuence de monde étonnante; cela est bien
différent de Wissembourg... Pour sa personne,
elle est petite, plus maigre que grasse, point
jolie sans être désagréable, l'air bon et doux«
ce qui ne donne pas la majesté requise à une
reine. » Les avis, au reste, sont fort différents
sur ce dernier point ; et le sculpteur Guillaume
Coustou s'est inspiré .d'une tout autre pensée,
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. 1^9
puisqu'il fait en ce temps même la statue de
la jeune femme en Junon olympienne, pour
la mettre dans les jardins de Versailles.
Il y avait cinquante ans qu'on n'avait vu à
Paris de reine de France. Ce fut un grand
événement dont on parla pendant deux se-
maines. On en aurait parlé bien plus long-
temps si, le â3 octobre, aux portes des églises,
n'avait été affiché un nouveau mandement de
l'archevêque, moins inoffensif que le premier;
le cardinsd de Noailles acceptait la bulle Uni-
genitus et la Constitution, c'est-à-dire la con-
damnation des cent une propositions tirées du
Père Quesnel, révoquait ses décisions anté-
rieures et faisait sa pleine soumission au Saint-
Siège. Cela causa une rumeur énorme, « car
le gros de Paris, dit ironiquement Barbier,
hommes, femmes, petits enfants, est janséniste,
c'est-à-dire en gros, sans savoir la matière,
contre la cour de Rome et les Jésuites». Les
affiches, lacérées et couvertes de boue, la ré-
bellion des curés parisiens, les sermons et les
placards à profusion, vont préluder à l'agita-
tion parlementaire, contre laquelle Fleury ne
trouvera d'autre remède que les lits-de-justice
et les lettres de cachet. Ce sera, pendant
yGoogk
l50 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
quarante ans, toute la politique intérieure du
royaume.
La Reine en souffrira comme chrétienne
et, à son heure, discrètement, croira de
son devoir de s'y mêler; mais elle ne sera
jamais compromise dans la lutte, et sa popu*
larité n'en sera nullement atteinte. Pour qu'on
lui pardonne cette affection bien témoignée
envers les Jésuites, dont ceux-ci ne manquent
point de se parer, il faut que la Reine ait
laissé au peuple de Paris , dans la journée de
sa visite , un souvenir inoubliable de bonté et
de bonne grâce. Son nom est le seul de l'État
qui échappe aux pamphlets et soit mis , d'un
accord tacite, hors des querelles; c'est le seul
que respectent les chansons du temps qui
cependant n'épargnent personne.
L'héritier de la couronne était plus que
jamais désiré. Sa naissance pouvait seule ras-
surer le pays, si le Roi devait mourir jeune,
contre les dange]t:s de la guerre civile et de la
guerre étrangère; par elle, serait évitée cette
redoutable réclamation de Philippe V, dont les
esprits restaient préoccupés, car la renoncia-
tion du roi d'Espagne au trône de France,
imposée par des circonstances passées, ne
yGoogk
LES AlfNÂES HEUREUSES. l5l
pouvait supprimer les droits naturels de la
descendance directe de Louis XIV. L'atten-
tion et l'espoir de tout un peuple se concen-
traient sur la reine Marie, et lui faisaient tenir
dans les gazettes plus de place qu'au Roi lui-
même. On connaissait ses robes et ses concerts,
ses promenades et ses dévotions. Deux jours
après sa visite à Paris, elle partait pour Fon-
tainebleau, faisant collation à Choisy, qui
était encore à la princesse de Conti, et cou-
chant à Petit-Bourg, chez le duc d'Antin ;
c'était l'étape ordinaire du voyage, très orgueil-
leusement fêtée par le surintendant des Bâti-
ments. Le Roi vint à la rencontre de la Reine
jusqu'au delà de la forêt. Ils reçurent les ré-
vérences , le lendemain , à l'occasion de la
mort de la reine de Sardaigne ; le nonce du
Pape, les ambassadeurs et envoyés, en grand
manteau de deuU, puis, les princes et prin-
cesses du sang, les seigneurs et les dames
allèrent défiler chez Leurs Majestés.
Le Roi continuait ses chasses quotidiennes,
qu'allait peindre, pour les Gobelins, le bon
Oudry. La rude chasse aux loups était à la
mode cette annéeJk: on en avait pris déjà
vingt-sept depuis qu'on était à Fontainebleau.
La Reine ne suivit que la chasse au cerf. Elle
yGoogk
l52 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA.
avait dans sa calèche la jeune duchesse de
Bourhon, en amazone, Mademoiselle de Cler-
mont et le marquise de Mailly. Deux bêtes
furent forcées en deux heures de temps et
mises aux abois sous les yeux des dames. Une
autre fois, la Reine fut àVillars, en ses quatre
carrosses à huit chevaux ; il y avait quatre
princesses du sang et dix-huit dames. Comme
l'arrivée fut un peu à l'impromptu, le vieux
maréchal ne les traita pas aussi bien qu'il eût
voulu; mais il fît tirer, en l'honneur de sa
souveraine, les canons pris à Denain, que le
feu Roi lui avait laissés, et cette salve victo-
rieuse ne manqua point d'intéresser Sa Ma-
jesté.
Quelques jours plus tard, se posa la ques-
tion toujours si grave de la santé du Roi.
Louis XV se trouva mal en chassant, puis
pendant la messe ; des boutons se montraient
au visage ; on l'empêcha avec peine de se
remettre en chasse, et la Reine obtint qu'il se
couchât. Les médecins, ceux de la Cour
comme ceux de Paris, appelés en hâte, décla-
rèrent la plus redoutée des maladies d'alors <
la petite vérole. « Elle sortit les jours suivants,
raconte un témoin, sans fièvre, sans aucun
mal, et plus heureusement que Ton n'aurait
yGoogk
LES ANNÉES HEUREUSES. l53
jamais pu l'espérer. Enfin, la maladie qui
paraissait le plus à craindre pour le Roi, dont
la vie est si importante à son royaume et à
toute l'Europe, arriva et finit sans qu'il y eût
lieu d'avoir aucune sorte d'inquiétude. » Per-
sonne ne supposa que le mal du Roi, guéri
du reste sans aucun remède, n'était point, en
efiet, la petite vérole, qui devait le saisir un
jour et l'emporter; et Louis XV, ayant tou-
jours cru qu'il ne pouvait en être frappé deux
fois, dut à cette illusion la sécurité qu'il garda
longtemps pendant sa dernière maladie.
L'anxiété de la Reine avait été grande.
L'action de grâces qu'elle fit dans le secret
de son cœur eut plus de ferveur encore que
toutes celles qui remplirent les églises du
royaume, à la nouvelle que le Roi était sauvé.
A Ghambord, Stanislas avouait à ses amis sa
« terrible frayeur ». <( On ne saurait assez louer
le Seigneur, écrivait-il, et de l'espèce de cette
petite vérole et de ce qu'elle ne nous tiendra
plus en alarme comme avant qu'elle soit
venue... Votre bonne maîtresse a fait, dans
cette maladie, ce que doit faire une bonne
femnie, et en a été bien récompensée, car le
Roi était inquiet quand elle le quittait pour
un moment. Elle n'est pas grosse, et j'en
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l54 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
suis bien aise, car il faut espérer qu'après la
petite vérole la besogne en sera plus solide. S)
La Reine fut déclarée grosse en février
1729. L'espérance des époux était vive: ils
avaient communié ensemble dans une même
intention. La Reine ménageait ses forces,
plus que jamais précieuses. Elle ne prit au-
cune part à ces courses de traîneaux qui fu-
rent, celte année-lk, la grande fureur de la
Cour et de la Ville. Le Roi les avait mises à la
mode en emmenant sur la neige, autour du
Canal de Versailles, de longues files de traî-
neaux remplis de seigneurs en bonnets et
redingotes de fourrure, et de dames velues ce de
casaquîns fourrés à la Polonaise ». En mars,
Louis XV vint, pour la première fois, à
rOpéra et y fut chaleureusement applaudi.
On lui sut gré de ce retour à Paris. Il n'y
élait pas revenu, en effet, depuis que le gou-
vernement avait été rétabli à Versailles, sui-
vant l'idée de Louis XIV, qui pensait donner
à la royauté plus de prestige et de sécurité
en la tenant loin de la turbulente capitale.
Le Dauphin naquit à Versailles, le 4 sep-
tembre 1729, à trois heures quarante du ma-
tin. Toute la Cour veillait dans l'appartement
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LES ANNÉES HEUREUSES. l55
de la Reine. Autour du lit étaient les princes
et les princesses du sang, le cardinal de Fleury
et le chancelier de France, avertis dès le
commencement des douleurs. Le Roi n'avait
point quitté le chevet de la Reine. L*enfant,
mis dans un lange, fut porté près du feu et
ondoyé par le cardinal de Rohan, en présence
du curé de la paroisse. On devait alors lui pas-
ser au cou le grand cordon du Saint-Esprit,
mais le Roi ne voidut pas que la Reine eût
une aussi prompte joie, de peur d'une émo-
tion trop, vive, et la cérémonie fut différée
d'un moment. La duchesse de Ventadour prit
le prince nouveau-né et le porta, suivie des
trois sous-gouvernanles, dans l'appartement
préparé pour lui. Le Roi dit à M. de Villeroy,
capitaine des Gardes du corps : « Duc de Vil-
leroy, conduisez le Dauphin ; c'est le seul cas
où mon capitaine des Gardes peut me quitter.))
On remarqua le ton dont furent prononcées
ces paroles ; il semblait que le visage, d'ordi-
naire impénétrable, du jeune Roi rayonnât
d'un sentiment attendri.
Marie sut son bonheur quelques instants
après. Le Roi la quitta pour rentrer dans son
appartement à quatre heures et demie et,
avant de se mettre au lit, dépêcha un de ses
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l56 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
gentilshommes au roi et k la reine de Pologne.
Tout était préparé, chez le garde des sceaux,
pour envoyer faire part de la naissance de
Monseigneur le Dauphin aux ambassadeurs
et ministres étrangers et à ceux du Roi dans
les cours étrangères ; dès cinq heures et demie,
tous les courriers avaient quitté Versailles.
Le Roi dormit quelques heures; à son réveil,
les acclamations éclatèrent sous ses fenêtres,
où la population de la ville s'était portée. On
dressait déjà, sur la place d'Armes, les châssis
du feu d'artifice, qui devait être tiré le soir
même. La Cour emplissait l'Œil-de-Bœuf et
se pressait sur le passage du Roi, quand à
midi il se rendit à la messe, où Ton chanta
le Te Deum d'action de grâces. Plusieurs fois
dans la journée, il fut chez la Reine et chez
le Dauphin. C'était un va-et-vient continuel
dans le Château et la joie était sur tous les
visages. L'après-midi, le Roi fut complimenté
par les princesses, les dames et les ambassa-
deurs.
A Paris, à la première heure, le tocsin du
Palais et celui de l'Hôtel de Ville, annonçant
la grande nouvelle, commençaient une son-
nerie de trois journées ; on affichait l'ordon-
nance des échevins enjoignant de fermer les
yGoogk
>
LES AltnéES HEUREUSES. 167
boutiques, d'allumer des feux de joie et d'illu-
miner lés maisons pendant ces trois jours.
Les rues se remplissaient des cris de : « Vive
le Roi 1 Vive la Reine 1 Vive Monseigneur le
Dauphin I » Le duc de Gesvres, gouverneur
de Paris, allait en grande pompe à la Ville,
avec une suite de carrosses, et jetait de l'ar-
gent. Le prévôt des marchands en jeta aussi,
pendant le grand feu de fagots sur la place de
Grève, et les distributions de pain, de viande,
de cervelas, les fontaines de vin coulant sous
des berceaux de feuillage firent participer le
peuple à la joie du souverain.
Gomme depuis soixante-huit ans il n'était
pas né de dauphin, il fallut rechercher les
anciens usages, tant pour le Te Deum de
cent musiciens que fit chanter le Parlement
dans la grande salle du Palais, que pour celui
qui se célébra à Notre-Dame, oii le Roi vint
accompagné de toute sa maison, y compris les
fauconniers, leur oiseau sur le poing. Il y
eut le Parlement, la Chambre des Comptes,
la Cour des Aides, la Cour des Monnaies,
la Ville, l'Université et le Grand Conseil. Le
Roi assista, avec les princes, au feu d'artifice
de l'Hôtel de Ville et au grand dîner qui sui-
vit, où il permit au duc de Noailles de porter
yGoogk
l58 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
la santé de Monseigneur le Dauphin. On le
reconduisit à ses carrosses vers onze heures et
demie.
La foule se pressait en place de Grève,
admirant une quantité de transparents allé-
goriques, qui complétaient Tillumination des
façades, et déchiffrant les inscriptions latines
qui les couvraient. On y abusait un peu des
dauphins ; la Reine y était symbolisée par
l'étoile du Nord, guidant le vaisseau des
armes de la Ville, avec ces mots : Nec vola
fefellit (Elle n'a point trompé nos vœux).
Jamais Paris ne brûla autant de chandelle
qu'il ne fit cette nuit-là. Les carrosses mar-
chaient au pas, pour que le Roi vît mieux et
fût mieux vu. Le plus beau morceau était la
place Louis-le-Grand, où toutes les lignes
d'architecture se profilaient en feu. Le long
de la Seine, en s'en retournant à Versailles, le
Roi aperçut l'illumination splendide du Palais
de Bourbon, bâti depuis peu par la ducheàse
douairière, celle des jardins du duc du Maine,
où était préparé un feu d'artifice, celle de
l'Hôtel royal des Invalides, qui tira son artil-
lerie, et plus loin, tous les villages des deux
rives, de Vaugirard à Meudon et de Ghaillot
à Suresnes, qui rivalisaient de lumières.
yGoogk
LES aunées heureuses. 169
Pour la seconde fois, il y eut des spectacles
gratuits. Les Comédiens français y ajoutèrent
l'illumination de leur hôtel, et mirent sur leur
balcon deux muids de vin qui coulèrent tout
un soir pour le peuple. L'Opéra donna un
concert de chœurs et de symphonies sur la
terrasse des Tuileries. La religion devait tenir
aussi, en de tels jours, une grande place : après
une procession générale à Notre-Dame, il y eut
chaque jour des processions particulières des
paroisses et de toutes les communautés, tant
régulières que séculières. On entendait par-
tout chanter des cantiques dans les rues. Jan-
sénistes et molinistes faisaient trêve un ins-
tant à leurs querelles ; et les bonnes femmes
des Halles, les dévotes mercières de la rue
Saint-Honoré les plus acharnées contre la
BuUe, oubliaient les persécutions infligées à
leurs curés et à leurs vicaires, en voyant
tirer, sur la place des Victoires, le feu d'artifice
extraordinaire que payait Samuel Bernard,
« fameux banquier et riche de plus de vingt
millions r>.
Pendant toutes ces réjouissances, qui rem-
plissaient le royaume et dont eUe se faisait
lire les relations, Marie Leczinska ne ressen--
tait que la joie d'avoir donné un fils à son
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l6o LOUJS XY ET MARIE LEGZIIISK.A.
mari et un héritier à la Couronne. Elle avait
rempli le but de son mariage et Tardent désir
de la nation. Un aimable tableau de Belle la
représente quelques mois après « assise en
grand habit à côté du trône royal, avec l'en-
fant sur ses genoux ; il a ses petits pieds nus
reposant sur le manteau fleurdelisé, la tête
encadrée d'un bonnet ruche, et le cordon du
Saint-Esprit au cou. La Reine est à demi
souriante et le chaste orgueil d'une mère s'épa-
nouit dans son regard.
Elle s'était rapidement rétablie* Dès qu'elle
fut relevée de couches, ses parents accouru-
rent auprès d'elle. On les logea au château
de Trianon, qui n'avait pas eu d'hôtes depuis
la visite de Pierre le Grand et que Louis XV
devait donner bientôt en toute propriété à la
Reine* Le contentement de Stanislas était
sans mélange. Les petites princesses le ravis-
saient par leurs gentillesses, et son Dauphin,
aux mains de la bonne «maman Ventadour»,
qui avait élevé le père, promettait une santé
vigoureuse. « Je me dérobe un moment de
temps, mandait-il à Du Bourg, pour vous
écrire deux mots et vous faire part, mon cher
comte, de toute la satisfaction que me donnent
ici Monsieur le Dauphin, par la meilleure
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LES ANNÉES HEUREUSES. l6l
constitution qu'un enfant peut avoir, la Reine
par le bon état de sa santé, et enfin tout le
reste qui peut mettre du baume dans le sang».
Bientôt, un seul petit-fils ne lui suffit plus.
Ses lettres appellent un second prince, « un
duc d'Anjou » ; et, comme Louis XV semble
décidé à se bien munir d'héritiers, la Reine
donne promptement de nouvelles espérances.
Le duc d'Anjou se fait moins attendre que
son aîné. Le 3o août 1780, Versailles et
Paris sont encore en liesse pour la naissance
d'un prince. Les réjouissances se renou-
vellent, à peine moindres que pour le Dau-
phin, a A la vérité, observe Barbier en les
racontant, un second fils est une grande assu-
rance pour la tranquillité du royaume. »
C'est le moment le plus heureux de la vie
de la reine Marie* Tout semble sourire à sa
destinée. Elle se croit sûre de l'affection du
Roi, et sa brillante maternité l'a revêtue, aux
yeux de tous, d'une majesté nouvelle. Ce
n'est pas sans une juste fierté qu'elle peut
présenter trois princesses et deux princes à la
France rassurée et reconnaissante.
yGoogk
CHAPITRE III
L ABANDON
Lorsque, plus tard, assise dans son cabinet
parmi ses ouvrages de tapisserie et de cou-
lure pour les pauvres, entourée de son petit
cercle familier, la reine Marie rappelait les
souvenirs de sa vie, elle ne rencontrait pas
d'année plus remplie d'émotions que l'année
1733. Elle avait perdu deux enfants en moins
de deux mois ; elle avait vu son père bien-
aîmé partir pour la Pologne, reconquérir son
trône et subir presque aussitôt son dernier
désastre. Enfin, elle avait pressenti un événe-
ment qui lui réservait de longues amertumes :
l'adultère, encore secret pour tous, avait péné-
tré dans la vie de son époux.
Ses deuils maternels lui portèrent les pre-
yGoogk
L'ABANDON. l63
mîers grands coups de la douleur. Madame
Troisième fut enterrée en février, et en avril
mourut, à deux ans et sept mois, le jeune
frère du Dauphin, ce charmant duc d'Anjou,
qui déjà donnait à espérer et dont la mère et
le grand-père rêvaient, à eux deux, de faire
plus tard un roi de Pologne. L'enfant était
malade depuis quelque temps et, plusieurs
fois le jour, la Reine descendait le voir, dans
l'appartement des Enfants de France, situé
au-dessous du sien. Son inquiétude allait aug-
mentant sans qu'elle en fût k craindre un
dénouement si prompt. Elle l'apprit de la
façon la plus cruelle, ainsi que le Roi le conta
le jour même à Villars : « Étant couchée avec
le Roi, son impatience l'a fait sortir de son
lit pour faire ouvrir une fenêtre, qui donnait
sur celles de la chambre de M. le duc
d'Anjou, à portée de laquelle était un cro-
cheteur. La Reine lui cria : « Comment se
porte le duc d'Anjou?» Le crocheteur répon-
dit : (( D est mort». La Reine fit un grand
cri; heureusement une femme de chambre la
soutint, et le Roi sortit du lit pour venir la
consoler. »
Désormais les soucis ne quittent plus le
cœur de la mère. Elle tremble pour ces vies
yGoogk
l64 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
fragiles, qui se multiplient autour d'elle, dont
elle souhaite, sans lassitude, d'augmenter le
nombre, et parmi lesquelles elle voudrait sur-
tout retrouver un duc d'Anjou. Elle se résigne
déjà à se séparer de ses enfants. Dans l'été de
1733, sur l'avis des médecins, ils vont s'éta-
blir au château de Meudon, où l'air passe
pour être meilleur qu'à Versailles. La Reine
n'a pu les y conduire, à cause de la nais-
sance de Madame Victoire; mais elle va les
voir ensuite le plus souvent qu'elle le peut,
et les meilleurs moments de sa vie sont ceux
qu'elle dérobe pour eux à la représentation
royale : « Je suis encore retournée hier à
Meudon, écrit-elle, où je me suis beaucoup
promenée et m'en trouve très bien. Il est vrai
que M. le Dauphin devient fort joli, et il y
a sûrement de quoi en faire quelque chose
de bon; mais il faut un peu rompre ses vo-
lontés, car il m'y paraît très décidé. Il n'aime
effectivement pas trop à s'appliquer. Il n'en
est point de même de ses sœurs, car elles
apprennent très bien; j'ai été très contente
d'elles. »
Le petit Dauphin, élevé avec intelligence
et fermeté, sous l'inspiration de sa mère, va
devenir studieux et bon ; mais que de crainte
yGoogk
L'ABANDON. l65
pour sa santé, quelle frayeur pour une rou-
geole I La Reine, retenue à Versailles loin de
l'enfant, en écrit au Cardinal : « Vous avez su
depuis ma lettre d'hier, par M. Ghicoyneau,
que mon fils a la rougeole en forme. Ce qui a
fait que je ne vous ai parlé que de mon inquié-
tude, c'est que je n'ai pas douté que madame
de Ventadour ne vous l'ait mandé. Joint à cela
je ne sais même pas ce que je vous ai écrit,
car j'en avais la tête tournée. J'y voulais aller
absolument ; mais Helvétius m'en a empê-
chée, et j'ai trouvé qu'il avait raison à cause
du Roi et de ce que je porte, car s'il n'était
question que de moi, je n'en bougerais. On
m'assure qu'il est bien, mais, jusqu'à ce qu'il
en soit quitte, je ne serai pas tranquille... On
revient de chez lui, et Ton me mande qu'il
à dormi une heure, vient de se réveiller très
gai et va se rendormir. y>
Le jeune père, toujours à la chasse, parais-
sait fort peu parmi ses enfants ; mais le roi
et la reine de Pologne les visitaient souvent
et voyaient en eux les garanties du bonheur et
de l'avenir de leur fille. Les lettres de la
grand'mère à la comtesse d'Andlau expriment
à merveille des sentiments simples et tou-
chants, qui rappellent la vie familiale de Wis-
yGoogk
l66 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
sembourg. C'est une joie de voir mettre M^ le
Dauphin « en culotte et en justaucorps» ; on le
déclare joli «à manger » ; et Ton n'en finit point
de tracer le portrait de ses perfections : <( Notre
aimable Dauphin est inexprimable en tout ; je
Taime de la dernière folie. Il promet non seule-
ment de vivre, mais d'être avec gloire. 11 s'in-
forme de tout, veut Savoir tout, rien ne lui
échappe. Il n'y a qu'une chose qui me déplaît
en lui, qui est que, quand il voit un joli visage,
il n'a plus de repos. Il aime la parure : l'on m'a
mandé hier, qu'il se plaignait à tout le monde
qu'il allait ressembler à un charbonnier, à
cause du deuil du roi Viclor (de Sardaigne).
Il aime, avec cela, tout ce qui est miUtaire,
à vouloir faire des armes à tout propos. Quand
il voit, par la fenêtre, aller le Roi son père à
la chasse, il se démène d'avoir un cheval pour
l'accompagner. Il a une grande amitié pour sa
mèrci et a toujours des secrets à lui dire à
l'oreille. »
Le roi Stanislas, qui se déclarait rajeuni
chaque fois qu'il revoyait ses petits-enfants, ne
tardait pas cependant à se laisser entraîner
par d'autres rêves. Il y eut des larmes chez la
Reine r au moment de son départ pour la Po-
yGoogk
L'ABANDON. 167
logne, lorsqu'il vint prendre les instructions
du Cabinet de Versailles pour cette grande
aventure. Quelques jours plus tard, il était
sui^ les chemins d'Allemagne, déguisé en com-
mis de marchand, et arrivait à Varsovie, à
l'étonnement de l'Europe, se faire acclamer
roi par la Diète polonaise ; succès éphémère,
il est vrai, mal préparé, obtenu du sentiment
national par surprise, et que la Pologne et
lui-même allaient promptement expier.
Les souvenirs de Versailles et les lettres
de sa fille soutiennent ce roi d'un jour dans
le désenchantement qui accable bientôt son
âme enthousiaste. Au début du siège de Dan-
zig, alors que son rival, Auguste III, s'est
déjà fait couronner à Cracovie et que les
armées russes vont l'emprisonner dans un
cercle toujours resserré, Stanislas écrit à ses
petits-enfants : « Je vous félicite, mes chers
cœurSi d'être ensemble, comme vous me le
mandez, et sur ce que vous avez dîné chez
maman. Peut-être aurais-je consenti à jeûner
une année entière au pain et à Teau pour
être de cette partie.*. J'embrasse de tout mon
cœur les chers petits enfants et je les mets
sous la protection de la Sainte Vierge. )) Plus
tard, quand l'aiTaire est désespérée, quand
yGoogk
l68 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
le roi, à peu près abandonné par la France
et sorti de Danzîg au péril de sa vie, a trouvé
un asile dans les Etats du roi de Prusse, c'est
encore une lettre de son petit^fils qui lui
apporte sa consolation ; il s'en délecte, il baise
le papier où s'est posée « la petite menotte » ;
il l'arrose de ses larmes. Elle lui fait oublier
un instant la tristesse de son nouvel exil,
comment l'ont berné les ministres de son
gendre et la grande trahison du cardinal de
Fleury.
L'échec de Stanislas fut pour Marie Lee-
zinska une cruelle déconvenue. Sans être am-
bitieuse pour son père, elle identifiait sa cause
à celle de sa chère Pologne et croyait sincère,
dans la République, une popularité que créait
seulement l'or bien distribué de l'ambassa-
deur de France. La Reine ne pouvait être
indifiërente pour elle-même à cette reprise de
couronne. N'avait-elle pas, malgré les adula-
tions officielles, souffert quelque humiliation
de n'avoir apporté en dot à son mari, ni terri-
toire, ni alliance, ni prestige? N'était-ce point
par fiction qu'on la considérait comme fille de
roi ? Cette campagne de la Succession de Po-
logne, qui bientôt embrasait l'Europe, n'avait-
elle pas pour raison secrète que l'épouse du
yGoogk
L'ABANDON. l6g
roi de France cessât d'être considérée par les
malveillants comme une «simple demoiselle»?
Elle n'avait ni demandé ni souhaité qu'on prit
les armes; on le faisait cependant, à cause
d'elle et de son mariage : «Je suis bien fâchée,
écrit-elle à Fleury en 1783, de ces vilains
bruits de guerre; elle m'aurait toujours fait
de la, peine, mais je vous avoue, mon cher
Cardinal, que celle-ci m'en faii encore davan-
tage, quand j'imagine que j'en suis cause,
quoique, à la vérité, innocente. » Le mal dé-
chaîné, elle aurait voulu qu'il servît les inté-
rêts de son père, qui en avaient été le prétexte,
et non pas les combinaisons compliquées du
ministre de Louis XV.
Les quatre-vingt-dix lettres écrites par Sta-
nislas à cette époque, et que la reine Marie
conserva dans ses papiers, montrent que le
roi de Pologne comptait pleinement sur elle
et la considérait un peu comme son chargé
d'affaires à Versailles. Le chiffre assez naïf et
les noms supposés dont ils se servaient pour
correspondre donnaient au père et à la fille
l'illusion que leurs lettres échappaient à la
police du Cardinal. Bientôt celui-ci s'en mon-
tra informé, et la Reine cessa d'y mettre
mystère. Elle n'avait, d'ailleurs, besoin d'au-
10
yGoogk
170 LOUIS XV ET BfARIE LEGZINSKA.
cun avis pour s'instruire de ce qu'elle avait
à faire. Son rôle tout tracé, et dont personne
ne pouvait lui faire un reproche, était de rap-
peler aux minisires des engagements pris au
nom du Roi et où son honneur était engagé
devant la Pologne et devant l'Europe. Elle
savait ménager les ombrages du Cardinal et
ses manies d'économie, qui semblèrent long-
temps la seule raison de son inaction ; mais
elle le stimulait à envoyer les subsides né-
cessaires, les secours tant de fois promis ; elle
s'entretenait en particulier avec le garde des
sceaux Chauvelin, le seul véritable homme
d'État du ministère, d'abord mieux disposé
que son chef et capable de s'intéresser aux
grandes choses.
Une mauvaise volonté cachée, et qu'elle ne
s'expliquait point, paralysait tous ses efforts.
Les appels de Stanislas à « la chère France »,
les supplications du marquis de Monti, en-
fermé avec lui à Danzig, et ses avertisse-
ments répétés, se heurtaient de plus en
plus à l'indifférence. Le dévoué ambassadeur
n'avait guère d'autre appui à la Cour que
celui de la Reine elle-même. On essayait de
tromper celle-ci, comme on trompait les
assiégés de là-bas, par mille raisons insoute-
yGoogk
L'ABANDON. I7I
nables ; le Cardinal affectait, par exemple, de
trembler devant la menace imaginaire des
représailles anglaises et s^'entendait avec Wal-
pole pour faire bloquer, par quelques vieux
bateaux, devant la rade de Brest, l'escadre
de Duguay-Trouin, toute prête, disait-il, à
partir pour la mer Baltique. Il annonçait, du
reste, de temps en temps, l'envoi des fameux
secours, et c'était six cents bommes sans mu-
nitions qui finissaient par arriver, alors qu'il
en aurait fallu dix mille.
Même avertie par les lettres continuelles
de son père, Marie n'était pas en état de dé-
brouiller les fils de cet inextricable tissu de
mensonge et de mauvais vouloir, qui consti-
tuait toute la politique polonaise du car-
dinal de Fleury . Si parfois elle en soupçonnait
la duplicité, elle n'eût pas osé le laisser voir;
mais elle affichait avec bravoure son admira-
tion pour les quelques Français d'audace et
de cœur, qui ne s'embarrassaient point de la
diplomatie du ministre et ne se souciaient
point de l'embarrasser. Ces vaillants, réduits
à des ressources misérables, isolés, aban-
donnés à l'autre bout de l'Europe, s'obsti-
naient à servir le rêve de leur reine et à
tenir la parole de leur roi.
yGoogk
172 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
Marie avait commenté passionnément les
messages de M. de Mont! ; elle avait envoyé
ses encouragements au comte de Plélo, l'am-
bassadeur à Copenhague, qm avait charge de
transmettre les secours à Stanislas et qui, le
sentant perdu, n'hésitait pas à lui porter sa
propre épée. On lisait avec enthousiasme chez
la Reine l'audacieuse lettre de ce gentil-
homme, écrite à Louis XV au moment de
s'embarquer pour Danzig avec une petite
troupe : (( Nous allons, Sire, secourir votre
beau-père ou mourir à la peine. Mais, si vous
voulez le sauver, il vous faut plus de troupes
et une plus forte escadre ; je suis un trop
fidèle sujet pour le dissimuler. »
Plus soldat que diplomate, M. de Plélo
avait commis par générosité une faute grave,
en quittant son poste sans ordre royal. Il lui
fallait réussir ou mourir, car il n'y avait pas
moyen de revenir. Le vieux Cardinal réprou-
vait cet excès de zèle et disait sèchement, de-
vant la Reine, que M. de Plélo hasardait sa
vie et sa fortune : ce Pour ce qui est de sa for-
tune, répondait-elle, je m'en charge, quoi
qu'il advienne. » Presque aussitôt arrivait la
nouvelle que Plélo, disparu au premier enga-
gement, avait été retrouvé deux jours plus
yGoogk
L'ABANDON. l-yS
tard, parmi les cadavres français, le visage
sabré, quinze coups de baïonnette dans le
corps, et la Reine pleurait comme un ami ce
Breton chevaleresque qui était allé à la mort
pour une idée, avec xm héroïsme à la polo-
naise.
Maintenant tout espoir était perdu de recou-
vrer ce trône tant disputé. Après d'anxieuses
semaines d'incertitude, Marie apprenait la
délivrance de son père, s'échappant de Danzîg
en fugitif et traversant les lignes ennemies
sous un accoutrement de paysan. Cette vie
chère était sauve ; mais l'insuccès de cette
longue campagne, à laquelle Stanislas s'obs-
tinait vainement, le chassait à jamais de son
royaume. Sept années de diplomatie occupées
à préparer son retour avaient été inutiles^.
L'influence de la France en Pologne était
morte pour longtemps ; l'Europe se moquait
du gendre autant que du beau-père, et se
vengeait par là des succès des armes françaises
en Italie et sur le Rhin. Seul, à Versailles, le
vieux Fleury était content. Ce dénouement
était son œuvre particulière. Son véritable des-
sein se réalisait ; il avait rendu définitivement
impossible toute influence de la Reine ; il
avait mis Stanislas à sa merci ; il se sentait,
lO.
yGoogk
174 LOUIS XV ET MARIE lEGZINSKA.
k cette heure, complèlement vengé de M. le
Duc.
Le beau-père du roi de France fut prié de
laisser aux seuls diplomates, et à ceux-là même
qui l'avaient trahi, le soin de tirer parti de
Téchec humiliant qu'il devait à leur abandon.
Ils s'en occupèrent au mieux des intérêts de
leur maître, et décidèrent de la destinée de
Stanislas. Le troisième traité de Vienne sti-
pida, comme on le sait, sous certaines condi-
tions bientôt remplies, que le duché de Lor-
raine serait cédé à Leczinski et ferait retour,
à sa mort, à la couronne de France, ce prince
n'ayant pas d'autre héritier que sa fille. Sta-
nislas fiit mis hors d'état de se plaindre. A
défaut d'un royaume deux fois perdu, il allait
avoir le gouvernement d'un magnifique pays,
l'agrément de tenir une cour et de s'y faire
aimer, le plaisir de visiter ses petits-enfants à
Versailles et de recevoir Voltaire à LunéviUe,
le loisir enfin de devenir un grand moraliste,
suivant la mode du siècle, et un « philosophe
couronné)).
Si Stanislas s'estimait dédommagé, la reine
Marie n'était pas moins satisfaite. Au soula-
gement de voir terminée cette longue crise
se joignaient la joie de garder ses parents
yGoogk
l'abandon. 175
auprès d'elle, l'espoir de les faire venir chaque
année à Versailles, et l'orgueil de penser que
Louis XV tiendrait un jour de son « chérissime
papa )) la pacifique possession d'une province
depuis tant de siècles désirée et disputée par la
France. Après les déceptions de la guerre de
Pologne, elle n'eût pas osé espérer un résultat
aussi glorieux pour elle. Venue au trône les
mains vides, elle n'aurait pas été inutile à
la couronne des lis : sa dot tardive égalerait
celle qu'avait apportée Anne de Bretagne, et
son fils hériterait, grâce à elle, d'un royaume
agrandi sans luttes nouvelles, où l'on béni-
rait le nom de Stanislas. Cette pensée allait
être d'un grand réconfort pour Marie, dans
les épreuves plus intimes et les désastres moins
réparables qui approchaient.
Au cours de ces années de guerre, où la
Reine a vécu dans les émotions et les inquié-
tudes, le Roi n'a pas paru un seul jour par-
tager ses sentiments. Il n'a jamais pesé d'une
parole sur les résolutions de ses ministres ;
il a pris sans doute aisément son parti de
l'abaissement de son beau-père, puisque le
succès de ses armes dans le reste de l'Europe
a suffi à la sauvegarde des intérêts de la
yGoogk
176 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
France. Il n'a pas prononcé un mot qu'on
pût interpréter comme désavouant, au fond
de son âme, la tortueuse politique de Fleury.
Il semble de plus en plus indolent, loin des
affaires, occupé de riens, tout à ses cuisines,
à ses confitures, à son tour, aux soupers qui
se font dans ses petits cabinets en revenant de
la chasse. Avec les joyeux c< marmousets »
dont il s'entoure, les Gesvres et les Épernon ,
ce ne sont que mangeailles et « crevailles » .
Le gouvernement n'a pas autant d'attraits
pour lui que les propos de médisance univer-
selle par lesquels, chaque matin, son valet
de chambre Bachelier lui conte les alcôves et
les coxdisses. Du reste, pour ce qui est des
affaires, le Cardinal lui demande, selon une
habitude prise dès longtemps, des décisions,
mais point d'avis. Par une rare souplesse de
caractère, habile à écarter les difficultés sans
les résoudre et toujours attentif à ménager la
paresse du souverain, le vieux ministre con-
serve sur lui son influence encore intacte. Ce
n'est que par une femme qu'elle pourrait un
jour être ruinée ; les jeunes ambitieux de la
Cour lé savent bien et attendent le moment
qui doit, par cette voie, leur livrer leur
maître.
yGoogk
L'ABANDON. I77
Voîci justement que les femmes commen-
cent à occuper son esprit et qu'il se plaît
davantage en leur compagnie. Il les rencontre
peu dans le cercle de la Reine, où il ne pa-
raît presque jamais, mais il en trouve chez la
comtesse de Toulouse, dont l'appartement
de Versailles, au rez-de-chaussée, commu-
nique avec le sien par un escalier intérieur,
et où il prend l'usage d'aller chaque jour. La
comtesse, épouse d'un prince légitimé et quel-
que chose comme grand'tante du Roi, est xme
beauté déjà mûre et d'expérience, qui aime
s'escorter de beautés plus jeunes. Chez elle
comme partout Louis XV reste taciturne et
timide; mais on sent déjà en lui, au soin qu'il
niet à ne pas déplaire, l'éveil d'un goût pour
les plaisirs de la société. Ces habitudes nou-
velles, sans prédisposer nécessairement aux
galanteries, en ouvrent du moins la route.
Aux facilités qui l'entourent, aux encoura-
gements qu'il reçoit, il est à penser que le
Roi, s'il avait moins grand'peur de l'enfer,
aurait imité depuis longtemps ses jeunes
compagnons et choisi une maîtresse.
Songe-t-elle à lui en donner une, la bonne
comtesse de Toulouse, la plus honnête femme
du monde en son privé et qui va de plus en
yGoogk
178 LOUIS XV ET MARIB LEGZINSKA.
plus incKner vers la piété ? On assure de taxxs
côtés qu'une telle recherche est son plus pres-
sant souci ; mais les langues méchantes n'ont
jamais été pires qu'à cette époque, et il n'ap-
paraît nullement que ce vilain métier soit de
son goût. Si le Roi délaisse la Reine, cette
lassitude naturelle ne saurait être imputée à.
d'autres. Il n'est pas étonnant que madame
de Toulouse s'émeuve de son ennui : elle
s'estime fière de parvenir à l'en distraire, de
l'attacher par l'agrément de son salon, par
son esprit des plus vifs et toujours de bonne
grâce, par sa beauté aussi, qui garde des
restes assez majestueux, et par ses yeux un
peu durs de brune, qui savent cependant
caresser. Elle est Noailles et fut, en premières
noces, simple marquise. L'amour l'a faite
princesse : elle a été épousée, après une lon-
gue cour et n'étant plus toute jeune, par un
fils de Louis XIV et de madame de Montespan.
Il n'y a pas en France de foyer plus uni, plus
édifiant, plus dévoué à l'éducation d'un fils
unique, le duc de Penthièvre. Mais le trait
particulier de la comtesse de Toulouse, c'est
qu'elle aime gouverner les affaires et les hom-
mes, mener chacun où il lui plaît, soutenir
des ambitions et se faire des créatures • Le
yGoogk
L'ABANDON.
179
i\oi errait, âme en peine, ennuyé d'une trop
parfaite épouse, un peu effarouché cependant
par les plaisirs vulgaires et excessifs que lui
proposaient les débauchés de son entou-
rage ; la comtesse de Toulouse s'est trouvée
à point pour lui offrir l'aimable cercle qui
lui manquait ; elle compte simplement s'en
récompenser , outre l'honneur qu'elle en
éprouve, par quelques menus avantages de
faveur.
C'est à Rambouillet surtout que l'intimité est
étroite. Louis XV vient souvent passer deux
ou trois jours dans cette résidence, si voisine
de Versailles, et dont le comte de Toulouse
a mis la somptuosité renouvelée d'accord avec
sa grande fortune. Ce n'est pas seulement la
chasse qui attire le Roi, bien que l'immense
parc soit abondamment pourvu de bêtes fauves;
Rambouillet est aussi le seul endroit où il se
sente tout à fart à l'aise. Il ne vient pas chez
des sujets, mais chez de tendxes amis, qui
s'efforcent uniquement à lui rendre plaisants
ses petits séjours. 11 y rencontre des courti-
sans choisis, dont quelques-uns sont âgés et
ont la politesse de l'ancienne Cour, et des
dames toujours très peu nombreuses. Les
hommes qui veident aller à Rambouillet se
yGoogk
l80 LOUIS XV ET MARIE LBGZINSKA.
font inscrire chez le Premier gentilhomme ;
pour les femmes, c'est madame de Toulouse
qui les nomme, choisissant celles qui sont
agréables au Roi. Les repas sont de la meil-
leure chère, le jeu animé, les propos discrets
et souriants. La conversation enjouée de la
comtesse charme extrêmement le Roi. 11 y
apprend mainte anecdote historique, qu'il
aimera répéter plus tard, et cette généalogie
des grandes familles du royaume qu'il fixera
dans son imperturbable mémoire.
Après le souper se tient ce que la Cour
appelle «le petit conseil secret du Roi». Ce
sont des causeries à trois ou bien à quatre, si
Mademoiselle de Charolais est au château, où
il est beaucoup plus question d'intérêts parti-
culiers que d'affaires publiques, mais qui
n'en ont pas moins leur importance. Le car-
dinal deFleury ne prend aucun ombrage de ce
« petit conseil » et ne se fatigue même point
à faire le voyage de Rambouillet ; il est tout
a fait sûr de la maison oii il laisse son élève
aller sans lui, car rien ne s'y décide ou ne s'y
prépare sans qu'il en soit loyalement averti.
Le comte de Toulouse est son ami, et la com-
tesse a trop besoin de le ménager, au sujet
de tant d'affaires qui l'intéressent, pour ne
yGoogk
L'ABANDON. l8l
pas se mettre d'accord avec lui sur toutes
choses. Cet accord même augmente en un
pareil milieu la confiance du Roi, et l'engage
à se livrer plus qu'ailleurs. La châtelaine de
Rambouillet pourrait aisément abuser de ces
privilèges ; mais elle a assez de prudence pour
se contenter d'être, à cette date, après le mi-
nistre, la première personne dans l'État.
Une autre femme, plus remuante, d'une
ambition plus inquiète et moins mesurée,
partage avec la comtesse de Toulouse la fami-
liarité du Roi. C'est une des sœurs de M. le
Duc, cette Mademoiselle de Charolais, qui
vient d'obtenir de Sa Majesté, par acte offi-
ciel, ce titre éminent et unique de « Made-
moiselle )) réservé jusqu'à présent à la fille
aînée du frère du Roi. Chacun connaît son
portrait en cordelier, qui lui vaut le plus joli
madrigal de Voltaire et qu'elle offre volon-
tiers en don sur des tabatières. L'esprit aven-
tureux de Mademoiselle et sa beauté hardie
lui donnent sur Louis XV un ascendant tout
autre que celui de la bonne comtesse, d'ail-
leurs plus âgée qu'elle de sept ans. Elle étonne
le Roi et le domine par ses façons cavalières
et sans respect, et son mépris absolu des con-
venances, en même temps qu'elle l'amuse par
yGoogk
l83 LOUIS XT ET MARtE LEGZINS&A.
une verve souvent railleuse et de la plus vive
tradition française.
La comtesse de Toulouse, alors son intime
amie, ferme ses charitables yeux sur les écarts
d'une jeunesse, qui s'est débridée au pire
moment de la Régence et dure encore à la
quarantaine. L'intérêt des deux femmes est
de suffire ensemble au Roi par les distractions
diverses qu'elles lui donnent, et d'accaparer
tout le crédit en se le partageant à l'amiable.
C'est un jeu aisé à mener, jusqu'à l'inévitable
brouille, et pour lequel elles s'entendront assez
longtemps. Mais Mademoiselle de Charolais
dispose de ressources bien plus variées que la
mère du duc de Penthièvre, car elle manque
de scrupule sur le choix de ses moyens. Quel-
qu'un qui suit ses manèges la peint en trois
paroles : ce Mademoiselle eût été receleuse, vo-
leuse ou bouquetière, si elle était née parmi
le peuple- » En telle compagnie et avec de tels
exemples, n'est-ce pas merveille que le Roi
Boit resté si longtemps époux fidèle.^
Mademoiselle est de ces femmes qui ne vi-
vent que pour l'intrigue amoureuse, la leur
ou celle de leurs amis. Elle corromprait le
Roi pour le plaisir de le faire, n'en servît-
elle point son ambition^ toujours éveillée, de
yGoogk
L'ABANDON. l83
jouer un rôle. Celui qui lui est d'abord réservé
u'a rijen de fort honorable, même en ce siècle
indulgent, et les contemporains usent de mots
vigoureux pour le désigner ; mais cette fonc-
tion de conseillère, personne à la Cour n'est
mieu^ qualifié qu'elle pour la remplir. Bache-
lier lui-même, qui fait le philosophe et vou-
drait élever son office de chambre à la haute
politique, au bénéfice de son ami Chauvelin,
l'inx^omparable Bachelier, que Lebel ne sur-
passera point, est obligé de subordonner ses
vues à l'expérience de la princesse. Nul n'est
expert comme elle à composer une partie fine,
à jeter dans un souper la libre chronique du
temps et cette sorte de propos où excelle
Voltaire en ses contes et qui insinue le plaisir
avec une pointe d'irréligion.
Ces* une grande commodité pour les pro-
jets de Mademoiselle que son château de
Madrid voisine, à travers le bois de Boulogne,
avec la maison royale de la Meutte ( la Muette),
où le Boi va coucher au moins une fois par
semaine. £!es soupers du bois finissent par
exiciter les soupçons de Fleury, qui n'entend
pas que le Roi se compromette dans une inti-
mité suspecte, ni qu'il y dépense avec excès
l'argent de l'État. Un billet assez piquant de
yGoogk
l84 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
la princesse au Cardinal semble répondre à
cette double inquiétude : « Je vais à Madrid,
écriir-elle, d'où nous avons l'honneur de sou-
per dans le voisinage. En vérité jamais partie
fine n'a été plus nombreuse et plus modeste.
Nous serons une trentaine à table ; ensuite les
hommes couchent à la Meutte et les femmes
à Madrid. )>
Sontrils aussi inofiensifs que Mademoiselle
veut bien l'assurer, ces soupers de la Meutte,
où Ton boit toujours plus que de raison, où
Cornus et Bacchus, comme on dit alors, ren-
dent favorable la déesse de Cythère, où le Roi
lui-même, dans l'excitation du vin de Cham-
pagne, laisse échapper des paroles singulières P
Un soir (on prétend que c'est en 1782), il y
a deux tables servies, chacune de douze con-
vives, et comme l'on cause assez librement
des femmes de la Cour, de leur réputation et
de leurs charmes, le Roi lève son verre et
porte une santé mystérieuse : A ^inconnue!
dit-il. La santé bue à sa table, il envoie dire
à l'autre table de la boire aussi. Cette insis-
tance permet aux assistants de rechercher en
sa présence à quelle dame il a songé.'
On met aux voix celles qui semblent le plus
désignées. Trois noms se répartissent les
yGoogk
L'ABANDON. l85
joyeux suffrages : madame la Duchesse la jeune,
mademoiselle de Beaujolais et madame de
Lauraguais, parue tout nouvellement à la
Cour. Le Roi se refuse à trancher le débat ;
mais le propos qu'il a tenu et la liberté qui
l'a suivi donnent beaucoup à penser et font
connaître à tout le monde que sa vertu est à
la merci d'ime occasion.
L'occasion se produit, ou plutôt on la fait
naître, au cours de lySS, Tannée même du
départ du roi Stanislas. On le sait par le duc
de Luynes, qui dit l'avoir apprise de manière
à n'en pouvoir douter » ; les autres journaux
de l'époque ne font pas commencer la liaison
de Louis XV avant l'hiver de 1786. C'est que
le secret royal est bien gardé et ignoré entiè-
rement de la Cour pendant des années. Rîen
ne paraît changé dans les rapports du Roi
avec la Reine, que semblent occuper et satis-
faire de régulières maternités ; c'est cependant
la Reine elle-même qui va nous fournir, par
un témoignage inattendu, la confirmation du
renseignement de M. de Luynes et la preuve
qu'il n'a point été trompé.
Parmi les lettres inédites de Stanislas à
Marie, où Louis XV n'est presque jamais
yGoogk
l86 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
nommé, il en est une, du 3 janvier I734> où
se trouve une mention bien certaine des pre-
mières infidélités. Dans cette «écriture conti-
nuelle D qu'elle adresse à son père et (pi'il la
supplie de ne pas ajouter aux fatigues d'une
grossesse, Marie a laissé échapper une fois
Taveu de son chagrin le plus intime, et le
père répond à cette confidence, qui est du
mois de décembre 1783, par la phrase sui-
vante, partie en polonais, partie en chiffres,
une des plus mystérieuses de toute leur cor-
respondance : « Ce que vous me mandez
de la constance du Roi, sans espérance de
changement, me désole. Cependant, je crois
que les circonstances présentes, si le bon Dieu
les donne heureuses, pourront le ramener. »
Stanislas se plaît à espérer que la joie de la
naissance d'un prince (ce fut Madame Sophie)
rétablira le bonheur conjugal de sa fille*;
mais il faut bien constater déjà Tinconstance
du Roi et aussi la tristesse de la pauvre Marie,
d'autant plus profonde qu'elle est plus cachée.
Son amour toujours anxieux lui a ouvert les
yeux la première et, tandis que la Cour en
est encore aux soupçons, elle seule, à des
indices qui ne trompent point, a deviné les
premières fautes du Roi et compris qu'il
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L'ABANDON. 187
n'y a plus d'espoir qu'il lui revienne sans
partage.
Ni l'épouse, ni aucune personne, en dehors
des initiés nécessaires, ne se doutent que la
complice du Roi est aussi voisine que posH-
sible de la Reine et qu'elle appartient même
a son service. Entre tant de femmes qui ont
paru retenir l'attention du Roi ou qui Font
même sollicitée, on n'a point remarqué la
jeune comtesse de Mailly, fille aînée du mar*-
quis de Nesle. Mariée en 1726, à seize ans, à
un oncle à la mode de Bretagne, lieutenant des
gendarmes écossais, elle est devenue dame du
palais de la Reine, eu 1729, à la mort de sa
mère, la marquis^e de Mailly-Nesle ; sa nais*-
sance et sa place à la Cour lui ont dès lors
donné accès auprès du Roi et droit à tous les
voyages. Plus tard seulement, on rapprochera
les uns des autres de petits faits, demeurés
inaperçus, et l'on se rappellera combien fré-^
quemment madame de Mailly a été des par«
ties de Mademoiselle,
On disait alors que sa conversation spiri-
tuelle était particulièrement agréable à Sa
Majesté; mais ses charmes ne semblaient
point destinés à une aussi glorieuse conquête.
La réserve du Roi et la tenue modeste de
yGoogk
l88 LOUIS XV ET MARIE LEGZINS&A.
la dame distinguée par lui ont trompé les
yeux les plus exercés par métier, ceux des
courtisans en quête d'intrigue. Louis XY
aime madame de Mailly et en est aimé ; leur
inclination sincère, quoique préparée par des
soins corrupteurs, a eu besoin, pour se déve-
lopper, d'un mystère qui en assaisonnât les
plaisirs. Les habiles gens qui s'en sont mêlés
n'ont point manqué d'épaissir cette ombre et
de la rendre à peu près impossible à pé-
nétrer.
Les hésitations du Roi leur en ayant laissé
le temps. Mademoiselle, Bachelier et la maré-
chale d'Estrées, qui prêta son concours, ont
fait le choix le plus avisé. Leur dessein a été
soigneusement établi et non moins calculé que
celui qui amena jadis le mariage de la Reine.
Ils savaient qu'une jeune femme, belle et am-
bitieuse, s'emparant pour la première fois du
cœur et des sens du Roi, aurait pu rompre
leurs calculs et garder pour elle l'influence
dont ils comptaient se servir. Avec madame
de Mailly, âme afiectueuse et de caractère
désintéressé, ils n'ont rien à craindre de sem-
blable. On lui a fait promettre, paraît-il, c< de
s'en tenir aux seuls honneurs du mouchoir »
et de ne rien tenter sans l'avis a des personnes
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L'ABANDON. 189
qu'elle sait avoir la confiance et l'estime du
Roi )) . Singulier engagement, que nulle autre des
femmes de la Cour qui aspirent à être élues
ne serait capable de tenir avec bonne foi.
Madame de Mailly met dans son amour
plus de sentiment que de vanité, sans aucune
vue d'avidité personnelle. Son esprit, qui est
aimable, son humeur, qui est égale, sa dou-
ceur caressante suffisent à retenir le Roi;
mais elle n'a ni assez de beauté, ni assez d'in-
trigue pour être sûre d'un absolu pouvoir.
«Elle a, dit un contemporain, le visage long,
le nez de même, le front grand et élevé, les
joues un peu plates, la bouche grande, le
teint plus brun que blanc, deux grands yeux
assez beaux, fort vifs, mais dont le regard
est un peu dur. Le son de sa voîx est rude,
sa gorge et ses bras laids. Elle passe pour
avoir la jambe fine, beauté que peut-être elle
doit à sa maigreur. Elle est grande, marche
d'un air assez délibéré; mais elle n'a ni grâce,
ni noblesse, quoiqu'elle se mette d'un très
grand goût et avec un art infini, talent qui lui
est particulier, et que les femmes de la Cour
ont tâché en vain d'imiter. » S'il est vrai que
la Sainte Madeleine de Nattier soit le portrait
de madame de Mailly, on y retrouve tous ces
yGoogk
IQO LOUIS XY ET MARIB LEGZINSK.A.
traits physiques, que notre chroniqueur u'ii
point flattés.
Élevé dans la réserve religieuse et dans la
peur de la femme, Louis XV devait être de
ceux que l'extrême heauté n'est point sand
troubler, mais attire moins qu'elle n'intimide.
Une personne comme madame de Mailly pou-
vait mieux qu'une autre lui faciliter le pre-
mier pas. Le choix qu'on fit pour lui indique
chez ses « conseillers d une connaissance fort
juste des hommes. Pour le rendre définitif et
prévenir les oppositions, Mademoiselle songea
à s'assurer l'aveu, au moins tacite, du Cardi-
nal. Il ne fut pas aussi facile qu'on le prétend
d'y résoudre le vieillard, car il s'agissait, en
somme, de ruiner l'éducation stricte qu'il
avait donnée à son élève. Une brouille du
ministre avec le Roi, qui date précisément du
mois de septembre 1788 et que marque une
retraite de dix jours à Issy, semble indiquer
le moment où la chose fâcheuse lui fût tévélée.
Il dut protester, peut-être pour la forme, et il
est sûr qu'il crut de son devoir d'apporter
des consolations à la Reine, tout comme il
eût présenté des condoléances. Mais ses scru-
pules ne tinrent pas longtetnps devant les
yGoogk
L'ABANDON.
191
raisons soumises à son discernement de vieux
casuiste.
L'ouvrage fait par d'autres et la faute accom-
plie sans qu'il en fût responsable, il ne pou-
vait qu'être entièrement favorable à la per-
sonne qui en avait profité selon la morale du
siècle. Aucune ne devait lui porter moins
d'ombrage, en tant que ministre, ni causer
autour du Roi moins de scandale. Puisque
aussi bien le mal était inévitable, il fallait
se féliciter qu'il fût ainsi limité. Plus tard,
lorsqu'on voudra donner au Roi une autre
maîtresse, infiniment plus dangereuse, celle
qui sera madame de Châteauroux, l'ancien
précepteur fera des confidences sur le passé
à la duchesse de Brancas: « Ahl si vous
saviez combien il était nécessaire que madame
de Mailly eût le cœur du Roi, combien il
serait funeste de le lui enlever, combien il
faut le lui conserver, combien la maréchale
(d'Estrées) eut raison, tout coupable que cela
soit aux yeux de Dieu, de préparer cet enga-
gement et le former I Je tiens sans doute un
étrange langage pour un prêtre ; mais la cour
de Louis XIV, celle de Louis XV ressemblent
ttop peu à celle de saint Louis. Le Roi com-
mençait à craindre la Reine; elle avait été
yGoogk
iga LOUIS XY et marie legzinska.
livrée aux intrigues de M. le Duc et de madame
de Prie. Le Roi pouvait se perdre par un
mauvais choix ; il n'y en avait qu'un bon qui
pût le sauver. Si vous saviez combien j'ai
gémi aux pieds de cette croix... combien j'ai
maudit mon pouvoir, sans puissance sur le
cœur du Roil Le Roi a du moins les vertus
de madame de Mailly, laissons-les-lui. Je n'ai
plus qu'un moment à vivre; mais voir le Roi,
que Louis XIV m'a confié, trahir ses dernières
espérances I Je ne le verrai point sans punir
les corrupteurs de sa jeunesse I » Madame de
Brancas, qui rapporte ces propos, non sans
malice, assure qu'elle sortit de chez Fleury,
ayant vu Tartufe cardinal et premier ministre.
La conscience compliquée du personnage
admettait peut-être une grande pari de sincé-
rité. Il est seulement fâcheux pour sa mémoire
qu'on ne lui trouve de colère contre les cor-
rupteurs du Roi qu'à l'heure où ils alarment
sa tranquillité.
Il est certain que le cardinal de Fleury,
s'il n'approuva pas la liaison du Roi, en
approuva du moins le choix, que plus tard il
ne s'opposa point à ce qu'elle fût déclarée, et
qu'il entretint, par l'entremise de Mademoi-
selle de Charolais, un commerce de bonne
yGoogk
L'ABANDON. ig3
entente avec la maltresse. S'il en fallait une
preuve, un petit document, postérieur il est
vrai à la déclaration, la fournirait. C'est encore
un billet griffonné par Mademoiselle au Car-
dinal pour le remercier des faveurs accordées
à une sœur de madame de Mailly, qui va
épouser M. de Vintimille, petit-neveu de
l'archevêque de Paris. Ces faveurs, arrachées
à la lésinerie du ministre, sont considérables :
le Roi donne à la nouvelle mariée deux cent
mille livres d'argent comptant, un apparte-
ment à Versailles et six mille livres de pen-
sion, en al tendant une place de dame dans
la maison qu'on fera un jour à la Dauphine.
Mademoiselle, qui a mené tout cela, écrit à
Fleury : ce Ce lundi au soir. — Je n'ai jamais
vu une si grande joie et tant de reconnais-
sance. Madame de Mailly m'a priée de vous
faire ses remerciements et de vous dire que
c'était à vous quelle devait la fortune de sa
sœur. Elle n'ose pas aller chez Votre Émi-
nence. Je lui ai dit qu'elle ferait mal d'y aller
et que vous ne vouliez rien savoir. Elle gar-
dera le secret et je me conformerai en tout k
ce que vous m'avez dit. Je vous remercie
encore de cette affaire. Tout ce qui marque
votre amitié me touche au delà de ce que je
yGoogk
194 LOUI8 XV ET MARIB LEGZINSK.A.
puis dire. Je m'acquitte d'une commission et
ne veux point de l'éponse. x>
L'ardeur qu'a mise madame de Mailly à
fixer sa sœur à Versailles peut paraître naïve,
quand on sait que madame de Vintimille va
devenir, à son tour et sans tarder, la maî-
tresse du Roi ; quant à ce billet de princesse
à ministre, il dit en peu de mots, sur ces
choses de cour, plus qu'il ne semble.
Les débuts de Louis XV dans l'adultère ont
gardé un caractère qui frappe l'observateur .
un peu attentif. Pendant plusieurs années, sa
liaison ne fut ni définitive, ni sans remords.
Elle subit des scrupules et des ruptures,
comme en eut quelque temps la tendresse du
grand Louis pour cette La Vallière, à qui l'on
est tenté de comparer madame de Mailly. La
loi religieuse arrête, à des dates déterminées,
avec son inflexible rigueur, l'essor des passions
coupables. On ne peut oublier que le Roi
communie au moins à Pâques et remplit
ses devoirs de catholique dans leur intégrités
Minutieux ainsi qu'il le sera toujours dans
l'accomplissement des pratiques, des jeûnes ^
des abstinences, il n'est point de ceux qui
ignorent les conditions du repentir ou qui se
yGoogk
L'ABANDON, igS
permettent de les enfreindre, an risque de
leur salut éternel. Il faut donc qu'il fasse
un effort loyal vers le changement, de sa yie
et (ju'il s'essaie de bonne foi à rompre les
liens qui renchainent. Au nom de pouvoirs
supérieurs aux rois, le moins que puisse exi-
ger le confesseur pour l'absoudre, c'est qu'il
reprenne avec la Reine la vie conjugale. On
le voit, en effet, rentrer dans le droit chemin
aux approches des saintes semaines et il cher-
che alors à se corriger avec une sincérité que
rien n'autorise à mettre en doute.
Avant Noël 1787, par exemple, après avoir
délaissé la Reine pendant huit mois, c'est-à-
dire presque depuis Pâques, il vient passer
auprès d'elle les nuits du 22 et du 28 décem-
bre ; c'est qu'il doit faire ses dévotions à la
grande fête et qu'il n'y serait point admis
sans cette preuve de son repentir. Au reste,
toute lutte est courte en une âme aussi molle,
et ce réveil religieux de Noël sera le dernier.
Tombé malade avant de communier, le Roi
a renoncé à le faire ensuite. Sa rechute dans
le péché n'a point tardé. Le l4 janvier, dès
son rétablissement, il va pour la première
fois souper publiquement chez madame de
Mailly, dans son appartement de l'aile neuve.
yGoogk
ig6 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
La maîtresse a plaidé, une fois de plus et trop
éloquemment, la cause de sa passion. Son
amant, du moins, n'ira pas jusqu'à l'hypo-
crisie : à Pâques suivant, au grand scandale
des dévots de la Cour et de la plupart de ses
sujets, le Roi Très-Chrélien, le fils aîné de
l'Eglise, renonce pour la première fois à la
communion pascale. N'étant point en état de
grâce, il ne saurait guérir les écrouelles, et
les malades, réunis à Versailles, le samedi
saint, doivent s'en retourner chez eux sans
avoir été touchés. On donne pour prétexte
une incommodité du Roi ; mais la situation
est claire : il n'a point voulu se confesser, ou
le confesseur lui a refusé l'absolution.
Sur la foi d'anecdotes de basse antichambre
et de récits malveillants toujours répétés, on
a rendu Marie Leczinska responsable du chan-
gement de conduite de Louis XV, par des
maladresses féminines et des répugnances
au devoir conjugal. L'explication, vraie pour
tant d'autres, n'est pas suffisante en ce
cas illustre. Certes, la reine Marie, tou-
jours intimidée auprès de son maître, n'a-
vait rien pour se défendre contre les dangers
de sa situation. Il lui eût été difficile d'éloi-
yGoogk
L'ABANDON. I97
gner toujours de l'époux les trop vives séduc-
tions du plaisir illicite ; mais l'acte même du
détachement n'est point du fait de la Reine et
il y aurait injustice à lui en imputer les con-
séquences. EUe souffrait sans doute, quand le
Roi lui apportait, de ses soupers, l'odeur et le
trouble du Champagne ; elle considérait alors
que la sainteté du mariage était mal comprise
par le compagnon de sa vie ; mais elle ne se
fût jamais permis de le lui reprocher. Elle
a, pu, d'autre part, imposer quelques trêves
aux impatiences du Roi, sur l'ordre d'une
Faculté trop méticuleuse ; mais jusqu'à la fin,
et sans relâche, elle demeura désireuse de
maternité. Les commérages du temps, sans
excepter ceux de d'Argenson, interprètent fort
mal les sentiments de la Reine sur ce point,
et lui prêtent des mots ou même des jeux de
mots que démentent ses lettres ses paroles
et toute sa vie. Pour l'histoire, cherchant à
se renseigner à des sources plus sérieuses, les
témoignages, qui manquent souvent en ma-
tière aussi délicate, se trouvent en nombre
dans le Journal du duc de Luynes.
La séparation vint d'une exigence de la
Faculté de la Reine, dont les démêlés avec la
Faculté du Roi avaient plus d'une fois, paraît-
yGoogk
198 LOUIS XY ET MARIB LEGZINSS.A.
il, aggravé les choses. En 1738, la première
eut définitivement gain de cause, en des cir-
constances dont il est possible de reconstituer
la suite. Le Roi «sait alors d'une nouveUe
chambre à coucher, celle qui existe encore à
Versailles, qu'il avait fait faire à rintérieul*
de son appartement privé; elle était de di-
mensions plus commodes que la vaste chambre
de Louis XIV, dont Louis XV avait dû jus^
que-là se contenter, en y grelottant et s'y
enrhumant pendant les froids, et qui ne ser-
vait plus qu'aux leverSy aux couchers et aux
autres usages d'étiquette. La petite chambre
était plus facile à chauffer l'hiver, plus facile
aussi à quitter, sans être vu* en toute saison^
Le 30 mai, lendemain de la Pentecôte, le Roi
traversa l'Œil-de-Bœuf après son coucher et
vint chez la Reine, ce qu'il n'avait point
encore fait de l'année et ce qui ne devait plus
se renouveler.
Quelques semaines après, il partait pour
Gompiègne, laissant, comme d^ordinaire, la
Reine à Versailles : « Elle croyait être grosse,
raconte M. de Luynes, et avait mandé au
Roi l'état où elle se trouvait. Elle alla souper
chez madame de Mazarin, à uûe petite maison
au haut de la montagne de Saint-Cloud, que
yGoogk
L'ABANDON. I99
l'on appelle Montretout. Elle n'en revint qu'à
la pointe du jour, ^ . . n'étant {)oint accoutumée
de ae coucher si tard. La nuit même, il lui
arriva un accident qm prouvait qu'elle n'était
plus grosse et qu'elle s'était blessée ; elle n'osa
pas en parler ni le mander au Roi, de peur
que son voyage de Montretout ne fût désap-
prouvé ; elle lui manda seulement que les
soupçons de grossesse avaient disparu. Elle
se leva et alla comme à l'ordinaire ; cette con-
duite fut suivie d'abord d'une perte de sang
et ensuite d'un dérangement qui dura quelque
temps. Dans cet état, Perrat lui déclara que,
si elle redevenait grosse dans ce moment, elle
ne porterait jamais son enfant à bien. Ce fut
là l'occasion des difficultés qui furent faites
au Roi à son retour de Compiègne ; on voit
qu'elles étaient fondées. »
Quant aux sentiments intimes de la Reine,
un autre récit, recueilli l'année précédente par
le même auteur, est tout à fait significatif.
Il s'agit de la naissance de Madame Louise.
D'après la légende, Louis XV, espérant un
garçon et de fort méchante humeur, aurait
nommé brusquement Marfa/ne Dernière celle qui
le fut en efiet. La réalité fut tout autre. C'était
le a6 juillet 1787 : le Roi, resté auprès de
yGoogk
200 LOUIS XY ET MARIE LECZINSKA.
la Reine pendant ses douleurs, avait embrassé
a main qu'elle lui tendait ; immédiatement
après être accouchée, ayant su que c'était une
fille, elle le pria d'approcher et lui dit : ce Je
voudrais souffrir encore autant et vous don-
ner un duc d'Anjou. » Le Roi l'exhorta à se
tranquilliser. Ce tendre appel de l'épouse, si
touchant et si sincère, a été entendu par la
duchesse de Luynes, dame d'honneur, qui n'a
point quitté son chevet. Pourquoi semble-
i-on ignorer son témoignage, éloquent à sa
date, qui, dans une de ces heures où se livre
le plus profond de l'être humain, révèle l'en-
tière pensée de la Reine ? Le désir de rem-
placer le fils qu'elle a perdu n'a pas un ins-
tant quitté son cœur et, jusqu'à l'abandon
définitif, elle a appelé de toute son âme un
autre duc d'Anjou. Il n'est donc pas soute-
nable qu'elle se soit dérobée de façon quel-
conque à son devoir, ni se soit jamais
montrée lasse de l'œuvre de maternité.
C'est en 1788 que la faveur de madame de
Mailly commence à devenir évidente. Peuiron
penser que le Roi, ne devant plus revenir à
la Reine, se considère comme délié des égards
qu'il a scrupuleusement gardés jusqu'alors?
yGoogk
L'ABANDON, 20I
On aime mieux croire que c'est à son insu
que le secret est devenu un scandale et qu'il
•y a du vrai dans une anecdote bien connue ;
un soir que la maîtresse se glisse, voilée selon
l'ordinaire, dans les petits appartements. Ba-
chelier, voulant brusqueries choses, entr'ouvre
comme par mégarde son capuchon et la laisse
reconnaître à deux dames. Quoi qu'il en soit,
au mois de juillet, le duc de Luynes se décide
à mettre en son Journal, non point la brutale
assurance de la liaison du Roi, mais des phrases
enveloppées et prudentes qui la supposent
vraisemblable. L'avocat Barbier dit que
c( la chose est publique » ; d'Argenson sait
depuis longtemps que Chauvelin a fourni « la
petite Mailly » d'appointements sur des fonds
secrets, tandis que Luynes en est encore à
remarquer des soupers dans les cabinets ou
chez Mademoiselle. Il note seulement que ces
soupers se font plus ostensiblement et durent
jusqu'au matin ; le Roi quitte alors ses cabi-
nets intérieurs, oii nul indiscret ne pénètre,
et se couche quelquefois après six heures,
non sans avoir entendu la messe.
Au souper du 3 juillet, chez Mademoiselle,
il y eut le prince de Dombes, MM. du Bor-
dage, de Soubise, deChalais, le petit Goigny,
yGoogk
209 LOUIS XV ET IIARtB LEGZITfSKA.
amî de la princesse, ainsi que mesdames de
Beuvron, de Maîlly et d'Antin. Madame de
Mailly était de semaine comme dame du palais :
(( Elle resta au souper avec la Reine, raconte
M. de Luynes, quoique la Reine, par bonté,
eût voulu bien des fois la renvoyer, pour ne
la pas faire rester si longtemps debout. Ma-
dame de Mailly n'arriva au souper que trois
quarts d'beure après qu'on se fut mis à table. . .
Ces soupers ont donné occasion de renouveler
les discours qui se tiennent depuis si long-
temps. On a peine à concilier ces idées avec
ce que nous voyons de piété, régularité et
attentions édifiantes. Il faut un peu plus de
temps pour juger si ces discours ont quelque
fondement. Quelques gens ont remarqué que
Ton ne pouvait pas nommer le nom de la
personne de qui il est question, devant le Roi,
sans qu'il rougit, et l'on dit qu'aujourd'hui
le Roi la nomme lui-même sans embarras. »
A ce moment, Louis XV, allant à Com-
piègne, a projeté de s'arrêter quelques jours
à Chantilly. « 11 y a une dame, dit encore
M. de Luynes, qui a fait ce qu'elle a pu pour
y aller, et elle a été refusée par M. le Duc. »
En rayant le nom de cette dame « qui n'est
nullement liée avec lui », le seigneur de Chan-
yGoogk
L'ABAIVDOIf. 2o3
tîUy a fait une chose toute naturelle, « M, le
Duc ne devant point ajouter foi aux discours
du public, ni, quand il y ajouterait foi, les
regarder comme une raison pour prier de
venir chez lui une personne qu'il connaît
peu. y^ N'est-ce point là, en même temps, une
petite revanche, irréprochable dans les formes,
que prend sur. son maître, à son tour en
pos^ion fausse, l'amant disgracié jadis de
madame de Prie ?
C'est peut-être son échec pour Chantilly
qui donne à madame de Mailly le désir d'être
avouée comme maîtresse et d'obtenir cette
déclaration publique qui, par un renversement
assez curieux des idées morales du temps, lui
épargnera désormais les humiliations. U est
facile de forcer la main au Roi, et les séjours
de Compiègne et de Fontainebleau sont excel-
lents pour ce dessein, par la liberté qu'ils au-
torisent. « On continue à Compiègne, écrit
M.* de Luynes, les mêmes propos que l'on a
tenus ici sur la même personne » ; et le duc
consigne avec soin tous les indices qui lui
sont rapportés pendant les voyages, la fami-
liarité parfois choquante de cette dame quand
elle joue avec le Roi, l'abandon d'un appar-
tement à Fontainebleau que lui fait la ma-
yGoogk
2o4 LOUIS XY ET MAKIE LEGZINSKA.
réchale d'Estrées, sa présence à une chasse
royale, seule dame dans la calèche de Made-
moiselle, enfin ses paroles à l'oreille de la
comtesse de Toulouse, qui est décidément
dans la confidence. Il semble que Fhonnête
courtisan, très attaché à Marie Leczinska, se
refuse à admettre l'outrage public fait à sa
souveraine et qu'il ait besoin, pour être con-
vaincu, de vingt fois plus de preuves qu*il
n'en faut à l'opinion.
Cependant madame de Mailly s'irrite de
l'attitude des autres dames de la Reine, sur-
tout pendant les semaines où eUe fait son
service. Elle a tout le monde contre elle, les
vertueuses et les jalouses, celles-ci surtout,
qui ne sauraient lui pardonner d'avoir été
choisie. Madame de Mailly répond aigrement
et le prend avec toutes sur le ton hautain.
A mesure qu'elle devient moins respectable,
elle veut, comme il est naturel, être davantage
respectée. Peu lui importe qu'on sache sa
pauvreté, que ses chemises s'éliment et se
trouent, que sa femme de chambre soit mal
vêtue, qu'elle-même, au jeu, ne trouve pas
cinq écus dans sa poche pour payer quand
elle perd; ce qu'elle demande, ce qu'elle
exige, c'est qu'on la reconnaisse pour la maî-
yGoogk
L'ABANDON. !2o5
tresse déclarée et qu'on lui accorde les homma-
ges dus à ce rang. « Elle est désintéressée au
possible, écrit d'Argenson ; elle rend volontiers
service à ses amis ; elle n'entend rien aux
affaires d'argent et ne veut seulement pas
écouter les propositions. Elle est franche, elle
est vraie ; mais elle est haute comme les nues
et se souvient longtemps des offenses. »
En mai 1789, le duc de Luynes est stupé-
fait d'une de ses incartades. Elle a refusé
d'être à un souper de Marly avec la duchesse
de Mazarin : <( Je vous prie d'ôter l'une ou
l'autre de votre liste, dit-elle au duc d'Au-
mont; car nous ne soupons point ensemble.»
La liste est déjà montrée, madame de Mazarin
avertie, et c'est un grand embarras pour le
Premier gentilhomme que de lui annoncer
qu'il y a eu malentendu et qu'elle ne sera
pas du souper. La favorite déteste la duchesse,
qui est pourtant sa cousine, étant Mailly
comme elle, parce qu'elle lui attribue la plu-
part des propos qui se tiennent contre elle
chez la Reine. Mais madame de Mazarin est
dame d'atours fort aimée de Marie Leczinska
et l'offense atteint sa mal tresse autant qu'elle.
Un autre chroniqueur remarque vers ce mo-
ment : « Madame de Mailly commence à tirer
yGoogk
2o6 LOUtS XV KT MAKlfe LEGZtifS&À.
sur la Reine et manque de ménagements con-
venables, ce qui peut lui attirer malheur. »
Le malheur de madame de Mailly ne doit
point lui venir de la Reine ; mais on a tort
de croire que celle-ci n'a pas essayé de se
défendre.
Elle est restée longtemps dans l'incertitude
sur la liaison du Roi. Elle Ta soupçonnée la
première, puisqu'elle en a écrit à son père,
mais il lui aurait été douloureux d'inter-
roger, et rien ne peut être plus difficile pour
elle que d'apprendre le nom de sa rivale.
Madame de Mazarin probablement se charge
de lever le voile. Ce n'est point en chrétienne
résignée que Marie accueille cette révélation,
car l'offense la plus cruelle à son amour-pro-
pre vient s'ajouter à la blessure de son amour.
Elle a du sang guerrier dans les veines, qui
se réveille devant l'outrage, devant le men-
songe aussi effronté et aussi voisin. Ces sen-
timents ne sont pas racontés par les contem-
porains, et comment pourraient-ils l'être? Mais
çà et là des indications éparses les font de-*
viner.
La Reine s'adresse à l'homme qu'elle a
toujours vu maître de l'esprit du Roi. S'il
est vrai que le Cardinal se relire à Issy, en
yGoogk
L'ABANDON. 207
septembre 1788, pour protester contre la
liaison dévoilée, on s'explique la visite que va
lui faire la Reine et qui donne lieu à tant
de oommentaires. Elle pleure auprès de lui,
s'indigne, demande conseil, et, le vieillard,
désarmé comme elle, et, malgré tout, secrè-
tement content de la voir humiliée, n'a que les
paroles les plus banales à lui offrir en conso-
lation. Elle croit alors de son devoir d'engager
une de ces luttes où l'on est vaincu d'avance :
elle veut réclamer sa place et ses droits, abat-
tre l'insolence de « cette femme » ; tout au
moins ne lui abandonne-t-elle plus le champ
libre aux voyages de Compîègne. Elle exige
de Fleury qu'on l'y laisse désormais suivre le
Roi: «La Reine, note un indiscret, veut venir
partout. C'est le Cardinal qui a engagé le Roi
à mener la Reine à Compiègne, et la chose a
déplu à Sa Majesté, quoique cela lui ait pro-
curé plus d'assiduité de madame de Mailly
qui n'a point eu de semaines de distraction.
Mais la Reine veut chassier en amazone ; tout
est perdu. »
C'est une maladroite conduite, au reste, et
faite pour exaspérer le Roi. Son embarras en
augmente; il perd l'habitude de parler à la
Reine, il s'éloigne de plus en plus, il en vient
yGoogk
ao8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
à un sans-gâne étrange que le duc de Luynes
est obligé de signaler : a On a remarqué,
lorsque le Roi arrive dans le salon, que non
seulement il ne s'approche point de la table
de cavagnole où la Reine joue; mais même,
il y a quelques jours, la Reine se tint debout
assez longtemps sans que le Roi lui dit de
s'asseoir; et pendant ce temps il parlait à
madame de Mailly I »
Il n'est pas étonnant qu'en ces premières
années Marie Leczinska laisse paraître quel-
que chose de l'amertume qui remplit son âme.
De toutes les maîtresses de son mari, c'est
madame de Mailly seule qu'elle a détestée,
car c'est elle qu'elle accuse de lui avoir ravi
le cœur du Roi. Elle ne pourrait lui dire que
par des regards son mépris et sa colère, et sa
dignité même l'en empêche. On lui attribue
une réponse au double sens insultant, un jour
que sa dame du palais aurait sollicité de s'ab-
senter pour suivre im des voyages de la Cour:
c( Faites, madame, aurait dit la Reine, vous
êtes la maîtresse. » Cette parole n'est guère
vraisemblable à la date où elle est donnée;
mais il est sûr que la Reine est aux aguets
pour savoir quels sont les amis de la dame
et, comme elle a la langue prompte et l'esprit
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L'ABANDON. 209
malicieux, elle ne peut se tenir de leur jeter
au visage quelque mot piquant. Ils s'en ven-
gent, à leur tour, par des racontars malveil-
lants que les nouvellistes recueillent. Les
sous-ordres du service ne se gênent point
pour prêter des ridicules à celle dont le crédit,
qui fut toujours peu de chose, semble ne
devoir jamais renaître. On lui reproche sa
mauvaise humeur, son dépit, ses « chiffon-
nages », jusqu'à l'ostentation qu'elle met à
faire tourner son lit dans sa chambre de Fon-
tainebleau, de façon à n'y laisser qu'une seule
ruelle. Les semaines oii madame de Mailly la
sert et où elle est forcée d'endurer tout le
long du jour cette offensante présence, ses
domestiques s'en ressentent, paralt-il, à ses
impatiences répétées. Ne faut-il pas que le
supplice soit bien douloureux pour altérer, ne
fût-ce qu'en passant, cette âme égale et bien-
veillante P
La crise violente qu'on entrevoit dans la
vie de la Reine, qui n'est contée nulle part,
mais qui n'en est pas moins certaine, dure
peu d'années. Son respect pour le Roi, l'a-
mour qui survit à la désillusion, le souci de
sa propre dignité refoulent au fond de son
13.
yGoogk
9AO LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
cœur les plaintes de sa souffrance. La foi de
sa pieuse jeunesse, que rien n'a diminuée,
lui apporte les adoucissements les plus sûrs,
en contraignant son chagrin à prendre la
forme épurée du sacrifice.
Ce n'est pas à l'épouse seulement que la
vie royale impose d'exceptionnelles épreuves;
celles de la mère ne sont pas moindres. Elle
se trouve éloignée, par les usages de la mo-
narchie, de l'éducation de ses enfants, confiés
à des personnages ayant charge de cour et
responsables devant le Roi seul. BUe ne vit
point au milieu de ces êtres chers, de qui
les journées, comme les siennes, sont réglées
sans qu'aucune place soit laissée aux libres
effusions du cœur. Les habitudes familiales
de l'ancienne France, qui tiennent les enfants
à distance des parents, s'aggravent à Versailles
de toutes les exigences de l'étiquette royale .
Quand Mesdames aînées sont en âge d'en
remplir les devoirs, elles vont une fois par
jour ce faire leur cour » au Roi et à la Reine,
et leur gouvernante, madame la duchesse de
Tallard, les y amène en cérémonie. La Reine
peut les recevoir aussi à certaines heures dans
ses cabinets particuliers ; rarement elle va les
visiter chez elles, dans leur appartement éloi-
yGoogk
L'ABANDON. 211
gné de l'agitation d6 la Cour, à l'extrémité
de l'immense château.
Le Dauphin, qui habite au-dessous d'elle,
prend une plus grande part de sa vie, et elle
intervient elle-même, par de judicieux conseils,
dans l'œuvre de ses éducateurs. Le jeune Louis
a eu une première enfance difficile, par l'exu-
bérance d'une volonté violente et incapable
de se plier. Il battait sa nourrice, il soufflette
un jour son précepteur. Grâce aux efforts de
l'honnête duc de Châtillon, le gouverneur, et
du maître à lire, l'abbé Alary, ce terrible éco-
lier est devenu le plus appliqué, le plus docile
et le plus loyal des adolescents. Le portrait
qu'a fait alors Tocqué de l'héritier du trône
montre son charmant visage dans le milieu
d'étude et de travail qu'il s'est mis à aimer
passionnément.
On compare celte sérieuse éducation à celle
qu'a reçue le Roi, toute de complaisance et
d'adulation. En rappelant Tœuvre manquée
du cardinal de Fleury, on établit aisément
que les dauphins, dont les pères sont jeunes
et ont chance de régner longtemps, se trouvent
toujours mieux élevés que les autres et moins
gâtés par leur entourage. Les gouverneurs,
en effet, les précepteurs, les valets de chambre
yGoogk
213 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA.
n'ont à répondre de leur fonction que devant
le Roi et n'attendent de récompense que de la
satisfaction paternelle. Leur intérêt se met ici
d'accord avec leur conscience, ce qui est,
dans les choses de cour, la plus sûre façon
de n'être point exposé à sacrifier celle-ci. La
Reine, au reste, y a veillé ; elle a toujours
exigé que le jeune prince fût réprimandé et
puni, quand cela a été nécessaire pour domp-
ter son emportement. Elle a soutenu l'abbé
Alary contre les cabales et les préventions.
Elle s'est réservé une part dans l'instruction
morale de son fils, lui a transmis une foi
chrétienne très assurée, un vif sentiment de
la pitié et de la justice. En ouvrant le cœur
de l'enfant à toutes les générosités, en le for-
mant à tous les devoirs, elle a préparé,
comme elle aime à le dire, « un prince selon
le cœur de Dieu».
Dès ces premières années, apparaît une
étroite union entre la mère et le fils, qui trou-
veront l'un près de l'autre, au milieu de
l'égoïsme de Versailles, la confiance et la con-
solation. L'intimité ne sera jamais semblable
avec les princesses, qui devraient, semble-t-il,
appartenir davantage à la Reine. Au reste, les
plus jeunes lui sont prises, précisément à Fâge
yGoogk
L'ABANDON. 2x3
OÙ les cœurs s'ouvrent et se mêlent, et toute
influence maternelle est définitivement écartée.
C'est une étrange destinée que celle de Mes-
dames de France, élevées de façon si artifi-
cielle, si loin de ces préceptes de la nature que
Rousseau, par réaction contre les usages du
temps, va prêcher avec violence. Ces petits
êtres paraissent tellement en dehors de la vie
commune qu'on n'a même point jugé utile de
leur donner un nom dès leur naissance. Des
nombres ordinaux les désignent, jusqu'à l'an-
née toujours très tardive de la cérémonie de
leur baptême. Mesdames Quatrième, Cin-
quième, Sixième et Septième ne seront bapti-
sées qu'au couvent, la plus âgée ayant déjà
douze ans.
La séparation complète d'avec ses filles est
pour la Reine une soufirânce nouvelle, que
cette triste année 1788 lui apporte. Elle la
doit encore à Fleury, qui cherche partout des
occasions d'économiser : « Le Cardinal, écrit
Barbier, a imaginé un moyen de ménager, au
sujet de toutes nos Filles de France, actuelle-
ment au nombre de sept, qui embarrassent le
Château de Versailles et causent de la dépense.
C'a été d'en envoyer cinq à l'abbaye de Fon-
tevrault, dont l'abbesse... sera surintendante
yGoogk
2l4 LOUIS XT ET MARIB LBGZINSKA.
de réducation des princesses. La suite sera
simple, et cela renvoie un grand nombre de
femmes et de domestiques. » Au dernier mo-
ment, on s'avise de faire grâce à Madame
Troisième, la petite Adélaïde, qui a sept ans;
elle passe pour être la plus aimable et pour
obtenir quelque préférence de la Reine, à qui
son départ cause un chagrin particulier. Il
semble que rien ne serait plus facile que de la
garder et qu'une prière de Marie y devrait
suffire : mais elle en est venue au point de ne
plus oser parler au Roi, même comme mère,
surtout quand le Cardinal a décidé. Recou-
rant à un autre moyen, madame de Tallard
dicte sa leçon à l'enfant : «Tous les jours, les
deux Dames aînées vont faire leur cour au
Roi, au retour de la messe. Un de ces jours,
la Troisième se présenta devant le Roi, lui baisa
la main, se jeta tout de suite à ses pieds et se
mit à pleurer. Le Roi fut touché de cette
scène; il larmoya un peu, et toute la Cour
en fit autant, en sorte qu'il lui promit qu'elle
ne partirait pas. »
Les préparatifs étant terminés, Mesdames
cadettes furent mises toutes les quatre dans
un carrosse, avec la marquise de La Lande,
sous-gouvernante, et conduites à Fontevrault,
yGoogk
i'ABATfDON. 2l5
OÙ on les laissa, pour le physique, aux soins
d'un écuyer de la Bouche, et pour le moral
sous la direction de Madame de Fontevrault,
c'est-à-dire de Très haute et puissante Dame
Claire-Louise de Montmorin de Saint-Herem,
générale de l'ordre de Fontevrault, qui ajouta
à la suite de ses titres celui de gouvernante
de Mesdames de France. La célèbre abbaye
était à treize jours de Versailles et les prin-
cesses n'en devaient plus revenir que leur édu-
cation terminée. Ce départ, qui séparait la Reine
de ses fiUes, lui ôtait donc tout espoir de les
revoir avant de longues années. Une des
petites exilées. Madame Sixième, mourut au
couvent sans avoir reparu. Madame Victoire
fut ramenée en 1.748, Mesdames Sophie et
Louise, deux ans plus tardt après douze an-
nées d'absence.
Ces enfants avaient grandi, embelli, s'étaient
formées loin des yeux de leur mère. Ce fut
une attention du Roi pour elle de les envoyer
peindre par Nattier, qui avait déjà fait à la
Cour, avec un éclatant succès, ses premiers
portraits d'Henriette et d'Adélaïde. La Reine
n'avait rien su du voyage de l'artiste, et sa
surprise devant les trois tableaux fut délicieuse :
« Les deux aînées sont belles réellement, écri^»
yGoogk
12l6 LOUIS XV ET MAKtE lECZINSKA.
vaît-elle à. la duchesse de Luynes ; maïs je
n'ai jamais rien vu de si agréable que la
petite. Elle a la physionomie attendrissante
et très éloignée de la tristesse ; je n'en ai pas
vu une si singulière : elle est touchante, douce
et spirituelle. » On a replacé à Versailles les
portraits peints à Fontevrault, qui sont parmi
les plus exquis de «l'élève des Grâces», et
l'on comprend mieux les sentiments de la
Reine devant la petite Louise, en grand pa-
nier rose, les mains pleines de fleurs des
jardins de son couvent, souriant à la vie qui
commence pour elle au cloître de Fontevrault
pour s'achever au Garmel de Saint-Denis.
L'hiver qui suivit le départ des « petites
dames », la Cour fut plus brillante que jamais.
Le grand bal rangé du mois de janvier 1789,
donné au Salon d'Hercule, fut un des plus
beaux qu'enregistra la chronique du temps.
L'admirable salle, dont Lemoine venait d'ache-
ver le plafond, devenait le « grand salon » de
Versailles, et Louis XV voulait l'inaugurer
par une fête digne du règne de son aïeul.
Des gradins montant dans les fenêtres entou-
raient la pièce, et dessinaient le carré des
bals de cour dont le Roi et la Reine occu-
yGoogk
L'ABANDON. 217
paient un côté. Les musiciens étaient devant
la cheminée, sur une estrade, faisant face aux
fauteuils de Leurs Majestés. L'éclairage parut
insuffisant, tant la nef était vaste, et pourtant
l'espace manqua, par suite du trop grand
nombre d'invitations. Le duc de La Trémoille,
Premier gentilhomme de la Chambre, avait
apparemment mal compté les billets envoyés
en son nom. Dès quatre heures, le salon était
plein : tout Paris était accouru, et Versailles
n'avait plus de place.
Les dames du palais attendaient aux portes,
en grand habit, sans pouvoir entrer. Le Roi,
revenu de la chasse de bonne heure, deman-
dait à tout moment des nouvelles du salon ;
on venait lui dire qu'il j avait trop de
presse, qu'il ne serait pas possible de danser,
qu'il faudrait peut-être transporter le bal dans
la Galerie des Glaces. M. de La Trémoille,
débordé, essayait vainement de faire sortir
tout le monde, demandait douze gardes du
corps qui entraient avec leurs bandoulières et
leurs armes. Personne ne voulait céder la
place. Il fallut que le Roi en personne vînt
mettre l'ordre : il arriva dans le Salon d'Her-
cule sans chapeau, déjà revêtu de son habit
de velours bleu ciselé, doublé de satin blanc
i3
yGoogk
2l8 LOUIS XV Et MAKÎE l^ECZINSKA.
et garni de boutons de diamants. ((Le Roi,
ayant vu le gradin entièrement rempli de
personnes peu connues, leur ordonna lui-
même de sortir; M. de La Trémoille, M, de
NoaiUes et M. de Villeroy furent chargés de
les faire sortir. Lorsque ce gradin fut vide,
on y fit monter toutes les dames qui étaient
en grand habit. Ce déplacement avait fort
affligé celles qui furent obligées de sortir ; il
y en eut même une qui parlementa en pré-
sence du Roi. Le Roi fit ranger encore du
côté du jardin, et ordonna ensuite que toutes
les danseuses formeraient carré. » Tout cet
arrangement fait sous ses yeux, Sa Majesté
fut avertir la Reine, qui attendait depuis près
d'une heure dans sa chambre, avec Mesdames
les deux aînées, les princesses et les dan-
seuses.
La Reine parut en grand habit d'étoffe à
fond blanc, brodé de colonnes torses de fil
d'or et semé de fleurs nuées de soie, le corps
de robe entièrement garni de pierreries, le
Sancy suspendu en poire au coUier de gros
diamants, et le Régent dao9 la coiflure. La
fête commeuça dès que Leurs Majestés furent
assises, M. le Dauphin et sa soeur aînée,
Madame, ouvrirent le bal; ensuite M. le Dau-
yGoogk
L'ABANDON. Qig
pbîn alla prendre Madame Henriette pour la
seconde figure du menuet; celle-ci prit M. de
Penthiàvre; il prit Madame; Madame, M. le
Dauphin; lui, Madame Henriette, qui prit
M. ddFitz-James. C'étaient tous des enfants qui
dansaient les premiers, allant prendre à cha^
que fois Tordre du Roi; le petit prince de
ïurenne, présenté à Toccasion du bal et qui
avait moins de douze ans, manqua sa figure«
Le Roi commanda les contredanses, puis il
dit à M. de la Trémoille de danser la mariée
avec madame de Luxembourg. M. de Cler-
mont d'Amboise et la princesse de Rohan
dansèrent une danse nouvelle, composée d'un
menuet et d'un tambourinj le Dauphin dansa
la mariée avec Madame, puis on apporta la
collation de M. le Dauphin et de Mesdames,
et le Roi alla souper dans ses cabinets. La
Reine resta au bal, où Ton se remit à danser
devant elle jusqu'à neuf heures et demie.
Dès onze heures, les premiers masques se
montrèrent, et le bal reprit, ou plutôt ce fut
un autre bal, qui s'étendit et occupa tout le
grand appartement. Le nombre des masques
fut prodigieux. Il y avait trois salons pour
la danse, trois pour les rafraîchissements, et
dans la Galerie magnifiquement illuminée
yGoogk
220 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
circulait le va-et-vient de la mascarade. La
Reine sortit de chez elle à minuit ; elle était
masquée, ainsi que toute sa suite, et ne fut
pas reconnue. A deux heures, Louis XV vint
à son tour, masqué en chauve-souris, et
s'amusa à demander un peu partout où était
le Roi. Les Enfants de France, naturellement,
ne parurent point au bal masqué. On dansait
encore plusieurs heures après le lever du
soleil; mais, vers quatre heures, quelques do-
minos discrètement rentraient chez la Reine.
Celle-ci changeait d'habit et allait à la cha-
pelle entendre la messe. Elle avait payé assez
largement, ce jour-là, le tribut réclamé par
ses devoirs d'état ; à ces plaisirs qui n'en
étaient point pour elle, elle faisait succéder les
seules joies profondes de sa vie, celles de
l'humilité et de la prière.
A ce bal se répandit la nouvelle que le
mariage de Madame avec l'Infant Don Phi-
lippe était décidé. L'Infant était le troisième
fils vivant de Philippe V et l' arrière-petit-fils
de Louis XIV. La négociation qui aboutissait
à ce mariage mettait un terme aux défiances
qu'avait créées, entre la France et l'Espagne,
le mariage de Marie Leczinska. L'événement
yGoogk
L'ABANDON. 221
politique était de grande importance et renouait
définitivement l'alliance interrompue; mais il
annonçait à la Reine une séparation nouvelle
et, lorsque le cardinal de Fleury lui en vint
donner connaissance, elle ne put l'accueillir
qu'avec des larmes. La jeune Madame montra
plus de peine que de joie ; quitter ses sœurs
surtout lui semblait cruel, car il régnait entre
elles une grande union. Le jour où les prin-
cesses l'apprirent, quand la Reine descendit
dans leur appartement, la petite Adélaïde s'é-
lança vers elle avec ces mots : c< Maman, je
suis bien fâchée du mariage de ma sœur ! »
On attendit six mois pour que l'enfant eût
douze ans sonnés, et la fin d'août amena les
fêtes du mariage.
Pour les noces de l'aînée et de la préférée
de ses -filles, Louis XV voulut un éclat extra-
ordinaire. Aucune dépense ne fut épargnée
pour en laisser un somptueux souvenir, et le
ménager Fleury dut céder pour une fois au
désir royal. Versailles revit les grandes suites de
fêtes du passé. Le duc d'Orléans, le même qui
était allé à Strasbourg épouser pour Louis XV,
fut chargé de tenir la place de l'Infant aux
cérémonies. Les fiançailles solennelles se
firent dans l'Œil-de-Bœuf, transformé pour
yGoogk
322 LOUIS XY BT MARIE LECZINSKA.
la circonstance en « cabinet du Roi 7^ et où
une partie de la Cour pouvait trouver place*
Il n'y eut pas moins de cent quinze dames
en grand habit réunies chez la Reine. Madame
Infante, comme on disait déjà, y fut conduite
par son jeune frère; elle portait un habit or et
noir, selon l'usage des fisinçaiLles, et une mante
de réseau d'or de sept aunes de long, que sou*
tenait Madame Henriette ; à son bras était le
portrait de Don Philippe entouré de diamants.
« Un peu avant huit heures, la Reine se mit
en marche, suivie immédiatement de Madame,
de Madame Henriette et de Madame Adélaïde ;
ensuite Madame la Duchesse, les princesses
du sang, mesdames de Luynes et de Mazarin^
les dames du palais, les dames d'honneur
des princesses ; toutes les autres dames sui-
vaient. La Reine entra par la porte de glaces
dans le cabinet de l'Œil-de-Bœuf. Toute la
Galerie était éclairée par des girandoles ; l'Œil-
de-Bœuf était fort bien éclairé. Dans le fond,
auprès de la cheminée^ était une grande table,
au bout de laquelle le Roi se mit à droite, et
la Reine à gauche ; ensuite M. le Dauphin et
Mesdames et tous les princes et princesses,
suivant leur rang, les hommes du côté du
Roi, les femmes du côté de la Reine. Les
yGoogk
l'abawdoic. 223
ambasisadrices de Vienne et de Madrid étaient
immédiatement après les princesses ; les cour-
tisans sans distinction, le long des murailles
des deux côtés. . . Il y avait beaucoup de place,
et le Roi eut lui-même grande attention à
faire reculer les hommes pour faire place aux
dames... Le Roi était entré par sa chambre.
Les quatre secrétaires d'État étaient auprès
de la table, et M. le cardinal de Fleury au-
près du Roi. »
Le contrat ayant été lu, ainsi que la procu-
ration du roi d'Espagne, les signatures furent
données par la Famille royale et tous les
princes et princesses et légitimés, suivant
leur rang; M. de la Mina, ambassadeur du
roi Philippe, signa pour son maître. Puis la
porte de la chambre du Roi s'ouvrit ; le car-
dinal de Rohan apparut en surplis, avec quel-
ques prêtres, et célébra les fiançailles. Le Roi
rentra dans son appartement, suivi des prin-
ces du sang, et le Dauphin, donnant la main
à Madame Infante, la ramena d'abord chez
la Reine, puis chez elle, avec le long cortège
des dames parées. Quelques années plus tard,
ce devait être son tour d'être époux ; les
mêmes cérémonies devaient se renouveler pour
son mariage avec une sœur de l'Infant, comme
yGoogk
234 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
aussi les mêmes fêtes de la Cour. Tontes se
ressemblent jusqu'en leurs détails, et les figu-
rants n'ont pas changé, sauf que de nouvelles
beautés ont paru à la Cour et que celles de
l'autre bal ont, le plus souvent, pris de la
dévotion et quitté le rouge.
Tel on vit le mariage de Madame Infante,
tel on devait voir, en 1745, celui de l'Infante
Marie-Thérèse, en 1747, celui de la princesse
Marie-Josèphe de Saxe et, tout à la fin du
règne, le brillant accueil fait par la cour de
Louis XV à l'archiduchesse Marie-Antoinette.
La chapelle de Mansart, lumineuse et triom-
phale par les jours d'été, se prêtait aux pom-
pes religieuses les plus éclatantes et, pour les
fêtes de nuit, la Grande Galerie de Louis XIV
ofirait son cadre incomparable. La nouveauté
au mariage de Madame Infante fut la décora-
tion élevée de l'autre côté du Parterre d'eau
et qui faisait, en face du Château, comme
une construction de féerie. On l'admira de
jour et, le soir, le feu d'artifice y fut tiré*
Quelques notes du duc de Luynes font sui-
vre tout le mouvement intérieur du Palais :
les compliments qui durent deux heures chez
Madame Infante, la réunion des princesses et
des dames en grande parure chez la Reine,
yGoogk
L'ABANDON. 225
Tarrivée de la mariée et de Mesdames, enfin
celle dii Roi, qui vient chercher la Reine dans
son appartement : « Ils entrèrent dans la Ga-
lerie. Le Roi commença aussitôt le lansquenet,
qui fut assez beau ; il y avait quinze coupeurs.
M. le Dauphin et Mesdames jouaient à cava-
gnole ; la Reine jouait au lansquenet avec le
Roi, et, outre cela, grand nombre de tables
de quadrilles et de brelan. A huit heures, on
alluma. Le coup d'œil de la Galerie était
admirable à voir. Au dehors, on avait com-
mencé dès sept heures à allumer la décora-
tion ; les deux côtés étaient éclairés, ainsi que
les parterres à droite et à gauche de la
terrasse; A neuf heures, le lansquenet fini,
le Roi et la Reine se mirent à un balcon de
la Galerie ; le Roi ayant donné lui-même le
signal avec une lance à feu, on commença à
tirer le feu ». Une immense foule, massée au
pied du Château, acclamait ses souverains.
Ceux qui avaient tenu à se trouver bien placés
avaient dû passer cinq heures au grand soleil,
sur la terrasse brûlante ; ce n'était point
acheter trop cher un quart d'heure et demi
d'artifices bien servis ; et, tandis que les
princesses du sang s'asseyaient au souper
royal, dirigé dans l'antichambre de la Reine
i3.
yGoogk
!ia6 LOUIS XV Et MARI£ lECZINSKÂ.
par messieurs les gentilshommes ordiûairest
les bonnes gens de Paris envahissaient les
cabarets de Versailles, cherchant joyeusement
à manger et à boire, avant de s'entasser dans
les coches, les pots-de-chambre, les gondoles
et tous les lourds véhicules du retour.
Le lendemain, M. Turgot, prévôt des mar-
chands, et les échevins en robe, apportèrent à
Madame Infante le présent ordinaire de la
Ville, douze douzaines de flambeaux de poing
parfumés et douze douzaines de boîtes de dra^^
gées dans des espèces de mannes peintes, gar-
nies de toilettes de mousseline en dehors et
en dedans, le tout renoué d'une infinité de
rubans bleus. Le soir. Mesdames furent me-
nées par leur gouvernante à la. fête donnée
par l'ambassadeur d'Espagne; elles virent tirer
un beau feu d'artifice, qui représentait le che-
min des Pyrénées : ce Avant leur départ, M. de
la Mina leur présenta quelques corbeilles de
fruits à genoux et madame de la Mina donna
la serviette à Madame Infante, aussi à genoux.
M. de la Mina voulait aussi présenter à genoux
à Madame Henriette, mais madame de Tallard
lui dit que ce n'était point l'usage en France.!»
La petite Henriette n'accepta pas que l'am-
yGoogk
L'ABANl>0!f. 237
bassadrioe lui baisât la ,main , bien que le
Cardinal eût agréé ce cérémonial ; il fallut
même, pour y décider Madame, que la gou-
vernante prit sur elle de lui dire en badinant
qu'elle arrivait sur terre espagnole et que,
pont se conformer aux coutumes, elle devait
donner sa main k baiser.
Le feu de la Ville fut lire la veille du départ
de la princesse. Leurs Majestés y assistèrent
au Louvre, d'un balcon dominant la Seine et
construit devant ce qu'on appelait le « cabi-
net de l'Infante», en souvenir de la fiancée
de Louis XV. Les deux fauteuils royaux
étaient côte à côte, suivant l'usage, avec des
pliants pour M. le Dauphin et ses sœurs. La
Reine avait mené dans ses carrosses ses dames
du palais, qui se mirent sans distinction de
titres, k droite et à gauche du balcon.
Paris n'avait point encore vu la maltresse du
Roi. Un spectacle, qui valait bien celui qu'avait
ordonné M. Turgot, était d'apercevoir madame
de Mailly la première de toutes les dames et
le plus près du Roi, son pliant touchant à
celui du Dauphin. Ce fut une souffrance pour
la Reine qu'un tel voisinage, que le son de
cette voix et cette réunion des coupables sous
ses yeux, qui lui était d'ordinaire épargnée. Son
yGoogk
228 LOUIS XY ET MARIE LEGZIMSKA.
supplice dura des heures, parmi les divertisse-
ments de la fête. Les joutes sur la rivière, les
illuminations des ponts et des quais, le grand
transparent dressé sur l'eau en face du Louvre,
au milieu d'une flottille de petits bateaux, le
feu enfin, tiré sur le terre-plein du Pont-Neuf,
rien ne l'arracha à cette mélancolie qu'on
remarquait et dont* la tristesse maternelle
n'était point la seule cause.
Le Roi ni la Reine n'allèrent à Paris, pour
le bal masqué de l'Hôtel de Ville, qui fut
donné le surlendemain et qui compta parmi
les plus beaux du siècle. Un appartement
royal avait été meublé magnifiquement auprès
de la grande cour, transformée et convertie
en salle de danse. Madame de Mailly, appre-
nant que le Roi ne quitterait pas Versailles,
lui avait fait demander pour elle-même la clef
de cet appartement; elle était déjà masquée,
prête à partir, son relais commandé à Sèvres,
quand le Roi refusa la clef, après onze heures,
ce qui obligea la comtesse à renvoyer sa chaise
et à renoncer à rejoindre Mademoiselle au bal
de la Ville. Sa prétention avait paru déplacée,
et ce n'était vraiment pas un jour bien choisi
pour ce petit scandale. La Famille royale était
toute à l'émotion du départ, qui devait avoir
y Google
i
L'ABANDON. 22g
lieu dans quelques heures, ce Ce matin, écrit
M. de Luynes, Madame Infante a été chez le
Roi et chez la Reine. La Reine a été une denxi-
heure enfermée avec elle, et il s'est répandu
bien des larmes de part et d'autre. Le Roi est
devenu pâle, quand Madame Infante est entrée
dans son cabinet; il y a eu beaucoup de pleurs.
Les deux sœurs se sont embrassées en fon-
dant en larmes et ne se pouvant quitter; elles
disaient : « C'est pour jamais». M. le Dauphin
a pleuré beaucoup, et surtout lorsqu'il l'a
embrassée dans le moment qu'elle a monté
en carrosse. Le Roi a descendu avec elle, le
visage fort triste et a monté dans le carrosse. »
Les dames qui accompagnaient étaient mes-
dames de Tallard, d'Antin, de Tessé et de
Muy.
Le long du chemin, le Roi renouvela ses
instructions paternelles. Il recommanda à sa
fille de chercher avant tout à plaire au roi
d'Espagne, qu'elle devait regarder comme son
oncle et comme son père, de ne lui demander
jamais aucune grâce, quelque petite qu'elle
fût, avant d'avoir vingt-cinq ans, enfin de se
bien rappeler de tout ce qu'elle avait vu à Ver-
sailles, car Philippe V, qui en était parti qua-
rante ans auparavant, lui ferait sûrement
yGoogk
930 LOUIS XT ET MARIE LEGZIÏfSKA.
beaucoup de questions. Chacune de ces pa-
roles marquait la longue et peut-être défini-
tive séparation, et tout ce qui était dans le
carrosse fondait en larmes.
Au Plessis-Piquet, après les dernières effu-
sions, le Roi descendit » laissant consoler
rinfante par les dames, et rentra à Versailles
dans ses calèches. Avant de repartir pour
Rambouillet, il voulut embrasser Madame
Henriette. « Son dessein était d'aller chez elle.
On Jui dit qu'elle était chez la Reine; il ne
voulut point y aller, craignant apparemment
que cette entrevue ne renouvelât la douleur
de l'une ou de l'autre et qu'il ne s'attendrît
lui-même. Il attendit quelque temps, et enfin
il manda à Madame Henriette de le venir
trouver dans son cabinet; il l'embrassa et
partit à cinq heures dans sa gondole avec
Mademoiselle , mademoiselle de Glermont ,
madame de Mailly, madame de Ségur et des
hommes». Une sœur de madame de Mailly
rejoignit peu après la compagnie. C'était
mademoiselle de Nesle, de qui l'on murmu-
rait le très prochain mariage avec M. de Vin-
timillé et qui se trouvait être à présent de tous
les voyages.
Pendant que le Roi se distrayait de sa peine
yGoogk
L'ABANDON. a3l
chez la comtesse de Toulouse, en la société
éijuivoque des deux sœurs, la Reine faisait
souper avec elle celle de ses filles qui prenait
le titre de ce Madame » , la fière Henriette,
jumelle de l'Infante. A la même table avaient
l'honneur de s'asseoir les trois dames du pa-
lais de semaine, les deux dames de la prin-
cesse et une nouvelle mariée, autre sœur de
la favorite, lajeune marquise de la Tournelle,
présentée cette année même et de qui l'on ne
parlait encore que pour louer sa réserve et sa
beauté. Ainsi revenaient les habitudes de Ver-
sailles, un instant troublées par le départ de
l'aînée de Mesdames de France.
Madame Infante, la seule des filles de
Louis XV qui trouva mari, ne fut point tout
à fait perdue pour la cour de son père. Elle
devait y reparaître plus tard, à diverses re-
prises, pour servir les intérêts d'un époux
qu'elle aima avec dévouement et pour qui elle
obtint, faute de mieux, le duché de Parme.
C'était une intelligence solide et déliée, digne
de l'amitié fidèle que lui voua l'abbé de
Bernis . Ses traits un peu masculins , et qui
vdrs la fin s'épaissirent, reproduisaient en les
alourdissant ceux de son père. Louis XV avait
pour elle une afiection très vive ; il la reporta
yGoogk
232 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
sur sa fille, l'infante Isabelle, qui lui fut ame-
nde à l'âge de huit ans et qu'il fit peindre par
Nattier, droite et sérieuse dans sa robe à
paniers, comme une princesse de Velasquez.
Cette petite-fille espagnole de Louis XV fut la
première femme d'un archiduc d'Autriche,
qui devint plus tard l'empereur Joseph IL
Madame Infante, duchesse de Parme, Plai-
sance et Guastalla, avait espéré tout autre
chose que l'étroite principauté de quelques
milliers de sujets échue à son mari par le
traité d'Aix-la-Chapelle. Elle rêva successi-
vement Milan, la Pologne, les Pays-Bas, les
Deux-Siciles, jusqu'au trône d'Espagne. Son
extraordinaire ténacité dans l'intrigue poli-
tique se heurta à l'apathie croissante de son
père et finit par se briser contre l'hostilité de
M. de Choiseul. La petite vérole, qui semait
si souvent la mort, et une mort si terrible, à la
cour de France, enleva la princesse au milieu
de ses dernières déceptions, a Versailles
même. Le seul résultat de ses longs efibrts
fut de lui donner pour sépulture Saint-Denis
au lieu de l'Escurial. La fiUe de Louis XV
méritait une meilleure destinée; elle était plus
que ses sœurs du sang de Henri IV; elle
avait, dans une âme de femme, un peu des
yGoogk
L'ABANDON. 233
qualités qui font les grands princes : l'ambi-
tion, l'énergie et le courage.
Dans ce coin du palais non pas retiré,
mais séparé, où vit la Reine, que sait-elle des
amours du Roi, de cette existence secrète que
la malignité, l'intérêt, la politique des partis
percent de tant de regards indiscrets? L'é-
pouse est bien moins renseignée que nous ne
le sommes, assez cependant pour que la plaie
de son cœur s'avive sans cesse de blessures
nouvelles ; mais elle ne trouve pas seulement
des motifs de larmes dans ce qui lui parvient
de cette chronique scandaleuse, à travers le
murmure malicieux et voilé de son cercle ou
les confidences indignées de ses amis. Elle
apprend le châtiment successif de ses rivales,
le voit sortir de leur faute même, et rien ne
l'empêcherait d'y reconnaître et d'y savourer
sa vengeance, si la haute morale de sa foi ne
lui enseignait de mieux en mieux la sérénité
du pardon.
C'est à madame de Mailly de soufirir, et
chaque jour maintenant est un pas vers la
déchéance. La sœur qu'elle a introduite à la
Cour, cette Vintimîlle pour laquelle elle a
mendié les bonnes grâces de Fleury, qu'elle
yGoogk
fl34 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
a menée partout avec elle, est devenue k son
tour la maltresse du Roi. Elle semblait de-
voir ne porter aucun ombrage à son aînée :
« Figure de grenadier, col de grue, odeur
de singe )^, aînsi la décrira une autre sœur,
madame de Flavacourt, qui seule ou presque
seule de la famille s'est dérobée aux assiduités
du Roi. Madame de Yintimille les a attirées,
au contraire, et retenues à force d'intelli-
gence et d'audace. On dit que, dès le couvent,
elle a souhaité de remplacer la sœur dont
l'étrange fortune troublait son imagination
de jeune fille. Fixée à la Cour avant son
mariage, elle n'a pas perdu de temps pour sa
conquête. Le roi faible qu'eUe a séduit, pres-
que sans qu'il y pens&t, est maintenant sous
le joug de cet esprit fier et hardi, qui a le
charme de celui d'une Gharolais, sans en
garder les bassesses.
Cette maîtresse aventureuse, qui rêve de
Montespan comme sa sœur rêva de La Val-
lière, a pour la première fois parlé à Louis XV
de sa gloire. Audacieuse comme la reine
Marie n'aurait jamais pu l'être, elle a rappelé
au timide élève de Fleury les devoirs mili-
taires de sa fonction royale; elle a voulu l'en'
voyer commander ses armées, prendre sa part
yGoogk
L'ABANDON. a35
dès victoires que lui gagne le maréchal de
Belle^sle. D'abord étonné de ce langage, le
Roi s'est pris à l'écouter et en a aimé davan-
tage celle qui osait le lui tenir. Madame de
MaiUy, inquiète, jalouse, à petites vues fémi-
nines, n'ayant à offrir que son éternelle ten-
dresse, serait abandonnée bien vite, si elle
ne se résignait au partage. Elle a su qu'elle
n'était plus seule à régner sur le Roi, quand
il a été trop tard pour se défendre, et doit
s'estimer heureuse d'être tolérée malgré la
violence de l'amour nouveau.
Cette liaison du Roi est courte et doulou-
reuse. Jamais Louis XV n'aimera comme il
ftime madame de Vintimille ; l'égoïsme, qui
l'envahira plus tard, n'est pas encore maître
de tout son cœur. Mais la force même de son
sentiment lui vaut les plus cuisantes peines
qu'il ait éprouvées. Dans cette vie de Ver-
sailles, qui n'est qu'étiquette, convention, ar-
tifice, la mort de cette femme est un épisode
de réalité brutale, qui met brusquement à nu
ce qu'il y a d'humain dans un roi.
Il faut lire le journal du duc de Luynes
du mois de septembre 1741. Si les couleurs
de la narration sont un peu atténuées, comme
il sied d'un courtisan, les détails marqués
yGoogk
a36 LOUIS XV et marie legzinska.
heure par heure donnent aux faits une préci-
sion extrême, et ce sont justement ceux qui
sont connus de la Reine et l'agitent d'émo-
tions singulières. C'est d'abord l'accouche-
ment de madame de Yintimille, épuisée déjà
par une maladie de langueur, puis le goût
surprenant du Roi pour l'enfant qui vient de
naître, les journées entières qu'il passe au
chevet de la malade avec madame de Mailly^
qu'on y trouve en jupon blanc et sans ajus-
tement, puis le rapide redoublement de la
fièvre, les inquiétudes de l'entourage, les con-
sultations, les saignées en présence du Roi,
les convulsions qui saisissent la pauvre femme
et retournent ses traits, l'agonie enfin ^ au
milieu de la nuit, entre les bras du confesseur
arrivé trop tard pour les sacrements.
a On est entré chez le Roi ce matin à dix
heures. La Peyronie'est venu le premier; le
Roi lui a demandé des nouvelles. La Pey-
ronie ne lui a répondu autre chose, sinon
qu'elles étaient mauvaises. Le Roi s'est re-^
tourné de l'autre côté et est demeuré entre ses
quatre rideaux. Il a donné ordre que l'on
dise la messe dans sa chambre. La Reine a
été ce matin pour le voir, comme elle va tous
les jours ; elle y a même été deux fois, et elle
yGoogk
L'ABANDON. 287
xi'a pas pu entrer». Il demeure toute la jour-
née dans sa chambre, couché, les rideaux
fermés, ne voulant voir personne ni aucun
courrier ; les portes de TOEil-de-Bœuf, qui ne
s'ouvrent qu'à son lever, restent fermées jus-
qu'à cinq heures après midi. Madame de
M ailly s'est réfugiée pour pleurer chez la com-
tesse de Toulouse; seuls MM. d'Ayen, de
Noailles, de Meuse et le duc de Villeroy y
ont été admis. A cinq heures, le Roi y des-
cend à son tour par le petit escalier, et résout
de se retirer le soir même à Saint-Léger.
La Reine a demandé au Cardinal ce qu'elle
avait à faire et a quitté le Château pour une
promenade, afin d'éviter au Roi l'embarras
où il aurait pu être de ne pas aller chez elle
avant de partir. Celui-ci, en vérité, n'y songe
guère. Il fuit, sans fixer de jour pour le retour;
il veut seulement cacher son désespoir et les
larmes qu'il sait encore verser. Il n'a mené
avec lui, à Saint-Léger, que la comtesse de
Toulouse, toujours indulgente et maternelle,
la sœur et les amis de la morte ; il ne chasse
pas, ne joue même point, ne parle que d'elle
et de sa triste fin. De retour à Versailles,
pendant des semaines et des mois, il reste
sombre, absorbé; il jette sans cesse dans la
yGoogk
a38 LOUIS XV et maris legzinska.
conversation les sujets les plus lugubres et des
mots de pénitence et d'expiation, visiblement
dévoré du remords religieux et de la pensée
qu'il a aidé à la damnation de celle qu'il
aimait. De longtemps, il délaisse Choisy, Bà
nouvelle maison préférée, qui fut achetée,
agrandie, meublée pour recevoir madame de
Vinlimille; il n'ose plus y retourner, parce
qu'il l'y trouve trop présente.
Cette douleur est assez sincère pour mettre
quelque temps à s'user. Mademoiselle, à tout
hasard, tient en réserve des consolations : c'est
mademoiselle de Noailles, qui servirait, si elle
était agréée, les intérêts innombrables et divers
de sa famille; c'est la petite marquise d'Ântin,
dont l'état de veuvage diminuerait peut-être,
avec le degré du péché, les scrupules de
Louis XV. Celui-ci reste insensible aux plus
pressantes avances; il se rattache de plus en
plus à la bonne créature que Richelieu appelle
c( Sainte Mailly x» ; il lui fait faire un petit
appartement, au second étage de ses cabinets
tout à côté de chez lui, et les soupers qui s'y
donnent gardent longtemps un ton dç décence
et de mélancolie.
Est-ce le souvenir de madame de Vinti-^
yGoogk
L'ABANDON. qSq
mille qui attire le Roi vers la plus jeune de ses
scBurs, celte madame de la Tournelle, qu'il
doit faire un jour duchesse de Ghâteauroux ?
Est-ce, comme s'en vante Richelieu, le simple
choix de ce roué de marque, habitué à appa*-
reiller les caractères P II faut sans doute cette
double influence pour accorder la timidité de
l'un aux altières prétentions de l'autre. La
beauté hautaine de madame de la Tournelle
est faite pour en imposer au Roi. d'est, de
toutes les sœurs, celle qui a les traits les
plus réguliers et qui montre le mieux, en
toute sa force, ce sang de Nesle, pour lequel
le Roi garde un goût si étrange. Celle-ci se
donne à lui sans l'aimer et plus par orgueil
que par ambition. Plus avisée que sa sœur
Vintimille, aucun partage ne saurait lui con-
venir et c'est la place tout entière de madame
de Mailly qu'elle demande. Elle songe qu'une
Montespan n'eût pas accepté l'esclavage secret
d'un cœur sans l'honneur de le gouverner
aux yeux de tous. Aussi, quand Richelieu
s'aperçoit que le Roi est lassé de l'ancien
amour, la négociation qu'il ouvre avec ma-
dame de la Tournelle se traite comme une
affaire diplomatique.
Les conditions de la chute sont débattues
yGoogk
aÂO LOUIS XY ET MARIE LEGZIIfSILA.
avec d'autant plus d'âpreté du côté de la dame
qu'il y a, paralt-il, à sacrifier un attachement
pour le jeune comte d'Agénois, celui qui sera
un jour le duc d'AiguiUon, ministre de la
dernière maîtresse. Après la signature des
préliminaires, les faveurs que réclame une
impatience savamment excitée, le plus froid
calcul les marchande et les retarde. La pre-
mière exigence, en attendant la déclaration
publique, est que madame de MaiUy sera
renvoyée de la Cour. Le Roi ne tient plus à
elle que par un reste d'habitude et par la
difficulté de se détacher d'une affection si
humble, si tenace et qui se satisfait de si peu. .
La rupture est cependant signifiée, et avec
une dureté impitoyable, qu'irritent malhabi-
lement les supplications et les sanglots. Le
petit appartement doit être fermé : « Vous
pouvez emporter vos meubles, madame »,
ajoute le maître. C'est encore Richelieu, l'ami
indispensable en de telles occurrences, qui se
charge de conduire la délaissée à Paris, chez
les NoaiUes, et qui est témoin des premières
folies de sa douleur. Madame de Mailly trou-
vera au confessionnal du Père Renaud des
conseils meilleurs. Elle refusera toujours- de
revenir à la Cour ; l'on n'y saura plus tard
yGoogk
L'ABANDON. 2^1
que par ouï-dire sa pauvreté, son repentir,
sa conversion sans aucun éclat, à la fin de sa
courte vie, et la chrétienne humilité qui la
console de Thumiliation.
La Reine avait pardonné déjà à madame
de Mailly, avant de savoir qu'un même aban-
don leur ferait une destinée commune. Un
instant cependant on avait pu croire qu'elle
s'était préparé la plus raffinée des vengeances.
Ce fut lorsque madame de la Tournelle
demanda et obtint une place de dame du
palais, peu après l'autre sœur, madame de
Fiavacourt, à qui madame de Mailly, par
imprudente générosité, avait cédé la sienne.
«La Reine, raconte la duchesse de Brancas,
au lieu de ne marquer que de l'obligeance
lorsque le Roi la fit prévenir sur la nomina-
tion de madame de la Tournelle, en parut
contente et le fit assurer qu'il lui serait
agréable. Pour s'expliquer cela, on disait que
la Reine, ne pouvant plus compter sur le
cœur du Roi, n'était pas fâchée de préparer
une rivale à madame de Mailly, qui le lui
avait enlevé lorsqu'elle pouvait se flatter de
le conserver plus longtemps ; et qu'elle espé-
rait ainsi forcer le Cardinal à quitter la Cour
yGoogk
2/i2 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
de dépit et le voir mourir encore plutôt de
chagrin que de yieillesse. » Il est difficile de
croire à de tels sentiments chez Marie Lee-
zinska. Sa résignation est maintenant sans
reserve. Toute sa pensée envers les sœurs de
Nesle, dont le Roi s'obstine à l'entourer, est
dans les mots qu'elle écrit à Fleury à propos
de l'une d'elles : <( J'ai appris que madame de
MaiUy cède sa place à madame de Flavacourt.
Si le Roi le trouve bon, je le trouve très bien
aussi... D'ailleurs le Roi est le maître. »
Quant au vieux Cardinal, qui a eu pour
elle tant d'onctueuses paroles et de méchants
actes, elle a renoncé à souhaiter son départ.
Elle sait qu'il faudra la mort pour l'arracher
du pouvoir, auquel se cramponnent ses
quatre-vingt-dix ans. Parmi tant de gens qui
escomptent depuis des années cet événement,
elle est la seule à ne pas le désirer, car elle
n'a plus aucune réparation à en attendre. Voici
le dernier billet que le vieillard reçoit d'elle
et qui, en vérité, ne révèle pas des desseins
bien noirs : ce Je n'ai point envoyé hier, mon
cher Cardinal, savoir de vos nouvelles, en
ayant appris d'ailleurs, et l'on m'a assurée
que vous étiez mieux. Je le souhaite assuré-
ment de tout mon cœur. Votre lettre d'avant-*
yGoogk
L'ABANDON. 2^3
hier m'a fait bien de la peine. Elle me fait
voir combien vous vous chagrinez. Tâchez, s'il
8e peut, d'éloigner tout sujet de peine de vos
idées. Il est vrai que la chose n'est pas aisée
dans le temps où nous sommes, et je sens
rinutilité de ce conseil... Il est sûr que votre
santé a besoin de repos. Je ne puis qu'être
très fâchée d'être si longtemps sans vous voir.
Je me flatte pourtant que ce ne sera pas long ;
je le désire beaucoup et votre retour me fera
un sensible plaisir. » A ces bons procédés,
invariablement gracieux, le Cardinal répond
assez m^. La dernière action de sa vie est
encore une vexation pour la Reine. Elle sou-
haite d'avoir pour chancelier le mari d'une
femme qui a sa confiance; Fleury, sans lui
en rien dire, se fait accorder par le Roi la
faveur de vendre lui-même cette charge, pour
en employer le prix à doter une de ses
petites-nièces. S'il n'était mort à point, Marie
n'aurait pu faire nommer dans sa maison
le chancelier de son choix, M. de Saint -
Florentin.
Il arrive enfin, ce dénouement d'une comé-
die languissante. Au mois de janvier 1748,
après beaucoup de vaines alertes, c'est le fris
yGoogk
244 LOUIS XV ET MAniE LEGZINSKA.
son de la bonne fièvre qu'annoncent les nou-
vellistes. Le Roi interrompt un séjour à Choisy
avec madame de la Toumelle, pour aller trois
fois de suite visiter, dans sa maison dlssy, le
vieux ministre qui s'éteint. La Reine s'y rend
de Versailles, accompagnée de la maréchale
de Villars ; le Dauphin lui-même, conduit
par M. de GhâtiUon, va contempler les belles
mains amaigries de l'Eminence et recevoir de
cette bouche toujours éloquente le plus édi-
fiant discours sur la vanité des grandeurs
humaines. Le Cardinal, aux approches de sa
fin, ne perd rien de la tranquiUité de son
âme. On sait qu'il meurt sans être devenu
riche, après avoir gouverné près de dix-huit
ans, et s'il a trop longtemps rempH la scène
du monde, il la quitte du moins assez noble-
ment.
Pendant les semaines qui précèdent la déli-
vrance définitive, la Cour, traversée d'in-
trigues diverses, se demande qui héritera de
ses places, qui sera grand aumônier de la
Reine, qui aura la surintendance des postes
et la Feuille des bénéfices, qui surtout prendra
l'oreille du Roi. C'est une lutte furieuse entre
les partisans de l'exilé de Bourges, Chauvelin,
ceux du maréchal de Belle-Isle, ceux du car-
yGoogk
L*ABA:;fDON. 3^5
dinal de Tencin ; M. de Richelieu lui-même
compte les siens.
Quand la mort a été annoncée au Roi :
« Messieurs, aurait-il dit, me voilà donc pre-
mier ministre I ]!> Et ce mot court dans le
public, qui s'écrie, parodiant une vieille for-
mule : « Le Cardinal est mort : vive le Roi 1 »
En réalité, Louis XV est plus embarrassé que
ravi des responsabilités qui lui incombent. Il
n'avait point senti le joug d'un homme qui
possédait son estime avec son affection. Quel-
ques jours plus tard, le maréchal de Noailles
lui remet une longue lettre de Louis XIV,
confiée par celui-ci à madame de Maintenon
aux derniers temps de sa vie et destinée à
être lue par son jeune successeur, au moment
où il la pourrait entendre. C'est une sorte de
testament politique, reconnaissant des fautes
et des erreurs, indiquant une méthode de
gouvernement et recommandant, pour le bien
de l'État, d'éviter toujours de prendre un
premier ministre. S'il en doutait encore,
Louis XV saurait, par la remise de cette lettre,
que l'heure est venue où l'on pense qu'il va
régner par lui-même. Il remercie le maré-
chal en le faisant entrer au Conseil, mais ne
change rien dans ison ministère : il garde les
i4.
yGoogk
346 LOUIS XV ET MARIB LBGZIIfSKA.
hommes de Fleury et, selon les apparences,
au lieu d'un seul plusieurs le mènent.
Après quelques jours d'efforts, de paquets
ouverts, d'affaires discutées devant lui, sa
paresse invincible le ressaisit. Cette paresse,
à laquelle les plaisirs ajoutent une prédispo-
sition physique, lui fait du moins rechercher
les honnêtes gens, «parce que les gens faux
vous tournent et que c'est un travail d'être
en garde». S'il y a des uns et des autres
parmi les secrétaires d'Etat, qui siègent autour
du tapis vert du Conseil, ils savent être d'ac-
cord pour le moment, ayant à résoudre des
questions difficiles et à préparer le royaume
à la guerre qui se rallume. Chacun d'eux se
flatte de durer et prend ses mesures ; cepen-
dant les plus avisés n'ignorent point qu'ils
sont à la merci d'une pensée secrète de leur
maître, d'une impression que rien ne révèle
et dont l'effet, longtemps après, éclatera.
Tout trompe dans le caractère de Louis XV.
La reine Marie s'est montrée d'âme trop
simple pour le pénétrer ; de plus habiles qu'elle
y seront pris sans cesse. Ni les ministres, ni
les maîtresses ne pourront se vanter de con-
naître le Roi, encore moins de le diriger. Ses
yGoogk
L'ABANDON. 24?
volontés rares et subites étonnent et décon-
certent. Loin d'être flottant, comme on le
croit, il est au contraire très résolu, mais
caché. Ses beaux yeux, caressants et doux, l'ai-
dent à maintenir cette dissimulation de toutes
les heures devenue son arme et sa défense.
S'il est d'aspect patient et écouteur, s'il parle
peu et ne formule presque jamais ses ordres,
le fond reste dominateur et violent. Louis XV
est plus absolu encore que Louis XIV. Plus
que lui, il est ce impénétrable et indéfinissable»
et l'on peut s'effrayer de la force dont il dis-
pose pour le mal. Investi d'un pouvoir sans
contrepoids et sans contrôle, maître de la vie
et de l'honneur de ses sujets, gâté par des
conseils complaisants ou vils et livré à la sen-
sualité envahissante, qu'advîendrait-il du Roi,
s'il n'y avait en lui, oubliée sans doute mais
inefFacée, la règle chrétienne du devoir? Elle
seule peut-être empêche la corruption complète
et le triomphe impénitent de l'égoïsme. Sans
elle, le chemin qui mène des passions au vice
serait parcouru d'un pas plus rapide ; sans elle,
plus tard, ce vicieux deviendrait un monstre.
yGoogk
CHAPITRE IV
LA BONNE REINE
C'est une tradition de l'art français de mul-
tiplier l'image royale, et les artistes de cha-
que époque, sculpteurs et peintres, s'y essaient
à l'envi, les meilleurs tenant à honneur d'en
tirer un chef-d'œuvre. Louis XV a été peint
par les maîtres principaux de ce xvnie siècle,
dont son règne emplit plus de la moitié : Ri-
gaud, Parrocel, les Van Loo, Nattier, La Tour,
jusqu'à Drouais aux dernières années, ont
transmis à la postérité, suivant leurs forces
et leurs talents, ces traits réguliers et délicats,
derrière lesquels l'âme se dissimule. Aucun
de ses portraits ne révèle entièrement le carac-
tère du Roi, si dificile à démêler à son entou-
rage même. Ceux de Marie Leczinska, au
yGoogk
LA BONNE REINE. 2^Q
contraire, qu'ils soient officiels ou familiers,
flatteurs ou sincères, disent tous et presque
également bien ce qu'il nous importe de con-
naître d'elle ; dans ses yeux limpides et francs
transparaissent toujours sa simplicité, sa ré*
serve, sa bonté, et il n'est pas un de ses
peintres qui n'ait cherché à les exprimer.
A Tocqué, cependant, elle n'a montré que
l'extérieur de sa vie royale, la représentation
et le grand habit. C'est une simple commande
oiBBcielle, faite en 17^0 par la Direction des
Bâtiments, la grande toile destinée à être re-
produite par les copistes du Cabinet du Roi
pour être offerte aux cours étrangères ou en-
voyée aux ambassadeurs avec celui du souve-
rain. Malgré l'artifice du décor et le déploiement
fastueux du velours bleu doublé d'hermine,
le peintre s'est complu à la physionomie de
son modèle. Il n'oublie point ce qui reste de
charme à la femme de trente-sept ans, qui
n'a jamais été jolie, s'est trouvée mère neuf
fois et vient de renoncer à être heureuse. Mais
toute la virtuosité du bon costumier se donne
carrière dans la richesse des branchages, des
fleurs et des rinceaux brodés de la robe
royale. C'est une de ces merveilleuses étoffes
pour lesquelles Marie Leczînska avait un goût
yGoogk
250 LOUIS XV ET MARIE LEGZIIHSKA.
si vîf et que lui reprochaient quelquefois sa
piété et son esprit d'ordre. Il convenait au Roi
que les plus belles fussent réservées à la garde-
robe de la Reine, et l'on sait que les tisseurs
de Lyon et de Tours exécutaient d'abord pour
elle les plus somptueux de leurs dessins.
La toile de Tocqué est du temps de ma-
dame de Mailly; celle de Carie Van Loo, sept
ans plus tard, date du triomphe de madame
de Pompadour. Le nouvel artisle a évité, par
sa composition vraie et brillante, les conven-
tions de l'œuvre officielle. Le manteau fleur-
delisé s'y dissimule et la robe blanche étale,
sans en rien laisser perdre aux yeux, la déli-
cieuse fantaisie des ramages d'or et des nœuds
d'argent. La main gauche tient l'éventail, la
droite une branche de jasmin prise au vase
de cristal posé sur la table. A côté de l'inévi-
table couronne, un buste assez fier présente
le profil de Louis XV, et le petit chien de la
Reine, un ruban roseau cou, achève de donner
à son portrait un aspect aimable et presque
intime. Elle est encore dans son intérieur et
le sourire nous dit qu'elle s^y trouve mieux
que partout ailleurs. Dans un instant, on la
verra tout autre, infiniment plus imposante
et plus grave ; elle réalisera ce que dit d'elle,
yGoogk
LA BOiNNE REINE. 25l
parmi sea louanges, le président Hénault:
ce Cette même princesse, si bonne, si simple,
si douce, si affable, représente avec une di-
gnité qui imprime le respect et qui embarra-
serait, si elle ne daignait pas vous rassurer.
D'une chambre à l'autre, elle redevient la
Reine et conserve dans la Cour cette idée de
grandeur, telle qu'on nous représente celle
de Louis XIV)). N'est-il point curieux que ce
soit la petite Polonaise qui évoque le mieux à
Versailles la majesté du grand règne?
Les vrais peintres de Marie Leczinska sont
La Tour et Nattîer. Seuls ils l'ont vue dans
son intimité, l'ont regardée vivre et lui ont
inspiré assez de confiance pour qu'elle leur
accordât de bonne grâce les vraies séances de
pose familière et sincère. Là Tour, avec son
génie indépendant, son esprit et ses boutades,
a dû amuser la Reine et lui plaire. Elle s'est
placée devant ses pastels tout à loisir, en
simple fanchon de dentelle, ayant jeté sur ses
épaules un mantelet de chambre ruche et
fanfreluche. C'est la toilette des femmes du
temps qui ont quitté le rouge et ne cherchent
plus à séduire que par leur esprit.
Le bon La Tour a subi quelque honnête
enchantement, car aucun de ses modèles, nî
yGoogk
25^2 LOUIS XV ET MARIE LËGZINSKA.
la grande marquise , ni la belle Camargo ,
ni même mademoiselle Fel, ne paraît l'avoir
mis en meilleure humeur. U a marqué, d*un
crayon respectueux mais fidèle, les yeux irré-
guliers, les paupières plissées légèrement, et
ce petit nez au spirituel retroussis, qui n'a
rien, à vrai dire, de l'idéal du grand siècle.
Qu'on ne s'étonne pas de trouver cette image
de la reine Marie exactement transportée dans
le tableau de Carie Van Loo ; le livret du
Salon, où celui-ci expose au public sa toile
somptueuse, nous apprend que ce la tête est
prise d'après celle qui a été peinte au pastel
par M. de la Tour ». La Reine a jugé inutile
qu'on refît ce qui avait été si bien réussi;
elle a pensé qu'il suffisait de recopier l'œuvre
d'un artiste aussi parfait et qu'aucun désor-
mais ne rendrait mieux les traits essentiels de
son visage, les yeux de malice et les lèvres
de bonté.
Elle n'a fait qu'une exception, et très heu-
reuse, en faveur du peintre de ses filles, Jean-
Marc Nattier. Mesdames se montraient toutes
enchantées d'un maître pour qui aucune
femme, suivant son mot, n'était dépourvue
de charmes. La Reine, tenant compte à Nattier
de lui avoir fait connaître celles de ses enfants
yGoogk
LA BONNE REINE. 253
qu'on élevait loin d'elle, consentît à poser
pour lui une fois encore. Ce devait être la
dernière, sa coquetterie n'ayant pas voulu
vieillir pour la postérité au delà de Tan 1748.
Elle imposa au peintre d'abandonner pour elle
le travestissement mythologique où il excellait
et qu'on mettait alors partout. Elle avait elle-
même suffisamment sacrifié au goût de l'épo-
que : Guillaume Coustou l'avait, dans sa jeu-
nesse , sculptée en Junon et Ton voyait cette
statue dans le parc de Versailles, en face d'un
Louis XV en Jupiter assez galant. Le peintre
Galloche l'avait représentée en (( Aurore sor-
tant du sein de Thétis», fade allégorie placée
quelque temps dans son cabinet, puis envoyée
aux greniers de la Surintendance.
Nattier n'eût pas mieux demandé que d'ins-
taller à son tour la reine Marie dans un coin
de son Olympe, sous la forme de déesse qu'elle
eût choisie, et sans doute se plaignit-il qu'on
l'empêchât de perpétrer un chef-d'œuvre. Il
doit pourtant à l'exigence de son modèle
d'avoir atteint, pour une fois au moins, les
sommets du grand art. La fille de Nattier
raconte, en ses Mémoires, que son père « ne
put sortir de la simplicité dans l'exécution de
ce tableau, parce qu'il avait reçu l'ordre ex-
i5
Digitized by VjOOQIC
3^4 LOUIS Xy ET MARIE LECZIKSK.A.
près de la Reine de ne la peindre qu'çn habit
de ville)), {jes séances ont été données 4an9
la grande chambre k coucher de Versailles ,
oîi Fcauvre est placée aujourd'hui. L'habit de
ville p3t pi»e robe rouge bordée de fourrures,
par&itement simple et 4^ pli» exquis ; une
(( marmotte » de dentelle noire e^t posée sur
un bonnet dont la dentelle blanche se répète
aux manches et au corsage. En cet ajustement
familier» la Reine feuillette sur une console le
livre ouvert des Évapgiles. On oublie ce qui
peut rester de convenu dans la composition,
tant la pose du personnage a de naturel et
d'expression, tant la femme» qui achève sa
lecture pieuse pour écouter Mouprif ou Très-
San, se révèle attachante fst bonne, de cette
bonté qui connaît la vie ^t qui uaU de h souf-
france.
Lps arts devaient bien traiter ftlarie Lec-
zinska, car elle les aimait d'un siupère amour.
Celui qu'elle leur témoigna et la forme
d'hommage qu'elle leur rendit la mettent à
part parmi nos reines. Marie-^^toineite, sur
ce point comme sur tant d'autres, lui demeure
fort inférieure et n'eut ni s^l compétence
ni son goût. La fille de St^nisla$ mérite même
yGoogk
|.A BOUNE REINE. 255
une plfi^ce par^^i }es artistes amateurs, car
elle a su Jef^ir le pf^ypn qJ Ip piupeau. Ayant
que la pt^afquise de Pompadq>ir s'en avisât,
elle a qpntriljué ppiff sq. .p£^r^ ^ relever la
conflit ion des artistes, en participant en quel-
que |:fiamèf'e ^ leijrs travaux. EUc chojsissait
cev^x qui d(§pQr^ijB}^f sps appartepiepts ; elle
imagiuaU pour çu^ 4^s compositions, leur
in4iqi4ait poi^ avis aycc justesse, l'impogait au
besoin avec une autorité point trop indiscrète.
C'q^I ppe éviflemmenj; qui a donné à Charles
Gqypel |ps motifs des tablesmx de ÇAnge gar-
dien qui enlèpç fiu Çiç\ M(^dame Tr^o^sième et
rApQthéçse de Monseigneur le ç(^c fTA^yQH»
Elle le faisait travailler sans cqçse \ ces siypt^
religieux qui l'ii^téressaient plus qup le? fii^tres
et 4pi?t elle remplissait ses cat)ipets ii^térieurs:
La Saliitatior} angéliqu,e. Sainte Genevfènç en
bergère^y Saii}te Thaïs dans $<i ceffule^ Sainte
Eusépchiç li^ç^nt qiç pied d'{in arbre à l'entrée
de sQ/j ff^nçistèce. Aprl? 1^ wp^t de l^adame
Ilenrle^te, elle lui comfl^cmdera, pour l'ora^
toire qu'elle a çlfi^z leg» Carmélite^ de Gpn>-
piègpp, le ppr trait 4'wÇî pénitepte du désert,
qui reprpduifa les tr^i|s de §a filje. A Yer-
8§iiUps, NatpiyQ décope Jes b^in§ de la Jleine
de jjp^pps pl}4? profanes tirées (Ips poésies pas-
yGoogk
25G LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
torales de M. de Fonlenelle; mais Vien peint
pour elle, sur des instructions tout à fait pré-
cises, Saint Thomas apôtre prêchant les Indiens
et Saint François-Xavier débarquant en Chine.
On sent ici l'affection qu'elle porte aux œuvres
des Missions étrangères, dont elle lit passion-
nément les relations ; on voit en même temps,
à sa façon de juger et de discuter les esquisses
de tous ces peintres, qu'elle est familière avec
leur art.
Le maître qu'elle voulut pour ses leçons
de peinture fut Oudry. La faveur qu'il avait
eue d'exposer ses ouvrages à Versailles, dix-
huit mois après le mariage royal, lui avait
valu l'admiration de la jeune souveraine. Le
Mercure racontait ainsi cette exposition : <( Le
dimanche lo mars (1727), le sieur Oudry
fit porter à Versailles vingt-six tableaux de sa
composition, parmi lesquels il y en avait un
de quinze pieds de long, deux de onze, etc.,
qu'il plaça le matin dans trois pièces du grand
appartement du Château. Le Roi et la Reine
virent ces peintures avec beaucoup de salis-
faction et s'y amusèrent longtemps : le Roi
voulut même les revoir l'après-midi.. Avec
l'applaudissement de Leurs Majestés, le sieur
Oudry eut encore la satisfaction de recevoir
yGoogk
LA BONNE REINE. 20']
ceux de toute la Cour, qui était extrêmement
nombreuse ce jour-là. On lui a ordonné cinq
tableaux pour le cabinet de la Reine. » L'ar-
tiste avait alors quarante ans, l'âge où un
peintre, suivant les habitudes de l'époque,
pouvait commencer à se faire connaître et
sortir du rang. Louis XV lui fit peindre ses
chiens et ses chasses, et Marie Leczinska ne
cessa guère de l'employer. Lorsqu'il eut la
commande des dessus de porte de l'apparte-
meiit du Dauphin, qu'il tira de ses composi-
tions sur les Fables de La Fontaine, le prince
lui demanda pour son cabinet un tableau
champêtre dont U ce dicta » le sujet et fit faire
l'esquisse devant lui. L'aimable toile de la
Ferme, peut-être à cause de celte collaboration
de son fils, plut assez à la Reine pour qu'elle
la voulût copier elle-même. Sa copie, fort
retouchée par une habile main, a été fièrement
signée: Marie Reine de France Jecit 1753. Un
cadre somptueux et singulier, surchargé de
sculptures, feuillages, oiseaux, serpents, et
qui ne coûta pas moins de soixante louis, fut
exécuté par les soins du président Hénault,
Marie ayant désiré offrir l'œuvre au Roi.
Son travail le plus considérable fut la déco-
ration d'un de ses petits cabinets de Ver-
Digitized by VjOOQIC
258 LOUIS XT ET UAKIE LEGZINSKA.
saîUes, le ce Cabinet dès Chlnbiâ », qil'br-
naicnl liilë quaiililé Ae porcelaîties de Chine
et du Japon, et de très besLûx mellblèà de
laque. Les panneaux, oft elle feignit dès Jé-
suites el des Chinois, furent légués pat son
testament îi la comtesse de NdaiUes, âa dètnière
damé d'honfaeur, plus tard ducheëàe de Mbu-
ch]^, et sont aujourd'hui au château de
Mouchy. Les Noailles regrèttèreiit (Jtielcjuëpëu
Tadmiraiioii qu'ils avaietit {)rbdlguée de èôn
vivant âti talent dé leilr Reinfe, car ilà évèdtiè-
rent à dix milJe lîvrèâ là dépëtise du pavillon
qu'ils devaient ajouter à leur hôtel de t^arîs,
pour placer digriemëfat des pëititutes ddbt le
seul tnéritë, disaient-ils, était l'brigillë: M. de
Marigny leur fit donner eil dédottiitlagettient
les boiseries, les glaces et les meubles qui
gâmissaîeiit la pièëë, et là dattie d'hotiiieill*
put rétablir chezeUe, daiisi l'état dû elle l'avait
vu à Versailles , le « Gabihei dëS Chinois » .
Elle eut soin, paraît-il, de mentionner daiis
rinscriJ)tion , avec la ddtiatioti de la Relue ,
<!t l'innocent îhëtisorige de cette bonne J)rîtt-
cesse )).
On {ieut croire, en effet; ^ùè Marie Lefc-
zihska se faisait aider polir ses tfetittës d'art,
plus encore que Stdtllâlas JJôiir se§ ti*aitéd de
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LÀ BONNE REINE. sSq
motalë. Il y avait uii jieintre de prdffesâion
âttAbhé au pinceau royal et qui rie Ife laissait
pbîîit s'égarer. Il faisait le Jlayâage àéê pietix
stijëts que la Reitle destinait à ses attiià, trâ-
çÉdt au cfayoïi léh persbhnages et peignait
même leà figureà et les chairs ; elle se réàër-
Tsit les draperieâ et lés petits accesèdireà. Cha-
q[uê matin, elle trataillait dans son « labora-
toire ï), sottà les yeul du maître qui préparait
Bà palette, garhiàsait sbtl pinceau, lui indiquait
pbiiit -par pbiilt où iî fallait pôset là cbùlétit.
Elle âVbuait, d*ailleut§; dé la meilleure grâce
du îtionde, lë tôle dé celui qil'elle lidmîtiàit
ellfe-riiênië àbtl C( teitituriél- », tdiite flSté de
pbiivdii' dire quelquefois qu'il tl'avait pas tout
fait. Elle âlitidtltait ëil ceë termes uh tableau
de saihtfeié à âbii pi-éàidènt : « Geneviève ëàt
vëtiiië dùjotird'htii et part demain pour vbiis
aller trduvër. Ayez attention de lire ce qiii
est écrit sûr l'arbre. Je suis biéii aise de votis
dire que nibn teinturier n'y a que très peu
de jjàrt et que tout est presque de ma main,
la figute surtbiil, ciel, loihtaiii et Totale. »
Elle se faisait sans doute illusion, même pbur
sa Sainte Geriëtièvë, niëis n'avait pas tdrl de
penser que lé vrai itiéritë de ces dtitragës était
que l'amitié y eût travaillé,
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260 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
L'amitié tient une grande place dans la vie
de Marie Leczinska et la repose des charges
de la représentation royale, qu'elle supporte
si fidèlement. La femme mérite d'être accom-
pagnée dans son intérieur. Dans ses a petits
cabinets» décorés de sculptures par Verberckt,
de vernis par Martin, et si difiTérents par leur
usage de ceux de son mari, elle s'entoure de
ces objets d'art délicat dont la mode du siècle
multiplie la charmante inutilité ; elle réunit
autour d'elle ses souvenirs préférés, ceux de
Stanislas et de la Pologne ; elle y colorie des
estampes religieuses, y imprime de petites
images à distribuer ou des pensées édifiantes.
Ses guéridons de palissandre sont toujours
chargés de broderies pour les églises et de
vêtements pour les pauvres gens. Mais c'est
surtout l'asile de l'intimité et le sanctuaire de
la causerie. Le plus doux plaisir de la Reine,
celui dont elle ne se prive que par mortifica-
tion héroïque, c'est la libre conversation, dans
un cercle aimable et spirituel, où l'éliquelte
disparaît devant une familiarité du meilleur
ton.
Son petit salon réunit parfois une élite de
gens d'esprit qui en célèbrent le bon accueil.
On y voit le président Hénault, voué à l'étude
yGoogk
LA BONT9E REINE. 2C1
par ses fonctions et à la société par ses goûts,
qui porte sur son visage large et souriant les
qualités pour lesquelles la Cour et la Ville le
recherchent. Les soupers qu'il donne sont
fameux et l'on soupe chez la marquise du
Deffand pour l'y rencontrer. On apprécie la
solidité de son commerce et les grâces de sa
conversation. Sérieux juriste et historien, il
est aussi ce l'homme du monde qui sait le
plus dans tous les genres, au moins dans
les genres agréables et utiles à la société » ;
il a (( le talent de paraître s'occuper avec
plaisir, et même avec passion, de ce qu'il
sait plaire à ses amis », et se fait pardonner
son érudition par sa galanterie, ses petits vers
et son zèle a rendre service. Impétueux dans
ses disputes toujours courtoises et dans ses
admirations vite calmées, « on voudrait, écrit
une de ses amies, que son empressement pour
plaire fût moins général et plus soumis à son
discernement ».
M. de Maurepas cherche moins à plaire
qu'il n'y réussit. Parlant beaucoup, décidé
sur tout, il traité légèrement les grands objets
et sérieusement les bagatelles. Rien ne sert
mieux un gentilhomme auprès des femmes et
des princes. Maigre et noble dans sa haute
i5.
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2r>a LOUIS XV KT HARIfi LEGZIIfSKA.
tAille, avec soii teint pèle et Sdn tnèHtoti
pointu, il à Ift Verve gaie, qtioi({1iè rarement
bienveillante. Il ose apporter chez la Heine
rénorme ttiédisabce dtL temps, car il excelle à
ce jeu de fttiré oublier que rhoihme qu'on
déchire est (tle prochain t>. Il eât le courtisan
le mieux informé dès nouvelles et le plus
habile à y broder, avec toutes les délicatesses
de la latigue, le détail piquant qui les embellit
et les défigure. Il a tout vu, tout lu, tdilt isu et
de tout s'est moqué. C'eât un esprit fort sans
consistance, de ceux qui devientieut dévots
avec le temps, aussi rdué que ddU grand eh-
nemi Richelieu, mais frivole jusque dans son
libertinage secret et seâ parties de débauche.
Rompu aux choses de la politique, qu'il a
abordée tout jeuiie et comme par drdit de
naissahcé, itistallé dans lé ministère à Vihgt
ans, doyen du Coilseil à trëtitfe-ciiiq, il eiSl
Capable et presque incomparable dahâ tdUtbâ
les petites choses du gouvernemètit. Il ignore
Ce qu'est un échec d'ambition ; il est ërrivé à
se faire craindre et ihême à se faire âiiner, et
Ton admire en lui Un optimisthe que rien
n'ébraule et ijue l'dhioui-, murmurè-t-dh; ne
dérange point.
Olîicier de bellfe prestance, écrivait! cdqiièl,
yGoogk
LA BONNE RÈINE. 263
aussi goûté dés cabinets de Versailles que de
la febur de Lilfaéville, dont il sera un jdur
rorncment, le cbtnte de Tressan a été intro-
duit auprès dé Id Reilie par «là saiilte du-
chesse», madame de Villars. Elles s'amusent
l'une et l'autre à lui faire rîmèr des cantiques
et des traductions de psaumes, en expiatidii
de profanes poésies, que leur détotion ne les
empêché paS de savourer. La haute piété ne
sied guère au beau lieutenant des gardes du
corps ; il écdute avec respect les sermons
qu'on lui fait chez la Reiiie, mais n'en va,
dit-il, que (( son petit train ». Comme les
sociétés du temps ont la manie des surnoms,
celui de «Petit Traiii» lui est resté. Ses har-
diesses de lahgage n'offensent jamais le bon
ton et; s'il tient un propos risqué, l'état mili-
taire vaut au coupable des trésors d'indul-
gence. Ainsi ce favori des belles comme des
moins belles partage son aimable vib entré la
Coui* et l'armée ; il y brille également J)ar des
qualités différentes et ses lettres, ingénieuse-
ment tournées et lancées à bonne adresse,
tnontrent qu'il possède, entre tous ses talents,
celui de ne se laisser jamais oublier.
Un simple écrivain a été accueilli pai: Marie
Leczinska dans une intimité égale et, pour le
yGoogk
264 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
rapprocher d'elle, elle l'a fait nommer son
ce lecteur)). C'est que le sieur Paradis de Monr
crif, qu'accompagne sa petite gloire un peu
ridicule d'historien des Chats, d'(( historio-
grifle)), suivant un mot du temps, est aussi
et surtout le théoricien du Moyen de plaire.
Personne n'a plus d'autorité que lui pour
mettre en leçons cet art particulier, où la
nature l'a préparé à passer maître. Fils d'un
secrétaire du Roi, qui a «manqué», comme
on dit, et laissé ses enfants dans la misère,
Moncrif a fait oublier ces fâcheuses origines,
s'est élevé du grimoire à la bourgeoisie, puis
aux gens de condition et aux princes. Partout
il s'est rendu indispensable, et chez la Reine,
où son coin de salon est marqué, on l'appelle
(de Fauteuil)). Très soigné de sa fine per-
sonne, ayant toujours la perruque la mieux
arrangée et la mieux poudrée, il fait métier
d'écrire dans la matinée et voit du monde le
reste du jour. C'est un philosophe parfaite-
ment agréable à fréquenter et à nourrir, de
ceux à qui l'on paierait pension pour les avoir
de compagnie, à la ville ou à la campagne, et
sans lesquels un cercle du temps, même à
Versailles, serait incomplet. Au reste, cir-
conspect et doux, toujours de votre avis, y
yGoogk
LA BONNE REINE. 265
ajoutant même, « vous ne lui feriez pas dire
du mal de la lune, de peur de s'attirer des
affaires » et de compromellre sa délicieuse
carrière d'académicien complaisant et choyé.
Maurepas, Hénault, Tressan, Moncrif font
tous profession d'esprit et sont jugés supé-
rieurs en ce siècle où l'art de la conversation
est le premier. Les autres familiers de la Reine
ont moins d'éclat, mais ne lui sont pas moins
attachés. En octobre 1742, elle perd le fidèle
Nangis, son chevalier d'honneur, qui l'entou-
rait d'un culte passionné et des fadeurs d'un
sentiment auquel, tout vieux qu'il fût, elle ne
se montrait point insensible. C'étaient les
façons de l'ancienne Cour, celles qui avaient
valu au maréchal, au temps jadis, les bonnes
grâces de la duchesse de Bourgogne. La Reine
sentait, sous les galanteries un peu surannées,
une affection profonde et sûre, et sa mort a
été pour elle le plus grand deuil d'amitié
qu'ait porté son cœur. Pendant des mois, elle
n'a pu parler de lui sans pleurer, et elle a
cessé d'habiter certaines pièces de son inté-
rieur, parce qu'on voyait de là « les fenêtres
du pauvre Nangis». Elle s'est attachée aux
Broglie, en souvenir du défunt qui les aimait;
yGoogk
266 LOUIS Xy ET MARIE LEGZINSKA.
et, comme l'abbé de Broglie est venu à la
Cour pour soutenir leh intérêts de son frère
le maréchal; c*eAt lui qu'on voit longtemps,
chaque soir sur les dix heures, donner la
main à la Reine pour la conduire chez ma-
dame de ViUars et, vers minuit, pour Id ra-
mener.
Plus tard, c'est chez la duchesse de Luynes
que Sa Majesté passe le plus souvent ses
soirées. Son intimité est ici singulièrement
étroite: elle y soupe, en uil an, cent cjuatre-
vingt-dix-huit fois ; elle y joue ses éternelles
parties de cavagnble, où l'excellent bailli de
Saint-Simon se dévoue pout lui tenir tête;
elle y causé surtout, à ccèut ouvert, avec ceux
qu'elle appelle « ses hdnnêles gens )J, le duc
de Luyneâ, le cardinal et cette fidèle daine
d'honneur, qui n'avait point été nommée de
son choix et qui est devenue pour se maî-
tresse, d'abord en défiance, l'amie indispen-
sable. La duchesse de Luynes est sensible à
l'amitié, généreuse, discrète; de jugéinènl
droit: elle ne bonnaît aùcuhe jiassion trop
vive, mais toutes les passions dotices, (Juifont
le chartne d'une iie et le bonheur d'un en-
tourage. Si elle s'avoue très attachée par goût
à la Cour, à la représentation et aux hon-
yGoogk
LA BONNE REINE. 267
neùrs de la grande charge qu'elle remplit,
elle est incapable d y rieil sacrifier de sa di-
gnité et de sa noble franchise. Là Reine et la
première dame de sa maison sont donc tiées
pour s'entendre en beaucoup de choses, et
cette affection simple et cordiale, que moh-
trent les lettres de l'une et de l'autre, vient
de l'accord de leurs caractères. Madame de
Luynes toutefois est étrangète à là médi-
sance, qui la blesse, et à l'ironie, qu'elle ne
comprend point, tandis que la Reine, d'esprit
{)lus alerte et plus malicieux, est asse2 capable
de pratiquer ces défauts pour en goûter
ensuite lé repeiitir.
La grande politique serait apportée chez la
Reine, si elle ne s'en défendait prudemment,
par un hoitime en qui elle a pleine confiance.
Le comte d'Argensdn; doht son frère aîné, le
marquis, envie si longtemps Theurenâe car-
rière, dirige ce grand département de la
Guerre, qui dispose de l'élévation ou de la
ruihe de la noblesse. Esprit froid et résolu,
attaché à son métier de ministre et le faisant
bien, M. d'Argénson pasàe pour un habile
hohime; qtii n'oblige qu'à bon escient et
pourvoit à sa sûreté propre en s'occupant du
yGoogk
268 LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
bien de rÉtat. On le voit pourtant fort désin-
téressé dans son dévouement pour la Reine,
qui ne peut servir à rien, ni à personne.
Celle-ci l'attire chez elle, le retient pendant
des heures, l'appelle ce Cadet » : ce Vous êtes
charmant, charmant, charmant, lui écrit-elle
un jour. Si l'on mettait les saints dans le
calendrier de leur vivant, je serais ravie d^y
voir saint Cadet. » Cette afiTection vient de
loin : on n'a jamais oublié que M. d'Argenson
a parlé à la Cour , le premier , de l'humble
jeune fille de Wissembourg, qu'il avait vue à
son retour d'une mission conjugale remplie à
Bade pour le compte de la maison d'Orléans.
Les souvenirs de ce temps -là sont les plus
chers à la femme qui vieillit et ceux auxquels
elle revient le plus volontiers.
En même temps que le comte d'Argenson,
Fleury, dont ce fut un des derniers actes, a
fait entrer au Conseil le cardinal de Tencin ;
c'est aussi un fidèle du salon de Marie Lec-
zinska, chez qui son habit et son brillant
esprit lui assurent des égards particuliers et un
bon auditoire. Sans doute elle ignore, ou
veut ignorer, les bruits fâcheux qui courent
sur ce prélat, dont une sœiir plus qu'intri-
gante a fait la carrière et qui, même en un
yGoogk
LA BONNE REINE. 269
temps où Ton n'est pas exigeant sur ce cha-
pitre, montre vraiment peu de piété pour un
hoïnme d'église. La Reine n'aime point qu'on
parle légèrement de ces soutanes légères ;
mais elle se sent plus à l'aise avec les bons
évêques des provinces, qui ont l'habitude de
la résidence et qui ne viennent à la Cour que
pour les vrais intérêts de leur diocèse. Ce
sont ceux vers lesquels se tournent sa con-
fiance et son cœur, parmi ce clergé de France,
si mal gouverné, qui compte encore cepen-
dant un certain nombre de pasteurs selon
l'Évangile.
Il en est un surtout qu'elle met tous ses
soins à retenir à Compiègne pendant les
voyages, c'est Tévêque d'Amiens, vieillard
tout de charité et de dévouement, un peu
lassé par l'âge, fort gauche dans l'habit court
qui est d'étiquette auprès du Roi, mais sa-
chant dire sans embarras les vérités fortes.
La Reine aime cette franchise apostolique et
l'encourage. 11 ose censurer devant la famille
royale ce qu'il y a de choquant autour d'elle
dans certains usages de religion et dans les
habitudes du clergé courtisan: « Je crois,
mon vénérable, lui dit un jour la Reine, que
vous devez voir dans notre Cour bien des abus
yGoogk
370 LOUIS Xt ST MAtilB LÈGZINSKA.
qui échappent \ lioâ ycnt profailes.^^^ Gèltii
qui me frappe Ife plus, l-épond le ptélAi, c'fest
de m'y voit moî-môrtife goûtant îa consol«[tion
auprès de Votre Majëâté, au liëll d'être oeclipé
à la répandre parmi ihes pautres diocésains.
— Et l'habil court? reptend M: lé Dauphin.
Croyez-vous que M. d'Amiens ne Tait pas sur
le cœur? — ^11 est vrai, Mdnâeîgrieur, dit
celui-ci, que j'ai siir le cœur et qtie je trdtlve
bien indigeste qilô î'oti ndtis fasëè dé{j5aer,
de par le Roi, l'habit qtle nbtlà pdrtbîis de
par Dieu. » L'eâtimèi qtife Ldùià XV a pour
ce saint homme va jusqu'au respect. Quand
celiii-ci prend botigé, le Rbi se recoiutnànde
à ses priètes : tt Sire, lui dit Utl jotlt l'évêque,
je prie toui lès jdurs pour Vottë Majesté ; et
c'est du fond de mon cœur, qtlè je démdiide
à Dieu pour Elle une grâbe qtle je voudrais
obtenir au prix de tout tnoil âaiig. -^ Gdiîti-
liûéz de la demander », répond le Roi, qtli
comprend sanâ peine de quelle grâee 11 est
question.
S'il y a utie vie secrète du Rdi, il y a atisSi
une vie secrète de la Reine. Peu de persdnties
la coiinaiésetit; et cètix (Qu'elle chbisit pdur mi-
nistres de ses châritéâ igiioreiii sdtitettt lô àdurce
yGoogk
lA bohhe rbîtc*!. 271
dtt bien qu'ils ont mission de transmettre.
Les faits très liombrëttx qu'ensevelit dans Tom-
brè rhumilité de la Reitie seront plus tard ré-
vélés par des i^écîts édifiants. Il n'est pas possible
de les passer sous silence, car toute la se-
conde partie de sa vie eti est etpliquéè . A me-
sure que le mariage à pour elle moins de
joièâ et la màteinité moins de charges, Marie
Leczinska â'adonne davantage k la piétés et
cette piété âbtltietit en elle une vertu qui lui
fdtifnit désbrmais ses occupations principales.
Attachée bôiiime elle Test à Ift dévdtibn au
Sacré-Cœur de Jéâtis, tjui «ait k peine et
qû'èlic contribué à propager, elle semble pui-
ser, dans cette forme surnaturelle de Famour,
de§ forcés nouvelles de dévouement envers ces
membres souffrants de Jésus que sont les
pativres. C'est peu pour elle de les secourir ;
elle le§ aitiiè, et d'une tendresse frafernelle.
Quelle que soit l'origine de cette inclination
dé i^on âme, on peut dire qu'il n'est guère de
princesses qui se soient rapprochées autant
qii'felle de la souffrance dés humbleë geris et
autant Uiêlées à la vie de leUrà sujets malheu-
reUi.
Là Reine coniribue à toutes les fondations
charitables de l'époque. Elle aide le curé dé
yGoogk
37^ LOUIS XV ET MARIE LBGZINSKA.
Saint-Sulpice, M. Languet, à créer la maison
de l'Enfant-Jésus, où sont élevées les jeunes
filles pauvres et où des milliers de femmes
trouvent, dans le travail qu'on leur procure,
une ressource toujours assurée contre la mi-
sère. Elle soutient les œuvres des filles de
Saint Vincent de Paul, et c'est par celles-ci le
plus souvent que se répandent dans les qxiar-
tiers misérables de Paris elles affreux hôpitaux
du temps les aumônes recueillies au milieu
des splendeurs de Versailles. La Reine donne
pour les maisons de charité, pour les hospices,
pour les officiers et les nobles indigents ; elle
délivre les prisonniers pour dettes, qui sont
presque toujours des innocents ; eUe envoie
des provisions aux couvents dénués et aux
familles chargées d'enfanls, dont elle fait re-
chercher les besoins secrets. Gomme elle a le
goût du détail, il y a, dans son propre appar-
tement, un dépôt de nippes, comprenant tout
ce qui est nécessaire au pauvre, depuis les
langes du berceau jusqu'au linceul de la sé-
pulture ; elle en surveille elle-même la distri-
bution et lé renouvelle en partie de ses mains,
suivant l'habitude de sa jeunesse accoutumée
aux ouvrages utiles et rudes aussi bien qu'aux
délicatesses de la broderie.
yGoogk
LA BONNE REINE. 278
Elle use de son autorité et de son exemple
pour rappeler à la Cour les devoirs qu'il est
le plus facile d'y oublier. Elle tient chez elle
de véritables assemblées de charité, oii les
curés et les vicaires prennent la parole pour
leurs œuvres, où les quêtes faites par elle ne
peuvent manquer d'être fructueuses. Elle s'as-
sujettit à voir elle-même, autant qu'elle le
peut, les malheureux <ju'elle veut soulager, à
les écouter, à leur répondre. On l'entend se
plaindre de l'importunité des quémandeurs
courtisans, jamais de ceUe des pauvres. Dans
ses visites aux églises ou aux communautés,
dans ses promenades même, les gardes qui
font faire place ont ordre de les laisser appro-
cher toujours. Les loques et les béquilles se
pressent autour du carrosse doré, et M. de
Nangis les nomme, en plaisantant, « le régi-
ment de la Reine ».
Ses ressources sont cependant plus limitées
que la bonté de son cœur. Tout ce qu'elle
donne est pris sur ses revenus personnels,
qu'elle ne demande jamais d'augmenter; deux
fois seulement, le Roi ayant appris que ses
dettes atteignent un chiffre élevé, les paye
sur sa cassette. 11 arrive cependant à Marie,
pour répondre à de pressantes nécessités, de
yGoogk
syd LOUIS XV ET mahie leczinska.
mettre à coalributipa isop fiis et §;es filles, et
de les réduire « à l^iir dernier 3QU )i>.
Le Dauphin est placé ainsi, dès ^nm^^nçe,
eu face dey réalités criieUep qu'on cs^che 4.'or-
dina^re aux princ($§ et qui achèvent d'ennoblir
son caractère. L'admiration qu'il a pour ^a
mère ne saurait être p^rt^gée par lei^r entoi^-
rage, qui devine peu de chose 4e la bienfai-
sance exercée par eux. Les courtistiiis , qui
voudraient arracher à }a Rei^e des profusions
à leur profit, 3e plaignent de la voir fort
réservée sur ce point. Son grand courage peut
être e^t d'accepter autour d'elle de^ visages
mécontent^ et la réputation de n'être pst^ géné-
reuse.
Chaque aumône lui coûte une priy^tipn, et
ses aumônes sont infinies. Elle calcule le prix
d'une robe qui lui plaît et y renonce, en
disant ; <( C'est trop cher ; j'ai ^ssez de robep,
quand no» pauvres manquent de chemises. »
Quoiqu'elle aime avec passion les bijoux, feg
porcelaines, les raretés, elle 3e priye d'en
acheter, et il lui arrive de vendre cellep aux-
quelles elle tient le plus. Elle se met ep garde
contre l'achat immédiat de l'objet déliré. J^eg
marchand^ qui tiennent leurs étrifges daiis
le9 galeries et le» espaliers de Verê^^iUes payent
yGoogk
LA BONNE REINE. 27B
SQS gQufô ^ h moyen de la fi^ire s arrêter au
passagQ ; mai3 elle s'est 4onné pour loi de
renvoyer au lendemain racquisition qui Ta
tentée, et le lendemain l'amour des pauvres
l'a emporté sur celui des bijoux. Un jour
qu'on lui en proposait un tout à fait à sa
convenance, mais d'assez grand prix : (c II me
plftirait asse?, dit-elle , mais , pour en bien
juger, il faudrait mes yeux de demain. » EUe
n'y peuse plus, quand le bijoutief se présente
u sa porte, demandant à parler à Sa Majesté :
ce Oh I à coup sûr, répond la Reine, ce n'est
paiut à ma majesté qu'il en veut, ce n'est qu'à
ni9 fai^taisie; vous lui direz qu'elle^ est partie. »
De tels propos et de tels actes sont natu-
rels chez Marie Leczinska; ils viennent de l'idée
qu'elle se forme de ses obligations et de la
fer|3ie volonté qu'elle a de ne manquer à au-
cune. Cette vie charitable de reine n'a point,
saus doute , le piquant des aventures d'une
fi^vorite ; mais ^Ue profile mieux à la nation
et lait pliis d'honneur à la royauté.
Si la eharité offrait à la reine Marie des
devoirs inépuisables et de véritables consola-
iioa3, le mariage n'avait plus pour elle que
des tristesses. Il lui était permis de penser
yGoogk
276 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSXA.
qu'elle avait goûté un plus long bonheur
conjugal que la plupart des femmes, mais
l'espoir lui semblait interdit de le voir revivre.
L'expérience nouvelle que le Roi faisait de
l'adultère paraissait définitive. Cette madame
de la Tournelle, devenue duchesse de Châ-
teauroux, était tout autrement établie à la
Cour que ne l'avaient été ses sœurs. Dame
du palais de la Reine, duchesse à brevet,
comblée de pensions et riche d'amis, sa situa-
tion se trouvait inattaquable. Aussi jamais
pouvoir ne fut plus affiché; jamais favorite
royale ne montra, après plus de volonté dans
la conquête, plus de sécurité dans la posses-
sion. Découragée d'une lutte impuissante,
qui lui avait si mal réussi , la Reine s'efiaçait
et afiectait de se désintéresser de ces amours.
Elle ne voulait rien connaître des colères que
suscitaient, dans l'opinion, le choix fait par
le Roi, le ton hautain de la maîtresse et la
croyance générale que l'intrigue et la faveur
par les femmes allaient dominer le gouverne-
ment.
Les chansons irritées et les noëls impi-
toyables n'apportaient dans les cabinets de la
Reine que leurs couplets les moins insolents :
elle eût rougi d'en entendre d'autres. Elle
yGoogk
lA BONNE REÎNE. 277"
restait à la place où le Roi la reléguait, rem-
plissant ainsi la seule obligation conjugale
qu'il lui laissât, celle de la parfaite obéis-
sance. Une seule fois un autre devoir l'ap-
pela, et Tépouse aussitôt, dans Témoi de cir-
constances imprévues, et graves, réclama son
rôle et le prit.
Au printemps de 1744, la guerre recom-
mençant avec l'Empereur, le bruit se répan-
dît que Louis XV songeait à reprendre les
traditions de sa race et à se mettre à la tête
de ses soldats. Trois armées entraient en cam-
pagne, et une quatrième se formait, sous les
ordres du comte Maurice de Saxe, qui venait
d'être fait maréchal de France. Elle devait
couvrir celle du maréchal de Noailles, des-
tinée à opérer en Flandre et où le Roi était
attendu. D'oii venait sa décision? Suivait-elle
une belle résolution de madame de Château-
roux, qui souhaitait un amant digne d'elle et
souffrait avec peine qu'on l'accusât d'amollir
le Roi ? Louis XV obéissait-U à la fois au
vaiUant caprice de la favorite et aux secrets
reproches de sa conscience? 11 s'était, en tout
cas, trop avancé pour renoncer à un projet
qu'acclamaient déjà l'armée et la France en-
16
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!278 LOtlS XV ET MARIE LECZINSKA.
tîère. Tout le monde autour de lui l'y pous-
sait, depuis le vieux NoaiUes, qui voulait ,
avant de mourir, avoir combattu sous les
yeux de son maître, jusqu'à Maurepas, qui se
flattait de garder seul, en campagne, l'oreille
du Roi. d'éloigner de lui madame de Ghâ-
teauroux et de la faire oublier.
La Reine aussi le désirait, et plus passion-
nément que personne, autant pour l'honneur
du Roi que pour les secrètes espérances que
M. de Maurepas , son conseiller d'alors , lui
laissait entrevoir; mais, seule peut-être, elle
n'osait en parler à Louis XV ni même y faire
allusion. Depuis longtemps elle ne savait plus
prononcer devant lui que les paroles les plus
banales et, si elle avait à lui demander la
moindre grâce, elle le faisait par lettre, ja-
mais de vive voix. Cet état singulier des
rapports du Roi et de la Reine n'est marqué
nulle part mieux que dans ce récit de Luynes :
« La Reine vint après souper et, se trouvant
entre madame de Luynes et moi, la conver-
sation tomba sur le départ du Roi, qui occupe
tout le monde. Je pris la liberté de lui
demander si elle ne désirerait pas d'aller sur la
frontière ; elle me dit qu'elle le souhaitait ex-
trêmement. J'ajoutai : ce Gela étant, madame,
zedby Google
LA BONNE K£iN£« 2^9
» pourquoi Votre Majesté ne le dit-elle pas au
))Roi? » Elle me parut embarrassée d'avoir à
parler au Roi, et croire en même temps que
le Roi, de son côté, serait embarrassé de l'é-
couter et encore plus de lui répondre. Enfin
elle ne trouva point d'autre expédient que de
le lui écrire. C'était pendant le voyage de
Ghoisy. Nous crûmes, madame de Luynes et
moi, qu'elle prendrait ce temps pour envoyer
sa lettre; mais elle nous répondit toujours
que cela ferait une nouvelle de voir arriver
une lettre d'elle à Ghoisy, qu'elle aimait
mieux écrire quand le Roi serait ici ; qu'elle
était dans cet usage; que, quoiqu'elle vît le
Roi presque tous les matins à son petit lever,
il y avait toujours tant de monde qu'elle ne
pouvait lui parler en particulier. Jeudi matin
efifectivement, après avoir été quelque temps
chez le Roi et étant au moment de s'en aller,
elle lui remit elle-même sa lettre, mais avec
beaucoup d'embarras, et s'en alla immédia-
tement après. Je n'ai point vu celte lettre,
mais j'ai ouï dire qu'elle lui offrait de le sui-
vre sur la frontière, de quelle manière il
voudrait, et qu'elle ne lui demandait point de
réponse. Vraisemblablement ce dernier article
sera le seul qui lui sera accordé I »
yGoogk
280 LOUIS XY ET MARIE LECZI29SK.A.
Plusieurs jours se passent en préparatifs,
sans que le départ soit déclaré publiquement.
Les gentilshommes qui souhaitent de suivre
le Roi lui demandent une permission, qu'il
accorde ou qu'il refuse; le détachement de la
Bouche qui doit marcher est désigné, ainsi
que les officiers des Gardes du corps qui res-
teront à Versailles. Les compagnies de la
Maison du Roi, gendarmes, chevau-légers et
mousquetaires, commencent à partir les uns
après les autres ; le guet du Roi et les Cent—
Suisses s'y préparent. Le i^^ mai, le Roi
soupe au grand couvert avec une affluence
exceptionnelle ; il n'est question du voyage ni
avant ni après. Il entre chez la Reine au sor-
tir de table, comme à l'ordinaire, y fait un
petit quart d'heure de conversation indiffé-
rente et sort sans avoir parlé de rien, recon-
duit par la duchesse de Luynes, qui se
hasarde à lui dire qu'elle fait des vœux pour
sa santé et pour sa gloire. Il rentre chez lui,
donne l'ordre pour son coucher à une heure
et demie, et envoie quérir le Dauphin/Il l'en-
tretient d'un ton ému, que le jeune homme
ne lui connaît point, et le congédie pour
écrire. Au coucher,, il ne fait que changer
d'habit et rentre dans son cabinet, où l'attend
yGoogk
LA BOIfNB REINE. sSl
son premier aumônier, qui le mène prier
quelques instants à la chapelle. A trois heu-
res, il monte en carrosse, avec les torches,
aux degrés de la cour de Marbre. Le matin
venu, la Cour apprend qu'il est parti.
Des lettres de sa main sont portées à la
Reine, à Madame et à madame de Ventadour.
La première répond à la prière déjà ancienne
qu'il a reçue ; mais quelle réponse brève et
glacée 1 U est bien fâché, dit-il, que les cir-
constances ne lui permettent pas de faire
avancer la Reine sur la frontière, à cause de
la trop grande dépense; il compte qu'elle de-
meurera à Versailles et qu'elle fera de Trianon
tel usage qu'elle jugera à propos. Dans la
lettre à Madame, il y a plus de tendresse et la
promesse d'écrire alternativement à chacun
de ses enfants. Mais c'est la bonne « Maman
Ventadour » qui montre le billet le plus joli :
« Ma chère maman, j'ai remis à moi» départ,
pour vous l'adoucir de mon mieux, à vous
apprendre que c'est avec grand plaisir que je
vous accorde ce que vous me demandez pour
votre petite-fiUe, la duchesse de Mazarin ( il
s'agit d*une pension de deux mUle écus).
Priez Dieu, maman, pour la prospérité de
mes armes et pour ma gloire personnelle.
i6.
yGoogk
98a LOUIS XY ET MARIE LEGZINSK.A.
J*emporte à Tarmée toute la volonté possible
que* le Dieu des armées m'éclaire, me sou-
tienne et bénisse mes bonnes intentions. Adieu,
maman ; j'espère vous retrouver en aussi
bonne santé que je vous laisse, et je vous
embrasse du fond du cœur)). Marie donne-
rait volontiers son château de Trianon et
sans doute même sa couronne, pour recevoir
une lettre sur ce ton d'affection, au début
d'un voyage aussi lointain, aussi dangereux,
et où elle a vainement rêvé d'être admise.
D'autres iront, qu'elle n'a pas prévues et
dont le départ sera pour elle la plus cruelle
blessure. Les premiers jours, en attendant les
prières des Quarante- Heures ordonnées par
le Roi, elle se prive de musique et de concerts ;
elle fait chanter à sa messe le Domine salvum
fac Regem qu'elle récite toujours de toute son
âme; elle écrit au Roi, voulant être dirigée
par lui dans cette situation inattendue, et se
sentant plus à Taise avec lui parce qu'il est
loin. Madame de Châteauroux et sa sœur, la
duchesse de Lauraguaîs, sont retirées à Plai-
sance, chez Pâris-Duverney, et ne semblent
ni affligées ni inquiètes. Mais le bon peuple
est convaincu que le Roi reviendra îi la Reine
yGoogk
LA BONME REINE. 383
et que le viril métier qu'il va faire le guérira
de sa passion. Puisqu'il a pu quitter sa maî-
tresse, pourquoi ne se confesserait-il pas à la
Pentecôte? Dès à présent, son caractère semble
transformé et sa popularité s'accroît des nou-
velles envoyées de Lille : « Le Roi, écrit le
marquis d'Argenson, fait merveille à l'armée;
il s'applique, il se donne de grands mouve-
ments pour savoir et pour connaître ; il parle
à tout le monde. La joie est grande parmi les
troupes et les peuples en Flandre. Aurions-
nous un Roi? )) L'illusion sera de durée courte.
Trois jours après le départ, les mieux informés
des courtisans savent qu'à Lille M. deBoufflers
a fait, à tout hasard, accommoder des mai-
sons qui percent dans l'hôtel du Gouverne-
ment, oii demeure le Roi, et qu'on y compte
voir bientôt certaines dames.
C'est M. de Richelieu qui les veut et a be-
soin d'elles. Le Roi subit déjà des influences
qu'il redoute. Le duc est à même de les obser-
ver, grâce à la place de Premier gentilhomme
de la Chambre, qu'il vient d'obtenir et qui le
rapproche plus que jamais du Roi. Il voit le
maréchal de Noailles s'emparer peu à peu de
lui, à propos des affaires militaires. Les princes
venus à Tçirmée, les grands officiçrs d© UCou-r
yGoogk
284 LOUIS XT ET MARIE LBGZI1I8K.A.
ronne, les prélats surtout, qui sont du parti
de Maurepas et de la Reine, font au souverain
sorti de ses habitudes une compagnie qui
peut finir par lui plaire. La prise de Menin,
première opération de guerre à laquelle il
assiste, a paru l'intéresser. La gloire qu'on
lui promet, avec TalTection de ses peuples, ne
pourrait-elle le détacher de Tamour? Le nom
de la Reine, partout prononcé respectueuse-
ment ou acclamé avec le sien, ne lui donnerait-il
pas la pensée d'un rapprochement qu'il voit
désiré de tous ses sujets?
Richelieu n'ignore point que le Roi a quitté
Versailles avec l'intention sincère de ne pas
appeler sa maîtresse. Mais il sait aussi mieux
que personne combien les tentations le trouvent
faible, quand elles sont directes et connues, et
comme il penche à certaines rechutes. Le Pre-
mier gentilhomme invente d'abord de faire
venir à Lille la duchesse de Chartres, sous le
prétexte que son jeune mari est tombé de
cheval; c'est la princesse de Conti, sa belle-
mère, acquise par intérêt à madame de Châ-
teauroux, qui l'a obligée à cette démarche un
peu singulière et s'est offerte à l'accompagner.
Chaque princesse a amené sa dame d'hon-
neur, que d'autres vont suivre. Un mois s'est
yGoogk
LA BONNE A£INS« aS5
à peine écoulé qu'une cour féminine est com-
mencée à l'armée. Les apparences sont désor-
mais sauves. Madame de Châteauroux, qui
finissait par s'inquiéter et dont l'impatience
était à bout, peut narguer les quolibets des
régiments et les refrains gouailleurs du popu-
laire ; rien ne l'empêche plus d'accourir avec
sa sœur auprès du Roi, qui ne lui en tiendra
pas rigueur.
Lies deux duchesses n'ont pas voulu partir
sans avoir paru une fois à Versailles pour faire
leur cour à la Reine. Arrivées pendant le jeu,
elles se sont assises assez loin de Sa Majesté ;
mais celle-ci, les ayant vues, les a invitées à
souper avec elle, et leur a parlé pendant le
repas avec un aussi parfait naturel qu'aux
autres dames. Toutes savent le prochain
départ, que la Reine feint d'ignorer et dont
les voyageuses ne disent mot. La grosse Lau-
raguais ne se trouble de rien ; mais madame
de Ghâteauroux a un air visiblement embar-
rassé qui contraste avec l'aisance de la Reine.
Une fois de plus, Marie Leczinska s'est tirée à
son honneur d'une situation délicate et a tra-
versé avec dignité une heure difficile. Le
lendemain, sa patience est à bout, et, lorsque
madame de Modène fait demander à son tour
yGoogk
&86 LOUIS XT ET MARIE LEGZIN SS.A .
à prendre congé pour aller en Flandre : <( Cela
ne me fait rien, dit la Reine bra8<pienient.
Qu'elle fasse son sot voyage comme il lui
plairai y>
Cependant on apprend de Lille que les
dames y sont d'abord assez discrètement reçues.
Ce n'est point le triomphe de madame de
Montespan, aux mêmes lieux, lorsqu'elle
accompagnait Louis XIV victorieux à travers
les Flandres conquises. Madame de Château-
roux, qui en a souhaité un semblable, doit,
pour satisfaire son orgueil, se contenter des
soupers des cabinets, qui ont recommencé
comme à Versailles. Mais cette vie efféminée,
au milieu de troupes en campagne, fait perdre
à Louis XV le mérite de sa présence. L'offi-
cier rit et le soldat chansonne. On lui sait peu
de gré d'aller lui-même faire le siège d'Ypres
et prendre la place en neuf jours. Les dames
se sont avancées jusqu'à Poperinghe pour
suivre les brillantes opérations, et la maltresse
écrit à Richelieu, toujours hantée par son
rêve : ce Savez-vous bien qu'il n'y a rien de si
glorieux, ni de si flatteur pour le Roi, et que
son bisaïeul, tout grand qu'il était, n'en a
jamais fait autant I » Presque aussitôt, Sa
Majesté et l'armée de Noailles, laissant en
yGoogk
Flandre le maréchal Maurice, se dirigent vers
l'Alsace où les Impériaux arrivés en nombre
mettent en danger le duc d'Harcourt et le
maréchal de Coigny.
Metz est choisi comme lieu de séjour, le
Roi y devant attendre l'heure d'attaquer Frî-
bourg, dont il veut conduire le siège en per-
sonne. Il s'installe à l'hôtel du Gouvernement;
mais naadame de Châteauroux exige la com-
munication de cet hôtel avec la maison du
Premier président, où elle loge, et une galerie
en planches, bâtie sur la rue, étale aux yeux de
la cité lorraine, avec la prétention de le dissi-
muler, le scandale croissant des amours royales*
La Reine sait les nouvelles de la guerre
par les courriers réguliers que lui adresse le
comte d'Argenson. Le Roi lui écrit parfois
lui-même, ainsi qu'à ses enfants. Aux grands
jours de prises de ville, il envoie un page
qui se présente à elle Fépée au côté et reçoit,
en échange du noble message, une boîte ou
une montre d'or. Elle est ainsi tenue au cou-
rant des faits d'armes, des blessés et des morts
de distinction, des promotions miUtaires, ce
qui fournit à ses damesi des sujets de conver-^
sation plus relevés qu'à l'ordinaire.
yGoogk
288 LOUIS XV ET MARIS LEC2l2«SKA.
Plusieurs de ses journées se passent k son
Trianon, où elle dîne avec sa suite, entend
de la musique et se fait rouler en chaise par
des Suisses dans les bosquets de Le Nôtre.
Elle accueille à Meudon la reine sa mère , qui
vient y chercher refuge, le passage du Rhin
par le prince Charles de Lorraine ayant in-
quiété pour la sécurité de la cour de Luné-
ville. L'étiquette, le devoir et TaOection mul-
tiplient les distractions autour de la reine
Marie. Les dames tiennent à honneur d'y être
nombreuses ; Mademoiselle vient exprès de
Madrid pour lui faire sa cour, et la comtesse
de Toulouse, qui n'entre pour rien dans l'in-
trigue Châteauroux, la prie à souper en son
pavillon de Louveciennes . Elle soupe plus
modestement à Sèvres, avec son amie très
intime, la princesse d'Armagnac, collabora-
trice habituelle de ses bonnes œuvres ignorées.
Sa plus agréable journée est à Dampierre,
chez les Luynes, qui ont fait accommoder un
appartement pour elle et savent la recevoir
suivant ses goûts. Comme le Dauphin, pour
la première fois, est du voyage, on lui fait
visiter le château et le parc, on le mène en
gondole voir l'île et jouer au cavagnole dans
le pavillon ; enfin, après le souper, il entend,
yGoogk
LA BONNE REINE. 289
dans l'orangerie arrangée pour la circons-
tance, une innocente comédie à laquelle assis-
tent le curé et les religieuses du viUage. Le
jeune homme, dans ce milieu affectueux et
simple, se plaît mieux qu'au solennel Te
Deum chanté à Paris pour la prise d'Ypres,
oii il a tenu la place du Roi. Ce qu'il
souhaiterait le plus, serait d'être à l'armée
avec son père ; son gouverneur, l'austère et
religieux duc de Ghâtillon, l'entretient dans
ces idées . Il ne peut s'empêcher de laisser
voir son regret à la Reine : « Maman, lui
dit-il un jour, ne soyez point fâchée que je
sois affligé de rester avec vous. Je ne sais
pourquoi le Roi m'a laissé ; le petit de Mon-
tauban, qui est petit et faible, y est bien allé,
et moi, qui suis grand et fort, j'aurais bien
pu y aller. » L'année prochaine permettra au
prince de montrer, à Fontenoy, sa jeune
vaillance ; celle-ci ne ménage au fils qu'une
suite de déceptions.
Le 9 août au soir, arrivent des lettres de
Metz, racontant que le Roi est malade et s'est
alité la veille, avec la fièvre et le mal de tête.
Chaque jour, désormais, la Reine reçoit un
billet de d'Argenson et un bulletin de La Pey-
Digitized by VjOOQIC
dQO LOUIS XV Et MAKIE LEGZINSKA.
ronie, qui devient bientôt assez inquiétant.
La fièvre maligne résiste aux saignées et aux
remèdes. Les médecins ne se prononcent point,
et Técuyer ordinaire que la Reine envoie à
Metz rapporte k madame de Luynes quelques
lignes de M. de Bouillon, grand chambellan,
qui ne paraissent pas propres à rassurer.
D'après des nouvelles particulières, le malade
s'affaiblit tellement en peu de jours, que Ton
parle sérieusement de le faire confesser et que
Févêque de Soissons, Fitz-James, qui célèbre
la messe dans sa chambre, n'a pas craint de
lui en dire un mot. Le Roi, jusqu'à présent,
s'y refuse. Madame de Châteauroux et M. de
Richelieu sont les seules personnes qui en-
trent auprès de lui, avec les domestiques
intérieurs ; ils lui persuadent que son état est
sans gravité.
On a essayé, pour rester mieux en posses-
sion de son esprit, d'exclure de la chambre
les princes et les grands officiers, et il a fallu
que le comte de Clermont forçât la porte pour
obtenir qu'ils puissent apercevoir Sa Majesté
et lui adresser quelques paroles. Le Roi n'a
point paru, d'ailleurs, être mécontent de cette
affectueuse hardiesse, et l'ordre accoutumé a
été rétabli. L'antichambre est maintenant le
yGoogk
LA BONNE UEINE. 201
théâtre de scènes assez vives, où les partis se
comptent et se défient. Les aides de camp du
Roi, et parmi eux le duc d'Aumont, tiennent
pour M. de Richelieu. Les « dévots » ont à
leur tête le duc de La Rochefoucauld, grand-
maître de la garde-robe, et sont soutenus par
l'opinion de la ville, qu'irrite la présence de
la maîtresse. On escompte déjà l'entrée du
confesseur, qui exigera son renvoi immédiat.
Ce confesseur, le Père Pérusseau, jésuite, a
eu avec madame de Châteauroux, dans un
cabinet à deux pas du lit, un entretien d'où
elle est sortie désespérée. Il prétend n'avoir
pas été trop dur; il ignorQ du reste, en fait,
la nature des fautes du Roi et, par consé-
quent, ce qu'il aura à lui imposer après ses
aveux ; quant aux lois de l'Église, a-t-il dit,
elles sont formelles sur le point des mœurs,
et le viatique ne sera apporté au malade que
lorsque sa concubine, s'il en a une, aura été
éloignée de la ville. Ce départ, dont l'idée
indigne la duchesse, n'aura lieu, sans nul
doute, que sur l'ordre formel du Roi ; mais
elle le connaît trop bien pour ne pas savoir
qu'il n'hésitera point à le donner.
Pendant ces fiévreuses journées de Metz,
dont les courtisans ne perdront jamais le sou-
yGoogk
2Q2 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
venir, la reine Marie vit dans une prière
constante, émue d'une inquiétude qu'aug-
mente le souci de Tâme du Roi. C'est à ce
moment que se révèlent, dans son cœur mis
à nu par l'émotion, les sentiments d'amour
qu'elle lui garde : <( On peut croire, dit
quelqu'un de son entourage , qu'elle ne
l'aime plus autant ; cependant, il n'est, pas
bien décidé qu'elle ne l'aime plus qu'elle
ne le croit elle-même. y> Sa première pensée
a été d'obtenir de se rendre auprès de lui.
Ses billets très intimes au comte d'Argenson
reviennent sans cesse sur ce grand désir :
(( Quoique vous soyez très exact à me donner
des nouvelles du Roi, l'inquiétude où je suis
me fait encore envoyer le courrier qui vous
remettra cette lettre. Vous présenterez celle
qui y est jointe et assurerez le Roi de la
peine où je suis d'être éloignée de lui et de
l'envie que j'ai de l'aller trouver • J'attendrai
ses ordres avec soumission et impatience.
Continuez à me mander comment il est. Ma
pauvre tête s'en va. »
EUe dépêche à Metz son écuyer ordinaire, qui
revient le i4 à midi, rapportant des détails
plus rassurants, et elle écrit aussitôt h d'Ar-
genson : « Saint-Cloud vient d'arriver , qui a
yGoogk
LA BORNE REINE. 298
mis un grand calme dans mon âme. Mais je
vous avoue qu'il ne sera parfait que quand
j'aurai des nouvelles de la nuit. Je les attends
avec impatience, peur, espérance ; enfin, tous
les sentiments que mon tendre attachement
pour lui m'impose. Je renvoie encore un
courrier. J'en voudrais avoir à toutes minutes
et j'insiste à demander, malgré le mieux dont
Dieu soit loué à jamais, à y aller. Ne crai-
gnez pas de demander cette grâce pour moi.
Tôt ou tard on rend justice aux honnêtes
gens. Pour moi, Dieu m'est témoin que je ne
conçois qu'un seul désir; c'est toute ma con-
solation ; c'est le plus beau et le plus vrai .
Mandez -moi la volonté du Roi. Je lui
demande en grâce de m'accorder celle de
l'aller voir. »
Le même soir, à neuf heures, des nouvelles
graves furent apportées par un courrier de
M. de Bouillon : « 11 prit un tremblement à
la Reine à l'ouverture de celte lettre ; les lar-
mes lui vinrent aux yeux et elle entra dans
son cabinet. Madame de Luynes l'y suivit un
moment après. M. le Dauphin et M. de Châ-
tillon y arrivèrent. Personne ne savait le
contenu de cette lettre et tout le monde était
consterné. Au bout d'une demi-heure, la
yGoogk
^QÂ LOUIS XV ET MARtE LECZINSKA.
Reine sortit de son cabinet et s'en alla à la
chapelle avec le Dauphin ; elle y resta environ
un quart d'heure ; elle ne se mit point dans
sa niche, elle demeura sur la balustrade de la
grande tribune, sans tapis. Comme la Reine
sortait de la chapelle, Mesdames y arrivèrent ;
elles fondaient en larmes. La Reine revint
chez elle dans le trouble et l'agitation ; on
n'ouvrait point sa porte qu'elle ne crût que
c'était un courrier. Elle nous lut la lettre de
M. de Bouillon, qui, en effet, était effrayante:
il marquait à la Reine que son respect et son
attachement pour elle et le devoir de sa charge
ne lui permettaient pas de lui laisser ignorer
l'état où se trouvait le Roi ; que la nuit avait
été fâcheuse, la matinée peu consolante
(c'étaient les termes de sa lettre), que le Roi
avait eu des agitations si violentes pendant
la messe qu'il avait demandé aussitôt le Père
Pérusseau, qu'il s'était confessé avec beaucoup
d'édification et qu'il devait recevoir le viatique
le soir. » Aucune mention n'était faite de ma-
dame de Châteauroux ; mais la Reine pouvait
conclure sûrement que la favorite et sa sœur
étaient dès a présent renvoyées de Metz. Sa
place était maintenant auprès du Roi, qui
sans doute allait lui-même l'appeler.
yGoogk
LA BOKHÊ HEINE. 2g5
La nuit se passe à attendre. La Reine est
dans son petit oratoire, à genoux devant le
crucifix. Tout ce qui est à Versailles se rend
dans l'appartement. Sur les onze heures, on
annonce le courrier de M. d'Argenson. A ce
mot, la Reine se précipite dans son cabinet,
prend le paquet et le décacheté de ses mains.
Elle apprend que le Roi a été saigné au pied
et qu'il trouve bon qu'elle s'avance jusqu'à
Lunéville, M. le Dauphin et Mesdames jus-
qu'à Châlons. La Reine veut partir aussitôt. On
a peine à lui faire comprendre que quelques
heures sont nécessaires pour les préparatifs.
Il faut plus de soixante chevaux au départ, et
l'écuyer cavalcadour est déjà sur la route pour
commander les relais , qui seront de quatre-
vingts chevaux par poste. La Reine décide
quelles dames l'accompagneront. Sauf deux
qui sont grosses, toutes les dames de semaine
le demandent, et madame de Flavacourt elle-
même, qui est de service, accourt de Paris à
cinq heures du matin pour se mettre à la
disposition de sa maîtresse. La situation est
assez fausse en ce moment pour la sœur de
la favorite ; la Reine, qui l'aime beaucoup et
veut lui éviter les rencontres désobligeantes,
lui dit que toutes les berUnes sont remplies
yGoogk
296 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSXA.
et qu'elle devra venir la rejoindre un peu plus
tard.
Les femmes de chambre, cependant, choi-
sissent les habits et garnissent les cofires. La
Reine, à cinq heures, entend la messe et, à
sept, monte en voiture, emmenant les derniers
gardes du corps restés à Versailles. Quelques
heures plus tard, on s'occupe du départ de
Mesdames. La douleur de ces enfants est
émouvante : la petite Adélaïde en a la fièvre ;
sa sœur aînée, qui aime passionnément le Roi,
se roule par terre en poussant des cris affreux.
Madame de Tallard les conduit à Verdun,
d'où elles seront aisément à portée d'accourir,
si les nouvelles deviennent plus mauvaises.
Pour le Dauphin, M. de Châlillon ne craint
pas d'outrepasser les ordres du Roi ; sans
prendre le loisir de préparer le voyage, em-
porté par un zèle qui lui coûtera cher, c'est à
Metz tout droit, et sans nul arrêt, qu'il amène
son élève. 11 juge que le jeune homme, dût-on
cacher sa présence, ne saurait être, en de tels
moments, trop près de son père, et il ne songe
qu'à arriver à tout prix avant la mort.
Marie refait, en sens inverse et en brûlant
les étapes, son voyage d'autrefois. Elle couche
yGoogk
LA BONNE REINE.
297
à Soissons le premier jour; le lendemain, les
nouvelles qu'elle reçoit en chemin sont si
mauvaises qu'elle ne s'arrête nulle part, ni à
Reims, ni à Châlons. Elle comptait donner
quelques instants à madame d'Ëgmont, en
son château de Braine: elle l'a vue seulement
sur la route, sans descendre de voiture. Un
peu avant Vitry, où elle doit coucher, Stanislas
est venu au-devant d'elle; les détails qu'il sait
et qu'il lui cache disent qu'il n'y a plus de res-
sources dans l'état du malade. On lui apporte
presque en même temps sur la route une
lettre de M. d'Argenson, lui mandant que le
Roi trouve bon qu'elle vienne à Metz et désire
même l'y voir arriver promplement. Mais ce
qu'elle veut, c'est être admise sans relard
auprès de lui. Sa fièvre d'attente est toute
dans ce billet, écrit en deux fois à d'Argen-
son, les premières lignes avant d'avoir reçu
§a lettre : « Je suis à six lieues de Châlons,
Je profite du temps que je change de chevaux
pour vous écrire. Au nom de Dieu, obtenez-
moi la consolation de le voir, et envoyez-moi
vite la réponse. Vous pouvez juger de mon
état. Mais Dieu, en qui je mets ma confiance,
me soutiendra. — A deux heures. Je viens
de rencontrer votre courrier. Je suis dans la
17-
yGoogk
298 LOUIS XV ET MARIB LEGZIRSKA.
joie ; mais que Dieu soit loué à jamais I Cela
me fait encore plus désirer de le voir. Je vous
conjure d'insister. »
Pleine de courage toujours et soutenue par
un espoir nouveau, la Reine part de Vitry à
la première heure par la route de Toul. Par-
tout, sur son passage, les mêmes populations
qui l'ont acclamée autrefois l'entourent d'un
respectueux silence et d'une émotion atten-
drie. EUe se sent accompagnée par l'affection
de la France entière. Ce rapide voyage, qui
conduit a la bonne Reine » vers le Roi, symbo-
lise pour leurs sujets la réconciliation désirée,
où ils voient une fois de plus la fin de leurs
misères.
Aux mêmes heures, sur les mêmes routes
de Lorraine, fuit la favorite chassée, que le
Roi à renvoyée à Paris avec sa sœur. Un peu
avant l'entrée des berlines royales à Bar-le-
Duc, un carrosse aux armes de M. de BeUe-
Isle, gouverneur de Metz, s'y est arrêté pour
changer de chevaux; c'étaient mesdames de
Châleaufoux et de Lauraguais, se dirigeant
vers Sainte-Menehould. Reconnues par les
habitants, elles ont été entourées au départ
par une curiosité hostile et poursuivies par
des huées qu'elles vont retrouver sur tout le
yGoogk
LA BONNE REINE. 29g
chemin. En d'autres villes, k la Ferlé-sous-
Jouarre, par exemple, elles risqueront d'être
assommées. C'est que l'excitation est grande
dans le pays qu'elles traversent. Déjà, dans
les églises, aux offices célébrés pour le Roi,
les prêtres lisent en chaire, par manière d'édi-
fication, la formule d'amende honorable qu'il
a prononcée avec l'aveu public qu'il a fait de
ses fautes ; et les malédictions populaires, qui
ont toujours épargné le monarque, se déchaî-
nent hbrement contre sa complice.
La Reine arrive à Metz à onze heures et
demie du soir et monte tout droit à la chambre.
La nuit précédente a été encore plus effrayante
que les autres, et tout l'entourage a cru que
c'était la dernière. La fièvre est tombée dans
la journée, et le malade, veillé par toute une
Faculté anxieuse, repose depuis peu de temps.
Dès qu'il ouvre les yeux, on lui dit la pré-
sence de la Reine. Il n'hésite plus, il veut la
voir seule et l'embrasse. Sa première parole
est une prière : « Je vous ai donné, Madame,
bien des chagrins que vous ne méritez pas ;
je vous conjure de me les pardonner. — Ehl
ne savez-vous pas, Monsieur, que vous n'avez
jamais eu besoin de pardon de ma part? Dieu
yGoogk
300 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA.
seul a été offensé ; ne vous occupez, je vous
prie, que de Dieu. »
La Reine n'a pu dire ces mots sans fondre
en larmes. Mais les remords ne quittent point
le Roi ; il veut être sûr qu'il est absous par
l'épouse, après l'avoir été par l'Eglise. Cette
nuit même, il fait réveiller madame de Villars
pour savoir d'elle si la Reine lui a vraiment
pardonné. Quelques heures après, il s'adresse
à madame de Luynes, qu'il aperçoit dans la
chambre, et s'excuse encore du scandale et
des peines qu'elle a pu avoir à cause de lui.
Il n'a plus à la bouche que la résignation, la
piété, l'humilité la plus édifiante. Il est déta-
ché de la vie, ne demandant pas que Dieu lui
rende la santé, souhaitant plutôt, si c'est sa
volonté, qu'il le retire de ce monde pour que
ses peuples soient mieux gouvernés.
Ces marques d'un repentir aussi sincère
n'ont rien à changer aux dispositions de
Marie II y a longtemps qu'elle a pardonné, du
fond du cœur, à l'époux égaré par de mauvais
conseils. Mais cette conversion si complète
ajoute à son bonheur de voir, dès le lende-
main, se produire une amélioration inespérée.
Les médecins, qui n'ont pas su grand'chose
de la marche de la maladie, peuvent du
yGoogk
LA BONNE REINE« 3oi
moins aflRrmer que le Roi est hors de danger.
Que de joie, que d'espérances aussi dans ce
billet de la Reine à Maurepas : « Je n'ai rien
de plus pressé que de vous dire que je suis la
plus heureuse des créatures. Le Roi se porte
mieux. Dumoulin assure qu'il est presque
hors d'affaire; il dit même plus, et je n'ose
encore m'en flatter. Il a de la bonté pour moi,
je l'aime à la folie. Dieu veuille avoir pitié de
nous et nous le conserver I Je vous conseille
de demander la permission de venir. Adieu,
ne doutez pas de mon amitié ; j'embrasse
madame de Maurepas. »
Pourquoi maintenant Marie s'inquiéterait-
elle de l'avenir? Chacune de ces journées
passées par elle auprès du malade, à qui elle
tâche d'inspirer le goût de sa présence, hâte
une convalescence qui semble miraculeuse.
Bientôt les forces reviennent; le Roi, qui boit
encore du pavot pour dormir, prend du quin-
quina trois fois par jour et mange avec appétit
deux blancs de poularde. Il joue des parties
de quadrille et commence à faire quelques
pas dans sa chambre. Il ne s'est pas informé
de madame de Ghâteauroux et paraît ne plus
penser à elle. La maison qu'elle habitait est
occupée à présent parle Dauphin, que le Roi
yGoogk
303 LOUIS XY ST MARIE lECZINSKA.
reçoit tous les jours ainsi que Mesdames,
prenant plaisir à s'entourer de ses enfants. La
première lettre cpi'il a pu écrire a été pour
Madame Infante. D en a adressé une fort tou-
chante à l'évêque de Metx, pour demander un
Te Deum solennel en sa cathédrale. La Reine
et ses dames ne manquent pas d'y assister.
Ces heureuses nouvelles ont couru rapide-
ment le royaume . Dans chaque ville , de la
capitale à la plus humble, les actions de grâces
publiques ont éclaté. On a vu paraître, en des
réjouissances extraordinaires, tout ce que peut
inventer la joie spontanée des citoyens ; et
partout la pensée de la Reine y est associée
comme celle de l'ange gardien de Louis XV,
Un beau titre, sorti des lèvres du peuple, est
décerné au successeur de Louis le Grand, On
va le graver sur les médailles, l'inscrire aux
dédicaces des livres et aux piédestaux des
statues : le convalescent de Metz, le converti
de l'évêque de Soissons, le héros de la cam-
pagne de Flandre est maintenant pour la
France entière, autant que pour la reine Marie,
Louis le Bien-Aimé!
On a compté sans M. de Richelieu, qui a
laissé passer l'orage, la fureur de dévotion et
yGoogk
LA BONNE REINE. 3o3
de repentir, mais qui sait comment reprendre
son maître et détourner le cours de ses idées.
Le jour où le Roi a été administré, alors qu'il
ne comprenait plus guère ce qu'il ordonnait,
on lui a fait exiler le Premier gentilhomme
dans son gouvernement de Languedoc ; celui-
ci n'est point parti sur-le-champ; le Roi,
revenu à lui, lui a su gré d'être encore là et,
en lui rendant sa confiance, lui a laissé le
moyen d'en abuser. La partie liée par Riche-
lieu avec madame de Châteauroux, quoique
perdue en apparence, n'est aucunement com-
promise à leurs yeux. Toute la rouerie du
courtisan tend à rappeler la favorite k Tesprit
du Roi, à effacer les impressions que la ma-
ladie et les gens lui ont données contre elle
et à préparer, comme elle dit, « le châtiment
des méchants ».
Des lettres suppliantes ou impérieuses, mais
toujours confiantes, lui arrivent de sa belle
nièce: « On dit ici, écrit-elle de Paris, qu'il
a promis de se réconcilier avec la Reine.
Tout le monde le désire ; vous savez si cela
peut être I II n'aura jamais pour elle que des
égards ; mais il portera toujours son cœur à
ime autre. » Et, quelques jours après : « Tran-
quillisez-vous, cher oncle ; il se prépare de
yGoogk
Soi LOUIS XY ET MARIE LEGZIlfSKA.
beaux coups pour nous. Nous avons eu de
rudes moments à passer, mais ils le sont. Je
ne connais pas le Roi dévot ; mais je le con-
nais honnête et capable d'amitié. Quelques
réflexions qu'il fasse, sans me flatter, je croîs
qu'elles ne seront qu'à mon avantage. Il est bien
sûr de moi et bien persuadé que je l'aime
pour lui, et il a bien raison, car j'ai senti que
je l'aimais à la folie ; mais c'est un grand point
qu'il le sache, et j'espère que sa maladie ne
lui a point ôté la mémoire. Jusqu'ici personne
n'a connu son cœur que moi, et je vous
réponds qu'il l'a bon, et très bon, et très
capable de sentiments. . . Tout ce que les Faqui-
nets ont fait pendant sa maladie ne fera que
rendre mon sort plus heureux et plus stable...
( Mais ) il ne faut marquer avoir aucune espé-
rance de retour ; c'est inutile, et cela aug-
menterait la rage de ces monstres. » Richelieu
n'a garde de compromettre la galante cause ;
il ne précipite rien et attend les occasions que
ne peut manquer de lui fournir la maladresse
de l'entourage de la Reine.
Depuis que la convalescence est commencée,
les dames ne cachent plus leur confiance dans
une réconciliation complète. Elles la montrent
jusqu'en leur toilette, qui n'a jamais été plus
yGoogk
LA BONNE REINE. 3o5
spirituelle. Les « vieilles dames », comme on
les appelle, remettent du rouge, oient le «bec
noir )) de leurs cheveux, et annoncent leur
espérance par des rubans verts. La Reine est
gagnée par toute cette excitation féminine ;
elle retrouve, à quarante ans passés, ses inno-
centes coquetteries de jeunesse; elle ne se
montre plus que mise à merveille et porte des
robes couleur de rose. On espère que le Roi
va oublier madame de Châteauroux, et Ton
croit habile de retarder le moment oii madame
de Flavacourt, qui vient d'arriver, se présen-
tera devant lui, de peur de réveiller le sou-
venir de sa sœur.
M. de Richelieu se plaît à faire deviner au
Roi ces petits manèges. Il rapporte et invente
au besoin cent histoires, fort plaisantes, sur les
conciliabules des «mères des églises». Il en
appelle au témoignage du valet de chambre
Lebel, qui a succédé à Rachelier et n'est pas
moins dévoué que son prédécesseur aux pro-
fitables amours. Lebel ou Richelieu annonce
un jour que la duchesse de Luynes, prévoyant
((un glorieux événement», a fait mettre deux
oreillers sur le traversin de la Reine. Rien
n'irrite plus le Roi que ce qui semble peser
sur sa décision ou en escompter les suites. 11
yGoogk
3o6 LOUIS XV ET MARIfi LSGZINSRA.
se montre vite refroidi et mécontent. Marie
s'aperçoit que quelque chose est changé dans
ses dispositions. Il ne lui dit point ses des-
seins et ne parle aucunement d'aller k Stras-
bourg' avec elle, ce qui serait sa grande joie
pour mainte raison de souvenir.
Pendant ce temps, madame de Châteauroux
sait, à distance, beaucoup mieux qu'elle, les
sentiments changeants de Louis XV et, préci-
sément sur ce voyage de Strasbourg, elle écrit
hardiment à Richelieu : « Moi, je crois que,
s'il y allait tout seul, cela vaudrait mieux pour
le débarrasser de la Reine, et puis pour
qu'à son retour il prît son train de vie ordi-
naire. Je suis persuadée même que c'est là sa
façon de penser et qu'actuellement il rumine
à tous ces arrangements-là. »
Madame de Châteauroux ne se vante point
et connaît, en effet, très bien le Roi. La dévo-
tion du malade, qui n'a point de racines au
fond solide de sa conscience, chancelle dès le
premier retour de ses forces. Son entourage
travaille, du reste, très ardemment à la dé-
truire. On l'assure qu'il n'a point été en aussi
grand danger que les prêtres le lui ont per-
suadé ; on lui suggère qu'ils l'ont entretenu
prématurément de son lâalut éternel dans
yGoogk
LA BONNE REINE. 3o7
Tunique but de servir des intérêts fort ter-
restres ; on regrette enfin le coupable abus
qu'ils ont fait de sa confiance de fidèle et de
son affaiblissement momentané. Aucune insi-
nuation ne convient mieux à un caractère
comme celui du Roi pour le retourner entiè-
rement.
Dès la fin de septembre, le duc de Luynes,
qui, sans être attaché à un parti, est hon-
nête homme et religieux, tire de certains faits
extérieurs des observations clairvoyantes :
(( A l'égard des sentiments de religion dont
on a vu des preuves éclatantes dans cette
maladie-ci, ce que l'on voit à présent ne pour-
rait pas faire juger que ces sentiments n'aient
souffert quelque diminution. Depuis le com-
mencement de cette campagne, le Roi avait
pris l'habitude de ne plus faire aucune prière
à genoux, ni le soir, ni le matin, usage
contraire à ce qu'il a fait toute sa vie. Il faut
supposer qu'il faisait ses prières dans son lit,
mais le public n'en était plus témoin. On
aurait pu juger que dans la circonstance pré-
sente il aurait pu recommencer à prier Dieu
à genoux ; cependant les choses subsistent
comme elles étaient depuis le commencement
de la campagne ; il faut espérer que c'est la
yGoogk
3o8 LOUIS XT ET MARIE LEGZINSKA.
faiblesse qui l'empêche de se mettre à genoux.
Dans les commencements qu'il a été hors de
danger de cette maladie-ci, il avait des temps
de conversation et de prière aveclePèrePérus-
seau ; cet usage a duré fort peu, et depuis on
a vu son temps partagé entre les heures qu il
donne au public, soit pour son lever ou son
coucher, soit pour manger, ses deux parties de
quadrille qu'il a faites presque tous les jours,
ses conseils et les temps de travail avec ses
ministres, sans qu'il y ait eu un moment où
il ait pu placer des prières. »
Que la Reine l'ait voulu ou non, les dévots,
contre lesquels Louis XV est désormais pré-
venu pour toujours, ont soutenu sa cause et
l'ont mise dans leur parti. Elle est trop leur
amie pour ne pas devenir suspecte elle-même
aux yeux du soupçonneux convalescent; elle
s'en plaint aux personnes qui l'entourent et
qui peuvent, d'ailleurs, comme fait le duc de
Luynes, constater la chose de leurs yeux :
(( Dans les commencements que la Reine est
arrivée ici, il y avait assez lieu d'espérer que
l'indifférence du Roi, trop connue pour elle,
pourrait peut-être changer. Non seulement il
lui avait demandé pardon, comme je l'ai mar-
qué, mais il avait paru lui faire amitié. De-
yGoogk
LA BONNE REINE. SoQ
puis le séjour de Metz, les choses paraissent
bien changées, et le froid est aussi grand que
jamais ; soit que les conversations trop vives
et trop fréquentes de la Reine avec le Dauphin,
en sa présence, lui aient déplu ; soit que ce
soît l'effet des sentiments qu'il avait pour elle
depuis longtemps et que Ton avait cherché à
entretenir et à augmenter ; soit enfin que la
mauvaise humeur du Roi en soit la seule
cause; peut-être toutes ces raîsons ensemble
y contribuent-elles. » Quoi qu'il en soit, c'en
est fait des illusions les plus obstinées. La toi-
lette des dames devient plus modeste : on met
moins de rouge, les coiffures s'abaissent et le
bec noir reparaît.
Marie ne parvient à rien savoir des projets
du Roi, qui demeure impénétrable. Il a dit,
à son dîner, qu'il ne serait à Versailles qu'a-
près la Toussaint; mais on ignore s'il doit
passer son temps en Lorraine ou s'il ira déci-
dément, dans la capitale de l'Alsace, suivre de
plus près les opérations du siège de Fribourg
qui commence et dont le résultat fort incer-
tain décidera du sort de la campagne. En
attendant, les Enfants de France viennent de
partir, faisant détour par Lunéville pour voir
yGoogk
3lO LOUIS XV ET MARIE LECZINSRA.
le roi et la reine de Pologne. Le Roi a con-
gédié assez froidement le Dauphin, de qui lui
ont été rapportés des propos désobligeants sur
madame de Châteauroux. Quant au duc de
Ghâtillon, on peut sentir l'orage sur sa tête.
Il a eu beau avouer la faute qu'il a commise
et demander qu'on l'oublie, le Roi n'a répondu
aux prières que par le silence. 11 garde sur le
cœur l'arrivée de son fils à Metz contre ses
ordres, la comédie qui s'en est suivie pour la
dissimuler les premiers jours^ et surtout la
départ inconvenant et précipité de Versailles,
avec un valet de chambre et un seul garde du
corps, où Ton a vu l'héritier de la couronne
de France l'aller recueillir en hâte, « comme
un gentilhomme gascon serait venu dans son
village pour y enterrer son père et prendre
possession de sa maison ». De toutes les fautes
contre sa personne, dont Louis XV croit avoir
à se plaindre, celle-ci est la plus manifeste et
celle qu'il peut le moins tolérer.
La disgrâce prochaine du duo de Ghâtillon
sera la première revanche de Richelieu et la
premier gage offert à la maîtresse. Le Roi main-
tenant ne songe plus qu'à se faire pardonner
d'elle l'éclat et l'humiliation de son renvoi.
Richelieu, jouant son rôle jusqu'au bout, pré-
yGoogk
LA. BOI^IHli; RSIIHK. 3ll
sente la chose comme difficile et met en jeu
les sentiments chevaleresques de Tamant : il
doit faire d'abord une action d'éclat, dont la
réconciliation pourra sembler le prix. Gomme
le Roi avoue son impatience au Premier gen-
tilhomme et le prie de le précéder pour avertir
la duchesse qu'il revient: « Je ne m'en avi-
serais pas, Sire, répond Richelieu. Je vous
servirais trop mal ; elle ne nous pardonnerait
jamais. — Que faut-il donc faire? dit le Roi,
— Aller à Fribourg, Sire. Elle voulait y suivre
Votre Majesté. Vous devez lui annoncer qu'en
remplissant ses projets, vous espérez qu'elle ne
détruira pas les vôtres. Voilà ce que Henri IV
eût mandé à la Relie Gabrielle ; voilà la
seule explication que vous devez à madame
de Châteauroux; c'est la seule aussi qu'elle
puisse accepter. » Le soir même, sans avoir
prévenu aucun ministre, le Roi annonce le
voyage de Strasbourg, son retour à la tête des
troupes, et, séance tenante, distribue des
cocardes aux courtisans.
Ainsi la Reine voyait s'éteindre l'une après
l'autre ses espérances. Elle ne connaissait que
* par le public les bruits de départ et ignorait
même la décision prise sur son propre sort.
Comme il fallait pourtant qu'elle s'y pût pré-^
yGoogk
3l3 LOUIS XY ET MARIE LEGZINSKA.
parer, elle s*enhardit à en parler au Roi : « Elle
lui dît qu'ayant appris qu'il allait à Saveme
et Strasbourg, elle espérait qu'il lui permet-
trait de l'y suivre. Le Roi lui répondit assez
froidement : (( Ce n'est pas la peine. » et, sans
paraître vouloir entendre un plus long dis-
cours, il alla faire la conversation avec les
gens qui étaient dans la chambre; ensuite,
il commença sa partie de quadrille. » La
Reine n'en peut obtenir davantage et doit se
disposer à quitter Metz. Moins heureuse que
la princesse de Conti et la duchesse de Char-
tres, déjà arrivées à Strasbourg, et que Made-
moiselle et la duchesse de Modène, autorisées
l'une et l'autre à y aller, elle n'a plus qu'à
choisir les dames qui la ramèneront à Ver-
sailles. Madame de Flavacourt est avertie par
la Reine, assez sèchement, qu'elle devra partir
avant les autres et qu'on ne la conduit pas à
Lunéville.
Le Roi et la Reine sont attendus chez le
duc de Lorraine, qui ménage à sa fille la con-
solation de l'accueil paternel et les distractions
d'une aimable cour. Louis XV n'a pu se dis-
penser d'y paraître. Il arrive, vingt-quatre
heures après Marie, reçu comme elle « aux
acclamations des peuples » , accompagné de
yGoogk
LA BONNE REINE. 3l3
M. de la Galaîsîère, son chancelier et son
intendant en Lorraine, et d'une élégante escorte
de femmes de la ville, en amazones, qui ont
été passées en revue par la Reine. H consacre
troîs journées à sa visite. Stanislas lui fait
voir les curiosités d'une résidence embellie
par ses soins et mise hardiment au goût du
jour, grâce à de beaux revenus largement
dépensés. L'ancien exilé de Wissembourg a
oublié son temps de misère . A côté des fon-
dations charitables par lesquelles il veut
gagner le surnom de « Bienfaisant » , il se
plaît à multiplier les créations de Tart. Celles
qu'il a déjà faites sont préférées par ses flatteurs
aux grandeurs démodées de Versailles : le
rocher mouvant, les cascades, le canal creusé
à la place d'anciens marais, le kiosque à la
polonaise qui sert pour la musique et où les
eaux font mouvoir de petites figures d'exé-
cutants, le brillant salon de Ghanheux, dans
le genre de celui de Marly, mais plus chargé
de dorures, la ménagerie de Jolivet, enfin, à
deux lieues de Lunéville, le château d'Ain ville,
avec l'admirable point de vue de sa galerie.
Entre les promenades , le jeu , la comédie ,
Louis XV baise les chanoinesses d'Epinal et
celles de Remiremont et se fait présenter les
i8
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3l4 LOUIS XV ET MAEfC LEGZINSKA.
femmes de grande condition, sans prendre
toutefois la peine d'adresser la parole à aucune ;
il ne semble occupé que de la guerre, s'entre-
tient avec les maréchaux de Nouilles , 4^
Belle-Isle et de Maillebois, et travaille conti-
nuellement avec M. d'Argenson.
Le roi et la reine de Pologne ont cédé à
leurs enfanls leurs appartements, voisins Fun
de Tautre. Espéraient-ils de ce séjour le rap-
prochement manqué à Metz? Marie y recueille
seulement d'autres duretés : « La Heine a fait
encore une nouvelle tentative pour avoir la
permission d'aller à ^trtiqbourg. Le Roi lui a
répondu avec la même sécheresse : « Ce n'est
pas la peine, je n'y serai presque pas. » Elle
lui a demandé ensuite si au moins elle ^e
pouvait pas rester ici i il lui a répondu sur le
même ton : « Il faut partir trois ou quatre jours
après moi. » La Reine est, comme l'on peut
juger, fort affligée d'un traitemeut aussi dur. »
Le matin du jour où Louis quitte Lwéyille,
la reine de Pologne est malade et ne port
point de son lit; il part s^s demander à
l'aller voir, ce qui choque tout le monde, et
surtout les dames lorraines, qui ne lui par-
donnent pas les apparences dédaigneuses de
son silence et 1^ sans-gêue dô s^ tipiidité.
yGoogk
LA BONNE REINE. 3l5
A Strasbourg d'admirables fêtes l'attendent,
où le peuple alsacien marque une fois de plus
sa fidélité à la France et renouvelle les magni-
ficences déployées , il y a dix-neuf ans , pour
Marie Leczinska. Avec les premiers écbos de
ces réjouissances, qui rappellent à la Reine
des souvenirs si doux jadis, à présent si dou-
loureux, arrive à Lunéville une triste nouvelle:
Madame Sixième vient de mourir à Fonte-
vrault. Elle avait sept ans et demi, et c'était
celle des princesses qu'on disait ressembler au
roi Stanislas . La Reine suspend son jeu et,
pendatit deux jours, son dîner en public; elle
le repreniJ, pour convier à sa table quelques-
unes des sujettes de son père. Au château de
la Malgrange, dont Stanislas lui fait les hon-
îieurs, elle reçoit les dames de Nancy, qui ont
eu la permission de venir lui faire leur cour
« en robe de chambre ». A ce moment, elle
est déjà dans le voyage de son retour; C'est
une semaine pénible à passer, oii la solitude
et l'accablement l'étreignent.
Elle se confie à un ami, à d'Argenson, en ce
billet écrit le 7 octobre, jour de son départ de
Lunéville : ce Je suis bien persuadée du désir
que voiis aviez que l'on satisfît le mien. Mais
lés plaisirs^ même les plus innocents ^ ne sont
yGoogk
3l6 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
pas faits pour moi ; aussi n'en veux-je plus
chercher dans le monde. Je fonds en vous
écrivant, je ne sais pas un mot de ce que je
vous dis. Je sais seulement que mon cœur
parle et qu'il est dans la douleur. Je laisse
ma pauvre mère dans un état pitoyable. Vous
connaissez mon tendre attachement pour elle;
jugez ce que la séparation me coule. Adieu,
donnez-moi souvent de vos nouvelles; ôtez
(( majesté » , « sujet » et « serviteur » . Brûlez
ma lettre et comptez sur moi pour toute ma
vie. »
Par une ironie du sort, fréquente dans la
vie des grands, la Reine est partout* accueillie
par des sentiments que chacun croit d'accord
avec les siens et qui en sont justement le con-
traire. Dans toutes les villes où elle doit subir
les présentations et les harangues d'usage,
elle trouve la joie et la confiance renaissantes.
Rien n'altère encore aux yeux de la nation
les heureux événements de Metz, et c'est elle
qu'on se plaît à en remercier. C'est à sa
venue, à son intervention, à ses prières, qu'on
veut attribuer le bonheur de la France. La
belle légende dont elle est digne met une
auréole au front pur de la bonne Reine. Ses
vertus visibles ou devinées, sa charité, son
yGoogk
LA BONNE REINE. Siy
esprit de justice, son amour des pauvres et
des souffrants, tout contribue à jeter à ses
pieds, partout où elle passe, la reconnaissance
et l'amour. Rien ne lui pourrait être plus
délicieux, si elle ne portait au fond d'elle-
même la secrète blessure de ses désillusions
dernières.
A Versailles, on lui fait fête, on la félicite,
on l'entoure. La Cour n'a jamais été aussi
brillante, et jamais les dames aussi nom-
breuses. Le jour de l'arrivée de la Reine, on
en a compté jusqu'à soixante-quatorze dans
sa chambre. Au premier sermon de la cha-
pelle, le Père Beauvais, jésuite, lui a adressé
un compliment, dans lequel les allusions
consolantes n'ont point manqué. La guerre,
où le Roi paye si vaillamment de sa personne,
préoccupe et enthousiasme les esprits. Les
nouvelles de l'armée deviennent de plus en
plus intéressantes. Sous les yeux du souve-
rain, les troupes font des prodiges. Le siège
de Fribourg est meurtrier ; la place est forte-
ment défendue par sa position ; on a perdu,
en deux fois, quatorze cents hommes pour se
rendre maître du chemin couvert des assiégés ;
MM. de Soubise et de Lowendal sont blessés.
i8.
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3l8 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
Enfin, la reddition a lieu, sans que î^assàiit
soit donné, et le Roi, ramenant sa maison,
revient à màrcheâ forcées vei'S Paris, où
l'attend le prix de seâ victoires.
Il artivé le soir du t3 novembre, et va
tout droit aux Tuileries en traversant la Ville
joyeuse et illuminée. Une foule énôrine en-
combre les abords du palais et le palais
même. Toute la Cour est là : « La Reine
s'avança, avec M. le Dauphin et Mesdames,
jusqu'à la porté dé la salle dil Trône, le Rdi
l'embrassa et Itiî remit une lettre de Madame
Infante ; il embrassa ensuite ses enfants et
entra aussitôt dans la galerie. Il fut d'un bout
à l'autre pôilr voir tout ce qui y était, et parla
à plusieurs personnes, entre autres au prévôt
des Marchands. Il passa ensuite dans son
appartement ; M . le Dauphin et Mesdames
l'y suivirent, et il travailla énStiité peti dé
temps avec M. de MàUrépâs. La Reine vint
se niettre au jeu, ce qui duta jusqu'à tiéuf
heures. Elle le quitta un péU avant que le
Roi eût fini son travail. A neuf heUteS et un
quart, le Roi, la Reine, M. le DaUphin et
Mesdames se mirent à tàblè au grand cou-
vert, dans l'antichambre entre là Sâllë des
Gardes et la sàllé du Trôné. On iié péUt
yGoogk
LA BONNE KEINE. 3ïg
se représenter la foule excessive qiiî était dans
la galerie et dans la salle où le Roi mange...
Les vingt-quatre violons jouèretit pendant une
demi-heure. Après le souper, le Roi resta
dans la galerie avec la Reine, M. le Dauphin
et Mesdames, et y fut une demi-heure à faire
la conversation. Il n'y eut point de jeu. Le
Roi et la Reine se retirèrent chacun dans leur
appartement. » On avait trouvé le Roi amai-
gri et \ih peu changé.
Cette nuit-là, un incident se produisit chez
la Reine, qui fut jugé assez sérieux pour être
rapporté le matin au duc de Luynes : « J'ai
su, dit-il, qu'on était venu trois fois gratter
à la porte de communication de la chambre
du Roi k la chambre de la Reine. Les femmes
de la Reine Téh avertirent, mais elle leur dit
qu'elles se trompaient et que le bruit qu'elles
entendaient était causé par le vent. Ce bruit
ayant recommencé une troisième fois^ la Reine,
après quelque temps d'incertitude, dit qu'on
ouvrît, et l'on ne trouva personne. On n'a su
ce détail que par les femmes de chambre de
la Reine qui peuvent s'être trompées. » Elles
s'étaient trompées, sans doute, et l'on démêle
aisément le double sentiment de la scène : la
ctédule imaginaliôil des femmes, qui recon-
yGoogk
320 LOUIS XY ET MARIE LEGZI!fSKA.
naissent Tappel attendu par elles avec certi-
tude, et la tranquillité désabusée de la Reine
qui sait beaucoup mieux à quoi s'en tenir.
Louis XV et Marie Leczinzka couchèrent
cinq nuits aux Tuileries et passèrent à Paris
quatre journées pleines. Depuis le retour de
la Cour à Versailles, jamais la capitale n'avait
possédé aussi longtemps ses souverains. Ja-
mais non plus les circonstances n'avaient été
aussi heureuses. Ce ne furent que fêtes pu-
bliques , cérémonies religieuses , audiences
solennelles, harangues et concerts. Les illu-
minations seules étaient un peu contrariées
par le mauvais temps de novembre. Chaque
jour les rues étaient parcourues par les deux
grands carrosses à huit chevaux, suivis de
tous ceux de la Cour et escortés par la caval-
cade interminable de la Maison du Roi. La
pluie n'empêchait pas le bon peuple de se por-
ter sur tous les points où passait et repassait la
famille royale. Celle-ci fut en perpétuelle repré-
sentation, sauf un après-midi où la Reine fut
visiter un couvent de carmélites, tandis que
le Roi courait le daim au bois de Boulogne
avec Mesdames, qu'il avait voulu voir monter
à cheval.
Tous les soirs, sans exception, les bour-
yGoogk
LA BONNE REINE. 321
geoîs et les bourgeoises se pressèrent aux Tui-
leries, au souper public de Leurs Majestés et
au concert de la Reine, où chacun pouvait
pénétrer pourvu qu'il fût vêtu de noir, à cause
du deuil pour Madame Sixième. A la grand'-
messe à Notre-Dame, toute la Cour était en
noir, hors le Roi habillé de velours brun
ciselé, la Reine en robe brodée d*or et chargée
de réseaux d'or, et Mesdames, que paraient
de nombreux diamants et un blanc de petit
deuil. Un même dais était préparé pour Leurs
Majestés au milieu du chœur. Le vieil arche-
vêque de Paris, malgré ses quatre-vingt-cinq
ans, vint faire au Roi le compliment de l'entrée ;
la Reine, arrivée un demi-quart d'heure après,
avec la duchesse de Chartres, Mademoiselle et
mademoiselle de la Roche-sur-Yon, n'eut que
le jeu des orgues comme pour l'entrée du Roi.
Dès qu'elle fut placée sous le dais, à côté du
Roi, l'abbé d'Harcourt, doyen du chapitre,
commença la messe, accompagnée de sym-
phonie et des chants de la musique de Notre-
Dame. Il n'y avait que six ducs devant le
Roi. On remarqua la présence des trois Pre-
miers gentilshommes de la Chambre et l'ab-
sence du quatrième, M. de Richelieu, qui
n'avait point suivi le Roi à Paris et était allé,
yGoogk
322 LOUIS XV £T MAlilË tEGZINSKA.
comme gouverneur du Languedoc, tenir les
Étals de cette province. Rien n'était plus
agréable aux Parisiens ; ils faisaient parlager
à Richelieu l'impopularité de madame de
Châteauroux et voyaient dans cet éloigne-
ment, qui avait été pour Ife courtisan un moyen
d'esquiver un retour difficile, la preuve d'un
commencement de défaveur.
Le dîner du Roi à l'Hôtel de Villej qui eut
lieu le i5, commença dès trois heures et dura
jusqu'à .cinq heures et demie. La table avait
trente couverts ; le Prévôt des marchands, en
robe rouge, était derrière le fauteuil dé Sa
Majesté et la servait; les premiers échevins
servaient le Dauphin et le duc de Chartres.
Deux cents personnes seulement, surtout des
dames, occupaient les banquettes autour de
la salle. La musique du Roi joua pendant le
dîner ; Rebel, directeur de l'Opéra, la diri-
geait. Le duc de Gesvres présenta au Roi et
au Dauphin, sous une reliure de maroquin
bleu, le poème des Augustales, composé sur
la convalescence royale, « par le sieur Roy,
poète fameux», et qui fut chanté au cours du
repas, ainsi que divers airs d'opéra. Le Roi à
table avait grand air de santé et mangea de
tout. Le diner fini, les portes furent ouvertes,
yGoogk
tA BONNE REINE. 323
selon Tusage, et le peuple pilla le fruît. Sur
les six heures» le Roi remonta dans ses car-
rossas, et, toujours escorté par sa Maison, qui
avilit attepdu sur la place de Grève, fut au
salut chez les Grands Jésuites, ceux de la rue
Saint-Antoine, où .étaient déjà la Reine et
Mesdames. Les Pères le complimentèrent sur
le perron de l'église, par une pluie battante,
et Sa Majesté se divertit de les voir mouillés.
Après le salut et le Te J)eum qui suivit, le
cortège du Roi et celui de la Reine traver-
sèrent tout Paris, rempli d'illuminations aux-
quelles le temps se prêtait mal, et ne rentrèrent
aux Tuileries qu'à huit heures et demie.
Perdue au milieu de cette foule qui accla-
mait Louis XV, le jour de THôtel de Ville,
une femme le voyait passer avec une émotion
particulière, Depuis l'arrivée, le Roi, privé de
son intermédiaire ordinaire, n'avait rien fait
savoir à madame de Châteauroux, et celle-ci,
inquiète de cette indifférence, écrivait à Riche-
lieu, au sortir de l'admirable spectacle de la
rue, une lettre où s€î peint une situation d'es-
prit tQul autre que celle qu'on suppose : ç< Il
est venu à Paris, cher oncle, et je ne puis
voun rendre rivyesse des bons Parisiens. Tout
yGoogk
3^4 LOUIS XV ET MARIE LEGZINSRA.
injustes qu'ils sont pour moi, je ne puis m'em-
pêcher de les aimer, à cause de leur amour
pour le Roi. Us lui ont donné le nom de Bien-
Aimé, et ce tilre efface tous leurs torts envers
moi. Vous ne savez pas ce qu'il m'en a coûté
de le savoir si près, et de. ne pas recevoir la
moindre marque de ressouvenir . . . Loin de
vouloir mettre des conditions à mon retour
par l'exil des uns et des autres, je me sens
assez de faiblesse pour me rendre à une simple
demande du maître. Mais dites-moi donc:
croyez-vous qu'il m'aime encore?... Il croit
peut-être avoir trop de torts à effacer, et c'est
ce qui l'empêche de revenir. Ah I il ne sait
pas qu'ils sont tous oubliés. Je n'ai pu résis-
ter au plaisir de le voir. J'étais condamnée a
la retraite et à la douleur, pendant que tout
le monde se livrait à la joie. J'ai voulu en
voir au moins le spectacle ; je me suis mise
de manière à n'être pas reconnue et, avec
mademoiselle Hébert, j'ai été sur son passage;
je l'ai vu, il avait l'air joyeux et attendri ; il
est donc capable d'un sentiment tendre I Je
l'ai fixé longtemps, et, voyez ce que c'est que
l'imagination, j'ai cru qu'il avait jeté les yeux
sur moi et qu'il cherchait à me reconnaître.
Sa voiture allait si lentement que j'eus le temps
yGoogk
LA BONNE REINE. 325
de Texaminer longtemps. Je ne puis vous
exprimer ce qui se passa en moi; je me trou-
vai dans la foule très pressée, et je me repro-
chais quelquefois cette démarche pour un
homme pour qui j'avais été traitée si inhu-
mainement. Mais, entraînée par les éloges
qu'on faisait de lui, par les cris que l'ivresse
arrachait à tous les spectateurs, je n'avais
plus la force de m'occuper de moi. Une seule
voix, sortie près de moi, me rappela à mes
malheurs en me nommant d'une manière bien
injurieuse. » Cette lettre, où éclatent la passion
de la femme et toute sa sincérité, s'achève sur
des inquiétudes : ce Je crois que tôt ou tard il
m' arrivera quelque malheur. J'ai des pressen-
timents que je ne puis éloigner. . . Je ne con-
çois rien à ce qui vous arrive : il sera donc
étonnant dans toutl J'ai bien besoin de votre
présence ; vos États sont donc éternels ? »
Madame de Ghâteauroux ne souffrirait pas
d'une telle incertitude, si son oncle Richelieu
était là. Les courtisans qui voient le Roi toute
la journée devinent aisément que son parti est
pris de la rappeler. Il l'a prouvé par des
coups significatifs. Cinq jours avant qu'il
revînt, le duc de Châtillon a reçu une lettre
d'exil, en même temps que la place de dame
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326 LOUIS XY BT MARIB LBCZINSKA.
d'honneur de la future Dauphine était retirée
à la duchesse ; les vieux époux ont dû quitter
Versailles immédiatement» sur l'ordre exprès
du Roi» sans pouvoir prendre congé de la
Reine» ni du Dauphin. M. de Balleroy, ci>-
devant gouverneur du duc de Chartres* a eu
sa lettre de cachet portant ordre de se rendre
dans ses terres ; son seul crime est d'avoir» à
Mets, paru conseiller Févèque de Soissons.
On a trouvé, dans ces premières exécutions »
qui donnent à craindre pour lui*même à M« de
Maurepas, la preuve d'une réconciliation déjà
faite.
Dès le premier jour de l'arrivée du Roi à
Paris» le bruit court» mal fondé oonune on
le voit, qu'une entrevue secrète a eu lieu entre
les deux amants. Si le Roi est allé voir ma*
dame de Ghâteauroux en sa maison de la
rue du Bac, près les Jacobins de la rue Saint-
Dominique, cette visite ne peut se placer
qu'à la dernière nuit ou peut-être l'avant-
dernière du séjour. Personne, au reste» ne
peut dire ce qui s'y est passé» Lebel n'ayant
pas écrit ses Mémoires; aucun témoin sé-
rieux ne nous renseigne ; le plus précis relate
un évanouissement de la duchesse et ses
premières paroles : « Gomme ils nous ont
yGoogk
LA BOHNE REINE. 827
traités I »; mais cas détails viendraient de
Richelieu, qu'on dit présent à la scène, alors
que nous le savons en Languedoc.
Madame de Châteauroux se rend sans doute
à Versailles le surlendemain, voir le Roi dans
l'incognito des petits appartements* Elle ao^
corde toutes ces premières heures à son amour,
avant la rentrée triomphale qui donnera les
autres à son orgueil. En tout cas, il ne
dépend que d'elle de choisir son moment.
Maurepas lui apporte lui-même, le 26 novem-
bre, un billet du Roi dont tout Paris va lire
des copies et qui la supplie de revenir à la
Cour. La duchesse est au lit, incommodée
d'un peu de fièvre; le ministre, introduit près
d'elle et assez embarrassé , remet le pli , la
laisse en savourer les termes et tente ensuite
de plaider sa propre cause. Une main dédai-
gneuse, donnée à baiser à « Faquinet y> , lui
montre que l'humiliation qu'il subit en cet
instant est jugée châtiment suffisant pour un
ennemi d'aussi mesquine importance. Le choix
de ce messager est sa première revanche de
Metz. D'autres sont promises: l'exil du duc
de Bouillon, celui du duc de La Rochefoucauld,
qui est allé h. la Roche-Guyon et que le Roi
priera, par lettre de cachet, d'y demeurer.
yGoogk
SaS LOUIS XY ET MARIE L^GZINSKA.
enfin la place de dame d'honneur de la
Dauphine pour la duchesse de Brancas, qui
est la belle-mère de madame de Lauragaais
et Tamie de tous les temps de Richelieu. Les
beaux jours de la favorite recommencent,
mieux assurés qu'autrefois, et désormais
grâces et disgrâces lui appartiendront.
Versailles a su, le soir même, que mesda-
mes de Châteauroux et de Lauraguais revien-
nent à la Cour et que le Roi leur rend leurs
charges. C'est une consternation silencieuse
autour de la Reine et une joie assez bruyante
de l'autre côté : « J'appris dès mercredi soir,
écrit Luynes, la nouvelle du retour de ces
dames. Madame la duchesse de Modène et
madame de Boufflers jouaient chez moi. On
vint apporter à madame de Modène une lettre
qu'on lui dit être venue par un courrier ; ce
courrier était un laquais de madame de Châ-
teauroux. Madame de Modène lut la lettre
avec empressement ; elle se leva aussitôt, et
donna son jeu à tenir ; elle passa dans un
cabinet où. elle écrivit un mot, elle alla ensuite
dans l'antichambre parler au courrier, à qui
elle donna huit louis. Le courrier montra cet
argent à ceux de sa connaissance, en disant
yGoogk
LA BONNE REINE. 32g
qu'il fallait qu'il eût apporté une bonne nou-
velle puisqu'il était si bien payé. Il apporta
aussi en même temps une lettre à madame la
ducbesse de Boufïlers ; madame de Boufflers lut
en particulier la lettre à quelques personnes de
celles qui étaient dans la chambre; elle contenait
ces termes : « Je compte trop sur votre amitié
)) pour que vous ne soyez pas instruite dans le
)) moment de ce qui me regarde. Le Roi vient
)) de me mander par M. de Maurepas qu'il
)) était bien fâché de tout ce qui s'était passé à
)) Metz et de l'indécence avec laquelle j'avais
)) été traitée, qu'il me priait de l'oublier, et
)) que pour lui en donner une preuve il espé-
)) rait que nous voudrions bien revenir prendre
)) nos appartements à Versailles, qu'il nous
)) donnerait en toutes occasions des preuves de
)) sa protection, de son estime et de son ami-
» tié, et qu'il nous rendrait nos charges. » On
ne peut douter que madame de Châteauroux
ne soit bientôt à VersàiQes, parmi d'aussi
fidèles amies et sur son champ de bataille et
de victoire.
Cependant, à peine ses lettres parties, la
petite fièvre qu'elle avait en recevant Maurepas
augmente et, le lendemain, augmente encore.
Les émotions trop diverses, qui ont secoué
yGoogk
33o LOUIS XV ET MARIE LEGZINSKA.
en quelques jours cette âme ardente, ont
coïncidé avec un moment physique difficile.
En très peu de temps, le danger se déclare
et les médecins du Roi laissent appeler le
confesseur. Ni le Père Sigaud, ni le curé de
Saint-Sulpice qui apportèrent le viatique à la
duchesse, n'ont à demander le sacrifice public
de sa passion, mais l'on sent que Dieu va
l'exiger bientôt tout entier.
Cette maladie, si vite désespérée, oii la
tête se prend avec violence et cause des
convulsions, semble un châtiment du ciel.
On observe le sérieux et l'abattement du
Roi, qui ne paraît plus qu'à la messe et
au Conseil, supprime le grand couvert et ne
sort pas de ses cabinets intérieurs. Il veut à
chaque instant des nouvelles ; d'Ayen, Luxem-
bourg, le marquis de Gontaut, se relayent
pour en donner deux fois par jour, tandis
que Lebel reçoit de son côté quatre courriers
de M. de MontmarteLquî renseignent le Roi
à tout moment. On peut lire les bulletins sur
son visage y qui s'éclaircit ou se- rembrunit
selon qu'ils apportent ou retirent de l'espé-
rance. Jamais malade, du reste, n'a été en-
tourée d'une sollicitude aussi anxieuse. La
duchesse de Modène, oubliant le rang et
yGoogk
LA bonhb reine. 33i
Tétiquette, ne la quitte pas et la sert nuit
et jour elle-^méme. La sincérité de tant
d^amis, eq un tel moment, prouve mieux
qu'aucun témoignage les qualités de fidélité
et de noblesse qu*il y a dans la femme qui
va mourir.
La Reine elle-même est émue profondé-
ment. Elle adore et redoute, dans ses orai-
sons, les coups de cette Providence si prompte
à frapper. Ses amis, remarquant sa tristesse,
cherchent inutilement à l'en distraire ; elle ne
veut point accepter à souper hors de chez elle
et la raison en est délicate : « Elle respecte
trop, dit-elle, la douleur et l'inquiétude du
Roi pour vouloir faire quelque chose de difiTé-
rent de ce qu'elle fait tous les jours et qui
puisse avoir l'air d'une partie de plaisir. » Il
est sûr que la Reine prie et fait prier pour
madame de Ghâteauroux, de même que le
Roi demande, sans aucun secret, à la chapelle
et à la paroisse de Versailles, des messes pour
sa guérison. Mais le mal suit son cours, la tête
ne se dégage point, et il est sûr que la saignée
au pied qu'osera tenter Vernage n'aura pas
plus d'effet que les huit saignées déjà faites
au bras. Hors les moments d'excitation où
elle se croit empoisonnée, le courage de la
yGoogk
332 LOUIS XV ET MARIE LEGZITISKA.
malade, sa résignation et sa douceur font
l'admiration de tous. Madame de Flavacourt
est introduite près de son b't par madame de
Modène et lui demande pardon de sa froideur :
« Ma sœur, dit la mourante, vous vous étiez
retirée; pour moi, j'ai conservé les mêmes
sentiments. )) Madame de Flavacourt lui baise
les mains et fond en larmes. Une autre récon-
ciliation aurait pu être plus touchante encore;
mais, lorsque madame de Mailly se présente,
le délire est devenu violent et continu. Elle
erre à la porte de ses sœurs, essayant d'entrer,
sans que personne veuille se charger de le
demander pour elle. Le passé, qu'elle a déjà
tant expié, lui arrache même celte consola-
tion suprême, et c'est seulement auprès d'un
cadavre que madame de MaiUy obtient de
s'agenouiller, le mardi 8 décembre 1744,' à
huit heures du matin.
Dès la veille, le duc d'Ayen a fait dire que
la mort était prochaine et qu'il fallait prendre
des mesures pour que le Roi ne l'apprît point
à Versailles. Louis XV est donc parti brus-
quement pour la Muette, à sept heures du
soir, n'ayant avec lui que M. le Premier et
M. d'Harcourt, capitaine des gardes, sans
yGoogk
j LA BONNE REINE. 333
^- aucune escorte, deux palefreniers seulement
^e portant des flambeaux. Il a ordonné à M. d'Ar-
j'^ genson de donner audience aux ambassa-
0_ deurs et ministres, comme d'habitude, et de
ne venir lui rendre compte à la Muette que
: dans le cas d'afiaires très pressées. C'est là
qu'il reçoit la nouvelle, attendue d'heure en
heure. Il s'enferme plusieurs journées avec
quatre ou cinq personnes, amis particuliers
de madame de Ghâteauroux et qui ont leur
part de sa douleur.
Le bruit vient-il jusqu'à lui d'un empoi-
sonnement, auquel a cru madame de Château-
roux elle-même et que les ennemis de M. de
M aurepas se complairont à attribuer au jeune
ministre? Ce sont les suppositions ordinaires
de la haine, devant toute maladie que la méde-
j cîne du temps ne définit point; elles ont cela
de terrible que toute réfutation en demeure
impossible. Déjà, par elle-même, cette mort
tragique, survenue en plein triomphe, frappe
vivement les esprits. On laisse sans doute
ignorer au Roi que l'inhumation, faite le
I jeudi, 'sous la chapelle Saint-Michel à Saint-
Sulpice, a eu lieu une heure avant l'usage et
I le guet sous les armes, parce qu'on craignait
I lé déchaînement du peuple de Paris ; ce sont
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334 LOUIS XY BT MARIE LEGZINSKA.
des choses qui ne parviennent jamais aux
oreilles qu'il serait le plus utile d'en instruire.
Il devient bientôt convenable de se rapprocher
de Versailles. Dès l'annonce du dénouement,
Trianon a été préparé en hâte et mis en état
d'être habité l'hiver. Le Roi y passe plus
d'une semaine avec mesdames de Modène, de
Boufflers et de BeUefonds ; il y tient le Conseil ;
les charges et les entrées ont permission d'aller
faire leur cour. Le Dauphin même s'y rend
une fois. Seule la Reine est priée de n'y point
paraître et le Roi lui envoie « une réponse
fort polie et écrite avec amitié », marquant
qu'il ne la verra qu'à Versailles.
A ce retour, la vie royale se remplit d'in-
cidents nouveaux, qui servent à chasser les
chagrins. Voici, pendant ces premiers jours,
les révérences pour la mort de madame de
Ventadour, que la vieillesse a emportée à
quatre-vingt-douze ans, l'arrivée de Flandre
du maréchal de Saxe, la présentation de
madame de Lowendal, le grand mariage,
célébré à Versailles, du duc de Penthièvre
avec mademoiselle de Modène, enfin les céré-
monies de Noël et du jour de l'An et les
préparatifs du mariage du Dauphin. Ce sont
des circonstances excellentes pour occuper le
yGoogk
LA BONNE REINE. 335
Roi et le distraire. Au reste, le 24 décembre
au soir, M. de Richelieu revenant de Lan-
guedoc s*est présenté au Roi avant son cou-
cher et celui-ci s'est enfermé dans ses cabinets
pour le recevoir. M. de Richelieu est un sage
incapable de s'appesantir sur les choses tristes;
on est sûr que, dans sa longue audience, il
n'a pas inutilement parlé de la morte. Ses
conseils sont de ceux qu'écoute un roi de
trente-cinq ans, -qui n'a point de borne à son
pouvoir et qu'aucun scruptde désormais n'ar-
rête plus. Personne ne doute que Louis XV
ne sache bientôt se consoler : il n'a point fait
ses dévotions à Noël.
yGoogk
yGoogk
SOURCES
Ge livre raconte la jeunesse de Louis XV et de la reine
Marie Leczinska, et en conduit le. récit jusqu'au moment où
les incidents du voyage de Metz amènent la définitive sépa-
ration du ménage royal. Il n'était peut-être pas sans nou-
veauté d'essayer de présenter le tableau de la Cour de France
à cette époque, en mettant au centre la figure un peu efiacée
de la femme de Louis XY et en recherchant, à la lumière
de documents inédits, les véritables traits de son caractère..
Elle n'eut, à ce qu'il semble, ni la perfection un peu conve-
nue dont la parent ses panégyristes, ni les insuffisances et
les ridicules que lui prêtèrent, dès le .siècle dernier, des
philosophes peu capables de comprendre les vertus d'une Âme
religieuse et même tout simplement les délicatesses d'une
honnête femme. Quant à son rôle, il n'est point dépourvu <
de tout intérêt, si modeste que l'aient rendu ses dispositions
naturelles et les circonstances de sa vie.
Une centaine de lettres autographes de Marie Leczinska
au cardinal de Fleury, deux, cent vingt-huit lettres du roi
Stanislas à sa fille, presque toutes de sa main, telles ont été
les principales pièces qui m'ont rëhseigné directement sur Iqi
yGoogk
338 SOURCES.
Reine et m*oat aidé à me faire uae idée de sa personne
morale. Les lettres de Stanislas se trouvent aux Archives
nationales(K. i4i ), où je les ai transcrites en 1897, aidé
de M. Ck>nstantin G6rski pour la lecture des parties en lan-
gue polonaise. Depuis la première édition de cet ouvrage,
cent trente de ces documents ont été mis au jour avec une
copieuse annotation, par M. Pierre Boyé : Lettres médites du
roi Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, à Marie Leszczynska,
Paris et Nancy, 1901. Cette publication comprend les lettres
du duc de Lorraine de 1754 à 1766; les plus anciennes, qui
vont du 3 octobre 1733 au 17 février 1786, ont été utilisées
par l'auteur pour l'ouvrage d'histoire militaire et diploma-
tique cité plus loin.
Les lettres de Marie Leciinska à Fleurj, que m'a fait con-
naître M. Frédéric Masson et que j'ai citées d'après une
excellente copie prise de sa main, appartiennent à la collec-
tion Morrison ; elles sont particulièrement intéressantes en ce
qu'elles se rapportent à la jeunesse de la Reine» c'est-à-^re
à l'époque de sa vie sur laquelle les renseignements font le
plus défaut. Elles ajoutent beaucoup, par conséquent, aux
sériât de lettres déjà connues, qui sont dispersées dans un
certain nombre de publications. Rappelons notamment qu'on
rencontre une partie de la correspondance adressée par la
Reine au duo et à la duchesse de Lujnes, dans l'édition des
Mémoires du duo de Luynes (extraits reproduits à la suite de
la brève biographie de Marie Leciinska, publiée par madame
la comtesse d'Armaillé); d'importantes lettres, trop peu con-
nues, au comte d'Argenson sont au tome IV de l'édition
partielle des Mémoires du marquisd'Argenson, fidte par le mar-
quis René d'Argenson et remplacée aujourd'hui dans l'usage
par l'édition Ratherj ; une lettre au cardinal de Fleury, dedate
antérieure aux nôtres, est publiée par les Gonoourt, en note
de leur livre sur la duchesse de Ghâteauroux ; une autre a été
donnée, en i8g5, à Vlntermédiaire des Chêreheurs et des Ctuieax
par mademoiselle G. d'Arjuson; plusieurs billets au même
personnage se trouvent dans l'ouvrage de la marquise des
Réaulx, intitulé t Le Bot Stanislas et Marie Leezinskû, Pirii,
yGoogk
SOURCES. 339
1 895; U lettre citée de It Reine à Maurepas, icrite de Mets,
a été publiée par le duc de Broglie, dans son livre sur Frè~
déric II et LouU XV; M. le vicomte de Gormenin a inséré
quelques billets de la Reine dans les Lettre» des Lecztn$kt à
ia eomteiéê d'Andlau et aa maréchal Da Bourg, éditées en igot
dans la Revue rétrospective et intéressantes surtout pour Cathe-
rine Opalinska; enfin, une correspondance familière, mais
tout entière postérieure à Tépoque que nous étudions ici,
forme la première partie du recueil publié par M. Victor
des Dlguères : Lettres inédites de la reine Maria Leczinska et
de la duchesse de Laines au président Hénault, Paris, 1886,
Aux Mémoires du président Hénault, qu'on cite d'ordinaire
stit* l'intimité de Marie Leczinska, doivent être joints aujour-
d'hui les Souvenirs du comte de Tressan, publiés d'après ses
papiers par M. le marquis de Tressan, Versailles, 1897.
Quelques correspondances inédites du temps ont fourni
des détails à notre récit; telles sont les lettres du roi Stanislas
au maréchal Du Bourg, conservées à la Bibliothèque de
l'Arsenal; les lettres du cardinal de Fleury et de mademoi-
selle de Gharolais, entrées dans la collection Morrison ; enfin
les correspondances du service des Bâtiments du Roi, que
j'ai dépouillées pour écrire un livre d'érudition locale
intitulé : Le Château de Versailles aa temps de Louis XV,
Versailles, 1898, et qui sont pleines de renseignements sur
ks intérieurs royaux. Des documents de même source ont
été mis en œuvre dans mon étude sur Nattier peintre de
Mesdames, dans la Gazette des Beaux-Arts de juin et juillet
1895, à laquelle j'ai fait ici quelques emprunts. Je me suis
servi, au chapitre troisième, du manuscrit de la Bibliothèque
nationale contenant les Anecdotes de Toussaint sur la Cour
de France, des premiers cahiers encore inédits des Mémoires
du duc de Groy, retrouvés par M. le vicomte de Grouchy
à la Bibliothèque de Tlnstitut, et de l'inventaire des objets
trouvés dans les cabinets de la Reine, après sa mort, docu*
ment dressé par M. de Saint-Florentin, le a 5 juin 1768, et
conservé aux Archives nationales ( K. i47 )•
yGoogk
34o SOURCES.
Pour le chapitre relatif au mariage de Louis XV, j'ai uti-
lisé, outre les papiers Du Bourg, à la Bibliothè<{ue de l'Ar-
•enal, le carton spécial des ArchiTes natiooales, qui ee rap-
porte à cet événement ( K. iSq B ), et le registre tenu par
les Premiers gentilshommes de la Chambre ( O^ 8ss )• Les
documents des Archives des Affaires étrangères avaient été
fort bien mis en ouvre par M. Paul de Rajnal, dans : Le
Mariage d^un Roi, Paris, 1887; des papiers du chevalier de
Vauchoux, récemment retrouvés, ont permis à M. Henrj
Gauthier- Villars de reprendre le sujet dans Le Mariage de
Loau XV, Paris, 1901, et j'ai pu me servir très utilement
des renseignements nouveaux que fournit l'auteur sur cet
épisode. (La polémique qui s'est élevée récemment entre méde-
cins à propos du prétendu haut-mal de Marie Leczinska, me
parait bien résumée et conclue par l'article du docteur Cabanes,
dans la Gazette de$ Hôpitaux du 4 avril 1901). Les Mémoires
si autorisés du marécluil de Villars, ceux de Marais, Barbier,
Duclos, Saint-Simon, la correspondance de Voltaire, per-
mettent d'ajouter l'attrait de l'anecdote authentique aux
narrations officielles de la Gazette et du Mercure de France,
Il faut j joindre l'ouvrage peu connu du chevalier Daudet,
Journal historique du Voyage de S. A. S, Mademoiselle de
Clermont depuis Paris jusqu'à Strasbourg et du Voyage de la
Reine depuis Strasbourg jusqu'à Fontainebleau, Châlons, 1725.
Rappelons enfin, par un devoir de reconnaissance, le premier
volume de l'Histoire de la réunion de la Lorraine à la France,
par le comte d'Haussonville, le livre du comte Albert Yan-
dal sur Louis XV et Elisabeth de Russie, Paris, i88a, et
surtout l'importante thèse de M. Pierre Bojé, Stamslas
Leszczynski et le Troisième Traité de Vienne, Nancy, 1898, qui
renouvelle entièrement, et avec beaucoup de critique, la
documentation sur le roi Stanislas.
J'ai tiré grand parti de la biographie écrite par l'abbé
Projart, et dont la première édition a paru en 1794, dédiée
« à Mesdames de France, filles de la Reine ». Mainte pièce
originale, mainte tradition provenant directement de la famille
royale s'y trouve rapportée dans un but d'édification. Les
yGoogk
SOURCES. 34l
autres éloges contemporains sont sans valeur. Le plus impor-
tant, celui de l'avocat Aublel de Maubuj, qui est de 1778 et
forme le tome VII dçs Viei des Femmes illustres et célèbres de
France, porte sur l'ensemble de la vie de Marie Leczinska le
jugement que voici : « Sous quelque aspect qu'on l'envisage^
ou comme fille ou comme reine, soit comme épouse, soit
comme mère, on verra que rien ne manqua à sa félicité. » ■
Ces niaiseries n'offrent aucun danger pour la vérité histo-
rique. Il n'en est pas de même d'une série de Mémoires, qui
sont les plus lus du xvill® siècle, et que j'ai consultés, pour
ma part, avec une grande prudence, tout en les tenant sans
cesse sous les yeux. Tels sont le journal du marquis d'Ar-
genson et les charmants souvenirs de la duchesse de Bran-
cas, qui ont fourni tant de racontars connus contre la Reine.
C'est pour des documents de ce genre qu'un rigoureux con-
trôle est nécessaire, car il n'est pas rare de les trouver en
défaut, même pour l'exactitude matérielle des faits. D'Ar-
genson surtout est d'une information peu sûre ; il connaît
très mal les choses de la Cour, même au temps où il y vit,
à plus forte raison quand il n'a pour se renseigner que des
ouï-dire légers et suspects. « On veut croire tout ce qui est
mal », écrit-il lui-même, le jour où il nie la liaison du Roi
avec madame de Yintimille ; mais il tombe sans cesse dans ce
travers de l'époque. Il accepte les fables les plus étranges,
par exemple la succession des empoisonnements dans la
famille de Louis XIY, à la fin de son règne. A chaque instant,
l'imagination l'emporte et le trompe : il annonce tous les
huit jours, pendant des années, la disgrâce de Fleurj et le
retour de Ghauvelin. Plus d'une tradition malveillante sur
Marie Leczinska n'a pour garant que le seul d'Argenson. On
croit trop volontiers sur parole les gens d'esprit.
Les Mémoires du duc de Luynes méritent une tout autre
confiance. S'ils pèchent parfois par bienveillance, où le mar-
quis pèche par aigreur, ils n'en apportent pas moins la plus
fidèle image et la plus sincère de la Cour de France et de
l'entourage de la Reine, à partir de 1735. Même pour la
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34^ SOURCES.
période antérieare, ils ont souvent reéuelUi des souvenirs
précis, dont la confirmation se trouve ailleurs. La monotonie
et le stjfle desséché de ce journal lui enlèvent, il est vrai,
beaucoup d'intérêt littéraire; c'est exactement, suivant le
mot de M. Frédéric Masson, « l'herbier de Ut Cour de
Louis XV ». Mais, pour qui sait y bien chercher, tout s'y
retrouve. Luynes demande à être lu entre les lignes. Per^
sonne n'est plus discret, plus prudent, mais personne aussi
ne sait mieux noter au passage, de façon voilée, le rensei-
gnement qu'il peut y avoir intérêt à conserver. Ses Mémoires
se substituent à ceux du maréchal de Yillars, à peu. près au
moment où ces derniers cessent de servir de guide. L'autorité
de tels témoins est indiscutable, pour les matières traitées
dans ce livre ; l'un et l'autre sont des gens de cour qui ne
disent pas toujours la >érité tout entière, m&ia qui n'enre-
gistrent jamais que des renseignements sérieux.
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TABLE
CHAPITRE PREMIER
LE MARIAGE
Les Leczinski à Wissembourg. — Éducation de Marie
Leczinska. — La Cour de Versailles sous le minis-
tère de M. le Duc. -^ La marquise de Prie. —
Projets de mariage de M. le Duc avec la fille de
Stanislas. — Renvoi en Espagne de l'Infante-Reine,
— Difficultés pour marier Louis XV. — Marie Lec-
zinska choisie pour le Roi. — Préparatifs du ma-
riage. — Voyage de Mademoiselle de Glermont. —
Cérémonies et fêtes à Strasbourg. — Voyage de la
Reine. — Seconde cérémonie à Fontainebleau. —
Séjour à Fontainebleau
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344 TABLE.
CHAPITRE II
LB8 AHHiBS HEUREUSES
Arrivée du Roi et de la Reine à Versailles. — Séjour
à Marly. — Premières tristesses de la Reine. —
Disgrâce de M. le Duc et de madame de Prie. —
Autorité croissante de l'évèque de Fréjus (Fleury).
— Premières couches de la Reine. — Fleury mi-
nistre et cardinal. — Sa correspondance avec Marie
Leczinska. — L*amour conjugal de la Reine. —
Questions de cour et d'étiquette. — Entrée solen-
nelle de la Reine à Paris. — Marie Leczinska aimée
de la nation. — Naissance du Dauphin ga
CHAPITRE III
l'abandoh
Les souvenirs de Tannée 1783. — Deuils maternels. —
Mort du duc d* Anjou. — Départ de Stanislas pour
la Pologne. — Siège de Danzig. — Résultats de la
guerre de la succession de Pologne. — Changement
dans les habitudes de Louis XV. — La comtesse de
Toulouse et Mademoiselle de Charolais. — Origine
et secret de la liaison du Roi avec madame de
Mailly. — La Reine et madame de Maillj. — Édu-
cation de Mesdames et du Dauphin. — Mariage de .
Madame Infante. — Madame de Maillj abandonnée.
— Madame de Vintimille. — Madame de la Tour-
nelle (Châteauroux). — Mort du cardinal de Fleury.
— Caractère de Louis XV i6a
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TABLE. 345
CHAPITRE IV
LA BOHHE REINE
Les portraits de Marie Leczinska : Tocqué, Van Loo,
La Tour, Nattier. — La Reine artiste. — Ses ami-
tiés : Hénault, Maurepas, Tressan, Moncrif, les
Luynes, le comte d*Argcnson. — Les secrets de la
Heine. — Piété et charité. — Départ du Roi pour
Farmée de Flandre. — Voyage de mesdames de
Ghâteauroux et de Lauraguais. — Maladie de
Louis XV à Metz. — La Reine et le Dauphin auprès
du Roi. — Visite au roi Stanislas. — Dernières dé-
sillusions de la Reine. — Siège de Fribourg. —
Retour du Roi à Paris. — Mort de madame de
Ghâteauroux a48
SOURCES 337
lUP. CHAIZ, RUE BERGÈRE, 20, PARIS. — a234dH 1-0-1. ~ dncre Lolillail)
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