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Full text of "Études sur le combat"

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ÉTUDES 



SUR LE COMBAT 



VI AVANT-PROPOS 

voué au développement et à la démonstration 
d'une thèse non point nouvelle à coup sûr, mais 
peut-être un peu négligée à notre époque. Il 
s'était proposé de faire ressortir l'influence con- 
sidérable de l'élément moral dans le combat, 
influence qui, à travers les transformations suc- 
cessives de la science de la guerre, et en dépit 
des perfectionnements matériels ou tactiques 
que cette science reçoit chaque jour, n'en a pas 
moins été et n'en restera pas moins le guide as- 
suré de tous les grands chefs militaires et la con- 
dition première du succès, tant que l'homme 
restera l'instrument premier du combat. 

Sous l'empire de cette grande idée qui s'était 
emparée de lui, le colonel Ardant du Picq avait 
étudié et approfondi les auteurs militaires an- 
ciens et modernes ; il y avait joint la critique rai- 
sonnée des actions de guerre auxquelles il avait 
pris part; non content de ses propres observa- 
tions, il avait réclamé sur certains points l'avis 
des camarades et des chefs compétents, et la 
correspondance échangée entre eux et lui té- 
moigne de l'ardeur qu'il apportait à cette re- 



AVANT-PROPOS VII 

cherche de la vérité. C'est cet ensemble tle 
documents et de matériaux qui a servi de base 
aux études que nous publions. Elles embras- 
sent, avons- nous dit, deux parties, le combat 
antique et le combat moderne; la première seule 
a été entièrement achevée par l'auteur et laissée 
par lui prête à être imprimée. Si dans la seconde 
le lecteur ne retrouve plus la même unité, la 
même suite, la même correction de forme qui 
distinguaient la première, s'il y rencontre par- 
fois quelques redites, qu'il ne s'en étonne pas : 
la mort n'a pas permis au colonel Ardant du 
Picq de revoir son œuvre et d'y mettre la der- 
nière main. Vouloir y introduire des correc- 
tions ou des suppressions, c'eût été risquer d'en 
altérer le caractère, et nous avons préféré repro- 
duire fidèlement le manuscrit, tel qu'il nous a 
été communiqué. 



». * 






ÉTUDES: 






SUR LE COMBAT 



DANS L'ANTIQUITÉ ET PANS LES TEMPS MODERNES 



INTRODUCTION 



Par ce temps de reconstitutions, de réorgani- 
sations militaires, peut-être n'est-il pas hors de 
propos d'étudier sur le vif l'homme dans l'action 
du combat, et de faire du combat lui-même, tant 
dans l'antiquité que dans les temps modernes, 
une étude sincère et sérieuse à laquelle ne peu- 
vent suffire les seuls récits des historiens. 

Ceux-ci exposent bien, d'une manière générale, 
l'action des corps de troupes ; mais cette action 
en son détail et l'action individuelle du soldat, 
dans leurs récits comme dans la réalité, restent 
enveloppées d'un nuage de poudre. Et cependant 

il faut les saisir toutes deux, car leur accord 

1 p 



* 



' * r - . 



- à ^ - . - ÊltJDES SUR LE COMBAT 

•' '* inlilnel èsfr'la'jiïstïflcation et le point de départ 
de toutes les méthodes du combat, passées, pré- 
sentes et futures. Où les trouver? 

Nous avons infiniment peu de récits montrant 
l'action d'aussi près que le récit du combat de 
THôpital par le colonel Bugeaud. Ce sont des 
narrés semblables, plus détaillés encore, car le 
moindre détail a son importance, d'acteurs ou de 
témoins ayant su voir et sachant se ressouvenir, 
qui seraient nécessaires à une étude du combat 
de nos jours. Le nombre des tués, le genre, le 
lieu des blessures, en disent davantage bien sou- 
vent que les plus longs récits, quand parfois ils 
ne les démentent pas. Il faut arriver à savoir 
comment l'homme et, dans le genre homme, le 
Français , combattait hier ; comment et dans 
quelle mesure, sous la pression du danger et du 
sentiment de conservation, forcément, inévitable- 
ment, il suivait, méprisait ou oubliait les mé- 

* thodes ordonnées ou recommandées, afin de com- 
battre de telle ou telle manière à lui imposée, 
indiquée par son instinct ou par son intelligence 



guerrière. 



Lorsque nous saurons cela, sincèrement, sans 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 3 

illusion, nous serons bien près de savoir comment 
il se comportera demain, avec et à rencontre des 
engins aujourd'hui plus rapidement destructeurs 
qu'hier. Nous pourrons reconnaître, sachant que 
rhomme n'est capable que d'une quantité donnée 
de terreur, sachant que l'action morale de la des- 
truction croît en raison de la puissance, de la 
rapidité de celle-ci, que demain, moins que 
jamais, seront praticables les méthodes compas- 
sées auxquelles l'illusion du champ de tir et le 
mépris de notre propre expérience semblent nous 
ramener; demain, plus que jamais, sera prédomi- 
nante la valeur individuelle du soldat et des 
groupes et par conséquent la soUdité de la disci- 
pline *. 

L'étude du passé seule peut donc nous donner 
le sentiment du praticable et nous faire voir com- 
ment demain, forcément, inévitablement, com- 
battra le soldat. 

Alors, instruits, prévenus, nous ne serons point 
déconcertés; car nous pourrons par avance pres- 
crire telle méthode de combat, telle organisation, 
toile disposition première qui soient appropriées 

1. Avons-nous une discipline de guerre? 



4 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

à cette manière forcée, inévitable de combattre ; 
qui aient pour effet de régulariser celle-ci dans 
la mesure du possible, et par conséquent d'en- 
lever le plus possible au hasard, en conservant 
plus longtemps au chef la direction du combat- 
tant, laquelle échappe d'emblée quand l'instinct 
du combattant est en contradiction absolument 
incompatible avec la méthode ordonnée. C'est le 
seul moyen de sauvegarder la discipline, qui se 
brise par les désobéissances tactiques précisément 
à l'instant de sa plus grande nécessité. 

Mais prenons garde qu'il s'agit ici de disposi- 
tion première avant l'action et de méthode de 
combat, et non de manœuvres. 

Les manœuvres sont la marche des troupes 
sur le terrain d'action et les mouvements de dis- 
position, sur ce terrain, de la plus grande comme 
de la plus petite des fractions constituées, avec 
toutes les garanties d'ordre et de célérité possi- 
bles ; elles ne sont point l'action même ; l'action 
les suit. 

C'est la confusion de la manœuvre et de l'ac- 
tion qui amène en beaucoup d'esprits le doute et 
la défiance à l'endroit de nos manœuvres régie- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 5 

mentaires, bonnes, très bonnes cependant dans 
leur ensemble, puisqu'elles donnent les moyens 
d'exécuter tous mouvements, de prendre toutes 
dispositions possibles, avec toute la rapidité et 
tout Tordre pratiquement possibles. 

Les changer, les discuter, n'avance pas la ques- 
tion d'un pas. Il reste toujours le problème de 
l'action définitive ; sa solution est dans l'étude 
sincère de ce qui se passait hier, de laquelle seule 
on peut conclure à ce qui se passera demain, et 
alors tout le reste s'ensuit. 

Cette étude est à faire, à écrire s'entend, car 
tous ces chefs l'ont faite auxquels l'épreuve de la 
guerre donne une valeur et une autorité morales 
reconnues dans une armée, ceux-là desquels on 
dit : Il connaît le soldat, et il sait s'en servir. 

Il connaît le soldat, il sait s'en servir. — Que 
savaient de plus les Romains trouvant la légion ? 
— Mais comme ils savaient bien, ces maîtres du 
combat! Leur incessante expérience et une ré- 
flexion profonde avaient pu seules les conduire à 
une science aussi complète. 

L'expérience aujourd'hui a des intermittences. 
Il faut donc la recueillir soigneusement, et l'étude 



6 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

à laquelle nous allons nous livrer sera bonne à 
cela et en outre à stimuler la réflexion, même chez 
ceux qui savent; surtout chez ceux qui savent. Et, 
puisque les extrêmes en tant de choses se tou- 
chent, qui sait, — si de même qu'aux temps an- 
ciens de la lutte à bout de pique et d'épée on a vu 
des armées vaincre d'autres armées solides dans 
la proportion d'un contre deux, — qui sait si le 
perfectionnement excessif des armes de destruc- 
tion lointaine ne pourrait ramener ces victoires 
héroïques à armes égales du moindre nombre sur 
le plus grand, par quelque combinaison de bon 
sens ou de génie du moral et de l'engin *? 

Malgré que le dire soit de Napoléon P% il en 
coûte d'accepter que la victoire, à toujours, soit 
du côté des plus gros bataillons. 



1. La surprise certainement aujourd'hui ne durerait pas 
longtemps. Mais les guerres se font vite. 



PREMIÈRE PARTIE 



LE COMBAT ANTIQUE 



NÉCESSITÉ DANS LES CHOSES DE LA GUERRE DE CONNAITRE 
l'instrument PREMIER QUI EST L*UOMME 

Le combat est le but final des armées, et l'homme 
est l'instrument premier du combat; il ne peut être 
rien de sagement ordonné dans une armée, — con- 
stitution, organisation, discipline, tactique, — toutes 
choses qui se tiennent comme les doigts d'une main, 
— sans la connaissance exacte de l'instrument pre- 
mier, de l'homme, et de son état moral en cet instant 
définitif du combat. 

Il arrive souvent que ceux qui traitent des choses 
de la guerre, prenant l'arme pour point de départ, 
supposent sans hésiter que l'homme appelé à s'en 
servir en fera toujours l'usage prévu et commandé 
par leurs règles et préceptes. Mais le combattant en- 
visagé comme être de raison, abdiquant sa nature 
mobile et variable pour se transformer en pion im- 



8 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

passible et faire fonction d'unité abstraite dans les 
combinaisons du champ de bataille, c'est Thomme 
des spéculations de cabinet, ce n'est point l'homme 
de la réalité. Celui-ci est de chair et d'os, il est 
corps et âme; et, si forte souvent que soit l'âme, elle 
ne peut dompter le corps à ce point qu'il n'y ait ré- 
volte de la chair et trouble de l'esprit en face de la 
destruction. 

Le cœur humain, pour employer le mot du ma- 
réchal de Saxe, est donc point de départ en toutes 
choses de la guerre ; pour connaître de celles-ci, il le 
faut étudier. 

Essayons cette étude. — Non point d'abord dans 
le combat moderne, trop compliqué pour être saisi 
d'emblée, mais dans le combat antique, plus simple, 
plus clair surtout, bien que nulle part nettement 
expliqué. 

Les siècles n'ont point changé la nature humaine ; 
ses passions, ses instincts, et entre tous le plus puis- 
sant, l'instinct de conservation, peuvent se mani- 
fester de manières diverses suivant les temps, les 
lieux, suivant le caractère et le tempérament des 
races. — Ainsi, de nos jours , on peut admirer sous la 
pression du même danger, des. mêmes émotions, des 
mêmes angoisses, le sang-froid des Anglais, l'élan 
des Français, et cette inertie des Russes qu'on ap- 
pelle leur ténacité. — Mais, au fond, on retrouve tou- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 9 

jours le même homme ; et c'est de cet homme, au 
fond toujours le même, que nous voyons partir les 
habiles, les maîtres, quand ils organisent et disci- 
plinent, quand ils ordonnent en son détail une ma- 
nière de combattre et quand ils prennent des dispo- 
sitions générales d'action. Les plus forls parmi eux 
sont ceux qui savent le mieux leur combattant, et 
celui du jour et celui de tous les temps. — Cela res- 
sort évident d'une analyse attentive des formations 
et des grands faits de guerre antiques. 

Cette analyse, la marche de ce travail nous conduit 
à la faire, et Tétude de l'homme se fera par l'étude 
du combat. 

Nous remonterons même plus haut que le combat 
antique, au combat primitif. — En redescendant du 
sauvage jusqu'à nous, nous saisirons mieux le vif. — 
Et nous en saurons alors autant que les maîtres? — 
Pas plus que l'on ne sait peindre pour avoir vu com- 
ment on s'y prend pour peindre; — mais nous com- 
prendrons mieux ces habiles gens et les grands 
exemples qu'ils ont laissés. 

Nous apprendrons, d'après eux, à nous méfier de 
la mathématique et de la dynamique matérielle appli- 
quées aux choses du combat ; à nous garer des illu- 
sions dès champs de tir et de manœuvre où les expé- 
riences se font avec le soldat calme, rassis, reposé, 
repii, attentif, obéissant, avec l'homme instrument 



10 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

inlelligeiit et docile en un mot, et non avec cet être 
nerveux, impressionnable, ému, troublé, distrait, 
surexcité, mobile, s'échappant à lui-même, qui du 
chef au soldat est le combattant (exception pour les 
forts, mais ils sont rares). 

Illusions cependant, persistantes et tenaces, qui 
toujours reparaissent au lendemain même des plus 
absolus démentis à elles infligés par là réalité, et 
dont le moindre inconvénient serait de conduire à 
ordonner l'impraticable, si l'impraticable ordonné 
n'était une atteinte formelle à la discipline et n'avait 
pour effet de déconcerter chefs et soldats par l'im- 
prévu et par la surprise du contraste entre la bataille 
et l'éducation de la paix. 

Certainement la bataille a toujours des surprises, 
mais elle en a d'autant moins que le sens et la con- 
naissance du réel ont présidé davantage à l'éduca- 
tion du combattant, ou sont plus répandus dans ses 
rangs. Etudions donc l'homme dans le combat, car 
c'est lui qui fait le réel. 



ÉTUBES SUR LE COMBAT 11 



CHAPITRE PREMIER 

l'homme dans le combat primitif et dans le combat 

ANTIQUE 

L'homme ne va pas au combat pom* la lutte, mais 
pour la victoire. Il fait tout ce qui dépend de lui pour 
supprimer la première et assurer la seconde. 

La guerre entre peuplades sauvages, entre Arabes, 
souvent encore de nos jours >, est une guerre d'em- 
bûches par petits groupes d'hommes, dont chacun, au 
moment de la surprise, choisit, non son adversaire, 
mais sa victime et l'assassine. Car les armes sont pa- 
reilles de part et d'autre, et la seule manière de 
mettre la chance de son côté c'est de surprendre ; 
l'homme surpris a besoin d'un instant pour y voir 
clair et se mettre en défense ; pendant cet instant, il 
est mort, s'il ne fuit. 

L'adversaire surpris ne se défend pas, il cherche à 
fuir; et le combat face à face et corps à corps avec 
les armes primitives, hache ou couteau, si terrible 
entre ennemis nus (c'est-à-dire sans armes défen- 
sives), est excessivement rare. Il ne peut avoir lieu 
.qu'entre ennemis se surprenant mutuellement, sans 

1. Général Daumas, Mœurs et coutumes de l'Algérie, surprise 
nocturne et extermination iVun campement. 



12 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

autre chance de salut pour aucun que la victoire. Et 

encore en cas de surprise pareille, il est une autre 

chance de salut, celle du recul, de la fuite de part et 
d'autre; et cette chance est souvent saisie. Un exem- 
ple, — et s'il ne s'agit point de sauvages, mais de 
soldats de nos jours, le fait n'en est pas moins signi- 
ficatif; il a été observé par un homme de trempe 
guerrière s'il en fut, qui a raconté ce qu'il avait vu 
de ses propres yeux, spectateur forcé, maintenu à 
terre par une blessure. 

Pendant la guerre de Crimée, un jour de grande 
action, au détour d'un des nombreux remuements de 
terre qui couvraient le sol, des soldats A et B débou- 
chant inopinément face à face, à dix pas, s'arrêtent 

saisis puis comme oubhant leurs fusils, se 

jettent des pierres et reculent. Nul des deux groupes 
n'a un chef décidé pour l'enlever en avant, et nul des 
deux n'ose le premier tirer, pris de l'appréhension 
que l'autre ne porte en même temps son arme à 
l'épaule; on est trop près pour espérer échapper, du 
moins on se le figure, — car en réaUté le tir mutuel 
de si près est presque toujours trop haut; — mais.... 
l'homme qui tirerait se voit déjà mort par la riposte; 
il jette des pierres, et pas bien fort, pour se distraire 
de son fusil, en distraire l'ennemi, occuper le temps 
en somme, jusqu'à ce que le recul lui donne quelques 
chances d'échapper au bout portant. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 43 

Cette agréable position n'a pas duré longtemps : 
une minute, peut-être; l'apparition d'une troupe B 
sur un des flancs a déterminé la fuite des A, et alors 
le groupe opposé a fait feu. 

Certes, la chose est bouffonne et prête à rire. 

Voyons cependant : En pleine forêt, ayant l'espace 
pour eux, un lion et un tigre, au détour d'un sen- 
tier, se rencontrent face à face; ils s'arrêtent net, 
rejetés en arrière sur leurs jarrets fléchis, prêts au 
bond ; des yeux ils se mesurent, le grondement dans 
la gorge et les ongles crispés, le poil droit, la queue 
battant le sol; cou tendu, oreilles aplaties, lèvres 
retroussées, ils se montrent leurs crocs formidables 

par cette grimace terrible de menace et de peur 

caractéristique des félins. 

Spectateur invisible, je frissonne. 

Pour le lion comme pour le tigre, la position n'est 
pas gaie; un mouvement en avant, et il y a mort de 
bête; de laquelle? Des deux peut-être. 

Doucement, tout doucement, un de ces jarrets 
fléchis pour le bond, s'infléchissant encore, reporte 
le pied quelques lignes en arrière ; doucement, tout 
doucement, une patte de devant suit le mouvement ; 
après un arrêt, doucement, tout doucement, les autres 
jambes font de même, et les deux bêtes, insensible- 
ment, petit à petit, et toujours de face, s'éloignent, 
s'éloignent, jusqu'au moment où, leur mutuel recul 



44 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

ayant mis entre elles un intervalle plus grand que le 
bond, lion et tigre se tournent lentement le dos et 
sans cesser de s'observer s'en vont plus franchement, 
reprenant sans hâte leur allure naturelle, avec cette 
dignité souveraine qui convient à d'aussi grands sei- 
gneurs. J'ai cessé de frissonner, mais je ne ris 
pas. 

11 n'y a pas non plus à rire de l'homme, car celui- 
ci a entre les mains une arme plus terrible que dents 
et ongles de lion ou de tigre, le fusil, qui instantané- 
ment, sans défense possible, vous envoie de vie à 
trépas. On comprend dès lors que nul, de si près, 
n'a de hâte, en armant le sien, d'armer celui qui 
doit l'abattre, n'est pressé de mettre le feu à la 
mèche qui doit faire sauter l'ennemi et lui-même 
avec. 

Qui n'a observé semblables exemples entre chiens, 
entre chiens et chats, chats et chats? 

Dans la guerre de Pologne de 1831, deux régi- 
ments russes, deux régiments polonais de cavalerie, 
se chargent mutuellement. D'un même élan, ils allaient 
îi rencontre les uns des autres, lorsque, à la distance 
où l'on peut se reconnaître au visage, les cavaleries 
ralentissent, et toutes deux se tournent le dos. Les 
Russes et les Polonais, à ce moment terrible, s'étaient 
reconnus comme frères et, plutôt que de verser un 
sang fraternel, s'étaient sauvés du combat comme 



ÉTUDES SUR LE COMBAT d5 

d'un crime. C'est là la version d'un témoin oculaire 
et narrateur, officier polonais 

Que de troupes de cavalerie se reconnaissent ainsi 
pour frères ! 

Mais reprenons : 

Quand les sociétés deviennent plus nombreuses, et 
que la surprise au même instant de toute une popu- 
lation occupant un vaste espace n'est plus possible , 
quand une sorte de conscience publique s'est élevée 
avec les sociétés, on se prévient d'avance, on se dé- 
clare la guerre. La surprise n'est plus la guerre même ; 
mais elle en reste toujours un des moyens, le meil- 
leur, encore aujourd'hui. 

L'homme ne peut donc plus égorger son ennemi 
sans défense, puisqu'il l'a prévenu; il doit s'attendre 
à le trouver debout et en nombre. Il faut combattre, 
c'est-à-dire vaincre en risquant le moins possible ; et 
l'on marche avec le bâton ferré contre le pieu, avec 
les flèches contre le bâton ferré, avec le bouclier 
contre les flèches, avec le bouclier et la cuirasse 
contre le bouclier seul, avec de longues lances contre 
la courte lance, des épées trempées contre les épées 
de fer, des chars armés contre l'homme à pied, et 
ainsi de suite. 

L'homme s'ingénie à pouvoir tuer sans courir le 
danger de l'être. Sa bravoure est le sentiment de sa 
force, et elle n'est poinf absolue ; devant plus fort, sans 



46 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

vergogne il fuit. Le sentiment naturel de la conser- 
vation est si puissant qu'il n'éprouve nulle honte à 
lui obéir. Cependant, grâce aux armes défensives, il 
y a combat de près; comment décider autrement? Il 
faut bien se tâter pour reconnaître le plus fort, el. 
celui-ci reconnu, nul ne tient devant lui. 

La force et la valeur individuelles ont le rôle do- 
rainant dans ces combats primitifs, et à ce point 
que, le vaillant abattu, la nation est vaincue; que 
souvent, d'un accord mutuel et tacite, les combat- 
tants s'arrêtent pour voir dans le recueillement et 
langoisse cette belle chose, deux vaillants aux prises ; 
que souvent encore, le niveau moral de l'homme 
s'étant élevé jusqu'au dévouement, les peuples re- 
mettent leur sort entre les mains des vaillants, qui 
acceptent et qui seuls combattent. Intérêt bien en- 
tendu, puisque nul ne peut tenir contre le vaillant. 

Mais l'intelligence se rebelle contre la force; nul 
ne peut tenir contre un Achille, mais nul Achille ne 
tiendra contre dix ennemis qui, réunissant leurs 
efforts, agiront de 'concert. De là naissent la tac- 
tique, qui d'avance ordonne des moyens d'organisa- 
tion et d'action propres à donner du concert aux 
efforts, et la discipline, qui cherche à assurer le con- 
cert contre les défaillances des combattants. 

Jusqu'à présent, nous avons vu l'homme combattre 
l'homme, un peu chacun pour son compte, à la façon 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 17 

des bêtes fauves, cherchant qui tuer, fuyant qui le 
tuerait. Maintenant la discipline, la tactique nette- 
ment foimulées, commandent la solidarité du chef 
et du soldat, la solidarité des soldats entre eux. 
Outre le progrès intellectuel, il y a là un progrès 
moral. Commander la solidarité dans le combat, 
prendre des dispositions tactiques pour la rendre 
pratiquement possible, c'est faire compte avec le 
dévouement de tous, c'est élever tous les combat- 
tants au niveau des vaillants des combats primitifs. 
Le point d'honneur paraît, la fuite est une honte, car 
on n'est plus seul dans le combat contre le fort, on 
est légion, et qui lâche pied abandonne et ses chefs 
et ses compagnons. A tous égards, le combattant vaut 
mieux. 

Ainsi le raisonnement a fait comprendre la force 
des efforts savamment concertés ; la discipline les a 
rendus possibles. 

Nous allons assister à des combats terribles, à des 
combats d'extermination mutuelle? Non. — L'homme 
collectif dans la troupe disciplinée, soumise à un ordre 
de combat par la tactique, devient invincible contre 
une troupe indisciplinée; mais, contre une troupe 
disciplinée comme lui, il redevient Thomme primitif 
qui fuit devant une force de destruction plus grande 
quand il l'a éprouvée ou quand il la préjuge. Rieii 
n'est changé dans le cœur de l'homme. La discipline 



18 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

tient un peu plus longtemps les ennemis face à face ; 
mais Tinstinct de conservation maintient son empire, 
et le sentiment de la peur avec lui. 

Lapeurl... 

Il est des chefs, il est des soldats qui l'ignorent; 
ce sont gens d'une trempe rare. La masse frémil, 
— car on ne peut supprimer la chair ; — et ce fré- 
missement, sous peine de mécompte,doit entrer comme 
donnée essentielle en toute organisation, discipline, 
dispositifs, mouvements, manœuvres, mode d'action, 
toutes choses qui ont précisément pour but définitif 
de le mater, de le tromper, de le faire dévier chez 
soi et de l'exagérer chez l'ennemi. 

Si l'on étudie le rôle de ce frémissement dans les 
combats antiques, on voit que, parmi les peuples les 
plus habiles dans la guerre, les plus forts ont été 
ceux qui non seulement en ont le mieux compris la 
conduite générale, mais qui ont tenu le plus grand 
compte de la faiblesse humaine et pris contre elle 
les meilleures garanties. On remarque que les peuples 
les plus guerriers ne sont point toujours ceux chez 
lesquels les institutions miUtaires et la manière de 
combattre sont les meilleures, les plus sainement 
raisonnées. Et en effet, chez les peuples guerriers, il 
y a bonne dose de vanité. Ils ne comptent qu'avec 
le courage dans leur tactique ; on dirait qu'ils n'en 
veulent pas prévoir les défaillances. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 19 

Le Gaulois, fou de guerre, a une lactique barbare 
et qui, après la première surprise, le fait toujours 
battre par les Grecs, par les Romains. 

Le Grec, guerrier, mais aussi politique, a une tac- 
tique bien supérieure à celle des Gaulois et des Asia- 
tiques. 

Le Romain, politique avant tout, chez lequel la 
guerre n'est absolument qu'un moyen, veut le moyeu 
parfait, ne se fait nulle illusion, compte avec la fai- 
blesse humaine et trouve la légion. 

Mais ceci est affirmer; il faut démontrer. 



CHAPITRE II 

QUE LA CONNAISSANCE DE L'HOMME A FAIT LA TACTIQUE 
ROMAINE, LES SUCCÈS D'ANNIBAL CEUX DE CÉSAR 

La tactique des Grecs a son résumé dans la pha- 
. lange, la tactique romaine dans la légion, la tactique 
des barbares dans la phalange en carré, coin ou lo- 
sange. 

Le mécanisme de ces différentes dispositions de 
combat est expliqué dans tous les livres élémen- 
taires; leur discussion comme valeur mécanique est 
faite par Polybe, lorsqu'il met face à face la phalange 
et la légion (livre XVIII). 

Les Grecs étaient, en civilisation intellectuelle, 



20 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

supérieurs aux Romains ; leur tactique devait être, il 
semble, plus fortement raisonnée. Il n'en est rien. — 
La tactique grecque procède surtout du raisonnement 
mathématique, la tactique romaine d'une connais- 
sance profonde du cœur de l'homme ; ce n'est point 
que les Grecs n'aient tenu grand compte du moral et 
les Romains de la mécanique * ; mais les préoccupa- 
tions premières étaient diverses. 

Par quelle disposition obtenir d'une armée grecque 
l'effort le plus puissant? 

Par quels moyens faire combattre effectivement 
tous les soldats d'une armée romaine? 

La première question se discute encore. La seconde 
a reçu une solution qui a dû satisfaire ceux qui se 
l'étaient posée. 

Le Romain n'est point essentiellement brave; il 
n'offre aucun type guerrier à la hauteur d'Alexandre, 
et l'impétuosité valeureuse des barbares, Gaulois, 
Cimbres, Teutons, — chose banale à dire, — l'a fait 
trembler longtemps. Mais à la bravoure glorieuse des 
Grecs, à la bravoure de tempérament des Gaulois, il 
oppose celle du dfevoir, bien autrement solide, com- 
mandée aux chefs par un sentiment des plus forts de 
patriotisme, à la masse par une discipline terrible. 



1. Chez ceux-ci même, la mécanique et le moral sont si intime- 
ment liés, que Tune toujours, ce qui est admirable, vient au secours 
de l'autre et jamais ne lui nuit. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 21 

La discipline des Grecs s'appuie sur des peines et 
des récompenses d'opinion, la discipline des Romains 
aussi, et en outre sur la mort. Ils font mourir sous le 
bâton ; ils déciment. 

Un général romain se demande comment vaincre 
ces ennemis qui épouvantent ses gens ? — En exal- 
tant le moral lion par l'enthousiasme, mais par la 
rage. Il rend à ses soldats la vie misérable par excès 
de travaux ou de privations. Il tend le ressort de la 
discipline à ce point qu'il faut à certain instant qu'il 
se brise ou se détende sur l'ennemi. 

Un général grec fait chanter Tyrtée K 

Il eût été curieux de les voir face à face. 

Mais la discipline ne suffit pas pour faire une tac- 
tique supérieure. L'homme dans le combat, nous le 
répétons, est un être chez lequel l'instinct de la con- 
servation domine à certain moment tous les senti- 
ments. La discipline a pour but de dominer, elle, cet 
instinct par une terreur plus grande; mais elle ne 
peut y arriver d'une manière absolue ; elle n'y arrive 
que jusqu'à un certain point, qui ne peut être dépassé ; 
certes, je ne nie pas les exemples éclatants où la 
discipline et le dévouement ont élevé l'homme au- 
dessus de lui-môme ; mais si ces exemples sont écla- 
tants, c'est qu'ils sont rares ; s'ils sont admirés, c'est 

1. Les Romains ne méprisaient point Tyrtée. Ils ne méprisaient 
aucune force. Mais ils connaissaient la valeur de chacune. 



22 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

qu'on les considère comme des exceptions, etrexcep- 
tion confirme la règle. 

C'est la détermination de cet instant où Thomme 
perd le raisonnement pour devenir instinctif qui fait 
la science du combat, qui dans son application géné- 
rale fait la force de la tactique romaine, et dans son 
application particulière à tel moment, à telles trou- 
pes, fait la supériorité d'Annibal, celle de César. 

Au point où nous en sommes arrivés, le combat a 
lieu de masses à masses plus ou moins profondes, 
commandées et surveillées par des chefs ayant un 
rôle nettement formulé. C'est dans chaque masse 
une série de luttes individuelles, juxtaposées, où 
l'homme du premier rang seul combat, puis est rem- 
placé, s'il tombe , s'il est blessé ou épuisé , par 
l'homme du deuxième rang qui veille en attendant 
sur ses flancs, et ainsi de suite jusqu'au dernier rang; 
car l'homme physiquement et moralement se fati- 
guait vite dans une escrime corps à corps où il em- 
ployait toute son énergie. 

Ces combats duraient généralement peu de temps. 
A moral égal, les plus tenaces à la fatigue devaient 
toujours l'emporter. 

Pendant ce combat du premier rang, — des deux 
premiers rangs peut-on dire, l'un combattant, l'autre 
veillant de si près, — les hommes des rangs posté- 
rieurs attendent à deux pas, dans l'inaction, leur tour 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 23 

de combat, lequel ne doit venir que si leurs devanciers 
sont tués, blessés ou exténués ; ils sont ballottés par 
les fluctuations plus ou moins violentes de la lutte des 
premiers rangs ; ils entendent les chocs des coups 
portés et distinguent peut-être ceux qui mordent 
dans la chair ; ils voient les blessés, les exténués se 
traîner par leurs intervalles pour aller prendre la 
queue ; spectateurs passifs et forcés du danger, ils 
en calculent les approches, ils en mesurent de Tœil 
les chances à chaque instant plus redoutables ; tous 
ces hommes en un mot subissent immédiatement 
Témotion du combat sous une forme poignante et, 
n'étant point soutenus par l'animation de la lutte, se 
trouvent ainsi placés sous la pression morale d'une 
anxiété des plus grandes ; ils ne peuvent y tenir sou- 
vent jusqu'à leur tour et lâchent pied. 

La meilleure tactique , la meilleure disposition 
étaient celles qui rendaient le plus facile la succes- 
sion d'efforts, en assurant le mieux le relai des rangs 
dans les unités d'action, et en rendant possible le 
relai, le soutien mutuel des unités d'action ; n'enga- 
geant immédiatement que le nombre nécessaire au 
combat, et conservant le reste comme soutien et ré- 
serve en dehors de la pression morale immédiate. 
Toute la supériorité tactique des Romains était là, et 
aussi dans la discipline terrible qui préparait et com- 
mandait l'exécution. Plus qu'aucuns ils duraient au 



24 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

combat, et par la ténacité à la fatigue que leur don- 
naient de rudes et continuels travaux, et par le re- 
nouvellement des combattants ^ . 

Faute de raisonnement, les Gaulois ne vo valent 
que le rang inflexible, et on les a vus s'attacher entre 
eux, rendant ainsi le relai impraticable. Ils croyaient, 
et les Grecs aussi, à la puissance de masse et d'im- 
pulsion des rangs profonds, et ils ne voulaient pas 
comprendre que les rangs accumulés sont impuis- 
sants à pousser les premiers quand ceux-ci regim- 
bent, se cabrent devant la mort. Etrange erreur ! 
Croire que les derniers rangs vont aller au-devant de 
ce qui fait reculer les premiers, tandis que la conta- 
gion du recul est au contraire si forte que Tarrét de 
la tête est le recul de la queue ! 

Certainement les Grecs voyaient aussi des réserves 
et des soutiens dans la deuxième moitié de leurs rangs 
accumulés ; seulement, Fidée de masse dominant, ils 
plaçaient trop près ces réserves et ces soutiens, ou- 
bliant l'homme. 

Les Romains croyaient à la puissance de masse, 
mais au point de vue moral. Ils ne multipliaient pas 
les rangs pour ajouter à la masse, mais pour donner 
aux combattants la confiance d'être soutenus, re- 
layés ; et le nombre en était calculé sur la durée de 

1. Leur sens pratique savait aussi immédiatement reconnaître et 
s'approprier les armes meilleures que les leurs. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 25 

pression morale que pouvaient soutenir les der- 
niers. 

Au delà du temps pendant lequel Thomme peut 
supporter, sans être engagé, l'angoisse du combat 
des rangs qui précèdent, ils cessaient d'accumuler les 
rangs. Cette remarque et ce calcul, les Grecs, qui 
portaient parfois les rangs jusqu'à trente-deux, ne 
les avaient point faits; et leurs derniers rangs, qui 
dans leur esprit sans doute étaient leurs réserves, se 
trouvaient, en outre, forcément entraînés dans le dé- 
sordre matériel des premiers. 

Dans l'ordre par manipules de la légion romaine, 
les nïeilleurs soldats, ceux dont l'habitude des com- 
bats avait trempé le courage, attendaient solidement 
maintenus en deuxième et troisième lignes; assez 
loin pour ne pas souffrir des traits, pour y voir clair ^ 
et n'être pas entraînés par la ligne antérieure se reti- 
rant dans leurs intervalles ; assez près pour la sou- 
tenir à temps ou achever son ouvrage en se portant 
en avant. 

Lorsque les trois manipules séparés et successifs 
de la cohorte primitive sont réunis pour former la 
cohorte unité de combat de Marins et de César, la 
même intelligence place : aux derniers rangs les sol- 
dats les plus soUdes, c'est-à-dire les plus anciens ; les 
plus jeunes, les plus impétueux, aux premiers rangs ; 
et nul n'est dans la légion pour faire simplement 



26 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

nombre ou masse; chacun a son tour d'action, — 
chaque homme dans son manipule, — chaque mani- 
pule dans sa cohorte, — et, lorsque Funité devient la 
cohorte, chaque cohorte dans Tordre de bataille. 

Nous voyons quelle est l'idée qui commande chez 
les Romains l'épaisseur des rangs, l'ordonnance et 
le nombre des lignes successives de combattants. Le 
génie, le tact du général modifiait ces dispositions 
principales. Si les soldats étaient aguerris, bien exer- 
cés, solides, tenaces, alertes à relayer leurs chefs de 
file, pleins de confiance dans leur général et leurs 
compagnons, le général diminuait l'épaisseur des 
rangs, supprimait des lignes même, pour augmenter 
le nombre des combattants immédiats en augmentant 
le front. Ses hommes ayant une ténacité morale, et 
quelquefois aussi physique , supérieure à celle de 
l'ennemi, le général savait que les derniers rangs de 
celui-ci ne tiendraient pas sous l'angoisse assez long- 
temps pour relayer les premiers rangs ou pour épuiser 
le relai des siens ; — et Ànnibal, qui avait une partie 
de son infanterie, les Africains, armée et dressée à 
la romaine, dont les fantassins espagnols avaient la 
longue haleine des Espagnols d'aujourd'hui, dont les 
soldats gaulois, triés par les fatigues, étaient de 
même aptes aux longs efforts, Annibal, fort de la 
confiance absolue qu'il inspirait à son monde, se for- 
mait sur une seule ligne de moitié moins profonde 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 27 

que l'armée romaine , enveloppait à Cannes cette 
armée^ qui avait deux fois son nombre, et rextermi- 
nait. César, à Pharsale, par des raisons semblables, 
n'hésitait pas à diminuer sa profondeur, faisait face à 
l'armée double de Pompée, armée romaine comme 
la sienne, et l'écrasait. 

Puisque nous avons nommé Cannes et Pharsale, 
nous allons, en les étudiant, nous renseigner sur le 
mécanisme et le moral du combat antique, deux 
choses qui ne se peuvent séparer. Nous ne pouvons 
tomber sur des exemples meilleurs, sur des batailles 
plus nettement et plus impartialement exposées: 
l'une, par le grand bon sens de Polybe, qui s'est ren- 
seigné près des derniers échappés de Cannes, près 
même de quelqu'un des vainqueurs ; l'autre , par 
l'impassible clarté de César en matière de faits de 
ffuerre. 



CHAPITRE III 

ANALYSE DE LA BATAILLE DE CANNES 

Récit de Polybe : 
« Varron place la cavalerie à l'aile droite et l'ap- 
puie au fleuve même; l'infanterie se déploie près 
d'elle sur la môme ligne, les manipules plus rappro- 
chés l'un de l'autre, ou les intervalles plus serrés 



28 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

qu'à Tordinaire, et les manipules présentant plus de 
hauteur que de front. 

« La cavalerie des alliés, à Faile gauche, feimait 
la ligne, en avant de laquelle étaient postés les sol- 
dats légers. Il y avait dans cette armée, en comptant 
les alliés, quatre-vingt mille hommes de pied et un 
peu plus de six mille chevaux. 

« Annibal, en même temps, fit passer l'Aufide aux 
frondeurs et aux troupes légères et les posta devant 
larmée. Le reste ayant passé la rivière par deux en- 
droits, sur le bord, à Taile gauche, il m'it la cavalerie 
espagnole et gauloise pour Topposer à la cavalerie 
romaine ; et ensuite, sur la même ligne, une moitié 
de Finfanterie africaine pesamment armée , l'infan- 
terie espagnole et gauloise, l'autre moitié de l'infan- 
terie africaine, et enfin la cavalerie numide, qui for- 
mait l'aile droite. 

« Après qu'il eut ainsi rangé toutes ses troupes 
sur une seule ligne, il marcha au devant des ennemis 
avec l'infanterie espagnole et gauloise, qui se détacha 
du centre du corps de bataille; et comme elle était 
jointe en ligne droite avec le reste, en se séparant, 
elle forma comme le convexe d'un croissant, ce qui 
ôta au centre beaucoup de sa hauteur, le dessein du 
général étant de commencer le combat par les Espa- 
gnols et les Gaulois et de les faire soutenir par les 
Africains. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 29 

« Cette dernière infanterie était armée à la romaine, 
ayant été revêtue par Annibal des armes qu'on avait 
prises atix Romains dans les combats précédents. Les 
Espagnols et les Gaulois avaient le bouclier; mais 
leurs épées étaient fort différentes. Celle des pre- 
miers n'était pas moins propre à frapper d'estoc que 
de taille , au lieu que celle des Gaulois ne frappe que 
de taille et à certaine distance. Ces troupes étaient 
rangées : les Espagnols en deux troupes près des 
Africains, vers les ailes, les Gaulois au centre; les 
Gaulois nus, les Espagnols couverts de chemises de 
lin couleur de pourpre, ce qui fut pour les Romains 
un spectacle extraordinaire qui les épouvanta. L'ar- 
mée des Carthaginois était de dix mille chevaux et 
d'un peu plus de quarante mille hommes de pied. 

« Emilius commandait à la droite des Romains, 
Varron à la gauche ; les deux consuls de l'année pré- 
cédente, Servilius et AttiUus, étaient au centre. Du 
côté des Carthaginois, Asdrubal avait sous ses ordres 
la gauche, Hannon la droite, et Annibal ayant avec 
lui Magon, son frère, s'était réservé le commande- 
ment du centre. Ces deux armées n'eurent rien à 
souffrir du soleil lorsqu'il fût levé, l'une étant tournée 
au midi, comme je l'ai remarqué, et l'autre au sep- 
tentrion. 

a L'action commença par les troupes légères, qui 
de part et d'autre étaient devant le front des deux 



30 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

armées. Ce premier engagement ne donna aucun 
avantage à Fun ni à l'autre parti. Mais, dès que la 
cavalerie espagnole et gauloise de la gauche se fut 
approchée, le combat s'échauffant, les Romains se 
battirent avec furie et plutôt en barbares qu'en Ro- 
mains, car ce ne fut point tantôt en reculant, tantôt 
en revenant à la charge, selon les lois de leur tactique ; 
à peine en furent-ils venus aux mains qu'ils sautè- 
rent de cheval et saisirent chacun son adversaire. 
Cependant les Carthaginois eurent le dessus. La plu- 
part des Romains demeurèrent sur la place après 
s'être défendus avec la dernière valeur ; le reste fut 
poursuivi le long du fleuve et taillé en pièces sans 
pouvoir obtenir de quartier. 

« L'infanterie pesamment armée prit ensuite la place 
des troupes légères et en vint aux mains. Les Espa- 
gnols et les Gaulois tinrent ferme d'abord et soutin- 
rent le choc avec vigueur ; mais ils cédèrent bientôt 
à la pesanteur des légions et, ouvrant le croissant, 
tournèrent le dos et se retirèrent. Les Romains 
les suivent avec impétuosité et rompent d'autant 
plus aisément la ligne gauloise qu'ils se serraient 
tous des ailes vers le centre, où était le fort du 
combat; car toute la ligne ne combattit point en 
môme temps, mais ce fut par le centre que commença 
l'action, parce que les Gaulois étant rangée en forme 
de croissant laissèrent les ailes loin derrière eux et 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 31 

présentèrent le convexe du croissant aux Romains. 
Ceux-ci suivent donc de près les Gaulois et les Espa- 
gnols, et, s'attroupant vers le piilieu, à Tendroit où 
Tennemi plia, poussèrent si fort en avant, qu'ils tou- 
chèrent des deux côtés les Africains pesamment 
aimés. Les Africains de la droite, en faisant la con- 
version de droite à gauche, se trouvèrent tout le long 
du flanc de Fennemi, aussi bien que ceux de la 
gauche, qui la firent de gauche à droite, les circons- 
tances mêmes leur enseignant ce qu'ils avaient à 
faire ; c'est ce qu'Annibal avait prévu : que les Ro- 
mains poursuivant les Gaulois ne manqueraient pas 
d'être enveloppés par les Africains. Les Romains 
alors, ne pouvant plus garder leurs rangs et leurs 
files ^, furent contraints de se défendre homme à 
homme et par petits corps contre ceux qui les atta- 
quaient de front et de flanc ^ 

« Emilius avait échappé au carnage qui s'était fait 
à l'aile droite au commencement du combat. Voulant, 
selon la parole qu'il avait donnée, se trouver partout, 
et voyant que c'était l'infanterie légionnaire qui dé- 
ciderait du sort de la bataille, il pousse à cheval au 

1 . Ceci est une excuse. Le manipule était d'une mobilité parfaite 
et sans la moindre difficulté faisait face en tous sens. 

2. Attaque de front et de flanc de toute l'armée et non pas des 
hommes ou des groupes. L'armée formait coin et était attaquée' par 
la pointe et les côtés du coin ; il n'y a même là aucune attaque de 
flanc. Ce jour-là même, le manipule présentait plus d'étendue de 
flanc que de front. 



3'2 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

travers de la mêlée, écarte, tue tout ce qui se pré- 
sente, et cherche en même temps à ranimer l'ar- 
deur des soldats romains. Annibal, qui pendant toute 
la bataille était resté dans la mêlée, faisait la même 
chose de son côté. 

« La cavalerie numide de l'aile droite, sans faire 
ni souffrir beaucoup, ne laissa pas d'être utile dans 
cette occasion par sa manière de combattre; car, fon- 
dant de tous côtés sur les ennemis, elle leur donna 
assez à faire pour qu'ils n'eussent pas le temps de 
penser à secourir leurs gens. Mais lorsque l'aile 
gauche, où commandait Asdrubal, eut mis en déroute 
toute la cavalerie de l'aile droite des Romains, à un 
très petif nombre près, et qu'elle se fut jointe aux 
Numides, la cavalerie auxiliaire n'attendit pas qu'on 
tombât sur elle et lâcha pied. 

« On dit qu'alors Asdrubal fit une chose qui prouve 
sa prudence et son habileté, et qui contribua au 
succès de la bataille. Comme les Numides étaient en 
grand nombre, et que ces troupes ne sont jamais 
plus utiles que lorsqu'on fuit devant elles, il leur 
donna les fuyards à poursuivre, et mena la cavalerie 
espagnole et gauloise à la charge pour secourir l'in- 
fanterie africaine. Il fondit sur les Romains par les 
derrières, et, faisant charger sa cavalerie en troupe 
dans la mêlée par plusieurs endroits, il donna de 
nouvelles forces aux Africains et fit tomber les armes 



ÉTiJDES SUR LE COMBAT 33 

des mains des ennemis. Ce fut alors que L. Emilius, 
citoyen qui pendant toute sa vie, ainsi que dans ce 
dernier combat, avait noblement rempli ses devoirs 
envers son pays, succomba enfin tout couvert de 
plaies mortelles. 

« Les Romains combattaient toujours, et, faisant 
front à ceux dont ils étaient environnés, ils résistè- 
rent tant qu'ils purent ; mais les troupes qui étaient 
à la circonférence diminuant de plus en plus, ils fu- 
rent enfin resserrés dans un cercle plus étroit et passés 
tous au fil de Fépée. Attilius et Servilius, deux per- 
sonnages d'une grande probité et qui s'étaient si- 
gnalés dans le combat en vrais Romains, furent aussi 
tués dans cette occasion. 

« Pendant le carnage qui se faisait au centre, les 
Numides poursuivirent les fuyards de l'aile gauche. 
La plupart furent taillés en pièces ; d'autres furent 
jetés en bas de leurs chevaux ; quelques-uns se sau- 
vèrent à Vénuse, du nombre desquels était Varron, 
le général romain, cet homme abominable dont la 
magistrature coûta si cher à sa patrie. Ainsi finit la 
bataille de Cannes, bataille où l'on vit de part et 
d'autre des prodiges de valeur, comme il est aisé de 
le justifier. 

« De six mille chevaux dont la cavalerie romaine 
était composée, il ne se sauva à Vénuse que soixante 
dix Romains avec Varron, et delà cavalerie auxiliaire 



34 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

il n'y eut qu'environ trois cents hommes, qui se jetè- 
rent dans différentes villes; dix mille hommes de 
pied furent à la vérité faits prisonniers, mais ils 
n'étaient pas au combat *. Il ne sortit de la mêlée 
pour se sauver dans les villes voisines qu'environ 
trois mille hommes; tout le reste, au nombre de 
soixante-dix mille, mourut au champ d'honneur ^ j> 
Annibal perdit dans cette action environ quatre 
mille Gaulois, quinze cents Espagnols et Africains et 
deux cents chevaux. 



Analysons : 

Les infanteries légères répandues devant le front 
des armées escarmouchent sans résultat. Le vrai 
combat commence à l'attaque de la cavalerie légion- 
naire de l'aile gauche romaine par la cavalerie d'An- 
nibal. 

Là, dit Polybe, le combat s'échauffant, les Romains 
se battirent avec furie et plutôt en barbares qu'en 



1. Ils avaient été envoyés à l'adtaque du camp d' Annibal; ils 
furent repoussés et pris dans leur propre camp après la bataille. 

2 Cette citation est empruntée à la traduction de dom Thuilier. 

Tite-Live ne précise pas le nombre des combattants romains, n dit 
que rien n'avait été négligé pour rendre la plus forte possible l'armée 
romaine, et que, d'après le dire de quelques-uns, elle montait à 
87 200 hommes, ce qui est le chiffre de Polybe. Son récit en fait 
tuer 45 000 et prendre ou échapper après l'action 19 000. Total 64 000. 
Que seraient devenus les 23 000 restants? 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 35 

Romains, car ce ne fut- point tantôt en reculant, 
tantôt en revenant à la charge, selon les lois de leur 
tactique ; à peine en furent-ils venus aux mains qu'ils 
sautèrent de cheval et saisirent chacun son adver- 
saire et, etc., etc. 

Ceci veut dire que d'habitude la cavalerie romaine 
ne combattait pas corps à corps, comme l'infanterie. 
Elle se lançait au galop sur la cavalerie adverse ; puis à 
grande portée de trait, si la cavalerie ennemie n'aviait 
tourné bride en voyant arriver la cavalerie romaine* 
prudemment celle-ci ralentissait l'allure , envoyait 
quelques javelots, et, faisant demi-tour par pelotons, 
allait reprendre du champ pour recommencer. Autant 
en faisait la cavalerie adverse, et pareil jeu ou tout 
autre analogue pouvait se renouveler plusieurs fois, 
jusqu'au moment où, l'une des cavaleries arrivant à 
persuader à son ennemie que par l'élan de sa course 
elle va l'aborder, celle-ci tournait bride devant 
l'élan et était poursuivie à outrance. 

Ce jour-là, le combat s'échauffant, on en vint réel- 
lement aux mains, c'est-à-dire que les deux cavaleries 
s'abordèrent pour de vrai et que l'on se prit homme 
à homme. La chose était forcée du reste. A moins de 
lâcher pied de part et d'autre, il fallait ce jour-là 
s'aborder ; l'espace manquait pour l'escarmouche. 
Resserrée entre l'Aufide et les légions, la cavalerie 
romaine ne pouvait matiœuvrér (Tite-Live) ; la cava- 



36 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

lerie espagnole et gauloise, également resserrée et 
double de la cavalerie romaine, forcée d'être sur deux 
lignes, le pouvait encore moins. Ce front limité ser- 
vait beaucoup les Romainç, inférieurs en nombre, qui 
ne pouvaient ainsi être attaqué^ que de face, c'est-à- 
dire par nombre égal, et il rendait, nous l'avons dit, 
Tabordage inévitable. Ces deux cavaleries arrêtées 
tête à poitrail ont dû combattre de près, se prendre 
homme à homme, et, pour des cavaliers à cheval sui* 
simples tapis et sans étriers, embarrassés d'un bou- 
clier, d'une lance, d'un sabre ou d'une épée, se 
prendre homme à homme c'est s'accrocher mutuelle- 
ment, tomber mutuellement et combattre à pied. 
C'est là ce qui est arrivé, ainsi que l'explique le récit 
de Tite-Live complétant celui de Polybe, et ce qui 
arrivait toutes les fois que deux cavaleries antiques 
avaient réellement l'envie de combattre, comme le 
montre le combat du Tesin. Ce mode d'action était 
tout à l'avantage des Romains, qui étaient bien armés 
et y étaient dressés;* témoin encore ce combat du 
Tesin, où l'infanterie légère romaine fut taillée en 
pièces, mais où l'élite des cavaUers romains, bien 
qu'entourée, et après le premier moment de suiprise 
combattant à pied et à cheval , lit plus de mal 
qu'elles n'en reçut à la cavalerie d'Annibal et ramena 
au camp son général blessé. Les Romains, en outre, 
étaient solidement commandés par un homme de 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 37 

télé et de cœur, le consul Emilius, qui, sa cavalerie 
défaite, au lieu de fuir, alla se faire tuer dans les 
rangs de l'infanterie. 

Et cependant nous voyons 3000 à 3400 cavaliers 
romains à peu près exterminés par 6 à 7000 Gaulois 
et Espagnols, qui ne payent pas même de 200 hommes 
cette extermination, puisque toute la cavalerie d'An- 
nibal ne perdit que 200 hommes dans la journée. 

Comment expliquer cela? 

Parce que la plupart sont morts sans même songer 
à faire payer leur vie, parce qu'ils ont pris la fuite 
pendant le combat du premier rang et ont été impu- 
nément frappés par derrière. Ces mots de Polybe : 
« La plupart demeurèrent sur place après s'être dé- 
fendus avec la dernière valeur, » sont des mots 
consacrés, et bien avant Polybe ; les vaincus se 
consolent par l'idée de leur bravoure, et les vain- 
queurs ne démentent jamais. Par malheur, les chif- 
frés sont là. De quelque manière qu'on essaye d'envi- 
sager ce combat, on est obligé de le voir très court, 
comme il fut en effet d'après le récit, ce qui supprime 
l'acharnement. Les cavaliers gaulois et romains 
avaient chacun déjà fait un grand effort de bravoure 
en s'abordant de front ; cet effort est suivi de l'an- 
goisse terrible d'un combat de près ; les cavaliers ro- 
mains les premiers, qui par derrière les combattants à 
pied pouvaient voir la deuxième ligne gauloise à che- 



38 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

val, n'y tiennent plus. La peur bien vite fait remonter 
à cheval et tourner bride aux rangs innocupés, qui 
livrent leurs compagnons et se livrent eux-mêmes, 
comme un troupeau de moutons en déroute, au fer 
des vainqueurs. 

Et cependant ces cavaliers étaient des hommes 
braves, c'était Félite de l'armée, des chevaliers, des 
extraordinaires ou garde aUiée des consuls, des vo- 
lontaires de nobles familles. 

La cavalerie romaine défaite, Asdrubal mène ses 
cavaliers gaulois et espagnols, en passant derrière 
l'armée d'Annibal, à l'attaque de la cavalerie alliée, 
jusque-là maintenue par les Numides ^ La cavalerie 
des alliés n'attendit pas l'ennemi. Elle tourna de 
suite le dos ; poursuivie à outrance par les Numides, 
qui étaient nombreux (3000) et qui excellaient à la 
poursuite, elle fut exterminée à 300 hommes près, et 
sans combat. 

Après l'escarmouche et l'écoulement des infanteries 

1 . Les cavaliers numides étaient une cavalerie légère irrégulière, 
excellente pour escarmoucher, inquiéter, effrayer même par ses cris 
désordonnés, son galop effréné ; ne pouvant tenir contre une cava- 
lerie régulière disciplinée pourvue de mors et d'armes solides, mais 
essaim de mouches qui toujours harcèle et à la moindre faute tue; 
mais insaisissable, parfaite pour une poursuite longue et le mas- 
sacre des vaincus, auxquels elle ne laissait ni repos ni trêve ; cava- 
lerie arabe, mal armée pour le combat, mais assez pour regorge- 
ment, comme il paraît d'après les résultats. Le couteau arabe, le 
couteau kabyle, le couteau indien, de nos jours, qui fait la jouis- 
sance du vainqueur barbare ou sauvage (les Indiens scalpent, les 
Arabes saignent et mutilent), devait jouer son rôle. 



ETUDES SUR LE COMBAT 39 

légères, les infanteries de ligne s'abordèrent. Polybe 
nous a expliqué comment Tinfanterie romaine en ar- 
riva à se laisser resserrer entre les deux ailes de 
Tarmée carthaginoise et fut prise, dit-on, par derrière 
par la cavalerie d'Asdrubal. Il est probable aussi que 
les Gaulois et les Espagnols, repoussés dans la pre- 
mière partie de Faction et forcés de tourner le dos, 
revinrent, aidés d'une partie de l'infanterie légère, à 
la charge sur la tête de l'angle formé par les Romains 
et achevèrent de les cerner. 

Mais nous savons, on le verra d'ailleurs un peu 
plus loin par des exemples tirés de César, que le ca- 
valier antique est impuissant contre l'infanterie en 
ordonnance, contre le fantassin même isolé, ayant le 
moindre sang-froid, et la cavalerie espagnole et gau- 
loise dut trouver derrière l'armée romaine les tiiaires 
resserrés *, armés de piques et soldats solides. Elle 
dut en maintenir une partie, la forcer à lui faire face, 
mais leur faire peu ou point de mal tant que les 
rangs furent conservés. 

Nous savons que l'infanterie d'Annibai qui por- 
tait les armes romaines se composait au plus de 
12 000 hommes ; nous savons que son infanterie 
gauloise et espagnole, défendue par un simple bou- 



d. Ils formaient la troisième ligne romaine d'après l'ordre de 
bataille de la légion. La formation de la première ligne en pointe 
dut naturellement les resserrer, en arrière, à l'ouverture de l'angle. 



40 ETUDES SUR LE COMBAT 

clier, avait dû reculer, tourner le dos, et probable- 
ment avait déjà perdu bien près des 4000 hommes 
que la bataille coûta aux Gaulois. 

Déduisons les 10 000 hommes qui sont allés à 
Tattaque du camp d'Annibal et les 5000 que celui-ci 
a dû y laisser. Il reste : 

Une masse de 70 000 hommes qui est cernée et 
égorgée par 28 000 fantassins et, en comptant la 
cavalerie d'Asdnibal, par 36 000 hommes, par moitié 
nombre. 

On peut se demander comment 70 000 hommes se 
sont ainsi laissés égorger, pour vrai dire sans dé- 
fense, par 36 000 moins bien armés, alors que chaque 
combattant n'avait en face de lui qu'un homme ; car 
dans le combat de près, et surtout sur un développe- 
ment aussi grand, les combattants immédiatement 
engagés sont en nombre égal dans la troupe qui 
cerne et dans celle qui est cernée. Il n'y avait là ni 
canons ni fusils pouvant piocher par des feux con- 
vergents dans la masse et la détruire par la supério- 
rité du feu convergent sur le feu divergent ; les traits 
s'étaient épuisés dans la première période de l'ac- 
tion. Il semble que, par leur masse elle-même, les 
Romains devaient opposer une résistance impossible 
à vaincre, et qu'après avoir laissé l'ennemi s'user 
contre elle, cette masse n'avait qu'à se détendre 
pour repousser comme paille les assaillants. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 41 

Mais elle est exterminée. 

Lorsque, à la suite des Gaulois et des Espagnols, qui 
certes ne pouvaient tenir à moral égal contre les 
armes supérieures des légionnaires, le centre poussait 
vigoureusement devant lui ; lorsque les ailes, afin de 
le soutenir et de ne pas perdre les intervalles, sui- 
vaient son mouvement en ^e rapprochant par une 
marche oblique en avant et formaient les bas-côtés 
du saillant. Tannée romaine tout entière, en ordre 
de coin, marchait à la victoire ; et voilà que tout à 
coup les ailes sont abordées par les bataillons afri- 
cains ; les Gaulois, les Espagnols * en retraite revien- 
nent sur la tête ; — les cavaliers d'Asdrubal, sur les 
derrières, attaquent les réserves 2 ; — partout le com- 
bat ; — sans s'y attendre, sans être prévenus, au 
moment où ils se croyaient vainqueurs, partout, en 
avant, à droite, à gauche, en arrière, les soldats ro- 
mains entendent les clameurs furieuses des combat- 
tants ^. 

La pression physique était peu de chose; — les 
rangs qu'ils combattaient n'avaient pas la moitié de 
l'épaisseur des leurs. — La pression morale était 

1. Ramenés par Annibal, qui s'était réservé le commandement 
du centre. 

2. Les triaires, la troisième ligne romaine. 

3. On sait combien, au combat sous Alise, les soldats de César, 
prévenus par lui cependant, furent troublés par les cris du combat 
qui se passait derrière eux. Le bruit du combat derrière soi a tou- 
jours démoralisé les troupes. 



42 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

énorme. L'inquiétude, puis Téponvante les prit; les 
premiers rangs, fatigués ou blessés, veulent se reti- 
rer; mais les derniers rangs, effarés, reculent, lâchent 
pied et viennent tourbillonner dans Tintérieur du 
triangle ; démoralisés, ne se sentant point soutenus, 
les rangs engagés les suivent, et la masse sans ordre 
se laisse égorger. Les armes leur tombèrent des 
mains..., dit Polybe. 

L'analyse de Cannes est terminée. Avant de passer 
au récit de Pharsale, nous ne pouvons résister à la 
tentation, bien que la chose soit un peu hors du sujet, 
de dire encore quelques mots sur les combats d'An- 
nibal. 

Ces combats ont un caractère particulier d'achar- 
nement qui s'explique par la nécessité de dominer 
la ténacité romaine. On dirait qu'il ne suffît pas à 
Annibal de la victoire ; il veut la destruction, et ses 
moyens tendent toujours à l'obtenir en coupant 
toute retraite à l'ennemi ; il sait bien qu'avec Rome 
la destruction est le seul moyen d'en finir. 

Il ne croit pas chez les masses au courage du dé- 
sespoir ; il croit à la terreur, et il connaît pour l'ins- 
pirer toutes les ressources de l'imprévu. 

Mais ce ne sont pas les pertes des Romains qui sont 
ce qu'il y a de plus étonnant dans ces combats : ce 
sont les pertes d' Annibal, Qiîi a perdu autant contre 
les Romains, avant lui, après lui, n'a jamais été vain- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 43 

queur. Maintenir au combat, jusqu'à ce que la vic- 
toire s'ensuive, des troupes qui ont fait de telles 
pertes, est d'une main bien puissante. 

Il inspirait à son monde une confiance absolue. 
Presque toujours son centre, où il plaçait ses Gau- 
lois, sa chair à canon, est enfoncé; mais cela ne pa- 
raît inquiéter, troubler ni lui ni ses soldats. 

On peut répondre que ce centre percé Tétait par 
des gens qui échappaient à la pression de l'armée 
romaine entre les deux ailes carthaginoises ; que ces 
gens étaient en désordre, car ils avaient combattu et 
poussé les Gaulois, qu'Annibal savait faire battre 
avec une singulière ténacité ; qu'ils se sentaient, à ce 
qui se passe derrière eux, comme échappés de des- 
sous un pressoir, et — trop heureux d'en être hors 
— ne songeaient qu'à s'éloigner de la bataille et 
nullement à revenir sur les flancs ou les derrières 
de l'ennemi ; que du reste sans doute Annibal, bien 
qu'il n'en soit rien dit, avait pris ses précautions 
contre toute idée de leur part de revenir à la lutte. 

Tout cela est vrai ou probable ; la confiance des 
troupes ainsi percées n'en est pas moins étonnante. 

Annibal, pour inspirer à son monde une pareille 
confiance, devait lui exposer avant le combat ses 
moyens d'action, dans la mesure où naturellement 
une trahison n'aurait pu lui nuire ; il devait le pré- 
venir qu'il serait percé, mais n'avait à s'en préoc- 



44 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

cuper aucunement, parce que c'était cliose prévue et 
parée ; et ses troupes en effet ne s'en préoccu- 
pent pas. 

En laissant de côté ses conceptions de campagnes, 
sa plus grande gloire aux yeux de tous, Annibal est 
bien certainement le plus grand général de Tantiquité 
par son admirable intelligence du moral du combat, 
du moral du soldat, soit sien, soit ennemi, du fond 
que Ton peut en faire dans les différentes péripéties 
d une guerre, d'une campagne, d'une action. Ses sol- 
dats ne sont pas meilleurs que les soldats romains; 
ils sont moins bien armés, moitié moins nombreux ; 
cependant il est toujours vainqueur, parce que ses 
moyens sont avant tout des moyens moraux, et que 
toujours, sans parler de l'absolue confiance de son 
monde, il a la ressource, quand il commande une 
armée bien à lui, de mettre par une combinaison 
quelconque l'ascendant moral de son côté. 

Il avait en Italie, dit-on, une cavalerie supérieure 
à la cavalerie romaine. Mais les Romains avaient une 
infanterie bien supérieure. Changez les rôles; bien 
certainement, il trouvera le moyen de battre peut-être 
encore mieux les Romains. Les moyens d'action ne 
valent que par l'emploi qu'on en sait faire, et Pompée, 
nous le verrons, se fait battre à Pharsale précisément 
parce qu'il a une cavalerie supérieure à celle de César, 

Si Annibal est vaincu h Zama, c'est que le génie a 



. ÉTUDES SUR LE COMBAT 45 

toujours pour limite Fimpossible ; Zama nous prouve 
encore la connaissance parfaite de l'homme que pos- 
sédait Annibal, et sa puissance d'action sur les trou- 
pes. Sa troisième ligne, la seule où il eut des soldats 
en somme, est la seule qui combatte ; et avant d'être 
vaincue, prise de tous côtés, elle met 2000 Romains 
par terre. 

Nous comprendrons plus loin quel moral et quel 
acharnement cela suppose. 



CHAPITRE IV 

ANALYSE DE LA BATAILLE DE PHARSALE 
ET QUELQUES CITATIONS CARACTÉRISTIQUES 

Voici maintenant, d'après César, le récit de la 
bataille de Pharsale : 

« Lorsque César se fut approché du camp de 
Pompée, il remarqua que son armée était placée dans 
Tordre suivant : 

« A l'aile gauche étaient les deux légions nommées 
la première et la troisième, que César avait envoyées 
à Pompée au commencement des troubles, en vertu 
d'un décret du Sénat; c'est là que se tenait Pompée. 
Scipion occupait le centre, avec les légions de Syrie. 
La légion de CiUcie, jointe aux cohortes espagnoles 
qu'avait amenées Afranius, était placée à l'aile droite. 



46 ÉTUDES SUR LE COMBAT . 

Pompée regardait les troupes que nous venons de 
voir ainsi placées comme les plus solides de son 
armée. Entre elles, c'est-à-dire entre le centre et les 
ailes, il avait distribué le reste, et comptait en ligne 
HO cohortes (complètes). C'étaient 48 000 hommes; 
2000 vétérans , précédemment récompensés pour 
leurs services, étaient venus le rejoindre ; il lés avait 
dispersés dans toute la ligne de bataille. Les autres 
cohortes, au nombre de sept, avaient été laissées à la 
garde de son camp et des forts voisins. Son aile 
droite était appuyée à un ruisseau de rives inabor- 
dables ; et pour cette raison il avait mis toute sa cava- 
lerie (7000 hommes) *, ses archers et ses frondeurs 
(4200 hommes) à Taile gauche. 

« César, gardant son ancien ordre de bataille S avait 
placé la 10« légion à l'aile droite, et à l'aile gauche la 
9*, quoique fort affaibUe par les combats de Dyrra- 
chium; à celle-ci il adjoignit la 8« pour faire à peu 
près une légion avec les deux, et il leur recommanda 
de se soutenir l'une l'autre. Il avait en ligne 80 
cohortes constituées (fort incomplètes), montant à 

\ . Sa cavalerie consistait eu 7000 chevaux, dont 500 Gaulois 
ou Germains, les meilleurs cavaliers de ce temps, 900 Galates, 
500 Tbraces, et des Tbessaliens, Macédoniens, Italiens en divers 
nombres. 

2. Les légions de César étaient, chacune dans son ordre de 
bataille, placées sur trois lignes: 4 cohortes en 1" ligne, 5 en 2% 
3 en 3e. Ainsi les cohortes d'une légion étaient toujours, en bataille, 
soutenues par des cohortes de la môme légion. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 47 

22 000 hommes. Deux cohortes avaient été laissées à 
la garde du camp. César avait donné le commande- 
ment de Taile gauche à Antoine, celui de la droite ù 
P. Sylla, celui du centre à C.Domitius. Pour lui, il se 
plaça en face de Pompée. Mais, après avoir reconnu 
la disposition de l'armée ennemie, craignant que son 
aile droite ne fût enveloppée par la nombreuse cava- 
lerie de Pompée, il tira au plus tôt de sa 3e ligne 
une cohorte de chaque légion (6 cohortes), en forma 
une 4® ligne, la disposa pour recevoir cette cavalerie 
et lui montra ce qu'elle avait à faire; puis il avertit 
bien ces cohortes que le succès de la journée dépen- 
dait de leur valeur. En même temps, il commanda à 
toute l'armée, et en particulier à la 3^ ligne, de ne 
pas s'ébranler sans son ordre, se réservant quand il 
le jugerait à propos de donner le signal au moyen 
de l'étendard. 

« César parcourt ensuite ses lignes pous exhorter 
son monde à bien faire et, le voyant plein d'ardeur, 
fait dôimer le signal. 

(( Entre les deux armées, ij ne restait que juste 
assez d'espace pour que chacune eût le champ néces- 
saire à la charge. Mais Pompée avait recommandé à 
son monde qu'il attendit la charge sans bouger, et 
laissât l'armée de César rompre ses rangs. Il en fai- 
sait ainsi, dit-on, d'après l'avis de C. Triarius, afin 
d'annuler la force du premier élan chez les soldats 



48 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

de César, afin que leur ordre de combat fût disjoint, 
et que les soldats de Pompée, bien disposés dans leurs 
rangs, n'eussent plus à recevoir Tépée à la main que 
des hommes en désordre; il pensait encore, ses 
troupes restant sur place au lieu de courir au-devant 
des traits lancés, amortir d'autant la force de chute 
des pilums, et en même temps il espérait que les sol- 
dats de César, par cette charge d'une course double, 
seraient hors d'haleine et accablés de fatigue. Cette 
recommandation d'immobilité nous parait être une 
erreur de Pompée, parce qu'il est chez tous une ani- 
mation, une ardeur naturelle qui s'enflamme par 
l'élan au combat; les généraux ne doivent point 
réprimer, mais augmenter cette excitation, et ce n'est 
pas en vain qu'il a été établi, dans les temps antiques, 
que les troupes doivent pousser de grands cris, toutes 
les trompettes sonner, dans la marche au combat, 
afin d'épouvanter l'ennemi et d'exciter les siens. 

« Cependant nos soldats, au signal donné, s'élan- 
cent le pilum à la main , mais ayant remarqué que 
ceux de Pompée ne couraient point à eux, instruits 
par l'expérience et formés par les combats précé- 
dents, ils ralentissent d'eux-mêmes et s'arrêtent au 
milieu de leur course, pour ne pas arriver hors 
d'haleine et à bout de forces ; et quelques moments 
après, ayant repris leur cource, ils lancent leurs 
pilums et puis immédiatement, selon l'ordre de 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 41) 

César, mettent Tépée à la main. Les Pompéiens se 
comportent parfaitement; ils reçoivent courageuse- 
ment les traits, ils ne bougent pas devant Télan des 
légions, ils conservent leurs rangs et, leurs pilums 
envoyés, s'arment de Tépée. 

« En môme temps, toute la cavalerie de Pompée 
s'élance de l'aile gauche, comme elle en avait reçu 
l'ordre, et la foule de ses archers se répand de toute 
part. Notre cavalerie n'attend pas la charge, mais 
elle cède le terrain en reculant un peu. La cavalerie 
de Pompée n'en devient que plus pressante et com- 
mence à développer ses escadrons et à nous tourner 
par notre flanc découvert. Aussitôt que César voit 
son intention, il donne le signal à sa 4* Ugne, com- 
posée de six cohortes. Celles-ci s'ébranlent aussitôt 
et (enseignes baissées) chargent avec tant de vigueur 
et de résolution les cavaliers pompéiens, que pas un 
ne tient, et que tous, ayant tourné bride, non seule- 
ment quittent la place, mais, pressés par la fuite, 
gagnent au plus vite les plus hautes montagnes. Eux 
partis, les archers et les frondeurs, abandonnés sans 
défense et sans protection, sont tous tués. Du même 
pas, les cohortes se portent derrière l'aile gauche de 
Pompée, dont l'armée combat et résiste toujours, et 
l'abordent à dos. 

« En même temps. César fait avancer sa troisième 

ligne, qui jusqu'à ce moment s'était tenue tranquille 

• 4 



50 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

à son poste. Ces troupes fraîches ayant relevé celles 
qui étaient fatiguées, les soldats de Pompée, d'un 
autre côté pris à dos, ne peuvent plus tenir, et tous 
prennent la fuite. 

« César ne s'était pas trompé lorsqu'il avait dit à 
ses cohortes qu'il plaçait en ¥ hgne contre la cava- 
lerie, en les exhortant à bien faire, que par elles com- 
mencerait la victoire. Par elles, en effet, la cavalerie 
fut repoussée, par elles la troupe des frondeurs et 
des archers fut taillée en pièces, et par elles l'aile 
gauche de Pompée fut tournée, ce qui décida la 
déroute. 

« Dès que Pompée vit sa cavalerie repoussée et 
cette partie de l'armée sur laquelle il comptait le plus 
saisie de terreur, se fiant peu au reste, il quitta la 
bataille et courut achevai à son camp, où, s'adressant 
aux centurions qui gardaient la porte prétorienne, il 
leur dit à haute voix pour être entendu des soldats : 
Gardez bien le camp, et défendez-le vigoureusement 
en cas de malheur; pour moi, je vais faire le tour des 
autres portes et assurer la défense des postes. 

« Cela dit, il se retire au prétoire, désespérant du 
succès et cependant attendant l'événement. 

<c Après avoir forcé les ennemis en déroute à se 
jeter dans leurs retranchements, César, persuadé 
qu'il ne devait pas donner le moindre répit à leur 
épouvante, exhorta ses soldats à profiter de leur 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 51 

avantage et à attaquer le camp; et ceux-ci, bien 
qu'accablés par la chaleur, car le combat s'était pro- 
longé jusqu'au milieu du jour, ne refusèrent aucune 
fatigue et obéirent. Le camp fut d'abord bien défendu 
par les cohortes qui en avaient la garde et surtout 
par les Thraces et les barbares; car, pour les soldats 
qui avaient fui de la bataille, pleins de frayeur et 
accablés de fatigue, ils avaient presque tous jeté leurs 
armes et leurs enseignes et songeaient bien plus à se 
sauver qu'à défendre le camp. Bientôt môme, ceux 
qui tenaient bon sur le retranchement ne purent 
résister à la nuée des traits; couverts de blessures, ils 
abandonnèrent la place, et, conduits par leurs centu- 
rions et leurs tribuns, ils se réfugièrent au plus vite 
sur les hautes montagnes qui avoisinaient le camp. 

« César ne perdit dans cette bataille que 200 sol- 
dats; mais environ 30 centurions des plus braves y 
furent tués... De l'armée de Pompée, il périt environ 
15 000 hommes, et plus de 24 000 qui s'étaient réfu- 
giés sur la montagne, et qiie César avait fait cerner 
de retranchements, vinrent se rendre le lendemain. » 

Tel est le récit de César. Les choses ressortent si 
clairement de ce récit qu'il est à peine besoin de 
commentaires. 

César avait l'ordre de bataille habituel sur trois 
lignes, consacré dans les armées romaines, sans être 
absolu cependant, puisque l'on voit Marius combattre 



52 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

sur deux seulement ; mais, nous l'avons dit, suivant 
l'occasion, le génie du chef modifiait. Il n'y a pas lieu 
de supposer que l'armée de Pompée fût en ordre dif- 
férent. 
Pour faire face à cette armée double de la sienne, 

César, s'il eût conservé l'ordonnance sur dix rangs de 
la cohorte, n'aurait pu former qu'une première ligne 
et ensuite une deuxième, de moitié nombreuse, 
comme réserve ; mais il connaissait la valeur de ses 
troupes et il savait, nous l'avons dit aussi, à quoi 
s'en tenir sur la force apparente des rangs profonds. 
Aussi il n'hésite pas à diminuer son épaisseur pour 
conserver intacts l'ordre et le moral des trois cin- 
quièmes de ses troupes, jusqu'au moment de leur 
engagement; et, afin d'être plus sûr de sa troisième 
ligne, de sa réserve, afin qu'elle ne cède pas à l'en- 
traînement de se distraire de son anxiété par l'action, 
il lui fait des recommandations toutes particulières, 
et peut-être, car le texte prête à interprétation, la 
tient à distance double de l'habitude en arrière des 
combattants. 

Ensuite, dans le but de parer au mouvement tour- 
nant des 7000 cavaliers et des 4200 frondeurs et ar- 
chers de Pompée, mouvement dans lequel celui-ci 
met l'espoir de la journée, il dispose six cohortes, qui 
représentent à peine 2000 hommes. Il a confiance 
parfaite que ces 2000 hommes feront tourner bride à 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 53 

celte cavalerie, et ses 1000 cavaliers à lui sauront 
bien alors si vivement la pousser qu'elle ne songera 
même pas à se rallier. Ainsi arrive, et les 4200 ar- 
chers et frondeurs sont égorgés comme des moutons 
par ces cohortes, aidées, sans doute, des 400 fantas- 
sins * jeunes et agiles que César mêlait à ses 1000 ca- 
valiers et qui restèrent à cette besogne, laissant les 
cavaUers , qu'ils eussent ralentis , poursuivre les 
fuyards talonnés par la peur. 

Voilà 7000 cavaliers balayés et 4200 fantassins, 
égorgés sans combat, tous (Jémoralisés simplement 
par une démonstration vigoureuse. 

L'ordre d'attendre la charge donné par Pompée à 
son infanterie est jugé trop sévèrement par César. 
Certainement il a raison en thèse générale ; il ne faut 
point refroidir l'élan des troupes, et l'initiative de 
l'attaque donne en effet à l'assaillant un certain as- 
cendant moral. Mais avec des soldats soUdes et 
dûment prévenus on peut tenter un piège, et les sol- 
dats de Pompée ont prouvé leur solidité en atten- 
dant sur place et sans broncher un ennemi en bon 

1. César dit précédemment que , pour suppléer à l'infériorité 
numérique de sa cavalerie , il avait choisi 400 jeunes gens 
(adolescentes) des plus alertes parmi ceux qui marchaient en avant 
des enseignes (ex mtesignatis) et par des exercices quotidiens les 
avait accoutumés à combattre entre ses cavaliers (inter équités prœ- 
liari). Il avait ainsi obtenu ce résultat que ses mille cavaliers osaient 
en rase campagne tenir tète aux 7000 cavaliers de Pompée, sans se 
laisser épouvanter de leur multitude (neque magnopere eorum mul- 
titudine terrerentur). 



54 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

ordre et plein de vigueur, alors qu'ils comptaient le 
recevoir en désordre et hors dlialeine. Quoiqu'il 
n'ait pas réussi, le conseil de Triarius n'était donc 
point mauvais; la conduite même des soldats de 
César le prouve ; et ce conseil et cette conduite mon- 
trent quelle était l'importance du rang matériel dans 
le combat antique; en assurant le soutien, le secours 
mutuel, il faisait la confiance du soldat. 

Malgré donc que les soldats de César eussent l'ini- 
tiative de l'attaque, le premier choc ne décide de 
rien. Il y a combat sur place, combat de plusieurs 
heures, et voilà 48 000 hommes de bonnes troupes, 
qui après une lutte où ils perdent à peine 200 hommes, 
— car, avec armes, courage, escrime égales, l'infan- 
terie de Pompée ne doit point perdre face à face plus 
que celle de César, — voilà 48 000 hommes qui 
lâchent pied et, du champ de bataille à leur camp, 
sont égorgés au nombre de 12 000. 

Les soldats de Pompée avaient deux fois la profon- 
deur des rangs de César; l'ennemi, dans son élan, ne 
les a point fait reculer d'un pas ; d'autre part, leur 
masse est impuissante à le repousser, et Ton combat 
sur place. Pompée leur avait annoncé, dit César, que 
l'armée ennemie serait tournée par sa cavalerie, et 
tout à coup, alors qu'ils luttent bravement, pied à 
pied, ils entendent derrière eux les clameurs d'at- 
taque des six cohortes de Qésar (2000 hommes). 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 55 

Il semble que, pour une masse semblable, parer à 
ce danger était chose facile. Non. L'aile ainsi priseà 
dos lâche pied; de proche en proche, la contagion 
de la peur entraîne le reste; et Tépouvante est si 
grande qu'ils ne songent pas à se reformer dans leur 
camp un moment défendu par les cohortes de garde. 
Comme à Cannes, les armes leur tombent des mains. 
Sans la bonne contenance des gardes du camp qui 
a permis aux fuyards de gagner la montagne, les 
24 000 prisonniers du lendemain eussent fait des ca- 
davres ce jour-là. 

Cannes et Pharsale pourraient à la rigueur suffire 
pour faire comprendre le combat antique. Ajoutons 
cependant quelques autres citations caractéristiques, 
que nous choisirons brèves et telles qu'elles se pré- 
sentent dans l'ordre des temps; les renseignements 
seront plus complets ^ . 

Tite-Live raconte que dans un combat contre les 
peuples des environs de Rome, je ne sais plus lequel, 
les Romains n'osèrent poursuivre, de peur de rompre 
leurs rangs. 

1 . Ils le seront tout k fait pour qui voudra lire in extenso : daub* 
Xénophon, le combat des dix mille contre Pharnabase en Bithynie, 
§ 34, page 569, édition Lisken et Sauvan; — dans Polybe, le com- 
bat du Tésin, chapitre XIII du livre III ; — dans César ou ses con- 
tinuateurs, les combats contre Scipion, Labiénus et Afranius, les 
Getules et les Numides, § 61, page 282, et § 69, 70, 71 et 72, 
pages 283, 285 et 286, dans la Guerre d'Afrique, édition Lisken et 
Sauvan. 



56 ÉTUDES SUR LB COMBAT 

Dans un combat contre les Berniques, il montre 
les cavaliers romains, qui n'ont pu rien faire à cheval 
pour ébranler Tennemi, demandant au consul à 
mettre pied à terre pour combattre en fantassins. — 
Et ceci n'est point particulier aux cavaliers romains ; 
on voit plus tard les meilleurs cavaliers, les Gaulois, 
les Germains, les Parthes même, mettre pied à terre 
pour combattre réellement. 

Les Volsques, les Latins, les Berniques, etc., sont 
réunis en multitude pour combattre les Romains; 
l'action touche à sa fin, et Tite-Live raconte : « Enfin 
les premiers rangs étant tombés, chacun, voyant le 
carnage arriver jusqu'à lui, prit la fuite ; puis, pres- 
sés, ils jettent leurs armes et se dispersent pour 
fuir, et alors s'élance la cavalerie, ayant l'ordre non 
de tuer les isolés, mais de gêner la foule avec ses 
traits, de ne cesser de l'inquiéter, de la ralentir en 
un mot, et d'empêcher la dispersion afin de permettre 
à l'infanterie d'arriver et de massacrer. » 

Au combat d'Amilcar contre les mercenaires ré- 
voltés, qui jusque-là avaient toujours battu les Car- 
thaginois, les mercenaires croyaient l'envelopper. 
Amilcar les surprend par une manœuvre nouvelle 
pour eux, et il les bat. Il marche sur trois lignes : 
éléphants, cavalerie et infanterie légère, puis pha- 
langes des pesamment armés. A l'approche des mer- 
cenaires, qui marchent vigoureusement à son en- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 57 

contre, les deux lignes formées par les éléphants, les 
cavaliers et Tinfanterie légère, tournent le dos et 
vont au plus vite se placer sur les ailes de la 3' ligne ; 
la 3® ligne ainsi découverte rencontre un ennemi qui 
croyait n'avoir plus qu'à poursuivre, le surprend par 
conséquent, le met en fuite, et le livre ainsi à l'action 
des éléphants, des chevaux et des armés à la légère, 
qui massacrent les fuyards. 

Amilcar tue 6000 hommes, en prend 2000 et perd 
si peu de monde qu'il n'en est pas question, ne perd 
personne sans doute, puisqu'il n'y eut pas de combat. 

A Trasimène, les Carthaginois perdent 1500 hom- 
mes, presque tous Gaulois, les Romains 18 000 et 
15 000 prisonniers. Combat acharné de trois heures. 

A Zama, Annibal a 20 000 tués, 20 000 prison- 
niers, les Romains 2000 tués. Combat sérieux avec la 
3" ligne d'Annibal, qui seule a combattu et n'a cédé 
que sous l'attaque en queue et en flanc de la cavalerie 
Massinissa. 

A la bataille de Cynocéphale, entre Philippe et 
Flaminius, PhiUppe presse Flaminius avec sa pha- 
lange de 32 de profondeur. Vingt manipules pren- 
nent la phalange en queue. La bataille est perdue 
par PhiUppe. Les Romains comptent 700 tués, les 
Macédoniens 80 000 et 5000 pris. 

A Pydna, — Paul-Emile contre Persée, — la pha- 
lange marche sans pouvoir être arrêtée; mais elle se 



58 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

disjoint naturellement suivant le plus ou moins de 
résistance qu'elle rencontre. Des centuries pénètrent 
dans les crevasses du bloc et tuent les soldats em- 
barrassés de leurs longues piques et qui ne sont forts 
qu'unis, de front, et à longueur de bois. Effroyable 
désordre et tuerie : 20 000 tués, 5000 pris sur 44 000 ! 
L'historien ne daigne pas parler des pertes ro- 
maines. 

Bataille d'Aix contre les Teutons. Marins les fait sur- 
prendre par derrière. Affreux carnage : 100 000 Teu- 
tons, 300 Romains tués * . 

Bataille de Chéronée, de Sylla contre Archélaiis, 
lieutenant de Mithridate : Sylla a une trentaine de 
mille hommes, Archélaiis 110 000. Archélaûs est 
battu par surprise de derrière. Les Romains perdent 
14 hommes et tuent jusqu'à épuisement de pour- 
suite. 

Bataille d'Orchomène contre le même; répétition 
de Chéronée. 

César raconte que sa cavalerie ne pouvait combattre 
les Bretons sans s'exposer beaucoup, parce que ceux- 
ci feignaient de fuir pour l'éloigner de l'infanterie, et 
qu'alors, s'élançant de leurs chariots de guerre, ils la 
combattaient à pied avec avantage, 

1. Après le combat antique, il n'y avait guère que des morts ou 
des blessures légères. — Dans l'action, la blessure grave qui vous 
jetait par terre ou paralysait vos forces était immédiatement suivie 
du coup de grâce 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 59 

Un peu moins de 200 vétérans embarqués sur un 
navire se font échouer la nuit, pour n'être point pris 
par des forces navales supérieures. Ils atteignent un 
poste avantageux et y passent la nuit. A la pointe 
du jour, Otaciiius envoie contre eux environ 400 ca- 
valiers et quelque infanterie de la garnison d'Alesio. 
Ils se défendirent vaillamment ; et, après en avoir 
tué plusieurs, ils rejoignirent les troupes de César 
sans qu'ils eussent perdu un seul homme. 

L'arrière-garde de César est atteinte par la cava- 
lerie de Pompée au passage de la rivière Génusus, 
en Macédoine, dont les bords sont fort escarpés. César 
oppose à la cavalerie de Pompée, forte de 5000 à 
7000 hommes, sa cavalerie, 600 à 1000 hommes, 
parmi lesquels il avait soin d'entremêler 400 fan- 
tassins d'élite; ils firent si bien leur devoir que, dans 
le combat qui s'engagea, ayant repoussé les en- 
nemis, ils en tuèrent plusieurs et se replièrent sur 
le gros de l'armée sans perte d'un seul homme. 

A la bataille deThapse, en Afrique, contre Scipion, 
César tue 10 000 hommes, en perd 50 et a quelques 
blessés. 

A la bataille sous les murs de Munda (Espagne) 
contre un des fils de Pompée, César a 80 cohortes 
et 8000 chevaux, environ 48 000 hommes. 

Pompée a 13 légions, 60 000 hommes de troupe 
de ligne, 6000 cavaliers, 6000 fantassins légers, 



60 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

6000 auxiliaires, en tout près de 80 000 hommes. Le 
combat, dit le narrateur, fut vaillamment soutenu, 
pied à pied *, glaive à glaive. Dans cette bataille 
d'un acharnement exceptionnel, où les chances 
longtemps balancées furent au moment de tourner 
contre César, celui-ci eut 1000 morts, 500 blessés ; 
Pompée, 33 000 morts, et, si Munda n'eût été si près 
(à deux milles à peine), ses pertes eussent été dou- 
bles.* On construisit les contrevallations de Munda 
avec les cadavres et les armes. 

En étudiant les combats antiques, on voit que 
c'est presque toujours une attaque de flanc ou de 
queue, un effet de surprise quelconque qui gagne 
les batailles, surtout contre les Romains ; c'est ainsi 
que se trouvait parfois déconcertée leur tactique 
excellente, si excellente qu'un général romain qui 
valait seulement la moitié de son adversaire était 
sûr de le battre. Je ne les vois jamais vaincus autre- 
ment : Xantippe, Annibal, aspect, manières de com- 
battre imprévues des Gaulois, etc., etc. 

Xénophon dit quelque part, en effet : « Quelque 
chose que ce soit, ou agréable ou terrible, moins 
on l'a prévue, plus elle cause de plaisir ou d'effroi. 
Cela ne se voit nulle part mieux qu'à la guerre, où 



1 . Le pied à pied, le glaive à glaive, sérieux, à courte distance, 
était donc un peu rare. De même, d'ailleurs, dans les duels de nos 
jours, où l'on voit rarement les épées franchement croisées. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 61 

toute suprise frappe de terreur ceux même qui sont 
de beaucoup les plus forts. » 

Les combattants armés de cuirasses et de boucliers 
ne perdaient que très peu de monde dans le combat 
de face. 

Dans ses victoires, Annibal ne perd pour ainsi 
dire que des Gaulois, sa chair à canon, combattant 
avec de mauvais boucliers et sans armures. 

Presque toujours enfoncés, ils luttent cependant 
avec une ténacité qu'on ne trouve plus chez eux, ni 
avant ni après lui. 

Thucydide caractérise le combat des armées à la 
légère, en disant dans un récit : « Comme d'habi- 
tude, les armées à la légère se mirent réciproque- 
ment en fuite *. » 

Dans le combat à rangs serrés, il y avait poussée 
mutuelle, mais peu de perte, les hommes n'ayant 
pas la liberté de frapper à leur guise et de toute 
leur force. 

César contre les Nerves, voyant au milieu de Fac- 
tion son monde instinctivement serré pour résister 
à la masse des barbares, pUer cependant sous la 
poussée, fait ouvrir ses rangs, ses files, afin que ses 
légionnaires, qui, serrés en masse, étaient paralysés 
et forcés de céder à une pression plus forte, puissent 

i. Aujourd'hui, ce sont les tirailleurs qui seuls ou à peu près font 
l'œuvre de destruction. 



62 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

tuer et parconséquent démoraliser Tennemi. Et en 
effet, sitôt qu'au premier rang des Nerves.on tomba 
sous les coups des légionnaires, il y eut arrêt, recul, 
— puis, sous une attaque en queue, tourbillon, dé- 
faite de cette masse ^ 



CHAPITRE V 

MÉCANISME MORAL DU COMBAT ANTIQUE 

Nous voilà éclairés sur le moral et le mécanisme 
du combat antique ; Fexpresssion de mêlée, employée 
par les anciens, était mille fois plus forte que la chose 
à exprimer ; elle voulait dire mêlée, croisement des 
armes, non mêlée des hommes. 

Les résultats des combats comme pertes mutuelles 
suffisent à le démontrer, et un instant de réflexion 
nous fait voir Terreur de la mêlée. Si dans la pour- 
suite on pouvait se lancer au milieu de moutons, 
dans le combat chacun avait trop besoin de son sui- 
vant, de son voisin, qui gardaient ses flancs et son 

1 . Que devient, en présence du narré de César, la théorie mathé- 
matique des masses, dont on discute encore? Si cette théorie avait 
le moindre fondement, comment jamais Marius eût-il pu tenir contre 
la marée montante des armées des Cimbres et des Teutons? 

Au combat de Pharsale, le conseil donné par Triarius k l'armée 
de Pompée, conseil suivi et qui était d'un homme d'expérience, 
ayant vu les choses de près, montre que le choc, l'impulsion phy- 
sique de la masse était un mot. — On savait qu'en penserv 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 63 

dos, pour aller de gaieté de cœur se faire tuer à coup 
sûr dans les rangs ennemis *. 

Avec la mêlée, du reste, où eussent été les vain- 
queurs? 

Avec la mêlée. César à Pharsale, Annibal à Cannes, 
eussent été vaincus ; leurs rangs, moins profonds, 
pénétrés par Tennemi, eussent dû combattre deux 
contre un, eussent même été pris à dos par suite de 
la pénétration d'outre en outre. 

N'a-t-on pas vu encore, entre troupes également 
solides et acharnées, la lassitude mutuelle amener, 
d'un accord tacite, un recul de part et d'autre et une 
reprise d'haleine pour recommencer après? 

Conunent la chose serait-elle possible avec la mêlée? 

Et puis, nous le répétons, avec la mêlée, le mé- 

1. Le en-avant isoU^ dans le combat moderne, au milieu de pro- 
jectiles aveugles qui ne choisissent pas, est bien moins périlleux 
que le en-avant antique, car il ne conduit jamais, sinon parfois dans 
un assaut, jusqu'à l'ennemi. 

A Pharsale, le volontaire Crastinius, ancien centurion, se porte en 
avant avec une centaine d'hommes, en disant à César : « Je vais 
faire en sorte, mon général, que, vivant ou mort aujourd'hui, vous 
ayez sujet de vous louer de moi. » 

César, auquel ne déplaisaient point ces exemples de dévouement 
aveugle k sa personne et qui. savait bien, comme elles Vont montré, 
ses troupes trop réfléchies, trop expérimentées, pour craindre la 
contagion d'un pareil exemple. César laisse faire; et Crastinius et 
ses quelques compagnons vont se faire tuer. 

Cet aveugle courage d'enfants perdus peut, du reste, préparer 
l'action de la masse qui suit. C'est probablement pour cela que César 
l'a permis. Mais contre des troupes solides, Texemple de Crastinius 
le prouve, aller ainsi de l'avant, si l'on va jusqu'à l'ennemi, c'est 
aller à «ne mort certaine^ 



64 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

lange des combattants, il y aurait extermination mu- 
tuelle, mais pas de vainqueurs. Comment se recon- 
naîtraient-ils? 

Conçoit-on deux foules mélangées par hommes ou 
par groupes, où chacun, occupé de face, peut être 
impunément frappé de côté ou par derrière? C'est 
une extermination mutuelle, où la victoire appar- 
tient au dernier survivant, car dans ce mélange, 
cette mêlée, nul ne peut fuir, ne sait où fuir. 

Les pertes mutuelles ne sont-elles pas du reste 
une démonstration suffisante? . 

Le mot est donc trop fort ; c'est l'imagination des 
peintres et des poètes qui a vu la mêlée. 

Voici comment se passaient les choses : 

A distance de charge, on marchait à l'ennemi de 
toute la vitesse compatible avec l'ordre nécessaire 
à l'escrime et au soutien mutuel des combattants. 
Bien souvent, Y impulsion morale, cette résolution 
d'aller jusqu'au bout qui se manifeste à la fois par 
l'ordre et la franchise de l'allure, cette impulsion 
seule mettait en fuite un ennemi moins résolu. 

D'habitude, entre bonnes troupes, il y avait choc, 
mais non point choc aveugle et tête baissée de la 
masse ; la préoccupation du rang * était très grande, 

1. Les camarades du manipule, de la compagnie romaine, se 
donnaient le serment mutuel de ne jamais quitter le rang, sinon 
pour ramasser un trait, sauver un camarade (un citoyen romain}, 
tuer un ennemi. (Tite-Live.) 



ÉTUDES SUR LK COMBAT 65 

ainsi que le montre la conduite des soldats de César 
à Pharsale, la marche lente et cadencée par des 
flûtes des bataillons lacédémoniens. Au moment de 
s'aborder, Félan s'amortissait de lui-même, parce 
que l'homme du premier rang, forcément, instincti- 
vement, s'assurait de la bonne position de ses sou- 
tiens — ses voisins du môme rang, les camarades 
du deuxième — et se rassemblait sur lui -môme 
afin d'être plus maître de ses mouvements pour 
frapper et parer. Il y avait abordage d'homme à 
homme ; chacun prenait l'adversaire en face de lui 
et l'attaquait de front, car, en pénétrant dans les 
rangs avant de l'avoir abattu, il risquait les blessures 
de côté en perdant ses soutiens. Chacun donc heur- 
tait son homme de son bouclier, espérant lui faire 
perdre l'équilibre et, dans l'instant qu'il cherche à 
le reprendre, le frapper. Les hommes du deuxième 
rang, en arrière dans les intervalles nécessaires à 
l'escrime du premier, étaient prôts à garantir ses 
flancs contre qui s'avançait entre deux, prêts à re- 
lever les fatigués ; de môme du troisième rang, et 
ainsi de suite. 

Chacun s 'étant donc de part et d'autre affermi 
pour le choc, celui-ci était rarement décisif, et l'es- 
crime, le vrai combat de près, commençait. 

Si les hommes du premier rang étaient rapide- 
ment blessés dans un des partis, les autres rangs 



5 



66 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

n'avaient hâte de les aller relever ou remplacer : il y 
avait hésitation, puis défaite. — Ainsi des Romains 
dans leurs premières rencontres avec les Gaulois. — 
Le Gaulois, de son bouclier, parait le premier coup 
de pointe, et, de son grand sabre de fer s'abattant 
avec furie sur le sommet du bouclier romain, le 
fendait et allait jusqu'à Thomme. Les Romains, déjà 
hésitants devant l'impulsion morale des Gaulois, leurs 
cris féroces, leur nudité signe de mépris des coups, 
tombaient à ce moment plus nombreux que leurs 
adversaires, et la démoralisation s'ensuivait. Bientôt 
ils s'habituèrent à la fougue valeureuse, mais sans 
ténacité, de leurs ennemis, et, quand ils eurent garni 
le haut de leurs boucliers d'une bande de fer qui 
repoussait déformée l'épée gauloise, alors ils ne 
tombèrent plus, et les rôles furent changés. 

Les Gaulois, en effet, ne pouvaient tenir contre les 
armes meilleures et l'escrime d'estoc des Romains, 
contre leur ténacité individuelle supérieure, presque 
décuplée par le relai possible des huit rangs du ma- 
nipule — et les manipules se renouvelaient; — tandis 
que chez eux la durée du combat se limitait aux 
forces d'un homme, à cause de la difficulté en des 
rangs trop serrés ou tumultueux, et souvent de l'im- 
possibilité voulue du relai, comme par exemple lors- 
qu'ils s'attachaient. ^ 

Si les armes étaient à peu près égales, en copser- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 67 

vant ses rangs, briser, refouler, confondre ceux de 
l'ennemi, c'était vaincre. L'homme en des rangs dé- 
sordonnés, rompus, se sent non plus soutenu, mais 
vulnérable de toutes parts, et il fuit. Il est vrai qu'on 
ne peut guère briser des rangs sans briser aussi les 
siens ; mais celui qui brise avance ; il n'a pu avancer 
qu'en faisant reculer devant ses coups, en tuant 
môme ou en blessant ; il fait une chose à laquelle 
il s'attend, voulue, qui hausse son courage et celui 
de ses voisins: il sait^ il voit où il marche; tandis que 
l'ennemi dépassé par suite du recul ou de la chute 
des gens qui le flanquaient est surpris, se voit dé- 
couvert de côté; il recule lui-môme pour aller re- 
prendre soutien, niveau de rang en arrière. Mais 
Fadversaire pousse d'autant, ce niveau ne se retrouve 
plus. — Les rangs suivants cèdent au recul des pre- 
miers, et si le recul a une certaine durée, s'il est 
violent, la terreur commence des coups qui refoulent 
ainsi et peut-être abattent le premier rang. Si, afin 
de faire plus rapidement et plus facilement place à 
la poussée, de ne point s'acculer et tomber en ar- 
rière, les derniers rangs pour quelques pas tournent 
le dos, il y a peu de chances qu'ils représentent la 
face. — L'espace les a tentés. — Ils ne se retourne- 
ront plus. 

Alors, par cet instinct naturel du soldat de s'in- 
quiéter, de s'assurer de ses soutiens, par la conta- 



68 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

gion de la fuite en un mot, celle-ci va remontant 
des derniers rangs jusqu'au premier, qui, d'aussi près 
engagé, était tenu de faire face cependant, sous peine 
de mort immédiate; et ce qui suit n'a plus besoin 
d'être expliqué, c'est la tuerie {Cœdes), 

Revenons au combat. 

Il est évident que l'ordonnance en ligne droite 
des troupes qui se sont abordées existe à peine un 
instant. Mais chaque groupe de files formé par l'ac- 
tion ne s'en relie pas moins au groupe voisin, les 
groupes comme les individus s'inquiétant toujours de 
leur soutien. Le combat se fait le long de la ligne de 
contact des premiers rangs de chaque armée, ligne 
droite, brisée, courbe, infléchie en sens divers sui- 
vant les chances diverses de l'action sur tel ou tel 
point, mais toujours limitant, séparant parfaitement 
les combattants des deux partis. Sur cette ligne, une 
fois engagé de bon cœur ou non, il fallait rester de 
face, sous peine de mort immédiate, et chacun, natu- 
rellement, nécessairement, mettait dans ces premiers 
rangs toute son énergie à défendre sa vie. 

Nulle part, la ligne ne se perd enchevêtrée tant 
qu'il y a combat, car, du général au soldat, l'appli- 
cation de chacun est de conserver la continuité de 
soutien le long de cette ligne, et de rompre, couper 
celle de l'ennemi, car alors c'est la victoire. 

Nous voyons donc qu'entre hommes armés do 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 69 

glaives il peut y avoir, il y a, si le combat est sé- 
rieux, pénétration d'une masse dans une autre, mais 
jamais confusion, mélange, mêlée * des rangs, des 
hommes qui forment ces masses. 

Le combat de glaive à glaive était le plus meur- 
trier, celui qui pouvait présenter le plus de péripé- 
ties, parce que c'est celui dans lequel la valeur indi- 
viduelle du combattant, comme courage, dextérité, 
sang-froid, comme escrime en un mot, avait l'action 
la plus grande et la plus immédiate. Après celui-là, 
les autres combats sont faciles à comprendre. 

Prenons les piques et les glaives. 

Les poussées à la lance d'hommes serrés, forêt 
de piques vous tenant à distance (les piques avaient 
18 à 18 pieds *), étaient irrésistibles. Mais on avait le 
loisir de tout tuer — cavaUers, fantassins légers — 
autour de la phalange, masse impuissante comme 
destruction, marchant d'un pas mesuré et qu'une 
troupe mobile pouvait toujours éviter. Il pouvait se 
faire des ouvertures par la marche, par le terrain, 
par les mille accidents de la lutte, par des braves. 



1. Cela ne veut pas dire qu'une petite troupe tombant dans un 
guêpier ne puisse figurer une sorte de mêlée, — d'une seconde, — le 
temps de son égorgement. — Cela ne veut pas dire que dans la 
déroute il ne puisse en quelque endroit de la tuerie y avoir combat, 
combat de quelques gens de cœur qui veulent vendre leur vie. — 
Mais rien de cela ne constitue une' mêlée réelle. — On est entouré, 
submergé, non mêlé. 

2. Phalanges grecques. 



70 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

des blessés à terre qui allaient couper les jarrets du 
premier rang en rampant sous les lances à hauteur 
de poitrine, — lesquelles n'y voyaient guère, puisque 
celles des deux premiers rangs à peine avaient des 
yeux et la libre direction, pour frapper; — et la 
moindre ouverture faite, ces hommes aux longues 
lances inutiles de près, qui ne prévoyaient que le 
combat à longueur de bois (Polybe), étaient frappés 
presque impunément par les groupes * se jetant dans 
les intervalles. Et alors, Tennemi dans le ventre de 
la phalange, elle devenait, par l'inquiétude morale, 
masse sans ordre, moutons se renversant, s'écrasant 
sous la pression de la peur. 

Que dans une foule, en effet, des hommes trop 
pressés piquent de leurs couteaux ceux qui les pres- 
sent, et la contagion de la peur change la direction 
du flot humain, lequel revenant sur lui-même s'écrase 
en masse pour faire le vide autour du danger. Si 
donc l'ennemi fuit devant la phalange, il n'y a pas 
mêlée; s'il lui cède seulement par tactique et* profi- 
tant des vides la pénètre par des groupes, encore là 
il n'y a point mêlée, mélange des rangs. Le coin 
entrant dans un bloc ne se mélange pas. 

De phalange armée de longues piques à phalange 
semblable, encore moins de mêlée; mais poussée 

1. Les Romains ne perdent personne en pénétrant par centuries 
dans les ouvertures de la phalange. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 71 

mutuelle et pouvant durer longtemps, si Tun des 
partis n'arrive à faire prendre Vautre en flanc ou en 
queue par un corps détaché de troupes quelconques. 
Nous voyons du reste, dans presque tous les com- 
bats antiques, la victoire enlevée par des moyens de 
ce genre, moyens éternellement bons, parce que 
leur action est morale surtout et que Thomme ne 
change pas. 

Inutile d'exphquer à nouveau comment, pourquoi, 
dans tous les combats, la démorahsation, puis la 
fuite commençaient par les rangs postérieurs. 

Nous avons essayé d'analyser le combat de Tin- 
fanterie de ligne, parce que lui seul était sérieux dans 
le combat antique, les infanteries légères se mettant 
réciproquement en fuite, comme le constate Thucy- 
dide. Elles revenaient poursuivre et massacrer les 
vaincus *. 

Pour la cavalerie, de cavalerie à cavalerie, l'im- 
pulsion morale, représentée par la vitesse de la masse 
et son bon ordre, avait une action des plus grandes, 
et nous voyons qu'infiniment rarement les deux ca- 
valeries pouvaient résister à cette action réciproque 
de l'une sur l'autre. On le voit au Tésin, on le voit à 
Cannes, combats cités parce qu'ils sont la bien rare 

1. Les vélites romains de la légion primitive, avant Marins, 
avaient très certainement la mission de tenir un instant dans les 
intervalles des manipules, en attendant les princes. — Us mainte- 
naient, ne fût-ce qu*un instant, la continuité de soutien. 



72 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

exception. Et encore n'y eut-il pas choc à toute vi- 
tesse, mais arrêt face à face et combat. 

En effet, les ouragans de cavalerie qui se rencon- 
trent, c'est la poésie, jamais la réalité. Le choc à toute 
vitesse, hommes et chevaux s'y briseraient, et ni les 
uns ni les autres ne le veulent. Les mains des cava- 
liers sont là, leur instinct et Tinstinct des chevaux, 
pour ralentir, arrêter, si l'ennemi n'arrête lui-même, 
et faire demi-tour s'il fonce toujours. Et si jamais on 
se rencontre, le choc est à ce point amorti par les 
mains des hommes, le cabré des chevaux, l'évité des 
têtes, que c'est un arrêt face à face; on s'envoie quel- 
ques coups de sabre ou de lance, mais l'équilibre est 
trop instable, le point d'appui trop mobile pour l'es- 
crime et le soutien mutuel; l'homme se sent trop 
isolé, la pression morale est trop forte, et, bien que 
peu meurtrier, le combat ne dure qu'une seconde, 
précisément parce qu'il ne saurait durer sans mêlée 
et que dans la mêlée l'homme se sent, se voit seul et 
entouré. Aussi les premiers hommes qui ne se croient 
plus soutenus, qui ne peuvent plus supporter l'in- 
quiétude, tournent bride, et le reste suit ; et l'ennemi 
alors poursuit à plaisir, — à moins que lui aussi 
n'ait tourné bride ; — il poursuit jusqu'à rencontre 
de cavalerie nouvelle qui le fasse fuir à ^ap tour. 

De cavalerie à infanterie, jamais il n'y avait choc. 
La cavalerie harcelait de ses traits, de ses coups de 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 73 

lance peut-être, en passant rapidement, mais jamais 
n'abordait. 

A vrai dire, la lutte de près à cheval n'existait pas. 
Et en effet, si le cheval, en ajoutant si fort à la mobi- 
lité de l'homme, lui donne le moyen de menacer et 
de courir sus avec vitesse, il lui permet de s'échapper 
avec une vitesse semblable quand la menace n'ébranle 
pas l'ennemi, et l'homme en use, selon son penchant 
de nature et le sain raisonnement, pour faire le plus 
de mal possible en risquant le moins possible. En 
résumé, avec cavaliers sans étriers ni selle, pour 
lesquels lancer le javelot était chose difficile (Xéno- 
phon), le combat n'était qu'une suite de harcèle- 
ments réciproques, de démonstrations, menaces, es- 
carmouches à coups de trait, où l'un et l'autre parti 
cherche son moment pour surprendre, intimider, 
profiter du désordre, et poursuivre soit cavalerie, 
soit infanterie; et alors vœvictis : l'épée travaille. 

L'homme, de tout temps, a la plus grande peur 
d'être foulé par les chevaux, et, bien certainement, 
cette peur a culbuté cent mille fois plus de gens que 
le choc réel, toujours plus ou moins évité par le 
cheval, n'en eût ou n'en a renversés. Quand deux 
cavaleries antiques veulent combattre réellement, y 
sont forcée^» elles combattent à pied, — Tésin, Can- 
nes, exemple de Tite-Live. — Je ne vois guère en 
toute l'antiquité de vrai combat à cheval que celui 



74 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

du chevalier Alexandre au passage du Granique. 
Et encore? Sa cavalerie, qui traverse une rivière 
à berges escarpées défendues par Fennemi, perd 
85 hommes, la cavalerie perse 1000; et toutes deux 
étaient également bien armées ! 

Le combat moyen âge renouvelle, moins la science, 
les combats antiques. Les chevaliers s'abordent peut- 
être plus que la cavalerie antique, par la raison qu'ils 
sont invulnérables ; il ne suffit pas de les renverser, 
il faut les égorger une fois par terre. Ils savaient du 
reste que* leurs combats à cheval n'étaient pas sérieux 
comme résultats, et, quand ils voulaient combattre 
pour de vrai, ils combattaient à pied (combat des 
Trente, Bayard, etc.). 

Le^ vainqueurs, de haut en bas vêtus de fer, ne 
perdent personne, les vilains ne comptent pas; et, 
si le vaincu démonté est atteint, il n'est pas mas- 
sacré, parce que la chevalerie est venue établir une 
confraternité d'armes entre les noblesses, les guer- 
riers à cheval des diverses nations, et la rançon 
remplace la mort. 

Si nous avons surtout parlé du combat d'infan- 
terie, c'est que celui-ci était le plus sérieux et que, à 
pied, à cheval, sur le pont d'un navire, au moment 
du danger, on retrouve toujours le môme homme; et 
qui le connaît bien, de son action ici conclut à son 
action partout. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 75 



CHAPITRE VI 

A QUELLES CONDITIONS ON OBTIENT DES COMBATTANTS 
RÉELS, ET COMMENT LE COMBAT DE NOS JOURS, POUR 
ÊTRE BIEN FAIT, LES EXIGE PLUS SOLIDES QUE LE 
COMBAT ANTIQUE. 

Pouvons-nous redire maintenant ce que nous di- 
sions au commencement de cette étude : L'homme 
ne combat point pour la lutte, mais pour la victoire; 
il fait tout ce qui dépend de lui pour supprimer la 
première et assurer la seconde. Le perfectionnement 
continu de tous les engins de guerre n'a point 
d'autre cause : anéantir l'ennemi en restant debout. 
La bravoure absolue, qui ne refuse pas le combat, 
même à chances inégales, s'en remettant à Dieu ou 
à la destinée, cette bravoure n'est point naturelle 
à l'homme ; elle est le résultat de la culture morale, 
elle est infiniment rare. Car toujours en face du 
danger le sentiment animal de la conservation re- 
prend le dessus; l'homme calcule ses chances, et 
avec quelles erreurs. — Nous venons de le voir. 

L'homme donc a horreur de la mort. Chez les 
âmes d'élite, un grand devoir qu'elles seules peuvent 
comprendre et accomplir fait parfois marcher au 
devant; mais la masse toujours recule à la vue du 



76 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

fantôme. La discipline a pour but de faire violence 
à cette horreur par une horreur plus grande, celle 
des châtiments ou de la honte. Mais toujours il 
arrive un instant où Thorreur naturelle prend le 
dessus sur la discipline, et le combattant s'enfuit. — 
« Arrête, arrête ; tiens quelques minutes, un instant 
de plus, et tu es vainqueur; — tu n'es pas même 
encore blessé ; — si tu tournes le dos, tu es mort. » — 
Il n'entend pas, il ne peut plus entendre. — Il re- 
gorge de peur. — Combien d'armées ont juré de 
vaincre ou de périr ! Combien ont tenu leur serment ? 
Serment de mouton de tenir contre le loup. L'his- 
toire enregistre, non les armées, mais les âmes 
fermes qui ont su combattre jusqu'à la mort, et le 
dévouement des Thermopyles est immortel avec 
justice. 

Nous voilà ramenés aux vérités élémentaires, de 
tant de gens, oubliées ou inconnues, que nous avons 
énoncées au chapitre premier. 

Le combat réel, sérieux, étant la rude épreuve 
que nous connaissons, pour l'imposer avec chancejs 
de succès à une foule humaine, il ne suffit pas que 
cette foule soit composée d'hommes vaillants comme 
les Gaulois, comme les Germains. 

11 lui faut, et nous lui donnons, des chefs qui ont 
la fermeté et la décision de commandement prove- 
nant de l'habitude et d'une foi entière dans leur 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 77 

droit imprescriptible de commander consacré par la 
tradition, la loi, la constitution sociale. 

Nous y ajoutons de bonnes armes, une manière de 
combattre en rapport avec ces armes et celles de 
l'ennemi et avec ce qui se peut obtenir des forces 
physiques et morales de Thomme ; et de plus, un 
fractionnement rationnel qui permet la direction et 
remploi de tous les efforts jusqu'à celui du dernier 
homme. 

Nous ranimons de passions, — désir violent de 
l'indépendance, — fanatisme de la religion, — or- 
gueil national, — amour de la gloire, — rage de 
posséder; — et une loi de discipline terrible, en 
défendant que nul se soustraie à l'action, commande 
la solidarité la plus grande du haut en bas, entre 
toutes les fractions, entre les chefs, entre les chefs 
et les soldats, entre les soldats. 

Avons-nous alors une armée solide? Pas encore. 
La solidarité, cette première et suprême force des 
armées , est ordonnée , il est vrai , par des lois 
sévères de discipline secondées de passions puis- 
santes; mais ordonner ne suffit pas. Une surveil- 
lance à laquelle nul ne puisse échapper dans le 
combat, en assurant l'exécution de la discipline, doit 
garantir la solidarité contre les défaillances en face 
du danger, ces défaillances que nous connaissons; 
et pour être sentie, ce qui est le plus grand point, 



78 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

pour exercer une forte pression morale et faire 
marcher tout le monde par crainte ou point d'hon- 
neur, cette surveillance, œil de tous ouvert sur 
chacun, exige en chaque groupe des gens qui se 
connaissent bien et qui la comprennent comme un 
droit et un devoir de salut commun. 

11 est nécessaire alors qu'une organisation sage- 
ment ordonnée, et c'est par là qu'il faut commencer, 
place d'une manière permanente les mêmes chefs 
et les mêmes soldats dans les mêmes groupes de 
combattants, de telle sorte que les chefs et les 
compagnons de la paix ou des camps soient les 
chefs et les compagnons de la guerre, afin que de 
l'habitude de vivre ensemble, d'obéir aux mêmes 
chefs, de commander aux mêmes hommes, de par- 
tager fatigues et délassements, de concourir entre 
gens qui s'entendent vite à l'exécution des mouve- 
ments et des évolutions guerrières, naissent la con- 
fraternité, l'union, le sens du métier, le sentiment 
palpable, en un mot, et l'intelligence de la solidarité : 
devoir de s'y soumettre, droit de l'imposer, impos- 
sibilité de s'y soustraire. 

Et voici paraître la confiance. 

Non point cette confiance enthousiaste et irré- 
fléchie des armées tumultuaires ou improvisées qui 
va jusqu'au danger et s'évanouit si rapidement pour 
faire place au sentiment contraire, lequel voit pai- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 79 

tout trahison; mais cette confiance intime, ferme, 
consciente, qui ne s'oublie pas au moment de Faction 
et seule fait de vrais combattants. 

Nous avons maintenant une armée ; et il ne 
nous est plus difficile d'expliquer comment des gens 
animés de passions entraînantes, même des gens 
qui savent mourir sans broncher, sans pâlir, réel- 
lement forts devant la mort, mais sans discipline, 
sans organisation soUde, sont vaincus par d'autres 
individuellement moins vaillants, mais soUdement, 
soUdairement constitués. 

On aime à se représenter une foule armée renver- 
sant tous obstacles, enlevée par un souffle de passion. 

Il y a plus de pittoresque que de vrai dans cette 
imagination. Si le combat était œuvre individuelle, 
les hommes passionnés, courageux, qui composent 
cette foule, auraient plus de chances de victoire; 
mais dans une troupe, quelle qu'elle soit, une fois 
en face de l'ennemi, chacun comprend que la tâche 
n'est pas œuvre d'un seul, est œuvre collective et 
simultanée, et, au milieu de compagnons de hasard 
rassemblés de la veille sous des chefs inconnus, il 
sent d'instinct le manque d'union et se demande 
s'il peut compter sur eux. Pensée de méfiance qui 
mènera loin à la première hésitation, au premier 
danger sérieux qui un moment arrêtera l'élan pas* 
sionné. 



80 ÉTUBES: SUR LE COMBAT 

■t.. 

C'est que la solidarité, la confiance ne s'improvi- 
sent pas; elles ne. peuvent naître que de la connais- 
sance mutuelle qui fait le point d'honneur, qui fait 
l'union, d'où vient à son tour le sentiment de la 

force, lequel donne le courage d'affronter par la 

.1% 

confiance de surmoiî*er, — le courage, c'est-à-dire 
la domination de la.volonté sur l'instinct, dont la 
durée plus ou moins grande fait la victoire ou la 
défaite. 

La solidarité seule donne donc des combattants. 
Mais, comme en tout il y a des degrés, voyons si le 
combat de nos jours est à cet égard moins exigeant 
que le combat antique. 

Dans le combat antique, il n'y a danger que de 
près. Si une troupe avait assez de moral (et les 
foules asiatiques souvent ne l'avaient point) pour 
aller à l'ennemi jusqu'à longueur de gMve, il y avait 
combat. Quiconque était à cette distance savait que 
s'il tournait le dos il était mort; car, nous l'avons 
vu, les vainqueurs perdent très peu de monde et les 
vaincus sont exterminés; ce simple raisonnement 
tenait les hommes et pouvait les faire combattre, ne 
fût-ce qu'un instant. 

Aujourd'hui, à moins de circonstances tout excep- 
tionnelles et très rares, qui font déboucher deux 
troupes nez à nez, le combat s'engage et se fait de 
loin. Le danger commence à longue distance, et 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 81 

longtemps il faut marcher au devant de projectiles, 
à chaque pas en avant plus pressés. Le vaincu perd 
des prisonniers, mais souvent, en morts et en bles- 
sés, ne perd pas plus que le vainqueur. 

Dans le combat antique, on combattait par groupes 
resserrés sur un petit espace, en terrain découvert, 
en pleine vue les uns des autres, sans le bruit 
assourdissant des armes actuelles. On marchait en 
ordre à Faction, qui avait Ueu sur place et ne vous 
emportait pas en mouvements désordonnés à des 
milliers de pas du point de départ. La surveillance 
des chefs était facile, les défaillances individuelles 
immédiatement réprimées. L'effarement général seul 
faisait la fuite. 

Aujourd'hui, le combat se fait sur des espaces im- 
menses, le long de grandes lignes minces, à chaque 
instant coupées par les accidents et les obstacles du 
terrain. Dès que Faction s'engage, dès qu'il y a coups 
de fusil, les hommes éparpillés en tirailleurs ou 
perdus dans le désordre inévitable d'une marche ra- 
pide * échappent à la surveillance des chefs; nom})re 
plus ou moins grand se dissimulent ^ se soustraient 
à l'action et,, diminuant d'autant l'effet matériel et 

1. Résultat forcé du perfectionnement des engins. 

2. Chez les troupes sans cohésion, ce mouvement commence à 
50 lieues de Tennemi ; nombre de gens entrent dans les hôpitaux sans 
autre maladie que le manque de moral, qui devient très vite maladie 
réelle. Une discipline draconienne n'est plus de nos jours ; la cohé- 
sion seule y peut suppléer. 

6 



82 ETUDES SUR LE COMBAT 

moral de celle-ci et la confiance des braves qui res- 
tent seuls, peuvent amener la défaite. 

Mais voyons Thomme de plus près dans l'un et 
l'autre combat. Je suis fort, adroit, vigoureux, exercé, 
plein de sang-froid, de présence d'esprit; j'ai de bon- 
nes armes offensives et défensives et des compagnons 
solides , depuis longtemps les mêmes , qui ne me 
laisseront point accabler sans me soutenir ; moi avec 
eux, eux avec moi, nous sommes invincibles, invul- 
nérables ; nous avons fait vingt combats, et nul de 
nous n'y est resté ; il suffit de se bien soutenir à 
temps, et nous y voyons clair, nous sommes alertes à 
nous remplacer, à mettre un combattant tout frais 
en face d'un ennemi fatigué ; nous sommes des lé- 
gions de Marins, des 80 000 qui avons su tenir contre 
la marée furieuse des Cimbres, en avons tué 140 000, 
pris 60 000, en perdant des nôtres 2 à 300 mala- 
droits. 

Aujourd'hui, si fort, ferme, exercé, courageux que 
je sois, je ne puis jamais dire : J'en reviendrai. Je n'ai 
plus affaire aux hommes, je ne les crains pas, mais 
à la fatalité de la fonte et du plomb. La mort est 
dans l'air, invisible et aveugle, avec des souffles 
effrayants qui font courber la tête. Si bons, si bra- 
ves, si solides, si dévoués que soient mes compa- 
gnons, ils ne me garantissent pas. Seulement, — et 
combien ceci est abstrait et moins immédiatement 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 83 

intelligible à tous que le soutien matériel du combat 
antique, — seulement je me figure que plus nom- 
breux nous sommés à courir un dangereux hasard, 
plus grande est pour chacun la chance d'y échapper; 
et puis encore je sais que, si nous avons cette con- 
fiance que nul de nous ne manque à Faction, nous 
nous sentons et nous sommes plus forts, plus résolu- 
ment nous entamons et nous soutenons la lutte, et 
plus vite nous en finissons. 

Nous en finissons ! Mais, pour en finir, il faut se 
porter en avant, il faut aller chercher l'ennemi *, et 
fantassin, cavalier, nous sommes nus contre le fer, 
nus contre le plomb , infaillibles à deux pas. Mar- 
chons quand môme, franchement, résolument; notre 
adversaire ne tiendra pas devant la perspective du 
bout portant de notre fusil, car l'abordement n'est 
jamais mutuel, nous en sommes sûrs, — - on nous l'a 
dit mille fois, — nous Tavons vu. Si cependant les 
choses allaient changer aujourd'hui! Si lui aussi nous 
offrait le bout portant. 

Qu'il y a loin de là à la confiance romaine I 

1 . Rude affaire que d'aller mordre des gens qui tirent, bien ou 
mal il n'importe, six à huit coups dans une minute. Le dernier 
mot sera-t-il donc au mieux pourvu de cartouches, à qui saura 
le plus en faire user aux autres sans user les siennes? 

Observation profonde et vieille —comme les flèches : Usons leurs 
flèches ; — comme le bâton : Cassons leurs bâtons, — mais com- 
ment? Là toujours est la question. Es choses de la guerre, entre 
toutes, le précepte est aisé, maiSj etc., etc. 



84 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Nous avons montré d'autre part combien dans Tan- 
tiquité se retirer de Faction était, pour le soldat, 
chose à la fois difficile et périlleuse ; aujourd'hui, la 
tentation est bien autrement forte, la faciUté plus 
grande et le péril moindre. 

Aujourd'hui donc, le combat exige une cohésion 
morale, une soUdarité plus resserrée qu'en aucun 
temps. Une dernière remarque sur la difficulté de le 
diriger va compléter la démonstration. 

Depuis l'invention des armes à feu, mousquet, 
fusil, canon, les distances d'aide et de soutien mu- 
tuels s'augmentent entre les différentes armes ^ . 

En outre, la facilité des communications de toutes 
sortes permet le rassemblement sur un terrain donné 
de forces numériques énormes. Par ces motifs, nous 
Tavons dit, les champs de bataille deviennent im- 
menses. 

En embrasser l'ensemble est de plus en plus diffi- 
cile ; et, de plus en plus difficile en devenant plus 
lointaine, la direction plus souvent que jamais tend à 
échapper au chef suprême, aux chefs subalternes. Ce 
certain désordre inévitable, que présente toujours 
une troupe en action, va chaque jour s'augmentant 
avec l'effet moral des engins, à ce point que, au milieu 
du brouhaha et des fluctuations des lignes de com- 



i. Plus donc elles se figurent être isolées, plus donc elles ont 
besoin de moral. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT , 85 

bat, les soldats souvent perdent les chefs, les chefs 
les soldats. 

Dans les troupes immédiatement et fortement en- 
gagées, les petits groupes seuls se maintiennent, de 
Fescouade à la compagnie, s'ils sont bien constitués, 
servant d'appuis ou de points de ralliement aux déso- 
rientés; et, par la force des choses, les batailles ten- 
dent à devenir aujourd'hui, plus qu'elles ne l'ont 
jamais été, des batailles de soldats. 

Cela ne doit pas être. 

Que cela ne doive pas être, nous ne le discutons 
pas, mais cela est. 

Cela n'est pas. — Et l'on objecte que les troupes 
dans les batailles ne sont point toutes d'une manière 
immédiate ni fortement engagées ; que les chefs tou- 
jours cherchent à conserver le plus longtemps pos- 
sible en leur main des troupes en ordonnance capa- 
bles de marcher, d'agir, en un moment donné, dans 
une direction déterminée; qu'aujourd'hui comme 
hier, comme demain, l'action décisive appartient à 
ces troupes en ordonnance apparaissant en tel ou tel 
ordre, en telle ou telle disposition, sur tel ou tel 
point, et par conséquent appartient au chef qui a su 
les maintenir, les conserver et les diriger. 

Cela est incontestable. 

Mais ceci ne l'est pas moins : On a d'autant plus 
de chances de conserver le dernier des troupes en 



86 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

main, que les troupes engagées plus solides forcent 
Tennemi à leur opposer plus de monde. — Et l'ob- 
jection faite, en mettant en avant un principe gé- 
néral et de tous les temps, n'oppose rien à ceci : 
Dans les troupes qui font le combat, par les raisons 
que nom avons données et qui sont des faits, les sol- 
dats et les chefs les plus près d'eux, du caporal au 
chef de bataillon, ont une action plus indépendante 
que jamais; et, comme c'est la vigueur seule de cette 
action plu^ indépendante que jamais de la direction 
des chefs élevés qui laisse aux mains de ceux-ci des 
forces disponibles et dirigeables au moment décisif, 
cette action devient plus prépondérante que jamais, 
et Ton peut dire avec raison que les batailles, plus 
que jamais aujourd'hui, sont des batailles de soldats, 
de capitaines. Elles le sont toujours dans le fait, 
puisqu'en dernière analyse l'exécution appartient au 
soldat ; mais l'influence de celui-ci sur le résultat final 
est plus ou moins grande; de là le mot vrai du jour : 
Batailles de soldats. 

En dehors des prescriptions réglementaires de tac- 
tique et de discipline, une nécessité de sens commun 
s'impose, il est vrai, d'elle-même à tous, dans une 
armée, de réagir contre cette prédominance pleine 
de hasards de l'action du soldat sur celle du chef; 
de reculer par tous les moyens, jusqu'aux extrêmes 
limites du possible, cet instant que tendent à hâter 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 87 

des causes chaque jour plus puissantes, où le soldat 
échappe au chef. 

Mais le fait est là, et ce fait et les préoccupations 
qu'il suscite complètent la démonstration de cette 
vérité énoncée plus haut : le combat exige aujour- 
d'hui, pour être fait avec une entière valeur, une 
cohésion morale, une solidarité plus resserrées qu'en 
aucun temps *. — Vérité presque naïve, tant il est 
clair que, si Ton ne veut qu'ils se brisent, plus des 
liens doivent s'allonger, plus ils doivent être forts. 

1 • Les batailles navales ne sont-elles pas surtout des batailles de 
capitaines de vaisseaux, et du jour au lendemain amène-t-on tous 
les capitaines à ce sentiment de solidarité qui les fasse tous combattre 
un jour d'action : Trafalgar, Lissa. En 1588, le duc de Médina 
Sidonia, se disposant à un combat naval, envoya sur des bâtiments 
légers trois msgors à Tavant-garde et trois à Tarrière-garde, avec des 
bourreaux, et leur ordonna de faire pendre tout capitaine de vais- 
seau qui abandonnerait le poste qui lui avait été assigné pour la 
bataille. 

En 1702, Tamiral anglais Benlow, un homme héroïque, est aban- 
donné presque seul, pendant trois jours de combat, par ses capi- 
taines de vaisseaux. — Âmpjité d'une jambe et d'un bras, il en fait, 
avant de mourir, passer quatre en jugement. — Un est cassé, trois 
sont pendus, — et c'est de cet instant que date l'inflexible sévérité 
anglaise envers les commandants de flottes et de navires, sévérité 
nécessaire pour les amener à combattre effectivement. 

Nos chefs de bataillons, nos capitaines, nos soldats, une fois dans 
, le feu, sont plus perdus que ces commandants de navire. 



DEUXIÈME PARTIE 

LE COMBAT MODERNE 

L'art de la guerre subit de nombreuses modifica- 
tions en rapport avec le progrès scientifique et indus- 
triel, etc., etc. Mais une chose ne change pas : le 
cœur de Thomme ; et comme en dernière analyse le 
combat est une affaire de moral, dans toutes les mo- 
difications qu'on apporte à une armée, organisation, 
discipline, tactique, la juste appropriation de toutes 
ces modifications au cœur humain à un moment 
donné, moment suprême, celui de la bataille, est tou- 
jours la question essentielle. 

On en tient rarement compte, et de là souvent 
d'étranges erreurs. Témoin les armes à longue portée 
et de précision (les carabines), qui n'ont absolument 
rien donné de ce qu'on en attendait... parce qu'on a 
fait de leur usage une chose mécanique, sans tenir 
compte du cœur humain. 

« Les dispositions du cœur sont aussi variables 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 89 

que la fortune. L'homme se rebute et appréhende le 
danger dans tout effort où il n'entrevoit pas chance 
de succès. Il y a quelques caractères isolés, d'une 
trempe ferme, qui résistent; mais ils sont entraînés 
par le plus grand nombre. » (Bismark.) 

« L'histoire moderne nous fournit maint exemple 
de troupes qui, semblables à des murailles, ne pou- 
vaient être ébranlées ni enfoncées, qui essuyaient 
patiemment le feu le plus vif, et qui se retirèrent 
avec précipitation lorsque le général ordonna la re- 
traite... )) (Bismark.) 

Quand on raisonne en pleine sécurité, après dîner, 
en plein contentement physique et moral, de la 
guerre, du combat,- on se sent animé de la plus noble 
ardeur et on nie le réel. Combien cependant, si on 
les prend juste à ce moment, seront prêts à jouer 
leur vie sur l'heure? Mais que ceux-là soient obligés 
de marcher des jours, des semaines, pour arriver à 
l'heure du combat; que le jour du combat ils atten- 
dent des minutes, des heures, le moment de donner; 
et, s'ils sont sincères, ils avoueront combien la fatigue 
physique et l'angoisse qui précède l'action les auront 
moralement atténués, combien moins que trente jours 
auparavant, au sortir de table, ils sont aptes à un 
mouvement généreux. 

Combattre de loin est naturel à l'homme ; du pre- 
mier jour, son industrie a tendu à obtenir ce résultat, 



90 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

et il continue. On se figure qu'avec les armes à lon- 
gue portée on sera forcé d'en revenir au combat de 
près; on fuira tout simplement de plus loin devant 
les démonstrations. 

L'homme primitif, le sauvage, l'Arabe, sont l'insta- 
bilité incarnée ; le moindre vent, un fétu, les fait, à la 
guerre, virer à chaque instant. L'homme civilisé, à 
la guerre, revient naturellement à ses premiers ins- 
tincts. 

C'est la grande supériorité de la tactique romaine 
de chercher toujours à mettre l'action physique au 
niveau de l'action morale. L'action morale s'use (on 
finit par s'apercevoir que l'ennemi n'est pas si ter- 
rible qu'il en a l'air) ; l'action physique, non. On voit 
les Grecs chercher à imposer. Les Romains, eux, 
veulent tuer, et ils tuent. . . et ils tiennent la meilleure 
route. Leur action morale est appuyée sur des épées 
solides et qui tuent. 

Napoléon raconte que « 2 mameluks tenaient tête 
à 3 Français: mais 100 cavaliers français ne crai- 
gnaient pas 100 mameluks; 300 étaient vainqueurs 
d'un pareil nombre; 1000 en battaient 1800 : tant est 
grande l'influence de la tactique, de l'ordre et des 
évolutions; » en langage ordinaire, tant est grande 
l'influence morale de la solidarité établie par la dis-, 
cipline et rendue possible et efficace dans le combat 
par l'organisation et les dispositions de soutien mu- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 91 

tuel. Avec la solidarité, de saines dispositions, des 
hommes d'une valeur individuelle moindre d'un tiers 
battent ceux qui individuellement valent mieux 
qu'eux. Tout est là et doit tendre là dans l'organisa- 
tion d'une armée. Pour qui sait réfléchir, cette sim- 
ple citation de Napoléon renferme tout le moral des 
combats. Faites croire à l'ennemi que le soutien lui 
manque, isolez, coupez, dépassez, tournez, etc., etc. 
(mille manières de faire croire à l'isolement), ses 
hommes, isolez ses escadrons, ses bataillons, ses 
brigades, ses divisions, et à vous la victoire. Et si 
d'avance, par vice d'organisation, il ne croit pas au 
soutien mutuel, il n'est besoin de tant de manœuvres ; 
l'attaque suffît. 

Les Romains ne sont point gens de prouesses, 
mais de discipline et de ténacité. Nous n'ayons au- 
cune idée de l'esprit militaire romain, lequel ne res- 
semblait en rien au nôtre; un général romain qui 
n'eût pas eu plus de sang-froid que les nôtres était 
perdu. Nous avons tels motifs de décorations, de mé- 
dailles, qui auraient fait passer par les verges un 
soldat romain. 

Combien d'hommes devant le lion ont le courage 
de regarder l'ennemi en face, de songer à se défen- 
dre, de se défendre. En guerre, lorsque la terreur 
vous a pris, vous êtes comme devant le Uon, vous 
fuyez en tremblant et vous vous laissez égorger. 



92 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Comment donc, il y a si peu de braves absolus parmi 
tant de braves? Hélas! oui. Gédéon en trouve 300 sur 
30 000 et est bien heureux. 

Le rang est la garantie prise par la discipline 
contre la faiblesse de l'homme devant le danger. La 
faiblesse est plus grande, aujourd'hui que les engins 
ont une action morale plus forte, et le rang matériel 
est forcément plus faible aussi par le manque de 
cohésion de Tordre mince ; et cependant Tordre 
mince est indispensable, et pour perdre moins, et 
pour faire usage de ses armes. Donc, aujourd'hui, il 
y a nécessité plus grande que jamais du rang ou dis- 
cipline (non le rang mathématique, figure de géo- 
métrie), et difficulté beaucoup plus grande aussi pour 
le maintenir. 

Avec le perfectionnement des armes, des engins de 
jet, la puissance de destruction croît, Taction morale 
des engins croît, le courage d'affronter devient plus 
difficile, et rhomine ne change paSy ne peut pas chan- 
ger. Ce qui doit croître avec la puissance des engins, 
c'est la force d'organisation, la solidarité des combat- 
tants, c'est-à-dire tous moyens qui peuvent augmenter 
cette solidarité, et c'est ce dont on s'occupe le moins. 
Avoir un million d'hommes dressés aux exercices, 
aux manœuvres militaires (qui doivent se simplifier à 
mesure que se fortifient les engins), ce n'est rien, si 
une organisation sainement raisonnée n'assure leur 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 93 

discipline, et par leur discipline leur solidarité, c'est- 
à-dire leur courage au jour de Faction. 

Quatre braves, qui ne se connaissent pas, n'iront 
point franchement à l'attaque d'un lion. Quatre 
moins braves, mais se connaissant bien, sûrs de leur 
solidarité et par suite de leur appui mutuel, iront ré- 
solument. Toute la science des organisations d'armées 
est là. 

A un moment donné, un engin nouveau peut vous 
assurer la victoire. Soit. Mais on n'invente pas des 
engins praticables tous les jours, et bien vite les na- 
tions se mettent au même niveau sous le rapport de 
l'armement. 

La question finale en revient toujours (laissons de 
côté les généraux de génie, chance sur laquelle on 
ne peut guère compter) à la qualité des troupes, 
c'est-à-dire à l'organisation qui assure le mieux leur 
bon esprit, leur solidité, leur confiance, leur soli- 
darité en un mot. Qui dit troupes dit soldats. Des 
soldats, si bien dressés qu'ils soient, réunis du jour au 
lendemain en compagnie, bataillon, etc., ne sauraient 
avoir, n'ont jamais eu cette solidarité qui, du haut en 
bas, ne peut naître que de la connaissance mutuelle. 

Qu'on se reporte à ce que nous avons dit du com- 
bat antique, et dès à présent, avant même d'avoir 
étudié le combat moderne, on sentira qu'il n'est d'ar- 
mées, de vrais combattants, que ceux auxquels une 



94 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

organisation méditée, rationnelle, donne une solida- 
rité de tous les instants dans le combat. On prévoit 
que, plus la puissance de destruction par les armes 
de jet se perfectionne, plus, par suite, le combat de- 
vient éparpillé^ échappe à la directien, à Fœil immé- 
diat de son chef suprême, et même des simples offi- 
ciers; plus, par conséquent, la discipUne, la solidarité 
doit être forte, plus méditée, plus profondément rai- 
sonnée doit être l'organisation qui assure entre les 
combattants la solidarité. Car, si la puissance des 
armes croît, Thomme reste le même, Fhomme et ses 
faiblesses. A quoi bon une armée de 200 000 honmies, 
dont 100 000 seulement combattront réellement, 
tandis que les 100 000 autres se dissimuleront de 
cent manières; n'en ayons que 100 000, mais que 
Ton puisse compter sur eux. 

Le but de la discipUne est de faire combattre les 
gens souvent malgré eux. C'est une naïveté que de 
dire qu'il n'y a pas d'armée digne de ce nom sans 
discipline. Il n'y a pas de discipline sans organisation, 
et toute organisation est défectueuse, qui négUge le 
moindre des moyens pouvant rendre plus réelle et 
plus forte la solidarité entre les combattants. Et les 
moyens ne sauraient être partout les mêmes ; la dis- 
cipline est d'institution sociale, ou bien elle doit 
prendre pour point d'appui les quaUtés et les défauts 
dominants de la nation. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 95 

Nous avons vu par l'étude du combat antique com- 
bien le combat est une terrible chose ; quelle est son 
action sur Thomme; combien celui-ci ne combat 
réellement que sous la pression de la discipline. 

La discipline ne se commande, ne se crée pas du 
jour au lendemain. C'est affaire d'institution, de tra- 
dition. 

Il faut que le chef ait confiance absolue dans son 
droit de commander, ait l'habitude de commander, 
l'orgueil du commandement. C'est ce qui fait la forte 
discipline des armées commandées par l'aristocratie, 
quand il y en a une dans le pays. 

Les Prussiens ne négligent pas ce puissant auxi- 
liaire des actions vigoureuses, l'homogénéité et par 
suite la solidarité des corps de troupes. Les troupes 
hessoises, les régiments hessois sont composés * : la 
première année, d'un tiers de Hessois, deux tiers de 
Prussiens, pour modifier l'esprit particulier des trou- 
pes d'un pays récemment annexé ; deuxième année, 
deux tiers de Hessois, un tiers de Prussiens ; troisième 
année, les régiments hessois ne reçoivent plus que des 
Hessois et sont commandés par des officiers hessois. 

Avec les aimes actuelles, dont l'usage est connu 
de tous, l'instruction du soldat est peu de chose; elle 
ne fait pas un soldat. Exemple : la Vendée, où la 

1. Nous n'avons pas besoin de faire remarquer que ces pages onl 
été écrites avant la guerre de 1870-1871. 



96 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

solidarité, non Tinstruction individuelle, lit des sol- 
dats dont on ne saurait méconnaître la qualité ; soli- 
darité qui naturellement existait entre gens du même 
village, de la même commune, conduits au combat 
parleurs seigneurs, leurs curés, etc., etc. 

Cette solidarité que nous voulons de l'escouade à 
la compagnie, il ne faut pas craindre de la voir se 
développer au même degré par les mêmes moyens 
chez les étrangers. Leur constitution et leur carac- 
tère s'y prêtent moins; tandis que cette indivi- 
dualité des escouades, des compagnies, est dans la 
constitution de notre armée et dans la sociabilité 
française. 

La sociabilité française fait que la cohésion se 
forme plus vite entre troupes françaises qu'entre 
troupes d'autres nations. Organisation, discipline, 
dans leur but se confondent; et souvent la première, 
si elle est rationnelle, entre gens d'amour-propre 
comme les Français, arrive au but sans les moyens 
coercitifs de la deuxième. 

Une remarque : c'est, que les organisations d'ar- 
mée et de tactique sur le papier organisent toujours 
au point de vue mécanique et négligent le coefficient 
essentiel (le moral) ; presque toujours, elles se trom- 
pent. 

L'esprit de corps §e forme avec la guerre ; mais la 
guerre devient de plus en plus courte et de plus en 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 97 

plus violente, et il faut d'avance former Tesprit de 
corps. 

Il ne suffit pas de se bien connaître mutuellement 
pour faire une bonne troupe. Il faut un bon esprit 
général. Il faut que Vidée de tous et de tout soit le 
combat, et non de vivre tranquillement en faisant 
des exercices dont on ne connaît pas Fapplication. Une 
fois qu'un homme sait manœuvrer son arme et obéir 
à tous les commandements, il ne lui faut plus d'exer- 
cices que rarement, pour ramener ceux qui ont oublié, 
mais des marches et des manœuvres de combat. 

L'éducation technique du soldat n'est pas le point 
le plus difficile. Savoir se servir de son arme, l'en- 
tretenir, savoir aller à droite et à gauche, en avant, 
en arrière à commandement, courir à cheval et mar- 
cher sac au dos, tout cela est nécessaire, mais ne 
fait pas un soldat. Les Vendéens le savaient peu et 
étaient de rudes soldats. Ce qui constitue surtout le 
soldat, le combattant capable d'obéissance et de di- 
rection dans l'action, c'est le sentiment qu'il a de la 
discipline, c'est son respect des chefs, sa confiance 
en eux, sa confiance dans les camarades, sa crainte 
qu'ils lui puissent reprocher de les avoir abandonnés 
dans le danger, son émulation d'aller où vont les 
autres, sans plus trembler qu'un autre, son esprit 
de corps en un mot. L'organisation seule donne ces 
qualités. 



98 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Dans le combat antique, la solidaHté existe, du 
moins chez les Grecs et chez les Romains. Le soldat 
est connu de ses chefs et de ses compagnons. On le 
voit combattre, et il combat. 

La discipline et le caractère romain commandaient 
la ténacité ; Tendurcissement à la fatigue des hommes 
et leur bonne organisation de soutien mutuel décu- 
plaient cette ténacité, contre laquelle les plus braves 
ne pouvaient tenir. L'escrime fatigante et à grands 
efforts dès Gaulois ne pouvait lutter longtemps contre 
Tescrime savante, terrible et moins fatigante de la 
pointe. 

Dans les armées modernes , actuelles ,' où la vic- 
toire use aussi vile que la défaite, le soldat est bien 
plus souvent renouvelé (le vainqueur antique ne per- 
dait personne). Le soldat est inconnu souvent de ses 
camarades; il les perd dans ce combat de fumée, 
d'éparpillement, de flottement en tous sens, où il est 
isolé pour ainsi dire; la solidarité n'a plus la sanc- 
tion d'une surveillance mutuelle. Un homme tombe, 
s'embusque ; comment voir si c'est d'une balle ou de 
peur d'aller plus loin? Le combattant antique n'était 
point frappé d'un trait invisible et ne pouvait tomber 
ainsi. Plus donc cette surveillance est difficile, plus 
il faut cependant s'efforcer de l'obtenir par l'indivi- 
dualité des compagnies, des sections, des escouades, 
pour lesquelles ce n'est pas un mince honneur de 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 99 

i^omoir à tout instant faire l'appel. L'homme, dans le 
combat de nos jom*s, c'est l'homme sachant à peine 
nager, inopinément jeté dans l'eau. 

Dès Guibert, on remarque que les actions de choc 
sont infiniment (infiniment pris dans le sens mathé- 
matique) rares. 

Guibert réduit à néant, par un raisonnement appuyé 
d'observations pratiques, la théorie mathématique du 
choc d'une troupe massée contre une autre. L'impul- 
sion physique n'est rien en effet; le sentiment de 
Vimpulsion morale qui anime Tattaquant est tout. 

Et il faut que cette impulsion morale soit une bien 
terrible chose. 

Voici une troupe qui marche à rencontre d'une 
autre ; celle-ci n'a qu'à rester caUne, prête à mettre 
en joue, chaque homme ajustant en plein corps celui 
qu'il a devant lui. La troupe assaillante arrive* à 
petite portée, portée infaillible ; qu'elle s'arrête ou 
non pour faire feu, elle sera toujours prévenue par 
l'autre, qui' attend, calme, toute prête, sûre de son 
fait. Tout le premier rang des assaillants tombe 
foudroyé, et le reste, qu'encourage très peu cette 
réception, se disperse de lui-même ou devant la 
moindre démonstration de marche contre lui. 

Les choses se passent-elles ainsi? Eh I non. Devant 
la force d'impulsion morale de l'assaillant, la troupe 
assaillie se trouble, tire en Fair (ne tire pas même) 



100 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

et se disperse immédiatement devant l'assaillant, qui, 
enhardi par ce feu le laissant debout, redouble son 
élan pour en éviter un second. 

« 

Les troupes anglaises, dit-on, assurent même ceux 
qui les ont combattues en Espagne, à Waterloo, sont, 
paraît-il, capables d'un pareil sang-froid; j'en doute 
cependant : les Anglais se portaient, après le feu, 
bien vite en avant. S'ils ne l'eussent pas fait, ils 
eussent peut-être fui. Mais ce sont gens rassis, de 
peu d'imagination, qui essayent de porter en tout le 
raisonnement. Les Français, avec leur irritabilité 
nerveuse, leur organisation vive, sont incapables de 
défense semblable. 

En arrivant dans la région des balles, le rang tend 
à se disperser. Vous entendez des officiers, qui ont 
vu le feu, dire : Quand on approche de l'ennemi, les 
hommes se mettent en tirailleurs malgré vous. Les 
Russes se pelotonnent sous le feu ; leur ténacité n'est 
autre chose qu'une cohésion de moutons sous la peur 
de la discipline et du danger. Il doit donc y avoir 
deux manières diverses de conduire au feu Russes et 
Français. 

Comment se fait-il que des hommes qui ne crai- 
gnent nullement la mort, qui se la donnent même à 
chaque instant, Orientaux, Chinois, Tartares, Mon- 
gols, ne puissent tenir devant les armes des peuples 
de l'Occident? Défaut d'organisation. L'instinct de la 



ÉTUDES SUR LE COMBAT ^ *-- • '• » 101-" ' 



conservation, qui au dernier nipmèfitj,\ep:dc>|ïi^^*"'- - - - 



« « 



absolument, n'est point refréné par la discipline. 

C'est ainsi encore que, mainte fois, en Occident, 
nous avons vu des populations fanatisées, pleines de 
la croyance que la mort en combattant est une heu- 
reuse et glorieuse résurrection, supérieures en nom- 
bre, céder devant la discipline. Il leur aurait suffi 
d'aborder franchement et d'écraser sous leur nombre 
dans un combat de près, où la fourche vaut mieux que 
la baïonnette... mais l'instinct ! 

« Tu trembles, carcasse !... » disait Turenne. L'ins- 
tinct de la conservation peut donc faire trembler les 
plus forts. Mais ils ont la force de surmonter ce sen- 
timent de peur, d'aller quand même sans perdre tête 
ni sang-froid. La peur chez eux ne devient jamais 
terreur et s'oublie dans les préoccupations du com- 
mandement. Celui qui ne se sent pas la force de ne 
laisser sur son âme prise à la terreur, celui-là ne 
doit point songer à jamais être un officier. 

Les soldats ont émotion, peur même ; le sentiment 
du devoir, la discipline, l'amour-propre , l'exemple 
des chefs, leur sang-froid surtout, les maintiennent 
et empêchent la peur de devenir terreur. 

Leur émotion ne leur permet jamais de viser, 
d'ajuster autrement que par à peu près, quand elle 
ne les fait pas tirer en l'air. Cromwell le savait bien, 
et ses soldats étaient solides : « Mettez votre con- 



k • « 



"102 ' " ■ ÉtUPES SUR LE COMBAT 

*' • -fièflice éhD>eif,>t visez aux rubans de souliers. » 

« Les exemples ont fait voir que, un retranche- 
ment étant forcé, Farmée est découragée et prend la 
fuite. » (Frédéric.) 

La grandeur du champ de bataille permettant 
moins que jamais d'en embrasser l'ensemble, le rôle 
du général est bien plus difficile, bien plus de chances 
sont laissées au hasard. Donc nécessité de troupes 
meilleures, sachant mieux leur métier, plus solides, 
plus tenaces, pour diminuer les chances de hasard. Il 
faudra tenir plus longtemps pour attendre secours 
lointain. Les batailles de soldats sont bien plus fré- 
quentes et le point décisif bien plus difficile à déter- 
miner, plus difficile à conserver. La bonté des troupes 
aura plus que jamais action sur la victoire. 

SinguUer retour : dans le combat à une lieue, la 
valeur du soldat, ainsi que dans le combat antique à 
deux pas, redevient l'élément essentiel du succès. 
Fortifions le soldat par la solidarité. 

Et la bataille a plus d'importance que jamais. Par 
la facilité de concentration (chemins de fer), de com- 
munication (télégraphe), les surprises stratégiques 
(Ulm, léna) sont plus difficiles ; les forces entières 
d'un pays peuvent être plus promptement réunies, 
et par conséquent le désastre d'une défaite devient 
plus irréparable, la désorganisation générale plus 
grande et plus rapide. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 103 

Donc on ne doit rien négliger de ce qui peut rendre 
la bataille plus forte, l'homme plus fort. 

Dans le combat moderne, nul n'est jamais abordé 
s'il reste de face. 

De jour en jour, le combat tend à disparaître pour 
faire place à l'action lointaine et surtout à l'action 
morale des mouvements. Nous sommes ramenés, 
par l'éparpillement, à comprendre la nécessité de la 
qualité, cette nécessité absolue du combat antique. 

Le résultat le plus probable de Fartillerie actuelle 
sera d'augmenter l'éparpillement chez l'infanterie et 
même chez la cavalerie; celle-ci, pouvant partir en 
tirailleurs de très loin, pour se rallier en avançant 
près du but, sera plus difficile à conduire. A l'avan- 
tage des Français. 

La longue portée de l'artillerie a pour effet de 
rendre moins grande la liaison apparente des armes 
entre elles , d'où influence sur le moral. Encore 
à l'avantage des troupes les plus disciplinées, qu'on 
resserrera d'autant moins qu'elles seront plus solides 
et dont le moral gagnera d'autant plus qu'elles au- 
ront moins souffert auparavant. 

Avec les distances plus grandes de l'ennemi com- 
mandées par l'artillerie actuelle, liberté plus grande 
de mouvements des différentes armes qui n'ont plus 
besoin d'être accolées pour se donner aide et soutien 
mutuel. 



104 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Comme on se tiendra bien plus éloignés, il sera 
bien plus difficile de juger du terrain. Donc néces- 
sité de plus de faire éclairer, dessiner aux yeux le 
terrain par les tirailleurs (ce que le duc de Grammont 
oublie à Nordlingen, et qu'on oublie toujours) ; donc 
nécessité plus grande encore de tirailleurs. 

Frédéric se plaisait à dire que trois hommes der- 
rière Fennemi valaient mieux que cinquante devant. 
Effet moral. 

Le champ de l'action est bien plus vaste aujour- 
d'hui qu'au temps de Frédéric. Les combats se pas- 
sent en terrains plus accidentés, car les armées, plus 
mobiles, ne recherchent pas un terrain plutôt qu'un 
autre. 

Maurice de Saxe décrétait les Français bons pour 
la guerre de postes ; il avait reconnu le manque de 
solidité du rang. 

Le maréchal Gouvion Saint-Cyr dit : « Les militaires 
expérimentés savent, et les autres doivent savoir que 
les soldats français à la poursuite de l'ennemi ne ren- 
trent plus à leur corps de la journée, à moins d'être 
ramenés par l'ennemi, et que pendant ce laps de 
temps il faut les considérer comme perdus pour le 
reste de l'armée. » 

Au commencement de l'Empire, les officiers, formés 
par les guerres de la Révolution, par suite d'une ha- 
bitude des combats qu'on ne peut souhaiter de re- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 105 

trouver chez eux au même prix, avaient acquis une 
grande solidité. 

Dans nos guerres modernes, où le vainqueur perd 
en hommes souvent plus que le vaincu (je ne parle 
pas des prisonniers, ce n'est qu'une perte momen- 
tanée), la consommation devenant plus grande que 
les ressources en gens capables et décourageant les 
fatigués , très nombreux , paraît-il , et habiles"^ à se 
soustraire au danger, nous retombons dans le dé- 
sordre. Le duc de Fezensac, un témoin du temps, 
nous le montre pareil à celui d'aujourd'hui ; aussi on 
ne compte plus que sur les masses, et à ce jeu-là, 
malgré les plus savantes combinaisons stratégiques, 
nous devons perdre la partie. 

Le rang, c'est la menace. C'est plus, que la menace. 
La troupe engagée qui fait feu n'appartient plus à son 
chef, et, comme je vois ce qu'elle fait, je sais ce dont 
elle est capable. Elle fait son action, et cette action 
je la puis mesurer. Mais la troupe en rang est en 
main, je le sais, je le vois, je le sens. Elle peut être 
menée en. toute direction; je sens d'instinct qu'elle 
seule est capable de me venir sus, de me prendre 
de droite, de gauche, de se jeter dans un intervalle, 
de me tourner. Elle m'inquiète, elle me menace. Où 
va tomber cette menace?... 

Le rang (qui est la menace, la menace sérieuse, 
que l'effet peut suivre à chaque instant), le rang im- 



106 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

pose d'une terrible façon. Quand le combat est bien 
engagé, il fait plus pour la victoire que ne font les 
combattants, qu'il existe réellement ou qu'il soit sup- 
posé exister par l'ennemi. Dans un combat indécis, 
celui qui peut montrer, rien de plus, des bataillons, 
des escadrons en ordre, celui-là gagne... La peur de 
l'inconnu î 

La bravoure solide, celle du devoir, ne connaît pas 
la panique et toujours est la même. La bravoure du 
sang plaît plus aux Français ; cela se comprend : elle 
prête à la vanité ; c'est une qualité de nature ; mais 
elle est journalière, et elle a des défaillances, surtout 
lorsqu'il n'y a rien à gagner à faire son devoir. 

Les troupes molles veulent être conduites, bergers 

devant; les troupes solides, bergers derrière ou de 
côté, c'est-à-dire veulent être dirigées. Avec les pre- 
mières , un général est cheval de tête ; avec les 
deuxièmes, chef de manège. 

Les manœuvres de cavalerie (voire d'infanterie) 
sont des menaces. Les plus fortes l'emportent. 

Tailler croupières est un mot qui indique à lui seul 
le but de l'action de cavalerie et ses résultats. 

Dans le combat moderne, le fantassin nous échappe 
par l'éparpillement, et nous disons : guerre de sol- 
dats. Cela est mauvais. Prenons notre parti d'une 
chose nécessaire, et, au lieu de l'éparpillement, aug- 
mentons le nombre des points de ralliement, en so- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 107 

lidîfiant les compagnies, d'où les bataillons, d'où les 
régiments. 

Aujourd'hui plus que jamais, la fuite commence 
par la queue, qui est atteinte tout comme la tête. 

La première chose qui se désorganise dans une 
armée, c'est Tadministration ; la plus simple pré- 
voyance, les moindres mesures d'ordre disparaissent 
dans la retraite (Russie, Vilna). 

Une des singulières anomalies de la discipline fran- 
çaise, c'est qu'en route, en campagne surtout, les 
moyens de répression des fautes deviennent illu- 
soires, nuls, impraticables. 

Le soldat s'en aperçoit vite ; l'indisciplinq s'ensuit. 
Si nos mœurs répugnent à une discipline draco- 
nienne, remplaçons cette coercition morale par une 
autre, resserrons, par la connaissance de longue main 
des hommes et des chefs entre eux, les Uens de la 
solidarité ; prenons appui dans la sociabilité française, 
et ne cherchons pas à obtenir quand même en pesant 
sur l'officier outre mesure. C'est lui surtout qui porte 
le poids de la discipUne ; traitons-le avec les égards 
dus à sa dignité. Evitons de lui faire faire métier de 
sous-officier; ne l'usons pas. 

Il est à remarquer qu'aujourd'hui, par une ten- 
dance dont il faudrait rechercher la cause, mais qui 
remonte loin et qui est en outre aidée par la manie 
du commandement, inhérente au caractère français, iJ 



108 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

y a un empiétement général de haut en bas, de Tau- 
torité du chef supérieur sur le chef inférieur; on 
amoindrit ainsi Tautorité de celui-ci dans l'esprit du 
soldat; et c'est chose grave, car l'autorité solide, le 
prestige des chefs inférieurs, font seuls la discipline. 
A force de peser sur eux, de vouloir en toute chose 
imposer son appréciation personnelle, de ne pas 
admettre les erreurs de bonne foi, de les réprimer et 
reprendre comme des fautes, et de faire sentir à tous, 
jusqu'au soldat, qu'il n'y a absolument qu^une auto- 
rité infaillible, celle du colonel, par exemple; de 
montrer à tout venant que le colonel seul a du juge- 
ment et de l'intelligence, on enlève à tous toute ini- 
tiative , on jette tous les grades inférieurs dans 
l'inertie, provenant de la méfiance de soi-même, de 
la peur d'être vertement repris. 

« 

Que cette main unique, si ferme, qui tient toutes 
choses, vienne à manquer un instant, tous les chefs 
inférieurs, qu'elle a tenus d'aplomb jusque-là dans 
une position qui ne leur est pas naturelle, font 
comme des chevaux toujours et trop fort tenus en 
bride : quand la bride vient à manquer, ils se relâ- 
chent. 

Ils n'y sont plus, ils ne retrouvent pas à l'instant 
cette confiance en eux-mêmes qu'on s'est trop long- 
temps pour ainsi dire appliqué à leur enlever (sans le 
vouloir). Que, dans pareil moment, les circonstances 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 409 

devienneut difficiles, et le soldat bien vite sent la 
faiblesse et les hésitations de ceux qui le mènent. 

Nous n'avons pas de discipline en campagne, pré- 
cisément alors qu'elle est le plus nécessaire ; il y 
a eu jusqu'à 25 000 fricoteurs à l'armée d'Italie, 
en 1859. 

Chez les Romains, la discipline était sévère et 
active surtout devant l'ennemi. La discipline se faisait 
par les soldats. 

Pourquoi de nos jours la compagnie (hommes) ne 
surveillerait-elle pas et ne punirait-elle pas cela 
par elle-même? Les camarades seuls savent ^ et la 
chose est tellement de leurs intérêts qu'il faudrait 
encourager la répression par les hommes mêmes. Les 
25 000 fricoteurs d'Italie portent tous la médaille 
d'Italie. Ils sont partis avec un certificat de bonne 
conduite. En campagne , ce certificat devrait être 
donné par l'escouade et la compagnie. 



CHAPITRE II 

ACTION MORALE. — ACTION MATÉRIELLE 

L'action d'une armée, d'une troupe sur une autre 
troupe est à la fois action morale et action maté- 
rielle. 



110 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

L'actian matérielle d'une troupe est sa puissance 
de destruction; son action morale, la crainte qu'elle 
inspire. 

Dans le combat, deux actions morales, plutôt que 
deux actions matérielles, sont en présence; la plus 
forte l'emporte. Le vainqueur souvent a perdu, par le 
feu, plus de monde que le vaincu. C'est que l'action 
morale n'est pas seulement en raison de la puissance 
de destruction réelle , effective , elle est en raison 
surtout de cette puissance présumée qui se mani- 
feste, sous forme de réserve menaçant de renouveler 
le combat, de troupes paraissant à droite et à gauche, 
d'attaque de front résolue. 

L'action matérielle est d'autant plus grande que les 
armes (armes, engins, chevaux, etc.) sont meilleures, 
que les hommes savent mieux s'en servir, que ces 
hommes, plus nombreux ou plus robustes, peuvent, 
en se succédant, faire effort plus longtemps. 

A puissance égale de destruction, inférieure même, 
celui-là l'emporte qui sait, par sa résolution, marcher 
en avant; par des dispositions, des mouvements de 
troupe, faire planer sur son adversaire une menace 
nouvelle d'action matérielle, prendre, en un mot, 
l'ascendant de l'action morale (Paction morale est la 
crainte qu'on inspire; il faut la changer en terreur 
pour l'emporter). 

Ce qui a fait la force des Turcs dans leurs guerres 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 111 

contre la Pologne et dans leurs autres guerres, c'est 
bien moins leur force réelle que leur férocité'. Ils 
massacrent tout ce qui résiste, ils massacrent sans 
Texcuse de la résistance. La terreur par avance abat 
devant eux les courages. La nécessité de vaincre ou 
de périr exalte... la couardise, et Ton se soumet... 
par peur d'être vaincu. 

Lorsque la confiance que Ton met dans une supé- 
riorité d'action matérielle incontestable, pour main- 
tenir l'ennemi à distance, est trompée par la résolu- 
tion de l'ennemi à vous aller chercher de près en 
bravant vos moyens supérieurs de destruction, l'action 
morale de l'ennemi sur vous s'accroît de toute cette 
confiance perdue, cette action morale domine la 
vôtre. Vous fuyez. Ainsi ôèdent les troupes retranchées. 

Le sentiment de l'impulsion morale, c'est le senti- 
ment de la résolution qui vous anime, perçu par 
l'ennemi. Au combat d'Amstetten, seul combat où 
une ligne en ait attendu, dit-on, jusqu'au choc une 
autre chargeant à la baïonnette, les Russes ont cédé 
devant Timpulsion morale, non devant Timpulsion 
physique. Ils étaient déjà déconcertés, ébranlés, 
absolument troublés, hésitants, vacillants, lorsque 
l'abordage s'est fait» Ils ont attendu assez longtemps 
pour recevoir des coups de baïonnette, des coups de 
fusil à bout portant (à Inkermann, ils en ont reçu 
dans le dos), mais ils en ont à peine donné, ils ont 



112 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

fui. Celui qui, calme et ferme de cœur, attend son 
ennemi, a tout avantage pour ajuster son coup sur 
celui-ci; mais le sentiment de l'impulsion morale de 
l'assaillant le démoralise; il a peur, n'ajuste plus ni 
pointe ni coup de feu ; il est culbuté sans défense. 

Entre bonnes troupes, si l'on ne prépare pas une 
attaque, il y a tout lieu de croire qu'elle sera repoussée. 
Les troupes attaquantes subissent l'action matérielle 
à laquelle les troupes de défense n'ont point été 
soumises. Celles-ci sont donc en meilleur ordre, fraî- 
ches, tandis que les assaillants sont en désordre et 
subissent déjà l'influence morale d'une certaine des- 
truction. La supériorité morale que donne l'impulsion 
en avant peut être plus que compensée par l'ordre et 
l'intact des défenseurs et les pertes qu'on a subies. 
La moindre démonstration du défenseur démoralise 
l'attaque. C'est là le secret de l'infanterie anglaise 
contre les Français en Espagne, et non leurs feux de 
rang, de peu d'effet chez eux comme chez nous. 

Plus on a de confiance en ses moyens de défense 
ou d'attaque, plus on est démoralisé, déconcerté de 
les voir, à un moment donné, insuffisants pour arrêter 
l'ennemi. Il en est ainsi de la confiance qu'on a dans 
les armes à feu perfectionnées ; leur action se borne, 
avec l'organisation et le mode de combat actuels des 
hommes armés de la carabine, à la portée du but en 
blanc exactement comme avant. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 113 

D'où il suit que les charges à la baïonnette (où Ton 
ne donne jamais un coup de baïonnette), en d'autres 
termes la marche en avant sous le feu, aura de jour 
en jour un effet moral d'autant plus grand, et la vic- 
toire sera à qui saura donner à ces marches en avant 
à la fois le plus d'ordre et le plus d'élan résolu, deux 
choses qui chez nous semblent s'exclure et qu'avec 
du vouloir et de l'intelligence {le maintien ferme 
dans sa main des troupes de soutien immédiat) on 
peut espérer réunir, ce qui permet alors d'enlever et 
de conserver. 

Donc, jamais ne négligez l'action destructive avant 
d'employer l'action morale ; donc, ayez, et jusqu'au 
dernier moment, des tirailleurs; sinon, contre la 
rapidité du tir actuel (tir au hasard, mais hasard 
multiplié par la vitesse du tir), nulle attaque ne peut 
arriver. 

Depuis les retranchements de Fribourg jusqu'au 

pont d'Arcolê, jusqu'à Solférino, il est une multitude 

de prouesses, de positions enlevées de front, qui 

trompent tout le monde, les généraux comme les 

bons bourgeois, et qui font commettre toujours les 

mêmes fautes. Il serait temps d'apprendre aux gens 

que les retranchements de Fribourg n'ont pas été 

enlevés de front, que le pont d'Arcole n'a pas été 

enlevé de front {Correspondance de Napoléon I^^), non 

plus que les hauteurs de Solférino. 

8 



114 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Toujours la manie, rimpalience du résultat sans les 
moyens. C'est, du reste, chose qui fait le tact du 
général de juger du moment de Tattaque et de savoir 
la préparer. Nous enlevons Melegnano sans canon ni 
manœuvre, mais à quel prix! A Waterloo, la ferme 
d'Hougoumont nous retient toute la journée, nous 
coûte et nous désorganise un monde fou, jusqu'à ce 
qu'enfin Napoléon envoie, ce par quoi eût dû com- 
mencer le général chargé de l'attaque, démolir et 
incendier le château par huit obusiers. 

On ne saurait s'imaginer l'incroyable différence 
qu'il y a entre la pratique et les théories. Un général 
qui, mille fois sur le champ de manœuvres, a marqué 
des directions à ses subordonnés ou en a exigé d'eux, 
donne cet ordre : Allez là-bas, colonel ; le colonel : 
Veuillez me préciser, mon général, sur quel point je 
dois me diriger, de quel point à quel point je dois 
occuper ; j'ai du monde à ma droite, à ma^auche, etc. ; 
le général : Allez à l'ennemi, monsieur ; cela suffit, 
ce me semble ; que signifient ces hésitations ? 

Et pourtant, ici, c'est le colonel qui a raison. Il faut 
savoir où l'on envoie son monde, et il faut qu'il le 
sache lui-même; car l'espace est large, et il y a à 
choisir entre bien des directions. Si vous ne savez 
choisir la bonne, l'indiquer à votre subordonné, la 
lui faire comprendre, lui donner des guides au be- 
soin, étes-vous réellement général? 



/ 

c 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 115 

Il y a longtemps que le prince de Ligne a fait jus- 
tice des ordres de bataille, surtout du fameux ordre 
oblique. Napoléon a tranché la question. Tout cela 
n'est que pédantisme. Cependant il y a des raisons 
morales à la force de Tordre en échelons : c'est la cer- 
titude du soutien, la succession d'efforts, la menace 
suspendue sur l'ennemi. 

Nous n'avons parlé et nous ne parlons que du fan- 
tassin, parce que c'est pour lui (antique et moderne) 
que le combat est le plus terrible. Dans l'antiquité, 
s'il est vaincu, il reste par sa lenteur à la merci du 
vainqueur. Dans le combat moderne, l'homme à 
cheval court à travers le danger, mais le fantassin y 
marche. Il doit y rester sur place souvent, et long- 
temps. Qui connaît le moral du fantassin, celui qui 
est mis à la rude épreuve, celui-là connaît le moral 
de tous les combattants. 



CHAPITRE III 



D£S MASSES 



Les Anglais ne s'effrayent pas de la masse. Si 
Napoléon se fût rappelé la défaite des Géants de 
l'Armada par les barquettes anglaises, il n'eût pas 
ordonné la colonne d'Erlon. 



<« 
1 
t 



116 ÉTUDES SUR LE GOÎfBAT 

On veut à toute force expliquer par une action 
matérielle Teffet des colonnes, et alors on tombe 
dans Faction de masse... 

Et de nos jours, en effet, on lit ce singulier raison- 
nement en faveur des attaques par bataillon en co- 
lonne serrée : 

ce Une colonne ne peut s'arrêter instantanément 
sans commandement. Supposez votre premier rang 
arrêté à l'instant du choc; les douze rangs du ba- 
taillon, venant successivement se heurter contrei /m, 
le poussent en avant... Des expériences ont été faites, 
et l'on a constaté qu'au delà du chiffre 16 l'impul- 
sion des rangs n'avait plus d'action sur la tête, était 
complètement amortie par quinze rangs accumulés 
déjà derrière le premier... Pour faire l'expérience, 
on n'a qu'à marcher au pas de charge et commander 
halte à la tête, sans avertir le reste. On verra les 
rangs se précipiter les uns sur les autres, à moins 
qu'ils ne soient fort attentifs, ou que, prévenus que 
l'on va faire ce commandement, ils ne se retiennent 
insen^siblement en marchant, » 

Mais précisément, 'dans une charge réelle, tous vos 
rangs sont fort attentifs, fort inquiets, anxieux de ce 
qui se passe à la tête, et si celle-xîi cesse d'avancer, 
si le premier rang s'arrête, il y a refoulement en ar- 
rière et non en avant; et cela quand même votre 
brave bataillon serait lancé à toute course, au lieu 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 417 

d'avoir ce calme et cet aplomb impossibles chez nous, 
mais qu'on lui suppose, d'aller jusque sur l'ennemi à 
une vitesse de 120 pas par minute. Conmie on ne va 
jamais à ce dernier moment qu'à corps perdu, si la 
tête s'arrête, elle ne sera pas seulement poussée ; 
d'après la théorie des impulsions successives, elle 
sera culbutée : le deuxième rang viendra tomber sur 
le premier, et ainsi de suite. On n'a pas encore fait 
l'expérience au champ de manœuvres, mais on de • 
vrait bien la faire, pour voir jusqu'à quel rang irait 
cette chute de capucins de cartes. 

Mais l'impulsion physique est un mot, parce que, si 
la tête veut s'arrêter, elle se laissera tomber et fouler 
aux pieds plutôt que de céder à la pression qui la 
pousserait en avant. Pour qui a vu, senti, éprouvé, 
compris un combat d'infanterie de nos jours, voilà ce 
qui arrive et ce qui démontre combien grande est 
l'erreur de l'impulsion physique, erreur qui com- 
mande et a commandé souvent sous l'Empire, tant 
forts sont la routine et le préjugé, les attaques en 
colonnes serrées, c'est-à-dire en désordre absolu, 
sans action des chefs *. 

1. On ne peut comprendre ces attaques en masse, dont un dixième 
arrivait quand il arrivait, et ne pouvait conserver le terrain conquis, 
s'il était attaqué; on ne peut les expliquer autrement que par le 
manque de confiance des généraux dans leurs troupes. Napoléon les 
condamne expressément en ses mémoires; il ne les commandait 
donc pas. Mais lorsque les bonnes troupes furent usées, lorsque les 
généraux ne crurent plus obtenir de leurs jeunes soldats des attaques 



H8 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Voilà donc ce qui arrive : votre bataillon, je Tad- 
mets, a marché en colonne serrée avec ordre; ses 
subdivisions existent nettement séparées par leurs 
quatre pas; les cadres ont action sur les hommes; 
les uns et les autres sont frais, dispos : ils sortent de 
leur caserne légèrement chargés, sans préoccupation, 
ne songeant qu'à la manœuvre; et cependant au 
simple pas accéléré, pour peu que le terrain ne soit 
pas uni comme la main, ou que le guide ne marche 
pas avec une rectitude mathématique, n'est-il pas 
vrai que votre bataillon en colonne serrée devient 
en un clin d'œil un troupeau de moutons. Mais pas- 
sons. Votre bataillon est à 100 pas de l'ennemi; que 
va-t-il arriver? Ceci, et Ton n'a jamais vu, on ne 
verra jamais avec le fusil, autre chose ^ . 

Si le bataillon a résolument marché, s'il est en 
ordre, il y a dix à parier contre m que l'ennemi s'est 
retiré déjà, ou se retirera sans attendre davantage. 
Mais l'ennemi ne bronche pas. 

Alors l'homme, nu de nos jours contre le fer ou le 
plomb, ne se possède plus. L'instinct de la conserva- 
tion le commande absolument. Deux moyens d'éviter 
ou d'amoindrir le danger, et pas de milieu : fuir ou 
se ruer. — Ruons-nous ! 

Eh bien! si petit soit l'espace, si court soit l'instant 

solides en dispositions tactiques, ils essayèrent la masse, revinrent 
à la masse, qui est Tenfance de Tart, une sorte de moyen de dé- 
sespoir. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT .119 

qui nous sépare de Tennemi, encore rinstinct se 
montre. Nous nous ruons, mais... la plupart nous 
nous ruons avec prudence, avec arrière-pensée plutôt, 
laissant passer les plus pressés, les plus intrépides, 
et ceci est singulier, mais absolument vrai, nous 
sommes d'autant moins serrés que nous approchions 
davantage, et adieu la théorie de la poussée. 

Et si la tête est arrêtée, ceux qui sont derrière se 
laissent choir plutôt que de la pousser, et, si cepen- 
dant cette tête arrêtée est poussée, elle se laisse choir 
plutôt que d'avancer. Il n'y a pas à se récrier, c'est 
ainsi. La poussée a lieu, mais pour le fuyard (combat 
de Diemstein). 

Mais l'ennemi ne tient jamais sur place; la pres- 
sion morale du danger qui s'avance est trop forte 
pour attendre ; autrement, qui tiendrait bon en joue, 
même avec des fusils vides, ne verrait jamais charge 
arriver jusqu'à soi, parce que le premier rang de 
l'assaillant se sentirait mort, et que nul ne voudrait 
être au premier rang. Donc l'ennemi ne tient jamais 
sur place, parce que, s'il tient, c'est vous qui fuyez, 
ce qui supprime toujours le choc. Il supporte une 
angoisse qui n'est pas moindre que la vôtre, et quand 
il vous voit si près, pour lui aussi pas de milieu, fuir 
ou aller au devant. Et la question alors est entre deux 
impulsions morales. 

Voici le raisonnement instinctif qui se fait chez le 



420 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

soldat, chez Tofficier : Si ces hommes m'attendent 
ou s'ils viennent jusqu'à moi, à brûle-pourpoint, je 
suis mort. Je tue, mais je suis tué pour sûr. A bout 
de canon, la balle ne s'égare plus. Mais, si je leur fais 
peur, ils se sauvent, et ce sont eux qui reçoivent 
balles et baïonnettes dans le dos. Essayons. Et Ton 
essaye, et toujours une des deux troupes, si près que 
Ton voudra, à deux pas si Ton veut, fait demi-tour 
avant l'abordage. 

Le choc est un mot. 

La théorie de Saxe, la théorie Bugeaud : t Allez 
de près à coups de baïonnette et de fusil tirés à 
brûle-pourpoint; c'est là qu'il se tue du monde, et 
c'est le victorieux qui tue, » n'est fondée sur aucune 
observation. Nul ennemi ne vous attend si vous êtes 
résolu, et jamais, jamais, il ne se trouve deux réso- 
lutions égales face à face. Et cela est tellement connu, 
senti de tout le monde, de toutes les nations, que les 
Français n'ont jamais rencontré qui résistât à une 
charge à la baïonnette. 

Les Anglais en Espagne, en marchant résolument 
au devant des charges en colonne des Français, les 
ont toujours culbutés. 

Blûcher, dans ses instructions à ses troupes, rap- 
pelle que jamais les Français n'ont tenu devant la 
marche résolue des Prussiens en colonne d'attaque. 

Souwarow ne connaissait pas de meilleure tactique, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT d2l 

et ses bataillons nous ont, en Italie, chassés devant 
leurs baïonnettes, etc., etc., etc. 

Tous les peuples de l'Europe disent : Nul ne tient 
devant une attaque à la baïonnette \ franchement 
faite par nous, et tous ont raison ; pas plus Français 
qu'autres ne tiennent devant attaque résolue. Tous 
sont persuadés que leurs attaques sont irrésistibles ; 

allez au devant, vous les étonnerez si fort qu'ils fui- 
ront. 

Dès l'antiquité, il est dit : Les troupes jeunes se 
troublent si l'on vient sur elles en tumulte et en 
désordre. Les troupes vieilles, au contraire, en au- 
gurent la victoire. 

Au commencement d'une guerre, toutes les troupes 
sont jeunes. Notre impétuosité nous pousse en avant 
comme fous... l'ennemi fuit. 

Si la guerre dure, tout le monde s'aguerrit, et l'en- 
nemi ne se trouble plus devant une troupe qui charge 
désordonnée, parce qu'il la sait et sent poussée autant 
par la peur que par la résolution. L'ordre seul alors 
impose dans une attaque, parce qu'il indique résolu- 
tion réelle, et voilà pourquoi il en faut prendre l'ha- 
bitude , et le garder jusqu'au dernier moment, jus- 
qu'au moment du corps perdu; voilà pourquoi il ne 
faut point prendre le pas de course de trop loin, 

1. Baïonnette au canon ou dans le fourreau, il nMmporte... 



122 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

parce que vous devenez de suite troupeau de mou- 
tons et laissez tant de monde en arrière que vous 
n*airivez pas; pourquoi la colonne serrée, qui vous 
fait d'avance troupeau de moutons, où chefs et sol- 
dats sont absolument mêlés et sans action réciproque 
les uns sur les autres, est absurde; pourquoi il faut 
içarcher en tel ordre, distance entière, demi- distance, 
qui permette Faction des cadres, Taction de la soli- 
darité, chacun marchant devant témoins, en plein 
jour, tandis que, dans la colonne serrée, il marche 
sans témoins et, pour moins que rien, se couche ou 
reste en arrière; pourquoi il faut toujours garder ses 
tirailleurs en avant, sur les flancs, ne les jamais rap- 
peler à proximité de Fennemi, et ne pas établir ainsi 
un contre-courant qui vous entraîna du monde, mais 
bien les laisser faire ; ce sont vos enfants perdus ; ils 
sauront bien se garer du reste; pourquoi, etc. 

En résumé, il n'y a point de choc d'infanterie à 
infanterie , il n'y a point d'impulsion physique, de 
force de masse ; il n'y a qu'une impulsion morale, et 
personne ne nie que cette impulsion morale ne soit 
d'autant plus forte qu'on se sent mieux soutenu, 
qu'elle n'ait une action d'autant plus grande sur l'en- 
nemi qu'elle le menace avec plus de monde : d'où 
s'ensuit que la colonne vaut mieux pour l'attaque 
que l'ordre déployé. 

On pourrait conclure de ce que nous avons dit 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 423 

• 

dans cette longue note que la pression morale, qui 
fait toujours fuir quand on est franchement et résolu- 
ment attaqué, ne saurait permettre à nulle infanterie 
de tenir contre une charge de cavalerie. — Contre 
une charge résolue, jamais, en effet. — Mais il faut 
bien tenir quand on ne peut fuir, et jusqu'à ce qu'il 
y ait démoralisation complète, effarement absolu, 
toute infanterie sent que fuir devant le cheval est du- 
perie^ tandis que le fusil, le fusil est infaillible à bout 
portant, et le cavalier y songe. 

Il n'en est pas moins vrai que toute charge fran- 
chement résolue doit renverser... Mais que l'homme 
soit à pied ou à cheval, c'est toujours l'homme. En- 
core, à pied, n'a-t-il que lui à forcer; à cheval, il doit 
forcer homme et bête à marcher à l'ennemi. Et fuir 
est si facile avec le cheval (remarqué par Vamery). 

Nous avons vu comment, dans une masse d'infan- 
terie, la queue est impuissante à pousser la tête, à 
moins que la queue n'ait canons derrière plus mena- 
çants que ceux de l'ennemi. Il y a longtemps que la 
cavalerie est revenue de ce préjugé. Elle attaquera 
plutôt en colonne à distance double qu'à demi-dis- 
tance, pour éviter l'affreuse et inerte confusion d'une 
masse équestre. Et cependant la séduction du rai- 
sonnement mathématique est telle, que des officiers 
de cavalerie, des Allemands surtout, ont sérieusement 
proposé d'attaquer l'infanterie par des masses pro- 



124 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

fondes, afin que les divisions de la queue donnassent 
impulsion à celles de la tête, d'après le proverbe : Un 
clou chasse Tautre (textuel). A gens qui raisonnent 
ou déraisonnent ainsi, que dire? Rien, sinon : atta- 
quez-nous toujours ainsi. 

Pourquoi le colonel A... ne demande-t-il pas Tor- 
dre profond pour la cavalerie, lui qui croit à la pres- 
sion des derniers rangs sur le premier ? Est-ce parce 
qu'enfin on s'est convaincu que le premier rang seul 
peut agir dans une charge de cavalerie et que ce rang 
ne peut recevoir des autres placés derrière lui au- 
cune impulsion , aucune augmentation de célérité. 

On a vu en Crimée des attaques réelles à la baïon- 
nette, notamment à Inkermann. 

Elles étaient faites par un petit nombre sur un 
grand, et la puissance de masse n'a rien à faire en 
ces exemples, vu que c'est la masse qui recule, — 
qui recule, tourne le dos même avant le choc, — à 
ce point que ceux qui chargeaient résolument ne 
ifont quQ frapper et tirer dans le dos. 

Mais ces exemples montrent des gens qui se trou- 
vent nez à nez sans s'en douter, à la distance à la- 
quelle l'homme peut se jeter à corps perdu sans 
tomber en route, hors d'haleine. — Ce sont des ren- 
contres ; — on n'est point encore démoralisé par le 
feu ; il faut foncer ou reculer. . . 

Et le combat de près n'existe pas; c'est la cœdes 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 125 

antique Un seul frappe dans le dos de l'autre . 

Les colonnes n'ont absolument qu'une action mo- 
rale et sont une disposition préventive... 

Vous ne croyez plus depuis longtemps à l'impul- 
sion de masse de la cavalerie; vous avez renoncé à 
la former sur rangs profonds, et cependant la cava- 
lerie jouit d'une vitesse qui amènerait plus de pous- 
sée sur la tête arrêtée que n'en amèneraient les der- 
niers rangs de l'infanterie sur les premiers. Et vous 
croyez à l'action de masse de l'infanterie ! ! ! 

Les tirailleurs et les masses, voilà le moyen d'ac- 
tion de troupes françaises peu instruites. Avec de 
l'instruction et de la solidité : tirailleurs soutenus 
et dispositions par colonnes n'excédant pas un ba- 
taillon. 

Tant que les masses antiques marchent en avant, 
elles ne perdent personne et personne ne se couche 
pour éviter le combat ; l'élan va jusqu'au temps 
d'arrêt (la course est petite en tout cas). Dans les 
masses modernes, les masses françaises surtout, la 
marche peut être continue, mais la masse perd en 
marchant sous le feu, et la pression morale arrête en 
route moitié des combattants (car il faut marcher 
longtemps). 

Napoléon trouva dans le principe, pour instru- 
ment, une armée possédant de bonnes méthodes de 
combat, et dans ses plus belles batailles le combat 



126 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

se fait diaprés ces méthodes; il ordonne, laissant aux 
chefs les moyens d'exécution. Lorsqu'il dicte lui- 
même ces moyens (dit-on, car il le dément à Sainte- 
Hélène), c'est à Wagram, à Eylau, à Waterloo, pour 
engager l'infanterie par masses énormes, sans action 
matérielle, c'est certain, d'un puissant effet moral 
parfois, c'est possible, mais en tout cas avec une 
consommation d'hommes effroyable et un désordre 
qui, après le coup de collier, ne permet plus de ral- 
lier et d'employer de la journée des troupes ainsi 
engagées. Moyen barbare (dans le sens romain), en- 
fance de l'art, s'il était permis, envers un tel homme, 
d'employer le mot ; moyen qui ne réussit pas contre 
des troupes douées de sang-froid, de raisonnement 
(corps d'Erlon à Waterloo). 

Avec une clarté lumineuse. Napoléon voyait le but; 
et du jour que son impatience (l'omnipotence rend 
impatient) ou bien le manque d'expérience et de sa- 
voir faire, soit des chefs soit des troupes, trop sou- 
vent renouvelées *, ne lui permit plus de prendre 
des dispositions d'attaque réellement tactiques, il sa- 
crifia complètement l'action matérielle de l'infante- 
rie, de la cavalerie môme, à l'action morale des mas- 

1 . Dans les armées antiques, la victoire coûtait bien moins que 
dans les armées modernes, et les fatigues, moindres sans doute, y 
laissaient plus longtemps les mêmes soldats. Alexandre a perdu 
700 hommes par le fer dans ses campagnes, et avait à la fin des 
soldats de soixante ans. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 127 

ses ; système plus praticable avec des Russes, qui se 
pelotonnent, s'agglomèrent naturellement, mais non 
plus efficace : témoin la masse dlnkermann. 

Le moral des masses est tout entier dans le com- 
bat de César contre les Nerves, de Marins contre les 
Cimbres. 

Plutarque, dans la Vie de Marins j raconte ainsi ce 
dernier combat : 

« Boïorix, roi des Cimbres, à la tête d'un détache- 
ment peu nombreux de cavalerie, s'étant approché 
du camp de Marins, provoqua ce général à fixer le 
jour et le lieu d'un combat pour décider qui resterait 
maître du pays. Marins lui répondit que les Romains 
ne prenaient jamais conseil de leurs ennemis pour 
combattre ; que cependant il voulait bien satisfaire 
les Cimbres. Ils convinrent donc que la bataille se 
donnerait en trois jours et dans la plaine de Verceil, 
lieu commode aux Romains pour déployer leur cava- 
lerie, et aux barbares pour étendre leur nombreuse 
armée. Les deux partis, au jour fixé, se mirent en 
bataille : Catulus avait sous ses ordres 20 300 hom- 
mes et Marins 32 000, qui, placés aux deux ailes, en- 
vironnaient Cutulus, dont les troupes occupaient le 
centre. C'est ainsi que l'écrit Sylla, qui fut présent 
à cette bataille. On dit que Marins donna cette dispo- 
sition aux deux corps de son armée, parce qu'il es- 
pérait tomber, avec ses deux ailes, sur les phalanges 



128 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

ennemies et ne devoir la victoire qu'aux troupes qu'il 
commandait, sans que Catulus y eût aucune part et 
pût môme se mêler avec les barbares. En effet, lors- 
que le front d'une bataille est fort étendu, les ailes 
débordent sur le centre, qui se trouve alors très en- 
foncé. On ajoute que Catulus signala cette disposition 
dans l'apologie qu'il fut obligé de faire, et qu'il se 
plaignit hautement de la perfidie de Marins. L'infan- 
terie des Cimbres sortit en bon ordre de ses retran- 
chements, et, s'étant rangée en bataille, elle forma 
une phalange carrée qui avait autant de front que de 
profondeur et dont chaque côté couvrait 30 stades 
de terrain. Leurs cavaliers, au nombre de 15 000, 
étaient magnifiquement parés : leurs casques se ter- 
minaient en gueules béantes et en mufles de bêtes 
sauvages, surmontés de hauts panaches semblables à 
des ailes, qui ajoutaient encore à la hauteur de leur 
taille. Ils étaient couverts de cuirasses de fer et de 
boucliers d'une éclatante blancheur. Ils avaient cha- 
cun deux javelots à lancer de loin, et dans la mêlée 
ils se servaient d'épées longues et pesantes. 

« Dans cette bataille ils n'attaquèrent pas les Ro- 
mains de front ; mais, s'étant détournés à droite, ils 
s'étendirent insensiblement, dans le dessein de les 
enfermer entre eux et leur infanterie qui occupait la 
gauche. Les généraux romains s'aperçurent à l'ins- 
tant de leur ruse ; mais ils ne purent retenir leurs 



ETUDES SUR LE COMBAT 129 

soldats, doQt l'un, s'étant mis à crier que les ennemis 
fuyaient, entraîna tous les autres à leur poursuite. 
Cependant Tinfanterie des barbares s'avançait, sem- 
blable aux vagues d'une mer immense. 

« Marins, après s'être lavé les mains, les éleva au 
ciel et fit vœu d'offrir aux dieux une hécatombe ; Ca- 
tulus, de son côté, ayant aussi levé les mains au 
ciel, promit de consacrer la fortune de ce jour. Ma- 
rins fit encore un sacrifice, et, lorsque le prêtre lui 
montra les entrailles de la victime, il s'écria : « La 
victoire est à moi ! » Mais, dès que les deux armées 
s'ébranlèrent, il survint un accident qui, selon Sylla, 
parut l'effet de la vengeance céleste sur Marins. Le 
mouvement d'une multitude si prodigieuse fit lever 
un tel nuage de poussière que les deux armées ne 
purent plus se voir. Marins, qui s'était avancé le pre- 
mier avec ses troupes pour tomber sur l'ennemi, le 
manqua dans cette obscurité, et, ayant poussé bien 
au delà de leur bataille, il erra longtemps dans la 
plaine, tandis que la fortune conduisait les barbares 
vers Catulus, qui seul eut à soutenir tout leur effort 
avec ses soldats, au nombre desquels était Sylla/ 
L'ardeur du jour et les rayons brûlants du soleil, qui 
donnaient dans le visage des Cimbres, secondèrent 
les Romains. Ces barbares, nourris dans des lieux 
froids et couverts, et endurcis aux plus fortes gelées, 
ne pouvaient supporter la chaleur ; inondés de sueur 



130 ÉTUDES SUR liE COMBAT 

et tout haletants, ils se couvraient le visage de leur 
bouclier pour se défendre de Tardeur du soleil, car 
cette bataille se donna après le solstice d'été, trois 
jours avant la nouvelle lune du mois d'Auguste, ap- 
pelé alors Sextilis. Ce nuage de poussière soutint le 
courage des Romains en leur dérobant la multitude 
des ennemis. Chaque bataillon ayant couru charger 
ceux qu'il avait en face, ils en vinrent aux mains 
avant que la vue du grand nombre des barbares eût 
pu les effrayer. D'ailleurs l'habitude du travail et de 
la fatigue avait tellement endurci leurs corps, que, 
malgré l'extrême chaleur et l'impétuosité avec la- 
quelle ils étaient allés à l'ennemi, on ne vit pas un 
seul des Romains suer ni haleter. C'est, dit-on, le 
témoignage que Catulus lui-même leur rend en faisant 
l'éloge de ses troupes. 

« La plupart des ennemis, et surtout les plus 
braves, furent taillés en pièces, car, pour empêcher 
les premiers de rompre leurs rangs, ils étaient liés 
ensemble par de longues chaînes attachées à leurs 
baudriers. Les vainqueurs poussèrent les fuyards 
jusque dans leurs retranchements. 

« Les Romains firent plus de 60 000 prisonniers 
aux Cimbres et en tuèrent deux fois autant. » 

Mais de nos jours, en France surtout, l'homme re- 
gimbe contre un emploi semblable de sa vie. Le Fran- 
çais veut combattre, rendre coup pour coup; sinon 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 131 

Voici ce qui arrive, ce qui arrivait aux masses de Na- 
poléon. — Prenons Wagram, où sa masse n'a pas 
été repoussée : sur 22 000 hommes, 3000, 1500 à 
peine ont atteint la position, sont arrivés en un mot, 
et certainement la position n'a pas été enlevée par 
eux, mais par Teffet matériel et moral de la grande 
batterie de 100 pièces, des charges de cavalerie, etc. 

Les 19 000 manquants étaient-ils hors de combat? 
— Non : 7 sur 22 ; un tiers, proportion énorme, pou- 
vaient avoir été atteints. Les 12 000 manquants réel- 
lement, qu'étaient-ils devenus? Ils étaient tombés, 
s'étaient couchés en route, avaient fait les morts pour 
ne pas aller jusqu'au bout. Dans une masse aussi 
confuse de bataillons déployés, où la surveillance, 
déjà difficile dans une colonne à distance entière, est 
impossible, rien de plus facile que cette sorte de dé- 
filement par l'inertie, rien de plus commun. 

La chose arrive chez toute troupe marchant en 
avant sous le feu, dans quelque ordre qu'elle soit, et 
le nombre des hommes qui tombent ainsi volontai- 
rement, se laissant aller au moindre bronchement, 
est d'autant plus grand que la discipline est moins 
ferme et que la surveillance des chefs et des cama- 
rades est plus difficile. Dans un bataillon en colonne 
serrée en masse, cette sorte de désertion du moment 
est énorme. La moitié du monde tombe en route. Le 
premier peloton est mêlé au quatrième, la colonne 



132 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

n'est plus qu'un troupeau ; personne n'a plus aucune 
action, tout le monde étant mêlé. Si Ton arrive néan- 
moins, en vertu de l'impulsion première, le désordre 
est si grand que, la position enlevée, réattaquée par 
quatre hommes, est perdue. 

Notre infanterie n'a plus de tactique de combat ; 
rinitiative du soldat commande. ■— Le premier Em- 
pire (lorsque les vieux soldats étaient usés, peut-être 
même dès l'origine) n'a confiance que dans l'action à 
la fois morale et passive des masses. — C'est un re- 
tour vers l'enfance de l'art. . . 

Aujourd'hui, l'initiative du soldat regimbe ou re- 
gimberait contre cette attaque passive par masses, 
et l'on ne combat qu'en tirailleurs, ou l'on marche en 
avant en troupe confuse dont les trois quarts se défi- 
lent en route, si le feu est sérieux. La première mé- 
thode vaut mieux que la deuxième, mais elle est 
mauvaise aussi si une forte discipline, une méthode de 
combat étudiée d'avance et chaque jour par les exer- 
cices d'un règlement pratique, ne maintient dans la 
main du chef, des chefs, de fortes réserves pour sou- 
tenir, parer aux paniques et achever l'effet moral 
d'une marche sur l'ennemi, de menaces de flanc, etc. , 
l'action destructive des tirailleurs. 

Du jour où l'arme de jet est devenue l'arme la plus 
meurtrière, la plus efficace, une troupe qui se resserre 
pour combattre est une troupe dont le moral faiblit, etc. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 133 

Les manœuvres pratiques ne sont possibles qu'avec 
une bonne organisation ; sinon il n'y a plus de pos- 
sible que la masse passive ou le troupeau comme 
attaque. 

La disposition en masse ne saurait être une dis- 
position de marche, même pour un bataillon et pour 
une distance courte. Par la chaleur, la colonne serrée 
est intolérable; c'est un étouffoir où l'air ne cir- 
cule pas. ^ 

La demi-distance est meilleure ; elle permet de voir 
et de respirer, elle permet la mise en bataille sur 
chaque flanc par demi-subdivisions. Ce n'est qu'un 
ordre de nécessité, de surprise. Les demi-subdivisions 
non en première ligne sont portées à distance de 
demi-subdivision, l'arme au pied, et peuvent fournir 
des tirailleurs ou la réserve de la première ligne en- 
voyée en tirailleurs. — Ceci n'est pas dans le règlement. 

Quels meilleurs arguments contre les colonnes pro- 
fondes que les négations mêmes de Napoléon? 



CHAPITRE IV 

SOUTIENS. — RÉSERVES. — CARRÉS. — CE QUE VAUT 

LE RANG. 

Celui, général ou simple capitaine, qui emploie 
tout son monde à Tenlèvement d'une position, peut 



134 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

être sûr de la voir reprendre par le retour offensif 
de quatre hommes et un caporal marchant ensemble. 

4 

La chose est incroyable, mais vraie. On entend 
des gens qui veulent faire soutenir les troupes les 
plus fortes par les plus faibles. 

Quand on garde son infanterie de ligne pour la 
faire donner comme soutien, on fait Finverse de ce 
qui doit être fait. Les moins solides, les plus impres- 
sionnables, on les pousse dans la voie ensanglantée 
par les plus forts, pour les mettre, après Tangoisse 
morale de Tattente, en face des horribles destruc- 
tions, mutilations, des engins modernes. Si l'anti- 
quité avait besoin de troupes solides comme soutien, 
nous en avons un besoin plus grand ; car la mort, dans 
les combats antiques, n'avait rien de l'horrible qu'elle 
présente dans la bataille moderne, où la chair est 
mâchée, hachée par le canon, et, tant qu'il n'y avait 
pas défaite, les blessés étaient peu nombreux. Ré- 
ponse à ceux qui veulent commencer l'action par les 
chasseurs, les zouaves, etc. 

Moins mobiles sont les troupes, plus meurtriers 
sont les combais. Les démonstrations à la baïonnette 
sont moins faciles; le moral par suite est moins 
ébranlé, l'homme craignant plus l'homme que la fa- 
talité. On est étonné des pertes essuyées sans broncher 

par les armées de Turenne Les pertes sont-elles 

accusées exactement par les capitaines de ce temps? 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 135 

Pour qu'il y ait surveillance et responsabilité 
réelles, des compagnies aux brigades, les troupes 
de soutien doivent être de la même compagnie, du 
même bataillon, de la même brigade, suivant le cas. 
Chaque brigade doit avoir ses deux lignes, chaque 
bataillon ses tirailleurs, etc., etc. 

Le système d'avoir toujours une réserve à con- 
server le plus longtemps possible pour agir quand 
l'ennemi a usé les siennes doit s'appliquer de haut 
en bas; tout bataillon, la sienne; tout régiment, la 
sienne ; maintenue ferme et forte. 

Les carrés parfois sont enfoncés par la cavalerie, 
qui poursuit les tirailleurs du carré, lesquels, au 
lieu de se coucher, se ruent en aveugles sur leur 
refuge, qu'ils paralysent et livrent. Avec du vouloir 
chez les cavaliers, nul carré ne peut tenir... Maisl... 

Le carré de l'infanterie n'est point affaire de mé- 
canisme, de raisonnement mathématique : c'est 
affaire de moral, pas autre chose. Il est certain 
qu'un peloton sur quatre rangs faisant face, .deux 
en avant, deux en arrière, ses flancs gardés par les 
files extrêmes qui font face de côté, et dirigé, sou- 
tenu par les cadres, qui se placent en cinquième 
rang, dans l'intérieur du rectangle, est, par le fait 
de son peu de surface et par son feu, inexpugnable 
à toute cavalerie. Cependant ce peloton préférera 
faire partie d'un grand carré, se croira plus fort 



136 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

parce qu'il sera plus nombreux, et de fait le sera, 
puisque le sentiment de la force fait toute cette force, 
fait la contenance solide à la guerre. 

Les gens qui ne calculent que d'après le feu fourni, 
d'après la puissance de destruction de l'infanterie, 
voudraient la laisser résister, déployée, à la cava- 
lerie ; ils ne songent pas que, ne se sentant soutenue, 
maintenue, puisque le carré, par sa forme, semble 
empêcher la fuite, le vent de la charge, si cette 
charge est menée résolument, la renversera bien avant 
le choc, n est clair que si la charge est mal menée, 
que llinfanterie soit solide ou non, elle n'arrivera 
jamais. Pourquoi?... par les raisons morales, et pas 
d'autres, qui font que le soldat en carré se sent plus 
fort qu'en ligne, se sent gardé derrière et n'a point 
d'espace où fuir, etc., etc. 

Par quelle disposition, avec des armes à tir pré- 
cipité, l'infanterie peut-elle se garer d'attaque de 
cavalerie sur ses flancs? (Si l'on tire quatre fois plus 
vite, si le tir est plus tendu, on a besoin de quatre 
fois moins de monde pour garder un point contre la 
cavalerie...) Par petits groupes espacés à portée de 
fusil, se flanquant par conséquent, laissés sur le 
flanc de la marche en avant. Mais il faut gens solides 
et qui surveillent ce qui se passe derrière. 

Les officiers français ont plus d'amour-propre que 
de solidité. Devant le danger, ils se déconcertent, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 137 

ils hésitent, ils perdent la mémoire et la tête, et, pour 
se tirer d'affaire, ils crient : En avant, en avant! 
Voilà un des motifs pour lesquels le rang est si dif- 
ficile, surtout depuis TAfrique, où beaucoup est 
laissé à l'initiative du soldat. 

Le rang est donc un idéal qui ne ^'obtient plus 
dans les guerres modernes, mais vers lequel on doit 
tendre ; et nous allons nous en éloignant. Et puis, 
rhabitude manquant, le naturel reprend son empire. 
Où est le remède? Il est dans une organisation éta- 
blissant la solidarité par la connaissance mutuelle, de 
tous, de haut en bas, rendant possible ainsi cette 
surveillance mutuelle, qui a tant de puissance sur 
Tamour-propre français, etc. 

L'amour-propre est, sans contredit, un des plus 
puissants mobiles de nos soldats. Ils ne veulent point 
passer pour c... aux yeux de leurs camarades. Ils 
se cachent, ou bien ils marchent en avant et alors 
veulent se distinguer. Mais à la suite de toute at- 
taque, le rang (non le rang de l'exercice, mais le 
ralliement au chef, la marche avec lui) n'existant 
plus par suite du désordre inhérent chez nous à 
toute marche en avant, sous le feu, les hommes, 
dépaysés, n'ayant plus les yeux de leurs camarades, 
de leur chef, pour les soutenir, l'amour-propre ne 
les pousse plus, et ils ne tiennent pas. Le moindre 
retour offensif les met en déroute. 



138 ÉTUDES SDR LE COMBAT 

L'action du rang est une action purement morale. 
Quiconque lui attribue une action matérielle efficace 
contre des troupes solides, froides, se trompe et se 
fait battre. Les tirailleurs seuls font du mal, et les 
tireurs en feraient plus si Ton savait les employer. 

L'organisation de la légion du maréchal de Saxe 
prouve singulièrement combien était forte la préoc- 
cupation du choc et la volonté de le faire prédominer 
sur le feu. 

... L'ordonnance du roi, du 1®' juin 1776, dit ceci, 
page 28 : « L'expérience ayant prouvé que les trois 
rangs tirent debout à la guerre, et l'intention de Sa 
Majesté étant de ne prescrire que ce qui se peut 
exécuter devant l'ennemi, elle ordonne que, dans les 
feux, le premier homme ne mette jamais genou en 
terre, et que les trois rangs tirent debout à la fois *... » 

Le maréchal Gouvion Saint-Cyr affirme que ce 
n'est pas exagérer de dire que le troisième rang met 
hors de combat le quart des hommes qui sont blessés 
dans une afifahre. Cette évaluation n'est point portée 
assez haut s'il s'agit d'une troupe composée de re- 
crues, comme celles qui ont combattu à Lutzen et à 
Bautzen. Et le maréclial cite l'étonnement de Napo- 
léon lorsqu'il vit l'immense quantité d'hommes bles- 
sés depuis la main jusqu'au coude, etc. 

1. Cette même ordonnance renferme une instruction sur le tir à la 
cible et Texécution des feux sur des buttes. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 139 

Singulière chose que cet étonnemenl de Napoléon, 
et cette ignorance de ses maréchaux pour expliquer 
ces blessures. Le médecin en chef Larrey, par Tob- 
servation des blessures, disculpa seul nos soldats de 
l'accusation de mutilation volontaire. 

Pour que Fobservation n'eût pas été faite plus tôt, 
il fallait certainement que les blessures ne fussent 
pas nombreuses ; et cela ne peut s'expliquer que par 
ce fait que les jeunes soldats de 1813 se tenaient ins- 
tinctivement serrés dans le rang, et que jusqu'à eux 
les soldats avaient dû s'espacer, instinctivement en- 
core, afin de pouvoir tirer. Ou bien en 1813 on a 'dû 
faire tirer ces jeunes gens plus longtemps, afin de 
les distraire et de les tenir dans le rang, et on les a 
peu lâchés en tirailleurs de peur de les perdre, fandis 
qu'auparavant les feux par le rang devaient être 
beaucoup plus rares, l'action de feu étant abandonnée 
presque exclusivement aux tirailleurs. 

On s'étonne de trouver chez un homme ayant des 
idées pratiques, comme Guibert, sur quantité de 
choses, une longue dissertation pour démontrer que 
les officiers de son temps ont tort de recommander 
d'ajuster en plein corps, de tirer bas, parce que ces 
prescriptions sont ridicules pour qui connaît la tra- 
jectoire du fusil. Ces officiers avaient bien raison : 
ils renouvelaient les recommandations de Cromwell, 
parce qu'ils savaient comme lui que, dans le combat. 



140 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

le soldat tire toujours trop haut, parce qu'il n'ajuste 
pas, et parce que la forme du fusil, quand on le porte 
à répaule, tend à maintenir le corps plus haut que la 
culasse (cela ou autre chose, le fait est que la chose 
est). Guibert dit avoir vu dans les exercices prussiens 
toutes les balles porter à terre à cinquante pas. Avec 
les armes de ce temps et la manière de combattre, 
ce résultat eût été magnifique, si devant Fennemi 
les balles prussiennes fussent tombées à cinquante 
pas au lieu de passer par-dessus les têtes. 

AMolwitz, les Autrichiens ont plus de 5000 hommes 
hors de combat et les Prussiens plus de 4000. 

L'invention des armes à feu a diminué les pertes 
des vaincus dans les combats; leur perfectionne- 
ment les a diminuées et les diminue chaque jour. 
Ceci ressemble à un paradoxe ; mais les chiffres sont 
là, et le raisonnement, pour qui sait raisonner, dé- 
montre la chose inévitable. 

Je crois en vérité que ce qui faisait qu'on s'imagi- 
nait tenir au feu autrefois, c'est qu'on ne savait pas 
se remuer. (Prince de Ligne.) 

A la petite guerre, combien de capitaines sont ca- 
pables de commander tranquillement leurs feux et de 
manœuvrer avec calme? 

Les Autrichiens avaient le feu de rang à com- 
mandement en Italie contre la cavalerie. L'ont-ils 
fait ? Non : ils ont fait feu avant le commandement. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 141 

un feu irrégulier, un feu de file. Ils ont manqué I.e 
résultat. Dans le feu de deux rangs, le premier rang 
seul peut tirer horizontalement; c'est du reste la 
seule chose à demander ; le deuxième rang ne peut 
que tirer en Pair ; il est inutile comme feu avec nos 
sacs chargés et nos hommes élevant le coude plus 
haut que Tépaule. Le sac ne pourrait-il être plus épais 
et moins large ? ne pourrait-on porter le sac-tente en 
turban ? faire desserrer le premier rang et placer le 
deuxième en échiquier ? Les feux contre la cavalerie 
sont les seuls feux à exécuter dans le rang. 

Un rang sera meilleur que deux, parce que ce rang 
ne sera pas gêné par celui placé derrière lui. Donc un 
seul feu est praticable, un seul efficace, celui d'un 
rang, celui de tirailleurs serrés. 

Les troupes en ordonnance ne peuvent servir que 
comme effet moral, pour Tattaque, la démonstration. 
Si elles veulent produire un effet réel, agir par mous- 
queterie, il faut se mettre sur un rang 



CHAPITRE V 

DES FEUX 
I 

On dirait que Thistoire des feux de l'infanterie' 
n'est pas suffisamment éclaircie, quoique les feux 



142 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

soient aujourd'hui, en Europe, et cela presque abso- 
lument, le seul moyen de destruction employé par 
cette arme. 

Napoléon a dit : « Le seul feu praticable à la 
guerre est le feu à volonté. » Et, après une déclara- 
tion si nette d'un homme qui s'y connaissait, on 
semble, au jour où nous sommes, vouloir faire des 
feux à commandement la base de la tactique de com- 
bat de l'infanterie ! 

Est-on dans le vrai? est-on dans le faux? L'expé- 
rience seule peut répondre. Cette expérience est faite; 
mais rien, dans le métier des armes surtout, ne 
s'oublie plus vite que l'expérience. On peut faire de' 
si belles choses, exécuter de si beaux mouvements, 
inventer de si ingénieuses manières de combattre 
dans des élucubrations de cabinet et dans les camps de 
manœuvre I Tâchons cependant de faire parler les faits. 

Prenons, dans un cours de tir quelconque, un his- 
torique succinct de l'arme à feu portative ; voyons de 
quels feux, avec chaque arme, on faisait usage, en 
tâchant de démêler ce qui se passe de ce qui s'écrit. 

II 

Historique sncolnot des transformations snccessives 
des armes à feu, depuis l'arquebuse jnsqa'&notre fusil. 

Les arquebuses en usage avant l'invention de la 
poudre donnèrent l'idée de la forme générale des 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 143 

armes à feu. Les arquebuses forment donc la transi- 
tion des anciennes armes de jet aux nouvelles. 

On conserva le tube pour diriger le projectile, et 
Ton remplaça Tare et sa corde par un appareil conte- 
nant la poudre et permettant de l'enflammer. 

On eut ainsi une arme très simple, très légère et 
très facile à charger; mais la balle, de petit calibre, 
lancée par ijn canon très court, n'avait de pénétration 
qu'à de courtes distances. 

On allongea le canon, on augmenta le calibre, et 
on eut une arme plus efficace, mais aussi plus incom- 
mode ; il était en effet impossible de tenir l'arme en 
joue pour viser et de résister au recul en même temps 
qu'on mettait le feu. 

Pour s'opposer à l'effet du recul, on adapta à la 
partie inférieure du canon un croc ou crochet qu'on 
appuyait contre un obstacle fixe au moment du tir. 
L'arme ainsi modifiée prit le nom d'arquebuse à 
croc. 

Mais l'emploi du croc ne pouvait avoir lieu que 
dans des circonstances particulières. Pour pouvoir 
donner à l'arme un point d'appui sur le corps même 
du tireur, on prolongea le fût et on l'inclina pour 
pouvoir viser. On eut ainsi le pétrinal ou poitrinal. 
Le soldat avait en outre une fourchette pour appuyer 
le canon. 

Dans le mousquet, qui vint ensuite, on modifia 



144 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

encore le fût et on l'appliqua contre l'épaule même 
du tireur. De plus, le mode de communication du 
feu à la charge se perfectionna. 

Dans le principe, on mettait le feu au moyen d'une 
mèche enflammée; mais avec le mousquet, l'arme 
devenant plus légère et portative, on trouva d'abord 
la platine à serpentin ou à mèche, ensuite la platine 
à rouet et enfin la platine à miquelet et la platine à 
silex. 

L'adoption de la platine à silex et de la baïonnette 
donna le fusil, que Napoléon regardait comme la plus 
puissante machine de guerre dont V homme se soit servi. 

Mais ce fusil, tel qu'il était primitivement, avait 
encore de nombreux inconvénients : il était long à 
charger, peu juste, et son tir devenait impossible 
dans certaines circonstances. . 

Comment a-t-on remédié à ces inconvénients? 

D'abord, pour le chargement, Gustave- Adolphe, 
comprenant à la fois la confiance plus grande que 
donne au soldat un chargement plus prompt et la des- 
, truction plus grande qui résulte d'un tir plus rapide, 
avait inventé la cartouche pour les mousquets ; con- 
tinuant la même idée pour le mousquet devenu fusil, 
Frédéric, ou quelqu'un des siens, — le nom est mis 
pour la date, — substitua les baguettes de fer cylin- 
driques aux baguettes en bois. Pour amorcer plus 
vite, on fit une lumière conique en forme d' entonnoir ^ 



ETUDES SUR LE COMBAT 

permettant à la poudre de passer du canon dans lt> 
bassinet. Ces deux derniers perfectionnements fai- 
saient économiser deux temps : celui d'amorcer et 
celui de retourner la baguette. Mais Tadoption de 
Tanne se chargeant par la culasse devait porter la 
vitesse du tir à son maximum pratique. 

Ces modifications successives de Tarme, ayant 
toutes pour but essentiel la rapidité du chargement 
et par suite du tir, correspondent aux périodes mili- 
taires les plus remarquables des temps modernes ; 

Cartouches : Gustave- Adolphe. 

Baguette en fer : Frédéric. 

Trou de lumière élargi {par les soldats, sinon par 
ordre supérieur) : guerres de la République et de 
l'Empire. 

Chargement par la culasse : Sadowa. 

La justesse du tir semble avoir moins préoccupé, 
pendant longtemps, que sa rapidité (par la suite,' 
nous verrons pourquoi). C'est de nos jours seulement 
que l'application généralisée des rayures de l'arme et 
l'emploi des balles oblongues ont porté la justesse à 
un point qui ne. peut guère être dépassé. — C'est de 
nos jours aussi que la découverte du fulminate a 
permis le tir par tous les temps. 

Nous venons d'indiquer succinctement les perfec- 
tionnements successifs de l'arme à feu, depuis l'ar- 
quebuse jusqu'au fusil. 

10 



146 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

L'art de s'en servir a-t-il suivi la même progres- 
sion de perfectionnement? 



III 



Introdaction proirresslve des armes & fea 
dans l'armement dn ftmtassln. 

La révolution, non dans Tartde la guerre, mais dans 
celui des combats, amenée par la poudre, ne s'est 
faite que lentement, peu à peu, au fur et à mesure du 
perfectionnement des armes à teu qui ne sont entrées 
que progressivement dans l'armement du fantassin. 

Ainsi, sous François I®"^, les fantassins porteurs 
d'armes à feu étaient dans la proportion de un à 
trois, ou de un à quatre, par rapport au reste des 
hommes de pied armés de piques. 

Au temps des guerres de religion, les arquebusiers 
et les piquiers étaient en nombre à peu près égal. 

Sous Louis XIII, en 1643, il y avait deux armes à 
feu pour une pique; dans la guerre de 1688, il n'y 
avait plus qu'une pique par quatre mousquets ; enfin 
les piques disparurent. 

Dans le principe, les hommes pourvus d'armes à 
feu étaient indépendants des autres combattants et 
agissaient comme les armés à la légère antiques. 

Plus tard, on combina les piques et les mousquets 
dans les fractions constituées du corps d'armée. 



ETUDES SUR LE COMBAT 147 

Tantôt tous les piquiers étaient au centre de la 
ligne et les mousquetaires sur les aHes; c'était la 
formation la plus habituelle. 

D'autres fois les piquiers restaient au centre de 
leurs compagnies respectives, les mousquetaires aux 
ailes des compagnies, et celles-ci se rangeaient Tune 
à côté de Vautre ; 

Ou bien, moitié des mousquetaires en avant des 
piquiers, et moitié derrière; 

Ou encore, tous les mousquetaires derrière les 
piquiers, ceux-ci ayant le genou à terre. — Dans ces 
deux derniers cas, les feux partent de tout le front 
du bataillon. 

Et enfin on rangeait alternativement un piquier et 
un mousquetaire, etc., etc. 

Ces combinaisons différentes de piquiers et de 
mousquetaires se lisent dans les traités de tactique. 
Mais nous ne savons pas, par des exemples pris sur 
le fait, comment ces combinaisons se conservaient 
sur le champ d'action, ni même si toutes ont été 
employées. 



IV 



De qnel g^nrt de feu on essayait avec ohaonne 

des armes. 

Quand, dans les commencements, un certain nom- 
bre de fantçissins fut armé de la longue et lourde ar- 



À 



148 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

quebuse primitive, la faiblesse de leur feu faisait dire 
à Montaigne, bien certainement d'après les militaires 
d'alors : « Les armes à feu sont de si peu d'effet, sauf 
Tétonnement d'oreilles, qu'on en quittera l'usage. » 
— Il faut des recherches pour en trouver mention 
dans les batailles de cette époque. 

Cependant nous rencontrons un précieux rensei- 
gnement dans Brantôme ; écoutons-le parler de la 
bataille de Pavie : 

« Le marquis de Pescaire gagna la bataille de Pavie 
avec ses arquebusiers espagnols, contre tout ordre 
de guerre et ordonnance de bataille^ mais par une 
vraye confusion et grand désordre. C'est à sçavoir que 
1800 arquebusiers des plus adroits, des plus prati- 
quez, rusez et surtout des mieux enjambez et des plus 
dispos, furent débandez par le commandement du 
marquis de Pescaire, lesquels, enseignez par de nou- 
veaux préceptes du marquis, pratiquez aussi par une 
longue expérience, sans aucun ordre, s'étendaient par 
escadres par tout le camp, donnant des tours, faisant 
des voltes de çà et là, d'une part et d'autre, avec une 
grande vitesse, et ainsi ils trompoient la furie de ses 
chevaux; de façon que par cette nouvelle mode de 
combattre non jamais aise et fort émerveillable, et 
cruelle pourtant et misérable, ces arquebusiers em- 
péchçiient avec grand avantage la vertu de la ca- 
valerie française, qui se perdit du tout; car les 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 149 

hommes joints ensemble et faisant un gros étoient 
portez par terre par si peu d'excellents et braves 
arquebusiers. Cette confuse et nouvelle forme de 
combat se peut mieux imaginer et représenter que 
décrire, et qui se l'imaginera bien la trouvera belle 
et utile; mais il faut que ce soit de bons arque- 
buziers et triez sur le voUet (comme on dit), et sur- 
tout bien conduits. » 

Il faut tenir compte, dans le passage qui précède, 
de la différence très grande qui toujours existe entre 
le récit (fait souvent par gens qui n'y étaient pas, et 
Dieu sait quelquefois sur quels renseignements), entre 
le récit, disons-nous, et la réalité. Mais néanmoins on 

* 

peut voir dans ces lignes de Brantôme un premier 
exemple de l'emploi le plus destructeur du fusil, de 
son emploi en tirailleurs. 

Pendant les guerres de religion, qui consistèrent 
en escarmouches, en prises et en reprises de postes, 
le feu des arquebusiers s'exécutait sans ordre et 
sans ensemble, comme précédemment. 

Le soldat portait les charges de poudre dans de 
petites boites de fer-banc suspendues à une bandou- 
lière. Une poudre plus fine pour amorcer était ren- 
fermée dans une poire à poudre; les balles étaient 
placées dans un sac. Au moment du combat, le 
soldat en remplissait sa bouche, et c'est ainsi qu'il 
devait combattre avec une arquebuse à mèche. 



150 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Nous étions encore loin des feux à commandement. 

Ils ne tardèrent pomlant pas à paraître. Gustave- 
Adolphe fut le premier qui chercha à introduire de la 
méthode et de Tensemble dans les feux de l'infanterie. 
Des esprits avides d'innovations le suivirent dans 
cette voie, et Ton eut successivement : le feu de rang, 
celui de deux rangs, le feu de subdivision, section, 
peloton, division, bataillon, etc., le feu de file, le feu 
en avançant, le feu en arrière, le feu de chaussée, le 
feu de parapet, le feu de billebande, et un si grand 
nombre d'autres, qu'on peut presque assurer que 
toutes les combinaisons sont épuisées depuis cette 
époque. 

Le feu de rang fut sans doute le premier de ces 
feux; nous allons l'indiquer, il nous donnera la clef 
de tous les autres. 

L'infanterie était alors rangée sur 6 de hauteur. 
Pour faire le feu de rang, on faisait mettre genou à 
terre à tous les rangs, excepté au dernier. Ce dernier 
rang commençait par faire feu et rechargeait son 
arme. Aussitôt qu'il avait tiré, celui qui le précédait 
immédiatement se levait et faisait face à son tour ; 
ainsi de suite jusqu'au premier, pour recommencer 
de nouveau par le dernier. 

Ainsi les premiers feux d'ensemble étaient exécutés 
successivement et par rang. 
MontecucuUi dit : « Les mousquetaires se rangent 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 151 

à 6 de hauteur, parce qu'ils peuvent se régler de 
manière que le dernier rang ait rechargé quand le 
premier aura tiré et qu'il recommence à tirer afin 
que l'ennemi ait un feu continuel à essuyer. » 

Cependant, sous Condé et Turenne, nous voyons 
l'armée française faire exclusivement usage du feu de 
billebande ou à volonté. 

Il est vrai qu'alors les feux n'étaient pour ainsi dire 
regardés que comme accessoire dans les batailles. 
L'infanterie de bataille ou de ligne, qui, depuis les 
Flamands, les Suisses, les Espagnols, avait vu son 
action devenir chaque jour plus prépondérante dans 
les affaires, était surtout appelée à agir pour la 
charge et la marche en avant, par conséquent était 
armée de piques. 

Dans les batailles les plus célèbres de ce temps, 
Rocroi, Nordlingen, Lens, Rethel et les Dunes, nous 
la voyons opérer ainsi. Les armées des deux partis, 
en deux lignes bien alignées , commencent à se 
canonner, se chargent mutuellement avec leurs ailes 
de cavalerie, tandis que l'infanterie marche au centre. 
La plus brave, la mieux ordonnée, fait plier l'autre 
et souvent, à l'aide d'une des ailes victorieuses, finit 
par la rompre. On chercherait vainement à cette 
époque l'influence bien marquée du feu. La tradition 
de Pescaire s'était perdue. 

Cependant les armes à feu se perfectionnent, elles 



i 



152 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

deviennent plus efficaces et tendent à supplanter la 
pique. La pique obligeait le soldat à rester dans le 
rang, à ne combattre que dans certains cas, et l'ex- 
posait à recevoir des blessures sans pouvoir rendre 
coup pour coup. Et, ceci est singulièrement instructif, 
le soldat eut dès lors une répulsion instinctive pour 
cette arme, qui le condamnait le plus souvent à un 
rôle passif. Cette répulsion ressort clairement de la 
haute paye et des privilèges qu'on fut obligé de 
donner aux piquiers. Mais, malgré haute paye et pri- 
vilèges, à la première occasion le soldat abandonnait 
sa pique et prenait un mousquet. 

Les piques disparaissant d'elles-mêmes peu à peu 
devant les armes à feu, les rangs s'amincissent pour 
faciliter l'usage de celles-ci; on se met sur quatre 
rangs, et on essaye des feux dans cet ordre, feux par 
rangs, par deux rangs, debout et à genou, etc. 

Malgré ces essais, nous voyons l'armée française 
sur les champs de bataille, à Fontenoy notamment, 
se servir encore du feu de bille bande, où le soldat 
tirait à volonté en sortant du rang pour décharger 
son arme et y rentrant pour la recharger. 

On peut donc dire que, malgré de nombreux essais 
et tentatives, on ne voit employer en face de l'en- 
nemi aucun feu à commandement, quand arrive Fré- 
déric. 

Déjà, sous Guillaume, l'infanterie prussienne était 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 153 

recommandable par la vivacité et la continuité de 
son feu. Frédéric augmenta encore la facilité du tir 
de ses bataillons en diminuant leur profondeur. Ces 
feux, triplés par la vitesse de la charge, devinrent si 
nourris et si violents, qu'ils donnaient aux bataillons 
prussiens une supériorité de trois contre un. 

Les Prussiens distinguaient alors leurs feux en trois 
espèces, savoir : de pied ferme, de charge, de retraite. 

Nous connaissons le mécanisme des feux de pied 
ferme, dans lesquels le premier rang mettait genou 
en terre; quant aux feux en marchant, les voici 
décrits et jugés par Guibert : « Ce que j'appelle feux 
en marchant, et que tout homme qui voudra réfléchir 
trouvera inadmissible, comme moi, c'est le feu que 
j'ai vu pratiquer à quelques troupes; les soldats de 
deux rangs tirant sans cesser de marcher, mais mar- 
chant, comme on peut le croire, à pas de tortue : 
c'est celui que les troupes prussiennes appellent le 
feu de charge, et qui consiste en des décharges com- 
binées et alternatives de pelotons, dé divisions, de 
demi-bataillons ou de bataillons, les parties de la 
ligne qui ont tiré marchant au pas doublé, et celles 
qui n'ont pas tiré, au petit pas. » 

Dans ces différents feux, comme nous l'avons dit, 
le bataillon prussien était sur trois rangs ; le premier 
mettait le genou en terre ; la ligne ne donnait que des 
feux de commandement, feux de salve. 



154 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Cependant la possibilité d'exécuter régulièrement 
des feux de salve sur trois rangs ne survécut pas aux 
vieux soldats de Frédéric. Nous verrons même tout à 
Theure jusqu'à quel point ils les exécutaient sur le 
champ de bataille. 

Quoi qu'il en fût, TEurope s'était enjouée de ces 
feux et avait voulu adopter cette méthode. D'Argenson 
les fit prévaloir dans Tannée française et y introduisit 
les feux à commandement. Deux ordonnances avaient 
paru les prescrivant, en 1753 et 1755. Mais, dans la 
guerre qui survint, le maréchal de Broglie, qui, sans 
doute, avait d'expérience et de sens pratique autant 
que M. d'Argenson, prescrivit le feu à volonté. Toute 
l'infanterie de l'armée qu'il commandait y fut exercée 
pendant le quartier d'hiver de 1761 à 1762. 

Deux nouvelles ordonnances succédèrent aux pré- 
cédentes, en 1764 et 1776. La dernière prescrivait le 
feu de trois rangs à commandement, tous les rangs 
restant debout *. 

On arriva ainsi aux guerres de la Révolution avec 
des feux à commandement dans l'ordonnance, feux 
qu'on n'exécutait pas sur le champ de bataille. 

A partir des guerres de la Révolution, nos armées 
ont toujours fait la guerre de tirailleurs. Dans les 



1. Le danger qui résultait de ce feu avait fait proposer de mettre 
les plus petits hommes au premier rang et les plus grands au troi- 
sième. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 455 

relations de nos campagnes, on ne parle pas de feux 
à commandement. Il en fut de même sous FEmpire, 
malgré des essais nombreux au camp de Boulogne et 
ailleurs. C'est au camp de Boulogne que les feux à 
commandement par rang furent essayés pour la pre- 
mière fois, par ordre de Napoléon. Ces feux, que Ton 
devait employer plus particulièrement contre la cava- 
lerie, car la théorie en est superbe, ne paraissent pas 
avoir été employés. Napoléon lui-même le dit, et nos 
ordonnances de 1832, dans lesquelles il devait bien se 
trouver quelques traditions des hommes de FEmpire, 
commandent le feu de deux rangs ou à volonté, par 
les carrés, à Texclusion de tout autre. 

D'après nos auteurs militaires, au dire de nos vieux 
officiers, les feux à commandement ne convenaient 
pas à notre infanterie, et cependant on les con- 
serva dans l'ordonnance. Le général Fririon (1822), 
Gouvion Saint-Cyr (1829), firent une violente censure 
de ces feux; rien n'y fit; on les conserva dans 
l'ordonnance de 1832, mais sans les prescrire pour 
aucune circonstance déterminée. Ils y paraissent, 
semble-t-il, comme pour conserver aux troupes cer- 
tain prestige de parade, pas autre chose. 

A la création des chasseurs d'Orléans, on ressus- 
cita les feux par rang. Mais, soit dans nos guerres 
d'Afrique, soit dans nos deux dernières guerres de 
Crimée et d'ItaUe, nous ne croyons pas qu'on puisse 



156 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

trouver un seul exemple de feu à commandement. 
Dans la pratique, on les croyait impossibles, imprati- 
cables ; on les savait tout à fait inefficaces, et ils étaient 
tombés en grand discrédit. 

Mais voici qu'aujourd'hui, avec le fusil à charge- 
ment rapide, on recommence à les croire praticables 
et on les reprend avec une nouvelle ardeur. Ont-ils 
plus de raison d'être que par le passé? — Nous allons 
voir. 



Des faux qui s^exéontalent en présence de l'ennemi, et 
des fenx qui étaient impraticables, bien que recom- 
mandés on ordonnés. Emploi et efficacité des fenx k 
commandement. 

Il paraît incontestable qu'aux manœuvres de Pots- 
dam l'infanterie prussienne n'employait que des feux 
de salve, et ces feux étaient môme exécutés avec une 
précision admirable. Une discipline dont nous ne 
pouvons nous faire une idée maintenait le soldat 
dans la file et dans le rang. Des peines d'une sévérité 
presque barbare furent introduites dans le code mili- 
taire; tandis que le bâton, les coups, les bourrades 
sévissaient contre les moindres fautes, les sous-offi- 
ciers eux-mêmes étaient assujettis aux coups de plat 
d'épée. Et cependant tout cela était insuffisant sur le 
champ de bataille : il fallait encore un rang entier 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 457 

de sous-officiers en serre-file pour maintenir les 
hommes dans leur devoir. 

« On voyait ces serre-files, dit M. Carion-Nisas, se 
joindre par leurs hallebardes à crochet et former 
ainsi une ligne continue que personne ne pouvait 
franchir. » Malgré tout cela , après deux ou trois dé- 
charges (dit le général Renard, et nous le croyons bien 
généreux), il n'y avait pas d'effort de discipline qui 
pût empêcher le feu régulier de dégénérer en feu à 
volonté. 

Mais voyons de plus près les batailles de Frédéric ; 
prenons celle, par exemple, dont le succès fut attri- 
bué plus spécialement à Tefficacité des feux à com- 
mandement : la bataille de MoUwitz, déjà à moitié 
perdue, et heureusement gagnée grâce aux feux de 
salve des Prussiens. 

Les historiens nous disent : 

« L'infanterie autrichienne avait ouvert son feu 
contre les lignes prussiennes, dont la cavalerie avait 
été dispersée ; il suffisait de les ébranler pour que la 
victoire fût couronnée. Les Autrichiens se servaient 
encore de baguettes en bois, leurs coups se succé- 
daient lentement, tandis que les décharges prus- 
siennes roulaient comme le tonnerre, à raison de cinq 
à six par minute. Les Impériaux, surpris, déconcertés, 
par ce feu d'ensemble, voulurent se hâter; mais ils bri- 
sèrent en partie, dans leur précipitation, leurs baguet- 



458 ÉTUDES SUR I^ COMBAT 

tes fragiles. La confusion ne tarda pas à se mettre 
dans leurs rangs, et la bataille fut perdue. » 

Mais, si nous étudions attentivement les relations 
authentiques de Tépoque, nous ne voyons pas les 
choses se passer d'une façon si régulière. 

La fusillade s'engagea, y est-il dit ; elle fut longue 
et meurtrière. Les baguettes de fer des Prussiens 
leur donnèrent l'avantage sur les autres, qui n'en 
avaient que de bois, plus difficiles à manier et 
exposées à se briser aisément. Cependant, lorsque 
l'ordre de marcher en avant fut donné aux Prussiens, 
des bataillons entiers restèrent immobiles; il fut 
impossible de les ébranler. Les soldats cherchaient à 
se soustraire au feu et se groupaient les uns derrière 
les autres, de sorte qu'on les vit sur une profondeur 
de 3 à 40. 

Ainsi donc, les vieux soldats de Frédéric, malgré 
leur discipline et leur instruction, sont impuissants à 
mettre en pratique la méthode enseignée et ordon- 
née : ils n'ont pas mieux exécuté les feux à comman- 
dement que la marche en bataille en avant des camps 
de Potsdam. Ils ont fait le feu à volonté. Ils ont tiré 
vite par l'instinct d'envoyer deux coups pour un, 
plus fort que leur discipline. Leur feu devait être en 
effet un tonnerre roulant, non de salve, mais de tir 
rapide à volonté. Qui tire le plus touche le plus, se 
figure le soldat et croyait aussi Frédéric, car, s'il a 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 459 

facilité le tir dès cette môme bataille de Mollwitz, il 
double ensuite le nombre des cartouches données 
au soldat : 60 au lieu de 30 qu'il avait auparavant. 

Du reste, si les feux à commandement avaient été 
possibles, sait-on ce qu'ils auraient produit? Si les 
soldats de Frédéric en avaient été capables, ils 
auraient fauché les bataillons comme on fauche les 
épis. Laisser tranquillemeiit venir à portée, ajuster 
tous ensemble afin que nul ne dérange ou gêne 
l'autre, que chacun y voie clair ; puis , à un èignal 
net, tous ensemble faire feu. Qui aurait pu tenir 
contre de pareilles gens? Dès les premières déchar- 
ges, l'ennemi aurait été rompu et obligé de lâcher 
pied, sous peine d'être couché par terre jusqu'au 
dernier. Et cependant, si nous considérons le résul- 
tat final dans cette même bataille de Mollwitz, nous 
voyons que le nombre des tués est à peu près le 
même du côté où l'on fait des feux à commandement 
que du côté où l'on n'en fait pas : Prussiens, 960 tués; 
Autrichiens, 966. 

Mais, nous dira-t-on, si ces feux n'étaient pas plus 
efficaces, c'est qu'on ne savait pas ajuster en ce 
temps. Que si fait! Pas si finement, c'est possible; 
mais il y avait des exercices de tir ; on savait viser. 
Le viser est vieux. On le savait, nous ne disons pas 
qu'on le fît, mais on le savait, sinon on ne l'aurait 
pas rappelé si souvent , témoin le dire fréquent de 



160 ÉTUDES SUR LE COBfBAT 

Cromwell : « Mettez votre confiance en Dieu, enfants, 
et tirez aux cordons de souliers. » 

Ajustera-t-on davantage aujourd'hui? Il est permis 
d'en douter. Si les soldats de Cromwell, les soldats 
de Frédéric, les soldats de la République et de 
Napoléon, qui nous valaient bien, ne pouvaient 
ajuster, comment prétendrions-nous le faire ? 

Ainsi ces feux, qui n'étaient guère possibles que 
dans des circonstances rares et pour commencer 
Faction, étaient tout à fait inefficaces. 

Des esprits hardis, voyant leur peu d'effet à bonne 
portée de combat, conseillèrent de ne les exécuter 
que de très près, d'attendre l'ennemi à vingt pas et 
de le renverser d'une seule décharge. Il ne s'agissait 
pas ici de viser plus ou moins finement, à vingt 
pas! Qu'arriva-t-il ? 

« A la bataille de Gastiglione, dit le maréchal de 
Saxe, les Impériaux laissent approcher les Français à 
vingt pas, espérant les détruire par une décharge 
générale. A cette distance, ils tirent bien de sang-froid 
et avec toutes les précautions que l'on peut prendre; 
mais ils sont rompus avant que la fumée soit dissi- 
pée. A la bataille de Belgrade (1717), j'ai vu deux 
bataillons qui, à trente pas de distance, couchent en 
joue et font feu sur un gros de Turcs, qui les taille en 
pièces; il ne se sauva que deux ou trois soldats. Les 
Turcs n'eurent dans cette affaire que 32 tués » 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 464 

Quoi qu'en dise le maréchal de Saxe, nous doutons 
que ces hommes fussent bien de sang-froid; car des 
hommes qui pourraient le conserver à une distance si 
rapprochée de l'ennemi, avec l'arme la plus impar- 
faite du monde, tirant dans des masses, renverse- 
raient très certainement tout le premier rang et cau- 
seraient un tel désordre dans les autres qu'ils ne 
pourraient pas être enfoncés si facilement que nous 
le voyons. 

Voilà donc comment se passèrent les choses avant 
l'emploi des tirailleurs. On a tenté des feux de salve; 
dans l'action, ils devenaient immédiatement feux k 
volonté; exécutés contre une troupe marchant sans 
tirer, ils étaient inefficaces, car ils n'arrêtaient pas 
l'élan de l'assaillant, et la troupe qui avait compté 
sur cela, trompée dans sa confiance, était démora- 
lisée et fuyait. Mais, sitôt qu'on se servit de tirailleurs, 
la chose devint de toute impossibilité, et les armées 
qui conservèrent confiance dans l'ancienne tactique 
ordonnée s'en aperçurent à leurs dépens. 

Dans les premiers temps de la Révolution, nos 
troupes, non exercées et tenues par une discipline 
moins sévère, ne^euvent plus combattre en ligne. 
Fallait-il aller à l'ennemi, une partie du bataillon 
était détachée en tirailleurs; le reste marchait en 
bataille, s'ébranlait ensuite à la course sans garder 

les rangs. — Le combat traînait-il, il était soutenu 

11 



462 ETUDES SUR LE COMBAT 

par ces bandes combattant sans ordre. — L'art était 
de soutenir par des réserves les troupes lancées en 
tirailleurs. Toujours les tirailleurs engageaient Tac» 
tion, quand ils ne la soutenaient pas tout le temps du 
combat. 
A des tirailleurs opposer des feux de rang, jeu de 

dupes. 

Il faut opposer tirailleurs à tirailleurs. Une fois 
lancé dans cette voie, on soutient, on renforce ses 
tirailleurs par des troupes en ordonnance ; mais, au 
milieu de la tiraillerie générale, les feux à comman- 
dement, impossibles, sont remplacés par le feu à 
volonté. 

Dumouriez lança, à la bataille de Jemmapes, des 
bataillons tout entiers en tirailleurs, et, les soutenant 
par de la cavalerie légère, il leur lit faire merveille ; 
ils entourèrent les redoutes des Autrichiens et firent 
pleuvoir sur leurs canonniers une grêle de balles si 
violente , qu'ils les forcèrent d'abandonner leurs 
pièces. 

Les Autrichiens, étourdis de ce nouveau genre de 
combat, renforçaient en vain leurs troupes légères 
par des détachements de leur grosse infanterie; leurs 
tirailleurs ne pouvaient résister au nombre et à 
l'impétuosité des nôtres, et bientôt leur ligne, en- 
vironnée d'une grêle de balles, était forcée de rétro- 
grader. Les clameurs, les coups de fusil redoublaient, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 163 

et le corps dérouté, n'entendant plus aucun com- 
mandement, posait les armes ou s'enfuyait à vau-de- 
route. 

Ainsi un feu de ligne, quelque violent qu'il soit, 
n'est point capable de contre - balancer l'effet de 
nombreux essaims de tirailleurs. Cette masse de 
balles, lancées au hasard, est impuissante contre des 
hommes isolés, profitant, pour se dérober au feu de 
leurs adversaires , des moindres plis de terrain , 
tandis que les bataillons déployés offrent à leurs 
coups un but large et relativement inoffensif. La 
ligne serrée, en apparence si forte, s'écroule sous 
l'effet meurtrier d'un feu isolé, en apparence si 
faible. (Général Renard.) 

Les Prussiens en firent aussi l'expérience à léna. 
On vit même leurs lignes essayer des feux à com- 
mandement sur nos tirailleurs ; mais autant tirer sut* 
une poignée de puces. 

On nous parlera des feux de salve des Anglais à la 
bataille de Sainte-Euphémie, en Calabre, et plus 
tard en Espagne. Mais ces feux ont été possibles aux 
Anglais dans ces quelques cas particuliers, précisé- 
ment par la raison que nos troupes les chargeaient 
dès le début et sans se faire précéder de tirailleurs. 

La bataille de Sainte-Euphémie ne dura pas une 
demi-heure; ce fut une affaire mal conçue et mal 
exécutée. « Et si, dit le général Duhesme, les batail- 



164 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Ions chargeant eussent été précédés par des essaims de 
tirailleurs qui auraient déjà commencé par éclaircir les 
rangs ennemis ; qu'en approchant, les têtes de colon- 
nes se fussent lancées à la course, la ligne anglaise 
n'aurait pas conservé ce beau sang-froid qui la fil 
tirer si juste et avec autant de précision. Et certes 
elle n'eût pas attendu si longtemps pour démasquer 
son feu, si auparavant elle eût été vigoureusement 
harcelée par nos tirailleurs. » 

Un auteur anglais, faisant l'historique des armes, 
en arrive à parler du feu roulant et bien dirigé des 
troupes britanniques. Il dit feu roulant; pas un mot 
de salve ou quelque chose d'approchant. Nous pou- 
vons donc conclure que l'invention est de nous, qui, 
dans des relations, avons pris feu de bataillon, c'est- 
à-dire par un bataillon, pour le feu de bataillon à 
commandement, de nos ordonnances. 

Du reste, ceci ressort encore plus clairement de 
l'ouvrage sur l'infanterie du marquis de Chambraj , 
qui connaissait bien l'armée anglaise. Il dit que les 
Anglais, en Espagne, se servaient presque partout 
du feu de deux rangs. Ils employaient le feu de 
bataillon seulement lorsqu'ils étaient chargés par 
nos troupes sans tirailleurs, et eux-mêmes en en 
voyaient sur les flancs de nos colonnes. Et il dit 
expressément : « Les manœuvres qui ne s'exécutent 
que sur le champ d'exercice sont les feux de bataillon, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 165 

de demi-bataillon et de peloton ; celles dont Tusage est 
le plus fréquent à la guerre sont les feux de deux 
rangs, puisque ce sont les seuls qu'emploie Tinfan- 
terie française. » — Plus loin il ajoute : « L'expé- 
rience a prouvé que le feu de deux rangs est le seul 
dont on fasse usage devant l'ennemi. » Et bien 
avant lui, le maréchal de Saxe s'écriait : « Évitez les 
mouvements qui sont dangereux, comme de faire 
tirer par pelotons, ce qui a souvent causé des dé- 
faites honteuses. » Et cela est aussi vrai de nos jours 
que du temps de ceux qui l'ont écrit. 

Les feux à commandement, soit de peloton, soit 
de bataillon, etc., supposent que l'ennemi, ayant 
repoussé les tirailleurs et étant arrivé à bonne portée, 
s'avance pour charger, ou qu'il a commencé lui- 
même un feu meurtrier. Dans ce dernier cas, on se 
fusillera réciproquement, et cela peut durer plus ou 
moins, jusqu'à ce que l'un des deux partis cède ou 
charge. Si l'ennemi charge, qu'arrivera-t-il ? Il 
s'avance précédé de nombreux tirailleurs qui font 
pleuvoir sur vous une grêle de balles. Vous voulez 
commencer vos feux, mais les voix de vos officiers 
se confondent; le bruit de l'artillerie, celui de la 
mousqueterie môme , l'émotion du combat , aug- 
mentée par les cris des blessés, ôtent au soldat 
toute attention. Vous n'avez pas achevé votre com- 
mandement d'avertissement que toute la ligne est 



i 



166 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

allumée; alors allez arrêter vos soldats! tant quils 
auront une cartouche, ils tireront. Kennemi rencon- 
trera un pli de terrain qui Tabritera ; il adoptera, au 
lieu de Tordre déployé qu'il avait, l'ordre en colonne 
avec de larges et nombreux intervalles; il changera 
les dispositions d'attaque ; le soldat tirera toujours, 
et les officiers, qui sont derrière leurs troupes, qui, 
ainsi que la fumée, leur dérobent la vue des incidents 
survenus, ne pourront nullement y parer. 

Tout cela a déjà été dit, on en était bien pénétré, 
et l'on avait laissé les feux à commandement; pour- 
quoi les repr«nd-on aujourd'hui? Ils nous viennent 
probablement encore des Prussiens. En effet, les . 
récits de leur dernière campagne (1866) faits par 
Tétat-major en parlent comme ayant été employés 
très efficacement, et ils citent de nombreux exemples. 
Mais un officier prussien qui a fait la campagne 
dans les rangs, qui a vu les choses de près, nous dit 
ceci : « En examinant les combats de l'année 1866 
pour en tirer un caractère commun, on est frappé 
d'une apparition qui se représente dans tous : c'est 
un développement extraordinaire du front, aux dé- 
pens de la profondeur. Ou bien le front s'est fondu 
en une seule ligne longue et mince, ou bien il s'est 
fractionné en portions isolées qui se battent cha- 
cune pour sa part. Partout se manifeste la tendance 
d'étendre les ailes pour envelopper l'ennemi. Il n'est 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 167 

plus question de la conservation de l'ordre de ba- 
taille primitif; les différentes fractions s'entremêlent 
d'elles-mêmes, ou sont entremêlées souvent par le 
combat , souvent même avant que le combat ait 
commencé. Les détachements et grandes divisions 
des corps d'armée sont composés de la manière la 
plus diverse et d'après les principes les plus hétéro- 
gènes. Le combat est soutenu presque exclusivement 
par des colonnes de compagnies, rarement par des 
demi-bataillons. La tactique de ces colonnes de com- 
pagnies consiste à jeter en avant de forts essaims de 
tirailleurs; peu à peu les soutiens eux-mêmes se 
laissent entraîner et se déploient; voilà donc toute 
la première ligne éparpillée et présentant l'image 
d'une horde de cavalerie irrégulière. La seconde 
ligne, qui était restée d'abord en ordre serré, cherche 
à arriver à son tour, et aussi promptement que pos- 
sible, à hauteur de la première, d'abord pour prendre 
part au combat, puis parce qu'un nombre considé- 
rable de boulets et d'obus, qui étaient destinés à 
celle-ci, passent au-dessus de sa tête et viennent 
l'atteindre elle-même; elle en souffre d'autant plus 
qu'elle est compacte, et le supporte avec d'autant 
plus d'impatience qu'elle n'a pas la fiévreuse activité 
du combat qui fait oublier le danger. La masse des 
compagnies de la seconde ligne force donc d'elle- 
même son entrée dans la première, et, comme c'est 



168 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

d'habitude du côté des ailes que se trouve le plus 
de place libre, c'est là que la plupart vont se rat- 
tacher. Très souvent, la réserve elle-même finit par 
participer à Tentraînement ; bientôt il n'en reste plus, 
ou ce qui reste est trop faible pour remplir le but 
d'une réserve. En réaUté, tout le combat des deux 
premières lignes n'est plus que la série de combats 
qu'un certain nombre de commandants de compa- 
gnie soutiennent contre l'ennemi qu'ils ont en face. 
Les officiers supérieurs ne peuvent plus suivre à 
cheval toutes ces divisions, qui se poussent en avant, 
passant sur tous les accidents de terrain. Ils sont 
obligés de descendre et de suivre à pied la première 
compagnie venue de leur régiment ou de leur batail- 
lon, faute de pouvoir commander l'ensemble de leur 
troupe, et, pour faire néanmoins quelque chose, ils 
commandent celle-là; elle n'en est pas mieux com- 
mandée pour cela. Les généraux eux-mêmes en sont 
souvent réduits là! » 

Voilà certes ce que nous comprenons mieux, et les 
choses ont certainement dû se passer ainsi. 

Quant aux exemples qu'on nous cite dans les récits 
de l'état-major, il est à remarquer qu'ils ne sont 
fournis que par des compagnies, des demi-bataillons 
au plus, et, si on les cite avec tant de complaisance, 
c'est qu'ils ont dû être rares, et l'exception ne saurait 
être donnée comme règle. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 169 

VI 

Des feux à volonté. — Leur efllcaoltè. 

Ainsi les feux à commandement, pas plus autrefois 
qu'aujourd'hui, n'ont été praticables et, par consé- 
quent, pratiqués à la guerre. Les seuls employés ont 
été les feux à volonté et les feux de tirailleurs. — 
Voyons l'efficacité de ces feux. 

Des hommes très compétents ont fait des travaux 
de statistique sur ce point. 

Guibert pensait qu'on ne tuait ou blessait, avec un 
million de cartouches, qu'à peu près 2000 hommes 
dans un combat. 

Gassendi nous assure que, sur 3000 coups, un seul 
frappait. 

Piobert dit qu'on a estimé, d'après le résultat de 
longues guerres, qu'on avait brûlé de 3000 à 10 000 
cartouches par homme tué ou blessé. 

Aujourd'hui, avec les armes de justesse et à longue 
portée, les choses ont-elles sensiblement changé? 
Nous ne le pensons pas. Il faudrait comparer le chif- 
fre des balles tirées avec le chiffre des hommes mis 
par terre, déduction faite de l'action de l'artillerie, 
ce qui ne peut guère se faire. 

Un auteur allemand soutient l'opinion que, dans 
le tir de guerre avec le fusil à aiguille prussien, le 



470 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

rapport entre les coups tirés et touchés est de 60 
pour 100 ; mais alors comment expliquer la décep- 
tion de M. Dreyse, Fheureux inventeur du fusil à 
aiguille, lorsqu'il compara les pertes des Prussiens et 
des Autrichiens; ce bon vieillard éprouva, paraît-il, 
un douloureux étonnement en voyant que son fusil 
n'avait pas fourni les résultats qu,'il en attendait. 

Le feu à volonté, comme nous le démontrerons 
tout à rheure, est un feu pour occuper le rang et les 
hommes, mais son efficacité n'çst pas grande. Nous 
en pourrions donner des milliers d'exemples, nous 
n'en citerons qu'un, mais il est concluant. 

« N'a-t-on pas remarqué, dit le général Duhesme, 
que, devant une ligne qui fait feu, il s'élève un rideau 
de fumée qui, de part et d'autre, dérobe la vue des 
troupes et rend les feux des lignes les plus étendues 
incertains et presque sans effet ? Je l'ai éprouvé d'une 
manière bien particulière à la bataille de Caldiero, dans 
une des charges successives qui eurent lieu à mon 
aile gauche. Je vis quelques bataillons que j'avais 
fait rallier, arrêtés et engagés dans un feu de file 
qu'ils ne pouvaient pas soutenir longtemps. Je m'y 
portai ; je ne voyais pas la ligne ennemie; je n'aper- 
cevais, à travers un nuage de fumée, que des éclairs 
de feu, des pointes de baïonnettes et le haut de quel- 
ques bonnets de gi'enadiers. Nous n'en étions pas loin 
cependant, peut-être à soixante pas : un ravin nous 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 471 

séparait, mais on ne pouvait pas le Voir. J'allai jus- 
que dans nos rangs (qui n'étaient ni serrés ni ali- 
gnés), relever avec la main les fusils des soldats, 
pour les engager à cesser le feu et à se porter en 
avant. J'étais à cheval, suivi d'une douzaine d'ordon- 
nances ; aucun de nous ne fut blessé , je ne vis non 
plus tomber personne dans l'infanterie. Eh bien ! à 
peine nos gens se furent-ils ébranlés que sans faire 
attention à l'obstacle qui nous séparait d'elle, la ligne 
autrichienne se mit en retraite. » 

Il est probable que si les Autrichiens s'étaient 
ébranlés les premiers, les Français auraient cédé, et 
pourtant c'étaient les vieux soldats de l'Empire, qui 
certes valaient bien les nôtres, qui donnaient l'exem- 
ple de si peu de sang-froid. 

Dans le rang, avec le feu à volonté, le seul possi- 
ble pour nos hommes et nos officiers, avec l'émotion, 
la fumée, la gène, on serait bien heureux d'obtenir, 
non pas un tir ajusté, mais un tir horizontal. 

Dans le feu à volonté, sans tenir compte du frémis- 
sement, les hommes se gênent mutuellement. Celui 
qui charge, celui qui cède au recul de son arme, dé- 
range le coup de celui qui est en joue. 

Avec le chargement complet du sac, le deuxième 
rang n'a plus de créneau : il tire en l'air. Sur le 
champ de tir, en espaçant les hommes au delà des 
limites de l'ordonnance, en tirant avec une lenteur 



172 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

extrémey on obtient de ceux des hommes qui ont du 
sang-froid et que n'émotionnent pas trop les coups de 
feu dans les oreilles, qu'ils laissent passer la fumée ^ 
saisissent Finstant du créneau à peu près libre, qu'ils 
tâchent, en un mot, de ne pas perdre leurs coups ; 
et les résultats comme pour cent offrent beaucoup 
plus de régularité que ceux des feux à commande- 
ment. 

Mais devant Tennemi le feu à volonté devient en 
un clin d'œil tirerie au hasard ; chacun tire le plus 
possible, c'est-à-dire le plus mal possible. De cela, 
voici les raisons physiques et morales : 

Môme de près, dans Faction, le canon peut se bien 
tirer. Au pointeur abrité en partie par sa pièce, il 
suffit d'un instant de sang-froid pour pointer droit ; 
que son pouls batte plus ou moins vite, avec de la 
volonté, il ne dirige pas moins bien sa ligne de mire; 
Fœil tremble peu, et la pièce pointée reste immobile 
jusqu'au moment du tir. 

Le tireur, comme l'artilleur, conserve, avec de la 
volonté, la faculté d'ajuster ; mais l'agitation du sang, 
du système nerveux , s'oppose à l'immobilité de 
l'arme entre ses mains ; l'arme fût-elle appuyée, une 
partie de l'arme participe toujours à l'agitation de 
l'homme. Celui-ci a de plus une hâte instinctive de 
lâcher son coup, qui peut arrêter avant son. départ 
la balle à lui destinée. Et, pour peu que le feu soit 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 173 

vif, cette sorte de raisonnement vague, bien que non 
formulé dans l'esprit du soldat, commande avec toute 
la force, tout Tempire de Finstinct de la conservation, 
môme aux plus braves et aux plus solides, qui alors 
tirent au juger ; et le plus grand nombre tirent sans 
appuyer Varme à V épaule. 

La théorie du champ de tir, d'attendre que, sous la 
pression progressive du doigt, le coup surprenne le 
tireur, combien la pratiquent sous le feu? 

Cependant la tendance en France est en ce mo- 
ment de n'aspirer qu'à la précision. A quoi servira- 
t-elle quand la fumée, le brouillard, l'obscurité, la 
grande distance, l'émotion, le manque de sang-froid, 
empêcheront de bien viser ? 

On est assez mal venu de dire, après les prouesses 
de tir de Sébastopol, d'Italie, que les armes de pré- 
cision jusqu'à présent ne nous ont rendu guère plus 
de services qu'un simple fusil. Pour qui a vu cepen- 
dant, le fait est vrai. Mais... voici comme on écrit 
l'histoire : les Russes ont été battus à Inkermann, 
a-t-on écrit, parla longue portée, la justesse des armes 
de précision des troupes françaises. — Or on s'est 
battu dans des maquis, des taillis, par un brouillard 
épais, et, quand le temps s'est éclairci, nos soldats, 
nos chasseurs, à bout de munitions, puisèrent dans 
les gibernes russes, amplement pourvues de cartou- 
ches à balles rondes et de petit calibre. — Dans ces 



174 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

deux cas, il ne pouvait y avoir aucune justesse de tir. 
Le fait est que les Russes ont été battus par la supé- 
riorité d'ascendant moral, et que le tir sans viser, au 
hasard, là comme ailleurs et plus peut-être qu'ail- 
leurs, a eu une seule action matérielle. 

Lorsqu'on tire et qu'on ne peut tirer qu'au hasard, 
qui tire le plus touche le plus, ou, si l'on aime mieux, 
qui tire moins se figure être touché plus. 

Frédéric était bien pénétré de cela, car il ne croyait 
pas aux manœuvres de Potsdam. Le rusé Fritz re- 
gardait le feu comme un moyen d'étourdir et d'oc- 
cuper des soldats de mauvaise volonté ; et c'était une 
grande preuve d'habileté de sa part de pratiquer ce 
qui eût été une faute de la part de tout autre général 
d'armée. Il savait très bien à quoi s'en tenir sur l'ef- 
ficacité de son feu; il savait combien de mille car- 
touches il fallait pour tuer ou blesser un ennemi. 
Aussi, dans le principe, ses soldats n'avaient que 
30 cartouches ; il leur en donne 60 à partir de MoU- 
witz, trouvant le premier nombre insuffisant. 

Aujourd'hui comme sous Frédéric, c'est le tir ra- 
pide, le tir au hasard, le seul praticable, qui a fait la 
fortune des Prussiens. — Cette tradition du tir rapide 
s'était perdue après Frédéric, mais les Prussiens l'ont 
retrouvée aujourd'hui par un sens pratique presque 
naïf. Et pourtant nos vieux soldats de l'Empire 
l'avaient conservée cette tradition, car elle est d'ins- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 175 

tinct. — Ils élargissaient leurs lumières, se moquant 
du crachement, afin de supprimer le mouvement 
d'ouvrir le bassinet et d'amorcer. — La balle ayant 
beaucoup de vent, la cartouche déchirée et mise dans 
le canon, avec un coup de crosse à terre, ils avaient 
leurs armes chargées et amorcées. 

Mais , aujourd'hui comme alors , - en dépit de 
l'adresse acquise au tir individuel, les hommes ces- 
seront de viser et tireront mal dès qu'on les groupera 
en pelotons pour les faire tirer. 

Les officiers prussiens, qui sont des gens prati- 
ques, savaient que, dans la chaleur de l'action, le 
règlement des hausses est impraticable et que, d'ail- 
leurs, dans les feux d'ensemble, les troupes ont une 
tendance instinctive à viser à guidon plein; aussi, 
dans la guerre de 1866, avaient-ils ordonné à leurs 
hommes de tirer très bas, presque sans viser, pour 
bénéficier ainsi des ricochets. 

VII 

Le tir de rang est un fen pour occuper le rang 

et les hommes. 

Mais si les feux à volonté ne sont pas plus effica- 
ces, quel est donc leur but? — Comme nous l'avons 
déjà dit, leur but est d'occuper le rang el les 
hommes. 



176 ÉTUDES SUR LE COBIBAT 

Dans un tir ordinaire, Taction seule de respirer, 
par le mouvement qu'elle communique à la poitrine, 
gêne beaucoup les tireurs; comment pourrait-on 
admettre que sur un champ de bataille, dans le 
rang, ils soient susceptibles de tirer, môme médio- 
crement, lorsqu'ils tirent seulement pour s'étourdir 
et oublier le danger ? 

Napoléon disait : « L'instinct de tout homme est 
de ne pas se laisser tuer sans se défendre. » Et, en 
effet, l'homme dans le combat est un être chez lequel 
l'instinct de la conservation domine à certain moment 
tous les sentiments. La discipline a pour but de do- 
miner, elle, cet instinct par une terreur plus grande, 
celle de la honte ou des châtiments ; mais elle ne peut 
y arriver d'une manière absolue : elle n'y arrive que 
jusqu'à un certain point qui ne peut être dépassé. Ce 
point atteint, il faut que le soldat tire, ou bien il se 
sauve, soit en avant, soit en arrière. Le feu est donc, 
pour ainsi dire, la soupape de sûreté de l'émotion. 

Dans les affaires sérieuses, il est donc difficile, 
sinon impossible, d'être maître du feu. En voieî un 
exemple donné par le maréchal de Saxe : 

« Charles XII, roi de Suède, voulut introduire dans 
son infanterie la méthode de charger à l'arme blan- 
che; il en avait parlé plusieurs fois, et l'on savait 
dans l'armée que c'était son idée. Enfin, à la bataille 
de..., contre les Moscovites, au moment que l'affaire 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 177 

allait commencer, il s'en alla à son régiment d'infan- 
terie, lui fit une belle harangue, mit pied à terre de- 
vant les drapeaux, et mena lui-même son régiment à 
la charge; lorsqu'il vint à trente pas de l'ennemi, tout 
son régiment tira, malgré ses ordres et sa présence. 
— D'ailleurs il fit parfaitement bien, et enfonça l'en- 
nemi. Le roi en fut si piqué, qu'il ne fit que passer à 
travers les rangs, remonta à cheval, et alla ailleurs 
sans dire un seul mot. » 

Ainsi, si l'on ne fait pas tirer le soldat, il tirera de 
lui-môme pour se distraire et oublier le danger. Les 
feux des Prussiens de Frédéric n'avaient pas d'autre 
but ; le maréchal de Saxe l'avait bien deviné : « La 
vitesse avec laquelle les Prussiens chargent leurs fu- 
sils, nous dit-il, est avantageuse en ce qu'elle occupe 
le soldat et l'empêche à la réflexion, lorsqu'il est en 
présence de l'ennemi. C'est une erreur de croire que 
les cinq dernières victoires qu'a remportées cette na- 
tion pendant leur dernière guerre sont dues à leur 
tirerie, puisqu'on a remarqué que, dans la plupart de 
ces actions, il y a eu plus de Prussiens tués par le 
feu de leurs ennemis que ceux-ci par le feu des Prus- 
siens. » 

Il est triste de penser que le soldat en hgne n'est 
qu'une machine à tirer; et pourtant tel a été et tel 
sera toujours le but d'une troupe de ligne : tirer le 
plus grand nombre de coups possible dans le plus 

12 



178 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

petit espace de temps. — N'est pas toujours vain- 
queur qui tue le plus de monde ; la chance est pour 
celui qui saura davantage influer sur le moral de.son 
adversaire. 

On ne doit pas compter sur le sang-froid des hom- 
mes, et comme il faut, avant tout, sauvegarder le 
moral, on devra chercher surtout à les occuper et à 
les étourdir ; or on ne peut mieux y arriver que par 
de fréquentes décharges ; peu importe l'effet produit, 
et il serait parfaitement absurde, impossible du reste, 
d'exiger d'eux assez de calme pour ne tirer que fort 
rarement, bien régler leur hausse et surtout viser 
attentivement. 



VIII 

I46 fea meurtrier est le feu de tlrallleors. 

Dans les feux d'ensemble, les feux où les tireurs 
se trouvent groupés en pelotons ou bataillons, toutes 
les armes ont la même valeur, et, s'il est reconnu 
aujourd'hui que le feu doive décider les actions de 
guerre, il faudra adopter le genre de combat qui 
donne à l'arme sa plus grande efficacité, le combat 
de tirailleurs. 

C'est ce genre de feu en effet qui est le plus 
meurtrier à la guerre ; nous pourrions en donner de 
nombreux exemples; nous nous contenterons des 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 179 

deux suivants, que nous trouvons dans le général 
Duhesme : 

« Un officier français, qui servait pendant Favant- 
dernière guerre, chez les Autrichiens, dit le général 
Duhesme, m'a conté que, par les feux d'un bataillon 
français qui s'était avancé jusqu'à cent pas du sien, 
sa compagnie ne perdit que trois ou quatre hommes, 
tandis que, dans un même espace de temps, elle en 
eut plus de trente tués ou blessés par un groupe de 
tirailleurs qui étaient dans un petit bois, sur leur 
flanc, à plus de trois cents pas, » 

« Au passage du Mincio, en 1801, le 2^ bataillon de 
la 91 « reçut un feu de bataillon du régiment de Btissi 
et ne perdit qu'un homme; les tirailleurs de cette 
légion y tuèrent plus de trente hommes en quel- 
ques minutes, en soutenant la retraite de leur 
corps. » 

Le feu de tirailleurs est donc bien ea effet le plus 
meurtrier des feux qu'on puisse employer à la guerre, 
parce que le petit nombre d'hommes qui peuvent 
conserver le sang-froid d'ajuster ne sont pas gênés 
pour le faire en tirailleurs. Ils le feront d'autant 
mieux qu'ils seront mieux embusqués et auront été 
mieux exercés au tir. 

Le perfectionnement du tir, ne faisant sentir ses 
avantagés que dans le tir isolé, nous sommes autorisé 
à penser que les armes de justesse sont appelées à 



180 ETUDES SUR LE COMBAT 

rendre plus fréquents et plus décisifs les combats de 
tirailleurs. 

Du reste, Texpérience seule permet d'affirmer que 
le feu des tirailleurs s'impose à la guerre. Aujourd'hui, 
toute troupe sérieusement engagée devenant, en un 
clin d'œil, troupe de tirailleui*s,le seul feu qui admet 
une certaine précision est celui des gens embusqués. 

Cependant l'éducation militaire que nous avons 
reçue, l'influence du milieu dans lequel nous vivons, 
ettent un doute dans notre esprit relativement à cette 
manière de combattre en tirailleurs ; nous ne l'accep- 
tons qu'à regret. Notre expérience personnelle étant 
incomplète, insuffisante, nous nous contentons de 
suppositions gratuites qui nous donnent une satis- 
faction relative, et la guerre de tirailleurs, quoique 
expérimentée, ne se subit que par entraînement, que 
parce que nous sommes toujours amenés et con- 
traints par la force des choses à engager nos troupes 
peu à peu, malgré nous, souvent à notre insu. Mais, 
persuadons-nous-le bien, aujourd'hui, les engage- 
ments successifs s'imposent à la guerre. 

Cependant ne nou3 faisons pas illusion sur l'effica- 
cité des feux de tirailleurs. Malgré l'adoption des 
armes de précision et à longue portée, malgré toute 
l'éducation qu'on pourra donner au soldat, ces feux 
n'auront jamais qu'une efficacité relative qu'il ne faut 
pas s'exagérer. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 181' 

Le feu de tirailleurs s'exécute généralement contre 
des tirailleurs. Une troupe, en effet, ne se laisse pas 
fusiller par des tirailleurs sans s'empresser de leur 
en opposer d'autres, et il faut renoncer à l'idée de 
voir des tirailleurs diriger leur tir sur une troupe 
protégée par des tirailleurs ; c'est demander à des 
hommes tirant isolément, abandonnés presque à eux- 
mêmes, un désintéressement impossible, que de 
vouloir qu'ils ne ripostent pas aux coups dirigés 
contre eux par des tirailleurs .rapprochés, afin 
d'ajuster une troupe lointaine, pour eux inoffen- 
sive. 

En tirailleurs, les hommes sont très espacés; la 
surveillance des hausses est difficile; les hommes 
sont presque abandonnés à eux-mêmes. Ceux qui ont 
du sang-froid peuvent essayer de régler leur hausse ; 
mais encore faut-il voûr porter sa balle et, si le ter- 
rain s'y prête, chose rare, la distinguer de celles 
tirées en même temps par les voisins ; ceux-ci seront 
d'autant plus troublés, tireront d'autant plus vite et 
plus mal que le combat sera plus sérieux, l'ennemi 
plus solide, et le trouble est plus contagieux que le 
sang-froid. 

Le but, en somme, est une ligne de tirailleurs ; but 
offrant si peu de surface et surtout de profondeur 
que le tir au delà du premier but en blanc exigerait, , 
pour être réellement meurtrier, une connaissance ab- 



à 



182 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

solument précise de la distance * : chose impossible, 
car cette distance à chaque instant varie par les mou- 
vements des tirailleurs. 

Ainsi, de tirailleurs à tirailleurs, sans jouer sur les 
mots, on tiraille dans le sens de tirer mal. Nos feux 
de tirailleurs en marchant, au polygone, alors que 
chaque homme connaît parfaitement la distance, a 
tout son temps et tout son sang-froid pour ajuster, 
sont là pour en faire foi; il est impossible que des 
tirailleurs en mouvement, non postés, puissent ajus- 
ter au delà de 400 mètres, distance déjà grande, quoi- 
que le tir de Tanne y soit encore très juste. 

Du reste, on naît tireur; on a certainement vu des 
hommes, surtout des officiers instructeurs d'école de 
tir, par des années d'exercice, de mauvais tireurs 
qu'ils étaient devenir des tireurs émérites; mais on 
ne saurait à des soldats, sans une énorme consom- 
mation de munitions et sans les distraire de tout 
autre service, donner une éducation semblable. Et 

1 . Rien de plus difficile que l'appréciation des distances ; rien de 
plus trompeur que l'œil, et l'habitude et les instruments ne peuvent 
parvenir à le rendre infaillible. A Sébastopol, pendant deux mois, 
une distance de 1000 à 1200 mètres a été impossible à apprécier 
avec la carabine, faute de voir les coups porter. Pendant trois mois, 
il a été impossible de constater par coups portés, bien que Von eût 
suivi tous les échelons de la hausse, la distance de telle batterie qui 
n'était qu'à 500 mètres, dominait et était séparée par un ravin. 
Après trois mois, on saisit un jour deux coups portés, avec hausse 
de 500 mètres. Cette distance était estimée par tous plus de 
1000 mètres et réellement n'était que de 500; la ville prise, en 
changeant le" lieu d'observation, la chose devint manifeste. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 183 

encore, pour la moitié, manquerait-on le résultat. 

Pour revenir, nous soutenons que le tir est efficace 
seulement dans les limites du premier but en blanc, 
et, à moins de circonstances, jusqu'à ce jour rares et 
exceptionnelles même dans nos dernières guerres, 
d'hommes postés dans de bonnes conditions de sang- 
froid, sous une intelligente direction, on peut dire 
que les armes de précision à longue portée n'ont 
guère fourni, d'une manière réellement efficace, une 
portée plus grande que celle du premier but en 
blanc . 

On voit mettre en avant, comme preuve de la 
grande efficacité des armes de précision, les résultats 
terribles et décisifs obtenus dans Tlnde par les An- 
glais, avec la carabine Enfield. Mais ces résultats ont 
été obtenus précisément parce que les Anglais se 
trouvaient vis-à-vis de leurs ennemis, comparative- 
ment très mal armés, dans les conditions de sécurité, 
de confiance et, par suite, de sang-froid réclamées 
pour Tusage efficace de ces aimes de justesse, condi- 
tions complètement changées lorsqu'on a en face de 
soi un ennemi également bien armé et discipliné, et 
qui, par conséquent, vous envoie destruction pour 
destruction. 



184 ÉTUDES SUR LE COMBAT 



IX 
Impossibilité absolne des feox à coip^nandement. 

Revenons aux feux à commandement, que Ton veut 
faire exécuter aujourd'hui dans un combat en ligne. 

Peut-on, doit-on espérer obtenir des troupes dans 
le rang des tirs réguliers et efficaces? 

Non, car on ne peut faire que Thomme ne soit 
riiomme, que le rang ne soit le rang. 

Que sont môme ces feux sur le champ de tir ou de 
manœuvre? 

Dans les feux à commandement, sur le champ de 
tir, tous les hommes des deux rangs mettent en joue 
ensemble; tout le monde est parfaitement immobile. 
Jjes hommes du premier rang, par conséquent, ne 
sont en rien gênés par leurs voisins ; les hommes du 
second rang ne le sont pas davantage, et le premier 
rang étant effacé et immobile, ils peuvent mettre en 
joue dans un créneau libre sans plus de gène que 
ceux du premier rang. 

Le feu s'exécutant à commandement, simultané- 
ment par tous, nulle arme n'est dérangée au moment 
du tir par les mouvements des hommes. Toutes con- 
ditions parfaitement favorables à Faction d'ajuster 
dans le rang; aussi, lorsque ces feux sont commandés 
avec tact et sang-froid par un officier qui a bien 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 485 

dressé son inonde (chose rare môme au polygone), 
ils donnent des résultats supérieurs comme pour cent 
à ceux du feu à volonté exécuté avec la plus grande 
attention, des r.ésultats parfois étonnants. 

Mais ces feux à commandement, par l'extrême 
sang-froid qu'ils exigent de tous, du chef très certai- 
nement encore plus que du soldat, sont impraticables 
devant l'ennemi, sauf en des circonstances exception- 
nelles, de choix d'officiers, de choix d'hommes, de 
terrain, de distance, de sécurité, etc., etc. En ma- 
nœuvres môme, ils s'exécutent d'une manière puérile. 
Il n'est peut-être pas un corps d'armée où ce ne 
soient les soldats qui commandent le feu, en ce sens 
que le chef a tellement peur de voir ses hommes 
prévenir le commandement, qu'il commande feu au 
plus vite, les armes à peine en joue, encore en l'air 
très souvent. 

La prescription de ne faire le commandement de 
feu que trois secondes environ après celui déjoue 
pourra avoir de bons résultats en face des cibles ; mais 
il serait peu sage de croire que les hommes patien- 
teront tout ce temps en face de l'ennemi. 

Inutile de parler de l'emploi de la hausse devant 
l'ennemi pour des feux que tenteraient d'exécuter les 
mômes hommes et les mômes officiers qui manquent 
si absolument d'aplomb môme en manœuvres. Nous 
avons vu un capitaine de tir, homme de sang-froid 



486 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

et d'expérience, qui, au polygone, tirait tous les 
jours depuis un mois des balles d'essai aux diverses 
distances, nous Tavons vu, après un mois d'exercice 
journalier, tirer de suite quatre balles d'essai à 600 
mètres avec la hausse naturelle. 

Ne tenons donc pas trop compte de ceux qui, dans 
les choses de la guerre, prenant l'arme pour point de 
départ, supposent sans hésiter que l'homme appelé 
à s'en servir en fera toujours l'usage prévu et com- 
mandé par leurs règles et préceptes. Le combattant 
est de chair et d'os; il est corps et âme, et, si forte 
souvent que soit l'âme, elle ne peut dompter le corps 
à ce point qu'il n'y ait révolte de la chair et trouble 
de l'esprit en face de la destruction. Apprenons à 
nous méfier de la mathématique et de la dynamique 
matérielle appliquées aux choses du combat, à nous 
garer des illusions des champs de tir et de manœu- 
vre, où les expériences se font avec le soldat calme, 
rassis, reposé, repu, attentif, obéissant, avec l'homme 
instrument intelligent et docile en un mot, et non 
avec cet être nerveux, impressionnable, ému, trou- 
blé, distrait, surexcité, mobile, s'échappant à lui- 
même, qui, du chef au soldat, est le combattant 
(exception pour les forts, mais ils sont rares). 

Illusions cependant persistantes et tenaces, qui 
toujours reparaissent au lendemain même des plus 
absolus démentis à elles infligés par la réalité, et 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 187 

dont le moindre inconvénient est de conduire à 
ordonner l'impraticable; et l'impraticable ordonné 
est une atteinte formelle à la discipline. Il a pour 
effet de déconcerter chefs et soldats par l'imprévu et 
par la surprise du contraste entre la bataille et l'édu- 
cation de la paix. 

Certainement la bataille a toujours des surprises, 
mais elle en a d'autant moins que le sens et la con- 
naissance du réel ont présidé davantage à l'éducation 
du combattant. 

L'homme collectif, dans la troupe disciplinée, sou- 
mise à un ordre de combat par la tactique, devient 
invincible contre une troupe indisciplinée; mais, 
contre une troupe disciplinée comme lui, il redevient 
l'homme primitif qui fuit devant une force de des- 
truction plus grande, quand il l'a éprouvée ou quand 
il la préjuge. Rien n'est changé dans le cœur du 
soldat : c'est toujours le cœur humain. La discipline 
tient un peu plus longtemps les ennemis face à face, 
mais l'instinct de conservation maintient son empire 
et le sentiment de la peur avec lui. 

La peur!.... 

Il est des chefs, il est des soldats qui l'ignorent; 
ce sont gens d'une trempe rare. La masse frémit, car 
on ne peut supprimer la chair; et ce frémissement, 
sous peine de mécompte, doit entrer comme donnée 
essentielle en toute organisation, discipline, dispo- 



188 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

sitifs, mouvements, manœuvres, mode d'action, toutes 
choses qui ont précisément pour but définitif de le 
mater, de le tromper, de le faire dévier chez soi et 
de rexagérer chez Tennemi. 

Sur le champ de bataille, la mort est dans Tair, 
invisible et aveugle, avec des souffles effrayants qui 
font courber la tête. Devant cette épouvante, le soldat, 
s'il est novice, se groupe, se serre, cherchant appui 
par un raisonnement instinctif, quoique non formulé. 
Il se figure que plus nombreux on est à courir un 
dangereux hasard, plus grande est pour chacun la 
chance d'y échapper. Mais il ne tarde pas à s'aperce- 
voir que la chair attire le plomb. Alors, comme il 
n'est capable que d'une quantité donnée de terreur, 
forcément, invinciblement il échappe par le feu, ou 
« il se sauve en avançant », selon la pittoresque et 
profonde expression du général Bourbaki. 

Le soldat échappe au chef, disons-nous; oui, il 
échappe! Mais ne s'aperçoit-on pas qu'il échappe 
parce que jusqu'à ce jour on ne s'est pas assez inquiété 
de son caractère, de son tempérament, de sa nature 
d'homme impressionnable et nerveux. Dans les mé- 
thodes de combat qu'on lui a données, on l'a toujours 
emprisonné dans le compassé, dans l'impossible. On 
le fait encore aujourd'hui. Demain comme hier, il 
échappera. 

Il est un moment, certes, où tous les soldats échap- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 489 

pent soit en avant, soit en arrière ; mais l'organisa 
tion, les méthodes de combat n'ont d'autre but que de 
reculer le plus loin possible cet instant, et on le hâte. 

Tous nos chefs redoutent, et leur crainte est par- 
faitement justifiée du reste par l'expérience, que le 
soldat devant l'ennemi n'use trop vite ses cartouches. 
La préoccupation a un motif sérieux et certainement 
digne d'attention. Comment arrêter cette consom- 
mation inutile et dangereuse de munitions? Nos sol- 
dats ont peu de sang-froid ; une fois dans le danger, 
ils tirent, ils tirent pour s'étourdir,. pour occuper le 
temps ; on ne peut plus les arrêter. 

Il y a des gens que rien n'embarrasse et qui de la 
meilleure foi du monde viennent vous dire : Com- 
ment! vous êtes en peine pour arrêter le feu de vos 
soldats? Ce n'est pourtant pas difficile. Vous con- 
venez que ces gens ont peu de sang-froid et qu'ils 
tirent malgré vous, malgré eux. Eh bien, exigez 
d'eux, de leurs officiers, les feux qui demandent le 
plus de sang-froid, le calme, l'aplomb le plus grand, 
même à l'exercice. Ils sont incapables du moins, 
exigez le plus, et vous l'obtiendrez, ce plus. Et là- 
dessus vous fonderez toute une méthode de combat, 
une méthode simple, belle et terrible, comme on n'en 
a jamais vu. Voilà certes une belle théorie et qui 
ferait rire aux larmes le rusé Frédéric, le seul qui ne 
crût pas à ces manœuvres. 



à 



190 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Mais c'est se tirer d'une difficulté par une impos- 
sibilité reconnue de tous temps, et plus impossible 
aujourd'hui que jamais. 

On a peur que le soldat n'échappe à ses chefs, et 
l'on ne trouve pas de meilleur moyen pour le tenir 
que de lui demander, à lui et à l'officier, des feux 
impraticables, qui, ordonnés et non exécutés par les 
soldats et les officiers même, sont une atteinte à la 
discipline du rang. N'ordonnez jamais que le prati- 
cable, dit la discipline, parce que l'impraticable 
devient une désobéissance. 

Combien de conditions à remplir pour avoir un 
feu à commandement : conditions chez les soldats, 
conditions chez les chefs ! Perfectionnez-les, dit-on. 
Certainement, perfectionnons leur éducation, leur 
discipline, etc., etc.; mais, pour des feux à comman- 
dement, il faut perfectionner leurs nerfs, leur force 
physique, leur force morale, les rendre de bronze, 
supprimer l'émotion, le tremblement de la chair. Le 
peut-on ? 

Les hommes de Frédéric étaient menés à coups de 
trique par la discipline terrifiante, et leurs feux 
n'étaient que des feux à volonté ; car la discipline ne 
suffit pas pour faire une tactique supérieure* 

L'homme dans le combat, nous le répétons encore, 
est un être chez lequel Finstinct de la conservation 
domine à certain moment tous les sentiments. La dis- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 191 

cipline, qui a pour but, elle, de dominer cet instinct 
par une terreur plus grande, ne peut y arriver d'une 
manière absolue ; elle n'y arrive que jusqu'à un cer- 
tain point qui ne peut être dépassé. 

Certes nous ne nions pas les exemples éclatants où 
la discipline et le dévouement ont élevé Thomme au- 
dessus de lui-même ; mais si ces exemples sont écla- 
tants, c'est qu'ils sont rares ; s'ils sont admirés, c'est 
qu'on les considère comme des exceptions, et l'excep- 
tion confirme la règle. 

Pour ce qui est du perfectionnement, on devrait se 
rappeler le Spartiate. Si jamais homme avait été per- 
fectionné en vue de la guerre, c'était bien lui, et ce- 
pendant il a été battu, il a lâché pied.^Donc, malgré 
l'éducation, la force morale et physique a des limites, 
puisque les Spartiates fuyaient, eux qui devaient 
rester jusqu'au dernier sur le champ de bataille. 

Les Anglais, avec leur sang-froid flegmatique et 
leur terrible feu roulant, les Russes, avec cette inertie 
qu'on appelle leur ténacité, ont cédé devant l'impul- 
sion ; l'Allemand a cédé, lui qui, à raison de sa duc^ 
tilité et de sa consistance, a été appelé un excellent 
matériel de guerre. 

On fait encore cette objection : Il se peut ({u'avec 
des hommes non aguerris la chose soit peu prati- 
cable ; mais avec des hommes aguerris Mais avec 

quoi donc commence-t-on la guerre ? Les méthodes sont 



192 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

faites précisément pour les troupes jeunes et inexpé- 
rimentées. 

On dit encore : Les Prussiens ont employé ces feux 
avec succès dans la dernière guerre, pourquoi ne 
pourrions-nous pas les employer comme eux ? En 
supposant que les Prussiens les aient employés, ce 
qui est loin d'être prouvé, il ne s'ensuit pas qu'ils 
soient praticables pour nous. Cette manie d'emprunter 
aux AUemands leur tactique n'est pas d'aujourd'hui 
seulement, quoiqu'on ait toujours protesté contre 
elle avec raison. Le maréchal Luckner disait : « Ils 
auront beau tourmenter leurs hommes, ils auront le 
bonheur de ne jamais en faire des Prussiens. » Plus 
tard, Gouvion^Saint-Cyr : « On exerce les hommes 
aux diverses évolutions que l'on juge nécessaires 
pour la guerre, mais il n'est nullement question des 
évolutions plus appropriées au génie guerrier des 
Français, à leur caractère, à leur tempérament ; on 
n'a pas cru devoir en tenir compte ; il a paru plus 
facile d'emprunter aux Allemands leur méthode. » 

Obéir à une tactique préconçue est plus le fait des 
Allemands flegmatiques de race que le nôtre. Les 
Allemands obéiront tant bien que mal, mais essayeront 
d'obéir à une tactique contre nature ; le Français, 
non, il ne le peut. — Plus spontané, plus nerveux, 
plus impressionnable, moins calme, moins obéissant, 
dans nos dernières guerres, il a formellement et 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 193 

d'emblée violé les prescriptions réglementaires ou 
recommandées. — « L'Allemand, dit un officier prus- 
sien, a le sentiment du devoir, de l'obéissance ; il se 
fait à une discipline sévère; il est plein de dévoue- 
meni, mais animé d'un esprit non vivant. Lent par 
nature, plutôt lourd que mobile, intellectuellement 
tranquille, réfléchi, sans élan ni feu sacré, désirant 
mais non voulant vaincre ; obéissant avec calme , 
d'une manière consciencieuse, mais mécaniquement 
et sans enthousiasme, se battant avec résignation, 
valeur, héroïsme, se laissant peut-être immoler inu- 
tilement, mais vendant chèrement sa vie. Il n'a pas 
le sentiment guerrier, il n'est pas belhqueux, il n'a 
rien de commun avec l'ambition, il est un excellent 
matériel de guerre, à raison de sa ductilité et de 
sa consistance. Ce qu'il faudrait lui inoculer, c'est 
une volonté propre, une impulsion personnelle, la 
tendance à aller en avant. » D'après ce portrait peu 
flatté, que nous croyons même forcé, quoique d'un 
compatriote, il est possible que les Allemands par- 
viennent à pouvoir être soumis à une tactique impos- 
sible pour des Français. Et cependant pratiquent-ils 
cette tactique? Rappelons-nous les recommandations 
pressantes de Blûcher à ses chefo de brigade, de bien 
veUler à ce que les attaques à la baïonnette ne se 
changent pas en fusillade. — Remarquons cet article 

d'un règlement de tir prussien actuel, qui prescrit 

13 



194 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

de faire tirer des balles d'essai avant chaque tir, 
afin de dissiper l'espèce d'émotion qui s'empare du 
soldat quand ses exercices ont subi une interruption de 
quelque durée. 

Pour finir, si les feux à commandement ont été 
impossibles avec l'ancien fusil, ils le seront bien da- 
vantage aujourd'hui, par ces simples motifs que le 
frémissement croît en raison de la puissance de des- 
truction. Sous Turenne, on tenait beaucoup plus que 
de nos jours, mais alors on avait le mousquet et on 
allait moins vite en besogne. Aujourd'hui, parce que 
tout le monde a le fusil à tir continu, la chose est- 
elle devenue plus facile ? Hélas l non. Les rapports 
entre les choses restent les mêmes. Vous me donnez 
un mousquet, je tire à 60 pas; un fusil, à 200; 
un chassepot, à 400 ; mais je n'ai pas plus de sang- 
froid et de soUdité que je n'en avais à 60 pas, peut- 
être moins ! car, avec la rapidité du tir, mon arme 
est plus terrible à 400 pas, pour moi comme pour 
l'ennemi, que le mousquet à 60. Yaura-t-il seulement 
plus de précision dans le tir? Non. Les carabines 
étaient employées avant la Révolution française, et 
cependant cette arme, parfaitement connue, ne se 
voit à la guerre que dans quelques cas extrêmement 
rares , et son efficacité , expérimentée dans ces 
cas, ne donne aucun résultat satisfaisant. Le tir de 
drécision avec elle, aux distances de combat de 200 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 195 

à 400 mètres, était chose illusoire, et on l'abandonna 
pour revenir à Tancien fusil. Les chasseurs à pied ne 
connaissaient-ils pas les feux à commandement? 
Troupe d'éhte, hommes plus solides, en ont-ils usé ? 
Bon moyen d'employer leurs armes cependant. Au- 
jourd'hui, nous avons des armes précises à 600 et 
700 mètres ; cela veut-il dire que le tir précis sera 
possible jusqu'à 700 mètres ? Non. Si notre ennemi 
a des armes aussi précises que les nôtres, notre tir à 
700 mètres rentrera dans les conditions du tir à 400. 
On perdra autant de monde, et les conditions de sang- 
froid seront les mêmes, c'est-à-dire nulles. Si Ton tire 
trois fois plus vite, il tombe trois fois plus de monde, 
et les conditions de sang-froid sont trois fois plus 
difficiles, et, comme alors on ne pouvait exécuter de 
feux à commandement, on ne pourra pas davantage en 
exécuter aujourd'hui, et môme, comme alors on 
n'ajustait pas, on n'ajustera pas davantage. 

Mais si ces feux sont impossibles, pourquoi les pré- 
coniser? Restons toujours dans le domaine du pos- ' 
sible, sous peine de graves mécomptes. « Dans notre 
art, dit le général Daine, les théoriciens abondent," 
mais les hommes pratiques sont d'une rareté extrême ; 
aussi, quand vient le moment d'agir, il arrive sou- 
vent que les principes se trouvent confondus, que 
l'application devient impossible et que les officiers les 
plus érudits demeurent immobiles, ne pouvant mettre 



196 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

à profit les trésors de science qu'ils avaient amassés. » 
Reclierchons donc, avec les hommes pratiques, ce 
qui est possible ; recueillons soigneusement les 
leçons de leur expérience, en nous rappelant ce mot 
de Bacon : « Expérience passe science. » 



CHAPITRE VI 

CONSIDÉRATIONS TACTIQUES 

Comme il y a quelques années, le tir des armes se 
chargeant par la culasse fait aujourd'hui tourner les 
têtes. 

La mode est aux petits retranchements couvrant 
les bataillons. — Excellente chose, vieille comme 
la poudre ; mais n'importe, elle est bonne, à une 
condition, toutefois : c'est que de derrière cet abri on 
puisse faire un feu utile. 

Or il suffit de voir les deux rangs massés dans ce 
petit fossé, accroupis pour se défiler. Il suffit de 
suivre la direction des coups de feu, même à poudre, 
pour s'assurer que moins que jamais, en ces condi- 
tions, le tir (non le tir ajusté, mais le simple tir 
horizontal) est une fiction ; en une seconde , ce 
sera une tiraillerie, au hasard plus que jamais, par 
Yétourdissetiient, la poussière, le serré, la gène des 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 197 

deux rangs. — C'est à qui défilera le mieux, et adieu 
le tir! 

On veut ménager les munitions, on veut tirer de 
Tarme tout ce qu'elle peut donner comme efficacité, 
et, par la préconisation des feux de rang, on prend 
les meilleures dispositions possibles pour retomber 
plus que jamais dans la tirerie au hasard ; on met 
ceux mêmes qui pourraient bien tirer dans l'impos- 
sibilité de le faire. 

Puisqu'on a une arme qui tire six fois plus vite 
que l'ancienne, pourquoi n'en pas profiter pour cou- 
vrir un espace donné avec six fois moins de tireurs 
qu'anciennement, tireurs qui, plus espacés, pourront 
moins s'étourdir, y verront plus clair, seront mieux 
surveillés (ce qui peut paraître étrange) et donneront, 
pour ces raisons, un tir meilleur que l'ancien, etc. ; 
qui, de plus, brûleront six fois moins de munitions, 
et là est la grande question. Conserver toujours des 
munitions, avoir les dernières, c'est-à-dire avoir des 
troupes qui n'aient pas donné, toute la question est 
là: conserver quand même des réserves. 

Napoléon V^ dit que dans les combats le rôle des 
tirailleurs est le plus fatigant et le plus meurtrier; 
ceci veut dire que, dès l'Empire, l'action de destruc- 
tion était faite et subie principalement par les tirail- 
leurs ; ceci veut dire que sous l'Empire, comme au- 
jourd'hui, les troupes d'infanterie fortement engagées 



198 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

devenaient rapidement des troupes en tirailleurs; 
que l'action se décidait par Faction morale des troupes 
non engagées, tenues dans la main, capables d'une 
direction, de mouvement déterminé et agissant comme 
une menace grosse de dangers nouveaux sur l'ennemi 
ébranlé par l'action destructive des tirailleurs. Les 
choses aujourd'hui ne se passent pas, ne se peuvent 
passer autrement ; seulement la plus grande force de 
l'arme de jet fait que, plus que jamais, il sera fait 
usage des tirailleurs ; plus que jamais leur rôle de- 
viendra le rôle destructif par excellence et le rôle 
forcé de toute troupe engagée sérieusement, par le 
seul fait de la pression morale plus grande, qui for- 
cera les hommes à s'éparpiller. 

Le rôle des tirailleurs devient de plus en plus pré- 
dominant; il a besoin d'être d'autant plus surveillé 
et dirigé qu'il se fait contre des armes plus meur- 
trières et qu'il est plus porté par conséquent à échap- 
per à tout maintien, à toute direction. Est-ce dans 
ces conditions qu'il convient d'envoyer des tirailleurs 
à 600 pas en avant des bataillons et de donner au 
chef de bataillon la mission de surveiller et de diri- 
ger (avec 6 compagnies de 120 hommes) des troupes 
répandues sur un espace de 300 pas sur 500 au mi- 
nimum? Envoyer des tirailleurs à 600 pas de leur ba- 
taillon, et espérer qu'ils y resteront est de gens qui 
n'ont Jamais obsorvév 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 199 

Il semble, au contraire, puisque le combat par ti- 
railleurs tend à prédominer, puisqu'il devient plus 
difficile avec le danger croissant, il semble qu'on ne 
saurait trop rapprocher du combat celui qui doit le 
diriger. Cela a été une préoccupation constante que 
celle d'arriver à la direction du combat de tirail- 
leurs. On a vu des chefs répandre tout un bataillon 
devant une division d'infanterie, afin que, placés 
sous un seul commandement, les tirailleurs obéissent 
mieux à une direction générale; ce mode, à peine 
praticable sur un champ de manœuvre, indique la 
préoccupation dont nous avons parlé. D'autres tom- 
bent dans l'excès opposé ; ils fractionnent en deux le 
commandement immédiat des tirailleurs dans chaque 
bataillon, sous la direction du chef de celui-ci, qui 
doit diriger à la fois et ses tirailleurs et son bataillon. 
Ce moyen, plus pratique que l'autre, abandonne une 
direction impossible et met la direction particulière 
dans les mains de qui de droit. Mais cette direction 
est trop lointaine ; le chef de bataillon a à s'occuper 
du rôle de son bataillon dans la ligné ou dans l'en- 
semble des autres bataillons de la brigade ou de la 
division et de l'action particulière de ses tirailleurs. 
Plus le combat devient compliqué, difficile, plus les 
rôles de chacun doivent être simples et nets. Les 
tirailleurs ont besoin d'une main plus ferme que ja- 
mais pour être dirigés et maintenus. Il est évident 



200 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

que Tengin actuel est plus meurtrier que Tancien. — 
Le moral des troupes est donc plus fortement ébranlé. 
— Nécessité donc de faire sentir de plus près aux 
combattants, aux hommes immédiatement soumis à 
la destruction, Faction du chef. Qu'on en prenne son 
parti, que le chef de bataillon soit tout entier au rôle 
des tirailleurs ou tout entier au rôle de ligne; que les 
bataillons, plus petits, soient moitié nombre en ré- 
serve, moitié en tirailleurs, et, dans ceux en tirailleurs, 
moitié des compagnies en tirailleurs et moitié en ré- 
serve, laligne des tirailleurs y gagnera comme fermeté. 

Quant au chef de bataillon des troupes de deuxième 
ligne, il faut qu'il reste tout entier à ce rôle et ne 
fasse Tautre qu'à son tour. 

Je demande 4 compagnies par bataillon. La puis- 
sance de l'arme et l'intervalle plus grand (le coude à 
coude matériel doit être élargi) que son usage néces-' 
site entre les hommes dans le rang réduisent à 
400 hommes la force que peut diriger un chef de 
bataillon. 

J'aime mieux des bataillons de 600 hommes que 
des bataillons de 1 000. J'aime mieux entretenir des 
compagnies à 100 hommes qu'entrer en campagne 
avec des compagnies de 180, parce que la direction 
vaut mieux que le nombre et la cohue. Les chefs de 
bataillon eux-mêmes se sentiront plus forts avec 
600 hommes qu'ils peuvent commander et diriger 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 201 

qu'avec 1 000 dont une grande partie leur échappe. 

Avec un bataillon de 600 hommes ayant de la co- 
hésion, je tiendrai plutôt contre un bataillon ennemi 
de 1 000 hommes qu'avec un bataillon de 800 hom- 
mes dont 200 immédiatement rappelés! 

Si vous voulez, et cela parait rationnel, que les co- 
lonels aient, eux aussi, une action, mettez les batail- 
lons du régiment sur deux lignes : une de bataillons 
en tirailleurs, Taulre de bataillons en ordonnance, 
qui attend, prête à appuyer la première ligne. Si 
vous ne voulez pas l'action des colonels, mettez tous 
les bataillons du régiment en première ligne, et alors 
en tirailleurs. Puisque la chose est inévitable, qu'elle 
se fera malgré vous, faites-la d'emblée, etc. 

La nécessité de renouveler les munitions si vite épui- 
sées de l'infanterie commande encore de ne l'engager 
que par portions constituées, pouvant être relevées par 
parties constituées, après l'épuisement des munitions. 

Nécessité donc, puisque les tirailleurs usent vite, 
d'engager des bataillons entiers en tirailleurs, soutenus 
par des bataillons entiers en soutien ou en réserve. 
C'est une mesure d'ordre, et il enfant. Il en faudra. 

Par bataillons entiers, je n'entends pas engager 
dans le feu d'emblée les quatre compagnies du batail- 
lon. Non. Toujours jusqu'à l'extrême limite du pos- 
sible, le chef de bataillon doit se garder de jeter tout 
son monde dans le feu. 



202 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

On a une tendance chez nous (cela se voit dans les 
camps de manœuvre) à ne se figurer défendu un front 
de bataille, de position, que lorsqu'il est couvert 
partout par des tirailleurs, sans le moindre inter- 
valle entre les tirailleurs des divers bataillons. Qu'en 
peut-il résulter? D'abord, dès le commencement de 
V action, des hommes et des munitions gaspillés; 
puis comment renforcer au besoin? Partout vous y 
voyez clair, au loin; à quoi donc bon? Laissez de très 
larges intervalles entre vos compagnies déployées. 
Nous ne sommes plus au temps des feux à 100 mè- 
tres. Nous ne risquons pas dé voir (puisque nous y 
voyons de loin) l'ennemi se jeter dans les intervalles 
d'une manière inopinée. Vos compagnies en tirail- 
leurs à larges intervalles commencent le combat, la 
tirerie. 

Si vos compagnies marchent en avant, le chef de 
bataillon suit avec ses compagnies en main, en les 
défilant le plus possible. Il laisse marcher. Si les ti- 
railleurs combattent sur place, il surveille. Si le com- 
mandant veut renforcer sa ligne, s'il veut faire face à 
un ennemi qui tente d'avancer vers l'intervalle, s'il a 
un motif quelconque de le faire en un mot, il lance 
de nouveaux tirailleurs dans cet intervalle. Certes , 
ces compagnies lancées ont l'impulsion en avant, ont 
plus d'élan (si d'élan il est besoin) que les tirailleurs 
déjà engagés; si elles dépassent les premiers tirait- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 208 

leurs, nul mal; voilà des échelons tout trouvés, et les 
tirailleurs engagés, voyant un appui en avant d'eux, 
peuvent à leur tour être plus facilement poussés en 
avant, etc., etc. De plus, vos dernières compagnies 
lancées dans cet intervalle sont une surprise pour 
l'ennemi. C'est chose à considérer (tant que l'on 
combat sur place, des intervalles dans les lignes de 
tirailleurs sont de la place pour les balles). Enfin, 
ces compagnies restent entre les mains de leurs 
chefs; tandis que la méthode actuelle renforce 
les tirailleurs (je parle de la méthode pratique du 
champ de bataille, non de la théorie) par une com- 
pagnie qui, partant de derrière les tirailleurs enga- 
gés, sans avoir une place où se déployer, ne trouve 
autre chose de mieux à faire que de se mêler à celle 
qui est devant elle, où elle double les hommes, mais 
par le fait du mélange porte le désordre, empêche 
l'action des chefs, disjoint les groupes constitués, — 
car le resserrement des intervalles, pour faire place 
au nouvel arrivant, est bon au champ de manœuvre, 
ou bien avant ou après le combat, jamais pendant. 
Certainement un intervalle ménagé (lorsqu'on y voit 
clair, bien entendu) ne se conservera pas exact; il 
s'ouvrira, se resserrera, suivant les fluctuations du 
combat ; mais ce premier instant pendant lequel l'in- 
tervalle peut se conserver n'est pas le moment d'un 
combat vif; c'est le moment de l'engagement, du 



204 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

tâtement, du tâtonnement par conséquent. Pourvu 
qu'il reste une place où se porter, c'est Fessentiel. 
Supposez-vous en plaine (comme en fortification, en 
manœuvres, on part du terrain plan) ; en s'étendant, 
la nouvelle compagnie refoulera les ailes des autres ; 
les hommes naturellement appuyant du côté de leurs 
camarades, les intervalles individuels se resserreront 
pour faire place à cette compagnie; elle aura toujours 
un groupe central bien déterminé, servant de rallie- 
ment, de direction aux autres. Que si Tintervalle a 
disparu, il est toujours temps d'employer la méthode 
forcée de doubler les rangs des gens qu'on a devant 
soi, mais il ne faut jamais, de parti pris, oublier de 
prendre une précaution d'ordre. 

En ordonnant les feux à commandement, les feux 
de rang, en cherchant à réduire le rôle des tirailleurs, 
au lieu de le faire prédominer, on joue la partie des 
Allemands. C'est nous qui. avons inventé, trouvé les 
tirailleurs; ce mode de combat est forcé avec nos 
hommes, avec nos armes, etc. ; il faut l'organiser. 

Les tirailleurs font l'action destructive ; le rang, 
l'action morale. Lorsque vous marchez sur des trou- 
pes en position, sur des troupes qui vous attendent, 
lorsque vous marchez au-devant, de troupes qui vous 
attaquent, pourquoi, au moment de la plus grande 
tension morale de part et d'autre, allez-vous (je parle 
des champs de manœuvres, de la tactique des camps, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 205 

qui devrait préparer à celle devant Fennemi), pour- 
quoi, dis-je, alléger Tangoisse morale de Tennemi en 
supprimant chez lui la destruction, en rappelant vos 
tirailleurs. Que si l'ennemi garde les siens, et s'il mar- 
che résolument derrière eux, vous êtes perdu, car son 
action morale sur vous est augmentée de son action 
destructive, dont vous vous êtes désarmé contre lui. 

Pourquoi? Parce que vos tirailleurs gêneraient 
Faction de vos colonnes, la charge à la baïonnette? Il 
faut n'avoir jamais rien vu pour parler .ainsi. A ce 
dernier moment, moment suprême où 100, 150, 200 
mètres vous séparent de l'ennemi, il n'y a plus de 
rang, il y a marche à corps perdu, et vos tirailleurs 
sont vos enfants perdus ; qu'ils chargent pour leur 
compte, qu'ils se laissent dépasser ou pousser par 
la masse, ne les rappelez pas, ne leur faites faire 
aucune évolution; ils ne sont capables d'aucune sinon 
peut-être de celle de rétrograder et d'établir un con- 
tre-courant qui vous pourrait entraîner vous-même. 
En ces moments, tout tient à un fil. 

Parce que vos tirailleurs vous empêcheraient de 
faire vos feux de deux rangs, ou à commandement? 
Si vous croyez aux feux, surtout aux feux sous la 
pression du 'danger qui s'avance, devant un ennemi 
qui, s'il est sage, marche certainement précédé de 
tirailleurs , nous ne nous entendons plus. Mais 
admettons. Quels feux sont possibles devant des 



206 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

tirailleurs qui tuent du inonde dam vos rangs, et qui 
ont la confiance que donne ce premier succès d'avoir 
vu vos tirailleurs disparaître devant eux? Que ces 
tirailleurs se couchent, et ils le feront certainement 
devant votre front démasqué, les voilà vous décimant 
à Taise, et vous voilà soumis à leur action destruc- 
tive et à Taction morale de la marche en avant de 
troupes en main contre vous. Vos rangs se brouillent. 
Vous ne tenez pas. Il n'y a qu'un moyen de tenir : 
c'est d'aller au devant, et, pour ce, il ne faut à aucun 
prix ouvrir un feu quelconque avant de se porter en 
avant. Le feu ouvert, on ne marche plus. On croit 
toujours à un feu ouvert et fermé à volonté du chef 
comme au champ de manœuvre. Le feu ouvert par 
un bataillon, avec les armes actuelles surtout, c'est le 
commencement du désordre, le moment où le batail- 
lon commence à échapper à son chef... Comment, en 
manœuvre môme, les chefs de bataillon, après une 
formation un peu vive, après une marche, ne peuvent 
plus (souvent ne savent plus) commander des feux. 

On objecte que jamais on n'arrivera à 200 mètres 
de l'ennemi; qu'une troupe qui attaque de front 
n'arrive jamais; soit ; attaquons de flanc; un tlanc 
est toujours plus ou moins couvert ; on y trouve 
du monde, soit posé d'avance, soit arrivé pour le 
coup* Il faudra bien enlever ce monde. 

Plus que jamais, il n'y a plus aujourd'hui, avec le 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 207 

tir rapide, d'autres feux possibles avec quelque sang- 
froid que les feux de tirailleurs. 

Par la force des choses aussi, Tordre sur deux 
rangs doit s'amincir encore. Toutes les balles du 
deuxième rang sont balles perdues. Ce deuxième 
rang, dans un feu sur place, à un moment suprême, 
ne doit point être derrière le premier ; les hommes 
ne doivent point se toucher; ils doivent être large- 
ment espacés. Le deuxième rang doit être en échi- 
quier derrière le premier. On aura toujours des feux 
de reste sur un front donné ; il faut rendre ce feu le 
moins mauvais possible par Taisance la plus grande 
possible. Puisque Ton en est aux expériences de 
polygone, je ne les récuse pas entièrement, mais je 
veux les faire dans des conditionsi plus pratiques. 

Dans un feu de deux rangs, sous le danger, les 
hommes se pelotonnent, se brouillent. Plus de large 
ils auront, moins grand sera le désordre. Sous le feu, 
les jeunes troupes se pelotonnent, les vieilles s'égail- 
lent; plus minces seront les rangs, plus facilement se 
fera l'égaillemeut, moins tumultueux sera le peloton- 
nement. La rapidité des feux a amené de six rangs les 
hommes à deux rangs. Avec des troupes solides, qui 
n'ont pas besoin du soutien moral d'un deuxième 
rang derrière elles, un suffit aujourd'hui. On peut 
ainsi, dans un premier moment, tenir tête à des 
troupes sur deux rangs et même en avoir raison. 



208 ÉTUDES SUR LE COMBAT 



CAVALERIE 



CHAPITRE VII 

ROLE ET ACTION MORALE DE LA CAVALERIE 

Avec les armes nouvelles, le rôle qui certainement 
a le moins changé est celui de la cavalerie, et c'est 
celui dont on se préoccupe le plus. Cependant la 
cavalerie a toujours le même credo : la charge. De 
cavalerie à cavalerie, le rôle est toujours le même, 
ce qui est déjà quelque chose. Contre infanterie, le 
même encore. La cavalerie n'a d'action que sur une 
infanterie démantelée (laissons de côté les récits épi- 
ques, qui toujours sont mensonges, qu'il s'agisse de 
cavalerie ou d'infanterie), aujourd'hui comme hier, 
et elle sait comment s'y prendre. L'infanterie contre 
infanterie n'en saurait dire autant. Là, anarchie com- 
plète dans les idées. Pas de credo pour l'infanterie. 

On dit : La cavalerie est perdue, lelle n'a plus 
d'action possible dans les combats avec les armes 
actuelles (l'infanterie n'en subit-elle donc pas les 
effets?). 

L'exemple des deux dernières guerres ne prouve 
rien : un siège, un pays coupé, et une cavalerie qu'on 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 209 

n'ose compromettre et à laquelle on enlève ainsi 
l'audace, sa seule arme ou à peu près. 

C'est de tout temps qu'on a mis en doute l'utilité 
de la cavalerie, et cela parce qu'elle coûte cher et 
qu'on s'en sert peu, précisément parce qu'elle coûte. 

Question économique, dont le point de départ est 
dans le temps de paix. 

Quand on estime les gens être précieux, ils ne 
tardent pas à prendre d'eux la môme opinion et à 
prendre garde de se casser. 

Le Français a plus des qualités du cavalier que 
de celles du fantassin, et cependant ses fantassins 
paraissent mieux valoir. Pourquoi? Parce que l'usage, 
sur les champs de bataille, de la cavalerie, exige une 
décision, un à-propos rares, et alors, si le cavaUer 
français ne peut montrer ce qu'il vaut, la faute en 
est non à lui, mais à ses chefs. 

Que répondre à l'argument qui suit : Le fantassin, 
depuis les armes perfectionnées, n'en doit-il pas 
moins marcher sous le feu à l'attaque d'une position? 
Le cavalier est-il d'autre chair, a-t-il moins de cœur 
que le fantassin? Ce que l'un fait (marcher sous le 
feu), l'autre ne peut-il le faire (courir sous le feu)? 

Du jour où il sera impossible au cavalier de courir 
sous le feu, il sera impossible au fantassin d'y mar- 
cher, et les combats seront des échanges de coups de 
carabine entre hommes embusqués à longues portées. 



240 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Le combat ne cessera jamais que faute de munitions. 
Presque toujours , Finfanterie française a été dé- 
faite par rinfanterie anglaise; presque toujours, seule 
à seule, la cavalerie anglaise a tourné bride devant la 
cavalerie française (les terribles combats de cavalerie 
ne sont que des tournez-bride). Est-ce parce que nos 
cavaliers (les hommes, en guerre, durent davantage 
dans la cavalerie) étaient plus anciens soldats que 
nos fantassins et par suite plus solides? Cette raison 
n'en est pas une, ce qui est vrai pour nos cavaliers 
Tétant aussi pour les cavaliei^s anglais. La raison est 
que, sur le champ de bataille, le rôle des fantassins, 
quand ils ont des adversaires solides, demande un 
sang-froid, une solidité de nerfs plus grands que le 
rôle de cavaliers; qu'il exige une tactique calculée 
d'après la tactique ennemie, tenant compte à la fois et 
du caractère national et du caractère de l'ennemi. Et 
contre les Anglais notre confiance dans le « En avant » 
écervelé a fait un fiasco complet. Le rôle de la cava- 
lerie est plus simple, contre cavalerie s'entend ; la con- 
liance française et le : En avant ! en avant ! font une 
bonne cavalerie de combat, et, plus qu'aucun autre, 
le Français est propre à ce rôle ; nos cavaliers 
vont mieux de l'avant que les autres, et tout est là sur 
le champ de bataille ; et, comme ils vont plus vite en 
avant que l'infanterie, l'élan, qui a sa durée ^ est 
mieux conservé quand on approche de l'ennemi. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 211 

Pourquoi est-il si difficile de bien employer la 
cavalerie? Parce que son rôle est tout mouvements, 
tout moral, moral et mouvements tellement Mes que 
les mouvements seuls, sans charges souvent, sans 
action physique d'aucune sorte, mettent Tennemi en 
retraite, et, si on le suit de près, parfois en déroute. 
Cela est une conséquence de sa rapidité pour qui s'en 
sait servir. 

Si nous n'avons pas eu sous l'Empire de grand 
général de cavalerie qui sût manier et faire manœu- 
vrer les masses, qui sût s'en servir autrement que 
comme d'un aveugle marteau qui frappe fort, pas tou- 
jours juste, mais presque toujours avec pertes immen- 
ses, c'est que, comme les Gaulois, nous avons un peu 
trop de confiance absolue dans l'en avant, en avant; 
pas tant de façons 1 Les façons n'empêchent pas l'en 
avant ; elles en préparent l'effet et le rendent plus 
sûr à la fois et moins coûteux à l'assaillant. Nous 
avons toute la brutalité et l'impatience gauloises, 
témoin Melegnano, où nous négligeons la façon du 
canon et où nous dédaignons de faire un mouvement 
pour tourner le village. Oui, le général de cavalerie 
est chose rare, mais celui d'infanterie aussi. 

Un tel chef doit, chose difficile, allier la bravoure 
résolue et l'impétuosité à la prudence et au sang- 
froid ; il doit être complet, mais la différence d'arme 
ne fait rien à la chose. Homme à cheval, homme à 



212 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

pied, c'est toujours le même homme qu'on a à com- 
mander. Seulement, on ne demande guère compte au 
général d'infanterie de la casse inopportune qu'il a 
pu faire de son monde, tandis qu'on le demande au 
général de cavalerie. Le général d'infanterie a six 
occasions réelles de combattre contre une que peut 
avoir le général de cavalerie. Ces deux motifs font 
que, dès le commencement d'une guerre, on peut 
remarquer plus d'audace chez le général d'infanterie 
que chez celui de cavalerie. Le général Bugeaud eût 
peut-être fait un meilleur général de cavalerie que 
d'infanterie. Pourquoi? Parce qu'il avait une déci- 
sion et une résolution promptes. La résolution du 
fantassin a besoin d'être plus ferme que celle du 
cavalier. 

En somme, le moral du fantassin, qui toujours est 
plus fatigué que le cavaUer, étant plus difficile à ap- 
précier que celui de ce dernier, je croi^ que le bon 
général d'infanterie est plus rare que le bon général 
de cavalerie. Et puis la résolution du général d'infan- 
terie ne doit pas durer un instant seulement, mais 
longtemps, longtemps. 

On a toujours un bon général d'artillerie. Pour- 
quoi? Parce qu'il a moins à se préoccuper du moral, 
qu'il raisonne plus d'après les choses et effets maté- 
riels que tV après le moral, parce qu'il a moins à se 
préoccuper du moral des siens, par les motifs qui 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 213 

font plus grande que dans les autres armes la disci- 
pline de combat de Tartillerie. 

Le combat de cavalerie, bien plus que celui d'in- 
fanterie, est chose morale. 

Étudions d'abord le moral du combat de cavalerie 
dans le combat d'homme à homme. 

Deux cavaliers se lancent à rencontre l'un de 
l'autre. 

Vont-ils diriger leurs chevaux front à front? 

Leurs chevaux se briseraient, et à quoi bon ? à se 
mettre à pied tous les deux, en courant les chances 
de se faire écraser dans le choc ou dans la chute de 
leurs montures. Chacun dans le combat compte sur 
sa force, sur son adresse, sur la souplesse de sa 
monture, sur sa valeur personnelle ; il ne veut donc 
pas du choc aveugle, et il a raison* 

Ils s'arrêtent face à face, côte à côte, pour com- 
battre homme à homme, ou bien ils se croisent, s'en- 
voyant au passage coups de sabre ou de lance ; ou 
bien encore ils cherchent à froisser du poitrail le 
genou de l'adversaire et à le démonter ainsi. — Mais 
chacun toujours, toujours, en cherchant à frapper 
l'autre, songe à se garer lui-même, ne veut pas d'un 
choc aveugle qui supprimé le combat... 

Les combats antiques, les combats de chevaliers, 
les rares combats de cavaliers de nos jours, ne nous 
montrent pas autre chose. 



214 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

La discipline, en maintenant les cavaliers dans le 
rang, n'a pu changer Tinstinct du cavalier. Pas plus 
que riiomme isolé, le cavalier dans le rang ne tient 
à se briser mur contre mur au choc de Tennemi. — 
De là le terrible effet moral du rang serré qui 
s'avance. — Comme il n'y a nul moyen d'échapper 
de droite et de gauche, les deux partis, hommes et 
chevaux, éviteront le choc en s'arrétant face à face. 
Mais, dira-t-on, si ce sont des troupes braves par 
excellence, également trempées au moral, également 
bien conduites et enlevées, également animées, qui 
arrivent à se voir de face et de si près? — Toutes ces 
conditions ne se trouvent pour ainsi dire jamais réu- 
nies de part et d'autre, et la chose ne se voit jamais ; 
quarante-neuf fois contre une, une des cavaleries hé- 
sitera, se découdra, se mettra en désordre, tournera 
le dos devant la résolution de l'autre, avant les 
trois quarts du temps nécessaire pour en venir à la 
distance où les yeux rencontrent les yeux, plus près 
encore souvent; mais toujours, toujours l'arrêt, le 
recul j le détour des chevaux, le désarroi, qui tra- 
hissent la peur ou l'hésitation, viennent à ce point 
amoindrir, atténuer, supprimer le choc, le traduire 
en fuite instantanée, que l'assaillant résolu n'en est 
point ralenti. Il n'a pu franchir ou tourner les obs- 
tacles des chevaux non encore en fuite dans ce brou- 
haha d'un demi-tour impossible sur place et exécuté 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 215 

cependant par la troupe enfoncée, sans être en dé- 
sordre lui-môme. — Mais ce désordre est celui de la 
victoire, de Y « En avant », et une bonne cavalerie ne 
s'en trouble pas, car elle se rallie en avançant tou- 
jours, tandis que renfoncée a la peur aux talons. 

Mais en somme il y a peu de perles, car le combat, 
si combat il y a, est affaire d'une seconde. Et la 
preuve, c'est que dans ce combat de cavalerie à cava- 
lerie le vaincu seul perd du monde : encore en perd-il 
généralement peu; le combat contre Tinfanterie est 
le seul réellement meurtrier. La preuve, c'est que 
l'on a vu, à nombre égal, de petits chasseurs enfoncer 
de lourds cuirassiers. — Comment l'eussent-ils fait si 
les autres n'eussent fléchi devant leur résolution? 
Donc et toujours question de résolution. 

Dès l'antiquité, et toujours, on voit le fantassin 
isolé contre le cjivalier isolé avoir l'avantage. — Cela 
ne semble pas faire l'ombre d'un doute dans les 
narrés antiques ; le cavalier ne combat que le cava- 
lier ; il menace, harcèle, inquiète le fantassin à dos, 
mais ne le combat pas ; il l'égorgé lorsque celui-ci est 
mis en fuite par l'infanterie, ou du moins le culbute, 
et le vélite l'égorgé. 

Dans le tumulte et la vitesse de la cavalerie , 
l'homme échappe plus facilement à la surveillance. 
Dans nos combats, son action est par moments séparée 
et rapide. — Le cavalier ne se laisse pas très volontiers 



216 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

choir, car c'est dangereux. — D'un moment d'action 
à un autre, il y a le ralliement, puis l'appel (si on ne 
le fait, faute). On peut dans une journée faire dix, 
vingt appels. Le chef, les camarades ont donc à 
chaque instant compte à demander et peuvent le de- 
mander le lendemain. 

Le fantassin, de nos jours, une fois en action, et 
cette action dure, échappe par le désordre inhérent 
à l'action, par l'éparpillement, par le manque d'appel, 
qu'on ne peut faire qu'après l'action, au contrôle des 
chefs. Il n'y a plus que celui des camarades. — L'in- 
fanterie est, des armes modernes, celle où il est le 
plus grand besoin de solidarité. 

Aussi de tout temps, dès l'antiquité (où le cavalier, 
homme de caste plus élevée que le fantassin, doit 
être d'un cœur généreux), la cavalerie combat fort 
mal ou très peu. 

Il est à remarquer que la cavalerie germaine ou 
gauloise fut toujours meilleure que la cavalerie ro- 
maine, qui ne pouvait tenir devant elle et pourtant 
était mieux armée. — D'où cela? C'est que, dans la 
cavalerie, la décision, l'impétuosité, le courage même 
aveugle a plus de chance que dans l'infanterie. Une 
cavalerie battue, c'est une armée moins brave. 

Il était plus facile aux Gaulois d'être bonne cava- 
lerie qu'à nous, ils n'avaient pas à se distraire du feu 
par la charge. 



• ÉTUDES SUR LE COMBAT 217 

Même, quand vous marchez en avant, vous éprouvez 
l'action morale de l'ennemi, mais vous essayez de la 
dominer et de la faire plier sous l'ascendant de la 
vôtre. Il est certain que tout ce qui diminue l'action 
morale de l'ennemi sur vous augmente votre résolu- 
tion à marcher en avant. 

Une armure, en diminuant de moitié l'action ma- 
térielle à subir, diminue de moitié l'action morale (la 
peur) à dominer, et l'on comprend combien cette ar- 
mure, à un moment donné, ajoute à l'action morale 
d'une cavalerie, puisque l'on* est sûr que, grâce à 
cette armure, l'ennemi arrivera jusqu'à vous. 

Les cuirassiers de l'Empire, les braves cuirassiers, 
chargeaient au trot, au petit galop, dit-on ; ceci est l'in- 
dice d'un moral supérieur que l'on n'eût certes pas 
eu sans la cuirasse. 

Les cuirassiers n'ont besoin que de la moitié du 
courage des dragons pour charger à fond (ont à do- 
miner une action morale moitié moindre) ; et comme 
ils en ont autant — ce sont les mômes hommes — on 
est en droit de compter sur leur effet. 

La nécessité de la cavalerie cuirassée a été démon- 
trée par une observation morale. 

« La décadence de la cavalerie, dit le général Re- 
nard, fit disparaître les carrés des champs de bataille 
au xvn« siècle. » Non point la décadence de la cava- 
lerie, mais le renoncement à la cuirasse et le perfec* 



218 ÉTUDES SUR LE COMBAT • 

lionnement de Fengin de Tinfanterie donnant un feu 
plus mpide. — Quand les cuii'assiers enfoncent, ils 
servent d'exemple et, Témulation s'en mêlant, d'au- 
tres une autre fois veulent en faire autant qu'eux. 

A propos de cuirassiers et de moral. — Au combat 
de Renty, en 1884, le sieur de Tavannes (le maré- 
chal), avec sa compagnie bardée des premières bardes 
d'acier qui s'étaient vues, soutenu par quelques cen- 
taines de fuyards ralliés, se lance en tôle et en flanc 
sur une colonne de 2000 reitres qui a culbuté jusqu'à 
ce moment infanterie et cavalerie. — Il a si bien 
choisi son temps qu'il rompt et emporte les 2000 rei- 
tres, lesquels se renversent sur 1200 chevau-légers 
qui les accompagnaient comme soutien, les rompent, 
et... de là fuite générale, combat gagné. 

Le Ueutenant Hercule va traverser l'Alpon avec 
80 cavaliers, à 10 kilomètres sur le flanc des Autri- 
chiens, à Arcole, et celte position, qui nous tient de- 
puis trois jours, est évacuée (effet moral, sinon tac- 
tique, stratégique ; général ou soldat, l'homme est le 
même). 

n est à remarquer que, lorsqu'une troupe arrive 
(chose infiniment rare) à en attendre une autre à 
l'arme blanche et que celle-ci va jusqu'au bout, la 
première ne se défend pas. C'est le cœdes des com- 
bats antiques, si l'on n'a les chevaux les plus rapides. 

L'homme, dans le combat moderne, qui tient à si 



ÉTUDES SUR LIS COMBAT 219 

longue distance les combattants, en arrive à avoir 
horreur de Thomme ; il ne Taborde plus qu'à son 
corps défendant, que forcé par quelque nécessité de 
rencontre fortuite, et encore I On peut dire qu'il ne 
cherche à atteindre le fuyard que par crainte que 
celui-ci ne se retourne. 

Il y a un fait matériel dans la poursuite de cavalerie 
par cavalerie. Le poursuivi ne peut s'arrêter sans se 
livrer au poursuivant, qui voit sur qui il marche et, à 
Farrét et demi-tour de celui-là, le peut frapper avant 
qu'il soit complètement de face, le frapper par sur- 
prise par conséquent. Et le poursuivi ne sait en 
outre combien le poursuivent. S'il s'arrête seul, deux 
peuvent courir sus, car ceux-ci voient devant eux et 
se dirigent naturellement contre qui tend à faire volte- 
face, car avec le volte-face naît pour eux le danger, 
et la poursuite n'est souvent que la crainte du volte- 
fece de l'ennemi. 

Ce fait matériel de ne pouvoir ensemble faire volte- 
face dans la fuite sans risquer d'être surpris, jeté bas, 
fait la fuite sans arrêt, même des braves, dès plus 
braves, jusqu'à ce qu'une avance suffisante, un abri, 
un soutien, permette le ralliement et le retour en 
avant, devant lequel la poursuite devient fuite à son 
tour. 

C'est pourquoi toute cavalerie tient si fort à atta- 
quer sur front égal, parce que, si Ton cède devant 



220 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

elle, les ailes qui la déborderaient peuvent converser 
pour se mettre à sa suite, et de poursuivante la faire 
poursuivie. 

Mais Teffet du moral, de la résolution est tel que 
rarement on a vu cavalerie enfonçant et poursuivant 
le centre d'une cavalerie plus nombreuse être à son 
tour poursuivie par les ailes ; mais l'idée que Ton 
peut être ainsi pris de revers, le fait de laisser sur 
ses flancs des gens pouvant le faire, rend cette réso- 
lution des plus rares. 

La cavalerie moderne, comme la cavalerie antique, 
n'a d'action réelle, mais celle-là décisive, que sur les 
troupes ébranlées déjà, sur une infanterie occupée 
contre l'infanterie... sur de la cavalerie ébranlée par 
l'artillerie ou par des démonstrations de front ; alors 
son action est certaine et donne des résultats im- 
menses. Toute une journée vous vous êtes battus, 
vous avez 10 000 hommes à bas, l'ennemi tout au- 
tant; votre cavalerie poursuit et en prend 30 000, etc. 

Son rôle est moins chevaleresque que son nom et 
sa physionomie, moins que celui de l'infanterie ; elle 
perd toujours beaucoup moins de monde. Il faut 
prendre son parti de la réahté. Sa plus grande action 
est l'action de la surprise, et c'est par elle qu'on ob- 
tient les plus étonnants résultats. 

Jomini parle de charges au trot contre de la cava- 
lerie lancée au galop, et cite Lasalle, qui en agissait 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 221 

souvent ainsi et qui, voyant la cavalerie ennemie ac- 
courir au galop, disait : « Voilà des gens perdus. » 
Jomini fait de cela une affaire de choc. Le trot permet 
Funion, la compacité, que le galop désunit. Tout cela 
peut être vrai, mais affaire d'effet moral avant tout. 
Une troupe lancée au galop qui voit arriver à son 
encontre un escadron bien serré, au trot, est étonnée 
d'abord d'un aplomb semblable ; par Yimpulsion ma- 
térielle supérieure du galop, il va la culbuter! Mais 
point d'intervalles, point de trous par où passer en 
perçant la ligne pour éviter le choc, le choc qui brise 
hommes et chevaux ; ces hommes sont donc bien ré- 
solus que leurs rangs serrés ne permettent à aucun 
de s'échapper par demi- tour, et s'ils vont d'une 
allure si ferme, c'est que leur résolution est ferme 
aussi et qu'ils n'éprouvent pas le besoin de s'enlever, 
de s'étourdir eux-mêmes par la vitesse effrénée du 
galop abandonné/ 

Tous ces raisonnements, les cavaliers lancés au 
galop ne les font pas, mais d'instinct ils les sentent ; 
ils comprennent qu'ils ont devant eux une impulsion 
morale supérieure à la leur, et les hommes se trou- 
blent, hésitent, les mains instinctivement détournent 
les chevaux. Il n'y a plus de franchise dans l'attaque 
au galop, et si quelques-uns vont jusqu'au bout, les 
trois quarts ont essayé déjà d'éviter le choc; il y a 
désordre complet, démoralisation, fuite, et alors com- 



222 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

mencft la chasse au galop pour les chargeurs au 
Irol. 

La charge au trot exige des chefs et des soldats 
pleins de confiance et de solidité. Ce n'est que Tex- 
périence des combats qui peut donner cette trempe à 
tous. Mais cette charge, étant effet de moral, ne sau- 
rait toujours réussir : c'est affaire de surprise. Déjà 
Xénophon recommande, dans ses conseils pour les 
démonstrations de cavalerie, de faire souvent Fin- 
verse de rhabituel, de prendre le galop à ce moment 
où Ton est habitué à prendre toujours le trot, et ré- 
ciproquement. Parce que, dit-il, quelque chose que 
ce soit, agréable ou terrible, moins on Ta prévue, 
plus elle cause de plaisir ou d'effroi. Gela ne se voit 
nulle part nfiieux qu'à la guerre, où toute surprise 
frappe de terreur ceux mêmes qui sont de beaucoup 
les plus forts. En thèse générale, il faut à la charge 
le galop, Tallure entraînante, enivrante pour les 
hommes et les chevaux, et pris à telle distance qu'il 
faille arriver et quand même, quoi qu'il en coûte aux 
hommes et aux chevaux. Voilà pourquoi les règle- 
ments veulent que la charge soit commandée de si 
près, et ils ont raison. Si les cavaliers attendaient 
qu'on la commandât, ils arriveraient toujours... Mais 
les gens de prouesses et les gens qui ont amour- 
propre et peur ont fiait manquer plus de charges 
contre des gens solides qu'ils n'en ont, selon eux 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 223 

enlevées, selon moi laissé réussir contre des troupes 
ordinaires. — Le maintien de son monde en sa main 
jusqu'au commandement (ou sonnerie) de : Chargez! 
l'instant précis de ce commandement, sont à la fois 
choses si difficiles et si fugitives, elles exigent chez 
le chef une domination si énergique sur son monde 
et un coup d'œil si rapide à un moment où les trois 
quarts n'y voient plus, que les bons chefs de cavalerie, 
des vrais chefs d'escadron au général, sont très rares, 
et les charges réelles de même. 

Le choc franc n'existe jamais. L'impulsion morale 
d'un des adversaires renverse presque toujours l'autre 
d'avance, un peu plus loin, un peu plus près, cet un 
peu-plus-près fût-il le nez-à-nez; avant le premier 
coup de sabre, une des deux troupes est déjà battue 
et s'enchevêtre pour la fuite. Par le choc franc, tous 
seraient lancés en l'air. 

Pourquoi Frédéric aimait-il avoir le centre des 
escadrons serrés à les faire crever? C'est qu'il y 
trouvait une garantie contre l'homme et contre le 
cheval. 

Une charge réelle de part et d'autre serait une 
extermination mutuelle, et dans la pratique le vain- 
queur ne perd presque personne. 

On cite, après Eckmuhl, pour un cuirassier fran- 
çais à bas, quatorze cuirassiers autrichiens tombant 
frappés au dos. Est-ce seulement parce qu'ils n'avaient 



224 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

pas de dos de cuirasses? Non; c'est plutôt parce qu'ils 
ont présenté le dos pour recevoir les coups. 

Pourquoi faut-il des cuirassiers? Parce qu'eux seuls 
ont chargé et chargent à fond. 

Les hommes ne demandent qu'à se distraire du 
danger qui s'avance par le mouvement. Les cavaliers 
qui vont à l'ennemi, si on les laissait faire, partiraient 
au galop, quitte à ne pouvoir arriver ou à arriver 
éreintés (matière à carnage, même pour des Arabes, 
comme cela est arrivé, en 1864, à la cavalerie du 
général Martineau). Le mouvement rapide trompe 
l'angoisse, qu'il est naturel de vouloir abréger; mais 
les chefs sont là, auxquels l'expérience, le règlement 
ordonnent d'aller lentement, puis d'accélérer pro- 
gressivement l'allure, de manière à arriver avec le 
' maximum de vitesse : le trot, puis le galop, puis la 
charge. Mais il faut du coup d'œil pour mesurer 
l'espace, la nature du terrain, et, si l'ennemi vient 
au-devant, pour juger du point où l'on doit se ren- 
contrer. Plus on approche, plus grande est dans les 
rangs la pression morale. La question d'arriver au 
moment de la plus grande vitesse n'est pas seule- 
ment question mécanique, puisqu'on ne se choque 
à vrai dire jamais; c'est une question morale. Il faut 
savoir sentir à quel moment l'inquiétude de son 
monde exige l'enivrement de la tête baissée, du galop 
de charge. Un instant trop tard, et l'angoisse trop 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 225 

grande a pris le dessus et fait agir sur les chevaux 
les mains des cavaliers; le départ n'est pas franc, 
nombre se dissimulent et restent en arrière. Un 
instant. trop tôt, et avant l'arrivée, la vitesse se ra- 
lentit ; l'animation, l'enivrement de la course, chose 
d'un instant, s'épuise avec elle, l'angoisse reprend le 
dessus, les mains agissent instinctivement, et, si le 
départ a été franc, l'arrivée ne l'est plus. 

Frédéric, Seidlitz, applaudissaient quand ils voyaient 
le centre de l'escadron chargeant pressé sur trois et 
quatre rangs de profondeur. — C'est qu'ils compre- 
naient que de ce centre pressé les premiers rangs ne 
pouvaient s'échapper de droite ou de gauche, et qu'ils 
étaient forcés d'aller droit. 

Pour aller se ruer comme béliers, même contre 
l'infanterie, hommes et chevaux doivent avoir bu 
(cavalerie Ppnsomby, à Waterloo). Et si jamais, 
entre cavalerie, on se rencontre, le choc est à ce 
point amorti par la main des hommes, le cabré des 
chevaux, l'évité des têtes, que c'est un arrêt face 

à face. 

Si les Anglais ont presque toujours tourné bride 

devant notre cavalerie, cela prouve que, assez forts 

pour tenir devant impulsion morale de l'infanterie, 

ils ne l'étaient pas assez pour tenir devant impulsion 

plus forte de cavalerie. 

Nous devrions être bien meilleurs cavaliers que 

15 



î226 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

bons fantassins, parce que le propre de la cavalerie 
est une téméraire impétuosité. Tout cela est vrai pour 
les soldats. — Le chef de cavalerie doit employer 
cette témérité sans hésitation, et en même, temps 
prendre ses mesures pour la soutenir et prévoir ses 
défaillances. — L'attaque toujours, même dans la 
défensive, est un indice de résolution et donne de 
l'ascendant moral. Son effet est plus immédiat sur la 
cavalerie, parce que les mouvements de cavalerie 
sont plus rapides et que leur rapidité ne laisse pas 
aux effets moraux du combat, de Tattaque, le temps 
d'être modifiés par la réflexion. 

Dès TEmpire, l'opinion des armées européennes 
est que la cavalerie n'a point donné les résultats que 
Ton en devait attendre, n'en a point donné de vrai- 
ment grands, parce que manquait, et chez nou*s et 
chez les autres, un vrai général de cavalerie. — C'est, 
il paraît, un phénomène qui ne se produit pas tons 
les mille ans. 

A Crasnoë, 14 août 1812, Murât, à la tête de sa 
cavalerie, ne peut entamer un corps isolé d'infanterie 
russe de 10 000 hommes qui le tint toujours éloigné 
par son feu, et se retire tranquillement à travers la 
plaine. Et cependant la cavalerie, pour qui sait s'en 
servir, est un terrible appoint. — Qui peut dire 
qu'Epaminondas, sans sa cavalerie thessalienne, eût 
vaincu Sparte deux fois? 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 227 

Faute d'étudier le moral et parce que Ton s'en 
prend toujours à la lettre des narrés des historiens, 
chaque époque se plaint que l'on ne voit plus les ren- 
contres de deux cavaleries se chargeant et combattant 
à l'arme blanche ; on se plaint que la pinidence fasse 
tourner le dos au lieu d'aller jusqu'au choc avec l'en- 
nemi. — Ces plaintes étaient faites dès l'Empire, et 
chez les alUés, et chez nous. Il en a toujours été ainsi, 
à moins que l'homme ne fût invulnérable et que l'al- 
lure fût au plus le trot (l'homme ne change pas). — 
Et l'on regrette la chevalerie, temps où moins encore 
qu'aujourd'hui les combats de cavalerie h cavalerie 
étaient meurtriers. 



CHAPITRE VIII 



CHARGE. — TACTIQUE. — ARMEMENT 

Charge, — La cohésion et l'ensemble faisant la 
force de la. charge, on s'explique, l'alignement étant 
impossible à une allure vive où les plus vites dépas - 
sent les autres, comment il ne faut lâcher la bride 
que lorsque V effet moral est produit, et qu'il s'agit de 
le compléter en tombant sur l'ennemi déjà en dé- 
sordre, en train de tourner le dos. Ainsi chargeaient 



228 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

les cuirassiers au trot. Ce calme, cet aplomb faisaient 
faire demi-tour à Temiemi, et alors on chargeait ce- 
lui-ci dans le dos, au galop alors. 

C'est bien certainement la nécessité d'entraîner, 
d'étourdir l'homme et le cheval au moment suprême, 
qui commande le galop abandonné avant d'aborder 
l'ennemi, avant de l'avoir mis en fuite. 

L'attaque en colonne sur l'infanterie a une action 
morale plus grande que la charge sur une ligne ; le 
1er, le 2« escadron repoussés, l'infanterie, qui dans la 
fumée en voit apparaître un troisième, se demande 
quand cela finira-l-il? et branle au manche. 

Une simple observation suffit pour démontrer que 
deux troupes de cavalerie ne s'abordent jamais ; les 
combats de cavalerie contre infanterie sont seuls 
meurtriers. 

Un militaire, acteur de nos grandes guerres, re- 
commande comme infaillible contre l'infanterie en 
rang les charges par le flanc, un cheval après l'autre, 
de la cavalerie arrivant de gauche, rasant le front, 
renversant les armes et pointant à sa droite. — Ce 
cavalier a raison. — Ces charges doivent être excel- 
lentes, les seules meurtrières, puisque la cavalerie 
ne peut frapper qu'à sa droite et que chacun frappe. 
Contre l'infanterie antique, elles eussent été aussi 
bonnes que l'infanterie moderne. — Cet officier en a 
vu, de ses yeux vu, des exemples très beaux dans les 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 229 

guerres de l'Empire. Et je ne mets en doute ni son 
raisonnement, ni les faits qu'il cite. 

Mais, pour ce faire, il faut des chefs inspirant à 
leur monde absolue confiance ; il faut des soldats so- 
lides et pleins d'expérience, il faut en somme une 
cavalerie excellente, formée par de longues guerres, 
et des hommes, des chefs et des soldats, en somme, 
d'une si ferme résolution qu'il n'est rien d'étonnant 
que les exemples de ce mode d'action soient rares. 
Ils le seront éternellement. Il faut toujours une tête 
de charge, tête isolée, et, quand il s'agit d'arriver pour 
de vrai, la tête rentre dans le rang. Il semble que, 
perdu dans la masse, on risque moins qu'isolé ; on 
veut bien charger, mais tous ensemble. Clochette du 
chat ! qui l'attachera ? 

A Waterloo, notre cavalerie s'est fait éreinter sans 
résultat aucun, parce qu'elle agissait sans artillerie, 
sans infanterie. 

A Solférino, le 72" a été bousculé par la cava- 
lerie. 

Pourquoi le colonel A... ne demande-t-il pas l'ordre 
profond pour la cavalerie, lui qui croit à la pression 
des derniers rangs sur le premier? Est-ce parce qu'en- 
fin on s'est convaincu que le premier rang seul peut 
agir dans une charge de cavalerie, et que ce rang ne 
peut recevoir des autres placés derrière lui aucune 
impulsion, aucune augmentation de célérité? 



230 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Des charges au galop de 3, 4 kilomètres supposent 
des chevaux d'airain. 

Un cheval de dragon porte en campagne, avec des 
vivres pour un jour, 140 kilos, sans vivres ni fourrage 
126 kilos. 

Conmient dans ces conditions peut- on maintenir 
les chevaux et obtenir d'eux la vitesse ? 

Toujours la fin, non les moyens ; mettez un quart de 
vos cavaliers en muletiers, un quart de vos chevaux 
en bête de bât, et vous y gagnerez pour les trois quarts 
restants une vigueur dont vous ne vous doutez pas. 
Mais ces convois? Vous les avez en chevaux blessés, 
après huit jours de campagne. 

Sans exception, tous les écrivains parlant de cava- 
lerie vous disent que la charge à fond de deux cava- 
leries à rencontre Tune de l'autre, et le choc à toute 
vitesse, n'existent jamais. 

Toujours, avant le choc, l'une faiUit, tourne le dos, 
sinon il y a arrêt mutuel nez à nez. Que devient donc 
le MV2 ? Si ce fameux MV^^ est un vain mot, pour- 
quoi donc écraser vos chevaux sous des colosses 
(oubliant que dans la formule il y a M et V2)? Dans 
une charge, il y a M, il y a V^, il y a ceci, il y a cela; 
il y a — IL Y A RÉSOLUTION — et, je crois, vraiment 
rien de plus. 

Ne jamais faire aux officiers, aux soldats de cava- 
lerie des démonstrations mathématiques de la charge, 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 231 

qui ne sont bonnes qu'à ébranler la confiance ; car le 
raisonnement mathématique montre un écrasement 
mutuel qui n'a jamais lieu. Leur montrer le réel. 
Lassalle avec sa charge au trot toujours victorieuse 
se gardait bien de raisonnements pareils, qui lui eus- 
sent démontré qu'une charge au trot de cuirassiers 
doit être enfoncée par une charge au galop de hus- 
sards. 

Il leur disait simplement : Allez résolument^ et 
soyez sûrs, certains, que jamais vous ne trouverez 
casse-cou assez décidés pour vous heurter. Il faut 
être casse-cou pour aller jusqu'au bout. Le Français 
est plus casse-cou que personne; et c'est pour ce 
qu'il est bon cavalier de combat quand ses chefs eux- 
mêmes sont casse-cou, qu'il est le meilleur de l'Eu- 
rope quand, en outre, ses chefs ont un peu de tétc, 
ce qui ne gâte jamais rien. 

La formule de cavalerie est : 

R résolution et R et toujours R > tous les MV2 
du monde. 

Varnery ne veut pas d'officiers en tête de charge ; 
il est inutile de les faire tuer avant les autres ; il a 
raison. Il n'en mettait pas devant; sa cavalerie était 
bonne. 

Xénophon : « Quelque chose que ce soit, ou agréa- 
ble ou terrible, moins on l'a prévue, plus elle cause 
de plaisir ou d'effroi. Cela ne se voit nulle part mieux 



â^ ÉTUDES SUR LE COMBAT 

qu'à la guerre, où toute surprise frappe de terreur 
ceux mêmes qui sont de beaucoup plus forts. 

« Mais quand deux armées se trouvent en présence 
ou séparées par des champs, alors se font les escar- 
mouches de cavalerie, les passades, les voltes pour 
arrêter et poursuivre Tennemi, après lesquelles il est 
d'usage que chacun parte lentement et ne se lance à 
toute bride que vers le milieu de la course. Or si, 
ayant conmiencé d'abord à l'ordinaire, on fait de 
suite le contraire et qu'on parte de vitesse aussitôt 
après la volte, soit pour fuir, soit pour atteindre, 
c'est de cette manière qu'on pourra, avec le moins de 
risque possible, nuire le plus à l'ennemi, chargeant 
de toute sa vitesse, tandis qu'on est près des siens, 
et détalant de môme pour s'éloigner de la ligne en- 
nemie. Si môme il y avait moyen dans ces escarmou- 
ches de laisser en arrière (charge en colonne), sans 
qu'ils fussent aperçus , quatre ou cinq honmies de 
chaque division, des plus braves et des mieux mon- 
tés, ceux-ci auraient bien de l'avantage pour tomber 
sur l'ennemi au moment où il fait la volte. » 

(Xénophon ne parle pas de boucher, mais de bras- 
sard au bras gauche.) 

Tactique. — Pour que la cavalerie française soit la 
meilleure cavalerie de l'Europe, et une cavalerie réelle 
et bonne, il lui suffit d'une chose : se laisser aller au 
tempérament national, oser, oser, aller de l'avant I 



ÉTUDES SUR LE COMËAT 233 

Se faire prendre quelquefois, c'est le métier de la 
cavalerie légère; on na de nouvelles de Fennemi 
qu'en le voyant de près. Un homme qui s'échappe 
suffit. Si nul ne revient, on est encore instruit. 

Mais la cavalerie est un bijou qu'on a peur de cas- 
ser. Ce n'est qu'en cassant cependant. . . 

La cavalerie manœuvre sur le champ de bataille. 
— Pourquoi? — Parce qu'elle le peut faire rapide- 
ment et surtout parce qu'elle le peut faire loin du 
feu de l'infanterie, sinon toujours de l'artillerie. 

La manœuvre étant la menace, étant d'un grand 
effet moral, le général de cavalerie qui sait mancsu- 
vrer fait beaucoup pour le succès. Il arrête l'ennemi 
en mouvement et indécis de ce que veut tenter la 
cavalerie ; il lui fait prendre telle ou telle formation 
qui le tient sous le feu de l'artillerie (de l'artillerie 
légère, surtout si le général sait en user), plus ou 
moins longtemps, ce qui hâte sa démoralisation et 
permet de l'aller joindre, etc. 

Avec la puissance de destruction des engins mo- 
dernes, la marche en avant sous le feu, marche qui 
toujours vous force à diminuer, sinon à cesser le 
vôtre, devient presque impossible et donne l'avan- 
tage à la défensive. 

Cela est tellement évident, que celui-là serait in- 
sensé qui n'en serait convaincu. 

Que faire alors? Rester à se canarder et canonner 



234 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

à distance jusqu'à épuisement de munitions. Peut- 
être ! Mais pour sûr cet état de choses ramène « la 
nécessité des manœuvres ». Plus que jamais auront 
d'importance les manœuvres à longue distance ten- 
dant à forcer Tennemi à changer, à quitter sa posi- 
tion. Qui manœuvre plus rapidement que la cava- 
lerie? Voilà son rôle. 

Le perfectionnement excessif des engins ne permet 
plus, pour ainsi dire, que Faction individuelle dans le 
combat, Téparpillement. Et d'autre part il rend toute 
leur puissance aux effets d'ensemble, aux manœuvres 
hors portée de forces assez imposantes pour effrayer 
l'ennemi sur ses flancs et ses derrières. 

L'engagement de cavalerie dure un instant. — Il 
faut se retourner de suite. Avec des appels à chaque 
raUiement, on échappe moins au chef, quoi qu'il en 
semble, que dans l'infanterie, où, une fois engagé, on 
a peu de répit. 

La retraite de l'infanterie est toujours plus difficile 
que celle de la cavalerie. — Ceci est naïf. Une cava- 
lerie repoussée et ramenée en désordre est un acci- 
dent prévu, ordinaire ; elle va se ralUer au loin, et 
souvent reparaît avec avantage. — On peut presque 
dire, d'après ce qui se passe, que tel est son rôle. 
Une infanterie repoussée, surtout si la cavalerie s'en 
mêle, est désorganisée souvent, toujours même si 
l'action a été chaude, pour le reste de la journée. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 235 

Les auteurs mêmes qui viennent vous dire que 
jamais deux escadrons ne se choquent vous écrivent à 
satiété : La force de la cavalerie est dans le choc. — 
Dans la tendeur du choc, oui. — Dans le choc, non. 
— Dans la résolution donc et rien de plus. Affaire de 
moral, non de mécanique. 

A la longue, les coups de feu et de canon assour- 
dissent le soldat : la fatigue le prend ; il devient 
inerte, n'entend plus les commandements. — Si la 
cavalerie se présente inopinément, il est perdu. La 
cavalerie triomphe par son seul aspect (Bismark ou 
Decker). 

Les canons rayés, les fusils de précision, ne chan- 
gent en rien la tactique de la cavalerie. Ces armes, 
le mot de précision l'indique, n'ont d'effet qu'autant 
qu'il y a précision dans toutes les conditions du 
combat, du dosage au pointage, et, celles de la dis- 
tance manquant, leur effet est manqué, et la préci- 
sion de la distance est impossible sur une troupe en 
mouvement, et le mouvement est l'essence de la 
cavalerie. — Du reste, les armes rayées tirent sur 
tout le monde. 

Ce ^ui arrivera du perfectionnement des armes de 
jet pour la cavalerie comme pour l'infanterie, et il 
n'y a pas de raison qu'il en soit autrement pour 
la cavalerie, c'est que l'on fuira de plus loin devant 
elle, et rien de plu$. 



236 ÉTUDES §UR LE COMBAT 

Le cavalier court au travers du danger, le fantassin 
y marche, et voilà pourquoi (si Ton arrive, ce qui 
est probable , à Tappréciation des distances) le 
cavalier ne verra point, loin de là, diminuer son 

rôle avec le perfectionnement du tir à longue portée. 
Le fantassin n'arriverait jamais seul; c'est le cavalier 
qui menacera, fera diversion, troublera, fera épar- 
piller les corps, arrivera souvent même en terrain 
propice s'il est bien soutenu; le fantassin occupera 
comme toujours ; mais plus que jamais dans l'attaque 
il aura besoin de l'aide de cavaliers. — Qui saura 
user de sa cavalerie avec audace sera infailliblement 
vainqueur. 

Le résultat le plus probable de l'artillerie actuelle 
sera d'augmenter l'éparpillement dans l'infanterie et 
même dans la cavalerie. Celle-ci peut partir en 
tirailleurs de très loin, pour se rallier en avançant 
près du but; elle sera plus difficile à conduire, mais 
ceci est à l'avantage des Français. 

Une cavalerie unique? Laquelle? — Si tous nos 
hommes peuvent porter la cuirasse et faire en même 
temps le métier fatigant de cavalerie légère, si tous 
nos chevaux peuvent en outre porter cuirassiers pour 
ce métier, je comprends que l'on n'ait que des cui- 
rassiers. Mais je ne comprends pas qu'on supprime, 
de gaieté de cœur, le moral donné par la cuirasse 
pour n'avoir qu'une cavalerie sans cuirasse. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 237 

Le chevalier se bardait complètement lui-même 
et son cheval en partie ; il ne pouvait charger qu'au 
trot. 

A l'apparition des armes à feu, la cavalerie, comme 
le dit un auteur contemporain (général Ambert), se 
couvrit plutôt d'enclumes que de cuirasses. C'était la 
seule arme essentielle. Lorsque, par suite des progrès 
de l'infanterie et de la tactique, il fallut plus de 
mobilité , lorsque les armées permanentes furent 
organisées par l'État, celui-ci, qui se souciait moins 
de la peau des gens que de l'économie et de la mo- 
bilité, ne conserva guère de cuirassiers. 

La cavalerie de Frédéric ne faisait ordinairement 
que des pertes insignifiantes. Effet de sa résolu- 
tion. 

Frédéric se plaisait à dire que 3 hommes derrière, 
l'ennemi valaient mieux que 50 devant. Effet moral. 

Le champ de l'action est bien plus vaste aujour- 
d'hui qu'au temps de Frédéric. Les combats se 
passent en terrains plus accidentés (car les armées 
plus mobiles ne recherchent pas un terrain plutôt 
qu'un autre). 

Le général de cavalerie forcément y voit moins 
clair. La vue a ses limites. Les grands généraux de 
cavalerie sont plus rares, et Seidlitz ne pourrait, sans 
doute, en face des perfectionnements du canon et du 
fusil, renouveler ses prodiges. Mais il y a toujours à 



238 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

faire, et je crois qu il y a beaucoup à faire, et d'autant 
plus que Ton croit qu il y a moins. 

Pour la cavalerie, plus que pour Tinfanterie, car 
son essence est de s'aventurer plus loin, de prêter 
le flanc davantage ; par conséquent, il y a nécessité 
de réserves pour parer les flancs et le dos; il y a 
nécessité de réserves pour couvrir, soutenir les pour- 
suivants, qui presque toujours, à leur tour, sont 
poursuivis au retour. 

Plus que dans Finfanterie, aux dernières réserves 
intactes est la victoire. 

Donc toujours des réserves et toujours de Tau- 
dace. Alliez ces deux choses, et nul ne tient devant 

vous. 

Avec de l'espace, une cavalerie se rallie vite. En 
colonne profonde, elle ne peut y arriver. 

Puisque, de cavalerie à cavalerie, il y a peu de 
portes, c'est qu'il y a peu de combat. 

Les Numides d'Annibal, les Cosaques de la Russie, 
inspiraient une vraie terreur par leurs incessantes 
alertes, et ils éreintaient. sans combat et tuaient par 
surprise. 

On discute un rang, deux rangs pour la cavalerie ; 
encore afl'aire de moral. Laissez le choix, la liberté 
du choix, et, suivant la confiance ou le moral, on 
prendra un ou deux rangs; il y a assez d'officiers 
pour cela. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 239 

Extrait de Folard : « Il n'y a rien qu'un officier 
ne puisse tirer de la valeur d'une cavalerie composée 
de cavaliers qui ont de la confiance en leurs chevaux, 
qu'ils savent bons et vigoureux, et qui joignent à 
ces avantages des armes excellentes. Une telle ca- 
valerie enfoncera les plus gros bataillons si l'officier 
a assez d'habileté pour connaître sa force et assez 
(le courage pour la mettre en œuvre... » 

Enfoncer ne suffit pas, et c'est une prouesse qui 
coûte plus cher qu'elle ne vaut si l'on ne tue ou fait 
prisonnier le bataillon ; à moins que l'on ne soit 
immédiatement suivi d'autres troupes chargées de 
cette besogne... 

Ce n'est pas dans Victoires et conquêtes, ni dans 
les Rapports officiels qu'il faut aller chercher des 
exemples. C'est dans le témoignage sincère des 
hommes qui ont agi eux-mêmes et qui en agissant 
ont vu, chose difficile. 

La cavalerie perd toujours beaucoup moins que 
l'infanterie et par le feu et par les maladies. Ceci 
explique pourquoi de longues guerres la bonifient 
beaucoup plus que l'infanterie. 

Les raids de cavalerie dans la guerre d'Amérique 
sont la guerre aux écus, aux travaux d'industrie 
publique, aux approvisionnements ; ils sont la guerre 
de destruction de la richesse, non d'hommes; car 
on perd peu ou point et on ne tue ou prend guère 



240 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

davantage. La cavalerie est toujours là Tarme aris- 
tocratique, qui risque tout (en a Fair du moins, ce 
qui est bien quelque chose ; il faut de Faudace, et ce 
n'est pas si commun) et qui perd très peu. Le plus 
mince combat d'infanterie coûte plus à celle-ci (à 
nombre égal) que le plus beau raid. 

Toute troupe, cavalerie, infanterie, qui se porte 
en avant, doit faire éclairer,, reconnaître, et le plus 
tôt possible, son terrain d'action. Condé l'oublie à 
Neerwindén; le 57® l'oublie à Solférino , tout le 
monde l'oublie, et, faute de quelques tirailleurs ou 
éclaireurs..., on éprouve des mécomptes, des dé- 
sastres. Il faut le faire; il faut faire l'appel dans la 
cavalerie après une charge; dans l'infanterie, au 
premier répit. On devrait le faire même aux exercices 
et manœuvres pratiques, non comme un besoin, mais 
afin que la routine s'en impose et que cet appel à 
faire ne se puisse oublier au jour de l'action, où très 
peu songent à le faire... 

Armement. — Un colonel de cavalerie légère, 
jeune, demande que ses chasseurs soient armés de 
carabines. Pourquoi ? Si j'envoie du monde recon- 
naître un village, je pourrai le faire sonder de loin 
(7 à 800 mètres) à coups de fusil sans perdre per- 
sonne. Que répondre à cela? 

Décidément, la carabine fait perdre à tout le monde 
le sens commun. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 241 

La cavalerie a un fusil pour s'en servir par excep- 
tion. Prenez garde que l'exception ne devienne la 
règle, on l'a vu : témoin le combat de la Sicka, où 
après une première affaire manquée faute d'élan 
franc de son régiment de chasseurs d'Afrique qui, 
après s'être élancé au galop, s'arrête à tirailler, le 
général Bugeaud, à la deuxième affaire, charge à sa 
tête pour lui montrer comment on charge. 

Quelques auteurs songent à mettre la cavalerie en 
tirailleurs, à cheval, ou pied à terre, le cheval tenu 
par la bride. Cela me paraît une grave erreur. Si le 
cavalier tire, il ne charge plus. L'Afrique tant citée à 
ce sujet prouve précisément la chose. 

Deux pistolets ou un revolver vaudraient mieux. 

De la pointe. — Le coup de pointe est plus terrible 
que toute taille ; vous ne vous préoccupez pas du 
bras levé qui vous menace, vous plongez; mais il faut, 
pour cela, que le cavalier soit bien persuadé, par ses 
officiers, par ceux qui ont expérience (s'il y en a après 
une longue paix), que parer une taille verticale est du 
péril, sans compter que c'est peu facile. — En cela, 
comme en tout, l'avantage est au plus brave. — Toute 
charge de cavalerie est avant tout affaire de moral. 
Elle est identique en ses moyens, en son action, à la 
charge d'infanterie. Toutes les prescriptions de la 
charge (pas, trot, galop, charges, etc.) ont une raison 
morale, et ces raisons, je les ai déjà dites. 

16 



242 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Les cavaliers siks de M. Nolan ont des lames de 
dragons par eux emmanchées ; ils y vont de la taille, 
ils ne savent aucune escrime et ne s'y exercent pas ; 
il suffit d'un sabre bon et d'une bonne envie de s'en 
servir, disent-ils. C'est vrai. 

Il est facile de démontrer que le maniement du 
sabre est une aussi bonne plaisanterie que l'escrime 
à la baïonnette prise au point de vue d'une utilité, 
d'un usage efficace dans le combat. 

Manier le mousqueton est une autre plaisanterie 
(ne voit-on pas parfois (aire faire quand même du 
maniement d'arme réglementaire à des spahis?). 

Il n'y a qu'une chose sérieuse pour le cavalier : 
être solide à cheval. — On doit le mettre à cheval, 
et des heures entières, chaque jour, dès son arrivée 
au corps ; et si l'on veut n'oublier dans les contin- 
gents absolument personne, n'importe la taille, con- 
naissant le cheval, le connaissant peu ou prou, pour 
en faire un cavalier, l'éducation pratique du grand 
nombre (non l'éducation pédantesque et composée 
de l'écuyer) sera bien plus rapidement faite. 

Les manœuvres faites à pied, dans les intervalles 
d'exercices à cheval, mais faites d'une manière leste, 
dégagée (sans s'occuper du soldat sans armes), sans rai- 
deur, avec unerapidité chaque jour croissante, mettront 
les cavaliers au courant de ces mêmes manœuvres 
plus rapidement que le mode composé en usage. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 243 

Dans toutes les choses de la guerre, nous prenons 
l'exemple dernier, celui dont nous avons été témoins, 
et alors nous voulons des lances dont nous ne sau- 
rions jamais nous servir, qui font peur au cavalier 
lui-môme, nous ne voulons plus de cuirasses, nous 
voyons ceci, cela, oubliant que le dernier exemple 
ne renferme jamais qu'un nombre restreint des don- 
nées de la question. 

Avec la lance, on compte toujours sans le cheval, 
dont le moindre mouvement fait dévier l'arme si 
longue. — La lance est une arme effrayante aussi 
pour celui qui s'en sert à cheval et qui raisonne. — 
Qu'il embroche un ennemi étant au galop, il est dé- 
monté, enlevé de cheval, a le bras arraché par la 
lance restée au corps de Tennemi. 

Si l'on attend de pied ferme, on oubUe toujours (luc 
le cheval voudra ftdr, se dérober devant le heurt. — 
Si Ton va au-devant, autant encore fait le cheval. 

On discute toujours entre la lance et le sabre. — 
La lance exige des cavaliers lestes, vigoureux, des 
plus solides à cheval, très exercés, très adroits, car 
l'escrime de la lance est autrement difficile que celle 
du sabre droit, surtout si celui-ci n'est pas trop lourd ; 
cette difficulté d'escrime de la lance n*est-ce donc 
pas la réponse de la question ? Quoi que Ton fasse, 
de quelque manière que l'on s'y prenne, il faut tou- 
jours songer (lue nos recrues ^ en temps de guerre* 



244 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

sont toujours versées dans les escadrons comme 
dans les bataillons, avec une instruction très ina- 
chevée, et, si on leur donne des lances, la plupart 
n'ont que des gaules à la main ; tandis qu'au bout 
d'un bon poignet le sabre droit est d'un maniement 
à la fois naïf et terrible. 

Nulle cavalerie, à moral égal, ne tiendrait contre 
une cavalerie armée de fourches , de fourches 
courtes, sorte de tridents ; on redoute moins de s'en 
servir que d'une lance, car la fourche ne peut trans- 
percer d'outre en outre, et lâchée après le coup, 
mais retenue par une courroie, dragonne, comme est 
retenue la lance, elle se peut retirer du corps, qu'elle 
perce de six pouces au plus, et n'entraîne pas la 
chute de celui qui a percé. 

La fourche courte, trois pointes courtes. — Juste 
assez pour tuer, pas assez pour transpercer et res- 
tant au corps de l'homme, emporter, renverser le ca- 
valier qui a frappé. — Fourches contre-lances, la 
lance conduit la fourche qui la relève. — Ceci à 
l'adresse des amateurs d'escrime à cheval. — Mais 
la fourche ! ! Malheureusement ce serait ridicule, non 
militaire t! 



OBSERVATIONS 



SUR L EMPLOI DE LA CARABINE ET DES CHASSEURS A PIED 



Qa'll faut songer à tirer parti de la carabine. 

Si nous n y prenons garde, il se trouvera que les 
armes de précision auront été inventées contre nous. 

Par tempérament, sang plus vif, susceptibilité ner- 
veuse plus grande, nous avons moins qu'aucun peuple 
de TEurope le sang-froid nécessaire au viser; nous 
sommes les moins aptes à nous servir des armes de 
précision. 

Les autres infanteries, par sang-froid de tempéra- 
ment, auront de meilleurs tireurs que l'infanterie 
française ; leurs soldats, bien plus dociles, s'ils sont 
moins intelligents, dirigés avec le sens pratique que 
donne aux chefs l'expérience, sauront tenir contre 
notre force d'élan, qu'ils auront le moyen d'arrétef ou 
de ralentir en route. Les armes de précision ont 
entre leurs mains plus d'efficacité qu'entre les nôtres *. 
Il faut que nous prenions la supériorité et que nous 

1. Le siège de Sébastopol, l'Italie, à l'envers du préjugé général, 
le prouvent à qui ont vu de près. 



246 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

allongions d'une manière efficace et réellement pro- 
tectrice pour elle le tir de notre infanterie. 

Les armes portatives ont atteint leur maximum de 
portée, celle de la vue. La question de la carabine 
n'est point dans une arme d'une justesse plus ou 
moins grande, d'un chargement par la culasse ou au 
maillet; elle est dans le mode d'emploi, et il faut que 
les premiers nous sachions nous en servir. — Les 
Anglais ont peut-être pris l'avance. Dans une de 
leurs expériences, partout citée, de la terrible effica- 
cité de la carabine Ensfield sur un bataillon en pan- 
neaux adossés à la mer, seize hommes seulement ti- 
rent, et leurs cartouches usées sont remplacées par 
seize autres; et seize est précisément le groupe maxi- 
mum de tireurs postés dont le tir puisse être surveillé 
par un officier. 

Les carabines n'ont, ne peuvent chez nous, avoir 
d'action réelle que par groupe de dix à quinze dans 
les mains d'un bon officier. Cette artillerie de main, 
afin d'être commandée par des officiers de choix, des 
gens aptes, afin d'être composée des meilleu»*s tireurs 
de l'armée, doit appartenir aux régiments. 

On a des bataillons de carabiniers, chasseurs; on en 
peut faffe des régiments; mais bataillons ou régi- 
ments ne nous donneront jamais des tireurs de cara- 
bine. 

Toutes le^ recommandations, tous les règlements 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 247 

en effet sont impuissants à fixer a une troupe un 
mode exclusif d'action, si la constitution de cette 
troupe en permet plusieurs. A un moment donné, il 
n'y a plus de règlement ; il n'y a plus que la néces- 
sité du moment aux yeux du chef, qui a ou n'a pas de 
tact, qui apprécie juste ou de travers. Si Ton veut 
que telle arme soit employée de cette manière, il faut 
absolument que sa constitution ne se prête à aucun 
autre mode d'action. Un corps nombreux de cara- 
biniers, bataillon ou régiment, prêtera toujours à 
l'action de masse d'infanterie de ligne ou à l'action 
de tirailleurs, et l'on ne cessera de voir cette chose 
judicieuse : les armes de la plus longue portée ^ tou- 
jours les plu>s près de V ennemi. 

Des petits groupes de tireurs perdus dans les corps 
d'infanterie ne peuvent absolument être employés 
que comme carabiniers, comme tireurs ; et, de plus, 
la solidarité qui doit exister entre les différentes 
armes, et qui s'élude si facilement, est bien plus as- 
surée avec des hommes appartenant aux corps mêmes 
qu'ils doivent soutenir, aider, de leurs feux à longue 
portée ; on a compte à rendre aux camarades^ à son 
chef de bataillon, à son colonel, compte bien autre- 
ment sérieux qu'à un chef du moment qui a vu ou 
n'a pas vu, et trop souvent est arrêté dans le blâme 

4 . Ou les meilleurs tireurs, ce qui revient au même. 



218 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

par la crainte de blesser une arme autre que la sienne, 
laquelle arme a son amour-propre toujours très poin- 
tilleux, sinon toujours bien placé ; on devient si vite 
infaillible quand on est corps spécial * . 

On est mal venu de dire, après les prouesses de tir 
de Sébastopol, dltalie, que les carabines jusqu'à pré- 
sent ne nous ont rendu guère plus de services qu'un 
simple fusil. Pour qui a vu cependant, le fait est vrai. 
Mais..... Voici comme on écrit l'histoire : Les Russes 
ont été battus à Inkermann, disent-ils, écrivent-ils, 
par la longue portée, la justesse des armes de pré- 
cision des troupes françaises. Or on s'est battu dans 
des maquis, taillis, par un brouillard épais, et, quand 
le temps s'est éclairci, nos soldats, nos chasseurs, à 
bout de munitions, puisèrent dans les gibernes russes 
amplement pourvues de cartouches à balles rondes 
et de petit calibre. Dans ces deux cas, il ne pouvait y 
avoir aucune justesse de tir. — Le fait est que les 
Russes ont été battus par supériorité d'ascendant 
moral et que le tir sans viser, au hasard, là comme 
ailleurs et plus peut-être qu'ailleurs, a eu seul une 
action matérielle. Nous n'en passons pas moins pour 
excellents tireurs de carabine, et nous aimons au- 
tant cela que de l'être en effet. 

Il faut cependant que la carabine rende entre nos 

1. A moins de nécessité dix fois absolue, ne formons pas de corps 
spéciaux, qui sont autant d'atteintes à la solidarité. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 249 

mains tous les services qu'elle peut rendre. Com- 
ment? C'est ce que j'essaye d'exposer dans les pages 
qui suivent, que je pourrais appeler un résumé d'opi- 
nions générales dans l'infanterie. 



I 



Que dans le rang on en tiraiUenrs la carabine 
ne vaut pas mieux que le fdsil. 

Même de près, dans l'action, le canon peut se bien 
tirer. Au pointeur abrité en partie par sa pièce, il 
suffit d'un instant de sang-froid pour pointer droit. 
Que son pouls batte plus ou moins vite, avec de la 
volonté, il ne dirige pas moins bien sa ligne de mire; 
l'œil tremble peu, et la pièce pointée reste immobile 
jusqu'au moment du tir. 

Le tireur, comme l'artilleur, conserve avec de la 
volonté la faculté d'ajuster; mais l'agitation du sang, 
du système nerveux, s'oppose à l'immobilité de l'arme 
entre ses mains ; l'arme fût-elle appuyée, une partie 
de Varme participe toujours à l'agitation de l'homme. 
Il a de plus une hâte instinctive de lâcher son coup, 
qui peut arrêter avant son départ la balle à lui des- 
tinée ; et, pour peu que le feu soit vif, cette sorte de 
raisonnement vague, bien que non formulé dans l'es- 
prit du soldat, commande avec toute la force, tout l'em- 
pire de l'instinct "de la conservation même aux plus 



250 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

braves et aux plus solides, qui alors tirent au juger ; 
et le plus grand nombre tire sans appuyer même 
l'arme à V épaule. 

La théorie du champ de tir, d'attendre que sous la 
pression progressive du doigt le coup surprenne le ti- 
reur ^ combien la pratiquent sous le feu * ! 

Un bon tir de main exige donc plus de sang-froid, 
et par conséquent plus de sécurité, une distance de 
Tennemi relativement plus grande que le tir du ca- 
non; et c'est précisément toujours dans les circon- 
stances inverses que s'exécute le tir de main. 

Ceci suffirait à expliquer comment tout soldat d'in- 
fanterie armé de carabine ou de fusil, étant d'après 
son éducation un bon pointeur au chevalet, au canon, 
le tir à la guerre des armes portatives, qui toutes ac- 
tuellement sont, on peut le dire, des armes de pré- 
cision, donne cependant, toutes proportions gardées 
bien entendu, des résultats si absolument inférieurs à 
ceux du canon rayé. 

Mais ce n'est pas tout ; le pointage de toute arme 
pourvue d'une hausse, ou qui a diverses règles de tir, 
est compliqué de l'estimation de la distance. Le canon 
lance un gros projectile ou des gerbes de balles dont 
on peut généralement apercevoir l'effet produit sur le 

1. Notre instruction sur le tir n'est point pratique. Tout y est 
compassé, ordonné en vue de pour cent superbes en temps de poly- 
gone qui se réduisent à rien devant l'ennemi^ où nous ne tirons pas 
mieux qu'avant les écoles de tir. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 251 

sol OU sur rennemi, et, pour déterminer la hausse, la 
portée de chaque coup est surveillée par Toeil d'un 
chef, aidé, s'il est besoin, d'une lunette ou d'un bi- 
nocle. 

L'effet produit par la balle est bien moins facile à 
constater * ; mais, le fût-il autant, comment surveiller 
la hausse de chaque homme engagé en tirailleur ^ ? 

Comment encore la surveiller dans le rang avec 
rémotion, la fumée, la gêne du seul feu possible par 
nos hommes et nos officiers, le feu de deux rangs, 
feu à volonté, qui n'est que tirerie et dans lequel on 
serait bien heureux d'obtenir, non pas un tir ajusté, 
mais un tir horizontal. 

Il peut être bon d'exposer ici ce que sont les feux 
d'infanterie, de voir si l'emploi de la hausse est pos- 
sible dans le combat. 

Les feux ordonnés par les règlements sont les feux 

1. Au polygone de Vincennes, par un temps un peu humide, il 
est impossible de voir, même avec un excellent binocle, les coups 
de salves répétées de seize carabines tirées sur le sol à une dis- 
tance de 650 à 750 mètres. A Sébastopol, pendant deux mois, une 
distance de 1000 à 1200 mètres a été impossible à apprécier avec 
la carabine, faute de voir les coups portés. Pendant trois mois, il a 
été impossible de constater par coups portés, bien que Ton ait 
suivi tous les échelons de la hausse, la distance de telle batterie qui 
n'était qu'à 500 mètres, dominait, et était séparée par un ravin. 
Après deux mois, on saisit un jour deux coups portés, avec hausse 
de 500 mètres. Cette distance était estimée par tous plus de 
1000 mètres et réellement n'était que de 500; la ville prise, en 
changeant le lieu d'observation, la chose était manifeste, etc., etc. 

2. J'entends, par tirailleurs engagés, des tirailleurs qui répondent 
à d'autres tirailleurs, ce qui est le cas le plus général. 



252 ÉTUDES SUR LE GOliBAT 

à commandement, le feu de deux rangs, le feu de 
tirailleurs. 

Dans les feux à commandement, tous les hommes 
des deux rangs ou d'un môme rang mettent en joue 
ensemble; tout le monde est parfaitement immobile; 
les hommes du premier rang par conséquent ne sont 
en rien gênés par les mouvements de leurs voisins ; 
les hommes du second rang ne le sont pas davantage, 
et, le premier rang étant effacé et immobile, ils peu- 
vent mettre en joue dans un créneau libre, dégagé 
sans plus de gène que ceux du premier rang. 

Le feu s'exécutant à commandement^ simultanément 
par tous, nulle arme n'est dérangée au moment du 
tir par les mouvements des hommes. 

Toutes conditions parfaitement favorables à l'action 
d'ajuster dans le rang; aussi, lorsque sur le champ 
de tir ces feux sont commandés avec tact et sang-froid 
par un officier qui a bien dressé son monde (choses 
rares au*polygogne et qui le seraient bien plus à la 
guerre), ils donnent des résultats supérieurs comme 
pour cent à ceux du feu de deux rangs exécuté avec 
la plus grande attention, des résultats parfois éton- 
nants. 

» 

Mais ces feux à commandement, par l'extrême sang- 
froid qu'ils exigent de tous, du chef peut-être encore 
plus que du soldat, sont impraticables devant l'en- 
nemi, sauf en des circonstances exceptionnelles de 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 253 

choix d'officiers, de choix d'hommes, de terrain, de 
longue distance, etc., etc. En manœuvres même, ils 
s'exécutent d'une manière ridicule . Il n'est peut- 
être pas un corps de l'armée où ce ne soient les sol- 
dats qui commandent le feu, en ce sens que le chef 
a tellement peur de voir ses hommes prévenir le com- 
mandement, qu'il commande le feu au plus vite, les 
armes à peine en joue, encore en l'air très souvent. 

Inutile de parler de l'emploi de la hausse devant 
l'ennemi pour des feux que tenteraient d'exécuter les 
mêmes hommes et les mêmes officiers qui manquent 
si absolument d'aplomb même en manœuvre. 

Dans le feu de deux rangs, les hommes se gênent 
mutuellement. Celui qui charge , celui qui cède au 
recul de son aime, dérange le coup de celui qui est 
en joue. 

Avec le chargement complet du sac, le deuxième 
rang n'a plus de créneau, tire en l'air. Sur le champ 
de tir, en espaçant les hommes au delà des limites de 
l'ordonnance, en tirant avec une lenteur extrême, on 
obtient de ceux des hommes qui ont du sang-froid et 
que n'émotionnent pas trop les coups de feu dans les 
oreilles, qiCils laissent passer la fumée, saisissent 
l'instant du créneau à peu près libre, qu'ils tâchent 
en un mot de ne pas perdre leurs coups ; et les résul- 
tats comme pour cent offrent beaucoup plus de régu- 
larité que ceux des feux à commandement. 



254 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Mais, devant rennemi, le feu de deux rangs devient 
en un clin d'œil tirerie au liasard ; cliacun tire le plus 
vite possible , c'est-à-dire le plus mal possible. De 
cela, déjà nous avons donné la raison morale, la hâte 
instinctive d'arrêter la balle ennemie. De hausse dans 
ce brouhaha, il ne saurait être question. 

Le feu de tirailleurs s'exécute généralement contre 
des tirailleurs. Une troupe en effet ne se laisse pas 
fusiller par des tirailleurs sans s'empresser de leur 
eu opposer d'autres ; et il faut renoncer à l'idée de 
voir des tirailleurs diriger leur tir sur une troupe 
protégée par des tirailleurs; c'est demander à des 
hommes tirant isolément, abandonnés presque à eux- 
mêmes, un désintéressement impossible que de vou- 
loir qu'ils ne ripostent pas aux coups dirigés contre 
eux par des tirailleurs rapprochés, afin d'ajuster une 
troupe lointaine, pour eux inoffensive. 

En tirailleurs, les hommes sont très espacés ; la sur- 
veillance des coups, des hausses est difficile; les 
hommes sont presque absolument abandonnés à eux- 
mêmes. Ceux qui ont du sang-froid peuvent essayer 
de régler leur hausse; mais encore faut-il voir porter 
sa halle et, si le terrain s'y prête, chose rare, la distin- 
guer de celles tirées en même temps par les voisins : 
ceux-ci seront d' autant p/«i5 troublés^ tireront d'autant 
plus vite et plus mal que le combat sera plus sérieux, 
l'ennemi plus solide ^ et le trouble est plus contagieux 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 255 

que le sang-froid, — r Le but, en somme, est une ligne 
de tirailleurs, but offrant si peu de surface et surtout 
de profondeur, que le tir au delà du premier but en 
blanc exigerait pour être réellement meurtrier une 
connaissance absolument précise de la distance, chose 

impossible, car cette distance à chaque instant varie 
par les mouvements des tirailleurs. 

Hausse encore donc à peu près inutile. 

Tir efficace seulement dans les Umites du premier 
but en blanc K 

A moins donc de circonstances jusqu'à ce jour 
rares , exceptionnelles dans nos dernières guerres, 
d'hommes postés dans de bonnes conditions de sang- 
froid sous une intelligente direction^ on peut dire que 
les armes à hausse n'ont guère servi d'une manière 
réellement efficace à portée plus grande que celle du 
premier but en blanc. 

Peut-on, doit-on espérer obtenir de tirailleurs en- 
gagés, de troupes dans le rang, un tir aux grandes 
distances répondant à la justesse des carabines, ap- 
prochant en rien de la formidable précision du ca- 
non? 

Non; car on ne peut faire que l'homme ne soit 
rhomme, que le rang ne soit le rang. 



li Limites qui s'étendent, il va san§ dire, à tout l'espace dange- 
reux (la zone dangereuse) situé au delà de cette distance du but 
en blanc. 



256 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

A quoi donc bon des carabines? 

A tirer en circonstances se rapprochant précisément 
des circonstances du canon, à être les pièces à mi- 
traille des bataillons. 

Les carabines ainsi employées peuvent rendre de 
terribles services et, toutes choses égales d'ailleurs, 
être un moyen de supériorité dans Faction pour qui 
saura le premier s'en servir. 



II 



Qa*ll y a très peu de tireurs de carabine. 
Gomment on en pourrait augmenter le^ nombre. 

L'armée a dans ses ran^s 20 bataillons, 20 000 
liommes armés de carabines de précision *. Elle doit 
sur 20 000 compter grand nombre d'hommes sachant 
réellement se servir de la carabine, de tireurs dignes 
d'une arme pareille. 

1000 au plus. 

La première classe de tireurs d'un bataillon de 
mille hommes, où le tir s'est fait en toute conscience, 
sans complaisance aucune, compte 50 hommes au 

1. Je ne compte pas les zouaves, corps d'Afrique exclusivement 
infanterie légère, qui ne sont pas plus, sont moins que les chas- 
seurs, habiles au tir; plusieurs de leurs colonels, quand ils vou- 
laient un tir efficace, ne prenaient pas une compagnie quelconque, 
mais formaient un peloton des meilleurs tireurs des compagnies. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 257 

plus * ; et ce qui surtout détermine ce classement, 
c'est le tir aux grandes distances, le tir qui peut seul 
justifier remploi d'armes de précision à longue 
portée. 

Combien, avec une organisation différente des chas- 
seurs, l'armée pourrait-elle compter de bons tireurs 
de carabines? 

12 à 18 000. 

Maintenant ces 1000 tireurs que compte l'armée 
sont au moins l'objet d'une sollicitude particulière, 
employés comme doivent l'être des hommes d'une 
spécialité précieuse et rare. 

Loin de là. Les chances de la guerre sont pour ces 
hommes, perdus dans les rangs des chasseurs, aussi 
périlleuses, souvent plus, que pour le reste de l'm- 
fanterie. 

On peut se demander comment sur 20 000 hommes 
choisis pour le service des armes de précision on n'a 
que 1000 bons tireurs. 

La raison en est simple. Ce choix est fait parmi les 
hommes des contingents d'après leur aptitude phy- 

i. Ce chiffre peut paraître exagéré en moins; je crois pouvoir 
affirmer qu'il ne Test pas ; et, si Ton en déduit les sous-officiers^ on 
aurait lieu de s'étonner davantage. 11 est plus difficile qu'il ne 
parait au premier abord d'obtenir une enquête exacte à cet égard. 
Presque toujours dans un bataillon, il y a de la part de tous ten- 
dance à l'exagération des résultats du tir. La surveillance à cet 
égard est fort difficile, et, si même le chef veut la vérité, il ne 
l'obtient pas sans peine. 

i7 



258. ÉTUDES SUR LE COMBAT 

sique extérieure pour rinfanterie légère, mais sans 
que Ton puisse tenir compte de leur aptitude au tir, 
faute de moyens de la reconnaître. 

Il est recommandé de choisir, pour recruter les 
chasseurs, des hommes lestes, vigoureux, de moyenne 
taille, ayant, si faire se peut, Thabitude des armes à 
feu. Il se peut si rarement, que cette dernière condi- 
tion, restreinte par les trois premières, est à peu près 
illusoire. Du reste ^ on naît tireur ^ 

Cette aptitude se reconnaît à Fessai, et voici com- 
ment réducation classe les chasseurs à pied en, tant 
que tireurs de carabine : 

15 sont des tireurs mauvais ; 

3 sont des tireurs passables ou à peu près ; 

1 seul est vrai t^ireur. 

Faut-il renvoyer les mauvais tireurs dans les régi- 
ments? Vu leur nombre, la mesure présenterait des 
embarras, et ce serait au moins une singulière ma- 
nière d'encourager le tir dans Tinfanterie de ligne. 
Les plus sérieuses raisons morales du reste s'oppo- 
sent à semblable mesure. 

Faut-il, renonçant au choix immédiat des hommes 



1. On ^ cerUinement vu des hommes, surtoat des officiers ins- 
tructeurs d'école de tir, par des années d'exercice, devenir, de mau- 
vais, des tireurs émérites; mais on ne saurait, à des soldats, 
sans une énorme consommation de munitions et en les distrayant 
de tout autre service, donner éducation semblable. Et encore pour 
la moitié manquerait-on le résultat! 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 259 

dans les contingents, choisir les chasseurs parmi les 
soldats des régiments? Mesure inutile à discuter et 
non moins, sinon plus démoralisante que la pre- 
mière. 

Et puis, si Ton choisissait les hommes, ne faudrait- 
il aussi choisir les officiers? — Que faire donc? 

Recruter les hommes arm4s de carabines parmi les 
meilleurs tireurs des régiments et les laisser dans ks 
régiments. 

Supprimer les chasseurs formant^ corps à part; les 
remplacer par une compagnie de carabiniers de 35 * 
hommes au grand maximum par bataillon. 



III 



Comment sont actuellement employée les hommes ar- 
més de carabines. Gomment les ckasseare à pied 
n'ont pas de raison d'être; comment an contraire 11 
y a d'excellentes raisons ponr les supprimer. 

Supprimer les chasseurs? 

A quoi sont-ils destinés, ou plutôt, seul moyen 
d'avoir le mot réel de leur organisation actuelle, 
comment les emploie-i-on^ 

Par groupes ayant une certaine liberté d'action, 

1. Je dis 35 et pas davantage, parce qu'il n'ea est pas besoin 
d'un plus grand nombre et parce que si l'effectif devenait plus fort 
on en ferait bien vite une compagnie d'élite. Et alors* adieu les 
tireurs ! ils deviendraient tirailleurs, etc. 



260 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

analogue à celle de l'artillerie, à laquelle on montre le 
but et qui se charge de l'exécution : tantôt occupés à 
démonter les servants d'une batterie ; tantôt, par des 
feux à longue distance, préparant comme le canon la 
marche en avant des troupes ; tantôt postés et démo- 
ralisant de loin une attaque qui s'avance? — Très 
rarement; sauf en siège, jamais. Ce mode d'action 
aurait cependant de sérieux avantages. Mais il exige 
des tireurs excellents, et nous en avons très peu ^ ; 
des officiers intelligents, ayant du coup d'œil, de l'a- 
propos, du sang-froid, et sous ce rapport les officiers 
de chasseurs n'offrent pas plus de garantie * que les 

1. J'ai entendu citer, à l'encontre de cette assertion, quelques 
légendes du siège de Sébastopol. Ces légendes seraient toutes 
vraies, qu'elles ne prouveraient qu'une chose : c'est qu'il y a des 
bons tireurs parmi les chasseurs, mais non que les chasseurs sont 
de bons tireurs. Et l'on peut affirmer qu'en Crimée, en Italie, les 
carabines n'ont pas rendu, loin de là, les services qu'on en devrait 
obtenir. 

2. Lorsqu'il y a longtemps que les officiers sont aux chasseurs, 
la masse, par un esprit de corps étroit et ridicule, finit par se 
persuader que l'uniforme des chasseurs , quelques modifications 
sans portée {sauf cependant, soU dU en passant, cette modification 
de détail, presque rien, le transfert du port d'armes de la main guuche 
dans la main droite, qui avance d'un mois V éducation du fantassin) aux 
manœuvres de la ligne, un sabre-baïonnette,^ un fourreau de tôle au 
flanc de leurs hommes, les ont transformés, eux officiers, en gens 
de grand mérite. Partant, point de travail et point de réflexion; 
ignorance souvent, très souvent, des plus grandes et des plus singu- 
lières de ce qui fait en partie leur vanité, de leurs manœuvres, de 
leur métier de tirailleurs. 11 doit en être de même du reste, dans 
toute troupe d'élite où le soldat seul est choisi, Voffider non renou- 
velé. Cette observation devient singulièrement frappante lorsqu'une 
formation met en présence, en comparaison, dans le même corps, 
les anciens officiers et ceux qui viennent de la ligne. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 261 

officiers de l'infanterie de ligne. Ils ne sont pas choisis. 

Les chasseurs du reste forment des corps trop 
nombreux, trop consistants, pour n'avoir que ce rôle. 
D'un côté, les chefs de bataillon préfèrent (si ces 
corps^ d'élite étaient des régiments, les colonels préfé- 
reraient), et la chose est naturelle, l'action de masse 
de tout ou partie de leur bataillon (ou régiment) à 
l'action par groupes, dans laquelle ils n'ont point de 
rôle. D'un autre côté, par cela seul que les Chasseurs 
sont infanterie légère, — c'est leur nom, — les géné- 
raux leur font faire plus exclusivement le métier de 
tirailleurs, flanqueurs, avant-garde, parce qu'ils sont 
troupe d'élite et d'élan, leur confient les coups de 
main, les lancent en tête de colonne ^ Deux motifs 
d'être usés vite. 

Au commencement d'une campagne, on avait quel- 
ques tireurs; à la fin, on n'en a plus; on avait une 
troupe d'élite, on l'a réduite à rien, et ses hommes 
sont difficiles à remplacer. 

Mais ce ne sont là que les inconvénients matériels 
de l'emploi des chasseurs comme infanterie légère. 
Les inconvénients moraux sont plus ^graves. 

En effet, une infanterie légère choisie dans la crème 

1. Des hommes pourvus d'armes de précision et de longue 
portée toiqours les plus près de Tennemi ! II y a là une singulière 
contradiction ; et cependant, avec l'organisation en corps à part et 
nombreux (bataillons ou régiments) des chasseurs, il ne peut en 
être autrement. 



262 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

des contingents aux dépens de l'infanterie de ligne, 
par ce fait tï'oupe d'élite, toujours la première à 
Tennemi, produit sur le reste de Vinfanterie un effet 
moral pernicieux à l'émulation, 

A force de faire des corps d'élite, on finit par n'en 
plus avoir. 

Le choix après épreuve, s'il n'est pas trop nom- 
breux, peut être un stimulant; les choisis, on les 
connaît, on se dit : Je les vaux bien ; demain on peut 
être choisi soi-même. 

Mais le choix par avance des hommes les plus forts, 
des poitrines les plus larges, signes d'une résistance 
plus grande, d'un tempérament plus généreux, tue 
r amour-propre de ceux qui n'ont pas été choisis par le 
sentiment de leur infériorité. 

Et puis, cette confiance plus grande que, dans une 
brigade, dans une division, le chef a dans son infan- 
terie légère d'élite, les autres corps la voient, et leur 
confiance en eux-mêmes diminue d'autant , sans parler 
de l'amour-propre froissé, qui chez nous est loin, bien 
loin â^ exciter l'émulation. 

Du reste, cette spécialité dlnfanterie légère que 
l'on donne aux chasseurs existe-t-elle réellement? 
Non. 

Napoléon I"' disait : « Il ne peut y avoir qu'une 
seule espèce d'infanterie, parce que le fusil est la 
meilleure machine de guerre qui ait été inventée par 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 263 

les hommes parce que, le voudrait-on, nulle 

troupe ne peut être employée exclusivement au ser- 
vice des tirailleurs, une ligne dans une journée pas- 
sant tout entière aux tirailleurs quelquefois même 
deux fois, le métier de tirailleurs étant et le plus 
meurtrier et le plus fatigant. » 

Ce qui était vrai dans les guerres du premier Em- 
pire, avant le perfectionnement du canon et du ftisil, 
Test à plus forte raison aujourd'hui. 

L'infanterie de ligne, pourvue d'armes d'une pré- 
cision, d'une portée horizontale plus grande que les 
premières armes mises aux mains des chasseurs à 
pied, et comparable même jusqu'à 400 mètres aux 
carabines actuelles, cette infanterie, avec son éduca- 
tion identique à celle des chasseurs secondée par 
l'aptitude particulière des populations françaises au 
métier de tirailleurs, sait prouver qu'elle est capable 
de faire ce métier et par la force des choses le fait 
un jour d'action aussi longtemps que les chasseurs. 

On peut voir, dans les manoeuvres, certains chefs 
déployer en tirailleurs tout un bataillon de chasseurs 
devant une division d'infanterie marchant en bataille 
par bataillons en colonne ou déployés; mais de- 
mandez quel est le chef de bataillon , quel est 
le bataillon qui n'aime mieux être couvert par ses 
propres tirailleurs agissant sous les yeux de leurs 
chefs, de leurs camarades. Il y a solidarité, surVeil- 



ti64 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

lance à peu près possible, et ces tirailleurs sont à 
peu près dirigés par les mouvements de leur ba- 
taillon qu'ils précèdent, mais observent, car en somme 
c'est leur soutien *. Mais dirigez donc, même en ma- 
nœuvre, une ligne indépendante de tirailleurs de 
plus d'un kilomètre? Et puis, qui la relèvera, car 
cela ne saurait durer une journée? N'y songeons 
donc pas à la guerre. 

Il est banal de le dire, le bataillon unité de ma- 
nœuvre doit tirer de lui-même ses tirailleurs , ses 
tireurs^ pour qu'il y ait solidarité et responsabilité 
réelle. 

De tirailleurs à tirailleurs, sans jouer sur les mots, 
on tiraille, dans le sens de tirer mal. Nos feux de 
tirailleurs en marchant au polygone, feux de chas- 
seurs ou d'infanterie de ligne, alors que chaque 
homme connaît parfaitement la distance, a tout son 
temps, tout son sang-froid pour ajuster, sont là pour 
en faire foi; il n'est nullement nécessaire que des 
tirailleurs en mouvement non postés puissent ajuster 
au delà de 400 mètres, distance déjà grande et 
portée juste encore de l'armée de ligne. 

Nous disons : il n'est nullement nécessaire^ parce 
que nous croyons avoir démontré que la chose n'est 

1. Il serait bon que chaque régiment eût une coiffure de couleur 
différente pour aider le tirailleur à reconnaître le bataillon et aider 
un peu aux ralliements possibles. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 265 

point praticable à des tirailleurs au delà du premier 
but en blanc K 

A quoi donc bon pour ce service de tirailleurs des 
armes différentes ? Sans doute à mieux donner au fan- 
tassin de ligne, qui ne se rend pas exactement compte 
du réel et voit entre les mains du chasseur une arme 
qu1l est persuadé être entièrement supérieure à la 
sienne, à mieux donner au fantassin de ligne le sen-* 
timent de son infériorité. 

Ainsi, qu'on les emploie comme tirailleurs, comme 
infanterie de ligne 2, les chasseurs à pied ne font 
nulle besogne que ne soit obligé de faire le reste de 



1. Quelques hommes de sang-froid pourront tirer avec jus- 
tesse, etc. Ils ne le pourront pas, perdus dans la foule, ne pouvant 
distinguer leurs balles de celles de leurs voisins. Le trouble est plus 
contagieux que le sang-froid. — Mais admettons. — Pourquoi donc 
ne pas réunir ces hommes de sang-froid au lieu de les laisser perdus 
dans le nombre eux et leurs balles justes ? — On n'éparpille pas le 
feu de l'artillerie. On le concentre. 

2. On entend des officiers dire que les chasseurs devraient être 
employés comme réserve de brigade, de division. — A quoi bon 
leur arme de précision? Et puis de quel droit? Il faut avoir fait 
ses preuves... et, du reste, des réserves d'élite, de brigade, de divi- 
sion, placées si près des troupes immédiatement engagées, ne sont 
pas seulement inutiles ; elles sont nuisibles ; on les attend toujours 
pour finir la besogne ; il n'y a plus d'élan franc, etc., etc. 

Où nous mèneraient ces divisions à l'infini de troupes de pre- 
mière ligne, de soutien, de réserve? A une démoralisation. com- 
plète des premières. 

On a toujours tort de ne pas compter avec la manie d'égalité du 
Français, et, s'il est une circonstance où il la veut entière, c'est 
devant le danger. Chacun son tour, et chacun fait de son mieux, 
veut faire mieux que le camarade, afin qu'il ne puisse être dit qu'il 
a fait moins bien. 



266 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

rinfanterie ; seulement celle-ci le fait d'autant moins 
bien que les chasseurs le font mieux, et cela parce 
qu'entre les chasseurs et la ligne il ne saurait y 
avoir émulation ; il y a sentiment de supériorité d'un 
côté, d'infériorité de l'autre, sentiment d'un fait vrai. 
D'aucuns, par esprit de corps, pourront nier ce 
sentiment; ne pouvant nier le choix dans les con- 
tingents, ils diront qu'en définitive, entre les chasseurs 
et la ligne, il n'y a, en tant que tirailleurs, d'autre 
différence qu'un peu moins de nerf dans les jambes, 
un peu moins de souffle dans la poitrine. Mais, puisque 
tout le monde doit faire et fait le métier de tirailleurs, 
pourquoi donc mettre en des corps à part les tirail- 
leurs les plus solides, lesquels restant dans les ran^s 
de l'infanterie ajouteraient à sa vigueur tout ce que 
leur mise à part lui enlève et au delà? La vigueur 
physique, la générosité du tempérament sont pour 
beaucoup dans le moral, et une douzaine d'hommes 
d'un moral solide font souvent, par la contagion de 
l'exemple, toute la valeur d'une compagnie. C'est 
donc quelque chose à considérer que la quantité de 
moral apportée dans chaque compagnie par une 
douzaine de paires de bonnes jambes que leur ren- 
drait la suppression des chasseurs. 

Si le moral se pouvait peser, les chasseurs sup- 
primés et rentrés dans la ligne, le moral de toute 
Vinfanterie remporterait certainement sur le moral 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 267 

actuel de Tinfanterie de ligne joint au moral des chas- 
seurs à pied ; car tout sentiment d'infériorité est une 
atténuation de moral chez une troupe, et Finfanterie 
actuelle sent la sienne vis-à-vis des chasseurs. 

RÉSUMONS : 

Les chasseurs remplissent mal le service d'hommes 
pourvus d'armes de précision *, puisqu'un homme sur 
vingt seulement sait réellement se servir de ces 
armes, puisqu'ils n'ont pas d'officiers choisis capa- 
bles de les bien diriger, et qu'à rencontre du principe 
de la division du travail^ par le fait même de leur or- 
ganisation en corps nombreux, on les emploie tou- 
jours en dehors de leur spécialité, on les emploie 
surtout comme infanterie légère. 

Ils ne sont pas non plus l'infanterie légère de 
l'armée, puisque toute l'infanterie est apte au service 
d'infanterie légère et en fait et doit faire le métier. 



1. On voit mettre en avant comme preuve de la supériorité des 
armes de précision, et en faveur de leur emploi par des troupes 
nombreuses, les résultats terribles et décisifs obtenus dans l'Inde 
par les Anglais avec la carabine Enfield. — Mais ces résultats ont 
été obtenus précisément parce que les Anglais se trouvaient vis-à-vis 
de leurs ennemis comparativement très mal armés, dans les con- 
ditions de sécurité^ de confiance et par suite de sang-froid récla- 
mées pour l'usage efficace de ces armes de justesse ; conditions com- 
plètement changées lorsqu'on a en face de soi un ennemi également 
bien armé et discipliné et qui par conséquent nous envoie destruc- 
tion pour destruction. 



1 



268 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Ils ne seraient pas du reste assez nombreux pour 
suffire seuls à ce service. 

Ils sont tout simplement une troupe d'élite, et la 
multiplicité des troupes d'élite diminue la qualité de 
la masse entière, surtout des troupes d'élite qui, 
prises d'emblée dans les contingents, ne sont objet 
d'émulation pour personne et, faisant plus souvent 
que tous un service que tous devraient faire, s'aguer- 
rissent aux dépens de la ligne. Tout ce que gagnent 
les chasseurs comme recrutement, solidité, l'infan- 
terie de ligne le perd. 

Les chasseurs n'ont donc pas raison suffisante 
d'exister. 



IV 



Gommant , les oliasseiirs supprimés , les carabines 
peuTent rendre les serrlees qu'elles n'ont encore 
point rendus Jnsqa*à présent. 

Les chasseurs sont supprimés, et dans chaque ba- 
taillon d'infanterie il est formé une compagnie de 
tireurs de carabines, de trente hommes. Ces hommes 
sont exclusivement choisis parmi les meilleurs tireurs 
du bataillon ; ce sont généralement d'anciens soldats, 
car c'est parmi les anciens soldats que l'on rencontre 
d'habitude les tireurs les plus habiles , ceux qui 
sont nés bons tireurs acquérant naturellement pins 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 269 

d'aplomb et de sang-froid avec l'âge et Texercice. 
Ces bons tireurs ne seront donc point nécessairetnent, 
loin de là souvent, les hommes les plus forts, les plus 
alertes, les plus agiles du bataillon ; il n'est besoin ; 
leur service sera beaucoup moins fatigant que celui 
des combattants, des tirailleurs immédiats. 

L'élément nerveux que la suppression des chas- 
seurs rendrait à l'infanterie resterait donc en très 
grande partie dans ses rangs, ajoutant d'autant à la 
vigueur des compagnies et des bataillons. 

Inutile d'expliquer comment cette composition d'an- 
ciens soldats, garantie de sang-froid, un exercice 
exclusif, une émulation sagement entretenue, assu- 
reraient au tir des compagnies de tireurs une justesse, 
une solidité dont nos compagnies de chasseurs ne 
sauraient donner une idée. 

Ces compagnies seraient commandées par des offi- 
ciers d'une aptitude reconnue. 

Elles ne gêneraient en rien les manœuvres du ba- 
taillon, placées en colonne, sur le flanc ou à la queue, 
sans augmenter la distance qui sépare les bataillons 
en marche ; en bataille, derrière le bataillon ; dans 
les formations contre la cavalerie, elles se réfugieraient 
dans le carré, ou resteraient à genoux, couchées 
sous les baïonnettes du premier rang; ou mieux, 
restant dans les angles morts, remplaceraient avan- 
tageusement les tirailleurs qu'on déploie, en avant 



270 ÈxyDES SUR LE COMBAT 

des faces, pour tirer sur une cavalerie qui s'avance 
de loin. Ces tirailleurs souvent se replient dans un 
tel désordre qu'ils amènent dans le carré les cavaliers 
à leur suite. En cette circonstance, les tireurs ne sor- 
tent pas de leur métier exclusif , qui est de tirer 
» de loin. — Ils prennent par habitude leur place hors 
du carré sans plus d'hésitation que les tambours en 
dedans. Groupés d'avance, gens calmes, connus de 
tous, ils ne broncheront pas, et leur rôle est si simple 
qu'ils n'y sauraient manquer. 

Ainsi donc au moment de l'action, divisée en trois 
ou quatre sections groupées sous une même direction 
ou séparément employées sous le commandement de 
leurs chefs, chaque compagnie remplacerait le canon 
que l'on a souvent attaché au bataillon, le canon 
moins les embarras et plus la facilité de changer de 
place tout en chargeant, de se dissimuler plus aisé- 
ment, de s'aventurer davantage *. 

C'est dire assez comment devraient être employées 
ces compagnies ; comme canon de mitraille à longue 
portée, non autrement. 

1. Que risquent-ils ? D'un feu à l'autre, ils changent de place en 
se dissimulant sans changer de distance. L'artillerie iffi leur peut 
rien que par hasard ! L'infanterie ? Elle n'a pas des ailes ; on va à la 
rescousse, oa bien ils se retirent, et, comme ils ont longue avance, 
Us peuvent tirer en faisant leur retraite. La cavalerie? 10 k"15 
hommes groupés et armés de fusils sont moins enlevables que 1000 
par toute la cavalerie du monde. — Et puis, s'ils sont enlevés, c est 
chance de leur métier. 



ÉTUDES SUR LE COMBAt 2ll 

Se postant en avaijit, en arrière, sur le flanc, à la 
place enfin la plus favorable à leur action, ces petits 
pelotons agiraient par le tir individuel ou par le feu 
à commandement. Ce dernier feu, par l'envoi d'une 
gerbe de balles dirigées sur un même point, permet- 
tant plus facilement que tout autre de juger de la 
distance au moyen de Teiîet produit, serait certaine- 
ment leur plus terrible mode d'action. 

Il peut paraître singulier de préconiser ici le feu à 
commandement déclaré précédemment impossible, 
sauf en circonstances données ; c'est précisément en 
ces circonstances données, de choix d'homm,es et 
d'officiers, de distance, de sang-froid, que se trouve- 
raient les tireurs de carabine. 

N'étant pas encadrés, faciles à dissimuler derrière 
le moindre pli, ces groupes exécuteraient leur tir 
dans des conditiojois de sans-géne complètes, sur un 
rang, ou sur deux rangs en échiquier, à genoux ou 
debout, rmme toujours appuyée sur le coude, soit au 
besoin sur un bâton. 

Tirant de loin, ils auraient un sang-froid que l'on ne 
peut attendre de tirailleurs engagés ou d'hommes 
dans le rang, et leur tir y gagnerait en précision. 

C'est à ces conditions, à ces conditions seulement 
de choix dans les tireurs et dans les officiers, d'action 
à de grandes distances, de sécurité relative, de sans- 
géne et de sang-froid dans le tir, que la carabine pour- 



272 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

raity ainsi que le fait le canon rayé, produire des effets 
en raison de sa puissance comme justesse et portée. 



Béponsa anx o]itJeotl<ms pratiquas que peat soulever 
l'armement avec des carabines d'un certain nombre 
d*bommes par régiment. 

L'armement , avec des carabines , d'un certain 
nombre d'hommes par régiment, soulève des objec- 
tions pratiques. 

L'adoption pour toute l'infanterie de la carabine 
Chassepot ou de toute autre analogue fait disparaître 
la plupart des objections pratiques à la suppression 
des chasseurs et celle principale d'un corps à part 
pour une arme particulière. Qu'on ne choisisse plus 
les hommes du reste, et le maintien des chasseurs 
comme- infanterie légère, ce qui n'est qu'un mot, 
n'offrant plus d'inconvénient moral, ils resteront un 
luxe, ce qui n'est plus question purement militaire. 

L'inconvénient de deux espèces de munitions dans un 
même corps. — Cette objection n'a pas empêché, de 
leur formation à 1848, les bataillons de chasseurs 
d'avoir deux armes de calibres fort différents, et elle 
à bien moins de portée aujourd'hui; avec la balle des 
petites carabines, les grosses carabines tiraient moins 
juste que des fusils lisses, tandis que la balle actuelle 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 273 

de la ligne dans les carabines est encore d'une redou- 
table précision. Et puis, quel que soit le calibre, est- 
ce donc chose si difficile que d'avoir dans chaque 
caisson de munitions d'infanterie, un 30® de paquets 
de cartouches pour carabines en papier rouge * ? 

IjC manque de polygones dans le plus grand nombre 
des garnisons d'infanterie. — Si un polygone était 
d'une nécessité absolue, l'objection serait fondée. 
Mais dans toute garnison d'infanterie on a un ter- 
rain de cible. Ce terrain permet le tir jusqu'à 400 
mètres au moins, très souvent jusqu'à 600 mètres. 
Avec de bons yeux un bon tireur à 400 mètres est 
un bon tireur à 1000 mètres. Si donc, circonstance 
rare, il n'est pas possible quatre ou cinq jours par 
an et pour le tir d'un petit nombre d'hommes n'entrai- 
nant aucun dégât, s'il n'est pas possible de prolon- 
ger jusqu'à 1000 ou 1100 mètres le champ habi- 
tuel de tir, les tireurs consommeront toutes leurs 
cartouches dans les limites du terrain à leur dispo- 
sition. On ne pourra faire que 400 mètres = 1000 mè- 
tres; mais en diminuant les dimensicms du but, en 
modifiant sa couleur, par le moyen d'un artifice quel- 
conque enfin, on peut rapprocher le tir dans des 
limites forcées des conditions du tir aux grandes 
distances. 

1. Il se peut dn reste que Tadoption des armes nouvelles sim- 
plifie la question, ' 

i8 



274 ÉTODES SUR LE COMBAT 

Du reste, avec les changements de garnison, la 
plupart de nos hommes, soldats et tireurs de métier, 
auront toujours rencontré quelque terrain qui les ait 
mis à même de connaître par expérience réelle le tir 
de leurs armes aux grandes distances. 

On peut craindre que les colonels ne donnent pas 
à rinstruction de leurs compagnies de tireurs toute 
l'attention que doit exiger cette instruction, qui sera 
pour ainsi dire en dehors de Tinstruction générale 
du régiment. Du colonel au soldat, la suppression 
des chasseurs sera reçue de tous avec joie, dans l'in- 
fanterie de ligne, qu'elle relèvera dans sa propre es- 
time ; et il est certain que dès le premier moment, ne 
serait-ce que pour la crainte de ne pas justifier cette 
suppression, le plus grand soin sera apporté à l'éduca- 
tion et au choix des compagnies de tireurs; et de 
bonnes habitudes prises deviennent tradition. Et du 
reste n'y a-t-ilpas des inspecteurs? 

Tous les officiers de chasseurs avec leurs propres 
compagnies formeroïit les premieï's éléments de ces 
compagnies de tireurs d'élite, qui s'épureront avec le 
temps de leurs malivais tireurs et des officiers non 
capables ; la mesure ne saurait les froisser, les plaçant 
d'emblée chacun à un poste de confiance. 



"^*i 



NOTES ET OBSERVATIONS DIVERSES 



Le combat antique se passait •sur un espace res- 
treint ; le chef y voyait tout son monde, y voyait 
clair ; son narré devait être clair, bien que nous re- 
marquions que ces narrés laissent, dans l'antiquité, 
beaucoup de détails obscurs , oubliés , que nous 
sommes obligés de suppléer. — Dans un combat 
moderne, on ne sait guère ce qui se passe, s'est 
passé, que par le résultat. — Les narrés ne peuvent 
entrer dans les détails d'exécution. 

— Épaminondas à Leuctres diminue de moitié la 
profondeur de son monde. Il forme une phalange à 
gauche de 80 sur 50. Il aurait très bien pu s'en dis- 
penser, car la droite lacédémonienne fut d'abord 
mise en désordre par sa propre cavalerie, laquelle, 
placée en avant de tétie aile, ftit culbutée par la 
cavalerie supérieure d'Épaminondas stir Tinfanterie 
qui était derrière , et llnfanterie d'Épaminondas, 
arrivant à la suite de sa cavalerie, en eut bon 
marché. Kn tournant à droite, la gauche d'Épami- 
nondas ïHrit alors en flanc la ligne lacédémonicnnt^, 
laquelle) menacée de face |^t l'ap^^roche des éèhe- 



'^ 



276 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Ions d'Ëpaminondas, se démoralisa et prit la faite. 
— Pourquoi cette ordonnance de 80 sur 80? Peut- 
ôlre pour donner sans manœuvre, par un simple à 
droite ou à gauche, front de 80 dans n'importe quelle 
direction. — A Leuctres, il fit à droite simplement 
et prit Tennemi de flanc et à revers. 

— n parait, d'après Xénophon, que lancer le dard à 
cheval n'était pas chose facile, puisqu'il recommande 
à plusieurs reprises d'avoir le plus quHl se pourra 
d'hommes sachant lancer le dard. Le même auteur 
recommande, pour ne point tomber de cheval en 
chargeant, de pencher le corps fort en arrière!.... 

On voit, en lisant Xénophon, que l'on tombait 
souvent de cheval. 

— Durée de la bataille de Pharsale. — Le combat 
dura au moins quatre heures. — César levait son 
camp, ce que l'on fait le matin, lorsque, etc. Et 
il dit que ses troupes étaient fatiguées, le combat 
ayant duré jusqu'à midi, ce qui semble bien indiquer 
qu'il trouvait ce combat long. 

César a des légions qu'il trouve jeunes, non encore 
bien solides et qui ont neuf ans de formation. 

— Moyen âge (Froissard). — Les chevaliers, au 
combat des Trente, étaient armés pour le combat 
de pied, qu'ils préféraient lorsqu'ils voulaient une 
affaire sérieuse, en champ clos pour ainsi dire. 

Il y a un arrêt, un repos dans le combat, lorsque 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 277 

les deux partis sont fatigués, épuisés. — Les Bretons, 
à ce repos, n'étaient plus alors que 28 contre 30. — 
Combat jusc[u'à épuisement sans perte d'un côté. — 
Sans Montauban, le ccunbat eût duré jusqu'à épuise* 
ment mutuel, absolu et sans plus de pertes; car, 
plus on était fatigué, moins de force on avait pour 
percer les armures. 

Montauban est à la fois félon et héroïque. — 
Félon, parce qu'il faisait chose déloyale ; héroïque, 
parce que si les Bretons ne profitaient habilement 
du désordre, entré seul dans le bloc anglais, il était 
oçcis. 

Après la lutte, les Bretons ont 4 tués, les An- 
glais 8, dont 4 assommés dans leurs armures. 

— Bataille de Seimpach. — 1300 Suisses mal 
armés ; 3000 chevaliers lorrains en phalange. L'assaut 
en coin des Suisses est repoussé, et ils sont menacés 
d'être enveloppés. Arnold de Winkelried fait la 
trouée; les Suisses pénètrent, et le massacre s'en- 
suit.... 

— Comment on se battait sous Montluc, dans une 
société aristocratique? Montluc nous le montre, nous 
le dit ; il marchait en tête à l'assaut, mais, aux pas 
difficiles, poussait devant lui un soldat dont la peau 
ne valait pas la sienne. — Il n'en a pas le moindre 
doute et pas la moindre honte ; le soldat ne réclame 
pas, tant la chose est indubitable, indiscutable. — 



278 ÉTUPES SUR LE G0M6AT 

Vous, cliefs, faites cela dans une armée diémo.cra- 
tique, (elle qu'elle coDttiue«ce à être, telle qu'elle 
sera p][us tard. 

Devant le danger, le chef n'est pas plus que le sol- 
dat; le soldat veut bien xaarcher, mais derrière son 
chef, et encore... Ses çîwarades n'ont pas le cuir 
plus précieux que le sien, il faut qu'eux aussi mar- 
chent... Et cette préoccupation très réelle de Téga- 
lité devant le danger, qui ne voit qu'elle amèn^ l'hé- 
sitation, non la résolution. Quelques fous peuvei^t 
se faire casser la tête de près, mais le rç&te sie ti- 
raille de loin. — On ne perd pas moins de monde, 
loin de là. 

— Tant que les compagnies oAt app^^rtenu aux 
capitaiues, il est difficile d'a,pprécier les p.er^es. 

Dws les récits modernes, qui lit un Français, qui 
lit un étranger est complèteiaent dérouté, tant les 
faits se ressemblent peu. Où est le vrai? Les résultats 
seuls le pourraient donner (résultats comme pertes 
réciproques) ; comment les avoir? et eux seuls sont 
instructifs. 

Sous Turenne, je crois, il n'y avait pas encore au 
même degré l'amour-propre de nation pour obscurcir 
la vérité. — Les troupes étaient souvent de même 
nation dans les deux armées. 

— Si les vanités nationales, les amours-propres na- 
tionaux, n'étaient bien plus susceptibles pour les faits 



ÉTUJDES SUR LE COMBAT 279. 

récents et qui les passionnent encore, ou trouverait 
de nombreux exemples dans nos dernières guerres, 
soit chez nous, soit chez les alliés. — Mais qui pour- 
rait parler de Waterloo, dont on a tant parlé avec 
passion, en parler avec impartialité sans être honni ? 

— Waterloo gagnée n'eut guère avancé nos affaires. 

— Napoléon tentait Fimpossible, et, à l'impossible, le 
génie môme n'est point tenu. — Après une lutte ter- 
rible contre la solidité et la ténacité anglaises, lutte 
où nous ne pouvions sérieusement les entamer (et où 
nous ne l'aurions probablement pas pu davantage 
quand les Prussiens ne fussent venus), les Prussiens 
paraissent, on leur fait face, et la déroute commence, 
non par les troupes engagées contre eux, mais par 
celles fatiguées, c'est possible, mais pas plus que 
leurs ennemis, qui étaient en face des Anglais. — 
Effet moral d'une attaque sur leur droite, alors 
qu'elles attendaient plutôt secours de ce côté. — 
Cette droite suivit le mouvement. 

— - Ce que fait Napoléon pr?!! a diminué le rôle de 
l'homme dans les batailles et remplacé l'action par 
les combinaisons. — Franchement, pour nous, les 
instruments, est-ce un motif d'être si glorieux? 

Masses d'infanterie , masses de cavalerie. Elles 
marquent, à la fin de l'Empire, une dégénérescence 
tactique résultant de l'usure des éléments et, par 
suite, de leur abaissement comme moral et instruction. 



280 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Et puis les alliés connaissaient alors et adoptaient 
nos méthodes et nos moyens d'action. Autre motif 
d'essayer du neuf (vieux neuf) pour obtenir l'étonne- 
ment qui donne, peut donner un jour la victoire, 
mais un jour seulement, jusqu'à ce que l'ennemi en 
soit revenu ; sorte de moyen désespéré que se permet 
la toute-puissance lorsqu'elle voit le prestige lui 
échapper.. 

Quand arrivent le malheur et le manque d'hommes 
à sacrifier, Napoléon redevient l'homïne pratique que 
n'aveugle plus la toute-puissance; le suprême bon 
sens, le génie, reprennent le dessus sur la rage de 
vaincre à tout prix, et nous avons la campagne 
de 1814. 

— Phrase significative dans l'énumération des 
causes de victoire des Prussiens sur les Autrichiens 
en 1866, par le colonel Borbstaed : « C'était que 
chacun, étant instruit, savait se retrouver prompte- 
ment et sûrement dans toutes les phases du combat. » 

Tout est là en effet, tout, tout. 

— Les Américains nous ont montré ce que devien- 
dra le combat moderne avec des armées immenses, 
mais sans cohésion. 

Chez eux, le manque de discipline, d'organisation 
traditionnelle et solide a produit d'emblée les résul- 
tats que nous avons signalés. 

Combats de tirailleurs embusqués à longue dis- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 281 

tance, durant un, deux, trois jours, jusqu'à ce que 
quelque faux mouvement, la fatigue des esprits, 
amène une des deux troupes à céder le terrain à 
l'autre. 

Dans cette guerre d'Amérique, où, dit-on, on a re- , 
nouvelé les mêlées d'Azincourt, etc. (et il n'y a eu 
que mêlées de fuyards), les choses ne se sont point 
passées autrement, et moins que jamais on a com- 
battu de près. 

— On lit dans le général Ambert : « Privées de 
toutes traditions militaires, presque sans hiérarchie, 
ces masses confuses (armées d'Amérique) se frappè- 
rent comme on frappait à Azincourt et à Crécy. » — 
Mais non : à Azincourt et à Crécy on a peu frappé, on 
a surtout été beaucoup frappé. — Ces batailles ont été 
d'inmienses tueries de Français par des Anglais et 
par d'autres Français unis à eux, qui ont été très peu 
tués. 

En quoi, puisque le général veut une ressem- 
blance, en quoi, sinon dans le désordre pareil au 
nôtre, les combats américains ressemblent-ils à ces 
tueries au couteau? Les Américains se sont tiraillés à 
des lieues. 

— « Chez lés Arabes, la guerre est une lutte d'agi- 
lité et de ruse; aussi la chasse est le premier des 
passe-temps. La poursuite des bêtes sauvages en- 
seigne celle des hommes. » 



282 ÉTUDES SUR LE GOJdBAT 

Ainsi parte le général Daumas, qui fait des Arabes 
des chevaliers. Qu'y a-l-il donc de chevaleresque 
dans la surprise et regorgement nocturne d'un camp ? 

— Il serait temps de faire comprendre le peu de 
force des armées tumultuaires ; de faire revenir de 
rillusion des premières armées de la Révolution, qijie 
le peu de vigueur, Findécision des cabinets européens 
et de leurs armées a seul empêchées d'être immédia- 
tement balayées. 

Les Jacques de toutes lea époques, qui ont tout à 
gagner, point de quartier à espérer, ne sont-ils pas 
des exemples? 

Depuis Spartacus, ne les voit-on pas toiyours 
vaincus? 

L'armée n'est réellemei^t forte que lorsqu'elle dé- 
coule de l'institution sociale. Certes, Spartacus et les 
siens étaient individuellemeut de terribles combat- 
tants. — Gladiateurs, faits à la vue de la mort et à 
l'çscrime, prisonniers, ç'est-à-dire esclaves, barbares, 
pleins de rage de leur liberté perdue, colons esclaves 
en rupture de ban, tous gens n'ayan,^ n\d qi;^artier à 
espérer, de quels hommes peut-on espérer plus de 
fureur au combat? 

Mais la discipline, les cl^efs, tout éta^t improvisé 
et ne pouvait avoir la solidité de la discipline sécu- 
laire çt d'instituti,on sociale des Romains. Rs furent 
vaincus. 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 233 

Vendéens? tous et très soli^enotent organisés. 

Il faut que le temps, et un long temps, ait donné 
aux chefs, avec Fhabitude du commandement, la con- 
liance dans leur autorité; aux soldats, la confiance 
dans leurs chefs et dans leurs camarades. Il ne suffit 
pas de commander la discipline, il faut que les chefs 
aient le vouloir de Texécuter et que son exécution ri- 
goureuse donne aux soldats la résignation, le senti- 
Buent de la soumission à la discipline, et la leur fasse 
craindre plus que les coups de l'ennem^. 

Il Ç5t tell^ nation q^i n'aura jamais une armée 
vraiment solide, parce que les hommes de cette na- 
tion sont trop civilisés, trop fins, trop démocrates 
dans certaine s^^ception de mot... 

Ceci peut faire rire ; ceci est. 

— Il n'est pas patriotique de dire que Fesprit mili- 
taire se meurt en France. — La vérité est toujours 
patriotique. L'esprit militaire est mort avec la no- 
blesse française en 1789. La noblesse a péri, parce 
qu'elle devait périr, qu'elle était usée, à bout de vie. 

Une aristocratie, une uoblesse qui meurt, meurt 
toujours par sa fs^ute, parce qu'elle ne remplit pas 
ses devoirs, parce qu'elle manque à sa tâche, parce 
qu'elle n'a plus les vçrtus de ses fonctions dans TEtat, 
parce qu'elle n'a plus de raison d'être en une société 
dont la tendance dernière est de supprimer ses fonc- 
tions. 



284 ETUDES SUR LE COMBAT 

Après 89, le patriotisme menacé, le sentiment na- 
turel de la défense personnelle, ont ramené Fesprit 
militaire dans la nation et dans Tannée. — L'Empire 
a continué ce mouvement d'idées en le faisant dévier, 
en le faisant de défensif agressif, et Ta usé. — Usé à 
ce point qu'il l'était en 1814, en 1815. 

L'esprit militaire de la Restauration, du gouverne- 
ment de Juillet, est une réminiscence de l'Empire, 
une ressouvenance ; c'était aussi une des formes 
de l'opposition faite à ces deux gouvernements par 
le libéralisme de l'époque, qui n'était pas la démo- 
cratie. 

C'était là un esprit d'opposition et non pas un es- 
prit militaire, lequel est essentiellement conservateur. 

Il n'y a pas d'esprit militaire, dans une société dé- 
mocratique, dans une société où n'existe pas une 
aristocratie, une noblesse militaire. Qui dit société 
démocratique dit société antipathique à ce qui fait 
l'esprit militaire. 

Nous sommes société démocratique. Nous devenons 
de moins en moins militaires. 

Les aristocraties prussienne, russe, autrichienne, 
qui seules font l'esprit militaire de ces États, sentent 
en notre société démocratique un exemple mortel à 
leur existence, comme noblesse, comme aristocratie. 
Elles nous sont ennemies et le seront jusqu'à ce que 
les sociétés russe, autrichienne, prussienne soient 



ÉTUDES SUR IM COMBAT 285 

devenues, comme la nôtre, sociétés démocratiques. 
C'est affaire de temps. 

En attendant, comme notre société française ac- 
tuelle veut vivre et qu'elle a raison de le vouloir, et 
qu'elle ne peut le vouloir au prix d'un échec à l'or- 
gueil national, il faut, puisque pour longtemps encore 
elle se trouve en présence de sociétés où domine 
l'élément militaire, de sociétés à noblesse, il faut 
qu'elle ait une armée solide. Et, parce que l'esprit 
militaire va baissant en France, il faut qu'elle le 
relève en ayant des cadres, des officiers bien payés 
(puisque la haute paye en démocratie fait la considé- 
ration), puisqu'aujourd'hui on ne se tourne pas vers 
l'armée, parce qu'elle n'est pas riche; qu'elle ait des 
mercenaires, soit, et bien payés. En payant bien, on 
en aura de bons, grâce au vieux levain guerrier 
de la race. Ce sacrifice est nécessaire à sa sécu- 
rité. 

Le militaire en notre siècle est marchand. Tant de 
ma chair, tant de mon sang, vaut tant ; tant de mon 
temps, tant de mes affections, etc., etc. C'est un 
noble métier cependant. Sans doute parce que le 
sang de l'homme est noble marchandise, la plus 
noble dont il puisse trafiquer. 

— Ce que vaut une force morale de plus ou de 
moins dans une nation en guerre, on le sait par 
des exemples (Pichegru trahit, une force morale de 



286 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

moins chez nous, et nous sommes battus ; Bonaparte 
revient, avec lui revient la victoire). 

A cela nous ne pouvons rien; mais nous pouvons 
faire que Tannée, la troupe soit bonne, même avec 
un Napoléon de moins. 

Exemple de Tannée de Turenne après sa mort ; elle 
reste excellente, malgré la discorde et Tinsuffisance 
de ses deux chefs. Défense en retraite au passage dû 
Rhin. Réghnent de Champagne attaqué de front par 
infanterie et pris à dos par cavalerie... Un des plus 
beaux faits du métier. 

— « La théorie des gros bataillons est une théorie 
honteuse. » Du plus petit au plus grand orateur, tout 
ce qui parle militaire aujourd'hui ne parie qm de 
masses. La guerre; se fait par des masses énor- 
mes, etc., etc. Et, dans les masses, Thomme disparaît. 
On ne voit plus que le nombre; on oublie la qualité, 
et cependant, aujourd'hui comme toujours, la qualité 
seule fait en somme Taction réelle. Les Prussiens ont 
vaincu à Sadowa avec des soldats faits, unis, h)mpus 
à la discipline, et il ne faut pas plus de trois ou quatre 
ans aujourd'hui pour avoir des soldats, car Tédïrca- 
tîon matérielle du soldat en §omme est p^u &6 chose. 

L'Autriche a été battue parce que ses hommes se 
sont mal battus, parce qu'ils étaient des conscrits. 

Notre organisation projetée nous donnera 4#ft WO 
bons soldats, mais totites nos réserves seinoirt saA^ 



ÉTTÏBËS SUR LE COMBAT 287 

cohésion (si eUes sont de la veille seulement jetées 
dans tel ou tel corps), et les troupes sans cohésion 
font nombre de loin, c'est quelque chose, mais de 
près se réduisent à moitié, au quart comme cofiàbat- 
tants réels (Wagram) ; c'est Fenfance de Tart, ce sont 
coups de désespoir, qui peuvent une fois réussir 
comme effet moral sur un ennemi facile à impres- 
sionner, mais une fois seulement, et encore! Mais, 
devant un ennemi qui raisonne , ils deviennent 
désastre (Waterloo). 

Les Cimbres sont un exemple, et Fhomme n*a pas 
changé. Qui se peut aujourd'hui dire aussi brave 
qu'eux? Et cependant de leur temps il n'y avait ni 
canons ni fusils. 

— L'air militaire est un air inconnu des Romains. 
Chez eux, pas de différence entre civil et militaire. 
C'étaient les mêmes devoirs. Je crois cfue l'air mili- 
taire date du jour où l'on a fait des armes un métier 
exclusif, date des matamores, des coïidottieri italiens, 
plus féroces avec les bourgeois qu'avec les enneïùis. 

— Machiavel cite un "proverbe : La guerre fait des 
voleurs, et la paix les fait pen(ït*e. Les Espagnols du 
Mexique , depuis quarante ans en guerres civiles, 
n'ont plus de gouvernement, et ils regardent comme 
utie honte ï'obéissanôe à une autorité civile. 

Oa comprend les difficultés d'une organisation de 
gouvemement de patijcence pays. 



288 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Il faut que la moitié de la population pende Tautre; 
l'autre ne veut pas et ne voudra pas. 

— D'aucuns veulent transformer les régiments en 
écoles permanentes pour les officiers de tout grade. 
Est-ce le moyen de régénérer les goûts militaires 
en France? J'en doute. Assurément, l'instruction est 
indispensable ; mais gardons-nous de l'exagération, et 
ne faisons pas de l'officier un écolier destiné à passer 
toute sa vie sur les bancs. 

De longues traditions nous ont appris à voir en lui 
une sorte d'aristocrate toujours prêt à faire vigou- 
reusement son devoir en temps de guerre , mais 
aimant, en temps de paix, les loisirs et le far niente. 
C'est fâcheux, mais cela est. Il y a là un de ces vices 
inhérents à notre caractère et à notre tempérament, 
dont il faut savoir tenir compte, faute de quoi nous 
nous exposerons à écarter du métier ceux qui pour- 
ront se passer de cette carrière, et ce seront généra- 
lement ceux qui auront reçu la meilleure éduca- 
tion. 

— Une aristocratie a-t-elle raison d'être, si elle 
n'est pas militaire? Non. 

L'aristocratie prussienne est militaire, rien que mi- 
litaire. Elle peut recevoir dans ses rangs des officiers 
plébéiens, mais à condition qu'ils se laissent ab- 
sorber. 

Une aristocratie n'est-elle pas essentiellement or- 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 289 

gueilleuse! Si elle ne Tétait pas, elle douterait d'elle- 
même. 

L'aristocratie prussienne est donc orgueilleuse; 
elle veut la domination par la force; et dominer, 
toujours plus dominer, est dans ses conditions d'exis- 
tence. On domine par la guerre ; il lui faut la guerre 
(à son heure, soit; ses chefs ont le tact de choisir le 
moment), et elle veut la guerre. C'est dans son es- 
sence; c'est une de ses conditions de vie comme 
aristocratie. 

Toute nation ayant une aristocratie, une noblesse 
militaire, est organisée militairement. L'officier prus- 
sien est officier parfait comme gentilhomme, comme 
noble; par instruction et par examen, il est plus 
capable; par éducation, plus digne. Il est officier et 
commande par deux motifs, l'officier français par un 
seul. 

La Prusse, avec tous les voiles masquant la chose, 
est une organisation militaire, conduite par une cor- 
poration militaire. 

Toute nation organisée démocratiquement n'est 
point militairement organisée ; elle est vis-à-vis de 
l'autre en état d'infériorité pour la guerre. 

Une nation militaire et une nation guerrière sont 
deux. 

Le Français est guerrier d'organisation et d'ins- 
tinct. Il est chaque jour de moins en moins militaire. 

19 



290 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

Il n'y a nulle sécurité pour une société démocra- 
tique à être voisine d'une société militaire. 

Elles sont ennemies nées. L'une sans cesse menace 
la juste influence, sinon Texistence de l'autre. 

Tant que la Prusse ne sera pas démocratique, elle 
sera une menace pour nous. 

L'avenir semble appartenir à la démocratie ; mais, 
avant que cet avenir soit atteint par l'Europe, qui dit 
que la victoire, la domination, n'appartiendra pas un 
temps à l'organisation militaire, qui périra ensuite 
faute d'aliments de vie, quand, n'ayant plus d'enne- 
mis extérieurs à vaincre, à surveiller, plus à com- 
battre pour la domination, elle n'aura plus sa raison 
d'ôUe ? 

Tout triomphe de la Prusse est un retard pour la 
démocratie allemande, forcée d'attendre que l'aristo- 
cratie périsse alors seulement que l'orgueil , qui est 
sa force, n'aura plus sa raison d'être. 

— Tous les gens qui réfléchissent, dans l'armée, se 
demandent : Comment combattrons-nous demain? 
Nous n'avons point de credo en matière de combat. 
Les méthodes les plus opposées se disputent les in- 
telligences des militaires. 

Pourquoi? Erreur générale de point de départ. 
On dirait que nul ne veut comprendre que, pour 
savoir demain, il faut connaître hier; et hier n'est 
écrit sincèrement nulle part. Il est seulement dans 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 291 

la mémoire de ceux qui savent se souvenir, parce 
qu'ils ont su voir, et ceux-là, jamais, presque jamais 
n'ont parlé. 

Le plus mince détail pris sur le fait dans une action 
de guerre est plus instructif, pour moi soldat, que 
tous les Thiers et Jomini du monde, lesquels par- 
lent sans doute pour les chefs d'Etats et d'armées, 
mais ne montrent jamais ce que je veux savoir, un 
bataillon, une compagnie, une escouade en action. 

Qu'il s'agisse donc d'un régiment, d'un bataillon, 
d'une compagnie, d'une escouade, il est intéressant 
de connaître : 

La disposition prise pour attendre l'ennemi, ou 
l'ordre de marche pour se porter dans sa direction : 
ce que devient cette disposition ou cet ordre de mar- 
che sous l'influence isolée ou simultanée des acci- 
dents du terrain et de l'approche du danger ; 

Si cet ordre est changé, s'il est maintenu à mesure 
que l'on approche davantage ; 

Ce qu'il devient quand on arrive dans la région du 
canon, dans la région des balles; 

A quel instant, à quelle distance, telle disposition, 
spontanée chez la troupe ou commandée par le chef, 
est prise avant d'agir, afin d'agir soit par le feu, soit 
par la charge, soit par les deux combinés, soit par 
les deux à la fois ; 

Comment s'est engagé, s'est fait le feu ; comment 



292 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

ajustaient les soldats (tant de coups de canon, tant 
de balles tirées, tant d'ennemis à bas, quel rensei- 
gnement plus instructif quand on a pu le prendre 
immédiatement sur le terrain) ; 

Gonmient s'est faite la charge, à quelle distance 
Tennemi a fui devant elle, à quelle distance elle s'est 
arrêtée ou repliée devant le feu, ou devant la conte- 
nance, ou devant tel ou tel mouvement de l'ennemi ; 
ce qu'elle a coûté ; ce qui a pu être remarqué de 
toutes ces mêmes choses chez V ennemi; 

La contenance, c'est-à-dire l'ordre, le désordre, les 
cris, le silence, le trouble, le sang-froid, chez les 
chefs, chez les soldats, chez nous, chez l'ennemi, 
avant, pendant, après ; 

Comment le soldat a été, pendant tout le temps de 
l'action, dirigeable et dirigé, ou bien à tel instant a 
eu tendance à quitter le rang pour rester en arrière 
ou pour se jeter en avant ; 

A quel instant, si la direction échappant aux chefs 
n'a plus été possible, à quel instant cette direction a 
échappé au chef de bataillon, au chef d'escadron, à 
quel instant au capitaine, au chef de section, au chef 
d'escouade ; à quel instant en somme (si chose sem- 
blable a eu lieu) n'y a-t-il plus eu qu'une impulsion 
désordonnée, soit en avant soit en arrière, emportant 
chefs et soldats péle-môle ; 

Où, quand, a eu lieu le temps d'arrêt ; 



ÉTUDES SUR LE COMBAT 293 

OÙ, quand, la reprise en main des soldats par les 
chefs ; 

A quels instants, avant, pendant, après la journée, 
a été fait Fappel du bataillon, de la compagnie, de 
l'escouade; résultats de ces appels; 

Combien de morts, combien de blessés, et le genre 
des blessures de part et d'autre, chez les officiers, 
les sous-officiers, les caporaux, les soldats, etc., etc. 

Tous les détails, en un mot, pouvant éclairer soit le 
côté matériel, soit le côté moral de Faction, pouvant 
la faire voir de près, du plus près possible, sont 
choses infiniment plus instructives, pour nous sol- 
dats, que toutes les discussions imaginables sur les 
plans et la conduite générale des campagnes des 
plus grands capitaines, sur les grands mouvements 
des champs de bataille. . 

Du colonel au fusilier, nous sommes soldats, non 
généraux , et c'est notre métier que nous voulons 
savoir. 

Certainement on ne peut obtenir tous les détails 
possibles sur une même affaire; mais certainement 
d'une suite de récits sincères doit ressortir un en- 
semble de détails caractéristiques très apte à mon- 
trer d'une manière saisissante, et irréfutable comme 
un fait, ce qui se passe forcément, nécessairement, h 
tel instant d'une action de guerre ; à donner la me- 
sure de ce que l'on peut obtenir du soldat, si bon 



294 ÉTUDES SUR LE COMBAT 

soit4l, et à servir par conséquent de base à une mé- 
thode rationnelle (possible) de combattre, et nous 
mettre en garde contre les méthodes à priori des 
Ecoles. 

Quiconque a vu s'est fait une méthode basée sur sa 
connaissance, sur son expérience personnelle du 
soldat. Mais Texpérience est longue, la vie est courte. 
L'expérience de chacun ne se peut compléter que par 
celle des autres. 



FIN 



»,* 



A 



TABLE DES MATIERES 



Avant-propos. . . v 

INTRODUCTION 1 

PREMIÈRE PARTIE 

LE COMBAT ANTIQUE 

Chap. I«^. ~ L'homme dons le combat primitif et dans 

le combat antique 11 

CuAP. II. — Que la connaissance de Ihomme a fait la 

tactique romaine^ les succès d'Annibal, 
ceux de César 19 

Chap. IIÎ. — Analyse de la bataille de Cannes 27 

Chap. IV. — Analyse de la bataille de Pharsale et quel- 
ques citations caractéristiques 45 

Chap. V. — Mécanisme et moral du oombat antique. . 62 

Chap. VI. — A quelles conditions on obtient des com- 
battants ré«ls, et comment le combat 
• de nos jours, pour être bien fait, les 
exige plus solides que le combat antique. 75 

DEUXIÈME PARTIE 

LE COMBAT MODERNE 

Chap. I•^ — Du moral dans le combat moderne.. 88 

Chap. II. — Infanterie. — Action morale, action maté- 
rielle 109 



296 TABLE DES MATIÈRES 

Chap. III. — Des roasses *. 115 

Chap. IV. — Soutiens. — Réserves. — Carrés. — G^ 

que vaut le rang 133 

Chap. V. — Des feux 141 

Chap. VI. — Considérations tactiques 196 

Chap. VII. — Cavalerie. — Rôle et action morale 208 

iChap. VIII. — Charge. — Tactique. — Armement 227 

Observations sur l'emploi de la carabine et des chas- 
seurs A pied 245 

Notes bt observations diverses 275 



Coalommiers. — Typ. Paul BRODâRD.