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Full text of "Études sur l'histoire religieuse Revolution française, d'après des documents originaux et inédits, depuis la réunion des États jusqu'au Directoire"

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y 


ÉTUDES 


SUR 


L'HISTOIRE  RELIGIEUSE 


DE    LA 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


COULOMMIERS. 


TYPOG.    P.    BRODARD   ET   GALLOIS. 


fi». 

ÉTUDES 


L'HISTOIRE  RELIGIEUSE 

DE   LA 

RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

d'après  des  documents  originaux  et  inédits 


a^.^Igàzier 

Maître  de  eonférenee?  à  la  Facnllé  des  lettres  de  Paris. 


DEPUIS  LA  RÉUNION  DES  ÉTATS  GÉNÉBADX  JDSaO'AU  DIRECTOIBE 

a  Appelons  reipérience  du  passé  à 
la  direction  du  présent.  » 
Grégoire,  Discours  sur  la  liberté  des  cultes. 


ARMAND  COLIN  ET  G'%  ÉDITEURS 

1,   3,    O,    RCE   DE   SÉZIÈRES 


1  887 
Tons  droits  réservés. 


AVANT-PROPOS 


L'histoire  de  la  Révolution  française  est  depuis 
soixante  ans  l'objet  d'études  sérieuses,  et  c'est 
par  centaines  qu'il  faut  compter  les  écrivains  qui 
ont  marché  sur  les  traces  de  Thiers  et  de  Mignet. 
Études  d'ensemble,  études  de  détail,  monogra- 
phies, apologies  ou  pamphlets,  on  n'a  rien 
épargné  pour  tâcher  de  satisfaire  la  curiosité  si 
légitime  de  la  postérité  ;  et  cependant  nul  ne  peut 
se  flatter  de  bien  connaître  cette  grande  époque. 

Un  de  ses  derniers  historiens,  le  plus  sagace 
peut-être,  sinon  le  plus  impartial,  n'a  pas  cru 
pouvoir  embrasser  d'une  seule  vue  les  différentes 
parties  de  ce  tout  si  complet.  Laissant  à  d'autres 
le  soin  de  faire  l'histoire  «  de  la  diplomatie,  de 
la  guerre,  des  finances,  de  VÉglise  »,  il  s'est 
borné,  dit-il,  «  à  étudier  l'histoire  des  pouvoirs 
publics  ».  Mais  ce  qui  nous  importe  bien  davan- 


VI  AYANT-PROPOS  \ 

tage  à  nous  fils  de  1789,  c'est  l'histoire  des  idées, 
des  sentiments  et  des  passions  de  nos  pères.  Nous 
sommes  appelés,  qu'on  le  veuille  ou  non,  à  con- 
tinuer leur  œuvre  ;  le  monde  marche  à  grands  pas 
dans  la  voie  que  la  Révolution  française  a  ouverte, 
et  nous  avons  le  plus  grand  intérêt  à  savoir  ce 
que  nos  devanciers  ont  pensé  sur  les  questions  qui 
nous  préoccupent,  à  voir  comment  ils  ont  étudié 
les  problèmes  que  nous  tâchons  de  résoudre.  Au 
premier  rang  se  trouvent,  et  l'éternelle  question  de 
l'instruction  publique,  et  le  problème  jugé  presque 
insoluble  des  rapports  de  l'Eglise  et  de  l'État.  On 
cherche  aujourd'hui  à  savoir  au  juste  ce  que  la 
Révolution  a  fait  pour  l'éducation  de  la  jeunesse, 
et,  grâce  à  l'heureuse  intervention  du  ministère 
de  l'Instruction  publique,  l'enquête  commencée  se 
poursuit  avec  patience.  La  question  religieuse 
n'est  pas  moins  grave,  tout  le  monde  le  recon- 
naît, et  les  politiques  les  plus  hardis  se  dérobent 
ou  n'abordent  cette  question  qu'en  tremblant, 
tant  ils  redoutent  pour  la  patrie  les  conséquences 
d'une  résolution  prise  à  la  hâte.  C'est  là  surtout 
que  les  enseignements  de  l'histoire  sont  utiles,  et 
que  l'expérience  du  passé  peut  aider  à  préparer 
l'avenir. 

Aussi  j'ai  cru  devoir  étudier  sérieusement 
cette  histoire  religieuse  de  la  Révolution  fran- 
çaise que  les  plus  illustres  écrivains  ont  à  peine 


AYANT-PROPOS  VII 

«ftleurée,  par  dédain  peut-être,  ou  plutôt  parce 
([u'il  ne  leur  était  pas  possible  de  la  bien  con- 
naître. En  dehors  des  documents  officiels ,  si 
rares,  si  incomplets  et  parfois  si  trompeurs,  ils 
n'avaient  à  leur  disposition  que  les  mémoires,  les 
pamphlets,  les  apologies,  les  martyrologes  d'un 
clergé  royaliste.  Le  témoignage  des  évèques  et 
des  curés  républicains,  de  ces  milliers  d'hommes 
<{ui  sont  restés  au  milieu  des  populations  et  qui 
ont  pu  se  rendre  compte  des  véritables  sentiments 
(lu  peuple  français,  l'histoire  ne  l'a  pas  encore 
lecueilli.  On  s'imagine  que  les  pouvoirs  publics 
uont  pas  eu  à  s'occuper  des  affaires  religieuses 
depuis  1793  jusqu'en  1802;  on  admet  sans  examen 
que  toutes  les  églises  de  France  sont  restées  fer- 
mées jusqu'au  jour  où  Bonaparte  a  daigné  les 
rouvrir,  et  si  l'on  parle  de  la  célébration  du  culte 
durant  ces  neuf  années,  c'est  pour  répéter  que  la 
messe  se  disait  alors  la  nuit,  dans  quelque  grange 
écartée,  dans  une  chambre  aux  fenêtres  matelas- 
sées, avec  des  clochettes  de  bois,  etc.  On  ignore, 
ou  l'on  feint  d'ignorer  que  les  églises,  fermées 
durant  quatorze  mois  tout  au  plus,  se  sont  rou- 
vertes comme  par  enchantement  dès  le  mois  de 
janvier  1795;  que  36  000  paroisses  ont  été  régu- 
lièrement desservies  par  23  000  curés  dès  le  mi- 
lieu de  1796;  que  Notre-Dame  de  Paris  a  été 
rendue  au   culte  public  le  lo  août  1793,  et  que 


VIII  AVANT-PROPOS 

cinquante  évêques  ont  pu  venir  ou  se  faire  repré- 
senter, à  Paris  même  et  avec  l'approbation  du 
gouvernement  républicain,  aux  conciles  de  1797 
et  de  4801.  On  ignore,  ou  l'on  feint  d'ignorer  que 
les  populations  tenaient  à  leur  culte,  et  que  la 
République  de  1792,  acclamée  par  l'immense  ma- 
jorité des  Français,  a  succombé  de  fait,  en  1799, 
parce  que  les  pouvoirs  publics,  et  en  particulier 
le  Directoire,  avaient  alarmé  les  consciences. 

Il  est  indispensable  de  savoir  que  la  Consti- 
tuante a  fait,  dans  l'ordre  religieux  comme  dans 
l'ordre  politique ,  une  révolution  consacrée  en 
définitive,  à  bien  peu  de  chose  près,  par  tous  les 
gouvernements  qui  lui  ont  succédé.  Après  avoir, 
en  novembre  1793,  laissé  détruire  toute  espèce  de 
culte  autre  que  celui  de  la  Raison,  la  Convention 
s'est  déjugée  en  février  1795;  elle  a  de  très  bonne 
foi  proclamé  la  liberté  des  cultes  ;  elle  a  donné  les 
mains  à  l'organisation  d'une  Église,  non  pas  con- 
stitutionnelle et  schismatique,  comme  on  se  plaît 
à  le  répéter,  mais  d'une  Église  à  la  fois  orthodoxe 
et  nationale,  désireuse  de  vivre  en  parfaite  intel- 
ligence avec  la  cour  de  Rome,  mais  profondément 
respectueuse  des  droits  imprescriptibles  de  l'État, 
et  ne  lui  demandant  ni  budget  des  cultes,  ni  pri- 
vilèges, ni  faveurs  d'aucune  sorte.  Cette  Église, 
qui  «  christianisait  »  la  Révolution  et  faisait  péné- 
trer jusque  dans  les  plus  petits  hameaux  l'amour 


AVANT-PROPOS  IX 

de  la  patrie  républicaine,  le  Directoire  n'a  pas 
tardé  à  la  persécuter  avec  rage  ;  et  la  conséquence 
de  cette  conduite  impolitique,  tout  le  monde  la 
connaît  :  la  France  de  l'an  YIII  a  non  seulement 
absous,  mais  acclamé  l'audacieux  général  qui 
chassa  les  persécuteurs. 

Instruit  par  l'expérience  de  ses  devanciers, 
Bonaparte  ne  commit  pas  la  faute  qui  avait 
amené  leur  chute;  mais,  comme  il  avait  dès  lors 
les  projets  les  plus  ambitieux,  il  entreprit  de  faire 
servir  à  ses  desseins  les  aspirations  religieuses 
de  la  France.  En  face  de  lui  se  trouvaient  deux 
catégories  de  prêtres  :  d'une  part  les  royalistes 
émigrés  ou  cachés,  ayant  pour  adeptes  les  riches, 
les  partisans  de  l'ancien  régime,  les  mécontents, 
les  adversaires  déclarés  de  la  République  ;  d'autre 
part  les  prêtres  patriotes  qui  dirigeaient  la  classe 
moyenne  et  le  peuple  proprement  dit.  Effrayé  par 
le  républicanisme  de  ce  dernier  clergé,  Bonaparte 
tourna  ses  regards  vers  l'autre ,  et  il  négocia  le 
Concordat.  Ce  Concordat,  qui  rappelle  à  bien  des 
égards  celui  de  François  I"  et  de  Léon  X  en  1516, 
Bonaparte  sut  en  faire,  non  pas  une  sorte  de  modus 
Vivendi  entre  l'Église  et  l'État,  mais  un  admi- 
rable instrumentum  regni  aux  mains  du  gouver- 
nement français.  De  par  les  articles  organiques, 
promulgués  en  1802,  et  dont  l'application  rigou- 
reuse n'a  pas  empêché  Pie  YII  de  venir  sacrer 


X  AVANT-PROPOS 

Napoléon  deux  ans  plus  lard,  les  ministres  des 
cultes  devinrent  des  fonctionnaires  au  même  titre 
que  les  magistrats  ;  ils  durent  être  exclusivement 
Français,  —  ce  qui  ne  pourrait  plus  être  exigé  si 
l'on  dénonçait  le  Concordat,  —  et  l'on  ne  courut 
pas  le  risque  de  voir  des  missionnaires  étrangers 
fanatiser  les  populations  et  effacer  dans  les  cœurs 
l'amour  de  la  patrie  française. 

Que  d'enseignements  donc  dans  l'étude  de  cette 
histoire!  et  comme  il  est  aisé  d'y  voir  ce  qu'ont 
produit  les  erreurs,  les  fautes  et  les  crimes  de  nos 
pères,  ce  qu'avait  produit  en  sens  contraire  la 
sagesse  de  la  Convention  en  4795,  ce  qu'a  opéré 
ensuite  la  conduite  prudente  et  avisée  d'un  ambi- 
tieux sans  scrupules! 

Cette  histoire  religieuse  de  la  Révolution  fran- 
çaise, c'est  surtout  à  l'aide  des  documents  con- 
temporains que  je  l'ai  entreprise,  et  je  dois 
avouer  que  la  tâche  eût  été  impossible,  si  je 
n'avais  eu  entre  les  mains  ce  que  j'appellerai  les 
Archives  de  l'Église  gallicane  pendant  la  Révo- 
lution :  6  ou  7000  brochures,  livres,  factums, 
journaux  de  toute  espèce  classés  avec  le  plus 
grand  soin,  les  registres  originaux  des  conciles, 
les  procès-verbaux  officiels  des  synodes,  presby- 
tères, assemblées  électorales  et  autres  réunions, 
les  lettres  intimes  se  comptant  par  milliers  et 
venues   de  toutes  les  parties  de  la  France,  tels 


AVANT-PROPOS  XI 

sont,  avec  les  pièces  conservées  dans  nos  grands 
dépôts  publics,  les  matériaux  de  ce  travail  *.  C'est 
l'illustre  Grégoire  qui  les  avait  rassemblés,  parce 
qu'il  avait  à  cœur  d'écrire  une  Histoire  ecclésia- 
stique de  la  Révolution  française ;\\  est  donc  bien 
juste  de  lui  donner  ici  la  place  d'honneur,  et  de 
commencer  par  lui  une  série  d'études  qui  auront 
pour  objet  l'histoire  religieuse  de  notre  Révolu- 
tion. La  France  vient  d'ériger  une  statue  à  cet 
évêque,  et  c'était  justice,  car  la  République  n'a 
pas  eu  de  défenseur  plus  ardent;  le  catholicisme 
reconnaît  en  lui  un  apôtre  convaincu  ;  le  récit 
Hdèle  de  ses  actions  peut  donc  montrer  aux 
hommes  de  bonne  volonté  la  route  qu'il  faut 
suivre  pour  régler  d'une  manière  satisfaisante 
les  rapports  de  l'Eglise  et  de  l'État. 


1.  Ces  Études  ont  paru,  sous  une  forme  un  peu  différente  et 
sans  pièces  justificatives,  dans  la  Revue  historique  de  M.  Gabriel 
Monod  (1877-1881). 


ÉTUDES 

SCR 

L'HISTOIRE  RELIGIEUSE 

DE   LA 

RÉVOLUTION    FRANÇAISE 
LIVRE  PREMIER 

L'ABBÉ   GRÉGOIRE    A   LA    CONSTITUANTE 

(1789  —  1791) 

Henri  Grégoire  est  sans  contredit  l'un  des  per- 
sonnages les  plus  marquants  de  la  Révolution  fran- 
çaise, et  l'on  n'est  pas  surpris  de  voir  que  ses  conci- 
toyens lui  aient  élevé  naguère  une  statue.  Député 
montagnard  à  la  Convention  nationale  ou  sénateur 
opposant  sous  l'Empire,  il  a  joué  pendant  vingt-cinq 
ans  un  rôle  si  considérable  que  l'histoire  doit  lui 
accorder  un  moment  de  sérieuse  attention.  Il  a  été 
toute  sa  vie  l'objet  des  sentiments  les  plus  contraires, 
de  l'amour  enthousiaste  comme  de  la  haine  impla- 
cable, et  la  postérité  ne  paraît  pas  avoir  porté  sur 
lui  un  jugement  définitif.  Maintenant  encore,  plus 
de  cinquante  ans  après  sa  mort,  certains  hommes 
reprochent  à  cet  ardent   démocrate    d'avoir  voulu 

1 


2        HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  christianiser  la  Révolution  »,  et  d'autres  ne  par- 
donnent pas  à  ce  chrétien  convaincu  d'avoir  tant 
fait  pour  la  République.  N'est-il  pas  temps  de  se 
dégager  entièrement  de  ces  exagérations  de  parti, 
et  d'examiner  froidement  la  vie  et  les  œuvres  de  nos 
plus  fameux  révolutionnaires?  La  chose  n'est  pas 
très  difficile  pour  Grégoire,  car  il  a  pris  la  peine  de 
rassembler  lui-même  toutes  les  pièces  de  son  dos- 
sier, s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi,  et  nous 
pouvons  le  juger  en  parfaite  connaissance  de  cause. 
A  défaut  de  l'importante  Histoire  ecclésiastique 
qu'il  se  proposait  d'écrire,  il  a  laissé  des  Mémoires, 
malheureusement  trop  courts,  trop  personnels  et 
d'une  trop  grande  acrimonie  *  ;  on  voit  qu'ils  ont  été 
rédigés  en  1808,  et  que  leur  auteur  indigné  voyait 
alors  les  plus  fougueux  montagnards  de  la  Conven- 
tion ramper  aux  pieds  du  ci-devant  citoyen  Bona- 
parte. Il  a  laissé  en  outre  un  certain  nombre  d'opus- 
cules fort  intéressants,  comme  son  Histoire  des  sectes 
religieuses  ^,  qui  nous  renseigne  si  bien  sur  les  crimes 
de  la  Terreur  et  sur  les  folies  du  Directoire,  comme 
son  Histoire  de  V émigration  ecclésiastique  ',  son  Histoire 
du  mariage  des  prêtres  *,  et  quelques  autres  encore, 
ouvrages  confus  et  d'une  lecture  pénible,  mais  pleins 
d'anecdotes  curieuses,  de  renseignements  d'une  au- 
thenticité parfaite.  Toutefois,  ce  n'est  pas  encore  là 
qu'il  faut  chercher  de  quoi  juger  Grégoire  :  il  faut 

1.  2  vol.  in-8<>.  Paris,  1840.  C'est  une  araère  élégie  que  ces 
Mémoires,  dit  leur  éditeur,  M.  H.  Carnet. 

2.  6  vol.  in-8o.  Paris,  1828-1845.  On  y  trouve  en  outre  des 
indications  de  toutes  sortes  sur  les  théophilanthropes,  sur  les 
jésuites  ressuscites  sous  le  nom  de  paccanaristes,  etc.,  etc. 

3.  Un  vol.  in-8'>. 

4.  Un  vol.  in-8o. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CGxNSTITUANTE  3 

voir  ce  qui  reste  de  sa  bibliothèque,  ou  pour  mieux 
dire  de  ses  archives  domestiques,  et  feuilleter  ces 
innombrables  recueils  de  pièces  imprimées  ou  ma- 
nuscrites que  les  historiens  de  la  Révolution  n'ont 
point  connues;  il  faut  consulter  ces  documents  offi- 
ciels et  ces  lettres  intimes,  ces  panégyriques  et  ces 
pamphlets  qu'il  s'est  plu  à  rassembler  par  milliers, 
à  classer,  à  cataloguer  avec  le  plus  grand  soin.  Il 
en  manque  malheureusement  beaucoup,  parce  que 
Grégoire  a  dû  brûler  en  1793  une  foule  de  papiers 
importants  qui  eussent  compromis  ses  meilleurs 
amis,  entre  autres  le  ministre  Roland  et  l'infortuné 
vicomte  de  Beauharnais;  ce  qui  reste  nous  permet- 
tra pourtant  de  bien  étudier  et  l'homme  et  son 
époque  ^ 

Il  serait  inutile  de  refaire  ici,  après  M.  Henri  Car- 
not,  la  biographie  de  Grégoire  *;  il  n'est  pas  besoin 
non  plus  de  passer  en  revue  tous  ses  actes  de  légis- 
lateur et  d'homme  politique,  ou  même  de  le  suivre 
dans  toutes  les  phases  de  sa  carrière  ecclésiastique, 
depuis  1775  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1831  ;  qu'il 
nous  suffise  d'esquisser  légèrement  son  rôle  reli- 
gieux depuis  1789  jusqu'à  la  fin  du  Consulat;  c'est 
encore  un  chapitre  d'histoire  assez  important. 


1.  Les  brochures  réunies  par  Grégoire  sont  au  nombre  de 
6  ou  7000,  et  beaucoup  d'entre  elles  sont  rarissimes.  Les  lettres, 
écrites  de  tous  les  points  de  la  France  par  des  évêques,  des 
prêtres,  des  laïcs,  sont,  pour  la  seule  période  de  1795  à  1802, 
au  nombre  d'environ  la  000. 

2.  En  tête  des  Mémoires  de  Grégoire,  2  vol.  in-S"  (1840), 
M.  H.  Carnot  a  publié  récemment  dans  la  Bibliothèque  de  la 
jeunesse  française  :  Henri  Grégoire,  évéque  républicain,  1  vol. 
in-12,  1882. 


4        HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

I 

Grégoire  avait  bien  près  de  quarante  ans  quand  il 
vint  siéger  aux  Etats  généraux  comme  député  du 
clergé.  Fils  d'artisan,  né  en  1730  dans  le  petit  vil- 
lage de  Vého,  près  de  Lunéville,  il  était  alors  simple 
curé  de  village  depuis  une  douzaine  d'années,  et  ne 
songeait  pas  que  l'histoire  dût  jamais  s'emparer  de 
son  nom  :  il  avait  composé  quelques  poésies  sans 
valeur  et  deux  ouvrages  de  littérature  ou  de  morale 
couronnés  par  les  académies  de  Nancy  et  de  Metz;  il 
avait,  de  1784  à  1787,  fait  quelques  voyages  en  Alsace, 
en  Suisse  et  en  Allemagne;  il  avait  prêché  à  Luné- 
ville  et  s'était  montré  disciple  fervent  de  Port-Royal; 
mais  rien  ne  faisait  pressentir  que  cet  homme  si 
doux,  si  poli,  si  attaché  à  ses  paroissiens  d'Ember- 
mesnil,  serait  un  jour  le  patriarche  de  l'Eglise  con- 
stitutionnelle, le  plus  ardent  peut-être  de  tous  les 
républicains  de  France. 

Le  rôle  politique  de  Grégoire  aux  Etats  généraux 
et  à  la  Constituante  est  parfaitement  connu,  et  je  me 
contenterai  de  le  caractériser  ici  en  quelques  mots. 
Il  y  arriva,  dit-il  dans  ses  Mémoires  ^  «  avec  la  haine 
((  profondément  sentie  et  raisonnée  de  la  tyrannie, 
«  et  avec  le  respect  également  senti  et  raisonné  pour 
«  les  droits  du  souverain,  cest-à-dlre  du  peuple  ». 
Ainsi,  dès  le  5  mai  1789,  le  curé  d'Embermesnil  était 
un  des  trois  ou  quatre  démocrates  qui  se  trouvaient 
comme  égarés  au  milieu  d'une  assemblée  si  fonciè- 
rement royaliste  *.  Dès  1789,  il  ne  voulait  voir  en 

1.  Tome  I,  p.  402. 

2.  «  Je  pose  en  fait,  dit  Grégoire  lui-même,  qu'aucun  cahier 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  5 

Louis  XVI  qu'un  ennemi  du  peuple,  et,  depuis  ce  mo- 
ment jusqu'au  mois  de  janvier  1793,  tous  ses  actes 
comme  député,  comme  président  de  l'Assemblée  na- 
tionale, comme  évêque  même,  seront  inspirés  par 
cette  haine  si  peu  raisonnée,  quoi  qu'il  en  ait  dit,  et 
d'ailleurs  si  peu  conforme  à  l'esprit  du  christianisme, 
qui  ordonne  d'aimer  jusqu'à  ses  ennemis.  S'il  eût  pu, 
comme  Barnave  en  1791,  au  retour  de  Varennes,  s'en- 
tretenir quelque  temps  avec  le  roi  et  lui  parler  à 
cœur  ouvert,  il  eût  sans  doute  été  subjugué  comme 
Barnave,  car  il  avait  l'âme  encore  plus  tendre  que  le 
jeune  député  du  Dauphiné  ;  sans  doute  il  eût  pris  en 
pitié  ce  malheureux  monarque  dont  le  libéralisme 
était  sincère,  dont  la  bonne  foi  n'avait  d'égale  que  sa 
nullité  même;  du  moins  il  eût  cessé  de  haïr  ce  prince 
infortuné.  Mais  non,  Grégoire  exécrait  Louis  XVI,  le 
mot  n'est  pas  trop  fort;  en  1792,  il  ne  manquait  pas 
une  occasion  d'exhaler  sa  haine  contre  un  pareil 
«  monstre  »,  et  voilà  que,  par  un  juste  châtiment,  le 
souvenir  de  Louis  XVI  a  empoisonné  toute  la  vie  de 
Grégoire.  Adversaire  déclaré  de  la  peine  de  mort,  il 
s'est  vu  accusé  d'avoir  envoyé  le  roi  de  France  à 
l'échafaud,  et  ses  dénégations  les  plus  catégoriques 
n'ont  pu  fermer  la  bouche  à  ses  calomniateurs  *.  Non, 
Grégoire  n'a  point  approuvé  la  mort  de  Louis  XVI, 

ne  demande  une  Constitution  républicaine,  qu'aucun  député 
ne  désire  se  soustraire  à  l'autorité  royale.  Ceux  qui  veulent 
ainsi  alarmer  le  gouvernement  et  les  bons  Français  sont  les 
aristocrates.  »  —  Nouvelle  lettre  d'un  curé  ù  ses  confrères  dé- 
putés aux  États  généraux,  p.  8. 

1.  «  Je  n'ai  jamais  voté  la  mort  de  personne,  »  s'écriait-il 
souvent,  et  il  a  dit  maintes  fois  à  une  personne  de  qui  je  tiens 
ce  propos  :  «  Quand  on  a  tout  fait  pour  détruire  la  calomnie, 
il  faut  bien  l'accepter  comme  une  épreuve  que  le  bon  Dieu 
vous  envoie  !  » 


6        HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

qu'il  jugeait  coupable  de  haute  trahison,  mais  qu'il 
voulait  au  contraire  condamner  à  vivre,  à  contem- 
pler longtemps  le  bonheur  d'un  peuple  libre;  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  cependant  que,  dès  le  premier 
jour,  il  s'est  montré  beaucoup  trop  révolutionnaire 
pour  un  prêtre,  et  que  ses  adversaires  politiques 
auraient  pu  souvent  lui  dire,  comme  Abner  dans 
Athalie  : 

Eh  quoi!  Mathan,  d'un  prêtre  est-ce  là  le  langage,..? 

Ces  réserves  faites  dans  l'intérêt  même  de  la  vérité 
historique,  nous  allons  étudier  tout  particulièrement 
le  rôle  religieux  de  Grégoire  durant  la  Révolution 
française,  c'est-à-dire  à  l'Assemblée  constituante 
jusque  vers  le  milieu  de  179i,  dans  son  diocèse  de 
Loir-et-Cher,  où  il  a  fort  peu  résidé,  depuis  1791  jus- 
qu'en 1801,  à  la  Convention  nationale  jusqu'en  1795, 
dans  les  conciles  ou  dans  les  synodes,  au  Conseil 
des  Cinq-Cents  et  [au  Sénat  jusqu'à  l'entière  conclu- 
sion du  Concordat  en  1802  ;  on  verra  que  si  l'homme 
politique  n'est  peut-être  pas  à  l'abri  de  toute  cen- 
sure, il  n'en  est  pas  de  môme  du  prêtre  et  de  l'évêque, 
dignes  tous  deux  du  plus  profond  respect,  souvent 
même  de  la  plus  vive  admiration. 


II 


Quoique  députe  du  clergé,  le  curé  d'Embermesnil 
napportait  point  aux  Etats  généraux  ce  qu'on  pour- 
rait appeler  les  préjugés  de  la  caste  sacerdotale  ;  il 
avait  toutes  les  vertus  d'un  bon  prêtre,  mais  on  au  - 


L  ABBÉ  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  7 

rail  trouvé  difficilement,  môme  parmi  les  philosophes 
de  cette  époque,  un  homme  plus  éclairé,  plus  ennemi 
du  fanatisme  et  de  la  superstition,  plus  sincèrement 
libéral  et  plus  tolérant.  Ce  que  ses  ennemis  lui  re- 
prochaient alors  avec  le  plus  d'amertume,  c'étaient 
précisément  ses  liaisons  avec  les  protestants  ou  avec 
les  juifs;  et  d'autre  part  le  peintre  David  a  voulu  glo- 
rifier sa  tolérance  quand  il  l'a  représenté,  dans  son 
admirable  esquisse  du  Serment  du  Jeu  de  Paume,  don- 
nant l'accolade  fraternelle  au  chartreux  dom  Gerle 
et  au  pasteur  Rabaut  Saint-Etienne.  Aussi  Grégoire 
fut-il  un  des  premiers  à  comprendre  que  le  clergé 
devait  renoncer  à  ses  prétentions  comme  à  ses  privi- 
lèges, qu'il  devait  surtout  cesser  de  vouloir  former 
un  ordre  à  part  dans  l'Etat.  Cinq  semaines  après 
l'ouverture  des  Etats  généraux,  c'est-à-dire  le  10  juin 
1789,  il  adressa  aux  cent  quatre-vingts  curés,  ses 
co-députés,  une  lettre  pressante  dans  laquelle  il  les 
engagait  à  se  réunir  au  tiers  état  pour  la  vérification 
des  pouvoirs  *.  S'il  ne  se  présenta  pas  dans  la  salle 
commune  le  13  juin,  en  même  temps  que  les  trois 
curés  du  Poitou,  Lecesve,  Balart  et  Jallet,  ce  fut  par 
suite  d'un  malentendu;  il  s'y  rendit  le  lendemain 
avec  cinq  de  ses  confrères,  et  cette  démarche  coura- 
geuse amena  la  fusion  des  trois  ordres,  c'est-à-dire 
la  transformation  des  Etats  généraux  en  Assemblée 
nationale. 

A  partir  de  ce  moment,  Grégoire  fut  considéré  par 
l'Assemblée  tout  entière  comme  le  chef  du  clergé 
patriote,  et  la  plupart  de  ses  motions  furent  prises 

1.  Nouvelle  lettre  à  MM.  les  curés  députés  aux  États  généraux. 
40  p.  in-S».  —  Il  en  avait  écrit  une  première  pour  exciter  ses 
confrères  à  montrer  «  de  l'énergie  ». 


8        HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

en  sérieuse  considération.  Le  23  juillet,  il  proposa 
d'inviter  les  curés  «  à  ramener  et  à  entretenir  la 
«  paix  publique,  comme  ils  l'avaient  fait  en  1775,  à 
«  l'époque  de  la  disette  *,  c'est-à-dire  de  la  guerre 
«  des  Farines  ».  Le  3  août,  il  souhaita  vainement, 
de  concert  avec  Camus,  que  l'Assemblée  joignît  à  la 
Déclaration  des  droits  de  l'homme  une  Déclaration  de 
ses  devoirs  *.  Lorsqu'à  la  suite  de  la  fameuse  nuit 
du  4  août  la  suppression  de  toutes  les  dîmes  fut  dé- 
crétée, Grégoire  en  demanda  le  rachat  par  cantons, 
et  proposa  de  placer  en  fonds  de  terre  les  sommes 
ainsi  acquises  '.  II  intervint  encore  le  14  août  pour 
obtenir  que  le  traitement  des  curés  «  à  portion  con- 
grue »  fût  proportionné  à  l'importance  des  localités 
desservies  par  eux,  et  le  même  jour  pour  amender 
un  décret  sur  la  pluralité  des  bénéfices  ecclésia- 
stiques. II  voulait  faire  décider  qu'elle  aurait  lieu 
selon  les  lois  et  canons  de  l'Eglise;  mais  Camus  com- 
battit cette  proposition,  et  l'on  décréta  simplement 
que  la  pluralité  des  bénéfices  ne  pourrait  porter  à 
plus  de  3  000  livres  le  revenu  des  titulaires  *.  Il  de- 
manda encore,  le  25  septembre,  que  les  curés  et 
vicaires  congruistes,  c'est-à-dire  réduits  au  minimum 
du  traitement,  fussent  exempts  d'impôts,  et  sa  mo- 
tion fut  reçue  avec  applaudissements  ®.  Trois  jours 
plus  tard,  lorsque  les  bénédictins  de  Saint-Martin- 

1.  Point  du  jour,  compte  rendu  des  séances  de  l'Assemblée 
nationale  rédigé  par  Barrère,  t.  I,  p.  273. 

2.  Ibid.,  II,  22. 

3.  Ibid.,  séance  du  11  août,  II,  91. 

4.  Ibid.,  2,  114,  120. 

5.  Ibid.,  3,  m.  Le  traitement  des  congruistes  s'élevait  à 
peine  à  5  ou  600  fr.,  qui  feraient  12  ou  1500  fr.  de  notre  mon- 
naie. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  9 

des-Champs,  sassociant  au  généreux  élan  qui  fit 
donner  à  l'Etat  plus  de  cinq  millions  en  un  mois, 
eurent  offert  à  la  nation  tous  les  biens  de  l'ordre 
de  Cluny,  dont  le  revenu  était  estimé,  disaient-ils,  à 
1  800  000  livres,  Grégoire  critiqua  vivement,  non  pas 
cette  donation,  mais  la  teneur  du  procès-verbal  qui 
«  accueillait  avec  satisfaction  cette  preuve  de  patrio- 
tisme »;  une  telle  expression  lui  paraissait  préjuger 
à  tort  la  grave  question  de  la  propriété  des  biens 
ecclésiastiques  *.  Enfin,  lorsque  l'évêque  d'Autun,  le 
fameux  Talleyrand,  proposa  de  remettre  à  la  nation 
tous  les  biens  du  clergé  moyennant  une  allocation  de 
cent  millions  d'abord,  et  plus  tard  de  quatre-vingts 
ou  quatre-vingt-cinq  millions  pour  l'entretien  du  culte 
€t  de  ses  ministres,  Grégoire  voulut  gagner  du  temps 
et  empêcher  qu'une  telle  décision  ne  fût  prise  à  la 
légère.  Il  proposa  donc  de  faire  imprimer  la  motion 
de  Talleyrand,  et  de  renvoyer  le  débat  du  lundi  au 
vendredi  *.  Lors  de  la  discussion  générale,  voyant 
que  la  chose  était  pour  ainsi  dire  résolue  d'avance, 
il  ne  prit  la  parole  que  pour  demander  encore  la 
dotation  des  cures  eu  biens-fonds  '.  Curé  de  village, 
il  savait  par  expérience  quelle  salutaire  influence  un 
bon  curé  peut  avoir  sur  les  villageois,  et  il  voulait 
■que  le  pasteur  fût  partout  une  sorte  de  petit  proprié- 
taire ou  de  fermier,  au  lieu  d'être  un  fonctionnaire 


i.  Point  du  jour,  tome  III,  p.  133.  —  Grégoire  avait  raison 
■de  réclamer  :  les  supérieurs  de  la  Congrégation  protestèrent 
immédiatement;  ils  désavouèrent  leurs  jeunes  confrères  et  les 
accusèrent  même  d'avoir  supposé  des  signatures.  Leur  protes- 
tation fut  imprimée,  comme  1  avait  été  la  lettre  des  religieux, 
par  ordre  de  l'Assemblée  nationale. 

■2.  Ibid.,  111,  272-300. 

3.  Ibid.,  23  octobre,  III,  426, 


10      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

étranger  qui  réside  pour  un  temps  plus  ou  moins 
long  dans  telle  ou  telle  commune,  et  que  l'on  peut, 
d'un  trait  de  plume,  dépouiller  de  sa  pension.  Aussi 
reprit-il  cette  motion  l'année  suivante,  et  publia-t-il 
sous  forme  de  Mémoire  son  discours  à  l'Assemblée  *. 
On  voit  par  là  que  Grégoire  était  infiniment  moins 
audacieux,  et  comme  nous  dirions  aujourd'hui  moins 
radical  en  religion  qu'en  politique.  Il  comprenait 
comme  tout  le  monde  que  le  clergé  devait  être  ré- 
formé, mais  il  demandait  que  l'on  procédât  aux 
réformes  ecclésiastiques  avec  une  grande  lenteur 
et  une  extrême  prudence  :  il  sentait  bien  que 
l'on  s'aventurait  témérairement  sur  une  mer  semée 
d'écueils.  Aussi  le  voyons-nous  parler  avec  chaleur 
contre  la  suppression  des  ordres  religieux,  suppres- 
sion qu'il  jugeait  impolitique  et  dangereuse  ^  ;  et  s'il 
désire  que  l'on  confisque  les  revenus  des  bénéficiers 
sortis  du  royaume,  c'est-à-dire  des  ecclésiastiques 
émigrés  ^,  en  revanche  il  réclame  l'égalité  la  plus 
absolue  entre  les  moines  de  tous  les  ordres,  et  il 
déclare  que  les  pensions  de  700,  800  et  900  livres, 
accordées  par  l'Assemblée  aux  religieux  suivant  leur 
âge,  sont  tout  à  fait  insuffisantes  *. 


1.  Méynoire  sur  la  dotation  des  curés  en  fonds  territoriaux,  lu 
à  la  séance  du  H  avril  1790,  par  M.  Grégoire,  curé  d'Embei'- 
ménil,  député  de  Lorraine,  correspondant  de  la  Société  j^oyale 
d'agriculture,  24  p.  in-8°.  —  Ce  discours  de  Grégoire  est  un 
des  meilleurs  qu'il  ait  faits;  il  est  calme,  modéré,  juste  et, 
quoi  qu'en  ait  dit  Barrère,  aussi  solide  que  brillant. 

2.  Point  du  jour,  séance  du  11  février  1790,  VII,  37. 

3.  Ibid.,  S  janvier  1790,  V,  350  et  sq. 

4.  Ibid.,  19  février  1790,  VII,  111,  117. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  11 


III 


Ces  différentes  motions  du  curé  d'Embermesnil 
nous  conduisent  tout  naturellement  aux  mémorables 
débats  de  l'Assemblée  nationale  sur  la  Constitution 
civile  du  clergé,  qui  fut  présentée  par  le  comité  ecclé- 
siastique le  29  mai  1790. 

On  sait  quelle  a  été  cette  Constitution  civile,  dont 
l'objet  principal  était  de  détruire  au  nom  de  la  nation 
souveraine  le  concordat  que  François  I'''"  et  Léon  X 
avaient  conclu  en  1516  au  mépris  de  ses  droits,  et  de 
substituer  l'élection  des  évêques  et  des  curés  par  le 
peuple  à  la  nomination  des  évêques  par  le  roi  et  par 
le  pape,  à  la  nomination  des  curés  par  les  évêques. 
Elle  supprimait  en  outre  les  primaties  et  les  arche- 
vêchés, réduisait  le  nombre  des  évêchés  à  un  seul 
par  département  *,  et  ramenait  le  traitement  des 
prélats,  dont  quelques-uns  possédaient  jusqu'à  trois 
ou  quatre  cent  mille  livres  de  rente  ^  qui  en  vau- 
draient aujourd'hui  plus  du  double,  à  des  propor- 
tions infiniment  plus   modestes.   Le  projet  primitif 


1.  Il  y  en  eut  donc  83  au  lieu  de  133. 

2.  L'archevêque  de  Strasbourg,  le  célèbre  Rohan- Collier,  avait 
un  revenu  de  460  000  francs;  celui  de  Sens  recevait  de  ses 
divers  bénéfices  260  000  fr.;  celui  de  Narbonne,  280  000;  celui 
de  Paris,  200  000:  celui  d'Aix,  lliiOOO;  celui  d'Auch,  120  000; 
celui  de  Bayeux,  102  000;  celui  de  Cambrai,  218  000  ;  celui  de 
Toulouse,  123  000  ;  celui  de  Meaux,  52  000,  etc.  —  Ancien  clergé 
de  France,  avec  le  tableau  des  revenus  dont  chaque  bénéficier 
jouissait  avant  le  i^'  janvier  1790.  —  Paris,  Didot  le  jeune, 
1790. 


12      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

s'en  tenait  là,  et  c'est  beaucoup  plus  tard,  en  pré- 
sence de  l'opposition  croissante  du  clergé,  que  l'on 
y  introduisit  la  clause  fatale  du  serment  civique  à 
exiger  de  tous  les  prêtres.  La  plupart  de  ces  réformes 
étaient  depuis  longtemps  réclamées  par  l'opinion 
publique,  et  la  présence  de  cent  quatre-vingts  curés 
aux  Etats  généraux  en  était  la  preuve  ;  mais  en 
outre  l'impopularité  que  le  haut  clergé  s'était  attirée 
en  mai  1789  par  son  alliance  avec  la  noblesse  les 
rendait  nécessaires,  si  l'on  voulait  ne  pas  brouiller 
l'Eglise  avec  la  Révolution.  Quoique  composée  en 
grande  majorité  de  libres  penseurs,  disciples  de  Mon- 
tesquieu, de  Voltaire  ou  de  Rousseau,  l'Assemblée 
nationale  sentit  la  nécessité  d'une  réforme  complète 
à  introduire  dans  l'organisation  civile  du  clergé  de 
France;  et  l'année  1789  n'était  pas  écoulée  qu'elle 
chargeait  son  comité  ecclésiastique  de  lui  soumettre 
un  projet  de  Constitution'  civile  du  clergé.  On  a  pré- 
tendu que  cette  Constitution  était  l'œuvre  de  Gré- 
goire et  de  deux  autres  jansénistes  comme  lui, 
Camus  et  Lanjuinais  ;  mais  Grégoire  n'a  jamais  fait 
partie  du  comité  ecclésiastique  *,  dont  les  princi- 
paux membres  étaient  des  laïcs,  comme  Durand  de 
Maillane,  Treilhard,  Lanjuinais,  Dupont  de  Nemours, 
Martineau,   etc.  *,  et  tout  donne   à  penser  que   ce 


1.  Il  était  président  du  Comité  des  rapports,  qui  comptait 
40  membres.  Lorsque  Camus  fit  imprimer,  le  6  décembre  1790, 
son  opinion  sur  la  Constitution  du  clergé  (Imprimerie  natio- 
nale, 38  p.  in-8"),  il  éprouva  le  besoin  d'y  joindre  les  approba- 
tions et  adhésions  d'un  certain  nombre  de  «  prêtres-curés  dé- 
putés à  l'Assemblée  nationale  »;  il  y  a  28  signatures;  celle  de 
Grégoire  ne  s'y  trouve  pas. 

2.  Voici  d'ailleurs,  d'après  Durand  de  Maillane,  qui  a  fait 
paraître  en  1791  une  Histoire  apologétique  du  Comité  ecclésia- 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  13 

projet  de  Constitution  civile  lui  paraissait  trop  radi- 
cal et  ne  lui  plaisait  pas  beaucoup.  Sans  doute  il 
reconnaissait  à  l'Assemblée  nationale,  que  les  évé- 
nements avaient  élevée  tout  à  coup  au-dessus  du  roi, 
puisqu'elle  représentait  le  véritable  souverain,  la 
Nation,  et  qu'elle  faisait  la  Loi  dont  le  premier  ser- 
viteur était  le  Moi,  il  reconnaissait,  dis-je,  à  cette 
Assemblée  la  plénitude  de  l'autorité  temporelle,  et 
il  lui  croyait  le  droit  de  dénoncer  le  concordat  de 
François  I"""  et  de  Léon  X;  mais  il  eût  souhaité  qu'une 
affaire  aussi  délicate  fût  traitée  de  manière  à  ne 
pas  alarmer  les  consciences  et  à  ne  pas  fournir  aux 
mécontents  ou  aux  perturbateurs  une  occasion  de 
désordre  '.  C'est  d'ailleurs  un  fait  curieux  à  noter 


stique  de  l'Assemblée  nationale,  la  composition   exacte    de  ce 

Comité  : 

Lanjuinais,  Legrand, 

D'Ormesson,  Vaneau, 

Grandin,  Durand  de  Maillane, 

Martineau,  Évêque  de  Clermont, 

De  Lalande,  ■            Despatis  de  Courteilles, 

Prince  de  Robecq,  Evêque  de  Luçon, 

Salle  de  Choux,  De  Boutiiillier. 
Tbeilhard. 

Le  1  février  1790,  on  adjoignit  à  ces  lii  un  nombre  égal  de 
membres  nouveaux  dont  voici  les  noms  : 

DoM  Gerle,  chartreux,        Chasset, 
DiONis  DU  Séjour,  Gassendi,  curé, 

Abbé  DE    MONTESQUIOU,  BOISLANDRY, 

Guillaume,  Fermont, 

De  la  Coste,  Dom  Breton,  bénédictin, 

Dupont  de  Nemours,  La  Poule, 

Massieu,  curé,  Thiébaut,  curé. 

ExpiLLY,  curé, 

1.  «  Dans  l'espérance  de  voir  arriver  la  réponse  du  souverain 
pontife,  plusieurs  fois  moi-même,  j'ai  engagé  M.  le  garde  des 
sceaux  à  ne  pas  presser  la  sanction  du  roi,  uniquement  pour 


14      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

que  les  constitutionnels  les  plus  déterminés  ont 
commencé  par  se  montrer  très  froids  pour  la  Con- 
stitution civile  du  clergé.  Ainsi  l'évêque  de  Lydda,  le 
trop  fameux  Gobel,  voulait  que  le  dernier  décret  de 
cette  Constitution  fût  le  suivant  :  «  Le  roi  est  supplié 
de  prendre  toutes  les  mesures  et  toutes  les  voies 
civiles  e?  canoniques  pour  assurer  la  pleine  et  entière 
exécution  des  présents  décrets  ^  »  En  d'autres  termes, 
il  demandait  l'abrogation  de  la  Constitution  civile 
ou  son  acceptation  par  le  pape,  et  la  plupart  des  fu- 
turs évêques  constitutionnels  partageaient  cet  avis. 
Quant  à  Grégoire,  il  ne  demanda  pas  une  seule 
fois  la  parole  au  cours  de  la  discussion  générale,  et 
ce  silence  obstiné  d'un  orateur  aussi  fougueux  était 
certainement  une  marque  d'improbation  :  il  eût 
parlé,  il  eût  écrit  avec  sa  faconde  accoutumée  s'il 
avait  jugé  que  le  bien  de  la  religion  commandait  un 
aussi  brusque  renversement  du  passé  *.  Mais  bientôt, 


tranquilliser  ceux  qui  croient  que  la  Constitution  heurte  la 
religion,  et  pour  éviter  un  choc  funeste  entre  le  sacerdoce  et 
l'empire.  »  Grégoire,  Lér/it imité  du  serment  (1791),  p.  26. 

1.  Opinion  de  M.  l'évêque  de  Lydda...,  12  p.  in-12. 

2.  «  Si  l'Assemblée  constituante,  dirigée  par  une  politique 
plus  adroite,  eût  laissé  au  clergé,  et  surtout  aux  évêques,  leurs 
bénéfices,  leurs  commendes,  eu  sorte  que  l'expropriation  au 
profit  de  l'État  ne  se  fût  opérée  que  par  la  uiort  des  titulaires, 
la  Constitution  civile  aurait  eu  peu  de  contradicteurs.  »  Gré- 
goire, Essai  historique  sur  les  libertés  de  l'Église  gallicane, 
p.  148.  —  «  La  Constitution  civile  du  clergé  n'existe  donc  plus,, 
et  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  moi  qui  l'ai  signée  et  qui  m'en 
glorifie,  plût  à  Dieu  qu'elle  n'eût  jamais  existé!...  L'interven- 
tion de  l'autorité  séculière  dans  l'organisation  de  l'Église  fut 
peut-être  un  malheur  nécessaire,  mais  n'en  fut  pas  moins  un 
malheur.  »  Annales  de  la  religion,  t.  III,  p.  13  (7  mai  1796).  On 
sait  que  Grégoire  était  l'âme  de  cette  publication;  les  quelques 
lignes  qu'on  vient  de  lire  sont  de  Pilât,  mais  Grégoire  les  a 
certainement  approuvées  avant  l'impression. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  ib 

voyant  la  Constitution  civile  adoptée  en  principe  et 
ses  différents  articles  mis  aux  voix,  il  crut  devoir 
intervenir  pour  améliorer  dans  la  mesure  du  pos- 
sible cette  loi  de  l'Etat  quïl  fallait  bien  subir.  Il  pro- 
posa donc  un  amendement  à  l'article  4  du  projet  qui 
défendait  aux  ecclésiastiques  français  de  reconnaître 
la  juridiction  d'un  évêque  étranger.  On  avait  répondu 
à  d'Espréménil  que  parmi  les  évêques  étrangers  de- 
vait être  compté  l'évêque  de  Rome  ;  aussitôt  Grégoire 
se  récria.  «  L'intention  de  l'Assemblée,  dit-il,  n'est 
certainement  pas  de  faire  schisme  avec  le  souverain 
pontife  ;  je  propose  d'ajouter  à  l'article  4  :  sans  pré- 
judice de  Vautorité  et  de  la  communion  du  souverain 
pontife.  »  L'article  fut  rédigé  comme  Grégoire  l'avait 
demandé;  le  voici  : 

«  Il  est  défendu  à  toute  église  ou  paroisse  de 
«  France,  et  à  tout  citoyen  français  de  reconnaître 
«  en  aucun  cas,  et  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit. 
«  l'autorité  d'un  évêque  ordinaire  ou  métropolitain 
«  dont  le  siège  serait  établi  sous  la  domination  d'une 
«  puissance  étrangère,  ni  celle  de  ses  [délégués  rési- 
«  dant  en  France  ou  ailleurs;  le  tout  sans  préjudice 
«  de  l'unité  de  foi  et  de  la  communion  qui  sera  entre- 
«  tenue  avec  le  chef  de  V Église  universelle,  ainsi  qu'il 
«  sera  dit  ci-après  *.  » 

Grégoire  défendait  ainsi  les  droits  du  Saint-Siège, 
qui  ne  lui  en  sut  pas  gré;  il  défendit  avec  non  moins 
d'énergie  ceux  des  nouveaux  évêques,  dont  on  vou- 


1.  Tit.  I,  art.  5  de  la  Constitution.  —  Point  du  Jour,  séance 
du  2  juin,  X,  339.  —  Grégoire  n'était  pas  encore  satisfait,  il  l'a 
déclaré  à  plusieurs  reprises,  et  notamment  dans  sa  Légitimité 
du  serment:  «  Dans  cette  Constitution,  j'en  conviens,  l'autorité 
du  pape  n'est  pas  assez  prononcée.  »  Page  2o. 


16      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

lait  faire  des  curés  de  cathédrale  n'ayant  pas  même 
dans  leurs  diocèses  la  direction  de  tous  les  objets  de 
police  ecclésiastique  ^  Mais  il  échoua  dans  cette 
nouvelle  entreprise,  et  ce  fut  la  même  chose  quand 
il  fut  question  de  l'élection  des  évêques  et  des  curés. 
Il  adoptait  en  principe  cette  élection,  qu'il  savait 
avoir  été  pratiquée  durant  plus  de  mille  ans,  même 
en  France,  sans  qu'on  vît  les  évêques  solliciter  ou 
recevoir  des  bulles  du  pape,  mais  il  voulait  ce  qu'il 
appelait  le  scrutin  à  liste  double,  c'est-à-dire  appa- 
remment l'élection  à  deux  degrés;  et  il  demandait 
([ue  les  non-catholiques  ne  fussent  pas  électeurs, 
tandis  que  les  évêques  co-provinciaux  et  le  métropo- 
litain seraient  électeurs  de  droit  ^.  ; 
Ainsi,  loin  de  précipiter  l'Assemblée  nationale 
dans  la  voie  des  réformes  religieuses,  Grégoire  cher- 
chait au  contraire  à  l'arrêter  sur  la  pente,  comme 
s'il  pressentait  les  dangers  que  la  Constitution  civile 
du  clergé  ferait  courir  non  seulement  au  catholi- 
cisme français,  mais  à  la  France  elle-même.  Il  était 
impossible  d'arrêter  dans  sa  marche  une  révolution 
«omme  celle  de  1789;  Grégoire,  satisfait  de  ce  que 
l'Assemblée  n'avait  pas  voulu  toucher  au  spirituel, 
adhéra  sans  hésiter  à  la  réforrçe  temporelle,  qu'il 
croyait,  ce  sont  ses  propres  termes  à  propos  du  ser- 
ment, impolitique  peut-être,  mais  à  tout  le  moins 
.licite  ^.  Le  27  novembre,  dans  cette  orageuse  séance 


1.  Point  du  jour,  séance  du  7  juin,  X,  400,  423. 

2.  Ihid.,  X,  447.   L'évêque   constitutionnel    de    Strasbourg 
écrivit  plus  tard  à  Grégoire  qu'il  avait  été  élu  par  une  assem 
iblée  composée  en  majorité  de  protestants. 

3.  Mémoires  de  Grégoire.  —  «  Approuvez-vous  tout  dans   la 
Constitution  civile  du  clergé?  —  Je  réponds  :  non...  quoique 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  17 

OÙ  Mirabeau,  Pétion,  l'abbé  Maury  et  Camus  firent 
assaut  d'éloquence,  Grégoire  ne  demanda  pas  la 
parole  ;  on  ne  peut  noter  de  lui  ni  une  interruption, 
ni  une  marque  d'assentiment,  et  son  nom  ne  figure 
point  sur  la  liste  des  vingt-huit  curés  qui  adhérèrent 
par  écrit  à  l'opinion  de  Camus  *.  Je  ne  saurais  dire 
s'il  vota  Tensemble  du  projet  de  loi,  car  le  Moniteur, 
le  Point  du  jour  et  les  autres  journaux  du  temps  ne 
parlent  pas  de  lui  à  ce  propos;  s'il  donna  sa  voix,  ce 
fut  assurément  sans  enthousiasme,  et  pour  ne  pas 
déprécier  par  avance  une  des  parties  les  plus  impor- 
tantes de  la  nouvelle  Constitution  française.  Il  dut 
être  assez  désagréablement  affecté,  quinze  jours  plus 
tard,  quand  il  vit  «  Monsieur  Larive,  acteur  du  Théâtre- 
Français  »,  féliciter  l'Assemblée  nationale  au  nom  des 
électeurs  de  Paris,  et  donner  son  adhésion  à  cette 
«  Constitution  civile  du  clergé  qui,  sans  toucher  aux 
«  maximes  sacrées  de  l'Eglise  gallicane,  ne  change 
«  que  sa  géographie,  à  cette  Constitution  civile  qui, 
«  conservant  l'unité  du  catholicisme  et  de  la  commu- 
«  nion  romaine,  affranchit  [la  France]  de  la  domina- 
«  tion  d'une  cour  étrangère...  Nous  ne  choisirons 
<'  jamais,  ajoutait  Larive,  évidemment  très  intéressé 
«  dans  la  question,  que  des  pasteurs  dignes  tout  en- 
«  semble  de  la  nation  et  des  autels,  et  nous  regarde- 
«  rions  toute  élection  contraire  comme  une  apostasie 
«  électorale  *...  »  De  tels  discours  et  les  appréciations 
de  la  presse  révolutionnaire  n'étaient  pas  assurément 

le  fond  de  cette  Constitution  me  paraisse  excellent.  »  Grégoire, 
Légitimité  du  serment,  p.  24. 

1.  Développement  de  Vopinion  de  M.  Camus,  etc.,  38  p.  in-8». 

2.  Moniteur.  —  Point  du  Jour,  XVII,  228.  Ce  discours  est  très 
curieux  et  très  bien  fait;  le  célèbre  acteur  était  un  homme  de 
beaucoup  d'esprit. 


18      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pour  charmer  un  prêtre  aussi  chrétien  que  le  curé 
d'Ernbermesnil,  mais  il  n'y  avait  point  à  récrimi- 
ner; le  mal  était  fait  depuis  le  jour  où  l'Assemblée 
avait  clos  la  discussion  générale.  Le  roi,  dans  l'inter- 
valle, écrivit  au  pape  et  lui  fît  demander  une  réponse 
par  le  cardinal  de  Bernis;  mais  Pie  VI  ne  répondit 
pas  avant  le  10  mars  1791,  bien  que  l'abbé  Maury 
eût  dit  en  pleine  Assemblée  le  27  novembre  précé- 
dent :  «  Le  silence  du  pape  serait  une  approbation. 
«  Il  faut  croire  qu'il  ne  tardera  pas  à  le  rompre  ^  » 
La  Constitution  fut  décrétée  ;  le  malheureux  Louis  XVI 
dut  la  sanctionner,  car  il  s'y  était  officiellement  en- 
gagé à  Saint-Cloud  le  26  juillet  1790  ^  et  elle  devint 
aussitôt  loi  de  l'Etat.  Il  n'y  avait  plus  dès  lors  à 
transiger  :  chacun  devait  se  soumettre  à  la  loi  ou 
cesser  d'être  Français,  prêter  dans  le  délai  prescrit 
le  serment  exigé  par  la  Constitution,  ou  opposer  au 
législateur  le  non  possumus  des  apôtres.  Beaucoup 
d'ecclésiastiques  refusèrent  le  serment  demandé  ^  ; 
Grégoire  prit  le  parti  d'accepter  une  Constitution, 
défectueuse  peut-être,  mais  orthodoxe,  du  moins  il 
la  jugeait  telle,  et  beaucoup  de  prêtres  éclairés  et 
vertueux  partageaient  cet  avis.  II  pensa  que  le  seul 
moyen  de  sauver  le  catholicisme  français  et  de  le 
réconcilier  avec  la  Révolution  était  d'accepter  sans 

1.  Point  du  jour,  XVI,  402  et  sq. 

2.  Voy.,  à  ce  sujet,  Documents  inédits  sur  les  affaires  reli- 
gieuses de  la  France  (1790-1800),  extraits  des  Archives  secrètes 
du  Vatican  par  le  P.  Augustin  Theiner.  Paris,  2  vol.  ia-8",  1837. 
—  Voy.  aussi  Le  cardinal  de  Bernis  depuis  son  ministère  (1758-1794) , 
par  M.  Frédéric  Masson,  1  vol.  in-S".  Paris,  1884. 

3.  D'après  l'abbé  de  Pradt,  auteur  des  Quatre  Concordats,  le 
nombre  des  prêtres  assermentés  fut  d'environ  60  000;  de  ce 
nombre  étaient  évidemment  les  religieux  que  l'on  faisait  sortir 
de  leurs  couvents. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  19 

délai  le  nouvel  ordre  de  choses,  et  de  donner  un 
exemple  qui  serait  peut-être  suivi  par  la  majorité 
des  évêques  et  des  curés  actuellement  en  exercice. 
Le  27  décembre  1790,  un  mois  après  le  vote  définitif 
de  la  Constitution  civile  du  clergé,  Grégoire  parut  à 
tribune  et  s'exprima  en  ces  termes  au  milieu  du  plus 
profond  silence  : 

«  Disposé,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  confrères, 
à  prêter  le  serment  civique,  permettez  qu'en  leur 
nom  je  développe  quelques  idées  qui  peut-être  ne 
seront  pas  inutiles  dans  les  circonstances  actuelles. 
On  ne  peut  pas  se  dissimuler  que  beaucoup  de  pas- 
teurs très  estimables  et  dont  le  patriotisme  n'est 
pas  équivoque  éprouvent  des  anxiétés,  parce  qu'ils 
craignent  que  la  Constitution  française  ne  soit 
incompatible  avec  les  principes  du  catholicisme. 
Nous  sommes  aussi  inviolablement  attachés  aux  lois 
de  la  religion  qu'à  celles  de  la  patrie.  Revêtus  du 
sacerdoce,  nous  continuerons  de  l'honorer  par  nos 
mœurs:  soumis  à  cette  religion  divine,  nous  en 
sommes  constamment  les  missionnaires;  nous  en 
serions,  s'il  le  fallait,  les  martyrs.  Mais  après  le 
plus  mûr,  le  plus  sérieux  examen,  nous  déclarons 
ne  rien  apercevoir  dans  la  Constitution  qui  puisse 
blesser  les  vérités  saintes  que  nous  devons  croire 
et  enseigner.  Ce  serait  calomnier  l'Assemblée  na- 
tionale que  de  lui  supposer  le  projet  de  mettre  la 

<  main  à  l'encensoir.  A  la  face   de   la  France,  de 

<  l'Univers,  elle  a  manifesté  solennellement  son  pro- 
fond respect  pour  la  religion  catholique^  apostolique 
et  romaine  *.  Jamais  elle  n'a  voulu  priver  les  fidèles 

1.  L'Assemblée  n'avait  pas  voulu  accepter  la  dédicace   des 


20      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  d'aucun  moyen  de  salut;  jamais  elle  n'a  voulu 
^<  porter  la  moindre  atteindre  au  dogme,  à  la  hiérar- 
«  chie,  à  l'autorité  spirituelle  du  chef  de  l'Eglise. 
«  Elle  reconnaît  que  ces  objets  sont  hors  de  son  do- 
«  maine.  Dans  la  nouvelle  circonscription  des  dio- 
«  cèses,  elle  a  voulu  seulement  déterminer  des  formes 
«  politiques  plus  avantageuses  aux  fidèles  et  à  l'Etat. 
«  Le  titre  seul  de  Constitution  civile  du  clergé  énonce 
«'  suffisamment  l'intention  de  l'Assemblée  nationale. 
«  Nulle  considération  ne  peut  donc  suspendre  l'émis- 
«  sion  de  notre  serment.  Nous  formons  les  vœux  les 
«  plus  ardents  pour  que,  dans  toute  l'étendue  de 
«  l'empire,  nos  confrères,  calmant  leurs  inquiétudes, 
«  s'empressent  de  remplir  un  devoir  de  patriotisme 
«  si  propre  à  porter  la  paix  dans  le  royaume  et  à 
«  cimenter  l'union  entre  lespasteurs  et  les  ouailles*.  » 
Cette  déclaration  de  principes  fut  écoutée  par  l'as- 
semblée tout  entière  avec  un  recueillement  véritable, 
et  Grégoire  prêta  aussitôt  le  serment  prescrit;  il  posa 
sa  main  sur  son  cœur  et  s'écria  d'une  voix  forte  : 
«  Je  jure  de  veiller  avec  soin  sur  les  fidèles  de  la 
«  cure  qui  m'est  confiée,  d'être  fidèle  à  la  Nation,  à 
«  la  Loi  et  au  Roi,  de  maintenir  de  tout  mon  pouvoir 
«  la  Constitution  décrétée  par  l'Assemblée  nationale 
<•  et  acceptée  par  le  Roi  *.  »  Cet  exemple  fut  suivi  par 


lEuvres  de  Voltaire;  elle  avait  déclaré  à  ce  propos  qu'elle 
n'accepterait  aucune  dédicace;  le  17  janvier  1791,  elle  fit  une 
Exception  en  faveur  des  Évangiles  publiés  par  Didot.  —  Point 
du  jour,  XVIII,  226. 

1.  Moniteur  du  27  décembre.  —  Point  du  jour.  —  Grégoire, 
Légitimité  du  serment,  p.  2. 

2.  Constitution  ne  signifie  pas  ici  Constitution  civile  du  clergé, 
ce  mol  est  synonyme  de  Loi  française;  c'était  donc  purement 
«t  simplement  un  serment  civique  analogue  à  celui  que  tous 


l'abbé  GRÉGOIRE  A   LA  CONSTITUANTE  21 

un  certain  nombre  de  curés  que  nous  retrouverons 
dans  le  cours  de  ces  études,  comme  Saurine,Dumou- 
chel.  recteur  de  l'Université  de  Paris  ;  Gouttes,  Lindet. 
Rover,  Rangeard,  etc.,  par  le  ci-devant  chartreux  dom 
Gerle,  par  l'évéque  Expilly,  qui  venait  d'être  élevé 
sur  le  siège  de  Quimper,  etc.  Le  lendemain  ce  fut  le 
tour  de  Talleyrand  et  de  Gobel;  ce  dernier,  comme 
Grégoire,  fit  précéder  sa  prestation  de  serment  d'une 
exposition  de  principes  fort  bien  accueillie  par  l'As- 
semblée *. 

Quelques  jours  plus  tard,  après  lorageuse  affaire 
du  serment  restrictif  de  l'évéque  de  Clermont,  Gré- 
goire prit  encore  la  parole  pour  vaincre  les  scrupules 
des  opposants;  il  affirma  de  nouveau,  sans  être  con- 
tredit par  qui  que  ce  fût,  que  l'Assemblée  n'avait 
voulu  donner  la  moindre  atteinte  au  pouvoir  spiri- 
tuel et  aux  droits  de  l'Eglise,  et  prononça  des  paroles 
mémorables  qui  ont  fait  accuser  d'hypocrisie  cet 
austère  disciple  de  Pascal  et  de  Port-Royal,  inca- 
pable par  conséquent  de  la  moindre  restriction  men- 
tale. «  L'Assemblée,  dit-il,  n'exige  pas  un  assenti- 
«  ment  intérieur,  ni  qu'on  fasse  le  sacrifice  de  son 
«  opinion.  Que  veut-elle  donc?  Elle  veut  que  vous 
«  obéissiez  extérieurement,  et  que  vous  procuriez 
«  obéissance  à  la  loi  *.  »  Une  telle  proposition  serait 


les  membres  de  l'Assemblée  nationale  avaient  prêté  le  4  fé- 
vrier 1790,  et  qui  était  conçu  en  ces  termes  :  «  Je  jure  d'être 
fidèle  à  la  Nation,  à  la  Loi  et  au  Roi,  et  de  maintenir  de  tout 
mon  pouvoir  la  Constitution  décrétée  par  l'Assemblée  nationale 
et  acceptée  par  le  Roi.  »  Point  du  Jour.  YI,  308.  —  Les  évêques 
qui  ce  jour-là  jurèrent  tous  approuvaient-ils  la  spoliation  du 
clergé,  qui  était,  ou  peu  s'en  faut,  un  fait  accompli?} 

1.  Moniteur  du  27  décembre. 

2.  Moniteur.  —  Point  du  Jour  du  4  janvier  1791 .  Grégoire  se 


22     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

odieuse  si  Grégoire  avait  voulu  dire  qu'un  catholique 
pouvait  considérer  la  Constitution  civile  du  clergé 
comme  hérétique  ou  schismatique,  et  cependant  lui 
jurer  obéissance  ;  mais  telle  n'était  pas  la  pensée  de 
l'orateur.  Persuadé  que  la  Constitution  ne  touchait 
point  au  dogme,  mais  simplement  à  la  discipline 
extérieure,  sujette  à  bien  des  modifications  selon  les 
temps,  il  n'eût  point  exigé,  comme  dira  bientôt  Tal- 
Icyrand,  que  les  protestants  par  exemple  jurassent 
fidélité  à  une  Constitution  qui  présuppose  l'autorité 
<ki  pape  '  ;  mais  à  ses  yeux  tous  les  catholiques  de 
France  étaient  obligés  de  reconnaître  à  l'autorité  sé- 
culière, représentée  par  un  roi  absolu  comme  Fran- 
çois I",  ou  agissant  directement  par  le  suffrage  du 
peuple,  le  droit  de  nommer  les  évêques;  ils  devaient 
admettre  que  l'investiture  ecclésiastique  donnée  par 
le  pape  en  vertu  du  concordat  de  Léon  X  n'est  point 
indispensable  *,  Il  avait  donc  raison  de  déclarer 
qu'on  peut  ne  pas  approuver  tous  les  articles  d'une 
loi  dont  le  principe  est  incontestable,  et  qu'on  peut 
cependant  la  voter  dans  son  ensemble,  ou  tout  au 
moins  lui  jurer  obéissance. 

Que  Grégoire  se  soit  trompé  ou  non  dans  cette  cir- 
constance, ce  n'est  pas  notre  affaire,  et  nous  ne  pré- 
tendons pas  engager  ici  une  discussion  dogmatique 

plaint  dans  ses  Mémoires  (II,  17)  que  son  opinion  ait  été  tra- 
vestie dans  le  Moniteur  et  dans  les  Annales  de  Linguet. 

1.  Rapport  de  Talleyrand  sur  la   tolérance   (8  mai   1791).  

Point  du  jour,  XXII,  88  et  sq. 

2.  Sous  le  second  empire,  un  prêtre  notoirement  gallican, 
l'abbé  Maret,  dernier  doyen  de  la  Faculté  de  théologie,  fut 
nommé  par  le  chef  de  l'État  à  l'évêché  de  Vannes.  La  cour  de 
Rome  lui  refusa  l'investiture  en  raison  de  ses  opinions,  mais  il 
était  bel  et  bien  évêque,  et  l'on  transigea  en  lui  donnant  l'évê- 
ché in  partibus  de  Sura,  puis  l'archevêché  de  Corinthe. 


L'ABBÉ  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  23 

tout  à  fait  inutile.  On  a  écrit  plus  de  mille  brochures 
<Mi  faveur  de  la  Constitution  civile  ou  contre  elle,  et 
jamais  les  contradicteurs  ne  sont  tombés  d'accord. 
Il  faut  avouer  cependant,  pour  expliquer  la  conduite 
de  Grégoire  et  des  autres,  que  l'hétérodoxie  de  cette 
Constitution  n'était  pas  d'une  évidence  éclatante. 
«  De  deux  choses  Tune,  disait  Grégoire  en  1791,  ou 
la  Constitution  civile  du  clergé  est  hérétique  —  et 
alors,  en  résistant,  comme  de  raison,  il  ne  fallait 
pas  demander  le  consentement  du  pape,  qui  jamais 
ne  peut  approuver  une  hérésie  —  ou  la  Constitution 
n'est  pas  hérétique  —  et,  pour  le  bien  de  la  paix,  il 
fallait  se  soumettre  au  moins  provisoirement  *.  »  S'il 
y  avait  hérésie  ou  schisme  évident,  pourquoi  la  cour 
de  Rome  s'obstinait-elle  à  garder  le  silence?  Pour- 
quoi le  souverain  pontife ,  au  lieu  d'adresser  à  quelques 
personnes  triées,  comme  on  dit,  sur  le  volet,  des  brefs 
clandestins  dont  on  a  pu  contester  l'authenticité  *, 
n'a-t-il  pas  fulminé  une  bulle  d'excommunication 
contre  Expilly,  le  premier  élu  des  évêques  constitu- 
tionnels? Pourquoi  n'a-t-il  pas  dégradé  sur-le-champ 
le  cardinal  Loménie  de  Brienne  ^,  qui  se  hâta  de  prê- 
ter le  serment  exigé?  Ce  silence  par  trop  prudent 
pourra  toujours  être  invoqué  en  faveur  des  évêques 
constitutionnels ,    qui   tous    commencèrent    par   se 


1.  Légitimilé  du  serment,  p.  27. 

2.  11  y  a  dans  les  collections  de  Grégoire  quelques  exem- 
plaires de  ces  brefs  imprimés  à  Rome  (1791,  1793,  etc.). 

.3.  Ce  fut  Loménie  de  Brienne  qui  prit  les  devants  et  envoya 
au  pape,  le  26  mars  1791,  sa  démission  de  cardinal.  Il  avait 
prêté  serment  le  1er  février;  le  pape  attendit  jusqu'au  26  sep- 
tembre pour  accepter  sea-ètement  cette  démission  et  créer 
secrètement  un  nouveau  cardinal.  Collection  des  brefs  de  Pie  VI, 
par  Guillon,  II,  144  et  sq. 


24      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

déclarer  catholiques  romains,  qui  écrivirent  tous  au 
pape  une  lettre  de  communion,  et  ne  reçurent  même 
pas  en  réponse  l'anathème  authentique  et  direct  que 
reçoivent  en  pareil  cas  les  prélats  vieux  catholiques 
de  la  Hollande. 


IV 


Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  discussions,  la  lutte  était 
engagée  entre  l'ancien  régime  et  le  nouveau,  entre 
le  clergé  «  réfractaire  »,  comme  on  l'appela  dès  lors, 
et  le  clergé  «  patriote  »,  dont  Grégoire  était  vérita- 
blement le  chef.  Nommé  président  de  l'Assemblée 
nationale  aux  applaudissements  de  la  majorité,  le 
18  janvier  1791,  il  fut  chargé  d'aller  trouver  le  roi 
pour  lui  demander  des  ordres  «  contre  les  auteurs  et 
«  distributeurs  d'un  prétendu  bref  du  pape,  dans  le- 
«  quel  on  suppose  que  l'évêque  de  Rome  reproche 
«  au  roi  d'avoir  donné  son  consentement  à  la  spolia- 
«  tion  du  clergé,  et  déclare  la  Constitution  civile  du 
«  clergé  schismatique,  hérétique,  etc.  '.  »  Mais  cette 
affaire,  qui  eût  été  poussée  vigoureusement  sous 
l'ancien  régime,  n'eut  pas  de  suites  en  1791,  et  il  en 
devait  être  de  même  pour  la  publication  de  deux 
autres  brefs  du  pape,  ceux  du  10  mars  et  du  13  avril, 
parce  que,  dit  Camus,  la  Constitution  française  «  as- 
sure à  chacun  la  faculté  de  manifester  ses  opinions 
même  religieuses  *  ».  L'Assemblée  se  contenta  d'en- 


i.  Point  du  Jour,  XVIII,  258. 

2.  Obsei'vations  sur  deux  brefs  du  pape...,  58  p.  in-8",  1191.  — 
L'Assemblée  décréta  pourtant  que  les  évêques,  curés  et  autres 
fonctionnaires  qui  donneraient  publicité  à  des  bulles  ou  brefs 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  25 

registrer  dans  son  procès-verbal,  pour  leur  donner 
toute  la  publicité  possible,  les  prestations  de  serment 
et  les  élections   d'évêques   dont  elle  recevait  com- 
munication; elle  accueillit  avec  faveur  les  ouvrages- 
qui  lui  furent  présentés  par  les  défenseurs  de  la  Con- 
stitution civile,  notamment  la  Légitimité  du  serment 
civique,  la  Défense  de  la  légitimité...,  par  Grégoire,  et 
les  Observations  de  Claude  Le  Coz  sur  la  Constitution. 
Elle  fit  dresser  le  21  janvier  une  Instruction  sur  la  Con- 
stitution civile  du  clergé  pour  tâcher  de  rassurer  les- 
consciences  par  de  belles  protestations  d'orthodoxie 
et  de  zèle  religieux  ;  mais  l'abîme  se  creusait  de  plus, 
en  plus  entre  les  deux  fractions  divisées  du  clergé 
français  :  la  guerre  de  libelles  que  se  faisaient  les- 
assermentés  et  les  insermentés  prenait  des  propor- 
tions effrayantes,  et  l'agitation  croissait  de  jour  en  jour 
à  Paris  et  dans  les  départements.  L'Assemblée  natio- 
nale affolée  ne  savait  plus  que  faire  :  tantôt  elle  in- 
terdisait le  ministère  de  la  parole  aux  insermentés  *  ; 
tantôt  au  contraire,  après  un  très  beau  discours  de 
Talleyrand  sur  la  tolérance,  elle  leur  accordait   le 
libi'e  exercice  du  culte,  à  condition  que  Tordre  ne 
serait  point  troublé  *  ;  tantôt  enfin  elle  admettait  de 
jeunes  premiers  communiants  à  venir  prêter  serment 
à  sa  barre,  et  occasionnait  ainsi  des  scènes  où  la 
violence  le  disputait  au  ridicule  ^.  C'est  bien  le  cas 
de  dire  avec  Grégoire,  dans  sa  fameuse  Adresse  aux 
députés  de  la  seconde  législature  *,  que  «  les  rênes  du 

non    autorisés    par    elle    seraient   poursuivis    criminellement 
comme  perturbateurs  de  l'ordre  public.  —  Loi  du  17  juin  1791. 

1.  Loi  du  27  mors  1791,  décrétée  le  3  février. 

2.  Loi  du  13  mai  1791,  décrétée  par  l'Assemblée  le  7. 

3.  Séance  du  15  juin  1791.  —  Point  du  jour,  XXIII,  242. 

4.  Lue  aux  Jacobins  le  26  septembre  1791,  et  imprimée  par 


26      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  pouvoir  commençaient  à  flotter  dans  les  mains  des 
«.  législateurs;  que  quelques-uns  d'entre  eux  cou- 
«.  raient  encore  dans  la  carrière,  mais  qu'un  grand 
«  nombre  s'y  traînaient,  et  que  des  chutes  fréquentes 
«  avaient  annoncé  leur  épuisement,  constaté  leur 
<'  impéritie,  ou  signalé  leur  corruption.  » 

Assurément  l'ancien  régime  ecclésiastique  devait 
<lisparaître  avec  l'autre  ;  ma^s  l'Assemblée  nationale, 
après  avoir  commis  la  faute  de  brusquer  la  réforme 
et  de  jeter  dans  la  réaction  la  moitié  du  clergé,  avait 
le  tort  de  rendre  l'autre  moitié  ridicule  et  odieuse. 
Au  lieu  de  compter  avec  le  temps  et  de  faire  appel  à 
la  conciliation,  elle  se  plaisait  pour  ainsi  dire  à  jeter 
de  l'huile  sur  le  feu.  La  Constituante  aurait  dû,  pour 
être  logique,  ne  reconnaître  comme  salariés  que  les 
ecclésiastiques  assermentés,  car  en  fin  de  compte  il 
faut  bien  que  force  demeure  à  la  loi;  mais  il  fallait, 
au  nom  de  la  liberté,  laisser  aux  prêtres  réfractaires 
le  droit  d'association.  Elle  aurait  dû  laisser  au  roi 
comme  à  tous  les  autres  citoyens  le  droit  d'entendre 
la  messe  où  bon  lui  semblait  et  de  choisir  au  moins 
son  confesseur  ;  en  évitant  ainsi  de  violenter  sa  con- 
science, elle  eût  empêché  sans  doute  cette  malheu- 
reuse fuite  de  Varennes  dont  la  première  cause  a  été, 
<'omme  on  sait,  l'intolérance  de  l'Assemblée  *.  Irritée 
par  des  résistances  qu'elle  n'avait  pas  su  prévoir,  la 
Constituante  a  manqué  de  modération,  et  des  libé- 

leur  ordre,  31  pages  in-S".  Le  jugement  est  sévère;  M.  Taine 
dirait  qu'il  est  juste. 

1.  Louis  XVI  avait  voulu,  en  avril  1791,  so,  cacher  à  Saint- 
Cloud  poury  faire  ses  pâques  sans  recourir  à  son  cnré  con- 
stitutionnel, ruais  une  émeute  empêcha  ce  voyage  de  deux 
lieues,  et  le  ■<  voyage  à  Montmédy  >■  fut  irrévocablement  résolu 
ce  jour-là. 


l'abbé  GRÉGOIRE  A  LA  CONSTITUANTE  27 

raux  comme  Grégoire  pouvaient,  sans  être  prophètes, 
s'écrier  en  septembre  1791  :  «  Nous  avons  construit. 
'(  gréé  et  lancé  le  vaisseau  de  l'Etat,  mais  il  fait  eau. 
«  l'approvisionnement  est  incomplet,  le  port  est  en- 
core loin;  sans  être  absurde,  on  peut  craindre  le 
"  naufrage,  et,  quant  à  moi,  je  fais  des  efforts  pour 
«  croire  à  la  liberté  *.  »  Grégoire  n'avait  que  trop 
raison,  car  au  despotisme  de  la  Constituante  succéda 
la  tyrannie  de  la  Législative  et  de  la  Convention  ;  le 
Directoire  ne  fit  qu'aggraver  encore  une  situation  si 
critique,  et  le  naufrage  du  navire  était  complet  au 
18  brumaire,  lorsque  Bonaparte  se  présenta  pour  en 
recueillir  les  épaves. 

Quant  à  Grégoire,  dont  le  rôle  comme  législateur 
religieux  n'a  pas  eu  l'importance  qu'on  lui  attribue 
généralement,  il  vit  dès  le  mois  de  janvier  1791  toutes 
les  difficultés  qui  allaient  surgir.  Après  avoir  donné 
l'exemple  de  la  soumission  aux  lois  et  soutenu  la 
plume  à  la  main  qu'il  avait  eu  le  droit  et  le  devoir 
d'agir  ainsi,  il  cessa  de  prendre  part  à  des  luttes 
irritantes  qui  déeréditaient  une  religion  chère  à  son 
cœur.  Au  lieu  de  plaider  longuement  la  cause  du 
clergé  constitutionnel,  et  de  perdre  son  temps  à 
démontrer  l'existence  du  mouvement,  il  aima  mieux, 
comme  le  philosophe  ancien,  marcher  en  présence 
de  ses  contradicteurs.  Il  accepta  donc,  malgré  sa 
répugnance,  les  fonctions  épiscopales  que  lui  con- 
féraient les  départements  de  Loir-et-Cher  et  de  la 
Sarthe,  que  lui  offraient  ceux  de  l'Aisne  et  de  la 
Meurthe;  il  opta  pour  Blois,  et  c'est  maintenant 
comme  évêque   constitutionnel  de  Loir-et-Cher  que 

1.  Adresse  aux  députés  de  la  seconde  législature,  p.  24. 


•28      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

nous  aurons  à  le  considérer;  sa  volumineuse  corres- 
pondance avec  son  clergé,  avant  et  après  la  Terreur, 
nous  permettra  d'entrer  à  ce  sujet  dans  une  foule  de 
détails  qui  ne  peuvent  manquer  d'exciter  l'intérêt. 


LIVRE  II 

GRÉGOIRE,  ÉVÊQUE   DE  LOIR-ET-CHER 

(1791  —  1802) 


CHAPITRE  PREMIER 

ÉLECTION   DE   GRÉGOIRE*,    PREMIER   SÉJOUR   A   BLOIS 

(1791) 

De  tous  les  ecclésiastiques  du  second  ordre  qui 
pouvaient  être  promus  à  l'épiscopat  constitutionnel, 
Grégoire  était  sans  comparaison  le  plus  en  vue,  et 
l'on  a  droit  de  s'étonner  qu'il  n'ait  pas  été  le  premier 
élu.  Il  se  passa  pourtant  plus  d'un  mois  sans  que  les 
électeurs  parussent  songer  au  curé  d'Embermesnil, 
qui  d'ailleurs  ne  posa  sa  candidature  nulle  part.  Il 
était  alors  populaire  dans  toute  l'acception  de  ce 
mot;  Louis  David  le  plaçait,  comme  on  sait,  au  centre 
de  sa  grande  composition  du  Serment  du  Jeu  de 
paume,  et  la  presse  libérale  chantait  ses  louanges 
en  vers  comme  en  prose. 

0  vous,  l'idole  de  la  France, 
Zélé  défenseur  de  ses  droits, 

lui  disait-on  dans  une  épitre  en  vers  *  ;  et  à  Rouen, 
dans  un  banquet  donné  en  son  honneur,  un  poète 

1.  4  pages  in-8o. 

2. 


30      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

de  circonstance  avait  parlé  de  lui  en  ces  termes  le 
6  septembre  1790  : 

n  ne  porte  crosse  ni  mitre, 
Il  n'est  fier  que  de  ses  vertus... 
—  Dans  notre  renaissant  empire 
Un  bon  pasteur  est  un  grand  bien  ; 
Curé  chéri,  tu  peux  bien  dire  : 
Tout  Français  est  mon  paroissien  K 

C'était  bien  autrç  chose  encore  dans  les  journaux 
de  Paris;  l'un  d'eux,  intitulé  :  Je  m'en  /*,..  ou  les  Pen- 
sées de  Jean  Bart  sur  les  affaires  du  temps,  disait  en 
1790  :  «  Je  voudrais  voir  dans  l'Assemblée  une  cha- 
«  pelle  comme  dans  nos  vaisseaux,  et  voilà  quels 
«  seraient  nos  aumôniers  :  l'évêque  d'Autun,  l'abbé 
«  de  Montesquiou,  l'abbé  Grégoire,  et  puis  ce  moine 
«  chartreux  (dom  Gerle)  qui  est  si  brave  homme.  J'y 
«  servirais  la  messe,  moi,  sabre  à  la  main,  pistolet 
«  dans  la  g...,  et  le  premier  aristocrate  qui  aborde- 
«  rait  :  Pan...  —  Allez,  monsieur  le  prêtre,  continuez 
«  de  prier  le  bon  Dieu,  je  viens  de  tuer  le  diable^.  » 
Enfin  le  fameux  Père  Duchesne  intitulait  un  de  ses 
numéros,  en  janvier  1791  :  «  Grande  joie  du  P.  Du- 
«  chesne  au  sujet  de  la  nomination  de  l'abbé  Gré- 
«  goire  à  la  place  de  président  de  l'Assemblée  natio- 
«  nale,  et  sa  grande  motion  de  le  faire  évéque  de  Paris, 
«  à  la  grande  satisfaction  du  peuple  français  ^  » 

\,  Couplets  chantés  dans  un  dîner...,  2  pages  in-8o. 

2.  No  2,  page  6.  Cette  feuille,  en  style  d'Hébert,  était  loin  d'être 
aussi  révolutionnaire  qu'on  pourrait  le  croire.  Le  numéro  que 
j'ai  sous  les  yeux  débute  par  un  éloge  de  Louis  XVI,  qu'il  com- 
pare à  Henri  IV;  on  y  trouve  à  la  page  5  un  mot  de  compassion 
pour  «  ce  pauvre Favras,  que  l'on  Commence  à  croire  inno- 
cent ». 

3.  Grégoire  a  écrit  en  marge  du  catalogue  de  ses  livres,  à 


ÉLECTION  DE  GRÉGOIRE  31 

Évêque  de  Paris,  Grégoire  ne  voulait  pas  plus  l'être 
en  1791  qu'il  ne  voudra  le  devenir  en  1798,  car  on 
aurait  pu  taxer  d'ambition  son  prétendu  dévouement 
aux  principes;  mais  il  jugeait  avec  raison  qu'on  l'ac- 
cuserait d'inconséquence  ou  de  lâcheté  s'il  refusait, 
non  pas  les  honneurs,  mais  les  charges  et  les  respon- 
sabilités de  l'épiscopat.  Recevant  donc,  le  15  février 
1791,  la  nouvelle  que  les  deux  départements  de  la 
Sarthe  et  de  Loir-et-Cher  l'avaient  élu  tout  d'une 
voix  pour  leur  évêque ,  il  consulta  différentes  per- 
sonnes, notamment  le  bénédictin  dom  L'Hieble,  son 
confesseur,  qui  lui  enjoignit  daccepter.  Il  opta  pour 
le  siège  de  Blois,  uniquement,  dit-il  dans  ses 
Mémoires  S  parce  que  le  courrier  de  cette  ville  luf 
était  parvenu  avant  celui  du  Mans  *.  Je  n'ai  pu 
retrouver  parmi  les  papiers  de  Grégoire  le  procès- 
verbal  de  son  élection,  mais  j'ai  sous  les  yeux  quel- 
propos  de  cette  motion  du  véritable  P.  Duchesne  :  «  Folie  dé- 
placée de  la  part  d'un  écervelé  qui  est  mort  à  Bicètre  en  état 
de  démence.»  Ce  P.  Duchesne,  dont  le  journal  porte  la  fameuse 
vignette  du  marchand  de  poêles  levant  sa  hache  sur  un  prêtre 
à  genoux,  avec  ces  mots  pour  devise,  Mémento  mori,  n'est 
donc  pas  Hébert,  mais  probablement  Lemaire;  il  se  plaint,  à 
la  page  1,  de  l'imprimeur  de  la  rue  du  Vieux-Colombier,  qu'il 
appelle  un  véritable  charlatan. 

1.  Tome  II,  p.  20.  —  «  Saint  Augustin  m'avait  appris  que 
l'épiscopat  est  le  fardeau  le  plus  pesant.  Pour  vaincre  ma  ré- 
pugnance, il  fallut  la  voix  impérative  de  la  religion,  qui  récla- 
mait de  nouveaux  pasteurs,  et  l'ordre  de  ceux  qui  dirigeaient 
mon  âme.  » 

[Fête  séculaire  de  la  fondation  de  Vévêché  de  Blois.  Mandement 
de  Grégoire  à  ses  diocésains,  p.  34.) 

2.  A  peine  élu,  Grégoire  reçut  des  Vosges  une  lettre  dans 
laquelle  on  lui  disait  :  «  Le  département  de  Loir-et-Cher  nous 
a  prévenus.  De  oOO  électeurs  du  département  des  Vosges,  il  n'y 
en  avait  pas  4  qui  n'aient  pensé  à  vous  choisir,  et  nous  avons- 
été  bien  fâchés  à  la  nouvelle  de  votre  élection  dans  ce  dépar- 
tement. » 


32      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

ques  pièces  imprimées  ou  manuscrites  qui  montrent 
avec  quelle  gravité  religieuse  les  habitants  du  Loir- 
et-Cher  procédèrent  à  cette  opération.  L'élection  de 
<}régoire  fut  «  sérieuse  »,  dit  en  propres  termes  l'ancien 
évêque  de  Blois,  Thémines,  l'homme  du  monde  qui 
était  le  plus  intéressé  à  croire  et  à  dire  le  contraire'. 
Conformément  aux  prescriptions  de  la  loi  nouvelle, 
les  électeurs  du  département  furent  réunis  par  le 
procureur  général  syndic,  un  jour  de  dimanche,  dans 
la  cathédrale  de  Blois.  Ces  électeurs  étaient  néces- 
sairement en  fort  petit  nombre,  puisque,  d'après  la 
loi,  il  y  en  avait  un  seul  pour  cent  citoyens  actifs, 
et  que,  pour  être  électeur,  on  devait  justifier  d'un 
revenu  égal  à  150  ou  200  journées  de  travail . 
D'après  un  procès-verbal  d'élection  d'évéque  que  j'ai 
sous  les  yeux,  les  électeurs  de  l'Aveyron  étaient 
alors  au  nombre  de  210  pour  près  de  400000  habi- 
tants. Avec  une  population  d'environ  275  000  habi- 
tants, le  département  de  Loir-et-Cher,  sensiblement 
plus  riche,  ne  devait  pas  en  avoir  plus  de  200.  Ces 
électeurs  assistèrent  à  la  messe  paroissiale,  et  en- 
suite le  procureur-syndic,  le  futur  conventionnel 
Brisson,  ouvrit  la  séance  par  un  discours  d'une 
grande  élévation  morale  et  d'une  parfaite  conve- 
nance ^  Il  commença  par  consacrer  quelques  pa- 
roles à  l'évêque  Thémines,  «  prélat  recomman- 
«  dable,  disait-il,  par  ses  talents,  ses  lumières  et 
«  la  pureté  de  ses  mœurs...,  mais  sourd  au  cri  de 
«  la  raison,  aveuglé  par  les  préjugés  les  plus  faux, 
«  idolâtre  encore  peut-être  de  vaines  prérogatives  ». 


i.  Lett7-e  pastorale  du  21  juin  1791,  p.  183. 
2.  Imprimé,  7  pages  in-i". 


ÉLECTION  DE  GRÉGOIRE  33 

Thémines,  demeuré  à  Bhiis,  s'agitait  d'une  manière 
extraordinaire;  il  venait  même  de  publier  et  de 
faire  distribuer  aux  électeurs  une  lettre  pastorale 
qui  avait  pour  objet  de  protester  contre  toute  élec- 
tion *  ;  Brisson  déclara  dans  son  discours  qu'il  dé- 
noncerait à  l'accusateur  public  ce  perturbateur  du 
repos  public,  puis  il  ajouta  :  «  Plaignons,  mes- 
"  sieurs,  plaignons  l'aveuglement  des  hommes;  dé- 
'  plorons  les  funestes  effets  de  leurs  faiblesses  et 
de  leurs  erreurs!  Mais  après  avoir  payé  ce  tribut  à 
«  l'humanité,  tournons  nos  regards  vers  la  loi,  et 
«  faisons  ce  qu'elle  nous  commande.  »  Parlant  alors 
de  l'élection  qui  devait  être  faite,  il  vanta  cette  Con- 
stitution civile  du  clergé  qui  allait  rendre  à  l'Église 
son  antique  splendeur,  et  il  exhorta  ses  concitoyens 
remplir  en  conscience  leur  mandat  d'électeurs. 
Je  crois,  dit-il,  entendre  la  voix  des  peuples  que 
nous  représentons  et  dont  nous  exerçons  la  puis- 
sance, nous  dire  avec  une  juste  inquiétude  :  L'acte 
que  vous  allez  faire  est  le  plus  important  de  la 
mission  que  nous  vous  avons  donnée.  Ce  ne  sont 
point  des  intérêts  temporels  qui  doivent  en  ce 
moment  vous  occuper;  c'est  un  présent  céleste 
qu'il  faut  nous  faire,  dans  la  personne  qui  va  deve- 
nir l'objet  du  choix  pour  lequel  vous  êtes  réunis  ; 


1.  1  pages  in-40,  imprimées  chez  Masson,  comme  la  pièce 
précédente.  Thémines  disait  en  finissant  :  «  S'il  vous  fallait  un 
autre  pasteur  qui  remplît  mieux  vos  vœux,  nous  prenons  l'en- 
fxagement  solennel  avec  vous  de  lui  céder  noire  place  et  de 
descendre  de  notre  chaire,  pourvu  qu'il  arrive  par  la  porte  de 
J.-G.  et  de  son  Église.  »  Dix  ans  plus  tard,  en  1801,  Thémines 
refusa  obstinément  sa  démission,  que  lui  demandait  Pie  VII  ; 
Grégoire  et  tous  les  constitutionnels  s'empressèrent  de  donner 
la  leur. 


34     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  de  ce  choix  dépendront  notre  félicité,  nos  conso- 
«  lations,  le  soutien  de  la  religion  chancelante,  et 
«  peut-être  la  tranquillité  et  le  salut  de  ce  départe- 
«  ment...  »  Le  procureur-syndic  n'avait  pas  le  droit 
de  guider  les  électeurs  et  de  leur  indiquer  le  choix 
qu'ils  devaient  faire,  aussi  Brisson  eut-il  soin  de 
s'interdire  toute  allusion  aux  divers  candidats  que 
patronnaient  les  différents  groupes;  il  se  contenta 
de  montrer  en  terminant  son  discours  quelles  qua- 
lités devait  réunir  un  évêque  de  Blois  :  «  Choisissez, 
«  messieurs,  un  homme  prépondérant,  distingué  par 
«  son  patriotisme  et  par  son  savoir,  dont  l'ascendant 
«  entraîne  et  subjugue  les  esprits,  dont  les  lumières 
«  puissent  dissiper  les  incertitudes  ;  qui  porte  sur  son 
«  front  le  caractère  noble  et  imposant  d'un  homme 
«  fait  pour  prêcher  les  vérités  de  l'Évangile  et  pro- 
«  pager  les  principes  constitutionnels  ;  qui  réunisse 
«  enfin  à  tous  ces  avantages  celui  d'être  marqué  du 
«  sceau  de  la  confiance  publique.  » 

Le  procureur-syndic  faisait  ainsi  le  portrait  de 
Grégoire,  dont  le  nom  volait  de  bouche  en  bouche; 
les  électeurs  du  Loir-et-Cher  partagèrent  son  opi- 
nion, et  Grégoire  fut  élu  à  la  presque  unanimité  :  il 
avait  un  seul  compétiteur,  Dupont,  curé  de  Saint- 
Aignan,  qui  devait  être  durant  dix  ans  le  premier 
vicaire  épiscopal  et  le  meilleur  ami  de  son  évêque. 

L'élection  faite,  le  président  de  l'Assemblée  élec- 
torale écrivit  le  jour  même  au  curé  d'Embermesnil 
pour  la  lui  notifier;  voici  sa  lettre,  qui  montrera 
bien  quel  était  alors  l'état  des  esprits. 


ÉLECTION  DE  GRÉGOIRE  35 

«  Blois,  ce  14  février  1791. 
«  Monsieur, 

«  La  haute  réputation  de  vos  vertus  pastorales  et 
patriotiques  vous  avait  précédé  depuis  longtemps 
dans  le  département  de  Loir-et-Cher,  qui  vous  a 
reconnu  digne  d'occuper  son  siège  épiscopal.  L'as- 
semblée des  électeurs,  que  j'ai  l'honneur  de  pré- 
sider, me  charge  de  vous  faire  connaître  que  ses 
vœux  ^e  sont  réunis  pour  vous. 
«  Nous  nous  flattons  que  vous  voudrez  bien  céder 
à  un  désir  aussi  universel  qu'il  a  été  vivement 
exprimé.  Nous  espérons  que  l'église  de  Blois  verra 
renaître  sous  votre  gouvernement  les  beaux  siècles 
de  la  religion.  Nourri  des  textes  sacrés,  dépositaire 
des  vrais  principes  de  la  foi,  nous  ne  craindrons 
plus  ces  hommes  qui,  abusant  du  voile  sacré  de  la 
religion,  s'en  servent  pour  séduire  et  entraîner  la 
«  faiblesse  et  l'ignorance.  Religieux  observateur  des 
«  devoirs  de  citoyen  et  de  ministre  des  autels,  l'As- 
"  semblée  nationale  vous  a  jugé  digne  de  la  présider, 
«  et  nous  bénissons  le  ciel  de  nous  avoir  indiqué  un 
prêtre  aussi  courageux  défenseur  des  droits  d'un 
peuple  libre  que  de  la  foi  de  nos  pères. 
«  Je  suis  avec  respect,  etc. 

«  Petit,  maire,  président  de  lAssemblée 
«  électorale  du  département  de  Loir-et- 
<*  Cher;  —  Dufort,  secrétaire;  —  Le  Moine 
«  de  la  Godelinière,  Rangeard-Germonnier, 
«  scrutateurs. 

K  L'Assemblée  vous  prie,  monsieur,  de  vouloir  bien 
«  faire  connaître  vos  intentions  par  le  courrier  por- 


36      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  teur   de    la  présente.  Les  électeurs  se  tiendront 
<(  assemblés  jusqu'à  la  réception  de  votre  réponse.  » 

Cette  lettre  était  accompagnée  d'une  autre,  adressée 
par  les  mêmes  au  président  de  l'Assemblée  natio- 
nale, et  dont  une  copie  contresignée  par  le  ministre 
Du  Port  fut  immédiatement  remise  à  Grégoire.  Il 
accepta  sur-le-champ,  et  les  officiers  municipaux  de 
Blois,  le  conseil  municipal,  comme  nous  dirions 
aujourd'hui,  lui  écrivirent  de  nouveau,  le  18  février, 
la  petite  lettre  que  voici  : 

«  L'esprit  de  sagesse  et  de  lumière  a  guidé  l'as- 
u  semblée  des  électeurs  du  département  de  Loir-et- 
«  Cher,  qui  vous  a  choisi  pour  occuper  son  siège 
((  épiscopal.  Nous  sentons  tout  le  prix  de  la  préfé- 
«  rence  que  vous  avez  bien  voulu  nous  accorder. 
<(  Nous  jouissons  d'avance  du  bien  que  peut  faire  un 
«  évêque  qui  le  veut.  Votre  réputation  de  savoir  et 
M  d'affabilité,  qui  vous  a  précédé,  vous  a  gagné  notre 
u  estime  et  notre  attachement.  Les  vrais  chrétiens 
<(  voient  en  vous  le  défenseur  d'une  foi  pure,  le  pauvre 
«  et  l'infortuné  un  père  tendre  et  compatissant,  et 
«  les  amis  de  la  Constitution  leur  plus  ferme  appui. 
«  Veuillez,  monsieur,  recevoir  notre  compliment 
«  et  les  assurances  du  respect  avec  lequel  nous 
"  sommes,  etc. 

«  Les  officiers  municipaux  de  la  commune  de 
<'  Blois, 
«  Petit,  maire.  —  Rangeard-Germonnier , 
«  Mettivier-Berrier,  Chartier,  Blanc,  — 
(^  Ferrand  fils,  procureur  de  la  commune, 
«  —  Faré,  substitut  du  procureur  de  la 
«  commune.  » 


ÉLECTION  DE  GRÉGOIRE  «  37 

Mais  Grégoire  n'était  pas  seulement  évêque  de 
Blois,  son  diocèse  comprenait  le  département  tout 
entier;  il  avait  donc  notifié  son  acceptation  aux 
administrateurs  composant  le  directoire  et  au  procureur 
général  syndic  du  département  ;  voici  la  réponse  que 
ces  messieurs  lui  adressèrent  le  26  février  1791  : 

«  Département  de  Loir-et-Cher. 

«  Monsieur, 
«  Nous  avons  reçu  votre  lettre  avec  la  plus  grande 
«  satisfaction;  elle  confirme  l'opinion  que  nous  avions 
"  conçue  de  votre  patriotisme  et  de  vos  vertus.  Nous 
partageons  le  désir  qu'ont  tous  les  bons  citoyens 
«  d'avoir  à  leur  tète  leur  nouveau  pasteur.  Nous  ne 
"  pouvons  vous  cacher  les  intrigues  que  ne  cessent 
de  pratiquer  les  ennemis  de  la  patrie;  mais  que 
•ela  ne  vous  effraye  pas.  La  vérité  dont  vous  serez 
l'organe   déchirera  le   voile  dont   on  s'efforce  de 
«  masquer   la   religion.  Votre   piété,   votre   charité 
i^xemplaire  forceront  bientôt  votre  troupeau  à  se 
réunir   autour  de  vous  :  ces  vertus  ont  toujours 
triomphé  de  tous  les  obstacles.  Vous  êtes  devenu 
<(  le  père  spirituel  de  nos  concitoyens  :  vos  moments 
u  seront  employés  à  les  rendre    bons  et  heureux. 
'  Nous  concourrons  avec  zèle  à  obtenir  un   succès 
aussi  désirable,  et  n'oublierons  rien  pour  entre- 
tenir avec  vous  cette  heureuse   intelligence  sans 
'  laquelle  tous  les  efforts  deviennent  inutiles.  Nous 
pensons,  comme   vous,  qu'il  est  convenable  que 
dans   les   circonstances  actuelles  vous  ne   veniez 
«  qu'après  avoir  été  sacré  ;  mais  nous  vous  prions 
<'  d'accélérer  cette  époque.  Nous  vous  adressons  ci- 

3 


38  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
«joint  l'expédition  du  procès-verbal  de  votre  élec- 
«  tion,  et  l'acte  que  vous  désirez.  La  loyauté  et  la 
((  cordialité  dont  vous  faites  profession  seront  tou- 
«  jours  du  plus  grand  prix  pour  nous;  et  c'est  avec 
«  les  mêmes  sentiments  que  nous  vous  assurons  de 
«  notre  attachement. 

«  Signé  :  Boesnier,  vice-président;  —  Bau- 
«  cheton,  Bupetit-Boisj  Dupont  de  Veillenney 
«  Lemaistre;  Dupont,  prêtre;  —  Rangeard- 
«  Devilliers,  Brisson,  procureur  général 
«  syndic,  —  Léger  Painé,  secrétaire  gé- 
«  né  rai  '.  » 

C'étaient  là  des  manifestations  officielles,  fort  cu- 
rieuses à  signaler  sans  doute,  car  elles  ont  été  les 
mêmes  partout,  et  rien  ne  montre  mieux  combien  il 
eût  été  facile  à  un  gouvernement  libéral  de  s'appuyer 
sur  une  bourgeoisie  si  sage  ;  mais  enfin  c'étaient  des 
manifestations  officielles,  et  Grégoire  fut  infiniment 
plus  touché  de  quelques  lettres  particulières  qui  lui 
parvinrent  à  la  même  époque.  Deux  curés  de  Blois, 
les  abbés  Vallon  et  Métivier,  lui  écrivirent  pour  hâter 
son  arrivée  dans  le  diocèse;  il  leur  répondit  le  26  fé- 
vrier, et  sa  réponse,  que  je  transcris  sur  l'autographe, 
dut  leur  paraître  bien  différente  des  lettres  que  dai- 
gnaient parfois  écrire  les  prélats  de  l'ancien  régime. 

1.  En  môme  temps  Grégoire  reçut  de  Blôis  une  foule  de  let- 
tres anonymes  que  lui  adressaient  les  partisans  de  l'ancien 
régime;  «  lettres  dictées  par  la  fureur,  dit-il  dans  ses  Mémoi- 
res... ;  sur  quelques-unes  on  voyait  pour  ainsi  dire  l'écume  de 
la  rage;  on  se  réjouissait  de  me  plongrer  un  poignard  dans  le 
cœur,  etc.  Ces  gentillesses  me  firent  pitié.  »  —  Grégoire  n'a 
pas  conservé  ces  lettres-là,  bien  qu'il  se  fit  un  plaisir  de  recueil- 
lir les  pamphlets  dirigés  contre  lui;  au  moment  de  la  Terreur 
elles  eussent  été  trop  compromettantes  pour  leurs  auteurs. 


ÉLECTION  DE  GRÉGOIRE  39 

«  Paris,  26  février  1791. 

«  Messieurs  et  chers  confrères, 
«  N'imputez  point  à  négligence  le  retard  involon- 

«  taire  de  ma  réponse  ;  j'ai  été  constamment  noyé  dans 
les  affaires.  Je  suis  bien  flatté  de  ce  que  vous  m'écri- 
vez, et  tout  ce  qu'on  me  dit  d'avantageux  sur  votre 

•  compte  m'inspire  bien  le  désir  de  vous  connaître. 
«  Je  voudrais  bien,  messieurs,  accélérer  mon  voyage 

«  à   Blois;   cependant  vous    conviendrez  que  je  ne 

■  puis,  que  je  ne  dois  pas  même  y  aller  que  quand 
je  serai  sacré,  car  jusque-là  je  suis  sans  caractère 
pour  me  présenter  comme  évèque.  Et  quand  serai- 
je  sacré?  J'espère  que  cela  ne  passera  pas  quinze 

«  jours,  et  alors  sur-le-champ  je  vole  vers  vous.  Les 
"  choses  sont  dans  un  état  de  désorganisation  auquel 
il  est  urgent  de  remédier.  Il  faudra  former  le  clergé 
"  de  la  cathédrale;  j'ai  à  cœur  d'en  prendre  la  très 
<■  grande  partie  dans  le  diocèse,  de  choisir  des  hom- 
I  mes  distingués  par  leur  piété  et  leurs  talents.  Mal- 
heureusement je  ne  connais  personne,  je  vous  de- 

■  mande  des  renseignements.  Je  vous  prie,  messieurs, 
'  de  m'en  donner  également  sur  tous  les  objets  rela- 
«  tifs  au  bien  spirituel  du  diocèse,  sans  oublier  le 
<(  séminaire;  l'éducation  des  jeunes  clercs  est  un 
«  objet  très  important  et  sur  lequel  repose  l'espé- 
c  rance  d'un  diocèse.  Aviez-vous  des  synodes,  un 
«  corps  de  statuts,  des  conférences?  Ne  pourrais-je 
«  avoir  un  exemplaire  des  statuts  diocésains?  En 
«  vérité,  si  je  ne  craignais  de  fatiguer  votre  com- 
'  plaisance,  je  vous  prierais  de  me  faire  tenir  un 

exemplaire  de  votre  rituel,  de  vos  catéchismes,  etc. 
Monsieur  le  doyen  contrôleur  ambulant  se  charge- 


40      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  rait  de  l'envoi,  dont  je  vous  rendrais  bon  compte. 

«  J'apprends  qu'en  ce  moment  même  on  fait  jouer 
«  tous  les  ressorts  possibles  à  Blois  pour  égarer 
«  l'opinion,  aigrir  le  peuple  et  provoquer  les  désor- 
«  dres;  est-ce  donc  là  l'esprit  de  l'Évangile?  Je  vois 
«<  que  nous  aurons  à  combattre,  eh  bien!  nous  com- 
«  battrons;  je  ne  m'effraye  pas  aisément.  J'apprends 
«  avec  plaisir  que  tous  les  officiers  publics  préposés 
«  au  maintien  de  l'ordre  sont  des  hommes  éclairés  et 
«  sages;  et  vous,  estimables  pasteurs,  vous  n'oublie- 
«  rez  rien  pour  éclairer  et  calmer.  Agréez  les  senti- 
ce  ments  respectueux  et  fraternels  de  votre  confrère, 
«  Grégoire,  député, 
«  nommé  à  l'évêché  de  Blois.  » 

—  C'est  ainsi  que  Grégoire,  au  mois  de  février  1791, 
se  vit  attaché  d'une  manière  irrévocable  à  un  dépar- 
tement où  il  ne  connaissait  personne.  Il  était  assuré 
d'y  avoir  pour  amis  les  innombrables  adeptes  que  la 
Révolution  comptait  parmi  les  bourgeois  et  dans  le 
peuple,  mais  il  allait  trouver  en  face  de  lui  la  plus 
implacable  des  haines,  cet  odium  sacerdotale  qui  ne 
pardonne  jamais.  Les  habitants  du  Loir-et-Cher 
avaient  à  la  fin  du  siècle  dernier  les  qualités  qu'on 
se  plaît  à  leur  reconnaître  aujourd'hui  :  paisibles, 
laborieux,  religieux  naturellement  et  même  assez 
enclins  à  la  superstition,  ils  professaient,  avec  toute 
la  France  de  1789,  le  plus  profond  respect  pour  la 
loi,  et  Grégoire  comme  Thémines,  en  1791  comme  en 
1801,  ont  dû  sous  ce  rapport  rendre  pleine  justice 
aux  Blaisois.  «  On  doit,  dit  Grégoire,  féliciter  des 
«  hommes  naturellement  bons  et  doux  de  n'avoir 
«  pas  l'audace  du  crime,  mais  en  les  plaignant  d'avoir 
u  rarement  le  courage  de  la  vertu.  »  Ce  que  Grégoire 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  41 

leur  reprochait  le  plus,  c'était  leur  versatilité,  c'était 
cette  malheureuse  disposition  à  laisser  faire,  qui  ca- 
ractérise encore  aujourd'hui,  dit-on,  la  nation  fran- 
<'aise,   et  qui  lui  a  valu  tant  d'aflfreux  malheurs  : 
Combien  je  pourrais  en  citer  parmi  vous,  dont  le 
caractère,  aussi  variable  que  les  nuages  agités  par 
les  vents,  aussi  mobile  que  l'empreinte  tracée  sur 
le  sable,  avait  des  masques  adaptés  à  toutes  les 
•  phases  de  la  Révolution  *  !  » 

De  son  coté,  l'évêque  Thémines,  au  moment  même 
où  la  bourgeoisie  du  département  venait  de  lui  don- 
ner un  successeur  et  de  le  chasser  comme  un  citoyen 
dangereux,  reconnaissait  avec  franchise  qu'il  y  avait 
1  Blois,  au  commencement  de  1791,  «  un  degré 
u  d'effervescence  assez  supportable.  Il  y  avait  bien, 
«  dit-il  ensuite,  quelques  correspondants,  des  décla- 
mateurs  soudoyés,  et  quelques  missionnaires  pour 
réclamer  une  Saint-Barthélémy  de  prêtres;  mais  ils 
■  faisaient  peu  de  fruit  ^  »  C'est  assez  dire  combien 
le  département  de  Loir-et-Cher  était  paisible,  vingt 
mois  après  la  prise  de  la  Bastille  et  l'abolition  des 
privilèges;  là  comme  partout  on  avait  pleine  con- 
fiance en  l'Assemblée  nationale,  et  l'on  saluait  avec 
transport  l'aurore  de  cette  royauté  constitutionnelle 
qui  devait,  croyait-on,  régénérer  la  France.  Louis  XVI 
y  était  populaire,  et  l'on  allait  bientôt  célébrer  avec 

1.  Lettre  pastorale  pour  annoncer  sa  démission  (8  octobre  1801), 
20  pages  in-S".  —  Grégoire  dit  ailleurs,  dans  son  Compte  rendu 
aux  évéques  en  1796  (iS  pages  in-S";,  qu'il  ne  peut  y  avoir  plus 
d'aménité,  de  douceur  et  de  propension  au  bien  que  dans  son 
diocèse;  et  qu'il  s'y  trouve  des  hommes  éclairés,  des  hommes 
à  caractère,  mais  en  général  peu  de  lumières  et  un  caractère 
versatile. 

2.  Lettre  pastorale  écrite  de  Chambéry  le  23  juin  1791,  p.  55. 


42      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

des  larmes  de  joie  «  l'heureuse  convalescence  du  bon 
roi  »  ';  mais  àBlois  comme  partout  les  idées  de  1789 
avaient  fait  leur  chemin;  l'immense  majorité  des 
habitants  avait  adopté  la  hiérarchie  nouvelle  :  la 
Nation,  la  Loi,  le  Roi,  et  il  s'était  formé  des  clubs 
ou  sociétés  des  Amis  de  la  Constitution  avec  cette 
devise  significative  :  Vivre  libres  ou  mourir  ^.  Mais 
dans  le  département  de  Loir-et-Cher  comme  dans 
tous  les  autres,  les  privilégiés  de  l'ancien  régime 
avaient  fait  alliance  avec  le  clergé  dépossédé  ;  il  y 
avait  à  Blois  un  parti  de  la  réaction,  et  le  chef  de  ce 
parti  n'était  autre  que  M.  de  Thémines.  Né  à  Mont- 
pellier en  1742,  il  avait  été  élevé  en  1776  à  la  dignité 
d'évêque  de  Blois,  et  il  administrait  ce  diocèse  de 
loin,  comme  presque  tous  les  prélats  de  l'ancien 
régime.  C'était  un  homme  de  mœurs  très  pures,  d'un 
esprit  cultivé,  avec  des  prétentions  au  mérite  litté- 
raire ^  et  une  sorte  de  mysticisme  à  laFénelon;  d'ail- 
leurs assez  libéral  naturellement,  et  qui  eût  adopté 
la  Révolution  avec  toutes  ses  conséquences  politiques 

1.  Journal  du  haut  et  bas  Vendômois,  15  avril  1791.  —  La 
municipalité  fit  chanter  un  Te  Deum  et  donna  l'ordre  d'illu- 
miner toutes  les  maisons. 

2.  Le  bonnet  phrygien,  le  fameux  bonnet  rouge  que  Ton  mettra 
un  jour  sur  la  tête  du  roi,  était  l'emblème  préféré  de  ces  clubs 
alors  si  modérés;  j'ai  sous  les  yeux  plusieurs  cachets  où  l'on  a 
associé  le  bonnet  phrygien  aux  fleurs  de  lis,  comme  on  l'associait 
aux  croix  et  aux  crosses  en  tête  des  mandements  d'évêques. 

3.  Il  prononça  en  1786  l'oraison  funèbre  de  Marie-Thérèse  et 
dit,  en  parlant  du  maréchal  Daun,  qu'il  s'avançait  semblable  à 
une  tour  immobile.  —  «  Il  avait  cent  mille  livres  de  rentes.  Je 
-  dois  cependant  dire  à  sa  gloire  qu'il  était  modeste  dans  sa  for- 
«.  tune  et  en  faisait  un  superbe  usage;  c'était  au  demeurant  un 
«  homme  probe,  mais  plus  fait  pour  être  un  philosophe  chré- 
«  tien  qu'un  successeur  des  apôtres.  Je  l'ai  beaucoup  connu;  il 
«  n  avait  rien  de  la  morgue  de  ses  confrères.  »  Lettre  de  Suzor, 
évéque  de  Tours,  8  avril  1796. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  43 

et  religieuses  s'il  n'avait  craint  de  faire  autrement 
que  les  autres.  La  Constitution  ci\ile  du  clergé  ne 
lavait  pas  effrayé  au  début,  et  avant  d'y  voir  comme 
ses  confrères  l'abomination  de  la  désolation  prédite 
par  le  prophète  Daniel ,  il  avait  pris  des  mesures 
pour  organiser  son  diocèse  d'après  cette  constitution. 
Il  croyait  même  alors  que  l'on  pouvait  prêter  le  ser- 
ment civique  exigé  des  fonctionnaires,  et  il  écrivait 
en  ce  sens  à  un  chanoine  de  sa  cathédrale  *  ;  mais  il 
changea  d'avis  en  voyant  quelle  attitude  prenaient  les 
autres  évêques,  et  il  devint  l'un  des  ennemis  les  plus 
acharnés  de  la  révolution  politique  et  religieuse  qui 
^"accomplissait  sous  ses  yeux.  Au  lieu  d'émigrer, 
•  •omme  firent  un  grand  nombre  de  prélats,  Thémines 
demeura  résolument  à  Blois,  bien  décidé  à  disputer 
le  terrain  au  nouvel  évêque,  à  lui  susciter  du  moins 
de  grands  embarras.  Autour  de  lui  se  pressaient  les 
ci-devant  chanoines  de  sa  cathédrale,  la  majorité  de 
S(m  clergé,  les  moines  et  religieuses  dont  la  nation 
ne  voulait  plus  reconnaître  les  vœux,  et  cette  foule 
de  mécontents  de  toute  classe  que  la  Révolution  fran- 
(  aise  transforma  soudainement  en  dévots  person- 
nages, en  défenseurs  bruyants,  sinon  convaincus,  de 
l'autel  et  du  trône  *.  Ainsi  secondé,  Thémines  atten- 
dait Grégoire  de  pied  ferme,  et  peut-être  ne  déses- 
pérait-il pas  de  voir  son  peuple  soulevé  chasser  avec 
mépris  cet  intrus,  ce  loup  qui  comptait  sur  la  force 
armée  pour  pénétrer  dans  la  bergerie. 

Grégoire  était  informé   de   ces   manœuvres,  mais 

1.  Lettres  de  M.  V évêque  de  Blois,  1790, 22  pages  in-12.  —  Il  est 
vrai  que  Thémines  ne  parlait  dans  ces  lettres  que  du  serment 
prêté  le  4  février  1190,  avec  uu  si  parfait  ensemble,  par  tous 
les  membres  de  l'Assemblée  nationale. 

2.  Voyez  les  Mémoires  de  Ferrières  cités  par  M.  Thiers. 


44  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
depuis  longtemps  il  ne  se  faisait  plus  d'illusions  sur 
les  difficultés  et  sur  les  périls  de  la  situation.  Ce 
n'était  point,  comme  l'ont  imprimé  ses  ennemis,  pour 
avoir  «  douze  mille  livres  de  rentes  et  les  honneurs 
«  de  la  crosse,  sans  compter  le  tour  du  bâton  »  S  qu'il 
avait  accepté  le  titre  d'évêque  :  il  croyait  servir  à  la 
fois  la  France  et  l'Église,  et  rien  ne  pouvait  le 
détourner  de  ce  qu'il  considérait  comme  son  devoir. 
La  municipalité  de  Blois  l'engageait  à  venir  au  plus 
tôt  ^;  les  curés  assermentés  du  diocèse  joignaient 
leurs  instances  à  celles  des  officiers  municipaux  : 
tout  le  monde  enfin  le  priait  de  se  hâter  pour  éviter, 
s'il  était  possible,  de  grands  malheurs.  Grégoire  ne 
perdit  pas  un  instant  :  élu  le  14  février  1791,  il  était 
sacré  le  14  mars  suivant,  après  avoir  remis  à  ses 
consécrateurs,  Talleyrand,  Gobel  et  Miroudot,  les 
procès-verbaux  d'élection,  certificats  de  bonne  vie 
et  mœurs,  et  autres  actes  notariés  qu'exigeait  la  loi 
nouvelle  ^.  Il  avait  tenu  à  ne  se  présenter  dans  son 
diocèse  que  comme  évêque  régulièrement  consacré, 

1.  M.  Grégoire...  dénoncé  à  la  nation...  Paris,  Crapart,  22  pages 
in-8°. 

2.  «  Votre  présence,  désirée  de  tous  les  bons  citoyens,  affer- 
mira les  vrais  principes;  elle  procurera  aux  églises  de  ce  dé- 
partement la  paix  qui  est  l'objet  de  nos  travaux  et  de  nos  sol- 
licitudes. La  parole  de  Dieu  est  bien  puissante  dans  la  bouche 
d'un  pasteur  édifiant,  dont  les  principes  de  charité  et  de  tolé- 
rance se  remarquent  dans  toutes  ses  actions.  La  renommée 
vous  a  présenté  sous  ces  traits  à  nos  électeurs,  et  nous  nous 
entretenons  du  présage  heureux  que  vous  jouirez  ici  du  senti- 
ment qui  fait  les  délices  d'une  belle  âme.  »  —  Lettre  ms.  des 
officiers  municipaux  de  Blois  à  Grégoire,  du  5  mars  1791  (13  si- 
gnatures). 

3.  J'ai  sous  les  yeux  des  pièces  analogues,  remises  par  un 
des  amis  de  Grégoire,  De  Bertier,  évoque  de  Rodez,  à  son  con- 
sécrateur  Gobel;  toutes  les  précautions  ont  été  prises  pour 
donner  à  ces  différents  actes  la  solennité  requise. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  45 

et  c'était  de  sa  part  un  acte  de  sagesse;  mais  tous 
ces  retards  mettaient  au  désespoir  les  autorités 
constituées  de  la  ville  de  Blois  et  du  département 
tout  entier  :  les  administrateurs  du  département  et 
ceux  du  district  lui  écrivirent  donc,  le  19  mars,  les 
lettres  qu'on  va  lire  : 


«  Blois,  19  mars  1791. 
«  Monsieur, 

«  Nous  avons  reçu  avec  la  plus  vive  satisfaction 
«  l'annonce  de  votre  consécration,  mais  nous  avons 
«  vu  avec  peine  que  vous  ne  pouviez  vous  dérober 
«  aux  affaires  qui  vous  retiennent  à  Paris  pour  vous 
rendre  ici  demain.  Nous  ne  pouvons  cependant 
<i  vous  dissimuler  combien  il  est  intéressant  que  vous 
«  accélériez  votre  départ. 

<«  Les  circonstances  rendent  même  votre  arrivée 
plus  pressante  ,  d'après  l'invitation  que  vous  nous 
faites  par  votre  dernière  de  nous  confédérer  pour 
déjouer  les  trames  perfides  des  ennemis  de  la  chose 
'<  publique  ;  et  convaincus  que  votre  institution  cano- 
"  nique  vous  rendait  le  seul  pasteur  de  ce  diocèse, 
nous  avons  instruit  M.  Thémines  de  votre  consécra- 
tion, et  nous  lui  avons  fait  notifier  de  cesser  toutes 
tonctions  épiscopales. 

«  Sur  l'avis  que  nous  avons  reçu  qu'il  devait  faire 
eejourd'hui  une  ordination,  et  que,  contrarié  par  la 
notification  qui  lui  a  été  faite  hier,  il  devait  faire 
lette  ordination  à.  la  campagne,  nous  nous  sommes 
concertés  avec  la  municipalité  et  la  garde  nationale 
«  de  Blois,  que  nous  avons  chargées  de  prendre  des 
«  mesures  pour  empêcher  l'ordination. 

3. 


46      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  Nous  avons  cru  devoir  pousser  la  précaution 
«  jusqu'à  mettre  le  scellé  sur  le  secrétariat  du  ci- 
«  devant  évêché  de  Blois. 

«  Nous  vous  faisons  passer  ces  trois  actes,  qui  ont 
«  été  pleinement  exécutés, 

«Vous  reconnaîtrez  aisément,  monsieur,  par  ce 
«  détail  de  l'état  des  choses,  que  vous  ne  pouvez  arri- 
((  ver  ici  trop  tôt,  et  vous  pressentirez  sans  doute  que 
«  tout  ce  que  nous  avons  fait  laisse  pour  ainsi  dire 
«  le  siège  vacant,  puisque  son  évêque  est  absent  et 
«  qu'il  n'existe  encore  aucun  vicaire. 

«  Votre  sollicitude  pastorale ,  l'attachement  que 
<(  vous  nous  avez  voué  et  que  nous  tâcherons  de  mé- 
«  riter  par  la  plus  sincère  réciprocité,  vous  détermi- 
«  neront  sans  doute  à  notre  vœu,  qui  est  celui  de 
«  tout  votre  diocèse. 

«  Mais  avant  de  quitter  Paris,  permettez  que  nous 
«  vous  adressions  notre  arrêté  sur  l'organisation  et 
«  la  circonscription  des  paroisses  de  notre  ville  *. 
«  Nous  vous  prions  de  le  présenter  au  Comité  et  de 
«  le  faire  sanctionner  par  l'Assemblée  nationale. 
<i  Nous  serions  cependant  trompés  dans  notre  attente 
<(  si  cette  nouvelle  afFaîre  vous  arrêtait  plus  long- 
«  temps,  et  si  pour  en  accélérer  le  succès  vous  vous 
«  déterminiez  à  prolonger  votre  séjour  à  Paris. 

«  Les  administrateurs...  du  département,  etc.  » 


1.  Il  s'agissait  de  réduire  à  3  les  6  paroisses  de  la  ville.  Un 
<iécret  du  25  mars  1791  supprima  les  paroisses  de  Saint-Sau- 
veur, de  Saint-llonoré  et  de  Saint-Martin.  On  conservait  Saint- 
Louis,  ci-devant  Sainte-Solenne,  Saint-Laumer,  qui  prenait  le 
nom  de  Saint-Nicolas,  et  Saint-Saturnin  de  Vienne.  —  Loi  rela- 
tive à  la  circonscription  des  paroisses  de  la  ville  de  Blois,  4  p.  in-4". 


GRÉGOIRE   ET  THÉMINES  47 

u  Blois,  le  19  mars  1791. 
«  Monsieur  lÉvêque, 
«  C'est  avec  la  plus  vive  satisfaction  que  nous 
«  avons  appris  votre  sacre  et  votre  institution  cano- 
<(  nique.  Rien  ne  manque  à  présent  à  nos  vœux  que 
«  votre  présence  dans  un  diocèse  et  surtout  dans  une 
«  ville  où  le  fanatisme  se  plaît  à  aiguiser  les  traits 
«  les  plus  malins.  Le  peuple  voit  avec  peine  les  chai- 
«  res  désertes  dans  le  temps  où  nous  nous  trouvons  •, 
«  les  consciences  sont  tourmentées  de  toutes  les  ma- 
«  nières,  les  sacrements  se  prodiguent  en  tout  temps, 
«  en  tout  lieu  et  à  toute  heure.  La  majorité  de  nos 
«  prêtres  de  la  ville  met  tout  en  œuvre  pour  faire 
«  rétracter  les  fonctionnaires  publics  qui  ont  prêté  le 
«  serment.  Hàtez-vous  de  venir  consoler  un  troupeau 
«  égaré  ;  mais  une  chose  par-dessus  tout  intéressante 
«  serait  d'apporter  le  décret  d'organisation  des  pa- 
«  roisses  de  la  ville  de  Blois,  car  nous  ne  pouvons 
«  vous  dissimuler  qu'au  moment  où  vous  paraîtrez, 
«  quatre  des  paroisses  de  la  ville  vont  être  abandon- 
«  nées  par  les  ministres  qui  les  desservent;  la  coali- 
«  tion  est  faite  et  connue.  Vous  sentez  dès  lors  com- 
«  bien  il  serait  avantageux  de  pouvoir,  au  moment 
«  de  votre  arrivée,  mettre  le  décret  à  exécution  et 
«  interdire  les  églises  supprimées,  puisque  par  là  les 
«  paroisses  restantes  se  trouvent  de  droit  exercées 
«  par  les  deux  curés  qui  ont  prêté  serment.  Nous  ne 
«  nous  lasserons  pas  d'intéresser  votre  sollicitude  à 
«  cet  égard  :  c'est  le  bien  du  troupeau  qui  vous  est 

1.  C'est-à-dire  en  carême. 


48      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  confié  ;  notre  zèle  et  notre  patriotisme  nous  feront 
«  pour  le  surplus  concourir  avec  vous. 

«  L'ordination  projetée  pour  cette  nuit  a  été  sage- 
<(  ment  arrêtée,  et  des  postes  de  gardes  nationaux, 
«  établis  en  différents  endroits,  ont  déjoué  tous  les 
«  projets.  Le  département  vient  de  rendre  un  délibéré 
«  qu'il  a  fait  notifier  à  M.  Thémines,  qui  donne  con- 
«  naissance  à  ce  dernier  de  votre  sacre  et  de  votre 
v(  institution  canonique,  et  en  conséquence  lui  défend 
«  de  s'immiscer  dès  ce  moment  et  à  l'avenir  dans 
«  toutes  fonctions  épiscopales  dans  l'étendue  de  ce 
«  département.  Ses  démarches  vont  être  surveillées 
«  scrupuleusement;  l'activité  et  le  zèle  tant  des  corps 
«  administratifs  que  des  gardes  nationaux  ne  se  ra- 
«  lentiront  pas,  mais  cet  état  de  crise  ne  peut  cesser 
«  que  par  votre  prompte  arrivée  dans  ces  lieux. 
«  Hâtez-vous,  nous  vous  en  supplions,  de  venir  réta- 
«  blir  le  calme;  daignez,  s'il  est  possible,  amener 
<(  avec  vous  un  de  ces  anges  de  paix  qui  puisse 
«  réparer  le  mal  et,  tout  en  cherchant  à  faire  fruc- 
«  tifîer  dans  les  cœurs  de  vos  ouailles  le  germe  des 
«  vertus  évangéliques,  dissiper  par  le  don  de  la  pa- 
«  rôle  les  ténèbres  aff"reuses  qu'on  a  répandues  autour 
«  d'eux.  Nous  entamons  une  semaine  orageuse,  mais 
«  notre  civisme  va  redoubler  d'activité.  Nous  espé- 
«  rons  que  l'indisposition  qui  vous  tourmente  n'aura 
«  pas  de  suite  ;  nous  le  désirons,  et  si  nos  vœux 
«  s'exaucent,  nous  aurons  bientôt  le  plaisir  de  vous 
«  posséder  parmi  nous. 

«  Nous  avons  l'honneur  d'être  bien  cordialement..., 
«  etc. 

«  Signé  :  De^fray  Vaîné;  Girault  ;  Bellenoue- 
«  Villiers,  procureur- syndic.  » 


GRÉGOIRE  ET  THÉMIXES  49 

Il  fallait  bien  citer  ces  deux  lettres  curieuses,  qui 
montrent  quel  fonds  de  christianisme  on  rencontrait 
encore  dans  la  France  de  1791.  Se  trouverait-il  de 
nos  jours  une  seule  municipalité  qui  écrivit  des  let- 
tres pareilles?  En  1791,  au  contraire,  même  dans  les 
grandes  villes,  même  à  Paris,  c'était  le  langage  ordi- 
naire des  autorités  constituées,  et  ce  langage  si  reli- 
gieux traduisait  bien  les  sentiments  qui  régnaient 
dans  les  cœurs  ^  Quant  à  Grégoire,  encouragé  par 
ces  heureuses  dispositions  des  administrateurs,  et 
sentant  d'ailleurs  combien  sa  présence  à  Blois  était 
nécessaire  pour  le  maintien  de  la  tranquillité  publi- 
que, il  se  fit  donner  un  congé  d'un  mois  par  l'Assem- 
blée nationale,  et  partit  pour  son  diocèse,  emportant 
avec  lui  un  décret  qui  réduisait  à  trois  les  six  pa- 
roisses de  Blois,  et  de  nombreux  exemplaires  d'une 
lettre  pastorale  qu'il  adressait  «  à  ses  vénérables 
coopérateurs  dans  le  saint  ministère  et  à  tous  les 
fidèles  de  son  diocèse  ».  Cette  lettre  fut  écrite  à  Paris 
le  44  mars,  la  veille  du  départ  de  Grégoire  ou  peut- 
être  le  jour  même;  aussi  porte-t-elle  l'empreinte  des 
préoccupations  qui  ne  pouvaient  manquer  d'assaillir 
alors  son  auteur.  Il  commençait  par  se  déclarer 
«  évêque  du  département  de  Loir-et-Cher  par  la  mi- 


1.  Il  y  en  a  des  centaines  dans  les  recueils  de  Grégoire  qui 
expriment  des  sentiments  analogues.  A  Paris,  le  17  avril  1191, 
un  nommé  Cadet,  père  de  quatre  enfants,  se  vit  enfermer  à  la 
Force  pendant  un  mois  pour  avoir  insulté  dans  la  rue  un  ecclé- 
siastique. «  Un  ecclésiastique  !  s'écriait  dans  son  réquisitoire 
le  procureur-syndic  Mitouflet  de  Beauvais,  ce  caractère  a-t-il 
perdu  dans  cette  Révolution  le  respect  qui  lui  est  dû?  Nos 
mœurs  sont-elles  assez  perverties  pour  que  les  ministres  des 
autels  ne  puissent  plus  prétendre  aux  hommages  que  méritent 
leurs  personnes  et  les  fonctions  sacrées  qu'ils  exercent!  »  — 
Énoncé  du  Jugement,  6  p.  in-4''. 


50     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  séricorde  divine  et  dans  la  communion  du  Saint- 
ce  Siège  apostolique  »,  puis  il  entrait  vivement  en 
matière  et  déclarait  tout  d'abord  qu'il  s'attendait  à 
bien  des  tribulations  et  à  bien  des  épreuves,  mais 
qu'il  était  trop  accoutumé  aux  orages  pour  les  crain- 
dre. S'il  avait  accepté  les  redoutables  fonctions 
d'évêque,  c'était  par  dévouement  à  la  religion  et  à  la 
patrie,  et  parce  qu'un  refus  universel  serait  le  signal 
de  l'anarchie  politique  et  religieuse  ^  Grégoire  pre- 
nait ensuite  en  main  la  défense  de  cette  Assemblée 
nationale  dont  il  était  naguère  le  président,  et  il 
affirmait  qu'elle  avait  voulu  asseoir  les  fondements 
du  bonheur  public  sur  les  vérités  éternelles  du  chri- 
stianisme. «  S'il  en  était  autrement,  disait-il,  si  TAs- 
«  semblée...  voulait  anéantir  le  culte  de  nos  pères... 
«  alors  il  faudrait  dire  avec  les  apôtres  persécutés  : 
«  Obéissons  à  r3ieu  plutôt  qu'aux  hommes  !  »  Mais  il 
n'en  était  pas  ainsi,  et  Grégoire,  se  trouvant  amené 
à  justifier  la  Constitution  civile  du  clergé,  la  défen- 
dait avec  une  ardeur  et  une  sincérité  très  grandes  ;  il 
disait  comme  tous  ses  confrères  que  le  silence  de 
Pie  VI  était  approbatif,  car  autrement  ce  silence  serait 
condamnable.  «  Calmez  vos  inquiétudes,  ajoutait-il, 
«  on  n'a  point  touché  à  l'arche  du  Seigneur...  Votre 
«  Dieu  est  le  Dieu  de  Clovis;  votre  foi  est  celle  de 
«  Charlemagne,  de  saint  Louis,  qui  firent  tant  de  rè- 

1.  En  180S,  quatre  ans  après  le  Concordat,  l'ancien  évêque 
de  Rodez,  De  Bertier,  écrivait  au  pape  avec  non  moins  de  sin- 
cérité que  Grégoire  en  1791  :  «  Je  déclare  que  je  n'ai  accepté 
l'épiscopat  que  pour  céder  au  vœu  de  la  loi  et  du  peuple,  et  ne 
point  laisser  sans  chef  un  vaste  diocèse  abandonné  par  son 
eveque.  »  Beaucoup  de  constitutionnels,  et  ce  sera  leur  justi- 
facation  aux  yeux  de  l'équitable  avenir,  pouvaient  tenir  le  même 
Jangage. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMIXES  51 

«  glements  pour  rétablir  la  discipline  de  l'Église.  » 
La  pastorale  tout  entière  présente  ainsi  un  heureux 
mélange  de  conseils  pieux  et  de  réflexions  patrioti- 
ques; c'est  une  des  meilleures  que  Grégoire  ait  faites, 
et  elle  ne  saurait  donner  prise  à  la  censure  :  heureux 
son  auteur  s'il  eût  toujours  tenu  un  langage  aussi 
modéré  dans  ses  mandements! 

En  même  temps  que  cette  lettre  *,  Grégoire  en 
écrivit  une  bien  différente,  celle  que  tout  évêque 
constitutionnel  était  tenu  d'adresser  au  pape  «  comme 
«  au  chef  visible  de  l'Église  universelle,  en  témoi- 
«  gnage  de  l'unité  de  foi  et  de  la  communion  quïl 
«  devait  entretenir  avec  lui  »  *.  Voici  la   lettre   de 

Grégoire  au  souverain  pontife  : 

«  Très  Saint-Père, 

«  Le  respect  dont  je  suis  pénétré  envers  V.  S.  me 
«  fait  un  devoir  de  vous  annoncer  que  les  suffrages 
«  libres  des  électeurs  du  département  de  Loir-et-Cher 
«  m'ont  appelé  au  gouvernement  de  leur  diocèse, 
«dont  le  siège  épiscopal  esta  Blois.  Cette  élection 
«  s'est  faite  conformément  aux  lois  de  la  Constitution 
«  ci\'ile  du  clergé  de  France,  décrétée  par  l'Assemblée 
«(  des  représentants  de  la  nation  et  acceptée  par  notre 
«  roi  Louis  XYI. 

«  J'ai  reçu,  T,  S. -P.,  l'institution  canonique,  et  j'ai 
<f  été  régulièrement  consacré.  Je  professe  d'esprit  et 
«  de  cœur  la  religion  catholique,  apostolique  et  ro- 


1.  La  pastorale  de  Grégoire  fut  imprimée  eu  24  pages  ia-S"  par 
l'Imprimerie  nationale;  à  Blois,  la  Société  des  Amis  de  la  Con- 
stitution en  fit  faire  à  ses  frais  cinq  cents  exemplaires  in-4° 
22  pages). 

2.  Constit.  civ.,  titre  II,  art.  19. 


52      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  maine.  Je  déclare  que  je  suis  et  serai  toujours, 
«  Dieu  aidant,  uni  de  foi  et  de  communion  avec  vous, 
«  qui,  en  qualité  de  successeur  de  saint  Pierre,  avez 
«  la  primauté  d'honneur  et  de  juridiction  dans  l'Église 
<(  de  J.-C. 

«  Je  supplie  V.  S.  de  m'accorder  sa  bénédiction. 

«Je  suis,  T.  S. -P.,  votre  très  respectueux  et  très 
((  humble  serviteur  et  fils, 

«  Henri-Grégoire,  évêque  du  dépar- 
«  tement  de  Loir-et-Cher. 

«  Paris,  24  mars  1791  *.  » 

L'évêque  de  Blois  apportait  encore  avec  lui,  car  il 
se  proposait  avant  tout  de  convaincre  ses  adversaires, 
ce  que  Thémines  appelait  son  Apologie  du  parjure  *, 
c'e«t-à-dire  ses  deux  brochures  sur  la  légitimité  du 
serment,  et  c'étaient  les  seules  armes  de  celui  qu'un 
libelliste  anonyme  accusera  plus  tard  de  manier  la 
pique  avec  une  grande  dextérité  ^.  L'accueil  que  les 
Blaisois  firent  à  leur  nouveau  pasteur  fut  enthou- 
siaste; on  le  reçut,  dit-il,  avec  des  transports  d'allé- 
gresse *.  Le  ci-devant  évêque   Thémines,   qui  était 

1.  Imprimée  à  Blois  en  latin  et  en  français,  2  pages  in-8". 

2.  Lettre  pastorale  du  25  juin  1791,  p.  48. 

3.  Lettre  au  citoyen  Grégoire,  à  Voccasion  d'un  prétendu  synode 
qu'il  annonce  pour  la  foire  de  Blois,  an  VJII,  24  p.  in-S". 

4.  Letti-e  pastorale  pour  annoncer  sa  démission  (1801),  p.  3. 
L'évêque  de  Rodez,  De  Bertier,  fut  reçu  de  même;  il  fit  son  en- 
trée dans  sa  cathédrale  en  présence  du  Département,  du  Di- 
strict, du  Conseil  général  de  la  commune,  d'un  grand  nombre 
d'officiers  municipaux,  du  Tribunal  du  district,  du  Juge  de 
paix  de  la  ville  et  du  Juge  du  canton,  du  Club  patriotique  de 
la  ville,  de  la  garde  nationale,  de  députations  envoyées  par  les 
clubs,  les  gardes  nationales,  les  municipalités  du  département, 
en  présence  et  aux  acclamations  d'une  foule  immense.  Telle 
dut  être  l'intronisation  de  Grégoire  le  26  mars  1791. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  53 

encore  à  Blois,  mais  surveillé  de  près  par  les  auto- 
rités, parle  tout  dififéremment  de  la  réception  faite  à 
Grégoire;  il  dit,  en  effet,  à  propos  des  constitution- 
nels en  général,  mais  de  manière  à  désigner  tout  par- 
ticulièrement Vinti'us  qui  prétendait  lui  succéder  : 
«  Ils  sont  tous  arrivés  au  nom  de  la  nation,  avec  un 
'<  cortège  militaire,  comme  le  prophète  de  la  Mecque; 
le  premier  acte  de  leur  apostolat  a  été  de  faire  con- 
firmer leur  mission  dans  les  clubs,  et  de  se  mettre 
sous  leur  protection  :  ils  ont  ensuite  envahi  les 
temples,  entourés  de  gardes  nationales  et  de  l'égout 
«  des  cloîtres  et  du  sanctuaire.  S'il  se  trouvait  quel- 
«  ques  laïques,  non  pas  chrétiens,  mais  honnêtes  hu- 
mainement pariant,  forcés  par  leur  place  de  les 
accompagner,  leur  front   baissé   témoignait   leur 
honte  de  se  trouver  en  pareille  compagnie  *.   >> 
Mais  ici  le  vertueux  Thémiues,  emporté  par  la  pas- 
sion, dit  le  contraire  de  la  vérité,  car  Grégoire  fut 
accueilli  à  bras  ouverts  par  lïmmense  majorité  des 
Blaisois,  et  cela  parce  quil  représentait  aux  yeux  de 
ce  peuple  naturellement  doux  et  religieux  l'alliance 
étroite  de  la  religion  et  du  patriotisme.  Je  ne  fati- 
guerai pas  le  lecteur  par  des  citations  multipliées, 
mais  il  pourra  voir  par  l'extrait  suivant  d'un  jour- 
nal  vendùmois   quels  sentiments  professaient  pour 
le  nouvel  évèque  les  habitants  du  Loir-et-Cher  : 

M  Mardi  au  soir,  nous  avons  appris  que  notre  pon- 
«  tife  M.  Grégoire  venait  nous  visiter.  La  garde  na- 
«  tionale  s'est  empressée  d'obtempérer  au  réquisi- 
<«  toire  que  lui  a  fait  la  municipalité  d'aller  au-devant 

1.  Lettre  pastorale  du  25  juin  1191,  p.  47. 


54  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
«  de  cet  évêque  bon  patriote,  quoi  qu'en  dise  l'abbé 
<(  Maury...  Il  a  été  reçu  par  elle  à  un  quart  de  lieue 
«  de  nos  murs,  le  mercredi  à  dix  heures  du  matin. 
«  Arrivé  à  l'entrée  du  faubourg,  il  a  été  salué  par 
«  douze  coups  de  canon  et  le  son  de  toutes  les  clo- 
<(  ches  de  la  ville.  Après  avoir  témoigné  à  la  Gom- 
«  mune  dans  l'hôtel  commun  combien  il  lui  était 
«  attaché,  il  s'est  rendu  au  directoire  de  district,  où 
«  il  a  diné  K  A  ce  festin  étaient  invités  des  citoyens 
<(  de  toutes  les  classes.  Il  ressemblait  au  repas  d'une 
«  grande  famille  que  la  gaieté  et  l'union  la  plus  tendre 
«  rassemblent.  Après  le  diner,  M.  l'évêque  s'est  rendu 
«  à  l'hôpital,  au  collège,  aux  clubs  des  Patriotes  et 
«  des  Amis  de  la  Constitution.  Il  a  été  invité  de  pré- 
ce  sider  cette  dernière  société,  et  l'a  fait  avec  les  mar- 
«  ques  de  la  plus  grande  sensibilité.... 

«  Le  lendemain,  il  s'est  rendu  aux  Ursulines,  où 
«  il  a  trouvé  le  plus  entier  dévouement  à  la  Con- 
<(  stitution.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  au  Calvaire,  où 
«  le  silence  des  cloches  a  annoncé  au  peuple  que  ces 
«  religieuses  se  croient  encore  soumises  au  pape  im- 
«  médiatement,  et  que  M.  Grégoire  n'est  pas  cano- 
«  nique.  On  assure  qu'elles  lui  ont  tenu  ce  mauvais 
«  propos  *.  C'est  une  ombre  au  tableau,  un  utile  aver- 
se tissement  pour  notre  prélat  qu'il  n'est  point  de 
«  triomphe  parfait  en  ce  monde.  Sans  ces  nonnes. 


1.  Les  adversaires  du  clergé  constitutionnel  ne  manqueront 
pas  de  faire  observer  qu'on  était  alors  en  carême,  et  ils  deman- 
deront sans  doute  à  connaître  le  menu  du  festin  préparé  un 
mercredi  de  la  Passion;  il  est  malheureusement  impossible  de 
satisfaire  leur  curiosité. 

2.  Ces  dames  ne  craignaient  pas  de  rendre  publiques  leurs 
discussions  sur  cet  objet,  et  elles  faisaient  imprimer  des  fac- 
itums  pour  ou  contre  la  Constitution  civile  du  clergé. 


GRÉGOIRE   ET  THÉMINES  55 

"  il  eût  été  complet.  On  assure  qu'il  leur  a  parlé  avec 
((  fermeté,  et  que  quelques-unes  veulent  déjà  se 
«  ranger  sous  son  obéissance.  Elles  feront  bien  : 
u  c'est  le  seul  moyen  de  bien  mériter  dune  ville  où 
«  on  les  a  toujours  considérées,  et  qui  doit  leur  par- 
donner l'efTet  des  suggestions  des  gens  du  vieux 
régime. 

«  M.    l'évèque,  rendu  à  l'église  de  la  Trinité,  a 
monté   en  chaire  et  a   parlé  en  apôtre  constitu- 
tionnel à  un  peuple  très  nombreux  assemblé  dans 
«  cette  basilique .  Il  a  invité  son  auditoire  à  assister 
à  la  messe  pontificale  qu'il  allait  célébrer  pour 
obtenir  de  Dieu  sa  bénédiction  et  une  ample  mois- 
«  son.  après  des  travaux  apostoliques   commencés 
sous  des  auspices  aussi  heureux.  Cette  messe  a  été 
célébrée  et  suivie  d'un  Te  Deum  entonné  et  chanté 
«  par  la  voix  du  patriotisme;  elle  en  vaut  bien  uiie 
autre. 

«  M.  Grégoire  s'est  ensuite  rendu  à  l'hùtel  de  la 
Commune,  où  il  s'est  encore  assis  au  milieu  des 
représentants  de  toutes  les  classes  de  nos  conci- 
toyens. Un  dîner  offert  par  le  peuple  est  une  grande 
fête  pour  un  cœur  sensible.  M.  l'évèque,  à  Tempres- 

•  sèment  qu'on  lui  montrait,  à  la  joie  qu'il  voyait 
'  répandue  sur  tous  les  visages,  répondait  par  l'émis- 
sion de  ces  larmes  précieuses  qu'il  n'appartient 

•  qu'à  un  excellent  cœur  de  verser.  Après  le  festin, 
'  où  les  santés  des  représentants  de  la  nation,  du 

roi,  de  M.  Grégoire,  des  bons  citoyens,  ont  été  por- 
tées comme  à  celui  de  la  veille,  au  bruit  de  l'ar- 
tillerie, M.  l'évèque,  accompagné  des  membres  du 
«  district  et  de  la  municipalité  et  des  compagnies  des 
«  grenadiers  et  chasseurs,  s'est  rendu  dans  les  égli- 


56      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  ses  de  Saint-Bienheuré  et  de  Saint- Lubin  *,  et  dans 
«  celle  du  château  où  reposent  les  mânes  des  Bour- 
«  bons  et  des  père  et  mère  du  bon  Henri,  et  de  là  à 
«  sa  voiture,  d'où  il  a  fait  les  plus  tendres  adieux 
«  aux  bons  Vendômois  nos  compatriotes.  Puissions- 
«  nous  le  revoir  souvent!  Sa  présence  gagnerait 
«  encore  bien  des  esprits  à  la  Révolution.  Car  il  en 
«  est  encore  que  des  migraines  aristocratiques,  de 
«  vieilles  morgueries  tiennent  encore  raides  comme 
«  des  barres  contre  tout  ce  qui  sent  la  Constitution, 
«  le  pouvoir  du  peuple  et  sa  liberté  *.  » 

Telle  fut  la  réception  que  firent  à  Grégoire  les  habi- 
tants de  Vendôme  ;  telle  avait  été  le  26  mars  son  en- 
trée solennelle  à  Blois.  Reçu  par  la  garde  nationale 
et  par  toutes  les  autorités,  au  son  des  cloches  et  au 
bruit  du  canon,  il  dut  commencer  par  prouver  à  ses 
concitoyens  que  leur  nouvel  évêque  était  un  véritable 
patriote,  et  il  se  rendit  avec  eux  à  la  maison  de  ville 
et  au  club  '  pour  y  faire  preuve  de  civisme  ;  le  lende- 
main, qui  était  un  dimanche,  il  entraîna  la  foule  qui 
se  pressait  sur  ses  pas  à  la  cathédrale,  et  là,  après 
avoir  officié  pontifîcalement,  il  prêta  de  nouveau  le 
serment  que  requérait  la  Constitution  civile  du  clergé  ; 
il  promit  de  veiller  sur  son  diocèse,  d'être  fidèle  à  la 

1.  Le  vieux  prieur  curé  de  Saint-Lubin,  qui  s'appelait  Barthé- 
lémy, avait  écrit  à  Grégoire  dès  le  29  mars  pour  le  prier  de 
descendre  chez  lui  lors  de  sa  visite  à  Vendôme.  «  Vous  com- 
blerez de  joie  un  vieillard,  lui  disait-il,  et  vous  pourrez  vous 
glorifier  d'avoir  fait  un  heureux.  «  —  Lettre  ms. 

2.  Journal  du  haut  et  bas  Vendômois  et  du  pays  de  Mondou- 
bleau,  n°  16.  Vendredi  15  avril  1791. 

3.  Les  Sociétés  des  Amis  de  la  Constitution  étaient  encore 
très  modérées  eu  1701,  même  la  fameuse  Société  des  Jacobins 
de  Paris,  et  les  personnages  les  plus  honnêtes  ne  craignaient 
pas  de  s'y  montrer. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  57 

Nation,  à  la  Loi  et  au  Roi,  de  maintenir  de  tout  son 
pouvoir,  non  pas  comme  on  l'a  répété  d'une  manière 
perfide,  la  Constitution  du  clergé,  mais  la  Constitution 
que  l'Assemblée  nationale  préparait  alors  à  la  France, 
et  dont  les  décrets  sur  l'organisation  du  clergé  fai- 
saient partie  intégrante.  Cette  nouvelle  prestation  de 
serment  occasionna  ce  que  nous  appellerions  aujour- 
d'hui une  manifestation  politico-religieuse,  et  le  maire 
de  Blois,  parlant  au  nom  de  ses  commettants,  fit  un 
petit  discours  qu'il  est  bon  de  citer  ici,  toujours  à 
titre  de  document  sur  l'état  des  esprits  en  1791  : 

«  Monsieur  l'Évéque, 
«  C'est  aux  bienfaits  de  la  Providence  que  l'homme 
<#  se  plait  à  reconnaître  la  main  puissante  qui  dirige 
«  ce  vaste  univers.  Dans  les  troubles  qui  agitent 
«  l'Eglise  de  France,  l'Esprit-Saint  a  manifesté  d'une 
«  manière  signalée  qu'il  veille  sans  cesse  sur  les 
«  fidèles  du  département  de  Loir-et-Cher.  Fermement 
«  attachés  à  la  foi  de  nos  pères,  embrasés  de  l'amour 
«  de  la  patrie,  nous  vous  avons  choisi,  monsieur, 
«  pour  notre  guide  dans  la  voie  du  salut  et  notre 
«  modèle  de  civisme.  Vous  avez  des  premiers  fran- 
«  chi  l'intervalle  immense  qu'un  fol  orgueil  avait  mis 
«  entre  les  ministres  d'un  Dieu  d'humilité  et  le  peuple 
«  qui  l'adore  *.  Les  législateurs  de  la  France  vous 
«  ont  jugé  digne  de  les  présider,  et  plusieurs  dépar- 

1.  En  1780,  les  habitants  de  la  Chaussée-Saint-Victor-lès-Blois 
commençaient  ainsi  un  mémoire  à  l'assemblée  du  clergé  : 
«  Quoique  la  basse  condition  des  pauvres  habitants  qui  ont 
l'honnenr,  NN.  SS.,  de  vous  présenter  ce  mémoire,  ne  soit  pas 
digne  de  votre  attention...  »,  et  l'on  sait  qu'en  mai  1789  un 
prélat  adressait  à  Dieu  les  prières  du  Clergé,  les  vœux  de  la 
Noblesse,  et  les  supplications  du  Tiers  état. 


58      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

tements  vous  ont  désiré  pour  occuper  leur  siège 
épiscopal.  Vous  avez  secondé  les  vœux  des  peuples 
du  Loir-et-Cher  en  acceptant  le  gouvernement  de 
notre  église.  Nous  aimons  à  croire  qu'un  évêque  qui 
veut  le  bien  vaincra  tous  les  obstacles  par  l'ascen- 
dant irrésistible  de  la  vertu.  N'en  doutez  pas,  mon- 
sieur, le  cortège  modeste  dont  elle  s'entoure  lui 
concilie  les  cœurs  qu'un  appareil  fastueux  ne  peut 
qu'irriter. 

«  La  Constitution  civile  du  clergé  nous  retrace  les 
beaux  jours  de  la  primitive  Église  :  c'est  pour  ainsi 
dire  la  religion  sortant  des  mains  de  son  divin  fon- 
dateur. Placé  par  la  voix  de  Dieu  pour  être  notre 
premier  pasteur,  vos  écrits  aussi  sagement  dictés 
que  profondément  pensés  ont  préparé  le  calme  qiie 
vos  travaux  rendront  durable.  Évêque  et  citoyen 
tout  ensemble,  vous  prouverez  que  la  religion  de 
J.-C.  et  l'amour  de  la  patrie  sont  indivisibles.  Que 
la  vérité  est  persuasive  dans  la  bouche  d'un  prélat 
édifiant!  Comme  elle  entraîne  par  une  douce  vio- 
lence! L'ignorance  et  le  préjugé  résistent  en  vain 
à  son  éclat;  la  vérité  subjugue  les  esprits  les  plus- 
opiniâtres.  La  charité  et  la  tolérance  que  respirent 
vos  ouvrages  nous  assurent  qu'elles  sont  en  vous 
des  vertus  personnelles.  Elles  forceront  vos  détrac- 
teurs à  vous  estimer,  alors  même  qu'ils  vous  ca- 
lomnieront. Ce  peuple  sensible,  doux,  et  digne 
d'être  aimé,  voit  en  vous  un  père  tendre,  un  prêtre 
compatissant.  La  renommée  vous  a  préparé  des 
triomphes,  et  votre  affabilité  vous  les  assurera. 
Ministre  d'un  Dieu  qui  pardonne  les  injures  et  les 
outrages,  vos  ennemis  sont  sûrs  de  votre  amour. 
«  Puissiez-vous,  monsieur  révéque,jouir  longtemps 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  59 

«  au  milieu  de  nous  du  succès  de  vos  travaux  et  de  vos 
«  sollicitudes!  Puisse  votre  épiscopat  être  le  règne 
«  de  la  religion,  des  mœurs  et  d'un  culte  pur,  le  seul 
«  digne  de  la  majesté  de  l'Être  suprême  et  d'une  na- 
«  tion  dont  la  liberté  est  le  fruit  de  ses  lumières  et 
«  le  prix  de  son  courage  *  !  » 

Grégoire  était  donc  au  milieu  de  ses  diocésains, 
mais  pour  bien  peu  de  temps,  car  ses  devoirs  de  dé- 
puté le  rappelaient  à  Paris,  où  nous  le  retrouvons 
depuis  les  premiers  jours  de  mai  1791  jusqu'à  l'avè- 
nement de  la  Législative.  Il  dut  être  écrasé  de  tra- 
vail pendant  les  trente  ou  quarante  jours  que  dura 
son  voyage  :  il  fallait,  en  effet,  visiter  les  églises  et 
chapelles,  les  hôpitaux,  les  collèges  et  les  couvents, 
car  il  y  avait  encore  des  couvents  *;  il  fallait  paraître 
dans  les  clubs  et  sociétés  populaires,  alors  si  raison- 
nables, faire  des  politesses  aux  municipalités  qui 
témoignaient  tant  de  sympathie  au  nouvel  évêque  ;  il 
fallait  enfin,  et  c'était  le  plus  difficile,  réparer  les 
ruines  que  la  Constituante  avait  accumulées  autour  du 
sanctuaire.  Grégoire  suffit  à  tout  avec  une  grande  in- 
telligence, avec  une  activité  vraiment  extraordinaire. 
Il  visita  en  détail  Blois,  Vendôme  et  Romorantin  ',  qui 


i.  Imprimé  à  500  ex.  par  ordre  de  la  Société  des  Amis  de  la 
Constitution,  et  à  ses  frais  (4  pages  in-4°). 

2.  L'Assemblée  nationale  avait  refusé  de  reconnaître  les  vœux 
monastiques,  et  elle  s'était  approprié  comme  biens  nationaux 
un  certain  nombre  de  monastères;  mais  elle  reconnaissait  à 
tous  les  Français  le  droit  d'association,  et  elle  se  prétait  autant 
que  possible  aux  combinaisons  qui  conciliaient  tous  les  inté- 
rêts. Ainsi  un  décret  du  23  mai  IIOI  assignait  comme  maisons 
de  retraite  aux  ci-devant  religieux  du  département  du  Nord 
qui  voudraient  continuer  de  vivre  en  commun  vingt  abbayes 
différentes. 

3.  Ici  encore  nous  pourrions  citer  des  lettres  touchantes  des 


60      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

l'accueillirent  avec  le  même  enthousiasme,  et  dans 
ces  trois  villes  il  alla  frapper  à  la  porte  de  toutes  les 
maisons  religieuses.  Tantôt  un  clergé  «  patriote  »  le 
recevait  comme  l'oint  du  Seigneur,  tantôt  au  con- 
traire des  prêtres  réfractaires  ou  des  religieuses  trans- 
formées par  Thémines  en  «  théologiens  femelles  qui 
«  remplaçaient  les  principes  par  la  crédulité,  et  le 
«  raisonnement  par  le  caquet  »  *,  lui  résistaient  en 
face  et  occasionnaient  des  scènes  tragi-comiques 
dignes  de  Vert-Vert.  Ainsi  le  desservant  de  je  ne  sais 
quelle  paroisse  arrêtait  Grégoire  à  la  porte  de  son 
église  et  lui  demandait  si  la  chaire  de  Thémines 
était  vacante  «  d'une  des  manières  connues  dans 
«  l'Église.  L'intrus  lui  répondit  qu'il  y  avait  un  autre 
«  évêque  par  le  jugement  et  le  décret  de  l'Assem- 
«  blée.  —  En  ce  cas,  reprit  le  jeune  prêtre,  nous 
«  pourrons  changer  d'évêque  à  chaque  législature, 
«  et  pour  n'être  pas  forcé  de  ne  plus  vous  reconnaître 
«  peut-être  dans  six  mois,  il  est  plus  simple  de  ne 
«  pas  le  faire  aujourd'hui  \  »  Une  autre  fois,  des 
religieuses  obligées  par  la  municipalité  d'ouvrir  leurs 
portes  au  nouveau  pasteur  lui  demandaient  si  M.  de 
Thémines  était  mort;  elles  voulaient  bien  le  recon- 
naître comme  évêque  de  l'hôtel  de  ville  et  des  clubs, 
mais  non  comme  évêque  de  J.-C.  ;  elles  le  priaient  de 
leur  montrer,  non  pas  sa  lettre  à  Pie  VI,  mais  la  ré- 
ponse du  Saint-Père  à  cette  lettre,   etc.  «  Elles  se 

municipalités  de  Romorantin  et  de  Saint-Aignan,  la  première 
pour  inviter  Grégoire  à  visiter  la  ville,  l'autre  pour  répondre 
à  une  lettre  d'excuse  de  lui. 

1.  Article  inséré  par  Grégoire  dans  le  2»  volume  des  Aimalfis 
de  la  religion,  p.  594. 

2.  C'est  Thémines  qui  cite  cette  jolie  impertinence  dans  sa 
•lettre  de  Chambéry  du  25  juin  1791,  p.  174. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  61 

«  sont  une  fois  glorifiées,  ajoute  Thémines,  qui  rap- 
«  porte  ces  anecdotes  pour  se  consoler,  de  ce  que  la 

séduction  du  siècle  n'avait,  même  au  milieu  de  Ba- 
(  bylone,  enlevé  au  divin  Époux  qu'une  seule  vierge. 
M  Ah!  fermez-vous,  oreilles  pieuses!  La  nouvelle 
«  bouche  apostolique  vomit  ces  paroles  :  «  Il  est 
«  vrai,  mais  il  a  fallu  se  bien  presser  de  la  ma- 
«  rier.  »  On  entendit  aussi  en  même  temps  répondre 

avec  horreur  :  «  Que  la  fenêtre  s'ouvre  pour  laisser 
u  sortir  ce  mauvais  air  '  !  » 

On  voit  parla  quelles  difficultés  rencontraient  dans 
leur  entreprise  les  nouveaux  prélats  qui  prétendaient 
faire  accorder  l'Église  avec  la  Révolution.  Sans  doute, 
les  représentants  de  l'autorité  et  le  gros  de  la  nation 
les  recevaient  avec  transport,  mais  l'ancien  clergé 
faisait  le  vide  autour  d'eux  :  on  les  bravait,  on  leur 
prodiguait  les  marques  du  mépris  le  plus  insultant, 
et  l'on  criait  bien  fort  à  l'intolérance  s'ils  laissaient 
faire  les  municipalités  qui  leur  offraient  d'expulser 
les  «  perturbateurs  du  repos  public  »,  comme  les 
appelait  un  décret  sanctionné  par  le  roi.  A  Blois  par- 
ticulièrement, la  situation  n'était  pas  tolérable,  puis- 
que l'ancien  évêque,  au  lieu  d'émigrer  comme  tant 
d'autres,  ou  tout  au  moins  de  pleurer  dans  la  retraite 
les  égarements  du  peuple  français,  animait  à  la  lutte 
et  encourageait  par  sa  présence  les  ennemis  du  nou- 
veau régime.  Il  y  avait  en  réalité  deux  évêques,  celui 
de  l'hôtel  de  ville  et  des  clubs,  Vintrus  que  la  force 
avait  rendu  maître  de  la  cathédrale  et  du  palais  épi- 
scopal,  et  en  face  de  lui,  dans  une  attitude  de  défi, 
l'évêque  des  couvents  de  femmes  et  des  chapelles 

i.  Lettre  pastorale,  p.  50. 


62      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

particulières  :  peut-on  concevoir  une  situation  plus 
anormale?  Après  avoir  eu  le  bon  goût  de  vanter  en 
chaire,  le  27  mars,  les  vertus  et  les  talents  de  son 
prédécesseur,  Grégoire  fut  bien  obligé  de  se  servir 
contre  lui  des  mêmes  armes  que  lui.  D'accord  avec 
le  conseil  épiscopal  qu'il  venait  do  constituer  à  la 
hâte,  il  interdit  à  tous  les  ecclésiastiques,  excepté 
aux  curés  et  à  ceux  qui  seraient  munis  de  son  auto- 
risation, d'exercer  dans  les  couvents  de  filles  les 
fonctions  sacerdotales  ;  il  défendit  en  même  temps  à 
toute  personne,  «  quelle  que  fût  sa  dignité  et  sous 
«  quelque  prétexte  que  ce  pût  être,  d'entrer  dans 
«  les  maisons  soumises  à  la  clôture  religieuse  *  ». 

Grégoire  intimait  ainsi  à  son  prédécesseur  l'ordre 
de  cesser  toute  relation  avec  les  couvents  du  dio- 
cèse, mais  Thémines  n'en  continua  pas  moins  de  se 
considérer  comme  le  véritable  évêque  de  Blois  :  il 
excita  sous  main  les  religieuses,  dont  la  résistance 
offrit  alors  une  pâle  contrefaçon  de  Port-Royal  ;  en 
un  mot,  Thémines  et  ses  partisans  ne  négligèrent 
aucune  occasion  de  faire  ce  qu'on  nommait  alors  de 
la  contre-révolution  ^  En  présence  d'une  situation  si 
fausse,  et,  disons-le,  si  dangereuse  pour  la  tranquillité 
publique,  les  administrateurs  du  département,  ces 
mêmes  hommes  que  nous  avions  vus  si  modérés  et 
si  religieux  deux  mois  auparavant,  prirent  des  réso- 
lutions énergiques  ;  ils  rendirent  le  7  avril  un  arrêt 
motivé  qui  chassait  Thémines  et  quelques  ci-devant 
chanoines,  de  Blois  dans  les  vingt-quatre  heures,  du 
département  dans  les  deux  jours.  «  -On  a  semé  la 


1.  Ordonnance  de  V évêque  de  Blois,  un  placard. 

2.  Thémines  s'en  vante  dans  sa  pastorale  de  Ghambéry,  p.  54. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMIXES  63 

'  division  dans  les  familles,  disait  au  directoire  as- 
'<  semblé  le  procureur  général  syndic;  on  a  détruit 
«  la  paix  des  ménages;  plusieurs  femmes  ont  quitté 
«  la  maison  de  leurs  maris.  Dun   autre  côté,  des 
ecclésiastiques  soumis  à  la  loi  ont   été   insultés, 
menacés,  et  même  maltraités.  Le  fanatisme  obsède 
«  toutes  les  maisons  religieuses  de  cette  ville  ;  le  feu 
de  la  discorde  s'attise  insensiblement,  ses  progrès 
successifs  donnent  des  alarmes  aussi  vives  que  fon- 
«  dées.  Le  peuple,  qui  est  toujours  clairvoyant  sur 
ses  véritables  intérêts,  désespéré  par  les  troubles 
qu'il  éprouve  dans  l'intérieur  de  son  domestique, 
«  crie  hautement,  nomme  les  coupables  qu'il  soup- 
«  çonne,  menace  de  suppléer  à  la  loi  dont  la  lenteur 
«  aigrit  son  mal,  et  se  prépare  à  se  faire  justice  *.  » 
Le   procureur-syndic  ajoutait  que   des   concitoyens 
entraînés  par  un  zèle  excessif  peut-être,  mais  que  la 
fatalité  des  circonstances  pourrait  rendre  excusables, 
s'étaient  ralliés  pour  mettre  un  terme  à  tous  ces  dé- 
sordres. Grégoire  nous  apprend  d'autre  part  que  l'on 
avait  projeté  d'enlever  M.  de  Thémines,  de  l'embar- 
quer sur  la  Loire  et  de  l'envoyer  à  Nantes  *;  c'est 
probablement  à  sa  requête,  pour  éviter  un   grand 
scandale  et  un  affreux  malheur,  que  le  directoire  du 
Loir-et-Cher  «  invita  les  sieurs  Thémines,  ci-devant 
«  évêque  de  Blois,  Habert,  son  secrétaire  »,  et  quatre 
autres  ecclésiastiques  nommés  Ménard,  Gallois,  Mau- 

i.  Extrait  du  registre  des  délibérations  du  directoire  du  Loir- 
et-Cher,  impr.  de  3  pages  in-4". 

2.  Mémoires,  II,  p.  23  :  «  Deux  hommes,  dont  l'intention  était 
peut-être  de  faire  réfléchir  sur  moi  l'odieux  de  leur  conduite, 
avaient  projeté  d'enlever  M.  de  Thémines...  Ils  savent  quelle 
fut  mon  indignation  en  apprenant  cette  trame  odieuse,  qui 
heureusement  n'eut  pas  d'exécution.  » 


64      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

duit  et  Forêts,  à  sortir  sans  délai  du  département, 
avec  défense  d'y  rentrer  avant  que  la  tranquillité  pu- 
blique fût  parfaitement  rétablie  et  l'organisation  du 
clergé  constitutionnel  entièrement  terminée. 

Cette  mesure  peut  sembler  tyrannique  et  arbitraire, 
elle  était  imposée  aux  administrateurs  par  une  impé- 
rieuse nécessité.  La  Société  des  Amis  de  la  Constitu- 
tion s'était  réunie  la  veille  à  dix  heures  du  soir,  et 
les  motions  les  plus  violentes  y  trouvaient  des  ap- 
probateurs, lorsque  les  deux  corps  administratif  et 
municipal  se  rendirent  au  club  et  promirent  d'ex- 
pulser immédiatement  les  personnes  incriminées.  Ils 
calmèrent  ainsi  la  foule  exaspérée,  mais  le  club  de 
Blois  n'en  écrivit  pas  moins  dès  le  lendemain  aux 
«  très  chers  frères  et  amis  »  du  club  de  Nantes  une 
adresse  furibonde  qui  fait  bien  voir  à  quel  point  la 
question  religieuse,  si  malheureusement  soulevée  par 
la  Constituante,  venait  compliquer  la  question  poli- 
tique. 

Les  clubistes  de  Blois  espéraient ,  disaient-ils , 
que  «  ce  premier  exemple  de  justice  et  de  sévérité  en 
«  imposerait  aux  subalternes  ecclésiastiques  qui,  par 
«  malheur  pour  la  tranquillité  publique,  n'étaient 
«  pas  compris  dans  cette  heureuse  proscription  ». 
Si  cet  espoir  était  déçu,  les  Amis  de  la  Constitution 
de  Blois  étaient  bien  décidés  à  expédier  ces  pertur- 
bateurs aux  frères  et  amis  de  Nantes,  avec  prière  de 
les  envoyer  sur  quelques  plages  lointaines,  ou  d'en 
lester  utilement  quelques  navires,  «  qui,  voguant 
«  dès  lors  chargés  du  poids  de  leurs  iniquités,  en 
«  sillonneraient  plus  rapidement  le  sein  des  mers  ». 
Enfin  les  Nantais  étaient  également  autorisés  à  échan- 
ger ces  réfractaires  contre  des  chrétiens  prisonniers 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  65 

en  Afrique,  ou  à  leur  faire  cultiver  les  vastes  plaines 
de  Scioto  '. 

Tel  était  déjà  le  langage  du  peuple  dans  un  pays 
renommé  entre  tous  pour  sa  douceur;  aussi  Thé- 
mines  s'empressa-t-il  de  quitter  et  le  département 
de  Loir-et-Cher  et  la  France  ;  il  partit  pour  Chambéry  *, 
laissant  l'intrus  maître  du  champ  de  bataille,  et  il  se 
consola  de  sa  défaite  en  écrivant  aux  fidèles  de  son 
diocèse  une  lettre  pastorale  de  deux  cent  soixante- 
douze  pages  qui  figure  parmi  les  pièces  les  plus  cu- 
rieuses de  la  collection  de  Grégoire.  Cette  pastorale 
est  un  pamphlet  souvent  diffus,  d'un  style  préten- 
tieux et  mystique,  où  le  dépit  et  la  rage  se  donnent 
librement  carrière.  Tous  les  partisans  du  nouveau 
régime,  et  Grégoire  en  particulier,  y  sont  traités  avec 
le  dernier  mépris;  les  injures  pleuvent  sur  eux,  et 
Thémines  finit  même,  «  après  avoir  invoqué  le  saint 
«  nom  de  Dieu,  la  protection  de  la  sainte  Vierge, 
«  patronne  de  ce  royaume,  etc.  »,  par  fulminer  l'ana- 
thème  contre  la  «  Constitution  prétendue  civile  du 
«  clergé,  qui  est  une  œuvre  de  ténèbres  »,  contre  le 
«  serment  du  27  novembre,  qui  est  la  consomma- 
«  tion  de  l'impiété  et  de  la  tyrannie  »,  contre  «  l'in- 
«  trus  du  département  de  Loir-et-Cher,  nommé  Henri 
«  Grégoire ,    qui  a    mérité   cette    qualification    par 

1.  Adresse...  aux  A77iis  de  la  Constitution  de  Nantes,  impr., 
4  pages  in-4°. 

2.  De  Chambéry,  Thémines  passa  en  Espagne,  puis  en  Angle- 
terre. Au  moment  du  Concordat,  il  refusa  sa  démission,  que 
lui  demandait  Pie  YIl;  il  ne  rentra  pas  en  France  en  1814,  dé- 
clara solennellement  en  1817,  en  présence  de  l'ambassadeur  de 
France,  qu'il  était  et  resterait  jusqu'à  sa  mort  évèque  de  Blois; 
il  finit  même  par  déclarer  schismaliques  le  pape  et  l'épiscopat 
tout  entier; lui  seul  était  le  véritable  successeur  des  apôtres;  il 
mourut  à  Bruxelles  en  1829,  deux  ans  avant  Grégoire. 


66  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
«  son  élection  anticanonique  et  schismatique ,  sa 
«  consécration  sacrilège,  et  sa  mission  nulle,  pro- 
«  fane  et  impie  »,  contre  «  tous  les  ecclésiastiques  ou 
«  laïques  qui  sont  complices  de  l'intrusion  et  du 
«  schisme  S  etc.  »  Non  content  de  lancer  ainsi  la 
foudre  sur  tous  les  auteurs  ou  sectateurs  de  la  Consti- 
tution civile,  le  roi  seul  excepté,  Thémines  déclarait 
qu'il  conservait  dans  le  diocèse  de  Blois  des  «  dé- 
positaires de  sa  confiance  »,  c'est-à-dire  des  grands 
vicaires  cachés;  il  leur  commandait  de  réunir  les 
fidèles  dans  les  maisons,  et  il  permettait  à  tous  les 
prêtres  insermentés  de  son  diocèse  de  faire  en  secret 
toutes  les  fonctions  sacerdotales.  Que  dis-je?  il  les 
autorisait  à  marier,  même  sans  publication  de  bans, 
à  enterrer  furtivement  de  jour  ou  de  nuit,  selon  les 
circonstances  ;  en  cas  d'impossibilité,  il  engageait  les 
catholiques  à  bénir  le  cadavre  dans  la  maison  mor- 
tuaire, et  à  l'abandonner  ensuite  «  au  bras  séculier... 
«  comme  en  pays  infidèle  ou  sur  un  champ  de  ha.- 
«  taille  *  ». 

Voilà  quelle  était,  au  milieu  de  l'année  1791,  la 
situation  du  diocèse  de  Blois  et  des  quatre-vingt-deux 
autres  diocèses  de  France  :  comme  tous  ses  confrères, 
Grégoire  rencontrait  à  chaque  pas  des  obstacles  insur- 
montables. Il  ne  perdit  pourtant  pas  courage,  et  il 

1.  Lettre  pastorale,  p.  246  et  suiv. 

2.  Ibid.,  p.  m  et  suiv.  Quelques  semaines  auparavant,  le 
23  avril  1791,  le  directoire  du  Loir-et-Cher  avait  pris  la  peine 
de  répondre  par  un  grand  éloge  de  Grégoire  aux  calomnies 
d'un  journal  intitulé  Correspondance  des  mécontents.  On  lit 
dans  cette  réponse  que  Grégoire  est  absolument  étranger  à 
«  l'expulsion  des  prêtres  séditieux  et  frénétiques  »  ;  que  l'évêque 
n'a  usé  d'aucune  espèce  de  violence  à  l'égard  des  six  commu- 
nautés ou  pensionnats  religieux  de  la  ville,  et  qu'enfin  le  culte 
est  célébré  dans  la  ville  de  la  manière  la  plus  édifiante. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  07 

employa  de  son  mieux  les  trente  ou  quarante  jours 
dont  il  pouvait  disposer.  11  commença,  comme  nous 
l'avons  vu,  par  visiter  les  trois  villes  principales  de 
son  département;  il  se  montra  partout  où  il  jugea  sa 
présence  nécessaire,  et  presque  en  tous  lieux  sa  phy- 
sionomie si  grave,  si  honnête  et  si  belle,  ses  manières 
afTables  et  distinguées,  sa  parole  entraînante,  et  son 
christianisme  franchement  libéral  lui  concilièrent 
l'afTcction  des  bourgeois  et  du  peuple.  Il  prêchait 
avec  chaleur  *,  il  exerçait  avec  piété  ses  fonctions 
d'évéque,  il  donnait  à  tous  l'exemple  d'une  vie  vrai- 
ment évangélique,  il  bannissait  de  son  entourage  le 
faste  et  la  morgue  qui  avaient  rendu  l'ancien  clergé 
odieux  aux  populations  ;  il  était  accessible  au  moindre 
de  ses  diocésains  et  se  montrait  à  Blois  aussi  chaud 
patriote,  aussi  grand  philanthrope  qu'il  l'avait  été  à 
Versailles  ou  à  Paris;  le  moyen  qu'un  tel  homme  ne 
<levînt  pas  véritablement  populaire! 

Mais  on  n'administre  pas  un  diocèse  avec  de  la  po- 
pularité; le  nouvel  évêque  avait  besoin  de  prêtres 
pour  remplir  tant  de  places  devenues  vacantes  dans 
le  clergé,  et  jamais  peut-être,  sans  la  suppression 
des  ordres  religieux  contre  laquelle  il  avait  protesté, 
Grégoire  n'aurait  trouvé  le  nombre  d'ecclésiastiques 
nécessaire  pour  les  besoins  spirituels  du  département. 
La  plupart  des  congrégations  savantes  avaient  adopté 
les  principes  de  1789,  et  le  ci-devant  clergé  régulier 
fournit  aux  prélats  constitutionnels  des  vicaires  épi- 
scopaux,  des  supérieurs  de  séminaires,  des  aumôniers 
d'hôpitaux  ou  de  couvents,  des  vicaires  et  des  curés 


1.  «  Dans  un  voyage  de  dix-huit  jours,  je  prêchai  cinquante- 
deux  fois.  •  —  Mémoires  de  Grégoire,  II,  25. 


68      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

de  paroisses.  Il  se  présenta  en  outre  quelques  ecclé- 
siastiques séculiers  qui  désiraient  changer  de  diocèse 
ou  s'attacher  à  la  personne  de  tel  ou  tel  évèque,  et 
de  la  sorte  Grégoire  et  ses  confrères  eurent  un  nombre 
de  prêtres  à  peu  près  suffisant.  On  a  reproché  au 
clergé  constitutionnel  son  immoralité,  et  l'on  a  fait 
grand  bruit  des  scandales  de  toute  sorte  qu'ont  don- 
nés des  prêtres  ou  même  des  évêques  assermentés; 
il  est  certain  qu'il  y  eut  des  scélérats  parmi  les  mem- 
bres de  ce  clergé,  et  à  Blois  peut-être  plus  qu'ailleurs, 
parce  que  l'évêque,  malgré  sa  rare  intelligence,  était 
naïf  et  crédule  à  l'excès  *.  Mais  ne  peut-on  répondre 
avec  Grégoire  que  les  neuf  dixièmes  de  ces  affreux 
scélérats  avaient  été  faits  prêtres  ou  évêques  sous 
l'ancien  régime,  qu'ils  avaient  trompé  le  public  et 
leurs  supérieurs  par  les  démonstrations  hypocrites 
d'une  piété  ardente,  et  qu'enfin  dans  le  trouble  d'une 
réorganisation  radicale  et  immédiate  de  pareils  dé- 
sordres étaient  inévitables?  Grégoire  a  toujours  été 
l'honneur  et  la  probité  mêmes,  personne  ne  lui  con- 
teste ces  deux  qualités,  et  tout  le  monde  convient 
que  sa  foi  était  aussi  vive  que  sincère;  cependant  il 
fut  bien  malheureux  dans  quelques-uns  de  ses  choix  : 
il  se  laissa  tromper  par  le  capucin  Chabot,  dont  il  fit 
son  vicaire  épiscopal,  et  par  d'autres  encore  tels  que 
Rochejean,  Tolin,  Prudhomme,  Millo,  Naudin,  Plas- 
siard  et  Rabeauteau,  qu'il  a  stigmatisés  lui-même 
en  1796  dans  les  Annales  de  la  religion  ^  Cependant 
il  ne  faudrait  pas  juger  par  ces  quelques  exceptions 


1.  «  Grégoire  n'est  qu'un  sot  à  force  de  bonhomie  et  de  com- 
plaisance. »  Lettre  ms.  de  Desbois,  év.  d'Amiens. 

2.  Tome  II,  p.  590.  L'article  est  anonyme,  mais  il  est  certai- 
nement de  Grégoire. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  69 

la  généralité  des  prêtres  constitutionnels,  au  moins 
dans  le  diocèse  de  Blois  *  ;  Grégoire  cherchait  à  s'en- 
tourer d'hommes  vertueux  et  vraiment  chrétiens,  et 
il  parvint  à  rassembler  auprès  de  lui  un  certain 
nombre  de  prêtres  dignes  de  ce  nom,  un  Dupont,  un 
Boucher,  un  Vallon,  un  Biet,  un  Chenu  et  beaucoup 
d'autres  dont  la  mémoire  est  encore  en  vénération 
dans  le  département  de  Loir-et-Cher.  C'étaient  des 
ecclésiastiques  comme  il  s'en  trouvait  alors  beaucoup 
<le  par  notre  France,  honnêtes,  désintéressés,  fort  in- 
struits, et  profondément  imprégnés  de  ce  vieux  libéra- 
lisme orthodoxe  dont  on  chercherait  en  vain  la  trace 
aujourd'hui  dans  l'Église  gallicane.  Parfaitement  con- 
vaincus que  le  pape  n'est  pas  l'évêque  universel,  et 
qu'on  a  pu  être  consacré  canoniquement  sans  bulles 
venues  de  Rome,  sachant  d'ailleurs  très  bien  que, 
si  la  France  entière  imitait  les  réfractaires,  c'en  était 
fait  du  catholicisme  dans  notre  pays,  ils  acceptaient 
sans  arrière-pensée  la  situation  nouvelle,  et  se  dé- 
vouaient, le  mot  n'est  que  juste,  comme  le  prouvera 
la  suite  de  ces  études,  au  salut  de  leurs  ouailles.  J'ai 
sous  les  yeux  sept  ou  huit  cents  lettres  que  ces 
braves  gens  écrivirent  à  Grégoire  après  1795  *,  et  l'on 


i.  «  Parmi  les  constitutionnels,  un  très  grand  nombre  furent 
des  hommes  vertueux,  éclairés,  zélés,  sincèrement  patriotes, 
également  fidèles  à  leur  ministère  et  à  la  cause  de  la  liberté. 
Mais  qui  pourrait  nier  qu'on  n'ait  vu  des  ambitieux,  des 
hommes  sans  mœurs,  la  honte  des  cloîtres  et  le  rebut  de  l'an- 
cien clergé,  se  lancer  dans  la  Révolution,  et,  sous  le  manteau 
du  patriotisme,  couvrir  leur  turpitude,  briguer  les  suffrages, 
et  usurper  jusqu'à  l'épiscopat,  pour  déceler  un  jour  par  leur 
honteuse  défection  la  bassesse  des  motifs  qui  les  avaient  ani- 
més? •  —  Du  fanatisme  et  des  cultes,  par  Baudin  {des  Ardennes), 
an  III,  80  pages  in-8°. 

2.  Grégoire  a  dû  brûler  au  moment  de  la  Terreur  la  plupart 


70  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
verra  par  les  quelques  extraits  qu'il  en  faudra  bien 
donner  si  le  clergé  constitutionnel  se  composait  de 
ce  que  Thémines  appelait  dans  un  langage  fort  peu 
académique  «  l'égout  des  cloîtres  et  du  sanctuaire  ». 
Après  avoir  exercé  pendant  toute  la  durée  de  son 
congé  les  difficiles  fonctions  d'êvêque  nouvellement 
installé,  après  avoir  visité  le  diocèse  dans  toute  son 
étendue,  organisé  le  conseil  épiscopal  qui  devait  ad- 
ministrer en  son  absence,  rempli  à  la  hâte  les  places 
demeurées  vacantes  et  réglé  les  affaires  ecclésiasti- 
ques les  plus  importantes,  Grégoire  revint  à  Paris 
vers  le  4  ou  o  mai  1791,  et  nous  le  retrouvons  à  son 
banc  de  député  jusqu'à  la  fin  de  septembre.  Il  prend 
assez  souvent  la  parole  durant  ces  derniers  mois  de 
la  Constituante,  tantôt  en  faveur  des  hommes  de  cou- 
leur *,  tantôt  pour  assurer  le  droit  de  pétition  à  tous 
les  Français,  sans  distinction  de  citoyens  actifs  ou 
non  actifs,  parce  que,  disait-il,  ce  n'est  pas  de  la 
richesse  que  dépend  le  talent  ^  ;  tantôt  pour  deman- 
der après  Pétion  et  Robespierre  que  le  fugitif  de  Va- 
rennes  ne  fût  pas  déclaré  inviolable,  ou  pour  main- 
tenir dans  son  intégrité  la  Constitution  française,  ou 
enfin  pour  réclamer  en  faveur  de  tous  les  citoyens  le 
droit  de  surveiller  les  autorités  constituées  '.  Quant 

des  lettres  qu'il  avait  reçues  avant  cette  époque,  car  il  s'atten- 
dait tous  les  jours  à  monter  sur  l'échafaud,  et  il  savait  bien 
qu'une  saisie  de  ses  papiers  pouvait  amener  la  mort  de  ces 
hommes  qui  seraient  ainsi  convaincus  de  «  fanatisme  ».  Pen- 
dant la  Terreur,  il  fallut  s'interdire  toute  correspondance,  car 
le  secret  des  lettres  était  violé. 

1.  Séance  du  7  mai  1791.  Point  du  four,  t.  XXII,  71.  —  11  et 
12  mai.  Ibid.,  134  et  135.  —  12  juillet.  l'bid.,  t.  XXIV,  209. 

2.  Séance  du  10  mai.  —  Ibid.,  XXII,  114. 

3.  Séances   du  15  juillet,  12  août,  30   septembre.  —  Ibid., 
t.  XXIV,  251  ;  XXV,  231  ;  XXVI,  530. 


GRÉGOIRE   ET  THÉMINES  71 

aux  discussions  religieuses,  Grégoire  semblait  se  les 
être  systématiquement  interdites  depuis  le  vote  des 
lois  nouvelles,  et  il  garda  le  silence  le  jour  oùTalley- 
rand  lut  un  rapport  si  curieux  sur  la  tolérance  uni- 
verselle *. 

Malheureusement  l'évêque  de  Blois  s'abandonnait 
alors  plus  que  jamais  à  son  fâcheux  penchant  pour 
la  politique  militante,  et  la  fuite  du  roi,  le21  juin  1791, 
lui  fournit  une  occasion  d'exhaler  sa  haine  de  plus 
en  plus  vive  contre  ce  prince.  On  sait  que  Louis  XVI, 
après  avoir  promulgué  la  Constitution  civile  du  clergé 
et  déclaré  perturbateurs  ceux  qui  ne  prêteraient  pas 
le  serment  exigé  par  elle,  donna  l'exemple  de  la  déso- 
liéissance,  et  refusa  de  recourir  pour  lui  et  pour  les 
siens  au  ministère  des  constitutionnels.  Réprimandé 
par  le  pape,  à  plusieurs  reprises,  comme  le  sei'ait 
par  son  maitre  un  écolier  turbulent  et  indocile  ^  le  roi 
essaya  de  s'enfuir  à  Saint-Cloud,  au  mois  d'avril  1791, 
parce  que  l'évêque  de  Clermont  lui  avait  défendu  de 
faire  ses  pàques  ;  mais  une  émeute  arrêta  sa  voiture 
à  l'entrée  des  Champs-Elysées  et  il  se  vit  ramené  aux 
Tuileries.  C'est  alors  qu'il  résolut  d'aller  à  Montmédy 
avec  toute  sa  famille,  moins  encore  pour  sauvegarder 
son  indépendance  et  tâcher  de  n'être  pas  le  greffier 
d'une  assemblée  de  bourgeois,  que  pour  avoir  la 
liberté  de  se  confesser  à  un  prêtre  insermenté.  La 
Constitution  civile  du  clergé  fut  donc,  on  peut  le  dire, 
la  cause  principale  de  cette  malheureuse  équipée  de 

1.  Séance  du  8  mai.  —  Point  du  jour,  t.  XXII,  88  et  sq. 

2.  Brefs  du  10  juillet,  du  17  août  et  du  22  septembre  1790.  — 
Bref  du  10  7na7's  1791.  Tous  ces  brefs  étaient  secrets,  et  l'on  a 
pu  longtemps  en  contester  l'authenticité,  qui  est  aujourd'hui 
reconnue. 


72      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Louis  XVI;  et  le  premier  résultat  de  la  fuite  de  Va- 
rennes  fut  d'irriter  vivement  l'Église  constitution- 
nelle, d'ôter  au  nouveau  clergé,  qui  commençait  à 
agir  fortement  sur  les  masses,  toute  possibilité  de 
défendre  le  roi.  Les  constitutionnels  luttaient  péni- 
blement depuis  six  mois  contre  les  partisans  de 
l'ancien  régime  ;  que  pouvaient-ils  espérer  si  le 
chef  du  pouvoir  exécutif  passait  lui-même  à  l'en- 
nemi et  ranimait  ainsi  le  courage  des  réfractaires  ? 
Aussi  Camus  et  les  autres  membres  du  Comité 
ecclésiastique  furent-ils  indignés  en  apprenant  cette 
perfidie,  comme  ils  n'hésitaient  pas  à  l'appeler;  et 
personne  dans  l'Assemblée  ne  témoigna  plus  d'em- 
pressement qu'eux  à  proposer  des  mesures  répu- 
blicaines de  salut  public  *.  Quant  aux  évêques 
nouvellement  institués,  leur  situation  était  des  plus 
fausses,  car  ils  n'existaient  qu'en  vertu  d'une  loi 
promulguée  par  Louis  XVI,  et  le  roi,  dans  ses  do- 
léances à  l'Assemblée  nationale,  montrait  qu'il  avait 
l'Église  constitutionnelle  en  horreur.  Ils  avaient  juré 
d'être  fidèles  à  la  Nation,  à  la  Loi,  au  Roi,  et  de  main- 
tenir de  tout  leur  pouvoir  la  Constitution  nouvelle; 
comment  concilier  ces  obligations  diverses,  si  le  roi 
se  déclarait  l'adversaire  déterminé  de  la  Constitution? 
Il  faut  bien  se  rendre  compte  de  ces  difficultés  si  l'on 
veut  juger  avec  équité  les  ecclésiastiques  assermentés 
de  la  Constituante  :  beaucoup  d'entre  eux  n'avaient 
accepté  l'épiscopat  que  dans  l'espoir  de  mettre  d'accord 
le  christianisme  avec  la  Révolution,  et  voilà  qu'un 

1.  «  Un  pareil  événement  a  dû  nécessairement  changer  nos 
sentiments  à  l'égard  du  roi,  sans  altérer  ceux  qui  nous  atta- 
chent à  la  Constitution...  »  —  Durand-Maillane,  Histoire  apolo- 
gétique du  Comité  ecclésiastique.  Avant -propos. 


GRÉGOIRE  ET  THÉMINES  73 

manifeste  malencontreux  lancé  par  un  roi  fugitif  pa- 
ralysait tous  leurs  efforts  et  creusait  plus  profondé- 
ment l'abime  qu'ils  cherchaient  à  combler!  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  Grégoire  et  les  autres  aient 
gardé  rancune  à  Louis  XVI  de  cette  nouvelle  mala- 
dresse, qu'ils  aient  abandonné  dès  lors  un  prince  qui 
les  abandonnait  de  la  sorte  et  qui  cherchait  à  les 
rendre  ridicules  et  odieux.  Le  premier  soin  de  Gré- 
goire, en  apprenant  la  fuite  du  roi,  fut  d'écrire  à  ses 
diocésains  une  lettre  vigoureuse  dont  il  a  lui-même 
■conservé  quelques  fragments  dans  ses  Mémoires  ^  Il 
•exhortait  les  Blaisois  à  être  unis,  calmes  et  fiers,  en 
même  temps  que  modérés  et  respectueusement  sou- 
mis aux  lois  de  la  religion  comme  aux  décrets  de 
lÂssemblée  nationale  ;  il  leur  conseillait  enfin  d'en- 
visager la  fuite  du  roi  «  comme  une  nouvelle  tem- 
«  pète  permise  par  le  ciel  pour  conduire  plus  rapi- 
«  dément  au  port  le  vaisseau  de  l'État  ».  Il  espérait 
alors  que  Louis  XVI  pourrait  quitter  la  France  à  tout 
jamais,  et  il  a  regretté  qu'au  lieu  de  le  ramener  à 
Paris  on  ne  l'eût  pas,  au  contraire,  poussé  hors  de  la 
frontière,  ce  qui  eût  mieux  valu  à  tous  égards  *. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  fuite  de  Varennes  amena  une 
rupture  complète  entre  Louis  XVI  et  le  clergé  con- 
stitutionnel qui  l'avait  soutenu  jusqu'alors,  et  quand 
Grégoire  revint  dans  son  diocèse,  au  mois  d'octo- 
bre 1791,  il  était  plus  aigri  que  jamais  contre  ce  roi 
qui  s'opposait  au  plus  cher  de  ses  rêves,  c'est-à-dire 
à  l'étroite  union  de  la  foi  chrétienne  et  de  la  liberté. 
Il  n'avait  pas  fait  de  politique  opposante  lors  de  son 

1.  Tome  I,  p.  403. 

2.  C'était  aussi  l'avis  de  Camille  Desmoulins,  mais  ce  dernier 
proposait  de  pousser  Louis  XVI...  avec  le  pied. 

5  ' 


74      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

premier  séjour  à  Blois  ;  mais  ce  fut  tout  autre  chose  à 
la  fin  de  1791  et  durant  l'année  1792.  Non  content  de 
parler  et  d'agir  en  évêque,  il  accepta  les  fonctions  de 
président  du  conseil  général  du  département ,  et 
comme  tel,  il  fit  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui 
du  républicanisme  à  outrance  :  en  toute  occasion,  et 
notamment  après  le  10  août,  il  attaqua  la  cour  avec 
une  violence  extrême  ;  ses  discours  de  cette  époque 
sont  plutôt  d'un  démagogue  que  d'un  ministre  des 
autels;  n'était  le  peu  d'atticisme  de  la  forme,  on  croi- 
rait entendre  le  cardinal  de  Retz  en  16i8,  ou  plutôt 
le  ligueur  Boucher  en  1592.  Mais  nous  avons  promis 
de  ne  pas  nous  attarder  à  considérer  le  rôle  politique 
de  Grégoire  durant  ces  années  de  trouble,  et  nous 
laisserons  de  côté  ces  fâcheuses  déclamations  d'un 
homme  profondément  honnête,  qui  ne  connut  jamais 
l'ambition,  et  dont  l'unique  mobile  a  toujours  été 
l'amour  du  peuple,  le  culte  passionné  de  la  souverai- 
neté nationale.  Son  rôle  religieux  est  d'ailleurs  trop 
important  et  trop  peu  connu  pour  que  nous  nous  lais- 
sions distraire  un  seul  moment  par  des  préoccupa- 
tions étrangères  à  notre  sujet. 


CHAPITRE  II 

GRÉGOIRE    A    BLOIS   PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE 

(1791  —  1792) 

Grégoire  n'avait  pas  oublié  ses  diocésains  durant 
les  cinq  mois  qu'il  dut  passer  à  Paris  après  sa  courte 
apparition  dans  le  département  de  Loir-et-Cher;  la 
preuve  en  est  qu'il  écrivait  presque  chaque  jour,  soit 
à  son  conseil  épiscopal,  soit  à  différents  curés  ou 
vicaires  qu'il  croyait  devoir  consoler  ou  encourager. 
Ces  lettres  ont  probablement  disparu,  comme  tant 
d'autres,  dans  la  tourmente  de  1793,  mais  le  seul  fait 
de  leur  existence  démontre  péremptoirement  et  le 
zèle  chrétien  de  Grégoire  et  son  manque  absolu  de 
morgue  épiscopale  *.  Il  revint  dans  son  diocèse  au  mois 
d'octobre  1791,  avec  l'intention  bien  arrêtée  de  n'en 
pas  sortir,  car  les  constituants  ne   pouvaient  faire 

i.  «  Tandis  que  l'intérêt  de  la  patrie  me  retient  au  milieu  de 
vos  représentants,  la  tendresse  pastorale  reporte  sans  cesse 
mou  cœur  au  milieu  de  vous.  Les  agitations  politiques  u'onl 
pas  ralenti  mes  soins  envers  le  troupeau  que  J.-C.  m'a  confié. 
J'entretiens  une  correspondance  continuelle  dans  l'étendue  de 
mon  diocèse,  et  surtout  avec  les  coopérateurs  que  votre  estime 
m'a  désignés.  »  —  Lettre  circulaire  de  Grégoire  à  ses  diocésains, 
7  juillet  i791  (impr.,  4  pages  in-8"). 


76  HISTOIRE  RELIGIEUSE  1)E  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
partie  de  la  Législative,  et  tout  le  monde  ignorait 
alors  que  la  Convention  se  réunirait  onze  mois  plus 
tard;  je  ne  sache  pas  que  durant  ces  onze  mois  l'évè- 
que  de  Blois  ait  quitté  un  seul  instant  son  troupeau. 
Trois  objets  différents  s'imposaient  tout  naturelle- 
ment à  son  zèle  apostolique  :  l'organisation  du  dio- 
cèse, la  visite  des  paroisses,  et  enfin  la  lutte  contre 
les  difficultés  de  tout  genre  qui  s'opposaient  à  l'exé- 
cution de  ses  projets;  nous  allons  voir  comment  il 
accomplit  cette  triple  tâche. 

La  nomination  des  curés  de  paroisse  n'appartenait 
pas  à  Grégoire,  car  la  Constitution  civile  du  clergé 
les  faisait  élire  directement  par  les  populations,  et  il 
.se  voyait  ainsi  déchargé  d'un  grand  travail  de  re- 
cherche et  d'une  immense  responsabilité  ;  mais  il 
avait  à  former  un  conseil  épiscopal  '■  et  à  choisir  des 
supérieurs  et  des  aumôniers  pour  le  séminaire  de 
Blois  ou  pour  les  différents  hôpitaux  et  couvents  du 
diocèse.  Il  commença  par  mettre  à  la  tête  de  son  con- 
seil le  seul  prêtre  que  lui  eussent  opposé  les  électeurs 
en  février  1791,  et  cet  ecclésiastique,  nommé  Dupont, 
se  montra  digne  d'une  attention  si  délicate  et  d'une 


1.  Ce  conseil  devait,  d'après  la  loi  nouvelle,  se  composer  de 
seize  vicaires  épiscopaux,  plus  un  vicaire  supérieur  et  trois 
vicaires  directeurs  du  séminaire;  voici  les  noms  des  vingt 
ecclésiastiques  du  conseil  de  Blois;  c'est  un  singulier  mélange 
de  prêtres  vénérables  et  d'hypocrites  qui  devaient  bientôt  se 
démasquer  :  Dupont,  Boucher,  Besson,  Vallon,  Tolin,  Duliepvre, 
Meyssonnier,  Hébert,  Pioche,  Riffault,  Girault,  Pilet.  Ces  13  vi- 
caires épiscopaux  étaient  nommés  le  30  juin  1791,  les  1  autres 
le  furent  depuis  :  Vaugeois,  Chappolin,  Répécaud,  Plassiard. 
Nusse,  Rochejean  et  Chabot.  —  Voici  le  jugement  de  Grégoire 
lui-même  sur  ces  conseils  épiscopaux  :  «  organisation  mal  as- 
sortie au  gouvernement  de  l'Église,  et  que  nous  abandonnons 
au  burin  de  l'histoire.  »  -^  2»  EncycL,  Se  édit.  (1793),  p.  83. 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE    77 

pareille  marque  de  confiance;  il  devint  le  conseiller 
discret  et  l'ami  de  son  ancien  compétiteur,  et  il  agit 
toujours,  de  1791  à  1802,  ayec  un  désintéressement 
•  t  un  zèle  religieux  vraiment  admirables.  Autour  de 
rJupont  vinrent  bientôt  se  ranger  les  prêtres  que  la 
voix  publique  désignait  à  Grégoire  comme  les  mem- 
bres les  plus  éclairés  et  les  plus  vertueux  du  clergé- 
patriote.  Les  uns  continuèrent  de  mériter  l'estime 
générale  et  furent  jusqu'à  la  fin  les  auxiliaires  dé- 
voués de  leur  évêque  ;  nous  retrouverons  dans  la  suite 
de  ces  études  les  noms  de  Boucher,  de  Vallon,  de 
Besson,  de  Riffault,  etc.  ;  mais  d'autres  ne  tardèrent 
pas  à  jeter  le  masque  de  ferveur  hypocrite  dont  ils 
avaient  dû  se  couvrir  pour  tromper  Grégoire,  et  l'on 
vit  un  Rochejean,  un  Plassiard,  un  Chappotin,  un 
Chabot,  un  Nusse  et  un  Tolin  donner  l'exemple  des 
plus  abominables  scandales.  Quelques-uns  de  ces 
derniers  appartenaient  avant  la  Révolution  au  dio- 
cèse de  Blois;  mais  les  autres,  surtout  Chabot,  Nusse 
'  l  Rochejean,  étaient  des  étrangers  qui  avaient  litté- 
ralement enjôlé  Grégoire.  Le  capucin  Chabot  lui  avait 
écrit  de  Rodez,  vers  le  milieu  de  l'année  1790,  deux 
lettres  sur  le  patois  de  l'Aveyron  *,  et  cet  affreux  scé- 
lérat s'était  si  bien  donné  l'air  d'un  martyr,- il  avait 
parlé  d'une  manière  si  touchante  de  sa  pauvre  vieille 
mère  et  de  sa  sœur,  que  le  nouvel  évêque  de  Blois, 
trompé  d'ailleurs  par  des  certificats  mensongers,  n'hé- 
sita pas  à  le  tirer  de  la  misère  et  à  le  nommer  vicaire 
ipiscopal.  Il  vit  bientôt  quel  homme  était  ce  prétendu 
martyr;  mais  Chabot  ne  fit  heureusement  que  passer 


1.  Voy.  Lettres  à  Grégoire  sur  les  patois  de  France,  Paris, 
Pedone-Lauriel,  1  vol.  in-8°.  Paris,  1880.  p.  51. 


78      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

dans  le  diocèse  de  Grégoire  :  sa  nomination  est  pos- 
térieure au  !•"' juillet  1791,  et  trois  mois  après,  c'est- 
à-dire  le  1"  octobre,  il  quittait  Blois  pour  aller  siéger 
à  la  Législative  et  ensuite  à  la  Convention.  On  verra 
bientôt  un  autre  de  ces  vicaires  épiscopaux,  le  curé 
Tolin,  susciter  à  son  évêque  de  grands  embarras  et 
se  poser  en  réformateur  du  clergé  constitutionnel, 
sauf  à  se  marier  peu  de  temps  après.  Quant  à  Roche- 
jean,  il  s'était  insinué  de  la  même  manière  que  Chabot 
dans  les  bonnes  grâces  de  Grégoire  :  lui  aussi  avait, 
en  1790,  écrit  une  fort  belle  lettre  relative  aux  patois 
de  France  ',  et  ses  protestations  hypocrites  le  firent 
nommer  l'année  suivante  supérieur  du  grand  sémi- 
naire de  Blois.  Il  apostasia  en  1793  et  devint  un  des 
terroristes  les  plus  redoutés  du  département. 

Ce  séminaire,  dont  le  supérieur  était  si  mal  choisi, 
faisait  pourtant  l'objet  des  plus  sérieuses  méditations 
de  Grégoire,  qui  croyait  au  triomphe  prochain  de  la 
Constitution  nouvelle  et  voulait  lui  assurer  pour 
l'avenir  des  prêtres  aussi  éclairés  que  vertueux. 
Mais  là  encore  il  rencontrait  de  grandes  difficultés; 
le  séminaire  était  vide  !  Sulpiciens  pour  la  plupart, 
les  directeurs  avaient  refusé  le  serment,  et  Thémines, 
après  avoir  en  toute  hâte  ordonné  les  plus  anciens 
clercs,  avait  rendu  tous  les  autres  à  leurs  familles. 
Grégoire  entreprit  de  reconstituer  ce  séminaire  sur 
de  nouvelles  bases;  le  7  juillet  1791,  il  adressa  à  ses 
diocésains  une  lettre  circulaire  qui  est  très  impor- 
tante pour  l'histoire  ecclésiastique  de  la  Révolution, 
car  elle  fait  voir  quelles  étaient  les  vues  des  consti- 
tutionnels sur  la  rénovation  du  clergé  français.  «  Il 

1.  Lettres  à  Grégoire  sur  les  patois.  —  Paris,  1880,  p.  212. 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE    79 

«  faut,  disait  Grégoire,  léguer  à  la  génération  sui- 
«  vante  des  hommes  destinés  à  perpétuer  l'enseigne- 
«  ment  des  vérités  saintes  et  l'exemple  des  vertus 
"  chrétiennes.  »  Il  invitait  donc  à  venir  au  plus  tôt, 
({uoique  l'année  scolaire  fût  très  avancée,  «  les  élèves 
"  qui,  unissant  aux  vertus  les  connaissances  préli- 
<'  minaires  à  la  théologie,  désireraient  se  consacrer 
«  au  saint  ministère  »,  et  il  leur  promettait  d'intro- 
duire, mais  «  graduellement,  les  réformes  qu'exige 
«  l'enseignement  scolastique,  en  général  très  vicieux, 
«  et  qui  a  fait  une  très  grande  plaie  à  l'Eglise  ».  Il 
prévoyait  que  les  «  ennemis  de  la  Révolution,  les 
<'  gens  à  préjugés  »,  allaient  crier  à  l'innovation, 
mais  il  se  flattait  de  leur  ^imposer  bientôt  silence, 
car  on  verrait  les  élèves  de  son  séminaire,  «  instruits 
<'  à  l'école  même  de  la  divinité,  puiser  dans  les  saintes 
«  Ecritures  et  suivre  la  chaîne  de  la  tradition  sainte 
«  dans  les  ouvrages  des  Pères  »,  tandis  que  lui  et 
ses  coopérateurs  annonceraient  toujours  les  mêmes 
dogmes,  prêcheraient  la  même  morale,  administre- 
raient les  mêmes  sacrements.  «  Inviolablement  atta- 
«  elles  à  l'Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine, 
«  disait-il  à  ce  propos,  nous  saurons  également  et  res- 
«  pecter  son  chef,  comme  centre  d'unité,  et  repousser 
«  des  assertions  ultramontaines  que  la  religion  désa- 
«  voue  et  qui  blessent  les  droits  imprescriptibles 
«  et  souverains  des  nations.  »  Grégoire  pressentait 
bien  que  le  nombre  de  ses  jeunes  séminaristes  ne 
serait  pas  considérable  ;  mais  cet  homme  de  foi  ne 
composait  pas  avec  les  principes,  et  il  avait  soin  de 
décourager  par  avance  les  ambitieux  ou  les  hypo- 
crites qui  prétendraient  se  pousser  dans  le  nouveau 
clergé.  «  La  rareté  des  prêtres,  disait-il,  n'autorisera 


80      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

jamais  à  élever  au  sacerdoce  des  hommes  dont  la 

<  conduite  contrasterait  avec  la  sainteté  de  leur  état; 
(  plutôt  laisser  les  peuples  sans  pasteurs  que  de  les 
(  livrer  à  des  mains  perverses  ou  à  des  hommes  indif- 
(  férents  sur  le  salut  des  âmes!  On  sait  qu'un  mau- 
(  vais  prêtre  peut  en  très  peu  de  temps  causer  plus 

<  de  désordre  qu'un  bon  n'en  peut  réparer  dans  une 
1  longue  suite  d'années  :  je  sens  d'ailleurs  qu'une 

responsabilité  terrible  pèserait  sur  ma  tête,  si  je 
n'étendais  ma  surveillance  sur  ceux  qui,  destinés 
'.  aux  premières  et  plus  importantes  fonctions  de  la  so- 
'  ciété  *,  sont  l'espoir  du  diocèse,  et  sur  qui  reposent 
les  mœurs  et,  par  une  suite  nécessaire,  le  bonheur 
d'un  peuple  entier...  Les  mœurs  d'un  prêtre  doivent 
avoir  une  austérité  républicaine,  une  pureté  évan- 
gélique  *.  » 

Tel  était  le  programme  que  Grégoire  et  les  consti- 
tutionnels vertueux  se  proposaient  de  suivre;  ne 
pourrait-on  pas  croire,  si  l'on  trouvait  ce  document 
sans  date  et  sans  indication  d'auteur,  qu'il  est  bien 
antérieur  à  la  Révolution  française,  et  qu'il  émane 
d'un  Colbert,  évêque  de  Montpellier,  ou  de  quelque 
autre  vertueux  prélat  de  l'ancienne  Eglise  gallicane? 
Le  séminaire  de  Blois  s'ouvrit  donc  en  1791,  sous 
la  direction  de  Rochejean,  qui  avait  un  talent  réel  et 
qui,  se  sentant  surveillé  de  près  par  son  évêque,  ne 
jugea  pas  à  propos  de  lever  le  masque.  Cet  hypocrite 
se  montra  sous  son  vrai  jour  à  la  fin  de  l'année  sui- 
vante, et  Grégoire  s'empressa  de  confier  à  un  ecclé- 
siastique vénérable,  nommé  Pioche,  les  jeunes  clercs 

1.  Constit.  civ.  du  clergé,  tit.  III,  art.  1  (note  de  Grégoire). 

2.  Lettre  circulaire  de  M.  Grégoire  à  ses  diocésains,  pour  la  con- 
vocation des  élèves  au  séminaire  de  Blois,  imp.,  4  pages  in-8°,  1791. 


GRÉGOIRE   A  BLOIS  PENDANT  LA   SECONDE  LÉGISLATURE    81 

(jui  étaient  entrés  au  séminaire.  Ils  n'étaient  pas 
nombreux,  sans  doute,  mais  c'était  un  demi-succès- 
d'en  avoir  pu  recruter  quelques-uns.  Grégoire  eut  la 
satisfaction  d'ordonner  un  petit  nombre  de  prêtres  au 
(  ommencement  de  mars  1792;  au  mois  de  décembre 
de  la  même  année,  les  ordinants  de  Blois  durent  se 
rendre  à  Orléans  ou  à  Tours,  parce  que  leur  évêque 
était  en  Savoie.  Mais  là  s'arrête  l'histoire  du  sémi- 
naire :  la  Convention  refusa  dès  les  premiers  jours  de 
1793  d'allouer  des  subsides  aux  établissements  de  ce 
genre,  et  les  jeunes  séminaristes  du  Loir-et-Cher 
prirent  un  parti  qui  leur  fait  honneur  :  ils  s'enga- 
gèrent tous  et  coururent  aux  frontières  *. 

Non  content  d'organiser  son  diocèse  en  cherchant 
à  lui  assurer  des  prêtres  pour  le  présent  et  pour 
l'avenir,  Grégoire  avait  à  cœur  de  le  parcourir  en  en- 
tier, ce  que  son  prédécesseur  n'avait  jamais  fait,  et 
d'en  visiter  successivement  jusqu'aux  moindres  bour- 
gades. C'était  un  excellent  moyen  de  propagande, 

I  ar  le  libéralisme  et  l'affabilité  du  nouvel  évêque  ne 
pouvaient  manquer  de  lui  attirer  bien  des  sympa- 
thies; cependant  Grégoire  se  proposait  de  donnera 
i-ette  «  visite  »  un  caractère  exclusivement  religieux. 

II  voulait  connaître  par  lui-même  les  besoins  du  dio- 
cèse, il  voulait  surtout  administrer  aux  paysans  ce 
sacrement  de  confirmation  dont  il  n'était  guère  ques- 
tion que  dans  les  catéchismes.  C'était  un  dicton  po- 


1.  Lettres  ms.  de  différents  ecclésiastiques  à  Grégoire  (26  fé- 
vrier 1792;  27  janvier  1793). —  Les  citoyens  Coupé  et  Feuillàtre 
furent  ordoDués  prêtres;  Templier  et  Moiirioux  furent  élevés 
au  diaconat.  Feuillàtre  se  rétracta  dans  la  suite,  mais  les  inser- 
mentés le  relevèrent  de  toutes  les  irrégularités  sans  aucune 
épreuve.  —  Lettre  ms.  du  curé  de  Chemery.  du  9  août  1795. 


82      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DR  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pulaire  que  la  négligence  des  évoques  avait  réduit 
les  sept  sacrements  à  six,  et  M.  de  Thémines  était 
resté  plus  de  douze  ans  dans  le  petit  diocèse  de  Blois 
sans  confirmer  les  gens  de  la  campagne.  Il  est  vrai 
de  dire  qu'il  se  dédommagea  en  février  1701,  lors  de 
l'élection  de  Grégoire,  et  qu'il  confirma  précipitam- 
ment «  quiconque  promettait  de  détester  ces  lois  sa- 
«  lutaires  qui  ont  foudroyé  tant  d'abus  *  ».  Grégoire 
adressa  donc  à  ses  diocésains,  le  25  février  1792,  une 
lettre  pastorale  sur  la  confirmation.  «  Le  cœur  me 
<(  presse,  disait-il,  de  visiter  ma  nouvelle  famille,  à 
«  laquelle  plusieurs  fois,  cependant,  j'ai  déjà  fait 
«  entendre  ma  voix.  Vous  n'imputerez  point  à  négli- 
«  gence  le  retard  involontaire  qui  a  jusqu'à  ce  jour 
<(  enchaîné  mes  désirs.  Aux  travaux  pénibles  qui, 
«  dans  l'Assemblée  constituante ,  dévoraient  mes 
«  moments,  ont  succédé  les  occupations  non  moins 
«  étendues,  non  moins  épineuses  du  ministère  évan- 
«  gélique,  et  des  détails  d'administration  civile  ont 
«  encore  grossi  mon  fardeau.  A  l'exemple  de  l'apôtre 
<(  des  Gentils,  j'ai  dû  me  faire  tout  à  tous,  annoncer 
«  la  parole  du  salut,  organiser  mon  clergé,  pourvoir 
«  aux  besoins  des  paroisses,  nous  préparer  des  suc- 
-«  cesseurs  lorsque  la  mort  nous  aura  moissonnés, 
«  assembler  les  éléments  d'un  plan  qui,  concerté  avec 
«  les  pasteurs,  puisse  cimenter  l'union  entre  eux  et 
«  leurs  ouailles,  ramener  à  l'uniformité  les  usages 
«  d'un  diocèse  auquel  sont  annexées  des  sections  de 
«  cinq  autres  diocèses  ;  et  par  un  enchaînement  de 
«  principes,  donner  une  impulsion  générale  et  simul- 


1.  Lettre  pastorale  de  Grégoire  sur  la  confirmation,  10  pages 
in-4",  p.  6. 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE    83 

«  tanée,  éclairer  les  peuples,  épurer  les  mœurs  et 
«  faire  fleurir  la  religion.  Bientôt  enfin  il  me  sera 
«  permis  de  céder  à  ma  tendresse  impatiente...  » 

Tout  ce  que  Grégoire  disait  là  de  ses  travaux  ecclé- 
siastiques depuis  le  mois  de  septembre  1791  était 
rigoureusement  vrai,  et  Ton  a  peine  à  comprendre 
qu'un  homme  ait  pu  résister  à  tant  de  fatigues.  Heu- 
reux du  peu  de  bien  qu'il  croyait  avoir  déjà  fait,  il 
se  proposait  d'en  faire  encore  davantage,  et  il  voulait 
donner  promptement  la  confirmation  aux  80  000  per- 
sonnes qui  «  attendaient  les  dons  du  Saint-Esprit  ». 
Il  jugeait  avec  raison  que  ce  sacrement  n'avait  jamais 
été  «  plus  nécessaire  que  dans  la  circonstance  ac- 
tuelle, lorsque  des  hommes  trompés  ou  trompeurs 
ne  cessent  de  calomnier  une  Révolution  dont  les 
principes  reposent  sur  le  droit  immuable  de  la  na- 
ture et  sur  les  pages  de  l'Évangile;  quand,  au  mi- 
lieu d'abus  détruits  et  à  détruire,  ils  alarment  la 
piété  timide  et  veulent  lui  persuader  que  ce  qui 
flétrissait  la  beauté  de  l'Église  fait  partie  de  son 
existence;  quand  ils  crient  à  l'hérésie,  tandis  qu'on 
les  défie  de  montrer  un  mot  changé  dans  les  livres 
qui  sont  entre  vos  mains,  dans  les  dogmes  que 
nous  vous  enseignons,  dans  la  morale  que  nous 
vous  prêchons;  quand  ils  crient  au  schisme,  tandis 
que,  toujours  enfants  soumis  de  l'Église  catholique, 
apostolique  et  romaine,  vous  êtes  unis  au  siège  de 
saint  Pierre,  au  centre  d'unité,  au  pape,  ^qui  ne 
peut  vous  déclarer  schismatiques,  puisque  vous  le 
reconnaissez  pour  le  chef  visible  de  l'Église.  Qu'ils 
sont  coupables  ceux  qui,  obsédant  le  cœur  paternel 
d'un  pontife  vertueux,  au  lieu  de  rappeler  à  Pie  VI 
sa  conduite  admirable  envers  Joseph  II,  lorsque 


84      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  cet  empereur  réforma  le  clergé  de  ses  États  et 
«  traça  des  démarcations  nouvelles,  empêchent  le 
«  Père  commun  des  fidèles  de  faire  pour  une  grande 
«  nation  ce  qu'il  a  fait  pour  le  délégué  d'une  nation. 
«  Si  la  Providence  me  conserve  quelques  années 
«  parmi  vous,  je  visiterai  toutes  les  paroisses  de  mon 
«  diocèse  ;  mais  de  votre  côté  les  travaux  champêtres, 
«  et  du  mien  les  autres  occupations  de  l'épiscopat 
((  exigent  des  suspensions  dans  mes  visites,  vu  sur- 
«  tout  que  je  me  propose  d'étendre  mes  soins  à  tous 
«  les  détails  de  l'éducation  chrétienne  et  de  l'admi- 
«  nistration  spirituelle. 

«  Si  je  différais  donc  la  confirmation  pour  chaque 
«  paroisse  au  temps  où  je  pourrai  m'y  transporter,  il 
«  en  résulterait  que  beaucoup  de  personnes  ne  rece- 
«  vraient  cette  grâce  qu'à  une  époque  trop  éloignée, 
«  ou  mourraient  sans  l'avoir  reçue  ;  il  convient  donc 
«  que  plusieurs  paroisses,  formant  un  arrondisse- 
«  ment,  se  réunissent  dans  une  église  qui,  par  la 
<(  capacité  du  vaisseau  et  la  position  centrale,  offrira 
«  plus  de  facihté  à  ceux  qui  devront  s'y  rendre;  le 
«  choix  du  local  sera  concerté  entre  MM.  les  curés,  à 
«  la  prudence  desquels  je  me  réfère  *.,.  » 

Grégoire  se  mit  donc  en  route,  après  avoir  recom- 
mandé aux  confesseurs  de  se  montrer  sévères  *,  et 

1.  Lettre  pastorale,  p.  3. 

2.  lbid.,y.  7  :  «  Ce  serait  une  grande  erreur  d'imaginer  que 
la  proximité  de  l'époque  où  l'évêque  imposera  les  mains  doit 
rendre  les  confesseurs  moins  sévères  sur  les  dispositions  inté- 
rieures^ des  pénitents;  le  changement  d'un  cœur  qui  a  vécu 
dans  l'habitude  du  péché  doit  être  constaté  par  de  longues 
épreuves  et  une  continuité  d'actions  vertueuses.  La  sainte  au- 
stérité de  l'Evangile  réclamera  toujours  contre  les  prétextes  du 
relâchement  et  les  illusions  de  la  tiédeur.  La  religion  repousse 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE  S^ 

défendu  aux  curés  de  paroisses  de  le  conduire  sous 
le  dais,  comme  l'on  faisait  pour  ses  prédécesseurs, 
parce  que,  disait-il,  «  les  mœurs  simples  de  M.  llévéque 
«  répugnent  à  ce  qu'on  fasse  pour  lui  la  moindre  dé- 
M  pense...,  et  l'usage  du  dais  doit  être  réservé  aux 
"  processions  du  Saint-Sacrement  *  ».  Il  parcourut  le 
district  de  Blois  pendant  le  carême  de  1792,  celui  de 
Homorantin  après  Pâques,  et  ensuite  ceux  de  Saint- 
Aignan,  de  Vendôme,  de  Mondoubleau  et  de  Mer. 
40  000  personnes  furent  confirmées  pendant  cette 
visite,  mais  la  santé  de  l'évêque  reçut  une  cruelle  at- 
teinte, et  il  contracta  durant  ce  voyage  des  infirmités 
qu'il  devait  porter  jusqu'au  tombeau  ^ 

Mais  si  Grégoire  éprouvait  quelques  consolations 
quand  il  visitait  son  diocèse  et  se  montrait  aux  habi- 
tants des  campagnes,  il  n'en  était  pas  de  même  à 
Blois,  où  nous  le  voyons  aux  prises  avec  des  difficul- 
tés sans  cesse  renaissantes.  C'étaient  tantôt  des 
contre  -  révolutionnaires ,  tantôt  des  assermentés 
brouillons  ou  pervers,  tantôt  enfin  l'Assemblée  lé- 
gislative elle-même,  qui  suscitaient  des  troubles  et 
contraignaient  le  nouvel  évêque  à  rester  perpétuel- 
lement sur  la  brèche.  En  effet,  les  partisans  de  l'an- 
cien régime  et  les  adeptes  de  M.  do  Thémines  s'agi- 
taient dans  tout  le  département  ;  ils  faisaient  appel 
sans  scrupule  aux  mauvais  instincts  des  masses  et 
excitaient  les  contribuables  à  se  refuser  au  payement 


les  ivrognes,  les  orgueilleux,  les  voleurs,  les  impudiques,  lou» 
ceux  dont  la  vie  n'est  qu'une  alternative  de  chutes,  de  confes- 
sions et  de  rechutes,  etc.  »  C'est  la  pure  doctrine  de  Port-Royal. 

1.  Obsei-vations  à  MM.  les  curés...,  2  pages  in-4". 

2.  Mémoires,  11,  23.  Il   s'agit  probablement   d'une  bronchite 
chronique  ou  d'une  laryngite. 


86  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
(le  l'impôt.  Grégoire  dut  intervenir,  et  il  publia,  le 
|cr  février  1792,  une  lettre  pastorale...  sur  le  payement 
des  contributions  publiques  K  Mais  ce  n'est  pas  avec 
des  mandements  que  l'on  contient  les  passions  poli- 
tiques, et  le  directoire  du  département  se  crut  obligé, 
quinze  jours  plus  tard,  de  recourir  aux  grandes  me- 
sures. Après  avoir  constaté  que  les  ci-devant  nobles 
et  des  membres  de  l'ancien  clergé  travaillaient  le 
peuple,  «  surtout  en  empêchant  de  payer  l'impôt  », 
les  membres  du  directoire  se  concertèrent  pour 
«  veiller  à  ce  que  les  insermentés  ne  fussent  pas 
((  maltraités  ;  —  pour  les  contraindre  à  demeurer  au 
«  chef-lieu  du  département  et  les  y  faire  conduire 
«  s'ils  ne  venaient  pas;  —  pour  les  autoriser  à  dire 
«  la  messe  dans  les  paroisses,  en  prenant  le  consen- 
«  tement  du  curé  constitutionnel,  qui  ne  pourra  pas 
((  le  refuser  *  ».  Grégoire  n'a  pas  signé  ce  document, 
émané  du  conseil  général  dont  il  était  président,  et 
l'on  comprend  sa  réserve  en  pareille  circonstance  : 
bien  qu'il  eût  fait  passer  le  premier  et  le  dernier  ar- 


1. 15  pages  in-i".  C'est  un  écrit  fort  sensé  où  je  ne  vois  guère  à 
iblâmer  qu'une  phrase  :  «  Sous  l'ancien  régime,  l'impôt  s'écou- 
lait dans  le  sein  des  prostituées  de  la  cour...  »  Grégoire  établis- 
sait dans  cette  lettre  qu'avant  1789  un  particulier  ayant  600  li- 
vres de  revenus  payait  au  moins  141  livres  d'impôts,  au  lieu 
qu'en  1792  il  n'avait  à  payer  que  102  liv.  au  maximum.  Voici 
la  fin  de  cette  lettre  :  «  Chargé  de  vous  conduire  dans  la  route 
du  salut,  de  travailler  à  ma  sanctification  en  m'occupant  de  la 
vôtre,  je  vous  parlerai  toujours  le  langage  austère  de  la  reli- 
gion et  le  langage  fier  de  la  liberté,  les  seuls  qui  conviennent 
à  des  chrétiens  et  à  des  Français.  » 

2.  Extrait  du  registre  des  délibérations  du  directoire  de  Loir- 
et-Cher,  15  février  1792,  8  pages  in-40.  Le  directoire  agissait  ainsi 
en  vertu  d'uu  décret  rendu  le  29  novembre  par  l'Assemblée 
législative,  décret  que  Louis  XVI  avait  frappé  de  nullité  par 
.son  veto. 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE   87 

ticle  de  cet  arrêté  pour  atténuer  le  second,  il  ne 
pouvait  prendre  l'initiative  de  ces  mesures  violentes 
contre  des  ecclésiastiques.  Il  eût  sans  doute  signé 
volontiers  un  autre  arrêté  de  ce  même  directoire  re- 
connaissant, le  28  mars,  que  les  circonstances  étaient 
changées  par  le  départ  ou  par  le  silence  des  prêtres 
séditieux,  et  déclarant  que,  pour  éviter  le  reproche 
d'injustice  et  d'intolérance  qui  pourrait  lui  être  fait 
par  les  ennemis  du  bien  public,  il  rapportait  son 
arrêté  du  15  février,  et  permettait  aux  insermentés 
de  dire  la  messe  où  bon  leur  semblerait  K 

Grégoire  était  alors  occupé  à  visiter  son  diocèse  et 
à  confirmer  les  paysans  ;  c'est  au  cours  de  cette  vi- 
site qu'il  eut  le  déplaisir  de  constater  l'hypocrisie  et 
la  méchanceté  de  quelques-uns  de  ses  vicaires  épi- 
scopaux.  Ceux-ci  profitèrent  de  son  absence  pour  se 
donner  libre  carrière,  et  l'un  d'entre  eux,  nommé 
ïolin,  ancien  curé  du  diocèse  de  Blois  et  zélé  parti- 
san de  la  Constitution  civile  en  1790,  fit  imprimer  à 
Paris  un  volumineux  pamphlet  contre  les  évêques 
constitutionnels  ^.  Tolin  plaidait  ouvertement  la  cause 
des  prêtres  contre  les  évêques;  il  demandait  la  sup- 
pression des  mitres,  crosses,  anneaux  et  autres  in- 
signes de  l'épiscopat  «  que  personne  assurément  no 
«  respectait  plus  que  lui  »  ;  il  voulait  en  un  mot  ré- 
duire les  évêques  à  n'être  que  des  curés  de  cathé- 

1.  Extrait  du  registre...,  6  pages  in-4o. 

2.  Grande  réforme  à  faire  dans  le  clergé  constitutionnel.  Pa- 
ris, imprimerie  du  Postillon.  62  pages  in-4°.  Grégoire  dit  que  ce 
pamphlet  fut  enfanté  par  la  tête  tout  à  coup  exaltée  de  Tolin. 
—  Hist.  du  mariage  des  prêtres,  p.  6o.  Tolin  avait  écrit  à  Gré- 
goire le  20  février  1791  une  lettre  amphigourique  dans  laquelle 
il  protestait  de  sa  soumission,  de  son  respect  et  de  sa  vénéra- 
tion. 


88      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

drales,  présidant  l'assemblée  des  prêtres,  mais  subis- 
sant comme  tout  le  monde  la  loi  des  majorités.  C'était 
du  presbytérianisme  tout  pur,  et  pour  ne  pas  s'ar- 
rêter en  si  beau  chemin,  l'auteur  de  la  Grande  réforme 
finissait  par  réclamer  le  mariage  des  prêtres,  en  dé- 
clarant, lui  qui  prit  femme  l'année  suivante,  «  qu'il 
«  avait  toujours  incliné  pour  le  célibat,  qu'il  y  tien- 
«  drait,  et  que  personne  n'avait  le  droit  de  contrarier 
<(  cette  disposition  forte  de  son  caractère  *  ».  Ce  fac- 
tum  du  vicaire  épiscopal  de  Blois  ne  visait  pas  d'une 
manière  particulière  le  diocèse  du  Loir-et-Cher;  Gré- 
goire y  était  même  appelé  avec  emphase  «  ce  pre- 
«  mier  héros  de  liberté,  cet  ami  des  hommes,  ce  zélé 
«  défenseur  de  la  religion,  cet  observateur  sévère  de 
«  sa  doctrine  et  de  sa  morale  ^  »  ;  mais  c'étaient  là 
des  précautions  hypocrites  auxquelles  personce  ne  se 
laissa  prendre.  En  effet  Tolin  commença  par  distri- 
buer en  tous  lieux  des  exemplaires  de  sa  brochure  ; 
il  n'hésita  pas,  le  vendredi  2  mars,  à  en  faire  hom- 
mage au  conseil  épiscopal  de  Blois,  présidé  par  Du- 
pont «  en  l'absence  de  M.  l'évêque,  occupé  à  la  visite 
«  du  diocèse  »,  et  il  offrit  d'en  faire  lui-même  la  lec- 
ture. Le  dimanche  suivant,  aux  deux  messes  parois- 
siales de  la  cathédrale,  il  le  récita  pour  ainsi  dire  en 
chaire,  au  grand  scandale  des  assistants;  enfin,  pour 
couronner  l'œuvre,  il  entreprit  de  le  lire  à  la  Société 
des  Amis  de  la  Constitution.  Mais  les  clubistes  de 
Blois,  bien  différents  des  Jacobins  de  Paris,  qui  ap- 
plaudirent cette  plate  rapsodie,  firent  éclater  leur 
indignation;  ils  ne  permirent  pas  qu'on  lût  cette  dia- 


1.  Page  46. 

2.  Page  31. 


GRÉGOIRE   A  BLOIS  PENDANT  LA   SECONDE  LÉGISLATURE   8^ 

tribe  jusqu'au  bout  ;  ils  chassèrent  de  leur  sein  et 
Tolin  et  un  autre  vicaire  épiscopal,  appelé  Nusse,  qui 
osait  le  défendre. 

Cette  affaire  menaçait  de  prendre  les  proportions- 
d'un  événement,  comme  il  arrive  souvent  en  pro- 
vince; et  l'opinion  publique,  très  favorable  à  Grégoire 
<'t  à  ses  coopérateurs,  se  prononçait  vivement  contre 
Xusse  et  Tolin;  le  conseil  épiscopal  se  trouva  done 
obligé  de  prendre  parti  pour  ou  contre  son  évêque, 
il  se  réunit  extraordinairement  le  vendredi  9  mars, 
rt  fit  une  déclaration  motivée  dont  voici  les  princi- 
paux articles  : 

«  1°  C'est  à  Tinsu  [du  conseil  que  les  discours  et 
"  ouvrage  ont  été  composés  et  publiés.  —  2°  Le  con- 
"  seil  les  improuve  hautement,  comme  contenant  des 
"  imputations  calomnieuses  au  clergé  constitutionnel 
«  et  des  principes  éversifs  de  la  subordination  hiérar- 
«  chique...  —  4°  L'auteur  sera  repris  au  nom  du  con- 
<(  seil...  —  5°  Le  conseil,  reconnaissant  avec  tous  les 
"  catholiques  les  droits  sacrés  et  inaliénables  de 
«  Tépiscopat,  proteste  qu'il  y  demeure  inviolablement 
«  attaché,  ainsi  qu'aux  rites  et  usages  prescrits  par 
«  l'Eglise.  —  6°  Douloureusement  affecté  du  soupçon 
«  injurieux  d'une  désunion  chimérique  qu'on  voudrait 
«  réaliser,  il  s'empresse  de  démentir  tous  les  bruits 
«  qui  ont  été  répandus  à  cet  égard,  et  il  présente 
«  avec  confiance  comme  un  modèle  de  l'union  la  plus- 
•  parfaite  celle  qui  règne  entre  ses  membres.  — 
'  7"  Profondément  indigné  de  la  noirceur  avec  la- 
"  quelle  des  calomniateurs  ont  osé  supposer  que  le 
<•  conseil  avait  dessein  de  s'élever  orgueilleusement 
«  contre  son  chef,  il  se  hâte  d'assurer  de  nouveau  ce 
«  vertueux  prélat  de  toute  sa  déférence  pour  son  ca- 


90      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  ractère,  de  l'attachement  le  plus  sincère  pour  sa 
«  personne,  et  de  la  vénération  la  plus  profonde 
<(  pour  ses  vertus.  —  8°  Enfin,  pour  détruire  autant 
«  qu'il  est  en  lui  l'impression  fâcheuse  qu'a  faite  ici 
«  et  que  pourrait  faire  ailleurs  contre  le  conseil  épi- 
«  scopal  de  Loir-et-Cher  la  publicité  de  l'ouvrage  sus- 
«  mentionné,  le  conseil  arrête  qu'extrait  de  ses  déli- 
«  bérations  de  cejourd'hui  sera  imprimé  au  nombre 
«  de  mille  exemplaires,  lu  au  prône  des  deux  messes 
«  paroissiales  de  l'église  cathédrale  dimanche  pro- 
«  chain,  envoyé  aux  corps  administratifs  et  aux  di- 
«  verses  sociétés  de  cette  ville,  à  MM.  les  curés  de  ce 
«  département,  et  à  tous  les  conseils  épiscopaux  de 
«  l'empire  '.  » 

Une  déclaration  si  franche  ne  pouvait  manquer  de 
produire  des  effets  salutaires;  l'immense  majorité 
des  habitants  du  Loir-et-Cher  se  déclara  contre  les 
novateurs,  et  ces  derniers  durent  se  soumettre  ;  mais 
Nusse  ne  put  résister  à  la  tentation  de  faire  une 
espièglerie.  Les  vicaires  épiscopaux  de  Tours  s'étaient 
empressés  de  féliciter  par  écrit  le  conseil  épiscopal 
de  Blois;  Nusse  leur  adressa  une  lettre  de  compli- 
ments ironiques  où  apparaissent  dans  tout  leur  jour 
l'esprit  malicieux  et  le  talent  très  réel  de  ce  triste 
personnage  ^.  Grégoire  et  son  conseil  furent  assez 
habiles  pour  paraître  ignorer  cette  nouvelle  imperti- 
nence, et  l'affaire  n'eut  pas  de  suites.  Les  vicaires  cen- 
surés reprirent  leur  place  au  conseil  épiscopal  et  au 
club;  Nusse  répara  même  sa  faute  en  prononçant, 

1.  Extrait  du  registre  des  délibérations  du  conseil  épiscopal  de 
Loir-et-Cher,  8  pages  in-4°. 

2.  Lettre  à  MM.  du  conseil  épiscopal  de  Tours,  imprimée, 
16  pages  in-8". 


GRÉGOIRE  A.  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE    91 

lors  du  service  funèbre  de  Simonneau,  maire  d'Etampes, 
nu  très  remarquable  discours  sur  la  soumission  à  la 
loi  *  ;  et  le  clergé  de  Blois  cessa  d'offrir  le  scandale 
«l'une  division  qui  réjouissait  déjà  ses  ennemis. 

Cependant  la  Révolution  précipitait  sa  marche,  et 
l'Assemblée  législative,  plus  jeune,  plus  âpre  à  la 
lutte  et  beaucoup  plus  hostile  au  christianisme  que 
ne  l'avait  été  la  Constituante,  commettait  la  faute 
impardonnable  de  prendre  parti  dans  les  querelles 
religieuses  du  temps.  Au  lieu  de  proclamer  haute- 
ment le  grand  principe  de  la  liberté  de  conscience, 
t't  d'assurer  à  tous  les  citoyens  paisibles  le  droit 
lie  prier  à  leur  manière ,  l'Assemblée  législative 
•  ntra  dans  la  voie  toujours  si  fâcheuse  des  tracas- 
series et  des  persécutions.  Elle  commença  par  s'at- 
taquer aux  insermentés,  dont  un  grand  nombre  cor- 
respondaient avec  les  émigrés  et  travaillaient  de  toutes 
leurs  forces  au  triomphe  de  la  contre-révolution.  Elle 
décréta,  le  29  novembre,  que  tous  les  ecclésiastiques 
réfractaires  seraient  privés  de  leurs  traitements  et 
pensions,  mesure  inique  si  jamais  il  en  fut,  puisque 
<es  traitements  et  pensions  étaient  la  rente  du  capital 
ravi  naguère  au  clergé  ;  puis  elle  supprima  toutes  les 
congrégations  respectées  par  la  Constituante,  telles 
que  les  doctrinaires,  les  hospitalières,  etc.  (6  avril 
1792),  et  le  même  jour,  sur  la  proposition  d'un  ancien 
prédicateur  du  roi,  devenu  évéque  constitutionnel  de 


l.  En  juin  1792  (31  pages  in-4°),  Grégoire  en  Gt  un  sur  le  même 
sujet,  mais  beaucoup  plus  déclamatoire  et  moins  bien  com- 
posé; Grégoire  n'y  attaquait  point  Louis  XVI,  qu'il  se  conten- 
tait d'appeler  «  le  premier  délégué  de  la  nation  »  ;  il  parlait 
aussi  avec  ironie  de  ce  «  comité  autrichien  qui  n'existe  pas  ». 
—  22  pages  in-4''. 


92      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Bourges,  du  fameux  Anastase  Torné,  elle  prohiba 
le  costume  ecclésiastique.  Le  27  mai  suivant,  elle  au- 
torisa les  directoires  des  départements  à  déporter 
tout  prêtre  que  vingt  citoyens  actifs  auraient  dénoncé 
comme  perturbateur;  et  enfin,  quinze  jours  à  peine 
après  la  suspension  du  roi,  elle  promulgua  une  loi 
qui  bannissait  de  France  tout  ecclésiastique  inser- 
menté. On  sait  quelles  furent  à  Paris  les  conséquences 
de  ces  divers  décrets  :  Louis  XVI  refusa  de  sanction- 
ner ceux  du  29  novembre  et  du  27  mai,  il  leur  opposa 
son  veto,  et  l'on  n'ignore  pas  que  la  haine  du  peuple 
contre  celui  qu'il  appelait  Veto  amena  les  désastreuses 
journées  du  20  juin  et  du  10  août,  sitôt  suivies  par 
les  journées  de  septembre. 

La  situation  n'était  pas  moins  grave  dans  les  pro- 
vinces, où  l'antagonisme  des  assermentés  et  des  inser- 
mentés amenait  chaque  jour  de  nouveaux  conflits; 
il  faut  avouer  pourtant  qu'à  ce  point  de  vue  le  dé- 
partement de  Loir-et-Cher  fut  l'un  des  moins  éprou- 
vés de  France,  et  cela  grâce  à  Henri  Grégoire.  Il 
s'était  fait  aimer  des  bourgeois  et  du  peuple  qui,  ne 
sachant  pas  au  juste  en  quoi  pouvait  consister  la 
prétendue  hétérodoxie  des  constitutionnels,  préfé- 
raient la  grand'messe  chantée  comme  autrefois  dans 
l'éghse  paroissiale  aux  petites  messes  des  aristo- 
crates; il  sut  profiter  de  cette  heureuse  disposition 
des  masses  pour  leur  faire  pratiquer  la  tolérance, 
l'une  des  vertus  qui  lui  étaient  les  plus  chères  '. 

1.  L'article  VII  de  l'arrêté  du  directoire  du  département  de 
Loir-et-Cher,  arrêté  dont  Grégoire  fut  certainement  l'inspira- 
teur, est  ainsi  conçu  :  «  Les  curés,  vicaires  et  desservants  asser- 
mentés, apôtres  tout  à  la  fois  de  la  religion  et  de  la  constitu- 
tion, sont  invités  à  seconder,  par  leur  zèle  et  leur  tolérance, 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  PENDANT  LA  SECONDE  LÉGISLATURE    93 

Aussi  voyons-nous  qu'en  1792,  et  même  jusqu'au 
mois  de  novembre  1793,  la  paix  religieuse  ne  fut 
point  troublée  dans  le  département  de  Loir-et-Cher  : 
le  degré  d'effervescence  y  était  encore  «  supportable  », 
comme  disait  en  1790  l'ancien  évêque  Thémines. 

D'ailleurs  les  constitutionnels  étaient  trop  inquiets 
sur  leur  propre  destinée  pour  songer  à  persécuter 
leurs  frères  séparés.  Ce  n'était  plus  seulement  aux 
insermentés,  c'était  aux  prêtres  en  général  que  la 
Révolution  s'attaquait,  et  les  Girondins  se  déchaînè- 
rent alors  contre  le  catholicisme  avec  une  extrême 
violence;  ils  donnèrent  au  monde,  comme  dit  M.  de 
Pressènsé,  «  le  honteux  spectacle  de  voltairiens  per- 
sécuteurs )).  La  Législative  commença  par  encourager 
le  mariage  des  prêtres,  puis  elle  défendit  aux  ecclé- 
siastiques et  aux  religieuses  de  porter  un  habit  par- 
ticulier *  ;  enfin  elle  jeta  le  trouble  dans  les  nouveaux 

les  moyens  que  l'aduainistration  emploie  pour  le  maintien  de 
l'ordre  et  de  la  paix.  »  P.  5. 

1.  ...  A  vos  décrets  toujours  soumis, 

Je  vais  quitter  ma  robe  hospitalière, 

En  vous  disant  :  Soyez  bénis, 
Si  vous  n'avez  plus  de  mal  à  me  faire! 
[Adieitx  à  ma  soutane,  par  Chappotin  ;  Journal  du  Loir- 
et-Cher,  20  avril  1792.) 

Le  conventionnel  Robert  Lindet,  évêque  marié,  répondait 
en  ces  termes  à  un  curé  de  Caen  qui  avait  la  naïveté  de  le 
consulter  au  sujet  du  costume  ecclésiastique  :  «...  Jusque-là  le 
»  costume  ecclésiastique  n'a  pas  rendu  en  vous  la  vertu  sus- 
«  pecte.  Mais  il  pourrait  arriver  que  quelqu'un  ne  vous  con- 
«  naissant  pas  trouvât  à  redire  eu  vous  voyant  toujours  re- 
«  vêtu  des  habits  ecclésiastiques...  Je  trouve  dans  votre  lettre 
«  la  réponse  que  je  dois  vous  faire  :  la  redinj^ote  que  vous 
«  vous  proposez  de  porter  sera  un  habit  commode  pour  vous, 
«  et  qui  ne  donnera  lieu  à  aucune  observation.  »  —  Lettre 
autographe  (17  décembre  1793). 


94      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

diocèses  par  ses  lois  sur  l'état  civil  et  sur  le  divorce  *. 
Il  était  assurément  très  naturel  et  très  sage  de  faire 
constater  par  l'autorité  les  naissances,  les  mariages, 
lesdécès,  voire  les  divorces;  mais  pourquoi  le  prendre 
de  si  haut  avec  un  clergé  patriote  que  l'on  savait 
animé  des  meilleures  intentions,  et  qui  d'ailleurs,  de- 
puis deux  cent  cinquante  ans,  tenait  les  registres  de 
l'état  civil?  Pourquoi  faire  en  sorte  que,  trois  mois 
après  la  promulgation  du  décret  de  septembre,  les 
assermentés  ne  savaient  comment  s'y  prendre,  je  ne 
dis  pas  pour  administrer  le  sacrement  de  mariage, 
mais  pour  donner  la  bénédiction  nuptiale?  C'est  que 
le  caractère  antichrétien  du  gouvernement  révolu- 
tionnaire se  prononçait  de  plus  en  plus.  Les  chefs  du 
mouvement,  et  Mirabeau  tout  le  premier,  avaient  cru 
porter  une  atteinte  mortelle  au  catholicisme  en  dé- 
crétant la  Constitution  civile  qu'eux-mêmes  ne  ju- 
geaient point  viable  ;  mais  la  soumission  des  asser- 
mentés aux  lois  nouvelles  déjouait  leurs  projets,  et 
la  Législative  commençait  à  confondre  les  deux  cler- 
gés dans  une  même  haine  quand  elle  lit  place  à  la 
Convention,  le  21  septembre  1792. 

1.  Décret  du  20  septembre  1792. 


CHAPITRE  III 

PERSÉCUTIONS   RELIGIEUSES;    LA  TERREUR  A  BLOIS 
(1792—1795) 

Les  journées  du  :20  juin  et  du  10  août  avaient  porté 
les  derniers  coups  à  la  monarchie,  et  personne  en 
France  n'ignorait  que  la  nouvelle  assemblée  serait 
exclusivement  républicaine.  Le  département  de  Loir- 
et-Cher  nomma,  comme  tous  les  autres,  des  repré- 
sentants déterminés  à  ne  point  rétablir  Louis  XVI; 
mais  aussi,  comme  presque  tous  les  autres,  il  montra 
que  les  Girondins  avaient  ses  sympathies  *.  Grégoire 
fut  élu,  c'est  lui-même  qui  nous  l'apprend  dans  ses 


1.  Ce  fait  ressort  avec  évidence  d'un  document  assez  curieux 
relatif  aux  lois  sur  l'état  civil  et  composé  en  octobre  1792  par 
ordre  des  trois  corps  administratifs  du  département  de  Loir- 
et-Cher,  du  district  et  de  la  commune  de  Biois.  Les  modèles 
d'actes  de  naissance,  de  mariage,  de  décès  et  de  divorce  sont 
rédigés  de  la  manière  suivante;  au  lieu  de  dire  «  est  comparu 
devant  nous  >*,  etc.,  »  on  a  mis  :  «  est  comparu  devant  nous 
Samuel  Custine...  Claude  Buzot...  Claude  Lasource...  Jérôme 
Pétion...  Honoré  Garrat  (sic)...  Gabriel  Gensonné...  Etienne  Ver- 
gniaiix  (sic)...  Joseph  Condorcet...  Dominique  Kersaint...  Georges 
Catnbon...  Sulpice  Dumourier  (sic).  »  —  On  donnait  aux  nou- 
veau-nés le  prénom  de  Pétion. 


^6      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Mémoires  \  par  le  vœu  unanime  du  corps  électoral 
•qu'il  présidait  à  Vendôme,  et  l'on  ne  saurait  dire 
•que,  par  son  républicanisme  exalté,  manifesté  comme 
l'on  sait  dès  la  première  séance  de  la  Convention,  il 
ait  trompé  l'attente  de  ses  commettants.  Le  discours 
à  jamais  regrettable  qu'il  prononça  le  21  septembre, 
il  l'avait  déjà  prononcé  dans  la  cathédrale  de  Blois, 
«  en  présence  des  corps  administratifs,  tribunaux, 
garde  nationale  et  troupe  de  ligne,  au  service  célébré 
pour  les  CITOYENS  morts  à  Paris  le  10  août  1792  ». 
■On  lit  dans  cette  déclamation  furibonde  et  tout  à  fait 
indigne  d'un  prêtre  que  «  les  princes  sont  communé- 
ment en  morale  ce  que  les  monstres  sont  en  phy- 
sique »  ;  que  «  la  classe  d'hommes  la  plus  immorale 
fut  toujours  celle  des  rois  »  ;  que  «  les  cours  seront  à 
jamais  l'antre  du  despotisme  et  la  tanière  du  crime  »  ; 
que  «  l'histoire  n'est  pas  autre  chose  que  le  martyro- 
loge des  nations,  etc.  »  Louis  XV  y  est  traité  de  mi- 
notaure  et  Louis  XIV  de  scélérat  ;.  quant  à  Louis  XVI, 
il  est  accusé  d'empêcher  la  confection  des  armes,  de 
laisser  les  remparts  sans  défense,  sans  munitions, 
d'envoyer  des  cartouches  de  cendre  et  de  l'artillerie 
dont  les  boulets  ne  sont  pas  de  calibre,  etc.  «  A  Dieu 
«  ne  plaise,  s'écrie  enfin  l'orateur,  que  j'invoque 
<(  contre  lui  la  vengeance  terrible  des  peuples;  il  a 
«  tant  fait  pour  mériter  nos  mépris  qu'il  n'est  plus  de 
«  place  pour  la  haine  M  » 

Ces  paroles  et  bien  d'autres  encore  ^  ont  été  pro- 

i.  I,  410. 

2.  Discours  imprimé,  17  pages  in-4°. 

3.  Il  est  question  de  l'Autrichienne  dans  ce  discours,  et  j'y 
lis  (p.  9)  la  phrase  suivante  :  «  Il  est  donc  décidé  que  le  sang 
des  Français  va  ruisseler  de  nouveau,  et  actuellement  elle  peut 


PERSÉCUTIONS  RELIGIEUSES  97 

noncées  par  un  honnête  homme,  aux  applaudisse- 
ments unanimes  d'une  population  que  l'on  s'accorde 
à  considérer  comme  très  débonnaire,  et  rien  peut- 
être  ne  montre  mieux  quel  était  l'état  des  esprits  en 
1792.  Grégoire  et  ses  auditeurs  étaient  convaincus 
que  le  malheureux  Louis  XVI  trahissait  la  patrie,  et 
•la  seule  excuse  que  Ion  puisse  invoquer  pour  de  pa- 
reilles déclamations,  c'est  en  effet  la  parfaite  bonne 
foi  de  leur  auteur.  «  Ce  sont  des  faits,  s'écriait  Grégoire  ; 
«  qu'il  se  lève  celui  qui  oserait  en  démentir  un  seul!  » 
et  personne  ne  songeait  à  contredire  le  tribun,  car  il 
y  avait  entre  lui  et  ses  nombreux  auditeurs  une  en- 
tière conformité  d'opinions,  de  sentiments  et  même 
de  préjugés. 

C'est  dans  ces  conditions  que  Grégoire  quitta  de 
nouveau  son  diocèse,  peu  de  temps  après  les  affreux 
massacres  de  septembre,  pour  venir  siéger  à  la  Con- 
vention avec  quinze  autres  prélats  constitutionnels  '. 
Il  ne  devait  reparaître  à  Blois  que  bien  longtemps 
après,  à  la  fin  de  l'année  1796,  mais  un  homme  à 
principes  comme  lui  ne  pouvait  pas  abandonner  ceux 
qu'il  appelait  ses  enfants  spirituels.  Retenu  à  Paris 
par  des  considérations  de  premier  ordre,  et  persuadé 
que  sa  présence  en  ce  lieu  était  nécessaire  pour  le 
bien  de  la  religion,  il  n'oubliait  pourtant  pas  ses  dio- 
césains, et  il  leur  écrivait  le  plus  souvent  possible 
des  lettres  que  la  tourmente  de  1793  a  emportées 
comme  tant  d'autres  choses.  Il  administrait  par  cor- 

s'en  abreuver,  celle  qu'on  dit  avoir  désiré  de  s'y  baij»ner.  »  — 
Voilà  pourtant  ce  que  croyait  un  homme  éclairé;  on  peut  juger 
par  là  des  sentiments  du  peuple. 

1.  Il  y  avait  seize  évêques  républicains  à  la  Convention,  voilà 
un  fait  qu'il  ne  faut  pas  oublier. 

6 


98      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

respondance,  de  concert  avec  son  premier  vicaire 
épiscopal,  l'excellent  Dupont,  et  il  tâchait  de  résoudre 
à  la  satisfaction  générale  les  difficultés  de  tout  genre 
que  suscitait  la  malveillance  du  gouvernement.  Ainsi 
le  16  octobre  1792,  Dupont  posait  à  Grégoire  les  ques- 
tions suivantes,  dont  l'importance  n'échappera  cer- 
tainement à  personne  : 
«  Doit-on  recevoir  à  l'église  des  parties  qui  se  pré- 
sentent pour  se  marier  avant  d'avoir  donné  à  la 
municipalité  leur  consentement  mutuel?  — Doit-on 
et  peut-on  obliger  les  parties  ci-dessus  à  se  rendre 
à  l'église  après  avoir  donné  à  la  municipalité  leur 
consentement  mutuel,  et  ce  sous  peine  de  péché 
mortel?  —  N'y  a-t-il  rien  à  changer  dans  les  formes 
prescrites  par  le  rituel  à  l'égard  des  personnes  qui 
se  sont  présentées  à  la  municipalité  et  qui  se  pré- 
sentent à  l'église?  —  Comment  se  conduira-t-on  à 
l'égard  des  divorcés  qui,  s'étp,nt  remariés,  se  présen- 
teraient à  l'église  pour  recevoir  la  bénédiction  nup- 
tiale? —  Doit-on,  pour  le  for  intérieur,  exiger  que 
les  parties  parentes  aux  degrés  ci-devant  prohibés 
prennent  des  dispenses?  —  Est-il  important  d'in- 
struire les  fidèles  par  une  lettre  pastorale  pour  les 
prémunir  contre  les  interprétations  irréligieuses 
que  les  ennemis  de  la  chose  publique  s'efforcent  de 
répandre  et  d'accréditer?  —  Un  curé  qui  serait 
nommé  notable  par  ses  concitoyens  peut-il ,  sans 
se  compromettre,  accepter  la  place  d'officier  public 
et  en  exercer  les  fonctions  à  l'égard  des  divorcés 
qui  se  marieraient  ^  ?  »  La  réponse  à  ces  différentes 

1.  Lettre  ms.  de  Dupont.  Voici  deux  phrases  de  cette  lettre  : 
«  Je  vous  observerai  en  mon  particulier  que  plusieurs  curés 
que  j'ai  vus  paraissent  affectés  du  décret  sur  le  divorce,  et  que 


PERSÉCUTIONS  RELIGIEUSES  99 

questions  se  fit  attendre  longtemps,  parce  que  Gré- 
goire fut  envoyé  en  Savoie  du  4  décembre  1792  au 
21  mai  1793,  et  le  conseil  épiscopal  de  Blois  se  trouva 
dans  la  nécessité  d'agir  seul,  au  moins  d'une  façon 
provisoire.  Il  fit  imprimer,  le  7  janvier,  une  circu- 
laire relative  aux  actes  de  l'état  civil,  et  cette  circu- 
laire, calquée  exactement  sur  celle  du  conseil  épi- 
scopal du  Loiret,  est  une  nouvelle  preuve  de  l'esprit 
de   sagesse   qui   animait  Dupont   et   ses   confrères. 
«  Notre  ministère  reste  le  même,  disaient-ils  en  com- 
'<  mençant,  la  loi  n'interdit  point  aux  fidèles  la  faculté 
lie  faire  consacrer  par  les  prières  et  les  cérémonies 
de  l'Eglise  les  naissances,  les  mariages  et  les  décès; 
seulement  elle  nécessite  dans  ces  cérémonies  des 
modiflcations  qui  n'apportent   aucun  changement 
->  essentiel  *.  »  Les  modifications  ainsi  introduites  ne 
laissaient   pas   que   d'être   importantes,  et   l'on   en 
jugera  par  les  extraits  suivants  : 

«  Art.  L  II  ne  sera  plus  tenu  de  registre  des  nais- 
«  sances,  mariages  et  sépultures.  —  Art.  II.  Les  curés 
«  et  desservants,  dans  toutes  les  églises  paroissiales, 
"  tiendront,  seulement  sur  le  papier  mort,  une  note 
des  baptêmes...  —  Art.  IV.  Il  sera  à  propos,  surtout 
«  dans  les  campagnes,  que  le  ministre  du  sacrement 
«  de  baptême  (après  la  cérémonie)  demande  à  ceux 

les  malveillants  répandent  que  la  Convention  va  exiger  que  le? 
prêtres  sermentés  fassent  spécialement  serment  de  maintenir 
ce  décret.  J'espère  que  vous  voudrez  bien  prendre  toutes  ces 
observations  eu  la  plus  haute  considération,  quoique  je  sois 
fondé  à  penser  que  la  Convention  ne  voulant  point  se  mêler 
du  spirituel  ne  nous  forcerait  pas  dans  notre  ministère,  la  loi 
civile  ayant  suffisamment  pourvu  à  l'état  civil  des  citoyens.  » 
—  On  ne  saurait  parler  plus  sagement,  et  l'avenir  s'est  chargé 
de  prouver  que  Dupont  avait  raison. 
1.  Circulaire  imprimée,  7  pages  in-i". 


100      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  qui  auront  présenté  l'enfant  à  l'église  si  la  décla- 
«  tion  de  sa  naissance  a  été  faite  à  l'officier  public  ; 
'<  et  dans  le  cas  où  elle  ne  l'aurait  pas  été,  il  les  en- 
«  gagera  à  satisfaire  à  la  loi  sans  délai.  —  Art.  V, 
f<  L'usage  des  fiançailles  est  aboli,  et  il  ne  sera  plus 
«  fait  dans  les  églises  de  publication  de  bans  de  ma- 
«  riage.  —  Art.  VI.  Il  n'y  a  plus  de  temps  prohibé 
«  pour  la  bénédiction  nuptiale.  —  Art.  VII.  Nous  ne 
«  reconnaissons  désormais  d'autres  empêchements 
«  au  mariage  que  ceux  portés  dans  la  loi  du  20  sep- 
«  tembre  1792.  Désirant  néanmoins  lever  les  scru- 
«■  pules  des  fidèles  qui  conservent  une  pieuse  vénéra- 
u  tion  pour  des  formes  anciennes  qu'une  autorité 
«  légitime  vient  d'abolir,  nous  accordons  une  dis- 
«  pense  générale  de  tous  les  autres  empêchements 
'(  pour  lesquels  on  s'est  adressé  à  nous  jusqu'à  ce 
w  jour.  —  Art.  VIII.  La  bénédiction  nuptiale  ne  sera 
<(  donnée  qu'aux  époux  qui  justifieront  avoir  con- 
«  tracté  devant  l'officier  public.  —  Art.  IX.  On  se 
«  conformera,  pour  la  bénédiction  nuptiale,  à  ce  qui 
«  est  marqué  dans  le  rituel,  et  il  n'y  sera  fait  que  les 
«  changements  suivants  :  Dans  l'exhortation,  au  lieu 
«  de  ces  mots  :  le  mariage  que  vous  allez  contracter,  le 
«  prêtre  se  servira  de  ceux-ci  :  le  mariage  que  vous 
«  avez  contracté,  et  que  nous  allons  consacrer  par  les 
«  prières  et  les  céi^émonies  de  r Église;  après  quoi  il 
«  omettra  de  lire  la  formule  :  nous  vous  déclarons, 
«  chrétiens,  et  les  deux  suivantes,  etc..  —  Art.  X.  Le 
«  prêtre  ne  fera  aucune  inhumation  qu'après  s'être 
«  assuré  que  le  décès  a  été  constaté  par  l'officier 
«  public  ^  » 

1.  On  peut  voir  en  lisant  ces  articles  combien  le  clergé  con- 
stitutionnel a  contribué  par  ses  actes  à  la  rédaction  du  Con- 


PERSÉCUTIONS  RELIGIEUSES  101 

Grégoire  était  étranger  à  la  rédaction  de  cette  cir- 
culaire, publiée  sous  son  nom  pendant  qu'il  était  en 
Savoie;  mais  il  en  approuva  les  principes  dans  une 
lettre,  perdue  malheureusement,  qui  parvint  au  con- 
seil épiscopal  de  Blois  le  19  janvier  1793.  Le  conseil 
répondit  quelques  jours  plus  tard,  et  il  faut  bien 
donner  un  extrait  de  sa  réponse,  car  ces  questions 
(l'état  civil,  résolues  dix  ans  avant  le  Concordat  qui 
nous  régit,  ont  une  importance  capitale  : 

«...  Nous  allons  maintenant  vous  exposer  les  mo- 
«  tifs  sur  lesquels  nous  avons  appuyé  nos  avis  à  nos 
confrères  les  curés  de  ce  diocèse  :  1»  Sur  la  ques- 
tion de  savoir  si  les  parties  contractant  mariage 
seraient  tenues  de  se  présenter  à  la  municipalité 
avant  de  venir  à  l'église,  nous  nous  sommes  décidés 
pour  lafTirmative,  vu  que  le  contrat  civil  est  la  ma- 
tière du  sacrement,  et  que  leur  consentement  donné 
à  l'église  ne  ferait  qu'un  contrat  purement  naturel, 
qui  n'est  pas  celui  qui  est  élevé  à  la  dignité  de  sa- 
crement. Ainsi  l'a  estimé  le  conseil  épiscopal  du 
Loiret.  2"  Sur  la  question  de  savoir  si  les  parties 
contractant  à  la  municipalité  sont  tenues  sous 
«  peine  de  péché  mortel  de  se  présenter  à  la  béné- 
diction nuptiale,  nous  regardons,  comme  vous, 
la  question  [comme]  fort  délicate  à  résoudre,  en  ce 
que  les  théologiens,  divisés  de  sentiment  sur  la 
personne  du  ministre  du  sacrement,  se  réunissent 

cordât  et  des  articles  organiques.  La  question  du  mariage 
pourrait  seule  présenter  quelque  difficulté;  mais  on  sait  que 
des  canonistes  sérieux  ont  admis  que  le  ministre  du  sacrement 
de  mariage  pouvait  être  l'officier  de  l'étal  civil.  Évidemment 
les  chrétiennes  qui  épousaient  des  païens  au  \^^  ou  au  ii^  siècle 
de  notre  ère  ne  faisaient  point  bénir  leur  mariage  :  leurs  maris 
ignoraient  même  qu'elles  fussent  chrétiennes. 

6. 


102      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

à  dire  que  les  deux  sentiments  peuvent  être  suivis 
en  sûreté  de  conscience  jusqu'à  ce  que  l'Eglise  ait 
prononcé.  Ainsi  le  mépris  de  la  bénédiction  nup- 
tiale consacrée  par  les  usages  de  l'Eglise  doit  être 
pour  nous  la  pierre  de  touche,  et  nous  pensons  que 
nous  devons  nous  en  tenir  à  exhorter  nos  parois- 
siens à  ne  point  négliger  cette  bénédiction,  et  à  se 
mettre  en  état  de  grâce  avant  de  contracter  civile- 
ment. 3°  Le  changement  dans  les  formes  du  rituel 
est  commandé  par  la  précession  du  contrat  civil. 
Aussi  au  lieu  de  :  Prenez-vous  pour  votre  épouse, 
nous  disons  :  Avez-vous  pris,  quoiqu'il  n'y  eût  pas 
«  d'inconvénient  à  dire  :  Prenez-vous,  car  cette  ques- 
tion n'exigerait  que  le  renouvellement  en  face  de 
l'Église  d'un  consentement  légitimement  donné  à  la 
municipalité.  4°  Quant  aux  divorcés,  nous  parta- 
geons votre  opinion,  et  nous  n'avons  pas  cru  de- 
voir pour  l'instant  traiter  la  question  si  nous  de- 
vons les  admettre  à  la  bénédiction  nuptiale,  dans 
le  cas  où  ils  se  présenteraient.  Nous  avons  pour 
nous  la  loi  civile,  qui  déclare  ne  point  se  mêler  du 
spirituel.  Vous  êtes  plus  que  nous  à  portée  de  con- 
naître quel  esprit  anime  les  législateurs,  et  nous 
attendrons  volontiers  le  moment  auquel  vos  occu- 
pations vous  laisseront  le  loisir  d'approfondir  cette 
question.,..  6°  Nous  pensons  comme  vous  qu'un 
curé  peut  être  officier  public  ;  mais  nous  ne  le  con- 
seillerions pas,  à  raison  de  la  contradiction  morale 
et  civile  qu'il  offrirait  à  des  paroissiens  qui  jugent 
ordinairement  de  la  qualité  de  l'action  plutôt  par 
l'action  même  que  par  son  motif.  7°  Quant  à  Tar- 
ticle  des  dispenses,  nous  avons  suivi  littéralement 
et  provisoirement  l'exemple  du  conseil  épiscopal 


PERSÉCUTIONS  RELIGIEUSES  103 

«  du  Loiret,  les  dispenses  ayant  trait  au  mariage  et 
«  non  à  la  bénédiction.  D'ailleurs,  par  la  circulaire, 
les  curés  nos  confrères  usant  du  pouvoir  à  eux  dé- 
légué, omnia  siint  in  tuto...  » 

On  peut  juger  par  ce  document,  qui  porte  la  signa- 
ture de  neuf  vicaires  épiscopaux.  si  le  clergé  consti- 
tutionnel de  Blois  s'était  recruté  uniquement  parmi 
les  prêtres  que  Thémines  appelait  l'égout  des  cloîtres 
et  du  sanctuaire.  Le  conseil  de  Grégoire,  composé  en 
majorité  d'hommes  convaincus,  travaillait  avec  un 
désintéressement  absolu  au  triomphe  de  ses  idées  re- 
ligieuses. Il  ne  faisait  point  de  politique,  mais  il  ac- 
ceptait sans  discussion  les  lois  civiles  que  publiait  la 
Convention  nationale,  et  il  exhortait  les  populations 
à  se  soumettre  religieusement  aux  autorités  consti- 
tuées. Aussi  voyons-nous  que  la  tranquillité  ne  cessa 
pas  de  régner  dans  le  département  de  Loir-et-Cher 
jusqu'aux  néfastes  journées  de  novembre  1793.  Il  y 
eut  un  peu  de  «  fermentation  «  dans  ce  département 
au  commencement  de  décembre  1792,  mais  pour  des 
motifs  étrangers  à  la  question  religieuse  *.  L'exercice 
du  culte  constitutionnel  n'était  nullement  entravé, 
et  l'administration  avait  recours  aux  curés  dans  les 
circonstances  difficiles.  Ainsi,  le  6  avril  1793,  le  con- 
seil général  exigeant  de  tous  les  fonctionnaires  un 
certificat  de  civisme  prit  les  dispositions  suivantes  : 
«  Les  certificats  ne  seront  accordés  par  les  conseils 
généraux  des  communes  quà  des  citoyens  dont  le 
patriotisme  sera  connu,  et  qu'après  avoir  fait  afficher 

1.  On  se  plaignait  que  le  benrre,  les  œufs,  la  chandelle,  et 
autres  comestibles  (sic)  fussent  d'un  prix  trop  élevé.  —  Rapport 
de  Villers.  Longckamp  et  Couthon,  commissaires  de  la  Conven- 
tion; impr.,  7  pages  in-8°. 


104      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pendant  trois  jours  à  la  porte  de  la  maison  commune 
et  publier  à  l'issue  de  la  messe  paroissiale  les  noms  des 
réclamants  et  la  discussion  entre  les  membres  du 
conseil  général  de  la  commune  ',  »  Trois  mois  plus 
tard,  le  12  juillet,  le  conseil  général  arrêtait  qu'une 
adresse  du  club  de  Blois  aux  autres  clubs  du  dépar- 
tement, —  adresse  assez  raisonnable  où  l'on  disait 
en  propres  termes  :  «  Ici  le  fanatisme  sera  forcé  de 
«  se  trouver  en  défaut;  le  libre  exercice  des  cultes 
«  est  maintenu  ;  il  n'a  de  bornes  que  la  violation  de 
«  l'ordre  public,  »  —  serait  lue  par  les  curés  consti- 
tutionnels pendant  deux  dimanches  consécutifs  aux 
prônes  des  messes  paroissiales  ^  C'était  un  abus,  car 
le  conseil  général  n'avait  pas  le  droit  d'intimer  ainsi 
des  ordres  aux  curés  ;  mais  il  n'en  ressort  pas  moins 
d'une  manière  évidente  que  les  prêtres  «  soumis  aux 
lois  »  exerçaient  une  grande  influence  sur  l'esprit  de 
leurs  paroissiens. 

Telle  était  la  situation  du  diocèse  de  Blois  lorsque 
la  Terreur  vint  briser  les  autels  et  tuer  ou  disperser 
tous  les  ministres  du  culte.  Déjà,  au  mois  de  fé- 
vrier 1792,  quelques  énergumènes  avaient  introduit 
dans  un  arrêté  du  directoire  une  ou  deux  phrases 
sur  «  le  joug  de  la  superstition  »  et  sur  «  les  préjugés 
du  fanatisme  »  ;  mais  l'attitude  franchement  libérale 
des  prêtres  constitutionnels  avait  arrêté  ces  premières 


1.  Extrait  du  registre  de  l'assemblée  administrative  de  Loir-et- 
Cher,  impr.,  6  pages  in-4°. 

2.  Les  amis  de  ki  liberté  et  de  l'égalité  de  Blois  à  leurs  frères 
du  département  de  Loir-et-Cher,  12  pages  in-i».  Le  conseil  général 
invitait  «  tous  les  bons  citoyens  à  dénoncer  tous  ceux  des  mi- 
nistres du  culte  catholique  qui,  par  insouciance  ou  autre  motif, 
auraient  négligé  de  leur  faire  au  prône  la  lecture  ci-devant 
ordonnée  ». 


LA  TERREUR  A  BLOIS  105 

attaques.  En  1793,  après  la  visite  des  convention- 
nels Tallien  et  Goupilleau,  le  directoire  de  Loir-et- 
Cher,  surveillé  par  un  comité  spécial,  invita  le  con- 
seil épiscopal  à  supprimer  la  fête  de  saint  Louis,  roi 
de  France  et  patron  du  diocèse  '.  Le  conseil  en  référa 
sans  plus  tarder  à  l'évèque,  et  Grégoire  parle  dans 
.ses  Mémoires  du  cruel  embarras  que  lui  causa  cette 
sommation  déguisée.  «  J'avais  le  cœur  dans  un  étau, 
«  dit-il,  froissé  entre  la  crainte  d'atténuer  le  culte 
«  que  l'Église  rend  aux  saints,  et  la  crainte  d'attirer 
«  sur  mon  clergé  l'orage  d'une  persécution  atroce 
«  dont  les  symptômes  s'étendaient  déjà  sur  l'horizon 
«  de  la  France  *.  »  Il  essaya  de  se  tirer  d'embarras 
en  séparant  dans  la  personne  de  Louis  IX  le  saint 
du  roi,  et  il  proposa,  en  désespoir  de  cause,  de  ne 
point  «  célébrer  la  fête  d'un  saint  jadis  roi  avec  cette 
«  pompe  qui  pourrait  être  encore  un  sujet  de  triom- 
«  phe  pour  les  royalistes,  et  un  talisman  capable 
«  d'éblouir  les  simples...  On  pourrait  alors,  ajoutait- 
'<  il ,  adopter  pour  patron  saint  Solême  ,  dont  les 
«  vertus  ont  édifié  cette  contrée  ;  et  qui  sans  doute 
«  eût  encore  grossi  le  trésor  de  ses  mérites,  si,  au 
«  lieu  d'avoir  des  relations  avec  Clovis ,  il  eût  tâché 
«  d'ébranler  le  trône  du  despotisme.  » 

Mais  ce  n'étaient  là  que  de  timides  essais  ;  à  peine 
la  Convention  nationale  eut-elle  donné  le  signal  des 
persécutions  ouvertes  en  accueillant  comme  l'on  sait 


1.  Le  Brève  Blesence  pour  l'année  1793,  Paschà  occurrcnte 
31  martii,  indiquait  pour  le  23  août,  n<'  dim.  après  la  Pente- 
côte :  fesluui  S.  Ludovici  Franc.  Régis  et  Eccles.  patroni. 
Annuaie  Min.  —  Ce  bref  avait  pourtant  été  imprimé  après  le 
21  septembre  1792,  anno  gallicanae  Reipublicae  primo. 

2.  Mémoires,  II,  p.  28. 


106      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

les  apostasies  du  17  brumaire  an  II,  qu'une  poignée 
de  scélérats  se  rua  sur  le  département  de  Loir-et- 
Cher.  La  municipalité  de  1792,  suspecte  de  modéran- 
tisme,  fut  chassée  par  le  conventionnel  Guimberteau; 
la  Société  populaire  de  Blois,  un  club  qui  s'était  per- 
mis de  demander  la  suppression  du  club  des  Jaco- 
bins, fut  complètement  désorganisée  et  livrée  sans 
défense  à  quelques  misérables,  comme  l'hypocrite 
Rochejcan,  ancien  vicaire  épiscopal  et  ancien  supé- 
rieur du  séminaire,  comme  le  sanguinaire  Hésine,  né, 
disait-il,  de  parents  pauvres,  obscurs,  mais  honnêtes, 
et  qui,  ayant  lu  de  bonne  heure  Rousseau,  en  avait  fait 
son  idole  ^  Non  content  d'inviter  toutes  les  sociétés 
populaires  à  «  traîner  dans  leur  propre  fange  tous  les 
députés  du  Marais  »,  et  d'envoyer  à  la  Convention 
une  pétition  où  se  trouve  la  phrase  suivante  :  «  Que 
«  fait  dans  une  assemblée  représentative  un  Leclerc 
«  qui,  au  lieu  de  faire  oublier  les  intrigues  de  son 
«  élection  et  sa  nullité  personnelle  par  des  opinions 
«  républicaines,  a  voté  en  conscience  pour  la  conser- 
«  vation  de  Louis  le  Guillotiné  ^?  »  le  nouveau  club 
voulut  signaler  son  zèle  en  écrasant  le  «  fanatisme  ». 
Toutes  les  églises  du  département  furent  fermées  en 
brumaire,  mais  non  sans  avoir  été  pillées  au  préa- 
lable ;  le  culte  de  la  Raison  fut  proclamé  et  célébré 
sans  retard  comme  à  Paris  ;  enfin  le  club  de  Blois  put 
écrire  à  la  Convention  :  «  La  philosophie  a  fait  des 

1.  «  C'est  dans  ses  écrits  que  j'ai  puisé  le  germe  du  caractère 
républicain  que  j'ai  développé  depuis  la  Révolution.  »  —  Mé- 
moire apologétique,  d' Hésine  (septembre  1794),  impr.,  26  pages  in-4". 

2.  Impr.,  4  pages  in-4'>.  Rochejean  fut  l'inspirateur  de  cette 
pétition,  parce  qu'il  se  flattait,  comme  suppléant  à  la  Conven- 
tion, de  remplacer  Leclerc.  Il  ne  put  y  parvenir,  parce  qu'il 
était  accusé  de  vol  au  séminaire  de  Blois. 


LA  TERREUR  A  BLOIS  107 

«  progrès  jusque  dans  les  campagnes.  Les  saints  se 
«  lèvent  en  masse  pour  venir  au  secours  de  la  patrie, 
u  les  cloches  se  fondent  en  canons,  les  confession- 
«  naux  se  changent  en  guérites,  et  les  croix  en  arbres 
«  de  la  liberté.  Tout  ce  qui  reste  de  la  superstition 
((  va  être  détruit  *...  » 

A  la  même  époque,  le  comité  révolutionnaire  de 
Blois  adressa  à  toutes  les  communes  du  département 
un  manifeste  religieux  qui  est  trop  important  pour 
ne  pas  être  reproduit  en  entier  : 

Liberté,   Égalité,   Raison,    ou  la  Mort  *. 

«  Blois,  le  15  frimaire,  l'an  II«  de  la  Répu- 
blique française  une  et  indivisible. 

«  Les  églises  viennent  d'être  fermées  à  Blois  ;  le 
peuple  en  masse  s'y  est  porté  dans  l'enthousiasme  de 
la  raison  ^  et  a  démoli  les  autels  du  fanatisme  aux 
cris  redoublés  de  Vive  la  République  ! 

«  Ne  vouloir  de  mal  à  personne,  faire  du  bien  à 
tous,  chérir  sa  patrie  et  les  lois,  voilà  la  religion  à 
l'ordre  du  jour  dans  l'enceinte  de  la  commune  de  Blois. 

«  Nous  apprenons  que  cette  mesure  sert  de  pré- 
texte aux  malveillants  pour  agiter  les  esprits  faibles 
dans  les  campagnes. 

«  On  nous  annonce  des  députations  de  quelques 
communes  fanatisées  qui  viennent  réclamer  leurs 
prêtres  et  l'exercice  de  leur  culte  à  leurs  frais.  Ci- 

1.  Bulletin  de  la  Convention,  n»  427.  —  La  Convention,  après 
avoir  écouté  la  lecture  de  cette  lettre,  passa  à  l'ordre  du  jour 
motivé  sur  la  liberté  des  cultes,  proclamée  par  la  Constitution, 
et  ordonna  l'insertion  au  Bulletin. 

2.  Impr.,  2  pages  'm-i°. 

3.  Note  ms.  :  C'est  faux. 


108      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

toyens,  les  administrations  ne  peuvent  ôter  ni  don- 
ner des  prêtres,  elles  n'en  connaissent  point;  elles 
ne  protègent  aucune  espèce  de  culte  en  particulier, 
elles  les  envisagent  tous  du  même  œil  ;  le  culte  de  la 
Raison  est  le  seul  qu'elles  reconnaissent. 

«  Bons  citoyens,  que  des  hommes  qui  n'ont  jamais 
cru  en  Dieu  trompent  par  profession,  égarent  par 
intérêt,  revenez  de  vos  erreurs,  restez  au  sein  de  vos 
foyers,  adorez  l'Être  suprême,  rendez  hommage  à  la 
raison,  pratiquez  la  religion  des  bonnes  œuvres  et 
respectez  les  lois  :  c'est  à  cela  que  se  réduisent  la 
morale  de  l'Évangile  et  la  doctrine  du  sans-culotte 
Jésus,  son  auteur.  Défiez-vous  de  ceux  qui  vous  en- 
tretiennent dans  vos  préjugés  ;  leurs  perfides  conseils 
sont  dictés  par  l'intérêt  particulier. 

«  Respectez  l'opinion  de  ceux  qui  ne  veulent  d'au- 
tres temples  que  ceux  de  la  raison,  ne  proférez  contre 
eux  aucune  injure,  n'élevez  aucun  cri  superstitieux. 
Tous  les  hommes  doivent  s'humilier  devant  la  raison. 

«  Toute  église  où  il  sera  prêché  une  autre  morale 
que  celle  de  l'Évangile  sera  fermée  ;  tout  prêtre  qui 
prononcera  un  discours  fanatique  sera  incarcéré. 

«  Malheur  aux  traîtres,  aux  intrigants  et  aux  trom- 
peurs; la  guillotine  est  en  permanence. 

«  Signé  au  registre  :  Fouchard,  Doublot  *, 
Arnault,  Moulin- Coût  eau,  Bûcher  on-Che- 
ron,  Delêtre^  Lemeignen,  Toutan,  Jouan- 
neaupère,  Guillon,  Doublet  el  Bésine. 

«  Collationné  :  Blin,  secrétaire.  » 

1.  Doublot,  l'un  des  signataires,  était  alors  bourreau  de  Blois, 
et  on  assure  que  sur  ces  douze  fonctiouDaires  le  bourreau  était 
le  moins  intraitable,  el  qu'il  signait  à  regret  les  arrêts  féroces 
de  ses  confrères.  Note  ms. 


LA  TERREUR  A  HLOIS  109 

Mais  toutes  ces  destructions  ne  se  faisaient  pas 
sans  résistance,  surtout  dans  les  campagnes.  Un  cer- 
tain nombre  de  curés  constitutionnels  continuaient  à 
exercer  leur  culte  *,  et  d'autre  part  quelques  hommes 
courageux  faisaient  couvrir  de  signatures,  dans  la 
ville  même,  une  pétition  pour  obtenir  la  réouverture 
immédiate  des  églises.  On  envoya  donc  à  Blois  un 
des  montagnards  les  plus  farouches,  le  représentant 
Garnier  (de  Saintes),  qui  lança  le  18  pluviôse  an  II 
(Q  février  1794)  une  proclamation  ridicule  et  odieuse  * 
où  se  lisent  entre  autres  les  phrases  que  voici  : 
«  Citoyens,  jusqu'ici,  dignes  de  la  Révolution  et  de 
ses  bienfaits,  vous  en  avez  défendu  les  droits  et 
protégé  la  cause  ;  vous  avez  été  connus  pour  les 
amis  de  la  liberté.  Cependant  aujourd'hui,  outra- 
geant la  dignité  de  vous-mêmes,  vous  oubliez  que 
vous  êtes  libres,  et  vous  allez  devenir  fanatiques... 
Ce  sont  les  religions  et  les  prêtres  qui  ont  ensan- 
glanté la  terre,  qui  ont  canonisé  tous  les  crimes  et 
amené  tous  les  maux  de  la  société...  Le  ciel  a  créé 
l'homme  ;  le  crime  a  créé  les  prêtres.  Leur  lugubre 
morale  est  sinistre  comme  leurs  vêtements  et  cri- 
minelle comme  leurs' âmes.  L'homme  vertueux  les 
abhorre,  la  divinité  les  repousse...  Soyons  nos 
prêtres  nous-mêmes  ;  présentons  nous-mêmes  nos 
propres  offrandes.  Lorsque  le  vertueux  Abel  lui  fit 
r hommage  des  prémices  de  ses  troupeaux,  se  servit-il 
de  V intermédiaire  des  prêtres?...  Citoyens,  tenez-vous 
en  garde  contre  les  clameurs  de  ces  hommes  qui 


1.  Dans  quelques  localités  éloignées  le  culte  ne  cessa  entiè- 
rement qu'à  Pâques  de  l'année  1794. 

2.  Impr.  à  3  000  ex.,  10  pages  in-8». 


HO      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  VOUS  disent  que  la  liberté  de  vos  opinions  reli- 
ft gieuses  ne  vous  reste  plus  parce  qu'on  a  fermé  des 
«  églises  et  des  temples.  Ne  peut-on  adorer  la  divi- 
«  nité  qu'entre  quatre  murs?  L'univers  n'est-il  pas 
«  son  temple?  Vos  vertus  ne  sont-elles  pas  les  offran- 
«  des  que  vous  lui  devez?...  »  11  fallait  bien  se  rendre 
(i  cette  argumentation  digne  de  Sganarelle,  car  le  dis- 
cours de  Garnier  était  accompagné  d'un  petit  nota 
destiné  à  persuader  les  plus  récalcitrants  :  «  Nota. 
«  Les  nommés  Leroy,  Vincent  l'aîné,  Dorisse-Petitpré 
«  et  Denis  -  Chàtignier  ont  été  mis  en  arrestation 
«  comme  ayant  cherché,  sous  prétexte  d'obtenir  l'on- 
ce verture  des  temples  et  le  libre  exercice  de  leur 
'(  culte,  à  soulever  le  peuple  en  colportant  une  péti- 
«  tion  et  mendiant  des  signatures  de  maison  en  mai- 
«  son  *.  »  Aussi,  à  dater  de  ce  jour,  le  département 
de  Loir-et-Cher  fut  en  proie  aux  fureurs  des  Héber- 
tistes  les  plus  forcenés  ^.  Les  fêtes  de  la  Raison  et 
plus  tard  celles  de  l'Être  suprême  furent  célébrées 
avec  fracas,  et  les  clubs  firent  imprimer  les  procès- 
verbaux  et  les  discours  les  plus  inconcevables.  La 
société  républicaine  et  mbotière  de  Montoire  se  dis- 
tingua entre  toutes,  et  certain  discours  de  son  pré- 
sident mérite  une  mention  particulière.  Après  avoir 
parlé  en  beau  langage  des  «  pygmées  de  la  Plaine  et 
des  reptiles  abjects  du  Marais  »,  l'orateur  appelait 
Michel  Le  Pelletier  un  nouveau  Moïse  ;  il  exaltait  le 
dévouement  de  la  divine  Montagne,  et  s'échauffait 

1.  A  Vendôme,  le  représentant  Garnier  fit  incarcérer  tons  les 
prêtres  constitutionnels.  Lett.  ms.  de  Morel,  curé  d'Ouzain. 

2.  Les  paysans  continuèrent  cependant  à  ne  pas  travailler  le 
dimanche  et  à  sonner  l'Angelus  matin  et  soir.  —  Lettre  ms.  de 
Boucher  à  Grégoire,  22  frimaire  an  III  (12  décembre  1794). 


LA  TERREUR  A  BLOIS  111 

peu  à  peu  jusqu'à  dire  en  parlant  de  Marat  :  «  Quel 
républicain,  parmi  les  braves  sans-culottes  que  j'ai 
l'honneur  d'entretenir,  ne  sent  pas  s'affaisser  ses 
facultés  physiques  et  morales  au  récit  du  déicide 
commis  par  l'infernale  Corday?  Pardon,  citoyens, 
(  le  nom  seul  de  ce  fléau  de  la  nature,  qui  m'est 
échappé  malgré  moi,  me  fait  perdre  l'usage  de  la 
langue  et  de  la  voix.  Marat  n'est  plus!  Le  fer  as- 
sassin dont  son  flanc  fut  percé  a  fait  jaillir  son  sang 
à  gros  bouillons!  0  précieux  sang!  ô  sang  du  plus 
sincère  ami  de  l'humanité,  tu  as  coulé,  et  le  soleil 
'  a  prêté  ses  rayons  à  ce  forfait  !  0  bain  sacré  qui  as 
«  reçu  et  le  sang  et  les  derniers  soupirs  d'un  martyr 
«  de  la  liberté,  deviens  pour  chaque  Français  une 
fontaine  salutaire!  etc.  *.  « 

Mais  il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  en  détail  l'his- 
toire de  la  Terreur  à  Blois  ;  elle  fut  stupide  et  féroce 
dans  le  département  de  Loir-et-Cher  comme  partout 
ailleurs.  On  incarcéra  par  centaines  *  les  citoyens 
les  plus  inoffensifs  ;  la  guillotine,  dressée  jour  et  nuit 
-ur  une  des  places  de  la  ville,  fit  quelques  victimes, 
rt  enfin  les  tyrans  qui  opprimaient  la  contrée  massa- 
crèrent au  passage  neuf  prisonniers  que  l'on  menait 
à  Orléans.  Les  prêtres  ne  furent  point  épargnés  dans 
cotte  persécution;  on  le  croira  sans  peine,  puisqu'il 
^e  trouvait  des  prêtres  apostats  parmi  les  persécu- 
teurs. Sur  trois  cents  ecclésiastiques  qui  composaient 
le  clergé  constitutionnel  de  Loir-et-Cher,  trente-deux 
seulement  conservèrent  «  leurs  principes  religieux  et 


1.  Impr.,  H  pages  iQ-4". 

2.  On  incarcéra  97  personnes  en  une  seule  nuit.  —  Réponse 
au  mémoire  (VHésine  par  le  club  de  Blois,  10  vendémiaire  an  III. 
1er  octobre  1794.  Impr.,  16  pages  in-i". 


112      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

républicains  nonobstant  les  menaces  et  les  persécu- 
tions »  *  ;  vingt-trois  se  marièrent  ;  tous  les  autres 
apostasièrent,  ou  du  moins  consentirent  à  remettre 
aux  autorités  leurs  lettres  de  prêtrise,  les  uns  pour 
éviter  des  poursuites,  les  autres  pour  sortir  de  prison, 
d'autres  enfin  pour  obtenir  un  morceau  de  pain  *.  Le 
conseil  épiscopal,  déjà  entamé  par  la  défection  de 
Rochejean,  Tolin  et  Plassiard,  se  trouva  dissous  par 
la  force  des  choses  :  Dupont,  Boucher,  Vallon,  Pioche 
et  les  autres  durent  fuir  ou  se  cacher,  et  comme  le 
secret  des  lettres  était  violé  tous  les  jours  par  les 
agents  de  Robespierre,  Grégoire  fut  douze  ou  quinze 
mois  sans  communications  suivies  avec  ses  diocé- 
sains. Il  recevait  les  adresses,  discours  et  procès-ver- 
baux incendiaires  des  clubs  et  des  comités  révolu- 
tionnaires de  son  département  ^,  mais  il  eût  été  dan- 
gereux de  lui  faire  parvenir  une  lettre  intime  *.  On 
verra  plus  tard  quel  était  alors  son  rôle  religieux  à 
Paris  et  au  sein  de  la  Convention  ;  mais  à  la  fin  de  171)3 
et  jusqu'au  mois  de  décembre  de  l'année  suivante  il 
cessa  par  le  fait  d'être  l'évèque  du  département  de 

i.  Lettre  ms.  du  vicaire  épiscopal  Boucher  (o  décembre  1794). 

2.  La  situation  de  ces  maliieureux  était  affreuse;  aussi  doit- 
on  plaider  pour  beaucoup  d'entre  eux  les  circonstances  atté- 
nuantes. Grégoire,  si  sévère  pourtant,  accueillit  avec  bonté  le 
curé  de  Maves,  Chenu,  qui  lui  écrivait  le  28  août  1795  :  «  J'ai 
remis  mes  lettres  de  prêtrise  après  trois  mois  d'arrestation  et 
une  deuxième  dénonciation  pour  les  avoir  refusées  plusieurs 
fois.  Le  spectacle  de  ma  mère  alors  présente  et  fondant  en 
larmes  me  les  arracha...  » 

3.  Grégoire  les  a  conservés  précieusement,  et  c'est  dans  ses 
recueils  de  pièces  qu'on  les  a  consultés. 

4.  Il  dit  pourtant  dans  ses  Mémoires  (II,  p.  57)  que  sa  corres- 
pondance avec  Blois  ne  fut  jamais  interrompue;  mais,  comme 
il  s'attendait  à  l'échafaud,  il  ne  gardait  aucune  pièce  compro- 
mettante pour  ses  amis. 


LA  TERREUR  A  BLOIS  113 

Loir-et-Cher.  La  Constitution  civile  du  clergé  n'exis- 
tait plus,  et  les  fâcheuses  dénominations  d'asser- 
mentés ou  d'insermentés  n'avaient  plus  de  raison 
d'être,  car  les  deux  clergés,  entassés  pêle-mêle  dans 
les  mêmes  cachots  ou  montant  sur  les  mêmes  écha- 
fauds,  souffraient  pour  la  même  cause,  pour  la  noble 
cause  de  la  liberté  de  conscience. 


CHAPITRE  IV 

RÉTABLISSEMENT   DU  CULTE;   GRÉGOIRE  A   BLOIS  ; 
PERSÉCUTIONS    NOUVELLES     SOUS     LE    DIRECTOIRE 

(t795  —  1799) 

L'heureuse  révolution  du  9  thermidor  (juillet  1794) 
délivra  la  France  de  ses  plus  cruels  tyrans,  mais  il 
ne  faut  pas  croire  qu'elle  ait  ramené  comme  par  en- 
chantement le  règne  de  la  liberté.  Les  thermidoriens, 
en  renversant  Robespierre,  n'avaient  songé  qu'à  sau- 
ver leurs  propres  têtes,  et  beaucoup  d'entre  eux 
étaient  encore  des  terroristes  fougueux  ;  ce  fut  peu  à 
peu,  sous  la  pression  de  plus  en  plus  énergique  de 
l'opinion,  qu'ils  durent  se  résigner  à  montrer  quelque 
modération.  Ainsi,  pour  ne  citer  que  ces  exemples,  il 
y  avait  encore  le  7  fructidor  an  II,  vingt-huit  jours 
après  la  chute  de  Robespierre,  5486  détenus  dans 
les  prisons  de  Paris,  2000  de  plus  qu'au  mois  de 
novembre  1793  *  ;  et  à  ce  moment  môme  la  tribune 
des  Jacobins,  qui  regrettaient  d'avoir   «  idolâtré   » 

1.  Journal  du  matin  et  du  tribunal  révolutionnaire.  Le  21  flo- 
réal, 10  mai  1794,  le  nombre  des  prisonniers  s'élevait  à.  6982, 
non  compris  la  Conciergerie.  Le  22  ventôse  an  III  (12  mars  1795), 
il  était  de  2209. 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  115 

Robespierre,  et  promettaient  de  ne  plus  idolâtrer 
[tersonne  S  retentissait  des  déclamations  de  l'abo- 
minable Carrier  contre  les  prêtres,  «  ces  hommes 
vieillis  dans  les  vices  d'un  presbytère,  dans  le  luxe 
et  la  mollesse  ou  les  préjugés  ».  Enfin,  le  24  vendé- 
miaire an  III  (14  octobre  1794),  un  ev-curé  constitu- 
tionnel âgé  de  cinquante-trois  ans,  le  nommé  Fran- 
çois Beaufils.  fut  condamné  à  mort  par  le  tribunal 
révolutionnaire  de  Paris  pour  avoir  distribué  des 
écrits  fanatiques  et  contre-révolutionnaires  *.  Dans 
ces  conditions,  il  ne  fallait  songer  ni  à  rouvrir  les 
églises,  ni  à  tenter  la  moindre  démarche  en  faveur 
du  «  fanatisme  »  :  mais  d'autre  part  les  catholiques 
de  Paris  et  les  évêques  députés  à  la  Convention,  Gré- 
goire, Royer  et  Saurine,  avaient  le  devoir  de  suivre 
attentivement  les  progrès  de  l'opinion  publique,  de 
ne  rien  négliger  pour  obtenir  au  plus  tôt  la  liberté  des 
cultes.  Grégoire  triompha  par  son  courage  du  mauvais 
vouloir  de  la  Convention,  et  la  postérité  dira  que  c'est 
lui,  et  non  pas  Bonaparte,  qui  a  mérité  le  titre  de  res- 
taurateur du  culte  :  mais  avant  d'étudier  dans  son 
ensemble  cette  belle  période  de  la  vie  religieuse  du 
célèbre  conventionnel,  il  nous  faut  suivre  jusqu'à 
la  conclusion  du  Concordat  l'histoire  particulière  du 
diocèse  de  Blois;  on  se  persuadera,  je  l'espère,  que 
c'est  un  chapitre  assez  intéressant  de  notre  histoire 
nationale. 

Sitôt  qu'il  fut  possible  de  correspondre  par  écrit 
sans  exposer  à  l'échafaud  l'auteur  et  le  destinataire 

1.  Journal  des  lois,  15  therm.  an  II. 

2.  Journal  du  matin,  23  vend.  —  Un  chanoine  de  soixante- 
quatre  ans,  nommé  Jacques  Taux,  subit  le  même  sort  à  la 
même  époque  pour  avoir  célébré  des  messes  et  mariages,  etc. 


116     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

des  lettres  jetées  à  la  poste,  Grégoire  renoua  ses 
anciennes  relations  avec  les  prêtres  fidèles  du  dépar- 
tement de  Loir-et-Cher.  Les  circonstances  étaient  dif- 
ficiles, car  le  Comité  de  Salut  public  venait  d'enjoindre 
aux  autorités  constituées  de  «  surveiller  tous  ceux 
qui  voudraient  ressusciter  l'imbécile  liturgie  du  sa- 
cerdoce, sous  prétexte  de  la  liberté  des  cultes  »  ^ 
Telle  était  la  réponse  de  ce  comité  aux  premières 
revendications  de  Grégoire,  et  le  représentant  Lau- 
rençot,  alors  en  mission  dans  le  département  de  Loir- 
et-Cher,  était  chargé  d'empêcher  «  tout  rassemble- 
ment fanatique  »  ^.  Avec  l'impétuosité  qui  l'a  toujours 
caractérisé,  Grégoire  voulait  ne  tenir  aucun  compte 
de  ces  difficultés  ;  déjà  même  il  avait  rédigé  une  pas- 
torale qu'il  se  proposait  de  publier  dans  son  diocèse, 
mais  ses  amis  de  Blois  le  suppliaient  d'attendre  ^  Il 
attendit  donc,  mais  bien  peu  de  temps,  car  il  avait  en 
poche  depuis  un  mois  son  beau  discours  sur  la  liberté 
des  cultes,  et  ce  discours,  il  l'infligea  le  1"  nivôse  an  III 
(23  décembre  1794),  à  ses  collègues  de  la  Convention 
qui  écumaient  de  rage.  Ils  repoussèrent  à  la  presque 
unanimité  le  projet  de  décret  que  leur  proposait  Gré- 
goire *  ;  lui,  sans  s'émouvoir,  fit  imprimer  son  discours  ; 
trois  mois  plus  tard,  il  eut  l'audace  d'y  joindre  sa  lettre 
pastorale,  avec  ordre  à  ses  curés  de  la  lire  dans  toutes 


1.  Lettre  ms.  du  vicaire  épiscopal  Boucher  à  Grégoire,  22  fri- 
maire an  in  (12  décembre  1794). 

2.  Ibid.,  letl.  du  3  nivôse,  22  décembre. 

3.  Ibid. 

4.  «  Comme  s'il  eût  été  question  d'une  victoire  remportée, 
on  passa  à  l'ordre  du  jour  en  levant  les  chapeaux  aux  cris 
presque  unanimes  de  Vive  la  République.  »  Compte  rendu  au 
Concile  national  de  il9t, par  Grégoire.  Impr.,  p.  3.  Pour  plus  de 
.détails,  voy.  ci-dessous,  livre  III,  chap.  3. 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  117 

les  paroisses  du  diocèse,  le  dimanche,  au  prône  de  la 
grand' messe  ^  Tout  autre  que  lui  eût- payé  cher  une 
pareille  témérité,  mais  il  était  malaisé  aux  thermido- 
riens d'attaquer  un  représentant  aussi  populaire  :  Ro- 
bespierre lui-même  n'avait  pas  osé  l'abattre,  parce 
que  Grégoire  était  le  Garnot  du  Gomité  d'Instruction 
publique.  On  peut  dire  que  la  liberté  des  cultes  fut 
décrétée  ce  jour-là  par  l'opinion  publique,  et  la  preuve 
en  est  que  les  vicaires  épiscopaux  de  Blois  procédè- 
rent immédiatement  au  rétablissement  du  culte  catho- 
lique dans  le  département  de  Loir-et-Gher.  «  Déjà  le 
«  culte  est  rétabli  à  Ouzain,  Bracieux,  Gour-sur-Loire 
«  et  Vienne,  lui  écrivait  le  vicaire  épiscopal  Boucher  ; 
«(  hier  nous  avons  eu  le  nôtre  dans  la  chapelle  de 
«  Ghampbourdin.  Tout  s'y  est  passé  on  ne  peut  mieux  : 
«  les  habitants  des  Granges,  Villejouin  et  Villiersfrin 
M  s'y  sont  rendus  en  foule  ;  notre  église  a  été  remplie 
«  depuis  le  matin  jusqu'à  midi  ;  j'en  ai  fait  l'ouver- 
«  ture  par  un  discours  analogue  aux  circonstances. 
«  A  huit  heures,  le  citoyen  Vallon  a  dit  une  seconde 
«  messe  ;  une  troisième  à  neuf  heures  par  un  véné- 
«  rable  curé  ;  à  dix  heures  la  grand'messe  par  Rif- 
«  fault,  qui  a  prononcé  un  autre  discours  ;  enfin  une 


1.  La  lettre  pastorale  (17  pages  in-4o)  est  du  22  ventôse  an  III 
(12  mars  1193).  C'est  un  écrit  plein  de  feu;  Grégoire  y  flétrit 
énergiquement  les  terroristes,  qu'il  appelle  (p.  13)  des  «  per- 
sécuteurs couverts  de  sang»;  il  rappelle  aussi  à  ses  diocésains 
le  soin  avec  lequel,  visitant  leurs  paroisses,  il  leur  inculquait 
la  haine  du  despotisme.  «  Ne  souffrez  pas  dans  vos  assemblées 
religieuses,  dil-il  encore,  l'alliage  impur  d'hommes  qui  vou- 
draient faire  regretter  le  régime  exécrable  de  la  royauté.  Qui 
n'aime  pas  la  République  est  un  mauvais  citoyen,  et  eoasé- 
quemment  un  mauvais  chrétien  »  (p.  io).  On  trouvera  à  l'Ap- 
pendice le  texte  de  ce  document,  si  important  au  point  de  vue 
de  l'histoire. 

7.       . 


118      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE   LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

«  messe  à  onze  heures.  Le  soir,  après  nos  vêpres,  les 
((  fidèles,  sur  nos  représentations,  ont  tous  voté  pour 
((  la  cathédrale  ;  c'est  le  citoyen  Boileau,  votre  fidèle 
«  et  sincère  ami,  qui  vient  d'en  faire  lui-même  la  pé- 
«  tition  au  district....  Un  autre  citoyen  a  demandé 
«  l'église  de  Saint-Nicolas,  qui  vient  de  lui  être  ac- 
«  cordée  par  le  district  à  raison  de  300  livres  par 
«  chaque  année,  mais  toutefois  sous  le  bon  plaisir 
((  du  Comité  de  législation,  à  qui  il  a  envoyé  son  ar- 
«  rêté.  Le  citoyen  Métivier,  curé  de  ladite  église,  vous 
«  prie  de  vouloir  bien  appuyer  celte  pétition  auprès 
«  dudit  Comité.  Si  la  nôtre  a  la  sanction  du  dictrict^ 
«  nous  vous  prierons  de  nous  rendre  le  même  ser- 
<(  vice...  » 

Voilà  sans  doute  un  rétablissement  du  culte  assez 
complet,  et  cependant  la  lettre  dont  on  vient  de  lire 
un  fragment  est  du  26  nivôse  an  III  (15  janvier  1795), 
plus  de  trois  semaines  avant  que  la  Convention  vain- 
cue ait  rendu,  sur  la  proposition  de  Boissy  d'Anglas, 
le  fameux  décret  du  3  ventôse.  Mais  dans  quelles  con- 
ditions le  culte  se  rétablissait-il  ainsi,  en  dehors  du 
gouvernement,  ou  plutôt  malgré  lui?  La  Constitution 
civile  du  clergé  n'existait  plus  depuis  1793;  et  l'an- 
cien régime  ecclésiastique  ne  pouvait  pas  ressusciter, 
puisque  les  neuf  dixièmes  des  ci-devant  insermentés 
étaient  hors  de  France,  sous  le  coup  des  lois  rigou- 
reuses portées  contre  les  émigrés.  Il  n'y  avait  donc, 
au  lendemain  de  la  Terreur,  ni  constitutionnels,  ni 
réfractaires  ;  il  n'y  avait  plus  en  réalité  que  des  prê- 
tres catholiques  en  pays  de  mission,  comme  l'on  dit 
à  Rome,  et  ces  prêtres  se  trouvaient  dans  une  entière 
impossibilité  d'entretenir  avec  le  Saint-Siège  des  rela- 
tions suivies.  Il  semble  donc  à  tout  homme  impartial 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  119 

que  les  deux  clergés  rivaux  pouvaient  oublier  provi- 
soirement leurs  querelles  théologiques  de  1791,  et 
que  les  insermentés  demeurés  en  France,  tout  en  fai- 
sant les  réserves  les  plus  expresses,  ou  même  en 
interjetant  appel  de  la  Constitution  civile  soit  au 
pape,  soit  au  prochain  concile,  avaient  le  devoir  de 
reconnaitre  un  état  de  choses  permis  par  la  Provi- 
dence, et  de  se  joindre  aux  assermentés  pour  con- 
soler, instruire  et  édifier  vingt-cinq  millions  de  catho- 
liques français  qui  soupiraient  après  la  paix  reli- 
gieuse. 

Mais  la  passion  ne  raisonne  pas  ainsi,  et  d'ailleurs 
il  y  avait  entre  les  deux  grandes  fractions  du  clergé 
une  barrière  infranchissable  ;  les  constitutionnels 
étaient  en  général  républicains  :  leurs  adversaires 
avaient  la  République  en  horreur.  Catholicisme  et 
monarchie,  ils  ne  séparaient  pas  ces  deux  choses, 
pourtant  si  distinctes,  et  beaucoup  d'entre  eux  pré- 
féraient tout  au  monde,  fût-ce  même  le  culte  de  la 
Raison,  à  une  alliance  de  la  religion  avec  la  Répu- 
blique. Grégoire  affirme  en  plusieurs  endroits  que  les 
partisans  déclarés  de  l'ancien  clergé  firent  cause  com- 
mune, à  Blois  et  ailleurs,  avec  les  vandales  de  1793  ; 
en  1794,  le  citoyen  Boucher,  vicaire  épiscopal  de  Blois, 
écrivait  à  son  évêque  :  «  Les  prêtres  insermentés  sont 
«  toujours  nos  plus  cruels  ennemis,  et  voudraient 
«  déjà  nous  avoir  anéantis  pour  mieux  faire  revivre 
«  leurs  anciens  préjugés  *.  »  Le  rétablissement  du 
culte  par  les  constitutionnels  contraria  vivement  les 
partisans  de  Thémines,  et  pour  l'entraver  ils  ne  rou- 
girent pas  de  recourir  aux  plus  petits  moyens.  Ainsi, 

\.  Lettre  ms.,  22  frim.  an  lll,  12  déc.  1794. 


120      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTIOW  FRANÇAISE 

dans  les  premiers  jours  de  mars  1795,  ils  firent  pla- 
carder à  la  porte  de  la  petite  chapelle  des  assermentés 
un  pamphlet  contre  la  Convention  nationale  et  contre 
le  représentant  Laurençot,  alors  en  mission  dans  le 
département  de  Loir-et-Cher.  Boucher  protesta  aus- 
sitôt et  profita  de  cette  occasion  pour  faire  une  décla- 
ration de  principes.  «  Ministres  d'un  Dieu  de  paix  qui 
«  ne  nous  prêche  que  respect  et  soumission  aux  puis- 
«  sances  de  la  terre,  nous  ne  pouvons  trop  nous 
«  élever,  dit-il,  contre  ceux  qui  voudraient  nous  en 
«  écarter.  Protestons  tous,  mes  frères,  contre  cette 
«  entreprise  criminelle  ;  serrons-nous  plus  que  ja- 
«  mais  autour  de  la  Convention,  et  montrons  par 
«  notre  respect  inviolable  pour  les  autorités  consti- 
«  tuées  que  nous  serons  toujours  de  bons  citoyens 
«  et  de  vrais  chrétiens  ^  » 

Un  peu  plus  tard,  quand  le  district  de  Blois  mit  en 
vente  les  ci-devant  églises  de  cette  ville,  Boucher  et 
ses  partisans,  qui  voulaient  acheter  la  cathédrale, 
eurent  à  lutter  contre  deux  catégories  d'enchérisseurs, 
les  «  impies  »  qui  se  proposaient  de  l'acheter  pour  la 
détruire,  et  les  «  aristocrates  *  »  qui  voulaient  la 
céder  à  Thémines  ou  à  ses  commettants.  Boucher 
l'emporta  néanmoins,  car  il  avait  pour  lui,  sinon  les 
riches,  du  moins  la  grande  majorité  des  bourgeois  et 
du  peuple,  sans  compter  «  ces  bonnes  gens  des  campa- 
«  gnes  qui  parlent  de  vous,  disait-il  à  Grégoire,  avec 
«  enthousiasme,  et  qui  donneraient  volontiers  leur 
«  vie  pour  sauver  la  vôtre  ^  »  La  cathédrale  et  plu- 
sieurs autres  églises  de  Blois  furent  rachetées  par 

1.  Lettre  ms.  du  17  ventôse  an  III  (7  mars  1795). 

2.  Ibid.,  18  gei-minal  an  III  (1"  avril  1793). 

3.  Ibid.,  22  frim.  an  III. 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  121 

les  catholiques  «  patriotes  »,  et  la  réorganisation  se 
fit  assez  rapidement,  grâce  à  la  courageuse  initiative 
de  Boucher  et  de  ses  coopérateurs. 

Le  nombre  des  ecclésiastiques  accourus  à  Blois 
pour  rétablir  le  culte  avait  d'abord  été  bien  petit, 
mais  il  augmentait  chaque  jour  :  ils  étaient  douze  ou 
quinze  le  22  frimaire  an  III  (12  décembre  1794);  le 
47  ventôse  de  la  même  année  (7  mars  1795),  Boucher 
avait  vu  plus  de  cinquante  prêtres  bien  disposés  et 
attendant  avec  impatience,  pour  y  conformer  leur 
conduite,  une  pastorale  de  leur  évêque.  Ceux  mêmes 
qui  avaient  remis  leurs  lettres  de  prêtrise  et  les  prê- 
tres mariés  demandaient  en  foule  à  reprendre  les  fonc- 
tions du  sacerdoce  ;  mais  Grégoire  n'entendait  pas  que 
l'on  accueillit  à  la  légère,  même  en  ces  jours  de  dé- 
tresse, tous  ceux  qui  se  présenteraient.  11  exigeait  des 

traditeurs  »  une  réparation  du  scandale  qu'avait 
■  ausé  leur  lâcheté;  il  les  contraignait  à  faire  publi- 
quement connaître,  dans  un  des  lieux  destinés  au 
culte,  les  raisons  qui  les  avaient  poussés  à  cette  dé- 
marche, et  à  témoigner  hautement  le  regret  qu'ils  en 
éprouvaient  '.  Beaucoup  de  traditeurs  se  soumirent  à 
cette  espèce  de  pénitence  publique  et  furent  réin- 
stallés par  le  conseil  épiscopal  dans  les  paroisses  qui 
les  réclamaient  ^.  Quant  aux  prêtres  mariés,  la  dif- 
ficulté était  plus  grande  encore.  Que  faire,  demandait 
Boucher,  quand  une  paroisse  demande   son  ancien 


1.  Lettres  du  22  germinal  an  II!  (11  avril  1795)  et  sq.  Grégoire 
voulait  forcer  les  traditeurs  à  se  rétracter  devant  l'autorité  ; 
mais  il  s'en  référa  à  la  sagesse  de  son  conseil  épiscopal. 

2.  «  Le  cuite  serait  rétabli  presque  partout  si  ou  avait  laissé 
à  chaque  commune  la  disposition  de  son  église.  »  —  Lettre  de 
Boucher  (17  ventôse  an  III,  7  7yiars  1793). 


122      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

curé  qui  s'est  marié?  Les  réponses  de  Grégoire  ne 
variaient  pas  à  ce  sujet,  et  quoi  qu'en  ait  dit  un  his- 
torien moderne,  le  clergé  constitutionnel  repoussait 
avec  horreur  tous  les  prêtres  mariés  ^  «  J'apprends, 
écrivait  Grégoire  le  24  germinal  an  III  (13  avril  1795), 
que  des  apostats,  des  prêtres  mariés  veulent  rentrer 
dans  le  ministère  ;  j'espère  bien  qu'on  ne  les  souf- 
frira pas  comme  pasteurs.  Qu'on  ne  souffre  pas  non 
plus  que  de  tels  êtres  disent  la  messe  dans  les  églises 

des  catholiques J'espère  bien,  disait-il  encore 

(27  prairial  an  III,  15  juin  1795),  que  vous  éloigne- 
rez des  assemblées  religieuses,  et  à  Blois  et  dans 
tout  le  diocèse,  les  personnes  dont  les  crimes  et  les 
impiétés  publiques  ont  scandalisé  les  fidèles.  Sans 
doute  à  tout  péché  miséricorde  ;  mais  auparavant 
pénitence  aussi  publique  que  le  crime,  pénitence 
conforme  à  l'esprit  et  aux  règles  de  la  primitive 

Église Plutôt  laisser  une  paroisse  sans  curé  que 

de  lui  en  donner  un  mauvais!...  Nous  avons  souf- 
fert, ajoutait  cet  homme  apostolique,  nous  avons 
encore  à  souffrir,  mais  marchons  courageusement 
à  travers  les  épines.  Dieu  sera  notre  récompense.  » 

1.  Lanfrey  :  Histoire  de  Napoléon,  II,  343.  «  Les  constitution- 
nels, dit-il,  comptaient  cinquante  évêques  et  dix  mille  prêtres 
mariés.  •»  C'est  absolument  faux.  On  verra  plus  loin  qu'à  Paris 
on  ne  recevait  pas  même  comme  chantres  des  prêtres  mariés. 
La  !''<=  et  la  2e  encyclique  des  évêques  réunis  à  Paris  en  1795 
défendent  absolument  de  recevoir  les  prêtres  mariés,  car  ils 
encourent  la  peine  de  l'infidélité  «  par  le  mariage  ».  —  2»  J?n- 
ojcl.,  p.  21.  —  Grégoire  permit  à  quelques-uns  d'entre  eux  de 
se  vouer  à  l'éducation  chrétienne.  Un  prêtre  marié  de  la  Châ- 
tre, le  citoyen  Privât,  écrivait  à  Grégoire,  le  14  floréal  an  V  : 
«  Quelqu'un  m'a  appris  que  dans  le  diocèse  de  Blois,  où  vous 
aviez  été  passer  quelques  jours,  vous  aviez  tonné  contre  le* 
prêtres  mariés,  et  que  plusieurs  avaient  failli  être  écrasés  par 
le  peuple  égaré  par  vos  discours.  » 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE   A  BLOIS  12? 

Prêtre  croyant  si  jamais  il  en  fut,  il  se  consolait  vite 
des  défections  qui  se  produisaient  dans  son  diocèse, 
surtout  à  Fannonce  d'une  victoire  des  Vendéens  ou 
d  une  descente  des  Anglais  ',  parce  que,  disait-il,. 
o  les  hommes  de  circonstance  n'ont  qu'un  temps,  les 
«  hommes  à  principes  sont  de  tous  les  temps  »  *. 
Heureux  de  rencontrer  autour  de  lui  quelques-uns  de 
(•es  hommes  à  principes,  il  les  encourageait  par  tous 
les  moyens  possibles,  surtout  en  leur  écrivant  des 
lettres  où  apparaît  le  bon  cœur  de  cet  excellent 
homme.  Bien  qu'il  fût  écrasé  de  travail  ',  il  trouvait 
du  temps  pour  écrire  non  seulement  à  ses  vicaires 
épiscopaux,  mais  encore  aux  moindres  curés  de  vil- 
lage, et  il  leur  conseillait  d'entretenir  à  son  exemple 
une  correspondance  incessante.  Son  programme  était 
dailleurs  très  simple,  car  il  recommandait  à  ses  prê- 
tres d'éviter  les  discussions  inutiles  et  de  chercher 
seulement  à  «  édifier  »  et  à  «  instruire  »  les  popu- 
lations. 

Ce  programme,  qui  devrait  toujours  être  celui  du 
clergé,  était  suivi  à  la  lettre  par  les  braves  gens  qui 
secondaient  Grégoire  et  travaillaient  sous  sa  direc- 
tion à  réorganiser  le  culte  dans  le  département  de 
Loir-et-Cher  ;  aussi  les  résultats  d'une  conduite  si  sage 
ue  se  firent-ils  pas  attendre.  «  Comment  vont  les  pâ- 

1.  Lettre  de  Grégoire  (21  thermidor  an  III,  8  août  1795). 

2.  Ibid.  30  messidor  an  III,  18  juillet  1193. 

3.  Il  travaillait  prodigieusement  au  Comité  d'Instruction  pu- 
blique, et  il  s'occupait  de  réorganiser  le  culte  à  Paris  et  dans 
toute  la  France;  sa  correspondance  était  immense,  il  reçut  plus 
de  20  000  lettres  en  1793,  et  beaucoup  de  celles  qu'il  a  conser- 
vées portent  la  mention  :  Répondu.  Il  fnt  obligé  de  faire  une 
réponse  collective  qu'il  imprima  dans  les  Annales  de  la  reli- 
gion, t.  II,  p.  167  et  sq.  Cette  lettre  est  du  plus  haut  intérêt  à 
tous  les  points  de  vue. 


124      HISTOIRE  RELIGIEUSK  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

ques?  >^  demandait  Grégoire  en  avril  1795,  et  le  curé 
de  Cheverny,  un  nommé  Gouthière,  qui  devait  passer 
l'année  suivante  dans  le  camp  des  insermentés,  ré- 
pondit que  cent  paroissiens  sur  mille  avaient  accom- 
pli le  devoir  pascal,  mais  que  tous  entendaient  régu- 
lièrement sa  messe  dans  une  grange,  malgré  les  me- 
naces du  conventionnel  Laurençot.  A  Blois,  au  mois 
de  juillet  1795,  les  catéchismes  étaient  en  activité,  et 
le  clergé  patriote  réunissait  autour  de  lui  beaucoup 
de  fidèles,  quoique  les  insermentés  eussent  ouvert  de 
tous  côtés  des  oratoires,  et  même  divisé  la  ville  en 
paroisses  ^.  Enfin  il  résulte  des  nombreuses  lettres 
que  j'ai  sous  les  yeux  que  le  rétablissement  du  culte 
dans  le  département  de  Loir-et-Cher  était  aussi  com- 
plet que  possible  à  la  fin  de  1795,  lorsque  la  Conven- 
tion disparut  de  la  scène  politique.  «  Tout  va  de  mieux 
«  en  mieux,  écrivaient  de  Blois  le  12  nivôse  an  IV 
«  (2  janvier  1796)  les  cinq  prêtres  qui  composaient 
«  alors  le  conseil  épiscopal;  un  grand  nombre  qui 
«  avaient  abandonné  nos  églises  y  rentrent  de  jour 
«(  en  jour;  de  temps  en  temps  on  nous  fait  quelques 
«  présents;  nous  avons  même  déjà  des  ornements 
«  honnêtes,  et  surtout  une  belle  chasuble  dont  nous 
«  espérons  que  vous  ferez  bientôt  usage...  »  C'était 
la  même  chose  dans  le  reste  du  département,  et  voici 
pour  finir  cet  exposé  de  la  situation  en  1795  quelques 
fragments  d'une  jolie  lettre  adressée  par  le  citoyen 
Girault,  curé  de  Chémery,  à  «  son  vénérable  et  très 

«  cher  évêque Le  district  de   Saint-Aignan  est 

«  toujours  assez  paisible.  Le  peuple  des  villes  et  des 
^<  campagnes  profite  avec  empressement  du  rétablis- 

1.  Lettre  de  Boucher  à  Grégoire. 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  125 

sèment  de  la  religion.  Les  églises  se  rétablissent 
et  se  décorent  par  la  libéralité  des  fidèles.  On  se 
porte  en  foule  aux  offices  les  dimanches  et  fêtes, 
et  le  son  des  cloches,  dont  on  a  commencé  à  user 
depuis  quinze  jours,  a  paru  exciter  encore  quel- 
ques indifférents  qui  jusque-là  n'avaient  pas  paru 
très  empressés  '.  S'il  en  était  partout  comme  ici, 
il  y  aurait  tout  lieu  d'espérer  que  sous  peu  de  temps 
nous  verrions  fermées  toutes  les  plaies  que  le  van- 
dalisme et  la  terreur  ont  faites  à  la  religion.  Ce 
n'est  pas  qu'il  n'y  ait  encore  dans  chaque  com- 
mune trois  ou  quatre  impies  qui  cherchent  à  trou- 
bler les  paisibles  chrétiens  ;  mais  ce  sont  des 
hommes  méprisés  dès  longtemps  qui  ne  peuvent 
pas  faire  grand  mal.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  à  craindre 
ce  sont  ces  sépulcres  blanchis  dont  je  vous  parlais 
dans  ma  dernière  lettre.  Oh  !  ces  gens-là  sont  vrai- 
ment dangereux  pour  la  religion  et  pour  l'État.  Le 
gouvernement,  loin  de  réprimer  leur  audace,  semble 
l'autoriser  ;  mais  j'appréhende  bien  qu'il  ne  con- 
naisse trop  tard  quel  mal  ces  hommes-là  peuvent 
faire  à  la  chose  publique.  Ou  je  me  trompe  bien 
fort,  ou  la  République  périra  sous  peu,  s'ils  ne  sont 
réprimés.  On  m'assure  qu'à  Romorantin  surtout  ils 
prêchent  le  mépris  des  lois,  l'avilissement  de  la 
Convention  et  la  contre-révolution.  A  Saint-Aignan, 


1.  Dans  la  seule  paroisse  de  Contres,  au  dire  du  curé  Petit, 
un  constitutionnel  zélé  qui  ne  tarda  pas  à  se  rétracter,  il  y 
avait  tous  les  dimanches  plus  de  4000  personnes  venues  de 
Contres  et  des  environs.  —  Lettre  du  25  septembre  1796  (5  ven- 
démiaire an  V).  —  «  La  grande  majorité  de  la  paroisse  vient 
à  mes  offices;  une  petite  partie  suit  les  réfractaires;  le  reste, 
qui  forme  une  très  petite  minorité,  n'exerce  en  ce  moment 
aucun  culte.  »  Lettre  de  Biet,  curé  de  Romorantin  (1797). 


126      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

(  le  parti  de  la  noblesse  se  soutient  toujours  contre 
Pioche,  mais  la  presque  totalité  *  des  citoyens  de 
cette  commune  lui  reste  attachée...  A  Montrichard, 
un  certain  Macé,  fanatique  enragé  et  aristocrate 
bien  connu,  excommunie  et  damne  tous  ceux  qui 
tiennent,  dit-il,  au  parti  grégorien,  et  qui  commu- 
niquent avec  les  prêtres  sermentés.  Malgré  toutes 
ses  vociférations  et  tous  ses  anathèmes,  il  est  assez 
généralement  mal  vu,  et  je  crois  même  qu'il  serait 
obligé  de  se  taire  ou  môme  de  s'enfuir  s'il  y  avait 

un  autre  prêtre  à  qui  l'on  pût  s'adresser Le 

reste  de  notre  district  va  assez  bien.  Quelques  igno- 
rants et  quelques  mauvais  sujets  ont  rétracté  leur 
serment,  mais  le  nombre  en  est  très  petit,  et  d'ail- 
leurs ils  n'ont  jamais  eu  assez  la  confiance  du 
peuple  pour  faire  aucun  mal.  Les  mieux  famés  et 

les  plus  éclairés  tiennent  bon » 

Ainsi  la  Convention  agonisante  réparait  elle-même 
par  une  heureuse  tolérance  le  mal  qu'elle  avait  fait 
en  1793,  et  il  pouvait  sortir  enfin  du  chaos  révolution- 
naire un  état  de  choses  satisfaisant  :  une  république 
sage,  et  un  catholicisme  vraiment  national  qui  eût 
bientôt  fait  avec  le  Saint-Siège,  non  pas  un  concordat, 
mais  une  paix  glorieuse  et  durable,  comme  on  peut 
la  faire  quand  on  traite  de  puissance  à  puissance. 
Malheureusement,  la  Convention  se  sépara  au  moment 
même  où  elle  pouvait  faire  le  plus  de  bien,  et  le 
Directoire,  qui  la  remplaça,  faillit  ramener,  par  son 
intolérance  comme  par  son  incapacité,  la  guerre  civile 
et  l'anarchie  religieuse. 


l.Girault  avait  d'abord  écrit  la  presqu' unanimité,  la  surcharge 
montre  bien  quelle  est  la  conscience  de  ce  témoin. 


RÉTABLISSEMENT  DU  CULTE  A  BLOIS  127 

La  première  pensée  de  Grégoire  en  quittant  la  Con- 
vention pour  aller  siéger  aux  Cinq-Cents,  où  l'en- 
voyaient dix  ou  douze  départements  ',  fut  de  se  rendre 
à  Blois  et  d'y  exercer  durant  quelques  semaines  les 
fonctions  de  son  ministère.  Presque  toutes  ses  lettres 
attestent  la  vivacité  et  la  sincérité  de  ce  désir,  mais  il 
ne  put  mettre  son  projet  à  exécution  que  dix  mois 
plus  tard,  en  septembre  1796.  Il  était  alors,  on  peut 
le  dire  sans  exagération,  le  patriarche  de  cette  église 
•  le  France  qui  renaissait  de  ses  propres  cendres,  et  à 

I  e  titre  il  jugeait  indispensable  sa  présence  à  Paris. 

II  y  rédigeait,  de  concert  avec  quelques  amis,  des 
pastorales,  des  encycliques  et  des  mandements  qu'il 
adressait  ensuite  à  toutes  les  «  églises  veuves  »  de  la 
Képublique:  il  fondait  un  journal  religieux  qui  pros- 
péra jusqu'en  1803:  il  établissait  à  Paris  même  une 
imprimerie-librairie  chrétienne  et  une  société  de  phi- 
losophie chrétienne;  il  travaillait  enfin,  surtout  au 
milieu  de  l'année  1796,  à  activer  les  négociations 
pendantes  entre  la  France  et  l'Italie,  et  il  espérait 
arriver  bientôt  à  la  conclusion  tant  désirée  de  la  paix 
religieuse  *.  D'autres  raisons  encore  retardaient  son 
départ  pour  Blois,  et  lui-même  les  expose  naïvement 
il  ans  une  lettre  du  10  ventôse  an  IV  (:29  février  1796). 

1"  En  ce  moment,  dit-il,  je  suis  court  d'argent,  et 

1.  Il  ne  fut  pas  renommé  par  les  électeurs  de  Loir-et-Cher. 

2.  L'histoire  de  cette  négociation  du  Directoire  avec  le  pape 
est  très  curieuse.  L'envoyé  de  Pie  VI  avait  un  chapeau  de  car- 
dinal pour  Grégoire  et  un  autre  pour  le  conventionnel  Saurine, 
et  la  légitimité  des  évèques  constitutionnels  était  reconnue. 
«  Ce  qui  fit  manquer  la  chose,  dit  un  contemporain  fort  bien 
renseigné,  l'ancien  évêque  de  Rodez,  De  Bertier,  c'est  que  le 
Directoire  ne  voulut  point  accorder  au  pape  les  légations  de 
Bologne  et  de  Ferrare.  »  Rewbel  et  Carnot  s'en  étaient  expli- 
qués nettement  avec  les  évèques  Saurine  et  Le  Coz. 


128      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

«  après  avoir  fait  de  fortes  saignées  à  mon  gousset,  il 
«  faut  attendre  qu'il  soit  regarni.  2°  Et  c'est  ici  la  plus 
«  forte  raison,  plusieurs  de  nos  collègues  évêques 
«  vont  partir  pour  leurs  diocèses,  où  leur  présence 
«  est  indispensable  :  ils  n'ont  pas,  comme  moi,  l'avan- 
«  tage  de  voir  dans  leur  ville  épiscopale  un  conseil 
«  composé  de  prêtres  estimables  qui  dirigent  et  admi- 
«  nistrent.  »  Il  était  même  alors  si  gêné  que  «  l'ami 
«  Boucher  »  et  quelques  autres  personnes  de  Blois, 
notamment  «  les  marguilliers  de  la  cathédrale  »,  lui 
offrirent  de  subvenir  aux  frais  du  voyage  ^  Il  refusa 
ces  offres  généreuses,  et  il  attendit  le  bon  plaisir  du 
citoyen  Roulet,  qui  se  proposait  d'aller  à  Blois  et 
qui  devait  payer  la  moitié  de  la  voiture.  Il  avait  re- 
commandé à  son  clergé  de  préparer  les  fidèles  pour 
la  confirmation,  et  de  voir  si  l'on  ne  pourrait  pas  con- 
voquer un  synode.  Il  se  proposait  aussi  de  faire  en- 
tendre partout  quelques  bonnes  paroles;  mais  son 
premier  vicaire  épiscopal,  l'excellent  Dupont,  crai- 
gnait un  peu  les  effets  de  sa  fougue  républicaine. 
«  Pour  les  principes  républicains,  répondait  Grégoire 
«  avec  vivacité,  je  suis  invariable;  il  serait  bien  plus 
«  facile  de  me  traîner  à  l'échafaud  que  de  diminuer 
«  ma  haine  pour  les  rois  et  mon  amour  pour  la  Ré- 
'<  publique;  et  si  les  royalistes  me  mettent  jamais  à 
«  l'épreuve,  ce  sera  pour  moi  une  occasion  de  parler 
«  liberté  et  républicanisme  avec  plus  de  force  que 
«jamais.  Je  parlerai  de  ce  que  j'aime  et  de  ce  que  je 
<(  crois  le  plus  conforme  à  la  religion  ^ J'ai  mon 

1.  Il  avait  entre  les  mains  des  sommes  que  ces  messieurs  lui 
avaient  envoyées  pour  acheter  un  ostensoir  et  divers  objets 
du  culte  ;  on  l'invitait  à  employer  cet  argent  pour  faire  le  voyage. 

2.  Lettre  du  24  fructidor  an  IV  fl9   septembre  1796).  —  Il 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  EN  1796  129 

«  congé  du  Conseil,  écrivait-il  enfin  quatre  jours  plus 
'(  tard;  je  me  réjouis  d'arriver  au  milieu  de  vous,  et 
«  en  dépit  de  toute  la  vermine  royaliste  je  parlerai 
«  République  ;  j'en  parlerai  hautement,  souvent,  intré- 
«  pidement.  » 

Grégoire  arriva  en  effet  vers  le  milieu  de  septembre, 
et  séjourna  plus  de  deux  mois  et  demi  dans  son  dio- 
cèse. Il  est  trop  évident  que  sa  correspondance  ne 
nous  apprend  rien  sur  ce  curieux  voyage,  mais  nous 
savons,  par  le  compte  rendu  que  lui-môme  en  a  publié 
à  son  retour,  quel  avait  été  l'emploi  de  ces  soixante- 
douze  jours.  L'évêque  «  patriote  »  parcourut  les  cam- 
pagnes, qui  s'étaient  cotisées  pour  lui  procurer  une 
voiture  ;  il  confirma  cinq  mille  personnes  qui  n'avaient 
pu  l'être  en  179:2,  et  prêcha  environ  cinquante  fois, 
à  raison  de  trois  quarts  d'heure  au  moins  par  dis- 
cours; il  invita  partout  les  dissidents  à  des  confé- 
rences et  à  des  discussions  publiques,  mais  aucun 
d'eux  ne  répondit  à  son  appel  ;  il  ne  négligea  rien 
pour  «  rallier  les  fidèles  au  gouvernement  »  ;  il  brava 
les  «  tracasseries  »  de  quelques  jacobins  et  les  calom- 
nies d'une  municipalité  qui  le  dénonçait  aux  Cinq- 
Cents;  il  lutta  d'autre  part  contre  l'abus  que  les 
populations  ignorantes  faisaient  alors  même  et  des 
pèlerinages  et  des  reliques  d'une  authenticité  contes- 
table; il  recommanda  partout  la  prière  en  commun 
dans  les  familles,  l'instruction  chrétienne  dans  les 
écoles  et  dans  les  paroisses,  l'établissement  de  biblio- 
thèques populaires  sous  la  surveillance  des  curés; 

écrivait  le  2  juin  de  cette  même  année  :  «  Je  suis  responsable 
à  Dieu  de  mes  soins  pour  conserver  dans  mon  diocèse  la  piété 
chrétienne,  la  pureté  des  mœurs,  et  l'attachement  à  la  Répu- 
blique. » 


130     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

en  un  mot  ce  Fénelon  montagnard  fit  en  pleine 
Révolution  française  ce  qu'avaient  entrepris  au  xviie 
et  au  XYiiie  siècle  un  Pavillon,  un  Colbert,  un  Ségur, 
un  Caylus  et  autres  prélats  disciples  de  Port-Royal 
ainsi  que  lui.  Il  parle  lui-même  avec  émotion,  dans 
son  compte  rendu  *,  de  la  consolation  qu'il  a  goûtée 
dans  ce  voyage.  «  Les  expressions  me  manquent  pour 
«  la  peindre,  dit-il  en  propres  termes  ;  elle  a  de 
"  beaucoup  surpassé  mes  espérances.  De  toutes  parts 
«  je  vois  que  le  peuple  s'élance  pour  ainsi  dire  vers 
<(  son  Dieu.  Il  y  a  sans  doute  beaucoup  à  faire  pour 
«  rectifier,  rétablir,  améliorer;  mais  l'élan  est  pré- 
«  cieux;  il  est  inspiré  par  le  sentiment  de  la  religion. 
«  Outre  les  motifs  de  joie  qui  résultent  pour  moi  de 
«  faits  notoires,  j'ai  recueilli  dans  les  épanchements 
«  de  la  confiance  inviduelle  des  preuves  multipliées 
«  d'un  retour  sincère  à  la  vertu  :  j'aime  à  espérer 
«  que  cette  piété  n'aura  pas  d'intermittence,  que  Dieu 
<(  continuera  de  bénir  mes  travaux  et  ceux  de  mes 

«  dignes  coopérateurs » 

Grégoire  revint  à  Paris  en  décembre  1796,  chargé 
de  bénédictions,  —  et  aussi  de  commissions  que  ses 
ouailles  lui  avaient  confiées  avec  un  sans  façon  tout 
à  fait  républicain.  Il  dut  remettre  «  par  centaines  » 
des  demandes  de  congés  pour  des  militaires,  des 
lettres  et  des  pétitions  sans  nombre;  il  avait  jusqu'à 
une  commande  de  potasse,  et  il  dut  faire  plusieurs 
courses  pour  remettre  à  la  tante  du  député  Savary... 
un  vieux  fer  à  repasser  *.  «  Le  travail  et  les  commis- 

1.  Compte  rendu  aux  évéques  réunis  à  Paris,  par  le  citoyen 
Gréf/oire,  évêque  de  Blois,  de  la  visite  de  son  diosèse.  Imprimé 
d'après  leur  avis.  —  48  pages  in-8°. 

2.  Lettres,  passim.  Il  fit  jusqu'à  huit  lieues  dans  Paris  pour 


GRÉGOIRE  A  BLOIS  EN  1796  131 

«  sions  me  tuent  »,  écrivait-il  le  20  mars  1797;  mais 
il  ne  savait  pas  s'y  refuser,  car  il  y  voyait  un  moyen 
de  faire  aimer  son  caractère  de  prêtre  et  d'évèque.  Sa 
visite  dans  le  département  de  Loir-et-Cher  avait 
produit  les  plus  heureux  résultats,  et  toutes  les 
lettres  de  cette  époque  en  sont  la  preuve  manifeste. 
A  Contres,  «  les  gens  qui  fuyaient  l'église  y  reparais- 
saient avec  édification  »  le  lendemain  même  de  sa 
venue  *.  C'était  bien  autre  chose  encore  en  mai  1797  : 
quatre  dimanches  ne  suffisaient  pas  pour  les  pàques, 
et  soixante  enfants  suivaient  assidûment  le  caté- 
chisme *.  A  Romorantin  on  se  mariait  à  l'église,  et 
six  cents  personnes  faisaient  publiquement  leurs 
pàques  ^  ;  à  Blois  de  même  «  les  pâques  étaient  con- 
solantes »  ;  les  prêtres  continuaient  à  offrir  leurs 
services  au  conseil  épiscopal,  lequel  admettait  après 
examen  ceux  qui  paraissaient  dignes  du  ministère. 
Grégoire  était  charmé,  le  9  janvier  1797,  des  nou- 
velles que  ses  conseillers  lui  donnaient  «  concernant 
la  fréquentation  des  sacrements,  le  zèle  des  fidèles, 
l'ornement  de  la  cathédrale  ».  En  un  mot,  la  situation 
était  très  bonne  pour  le  clergé  patriote  ;  malgré  la 
réapparition  des  insermentés  et  malgré  les  élections 
royalistes  de  l'an  VI,  la  grande  majorité  des  habi- 
tants «  suivaient  le  parti  grégorien  »,  et  l'évêque  put 
faire  procéder  à  la  division  du  diocèse  en  archiprê- 
trés  *.  Il  y  en  eut  treize,  et  les  élections  d'ailleurs 

obliger  des  amis  ea  leur  procurant  des  mandats  en  échange 
de  numéraire. 

1.  Lettre  du  curé  Petit,  5  novembre  1196. 

2.  Ibid.,  9  mai  1797. 

3.  Lettres  du  curé  Biet,  9  février,  4  mai  1797. 

4.  La  seconde  encyclique  de  1795,  a^  édit.,  p.  57,  disait  :  L'ar- 
chiprêtré  est  la   réunion   de  douze  à  vingt  paroisses  sous  la 


132     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

très  incomplètes  qui  se  firent  en  juillet  1797  montrent 
quelle  était  la  vitalité  du  nouveau  clergé.  Celle  do 
Mer  fut  particulièrement  sérieuse  ;  les  curés  et  des- 
servants de  l'arrondissement,  au  nombre  de  douze, 
coopérèrent  à  l'élection  d'un  archiprêtre  et  d'un 
député  pour  le  concile  national  qui  allait  se  tenir  à 
Paris  le  mois  suivant.  «  Profondément  affligés  des 
«  divisions  qui  déchirent  l'Eglise  de  France  et  la 
«  patrie,  dirent-ils  en  présence  d'une  foule  nom- 
«  breuse,  nous  formons  les  vœux  les  plus  ardents 
«  pour  la  réunion  des  deux  partis...;  pour  obtenir 
«  cette  réunion  si  désirée  et  si  nécessaire,  nous  décla- 
«  rons  être  disposés  à  faire  tous  les  sacrifices  con- 
<(  formes  à  la  religion,  à  la  charité  et  aux  lois  de 
((  notre  pays...  ;  mais  nous  déclarons  avoir  horreur  de 
«  ces  rétractations  flétrissantes  qui,  en  avilissant  le 
«  sacerdoce,  ne  peuvent  être  regardées  que  comme 
<(  des  parjures  inutiles  *.  » 

L'impulsion  était  donnée,  dans  le  département  de 
Loir-et-Cher  comme  à  Paris  et  dans  toute  la  France  ; 
il  n'y  avait  qu'à  laisser  faire,  et  avant  peu  d'années 
on  aurait  vu  fleurir  un  christianisme  républicain; 
mais  le  Directoire  se  montra  plus  intolérant  que  la 
Convention  de  1793,  et  après  le  coup  d'Etat  du 
18  fructidor  des  persécutions  odieuses  assaillirent  la 
jeune  Eglise  gallicane.  Le  ministre  dé  la  police  inter- 
dit absolument  l'usage  des  cloches,  si  nécessaires  à 

surveillance  de  l'un  des  curés  de  ces  paroisses.  Dans  le  Loir-et- 
Cher,  en  1797  douze  paroisses  réunies  comptaient  à  peine  quatre 
ou  cinq  curés  en  moyenne.  —  Grégoire  fit  célébrer  en  juin  1797 
une  fête  séculaire  de  la  fondation  de  l'évêché  de  Blois;  il  com- 
posa même  à  ce  propos  une  pastorale  pleine  d'érudition 
(36  pages  in-8°). 
1.  Procès-verbal  ms. 


NOUVELLES  PERSÉCUTIONS  SOUS  LE  DIRECTOIRE        133 

l'homme  qui  travaille  aux  champs  ';  le  gouverne- 
ment paya  en  papier  sans  valeur  les  pensions  ecclé- 
siastiques que  le  régime  précédent  acquittait  d'une 
manière  assez  régulière,  ou  même  il  ne  les  paya  pas 
(lu  tout;  il  prétendit  empêcher  par  tous  les  moyens 
possibles  la  célébration  du  dimanche  et  imposer  à 
toute  la  France  le  décadi  avec  son  cortège  de  fêtes 
ridicules  ;  il  exigea  une  observation  rigoureuse  de  ce 
calendrier  républicain  que  Lanjuinais  avait  si  joli- 
ment critiqué  en  pleine  Convention  *  ;  il  signala  enfin 
son  zèle  pour  la  théophilanthropie  «  réveillèrement 
révélée  ^  »  par  toutes  sortes  de  vexations  dignes  des 
plus  mauvais  jours  de  1794.  «  0  gouvernement! 
s'écriait  un  curé  du  Loir-et-Cher  à  ce  propos,  veux-tu 
donc  sérieusement  la  République  M  »  En  plusieurs 
endroits  on  enleva  aux  malheureux  curés  la  seule 
ressource  qui  leur  fût  demeurée,  la  possibilité  de 
gagner  leur  pain  en  instruisant  les  enfants.  «  Plu- 
«  sieurs  ministres  du  culte  catholique,  disait  à  Ouzain 
«  le  commissaire  du  pouvoir  exécutif  près  l'admini- 
((  stration  centrale  du  département,  ont  surpris  aux 
«jurys  d'instruction  des  places  d'instituteurs;  les 
«  uns  guidés  par  le  désir  de  conserver  un  presbytère, 
«  les  autres  par  l'ambition  de  faire  prépondérer  un 
«  genre  exclusif  d'éducation  qui  tendrait  à  bercer  la 
'  jeunesse  de  vieux  préjugés  que  les  principes  répu- 
«  blicains  proscrivent.  »  —  Suivait  un  arrêté  forçant 
les  prêtres  à  opter  entre  leurs  diverses  fonctions  et 
livrant  aux  seuls   instituteurs  les  presbytères  non 

1.  Arrêté  du  29  frimaire  an  VI,  20  décembre  1797. 

2.  Opinion  de  Lanjuinais,  thermidor  an  III,  4  pages  in-8". 

3.  Lettre  d'un  curé  à  Grégoire. 

4.  Lettre  de  Monrocq,  24  avril  1798. 

8 


134      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

vendus  *.  Une  autre  fois  le  curé  de  cette  commune 
recevait  une  circulaire  qui  commençait  ainsi  :  «  Le 
<(  ministre  de  la  police  générale  me  mande,  par  sa 
«  lettre  du  3  nivôse  (an  VII),  qu'il  est  informé  que  le 
M  fanatisme  reprend  de  nouvelles  forces  dans  ce 
«  département,  que  des  ci-devant  prêtres,  accompa- 
«  gnés  de  sacristains,  parcourent  les  campagnes, 
«  quelquefois  conduisant  une  charrette  ou  un  cheval 
«  pour  porter  la  quête  qu'ils  y  vont  faire  *....,  et  se 
«  rangent  par  cette  conduite  dans  la  classe  desmen- 
«  diants  valides.  D'autres  prennent  soin  d'exposer  à 
«  la  vue,  soit  dans  les  temples  décadaires,  soit  dans 
<(  les  chapelles  sur  les  routes,  tous  les  objets  de  leur 
«  superstition;  des  troncs  y  sont  établis,  où  l'igno- 
»  rance  et  la  crédulité  viennent  déposer  leurs  offrandes 

«  pour  l'entretien  du  culte Quelques  particuliers 

«  qui  ont  acquis  plusieurs  ci-devant  églises  affectent 
«  de  les  entretenir  dans  leur  ancien  état,  d'en  renou- 
«  vêler  les  décorations  et  de  les  tenir  exposées  à  la 
«  vue  des  citoyens,  etc.  Ceux-là  sont  bien  coupables 
«  qui  souffrent  sous  leurs  yeux  de  pareilles  infrac- 

«  lions  ^ » 

On  espérait  décourager  par  ces  tracasseries  ou 
intimider  par  ces  persécutions  les  prêtres  soumis  aux 
lois,  et  en  effet  le  désarroi  fut  grand  dans  toute  la 
France.  Ceux  du  Loir-et-Cher  implorèrent  la  protec- 
tion de  leur  courageux  évêque,  et  Grégoire  fit  un 
très  beau  discours  aux  Cinq-Cents  pour  réclamer 
contre  ces  mesures  aussi  maladroites  que  tyranni- 


1.  Lettre  du  curé  Morel  (29  mars  1797). 

2.  Une  charrette,  un  cheval!  Les  malheureux  ne  recevaient 
pas  une  botte  de  paille  de  leurs  paroissiens. 

3.  Lettre  du  11  pluviôse  an  VII  (1799). 


NOUVELLES  PERSÉCUTIONS  SOUS  LE  DIRECTOIRE        13."> 

(jut's  *.  Quelque  temps  auparavant  il  avait  rédigé,  de 
loiii'ert  avec  ses  amis,  une  Consultation  sw  cette  ques- 
tion :  Doit-on  transférer  le  dimanche  au  décadi  '?  et  sa 
réponse,  comme  bien  on  pense,  était  un  appel  éner- 
i:;ique  à  la  résistance  légale.  Grégoire  se  plaignait 
<{ue  la  persécution  religieuse  fût- aussi  «  atroce  » 
(juen  1794;  il  en  accusait  non  pas  «  l'autorité 
-iipréme  »,  mais  des  «  autorités  subalternes  »  qui 
tentaient  de  franchir  les  limites  de  la  loi.  Enfants 
de  l'Évangile,   disait-il  en  finissant,   Jésus-Christ 

vous  a  tracé  vos  devoirs  dans  ce  livre  divin Si 

la  persécution  sourde  qui  s'exerce  contre  vous  écla- 
tait   de    nouveau .    réclamez    courageusement    la 
«  liberté  du  culte  que  vous  assurent  la  nature  et  la 
-  loi.  Comptez  sur  la  justice  des  législateurs  et  des 
gouvernants  ;  du  reste,  rappelez-vous  que  les  apôtres 
se  réjouissaient  d'avoir  été  trouvés  dignes  de  souf- 
frir pour  le  nom  de  Jésus;  que  les  premiers  chré- 
tiens, en  bravant  les  empereurs,  les  proconsuls  et 
les  tourments  poui*  défendre  leur  religion,  furent 
constamment  soumis  dans  tout  ce  qui  était  du  res- 
sort de  l'autorité  civile »  Il  ranima  ainsi  le  cou- 
rage de  ses  curés,  et  l'on  voit  par  sa  correspondance 
que  l'état  du  culte  dans  le  département  de  Loir-et- 
Cher  était  encore  assez  satisfaisant  au  commence- 
ment de  1798.  surtout  à  Blois,  où  la  municipalité,. 

1.  Moniteur,  an  VI,  p.  93.  —  Annales  de  la  religion,  VI,  197, 
Le  discours  de  Grégoire  est  une  réponse  à  la  diatribe  violente 
de  Duhot  contre  les  prêtres  (4  germinal  an  VI,. 

2.  23  pages  in-i",  3  décembre  1797.  —  Grégoire  y  rapporte 
l'anecdote  suivante  :  L'ambassadeur  de  Turquie  ayant  été  in- 
vité à  un  grand  banquet,  on  eut  soin  de  lui  préparer  une 
chambre  afin  qu'il  pût  faire  ses  ablutions  aux  heures  prescrites 
par  le  Coran. 


136     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

rodevenue  sage  en  1795,  s'efforçait  de  concilier  tous 
les  intérêts  ^  Mais  en  prairial  an  VII  (juin  1798)  Gré- 
goire quitta  le  conseil  des  Cinq-Cents,  dont  tous  les 
membres  devaient  être  réélus  à  tour  de  rôle  d'après 
la  Constitution  de  l'an  III,  et  comme  il  ne  fut  pas 
réélu,  il  se  trouva  durant  quelques  mois  sans  posi- 
tion officielle.  Loin  de  pouvoir  protéger  ses  diocésains 
persécutés,  il  était  alors  impuissant  à  se  protéger 
lui-môme;  il  serait  tombé  dans  la  plus  affreuse  mi- 
sère si  François  de  Neufchâteau  ne  l'eût  nommé,  au 
mois  d'avril  1799,  administrateur  de  la  bibliothè- 
que de  l'Arsenal.  Pendant  qu'il  luttait  ainsi  péni- 
blement contre  le  plus  redoutable  de  tous  les  maux, 
ses  curés  étaient  à  la  merci  de  leurs  ennemis,  et  la 
situation  du  diocèse  devint  de  plus  en  plus  triste  jus- 
qu'au 18  brumaire.  «  On  fait  l'impossible  pour  anéantir 
«  le  culte,  et  on  travaille  le  peuple  en  tous  sens  pour 
«  l'en  détourner  »,  écrivait  Boucher  à  son  évéque,  à  la 
fin  de  1799.  A  Romorantin,  la  persécution  exaspérait 
les  habitants,  qui  se  feraient  justice  si  le  curé  Biet  ne 
les  en  empêchait  *.  Dans  le  district  de  Saint-Aignan, 
l'exercice  du  culte  était  plus  entravé  en  1799  que 
pendant  la  Terreur  ^,  et  les  malheureux  curés  trans- 
portaient les  offices  au  décadi,  ce  qui  équivalait  à 
une  apostasie,  ou  finissaient  par  renoncer  à  cette  vie 
de  luttes  perpétuelles.  Aussi  bien  ces  pauvres  gens 
étaient,  comme  leur  évêque,  réduits  à  la  misère  ;  leurs 
paroissiens  trouvaient  bon  de  les  avoir  et  d'assister 
en  foule  à  leurs  offices,  mais  ils  ne  songeaient  pas  à 


1.  Lettre  de  Grér/oire,  10  février  1798. 

2.  Lettre  du  18  nivôse  an  VIII. 
:5.  Lettre  de  Pioche  (17  février). 


NOUVELLES  PERSÉCUTIONS   SOUS  LE  DIRECTOIRE        137 

les  nourrir  *.  Presque  toutes  leurs  lettres  de  1799 
sont  navrantes  :  les  uns  se  rétractent  et  passent 
aux  royalistes,  qui  du  moins  leur  donneront  du  pain  ; 
flautres  cherchent  des  occupations  plus  lucratives  et 
abandonnent  le  sacerdoce  ;  à  peine  restera-t-il  quatre- 
vingts  prêtres  «  soumis  aux  lois  »  à  la  fin  de  cette 
année  désastreuse,  et  cela  parce  que  le  Directoire 
lutte  avec  rage  contre  le  christianisme  renaissant. 
Ces  faits  sont  importants  à  connaître  si  l'on  veut 
s'expliquer  le  cri  de  satisfaction  qui  accueillit  dun 
bout  de  la  France  à  l'autre  le  coup  d'Etat  du  18  bru- 
maire. 


1.  Ils  sacrifient  jusqu'à  leur  pain  pour  les  besoins  du  culte 
(lettre  de  Boucher).  Chenu,  curé  de  Saint-Nicolas,  écrit  sur  la 
misère  des  prêtres  une  lettre  admirable  (13  juillet  1798).  Le 
curé  d'Epuisé,  paroisse  où  l'église  et  le  cimetière  sont  trop 
petits  pour  la  foule,  écrit  le  3  mai  qu'il  n'a  pour  vivre  que  ses 
messes.  Tout  irait  bien,  dit  un  autre,  si  le  gouvernement  payait 
les  curés.  En  1799,  la  chouannerie  étendit  ses  ravages  jusqu'à 
Blois,  et  ce  fut  une  nouvelle  cause  de  misère. 


8. 


CHAPITRE  V 

LE    DIOCÈSE    DE    BLOIS   SOUS    LE   CONSULAT; 
DÉMISSION   DE   GRÉGOIRE 

(1799—1801) 

Le  18  brumaire  an  VIII  est  dans  l'histoire  ecclésia- 
■  stique  de  la  Révolution  une  date  de  la  plus  haute 
importance.  Ce  jour-là,  pour  la  première  fois  depuis 
1790,  les  catholiques  de  France  ont  pu  respirer  et 
considérer  comme  vraiment  finie  l'odieuse  persécution 
qu'ils  subissaient.  Bonaparte  songeait  en  1799  à  «  se 
faire  sire  »,  comme  dit  Paul  Louis,  «  à  se  faire  casser  la 
petite  fiole  sur  la  tête  »,  comme  lui  disait  à  lui-même 
un  de  ses  généraux;  la  chose  n'est  plus  douteuse 
aujourd'hui,  bien  que  M.  Thiers  l'ait  niée  dans  son 
histoire  *,  et  sa  première  pensée  fut  de  se  faire  pro- 

1.  «  II  n'avait  pas  d'autre  ambition  que  de  faire  le  bien  en 
toutes  choses  »,  dit  en  propres  termes  l'historien  du  Consulat. 
C'est  inadmissible  aujourd'hui.  On  serait  même  porté  à  croire 
que  Bonaparte  avait  lu  et  médité  cette  lettre  facétieuse  que  le 
Journal  du  Bonhomyne  Richard  prêtait  au  pape  le  29  décem- 
bre 1795  :  «  Mes  bons  enfants,  battez-vous,  échinez-vous  promp- 
tement  pour  le  choix  de  votre  roi;  que  ce  soit  l'imbécile  Mon- 
sieur, ou  le  prodigue  d'Artois,  ou  Gautier,  ou  Garguille,  il  vous. 
faut  toujours  de  l'huile,  et  moi  seul  j'en  tiens.  » 


LE  DIOCÈSK  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  13!> 

•  lamer  le  restaurateur  du  culte.  Dès  le  début  de 
^a  carrière  politique,  il  avait  senti  la  nécessité  de 
'ompter  avec  les  opinions  religieuses:  libre  penseur 
([uand  il  écrivait  au  Directoire,  Bonaparte  savait  être 
i-atholique  à  Milan  et  musulman  au  Caire,  mais  au 
fond  il  n'avait  point  de  religion  *.  Il  ne  pouvait  pas, 
oomme  il  l'a  prétendu  en  1801,  être  ému  par  le  son 
(lune  cloche  de  village,  car  il  disait  alors  même  à 
Grégoire,  qui  a  consigné  ce  propos  dans  ses  notes 
manuscrites,  que  la  religion  était  «  nécessaire  pour 
garantir  les  grandes  fortunes  »  :  qu'il  était,  lui,  «  de 
la  religion  de  l'Institut,  mais  que  rien  n'était  plus 
atroce  à  ses  yeux  que  d'attaquer  la  pensée  de 
l'homme  ^  ».  Consul  provisoire  et  bientôt  après  pre- 
mier consul,  Bonaparte  fît  cesser  immédiatement  les 
tracasseries  que  La  Réveillière  et  ses  amis  avaient 
imaginées  pour  entraver  le  libre  exercice  du  culte: 
c'est  une  des  raisons  qui  lui  ont  fait  pardonner  son 
coup  d'Etat  à  une  époque  où  l'on  ne  comptait  plus 
les  attentats  de  cette  nature.  Les  Annales  de  la  Reli- 
gion, organe  du  clergé  républicain,  ne  virent  dans 
«  cette  étonnante  journée  du  18  brumaire  que  l'es- 


1.  Il  souriait  quand  on  lui  parlait  du  salut  de  son  âme  et 
disait  :  -  Pour  moi,  l'immortalité  c'est  le  souvenir  laissé  dans 
la  mémoire  des  hommes.  »  11  faut  voir  dans  les  Mémoires  de 
Bourrienne  la  façon  dont  il  entendait  la  messe  à  Saint-Gloud  : 
on  la  disait  en  12  minutes  dans  sa  salle  de  bain;  et  il  travail- 
lait pendant  ce  temps  dans  son  cabinet.  <•  Les  journaux  répé- 
taient à  l'envi  :  le  premier  consul  a  entendu  la  messe  dans 
ses  appartements.  »  Bourrienne,  1829,  IV,  277  et  sq. 

2.  }^otes  autogr.  de  Grégoire.  —  Un  an  après  le  Concordat, 
en  1803,  l'Institut  refusait  d'accompagner  à  l'église  le  corps  de 
Laharpe;  il  attendait  à  la  maison  mortuaire  et  le  convoi  venait 
l'y  reprendre  pour  aller  au  cimetière.  —  Annales  de  la  Religion^ 
XVI,  316. 


140      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  poir  consolant  qu'elle  peut  annoncer  aux  ministres 
«  du  culte  catholique.  C'est  sans  doute,  ajoute  le 
«  rédacteur,  aux  excès  de  l'intolérance  du  thcophi- 
«  lanthrope  La  Réveillière  et  du  dernier  Directoire, 
«  encore  plus  stupide  et  plus  féroce  que  tous  les 
«  dépositaires  de  l'autorité  qui  l'avaient  précédé,  que 
«  nous  devons  les  changements  qui  viennent  d'avoir 
«  lieu  *.  »  L'immense  majorité  des  Français  pensait 
alors  de  même,  et  l'on  ne  voit  pas  que  les  plus  fermes 
républicains  aient  alors  tremblé  pour  la  liberté. 

A  cette  époque,  Grégoire  était  en  Lorraine,  car  il 
venait  de  perdre  sa  mère,  et  c'est  un  fait  assez  curieux 
à  noter  que  l'absence  forcée  de  cet  homme  à  prin- 
cipes dans  les  circonstances  politiques  les  plus  diffi- 
ciles. Au  mois  de  janvier  1793,  il  était  absent  par 
commission;  le  31  mai  1793  il  était  obligé  par  la 
maladie  de  céder  à  Hérault-Séchelles  la  présidence 
de  la  Convention;  le  18  brumaire  enfin  il  se  trouvait 
à  cent  lieues  de  Paris.  A  son  retour  de  Lorraine,  Gré- 
goire se  vit  donc  en  présence  d'un  fait  accompli;  il 
ne  sacrifia  rien  de  son  indépendance  républicaine, 
mais  il  chercha  tout  de  suite  à  tirer  parti  de  la  situa- 
tion en  faveur  du  catholicisme.  Une  ère  nouvelle 
s'ouvrait  pour  le  clergé  de  France,  l'ère  de  la  tolé- 
rance et  de  la  liberté,  mais  ce  n'étaient  pas  les 
prêtres  soumis  aux  lois  qui  devaient  gagner  le  plus 
cl  ce  nouvel  état  de  choses.  Les  persécutions  n'avaient 
pu  leur  enlever  ce  qui  faisait  leur  véritable  force,  la 
confiance  et  l'amour  de  populations  foncièrement 
chrétiennes;  le  régime  de  tolérance  inauguré  par 
Bonaparte   mit   encore   une   fois    leur   constance    à 

1.  Annales  de  la  Religion,  X,  46. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  141 

l'épreuve.  Le  jour  où  les  serments  impolitiques  de 
1791  et  des  années  suivantes  firent  place  à  une 
simple  promesse  de  fidélité  à  la  Constitution  *,  les 
insermentés  revinrent  en  foule  dans  leurs  anciennes 
résidences  ;  bientôt  ils  furent  rejoints  par  leurs  con- 
frères sortis  de  prison  ou  ramenés  de  l'exil,  et  par- 
tout, en  1800  comme  en  1790,  les  deux  clergés  se 
retrouvèrent  en  présence,  les  insermentés  avec  l'in- 
tention bien  arrêtée  de  chasser  du  sanctuaire  les 
intrus  et  les  jurews ;  les  constitutionnels  avec  la  pré- 
tention très  naturelle  de  conserver  leurs  places  et  de 
ne  point  se  retirer  devant  ceux  qu'ils  nommaient 
ironiquement  les  bons  prêtres.  L'histoire  de  ce  fâcheux 
<'onflit  est  aussi  instructive  qu'intéressante,  et  sans 
doute  on  en  suivra  volontiers  les  péripéties  à  Blois 
et  dans  le  département  de  Loir-tt-Cher,  l'un  de  ceux 
où  la  lutte  a  été  le  plus  vive. 

On  a  pu  se  convaincre  par  tout  ce  qui  précède  que 
l'Eglise  constitutionnelle  comptait  de  nombreux  adhé- 
rents dans  le  diocèse  de  Blois;  le  seul  fait  que  Gré- 
goire y  confirma  près  de  cinquante  mille  personnes 
sur  deux  cent  mille,  c'est-à-dire  le  quart  de  la  popu- 
lation, en  est  la  preuve  irréfutable.  En  1795,  les 
insermentés  avaient  reparu  ,  mais  en  très  petit 
nombre,  et  l'immense  majorité  des  habitants  s'atta- 
chait à  leurs  adversaires  *  :  les  riches,  les  ci-devant 
nobles  et  les  contre-révolutionnaires  déclarés  fré- 

1.  Décret  du  7  nivôse  an  VIII. 

2.  Les  mandataires  de  l'évêque  Thémines  convenaient  en  1800 
{Instruction  aux  fidèles  au  sujet  du  synode....  32  pages  in-8") 
que  le  peuple  attaché  au  culte  voulait  bien  fréquenter  les  tem- 
ples de  l'église  constitutionnelle  pour  avoir  la  messe;  mais  de 
confession  et  de  communion,  disaient-ils,  à  peine  en  est-il 
question. 


142      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

quentaient  presque  seuls  les  oratoires  et  les  chapelles 
des  «  grangistes  ».  Ces  derniers  s'étaient  emparés  en 
1797  de  quelques  paroisses  dépourvues  de  curés,  et 
on  les  voyait  exercer  furtivement  leur  culte  ;  mais  en 
définitive,  jusqu'au  18  brumaire,  ils  ne  comptaient  à 
Blois  et  dans  tout  le  département  qu'un  fort  petit 
nombre  d'adhérents.  Au  contraire,  Grégoire  avait 
sous  ses  ordres  environ  cent  prêtres  dévoués  qui  riva- 
lisaient de  zèle  pour  desservir  les  trois  cent  dix 
paroisses  du  diocèse  *.  Les  incursions  des  chouans 
en  1799  et  la  connivence  des  autorités  en  1800  modi- 
fièrent sensiblement  cet  état  de  choses,  et  les  consti- 
tutionnels durent  redoubler  d'ardeur  pour  conserver 
leurs  avantages.  Ils  étaient  toujours  dans  le  plus 
grand  dénuement,  car  le  trésor  public  leur  donnait  à 
chacun  huit  cents  livres  à  une  époque  de  cherté 
excessive,  et  les  paroissiens  ne  faisaient  rien  pour 
empêcher  leurs  curés  de  mourir  de  faim.  Cette  ingra- 
titude des  paysans  décourageait  ces  malheureux 
prêtres,  et  elle  ulcérait  l'âme  de  Grégoire  ;  elle  con- 
tribuait à  lui  donner  dès  lors  cette  misanthropie  qui 
attrista  les  trente  dernières  années  de  sa  vie.  «  Je 
dispense  tous  mes  diocésains  de  me  parler  de  leur 
attachement  pour  moi,  s'écria-t-il  un  jour  à  ce  pro- 
pos, parce  que  je  n'y  crois  pas,  et  que  je  suis  loin 
d'avoir  à  me  louer  d'eux  *.  »  Dans  ces  tristes  conjonc- 
tures, il  soutenait  son  clergé  par  tous  les  moyens 


1.  En  juillet  1800,  après  bien  des  rétractations  et  des  défections 
causées  surtout  par  la  misère,  ils  étaient  encore  82,  plus  un 
acéphale  ou  indépendant,  et  2  prêtres  mariés  qui  exerçaient 
en  dépit  de  tout  le  monde.  [Lettre  de  Bouclier  à  Grégoire, 
1  juillet  1800.) 

2.  Lettre  du  2^  juin  1800. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  143 

possibles:  il  eût  souhaité  de  lui  envoyer  de  l'argent, 
mais  lui-même  alors  était  réduit  à  «  l'indigence  », 
et    ses  diocésains   l'ignoraient   ou   «    feignaient  de 
l'ignorer  »  *;  du  moins  il  écrivait  sans  cesse,  tantôt  à 
celui-ci,  tantôt  à  celui-là,  et  ses  lettres  étaient,  on 
]»*^ut  le  dire,  un  baume  versé  à  propos  sur  les  bles- 
sures de  ces  braves  gens.  Bien  plus,  il  fit  à  Blois, 
vers  le  milieu  de  l'année  1800,  une  visite  pastorale 
(jui  devait  être  la  dernière,  et  il  y  présida,  les  2,  3  et 
i  septembre,  un  synode  diocésain  où  se  trouvèrent 
un  grand  nombre  de  ses  curés,  ceux  que  la  misère 
iiempècha  point  de  voyager.  Ce  syiiode  aurait  dû  avoir 
lieu  vers  le  15  août  1800,  mais  Grégoire  en  retarda 
l'ouverture  parce  que  Bonaparte  lui  avait  «  demandé 
officiellement   un    travail    d'une    haute   importance 
pour  la  religion  et  pour  l'Église  gallicane  en  particu- 
lier »  *.  En  effet,  Bonaparte,  voulant  mettre  un  terme 
aux  troubles  qui  agitaient  la  France  depuis  dix  ans, 
s'était  adressé   d'abord,  non  pas  à  l'ancien  clergé, 
qu'il  trouvait  trop  royaliste,  mais  au  clergé  constitu- 
tionnel et   à   son  patriarche  Grégoire  ;  il   eut  avec 
l'évêque  de   Blois   de    longues  entrevues,   et  il   lui 
demanda  même  plusieurs  mémoires  sur  ces  questions 
délicates.  Le  premier  consul  s'aperçut  bientôt,  comme 
nous  aurons  occasion  de  le  montrer  plus  loin,  que  le 
clergé  constitutionnel  était  sincèrement   et   résolu- 
ment républicain;  dès  lors  il  aima  mieux  s'appuyer 
sur  l'ancien  clergé  ;  le  trop  célèbre  Bernier,  l'ancien 
aumônier  des  chouans,  conquit  en  un  moment  la 
faveur  que  perdit  par  son  républicanisme  le  fougueux 
mais  honnête  Grégoire. 

d.  Lettre  pastwale  pour  annoncer  sa  démission,  8  octobre  1801. 
2.  Lettre  à  Boucher,  2a  juin,  11  jours  seulement  après  Marengo. 


144      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

Le  synode  de  Blois  fut  annoncé  officiellement  aux 
fidèles  le  20  juillet  1800  par  une  circulaire  ou  pasto- 
rale imprimée  *  qui  est  assez  curieuse.  Grégoire  y 
faisait  un  éloge  pompeux  de  ses  «  vénérables  coopé- 
«  rateurs  que  la  séduction,  les  promesses,  les  me- 
«  naces,  les  calomnies,  les  injures,  la  misère,  les 
«  tourments,  n'avaient  pas  ébranlés,  et  qu'il  ne 
«  craignait  pas  d'appeler  la  gloire  et  la  consolation 
<(  de  son  épiscopat  ».  Il  y  flétrissait  avec  énergie  «  ces 
«  prétendus  fidèles  qui  osent  parler  d'attachement  à 
«  leurs  pasteurs  quand  ils  refusent  le  strict  néces- 
«(  saire  à  ceux  qui  leur  donnent  le  pain  spirituel  ».  Il 
disait  incidemment,  ce  qu'il  aurait  dû  se  dire  à  lui- 
même  en  1792,  que  «  les  assemblées  ecclésiastiques 
«  étant  par  leur  nature  étrangères  à  la  politique,  on 
«  ne  parlerait  de  la  République  dans  le  synode  que 
«  pour  lui  exprimer  son  amour,  proclamer  l'obéis- 
«  sauce  à  ses  lois  et  l'attachement  à  son  gouverne- 
«  ment  ».  La  foi,  la  discipline  et  les  mœurs,  tel  devait 
être  le  triple  objet  de  cette  assemblée,  et  Grégoire 
terminait  sa  pastorale  par  un  appel  chaleureux  et 
sincère  à  ses  «  frères  divisés  »,  c'est-à-dire  aux  inser- 
mentés du  Loir-et-Cher .  «  Quittez  vos  oratoires 
«  clandestins,  leur  disait-il  non  sans  quelque  naïveté,. 
«  venez  dans  nos  églises,  où  la  publicité  facilite  la 
«  surveillance  du  magistrat  ;  nos  temples  sont  ouverts  ; 
«  nos  voix  vous  y  appellent,  nos  cœurs  vous  y  atten- 
«  dent.  Nous  vous  répéterons  que  si  vous  échappez  à 
«  nos  embrassements,  vous  n'échapperez  pas  à  notre 
«  amour;  et  nos  démarches  vous  prouveront  que  la 
«  charité   est  toujours  là  où  se  trouve  la  vérité.  Si 

i.  8  pages  in-S". 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  145 

«  VOUS  croyez  que  la  vérité  est  de  votre  côté,  ayez  le 
«  courage  et  la  franchise  de  venir  en  synode,  sous  les 
«yeux  des  fidèles,  discuter  les  points  qui  nous 
«  divisent.  Si  vous  vous  refusez  à  cette  demande, 
«  n'aura-t-on  pas  sujet  de  dire  que  vous  ne  croyez 
«  pas  vous-mêmes  à  la  bonté  de  votre  cause,  et  que 
«  par  là  vous  donnez  la  mesure  de  votre  bonne  foi, 
<(  de  votre  amour  pour  l'union  et  la  paix  *  ?  » 

Les  actes  et  statuts  de  ce  synode  furent  imprimés 
en  1800,  comme  ceux  de  trente  ou  quarante  assem- 
blées analogues  dont  les  historiens  de  la  Révolution 
n'ont  jamais  parlé  *,  et  l'on  peut  voir  en  lisant  ces 
procès-verbaux,  signés  souvent  par  cent  cinquante 
prêtres,  s'il  est  vrai  que  le  Concordat  ait  rétabli  la 
religion  en  France.  Mais  cette  religion,  c'était  celle 
de  Bossuet  et  dos  gallicans  de  1682  ;  voici  en  effet  les 
statuts  du  synode  de  Blois  qui  concernent  le  pape  : 
«  L'Eglise  de  J.-C.  ne  peut  subsister  sans  un  chef  vi- 
«  sible.  —  Le  pape,  successeur  de  saint  Pierre,  est 
«  nécessairement  ce  chef  visible.  —  Selon  la  doctrine 
<(  des  conciles  œcuméniques  de  Bàle  et  de  Constance, 
«  les  décisions  du  pape  ne  sont  irrévocables  qu'autant 
«  qu'elles  sont  admises  et  reçues  par  toute  l'Eglise 
<(  assemblée  ou  dispersée.  —  Le  synode  croit  ferme- 
«  ment  et  professe  que  le  Saint-Siège  est  le  centre  de 
«  l'unité  catholique  auquel  tous  les  vrais  enfants  de 
«  l'Eglise  doivent  rester  inviolablement  attachés.  — 


1.  Convocation  du  synode  du  diocèse  de  Blois.  7  pages  in-S". 

2.  Actes  du  synode  diocésain  tenu  dans  Véglise  cathédrale  de 
Blois,  etc.  94  pages  ia-8";  prix,  24  sous.  —  On  imprima  de  même 

ceux  de  Reims,  de  Lille,  d'Évreux,  de  Rouen,  etc A  Cahors, 

en  1797,  il  y  avait  autour  de  l'évèque  138  prêtres  constitution- 
nels. 

9 


146      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  Le  synode  reconnaît  et  déclare  qu'il  donne  une 
«  adhésion  pleine  et  entière  aux  libertés  de  l'Eglise 
«  gallicane,  ainsi  qu'aux  autres  articles  de  la  célèbre 
«  assemblée  du  clergé  de  France  en  1682.  » 

Les  devoirs  de  l'Église  envers  l'État  n'étaient  pas 
définis  avec  moins  de  netteté  par  Grégoire  et  ses 
curés.  «  Le  synode,  lisons-nous  quelques  lignes  plus 
«  bas,  reconnaît  comme  un  article  fondamental  de  la 
«  morale  évangélique  le  précepte  de  la  soumission 
«  aux  puissances  dans  tout  ce  qui  ne  contrarie  évi- 
«  demment  ni  la  foi  ni  les  mœurs.  —  Tout  chré- 
«  tien  donc,  comme  tel,  doit  se  soumettre  à  la  con- 
«  stitution  du  pays  qu'il  habite,  aussitôt  qu'elle  est 
«  admise  par  la  majorité  du  peuple,  et  lorsqu'elle 
«  sert  de  base  à  la  puissance  qui  gouverne.  —  Dis- 
«  ciple  d'un  Dieu  qui  lui-même  obéit  aux  hommes  et 
«  paya  le  tribut  à  César,  un  vrai  chrétien  ne  peut 
«  oublier  l'obligation  qu'a  tout  citoyen  de  payer 
«  exactement  les  contributions,  d'observer  les  lois, 
«  et  de  respecter  ceux  qui  sont  choisis  pour  en  être 
«  les  organes  *.  » 

On  se  figure  aisément  l'effet  que  devait  produire 
sur  les  habitants  du  Loir-et-Cher  l'apparition  de  ces 
statuts  et  règlements  rédigés  en  séance  publique 
par  cinquante  curés  groupés  dans  le  chœur  d'une 
cathédrale  autour  de  leur  évêque  ;  aussi  Grégoire  les 
fit-il  imprimer  aussitôt,  en  y  joignant  une  réponse 
vigoureuse  aux  libelles  qu'avait  fait  éclore  la  seule 
annonce  du  synode.  L'un  de  ces  libelles,  composé 
selon  toute  apparence  par  un  prêtre  marié  du  diocèse 

1.  Actes  du  synode,  p.  48  et  sq.  —  Cette  déclaration  mérite- 
rait d'être  affichée  à  la  porte  de  tous  les  édifices  consacrés  au 
culte. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  147 

de  Tours  *,  était  véritablement  infâme,  et  Grégoire 
eût  mieux  fait  de  le  mépriser;  l'autre,  plus  modéré 
dans  la  forme,  avait  été  composé  par  les  insermentés 
du  département,  qui  redoutaient  avec  raison  la  tenue 
du  synode  *.  Tous  les  arguments  ressassés  en  1790 
contre  la  Constitution  civile  du  clergé  se  retrouvaient 
dans  cet  écrit,  et  les  injures  théologiques,  les  termes 
de  larrons,  de  voleurs,  de  sarments  arides,  etc.,  s'y 
mariaient  aux  citations  de  l'Ecriture.  Grégoire  répon- 
dit à  toutes  les  objections  de  ses  adversaires,  et  à  son 
tour  il  leur  reprocha  d'admettre  aux  sacrements  tous 
les  mauvais  sujets  que  ses  curés  en  éloignaient.  «  Les 
«  ignorants  et  les  libertins,  disait-il,  trouveront  chez 
«  eux  une  prompte  absolution.  Il  leur  suffira  de 
«  croire  que  trente  millions  de  Français  sont  un 
«  troupeau  d'esclaves  dont  le  propriétaire  est  un 
«  imbécile  résidant  à  Mittau  ;  de  détester  la  Répu- 
«  blique;  de  calomnier  les  prêtres  qui  l'aiment;  d'ap- 
«  plaudir  aux  massacres  commis  par  les  chouans;  de 
«  refuser  aux  pauvres  des  aumônes,  aux  ouvriers  de 
«  l'occupation,  s'ils  sont  patriotes..,  A  ces  conditions 
«  tous  vos  crimes  seront  effacés.  On  oubliera  même 
«  que  votre  piété  est  de  fraîche  date;  que  jadis  vous 
«  outragiez  le  christianisme,  pour  lequel  aujourd'hui 
«  vous  simulez  tant  de  zèle.  D'ailleurs,  on  exige  de 
<(  vous  non  pas  la  piété  de  la  religion,  mais  celle  de 
«  la  contre-révolution,  et  vos  vœux,  en  apparence 
«  adressés  à  l'autel,  s'adressent  réellement  au  trône  ^.  » 

1.  Lettre  au  citoyen  Grégoire,  ci-devant  évêque  constitutionnel 
du  département  de  Loir-et-Cher.  24  pages  in-S".  Grégoire  attri- 
buait ce  pamphlet  à  Bruslon,  ci-devant  curé  de  Vouvray. 

2.  Instruction  aux  fidèles  du  diocèse  de  Blois  au  sujet  du 
synode 32  pages  in-8°. 

3.  Actes  du  synode,  p.  5.  Peut-être  qu'en  1814  une  âme  cha- 


148      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

Ces  reproches  étaient  malheureusement  fondés,  car 
la  plupart  des  ecclésiastiques  rentrés  étaient  des 
royalistes  plus  ou  moins  déclarés;  mais  la  polémique 
n'était  guère  courtoise,  et  il  faut  convenir  qu'une 
réconciliation  entre  «  frères  »  qui  se  traitaient  de  la 
sorte  ne  semblait  pas  facile  à  opérer. 

Malgré  tout,  l'effet  produit  par  la  tenue  du  synode 
fut  considérable;  les  curés  reprirent  courage,  et  les 
fidèles  qui  n'entendent  pas  finesse  aux  discussions 
théologiques  allèrent  plus  que  jamais  en  sûreté  de 
conscience  aux  grand'messes  des  constitutionnels. 
■Quant  aux  insermentés,  ils  ne  firent  jusqu'à  la  fin  de 
l'année  1800  que  très  peu  de  prosélytes  ;  sans  le  vou- 
loir ils  avaient  donné  des  armes  contre  eux-mêmes, 
ïls  avaient  pris  tout  à  fait  au  sérieux  le  synode  de 
Blois;  bientôt  après  ils  répandirent  dans  le  diocèse 
un  catéchisme  anticonstitutionnel  dans  lequel  on 
disait  «  que  J.-C.  n'est  pas  avec  l'église  constitution- 
«nelle;  qu'il  n'y  est  dans  l'eucharistie  que  contre 
«  son  gré,  et  comme  entre  les  mains  des  Juifs  qui 
«  l'insultaient  et  l'accablaient  d'outrages,  etc.  »  Ils 
convenaient  de  même  que  la  confirmation  donnée 
par  les  évêques  constitutionnels  était  bonne,  mais 
•que  le  confirmé  devait  faire  pénitence  K  N'était-ce 
pas  avouer  que  la  messe  des  intrus  était  une  messe 
véritable,  et  reconnaître  à  leur  chef  le  titre  d'évêque? 
Aussi  les  paysans  et  les  gens  du  peuple  se  conten- 
tèrent de  cette  déclaration,  et  ils  se  dispensèrent 
d'aller  chercher  bien  loin  la  messe  qu'ils  pouvaient 

ritable  montra  au  roi  Louis  XVIII  la  phrase  qui  était  relative 
à  «  l'imbécile  de  Miltau  ». 

1.  Extraits   du  catéchisme   envoyés  à  Grégoire  par  Chenu, 
curé  de  Saint-Nicolas.  Lettre  du  29  novembre  1800. 


LE  DIOCÈSE  DE   BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  149 

entendre  dans  leur  église.  La  chouannerie  d'ailleurs, 
qui  sévissait  alors  avec  fureur  jusqu'aux  portes  de 
Blois,  contribuait  à  éloigner  les  populations  des  ora- 
toires et  des  chapelles  «  royalistes  ». 

Grégoire  n'avait  pas  vu  de  près  cet  heureux  résul- 
tat de  ses  efforts;  il  s'était  rendu  à  Bourges  pour 
assister  à  un  concile  métropolitain  (14-21  septembre 
1800  '),  et  il  était  revenu  en  toute  hâte  à  Paris,  où 
l'attendait  le  vainqueur  de  Marengo.  L'année  1801 
fut  occupée  tout  entière  par  les  négociations  difficiles 
qui  précédèrent  ou  suivirent  la  signature  du  Con- 
cordat ,  et  nous  verrons  quel  fut  en  cette  circon- 
stance le  rôle  de  Grégoire.  Il  fallait  bien,  pendant  la 
durée  de  ces  négociations,  accorder  à  tous  les  cultes 
une  égale  liberté  ;  aussi  les  insermentés  se  virent-ils 
singulièrement  encouragés  dans  les  départements  où 
se  trouvaient  des  préfets  royalistes.  On  sait,  en  effet, 
que  le  Premier  Consul,  après  s'être  assuré  le  con- 
cours du  ci-devant  Talleyrand  et  celui  du  régicide 
Fouché  ,  avait  nommé  préfets  et  sous-préfets  des 
hommes  de  tous  les  partis  ^,  ici  un  jacobin  converti, 
là  un  émigré  rallié,  en  sorte  que,  suivant  le  hasard 
des  nominations,  c'étaient  les  prêtres  en  général, 
ou  seulement  les  constitutionnels,  ou  enfin  les  seuls 
insermentés  qui  avaient  la  faveur  ou  la  défaveur 
de  l'administration.  Le  citoyen  Corbigny,  préfet  du 
département  de  Loir-et-Cher,  tenait  pour  l'ancien 
clergé,  et  Ton  ne  tarda  pas  à  s'en  apercevoir. 
«  La  sécurité  est  parfaite  pour  les  dissidents,  écri- 

1.  Impr.  43  pages  in-8°. 

2.  «  Le  Premier  Consul  a  réuni  tous  les  partis  et  choisi  dans 
toutes  les  opinions.  •  Lettre  de  Cacault  à  Portails,  citée  par 
M.  d"HaussonviIle,  1,  133. 


150      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

<(  vait  à  Grégoire  un  de  ses  meilleurs  curés  •,  ils 
«  semblent  autorisés;  aussi  le  nombre  de  leurs  adhé- 
«  rents  grossit,  et  nous  perdons  quelques-uns  des 
«  nôtres.  —  Les  réfractaires  n'ont  jamais  joui  d'une 
«  aussi  grande  liberté,  disait  un  autre  *,  presque  à 
«  toutes  les  portes  on  dit  des  messes;  on  est  tenté  de 
«  croire  que  le  gouvernement  les  autorise...  Il  n'y  a 
«  qu'une  voix,  c'est  qu'il  faut  qu'il  y  ait  des  ordres 
«secrets  pour  protéger  les  réfractaires...  Si  les* 
«  réfractaires  et  leurs  partisans  étaient  partout  aussi 
«  nombreux  qu'ici,  je  cesserais  de  croire  à  la  Répu- 
«  blique.  »  Cette  libei'té  dégénérait  même  quelquefois 
en  licence,  car  les  insermentés  et  leurs  partisans  en 
venaient  aux  menaces  et  aux  voies  de  fait  contre 
les  constitutionnels  ;  ils  sommaient  l'archidiacre 
Dupont  de  se  rétracter  et  de  renoncer  «  à  monsieur 
<(  Grégoire.  Ils  ne  veulent  pas  me  faire  du  mal,  me 
«  disent-ils,  je  suis  un  honnête  homme,  c'est  un  grand 
«  malheur  que  j'ai  (sic)  fait  mon  serment  »  •'';  et  en 
attendant  ils  jetaient  de  grosses  pierres  dans  son 
église  pendant  qu'il  y  disait  la  messe. 

Trois  mois  plus  tard,  le  31  mars  1801,  les  vicaires 
généraux  de  M.  de  Thémines  adressèrent  à  tout  le 
diocèse  de  Blois  un  mandement  imprimé  *  qui  avait 
pour  objet  de  faire  chanter  partout  un  Te  Deum  pour 
la  paix.  Ils  invitèrent  même  le  préfet  à  se  rendre 
chez  l'abbé  Villain  pour  y  assister  ^;  mais  le  citoyen 
Corbigny  s'y  refusa  et  conduisit  les  autorités  consti- 


1.  Chenu,  lettre  du  25  déc.  1800. 

2.  Dupont,  11  janvier  1801. 

3.  Ifnd. 

4.  4  pages  in-12. 

5.  Lettre  de  Dupont,  mars  1801. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  151 

tuées  au  Te  Deum  des  constitutionnels.  L'efferves- 
cence était  très  grande;  le  conseil  du  département  et 
celui  de  la  commune,  présidés  l'un  et  l'autre  par  un 
nommé  Turpin,  étaient  en  lutte  ouverte  avec  toutes 
les  administrations  républicaines.  Ils  faisaient  l'im- 
possible pour  rendre  la  cathédrale  aux  «  Thémi- 
niens  »,  et  le  brave  Dupont,  second  adjoint  au  maire 
de  Blois,  était  menacé  constamment  de  «  coups  de 
bâton  »  ;  on  le  rendait  responsable,  dit-il,  des  demi- 
mesures  adoptées  par  le  préfet  pour  empêcher  que 
les  lois  ne  fussent  complètement  violées. 

S'il  en  était  ainsi  même  à  Blois,  c'était  bien  autre 
chose  dans  les  communes  éloignées.  Les  «  bons 
prêtres  »  rebaptisaient  et  remariaient  à  qui  mieux 
mieux;  ils  disputaient  ouvertement  aux  constitution- 
nels en  exercice  la  possession  des  édifices  religieux  ; 
enfin  ils  se  vantaient  avec  raison,  dès  le  mois  de  juin 
1801,  que  le  Concordat  se  faisait  pour  eux,  et  qu'ils 
reTiendraient  à  Pâques  de  l'année  1802  *.  Grégoire 
fut  obligé  d'intervenir  pour  protéger  ses  curés;  il  se 
plaignit  au  ministre  de  la  police,  et  le  préfet  Corbigny 
reçut  un  jour  de  Fouché  une  lettre  des  plus  «  vertes  *  ». 


1.  Lettre  de  Dupont,  5  juin  1801. 

2.  Lettre  de  Grégoire.  Voici,  d'après  un  duplicata  signé  de 
Foucbé  et  adressé  par  lui  à  Grégoire,  le  texte  de  cette  lettre  ; 

Liberté,  Égalité. 

Paris,  le  28  Thermidor  an  VIII  de  la  République 
une  et  indivisible. 

Le  ministre  de  la  Police  Générale  de  la  République 
au  Préfet  du  département  de  Loir-et-Cher. 

Je  suis  informé,  citoyen  préfet,  que  les  ministres  du  culte 
catholique  domiciliés  dans  une  commune  où  ils  ont  fait  la 
promesse  de  fldélité  à  la  Constitution  prescrite  par  la  loi  sont 


15'^     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

Malgré  tout,  le  trouble  et  la  désorganisatian  aug- 
mentaient chaque  jour.  «  Plus  de  religion,  s'écriait 
«  amèrement  le  curé  d'Epuisé,  plus  de  foi,  plus  de 
((  mœurs,  autel  contre  autel  ;  les  uns  sont  à  Géphas, 
0  les  autres  à  Apollo  ;  le  nouveau  siècle  va-t-il  nous 
«  rendre  tous  à  J.-C.  ^?  »  Les  négociations  que  l'on 
savait  entamées  avec  Rome  empêchaient  Grégoire 
d'agir  en  évêque,  et  d'autre  part  la  mort  faisait  des 
vides  irréparables  dans  la  petite  phalange  des  con- 
stitutionnels. C'était  un  jour  le  bon  curé  de  Chitenay, 
un  autre  jour  l'excellent  Boucher,  l'ami  particulier 


fréquemmeut  obligés  de  répéter  cette  promesse  dans  les  com- 
munes où  ils  se  trouvent  accidentellement  et  où  ils  veulent 
exercer  des  fonctions  religieuses. 

Ce  n'est  que  par  une  extension  abusive  de  la  loi  qu'une  au- 
torité municipale  oblige  le  ministre  d'un  culte  qui  exerce  mo- 
mentanément des  fonctions  sous  sa  surveillance,  à  répéter  une 
promesse  qu'il  a  faite  dans  la  commune  de  son  domicile.  Une 
déclaration  unique  et  générale  de  fidélité  à  la  Constitution 
suffit  pour  constituer  la  garantie  que  les  lois  exigent  des  mi- 
nistres des  cultes.  Les  forcer  à  renouveler  cette  déclaration 
partout  où  ils  exercent  momenlanément  des  fonctions,  c'est 
faire  une  chose  étrangère  au  but  de  la  loi.  Tout  ce  que  l'auto- 
rité municipale  doit  exiger  du  ministre  d'un  culte  dans  le  cas 
dont  il  s'agit,  c'est  qu'il  justifie  de  la  déclaration  (ju'il  a  dû 
faire  dans  la  commune  de  sa  résidence. 

Empressez-vous,  citoyen  préfet,  de  transmettre  cette  obser- 
vation aux  sous-préfets,  et  par  eux  aux  maires  et  adjoints  de 
votre  arrondissement. 

J'aime  à  penser  que  l'abus  que  je  vous  dénonce  n'est  que  le 
produit  d'un  zèle  pour  l'exécution  des  lois  qui,  pour  devenir 
louable,  n'a  besoin  que  d'être  éclairé  et  mieux  dirigé.  Cet  abus 
doit  cesser  dès  que  vous  aurez  transmis  les  instructions  con- 
venables aux  autorités  qui  vous  sont  subordonnées.  Rappelez- 
leur  que,  de  toutes  les  vexations,  les  plus  douloureuses  pour 
les  bons  citoyens  sont  celles  qui  s'exercent  au  nom  des  lois. 

Salut  et  fraternité. 

FOUCHÉ. 

4.  Lettre  du  20  mai  1801. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT      153 

de  Grégoire,  et  si  l'on  pouvait  lui  faire  une  oraison 
funèbre  *,  on  ne  pouvait  pas  le  remplacer;  les  «  in- 
communicants  »  s'emparaient  aussitôt  des  places 
vacantes;  leur  nombre  augmentait  toujours  et  ils 
étaient  soixante  ou  quatre-vingts  dans  la  seule  ville 
de  Blois  au  mois  d'août  1801  ^ 

Cependant  les  négociations  pour  le  Concordai 
suivaient  leur  cours;  le  concile  national  de  1801. 
librement  convoqué  dès  le  milieu  de  l'année  1800  par 
les  évêques  constitutionnels,  se  réunit  à  Saint-Sulpice 
le  29  juin,  et  se  sépara  sur  l'invitation  quelque  peu 
militaire  du  Premier  Consul  ^,  en  apprenant  le  14  août 
la  ratification  du  Concordat  par  le  pape.  Tous  ses 
membres  offrirent  aussitôt  de  se  démettre  pour  faci- 
liter la  réorganisation  religieuse  de  la  France,  et  ces 
démissions,  décidées  en  principe  le  14  août  *,  furent 
données  en  octobre.  Mais  les  évêques  constitutionnels 
stipulèrent  qu'ils  resteraient  en  fonctions  jusqu'à  l'ar- 
rivée de  leurs  successeurs  concordataires.  Grégoire 
remit  sa  démission  non  pas  au  pape,  ni  au  gouver- 
nement, qui,  disait-il,  n'était  pas  compétent,  mais  à 
son  métropolitain  Dufraisse,  évêque  de  Bourges,  et  il 
la  notifia  ensuite  à  ses  diocésains,  en  l'accompagnant 
4'une  pastorale.  Cette  pastorale,  ou  lettre  dadieux, 
témoigne  surtout  du  peu  de  regret  qu'il  éprouvait  en 
quittant  l'évêché  de  Blois.  Il  avait  fini  par  prendre 


1.  bnp}'.  8  pages  ia-S". 

2.  Lettre  de  Dupont. 

3.  MM.  Thiers  et  Lanfrey  disent  que  Bonaparte  convoqua  le 
concile  pour  faire  peur  au  pape,  et  qu'après  la  ratification  il 
envoya  un  commissaire  de  police  pour  le  dissoudre.  Tout  cela 
est  contraire  à  la  vérité;  dailleurs  l'histoire  du  Concordat 
n'est  pas  encore  faite. 

4.  Procès-verbal  nis.  du  Concile  de  1801. 


154     HISTOIRE  RELIGIEUSP:  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

l'humanité  en  dégoût,  et  il  trouvait  les  habitants  du 
Loir-et-Cher  on  ne  peut  plus  entachés  des  vices  inhé- 
rents à  la  nature  humaine.  On  voudrait  pouvoir  ex- 
traire de  cette  pastorale  quelques  lignes  touchantes  ; 
mais,  si  l'on  excepte  un  paragraphe  relatif  à  ses  curés, 
tout  le  reste  est  sur  un  ton  de  reproche  et  d'acrimonie 
qui  fait  peine  au  lecteur  *. 

L'effet  produit  par  cette  démission  fut  tel  qu'on 
peut  se  le  figurer.  Les  habitants  du  Loir-et-Cher  la 
reçurent  avec  leur  indifférence  ordinaire,  et  l'accu- 
sation d'ingratitude  que  Grégoire  leur  intentait  ne  fit 
sur  eux  aucune  impression  ;  un  évêque  était  à  leurs 
yeux  un  fonctionnaire  comme  un  autre,  et  ils  se  pré- 
paraient à  recevoir  successivement  tous  ceux  qu'il 
plairait  au  gouvernement  de  leur  donner.  Les  inser- 
mentés furent  très  satisfaits  de  cette  démission,  mais 
il  est  à  remarquer  qu'ils  ne  cherchèrent  pas  môme  à 
prendre  en  main  l'administration  spirituelle  du  dio- 
cèse. Et  cependant  M,  de  Thémines  était  bien  décidé 
à  demeurer  évéque  de  Blois,  puisqu'il  refusa  sa  dé- 
mission aux  instances  de  Pie  VII,  protesta  contre  le 
Concordat,  et  mourut  sous  la  Restauration  après 
avoir  déclaré  qu'il  était  le  seul  évêque  orthodoxe  du 
monde  chrétien.  Il  semble  que  son  ancien  clergé  de- 
vait, du  moins  en  1801,  soutenir  ses  prétentions  :  il 
n'en  fut  rien,  et  les  insermentés  du  Loir-et-Cher  con- 
tinuèrent jusqu'en  1802  à  officier  dans  leurs  oratoires 
et  à  troubler  la  paix  des  familles.  Les  curés  consti- 
tutionnels, au  nombre  de  quatre-vingts,  regrettèrent 
vivement  Grégoire  ^,  qui  leur  avait  toujours  témoigné 


1.  Impr.,  20  pages  in-8». 

2.  «  Un  père  si  tendre,  un  pasteur  si  bon,  un  supérieur  si 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  COxNSULAT  155 

beaucoup  de  bonté,  et  leurs  regrets  n'étaient  pas 
diminués  par  l'appréhension  de  voir  monter  sur  le 
siège  de  Blois  un  nouvel  évêque,  peut-être  un  inser- 
menté, peut-être  même  un  prélat  de  l'ancien  régime 
qui  ne  leur  pardonnerait  jamais  ce  fâcheux  serment 
de  1791.  «  Où  sont  les  belles  promesses  du  Premier 
«  Consul?  s'écriaient-ils  avec  tristesse;  il  ne  faut 
«  donc  que  lever  l'étendard  de  la  révolte  pour  avoir 
«  des  protections  et  des  places  *  !  »  Ils  ne  pouvaient 
croire  que  le  gouvernement  les  abandonnât  après  ce 
quils  avaient  fait  depuis  dix  ans  pour  la  conservation 
du  catholicisme  en  France,  «  Je  ne  peux  pas  m'ima- 
<(  giner,  disait  lun  d'entre  eux  *,  que  Bonaparte  sa- 
«  crifie  des  hrmmes  dont  la  contenance  ferme  et  cou- 
<(  rageuse  a  cimenté  les  bases  de  son  gouvernement 
«  et  de  son  autorité.  Il  est  sans  doute  trop  ami  de  la 
«  justice  pour  agir  avec  autant  de  déloyauté.  »  Pres- 
que tous  écrivaient  à  leur  évêque  des  lettres  analo- 
gues, et  la  nomination  de  Grégoire  au  sénat  en  décem- 
bre 1801,  nomination  qui  déplut  si  fort  au  Premier 
Consul,  leur  rendit  pour  un  moment  l'espérance  de 
le  conserver,  peut-être  même,  disait  le  curé  d'Ouzain, 
avec  le  chapeau  de  cardinal  '. 

Mais  Grégoire,  qui  savait  mieux  que  personne  à 
quoi  s'en  tenir  sur  les  dispositions  de  Bonaparte, 
s'attachait  à  détruire  ces  illusions  de  ses  curés  ;  il 


vigilant,  im  ami  si  fidèle  et  si  obligeant.  »  —  Lettre  de  Noirot, 
curé  de  la  Trinité  de  Vendôme  (24  novembre  1801). 

1.  Lettre  de  Chenu  (23  oct.  1801).  «  Au  reste,  ajoutait  ce  bon 
curé,  je  me  résigne  à  la  volonté  de  la  Providence,  et  j'attends 
iout  de  sa  bonté  paternelle.  » 

2.  Ibid. 

■3.  Lettre  de  Morel,  13  janvier  1802. 


156     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

évitait  soigneusement  de  répondre  à  leurs  lettres, 
parce  que  l'on  colportait  en  tous  lieux  ses  réponses, 
et  les  indications  qu'il  donnait  à  son  secrétaire  se 
réduisaient  presque  toujours  à  ces  mots  :  «  Estimable 
«  curé  de  mon  diocèse,  l'encourager,  lui  dire  des 
<i  choses  amicales  ^  »  Lorsque  les  «  dames  de  la 
société  chrétienne  de  Blois  »,  les  citoyennes  Buache, 
Pitron,  Isambert,  Férand  et  Guérin-Cousin,  lui  adres- 
sèrent au  sujet  de  sa  démission  une  lettre  afTectueuse, 
il  écrivit  en  marge  ces  simples  mots  :  «  Société  de 
«  dames  chrétiennes  infiniment  respectable.  Leur 
«  écrire  en  mon  nom  une  lettre  de  consolation  et 
«  d'amitié  qui  durera  autant  que  moi.  Nous  nous 
«  reverrons  dans  l'éternité;  je  me  recommande  à 
«  leurs  prières.  »  L'estimable  Dupont  lui-même,  ne 
recevant  plus  de  réponse  à  ses  lettres ,  craignait 
d'avoir  perdu  la  confiance  et  l'amitié  de  son  évoque  ; 
il  s'en  plaignait  doucement,  et  Grégoire  était  obligé 
de  lui  faire  connaître  en  confidence  les  raisons  de  sa 
conduite.  Comme  il  ne  devait  pas  rester  évêque  de 
Blois  (ce  siège  était  supprimé  dans  la  nouvelle  cir- 
conscription des  diocèses),  et  qu'il  avait  déclaré  en 
toute  occasion  qu'on  ne  le  verrait  jamais  passer  à  un 
autre  siège,  il  ne  pouvait  rien  pour  ses  pauvres  curés, 
et  les  convenances  ne  lui  permettaient  pas  d'entre- 
tenir avec  eux  une  correspondance  ecclésiastique.  Il 
était  donc  réduit  à  leur  donner  rendez-vous  dans 
l'autre  monde,  comme  il  avait  fait  pour  les  dames 
chrétiennes;  agir  d'une  manière  différente,  c'eût  été 
mériter  le  reproche  que  Thémines  s'était  attiré  en  1791  ; 
Grégoire  avait  trop  le  sentiment  de  ses  devoirs  de 

1.  Notes  marginales,  passim. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  1Ô7 

prêtre  et  de  citoyen  pour  créer  ainsi  des  difficultés  à 
son  successeur. 

Ce  successeur,  que  Grégoire  ne  connaissait  pas  en- 
core, ce  fut  l'agent  principal  de  Bonaparte  dans  ses 
négociations  tortueuses  avec  Rome,  ce  fut  l'homme 
qui.  le  13  juillet  1801,  présentait  à  la  signature  de 
Consalvi  un  concordat  falsifié  S  l'homme  qui,  moyen- 
nant 30  000  francs,  attesta  contre  toute  vérité  que 
les  évèques  constitutionnels  promus  à  de  nouveaux 
sièges  avaient  rétracté  leur  serment  de  1791  ^,  ce  fut 
le  célèbre  abbé  Bernier,  ancien  curé  de  Saint- Laud 
à  Angers.  Bernier  succédant  à  Grégoire,  un  ancien 
«  agent  de  Louis  XVIII  auprès  des  armées  catho- 
«  liques  »  prenant  la  place  d'un  conventionnel  mon- 
tagnard, il  est  difficile  d'imaginer  un  plus  grand  con- 
traste, et  les  curés  constitutionnels  du  Loir-et-Cher 
furent  très  affectés  en  apprenant  cette  nouvelle  au 
mois  d'avril  1802.  «  On  s'attendait  bien  à  le  voir 
«  évêque,  écrivait  l'un  d'eux  ^,  mais  sa  nomination 
«  au  siège  d'Orléans  étonne  bien  du  monde.  —  Quelle 
«  différence  entre  votre  successeur  et  vous!  s'écriait 
('  un  autre  *.  —  Qu'espérer,  disait  un  troisième  ',  de 
((  celui  qui  a  toujours  eu  en  horreur  les  principes 
<(  républicains,  qui  investit  de  sa  confiance  un  prêtre 
i<  émigré,  M.  Blin,  grand  pénitencier  de  l'ancien 
«  diocèse  d'Orléans?  »  Un  autre  enfin,  le  citoyen 
Pioche,  curé  de  Saint-Aignan,  allait  jusqu'à  dire  en 


i.  Voy.  ilém.  de  Consalvi,  II,  374. 

2.  IbkL,  389.  —  Cf.  d'Haussonville,  l'Église  romaine  et  le  pre- 
miei'  empire,  I,  190. 

3.  Lettre  de  Monrocq,  curé  de  Mer,  16  avril  1802. 

4.  Morel,  curé  d'Ouzain,  23  avril. 

5.  Biet,  curé  de  Romorantin,  10  avril. 


158     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  REVOLUTION   FRANÇAISE 

juillet  1802,  après  l'installation  de  Dernier  :  «  Mon 
«  dessein  est  de  fuir  un  diocèse  qui  perd  un  chef  que 
«  j'adorais  et  reçoit  pour  successeur  un  être  que 
«  j'abhorre.  Je  ne  sais  quelles  données  il  a  acquises 
«  sur  mon  compte  ;  celles  que  je  conserverai  à  jamais 
«  pour  lui  sont  écrites  de  sang...  »  En  effet,  cet  homme 
dont  l'habileté  en  matière  de  négociations  n'est  pas 
contestable  était  justement  exécré  de  tous  les  hon- 
nêtes gens.  Il  avait  joué  dans  la  guerre  de  Vendée  un 
rôle  odieux;  il  s'était  montré  toujours  partisan  des 
mesures  de  rigueur  ;  il  avait  fait  souvent  fusiller  des 
prisonniers  républicains  ou  des  prêtres  constitution- 
nels; on  l'accusait  de  vivre  avec  une  femme  dont  il 
avait  fait  assassiner  le  mari  ^  ;  on  lui  reprochait  même 
assez  généralement  d'avoir  livré  Stofflet,  et  sa  con- 
duite équivoque  après  le  18  brumaire  n'était  pas  de 
nature  à  lui  attirer  l'estime  publique.  Mais  Bernier 
avait  contribué  plus  que  personne  à  l'heureuse  con- 
clusion du  Concordat,  et  il  fallait  bien  l'en  récom- 


1.  Lettre  ms.  signée  B.  L'anonyme,  qui  était  connu  de  Gré- 
goire, promettait  de  donner  le  nom  du  mari  et  de  la  femme. 
—  Rangeard,  ex-constituant,  écrivait  en  1795  dans  le  même 
sens.  —  MM.  de  Barante  et  d'Haussonville  montrent  bien  quel 
homme  c'était;  M.  Crétineau-Joly  avoue  {Mém.  de  Consalvi, 
I,  347)  que  des  accusations  graves  pèsent  sur  sa  mémoire. 
Bernier  était  trop  méprisé  de  ceux  mêmes  qui  l'avaient  em- 
ployé pour  obtenir  les  faveurs  qu'il  ambitionnait;  il  en  mourut 
de  chagrin  en  1806,  deux  ans  avant  M.  de  Belloy.  Le  P.  Thei- 
ner,  qui  n'était  pas  Français,  a  parlé  en  termes  élogieux  de 
Bernier,  «  cet  illustre  prêtre  si  indignement  calomnié  aujour- 
d'hui par  ses  compatriotes,  qui  devraient  bénir  sa  mémoire  ». 
Histoire  des  deux  Concordats  (Paris,  1869).  Les  renseignements 
qu'il  m'a  été  possible  de  faire  prendre  à  Orléans  même  auprès 
de  vieillards  qui  avaient  connu  l'évêque  Bernier  permettent 
d'établir  que  ce  prélat  y  a  laissé  les  plus  tristes  souvenirs;  on 
l'y  méprisait,  on  y  parlait  de  lui  comme  d'un  «  scélérat  ». 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT      159 

penser.  11  voulait  être  archevêque  de  Paris  et  car- 
dinal, et  c'était  pour  l'encourager  à  la  patience  qu'on 
avait  placé  sur  le  premier  siège  de  France  un  homme 
de  quatre-vingt-treize  ans,  le  vénérable  de  Belloy  *. 
En  attendant  cette  mort,  qu'il  ne  devait  pas  voir,  et 
pour  être  plus  à  même  de  surveiller  les  événements, 
Bernier  avait  accepté  l'évêché  dOrléans,  auquel  on 
avait  réuni  celui  de  Blois,  et  qui  était  alors  le  plus 
considérable  des  évêchés  avoisinant  Paris. 

Grégoire,  qui  connaissait  et  méprisait  depuis  long- 
temps l'ancien  curé  de  Saint-Laud,  avait  refusé  de  le 
voir  en  1800  ;  il  s'était  indigné  l'année  suivante  parce 
que  certains  évêques  constitutionnels  faisaient  visite 
à  cet  homme  dans  l'espérance  d'être  replacés  -  ;  il 
dédaigna  en  1802  de  conférer  avec  lui  au  sujet  de  ce 
diocèse  de  Blois  qui  allait  devenir  le  sien  '.Toutefois 
il  se  garda  bien  de  laisser  voir  à  ses  curés  le  dégoût 
profond  que  lui  inspirait  leur  nouveau  pasteur  ;  plus 
que  jamais  il  évita  de  répondre  à  leurs  lettres,  ou  il 
ne  répondit  que  par  des  phrases  banales  ;  il  évita  de 
même  d'insérer  dans  les  Annales  de  la  religion,  l'une 
des  rares  feuilles  qui  conservèrent  leur  franc  parler 
jusqu'en  1803*,  des  articles  ou  fragments  de  corres- 


1.  «  Il  avait  un  bref  pour  gouverner  l'archevêché  de  Paris. 
Emery  l'a  lu  ;  il  devait  succéder  à  rarchevèque  de  Paris;  Gaprara 
<ivait  choisi  le  plus  vieux.  11  avait  fait  faire  chez  Quatremère 
un  costume  de  cardinal  qui  fut  acheté  par  Gaprara;  déjà  même 
il  s'était  fait  peindre  en  cardinal.  «  Notes  ms.  de  Grégoire. 

2.  Notes  ms.  de  Grégoire  sur  le  concile  de  1801. 

3.  Thémines  considérait  Bernier  comme  intrus  au  même  titre 
que  Grégoire,  et  par  conséquent  le  nouvel  évèque  dut  orga- 
niser tout  seul  cette  moitié  de  son  diocèse. 

4.  Elles  disparurent  en  novembre  1803,  probablement  par 
ordre  de  Bonaparte,  car  le  dernier  numéro  contenait  un  article 
■des  plus  vifs  contre  les  manœuvres  intolérantes  de  l'ancien  clergé. 


160     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

pondance  relatifs  au  département  de  Loir-et-Cher  ;  il 
se  fit  renvoyer  une  partie  de  ses  effets  et  donna  l'ordre 
de  vendre  le  reste  ;  il  revendiqua  secrètement  comme 
étant  sa  propriété  des  registres  et  des  lettres  conte- 
nant le  détail  de  son  administration  depuis  1791  ; 
ensuite  il  interdit  à  ses  anciens  coopérateurs  toute 
correspondance  avec  lui  K  II  poussa  même  la  délica- 
tesse plus  loin  ;  il  quitta  la  France  pour  quelque 
temps  et  fît  un  voyage  en  Angleterre  pendant  que 
les  nouveaux  évoques  prenaient  possession  de  leurs 
sièges. 

A  peine  sacré,  ce  qui,  paraît-il,  souleva  bien  des 
difficultés  ^,  car  aucun  prélat  ne  voulait  être  le  con- 
sécrateur  de  ce  nouveau  Dubois,  Bernier  parut  d'abord 
à  Orléans,  dont  les  habitants  le  reçurent,  dit-il  dans 
sa  première  pastorale  ^,  «  avec  des  larmes  d'atten- 
«  drissement  ».  De  là  il  se  rendit  à  Blois,  et  voici,  au 
sujet  de  son  entrée  dans  cette  ville,  les  propres  ter- 
mes de  sa  pastorale  :  «  La  ville  de  Blois,  digne  émule 
«  de  celle  d'Orléans,  conservait  aussi  dans*  son  sein 
«  le  dépôt  précieux  de  la  foi  catholique.  Avec  quelle 
«  joie  n'a-t-elle  pas  reçu  le  pontife  que  la  voix  de 
«  l'Église  et  la  nomination  du  Premier  Consul  lui 
«  avaient  destiné!  Quel  jour  heureux  pour  elle  que 
«  celui  où,  voyant  s'évanouir  les  semences  funestes 
«  des  dissensions  qui  l'avaient  agitée,  elle  a  pu  con- 

1.  C'est  au  mois  de  mai  1802,  aussitôt  après  la  nomination 
(le  Bernier,  que  Grégoire  fit  cette  défense;  il  la  rendit  publique 
en  l'imprimant  dans  les  Annales  de  la  Religion.  Dans  celte 
même  lettre  il  conseillait  à  ses  curés  de  se  refuser  à  toute 
rétractation.  Annales,  t.  XV,  p.  88. 

2.  C'est,  il  est  vrai,  Grégoire  qui  le  dit.  [Noies  nis.  sur  le  Con- 
cordat.) 

3.  28  juillet  1802,  8  pages  in-4o. 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  161 

(c  templer  ses  prêtres,  réunis  de  cœur  et  d'intention,. 
«  se  donnant  mutuellement  le  baiser  de  paix,  et  ou- 
«  bliant  aux  pieds  des  autels  qu'ils  avaient  été  si 
«  longtemps  divisés!  Elle  a  pu  dire  alors  avec  vérité  : 
«  Je  n'ai  plus  qu'une  foi,  qu'un  culte  et  qu'un  esprit. 
«  Que  faut-il  de  plus  dans  l'ordre  de  la  religion,  pour 
((  son  repos  et  sa  félicité  *  ?  »  Bernier  exagérait  évi- 
demment pour  les  besoins  de  sa  cause,  car  il  se  trou- 
vait à  Blois,  au  mois  de  juillet  1802,  en  face  de  trois 
clergés  différents  :  les  insermentés  concordataires  qui 
le  reconnaissaient  pour  évéque  légitime  et  se  dispo- 
saient à  lui  obéir,  les  Théminiens  obstinés  qui  le  re- 
poussaient comme  un  intrus  et  refusaient  de  quitter 
leurs  oratoires  parce  que  M.  de  Thémines,  qui  n'avait 
pas  voulu  donner  sa  démission,  était  à  leurs  yeux  le 
véritable  évêque  de  Blois  '•^;  et  enfin  les  constitution- 
nels, très  disposés  à  voir  en  lui  le  successeur  légitime 
de  Grégoire,  mais  justement  inquiets  et  remplis  de 
défiance. 

Cependant  la  situation  de  Bernier  en  1802  n'était 
pas,  à  beaucoup  près,  aussi  difficile  que  celle  de  Gré- 
goire en  1791  :  Grégoire  laissait  le  champ  libre  à  son 
successeur;  Thémines,  retiré  en  Espagne,  ne  songeait 
point  à  quitter  la  terre  d'exil,  et  le  gouvernement 
consulaire,  qui  se  sentait  fort,  avait  lintention  bien 


\.  Bernier  a  omis  de  parler  de  la  réception  que  lui  firent  à 
Angers  ses  anciens  paroissiens.  Il  fallut  des  gendarmes  pour  le 
proléger  contre  leur  indignation. 

2.  En  182S,  le  diocèse  de  Blois  était  encore  un  de  ceux  où  la 
Petite  Éf/lise  avait  le  plus  de  prosélytes,  surtout  à  Vendôme  et 
dans  le  voisinage;  on  ny  reconnaissait  pas  d'autre  évêque  que 
Thémines,  et  ce  dernier,  paraît-il,  se  considérait  comme  l'évê- 
que  de  toulc  l.-i  France.  Voy.  Grégoire,  Histoire  des  sectes  {i82S)^ 
11,  503. 


162  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
arrêtée  de  réduire  les  récalcitrants  à  l'obéissance. 
Bernier  commença  par  adresser  à  ses  diocésains  un 
certain  nombre  de  pastorales  et  de  mandements  assez 
médiocres  où  les  louanges  de  Bonaparte  et  la  glori- 
fication du  Concordat  tenaient  toujours  la  première 
place  ;  ensuite  il  établit  en  vertu  de  ce  même  Con- 
cordat une  nouvelle  division  des  paroisses  et  des  suc- 
cursales, et  il  profita  de  l'occasion  pour  inviter  ses 
prêtres  à  vivre  en  paix  les  uns  avec  les  autres.  «  Ou- 
«  bliez,  leur  disait-il,  qu'il  exista  parmi  vous  de  lon- 
«  gués  dissensions.  Ne  vous  rappelez  jamais  les  maux 
«  qu'elles  ont  produits  que  pour  bénir  le  ciel  d'y  avoir 
«  mis  un  terme,  et  le  remercier  de  l'heureuse  union 
«  qui  règne  parmi  vous.  Malheur  à  celui  qui,  préfé- 
«  rant  sa  répugnance  personnelle  à  la  voix  de  l'Église 
«  et  aux  ordres  du  premier  pasteur,  voudrait  encore 
«  se  séparer  de  ses  frères  quand  ils  sont,  par  leur 
«  union  au  légitime  évoque,  dans  la  communion  de 
«  l'Église  et  de  son  chef!  Nous  vous  conjurons  d'éviter 
«  en  ce  genre  tout  ce  qui  pourrait  nous  rappeler  des 
«  temps  malheureux  ou  renouveler  au  milieu  de  nous 
«  une  scission  qui  n'existe  plus  *.  »  Et  comme  pour 
montrer  qu'en  effet  il  n'y  avait  plus  de  scission,  Ber- 
nier avait  la  maladresse  de  dire  quelques  lignes  plus 
bas  :  «  Nous  défendons  à  tous  prêtres  résidant  dans 
«  notre  diocèse  de  célébrer  le  saint  sacrifice  de  la 
«  messe  dans  un  oratoire  particulier.....  s'ils  n'en  ont 
u  obtenu  la  permission  expresse  et  légale.  » 

Mais  il  ne  s'agit  point  ici  de  raconter  en  détail  l'his- 
toire de  Bernier  ;  évêque  d'Orléans  en  attendant  mieux, 


1.  Mandement  de  M.  Vévêque  d'Orléans. ...\  16  septembre  1802, 
1  pages  in-i". 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT      163 

il  s'intéressait  fort  peu  à  l'administration  de  son  dio- 
cèse ;  il  attendait  impatiemment  la  mort  de  l'arche- 
vêque de  Paris,  qui  vécut  quatre-vingt-dix-neuf  ans, 
et  il  demandait  avec  instance  ce  chapeau  de  cardinal 
qu'on  lui  avait  fait  espérer.  C'étaient  ses  grands 
vicaires  qui  gouvernaient  pour  lui,  et  les  malheureux 
constitutionnels  du  Loir-et-Cher  étaient  à  la  merci  de 
quelques  prêtres  émigrés.  On  avait  commencé  par 
vouloir  exiger  d'eux  des  rétractations  humiliantes; 
mais  le  gouvernement  s'y  opposa  résolument,  et  l'on 
se  contenta  de  les  molester  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles. L'archidiacre  Dupont  fut  nommé,  grâce  à  ses 
amis  de  Paris,  curé  de  Montrichard,  et  il  devint  en 
même  temps  le  précepteur  des  jeunes  de  Freycine  ; 
la  plupart  de  ses  confrères  furent  déplacés  et  envoyés 
le  plus  souvent  à  l'autre  extrémité  du  département. 
Quelques-uns  s'exilèrent  et  demandèrent  à  passer 
comme  curés  de  village  dans  les  diocèses  de  Dijon, 
de  Besançon,  de  Cambrai,  de  Strasbourg,  d'Avignon 
même,  dont  les  évêques  concordataires  étaient  comme 
eux  des  assermentés  de  1791,  se  refusant  à  toute 
espèce  de  rétractation. 

Ainsi  se  termina  la  crise  religieuse  qui  s'était  pro- 
duite dans  le  département  de  Loir-et-Cher,  comme 
dans  tous  les  autres,  à  la  suite  des  fâcheux  décrets  de 
la  Constituante  sur  la  Constitution  civile  du  clergé.  A 
Blois  comme  ailleurs,  l'histoire  ecclésiastique  de  ces 
douze  années  de  trouble  comprend  deux  périodes  très 
distinctes  l'une  de  l'autre,  la  période  constitution- 
nelle, depuis  la  fin  de  1790  jusqu'au  mois  de  no- 
vembre 1793,  et  la  période  de  réorganisation  spon- 
tanée, depuis  la  fin  de  1794  jusqu'à  l'entière  exécu- 
tion du  Concordat  en  mai  1802  ;  toutes  deux  sont 


164     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

dignes  de  la  plus  grande  attention  si  l'on  veut  enfin 
connaître  ce  que  les  historiens  de  la  Révolution  ont 
malheureusement  laissé  dans  l'ombre  :  l'esprit  public 
et  les  sentiments  de  la  nation  française.  La  Constitu- 
tion civile  du  clergé  peut  être  attaquée  plus  ou  moins 
vivement  au  point  de  vue  de  l'orthodoxie  ;  et  pourtant 
le  pape  Pie  VII  lui  donna  sans  le  vouloir  une  sorte  de 
consécration  le  jour  où  il  conféra  l'institution  cano- 
nique à  dix  prélats  constitutionnels  qui  refusaient  de 
se  rétracter  et  qui  protestaient  publiquement  contre 
ses  absolutions.  On  peut  néanmoins  juger  avec  sévé- 
rité cette  réforme  d'un  nouveau  genre  opérée  par  des 
laïcs  avec  une  précipitation  sans  pareille;  mais  il  me 
semble  que  tous  les  hommes  de  bonne  foi  devraient 
être  d'accord  pour  rendre  justice  aux  uns  comme  aux 
autres,  aux  insermentés  qui  ont  tant  souffert  pour  ne 
point  mentir  à  leurs  consciences,  et  aux  constitution- 
nels qui,  se  croyant  orthodoxes,  ont  tout  sacrifié  pour 
préserver  la  France  de  l'anarchie  religieuse.  Si  la  Con- 
stitution civile  du  clergé  avait  été  repoussée  par  tous 
les  prêtres  français,  comme  l'espérait,  dit-on,  Mira- 
beau, et  comme  le  demandaient  les  évêques  de  la 
Constituante,  c'en  était  fait  du  catholicisme  dans 
notre  pays.  Peut-être  aussi,  car  la  France  était  alors 
bien  plus  chrétienne  qu'elle  ne  l'est  aujourd'hui,  la 
France  entière  eût  imité  la  Vendée  ;  les  conquêtes  de 
la  Révolution  eussent  été  perdues  sans  retour,  et  la 
terreur  blanche  eût  commencé  en  1791,  couvrant  le 
sol  de  ruines  et  versant  des  torrents  de  sang  *.  Mais 

i.  11  faut  lire  dans  Theiner  (I,  381)  le  plan  de  restauration 
que  Maury  avait  dressé  en  1793.  Maury  triomphant  eût  de 
beaucoup  dépassé  Robespierre  en  cruauté.  Il  admettait  en 
principe  que  tous   les  évêques  constitutionnels   fussent   con- 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS   SOUS  LE  CONSULAT  165 

il  se  trouva  environ  soixante  mille  prêtres,  une  ar- 
mée entière,  pour  accepter,  quoique  sans  enthou- 
siasme, cette  fâcheuse  Constitution  civile,  et  l'on  con- 
viendra sans  peine  que  ces  soixante  mille  hommes 
n'étaient  pas  tous  des  scélérats.  Dans  le  département 
de  Loir-et-Cher,  comme  ailleurs,  des  intrigants  sans 
foi  et  des  hypocrites  sans  mœurs,  des  Tolin,  des 
Chabot,  des  Rochejean,  s'empressèrent  d'adhérer  au 
nouvel  ordre  de  choses  dans  l'espérance  de  satisfaire 
leurs  convoitises  ;  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  voir 
que  l'état  ecclésiastique  ne  pouvait  plus  conduire  aux 
honneurs  et  à  la  fortune,  et  ils  se  retirèrent.  Les  prê- 
tres qui  restèrent,  et  le  nombre  en  fut  considérable, 
puisque  les  neuf  dixièmes  des  paroisses  étaient  pour- 
vues de  curés  en  novembre  1793,  n'étaient  ni  ambi- 
tieux ni  cupides;  c'étaient  pour  la  plupart  des  hom- 
mes simples  et  vertueux,  des  congruistes  de  l'ancien 
régime  habitués  à  tous  les  genres  de  privations,  ai- 
mant des  paroissiens  qui  les  chérissaient,  et  ne  pou- 
vant se  résoudre  à  abandonner  leurs  familles  spiri- 
tuelles, car  un  bon  prêtre  se  fait  bientôt  une  véritable 
famille.  Presque  tous  sont  demeurés  à  leur  poste  par 
dévouement,  et  lors  même  qu'ils  se  seraient  trompés 
en  acceptant  la  Constitution  civile  que  Rome  n'avait 
pas  encore  condamnée,  l'histoire  devrait  tenir  compte 
à  ces  braves  gens  de  leur  abnégation.  Réduits  à  la 
mendicité  par  la  Convention  nationale  qui  faisait  ban- 
queroute au  clergé  après  l'avoir  complètement  dé- 
pouillé, ils  ont  continué  l'exercice  du  ministère  ecclé- 


damnés  à  mort;  mais  il  ne  jugeait  pas  cette  mesure  avanta- 
geuse ;  l'emprisonnement  perpétuel  ou  la  déportation  produi- 
raient sans  doute  de  meilleurs  résultats. 


166     HISTOIRE   RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

siastique  jusqu'au  jour  où  la  Terreur  les  a  chassés 
des  églises,  incarcérés,  déportés  ou  guillotinés  avec 
autant  de  fureur  que  les  insermentés  leurs  frères.  Au 
lendemain  du  9  thermidor,  on  a  vu  reparaître  peu  à 
peu  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux;  dociles  à  la 
voix  de  leur  évoque  et  de  ses  courageux  vicaires,  les 
curés  du  Loir-et-Cher  ont  prêché  l'alliance  intime  du 
patriotisme  et  de  la  foi  religieuse  ;  ils  ont  encouragé, 
consolé,  calmé  souvent  des  populations  entières  ;  ils 
ont  bravé  jusqu'à  la  fin  de  1799  la  prison,  l'exil,  les 
outrages  de  toute  nature,  et  surtout  la  misère,  pour 
contribuer  dans  la  mesure  de  leurs  forces  au  rétablis- 
sement du  catholicisme.  «  Dieu  nous  dédommagera 
dans  l'éternité,  »  écrivait  l'un  d'entre  eux  à  Grégoire, 
et  celui-là,  comme  beaucoup  d'autres,  ne  pensait  qu'à 
accomplir  son  devoir,  qu'à  écouter,  suivant  l'expres- 
sion d'un  autre  de  ses  confrères,  «  le  cri  de  sa  con- 
science ».  On  a  pu  se  convaincre  que  les  curés  du 
Loir-et-Cher,  ainsi  que  leurs  confrères  des  autres  dé- 
partements, avaient  restauré  le  culte  avant  même 
que  Bonaparte  pût  songer  à  négocier  le  Concordat. 
Il  est  donc  juste  de  rendre  à  ces  constitutionnels  dont 
pas  un  n'a  émigré  un  hommage  mérité  ;  et  quant  à 
leur  évêque  Grégoire,  malgré  sa  fougue  parfois  irré- 
fléchie et  son  exaltation  condamnable  en  certaines 
circonstances,  tout  le  monde  avouera  que  c'était  du 
moins  un  parfait  honnête  homme  et  un  chrétien  pro- 
fondément convaincu.  «  Que  mes  diocésains  disent  ce 
«  qu'ils  ont  vu  et  ouï  de  leur  évêque,  lisons-nous  dans 
«  ses  Mémoires,  comme  Samuel  en  face  du  peuple 
«  hébreu,  quoique  pécheur,  je  puis  invoquer  leur 
«  témoignage  sur  ma  conduite.  »  Les  habitants  du 
Loir-et-Cher  n'ont  point  répondu  à  cet  appel  de  leur 


LE  DIOCÈSE  DE  BLOIS  SOUS  LE  CONSULAT  167 

évèque  ;  mais  on  vient  d'entendre  leurs  dépositions 
posthumes,  et  l'on  conviendra  sans  doute  qu'elles 
sont  favorables  à  Grégoire,  dont  la  conduite  comme 
évêque  de  Blois  est  véritablement  admirable. 


LIVRE  III 

GRÉGOIRE    ET    L'ÉGLISE    DE    FRANCE 
SOUS    LA    CONVENTION 

(1792  —  1793) 


CHAPITRE  PREMIER 

DÉBUTS   DE   LA   CONVENTION;    GRÉGOIRE   EN    MISSION 
A   CHAMBÉRY   ET  A   NICE 

On  a  vu,  dans  les  deux  premiers  livres  de  ces 
Etudes,  quel  fut  le  rôle  religieux  de  Grégoire  à  l'As- 
semblée constituante  jusqu'en  septembre  1791,  et 
dans  son  diocèse  du  Loir-et-Cher  jusqu'à  l'entière 
conclusion  du  Concordat;  mais  la  force  des  choses 
avait  fait  du  curé  d'Embermesnil  beaucoup  plus  qu'un 
simple  législateur  et  un  évèque  de  département;  il 
était  devenu  en  1791,  grâce  à  son  indomptable  éner- 
gie, à  l'étendue  de  son  savoir  et  à  la  sincérité  de  ses 
convictions,  le  patriarche  de  l'Eglise  constitutionnelle. 
Amis  et  ennemis  reconnurent  en  lui,  dès  le  premier 
jour  S  ceux-ci  le  coryphée  de  la  nouvelle  secte  *, 

1.  Déjà,  au  mois  d'août  1789,  le  cardinal  de  Rohan,  écrivant 
à  Grégoire,  lui  parlait  de  sa  réputation,  de  ses  ouvrages,  de  ses 
qualités  personnelles,  et  il  finissait  en  disant  :  «  Rendez  toute 
justice,  monsieur,  aux  sentiments  d'attachement  et  de  haute 
considération  que  vous  m'avez  inspirés.  •  [Lettre  vis.,  Saverne, 
1"  août  1789.) 

2.  «  Récitez  le   Confiteor.  —  Je   me  confesse  à  l'Assemblée 

10 


170      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

ceux-là  au  contraire  l'apôtre  d'un  catholicisme  épuré 
qui  devait,  pensaient-ils,  ramener  les  beaux  jours  de 
la  primitive  Église.  Mais  c'est  surtout  à  dater  du 
21  septembre  1792,  lorsqu'il  entre  à  la  Convention 
comme  député  du  Loir-et-Cher,  que  Grégoire  appar- 
tient d'une  manière  toute  particulière  à  l'histoire  re- 
ligieuse de  la  Révolution  française  :  sa  parole  et  ses 
exemples  guident  à  travers  les  difficultés  les  plus 
inextricables  cinquante  évoques  et  des  milliers  de 
prêtres  soumis  aux  lois;  il  arrête  les  défections  et 
détruit  l'effet  des  plus  grands  scandales;  il  montre 
aux  adversaires  du  christianisme  qu'une  foi  très  vive 
peut  s'allier  môme  avec  un  républicanisme  exalté;  il 
«  empêche  des  Vendées  »,  comme  il  a  pu  le  dire  avec 
un  légitime  orgueil,  et  c'est  grâce  à  lui  surtout  que  le 
sentiment  chrétien,  caché  pour  ainsi  dire  sous  la 
cendre  durant  la  Terreur,  se  ranime  avec  une  force 
étonnante  dès  la  fin  de  1794.  Telle  est  la  très  curieuse 
histoire  qu'il  nous  faut  étudier  maintenant,  non  plus 
seulement,  comme  l'a  fait  Bordas  Demoulin  *,  d'après 
les  mémoires  imprimés  de  Grégoire  lui-même,  mais 
en  remontant  pour  la  première  fois  aux  véritables 
sources,  en  compulsant  les  nombreuses  brochures  du 
temps,  les  procès-verbaux  de  conciles  et  de  synodes, 
les  registres  et  minutes  de  toute  sorte,  et  finalement 
les  milliers  de  lettres  autographes  qui  constituaient 
dans  la  bibliothèque  de  Grégoire  les  Ai'chives  de 
l'Église  constitutionnelle. 


toute-puissante...  aux  apôtres  saint  Grégoire  et  saint  Camus, 
à  tous  les  saints  de  la  Constitution,  etc..  »  {Livre   de  prières 
dédié  aux  vrais  patriotes,  pamphlet  royaliste.   1792,  73  pages 
in-8o.) 
1.  Essai  sur  la  Réforme  catholique,  p.  261,  394  et  sq. 


DÉBUTS  DE  LA  CONVENTION  ^71 

Personne  n'ignore  dans  quelles  conditions  se  réunit 
la  Convention  nationale  au  mois  de  septembre  1792  : 
le  sang  des  nobles  et  des  prêtres  massacrés  par  cen- 
taines fumait  encore  dans  les  prisons;  tout  présageait 
une  lutte  acharnée  entre  les  mandataires  du  peuple 
souverain  et  les  partisans  de  l'ancien  régime.  Les 
esprits  froids,  comme  Sieyès,  ne  se  faisaient  aucune 
illusion  et  désespéraient  de  la  chose  publique  '  ;  les 
exaltés,  et  Grégoire  était  alors  du  nombre,  atten- 
daient tout  de  la  nouvelle  assemblée  qui  allait  abolir 
enfin  la  royauté.  La  joie  de  se  sentir  en  République 
leur  ùtait  le  sommeil  *,  et  ils  s'imaginaient  que  làge 
d'or  devait  renaître  comme  par  enchantement;  ils  ne 
tardèrent  pas  à  être  détrompés.  Loin  de  châtier  les 
septembriseurs  qui  avaient  assassiné  surtout  des 
prêtres,  la  Convention  n'osa  même  pas  flétrir  cet 
épouvantable  forfait;  Grégoire  put  entendre  lire  à  la 
tribune  le  rapport  de  Tallien  sur  les  «  événements  », 
sur  «  l'expédition  »  du  2  septembre  ;  il  put  lire  dans 
ce  rapport  imprimé  ^  par  ordre  de  ses  nouveaux  col- 
lègues que  c'étaient  des  «  événements  terribles  sans 
doute,  qui  dans  un  temps  de  calme  eussent  dû  pro- 
voquer toute  la  vengeance  des  lois,  mais  sur  lesquels, 
dans  un  temps  de  révolution  et  d'agitation,  il  faut 


1.  Mémoires  de  Grégoire,  I,  410. 

2.  Ihid. 

3.  Convention  nationale.  Impr.  nationale,  6  pages  in-S".  — 
On  y  lit  entre  autres  cette  phrase  horrible,  relative  à  l'infor- 
tunée princesse  de  Lamballe  :  «  Une  seule  femme  périt  dans 
cette  circonstance;  mais,  nous  devons  le  dire,  ses  liaisons  avec 
l'ennemie  la  plus  acharnée  de  la  Nation,  avec  Marie-Antoinette 
{sic),  dont  elle  a  toujours  été  la  compagne  de  débauche,  justi- 
fient en  quelque  sorte  les  excès  auxquels  on  s'est  porté  à  cet 
égard.  «  —  Après  le  9  thermidor,  Chénier  et  les  autres  monta- 
gnards ne  parlaient  plus  de  ces  massacres  qu'avec  horreur. 


172     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

tirer  un  voile  et  laisser  à  l'histoire  le  soin  de  con- 
sacrer et  d'apprécier  cette  époque  de  la  Révolution, 
qui  a  été  beaucoup  plus  utile  quon  ne  pense  ». 

C'était  une  déclaration  de  guerre  au  catholicisme, 
et  cependant  six  mois  s'écoulèrent  sans  que  la  Con- 
vention rendit  un  seul  décret  contre  les  prêtres  :  elle 
se  contenta  d'appliquer  dans  toute  sa  rigueur  la  loi 
du  26  août  1792,  qui  contraignait  les  ecclésiastiques 
insermentés  ou  rétractés  à  sortir  du  royaume  dans  la 
quinzaine.  Les  insermentés  n'exerçaient  plus  leur 
culte  dans  aucune  église  ou  chapelle  publique;  ceux 
qui  n'avaient  pas  émigré  se  tenaient  soigneusement 
cachés,  et  il  ne  restait  plus  en  France  que  trente  ou 
quarante  mille  curés  ou  vicaires  *  prêchant  la  sou- 
mission la  plus  entière  au  gouvernement  républicain. 
Il  semble  donc  que  la  Convention  avait  intérêt  à  con- 
server de  tels  auxiliaires  et  môme  à  leur  prodiguer 
les  encouragements;  loin  de  là,  elle  se  retourna 
contre  eux  avec  fureur.  Montagnards  et  Girondins 
rivalisèrent  de  zèle  pour  les  persécuter,  et  l'on  put 
voir  que  les  philosophes  triomphants  se  proposaient 
bien,  comme  l'avait  souhaité  Voltaire,  «  d'écraser 
l'infâme  »,  d'anéantir  le  christianisme.  La  guerre 
commença,  suivant  la  coutume,  par  des  escarmou- 
ches, par  des  pamphlets  ou  par  des  discours  de  toute 
sorte.  Ainsi  l'on  publia  le  20  septembre  1792,  avant 
même  que  la  République  eût  été  proclamée,  une 
Messe  nationale  des   Français  ^  où   se  lisait   Vévan- 


i.  L'abbé  de  Pradt  estime  que  le  nombre  des  assermentés, 
en  1791,  s'éleva  à  60  000.  Les  quatre  concordats,  II,  34. 

2.  Messe  nationale  des  Français,  dédiée  à  Pie  VI  par  Gran- 
didier  de  Moyenvic,  in-4o.  Grégoire  a  écrit  en  marge  :  pièce 
impie.  Le  dernier  évangile   de  la   messe  était  parodié  de  la 


DÉBUTS  DE  LA  CONVENTION  173 

gile  suivant  :  «  En  ce  temps-là  la  stupidité  des 
peuples  engendra  les  rois;  la  mollesse  des  rois  en- 
gendra le  luxe  des  cours  ;  le  luxe  des  cours  engendra 
le  déficit;  le  déficit  engendra  l'Assemblée  nationale; 
l'Assemblée  nationale  engendra  la  prise  de  la  Bas- 
tille; la  prise  de  la  Bastille  engendra  la  liberté;  la 
liberté  engendra  l'abolition  de  la  royauté;  l'abolition 
de  la  royauté  engendra  la  République,  de  laquelle 
naîtra  la  félicité  du  peuple  français.  »  Neuf  jours 
plus  tard,  la  Commune  de  Paris,  la  même  qui  le  3  ou 
4  septembre  avait  payé  «  des  ouvriers  pour  avoir 
travaillé  dans  une  prison  »,  déclara  qu'à  partir  du 
l"  janvier  1793  les  gens  d'Eglise  ne  seraient  plus 
rétribués,  qu'ils  auraient  par  conséquent  à  se  pour- 
voir ailleurs  d'une  profession  plus  utile.  «  La  reli- 
gion est  aussi  mûre  que  la  royauté,  dit  alors  même 
je  ne  sais  plus  quel  conventionnel  à  la  tribune,  l'une 
doit  être  abolie  et  proscrite  comme  l'autre.  » 

Mais  ce  n'étaient  encore  que  des  attaques  isolées, 
sur  le  caractère  desquelles  bien  des  gens  se  mé- 
prirent, car  en  novembre  1792  le  ministre  de  l'inté- 
rieur. Roland,  adressait  «  aux  pasteurs  des  villes  et 
des  campagnes  »  une  circulaire  (on  serait  tenté  de 
dire  un  mandement,  car  cette  pièce  étrange  a  pour 
épigraphe   un   verset   du    psaume   XIX  ')   pour   les 


manière  suivante  :  «  Il  a  été  un  homme  envoyé  par  le  Seiorneur, 
cet  homme  s'appelait  Voltaire;  il  n'était  pas  la  liberté,  mais  il 
en  était  le  précurseur  et  l'apôtre,  etc.  » 

1.  Reges  obligati  sunt,  etc.  Imprimé,  3  pages  in-i".  —  C'est 
un  chef-d'œuvre  de  pédantisme  ;  Roland  parle  de  «  l'impertur- 
bable viation  du  pouvoir  exécutif  sur  la  ligne  de  la  loi  »;  il 
veut  qu'on  incite  le  peuple;  il  espère  enfin  qu'on  ne  tardera 
pas  à  faire  l'office  en  français  dans  les  paroisses,  et  que  l'in- 
fluence de  la  religion  sur  les  mœurs  deviendra,  sous  la  sanc- 

10. 


174     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

exhorter  h  entretenir  et  à  propager  autour  d'eux 
«  l'esprit  public,  le  respect  et  le  maintien  des  prin- 
cipes, du  sein  desquels  doit  sortir  un  gouvernement 
sage  et  durable,  et  avec  lui  l'amour  et  la  nécessité 
de  l'ordre,  la  religion  des  lois  ».  Il  avait  surtout  pour 
but  de  demander  aux  curés  la  suppression  du  Domine 
salvum  fac  regem  ',  et  il  ajoutait  :  «  Ministres  de 
l'Evangile,  votre  mission  est  sublime,  si  vous  l'amal- 
gamez en  quelque  sorte  avec  celle  de  nos  infatigables 
législateurs.  » 

Vers  la  même  époque,  et  sans  doute  pour  faciliter 
cet  amalgame,  le  député  Cambon  reprit  la  motion 
faite  naguère  à  la  Législative  par  Ramond,  Jean 
Debry  et  Torné  ;  il  proposa,  au  nom  du  Comité  des 
finances,  de  «  décharger  la  nation  des  frais  du  culte 
catholique  et  de  l'entretien  de  ses  ministres  ».  Ce 
projet  de  loi  fut  déposé  seulement  le  16  novembre, 
mais  on  en  parlait  depuis  quelque  temps  déjà,  et  il 
se  trouva  des  orateurs  et  des  écrivains  pour  défendre 
à  la  Convention,  aux  Jacobins  et  dans  les  journaux 
le  clergé  patriote  que  Cambon  et  ses  amis  voulaient 
réduire  au  désespoir.  Daubermesnil,  député  du  Tarn, 
homme  «  indépendant  »,  dont  le  culte  était  «  l'ado- 
ration pratique  d'un  Dieu  »,   et  qui  proposait  à  la 

lion  de  la  philosophie,  une  vérité  pratique,  etc.  C'est  à  coup 
sûr  une  pièce  à  laquelle  Mme  Roland  n'a  pas  mis  la  main. 

1.  Le  4  septembre  1870,  jour  où  le  second  empire  fut  ren- 
versé à  la  suite  du  désastre  de  Sedan,  était,  comme  l'on  sait, 
un  dimanche.  A  Notre-Dame  on  chanta  le  matin  à  la  grand'- 
messe  le  Domine  salvum  fac  imperatorem;  le  soir,  au  salut,  ou 
ne  chanta  rien  du  tout;  le  dimanche  suivant,  à  la  messe  et  au 
salut,  on  chanta  Domine  salvam  fac  Rempublicain.  —  Récit  d'un 
témoin.  —  Le  clergé  patriote  de  1792  a  dû  agir  de  la  même 
manière  dès  le  23  septembre,  deux  jours  après  la  proclamation 
de  la  République. 


DÉBUTS  DE  LA  CONVENTION  175 

nation  d'honorer  ce  Dieu  avec  quelques  grains  d'en- 
cens, des  libations  et|des  hymnes,  Daubermesnil  inter- 
vint dans  la  discusssion  et  prouva  que  les  prêtres 
étaient  utiles  à  la  République.  «  Ils  ont,  disait-il, 
prêché  lamour  des  lois,  l'obéissance  aux  autorités; 
ils  ont  embrasé  les  cœurs  de  leurs  concitoyens  du 
feu  de  la  liberté  ;  nous  leur  devrions  par  reconnais- 
sance ce  que  nous  ne  devons  pas  leur  ôter  sans  injus- 
tice *.  »  Le  18  novembre,  c'étaient  des  «  citoyens 
catholiques  de  la  ville  de  Paris  »  qui  adressaient  une 
pétition  à  la  Convention  nationale  pour  demander 
contre  Cambon  le  maintien  du  budget  des  cultes  ^. 
La  discussion  publique  fut  renvoyée  au  19  novembre, 
puis  à  une  date  ultérieure,  puis  enfin  au  30  novembre, 
le  jour  même  où  Grégoire  devait  occuper  pour  la 
quinzième  et  dernière  fois  le  fauteuil  de  la  présidence. 
Cette  discussion  fut  intéressante,  et  l'on  vit  des 
hommes  comme  Bazire,  qui  aimait  mieux  «  l'enfer 
avec  Voltaire  que  le  paradis  avec  saint  Labre  ^  », 
comme  La  Planche,  qui  se  vantait  de  n'être  pas  un 
Maury  subalterne,  déclarer  que  le  projet  de  Cambon 
tait  impolitique,  injuste  et  immoral.  «  Après  les 
rois,  disait  le  prêtre  apostat  La  Planche,  les  mauvais 
prêtres  sont,  selon  moi,  les  plus  terribles  fléaux  du 
genre  humain.  »  Il  faisait  ensuite  un  grand  éloge 

1.  Imprimerie  nationale,  1192,  11  pages  in-S".  Daubermesnil 
évaluait  le  budget  des  cultes  à  environ  60  000  000  pour  84  évê- 
chés  et  44  000  cures:  mais,  disait-il,  la  moitié  seulement  des 
paroisses  a  des  prêtres  salariés,  et  la  somme  à  répartir  ne 
dépasserait  pas  33  000  000.  Il  constatait  que  dans  les  campagnes 
les  riches  seuls  étaient  dissidents. 

2.  4  pages  in-4'';  chez  la  veuve  Hérissant,  rue  ^'euve-^'otre- 
Dame. 

3.  «  Assimilez  si  vous  voulez  les  dévots  à  des  fous,  disait 
Bazire,  la  législation  n'a  jamais  détruit  les  fous.  » 


176     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

des  constitutionnels,  et  se  plaisait  à  reconnaître  que 
«  les  succès  si  difficiles  de  cette  étonnante  révolution 
étaient  en  partie  leur  ouvrage,  parce  qu'ils  avaient 
appris  aux  peuples  séduits  ou  chancelants  à  chérir 
la  patrie  et  à  respecter  la  loi  »  ;  il  concluait  en 
demandant  la  question  préalable  *.  Philippe  Druhle, 
enfin,  se  plaçant  au  cœur  même  du  sujet,  se  déclarait 
partisan,  «  non  pas  de  la  tolérance,  car  ce  mot  est 
un  reste  d'esclavage  qui  doit  disparaître  de  notre 
langue  %  mais  du  libre  exercice  de  tout  culte  qui 
prêche  la  soumission  aux  lois,  la  pratique  des  vertus 
morales  et  l'amour  des  devoirs  ».  «  Supprimer  le 
budget  des  cultes,  disait-il  ensuite,  ce  serait,  après 
avoir  aboli  la  royauté,  en  garder  le  plus  odieux  apa- 
nage, celui  de  manquer  impunément  à  sa  parole... 
Les  prêtres  ont,  dans  l'ascendant  de  leur  ministère, 
un  moyen  puissant  de  faire  aimer  notre  Révolution  ; 
faisons  qu'ils  l'aiment  eux-mêmes;  plaçons-les  dans 
la  loi  pour  ne  pas  avoir  hors  de  la  loi  des  agents 
dangereux  et  cachés  '.  »  Comme  les  précédents, 
Druhle  concluait  au  maintien  du  budget  dés  cultes; 
Robespierre  fut  de  cet  avis  *,  et,  malgré  les  démarches 
de  la  Commune,  maigre  les  déclamations  de  quelques 
feuilles  révolutionnaires,  la  Convention  fit  preuve  de 
sagesse;  elle  déclara  le  30  novembre  1792  qu'elle  ne 

1.  Opinion...  impr.  28  novembre,  an  1er  de  la  Rép. 

2.  On  ne  tolère  en  effet  que  ce  qu'on  aurait  le  droit  d'empê- 
cher. 

3.  Opinion...,  4  décembre  1792,  an  1er  de  la  Rép.,  H  pages  in-8». 

4.  Cf.  de  Pressensé,  VÉglise  et  la  Révolution  française,  p.  262. 
—  Bûchez  et  Roux,  XV.  —  Moniteur,  1792,  337.  Robespierre, 
comme  plus  tard  Napoléon,  avait  ses  raisons  pour  ne  pas 
admettre  l'émancipation  du  clergé,  qu'il  considérait  comme  un 
instrumentum  regni. 


DÉBUTS  DE  LA  CONVENTION  177 

supprimerait  pas  le  traitement  des  ecclésiastiques. 
Un  certain  nombre  de  députés  avaient,  comme  Dan- 
ton, apporté  quelques  restrictions  à  leur  vote  :  ils 
demandaient  que  l'on  conservât  les  prêtres  jusqu'au 
jour  où  l'on  aurait,  pour  instruire  le  peuple,  «  des 
officiers  de  morale  ». 

Mais  le  peuple,  qui  ne  peut  saisir  ces  distinctions 
par  trop  subtiles,  tenait  à  son  culte  et  à  ses  prêtres. 
Quelques  mois  auparavant,  il  avait  suivi  dévotement 
les  processions  de  la  Fête-Dieu  :  malgré  le  mauvais 
temps  et  les  excitations  perfides  de  la  Commune,  on 
avait  tendu  beaucoup  de  maisons  et  interrompu  de 
tous  côtés  les  travaux;  les  voituriers  avaient  laissé 
le  passage  libre,  et  l'on  avait  pu  voir  des  protestants, 
comme  l'ambassadeur  de  Hollande,  tapisser  à  leurs 
frais  les  murs  de  leur  hôtel  ou  payer  spontanément 
leur  part  de  la  musique  militaire  qui  accompagnait 
le  cortège.  Le  24  décembre  de  cette  même  année, 
Manuel  et  la  Commune  ayant  notifié  vers  sept  heures 
du  soir,  lorsque  les  cierges  étaient  allumés  et  l'office 
déjà  sonné,  l'ordre  de  fermer  toutes  les  églises  durant 
la  nuit  de  Noël,  il  y  eut  dans  Paris  une  sédition  vrai- 
ment populaire  :  la  foule  assiégea  les  édifices  du 
culte  et  exigea  des  curés  la  célébration  solennelle  de 
la  messe  de  minuit  *.  On  sait  enfin  que  Manuel, 
traîné  à  l'échafaud  Tannée  suivante  comme  fédéra- 
liste, fut  insulté  par  des  fruitières  et  par  des  blan- 


i.  Ce  fait  est  rapporté  partout,  notamment  dans  les  Nouvelles 
ecclésiastiques  ou  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la  Con- 
stitution Cnigenitus ,  numéro  du  20  mars  1193.  Celte  feuille, 
très  suspecte  de  partialité  quand  il  s'agit  des  Jésuites,  con- 
tient au  sujet  des  événements  de  cette  époque  quelques  ren- 
seignements qu'on  ne  trouverait  pas  ailleurs. 


178     HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

chisseuses  qui  criaient  :  «  C'est  bien  fait,  c'est  lui  qui 
voulait  nous  empêcher  d'aller  à  la  messe  M  »  La 
Convention,  de  complicité  avec  la  Commune,  se  pro- 
posait d'anéantir  le  christianisme;  mais  en  cela  elle 
agissait  contre  la  volonté  formelle  de  la  nation  ^  et 
les  conventionnels  sensés  espéraient  qu'elle  n'oserait 
pas  commettre  un  pareil  crime  et  une  si  grande  faute. 
Telle  était  la  situation  lorsque  Grégoire,  après 
avoir  présidé  la  redoutable  Assemblée  durant  quinze 
jours  et  contribué  peut-être,  au  moins  par  sa  pré- 
sence en  costume  d'évêque,  au  maintien  des  traite- 
ments ecclésiastiques,  partit  pour  Chambéry  avec  ses 
trois  collègues  :  Hérault-Séchelles,  Jagot  et  Simond. 
Ils  étaient  chargés  d'organiser  les  départements  du 
Mont-Blanc  et  des  Alpes-Maritimes,  nouvellement 
réunis  à  la  France,  et  ils  s'acquittèrent  de  cette  mis- 
sion difficile  avec  zèle  et  avec  intégrité  ^,  C'est  de 
Chambéry,  comme  l'on  sait,  que  ces  quatre  députés 
écrivirent  à  la  Convention,  le  20  janvier  1793,  la 
lettre  malencontreuse  qui  a  donné  lieu  à  cette  accu- 
sation de  régicide  souvent  réduite  à  néant  par  Gré- 
goire et  par  ses  amis,  mais  toujours  reprise  avec  une 


1.  Du  fanatisme  et  des  cultes,  par  Baudin,  représentant  du 
peuple.  Paris,  an  III,  80  pages  in-8°.  «  Je  l'ai  entendu  »,  dit  en 
propres  termes  l'auteur  de  ce  charmant  opuscule,  qui  mérite- 
rait les  honneurs  d'une  réimpression. 

2.  «  Sur  l'objet  de  la  religion,  la  Convention  fut  en  révolte 
ouverte  contre  la  volonté  du  peuple.  »  Grégoire,  Compte  rendu 
au  Concile...,  p.  1. 

3.  Grégoire  et  Jagot  ont  publié  le  compte  rendu  de  leur 
mission;  ils  avaient  dû  emporter  beaucoup  plus  de  numéraire 
que  d'assignats;  ils  économisèrent  l'argent  de  la  patrie  avec 
une  parcimonie  toute  républicaine;  souvent  les  déjeuners  de 
Grégoire  coûtaient  juste  deux  sous  à  la  République;  il  se  con- 
tentait d'un  morceau  de  pain  et  d'une  orange. 


GRÉGOIRE  A  CHAMBÉRY  ET   A  NICE  179 

insigne  mauvaise  foi  par  ses  ennemis  politiques  ou 
par  ses  adversaires  religieux.  Grégoire  s'était  montré 
en  plusieurs  circonstances,  et  nous  avons  saisi  l'oc- 
casion de  l'en  blâmer,  bien  dur  et  bien  injuste  pour 
l'infortuné  Louis  XVI;  à  la  Convention   même,  en 
novembre  1792,  il  avait  réclamé  la  mise  en  accusa- 
tion du  «  parjure  »;  mais  il  demandait  en   même 
temps  que  la  peine  de  mort  disparût  à  jamais  de  nos 
lois,  et  que  Louis  fût  le  premier  à  bénéficier  de  cette 
abolition.  Comme  prêtre  et  comme  législateur,  il  ne 
se  croyait  pas  le  droit  d'ôter  la  vie  à  son  semblable, 
et,  dans  le  cas  particulier  dont  il  s'agit,  il  voulait 
condamner  le  roi,  «  ce  grand  coupable  »,  comme  il 
ne  craignait  pas  de  l'appeler,  à  contempler  long- 
temps le  bonheur  d'un  peuple  libre.  L'évêque  Fauchet 
disait  en  pleine  Convention  :  «  Le  ci-devant  roi  est 
jugé.  Il  a  mérité  plus  que  la  mort.  Les  vrais  principes 
de  l'éternelle  justice  condamnent  le  tyran  déchu  au 
long  supplice  de  la  vie  au  milieu  d'un  peuple  libre.  » 
Grégoire  ne  se  serait  pas  exprimé  autrement;  il  a 
signé,    lui   quatrième,   la   lettre    que    son   collègue 
Hérault  de  Séchelles  avait  rédigée  pour  faire  oublier 
sa  naissance  aristocratique,  mais  il   ne  l'a  signée 
qu'après  avoir  exigé  la  radiation  des  mots  à  mort.  La 
lettre  existe  aux  Archives  nationales;  les  mots  à  mot-t 
sont  bel  et  bien  rayés;  pourquoi  donc  employer  si 
légèrement  l'expression  de  «  prélat  régicide  »,  au 
lieu  d'ouvrir  les  yeux  à  l'évidence  et  de  s'en  rap- 
porter au  moins  suspect  de  tous  les  juges,  au  roi 
Louis  XVIII  en  personne?  La  seconde  Restauration  a 
exilé  tous  les  régicides,  à  l'exception  du  ministre 
Fouché;  elle  n'a  jamais  inquiété  Grégoire,  qui  s'est 
vu  seulement  exclure  de  l'Institut  comme  indigne,  et 


180     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

repousser  au  même  titre  de  la  Chambre  des  députés 
où  les  électeurs  de  l'Isère  l'avaient  envoyé  en  1819. 
Mais  il  faut  laisser  une  fois  pour  toutes  ces  discus- 
sions inutiles  et  revenir  à  ce  qui  fait  uniquement 
l'objet  de  ces  études,  au  rôle  religieux  de  Grégoire 
après  1792.  Il  n'oublia  pas,  lors  de  son  voyage  à 
Chambéry  et  à  Nice,  ce  qu'il  considérait  comme  la 
partie  la  plus  importante  et  la  plus  délicate  de  sa 
mission;  il  mêla  du  religieux  aux  affaires  politiques, 
de  même  que  Louvois  mêlait  jadis  du  militaire  aux 
affaires  de  religion  ;  il  se  conduisit  en  commissaire  de 
la  Convention  nationale,  mais  aussi  en  prêtre  et  même 
en  missionnaire  ^  Sa  tâche,  à  ce  dernier  point  de 
vue,  pouvait  être  particulièrement  embarrassante, 
puisque  la  Savoie  était  encore  soumise  à  l'ancien 
régime  ecclésiastique  ;  mais  Grégoire  ne  rencontra 
pas  de  difficultés  insurmontables.  La  presque  una- 
nimité des  Savoisiens  s'étaient  jetés  librement  dans 
les  bras  de  la  République  française,  et  la  petite 
Assemblée  nationale  des  Allobroges  adoptait  par  avance 
toutes  les  parties  de  la  Constitution  de  1791  «.  Elle 

1.  Les  exaltés  de  la  Savoie  se  plaignaient  qu'on  leur  eût  en- 
voyé «  deux  calotins  (Grégoire  et  Simond),  un  ci-devant  (Hérault) 
et  un  individu  que  personne  ne  connaît  (Jagot)  ».  Réponse  du 
citoyen  Simond  à  un  imprimé,  etc.  Anneci,  20  pages  in-8». 

2.  Adresse  de  la  Société  altobroge  des  amis  de  la  liberté  et  de 
Végalité  séante  à  Chambéry  aux  Savoisiens,  20  pages  in-S".  — 
Les  députés  ds  Savoie  à  l'Assemblée  nationale  des  Belges, 
4  pages  in-8°.  —  Procès-verbaux  de  l'Assemblée  nationale  des 
Allobroges,  78  pages  in-S».  Le  3  décembre  1192,  on  lut  à  la 
Commission  provisoire  d'administration  du  département  du 
Mont-Blanc  une  pétition  du  citoyen  Arnaud,  ci-devant  capucin, 
«qui  demande  qu'il  soit  offert  le  jour  suivant  un  sacrifice  à 
l'Etre  suprême  en  action  de  grâces  de  l'incorporation  à  la  Ré- 
publique française,  et  d'être  en  même  temps  admis  à  jurer  le 
premier,  dans  le  déparlement  du  Mont-Blanc,  qu'il  gardera  et 


GRÉGOIRE  A  CHAMBÉRY  ET  A  NICE  181 

avait,  relativement  au  clergé,  les  mêmes  idées  que  la 
plupart  des  philosophes  français,  et  voici  en  quels 
termes  les  «  députés  des  AUobroges  auprès  de  la 
Convention  nationale  de  France  »,  les  citoyens  Doppet, 
Favres,  Dessaix  et  Villar,  s'adressaient  en  octobre  1792 
à  l'Assemblée  nationale  des  Belges  :  «  ...  Vos  prêtres, 
les  nôtres,  ceux  du  monde  entier,  en  couvrant  leur 
ignorance  du  voile  absurde  de  la  superstition,  ont 
su  prendre  sur  la  faiblesse  des  hommes  un  tyran- 
nique  empire  ;  les  fastes  les  plus  reculés  dans  la  nuit 
du  temps  nous  présentent  une  longue  énumération 
des  scènes  sanglantes  causées  par  la  fureur  et  l'am- 
bition de  la  gent  sacerdotale;  il  est  temps  de  détruire 
le  prestige  vain  qui  fascinait  les  yeux  de  nos  crédules 
ancêtres  ;  comme  tous  les  peuples  qui  veulent  devenir 
libres,  renfermez  dans  les  bornes  étroites  de  leur 
ministère  ceux  entre  les  mains  de  qui  une  imbécile 
crédulité  plaçait  le  destin  général  ;  qu'ils  apprennent, 
par  une  longue  étude  des  vertus  civiques,  à  mériter 
le  titre  de  citoyen;  alors  la  confiance  que  vous  accor- 
derez ne  deviendra  plus  dangereuse  ;  alors  seulement 
vous  serez  sans  troubles  et  pourrez  penser  qu'un 
prêtre  peut  être  utile  dans  un  Etat.  »  C'était  deman- 
der en  termes  peu  courtois  une  Constitution  civile  du 
clergé  savoisien,  et  les  actes  suivirent  de  près  les 
paroles.  Un  membre  de  l'Assemblée  demanda,  le 
25  octobre,  que  les  biens  du  clergé  fussent  déclarés 
nationaux,  que  la  subsistance  des  prêtres  fût  assurée 


défendra  au  péril  de  sa  vie,  s'il  le  faut,  la  Constitution  civile 
du  clergé.  Cette  pétition,  convertie  en  motion  par  plusieurs 
membres,  est  adoptée  à  l'unanimité,  avec  mention  civique  de 
TolTre  du  pétitionnaire  quant  au  serment.  —  Procès-verbal  de 
la  se'ance  de  ce  jour,  31  pages  in-S". 

11 


182     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

par  la  sagesse  de  ses  confrères,  et  qu'enfin  la  dîme 
fût  supprimée.  On  renvoya  ces  différentes  motions  au 
Comité  de  législation.  Le  lendemain,  26,  l'évêque  de 
Chambéry,  accompagné  de  son  chapitre  et  de  plu- 
sieurs ecclésiastiques,  fut  admis  à  la  barre  de  l'As- 
semblée et  prononça  le  discours  suivant  : 

«  Citoyens, 

«  Le  clergé  de  cette  ville  vient  offrir  ses  hommages 
«  à  la  Nation  et  l'assurer  de  son  zèle  à  maintenir  les 
«  vrais  principes  de  la  religion;  il  n'emploiera  la  con- 
«  fiance  que  les  peuples  pourraient  lui  accorder  que 
«  pour  leur  inspirer  la  soumission  aux  lois  qui  carac- 
«  térisera  toujours  le  vrai  citoyen.  Nous  sommes  per- 
«  suadés  que  cette  glorieuse  époque  sera  celle  du 
«  bonheur  et  de  la  félicité  de  la  nation  allobroge,  et 
«  que  la  postérité  la  plus  reculée  sera  pénétrée  de  la 
«  plus  vive  reconnaissance  pour  le  bienfait  signalé 
«  que  la  République  française  vient  de  lui  procurer.  » 

En  s'exprimant  ainsi,  l'évêque  de  Chambéry  sous- 
crivait par  avance  à  tous  les  changements,  ou  prenait 
du  moins  l'engagement  de  se  retirer  sans  faire  d'op- 
position; le  vice-président  Doppet  prit  acte  de  cette 
déclaration  dans  sa  réponse  au  clergé  : 

«  ...  Si,  dans  la  révolution  à  laquelle  la  France 
«  doit  sa  liberté,  tous  les  ecclésiastiques  se  fussent,. 
«  comme  vous,  rappelé  les  vérités  de  l'Évangile,  les. 
«  presses  de  Coblentz  n'eussent  pas  vomi  tant  de 
«  mandements  incendiaires  et  ridicules...  Si  le  peuple 
«  souverain  vient  à  réclamer  ce  que  des  usages  mal- 
«  entendus   lui   ravirent,  croyez   que  l'homme   ver- 


GRÉGOIRE  A  CHAMBÉRY  ET   A  NICE  ISS 

«  tueux,  qui  sait  distinguer  ia  religion  du  religieux, 
«  est  bien  payé  de  quelques  sacrifices  qu'il  lui  en 
<(  coûte  par  l'estime,  la  confiance  et  l'amitié  de  tous 
«  ses  concitoyens.  » 

Aussi  la  petite  assemblée  des  Allobroges  rendit- 
elle  le  26  octobre  un  certain  nombre  de  décrets  rela- 
tifs à  la  sécularisation  des  biens  du  clergé.  Voici  les 
principaux  : 

Art.  XVil.  —  Les  nominations  aux  bénéfices  qui  ap- 
partenaient au  ci-devant  duc  de  Savoie,  aux  ci-devant 
seigneurs,  patrons  laïques,  ou  autres  que  l'évêque 
diocésain,  sont  dévolues  à  la  Nation. 

Art.  XVIII.  —  La  commission  provisoire  d'admini- 
stration en  reste  seule  chargée,  et  ne  pourra  y  pro- 
céder quen  cas  d'urgence. 

Art.  XIX.  —  Lorsqu'il  s'agira  d'une  cure  vacante  à 
laquelle  lévèque  est  en  coutume  de  nommer,  les 
communes  pourront  lui  présenter  trois  individus  ec- 
clésiastiques domiciliés  dans  le  diocèse,  entre  les- 
({uels  il  sera  tenu  de  choisir  pour  faire  le  remplace- 
ment. 

Art.  XX.  —  Les  curés  des  communes  au-dessous 
de  500  individus  ne  pourront  être  remplacés  que 
sur  l'avis  de  la  Commission  d'administration  provi- 
soire, etc. 

C'était,  comme  on  le  voit,  une  petite  Constitution 
civile  à  l'image  de  celle  qui  troublait  la  France 
depuis  deux  ans.  Aussi  les  quatre  commissaires  de  la 
Convention  n'étonnèrent-ils  personne  quand  ils  firent 
afficher,  le  8  février  1793,  près  de  deux  mois  après 
leur  arrivée  à  Chambérv,  l'Instruction  de  l'Assemblée 


184     HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE   LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

constituante  sur  la  Constitution  civile  du  clergé  K 
L'évêque  de  Chambéry  lui-môme,  le  vénérable  Con- 
seil, subit  sans  murmurer  la  loi  du  plus  fort;  il  se 
considéra  comme  destitué,  et  M.  H.  Carnot  nous 
apprend  que  Grégoire  et  lui,  deux  hommes  du  monde 
en  définitive,  vécurent  en  fort  bonne  intelligence  ^ 
Etant  donné  le  petit  discours  qu'on  vient  de  lire, 
la  chose  ne  paraît  pas  douteuse;  Conseil  peut  très 
bien  avoir  dit  qu'il  était  «  trop  vieux  pour  changer 
de  religion  '  »  et  avoir  néanmoins  autorisé  Grégoire 
à  célébrer  la  messe  dans  sa  cathédrale.  Mais  en 
Savoie,  comme  partout  ailleurs,  le  mauvais  arbre 
porta  de  mauvais  fruits  ;  la  Constitution  civile  suscita 
des  oppositions  très  vives,  et  beaucoup  de  Savoisiens, 
par  scrupule  de  conscience  ou  par  calcul  intéressé, 
ne  voulurent  point  accepter  cette  partie  de  la  Consti- 
tution française.  Il  y  eut  çà  et  là  de  graves  désordres  ; 
un  grand  nombre  d'ecclésiastiques,  entraînés  par  des 
émigrés  français  et  notamment  par  Juigné,  arche- 
vêque de  Paris,  et  par  Thémines,  ancien  évéque  de 
Blois,  émigrèrent  à  leur  tour,  emportant  les  objets 
du  culte  et  les  ornements  sacerdotaux.  Des  femmes 
ameutées  arrachèrent  les  proclamations  et  «  égrati- 
gnèrent  avec  rage  les  arbres  de  la  liberté  ».  Il  fallut 
employer  la  persuasion  pour  les  calmer,  et  parfois 
même  recourir  à  la  force.  Grégoire  fit  venir  des  dé- 
partements   voisins    quelques    assermentés    connus 

1.  Un  placard.  Bibl.  nat.,  Lb*!,  443.  On  trouve  sous  la  même 
cote  presque  tous  les  documents  relatifs  à  l'anne.xion  de  la 
Savoie  et  de  Nice. 

2.  Mémoires  de  Grégoire,  I,  62. 

3.  Ce  mot  est  rapporté,  d'après  un  article  de  journal  très 
hoslile  à  Grégoire,  par  M.  H.  Carnot.  —  Mémoires  de  Grégoire, 
ibid. 


GRÉGOIRE  A  CHAMBÉRY  ET  A  NICE  185 

pour  leur  éloquence,  et  répandit  à  profusion  les 
apologies  imprimées  de  la  Constitution  civile  ;  son 
collègue  Simond,  Savoisien  et  jadis  prêtre,  fit  une 
propagande  très  active  ;  Hérault-Séchelles  enfin  ne 
dédaigna  pas  d'intervenir  et  publia  un  joli  Dialogue 
enb'e  un  électeur  du  département  du  Mont-Blanc  et 
un  des  commissaires  de  la  Convention  sur  le  serment 
civique  *.  Il  est  vrai  qu'en  venant  ainsi  au  secours  de 
la  Constitution,  Hérault  lui  décochait  une  flèche  de 
Parthe,  car  il  disait  en  finissant,  et  cela  aux  applau- 
dissements de  son  interlocuteur  :  «  Citoyens,  voulez- 
vous  des  prêtres?  payez-les.  Les  spiritualisations  ne 
sont  pas  de  notre  compétence,  nous  ne  connaissons 
que  des  hommes  et  des  citoyens  »  ;  et  il  concluait  en 
exhortant  les  Savoisiens  à  élire  un  évêque. 

Ces  différents  moyens  ne  suffisant  pas,  les  commis- 
saires se  virent  contraints  de  requérir  la  force  armée 
pour  expulser  les  perturbateurs,  et  la  Constitution 
civile  fut  établie.  On  réduisit  à  un  seul  les  quatre 
diocèses  de  l'ancienne  Savoie,  et,  comme  les  anciens 
titulaires  se  refusaient  à  prêter  serment,  l'assemblée 
des  électeurs  nomma  d'office,  mais  seulement  en 
avril,  après  le  départ  de  Grégoire,  un  évêque  du  Mont- 
Blanc  :  ce  fut  le  citoyen  François-Thérèse  Panisset, 
homme  sans  consistance,  qui  devait  apostasier  l'an- 
née suivante  sous  le  proconsulat  d'Albitte,  et  rétracter 
ensuite  son  serment  lorsque  les  constitutionnels  de 
France  prétendirent  lui  imposer  une  pénitence  ca- 
nonique en  expiation  de  ses  scandales  ^. 

1.  47  pages  in-8».  Bibl.  nationale.  —  Imprimerie  de  l'armée 
des  Alpes. 

2.  Il  avait  un  fonds  de  piété,  de  vertu,  et  même  d'érudition,^ 
mais  il  était  d'une  simplicité  inouïe.  —  Lettre  ms.  d'un  prêtre 
d'Annecy  à  Grégoire  Çl  messidor  an  III). 


186     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Les  choses  se  passèrent  de  la  même  manière  dans 
les  Alpes-Maritimes,  où  Grégoire  et  Jagot  se  rendirent 
au  commencement  de  mars  1793.  Là  encore  la  révo- 
lution religieuse  avait  été  adoptée  en  principe  bien 
avant  l'arrivée  des  commissaires  français,  car  la  ville 
et  le  ci-devant  comté  de  Nice  disaient  dans  leur  Adresse 
à  la  Convention  nationale  ^  :  «  On  nous  a  demandé  au 
nom  de  la  nation  les  trésors  qui  lui  appartenaient, 
les  richesses  des  églises,  les  biens  des  couvents,  ces 
dépôts  sacrés  des  peuples,  ces  ressources  fécondes 
dans  les  calamités;  nous  les  avons  fidèlement  consi- 
gnées à  la  nation  qui  nous  avait  adoptés.  »  La  Con- 
stitution civile  du  clergé  fut  donc  implantée,  en  mars 
4793,  sur  le  littoral  de  la  Méditerranée,  avec  moins 
de  difficultés  qu'elle  ne  l'avait  été  dans  les  montagnes 
delà  Savoie.  L'évoque  de  Nice,  Valperga  de  Maglion  ^, 
refusa  le  serment  prescrit  et  quitta  la  France  ;  mais 
la  guerre  et  la  Terreur  empêchèrent  de  lui  donner 
un  successeur,  et  si  la  fameuse  Constitution  de  1793 
ne  fut  pas  appliquée  en  France,  la  Constitution  civile 
ne  le  fut  pas  davantage  dans  le  département  des 
Alpes-Maritimes.  Le  diocèse  fut  administré  tant  bien 
que  mal,  jusqu'au  Concordat,  par  un  vicaire  géné- 
ral, plus  italien  que  français,  dont  il  existe  quel- 
ques lettres  affectueuses  dans  les  papiers  de  Gré- 
goire 3. 

1.  4  novembre  1792,  10  pages  in-8°,  impr.  par  ordre  de  la 
Convention.  Le  passage  cité  a  été  souligné  par  Grégoire. 

2.  Grégoire  a  conservé  la  Traduction  française  de  la  lettre 
pastorale  de  Mgr  Vévêque  de  Nice,  du  22  août  1793.  C'est  un 
mandement  très  vif  contre  la  France  et  contre  l'Église  consti- 
tutionnelle. —  16  pages  in-80. 

3.  II  se  nommait  Garidely,  et  ses  lettres  sont  d'un  français 
très  chargé  d'italianismes. 


GRÉGOIRE  A  CHAMBÉRY  ET  A  NICE  187 

Ainsi  se  termina  la  mission  politico-religieuse  de 
l'évêque  de  Blois  dans  le  sud-est  de  la  France  ;  il  en 
a  publié  un  compte  rendu  en  1793,  mais  on  conçoit 
qu'il  ne  pouvait  s'étendre  comme  il  laurait  voulu  sur 
la  manière  dont  il  avait  traité  les  questions  reli- 
gieuses. Ce  qu'il  n'osa  pas  dire  à  la  Convention,  ses 
mémoires  posthumes  nous  l'apprennent  :  Grégoire  ne 
négligea  rien  pour  «  faire  aimer  la  religion  »  ;  mis- 
sionnaire convaincu  autant  que  patriote  fougueux, 
il  glorifia  la  République  et  prêcha  l'Evangile,  sa  pa- 
role et  ses  exemples  entraînèrent  les  populations  et 
il  fît  partout  de  nombreux  adeptes.  Dix  mois  plus 
tard,  le  misérable  Albitte  parcourut  à  son  tour  le 
département  du  Mont-Blanc,  détruisant  les  églises, 
incarcérant  les  prêtres,  provoquant  des  apostasies; 
l'œuvre  de  Grégoire  fut  anéantie. 


CHAPITRE  II 


PERSECUTION  RELIGIEUSE;  INTERDICTION  DU  CULTE; 
LA   TERREUR 

Revenu  de  Nice  à  Paris,  le  21  mai  1793,  Grégoire 
trouva  la  Convention  tout  autre  qu'il  ne  l'avait  laissée 
six  mois  auparavant.  Ce  n'était  plus,  dit-il  dans  ses 
Mémoires,  cette  assemblée  majestueuse  qui  fondait 
la  République  sous  le  feu  des  batteries  prussiennes  ; 
c'était  une  sorte  de  club,  une  succursale  des  Jacobins 
où  régnaient  «  deux  ou  trois  cents  individus  qu'il 
faut  bien  n'appeler  que  scélérats,  puisque  la  langue 
n'offre  pas  d'épithète  plus  énergique  ».  Déjà,  lors  du 
procès  de  Louis  XVI,  on  avait  pu  voir  ces  forcenés  à 
l'œuvre.  «  On  courait  risque  de  la  vie,  si  l'on  ne  votait 
pas  la  mort  du  roi,  dit  le  courageux  évoque  Wan- 
delaincourt,  qui  vota  le  bannissement  après  la  paix  ; 
un  nommé  Robert,  mon  voisin,  tenait  un  pistolet,  et 
me  menaça  de  me  tuer  si  je  ne  votais  la  mort  *.  » 

1.  Le  citoyen  W andelaincourt  au  citoyen  Sicard  ;  impr., 
5()  pages  in-8o.  Il  y  avait  deux  conventionnels  du  nom  de 
Robert  :  l'un  d'eux  avait  été  envoyé  par  le  département  des 
Ardennes;  l'autre,  mari  de  Mlle  Kéralio,  faisait  à  Paris  le  com- 
merce de  l'épicerie;  on  le  désignait  sous  le  nom  de  Robert- 


PERSÉCUTION  RELIGIEUSE  18& 

Ce  fut  bien  pis  encore  après  le  21  janvier,  et  surtout 
après  les  néfastes  journées  du  31  mai  et  du  2  juin. 
A  dater  de  ce  dernier  jour  jusqu'au  9  thermidor,  la 
Convention  cessa  d'avoir  même  l'apparence  de  la  li- 
berté, et  tous  les  maux  de  cette  année  vraiment  ter- 
rible doivent  être  imputés  à  ceux  qui  ont  assassiné 
les  Girondins.  Désespéré,  le  républicain  Grégoire 
abandonna  le  Comité  diplomatique  dont  il  faisait 
partie,  et  après  avoir  protesté  courageusement  contre 
les  insultes  dont  la  représentation  nationale  avait  été 
abreuvée,  après  avoir  demandé  vainement  qu'on  en 
fit  mention  au  procès-verbal  pour  bien  montrer  à 
toute  la  France  que  la  Convention  n'était  pas  libre  S 
Grégoire  se  réfugia  pour  ainsi  dire  au  Comité  d'in- 
struction publique,  le  seul  qui  eût  conservé,  dit-il, 
quelques  lueurs  de  bon  sens. 

Durant  son  absence,  le  caractère  antiehrétien  de 
la  Révolution  s'était  révélé  chaque  jour  par  des 
indices  nouveaux.  Le  14  décembre  1792,  le  député 
Jacob  Dupont,  un  malheureux  qui  mourut  fou,  se 
vanta  en  pleine  Convention  de  professer  lathéisme, 
et  cette  déclaration  souleva  des  applaudissements. 
Le  1"  mars  1793,  on  rendit  contre  les  prêtres  émigrés 
qui  rentreraient  un  décret  rigoureux.  Les  21  et 
23  avril,  il  fut  décidé  que  l'on  déporterait  à  la  Guyane 
tous  les  ecclésiastiques  qui  n'auraient  pas  prêté  le 


Rhum;  c'est  probablement  ce  député  de  Paris  que  désigne  ici 
Wandelaincourt. 

1.  Souvenirs  ile  Dulaure.  —  Le  Moniteur  et  les  procès-verbaux 
imprimés  de  la  Convention  ne  relatent  point  ce  fait;  mais  le 
Moniteur  est  plus  que  suspect,  et  les  procès-verbaux  de  ces 
fameuses  séances  ont  été  rédigés  après  coup  par  le  Comité  des 
décrets  et  adoptés  seulement  le  !«'  septembre  1793,  c'est-à-dire 
trois  mois  après. 


190     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

serment  de  liberté  et  d'égalité,  ainsi  que  tous  les 
prêtres  dénoncés  pour  incivisme  par  six  citoyens  de 
leur  canton  *.  Plus  tard  enfin,  le  17  septembre  1793, 
et  le  mois  suivant,  le  29  vendémiaire  an  II,  la  Con- 
vention décréta  que  tout  ecclésiastique,  même  asser- 
menté, qui  serait  dénoncé  pour  incivisme  par  six 
citoyens,  serait  déporté  sur  la  côte  d'Afrique,  entre 
le  23«  et  le  28''  degré  de  latitude  (art.  12).  Les  prêtres 
cachés  qui  ne  se  livreraient  pas  dans  le  délai  d'une 
décade  devaient  être  punis  de  mort  dans  les  vingt- 
quatre  heures  (art.  15);  on  promettait  100  livres  de 
récompense  à  quiconque  dénoncerait  et  ferait  arrêter 
un  de  ces  malheureux  (art.  18)  ;  enfin  ceux  qui  les 
auraient  cachés  étaient,  en  vertu  de  l'article  19,  pas- 
sibles de  la  déportation. 

.  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  la  marche  avait  été  la 
même;  la  Convention  ne  s'attaquait  plus  seulement 
à  la  personne  des  ministres  du  culte,  elle  prétendait 
détruire  toute  manifestation  religieuse.  Le  30  dé- 
cembre 1792,  Manuel  avait  demandé  qu'on  supprimât 
la  fête  des  Rois;  il  n'avait  pas  obtenu  de  réponse, 
mais  le  même  jour,  sur  la  proposition  de  Chaumette, 
la  Commune  institua  la  fête  des  Sans-Culottes.  Le 
28  janvier  1793,  Real  dénonça  le  principal  du  collège 
des  Quatre-Nations,  parce  que  ses  élèves,  ne  voulant 

1.  Pièce  du  temps,  3  pages  in-4«.  —  Il  y  est  dit  que  le  serment 
prêté  par  des  ecclésiastiques  postérieurement  au  23  mars  sera 
considéré  comme  nul.  Détail  curieux  à  noter,  les  aumôniers 
de  régiments  et  de  bataillons  sont  exceptés  de  celte  mesure 
générale  :  u  Art.  VI.  Les  évêques,  curés  et  vicaires  élus  par  le 
peuple  ou  conservés  dans  leurs  places  au  moyen  de  la  presta- 
tion du  serment  exigé  par  la  loi;  les  professeurs,  les  ecclésia- 
stiques appelés  aux  fonctions  administratives  et  les  aumôniers 
de  régiments  et  bataillons  actuellement  aux  armées  ou  caser- 
nes ne  sont  pas  compris  dans  le  présent  décret.  » 


PERSÉCUTION  RELIGIEUSE  191 

pas  perdre  un  jour  de  congé,  avaient  célébré  la  Saint- 
Charlemagne.  Ce  principal,  nommé  Forestier,  se  re- 
trancha derrière  les  ordres  du  vice-recteur  Binet,  et 
l'affaire  s'arrangea;  on  décida  qu'à  l'avenir  la  ci-de- 
vant Saint-Charlemagne  serait  conservée  sous  le  nom 
républicain  de  fête  de  l'Émulation.  Quelques  semaines 
plus  tard,  l'évéque  constitutionnel  des  Ardennes,  le 
citoyen  Philbert,  fut  mandé  à  la  barre  de  la  Conven- 
tion pour  avoir  fait  un  mandement  contre  le  mariage 
des  prêtres;  mais  Brissot  le  sauva  en  demandant  à 
ses  collègues  s'ils  voulaient  transformer  une  assem- 
blée politique  en  concile  \ 

Lors  des  grandes  discussions  qui  eurent  lieu  rela- 
tivement à  la  Constitution  de  1793,  les  philosophes 
ne  voulurent  point  qu'on  fit  mention  du  christia- 
nisme, le  conventionnel  Audrein,  prêtre  régicide, 
soutint  avec  vigueur  les  droits  imprescriptibles  de 
la  conscience,  et  son  Opinion  fut  imprimée  par  ordre 
de  la  Convention;  le  fait  est  curieux  à  noter,  car  il 
se  produisit  alors  pour  la  dernière  fois  *.  Le  18  juin, 
quarante  jours  après  que  Gobel  eut  installé  solennel- 
lement à  Saint-Augustin  le  curé  marié  Aubert,  Fon- 
frède  et  Barrère  demandèrent  à  la  Convention  de  pro- 
clamer la  liberté  des  cultes;  Robespierre  s'y  opposa 
de  tout  son  pouvoir.  Il  jugeait  que  ces  simples  mots  : 
«  Tout  homme  est  libre  dans  l'exercice  de  son  culte  », 
constituaient  un  effroyable  danger  pour  la  républi- 

1.  Nouvelles  ecclésiastiques  de  1793,  j^assim.  Jusqu'au  l*'  jan- 
vier 1194  celte  feuille  s'imprima  librement  à  Paris,  et  l'on  pou- 
vait lire  à  la  quatrième  page  :  «  On  souscrit  à  Paris,  chez  Leclère, 
libraire,  rue  Saint-Martin.  »  A  dater  du  le""  janvier  1794,  il 
fallut  souscrire  à  Utrecht,  et  les  Nouvelles  ne  parurent  plus 
qu'à  de  longs  intervalles. 

2.  Avril  1193, 


192     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

que;  il  redoutait,  disait-il,  les  funestes  effets  de  la 
superstition  combinée  avec  le  despotisme  K  Danton 
intervint  à  son  tour,  et  traita  les  prêtres,  sans  dis- 
tinction aucune,  de  charlatans  et  d'imposteurs  dont 
on  réclamait  partout  la  déportation;  la  liberté  des 
cultes  fut  néanmoins  reconnue. 

Les  églises  de  Paris  étaient  encore  ouvertes  à  cette 
époque  et  desservies  régulièrement  par  leurs  trente- 
deux  curés  constitutionnels  ^;  si  les  processions  ne 
sortaient  pas  dans  les  rues  pour  les  Rogations,  parce 
que  Gobel  s'y  était  opposé,  elles  se  déroulaient  libre- 
ment, malgré  sa  défense,  le  jour  de  la  Fête-Dieu  et  le 
jour  de  l'octave;  on  conservait  enfin  au  cœur  môme 
de  Paris  l'antique  usage  de  porter  le  viatique  aux 
mourants  sous  un  dais,  avec  une  clochette  et  des 
flambeaux,  et  les  gardes  nationaux  que  l'on  rencon- 
trait suivaient  dévotement  le  cortège  ^.  Toutefois 
l'orage  commençait  à  gronder  ;  ce  n'étaient  plus  seule- 
ment les  réfractaires  que  la  Révolution  persécutait 
sans  relâche,  les  constitutionnels  eux-mêmes  étaient 
en  butte  à  ses  coups,  et  elle  considérait  ces  patriotes 
si  dévoués  comme  ses  pires  ennemis.  On  dénonçait  à 
la  Convention  les  évêques  Fauchet,  Philbert  et  Thuin, 
qui  interdisaient  le  mariage  à  leurs  prêtres  au  mo- 
ment où  des  prévaricateurs  comme  Lindet,  Gobel  et 


1.  Vergniaud  avait  dit  la  même  chose  au  mois  d'avril,  et 
Audrein  l'avait  réfuté  dans  plusieurs  factums  imprimés. 

2.  Non  compris  l'évéque,  curé  de  Notre-Dame,  qui  avait  un 
conseil  épiscopal  de  vingt-deux  vicaires,  fort  mal  choisis  pour 
la  plupart.  —  Almanach  national  de  1793,  p.  179  et  sq. 

3.  Nouvelles  ecclésiastiques,  ^"posidalé  du  26  septembre  1794. 
Les  prêtres,  dans  ces  circonstances,  se  montraient  dans  les  rues 
en  soutane  ou  même  en  surplis.  Tout  cela  fut  interdit  par  un 
arrêté  de  la  Commune  le  14  octobre  1793. 


PERSÉCUTION  RELIGIEUSE  1J3 

Torné  mariaient  des  curés  ou  des  vicaires;  Thuin, 
évêque  de  Seine-et-Marne,  ayant  privé  un  prêtre 
marié  de  son  traitement,  Danton  ne  dédaigna  pas  de 
faire  entendre  sa  grosse  voix,  et  de  transformer  ainsi 
la  Convention,  non  plus  en  concile,  mais  en  consulte 
du  Saint-Office  ou  en  tribunal  de  l'Inquisition.  «  Il 
devrait  être  rayé  du  livre  des  vivants,  s'écria-t-il, 
celui  qui  ne  veut  pas  que  le  genre  humain  prospère, 
et  c'est  faire  grâce  à  cet  impie  (c'est-à-dire  à  l'évèque). 
que  de  se  borner  à  le  punir  par  la  destitution.  Appre- 
nons aux  prêtres  à  nous  respecter;  un  temps  viendra 
où  le  seul  culte  des  Français  sera  celui  de  la  liberté  *.  » 
Telles  étaient  les  bases  du  nouveau  droit  canon  que 
la  Convention  nationale  prétendait  substituer  aux 
anciens  règlements  sur  l'appel  comme  d'abus  et 
autres  du  même  genre.  Destituer  ou  rayer  du  livre 
des  vivants  un  homme  qui  croyait  faire  son  devoir, 
voilà  quels  étaient  les  procédés  en  usage  l'an  second 
de  la  République  française  *  ! 

Si  tel  était,  à  la  tribune,  le  langage  des  représen- 
tants, on  n'aura  nulle  peine  à  se  figurer  ce  que  pou- 
vaient dire  les  déclamateurs  de  clubs;  jamais  peut- 

1.  Journal  du  soir,  19  juillet  1793. 

2.  L'évèque  de  Rouen,  J.-B.  Gratien,  avait  fait  imprimer  l'an- 
nce  précédente,  le  24  juillet  1192,  une  Instruction  pastorale  sur 
la  continence  des  ministres  de  la  religion  (60  pages  ia-8°)  dans 
laquelle  il  se  proposait  de  faire  savoir  :  1°  que  l'Église  a  tou- 
jours défendu  aux  prêtres  d'allier  les  fondions  du  sacerdoce 
avec  la  vie  conjugale;  2»  que  rien  n'est  plus  sage  que  cette 
défense;  3"  qu'elle  n'a  rien  de  contraire  à  l'acte  constitutionnel; 
4°  que  les  curés  qui  la  violent  doivent  être  déposés;  3"  que 
l'on  doit  pourvoir  à  leurs  cures  comme  aux  autres  cures  va- 
cantes. 11  finissait  en  disant  qu'il  était  «  fermement  résolu  de 
procéder  canoniquement  contre  tout  prêtre  de  son  diocèse  qui 
entreprendrait  de  se  marier  •>.  Gratien  ne  parait  pas  avoir  été 
inquiété  pour  ce  fait. 


194     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

être  la  religion  chrétienne  et  ses  ministres  ne  furent 
outragés  de  la  sorte.  J'en  citerai  seulement  un 
exemple  choisi  entre  mille  pour  montrer  en  quelle 
estime  étaient  aux  yeux  des  révolutionnaires  les  con- 
stitutionnels, les  prêtres  soumis  aux  lois  qui  prê- 
chaient l'amour  de  la  République.  En  mai  1793,  un 
clubiste  de  province,  le  citoyen  Lonqueue,  s'expri- 
mait de  la  manière  suivante  dans  un  Discours  fami- 
lier et  jpréparatoire  à  des  instructions  contre  la  religion 
des  prêtres,  prononcé  dans  le  club  révolutionnaire  des 
vrais  sans-culottes  séant  à  Chartres,  et  réimprimé  le 
25  brumaire  par  ordre  du  ministre  de  l'intérieur  *  ; 

«...  Supprimez  vos  prêtres,  et  ne  m'objectez  plus 
«  que  ceux  qui  ont  fait  le  serment  sont  patriotes  ;  car 
«  je  vous  répliquerai  qu'ils  ne  valent  pas  mieux  les 
«  uns  que  les  autres...  Dans  la  chaire,  ils  ne  rabâ- 
«  chent  que  des  prônes  insipides,  ils  ne  lamentent 
«  que  de  misérables  capucinades...  Je  passe  à  leur 
«  serment,  auquel  la  malveillance,  de  concert  avec  la 
«  sottise,  a  donné  une  importance  ridicule  et  funeste  ; 
«  mais  au  lieu  de  discuter  sur  cet  article,  je  me  bor- 
«  nerai  aux  questions  suivantes  :  Combien  l'ont  prêté 
«  pour  narguer  ceux  de  leurs  confrères  qui  les  mé- 
«  prisaient  dans  le  régime  précédent?  Combien  l'ont 
«  prêté  parce  qu'ils  espéraient,  sinon  d'être  évêques, 
«  au  moins  de  remplacer  les  chanoines?  Combien 
«  l'ont  prêté  en  lui  donnant  une  interprétation  men- 
«  taie  dans  un  sens  particulier?  Combien  l'ont  prêté 
«  pour  conserver  la  confiance  du  peuple,  et  mani- 
«  gancer  plus  efficacement  contre  la  Révolution?... 
«  Ils  ont  sauvé  la  France?  Ils  ont  au  contraire  en- 

l.  27  pages  in-8°. 


PERSÉCDTION  RELIGIEUSE  195 

«  travé  la  marche  de  la  Révolution.  Qu'ils  eussent 
«  tous  refusé  ce  serment,  que  serait-il  arrivé?...  Ils 
«  n'auraient  pas  eu  le  temps  de  séduire  et  de  fana- 
«  tiser  leurs  paroissiens  crédules...  Si  tous  les  prê- 
te très  avaient  refusé  le  serment,  jamais  la  supersti- 
«  tion  n'aurait  causé  tant  de  maux  à  la  France.  Leur 
«  serment,  au  lieu  de  la  sauver,  lui  a  donc  été  funeste. 
«  Quant  à  leur  patriotisme,  je  ne  sais  de  quelle  cou- 
«  leur  il  est...  Supprimez  donc  vos  prêtres...  Les  prê- 
«  très  sont  dangereux,  leur  religion  est  absurde,  le 
«  peuple  doit  l'abandonner,  la  Convention  doit  sup- 
«  primer  tous  les  prêtres  *...  » 

A  Paris,  au  mois  de  juin,  le  citoyen  Tobie,  qui  ré- 
prouvait les  «  dragonnades  »,  voulait  au  lieu  de 
prêtres  des  «  missionnaires  de  la  raison  »,  c'est-à-dire 
des  acteurs  et  des  auteurs  dramatiques.  «  Il  faut, 
disait-il,  opposer  Molière  à  Tartuffe,  il  faut  se  traves- 
tir en  saltimbanques  de  tout  genre  pour  semer  la 
tolérance  et  la  morale  ^.  »  Le  citoyen  Tobie  n'était 
que  grotesque,  les  autres  faiseurs  de  motions  contre 
les  prêtres  étaient  odieux. 

1.  Dans  une  motion  d'ordre  faite  à  la  Convention,  Turreau 
(de  l'Yonne)  prononça  la  phrase  suivante,  qui  fait  songer  à 
celle  de  Grégoire  lui-même  sur  Louis  XVI  :  «  Le  prêtre  est  au 
«  moral  ce  qu'est  le  poison  au  physique,  ses  actions  tuent  sans 
ft  être  aperçues...  Ne  croyons  pas  à  leurs  serments,  l'hypocrisie, 
«  comme  le  crime,  est  un  besoin  chez  eux.  »  Turreau  accusait 
les  prêtres  de  tous  les  crimes.  «  Ils  se  glissent,  disait-il,  dans 
«  les  tribunaux  révolutionnaires  pour  faire  périr  les  patriotes  et 
«  acquitter  les  aristocrates.  » 

2.  Essai  sur  L'extirpation  du  fanatisme,  par  le  citoyen  Tobie, 
10  pages  in-i».  —  Fabre  d'Églantine  proposa  de  même  à  la  Con- 
vention de  considérer  les  comédiens,  acteurs  et  auteurs  dra- 
matiques comme  les  organes,  les  magistrats,  les  prêtres  de  la 
morale  publique.  Le  Comité  d'instruction  publique  eut  à  s'oc- 
cuper de  cette  proposition,  mais  Anarcharsis  CIoolz  la  Qt 
rejeter.  (Annales  de  la  Religion,  I,  29.) 


196     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

C'était  de  tous  côtés  comme  une  folie  contagieuse,  et 
rien  ne  saurait  justifier  les  révolutionnaires  qui  fou- 
laient ainsi  aux  pieds  les  droits  les  plus  sacrés  de 
l'homme  et  du  citoyen.  Mais  l'histoire  qui  veut  expli- 
quer tout,  et  qui  recherche,  à  défaut  de  circonstances 
atténuantes,  les  mobiles  du  crime,  doit  ajouter  que 
les  dangers  de  la  patrie  exaltaient  alors  toutes  les 
têtes.  La  guerre  sévissait  avec  une  violence  inouïe 
aux  quatre  coins  de  la  France,  sur  les  frontières  du 
Nord  et  de  l'Est,  aux  Pyrénées,  en  Vendée,  à  Lyon, 
à  Toulon;  partout  la  Convention  trouvait  parmi  ses 
ennemis  des  nobles  et  des  prêtres  bien  résolus  à 
faire  contre  elle,  si  les  chances  de  la  lutte  devenaient 
favorables,  autant  et  plus  qu'elle  ne  faisait  contre 
eux.  Les  Vendéens  et  les  Chouans  ont  assassiné  plus 
de  républicains  sans  défense  que  la  Terreur  n'a  im- 
molé de  royalistes  innocents  K  Qu'on  lise  d'ailleurs  le 
singulier  mémoire  que  Maury  adressait  au  pape  le 
23  juin  1793,  et  l'on  jugera  si  la  Terreur  blanche  eût 
été  moins  sanguinaire  que  l'autre.  «  Les  progrès  de 
«  la  contre-révolution,  disait  Maury,  s'accélèrent  de 
«  jour  en  jour  avec  une  rapidité  qui  peut  bientôt  de- 
«  venir  incalculable...  Il  ne  faut  plus  compter  désor- 
«  mais  par  mois;  on  peut  heureusement  compter  par 
«  jours  la  durée  du  règne  expirant  de  cette  longue  et 


1.  Je  me  propose  d'en  fournir  la  preuve,  dans  la  suite  de  ces 
Etudes,  car  il  serait  aisé  de  citer  plus  de  cinq  cents  lettres 
inédites  où  l'on  peut  voir  le  détail  de  ces  horreurs,  femmes 
assommées,  curés  constitutionnels  crucifiés,  prisonniers  fusillés 
après  qu'on  leur  a  fait  creuser  leur  fosse,  etc.,  etc.  L'histoire 
de  la  Vendée  et  celle  de  la  chouannerie  ne  sont  pas  encore 
connues;  les  études  locales  qui  se  succèdent  sans  interrup- 
tion depuis  quelques  années  permettront  bientôt  de  savoir  la 
vérité. 


PERSÉCUTION  RELIGIEUSE  197 

«  désastreuse  anarchie.  »  La  victoire  étant  si  proche, 
Maury  songeait  aux  réformes  à  opérer  immédiate- 
ment ;  il  fallait  d'après  lui  rétablir  la  royauté,  per- 
sécuter sans  relâche  les  protestants,  les  jansénistes 
et  les  francs-maçons,  faire  rendre  gorge  aux  acqué- 
reurs de  biens  nationaux,  restituer  Avignon  au  Saint- 
siège,  et  rétablir  dans  son  antique  splendeur  «  lédu- 
«  cation  sacerdotale  ».  La  Convention  et  tous  ses 
agents  pouvaient  s'attendre  à  un  châtiment  exem- 
plaire, et  Maury,  qui  n'oubliait  personne,  se  deman- 
dait quelle  devrait  être  la  punition  du  clergé  consti- 
tutionnel, de  ce  clergé  que  la  Révolution  protégeait 
et  aimait  comme  on  vient  de  le  voir.  Ici  nous  cite- 
rons, au  lieu  d'analyser,  la  chose  en  vaut  la  peine  : 
«  Il  me  semble,  dit  l'archevêque  de  Nicée,  qu'on 
«  ne  peut  pas  laisser  [les  évêques  jureurs,  ou  consé- 
«  orateurs ,  ou  intrus]  cabaler  en  liberté  dans  le 
«  royaume,  et  qu'il  y  aurait  même  du  danger  à  leur 
«  permettre  d'en  sortir...  Il  est  très  possible  que  les 
«  Parlements  obligés  de  signaler  le  retour  de  la  jus- 
«  tice  par  de  terribles  exemples  de  sévérité,  et  que  le 
«  plus  grand  nombres  des  évêques  intrus  ayant  par- 
ce ticipé  à  des  complots  criminels,  et  commis  ou 
«  conseillé  des  délits  capitaux,  indépendamment  du 
«  crime  de  leur  intrusion;  il  est,  dis-je,  très  possible 
«  que  les  Parlements  les  condamnent  presque  tous  à 
«  la  mort;  et  cette  voie  de  proscription  générale 
«  pourrait  être  approuvée,  si  on  les  jugeait  par  con- 
«  tumace.  Je  ne  voterais  pas,  je  l'avoue,  pour  toutes 
«  ces  exécutions  effectives.  Je  craindrais  qu'elles  ne 
«  rendissent  odieux  le  clergé  catholique.  Je  crain- 
«  drais  que  l'apparence  du  martyre  n'excitât  de  l'in- 
«  térêt  en  faveur  de  ces  apostats.  L'expédient  le  plus 


198     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  désirable,  à  mon  gré,  serait  de  les  renfermer  dans 
«  des  monastères,  etc.  *.  » 

Ainsi,  la  contre-révolution  triomphante  eût  couvert 
la  France  de  ruines;  est-il  étonnant  que  la  Révolution 
menacée  se  soit  défendue  en  1793  d'une  manière  si 
terrible?  Mais  les  gens  qui  sont  affolés  par  la  peur 
frappent  en  aveugles  autour  d'eux  :  Charles  VI,  dans 
la  forêt  du  Mans,  courait  sus  aux  hommes  de  son 
escorte;  durant  la  Terreur,  les  innocents  payèrent 
pour  les  coupables;  les  plus  fidèles  soutiens  de  la 
Révolution  furent  traités  par  elle  en  ennemis.  Les 
nobles  qui  n'avaient  pas  émigré,  les  insermentés  que 
l'on  tenait  depuis  deux  années  entières  entassés  dans 
les  cachots,  enfin  les  assermentés  paisibles  que  le 
gouvernement  affectait  de  confondre  avec  d'abomi- 
nables charlatans  ou  avec  de  francs  scélérats  qui 
avaient  accepté  la  Constitution  civile,  telles  furent 
les  victimes  que  frappa  sans  pitié  la  fureur  révolu- 
tionnaire. 

Mais,  dira-t-on,  que  faisaient  alors  les  quarante- 
deux  constitutionnels,  évêques  ou  prêtres,  qui  sié- 
geaient à  la  Convention,  et  qui  avaient  le  devoir  de 
défendre  leur  foi  jusqu'à  la  mort?  Que  faisait  leur 
Kîhef  Henri  Grégoire,  dont  on  vante  l'intrépidité?  Gré- 
goire et  ceux  de  ses  collègues  qui  étaient  encore  chré- 
tiens gardaient  alors  un  profond  silence.  Surveillés 


1.  Mémoires  de  Mgr  Maury...  Rome,  23  juin  1793.  Theiner,  I, 
381.  —  Déjà,  en  1192,  on  pouvait  lire  dans  un  pamphlet  royaliste 
intitulé  :  Livre  de  prières  dédié  aux  patriotes,  les  quelques 
lignes  que  voici  :  «  Nous  nous  adressons  aussi  au  vertueux 
Grégoire  et  au  petit  papa  Voidel,  ainsi  qu'au  respectable  Target 
et  au  vénérable  Barnave  pour  qu'ils  vous  engagent  à  prendre 
•comme  eux  la  fuite,  si  vous  ne  voulez  pas  être  redressés  à  la 
lanterne, ce  qui,  comme  nous  l'espérons, ne  tardera  pas.  Amen.  » 


PERSÉCDTION  RELIGIEUSE  199 

de  très  près  par  les  Terroristes  qui  cherchaient  une 
occasion  de  les  faire  périr,  ils  ne  pouvaient  aborder 
la  tribune,  et  tous  les  autres  moyens  de  parler  à  la 
France  leur  étaient  interdits.  Fauchet,  l'un  d'entre 
eux,  s'était  élevé  avec  une  grande  véhémence  contre 
les  persécutions  odieuses  dont  le  catholicisme  était 
l'objet,  mais  son  discours  avait  été  plus  nuisible 
qu'utile  à  la  cause  qu'il  voulait  défendre. 

«  Le  fanatisme,  s*était-il  écrié  en  pleine  Conven- 
«  tion,  le  20  avril  1793,  je  le  vois  du  coté  des  persé- 
«  cuteurs...  Nous  avons  entendu,  nous  entendons 
«  continuellement  des  hommes  qui  ne  savent  ce  que 
«  c'est  que  la  philosophie  législative,  déclamer  sans 
«  restriction  contre  les  ministres  de  tous  les  cultes, 
«  les  vouera  la  proscription,  déclarer  que  les  prêtres 
«  sont  mûrs  comme  les  tyrans,  que  prêtre  et  répu- 
«  blique  sont  incompatibles.  Citoyens,  ces  hommes- 
«  là  servent  l'anarchie  et  le  royalisme  ;  ils  veulent 
«  rendre  la  république  impossible  :  car  l'anéantisse- 
«  ment  de  toute  religion  est,  heureusement  pour  la 
«  société,  d'une  impossibilité  absolue  '...  » 

La  réponse  à  cette  courageuse  exposition  de  prin- 
cipes ne  s'était  pas  fait  attendre  ;  proscrit  avec  les 
Girondins,  Fauchet  monta  sur  l'échafaud  le  31  octo- 
bre 1793.  Rover,  Lamourette  et  quelques  autres  furent 
incarcérés  comme  suspects  vers  le  milieu  de  1793. 
d'autres  enfin  durent  se  cacher  et  Grégoire  demeura 
seul.  Durant  plus  de  quinze  mois,  ce  vrai  républicain 
eut  à  redouter,  comme  son  ami  Carnot,  les  fureurs 
de  Robespierre,  et  l'histoire  se  demande  encore  au- 
jourd'hui pourquoi  ces  deux  hommes  furent  épargnés 

1.  Claude  Fauchet  à  la  Convention  nationale...  16  pages  in-8'. 


200     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

par  le  tyran.  Grégoire  ne  cessa  jamais  de  porter  la 
tonsure  ecclésiastique,  et  la  couleur  de  ses  vêtements 
montrait  à  tous  qu'il  se  considérait  toujours  comme 
évêque;  mais  il  jugeait  inutile  d'irriter  les  ennemis 
du  catholicisme  par  des  réclamations  intempestives 
ou  par  de  vaines  bravades.  Vienne  le  moment  de 
protester  contre  une  apostasie  presque  générale  et 
de  courir  au-devant  du  martyre,  on  verra  Grégoire 
prouver  qu'il  ne  craint  personne  et  acquérir  en  pleine 
Convention,  comme  le  dit  un  témoin  oculaire,  «  le 
titre  de  confesseur  de  Jésus-Christ  *  ». 

La  fameuse  journée  du  17  brumaire  an  II  est  trop 
connue  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  la  raconter  à 
nouveau  dans  tous  ses  détails.  On  sait  comment  la 
Commune  de  Paris  *,  de  connivence  avec  plusieurs 
conventionnels  qui  n'avaient  pas  consulté  Robes- 
pierre et  qui  payèrent  de  leur  tôte  cette  audacieuse 
équipée,  traîna  le  lâche  Gobel  à  la  tribune  de  la  Con- 
vention, et  lui  fît  faire  une  abdication  que  la  perfidie 
transforma  aussitôt  en  apostasie.  Mais  presque  tous 
les  historiens  de  la  Révolution  ont  dénaturé  ces  faits, 
sciemment  ou  non,  et  M.  Thiers  lui-même  s'est  mé- 


1.  Durand  de  Maillane,  Histoire  de  la  Convention,  I,  9.  On 
lit  dans  une  lettre  autographe  et  inédile  de  Durand  de  Mail- 
lane (Aix,  6  messidor  an  IX)  :  «  Ce  qui  vous  assure  pour  tou- 
jours mon  estime  et  mon  attachement,  c'est  votre  fermeté 
pour  la  défense  de  notre  sainte  religion;  vous  avez  résiste  pour 
elle  aux  caresses  et  aux  menaces,  je  le  sais,  je  l'ai  vu...  » 

2.  La  Commune  de  Paris  prétendit  l'année  suivante  que 
c'étaient  les  prêtres  qui  avaient  élevé  des  temples  à  la  Raison 
et  travaillé  à  créer  une  religion  sans  Dieu,  et  cela  pour  réveiller 
le  fanatisme,  parce  qu'ils  ne  trouvaient  plus  de  dupes  pour  les 
payer  et  de  spectateurs  pour  les  entendre  {sic).  —  Adresse  de  la 
municipalité  de  Paris  à  la  Convention;  impr.  par  ordre  de  la 
Convention,  27  floréal  an  II,  8  pages  in-S». 


IXTERDICTION  DU  CULTE  201 

pris  sur  le  caractère  de  cet  événement;  il  est  donc 
nécessaire  de  mettre  la  vérité  dans  tout  son  jour. 
Aux  yeux  de  M.  Thiers,  historien  philosophe  qui 
accepte  si  volontiers  les  faits  accomplis,  la  révolution 
religieuse  du  17  brumaire,  «  la  plus  difficile,  la  plus 
accusée  de  tyrannie  »,  a  été  la  conséquence  néces- 
saire de  toutes  celles  qui  l'avaient  précédée. 

«  L'emportement  des  esprits  augmentant  chaque 
«  jour,  dit-il  en  propres  termes,  on  se  demandait 
«  pourquoi,  en  abolissant  toutes  les  anciennes  super- 
ce  stitions  monarchiques,  on  conservait  encore  un  fan- 
ce  tome  de  religion  à  laquelle  presque  personne  ne 
«  croyait  plus,  et  qui  formait  le  contraste  le  plus  tran- 
«  chant  avec  les  nouvelles  institutions,  les  nouvelles 
«  mœurs  de  la  France  républicaine.  Déjà  on  avait  de- 
«  mandé  des  lois  pour  favoriser  les  prêtres  mariés  et 
«  les  protéger  contre  certaines  administrations  locales 
«  qui  voulaient  les  priver  de  leurs  fonctions.  La  Con- 
«  vention,  très  réservée  en  cette  matière,  n'avait  rien 
«  voulu  statuer  à  leur  égard,  mais  par  son  silence  même 
«  elle  les  avait  autorisés  à  conserver  leurs  fonctions 
«  et  leurs  traitements.  Il  s'agissait  en  outre,  dans  cer- 
«  taines  pétitions,  de  ne  plus  salarier  aucun  culte,  de 
«  laisser  chaque  secte  salarier  ses  ministres,  d'inter- 
«  dire  les  cérémonies  extérieures,  et  d'obliger  toutes 
«  les  religions  à  se  renfermer  dans  leurs  temples.  La 
«  Convention  se  borna  à  réduire  le  revenu  des  évêques 
«  au  maximum  de  6000  francs,  vu  qu'il  y  en  avait  dont 
«  le  revenu  s'élevait  à  70  000  '.  Quant  à  tout  le  reste, 


1.  Ce  chiffre  de  70  000  francs  était  vrai  sous  rancien  régime, 
mais  les  évêques  constitutionnels  avaient  12  ou  lo  000  francs 
au  maximum.  Cambon  demanda  et  obtint,  le  18  septembre  1793, 
la  réduction  à  6000  liv.  des  traitements  d'évéqnes;  il  fit  sup- 


202     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  elle  ne  voulut  rien  prendre  sur  elle,,  et  garda  le 
«  silence,  laissant  la  France  prendre  l'initiative  de 
<(  l'abolition  des  cultes.  Elle  craignait,  en  touchant 
<(  elle-même  aux  croyances,  d'indisposer  une  partie  de 
<(  la  population,  encore  attachée  à  la  religion  catho- 
«  lique.  La  Commune  de  Paris,  moins  réservée,  saisit 
«•  cette  occasion  importante  d'une  grande  réforme,  et 
«  s'empressa  de  donner  le  premier  exemple  de  l'abju- 
«  ration  du  catholicisme  ^  » 

On  ne  saurait  croire  combien  il  y  a  d'erreurs  dans 
cette  simple  page  d'histoire.  La  suite  de  ces  études 
montrera  s'il  est  permis  de  dire  que  presque  per- 
sonne, en  1793,  ne  croyait  à  la  religion,  et  si  36  000 
paroisses  ont  été  rouvertes  en  quelques  mois  par  des 
populations  indifférentes.  Mais  en  outre,  il  est  faux 
que  la  Convention  ait  dû  protéger  les  prêtres  mariés 
contre  certaines  administrations  locales;  c'est  contre 
certains  prélats  constitutionnels  que  Danton  et  ses 


primer,  en  accordant  à  chacun  d'eux  une  pension  de  1200  liv., 
tous  les  vicaires  épiscopaux;  enfin  il  opposa  la  question  préa- 
lable à  toute  demande  de  réduction  du  traitement  des  curés. 
Journal  des  Débats,  n"  365. 

1.  Histoire  de  la  Révolution.  Il  y  a  dans  ce  passage  quelques 
contradictions  choquantes;  après  avoir  dit  que  presque  per- 
sonne ne  croyait  plus  à  la  religion,  M.  Thiers  affirme  que  la 
Convention  craignait  d'indisposer  une  partie  de  la  population, 
encore  attachée  à  la  religion.  C'est  la  même  chose  dans  la 
suite  du  récit  :  M.  Thiers  parle,  à  propos  des  bustes  de  Marat 
et  de  Le  Pelletier,  de  «  scènes  de  recueillement  »;  tournons  la 
page,  et  nous  verrons  ces  propres  mots  :  «  On  voit  sans  doute 
avec  dégoût  ces  scènes  sans  recueillement.  »  M.  Thiers  écrivait 
de  verve,  sous  la  Restauration,  et  ses  premiers  volumes  sont 
plutôt  des  œuvres  de  polémique  courageuse  que  des  œuvres 
historiques  dans  toute  l'acception  de  ce  mot.  Tous  les  histo- 
riens conviennent  que  son  Histoire  aurait  grand  besoin  d'être 
revue,  sinon  refaite. 


INTERDICTION  DU  CULTE  20^ 

amis  protégèrent  ces  individus  *.  Il  est  faux  que  la 
Convention  ait  voulu  ne  rien  statuer  sur  cette  ma- 
tière, car  nous  l'avons  vue  accueillir  avec  une  faveur 
marquée  les  dénonciations  faites  contre  les  évèques, 
et  encourager  les  prêtres  à  violer  le  premier  de  leurs 
vœux  *.  Il  est  faux  que  la  suppression  du  budget  des 
cultes  ait  été  simplement  demandée  par  de  certaines 
pétitions,  puisque  le  conventionnel  Cambon  en  fit 
l'objet  d'une  motion,  et  que  Robespierre  intervint 
pour  conserver  aux  ecclésiastiques  leurs  traitements'. 
Enfin,  et  ceci  est  important  à  signaler,  il  est  faux  que  la 
Convention  ait  laissé  la  France  prendre  l'initiative  de 
Tabolition  des  cultes.  Si  l'on  eût  procédé  ainsi,  comme 
devait  le  faire  une  représentation  vraiment  nationale, 
les  cultes  n'auraient  pas  été  détruits  en  1 793.  La  France 
voulait  garder  et  son  culte  quatorze  fois  séculaire, 
et  ceux  d'entre  ses  prêtres  qui  aimaient  la  Révo- 
lution; mais  il  y  eut  alors  comme  une  vaste  conspi- 
ration contre  le  catholicisme  français.  Les  admini- 
strateurs de  la  Commune,  beaucoup  de  représentants 
en  mission  et  quelques  députés  montagnards  étaient 
du  complot  ;  la  preuve  en  est  qu'il  éclata  simultané- 
ment à  Paris  et  sur  tous  les  points  de  la  République. 
Déjà,  au  mois  de  septembre  1793,  le  député  La  Planche 
et  son  digne  acolyte  Parmentier  avaient  défendu  aux 
Orléanais  tout  culte  extérieur.  Avant  même  que  Chau- 
mette  l'eût  fait  à  Paris,  ils  avaient  interdit  les  pro- 
cessions, abattu  les  croix,  ordonné  à  tous  les  curés 
de  se  marier  sous  peine  d'encourir  la  disgrâce  de  la 


1.  Voir  ci-dessus,  p.  191. 

2.  Voir  ci-dessus,  p.  193. 

3.  Voir  ci-dessus,  p.  174-177. 


204     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

nation  entière  *.  A  Moulins,  lors  du  passage  de  Fouché 
dans  cette  ville,  c'est-à-dire  le  26  septembre,  le  club 
éloigne  pour  jamais  des  fonctions  publiques  «  tout 
prêtre  qui  ne  sera  pas  marié,  ou  qui  n'aura  pas 
adopté  un  enfant,  ou  enfin  qui  ne  nourrira  pas  un 
vieillard  à  sa  table  d'ici  au  1^^  novembre  prochain  ». 

A  Reims,  le  7  octobre,  on  vit  le  conventionnel  Ruhl, 
qui  avait  témoigné  peu  de  jours  auparavant  son  res- 
pect pour  la  religion  ^,  briser  sur  le  piédestal  de  la 
statue  de  Louis  le  Fainéant  la  sainte  ampoule,  «  hochet 
sacré  des  sots  ».  A  Luncville,  le  14^  jour  du  second 
mois  de  l'an  II,  on  célébra  une  fête  civique  en  l'hon- 
neur du  calendrier  républicain,  inauguré,  comme  l'on 
sait,  le  6  octobre,  et  cette  fête  consista  en  une  «  pro- 
cession »  où  l'on  remarquait  un  garçon  de  douze  ans 
représentant  le  génie  de  la  France,  des  jeunes  fdles 
qui  portaient  «  le  feu  sacré  du  patriotisme  »  et  un 
«  bramine  »  sur  la  poitrine  duquel  se  lisait  une 
«  prière  philanthropique  ». 

A  Metz,  le  15  brumaire,  le  citoyen  Gieb  déclamait 
au  club  contre  les  prêtres,  «  ces  êtres  de  sang,  ces 


1.  «  Une  vingtaine  m'ont  promis  de  se  marier  avant  deux 
mois,  et  j'ai  des  procurations  pour  leur  chercher  des  femmes  », 
disait  Parmentier,  qui  se  vantait  d'avoir  incarcéré  sept  prêtres 
dont  «  un  faux  sans-culotte  »,  plus  un  enfant  de  dix  ans.  — 
La  Planche  lui  répondit  gravement  qu'il  avait  bien  mérité  de 
la  patrie.  Suite  du  procès-verbal  des  séances  tenues  dans  l'église 
de  Saint-Paterne  d'Orléans...,  impr.,  84  pages  in4'>,  1793. 

2.  Voici  en  effet  comment  s'exprimait  Ruhl  :  Question  59.  Le 
service  divin  se  fait-il  partout  régulièrement  avec  exactitude 
et  décence  à  l'édification  et  à  l'instruction  du  peuple?  —  60.  La 
liberté  des  opinions  religieuses  est-elle  soigneusement  respectée 
et  contenue  dans  ses  justes  bornes?  —  Append.  13.  Qu'est 
devenue  la  sainte  ampoule?  {Questions  posées  par  Ruhl,  en  sep- 
tembre 1793,  au  directoire  du  district  de  Reims.)  Évidemment, 
Ruhl  avait  eu  ensuite  communication  du  mot  d'ordre. 


INTERDICTION   DU  CULTE  205 

c(  monstres  formés  de  tous  les  vices.  On  vous  a  proposé, 
«  ajoutait-il,  de  consacrer  dans  cette  cité  le  plus  beau 
«  temple  à  l'Être  suprême,  d'y  élever  une  statue  à  la 
«  liberté  entourée  des  emblèmes  de  toutes  les  vertus. 
«  Gardons-nous  de  donner  dans  cette  erreur...  Il  faut 
«  laisser  l'Être  suprême  dans  le  vague;  on  ne  le  connaît 
«  pas,  on  sait  seulement  quïl  existe  *.  »  A  Nancy,  le 
lendemain  ,  le  procureur-syndic  Jeandel  s'exprima 
publiquement  en  ces  termes  :  «  Ce  fanatisme  qui 
«  depuis  tant  de  siècles  a  été  la  plate-forme  et  la  cui- 
«  rasse  d'un  clergé  despote,  tyrannique,  scandaleux, 
«  hypocrite,  charlatan,  turbulent,  enfin  ce  foyer  de 
«  toutes  les  atrocités  ne  distillera  plus  son  venin  pesti- 
«  lentiel  dans  les  âmes  faibles...  Le  peuple  n'hésitera 
«  pas  un  instant  à  accepter  la  religion  nationale  que 
«  lui  offre  la  raison  et  nos  lois  nouvelles  '.  » 

A  Strasbourg  enfin,  le  17  brumaire,  c'est-à-dire  le 
jour  même  où  la  Commune  de  Paris  traînait  Gobel  à 
la  Convention,  les  «  représentants  du  peuple  près 
l'armée  du  Rhin  »  rendirent  un  arrêté  dont  voici  les 
principaux  articles  : 

Article  Premier.  —  L'exercice  du  culte  est  restreint 
dans  des  bâtiments  particuliers  qui  lui  sont  destinés. 

Art.  H.  —  Tout  signe  extérieur  d'opinion  religieuse 
quelconque  disparaîtra  des  rues,  des  places  et  chemins 
publics. 

Art,  III.  —  Les  ornements  scandaleux  d'or  et  d'ar- 
gent qui  ont  trop  longtemps  insulté  à  la  misère  du 
peuple  et  déshonoré  la  simplicité  de  la  véritable  reli- 
gion seront  enlevés  de  tous  les  temples  et  de  tous  les 


1.  Imprimé  du  temps. 

2.  Impr.  in-8o. 

12 


206     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

édifices  où  ils  pourraient  se  trouver,  et  portés  aux  dé- 
partements pour  être  ensuite  déposés  sur  l'autel  de  la 
patrie. 

Art.  YI.  —  Les  ministres  du  culte  qui  par  l'acte  su- 
blime du  mariage  et  parle  concours  de  leurs  lumières 
briseront  le  bandeau  de  l'erreur  ,  apprendront  au 
peuple  la  sainte  vérité  et  tâcheront  de  réparer  les 
maux  affreux  que  l'hypocrisie  de  leurs  prédécesseurs  a 
vomis  sur  la  surface  de  la  terre,  seront  regardés  comme 
apôtres  de  l'humanité  et  recommandés  à  la  généro- 
sité nationale. 

Art.  VII.  —  Ceux  qui,  soit  par  leurs  discours,  soit 
parleurs  actions,  retarderont  le  triomphe  de  la.  liaison 
et  la  destruction  des  préjugés,  seront  traités  comme 
ennemis  du  genre  humain  et  déportés  dans  les  déserts 
destinés  aux  prêtres  réfractaires  *. 

C'était  la  même  chose  dans  le  nord  et  dans  le  centre 
de  la  France,  à  Lille,  à  Bourges,  à  Marseille,  à  Mont- 
pellier, à  Toulouse,  à  Bordeaux,  à  Nantes,  à  Brest  et 
à  Rouen,  partout  enfin  où  se  trouvaient  alors  des 
représentants  en  mission,  et  à  leur  suite  des  armées 
révolutionnaires.  Peut-on  dire,  en  présence  de  pareils 
faits,  attestés  par  cent  cinquante  procès-verbaux  im- 
primés, que  la  Convention  laissa  la  France  abolir 
elle-même  son  ancien  culte?  Toutefois,  Robespierre 
et  ses  amis  n'étaient  pas  du  complot,  car  ils  se  pro- 
posaient d'asservir  le  catholicisme,  comme  fera  plus 
tard  Napoléon,  et  non  pas  de  le  détruire  ;  les  vérita- 
bles chefs  du  mouvement  furent  les  Hébertistes. 
Robespierre  vit  avec  colère  ces  «  mascarades  »,  le 
mot  est  de  lui;  et  ce  n'était  pas,  comme  le  dit  encore 

1.  Impr.  Strasbourg,  17  brumaire,  an  II, 


INTERDICTION  DU  CULTE  207 

M.  Thiers,  le  peuple  français  qui  les  faisait,  cétait  la 
lie  du  peuple,  les  massacreurs  de  septembre,  les 
hommes  à  grandes  moustaches  que  l'on  retrouvait 
chaque  jour  aux  Jacobins,  dans  les  tribunes  de  la 
Convention  et  aux  abords  de  la  guillotine.  Robes- 
pierre s^efforça,  quelques  mois  plus  tard,  de  réparer  la 
faute  commise,  et  plusieurs  de  ses  contemporains  ont 
cru  qu'il  avait  l'intention  de  rétablir  peu  à  peu  non 
seulement  le  catholicisme,  mais  même  l'ancien  ré- 
gime ecclésiastique  ^ 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  grande  comédie  que  Chau- 
mette  ,  Anacharsis  Clootz  ,  Vincent  et  leurs  amis 
de  la  Commune  révolutionnaire  avaient  préparée  de 
longue  main,  fut  jouée  le  17  brumaire  (7  novembre) 
en  pleine  Convention  *.  L'évêque  Gobel,  prélat  de 
l'ancien  régime  que  la  Révolution  avait  porté  sur  le 
siège  métropolitain  de  Paris,  et  qui  avait  déclaré  la 
veille  au  soir  «  qu'il  ne  connaissait  point  d'erreurs 
dans  sa  religion,  qu'il  n'en  avait  point  à  abjurer,  et 

i.  Journal  7yis.  de  Claude  Lecoz,  évêque  constitutionnel  de 
Rennes,  cilé  dans  une  Vie  ms.  de  cet  évêque  par  Tex-bénédic- 
tion  dom  Grappin. 

2.  C'est  la  Commune  de  Paris  qui  a  pris  l'initiative  de  ces 
«  mascarades  »,  et  voici  comment  l'auteur  de  la  Sotice  sur  la 
vie  de  Siei/ès  (1793),  probablement  Sieyès  lui-même,  s'expri- 
mait sur  le  compte  de  cette  fameuse  assemblée  :  «  Cette  Com- 
mune municipale,  où  les  événements  de  septembre  1792  avaient 
transporté  toute  la  force  réelle,  où  les  idées  les  plus  incohé- 
rentes qui  aient  déshonoré  le  cerveau  humain  passaient  pour 
un  système  de  démocratie  digne  du  peuple  français,  où  les 
formes  sales,  les  mœurs  abjectes,  le  langage  corrompu,  les 
appétits  brutaux  sortis  des  cloaques  les  plus  impurs,  les  plus 
bicétriques,  étaient  regardés  comme  le  signe  d'un  patriotisme 
ardent,  comme  la  seule  preuve  d'un  amour  sincère  de  l'éga- 
lité.... »  Ne  s'aperçoit-on  pas,  en  lisant  ces  lignes  vieilles  de 
quatre-vingt-dix  ans,  que  l'histoire  est,  comme  on  la  dit,  un 
perpétuel  recommencement? 


208     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

qu'il  s'y  tiendrait  collé  »  *,  parut  à  la  tribune  et  pro- 
nonça le  discours  suivant,  que  nous  rapporterons 
d'après  le  Procès-verbal  officiel  imprimé  par  ordre  de 
la  Convention  pour  être  envoyé  aux  autorités  consti- 
tuées et  aux  armées  *. 

«  Gobet  {sic),  évêque  de  Paris,  prie  les  Représen- 
<(  tants  du  peuple  d'entendre  sa  déclaration.  Né  plé- 
«  béien,  j'eus  de  bonne  heure  dans  l'âme  les  principes 
«  de  la  liberté  et  de  l'égalité.  Appelé  à  l'Assemblée 
«  constituante  par  le  vœu  de  mes  concitoyens,  je  n'at- 
«  tendis  pas  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme  pour 
«  reconnaître  la  souveraineté  du  peuple.  J'eus  plus 
«  d'une  occasion  de  faire  publiquement  ma  profession 
«  de  foi  politique  à  cet  égard,  et  depuis  ce  moment 
«  toutes  mes  opinions  ont  été  rangées  sous  ce  grand 
«  régulateur.  Depuis  ce  moment,  la  volonté  du  peuple 
«  souverain  est  devenue  ma  loi  suprême;  mon  premier 
«  devoir,  la  soumission  à  ses  ordres.  C'est  cette  volonté 
«  qui  m'avait  élevé  au  siège  de  l'évêché  de  Paris,  et 
«  qui  m'avait  appelé  en  même  temps  à  trois  autres. 
«  J'ai  obéi  en  acceptant  celui  de  cette  grande  cité,  et 
«  ma  conscience  me  dit  qu'en  me  rendant  au  vœu  du 
«  peuple  du  département  de  Paris,  je  ne  l'ai  pas 
<(  trompe  ;  que  je  n'ai  employé  l'ascendant  que  pouvait 
«  me  donner  mon  titre  et  ma  place  qu'à  augmenter 
«  en  lui  son  attachement  aux  principes  éternels  de  la 
«  liberté,  de  l'égalité  et  de  la  morale,  bases  néces- 
«  saires  de  toute  constitution  vraiment  républicaine. 
«  Aujourd'hui  que  la  Révolution  marche  à  grands  pas 

1.  Nouvelles  ecclésiastiques  de  1794,  p.  132,  d'après  le  Bulletin 
du  tribunal  révolutionnaire. 

2,  Paris,  Impr.  nationale,  34  pages  in-8». 


INTERDICTION  DU  CULTE  209 

"  vers  une  fin  heureuse,  puisqu'elle  emmène  toutes  les 
<'  opinions  à  un  seul  centre  politique,  aujourd'hui  qu'il 
«  ne  doit  plus  y  avoir  d'autre  culte  public  et  national 
u  que  celui  de  la  liberté  et  de  la  sainte  égalité,  parce 
«  que  le  souverain  le  veut  ainsi;  conséquent  à  mes 
«  principes,  je  me  soumets  à  sa  volonté,  et  je  viens 
"  vous  déclarer  ici  hautement  que  dès  aujourd'hui  je 
renonce  à  exercer  mes  fonctions  de  ministre  du  culte 
«  catholique.  Les  citoyens  mes  vicaires  ici  présents  se 
«  réunissent  à  moi  ;  en  conséquence  nous  vous  remet- 
te tons  tous  nos  titres.  » 

Signé  :  Gobet.  Denoux,  Laborey, 
Delacroix,  Lambert,  Priqueler, 
Voisard,  BouUiot,  Gênais,  Des- 
landes, Dhabèsrfîf  Saint-Martin*. 

1.  Ce  discours  de  Gobel,  on,  pour  mieux  dire,  ceux  de  Lin- 
det,  G.iy-Vernon,  Torné  et  autres  apostats,  furent  mis  en  vers. 
avec  une  certaine  verve,  par  Léonard  Bourdon  :  le  Tombeau 
des  imposteurs  et  V inauguration  du  temple  de  la  Vérité,  sans- 
culottide  dramatique,  acte  III,  se.  v. 

L'évéque  aux  citoyens  : 

...  Asservis  trop  longtemps,  apôtres  de  l'erreur, 

iSous  courbâmes  nos  fronts  sous  un  culte  imposteur. 

Trompés  dès  le  berceau  par  des  sots  ou  des  traîtres. 

L'ordre  de  nos  parents  nous  fit  devenir  prêtres. 

Au  nom  d'un  dieu  vengeur  nos  mains  rivaient  vos  fers, 

Et  pour  mieux  l'asservir  nous  trompions  l'univers. 

Dieu,  c'est  la  vérité,  la  raison,  la  nature. 

Jésus  ne  fut  qu'un  homme,  il  fut  législateur. 

Mais  n'enseigna  jamais  un  dogme  destructeur. 

11  fut  ami  du  peuple,  ennemi  du  despote. 

Il  fut  peut-être  aussi  le  premier  sans-culotte; 

Mais  il  ne  fut  pas  Dieu...  Raison,  Égalité, 

Liberté,  citoyens,  voilà  la  Trinité.  Etc. 

Cette  pièce,  dont  les  auteurs  étaient  Léonard  Bourdon,  Moline 
et  Yalcour,  avec  musique  de  Foignet  et  Porta,  fut  imprimée  à 
Paris  en  l'an  II,  100  pages  ia-S». 

12. 


210     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

«  Je  déclare  que  mes  lettres  de  prêtrise  n'étant  pas 
«  en  mon  pouvoir,  je  les  remettrai  dès  que  je  les  aurai 
«  reçues.  »  Telmon. 

((  Je  fais  la  même  déclaration,  et  je  signe,  Nour- 
«  maire  ^  » 

«  Les  mots  de  Vive  la  République!  ont  été  répétés 
«  par  tous  les  spectateurs  et  les  membres  de  la  Con- 
«  vention  au  milieu  des  plus  vifs  applaudissements  *.  » 

Telle  fut  la  véritable  déclaration  de  Gobel,  et  l'on 
peut  voir  que  ce  malheureux  avait  pris  la  peine  de 
l'écrire,  de  la  faire  signer  à  ses  vicaires  ;  qu'on  relise 
ce  chef-d'œuvre  de  platitude,  et  l'on  se  persuadera, 
comme  l'a  très  bien  fait  observer  Grégoire,  que  l'ancien 
évêque  de  Lydda  avait  simplement  abdiqué  ,  sans 
ajouter  un  seul  mot  qui  pût  froisser  le  dogme  ni  la 
morale  '. 

Néanmoins  Ghaumette  demanda  que,  pour  fêter  le 
jour  où  la  Raison  reprenait  son  empire,  on  donnât 
dans  le  nouveau  calendrier  une  place  au  jour  de  la 
Raison.  Ensuite  le  curé  de  Vaugirard,  «  revenu  des 
préjugés  que  le  fanatisme  avait  mis  dans  son  cœur  et 
dans  son  esprit  »,  déposa  ses  lettres  de  prêtrise,  et  le 
président  Laloi  fit  un  petit  discours  qui  se  terminait 
par  ces  mots  :  «  ...  L'Être  suprême  ne  veut  de  culte 
«  que  celui  de  la  Raison,  il  n'en  prescrit  pas  d'autre,  et 
«  ce  sera  désormais  la  religion  nationale.  »  Gobel  aurait 
dû  bondir  en  entendant  ces  derniers  mots;  mais  la 

1.  C'est  Tournaire  qu'il  faut  lire.  Les  vicaires  Girard,  Baudin, 
Lothringer,  Mille,  Blondeau,  Daunou  et  Mévolhon  ne  s'étaient 
pas  joints  à  leurs  collègues,  mais  il  paraît  que  trois  seulement 
s'y  refusèrent;  les  autres  s'étaient  sans  doute  déjà  déprélrisés, 

2.  Procès-verbal,  p.  21. 

3.  Histoire  des  sectes,  t.  I""",  p.  71. 


INTERDICTION  DU  CULTE  211 

peur  s'était  rendue  maîtresse  de  ce  lâche;  il  garda  le 
silence  et  déposa  sur  l'autel  de  la  patrie  sa  croix  et 
son  anneau.  Plusieurs  membres  demandèrent  au  pré- 
sident de  donner  l'accolade  à  l'évêque  de  Paris,  mais 
Laloi  observa  qu'après  l'abjuration  qui  venait  d'être 
faite,  l'évêque  de  Paris  était  un  être  de  raison;  il 
embrassa  le  citoyen  Gobel,  et  ce  nouveau  Judas  quitta 
la  salle  au  milieu  d'un  tumulte  indescriptible,  «  d'un 
tapage  épouvantable  »,  comme  dit  Grégoire- 
Coupé  (de  l'Oise) .  Lindet ,  ci-devant  évêque  du 
département  de  l'Eure,  Julien  de  Toulouse,  ministre 
protestant,  Gay-Vernon,  ci-devant  évêque,  Villers, 
curé,  et  enfin  l'ex-vicaire  épiscopal  Gomers  firent  la 
même  déclaration  aux  cris  répétés  de  vive  la  Répu- 
blique! vive  la  liberté!  comme  si  la  République  et 
surtout  la  liberté  devaient  recueillir  quelque  avantage 
de  ces  honteuses  palinodies.  Le  procès-verbal  officiel 
ajoute  ces  simples  mots  :  «  Plusieurs  membres  ont 
«  observé  que  cette  journée,  marquée  par  le  triomphe 
«  de  la  raison  sur  le  fanatisme,  était  trop  mémorable 
«  pour  n'en  pas  consacrer  le  souvenir  dans  les  fastes 
«  de  la  République,  et,  en  conséquence,  la  Conven- 
«  tion  nationale  a  décrété  l'impression  du  procès- 
<(  verbal  de  ce  jour  et  l'envoi  aux  autorités  constituées 
«  et  à  l'armée. —  La  séance  est  levée.  » 

Voilà  tout  ce  qu'on  peut  lire  dans  cet  important 
document,  et  cependant  les  journaux  de  l'époque,  le 
Moniteur  entre  autres,  ont  raconté  la  suite  de  cette 
fameuse  séance.  «  Cette  apostasie  éclatante,  dit  un 
historien  récent  de  la  Terreur  *,  devait  avoir  des  imi- 


1-  H.  Wallon,  La  Terreur,  études  critiqties  sur  F  histoire  de  la 
Révolution  française,  t.  I*',  p.  260. 


212     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

tateurs  dans  la  Convention.  Grégoire,  évéque  de  Blois, 
comme  dit  avec  une  intention  marquée  le  compte 
rendu  de  la  séance,  survenant  après  la  sortie  de 
Gobcl,  dit  : 

«  J'arrive  en  ce  moment  dans  l'assemblée.  On  vient 
«  de  m'apprendre  que  plusieurs  évoques  avaient  ab- 
«  diqué.  S'agit-il  de  renoncer  au  fanatisme?  Cela  ne 
«  peut  me  regarder.  Je  l'ai  toujours  combattu;  les 
«  preuves  en  sont  dans  mes  écrits,  qui  respirent  tous 
«  la  haine  des  rois  et  de  la  superstition.  Parle-t-on  des 
«  fonctions  d'évêque?  Je  les  ai  acceptées  dans  des 
«  temps  difficiles,  et  je  suis  disposé  à  les  abandonner 
«  quand  on  le  voudra. 

«  Plusieurs  voix  :  On  ne  veut  forcer  personne. 

«  TuuRiOT  :  Que  Grégoire  consulte  sa  conscience 
«  pour  savoir  si  la  superstition  est  utile  aux  progrès 
«  de  la  liberté  et  de  l'égalité.  (Séance  du  17  brumaire. 
«  Moniteur  du  19.) 

<(  Grégoire  se  tut,  et  ce  silence  lui  fut  imputé  à  cou- 
«  rage.  C'était  un  évêquc  constitutionnel.  » 

Un  évéque  constitutionnel!  ce  simple  mot  ne  dit-il 
pas  tout?  Ne  suffit-il  pas  de  le  prononcer  au  risque  de 
calomnier  un  honnête  homme?  et  faut-il  prendre  la 
peine  d'aller  chercher  la  vérité  autre  part  que  dans  Iç 
Moniteur  *?  La  vérité,  c'est  que  Grégoire  a  bravé 
l'échafaud  ce  jour-là,  c'est  qu'il  a  résisté  aux  caresses 
et  aux  menaces  de  ses  collègues  qui  se  flattaient  de 
voir  le  coryphée  du  clergé  patriote  donner  l'exemple 


1.  Le  Moniteur  n'était  point  alors  ce  qu'il  est  devenu  sous 
Bonaparte,  un  journal  officiel.  C'était  assurément  le  mieux  ren- 
seiguc  de  tous  les  journaux,  mais  il  flattait  les  puissances  du 
moment,  et,  dans  les  circonstances  délicates,  on  doit  le  con- 
sulter avec  les  plus  grandes  précautions. 


INTERDICTION  DU  CULTE  213 

de  la  «  déprêtrisation  »  ;  c'est  qu'il  a  fait  à  la  tribune 
un  très  beau  discours  pour  déclarer  qu'il  entendait 
demeurer  prêtre,  c'est  enfin  que  la  Convention  n'a 
point  osé  faire  mention  de  ce  discours  dans  le  procès- 
verbal,  et  que  le  Moniteur,  moins  scrupuleux,  l'a 
reproduit  en  le  dénaturant  de  la  manière  la  plus 
perfide.  Grégoire  a  protesté  contre  cette  odieuse  fal- 
sification dans  son  Histoire  des  sectes  K  et  ensuite  dans 
ses  Mémoires  *;  les  témoignages  multipliés  de  ses  con- 
temporains, amis  ou  ennemis,  ont  prouvé  surabon- 
damment qu'il  avait  raison,  et  il  semble  qu'on  devait 
tenir  compte  de  sa  réclamation.  Voici  d'ailleurs  le 
véritable  discours  de  Grégoire,  tel  qu'il  déclare  l'avoir 
transcrit  de  souvenir  au  sortir  de  la  séance  : 

«  J'entre  ici  n'ayant  que  des  notions  très  vagues  de 
«  ce  qui  s'est  passé  avant  mon  arrivée.  On  me  parle 
«  de  sacrifices  à  la  patrie,  j'y  suis  habitué;  d'attache- 
<(  ment  à  la  cause  de  la  liberté?  j'ai  fait  mes  preuves; 
«  s'agit-il  du  revenu  attaché  à  la  qualité  d'évêque?  je 
«  vous  l'abandonne  sans  regret.  S'agit-il  de  religion? 
«  cet  article  est  hors  de  votre  domaine  et  vous  n'avez 
"  pas  droit  de  l'attaquer.  J'entends  parler  de  fana- 
«  tisme  et  de  superstition...,  je  les  ai  toujours  com- 
«  battus  :  mais  qu'on  définisse  ces  mots,  et  l'on  verra 
«  que  la  superstition  et  le  fanatisme  sont  diamétrale- 
ce  ment  opposés  à  la  religion.  Quant  à  moi,  catholique 
«  par  conviction  et  par  sentiment,  prêtre  par  choix, 
«j'ai  été  désigné  par  le  peuple  pour  être  évêque; 
«  mais  ce  n'est  ni  de  lui  ni  de  vous  que  je  tiens  ma 
«  mission.  J'ai  consenti  à  porter  le  fardeau  de  l'épi- 


\.  Edit.  de  182S,  t.  Ie^  p.  71. 
2.  T.  II,  p.  32. 


214     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  scopat  dans  un  temps  où  il  était  entouré  de  peines  : 
«  on  m'a  tourmenté  pour  l'accepter;  on  me  tourmente 
«  aujourd'hui  pour  faire  une  abdication  qu'on  ne 
«  m'arrachera  pas.  J'ai  tâché  de  faire  du  bien  dans 
«  mon  diocèse;  agissant  d'après  les  principes  sacrés 
«  qui  me  sont  chers  et  que  je  vous  défie  de  me  ravir, 
«  je  reste  évèque  pour  en  faire  encore.  J'invoque  la 
«  liberté  des  cultes.  » 

Il  est  donc  vrai  de  dire,  après  avoir  lu  ce  discours, 
que  Grégoire  a  fait  preuve  d'héroïsme  le  17  bru- 
maire *,  et  qu'il  a  mérité  ce  jour-là  le  bel  éloge  que 
lui  adressait  en  1801  l'un  de  ses  adversaires  reli- 
gieux, l'abbé  de  Siran  :  «  Grégoire,  évoque  de  Blois, 
«  eut  seul  alors  le  courage  de  résister  au  torrent;  il 
«  exposa  sa  tête  pour  ne  point  compromettre  les  prin- 
«  cipes  ;  et  quand  on  est  si  pur  dans  la  cause  de  Dieu, 
«  on  devrait  bien  lui  pardonner  de  s'être  montré  si 
«  indiscret  dans  la  cause  des  rois  *.  »  Grégoire  exposait 
véritablement  sa  tête,  comme  dit  l'abbé  de  Siran,  car 
il  ignorait  alors  que  les  saturnales  du  17  brumaire 
déplaisaient  fort  à  Robespierre  et  devaient  amener 
la  proscription  de  Chaumette,  de  Clootz  et  de  Gobel, 
accusés  d'athéisme  ^;  les  avertissements,  les  repro- 


1.  En  1815,  rex-conventionnel  Roiiyer  écrivant  à  Grégoire  lui 
disait  :  «  D'après  les  principes  ou  les  préjugés  dont  on  a  imbu 
votre  enfance,  et  qu'en  1793  vous  avez  eu  le  courage  ou  plutôt 
l'héroïsme  de  professer  à  la  tribune  au  péril  de  vos  jours...  » 

2.  Lettj^e  autographe,  16  décembre  1801. 

3.  Ou  lit  dans  le  Grand  Dictionnaire  du  xix^  siècle  (Fêtes  de 
la  Raison,  t.  XIII,  p.  634)  :  «  Grégoire,  évoque  de  Blois,  poussé 
peut-être  par  le  parti  de  Robespierre,  vint  à  la  tribune  déclarer 
nettement  qu'il  était  chrétien  et  qu'il  refusait  de  se  démettre. 
Sa  fermeté  ne  souleva  aucune  objection.  »  11  y  a  dans  ces 
quelques  lignes  une  grosse  erreur  et  une  insinuation  calom- 
nieuse, il  suffit  de  les  mentionner. 


INTERDICTION  DU  CULTE  215 

ches,  les  menaces  et  les  injures  que  lui  prodiguèrent 
le  jour  même  et  les  jours  suivants  ses  collègues  de  la 
Convention  et  du  Comité  d'Instruction  publique,  sans 
ompler  les  elubistes  et  les  folliculaires  que  sa  résis- 
tance exaspérait,  n'étaient  nullement  pour  le  ras- 
surer. Il  fut  interpellé  vivement  par  Fourcroy,  dé- 
noncé aux  Jacobins  et  admonesté  publiquement  par 
le  Sans-Culotte  observateur  *  ;  trois  individus  se  ren- 
dirent même  chez  lui  pour  lui  faire  sentir  la  nécessité 
d'une  abjuration,  et  l'un  de  ces  énergumènes  alla 
jusqu'à  lui  dire  en  propres  termes  :  «  Tu  viens  de 
«  monter  deux  degrés  de  l'échafaud,  tu  monteras 
«  le  dernier  *.  »  Grégoire  répondit  sans  se  troubler 
qu'il  était  prêt,  et  au  lieu  de  fuir  comme  tant  d'au- 
tres, il  resta  courageusement  à  son  poste.  On  le  vit 
assister  aux  séances  du  Comité  d'Instruction  pu- 
blique et  prendre  une  part  active  aux  magnifiques 
travaux  qui  seront  toujours  l'honneur  de  ce  Comité. 
C'est  au  plus  fort  de  la  Terreur  qu'il  prépara,  de  con- 
cert avec  ses  collègues,  les  projets  de  loi  qui  don- 
nèrent naissance  à  l'École  polytechnique,  aux  Écoles 
normales,  au  Conservatoire  des  arts  et  métiers,  au 
Bureau  des  longitudes,  au  Conservatoire  de  musique 
et  à  tant  d'autres  établissements  du  même  genre  ^. 
Mais  là  encore,  comme  il  le  dit  dans  ses  Mémoires, 
Grégoire  était  réduit  à  lutter  sans  cesse  contre  le 
fanatisme  antichrétien  des  philosophes,  et  il  s'esti- 
mait heureux  quand  il  avait  pu  «  empêcher  le  mal  », 
car  c'était  déjà  «  faire  quelque  bien  *  ».  Ses  collègues 

1.  Cf.  Mémoires  de  Grégoire,  II,  132. 

2.  Ibid.,  l,  90. 

3.  Cf.  Despois,  le  Vandalisme  révolutionnaire,  passiin. 

4.  Mémoires  de  Grégoire,  I,  342. 


2]  6     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

du  Comité  d'Instruction  publique  savaient  tous  que 
cet  homme  aux  bas  violets  récitait  chaque  jour  son 
bréviaire  et  disait  la  messe  dans  son  oratoire  domes- 
tique ;  mais  il  faut  dire  à  leur  louange  qu'ils  ne  l'en 
estimaient  que  plus  et  ne  l'en  chérissaient  pas  moins. 
Ils  évitaient  môme  de  le  contrister  à  ce  sujet,  et 
c'était  pendant  son  absence,  lorsqu'il  était  malade 
ou  en  instance  auprès  du  Comité  de  sûreté  générale 
pour  obtenir  l'élargissement  d'un  savant  ou  d'un 
prêtre,  que  le  Comité  d'Instruction  publique  mani- 
festait par  des  actes  son  opposition  au  catholicisme  ^ 
S'il  était  assidu  aux  séances  de  son  Comité,  en 
revanche  Grégoire  se  montrait  le  moins  possible  à  la 
Convention,  et  beaucoup  de  ses  collègues  faisaient  de 
même  :  ils  rougissaient  d'appartenir  à  une  assemblée 
d'esclaves.  Il  y  reparut,  et  même  avec  éclat,  le 
9  pluviôse  an  II  (28  janvier  1794),  pour  lire  un  très 
remarquable  rapport  au  sujet  des  livres  élémentaires; 
mais  on  ne  le  vit  ni  dans  le  temple  de  la  Raison,  le 
20  brumaire,  ni  au  Champ  de  Mars,  le  20  prairial 
suivant,  lors  des  fêtes  absurdes  que  Robespierre 
daigna  consacrer  à  l'Etre  suprême  *.  Le  dictateur  fut 


1.  D'autres  fois  ils  s'associaient  à  ses  vues  patriotiques  et 
généreuses;  c'est  sur  sa  proposition  que  fut  pris,  le  28  messidor 
an  m  (16  juillet  1793),  l'arrêté  suivant,  que  je  transcris  sur 
l'Extrait  officiel  du  registre  de  leurs  délibérations  : 

«  Le  Comité  d'Instruction  publique,  considérant  que  les 
«  bonnes  mœurs  sont  la  base  d'un  gouvernement  républicain, 
«  arrête  que  les  préposés  aux  Bibliothèques  nationales  ne  prê- 
«  teront  point  à  la  jeunesse  les  livres  qu'ils  croiront  capables 
«  de  compromettre  les  mœurs. 

«  Pour  extrait   conforme, 
«  Grégoire,    Creuzé-Pascal,   Lalande, 
«  Villar,  Massieu,  Drulhe.  » 

2.  On  connaît  cette  fameuse  fête  du  20  prairial  dont  le  plan, 


LA  TERREUR  217 

informé  de  cette  façon  dagir.  et  cependant,  pour  des 
raisons  que  l'histoire  n"a  pas  encore  pénétrées,  Gré- 
goire, qui  avait  Robespierre  en  horreur  et  qui  affecta 
toujours  de  le  nommer  Robertspierre,  pour  insinuer 
qu'un  tel  monstre  ne  pouvait  pas  être  d'origine  fran- 
çaise, Grégoire  demeura  libre  en  1793  et  en  1794  *. 

Et  pourtant  la  Terreur  était  alors  plus  violente  que 
jamais;  on  avait  enlevé  aux  accusés  leurs  derniers 
moyens  de  défense,  et  les  Comités  de  Salut  public  et 
de  Sûreté  générale  pouvaient  faire  jeter  en  prison 
tous  les  députés  qu'ils  jugeraient  suspects.  Robes- 
pierre envoyait  les  athées  à  la  guillotine  et  se  décla- 
rait partisan  du  déisme  tel  que  le  concevait  Rous- 
seau; il  disait  à  tout  propos  que  la  Convention 
reconnaissait  la  liberté  des  cultes,  et  il  forçait  Chau- 
mette  lui-même  à  proclamer  en  plein  Conseil  de  la 
Commune  ces  beaux  principes  de  tolérance;  mais  ce 
n'était  de  sa  part  qu'une  comédie.  Les  cultes  étaient 
si  peu  libres  que  toutes  les  églises  de  Paris  furent  fer- 
mées en  moins  de  quinze  jours,  sans  que  Robespierre 
en  fit  rouvrir  une  seule,  et  qu'au  mois  d'avril  1794  il 

proposé  par  David,  commeace  ainsi  :  «  L'aurore  annonce  à 
peine  le  jour,  et  déjà  les  sons  d'une  musique  guerrière  reten- 
tissent de  toutes  parts  et  font  succéder  au  calme  du  sommeil 
un  réveil  enchanteur.  A  l'aspect  de  l'astre  bienfaisant  qui 
vivifie  et  colore  la  nature,  amis,  frères,  époux,  enfants,  vieil- 
lards et  mères  s'embrassent  et  s'empressent  à  l'envi  d'orner 
et  de  célébrer  la  fête  de  la  Divinité...  »  Rapport  fait  au  nom 
du  Comité  de  Salut  public  par  ilax.  Robespierre,  etc.  45  pages 
in-So. 

1.  Il  dit  même  dans  ses  Mémoires  (II,  52)  «  qu'en  179»  il 
confessa  quelques-uns  des  terroristes  les  plus  acharnés,  que 
d'autres  le  prièrent  de  confesser  leurs  femmes  ou  de  baptiser 
leurs  enfants  ».  N'a-t-on  pas  vu,  en  mai  1871.  un  membre  de  la 
Commune  assister  dévotement,  à  Saint-Etienne  du  Mont,  à  la 
première  communion  de  son  fils? 

13 


218     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

ne  restait  pas  en  France  cent  cinquante  paroisses  où 
l'on  dit  publiquement  la  messe.  Sur  les  2700  victimes 
que  la  guillotine  fit  à  Paris  seulement  jusqu'au  9  ther- 
midor, on  compte  environ  200  prêtres,  dont  la  moitié, 
ou  peu  s'en  faut,  étaient  des  constitutionnels  accusés 
«  de  propos  fanatiques  »,  comme  dit  en  plusieurs  en- 
droits l'horrible  Liste  des  Guillotinés  '.  Il  était  permis, 
disait  Chaumette,  de  louer  des  maisons  pour  les 
transformer  en  chapelles,  et  de  payer  des  ministres 
pour  y  célébrer  sans  désordre  n'importe  quel  culte  ; 
mais  il  arrivait  toujours  malheur  à  ceux  qui  préten- 
daient arguer  de  cette  permission.  A  Paris,  au  dire 
d'un  journal  très  bien  informé  ^,  deux  ou  trois  cha- 
pelles s'ouvrirent  en  décembre  1793,  et  l'on  y  vit 
durant  tout  l'hiver  une  foule  considérable. 

«  La  chapelle  de  l'Institution  de  l'Oratoire,  située 
«  à  l'extrémité  méridionale  de  Paris  ^  ne  désemplis- 
«  sait  pas  les  jours  de  fêtes  d'obligation,  qui  étaient 
«  les  seuls  où  on  y  fît  l'office.  Pendant  qu'une  messe 
«  se  disait,  il  y  avait  dehors  à  peu  près  autant  de 
«  monde  que  dedans,  attendant  que  cette  messe  fût 

1.  Cette  feuille  parut  régulièrement  jusqu'après  le  9  ther- 
midor. La  guillotine  fit  périr  à  Paris  environ  600  nobles,  moins 
du  quart  du  nombre  total  des  victimes;  200  marchands,  dont 
15  imprimeurs,  30  brocanteurs,  22  marchands  de  vin  et  16  épi- 
ciers, 112  magistrats,  100  officiers  de  tous  grades,  y  compris 
les  généraux  comme  Gustine,  Houchard  et  Westermann,  70  sol- 
dats, 25  médecins,  50  hommes  de  loi,  16  hommes  de  lettres, 
130  ouvriers,  76  domestiques,  23  perruquiers,  29  tailleurs  ou 
couturières,  2  femmes  publiques,  etc.,  etc.  D'après  une  note  au- 
tographe de  Grégoire,  les  frais  d'inhumation  s'élevèrent  à 
17  000  liv.,  et  l'on  acheta  pour  6  ou  7000  liv.  de  chaux  vive. 

2.  Nouvelles  ecclésiastiques  de  1794,  p.  134.  Gette  feuille,  si 
intéressante  pour  l'histoire  de  1794,  est  d'une  extrême  rareté. 

3.  Rue  d'Enfer,  là  où  se  trouve  aujourd'hui  l'hôpital  des 
Enfants  assistés. 


LA  TERREUR  219 

«  finie  pour  entendre  la  suivante.  Des  gens  de  la 
«  campagne,  qui  s'en  retournaient  après  avoir  vendu 
«  leurs  denrées,  profitaient  avec  joie  et  attendrisse- 
«  ment  de  cette  occasion  d'assister  au  saint  sacrifice 
«  dont  ils  étaient  privés  dans  le  lieu  de  leur  domicile. 
«  D'autres  y  venaient  exprès  de  deux  ou  trois  lieues, 
«  comme  on  allait,  pour  le  même  sujet,  du  faubourg 
«  Saint-Antoine  à  Bercy,  à  Charenton,  à  Saint-Maur, 
«  à  Chelles,  distant  de  quelques  lieues,  et  jusqu'à 
«  Lagny,  qui  est  au  moins  à  six  lieues.  L'après-midi, 
«  à  vêpres,  il  y  avait  autant  de  monde  que  la  cha- 
«  pelle  pouvait  en  contenir.  » 

Qu'arriva-t-il?  Après  des  vexations  de  tout  genre, 
les  persécuteurs  du  catholicisme  eurent  recours  à  la 
violence,  leur  arme  favorite. 

«  Il  s'y  présenta  quelques-uns  de  ces  hommes  que 
«  Robespierre,  qui  ne  valait  pas  mieux  qu'eux,  mais 
«  qui  les  connaissait  bien,  a  si  bien  peints  ;  qui  use- 
«  raient,  comme  il  le  disait,  cent  bonnets  rouges 
«  plutôt  que  de  faire  une  bonne  action.  Ils  affectaient 
«  de  semer  des  bruits  effrayants  contre  ceux  qui  fré- 
«  quentaient  la  chapelle  de  l'Institution.  Des  détache- 
«  ments  de  l'armée  révolutionnaire  et  de  la  garde 
«  nationale  devaient  venir  pour  la  foudroyer  à  coups 
«  de  canon  lorsqu'on  y  serait  assemblé.  Des  gens 
«  étaient  apostés  dans  les  rues  qui  y  conduisaient 
«  pour  vomir  des  injures  contre  ceux  qui  s'y  ren- 
<(  daient,  et  ils  leur  imputaient  de  vouloir  former  une 
«  nouvelle  Vendée.  Une  femme  insultée  par  de  sem- 
«  blables  propos  se  retourna  fixement  vers  l'aboyeur, 
«  et  dit  tout  haut  aux  personnes  qui  passaient  avec 
«  elle  :  «  Voulez- vous  voir  un  contre-révolutionnaire? 
«  —  Le  voilà!  »  L'aboyeur  déconcerté  demeura  muet. 


220     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  11  se  souvint  sans  doute  de  Robespierre,  qui  dénon- 
«  çait  les  ennemis  déclarés  du  culte  comme  suspects 
«  d'être  les  ennemis  secrets  de  la  Révolution.  Le 
«  comité  révolutionnaire  de  l'Observatoire,  et  surtout 
«  celui  du  Finistère  faisaient  un  crime  d'aller  à  cette 
«  chapelle,  et,  pour  cette  unique  raison,  refusaient  des 
«  certificats  à  ceux  qui  leur  en  demandaient.  Ils  fai- 
«  saient  même  avertir  dans  les  maisons  qu'on  eût 
«  à  s'en  abstenir  sous  peine  d'être  traité  comme 
«  suspect. 

«  Voyant  que,  malgré  toutes  ces  menées,  la  chapelle 
«  de  l'Institution  réunissait  toujours  une  grande  foule 
«  de  peuple,  ils  en  vinrent  aux  voies  de  fait. 

«  Le  comité  révolutionnaire  de  l'Observatoire , 
«  excité  par  d'autres,  ferma  cette  chapelle  dans  la 
«  semaine  de  la  Sexagésime  (:23  fév.  1794),  et  mit  en 
«  arrestation  à*  Saint-Lazare  celui  des  deux  prêtres 
«  qui  la  desservaient  dont  on  redoutait  davantage 
«  le  zèle  et  l'activité,  le  citoyen  Durand,  avec  le 
«  citoyen  Éloy,  marchand  mercier  plein  de  religion, 
«  de  courage  et  de  patriotisme.  C'était  ce  vertueux 
«  laïc  qui  avait  loué  la  chapelle,  en  observant  les  for- 
«  malités  nécessaires  pour  pouvoir  y  exercer  le  culte 
«  divin  en  toute  sûreté. 

«  Il  n'en  bougeait  point  tant  que  duraient  les  offices, 
«  afin  de  répondre  à  quiconque  pourrait  venir  pour 
«  les  troubler.  Il  y  vint  en  effet  de  ces  gens  à  bonnet 
«  rouge  et  à  moustaches  à  qui  il  ferma  la  bouche  en 
«  leur  montrant  les  papiers  qui  l'autorisaient.  Une 
«  autre  fois,  six  soldats  s'y  présentèrent  le  sabre  au 
«  côté  et  le  chapeau  sur  la  tête.  Eloy  s'approcha 
«  d'eux  et  leur  représenta  que  c'était  un  lieu  con- 
«  sacré  au  culte  catholique,  où  l'on  n'entrait  point  la 


LA  TERREUR  221 

«  tête  couverte.  Comme  ils  faisaient  quelques  diffi- 
«  cultes,  Éloy  leur  repartit  que  les  cultes  étaient 
«  libres,  que  personne  n'avait  le  droit  d'y  mettre  ob- 
«  stade,  et  que,  pour  s'en  convaincre,  ils  n'avaient  qu'à 
«  lire  l'affiche  collée  à  la  porte.  C'était  la  lettre  du 
«  Département  pour  notifier  à  toutes  les  autorités 
€  constituées  le  décret  de  la  Convention  du  16  fri- 

*  maire,  qui  leur  défendait  de  mettre  aucun  empê- 
«  chement  à  la  liberté  des  cultes.  Les  soldats  se  reti- 
c  rèrent  *. 

«  Avant  qu'on  eût  fermé  la  chapelle  de  l'Institution, 
e  un  pieux  laïc  avait  entrepris,  à  l'exemple  d'Éioy,  de 

*  rétablir  le  culte  catholique  dans  la  ci-devant  cha- 
«  pelle  des  religieuses  de  la  Conception,  à  l'extré- 
€  mité  de  la  rue  Saint-Honoré  *.  Le  comité  de  la 
«  section  y  envoya  des  gens  qui  prirent  les  noms, 
«  qualités  et  demeures  de  toutes  les  personnes  qui 
€  s'y  trouvèrent ,  ce  qui  les  intimida  assez  pour 
«  qu'elles  n'y  revinssent  plus.  Peu  de  jours  après,  le 
«  bon  citoyen  qui  avait  loué  cette  chapelle  fut  empri- 
«  sonné.  Le  comité  de  la  section  du  Finistère  en  usa 
«  de  même  à  l'égard  d'un  autre  honnête  laïc  qui  avait 
«  tenté  de  rétablir  le  culte  dans  la  chapelle  des  reli- 

1.  Eloy  avait  pris  une  sage  précaution  pour  éviter  les  tra- 
casseries, il  avait  déclaré  publiquement  qu'aucune  femme  ne 
serait  admise  dans  la  chapelle  sans  la  cocarde  nationale;  «  des 
«  gens  aposiés  pour  insulter  au  culte  catholique  faisaient  quit- 
«  ter  ces  cocardes  aux  femmes  assez  simples  pour  les  écouter, 
«  et  d'autres,  également  apostés,  arrêtaient  ensuite  celles  qui 
«  ne  les  avaient  pas  ».  Eloy  fut  inculpé  d'avoir  empêché  des 
citoyennes  de  porter  la  cocarde  aux  trois  couleurs;  il  ne  paraît 
pas  avoir  été  condamné  à  l'échafaud,  il  l'avait  pourtant  bien 
mérité. 

2.  Aujourd'hui  détruite,  elle  se  trouvait  en  face  de  l'église 
dite  de  l'Assomption,  non  loin  de  la  place  de  la  Concorde. 


222     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  gieuses  anglaises  de  la  rue  de  Loiircine...  Il  manda 
«  celui  à  qui  la  chapelle  avait  été  cédée,  le  força  de 
«  résilier  le  bail,  et  finit  par  l'envoyer  en  prison  pour 
«  avoir  voulu  profiter  de  la  liberté  des  cultes,  j 

La  Convention  tolérait  ces  attentats,  bien  qu'elle 
eût  à  plusieurs  reprises  décrété  cette  même  liberté 
des  cultes;  mais  il  suffira  de  citer  quelques-uns  de 
ces  décrets  pour  montrer  l'hypocrisie  de  Robespierre 
et  la  manière  dont  il  comprenait  la  liberté. 

1°  Décret  relatif  à  la  liberté  des  cultes. 

1.  Toutes  violences  et  mesures  contraires  à  la 
liberté  des  cultes  sont  défendues. 

2.  La  surveillance  des  autorités  constituées  et 
l'action  de  la  force  publique  se  renfermeront  à  cet 
égard,  chacun  pour  ce  qui  le  concerne,  dans  les  me- 
sures de  police  et  de  sûreté  publiques. 

3.  La  Convention  par  les  dispositions  précédentes 
n'entend  déroger  en  aucune  manière  aux  lois  ni  aux 
précautions  de  salut  public  contre  les  prêtres  réfrac- 
taires  ou  turbulents,  ou  contre  tous  ceux  qui  ten- 
teraient d'abuser  du  prétexte  de  religion  pour  com- 
promettre la  cause  de  la  liberté  *. 

2°  Le  Comité  de  Salut  public  aux  autorités  constituées  : 

...  Les  représentants  en  mission  ont  l'initiative  de 
la  solution  de  toutes  les  questions  concernant  le  gou- 
vernement révolutionnaire. 

...  La  liberté  des  cultes  doit  être  l'objet  de  votre 


1.  Convention  nationale,  décret  n»  432  (16-18  frimaire  an  II), 
14  pages  in-8o. 


LA  TERREUR  223 

sollicitude  ;  le  fonctionnaire  public  n'appartient  à 
aucune  secte,  mais  il  sait  qu'on  ne  commande  point 
aux  consciences,  il  sait  que  l'intolérance  et  l'oppres- 
sion font  des  martyrs  ;  que  la  voix  seule  de  la  raison 
fait  des  prosélytes...  Ménageons  les  consciences  fai- 
bles; ne  caressons  point  les  préjugés,  mais  loin  de 
les  attaquer  de  front,  qu'ils  s'évanouissent  devant  le 
flambeau  de  la  raison  ;  laissez-le  luire  aux  yeux  de 
tous...  Il  ne  reste  plus  qu'à  laisser  grossir  ce  torrent 
de  lumière;  bientôt  il  balayera  les  préjugés;  bientôt 
le  fanatisme  n'aura  plus  d'aliment.  A  le  bien  prendre, 
ce  n'est  déjà  plus  qu'un  squelette  qui,  réduit  chaque 
jour  en  poussière,  doit  insensiblement  tomber  sans 
effort  et  sans  bruit,  si,  assez  sages  pour  ne  pas 
remuer  ces  restes  impurs,  on  évite  tout  ce  qui  peut 
lui  permettre  d'exhaler  tout  à  coup  des  miasmes  pes- 
tilentiels et  orageux  qui,  inondant  l'atmosphère  poli- 
tique, porteraient  en  tous  lieux  la  contagion  et  la 
mort. 

Signé  :  Robespierre,  Billaud-Varennes, 

Carnot,    Prieur,   Lindet,   Saint-Just, 

Barère,  Couthon  *. 

3°  Le  Comité  de  Salut  public  aux  sociétés  populaires. 

...  Plus  les  convulsions  du  fanatisme  expirant  sont 
violentes,  plus  nous  avons  de  ménagements  à  garder. 
Ne  lui  redonnons  pas  des  armes  en  substituant  la 
violence  à  l'instruction.  Pénétrez-vous  bien  de  cette 
vérité  qu'on  ne  commande  point  aux  consciences.  Il 
est  des  superstitieux  de  bonne  foi,  parce  qu'il  existe 

1.  Impr.,  4  pages  in-l»,  28  nivôse  an  II. 


224     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

des  esprits  faibles...;  ce  sont  des  malades  qu'il  faut 
préparer  à  la  guérison  en  les  rassurant,  et  qu'on  ren- 
drait frénétiques  par  une  cure  forcée. 

Sociétés  populaires,  voulez-vous  anéantir  le  fana- 
tisme, opposez  aux  miracles  de  la  légende  les  pro- 
diges de  la  liberté;  aux  victimes  de  l'aveuglement  les 
martyrs  de  la  raison;  aux  mômeries  du  cagotisme  la 
conduite  sublime  des  Marat,  des  Pelletier,  des  Châlier; 
aux  mascarades  églisières  la  pompe  de  nos  fêtes 
nationales  ;  au  chant  lugubre  des  prêtres  les  hymnes 
de  la  liberté;  aux  oremus  insignifiants  l'amour  du 
travail,  les  belles  actions  et  les  actes  de  bienfai- 
sance... Jetez"  l'épouvante  dans  l'âme  des  fanatiseurs, 
versez  le  baume  dans  l'àme  des  fanatisés.  Surtout, 
dans  vos  discussions,  attachez-vous  moins  aux  indi- 
vidus qu'aux  principes...  Ne  développez  point  d'autre 
pouvoir  que  celui  de  l'instruction;  le  raisonnement 
est  l'arme  la  plus  forte  de  l'homme  de  bien...  Bientôt 
les  tempêtes  et  les  nuages  du  fanatisme  disparaîtront 
devant  le  soleil  de  la  raison. 

Signé  :  Robespierre,  Carnot,  Couthon, 
Lindet,  etc.  *. 

1.  Impr.,  4  pages  in-4»,  ventôse  an  II  (mars  1794).  A  Chaalons, 
chez  Pintevllle-Bouchard.—  La  liberté  des  cultes  était  si  grande 
en  ventôse  que  dans  le  seul  département  du  Gard  la  présence 
du  conventionnel  Borie  amena  169  abdications  de  prêtres  ou 
de  ministres;  il  y  en  avait  eu  1  en  brumaire,  9  en  frimaire,  5  ea 
nivôse  et  20  eu  pluviôse.  —  Arrêtés  des  16  et  17  prairial...  par 
Jean  Borie,  22  pages  in-S".  Sur  les  2000  prêtres  qui  se  mariè- 
rent pendant  la  Révolution,  1750  environ  prirent  femme  en  1794 
pour  éviter  la  guillotine;  il  y  a  dans  les  papiers  de  Grégoire 
un  certain  nombre  de  lettres  louchantes  écrites  par  ces  malheu- 
reux; l'un  d'entre  eux,  âgé  de  soixante-dix  ans,  avait  épousé 
sa  gouvernante,  qui  eu  avait  soixante-cinq,  etc.  —  Histoire  du 
mariage  des  prêtres,  par  Grégoire.  Lettres  mss. 


LA  TERREUR  225 

Ainsi  parlaient  à  la  France  les  membres  du  gou- 
vernement révolutionnaire,  et  si  l'on  prend  la  peine 
de  creuser',  que  trouvait -on  sous  cette  mauvaise 
phraséologie  de  rhéteur?  Lhypocrisie  et  le  men- 
songe. La  Convention  proclame  la  liberté  des  cultes, 
mais  ses  émissaires  ferment  toutes  les  églises  et  cha- 
pelles; les  représentants  en  mission  emprisonnent, 
guillotinent,  noient  ou  mitraillent  sur  tous  les  points 
du  territoire  les  prêtres  qui  refusent  de  se  marier  et 
d'apostasier;  quiconque  se  permet  de  réclamer  l'exé- 
cution de  la  loi  est  immédiatement  traité  comme  un 
suspect,  comme  un  agent  de  Pitt  et  Cobourg,  ou 
comme  un  complice  de  la  Vendée  *.  Dix  prêtres  asser- 
mentés de  Lorient,  sommés  par  le  club  de  cette  ville 
de  déposer  leurs  lettres  de  prêtrise  et  d'abjurer  leurs 
erreurs,  écrivent  au  conseil  de  la  Commune  la  belle 
lettre  que  voici  : 

«  Prêtres  pour  le  peuple  qui  nous  a  appelés,  son 
«  refus  unanime  seul  peut  nous  faire  retirer.  Quant 
«  aux  erreurs  qu'on  nous  impute,  nous  n'en  recon- 
€  naissons  ni  dans  le  culte  que  nous  exerçons,  ni 
«  dans  la  conduite  que  nous  tenons,  dont  la  base  fut 
«  et  sera  toujours  la  paix,  l'union  et  Tobéissance  aux 
€  lois.  Le  peuple  ne  peut  nous  en  refuser  son  témoi- 
€  gnage,  n'ayant  jamais  trompé  sa  confiance  ni  trahi- 


1.  Le  discours  de  Robespierre  sur  les  idées  religieuses  et  sur 
les  fêtes  nationales  montre  mieux  que  tout  autre  document 
l'hypocrisie  du  dictateur.  «  Les  prêtres  sont  à  la  morale  ce  que 
les  charlatans  sont  à  la  médecine,  etc.  »  L'article  X  du  projet 
de  décret  qui  suit  ce  rapport  est  ainsi  conçu  :  «  La  liberté  des 
cultes  est  maintenue  conformément  au  décret  du  18  frimaire. 
—  Art.  XI.  Tout  rassemblement  aristocratique  et  contraire  à 
l'ordre  public  sera  réprimé.  »  Rapport  et  projet  de  décret  du 
18  floréal  an  H. 

13. 


226     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  nos  serments.  Veuillez,  citoyens,  prendre  en  consi- 
«  dération  notre  adresse ,  nous  en  délivrer  acte, 
«  agréer  notre  refus  de  comparaître  à  la  société  po- 
«  pulaire  pour  nous  épargner  les  huées  qu'on  nous  y 
«  prépare,  et  être  assurés  que  nous  serons  toujours, 
«  comme  nous  l'avons  été  jusqu'à  présent,  dévoués  à 
a  la  République  française.  » 

Signé  :  Brossière,  curé;  La  Salle,  curé; 

Halley,Launay,  Gautier,  vic.;Evcn,pr.; 

Plaudrin,pr.;Riguidel,vic.;  Piron,pr.; 

Besancenet,  vie.  '. 

Ces  dix  prêtres  sont  aussitôt  décrétés  d'accusation 
et  «  traînés  de  prisons  en  prisons  comme  des  scélérats 
jusqu'à  Paris  ».  Ce  fut  partout  la  même  chose  en  1793 
et  en  1794;  nous  en  fournirions,  s'il  le  fallait,  mille 
preuves  au  lieu  d'une  ^,  et  dès  lors  on  ne  peut  plus 
dire  avec  M.  de  Pressensé  :  «  La  liberté  des  cultes 


1.  Lettre  ms.  de  Besancenet  à  Grégoire. 

2.  Les  papiers  de  Grégoire  contiennent  par  centaines  des 
rapports  sur  les  persécutions  locales.  A  Saint-Brieuc,  le  culte  ne 
fut  aboli  que  le  10  mars  1794.  A  la  Selle,  près  de  Yerneuil  (Eure), 
le  culte  cessa  seulement  le  2o  mars,  et  5  ou  600  personnes  assis- 
taient à  la  messe;  il  y  eut  même  une  commune  du  départe- 
ment de  la  Moselle,  celle  de  Mécleuves  (aujourd'hui  annexée), 
où  le  culte  ne  cessa  pas  du  tout.  «  Le  curé  Longpré,  âgé  de 
quatre-vingt-quatre  ans,  avait  été  envoyé  par  Mallarmé  à  la 
prison  de  Verdun;  il  s'y  rendait  à  cheval;  ses  paroissiens  l'ar- 
rêtèrent, le  ramenèrent,  le  gardèrent.  Ils  étaient  tous  républi- 
cains. »  Lettre  autographe  de  Francin,  évêque  de  Metz.  «  A 
Tournans  (Doubs),  la  fermeté  du  curé  Guillemin,  vieillard  plus 
que  septuagénaire,  a  tellement  déconcerté  les  tyrans  que  le 
culte  public  n'a  pas  férié  un  seul  instant  dans  sa  paroisse.  » 
Lettre  de  Roy,  président  du  presbytère  de  Besançon  1797.  De 
telles  exceptions  étaient  rares.  —  A  Dax,  en  1794,  le  carnaval 
fut  interdit,  comme  servant  à  alimenter  le  fanatisme;  les  bœufs 
gras  furent  confisqués  et  les  bouchers  punis,  etc. 


LA   TERREUR  22-7 

e  votée  par  la  Convention  se  réduisait  au  maintien 
«  de  l'ordre  de  choses  qui  existait  avant  le  carnaval 
«  inauguré  par  Chaumette  et  Hébert;  elle  souffrait, 
«  même  dans  ce  cadre  restreint ,  de  nombreuses 
«  exceptions.  Cependant,  ce  pas  en  arrière  avait  de 
«  l'importance.  La  proscription  de  la  religion  ne  pou- 
«  vait  plus  s'étendre  indéfiniment,  mais  ce  n'en  était 
«  pas  moins  la  liberté  comme  en  1793  *,  »  Au  con- 
traire, la  proscription  s'étendit  indéfiniment,  et  nous 
aurons  plus  d'une  occasion  de  montrer  les  plaies  hor- 
ribles qu'elle  fit  à  la  France. 

Que  pouvaient  faire  en  de  telles  circonstances  les 
hommes  qui  chérissaient  à  la  fois,  comme  le  dira 
en  1795  un  vénérable  prélat  constitutionnel  ^,  la  reli- 
gion et  la  Révolution,  la  religion  simple  «  qui  croit, 
aime,  pardonne,  soulage  et  récompense  »,  et  la  Révo- 
lution bienfaisante  et  sage  «  qui  rend  à  l'homme  ses 
droits,  sa  dignité,  qui  brise  le  sceptre  de  l'arbitraire, 
les  liens  de  la  féodalité,  qui  ne  reconnaît  de  distinc- 
tions que  les  vertus,  les  talents,  le  mérite,  qui  ne 
respire,  qui  n'inspire  que  la  tendre  fraternité,  etc.  »? 
que  pouvaient-ils  faire,  ces  chrétiens  patriotes  dont 
Grégoire  était  le  chef?  Ils  voyaient,  suivant  l'expres- 
sion du  bon  évéque  de  l'Orne,  «  la  religion  refoulée 
au  fond  des  consciences,  et  la  sublime  Révolution  de 
1789  déshonorée,  anéantie  pour  un  temps  ».  Élever 
la  voix,  c'eût  été  courir  inutilement  au-devant  du 
martyre,  ce  que  l'Évangile  leur  défendait,  et  redou- 


1.  L'Église  et  la  Révolution  française,  p.  289.  L'ouvrage  de 
M.  de  Pressensé  est  d'ailleurs  aussi  bien  fait  que  possible,  étant 
donnés  les  documents  que  l'auteur  pouvait  consulter. 

2.  Le  Fessier,  évèque  de  l'Orne,  ex-constituant  :  Lettre  pasto- 
rale du  1"  mai  1793  (vieux  style),  12  floréal  an  III,  14  pages  in-i". 


228     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

bler  la  rage  des  persécuteurs.  Ils  ne  pouvaient  donc 
que  donner  l'exemple  de  la  constance  et  attendre 
patiemment  l'heure  marquée  par  la  Providence.  «  Que 
faire  dans  une  telle  nuit?  disait  un  contemporain  *; 
attendre  le  jour!  »  C'est  ce  que  fit  Grégoire  depuis 
le  17  brumaire  jusqu'au  9  thermidor. 

1.  Notice  sur  la  vie  de  Sieyès,  1193. 


CHAPITRE  III 


LES   THERMIDORIENS   ET   LA   LIBERTE    DES    CULTES 
(1791  —  17^) 

Les  Thermidoriens  appartenaient  presque  tous  au 
parti  de  la  Montagne;  leurs  chefs,  Tallien,  Barras, 
P'réron,  Legendre,  Merlin  de  Thionville  et  Bourdon 
de  l'Oise,  avaient  même  été  naguère  au  nombre  des 
terroristes  et  des  persécuteurs  les  plus  redoutés.  En 
attaquant  Robespierre,  ils  se  proposaient  surtout 
d'échapper  eux-mêmes  à  la  guillotine,  et  après  la 
victoire  ils  ne  songèrent  nullement  à  ralentir  la  mar- 
che de  la  Révolution  *.  Mais  l'immense  majorité  du 
peuple  français  inclinait  dès  lors  vers  la  modération, 
et  l'on  se  répétait  en  tous  lieux  ce  mot  de  quelques 
Parisiens  aux  détenus  du  Plessis  :  «  C'est  fini,  Robes- 
pierre est  mort!  »  C'était  fini,  sans  doute;  mais  pou- 
vait-on se  flatter  d'un  retour  immédiat  au  règne  de  la 
Justice  et  de  la  loi?  Les  passions  étaient  encore  trop 

1.  Durand  de  Maillane,  faisant  observer  que  le  9  thermidor 
(27  juillet  1794)  était  un  dimanche,  dit  dans  ses  Mémoires  que 
Tallien  et  les  autres  terroristes  thermidoriens  «  n'avaient  eu 
que  le  courage  du  désespoir  ».  La  postérité  ne  peuse  pas  au- 
trement. 


230      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

animées,  la  situation  était  trop  difficile.  Les  ennemis 
de  la  Révolution  n'ayant  pas  désarmé,  il  fallait  ou. 
les  déconcerter  en  montrant  une  nouvelle  énergie, 
ou  leur  céder  la  victoire  et  s'exposer  à  leurs  ven- 
geances. Aussi  voyons-nous  que  les  lois  de  rigueur 
contre  les  émigrés  et  contre  les  prêtres  ne  furent  point 
rapportées  en  thermidor;  on  avait  ouvert  précipi- 
tamment les  portes  des  prisons,  on  s'empressa  de  les 
refermer,  et  l'on  comptait  encore,  à  Paris  seulement, 
5679  détenus  le  10  fructidor  ^  La  liberté  de  la  presse 
fut  néanmoins  reconnue,  sinon  proclamée,  et  l'on  put 
espérer  que  la  liberté  des  cultes,  bien  autrement  pré- 
cieuse aux  yeux  de  la  nation,  ne  tarderait  pas  à  l'être 
à  son  tour. 

Il  y  avait  à  la  Convention  trois  évêques  constitu- 
tionnels qui  ne  s'étaient  point  souillés  par  l'aposta- 
sie :  Grégoire,  évêque  de  Loir-et-Cher,  Royer,  évêque 
de  l'Ain,  Saurine,  évêque  des  Landes.  On  a  vu  que  le 
premier  n'avait  jamais  été  inquiété  durant  la  Terreur, 
mais  il  n'en  était  pas  de  même  de  ses  deux  confrères  : 
Royer  subit  une  longue  détention,  et  Saurine,  exclu 
de  la  Convention  avec  les  Girondins,  se  tint  caché 
pour  éviter  la  mort.  Sitôt  qu'il  fut  possible  de  se  réu- 
nir, ces  trois  évêques  formèrent  le  hardi  projet  de 
restaurer  le  catholicisme  et  de  relever  les  autels.  Ré- 
publicains sincères,  ils  n'avaient  aucune  arrière-pen- 
sée, aucune  ambition  personnelle,  et  le  catholicisme 
qu'ils  voulaient  rétablir  devait  être  en  harmonie  par- 
faite avec  les  institutions  démocratiques  de  la  France. 
Ils  s'adjoignirent  bientôt  un  quatrième  auxiliaire,  le 


1.  Le  21  ventôse  an  III  (10  mars  1793)  ce  nombre  était  réduit 
à  2188.  Journal  du  malin...,  24  ventôse. 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES       231 

citoyen  Desbois  de  Rochefort,  évêque  de  la  Somme, 
que  le  Comité  de  Sûreté  générale  venait  d'élargir,  et 
leur  plan  fut  arrêté  sans  délai.  Le  voici  tel  que  l'a 
retracé  Grégoire  dans  un  de  ses  opuscules  les  plus 
curieux'  :  «  Obtenir  la  liberté  du  culte,  le  réorganiser 
dans  toute  la  République,  travailler  à  la  réunion  du 
clergé  dissident,  rétablir  les  communications  tant 
avec  le  saint-siège  qu'avec  les  églises  étrangères,  tel 
fut  le  plan  de  nos  travaux.  » 

Il  s'agissait  avant  tout  de  conquérir  la  liberté  du 
culte;  or  la  Convention  n'était  nullement  disposée  à 
céder  sur  ce  point.  Elle  ne  persécutait  plus  directe- 
ment, mais  elle  applaudissait  aux  arrêtés  tyranniques 
que  prenaient  de  tous  côtés  les  représentants  en  mis- 
sion *,  et  ses  orateurs  les  plus  écoutés  se  déchaî- 
naient avec  fureur  contre  le  «  fanatisme  »  et  contre 
«  la  caste  impure  des  prêtres  ».  Le  20  septembre 
1794,  elle  fit  un  acte  de  justice  en  décrétant,  sur  la 
proposition  de  Cambon,  que  l'État  ne  salarierait  au- 
cun culte  et  accorderait  néanmoins  un  secours  an- 
nuel à  tous  les  ci-devant  ministres  des  cultes,  qu'ils 
eussent  abdiqué  ou  non;  mais  le  rapporteur  Cambon, 
ancien  prieur  du  Saint-Sacrement,  s'excusait  d'avoir 
à  parler  des  prêtres,  et  accusait  les  opinions  reli- 
gieuses d'avoir  c  fait  verser  des  flots  de  sang  dans 
le  xvm*  siècle  ».  La  Convention  était  tellement  hos- 


i.  Compte  rendu  au  Concile  national  de  1797,  84  pages  in-80. 

2.  En  voici  un  exemple  entre  mille  :  Le  Fessier,  évéque  con- 
stitutionnel de  l'Orne,  écrivit  secrètement  au  représentant  Ge- 
nissieu  pour  lui  demander  l'autorisation  d'accéder  au  vœu  de 
ses  diocésains  qui  le  réclamaient;  deux  gendarmes  apportèrent 
la  réponse;  c'était  un  mandat  d'amener,  et  Le  Fessier  subit  à 
Alençon  un  emprisonnement  de  jquarante-sept  jours.  —  Lettre 
ms,  de  Le  Fessier  à  Grégoire. 


232     HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

tile  à  toute  espèce  de  restauration  du  catholicisme 
que  Grégoire,  malgré  son  intrépidité  et  son  audace 
bien  connues,  dut  garder  en  poche  durant  cinq  mois 
un  discours  sur  la  liberté  des  cultes  qu'il  avait  soumis 
à  ses  collègues  les  «f  évêques  réunis  ».  Et  cependant 
l'évéque  de  Blois  parut  souvent  à  la  tribune  durant 
ces  cinq  mois  :  le  d4  frutidor,  le  8  brumaire  et  le 
24  frimaire,  il  lut  ses  beaux  rapports  sur  le  vanda- 
lisme; le  8  vendémiaire,  il  fit  créer  le  Conservatoire 
des  arts  et  métiers,  et  neuf  jours  plus  tard,  la  Con- 
vention vota,  sur  ses  conclusions,  300  000  francs  de 
gratification  aux  gens  de  lettres,  aux  artistes  et  aux 
savants  dont  il  avait  dressé  la  liste  avec  une  grande 
largeur  d'esprit  et  un  patriotisme  véritable.  Il  n'était 
nullement  question  du  catholicisme  dans  ces  diffé- 
rents rapports,  mais  leur  auteur  parlait  avec  véhé- 
mence des  églises  dévastées,  et  c'était  en  quelque 
sorte  préparer  le  terrain. 

Une  autre  difficulté  embarrassait  Grégoire  et  l'em- 
pêchait de  s'exprimer  avec  autant  de  force  qu'il  l'au- 
rait souhaité.  Beaucoup  de  conventionnels  se  plai- 
gnaient que  leurs  départements  respectifs  fussent 
travaillés  par  des  prêtres  réfractaires  sortis  de  prison 
ou  revenus  de  l'exil  sous  tous  les  déguisements  *. 
Borie  et  Barré  dénonçaient  les  manœuvres  de  ces 
prêtres  dans  l'Aveyron  et  dans  la  Lozère,  et  la  Société 
montagnarde  républicaine  de  Saverdun  (Ariège)  si- 
gnalait à  la  Convention  l'audace  des  ci-devant  pri- 
sonniers qui  affectaient ,  disait-elle  ,  des  propos 
menaçants. 


1.  Ils  se  déguisaient  en  ferblantiers,  en  canonniers,  quelques- 
uns  même  en  femmes.  Lettres  ms.  de  1794  et  1795. 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES        233 

«  A  les  entendre,  eux  et  leurs  nombreux  partisans, 
«  on  dirait  qu'au  régime  oppressif  établi  par  les  tyrans 
<  abattus  [Robespierre  et  ses  complices]  l'intention 
«  du  législateur  est  de  substituer  un  système  de  mo- 
«  dérantisme  et  de  clémence.  De  clémence  pour  des 
«  aristocrates,  des  royalistes  ou  des  traîtres!  Des  ré- 
«  publicains  ne  le  souffriront  jamais...  Que  les  prêtres 
«  apprennent  que  cette  justice  qu'ils  invoquent  avec 
«  tant  d'arrogance  et  de  perfidie  ne  doit  être  pour 
«  eux  que  la  déportation  ou  la  mort  *  I  » 

Des  récriminations  analogues  arrivaient  chaque 
jour  de  tous  les  points  du  territoire,  et  Grégoire  sa- 
vait par  sa  correspondance  particulière  que  ces  plaintes 
étaient  en  partie  fondées;  cent  lettres  qui  lui  furent 
adressées  alors  lui  prouvaient  que  l'ancien  clergé 
commençait  à  rentrer  et  à  miner  sourdement  le  gou- 
vernement républicain.  Le  moyen  de  réclamer  dans 
ces  conditions  une  liberté  qui  pouvait  allumer  la 
guerre  civile  aux  quatre  coins  de  la  France  ! 

Mais  d'autre  part  la  Convention,  redevenue  popu- 
laire depuis  qu'elle  avait  abattu  le  tyran,  était  litté- 
ralement accablée  de  lettres  et  de  pétitions  par  les- 
quelles on  lui  demandait  la  liberté  des  cultes.  Gré- 
goire en  a  conservé  un  certain  nombre,  et  rien  ne 
prouve  mieux  que  la  France  tenait  à  son  antique 
religion,  que  la  destruction  du  culte  en  1793  fut  à  la 
fois  un  grand  crime  et  une  grande  faute  politique.  En 
juin  1794,  dit  l'une  de  ces  pétitions,  «  des  bandes  de 
moissonneurs  s'arrêtaient  sous  les  portiques  des 
églises,  en  passant  dans  les  villes,  pour  y  faire  leur 
prière.  Dans  bien  des  endroits  on  les  a  laissés  faire, 

1.  Pièce  ms.  20  fructidor  an  II,  6  septembre  1794. 


234     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

en  quelques  autres  on  les  a  empêchés  ;  partout  on 
les  applaudissait.  »  Un  autre  pétitionnaire,  qui  citait 
pêle-mêle  Gicéron,  Plutarque,  Voltaire  et  Rousseau, 
s'exprimait  en  ces  termes  : 

«  En  vain  vous  efforceriez-vous  de  persuader  au 
«  peuple  français  que  vous  désirez  sincèrement  le 
«  rendre  libre  et  heureux  ;  tant  que  vous  ne  le  remet- 
«  trez  point  dans  la  jouissance  et  dans  le  plein  exer- 
«  cice  du  culte  de  ses  pères,  il  se  regardera  toujours, 
«  et  avec  raison,  comme  le  triste  et  le  vil  esclave  du 
«  plus  honteux  et  du  plus  détestable  de  tous  les  des- 
«  potismes...  Abolir  en  France  la  religion  chrétienne, 
«  c'était  enlever  à  la  nation  entière  la  plus  chère  et 
«  la  plus  sacrée  de  ses  propriétés...  Législateurs,  ré- 
«  tablissez  en  France  le  culte  catholique,  restituez  au 
«  peuple  français,  vos  commettants,  leurs  temples, 
«  leurs  autels,  etc.  L'allégresse  universelle  que  vous 
«  pouvez  répandre  sur  toute  la  surface  de  la  France 
«  par  ce  seul  décret  séchera  toutes  les  larmes,  rendra 
«  le  peuple  heureux,  et  vos  noms  immortels*.  » 


1.  Ce  pétitionnement  dura  longtemps,  et  voici  une  lettre 
qu'adressèrent  à  Grégoire,  le  8  ventôse  an  III  (26  février  1193), 
plus  de  soixante  habitants  de  la  commune  de  Luhier  (départ,  du 
Doubs).  Cette  lettre  est  curieuse;  elle  provient  d'une  commune 
que  M.  J.  Sauzay  maltraite  fort  dans  son  importante,  mais  très 
partiale  Histoire  de  la  persécution  révolutionnaire  dans  le  Doubs  : 

«  Les  patriotes  soussignés,  membres  de  la  Société  populaire 
de  Luhier,  département  du  Doubs,  district  d'Hypolite,  au  ci- 
toyen Grégoire,  représentant  du  peuple  à  la  Convention  natio- 
nale. 

«  Citoyen  représentant, 

«  Depuis  plus  d'un  an  un  des  droits  sacrés  de  l'homme,  celui 

du  libre  et  paisible  exercice  des  cultes,  est  indignement  violé. 

Les  vexations  commises  à  cet  égard  soulèvent  l'indignation  de 

toute  âme   droite,  et  partout   l'on   remarque   qu'elles   ont  été 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES         235 

Plusieurs  mois  s'écoulèrent  de  la  sorte  sans  que  la 
Convention  voulût  obéir  à  la  volonté  nationale  si  for- 
mellement exprimée,  sans  que  Grégoire  et  ses  amis 
pussent  élever  la  voix  en  faveur  du  christianisme  si 
injustement  persécuté.  Durant  ce  temps,  Grégoire  fît 
tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  rendre  possible  une 
prompte  revendication,  comme  aussi  pour  adoucir  les 
maux  dont  souffraient  encore  tant  de  malheureux.  On 
ne  saurait  croire  à  combien  de  prêtres,  assermentés 
ou  non.  car  sa  charité  ne  les  distinguait  pas  les  uns 
des  autres,  il  fit  alors  rendre  la  liberté.  Beaucoup  de 
ceux  qui  l'ont  anathématisé  depuis  seraient  morts  de 
misère  dans  les  cachots  ou  sur  les  pontons  s'il  n'avait 
fait  pour  leur  sauver  la  vie  les  démarches  les  plus  ac- 
tives et  les  plus  courageuses.  Le  19  fructidor  an  II 
(5  septembre  1794  .  l'ancien  évèque  d'Orange,  du  Til- 
let,  lui  adressa  de  Provins,  où  il  était  incarcéré,  une 
lettre  touchante  pour  implorer  sa  protection.  Grégoire 
courut  aussitôt  au  Comité  de  Sûreté  générale,  et  bien- 
tôt le  célèbre  David  écrivit  au  prélat  réfractaire  pour 
lui  annoncer  qu'il  était  libre.  Du  Tillet  se  montra  re- 
exercées par  les  agents  de  la  faction  agonisante  qui  d'ailleurs 
ne  respiraient  que  sang  et  que  terreur.  Le  temps  est  enfin 
venu  d'anéantir  toutes  les  traces  de  ce  système  désorganisateur. 
Il  faut  remporter  sur  ces  partisans  une  victoire  complète. 

«  Nous  envoyons  par  la  même  poste  une  pétition  à  la  Con- 
vention nationale  au  sujet  du  culte;  crainte  que  quelque  fac- 
tieux ne  la  dérobe,  nous  t'envoyons  un  double  également 
signé,  pour  que  dans  ce  cas  tu  trouves  le  moyen  de  Tenve- 
lopper.et  de  la  reproduire.  Notre  adresse  te  fournira  une  occa- 
sion d'insister  de  nouveau  sur  le  libre  exercice  des  cultes, 
sans  paraître  avoir  été  prévenu. 

«  Agrée  nos  remerciements  pour  le  beau  discours  que  tu  as 
prononcé  le  l^r  nivôse.  Le  Dieu  de  la  religion  de  nos  pères 
bénira  tes  efTorts. 

«  Salut  et  fraternité.  »  (Suivent  les  signatures.) 


236     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

connaissant  et  s'empressa  d'écrire  à  son  libérateur  le 
petit  billet  que  voici  : 

«  Blunai,  par  Provins,  ce  G  brumaire  an  3  de  la  Rép.  fr. 

«  Citoyen  représentant  du  peuple, 
«  Je  viens  de  recevoir  ma  mise  en  liberté,  et  mal- 
«  gré  la  fièvre  qui  me  tourmente  et  une  extrême  fai- 
«  blesse,  je  ne  me  pardonnerais  pas  de  tarder  un 
«  instant  à  vous  faire  tous  les  remerciements  que  je 
«  vous  dois.  Jouissez  du  plaisir  d'avoir  arraché  un 
«  malheureux,  et  je  l'ose  dire  un  innocent,  à  un  dé- 
«  sœuvrement,  un  ennui  et  une  langueur  fébrile  plus 
«  cruelle  infiniment  que  la  mort.  Je  n'oublierai  jamais 
«  de  ma  vie  cette  preuve  que  vous  m'avez  donnée  de 
«  la  bonté  de  votre  cœur.  Dans  l'état  de  vieillesse,  de 
«  maladie  et  d'humiliation  dans  lequel  je  suis,  je  ne 
«  suis  bon  à  rien,  mais  si  vous  me  jugiez  propre  à 
«  vous  servir  en  quelque  chose,  je  serais  à  vos  ordres 
«  avec  un  bien  grand  zèle;  et  je  vous  consacre  pour 
«  toute  ma  vie  les  sentiments  d'attachement,  de 
«  reconnaissance  et  de  fraternité  bien  tendre  et  bien 
«  sincère.  —  Du  Tillet  *.  » 

Quelques  semaines  plus  tard  Grégoire  eut  une  oc- 
casion beaucoup  plus  belle  d'exercer  son  ardente 
charité  envers  des  réfractaires;  il  sauva  d'une  mort 

1.  Grégoire  écrivait  à  son  conseil  épiscopal  le  21  messidor 
an  III  :  «  ...  Il  parait  que  l'on  a  incarcéré  le  cit.  Le  Vilain 
comme  réfractaire;  ce  sera  pour  vous  comme  pour  moi  une 
raison  de  plus  pour  accélérer  son  élargissement  et  lui  obtenir 
au  plus  tôt  sa  liberté.  J'ai  déjà  rendu  le  même  service  à  d'au- 
tres; il  me  sera  doux  de  saisir  cette  occasion  de  prouver  que 
la  disparité  d'opinion  n'altère  en  aucune  manière  la  charité 
chrétienne.  »  —  Lel&e  ms. 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES         237 

affreuse  plus  de  deux  cents  prêtres  qui  se  gardèrent 
bien  de  lui  témoigner  leur  gratitude  *  ;  voici  le  fait,  il 
est  peu  connu  et  mérite  de  l'être.  Le  15  frimaire 
an  III  (5  décembre  1794),  un  brave  officier  de  marine, 
appelé  Ph.  Séguin,  lui  écrivit  à  bord  de  la  Gloire,  fré- 
gate de  la  République,  une  lettre  amphigourique, 
mais  pleine  de  cœur,  où  il  dénonçait  au  «  protecteur 
des  arts  et  au  défenseur  de  l'humanité  »  les  horribles 
tortures  de  500  malheureux,  presque  tous  prêtres, 
qui  gémissaient  depuis  longtemps  sur  les  deux  na- 
vires de  l'État  les  Deux  Associée,  capitaine  Lally,  et  le 
Washington,  capitaine  Gibert.  Au  reçu  de  cette  lettre, 
Grégoire,  indigné,  signala  ce  fait  à  la  Convention,  et 
bientôt  il  reçut  d'un  protestant  de  Rochefort,  nommé 
Elle  Thomas,  une  autre  lettre  non  moins  pressante 
au  sujet  de  ces  prêtres. 

«  Il  a  été  jeté  dans  ces  deux  cachots,  à  la  fois  fétides 
a  et  flottants,  écrivait  le  citoyen  Thomas,  763  prêtres, 
«  sous  prétexte  de  les  déporter;  on  les  a  tenus  alter- 
«  nativement  en  rade  et  en  rivière,  et  535  y  sont 
«  morts  de  misère  *...  Depuis  la  mort  de  Robespierre, 
«  leur  sort  est  moins  dur,  mais  c'est  surtout  depuis 
«  l'arrivée  du  dieu  tutélaire  de  cette  commune  (Butel, 
«  représentant  du  peuple)  qu'ils  commencent  à  res- 
«  sentir  les  effets  de  la  justice  et  de  l'humanité.  Au- 
«  jourd'hui  on  leur  permet  d'écrire  à  leur  famille  et 


1.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  composé  des  Relations  qui  sont 
imprimées;  les  noms  de  leurs  libérateurs  ont  été  soigneuse- 
ment passés  sous  silence;  pouvaient-ils  devoir  quelque  recon- 
naissance à  un  prélat  constitutionnel  et  à  un  protestant? 

2.  Ils  n'étaient  plus  que  228;  quatre  jours  plus  tard  il  arriva 
de  Bordeaux  à  Rochefort  deux  navires  ayant  à  bord  600  prê- 
tres. —  Lettre  de  Thomas  à  Grégoire,  3  nivôse  an  III. 


238     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  d'en  recevoir  des  lettres;  il  est  question  de  les  dé- 
«  barquer  et  de  les  transférer  à  Brouage.  Je  t'observe 
«  à  cet  égard  que  Brouage  est  malsain,  que  ces 
«  hommes  sont  déjà  rongés  du  scorbut  de  mer  qui  ne 
«  pardonne  point  si  l'on  néglige  de  se  traiter  en  arri- 
«  vant  à  terre;  et  comment  le  pourront-ils?  Ils  sont 
«  sans  ressources!  Oui,  si  le  gouvernement  ne  vient  à 
«  leur  secours,  pas  un  d'eux  ne  verra  floréal  pro- 
«  chain.  » 

Il  s'engagea  dès  lors  entre  l'évéque  constitutionnel 
et  le  protestant,  «  à  la  famille  duquel  le  clergé  fît 
jadis  éprouver  bien  des  maux  »,  une  correspondance 
active  ^  Grégoire  ne  cessa  d'intercéder  pour  ces 
malheureux  auprès  du  Comité  du  Sûreté  générale; 
Thomas  ne  cessa  de  stimuler  Grégoire,  et  tous  deux 
finirent  par  obtenir,  après  dix  mois  de  lutte,. l'élar- 
gissement de  tous  les  prêtres  de  Rochefort. 

Quelques  jours  après  la  réception  de  la  lettre  de 
Séguin,  Grégoire  reçut  la  suivante,  qui  dut  lui  arra- 
cher des  larmes,  eu  égard  à  l'âge  et  à  la  situa- 
tion des  trente-sept  infortunés  qui  l'ont  écrite  et 
signée  : 


1.  La  plupart  des  lettres  de  Thomas  ont  disparu;  il  n'eu  reste 
que  cinq  dans  les  papiers  de  Grégoire.  Détail  touchant  :  lorsque 
l'évéque  de  Blois  eut  fait  insérer  dans  les  Annales  de  la  Reli- 
gion le  nom  de  cet  admirable  négociant,  Thomas  se  plai- 
gnit :  «  Que  ma  main  gauche  ne  sache  pas  ce  que  fait  ma 
droite,  voilà  ma  félicité;  aujourd'hui  je  n'y  peux  plus  prè- 
iendre!  » 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES         239 

«  Au  citoyen  Grégoire^  député  à  la  Convention  natio- 
nale et  membre  de  son  comité  d'Instruction  publique, 
à  Paris. 

«  Landerneau,  le  28e  frimaire,  l'an  3"  de  la  Répu- 
blique française  [28  décembre  1794]. 

«  Citoyen  représentant  du  peuple  français, 
«  Du  fond  de  notre  prison  nous  avons  appris  par 
«  les  papiers  publics,  nous  avons  admiré  l'énergie 
«  avec  laquelle  vous  vous  êtes  élevé  contre  la  haine 
«  et  la  persécution  qu'on  exerce  à  l'égard  d'une  cer- 
«  laine  caste  d'hommes,  et  nous  nous  sommes  écrié  : 
«  Dieu  soit  béni!  il  est  encore  des  âmes  sensibles  qui 
«  ont  le  courage  de  prendre  en  main  la  défense  de 
«  l'innocence  opprimée.  Quel  peut  être,  en  effet,  le 
«  crime  qui  nous  prive  depuis  plus  de  trois  ans  de 
«  notre  liberté?  Est-ce  d'avoir  refusé  le  serment  sur 
«  la  Constitution  civile  du  clergé?  La  loi  nous  don- 
«  nait  l'option  ou  de  quitter  nos  places  ou  de  prêter 
«  le  serment  prescrit  par  l'Assemblée  constituante. 
«  Est-ce,  sous  la  Législature  (sic),  d'avoir  renoncé  au 
«  traitement  que  cette  même  Assemblée  constituante 
«  nous  avait  décrété,  plutôt  que  de  prêter  ledit  ser- 
«  ment?  Est-ce  de  nous  être  volontairement  rendus, 
«  au  désir  d'une  loi  de  cette  même  Législature,  au 
«  chef-lieu  de  notre  département,  et  dans  la  prison 
(c  qu'on  nous  destinait?  Vous  êtes  trop  éclairé,  trop 
«  juste,  citoyen  représentant,  pour  imputer  à  crime 
«  uneopinionreligieuseque  l'Assemblée  constituante, 
«  la  Législature,  la  Convention  nationale  ont  déclarée 
«  libre.  Cependant  c'est  l'unique  crime  qu'on  nous 
«  impute,  crime  que  nous  devons  avoir  expié  par  une 
«  longue  et  dure  captivité,  privés  de  tout  secours,  de 
•«  toute  consolation,   de  toute   communication  avec 


240      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA.  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  nos  parents  les  plus  chers,  réduits  à  un  repas  par 
«  jour  suffisant  à  peine  à  casser  la  grosse  faim, 
«  logés  dans  une  maison  ouverte  à  tous  les  vents, 
«  sans  feu,  sans  chandelle,  sans  même  aucun  moyen 
«  de  nous  procurer  les  soulagements  nécessaires  à 
«  nos  âges  et  à  nos  infirmités.  Quelle  ressource  peut- 
«  on  avoir,  et  quel  soulagement  peut-on  se  procurer 
«  avec  vingt  sols  par  jour  que  le  concierge  de  notre 
«  maison  de  détention  touche  pour  chacun  de  nous, 
«  dans  un  temps  surtout  où  les  denrées  de  première 
«  nécessité  sont  hors  de  prix? 

«  Ah!  si  la  justice,  l'humanité,  comme  nous  l'ap- 
«  prennent  les  papiers  publics,  sont  aujourd'hui  à  l'or- 
«  dre  du  jour,  ne  pouvons-nous  pas  espérer,  citoven 
«  représentant,  que,  touché  de  notre  situation,  atten- 
«  dri  sur  notre  misère,  nos  infirmités,  vous  voudrez 
«  bien  prendre  en  main  notre  cause,  être  le  défen- 
«  seur  de  vos  frères  auprès  de  la  Convention  natio- 
«  nale,  leur  libérateur  de  la  captivité,  et  leur  procurer 
«  la  consolation  d'aller  mourir  dans  le  sein  de  leur 
«  famille?  Vous  êtes  auprès  du  Comité  de  Sûreté  géné- 
«  raie,  nous  ne  doutons  pas  de  notre  délivrance  pro- 
«  chainc  si  vous  voulez  bien  vous  en  mêler,  et  nous 
«  comptons  pour  cela  sur  les  sentiments  d'humanité 
«  et  de  bienfaisance  qui  vous  ont  toujours  caractérisé.  » 

«  Nous  sommes  vos  frères  et  concitoyens,  les  prê- 
«  très  détenus  dans  la  maison  des  ci-devant  capucins 
«  de  Landerneau,  département  du  Finistère. 

«  Lanlay,  prêtre,  73  ans,  caduc  et  infirme  ;  —  Au- 
«  thueit,  pr.,  63  ans,  infirme;  —  Mévet,  pr.,  57  ans, 
«  infirme;  —  Kmarec,  pr.,  81  ans;  —  L.-L.  Lannuren, 
«  pr.,âgéde  74  ans;  — de  la  Rue,  paralytique;  — Père 
«  Antoine,  capucin,  infirme,  âgé  de  68  ans;  —  La 


LES  THERMIDORIENS  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES         241 

«  Tour,  pr.,  infirme,  âgé  de  70  ans;  —  Picart,  pr.^ 
«  infirme,  âgé  de 67  ans;  —  Le  Sénéchal  Pennanguer^ 
«  pr.,  infirme,  âgé  de  61  ans;  —  Le  Roux,  âgé  de 
«  65  ans,  pr.,  paralytique;  —  De  la  Rue,  pr.,  âgé  de 
«  73  ans,  infirme;  —  Frère  Léon,  capucin,  âgé  de 
«  70  ans,  goutteux  et  infirme;  —  Poho,  pr.,  infirme; 
«  —  J.  Troniou,  pr.,  âgé  de  68  ans  ;  —  Pedel,  âgé  de 
«  76  [ansl,  infirme  ;  —  Le  Court,  âgé  de  60  ans,  para- 
«  lytique;  —  Quenunuer  (?),  âgé  de  67  [ans],  infirme; 
«  —  Bodenez,  infirme,  âgé  de  69  ans;  —  Hourmant 
«  (ou  Lourmant),  pr.,  infirme  ;  —  Breton,  pr.,  65  ans; 
«  —  Le  Michel,  âgé  de  72  [ans]  ;  —  Le  Bihan,  pr.,  âgé 
«  de  76  ans;  —  Levenez,  âgé  de  66  ans;  —  Lemoan,^ 
«  âgé  de  61  ans;  —  Demelou,  pr.,  infirme;  —  Frère 
«  Constance  Tuai,  âgé  de  73  ans;  —  Picart,  pr., 
«  infirme,  âgé  de  67  ans;  —  Boczedan,  pr.,  âgé  de 
«  69  ans:  —  Le  Rouzic,  67  ans;  —  Yves  Guillard^ 
«  pr,,  infirme;  —  P.  Maurice,  carme  déchaussé,  âgé 
«  de  70  ans,  infirme  à  ne  pouvoir  être  que  porté» 
«  habillé,  etc.,  de  la  ci-devant  comté  de  Brest;  —  Le 
«  Hurz,  chanoine  régulier,  infirme,  âgé  de  68  ans;  — 
«  Jeznec,  pr.,  67  ans;  —  J.-L.  Danet,  pr.,  infirme;  — 
«  P.Magloire,pr.,âgé  de65ans  ; — Gole,  prêtre,  âgé  de 
«  62  ans,  attaqué  de  la  gravelle  et  de  la  sciatique  ^  » 

Ces  malheureux  lui  durent  encore  leur  liberté,  et 
Grégoire  n'eut  même  pas  la  satisfaction  de  rencon- 
trer parmi  eux  le  Samaritain  de  l'Évangile,  le  lé- 
preux guéri  qui  remercie  son  bienfaiteur. 

Sur  ces  entrefaites,  l'occasion  que  Grégoire  cher- 
chait vainement  depuis  cinq  mois  se  présenta  enfin. 

1.  Lettre  autographe.  Les  signatures  sont  parfois  difficiles  à 
déchiffrer. 

14 


242     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Pour  donner  à  l'opinion,  de  plus  en  plus  exigeante, 
un  semblant  de  satisfaction,  la  Convention  chargea 
son  Comité  d'Instruction  publique  de  lui  présenter, 
dans  la  décade,  c'est-à-dire  dans  un  délai  de  dix  jours, 
un  rapport  et  un  projet  sur  les  fêtes  décadaires. 
Elle  voulait  substituer  aux  religions  positives  je  ne 
sais  quel  sentimentalisme  vague,  et  décerner  une 
sorte  de  culte  à  des  abstractions  telles  que  la  pra- 
tique des  vertus,  l'invention  des  arts,  les  révolutions 
du  globe,  les  révolutions  des  États  politiques,  etc. 
Chénier  proposait  même  de  rendre  obligatoires  pour 
tous  les  citoyens  ces  fêtes  décadaires,  que  l'on  voulait 
substituer  à  ce  qu'on  appelait  «  cet  ennuyeux  diman- 
che, avec  sa  messe  latine,  son  prône  à  dormir  debout 
et  ses  vêpres  ^  ».  Tout  le  monde  se  disait,  même  à  la 
■Convention  :  «  Il  faut  quelque  chose,  l'inquiétude  est 
générale  ^;  »  c'est  alors  que  Grégoire,  membre  du 
Comité  d'Instruction  publique  comme  Chénier,  parut 
à  la  tribune,  le  1"  nivôse  (21  décembre  1794),  et  lut  à 
ses  collègues  stupéfaits  les  premières  lignes  de  son 
Discours  sur  la  liberté  des  cultes.  Mais  bientôt,  voyant 
quel  objet  se  proposait  l'orateur,  les  «  philosophes  » 
couvrirent  sa  voix  par  de  véritables  hurlements  ; 
durant  trois  quarts  d'heure  il  essaya  de  lutter,  et  il  se 
cramponna  pour  ainsi  dire  à  la  tribune  ;  il  dut  se  re- 
tirer vaincu,  et  l'on  décréta  l'ordre  du  jour  aux  cris 
répétés  de  Vive  la  République  et  en  agitant  les  cha- 
peaux comme  l'on  faisait  pour  célébrer  une  victoire. 
Et  cependant  le  discours  de  Grégoire  était  d'un  libé- 

1.  Le  Décadaire  du  Haut-Rhin,  n»  26,  du  19  frimaire  an  111. 

2.  Réflexions  sur  la  Festomanie,  ou  Observations  de  Didier  B..., 
membre  de  la  Convention  nationale,  sur  les  divei's  projets  d'éta- 
blissement des  fêtes  politiques,  18  pages  in-S".  Nivôse  an  llf. 


GRÉGOIRE  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  243 

ralisme  à  satisfaire  les  démocrates  les  plus  exi- 
geants. 

«  Le  Gouvernement,  disait-il,  ne  doit  adopter,  en- 
«  core  moins  salarier,  aucun  culte,  quoiqu'il  recon- 
«  naisse  dans  chaque  individu  le  droit  d'avoir  le 
«  sien...  Il  doit  les  tenir  tous  dans  sa  juste  balance, 
«  et  empêcher  qu'on  ne  les  trouble  et  qu'ils  ne  trou- 
<  blent.  Il  faudrait  cependant  proscrire  une  religion 
«  persécutrice,  une  religion  qui  n'admettrait  pas  la 
«  souveraineté  nationale,  l'égalité,  la  liberté,  la  fra- 
«  ternité  dans  toute  leur  étendue;  mais  dès  qu'il 
«  conste  qu'un  culte  ne  les  blesse  pas,  et  que  tous  ceux. 
«  qui  en  sont  sectateurs  jurent  fidélité  aux  dogmes 
«  politiques,  qu'un  individu  soit  baptisé  ou  circoncis, 
«  qu'il  crie  Allah  ou  Jéhova,  tout  cela  est  hors  du 
a  domaine  de  la  politique.  Si  même  il  était  un  homme 
«  assez  insensé  pour  vouloir,  comme  dans  l'ancienne 
«  Egypte,  adorer  un  légume  et  lui  ériger  un  autel,  on 
«  n'a  pas  droit  d'y  mettre  obstacle;  car  ce  qui  n'est 
«  pas  défendu  par  la  loi  est  permis...  Mais  la  guerre 
«  de  la  Vendée.  —  La  Vendée,  c'est  la  plaie  la  plus 
«  hideuse  que  des  monstres  aient  faite  à  la  Révolu- 
«  tion,  c'est  la  réunion  de  tous  les  maux  et  de  tous 
«  les  forfaits  ;  et  l'on  pourrait  sans  inconvenance 
«  demander  par  qui  ont  été  commis  les  plus  atroces, 
«  ou  des  prêtres  scélérats  qui,  au  nom  du  ciel,  prê- 
«  chaient  le  carnage,  ou  des  faux  patriotes  qui  ont 
«  abreuvé  de  sang  et  couvert  de  deuil  cette  contrée 
«  malheureuse...  Nous  aussi  nous  méprisons  les^ 
«  légendes  fausses,  les  reliques  controuvées,  les  four- 
«  beries  monacales  et  les  pratiques  puériles  qui  ré- 
«  trécissent  l'esprit  et  dégradent  la  religion... 

«  Projet  de  décret  :  Les  autorités  constituées  sont 


244      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  chargées  de  garantir  à  tous  les  citoyens  le  libre 
«  exercice  de  leurs  cultes,  en  prenant  les  mesures  que 
«  commandent  l'ordre  et  la  tranquillité  publique.  » 

Tels  sont  les  principes  que  repoussèrent  à  une  im- 
mense majorité  les  législateurs  de  ili)^;  quinze  jours 
plus  tard,  le  18  nivôse  an  III  (7  janvier),  ils  votèrent 
•un  décret  très  sévère  contre  les  insermentés  qui  ren- 
treraient en  France,  et  la  discussion  des  projets  de 
loi  sur  les  fêtes  décadaires  fut  constamment  à  l'ordre 
du  jour;  Picqué,  Barailon,  Veau  de  Launay,  Lan- 
thenas.  Rameau,  Creuzé-Latouche,  Lequinio,  Leclerc 
de  Maine-et-Loire,  Rallier,  Genissieu  et  d'autres 
encore  proposèrent  à  l'envi  les  projets  les  plus  fan- 
taisistes, tandis  que  Coupé  de  l'Oise,  Rabaut  le  jeune, 
Durand  de  Maillane,  Faure  et  Didier-Boissieu  s'effor- 
cèrent de  montrer  l'ineptie  d'une  pareille  institution  K 
Grégoire  voulut  au  moins  faire  imprimer  son  dis- 
€0urs,  puisque,  par  une  étrange  anomalie,  la  presse 
était  plus  libre  que  la  tribune  ;  l'imprimeur  Crapelet 
s'entendit  avec  lui  et  commença  l'impression;  mais 
bientôt  pris  de  peur  il  brisa  la  planche  et  aima  mieux 
perdre  sa  composition  que  d'assumer  une  pareille 
responsabilité.  Maradan  fut  plus  hardi,  et  le  dis- 
cours fut  répandu  à  profusion  par  Grégoire  et  par  ses 
amis  ^  Le  Moniteur  et  beaucoup  d'autres  journaux  en 
avaient,  au  reste,  publié  des  fragments,  avec  ou  sans 
commentaires,  et  l'effet  produit  fut  immense.  Mercier 
déclara  que  l'ordre  du  jour  voté  par  la  Convention 

1.  On  ferait  un  gros  volume  de  tous  ces  projets  et  contre- 
projets  ;  Grégoire  les  avait  conservés,  et  ils  forment  deux 
tomes  de  ses  Recueils  de  pièces. 

2.  16  pages  in-S».  Voy.  k  l'appendice  le  texte  luème  du  dis- 
cours de  Grégoire;  c'est  un  document  de  premier  ordre  pour 
l'histoire  de  cette  époque. 


GRÉGOIRt;   ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  245 

n'était  qu'un  ajournement  :  le  Journal  de  Perlet,  du 
5  nivôse  an  III  (25  décembre  1794),  s'exprima  en  ces 
termes  : 

a  Ce  n'est  pas  dans  une  matière  comme  la  liberté 
«  des  cultes  qu'un  ordre  du  jour  peut  être  une  déci- 
«  sion.  Il  n'est  propre  qu'à  alarmer  une  multitude  de 
«  gens  faibles  et  crédules,  qui  croiront  y  voir  le  refus 
a  de  les  laisser  jouir  d'un  droit  que  la  nature  et  la 
«  Constitution  leur  accordent...  La  Vendée  eût-elle  été 
«  si  terrible,  si  dans  le  reste  de  la  République  et  dans 
«  ce  pays-là  même  on  eût  été  plus  tolérant?  ..  Si  vous 
«  voulez  la  paix  intérieure,  soyez  justes  envers  tous, 
«  laissez  à  chacun  le  légitime  exercice  de  ses  droits.  » 

Presque  toutes  les  feuilles  modérées,  et  le  nombre 
en  était  beaucoup  plus  grand  qu'on  ne  se  l'imagine, 
tenaient  un  langage  analogue,  et  Grégoire  reçut  par 
centaines  des  lettres  de  félicitations  et  d'encourage- 
ment; prêtres,  laïcs,  fonctionnaires  de  tout  rang  et 
jusqu'à  des  militaires  lui  témoignèrent  leur  sympa- 
thie et  leur  admiration.  Beaucoup  de  ces  correspon- 
dants n'osaient  signer,  tant  on  craignait  un  retour 
de  la  Terreur!  Presque  tous  exprimaient  les  senti- 
ments les  plus  généreux  et  les  idées  les  plus  sages. 
«  Parler  de  liberté  et  défendre  celle  des  cultes  est 
une  contradiction  révoltante  »,  disait  l'un  d'eux;  et 
un  autre  ajoutait  à  sa  lettre  d'encouragement  ces  pa- 
roles prophétiques  :  «  Un  ambitieux  qui  proclamerait 
la  liberté  des  cultes  dans  le  centre  et  dans  le  midi 
aurait  des  sectateurs  par  centaines  de  mille.  » 

A  la  Convention  même  on  vit  un  certain  nombre 
de  députés,  enhardis  par  l'exemple  de  Grégoire, 
élever  la  voix  en  faveur  de  la  tolérance.  Le  fougueux 
abbé  Audrein,  ce  prêtre  régicide  qui,  l'année  précé- 

14. 


246     HISTOIRE   RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

dente,  avait  si  éncrgiquement  plaidé  la  cause  du 
catholicisme,  se  jeta  de  nouveau  dans  la  lice  et  publia 
une  série  de  brochures  très  originales  en  faveur  de  la 
liberté  des  cultes.  Le  célèbre  boucher  Legendre,  celui- 
là  même  qui  avait  parlé  d'assommer  Lanjuinais  et 
qui  s'était  attiré  cette  spirituelle  réplique  :  «  Fais 
d'abord  décréter  que  je  suis  bœuf  »,  avait  interrompu 
Grégoire,  le  1*^'  nivôse,  en  criant  que  la  religion  con- 
siste à  être  bon  époux,  bon  père  et  bon  citoyen. 
Audrein  lui  adressa  une  courte  réponse  imprimée  où 
se  lisent  ces  lignes  : 

«  Si  je  ne  connaissais  tes  intentions  civiques,  je  t'ac- 
«  cuserais  d'avoir  voulu  tromper  le  peuple,  lorsque 
«  t'indignant  contre  le  discours  de  Grégoire  que 
«  je  suis  loin  d'approuver  (il  y  avait  pour  le  moins 
«  de  la  maladresse  à  entreprendre  l'apologie  d'ua 
«  culte  particulier  devant  des  hommes  à  qui,  en  leur 
«  qualité  de  législateurs,  il  fallait  parler  seulement 
«  Être  suprême,  droits  de  l'homme  en  général),  lorsque, 
«  dis-je,  t'indignant  contre  le  discours  de  Grégoire^ 
«  tu  criais  avec  une  sorte  de  prétention  que  la  reli- 
«  gion  consiste  à  être  bon  père...  Moi  aussi,  j'ai 
«  un  discours  sur  la  liberté  des  cultes  dont  la  poli- 
«  tique  et  la  philosophie  trouveront,  je  l'espère,  des 
«  approbateurs.  Si  des  circonstances  de  bien  public 
«  nous  y  ramènent,  je  te  défie  de  me  répondre,  du 
«  moins  si  tu  parles  principes,  et  je  t'en  préviens  afin 
«  que  tu  aies  le  temps  de  t'y  préparer  *.  » 

Une  preuve  que  Grégoire  n'avait  pas  été  si  mala- 
droit, c'est  que  la  Convention  ne   cessa  depuis  ce 

1.  Un  mot  du  cit.  Audrein,  député,  à  son  collègue  Legendre ^ 
de  Paris,  3  pages  in-S». 


GRÉGOIRE  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  247 

moment  de  rencontrer  sur  son  chemin  cette  grave 
question  de  la  liberté  des  cultes.  Le  12  nivôse  an  III 
(1"  janvier  1795),  le  Comité  de  Sûreté  générale  dé- 
créta que  les  administrations  départementales  se- 
raient tenues  de  s'opposer  à  tout  rassemblement  fana- 
tique ou  royaliste  *  ;  mais  trois  jours  plus  tard  le 
député  Lauthenas,  publiant  son  ridicule  Projet  de  loi 
ou  cadre  pour  V instruction  des  fêtes  décadaires  *, 
éprouva  le  besoin  d'y  introduire  les  articles  suivants, 
qu'il  croyait  «  dans  les  vues  d'une  sage  politique  »  : 

Art.  yil.  —  La  Convention,  fidèle  à  la  Déclaration 
des  droits,  n'entend  en  aucune  manière  gêner  les 
consciences  ni  les  cultes.  Elle  honore  la  bonne  foi  de 
tous  les  citoyens,  quelle  que  soit  leur  croyance, 
quand  elle  a  pour  objet  de  resserrer  les  liens  de  la 
société  et  de  développer  les  sentiments  d'humanité 
et  de  bienveillance  mutuelle. 

Art.  IX.  —  Les  cultes  ne  sont  soumis  qu'aux  lois 
de  la  police;  il  suffit  qu'ils  soient  publics,  et  que  ceux 
qui  les  établissent  ou  les  suivent  soit  connus;  don- 
nant des  répondants  de  leur  soumission  aux  lois  et 
de  leurs  bonnes  intentions,  ils  doivent  avoir  part  à 
toute  la  protection  du  gouvernement. 

Terrai,  député  du  Tarn,  publia  vers  la  même 
époque  ses  Réflexions  sur  les  fêtes  décadaires  ',  et  cet 
ouvrage  très  sensé  commençait  par  ces  mots  :  «  Gré- 
goire vous  a  dit  certaines  vérités,  chers  collègues, 
sur  les  opinions  religieuses...  »  Terrai  montrait 
ensuite  l'absurdité  des  fêtes  décadaires,  se  plaignait 

1.  Bulletin  de  la  Convention  du  13  nivôse  au  III. 

2.  47  pages  in-S».  16  nivôse  an  III. 

3.  Imprimées  par  ordre  de  la  Convention,  lo  pages  in-S". 
Nivôse  an  III. 


248     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

du  caractère  religieux  qu'on  prétendait  leur  donner, 
et  réclamait  la  liberté  des  cultes  «  à  la  paix  ou  à  telle 
autre  époque  que  le  bien  de  la  République  le  per- 
mettra. On  a  dit,  ajoutait  l'auteur  des  lié  flexions,  que 
le  christianisme,  le  catholicisme  étaient  incompa- 
tibles avec  le  régime  républicain  ;  cela  est  faux,  car, 
outre  les  vrais  principes  de  cette  religion,  l'exemple 
de  la  Suisse,  de  l'Amérique  et  d'autres  républiques 
réfute  cette  assertion.  » 

Après  lui,  ce  fut  Durand  de  Maillane,  un  des  mem- 
bres les  plus  honorables  de  la  Convention,  qui  reprit 
incidemment  les  principales  idées  de  Grégoire,  et 
publia,  lui  aussi,  un  beau  discours  sur  les  fêtes  déca- 
daires et  sur  la  liberté  des  cultes  *.  Enfin  le  vertueux 
Baudin,  des  Ardennes,  fît  imprimer  au  même  moment 
son  charmant  opuscule  intitulé  :  Bu  fanatisme  et  des 
cultes  *.  Il  hésitait  d'autant  moins,  disait-il,  à  s'expli- 
quer sans  réserve  qu'on  lui  avait  dit  naguère  :  «  En 
«  ce  moment,  c'est  RISQUER  SA  TETE  que  de  traiter 
«  une  pareille  question;  s'il  survient  quelque  revers 
«  à  la  Vendée,  on  ne  s'en  prendra  pas  à  l'impéritie  des 
«  généraux,  on  n'accusera  pas  les  négociateurs  de  ma- 
«  ladresse,  on  dira  :  C'est  le  discours  de  Grégoire, 
«  c'est  la  motion  ou  l'écrit  d'un  tel  qui  nous  attirent 
«  ce  malheur!  »  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'étudier  comme 
il  mériterait  de  l'être  cet  important  document,  mais 
il  est  impossible  de  ne  pas  citer  le  passage  que  voici  : 

«  Quel  est  l'ami  sincère  de  la  liberté,  pour  peu 
«  qu'il  ait  réfléchi  sur  les  besoins  et  les  habitudes 

1.  10  pages  in-8o;  réimprimé  bientôt  avec  un  autre  discours. 
Paris,  chez  Maret,  cour  des  Fontaines,  20  pages  in-8". 

2.  Paris,  chez  Leclère,  rue  Martin,  près  celle  aux  Ours, 
an  III,  80  pages  in-S". 


GRÉGOIRE  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  249 

<t  des  hommes,  qui  puisse  ne  pas  frémir  en  voyant  à 
«  quoi  nous  expose  l'indiscrète  persécution  des  cultes? 
«  Un  ambitieux  sans  génie  était  parvenu  à  l'accrois- 
«  sèment  de  sa  puissance  colossale  seulement  en 
«  laissant  entrevoir  un  espoir  vague  qu'il  serait  per- 
«  mis  à  chacun  d'adorer  la  divinité  comme  il  croit 
«  devoir  le  faire.  Ah!  craignez  qiiun  usurpateur,  ca- 
«  pable  de  concevoir  et  d'exécuter  de  grands  desseins, 
«  ne  sente  toute  l'efficacité  du  moyen  terrible  qiion  lui 
«  laisserait  entre  les  mains;  hâtons-nous  de  briser  cette 
«  arme  funeste...  » 

Baudin,  comme  Grégoire,  proposait  un  projet  de 
décret  portant  que  le  gouvernement  français  protège 
également  tous  les  cultes  et  n'en  salarie  aucun.  Si 
donc  la  Convention  n'eût  pas  alors  été  aveuglée  par 
sa  haine  contre  le  christianisme,  la  séparation  de 
l'Église  et  de  l'État  pouvait  s'accomplir  sans  secousse, 
et  à  la  plus  grande  satisfaction  des  catholiques  de 
France.  Les  conventionnels  ne  voulurent  pas  se 
prêter  à  cette  transaction;  Bonaparte  s'empressera 
de  rétablir  le  culte  officiel  et  salarié. 

Ainsi,  malgré  le  fameux  ordre  dujour  du  l®""  nivôse, 
Grégoire  avait,  on  peut  le  dire,  remporté  une  véri- 
table victoire  ;  les  députés  parlaient  ou  écrivaient  en 
faveur  de  la  liberté  des  cultes,  les  journalistes  la 
réclamaient  avec  une  énergie  croissante  S  l'immense 
majorité  du  peuple  français  la  demandait  avec  in- 
stance. Elle  était  déjà  proclamée  en  principe,  grâce 
à  la  courageuse  initiative  de  Grégoire;  dès  le  mois 

1.  Tableau  de  Paris;  Journal  de  Perlet:  Orateur  du  peuple, 
par  Fréron,  etc.  On  lit  dans  cette  dernière  feuille,  à  la  date  du 
7  pluviôse  an  III  :  «  Soyez  tolérants,  et  le  fanatisme  ne  s'ar- 
mera ni  de  poignards  ni  de  crucifix.  » 


250     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

de  janvier  1793,  les  populations  rassurées  com- 
mencèrent à  reprendre  l'exercice  public  de  leur 
culte  sans  que  l'autorité  s'y  opposât  d'une  ma- 
nière sérieuse.  Nous  avons  déjà  montré  que  les 
vicaires  épiscopaux  de  Grégoire  rouvrirent  les  églises 
en  janvier  1793  i  ;  il  en  fut  de  même  dans  toute 
la  France.  Le  conventionnel  Jean  Debry  écrivait  de 
Montélimar,  le  16  nivôse  an  III  (6  janvier  1793),  que 
d'anciens  terroristes  devenus  dévots  relevaient  nui- 
tamment les  croix,  lisaient  des  psaumes  aux  vieilles 
femmes  et  chantaient  des  messes  de  maîtres  d'école. 
Dans  beaucoup  de  communes,  surtout  en  Normandie, 
les  instituteurs  et  les  anciens  chantres  se  mettaient 
au  lutrin  et  faisaient  le  plus  sérieusement  du  monde 
un  simulacre  de  grand'messe  et  de  vêpres;  c'était 
l'instituteur  qui  récitait  au  cimetière,  sur  le  bord  de 
la  fosse,  les  prières  du  rituel  ^.  Dans  la  Nièvre  et 
dans  les  départements  voisins,  le  peuple  affectait  de 
travailler  les  jours  de  décadi  et  de  se  reposer  le 
dimanche;  ce  jour-là  seulement  les  campagnards  en- 
dossaient leurs  beaux  habits.  «  Ils  ne  sont  point  assez 
«  philosophes,  disait  le  correspondant  de  Grégoire, 


1.  Voy.  ci-dessus,  p.  118. 

2.  Lettres  mss.,  passim.  Voici  le  début  de  l'une  de  ces  let- 
tres :  «  En  notre  commune,  pendant  l'absence  de  l'office  divin 
qui  a  duré  seize  mois,  moi,  maître  d'école,  j'ai  toujours  dit  les 
matines  et  vêpres  les  dimanches,  que  le  peuple  y  assistait  avec 
joie....  L'église  a  été  dévastée...  ;  le  banc  des  femmes  ont  {sic) 
resté  seul  dans  l'église,  que  nous  en  avons  profilé  pour  nos 
matines.  Les  enterrements  ont  toujours  été  faits  avec  les  prières 
de  l'Eglise,  que  les  parents  de  chaque  mort  m'invitait  [sic]  à  le 
faire  ainsi.  »  C'est  après  le  9  thermidor  qu'on  empêcha  ce  brave 
instituteur  de  «  continuer  ses  matines  ».  —  Lettre  du  citoyen 
Fruchart,  maître  d'école  à  Tavaux,  en  Picardie,  21  vendémiaire 
an  IV  (13  octobre  1795). 


GRÉGOIRE  ET  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  251 

«  pour  se  passer  de  religion,  ni  assez  dupes  ou  assez 
«  inconséquents  pour  troquer  leur  vieux,  culte  pour  un 
c  de  nouvelle  fabrique  *.  »  En  Alsace,  dès  la  fin  de  jan- 
vier, le  peuple  renversait  les  fameuses  montagnes  de 
l'année  précédente  ;  il  brisait  les  bustes  de  Marat,  de 
Le  Pelletier,  de  Voltaire,  demandait  à  grands  cris 
des  autels,  disait  publiquement  le  chapelet  devant  la 
porte  de  ses  églises  fermées,  etc.  *.  A  Auch,  en  plu- 
viôse an  III,  il  y  avait  même  un  couvent  de  femmes, 
comptant  quatre-vingt-seize  religieuses  avec  une 
supérieure,  une  prieure  et  une  économe.  La  Conven- 
tion s'en  émut  et  rendit  un  décret  qui  renvoyait  ces 
filles  dans  leurs  familles  ^.  C'était  partout  la  même 
chose,  la  conscience  publique  reprenait  peu  à  peu  ses 
droits,  et  dans  le  centre,  dans  le  midi,  mais  surtout 
dans  l'est,  les  prêtres  réfractaires,  plus  zélés  ou  plus 
audacieux  que  les  constitutionnels,  reparaissaient  en 
grand  nombre  et  reprenaient  l'exercice  du  culte.  Le 
seul  département  du  Doubs,  département  tout  dévoué 
aux  aristocrates  et  d'après  lequel  on  aurait  grand 
tort  de  juger  le  reste  de  la  France  *,  comptait  le 

1.  Lettre  7ns.  du  9  pluviôse  an  IIL  Les  paysans  de  la  Meuse 
passaient  la  frontière  pour  aller  entendre  la  messe  à  l'étranger; 
rentrés  chez  eux,  ils  sonnaient  et  chantaient  les  vêpres.  Lettre 
ms.  du  a  pluviôse. 

2.  Lettre  7ns.  de  Bhmchard,  commissaire  des  guerres  à  Colmar, 
3  pluviôse  an  III. 

3.  Le  Décadaire  du  Haut-Rhin,  p.  507. 

4.  Le  très  curieux  ouvrage  de  M.  Jules  Sauzay,  Histoire  de 
la  persécution  révolutionnaire  da7is  le  départe7nent  du  Doubs  de 
1189  à  1801,  d'api'ès  les  documents  originaux  inédits,  Besan- 
-çon,  10  vol.  in-12  (1867-1873),  doit  être  réduit  à  ses  véritables 
proportions;  il  prouve  uniquement  que  le  département  du 
Doubs  fut,  de  1789  à  1801,  un  véritable  foyer  de  réaction, 
une  sorte  de  Vendée  en  miniature,  une  Vendée  sans  héroïsme, 
si  ce  n'est  chez  un  très  petit  nombre  d'individus.  Plusieurs 


252      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTIOiN   FRANÇAISE 

15  ventôse  plus  de  quatre  cents  prêtres  insermentés  '. 

Telle  était  la  situation  quelques  semaines  après 
que  Grégoire  eut  réclamé  si  vivement  la  liberté  des 
cultes;  mais  la  Convention  ne  voulait  pas  s'avouer 
vaincue.  Tout  en  déclarant,  le  22  nivôse,  qu'elle  ne 
permettrait  jamais  au  «  système  atroce  de  la  terreur  » 
de  comprimer  de  nouveau  les  citoyens  ^,  elle  ne  pre- 
nait point  de  mesures  pour  empêcher  les  représen- 
tants en  mission  ou  les  autorités  locales  de  terroriser 
les  populations,  et  il  en  résultait  des  tiraillements  on 
ne  peut  plus  fâcheux.  Ainsi  les  conventionnels  Gar- 
nier  de  Saintes,  Pelletier,  Laurençot,  Delacroix  et 
vingt  autres  continuaient  à  persécuter  les  prêtres  '  ; 
et  ce  furent  deux  conventionnels,  Guesno  et  Guer- 
meur,  personnages  d'ailleurs  très  obscurs,  qui  eurent 
le  mérite  de  céder  les  premiers  à  la  nécessité  et  de 
proclamer  la  liberté  des  cultes. 

Ces  deux  représentants  se  trouvaient  alors  à  Lo- 
rient  avec  une  mission  auprès  des  armées  des  côtes 
de  Brest  et  Cherbourg,  et  dans  les  départementsde 
leur  arrondissement.  Ils  arrêtèrent,  le  24  nivôse  an  III 
(13  janvier  1795),  de  «  regarder  comme  non  avenus 
«  tous  les  actes  et  arrêtés  qui  auraient  précédem- 
«  ment  ordonné  l'arrestation  comme  suspects  des  ec- 


centaines  de  lettres  ou  pièces  fort  importantes,  que  Grégoire 
tenait  de  ses  correspondants  dans  le  Doubs,  permettraient  de 
rectifier  beaucoup  d'affirmations  très  contestables  de  M.  Sauzay. 

1.  Lettre  de  Vernerey.  curé  constitutionnel  du  Luhier  (Doubs). 

2.  Bulletin  de  la  Convention  nationale,  22  nivôse  an  III. 

3.  Us  ne  guillotinaient  presque  plus,  on  doit  leur  rendre  cette 
justice,  mais  les  emprisonnements  et  les  vexations  de  tout 
Kenre  étaient  encore  à  l'ordre  du  jour;  les  archives  de  Gré- 
goire contiennent  beaucoup  d'arrêtés  émanant  de  ces  procon- 
suls. 


PROCLAMATION  DE  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  253 

«  clésiastiques  qui  n'ont  point  abdiqué  leurs  fonc- 
«  tions,  s'ils  se  sont  d'ailleurs  soumis  aux  lois  de  la 
«  République;  »  et  ils  déclarèrent  e  que  conformé- 
«  ment  aux  droits  de  l'homme  et  aux  lois,  nul  indi- 
«  vidu  ni  aucune  section  quelconque  de  citoyens  ne 
c  peuvent  être  troublés  ni  inquiétés  dans  le  libre  et 
«  paisible  exercice  de  leur  culte.  Il  est  expressément 
«  recommandé  aux  autorités  civiles,  ainsi  qu'aux 
e  commandants  de  la  force  armée,  de  tenir  la  main 
«  à  l'exécution  du  présent  arrêté,  lequel  est  imprimé, 
e  lu,  publié  et  affiché  dans  les  départements  du  Mor- 
«  bihan,  des  Côtes-du-Nord  et  de  l'Ille-et-Vilaine.  — 
«  Signé  Guesno,  Guermeur,  Dubourg,  secret.  *.  » 

Cet  arrêté  produisit  les  meilleurs  effets  dans  toute 
la  Bretagne  ;  on  en  jugera  par  ce  fragment  d'une  lettre 
de  Claude  Le  Coz,  évêque  constitutionnel  de  Rennes  : 

«  La  proclamation  des  représentants  Guesno  et 
€  Guermeur  sur  le  libre  exercice  a  ranimé  les  citoyens 
«  des  campagnes  et  ceux  des  villes  où  elle  est  mise  à 
c  exécution.  Un  homme,  philosophe  éclairé  autant 
«  que  zélé  républicain,  me  mande  de  Quimper  :  Les 
«  13  et  14  de  ce  mois,  la  messe  a  été  chantée  dans 
c  l'église  cathédrale  ;  il  s'y  est  trouvé  un  peuple 
«  immense,  et  spécialement  des  cultivateurs.  A  l'issue 
«  de  la  messe,  ceux-ci  ont  dit  aux  Quimperrois  : 
«  Depuis  un  an,  nous  ne  pouvions  voir  en  vous  que 
«  des  monstres  altérés  de  sang  et  de  crimes.  Désor- 
<  mais  nous  allons  vous  considérer  comme  des 
«  frères,  et  nous  partagerons  avec  vous  le  reste  de 
«  nos  subsistances.  On  s'est  en  conséquence  embrassé, 
«  on  s'est  juré  fraternité,  amitié,  tendresse,  assis- 

1.  Copie  ms.  —  Journal  de  Perlet  du  24  pluviôse  an  III. 

15 


254     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  tance  mutuelle.  —  A  Yannes  et  à  Saint-Brieuc  la 
«  même  cause  a  produit  les  mêmes  effets.  A  Rennes, 
€  le  représentant  Boursault  ne  veut  pas  qu'on  nous 
«c  donne  un  temple,  même  provisoirement.  Les  ci- 
c  toyens  en  gémissent;  ils  demandent  pourquoi  on 
«  les.  traite  si  différemment  de  leurs  frères  des  autres 
«  villes  *...  » 

Guesno  et  Guermeur  ne  furent  point  désavoués  par 
la  Convention,  et  leur  conduite  à  Lorient  leur  valut 
un  moment  de  véritable  popularité.  «  Nous  le  dirons 
«  hautement,  lit-on  dans  le  Journal  de  Perlet  du  24 
,tt  pluviôse  an  III,  la  Convention  n'eût  pas  dû  se  laisser 
«  enlever  par  deux  de  ses  membres  la  gloire  de  pro- 
«  clamer  un  des  droits  les  plus  sacrés  des  citoyens. 
«  Elle  doit  au  moins  s'empresser  de  suivre  leur  exem- 
«  pie,  et  d'étendre  à  toutes  les  parties  de  la  Répu- 
«  blique  des  mesures  qui  seront  plus  efficaces  pour 
«  empêcher  les  troubles  que  des  armées  entières  et 
«  tout  l'art  de  la  tyrannie.  »  En  vain  les  journaux 
avancés,  comme  la  Décade  philosophique,  luttaient  de 
toutes  leurs  forces;  en  vain  le  Journal  des  hommes 
libres  de  tous  les  pays  s'écriait  d'un  ton  prophétique  : 
«  Yous  rappelez  le  dimanche  ;  bientôt  on  rappellera  le 
«jour  de. la  Yierge,  et  bientôt  le  jour  des  Rois.  Oui, 
«  les  Rois;  rien  n'est  plus  propre  aies  rappeler  que 
«  de  raviver  le  sacerdoce  *.  »  Le  sort  en  était  jeté,  il 
fallait,  pour  éviter  une  explosion  terrible,  accorder 
à  la  France  ce  qu'elle  exigeait,  et  la  Convention  fut 

1.  Numéro  du  à  pluviôse  an  III  (2  février  4795). 

2.  Lettre  du  ^3  pluviôse  an  III.  Grégoire  lui  avait  écrit  peu 
de  jours  auparavant  qu'il  avait  bon  espoir,  et  Le  Goz  répondit  : 
«  Puisse  l'annonce  que  vous  me  faites  se  réaliser,  se  réaliser 
bientôt I  Hélas!  de  combien  de  crimes  et  de  maux  je  suis  sans 
cesse  témoin!  » 


PROCLAMATION  DE  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  255 

réduite  à  décréter  enfin  la  liberté  des  cultes  sur  la 
proposition  du  calviniste  philosophe  Boissy  d'Anglas, 
dont  le  rapport  était  une  diatribe  de  mauvais  goût 
contre  toutes  les  religions.  Mais  peu  importaient  les 
considérants;  l'essentiel  c'était  la  teneur  même  du 
décret  du  3  ventôse  (21  février  1795),  dont  voici  les 
douze  articles  : 

La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le 
rapport  de  ses  Comités  de  Salut  public,  de  Sûreté 
générale  et  de  Législation  réunis,  décrète  : 

Article  Premier.  —  Conformément  à  l'art.  VII  de  la 
Déclaration  des  droits  de  l'Homme,  et  à  l'art.  CXXII 
de  la  Constitution,  l'è'xercice  d'aucun  culte  ne  peut 
être  troublé. 

Art.  IL  —  La  République  n'en  salarie  aucun. 

Art.  III.  —  Elle  ne  fournit  aucun  local,  ni  pour 
l'exercice  des  cultes,  ni  pour  le  logement  des  mi- 
nistres. 

Art.  IV.  —  Les  cérémonies  de  tout  culte  sont  inter- 
dites hors  de  l'enceinte  choisie  pour  leur  exercice. 

Art.  V.  —  La  loi  ne  reconnaît  aucun  ministre  du 
culte.  Nul  ne  peut  paraître  en  public  avec  les  habits, 
ornements  ou  costumes  affectés  à  des  cérémonies 
religieuses. 

Art.  VI.  —  Tout  rassemblement  de  citoyens  pour 
l'exercice  d'un  culte  quelconque  est  soumis  à  la  sur- 
veillance des  autorités  constituées.  Cette  surveillance 
se  renferme  dans  des  mesures  de  police  et  de  sûreté 
publique. 

Art.  VII.  —  Aucun  signe  particulier  à  un  culte  ne 
peut  être  placé  dans  un  lieu  public,  ni  extérieurement, 
de  quelque  manière  que  ce  soit.  Aucune  inscription 


256     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

ne  peut  désigner  le  lieu  qui  lui  est  affecté.  Aucune 
proclamation  ni  convocation  publique  ne  peut  être 
faite  pour  y  inviter  les  citoyens. 

Art.  yill.  —  Les  communes  ou  sections  de  com- 
mune, en  nom  collectif,  ne  pourront  acquérir  ni 
louer  de  local  pour  l'exercice  des  cultes. 

Art.  IX.  —  Il  ne  peut  être  formé  aucune  dotation 
perpétuelle  ou  viagère,  ni  établi  aucune  taxe  pour 
en  acquitter  les  dépenses. 

Art.  X.  —  Quiconque  troublerait  par  violence  les 
cérémonies  d'un  culte  quelconque,  ou  en  outragerait 
les  objets,  sera  puni  suivant  la  loi  du  22  juillet  1791, 
sur  la  police  correctionnelle. 

Art.  XL  —  Il  n'est  point  dérogé  à  la  loi  du  2  sans- 
culottide,  2"  année,  sur  les  pensions  ecclésiastiques, 
et  les  dispositions  en  seront  exécutées  suivant  leur 
forme  et  teneur. 

Art.  XII.  —  Tout  décret  dont  les  dispositions 
seraient  contraires  à  la  présente  loi  est  rapporté, 
et  tout  arrêté  opposé  à  la  présente  loi,  pris  par  les 
représentants  du  peuple  dans  les  départements,  est 
annulé*. 

C'était  beaucoup  pour  la  Convention,  qui  deux  mois 
auparavant  s'était  refusée  à  toute  déclaration  de  ce 
genre  ;  aussi  le  décret  de  ventôse  fut-il  accueilli  avec 
des  cris  de  joie  par  l'immense  majorité  des  Français, 
et  les  journaux  célébrèrent  à   l'envi   ce  «  juste  et 


i.  Ghénier  demandait  l'ajournement;  Laporte  s'y  opposa,  car 
il  était  temps,  disait-il,  de  donner  une  boussole  invariable  aux 
administrations.  Cambon,  André  Dumont  et  Thuriot  opinèrent 
pour  l'adoption.  —  Moniteur.  —  Journal  des  hommes  libres  de 
tous  les  pays,  4  ventôse  an  III. 


PROCLAMATION  DE   LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  257 

sublime  décret,  ce  décret  salutaire  »  qui  devait  as- 
surer enfin  le  bonheur  du  peuple  et  réjouir  les  «  âmes 
sensibles  '  ».  Les  insermentés  et  leurs  partisans  re- 
prirent immédiatement  l'exercice  du  culte,  et,  comme 
ils  étaient  riches,  il  ne  leur  fut  pas  difficile  de  trouver 
des  chapelles  particulières.  On  vit  les  prêtres  rentrés 
montrer  en  toute  occasion  un  zèle  extraordinaire, 
rebaptiser,  reconfesser  et  remarier  ceux  qui,  depuis 
1791,  avaient  eu  recours  au  ministère  des  «  ju- 
reurs  »  ;  ils  firent  tant  que  le  décret  de  ventôse  faillit 
être  rapporté  au  bout  de  quelques  semaines.  Quant 
aux  constitutionnels,  leur  satisfaction  fut  moins  vive 
et  leur  empressement  beaucoup  moins  grand. 

«  Nous  bénissons  de  plus  en  plus  la  liberté  triom- 
«  phante  depuis  le  9  thermidor,  écrivait  l'un  d'entre 
«  eux.  Le  décret  du  3  ventôse  met  le  comble  à  notre 
«  joie;  il  nous  tarde  de  pouvoir  nous  rassembler  pour 
«  bénir  tous  ensemble  la  Convention,  notre  glorieuse 
«  libératrice;  mais  où  et  comment  pourra  se  faire 
ï  notre  rassemblement?  Les  articles  III  et  VIII  nous 
«  embarrassent  terriblement  au  milieu  des  pièges  que 
«  l'impiété  nous  tend  de  tous  côtés  *.  — Je  vous  avoue 
«  sincèrement,  écrivait  à  Grégoire  l'évêque  constitu- 
«  tionnel  de  Metz,  Francin,  que  je  n'occuperais  mon 
«  poste  que  quand  la  Convention  aurait  donné  un  dé- 
«  cret  clair  et  net  sur  la  liberté  des  cultes.  Celui  du 

1.  Voy.  YOrateur  du  peuple,  par  Fréron  [n"  80,  5  ventôse),  le 
Journal  des  municipalités,  du  même  jour,  le  Décadaire  du  Haut- 
Rhin,  etc.  La  Feuille  villageoise  elle-même,  tout  en  évaluant 
à  neuf  millions  six  cent  soixante-huit  mille  huit  cents  le  nombre 
des  hommes  que  le  christianisme  a  fait  périr  (a»  33),  déclarait 
(no  44)  que  le  décret  était  sage.  «  L'opiniâtreté,  disait-elle,  c'est 
la  foi,  donc  il  faut  tolérer  toutes  les  sectes.  » 

2.  Lettre  ms. 


258      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  3  ventôse  est  rempli  d'entraves,  et  l'on  ne  peut  s'y 
«  fier...  La  loi  de  ventôse  paraît  plutôt  dirigée  contre 
«  le  culte  qu'en  sa  faveur;  j'en  prévois  même  des 
«  suites  fâcheuses.  Appuyés  de  ce  décret,  les  prêtres 
«  réfractaires  reviennent  en  foule  sur  la  scène,  et 
«  érigent  autel  contre  autel...  La  Lorraine  allemande 
«  en  est  pleine  *.  » 

Au  dire  d'un  pétitionnaire  anonyme,  le  décret 
aurait  dû  s'appeler  de  son  vrai  nom  :  «  Empê- 
«  chements  du  culte  ou  moyens  infaillibles  de  le  dé- 
«  truire,  puisqu'on  le  rend  impossible  faute  de  local, 
«  faute  de  ministres,  faute  de  fonds.  »  —  «  Com- 
ment deux  ou  trois  mille  individus  peuvent-ils 
se  réunir  dans  un  lieu  particulier  ?  »  demandait  à 
Grégoire  le  citoyen  Demandre,  futur  évêque  constitu- 
tionnel du  Doubs.  C'était  partout  la  même  chose,  et 
la  Convention  ne  pouvait  ignorer,  car  on  le  lui  répé- 
tait sur  tous  les  tons,  que  son  décret  sur  la  liberté 
des  cultes  avait  besoin  d'être  revisé.  L'abbé  Audrein, 
faisant  imprimer  un  Cinquième  mot,  ou  réponse  à  Pau- 
trizel,  disait  avec  raison  que  cette  loi  était  impoli- 
tique et  avait  dû  nécessairement  déplaire  au  peuple  ; 
il  faisait  le  pari  que  ses  collègues  de  la  Convention 
ne  tarderaient  pas  à  la  modifier,  et  l'on  verra  qu'il 
prophétisait  vrai.  «  Votre  décret  de  ventôse,  disait-il 
«  encore,  n'a  pas  rendu  la  paix;  il  a  trop  favorisé  les 
«  insermentés  qui  prêchent  le  royalisme  ;  il  a  trop  peu 
«  protégé  les  prêtres  républicains;  enfin  il  a  refusé  au 


1.  11  en  était  de  même  de  l'Alsace,  de  la  Franche-Comté,  de 
la  Provence,  du  Bas-Languedoc,  de  la  Bretagne  et  d'une  partie 
de  la  Normandie;  dans  le  nord  et  dans  le  centre,  c'était  le  con- 
traire en  général.  —  Lettres  mss.,  passim  (lettres  de  Moïse,  de 
Grappin,  de  Le  Fessier,  de  Sermet,  de  Le  Coz,  etc.). 


PROCLAMATION  DE  LA  LIBERTÉ  DES  CULTES  259 

«  peuple  ses  églises...  Revisez  donc  la  loi  de  ventôse; 
«  l'aites-vous  des  amis  des  prêtres  républicains  ;  qu'ils 
«  rentrent  dans  leurs  églises,  et  que  le  peuple  soit 
«  content  *.  » 

Grégoire  et  ses  amis,  qui  savaient  attendre  et  qui 
montrèrent  dans  cette  circonstance  un  très  grand 
sens  politique,  ne  récriminèrent,  pas  contre  le  décret 
de  ventôse;  ils  jugèrent  qu'avec  un  peu  de  sagesse 
on  obtiendrait  prochainement  une  liberté  plus  com- 
plète. Ils  patientèrent  encore  et  crurent,  suivant 
leurs  propres  expressions,  «  ne  devoir  rien  précipiter, 
ne  pas  compromettre  le  sort  de  la  religion  par  des 
mesures  indiscrètement  employées,  quelque  légitimes 
et  utiles  qu'elles  fussent  en  elles-mêmes  *  ».  L'évêque 
du  Loir-et-Cher,  que  ses  collègues  avaient  spontané- 
ment placé  à  la  tête  de  ce  petit  comité  de  salut  public 
du  catholicisme  français,  donna  encore  l'exemple  :  il 
n'avait  pas  ouvert  la  bouche  pour  répondre  à  Boissy 
d'Anglas;  il  publia,  le  42  mars  1795(22  ventôse  an  III), 
une  Lettre  pastorale  adressée  à  ses  diocésains,  mais 
destinée,  dans  la  pensée  môme  de  son  auteur,  aux 
diocèses  qui  n'avaient  pas  d'évêques.  C'est  un  mande- 
ment dans  toute  la  force  du  terme,  et  comme  tel  ce 
petit  écrit  ne  devrait  pas  appartenir  à  l'histoire;  mais 
l'apparition  d'une  telle  lettre  pastorale  adressée  par 
un  évêque  à  «  ses  vénérables  coopérateurs  dans  le 
saint  ministère  et  à  tous  les  fidèles  de  son  diocèse  » 
avec  ordre  d'en  donner  lecture  «  au  prône  de  la  messe 
paroissiale,  le  dimanche  qui  en  suivra  immédiate- 
ment la  réception  »  ;  l'apparition  d'une  pareille  lettre 

1.  Aitdrein  à  ses  collègues,  8  pages  in-8». 

2.  Lettre  circulaire  des  évéques  réunis,..,  22  juin  1797,  8  pages 
in-S". 


260      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

■produisit  en  France  une  impression  profonde.  Il  fallut 
la  publier  à  plusieurs  milliers  d'exemplaires;  certains 
«vêques  constitutionnels,  au  lieu  d'en  composer  une 
semblable,  se  contentèrent  de  la  reproduire  *,  et  des 
journaux  comme  le  Mémorial  français,  ou  le  Nouveau 
Pierre  de  VEstoile  parlèrent  avec  éloge  et  de  la  pas- 
torale et  du  pasteur. 

«  Ce  n'est  pas  une  main  amie  qui  va  tracer  cet 
«  extrait,  lisons-nous  dans  ce  journal,  mais,  ce  qui 
«  importe  au  lecteur,  c'est  une  main  juste;  c'est  celle 
«  d'un  homme  qui,  en  se  réservant  le  droit  qui  appar- 
«  tient  à  tout  citoyen  de  censurer  plusieurs  opinions 
«  publiques  de  Grégoire,  et  ne  respectant  aucune- 
«  mentso-n  épiscopat,  partagea  dans  le  temps  l'estime 
«  qu'inspirèrent  pour  ce  député  son  refus  d'apostasie 
«  et  son  discours  en  faveur  de  la  liberté  des  cultes.  » 
— ^  Suit  un  éloge  de  Grégoire  écrivain  et  orateur;  le 
journaliste  lui  applique  la  définition  de  Cicéron  :  Vir 
bonus  dicendi  peritus.o^  Ceux  qui  ne  reconnaissent  pas 
«  en  lui  l'autorité  d'évêque  avoueront  qu'il  en  a  le  lan- 
«  gage,  et,  pour  finir  par  une  comparaison  de  Massil- 
-«  Ion,  qu'avec  les  mains  d'Esaû  il  a  la  voix  de  Jacob  ^  » 

1.  Entre  autres  Pouderoux,  évêque  de  l'Hérault  {Lettre  à  Be- 
saucèle,  évêque  de  Carcassonne,  8  mai  179S).  Le  o  germinal, 
Thuin,  évêque  de  Seine-et-Marne,  écrivait  à  Grégoire  et  le 
priait  de  lui  faire  passer  un  exemplaire  de  sa  pastorale  et  de 
lui  marquer  quelle  conduite  il  devait  tenir.  Lett7'e  vis.  —  La 
pastorale  fut  réimprimée  dix  fois  dans  les  départements.  — 
Voy.  aux  Pièces  justificatives  le  texte  de  cette  Lettre  pastorale. 
.  2.  ATo  de  ventôse-fierminal,  mars  1193.  Sermet,  métropolitain 
de  Toulouse,  écrivait  à  Grégoire  le  26  germinal  an  II]  :  «  On 
s'extasie  ici  à  la  lecture  de  votre  Instruction  pastorale,  mais 
elle  ne  convertit,  elle  n'affermit  même  personne.  Quel  dom- 
mage, dit-on,  que  cet  homme-là  ne  soit  pas  des  nôtres!  Un 
imprimeur  très  intéressé  n'a  osé,  tout  enchanté  qu'il  en  était, 
la  réimprimer  à  ses  dépens.  »  Lettre  ms. 


CHAPITRE  IV 

RÉORGANISATION  DU  CULTE;  PREMIÈRE  ENCYCLIQUE;  LES 
PRÊTRES  mariés;  SOCIÉTÉ  DE  PHILOSOPHIE  CHRÉ- 
TIENNE;  ANNALES   DE   LA   RELIGION 

Après  avoir  fait  ce  premier  pas  dans  la  voie  de  la 
réorganisation  religieuse,  Grégoire  et  ses  amis  se  mi- 
rent en  devoir  de  continuer,  et  ils  firent  une  enquête 
sérieuse  sur  l'état  des  esprits  en  France.  «  Ils  se  ré- 
«  pandirent  en  prières  devant  Dieu,  disent-ils  eux- 
«  mêmes  dans  leur  Lettre  circulaire  de  1797,  ils 
«  s'assemblèrent  fréquemment,  se  livrèrent  à  des 
«  recherches  laborieuses,  appelèrent  les  secours  de 
«  toutes  parts,  et  consultèrent  tout  ce  que  la  France 
«  pouvait  encore  compter  d'hommes  distingués  par 
«  leurs  lumières  et  leur  piété  *...  Le  premier  objet  de 
«  leur  travail  fut  de  sonder  les  plaies  de  la  religion. 

1.  La  société  jansénisle  de  Paris  leur  fournit  un  contingent 
assez  important  d'hommes  distingués,  Adrien  Le  Paige,  Duvi- 
vier,  Poan  Saint-Simon,  Agier,  Saillant,  Pingre,  etc.;  toutefois 
Orégoire  et  ses  amis  se  mirent  en  garde  contre  les  exagéralions 
où  des  sectaires  auraient  pu  les  faire  tomber;  ils  se  montrè- 
rent gallicans  déterminés,  mais  nullement  jansénistes;  le  pres- 
bytère de  Paris  et  l'évèque  constitutionnel  de  Versailles,  Clé- 
ment, jansénistes  militants,  leur  causèrent  bien  des  tribulations 
dont  nous  aurons  à  parler  dans  la  suite  de  ces  Etudes. 

45. 


262      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  Ils  ne  craindront  pas  de  publier  qu'à  leurs  yeux  ce 
«  ne  fut  ni  la  spoliation  des  temples,  ni  l'interruption 
«  presque  totale  du  culte  public,  ni  la  misère  de  ses 
«  ministres  qui  leur  parurent  avoir  blessé  plus  pro- 
«  fondement  leur  mère  commune.  Ils  reconnurent 
«  que  les  coups  les  plus  funestes  portés  à  la  religion 
«  catholique  avaient  frappé  sa  croyance,  sa  morale, 
«  sa  discipline.  Ils  furent  consternés  en  voyant  la 
«  désorganisation  de  son  ministère,  la  profanation 
«  des  objets  les  plus  sacrés,  la  dépravation  presque 
«  générale  des  cœurs  et  des  esprits.  » 

Assurément  la  nation  française  n'avait  pas  aban- 
donné la  religion  de  ses  pères,  les  preuves  de  ce  fait 
sont  innombrables,  et  l'on  sait  qu'elle  n'a  jamais  par- 
donné aux  terroristes  la  destruction  du  culte  ;  mais  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  qu'en  1795  le  désarroi  était 
grand.  Insermentés  ou  constitutionnels,  les  prêtres 
avaient  pour  la  plupart  accumulé  fautes  sur  fautes 
depuis  1789;  la  haine  déclarée  des  uns  pour  le  régime 
républicain,  les  odieuses  pratiques  de  quelques  au- 
tres pour  imposer  à  la  France  une  restauration  mo- 
narchique dont  elle  avait  horreur;  entin  la  conduite 
abominable  de  plusieurs  apostats  et  de  certains  clu- 
bistes  forcenés  avaient  diminué  le  respect  que  le 
peuple  professait  de  temps  immémorial  pour  le  clergé. 
Les  philosophes  et  les  orateurs  de  clubs  profitèrent 
habilement  de  ces  dispositions  nouvelles,  et  il  est 
certain  que  dans  la  classe  moyenne,  en  bien  des> 
endroits,  et  là  même  où  l'on  réclamait  avec  énergie 
le  rétablissement  des  cérémonies  religieuses,  l'opi- 
nion publique  «  était  hostile  aux  prêtres  »   *.  Les 

1.  Lettre  circulaire  de  1797. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  263 

évêques  réunis  voulurent  remédier  à  ce  fâcheux  état 
de  choses  et  réconcilier  les  fidèles  avec  les  prêtres  ;  le 
procédé  qu'ils  employèrent  pour  obtenir  ce  résultat 
est  digne  de  la  plus  grande  attention.  Au  lieu  de 
plaider  la  cause  du  clergé  et  de  chercher  à  dissiper  les 
préventions  du  peuple,  Grégoire  et  ses  collègues  s'at- 
taquèrent résolument  aux  mauvais  prêtres  ;  ils  entre- 
prirent de  les  chasser  du  sanctuaire  et  de  n'y  con- 
server que  des  hommes  éprouvés,  dignes  de  l'es- 
time et  de  la  confiance  publiques.  Tel  fut  l'objet  de 
leur  première  encyclique ,  donnée  «  le  dimanche 
15  mars  de  l'an  de  J.-G.  1795,  3"  de  la  République 
française  »  *.  Pour  éviter  tout  malentendu,  les  évê- 
ques faisaient  une  profession  de  foi  très  catégorique, 
et  ils  disaient  en  propres  termes  : 

«  Nous  croyons  que  l'Église  est  l'assemblée  de 
«  fidèles  qui,  sous  la  conduite  des  pasteurs  légitimes, 
«  dans  la  profession  d'une  même  foi  et  la  participa- 
«  tion  aux  mêmes  sacrements,  forment  un  même 
«  corps  dont  Jésus-Christ  est  le  chef  invisible,  et  le 
«  Pape  le  chef  visible. 

c  Nous  croyons  de  cœur  et  d'esprit  tout  ce  que  croit 
«  et  enseigne  l'Église  catholique,  apostolique  et  ro- 
«  maine. 

c  Nous  professons  sa  doctrine  telle  qu'elle  a  été  dé- 
«  finie  par  les  conciles  œcuméniques. 

«  Nous  adoptons  l'Exposition  de  la  doctrine  de 
«  l'Église  catholique,  par  Bossuet. 

1.  Lettre  encyclique  de  plusieurs  évêques  de  France  à  leurs 
frères  les  autres  évêques  et  aux  églises  vacantes,  19  pages  in-4'>; 
3e  édit.,  32  pages  in-So.  Voy.  aux  Pièces  justificatives  le  texte 
intégral  de  cet  importaat  document,  ainsi  que  quelques-unes 
des  adhésions  d'évêques  conservées  dans  les  papiers  de  Gré- 
goire. 


264      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  Nous  reconnaissons  que  le  gouvernement  de 
«  l'Église  est  tout  spirituel,  et  qu'il  ne  peut  s'étendre 
«  ni  directement  ni  indirectement  sur  le  tempo- 
«  rel,  etc.     • 

«  Nous  reconnaissons  que  les  mariages  autorisés 
a  par  la  puissance  publique  doivent  avoir  tous  leurs 
«  effets  civils.  Mais  nulle  puissance  humaine  ne  peut 
«  altérer  la  pureté  de  la  morale  évangélique.  La 
«  doctrine  de  l'Église  catholique  ne  permet  pas  le 
«  divorce;  elle  défend  à  ses  ministres  de  donner  la 
«  bénédiction  nuptiale  aux  fidèles  divorcés. 

«  Sa  discipline  ancienne,  constante,  universelle, 
«  interdit  les  fonctions  spirituelles  à  ceux  de  ses  mi- 
«  nistres  qui  se  marient  après  leur  ordination. 

«  Nous  rejetons  toute  innovation  dans  la  discipline 
«  générale  de  l'Église.  Nous  sommes  profondément 
«  affligés  des  divisions  qui  déchirent  l'Église  de 
«  France,  et  nous  exprimons  notre  ardent  désir  d'une 
«  prompte  et  solide  réunion.  Pour  accélérer  cet 
«  heureux  événement,  nous  adopterons  toutes  les 
«  voies  de  conciliation  conformes  à  la  charité,  à  la 
«  justice,  et  aux  libertés  de  l'Église  gallicane.  » 
-  Les  hommes  qui  parlaient  de  la  sorte  avaient 
bien  véritablement  la  voix  de  Jacob,  s'ils  avaient  les 
mains  d'Esaû;  voici  maintenant,  mais  en  abrégé,  les 
règles  de  discipline  provisoires  que  les  évêques  réunis 
«  soumettaient  à  la  sagesse  de  leurs  frères  et  adres- 
saient aux  presbytères  des  églises  veuves  »  :  ils  dé- 
claraient «  indignes  de  leur  état  et  de  la  confiance 
des  fidèles  »,  en  matière  «  de  religion  »,  les  prêtres 
ou  évêques  apostats  et  sacrilèges;  ceux  qui  avaient 
livré  leurs  lettres  d'ordre  durant  la  persécution,  les 
abdicataires  et  fauteurs  d'abdications,  et   enfin  les 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  265 

prêtres  mariés,  quand  même  ils  renonceraient  au  ma- 
riage. Aucun  des  ecclésiastiques  compris  dans  ces 
diverses  catégories  ne  devait,  sous  quelque  pré- 
texte que  ce  fût,  reprendre  l'exercice  du  ministère; 
les  évéques  entendaient  qu'à  leur  égard  la  disci- 
pline des  premiers  siècles  fût  observée  dans  toute  sa 
rigueur. 

Passant  ensuite  à  des  règlements  d'un  autre  ordre 
sur  l'administration  des  diocèses  et  des  paroisses,  sur 
les  sacrements  et  sur  le  culte,  les  évêques  réunis 
témoignaient  qu'ils  abandonnaient  volontiers  la  con- 
stitution civile  de  1791.  Toutefois,  pour  «  suivre  l'es- 
prit de  l'Église  »,  ils  adoptaient  «  la  distribution  qui 
s'est  faite  des  arrondissements  ecclésiastiques  con- 
formément aux  distributions  civiles  ».  Ils  considé- 
raient l'élection  comme  la  seule  manière  canonique 
de  pourvoir  aux  évêchés  vacants,  mais  ils  se  propo- 
-saient  de  présenter  le  plus  tôt  possible  un  mode 
d'élection  conforme  aux  règles  canoniques  de  la  pri- 
•mitive  Église.  Ils  souhaitaient  que  les  prêtres  ne 
fussent  pas  ordonnés  avant  l'âge  de  trente  ans;  ils 
prescrivaient  de  refuser  le  sacrement  de  mariage  aux 
fidèles  qui  ne  seraient  pas  mariés  civilement;  ils 
rejetaient  toute  espèce  de  easuel,  c'est-à-dire  les 
rétributions  données  au  prêtre  «  pour  prières  ou 
bénédictions,  et  particulièrement  pour  la  célébration 
de  la  messe  »  ;  enfin,  après  avoir  parlé  en  termes 
fort  sages  contre  l'abus  des  prétendues  reliques  et 
contre  le  luxe  des  églises,  ces  chrétiens  des  anciens 
jours  invitaient  les  prêtres  à  la  pratique  des  vertus 
de  leur  état.  «  Nous  leur  rappelons,  disaient-ils, 
«  l'obligation  qu'ils  ont  contractée  de  cette  pureté 
«  qui  doit  les  rendre  plus  semblables  à  des  anges 


266      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  qu'à  des  hommes;  de  cette  charité  qui  imite  celle 
«  de  J.-C.  mourant  pour  le  salut  des  hommes  et 
«  même  de  ses  ennemis  ;  de  cette  douceur  qui  per- 
ce suade  ou  désarme,  de  cette  tolérance  véritable  qui 
«  n'appartient  qu'à  l'Évangile.  Ils  doivent  vivre  dans 
«  la  retraite,  dans  l'exercice  continuel  de  la  prière  et 
«  des  bonnes  œuvres,  vaquer  assidûment  à  l'étude 
«  des  divines  Ecritures  et  des  saints  pères,  et  se  ren- 
«  fermer  le  plus  qu'ils  pourront  dans  le  cercle  de 
«  leurs  devoirs.  Enfin  c'est  à  eux  que  sont  principa- 
«  lement  adressées  ces  paroles  de  J.-G.  :  Soyez  par- 
«  faits  comme  votre  Pèi^e  céleste  est  parfait.  » 

Signée  par  les  évêques  réunis  auxquels  venait 
d'être  adjoint  le  savant  et  pieux  Gratien,  métropoli- 
tain de  Rouen,  l'encyclique  fut  envoyée  dans  tous  les 
départements,  et  sa  publication  produisit  aussitôt  les 
effets  qu'en  avaient  espérés  Grégoire  et  ses  collègues. 
Il  s'engagea  entre  le  comité  de  Paris  et  tous  les  dio- 
cèses de  France  une  correspondance  très  active  dont 
il  est  nécessaire  de  dire  au  moins  quelques  mots  K 


1.  Ce  fut  un  véritable  déluge  de  lettres;  Grégoire  en  reçut 
plus  de  vingt  mille  en  1793.  La  lettre  que  voici  montrera  bien 
ce  que  produisit  cette  correspondance;  elle  fut  adressée  à  Gré- 
goire du  fond  du  département  de  la  Creuse  par  un  inconnu. 
Grégoire  répondit,  et  ses  conseils  furent  suivis. 

A  Ahun,  département  de  la  Creuse,  2i  floréal, 
4"  année  de  la  République  française  (13  mai  1796). 

«  Monsieur, 
«  Vous  qu'on  nomme  à  juste  titre  le  restaurateur  du  culte 
«  catholique  en  France  et  qui  êtes  si  digne  de  la  reconnais- 
«  sance  des  fidèles,  vous  ne  refuserez  pas,  j'espère,  à  un  ecclé- 
«  siaslique  sexagénaire  votre  avis  sur  le  parti  à  prendre  dans 
«  les  circonstances.  Mon  cœur  et  ma  conscience  m'appellent  à 
«  la  tête  d'une  paroisse  que  j'ai  gouvernée  pendant  trente  ans; 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  267 

Les  prélats  constitutionnels  qui  n'avaient  ni  apostasie 
ni  abandonné  leurs  fonctions  s'empressèrent  d'en- 
voyer leur  adhésion,  et  les  éditions  de  l'encyclique 
parues  vers  la  fin  de  1795  étaient  revêtues  de  trente 
et  une  signatures  d'évêques.  Maudru  (des  Vosges)  ad- 
hérait avec  joie  et  avec  empressement  ;  il  baisait 
avec  respect  toutes  les  pages  de  l'encyclique  et  en  de- 
mandait trois  ou  quatre  cents  exemplaires  dont  il 
avait  besoin  dans  son  diocèse  *  ;  Besaucèle  (de  l'Aude), 
prélat  plus  qu'octogénaire,  la  saluait  comme  un  ou- 

«  mes  paroissiens  me  réclament,  je  crains  que  Dieu  ne  me 
«  demande  compte  des  âmes  qui  peuvent  se  perdre  à  défaut 
«  de  secours  spirituels  que  je  devais  leur  apporter  depuis  le 
w  déci'et  sur  la  liberté  des  cultes.  Mais  la  crainte  de  m'cxposer 
«  à  une  nouvelle  perséc\ition  après  m'ètre  transporté  dans  une 
u  commune  fort  éloignée  de  ma  famille  me  relient,  surtout  à 
«  mon  âge.  Je  sens  la  futilité  de  cette  objection  quand  il  s'agit 
«  de  son  devoir,  du  salut  des  âmes,  de  la  gloire  de  mon  Dieu, 
«  et  n'ose  me  décider.  Ah  !  au  nom  de  ce  Dieu  que  j'adore, 
«  donnez-moi  un  conseil  d'ami;  dites-moi  ce  que  je  dois  faire. 
«  Depuis  un  an  je  suis  bourrelé  nuit  et  jour,  et  je  ne  puis  me 
tt  décider.  Les  mesures  toujours  générales  qu'on  prend  contre 
«  les  réfractaires  me  font  appréhender  qu'on  ne  veuille  [pas] 
«  nous  laisser  tranquilles,  surtout  d'après  les  entraves  qu'on 
«  nous  met  dans  notre  exercice  et  les  recherches  multipliées 
<i  sur  notre  serment  et  notre  soumission.  Je  m'en  rapporte  à 
«  vous,  monsieur,  me  conseillez-vous  de  rejoindre  ma  paroisse, 
«  ou  dois-je  attendre?  Votre  avis  fera  la  règle  de  ma  conduite. 
«  Je  vous  le  demande  dans  la  sincérité  de  mon  àme,  pour  ma 
«  tranquillité  et  le  repos  de  ma  conscience.  Dérobez  un  mo- 
«  ment  à  vos  travaux,  et  le  donnez  à  un  malheureux  dont  la 
«  confiance  semble  le  mériter. 

«  Je  suis  avec  une  respectueuse  considération, 

«  Votre  concitoyen,  Marioton,  de  Chéniers. 

«  Plus  promptement  vous  me  ferez  réponse  et  plus  tôt  vous 
«  abrégerez  mes  doutes  et  mes  peines.  » 

Sur  le  conseil  de  Grégoire,  le  curé  Marioton  revint  dans  sa 
cure  de  Chéniers;  il  y  était  encore  au  moment  du  Concordat 
et  correspondait  affectueusement  avec  Grégoire. 

1.  Lettre  à  Grégoire,  30  germinal  an  III. 


268      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA.  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

vrage  «  descendu  du  ciel  »  ;  De  Bertier,  de  Rodez, 
offrait  de  contribuer  aux  frais  de  cette  publication; 
Molinier,  Philbert,  Jacob,  Périer,  Constant,  Le  Coz  et 
beaucoup  d'autres  adhérèrent  de  la  même  manière, 
mais  la  plupart  d'entre  eux  faisaient  leurs  réserves 
sur  un  ou  deux  points.  Ces  prélats  jugeaient  trop  sé- 
vère l'exclusion  portée  contre  les  traditeurs  et  contre 
les  abdicataires. 

«  Vos  principes  sont  vrais,  écrivait  Le  Coz  à  Gré- 
«  goire,  mais  sont -ils  applicables  dans  tous  les 
«  pays?...  Il  y  a  peu  de  prêtres  qui  aient  parfaitc- 
«  ment  résisté  à  la  tempête;  la  crainte  d'attirer  de 
«  nouveaux  malheurs  sur  leurs  paroissiens  a  fait 
«  fléchir  plusieurs...  J'ai  cru  pouvoir  user  d'indul- 
«  gence  envers  plusieurs,  en  les  obligeant  néanmoins 
«  à  faire  auprès  des  autorités  constituées  les  déclara- 
«  tions  que  vous  exigez  *.  Je  crains  que  la  publication 


1.  «  Je  vous  l'ai  déjà  dit,  votre  rigoureuse  décision  sur  les 
prêtres  abdicataires  est  mal  vue.  J'en  reçois  beaucoup  de 
plaintes;  aussi  ne  m'y  suis-je  pas  tout  à  fait  conformé  dans 
mon  diocèse.  Les  insermentés  s'en  prévalent  pour  tourmenter 
des  hommes  qu'ils  auraient  imités  s'ils  s'étaient  trouvés  dans 
leur  position.  Après  quelques  épreuves  et  des  témoignages 
de  repentir  d'une  faiblesse  qui,  dans  plusieurs,  a  eu  pour 
motif  d'éloigner  de  plus  grandes  horreurs,  je  les  admets  à 
reprendre  leurs  fonctions,  et  le  peuple  n'en  est  pas  mal  édifié.  « 
Lettre  de  Le  Coz  à  Grégoire  (29  floréal  an  III). 

—  Les  abdicataires,  qu'il  faut  distinguer  des  apostats,  étaient 
dans  une  situation  singulière,  même  aux  yeux  du  gouverne- 
ment; on  en  jugera  par  le  document  que  voici  : 

Extrait  du  registre  des  délibérations  du  directoire  du  district 
d'Indremont  (Ghàlillon-sur-Indre,  —  Indre),  séance  publique 
tenante  le  5  germinal  de  l'an  2^  de  la  Rép.  fr.  une  et  indiv. 
(25  mars  1794). 

Un  membre  a  représenté  que  la  présence  des  ci-devant  curés 
qui  ont  abdiqué  et  remis  leurs  lettres  de  prêtrise  dans  les 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  269 

«  de  vos  règles  canoniques  ne  diminue  la  confiance 
-«  qu'ils  paraissent  gagner  sensiblement.  D'un  autre 
«  côté,  les  insermentés,  qui  dans  ces  jours  d'horreur 
«  étaient  dans  les  prisons,  ont  du  moins  l'apparence 
«  d'avoir  été  plus  courageux  et  plus  fidèles  à  leur 
-*  religion...  J'en  ai  chez  moi  plus  de  deux  cents  qui 
«  continuent  d'égarer  le  peuple...  Vos  principes,  en 


différentes  communes   où   ils  résident  encore  entretient  les 
citoyens  de  ces  communes  dans  les  habitudes  du  fanatisme, 
dans  lequel  ils  n'ont  été  que  trop  longtemps  bercés. 
Ouï  le  rapport  du  substitut  de  l'agent  national, 
Nous,  administrateurs  du  district  d'Indremont, 
Considérant  que  la  saine  partie  des  citoyens  des  communes 
de  ce  district,  revenus  des  erreurs  frénétiques  que  leur  avait 
jusqu'ici    inspirées  le  charlatanisme  des   prêtres,  ont  nettoyé 
leurs  églises  de  toutes  les  marques  de  la  stupide  superstition 
qui  y  présidait  depuis  trop  longtemps  sous  la  garde  du  rigo- 
tisnie  [sic,  lisez  bigotisine),  et  ont  fermé  les  portes  de  ces  tem- 
ples de  l'erreur; 

Considérant  que  le  fanatisme  a  été  un  des  principaux  motifs 
que  les  prêtres  ont  employés  dans  le  dessein  perfide  d'ense- 
velir dans  leur  rage  la  République  sous  ses  ruines,  et  que 
l'on  doit  mettre  en  usage  tous  les  moyens  les  plus  prompts 
pour  éloigner  de  toutes  les  communes  de  ce  district  les  prê- 
tre?, dont  l'ombre  même  doit  être  considérée  comme  dange- 
reuse et  capable  d'inspirer  le  fanatisme, 

Avons  arrêté  que  dans  la  huitaine  à  compter  des  jours  de  la 
réception  du  présent  arrêté,  tous  les  ci-devant  curés,  vicaires, 
desservants  et  autres  prêtres  ayant  abdiqué  et  remis  leurs  let- 
tres de  prêtrise  et  qui  ont  précédemment  exercé  les  fonctions 
du  culte  catholique  dans  toutes  les  communes  de  ce  district, 
et  ceux  enfin  dont  l'âme  gangrenée,  cachés  (sic)  sous  l'ombre 
d'un  patriotisme  hypocrite,  n'ont  [sic)  point  encore  abdiqué 
ni  remis  leurs  lettres,  qui  les  habitent  encore,  seront  tenus  de 
se  retirer  dans  leurs  familles  respectives,  à  peine  d'être  re- 
gardés comme  suspects,  et,  comme  tels,  mis  en  état  d'arresta- 
tion et  conduits  à  la  maison  de  réclusion.  Sont  néanmoins 
exceptés  des  présentes  dispositions  toiis  les  prêtres  qui  ont 
contracté  mariage,  et  ceux  qui,  par  un  patriotisme  reconnu, 
ont  obtenu  des  places  dans  les  bureaux  d'administration.  — 
Copie  certifiée,  pièce  manuscrite  du  temps. 


270      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  augmentant  leur  présomption,  ne  leur  donneront-ils 
«  pas  de  nouveaux  moyens  d'égarer  les  gens  sim- 
«  pies?  » 

La  suppression  du  casuel  était  de  même  vue  avec 
déplaisir  par  le  plus  grand  nombre  des  adhérents. 

«  Comme  vous,  disait  encore  Le  Goz,  je  n'aban- 
«  donnerai  jamais  les  principes  ;  mais  la  proscription 
«  des  honoraires  des  messes,  par  exemple,  ne  tient  à 
«  aucun  principe...  Toutes  les  choses  essentielles 
«  pour  la  célébration  du  saint  sacrifice  sont  ici  telle- 
«  ment  chères  qu'elles  reviennent  pour  chaque  messe 
«  à  six  ou  sept  sous.  Comment  voulez-vous  qu'un 
«  prêtre  à  qui  son  modeste  traitement  suffît  à  peine 
«  pour  se  procurer  du  pain  *  fasse  cette  dépense  jour- 
«  nalière?  Les  aumônes  des  fidèles  pour  les  autres 
«  objets  du  culte  sont  bien  médiocres.  Ils  ont  vu  les 
«  linges  et  les  ornements  d'église  qu'ils  avaient  payés 
«  fort  cher,  prodigués  à  des  prostituées,  employés  à 
«  faire  des  housses  et  à  d'autres  usages  plus  révol- 
«  tants  encore.  Ils  craignent  qu'il  n'en  soit  de  même 
«  de  ce  qu'ils  achèteraient  aujourd'hui  pour  le  culte, 
«  et  cette  crainte,  oseriez-vous  dire  qu'elle  est  abso- 
«  lument  déraisonnable?  Ils  préfèrent  donc  de  donner 
«  pour  des  messes  et  pour  d'autres  prières  ^.  » 

Presque  tous  les  évoques  s'exprimaient  en  des 
termes  analogues,  et  Flavigny,  de  la  Haute-Saône, 
demandait  en  outre  qu'on  supprimât  je  ne  sais  quelle 
citation  de  saint  Paul  pour  empêcher  les  malveillants, 

\.  11  s'agit  des  800  livres  que  la  Convention  accordait  aux 
ci-devant  ministres  des  cultes;  payée  en  assignats,  cette  somme 
unit  par  ne  pas  représenter  SO  francs,  et  plus  tard  même 
12  francs  en  numéraire.  Lettres  mss. 

2.  Lettre  aidor/r.  du  3  floréal  an  III. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  271 

«  les  gens  à  lunettes  de  jésuites,  de  crier  au  jansé- 
nisme. Comme  on  ne  songe  point,  disait-il,  à  ressus- 
citer de  vieilles  querelles,  il  faut  éviter  toute  tracas- 
serie ^  »  Enfin  la  plupart  des  évêques  assermentés, 
en  adhérant  à  l'encyclique,  demandèrent  à  ses  au- 
teurs d'en  adresser  un  exemplaire  au  pape,  «  avec 
une  affectueuse  invitation,  disait  LeCoz,  de  se  joindre 
à  nous  pour  relever  le  christianisme  dans  ce  vaste 
empire  ».  Presque  tous  soupiraient  après  la  paix  re- 
ligieuse et  déclaraient  déjà,  ce  qu'ils  ne  cessèrent  de 
répéter  depuis,  qu'ils  étaient  prêts  à  se  démettre  de 
leurs  sièges,  prêts  à  tout  sacrifier,  excepté  les  droits 
imprescriptibles  de  l'État  et  les  libertés  de  l'Église 
gallicane. 

Mais  ces  trente  adhérents  constituaient  à  peine  le 
tiers  de  l'épiscopat  constitutionnel  de  1791 ,  et  l'on  se 
demandera  peut-être  si  les  cinquante  autres  évêques 
assermentés  n'apportèrent  point  leur  concours  à  l'œu- 

{.  Lettre  ms..  3  floréal  an  III.  On  a  prétendu  que  le  clergé  con- 
stitutionnel était  composé  principalement  de  jansénistes;  voici 
comment  s'exprimait  le  savant  Moïse,  évêque  du  Jura,  dans  une 
lettre  à  Desbois  de  Rochefort,  évêque  de  la  Somme  :  «  Ces 
prétendus  successeurs  de  Port-Royal  m'ont  paru  des  valets  de 
chambre  qui  ont  hérité  de  la  garde-robe  de  leurs  maîtres.  Ce 
sont  des  intrigants  qui  ont  beaucoup  de  moyens  parce  qu'ils 
ne  sont  pas  délicats  sur  le  choix  des  moyens;  des  gens  de 
parti  qui,  ne  pouvant  réussir  que  par  le  désordre,  ont  constam- 
ment tout  tenté  pour  l'exciter;  des  hommes  dangereux...  en 
un  mot  des  hommes  qui  réunissent  presque  tous  les  vices  des 
jésuites  sans  en  avoir  les  talents.  «  Ce  jugement  est  exagéré,  et 
qui  plus  est  très  injuste;  il  n'en  est  que  plus  intéressant  pour 
établir  que  le  clergé  constitutionnel  n'était  pas  janséniste.  Le 
Coz  n'était  pas  moins  opposé  au  jansénisme,  et  les  Nouvelles 
ecclésiastiques  reprochèrent  amèrement  aux  constitutionnels  de 
n'avoir  rien  fait  contre  la  bulle  Unigeiiitus.  Grégoire  lui-même 
se  montra  dur  pour  les  jansénistes  purs,  et  j'ai  sous  les  yeux 
quelques  lettres  curieuses  à  ce  sujet. 


272      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

vre  de  restauration  qu'entreprenaient  leurs  confrères. 
La  réponse  est  aisée,  car  Grégoire  a  fait  à  ce  sujet  un 
petit  travail  de  statistique  *.  Dix  ou  douze  évéques 
étaient  morts  naturellement  et  n'avaient  pas  été  rem- 
placés ;  huit  avaient  péri  sur  l'échafaud  ;  huit  ou  dix 
s'étaient  mariés  et  ne  pouvaient  plus  être  comptés; 
six  avaient  abdiqué  pendant  la  Terreur  ^,  et  six  autres 
témoignèrent  en  1795,  comme  Séguin,  de  Besançon, 
qu'ils  renonçaient  définitivement  à  leurs  fonctions  ; 
c'est  un  total  d'environ  quarante  prélats  qui  n'appar- 
tenaient plus  au  clergé  constitutionnel.  Parmi  les 
dix  ou  douze  qui  restent  pour  arriver  au  chiffre  de 
83,  il  s'en  trouva,  comme  Héraudin,  Pouderoux, 
Wandelaincourt,  Tollet  et  Sermet,  qui  ne  voulurent 
pas  donner  leur  adhésion,  parce  qu'une  restauration 
du  culte  leur  paraissait  impossible;  ces  derniers  n'en 
étaient  pas  moins  de  cœur  avec  leurs  frères  de  Paris, 
qu'ils  secondèrent  ensuite  de  tout  leur  pouvoir.  Ser- 
met cherchait  à  démontrer,  le  26  germinal  an  III 
(15  avril  1795),  que  les  constitutionnels  ne  pouvaient 
pas  rétablir  le  culte. 

«  Lors  de  la  Révolution,  disait-il,  on  vit  à  Tou- 
«  louse,  sur  cent  catholiques,  soixante  au  moins 
«  tourner  le  dos  aux  évêques  et  prêtres  constitution- 
«  nels,  et  ceux-là  ont  tenu  bon  dans  la  foi.  Sur  les 
«  quarante   autres,  il  faut  aujourd'hui   compter  au 

1.  Compte  rendu  au  concile  de  1797,  p.  7. 

2.  Voici  les  noms  des  évêques  mariés  :  Lindet,  Massieu,  Minée, 
Porion,  de  Jarente,  Joubert,  Pontard  et  l'ancien  recteur  de 
PUniversité  de  Paris,  Dumouchel.  Ceux  qui  montèrent  sur 
Pécliafaud  sont  Fauchet,  Marolles,  Martin,  Gobel,  Expilly,  La- 
mourette,  Gouttes,  Roux.  Parmi  les  abdicataires  non  mariés 
sont  Gay-Vernon,  Torné,  Loménie,  Lalande,  Savine  et  Huguet, 
fusillé  comme  complice  de  Babeuf  en  1796. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  273 

«  moins  vingt-cinq  apostats  ;  reste  donc  quinze  de 
«  notre  bord.  De  notre  bord?  —  Je  me  trompe;  il 
«  faut  les  subdiviser  encore.  Sur  ces  quinze  il  y  en  a 
«  dix  et  peut-être  douze  très  indifférents  pour  Céphas 
«  ou  pour  Apollo,  et  qui  ne  tiennent  qu'à  la  foi  de 
«  leurs  pères,  quel  qu'en  soit  le  ministre,  Serez-vous 
«  surpris  après  cela  que  nous  n'ayons  encore  ici  au- 
c  cune  église  ouverte,  et  que  tout  le  service  se  fasse 
«  en  chambre?  Les  anticonstitutionnels  seuls  font 
«  foule  et  chantent  à  tue-tète,,.  On  a  de  l'argent  en 
«  abondance,  et  des  vicaires  apostoliques  ;  aussi  les 
«  abjurations  vont-elles  grand  train  dans  la  ville  et 
«  surtout  à  la  campagne...  On  a  beau  dire;  jamais 
«  sans  le  concours  du  pape  nous  n'aurons  la  paix 
«  intérieure.  Plus  on  s'aigrira  contre  lui,  plus  il  ga- 
«  gnera  du  terrain,  piano,  piano.  Rome  ne  meurt 
«  jamais.  Ce  qu'elle  veut,  elle  le  désire  avec  ardeur^ 
«  mais  avec  patience  '...  » 


1.  Lettre  à  Grégoire,  26  germinal  an  III.  Toute  la  lettre  est 
sur  ce  ton,  et  l'ancien  carme  y  dit  en  propres  termes  :  «  J'étais 
plus  qu'évéque,  même  à  Toulouse,  pendant  que  je  portais  des 
sandales;  je  cessai  de  l'être  lorsqu'on  m'affubla  de  la  mitre.  » 
Mais  on  aurait  tort  déjuger  d'après  les  habitants  de  Toulouse 
de  tout  le  reste  du  Languedoc.  Sermet  d'ailleurs  finit  par  ou- 
vrir les  yeux  et  par  se  rendre  à  l'évidence;  voici  en  effet, 
transcrit  sur  l'autographe,  le  texte  de  son  adhésion  tardive  à 
l'Encyclique  des  évéques  réunis  : 

Je  soussigné  adhère  d'esprit  et  de  cœur  à  la  Lettre  ency- 
clique adressée  le  15  mars  dernier  par  plusieurs  évêques  de 
France  réunis  à  Paris  à  leurs  frères  les  autres  évêques  et  aux 
églises  vacantes;  et  j'y  adhère  d'autant  plus  fortement  qu'elle 
est  l'expression  fidèle  de  la  doctrine  et  des  sentiments  que  j'ai 
toujours  professés  et  dont  je  suis  bien  résolu  de  ne  me  dé- 
partir jamais. 

A  Cazères  [Cazères  est  un  ch.-I.  de  c.  de  la  Haute-Garonne, 
arr.  de  Muret,  2600  hab.],  où  je  remplis  les  fonctions  d'évêque- 


274      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE   LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Persuadé  que  la  France  entière  était  aussi  «  ultra- 
montaine  »  que  le  département  de  la  Haute-Garonne, 
Sermet  s'abandonnait  au  désespoir,  et  il  en  fut  de  même 
en  1795  de  quelques  autres  prélats  constitutionnels. 

D'autres  enfin,  comme  Panisset,  évêque  du  dépar- 
tement du  Mont-Blanc,  offrirent  leur  adhésion,  qui  fut 
rejetée  avec  mépris.  Ce  dernier  écrivit  à  Grégoire  qu'il 
adhérait  «  à  ce  précieux  monument  du  zèle,  de  la 
charité  et  des  lumières  de  la  respectable  assemblée 
dont  il  était  émané  ^  ».  La  respectable  assemblée  lui 
écrivit  pour  l'engager  à  expier  par  la  pénitence  le 
scandale  de  son  apostasie  de  1794.  «  La  chute,  lui 
disait-on,  est  une  faute  sur  laquelle  la  discipline  des 
premiers  siècles  est  inexorable,  et  vous  ne  pouvez 
mettre  trop  d'énergie  à  témoigner  votre  repentir  ^.  » 
Piqué  au  vif,  Panisset  passa  immédiatement  aux  ré- 
fractaires,  qui  se  montrèrent  plus  accommodants,  et 
il  rétracta  avec  fracas  son  serment  de  1793. 

D'autres  que  l'évêque  du  Mont-Blanc  avaient  été, 
durant  la  Terreur,  un  sujet  de  scandale  ;  ainsi  le  mé- 
tropolitain de  Reims,  Nicolas  Diot,  avait  marié,  secrè- 
tement il  est  vrai,  un  de  ses  vicaires;  et  l'ex-jésuite 
Volfius,  de  la  Côte-d'Or,  avait  abdiqué  et  remis  ses 
lettres  de  prêtrise.  Tous  deux  se  soumirent  à  une  péni- 
tence canonique,  —  Diot  fit  même  plus  tard  une  con- 
fession publique  de  sa  faute  ',  —  et  les  adhésions  de 


curé,  le  21  novembre  1795,  l'an  4»  de  la  République  française 

une  et  indivisible. 

A.  H.  Sermet,  évêque  métropolitain  de  Toulouse. 

1.  Lettre  autographe  du  /3  brumaire  an  IV. 

2.  Notes  autographes  de  Grégoire  en  marge  de  la  lettre  de 
Panisset. 

3.  Elle  est  imprimée  dans  les  Actes  du  synode  tenu  à  Reims 
en  1801. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  275 

ces  deux  pénitents  furent  inscrites  avec  les  autres. 
L'ancien  évèque  de  Viviers,  Laffont  de  Savine,  devenu 
en  1791  évêque  constitutionnel  de  l'Ardèche,  prélat 
des  deux  régimes  par  conséquent,  refusa  la  sienne, 
parce  que,  disait-il,  son  intention  bien  arrêtée  était 
de  ne  jamais  souscrire  un  manifeste  collectif,  mais 
en  réalité  parce  qu'il  était  heureux  d'avoir  obtenu, 
grâce  à  la  protection  de  Grégoire,  une  place  à  la  bi- 
bliothèque de  l'Arsenal.  Savine  engageait  son  con- 
frère à  ne  jamais  aliéner  sa  liberté  d'action,  et  ce  sin- 
gulier personnage  faisait  à  l'encyclique  certaines 
objections  assez  sérieuses. 

«  Avons-nous,  disait-il,  l'autorité  d'exclure  des 
«  fonctions  saintes  les  prêtres  mariés?  Après  nous 
«  être  affranchis  d'une  grande  partie  de  l'ancienne 
«  discipline  respectée  par  nos  pères,  pourrions-nous 
«  ordonner  impérieusement  le  maintien  d'une  autre 
«  partie?  Avons-nous  une  juridiction?  Cette  juridic- 
«  tion  s'étend-elle  sur  toute  la  République,  et  par 
«  conséquent  sur  toute  la  terre?  Si  nous  ordonnons 
«  quelque  chose,  les  anciens  évêques  ne  peuvent-ils 
«  pas  en  ordonner  aussi?  Si  nous  tenons  des  conciles, 
«  ne  peuvent-ils  pas  en  tenir  en  Italie  ou  en  Angle- 
«  terre*?  » 

Enfin  l'ancien  évêque  d'Angers,  l'insermenté  Couët- 
Lorry,  auquel  on  avait  envoyé  l'encyclique,  répondit 
d'une  manière  évasive  qu'il  l'avait  lue  avec  autant 
d'attention  que  d'intérêt.  «  Je  désire  bien  vivement, 
«  disait-il,  que  la  religion  et  le  culte  reprennent  leur 
«  pureté  et  leur  ancien  éclat.  J'espère  que  Dieu  ré- 


1.  Lettre  autogr.  (il  y  eti  a  plusieurs  de  lui,  et  elles  sont  in- 
téressantes). 


276     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  pandra  sur  ses  ministres  les  dons  d'unité,  de  cha- 
«  rite  et  de  paix  dont  ils  doivent  l'exemple  aux 
«  fidèles  *.  » 

Voilà  pour  les  évêques  ;  dans  les  diocèses  qui 
n'avaient  plus  de  chef,  il  se  trouva  des  prêtres  de 
bonne  volonté  pour  constituer  des  presbytères  dont 
les  adhésions  furent  enregistrées  à  mesure  qu'on  les 
reçut.  Grégoire  et  ses  amis  recueillirent  avec  soin 
toutes  ces  lettres  de  communion  qui  leur  donnaient 
sur  le  clergé  patriote  une  autorité  si  grande,  mais 
leur  rigorisme  ne  tint  aucun  compte  des  objections 
qu'on  leur  adressait  au  point  de  vue  disciplinaire. 
Grégoire  en  particulier  ne  cessait  de  répéter  qu'un 
mauvais  prêtre  est  pire  qu'une  méchante  femme,  et 
qu'il  valait  mieux  n'en  pas  avoir  du  tout,  si  l'on  n'en 
pouvait  trouver  de  bons.  L'événement  prouva  contre 
toute  attente  que  les  évêques  réunis  avaient  raison^ 
et  l'on  verra  par  la  suite  de  ces  études  que  cette  épu- 
ration si  hardie  du  clergé  constitutionnel  produisit  en 
peu  de  temps  des  résultats  extraordinaires  ;  ils  avaient, 
comme  Gédéon  ^,  réduit  leur  petite  phalange  à  quel- 
ques braves  éprouvés,  et  ils  pouvaient  entreprendre 
l'œuvre  de  réorganisation  qu'ils  avaient  tant  à  cœur  ^. 


1.  Lettre  autogr.  du  18  mai  1795. 

2.  «  Nolite  timere,  pusillus  grex.  Gédéon  vainquit  avec  troi» 
cents  braves!  »  Lettre  ms.  de  Grégoire  à  son  conseil  épiscopal, 
30  messidor  an  III. 

3.  «  Notre  correspondance  nous  offre  une  multitude  presque 
incroyable  de  rétractations  dans  toutes  les  parties  de  la  France. 
Ainsi  le  clergé  constitutionnel  s'épure.  Il  ne  comptera  désor- 
mais parmi  ses  membres  que  des  hommes  purs,  désintéressés,, 
fermes  et  dignes  de  leur  ministère.  Quand  ces  rétractations 
eussent  été  l'œuvre  de  notre  propre  politique,  nous  n'aurions 
pu  rendre  à  nos  adversaires  un  plus  mauvais  service  que  de 
renvoyer  dans  leur  camp  les  lâches  et  les  hommes  corrompus- 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  277 

Quelque  jugement  que  l'on  porte  sur  les  actes  de  Gré- 
goire et  des  autres  assermentés  en  1795,  on  convien- 
dra qu'ils  firent  preuve  d'une  foi  ardente  et  qu'ils  dé- 
ployèrent une  habileté  consommée.  Le  gouvernement 
ne  pouvait  plus  les  inquiéter  d'une  manière  sérieuse^ 
puisqu'ils  faisaient  profession  d'aimer  la  République, 
et  le  Vatican  même  ne  pouvait  être  éternellement 
en  guerre  avec  des  hommes  qui  ne  cessaient  de  se 
dire  catholiques  romains,  de  proclamer  en  toute  oc- 
casion non  pas  l'infaillibilité  dont  il  n'était  pas  ques- 
tion à  cette  époque,  mais  la  primauté  d'honneur  et  de 
juridiction  du  successeur  de  Pierre.  Les  insermentés, 
au  contraire,  bien  qu'ils  se  donnassent  alors  beau- 
coup de  mouvement  et  qu'il  s'en  trouvât  dans  tous  les- 
départements  un  nombre  considérable,  agissaient  de 
telle  sorte  qu'il  était  impossible  à  un  gouvernement 
républicain  de  traiter  avec  eux.  Ils  faisaient  partout 
de  la  contre-révolution  ;  ils  tonnaient  en  chaire  contre 
les  acquéreurs  de  biens  nationaux,  ils  réprouvaient 
le  mariage  civil,  et  appelaient  de  tous  leurs  vœux  une 
restauration  monarchique.  Ce  n'était  pas,  comme  on 
l'a  tant  de  fois  répété,  leur  dévouement  à  l'ortho- 
doxie, c'était  leur  haine  persistante  pour  le  régime 
issu  de  la  Révolution  qui  empêchait  le  gouvernement 
de  les  reconnaître  ;  quoique  très  portée  à  la  tolérance 
depuis  le  9  thermidor,  la  Convention  dut  édicter  en 
1793  de  nombreux  décrets  contre  les  réfractaires,  qui 
ne  cessaient  de  conspirer  avec  les  émigrés. 

11  serait  intéressant  d'étudier  en  détail  la  réorga- 
nisation du  culte  par  les  assermentés,  et  de  montrer 


dont  nous   n'avions   encore  pu   réussir  à  purger  le   sein   de 
l'Église.  »  Lettre  de  Desbois  à  Grégoire,  22  octobre  1796. 

16 


^78      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

■comment  Grégoire,  stimulant  le  zèle  des  uns,  gour- 
mandant  la  paresse  des  autres  et  prodiguant  à  tous 
les  encouragements,  parvint  à  ranimer  un  culte  que 
les  philosophes  de  la  Convention  déclaraient  mort; 
mais  ce  détail  serait  infini,  et  dix  volumes  n'y  suffi- 
raient pas;  nous  nous  contenterons  donc  d'étudier 
un  point  particulier,  et  de  prouver  d'une  manière 
irréfragable  que  le  clergé  de  1795  était  loin  de  comp- 
ter, comme  l'a  affirmé  M.  Thiers  et  comme  l'ont 
répété  après  lui  MM.  Lanfrey  et  Henri  Martin,  dix 
mille -prêtre?,  mariée  *.  On  a  vu  que  l'article  9  de  l'en- 
cyclique rédigée  par  les  évêques  déclarait  «  indignes 
«  de  leur  état  et  de  la  confiance  des  fidèles,  en  ma- 
«  tière  de  religion,  les  ecclésiastiques  qui  se  seraient 
«  mariés  sous  prétexte  d'éviter  les  persécutions,  ou 
«  par  quelque  motif  que  ce  fût,  quand  bien  même  ils 
«  renonceraient  au  mariage  »  ;  cet  article  souleva  des 
récriminations  ou  des  réclamations  nombreuses,  et  les 
archives  de  Grégoire  contiennent  à  ce  sujet  les  docu- 
ments les  plus  curieux.  Grégoire  y  fait  allusion  dans 
son  Histoire  du  mariage  des  prêtres,  mais  discrètement, 
comme  il  convient  à  un  prêtre  qui  a  reçu  des  confi- 
dences. D'après  lui,  on  peut  élever  à  deux  mille  le 
nombre  des  prêtres  qui  se  sont  mariés  pendant  la 
Révolution;  les  sept  huitièmes  de  ces  mariages  da- 
taient de  la  Terreur,  et  la  plupart  des  malheureux 
qui  les  contractèrent  pour  se  soustraire  à  des  persé- 
cutions odieuses  furent  au  désespoir  après  la  promul- 


1.  «  Le  clergé  constitutionnel  avait  dans  son  sein,  comme  le 
clergé  non  assermenté,  un  sujet  de  division;  c'était  la  question 
des  prêtres  mariés.  On  en  comptait  jusqu'à  10  000.  Grégoire  et 
les  jansénistes  purs  étaient  très  opposés  au  mariage  des  prê- 
tres. «  Henri  Martin,  III,  163. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  279 

gation  du  décret  de  ventôse.  L'encyclique  les  troubla 
profondément,  et  ils  écrivirent  aux  évêques  réunis^ 
mais  surtout  à  Grégoire,  un  grand  nombre  de  lettres, 
les  uns  pour  demander  que  le  mariage  des  prêtres  fût 
consacré,  les  autres  pour  implorer  leur  pardon  et 
pour  se  soumettre  à  telle  pénitence  qu'on  leur  impo- 
serait. De  courts  extraits  de  ces  lettres  montreront 
quel  souci  les  constitutionnels,  ces  prétendus  révoltés, 
avaient  de  la  dignité  du  prêtre.  Le  citoyen  Curbelier, 
instituteur  prêtre ,  était  dans  les  ordres  depuis 
trente  ans,  menant  une  vie  chaste,  probe  et  labo- 
rieuse. Il  fut  dénoncé  au  club  de  Toulouse  comme 
séditieux  et  perturbateur  ayant  témérairement  dé- 
clamé contre  le  divorce  et  le  mariage  des  prêtres. 

«  J'avais  déjà,  dit-il,  fait  des  démarches  pour  me 
«  marier;  ma  cervelle  troublée  et  ne  sachant  plus 
«  que  devenir,  c'est  ce  que  je  fis  le  [3  thermidor  an  II, 
«  mais  avec  la  plus  grande  répugnance.  Depuis  ce 
«  consentement  fatal,  qui  n'a  pas  été  fait  en  face  de 
«  l'Eglise,  j'ai  resté  trois  ans  avec  la  fille  que  je  pris,. 
«  qui  était  ma  servante  âgée  de  cinquante  et  un  ans, 
«  vivant,  comme  j'ai  toujours  fait,  dans  la  plus  en- 
«  tière  continence.  Depuis  quatre  années,  d'un  com- 
«  mun  accord,  nous  avons  resté  séparés  à  quatre 
«  lieues  de  distance.  Elle  restait  à  Toulouse,  où  elle 
«  est  morte  il  y  a  trois  mois.  » 

Les  habitants  de  Roqueferrière  l'avaient  supplié  de 
reprendre  ses  fonctions  de  curé,  mais  il  s'y  était 
refusé,  de  l'avis  de  M.  Sermet,  son  évèque.  Curbelier 
se  comparait  à  saint  Pierre  reniant  son  maître,  il  im- 
plorait son  pardon  et  demandait  la  permission  de 
remonter  à  l'autel  *. 

1.  Cette  lettre  est  de  1801. 


280      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Un  autre  curé  constitutionnel,  nommé  Gasson, 
s'était  laissé  marier  au  plus  fort  de  la  Terreur,  avec 
une  fille  qu'on  lui  vantait  et  qu'il  n'avait  jamais  vue. 
Il  était  encore  à  la  mairie  quand  un  de  ses  amis  lui 
apprit  que  cette  fille  était  une  prostituée.  Il  s'em- 
pressa de  quitter  le  domicile  conjugal  et  divorça.  Il 
avouait  qu'il  avait  grandement  péché,  mais  se  disait 
grandement  repentant  *. 

Molet,  ancien  curé  d'Abaucourt  en  Lorraine ,  était 
âgé  de  soixante-six  ans,  lorsque  la  Terreur  l'a  poussé, 
malgré  sa  répugnance  et  ses  larmes,  à  épouser  la  ci- 
toyenne Protte,  qui  a  bien  voulu  le  sauver  de  l'abîme 
ouvert  sous  ses  pas.  Ce  malheureux  attestait  sur  son 
âme  et  sur  son  salut,  comme  s'il  était  au  moment  de 
paraître  devant  Dieu,  qu'il  avait  été  convenu  entre  la 
citoyenne  Protte  et  lui,  avant  de  contracter,  qu'ils 
vivraient  comme  frère  et  sœur.  Ils  avaient  tenu  parole, 
d'autant  mieux  que,  «  si  à  soixante-six  ans  les  feux  de 
la  concupiscence  ne  sont  pas  éteints,  ils  ne  le  seront 
jamais  »  ^.  Calmon,  de  Cahors,  demandait  à  Grégoire 
un  conseil  qui  serait  à  son  égard  un  grand  acte  de 
charité  ;  il  promettait  de  faire  ce  que  lui  dirait 
l'évêque  de  Blois  ^  Carrière,  de  Castres,  dévoré  de  cha- 
grins et  bourrelé  de  remords,  quoique  son  mariage 
n'eût  été  qu'un  contrat  civil,  écrivait  le  24  germinal 
an  III  que  son  unique  ambition  serait  d'expier  sa 
faute  et  de  la  faire  oublier.  Girard,  de  Saint-Étienne, 
marié  pendant  la  persécution  et  devenu  père,  deman- 
dait lui  aussi  quel  parti  il  pouvait  prendre  dans  son 
malheur.  «  Soyez  persuadé,  disait-il  à  la  fin  d'une 

1.  Lettres  du  8  7iivôse  an  IV  et  du  8  ventôse  an  V. 

2.  Lettre  sans  date. 

3.  Lettre  du  2  fructidor  an  IIL 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  281 

lettre  navrante,  de  la  sincérité  de  mes  dispositions  à 
suivre  la  route  que  vous  voudrez  bien  me  tracer,  et 
le  règlement  que  vous  voudrez  bien  me  donner  *.  » 

La  plus  curieuse  de  ces  lettres  était  intitulée  : 
«  Pétition  d'un  prêtre  marié  civilement,  sans  aucune 
cohabitation  et  séparé  de  son  épouse  quelques  jours 
après  son  mariage,  tendante  à  être  réintégré  dans 
les  fonctions  ecclésiastiques.  »  L'auteur  de  cette 
pétition  au  Concile  de  1801,  le  citoyen  Collignon,  ex- 
curé  de  Bettlainville,  près  de  Metz,  avait  épousé  une 
religieuse,  mais  quelques  jours  après  ce  simulacre  de 
mariage  il  l'avait  quittée  pour  ne  plus  la  revoir.  Les 
parents  de  sa  femme  attestaient  la  même  chose,  et 
c'est  uniquement  parce  qu'ils  connaissaient  «  l'hor- 
reur extrême  que  leur  fille  avait  toujours  eue  pour  la 
consommation  du  mariage  »,  qu'ils  avaient  consenti 
à  cette  union,  qui  n'était  qu'une  «  simple  grimace  ». 
«  J'espère,  disait  un  autre,  que  vous  ne  consulterez 
dans  vos  décisions  que  la  grandeur  de  la  moisson,  le 
peu  d'ouvriers,  et  la  facilité  que  le  premier  ministre 
de  J.-C.  (l'évêque)  a  dans  ses  mains  de  faire  d'un  vase 
d'opprobre  un  vase  d'élection.  »  Mais  Grégoire  et  ses 
collègues  furent  inflexibles,  en  1795  comme  en  1797, 
comme  en  1801  ;  suivant  une  expression  de  Grégoire 
lui-même,  ils  fermèrent  irrévocablement  la  porte  du 
sanctuaire  aux  prêtres  mariés.  Parmi  ces  malheureux, 

1.  Lettre  du  19  juin  1796.  —  Un  autre,  nommé  Doulhac,  ju- 
rait par  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  «  qu'il  ne  savait  pas 
physiquement  de  quel  sexe  pouvait  être  sa  femme  »,  qu'il  avait 
instituée  son  héritière,  et  qui  pour  cette  raison  ne  voulait  plus 
le  quitter.  —  Un  autre,  appelé  Bellote,  s'était  marié  par  peur, 
après  avoir  perdu  en  moins  de  huit  jours  la  moitié  de  ses  che- 
veux, etc.  Le  comique  se  mêle  constamment  au  tragique  dans 
les  lettres  de  ces  malheureux. 

Ifi. 


282      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

les  uns  se  résignèrent  chrétiennement,  tandis  que 
d'autres  eurent  recours  aux  insermentés,  renvoyè- 
rent leurs  femmes  comme  des  concubines,  abandon- 
nèrent leurs  enfants,  et  purent,  moyennant  une  ré- 
tractation de  leur  serment  de  1791,  reprendre  dans, 
d'autres  paroisses  les  fonctions  du  ministère  ^.  Telle 
est  l'exacte  vérité  sur  le  prétendu  mariage  des  prê- 
tres constitutionnels. 

Ainsi,  dès  la  fin  de  germinal  an  III,  c'est-à-dire  en 
avril  1793,  les  évêques  réunis  avaient  fait  un  grand 
pas  dans  la  voie  de  la  réorganisation  religieuse.  Au- 
tour d'eux  se  groupaient  trente  prélats  et  plusieurs 
milliers  d'ecclésiastiques  dont  les  uns  marchaient 
sous  la  bannière  de  leurs  évêques  respectifs,  tandis 
que  les  autres  obéissaient  au  Comité  national,  comme 
ils  l'appelaient)  ou  aux  évêques  voisins,  ou  enfin  à 
des  presbytères  rapidement  constitués  au  chef-lieu 
du  diocèse.  C'était  un  beau  commencement,  et  les 
évêques  réunis  avaient  quelque  droit  d'en  être  fiers» 
Encouragés  par  le  succès,  ils  redoublèrent  d'activité 
et  mirent  au  service  de  leur  cause  deux  puissants 
moyens  d'action  :  ils  créèrent  une  Société  de  philo- 


i.  Il  arriva  cependant  que  des  prêtres  mariés  prétendirent 
continuer  leurs  fonctions;  dans  ce  cas  les  évêques  constitution- 
nels interdisaient  le  prévaricateur,  mais  là  se  bornait  évidem- 
ment leur  pouvoir.  Ainsi  le  citoyen  Bruslon,  curé  de  Vouvray, 
écrivit  à  Grégoire  en  1795  :  «  J'irai  mon  train,  j'administrerais 
les  sacrements  dans  les  communes  qui  ne  sont  pas  les  miennes; 
j'agirai  comme  autrefois  dans  les  temps  de  peste:  je  serai  le- 
pasteur  de  tous  ceux  qui  auront  confiance  en  moi;  je  suis  assez 
riche  pour  faire  des  sacrifices;  si  on  est  injuste  envers  moi,  sans- 
me  séparer  de  l'Église,  je  serai  mon  évêque  à  moi-même.  » 
Lettre  ms.  —  L'évêque  de  Tours,  Suzor,  écrivit  plus  tard  à  Gré- 
goire que  Bruslon  avait  tenu  parole;  il  était  son  évêque  à  lui- 
même  dans  le  diocèse  de  Tours;  il  imprimait  des  Mandements» 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  283 

Sophie  chrétienne,  et  fondèrent  un  journal,  les  Annales 
de  la  Religion.  La  Société  de  philosophie  chrétienne, 
établie  sur  le  modèle  de  quelques  académies  ita- 
liennes, et  très  analogue  par  de  certains  côtés  à  la 
Société  teyleirienne  de  Harlem  ou  à  la  Société  théo- 
logique de  la  Haye,  était  composée  d'hommes  «  dont 
quelques-uns  étaient  voués  à  l'enseignement  de  la 
religion,  et  qui  tous  en  avaient  fait  un  objet  particu- 
lier de  leurs  études  »  '  ;  c'étaient  des  chrétiens  ci- 
toyens dans  toute  la  force  du  terme,  et  l'on  n'y  rece- 
vait point  les  ennemis  de  la  République.  La  Société 
avait  pour  objet  principal  de  répandre  partout  de 
bons  livres  ;  elle  divisa  ses  travaux  en  quatre  parties  : 

—  1°  réimpression  ou  traduction  d'ouvrages  utiles; 

—  2°  continuation  d'œuvres  inachevées  ;  —  3°  réfuta- 
tion de  livres  jugés  dangereux;  —  4°  composition  de 
livres  ou  de  brochures.  Elle  se  proposait  de  continuer 
le  Recueil  des  Bollandistes,  le  Gallia  chi'istiana,  ïBis- 
toire  ecclésiastique  de  Fleury,  les  différents  travaux  des 
Bénédictins,  le  Bossuet  de  Déforis,  etc.  Elle  mettait 
au  nombre  des  ouvrages  à  réfuter  VOrigine  des  Cultes, 
de  Dupuy,  le  Siècle  de  la  Raison,  par  Thomas  Payne, 
etla.  Philosophie  de  V  Univers,  par  Dupont  de  Nemours. 
Elle  dressait  enfin  une  liste  de  plus  de  quarante  su- 
jets de  dissertation  que  ses  membres  avaient  l'inten- 
tion de  traiter.  En  publiant  ces  différents  ouvrages,^ 
elle  voulait  «  prémunir  les  fidèles  contre  les  assauts 

1.  Annales  de  la  Religion,  IV,  366.  —  Il  y  a  là  un  plan  des  tra- 
vaux de  la  Société  qui  est  curieux  à  étudier.  Cette  Société  ne 
fut  constituée  que  l'année  suivante,  sous  le  Directoire.  «  Nous 
allons  former  une  Société  des  sciences  ecclésiastiques  »,  écri- 
vait Grégoire  le  23  pluviôse  an  IV  (février  1796).  Mais  en  mai 
1795  les  Annales  étaient  rédigées  par  une  «  société  d'amis  de 
la  religion  et  de  la  patrie  ». 


284      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

de  l'impiété,  fournir  à  la  raison  de  nouveaux  motifs 
pour  se  féliciter  du  bienfait  de  la  révélation,  et  res- 
serrer les  nœuds  qui  ,  en  unissant  l'amour  de  la 
religion  à  celai  de  la  République,  identifient  les  qua- 
lités de  chrétien  et  de  citoyen  ».  Cette  phrase  du  pro- 
gramme parait  être  de  Grégoire,  qui  fut,  on  peut  le 
dire,  l'âme  de  la  Société  de  philosophie  chrétienne. 
Affable  et  modeste,  quoi  qu'en  ait  dit  M.  Thiers,  qui 
lui  a  reproché  l'excès  de  sa  vanité  \  l'évêque  de  Blois 
exerçait  une  très  grande  influence  sur  les  personnes 
qui  l'entouraient;  on  respectait  la  noblesse  de  son 
<;aractère  et  la  profondeur  de  ses  convictions,  on  ad- 
mirait la  prodigieuse  variété  de  ses  connaissances, 
et  l'on  n'avait  pas  à  se  mettre  en  garde  contre  des 
prétentions  que  ce  vrai  républicain  ne  connut  jamais. 
Je  ne  vois  pas,  en  effet,  que  Grégoire  ait  cherché  à 
dominer,  ni  dans  les  assemblées  politiques,  ni  dans 
les  réunions  littéraires,  ni  dans  les  conciles  de  1797 
et  de  1801,  ni  même  dans  son  diocèse.  Loin  de  songer 
à  se  mettre  en  avant,  il  refusa  constamment  les  hon- 
neurs qu'on  lui  offrait,  et  ne  prétendit  pas  même  à 
être  le  premier  entre  ses  égaux,  primus  inter  pares; 
c'est  un  des  côtés  les  plus  curieux  de  son  caractère. 
J'ai  sous  les  yeux  une  liste  dressée  par  lui  des  mem- 
bres de  la  Société  de  philosophie  chrétienne;  il  a 
suivi  l'ordre  alphabétique  et  s'est  placé  lui-même  à 

1.  Histoire  du  Consulat,  M.  Thiers,  qui  a  consulté  avec  tant 
de  fruit  Jomini,  le  baron  Louis  et  Talleyrand,  ne  parait  pas 
avoir  cherché  à  connaître  Grégoire;  ce  dernier,  dans  la  préface 
de  son  Histoire  du  mariage  des  prêtres,  publiée  en  1829,  adresse 
quelques  encouragements  à  M.  Thiers,  mais  il  lui  reproche  avec 
raison  d'avoir  négligé  tout  un  côté  de  la  Révolution  française, 
l'histoire  des  passions  qui  furent  la  cause  véritable  des  événe- 
ments. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  285 

son  rang.  Il  y  a  sur  cette  liste  bien  des  noms  célèbres 
ou  illustres,  et  l'on  y  trouve  parmi  les  membres  rési- 
dant à  Paris  les  conventionnels  Baudin,  Camus,  Du- 
rand de  Maillane,  Royer,  Saurine  et  Lanjuinais  ;  le 
savant  jurisconsulte  Agier,  président  du  tribunal  ré- 
volutionnaire régénéré,  qui  fît  alors  son  beau  Traité 
du  mariage  ^  Adrien  Le  Paige ,  presque  nonagénaire 
alors,  le  P.  Minard,  l'astronome  Pingre,  l'ingénieur 
Pasumot,  l'hébraisant  Rivière ,  professeur  au  Collège 
de  France,  Anquetil  Duperron,  le  médecin  Saillant, 
le  littérateur  Poan  Saint-Simon,  et  même  des  mili- 
taires distingués,  comme  l'ex-Iieutenant-colonel  Tous- 
tain  et  l'ancien  chef  d'état-major  Edme  de  Sauvigny. 
Parmi  les  associés  étrangers  ou  résidant  en  province 
sont  les  évêques  constitutionnels  Le  Coz,  Moyse-, 
Constant,  Périer,  Maudru,  etc.,  le  savant  dom  Grap- 
pin, l'évêque  de  Pistoie,  Scipion  de  Ricci,  le  célèbre 
abbé  Guénée,  auteur  des  Lettres  de  quelques  Juifs, 
Paullevé,  etc.  C'était  donc  une  réunion  d'hommes 
fort  distingués  dans  tous  les  genres,  une  sorte  d'Ins- 
titut à  la  fois  catholique  et  républicain,  et  l'existence 
d'une  pareille  société  en  avril  1795  suffirait  à  mon- 
trer que  notre  France  n'était  pas  alors  un  pays  bar- 
bare, comme  on  s'est  plu  à  le  répéter.  Sept  ans  avant 
Chateaubriand  l'on  faisait  à  Paris  même  des  apolo- 
gies du  christianisme,  moins  poétiques,  mais  plus 
solides  que  la  brillante  amplification  du  célèbre  au- 
teur àWtala  ^ 

1.  Il  parut  en  1793,  chez  le  libraire  Le  Clère,  une  vigoureuse 
Apologie  de  la  religion  chrétienne  et  catholique  contre  les  blas- 
phèmes et  les  calomnies  de  ses  ennemis  (152  pages  in-S»).  Cette 
brochure  anonyme  était  du  P.  Lambert,  qui  réfutait  avec  une 
généreuse  indignation  les  insultes  dont  Boissy  d'Anglas  avait 
émaillé  son  rapport  concluant  à  la  liberté  des  cultes. 


286     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Non  contents  de  publier  ainsi,  malgré  «  l'état  de 
stagnation  dans  lequel  se  trouvait  alors  la  librairie  »  % 
des  ouvrages  considérables  dont  quelques-uns  sont 
encore  estimés,  Grégoire  et  ses  amis  avaient  résolu 
d'avoir  un  journal.  L'évêque  d'Amiens,  Desbois  de 
Rochefort,  avança  les  sommes  nécessaires,  et  le& 
Annales  de  la  Religion  parurent  régulièrement  tous  les 
samedis,  à  dater  du  1"  mai  1795;  la  collection  de  ses 
quatre  cents  numéros  forme  dix-huit  volumes  aujour- 
d'hui très  recherchés.  Le  prospectus  que  les  évêques 
firent  imprimer  au  mois  d'avril  montre  bien  quelle 
fut  l'importance  de  ce  Moniteur  ecclésiastique  de  la 
Révolution  : 

«  Conserver  la  mémoire  des  faits  qui  auront  quel- 
«  que  rapport  au  christianisme  et  à  ses  ministres, 
«  recueillir  ceux  de  la  même  espèce  qui  se  sont  suc- 
«  cédé  avec  rapidité  dans  le  cours  de  la  Révolution 
«  française,  et  dont  la  plupart,  malgré  leur  impor- 
«  tance,  courent  le  risque  d'être  perdus  pour  l'his- 
c  toire,  tel  est  le  principal  objet  des  Annales  de  la 
«  Religion,  que  nous  écrivons  pour  nos  contcmpo- 
«  rains,  et  où  la  postérité  puisera  la  connaissance  de 
«  l'état  exact  de  l'Eglise  gallicane  pendant  cette  mé- 
«  morable  époque.  Nous  aurons  le  courage  de  faire 
«  l'histoire  fidèle  de  la  persécution.  Les  noms,  les 
«  vices  et  les  fureurs  des  persécuteurs  seront  transmis 
«  aux  races  futures.  A  l'infidélité,  à  l'apostasie  de 
«  quelques  prêtres,  nous  opposerons  les  exemples 
«  de  fermeté  et  d'héroïsme  donnés  par  un  grand 
«'nombre  d'autres,  et  surtout  par  les  simples  fidèles. 
«  Le  récit   des  troubles  religieux  entre  nécessaire- 

1.  Annales  de  la  Religion,  IV,  571. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  287 

*  ment  dans  le  plan  de  cet  ouvrage.  Nous  remonte- 
«  rons  à  leur  source.  Nous  décrirons  leurs  progrès, 
«  leurs  effets  et  leurs  dangers.  L'une  de  nos  vues  est 
<  de  faire  servir  nos  Annales  à  une  pacification  en- 
«  tière  dont  l'Église  a  le  plus  grand  besoin,  et  que 

*  tous  les  hommes  de  bien  désirent  ardemment.  Nous 
«  analyserons  les  discussions  froides  et  profondes 
«  sur  les  questions  controversées.  Nous  ferons  con- 
«  naître  tous  les  plans  de  paix  et  tout  ce  qui  pourra 
c  y  contribuer.  Mais  surtout  nous  ne  laisserons  igno- 
«  rer  ni  les  actes  de  schisme  ni  leurs  auteurs,  et  nous 
«  ne  négligerons  rien  pour  les  rappeler  à  l'unité. 
«  Nous  réclamerons  devant  le  peuple  français  les 
«  droits  de  l'homme  et  du  citoyen,  indignement 
«  violés  dans  la  personne  et  l'état  des  prêtres  catho- 
«  liques.  Nous  citerons  à  son  tribunal  toutes  les 
«  injustices  sous  lesquelles  on  ne  cesse  de  les  oppri- 
«  mer,  et  cette  multitude  de  petits  tyrans  incrédules 
«  et  intolérants  qui  inondent  les  autorités  consti- 
«  tuées,  les  commissions  et  les  bureaux.  Nous  appel- 
«  lerons  à  lui  de  tous  les  dénis  de  justice,  des  actes 
«  arbitraires  exercés  contre  les  chrétiens,  et  qui  par- 
«  viendront  à  notre  connaissance.  Nous  lui  peindrons 
«  l'état  de  misère  et  d'avilissement  dans  lequel, 
«  contre  la  foi  des  engagements  les  plus  solennels, 
«  on  a  précipité  des  hommes  qu'on  avait  toujours 
€  jugés  utiles,  qui  n'ont  jamais  cessé  de  l'être,  et  qui, 
«  lorsqu'ils  avaient  le  nécessaire,  le  partageaient 
«  avec  l'indigent,  etc.  » 

Les  Annales  furent  d'abord  imprimées  chez  Le  Clère, 
rue  Saint-Martin,  près  celle  aux  Ours,  mais  les  pro- 
priétaires du  journal  ne  tardèrent  pas  à  se  brouiller 
avec  leur  imprimeur;  ils  l'accusèrent  publiquement 


288      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

de  mauvaise  foi,  pour  ne  pas  dire  de  vol  *,  et,  à  dater 
du  14  thermidor  an  III  (l"  août  1795),  le  bureau 
d'abonnement  fut  transféré  à  V  Imprimerie -librairie 
chrétienne  que  Grégoire  et  ses  amis  venaient  d'établir 
rue  Saint-Jacques,  n"'  278  et  279,  près  de  la  rue  des 
Noyers.  Grégoire  était  le  véritable  fondateur  des  An- 
nales, mais  il  n'avait  pas  assez  de  loisirs  pour  diriger 
lui-même  cette  publication;  il  se  contenta  d'y  insérer 
quelques  articles  et  de  fournir  au  directeur  de  nom- 
breux extraits  de  sa  correspondance.  Presque  tous 
les  faits  consignés  dans  ce  journal  sont  empruntés  à 
des  lettres  dont  Grégoire  a  conservé  les  originaux,  et 
voilà  pourquoi  les  Annales  auront  toujours  aux  yeux 
de  l'historien  une  véritable  importance.  En  1795,  elles 
rendirent  des  services  immenses  à  la  cause  du  catho- 
licisme renaissant;  on  dut  réimprimer  les  premiers 
numéros  et  publier  les  autres  à  1800  exemplaires, 
chiffre  considérable  pour  une  feuille  de  cette  nature 
et  qui  ne  paraissait  que  tous  les  huit  jours.  Les  évê- 
ques  et  les  curés  des  départements  se  les  faisaient 
adresser  par  la  poste  et  les  répandaient  autour  d'eux  ; 
ils  étaient  heureux  de  voir  à  l'occasion  quelques 
lignes  de  leur  prose  insérées  dans  un  journal  de  Paris, 
et  s'empressaient  de  transmettre  au  directeur  des 
Annales,  mais  surtout  à  Grégoire,  les  détails  de  toute 
sorte  qui  parvenaient  à  leur  connaissance.  Malheu- 
reusement l'esprit  de  parti  ne  tarda  pas  à  se  montrer 
là  comme  ailleurs  :  attaqués  par  les  insermentés,  qui 
essayèrent  même,  de  complicité  avec  l'imprimeur 
Le  Glère,  de  s'emparer  de  cette  publication,  les  rédac- 
teurs des  Annales  ripostèrent  avec  une  acrimonie  et 

1.  Annales,  I,  p.  479. 


RÉORGANISATION  DU  CULTE  289 

un  manque  de  charité  dont  les  vrais  chrétiens  ne  tar- 
dèrent pas  à  se  plaindre. 

«  Je  crains,  écrivait  Sermet,  évêque  métropolitain 
«  de  Toulouse,  que  vos  Annales  de  la  Religion  ne 
«  soient  une  satire  amère  plus  propre  à  attiser  le  feu 
«  qu'à  l'éteindre.  L'esprit  de  parti  ne  pacifiera 
«  jamais  ^  —  Nous  lisons  avec  intérêt  les  Annales, 
«  disait  un  curé  des  Ardennes  *  ;  nous  rendons  aux 
€  rédacteurs  toute  la  justice  que  méritent  leurs 
«  talents  et  leur  zèle.  Mais  un  sentiment  que  nous 
«  éprouvons,  et  que  l'opinion  publique  manifeste, 
«  c'est  que  les  sorties  contre  les  réfractaires  et  les 
«  sarcasmes  trop  mérités  qui  se  trouvent  à  l'article 
«  des  Faits  semblent  nuire  à  la  religion  et  au  but  des 
«  Annales.  En  effet,  signaler  ainsi  périodiquement 
«  les  excès  des  réfractaires  n'est  pas  à  coup  sûr  le 
«  moyen  de  les  corriger  et  de  les  ramener.  C'est 
«  contrister  la  charité  aux  dépens  de  la  religion 
«  même.  » 

Beaucoup  d'assermentés  écrivirent  à  Grégoire  des 
lettres  analogues;  lui-même  sentait  la  force  de  ces 
justes  réclamations  et  se  plaignait  à  l'occasion,  mais 
il  n'était  pas  le  maitre;  c'était  Desbois  de  Rochefort, 
propriétaire  du  journal,  qui  en  dirigeait  la  publica- 
tion. La  seule  chose  que  put  faire  Grégoire,  ce  fut 
d'exhorter  ses  amis  à  la  modération  et  de  dégager  sa 
responsabilité  en  déclarant  qu'il  n'était  pas  l'auteur 
des  Annales,  que  même  il  ne  consentirait  pas  à  signer 
tout  ce  qu'on  y  imprimait  '.  Plus  que  personne  il 

i.  Lettre  jns. 

2.  Joseph,  curé  de  Donchery,  lettre  ms. 

3.  «  II  est  essentiel  que  vous  me  communiquiez  vos  observa- 
tions sur  les  Annales; jeles  transmettrai  à  ceux  qui  en  sont  les 

17 


290      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

souhaitait  une  pacification  prompte  et  durable;  les 
résistances  qu'il  rencontra  chez  les  réfractaires  et  les 
haines  pieuses  dont  il  eut  à  souffrir  dès  ce  moment 
contribuèrent  à  aigrir  son  caractère,  naturellement 
si  affable,  et  à  lui  inspirer  pour  l'espèce  humaine 
tout  entière  ce  sentiment  de  répulsion  profonde  qu'il 
n'avait  eu  jusqu'alors  que  pour  les  rois. 

auteurs  et  à  qui  je  fournis  des  anecdotes.  »  Lettre  de  Grég,oir& 
à  son  conseil  épiscopal,  13  fléoral  an  III. 


CHAPITRE  V 

DÉCRETS  DE  PRAIRIAL  ET  DE  VENDÉMIAIRE 
LOI   SDR  LA  POLICE  DES  CULTES;  FIN  DELA  CONVENTION 

On  peut  juger  par  tout  ce  qui  précède  si  la  jeune 
Église  gallicane  élevée  en  1795  sur  les  ruines  de  la 
constitution  civile  du  clergé  mérite  ou  non  d'attirer 
les  regards  de  la  postérité.  La  Convention  même  pa- 
rait avoir  été  frappée  du  caractère  de  grandeur  et  de 
force  qu'elle  remarquait  dans  ce  catholicisme  répu- 
blicain, si  conforme  aux  traditions  de  la  vieille 
France;  durant  les  derniers  mois  de  son  existence 
orageuse,  elle  s'efforça  de  lui  faire  une  situation  tolé- 
rable  ;  elle  résolut  de  lui  accorder  la  seule  chose  que 
réclamassent  les  évêques  réunis  :  le  libre  exercice  du 
culte  dans  les  édifices  destinés  au  culte.  Le  décret  de 
ventôse  parut  insuffisant  à  ceux  mêmes  qui  l'avaient 
promulgué  de  si  mauvaise  grâce;  ils  le  revisèrent, 
comme  le  leur  avait  prédit  leur  collègue  Audrein,  et 
la  loi  du  11  prairial  assura  enfin  la  véritable  liberté 
des  cultes. 

On  n'a  pas  oublié  que  le  décret  de  ventôse  refusait 
au  catholicisme  ses  églises;  il  en  était  résulté  que  les 
insermentés  se  trouvaient  bien  plus  favorisés  que  les 


^92      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

membres  du  clergé  patriote.  Incomparablement  plus 
riches,  puisqu'ils  avaient  pour  adaptes  les  royalistes 
et  les  «  gens  comme  il  faut  »,  ils  s'étaient  répandus  en 
nombre  considérable  dans  les  villes  et  dans  les  cam- 
pagnes. Il  y  en  avait  une  infinité  à  Paris;  l'évêque 
Le  Coz  en  comptait  plus  de  cent  dans  la  seule  ville 
de  Rennes  ;les  départements  de  l'est,  du  centre  et  du 
midi  en  étaient  littéralement  inondés. 

«  On  a  mis  en  liberté  tous  les  prêtres  insermentés, 
«  écrivait  Le  Coz  en  germinal  an  III  (avril  1795),  cela 
«  était  juste;  mais  on  ne  les  a  attachés  à  la  Répu- 
«  blique  par  aucun  lien;  cela  est  à  mon  gré  très 
«  impolitique.  Déjà  ils  s'étudient  à  propager  des 
«  maximes  pernicieuses.  Non  contents  de  décrier 
«  tous  les  assermentés,  ils  éloignent  de  leur  culte,  et 
«  spécialement  de  la  participation  aux  sacrements, 
^  tous  les  acheteurs  de  biens  nationaux.  Jugez  de 
«  quelle  conséquence  cela  peut  devenir!...  Vous  eus- 
«  siez  anéanti  ce  levier  de  la  contre-révolution  en  ne 
«  donnant  la  liberté  qu'à  ceux  qui  par  serment  se 
«  seraient  liés  à  la  République.  Plus  des  trois  quarts 
«  eussent  avec  joie  accédé  à  cette  mesure,  et  les 
«  autres  n'eussent  plus  été  regardés  que  comme  des 
«  têtes  mal  organisées  ou  comme  des  ennemis  dé- 
«  clarés  de  l'ordre  public.  Aujourd'hui,  ils  ont  telle- 
«  ment  égaré  les  esprits  qu'on  ne  s'attend  de  toutes 
<  parts  qu'à  la  nomination  prochaine  d'un  roi  et  à 
«  toutes  les  suites  de  cet  événement  \  » 

Telles  étaient  les  conséquences  nécessaires  du  dé-  • 
cret  de  ventôse  ;  la  Convention  donnait  des  armes  à 
^es  ennemis  irréconciliables,  elle  désarmait  comme 

1.  Lettre  manuscrite  adressée  à  Grégoire. 


DÉCRET  DE  PRAIRIAL  293 

de  propos  délibéré  ses  défenseurs  les  plus  dévoués. 
Écoutons  encore  le  sage  et  pieux  Le  Coz  :  «  Je  suis, 
dit-il,  invité  par  le  général  que  nous  avons  ici,  Hoche, 
d'aller  prêcher  nos  campagnards;  mais  où  les  a^sem- 
blerai-je,  s'ils  n'ont  point  de  temples  '?  »  Ces  temples, 
les  campagnards  les  considéraient  ajuste  titre  comme 
leur  propriété  ;  c'était  la  communauté,  comme  on  di- 
sait alors,  c'est-à-dire  l'ensemble  des  citoyens  de  la 
ville  ou  du  village,  qui  les  avait  bâtis  de  ses  deniers, 
et  il  semblait  à  toute  la  France  que  la  liberté  des 
cultes  proclamée  en  ventôse  était  dérisoire,  si  le  gou- 
vernement se  refusait  à  restituer  les  églises.  L'admi- 
rable Lanjuinais,  qui,  dans  un  récent  voyage  en  Bre- 
tagne, avait  pu  voir  les  heureux  effets  d'une  sage 
condescendance,  insista  vivement  auprès  de  ses  col- 
lègues ;  il  réussit,  et  la  Convention  nationale,  après 
avoir  entendu  le  rapport  que  lui  fit  Lanjuinais  au 
nom  des  trois  Comités  de  Sûreté  générale,  de  Salut 
public  et  de  Législation,  rendit  le  célèbre  décret  du 
11  prairial,  dont  voici  les  principales  dispositions  : 

«  Article  Premier.  —  Les  citoyens  des  communes  et 
«  les  communes  de  la  République  auront  provisoire- 
«  ment  le  libre  usage  des  édifices  non  aliénés  destinés 
«  originairement  aux  exercices  d'un  ou  de  plusieurs 
«  cultes,  et  dont  elles  étaient  en  possession  au  pre- 
«  mier  jour  de  l'an  II  de  la  République  *;  ils  pourront 
«  s'en  servir  sous  la  surveillance  des  autorités  consti- 
«  tuées,  tant  pour  les  assemblées  ordonnées  par  la  loi 
«  que  pour  l'exercice  de  leurs  cultes. 

«  Art.  II.  —  Ces  édifices  seront  remis  à  l'usage  desdita 

1.  Lettre  à  Grégoire,  12  ventôse  an  III. 

2.  C'est-à-dire  le  21  septembre  1793. 


294      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE   LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

«  citoyens,  dans  l'état  où  ils  se  trouvent,  à  la  charge 
«  de  les  entretenir  et  réparer,  ainsi  qu'ils  verront, 
«  sans  aucune  contribution  forcée.  » 

L'article  III  accordait  douze  édifices  pour  le  culte  à 
Paris. 

«  Art.  IV.  —  Lorsque  des  citoyens  de  la  même  com- 
«  mune  ou  section  de  commune  exerceront  des  cultes 
«  différents  ou  prétendus  tels,  et  qu'ils  réclameront 
«  concurremment  l'usage  du  même  local,  il  leur  sera 
«  commun;  et  les  municipalités,  sous  la  surveillance 
«  des  corps  administratifs,  fixeront  pour  chaque  culte 
«  Icsjours  et  les  heures  les  plus  convenables,  ainsi  que 
«  les  moyens  de  maintenir  la  décence  et  d'entretenir 
«  la  paix  et  la  concorde. 

«  Art.  V.  —  Nul  ne  pourra  remplir  le  ministère 
«  d'aucun  culte  dans  lesdits  édifices,  à  moins  qu'il  ne 
((  se  soit  fait  décerner  acte,  devant  la  municipalité  du 
«  lieu  où  il  voudra  exercer,  de  sa  soumission  aux  lois 
«  de  la  République.  Les  ministres  des  cultes  qui  auront 
«  contrevenu  au  présent  article  seront  punis  chacun 
«  de  1000  livres  d'amende  par  voie  de  police  correc- 
«  tionnelle  *...  » 

Cet  article  V,  si  gros  de  conséquences,  avait  besoin 
d'être  éclairci  :  Lanjuinais  et  ses  collègues  du  Comité 
de  Législation  adressèrent  à  tous  les  départements  une 
circulaire  contenant  quelques  explications. 

«  Sur  la  manière  de  décerner  acte  de  la  soumission 
«  prescrite  par  l'art.  V,  le  Comité  vous  doit  quelques 

1.  «  A  la  lecture  du  5«  et  dernier  article  de  ce  projet,  deux 
coups  de  sifflet  sont  partis  de  la  grande  tribune  de  droite. 
Isabeau  et  Blad  ont  demandé  la  punition  de  celte  insulte,  et  le 
président  (Mathieu)  a  donné  sur-le-champ  l'ordre  d'arrêter  les 
coupables.  «  Journal  du  matin,  12  prairial  an  III. 


LOI  SUR  LA  POLICE  DES  CULTES  295 

<c  éclaircissements,  de  crainte  qu'en  l'environnant  de 
«  difficultés,  vous  n'apportiez  un  obstacle  au  libre  exer- 
«  cice  des  cultes  que  la  Convention  nationale  veut  de 
«  plus  en  plus  assurer  et  faciliter.  Observez  bien  que 
«  cette  soumission,  exigée  du  déclarant,  ne  porte  nulle- 
«  ment  sur  le  passé  ;  ainsi  il  ne  doit  être  question  d'au- 
«  cune  recherche  ou  examen  sur  la  conduite  ou  les  opi- 
«  nions  politiques  du  déclarant  :  la  loi  n'exige  de  lui,  à 
«  cet  égard,  qu'une  seule  chose,  c'est  qu'il  demande  acte 
«  de  sa  soumission  aux  lois  de  la  République... 

«  Il  serait  inutile  de  vous  observer  que  la  constitu- 
«  tion  civile  du  clergé  n'est  plus  une  loi  de  la  Répu- 
«  blique,  s'il  ne  s'était  élevé  à  cet  égard  des  préten- 
<(  tions  qui  ne  peuvent  désormais  être  autorisées.  » 

Interprété  de  la  sorte,  le  décret  du  11  prairial,  que 
Lanjuinais  avait  sollicité  après  en  avoir  conféré  avec 
Grégoire  et  ses  amis  *,  produisit  les  meilleurs  effets; 
la  plupart  des  communes  redemandèrent  leurs  églises 
et  les  paroisses  se  réorganisèrent  de  tous  côtés,  les 
unes  ayant  pour  curés  de  ci-devant  constitutionnels, 
les  autres  sous  la  conduite  de  prêtres  ci-devant  inser- 
mentés, mais  soumis  aux  lois  de  la  République.  C'était 
une  nouvelle  victoire,  comme  disaient  avec  raison  les 
Annales  de  la  Religion  *  ;  et  l'article  V,  très  habilement 
ajouté  au  décret,  rompait  la  coalition,  si  dangereuse 
pour  la  République,  des  insermentés  de  1791  et  des 
royalistes.  On  n'exigeait  plus  ce  malheureux  serment 

i.  Grégoire  écrivait  à  son  conseil  épiscopal,  un  mois  avant  le 
di  prairial  :  «  Une  foule  de  réclamations  demandent  des  églises; 
bientôt  il  y  aura  une  décision  définitive  à  cet  égard...  Je  re- 
garde comme  sûr  que  les  églises  seront  rendues:  les  derniers 
troubles  ont  arriéré  beaucoup  d'affaires.  »  Lettre  ms.,  11  floréal 
an  III. 

2.  Tome  I,  p.  139. 


296      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

qu'avaient  dû  refuser  par  scrupule  de  conscience  des 
prêtres  d'ailleurs  patriotes;  mais  on  exigeait  de  tous 
les  ministres  du  culte  une  reconnaissance  formelle  du 
gouvernement  républicain.  Ceux  qui  firent  la  décla- 
ration demandée  cessèrent  d'être  inquiétés;  les  autres 
témoignèrent  par  leur  refus  que  les  considérations 
politiques  l'emportaient  à  leurs  yeux  sur  les  intérêts 
sacrés  de  la  religion;  osons  dire  qu'ils  justifièrent 
ainsi  les  mesures  de  rigueur  que  la  Convention  crut 
devoir  prendre  contre  les  réfractaires,  c'est-à-dire 
contre  les  royalistes  déguisés  qui  tramaient  à  l'ombre 
du  sanctuaire  la  ruine  du  gouvernement  existant.  Le 
culte  était  donc  vraiment  libre;  ceux  que  le  décret  de 
ventôse  n'avait  point  rassurés  perdirent  toute  crainte 
en  prairial.  «  Je  vous  annonce  que  j'ai  repris  mes 
fonctions  après  le  H  prairial,  écrivait  à  Grégoire 
l'excellent  Francin,  évêque  de  la  Moselle.  J'ai  eu  la 
consolation  de  voir  que  la  cathédrale  [de  Metz]  était 
trop  petite  pour  contenir  les  fidèles  '...  »  Il  en  fut  de 
même  d'une  extrémité  de  la  France  à  l'autre,  et  Gré- 
goire avait  raison  d'écrire  à  son  conseil  épiscopal  le 
27  prairial  an  III  :  «  Souvenez-vous  bien  que,  plus  que 
jamais,  l'exercice  du  ministère  est  dégagé  des  entra- 
ves, et  qu'en  se  soumettant,  comme  nous  le  devons, 
de  cœur  et  d'esprit  aux  lois  de  la  République,  nous 
jouissons  de  la  plus  entière  liberté  pour  l'exercice  du 
culte  *.  )) 

C'était  vrai  dans  les  églises,  et  à  de  certaines  heures 
de  la  journée,  car  les  églises  servaient  aux  réunions 
décadaires  ;  c'était  vrai  dans  les  maisons  particulières  ; 


1.  Lettre  ms.,  messidor  an  III. 

2.  Lettre  autographe. 


LOI  SUR  LA  POLICE  DES  CULTES  297 

mais  ce  culte  libre  ne  pouvait  avoir  la  moindre 
publicité.  Point  de  croix  au  fronton  des  églises  , 
aucune  inscription,  que  celle  de  Robespierre  :  La 
Convention  reconnaît  V Etre  swprême  et  l'immortalité 
de  Vàme  '  ;  point  de  cloches  pour  appeler  les  fidèles, 
et  défense  aux  prêtres  de  paraître  dans  les  rues,  je  ne 
dis  pas  en  étole  et  en  surplis,  mais  même  en  soutane. 
Enfin,  et  c'était  pour  les  catholiques  des  grandes  villes 
la  plus  cruelle  de  toutes  les  privations,  les  ministres 
du  culte  ne  pouvaient  exercer  leurs  fonctions  ni  dans 
les  hôpitaux,  ni  dans  les  prisons,  ni  dans  les  cime- 
tières. Les  inhumations  conservèrent  quelques  années 
encore  le  caractère  que  leur  avait  imprimé  la  Terreur. 
Voici  comment,  à  Paris  même,  on  procédait  en  1795  à 
l'ensevelissement  des  cadavres;  le  récit  qu'on  va  lire,, 
intitulé  Réflexions  sur  V enterrement  de  ma  mère...  *,  n'a 
pas  besoin  de  commentaires. 

«...  L'enterrement  fut  indiqué  pour  cinq  heures  de 
«  l'après-midi...  On  vint  m'avertir  que  le  commissaire 
«  civil  était  arrivé,  et  qu'il  me  priait  de  descendre, 
«  parce  qu'il  était  de  service  au  spectacle  après  l'enter- 
«  rement...  Arrivé  sous  la  porte  de  la  rue,  je  vis  que 
«  tout  l'appareil  funèbre  consistait  dans  le  cercueil  cou- 
«  vert  du  drap  tricolore  et  exposé  sur  un  banc  ;  les  por- 
«  teurs  s'en  saisirent,  et  nous  marchâmes";  à  deux 

1.  Naguère  encore,  en  1872,  on  pouvait  lire  quelques  frag- 
ments de  cette  inscription  sur  le  portail  latéral  de  l'église  Saint- 
Pierre,  à  Montpellier. 

2.  Par  G.-G.  Delamalle,  2»  édition,  an  IV  de  la  République. 
12  pages  in- 8°. 

3.  C'était  déjà  un  progrès;  sous  la  régime  de  la  Terreur,, 
quiconque  accompagnait  un  mort  au  cimetière  se  rendait  par 
là  même  suspect;  «  des  républicains  prétendus  criaient  au  fa- 
natisme en  disant  que  c'était  de  l'ancien  régime  ».  —  Obser- 
vations ms.  sur  la  liberté  des  cultes  (1794). 

17. 


298  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
détours  de  rue,  j'aperçus  un  citoyen  qui  nous  précé- 
dait à  dix  pas;  c'était  le  commissaire  civil.  Les  por- 
teurs enfilèrent  une  longue  suite  de  rues,  esquivant 
de  droite  et  de  gauche  tous  les  embarras,  et  parais- 
sant entraîner  plutôt  que  porter  ce  corps  à  travers 
lamultitude  affairée  qui  ne  s'en  souciait  guère;  quel- 
ques-uns seulement,  qui  vinrent  se  jeter  au  milieu  de 
nous  ou  se  heurter  contre  les  porteurs,  furent  con- 
traints de  nous  apercevoir  :  Eh  !  c'est  un  mort  !  dit  une 
femme  à  celle  qui  l'accompagnait;  ah!  ah!  ah!  c'est 
un  mort!  Un  peu  plus  loin,  un  autre  s'écria  :  Ah!  en 
voilà  un  bienheureux!  Un  troisième  :  Laissez  donc 
passer  le  mort!  Un  homme,  la  tête  courbée  sous  un 
paquet,  donna  tout  à  travers  et  faillit  tomber  des- 
sus... Mes  réflexions  me  jetèrent  dans  une  rêverie 
d'où  je  ne  fus  tiré  que  par  une  halte  que  le  cortège 
fît  sur  une  borne  pour  reposer  les  porteurs  *  ;  nous 
allions  au  cimetière  de  la  Barrière-Blanche.  Après 
encore  une  demi-heure  de  marche,  les  porteurs  sif- 
flèrent à  plusieurs  reprises  ;  une  voix  répondit  d'une 
maison  voisine.  On  lui  cria  :  Oh  eh  !  oh  !  allons  donc  ! 
oh  eh!  Je  vis  sortir  une  femme  sale  et  déguenillée, 
véritable  Canidie;  elle  secouait  des  clefs...  Citoyen, 
(  me  dit  le  commissaire  civil,  il  est  inutile  que  nous 
allions  plus  loin,  on  ne  peut  pas  aborder.  Déjà  le 
serviteur  qui  m'accompagnait  s'était  engagé  au  mi- 
lieu des  boues...,  j'en  fis  autant,  et  avec  beaucoup 
(  de  peine  nous  gagnâmes  un  terrain  clos  de  murs  où 
j'avais  vu  les  porteurs  entrer;  le  commissaire  civil 
nous  attendit  sur  le  pavé...  Je  cherchai  des  yeux  une 

1.  «  On  voit  souvent  à  Paris  les  porteurs  aux  enterrements 
laisser  là  le  corps  pour  aller  boire  dans  le  cabaret  voisin.  >> 
Annales  de  la  Religion,  30  avril  1796,  t.  II,  p.  606. 


LOI  SUR  LA  POLICE  DES  CULTES         299 

«  tombe,  un  caveau,  un  recoin  quelconque,  une  fosse 
«  au  moins...  Je  ne  vis  rien;  la  bière  fut  déposée  tout 
«  uniment  sur  un  terrain  boueux  ;  on  enleva  le  drap 
«  tricolore  ;  on  détacha  une  courroie  bouclée  qui  ser- 
«  rait  la  bière  mal  assurée...  Ne  pouvant  croire  que  ce 
«  corps  dût  rester  ainsi  au  milieu  du  terrain,  et  chér- 
it chant  toujours  des  yeux  un  autre  lieu  de  repos, 
«  j'aperçus  à  l'autre  extrémité,  sur  ma  droite,  une 
«  espèce  d'échafaud,  monté  sur  des  morceaux  de  char- 
«  pente,  et  qui  me  parut  établi  sur  un  précipice  qui 
«  occupait  presque  toute  la  largeur  du  terrain;  une 
«  odeur  cadavéreuse  qui  s'en  exhalait  m'instruisit  aus- 
«  sitôt;  je  vis  qu'on  jetait  les  corps  dans  le  trou,  et  je 
«  jugeai  bien  comment  on  les  y  jetait;  je  vis  ce  qu'al- 
«  lait  devenir,  dès  que  la  nuit  le  permettrait,  et  le  simu- 
«  lacre  de  cercueil,  et  les  vêtements  dont  la  piété  avait 
■«  couvert  le  corps...  Nous  rejoignîmes  le  commissaire 
«  civil  au  milieu  de  la  rue  où  nous  l'avions  laissé;  il 
«  nous  dit  que  s'il  croyait  qu'il  y  eût  du  scandale  à  ne 
«  pas  suivre  le  corps  jusqu'à  la  fin,  il  ne  l'abandon- 
«  nerait  pas.  mais  que  le  lieu  était  inabordable;  puis 
«  il  nous  raconta  qu'un  de  ses  collègues  revenant,  il  y 
«  avait  peu  de  jours,  d'un  pareil  office,  avait  été  pris 
«  à  son  retour  d'une  maladie  pestilentielle  qui  l'avait 
«  emporté  en  deux  jours.  » 

Ainsi,  les  sentiments  les  plus  respectables  de  nos 
pères  continuaient  à  être  froissés  par  la  loi;  mais  on 
souffrait  sans  murmurer,  car  on  entrevoyait  la  fin  de 
tant  de  maux  ;  on  savait  le  gouvernement  animé  des 
meilleures  intentions  et  retenu  seulement  par  la 
crainte  des  prêtres  royalistes. 

Le  décret  du  11  prairial  avait  été  rendu  à  titre  pro- 
visoire, et  le  rapporteur  annonçait  une  loi  de  police 


300      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

sur  l'exercice  des  cultes  à  laquelle  travaillaient  déjà 
les  Comités.  Il  s'écoula  plus  de  trois  mois  avant  que 
cette  loi  fût  soumise  à  la  discussion  publique,  et 
dans  cet  espace  de  temps  les  églises  furent  rendues 
par  milliers  aux  communes  qui  les  réclamèrent.  A 
Paris  môme  la  municipalité  en  accorda  quinze  au  lieu 
de  douze,  et  l'on  verra  plus  loin  comment  Grégoire  et 
ses  amis  rétablirent  le  culte  d'abord  à  Saint-Médard, 
puis  à  Notre-Dame,  le  15  août  1795  *.  Une  loi  sur  la 
police  des  cultes  était  donc  nécessaire;  «  on  prépare 
un  projet  de  loi,  écrivait  Grégoire  à  son  conseil  épi- 
scopal,  on  a  cru  devoir  me  le  communiquer,  j'y  ai  fait 
des  observations,  et  je  pense  que  plusieurs  au  moins 
auront  été  accueillies  ^  ».  Présenté  par  Genissieu  (de 
l'Isère),  ce  projet  de  loi  fut  voté  sans  difficulté  le  7  ven- 
démiaire, bien  peu  de  temps  avant  la  journée  fameuse 
où  Bonaparte  écrasa  sur  les  marches  de  Saint-Roch 
les  royalistes  insurgés.  Il  est  on  ne  peut  plus  remar- 
quable, et  la  plupart  de  ses  articles  ont  été  repris 
depuis  par  nos  divers  gouvernements. 

«  Considérant,  dit  Genissieu,  qu'aux  termes  de  la 
«  Constitution,  nul  ne  peut  être  empêché  d'exercer, 
«  conformément  aux  lois,  le  culte  qu'il  a  choisi  ;  que 
«  nul  ne  peut  être  forcé  de  contribuer  aux  dépenses 
«  d'aucun  culte,  et  que  la  République  n'en  salarie 
«  aucun,  etc.,  etc. 

«  Titre  I.  —  Surveillance  de  V exercice  des  cultes 

«  Titre  II.  —  Garantie  du  libre  exercice  de  tous  les 
«  cultes 

«  (Amende  de  50  à  500  livres  et  emprisonnement 

1.  Voy.  à  l'Appendice.  —  Le  procès-verbal  de  tradition  de 
l'église  Notre-Dame  compte  188  signatures. 

2.  Lettre  vu.  3e  jour  compl.  an  III  (19  septembre  1793). 


LOI  SUR  LA  POLICE  DES  CULTES  301 

«  d'un  mois  à  deux  ans  contre  les  perturbateurs  du 
«  culte  * .) 

«  Titre  III.  —  De  la  garantie  civique  exigée  des  minis- 
«  tre$  de  tous  les  cultes 

«  (La  déclaration  à  exiger  de  tous  les  ministres  des 
a  cultes  était  la  suivante  :  Je  reconnais  que  l'universa- 
«  lité  des  citoyens  français  est  le  souverain,  et  je  pro- 
♦<  mets  soumission  et  obéissance  aux  lois  de  la  Répu- 
((  blique  *.) 

«  Titre  IV.  —  De  la  garantie  contre  tout  culte  quon 
«  tenterait  de  rendre  exclusif  ou  dominant 

«  (Réglementation  des  frais  du  culte  ;  défense  de  pro- 
«  duire  au  dehors  les  signes  d'un  culte  quelconque  ;  in- 
«  terdiction  des  cérémonies  religieuses  hors  des  églises 
«  ou  des  maisons  particulières;  défense  aux  ministres 
«  du  culte  de  tenir  les  actes  de  l'état  civil.) 

«  Titre  V.  —  De  quelques  délits  qui  peuvent  se  com- 
«  mettre  à  r occasion  ou  par  abus  de  l'exercice  du  culte 

«  (Emprisonnement  de  six  mois  à  deux  ans  pour  tout 
«  ministre  du  culte  qui  publierait  des  écrits  émanant 
«  d'un  ministre  du  culte  résidant  hors  de  France  ;  gêne 
«  à  perpétuité  pour  les  fauteurs  de  sédition,  de  meur- 

1.  Genissieu,  comme  s'il  prévoyait  la  coupable  intolérance  du 
Directoire,  réprouvait  le  fanatisme  religieux  qui  voudrait  con- 
traindre les  citoyens  à  observer  le  dimanche  ou  le  samedi,  et  le 
fanatisme  politique  qui  exigerait  l'observation  du  décadi. 

2.  Le  rapporteur  ajoutait  en  note  :  «  Il  y  aurait  tyrannie  de 
forcer  à  reconnaître  pour  vrais  des  principes  qu'on  croirait 
erronés,  et  pour  justes  des  lois  qu'on  ne  jugerait  pas  telles; 
mais  quiconque  ne  veut  pas  reconnaître  que  l'universalité  des 
citoyens  e34^  le  souverain,  quiconque  ne  veut  pas  reconnaître 
ce  principe  éternel  qui  n'exclut  que  l'entier  esclavage  et  se 
prête  d'ailleurs  à  toute  forme  de  gouvernement,  puisque  le 
peuple  souverain  est  maître  d'adopter  celle  qui  lui  plaît,  est  un 
esclave  qui  méconnaît  les  droits  de  l'homme...,  il  mérite  d'être 
chassé  comme  l'ennemi  déclaré  de  la  société.  » 


302      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

<(  tre,  etc.  ;  amende  de  500  livres  et  emprisonnement  de 
«  six  mois  à  deux  ans  pour  quiconque  troublerait  un 
«  culte  différent  du  sien.) 

«  Titre  VI.  — De  la  compétence,  de  la  procédure  et 
«  des  amendes  * » 

Cette  loi  sur  la  police  des  cultes  accordait  aux  ca- 
tholiques, sauf  les  quelques  desiderata  que  nous  avons 
signalés,  toutes  les  satisfactions  raisonnables;  l'im- 
mense majorité  des  Français  se  déclara  contente  de 
ce  décret  et  accepta  dans  ces  conditions  la  célèbre 
Constitution  de  l'an  III,  l'une  des  meilleures  que  la 
France  ait  jamais  eues.  Mais  au  moment  même  où 
la  Convention  cherchait  à  réparer  le  mal  que  les  ter- 
roristes avaient  fait  à  la  patrie,  les  jacobins  d'une  part 
et  les  royalistes  de  l'autre  lui  suscitèrent  les  difficultés 
les  plus  graves.  Aux  journées  du  12  germinal  et  du 
l^""  prairial  succédèrent  l'expédition  de  Quiberon,  les 
massacres  du  midi,  la  conspiration  royaliste  du  13  ven- 
démiaire, et  la  Convention  acquit  bientôt  la  certitude 
que  les  prêtres  insoumis  fomentaient  les  troubles. 
L'abbé  Audrein  avouait  à  ses  collègues  que  les 
plaintes  d'André  Dumont  contre  les  prêtres  étaient 
malheureusement  fondées  *.  Garnier,  de  Saintes,  les 
dénonçait  le  29  germinal  comme  poussant  à  la  sédi- 
tion, et  ce  fougueux  ennemi  du  catholicisme  ajoutait 
pourtant  : 


1.  Projet  de  loi,  etc.,  15  pages  in-S»;  6e  jour  compl.  an  III. 

2.  Audrein  à  ses  collègues,  8  pages  in-S».  «  Thibeaudeau  a 
rappelé  les  vrais  principes,  disait  Audrein;  non,  il  n'est  pas 
permis  de  prêclier  chez  un  peuple  républicain,  lorsque  c'est 
notoirement  le  royalisme  qu'on  prêche.  Alors  le  salut  public 
commande  de  grandes  mesures;  alors  la  loi  doit  sévir,  et  ce 
n'est  point  le  culte  qu'elle  attaque,  c'est  le  mauvais  citoyen 
qu'elle  punit.  » 


FIN  DE  LA  CONVENTION  303 

«  Protection  aux  prêtres  paisibles  et  amis  des  lois; 
«  ils  sont  citoyens.  Mesures  de  sévérité  contre  ceux  qui 
«  ont  des  principes  contraires  ;  ils  sont  des  contre-ré- 
«  volutionnaires.  Sans  doute,  ce  n'est  pas  comme  prê- 
«  très  qu'il  faut  les  poursuivre,  mais  comme  perturba- 
«  leurs  de  l'ordre  ' —  » 

Grégoire  enfin,  qui  eut  le  bon  goût  de  se  taire  et  de 
ne  pas  accabler  ses  frères  égarés,  ne  cessait  d'écrire 
à  ses  amis  pour  se  plaindre  amèrement  des  réfrac- 
taires. 

«  Le  Comité  de  Sûreté  générale  prend  des  mesures 
«  contre  les  réfractaires,  écrivait-il  le  1"  floréal  an  III 
«  (10  avril  1795)  ^  ;  ces  malheureux  sont  incurables  ;  ils 
«  prêchent  partout  la  révolte  contre  la  loi  de  la  manière 
«  la  plus  effrontée  et  la  plus  criminelle.  Pour  nous,  tra- 
«  vaillons  sans  cesse  à  faire  aimer  la  religion  et  la 
«  liberté.  —  La  marche  des  réfractaires  est  la  même 
«  dans  tous  les  diocèses,  disait-il  le  16  messidor  (4  juil- 
«  let)';  mon  immense  correspondance  me  prouve  qu'il 
«  n'en  est  pas  un  seul  qui  soit  à  l'abri  de  leurs  tenta- 
«  tives.  Partout  ils  prêchent  la  révolte,  mais  partout 
«  aussi  il  est  une  foule  d'excellents  prêtres  amis  de  la 
«  religion  et  de  la  patrie  qui,  comme  vous,  par  leur 
«  exemple  et  leur  conduite,  prêchent  amour  et  sou- 
«  mission  à  l'une  et  à  l'autre,  » 

Il  s'écriait  enfin  le  16  vendémiaire  : 

«  Les  nouvelles  publiques  vous  auront  déjà  donné 
«  les  détails  des  derniers  événements;  tant  de  mal- 
«  heurs,  tant  de  crimes,  tant  d'attentats  contre  la  Ré- 
«  publique  et  la  Convention  nationale,  voilà  l'ouvrage 

1.  Bulietin  de  la  Convention,  séance  du  29  germinal. 

2.  Lettre  au  citoyen  Dupont,  /='  vicaire  épiscopal. 

3.  Lettre  jns.  à  son  conseil  épiscopal. 


304      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  des  royalistes  et  des  réfractaires.  Et  comment  se 
«  peut-il  qu'enfin  partout  le  peuple  n'ouvre  pas  les 
«  yeux  sur  les  manœuvres  infâmes  des  prédicateurs 
a  de  sédition  et  d'assassinat!  J'ai  été  à  portée  de  voir, 
a  en  concourant  à  panser  les  blessés,  combien  est  pure 
«  et  sublime  la  sainte  alliance  de  la  religion  et  du  pa- 
«  triotisme.  Pour  la  première  fois  de  la  vie,  j'ai  donné 
«  des  secours  spirituels  les  armes  sous  le  bras...  » 

Ainsi  menacée  dans  son  existence  môme  par  des 
hommes  qu'elle  aurait  pu  laisser  dans  les  cachots  *, 
la  Convention  prit  des  mesures  sévères  ;  en  prairial, 
le  20  fructidor  et  enfin  le  3  brumaire  elle  promulgua 
de  nouveaux  décrets  contre  les  émigrés,  contre  les 
déportés  qui  rentreraient,  contre  les  prêtres  qui  refu- 
seraient d'accepter  la  République.  Les  lois  portées 
contre  eux  en  1792  et  1793  devaient  être  exécutées 
dans  les  vingt-quatre  heures,  et  la  Convention  re- 
commandait «  paternellement  à  tous  les  républicains, 
à  tous  les  amis  de  la  liberté  et  des  lois,  la  surveil- 
lance et  l'exécution  du  présent  décret  ».  Mais  ces  lois 
de  colère,  comme  on  les  a  tant  de  fois  nommées,  ne 
visaient  ni  les  prêtres  constitutionnels,  ni  les  inser- 
mentés qui  donnèrent  leur  adhésion  au  gouvernement 
républicain;  elles  étaient  dirigées  uniquement  contre 
les  prêtres  notoirement  royalistes  dont  les  suggestions 
produisaient  alors  même  les  massacres  du  midi  et  les 
atrocités  de  la  chouannerie  ;  elles  n'empêchèrent  pas 
le  libre  exercice  du  culte  dans  plus  de  trente  mille 
paroisses.  Il  est  donc  inutile  de  plaider  en  "faveur  de 
la  Convention  les  circonstances  atténuantes,  il  faut 
dire  qu'elle  était  vraiment  dans  le  cas  de  légitime 

1.  C'était  la  Législative  qui  les  y  avait  plongés  pour  la  plupart. 


FIN  DE  LA  CONVENTION  305 

défense;  un  de  ses  adversaires  les  plus  déclarés, 
M.  Jules  Sauzay,  l'a  fait  avec  une  grande  sincérité 
dans  les  termes  suivants  : 

«  Pour  rester  juste  envers  ceux  qui  ne  le  furent  pas. 
«  nous  devons  dire  que  tous  les  torts  ne  furent  point 
«  du  côté  de  la  Convention,  et  qu'un  trop  grand  nombre 
«  de  prêtres,  en  mêlant  la  propagande  royaliste  à  la 
«  propagande  religieuse,  travaillèrent  eux-mêmes  à 
«  pousser  le  gouvernement  aux  derniers  excès.  Si  une 
«  nouvelle  déclaration  a  été  prescrite,  écrivait  quelque 
«  temps  après  un  auteur  ecclésiastique  très  digne  de 
«  considération,  si  elle  ajeté  les  ministres  catholiques 
«  dans  de  nouvelles  anxiétés,  si  elle  a  altéré  cette  pré- 
«  cieuse  tranquillité  quils  commençaient  à  recouvrer^  et 
«  qui  était  si  favorable  au  rétablissement  de  la  religion, 
«  on  doit  accuser  ces  hommes  inquiets  et  ardents  qui^ 
«  dans  l'intervalle  du  3  prairial  au  7  vendémiaire,  ne 
«  surent  user  de  cette  liberté  que  pour  agiter  des  ques- 
«  tions  indiscrètes,  pour  faire  un  mélange  grossier  et  in- 
«  cohérent  des  idées  politiques  et  des  principes  religieux; 
«  pour  transporter  le  sanctuaire  au  sommet  des  vol- 
«  cans;  qui  ont  fait,  en  un  mot,  tout  ce  qu'il  fallait 
«  pour  réveiller  la  haine  mal  assoupie  d'un  gouver- 
«  nement  ombrageux,  toujours  prompt  à  s'alarmer,  et 
«  affectant  quelquefois  de  le  paraître,  lors  même  qu'il 
«  ne  l'était  pas,  pour  se  faire  un  prétexte  de  revenir  à 
«  ces  mesures  rigoureuses  dont  l'habitude  lui  avait  fait 
«  une  espèce  de  besoin.  Ahl  qu'il  aurait  bien  mieux 
«  valu  ne  point  affecter  un  zèle  si  inconsidéré  pour  la 
«  religion  et  la  servir  plus  utilement!  »  —  Ces  repro- 
«  ches  sont  sévères,  et  nous  n'aurions  pas  osé  nous 
«  prononcer  avec  tant  de  vivacité  contre  des  proscrits 
«  et  des  confesseurs  de  la  foi;  mais  l'écrivain  qui 


306      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  portait  ce  jugement  était  lui-même  l'un  des  princi- 
«  paux  membres  de  ce  clergé  si  éprouvé  ;  c'était  le 
«  cardinal  de  Bausset,  évêque  d'Alais  ^  » 

En  1793,  un  vertueux  ecclésiastique  retiré  à  Londres 
traitait  les  émigrés  de  polissons  ^;  l'ancien  évêque 
d'Alais  traite  de  factieux  les  prêtres  de  1795;  en  faut-il 
davantage  pour  justifier  les  rigueurs  de  la  Conven- 
tion? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  situation  religieuse  de  la 
France  était  au  mois  d'octobre  1795,  lorsque  la  Con- 
vention disparut  de  la  scène  politique,  bien  meilleure 
à  tous  égards  qu'au  mois  de  septembre  1792.  La  Con- 
stitution civile  du  clergé  n'existait  plus,  et  si  les 
anciens  constitutionnels  affirmaient  encore  la  légi- 
timité du  serment  qu'ils  avaient  prêté  et  la  canoni- 
cité  de  leur  élection  de  1791,  du  moins  abandonnaient- 
ils  sans  regret  cette  assimilation  malencontreuse  des 
ecclésiastiques  à  des  fonctionnaires  enrégimentés. 
Satisfaits  d'avoir  sauvé  le  catholicisme  que  Mirabeau 
et  ses  amis  voulaient  détruire  ^,  heureux  de  lui  avoir 
rendu  après  la  Terreur  une  existence  légale,  les  évo- 
ques constitutionnels  offraient  leur  démission  et  se 
déclaraient  prêts  à  tous  les  sacrifices  pour  ramener 


1.  Histoire  de  la  persécution  révolutionnaire  dans  le  départe- 
ment du  Douhs,  VII,  651. 

2.  Archives  du  Vatican.  LeltredeM.de  Chaumont(5  mars  1793). 
Cette  lettre  a  été  copiée  par  les  soins  de  M.  Silvy,  ainsi  qu'une 
infinité  d'autres,  en  1814,  lorsque  les  archives  de  Rome  étaient 
encore  à  l'hôtel  Soubise. 

3.  Une  Revue  ecclésiastique,  publiée  sous  la  Restauration,  et 
à  laquelle  Grégoire  collaborait,  prête  à  Mirabeau  le  propos 
suivant  :  «  Les  prêtres  qui  m'embarrassent  ne  sont  point  les 
réfractaires ;  ce  sont  ceux  qui  ont  obéi  à  la  loi  du  serment. 
Que  ne  le  refusaient-ils  tous!  Nous  les  aurions  tous  jetés  au 
■delà  des  Alpes.  »  —  Chronique  religieuse,  tome  I,  p.  128. 


FIN  DE  LA  CONVENTION  307 

la  paix  religieuse.  Cent  lettres  que  je  pourrais  citer 
prouvent  surabondamment  que  tous  aspiraient  en  1795 
à  une  réconciliation  sincère,  à  une  entente  complète 
avec  Rome,  centre  de  l'unité  catholique,  mais  sur  les 
bases  de  la  déclaration  de  1682.  Danglars,  évêque  du 
Lot,  demandait  le  23  germinal  an  III  «  la  paix  avec  le 
pape  »,  et  offrait  de  faire,  pour  l'obtenir,  «  toutes 
sortes  de  sacrifices,  excepté  celui  de  la  patrie  »  *.  La 
paix!  la  paix  religieuse!  s'écriaient  presque  tous  les 
correspondants  de  Grégoire  ;  et  le  pieux  Le  Coz  pro- 
posait de  recourir  à  Maury  lui-même  pour  obtenir  cette 
pacification  tant  désirée. 

«  L'abbé  Maury  lui-même,  écrivait-il  à  Grégoire 
«  le  21  août  1795,  peut-il  avoir  tellement  abjuré  ses 
«  sentiments  de  Français  qu'il  n'eût  pas  quelque  désir 
«  de  faire  cesser  les  maux  qui  désolent  sa  première 
«  patrie?  Son  intérêt,  son  ambition,  sa  gloire  même 
«  ne  devraient-ils  pas  lui  inspirer  quelques  vues  de 
«  pacification?  Cet  homme,  ou  je  me  trompe,  a  beau- 
«  coup  de  vanité;  l'idée  déjouer  un  nouveau  rôle,  de 
«  devenir  le  pacificateur  de  la  France,  pourrait-elle  ne 
«  point  flatter  cette  vanité  *?  » 

Un  manifeste  imprimé  dont  l'auteur  était  le  citoyen 
Detorcy,  ami  de  Grégoire  et  des  évêques  réunis,  fai- 
sait appel  à  la  concorde  dès  le  mois  de  mars  1795. 

«  Qu'ils  viennent  avec  confiance  dans  nos  temples, 
«  qu'ils  offrent  avec  nous  et  pour  nous  la  victime  de 
«  paix,  ces  vieillards  vénérables,  ces  hommes  d'une 
«  conscience  faible  et  timorée  qui  n'ont  pu  se  résoudre 
«  à  un  serment  qu'ils  regardaient  non  comme  une 

i.  Lettre  ms.  Le  Coz  prophétisait  en  s'exprimant  ainsi,  on 
sait  en  effet  quel  rôle  a  joué  Maury  archevêque  schismatique 
de  Paris  sous  l'Empire. 


303      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  simple  promesse  de  se  conformer  à  l'ordre  établi 
«  dans  l'État,  mais  comme  une  approbation,  comme 
«  un  assentiment  du  cœur...  » 

«  Laissons  à  la  postérité  le  jugement  de  cette  grande 
cause  »,  disait-il  encore,  et  il  établissait  nettement 
que  les  évêques  assermentés  avaient  pris  l'engage- 
ment de  donner  leur  démission  si  jamais  l'État  ren- 
dait aux  anciens  sa  confiance  et  le  libre  exercice  de 
leurs  fonctions  \  Enfin,  Grégoire  et  ses  confrères  les 
évêques  réunis  avaient  projeté  d'envoyer  leur  ency- 
clique au  souverain  Pontife,  en  y  joignant  une  lettre 
où  se  lisait  le  passage  suivant  : 

«  Nous  exprimons  [dans  notre  encyclique]  le  désir 
«  ardent  que  nous  avons  manifesté  d'une  prompte  et 
«  solide  réunion,  vous  protestant  que,  pour  accélérer 
«  cet  heureux  événement,  nous  adopterons  toutes  les 
«  voies  de  conciliation  conformes  à  la  charité,  à  la 
«  justice,  à  la  vérité,  aux  lois  de  la  République  et  aux 
c<  libertés  de  l'Église  gallicane.  Si,  contre  notre  attente, 
«  nos  adversaires  ne  se  prêtaient  pas  aux  sages  tem- 
«  péraments  que  vous  trouverez  dans  vos  lumières  et 
«  votre  cœur  paternel,  nous  déclarons  que  nous  res- 
«  terons  à  nos  postes  tant  que  le  bien  des  fidèles  le 
<(  demandera,  et  que,  prenant  Dieu  à  témoin  de  la 
«  pureté  de  nos  intentions,  nous  y  attendrons  la  mort, 
«  abandonnant  aux  décisions  de  l'Église  universelle 
«  et  à  la  justice  incorruptible  des  siècles  le  jugement 
«  de  cette  grande  cause  *.  » 

Voilà  pour  le  clergé  constitutionnel;  n'ayant  pas 

1.  Aux  Français  catholiques  amis  de  la  paix  et  de   Vunité, 
32  pages  iii-8». 

2.  Copie  d'un  Projet  de  lettre  des  tfvêques  de  France  au  pape 
en  lui  envoyant  la  i'^  encyclique;  ms. 


FIN  DE  LA.  CONVENTION  309 

émigré,  il  se  trouvait  là  pour  ressaisir  la  direction  des 
âmes,  et  il  ne  faillit  pas  à  ce  qu'il  considérait  comme 
un  devoir.  Ce  clergé  que  nous  avons  vu  si  désinté- 
ressé, si  digne  d'estimé  à  tous  égards,  le  plus  illustre 
de  nos  historiens  l'a  traité  avec  une  sévérité,  pour  ne 
rien  dire  de  plus,  qui  est  bien  étrange,  et  l'on  a  peine 
à  comprendre  comment  un  écrivain  né  sous  le  Direc- 
toire a  pu  accumuler  tant  d'erreurs.  Ainsi  M.  Thiers 
affirme  que  le  culte  clandestin  des  réfractaires  était 
plus  suivi  que  l'autre  ;  que  les  églises  furent  rendues 
aux  catholiques  sous  le  Consulat,  etc.  Le  clergé  con- 
stitutionnel comptait  «  un  certain  nombre  de  sujets 
respectables,  mais  en  général  ils  avaient  perdu  la  con- 
fiance des  fidèles  parce  qu'on  les  savait  en  désaccord 
avec  Rome,  et  parce  qu'ils  avaient,  en  se  mêlant  aux 
disputes  religieuses  et  politiques  du  temps,  perdu  la 
dignité  du  sacerdoce.  Plusieurs,  en  effet,  étaient  des 
clubistes  violents  et  sans  mœurs.  Les  meilleurs  étaient 
des  prêtres  sincères  que  la  fureur  du  jansénisme  avait 
jetés  dans  le  schisme,  etc.  *.  »  Autant  de  mots,  autant 
d'erreurs,  ainsi  que  l'on  a  pu  s'en  convaincre  en  lisant 
ce  chapitre.  Les  constitutionnels  au  contraire,  hom- 
mes très  honorables  pour  la  plupart  depuis  que  Gré- 
goire avait  fait  une  épuration  si  sévère,  et  repoussant 
également  «  l'ultramontanisme,  le  jansénisme,  le  mo- 
linisme,  ou  tout  autre  parti,  sous  quelque  nom  qu'il 
paraisse  »  *,  avaient  pour  adhérents,  jusqu'au  jour 
où  Bonaparte  les  a  systématiquement  abandonnés, 
les   pauvres   des  villes    et  presque   toute  la  classe 

1.  Histoire  du  Consulat,  liv.  XH.  Il  est  vrai  de  dire  que 
M.  Thiers  parle  ici  de  Tannée  1800,  après  la  rentrée  en  masse 
des  prêtres  de  Tancien  régime,  et  non  de  1195. 

2.  Annales  de  la  Religion,  1, 399.  L'article  doit  être  de  Grégoire. 


310      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

moyenne,  c'est-à-dire  la  majorité  de  la  nation;  on  le 
verra  bien  par  la  suite  de  ces  études. 

Auprès  des  assermentés,  mais  sans  reconnaître 
l'autorité  de  leurs  évêques,  vinrent  se  placer,  après 
le  11  prairial,  beaucoup  de  prêtres  tirés  de  prison  par 
le  9  thermidor,  ou  sortis  de  leurs  retraites,  ou  rentres 
en  France  à  l'insu  du  gouvernement.  Les  uns  firent 
la  promesse  exigée  par  l'article  5  de  la  loi  de  prairial 
et  purent  exercer  publiquement  leur  culte  ;  quand  ils 
avaient  pour  eux  les  municipalités,  on  leur  accordait 
sans  difficulté  les  églises,  sans  jamais  rechercher  ce 
qu'ils  avaient  pensé  de  la  Constitution  en  1791.  L'abbé 
Émery  et  le  cardinal  de  Bausset  encourageaient  de 
tout  leur  pouvoir  cette  catégorie  d'insermentés,  mais 
le  plus  grand  nombre  des  évêques  émigrés  réprouvait 
une  soumission  «  incompatible  avec  la  fidélité  due  au 
légitime  souverain  »  et  déclarait  que  les  prêtres  soumis 
«  se  rendraient  ainsi  complices  des  rebelles  qui  ont 
renversé  le  trône,  et  coupables  de  félonie  ».  Quant  au 
pape,  agissant  plutôt  en  roi  qu'en  père  commun  des 
fidèles,  il  garda  le  silence,  et  l'histoire  pourra  tou- 
jours lui  reprocher  sa  conduite  en  cette  circonstance. 
Constitutionnels  ou  non,  les  prêtres  soumis  aux  lois 
étaient  si  nombreux  que  plus  de  30  000  paroisses 
furent  desservies  régulièrement  à  dater  de  1795  ^ 


1.  Le  chiffre  exact,  relevé  par  Grégoire  au  ministère  des 
finances,  était,  pour  l'année  1796,  de  32  214,  et  l'on  sait  que  la 
France  comptait  environ  40  000  communes.  Grégoire,  Histoire 
du  mariage  des  pi-êtres,  p.  v.  Au  mois  de  septembre  de  l'année 
1196,  le  culte  public  avait  été  repris  dans  31  214  communes, 
Paris  non  compris  et  en  comptant  les  grandes  communes  pour 
une  église  seulement.  4511  communes  avaient  redemandé  offi- 
ciellement l'exercice  de  leur  culte.  Annales  de  la  Religion, 
-tome  V,  p.  192. 


FIN  DE  LA  CONYE.NTIOX  31 1 

Venaient  enfin  les  réfractaires  purs,  les  prêtres 
royalistes  qui  continuaient  à  dire  la  messe  dans  les 
granges  ou  dans  les  maisons  particulières;  le  nombre 
en  était  considérable,  et  la  police  cherchait  plutôt  à 
les  intimider  qu'à  les  réduire  ;  souvent  même  la  con- 
nivence des  municipalités  leur  assurait  une  sécurité 
parfaite. 

En  définitive,  la  situation  religieuse  de  la  France 
était  vraiment  bonne  au  mois  d'octobre  1795;  la 
Convention  avait  réparé  en  quelques  mois  le  mal 
qu'avaient  fait  les  terroristes  ;  la  paix  religieuse  était 
imminente  et  la  paix  civile  ne  pouvait  manquer  de 
suivre  bientôt,  si  le  Directoire  avait  la  sagesse  de 
continuer  l'œuvre  réparatrice  de  la  Convention;  voilà 
ce  qu'avait  produit  en  quelques  mois  l'admirable  con- 
duite de  Grégoire  et  des  évêques  réunis.  Ils  semblaient 
sur  le  point  de  triompher  complètement  en  octo- 
bre 179o;  on  verra  les  criminelles  folies  du  Direc- 
toire remettre  en  question  jusqu'à  la  liberté  de  con- 
science; elle  sera  moindre  en  1799,  à  la  veille  du  Con- 
sulat, que  sous  le  règne  de  la  Convention. 


APPENDICE 

NOTRE-DAME   DE  PARIS  APRÈS  LA  TERREUR 

(1795  —  1803) 

d'après  les  registres  originaux  de  la  société  catholique 
de  cette  église 

Le  régime  de  la  Terreur  religieuse  n'a  véritable- 
ment commencé  à  Paris  et  dans  les  départements 
qu'au  mois  de  novembre  1793;  le  culte  avait  été 
libre  jusqu'alors  pour  les  assermentés,  malgré  les 
tentatives  de  la  Commune  et  la  honteuse  faiblesse  de 
Tévêque  Gobel  ;  les  processions  de  la  Fête-Dieu  étaient 
même  sorties  dans  les  rues,  cinq  mois  après  la  mort 
du  roi,  sans  occasionner  le  moindre  désordre  *.  Mais 
à  peine  la  Convention  nationale  eut-elle  décrété 
l'athéisme  en  proclamant  le  culte  de  la  Raison,  que 
les  municipalités  rivalisèrent  d'ardeur  pour  fermer 
et  dépouiller  les  édifices  religieux.  Toutes  les  pa- 
roisses de  Paris  étaient  sous  le  séquestre  le  24 
novembre  ,  et  le   conventionnel   Grégoire  nous  ap- 

1.  Manuel  voulut,  mais  en  vain,  s'opposer  aux  processions  et 
à  la  messe  de  minuit  en  1792.  —  Le  principal  du  collège  des 
Quatre-Nations,  dénoncé  pour  avoir  célébré  la  Saint-Charle- 
magne  le  28  janvier  1793,  ne  fut  pas  inquiété  (voir  ci-dessus 
p.  190).  Au  mois  d'août  de  la  même  année,  la  Convention  fit  im- 
primer un  discours  de  l'abbé  Audrein  sur  la  liberté  des  cultes. 

18 


314      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

prend,  dans  sa  très  curieuse  Histoire  des  sectes,  que 
2  346  églises  furent  transformées  en  temples  de  la 
Raison  dans  l'espace  de  vingt  jours. 

Cette  profanation  dura  cinq  mois  à  peine,  parce 
que  Robespierre  guillotina  les  Chaumette,  les  Gobel, 
les  Anacharsis  Gloots  et  autres  grands  prêtres  de  la 
divinité  nouvelle,  et  daigna  reconnaître,  le  18  floréal 
an  II  (7  mai  1794),  l'existence  de  Dieu  et  l'immorta- 
lité de  l'âme.  Comme  la  fête  de  l'Être  suprême  et  les 
trente-cinq  autres  solennités  qu'avait  instituées  la 
Convention  se  célébraient  en  grande  pompe  sur  la 
place  publique,  les  temples  désormais  inutiles  furent 
convertis  en  magasins;  la  cathédrale  de  Paris  dut  à  la 
fraîcheur  de  ses  voûtes  de  recevoir  1500  tonneaux  de 
vin  que  la  République  destinait  à  ses  hôpitaux  mili- 
taires. 

Après  la  chute  de  Robespierre,  le  courageux  Gré- 
goire, qui  avait  osé,  même  au  plus  fort  de  la  Terreur, 
présider  la  Convention  en  costume  d'êvêque  et  garder 
la  tonsure  ecclésiastique,  réclama  hautement,  dans 
un  discours  à  jamais  célèbre,  la  liberté  de  tous  les 
cultes  *.  Ses  paroles  furent  accueillies  par  les  vocifé- 
rations de  ses  collègues,  qui  passèrent  à  l'ordre  du 
jour,  mais  le  signal  était  donné  :  deux  mois  plus 
tard,  le  3  ventôse  an  III  (21  février  1795),  les  mêmes 
législateurs  furent  obligés  de  promulguer,  sur  la  pro- 
position de  l'incrédule  Boissy  d'Anglas,  un  décret 
dont  voici  les  premiers  articles  : 

«  Article  Premier.  —  Conformément  à  l'art.  VII  de 
«  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme  et  à  l'art.  XXGII 

1.  Discours  sw  la  liberté  des  cultes.  —  Paris,  chez  Maradan, 
an  111,40  pages  in-S».  Voyez  ci-dessus,  p.  242,  et  ci-dessous,  aux 
Pièces  justificatives,  le  texte  même  du  discours  de  Grégoire. 


APPENDICE  315 

«  de  la  Constitution,  l'exercice  d'aucun  culte  ne  peut 
«  être  troublé. 

«  Art.  II.  — La  République  n'en  salarie  aucun. 

«  Art.  III.  —  Elle  ne  fournit  aucun  local  ni  pour 
<'  l'exercice  du  culte  ni  pour  le  logement  des  minis- 
«'  très,  etc.  » 

En  conséquence  de  ce  décret,  les  églises  et  cha- 
pelles qui  n'avaient  pas  été  séquestrées  par  l'État  ou 
par  les  municipalités  ne  tardèrent  pas  à  s'ouvrir,  et 
nous  lisons  dans  une  feuille  du  temps  le  premier- 
Paris  que  voici  : 

«  On  s'aperçoit  dans  cette  ville  que  la  liberté  des 
«  cultes  nest  point  illusoire;  plusieurs  églises  étaient 
«  ce  matin  (24  ventôse  an  III  —  14  mars  1795)  si 
«  pleines  de  fidèles,  que  leur  surabondance  formait  de 
«  longues  queues,  comme  aux  portes  des  boulangers 

et  des  bouchers.  Beaucoup  de  boutiques  étaient  fer- 
u  mées,  et  des  citoyennes  endimanchées  remplis- 
«  saient  les  promenades.  Il  parait  que  c'est  la  classe 

laborieuse  qui  est  la  plus  attachée  à  la  religion,  à 

en  juger  par  les  personnes  qui  assistaient   à  la 

messe.  La  messe  était  pour  certaines  gens  aussi 
«  nécessaire  qu'un  bon  repas  après  un  long  jeûne; 
«  mais  comme  tout  est  mode  et  affaire  de  circon- 
«  stance  dans  ce  pays,  il  arrivera,  comme  par  le 
«  passé,  que  le  dimanche  sera  plutôt  une  occasion  de 
«  plaisir  et  de  dissipation  que  de  véritable  dévotion. 
«  Au  surplus,  cette  liberté  a  calmé  beaucoup  de 
«  consciences  timorées,  elle  a  éteint  le  foyer  d'un 
«  volcan  prêt  à  éclater,  et  rattaché  à  la  Révolution 
«  beaucoup  d'individus  que  l'intolérance  en  éloigna 
«  plus  que  toute  autre  cause  *.  » 

1,  Journal  des  municipalités,  rédigé  par  le  cit.  Lamiral,  n»  13 


316      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

La  première  église  qui  s'ouvrit  à  Paris  d'une  ma- 
nière continue  et  comme  paroisse  fut  Saint-Médard, 
dans  Je  quartier  populeux  des  Gobelins ,  et  le  con- 
ventionnel Saurine  *  y  célébra  la  grand'messe  le 
1"  mai  1795;  ensuite  la  municipalité  donna  aux 
catholiques  les  monuments  qui  lui  furent  réclamés, 
jusqu'au  nombre  de  douze,  puis  de  quinze;  enfin, 
le  24  thermidor  an  III  (11  août  1795),  les  vingt-trois 
clefs  de  Notre-Dame  furent  officiellement  remises  par 
le  comité  civil  de  la  section  de  la  Cité  à  la  Société 
catholique,  qui  en  avait  fait  la  demande.  C'est  encore 
à  Grégoire  que  revient  l'honneur  d'avoir  rendu  au 
culte  notre  vieille  cathédrale  :  non  content  de  con- 
fesser sa  foi  au  péril  de  ses  jours,  cet  homme  apos- 
tolique organisa  la  victoire  du  catholicisme  sur  les 
dispositions  hostiles  de  la  Convention;  il  publia  des 
mandements  et  des  lettres  qui  eurent  uu  grand  reten- 
tissement, il  fit  paraître  le  12  floréal  an  III  (l*""  mai 
1795)  un  journal  religieux,  les  Annales  de  la  Reli- 
gion *,  et  son  nom  figure  le  premier  sur  la  liste  des 


{28  ventôse  an  III).  Le  culte  avait  été  solennellement  rétabli  à 
Sens  le  l""^  mars;  on  avait  fermé  toutes  les  boutiques,  et  la  mu- 
nicipalité tout  entière  assista  aux  offices.  A  Lille  au  contraire 
les  églises  n'étaient  point  rouvertes  le  26  novembre.  —  Annales 
de  la  Religion,  passim. 

1.  Évêque  constitutionnel  des  Landes,  et  plus  tard  évêque 
concordataire  de  Strasbourg;  c'est  une  des  plus  nobles  ligures 
du  clergé  constitutionnel,  qui  en  compte  beaucoup.  Le  8  mars 
1795,  il  avait  rebénit  «  la  chapelle  du  ci-devant  monastère  de 
la  Visitation,  rue  et  faubourg  Sainl-Jacques  »,  il  y  avait  cé- 
lébré la  messe,  et  le  discours  qu'il  prononça  à  cette  occasion 
est  imprimé  (Paris,  Lottin,  4  p,  in-8''). 

2.  Les  Annales  de  la  Religion;  cette  feuille  curieuse,  dont  beau- 
coup d'articles  sont  très  remarquables,  parut  sans  interruption 
tous  les  samedis  jusqu'en  1804.  Elle  est  indispensable  à  qui  veut 
connaître  l'histoire  religieuse  de  cette  époque,  car  les  faits  qui 


APPENDICE  317 

citoyens  qui  réclamèrent  les  clefs  de  Notre-Dame  ;  il 
n'a  pas  craint,  de  même  que  ses  deux  collègues 
Rover  et  Saurine,  de  mettre  la  croix  épiscopale  de- 
vant sa  signature. 

Voici  d'ailleurs  le  procès-verbal  officiel  de  cette  re- 
mise des  clefs. 

Égalité.  —  Liberté. 
SECTION    DE    LA    CITÉ 

ASSEMBLÉE    GÉNÉRALE 

Aujourd'hui,  vingt-quatre  thermidor  an  3*  de  la 
République  française  une  et  indivisible  *,  en  l'assem- 
blée du  Comité  civil  de  la  section  de  la  Cité  où  tous 
les  membres  étaient  réunis,  s'est  présenté  le  citoyen 
Joseph-Jean-Chrysostome  Farcot,  l'un  des  membres 
du  Directoire  du  département  de  Paris,  lequel  a 
remis  sur  le  bureau  un  extrait  des  registres  des  déli- 
bérations du  département  de  Paris  relatant  un  arrêté 
du  27  prairial  an  III  *  conçu  en  ces  termes  : 

«  Le  Directoire,  ouï  le  suppléant  le  procureur  gé- 
«  néral  syndic,  nomme  le  citoyen  Farcot,  l'un  de  ses 
«  membres,  commissaire  pour  l'exécution  de  son 
«  arrêté  du  23  prairial  portant  désignation  de  douze 
«  églises  conformément  à  la  loi  du  11  du  même  mois; 
«  le  charge  en  conséquence  de  se  transporter  aux 
«  Comités  civils   des   sections   où   sont    situées   les 

s'y  trouvent  relatés  sont  en  général  d'une  exactitude  parfaite. 
On  y  trouve,  d'après  la  correspondance  de  Grégoire,  une  foule 
de  détails  sur  l'histoire  de  la  Révolution  en  province.  Voy.  ci- 
dessus,  p.  286. 

1.  il  août  1793. 

2.  13  juin  1193. 

18. 


318      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  églises  désignées ,  à  l'effet  de  les  requérir  de 
«  remettre  les  clefs  desdites  églises  entre  les  mains 
«  des  citoyens  qui  se  présenteront  pour  y  exercer  le 

«  culte.  » 

Ledit  arrêté  signé,  pour  extrait  : 

Dupin,  secrétaire  général. 

Ledit  citoyen  Farcot  a  déclaré  qu'en  conséquence 
dudit  arrêté  il  se  présente  au  Comité  civil  de  la  sec- 
tion de  la  Cité  et  le  requiert  de  remettre  les  clefs  de 
l'église  Notre-Dame,  l'une  des  quinze  {sic)  églises 
désignées  par  la  loi  pour  l'exercice  des  cultes,  entre 
les  mains  des  citoyens  qui  se  présenteront  pour  y 
exercer  leur  culte,  et  a  signé. 

Ainsi  signé  :  J.-J.-C.  Farcot. 

Et  à  l'instant  sont  comparus  les  citoyens  : 

1°  Adrien-Joseph  Roux,  commis  de  l'agence  des 
salpêtres  et  poudres,  demeurant  à  l'Arsenal,  section 
de  ce  nom; 

2°  Pierre-Jean  Agier,  commissaire  national  du  tri- 
bunal du  5"  arrondissement  du  département  de  Paris, 
demeurant  rue  des  Bernardins,  n"  12; 

3°  Henri  Grégoire,  représentant  du  peuple,  demeu- 
rant rue  du  Colombier,  n°  16,  évêque  du  département 
de  Loir-et-Cher; 

4"  Jean-Baptiste  Royer,  évêque  du  département  de 
l'Ain,  représentant  du  peuple,  demeurant  à  Paris,  rue 
Nicaise,  n"  12; 

5»  Jean-Pierre  Saurine,  représentant  du  peuple, 
évêque  du  diocèse  des  Landes,  demeurant  à  Paris, 
rue  du  Faubourg-Saint-Jacques,  n°  217,  etc.,  etc. 

[Les  comparants  sont  au  nombre  de  soixante-six.] 

Lesquels  ont  dit  qu'aux  termes  de  la  loi  ils  re- 


APPENDICE  311) 

quièrent  qu'il  leur  soit  fait  remise  de  toutes  les  clefs 
de  l'église  Notre-Dame  à  l'effet  d'y  exercer  le  culte 
catholique,  dont  ils  ont  déclaré  faire  profession,  et 
après  que  le  citoyen  Oudet  père  a  été  désigné  par  un 
des  citoyens  présents  à  l'assemblée  pour  être  le  dé- 
positaire des  clefs  de  ladite  église  Notre-Dame,  que 
cette  proposition  a  été  mise  aux  voix  par  le  président 
du  Comité  civil,  et  qu'à  l'unanimité  ledit  citoyen 
Oudet  a  été  choisi  pour  être  le  dépositaire  desdites 
clefs;  les  citoyens  membres  du  Comité  civil  de  la 
section  de  la  Cité  ont  remis  au  citoyen  Oudet  père 
toutes  les  clefs  de  ladite  église. 

Et  à  l'instant  ledit  citoyen  Oudet  père,  présent,  a 
observé  qu'il  existe  en  ce  moment  dans  la  nef  et  les 
bas-côtés  de  ladite  église  12  à  loOO  pièces  de  vin 
destinées  pour  les  hopitaires  {sic)  de  l'armée  du  Nord. 
Que  ce  vin  y  a  été  conduit  par  ordre  du  Comité  de 
Salut  public  ;  qu'il  y  est  sous  la  surveillance  immé- 
diate des  personnes  qui  ont  été  par  lui  préposées  à 
sa  garde  ;  que  tous  les  jours  des  tonneliers  relient  les 
pièces  et  les  mettent  en  état  d'être  chargées  et  expé- 
diées pour  leur  destination;  que  le  citoyen  Ymer, 
ancien  suisse  de  l'église  Notre-Dame,  a  été  chargé 
des  clefs  ;  qu'il  ouvre  et  ferme  les  portes  de  l'église 
lorsqu'il  en  est  requis  pour  la  vidange  desdits  vins; 
qu'il  lui  paraît  convenable  de  laisser  provisoirement 
les  clefs  de  la  grande  porte  extérieure  et  de  celle 
latérale  entre  les  mains  dudit  citoyen  Ymer  jusqu'à 
ce  que  la  totalité  des  vins  soit  enlevée,  ce  qui  ne  doit 
pas  occuper  un  long  espace  de  temps  ;  qu'il  offre  de 
se  charger  des  clefs  de  toutes  les  autres  portes  exté- 
rieures et  intérieures  de  ladite  église  pour  les  repré- 
senter à  qui  de  droit  ;  et  a  signé.  Ainsi  signé  :  Oudet. 


320      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Sur  quoi  le  Comité  civil  de  la  section  de  la  Cité 
a  donné  acte  au  citoyen  Oudet  père  de  ses  observa- 
tions, offres  et  réquisitions.  En  conséquence,  ledit 
Comité  civil  remet  au  citoyen  Oudet  père  23  clefs  que 
le  citoyen  Ymer  a  déclaré  être  toutes  celles  qu'il  a  en 
sa  possession.  Ledit  citoyen  Oudet  père  s'en  charge 
comme  dit  est  ci-dessus,  et  remet  à  l'instant  audit 
citoyen  Ymer  8  clefs  nécessaires  à  l'ouverture  de  la 
grande  porte  ci-dessus  et  de  celles  latérales  au  nord 
pour  par  ledit  Ymer  ouvrir  dans  le  cours  de  la 
journée  les  portes  de  ladite  église  aux  ouvriers  qui 
travaillent  aux  vins  actuellement  déposés  en  ladite 
église,  à  la  charge  pour  lui  de  les  remettre  audit 
citoyen  Oudet  père  sitôt  l'évacuation  finie  desdits 
vins,  se  soumettant  ledit  Ymer  de  veiller  pendant 
tout  le  temps  que  les  portes  seront  ouvertes  à  ce  qu'il 
n'y  soit  commis  aucun  dégât  ni  acte  contraire  à  la 
décence.  Et  ont  lesdits  citoyens  Oudet  père  et  Ymer 
signé. 

Ainsi  signé  :  Oudet,  Ymer. 

Et  ont  les  citoyens  ci-dessus  dénommés  signé  en 
cet  endroit.  Ainsi  signé  :  -]-  H.  Grégoire,  évèque  du 
diocèse  de  Loir-et-Cher,  représentant  du  peuple  ;  — 
•J-  J.-B.  Royer,  évêque  du  département  de  l'Ain, 
représentant  du  peuple;  —  -|-  J.-P.  Saurine,  évêque 
du  diocèse  des  Landes,  représentant  du  peuple*. 

Fait  au  Comité  civil  de  la  section  de  la  Cité  les 
jour  et  an  que  dessus. 

Signé  :  Lemoine,  président;  J.-J.-C.  Farcot. 

Pour  copie  conforme, 

Poureau  (?),  secrétaire. 

•  1.  Suivent  les  signatures  des  66. 


APPENDICE  321 

Suivent  les  signatures  des  citoyens  et  citoyennes 
qui  ont  déclaré  être  dans  l'intention  de  participer 
aux  droits  résultant  du  procès-verbal  ci-joint  et 
d'accéder  aux  engagements  y  contractés  *. 

Chose  curieuse,  les  hommes  sont  en  très  grande 
majorité  sur  cette  liste,  et  quelques-uns  d'entre  eux 
sont  des  hommes  très  distingués  dans  tous  les  gen- 
res, comme  Agier,  président  du  tribunal  révolution- 
naire après  Fouquier-Tinville  et  jurisconsulte  célè- 
bre, comme  le  graveur  Duvivier,  comme  le  notaire 
Jacquinot,  le  littérateur  Poan  Saint-Simon,  l'ingé- 
nieur Pasumot,  et  beaucoup  d'autres  encore. 

Une  fois  en  possession  de  l'église  Notre-Dame,  la 
nouvelle  Société  catholique  ne  perdit  point  de  temps; 
elle  agit  avec  une  telle  entente  et  déploya  une  telle 
activité  que  l'on  put  célébrer  solennellement  l'office 
de  l'Assomption  le  lo  août  1795,  quatre  jours  seule- 
ment après  la  remise  des  clefs  *.  Et  cependant  la 
vieille  basilique  avait  subi  des  dégradations  considé- 
rables; plus  de  vitres  aux  fenêtres,  quelques  plan- 

1.  Le  total  des  signataires,  y  compris  les  66,  est  de  188  dont 
36  femmes.  Parmi  les  signataires  qui  ont  indiqué  leur  profes- 
sion se  trouvent  :  8  négociants  ou  marchands,  3  orfèvres, 
2  hommes  de  loi  (dont  le  citoyen  Oudet  père),  2  libraires, 
2  tailleurs,  2  peintres,  2  musiciens,  1  chirurgien,  1  tanneur, 
1  marchand  de  vin,  1  épicier,  1  tapissier,  i  chapelier. 

2.  «  Avant-hier  la  cathédrale  de  Paris  a  été  ouverte  pour  la 
«  première  fois  depuis  la  persécution.  C'était  le  jour  de  la  fête 
«  patronale.  Après  avoir  réconcilié  l'église,  nous  y  avons  fait 
«  l'office  divin  avec  la  plus  grande  solennité.  Un  concours  im- 
«  mense  de  fidèles  remplissait  toute  l'étendue  de  cette  basi- 
«  lique,  excepté  dans  les  parties  qui  ne  sont  point  encore  dé- 
«  barrassées  de  tout  ce  qu'on  y  a  déposé.  Hier,  l'office  s'y  est 
«  fait  également,  et  l'on  continuera.  >>  —  Lettre  de  Grégoire  à  son 
conseil  épiscopal  de  Blois  (30  thermidor  an  111  —  17  août  1795). 


322      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

ches  mal  jointes  tenaient  lieu  de  portes,  les  diffé- 
rentes parties  de  l'édifice  étaient  dans  un  état  de 
délabrement  complet,  et  l'on  y  chercha  vainement 
alors  un  petit  coin  où  pût  se  retirer  le  prêtre  de 
garde.  La  Terreur  avait  porté  partout  la  hache  et  le 
marteau,  et  les  tonneaux  de  la  République  occu- 
paient l'espace  demeuré  libre.  C'est  dans  ces  condi- 
tions difficiles  que  la  Société  catholique  voulut  faire 
de  Notre-Dame  non  seulement  une  paroisse,  mais 
encore,  s'il  était  possible,  une  église  cathédrale. 
Nous  allons  maintenant  dépouiller  les  registres  ori- 
ginaux de  son  conseil  de  fabrique,  et  suivre  pour 
ainsi  dire  jour  par  jour  les  généreux  efforts  de  cette 
poignée  d'hommes;  on  se  persuadera  facilement,  en 
parcourant  les  procès-verbaux  de  leurs  assemblées 
générales  ou  particulières,  que  cette  Église  constitu-  , 
tionnelle  tant  maudite  par  certains  catholiques  a 
rendu  au  catholicisme  français  des  services  immen- 
ses :  elle  a  singulièrement  facilité  la  tâche  de  l'ambi- 
tieux qui  s'est  laissé  proclamer  le  restaurateur  du 
culte  alors  que  35  000  paroisses  étaient  régulière- 
ment desservies  en  1796,  cinq  ans  avant  le  Con- 
cordat *. 

Grégoire  et  ses  collègues  avaient  réconcilié  l'église 
et  y  avaient  officié  pontificalement  le  15  août  1795, 
mais  d'autres  soins  réclamaient  leur  attention,  et  ils 
laissèrent  la  Société  catholique  s'organiser  librement 
sous  la  direction  d'une  assemblée  de  prêtres  formant 
ce  qu'on  nommait  le  Presbytère  de  Paris,  car  l'évêque 
Gobel  n'avait  pu  être  remplacé.  Il  y  eut  une  première 
réunion   générale  dans  le  transept,   «  l'an  de  J.-C. 

1.  Le  Premier  consul  a  rétabli,  non  pas  le  culte,  mais  le 
budget  des  cultes;  ce  n'est  pas  du  tout  la  même  chose. 


APPENDICE  323 

1795,  3**  de  la  Rép.  franc,  une  et  indivisible,  le  jeudi 
27  août,  ou  décadi  10  fructidor  »,  et  le  bureau  fut 
immédiatement  constitué.  On  choisit  pour  président 
le  citoyen  Oudet,  dépositaire  des  clefs,  et  pour  secré- 
taire le  jurisconsulte  Agier  *.  Après  avoir  pourvu  aux 
nécessités  les  plus  pressantes  et  réglé  la  desserte  de 
léglise,  grâce  au  concours  désintéressé  des  curés 
qui  composaient  le  Presbytère  et  du  conventionnel 
Royer,  évêque  de  l'Ain,  l'assemblée  procéda  séance 
tenante  à  la  création  d'un  comité  d'administration 
composé  de  six  membres.  Ce  comité  devait  se  réunir 
toutes  les  fois  que  besoin  serait,  et  rendre  compte  de 
sa  gestion  aux  assemblées  générales  des  cent  quatre- 
vingt-huit,  qui  se  réunirent  d'abord  de  dix  en  dix 
jours  et  bientôt  tous  les  mois. 

Les  deux  registres  qui  renferment  les  procès-ver- 
baux de  l'assemblée  générale  et  ceux  du  comité  ont 
été  donnés  après  le  Concordat  à  Grégoire,  qui  ras- 
semblait soigneusement  tous  les  matériaux  d'une 
Histoire  ecclésiastique  de  la  Révolution  française,  et 
c'est  dans  les  papiers  de  Grégoire  qu'on  les  a  re- 
trouvés. Le  premier  de  ces  deux  registres  a  moins 
d'importance  que  l'autre,  car  les  assemblées  générales 
ne  faisaient  guère  que  renouveler  le  comité  ou  ap- 
prouver ses  opérations,  et  d'ailleurs  elles  étaient  peu 
fréquentées  ;  le  13  septembre  1800  (26  fructidor 
an  III),  les  signataires  du  procès-verbal  de  tradition, 
qui  seuls  avaient  droit  de  voter,  n'étaient  plus  que 
vingt-trois  au  lieu  de  cent  quatre-vingt-huit.  Nous 

1.  Ce  dernier  avait  commeacé  par  organiser  le  culte  à  Saint- 
Étieane-du-Mont,  et  il  fit  imprimer  en  1795  le  règlement  de  la 
Société  catholique  de  cette  paroisse;  c'est  une  pièce  fort  cu- 
rieuse à  étudier. 


324      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

analyserons  donc  simplement  les  procès-verbaux  du 
comité,  le  champ  est  encore  assez  vaste,  et  nous 
suivrons  depuis  1795  jusqu'en  1802  cette  petite 
société  de  gens  honnêtes  et  convaincus  qui  luttèrent 
victorieusement,  au  prix  des  plus  grands  sacrifices, 
contre  la  misère,  contre  la  mauvaise  volonté  du  gou- 
vernement, contre  l'ingratitude  et  l'injustice  de  ceux 
mêmes  dont  ils  faisaient  si  généreusement  les 
affaires. 

La  Société  catholique  de  Notre-Dame  avait  en 
caisse  le  11  fructidor  an  III  (28  août  1795)  la  modi- 
que somme  de  1014  livres  15  sous,  fruit  de  ses  deux 
premières  quêtes,  et  l'on  devait  alors  aux  menuisiers 
qui  déblayèrent  le  chœur  et  firent  les  travaux  d'amé- 
nagement indispensables  plus  de  1500  livres.  Il  fal- 
lait en  outre  solder  à  bref  délai  de  gros  mémoires 
qui  n'avaient  pas  encore  été  donnés  par  les  ouvriers 
maçons,  tapissiers  et  serruriers  ;  il  fallait  faire  en- 
lever au  plus  tôt  les  vins  de  la  République  *,  et  payer 
les  employés  de  l'église,  savoir  les  citoyens  Durand, 
sacristain,  Ymer  et  Labail,  gardiens,  et  Marie,  be- 
deau; il  fallait  enfin  s'assurer  le  concours  de  qua- 
tre chantres,  de  deux  serpents  et  de  cinq  prêtres, 
car  on  ne  pouvait  pas  assimiler  Notre-Dame  à  une 
paroisse  de  village  :  l'affluence  des  fidèles  y  était 
considérable,  et  l'on  avait  besoin  d'un  personnel 
nombreux  pour  les  baptêmes,  mariages,  enterre- 
ments, premières  communions,  confirmations  et  or- 
dinations, qui  eurent  lieu  dès  ce  moment  comme  par 
le  passé.  Le  premier  soin  du  comité  fut  donc  de  se 

1.  Cet  enlèvement  coûta  200  livres. 


APPENDICE  325 

procurer  de  l'argent,  la  chose  du  monde  la  plus  rare 
à  cette  époque  de  notre  histoire.  On  sait  en  effet  que 
les  expédients  financiers  de  la  Convention  et  la  mise 
en  circulation  de  10  milliards  d'assignats  au  mois 
d'août  1795,  émission  qui  fut  portée  en  janvier  1796 
à  45  milliards,  avaient  amené  une  crise  monétaire 
épouvantable.  L'or  et  l'argent  se  cachaient;  on  pou- 
vait à  grand'peine  échanger  contre  un  louis  d'or  de 
24  francs  3600  livres  en  assignats  *  ;  en  un  mot  la 
gêne  était  alors  partout,  et  chez  les  malheureux  ren- 
tiers plus  que  chez  les  autres;  c'était  bien  le  cas  de 
les  appeler  «  pauvres  riches  ». 

Le  comité  ne  se  laissa  pas  décourager  par  ces  dif- 
ficultés; il  fit  appel  à  la  générosité  des  fidèles  et 
ordonna  que  ses  membres  quêteraient  à  tour  de  rôle 
aux  deux  portes  de  l'église  ;  de  cette  façon  il  se  crut 
en  mesure  de  fixer  le  budget  à  17  700  fr.  par  an,  ou 
1475  fr.  par  mois,  répartis  de  la  manière  suivante  : 
le  «  desservant  en  chef»  ou  archiprêtre,  3  600  fr.,  en 
assignats  bien  entendu;  chacun  de  ses  quatre  coopé- 
rateurs,  2  100  fr.  ;  les  quatre  chantres  et  le  serpent, 
600  fr.  ;  le  sacristain,  900;  et  enfin  1  200  fr.  pour  les 
deux  gardiens.  Mais  aussi  chacun  faisait  de  son  mieux 
pour  seconder  ces  louables  efforts  ;  l'assemblée  géné- 
rale du  22  octobre  1795  offrait  614  livres  10  sous  à 
son  comité;  la  citoyenne  Ymer,  femme  du  suisse, 
faisait  don  d'un  grand  registre  et  d'un  voile  de  calice; 

1.  En  1797  l'assignat  n'était  plus  qu'au  344*  de  sa  vafeur.  Le 
citoyen  Farcot,  dont  on  a  vu  le  nom  en  tête  du  procès-verbal 
de  tradition  de  Notre-Dame,  avait  établi  dans  Paris,  à  cette 
époque  même,  douze  comptoirs  d'échange;  vu  la  rareté  du 
numéraire,  les  artisans  et  les  petits  commerçants  pouvaient 
£changer  leurs  denrées  ou  leurs  produits  contre  des  objets  de 
même  valeur. 

19 


326      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

le  citoyen  Magnier  consentait  à  «  prêter  »  une  chaire 
à  prêcher.  Bientôt  les  dons  se  multiplièrent  :  l'Hôtel- 
Dieu  prêta  des  pupitres,  un  bénitier,  des  cierges,  des 
canons  d'autel,  etc.  ;  le  citoyen  Bertrand,  de  l'hospice 
d'Humanité,  «  prêta  »  3  confessionnaux  ;  différentes 
personnes  donnèrent  une  foule  d'objets  dont  l'énu- 
mération  nous  ferait  sourire  aujourd'hui  :  une  nappe 
damassée,  2  nappes  ordinaires,  8  serviettes  offertes 
par  le  citoyen  Philidor,  3  troncs  pour  les  offrandes 
en  numéraire,  un  gobelet  d'argent  qui  fut  vite 
échangé  chez  un  orfèvre  contre  un  calice  en  cuivfe 
doré,  2  écus  de  6  livres  transformés  aussitôt  en 
2200  livres  d'assignats,  un  christ  d'ivoire,  un  balai 
de  crin  qui  fut  très  apprécié,  car  le  sacristain  se  plai- 
gnait amèrement  d'en  manquer,  deux  flambeaux,  une 
somme  de  7  livres  4  sous  pour  acheter  12  bouteilles 
de  vin,  des  lampes,  de  l'huile  à  brûler,  etc.,  etc. 

On  trouva  bientôt  aussi  les  cinq  prêtres  qui  avaient 
été  jugés  nécessaires  pour  la  desserte  de  l'église; 
c'étaient  :  1°  le  citoyen  Clausse,  ancien  curé  constitu- 
tionnel de  Saint-André-des-Arts,  qui  se  trouvait  sans 
enploi  depuis  la  «  désaffectation  »  de  cet  édifice  ;  2°  les 
citoyens  Lévrard,  ancien  vicaire  de  Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  Fauchier,  ancien  curé  de  Sceaux-les- 
Chartreux,  Boulanger,  ancien  gardien  des  capucins 
de  Chartres,  et  enfin  le  citoyen  Edme-Louis  de  Sau- 
vigny,  ancien  vicaire  épiscopal  de  Bordeaux .  En 
même,  temps  il  se  présenta  des  chantres,  mais  on 
refusa  absolument  «  ceux  qui  étant  dans  les  ordres 
«  se  seraient  mariés,  ou  les  laïcs  qui  auraient  pros- 
«  titué  leur  voix  en  chantant  sur  les  théâtres  »  ; 
quelques  fidèles  s'offrirent  à  faire  provisoirement 
l'office  de  chantres. 


APPENDICE  327 

Ainsi  la  Société  catholique  de  Notre-Dame  semblait 
entrer  dans  une  ère  de  prospérité  ;  mais  de  nouvelles 
difficultés  ne  tardèrent  pas  à  s'élever.  Le  gouverne- 
ment s'opposait  à  la  mise  en  œuvre  des  matériaux 
informes  qui  encombraient  l'église,  et  l'on  ne  pouvait 
protéger  contre  le  froid  ni  les  fidèles,  ni  le  prêtre  de 
garde;  d'autre  part,  la  susceptibilité  de  quelques  per- 
sonnes faisait  naître  une  querelle  fâcheuse.  On  vou- 
lait investir  le  citoyen  Clausse,  principal  desservant, 
de  toute  l'autorité  du  Presbytère  «  pour  établir  dans 
«  Notre-Dame  un  ordre  fixe  et  invariable  »,  c'est-à- 
dire  qu'on  le  chargeait  «  de  présider  aux  offices 
«  publics,  de  faire,  diriger  et  surveiller  les  instruc- 
«  tions,  d'assurer  à  tous  les  fidèles,  et  principalement 
«  aux  enfants  et  aux  malades,  tous  les  secours  de  la 
«  religion  ».  La  chose  était  très  naturelle  et  très  ré- 
gulière ;  cependant  l'évêque  de  l'Ain,  Royer,  fort  hon- 
nête homme  au  fond  et  tout  dévoué  à  la  cause  que 
soutenait  la  Société  catholique,  mais  d'un  esprit 
borné  et  d'un  caractère  difficile,  s'irrita  de  cette  me- 
sure, qu'il  jugeait  attentatoire  à  l'autorité  des  évê- 
ques.  Il  s'écria  qu'il  ne  voulait  pas  de  presbytéria- 
nisme; «  tant  que  l'église  de  Paris  sera  sans  évêque, 
«  dit-il  en  propres  termes,  j'irai  exercer  mes  fonc- 
a  tions  à  Notre-Dame.  Qui  que  ce  soit  que  le  Presby- 
«  tère  y  envoie  n'y  travaillera  que  sous  moi.  »  Toutes 
les  démarches  du  comité  pour  faire  respectueuse- 
ment entendre  raison  au  révérendissime  évêque  fu- 
rent inutiles  ,  Royer  déclara  qu'il  irait  officier  à 
Notre-Dame  le  15  novembre.  C'est  alors  que  les 
administrateurs,  pour  éviter  un  esclandre,  ordonnè- 
rent au  sacristain  «  de  rassembler  en  un  paquet  tous 
«  les   effets  appartenant   au  citoyen  Royer,  évêque 


328      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  de  l'Ain,  et  de  les  lui  porter  le  lendemain  avant  huit 
«  heures  du  matin  ».  Royer  ne  s'attendait  pas  à  ce 
coup  de  vigueur,  il  fut  exaspéré,  et  l'affaire  parut 
s'envenimer  encore  davantage.  Mais  comme  les  uns 
et  les  autres  étaient  animés  d'un  esprit  véritablement 
chrétien,  chacun  fit  un  retour  sur  soi-même  :  l'évêque 
regretta  sa  vivacité,  le  comité  convint  que  le  renvoi 
des  effets  était  peu  convenable,  et  dans  ces  condi- 
tions il  ne  fut  pas  difficile  d'amener  une  réconcilia- 
tion sincère.  Le  Presbytère,  cause  innocente  de  tout 
le  mal,  fit  une  démarche  auprès  du  citoyen  Royer 
pour  le  prier  de  venir  faire  à  Notre-Dame,  le  samedi 
19  décembre  1795,  l'ordination  des  quatre-temp§  ; 
l'entrevue  se  termina,  dit  le  procès-verbal,  «  d'une 
«  manière  singulièrement  amicale  et  touchante  »,  et 
la  paix  intérieure  fut  aussitôt  rétablie  pour  ne  plus 
être  troublée. 

Les  derniers  mois  de  l'année  1795  et  l'année  179(5 
tout  entière  se  passèrent  sans  incidents  remarqua- 
bles; le  comité  s'efforça  d'assurer  la  célébration  du 
culte  avec  toute  la  décence  voulue,  et  il  eut  la  satis- 
faction d'y  parvenir.  Il  défendit  absolument  de  venir 
chanter  au  lutrin,  comme  le  faisaient  gratuitement 
quelques  amateurs,  des  motets  ou  morceaux  de  fan- 
taisie qui  allongeaient  l'office  et  causaient  du  trou- 
ble ;  il  empêcha  l'abus  du  casuel  de  se  renouveler,  et  fit 
placer,  dans  la  chapelle  des  fonts  baptismaux  comme 
dans  la  sacristie,  des  troncs  pour  la  subsistance  des 
ecclésiastiques;  il  ordonna  enfin,  pour  empêcher 
«  des  gens  irréligieux  d'entrer  et  de  rester  couverts 
t<  dans  l'église  »,  que  l'on  afficherait  aux  deux  portes 
de  Notre-Dame  l'avis  suivant  : 


APPENDICE  329 

«  Consigne  pour'  les  gardiens  de  Véglise. 

«  Les  gardiens  avertiront  les  citoyens  qui  entre- 
«  raient  dans  cette  église  le  chapeau  sur  la  tête 
«  qu'ils  doivent  y  rester  découverts,  ou  sortir.  Ceux 
<'  qui  refuseraient  de  déférer  à  cet  avis  seront  con- 
'<  duits  devant  le  juge  de  paix.  » 

Quant  à  la  situation  financière,  elle  mérite  d'être 
'tudiée  avec  quelques  détails,  car  les  chiffres  ont 
aussi  leur  éloquence.  Les  dons  en  nature  ou  en  es- 
pèces que  l'on  faisait  à  l'assemblée  générale  ne  pou- 
vaient pas  suffire,  et  il  fallut  recourir  à  tous  le» 
moyens  possibles  de  se  procurer  de  l'argent;  on 
songea  d'abord  à  placer  des  troncs  dans  l'église,  puis 
on  fit  quêter  aux  portes  les  membres  du  comité,  mais 
^<ur  quinze  personnes  il  y  en  avait  à  peine  trois  qui 
donnaient,  et  l'on  dut  employer  un  moyen  qui  répu- 
-:  liait  fort  au  rigorisme  des  citoyens  Agier  et  Audran  : 
on  décida  que  les  quêtes  se  feraient  dans  les  rangs 
(les  fidèles,  au  milieu  des  offices,  «  en  prenant  toute- 
«  fois  les  précautions  nécessaires  pour  qu'elles  se  fis- 
sent dans  un  temps  très  court,  pour  que  les  fidèles 
ne  fussent  pas  troublés  dans  le  saint  exercice  de  la 
«  prière,  et  que  le  respect  dû  à  la  maison  de  Dieu  fût 
<•  invariablement  maintenu  ». 

Grâce  à  ces  expédients,  on  avait  en  caisse,  le 
l"^"-  janvier  1796,  une  somme  de  6519  livres,  la  dé- 
pense acquittée  se  trouva  être  de  3985  livres,  et  il 
resta  2534  livres;  cette  avance  permit  de  faire  un 
traitement  au  citoyen  Marchand,  vénérable  ecclésias- 
tique qui  aidait  les  cinq  autres,  et  d'augmenter  de 
25  livres  par  mois  les  honoraires  du  serpent.  On  put 


330      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

en  outre  acheter  deux  confessionnaux,  reconnus  in- 
dispensables pour  le  prochain  carême,  engagpr  deux 
nouveaux  chantres  *  à  raison  de  100  livres  par  mois, 
porter  de  50  à  73  livres  par  mois  les  émoluments  des 
gardiens,  et  fournir  gratuitement  la  cire  pour  les  sa- 
crements de  baptême  et  de  mariage  *,  ainsi  que  pour 
les  cérémonies  funèbres.  Enfin  l'abondance  des  fonds 
permit  de  faire  remplacer  au  corps  de  garde  le 
citoyen  Clausse,  qui  avait  le  dimanche  précédent 
chanté  la  grand'messe  et  prêché  deux  fois,  bien  qu'il 
eût  exercé  toute  la  nuit  ses  fonctions  de  garde  na- 
tional au  poste  de  sa  section.  Bientôt  même  on  porta 
le  traitement  des  ecclésiastiques  à  800  livres  par 
mois,  c'est-à-dire  à  14  francs  environ,  car  les  assi- 
gnats étaient  alors  au  cinquante-huitième  de  leur 
valeur;  et  l'on  acheta  un  ciboire  moyennant  1400  li- 
vres, ou  24  francs.  Au  13  mai  1796,  le  comité  possé- 
dait 61  767  livres,  environ  1063  francs,  et  son  passif 
ne  dépassait  pas  38  190  livres  ;  la  situation  continuait 
donc  à  être  bonne.  Aussi  le  comité  put-il  se  préoc- 
cuper de  différentes  questions  d'un  ordre  plus  relevé, 
s'opposer  à  la  trop  grande  fréquence  des  saints, 
défendre  le  payement  des  messes,  et  empêcher  qu'on 
ne  dit  des  messes  basses  pendant  la  messe  parois- 
siale; l'esprit  de  réforme  qui  avait  inspiré  la  consti- 
tution civile  du  clergé  se  maintenait  dans  toute  sa 


1.  On  versait  à  hoire  aux  chantres  dans  la  sacristie  même 
pour  les  empêcher  d'aller  s'enivrer  au  dehors;  le  comité  trouva 
qu'ils  en  abusaient  et  refusa  tout  crédit  pour  cet  objet. 

2.  On  mariait  donc  à  Notre-Dame  en  février  1796,  et  José- 
phine de  Beauharnais,  si  elle  s'en  était  souciée,  aurait  pu  ne 
pas  attendre  la  veille  du  sacre  pour  faire  bénir  son  union  avec 
le  général  Bonaparte. 


APPENDICE  331 

rigidité  primitive,  et  les  chrétiens  du  iv®  siècle  n'au- 
raient pas  désavoué  leurs  pieux  descendants. 

L'année  1797  fut  aussi  calme  que  la  précédente; 
aussi  ne  mentionnerons-nous,  pour  éviter  la  satiété, 
que  les  incidents  les  plus  remarquables.  La  pénurie 
d'argent  commença  par  être  très  grande  à  cause  de 
la  dépréciation  toujours  croissante  des  assignats;  on 
ne  trouvait  dans  les  troncs  que  12  ou  lo  sous,  et 
encore  ils  étaient  mauvais  pour  la  plupart!  Il  fallut 
donc  se  résigner  à  louer  les  chaises  de  Notre-Dame  à 
raison  d'un  sou  par  chaise,  et  seulement  aux  messes 
basses.  On  put  ainsi  équilibrer  le  budget  pour  quel- 
ques mois,  et  le  comité  fut  en  mesure  de  faire  d'assez 
grosses  dépenses  *.  Il  voulait  même  débarrasser  les 
bas-côtés  du  chœur  pour  les  processions,  mais  il  ne 
donna  pas  de  suite  à  ce  projet,  parce  que  «  le  dépla- 
«  cément  des  décombres  ne  laisserait  pas  moins  en 
«  évidence  les  affreuses  déprédations  qui  rendent 
«  méconnaissable  et  horrible  à  voir  cette  partie  de 
«  l'église  ». 

Au  mois  d'août,  la  vieille  cathédrale  fut  mise  par 
le  Presbytère  à  la  disposition  des  évêques  de  France 
réunis  en  concile,  et  le  comité  décréta  que  les  quêtes 
de  vêpres  seraient  toutes  consacrées  à  venir  en  aide 
aux  membres  de  ce  concile;  quelques-uns  d'entre 
eux  n'avaient  pu  se  mettre  en  route  qu'après  avoir 

1.  Il  y  eut  un  surcroît  de  dépense  pour  le  balayage  de  l'église 
à  la  suite  d'une  inconcevable  cérémonie  ;  il  sagissait  de  re- 
nouveler, le  21  janvier  1797,  le  serment  de  haine  à  la  royauté 
que  tout  bon  républicain  devait  prêter.  Il  ne  faut  pas  oublier 
que  les  églises  n'étaient  pas  la  propriété  exclusixe  des  fidèles; 
l'autorité  y  convoquait  les  citoyens  toutes  les  fois  qu'elle  le  ju- 
geait nécessaire.  L'église  Notre-Dame  avait  sans  doute  été  ré- 
quisitionnée ce  jour-là. 


332      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

vendu  leurs  draps  de  lit!  En  septembre  on  fit  une 
descente  dans  les  caves  de  l'église  pour  y  chercher 
des  reliques  enterrées  par  le  citoyen  Ymer  à  l'époque 
du  «  vandalisme  »,  et  le  procès-verbal  de  cette  exhu- 
mation fut  soigneusement  dressé;  il  est  dans  les  ar- 
chives de  Grégoire.  Enfin,  le  29  octobre,  on  chanta 
un  Te  Deum  solennel  «  en  »  action  de  grâces  de  la 
conclusion  de  la  paix  avec  «  l'Empereur  ».  L'affluence 
des  fidèles  était  considérable;  depuis  longtemps  le 
chœur  ne  suffisait  plus,  bien  qu'il  pût  contenir  500 
personnes;  il  fallait  le  réserver  exclusivement  au 
clergé  et  aux  hommes,  en  laissant  aux  femmes  le 
transept  et  la  nef.  Les  comptes  du  trésorier  furent 
vérifiés  le  31  août;  il  avait  reçu  depuis  le  l"  mai  de 
l'année  précédente  39  672  livres  en  assignats,  900  li- 
vres en  mandats,  5013  livres  1  sol  3  deniers  en  nu- 
méraire. Les  dépenses  s'étaient  élevées  à  la  totalité 
des  assignats  et  des  mandats,  et  en  outre  à  4815  livres 
13  sous  en  numéraire  ;  il  restait  donc  environ  200 
francs  au  comité.  C'était  un  fort  beau  résultat,  et 
l'on  commençait  à  prendre  confiance;  mais  l'année 
1798  ne  devait  pas  s'écouler  d'une  manière  aussi 
tranquille. 

Les  difficultés  commencèrent  à  surgir  dès  le  mois 
de  janvier  :  le  commissaire  de  police  exigea  que  les 
clefs  de  Notre-Dame  lui  fussent  toutes  remises,  les 
jours  de  semaine  à  deux  heures  de  l'après-midi,  les 
dimanches  et  fêtes  à  six  heures  du  soir.  C'est  qu'en, 
effet  le  Directoire,  beaucoup  plus  hostile  au  catholi- 
cisme que  la  Convention  elle-même,  ne  négligeait 
rien  pour  entraver  l'exercice  du  culte.  Après  avoir 
décrété  la  translation  du  dimanche  au  décadi,  dont 
les  chevaux  même  et  les  autres  bêtes  de  somme  ne 


APPENDICE  333 

voulaient  pas  ',  Rœderer,  La  Révcillère-Lépeaux  et 
leurs  amis  imaginèrent  d'introduire  à  Notre-Dame  la 
secte  bizarre  des  théophilanthropes.  Un  théophilan- 
thrope se  présenta  donc  le  :26  février  1798  pour  savoir 
quand  ses  coreligionnaires  pourraient  venir  «  s'en- 
<<  tendre  avec  les  administrateurs  du  culte  catholique 
'  de  l'église  Notre-Dame  relativement  aux  arrange- 
u  ments  à  prendre  concernant  l'exercice  de  chaque 
«  culte  en  particulier,  et  aussi  concernant  différents 
«  points  de  localité  ».  On  lui  donna  rendez-vous  au 
5  mars,  et  ce  jour-là  en  eftet  cinq  délégués  de  la 
Société  théophilanthropique  se  présentèrent,  le  prêtre 
apostat  Chassant,  l'un  d'entre  eux,  portant  la  parole. 
Ce  dernier  exhiba  ses  papiers,  qui  étaient  parfaite- 
ment en  règle,  et  témoigna  l'intention  «  de  faire  l'exer- 
«  cice  de  son  culte  dans  ledit  édifice  concurremment 
«  avec  les  citoyens  qui  exerçaient  le  culte  catholique, 
j<  et  aux  heures  qui  lui  étaient  assignées  par  l'arrêté 
«  de  l'administration  centrale  du  département  de  la 
«  Seine  en  date  du  20  pluviôse  an  YI  (8  février  1798)  ». 
Il  avait  l'intention  de  prendre  le  chœur  de  l'église,  et 
il  demandait  à  se  servir  pour  l'exercice  de  son  culte 
de  lautel  des  catholiques,  «  si  toutefois  l'assemblée 
«  n'y  trouvait  point  de  répugnance  »  ;  dans  le  cas 
contraire,  l'intention  de  la  Société  était  d'en  faire 
construire  un  derrière  celui  qui  existait,  et  les  admi- 
nistrateurs catholiques  seraient  tenus  de  faire  enlever 
le  leur  chaque  fois  que  la  Société  théophilanthro- 
pique viendrait  exercer  son  culte  dans  le  «  Temple 
de  la  Raison  ». 
Le  comité  catholique  se  trouvait  dans  un  cruel  em- 

i.  Grégoire,  Mém.,  II,  85. 

19. 


334      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

barras;  il  ne  pouvait  refuser  sans  voir  aussitôt  la  per- 
sécution renaître,  mais  il  ne  pouvait  pas  davantage 
partager  la  possession  de  l'église  avec  une  secte 
antichrétienne.  On  voit  tous  les  jours  des  catholiques 
■et  des  protestants  officier  à  tour  de  rôle  dans  le  même 
édifice,  mais  je  ne  sache  pas  qu'une  pareille  entente 
soit  jamais  possible  entre  chrétiens  et  juifs  ou  mu- 
sulmans. Le  comité  prit  donc  une  résolution  digne  à 
la  fois  de  sa  prudence  et  de  son  dévouement  aux  prin- 
•cipes  :  il  abandonna  aux  théophilanthropes  le  chœur 
•et  la  nef,  et  se  réserva  exclusivement  le  croisillon 
nord,  qui  peut  contenir  600  ou  800  personnes  ;  il  se  fit 
pour  ainsi  dire  une  église  à  part  dans  la  vaste  basi- 
lique. L'autel  fut  adossé  à  la  grande  porte  latérale, 
que  cachaient  des  tapisseries;  on  plaça  des  deux 
côtés  les  six  anges  de  bronze  qui  décorent  aujour- 
d'hui le  sanctuaire;  l'orgue  fut  abandonné,  parce  que 
les  théophilanthropes  s'en  servaient  pour  leurs  of- 
fices; enfin  les  deux  gardiens  Ymer  et  Labail  furent 
sommés  d'opter  pour  l'une  ou  pour  l'autre  des  deux 
sociétés  :  leur  choix  fut  bientôt  fait,  et  on  les  conserva. 
Au  reste,  les  théophilanthropes  ne  furent  pas  long- 
temps un  embarras  pour  le  comité.  Malgré  la  protec- 
tion du  gouvernement,  ils  ne  purent  faire  de  prosé- 
lytes, et  l'année  1798  n'était  pas  écoulée  qu'ils  avaient 
•dû  se  retirer  et  laisser  le  champ  libre  aux  catho- 
liques. Le  procès-verbal  ne  s'étend  guère,  comme  on 
le  pense  bien,  sur  les  faits  et  gestes  des  théophilan- 
thropes, mais  leur  présence  à  Notre-Dame  est  signalée 
pour  la  dernière  fois  le  28  mai  1798  *;  le  15  octobre 


1.  Depuis  le  18  brumaire  an  VIII  (9  octobre  1799)  ils  se  res- 
treignirent même  aux  quatre  temples  de  la  Reconnaissance, 


APPENDICE  335 

il  était  question  dans  le  comité  de  construire  un 
autel  au  milieu  de  la  nef,  et  le  19  novembre  un  pro- 
posait d'acheter  des  bancs  pour  les  placer  dans  le 
chœur  et  dans  la  nef.  Il  n'y  avait  plus  de  concurrence 
que  de  la  part  des  municipalités;  elles  s'emparaient 
de  l'église  tous  les  décadis  pour  les  assemblées  pri- 
maires et  pour  les  mariages  civils,  en  exigeant  que 
tous  les  signes  extérieurs  du  culte  fussent  enlevés  ou 
voilés  CCS  jours-là. 

Ces  déplacements  continuels  étaient  fort  coûteux; 
cependant,  à  force  de  sagesse  et  d'économie,  le  comité 
fit  face  à  toutes  les  dépenses.  Il  avait  reçu  du  15  fruc- 
tidor an  V  au  15  fructidor  an  YI  (1"  septembre  1797- 
1"  septembre  1798)  la  somme  de  6356  livres,  proba- 
blement en  numéraire,  et  dépensé  5928  livres;  il  lui 
fut  donc  possible  d'installer  avec  une  certaine  solen- 
nité le  citoyen  Royer,  qui  venait  d'être  élu  évêque 
métropolitain  de  Paris  *.  On  construisit  une  estrade 
pour  le  jour  de  son  intronisation  (15  août  1798),  on 
lui  réserva  une  chapelle  et  un  confessionnal,  on  lui 
acheta  une  belle  armoire  pour  serrer  ses  effets  ;  enfin, 
après  s'être  concerté  avec  les  administrateurs  des 
autres  paroisses  de  la  capitale,  on  prit  l'engage- 
ment de  lui  assurer  tous  les  mois  un  minimum  de 
oO  francs,  «  l'administration  se  réservant  la  douce 
«  satisfaction  d'augmenter  ce  traitement,  s'il  était 
«  possible  ». 


de  l'Hymen,  de  la  Victoire  et  de  la  Jeunesse  (Saint-Germain- 
l'Auxerrois,  Saint-Nicolas-des-Champs,  Saint-Sulpice  et  Saint- 
Gervais).  —  Grégoire,  Hist.  des  Sectes,  t.  I,  p.  432. 

i.  Il  fut  élu  par  2339  voix  sur  2393  votants.  Le  détail  de 
toutes  ces  affaires  est  consigné  dans  un  autre  registre  ms.  d'une 
grande  importance,  le  Registre  des  délibérations  du  Presbytère 
<de  Paris. 


336     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Depuis  ce  moment  jusqu'en  1801  la  Société  catho- 
lique fut  tantôt  au-dessus  et  tantôt  au-dessous  de  ses 
affaires;  il  fallut,  à  de  certains  moments,  réduire  de- 
moitié  les  dividendes  répartis  chaque  mois  entre  les 
desservants  et  les  employés  de  Notre-Dame  ;  quelques 
semaines  plus  tard  on  se  retrouvait  dans  l'abon- 
dance et  l'on  comblait  aussitôt  le  déficit.  Ainsi  le 
28  germinal  an  VII  (17  avril  1799)  le  comité  avait  en 
caisse  1149  fr.  72  c.  et  demi,  car  on  ne  comptait  plus 
par  livres,  sous  ni  deniers,  et  la  dépense  s'était  élevée 
seulement  à  359  fr.  25  c.  C'était  une  réserve  de  799  fr. 
47  c.  et  demi;  elle  permit  de  solder  l'arriéré,  d'offrir 
au  révérendissime  évoque  une  indemnité  supplémen- 
taire, parce  que  les  paroisses  de  Saint-Étienne-du- 
Mont  et  de  Sainte-Marguerite  ne  le  payaient  point,  de 
faire  célébrer  un  service  funèbre  en  l'honneur  du 
général  Joubert,  de  réparer  la  toiture  de  Notre-Dame 
et  de  faire  mettre  des  vitres  aux  fenêtres,  enfin  de 
remplacer  la  porte  de  sacristie,  où  les  vases  sacrés, 
qui  étaient  en  cuivre  doré,  venaient  d'être  volés  *. 
Au  commencement  de  1800,  au  contraire,  le  comité 
remarquait  avec  chagrin  «  un  certain  refroidissement 
«  dans  la  générosité  d'un  certain  nombre  de  fidèles  », 
il  se  plaignait  que  les  recettes  «  s'affaiblissaient  de 
«jour  en  jour  ».  Il  dut  en  conséquence  diminuer  le 
traitement  de  tous  les  fonctionnaires  ecclésiastiques, 
dont  le  désintéressement  ne  se  démentit  point,  et 
réduire  les  émoluments  des  quatre  chantres,  qui  ré- 
clamèrent bien  haut  et  finirent  cependant  par  se  sou- 

1.  28  brumaire  an  VII.  L'évêque  Royer,  pénétré  de  douleur, 
vint  apporter  au  comité,  de  la  part  d'un  lidèle  anonyme,  une- 
cuiller  à  ragoût  ea  argent  qui  fut  vendue  36  francs  et  con- 
tribua à  l'achat  de  nouveaux  ciboires. 


APPENDICE  33T 

mettre.  II  se  produisit  pour  la  première  fois  depuis 
1795  un  déficit  sérieux.  Pour  le  combler,  on  chargea 
la  citoyenne  Batouflet  de  quêter  aux  messes  basses; 
elle  y  consentit,  mais  elle  exigea  le  cinquième,  puis 
la  moitié  des  sommes  ainsi  recueillies,  et  il  fallut  en 
passer  par  ses  exigences. 

Ces  alternatives  de  richesse  relative  et  de  quasi- 
mendicité  nous  conduisent  sans  incident  remarquable 
jusqu'au  milieu  de  l'année  1801,  qui  amène  un  sur- 
croît de  prospérité;  les  recettes  se  montent  alors  au 
chiffre  de  1100,  de  1400.  de  1500  francs  par  mois,  et 
l'on  voit  par  là  combien  l'état  des  esprits  facilita  la 
paix  religieuse,  qui  s'imposa  dès  lors  à  Bonaparte. 
Tout  semblait  annoncer  une  pacification  prochaine 
et  une  réconciliation  avec  Rome,  que  le  comité  ca- 
tholique souhaitait  avec  ardeur.  Ainsi  le  28  thermi- 
dor an  IX*  (16  août  1801),  l'évèque  Royer  répondit  à 
l'un  des  membres  qui  demandait  le  renvoi  d'un  chan- 
tre ivrogne  «  que,  comme  tout  annonçait  un  nouvef 
ordre  de  choses,  il  convenait  d'attendre  cette  épo- 
que, qui  n'était  pas  éloignée  ».  Un  peu  plus  tard, 
le  28  vendémiaire  an  X  (20  octobre  1801),  l'évêque 
annonça  des  exercices  spirituels  «  pour  demander  les 
«  bénédictions  du  ciel  sur  le  gouvernement  qui  tra- 
«  vaillait  avec  tant  de  succès  à  l'extinction  des  divi- 
«  sions  religieuses  »,  et  il  entra  dans  quelques  détails 
«  sur  la  situation  actuelle  des  choses  à  cet  égard,  et 
«  sur  sa  visite  à  S.  Ém.  Mgr  le  cardinal-légat  ».  Enfin, 


1,  Le  second  concile  national  que  les  Constitutionnels  avaient 
réuni  à  N.-D.  se  sépara  le  lendemain,  par  ordre  de  la  police- 
et  «  parce  que  la  prompte  séparatioa  de  l'assemblée  lui  parais- 
sait l'un  des  moyens  les  plus  propres  à  assurer  la  paciflcatioa 
de  l'Église  de  France  «. 


338      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

le  22  germinal  an  X  (12  avril  1802),  le  comité  reçut 
avis  du  gouvernement,  «  attendu  l'établissement  du 
«  nouvel  ordre  de  choses  en  exécution  du  Concordat 
«  passé  entre  le  Premier  Consul  et  Sa  Sainteté  »,  que 
l'église  Notre-Dame  serait  fermée  toute  la  semaine 
sainte  «  pour  les  préparatifs  nécessaires  à  la  céré- 
•«  monie  qui  doit  avoir  lieu  le  jour  de  Pâques  en  cette 
■«  église,  où  le  gouvernement  doit  assister  ». 

En  attendant,  ce  nouvel  ordre  de  choses  réduisait 
la  Société  catholique  à  l'indigence,  et  ses  membres 
■durent  écrire  à  Portails  pour  savoir  ce  qu'ils  devien- 
draient. Dans  l'intervalle,  le  président  du  comité  eut 
une  entrevue  «  avec  le  citoyen  Bernier,  évêque  d'Or- 
«  léans,  administrateur  provisoire  du  diocèse  pour 
«  son  organisation  ».  11  fut  convenu  avec  lui  que  l'on 
dresserait  une  liste  des  ecclésiastiques  de  Notre- 
Dame,  «  pour  qu'ils  fussent  employés  dans  le  saint 
«  ministère  ».  Ensuite  les  délégués  du  comité  firent 
visite  à  M.  du  Belloy,  leur  nouvel  archevêque;  ils 
furent  reçus,  dit  le  procès-verbal,  «  d'une  manière 
«  distinguée  »,  et  le  prélat  les  pria  «  de  vouloir  bien 
«  continuer  leurs  fonctions,  son  église  ayant  besoin 
«  de  personnes  zélées  et  dont  le  dévouement  lui 
<(  serait  utile  dans  les  circonstances  présentes  ».  Le 
nouveau  curé  de  Notre-Dame,  le  citoyen  Delaroue, 
accueillit  également  bien  le  comité;  mais  toutes  ces 
politesses  étaient  peu  sincères.  On  travaillait  en-des- 
sous main,  on  excitait  sourdement  le  gardien  Labail 
«t  les  autres  subalternes  à  se  révolter  contre  le  comité, 
on  refusait  à  ce  dernier  la  quête  fructueuse  du  jour 
de  Pâques,  et  enfin  l'archevêque  écrivait  une  lettre 
ambiguë  qui  semblait  intimer  à  la  Société  catholique 
l'ordre  de  se  dissoudre.  Le  comité  se  plaignit  à  Por- 


APPENDICE  339 

talis,  qui  fut  très  étonné  et  qui  donna  tort  à  Tarche- 
vêque.  Les  tracasseries  n'en  continuèrent  pas  moins, 
et  toujours  avec  le  même  manque  de  franchise.  Le 
chapitre  métropohtain  prit  le  chœur  pour  lui  et 
relégua  «  la  paroisse  »  dans  la  chapelle  de  la  Vierge, 
qui  était  presque  complètement  obstruée  par  des 
planches.  Le  comité  s'entendit  pourtant  avec  le  curé; 
on  le  pria  de  désigner  les  ecclésiastiques  qu'il  choi- 
sissait pour  ses  coopérateurs,  et  on  leur  assura  séance 
tenante  un  traitement  en  rapport  avec  les  ressources 
de  la  caisse  et  avec  le  service  qu'ils  auraient  à  faire. 
La  bonne  volonté  des  administrateurs  était  même  si 
grande  qu'ils  payèrent  le  28  messidor  (17  juillet)  une 
somme  de  608  fr.  25  c.  aux  nouveaux  fonctionnaires, 
et  473  fr.  65  c.  le  28  fructidor  (15  septembre).  Et 
pourtant  les  difficultés  croissaient  de  jour  en  jour;  le 
vénérable  du  Belloy,  avec  ses  quatre-vingt-treize  ans, 
n'était  pas  homme  à  pouvoir  agir  directement,  et  le 
chapitre  empiétait  constamment  sur  les  droits  de  la 
paroisse.  On  adressa  donc  de  nouvelles  plaintes  à 
Portails,  qui  promit  de  publier  un  règlement  précis 
pour  faire  cesser  toutes  les  contestations,  et  qui  le 
publia  en  effet  le  9  floréal  an  XI  (29  avril  1803),  mais 
tout  à  l'avantage  des  évêques. 

Qu'arriva-t-il  ensuite  ?  que  devint  cette  petite  so- 
ciété si  digne  d'estime  et  d'admiration? Nos  procès- 
verbaux  ne  le  disent  point.  Le  112^  et  dernier 
folio  de  leur  deuxième  registre  annonce  une  pro- 
chaine séance  pour  le  15  vendémiaire  an  XII  (8  oc- 
tobre 1803) ,  mais  il  est  à  croire  que  cette  séance 
n'eut  pas  lieu,  et  que  les  administrateurs  laïcs  de 
Notre-Dame  furent  congédiés  comme  des  laquais 
devenus  inutiles  :  ce  fut  la  récompense  de  leur  abné- 


340      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

gation  et  de  leur  absolu  dévouement  à  la  cause  du 
catholicisme  français,  qu'ils  venaient  de  faire  triom- 
pher après  sept  années  de  luttes  incessantes. 

Telle  est  l'histoire  abrégée  d'une  association  reli- 
gieuse comme  il  y  en  eut  beaucoup  en  France  à  partir 
de  1795.  Ce  que  la  Société  des  cent  quatre-vingt-huit  fit 
alors  à  Notre-Dame,  une  infinité  de  sociétés  analogues 
le  firent  bientôt  dans  les  différentes  paroisses  de  Paris 
et  en  province.  Sans  rien  demander  à  un  gouverne- 
ment que  l'on  savait  animé  des  plus  mauvaises  dis- 
positions, les  catholiques  rétablirent  le  culte  dans 
plus  de  30000  églises;  et  l'art  français  leur  doit  la 
conservation  de  plusieurs  chefs-d'œuvre.  Ils  rece- 
vaient les  monuments  à  la  condition  expresse  de  les 
réparer  et  de  les  entretenir  à  leurs  frais  ;  ils  ne  fail- 
lirent pas  à  ce  devoir,  ils  s'imposèrent  de  grands 
sacrifices  et  empêchèrent  ainsi  nos  plus  belles  cathé- 
drales de  tomber  en  ruines.  Le  dévouement  de  ces 
nobles  cœurs  a  été  jusqu'à  ce  jour  ignoré  de  la  posté- 
rité, mais  il  est  temps  que  justice  soit  rendue  a 
chacun;  laissons  au  Premier  Consul  la  gloire  d'avoir 
réconcilié  Rome  et  la  France  sans  sacrifier  les  libertés 
gallicanes,  mais  reconnaissons  en  même  temps  que, 
sans  le  Premier  Consul  et  sans  la  cour  de  Rome,  les 
catholiques  français  avaient  su  reconstituer  sur  des 
bases  solides  une  Église  parfaitement  orthodoxe;  ils 
avaient  résolu  ce  difficile  problème  de  l'Église  libre 
dans  l'État  libre. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES 


DISCOURS    DE    GREGOIRE    A    LA    CONVENTION 

SUR  LA  LIBERTÉ   DES   CULTES 

(l"  nivôse    an    II,  —  21    décembre    1794)  • 

PRÉFACE 

Le  discours  suivant,  dont  on  a  vu  des  extraits  dans. 
les  journaux,  n'a  pas  été  totalement  prononcé  à  la 
Convention  nationale;  couvert  d'abord  d'applaudis- 
sements vifs  et  multipliés,  il  fut  ensuite  interrompu 
par  quelques  individus,  qui  croient  que  hurler  cest 
rahonner.  Sans  doute  il  eût  été  plus  simple  d'attaquer 
mes  principes,  de  les  réfuter;  et  c'est  ce  qu'ils  se  gar- 
deront bien  de  faire. 

Il  est  cependant  une  manière  de  réfutation  qui  est. 
dans  leur  genre,  et  dont  j'étais  tenté  de  faire  usage 
contre  moi-même  :  j'aurais  répété  avec  emphase  ces- 
mots,  hochets  du  fanatisme,  tj'éteaux  de  la  superstition, 

1.  La  première  édition  ne  mentionnait  pas  le  nom  du  li- 
braire Maradan,  rue  du  Cimetière-André-des-Arcs,  n"  9;  on 
trouve  celte  mention  dans  les  éditions  suivantes  auxquelles 
Grégoire  donna  pour  épigraphe  celte  phrase  de  Voltaire  r 
«  Ne  cherchez  point  à  gêner  les  cœurs,  et  tous  les  cœurs  seront 
à  vous.  »  —  Traité  de  la  Tolérance. 


342      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

mythologie  chrétienne^  charlatanisme  sacerdotal,  etc., 
etc.,  en  y  joignant  quelques  objections  cent  fois  dé- 
truites, quelques  plaisanteries  usées,  des  sarcasmes 
et  des  calomnies  contre  l'auteur  :  la  brochure  était 
faite  ;  j'ai  cru  qu'il  fallait  en  laisser  à  d'autres  le  plaisir 
-et  la  gloire. 

La  tolérance  a  eu  pour  avocats  tous  les  philosophes  ; 
on  a  passé  à  l'ordre  du  jour  sur  la  réclamation  de  tous 
les  philosophes  ;  on  n'a  pas  même  toléré  la  discussion  ; 
et  comment  aurait-on  la  liberté  des  cultes,  si  dans  une 
assemblée  politique,  où  l'on  trouve  encore  des  meneurs 
et  des  menés,  on  n'a  pas  même  la  liberté  d'opinion? 

Mais,  dit-on,  la  motion  était  prématurée.  C'est  dire 
en  d'autres  termes  que  le  cri  des  persécutés  est  pré- 
maturé et  que  Và-propo&  ne  viendra  que  lorsque  les 
persécuteurs  s'ennuieront  de  torturer;  c'est  dire  que 
la  justice  et  la  vérité  ne  sont  pas  toujours  de  saison. 

Mais  pourquoi  parler  du  catholicisme?  1°  Parce  que 
malgré  l'évidence  des  principes  et  des  faits,  quelques 
hommes  répètent  sur  parole  que  ce  culte  est  incom- 
patible avec  l'état  républicain  :  il  était  donc  du  devoir 
d'un  législateur  de  discuter  cette  objection;  2»  parce 
•que  dans  cette  persécution  dirigée  contre  tous  les  cultes, 
les  catholiques,  et  surtout  une  foule  de  prêtres,  vrais 
républicains,  sont  l'objet  spécial  de  la  fureur,  et  vous 
ne  voulez  pas  qu'on  le  dise  !  Je  le  publierai  sur  les 
toits,  je  voudrais  pouvoir  l'afficher  à  toutes  les  portes. 

Pendant  de  longues  années,  je  fus  calomnié  pour 
avoir  défendu  les  mulâtres  et  les  nègres,  pour  avoir  ré- 
damé la  tolérance  en  faveur  des  juifs,  des  protestants, 
4es  anabaptistes.  J'ai  juré  de  poursuivre  tous  les  op- 
presseurs, tous  les  intolérants;  or,  je  ne  connais  pas 
•d'êtres  plus  intolérants  que  ceux  qui,   après   avoir 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  343 

applaudi  aux  déclarations  d'athéisme  faites  à  la  tri- 
bune de  la  Cîonvention  nationale,  ne  pardonnent  pas 
à  un  homme  d'avoir  les  mêmes  principes  religieux 
que  Pascal  et  Fénelon. 

Il  est  vrai,  dans  tous  les  temps,  ce  portrait  fait  par 
Jean-Jacques,  Emile,  tome  III,  page  197,  édition  in-S", 
à  la  Haye,  1772  : 

«  Fuyez,  dit-il,  ceux  qui  sèment  dans  les  cœurs  de 
«  désolantes  doctrines,  et  dont  le  scepticisme  appa- 
«  rent  est  cent  fois  plus  affirmatif  et  plus  dogmatique 
«  que  le  ton  décidé  de  leurs  adversaires.  Sous  le  hau- 
«  tain  prétexte  qu'eux  seuls  sont  éclairés,  vrais  et  de 
«  bonne  foi,  ils  nous  soumettent  impérieusement  à 

«  leurs  décisions  tranchantes du  reste,  renver- 

«  sant,  détruisant,  foulant  aux  pieds  tout  ce  que  les 
«  hommes  respectent,  ils  ùtent  aux  affligés  la  dernière 
«.  consolation  de  leur  misère,  aux  puissants  et  aux 
«  riches  le  seul  frein  de  leurs  passions;  ils  arrachent 
«  du  fond  des  cœurs  le  remords  du  crime,  l'espoir  de 
«  la  vertu,  et  se  vantent  encore  d'être  les  bienfaiteurs 
«  du  genre  humain.  » 

Discours. 

Yous  avez  fondé  la  république,  il  vous  reste  une 
grande  tâche  à  remplir,  celle  d'en  consolider  l'exis- 
tence. Nous  avons  juré  de  ne  poser  les  armes  qu'en 
dictant  à  nos  ennemis  les  conditions  d'une  paix  glo- 
rieuse ;  un  moyen  infaillible,  mais  indispensable,  pour 
obtenir  cette  paix  au  dehors,  c'est  de  commencer  par 
l'établir  au  dedans;  pour  l'établir  dans  l'intérieur, 
nous  devons  imiter  le  navigateur  qui,  après  avoir  été 
battu  de  la  tempête,  modifle  ses  manœuvres  à  mesure 
que  la  houle  diminue  et  que  les  lames  s'affaissent; 


344      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

car  nous  aussi,  nous  sortons  de  la  tempête;  nous 
devons  donc  mettre  graduellement  en  activité  les  lois 
qui  assurent  au  peuple  les  bienfaits  de  la  liberté; 
cicatriser  les  plaies  dont  la  Révolution  a  été  l'occasion 
plutôt  que  la  cause,  ranimer  toutes  les  affections 
douces  et  pures  qui  resserrent  le  lien  social,  citoyens, 
rapprocher  les  cœurs  de  tous  les  membres  de  la  grande 
famille,  c'est  gagner  une  bataille. 

J'ai  conçu  quelques  idées  que  je  crois  utiles  au  bon- 
heur de  ma  patrie;  les  taire,  ce  serait  trahir  ma  mis- 
sion. Dans  leur  développement,  j'examinerai,  comme 
législateur,  les  causes  et  les  remèdes  des  troubles  reli- 
gieux qui  ont  agité,  qui  agitent  encore  la  France;  je 
voudrais  détruire  tous  les  germes  de  division  et  em- 
pêcher de  nouveaux  déchirements. 

Si,  d'après  cette  annonce,  quelqu'un  voulait  étouffer 
ma  voix,  je  croirais  qu'il  redoute  la  vérité;  s'il  préten- 
dait me  combattre  par  des  divagations,  des  déclama- 
tions, au  moyen  desquelles  on  obtient  des  applaudis- 
sements nombreux  et  faciles,  il  m'aurait  donné  la 
mesure  de  sa  raison;  s'il  exhalait  ces  injures  rebat- 
tues et  dont,  à  l'avance,  j'ai  dressé  la  liste,  je  lui  en 
céderais  tout  l'avantage;  je  lui  dirais  :  examine,  non 
qui  je  suis,  mais  ce  que  je  dis;  je  ne  me  laisse  pas 
subjuguer  par  des  opinions  de  mode;  je  cherche,  non 
à  plaire,  mais  à  être  utile;  discute  les  faits  que  j'al- 
lègue, les  principes  que  je  pose;  mais,  si  tu  refuses 
de  m'entendre,  tu  es  l'oppresseur  de  ma  pensée;  et, 
si  tu  ne  m'entends  jusqu'à  la  conclusion,  tu  ne  m'auras 
pas  suffisamment  compris. 

Le  tribunal  de  cassation  de  la  postérité  s'avance,  il 
jugera,  non  seulement  la  forme,  mais  encore  le  fond; 
le  temps  entraînera  la  fange  des  passions  humaines 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  345 

et  des  systèmes  faux;  mais  la  république  doit  rester 
debout.  Nous  tendons  au  même  résultat,  l'affermisse- 
ment de  la  liberté;  partons  du  même  point,  et,  si 
dans  la  course  nous  suivons  quelquefois  des  sentiers 
différents,  embrassons-nous  en  arrivant  au  même  but. 
Le  dogme  de  l'égalité  politique  repousse  toutes  les 
distinctions;  il  n'est  qu'une  caste,  celle  des  citoyens; 
et  la  seule  chose  qu'on  puisse  exiger  d'un  membre  du 
corps  social,  c'est  qu'en  tout  et  partout  il  remplisse 
les  devoirs  d'un  bon  citoyen;  en  cela  consiste  toute 
l'action  des  lois  à  son  égard;  dans  ce  peu  de  mots, 
nous  traçons  le  cercle  qu'elles  peuvent  parcourir  et  la 
limite  qu'elles  ne  peuvent  franchir.  Un  gouvernement 
qui  se  conduirait  par  d'autres  principes  ne  serait 
jamais  que  le  régime  de  la  tyrannie. 

Il  serait  possible  cependant  que  les  abus  anti-so- 
ciaux, qui.  avant  l'établissement  de  la  liberté,  auraient 
dégradé  quelques  professions,  eussent  laissé  leur 
levain  dans  l'âme  d'une  partie  des  individus  voués 
à  ces  professions.  Cette  réflexion  qui,  du  plus  au 
moins,  s'applique  à  l'homme  de  loi,  de  finance  et 
d'église,  nécessite,  sans  doute,  un  examen  plus  sévère, 
pour  s'assurer  de  son  patriotisme;  mais,  en  dernière 
analyse,  il  faut  toujours  en  revenir  à  cette  maxime; 
quel  que  soit  un  individu,  frappe-le,  s'il  est  mauvais  ; 
protège-le,  s'il  est  bon  :  le  principe  reste  dans  toute 
sa  force,  et  les  principes  seuls  peuvent  nous  sauver. 
Ainsi  crier  sans  cesse  contre  des  castes  qui  n'exis- 
tent plus,  c'est  les  recréer  par  le  fait. 

Harceler  sans  cesse  des  hommes  qu'il  est  toujours 
permis  d'incriminer,  sans  qu'ils  puissent  jamais  ré- 
pondre, c'est  une  lâcheté. 

Envelopper  dans  une  qualification  commune  une 


346     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

classe  entière  d'individus,  dont  les  uns  ont  été  des 
pervers,  et  les  autres  des  citoyens  estimables,  c'est  une 
injustice. 

Déclamer  sans  cesse  contre  des  hommes  dont,  par  là 
même,  on  ulcère  le  cœur  au  lieu  de  les  rattacher  à  la 
république  par  l'égalité  des  droits  et  le  bienfait  des 
lois,  c'est  une  erreur  ou  un  crime  politique. 

Persécuter  quelqu'un,  uniquement  parce  qu'il  est 
financier,  ci-devant  noble,  avocat,  procureur  ou  prê- 
tre, cette  conduite  est  digne  d'un  roi. 

Mais   les  opinions   religieuses Une   opinion 

quelconque  est  le  résultat  des  opérations  de  l'esprit; 
ces  opérations  ne  peuvent  être  modifiées  que  par  le 
raisonnement  ;  une  opinion  cède  à  l'éclat  de  la  lumière, 
jamais  à  la  violence  ;  vouloir  commander  à  la  pensée, 
c'est  une  entreprise  chimérique,  car  elle  excède  les 
forces  humaines  ;  c'est  une  entreprise  tyrannique,  car 
nul  n'a  droit  d'assigner  les  bornes  de  ma  raison. 

Dès  qu'il  m'est  permis  d'avoir  des  pensées,  je  puis 
les  émettre,  je  puis  en  faire  la  règle  de  ma  conduite; 
le  culte  extérieur,  qui  en  est  une  suite,  est  une  faculté 
de  droit  naturel  et  parallèle  à  la  liberté  de  la  presse  ; 
lui  porter  atteinte,  ce  serait  anéantir  la  base  du  contrat 
social.  La  manière  de  poser  une  question  suffit  quel- 
quefois pour  la  résoudre.  Celle  qui  concerne  la  liberté 
du  culte  peut  être  posée  en  ces  termes  :  «  Peut-on 
x(  exiger  d'un  membre  du  corps  social  d'autres  devoirs 
«  que  ceux  d'un  bon  citoyen?  » 

Le  gouvernement  ne  doit  adopter,  encore  moins 
salarier ,  aucun  culte ,  quoiqu'il  reconnaisse  dans 
chaque  individu  le  droit  d'avoir  le  sien.  Le  gouverne- 
ment ne  peut  donc,  sans  injustice,  refuser  protection, 
ni  accorder  préférence  à  aucun.  Dès  lors  il  ne  doit  se 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  34T 

permettre  ni  discours,  ni  acte,  qui,  en  outrageant  ce 
qu'une  partie  de  la  nation  révère,  troublerait  l'har- 
monie, ou  romprait  l'égalité  politique.  Il  doit  les 
tenir  tous  dans  sa  juste  balance  et  empêcher  qu'on  ne 
les  trouble,  et  qu'ils  ne  troublent. 

Il  faudrait  cependant  proscrire  une  religion  persé- 
cutrice, une  religion  qui  n'admettrait  pas  la  souve- 
raineté nationale,  l'égalité,  la  liberté,  la  fraternité 
dans  toute  leur  étendue  ;  mais  dès  qu'il  est  constant 
qu'un  culte  ne  les  blesse  pas,  et  que  tous  ceux  qui  en 
sont  sectateurs  jurent  fidélité  aux  dogmes  politiques, 
qu'un  individu  soit  baptisé  ou  circoncis,  qu'il  crie 
Allah  ou  Jéhova,  tout  cela  est  hors  du  domaine  de  la 
politique. 

Si  même  il  était  un  homme  assez  insensé  pour  vou- 
loir, comme  dans  l'ancienne  Egypte,  adorer  un  légume 
et  lui  ériger  un  autel,  on  n'a  pas  droit  d'y  mettre 
obstacle,  car  ce  qui  n'est  pas  défendu  par  la  loi  est 
permis.  Et  certes,  je  me  garderais  bien  de  troubler  un 
juif  dans  sa  synagogue,  un  musulman  dans  sa  mos- 
quée, un  indou  dans  sa  pagode;  ce  serait  violer  un 
des  plus  beaux  de  leurs  droits,  celui  d'honorer  l'Etre 
suprême  *  à  leur  manière.  Si  je  me  trompe,  dirait  alors 
le  citoyen,  tu  dois  me  plaindre  et  m'aimer;  instruis- 
moi:  mais  ne  me  persécute  pas.  Que  t'importe  d'ail- 
leurs ma  croyance ,  pourvu  que,  confondant  mon 
intérêt  dans  l'intérêt  national,  par  mes  efforts  réunis 
à  ceux  de  mes  frères,  la  liberté  prospère  et  la  répu- 
blique triomphe! 

Si  ces  principes,  invoqués  par  tous  les  philosophes 
et  proclamés  par  l'immortel   Fénelon,   avaient   été 

1.  Variante  :  d'adorer  Dieu, 


348      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

suivis  par  le  tyran  Louis  XIV,  on  n'eût  pas  vu  des  mil- 
liers de  protestants  industrieux,  contraints  à  s'expa- 
trier, porter  ailleurs  notre  commerce  et  nos  arts;  et 
les  annales  de  la  France  ne  seraient  pas  souillées  par 
les  dragonnades  et  les  massacres  des  Cévcnnes.  C'est 
par  une  conduite  opposée  que  la  Hollande  s'éleva 
au  plus  haut  degré  de  richesse.  Baltimore  et  les  ca- 
tholiques qui  l'accompagnèrent  dans  le  Maryland 
s'empressèrent  de  consacrer  solennellement  les  maxi- 
mes de  la  tolérance.  C'est  sur  leur  adoption  que  l'Amé- 
rique libre  a  fondé  sa  puissance  et  son  bonheur;  car 
«ette  république  s'est  composée  surtout  de  ceux  qui 
fuyaient  les  persécutions  religieuses  de  l'Europe,  et 
c'est,  dit  Saint-John,  avec  les  débris  ensanglantés 
de  l'ancien  monde  qu'elle  a  élevé  un  édifice  nouveau. 

Appelons  l'expérience  du  passé  à  la  direction  du 
présent  :  or  l'expérience  de  tous  les  siècles,  de  tous 
•Jes  peuples,  prouve  qu'enfroissant  les  idées  religieuses, 
on  leur  donne  plus  de  ressort,  et,  suivant  l'expression 
du  philosophe  Forster,  on  accroît  leur  élasticité.  La 
persuasion  ou  l'amour-propre  rendent  plus  chère  une 
croyance  qui  a  coûté  des  tourments;  la  persécution, 
en  isolant  les  hommes  et  les  opinions,  les  entoure 
d'une  vénération  favorable  au  prosélytisme,  et  mul- 
tiplie le  nombre  de  ceux  qui  veulent  se  dévouer  au 
martyre. 

Alors  le  gouvernement  est  contraint  d'avoir  une 
action  forcée,  qui  n'est  jamais  en  équilibre  avec  la 
vérité,  la  justice  ni  l'intérêt  national;  et  quelle  tran- 
quillité peut-on  se  promettre  dans  un  pays  où  subsiste, 
sans  discontinuer,  ce  foyer  de  division?  Tous  les  mo- 
numents historiques  déposent  sur  ce  sujet,  et  pronon- 
cent sur  le  sort  futur  d'un  État  qui,  accumulant  victoire 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  34'J 

sur  victoire  au  dehors,  serait  déchiré  au  dedans  par 
toutes  les  horreurs  qu'entraîne  après  soi  la  haine  de 
tous  les  cultes  contre  un  gouvernement  qui  les  oppri- 
merait tous.  Et  réfléchissez  bien  que  les  effets  inévi- 
tables de  la  persécution  sont  :  l"  de  relâcher  ou  même 
de  rompre  le  lien  social,  en  forçant  d'opter  entre 
l'attachement  pour  la  patrie  et  l'attachement  pour  des 
principes  religieux,  attachement  qui  doit  être  iden- 
tique ;  2°  dabâtardir  le  caractère  national  :  c'est  le 
premier  pas  vers  l'esclavage.  Un  peuple  qui  n'a  pas 
la  liberté  des  cultes  sera  bientôt  sans  liberté.  Le  droit 
d'exercer  librement  son  culte  est  d'une  évidence  tello 
que,  dès  la  plus  haute  antiquité,  on  en  fit  un  axiome 
du  droit  des  gens,  qui  devait  être  respecté  même  au 
milieu  des  fléaux  de  la  guerre  :  Cambyse,  arrivé  en 
conquérant,  sur  les  bords  du  Nil,  tue  le  bœuf  Apis: 
toute  l'Egypte  en  fut  révoltée,  et  toute  l'histoire  répéta, 
d'après  Hérodote,  que  Cambyse  était  un  furieux,  puis- 
qu'il avait  violé  le  culte  des  dieux. 

Voltaire  avait  raison  :  «la  tolérance,  dit-il,  n'a  jamais 
excité  de  guerres  civiles,  l'intolérance  a  couvert  la 
terre  de  carnage  »  ;  il  pouvait  ajouter  que  l'intolérance, 
en  élevant  des  barrières  entre  les  peuples,  enfante 
des  haines  nationales  et  retarde  la  marche  de  l'esprit 
humain.  Toutes  les  annales  de  la  terre  attestent  cette 
triste  vérité. 

La  persécution  est  donc  un  calcul  détestable  en 
politique:  j'ajoute  que  c'est  calculer  bien  mal  pour  la 
gloire.  L'inflexible  burin  de  l'histoire  se  hâte  de 
graver  une  flétrissure  indélébile  sur  le  front  des  per- 
sécuteurs, et  d'associer  leurs  noms  à  ceux  de  Néron  et 
de  Charles  IX. 

Je  crois  avoir  posé  des  principes  incontestables  pour 

•20 


350      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

quiconque  a  cultivé  sa  raison;  je  viens  à  leur  appli- 
cation. 

Les  orages  de  la  Révolution  ont  pu  nécessiter  quel- 
ques mesures  de  rigueur;  des  représentants  du 
peuple  en  mission  ont  prétendu  que  le  bien  public 
commandait  la  suspension  provisoire  de  certaines- 
assemblées  religieuses  dans  plusieurs  départements, 
où  le  souffle  du  royalisme  empoisonnait  encore  l'at- 
mosphère; mais  ces  mesures  doivent  cesser  avec  le 
besoin  :  en  prolonger  la  durée,  lorsqu'elles  ne  trou- 
vent plus  leur  excuse  dans  le  prétexte  du  bien  public, 
ce  serait  jeter  dans  le  découragement,  dans  le  déses- 
poir, des  hommes  qui  n'y  verraient  plus  qu'une  per- 
sécution réfléchie,  pour  le  plaisir  de  les  mettre  à  la 
torture;  et  le  zèle  aigri,  devenant  plus  industrieux, 
plus  actif,  pour  éluder  une  prohibition  odieuse,  ferait 
refluer  sa  haine  sur  le  gouvernement  et  calomnierait 
la  liberté  républicaine. 

Quel  est  l'état  actuel  des  choses  à  cet  égard?  la 
liberté  des  cultes  existe  en  Turquie,  elle  n'existe  point 
en  France  !  le  peuple  y  est  privé  d'un  droit  dont  on 
jouit  dans  les  États  despotiques,  même  sous  les  ré- 
gences de  Maroc  et  d'Alger.  Ne  parlons  plus  de  l'In- 
quisition ;  nous  en  avons  perdu  le  droit  :  car  la  liberté 
des  cultes  n'est  que  dans  les  décrets,  et  la  persécution 
tiraille  toute  la  France. 

La  loi  ne  peut  être  que  l'expression  de  la  volonté 
générale  :  or,  non  seulement  les  clameurs  de  quelques 
forcenés,  qui  ont  jeté  le  peuple  dans  la  stupeur,  ne 
sont  pas  IcToeu  national  ;  mais  il  a  sanctionné  l'opposé 
dans  les  lois  existantes  K 

1.  Les  éditions  qui  suivirent  ont  ici  quelques  lignes  de  plus  : 
«  Et  certes,  en   choisissant  ses  mandataires,  il   était  loin  de 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES  351 

Le  citoyen  le  moins  instruit  sent  que  parlérde  liberté 
et  lui  ravir  celle  du  culte,  c'est  en  même  temps  une 
contradiction  dans  les  termes,  un  outrage  à  sa  volonté 
et  un  attentat  contre  ses  droits.  Une  demi-liberté  n'en 
est  pas  une;  je  la  veux  tout  entière,  liberté  de  l'agri- 
culture, du  commerce,  des  arts,  de  la  presse,  des 
cultes,  etc. 

Depuis  trente  ans,  presque  tous  les  gouvernements 
de  l'Europe  commençaient  à  devenir  tolérants;  on  en 
faisait  honneur  aux  Français,  chez  qui  la  philosophie 
tonnait  contre  la  rage  persécutrice.  Eùt-on  jamais  cru 
que  les  elTorts  des  philosophes,  surtout  de  celui  que 
vous  avez  porté  dernièrement  au  Panthéon  *,  abouti- 
raient à  faire  demander  la  tolérance  aux  fondateurs 
de  la  liberté  française? 

Quelle  insulte  plus  grave  pouvait-on  faire  au  peuple 
que  de  lui  ravir  l'exercice  d'un  droit  fondé  sur  la  nature, 
et  consacré  par  la  sagesse  de  la  Convention  nationale? 

Lorsque,  par  votre  ordre,  nous  sommes  allés  dans 
le  Mont-Blanc  et  les  Alpes-Maritimes,  leur  imprimer 
les  formes  républicaines,  en  votre  nom,  au  nom  de  la 
loi,  nous  avons  juré  aux  citoyens  de  ces  contrées  la 
liberté  des  cultes  dont  ils  redoutaient  la  perte  ;  ils  l'ont 
perdue,  et  le  parjure,  ce  n'est  pas  moi.  Quand,  dans' 
les  pays  où  pénètrent  nos  armées  victorieuses,  on 
proclame  cette  liberté,  comment  voulez-vous  que  les 
peuples  ne  regardent  pas  ces  proclamations  comme 
une  dérision  insultante,  lorsqu'ils  savent  que  chez 


prévoir  les  attentats   multipliés  contre   la  liberté  des  cultes, 
attentats  dont  l'impunité  est  même  un  nouveau  crime.  Arra- 
cher au  peuple  une  portion  quelconque  de  ses  droits,  c'est  être 
en  révolte  contre  lui.  « 
1.  Jean-Jacques  Rousseau. 


352      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

nous  on  a  fermé  tous  les  temples,  et  incarcéré  ceux 
qui  réclamaient  l'autorité  de  la  loi? 

Par  son  heureuse  position,  la  France  peut  devenir 
le  centre  commercial  de  l'Europe;  elle  le  deviendra  si 
l'agriculture,  les  manufactures,  les  arts  et  métiers 
acquièrent  tout  le  développement  dont  ils  sont  sus- 
ceptibles. Ils  l'acquerront  si  nous  donnons  à  l'industrie 
étrangère  la  facilité  de  s'identifier  à  la  nôtre.  Mais 
jamais  elle  ne  viendra  se  naturaliser  chez  nous,  si 
l'intolérance  la  repousse;  je  dis  plus,  l'industrie  na- 
tionale aurait  bientôt  le  même  sort  que  lorsqu'on 
révoqua  l'édit  de  Nantes. 

Cette  compression  intolérante  aurait-elle  été  sug- 
gérée par  le  cabinet  de  Saint-James,  et  n'est-elle  pas 
le  dernier  anneau  de  cette  chaîne  que  la  faction,  abat^ 
tue  le  9  thermidor,  voulait  imposer  à  la  Convention 
nationale  et  au  peuple  français?  Vous  auriez  promp- 
tement  la  mesure  de  cette  intolérance  et  de  ses  effets 
contre-révolutionnaires,  si  des  millions  d'hommes 
haletants  d'effroi,  et  tenaillés  par  la  persécution, 
étaient  sûrs  de  franchir  la  frontière  sans  rencontrer 
la  guillotine  ou  les  cachots.  Et  qu'est-ce  donc  qu'une 
liberté  qu'une  immensité  de  citoyens  industrieux  et 
patriotes  s'apprêtent  à  fuir? 

Mais,  dit-on,  il  est  permis  à  chaque  citoyen  de  pra- 
tiquer son  culte  dans  sa  maison.  Quoi!  la  déclaration 
des  droits,  la  constitution  et  des  lois  publiées  avec 
appareil  auraient  uniquement  pour  but  de  statuer  que 
dans  ma  chambre  je  puis  faire  ce  que  je  veux!  S'il  est 
permis  de  déraisonner,  qu'au  moins  ce  ne  soit  pas 
d'une  manière  si  grossière. 

Je  ne  rappellerai  pas  d'ailleurs  qu'un  espionnage 
tyrannique  a  été  exercé  jusqu'au  sein  des  familles,  et 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  353 

que  la  liberté  des  citoyens  a  été  outragée  dans  l'asile 
même  de  leurs  foyers. 

Rien  de  plus  trivial  désormais  que  cette  phrase  ba- 
nale :  la  superstition  et  le  fanatisme  relèvent  une  tête 

audacieuse  :1a  superstition  et  le  fanatisme ce  sont  là 

les  deux  fléaux  les  plus  redoutables',  c'est  la  peste  au 
moral  ;  mais  ne  serait-il  pas  à  propos  de  déterminer 
enfin  l'acception  de  ces  mots:  car,  en  ne  les  définis- 
sant pas,  on  leur  fait  signifier  tout  ce  qu'on  veut,  pour 
persécuter  sans  obstacle  et  justifier  des  cruautés? 
Parce  que  Voltaire  croyait  à  un  dieu,  un  jour,  il  fut 
traité  de  fanatique,  par  un  homme  encore  vivant  ;  et  si 
je  veux  fixer  le  sens  de  ce  terme,  consulterai-je  les 
discours  merveilleux  concernant  le  culte  abstrait  de 
la  raison,  les  déesses  de  la  raison,  ou  ceux  qui  chan- 
tent le  dieu  de  la  liberté  ;  choisirai-je  dans  le  bulletin 
de  la  Convention  nationale  la  harangue  par  laquelle 
Anarcharsis  Cloots  prêche  l'athéisme,  ou  celle  dans 
laquelle  Robespierre  fait  à  l'Être  suprême  l'honneur 
de  le  reconnaître.  Comme  les  idées  fausses  ont  besoin 
d'exagération,  une  tactique  ordinaire  est  de  crier  vite 
au  fanatisme  ;  mais,  parce  que  des  hommes  paisibles  se 
seront  réunis  pour  prier  à  leur  manière,  ne  semble-t-il 
pas  que  la  contre-révolution  s'opère?  Je  le  demande 
aux  hommes  que  n'aveugle  pas  la  passion;  vouloir 
présenter  ces  réunions  calmes,  comme  un  attroupe- 
ment, une  faction,  n'est-ce  pas  abuser  des  termes? 

Mais  la  guerre  de  la  Vendée....  La  Vendée,  c'est  la 
plaie  la  plus  hideuse  que  des  monstres  aient  faite  à  la 
Révolution,  c'est  la  réunion  de  tous  les  maux  et  de  tous 
les  forfaits;  et  l'on  pourrait,'  sans  inconvenance,  de- 

1.  Variante  :  deux  fléaux  redoutables.  . 

20. 


354     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

mander  par  qui  ont  été  commis  les  plus  atroces,  ou  des 
prêtres  scélérats  qui,  au  nom  du  ciel,  prêchaient  le  car- 
nage, ou  de  faux  patriotes  qui  ont  abreuvé  de  sang  et 
couvert  de  deuil  cette  contrée  malheureuse?  Carrier  et 
ses  nombreux  licteurs  étaient-ils  prêtres?  Mais  si  l'on 
s'obstinait  à  confondre  ces  prêtres  qu'on  ne  peut  ap- 
peler des  hommes,  avec  ceux  qui,  soumis  à  la  loi,  ont 
concouru  à  fonder  la  République,  ce  serait  mettre  sur 
la  même  ligne  les  brigands  de  la  Vendée  et  les  braves 
défenseurs  de  la  patrie.  On  ne  peut  se  dissimuler  que, 
parmi  les  associations  religieuses  qui  sont  en  France, 
il  en  est  une  contre  laquelle  ont  été  plus  particulière- 
ment dirigées  les  mesures  de  rigueur;  je  n'examine 
pas  si,  comme  on  l'a  prétendu,  des  hommes  cachés 
derrière  la  toile  conduisent  ce  mouvement  dont  ils 
rattacheraient  le  fil  à  l'influence  des  puissances  étran- 
gères ;  il  m'est  plus  doux  *  de  penser  que  cette  associa- 
tion étant  la  plus  nombreuse  présentait  aux  actes  de 
sévérité  ^  une  surface  plus  étendue;  d'ailleurs,  il  était 
à  craindre  que  le  souvenir  d'une  antique  opulence 
n'eût  alimenté  chez  bien  des  prêtres  des  regrets  inci- 
viques. Et  enfin,  il  fallait  déraciner  les  germes  de 
royalisme  disséminés  par  des  pontifes  orgueilleux  de 
l'ancien  régime,  qui  tenaient  leurs  richesses  de  la 
royauté  dont  ils  étaient  les  esclaves,  les  drogmans  et 
les  complices. 

Mais  vous  êtes  trop  justes  pour  leur  assimiler  des 
prêtres  qui  avec  vous  se  sont  élancés  sur  la  brèche  pour 
combattre  le  despotisme,  et  sans  lesquels  peut-être  la 
République  n'existerait  pas.  Ils  vous  présentent  une 

1.  Variante  :  il  m'est  moins  pénible, 

2.  Yar.  :  de  tyrannie. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES  355 

caution  sûre  dans  leur  intérêt  propre;  car  si  la  Révo- 
lution pouvait  échouer,  ils  seraient  les  premières  vic- 
times. Des  hommes  que  par  l'attrait  d'une  pension  on 
invitait  inutilement  au  parjure,  des  hommes  qui  sont 
restés  patriotes,  en  perdant  place  et  fortune,  pour- 
raient bien  en  valoir  d'autres  qui  ont  le  mérite  d'être 
patriotes  en  obtenant  place  et  fortune  ;  peut-être  même 
que  leur  persévérance  dans  leurs  principes  vaut  bien 
ces  abjurations  et  ces  déclamations  multipliées,  il  y  a 
un  an,  à  votre  barre,  et  dont  la  traduction  était  à  peu 
près  ceci  :  «  Je  vous  déclare  que  pendant  longues 
«  années  j'ai  été  un  imposteur  et  un  fripon;  en  consé- 
«  quence,  je  demande  que  vous  m'estimiez  et  que  vous 
«  m'accordiez  une  place.  »  Il  y  a  quatre  ans  qu'on 
tourmentait  les  prêtres  pour  prêter  le  serment  ;  ensuite 
on  les  tourmenta  pour  l'abjurer.  La  faim,  les  cachots, 
les  injures,  les  calomnies,  ont  été  leur  partage;  et  l'on 
nous  parle  de  la  Saint-Barthélémy,  des  noyades  de  Car- 
rier! mais  je  préférerais  périr  dans  un  court  supplice, 
plutôt  que  d'être  pendant  des  mois,  des  années,  abreuvé 
d'amertumes  et  rassasié  de  douleurs. 

La  persécution  est  toujours  exécrable,  soit  qu'elle 
s'exerce  au  nom  de  la  religion  ou  au  nom  de  la  philo- 
sophie; et  franchement,  dans  la  supposition  de  fana- 
tisme, s'il  fallait  opter  entre  deux  extrêmes  que 
j'abhorre  '.je  préférerais  encore  le  fanatisme  des  per- 
sécutés à  celui  des  persécuteurs;  et  je  dirais,  comme 
Guise  à  Poltrot  :  Si  ta  religion  t'ordonne  de  m'assas- 
siner,  la  mienne  veut  que  je  te  pardonne. 

N'appliquons  donc  qu'avec  discernement  l'infamante 

1.  Var.  :  entre  deux  extrêmes,  les  mots  que  j'abhorre  ont  été 
supprimés. 


356      HISTOIRE   RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

épithète  de  fanatique,  de  superstitieux;  car  nous  aussi 
nous  méprisons  les  légendes  fausses,  les  reliques  con- 
trouvées,  les  fourberies  monacales  et  les  pratiques 
puériles  qui  rétrécissent  l'esprit  et  dégradent  la  reli- 
gion. 

Quelqu'un  a  cru  faire  preuve  de  génie,  en  disant  que 
la  religion  catholique  est  celle  de  Catherine  de  Médicis 
et  de  son  fils.  Cet  argument  équivaut  à  celui-ci  :  la 
République  française  est  celle  de  Roberspierre  * .  Quelle 
injustice  de  rejeter  sur  elle  des  forfaits  commis  en  son 
nom,  mais  qu'elle  abhorre!  Si  l'abus  criminel  d'une 
chose  était  un  argument  plausible,  il  faudrait  anéantir 
le  commerce,  parce  que  des  ruisseaux  de  sang  ont  coulé 
pour  en  disputer  les  profits;  anéantir  la  justice,  parce 
la  chicane  nous  a  dévorés;  et  maudire  la  philosophie, 
la  liberté  même,  parce  que  des  sophistes,  de  faux 
patriotes  en  ont  abusé. 

Puisque  le  culte  catholique  est  celui  d'une  grande 
partie  de  la  nation,  et  puisqu'on  l'a  présenté  comme 
incompatible  avec  la  République,  le  devoir  d'un  légis- 
lateur est  de  discuter  cette  obj  ection,  qui  le  sera  bientôt 
dans  un  ouvrage  approfondi. 

Dans  cette  discussion,  les  faits  répondent  à  tout  : 
voyez  les  catholiques  des  États-Unis  de  l'Amérique  et 
des  petits  cantons  suisses,  et  trouvez-moi  des  hommes 
plus  attachés  simultanément  à  leurs  principes  reli- 
gieux et  républicains?  Avec  quels  transports,  au  sein 
de  l'Helvétie,  j'ai  vu,  dans  les  temples,  associer  aux 
signes  religieux  les  héros  du  calendrier  politique  !  Là, 
Guillaume  Tell,  Winkelried  et  Meltchal  respirent  sur 


1.  Au  sujet  de  cette  orthographe  du  nom  de  Robespierre, 
voyez  ci-dessus  p.  217. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  c57 

la  toile  et  le  marbre,  et  commandent  encore  à  leurs 
enfants  l'amour  de  la  République  et  la  haine  de  la 
maison  autrichienne. 

Je  n'aime  pas  à  parler  de  moi:  mais  permettez 
qu'ici  j'invoque  le  témoignage  de  mes  co-députés  et 
de  tout  le  département  qui  m'a  procuré  l'honneur*  de 
siéger  parmi  vous:  qu'ils  disent  si  dans  le  temps  que 
vous  aviez  encore  un  roi,  je  n'avais  pas  moi,  catholique 
de  cœur  et  d'esprit,  célébré  chez  eux  les  funérailles 
de  la  royauté,  et  proclamé  l'existence  anticipée  de  la 
République  -I 

Tels  hommes,  dont  le  prétendu  patriotisme  fascine 
encore  d'autres  yeux  que  les  miens,  ont  peut-être 
donné  dix  mille  hommes  à  la  Vendée,  par  des  discours 
qui  serviront  à  l'histoire.  Et  moi,  par  mon  obscure 
correspondance,  j'ose  dire  que  j'ai  empêché  des  Ven- 
dues. Lors  de  la  subversion  du  culte,  autour  de  moi  se 
pressaient  des  hommes  qui  voulaient  en  réclamer  la 
liberté.  Je  leur  disais  :  vous  êtes  catholiques  ;  par  vos 
vertus,  forcez  l'estime  de  vos  ennemis!  Il  est  un  carac- 
tère auquel  je  veux  qu'on  vous  reconnaisse,  c'est  en 
redoublant  d'amour  pour  la  République,  c'est  en  mul- 
tipliant les  sacrifices,  en  vous  sacrifiant  vous-mêmes, 
s'il  le  faut,  pour  l'affermissement  de  la  liberté  ;  et  cer- 
tes, elle  a  été  sublime  la  conduite  des  partisans  des 
divers  cultes;  ils  pouvaient  dire  que  quand  un  mem- 
bre du  corps  social  est  opprimé,  tous  le  sont.  Plus 
sages  que  leurs  persécuteurs,  ils  ont  souffert,  ils  souf- 
frent en  attendant  le  retour  de  la  justice  ;  et  si  l'impos- 
ture répétait  que  parmi  ces  associations  religieuses, 


i.  Variante  :  dont  le  choix  me  fait. 
2.  Voy.  ci-dessus,  p.  74. 


358      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

l'une  est  incompatible  avec  la  liberté,  de  tous  les  coins 
de  la  France,  des  millions  de  catholiques  élèveraient 
une  voix  comprimée  par  la  douleur  pour  réitérer  le 
serment  que  tous  les  cultes  répéteront,  celui  de  vivre 
et  de  mourir  républicains. 

Actuellement  j'adresse  le  dilemme  suivant  aux  vio- 
lateurs des  droits  de  la  nature  et  des  sages  décrets  de  la 
Convention  nationale  :  ou  vous  ne  voulez  pas  détruire 
certaine  association  religieuse;  alors  pourquoi  la  per- 
sécutez-vous? ou  votre  projet  est  de  la  détruire;  alors 
pourquoi  le  taire?  Expliquez-vous,  et  qu'enfin  nous 
sachions  si  Charles  IX  et  Louis  XIV  sont  ressuscites, 
et  s'il  faut,  comme  les  protestants,  après  la  révocation 
de  l'édit  de  Nantes,  nous  arracher  à  une  patrie  que 
nous  chérissons,  pour  nous  traîner  sur  des  rives  étran- 
gères en  mendiant  un  asile  et  la  liberté. 

Si  vous  étiez  de  bonne  foi,  vous  avoueriez  que  votre 
intention,  manifestéejusqu'à  l'évidence,  est  de  détruire 
le  catholicisme.  Vous  êtes  embarrassés  sur  le  choix  des 
moyens,  et  vous  avez  la  cruauté  lâche  de  le  cacher  pour 
n'être  pas  flétris  du  caractère  infâme  de  persécuteurs, 
auquel  vous  n'échapperez  pas;  car  le  plus  curieux  dans 
l'histoire  de  la  Révolution  n'est  pas  ce  qui  est  écrit  % 
mais  c'est  ce  qui  ne  l'est  pas,  et  qui  le  $cra. 

Je  fais  ensuite  un  rapprochement  de  faits  incontes- 
tables. 1°  La  liberté  des  cultes  est  proclamée  par  la  na- 
ture, et  sanctionnée  par  la  loi  ;  2°  cette  liberté  n'existe 
nulle  part  en  France;  3"  c'est  en  ravissant  au  peuple 
ce  droit  inviolable  ^  que  des  contre-révolutionnaires 
voulaient  faire  haïr  la  démocratie  et  provoquer  des 
troubles. 

1.  Var.  :  est  imprimé. 

2.  Var.  :  inaliénable. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  369 

On  a  rendu  justice  à  Chaumette,  en  l'envoyant  à 
l'échafaud  :  par  quelle  fatalité  veut-on  justifier  ses 
continuateurs?  Qu'ils  jouissent  de  la  liberté,  de  la 
paix,  mais  qu'au  moins  nous  partagions  cet  avantage. 

Bayle  s'efiForce  d'établir  qu'un  Etat  peut  exister  sans 
religion;  quand  même  il  pourrait  étayer  son  système 
par  le  fait  de  quelques  hordes  sauvages,  il  lui  reste- 
rait à  prouver  que  la  même  chose  peut  avoir  lieu  chez 
un  grand  peuple  civilisé.  Si  les  premiers  vous  pré- 
tendez résoudre  ce  problème,  l'exemple  de  tous  les 
législateurs  anciens  et  modernes,  tous  les  événements 
de  l'histoire  déposent  unanimement  contre  le  succès, 
et  bientôt,  avec  Plutarque,  vous  serez  contraints 
d'avouer  qu'il  serait  plus  facile  de  bâtir  une  ville  en 
l'air.  Le  publiciste  Bielfeld  prétend  qu'un  peuple  chez 
qui  les  principes  religieiix  s'éteignent  marche  rapi- 
dement vers  sa  décadence.  Pour  justifier  son  asser- 
tion, il  suffit  de  j  eter  un  regard  sur  les  mœurs  actuelles 
comparées  à  leur  état  avant  la  Révolution.  L'époque  de 
la  destruction  des  cultes  est  celle  de  la  démoralisation 
la  plus  alarmante  ;  le  frein  étant  rompu,  tous  les  vices 
ont  inondé  la  société;  on  fera  des  lois,  mais  nous 
demanderons  avec  un  ancien  :  que  peuvent  les  lois 
sans  les  mœurs?  et  nous  ajouterons  :  que  sont  les 
mœurs  sans  les  sentiments  religieux? 

Il  faut  donc  un  principe  actif  qui,  suivant  l'homme 
dans  la  solitude  et  les  ténèbres,  entre  dans  son  cœur 
pour  y  créer  des  vertus  ou  des  remords  ;  qui  place  les 
qualités  sociales  dans  le  cercle  des  devoirs;  et  qui, 
en  les  faisant  chérir,  en  facilitant  les  moyens  de  les 
accomplir,  mette  du  prix,  du  plaisir  aux  sacrifices  que 
l'on  fait  pour  la  chose  publique  ;  alors  la  conscience 
mêle  sa  voix  à  celle  du  législateur,  et  ses  peines  à  celle 


360      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

dont  la  loi  punit  les  infracteurs.  Qui  peut  nier  que 
deux  liens  ne  soient  plus  forts  qu'un?  La  religion,  en 
dirigeant  la  conduite  des  parents,  les  rend  plus  atten- 
tifs à  l'éducation  de  leurs  enfants,  et  par  là  s'établit 
dans  le  sein  des  familles  une  tradition  de  vertus,  un 
héritage  de  bonnes  mœurs  qui  sont  les  pierres  angu- 
laires de  la  liberté.  La  loi  est  alors  dans  le  cœur,  et 
la  conscience  en  est  le  magistrat  le  plus  éclairé,  le  plus 
intègre;  sur  elle  repose  la  fidélité  des  traités  et  des 
contrats.  Quand  un  Turc  a  juré  sur  l'Alcoran,  la  sécu- 
rité de  ceux  qui  contractent  avec  lui  résulte  de  la 
vénération  qu'imprime  dans  son  âme  un  livre  qu'il 
regarde  comme  sacré.  Et  quel  peuple  voudrait  traiter 
avec  un  peuple  dont  les  principes  ne  présenteraient 
aucune  garantie  de  cette  nature  à  la  bonne  foi  com- 
merciale et  diplomatique?  Ignorez-vous  donc  que  le 
fanatisme  persécuteur  est  le  texte  sur  lequel  les  enne- 
mis de  la  Révolution  ont  établi  le  plus  d'impostures, 
et  l'un  des  moyens  les  plus  puissants  par  lesquels  ils 
ont  accru  leur  parti  et  coloré  leurs  forfaits? 

D'ailleurs,  pour  tous  les  individus  de  notre  espèce, 
la  carrière  de  la  vie  est  semée  de  peines  ;  il  serait  bien 
impolitique  le  législateur  qui  tenterait  d'atténuer 
les  sentiments  capables  d'en  tempérer  l'amertume! 
L'homme  abandonné  des  hommes  dirige  sa  pensée 
vers  cet  être  invisible  dont  l'action  est  partout.  Bar- 
bare! oserais-tu  lui  ravir  les  douces  consolations  de 
la  vertu  persécutée  et  du  malheur?  Si  tu  veux  lui  arra- 
cher l'idée  d'un  dieu,  donne-lui  un  ami  plus  fidèle,  un 
père  plus  tendre,  un  consolateur  plus  puissant.  Per- 
mets qu'il  se  réunisse  à  la  société  religieuse  de  ses 
frères,  et  que  dans  ce  rapprochement  d'individus 
animés  du  même  esprit  il  trouve  un  adoucissement 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  361 

aux  angoisses  qui  sans  cela  tourmenteraient  son  exis- 
tence. Eh!  dans  quelle  circonstance  lïdée  consolante 
de  la. divinité  fut-elle  plus  nécessaire  au  peuple  fran- 
çais qu'à  l'époque  où  tant  de  cœurs  déchirés,  tant  de 
familles  mutilées  ont  des  pleurs  à  essuyer  et  des  plaies 
à  cicatriser? 

Ne  comptez  donc  pas  sur  l'existence  d'une  Répu- 
blique sans  religion;  et  s'il  vous  plaisait  d'en  orga- 
niser une,  en  supposant  même  que  vous  fussiez  d'ac- 
cord sur  les  principes,  ce  qui  ne  sera  jamais,  chaque 
citoyen  aurait  droit  de  vous  faire  la  question  que  tant 
de  fois  on  a  faite  à  d'autres  :  de  quel  droit  prétends-tu 
interposer  ta  volonté  entre  Dieu  et  moi? 

Un  sage  politique  doit  calculer  d'ailleurs  le  carac- 
tère dune  nation;  dans  des  circonstances  données  et 
absolument  parallèles,  il  est  le  même.  Pendant  un 
siècle,  les  protestants  furent  l'objet  d'une  persécution 
atroce;  on  chassait,  on  emprisonnait,  on  pendait  leurs 
ministres,  on  fermait  leurs  temples,  leurs  assemblées 
étaient  traitées  de  séditieuses.  Après  un  siècle  de 
tourments,  lorsqu'à  l'aurore  de  la  liberté  ils  purent  res- 
pirer, parurent  tout  à  coup  trois  millions  de  protes- 
tants en  France;  et  l'on  prétendrait  que  quelques 
années  de  déclamations  et  de  violences  ont  changé  la 
masse  des  citoyens!  Non,  ne  le  croyez  pas,  la  persé- 
cution a  heurté  leurs  opinions,  mais  elle  n'a  ni  con- 
vaincu les  esprits,  ni  persuadé  les  cœurs. 

Que  faire  donc  dans  l'impossibilité  d'éteindre  les 
principes  religieux,  ou  de  réunir  tout  à  coup  les 
citoyens  à  la  même  croyance?  c'est  de  rattacher  tous 
les  cultes  à  la  République,  en  garantissant  l'entière 
et  indéfinie  liberté  de  tous  les  cultes,  sauf  à  rappeler 
dans  une  adresse  au  peuple  les  règles  de  sagesse  qu? 

01 


362      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

commande  cet  ordre  de  choses,  dont  la  direction  sera 
confiée  aux  représentants  du  peuple  qui  dans  les 
divers  départements  iront  exercer  leur  mission  *. 

Proposer  un  ajournement  sur  cet  acte  de  justice 
après  lequel  la  nation  soupire,  ce  serait  compromettre 
la  liberté  en  outrageant  tous  les  principes.  Il  est  temps 
enfin  de  leur  faire  amende  honorable,  et  de  se  rap- 
peler que  la  philosophie  dévoue  les  persécuteurs  à 
l'exécration  de  l'univers,  tandis  qu'elle  présente  les 
fondateurs,  les  défenseurs  de  la  liberté  à  l'estime  de 
tous  les  siècles. 

Il  ne  suffit  pas  de  passer  à  l'ordre  du  jour  motivé 
sur  l'existence  de  la  loi,  puisque,  malgré  la  loi,  par- 
tout on  persécute.  Il  s'agit  de  garantir  l'exercice  de 
ce  droit.  S'il  est  encore  des  agitations  intestines,  ce 
moyen  est  le  plus  efficace  pour  les  calmer;  par  là  vous 
arracherez  aux  malveillants  un  prétexte  pour  calom- 
nier la  Convention  nationale  et  inquiéter  le  peuple  : 
d'ailleurs  la  publicité  appelle  les  regards  et  rend  l'ins- 
pection du  magistrat  plus  facile  que  sur  ces  réunions 
sourdes  où  les  persécutés  vont  exhaler  leur  douleur 
et  contracter,  par  l'habitude  de  la  clandestinité,  une 
physionomie  qui  n'est  pas  celle  de  la  franchise. 

Et  qu'on  ne  dise  pas  que  les  citoyens  ayant  été  pen- 
dant un  an  privés  de  l'exercice  public,  cet  état  des 
choses  peut  persévérer  :  ce  raisonnement  serait  celui 
d'un  voleur  qui  voudrait  retenir  son  larcin,  ou  du 
tyran  qui  tenterait  de  perpétuer  sa  domination  sur  un 
peuple  résolu  à  secouer  le  joug. 

1.  Var.  :  cet  ordre  de  choses.  (3  ligaes  en  moins.) 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  363 

Traitez  comme  séditieux  quiconque  troublerait 
l'exercice  de  cette  liberté;  mais  qu'aucune  religion 
ne  prétende  usurper  la  domination  ni  forcer  la  volonté 
de  personne;  aux  yeux  du  législateur,  elles  ont  toutes 
des  droits  égaux.  Il  peut  même  interdire,  hors  les 
maisons  de  rassemblements  des  divers  cultes,  tous  les 
signes  extérieurs;  et  certes,  des  prières  en  langue  in- 
connue, des  processions  et  des  cloches  ne  constituent 
l'essence  d'aucune  religion*.  Si  des  malveillants,  des 
royalistes,  qui  veulent  se  rattacher  à  tout,  s'insi- 
nuaient dans  ces  assemblées,  l'intérêt  de  toutes  sera 
•d'accord  avec  leurs  devoirs;  elles  s'empresseront  de 
les  dénoncer  à  l'autorité  civile. 

Mais,  dira-t-on,  comment  concilier  les  jours  de  tra- 
vail et  de  repos,  consacrés  par  vos  idées  religieuses, 
avec  ceux  qu'a  établis  la  Convention  nationale?  Je 
n'examine  pas  si  la  division  décadaire  est  la  plus 
appropriée  aux  habitudes  morales,  aux  facultés  physi- 
ques de  l'homme  et  des  animaux,  compagnons  de  ses 
fatigues  :  la  loi  existe,  la  loi  doit  être  exécutée.  Elle 
n'interdit  pas  aux  citoyens  de  consacrer  des  moments 
à  leur  culte,  puisqu'elle  n'atteint  pas  même  l'individu 
qui  consume  des  jours  entiers  dans  la  débauche.  Les 
citoyens  de  tous  les  cultes,  amis  vrais  et  sincères  de 
la  patrie,  sauront  toujours  concilier  leurs  devoirs 
religieux  avec  les  devoirs  sociaux,  de  manière  que  la 
chose  publique  n'en  souffre  pas. 

Et  pourquoi  le  même  temple  qui  réunira  successi- 
vement aux  pieds  de  l'Éternel  les  citoyens  des  divers 
cultes  pour  leurs  actes  religieux,  ne  les  réunirait-il 


1.   Cette   phrase  a  été   supprimée  dans   les    éditions    sui- 
vantes. 


364      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pas  simultanément  autour  de  la  statue  de  la  liberté 
pour  leurs  actes  civils  et  politiques  ^ 

S'il  est  une  religion  qui  s'occupe  sans  cesse  à  con- 
soler l'humanité,  en  défendant  celui  qu'on  outrage,  en 
soulageant  celui  qui  souffre  ; 

Si  elle  commande  aux  citoyens  de  s'aimer,  de  se 
respecter  quelle  que  soit  la  disparité  de  leurs  opinions  ; 

Si  elle  épure  la  morale  privée  et  publique,  en  pros- 
crivant tous  les  vices  qui  altèrent  l'ordre  social,  en 
prescrivant  toutes  les  vertus  qui  l'affermissent; 

Si  elle  arme  la  raison  contre  les  secousses  des  pas- 
sions, les  illusions  de  la  prospérité  et  les  angoisses  du 
malheur; 

Si  elle  agrandit  l'àme,  en  rattachant  toutes  ses 
affections  au  principe  intelligent  duquel  tout  émane  ; 

Si  elle  augmente  la  propension  à  faire  le  bien  par 
des  motifs  qui,  suivant  l'expression  d'un  orateur, 
retentissent  dans  l'éternité  ; 

Si,  reportant  sur  la  société  ces  motifs  qui  émeuvent 
puissamment  l'esprit  et  le  cœur,  elle  fortifie  l'attache- 
ment du  peuple  pour  ses  lois,  et  sa  confiance  dans  ses 
représentants  ; 

Si,  donnant  plus  d'énergie  à  l'amour  de  la  Répu- 
blique, à  la  haine  de  la  royauté,  elle  dispose  le  citoyen 
à  se  sacrifier  sans  cesse  pour  celle-là  et  contre  celle-ci  ; 
certes,  une  telle  morale  consoliderait  les  institutions 
sociales,  elle  serait  une  des  plus  fermes  colonnes  du 
gouvernement.  Or,  tels  sont  les  sentiments  de  toutes 
les  sociétés  religieuses  qui  sont  dans  la  République. 
Voulez-vous  séréniser  les  cœurs,  répandre  la  joie  dans 


1.  Ces  deux  alinéas,  depuis  :  Mais,  dira-t-on,  ont  été  suppri- 
més dans  les  éditions  ultérieures. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  365 

les  familles,  imprimer  un  nouvel  élan  vers  la  liberté, 
et  consolider  la  démocratie,  qui  n'aura  presque  plus 
de  contradicteurs,  assurez  la  liberté  des  cultes.  Les 
Français  sont  bons  ;  ils  feront  un  effort  d'indulgence 
pour  se  persuader  que  des  raisons  d'intérêt  public 
avaient  décidé  la  clôture  de  leurs  temples.  Ils  rece- 
vront comme  une  grâce  l'exercice  d'un  droit  que  per- 
sonne ne  peut  leur  ravir,  et  sans  lequel  un  gouver- 
nement, de  quelque  nom  qu'on  le  décore,  ne  sera 
jamais  qu'une  tyrannie.  Qu'à  la  voix  paternelle  de  la 
Convention  tous  les  cœurs  se  raniment  donc  et  se  dila- 
tent. Disons  aux  citoyens  : 

«  Sous  l'ombre  tutélaire  des  lois,  il  vous  est  libre 
d'accomplir  les  actes  de  votre  culte  ;  mais  écartez  ces 
dissensions  qui  ont  si  souvent  consterné  la  raison, 
troublé  les  peuples  et  ensanglanté  le  monde;  point  de 
rivalité  que  celle  du  patriotisme  et  de  la  vertu! 

«  Cultivez  vos  champs,  perfectionnez  les  arts,  animez 
l'industrie,  soignez  l'éducation  de  vos  enfants,  qui 
doivent  transmettre  aux  hommes  de  l'avenir  l'héri- 
tage de  la  liberté.  Quelles  que  soient  vos  opinions 
religieuses,  aimez-vous,  puisque  le  père  commun  vous 
aime.  La  patrie  est  notre  mère  commune;  autour 
d'elle  doivent  se  rallier  tous  les  cultes  amis  de  l'ordre, 
du  bonheur  et  de  la  gloire  nationale.  Appuyés  sur  vos 
vertus  et  votre  courage,  vos  représentants  termine- 
ront une  révolution  glorieuse;  et  le  faisceau  républi- 
cain sera  le  lien  indissoluble  de  tous  les  Français.  » 

En  appuyant  le  projet  de  décret  concernant  les  fêtes 
décadaires,  je  présente  le  suivant  *  : 

i.  Phrase  supprimée  dans  les  éditions  postérieures. 


366      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE: 
PROJET    DE    DÉCRET 

La  Convention  nationale  décrète  : 

Les  autorités  constituées  sont  chargées  de  garantir 
à  tous  les  citoyens  l'exercice  libre  de  leurs  cultes,  en 
prenant  les  mesures  que  commandent  l'ordre  et  la 
tranquillité  publique. 


II 


LETTRE  DE  MORELLET  A  GREGOIRE 
AU  SUJET  DU  DISCOURS   SUR  LA  LIBERTÉ   DES  CULTES 

19  nivôse,  à  7  h.  du  matin  [<S  janvier  1795]. 

«  Citoyen,  je  viens  de  lire  en  me  levant  le  discours 
«  sur  la  liberté  des  cultes  que  vous  avez  eu  la  com- 
«  plaisance  de  m'cnvoyer.  On  ne  peut  pas  me  dire  : 
«  Vanum  est  vobis  ante  lucem  surgere,  car  j 'ai  employé 
«  fort  agréablement  le  temps  que  j'ai  dérobé  à  mon 
«  lit.  J'en  suis  parfaitement  content.  Ce  sont  les  vrais 
«  principes  sentis  vivement,  exprimés  vigoureuse- 
«  ment  et  énoncés  avec  courage.  Je  suis  surtout 
«  charmé  de  votre  préface.  Comme  vous  répondez 
«  bien  à  ce  propos  ridicule  que  votre  motion  était 
«  prématurée  !  Et  dans  l'ouvrage  même  que  de  traits. 
«  énergiques  vous  avez  répandus!  Voilà  la  critique 
«  que  vous  me  demandez,  ou  plutôt  la  seule  que  je 
«  puisse  vous  faire.  Je  vous  remercie  encore  pour 
«  Marmontel  de  l'intérêt  que  vous  avez  mis  à  le  faire 
«  mettre  sur  cette  liste  des  hommes  de  lettres  récom- 
«  pensés  par  la  nation.  Il  ne  s'agit  plus,  me  dit-on^ 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  367 

«  que  de  convertir  ce  secours  actuel  en  secours  an- 
«  nuel  ou  pension,  et  c'est  à  quoi  j'espère  que  vous 
«  voudrez,  bien  vous  employer  encore. 

«  Quant  à  moi,  en  m'annonçant  que  vous  comptez 
«  qu'on  s'occupera  aussi  de  me  faire  comprendre 
«  dans  le  nombre  de  ces  élus,  je  dois  vous  instruire 
«  que  j'ai  eu  déjà  mon  fait  à  part,  et  que  par  un 
«  décret  de  la  Convention  du  mois  de  juillet  1793  je 
«  jouis  (Tune  récompense  nationale  pour  trente-cinq  ans 
«  de  travaux  utiles,  de  la  somme  de  2625  fr.  Ge  tra- 
it vail  a  été  fait  au  bureau  de  liquidation  d'après  la 
«  production  des  titres  des  pensions  et  traitements 
«  que  je  tenais  de  l'ancien  gouvernement.  Sur  cet 
«  exposé  je  crois  que -vous  jugerez  comme  moi  que 
«  je  ne  suis  pas  dans  le  cas  d'être  employé  dans  vos 
«  états.  Je  serais  regardé  comme  mangeant  à  deux 
«  râteliers  ;  à  moins  que  votre  comité  ne  veuille  ab- 
«  solument  me  gratifier  encore  de  mille  écus  que  je 
«  recevrais  bel  et  beau  si  l'on  s'obstinait  à  me  les 
«  faire  prendre.  Je  vous  prie  de  faire  usage  de  ce 
«  renseignement  s'il  était  question  de  moi. 

«  Je  m'avise  en  finissant  de  vous  envoyer  un  petit 
«  papier  imprimé  en  1793  et  qui  touche  au  même 
«  objet  que  vous  avez  si  bien  traité.  Vous  y  pourrez 
«  voir  que  la  matière  m'étant  familière  j'ai  quelque 
«  droit  d'avoir  un  avis,  et  que  quand  je  dis  que  votre 
«  papier  est  excellent  c'est  une  autorité  grave  que 
«  vous  avez  de  plus  en  votre  faveur. 

a  Je  vous  salue  très  civilement  et  très  civique- 
«  ment. 

«   MORELLET.  » 


368      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

III 

LETTRE   d'un   PRÊTRE  DEVENU   DRAGON 
SUR  LE  MÊME   SUJET 

Ponl-à-Mousson,  12  nivôse  an  III  de  la  République  française 
[1"'  janvier  1795]. 

Égalité^  Liberté  ou  la  Mort. 

«  Citoyen  représentant, 

«  Ton  discours  sur  la  liberté  des  cultes  a  l'appro- 
«  bation  de  tous  les  républicains  instruits;  les  plus 
«  sévères  et  même  les  plus  énergiques  y  ont  ap- 
«  plaudi,  et  le  vœu  du  peuple  semble  en  demander 
<  l'exécution. 

«  J'ai  parcouru  plusieurs  départements;  presque 
«  partout  j'ai  vu  l'aristocratie  et  l'intrigue  crier  contre 
«  ce  qu'il  leur  plaisait  d'appeler  fanatisme  ;  presque 
«  partout  les  hommes  de  loi  qui,  plus  que  certains 
«  prêtres,  regrettent  l'ancien  régime,  et  les  vrais 
«  fanatiques  même  en  criant  les  plus  forts  {sic)  ont 
«  cru  se  donner  un  relief  de  patriotisme,  et  ce  sont 
«  eux  qui  vraiment  ont  établi  le  terrorisme.  L'aristo- 
«  cratie  en  a  conçu  sans  doute  un  coupable  espoir, 
«  mais  le  peuple  qui  veut  la  République  a  tout  souf- 
«  fert,  et  dans  le  silence  il  n'a  cessé  de  réclamer  la 
«  liberté  de  rendre  à  la  divinité  le  culte  qui  lui  fait 
«  plaisir. 

«  Mais  quoi!  le  moment  de  lui  rendre  ce  droit  sacré 
«  est-il  arrivé?  Les  subsistances  lui  donnent  aujour- 
«  d'hui  plus  d'inquiétude  que  jamais.  Les  denrées, 
«  depuis  la  suppression  du  maximum,  loin  d'être  plus 
«  communes,  comme  se  l'étaient  promis  nos  législa- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  369 

teurs,  sont  aussi  rares  qu'auparavant,  et  le  prix 
même  a  doublé.  Il  est  à  craindre  que  la  misère  ne 
soit  grande.  Aujourd'hui  les  gens  suspects  qui  ont 
prétendu  avoir  été  victimes  du  terrorisme  respi- 
rent l'air  vivifiant  de  la  liberté,  tandis  que  des 
défenseurs  de  la  patrie  sont  dans  les  fers  pour 
quelques  écarts  '.  Il  me  semble  que  ces  derniers 
méritent  plus  que  les  autres  l'indulgence  nationale. 
Les  rendre  à  la  liberté,  ce  serait  donner  de  nou- 
veaux défenseurs  à  la  patrie. 

«  Oui,  citoyen  représentant,  l'aristocratie  semble 
relever  la  tête  et  avoir  quelque  espérance.  Je  ne 
crois  donc  pas  que  le  moment  soit  propice.  Il  faut 
aujourd'hui  une  surveillance  plus  active  que  jamais 
de  la  part  des  républicains.  Redonner  tout  de  suite 
un  culte,  ce  serait  peut-être  faire  un  pas  rétro- 
grade. L'aristocratie  pourrait  en  tirer  quelque  avaji- 
tage.  Puissent  mes  doutes  n'être  pas  fondés!  C'est 
un  jeune  homme  qui  veut  se  mêler  de  politiquer. 
C'est  son  amour  ardent  pour  la  République  qui  le 
fait  parler. 

«  Je  suis  dragon  au  1"  régiment.  J'ai  été  ministre 
du  culte  catholique  ;  persécuté  à  cause  de  ce  titre, 
je  profitai  de  la  loi  qui  appelait  les  jeunes  gens  à 
la  défense  de  la  patrie.  Aujourd'hui  je  me  félicite 
d'être  un  de  ses  défenseurs. 
«  Salut, 

«  CouKNNE,  dragon.  » 


1.  Il  s'agit  ici  sans  doute  de  Carrier,  Lebon,  Fouquier-Tin- 
vilie  et  autres  «  défenseurs  de  la  patrie  ». 


21. 


370     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

IV 

LETTRE   PASTORALE   DE   GRÉGOIRE  A   SES   DIOCÉSAINS 
(12  mars  1795) 

Henri  Grégoire,  par  la  miséricorde  divine,  dans  la 
communion  du  saint-siège  apostolique,  évêque  du 
diocèse  de  Loir-et-Cher,  à  ses  vénérables  coopérateurs 
dans  le  saint  ministère  et  à  tous  les  fidèles  de  son 
diocèse,  salut  et  bénédiction  en  Jésus-Christ. 

Mes  frères,  il  y  a  longtemps  que  vous  n'avez  ouï 
la  voix  de  votre  évêque;  dans  la  distance  qui  nous 
sépare,  les  accents  de  ma  tendresse  ne  pouvaient  que 
difficilement  retentir  dans  vos  cœurs  ;  et  comment 
aurais-je  pu  vous  transmettre  les  témoignages  de 
mon  affection?  La  tyrannie  étouffait  nos  pensées; 
elle  défendait  à  l'imprimerie  de  les  reproduire,  ou 
elle  arrêtait  la  circulation  des  fruits  de  la  presse  ;  le 
secret  des  lettres  était  violé;  les  correspondances 
étaient  interceptées;  écrire  à  quelqu'un,  c'était  com- 
promettre inutilement  sa  liberté,  sa  vie  même,  dans 
le  cours  de  cette  année  effroyable,  où  le  sang,  même 
celui  des  justes,  ruisselait  de  toutes  parts ,  où  la 
France  était  couverte  de  victimes,  dont  un  grand 
nombre  ont  été  immblées,  de  bourreaux,  dont  la  plu- 
part vivent  encore  et  rugissent  de  n'être  plus  au  mi- 
lieu du  carnage. 

Avec  qui  correspondre,  d'ailleurs,  lorsqu'au  milieu 
de  cette  défection  qui  scandalisait  l'Église,  privé  de 
renseignements  certains,  j'ignorais  quels  étaient 
parmi  vous  les  hommes  restés  fidèles;  car  la  religion, 
comme  la  patrie,  a  ses  émigrés? 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  371 

Il  me  resta  la  faible  consolation  de  croire  qu'une 
circonstance  éclatante  de  ma  conduite  vous  aurait 
servi  de  boussole.  Les  nouvelles  publiques  vous 
avaient  dit  que  quand  l'évêque  de  Paris  scandalisa 
l'Église  par  une  éclatante  et  lâche  apostasie,  au  mi- 
lieu des  vociférations  de  l'athéisme,  et  malgré  les 
outrages  dont  j'étais  assailli,  je  m'étais  déclaré  fidèle 
au  double  caractère  de  catholique  et  d'évêque.  Vous 
ignorez  qu'à  cette  époque  alternativement  on  épuisa 
envers  moi  les  promesses,  les  menaces  et  toutes  les 
ressources  de  l'astuce,  de  la  flatterie  et  de  la  perver- 
sité. En  confessant  J.-C,  je  crus  prononcer  mon  arrêt 
de  mort  ;  pendant  un  an,  l'échafaud  se  présentait 
sans  cesse  à  mes  yeux,  et  la  prolongation  de  mon 
existence  me  cause  journellement  encore  la  surprise 
de  la  nouveauté. 

Gémissant  dans  la  solitude  de  mon  cœur,  j'invo- 
quai la  résurrection  de  la  justice;  dès  qu'il  me  fut 
possible  de  réclamer  utilement  les  droits  que  la 
tyrannie  vous  avait  ravis,  je  demandai  la  liberté  des 
cultes;  et  cette  demande,  qui  m'attira  de  nouveaux 
outrages,  vient  cependant  d'obtenir  quelque  succès. 

Si  dans  l'ordre  ordinaire  des  choses  il  est  déplacé 
de  parler  de  soi-même,  ici  la  religion  m'en  fait  un 
devoir;  car,  si  je  ne  prouvais  que  je  n'ai  cessé  d'agir 
en  évêque,  quel  droit  aurai-je  d'examiner,  dans  le 
diocèse  confié  à  ma  sollicitude,  la  conduite  des  pas- 
teurs et  des  ouailles? 

Entre  les  persécutions  qui  ont  affligé  l'Église  de 
France  depuis  son  origine,  aucune  peut-être  n'a  réuni 
tant  de  caractères  de  violence  et  de  barbarie  que  la 
dernière.  Si  tous  les  cultes  ont  été  froissés  par  des 
hommes  qui  n'en  veulent  aucun,  la  religion  catholi- 


372      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE    LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

que  a  été  l'objet  spécial  de  leur  haine,  et  souvent  on 
s'est  borné  contre  les  autres  à  des  hostilités  appa- 
rentes pour  diriger  tous  les  coups  contre  celle-ci. 

En  frappant  les  pasteurs,  on  espérait  disperser  le 
troupeau.  Les  persécuteurs  n'ont  guère  excepté  que 
les  prophètes  de  Baal  qui  s'associaient  à  leurs  for- 
faits. La  tempête  est  venue  fondre  sur  de  vénérables 
pasteurs  qui  avaient  édifié  par  leurs  exemples,  ins- 
truit par  leurs  discours,  fait  aimer  les  lois,  et  con- 
couru avec  nous  à  fonder  la  République.  Chargés  de 
calomnies,  abreuvés  d'amertumes,  dévorés  par  la  faim, 
traînés  .de  cachots  en  cachots,  les  uns  ont  désespéré 
la  rage  de  leurs  assassins,  d'autres  ont  expié  par  la 

mort  le  crime ,  le  seul  crime  d'avoir  pratiqué  les 

devoirs  de  la  religion. 

Dans  ces  murs  où  un  homme  revêtu  d'un  grand 
pouvoir  trouvait  étrange  que  l'on  n'eût  pas  encore 
dressé  les  bûchers,  puisqu'il  y  restait  des  prêtres  ;  à 
Blois,  on  se  rappelle  avec  horreur  que  cinq  furent 
égorgés,  entre  autres  le  curé  de  Saumur,  qui  était  muni 
de  son  certificat  de  civisme.  La  terreur  était  portée  à 
tel  point,  qu'on  n'osa  leur  donner  la  sépulture,  et 
leurs  corps  sanglants,  roulant  dans  les  flots  de  la 
Loire  épouvantée,  allèrent  se  réunir  à  ceux  qu'on 
noyait  à  Nantes. 

Si  vos  ennemis  avaient  eu  le  moindre  sentiment 
de  pudeur,  de  justice,  ou  seulement  de  ce  qu'on  ap- 
pelle éducation,  ils  n'auraient  point  outragé  vos  opi- 
nions religieuses,  ni  les  objets  de  votre  culte.  Hélio- 
dore  s'était  borné  à  voler  le  temple  de  Jérusalem  ; 
Balthasar  en  avait  fait  servir  les  vases  à  ses  débau- 
ches; vos  persécuteurs  les  ont  surpassés  par  tout  ce 
que  l'impiété  et  la  cruauté  ont  de  plus  révoltant. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  373 

Une  troupe  de  brigands,  composée  en  partie  de 
prêtres  apostats,  se  précipitait  avec  fureur  dans  les 
églises,  détruisait  les  chefs-d'œuvre  des  arts,  les 
monuments  de  la  piété,  exerçait  le  pillage,  et  vomis- 
sait des  blasphèmes. 

Vous  avez  vu  un  magistrat,  à  qui  la  loi  comman- 
dait de  protéger  la  liberté  religieuse,  insulter  lâche- 
ment à  ses  concitoyens  catholiques  en  profanant 
les  signes  révérés  de  leur  culte. 

Quand  Jéroboam  voulut  détourner  les  Hébreux 
d'adorer  le  vrai  Dieu  dans  le  temple  de  Jérusalem, 
il  fit  ériger  des  idoles  à  Dan  et  à  Béthel.  Dans  nos 
églises  dévastées,  que  le  délire  nommait  temples  de 
la  Raison,  des  prostituées,  sous  le  nom  de  déesses  de 
la  Raison,  souillèrent  les  autels  du  Dieu  vivant;  et 
dans  ces  chaires  où  tant  de  fois  vos  pasteurs  vous 
avaient  au  nom  du  ciel  prêché  l'amour  de  la  vertu, 
le  crime  prêcha  l'athéisme  :  car  le  crime  a  besoin  de 
l'athéisme  pour  étouflfer  ses  remords  :  le  crime  re- 
doute l'idée  d'un  Dieu,  cette  idée  consolante  qui,  à 
l'issue  de  nos  cérémonies  religieuses,  vous  suivait 
dans  vos  maisons,  dans  vos  travaux,  et  qui,  dans  cet 
isolement  affreux  où  vous  a  plongé  la  destruction 
ties  cultes,  a  soutenu  votre  espérance  et  allégé  vos 
malheurs. 

-  Les  persécuteurs  allaient  jusque  dans  les  maisons 
semer  l'épouvante,  désoler  les  familles,  enlever  les 
livres  et  tout  ce  qui  pouvait  réveiller  des  sentiments 
religieux.  Dans  diverses  contrées  de  la  France,  on 
les  a  vus  arracher  la  croix  des  mains  des  malades 
expirants,  et,  par  les  imprécations  les  plus  féroces, 
aggraver  leurs  souffrances  et  accélérer  leur  trépas. 

Alors  les  liens  sociaux  furent  relâchés  et  presque 


374      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  REVOLUTION  FRANÇAISE 

rompus  ;  il  n'y  eut  plus  de  sécurité  que  pour  les  scé- 
lérats. Les  hommes  vertueux,  poursuivis  jusque  dans 
l'asile  de  la  pensée,  conçurent  un  dégoût  de  la  vie  ; 
ceux  qu'on  envoyait  au  supplice  furent  privés  des 
secours  de  la  religion,  que  dans  aucun  pays  on  ne 
refuse  à  l'homme  dans  les  derniers  moments  de  son 
existence  ;  et  ceux  que  la  mort  avait  moissonnés 
étaient  portés  dans  la  tombe  avec  un  dédain  qui  les 
assimilait  aux  brutes,  tandis  que  chez  tous  les  peu- 
ples un  respect  religieux  accompagne  au  tombeau 
les  débris  de  l'humanité. 

Après  avoir  consterné  le  peuple,  les  brigands  fei- 
gnaient de  croire  et  s'efforçaient  de  persuader  qu'il 
avait  renoncé  à  sa  religion  et  abjuré  son  Dieu ,  tan- 
dis que  leurs  partisans  dans  chaque  commune  n'étaient 
qu'une  poignée  d'êtres  dépravés.  La  morale  de  l'Évan- 
gile est  si  pure  qu'elle  répugne  à  tous  les  libertins; 
quand  elle  abandonne  le  cœur,  le  vice  y  entre.  Le 
christianisme,  disait  saint  Augustin,  serait  le  plus 
grand  ami  des  hommes  s'ils  n'avaient  point  de  pas- 
sions. Voyez  quels  ont  été  vos  tyrans!  Parmi  eux 
vous  trouverez  des  assassins,  des  voleurs,  des  impu- 
diques, des  ivrognes;  mais  y  voit-on  un  seul  homme 
entouré  de  l'estime  publique?  Ils  ont  reçu  les  applau- 
dissements de  quelques  femmes  effrontées  et  crapu- 
leuses ;  mais  a-t-on  vu  dans  ce  nombre  une  fille  dé- 
cente, une  vertueuse  mère  de  famille?  Non,  réjouis- 
sez-vous donc  d'avoir  pour  persécuteurs  tout  ce  qui 
compose  la  lie  de  l'espèce  humaine  ;  soyez  sûrs  que 
l'homme  fidèle  à  Dieu  sera  fidèle  à  sa  patrie,  et  que 
les  ennemis  de  la  liberté  des  cultes  sont  aussi  les 
ennemis  de  toute  vertu,  les  ennemis  de  la  liberté  po- 
litique. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  375 

Quel  était  leur  but?  Ils  voulaient  anéantir  tous  les 
principes  qui,  dirigeant  les  hommes  au  bien,  sont 
un  reproche  continuel  aux  méchants;  ils  voulaient 
piller  sans  obstacle  et  tenter  la  contre-révolution  en 
révoltant  le  peuple.  L'histoire  en  frémissant  tracera 
le  tableau  de  ces  crimes,  et  si  j'en  ai  rappelé  le  sou- 
venir, ce  n'est  pas  pour  alimenter  des  haines  (à  Dieu 
ne  plaise!),  mais  pour  vous  indiquer  ceux  envers  qui 
vous  multiplierez  les  procédés  de  la  charité  :  c'est  la 
seule  vengeance  que  la  religion  permette.  Vous  n'au- 
rez pas  avec  eux  ces  liaisons  amicales  qui  ne  peuvent 
être  fondées  que  sur  l'estime;  mais  vos  bienfaits  à 
leur  égard  aggraveront  leurs  remords,  s'ils  en  sont 
susceptibles,  et  les  ramèneront  peut-être  à  la  vertu, 
s'ils  en  sont  encore  capables. 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  sonder  quels  étaient 
les  desseins  de  Dieu,  en  permettant  que  la  persé- 
cution vint  nous  assaillir;  mais  s'il  est  permis  à  de 
faibles  mortels  de  conjecturer  sur  cet  objet,  pourquoi 
n'y  verrions-nous  pas  la  main  paternelle  qui,  par  le 
châtiment,  appelle  ses  enfants  au  repentir?  Ici  je 
vous  répéterai  ce  qu'un  de  vos  compatriotes,  Pierre 
de  Blois,  disait  il  y  a  six  cents  ans  à  vos  ancêtres  : 
«  Les  tribulations  sont  autant  de  messagers  que  Dieu 
«  vous  envoie  pour  presser  votre  retour  vers  lui  *.  » 

Vous  aviez  porté  la  dissipation  et  commis  des  irré- 
vérences dans  nos  temples;  il  a  permis  qu'on  vous 
en  interdit  l'accès.  Vous  aviez  peut-être  négligé  ses 
instructions,  profané  ses  sacrements  ;  pendant  un 
temps,  il  vous  a  condamnés  à  une  privation  totale. 

Un  prêtre  apostat  disait  parmi  vous  :  «  Je  ne  veux 

1.  Petrus  Blesensis,  De  utililate  tribulationum. 


376      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  pas  m'efTorcer  à  défendre  une  religion  que  Dieu 
«  abandonne.  »  Ministre  infidèle  !  Non,  il  ne  l'abandonne 
pas!  Le  divin  fondateur  a  promis  d'être  avec  elle 
jusqu'à  la  consommation  des  temps.  A  la  vérité,  elle 
se  promène  dans  l'univers,  suivant  l'expression  de 
Bossuet;  des  contrées  où  jadis  elle  était  florissante 
sont  actuellement  privées  de  sa  lumière;  mais  la 
France  catholique  depuis  seize  siècles  n'éprouvera  pas 
ce  malheur.  Les  cent  mille  brigands  qui  ont  été  l'ef- 
froi et  le  fléau  de  la  République  n'ont  pu  arracher 
de  nos  cœurs  ni  l'amour  de  la  religion  ni  l'amour  de 
la  liberté;  nous  transmettrons  aux  générations  sui- 
vantes ce  double  héritage.  Le  vaisseau  de  la  Républi- 
que et  celui  de  l'Église,  battus  par  les  orages,  marche- 
ront de  conserve  et  arriveront  heureusement  au  port. 

Il  est  consolant  de  savoir  que,  dans  cette  subver- 
sion générale,  très  peu  de  vrais  chrétiens  ont  été  en- 
traînés; et  quand  on  nous  dit  que  cependant  un  assez 
grand  nombre  ont  jeté  le  masque,  c'est  qu'effective- 
ment ils  n'avaient  que  le  masque;  leur  perversité  se- 
crète a  seulement  acquis  de  la  publicité. 

Entre  les  ministres  des  autels,  ceux  qui  s'étaient  cou- 
verts du  manteau  de  l'hypocrisie  n'ont  fait,  en  se  décla- 
rant imposteurs,  que  dévoiler  la  putridité  de  leur 
cœur.  Nous  gémissons  sur  leurs  égarements;  mais 
cependant  félicitons-nous  de  ce  qu'en  donnant  leur 
signalement  ils  ont  prémuni  contre  le  mal  qu'ils  au- 
raient produit. 

Ne  croyez  pas  d'ailleurs  que  l'apostasie  ait  entraîné 
la  majorité.  Un  prêtre  est  vicieux,  cent  voix  s'élèvent 
pour  l'annoncer  :  un  prêtre  est  vertueux,  ses  vertus 
obscures  et  modestes  sont  à  peine  remarquées.  Les 
bons   ont  subi  le   scrutin    épuratoire  ;    comme   les 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  377 

apôtres,  ils  ont  résisté  aux  tyrans;  inébranlables  au 
milieu  des  dangers,  ils  sont  restés  fidèles  à  la  religion, 
à  la  République;  ils  sont  prêts  à  se  dévouer  de  nou- 
veau pour  la  même  cause.  La  persécution  a  immolé 
des  hommes  d'un  mérite  éclatant  et  qui  ont  droit  à 
nos  regrets  ;  mais  aussi  la  persécution  a  opéré  le 
triage  des  bons  et  des  mauvais  chrétiens,  des  bons 
et  des  mauvais  prêtres,  et  par  là  elle  donne  une  ga- 
rantie à  votre  confiance  en  vous  désignant  ceux  qui  la 
méritent. 

D'autres  avantages,  dont  l'énumération  serait  lon- 
gue, résulteront  encore  de  ces  événements.  N'ayant 
plus  de  consistance  politique,  vous  ne  serez  plus 
tentés  de  vous  reposer  sur  un  bras  de  chair  :  Dieu 
seul  sera  votre  appui.  L'éclat  des  métaux  précieux  ne 
brillera  plus  dans  nos  temples;  mais  au  moins  ils  ne 
présenteront  plus  d'appât  à  la  cupidité  :  la  simplicité 
crédule  n'identifiera  plus  la  vraie  piété  avec  ce  qui 
en  fut  souvent  le  poison;  et  sans  ces  moyens  acces- 
soires, la  majesté  touchante  des  cérémonies  recueil- 
lera les  âmes  et  les  élèvera  vers  Celui  qui  en  est 
l'objet. 

Que  la  religion  renaisse  parmi  nous  î  qu'elle  renaisse 
pure  comme  elle  sortit  des  mains  de  Jésus-Christ, 
comme  elle  fut  dans  les  premiers  siècles!  c'étaient 
les  jours  de  sa  gloire.  Nous  aimons  à  reporter  nos 
souvenirs  sur  ces  temps  heureux  en  concevant  l'es- 
pérance de  les  voir  reparaître,  La  fournaise  de  la 
persécution,  en  consumant  quelquefois  de  bon  grain, 
a  dévoré  l'ivraie  qui  croissait  dans  le  champ  du  Sei- 
gneur. Ainsi  la  terre,  fertilisée  par  la  combustion  des 
plantes  parasites  qui  déshonoraient  sa  surface,  se 
couvre  de  riches  moissons.  Nous  sommes  replacés 


378      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pour  ainsi  dire  à  l'origine  de  l'Église,  et  le  retour  de 
cette  époque  annonce  celui  de  la  véritable  piété , 
comme  le  retour  du  printemps  annonce  le  réveil  de 
la  nature. 

Trop  longtemps  les  mauvais  chrétiens ,  les  mau- 
vais prêtres  ont  été  le  fléau  de  nos  assemblées  reli- 
gieuses :  nous  ne  voulons  ni  des  uns  ni  des  autres. 
Les  prêtres  surtout,  qui  devaient  l'exemple  du  cou- 
rage, et  qui  n'ont  montré  que  de  la  lâcheté,  sont 
encore  plus  coupables  que  les  laïcs.  Plutôt  voir  des 
paroisses  sans  pasteur,  que  d'en  avoir  de  mauvais  ! 
Les  bons  redoubleront  ce  zèle  dont  ils  ont  signalé  les 
élans  d'une  manière  si  utile  et  si  glorieuse;  ils  mon- 
treront au  peuple  le  christianisme  dans  sa  beauté, 
sa  grandeur. 

Où  trouver  une  religion  qui  donne  une  idée  plus 
sublime  de  l'homme,  de  sa  dignité,  et  qui  lui  pré- 
sente une  morale  plus  pure  et  des  espérances  plus 
consolantes?  Fille  du  ciel,  elle  en  descend,  non, 
comme  le  disait  le  mensonge,  pour  tyranniser  les 
mortels,  mais  pour  les  conduire  au  bonheur  par  la 
vertu.  Elle  étend  sa  sollicitude  et  ses  bienfaits  sur 
toutes  les  époques  de  la  vie;  elle  prend  l'homme  au 
berceau,  veille  sur  son  enfance,  épie  sa  raison  nais- 
sante pour  l'éclairer  dans  la  route  qu'il  parcourt  ici- 
bas,  bénit  ses  unions,  règle  ses  démarches,  préside  à 
toutes  ses  actions. 

Dans  ses  cérémonies  touchantes  elle  appelle  la 
fertilité  dans  nos  campagnes  ,  la  liberté  sur  notre 
patrie;  elle  bénit  le  ciel  de  ses  dons;  elle  prie  pour 
ceux  qui  l'outragent  ;  elle  entre  dans  les  chaumières, 
descend  dans  les  cachots  pour  consoler  ceux  .qui 
souffrent  ;  elle  vole  au  chevet  du  malade  pour  le  dis- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  379 

poser  à  léternité.  Elle  le  suit  même  au  delà  des 
bornes  de  la  vie,  et,  par  une  chaîne  invisible,  elle  lie 
le  bonheur  des  races  éteintes  à  celui  des  races  pré- 
sentes et  futures. 

Si,  comme  on  l'a  dit,  les  détracteurs  de  l'Évangile 
avaient  trouvé  dans  un  auteur  païen  le  discours  de 
Jésus-Christ  sur  la  montagne,  ou  celui  qu'il  tint  à 
ses  disciples  avant  de  mourir,  avec  quel  enthousiasme 
ils  en  auraient  préconisé  la  sublimité! 

Est-il  une  vertu  qu£  la  religion  ne  commande  ? 
Seule,  elle  enfante  et  récompense  cette  foule  de  bonnes 
œuvres  qui  n'ont  que  Dieu  pour  témoin.  A-t-on  vu 
les  censeurs  du  christianisme  imiter  un  saint  Paulin 
de  Noie  sacrifiant  sa  liberté  pour  rendre  un  fils  à  sa 
mère,  un  saint  Vincent  de  Paul  qui  se  met  dans  les 
chaînes  pour  en  arracher  un  captif? 

Est-il  un  vice  que  la  religion  ne  condamne?  L'im- 
pudique en  est  tellement  convaincu,  que  pour  insi- 
nuer le  poison  du  crime  dans  un  cœur  novice  et  flé- 
trir la  pudeur,  il  commence  par  saper  les  principes 
religieux.  L'incrédule  même  éprouvera  plus  de  sécu- 
rité dans  une  assemblée  de  vrais  chrétiens  que  dans 
une  société  d'athées.  Car,  dans  l'absence  de  tous  les 
principes,  ceux  qui  l'entourent  le  voleraient,  ses 
amis  le  trahiraient,  et  pourrait-il  compter  sur  l'obéis- 
sance de  ses  enfants,  sur  la  fidélité  d'une  épouse? 

La  loi  humaine,  qui  n'arrête  que  le  bras,  ne  peut 
atteindre  une  foule  de  vices  destructeurs  de  l'ordre 
public;  la  religion  les  frappe  dans  leur  source,  elle 
en  condamne  même  la  pensée.  Elle  est  donc  le  sup- 
plément nécessaire  à  Tinsuffisance  des  lois  humaines, 
et  la  base  la  plus  solide  de  la  garantie  sociale. 

Aussi  partout  où  l'Évangile  a  pénétré,  il  a  huma- 


380      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

nisé  les  peuples,  amélioré  le  sort  des  malheureux, 
avivé  le  génie  des  arts  et  consolidé  l'existence  poli- 
tique. Est-il  juste  de  lui  reprocher  les  vices  qu'il  ne 
peut  empêcher,  et  de  ne  pas  lui  tenir  compte  de  ceux 
qu'il  réprime  et  des  vertus  qu'il  enfante?  Autant 
vaudrait  incriminer  la  société  pour  les  forfaits  qu'elle 
flétrit  et  qu'elle  punit. 

Exposer  les  bienfaits  du  christianisme,  c'est  déjà 
faire  présumer  la  certitude  de  ses  preuves  :  car  il  est 
dans  l'ordre  essentiel  des  choses  que  ce  qui  dans 
tous  les  temps  est  utile  à  tous  les  hommes,  soit  vrai. 
Mais  pour  vous  pénétrer  de  la  vérité  de  votre  reli- 
gion, il  faut  la  connaître.  Vous  étudiez  les  titres  de 
vos  possessions,  pourriez-vous  ignorer  à  quel  titre 
l'héritage  céleste  vous  est  promis? Nos  ennemis  vous 
ont  répété  que  la  religion  était  une  imposture;  mai;^ 
vous  l'ont-ils  prouvé  ?  Non ,  eux-mêmes  ne  la  con- 
naissent pas,  ou  ils  affectent  de  la  méconnaître  en 
lui  attribuant  sans  cesse  des  abus  qu'elle  condamne, 
en  répétant  sans  cesse  des  railleries  triviales,  des 
objections  mille  fois  détruites.  Ils  les  puisent  dans 
les  écrits  de  nos  adversaires  qu'ils  lisent;  ils  laissent 
les  réponses  dans  les  ouvrages  de  nos  défenseurs 
qu'ils  ne  lisent  pas.  Tel  serait  un  juge  qui  pronon- 
cerait une  sentence  contre  quelqu'un  sur  la  seule  au- 
dition de  sa  partie  adverse. 

Ils  vous  reprochent  de  croire  à  des  mystères,  tan- 
dis que  la  nature  en  est  pleine  et  qu'ils  ne  peuvent 
seulement  expliquer  la  texture  d'un  grain  de  sable 
ni  la  croissance  d'un  brin  d'herbe. 

Ils  veulent  être  crus  sur  parole,  et  ils  vous  repro- 
chent une  aveugle  crédulité  absolument  contraire 
aux  principes  du   christianisme,   puisque  l'Écriture 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  381 

veut  que  votre  soumission  soit  t'aisonnable  *,  et  que  vous 
soyez  toujours  en  état  de  rendre  compte  de  votre  espé- 
rance *.  Sans  cela  Dieu  peut-il  être  honoré  de  vos 
hommages?  Vous  devez  être  chrétiens,  non  parce  que 
vos  pères  l'étaient,  mais  parce  que  le  christianisme 
est  vrai. 

Ici,  mes  Frères,  de  douloureux  souvenirs  viennent 
contrister  mon  âme.  La  douceur  et  l'aménité  du  ca- 
ractère, une  heureuse  facilité  d'esprit  distinguent  les 
citoyens  de  votre  département.  A  ces  dons  naturels 
il  en  est  qui  réunissent  les  lumières  ;  mais  en  général, 
l'instruction  y  est  très  arriérée.  Ceux  d'entre  vous 
dont  la  foi  fut  ébranlée  par  des  déclamations  ou  des 
sophismes  eussent-ils  éprouvé  ce  malheur  si  leur 
croyance  eût  été  le  fruit  d'une  raison  cultivée  ? 

Pères  et  mères,  à  l'obligation  d'être  éclairés  pour 
vous-mêmes,  se  joint  celle  d'instruire  vos  enfants. 
Renoncez  à  l'auguste  qualité  que  vous  donne  la  pater- 
nité, si  par  les  lumières  unies  à  l'exemple  vous  n'êtes 
capables  de  développer  en  eux  les  qualités  qui  con- 
stituent le  citoyen  et  le  chrétien.  Et  cependant  tel  est 
l'aveuglement  d'un  grand  nombre  d'entre  vous  que 
l'instruction  ne  leur  parait  qu'un  accessoire,  tandis 
qu'elle  est  une  condition  indispensable  pour  être 
chrétien. 

De  là  cette  fatale  ignorance  qui  les  rend  accessibles 
à  toutes  les  attaques  de  l'impiété,  à  toutes  les  se- 
cousses des  passions,  à  tous  les  écarts  d'une  imagi- 
nation délirante;  de  là  cette  foule  de  pratiques  quel- 
quefois puériles  et  qui  déshonoreraient  la  religion  si 


1.  Rom.  XII,  V.  1. 

2.  i.  Petr.  III,  13. 


382      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

elle  pouvait  l'être;  de  là  cette  piété  fausse  qui  par 
des  œuvres  extérieures  prétend  se  dispenser  des  ver- 
tus intérieures.  J'ai  remarqué  parmi  vous  un  pen- 
chant décidé  pour  la  multiplication  des  fêtes.  Ceux 
qui  réclamaient  cette  multiplication  en  étaient-ils 
meilleurs?  Les  jours  chômés  n'étaient-ils  pas  fré- 
quemment souillés  par  le  libertinage  et  la  débauche? 
Si  au  lieu  d'une  procession  ou  d'une  fête  on  leur 
eût  proposé  un  jeûne  de  plus,  un  service  à  rendre  au 
prochain,  un  sacrifice  à  la  chose  publique,  peut-être 
eussent-ils  refusé,  parce  qu'ils  veulent  une  dévotion 
commode  et  conciliable  avec  leurs  penchants.  Les 
cérémonies  sont  utiles,  nécessaires  même;  elles  ont 
pour  objet  d'élever  l'âme  à  Dieu,  de  soutenir  son 
élan  vers  la  vertu;  mais  toute  pratique  qui  subsiste 
avec  la  corruption  du  cœur  ne  sert  qu'à  nourrir  une 
funeste  illusion. 

D'un  autre  côté,  j'entends  dire  que  quelques-uns 
d'entre  vous  veulent  être  catholiques  à  condition  de 
choisir  ce  qui  leur  convient,  en  omettant  par  exem- 
ple les  austérités  de  la  pénitence.  Ne  dirait-on  pas 
que  pour  eux  la  religion  est  une  affaire  de  mode  ? 
Dépend-il  de  nous  d'ajouter  ou  de  supprimer  dans 
l'œuvre  de  Dieu?  Non.  C'est  le  dépôt  inviolable  que 
nous  devons  garder  et  transmettre.  La  religion  est 
un  tissu  tellement  organisé,  que  si  l'on  arrache  un  fil, 
tout  le  tissu  s'échappe.  On  n'est  pas  chrétien  à  demi, 
on  ne  sauve  pas  la  moitié  de  son  âme.  L'Église  re- 
pousse de  son  sein  ces  enfants  rebelles  qui  veulent 
la  mutiler  au  gré  de  leurs  caprices  et  la  faire  tran- 
siger avec  leurs  passions.  ^a.#P 

Vous  avez  gémi  sur  la  destruction  du  culte  ;  vous 
en  avez  désiré  le  rétablissement  :  est-ce  pour  remé- 


PIÈCES  JDSTIFICATIVES  383 

dier  aux  désordres  de  vos  consciences,  pour  marcher 
avec  un  courage  invariable  dans  la  route  de  Ja  vertu? 
Déjà  vous  affluez  dans  nos  assemblées  :  quel  motif 
vous  y  amène?  Si  c'est  le  respect  humain,  l'amour  de 
la  nouveauté,  vous  ressemblez  à  ces  coupables  Israé- 
lites, dont  Dieu  disait  :  Ce  peuple  m^ honore  des  lèvres, 
mais  son  cœur  est  loin  de  moi  ^. 

Eu  égard  à  la  rareté  des  subsistances,  les  priva- 
tions qu'impose  le  jeûne  peuvent  avoir  un  double 
mérite  :  car  la  religion  consacre  les  sacrifices  que 
l'on  fait  à  la  patrie.  Mais  quels  sont  d'ailleurs  vos 
efforts  pour  vous  disposer  à  célébrer  les  solennités 
pascales  ?  Quels  cœurs  apporterez-vous  à  ces  tou- 
■chantes  cérémonies?  Interrogez  vos  consciences,  leur 
état  actuel  vous  fera  peut-être  concevoir  de  justes 
alarmes,  et  cependant  le  bonheur  a  fui  loin  de  vous, 
car  la  première  peine  du  péché  est  de  l'avoir  commis. 
Comparez  les  époques  heureuses  où  vous  dormiez 
dans  le  sein  de  l'innocence  avec  celles  où  le  ver  ron- 
geur du  remords  est  entré  dans  votre  âme,  et  conve- 
nez que  quand  on  n'est  pas  en  paix  avec  Dieu,  on 
est  en  guerre  avec  soi-même.  Lhomme  vicieux  est 
un  esclave.  Privé  de  la  liberté  des  enfants  de  Dieu,  il 
vit  sous  l'empire  tyrannique  des  passions.  La  vertu, 
vous  disais-je  autrefois,  la  vertu  seule  embellit  le 
sentier  de  la  vie,  seule  elle  donne  à  l'homme  de  la 
dignité,  elle  élève,  elle  agrandit  son  âme;  avec  elle 
on  est  tout,  sans  elle  on  n'est  rien. 

Si,  après  quelques  efforts  pour  secouer  le  joug  du 
vice,  vous  prétendez  que  comme  autrefois  votre  vie 
sera  une  alternative  de  chutes,  de  réconciliations  et 

1.  Isa.  c.  XXIX,  V.  13. 


oS4      HISTOIRE  RELIGIEUSE   DE  LA  RÉVOLUTION   FRANÇAISE 

de  rechutes,  quittez  notre  société  religieuse;  en  gé- 
missant sur  vos  égarements,  il  nous  sera  doux  de 
penser  que  votre  séparation  éloigne  du  troupeau  les 
dangers  de  la  contagion. 

Ainsi,  vous  nous  donnerez  la  mesure  de  votre  piété 
par  votre  empressement  à  rentrer,  par  votre  persé- 
vérance à  marcher  dans  les  sentiers  de  la  justice; 
nous  apprécierons  votre  courage  à  supporter  les 
tribulations  nouvelles  qui  vous  attendent,  car  si  la 
persécution  est  ralentie ,  d'autres  peines  vous  sont 
réservées. 

Vos  ennemis  les  plus  acharnés  sont  décidés  à  vous 
trouver  des  torts  pour  justifier  leur  abjuration  ou 
leurs  fureurs  ;  ils  empoisonneront  vos  démarches, 
vos  discours,  vos  intentions  même;  ils  provoqueront 
des  troubles  pour  vous  les  imputer.  N'ont-ils  pas 
d'ailleurs  l'arsenal  inépuisable  de  la  calomnie?  Les 
pasteurs  fidèles  seront  spécialement  en  butte  aux 
outrages.  Personne  n'est  injuste  au  point  d'attribuer 
à  la  Convention  nationale  les  torts  de  quelques  man- 
dataires infidèles;  personne  n'a  l'injustice  de  vouloir 
que  les  magistrats  soient  responsables  des  écarts  de 
quelques-uns. 

Quand  il  s'agit  de  prêtres,  il  n'en  est  pas  de  même  ; 
tandis  qu'à  peine  on  tient  compte  à  beaucoup  d'entre 
eux  d'avoir  fait  éclater  toutes  les  vertus  chrétiennes 
et  civiques,  on  les  rend  solidaires  du  mal  que  les 
autres  ont  commis  ;  on  veut  répartir  sur  tous  le  blâme 
des  écarts  qu'ils  détestent.  Une  faute  individuelle  et 
légère  devient  l'objet  d'une  inculpation  grave  et  géné- 
rale, des  hommes  brutaux  font  retentir  à  l'instant 
ces  mots  :  Superstition,  fanatisme,  qu'ils  se  gardent 
bien  de  définir,  et  qui  leur  servent  de  prétexte  pour 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  38S 

colorer  des  vexations  torsionnaires.  Bientôt  des  jour- 
nalistes affidés  se  rendent  leurs  échos,  et  tous  sont 
sûrs  de  recueillir  des  applaudissements  dans  ces  so- 
ciétés où  il  est  permis  de  se  dire  athée,  et  non  d'être 
chrétien. 

Quand  des  persécuteurs,  couverts  de  sang,  osent 
accuser  le  christianisme  d'être  intolérant  et  sangui- 
naire, ils  savent  bien  qu'ils  mentent.  J.-C.  nous  a 
donné  le  précepte  et  l'exemple  de  la  douceur.  Rien 
de  plus  contraire  à  la  religion  que  ce  qu'on  nomme 
très  improprement  haine  religieuse.  Charité  est  le  cri 
de  l'Évangile.  Des  hommes  pervers  ont,  sous  pré- 
texte de  religion,  allumé  des  guerres  civiles.  De  ce 
voile  sacré  ils  ont  couvert  leur  ambition  et  leur  ven- 
geance; la  religion  qui  les  abhore  n'en  est  pas  plus 
responsable  que  le  commerce,  la  liberté,  la  justice  ne 
le  sont  des  forfaits  commis  en  leur  nom. 

Que  la  sagesse  de  votre  conduite  soit  une  réponse 
victorieuse  à  toutes  les  impostures.  Au  milieu  des 
afflictions,  rappelez-vous  que  les  apôtres  se  félici- 
taient d'avoir  été  jugés  dignes  de  souff"rir  pour  J.-C. 
Je  vous  dirai  comme  le  martyr  saint  Ignace  à  son 
cher  Polycarpe  :  soyez  inébranlable  comme  une  enclume 
sur  laquelle  on  frappe  '. 

Quoique  les  persécuteurs  soient  les  ennemis  da 
genre  humain ,  usez  de  bonté  à  leur  égard.  Que  votre 
mansuétude  déconcerte  leur  férocité.  N'avez -vous 
jamais  senti  combien  il  est  doux  dans  la  pratique, 
combien  il  est  sublime,  ce  précepte  du  divin  Maître  : 
Aimez  vos  ennemis;  faites  du  bien  à  ceux  gui  vous^ 
haïssent  *. 

1.  Ignatii  Epist.  ad  Polycarp. 

2.  Matth.  V,  44. 

22 


386      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Souvenez-vous  que  le  christianisme  veut  édifier,  et 
non  dominer.  Celui  qui  voudrait  contraindre  vos  opi- 
nions, vos  actions,  serait  un  tyran;  ne  soyez  donc 
les  tyrans  de  personne;  plaignez  celui  qui  s'égare, 
ne  l'imitez  pas,  mais  aimez-le  ;  fermez  votre  âme  à 
l'erreur  et  au  vice,  mais  ouvrez  vos  bras  à  vos  frères 
errants,  à  tous  ceux  qu'une  disparité  d'opinions  pa- 
rait éloigner  de  vous. 

Une  classe  d'hommes  toujours  partisans  du  des- 
potisme et  toujours  révoltés  contre  la  loi,  n'ont  cessé 
depuis  quatre  ans  d'égarer  le  peuple  en  semant  des 
mensonges.  Ils  savent  très  bien  que  toujours  atta- 
chés à  l'arbre  antique  et  majestueux  de  l'Église  ca- 
tholique, apostolique  et  romaine,  nous  croyons  tout 
ce  qu'elle  croit;  ils  savent  qu'il  n'y  a  pas  un  mot  de 
changé  dans  la  célébration  des  mystères,  l'adminis- 
tration des  sacrements,  l'enseignement  des  vérités 
saintes;  et  cependant  par  leurs  impostures  ils  ont 
tourmenté  les  citoyens,  divisé  les  familles  et  enfanté 
la  guerre  affreuse  de  la  Vendée,  qui  a  causé  une  plaie 
si  profonde,  et  qui  nous  laisse  de  longs  et  douloureux 
souvenirs. 

J'apprends  que  leur  fureur  se  rallume,  qu'ils  atten- 
dent avec  impatience  ma  lettre  pastorale  pour  la  dé- 
chirer, en  dénaturer  le  sens,  en  travestir  les  idées, 
que  déjà  ils  répandent  parmi  vous  des  calomnies 
nouvelles,  capables  de  provoquer  de  nouveaux  mal- 
heurs. Nous  redoublerons  d'efforts  pour  vous  garantir 
de  leurs  pièges;  confondez-les  en  redoublant  de  res- 
pect pour  la  religion,  et  de  zèle  pour  en  accomplir  les 
devoirs.  A  leurs  malédictions,  répondez  par  des  bé- 
nédictions :  c'est  le  précepte  de  Jésus-Christ.  Un  écri- 
vain qui  a  vécu  parmi  vos  ancêtres  (Geoflroi  de  Yen- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  387 

dôme),  en  parlant  à  des  dissidents,  leur  disait  : 
«  Quelles  que  soient  les  discussions  fâcheuses  qui 
«  ont  eu  lieu  entre  nous,  avec  l'aide  de  Dieu  nous 
«  conserverons  toujours  à  votre  égard  la  charité  qui 
«  est  le  lien  de  la  perfection  *.  » 

Nos  ennemis  voudraient  bien  que  nous  imitassions 
ces  hommes  coupables  de  l'ancien  régime,  qui  par 
un  alliage  sacrilège,  égalant,  pour  ainsi  dire,  la  créa- 
ture au  créateur,  répétaient  sans  cesse  ces  mots  : 
Dieu  et  le  roi,  le  trône  et  Yautel. 

Quand,  pour  satisfaire  à  mon  devoir  et  à  mon  cœur, 
je  visitais  vos  paroisses,  avec  quel  soin  je  vous  incul- 
quais la  haine  du  despotisme.  L'Évangile,  vousdisais- 
je,  nous  annonce  que  nous  sommes  frères.  L'Évan- 
gile consacre  les  principes  d'égalité  et  de  liberté. 
Réitérez  vos  protestations  de  fidélité  à  la  République 
et  d'attachement  à  la  Convention  nationale.  Ne  souf- 
frez pas  dans  vos  assemblées  religieuses  l'alliage  im- 
pur d'hommes  qui  voudraient  faire  regretter  le  régime 
exécrable  de  la  royauté.  Qui  n'aime  pas  la  République 
est  un  mauvais  citoyen  et  conséquemment  un  mau- 
vais chrétien. 

Dans  l'effusion  de  ses  bienfaits,  le  christianisme 
embrasse  toute  la  race  humaine,  mais  cette  philan- 
thropie universelle  n'exclut  pas  les  sentiments  de  pré- 
dilection pour  la  famille  politique  dont  nous  sommes 
membres.  Le  patriotisme  est  la  dette  de  la  justice  et 
de  la  reconnaissance.  La  patrie  protège  la  vie  et  la 
fortune  des  citoyens;  il  y  a  réciprocité  dans  les  obli- 
gations ;  nous  devons  donc  être  disposés  à  lui  sacri- 
fier la  fortune  et  la  vie.  Que  les  vrais  catholiques  se 

1.  Geoffroi  de  Vendôme,  I.  IV,  épît.  11. 


-388      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

signalent,  par  leur  empressement  à  payer  les  contri- 
butions, à  combattre  pour  la  liberté,  comme  ces  vail- 
lants Machabées  dont  l'éloge  consacré  dans  les  livres 
■saints  a  retenti  jusqu'à  nous. 

Parents,  vous  êtes  comptables  à  Dieu  et  à  la  société 
•de  l'éducation  de  vos  enfants.  Enfants  ,  respectez 
ceux  qui  vous  ont  donné  la  vie  et  dont  le  sang  coule 
^ans  vos  veines.  Honorez  la  vieillesse,  respectez  la 
pudeur,  acquérez  toutes  les  connaissances  utiles,  pra- 
tiquez toutes  les  vertus,  dérobez  à  vos  détracteurs  le 
droit  de  médire  de  vous,  ne  leur  laissez  d'autre  res- 
source que  la  calomnie. 

Il  y  a  quatre  ans,  mes  Frères,  que,  cédant  à  vos 
désirs  et  m'abandonnant  à  votre  confiance  qui  m'ap- 
pelait, je  m'arrachai  au  repos,  aux  lieux  qui  m'avaient 
vu  naître,  aux  objets  que  la  piété  filiale  rendait  les 
plus  chers  à  mon  cœur;  dans  un  moment  où  l'épisco- 
pat  n'était  entouré  que  d'épines,  je  l'acceptai,  parce 
qu'un  refus  de  ma  part  pouvait,  disait-on,  compro- 
mettre le  sort  de  la  religion  et  de  la  patrie.  Il  m'est 
doux  de  pouvoir ,  comme  Samuel  en  face  du  peuple 
hébreu,  invoquer  votre  suffrage  sur  ma  conduite  au 
milieu  de  vous.  Si,  malgré  les  témoignages  multipliés 
de  votre  bienveillance ,  des  peines  ont  accompagné 
tous  mes  pas,  si  dans  mes  fatigues  apostoliques  j'ai 
contracté  une  infirmité  qui  doit  m'accompagner  au 
tombeau;  qu'importe,  pourvu  que  la  religion  fleurisse, 
^ue  la  République  s'affermisse,  pourvu  que  les  vérités, 
dont  je  fus  l'organe,  fructifient  dans  vos  âmes,  et 
qu'un  jour  nous  soyons  réunis  au  sein  du  bonheur 
4ans  les  tabernacles  éternels.  Rien  ne  m'arrachera 

mon  attachement pourvous ,pourvous,mesFrères, 

que  je  porte  dans  mon  cœur. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  389 

Et  VOUS,  pasteurs,  mes  collaborateurs  fidèles,  vous 
qui,  toujours  accessibles  aux  malheureux,  ne  les  avez 
jamais  considérés  d'un  œil  sec;  vous  qui  dans  les 
chaumières  et  sur  le  lit  de  douleur  alliez  consoler 
l'humanité  souffrante  ;  vous  qui  par  l'influence  et  par 
les  relations  touchantes  du  ministère  avez  prévenu 
tant  d'agitations,  empêché  tant  de  crimes,  fait  éclore 
tant  de  vertus,  et  concouru  si  efficacement  à  établir 
la  liberté,  rien  ne  pourra  vous  faire  repentir  de  votre 
conduite.  Le  creuset  des  tribulations  vous  a  épurés. 
Rassasiés  d'opprobre,  voués  à  la  misère,  chassés  de 
vos  asiles,  à  peine  avez-vous  trouvé  un  lieu  pour  re- 
poser votre  tête  :  vous  avez  fait  la  guerre  à  tous  les 
vices,  est-il  surprenant  que  tous  les  vices  se  soient 
ligués  contre  vous? 

Ranimez  votre  zèle,  rentrez  dans  la  carrière,  l'amour 
de  la  religion  et  de  la  patrie  vous  en  fait  un  devoir: 
ainsi  que  moi,  n'êtes-vous  pas  responsables  de  la  por- 
tion du  troupeau  confiée  à  vos  soins?  Quelles  que 
soient  les  tribulations  qui  nous  attendent,  pourquoi 
sommes-nous  pasteurs  ?  n'ayant  d'autres  richesses 
que  la  vertu,  d'autre  domination  que  l'ascendant  de 
l'humilité,  d'autre  ambition  que  celle  d'opérer  le  bien, 
forçons  l'estime  de  nos  détracteurs;  ainsi  Julien, 
acharné  à  détruire  la  religion  chrétienne,  était  réduit 
à  citer  pour  modèle  aux  pontifes  du  paganisme  les 
vertus  des  prêtres  catholiques. 

N'oubliez  pas  que  l'instruction,  beaucoup  trop  né- 
gligée, est  une  partie  indispensable  du  ministère,  une 
partie  intégrante  de  l'office  divin.  L'ignorance  est  une 
des  plaies  les  plus  profondes  qui,  dans  ces  derniers 
temps,  aient  été  faites  à  l'Église.  Sans  lumière  comme 
sans  vertu,  il  n'y  a  ni  piété  sincère,  ni  véritable  liberté 

22. 


390      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Concourons  donc  à  développer  toutes  les  faculté» 
de  l'homme,  à  étendre  le  domaine  de  la  raison,  à 
faire  aimer  les  lois,  à  ressusciter  les  bonnes  mœurs 
presque  anéanties  par  la  destruction  contre-révolu- 
tionnaire du  culte.  Que,  par  nos  soins,  l'alliance  si 
naturelle  du  christianisme  et  de  la  démociatie  de- 
vienne indissoluble.  Dieu  et  la  patrie  :  voilà  notre  de- 
vise, et  nos  derniers  soupirs  seront  encore  pour  la 
religion  et  la  République. 

Sera  la  présente  adressée  à  toutes  les  paroisses  du 
diocèse  et  lue  au  prône  de  la  messe  paroissiale,  le  di- 
manche qui  en  suivra  immédiatement  la  réception. 

Donné  à  Paris,  le  12  mars  1795,  et  le  22  ventôse 
l'an  3  de  la  République  une  et  indivisible. 

-|-  Henri  Grégoire, 
Êvêque  du  diocèse  de  Loir-et-Cher. 


LETTRE  ENCYCLIQUE 

DE  PLUSIEURS  ÉVÊQUES  DE  FRANCE  A  LEURS  FRÈRES 

LES  AUTRES  ÉVÊQUES  ET  AUX  ÉGLISES  VACANTES 

(15  mars  1795) 

LA  GRACE   ET  LA   PAIX   EN  JÉSUS-CHRIST 

De  toutes  les  persécutions  qui  ont  affligé  l'Église 
gallicane  depuis  son  origine,  et  qui  toutes  ont  enra- 
ciné de  plus  en  plus  la  foi  dans  le  cœur  des  fidèles , 
aucune  peut-être  n'a  réuni  tant  de  perfidies,  de  vio- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  39* 

lences  et  de  cruautés  que  la  dernière.  Elle  a  été 
dirigée  plus  spécialement  contre  les  ministres  des 
autels.  Puissent  les  lâches  et  les  perfides  qui  ont 
trahi  la  cause  de  la  religion  passer  le  reste  de  leurs 
jours  dans  les  larmes  du  repentir,  et  donner  à  leur 
pénitence  autant  de  publicité  qu'en  eut  leur  scandale  ! 
Puissent  ceux  à  qui  Dieu  a  fait  la  grâce  de  demeurer 
fidèles  au  milieu  des  outrages,  au  milieu  des  terreurs 
de  la  mort,  dans  les  liens,  dans  les  horreurs  des 
cachots,  dans  une  spoliation  et  un  dénuement  uni 
versel,  «  se  réjouird'avoir  été  jugés  dignes  de  souffrir 
«  pour  le  nom  de  Jésus-Christ  »,  consoler  l'Église  au 
milieu  de  ses  pertes  et  ranimer  ses  espérances!  Puis- 
sent-ils ne  jamais  «  rougir  de  l'Évangile,  source  de 
«  force  et  de  joie  pour  ceux  qui  croient,  et  s'enhardir 
«  à  prêcher  avec  une  nouvelle  confiance  la  parole 
«  divine  qui  sauve  les  âmes  et  qui  les  met  en  posses- 
«  sion  de  la  véritable  liberté  des  enfants  de  Dieu!  » 
Ainsi  les  maux  qui  sont  venus  fondre  sur  nous 
seraient  une  crise  qui,  dans  les  desseins  de  la  Provi- 
dence, devait  épurer  la  société  chrétienne. 

La  vigne  du  Seigneur  a  été  ravagée  :  un  petit 
nombre  d'hommes  corrompus,  portant  sur  le  front  la 
terreur,  «  ont  donné  en  proie  aux  oiseaux  du  ciel  les 
«  corps  morts  des  serviteurs  de  Dieu  :  ils  ont  répandu 
«  leur  sang  comme  l'eau  autour  de  Jérusalem,  et  il 
«  n'y  avait  personne  pour  leur  donner  la  sépulture... 
«  Que  d'impiétés  n'ont-ils  pas  commises  dans  le  sanc- 
«  tuaire!  Ils  ont  mis  leur  gloire  à  insulter  Dieu  au 
«  milieu  de  ses  solennités.  Ils  ont  abattu  les  portes 
«  du  lieu  saint  ;  ils  ont  souillé  et  mis  par  terre 
«  le  tabernacle  où  l'on  révère  son  nom.  Ils  ont  cou- 
«  spire  entre  eux,  et  ils  ont  dit  unanimement  :  faisons 


392      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

«  cesser  et  abolissons  de  dessus  la  terre  les  jours  de 
«  fête  consacrés  au  Tout-Puissant.  » 

Pardonnons  à  ceux  qui  se  sont  portés  à  de  tels 
excès,  et  remontons  à  la  cause  première.  C'est  Dieu, 
c'est  Dieu  lui-même  qui  a  permis  que  notre  culte  nous 
fût  enlevé,  parce  que  nous  le  profanions  par  nos  irré- 
vérences, parce  que,  «  tandis  que  nous  l'honorions 
«  des  lèvres,  notre  cœur  était  éloigné  de  lui  ». 

Si  la  persécution  n'est  pas  éteinte,  elle  est  au  moins 
ralentie.  Dieu  daigne  aujourd'hui  nous  rendre  un 
commencement  de  liberté  du  culte.  La  religion  paraît 
sortir  du  tombeau  et  se  relever  au  milieu  des  ruines. 
Les  persécuteurs,  pour  couvrir  leurs  forfaits,  vou- 
laient persuader  que  le  peuple  avait  abjuré  son  culte. 
De  toutes  parts  le  peuple  dément  cette  imposture,  la 
piété  des  fidèles,  si  longtemps  comprimée,  prend  un 
nouvel  essor,  ils  appellent  à  grands  cris  leurs  pas- 
teurs. 

Pasteurs  des  âmes,  nous  surtout  évêques,  nous 
sommes  comptables  à  Dieu,  à  l'Église,  à  la  postérité, 
de  nos  efforts  pour  réveiller  la  foi,  pour  ressusciter 
les  bonnes  mœurs  presque  anéanties  par  la  destruc- 
tion du  culte,  et  rendre  à  la  religion  l'éclat  des  vertus 
qui  en  font  l'ornement  et  la  gloire. 

Avec  Esdras,  élevons  nos  mains  vers  le  Seigneur, 
•et  reconnaissons  que  «  nos  iniquités  ont  été  cause 
«  que  nous  avons  été  livrés  entre  les  mains  des  im- 
«  pies,  et  que  nous  avons  été  abandonnés  au  pillage, 
«  aux  insultes  et  à  la  confusion  ». 

Après  avoir  satisfait  à  Dieu,  par  les  sentiments 
d'une  vive  componction,  «  montons  au  sanctuaire 
«  pour  le  purifier  de  ses  souillures  ». 

La  religion  catholique,    apostolique   et  romaine 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  393 

fut  apportée  à  nos  pères  par  les  premiers  successeurs 
•des  apôtres.  Elle  est  incorruptible,  inaltérable  dans 
sa  foi  et  sa  morale  :  ce  qu'elle  enseigne,  elle  l'en- 
seigna dans  tous  les  siècles,  depuis  sa  naissance; 
■elle  l'enseignerajusqu'à  la  consommation  des  siècles. 
il  n'en  est  pas  de  même  de  tous  les  articles  de  sa  dis- 
cipline, dont  plusieurs  ont  été  défigurés  au  point 
d'être  devenus  méconnaissables.  L'Église  gallicane 
«lie-même,  si  célèbre  par  son  respect  pour  la  sainte 
antiquité,  était  désolée  par  tous  les  genres  d'abus,  et 
ses  maux  étaient  d'autant  plus  déplorables  qu'ils 
paraissaient  sans  remède.  La  plupart  de  ceux  qui 
pouvaient  y  remédier  y  étaient  insensibles  :  ceux  qui 
y  étaient  sensibles  ne  pouvaient  y  remédier. 

Dans  le  cours  des  événements  qui  se  sont  succédé 
depuis  le  commencement  de  la  Révolution,  il  semble 
que  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  nous  ait  ménagé 
l'époque  actuelle  qui  nécessite  et  facilite  le  rétablis- 
sement de  la  discipline  ecclésiastique.  La  religion 
n'a  plus  de  consistance  politique  en  France,  par  là 
sont  levés  les  obstacles  qui  s'opposaient  à  ce  rétablis- 
sement. Justice,  sûreté,  protection  de  la  part  du  gou- 
vernement; de  notre  part,  soumission,  fidélité,  atta- 
chement à  la  République,  tels  seront  désormais  nos 
rapports  réciproques.  Dans  l'exercice  des  devoirs  du 
christianisme,  nous  puiserons  sans  cesse  de  nou- 
veaux motifs  d'aimer  Dieu  et  la  Patrie,  et  la  vivacité 
de  ce  double  attachement  ne  lui  laissera  pas  le  carac- 
tère obscur  de  la  clandestinité.  «  Car  nous  sommes 
«  des  enfants  de  lumière,  et  non  des  enfants  de  ténè- 
«  bres,  et  il  n'y  a  que  celui  qui  fait  le  mal  qui  haïsse 
«  la  lumière.  » 

Certains   usages   de  la   discipline  portent  encore 


394      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTIOiN  FRANÇAISE 

l'empreinte  de  l'ignorance,  restes  malheureux  de 
la  barbarie  du  moyen  âge  et  de  la  subversion  des 
principes,  introduite  par  les  fausses  Décrétales.  En 
conservant  religieusement  la  doctrine  qui  nous  est 
transmise,  nous  espérons  qu'aidés  d'un  concours  de 
lumières  et  de  suffrages,  et  fidèles  aux  vœux  des 
conciles,  nous  pourrons  un  jour  ramener  la  disci- 
pline à  cette  uniformité  d'administration,  de  prières 
et  d'enseignement,  qui  s'adapte  si  bien  à  l'unité  de 
l'Église,  et  rappeler  ces  formes  antiques  des  premiers 
siècles  qui  présentaient  le  spectacle  touchant  de 
fidèles  qui  «  adoraient  Dieu  en  esprit  et  en  vérité  ». 

Mais  si  chaque  évêque,  chaque  diocèse,  et  particu- 
lièrement les  diocèses  en  état  de  viduité,  se  permet- 
taient à  présent  des  innovations  dans  la  discipline, 
cet  isolement  de  conduite,  cette  marche  précipitée 
fourniraient  un  aliment  à  la  calomnie,  et  bientôt 
l'anarchie  en  serait  le  funeste  résultat  :  il  est  d'ail- 
leurs des  règles  de  discipline  que  ni  l'évêque  ni  un 
synode  particulier  ne  peuvent  changer. 

Cependant  la  rédaction  d'un  règlement  provisoire 
est  nécessaire  pour  le  moment  actuel  :  il  écartera  la 
confusion  et  maintiendra  l'ordre,  autant  qu'il  est  pos- 
sible, dans  cette  inévitable  disparité  d'usages  aux- 
quels doivent  succéder  des  règles  uniformes.  Le  plan 
de  ce  règlement  a  été  conçu  par  un  certain  nombre 
d'évêques,  actuellement  réunis  à  Paris,  à  qui  la  cen- 
trante de  cette  commune  facilite  une  correspondance 
étendue  et  suivie.  Nous  aurions  même  pu,  sans  témé- 
rité, donner  à  notre  assemblée  une  dénomination 
avouée  par  toute  l'antiquité   ^   puisqu'elle  appelle 

i.Thomassin,  Discipline  ecclésiastique,  t.  III,  p.  331. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  395 

Conciles  ces  réunions  d'évêques  qui,  se  trouvant  for- 
tuitement à  Constantinople  ou  dans  les  autres  chefs- 
lieux,  s'occupaient  en  commun  des  intérêts  de  la 
religion. 

La  prudence  et  la  charité  chrétienne  aplaniront 
les  difficultés  imprévues  et  résultantes  des  événe- 
ments extraordinaires  dont  nous  sommes  contempo- 
rains et  témoins.  D'ailleurs,  nos  frères  les  évêques 
nous  auront  peut-être  prévenus  dans  leurs  diocèses 
respectifs,  par  des  déterminations  capables  de  rec- 
tifier et  d'améliorer  celles  que  nous  leur  présentons. 

Au  reste,  «  tout  ce  qui  est  vrai,  tout  ce  qui  est  hon- 
«  nête,  tout  ce  qui  est  jiîste,  tout  ce  qui  est  saint, 
<  tout  ce  qui  est  aimable,  tout  ce  qui  attire  l'estime 
«  et  la  considération;  tout  ce  qui  est  vertueux,  tout 
■t  ce  qui  est  louable  dans  les  mœurs  occupera  sans 
€  cesse  nos  pensées.  Dispensateurs  des  mystères  de 
«  Dieu,   nous  puiserons  avec  joie  dans  les  sources 

*  gdDondantes  du  Sauveur  les  eaux  salutaires  de  sa 
«  grâce,  pour  nous  conduire  d'une  manière  digne  de 
«  son  Évangile.  Nous  tenant  tous  unis  ensemble, 
«  n'ayant  tous  qu'un  même  amour,  un  même  esprit 

*  et  les  mêmes  sentiments,  nous  ne  ferons  rien  par 
«  un  esprit  de  contention  ni  de  vaine  gloire;  et  sans 
«  nous  laisser  intimider  par  les  efi"orts  de  nos  adver- 
«  saires,  nous  agirons  en  toutes  choses,  sans  mur- 
€  murer,  sans  contester.  A  Dieu  seul,  qui,  selon  son 

*  bon  plaisir,  produit  en  nous  le  vouloir  et  l'action, 
«  honneur  et  gloire. 

«  Que  la  paix  de  Dieu,  qui  est  au-dessus  de  toutes 
«  nos  pensées,  garde  nos  cœurs  et  nos  esprits  en 
'*  Jésus-Christ!  » 


396      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Nous,  évêques  de  France,  réunis  à  Paris,  assemblés 
au  nom  de  Jésus-Christ,  après  avoir  invoqué  le  Saint- 
Esprit,  consulté  les  monuments  les  plus  authentiques 
et  les  plus  respectables  de  la  foi  et  de  la  discipline  de 
l'Église,  et  appelé  auprès  de  nous  des  prêtres  et  des 
fidèles  recommandables  par  leur  piété  et  leurs  lu- 
mières, faisons  devant  l'Eglise  universelle  la  déclara- 
tion de  notre  foi  et  de  nos  sentiments,  soumettons  à 
la  sagesse  de  nos  frères  les  évoques  résidents  dans 
leurs  diocèses  respectifs,  et  adressons  aux  presby- 
tères des  églises  veuves  les  règles  de  discipline  pro- 
visoires qui  nous  ont  paru  les  plus  applicables  aux 
besoins  de  l'Eglise  gallicane,  à  la  fin  d'une  persé- 
cution et  à  l'époque  du  rétablissement  du  culte  catho- 
lique. 

Déclaralion  de  notre  fol  et  de  nos  sentiments. 

Nous  croyons  que  l'Eglise  est  l'assemblée  des. 
fidèles  qui,  sous  la  conduite  des  pasteurs  légitimes,, 
dans  la  profession  d'une  même  foi  et  la  participation 
aux  mêmes  sacrements,  forment  un  même  corps  dont 
Jésus-Christ  est  le  chef  invisible,  et  le  Pape  le  chef 
visible. 

Nous  croyons  de  cœur  et  d'esprit  tout  ce  que  croit  et 
enseigne  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine. 

Nous  professons  sa  doctrine,  telle  qu'elle  a  été 
définie  parles  conciles  œcuméniques. 

Nous  adoptons  l'exposition  de  la  doctrine  de  V Église 
catholique,  par  Bossuet. 

Nous  reconnaissons  que  le  gouvernement  de  l'Église 
est  tout  spirituel,  et  qu'il  ne  peut  s'étendre  ni  direc- 
tement ni  indirectement  sur  le  temporel. 


PIÈCES  JDSTIFICATIVES  397 

«  Le  Fils  de  Dieu,  ayant  voulu  que  son  Église  fût 
«  une  et  solidement  bâtie  sur  l'unité,  a  établi  et  in- 
«  stitué  la  primauté  de  saint  Pierre,  pour  l'entretenir 
«  et  la  cimenter.  C'est  pourquoi  nous  reconnaissons 
«  cette  même  primauté  dans  les  successeurs  du  pre- 
«  mier  des  apôtres ,  auxquels  on  doit  pour  cette 
«  raison  la  soumission  et  l'obéissance  que  les  saints 
«  conciles  et  les  saints  Pères  ont  toujours  enseignées 

«  à  tous  les  fidèles L'autorité  de  la  chaire  de  saint 

€  Pierre  a  un  fondement  certain  dans  l'Évangile, 
«  et  une  suite  évidente  dans  la  tradition.  »  (Bossuet, 
/ôirf.,  §21.) 

«  Le  gouvernement  épiscopal  est  établi  par  Jésus- 
«  Christ  même.  On  le  voit  en  vigueur  dès  les  temps 
«  des  apôtres.  L'autorité  de  l'épiscopat  établit  l'unité 
«  dans  les  églises  particulières,  comme  la  primauté 
«  du  saint-siège  est  le  centre  commun  de  toute 
«  l'unité  catholique.  »  [Ibid.) 

Les  évêques,  successeurs  des  apôtres,  tiennent  de 
J.-C,  par  la  consécration,  leur  pouvoir  et  leur  autorité. 

<  Nul  ne  doit  prêcher,  s'il  n'est  envoyé.  »  (Saint 
Paul,  Rom.  x,  y.  15.)  A  la  vacance  d'un  siège,  confor- 
mément au  canon  V  du  premier  concile  de  Nicée,  le 
nouvel  évèque  élu  doit  être  approuvé  et  constitué  par 
les  évêques  de  la  province,  en  présence  du  métropo- 
litain; et  dans  les  cas  difficiles  et  d'une  nécessité 
urgente,  par  trois  évêques,  que  se  seront  assurés  de 
sa  vertu,  de  sa  doctrine  et  de  sa  sainteté,  et  du  con- 
sentement du  peuple. 

Les  pasteurs  du  second  ordre  sont  associés  aux 
évêques,  par  la  disposition  du  Saint-Esprit,  pour 
paître,  enseigner  et  gouverner  l'Église  avec  eux  et 
sous  leur  autorité. 

23 


398      HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

L'Écriture  commande  d'obéir  aux  puissances  ;  nous 
nous  faisons  un  devoir  d'être  soumis  aux  lois  de  la 
République,  de  prier  pour  elle  et  nous  intéresser  à  sa 
prospérité,  de  respecter  ses  magistrats,  et  d'inspirer 
les  mêmes  sentiments  aux  fidèles  confiés  à  nos 
soins. 

Nous  reconnaissons  que  les  mariages  autorisés  par 
la  puissance  publique  doivent  avoir  tous  leurs  effets 
civils.  Mais  nulle  puissance  humaine  ne  peut  altérer 
la  pureté  de  la  morale  évangélique.  La  doctrine  d(' 
l'Église  catholique  ne  permet  pas  le  divorce  ;  elle 
défend  à  ses  ministres  de  donner  la  bénédiction  nup- 
tiale aux  fidèles  divorcés. 

Sa  discipline  ancienne  ,  constante,  universelle  , 
interdit  les  fonctions  spirituelles  à  ceux  de  ses  minis- 
tres qui  se  marient  après  leur  ordination. 

Nous  rejetons  toute  innovation  dans  la  discipline 
générale  de  l'Église. 

Nous  sommes  profondément  affligés  des  divisions 
qui  déchirent  l'Église  de  France,  et  nous  exprimons 
notre  ardent  désir  d'une  prompte  et  solide  réunion. 
Pour  accélérer  cet  heureux  événement,  nous  adopte- 
rons toutes  les  voies  de  conciliation  conformes  à  la 
charité,  à  la  justice,  à  la  vérité  et  aux  libertés  de 
l'Église  gallicane. 

Nous  nous  faisons  gloire  d'être  les  ministres  d'une 
religion  dont  la  morale  simple  et  sublime  se  com- 
pose de  toutes  les  vertus  utiles  à  la  société,  religion 
sainte,  qui  doit  à  son  origine  céleste  l'avantage  d'être 
l'institution  la  plus  adaptée  à  la  nature  de  l'homme, 
la  plus  propre  à  lui  montrer  la  véritable  route  du 
bonheur  auquel  il  aspire,  et  à  lui  en  faciliter  l'acqui- 
sition; religion  dont  les   caractères  distinctifs  sont 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  399 

l'égalité  fraternelle,  la  charité  sans  bornes,  le  pardon 
des  injures,  lamour  même  des  ennemis,  le  soin 
attentif  de  ne  nuire  à  personne,  l'empressement  à 
faire  du  bien  à  tous;  religion  qui  ne  tend  qu'à  éta- 
blir partout  la  paix  et  la  concorde,  l'amour  et  la  pra- 
tique des  bonnes  œuvres,  qu'à  détruire  l'empire  du 
vice,  qu'à  brider  les  passions,  qu'à  introduire  et  pro- 
pager les  mœurs  douces  et  sociales,  qu'à  leur  donner 
pour  compagne  fidèle  la  pudeur  qui  en  est  l'ornement 
et  la  sauvegarde  ;  religion  qui  nous  concilie  les  fa- 
veurs du  ciel,  répand  sur  nous  les  trésors  de  la  grâce. 
nous  aide  et  nous  soutient  au  milieu  des  dangers  qui 
nous  assiègent,  adoucit  les  amertumes  de  la  vie, 
entretient  l'union  dans  les  familles,  la  fidélité  et  la 
tendresse  mutuelle  des  époux,  l'amitié  des  pères 
pour  leurs  enfants,  et  le  respect  des  enfants  envers 
leurs  pères;  religion  dont  un  des  principes  essentiels 
est  l'obéissance  aux  autorités,  la  pleine  et  entière 
soumission  aux  lois,  dont  elle  est  le  véritable  supplé- 
ment, comme  le  plus  ferme  appui  ;  car  leur  puissance 
se  borne  à  punir  certaines  actions,  sans  opposer 
aux  passions  une  barrière  suffisante,  sans  atteindre 
une  foule  de  désordres  qui  se  dérobent  à  la  vigilance 
des  magistrats  ;  religion  qui  nous  présente  pour  chef 
et  pour  modèle  celui  qui  est  la  sainteté  même,  qui 
nous  donna  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  qui  nous 
apprit  à  être  doux  et  humbles  de  cœur,  à  compatir 
aux  pauvres  et  aux  affligés,  à  mépriser  les  richesses, 
les  plaisirs,  les  grandeurs  humaines,  tout  ce  qui  peut 
flatter  l'orgueil  ou  la  sensualité,  à  porter  nos  vues  et 
tout  notre  ambition  vers  le  ciel,  où  nous  attend,  pour 
fixer  notre  bonheur,  le  même  Jésus-Ch7^ist,  auteur, 
consommateur  et  rémunérateur  de  notre  foi. 


400     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Nous  abhorrons  les  impiétés,  les  blasphèmes  et  les 
excès  sacrilèges  dont  se  sont  rendus  coupables  dans 
«es  derniers  temps  des  chrétiens,  des  prêtres,  et  même 
des  évêques. 

RÈGLEMENTS 

§  I'=^  —  Conduite  à  tenir  envers  les  ecclésiastiques 
qui  sont  tombés  pendant  la  persécution. 

Conformément  à  l'esprit  de  l'Église  et  aux  règles 
canoniques,  nous  regardons  comme  indignes  de  leur 
état  et  de  la  confiance  des  fidèles  en  matière  de  reli- 
gion : 

1°  Tous  les  ecclésiastiques,  et  surtout  les  évêques. 
qui  ont  apostasie,  par  quelque  motif  que  ce  soit; 

2°  Les  ecclésiastiques  qui  ont  livré  à  la  profanation 
le  corps  de  Jésus-Christ,  les  saintes  Écritures,  les 
saintes  Huiles,  l'image  de  Jésus-Christ,  ou  autres 
objets  de  la  vénération  des  fidèles,  ou  qui  ont  ap- 
plaudi aux  sacrilèges,  aux  impiétés,  aux  blasphèmes 
des  ennemis  de  la  religion  ; 

3°  Les  ecclésiastiques  qui,  de  leur  propre  mouve- 
ment, ont  livré,  ou  promis  de  livrer,  ou  fait  croire 
qu'ils  avaient  livré  leurs  lettres  d'ordre,  d'institution 
canonique,  de  desserte  ou  de  vicariat,  ou  en  ont 
consenti  la  remise  faite  par  autrui; 

4°  Les  ecclésiastiques  qui  ont,  de  leur  propre  mou- 
vement, pendant  la  persécution,  donné  leur  démis- 
sion, ou  déclaré  qu'ils  renonçaient  à  leurs  fonctions 
ou  au  sacerdoce  ; 

5°  Les  ecclésiastiques  qui,  ayant  livré  leurs  lettres, 
par  crainte,  à  la  vérité,  mais  avec  conviction  qu'on 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  401 

les  leur  demandait  en  haine  de  la  religion,  ou  en 
signe  d'abdication  de  leur  état,  n'ont  pas  déclaré 
aussitôt  qu'ils  ne  renonçaient  pas  à  la  religion  ou  à 
leur  caractère,  ou  à  leurs  fonctions,  ni  réclamé  avant 
la  fin  de  la  persécution  auprès  des  autorités  con- 
stituées ; 

6"  Les  ecclésiastiques  qui,  en  s'abstenant  pour  eux- 
mêmes  des  actes  d'abdication  mentionnés  ci-dessus, 
les  ont  conseillés  à  d'autres; 

7°  Les  ecclésiastiques  qui,  par  crainte  ou  autre- 
ment, ont  coopéré  d'une  manière  active  à  la  persé- 
cution ou  à  la  suspension  du  culte; 

8"  Les  ecclésiastiques  qui  ont  assisté  et  pris  part 
aux  cérémonies  d'un  culte  impie  et  dérisoire; 

9°  Les  ecclésiastiques  qui  se  sont  mariés  sous  pré- 
texte d'éviter  les  persécutions,  ou  par  quelque  motif 
que  ce  soit,  quand  même  ils  renonceraient  au  ma- 
riage. 

Nous  pensons  qu'eu  égard  aux  besoins  de  l'Eglise, 
on  pourra  user  d'indulgence  envers  les  ecclésias- 
tiques qui,  ayant  livré  leurs  lettres  ou  donné  leur 
démission,  et  n'étant  compris  dans  aucun  des  arti- 
cles précédents,  auront,  par  de  dignes  fruits  de  péni- 
tence, expié  leur  faute  et  réparé  le  scandale. 

Les  fautes  de  ce  genre  sont  susceptibles  d'une  lati- 
tude plus  ou  moins  grande  qui  en  atténue  ou  en 
accroît  la  grièveté,  et  qui  doit  conséquemment  mo- 
difier, d'après  les  règles  canoniques,  et  celle  de  la 
prudence  chrétienne,  l'application  des  principes  de 
sévérité  ou  d'indulgence. 

Mais  à  l'égard  des  personnes  indiquées  dans  les 
précédents  articles,  la  discipline  doit  être  observée 
dans  toute  sa  rigueur;  on  fera  sentir  aux  peuples  la 


402     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

nécessité  de  s'y  conformer,  et  les  maux  qu'entraî- 
nerait le  relâchement  dans  des  cas  si  graves. 

^  IL  —  Conduite  que  les  ecclésiastique?,  auront  à  tenir 
à  regard  des  fidèles  qui  sont  tombés  pendant  la  per- 
sécution, et  avis  quils  auront  à  donner  à  ceux  qui 
seraient  tentés  de  se  diviser. 

Les  ministres  de  l'Église  trouveront  dans  le  Traité 
de  saint  Cyprien  de  Lapsis  *  des  principes  qui  pour- 
ront les  diriger  dans  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des 
fidèles  tombés,  à  qui  Dieu  inspirerait  des  sentiments 
de  pénitence  :  on  peut  aussi  consulter  le  chapitre  19 
du  concile  de  Nicée,  les  conciles  d'Elvirc,  d'Arles, 
d'Ancyre  et  les  canons  de  Pierre  d'Alexandrie. 

Ils  inculqueront  aux  fidèles  qui  seraient  tentés  de 
se  diviser ,  les  principes  de  Gerson  adoptés  par 
l'Église  ^ 

«  Le  schisme,  dit  cet  auteur,  en  parlant  de  celui 

1.  Nous  venons  de  faire  imprimer  une  traduction  de  ce 
traité,  qui  se  vend  chez  le  citoyen  Leclère,  libraire,  rue  Saint- 
Martin,  n"'  254  et  89. 

2.  Gersonis  Opéra,  Antwerpix,  1106,  t.  II,  fol.  2.  De  modo  ha- 
bendi  se  tempore  schismatis. 

Non  est  schisma  tantum  in  separatione  membrorum  a  capite, 
sedetiamin  separatione  pertinaci  membrorum  ab  invicem.  Pag.  6. 

In  schismate  prœsenti  tani  dubio,  temcrarium,  injuriosum.  et 
scandalosum  est  asserere  omnes  tenentes  islam  partem  vcl  alte- 
ram,  vel  omnes  neutrales  eliam  absolutos,  esse  universaliter  extra 
statum  salutis,  vel  excommunicatos,  vel  rationabiliter  de  schis- 
mate suspectos. 

Temerarium  et  scandalosum  et  sapiens  hseresim  est  asserere 
sacramenta  Ecclesiœ  suani  efficaciam  non  habere,  aut  sacer- 
dotes  non  esse  consecratos,  pueros  non  esse  baptisatos,  sacra- 
mentum  altaris  non  esse  confectum,  et  similia. 

Temerarium  et  scandalosum  est  asserere  quod  non  licet  audire 
missas  eorum  vel  sacramcntis  non  communicare.  Pag.  4. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  403 

«  d'Avignon,  ne  consiste  pas  seulement  dans  la  sépa- 
«  ration  des  membres  d'avec  le  chef,  mais  aussi  dans 
«  la  séparation  obstinée  des  membres  les  uns  d'avec 
«  les  autres. 

«  C'est  une  témérité,  un  scandale,  dans  une  affaire 
«  aussi  controversée ,  d'oser  regarder  ses  frères 
«  engagés  dans  un  autre  parti,  ou  ceux  qui  gardent 
«  la  neutralité,  comme  universellement  hors  de  la 
«  voie  du  salut,  comme  excommuniés,  ou  comme  jus- 
«  tement  suspects  de  schisme. 

«  C'est  une  témérité,  un  scandale  qui  sent  l'hérésie, 
«  de  prétendre  que  les  sacrements  de  l'Église  n'ont 
«  pas  leur  efficacité,  que  les  enfants  ne  sont  pas  bap- 
«  tisés,  que  les  prêtres  ne  sont  pas  vraiment  prêtres, 
«  qu'ils  ne  consacrent  pas,  et  autres  choses  sem- 
«  blables. 

<  C'est  une  témérité  et  un  scandale  de  prétendre 
«  qu'il  n'est  pas  permis  d'entendre  leurs  messes,  ou 
«  de  communiquer  avec  eux  dans  les  sacrements.  » 


REGLES   PARTICULIERES 

§  III.  —  Sur  r administration  des  diocèses  et  pai'oisses, 
sur  les  sacrements  et  sur  le  culte. 

i.  Nous  suivons  l'esprit  de  l'Église  en  adoptant  la 
4listribution  qui  s'est  faite  des  arrondissements  ecclé- 
siastiques, conformément  aux  distributions  civiles. 

2.  Dans  la  distribution  actuelle  de  la  France,  les 
diocèses  resteront  sous  le  régime  des  dix  métro- 
poles. 

3.  Nous  conservons  provisoirement  la  distribution 
actuelle  des  paroisses. 


404     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

4.  Tous  les  rapports  établis  par  les  saints  canons, 
entre  les  métropolitains  et  leurs  suffragants,  sont  rap- 
pelés et  maintenus. 

5.  La  seule  manière  canonique  de  pourvoir  aux 
évêchés  vacants  est  l'élection. 

6.  Nous  exhortons  les  fidèles  à  offrir  leurs  prières 
à  Dieu  pour  en  obtenir  des  pasteurs  selon  son  cœur. 
Dans  les  circonstances  où  se  trouve  actuellement 
l'Église,  rien,  sans  doute,  n'est  plus  nécessaire  que 
d'avoir  de  bons  Pasteurs,  mais  cette  importance 
même  établit  la  nécessité  de  n'y  procéder  qu'avec 
maturité. 

7.  Nous  présenterons  le  plus  tôt  possible  le  mode 
d'élection  des  évêques  et  des  curés,  conformément 
aux  règles  canoniques  de  la  primitive  Église.  Jus- 
que-là, chaque  métropolitain,  ou,  à  son  défaut,  l'évèque 
le  plus  ancien  de  l'arrrondissement,  sentira  qu'il  est 
de  son  devoir  de  surveiller  les  diocèses  vacants.  Les 
évêques  voisins  se  rappelleront  aussi  que  l'épiscopat 
étant  solidaire,  ils  doivent  étendre  leur  sollicitude 
sur  les  églises  veuves. 

8.  Conformément  à  l'esprit  du  gouvernement  de 
l'Église  et  à  la  pratique  des  temps  les  plus  reculés, 
l'évèque  a  deux  conseils. 

Le  premier  composé  de  tous  les  pasteurs  du  se- 
cond ordre  du  diocèse  :  il  est  sage  et  juste  que  les 
évêques  ne  fassent  aucun  règlement  général  et  n'ad- 
mettent aucun  changement  important  dans  les  rites, 
usages  et  règlements  de  discipline  générale  de  leur 
diocèse,  sans  avoir  pris  l'avis  de  ce  conseil. 

Le  second  est  composé  des  curés  de  la  ville  épi- 
scopale.  Il  convient  que  dans  l'administration  ordi- 
naire l'évèque    ne    fasse  rien  d'important   sans   en 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  405 

avoir  conféré  avec  eux.  Dans  le  cas  où  leur  nombre 
ne  s'élèverait  pas  à  celui  de  douze,  ce  nombre  sera 
complété  par  les  curés  les  plus  voisins.  Ce  conseil 
dès  les  premiers  temps  de  l'Église  était  désigné  sous 
le  nom  de  presbytère  :  à  lui  appartient  le  gouverne- 
ment du  diocèse  pendant  la  vacance  du  Siège. 

9.  A  cause  du  malheur  des  temps  présents,  et  pour 
cette  fois  seulement,  le  presbytère  pourra  être  com- 
posé d'un  nombre  beaucoup  moindre.  Nul  ne  pourra 
en  être  membre  s'il  n'a  tenu  pendant  la  persécution 
une  conduite  notoirement  irréprochable. 

10.  Nous  invitons  nos  collègues  à  adresser  à  leurs 
diocésains  une  lettre  de  consolation  et  d'exhortation, 
et  à  leur  indiquer  la  conduite  qu'ils  doivent  tenir 
dans  ces  temps  difficiles. 

41.  Nous  ne  doutons  pas  que  leur  zèle  ne  les  porte 
à  faire  aussitôt  qu'il  sera  possible  la  visite  de  leur 
diocèse. 

12.  Il  est  important  que  nous  nous  conformions 
aux  saints  canons,  relativement  aux  dimissoires  et 
aux  temps  d'ordination;  que  nous  ne  précipitions 
aucune  ordination,  sous  prétexte  du  petit  nombre 
des  prêtres;  que  nous  ne  prévenions  jamais  l'âge 
prescrit  par  le  concile  de  Trente.  Il  serait  même  à 
désirer  que,  conformément  aux  anciens  canons,  on 
n'ordonnât  aucun  prêtre  avant  l'âge  de  trente  ans. 

Les  saints  canons  proscrivent  les  ordinations 
vagues.  On  ne  doit  ordonner  aucun  prêtre  sans 
l'attacher  à  une  église  dont  les  fidèles  auront  été 
consultés. 

13.  L'un  des  premiers  soins  des  évêques  et  de 
chaque  presbytère  des  églises  vacantes  doit  être  de 
dresser  un   tableau   des   curés  et  prêtres  qui  sont 

23. 


406     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

restés  fidèles  pendant  la  persécution,  et  d'envoyer 
de  bons  prêtres  dans  les  églises  qui  se  trouvent 
sans  aucun  secours.  On  rédigera  d'après  ce  tableau 
une  Lettre  commendatice  pour  chaque  prêtre  :  elle 
énoncera  qu'il  n'est  dans  aucun  des  cas  qui  excluent 
des  fonctions  saintes. 

Pour  éviter  les  surprises  et  la  profanation,  ces 
lettres  contiendront  le  signalement  et  la  signature  du 
prêtre  qui  en  sera  porteur. 

Eu  égard  aux  malheurs  des  circonstances,  nul 
prêtre  ne  sera  admis  à  exercer  le  saint  ministère 
sans  présenter  cette  Lettre. 

14.  Les  pasteurs  se  porteront  avec  zèle  à  faire  con- 
naître Jésus-Christ,  les  richesses  abondantes  de  sa 
grâce,  et  la  nécessité  de  la  foi  en  lui  pour  être  sauvé. 
Ils  exhorteront  les  fidèles  à  faire  leur  étude  assidue 

•  et  leur  consolation  du  Nouveau  Testament,  et  sur- 
tout du  saint  Évangile. 

15.  L'instruction  est  une  partie  intégrante  de 
l'office  paroissial. 

16.  Les  curés  seront  très  exacts  à  faire  tous  les 
dimanches  une  instruction  immédiatement  après  les 
prières  du  prône  et  la  lecture  de  l'épîtrc  et  de 
l'évangile  du  jour. 

17.  Les  catéchismes  et  instructions  chrétiennes 
des  enfants  seront  repris  sans  délai  et  continués 
sans  interruption. 

18.  C'est  le  relâchement  de  la  piété  qui  a  introduit 
l'abus  de  précipiter  la  prononciation  et  les  cérémo- 
nies dans  la  célébration  de  l'auguste  sacrifice  des 
autels.  De  cet  abus  en  est  résulté  un  autre  non  moins 
déplorable.  Beaucoup  de  chrétiens  se  sont  habitués 
à  croire  que,  pour  sanctifier  le  dimanche,  il  suffisait 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  407 

d'entendre  à  la  hâte  une  messe  célébrée  de  même, 
sans  instruction  et  sans  participation  au  moins  spiri- 
tuelle à  la  sainte  table.  Nous  réclamons  de  toutes 
nos  forces  et  de  toute  notre  autorité  contre  ces  abus 
introduits  d'un  côté  par  la  cupidité,  de  l'autre  par 
l'ignorance.  Que  l'exemple  des  prêtres  inspire  aux 
fidèles  cette  gravité  décente,  cette  piété  touchante, 
ce  recueillement  profond  qui  doivent  toujours  régner 
dans  nos  assemblées  religieuses.  Que  ce  recueille- 
ment précède  et  suive  la  célébration  des  redoutables 
mystères,  dont  saint  Justin  nous  trace  un  si  admi- 
rable tableau.  Que  cette  célébration  soit  conforme 
«>n  tout  à  l'esprit  des  premiers  siècles  de  l'Église, 
on  sorte  que  la  prière,  la  méditation,  la  lecture 
de  l'Écriture  sainte,  l'homélie  accompagne  toujours 
l'oblation.  la  consécration  et  la  communion. 

Il  nv  aura  à  la  fois  dans  chaque  église  qu'une 
seule  messe .  et  la  communion  sera  donnée  aux 
tidèles  immédiatement  après  celle  du  prêtre. 

19.  Les  pasteurs  exhorteront  les  fidèles  à  présenter 
sans  délai  au  baptême  les  enfants  qui  ne  l'auraient 
point  reçu,  ou  auxquels  on  l'aurait  conféré  sans 
observer  les  formes  nécessaires  à  la  validité  du 
sacrement. 

Ils  tiendront  note  dans  la  forme  suivante  des  i)ap- 
têmes  qu'ils  administreront. 

L'an  de  Jésus-Christ  a  été  baptisé  N. 

,fils  de  ,né  sur  la  paroisse  de 

^diocèse  de 

Quant  à  la  naissance,  elle  ne  peut  être  constatée 
que  par  la  municipalité. 

:20,  Une  des  plaies  les  plus  profondes  qui  aient  été 


408     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

faites  à  l'Église  est  le  relâchement  des  mœurs,  résul- 
tant de  la  facilité  avec  laquelle  beaucoup  de  prêtres 
réconciliaient  les  pécheurs  et  les  admettaient  à  la 
participation  des  sacrements.  Les  pasteurs  se  rap- 
pelleront les  maximes  du  concile  de  Trente  sur  la 
justification  et  les  avis  de  saint  Charles  Borromée 
aux  confesseurs.  Ils  imposeront  des  pénitences  qui, 
étant  simultanément  médicinales  et  satisfactoires, 
frapperont  les  vices  dans  leur  source.  Ils  soumettront 
les  pécheurs  à  des  épreuves  qui,  sans  les  désespé- 
rer, donneront  la  certitude  morale  de  la  destruction 
des  mauvaises  habitudes  et  du  changement  des 
cœurs.  En  un  mot,  ils  feront  revivre,  autant  qu'il 
sera  possible,  les  dispositions  des  canons  péniten- 
tiaux.  C'est  ainsi  qu'en  épurant  les  mœurs,  qui  sont 
l'appui  le  plus  solide  d'un  bon  gouvernement  et  la 
garantie  nécessaire  à  toute  société  ;  ils  repousseront 
les  reproches  des  incrédules  et  feront  cesser  les 
gémissements  de  l'Eglise. 

Les  épreuves  par  lesquelles  il  a  plu  à  Dieu  d'épurer 
notre  foi  apprennent  aux  fidèles  combien  il  est  im- 
portant de  puiser  dans  le  sacrement  de  confirmation 
la  force  de  l'Esprit-Saint,  nécessaire  pour  confesser 
J.-C,  même  au  péril  de  leur  vie. 

21.  On  n'administrera  le  sacrement  de  mariage 
qu'aux  fidèles  qui  seront  mariés  civilement.  Il  en 
sera  également  tenu  note.  Nous  pensons  que  ceux 
des  fidèles  qui  en  ont  été  privés  par  la  nécessité 
des  circonstances  doivent  se  présenter  à  l'Église , 
afin  qu'elle  confirme  leur  union  et  que  Jésus-Christ 
répande  sur  eux  les  grâces  attachées  à  ce  sacrement. 

22.  Les  sacrements,  les  cérémonies  de  l'Église  ne 
doivent  être  conférés  qu'à  ceux  qui  font  profession 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  409 

d'être    ses   membres,  de  respecter  son  autorité,    et 
d'être  soumis  à  sa  discipline. 

23.  Il  ne  doit  se  faire  dans  les  églises  paroissiales 
aucun  office  extraordinaire  sans  la  permission  de 
l'évêque  diocésain,  il  ne  perdra  jamais  de  vue  l'uni- 
formité qui  doit  régner  dans  l'Église  de  France, 

24.  Dès  que  le  culte  sera  en  plein  exercice  dans 
chaque  paroisse,  aucun  prêtre  ne  pourra  célébrer  la 
messe  hors  des  églises  paroissiales,  sans  la  permis- 
sion de  l'évêque. 

25.  Nous  désirons  ardemment  la  suppression  de 
tout  honoraire  et  de  toute  rétribution  pour  prières  ou 
bénédictions,  et  particulièrement  pour  la  célébration 
de  la  messe. 

26.  Nous  espérons  que  la  piété  éclairée  des  fidèles 
suppléera  d'une  manière  plus  digne  et  plus  religieuse 
aux  besoins  indispensables  du  culte. 

27.  Les  nouveaux  temples  seront  bénits,  et  les  an- 
ciens qu'on  aura  achetés  ou  loués,  et  qui  auraient  été 
profanés,  seront  réconciliés  selon  les  formes  prescrites 
par  le  rituel.  Les  temples  doivent  être  décorés  avec 
simplicité  et  tenus  avec  propreté  :  les  hommes  se 
placeront  d'un  côté  et  les  femmes  de  l'autre,  autant 
qu'il  sera  possible.  Nulle  relique  ne  sera  exposée  à 
la  vénération  des  fidèles  sans  avoir  été  reconnue 
authentique  par  l'évêque,  après  l'examen  le  plus 
rigoureux;  car  il  est  plus  à  craindre  que  jamais  que 
sur  cet  objet  on  n'égare  la  piété  des  fidèles.  Nous 
formons  aussi  le  vœu  qu'on  ne  charge  les  autels,  les 
statues  ou  images  d'aucun  ornement  inutile  ou  fri- 
vole. 

28.  Nous  exhortons  les  ecclésiastiques  à  s'attirer 
le  respect,  par  une  simplicité,  une  modération  qui 


410     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

annonce  en  tout  l'empire  de  l'âme  sur  les  passions, 
conformément  à  cet  avis  de  l'ApAtre  :  «  Que  votre 
modestie  soit  connue  de  tout  le  monde;  »  à  avoir  soin 
•  le  leur  réputation,  dont  les  moindres  flétrissures 
rejaillissent,  quoique  très  injustement,  sur  le  sacer- 
doce entier;  à  éviter  et  à  réparer  les  plus  légers  scan- 
dales ;  à  se  pénétrer  de  la  nécessité  du  bon  exemple, 
qui  est  l'instruction  la  meilleure  et  la  plus  indispen- 
sable qu'ils  doivent  aux  peuples  ;  à  être  partout  la 
bonne  odeur  de  Jésus-Christ,  et  à  se  regarder  sans 
cesse  comme  étant  en  spectacle  à  Dieu,  aux  anges  et 
iiux  hommes. 

Nous  les  conjurons  d'entrer  dans  l'esprit  de  désin- 
téressement qui  sied  si  bien,  et  qui  est  si  fort  recom- 
mandé par  l'Église  aux  ministres  de  Jésus-Christ,  qui 
a  voulu  naître,  vivre  et  mourir  dans  la  pauvreté. 

Nous  leur  rappelons  l'obligation  qu'ils  ont  con- 
tractée de  cette  pureté  qui  doit  les  rendre  plus  sem- 
blables à  des  anges  qu'à  des  hommes;  de  cette  cha- 
rité qui  imite  celle  de  Jésus-Christ  mourant  pour  le 
salut  des  hommes  et  même  de  ses  ennemis;  de  cette 
ilouccur  qui  persuade  ou  désarme;  de  cette  tolérance 
véritable  qui  n'appartient  qu'à  l'Évangile. 

Ils  doivent  vivre  dans  la  retraite,  dans  l'exercice 
continuel  de  la  prière  et  des  bonnes  œuvres,  vaquer 
assidûment  à  l'étude  des  divines  Écritures  et  des 
saints  Pères,  et  se  renfermer  le  plus  qu'ils  pourront 
dans  le  cercle  de  leurs  devoirs. 

Enfin,  c'est  à  eux  que  sont  principalement  adressées 
(;es  paroles  de  Jésus-Christ  :  Soyez  parfaits  comme 
cotre  Père  céleste  est  parfait. 

A  Paris,  le  dimanche  15  mars,  l'an  de  J.-C.  1795, 
3  de  la  République  française,  et  ont  signé  :  f  Jean- 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  411 

Baptiste-Guillaume  Gratien,  évêque  métropolitain;  — 
-|- J.-P.  Saurine,  évêque;  — -]-  H.  Grégoire,  évêque; 
-}■  J.-B.  Royer,  évêque  *. 

1.  Une  édition  nourelle  de  la  Lettre  encyclique,  réimprimée 
vers  la  fin  de  l'année  1793,  présente  les  signatures  des  adhé- 
rents de  la  manière  suivante  : 

■f  Jean-Baptiste-Guillaume  Gratien,  évêque  métropolitain  de 
Rouen. 

f  Éléonore-Marie  Desbois,  évêque  d'Amiens. 

■f  Jean-Pierre  Sairi.ne,  évêque  du  diocèse  des  Landes,  à  Dax. 

•j-  Henri  Grégoire,  évêque  du  diocèse  de  Loir-et-Cher,  à  Blois. 

-{■  Jean-Baptiste  Royeb,  évêque  du  diocèse  de  l'Ain,  à  Belley. 
Ont  adhéré  : 
-  -f  Nicolas  DiOT,  évêque  métropolitain  de  Reims. 

■f-  François  Bécherel,  évêque  de  Goutances. 

■f  Claude  Le  Coz,  évêque  métropolitain  de  Rennes. 

-f  N Danglars,  évêque  du  diocèse  du  Lot,  à  Cahors. 

-}• Besaucèle,  évêque  du  diocèse  de  l'Aude,  à  Carcas- 

sonne. 

f  Claude  De  Bebtier,  évêque  du  diocèse  de  l'Aveyron,  à 
Rodez, 

■f  Jacques-André-Simon  Le  Fessier,  évêque  du  diocèse  de 
l'Orne,  à  Séez. 

•f  Nicolas  Philbert,  évêque  du  diocèse  de»  Ardennes,  à  Sedan. 

•f  F.-X.  Moïse,  évêque  du  diocèse  du  Jura,  à  Saint-Claude. 

■f  Jean-Antoine  Maidru,  évêque  du  diocèse  des  Vosges,  à 
Saint-Dié. 

•f  Jean-Marie  Jacob,  évêque  du  diocèse  des  Côtes-du-Nord, 
à  Saint-Brieuc. 

■f  Jean-François  Perrier,  évêque  du  diocèse  du  Puy-de-Dôme, 
à  Clermont. 

7  Barthélemy-Jean-Baptiste  Sa.nadox,  évêque  du  diocèse  des 
Basses-Pyrénées,  à  Oloron. 

-j-  J.-G.-R.-F.  Prldhomme,  évêque  du  diocèse  de  la  Sarthe, 
au  Mans. 

7  Jean-Joseph  Rigogard,  évêque  du  diocèse  du  Var,  à  Fréjus. 

-}•  Jean-Guillaume  Mollmer,  évêque  du  diocèse  des  Hautes- 
Pyrénées,  à  Tarbes. 

•f  Pierre  Pacareau,  évêque  métropolitain  du  diocèse  de  la 
Gironde,  à  Bordeaux. 

f Font,  évêque  du  diocèse  de  l'Ariège,  à  Pamiers. 

f  Etienne  Delcher,  évêque  du  diocèse  de  la  Haute-Loire, 
au  Puv. 


412     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


VI 

SPÉCIMEN  DES  ADHÉSIONS.  A   L'eNCYCLIQUE 
DU  15   MARS    1795. 

lo 

Rodez,  ie  21  germinal,  l'an  III  de  la  République  française 
[10  avril  1795]. 

Chers  collègues, 
Rien  ne  m'a  autant  satisfait  que  la  lecture  de  la 
lettre  encyclique  du  15  mars  que  vous  m'avez  adressée. 
Gomme  je  professe  la  môme  foi  que  vous  y  avez  pro- 
fessée, que  je  suis  animé  du  même  désir  que  vous  de 
voir  la  discipline  de  la  primitive  Église  reprendre  en 
France  toute  sa  vigueur,  et  qu'il  est  instant  d'établir 
dans  tous  les  diocèses  un  ordre  uniforme,  j'y  adhère 
bien  sincèrement  en  tout  ce  qu'elle  contient.  Je  me 
conformerai  aux  règlements  qu'elle  propose,  parce 
que  je  suis  persuadé  que  l'esprit  de  Dieu  les  a  dictés. 
Elle  aura  certainement  aussi  l'adhésion  de  tous  les 
bons  ecclésiastiques  de  notre  département,  à  qui  je 

f  Pierre  Suzor,  évêque  du  diocèse  de  l'Indre-et-Loire,  à  Tours. 

f  Charles  Le  Masle,  évêque  du  diocèse  du  Morbihan,  à  Vannes. 

t Frakcin,  évêque  du  diocèse  de  la  Moselle,  à  Metz. 

•f  A.  Constant,  évêque  du  diocèse  du  Lot-et-Garonne,  à  Agen. 

t  J.-B.  Flavigny,   évêque   du   diocèse  de  la  Haute-Saône,  à 
Vesoul. 

t Primat,  évêque  du  diocèse  du  Nord,  à  Cambrai. 

f  J. -Joseph  Brival,  évêque  du  diocèse  de  la  Corrèze,  à  Tulle. 
Adhésions  des  presbytères  des  diocèses  vacants. 
Ont  adhéré  : 

Le  Presbytère  métropolitain  de  Paris. 

Le  Presbytère  d'Angers. 

A  mesure  que  les  autres  adhésions  arriveront  on  les  ajou- 
tera. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  413 

vais  m'empresser  de  la  communiquer.  Je  connais  leur 
zèle  pouf  la  religion. 

Je  vous  salue  très  cordialement. 

-{-  G[laude]  De  Bertier,  évêque. 

P. -S.  —  Il  n'est  pas  juste  que  vous  fassiez  seuls  les 
frais  de  l'impression  ;  veuillez  me  dire  pour  combien 
faut-il  que  j'y  contribue  ;  je  serai  exact  à  vous  le  faire 
passer. 

[Cette  lettre  était  adressée  aux  évêques  réunis,  la 
suivante  s'adressait  à  Grégoire  seul.] 

2o 

Rodez,  3  floréal,  l'an  III  de  la  République  française 
[22  avril  17%]. 

Cher  collègue, 

J'ai  reçu  aujourd'hui  l'envoi  officiel  de  la  lettre  en- 
cyclique, de  la  déclaration  de  foi  et  des  règlements 
dont  j'avais  déjà  vu  une  épreuve.  Mon  adhésion  a  dû 
vous  être  parvenue;  je  l'envoyai  de  suite.  Mon  nom 
de  baptême  est  Claude;  j'ai  pensé  que  peut-être  vous 
seriez  en  peine  de  le  faire  imprimer.  J'espère  que 
vous  m'informerez  de  l'adhésion  de  tous  les  évêques 
et  de  la  manière  de  laquelle  les  bons  ecclésiastiques 
ont  accueilli  cet  ouvrage  dans  les  diocèses  respectifs, 
afin  que  j'en  fasse  renouveler  l'impression  ici  et  que 
je  le  publie  de  suite.  Déjà  il  circule  en  copies  manus- 
crites, et  tout  se  range  avec  plaisir  autour  de  ce  point 
de  ralliement. 

Vous  me  demandiez  une  critique  sévère  de  votre 
lettre  pastorale  ;  je  ne  vous  reproche  que  de  n'avoir 
pas  pris  assez  le  ton  simple  des  apôtres,  et  de  vous  y 


414     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

montrer  trop  ouvertement  contre  les  royalistes.  Je 
suis  vrai  républicain  assurément  ;  mais  je  crois,  en  qua- 
lité d'évêque,  devoir  ménager  la  confiance  de  toutes 
mes  ouailles,  quelle  que  soit  leur  opinion  sur  le  gou- 
vernement. En  tout  le  reste,  elle  est,  à  mon  avis, 
•(excellente. 

Je  suis  après  à  recueillir  les  faits  dont  vous  me  priez 
■de  vous  informer,  et  qui  doivent  trouver  place  dans 
l'histoire  de  l'Église. 

Sermet  est  comme  mort  par  rapport  à  moi;  je  ne 
«ais  ni  où  il  est,  ni  quelle  a  été  sa  conduite.  Il  y  après 
■tle  deux  ans  qu'il  ne  m'a  pas  écrit.  Je  n'ai  point  de 
relations  avec  Perpignan. 

Agréez  mon  salut  fraternel. 

-J-  G.  De  Bertier,  évêque. 


3° 

Cahors,  le  23  germinal,  l'an  HI  de  la  République  une  et  indivisible 
[12  avril  1795]. 

Citoyen  et  cher  confrère, 

J'ai  reçu  avec  bien  de  la  satisfaction,  et  lu  avec  le 
plus  vif  intérêt  votre  lettre  pastorale,  la  Lettre  ency- 
clique et  les  Annales  de  la  Religion.  Tous  ces  écrits 
portent  le  caractère  qu'inspire  notre  religion  ;  ils  sont 
marqués  au  sceau  de  la  vérité  et  sont  accompagnés  de 
cette  fermeté  que  la  seule  évidence  et  la  cause  de  Dieu 
peuvent  enfanter.  J'y  adhère  de  cœur  et  d'âme,  et  je 
vais  répandre  le  prospectus  afin  qu'il  acquière  dans 
<;ette  partie  méridionale  toute  la  publicité  qu'il  mé- 
rite. 

Les  autres  ouvrages  dont  vous  me  donnez  le  détail 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  415 

sont  très  appropriés  aux  circonstances.  Dieu  veuille 
faire  fructifier  cette  bonne  semence  qui  va  être  jetée 
sur  le  champ  du  père  de  famille.  Malheureusement 
l'homme  ennemi  y  a  semé  de  lïvraie.  Il  faut  avouer 
que  nous  existons  dans  une  crise  plus  forte  que  ja- 
mais. L'impiété  fait  bien  des  ravages,  mais  je  crois 
que  les  réfractaires  font  encore  plus  de  mal.  La  sur- 
face de  la  République  est  couverte  de  prêtres  ou 
déportés  ou  élargis;  presque  tous  ceux  qui  étaient  ici 
dans  la  maison  de  réclusion  sont  sortis,  d'après, 
dit-on,  une  pétition  qu'ils  ont  présentée  et  des  pro- 
messes qu'ils  ne  tiendront  pas.  Ils  ont  gagné  beaucoup 
de  monde  ;  le  décri  de  notre  ministère  est  une  de  leurs 
moindres  manœuvres;  ce  sont  les  ennemis  déclarés 
du  nouvel  ordre  de  choses,  et  ils  regardent  et  font 
apercevoir  la  contre-révolution  comme  sûre.  En  vérité 
on  ne  sait  que  penser  en  voyant  de  pareils  incivismes; 
et  si  tout  ceci  ne  nous  conduit  pas  à  un  rapproche- 
ment et  une  réunion,  je  vois  tout  perdu,  ou  nous  voilà 
de  côté.  J'ignore  s'il  en  est  de  même  partout;  un 
grand  nombre  de  prêtres  assermentés  vont  se  rétrac- 
ter entre  les  mains  d'un  soi-disant  vicaire  apostolique  ; 
et  ce  qui  met  le  comble  au  malheur,  c'est  que  nous 
n'avons  pas  d'églises;  nous  sommes  obligés  de  dire 
notre  messe  dans  nos  maisons.  Ce  point  de  réunion 
nous  manquant,  l'héritage  du  Seigneur  se  divise,  et 
la  désolation  ne  peut  manquer  d'arriver.  Je  vois  encore 
des  écrits  qui  circulent,  tels  que  celui  de  Lequinio, 
bien  secondés  par  les  administrations;  et  le  pauvre 
peuple,  le  prétendu  souverain,  est  comprimé;  il  ne 
jouit  que  d'un  fantôme  de  liberté.  Je  dépose,  cher 
confrère,  entre  vos  mains  et  dans  votre  cœur,  mes 
peines,  et  j'y  cherche  des  consolations. 


41G     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Lorsque  j'aurai  des  renseignements  certains  sur  le 
compte  de  mes  voisins,  je  vous  en  ferai  part. 

Il  me  paraît  que  dès  que  notre  profession  de  foi 
sera  faite,  nous  devons  tâcher  de  faire  notre  paix  avec 
le  pape;  mettre  tout  en  usage  pour  ramener  une  con- 
ciliation, et  prouver  notre  bonne  cause  en  offrant  de 
faire  toutes  sortes  de  sacrifices,  excepté  celui  de  la 
patrie.  Nous  voulons  que  les  intérêts  de  la  religion 
et  ceux  de  la  République  soient  confondus. 
Fraternité  et  respect. 

Danglars,  évêque  du  département  du  Lot. 


Saint-Diez,  le  30  germinal  an  ni  de  la  République  française 
[19  avril  1795]. 

Citoyen  représentant. 

Je  reçois  à  l'instant  la  Lettre  encyclique  de  nos  di- 
gnes et  respectables  confrères.  Elle  mérite  les  plus 
grands  éloges;  j'y  adhère  avec  joie  et  avec  empresse- 
ment. J'attends  pour  la  répandre  dans  mon  diocèse 
la  seconde  édition,  qui  présentera  sûrement  l'adhé- 
sion de  tous  les  évêques  qui  ont  confessé  J.-C,  Si  je 
connaissais  le  libraire  qui  en  sera  chargé,  je  lui  pas- 
serais des  fonds  pour  en  avoir  300  ou  400  exemplaires  ; 
si  toutefois  l'impression  est  à  meilleur  prix  qu'ici, 
indiquez-le-moi. 

Vous  avez  dû  recevoir  une  de  mes  lettres  qui  vous 
annonce  ma  position.  Le  peuple  est  très  prononcé  en 
faveur  du  culte  ;  mais  une  queue  de  terroristes  sem- 
blent vouloir  y  mettre  encore  des  entraves.  Je  reçois 
dans  ce  moment  la  nouvelle  que  je  suis  dénoncé  au 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  417 

Comité  de  sûreté  générale  pour  avoir  baptisé  et  donné 
la  bénédiction  nuptiale  dans  mon  oratoire  ici  et  à 
Épinal,  et  que  le  Comité  a  été  sur  le  point  de  me  faire 
retourner  à  Paris  *.  Je  suis  prêt  à  obéir  et  à  souffrir  de 
nouvelles  persécutions  ; 

Je  crains  Dieu...  et  n'ai  point  d'autre  crainte. 

Je  n'ai  pas  encore  l'état  exact  de  tous  les  prêtres 
qui  ont  résisté  à  la  perfidie  des  persécuteurs;  je  vous 
en  ferai  part  sitôt  que  je  l'aurai  reçu. 

Salut  et  fraternité. 

•\-  Maudru,  évêque  des  Vosges. 


Tarbes,  ce  28  avril  1795,  an  HI  de  la  République  française. 

Citoyen  confrère, 

J'ai  reçu  la  Lettre  encyclique  que  vous  m'avez 
adressée  ;  j'y  adhère  de  tout  mon  cœuret  j'en  approuve 
toutes  les  dispositions.  Je  n'ai  jamais  eu  d'autres  sen- 
timents que  ceux  qu'elle  renferme. 

Quant  aux  règlements,  ils  sont  sages  et  conformes 
aux  anciens  canons  ;  il  serait  à  souhaiter  qu'on  pût 
les  mettre  en  pratique  ;  mais  le  nombre  des  coupa- 
bles est  trop  grand  pour  les  exclure  tous  des  fonctions 
dont  ils  se  sont  rendus  indignes.  Comme  dans  ce  dio- 
cèse on  a  repris  le  culte  dans  presque  toutes  les 
paroisses,  et  que  parmi  les  ministres  qui  ont  abdiqué, 

1.  Jean-Antoine  Maudru  (1748-1820)  avait  été  incarcéré  devant 
la  Terreur.  En  1801  il  accepta  la  cure  de  Stenay,  que  la  Res- 
tauration le  contraignit  d'abandonner. 


418     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

les  uns  ont  conservé  la  confiance,  et  que  les  autres 
l'ont  perdue,  j'ai  permis  aux  premiers  de  reprendre 
leurs  fonctions,  et  j'ai  remplacé  les  derniers.  Mon 
motif  a  été  que  notre  ministère  n'est  qu'un  ministère 
de  confiance. 

Je  regarde  la  persécution  que  nous  venons  d'es- 
suyer comme  une  faveur  que  J.-C.  a  faite  à  son  Église  ; 
il  y  avait  beaucoup  de  mauvais  ministres  et  l'épura- 
tion en  était  impossible.  Ceux  qui  n'avaient  que  le 
masque  de  la  religion  l'ont  quitté,  et  le  peuple  qui 
les  connaît  très  bien  n'en  veut  plus. 

Le  peuple  est  plus  juste  qu'on  ne  pense,  et  il  veut 
le  bien  ;  il  pardonne  à  tous  ceux  dont  la  conduite  était 
irréprochable  et  qui  faisaient  bien  leur  devoir;  mais 
il  est  inexorable  à  l'égard  des  autres. 

Dans  toutes  les  communes,  les  officiers  municipaux 
assemblent  tous  les  paroissiens  et  proposent  l'ancien 
curé  ;  si  l'on  était  content  de  lui,  tout  le  monde  vote  en 
sa  faveur,  et  on  le  rappelle.  Si  l'on  n'était  pas  content, 
on  en  demande  un  autre,  et  quand  on  s'est  accordé, 
on  m'envoie  copie  de  la  délibération.  Je  n'approuve 
le  choix  que  quand  il  tombe  sur  un  sujet  libre.  Je 
pense  que  chaque  pasteur  doit  conserver  son  troupeau 
à  moins  que  son  troupeau  ne  le  rejette. 

Je  n'ai  encore  institué  personne;  j'attends  un  mo- 
dèle d'institution,  ainsi  qu'un  modèle  d'élection;  il 
faut  établir  l'uniformité  en  tout. 

Salut  et  fraternité  en  N.-S.  J.-C. 

•\-  J.-G.  Molinier,  évêque. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  419 

Cannens,  2  mai  1795,  3'  année  républicaine. 

J'ai  lu  avec  attention  et  admiration  la  Lettre  ency- 
clique qui  m'a  été  adressée  par  les  évêques  et  leurs 
adjoints  réunis  à  Paris,  le  dimanche  15  mars,  l'an  de 
J.-C.  1793,  3*^  de  la  République  française. 

Ceux  qui  liront  cette  pièce  jugeront  aisément  de 
l'étendue  des  lumières  de  ses  auteurs  et  de  la  force 
de  la  grâce  qui  les  a  animés.  Je  déclare  donc  que  je 
la  trouve  de  tout  point  conforme  à  la  foi,  à  la  morale 
et  à  l'ancienne  discipline  de  l'Église  catholique,  apos- 
tolique et  romaine,  et  j'adopte  cette  excellente  pro- 
duction qui,  pour  la  gloire  de  Dieu,  sera  l'instruction 
des  uns  et  la  confusion  des  autres. 

Bernard  Font,  évéque  du  départ,  de  l'Ariège. 


Woippy,  ce  2i  floréal,  l'an  NI  de  la  République  française  une  et  indivisible 
[13  mai  1795]. 

Cher  confrère, 
J'ai  reçu  votre  Lettre  encyclique,  mais  un  peu  tard, 
ma  santé  dérangée  m'a  obligé  de  prendre  l'air  natal 
pendant  quelque  temps.  Ma  détention  à  Clermont- 
Ferrand  pendant  dix  mois,  dont  j'en  ai  passé  trois,  et 
quatre  jours,  dans  un  cachot  noir  avec  un  de  mes 
vicaires,  avec  défense  très  rigoureuse  au  geôlier  de 
nous  laisser  communiquer  avec  personne,  m'a  accablé 
d'infirmités.  Au  bout  de  dix  jours,  j'ai  été  *  attaqué 
d'un  mal  de  reins  affreux,  dont  je  souffre  continuel- 

1. 11  y  a  dans  le  texte  f  ai  fut  attaqué,  et  plus  loiny'ai  fû  reçu, 
j'ai  fù  en  butte 


420     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

lement;  ma  poitrine,  qui  était  excellente,  quoique 
délicate,  est  absolument  délabrée  par  l'air  infecté 
que  j'y  ai  respiré.  Il  fallait  dans  ce  cachot  affreux  de 
la  lumière  à  midi  comme  à  minuit.  On  nous  lâchait 
le  matin  et  le  soir  dans  une  petite  cour  puante,  comme 
des  animaux,  pour  satisfaire  aux  nécessités  de  la 
nature,  et  cela  pendant  un  quart  d'heure.  Ma  rési- 
gnation dans  la  providence  divine,  ainsi  que  celle  de 
mon  compagnon,  était  parfaite.  Je  vous  avoue  sincè- 
rement que  je  me  réjouissais  de  verser  mon  sang 
pour  la  défense  de  ma  religion,  et  surtout  après  avoir 
appris  que  toutes  nos  églises  ont  été  fermées  le  len- 
demain après  notre  départ  de  Metz.  Chaque  fois  que 
des  membres  des  autorités  constituées  sont  entrés 
dans  notre  cachot,  ils  nous  ont  accablés  des  propos 
les  plus  mortifiants,  et  chaque  fois  nous  avons  cru 
qu'ils  venaient  nous  annoncer  le  terme  de  nos  peines, 
car  on  attendait  de  jour  en  jour  le  scélérat  Couthon, 
qui  devait  faire  une  boucherie  des  prêtres,  nobles  et 
riches.  Il  avait  si  bien  arrangé  ses  affaires  pour  faire 
réussir  son  coup  prémédité  qu'il  avait  fait  descendre 
et  enlever  toutes  les  cloches  dans  le  département 
pour  empêcher  qu'on  ne  sonne  l'alarme  pendant  son 
exécution  barbare.  Quatre  bourreaux  étrangers  étaient 
déjà  arrivés  à  Glermont  pour  commander  en  secret 
des  échafauds.  Les  buveurs  de  sang  disaient  publi- 
quement que  Couthon  était  leur  dieu.  Enfin  la  Provi- 
dence a  terrassé  ce  tyran  et  nous  a  rendus  à  nos 
foyers,  où  je  n'épargnerai  aucune  peine,  quoique 
sexagénaire  et  accablé  d'infirmités,  pour  me  rendre 
utile  à  ma  religion  et  à  ma  patrie.  A  mon  retour  à 
Metz,  j'ai  été  reçu  des  bons  citoyens  avec  des  larmes 
de  joie,  et  mes  persécuteurs  fuyaient  ma  présence, 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  421 

ne  pouvant  pas  la  soutenir.  Depuis  longtemps  j'ai  été 
en  butte  à  ces  petits  tyrans  par  ma  fermeté  à  m'op- 
poser,  comme  membre  du  conseil  général,  à  des 
arrêtés  qu'une  partie  des  membres  du  département  a 
voulu  rendre  contre  le  culte  et  contre  les  temples. 
Dans  une  fête  sacrilège,  on  est  entré  processionnelle- 
ment  dans  la  cathédrale,  et  y  ont  {sic)  renversé  le 
tabernacle  vide  et  quelques  statues  ;  le  même  soir,  j'ai 
réconcilié  mon  Église  (22  nivôse,  2^  année)  ;  le  samedi 
soir,  je  reçois  un  billet  d'invitation  de  me  rendre  au 
comité  officieux  du  club,  dont  j'étais  membre;  mais 
c'était  pour  lire  à  mon  arrivée  une  pétition  à  la  Con- 
vention, pour  demander  la  cathédrale  pour  temple 
de  la  Raison,  et  on  m'a  proposé  de  la  signer,  ce  que 
j'ai  refusé  de  faire  en  disant  que  la  nation  m'avait 
remis  ce  temple  en  mes  mains,  et  que  je  ne  l'aban- 
donnerais pas  avant  qu'elle  ne  me  l'ait  ôtée  par  un 
décret.  A  l'arrivée  du  représentant  Lacoste,  le  lende- 
main, mes  dénonciateurs  l'ont  déterminé  à  me  faire 
reléguer  à  Clermont  pour  être  sur  (sic)  la  surveillance 
du  tyran  Couthon.  Un  fameux  buveur  de  sang,  nommé 
Chasseloup,  adjudant  général  de  l'armée  de  la  Mo- 
selle, s'est  chargé  de  me  faire  conduire  en  prison 
avec  50  hommes  armés,  après  m'avoir  accablé  de 
toutes  sortes  de  sottises;  et  deux  heures  après,  nous 
nous  sommes  mis  en  chemin,  et  au  bout  de  huit  jours 
arrivés  à  Clermont  sous  la  conduite  d'un  capitaine  et 
deux  gendarmes. 

Je  pense,  mon  cher  confrère,  que  le  récit  raccourci 
de  mes  peines  ne  vous  sera  pas  désagréable,  quoique 
mal  digéré,  étant  pressé  de  répondre  à  la  Lettre  ency- 
clique que  vous  m'avez  fait  le  plaisir  de  m'envoyer. 
Mais  vous  me  permettrez  de  vous  envoyer  mes  obser- 

24 


422     HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

valions  que  j'ai  faites  sur  quelques  articles  qui  regar- 
dent les  prêtres  tombés.  J'adhère  volontiers  à  cette 
lettre  et  au  planque  vous  y  avez  tracé;  votre  confes- 
sion de  foi  est  la  mienne;  mais  je  vous  avoue  sincère- 
ment que  je  n'occuperais  mon  poste  que  quand  la 
Convention  aurait  donné  un  décret  clair  et  net  sur  la 
liberté  du  culte  (celui  du  3  ventôse  est  rempli  d'en- 
traves et  on  ne  peut  s'y  fier)  en  nous  rendant  nos  tem- 
ples, que  je  ne  crois  pas  être  réputés  comme  biens 
nationaux,  parce  que  les  églises  ont  été  bâties  par 
les  paroissiens  de  leurs  propres  fonds.  Ces  fonds 
étaient  la  dîme,  et  même,  dans  les  Trois  Évêchés,  ils 
étaient  chargés  de  construire  la  nef,  et  les  décima- 
teurs  le  chœur  seulement.  Vous  êtes  le  seul  évêque, 
comme  membre  de  la  Convention,  qui  est  infiniment 
estimé  des  bons  républicains  dans  notre  département. 
Vous  avez  parlé  avec  force  pour  la  liberté  du  culte. 
Votre  Lettre  pastorale,  donnée  depuis  quelque  temps, 
a  été  applaudie  des  mêmes;  je  désirerais  de  l'avoir. 
Je  m'abonne  volontiers  pour  six  mois  pour  les  Anna- 
les de  la  Religion;  je  vous  ferai  tenir  l'abonnement 
au  plus  tôt.  Je  demeure  à  Woippy;  mon  adresse  est 
chez  le  citoyen  Marchai,  libreur  [aie)  et  juge  de  paix, 
pour  me  remettre  mes  lettres.  Je  vous  embrasse  de 
tout  mon  cœur. 
■j-N.  Francin,  évêque  du  départ,  de  la  Moselle. 


TABLE  DES  MATIERES 


Ayant-propos v 

LIVRE  PREMIER 

L'abbé  Grégoire  ù  la  Constituante;  Constitution  ci\ile 
du  clergé. 

(1789-1791).  1 

LIVRE  DEUXIÈME 

Grégoire  évêque  de  Loir-et-Cher 

(1791-1802). 

Chapitre  I'^''.  —  Élection  de  Grégoire;  premier  séjour  à 
Blois  (1791) 29 

CHAPrrRE  IL  —  Grégoire  à  Blois  pendant  la  seconde  légis- 
lature (1791-1792) 75 

Chapitre   111.  —   Persécutions   religieuses:  la  Terreur  à 
Blois  (1792-1795)...... ; 93 

CHAPfTRE  IV.  —  Rétablissement  du  culte;  Grégoire  à  Blois; 
Perisécutions  nouvelles  sous  le  Directoire  (1795-1799)...     H4 

Chapitre  V.  —  Le  diocèse  de  Blois  sous  le  Consulat;  dé- 
mission de  Grégoire;  le  Concordat  (1799-1801) 138 

LIVRE  TROISIÈME 

Grégoire  et  l'Église  de  France  sons  la  Convention 

(1792-1795). 

Chapitre  I^'.  —  Débuts  de  la  Convention;  Grégoire  en 
mission  à  Chambéry  et  à  Nice 169 


424  TABLE  DES  MATIÈRES 

Chapitre  II.  —  Persécution  religieuse;  interdiction  du 
culte  ;  la  Terreur 188 

Chapitre  III.  —  Les  Thermidoriens  et  la  liberté  des  cultes; 
Décret  de  ventôse  (1794-1193) 229 

Chapitre  IV.  —  Réorganisation  du  culte;  première  en- 
cyclique des  évêques  réunis;  les  prêtres  mariés;  société 
de  philosophie  chrétienne;  Annales  de  la  religion 261 

Chapitre  V.  —  Décrets  de  prairial  et  de  vendémiaire;  loi 
sur  la  police  des  cultes;  fin  de  la  Convention 291 

APPENDICE 

Notre-Dame  de  Paris  après  la  Terreur  (1795-1802),  d'après 
les  registres  originaux  de  la  Société  catholique  de  cette 
église 313 


PIECES  JUSTIFICATIVES 

I.  —  Discours  de  Grégoire  à  la  Convention  sur  la  liberté 

des  cultes  (1er  nivôse  an  II  —  21  décembre  1794) 341 

II.  —  Lettre  de  Morellet  à  Grégoire  au  sujet  du  discours 

sur  la  liberté  des  cultes 366 

III.  —  Lettre  d'un  prêtre  devenu  dragon  sur  le  même  sujet.    368 

IV.  —   Lettre    pastorale   de   Grégoire   à  ses   diocésains 

(12  mars  1793) 370 

V.  —  Lettre  encyclique  de  plusieurs  évêques  de  France  à 
leurs  frères  les  autres  évêques  et  aux  Églises  vacantes 

(1 3  mars  1793) 390 

VI.  —  (Spécimen  des  adhésions  à  l'encyclique  du  15  mars 

1795) 412 

1°  Lettre  de  Claude  De  Bertier,  évêque  de  Rodez,  aux 

évêques  réunis 412 

2°  Lettre  du  même  à  Grégoire 413 

3°  Lettre  de  Danglars,  évêque  de  Cahors 414 

4°  Lettre  de  Maudru,  évêque  des  Vosges 416 

3°  Lettre  de  Molinier,  évêque  de  Tarbes 417 

6°  Lettre  de  Font,  évêque  de  l'Ariège 419 

70  Lettre  de  Francin,  évêque  de  Metz 419 


CouLOMMiERS,  —  Typog.  P.  BRODARD  et  GALLOIS 


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